Skip to main content

Full text of "Les petits Bollandistes : vies des saints de l'Ancien et du Nouveau Testament, des martyrs, des pères, des auteurs sacrés et ecclésiastiques ..., notices sur les congrégations et les ordres religieux, histoire des reliques, des pèlerinages, des dévotions polulaires, ..."

See other formats


1,1 


1     LU 

1     O 

m 

1  d= 

SCO 

CT> 

CT) 

111 

1     tf            — 

,__ 

1   o^=^ 

LO 

O 

s^^== 

"tf 

1     [  '^^^^— 

o 

1     j^~ 

s 

1    w              — 1 

h- 

K 

1 — 

t/) 

co 

oc 

LU 

>          — 

INI 

■ 

;! 


i  È  • 


%7a 


m 


TiF'a 


^STKJ 


\ï* 


m 


y*\ 


&* 


JOHN  M.  KELLY  LIBDAKY 


.*M 


7îm 


Donated  by 
The  Redemptorists  of 
the  Toronto  Province 

from  the  Library  Collection  of 
Holy  Redeemer  Collège,  Windsor 


University  of 
St.  Michael's  Collège,  Toronto 


m 


m 


^ 


vkzLÂ 


mm 


mas 


mŒtëte2 


>**> 


«ra 


Digitized  by  the  Internet  Archive 

in  2011  with  funding  from 

University  of  Toronto 


http://www.archive.org/details/lespetitsbolland05gu" 


HW.YBEBEEMER  LiiRARY,  Jfljfl^ 


LES  PETITS  BOLLANDISTES 


VIES  DES  SAINTS 


TOME  CINQUIÈME 


<r\~o^( 


6  1 


Cet  Ouvrage,  aussi  bien  pour  le  plan  d'après  lequel  il  est  conçu  que  pour 
les  matières  qu'il  confient,  et  qui  sont  le  résultat  des  recherches  de  F  Auteur,  est 
la  propriété  de  V Editeur  qui,  ayant  rempli  les  formalités  légales,  poursuivra 
toute  contrefaçon,  sous  quelque  forme  quelle  se  produise.  L'Editeur  se  réserve 
également  le  droit  de  reproduction  et  de  traduction. 


B« 


LES  9^^ 


PETITS  BOLLANDISTES 

VIES  DES  SAINTS 

de  l'Ancien  et  du  Nouveau  Testament 

des  Martyrs,  des  Pères,  des  Auteurs  sacrés  et  ecclésiastiques 

DES  VÉNÉRABLES  ET  AUTRES  PERSONNES  MORTES  83  ODEUR  DE  SAINTETÉ 

NOTICES  SUR  LES  CONGRÉGATIONS  ET  LfiS  ORDRES  RELIGIEUX 

Histoire  des  Reliques,  des  Pèlerinages,  des  Dévolions  populaires,  des  Monuments  dus  à  la  piété 
depuis  le  commencement  du  monde  jusqu'aujourd'hui 

D'APRÈS  LE  PÈRE  GIRY 

dont  le  travail,  pour  les  Vies  qu'il  a  traitées,  forme  le  fond  de  cet  ou7ragc 
LES  GRANDS  BOT.LANDISTES  QUI  ONT  ÉTÉ  DE  NOUVEAU  INTÉGRALEMENT  ANALYSÉS 

SB8IUS,   RIBADUEIRA,  GODESCARD,   BAILLET,  LES   HAGIOLOGIES   ET  LES   PROPRES  OF   CHAQUE   DIOCÈSE 

tant  de  France  que  de  l'Etranger 
ET  LES  TRAVAUX,   SOIT  ARCHÉOLOGIQUES,  SOIT  HAGIOGRAPHIQUES,   LES   PLUS  RÉCENTS 

Avec  l'histoire  de  Notre-Seigueur  Jésus-Christ  et  delà  Sainte  Vierge,  des  Discours  sur  lesMystèreset  les  Fêtes 

une  Année  chrétienne 

le  martyrologe  romain,  les  martyrologes  français  et  les  martyrologes  de  tous  les  Ordres  religieux 

une  Table  alphabétique  de  tous  les  Saints  connus,  une  autre  selon  l'ordre  chronologique 

une  autre  de  toutes  les  Matières  répandues  dans  l'Ouvrage,  destinés  aux  Catéchistes,  aux  Prédicateurs,  etc. 

Par    Msr    Paul    OTJÉRIIV 

CAMÉRTEK  i>E   SA   SAINTETÉ   LÉON    XIII 


SEPTIÈME  ÉDITION,  REVUE,  CORRIGEE  ET  CONSIDÉRAPLEMENT  AUGMENTÉE 
(Huitième  tirage) 


TOME  CINQUIÈME 

DU     24     AVRIL     AU     18     MAI 


PARU 

BLOUD     ET     BARRAL,      LIBRAIRES-EDITEURS 

4,  RUE   MADAME,   ET    RUE   DE   RENNES,   59 


1888 


s- 


HW.YÏEMEMER  LlBRARY,j#NDSOR 


VIES   DES   SAINTS 


XXIV  JOUR  D'AVRIL 


MARTYROLOGE  ROMAIN. 

À  Sévis,  au  pays  de  Grisons,  saint  Fidèle  de  Sigmaringen,  de  l'Ordre  des  Mineurs  Capucins, 
qui,  envoyé  en  ce  lieu  pour  prêcher  la  foi  catholique,  fut  tué  par  les  hérétiques  et  mérita  ainsi 
d'être  mis  au  rang  des  Martyrs  par  le  pape  Benoit  XIV.  1622.  —  A  Rome,  saint  Sabas,  officier  de 
l'armée,  qui,  ayant  été  accusé  de  visiter  les  chrétiens  dans  les  prisons,  confessalibrement  Jésus-Christ 
devant  le  juge  :  celui-ci  le  fit  brûler  avec  des  torches  ardentes  et  jeter  dans  une  chaudière  pleine 
de  poix  bouillante,  d'où,  étant  sorti  sans  lésion  aucune,  il  convertit  soixante-dix  hommes  par  ce 
miracle,  lesquels,  ayant  persévéré  dans  la  confession  de  la  foi,  passèrent  par  le  tranchant  da 
glaive  :  pour  lui,  il  fut  enfin  jeté  dans  le  fleuve,  où  il  acheva  son  martyre.  272.  —  A  Lyon,  dans 
la  Gaule,  saint  Alexandre,  martyr,  qui,  dans  la  persécution  d'Antoninus-Vérus,  après  avoir  été 
longtemps  détenu  en  prison,  fut  d'abord  tellement  déchiré  par  la  cruauté  de  ceux  qui  le 
fouettaient,  que  les  jointures  de  ses  côtés  étant  rompues,  on  lui  voyait  jusqu'aux  intestins,  et 
ensuite  fut  attaché  à  une  croix  sur  laquelle  il  rendit  son  bienheureux  esprit.  Avec  lui  souffrirent 
trente-quatre  autres  chrétiens,  dont  la  mémoire  se  célèbre  en  d'autres  jours.  178.  —  Le  même  jour, 
les  saints  martyrs  Eusèbe,  Néon,  Léonce,  Longin  et  quatre  autres,  qui,  dans  la  persécution  de 
Dioclétien,  après  de  cruels  supplices,  furent  frappés  du  glaive  *.  Vers  303.  —  En  Angleterre,  le 
décès  de  saint  Mellit,  évèque,  qui,  envoyé  en  Angleterre  par  saint  Grégoire,  convertit  les  Saxons 
Orientaux  avec  leur  roi.  624.  —  A  Elvire,  en  Espagne,  saint  Grégoire,  évèque  et  confesseur  2. 
i\e  s.  —  A  Brescia,  saint  Honoré,  évèque.  586.  —  En  Irlande,  saint  Egbert,  prêtre  et  moine, 
personnage  d'une  humilité  et  d'une  continence  admirables.  729.  —  A  Reims,  les  saintes  vierges 
Beuve  et  Dode.  673. 

MARTYROLOGE  DE  FRANCE,  REVU  ET  AUGMENTÉ. 

A  Pignerol,  les  saints  martyrs  Maurice,  Georges  et   Tibère,  de  la  glorieuse  légion   Thébaine. 

—  A  Audi,  le  décès  de  saint  Cérase,  premier  évèque  d'Eause,  qui  gouverna  saintement  soa 
diocèse  au  milieu  des  plus  grands  troubles  de  l'Eglise.  Ier  s.  Sa  fête  se  célèbre  à  Auch  le  27  avril. 

—  En  Auvergne,  saint  Robert,  fondateur  et  premier  abbé  de  la  Chaise-Dieu,  de  l'Ordre  de  Saint- 
Benoit.  1067.  Il  est  nommé  au  martyrologe  romain  le  17  avril.  —  Au  diocèse  de  Blois,  saint  Dye  3, 
premier  anachorète,  qui  parut  dans  le  pays  blésois.  La  cellule  qu'il  se  bâtit  sur  le  bord  de  la  Loire 

1.  Eusèbe,  Néon,  Léonce,  Longin  et  leurs  quatre  compagnons  souffrirent  à  Nicomédie.  Leur  conversion 
ast  attribuée  à  saint  Georges. 

2.  Saint  Grégoire  d'Elvire  fut  fort  mêlé  à  la  querelle  des  Ariens.  Il  prit  parti  pour  Lucifer  de  Ca- 
gliari  dans  la  condamnation  sans  merci  des  évêques  qui  avaient  failli.  Lucifer  l'entraina  dans  son 
schisme.  Sans  doute  saint  Grégoire  fut  de  bonne  foi,  mais  il  est  curieux  de  remarquer  avec  quelle  com- 
plaisance Baillet  s'étend  sur  ce  bon  évèque,  dont  on  ne  sait  presque  rien,  précisément  parce  que  Rome  a 
reconnu  sa  sainteté  malgré  la  participation  qu'il  prit  à  un  schisme.  (Voir  la  Vie  de  Lucifer  de  Cagliari.) 

8.  Deodatas. 

Vies  des  Saints.  —  Tome  V.  i 


2  24   AVRIL. 

est  l'origine  de  l'église  et  du  bourg  qui  portent  son  nom.  Tour  à  tour,  ascètes  studieux  et  mission 
naires  actifs  ;  prêtres  dévoués  et  laboureurs  infatigables;  manœuvres  et  savants,  les  anachorètes 
du  moyen  âge  ont  fait,  parmi  les  classes  moins  privilégiées  de  la  société,  ce  que  les  évèques  ont 
fait  parmi  les  grands;  ce  qui  n'empêchait  pas  les  rois  de  rechercher  les  inspirations  des  déserts 
embaumés  du  parfum  de  la  sainteté  :  ainsi  Clovis  et,  plus  tard,  son  fils  Childebert,  marchant  contre 
les  Goths  ariens,  vinrent  s'agenouiller  aux  pieds  de  l'ermite  de  Saint-Dyé  et  lui  recommander  le 
succès  de  leurs  armes.  Les  reliques  du  saint  ermite  ont  été  dispersées  parles  Huguenots  en  1518. 
Mort  après  531.  —  A  Mortain,  en  Normandie,  saint  Guillaume  Firmat,  prêtre  et  solitaire,  dont  la 
vie  a  été  un  modèle  de  toutes  sortes  de  vertus,  mais  surtout  d'humilité  et  de  charité.  On  l'invoque 
principalement  pour  les  maux  de  tète  '.  Vers  1090.  — A  Perthe,  près  de  Haute-Fontaine,  diocèse  de 
Langres,  saint  Léger  ou  Lézer.  ier,  ine  ou  vu»  s.  —  A  Paris,  le  vénérable  Gaston  de  Renty,  baron  de 
Landelle,  célèbre  par  sa  grande  charité  envers  les  pauvres,  dont  le  corps  était  à  Citré,  près  de 
Jouarre,  dans  l'église  de  Saint-Pons.  1639.  —  A  Saint-André-de- Villeneuve  d'Avignon,  sainte  Ven- 
ture.  —  Au  diocèse  d'Arias,  saint  Benoit-Joseph  Labre,  illustre  par  sa  pauvreté  et  sa  sainteté, 
béatifié  par  le  pape  Pie  IX  *.  1783.  —  A  Fontevrault,  la  vénérable  Pétronille  de  Chemillé,  née 
de  Craon,  veuve  et  première  abbesse  de  ce  célèbre  monastère.  Elle  suivit  d'abord  le  bienheureux 
Robert  d'Arbrisselles,  comme  les  saintes  femmes  de  l'Evangile  suivaient  Notre-Seigneur.  Son 
existence  fut  traversée  de  nombreuses  contradictions  ;  mais  elle  eut  le  courage  de  mépriser  lei 
jugements  des  hommes  et  de  marcher  sans  détour  dans  la  voie  du  ciel.  1149. 

MARTYROLOGES   DES   ORDRES   RELIGIEUX. 

Martyrologe  des  Bénédictins.  —  En  Angleterre,  saint  Mellit. 

Martyrologe  des  Camaldules  et  de  Vallombreuse.  —  En  Angleterre,  saint  Mellit,  etc. 

Martyrologe  des  Mineurs  conventuels.  —  A  Septempeda,  dans  la  Marche  d'Ancône,  le  bien- 
heureux Bentivoglio,  confesseur,  de  l'Ordre  des  Mineurs,  qui,  plein  de  miracles  et  de  bonnes 
œuvres,  et,  comblé  de  la  grâce  d'oraison  et  de  contemplation,  monta  au  ciel  le  25  décembre.  — 
Le  samedi,  avant  le  quatrième  dimanche  après  Pâques,  à  Assise,  dans  l'Ombrie,  la  dédicace  de  la 
basilique  de  Saint-François,  qu'Innocent  IV  consacra  solennellement,  que  Grégoire  IX.  soumit 
immédiatement  au  Saint-Siège,  et  qu'il  rétablit  comme  le  chef-lieu  et  la  mère  de  tout  l'Ordre  des 
Franciscains,  et  enfin  que  Benoit  XIV  érigea  en  basilique  patriarcale  et  en  chapelle  papale. 

Martyrologe  des  Servîtes. —  Le  saint  Bon  Larron,  nommé  au  martyrologe  romain  le  25  mars. 

Martyrologe  des  Capucins.  —  A  Sévis,  dans  le  canton  des  Grisons,  saint  Fidèle... 

ADDITIOISS   FAITES   D'APRÈS   LES   ROLLANDISTES    LT   AUTRES   HAG10GRAPHES. 

A  Gironna,  en  Espagne,  saint  Daniel,  anachorète  et  martyr.  Vers  le  ixe  s.  —  Chez  les  Grecs, 
sainte  Elisabeth,  vierge  et  thaumaturge,  qui,  absorbée  en  Dieu,  fut  trois  ans  sans  lever  les  yeux 
au  ciel.  Avant  le  xa  s.  —  En  Angleterre,  saint  Wilfrid,  archevêque  d'York,  premier  du  nom,  qui 
convertit  les  Saxons  du  sud.  Il  fut  deux  fois  chassé  de  son  siège,  et  deux  fois  rétabli  3.  709.  — 
Dans  le  même  pays,  saint  Hechberact,  qu'on  présume  avoir  été  le  maître  du  savant  Alcuin.  viii«  s. 
—  A  Bomarzo  (Polymartium),  en  Toscane,  saint  Anselme  de  Mugnono,  confesseur,  qui,  inconnu 
pendant  sa  vie,  fut  glorifié  après  sa  mort.  Bien  que  ses  reliques  soient  en  très-grande  vénération, 
et  que  sa  fête  soit  célébrée  avec  solennité,  on  ignore  l'époque  où  il  a  vécu.  —  A  Guatemala,  en 
Amérique,  le  vénérable  François  Colmenario,  regardé  comme  Saint  par  les  habitants  du  pays,  à 
la  conversion  desquels  il  avait  travaillé  en  bon  ouvrier  du  père  de  famille.  1590. 


SAINTE  BEUVE  ET  SAINTE  DODE,  VIERGES, 

PREMIÈRES  ABRESSES  DE  SAINT-PIERRE  DE  REIMS 
673.  —   Pape  :  Adéodat.  —  Roi  de  France   :  Childéric  II. 

Vierges,vous  êtes  le  paradis  terrestre,  prenez  garde  à  Eve. 
Ambr.,  in  Cant.,  rv. 

La  vertu  toujours  louable,  en  quelque  sujet  qu'elle  se  rencontre,  est 
encore  plus  admirée  quand  elle  est  jointe  à  une  naissance  illustre,  parce 

1.  Voir  au  28  février.  —  2.  Voir  sa  vie  au  16  avril.  —  3.  Voir  sa  vie  au  12  octobre. 


SAINTE  BEUYE  ET  SAINTE  DODE,  VIERGES.  3 

qu'elle  est  alors  d'un  plus  grand  exemple,  ou  parce  qu'elle  suppose  un  plus 
grand  effort  pour  se  dégager  des  charmes  et  des  intérêts  du  monde.  Telle 
est  celle  de  sainte  Beuve  ;  d'une  naissance  royale,  et,  au  rapport  de  Flodoart, 
fille  de  Sigebert,  roi  d'Austrasie,  cette  Princesse  s'est  appliquée  entièrement 
aux  exercices  qui  conduisent  au  plus  haut  point  de  la  perfection. 

Elle  fut  élevée  dans  tous  les  sentiments  d'une  piété  chrétienne;  et 
comme  on  remarquait  en  elle  une  grande  vivacité  d'esprit,  accompagnée 
d'une  mémoire  excellente ,  ceux  qui  avaient  soin  de  son  éducation  lui 
donnèrent  de  bonne  heure  la  connaissance  des  saintes  lettres.  Ce  fut  par  la 
lecture  de  ces  livres  saints  qu'elle  apprit  la  science  des  Saints,  et  qu'elle 
conçut  ce  divin  feu  qui  l'embrasa  et  la  consuma  toute  sa  vie.  Son  esprit 
s'étant  fortifié  par  l'âge,  Dieu  lui  fit  la  grâce  de  pouvoir  reconnaître,  au 
milieu  du  luxe  et  des  pompes  de  la  cour,  la  caducité  des  choses  humaines; 
que  la  gloire  du  monde  échappe;  enfin,  qu'elle  s'évanouit  comme  un  songe, 
et  qu'après  tout  il  faut  un  jour  paraître  devant  le  tribunal  de  la  justice  di- 
vine, où  les  rois  mêmes  n'auront  pas  d'autre  appui  que  leur  innocence. 
Après  s'être  souvent  entretenue  de  ces  salutaires  pensées,  elle  forma  la 
résolution  de  se  retirer  du  monde  et  de  renoncer  à  toutes  ses  espérances, 
pour  se  revêtir  de  la  qualité  glorieuse  de  très-humble  servante  de  Jésus- 
Christ. 

Sainte  Beuve  avait  un  frère  nommé  Balderic  ou  Baudry,  homme  d'une 
grande  sainteté  et  que  notre  Sainte  aimait  tendrement  ;  elle  eût  cru  faire 
tort  à  leur  amitié  de  lui  cacher  un  dessein  de  cette  importance.  Balderic, 
rebuté  du  siècle,  et  songeant  à  la  retraite  aussi  bien  que  sa  vertueuse  sœur, 
loua  son  dessein  et  l'exhorta  à  ne  pas  résister  plus  longtemps  au  Saint- 
Esprit.  Il  fut  donc  convenu  que  Beuve  se  retirerait  à  Reims,  dans  un  mo- 
nastère fondé  par  Clotilde,  reine  de  France,  et  que  son  frère  l'accompa- 
gnerait dans  cette  ville,  pour  l'assister  de  ses  conseils;  cela  ne  se  put 
exécuter  sans  laisser  au  roi  Sigebert,  et  à  toute  la  cour,  un  extrême  regret 
de  leur  absence. 

Enfin  Beuve  prit  le  voile  de  la  sainte  religion  ;  ce  fut  alors  que,  délivrée 
des  embarras  de  la  grandeur,  elle  se  donna  à  Dieu  sans  réserve.  Il  ne  se 
pouvait  rien  ajouter  à  son  humilité,  à  sa  douceur  et  à  sa  modestie;  elle 
affligeait  son  corps  par  de  très-rudes  austérités  ;  elle  pleurait  et  priait  les 
nuits  entières,  et  observait  un  jeûne  très-rigoureux.  Mais  comme  le  monas- 
tère était  hors  des  murailles  de  Reims,  et  que,  durant  la  guerre,  il  se  trou- 
vait exposé  à  tous  les  dangers  que  courent  les  maisons  religieuses  bâties  à 
la  campagne,  sainte  Beuve  et  saint  Balderic,  son  frère,  environ  l'an  650, 
firent  construire  dans  Reims  la  magnifique  maison  de  Saint-Pierre,  afin  que 
tant  de  saintes  vierges  pussent  servir  Dieu  avec  plus  de  sûreté,  et  peut-être 
avec  plus  de  commodité.  Saint  Nivard,  qui  fut  bientôt  après  (600)  arche- 
vêque de  Reims,  en  dédia  l'église  sous  le  nom  de  la  Sainte  Vierge  et  du 
prince  des  Apôtres. 

Au  même  temps  et  sous  le  même  archevêque,  saint  Gombert,  homme 
de  haute  condition,  fonda,  en  l'honneur  de  saint  Pierre,  un  autre  couvent 
de  vierges,  auprès  de  la  porte  Bazé,  autrefois  Basilicaris,  et  cette  maison 
s'appelait  le  monastère  Royal  ou  Fiscal.  Ces  deux  maisons,  portant  toutes 
deux  le  même  nom  de  Saint-Pierre,  ont  souvent  été  confondues  par  les 
auteurs. 

Beuve  s'y  retira  dès  qu'elle  le  put,  avec  un  grand  nombre  de  filles.  Il 
fallait  donner  un  chef  à  cette  troupe  religieuse.  La  naissance  de  Beuve,  ses 
bienfaits  récents,  mais  principalement  sa  sainteté,  ne  permirent  pas  de 


4  24  AVRIL. 

balancer  longtemps  sur  le  choix  d'une  supérieure.  Beuve,  d'une  commune 
voix,  fut  appelée  à  la  dignité  d'abbesse  ;  mais  sa  modestie  lui  fit  trouver 
cette  charge  trop  pesante  pour  ses  forces;  elle  considérait  combien  il  fallait 
de  prudence  et  d'adresse  pour  conduire  tant  de  religieuses,  combien  de 
vertu  pour  leur  servir  d'exemple  ;  elle  savait  qu'il  est  plus  facile  de  suivre 
que  de  guider,  et  d'obéir  à  une  seule  que  de  commander  à  plusieurs.  Mais, 
comme  saint  Balderic,  qui  avait  beaucoup  de  pouvoir  sur  son  esprit,  lui 
conseilla  de  déférer  à  son  élection  et  d'accepter  par  humilité  un  honneur 
que  d'autres  eussent  recherché  par  orgueil,  l'assurant  que,  puisque  la  Pro- 
vidence l'appelait  à  cette  dignité,  elle  lui  donnerait  des  grâces  pour  s'en 
acquitter  dignement,  Beuve  se  rendit  à  ses  raisons,  et  l'on  peut  dire  qu'elle 
accepta  le  commandement  par  obéissance.  La  suite  fit  bien  connaître  que 
le  Saint-Esprit  avait  eu  la  principale  part  dans  ce  choix,  tant  elle  apporta 
d'exactitude  à  l'accomplissement  de  son  devoir.  Aussi,  comme  elle  est  la 
première  abbesse  de  Saint-Pierre,  selon  l'ordre  du  temps,  elle  l'est  de 
même  en  mérite,  et  toutes  celles  qui  sont  venues  depuis  n'ont  été  que  les 
copies  d'un  si  excellent  original. 

Quoiqu'elle  donnât  beaucoup  de  temps  aux  affaires  de  sa  maison,  elle 
ne  négligeait  pas  pourtant  ses  exercices  de  piété  ;  elle  redoubla  même 
l'austérité  de  ses  jeûnes  et  l'ardeur  de  ses  oraisons.  On  croit  généralement 
qu'elle  établit  dans  son  monastère  la  règle  de  saint  Benoît.  Cette  sainte 
abbesse  se  distinguait  des  autres  religieuses,  non  par  les  insignes  de  sa 
dignité,  mais  par  sa  vertu.  Les  livres  sacrés  étaient  sa  principale  étude  : 
c'est  là  et  dans  l'oraison  qu'elle  s'inspirait  pour  faire  à  ses  compagnes  des 
exhortations  toutes  pleines  de  l'esprit  de  Dieu.  Elle  leur  conseillait  surtout 
le  travail  manuel,  pour  ne  pas  donner  de  prise  sur  elles  au  démon  :  car  il 
est  certain  que  l'oisiveté  est  la  porte  funeste  par  où  Satan  se  glisse  dans  les 
âmes  les  plus  innocentes. 

Tandis  que  Beuve  se  traçait  glorieusement  un  chemin  à  l'éternité,  Bal- 
deric, qui  s'était  confiné  dans  la  solitude  de  Montfaucon,  s'acquérait  une 
merveilleuse  réputation  de  sainteté,  gouvernant  de  son  côté  une  abbaye 
dont  il  était  le  fondateur;  il  quittait  néanmoins  quelquefois  son  désert 
pour  visiter  sa  sœur,  et  alors  ils  s'entre-communiquaient  leurs  lumières  et 
s'animaient  réciproquement  à  la  vertu.  Ce  fut  dans  une  de  ces  visites  que 
Balderic  fut  attaqué  de  la  maladie  dont  il  mourut.  Beuve  eut  besoin  de 
toute  sa  constance  pour  supporter  la  perte  d'un  frère  si  tendrement  aimé. 
Cependant,  elle  se  soumit  à  l'ordre  do  la  Providence,  et  baisa  humblement 
la  main  qui  l'avait  frappée.  Saint  Balderic  fut  enseveli  au  monastère  de 
Saint-Pierre,  qu'il  avait  fondé  à  Reims,  comme  nous  l'avons  dit.  Transporté 
plus  tard  à  Montfaucon,  et  déposé  dans  l'église  de  Saint-Laurent,  où  le  Saint 
s'était,  de  son  vivant,  préparé  un  tombeau,  et  ensuite  à  Verdun,  il  fut  enfin 
ramené  à  Montfaucon  et  mis  dans  l'église  de  Saint-Germain,  qui  était  celle 
de  l'abbaye,  et  Dieu  honora  son  tombeau  de  plusieurs  miracles.  Son  corps 
a  depuis  été  transporté  à  Montfaucon,  dans  l'église  de  Saint-Laurent,  où  il 
avait  choisi  sa  sépulture. 

Sainte  Beuve  ne  survécut  pas  longtemps  à  son  bienheureux  frère;  ses 
jeûnes  et  ses  veilles,  avec  le  nombre  des  années,  l'ayant  extrêmement  affai- 
blie, elle  connut  bien  que  Notre-Seigneur  voulait  mettre  un  terme  à  ses 
longues  et  pieuses  fatigues.  Elle  se  disposa  à  la  mort  avec  les  sentiments 
d'une  âme  qui  n'a  vécu  que  pour  Dieu  et  qui  a  mis  en  lui  toutes  ses  espé- 
rances, et  elle  s'endormit  enfin  du  sommeil  des  justes,  pour  aller  recevoir 
au  ciel  la  couronne  due  à  son  incomparable  vertu. 


SAINT  ROBERT,   PREMIER  ABBE   DE   LA   CHAISE-DIEU.  5 

Sainte  Dode,  sa  nièce,  et  fille  d'une  de  ses  sœurs,  succéda  à  sa  dignité 
et  à  son  mérite  ;  elle  avait  été  formée  à  la  piété  par  son  illustre  tante,  qui 
découvrit  en  elle  d'heureuses  dispositions  au  bien  dès  ses  plus  tendres  an- 
nées; elle  ne  trouva  jamais  de  difficulté  dans  la  vertu,  ni  dans  les  pratiques 
de  la  pénitence  ;  surtout  elle  brûlait  d'un  amour  incroyable  pour  la  chas- 
teté. Son  père  et  sa  mère  l'avaient  accordée  à  un  des  principaux  seigneurs 
de  la  cour  de  Sigebert  ;  elle  rejeta  ce  parti,  et  comme  le  jeune  prince  la 
voulait  enlever  d'entre  les  bras  de  sa  chère  tante,  il  tomba  de  son  cheval  et 
mourut  de  sa  chute.  Depuis  cette  fâcheuse  aventure,  Dode  persévéra  tou- 
jours dans  l'amour  du  céleste  Epoux:  on  voyait  revivre  en  elle  l'humilité,  la 
modestie  et  la  charité  de  sainte  Beuve  ;  abbesse,  elle  était  saintement  familière 
avec  ses  filles,  compatissait  à  leurs  infirmités  et  supportait  leurs  faiblesses 
avec  douceur,  sans  rien  relâcher  pourtant  de  la  rigueur  de  la  disciplina 
monastique.  Elle  s'appliquait  aussi,  autant  qu'il  était  nécessaire,  aux  affai- 
res temporelles  de  la  maison,  et  obtint  du  roi  Pépin  un  privilège  considé- 
rable pour  son  monastère.  Enfin,  Dode  possédait  toutes  les  bonnes  qualités 
qui  peuvent  rendre  une  supérieure  recommandable.  Lorsqu'elle  eut  long- 
temps été  un  modèle  accompli  de  sainteté,  Dieu  la  ravit  à  la  terre  et  lui  fit 
part  de  sa  gloire,  pour  laquelle  elle  avait  renoncé  à  celle  du  monde. 

Les  reliques  de  ces  deux  saintes  Abbesses,  Beuve  et  Dode,  sont  conser- 
vées dans  le  monastère  de  Saint-Pierre,  occupé  aujourd'hui  par  les  dames 
de  la  Congrégation  du  bienheureux  Pierre  Fourier. 

Ce  récit  a  été  fait  d'après  les  mémoires  de  l'abbaye  même  de  Saint-Pierre,  et  d'après  les  Bollnndistes. 


S.  ROBERT,  PREMIER  ABBE  DE  LA  CHAISE -DIEU 

1067.  —  Pape  :  Alexandre  II.  —  Roi  de  France  :  Philippe  Ier. 


Tends  la  main  an  pauvre,  si  tu  veux  obtenir  de  Dieu 
grâce  et  pardon. 

Eccli.,  vu,  36. 

Saint  Robert,  de  la  noble  famille  des  barons  d'Aurillac,  chanoine  et  tré- 
sorier de  l'église  de  Saint-Julien  de  Brioude,  puis  fondateur  de  l'abbaye  de 
la  Chaise-Dieu,  —  la  plus  célèbre  de  l'Auvergne  —  eut  pour  père  Gérard, 
et  pour  mère  Reingarde.  Cette  dernière,  sur  la  fin  de  sa  grossesse,  allant  à 
un  château  près  de  sa  maison,  se  sentit  si  vivement  pressée  des  douleurs 
de  l'enfantement,  qu'elle  fut  obligée  de  mettre  ce  fils  au  monde  dans  une 
solitude.  Il  donna,  dès  sa  naissance,  des  signes  de  sa  sainteté  à  venir  :  car 
il  ne  fut  pas  possible  de  lui  faire  prendre  le  lait  d'une  femme  qui  était 
dans  le  désordre,  bien  qu'il  prît  sans  peine  celui  des  femmes  vertueuses  ; 
mais  quand  sa  mère  fut  en  état  de  le  nourrir  elle-même,  elle  ne  s'en  dé- 
chargea plus  sur  personne. 

Dès  qu'il  eut  l'âge  propre  aux  études,  il  fut  mis  chez  les  ecclésiastiques 
de  Saint-Julien  de  Brioude,  où  il  apprit  la  piété  avec  la  science.  Il  y  reçut 
d'abord  la  tonsure  et  fut  ensuite  nommé  chanoine  de  cette  église  à  cause 
des  belles  qualités  qui  commençaient  à  éclater  en  lui  :  car  on  le  voyait  déjà 
très-affectionné  à  la  vertu,  et  ses  actions  surpassaient  celles  d'un  enfant  de 
son  âge.  Toute  sa  jeunesse  fut  si  innocente,  que  l'on  n'y  saurait  remarquer 


6  24   AVRIL. 

une  offense  un  peu  notable.  Il  passait  souvent  des  nuits  en  prière  dans  les 
églises.  Sa  charité  pour  les  pauvres  qui  étaient  malades  le  portait  à  laver 
leurs  ulcères  et  leurs  plaies  de  ses  propres  mains.  Plusieurs  furent  par  là 
miraculeusement  guéris.  Cette  tendresse  pour  ceux  qui  souffraient  s'accrut 
avec  l'âge;  pour  leur  prodiguer  plus  facilement  ses  charitables  soins,  il 
bàlit  un  hôpital  dans  Brioude,  où  il  les  réunit.  Etant  prêtre,  il  disait  tous 
les  jours  la  messe  avec  beaucoup  de  dévotion.  Il  travaillait  avec  grand  zèle 
au  salut  des  fidèles  et  à  la  conversion  des  pécheurs,  et  cependant  il  voulait 
qu'on  le  crût  fort  imparfait  et  un  serviteur  entièrement  inutile. 

Le  feu  du  saint  amour  s'embrasant  de  plus  en  plus  en  son  cœur,  il  réso- 
lut de  se  retirer  à  Cluny  :  ce  monastère  était  alors  dans  sa  première  ferveur, 
sous  la  conduite  du  saint  abbé  Hugues  ;  mais  lorsqu'il  pensait  exécuter  son 
dessein  dans  le  dernier  secret,  avec  un  seul  associé,  le  bruit  s'en  répandit 
parmi  le  peuple  ;  on  s'en  émut,  et  comme  s'il  eût  été  question  du  salut  du 
pays,  on  courut  après  lui  et  on  le  ramena  à  Brioude.  Il  en  demeura  si 
confus  et  si  saisi,  qu'il  en  tomba  malade  de  douleur.  Etant  guéri,  et  voyant 
son  dessein  arrêté  par  un  ordre  de  la  Providence,  il  voulut  essayer  s'il  ne 
pourrait  pas  pratiquer,  dans  le  monde,  les  mêmes  exercices  qu'il  eût  pu 
faire  dans  un  monastère.  Mais  il  vit  trop  de  difficultés  :  il  entreprit  donc  le 
voyage  de  Rome,  afin  d'obtenir,  par  l'intercession  des  saints  Apôtres,  de 
vivre  en  quelque  solitude  hors  des  embarras  du  siècle. 

Lorsqu'il  fut  de  retour  dans  son  pays,  un  soldat,  nommé  Etienne,  vint 
le  consulter  sur  ce  qu'il  devait  faire  pour  obtenir  la  rémission  de  ses  fautes 
passées  et  en  faire  pénitence.  Le  saint  Prêtre  lui  conseilla  de  renoncer  en- 
tièrement au  monde  et  à  ses  maximes,  de  changer  de  milice  et  de  s'enrôler 
dans  celle  de  Jésus-Christ.  Le  soldat  répondit  qu'il  le  ferait  volontiers,  pourvu 
que  ce  fût  en  sa  compagnie  ;  également  surpris  et  ravi  de  cette  réponse, 
notre  Saint  découvrit  son  secret  à  ce  soldat,  qu'il  regardait  comme  un  ange 
que  Dieu  lui  envoyait.  Ils  délibérèrent  donc  ensemble  sur  ce  dessein  et  sur 
les  moyens  de  l'exécuter.  Etienne,  armé  de  foi  et  de  confiance,  alla  en  la 
ville  du  Puy,  en  Velay,  rendre  ses  vœux  en  l'église  Notre-Dame,  afin  qu'elle 
leur  obtînt  la  bénédiction  de  son  Fils,  pour  le  succès  de  leur  entreprise. 
En  revenant,  il  découvrit,  dans  les  montagnes,  une  solitude  où  s'élevaient 
les  restes  d'une  église  abandonnée,  qu'il  jugea  très-propre  pour  leurre- 
traite  :  c'était  à  cinq  lieues  de  Brioude,  vers  le  levant,  près  de  la  source  de 
la  Sénoire.  Dès  que  Robert  eut  entendu  la  description  de  ce  désert,  il  lui 
plut.  Etienne  gagna  à  Dieu,  dans  le  même  temps,  un  autre  soldat  nommé 
Dalmase,  que  Robert  associa  avec  joie  à  leur  sainte  vie. 

Après  avoir  d'abord  éprouvé  ses  deux  compagnons  pendant  quelques 
mois,  Robert  se  relira  avec  eux  dans  cette  solitude.  Il  n'y  avait  là  nul  com- 
merce avec  le  monde,  ni  presque  rien  de  ce  qui  est  nécessaire  pour  l'en- 
tretien de  la  vie.  De  plus,  la  rusticité  et  la  barbarie  des  habitants  voisins 
étaient  extrêmes  ;  et,  au  lieu  d'assister  nos  solitaires,  et  de  leur  fournir  les 
choses  nécessaires,  ils  les  chargeaient  d'injures  et  de  menaces.  Néanmoins, 
ne  perdant  pas  courage,  ils  mirent  aussitôt  la  main  à  l'œuvre  et  se  bâtirent, 
d'abord  près  de  l'église,  une  petite  cellule  avec  des  branchages  ;  ensuite,  ils 
distribuèrent  entre  eux  leurs  exercices,  de  telle  sorte  qu'Etienne  et  Dal- 
mase devaient  travailler  des  mains  pour  faire  subsister  la  communauté  : 
Robert  s'appliquait  à  l'étude  et  instruisait  les  autres  ;  tous  se  rejoignaient, 
pour  la  prière,  dans  l'église  dont  nous  avons  parlé.  Leur  vie  était  parfaite- 
ment bien  réglée  ;  ils  donnaient  une  grande  partie  de  leurs  provisions  aux 
pauvres  qui  se  présentaient,  sans  se  rien  réserver  pour  le  lendemain.  Dieu 


SAINT  ROBERT,   PRETER   ABBÉ"    DE  LA  CHATSE-BIEU.  7 

fit  connaître  que  cela  lui  était  agréable  :  car  un  jour  que  Robert  avait 
donné  à  un  pauvre  tout  le  pain  qui  était  resté  la  veille,  comme  Dalmase 
s'en  plaignait,  un  des  deux  seigneurs  qui  avaient  cédé  ce  désert  aux  trois 
ermites  (c'étaient  deux  frères,  chanoines  du  Puy),  un  de  ces  seigneurs, 
disons-nous,  leur  envoya  trois  chevaux  chargés  de  vivres. 

Cependant  la  réputation  de  ces  saints  solitaires  courut  bientôt  dans  le 
pays;  plusieurs  personnes  du  clergé  et  du  peuple  se  joignirent  à  eux,  pour 
consacrer  toute  leur  vie  au  service  de  Dieu  ;  les  habitants  mêmes  se  défi- 
rent de  leur  humeur  farouche,  touchés  de  leurs  saintes  exhortations,  de 
leur  vie  exemplaire  et  des  actions  miraculeuses  que  la  main  de  Dieu  opé- 
rait par  saint  Robert.  Ce  saint  homme  guérissait  les  malades  et  chassait  les 
esprits  des  corps  des  possédés  :  par  modestie,  il  attribuait  ces  merveilles 
aux  mérites  des  saints  martyrs  Agricole  et  Vital,  à  qui  l'église  était  dédiée. 

Enfin,  le  nombre  des  ermites  devint  si  considérable,  que  l'on  jugea  utile 
de  bâtir  un  monastère,  afin  qu'ils  fussent  mieux  logés  et  vécussent  plus  en 
communauté.  Il  y  eut  alors  une  sainte  émulation  parmi  les  personnes  de 
piété,  pour  contribuer  à  cet  ouvrage  :  les  uns  donnaient  ce  qui  était  néces- 
saire à  la  construction,  les  autres  consacraient  des  biens  considérables  à 
l'entretien  des  futurs  religieux.  Ainsi  fut  fondée  l'abbaye  de  la  Chaise-Dieu 
(Casa  UeiJ,  en  1050  ;  l'évêque  de  Clermont,  Rencon,  alla  lui-même,  quoi- 
que déjà  sur  le  déclin  de  l'âge,  trouver  le  pape  saint  Léon  IX,  et  obtint  la 
confirmation  (avec  des  privilèges)  du  nouveau  monastère  ,  pendant  que 
Robert  faisait  ratifier  parle  roi  de  France,  Henri  Ier,  les  donations  dont  nous 
avons  parlé.  Lorsqu'ils  furent  tous  deux  de  retour,  l'évêque  fit  la  dédicace 
du  monastère,  donna  l'habit  religieux  à  Robert,  et  l'établit,  malgré  lui, 
abbé,  selon  qu'il  l'avait  décidé  avec  le  Pape. 

Robert  fit  observer  la  règle  de  saint  Benoît  à  ses  religieux,  qui  atteigni- 
rent bientôt  le  nombre  de  trois  cents.  Il  ne  renferma  pas  son  zèle  dans  les 
limites  de  son  monastère  :  il  rétablit  plus  de  cinquante  églises  delà  contrée 
qui  avaient  été  ruinées  par  les  guerres. 

Après  avoir  travaillé  à  la  sanctification  de  ses  frères  et  à  la  sienne,  il 
mourut  de  la  mort  des  justes,  le  24  avril,  vers  l'an  1067. 

Avant  de  se  mettre  au  lit,  d'où  il  devait  comme  d'un  marchepied  s'en- 
voler au  ciel,  il  voulut  célébrer  la  messe  une  dernière  fois,  en  se  faisant 
soutenir  à  l'autel.  Au  moment  où  il  mourut,  un  de  ses  religieux  vit  la  Mère 
de  Dieu  venir  le  consoler,  et  un  autre  aperçut  son  âme  s'élevant  dans  les 
airs  sous  la  forme  d'un  globe  de  feu. 

Ce  que  nous  avons  dit  de  saint  Robert  comme  fondateur  d'abbayes  et 
restaurateur  d'un  grand  nombre  d'églises,  peut  faire  conjecturer  les  diver- 
ses manières  dont  il  a  été  représenté.  Les  circonstances  de  son  heureuse 
mort  et  les  quelques  faits  légendaires  qui  vont  suivre  ont  également  inspiré 
les  artistes. 

Saint  Robert,  prêchant  à  Avignon,  deux  jeunes  étourdis  s'emparèrent  de 
ses  gants  et  se  les  renvoyaient  comme  une  balle  :  or,  voilà  que  dans  un  des 
trajets,  lesdits  gants  s'accrochèrent  à  un  rayon  de  soleil  si  haut  que  les 
joueurs  ne  purent  les  reprendre.  —  Etant  à  Allanche,  dans  les  montagnes  de 
l'Auvergne,  il  se  disposait  à  célébrer  la  messe,  lorsque  le  cuisinier  vint  lui 
dire  qu'il  n'avait  rien  trouvé  pour  dîner.  Servez  ma  messe,  répondit  le 
Saint,  et  Dieu  pourvoira  à  nos  besoins.  Il  n'était  pas  à  la  Préface,  qu'un 
aigle  passant  au-dessus  de  l'église  laissa  tomber  un  énorme  poisson  qui  ser- 
vit au  repas  du  Saint  et  de  sa  suite.  Une  autre  fois  il  dit  au  cuisinier  de 
jeter  des  anguilles  qu'il  se  préparait  à  servir  sur  la  table  ;  on  apprit  quel- 


24   AVRIL. 


ques  jours  après  que  celui  qui  les  avait  vendues  avait  été  mis  à  mort  pour 
avoir  empoisonné  la  marchandise,  etc. 


Voir  les  Bollandistes  et  les  Annales  de  Baronius. 


SAINT  FIDÈLE,  CAPUCIN  ET  MARTYR 


J  517-1622.  —  Papes  :  Grégoire  XIII;  Grégoire  XV.—  Empereurs  :  Rodolphe  II;  Ferdinand  II. 
Roi  de  France  :  Louis  XIII,  le  Juste. 


Soyez  fidèle  jusqu'à  la  mort  et  je  vous  donnerai  la 

couronne  de  vie. 

Paroles  du  Père  gardien  de  Fribowrg,  adressées  à 
notre  Saint  le  jour  où  il  reçut  l'habit  de  novice. 

Marc  Rey,  —  c'était  le  nom  de  notre  Saint  avant  son  entrée  en  religion 
—  naquit  en  1577,  à  Sigmaringen ,  petite  ville  de  la  principauté  de 
Hohenzollern  ;  son  père,  Jean  Rey,  et  sa  mère  Geneviève  de  Rosenberg, 
nobles  et  catholiques,  lui  donnèrent  une  éducation  digne  de  ces  deux  titres. 
Il  fit  ses  premières  études  à  l'université  de  Fribourg,  en  Rrisgau,  qu'il  édifia 
par  sa  sagesse,  si  bien  qu'il  mérita  le  surnom  de  philosophe  chrétien  :  il  ne 
se  distingua  pas  moins  dans  l'étude  de  la  jurisprudence,  et  fut  reçu  docteur 
en  l'un  et  l'autre  droit.  Prié  d'accompagner  trois  jeunes  gentilshommes  des 
premières  familles  du  pays,  qui  se  proposaient  de  visiter  les  différents 
royaumes  de  l'Europe,  il  y  consentit  et  se  montra  pour  eux,  dans  ce  voyage, 
le  plus  tendre  des  amis,  le  plus  zélé  des  pères,  ne  perdant  aucune  occasion 
de  former  leur  esprit  par  de  sages  maximes.  Ses  principales  étaient  : 
«  Qu'un  jeune  homme  doit  mépriser  les  vaines  parures  ;  que  si  l'on  s'ajuste 
comme  une  femme,  on  est  indigne  de  la  gloire,  qui  ne  se  peut  conquérir 
qu'en  souffrant  les  peines  et  en  foulant  aux  pieds  les  plaisirs...  Qu'avant  de 
commander  aux  autres  il  faut  se  vaincre  soi-même;  se  rappeler  que  nos 
sujets  sont  nos  semblables,  que  nous  devons  les  soulager,  étant  d'une  na- 
ture exposée  à  la  douleur  et  aux  misères  comme  eux  ».  Faites  au  moins  une 
exception  pour  les  ingrats,  lui  dit  un  des  jeunes  seigneurs;  comment  se 
résoudre  à  leur  faire  du  bien?  —  «  Comment,  répliqua  le  Saint?  Ne  devez- 
vous  pas,  d'un  côté,  vous  attendre  à  trouver  plus  ou  moins  d'ingratitude 
dans  tous  les  hommes,  et  d'un  autre,  ne  verrez-vous  plus  en  chacun  d'eux  la 
personne  même  de  Jésus-Christ,  à  qui  s'adresse  votre  bienfait  et  qui  ne 
l'oubliera  pas,  lui?  »  En  formant  les  autres  à  la  vertu,  il  ne  se  négligeait 
point  lui-môme.  Il  s'approchait  souvent  des  saints  mystères,  exhortait,  sou- 
lageait les  malades  dans  les  hôpitaux,  visitait  les  églises,  demeurait  des 
heures  entières  au  pied  des  autels  dans  la  douce  conversation  de  Notre- 
Seigneur,  et  le  recherchait  encore  dans  les  pauvres,  auxquels  il  donnait 
tout,  jusqu'à  ses  habits. 

Au  retour  de  ce  voyage,  il  se  sépara  de  ses  trois  disciples,  malgré  leurs 
prières  et  leurs  regrets:  son  adieu  fut  qu'ils  devaient  ne  jamais  perdre  de 
vue  la  crainte  du  Seigneur,  commencement  de  la  sagesse,  et  ne  plus  faire 
consister  leurs  titres  de  noblesse  que  dans  la  vertu.  Pour  lui,  s'étant  perfec- 
tionné dans  la  science  des  lois,  il  exerça  à  Colmar,  en  Alsace,  la  profession 
d'avocat,  avec  beaucoup  de  distinction  et  d'intégrité.  Il  préférait  souvent 


SAINT  FIDÈLE,    CAPUCIN  ET  MARTYR.  9 

la  cause  du  pauvre  à  celle  du  riche  :  jamais  de  médisance  dans  ses  plai- 
doyers, jamais  rien  de  ce  qui  eût  pu  nuire  à  l'honneur  de  la  partie  adverse; 
mais  ses  raisons  étaient  si  solides,  ses  conclusions  si  sages,  qu'il  avait  la  plus 
grande  influence  sur  la  décision  des  juges.  Il  vit  bientôt  pourtant  qu'il  est 
difficile  d'être  en  même  temps  un  riche  avocat  et  un  bon  chrétien.  Cédant 
à  cette  crainte  et  aux  impulsions  divines,  il  quitta  le  monde  et  se  retira 
chez  les  Capucins  de  Fribourg,  où  il  prit  l'habit  en  1612,  et  reçut  le  nom  de 
Fidèle. 

Bientôt  le  nouveau  religieux  marcha  à  pas  de  géant  dans  la  voie  de  la 
perfection.  Il  ne  fut  pourtant  pas  inaccessible  a  la  tentation.  Il  éprouva  que 
pour  être  hors  des  occasions  du  monde,  on  n'est  pas  à  l'abri  des  suggestions 
de  l'ennemi  du  salut,  que  les  solitudes  les  plus  reculées,  les  antres  les  plus 
horribles,  les  rochers  les  plus  escarpés  ne  sont  pas  toujours  de  sûrs  rem- 
parts à  la  vertu  ;  que  l'homme  porte  partout  avec  lui  un  fond  de  passions 
qu'on  ne  peut  détruire  que  par  une  attention  continuelle  sur  soi-même, 
une  fidèle  correspondance  à  la  grâce,  avec  laquelle  on  est  toujours  victo- 
rieux, quand  on  le  veut  sincèrement.  L'ennemi  du  salut  entreprit  donc  de 
s'emparer  de  son  esprit  :  il  lui  ût  naître  des  doutes  sur  le  bien  qu'il  aurait 
pu  faire  en  restant  dans  le  monde  ;  il  lui  représenta  qu'il  aurait  continué 
d'être  le  zélé  défenseur  des  lois,  le  protecteur  de  la  veuve  et  de  l'orphelin, 
le  père  des  pauvres,  et  qu'il  aurait  ainsi  donné  plus  de  secours  à  son  pro- 
chain qu'il  ne  pourrait  faire  en  menant  une  vie  privée  et  cachée  dans  la  so- 
litude ;  et  que  son  salut  aurait  été  aussi  bien  assuré  dans  le  siècle  que  dans 
la  religion.  Cette  tentation  si  habile  ne  laissa  pas  d'ébranler  un  moment  la 
fermeté  du  Saint.  Ses  passions  enchaînées  depuis  longtemps  commencèrent 
à  vouloir  se  licencier.  Ses  talents,  ses  commodités,  ses  aises,  la  perte  de  sa 
fortune,  sa  réputation,  tous  ces  avantages  ensevelis  sous  l'habit  religieux  le 
faisaient  pencher  tantôt  vers  la  religion  et  tantôt  vers  le  monde.  Il  alla 
trouver  le  Père  maître  des  novices,  qui  lui  fit  comprendre  que  ses  doutes 
venaient  de  l'esprit  de  ténèbres,  et  qu'il  fallait  s'adresser  au  Seigneur  pour 
connaître  sa  volonté.  <t  0  mon  adorable  Sauveur  !  s'écria  le  zélé  novice,  ren- 
dez-moi cette  joie  salutaire  et  cette  sérénité  d'esprit  dont  je  goûtais  les 
douceurs  dans  les  heureux  commencements  de  ma  vocation;  faites,  ô  mon 
Dieu  !  en  me  découvrant  votre  volonté,  que  je  triomphe  de  mon  ennemi  et 
de  mes  passions  ».  Cette  prière  fut  si  agréable  à  Dieu,  qu'il  rendit  à  son  ser- 
viteur la  paix  et  la  force.  Il  vit  clairement  la  source  de  ses  incertitudes,  et 
cette  vue  lui  redonna  un  nouveau  courage,  une  nouvelle  ardeur  pour  ses 
exercices  spirituels,  un  nouvel  attachement  pour  Dieu.  Il  voulut  rompre  à 
jamais  avec  le  monde.  Avec  la  permission  du  supérieur,  il  envoya  chercher 
un  notaire,  fit  de  ses  biens  une  fondation  au  séminaire,  en  faveur  de  plu- 
sieurs jeunes  ecclésiastiques,  afin  de  leur  faciliter  les  moyens  de  continuer 
leurs  études  ;  il  leur  légua  en  commun  sa  bibliothèque,  afin  qu'ils  pussent 
en  profiter  tous  ensemble,  et  ainsi  dépouillé,  il  se  disposa  à  entrer  à  jamais 
dans  l'heureuse  pauvreté  des  enfants  de  saint  François. 

a  Pour  me  conformer  »  ,  dit-il  dans  l'acte  testamentaire  qu'il  fit 
avant  sa  profession,  «  à  la  parfaite  résignation,  à  la  charité,  par  laquelle 
Jésus-Christ ,  notre  rédempteur,  suant  le  sang  et  l'eau  dans  le  Jardin 
des  Oliviers,  et  enfin  mourant  sur  l'arbre  de  la  croix,  s'est  résigné,  re- 
commandé et  offert  à  son  père;  de  même  j'offre  et  consacre,  par  cette 
mienne  dernière  volonté  et  disposition,  mon  corps  et  mon  âme,  comme 
un  sacrifice  vivant  éternel,  d'un  cœur  contrit,  au  service  perpétuel  de 
la  divine  Majesté  et  de  la  Très-Sainte  Vierge  Immaculée,  du  séraphiqua 


10  24  AVRIL. 

père  saint  François  ;  et  comme  je  suis  sorti  tout  nu  du  sein  de  ma  mère,  de 
même,  dépouillé  de  toutes  les  choses  de  la  terre,  je  m'abandonne  entre  les 
bras  de  mon  Sauveur  ».  Il  se  félicitait  souvent  depuis  de  l'heureux  échange 
qu'il  avait  fait  avec  Dieu  :  «  Il  rendait  à  Dieu  les  biens  de  la  terre,  et  Dieu  lui 
donnait  en  retour  le  royaume  du  ciel  !  »  Il  disait  encore  que  Dieu,  ne  nous 
ayant  rendus  à  la  vie  qu'en  endurant  la  mort,  nous  ne  pouvions  conserver 
cette  vie  que  par  le  môme  moyen,  en  mourant  à  nous-mêmes;  et  que,  puis- 
que notre  récompense  sera  de  nous  réjouir  toujours  dans  le  ciel,  il  ne  faut 
pas  craindre  de  toujours  souffrir  sur  la  terre.  Aussi  souffrait-il  toujours,  ajou- 
tant aux  mortifications  de  la  règle,  toutes  les  mortifications  volontaires  que 
l'obéissance  lui  permettait.  Les  meubles  les  plus  pauvres,  les  habits  les  plus 
usés  étaient  un  des  grands  objets  de  son  ambition:  leshaires,  lescilices,les 
ceintures  armées  de  pointes  de  fer,  les  disciplines  suppléaient  au  martyre 
après  lequel  il  soupirait;  l'Àvent,  le  Carême  et  les  Vigiles,  il  ne  vivait  que 
de  pain,  d'eau  et  de  fruits  secs  :  «  Quel  malheur  »,  disait-il,  «  si  je  combattais 
mollement,  soldat  sous  un  chef  couronné  d'épines!  »  Que  dirons-nous  de 
ses  prières  où  on  l'eût  pris  pour  un  ange  parlant  à  Dieu  dans  le  ciel  ;  de  ses 
méditations  dans  lesquelles  détournant  tout  à  fait  son  regard  de  la  créature, 
il  contemplait  les  perfections  de  Dieu  et  ses  propres  misères;  de  son  humi- 
lité qui  lui  faisait  disputer  aux  jeunes  religieux  les  emplois  les  plus  vils;  de 
sa  dévotion  envers  la  sainte  Vierge,  sa  plus  ferme  espérance  après  Dieu,  et 
.;  il  se  croyait  redevable  de  toutes  les  grâces  qu'il  obtenait? 

Ses  supérieurs  avaient  hâte  de  rendre  tant  de  vertus  utiles  au  prochain. 
Lorsqu'il  eut  fini  son  cours  de  théologie,  et  qu'il  eut  été  élevé  au  sacerdoce, 
il  fut  chargé  d'annoncer  la  parole  de  Dieu  et  d'entendre  les  confessions:  il 
remplit  ce  ministère  avec  le  plus  grand  succès,  surtout  à  Weltkirchen,  où 
on  l'envoya  en  qualité  de  supérieur  du  couvent,  et  où  il  opéra  des  conver- 
sions qui  tenaient  du  prodige,  entre  autres  celles  de  plusieurs  calvinistes. 
Une  maladie  contagieuse  s'étant  mise  parmi  la  garnison,  et  ensuite  parmi 
les  habitants  de  Weltkirchen,  Fidèle  se  voua  tout  entier  au  service  des  pes- 
tiférés :  on  le  trouvait  à  toute  heure  et  partout,  dans  les  hôpitaux,  dans  les 
maisons  et  les  places,  soignant  le  corps,  soignant  l'âme,  et  plus  d'une  fois 
guérissant  les  deux  à  la  fois  par  des  miracles.  Sa  réputation  devint  telle,  que 
la  Congrégation  de  la  Propagande,  établie  par  Grégoire  XV,  ayant  demandé 
au  provincial  des  Capucins  des  missionnaires  zélés  et  redoutables  à  l'erreur, 
pour  arrêter  le  torrent  de  l'hérésie  qui  envahissait  la  Suisse  et  surtout  le 
canton  des  Grisons,  on  le  mit  à  la  tête  de  cette  mission.  Il  accepta  avec 
d'autant  plus  de  joie,  qu'il  espérait  avoir  beaucoup  à  souffrir  chez  ces 
peuples  grossiers,  chez  ces  hérétiques  violents  et  irrités.  Il  comptait  même 
sur  le  martyre.  Chacun  de  ses  pas  fut  marqué  par  des  conversions  ;  dans 
les  premières  conférences  qu'il  eut  avec  les  Calvinistes,  il  ramena  à  la  vé- 
rité deux  gentilshommes.  Qui  n'eût  été  convaincu  en  entendant  cet  Apôtre 
défier  les  ministres  protestants  ,  et  renverser  toutes  leurs  raisons  ;  en  le 
voyant  marcher  pieds  nus,  catéchiser  les  enfants,  chercher  les  brebis  égarées 
à  travers  les  glaces,  les  rochers  escarpés  et  les  précipices?  Ses  adversaires 
ne  trouvant  pas  d'autre  moyen  de  répondre  à  la  puissance  de  sa  parole  et  de 
ses  exemples,  résolurent  sa  mort,  sous  prétexte  qu'ils  voulaient  affranchir 
leur  pays  du  joug  de  l'Autriche,  et  que  ce  moine  leur  prêchait  la  servitude  ; 
il  leur  prêchait  au  contraire  la  liberté  des  enfants  de  Dieu,  les  invitant  à 
secouer  la  servitude  du  démon.  Quant  à  l'Autriche,  il  leur  fit  remarquer  en 
ami  qu'elle  pourrait  réprimer  durement  les  révoltés,  envahir  la  Suisse  et  la 
ruiner  par  le  fer  et  le  feu.  Informé  qu'on  cherchait  l'occasion  de  verser  son 


SAINT  LÉGER,  PRÊTRE.  11 

sang,  il  ne  prit  d'autre  précaution  que  celle  de  se  confesser,  et  continua  ses 
travaux  apostoliques,  voulant  mourir  les  armes  à  la  main.  Il  signait  ses 
lettres,  à  cette  époque  :  Frère  Fidèle  qui  doit  bientôt  être  la  pâture  des  vers.  Il 
se  rendit  le  24  avril  1622,  de  Grusch  à  Sévis,  où  il  exhorta  fortement  les 
Catholiques  à  rester  inviolablement  attachés  à  la  foi .  Pendant  qu'il  prêchait, 
un  Calviniste  lui  tira  un  coup  de  mousquet  qui  ne  l'atteignit  pas  ;  et  comme 
on  le  priait  de  mettre  sa  vie  en  sûreté,  il  répondit  qu'il  ne  craignait  pas  la 
mort  et  qu'il  était  prêt  à  verser  son  sang  pour  la  cause  de  Dieu.  Etant  parti 
le  même  jour  pour  retourner  à  Grusch,  il  tomba  entre  les  mains  d'une 
troupe  de  Calvinistes  qui  avaient  un  ministre  à  leur  tête.  Il  le  traitèrent  de 
séducteur,  et  voulaient  le  forcer  à  embrasser  la  prétendue  réforme  :  «  Je 
suis  venu  pour  réfuter  vos  erreurs,  et  non  pour  les  embrasser,  leur  répondit- 
il,  et  je  n'ai  garde  de  renoncer  à  la  doctrine  catholique,  qui  est  la  doctrine 
de  tous  les  siècles.  Au  reste,  sachez  que  je  ne  crains  pas  la  mort.  »  Un  de  la 
troupe  l'ayant  renversé  par  terre  d'un  coup  d'estramaçon,  il  se  releva  sur 
les  genoux  et  fit  cette  prière:  «  Seigneur  Jésus,  ayez  pitié  de  moi;  sainte 
Marie,  mère  de  Dieu,  assistez-moi  ».  Il  reçut  ensuite  un  second  coup,  qui 
le  renversa  -de  nouveau  par  terre,  baigné  dans  son  sang  ;  on  le  perça  ensuite 
de  plusieurs  coups  de  poignard  :  c'est  ainsi  qu'il  mourut  martyr,  à  l'âge  de 
quarante-cinq  ans.  Quelque  temps  après,  les  Calvinistes  furent  défaits  par 
les  impériaux,  comme  le  Saint  le  leur  avait  prédit,  et  le  ministre  qui  les 
commandait  fut  si  frappé  de  cette  prédiction,  qu'il  se  convertit  et  abjura 
publiquement  l'hérésie.  Le  corps  de  saint  Fidèle  fut  porté  à  Weltkirchen,  à 
l'exception  de  sa  tête  et  de  sa  jambe  gauche  qui  en  avaient  été  séparées  par 
ses  meurtriers,  et  qui  furent  placées  dans  la  cathédrale  de  Coire.  De  nom- 
breux miracles  s'étant  opérés  par  son  intercession,  Benoît  XIII  le  béatitia  en 
1729,  et  Benoît  XIV  le  canonisa  en  1745. 

Son  attribut  est  la  massue  ou  estramaçon ,  espèce  de  lourde  épée  à 
large  tranchant,  instrument  avec  lequel  il  fut  assommé.  On  le  représente 
avec  un  crucifix  à  la  main,  portant  une  large  blessure  à  la  tête.  Saint  Fidèle 
est  le  premier  martyr  d'entre  les  missionnaires  envoyés  par  la  Propagande. 

Voir  la  Vie  de  saint  Fidèle,  publiée,  en  1745,  par  Théodore  de  Paris,  Capucin. 


SAINT  LÉGER,  PRÊTRE  (ier,  rae  ou  yne  siècle). 

Léger,  prêtre,  préposé  au  clergé  de  Perthe,  mena  une  vie  céleste  sur  terre.  Il  avait  tant  de 
douceur  et  d'humilité,  qu'il  était  le  serviteur  de  ses  subordonnés,  plus  que  leur  maître.  D'un  signe 
de  croix,  il  délivra  un  possédé  du  démon  qui  était  en  lui  ;  par  ses  prières,  il  guérit  un  homme 
malade  d'une  contraction  des  membres.  Il  mourut  heureusement  dans  une  vieillesse  très-avancée  : 
il  fut  enseveli  dans  l'église  de  Perthe.  Cette  église,  dévastée  et  incendiée  par  les  barbares,  fut 
restaurée  ensuite  par  l'évoque  de  Chàlons.  Un  aveugle,  nommé  Haybert,  recouvra  la  vue  à  son 
tombeau,  vers  l'an  805.  Et  ce  miracle  fut  cause  que  le  corps  du  Saint  fut  levé  de  terre  et  placé 
honorablement  dans  une  châsse  derrière  l'autel.  Il  fut  brûlé  sur  la  fin  du  xvme  siècle  par  les 
impies.  La  dévotion  envers  le  saint  prêtre  fut  ravivée  par  divers  signes  de  sa  puissance.  Au 
u.»  siècle,  on  conduisit  sa  châsse  en  procession  dans  les  campagnes  désolées  par  une  longue 
sécheresse  et  le  ciel  répandit  sur  les  sillons  la  pluie  désirée. 

On  voit,  près  de  l'église  de  Perthe,  un  puits  que  saint  Léger,  unissant  le  travail  des  mains  à 
une  oraison  constante,  a  creusé  lui-même.  Les  pèlerins,  qui  affluaient  à  son  tombeau,  buvaient  de 
cette  eau  regardée  comme  salutaire  contre  les  maladies  :  plusieurs  personnes  ont  encore  aujouid'hui 
la  même  confiance.  Tous  les  ans,  le  23  juin,  on  fait  une  procession  au  puits  de  saint  Léger. 

Propre  de  Langres  et  Saints  de  la  Haute-Marne. 


12  24   AVRIL. 

SAINT  MELLIT, 

PREMIER  ÉVÊQUE   DE   LONDRES,   PUIS   ARCHEVÊQUE   DE   GANTORBÉRY  (624). 

Mellit,  moine  d'Italie,  fut  d'abord  abbé  d'un  monastère  à  Rome.  En  601,  saint  Grégoire  le  Grand 
le  mit  à  la  tète  d'une  seconde  colonie  de  missionnaires  qu'il  envoyait  à  saint  Augustin,  en  Angle- 
terre. 11  fut  le  premier  évèque  de  Londres  ou  des  Saxons  orientaux.  Il  baptisa  le  roi  Sébert  avec 
une  grande  partie  de  ses  sujets.  Ce  fut  avee  le  secours  des  libéralités  de  ce  prince  qu'il  jeta  les 
fondements  de  l'église  de  Saint-Paul  à  Londres  l,  et  du  monastère  de  Saint-Pierre  à  Thorney  *, 
lequel  est  aujourd'hui  connu  sous  le  nom  de  Westminster.  On  assure  que  saint  Pierre  lui-même 
vint  consacrer  l'église  élevée  en  l'honneur  du  grand  Apôtre,  la  veille  du  jour  où  Mellit  se  préparait 
à  faire  cette  cérémonie. 

Sébert,  qui  mourut  vers  l'an  616,  laissa  ses  Etats  à  ses  trois  fils,  Sexred,  Séward  et  Sigebert. 
Ces  princes  n'avaient  jamais  renoncé  à  l'idolâtrie,  mais  ils  avaient  caché  leurs  sentiments  du 
vivant  de  leur  père.  Lorsqu'ils  le  virent  mort,  ils  professèrent  publiquement  le  paganisme,  et 
permirent  à  leurs  sujets  de  retourner  au  culte  des  idoles.  Cela  ne  les  empêchait  pas  d'assister 
quelquefois  à  la  célébration  de  nos  mystères;  ils  voulurent  même  engager  le  saint  évèque  a  leur 
donner  de  ce  beau  pain  dont  leur  père  avait  mangé  si  souvent.  Ils  entendaient,  par  ce  pain,  la 
divine  Eucharistie.  Mellit  leur  déclara  «  qu'il  ne  pouvait  leur  accorder  ce  qu'ils  demandaient,  à 
moins  qu'ils  ne  fussent  baptisés  ».  Ils  regardèrent  ce  refus  comme  un  outrage,  et  chassèrent  le 
Saint  de  sou  église  et  de  leurs  Etats. 

Les  trois  princes  furent  tués,  après  un  règne  de  six  ans,  dans  une  bataille  qu'ils  livrè- 
rent aux  Saxons  occidentaux  :  mais  le  culte  des  idoles  ne  cessa  pas  aussitôt  dans  leurs  Etats  ; 
ce  ne  fut  qu'en  628,  selon  l'auteur  des  annales  saxonnes,  que  le  peuple  reprit  la  profession  du 
christianisme. 

Saint  Mellit,  chassé  de  son  église,  avait  passé  en  France;  mais  il  revint  en  Angleterre  quelque 
temps  après.  En  619,  il  succéda  à  saint  Laurent  sur  le  siège  de  Cantorbéry.  Il  arrêta,  par  la  vertu 
de  ses  prières,  un  incendie  qui  avait  déjà  réduit  en  cendres  une  grande  partie  de  cette  ville.  Il 
mourut  le  24  avril  624. 

Voyez  Bbde,  les  Fasti  de  le  Kève,  Goscelin  et  Capgrave. 


SAINT  EGBERT,  PRÊTRE  (729). 

Egbert  naquit  en  Angleterre,  vers  l'année  639,  de  parents  nobles,  et  passa  de  bonne  heure  en 
Irlande,  qui  était  au  vne  siècle  pour  les  Iles  Britanniques  l'école  générale  de  la  piété  et  des  sciences. 
Il  entra  au  couvent  'le  Rathmelsige  :  il  y  faisait  provision  de  sciences  et  se  formait  à  la  vie 
monastique,  lorsque,  en  664,  le  pays  fut  affligé  de  la  peste.  Il  en  fut  atteint  lui-même,  et, 
dans  cet  état,  il  fut  si  vivement  touché  de  ses  péchés,  qu'il  promit  à  Dieu  de  le  servir  avec 
plus  de  fidélité  qu'auparavant,  s'il  voulait  prolonger  ses  jours.  Non  content  de  cela,  il  fit  le 
vœu  de  renoncer  pour  toujours  à  sa  patrie,  de  réciter  tous  les  jours  le  psautier,  indépendamment 
du  bréviaire  ordinaire,  et  de  jeûner  toutes  les  semaines  une  fois,  pendant  vingt-quatre  heures,  à 
moins  qu'il  n'en  fût  empêché  par  quelque  maladie.  Lorsqu'il  fut  rétabli,  il  accomplit  scrupuleusement 
sa  promesse,  et  observa,  en  outre,  trois  jeûnes  par  an,  durant  lesquels  il  ne  vivait  que  de  pain  et 
d'un  peu  de  lait  :  c'était  avant  Noël,  avant  Pâques  et  après  la  Pentecôte.  Ces  pratiques  lui  firent 
faire  de  grands  progrès  dans  la  perfection,  et  le  préparèrent  dignement  à  la  prêtrise,  à  laquelle  i] 
fut  élevé  quelques  années  plus  tard.  Egbert  se  proposa  de  porter  la  lumière  de  la  foi  aux  Allemands 
et  aux  Frisons  ;  mais  saint  Boisil,  prieur  de  Mailros,  qui  connaissait  le  besoin  de  son  propre  pays, 
lui  fit  dire  que  Dieu  n'exigeait  pas  qu'il  fit  de  si  grands  voyages  pour  développer  ses  talents,  et  lui 
conseilla  de  laisser  à  d'autres  le  soin  de  convertir  les  infidèles,  et  de  se  rendre  aux  îles  d'Ecosse 
et  d'Irlande,  afin  d'y  instruire  les  moines.  Malgré  ces  conseils,  il  se  disposait  à  partir  pour  l'Alle- 

1.  En  604.  —  2.  En  609.  Ce  monastère  fut  rebâti  par  les  rois  Edgar  et  saint  Edouard  le  Confesseur. 


MARTYROLOGES.  13 

magne  ;  mais,  quelques  jours  après  son  départ,  il  s'éleva  une  violente  tempête  qui ,  menaçant 
d'engloutir  le  vaisseau,  rappela  à  l'esprit  du  Saint  les  avis  de  Boisil,  et  le  força  de  retourner  et  de 
faire  voile  vers  les  petites  îles. 

Il  débarqua  à  l'Ile  de  Hy  ou  Iona,  aujourd'hui  Colmkille,  nom  qu'elle  tire  de  saint  Colomb, 
située  au  nord  de  l'Irlande,  du  côté  de  l'Ecosse.  Les  moines  de  cette  île  étaient  alors  en  grande 
réputation  ;  et  ce  fut  celte  réputation  qui  contribua  à  accréditer  l'erreur  selon  laquelle,  de  même 
que  les  quartodécimans,  ils  célébraient  avec  les  Bretons  et  les  Ecossais  d'Irlande  la  fête  de  Pâques 
à  la  quatorzième  lune,  erreur  condamnée  au  concile  de  Nicée  ;  tandis  que  les  Anglais,  convertis 
par  Augustin  et  les  antres  missionnaires  de  saint  Grégoire  le  Grand,  suivaient  l'usage  de  l'Eglise 
romaine,  et  ne  la  célébraient  que  le  dimanche  suivant.  Cette  divergence  occasionna  une  grande 
scission  dans  les  églises  britanniques,  et  causa  bien  du  scandale  parmi  les  fidèles  accoutumés  à 
regarder  ce  point  de  discipline  comme  une  des  bases  de  leur  religion.  L'entêtement  avec  lequel 
ces  bons  moines  tenaient  à  leur  erreur  les  exposa  à  perdre  les  fruits  de  leur  pénitence  et  le 
mérite  de  leur  parfaite  obéissance.  Egbert,  à  son  arrivée  parmi  eux,  s'attacha  principalement  à 
les  convaincre  sur  ce  point.  La  douceur  avec  laquelle  il  s'y  prit  lui  gagna  bientôt  toute  leur  con- 
fiance, il  leur  montra  la  différence  qui  existe  entre  les  articles  essentiels  de  foi  et  les  choses  de 
pure  discipline,  et  les  amena  au  point  de  se  conformer  à  l'usage  de  Rome,  à  l'égard  de  la  célé- 
brafion  de  la  fête  de  Pâques  et  de  quelques  autres  pratiques.  Ceci  arriva  en  716.  Egbert  vécut 
encore  treize  ans,  et  mourut  le  dimanche  de  Pâques  (c'est-à-dire  le  nouveau  dimanche  de  Pâques, 
pour  les  Irlandais),  au  moment  où  il  venait  de  célébrer  la  sainte  messe.  Il  était  âgé  de  quatre- 
vingt-dix  ans.  Le  jour  de  sa  mort  fut  le  24  avril  7i9  ;  il  est  nommé  en  ce  jour  dans  plusieurs 
martyrologes  :  le  nouveau  martyrologe  romain  fait,  en  outre,  l'éloge  de  son  humilité  et  de  son 
abstinence.  Les  Bénédictins  le  placent  parmi  les  Saints  de  leur  Ordre,  parce  qu'ils  croient  que  les 
communautés  qu'il  forma  prirent,  durant  sa  vie  ou  peu  de  temps  après  sa  mort,  la  Règle  de 
saint  Benoit. 

Tiré  de  Baillet,  sous  le  24  avril,  d'après  divers  endroits  de  l'Histoire  ecclésiastique  du  vénérable  Bède, 
qui  vivait  du  temps  de  saint  Egbert.  Voyez  aussi  les  Acta  SS.,  t.  in  Aprilis,  p.  313-315;  Batavia  Sacra, 
part.  1,  p.  32;  Rsess  et  Weis,  t.  v,  p.  311,  et  les  Antiquités  de  l'Eglise  anglo-saxonne,  par  le  docteur  John 
Lingard,  p.  52$,  qui  prouve  que  c'est  à  saint  Egbert  qu'il  faut  rapporter  l'honneur  d'avoir  établi  les  mis- 
sions en  Allemagne  :  en  effet,  ce  furent  saint  Wibert,  saint  Willibrod,  les  deux  saints  Edwald,  et  autres 
disciples  de  saint  Egbert  qui  répandirent  la  lumière  de  l'Evangile  dans  la  Frise  et  dans  le  nord  de  la 
Germanie. 


XXV*  JOUR  D'AVRIL 


MARTYROLOGE   ROMAIN. 

A  Alexandrie,  la  naissance  au  ciel  de  saint  Marc  l'Evangéliste.  Disciple  et  interprète  de 
l'apôtre  Pierre,  il  écrivit  l'Evangile  à  la  prière  des  chrétiens  de  Rome,  et  avec  son  Evangile  il  se 
rendit  en  Egypte,  prêcha  le  premier  Jésus-Christ  dans  la  ville  d'Alexandrie  et  y  établit  une  église. 
Ensuite,  ayant  été  arrêté  pour  la  foi  chrétienne,  il  fut  lié  avec  des  cordes,  et  traîné  violemment 
sur  des  cailloux  dont  il  fut  grièvement  blessé.  Enfin,  il  fut  resserré  en  prison,  où  les  anges  le 
visitèrent  et  le  fortifièrent,  et  Notre-Seigneur,  lui  apparaissant  aussi,  l'appela  au  royaume  des 
cieux  la  huitième  année  de  l'empire  de  Néron.  68.  —  A  Rome,  les  Litanies-majeures  à  Saint-Pierre  ». 

1.  Les  grandes  litanies  sont  mentionnées  dans  tons  les  martyrologes  latins;  quelques-uns  ajoutent 
qu'elles  furent  instituées  par  saint  Grégoire  :  ce  qu!  ne  veut  pas  dire  qu'il  est  l'auteur  des  litanies  elles- 
mêmes;  mais  seulement  qu'il  les  fit  célébrer  en  l'honneur  de  saint  Pierre.  Il  existe  un  décret  de  ce  Pon- 
tife, relatif  a  la  célébration  annuelle  des  grandes  litanies  (Regist.  liv.ii);  il  commence  ainsi:  «  La  solennité 
de  cette  dévotion  annuelle,  mes  bien-aimés  Frères,  nous  avertit  que  nous  devons  célébrer  la  grande 
litanie  avec  un  cœur  pieux  et  zélé,  etc.  »  Le  même  Pape,  a  l'occasion  de  la  peste  qui  sévissait,  institua  la 
litanie  appelée  Septiforme.  La  constitution  qu'il  fit  à  cette  occasion  est  datée  du  27  août;  elle  est  nien- 


14  25  AVRIL. 

YI8  g.  —  A  Syracuse,  les  martyrs  saint  Evode,  saint  Hermogène  et  sainte  Calliste  '.  —  A 
Antioche,  saint  Etienne,  évêque  et  martyr,  qui,  ayant  beaucoup  souffert  de  la  part  des  hérétique» 
qui  rejetaient  le  concile  de  Chalcédoine,  fut  précipité  dans  le  fleuve  Oronte,  sous  l'empereur  Ze- 
non. 479.  —  Au  même  lieu,  les  saints  Philon  et  Agathopode,  diacres  2.  n»  s.  —  A  Alexandrie, 
saiut  Amen  3,  évèque,  disciple  de  saint  Marc  et  son  successeur  dans  l'épiscopat,  qui  se  reposa  dans 
Notre-Seigneur,  illustre  par  ses  vertus.  Vers  86.  —  A  Lobes,  la  naissance  au  ciel  de  saint  Erliin, 
évêque  et  confesseur.  "37. 

MARTYROLOGE  DE  FRANCE,  REVU  ET  AUGMENTÉ. 

A  Agen,  le  décès  de  saint  Phébade  ou  Phiary,  évèque.  Sa  fête  se  célèbre  à  Agen,  le  26  avril. 
—  A  Lyon,  saint  Rustique,  évèque,  qui  fut  élevé  de  la  magistrature  séculière,  où  il  se  compor- 
tait saintement,  à  ce  siège  primatial,  qu'il  honora  beaucoup  par  ses  vertus;  il  a  été  loué  par  saint 
Ennodius  de  Pavie.  500.  —  Dans  la  même  ville,  mémoire  de  la  pieuse  et  illustre  dame  Syagrie, 
que  saint  Ennodius  de  Pavie  a  appelée  le  Trésor  de  l'église  de  Lyon,  et  qui,  sur  l'avis  de  saint 
Rustique,  mentionné  tout  à  l'heure,  donna  l'argent  nécessaire  pour  le  rachat  de  six  mille  prison- 
niers italiens  ».  v«  s.  —  A  Metz,  saint  Cramace,  évèque  et  confesseur.  Vers  545  —  A  Liège,  saint 
Florebert,  évèque,  successeur  de  saint  Hubert.  746. — A  Auxerre,  le  bienheureux  Héribald,  évèque, 
qui  avait  été  abbé  de  Saint-Germain,  où  on  l'invoquait  aux  litanies.  11  fut  un  de  ceux  qui  écri- 
virent au  clergé  de  Paris,  sur  la  promotion  d'Enée.  après  la  mort  d'Ercanrad  IL  Vers  857.  —  A 
Cluny,  le  bienheureux  Hermann,  comte  de  Seringahen,  et  très-parfait  religieux.  11  avait  une  dévo» 
tion  particulière  pour  les  saints  Anges  qui  se  plaisaient  à  converser  familièrement  avec  lui  ;  il 
composa  un  traité  en  leur  honneur,  mais  cet  ouvrage  n'a  pas  survécu  aux  désastres  du  monastère 
de  Waldsasse,  en  Allemagne,  dont  il  était  abbé.  1222.  —  A  Réome,  dans  le  diocèse  de  Dijon, 
saint  Sylvestre,  deuxième  abbé  de  ce  monastère.  Ses  reliques  furent  dispersées  par  les  Calvinistes. 
572.  —  A  Cerne,  le  vénérable  Jean  de  la  Barrière,  instituteur  de  la  Congrégation  des  Feuillants, 
sous  l'Ordre  de  Citeaux  et  la  règle  de  saint  Benoit,  inhumé  à  Saint-Bernard  des  Thermes.  1600.  — 
A  Ouimperlé,  dans  la  petite  Bretagne,  saint  Guirloès  ou  Durlo.  premier  abbé  du  monastère  de  ce 
nom.  On  voit  encore  son  tombeau  dans  une  chapelle  basse  de  l'église  Sainte-Croix  de  'Juimperlé. 
1037.  —  Au  même  lieu,  mémoire  de  trois  autres  abbés,  successeurs  de  saint  Guirloès,  les  saints 
Jean,  Vital  et  Viiigomar  ou  Juugomar.  Le  dernier  fut  enterré  à  iNotre-Dame  de  Quimper.  xi6  s. 
—  A  Argentan,  en  Normandie,  translation  solennelle  de  saint  Mansuet,  dont  les  reliques  furent 
apportées  des  catacombes  de  Rome,  par  le  P.  Louis  François,  de  l'Ordre  des  Capucins,  et  données 
en  1G3S  à  l'église  paroissiale  d'Argeman,  sa  ville  natale  6.  —  Aujourd'hui,  procession  à  Notre- 
Dame  de  Courbefosse,  près  de  Fougeroiles,  dans  le  diocèse  de  Laval.  Les  habit.mts  de  Fougerolles 
ont  toujours  eu  en  Notre-Dame  de  Courbefosse  une  dévotion  et  une  confiance  entières.  Ils  affirment 
qu'ils  ne  l'ont  jamais  priée  en  vain.  Dans  le  principe,  c'était  un  ermitage  dont  les  deux  ermites 
s'unirent  à  l'abbaye  de  Saviguy  en  M75.  Vendue  à  la  Révolution,  menacée  d'être  revendue  à  un 
étranger  en  1860,  la  chapelle  fut  rachetée  parles  cotisations  des  habitants  de  Fougerolles. 

ADDITIONS   FAITES   D'APRÈS   LES    BOLLANDISTES   ET   AUTRES   HAGIOGRAPHES. 

Mémoire  de  saint  Anien ,  cordonnier  d'Alexandrie  d'Egypte,  à  qui  saint  Mare  remit  un  doigt 
qu'il  s'était  coupé  avec  son  trauchet.  C'est  pourquoi  les  métiers  qui  exposent  aux  coupures  ont 

tionnée  par  Grégoire  de  Tours,  dans  son  Histoire  des  Francs  (liv.  x,  en.  5),  et  par  Paul,  diacre,  dans  son 
Histoire  des  Lombards  (liv.  m,  ch.  2).  Saint  Grégoire  n'ordonnait  pas  seulement  des  prières  publiques  à 
Rome,  mais  encore  dans  les  autres  parties  de  l'Eglise,  quand  il  se  présentait  quelque  nécessité  urgente. 
L'usage  des  litanies  est  très-ancien  dans  l'Eglise  ;  saint  Basile  (ep.  63),  parle  des  litanies  qui  avaient  lieu 
à  Néocésarée  des  le  temps  de  saint  Grégoire  le  Thaumaturge,  évêque  de  cette  ville,  vers  le  milieu  du 
IIIe  siècle.  C'était  un  usage  très-ancien  dans  l'Eglise  latine  de  faire  des  processions  ou  litanies  aux  tom- 
beaux des  Martyrs.  (Voir  Tertullien,  liv.  n,  a  son  épouse,  et  saint  Jérôme,  ep.  22,  a  Eustochie.)  Chaque 
évêque  en  célébrait  dans  son  église.  Les  plus  célèbres  de  toutes  sont  celles  que  saint  Mamert,  évèque  de 
Vienne,  institua  vers  l'an  452  :  nous  devrions  dire  qu'il  les  rétablit,  car  on  pourrait  montrer  par  des  textes 
de  Sidoine  Apollinaire  (ep.  ad  Aprum.  14,  liv.  v),  de  saint  Césaire  d'Arles  (homél.  33),  et  de  saint  Augus- 
tin (serm.  173).  qu'elles  existaient  déjà.  —  Baronius. 

1.  On  ignore  l'époque  du  martyre  de  saint  Evode,  de  saint  Hermogène  et  de  sainte  Calliste,  leur  sœur. 

2.  Les  saints  Philon  et  Agathopode  paraissent  être  les  mêmes  qui  accompagnèrent  à  Rome  saint  Phi- 
lippe d'Antioche  et  en  ramenèrent  ses  reliques.  Le  premier  était  du  clergé  de  Tarse,  et  le  second  de  celui 
d'Antioche.  Saint  Ignace  fait  mention  d'eux  dans  ses  lettres  aux  habitants  de  Philadelphie,  de  Tarse, 
d'Antioche  et  de  Philippes. 

3.  La  vie  de  saint  Anien  est  racontée  dans  celle  de  saint  Marc,  passim. 

4.  Voir  la  vie  de  saint  Epiphane  de  Pavie. 

5.  Plusieurs  protestants  firent  leur  abjuration  à  cette  occasion,  et  il  s'opéra  un  grand  nombre  de  gué- 
risons  miraculeuses. 


SALYT   MARC   l'ÉVANGÉLISTE.  15 

choisi  saint  Marc  pour  leur  patron.  SG.  —  En  Afrique,  les  saints  Noble,  Marcie,  Hermemphe,  For- 
tuné, Joconde,  martyrs.  —  Chez  les  Grecs,  sainte  Nice  ou  Victoire,  martyre.  An  303.  —  A  Nico- 
médie,  saint  Publius,  soldat  et  martyr.  Publitis  était  un  favori  de  l'empereur  Licinius.  Témoin  des 
cruautés  exercées  envers  un  saint  évèque,  il  jeta  ses  armes  par  un  mouvement  de  sainte  indigna- 
tion. —  En  Irlande,  saint  Mackallée  et  saint  Mackalde  ou  Maccull,  évèques  l.  Ve  s.  —  A  Slepe, 
dans  le  comté  de  Huctingdon,  en  Angleterre  saint  Yves,  évèque  persan,  qui  passa  dans  la  Grande- 
Bretagne  où  il  prêcha  la  foi,  à  peu  près  à  la  même  époque  que  saint  Augustin,  au  vu»  siècle.  Ua 
laboureur  trouva  son  corps  encore  entier  en  1001.  —  Chez  les  Grecs,  huit  saints  anachorètes  qui 
furent  mis  à  mort  en  haine  de  Jésus-Christ.  Epoque  incertaine.  —  Encore  chez  les  Grecs,  saint 
Macédoine,  évèque  de  Constantinople,  qui  racheta  par  une  confession  éclatante  des  commence- 
ments peu  honorables.  An  516. —  A  Vienne,  en  Dauphiné,  saint  Clarence,  évèque  *.  Avant  l'an  625. 
—  A  Hispelli,  dans  l'Ombrie,  saint  Fidèle.  Sa  vie  est  enveloppée  d'obscurité.  —  A  Syracuse,  eu 
Sicile,  saint  Robert,  abbé.  Vers  le  vin6  s.  —  A  Plaisance,  sainte  Franque,  vierge,  abbesse  de 
l'Ordre  de  Citeaux  3.  An  1218.  —  Au  Mont-Alcin,  en  Toscane,  le  bienheureux  Philippe  ou  Phi- 
lippin, de  l'Ordre  des  Frères  Mineurs.  Il  fut  un  des  compagnons  de  saint  Antoine  de  Padoue,  et 
mourut  à  quatre-vingt-sept  ans,  sur  la  fin  du  xin6  s. 


SAINT  MARC  L'EVANGELISTE 

68.  —  Papes  :  Saint  Pierre  ;  saint  Lin.  —  Empereur  :  Néron. 


Je  suis  la  chaire  de  Marc.  Ma  règle  divine  me  fat 
donnée  par  Marc  :  Toujours  avec  Rome. 
Inscription   araméenne  gravée   sur    la   chaire   dé 

saint  Marc  conservée  à  Venise. 

La  fondation  de  l'Eglise  d'Alexandrie  se  rattache  à  l'activité  apostolique 
de  saint  Pierre.  Il  entrait  dans  les  desseins  de  la  Providence  que  les  plus 
illustres  sièges  de  la  chrétienté  pussent  montrer  à  leur  origine  le  nom  de 
celui  que  Jésus-Christ  avait  établi  le  fondement  de  son  Eglise,  le  pasteur 
universel  des  agneaux  et  des  brebis.  Dans  les  Actes  des  Apôtres,  nous  le 
voyons  à  la  tête  de  l'assemblée  des  fidèles  à  Jérusalem  ;  c'est  lui  qui  orga- 
nise l'Eglise  d'Antioche,  qu'il  gouverne  pendant  quelques  années.  De  la 
métropole'  de  l'Orient  il  transporte  sa  chaire  à  Rome,  capitale  de  l'Occident 

1.  Le  premier,  saint  Mackallée,  était  évèque  dans  le  pays  de  Hi-Fialgia.  C'est  là  une  ancienne  déno- 
mination. Hi-liaigia  serait  la  Lagénie  ou  Leinster,  dans  le  comté  de  Mcath.  C'est  des  mains  de  saint 
Mackallée  que  sainte  Brigitte  reçut  le  voile.  D'après  les  Bollandistes,  il  mourut  en  456. 

Le  second,  saint  Mackalde,  était  d'abord  un  principicule  du  pays  qui  levait  ses  contributions  à  la  façon  des 
brigands.  Les  prédications  de  saint  Patrice  lui  déplaisaient  fort,  ainsi  qu'à  ses  gens.  La  mort  de  l'Apôtre 
fut  résolue  dans  un  conseil  tenu  par  la  bande,  u  Voici  comment  il  faut  nous  y  prendre  »,  dit  nn  de  leurs 
orateurs  :  «  Que  l'un  de  nous  se  place  vivant  dans  une  bière  :  nous  irons  au-devant  de  l'imposteur  et  le 
supplierons  de  ressusciter  le  prétendu  mort.  Au  moment  où  le  faiseur  de  miracles  se  mettra  a  marmotter 
ses  incantations,  le  soi-disant  mort  se  lèvera  et  ce  sera  le  signal  des  coups  de  bâton  sous  lesquels  nous 
l'accaolerons  ».  Ce  qui  fut  dit  fut  fait.  On  attendit  le  saint  homme  au  passage.  Mais  quel  ne  fut  pas  l'é- 
tonnement,  l'épouvante  des  meurtriers,  lorsqu'en  découvrant  leur  camarade,  ils  trouvèrent  réellement 
mort  celui  qui  auparavant  était  plein  de  vie.  A  ce  spectacle,  Mackalde  et  ses  gens  se  convertirent.  Comme 
pénitence,  saint  Patrice  imposa  au  ci-devant  chef  de  brigands  de  quitter  sa  patrie,  théâtre  de  tant  da 
crimes,  et  de  se  confier  au  hasard  des  flots,  Dieu  devant  charger  ceux-ci  de  le  porter  vers  le  lieu  qu'il 
devrait  habiter.  Son  esquif  aborda  a  l'île  de  Man,  célèbre  par  les  mystères  des  druides,  mais  déjà  alors 
éclairée  des  lumières  de  l'Evangile  par  deux  saints  Lvêques,  sous  la  conduite  desquels  Mackalde  se  plaça 
et  auxquels  il  succéda  dans  les  fonctions  pastorales  quand  le  dernier  d'entre  eux  fut  mort.  Les  AA.  SS* 
placent  en  403  le  commencement  de  l'épiscopat  de  saint  Mackalde. 

Les  deux  évèques  qui  évangélisaient  l'île  de  Man,  lorsque  saint  Mackalde  y  aborda,  étaient  Conindrius 
et  Pomulus,  envoyés  par  saint  Patrice.  Mais  ils  y  avaient  été  précédés  par  saint  Germain,  autre  disciple 
de  saint  Patrice,  et  qui  a  toujours  été  considéré  comme  l'apôtre  de  l'Ile  :  la  cathédrale  de  Peel-Castle  est 
dédiée  sous  son  nom.  Pour  en  revenir  a  saint  Mackalde.  on  montre  encore,  dans  l'île  de  Man,  une  mon- 
tagne où  il  vécut  d'abord  en  solitaire,  et  qui  a  été  appelée  de  son  nom  Saint-Alaughold.  Une  église  port» 
aussi  son  nom,  où  l'on  a  conservé  ses  reliques  jusqu'à  la  prétendue  Réforme. 

2.  Voir  au  jour  suivant.  —  3.  Voir  au  27  avril. 


16  23  avril. 

et  du  monde  entier.  Enfin  par  Marc,  son  interprète  et  son  disciple,  il  fonde 
l'Eglise  d'Alexandrie.  Ce  sont  les  propres  paroles  d'Eusèbe  :  «  Pierre,  dit 
l'historien  du  ive  siècle,  établit  aussi  les  églises  d'Egypte,  avec  celle  d'A- 
lexandrie, non  pas  en  personne,  mais  par  Marc,  son  disciple.  Car  lui-même 
pendant  ce  temps  s'occupait  de  l'Italie  et  des  nations  environnantes  ;  il 
envoya  donc  Marc,  son  disciple,  destiné  à  devenir  le  docteur  et  le  conqué- 
rant de  l'Egypte  •  ».  Voilà  pourquoi  les  Eglises  de  Jérusalem,  d'Antioche  et 
d'Alexandrie  resteront  les  premières  après  l'Eglise  mère  et  maîtresse  de 
toutes  les  autres  :  elles  formeront  comme  autant  de  rayons  de  la  primauté 
apostolique,  dont  la  plénitude  se  concentre  clans  le  siège  de  Rome. 

Il  y  a  tout  lieu  de  croire  qu'avant  l'arrivée  de  saint  Marc  quelques  se- 
mences de  christianisme  avaient  déjà  été  répandues  à  Alexandrie.  Saint  Luc 
cite  parmi  les  Juifs  présents  à  Jérusalem  le  jour  de  la  Pentecôte,  des  habi- 
tants de  l'Egypte  et  du  territoire  de  la  Libye  voisine  de  Cyrène  2  :  en  ren- 
trant dans  leur  pays,  ces  hommes  encore  tout  émus  des  merveilles  de  la 
prédication  apostolique ,  ne  pouvaient  manquer  de  rapporter  ce  qu'ils 
avaient  vu  et  entendu.  Malgré  le  peu  de  relations  qui  existaient  entre  les 
juifs  de  la  Palestine  et  ceux  de  l'Egypte,  on  comprendrait  difficilement  que 
les  grands  événements  accomplis  à  Jérusalem  n'eussent  pas  trouvé  de  re- 
tentissement parmi  ces  derniers.  Mais  ce  n'étaient  là  que  des  pierres  d'at- 
tente qui  demandaient  à  être  réunies  et  façonnées  avec  soin  pour  servir  de 
fondement  à  un  édifice  durable  et  régulier. 

Saint  Marc  était  Hébreu  d'origine  :  son  style  3,  rempli  d'hébraïsmes,  ne 
permet  pas  d'en  douter.  Le  vénérable  Bède 4,  qui  le  dit  d'après  la  tradition, 
ajoute  qu'il  était  de  la  race  sacerdotale  d'Aaron.  Un  ouvrage  attribué  à 
saint  Jérôme  5  le  dit  également.  Les  Juifs  et  les  Païens  d'Alexandrie  l'appe- 
laient le  Galiléen  8  ;  ce  qui  laisserait  à  entendre  qu'il  pouvait  être  de  la  pro- 
vince de  Galilée,  patrie  de  saint  Pierre,  dont  il  fut  l'interprète  et  le  com- 
pagnon. 

Plusieurs  auteurs  anciens  et  modernes  7  disent  que  saint  Marc  a  été  du 
nombre  illustre  des  soixante-douze  Disciples  de  Jésus,  et  qu'il  a  brillé  parmi 
eux  par  sa  foi  et  son  ardeur,  comme  un  astre  splendide  parmi  les  innom- 
brables étoiles  de  la  milice  céleste.  Toutefois,  cette  vive  lumière  se  serait  un 
instant  éclipsée,  d'après  ce  que  rapporte  saint  Epiphane  ;  ce  Père  dit,  en 
effet,  qu'il  fut  un  des  soixante-douze  Disciples  qui  se  scandalisèrent  avec  les 
Capharnaïtes  de  ce  que,  dans  son  Discours  sur  l'Eucharistie,  Notre-Seigneur 
avait  dit  :  Si  vous  ne  mange:  la  chair  du  Fils  de  l'homme,  et  si  vous  ne  buvez  son 
sang,  vous  n'aurez  point  la  vie  en  vous;  qu'il  se  retira  avec  beaucoup  d'au- 
tres ;  mais  que  saint  Pierre  le  convertit  et  le  ramena  à  Jésus-Christ  après  la 
Résurrection.  C'est  là,  sans  doute,  une  des  raisons  qui  portèrent  saint  Marc 
à  s'attacher  ensuite  plus  particulièrement  à  saint  Pierre.  Cet  Apôtre  l'ap- 
pelle son  fils  dans  sa  première  épître  :  l'Eglise  qui  est  dans  Babylone  (c'est-à- 
dire  dans  Rome),  dit-il  aux  Eglises  d'Orient,  et  mon  fils  Marc  vous  saluent  8. 
Ce  Disciple,  en  suivant  saint  Pierre  dans  ses  voyages  apostoliques,  lui  ser- 
vait à' interprète,  comme  nous  l'apprennent  plusieurs  saints  Pères  9.  Ils  sont 

1.  Théophanie  d'Eusbbe,  ouvrage  retrouvé  en  grande  partie  par  le  cardinal  Maï,  Patrum  nova  biblio- 
theca,  t.  rv,  p.  120. 

2.  Actes  des  Ap.,  n,  10.  —  3.  Tillemont,  Godescard.—  4.  Beda,  in  Marcum,  p.  92.  —  5.  S.  Hieron.,  in 
Marc,  pr.,  p.  87.  —  6.  Acta  S.  Marci,  n.  5,  ap.  Boll.  25  apr.,  p.  348. 

7.  Tillem.;  Dom  Calmet,  Dict.  biblique,  art.  Disciples;  Baronius,  anno  33,  n.  13,  Annal.  Dans  la  Chro- 
nique d'Alexandrie,  p.  62,  saint  Marc  est  le  cinquante-huitième  disciple  d'entre  les  septante-deux. 

8.  1  Petr.,  v,  13;  Orig.  S.  Jérôm. 

9.  S.  Papias,  ap.  Euseb.,  1.  m,  c.   39;   S.   Irénée,   1.  m,  c.  11;  Tertull.,   adv.  Marcion.,  1.  iv,  c.  *; 
S.  Jérôm.,  de  viris  ill.,  c.  8,  et  in  chronic;  Till.,  Godesc. 


SAINT  MARC  L'eVANGÉLISTE.  17 

néanmoins  partagés  sur  ce  titre  d 'interprète.  Selon  les  uns.  on  doit  entendre 
par  là  qu'il  donnait  la  l'orme  et  le  style  aux  épîtres  de  l'Apôtre.  Selon  les 
autres,  cette  fonction  consistait  à  rendre  en  grec  ou  en  latin  ce  que  saint 
Pierre  disait  en  sa  propre  langue.  Ou  bien  encore  elle  consistait  à  expliquer 
en  particulier  aux  croyants  ce  que  saint  Pierre  avait  enseigné  à  tous  d'une 
manière  générale,  qui  demandait  différentes  explications  et  interprétations. 
C'est,  du  moins,  ce  que  font  entendre  les  Actes  de  son  apostolat  d'A- 
quilée,  où  l'on  voit  que  les  disciples  et  les  auditeurs  de  saint  Pierre  viennent 
trouver  saint  Marc  pour  cet  effet,  comme  pour  un  autre  motif  dont  nous 
parlerons  ci-après. 

Lorsque  saint  Pierre,  délivré  de  la  prison  d'Hérode,  vers  l'an  42,  se  ren- 
dit à  Rome,  saint  Marc  l'y  accompagna.  Il  travailla  avec  le  Prince  des  Apô- 
tres à  semer  la  bonne  semence  de  la  parole  de  vérité  dans  une  cité  qui, 
jusqu'alors,  avait  été  la  citadelle  de  l'erreur.  Une  immense  multitude  de 
fidèles  ne  pouvait  se  rassasier  d'entendre  la  parole  de  vie  ;  elle  accourait 
pour  entendre  saint  Pierre,  dont  la  doctrine  inondait  de  lumière  toutes  les 
intelligences.  Il  ne  lui  avait  pas  suffi  de  l'entendre  avec  avidité  ;  elle  vint 
trouver  son  disciple  Marc  *,  qu'elle  pria  avec  instance  de  lui  exposer  de 
nouveau  la  prédication  de  son  maître,  et  de  la  lui  transcrire,  même  par 
écrit,  afin  qu'elle  pût  ainsi  en  faire  le  perpétuel  objet  de  ses  méditations  du 
jour  et  de  la  nuit.  Des  vœux  si  justes  furent  entendus. 

Sur  ces  entrefaites,  saint  Pierre  envoya  saint  Marc  prêcher  l'Evangile  à 
Aquilée,  ville  alors  très-considérable  et  très-célèbre.  Le  Disciple  s'acquitta 
avec  un  grand  zèle  et  avec  un  grand  succès  de  son  apostolat  ;  une  multitude 
innombrable  embrassa  la  foi,  et  forma  dès  lors  une  Eglise  très-remarquable 
par  sa  science  religieuse  comme  par  la  fermeté  de  sa  foi.  Ce  fut  là,  comme 
il  est  rapporté  dans  ses  Actes,  que,  voyant  l'heureuse  avidité  des  croyants â 
pour  la  parole  de  Dieu,  il  acheva  ou  transcrivit  la  rédaction  de  son  Evangile, 
où  il  donna  en  abrégé  les  faits  contenus  dans  l'Evangile  de  saint  Matthieu, 
mais  en  y  ajoutant  quelquefois  des  choses  très-importantes.  On  dit  que 
l'amour  que  témoignait  saint  Pierre  pour  le  silence,  lui  avait  appris  cette 
concision  et  cette  brièveté.  Selon  saint  Irénée,  Eusèbe  et  Origène,  il  mit 
par  écrit  les  choses  que  saint  Pierre  avait  coutume  de  prêcher  ;  ce  que  les 
Romains  l'avaient  prié  de  rédiger  pour  leur  usage.  C'est  pour  cela  que,  selon 
la  remarque  de  saint  Chrysostome,  il  ne  rapporte  point  ce  que  le  Sauveur 
dit  à  l'avantage  du  Prince  des  Apôtres,  lorsqu'il  l'eut  reconnu  solennelle- 
ment pour  le  Christ  et  le  Fils  de  Dieu  :  il  ne  parle  point  de  la  circonstance 
où  il  marcha  sur  les  eaux.  Mais  il  raconte  son  renoncement  avec  beaucoup 
d'étendue  et  de  détails.  Par  humilité,  le  saint  Apôtre  supprimait  dans  sa 
prédication  tout  ce  qui  lui  était  avantageux  et  honorable.  Il  publiait  avec 
les  sentiments  de  la  plus  vive  componction  le  crime  qu'il  avait  commis  en 
renonçant  son  divin  Maître.  Il  rapporte  aussi  des  traits  dont  saint  Matthieu 
n'avait  point  parlé,  comme  l'éloge  de  cette  pauvre  veuve  qui  mit  deux  pe- 
tites pièces  de  monnaie  dans  le  tronc  dutemple,  et  l'apparition  de  Jésus  aux 
deux  Disciples  qui  allaient  à  Emmaus. 

Eusèbe 3  et  saint  Jérôme  *  disent  que  saint  Pierre  apprit  par  la  révélation 
de  l'Esprit  de  Dieu,  que  saint  Marc  avait  écrit  son  Evangile,  et  fut  comblé 
de  joie  de  voir  le  zèle  que  les  chrétiens  avaient  témoigné  pour  la  parole  de 
vérité.  Il  approuva  cet  ouvrage,  et,  par  son  autorité,  en  établit  l'usage  dans 

1.  Euseb.,  1.  h,  c.  15  ;  S.  JéVôm.,  de  viris  ill.,  c.  8  ;  S.  Clem.  Alex.,  v.  565. 

2.  Dandolo,  in  chron.  ap.  Boll.,  p.  347. 

S.  Euseb.,   1.  h,  c.  15.  —  4.   S.  Hier.,  de  vir.  ill.,  c.  8. 

Vies  des  Saints.  —  Tome  V.  «> 


18  25   AVRIL. 

l'Eglise.  C'est  pour  cette  raison,  dit  Baronius,  que  quelques-uns  le  lui  ont 
attribué,  comme  nous  le  voyons  dans  Tertullien  l  et  dans  saint  Jérôme8; 
ou  plutôt,  selon  que  l'observe  Tertullien  même,  c'est  parce  que  ce  qui  est 
mis  au  jour  parles  Disciples,  s'attribue  aisément  au  Maître.  On  lit  même 
dans  un  ouvrage  qui  porte  le  nom  de  saint  Athanase,  que  ce  livre  ne  con- 
tient que  les  paroles  de  saint  Pierre.  —  Cet  Evangile  a  été  généralement 
reçu  et  reconnu  comme  authentique  dans  toute  l'Eglise  catholique,  et  même 
communément  parmi  les  sociétés  hérétiques. 

L'antique  siège  patriarcal  d'Aquilée  a  toujours  été  très-illustre  dans  l'E- 
glise, et  considéré  comme  l'un  des  plus  puissants,  des  plus  étendus  et  des 
plus  élevés  en  dignité,  comme  remontant  aux  temps  apostoliques,  et  comme 
ayant  été  fondé  par  l'Evangéliste  saint  Marc 3. 

André  Dandolo,  duc  de  Venise,  dans  ses  Chroniques  *,  assure  que  saint 
Marc,  arrivant  dans  un  des  faubourgs  d'Aquilée,  appelé  Murétana,  où  dans 
la  suite  on  construisit  une  église  en  mémoire  de  cet  événement,  annonça 
au  peuple  la  parole  de  Dieu,  la  confirma  par  des  prodiges  et  convertit 
ainsi  une  foule  innombrable  d'habitants.  On  en  cite  un  entre  plusieurs  au- 
tres. Un  jeune  homme  nommé  Arnulphe,  fils  d'Ulphus,  était  couvert  de  la 
lèpre,  et  demeurait  retiré  dans  le  faubourg  d'Aquilée  ;  saint  Marc  le  guérit 
et  le  rétablit  dans  une  parfaite  santé.  A  la  vue  de  ce  prodige,  Ulphus  se 
convertit  et  reçut  le  baptême  avec  toute  sa  famille. 

Les  Actes  cités  plus  haut  rapportent  que  la  ville  d'Aquilée  se  montra  si 
heureuse  et  si  flattée  d'avoir  été  honorée  de  la  visite  et  de  la  prédication 
d'un  tel  Apôtre  du  Fils  de  Dieu,  qu'elle  lui  construisit  une  chaire  d'ivoire, 
où  il  siégea  durant  quelque  temps,  et  particulièrement  durant  celui  où  il 
écrivait  son  Evangile.  Cette  chaire,  où  aucun  des  Pontifes,  ses  successeurs, 
n'a  osé  s'asseoir  depuis,  a  été  conservée  jusqu'à  nos  jours,  et  se  montre  en- 
core aujourd'hui  en  Italie. 

Parmi  les  fidèles  d'Aquilée,  il  s'en  trouva  un,  nommé  Hermagoras,  qui, 
en  peu  de  temps,  parvint  à  une  si  grande  perfection,  que  le  saint  Evangé- 
liste,  éclairé  du  Saint-Esprit,  prévit  aussitôt  qu'il  serait  digne  d'occuper  le 
sommet  du  sacerdoce.  Il  le  prit  pour  l'accompagner  lor»  de  son  retour  à 
Rome.  Il  l'amena  ensuite  en  présence  du  bienheureux  Pierre,  prince  des 
Apôtres.  Le  premier  pasteur  de  l'Eglise  le  revêtit  du  caractère  et  du  pouvoir 
sacerdotal,  l'élevaàla  dignité  pontificale  et  lui  confia  le  gouvernement  de 
l'Eglise  d'Aquilée.  Ce  fut  dans  cette  ville  qu'il  reçut  la  couronne  du  martyre, 
le  12  juillet,  avec  Fortunatus,  son  diacre,  et  qu'il  alla  jouir  auprès  de  Jé- 
sus-Christ, le  Prince  des  Pasteurs,  de  l'éternelle  béatitude  du  royaume 
céleste. 

Lorsque  saint  Marc  eut  accompli  en  Italie  l'objet  de  son  voyage,  il  reçut 
du  Prince  des  Apôtres  le  commandement  d'aller  prêcher  en  Afrique,  et  de 
là  à  Alexandrie,  capitale  de  l'Egypte  et  du  Midi,  afin  d'y  ériger  une  église 
principale  au  nom  du  Chef  de  la  chrétienté.  C'est  ce  qu'attestent  les  Actes 
de  saint  Marc,  les  décrets  du  papeGélase,  de  même  que  toute  la  tradition 
de  l'antiquité  5. 

Le  saint  Evangéliste  débarqua  vers  Cyrène,  dans  la  Pentapole.  Il  annonça 

1.  Tertull.,  ado.  Marcion.,  1.  iv,  c.  5.  —  2.  S.  Hier.,  ibid.,  c.  2. 

3.  Ughel.,  t.  v,  Italix  Sacrx;  Palladius,  de  Olivis,  1.  v;  Thon».,  archid.  Spalst..  Eist.  Spalat.,  c.  3. 

4.  Chron.,  1.  iv,  c.  1;  et  Ordéricus  Vitalis,  Eist.  ecclésiast.,  1.  Il,  c.  20,  p.  18?,  éd.  Migne. 

5.  Actus  Apost.  Alex.;  Gelasius,  in  décret,  de  lib.  apoc.;  F.useb.,  Epipli.,  Hiw.,  Eutych.,  t.  r,  p.  323; 
Beda,  S.  Petrus,  episc.  Alex.;  Sulp.  Severus;  Elmacin,  Abu'.phanige,  Enassal  el  p  usieurs  autres  auteurs 
orientaux,  tant  chrétiens  que  musulmans;  Hist.  P.  C.  Alexandrinorum. 


SAINT   MARC  l'ÉVANGÉLISTE.  19 

l'avénement  du  Christ  et  son  Evangile  dans  ces  vastes  régions  africaines, 
dans  la  Libye,  dans  la  Marraarique  (aujourd'hui  royaume  de  Barca),  dans  le 
pays  des  Ammonites,  dans  la  Thébaïde,  dans  la  Cyrénaïque,  dans  la  Nubie, 
une  partie  de  l'Ethiopie,  dans  toute  l'Egypte,  et  dans  les  régions  voisines  et 
limitrophes  l.  Il  y  avait  apporté  son  Evangile,  il  convertit  une  multitude 
innombrable  de  païens  ;  ces  misérables  esclaves  des  idoles,  ou  plutôt  des 
démons,  se  livraient  dans  leurs  temples  profanes  à  toutes  sortes  de  péchés, 
d'impuretés,  d'abominations.  La  puissance  ennemie  que  Notre-Seigneur 
Jésus-Christ  est  venu  combattre  et  détruire  à  son  avènement  sur  la  terre, 
les  portait  à  manger  des  viandes  immolées  aux  idoles,  et  à  commettre  toute 
espèce  de  crimes.  Saint  Marc,  arrivant  au  milieu  d'eux,  et  armé  de  la  divine 
parole,  guérissait  les  malades  et  les  infirmes,  rendait  nets  les  lépreux, 
chassait  un  grand  nombre  d'esprits  malins.  Le  spectacle  de  tant  de  miracles 
que  la  grâce  de  Jésus-Christ  Notre-Seigneur  opérait  par  son  Apôtre,  porta 
les  Africains  à  croire  au  Fils  de  Dieu.  En  conséquence,  ils  détruisirent  leurs 
temples  d'idoles.  La  hache  à  la  main,  ils  abattirent  leurs  bois  sacrés,  et, 
ayant  ainsi  donné  une  preuve  éclatante  de  leur  conversion  au  vrai  Dieu,  ils 
furent  baptisés  au  nom  du  Père,  du  Fils  et  du  Saint-Esprit. 

Dès  lors,  l'Evangile  de  ce  saint  disciple  de  Jésus-Christ  se  répandit  dans 
les  provinces  africaines  de  Tripoli,  de  Cyrène,  de  la  Pentapole,  de  la  Thé- 
baïde et  de  l'Egypte,  pays  alors  florissants  par  le  commerce,  l'industrie,  la 
fertilité  du  sol,  par  la  science  et  la  civilisation  romaine.  Ces  pays  continuè- 
rent de  jouir  des  bienfaits  du  Christianisme  pendant  sept  à  huit  siècles  d'in- 
violable attachement  à  la  foi  du  Christ.  Enfin  ils  retombèrent  dans  la  bar- 
barie après  que  l'hérésie  et  le  paganisme  eurent  repris  la  domination  dans 
ces  immenses  contrées.  Aujourd'hui  que  la  foi  y  est  éteinte,  on  n'y  voit 
partout  que  des  amas  de  montagnes  nues  et  abandonnées,  que  des  vallées 
stériles  et  presque  désertes.  —  Manifestement,  la  vie  s'en  est  retirée  avec  le 
Christianisme. 

Après  avoir  prêché,  pendant  environ  douze  ans,  dans  les  diverses  parties 
de  la  Libye,  dans  les  régions  Pentapolitaines,  dans  la  Marmarique  et  dans 
l'Ammoniaque,  il  résolut  de  porter  le  flambeau  de  l'Evangile  dans  la  Thé- 
baïde et  dans  l'Egypte  2,  selon  la  révélation  qu'il  en  avait  eue  du  Saint- 
Esprit.  Semblable  à  un  intrépide  athlète,  le  bienheureux  Evangéliste  saint 
Marc  se  mit  donc  en  marche  avec  une  grande  promptitude  pour  aller  livrer 
de  nouveaux  combats  aux  dieux  du  paganisme.  Il  fit  ses  adieux  aux  fidèles 
de  l'Afrique,  et  leur  dit  :  — Le  Seigneur  m'a  parlé,  et  m'a  donné  le  com- 
mandement de  partir  pour  Alexandrie.  Les  fidèles  le  conduisirent  jusqu'au 
vaisseau,  et,  après  avoir  mangé  avec  lui  le  pain  (eucharistique),  ils  le  quit- 
tèrent, en  lui  disant  :  —  Que  le  Seigneur  Jésus-Christ  rende  heureux  votre 
voyage  !  Le  saint  Evangéliste  pria  Dieu  de  conserver  ses  frères  et  de  les 
fortifier  dans  la  foi  jusqu'à  ce  qu'il  revînt  les  visiter.  Puis  il  partit  pour 
Alexandrie,  où  il  arriva  en  deux  jours,  dans  la  septième  année  de  l'empire 
de  Néron  (commencé  l'an  60  au  mois  d'octobre)  3.  Descendu  du  vais- 
seau, il  arriva  dans  un  lieu  nommé  Bennide,  à  l'entrée  de  la  ville.  Au  moment 
où  il  y  entra,  son  soulier  se  rompit.  A  cette  vue,  le  Saint,  éclairé  d'en  haut, 

1.  Ibid.  et  S.  Petr.  Alex.;  Ordericus  Vitalis,  Eist.  eccl.,  1.  h,  c.  20. 

2.  Eutychius;  Acta  S.  Marci;  Bède,  25  apr.;  Tillem.;  S.  Jérôm.,  de  vins  ill.,  c.  8;  Chronlcon  Orien- 
tale, ab  Ecchellertsi  oersum;  Boll.,  25  apr.;  Ordericus  Vitalis,  loc.  cit.;  Dom  Ceillier,  dans  son  Histoire  des 
auteurs  ecclésiastiques,  t.  ier,  p.  492,  et  la  plupart  des  écrivains  qui  se  sont  occupés  des  Actes  de  S.  Mare, 
font  observer  qu'on  ne  peut  douter  de  leur  antiquité,  et  qu'ils  contiennent  plusieurs  faits  véritables  de  la 
vie  de  snint  Marc,  consignés  dans  la  tradition  de  l'église  d'Alexandrie. 

S.  Ghron.  Orient,  ibid.  Tillemont. 


20  25  AVRIL. 

dit  :  —  Ma  marche  sera  désormais  plus  libre.  Il  aperçut  à  l'instant  un 
homme,  qui  s'occupait  du  métier  de  cordonnier  ;  il  lui  donna  sa  chaussure 
à  raccommoder.  Pendant  que  ce  dernier  s'occupait  de  cet  ouvrage,  il  se  fit 
une  large  blessure  à  la  main  et  s'écria  de  douleur  :  —  Unus  Deus  !  Ha,  mon 
Dieu  !  (Car  toute  la  corruption  de  l'idolâtrie  n'a  jamais  pu  empêcher  que,  dans 
les  occasions  imprévues  où  l'on  voit  mieux  paraître  les  mouvements  natu- 
rels, l'âme  des  païens  même  ne  parût  chrétienne,  dit  Tertullien,  en  recon- 
naissant un  seul  Dieu,  et  en  ne  s'adressant  qu'à  lui  seul.)  Aussi  cette  parole 
donna-t-elle  de  la  joie  à  saint  Marc,  et  lui  fit-elle  espérer  que  Dieu  l'assis- 
terait en  cette  rencontre.  —  En  effet,  dit-il,  Dieu  a  rendu  heureux  mon 
voyage.  Puis  s'adressant  à  Anianus,  le  cordonnier,  il  lui  parla  de  ce  Dieu 
unique  qu'il  avait  invoqué,  ainsi  que  de  Jésus-Christ,  par  le  pouvoir 
de  qui  il  lui  fit  espérer  de  le  guérir.  En  même  temps  il  fit  un  peu  de 
boue  avec  sa  salive,  en  mit  sur  la  plaie,  et  invoqua  le  nom  du  Sauveur, 
en  disant  :  —  Au  nom  de  Jésus-Christ,  fils  de  Dieu,  que  votre  main  reçoive 
la  guérison. 

Et  au  même  instant  la  main  d' Anianus  fut  guérie.  Le  cordonnier,  frappé 
à  la  vue  du  pouvoir  de  cet  homme,  et  de  la  prodigieuse  efficacité  de  sa  pa- 
role, considérant  d'ailleurs  l'extérieur  mortifié  du  Saint,  lui  dit  :  —  Je  vous 
conjure,  ô  homme  de  Dieu,  de  daigner  descendre  dans  la  maison  de  votre 
serviteur,  pour  y  prendre  votre  réfection  ;  car  aujourd'hui  vous  m'avez  fait 
éprouver  les  effets  de  votre  bonté.  Le  visage  du  bienheureux  Marc  parut 
joyeux  :  —  Que  le  Seigneur,  lui  dit-il,  vous  donne  le  pain  de  vie  descendu 
du  ciel  !  En  même  temps  Anianus  l'obligea  avec  une  double  violence  d'en- 
trer chez  lui. 

Lorsque  saint  Marc  entra  dans  la  maison,  il  dit  :  —  Que  la  bénédiction 
du  Seigneur  soit  ici  !  Prions,  mes  frères.  Tous  ceux  qui  l'accompagnaient 
se  mirent  alors  en  prières.  Après  qu'ils  eurent  rendu  grâces  au  Seigneur, 
Anianus  dit  à  l'Apôtre  :  —  Je  désire  connaître  d'où  vous  êtes,  et  de  qui  vient 
cette  puissante  parole  de  vie  dont  vous  nous  avez  parlé.  Marc  lui  répondit  : 
—  Je  suis  le  serviteur  du  Seigneur  Jésus-Christ,  le  fils  de  Dieu.  —  Je  serais 
très-désireux  de  le  voir,  reprit  l'homme  d'Alexandrie.  —  Je  vous  le  ferai 
voir,  repartit  saint  Marc.  11  commença  aussitôt  à  lui  faire  connaître  l'Evan- 
gile de  Jésus-Christ,  et  à  lui  montrer  comment  les  oracles  des  Prophètes 
s'étaient  accomplis  en  Jésus.  —  Quant  à  moi,  reprit  l'hôte  d'Alexandrie,  je 
n'ai  jamais  entendu  parler  des  Ecritures  dont  vous  nous  entretenez  ;  je  ne 
connais  que  l'Iliade  et  l'Odyssée  :  ces  deux  poëmes  tiennent  lieu  de  toute 
science  aux  yeux  des  Egyptiens.  Alors  saint  Marc  commença  à  lui  annoncer 
clairement  Jésus-Christ  et  à  lui  montrer,  de  même,  que  toute  cette  science, 
que  toute  cette  philosophie  (homérique  et  profane)  n'est  que  folie  aux  yeux 
de  Dieu. 

Après  avoir  écouté  attentivement  la  doctrine  du  bienheureux  Marc  et 
avoir  considéré  les  signes  miraculeux  et  les  éclatants  prodiges  qu'il  opérait, 
l'homme  d  Alexandrie  crut  en  Dieu,  et  fut  baptisé  avec  toute  sa  famille  et 
avec  une  grande  foule  de  personnes  du  même  endroit  (de  la  ville). 

Dans  tout  l'univers,  il  n'y  avait  point  de  pays  plus  livré  que  l'Egypte 
aux  superstitions  du  paganisme.  Dans  toute  l'antiquité,  l'Egypte  avait  été 
le  siège  de  l'empire  de  Satan,  le  principal  centre  du  culte  idolàtrique.  Mais 
les  temps  de  bénédiction  prédits  par  les  prophètes  étaient  eniin  arrivés  ;  et 
saint  Marc  fut  l'instrument  dont  Dieu  se  servit  pour  vérifier  les  prédictions 
de  ses  serviteurs.  En  peu  de  temps,  il  forma  à  Alexandrie  une  Eglise  très- 
nombreuse  ;  et  bientôt  le  nombre  des  chrétiens  s'y  multiplia  d'une  manière 


SAINT  MARC   L' EVANGÉLISTE.  21 

prodigieuse.  Et  saint  Marc,  comme  le  rapporte  Eusèbe1,  établit  plusieurs 
églises  dans  Alexandrie,  c'est-à-dire  qu'il  divisa  la  ville  en  cantons  ou  en 
paroisses,  suivant  notre  manière  de  parler  :  ordonnant  que  les  chrétiens  de 
chaque  canton  s'assembleraient  en  un  lieu  déterminé,  sous  la  direction 
d'un  prêtre  qui  en  serait  chargé,  pour  y  recevoir  les  sacrements  et  y  enten- 
dre la  parole  de  Dieu.  Cette  distribution  des  paroisses  d'Alexandrie  s'était 
conservée  et  s'observait  au  commencement  du  ive  siècle,  comme  le  rapporte 
saint  Epiphane  2.  Dans  la  plupart  des  autres  villes,  tout  le  peuple  se  réunis- 
sait en  un  même  lieu,  sous  la  présidence  de  l'évêque3. 

Les  progrès  du  Christianisme  dans  Alexandrie,  dans  les  villes  voisines  et 
dans  toute  l'Egypte  furent  si  étonnants  ;  le  nombre  des  Egyptiens  et  des 
Africains  convertis  fut  si  considérable,  du  temps  même  de  saint  Marc,  que 
l'on  peut  dire  que  ce  saint  Evangéliste  accomplit  littéralement  et  presque 
complètement  les  anciens  oracles  des  Prophètes,  qui  avaient  annoncé  la 
conversion  au  Messie  de  ces  riches  et  florissantes  contrées  *. 

Mais  les  puissances  infernales  ne  supportèrent  pas  le  spectacle  de  la  des- 
truction de  leur  règne  en  Egypte,  sans  opposer  la  plus  vive  résistance  à 
celui  qui  brisait  si  puissamment  leurs  forces.  Elles  excitèrent  les  âmes  de 
ceux  qui,  dans  Alexandrie,  restèrent  attachés  à  leurs  idoles  :  elles  les  soule- 
vèrent tumultueusement  contre  l'homme  de  Dieu.  «  Les  païens  de  la  ville  », 
est-il  écrit  dans  les  Actes  de  saint  Marc,  «  à  la  vue  de  la  multitude  de  ceux 
qui  croyaient  au  vrai  Dieu,  éclatèrent  en  murmures  contre  ce  Galiléen  qui 
était  venu  à  Alexandrie  pour  ruiner  les  sacrifices  des  dieux,  pour  empêcher 
leurs  cérémonies  et  leurs  solennités.  Ils  cherchèrent  donc  l'occasion  et  le 
moyen  de  le  mettre  à  mort,  et  ils  lui  tendirent  quantité  de  pièges. 

Or,  le  bienheureux  Marc,  connaissant  le  dessein  de  ces  païens,  crut  devoir 
se  retirer  pour  un  temps.  Avant  son  départ,  il  ordonna  pour  évêque  d'Alexan- 
drie saint  Anien,  et  avec  lui  trois  prêtres,  savoir  :  Melius,  Sabinus  et  Cerdon, 
et  sept  diacres,  puis  onze  autres  prêtres  pour  demeurer  avec  le  patriarche 
Anien  :  de  ce  nombre  on  devait  prendre  un  jour  celui  qui  succéderait  au 
patriarche  décédé. 

Cela  accompli,  le  saint  Evangéliste  reprit  le  chemin  de  la  Pentapole,  et 
arriva,  ajoute  Eutychius,  à  Barca,  ville  principale  de  cette  province  afri- 
caine. D'après  Eusèbe  5,  c'était  la  huitième  année  de  Néron,  et  la  soixante- 
deuxième  de  Jésus-Christ.  Saint  Marc  demeura  encore  deux  ans  dans  la 
Pentapole  ;  il  y  confirma  les  fidèles  qu'il  y  avait  laissés  avant  d'aller  en 
Egypte,  et  il  établit  des  évêques  et  d'autres  ministres  dans  ces  divers  pays 
d'Afrique.  Puis  il  revint  en  Egypte. 

1.  Euseb.,  1.  n,  c.  18.  —  2.  S.  Epiph.,  i.xix,  c.  1. 

8.  Un  grand  nombre  d'auteurs,  après  saint  Jérôme  et  Eusèbe,  veulent  que  les  Thérapeutes  ou  moines 
Juifs,  dont  l'historien  Philon  a  décrit  la  manière  de  vivre,  assez  semblable  à  celle  de  nos  ascètes,  fussent 
des  chrétiens  que  la  parole  de  suint  Marc  avait  poussés  a  embrasser  la  perfection  évangélique.  MgrFreppel, 
dans  son  Cours  d'éloquence  sacrée  (Clément  d'Alexandrie,  2«  leçon),  démontre  que  l'ouvrage  de  Philon 
date  de  sa  jeunesse  et  non  de  sa  vieillesse.  Or,  lorsque  Philon  était  jeune,  le  christianisme  n'avait  pas 
encore  été  prêché  à  Alexandrie  et  dans  l'Egypte.  Philon,  né  trente  ans  avant  Jésus-Christ,  aurait  eu 
quatre-vingt-dix  ans  lorsque  saint  Marc  arriva  a  Alexandrie,  vers  l'an  60.  Or,  dès  l'année  40,  il  avait  été 
envoyé  en  ambassade  auprès  de  Caligula,  pour  demander  à  ce  prince  sa  protection  contre  les  mauvais 
traitements  dont  les  juifs  étaient  l'objet  de  la  part  des  païens.  Il  est  à  supposer  que  l'ouvTage  qu'il  avait 
composé  pour  dédire  les  mœurs  pures  et  la  vie  contemplative  des  Thérapeutes  ou  serviteurs  de  Dieu, 
flgu:  ait  dans  son  bagage  d'apologiste  de  la  nation  et  de  la  religion  juive.  •  S'il  m'est  impossible  n,  continue 
Mgr  Freppel,  «  de  voir  des  chrétiens  dans  les  Thérapeutes  de  Philon,  je  me  hâte  d'ajouter  que  le  christia- 
nisme devait  trouver  un  accès  facile  auprès  d'une  classe  d'hommes  animés  de  pareilles  dispositions  *.  Ces 
bonnes  dispositions  expliquent  en  partie  le  succès  prodigieux  de  la  mission  de  saint  Marc. 

A.  Cf.  Isaïe,  xix,  18  et  suiv.;  xi/v,  14  j  xlvi,  18. 

6.  Ordericus  Vitalis,  Hist.  eccl.,  1.  il,  c.  30,  p.  182,  éd.  Migne. 


22  25  avril. 

A  sa  rentrée  1  dans  Alexandrie,  le  saint  Evangéliste  eut  la  joie  de  trouver 
les  fidèles  augmentés  en  foi  et  en  grâce,  de  même  qu'en  nombre.  Ils  avaient 
construit  une  église  ou  lieu  d'assemblée  dans  un  endroit  appelé  Bucoles, 
situé  près  du  rivage  de  la  mer.  Ravi  de  joie  à  la  vue  des  grands  progrès  du 
Christianisme,  il  se  mit  à  genoux,  et  rendit  gloire  à  Dieu.  Il  encouragea  les 
chrétiens  à  persévérer  ;  il  pria  pour  eux,  puis  il  se  retira.  L'auteur  de  la 
Chronique  Orientale  *  dit  qu'il  partit  pour  Rome,  et  qu'il  y  fut  présent  au 
martyre  de  saint  Pierre  et  de  saint  Paul. 

Il  revint  de  Rome  en  Egypte  et  à  Alexandrie,  où  il  vit  que  les  églises 
se  multipliaient  de  plus  en  plus  et  devenaient  tous  les  jours  plus  floris- 
sants. 

Mais  les  païens3  ne  pouvaient  plus  souffrir  les  grands  miracles  que  Dieu 
opérait  par  lui,  ni  supporter  plus  longtemps  les  railleries  que  les  chrétiens 
leur  faisaient  au  sujet  de  leurs  idoles,  devenues  alors  manifestement  impuis- 
santes devant  la  vertu  miraculeuse  du  saint  Apôtre.  Saint  Marc  chassait  ces 
fausses  divinités  des  lieux  où  elles  avaient  été  adorées  depuis  si  longtemps  : 
il  rendait  l'ouïe  aux  sourds,  la  vue  aux  aveugles,  la  santé  aux  malades.  A  la 
vue  de  tant  de  prodiges,  les  Gentils  crièrent  que  c'était  un  magicien.  Ils 
cherchaient  à  se  saisir  de  sa  personne,  sans  pouvoir  trouver  le  moyen  d'exé- 
cuter leur  désir.  Aussi  frémissaient-ils  d'envie  et  de  rage  ;  et  au  milieu  de 
leurs  spectacles  publics,  des  festins  et  des  fêtes  de  leurs  idoles,  ils  s'é- 
criaient :  —  Qu'elle  est  grande  la  puissance  de  cet  homme  4!  Dieu  voulut 
qu'ils  ne  pussent  le  découvrir,  et  que  son  serviteur  administrât  encore  cette 
église  durant  quelque  temps.  Mais  son  heure  était  enfin  arrivée.  C'est  pour- 
quoi un  jour  de  dimanche,  où  les  chrétiens  célébraient  leur  grande  fête  de 
Pâques,  et  les  païens  la  fête  de  leur  dieu  Sérapis,  le  vingtième  jour  du  mois 
Pharmuthi,  le  huitième  d'avant  les  calendes  de  mai,  c'est-à-dire  le  2-4  avril 
de  l'an  G8,  les  païens  se  réunirent  et  envoyèrent  quelques  gens  pour  s'em- 
parer de  la  personne  de  l'Apôtre  :  ces  hommes  le  trouvèrent  au  moment 
même  où  il  célébrait  la  prière  de  l'oblation  et  du  sacrifice.  Ils  se  saisirent 
de  lui,  lui  mirent  une  corde  au  cou,  et  le  traînèrent  en  criant  :  —  Traînons 
ce  buffle  à  Bucoles  !  (C'était  un  lieu  plein  de  roches  et  de  précipices,  situé 
sur  le  littoral  et  destiné  pour  nourrir  des  bœufs.) 

Pendant  qu'on  le  traînait  ainsi  depuis  le  matin  jusqu'au  soir,  et  que  l'on 
couvrait  la  terre  et  les  pierres  de  son  sang,  et  des  morceaux  de  chair  qui 
s'arrachaient  de  son  corps,  saint  Marc  bénissait  Dieu,  et  lui  rendait  des 
actions  de  grâces  de  ce  qu'il  l'avait  jugé  digne  de  souffrir  pour  son  saint 
nom.  Lorsque  le  soir  fut  arrivé,  ils  le  mirent  dans  une  prison,  en  attendant 
qu'il  eussent  délibéré  et  arrêté  le  genre  de  mort  qu'ils  lui  feraient  subir. 

Vers  le  milieu  de  la  nuit,  les  portes  étant  fermées,  et  les  gardes  étant 
endormis  devant  les  portes  de  la  prison,  il  se  fit  un  grand  tremblement  de 
terre.  L'ange  du  Seigneur  venait  de  descendre  du  ciel.  Il  toucha  saint  Marc, 
en  lui  disant  :  —  Marc,  serviteur  de  Dieu  et  chef  des  ministres  du  Christ, 
qui  font  connaître  à  l'Egypte  les  très-saints  décrets  de  Dieu,  votre  nom  est 
consigné  dans  le  ciel  au  livre  de  vie,  et  votre  mémoire  ne  périra  jamais 
dans  ce  monde.  Vous  êtes  associé  aux  puissances  célestes,  elles  vont  con- 
duire votre  âme  dans  les  cieux,  où  vous  entrerez  en  participation  du  repos 
éternel  et  de  la  lumière  impérissable  du  royaume  de  Dieu. 

Cette  vision  consola  le  bienheureux  Marc.  Il  éleva  ses  mains  vers  le  ciel 

1.  Acta  B.  Marci,   apud  Boll.,  ibid.,  p.  34S;  Eutj-ch.,  p.  335;  Pears,  in  Ign.,  t.  ier,  p.  179;  Tillero., 
t.  11,  p.  104. 

2.  Clnon.  Orient.,  p.  110.  —  8.  Ibid.  —  4.  Magna  vishujus  viri! 


SAINT  MARC  t'ÉVANGÉLISTE.  23 

et  dit  :  —  Je  vous  rends  grâces,  Seigneur  Jésus- Christ,  de  ce  que  vous  ne 
m'avez  point  abandonné  et  de  ce  que  vous  m'avez  compté  au  nombre  de 
vos  Saints.  Je  vous  conjure,  ô  Seigneur  Jésus-Christ,  recevez  mon  âme  dans 
votre  paix,  et  ne  permettez  pas  que  je  sois  jamais  séparé  de  vous,  ô  Sauveur 
plein  de  grâce  et  de  miséricorde. 

Quand  il  eut  fini  cette  prière,  le  Seigneur  Jésus-Christ  se  présenta  à  lui 
dans  la  même  forme  et  avec  le  même  extérieur  qu'il  avait  durant  sa  vie 
mortelle,  lorsqu'il  était  avec  ses  disciples,  avant  sa  Passion.  Saint  Marc,  qui 
était  du  nombre  de  ses  soixante-douze  premiers  disciples,  le  reconnut  aus- 
sitôt. Le  Seigneur  lui  dit  :  —  La  paix  soit  avec  vous,  Mar",  notre  Evangé- 
liste  !  —  Mon  Seigneur  Jésus-Christ  !  répondit  le  Martyr.  L  Jésus  disparut. 
Le  lendemain  matin,  les  païens  se  rassemblèrent,  le  tirèrent  de  la  prison, 
lui  mirent  une  seconde  fois  une  corde  au  cou ,  et  le  traînèrent  comme  le 
jour  précédent,  en  disant  :  —  Traînez  le  buffle  à  Bucoles  !  Saint  Marc,  pen- 
dant qu'on  le  traînait  de  la  sorte,  remerciait  Dieu,  et  en  môme  temps 
implorait  sa  grande  miséricorde  :  —  Seigneur,  disait-il,  je  remets  mon 
esprit  entre  vos  mains.  Et  en  prononçant  ces  paroles,  le  bienheureux  Evan- 
géliste  rendit  l'esprit. 

Il  consomma  son  martyre  le  vingt-cinquième  jour  d'avril  de  l'an  68  de 
Notre-Seigneur  Jésus-Christ.  C'est  en  ce  jour  que  l'Eglise  latine  et  l'Eglise 
grecque,  de  même  que  les  Egyptiens  et  les  Syriens,  célèbrent  sa  fête. 

Tout  le  monde  sait  que  l'attribut  principal  de  saint  Marc  est  le  lion, 
parce  qu'il  commence  son  Evangile  par  le  récit  de  la  prédication  de  saint 
Jean  dans  le  désert.  Le  plus  souvent,  ce  lion  est  ailé,  parce  que  dans  le  lan- 
gage de  l'Ecriture  et  la  pensée  de  la  liturgie,  les  animaux  ne  sont  que  des 
symboles  mystiques,  incorporels.  En  sa  qualité  d'écrivain  inspiré  autant 
que  de  secrétaire  de  saint  Pierre,  on  place  une  plume  dans  la  main  de  saint 
Marc  et  un  livre  devant  lui.  Cette  qualité  de  secrétaire  de  saint  Pierre  l'a 
fait  choisir  pour  patron  par  les  notaires  et  les  greffiers.  Les  verriers  et 
vitriers  ont  fait  le  môme  choix,  probablement  parce  que  l'industrie  du  verre 
a  surtout  fleuri  à  Venise  et  dans  ses  possessions.  Or,  chacun  sait  que  Venise 
était  placée  sous  la  protection  de  cet  Evangéliste,  et  qu'aujourd'hui  encore 
on  dit  pour  désigner  un  beau  morceau  de  verre  :  glace  de  Venise. 

On  l'invoque  contre  Yimpénilence  finale  et  la  gale.  Le  miracle  opéré  par 
saint  Marc  sur  saint  Ànien  pourrait  aussi  expliquer  pourquoi  les  professions 
qui  exposent  aux  coupures  ont  choisi  l'Evangéliste  pour  patron. 

RELIQUES  DE  SAINT  MARC  ;  —  SON  ÉVANGILE  ;  —  SES  SUCCESSEURS. 

Les  païens  ne  furent  pas  satisfaits  après  lui  avoir  ôté  la  vie.  Ils  entreprirent,  de  plus,  de 
brûler  son  corps  en  un  lieu  appelé  les  Messagers,  ou  les  Anges  l.  Ils  le  traînèrent  donc  île  Bu- 
coles jusqu'à  cet  eûdroit.  Mais,  par  un  merveilleux  effet  de  la  Providence  de  Dieu  et  de  notre 
Sauveur  Jésus-Christ,  il  s'éleva  2  un  vent  violent,  suivi  d'une  grande  tempête,  qui  déroba  aux 
hommes  la  lumière  du  soleil,  lit  éclater  la  foudre,  et  fondre  sur  le  lieu  de  tels  torrents  de  pluie, 
que  plusieurs  habitations  s'écroulèrent  et  que  plusieurs  personnes  périrent  dans  l'inondation.  Saisis 
de  crainte,  ceux  qui  gardaient  le  corps  sacré  l'abandonnèrent  alors  et  prirent  la  fuite.  D'autres 
tournèrent  la  ebose  en  dérision  et  dirent  :  «  Notre  dieu  Sérapis,  au  jour  de  sa  fête,  a  voulu  voir 
cet  homme  ». 

Alors  des  hommes  religieux  recueillirent  le  corps  inanimé  du  Juste,  et  le  transportèrent  au  lieu 
appelé  Bucoles,  où  ils  avaient  accoutumé  de  s'assembler  pour  prier  avec  lui,  et  l'enterrèrent  en 

1.  Ad  Angelos. 

2.  Chron.  Orient.,  p.  110;  Boll.,  25  apr.;  Chron.  Alex.,  p.  594;  Combefis,  Act.,  p.  212;  Acta  S.  Pétri 
Alex..  OHericus  Vitalis,  toc.  cit. 


94  25  AVRIL. 

cet  endroit,  du  cité  de  l'Orient,  dans  un  lieu  creusé  dans  le  roc,  près  d'une  vallée  où  il  y  avait 
plusieurs  tombeaux.  Il  est  marqué  qu'ils  l'y  ensevelirent  avec  les  cérémonies  du  pays,  en  y  joi- 
gnant la  prière  et  les  autres  honneurs  funèbres. 

Le  corps  de  saint  Marc  était  encore  conservé  et  vénéré  à  Alexandrie  »  au  vin6  siècle,  quoique 
la  ville  fût  alors  sous  la  domination  des  Mahométans.  Il  y  reposait  dans  la  terre  sous  un  tombeau 
de  marbre,  devant  l'autel  d'une  église  qu'on  trouvait  à  droite  en  entrant  dans  la  ville  du  côté  de 
la  terre,  hors  de  la  porte  Orientale  2.  Il  y  avait  là  un  monastère,  qui  subsistait  encore  avec  l'é- 
glise en  870.  Vers  l'an  815,  sous  l'empire  de  Léon  l'Arménien  3,  le  corps  du  Saint  en  fut  enlevé 
et  transporté  à  Veii'se.  Les  Bollandistes  nous  donnent  une  histoire  de  cette  translation.  On  y  voit 
plusieurs  miracles  opérés  par  la  puissance  de  la  médiation  de  saint  Marc,  les  matelots  délivrés 
d'un  naufrage,  le  corps  sacré  lançant  du  milieu  du  navire  des  rayons  de  lumière  et  se  manifestant 
ainsi  à  ceux  qui  ignoraient  le  secret  de  l'équipage,  les  incrédules  punis  et  les  possédés  soustraits 
lux  atteintes  des  esprits  malins. 

Le  cardinal  Baronius ,  après  avoir  rapporté  la  relation  de  la  translation  du  corps  de  saint 
Marc,  ajoute  que  les  Vénitiens  l'avaient  placé  dans  un  endroit  tout  à  fait  secret,  afin  que  les  Français, 
ou  d'autres  peuples,  ne  vinssent  point  l'enlever  de  leur  ville. 

Depuis  1837,  il  repose  sous  le  maitre-autel  de  l'église  qui  porte  son  nom  et  qui  est  la  principale 
de  Venise.  Cette  ville  a  choisi  saint  Marc  pour  son  principal  patron;  elle  a  dans  ses  armes  un. 
lion  avec  ces  mots  :  Pax  tibi,  Marce,  Evangelista  mil  c'est-à-dire,  Marc,  mon  Evangéliste,  que  la 
paix  soit  avec  toi! 

On  croit  généralement  que  saint  Marc  a  écrit  son  Evangile  en  grec.  On  en  conserve,  dans  le 
trésor  de  la  basilique  de  Saint-Marc,  à  Venise,  une  traduction  latine,  manuscrit  très-ancien  et 
devenu  complètement  inutile,  tant  il  est  détérioré. 

On  agite  une  foule  de  questions  touchant  ce  manuscrit.  Est-ce  l'original  de  saint  Marc  ?  Est-il 
en  grec  ou  en  latin?  etc.  Au  lieu  de  les  résoudre  avec  Mabillon,  Montfaucon,  Scipion  Maffeî, 
nous  avons  cru  plus  expéditif  de  nous  adresser  directement  au  conservateur  du  trésor  de  saint 
Marc.  Voici  la  traduction  française  de  sa  réponse  écrite  en  italien  : 

Renseignements  exacts  sur  l'exemplaire  de  l'Evangile  de  saint  Marc,  consei~vé  dans  le  trésor 
de  la  basilique  Saint-Marc,  à  Venise. 

Cet  exemplaire  existe  réellement,  et  comprend  les  cinq  premiers  cahiers  de  l'Evangile  de  saint 
Marc  ;  les  deux  derniers,  détachés  de  cet  exemplaire,  sont  gardés  dans  la  cathédrale  de  Saint-Vito, 
à  Prague. 

C'est  par  erreur  qu'on  croit  cet  exemplaire  écrit  de  la  main  de  l'évangéliste  saint  Marc;  il  n'est 
qu'une  copie  que  l'on  estime  être  du  vie  siècle. 

Il  est  écrit  en  latin  et  en  lettres  onciales. 

Il  est  tellement  détérioré  par  l'humidité,  que  le  papier  membraneux  sur  lequel  il  est  écrit,  est 
réduit  en  une  espèce  de  pâte  :  un  seul  feuillet,  moins  endommagé,  est  conservé  entre  deux  verres. 
On  n'aperçoit  plus  que  de  légères  traces  d'écritures. 

Les  premiers  renseignements  que  l'on  a  sur  cet  exemplaire  remontent  à  615.  A  cette  époque, 
il  était  gardé  dans  le  monastère  de  Saint-Jean  de  Timave,  en  Frioul.  On  sait  que  plus  tard,  en 
1085,  il  était  dans  le  monastère  de  Bélinèse,  et  qu'à  la  fin  du  xin8  siècle,  ou  au  commencement 
du  xive,  il  passa  à  la  cathédrale  d'Aquilée. 

Il  faisait  partie  d'un  volume  qui  renfermait  les  quatre  Evangélistes.  Charles  IV,  empereur, 
venu  en  Italie,  eu  demanda  une  portion  :  on  lui  fit  don,  le  3  novembre  1357,  des  deux  derniers 
cahiers  contenant  la  fin  de  l'Evangile  de  saint  Marc.  Les  cinq  autres  cahiers,  contenant  le  reste 
de  ce  même  Evangile,  ont  été  transportés  à  Venise,  en  1420,  de  Cividale,  où  ils  étaient  depuis 
deux  ans. 

Aujourd'hui  donc,  la  portion  de  ce  volume  qui  comprend  les  Evangiles  de  saint  Matthieu,  de 
saint  Luc  et  de  saint  Jean,  se  conserve  à  Cividale,  ville  de  Frioul;  ce  qui  reste  des  cinq  premiers 
cahiers  de  l'Evangile  de  saint  Marc  est  à  Venise,  et  Prague  possède  les  deux  derniers. 

Outre  son  Evangile  et  la  part  qu'il  peut  avoir  eue  à  la  première  Epitre  de  saint  Pierre,  les 
Syriens  disent  *  que  c'est  saint  Marc  qui  a  traduit  le  Nouveau  Testament  en  leur  langue.  Nous 
avons  aussi  sous  son  nom  une  liturgie  dont  se  servent  encore  aujourd'hui  les  Egyptiens.  Elle  est 
intitulée  :  La  Divine  liturgie,  ou  Messe  du  saint  Apôtre  et  Evangéliste  Marc,  disciple  de 
saint  Pierre.  Elle  commence  par  ces  mots  :  «  Nous  vous  rendons  grâces,  ô  Seigneur,  notre  Dieu  ». 

Elle  respire  une  grande  piété,  une  foi  vive,  et  un  sentiment  profond  de  la  présence  de  Dieu. 
Elle  rappelle  plusieurs  des  grands  faits  du  Nouveau  Testament,  les  miracles  des  Apôtres  et  la  plu- 
part de  nos  dogmes  catholiques.  En  voici  un  passage  : 

«  Seigneur  Jésus-Christ,  notre  Dieu,  qui  avez    choisi  les  douze  Apôtres,  et  qui  les  avez  en- 

1.  BoU.  25  apr.,  p.  853.  et  Bed.  (an.  815).  —  2.  Mabil.,  de  Bened.,  t.  in.  —  3.  Baron.,  820,  n.  23,  50. 
4.  Corn,  à  Lap.,  in  Matth..,  p.  41. 


SAINT  PHÉBADE.  ÉVÊQUE  D'AGEN.  ^5 

toyés  comme  douze  astres  dans  l'univers,  pour  éclairer  les  hommes,  pour  prêcher  et  enseigner 
l'Evangile  de  votre  royaume,  pour  guérir  parmi  les  peuples  toutes  les  maladies  et  toutes  les  in- 
firmités; qui  avez  soufflé  sur  eux  en  leur  disant  :  «  Recevez  le  Saint-Esprit  consolateur.  A  qui- 
conque vous  remettrez  les  péchés,  les  péchés  seront  remis...  »;  soufflez  ainsi  sur  nous,  vos  servi- 
teurs, à  ce  moment  où  nous  entrons  dans  votre  sanctuaire,  pour  accomplir  l'œuvre  par  excellence 
du  ministère  sacré...  » 

Nicétas  le  Paphlagonien,  et  plusieurs  autres  auteurs,  attribuent  à  saint  Marc  cette  liturgie,  bieo 
qu'ils  reconnaissent  que  plusieurs  choses  y  ont  été  ajoutées  dans  la  suite. 

Anien,  disciple  de  saint  Marc,  fut  son  successeur  sur  le  trône  patriarcal  d'Alexandrie.  Sa  fer- 
veur et  sa  capacité  déterminèrent  saint  Marc  à  l'établir  évèque  d'Alexandrie,  durant  son  absence. 
Il  gouverna  cette  église  quatre  ans  avec  saint  Marc,  et  près  de  dix-neuf  ans  après  sa  mort,  selon 
que  le  rapporle  la  Chronique  Orientale.  Saint  Anien  mourut  l'an  86,  le  dimanche  26  de  novembre. 
Le  martyrologe  romain  marque  sa  fête  le  25  d'avril,  avec  celle  de  saint  Marc.  Eusèbe  dit  l,  en 
parlant  de  lui,  que  «  c'était  un  homme  fort  aimé  de  Dieu  et  admirable  en  toutes  choses  ».  Saint 
Epiphane  2  dit  qu'une  église  fut  fondée  à  Alexandrie  sous  son  invocation.  On  la  voyait  au  iv»  siècle. 

Son  successeur  fut  saint  Mélien.  C'est  le  premier  des  trois  prêtres  que  saint  Marc  avait  or- 
donnés à  Alexandrie.  Les  Constitutions  apostoliques 3  disent  qu'il  fut  consacré  évêque  par  saint  Luc. 

Ce  fut  dans  le  vi»  siècle  que  les  patriarches  d'Alexandrie  donnèrent  dans  l'erreur  d'Eutychès, 
qui  enseignait  qu'il  n'y  a  qu'une  nature  en  Jésus-Christ.  Quoiqu'ils  fassent  profession  d'anathéma- 
tiser  Eutychès  et  Apollinaire,  ils  ne  reconnaissent  néanmoins ,  dit-on,  qu'une  seule  nature  en  Jésus- 
Christ,  et  assurent  que  le  Verbe  a  pris  un  corps  parfait  auquel  il  s'est  uni  sans  altération,  sans 
mélange  et  sans  division,  en  une  seule  nature  et  une  seule  personne.  Ils  n'ont  aucune  autre  erreur 
tur  les  autres  points  de  la  religion.  L'Eglise  des  Jacobites  est  fort  étendue.  Le  patriarcat  d'A- 
lexandrie comprend  dans  sa  juridiction  les  églises  de  Syrie,  d'Ethiopie,  d'Abyssinie,  d'Arménie,  de 
Mésopotamie. 

Les  relations  d'Ethiopie  nous  apprennent  que  l'empereur  David  envoya  des  ambassadeurs  au  pape 
Clément  VII,  pour  lui  prêter  obéissance  ;  que  le  pape  Pie  IV  y  députa  André  Oviédo,  jésuite ,  sous 
l'empereur  Claude,  fils  de  David;  et  que  Gabriel,  patriarche  d'Alexandrie,  envoya  en  1595,  au  pape  Clé- 
ment VIII,  son  ambassadeur  et  deux  religieux,  pour  l'assurer  de  son  obéissance  et  de  la  volonté 
qu'il  avait  de  réunir  toute  son  église  au  Saint-Siège,  fondé  par  saint  Pierre.  Ces  députés  recon- 
nurent l'Eglise  romaine  pour  mère  de  toutes  les  églises. 

Depuis  cette  solennelle  profession  de  foi  catholique ,  une  grande  partie  des  Jacobites  ou 
Cophtes  est  réunie  à  l'Eglise  romaine,  et  l'autre  partie  semble  demeurer  séparée. 

Outre  la  vie  du  saint  Evangéliste  que  nous  avons  donnée,  il  en  existait  encore  une  autre  que  les  Bol- 
landistes  trouvent  moins  ancienne  et  moins  fidèle.  La  première  existait  dès  le  nie  et  le  ive  siècle.  Pro-. 
cope,  diacre,  au  commencement  du  vu»  siècle,  et  Nice'tas  David,  qui  vivait  au  ixe  siècle,  ont  fait  16 
panégyrique  de  saint  Marc.  Leurs  discours  sont  conservés  parmi  les  écrits  des  Anciens. 

Acta  Sanctorum,  traduction  de  M.  Maistre,  Bist.  des  soixante-douze  disciples;  le  Père  Cahier,  Carac- 
téristiques; Freppel,  Clément  d'Alexandrie. 

Tous  les  martyrologes  font  mémoire  de  saint  Marc,  et  généralement  tous  les  auteurs  de  YEistoire 
ecclésiastique. 


SAINT  PHÉBADE,  appelé  en  Gascogne  SAINT  FIARI,  évêque  d'agen 
(vers  la  fin  du  ive  siècle). 

Ce  fut  vers  le  milieu  du  ive  siècle  qu'on  éleva  Phébade  sur  le  siège  épiscopal  d'Agen,  seconde 
ville  d'Aquitaine.  11  se  montra  toujours  très-zélé  pour  la  défense  de  la  consubstantialité  du  Verbe, 
ce  qui  parut  surtout  dans  son  attachement  inviolable  à  saint  Hilaire  de  Poitiers.  Il  ne  se  contenta 
pas  de  rejeter  la  seconde  formule  de  foi  dressée  à  Sirmium  par  les  Ariens  et  souscrite  par  le  cé- 
lèbre Osius  en  358  ;  il  prit  aussi  la  plume  pour  en  montrer  tout  le  venin,  et  empêcha  par  là 
qu'elle  ne  fût  reçue  dans  l'Aquitaine.  Nous  avons  encore  son  ouvrage.  On  y  remarque  beaucoup 
de  justesse  et  de  solidité  dans  les  raisonnements.  Les  subtilités  et  les  équivoques  des  Ariens  y 
sont  dévoilées,  et  la  doctrine  catholique  y  est  défendue  avec  force*. 

Dans  le  concile  de  Rimini,  qui  se  tint  en  359,  saint  Phébade  s'opposa  courageusement  aux 
efforts  de  l'hérésie  avec  saint  Servais  de  Tongres.  Il  est  vrai  que  ces  deux  évêques  se  laissèrent  à 

1.  Euseb.,  1.  il,  c.  25.  —  2.  Epiph.,  hxres.,  lxjx,  c.  2.  —  8.  Const.  up.,  1.  vu,  c.  46. 
4.  On  trouve  cet  ouvrago  dans  la  Dibl.  des  Père*,  t.  iv,  p.  400. 


26  25  AVRIL. 

la  fin  tromper  par  les  menées  artificieuses  d'Ursace  et  de  Valens,  et  qu'ils  admirent  une  proposi- 
tion captieuse  à  double  sens;  mais  ils  n'eurent  pas  plus  tôt  découvert  le  piège  qu'on  leur  avait 
tendu,  qu'ils  réclamèrent  hautement,  et  condamnèrent  tout  ce  qui  s'était  fait  à  Rimini  ».  Le  saint 
évêque  d'Agen  répara  sa  faute  par  le  zèle  qu'il  montra  pour  la  saine  doctrine  dans  les  conciles  de 
Paris  et  de  Saragosse  '. 

On  ignore  l'année  précise  de  sa  mort.  Il  vivait  encore  en  392,  lorsque  saint  Jérôme  écrivait  son 
Catalogue  des  hommes  illustres,  et  il  était  alors  extrêmement  âgé.  L'église  d'Agen  l'honore  le 
26  avril. 

L'Italie  a  toujours  mis  une  différence  entre  les  évèques  qui  souscrivirent  les  formules  de  Ri- 
mini et  ceux  qui  firent  une  si  courageuse  résistance  sous  l'inspiration  de  Phébade  et  de  Servais. 
En  voici  un  témoignage  authentique  et  flatteur.  Spon,  dans  ses  Voyages,  raconte  que  le  cardinal 
Spada  fit  dresser  une  colonne  dans  un  petit  village,  près  du  golfe  Adriatique,  en  mémoire  de  la 
protestation  des  évèques  catholiques  contre  les  couciliabules  de  Rimini.  Cette  colonne  est  dressée 
devant  l'église  Saint-Apollinaire,  paroisse  de  ce  village,  où  les  évèques  fidèles  vinrent  célébrer  les 
saints  Mystères  après  la  défection  du  plus  grand  nombre,  resté  en  possession  de  l'église  de  Rimini. 
Le  village  lui-même  prit  le  nom  de  Catholica. 

Les  reliques  de  saint  Phébade  furent,  dans  la  suite,  transportées  à  Périgueux,  puis  à  Venerques, 
dans  le  diocèse  de  Toulouse  :  elles  y  reposent  encore  dans  l'ancienne  église  d'une  abbaye  fondée 
par  Louis  le  Débonnaire.  Cet  édifice  est  remarquable  :  il  appartient  au  style  roman  et  parait  avoir 
été  bâti  au  xn«  siècle.  11  y  avait  autrefois  dans  Agen  une  église  dédiée  sous  son  invocation  :  il  y 
reste,  pour  tout  souvenir  de  lui,  une  rue  qui  porte  son  nom  populaire  de  saint  Fiari.  En  1653, 
cette  ville  s'était  placée  sous  sa  protection  pour  être  délivrée  du  fléau  de  la  peste.  En  mémoire  de 
ce  vœu,  les  autorités  de  la  ville  d'Agen  assistent  encore  toutes  les  années  à  la  messe  solennelle  de 
saint  Phébade  qui  se  célèbre  à  la  cathédrale  le  26  avril.  À  la  fin  du  xvn«  siècle,  le  séminaire 
diocésain  fut  construit  hors  des  murs  de  la  ville  et  placé  sous  le  patronage  de  saint  Phébade,  ce 
qui  recommande  assez,  dit  le  Propre  du  diocèse,  les  mérites  et  la  célébrité  du  patron. 

Voir  les  Annales  de  Baronins;  l'Histoire  du  diocèse  d'Agen,  par  M.  l'abbé  Barrère  et  M.  Salvan,  Hist. 
de  l'Eglise  de  Toulouse. 


SAINT  ERMIN,  ÉVÊQUE  RÉGIONNAIRE  (737). 

Ermin,  né  a  Erclie,  au  territoire  de  Laon,  de  parents  honnêtes  et  vertueux,  se  fit  remarquer 
dès  l'enfance  par  sa  piété  comme  par  son  intelligence.  Ses  vertus  croissant  avec  ses  années,  Madal- 
gaire,  évèque  de  Laon,  l'éleva  au  sacerdoce.  11  embrassa  ensuite  la  profession  monastique  sous 
la  discipline  de  saint  Ursmar,  abbé  de  Lobes,  dont  il  fut  le  disciple  et  le  compagnon.  S'il  aspirait 
à  surpasser  ses  frères,  c'était  uniquement  par  l'humilité  du  cœur,  l'austérité  de  la  vie  et  l'amour 
de  la  pauvreté  évangélique.  Lorsque  le  saint  Abbé  se  vit  arrivé  à  un  âge  très-avancé,  sachant 
combien  Ermin  était  apte  au  gouvernement  des  âmes,  il  le  désigna  pour  son  successeur,  à  la  sa- 
tisfaction de  tout  le  monde.  Pendant  qu'il  soutenait  dignement  le  fardeau  de  cette  fonction,  il 
reçut  le  caractère  épiscopal ,  comme  Ursmar,  et  après  lui  tous  les  abbés  de  Lobes  ;  mais 
il  n'obtint  aucune  juridiction  précise,  et  il  porta  la  lumière  de  l'Evangile  aux  peuples  circonvoi- 
sins  :  il  était  évèque  régionnaire.  Après  de  nombreux  travaux  entrepris  et  accomplis  pour  la  gloire 
de  Dieu,  il  en  alla  recevoir  la  récompense  le  25  avril  de  l'an  737.  Sa  mémoire  est  l'objet  d'une 
vénération  spéciale  dans  le  bourg  d'Erclie,  qui  a  pris  le  nom  de  Saint-Erme,  et  qui  s'honore 
beaucoup  de  son  patronage. 

Propre  de  Soisson». 

1.  Voir  saint  Hilaire,  frag.  11;  saint  Jérôme,  1.  iv  in  Lucifer,  n.  6;  Théodoret,  Hist.,  1.  n,  c.  17;  saint 
Sulpice  Sévère,  Hist.,  1.  il,  n.  16.  Dom  Rivet,  Hist.  littér.  de  la  Fr.,  t.  ier,  part.  2,  attribue  à  saint  Phé- 
bade un  savant  traité  contre  le  concile  de  Rimini,  qui  est  écrit  avec  autant  d'élégance  que  de  solidité. 
On  en  trouve  une  traduction  grecque  parmi  les  discours  de  saint  Grégoire  de  Nazianze.  C'est  le  qua- 
rante-neuvième discours  de  ce  Père.  Henri  Etienne  imprima  le  traité  de  saint  Phébade  contre  les  Ariens, 
à  Paris,  en  1570.  M.  Migne  l'a  reproduit,  d'après  Galland,  dans  le  tome  Lin  de  la  Patrologie,  et  y  a  joint 
Un  traité  de  Fide,  ainsi  que  la  réfutation  du  concile  de  Rimini  qu'on  lui  attribue. 

2.  Le  premier  se  tint  en  360.  et  le  second  en  380. 


MARTYROLOGES.  27 


XXVF  JOUR   D'AVRIL 


MARTYROLOGE  ROMAIN. 

s.  Rome,  la  naissance  au  ciel  de  saint  Clet,  pape,  qui  gouverna  l'Eglise  le  second  après  sain' 
Pierre,  et  fut  couronné  du  martyre  dans  la  persécution  de  Domitien  1.  77-83.  —  Au  même  lieu, 
saint  Marcellin,  pape  et  martyr,  qui,  sous  Maximien,  eut  la  tête  tranchée  pour  la  foi,  avec 
Claude,  Cyrin  et  Anlonin.  En  ce  temps-là,  la  persécution  fut  si  violente  que,  dans  l'espace  d'un 
mois,  dix-sept  mille  chrétiens  furent  couronnés  du  martyre.  295-304.  —  A  Amasée,  dans  le  Pont, 
saint  Basilée,  évèque  et  martyr,  qui  accomplit  un  glorieux  combat  sous  l'empereur  Licinius,  et 
dont  le  corps,  ayant  été  jeté  dans  la  mer,  fut  retrouvé  par  Elpidiphore,  d'après  l'avertissement 
d'un  ange,  et  enseveli  honorablement.  Vers  322.  —  A  Braga,  en  Portugal,  saint  Pierre,  premier 
évèque  de  cette  ville.  Ier  s.  —  A  Vienne,  saint  Clarence,  évèque  et  confesseur.  Vers  620.  —  A 
Vérone,  saint  Lucide,  évèque.  —  Au  monastère  de  Ceutule  (ou  de  Saint-Riquier),  saint  Riquier, 
prêtre  et  confesseur,  vu»  s.  —  A  Troyes,  sainte  ExupéraiNCE,  vierge.  380. 

MARTYROLOGE  DE  FRANCE,  REVU  ET  AUGMENTÉ. 

A  Besançon,  le  triomphe  de  saint  Vital,  martyr2.  —  A  Corbie,  le  décès  de  saint  Paschase 
Radbert,  abbé,  disciple  et  quatrième  successeur  de  saint  Adélard.  865.  —  Au  même  lieu,  saint 
Pracorde,  confesseur.  —  A  Soissons,  la  fête  de  saint  Ermin,  nommé  hier  au  martyrologe  romain. 

—  Au  diocèse  de  Meaux,  la  fête  de  saint  Authaire,  père  de  saint  Ouen,  décédé  à  Ussy-sur-Marne. 
Ce  village  de  la  Brie  l'a  choisi  pour  patron  et  l'honore  sous  le  nom  de  saint  Oys.  Vers  544. 

—  A  Agen,  la  fête  de  saint  Phébade,  dont  le  décès  est  marqué  le  25.  —  A  Dijon,  saint  Ber- 
thilon,  abbé  Je  Saint-Bénigne,  auquel  les  Normands  tranchèrent  la  tête.  La  piété  populaire 
l'invoquait  autrefois  contre  la  fièvre.  IXe  s.  —  A  Ajaccio,  la  fête  de  l'Apparition  de  Notre-Dame 

1.  Succession  des  premiers  Papes.  —  Voici,  d'après  le  Liber  Pontificalis,  la  succession  des  Papes  du 
premier  siècle  de  l'Eglise  : 

1*  Saint  Pierre  (33-66);  2'  Saint  Lin  (6G-67);  3°  Saint  Clément  1er  (67-76),  mort  en  exil  en  l'année 
100;  4"  Saint  Clet  (77-83)  ;  5#  Saint  Anaclet  (83-96);  6°  Saint  Evariste  (96-100);  T  Saint  Alexandre  1er 
(100-108),  etc. 

Le  Liber  Pontificalis  se  trouve  donc  ici  en  contradiction  avec  le  martyrologe  romain,  qui  dit  positivement 
que  saint  Clet  est  le  deuxième,  et  non  point  le  troisième  successeur  de  saint  Pierre,  et  il  semble  être 
aussi  en  désaccord  avec  la  liturgie  romaine,  qui,  dans  le  canon  de  la  Messe,  nomme  saiut  Clet  avant  saint 
Clément,  et  non  après  :  ce  désaccord  est  facile  à  expliquer  et  ne  diminue  point  l'autorité  de  ces  véné- 
rables documents. 

«  Le  Bon  des  Saints  qui  figurent  au  canon  de  la  Messe  y  a  été  Inséré  selon  l'ordre  chronologique  de 
leur  martyre.  Ainsi  le  diacre  saint  Etienne  y  est  nommé  avant  l'apôtre  saint  Mathias,  parce  que  le  mar- 
tyre de  l'illustre  diacre  précéda  celui  de  l'Apôtre.  Or,  il  en  fut  de  même  pour  saint  Clet,  martyrisé  sous 
Domitien,  en  83,  tandis  que  saint  Clément,  ayant  été  envoyé  en  exil,  se  déchargea  de  la  dignité  papale 
sur  saint  Clet,  et  ne  mourut  qu'en  l'année  100  de  notre  ère.  Le  nom  de  saint  Clet  dut  nécessairement 
précéder  celui  de  saint  Clément  sur  les  diptyques  sacrés  —  c'est-a-dire  les  tableaux  des  morts  —  et  par 
conséquent  au  Mémento  de  la  Messe.  De  la  une  interversion  plus  apparente  que  réelle,  et  qui  plus  tard, 
à  une  époque  où  le  sens  des  dates  consulaires  était  oublié,  détermina  sans  doute  les  rédacteurs  des  listes 
pontificales  et  des  martyrologes  à  mettre  leurs  catalogues  en  harmonie  avec  le  texte  des  prières  litur- 
giques ».  Nous  avons  dit  qu'il  y  eut  une  époque  oii  le  sens  des  dates  consulaires  ne  fut  plus  compris,  et 
nous  avons  souligné  notre  pensée.  En  effet,  il  n'y  a  pas  un  siècle  que  la  chronologie  consulaire  a  été  ré- 
tablie, qu'on  a  pu  faire  la  concordance  des  années  consulaires  avec  les  années  de  l'ère  chrétienne.  Or, 
cette  chronologie,  qui  a  été  restituée  et  fixée  par  la  science  moderne,  sans  qu'on  songeât  à  réhabiliter  le 
Liber  Pontificalis,  est  venue  précisément  justifier  toutes  les  données  de  cet  auguste  et  important  monu- 
ment. —  Voir  les  Origines  de  l'Eglise  romaine,  par  les  Bénédictins  de  Solesmes;  l'Histoire  de  l'Eglise 
par  M.  l'abbé  Darras,  t.  vi  (Pontificat  de  saint  Lin). 

3.  Les  Bollandistes  disent  que  c'est  le  même  qui  est  mentionné  le  28  evrll. 


28  26  avril. 

de  Bon-Conseil.  —  A  Ypres,  en  Belgique,  sainte  Valentine,  vierge  et  martyre,  dont  le  corps,  ap- 
porté de  Rome,  fut  autrefois  donné  aux  Carmélites  de  cette  ville. —  A  Sens,  saint  Emmon,  évêque, 
qui  offrit  la  plus  généreuse  hospitalité  à  saint  Adrien,  envoyé  de  Rome  en  Angleterre,  pour  y  ac- 
compagner saint  Théodore  de  Canlorbéry.  Il  fut  inhumé  dans  l'abbaye  de  Saint-Pierre  le  Vif,  où 
Ton  célébrait  autrefois  sa  fête  en  ce  jour.  658-675.  —  A  Valence,  saint  Jean,  évêque.  1145. 

MARTYROLOGES    DES    ORDRES    RELIGIEUX. 

Martyrologe  des  Camaldules.  —  La  fête  de  l'Apparition  de  Notre-Dame  de  Bon-Conseil. 

Martyrologe  de  Vallombreuse.  —  Fête  de  l'Apparition  de  Notre-Dame  de  Bon-Conseil. 

Martyrologe  des  Dominicains.  —  A  Besiano,  dans  le  royaume  de  Castille,  les  bienheureux 
Dominique  et  Grégoire,  de  notre  Ordre,  qui,  étant  en  voyage  pour  la  prédication,  furent  surpris 
par  une  violente  tempête,  et,  s'étant  mis  à  l'abri  sous  une  roche,  furent  écrasés  par  elle  dans  sa 
chute.  Les  habitants  de  la  contrée,  trouvant  miraculeusement  leurs  corps,  commencèrent  à  les  vé- 
nérer comme  Saints. 

Martyrologe  des  Augustins.  —  Dans  la  ville  de  Génestan,  diocèse  de  Préneste,  la  fête  de  la 
Bainte  image  de  la  bienheureuse  Vierge  Marie,  nommée  de  Bon-Conseil,  laquelle  apparut  miracu- 
leusement dans  une  église  de  notre  Ordre,  sous  le  pontificat  de  Paul  II,  et  est  en  grande  vénéra- 
tion à  cause  de  la  grandeur  et  de  l'éclat  de  ses  miracles,  qui  attirent  un  grand  concours  de  peuples. 

Martyrologe  des  Servites.  —  La  fête  de  Notre-Dame  de  Bon-Conseil. 

ADDITIONS   FAITES   d' APRÈS   LES  BOLLANDISTES  ET  AUTRES  HAGIOGRAPHES. 

Dans  le  Brisgau  (Allemagne),  saint  Trudpert,  martyr  et  solitaire.  Il  fut  mis  à  mort  par  des  ou- 
vriers qu'il  était  allé  évangéliser  l.  Après  l'an  642.  —  A  Foggia,  en  Calabre,  saint  Guillaume,  et 
saint  Pérégrin,  son  Sis.  Ils  étaient  d'Antioche,  et  vinrent  tous  deux,  après  divers  voyages,  ins- 
truire et  affermir  dans  la  foi  les  habitants  de  Foggia,  où  ils  moururent  et  dont  ils  sont  les  patrons. 
xii°  s.  —  A  Sienne,  la  bienheureuse  Alde  ou  Aldobrandesca,  veuve,  du  Tiers  Ordre  des  Humiliés. 
An  1309.  —  En  Toscane,  le  vénérable  Pierre  le  Teutonique,  ermite,  de  l'Ordre  des  Camaldules.  Il 
était  dans  sa  retraite,  lorsqu'il  vit,  emportée  au  ciel,  l'âme  du  souverain  pontife  Pie  II.  1472. 


SAINT  CLET,  QUATRIÈME  PAPE 

77-83.  —  Empereurs  :  Titus  et  Domitien. 


«  Romain  d'origine,  Clet  était  fils  d'Emilien.  Il  naquit  dans  le  quartier 
de  Palricius,  qui  faisait  partie  de  la  région  Esquiline,  non  loin  de  la 
demeure  sénatoriale  de  Pudens,  où  saint  Pierre  avait  demeuré.  Il  siéga  six 
ans,  un  mois  et  onze  jours,  durant  les  règnes  de  Vespasien  et  de  Titus, 
depuis  le  huitième  consulat  de  Vespasien  et  le  sixième  de  Domitien,  jus- 
qu'au neuvième  de  Domitien  et  à  celui  deRufus,  où  il  reçut  la  couronne  du 
martyre. 

«  Conformément  aux  règles  posées  par  le  bienheureux  Pierre,  Clet 
ordonna,  durant  le  mois  de  décembre,  vingt-cinq  prêtres  pour  la  ville  de 
Rome.  Il  reçut  la  sépulture  le  6  des  calendes  de  mai,  près  du  corps  de  saint 
Pierre,  au  Vatican.  Après  lui,  le  siège  demeura  vacant  pendant  vingt  jours  ». 

Telle  est  la  notice  que  le  Liber  Pontificalis  consacre  à  saint  Clet. 

1.  Un  seigneur  de  la  Haute-Alsace,  nommé  Othbert,  avait  donne  a  saint  Trudpert  une  partie  de  la 
forêt  Noire  à  défricher.  Cela  ne  faisait  probablement  pas  l'affaire  des  bûcherons  qui  le  massacrèrent 
Apres  sa  mort,  il  s'éleva,  non  loin  de  Staufen,  dans  une  vallée  riante,  un  couvent  de  Bénédictins  qui  de- 
vint très-célèbre  dans  la  suite.  Il  prit  le  nom  de  saint  Trudpert  ou  liupert.  La  chronique  le  dit  originaire 
d'Ecosse,  proche  parent  des  rois  de  France,  frère  de  saint  Robert,  évêque  de  Salzbourg  et  de  sainta 
Irintrude. 


SAINT  CLET,    QUATRIÈME   PAPE.  29 

Nous  pouvons  ajouter,  en  guise  de  commentaire,  que  la  date  de  l'élection 
de  saint  Clet  en  77  coïncide  avec  le  départ  de  saint  Clément,  son  prédéces- 
seur, pour  l'exil1. 

Le  pontificat  de  saint  Clet  fut  marqué  par  l'inauguration  du  Colysée, 
d'où  tant  de  martyrs  devaient  monter  au  ciel  ;  par  cette  fameuse  éruption 
du  Vésuve  qui  engloutit  les  deux  villes  de  Pompéï  et  d'Herculanum  ;  par  un 
incendie  formidable  qui  éclata  dans  Rome  et  qui  dura  trois  jours  et  trois 
nuits  ;  enfin  par  une  peste  terrible  qui  dépeupla  plusieurs  provinces  de 
l'Italie. 

Cette  invasion  de  la  peste  rendait  d'autant  plus  opportune  l'organisation, 
ou  tout  au  moins  la  réorganisation  des  vingt-cinq  titres  paroissiaux  qui, 
d'après  les  instructions  de  saint  Pierre,  devaient  se  partager  Rome  et  former 
comme  autant  de  diocèses  distincts  pour  l'administration  du  baptême  et 
de  la  pénitence,  en  faveur  des  païens  convertis  à  la  foi  *.  Les  Papes  ont  tou- 
jours fait  marcher  de  front  les  secours  spirituels  et  les  secours  temporels 
réclamés  par  les  misères,  les  infirmités  de  notre  pauvre  humanité.  Quelques 
années,  à  peine,  après  la  mort  de  saint  Pierre,  Clet  transforma  en  église  la 
maison  où  il  était  né  et  y  adjoignit  un  hospice  où  étaient  reçues  les  vic- 
times de  la  peste.  Telle  fut  l'origine  du  premier  hôpital  chrétien  :  elle  re- 
monte haut,  comme  on  le  voit. 

Cependant,  à  Titus,  les  délices  du  genre  humain,  et  qui  ne  versa  pas  une 
goutte  de  sang  chrétien,  avait  succédé  Domitien,  le  second  Néron.  Il  était 
digne,  dit  Eusèbe,  de  signer  l'édit  de  la  seconde  persécution  générale 
contre  les  chrétiens  :  saint  Clet  en  fut  la  première  victime.  Il  fut  martyrisé 
à  Rome,  le  26  avril  83,  et  ses  précieux  restes,  déposés  au  Vatican,  auprès  de 
ceux  de  saint  Pierre,  où  ils  reposent  encore 3. 

Le  passage  de  saint  Clet  sur  la  chaire  pontificale  a  laissé  dans  l'histoire 
de  l'Eglise  romaine  un  lumineux  et  un  profond  sillon.  Cela  n'a  pas  empêché 
les  historiens  et  les  hagiographes  français  de  citer  à  peine  son  nom  et  de 
laisser  ses  œuvres  dans  l'ombre  ,  —  ses  œuvres  qui  ont  survécu  jusqu'au 
siècle  dernier.  En  effet,  l'église  et  l'hôpital  fondés  par  lui  en  l'an  79,  après 
avoir  été  ruinés  et  reconstruits  plusieurs  fois,  ne  furent  définitivement  sup- 
primés qu'au  xvme  siècle.  Et  le  souvenir  de  sa  charité  s'était  conservé  si 
fidèlement  dans  la  «mémoire  des  Romains,  que  l'Institut  des  Crucifères  ou 
Porte-Croix  attachés  à  cet  hospice,  faisait  remonter  son  origine  jusqu'à  ce 
saint  Pontife. 

Ce  n'est  pas  tout  :  les  divers  Papes  qui  ont  dû  reconstituer  les  paroisses 
de  Rome  ou  établissements  destinés  à  l'administration  du  baptême  et  de  la 
pénitence,  se  sont  constamment  montrés  fidèles  à  la  tradition  apostolique 
de  saint  Clet  ;  ils  ont  maintenu  le  nombre  de  vingt-cinq  :  ainsi  ont  fait  saint 
Marcel  en  308,  et  Pie  V,  quinze  cents  ans  plus  tard.  Ce  nombre  déterminé 
par  saint  Pierre  lui-même,  n'était-il  pas  un  souvenir  des  vingt-quatre  séries 
sacerdotales  qui,  à  Jérusalem,  se  partageaient,  sous  la  direction  du  grand 
prêtre,  le  ministère  sacré  du  temple  ?  N'était-ce  pas  indiquer  que  le  pontifi- 
cat romain  succédait  au  pontificat  détruit  d'Aaron? 

On  sait,  en  outre,  que,  jusqu'à  la  destruction  du  temple,  ou  l'an  70, 
les  chrétiens  convertis  du  judaïsme  allaient  sacrifier  à  Jérusalem.  Saint 
Paul  lui-même  offrit  un  sacrifice  sanglant  au  temple,  dans  une  de  ses 
visites  à  la  ville  sainte  :  il  en  fut  ainsi  tant  que  la  prophétie  de  Jésus- 

1.  Voir  le  martyrologe  de  ce  jour  et  la  note  que  nous  y  avons  jointe. 

2.  Cf.  Notice  de  saint  Marcel,  d'après  le  Liber  Pontificalis,  an  808. 
S.  Voir  le  martyrologe  de  ce  jour  et  la  note  que  nous  y  avons  jointe. 


30  26  AVRIL. 

Christ  ne  fut  pas  accomplie  et  que  Y  abomination  ne  fut  pas  entrée  dans 
le  Saint  des  Saints.  Or,  saint  Pierre  n'ayant  pas  vu  la  destruction  du 
temple,  aura  ordonné  à  ses  successeurs  de  l'attendre  et,  quand  elle 
aurait  eu  lieu,  d'adopter  pour  Rome  l'organisation  sacerdotale  de  Jéru- 
salem. 

C'est  ce  que  semble  indiquer  le  Liber  Pontificalis,  quand  il  fait  remonter 
à  saint  Pierre  lui-môme  l'idée  de  partager  Rome  en  vingt-cinq  titres  parois- 
siaux. 

Saint  Clet  fut,  dit-on,  le  premier  qui,  dans  ses  lettres,  se  servit  de  ces 
mots  :  «  Salut  et  bénédiction  apostolique  »  ;  mais  ce  détail  est  contesté  et 
nous  ne  l'enregistrons  que  pour  mémoire. 

Il  est  l'un  des  patrons  de  Ruvo  dans  le  royaume  de  Naples.  La  tradition 
de  cette  localité  veut  qu'il  en  ait  été  le  premier  évêque:  cela  pourrait  fort 
bien  se  concilier  avec  ce  fait,  acquis  à  l'histoire,  que  saint  Pierre  le  nomma 
son  coadjuteur,  au  dehors  de  Rome,  comme  saint  Lin  l'était  au  dedans. 

Liber  Pontificalis  et  Histoire  de  l'Eglise,  par  Darras. 


SAINT  MARGELLIN,  PAPE  ET  MARTYR 

£95-304. —  Empereurs  :  Galère;  Maximien;  Dioctétien;  Constance  Chlore. 


Jésus-Christ,  qui  a  donné  aux  Pontifes  romains  Via-~ 
failllbilité  dogmatique,  ne  les  a  pas  rendus  impec- 
cables. Baronius. 

Marcellin,  romain  d'origine,  était  fils  de  Projectus.  Il  siégea  huit  ans, 
onze  mois  et  trois  jours,  depuis  la  veille  des  kalendes  de  juillet  (30  juin), 
sous  le  sixième  consulat  de  Dioclétien  et  celui  de  Constance  II  (293),  jus- 
qu'au neuvième  du  même  Dioclétien  et  le  huitième  de  Maximien  (304);  — 
époque  où  la  persécution  fut  si  grande,  qu'en  un  mois,  dix-sept  mille  chré- 
tiens de  tout  âge  et  de  tout  sexe  furent  égorgés  dans  les  diverses  provinces1. 
—  Marcellin  fut  traîné  à  l'autel  des  faux  dieux  pour  y  sacrifier  et  y  offrir  de 
l'encens.  Il  le  fit;  mais  quelques  jours  après,  touché  de  repentir,  il  parut 
de  nouveau  devant  Dioclétien,  confessa  courageusement  la  foi  et  eut  la  tête 
tranchée  avec  Claudius,  Cyrinus  et  Antonin.  Pendant  qu'on  le  conduisait 
au  supplice,  le  bienheureux  Marcellin  conjura  le  prêtre  Marcel  de  ne  pas 
céder  aux  instances  de  l'empereur.  Par  ordre  de  Dioclétien,  les  corps  des 
saints  martyrs  demeurèrent  trente-six  jours  sans  sépulture,  au  milieu  du 
forum,  pour  etlrayer  les  chrétiens  par  ce  lugubre  spectacle.  Enfin  le  7  des 
kalendes  de  mai  (26  avril  304),  le  prêtre  Marcel  vint  pendant  la  nuit,  avec 
les  autres  prêtres  et  les  diacres  de  Rome,  recueillir  ces  précieuses  reliques. 
Elles  furent  déposées  au  chant  des  hymnes  dans  la  catacombe  de  Priscille, 

sur  la  voie  Salaria,  dans  le  cubiculum que  le  Pontife,  après  sa  pénitence, 

avait  désigné  lui-même  pour  le  lieu  de  sa  sépulture,  à  côté  de  la  crypte  où 
reposait  le  corps  de  saint  Crescent.  Marcellin,  en  trois  ordinations,  au  mois 
de  décembre,  avait  imposé  les  mains  à  quatre  prêtres,  deux  diacres  et  cinq 

1.  Pour  avoir  une  idée  plus  complète  de  cette  épouvantable  persécution,  voir,  à  notre  table  chronolo- 
gique, les  biographies  des  Saints  et  des  Martyrs,  de  l'année  295  à  l'année  812;  la  vie  de  saint  Anthime 
«i-après,  et  l'article  Lacunce  dans  cet  ouvrage. 


SAIOT  MARCELLIN,   PAPE   ET  MARTYR.  31 

évêques  destinés  à  diverses  églises.  Après  lui,  le  siège  demeura  vacant  deux 
mois1. 

Ajoutons  quelques  mots  à  c0  uourt  récit  de  la  Chronique  des  Papes,  repro- 
duite par  le  Bréviaire  romain  :  L'Eglise  n'eut  jamais  plus  à  souffrir  qu'à  cette 
époque  terrible.  L'édifice  de  l'idolâtrie,  ruiné  peu  à  peu  par  les  chrétiens 
et  détruit  dans  quelques-unes  de  ses  parties,  était  prêt  à  s'écrouler  sur  ses 
fondements;  les  autels  profanes  manquaient  de  fleurs,  les  hiérophantes,  de 
victimes,  les  aruspices  ne  trouvaient  plus  dans  les  entrailles  les  signes  de 
l'avenir,  les  oracles  étaient  devenus  muets,  les  magiciens,  impuissants.  Dans 
un  tel  état  de  choses,  il  semblait  que  tous  les  dieux  des  ténèbres  tentaient 
leurs  derniers  efforts  contre  le  Dieu  de  la  lumière.  Dioclétien,  Maximien,  Ga- 
lérius  et  Maximin  furent  successivement  les  quatre  chefs  de  cette  entreprise 
infernale.  Galérius,  le  plus  furieux  de  tous,  avait  arraché  à  Dioclétien  la  fatale 
sentence  qui  ordonnait  cette  persécution  atroce,  universelle,  sans  trêve,  sans 
pitié.  Les  églises  furent  abattues  dans  presque  toutes  les  provinces  ;  les 
hommes,  les  femmes,  les  vieillards,  les  enfants,  les  vierges,  furent  livrés  aux 
bourreaux  ;  le  ciel  se  peupla  de  martyrs,  et  la  terre,  à  la  vue  d'un  tel  cou- 
rage, était  embrasée  de  tendresse  pour  le  catholicisme.  On  voulait  détruire 
la  religion  de  Jésus-Christ,  et  toute  cette  fureur  ne  servait  qu'à  élever  le 
trône  de  la  foi  sur  les  débris  du  paganisme. 

Les  Etats  soumis  à  Rome,  arrosés  du  sang  des  persécutés,  n'en  devinrent 
que  plus  féconds  en  rameaux  chrétiens.  Les  tourments  déchirèrent  les  corps 
des  martyrs;  mais  leurs  âmes,  embrassant  fermement  la  foi,  restèrent 
invulnérables  et  invincibles.  11  y  eut  cependant  un  grand  nombre  de  fidèles 
qui  se  laissèrent  gagner  par  les  menaces  et  les  promesses  des  païens. 

Or,  Marcellin  était  évêque  de  Rome  ■:  Urbain,  le  pontife  païen  du  Capi- 
tule, vint  le  trouver.  La  discussion  s'engagea  entre  eux  sur  la  question  de 
savoir  si  c'était  un  grand  crime  de  brûler  de  l'encens  en  l'honneur  des 
dieux.  Yotre  Christ,  dit  Urbain,  celui  que  vous  prétendez  le  fils  de  la  Vierge 
Marie,  ne  reçut-il  point  à  son  berceau,  l'or,  l'encens  et  la  myrrhe  que  lui 
présentaient  les  mages? 

Ces  mages  croyaient  honorer  ainsi  celui  dont  vous  avez  fait  votre  Dieu 
et  dont  vous  prêchez  la  résurrection.  Le  fait  de  brûler  de  l'encens  est  donc, 
même  d'après  votre  propre  croyance,  un  hommage  légitime  rendu  à  la 
divinité.  — L'évêque  Marcellin  lui  répondit  :  Les  mages  n'offraient  point 
leur  encens  à  une  idole  vaine.  En  le  déposant  aux  pieds  de  Jésus-Christ,  ils 
manifestaient  clairement  qu'ils  le  reconnaissaient  pour  le  Dieu  unique  et 
véritable.  —  Voulez-vous,  reprit  Urbain,  venir  un  de  ces  jours  aux  palais  de 
Dioclétien  et  Maximien,  nos  invincibles  et  très-cléments  empereurs?  En 
leur  présence,  je  répondrai  à  toutes  vos  objections  sur  ce  point.  —  Marcellin 
y  consentit.  Au  jour  fixé,  qui  était  celui  de  la  fête  païenne  de  Vulcain,  le 
pontife  du  Capitole  dit  à  l'évêque  :  Rédigeons  chacun  de  notre  côté  nos 
raisons  par  écrit,  et  nous  les  remettrons  aux  empereurs.  —  Ils  le  firent,  et, 
quand  ils  eurent  été  admis  à  l'audience  des  très-sacrés  princes,  Marcellin, 
l'évêque  de  Rome,  fidèle  à  sa  mission,  et  confessant  généreusement  le 
Christ  avec  intrépidité  :  Pourquoi,  disait-il  à  Dioclétien,  semer  l'univers  de 
deuil  et  de  carnage,  à  propos  du  culte  superstitieux  des  idoles?  Pourquoi 
forcer  tous  les  hommes,  sous  peine  de  mort,  à  brûler  de  l'encens  devant  des 
statues  muettes?  —  Urbain  l'interrompit  en  disant  :  Adressez-vous  à  moi, 

1.  Liber  Ponti/icalis. 

2.  Dans  ce  récit,  nous  allons  fondre  les  Actes  du   concile  de  Sinuesse  avec  la  Légende  du  Bréviaire 


32  26  avril. 

je  suis  prêt  à  vous  confondre.  N'est-il  pas  vrai  que,  sous  ce  terme  injurieux 
de  vaines  idoles,  vous  comprenez  le  dieu  Jupiter  et  l'invincible  Hercule  eux- 
mêmes?  N'est-ce  pas  ainsi  que  vous  blasphémez  la  majesté  de  Jupiter,  qui 
n'est  autre  que  le  ciel  uni  à  la  terre  et  aux  mers  dans  son  éternelle  alliance 
avec  Saturne?  Vous  êtes  pontife  comme  moi,  pourquoi  donc  n'offrez-vous 
pas,  ainsi  que  moi,  de  l'encens  à  la  majesté  divine?  —  Dioclétien  prit  la 
parole  :  Ne  poussez  point  cet  homme  à  bout,  dit-il  à  Urbain.  Rien  ne 
prouve  encore  qu'il  veuille  se  mettre  en  rébellion  contre  ma  puissance  et 
contre  la  majesté  des  dieux  immortels.  —  Or,  Dioclétien  parlait  ainsi,  parce 
que  Romanus  et  Alexandre,  deux  de  ses  confidents,  lui  avaient  dit  :  Si  vous 
réussissez  par  la  douceur  à  gagner  l'esprit  de  Marcellin,  toute  la  population 
de  Rome  obéira  à  vos  édits  et  consentira  à  sacrifier  aux  dieux.  —  S'adres- 
sant  donc  à  l'évêque,  Dioclétien  lui  dit  :  Je  reconnais  ta  sagesse  et  ta  pru- 
dence. Tu  es  peut-être  destiné  à  changer  eq  une  amitié  fidèle  la  haine  que 
je  portais  jusqu'ici  au  nom  chrétien.  Viens,  et  que  le  peuple  soit  témoin  de 
notre  réconciliation.  —  L'empereur  se  rendit  aussitôt  au  temple  de  Vesta 
et  d'Isis  ;  il  y  fit  entrer  l'évêque,  lequel  était  accompagné  de  trois  prêtres, 
Urbain,  Castorius,  Juvénal  et  de  deux  diacres,  Caïus  et  Innocent  :  ceux-ci 
ne  voulurent  pas  franchir  le  seuil  de  l'édifice  idolâtrique.  Ils  quittèrent  sur- 
le-champ  l'évêque,  et  par  conséquent  ne  virent  rien  de  ce  qui  se  passa  de- 
puis dans  le  temple.  Ils  coururent  au  presbytérium,  réuni  au  Vatican,  près 
de  l'ancien  palais  de  Néron,  et  racontèrent  le  fait.  A  cette  nouvelle,  une 
foule  de  chrétiens,  entre  autres  quatre-vingt-quatre  témoins  coururent  au 
temple  ;  ils  virent  Marcellin  jeter  l'encens  sur  le  trépied  et  recevoir  les  féli- 
citations de  l'empereur.  Or,  ces  témoins,  après  avoir  déposé  la  somme  d'ar- 
gent exigée  par  la  loi  de  tout  accusateur,  affirmèrent  avoir  vu  Marcellin 
offrir  de  l'encens. 

Un  synode  se  tint  à  Sinuesse,  en  Campanie,  dans  la  crypte  deCléopâtre; 
pénétré  de  douleur  à  la  pensée  de  sa  faute,  Marcellin  s'y  présente  couvert 
d'un  cilice.  Un  grand  nombre  de  témoins  furent  entendus  :  à  chaque  dépo- 
sition affirmative,  les  évêques  les  conjuraient  de  songer  à  la  portée  de  leurs 
paroles  et  ajoutaient  :  Vous  entendez,  Pontife,  jugez  maintenant,  car  vous 
ne  pouvez  être  absous  ni  condamné  que  par  vous-même.  Marcellin  siégeait 
à  la  tête  des  évêques,  car  il  était  tenu  pour  innocent  tant  qu'il  ne  se  serait 
pas  condamné  lui-même.  11  prit  donc  la  parole  et  dit  d'une  voix  distincte  : 
Je  n'ai  point  sacrifié  aux  dieux;  j'ai  seulement  laissé  tomber  quelques 
grains  d'encens  sur  le  trépied.  Les  évêques,  se  levant  alors,  dirent  aux 
témoins  :  Nous  n'avons  plus  besoin  de  vos  attestations  après  celle  qui  vient 
de  sortir  de  la  bouche  du  Pontife.  Ils  souscrivirent  donc  le  procès-verbal  de 
la  séance,  et  l'évêque  Quirinus  dit  à  Marcellin  :  Pontife  universel,  vous  avez 
blessé  tous  les  membres  de  l'Eglise.  Après  dix-huit  ans  d'un  sacerdoce  irré- 
prochable vous  avez  cédé  à  la  malice  de  Satan.  A  la  séance  du  lendemain, 
l'évêque  Gyriaque  dit  à  Marcellin  :  Jugez  enfin  dans  votre  propre  cause. 
Nous  attendons  votre  sentence  pontificale.  Le  Pape,  se  prosternant  alors  le 
front  dans  la  poussière,  s'écria  d'une  voix  entrecoupée  de  sanglots  :  J'ai 
péché  devant  Dieu  et  devant  vous  ;  je  ne  suis  plus  digne  du  rang  sacerdotal; 
je  me  suis  laissé  séduire  par  les  promesses  captieuses  de  l'empereur  !  Le 
prêtre  Helciade  dit  :  Il  est  justement  condamné  par  sa  propre  sentence, 
c'est  lui-même  qui  a  prononcé  l'anathème  qui  le  frappe,  car  nul  n'a  le  droit 
de  condamner  le  Pontife.  Le  premier  siège  n'est  jugé  par  personne!  — 
Quand  on  souscrivit  le  procès-verbal  de  cette  séance,  Marcellin  le  premier 
de  tous  signa  de  sa  main,    souscrivant  ainsi  sa  propre  condamnation. 


SiJNT  RIQUIER,   ABBÉ.  33 

Gomme  saint  Pierre,  en  frappant  sa  poitrine,  il  avait  aussi  obtenu  de  Dieu 
le  pardon  suprême.  Revenu  à  Rome,  il  alla  trouver  l'empereur  et  lui  repro- 
cha courageusement  de  l'avoir  entraîné,  malgré  lui,  à  un  acte  si  énorme 
d'impiété.  Pour  toute  réponse  l'empereur  le  fit  décapiter. 

La  légende  dorée  ajoute  que,  pour  se  punir  lui-même,  il  abdiqua,  et  qu'il 
fut  réélu  après  cet  acte  de  profonde  humilité. 

On  lui  donne  pour  attribut  le  fouet,  symbole  de  la  eensure  dont  il  fut 
frappé,  et  le  glaive  instrument  de  son  supplice. 

Sans  parler  du  Liber  Pontificalis,  nous  avons  emprunté  ce  récit  lo  au  Bréviaire  romain  ;  2°  aux 
Actes  du  concile  de  Sinuesse,  qui  se  trouvent  au  tome  vi  de  la  Patrologie  latine,  et  qui,  au  dire  du  sa- 
vant Père  Labbe  (coll.  des  Conciles,  t.  n),  sont  un  des  monuments  les  plus  vénérables  de  l'antiquité, 
dont  la  véracité  s'impose  à  l'esprit  par  une  simple  lecture;  qui  ont  été  unanimement  acceptés  par  toutes 
les  églises  et  insérés  dans  les  plus  anciens  martyrologes,  et  que  les  efforts  des  érudits  modernes  ne  peuvent 
pas  suffire  à  faire  regarder  comme  faux.  Godescard,  Tillemont,  Bossuet,  et  les  Allemands  de  nos  jours, 
héritiers  des  doctrines  plus  ou  moins  abandonnées  chez  nous,  rejettent  même  le  fait  de  la  chute  de  saint 
Marcellin,  pour  se  débarrasser  du  même  coup  des  Actes  de  ce  concile,  dont  la  doctrine  les  gêne.  —  Voir 
en  outre  Baronius  à  l'année  303,  n.  100-108,  qui,  après  avoir  contesté  l'authenticité  des  Actes  de  ce  con- 
cile dans  sa  première  édition,  a  cru  devoir  modifier  son  opinion  dans  la  seconde;  la  lettre  du  pape  Nicolas 
le  Grand  à  l'empereur  Michel,  dont  l'affirmation  absolue  nous  semble  devoir  trancher  la  question  (Pat. 
lat.,  t.  cxix),  car  si  saint  Augustin  nie  d'une  manière  tout  aussi  absolue,  il  le  fait  faute  de  renseigne- 
ments :  lui  qui  ignorait,  à  la  veille  d'être  fait  évêque,  que  le  concile  de  Nicée  eût  formulé  des  canons, 
pouvait  bien  ignorer  l'existence  du  concile  de  Sinuesse,  dont  les  Donatistes  se  faisaient  bien  à  tort  une 
arme  contre  l'Eglise  (livre  d'Aug.  contre  Pétilien  et  lettre  110);  les  premiers  Bollandistes,  qui  affir- 
maient la  chute,  tandis  que  Papebrock  la  niait;  Sommier  qui  l'admettait,  et  Noè'l  Alexandre  qui  la 
rejetait;  enfin,  l'intéressant  chapitre  consacré  par  M.  l'abbé  Darras  à  cette  question  dans  son  Histoire 
de  l'Eglise,  t.  vin. 


SAINT  RIQUIER,  ABBE 

645.  —  Pape  :  Théodore.  —  Roi  de  France  :  Clovis  U. 


Dieu  ne  laisse  jamais  une  bonne  action  san» 
récompense. 

Saint  Riquier  était  né,  sous  le  règne  de  Glotaire  II,  dans  un  bourg  du 
Ponthieu  dont  on  croit  que  son  père,  Alquier,  était  comte  ou  duc.  Son  en- 
fance n'est  pas  connue  :  le  fait,  qui  le  révèle  à  nos  regards,  est  la  touchante 
hospitalité  qu'il  accorda  à  deux  missionnaires  irlandais  ou  bretons,  débar- 
qués sur  les  côtes  de  Picardie  :  l'un  s'appelait  Caïdoc,  l'autre  Fricor.  A 
peine  avaient-ils  commencé  à  prêcher  l'Evangile,  qu'ils  se  virent  maltraités 
par  des  habitants  du  pays,  dont  un  grand  nombre  étaient  encore  idolâtres. 
Ils  auraient  été  obligés  de  s'éloigner,  si  le  jeune  Riquier,  touché  de  leur 
vertu,  ne  les  eût  recueillis  dans  sa  demeure  et  mis  à  l'abri  de  l'insolence  des 
païens.  Ce  dévouement  lui  mérita  le  don  de  la  vocation  à  l'apostolat.  En 
effet,  les  fréquents  entretiens  qu'il  eut  avec  ces  deux  missionnaires,  les 
exemples  de  leur  conduite,  leur  piété,  leur  zèle,  touchèrent  son  cœur  et  le 
déterminèrent  à  consacrer,  comme  eux,  sa  vie  à  la  prédication  de  l'Evangile. 
Il  commença  par  faire  une  confession  générale  de  ses  péchés,  qu'il  pleura 
amèrement;  puis  il  se  dévoua  à  Dieu  et  à  l'œuvre  de  sa  sanctification. 

Ordonné  prêtre  plus  tard,  saint  Riquier  parcourut  tout  le  pays,  répandant 

sur  son  passage,  avec  les  bienfaits  de  sa  charité,  la  bonne  nouvelle  du  salut. 

Puis,  rentré  dans  sa  demeure,  il  priait  et  se  livrait  à  d'autres  exercices  de 

piété.  Sa  nourriture  consistait  en  un  pain  d'orge  trempé  dans  l'eau.  Les 

Vies  des  Saints.  —  Tome  y.  3 


34  26  avril. 

pauvres,  les  étrangers,  les  veuves,  les  orphelins,  les  pèlerins,  tous  ressen- 
taient les  effets  de  sa  libéralité  et  de  son  amour  pour  Dieu. 

Un  dévouement  si  actif  et  si  généreux  ne  pouvait  se  renfermer  dans  les 
limites  d'une  province;  un  sentiment  intérieur  attirait  saint  Riquier  au-delà 
du  détroit,  comme  pour  lui  faire  rendre  à  l'Angleterre  (Bretagne)  le  bien- 
fait qu'il  en  avait  reçu.  Il  alla  donc  dans  cette  île,  où  il  gagna  un  grand 
nombre  de  pécheurs  et  d'idolâtres  à  Jésus-Cbrist.  Il  y  racheta  aussi  beau- 
coup de  captifs,  chrétiens  ou  païens,  et  leur  rendit  la  liberté,  comme  il 
l'avait  donnée  précédemment  à  tous  les  serfs  qu'il  possédait  lui-même  dans 
ses  terres  du  Ponthieu.  De  retour  en  France,  saint  Riquier  prêcha  la  foi  en 
diverses  contrées;  mais  le  manque  de  détails  ne  permet  pas  de  le  suivre 
dans  ses  courses  apostoliques.  On  remarque  cependant  ses  relations  avec 
saint  Adalbaud,  seigneur  de  Douai,  et  sainte  Rictrude,  son  épouse,  dont  il 
baptisa  le  premier  enfant,  saint  Mauront.  Un  biographe  ancien  rapporte 
qu'un  jour  saint  Riquier  étant  venu  dans  cette  religieuse  famille,  au  mo- 
ment du  départ,  tandis  qu'il  était  déjà  sur  son  cheval,  sainte  Rictrude  en- 
voya chercher  le  petit  Mauront,  afin  qu'il  reçût  une  dernière  bénédiction 
de  son  père  spirituel.  Comme  le  Saint  tenait  l'enfant  dans  ses  bras,  tout  à 
coup  le  cheval  s'effraie,  se  cabre ,  s'emporte  sans  qu'il  soit  possible  de 
le  retenir.  Rictn  de  était  éperdue,  et  tous  les  spectateurs,  effrayés;  on 
croyait  à  chaque  instant  que  l'enfant  allait  être  écrasé  et  le  Saint,  renversé. 
En  ce  moment,  saint  Riquier  adressa  du  fond  du  cœur  une  prière  à  Dieu, 
et  aussitôt  l'enfant  glissa  doucement  par  terre  sans  le  moindre  mal,  et 
l'animal  se  calma. 

En  même  temps  que  saint  Riquier  parcourait  les  provinces  du  Nord, 
annonçant  partout  la  parole  divine,  il  fondait  une  église  et  un  monastère 
pour  y  réunir  des  disciples  qui  demandaient  à  vivre  sous  sa  conduite.  C'est 
à  Centule,  non  loin  du  lieu  de  sa  naissance,  qu'il  établit  cette  commu- 
nauté ;  c'est  là  qu'il  se  reposait  des  fatigues  de  ses  missions  et  qu'il  recevait 
quelquefois  la  visite  des  puissants  du  monde.  Un  jour  que  Dagobert  était 
venu  dans  le  Ponthieu,  sur  l'invitation  pressante  d'un  seigneur  appelé  Gis- 
lemar,  il  voulut  voir  l'homme  de  Dieu,  dont  le  nom  était  répandu  au  loin. 
Il  se  rendit  auprès  du  saint  vieillard,  qui,  après  avoir  béni  le  roi,  lui  donna, 
avec  une  modeste  autorité  et  une  liberté  toute  évangélique,  des  conseils 
trop  rarement  entendus  des  princes.  «  Il  lui  rappela  qu'il  ne  devait  pas  s'en- 
orgueillir de  sa  puissance,  ni  espérer  dans  des  richesses  passagères,  ni 
s'élever  en  lui-même  par  les  vaines  adulations  des  flatteurs,  ni  mettre  sa 
joie  dans  des  honneurs  fragiles;  mais  plutôt  craindre  la  puissance  de  Dieu 
et  rendre  gloire  à  sa  majesté  suprême,  réputer  un  néant  cette  puissance  et 
cette  gloire  des  hommes  qui  passent  comme  une  ombre  légère,  et  s'éva- 
nouissent comme  l'écume  des  flots  que  le  vent  emporte  ».  Le  Saint  disait 
encore  au  monarque  «  qu'il  devait  surtout  se  rappeler  ces  paroles  des  di- 
vines Ecritures  :  Les  grands  du  monde  sont  exposés  à  endurer  de  plus 
grands  supplices,  et  Dieu  exigera  plus  de  celui  à  qui  il  a  plus  donné.  Que  si 
un  roi,  au  jour  du  jugement,  ne  pourra  qu'avec  peine  rendre  pour  lui- 
même  un  compte  favorable  au  Juge  suprême,  comment  pourra-t-il  le  faire 
pour  tant  de  milliers  d'hommes  qui  lui  ont  été  confiés  ?  Aussi,  prince,  con- 
tinuait saint  Riquier,  on  doit  plutôt  craindre  de  commander  que  d'obéir. 
Celui  qui  obéit  ne  rend  compte  à  Dieu  que  pour  lui-même;  celui,  au  con- 
traire, qui  commande,  rendra  compte  pour  tous  ceux  qui  lui  sont  soumis  ». 
Dagobert  reçut  bien  ces  sages  leçons  de  l'abbé  de  Centule,  et,  afin  de 
témoigner  l'estime  qu'il  avait  conçue  pour  lui,  il  l'invita  à  prendre  part  au 


SAINT  BIQUIER,    ABBÉ.  3o 

festin  que  lui  avait  préparé  le  comte  Gislemar.  Le  Saint  se  rendit  à  ce  ban- 
quet, où  sa  présence  et  ses  discours  firent  une  heureuse  impression  sur  tous 
les  convives. 

Cependant  l'âge  et  les  fatigues  avaient  considérablement  diminué  ses 
forces,  et  il  soupirait  après  une  solitude  plus  profonde,  où  il  pût  se  préparer 
à  la  mort.  Son  désir  fut  connu,  et  Dagobert  envoya  l'ordre  à  Gislemar  et  à 
un  autre  seigneur  du  pays  de  donner  à  l'homme  de  Dieu  un  endroit  conve- 
nable dans  la  forêt  de  Grécy.  C'est  là  qu'il  se  retira  avec  son  disciple  Sigo- 
bard,  après  qu'il  eut  confié  la  direction  de  son  monastère  à  Olciade,  reli- 
gieux prudent  et  d'une  grande  piété.  Dès  ce  moment,  saint  Riquier  se  livra 
tout  entier  à  la  méditation  des  choses  du  ciel.  Son  âme  était  comme  absor- 
bée en  Dieu,  et  malgré  la  faiblesse  de  son  corps,  il  sentait  parfois  renaître 
en  lui  la  force  et  la  vigueur  de  ses  jeunes  années.  Mais  bientôt  sa  retraite 
fut  connue  et  beaucoup  se  faisaient  transporter  auprès  de  lui  pour  être  gué- 
ris de  leurs  infirmités.  Des  aveugles,  des  sourds,  des  muets,  des  paralytiques, 
se  pressaient  autour  de  sa  cellule,  à  côté  des  grands  et  des  puissants  du 
siècle  qui  venaient  lui  demander  des  conseils.  Ainsi  le  Seigneur  se  plaisait 
à  environner  son  serviteur,  même  sur  la  terre,  de  respects  et  d'hommages, 
que  sa  mort  allait  encore  augmenter. 

En  effet,  la  fin  de  saint  Riquier  approchait,  et  Dieu  lui  en  donna  un  se- 
cret pressentiment,  qu'il  communiqua  à  son  disciple  Sigobard.  «  Mon  fils  », 
lui  dit-il  un  jour,  «  je  sais  que  ma  mort  n'est  pas  éloignée  et  que  bientôt 
je  verrai  mon  Seigneur,  après  lequel  je  soupire  depuis  longtemps.  Vous 
préparerez  un  cercueil,  selon  l'usage,  pour  renfermer  ce  faible  corps.  En 
même  temps,  mon  fils,  préparez-vous  vous-même  avec  le  plus  grand  soin, 
afin  que,  quand  le  jour  qui  approche  pour  moi,  arrivera  pour  vous,  il  vous 
trouve  bien  disposé.  Voilà  que  j'entre  dans  la  voie  de  toute  chair  :  puisse  le 
Sauveur  du  monde  être  miséricordieux  envers  moi  î  Qu'il  me  défende  au- 
jourd'hui de  l'ennemi  comme  il  m'en  a  défendu  autrefois,  et  qu'après  avoir 
été  mon  consolateur  dans  cette  vie,  il  soit  mon  éternel  rémunérateur  dans 
l'autre  !  »  En  entendant  ces  paroles,  Sigobard  fondit  en  larmes;  puis,  le 
cœur  oppressé  par  les  sanglots,  il  se  mit  en  devoir  d'obéir.  Il  coupa  dans  la 
forêt  le  tronc  d'un  arbre  et  le  disposa  pour  recevoir  le  corps  de  son  maître 
bien-aimé.  Le  travail  achevé,  il  plaça  dans  le  lieu  indiqué  ce  cercueil  arrosé 
de  ses  pleurs.  Il  ne  devait  pas  tarder  à  aller  le  reprendre.  La  maladie  faisait 
de  rapides  progrès,  et  elle  réduisit,  en  peu  de  temps,  le  vieillard  à  la  plus 
extrême  faiblesse.  Au  milieu  des  défaillances  de  la  nature,  son  âme  était 
toujours  élevée  vers  Dieu,  et  ce  fut  en  achevant  les  actes  de  sa  reconnais- 
sance et  de  son  amour,  après  avoir  reçu  la  sainte  Eucharistie,  qu'il  s'endor- 
mit dans  le  Seigneur,  le  26  avril,  vers  l'an  645. 

RELIQUES  DE  SAINT  RIQUIER. 

Son  corps  fut  d'abord  placé  dans  sa  petite  cellule,  qui  devint  plus  tard  l'abbaye  de  Foret-Mou- 
tier,  entre  Rue  et  Crécy;  mais  les  religieux  de  Centule  voulurent  avoir  auprès  d'eux  la  dépouille 
mortelle  de  leur  père,  et  ils  la  transportèrent  avec  honneur  dans  leur  monastère,  qui,  depuis  lors, 
a  pris  le  nom  de  Saint-Riquier.  Les  nombreuses  guérisons  qui  s'y  opéraient  attirèrent  les  peuples 
de  la  contrée,  et  rendirent  le  culte  du  Patron  de  plus  en  plus  célèbre  dans  le  Ponthieu,  dans  les 
provinces  voisines  et  par  toute  la  France.  Charlemagne  lui-même  visita  un  jour  c.e  tombeau,  qui 
fut  ouvert  en  sa  présence.  On  y  trouva  les  restes  du  Saint  Jans  le  même  état  qu'au  moment  de 
sa  mort,  et  l'empereur  les  fit  renfermer  dans  une  châsse  magnifique.  Plus  tard,  ce  corps  pré- 
cieux fut  transporté  en  différents  endroits  à  cause  des  ravages  des  Normands. 

Saint  Angilbert,  abbé  de  Centule  sous  le  règne  de  Chaiîeuiagne,  contribua  beaucoup  à  la  dé- 
coration du  lieu  où  reposait  saint  Riquier. 


36  25  ayuil. 

L'église  de  l'ancienne  abbaye  de  Saint-Riquier,  bâtie  sur  le  modèle  de  la  cathédrale  d'Amiens, 
sert  aujourd'hui  d'église  paroissiale.  On  y  voit,  dans  le  fond  du  second  chœur,  un  petit  tableau 
représentant  le  saint  patron.  Chique  année,  au  mois  d'octobre,  on  fait  en  son  honneur  une  pro- 
cession à  laquelle  les  habitants  de  la  ville  se  font  un  devoir  d'assister. 

Monsieur  l'abbé  A.  Leroux  nous  écrivait  en  1S63  : 

«  Les  reliques  de  saint  Riquier  sont  encore  à  Saint-Riquier  ;  elles  se  trouvent  dans  l'église  de 
la  paroisse,  renfermées  dans  deux  châsses,  dont  l'une,  contenant  !a  tête  du  saint  abbé,  est  placée 
sur  l'autel,  et  l'autre  contient  le  corps.  Si  vous  désiriez  d'autres  détails,  je  n'en  ai  pas  d'autres  à 
vous  donner  que  ceux  qui  se  trouvent  dans  le  Chronicon  Centulense  d'Hariulfe,  lequel  fait  partie 
du  spicilége  de  Dom  Luc  d'Achéry,  tome  n  ou  iv  selon  l'édition  ». 

Les  bâtiments  de  l'ancienne  et  splendide  abbaye  de  Saint-Riquier  sont  aujourd'hui  occupés  par 
un  petit  séminaire. 

L'Histoire  d'Abbeville  porte  que  ce  nom  ftAbbeville,  qui  signifie  Ville  de  l'abbé,  lui  a  été 
donné  parce  qu'elle  était  anciennement  du  domaine  de  l'abbé  saint  Riquier. 

Saints  de  Cambrai  et  d'Arras  ;  Notes  locales. 


SAINT  PASCÏÏASE  '  RADBERT,  ABBÉ  DE  CORBIE 

865.  —  Pape  :  Nicolas  Ier.  —  Roi  de  France  :  Charles  II,  le  Chauve. 

Radbert,  à  qui  l'on  donna,  ou  qui  prit  lui-même,  depuis,  le  nom  de 
Paschase,  naquit  dans  le  Soissonnais,  peut-être  même  dans  la  ville  de  Sois- 
sons,  sur  la  fin  du  vme  siècle.  Il  se  trouva  abandonné,  sans  ressource,  à  la 
mort  de  sa  mère,  qu'il  perdit  dès  sa  naissance,  ou  du  moins  étant  encore 
enfant.  Mais  les  religieuses  du  monastère  de  Notre-Dame  de  Soissons,  qui 
avaient  alors  pour  abbesse  Tbéodrade,  cousine  germaine  de  Charlemagne, 
se  chargèrent  de  pourvoir  à  sa  subsistance  et  confièrent  son  éducation  aux 
moines  de  Saint-Pierre:  notre  Saint  se  montra  plus  tard  très-reconnaissant 
de  ces  bienfaits,  et  il  dédia  plusieurs  de  ses  ouvrages  à  ses  mères  adoptives. 
Cet  enfant  fit  de  très-grands  progrès  dans  les  sciences  et  dans  la  piété.  Dès 
qu'il  eut  l'âge  requis,  il  reçut  la  tonsure,  ou  couronne  cléricale,  devant 
l'autel  de  la  sainte  Vierge  dans  l'église  du  couvent  de  Notre-Dame,  en  pré- 
sence des  religieuses.  Mais,  au  lieu  de  rester  attaché  au  service  de  cette 
é°li$e  il  entra  dans  le  monde,  on  ne  sait  pour  quel  motif,  ni  dans  quelles 
circonstances,  et  mena  la  vie  séculière. 

Il  regarda,  depuis,  cette  conduite  comme  une  grande  faute  qu'il  fallait 
expier  par  les  larmes  de  la  pénitence.  Radbert  reconnut  par  sa  propre 
expérience  les  dangers  du  siècle  :  craignant  de  s'y  perdre,  et  n'y  trouvant 
pas  de  quoi  satisfaire  les  désirs  de  son  cœur,  il  se  retira  encore  jeune  dans  le 
monastère  de  Corbie,  où  il  fut  bien  accueilli  par  le  saint  abbé  Adélard, 
frère  de  l'abbesse  de  Notre-Dame  de  Soissons,  sa  bienfaitrice.  Le  nouveau 
religieux  s'appliqua  à  l'étude  avec  tant  de  succès,  qu'en  peu  de  temps  il  fut 
jugé  digne  d'enseigner  aux  autres  les  lettres  divines  et  humaines.  Il  se  fit 
dès  lors  une  grande  réputation  par  son  éloquence,  sa  science  de  l'Ecriture 
et  des  Pères,  et  surtout  par  sa  vertu.  Son  humilité  égalait  sa  réputation  : 


1.  Pascliasius,  Pascharius,  Pâquier.  —  Ce  nom,  comme  Pâquette,  Paquot,  Pascal,  Pacaud,  etc.,  peut 
avoir  indiqué  jadis  un  enfant  venu  au  monde  le  jour  de  Pâques.  Nos  pères  choisissaient  souvent  le  jour 
de  la  naissance  comme  fête  patronale  ;  mais  en  suggérant  par  le  nom  même  du  nouveau-né,  une  inter- 
vention de  la  Providence  qui  semblait  désigner  ce  patronage  à  la  famille.  C'est  ainsi  que  l'on  transigeait 
entre  l'usage  païen  de  fêter  l'anniversaire  du  jour  natal  et  la  coutume  pieuse  de  célébrer  le  patron  donné 
à  l'enfant  dans  le  baptême.  P.  Cahier,  Caractéristiques,  page  946. 


SAINT  PASCHASE  RADBERT,  ABBÉ  DE  CORBIE.  37 

il  ne  put  refuser  l'ordre  du  diaconat,  mais  il  ne  reçut  point  le  sacerdoce 
dont  il  se  jugeait  indigne.  Il  signait  ses  lettres  :  Paschasius  Radbertus,levita, 
monachorum  omnium  peripsema,  c'est-à-dire  :  Paschase  Radbert,  lévite,  le  der- 
nier (la  balayure)  de  tous  les  moines. 

Un  si  rare  mérite  lui  gagna  l'estime  et  l'affection  d'Adélard  et  de  Wala, 
son  frère  et  son  successeur  dans  la  dignité  d'abbé.  Il  était  de  tous  leurs 
voyages  et  comme  l'âme  de  leur  conseil  dans  les  affaires  importantes.  En 
822,  ils  le  menèrent  avec  eux  en  Saxe,  pour  fonder  la  nouvelle  Corbie.  Louis 
le  Débonnaire  ne  l'estimait  pas  moins  :  il  l'employa  souvent  dans  les  affaires, 
publiques,  que  Radbert  sut  toujours  conduire  avec  une  grande  sagesse. 
Wala  étant  mort  en  835,  notre  Saint  écrivit  l'histoire  de  sa  vie,  qu'il  a  inti- 
tulée :  Epitaphe  d'Arsène.  Il  avait  déjà  raconté  la  vie  de  saint  Adélard,  vers 
830;  et,  en  831,  il  avait  composé  son  fameux  Traité  du  corps  et  du  sang  de 
Notre -Seigneur,  c'est-à-dire  de  l'Eucharistie,  à  la  prière  de  son  disciple 
Varin,  surnommé  Placide,  qui,  après  avoir  été  moine  dans  l'ancienne  Corbie, 
était  abbé  de  la  nouvelle.  C'est  un  monument  précieux  de  la  croyance  Ca- 
tholique sur  l'Eucharistie,  non-seulement  au  ix8  siècle,  mais  dans  tous  les 
siècles  précédents.  Paschase  Radbert,  dans  ce  traité,  enseigne  clairement  et 
fait  voir  que  l'Eglise  a  toujours  enseigné  principalement  trois  choses  :  Que 
l'Eucharistie  est  le  vrai  corps  et  le  vrai  sang  de  Jésus-Christ  ;  que  la  subs- 
tance du  pain  et  du  vin  n'y  demeure  plus  après  la  consécration;  enfin  que, 
dans  l'Eucharistie,  nous  recevons  le  même  corps  qui  est  né  de  la  Vierge 
Marie,  qui  a  souffert  sur  la  croix,  qui  est  sorti  du  sépulcre. 

Chargé  d'expliquer  publiquement,  selon  la  coutume,  aux  religieux  de 
Corbie,  le  saint  Evangile  les  dimanches  et  les  fêtes,  il  s'acquitta  de  cette 
noble  fonction  avec  tant  de  succès,  qu'on  le  pria  de  commenter  ainsi  tout 
l'Evangile  selon  saint  Matthieu.  Il  se  rendit  à  ces  vœux  et  composa  le  savant 
Commentaire  qu'il  nous  a  laissé  en  douze  livres.  Les  quatre  premiers  furent 
écrits  avant  844,  et  les  huit  autres,  après  l'an  851.  Le  Saint  y  analyse,  comme 
il  le  fait  toujours,  les  travaux  antérieurs,  et  principalement  ceux  de  saint 
Jean  Chrysostome,  et  combat  spécialement  les  erreurs  de  son  temps.  Il  eut 
grand  soin  de  s'appliquer  à  lui-même  les  belles  maximes  qu'il  tirait  du  texte 
sacré,  de  sorte  qu'il  fit  de  grands  progrès  dans  la  vie  spirituelle  :  il  résistait 
aux  tentations  et  se  relevait  de  ses  fautes  en  pratiquant,  chose  rare,  ce  qu'il 
prêchait  aux  autres.  Il  donna,  en  outre,  un  exemple  non  moins  utile  aux 
écrivains  qui  vivent  en  communauté  :  il  ne  travaillait  à  ses  ouvrages  qu'aux 
heures  qui  lui  restaient,  après  avoir  assisté  à  tous  les  exercices  du  monas- 
tère, parce  que  l'obéissance  est  plus  méritoire  aux  yeux  de  Dieu  que  l'étude, 
et  qu'on  ne  peut,  d'ailleurs,  se  mieux  préparer  à  écrire  sur  les  choses  divines 
qu'en  célébrant,  comme  les  anges,  la  gloire  de  Dieu,  en  la  méditant,  en  se 
mettant,  pour  ainsi  parler,  en  communication  avec  le  ciel.  En  844,  notre 
Saint,  quoique  simple  diacre,  fut  élu  abbé  de  Corbie,  après  la  mort  d'Isaac. 
Vers  le  même  temps,  il  publia  son  traité  de  Y  Enfantement  de  la  Vierge,  dédié 
aux  religieuses  de  Notre-Dame  de  Soissons  :  il  y  montre  que  Marie  a  enfanté 
Notre-Seigneur  d'une  manière  surnaturelle,  sans  cesser  d'être  vierge  *. 

1.  Rorhbacher  fait  très-bien  voir  que  Radbert  et  Ratramme,  autre  moine  de  Corbie  et  contemporain  da 
notre  Saint,  qui  écrivirent  tous  deux  à  la  même  époque  sur  l'Enfantement  de  la  Vierge  et  sur  VEucharistie, 
loin  de  se  combattre  l'un  l'autre,  enseignent  exactement  la  même  doctrine.  Il  relève  avec  beaucoup  d'à- 
propos,  mais  avec  une  rudesse  tout  à  fait  germanique,  l'erreur  dans  laquelle  Fleury  est  tombé  à  cette 
occasion.  Ce  dernier  pousse  la  délicatesse  française  et  moderne  un  peu  trop  loin,  quand  il  dit,  en  par- 
lant des  sujets  traités  par  Radbert  et  Ratramme  :  «  11  eût  mieux  valu  ne  point  agiter  ces  questions 
inutiles  et  indécentes  »,  et  il  fait  une  bévue  historique  quand  il  ajoute  :  «  Ces  savants,  élevés  grossiè- 
rement chez  les  Barbares,  n'avaient  plus  la  sagesse  et  la  discrétion  des  premiers  Docteurs  de  l'Eglise  ». 
Il  y  a  dans  les  Pères  de  l'Eglise,  dans  saint  Jean  Chrysostome  par  exemple,  des  questions,  des  images, 


38  26  avril. 

L'illustre  abbé  assista,  l'an  847,  au  Concile  de  Paris,  qui  combla  d'éloges 
le  monastère  de  Corbie,  pour  sa  régularité,  sa  prospérité,  et  lui  accorda  de 
grands  privilèges.  Il  se  trouva  aussi  à  l'Assemblée  de  Quierzy-sur-Oise  (8-49), 
où  Gotescalc  fut  condamné  pour  la  seconde  fois.  Etant  allé  à  Bazoches, 
dans  le  Soissonnais,  visiter  l'église  des  saints  martyrs  Rufin  et  Valère,  il  fut 
prié,  par  les  habitants  du  lieu,  de  repolir  l'histoire  (les  Actes)  de  ces  Saints, 
et  de  la  mettre  en  meilleur  style,  sans  rien  changer,  ni  pour  la  substance, 
ni  pour  l'ordre  des  faits.  Il  le  fit  très-volontiers,  persuadé,  disait-il,  «  que  la 
vie  des  Saints  ne  doit  pas  nous  être  moins  précieuse  que  leurs  reliques,  et 
que,  si  l'on  a  si  grand  soin  d'envelopper  dans  de  riches  étoffes  leurs  osse- 
ments sacrés,  on  doit  aussi  raconter  leurs  actions  dans  un  style  noble, 
également  éloigné  de  la  recherche  et  de  la  vulgarité  ».  Différentes  causes, 
comme  les  distractions  inséparables  de  l'administration  d'un  monastère, 
l'opposition  de  quelques-uns  de  ses  religieux,  firent  prendre  au  saint  abbé 
de  Corbie  la  résolution  d'abdiquer.  Sa  démission  ne  fut  acceptée  qu'en  851. 
Il  avait  été  puissamment  soutenu  dans  ses  peines  par  les  moines  de  Saint- 
Kiquier,  chez  lesquels  il  séjourna  quelque  temps,  et  par  son  ami  Loup, 
abbé  de  Ferrières,  qui  l'aida,  non-seulement  de  ses  conseils,  mais  de  son 
crédit,  auprès  du  roi  Charles  le  Chauve.  Rendu  à  lui-môme  et  à  l'étude, 
Radbert  reprit  ses  travaux  littéraires,  continua  ses  ouvrages  interrompus 
et  en  composa  de  nouveaux.  Il  joignait  la  prière  à  l'étude,  pleurant  sans 
cesse  ses  péchés  et  ceux  du  prochain.  Ce  fut  pour  s'entretenir  dans  ces  sen- 
timents de  componction,  qu'après  avoir  fini  ses  commentaires  sur  saint 
Matthieu  et  sur  le  psaume  XLive,  il  en  composa  un  sur  les  lamentations  de 
Jérémie,  dédié  à  Sévère,  son  ami,  dont  le  vrai  nom  était  Hildeman.  Dans  cet 
ouvrage,  comme  dans  quelques  autres  de  ceux  qu'il  a  écrits  vers  la  fin  de 
sa  vie,  il  déplore  les  désordres  de  son  temps,  les  vices  scandaleux  des  ecclé- 
siastiques et  des  religieux,  la  dissolution  des  mœurs  publiques  et  les  mal- 
heurs résultant  de  l'invasion  des  Normands.  Ne  respirant  plus  que  pour 
l'Eglise  et  pour  la  France,  il  signale,  il  pleure  les  calamités  qui  les  menacent, 
et  met  tout  en  œuvre  pour  les  conjurer.  C'était  un  grand  ennemi  de  l'égoïsme: 
il  s'oubliait  toujours,  il  s'abîmait  dans  son  humilité,  pour  ne  penser  qu'aux 
autres.  Ainsi,  quoiqu'il  eût  écrit  la  vie  de  ses  maîtres  Adélard   et  Wala,  il 
défendit  expressément  à  ses  disciples  d'écrire  la  sienne.  Ses  ordres  n'ont  été 
que  trop  scrupuleusement  exécutés.  Nous  n'avons  guère  aujourd'hui,  pour 
connaître  les  actions  d'un  si  grand  homme,  d'autres  ressources  que  ses 
propres  écrits.  Il  mourut  saintement,  vers  l'an  865,  le  jour  de  la  fête  de  saint 
Riquier,  pour  qui  il  avait  une  dévotion  toute  particulière.  Son  corps  fut 
inhumé  dans  la  chapelle  de  Saint-Jean  ;  mais,  en  1073,  il  fut  transféré  dans 
la  principale  église,  par  l'autorité  du  Saint-Siège,  qui,  à  cause  des  miracles 
opérés  à  son  tombeau,  le  mit  au  rang  des  Saints  que  l'Eglise  honore  dans 
le  cours  de  l'année.  On  possède  encore5  à  Corbie,  les  restes  presque  entiers 
de  saint  Paschase  Radbert. 

Outre  les  ouvrages  dont  il  a  été  parlé  dans  le  cours  de  ce  récit,  nous 
avons  encore  de  saint  Paschase  :  le  Traité  de  la  foi,  de  l'Espérance  et  de  la 
Charité  ;  quelques  Poésies  et  une  Lettre  qu'il  écrivit  au  roi  Charles  le  Chauve, 
en  lui  envoyant  le  Traité  du  corps  et  du  sang  du  Seigneur.  «  Il  ne  parle,  dans 
ses  ouvrages,  que  d'aprèe  l'Ecriture  et  les  Pères.  On  y  voit  qu'il  était  très- 
dès  expressions  qu'un  traducteur  ne  sait  plus  sous  quelle  forme  offrir  sans  scandale  aux  Français  du  xix« 
Siècle.  Autres  temps,  autres  meurs.  Ces  questions,  discutées  arec  convenance  et  mesure,  sont  a  leur 
place  dans  an  traite  théologique;  mais  a  la  page  i'29  du  deuxième  tome  de  la  Vie  des  Saints,  par  Rohr- 
bacher,  ell^s  nous  paraissent,  en  effet,  inutiles  et  indécentes. 


SAINT  GUILLAUME   ET   SAINT  PÉRÉGRIN,    SON   FILS.  39 

versé  dans  les  langues  grecque  et  hébraïque.  Son  style  est  toujours  appro- 
prié aux  matières  qu'il  traite. 

On  représente  le  bienheureux  Paschase  avec  une  monstrance  ou  osten- 
soir à  la  main,  pour  rappeler  le  zèle  avec  lequel  il  défendit  le  dogme  de 
l'Eucharistie. 

Il  nous  a  fallu  refaire  Intégralement  l'histoire  de  cette  Vie,  qui,  dans  le  Père  Giry,  se  réduit  a  un 
éloge  vague,  sans  récit.  (Voir  la  biographie  qui  précède  les  œuvres  du  Saint,  dans  la  Patrologie  d» 
M.  Migne;  Hngnes  Ménard,  dans  ses  notes  sur  le  martyrologe  bénédictin;  Dom  Ceillier;  les  auteurs  de 
Yffist.  litt.  de  France;  Mabillon,  etc.) 


SAINTE  EXUPÉRANGE,  VIERGE  (380). 

Née  à  Troyes,  Exupérance  se  distingua  de  bonne  heure  par  son  amour  pour  la  retraite  et  le  si- 
lence, et  ne  tarda  pas  à  concevoir  une  estime  particulière  pour  la  virginité.  L'âge  ne  fit  qu'aug- 
menter en  elle  le  désir  qu'elle  avait  dje  renoncer  à  toutes  les  alliances  humaines  et  de  consacrer  à 
Dieu  son  àme  et  son  corps. 

Cependant  le  tumulte  et  l'agitation  de  la  ville  troublaient  sa  ferveur;  elle  résolut  de  chercher 
un  lieu  solitaire  où,  loin  des  distractions  mondaines,  elle  pût  vaquer  plus  librement  à  l'oraison  et 
aux  bonnes  œuvres.  Déjà  les  religieux  de  Saint-Ursion,  établis  à  Isle  (Aumont),  répandaient  par- 
tout la  bonne  odeur  de  Jésus-Christ,  et  il  n'y  avait  qu'une  voix  pour  exalter  leur  vie  sainte  et 
mortifiée.  C'est  sous  la  sagesse  de  leur  direction  qu'Exupérance  alla  placer  sa  vertu.  Une  modeste 
cellule  déroba  aux  regards  profanes  le  secret  d'une  vie  sainte  passée  sous  l'œil  de  Dieu  et  de  sa 
conscience,  jusqu'à  ce  que  la  mort,  objet  de  ses  désirs,  lui  ouvrit  les  portes  de  l'éternel  séjour. 
Ce  fut  vers  l'an  380. 

Le  corps  de  la  vierge  troyenne  reposa  dans  l'église  dédiée  à  saint  Ursion,  et  n'en  fut  enlevé 
que  longtemps  après,  pour  être  transféré  à  l'abbaye  de  Monlier-la-Celle.  Ses  reliques  précieuses 
(le  corps  entier),  sont  aujourd'hui  (1872),  renfermées  dans  une  chasse  de  bois  doré,  exposée  à  la 
vénération  des  fidèles  dans  l'église  de  Sainte-Savine.  Un  de  ses  ossements  est  également  honoré 
dans  l'église  paroissiale  de  Saint-Mards-en-Othe. 

Notes  locales,  Defer. 


SAINT  GUILLAUME  ET  SAINT  PÉRÉGRIN,  SON  FILS  (xne  siècle). 

Saint  Guillaume  était  originaire  d'Antioche,  en  Syrie;  il  naquit  de  parents  très-riclies  qui  lui 
donnèrent  une  éducation  digne  de  son  rang.  Il  se  maria,  entra  au  service  de  l'Etat,  et  remplit  tous 
ses  devoirs  avec  la  plus  scrupuleuse  fidélité,  selon  le  véritable  esprit  du  christianisme,  l'esprit  de 
l'amour  et  de  l'obéissance  filiale  envers  Dieu. 

Quand  il  priait,  il  avait  le  recueillement  d'un  ange;  il  était  plein  de  respect  pour  la  religion  et 
ses  ministres;  tendre  et  bienfaisant  envers  les  pauvres  et  les  nécessiteux;  toujours  empressé  à 
venir  au  secours  de  ceux  qui  étaient  l'objet  de  persécutions  ou  de  vexations  injustes.  Quant  à  lui- 
même,  il  s'imposait  les  plus  grandes  mortifications,  et  il  était  tellement  résigné  à  la  volonté  de 
Dieu,  qu'il  semblait  avoir  entièrement  renoncé  à  la  sienne. 

Guillaume  avait  un  fils  nommé  Pérégrin,  à  qui  il  tâcha  d'inspirer,  par  la  plus  sévère  surveil- 
lance, les  principes  de  toutes  les  vertus  :  il  était  persuadé  que  rien  ne  serait  plus  efficace  à  cet 
égard  que  l'exemple  paternel;  aussi  son  fils  ne  tarda-t-il  pas  à  devenir  non-seulement  la  plus  douce 
consolation  de  ses  parents,  mais  aussi  un  modèle  de  véritable  piété. 

Après  la  mort  de  son  épouse,  Guillaume  résolut  de  renoncer  à  toutes  les  affaires  de  ce  monde, 
et  de  ne  se  consacrer  qu'au  Seigneur  et  au  salut  de  son  àme.  Le  père  et  le  fils  passèrent  ainsi 
plusieurs  années  dans  une  pieuse  union,  s'édifiant  l'un  l'autre  et  ne  s'occupant  que  des  moyens  de 
plaire  à  Dieu,  sans  s'inquiéter  des  choses  temporelles. 

Lorsque  Pérégrin  eut  atteint  l'âge  viril,  il  demanda  à  son  père  la  permission  de  faire  un  pèle- 
rinage à  Jérusalem  et  de  visiter  les  Saints  Lieux.  Après  avoir  fini  ses  dévotions,  il  demeura  encore 


40  26  AVRIL. 

quelque  temps  dans  la  Terre-Sainte  et  prit  du  service  dans  un  hôpital  pour  y  donner  gratuitement 
ses  soins  aux  malades.  Cependant  son  père,  qui  l'aimait  tendrement,  attendait  son  retour,  et  se 
voyant  toujours  trompé  dans  son  attente,  il  partit  lui-même  pour  Jérusalem,  afin  de  voir  encore  une 
fois  son  fils.  Mais  sa  santé  était  tellement  affaiblie  à  la  fin  de  son  voyage,  qu'il  se  vit  forcé  de 
demander  à  être  admis  dans  un  hôpital.  Dieu  voulut  que  ce  fût  précisément  celui  dans  lequel 
Pérégrin  s'acquittait  de  ses  devoirs  de  charité.  Le  père  ne  reconnut  pas  son  fils,  et  celui-ci  ne  se  fit 
connaître  que  lorsque  la  maladie  prit  un  caractère  sérieux.  Quelle  fut  alors  la  joie  du  père  lorsque, 
dans  ce  garde-malade  si  plein  de  soin  et  d'attentions,  il  vit  son  propre  fils.  Ils  s'embrassèrent  avec 
une  sainte  ardeur,  et,  bientôt  après,  ils  eurent  la  consolation  de  pouvoir  se  remettre  en  rouie  pour 
leur  patrie.  Ils  vendirent  à  Antioche  tout  ce  qu'ils  possédaient,  firent  un  second  voyage  à  Jérusa- 
lem, donnèrent  à  l'hôpital,  en  faveur  des  pauvres  et  des  malades,  le  produit  de  leur  vente,  et 
partirent  pour  l'Italie,  où  ils  s'établirent  dans  la  partie  du  royaume  de  Naples  qui  a  £U  appelée  la 
Capitanate.  Là  ils  exercèrent  sur  le  peuple  une  influence  salutaire  par  leurs  paroles  et  leur  con- 
duite, et  devinrent,  pour  un  grand  nombre,  un  instrument  de  salut.  Peu  de  temps  après,  le  vieil- 
lard, chargé  d'années,  tomba  malade,  et  mourut,  riche  en  vertus  et  en  mérites.  Ce  coup  fut  si 
sensible  à  Pérégrin  qu'il  ne  tarda  pas  à  suivre  son  père  dans  les  célestes  demeures.  Cette  mort 
arriva  dans  le  xn«  siècle,  et  c'est  le  26  avril  qu'on  les  honore  publiquement  l'un  et  l'autre  à  Foggia 
dont  ils  sont  les  patrons. 

Nous  avons  emprunté  cette  notice  biographique  aux  continuateurs  de  Godescard. 


SAINT  JEAN,  PREMIER  ABBÉ  DE  BONNEVAUX, 

ET  ÉVÉQUE   DE   VALENCE   (1145). 

Né  à  Lyon,  il  fut  d'abord  chanoine  de  la  cathédrale  de  cette  ville.  Ayant  fait  vœu  à  Dieu 
d'entrer  dans  l'Ordre  de  Citeaux,  il  s'en  laissa  quelque  temps  détourner  par  ses  amis.  Effrayé  de 
sa  faiblesse  plutôt  que  des  rigueurs  de  la  Règle  bénédictine,  il  crut  pouvoir,  de  son  propre  chef, 
commuer  un  vœu  qui  lui  semblait  impraticable  :  sur  cette  fausse  persuasion,  il  résolut  d'aller  en 
pèlerinage  au  tombeau  de  saint  Jacques  de  Compostelle.  A  peine  de  retour  à  Lyon,  Dieu  lui  fit 
connaître  son  erreur  dans  une  vision  menaçante.  Notre-Seigneur  se  présente  à  lui,  accompagné  de 
saint  Pierre  et  de  saint  Jacques.  Le  premier  tenait  à  la  main  un  livre  où,  parmi  les  noms  des  élus, 
il  prononça  celui  de  Jean.  Mais  Notre-Seigneur,  se  levant  en  courroux,  dit  à  saint  Pierre  :  «  Ef- 
facez ce  nom  du  livre  des  élus  ;  Jean  est  un  parjure  ».  Alors  saint  Jacques  se  jeta  aux  pieds  du 
Sauveur  et  s'écria  :  «  Grâce,  Seigneur,  pour  l'un  de  mes  plus  fervents  pèlerins...  II  est  vrai  que 
Jean  n'a  point  été  fidèle  à  sa  promesse  ;  mais  pardonnez-lui.  Effrayé  de  vos  menaces  et  touché  de 
vos  miséricordes,  il  accomplira  le  vœu  qu'il  a  fait  d'entrer  dans  l'Ordre  de  vos  enfants  de  Citeaux  ». 
A  ces  mots,  Jean  se  réveille,  se  jette  à  genoux  et  promet  de  faire  pénitence.  Sans  attendre  le 
lendemain,  au  milieu  des  ténèbres  mêmes  de  la  nuit,  il  se  dispose  à  partir  pour  Citeaux,  ne  don- 
nant, cette  fois,  avis  à  personne  de  sa  détermination. 

A  quelque  temps  de  là,  Jean  fut  mis  à  la  tête  de  la  colonie  que  Citeaux  envoya  à  Bonnevaux, 
près  de  Vienne,  en  Dauphiné  (1117).  C'est  lui  qui  eut  le  bonheur  de  recevoir  dans  les  bras  de  te 
religion  saint  Pierre  de  Tarentaise,  saint  Amédée  d'Ilauterives  J  et,  avec  ce  dernier,  dix-sept  autres 
gentilshommes  ;  de  fonder  les  abbayes  de  Tamié,  au  diocèse  de  Tarentaise,  de  Léoncel,  au  diocèse 
de  Valence,  de  Mansiade,  au  diocèse  de  Viviers. 

Or,  en  ce  temps,  le  siège  épiscopal  de  Valence  était  occupé  par  un  prélat  nommé  Eustache, 
dont  le  faste,  les  folles  dépenses  et  la  dureté  envers  les  pauvres  n'étaient  pas  d'un  évoque.  En 
vain  saint  Bernard,  crai  veillait  à  tout  dans  l'Eglise  de  Dieu,  lui  écrivit  une  lettre  sévère  ;  en 
vain  le  Pape  le  frappa  d'interdit  :  six  ans  s'écoulèrent  encore  pendant  lesquels  le  prélat  prévari- 
cateur se  maintint  par  la  force  dans  Valence.  A  la  fin,  le  peuple  se  révolta,  se  saisit  de  la  personne 
d'Eustache  et  le  chassa  pour  toujours  de  la  ville,  le  lendemain  de  Pâques  (1141).  Trois  jours  après, 
Jean,  que  les  évéques  de  la  province  de  Vienne  jugèrent  seul  capable  de  guérir  tant  de  maux,  fut 
arraché  des  bns  de  ses  religieux  et  porté  ea  triomphe  sur  le  siège  épiscopal  de  Valence. 

Nous  ne  suivrons  point  le  boa  pasteur  allant  à  travers  les  villes  et  les  hameaux,  chercher  la 

1.  Nous  donnons  ailleurs  la  vie  de  saint  Pierre  et  de  saint  Amédée. 


LA  BIENHEUREUSE  ALDA.  41 

brebis  égarée,  consoler  l'indigent,  rendre  à  chacun  la  justice.  Confoulens  vit  se  multiplier  l'argent 
de  son  aumônière  à  mesure  qu'il  le  distribuait  aux  pauvres,  et  les  pierres  de  Livron  servirent  aux 
partisans  d'Eustache  à  le  lapider  :  mais  le  Saint  ne  parut  pas  môme  s'apercevoir  de  cet  affront  :  il 
continua  sa  route  en  disant  :  «  Seigneur,  ne  leur  imputez  pas  cela  à  péché  ».  —  «  La  maison  où 
je  vous  parle  »,  disait-il  à  ses  officiers  de  justice  qui  se  plaignaient  de  sa  trop  grande  indulgence,  «  a 
vu  assez  de  rigueurs  et  de  violences  :  il  est  temps  que  nous  songions,  vous  et  moi,  que  nous 
sommes  hommes,  capables,  par  conséquent,  de  commettre  des  crimes  aussi  grands  que  ceux  que 
nous  voudrions  punir  dans  les  autres  avec  tant  de  sévérité  ».  Il  ne  faut  pas  oublier  que,  au  moyen 
âge,  la  plupart  des  évêques  étaient  seigneurs  temporels. 

L'historien  de  sa  vie —  un  religieux  anonyme  de  Bonnevaux  — a  résumé  en  trois  mots  le  but  des 
efforts  du  saint  évèque  de  Valence  :1a  gloire  de  Dieu,  le  salut  de  son  âme,  le  soin  de  son  troupeau. 

Jean  rendit  son  âme  à  son  Créateur,  un  jeudi,  26  avril  de  l'année  1145.  Le  tombeau,  où  il  fut 
enseveli  dans  l'église  cathédrale,  attira  bientôt  un  concours  immense  de  pèlerins.  Ce  tombeau  et 
les  saintes  reliques  qu'il  renfermait  furent  profanés,  en  1562,  par  les  protestants.  Il  n'en  reste 
plus  trace  aujourd'hui. 

Cf.  Propre  de  Valence,  1853,  et  Histoire  hagiologique  de  ce  dioeès»,  par  M.  N&dal. 


LA  BIENHEUREUSE  ALDA,  RELIGIEUSE  HUMILIÉE  (1309). 

La  bienheureuse  Aida  appartenait  à  une  honorable  famille  de  Sienne.  Elle  perdit  son  mari  après 
une  union  de  sept  ans.  Elle  quitta  alors  la  ville,  vendit,  au  profit  des  pauvres, tous  les  biens  qu'elle 
y  possédait,  prit  l'habit  du  Tiers  Ordre  des  Humiliés  et  se  retira  dans  une  petite  maison  de  campagne 
où  elle  mena  la  vie  la  plus  retirée  et  la  plus  mortifiée.  De  cruelles  tentations  vinrent  l'y  visiter  : 
pour  les  chasser,  elle  alla  jusqu'à  s'enfoncer  une  couronne  d'épines  dans  la  tète.  Notre-Seigneur 
récompensa  sa  persévérance  par  d'ineffables  faveurs.  C'est  ainsi  qu'il  lui  fit  voir  la  forme  et  les 
dimensions  des  clous  qui  avaient  attaché  son  saint  corps  à  la  croix  :  l'un  des  trois  clous,  celui 
destiné  aux  pieds,  était  plus  grand  que  les  deux  autres.  Elle  en  grava  si  bien  l'image  dans  sa 
mémoire  que,  prenant  un  couteau  et  une  branche  d'olivier,  elle  en  tailla  un  parfaitement  sem- 
blable :  ce  clou  de  bois,  confronté  plus  tard  avec  le  vrai  clou  conservé  dans  le  trésor  des  rois  de 
France,  fut  trouvé  en  tout  conforme.  On  le  garda  pendant  plus  de  trois  cents  ans  dans  l'église  de 
Saint-Thomas  à  Sienne,  occupée  par  les  religieux  Humiliés,  jusqu'à  Pie  V,  époque  à  laquelle  ils 
furent  supprimés. 

Mais  Aida  se  trouvait  encore  trop  riche,  bien  qu'elle  n'eût  qu'une  courge  vide  pour  mettre  son 
eau  et  une  écuelle  de  bois  pour  manger,  et  que  tous  les  revenus  de  sa  modeste  propriété  fussent 
versés  dans  le  sein  des  pauvres  :  elle  vendit  encore  ce  petit  bien  et  vint  demeurer  à  l'hôpital  de 
Sienne  où  elle  se  livra  à  toutes  les  bonnes  œuvres  que  lui  inspirait  son  ardente  charité.  On  lui 
avait  donné,  comme  suivante,  une  certaine  Jacomine  qui  assura  avoir  vu  la  Saiute  marcher  cons- 
tamment précédée  de  deux  flambeaux  :  cette  même  Jacomine,  l'ayant  un  jour  surprise  en  extase, 
appela  les  gens  de  l'hospice  qui  eurent  la  barbarie  de  la  crucifier.  Quand  elle  revint  à  e'ie-même, 
elle  se  contenta  de  leur  dire  :  «  Que  Dieu  vous  pardonne  ».  Elle  mourut  en  1309.  Son  culte,  très- 
célèbre  autrefois,  fut  abandonné  lorsque  l'église  Saint-Thomas,  où  reposent  ses  restes,  fut  donnée 
aux  Dominicains. 

Acta  Sanclonat, 


42  27  avril. 


XXVII'  JOUR  D'AVRIL 


MARTYROLOGE  ROMAIN. 

A  Nicomédie,  la  naissance  au  ciel  de  saint  Anthime,  évêque  et  martyr,  qui  arriva  à  la  gloira 
du  martyre  dans  la  persécution  de  Dioclétien,  ayant  eu  la  tête  tranchée  pour  la  confession  de 
Jésus-Christ.  Il  fut  suivi  de  presque  toute  la  multitude  de  son  troupeau,  dout  le  juge  tit  décapiter 
les  uus,  brûler  les  autres,  et  jeter  les  autres  dans  la  mer  en  les  entassant  sur  des  barques.  303. 

A.  Tarse,  eu  Cilicie,  les  saints  martyrs  Castor  et  Etienne.  —  A  Rome,  le  décès  du  bienheureux 

Anastase,  pape,  personnage  d'une  très-riche  pauvreté  et  d'un  zèle  apostolique,  «  que  Rome  a, 
comme  dit  saint  Jérôme,  «  ne  mérita  pas  de  posséder  longtemps,  de  peur  que  la  tête  du  monde  ne 
tombât  sous  un  tel  Pontife  »;  car,  peu  de  temps  après  sa  mort,  Rome  fut  prise  par  les  Goths  et 
saccadée.  401.  —  A  Bologne,  saint  Tertullien,  évêque  et  confesseur.  vie  s.  —  A  Brescia,  saint 
Théophile,  évêque.  v9  s.  —  A  Constantinople,  saint  Jean,  abbé,  qui  combattit  beaucoup  sous 
Léon  l'Isaurien,  pour  le  culte  des  saintes  images  l.  813.  —  A  Tarragone,  le  bienheureux  Pierre 
Armengol.  de  l'Ordre  de  Notre-Dame  de  la  Merci,  pour  la  rédemption  des  captifs,  qui,  après 
avoir  beaucoup  soutïert  en  Afrique,  en  rachetant  les  chrétiens,  finit  saintement  ses  jours  au 
monastère  de  Sainte-Marie  des  Prés.  1304.  —  A  Lima,  en  Pérou,  saint  Tunbe,  archevêque,  dont 
on  fait  la  fête  le  23  mars.  1606.  —  A  Lucques,  eu  Italie,  la  bienheureuse  Zite,  vierge,  célèbre 
par  la  renommée  de  ses  miracles.  Le  pape  Léou  X  a  fixé  sa  fête  à  ce  jour.  1278. 

.ItTYROLOGE    DE   FRANCE,    REVU   ET   AUGMENTÉ. 

A  Limoges,  saint  Alpinien,  prêtre,  disciple  de  saint  Martial  et  son  coiiègue  dans  la  prédication 
de  l'Evangile,  lequel,  après  une  vie  pleine  de  saintes  œuvres  et  de  miracles,  fut  invité  aux  noces 
de  l'Agneau  par  le  même  saint  Martial  qui  l'avait  précédé.  Son  corps  a  été  premièrement  à  Ruffec, 
en  Berri,  et  puis  à  Castel-Sarrasin,  au  diocèse  de  Montauban,  où  la  piété  des  bons  chrétiens  du 
vie  x  temps  l'avait  logé  dans  un  précieux  reliquaire  d'argent  *.  Ier  s.  —  Encore  à  Limoges,  la 
fête  de  saint  Austriclinien,  prêtre,  autre  compagnon  de  saint  Martial,  entré  au  ciel  le  13  octobre3. 
Ier  s.  —  A  Liège,  le  vénérable  Frédéric,  évêque.  1121.  —  A  Amiens,  la  fête  de  saint  Riquier, 
nommé  hier  au  martyrologe  romain.  —  A  Coutances,  la  fête  de  saint  Guillaume  Firmat,  dont  l'entrée 
au  ciel  est  marquée  le  24  avril.  —  A  Auch,  la  fête  de  saint  Cérase  ou  Céré,  dont  l'entrée  au  ciel 
est  le  24  avril.  —  En  Flandre,  saint  Ebertramne,  compagnon  de  saint  Bertin  et  de  saint  Mommolin. 
—  A  Cologne,  fête  de  saint  Gérard  de  Toul,  qui  fit  son  éducation  cléricale  dans  la  première  de 
ces  villes.  —  Au  diocèse  du  Mans,  le  bienheureux  Alleaume.  Né  dans  !a  Flandre  d'une  famille 
illustre,  il  renonça  aux  joies  du  siècle,  et  se  retira  dans  une  forêt  du  Maine,  à  l'ermitage  de  Saint- 
Nicolas.  Après  avoir  vécu  ensuite  quelque  temps  solitaire  dans  l'ile  de  Chaussey,  sous  la  conduite 
du  bienheureux  Bernard  de  Tyron,  il  revint  fonder  la  célèbre  abbaye  de  Notre-Dame  d'Estival, 
pour  servir  de  retraite  à  la  chaste  troupe  de  vierges  qui  s'était  réunie  autour  de  son  ermitage  de 
Saint-Nicolas.  Il  fonda  aussi  un  monastère  d'hommes  à  Saint-Nicolas  même.  Le  bienheureux 
Alleaume  mourut  le  27  avril  1152,  et  son  corps  fut  enseveli  dans  l'église  abbatiale  d'Estival*.  Il 
y  a  dans  la  vie  du  bienheureux  Alleaume  un  épisode  touchant  :  c'est  l'amitié  que  lui  avait  vouée 

1.  Les  Bollandistes  disent  que  c'est  sons  Le'on  l'Arme'uien  (813-820),  et  non  sous  Léon  l'Isaurien  (717- 
7-11),  que  souârit  satnt  Jean  Hégumène,  du  monastère  des  Cathares. 
S.  Voir  sa  Notice  au  Supplément  de  ce  volume. 

3.  Voir  la  Vie  de  saint  Jlartial,  où  sont  racontées  la  maladie,  la  mort,  la  résurrection  de  saint  Aus- 
triclinien. 

4.  Depuis  les  troubles  politiques  et  religieux  de  la  fin  du  xvme  siècle,  l'abbaye  de  Notre-Dame 
d'Estival    a   été    presque  entièrement  détruite.  On  a  découvert  alors  dans  un  caveau,  sous  la  sacristie  Ce 

•,  sept  tombeaux  en  pierre,  sur  lesquels  étaient  sculptées  les  statues  en  pied  des  pers  nuages  dont 
ils  renfermaient  les  corps.  C'étaient  vraisemblablement  les  sépultures  des  seigneurs  de  Beaumont-le- 
Vicomte,  fondateurs  et  principaux  bienfaiteurs.  Ce  qui  subsiste  encore  de  l'église  abbatiale,  c'est-à-dire 
la  partie  droite  du  transept,  atteste  la  magnificence  avec  laquelle  cet  édifice  fut  construit;  oa  y  voit  des 


SAINT  ANTHIME,  ÉVÊQUE  ET  MARTYR.  43 

le  vieil  ermite  Albert.  Celui-ci  habitait  l'ermitage  de  Saint-Nicolas,  lorsque  Alleaume  vint  s'y  réfu- 
gier en  quittant  les  Flandres.  La  douleur  qu'il  éprouva  de  voir  son  disciple  l'abandonner  pour 
aller  habiter  l'île  de  Chaussey,  fut  telle  qu'il  ea  devint  comme  insensé.  A  son  retour,  Alleaume, 
sensiblement  touché  de  la  peine  de  son  vieux  guide  spirituel,  se  prosterna  à  ses  pieds  et  lui  pro- 
testa qu'il  ne  le  quitterait  plus  désormais. 

MARTYROLOGE   DES    ORDRES   RELIGIEUX. 

Martyrologe  des  Bénédictins.  —  Saint  Fidèle  de  Sigmaringen,  martyr,  nommé  le  24  avril  au 
martyrologe  romain. 

Martyrologe  des  Camaldules  et  de  Vallombreuse.  —  Saint  Fidèle  de  Sigmaringen,  etc. 

Martyrologe  des  Cisterciens.  —  A  Plaisance,  en  Italie,  sainte  Franque,  vierge,  de  l'Ordre 
Cistercien,  qui,  célèbre  par  sa  vie,  sa  sainteté  et  ses  miracles,  s'envola  vers  son  Epoux  le  25  avril. 

Martyrologe  des  Franciscains.  —  A  Bitecto,  en  Apulie,  le  bienheureux  Jacques  d'Illvrie, 
confesseur.  1485. 

Martyrologe  des  Mineurs  conventuels.  —  Saint  Georges,  martyr,  honoré  le  23  avril.  —  A 
Equicoli,  dans  l'Abruzze,  la  bienheureuse  Philippe  de  Marérie,  vierge  Clarisse,  célèbre  par  ses 
vertus  et  ses  miracles,  opérés  avant  et  après  sa  mort,  qui  s'envola  vers  le  Seigneur  le  19  mars.  1236. 

Martyrologe  des  Augustins.  —  Suint  Clet  et  saint  Marcellin,  papes... 

Martyrologe  des  Servites.  —  Saini  Clet  et  saint  Marcellin,  papes. 

ADDITIONS   FAITES   D'APRÈS   LES   BOLLANDISTLS    ET   AUTRES   HAGIOGRAPHES. 

A  Lucques,  en  Italie,  saint  Antoine,  prêtre  et  solitaire,  dont  le  corps  fut  retrouvé  en  1201.  H 
fut  le  compagnon  du  bienheureux  Paulin,  premier  évèque  de  Lucques  et  disciple  de  saint  Pierre, 
A  Castel-Aluvia  (lieu  aujourd'hui  inconnu),  les  saints  martyrs  Caper  ou  Cypnis,  Maur,  Captus  ou 
Cassus,  diacre  ;  Husamlus  et  Prianus.  —  Chez  les  Grecs,  saint  Lolion  le  Jeune,  martyr.  —  A  Altino, 
ancienne  ville  du  territoire  de  Trévise,  saint  Libéral,  qui  convertit  un  grand  nombre  d'ariens  et 
le  préfet  du  lieu.  Vers  l'an  400.  —  A  Coustantinople,  saint  Euloge,  dit  l'Hospitalier,  qui  était 
honoré  dans  l'église  de  Saint-Mocius  de  cette  ville.   Règne  de  Justiuien  probablement. 


SAINT  ANTHIME,  EVEQUE  ET  MARTYR 

303.  —  Pape  :  Saint  Marcellin.  —  Empereur  :  Dioclétiea. 

Bienheureux  le»  morts  qui  meurent  dans  le  Seigneur. 
Apoc,  xiv,  13. 

La  ville  de  Nicomédie,  si  souvent  arrosée  du  sang  des  Martyrs,  n'a  pas 
été  seulement  le  lieu  de  la  naissance  de  saint  Anthime,  mais  encore  la 
théâtre  de  sa  gloire  et  le  champ  de  hataille  où,  en  perdant  la  vie,  il  s'est 
acquis  l'immortalité.  La  piété  et  la  modestie  qu'il  faisait  paraître  dès  son 
enfance,  le  distinguaient  de  tous  ceux  de  son  âge.  À  la  fleur  de  sa  jeunesse, 
il  s'appliqua  à  la  philosophie  chrétienne  avec  tant  d'ardeur  qu'il  devint  un 
objet  d'admiration  pour  tous  ceux  qui  le  connurent,  et  les  porta  à  l'amour 
de  cette  vraie  sagesse.  Un  mérite  si  éclatant  le  fit  bientôt  ordonner  prêtre  ; 
et,  quelque  temps  après,  Cyrille,  évêque  de  Nicomédie,  étant  décédé,  il  fut 
élu  à  sa  place,  du  consentement  unanime  de  tous  les  chrétiens.  Il  savait  que 
cette  charge  était  lourde  et  s'en  jugeait  indigne.  Il  fit  donc  tout  son  pos- 
sible pour  l'éviter,  mais  inutilement  ;  il  fut  obligé  de  l'accepter.  C'était  au 
temps  où  la  persécution  de  Dioclétien  et  de  Maximien-Galère  éclata  d'une 

fenêtres  byzantines  avec  leurs  archivoltes,  des  colonnes  monocylindriques  qui  n'ont  aux  chapiteaux,  pouf 
tout  ornement,  que  de  grotesques  serpents  entrelacés.  Les  restes  du  monastère  lui-même,  qui  couvrent 
encore  un  vaste  espace,  semblent  annoncer  qu'il  fut  reconstruit  au  xvue  siècle.  D.  Piolin. 


44  27   AVRIL. 

manière  si  horrible  à  Nicomédie,  d'où  elle  se  répandit  dans  tout  l'empire.  Il 
fallait  donc  à  cette  ville  un  évêque  ferme  dans  sa  foi  et  capable  d'y  affermir 
les  autres;  tel  fut  Anthime:  il  soutint  si  bien  îe  courage  de  ses  diocésains, 
qu'un  nombre  prodigieux,  vingt  mille,  dit-on,  endurèrent  héroïquement  le 
martyre.  On  arrêta  bientôt  celui  qui  était  le  chef  et  comme  l'âme  de  cette 
vaillante  armée  de  Jésus-Christ.  Ceux  qui  furent  chargés  de  cette  mission 
s'étant  adressés  à  lui,  sans  le  connaître,  il  leur  dit  qu'il  connaissait  Anthime, 
promit  de  le  leur  livrer,  et,  en  attendant,  il  les  invita  à  se  reposer  chez  lui  : 
là  il  leur  ht  servir  un  festin  magnifique,  à  la  fin  duquel  il  leur  dit  :  «  Je  vous 
ai  promis  de  vous  amener  et  de  vous  livrer  Anthime,  évêque  de  Nicomédie. 
C'est  moi  :  je  suis  celui  que  vous  cherchez.  Réjouissez-vous  donc,  et  me 
conduisez  à  l'empereur  ».  Ces  paroles  du  vieillard,  la  joie,  l'assurance  qui 
brillaient  sur  son  visage,  remplirent  d'admiration  les  soldats  chargés  de 
l'arrêter.  Ils  lui  conseillèrent  la  fuite  ;  mais  le  saint  Pontife  leur  exposa  le 
bonheur  du  martyre,  leur  expliqua  les  vérités  de  la  religion  chrétienne,  les 
convertit,  les  baptisa,  puis  il  marcha  devant  eux  après  s'être  fait  lier  les 
mains  derrière  le  dos,  et  alla  se  présenter  à  l'empereur.  Maximien,  s' en- 
vironnant de  tout  l'appareil  des  supplices,  demanda  au  prisonnier  si  c'était 
lui  qui  s'appelait  Anthime,  qui  combattait  la  divinité  des  dieux  avec  mé- 
pris, et  qui  corrompait  et  pervertissait  le  peuple  par  ses  prédications. 
«  Votre  demande,  seigneur,  répondit  Anthime,  ne  recevrait  point  de  réponse, 
si  le  divin  apôtre  saint  Paul  ne  nous  avait  appris  que  nous  devons  toujours 
être  prêt  à  rendre  raison  de  notre  foi,  et  si  notre  souverain  Maître  Jésus- 
Christ  ne  nous  avait  assuré  qu'il  nous  donnerait  dans  ces  occasions,  des 
paroles  si  puissantes,  que  nos  adversaires  n'y  pourraient  pas  résister.  Certes, 
je  déplore  infiniment  votre  misère  et  votre  aveuglement;  je  vous  plains 
d'adorer  de  vains  simulacres  et  de  leur  donner  le  titre  de  dieux;  mais 
je  suis  encore  plus  surpris  de  ce  que  vous  prétendez  m'obliger,  par  vos 
menaces,  ou  par  vos  supplices,  à  en  faire  de  même  et  à  imiter  votre  folie. 
Croyez -vous,  ô  empereur,  avoir  assez  de  pouvoir,  soit  par  la  douceur  de  vos 
belles  paroles,  soit  par  la  terreur  de  vos  tourments,  pour  me  faire  renoncer 
à  la  foi  et  à  l'honneur  que  je  dois  à  Jésus-Christ,  mon  Sauveur  et  mon  Dieu? 
Non,  non,  vous  vous  trompez;  ce  serait  être  déraisonnable  que  de  préférer 
les  voluptés  passagères  de  ce  monde  aux  délices  célestes  et  aux  biens 
éternels  du  paradis  ». 

Maximien  se  moqua  de  ce  discours  ;  et,  s'imaginant  que  c'était  une  bra- 
vade, qui  ne  durerait  pas,  il  commanda  que  l'on  meurtrît  la  tête  du  saint 
Martyr  à  coups  de  pierres  et  de  cailloux;  mais  ce  grand  homme,  bien  loin 
de  se  plaindre,  ne  cessait  de  crier  :  «  Que  les  dieux  qui  n'ont  pas  fait  le  ciel 
et  la  terre  périssent  maintenant  !  »  Le  tyran  lui  fit  ensuite  percer  les  talons 
avec  de  longues  alênes  de  fer  embrasé;  et,  l'ayant  fait  jeter  sur  des  têts 
pointus,  il  l'y  fit  fouetter  avec  une  cruauté  inouïe;  puis  il  lui  fit  chausser  des 
bottes  de  bronze  que  l'on  avait  fait  rougir  dans  le  feu,  s'efforçant  ainsi  par 
la  rigueur  de  ces  tourments  de  surmonter  sa  constance.  Mais  Dieu,  qui  ne 
s'éloigne  jamais  de  ses  élus,  consola  son  serviteur  au  milieu  de  ses  supplices, 
lui  faisant  entendre  une  voix  du  ciel  qui  l'encourageait,  et  qui  lui  pro- 
mettait la  récompense  de  ses  travaux  après  l'entière  victoire  :  le  saint 
Martyr,  reprenant  de  nouvelles  forces  et  faisant  paraître  dans  ses  yeux  les 
douces  consolations  qui  abondaient  en  son  âme,  dit  à  l'empereur  :  «  Je  vous 
ferai  bientôt  voir  que  c'est  une  pure  folie  et  une  vaine  pensée  de  religion 
qui  vous  fait  adorer  ces  fausses  divinités,  et  blasphémer  le  saint  nom  de  Jé- 
sus-Christ ». 


SAINT  ANTHIME,    ÉVÊQUB   ET  MARTYR.  45 

C'était  mettre  de  l'huile  dans  le  feu,  et  irriter  de  plus  en  plus  la  colère 
de  Maximien  ;  il  commanda  donc  que  le  saint  Martyr  fût  attaché  sur  une 
roue  ;  et  que,  pendant  qu'elle  tournerait  sans  cesse,  on  lui  brûlât  peu  à  peu 
tout  le  corps  avec  des  flambeaux  ardents.  Les  bourreaux  étaient  habiles  à 
exécuter  ces  ordres  ;  mais  lorsqu'ils  pensaient  réduire  son  corps  en  pièces 
et  en  cendres,  ils  furent  eux-mêmes  renversés  par  terre  ;  et,  leurs  instru- 
ments leur  tombant  des  mains,  ils  demeurèrent  comme  paralysés.  Maximien 
les  stimula  par  des  sarcasmes  et  des  menaces  ;  ils  lui  répondirent  qu'ils  ne 
manquaient  pas  de  courage  pour  lui  obéir,  mais  qu'ils  ne  le  pouvaient  pas, 
parce  que  trois  personnages  pleins  de  majesté,  et  tout  éclatants  de  lumière, 
assistaient  le  Martyr,  et  le  protégeaient  contre  leurs  violences.  Anthime,  de 
son  côlé,  tout  rempli  de  joie  et  de  consolation,  chantait  au  milieu  de  ses 
tourments,  et  rendait  mille  louanges  à  Dieu  pour  les  victoires  qu'il  lui  faisait 
remporter. 

L'empereur,  vaincu  par  la  constance  du  Martyr,  fut  contraint  de  le  faire 
détacher  de  la  roue  et  de  le  renvoyer  en  prison  chargé  et  presqu'accablc  de 
chaînes.  Mais  il  arriva  qu'au  milieu  du  chemin  elles  se  brisèrent  miraculeu- 
sement, et  s'ôtèrent  d'elles-mêmes  de  ses  pieds  et  de  ses  mains,  ce  qui 
donna  une  telle  épouvante  aux  archers  qui  le  conduisaient,  qu'ils  tombè- 
rent par  terre,  tout  saisis  et  tremblants  de  frayeur.  Cependant,  ils  furent 
relevés  par  Anthime,  qui  les  prit  par  la  main,  et  leur  commanda  de  conti- 
nuer à  remplir  leur  charge.  Il  rentra  donc  en  prison  avec  une  joie  que  l'on 
ne  peut  exprimer.  Les  criminels,  qui  y  étaient  en  grand  nombre,  reçurent 
tant  de  consolations  de  sa  présence,  et  furent  si  touchés  de  ses  saints  entre- 
tiens, qu'ils  se  convertirent  tous  à  la  foi  catholique,  et  reçurent  le  sacre- 
ment du  Baptême.  Maximien,  qui  se  voyait  vaincu  de  quelque  côté  qu'il  se 
tournât,  fit  encore  venir  le  Martyr  devant  lui  ;  et,  changeant  ses  moyens 
d'attaque,  lui  promit  de  grandes  faveurs,  et  même  l'office  de  souverain  prê- 
tre des  dieux,  s'il  voulait  leur  offrir  de  l'encens.  Mais  Anthime,  se  moquant 
de  ses  offres,  lui  dit  fort  généreusement  :  «  Je  suis  prêtre  du  grand  et  sou- 
verain pontife  Jésus-Christ,  à  qui  je  m'offre  moi-même  en  sacrifice.  Pour 
ce  qui  est  de  vos  dieux  et  de  leurs  dignités,  dont  vous  me  parlez,  ce  n'est 
qu'une  moquerie  et  une  pure  folie  ».  L'empereur,  ne  pouvant  plus  suppor- 
ter ces  mépris,  commanda  enfin  qu'il  eût  la  tête  tranchée.  Anthime  acheva 
ainsi  son  glorieux  martyre  et  ne  cessa  de  vaincre  qu'en  cessant  de  vivre,  le 
27  avril,  l'an  de  Notre-Seigneur303. 

coup  d'ceil  sur  la  dixième  et  dernière  persécution  générale. 

L'empereur  Numérien,  fils  de  Carus,  ayant  été  massacré  en  284,  l'armée  qui  était  à  Chalcé- 
doine  revêtit  Dioclétieu  de  la  pourpre.  Dioclétien  était  un  soldat  de  fortune,  né  dans  la  Dalmatie, 
de  parents  d'une  basse  extraction.  11  avait  pris  de  bonne  heure  le  parti  des  armes,  et  s'était  élevé 
par  degrés  aux  premiers  honneurs  militaires.  L'année  suivante,  le  nouvel  empereur  défit  Carin, 
autre  fils  de  Carus,  qui  régnait  en  Occident.  Cette  victoire  ne  calma  pas  toutes  ses  inquiétudes. 
D'un  côté,  il  craignait  de  succomber  sous  le  poids  des  affaires;  de  l'autre,  il  se  défiait  de  la  fidé- 
lité de  ses  troupes,  et  surtout  des  gardes  prétoriennes,  qui,  depuis  près  de  trois  cents  ans,  étaient 
en  possession  de  disposer  de  l'empire  et  d'ôter  la  vie  à  leurs  maîtres.  Considérant  d'ailleurs  qu'il 
n'avait  point  d'enfant  mâle,  il  résolut  de  se  donner  un  collègue.  Son  choix  tomba  sur  Maximien- 
Hercule,  en  qui  il  avait  une  confiance  entière,  et  en  qui  il  connaissait  une  grande  capacité  pour 
le  métier  de  la  guerre.  La  famille  de  Maximien-Hercule  était  fort  obscure.  Il  naquit  dans  un 
village  voisin  de  Sirmium,  en  Pannonie.  Il  était  d'un  caractère  cruel  et  livré  à  toutes  sortes  de 
vices.  Il  dut  son  élévation  à  ses  talents  militaires. 

Ces  deux  princes,  alarmés  du  péril  qui  menaçait  l'empire  de  toutes  parts,  et  désespérant  de 
pouvoir  faire  face  à  tous  leurs  ennemis,  nommèrent  chacun  un  César  qui  pût  les  aider  à  défendre 
leurs  états  respectifs.  Ils  voulurent  aussi  par  là  se  donner  chacun  un  successeur.  Dioclétieu  nomma 


4G  27  avril. 

Maximien-Galère  pour  l'Orient,  et  Maximien-IIercule  nomma  Constance-Chlore  pour  l'Occident. 
Maximien-Galère  était  un  paysan  de  la  Dacie,  qui  entra  dans  les  armées  romaines.  Tout  en  lui 
annonçait  un  naturel  barbare  et  féroce.  Son  regard,  sa  voix,  son  maintien  avaient  quelque  chose 
d'effrayant.  Il  était,  outre  cela,  zélé  pour  l'idolâtrie  jusqu'au  fanatisme.  Constance-Chlore  était 
d'une  famille  illustre,  et  réunissait  en  sa  personne  toutes  les  qualités  qui  font  un  grand  prince. 

Dioclétien  n'iuquiéta  point  les  chrétiens  pendant  les  premières  années  de  son  règne.  Cela 
n'empêcha  pas  qu'il  y  en  eût  plusieurs  de  martyrisés  en  vertu  des  anciens  édits  qui  n'araient 
point  été  révoqués.  Pour  Galère,  il  leur  fit  ressentir  bientôt  dans  toutes  les  provinces  de  sa  dé- 
pendance les  effets  de  la  haine  implacable  qu'il  leur  portait.  11  tâchait  en  même  temps  d'engager 
Dioclétien  à  entrer  dans  ses  sentiments.  11  renouvela  ses  efforts  pendant  l'hiver  de  l'année  302, 
qu'il  passa  à  Nicomédie. 

Cependant  Dioclétien  ne  se  laissait  point  encore  gagner  :  il  évitait  d'en  venir  aux  extrémités, 
de  peur  que  l'effusion  du  sang  chrétien  ne  troublât  le  repos  de  l'empire.  Enfin,  on  consulta  l'oracle 
d'Apollon  à  Milet.  La  réponse,  dit  Lactance  l,  fut  telle  qu'un  ennemi  de  la  religion  chrétienne 
pouvait  l'attendre.  Le  même  auteur  rapporte  dans  deux  endroits  *  un  autre  incident  qui  ne  con- 
tribua pas  peu  à  aigrir  Dioclétien  contre  les  adorateurs  de  Jésus-Christ.  Ce  prince,  étant  à  An- 
tioche  en  302,  immola  quantité  de  victimes  pour  trouver  dans  leurs  entrailles  la  connaissance  de 
l'avenir.  Quelques  officiers  chrétiens  qui  étaient  auprès  de  sa  personne  formèrent  sur  leur  front 
le  signe  de  la  noix.  Les  aruspices  confondus  ne  trouvant  point  dans  les  entrailles  des  victimes 
ce  qu'ils  y  cherchaient,  en  offrirent  de  nouvelles,  sous  prétexte  que  les  dieux  n'étaient  point  en- 
core suffisamment  apaisés  ;  mais  ils  ne  réussirent  pas  plus  que  la  première  fois.  Celui  qui  prési- 
dait à  la  cérémoo  e  s'écria  tout-à-coup  qu'on  ne  devait  point  s'étonner  de  ce  qui  arrivait.  «  Il  y  a 
ici  »,  dit-il,  «  des  profanes  qui  nous  troublent  dans  nos  sacrifices  ».  Par  ces  profanes,  il  enten- 
dait les  chrétiens.  L'empereur  irrité  ordonna  sur-le-champ  que  tous  les  chrétiens  qui  étaient  pré- 
sents, ainsi  que  tous  ceux  qui  tenaient  à  la  cour,  eussent  à  sacriGer  aux  dieux.  «  Je  veux  », 
ajouta-t-il.  «  que  ceux  qui  refuseront  d'obéir  soient  battus  de  verges  ».  Il  envoya  aussi  des  ordres 
aux  commandants  des  troupes  pour  qu'ils  cassassent  les  soldats  qui  ne  sacrifieraient  pas. 

Une  autre  chose  confirma  Dioclétien  dans  ses  sentiments  de  haine  contre  le  christianisme, 
quoiqu'elle  dût  naturellement  produire  nu  effet  tout  contraire  :  elle  est  rapportée  par  Constantin 
le  Grand  dans  un  édit  qu'il  adressa  à  tout  l'empire.  Voici  comment  parle  ce  prince  3  :  «  On  dit 
qu'Apollon  déclara,  par  une  voix  sortie  du  fond  d'une  caverne,  non  de  la  bouche  d'un  homme, 
que  des  justes  qui  vivaient  sur  la  terre  l'empêchaient  de  dire  la  vérité,  et  qu'ils  étaient  cause  des 
fausses  prédictions  qu'il  faisait.  Dioclétien  laissa  croître  ses  cheveux  pour  marquer  sa  douleur,  et 
déplora  le  triste  sort  des  hommes  qui  n'avaient  plus  d'oracles.  Je  vous  en  prends  à  témoin,  Dieu 
du  ciel  !  Vous  savez  qu'étant  encore  jeune,  j'entendis  ce  malheureux  empereur  demander  à  un  de 
ses  gardes  «  qui  étaient  ces  justes  qui  vivaient  sur  la  terre?  »  et  qu'un  prêtre  païen  qui  était 
présent  lui  répondit  que  c'étaient  les  chrétiens.  Ayant  écouté  cette  réponse  avec  beaucoup  de  joie, 
il  tira  contre  l'innocence  l'épée  qui  ne  devait  être  employée  que  contre  le  crime  ;  et,  si  l'on  peut 
parler  ainsi,  il  écrivit  avec  la  pointe  de  sou  épée  des  édits  sanglants  contre  les  chrétiens,  et 
ordonna  aux  juges  de  se  servir  de  toute  l'adresse  de  leur  esprit  pour  inventer  de  nouveaux  sup- 
plices ». 

On  choisit,  pour  ouvrir  la  persécution,  le  vingt-troisième  jour  de  février,  auquel  les  païens 
célébraient  la  fête  de  leur  dieu  Terme  *.  On  ne  se  tlattait  de  rien  moins  que  d'anéantir  notre  sainte 
religion.  Dès  le  matin,  le  préfet,  accompagné  de  plusieurs  officiers,  se  rendit  à  l'église  des  chré- 
tiens. 11  en  força  les  portes,  se  saisit  des  livres  de  l'Ecriture  qu'il  y  trouva  et  les  fit  brûler  :  tout 
le  reste  fut  abandonné  au  pillage.  Dioclétien  et  Galère  voyaient  d'un  balcon  tout  ce  qui  se  pas- 
sait, car  l'église  étant  placée  sur  une  émineuce,  on  la  voyait  du  palais.  Ils  délibérèrent  longtemps 
s'ils  ordonneraient  que  l'on  mit  le  feu  à  l'église.  Dioclétien,  qui  craignait  que  les  flammes  ne  se 
communiquassent  à  d'autres  bâtiments  de  la  ville,  fut  d'avis  qu'on  se  contentât  de  l'abattre.  On  y 
envoya  donc  uu  corps  considérable  de  prétoriens,  qui  la  démolirent  en  fort  peu  de  temps. 

Le  lendemain,  on  publia  un  édit  par  lequel  il  était  ordonné  d'abattre  toutes  les  églises  et  de 
brûler  nos  saintes  Ecritures.  Il  y  était  dit  aussi  que  l'on  ferait  subir  la  question  à  tous  les  chrétiens, 
de  quelque  rang  qu'ils  fussent;  qu'ils  seraient  inhabiles  à  posséder  les  charges  et  les  dignités  ;  que 
l'on  recevrait  toutes  les  actions  intentées  contre  eux  ;  qu'eux,  au  contraire,  ne  seraieut  point  receva- 
bles  à  demander  justice  pour  violence,  pour  adultère,  etc.;  qu'ils  seraient  enfin  déchus  de  tous  les 
droits  attachés  à  la  qualité  de  sujet  de  l'empire. 

Cet  édit  n'eut  pas  plus  tôt  été  affiché,  qu'un  chrétien  fort  considérable  par  sa  place  l'ar- 
racha et  le  mit  en  pièces.  Son  zèle,  que  Lactance  condamne  comme  indiscret,  venait,  selon 
Eusèbe,  d'un  principe  divin.  Ce  dernier  auteur  ne  cousidérait  que  l'intention.  Le  chrétien  fut  ar- 

1.  De  mort,  persecut.,  c.  11,  p.  197.  —  2.  Ibid.,  c.  10,  et  Instit.,  1.  iv,  c.  27. 

3.  Apud  Euseb.,  in  Vit.  Constant.,  1.  n,  c.  50,  51,  p.  467. 

4.  Le  mois  de  février  était  le  dernier  de  l'année  romaine,  lorsqu'on  institua  cette  fête,  et  il  le  fut 
Jusqu'à  la  réformation  du  calendrier  faite  par  Jules-César. 


SAIiNT  AKTIIIME,   ÉVÊQUE   ET   MARTYR.  47 

rèté  et  condamné  à  diverses  tortures;  on  retendit  ensuite  sur  un  gril  ardent,  où  il  consomma 
son  sacrifice.  Il  montra  durant  son  supplice  une  patience  admirable. 

Ce  premier  édit  fut  bientôt  suivi  d'un  second.  11  y  était  ordonné  d'arrêter  les  évêques,  de  les 
charger  de  chaînes  et  de  les  obliger,  à  force  de  tourments,  de  sacrifier  aux  idoles.  On  croit  que 
saiut  Anthime  fut  arrêté  en  cette  occasion.  Quoi  qu'il  en  soit,  la  ville  de  Nicomédie  fut  alorg 
inondée  du  sang  chrétien. 

La  haine  que  Galère  portait  aux  disciples  de  Jésus-Christ  n'était  point  encore  satisfaite.  Il 
s'avisa,  pour  engager  Dioclétien  à  les  traiter  avec  encore  plus  de  rigueur,  d'un  moyen  qui  décèle 
toute  la  barbarie  de  son  caractère.  Il  fit  mettre  le  feu  au  palais  impérial  par  ses  créatures.  Les 
idolâtres  accusèrent  aussitôt  les  chrétiens  d'être  les  auteurs  de  l'incendie,  et  se  livrèrent  aux  plus 
violents  transports  de  rage  contre  eux.  C'était  ce  que  Galère  avait  prévu  ;  c'était  là  l'objet  de  ses 
désirs.  On  disait  que  les  chrétiens,  ligués  avec  quelques  eunuques,  avaient  attenté. à  la  vie  des 
deux  princes  et  qu'ils  avaient  pensé  les  brûler  tout  vifs  dans  leur  propre  palais.  Dioclétien 
ajouta  foi  à  ces  bruits.  Il  fit  donner  en  sa  présence  une  cruelle  question  à  tous  ceux  qui  compo- 
saient sa  maison,  pour  découvrir  les  incendiaires  ;  mais  on  ne  put  les  connaître,  parce  qu'on 
n'informa  point  contre  les  gens  de  Galère. 

Quinze  jours  après,  on  mit  le  feu  une  seconde  fois  au  palais.  On  ne  découvrit  point  non  plus 
l'auteur  de  l'embrasement,  qui  était  toujours  Galère.  Ce  prince  partit  le  jour  même  de  la  ville  de 
Nicomédie,  quoiqu'on  fût  au  milieu  de  l'hiver.  A  l'entendre,  il  n'en  agissait  de  la  sorte  que  pour 
n'être  pas  brûlé  par  les  chrétiens.  Le  palais  fut  peu  endommagé,  parce  qu'on  en  éteignit  le  feu 
presque  sur-le-champ.  On  rendit  encore  les  chrétiens  responsables  du  second  incendie. 

Dès  lors  la  fureur  de  Dioclétien  ne  connut  plus  de  bornes;  les  malheureux  chrétiens  en  res- 
sentirent tout  le  poids.  Les  plus  affreux  supplices  étaient  le  partage  de  ceux  qui  refusaient  d'adorer 
les  idoles.  Valérie,  fille  de  l'empereur,  qui  avait  épousé  Galère,  et  Prisca,  sa  femme,  toutes  deux 
chrétiennes,  se  virent  dans  l'alternative  de  souffrir  une  mort  cruelle  ou  de  sacrifier.  Elles  eurent 
l'une  et  l'autre  la  lâcheté  d'apostasier  ;  mais  Dieu  les  en  punit  d'une  manière  terrible.  Leur  vie  ne 
fut  plus  qu'un  tissu  de  malheurs,  après  quoi  elles  eurent  publiquement  la  tète  tranchée,  par  l'ordre 
de  Licinius,  car  en  313  il  fit  périr  toute  la  famille  de  Dioclétien  et  toute  celle  de  Maximien- 
Galère. 

Les  plus  puissants  des  eunuques,  qui  jusqu'alors  avaient  été  les  maîtres  du  palais  et  les  con- 
seillers de  l'empereur,  devinrent  les  premières  victimes  de  la  persécution.  Ils  aimèrent  mieux 
périr  au  milieu  des  supplices  que  de  trahir  leur  religion.  Les  principaux  d'entre  eux  furent  saint 
Pierre,  saint  Gorgone,  saint  Dorothée,  saint  Inde,  saint  Migdone,  etc. 

Du  palais,  la  persécution  s'étendit  sur  l'église  de  Nicomédie,  dont  saint  Anlhime  était  évèque. 
Ce  Saint  eut  la  tète  tranchée.  Il  fut  accompagné  dans  son  triomphe  par  les  prêtres  et  par  les 
autres  ministres  de  son  église,  qui  moururent  pour  la  foi,  avec  tous  ceux  qui  appartenaient  à  la 
famille. 

Nous  avons  dit  dans  les  Actes  de  saint  Anthime  que  le  diocèse  de  Nicomédie  fournit  vingt 
mille  victimes  à  cette  affreuse  boucherie.  Ce  chiffre  de  vingt  mille  martyrs  réparti  sur  tout  le  dio- 
cèse de  Nicomédie  n'a  rien  d'exagéré,  si  l'on  songe  que  Galère  tua  huit  mille  chrétiens  dans  une 
seule  ville  de  Phrygie,  dont  les  magistrats  et  tous  les  habitants  étaient  chrétiens  !  Pour  aller  plus 
vite  en  besogne,  il  fit  mettre  le  feu  aux  quatre  coins  de  la  ville  et  la  fit  cerner  par  ses  soldats. 
Nous  avons  vu  de  nos  jours  (1870)  les  Prussiens  et  leurs  satellites  renouveler  un  semblable  pro- 
cédé contre  les  paisibles  habitants  de  villes  et  de  villages,  pour  lesquels  c'était  un  crime  d'être 
français,  comme  c'en  était  un  sous  Galère  de  se  dire  et  d'être  chrétien. 

Les  simples  fidèles  ne  furent  pas  plus  épargnés  que  les  ecclésiastiques.  Il  y  avait  des  juges 
dans  les  temples  pour  condamner  à  mort  tous  ceux  qui  refuseraient  de  sacrifier.  On  inventait, 
pour  les  tourmenter,  de  nouveaux  genres  de  supplices.  On  dressa  des  autels  dans  toutes  les  cours 
de  justice  ;  et  personne  n'était  admis  à  réclamer  la  protection  des  lois,  qu'il  n'eût  auparavant  ab- 
juré la  religion  chrétienne.  On  ne  souffrait  point,  dit  Eusèbe,  que  le  peuple  vendit  ou  achetât, 
qu'il  emportât  de  l'eau  dans  sa  maison,  qu'il  fit  moudre  le  blé,  qu'il  traitât  aucune  sorte  d'affaire, 
à  moins  qu'il  n'offrit  de  l'encens  à  certaines  idoles  placées  aux  coins  des  rues,  aux  fontaines 
publiques,  dans  les  marchés,  etc.  Mais  toutes  les  tortures  Surent  inutiles,  et  l'on  chercherait  vai- 
nement des  expressions  assez  énergiques  pour  représenter  le  courage  avec  lequel  une  multitude 
innombrable  de  chrétiens  sacrifièrent  leur  vie  pour  Jésus-Christ.  On  brûlait  par  troupes  des  per- 
sonnes de  tout  âge  et  de  tout  sexe.  Plusieurs  furent  décapités,  et  d'autres  précipités  dans  la  mer. 
Le  Martyrologe  romain  fait  mémoire,  sous  le  27  avril,  de  ceux  qui  souffrirent  en  cette  occasion. 

De  Nicomédie  la  persécution  passa  dans  toutes  les  provinces  de  l'empire.  Les  édits  se  succé- 
daient les  uns  aux  autres.  Le  quatrième  parut  au  commencement  de  l'année  304  :  il  ordonnait  de 
mettre  à  mort  tous  les  chrétiens,  quels  qu'ils  fussent,  s'ils  persistaient  dans  leur  religion.  Les 
gouverneurs,  dit  Lactance,  regardaient  comme  une  grande  gloire  de  triompher  de  la  constance 
d'un  chrétien  ;  aussi  employaient-ils  toutes  les  tortures  que  pouvait  imaginer  la  cruauté  la  plus 
raffinée.  Le  sang  des  fidèles  ruisselait  de  toutes  parts.  Cependant  on  avait  dépêché  des  courriers 
k  l'empereur  Maximien-Hercule  et  au  césar  Constance,  pour  leur  porter  les  nouveaux  décrets.  Le 
vieux  Maximien  les  accueillit  avec  joie  :  ils  étaient  depuis  longtemps  l'objet  de  ses  désirs.  Cous- 


48  27  AVRIL. 

tance-Chlore,  après  en  avoir  pris  connaissance,  fît  appeler  tous  les  officiers  chrétiens  de  son 
palais  et  leur  proposa  la  double  alternative,  ou  de  demeurer  dans  leurs  charges  s'ils  sacrifiaient 
aux  idoles,  ou  s'ils  refusaient,  d'être  bannis  de  sa  présence  et  de  perdre  ses  bonnes  grâces.  Quel- 
ques-uns, préférant  les  intérêts  de  ce  monde  à  leur  religion,  déclarèrent  qu'ils  étaient  prêts  à  sa- 
crifier. Les  autres  demeurèrent  inébranlables  dans  leur  foi.  La  surprise  des  uns  et  des  autres  fut 
au  comble,  quand  ils  entendirent  Constance  leur  déclarer  qu'il  tenait  les  apostats  pour  des  lâches; 
que,  n'espérant  pas  les  trouver  plus  fidèles  à  leur  prince  qu'à  leur  Dieu,  il  les  éloignait  pour  ja- 
mais de  son  service  !  Il  retint  au  contraire  les  autres  près  de  sa  personne,  leur  confia  sa  garde 
particulière,  et  les  traita  comme  les  plus  dévoués  de  ses  serviteurs. 

Les  Gaules  qui  relevaient  de  Constance-Chlore  échappèrent  à  la  persécution  générale  :  comme 
si  Dieu  se  fût  contenté  des  martyrs  que  Maximien-Hercule  y  avait  semés  sur  son  passage,  seize 
ans  auparavant  (287),  pendant  que  le  reste  de  l'Eglise  était  en  paix.  Toutefois  Constance,  pour 
ne  pas  irriter  les  autres  empereurs  en  se  jouant  trop  ouvertement  de  leurs  décrets,  laissa  abattre 
dans  les  Gaules  les  églises  matérielles,  «  considérant  »,  dit  Lactance,  «  qu'après  l'orage  elles 
pourraient  être  rebâties  ».  La  persécution  s'étendit  donc  en  un  moment  des  bords  du  Tibre  aux 
extrémités  de  l'empire,  les  Gaules  exceptées.  Constance  Chlore  ne  put  écarter  l'orage  de  la  Grande- 
Bretagne  où  il  commandait. 

C'en  était  fait  de  notre  religion  si  son  origine  eût  été  humaine  ;  mais  Dieu,  qui  veillait  sur  son 
Eglise,  se  servit,  pour  l'étendre,  des  moyens  mêmes  que  les  hommes  employaient  pour  la  détruire. 
Ceux  qui  s'étaieut  le  plus  déchaînés  contre  elle,  subirent  la  peine  que  méritaient  leur  injustice  et 
leur  cruauté. 

Les  auteurs  des  premières  persécutions  générales  éprouvèrent  aussi  visiblement  les  effets  de  la 
colère  du  ciel.  C'est  ce  qu'on  peut  voir  dans  l'excellent  traité  de  Lactance,  intitulé  :  De  la  mort 
des  persécuteurs.  Ainsi,  tandis  que  les  martyrs  gagnaient  des  couronnes  immortelles,  leurs  enne- 
mis souffraient  dès  cette  vie  les  châtiments  dus  à  leurs  crimes. 

Il  est  bien  glorieux  pour  la  religion  chrétienne,  disait  autrefois  Tertullien,  que  le  premier  em- 
pereur qui  a  tiré  le  glaive  contre  elle  ait  été  Néron,  l'ennemi  déclaré  de  toute  vertu.  Réduit  au 
désespoir,  quatre  ans  après  qu'il  eut  commencé  à  persécuter  les  chrétiens,  c'est-à-dire  en  64,  il 
voulut  se  donner  la  mort,  mais  il  n'acheva  son  crime  qu'à  l'aide  d'Epaphrodite,  son  secrétaire. 
11  mourut  détesté  de  l'empire  et  de  tout  le  genre  humain,  à  cause  de  ses  cruautés  et  de  ses  abo- 
minations. 

Domitien,  qui  persécuta  l'Eglise  en  95,  fut  massacré  l'année  suivante  par  ses  propres  domes- 
tiques. Trajan,  Adrien,  Tite,  Antonin  et  Marc-Aurèle  ne  périrent  point  de  mort  violente;  mais  ils 
ne  donnèrent  point  d'édits  contre  les  chrétiens,  et  leur  crime  consista  à  ne  point  empêcher  les 
persécutions  ou  à  les  tolérer. 

Sévère,  qui  devint  persécuteur  en  202,  tomba  dans  toutes  sortes  de  malheurs.  Il  mourut  de 
chagrin,  laissant  un  fils  qui  avait  voulu  lui  ôter  la  vie  et  qui  depuis  tua  son  propre  frère.  Toute 
sa  famille  périt  misérablement. 

Dèce  périt  dans  un  marais  en  allant  combattre  les  Goths,  après  un  règne  fort  court.  Gallus  fut 
tué  un  an  après  qu'il  eut  allumé  le  feu  de  la  persécution.  Valérien,  Aurélien  et  Maximien  Ier  mou- 
rurent de  mort  violente. 

Dioclétien  devint  malheureux  en  devenant  persécuteur  des  chrétiens.  Intimidé  par  la  puis- 
sance et  les  menaces  de  Galère,  il  abdiqua  l'empire  à  Nicomédie,  le  1er  avril  301.  Maximien- 
Hercule  fit  la  même  chose  à  Milan.  Le  premier  alla  mener  une  vie  privée  en  Dalmatie,  près 
de  Salone  (aujourd'hui  Spalatro),  où  l'on  montre  encore  les  ruines  de  son  palais.  Maximien- 
Hercule  l'exhortant  à  reprendre  la  pourpre,  il  lui  répondit  :  «  Si  vous  aviez  vu  les  herbes  que 
j'ai  plantées  de  mes  mains  à  Salone,  vous  ne  me  parleriez  point  de  l'empire  ».  Cette  réponse, 
en  apparence  philosophique,  ne  vernit  que  d'un  fonds  de  lâcheté  et  de  timidité.  Dioclétien 
eut  la  douleur  de  voir  sa  femme  et  sa  fille  condamnées  à  mort  par  Licinius,  et  la  religion 
«chrétienne  protégée  par  les  lois  en  313.  Constantin  et  Licinius  lui  écrivirent  une  lettre  mena- 
çante, dans  laquelle  ils  l'accusaient  de  favoriser  le  parti  de  Maxence  et  de  Maximin.  Enfin,  ce 
malheureux  prince,  réduit  au  désespoir,  termina  par  le  poison  une  vie  qui  lui  était  à  charge. 
C'est  du  moins  ainsi  qu'Aurélius  Victor  raconte  sa  mort.  Le  récit  de  Lactance  est  différent. 
Dioclétien,  selon  cet  auteur,  fut  vivement  frappé  du  mépris  général  où  il  était  tombé  ;  il  éprou- 
vait des  agitations  continuelles,  et  ne  voulait  ni  manger  ni  dormir.  On  l'entendait  gémir  et  sou- 
pirer sans  cesse.  Ses  yeux  étaient  souvent  baignés  de  larmes  ;  et  de  désespoir  il  se  roulait, 
tantôt  sur  son  lit,  tantôt  sur  la  terre.  Il  périt  ainsi  par  la  faim,  la  mélancolie  et  le  chagrin.  Sa 
mort  arriva  en  318. 

Maximien-Hercule  voulut  par  trois  fois  reprendre  la  pourpre,  et  même  l'arracher  à  Maxence,  son 
propre  fils.  Tous  ses  efforts  ayant  été  inutiles,  il  se  pendit  de  désespoir  en  310.  Maxence,  Galère 
et  Maximin  Dala  périrent  aussi  misérablement. 

Maximien-Galère  fut  attaqué  d'une  horrible  maladie.  La  pourriture  et  les  vers  se  mirent  à  son 
corps.  Il  exhalait  une  odeur  si  infecte  que  ses  propres  serviteurs  ne  pouvaient  la  supporter.  Voir 
Eusèbe,  HisL,  1.  8,  c.  16. 

Maxence,  ayant  été  défait  par  Constantin,  tomba  dans  le  Tibre  et  s'y  noya.  Maximien  II,  vaincu 


SAINTE   ZITE,    VIERGE.  49 

par  Licinius,  se  vit  obligé  de  révoquer  les  édits  qu'il  avait  portés  contre  les  Chrétiens,  et  mourut 
dans  des  douleurs  affreuses.  Voici  comment  la  chose  arriva.  Pendant  que  son  armée  était  rangée 
en  bataille,  il  se  tint  lâchement  caché  dans  son  palais.  La  victoire  s'étant  déclarée  pour  Licinius, 
il  s'enfuit  à  Tarse  ;  et  comme  il  ne  trouvait  aucune  retraite  assurée,  il  éprouva  toutes  les  agitations 
que  peut  causer  une  vive  crainte  de  la  mort.  Une  plaie  horrible  lui  couvrit  en  même  temps  tout 
le  corps.  Dans  les  redoublements  de  la  douleur,  il  se  roulait  par  terre  comme  un  furieux.  Epuisé 
par  de  longs  jeunes,  son  corps  n'offrait  plus  que  la  forme  d'un  squelette  hideux.  Il  perdit  l'usage 
de  la  vue,  et  les  yeux  lui  sortirent  de  la  tète.  Il  vivait  cependant  toujours  et  faisait  l'aveu  de  ses 
crimes.  Inutilement  il  appelait  la  mort  à  son  secours  ;  elle  ne  vint  terminer  ses  maux  que  quaud 
il  eut  reconnu  qu'il  méritait  tout  ce  qu'il  souffrait  pour  avoir  si  cruellement  traité  Jésus-Christ 
dans  la  personne  de  ses  disciples.  Voir  Eusèbe,  Hist.,  1.  ix,  c.  10.  Cet  auleur  ajoute  que  les  gou- 
verneurs des  provinces  qui  avaient  servi  la  rage  de  Maximin  contre  les  chrétiens  furent  tous  mis  à 
mort.  Il  nomme  Picence,  Culcien,  Théoctène,  Urbin,  Firmilien,  etc. 

Licinius  était  un  prince  aussi  cruel  qu'ignorant.  Il  ne  savait  ni  lire,  ni  écrire  son  nom;  ennemi 
déclaré  des  gens  de  lettres,  il  en  fit  mettre  plusieurs  à  mort.  Il  favorisa  quelque  temps  le  chris- 
tianisme pour  faire  sa  cour  à  Constantin,  et  l'on  a  même  prétendu  qu'il  avait  eu  dessein  de 
l'embrasser;  mais  à  la  fin  il  leva  le  masque  et  persécuta  l'Eglise.  Constantin  l'ayant  défait,  le 
condamna  à  mort  en  323.  Voir  M.  Jortin,  t.  m,  et  Tillemont,  Hist.  des  Empereurs. 

Le  récit  du  martyre  de  saint  Anthime  est  tiré  d'un  manuscrit  grec,  et  reproduit  par  les  Bollandistes. 
Le  tableau  de  la  dixième  persécution  est  tiré  de  Lactance,  L.  de  mort,  persecut.,  et  d'Eusèbe,  Hist.,  1. 
Vin,  c.  4,  6.  Voir  Tillemont,  t.  v. 


SAINTE  ZITE,  VIERGE 

1278.  —  Pape  :  Nicolas  III. 


La  main  au  travail,  le  cœur  à  Dieu. 

Devise  de  sainte  Zite, 

Sainte  Zite  eut  pour  parents  de  pauvres  laboureurs  de  Bozzanello,  vil- 
lage situé  sur  le  mont  Sagrati,  à  trois  lieues  de  Lucques.  Elle  naquit  en 
1218.  Pauvres  des  biens  de  la  fortune,  son  père  et  sa  mère  étaient  riches 
des  biens  de  l'âme  et  fervents  serviteurs  de  Dieu.  Avec  sainte  Zite,  ils  eurent 
deux  autres  enfants  qui  embrassèrent  la  vie  religieuse  et  moururent  en 
odeur  de  sainteté.  Parvenue  à  l'âge  de  douze  ans,  sainte  Zite  entra  comme 
servante  chez  un  seigneur  de  la  ville,  Pagano  de  Fatinelli,  dont  la  maison 
était  attenante  à  l'église  de  Saint-Frigidien.  Elle  ne  vit  dans  son  état  qu'une 
plus  grande  facilité  de  se  sanctifier,  puisqu'elle  était  à  portée  d'y  mener 
une  vie  laborieuse,  pénitente,  mortifiée,  et  de  ne  faire  jamais  sa  volonté. 
D'un  autre  côté,  elle  s'estimait  heureuse  d'avoir  toutes  les  choses  néces- 
saires à  la  vie,  sans  être  exposée  à  ces  troubles,  à  ces  agitations  qu'il  en 
coûte  ordinairement  pour  se  les  procurer.  Aimant  Dieu  par-dessus  toutes 
choses,  l'humble  servante  se  levait  de  bon  matin  pour  aller  répandre  son 
cœur  devant  le  Seigneur  et  assistera  la  sainte  messe.  Jésus  prit  en  affection 
cette  pauvre  fille  et  se  plut  à  orner  son  cœur  de  toutes  les  vertus.  Elle  fit 
de  rapides  progrès  dans  la  piété  et  l'on  vit  bientôt  briller  en  elle  toutes  les 
vertus,  l'humilité,  la  douceur,  la  modestie,  la  patience,  la  charité,  le  sup- 
port des  défauts  d'autrui.  Comme  il  n'arrive  que  trop  souvent,  les  autres 
serviteurs  de  la  maison  la  détestaient  à  cause  de  sa  piété  et  lui  firent  subir 
toutes  sortes  d'humiliations  que  la  servante  de  Dieu  supporta  avec  douceur 
et  résignation.  Dieu  inspira  à  sainte  Zite  le  désir  de  se  vouer  tout  entière  à 
lui;  elle  fit  vœu  de  virginité  et  mena  dès  lors  une  vie  pénitente  et  mortifiée. 
Vies  des  Saints.  —  Tome  V.  4 


50  27    AVRIL. 

Elle  réduisit  son  corps  en  servitude  pour  étouffer  ses  révoltes  ;  mais  la  ver- 
tueuse fille  sortit  triomphante  de  toutes  ces  tentations. 

Les  flammes  de  la  charité  que  la  communion  fréquente  allumait  au 
dedans  de  son  âme  se  répandaient  au  dehors  sur  les  pauvres.  Elle  saisissait 
toutes  les  occasions  de  leur  rendre  les  services  qui  étaient  en  son  pouvoir, 
et  Dieu  récompensa  souvent  par  des  miracles  éclatants  les  actions  de  sa  ser- 
vante. Il  y  eut  alors  une  famine  et  sainte  Zite,  touchée  de  la  misère  de  tous 
ceux  qui  venaient  frapper  à  la  porte  de  son  maître,  se  mit  sans  réfléchir  à 
leur  distribuer  des  fèves  qu'elle  allait  puiser  dans  un  grand  coffre,  puis  tout 
à  coup  en  pensant  qu'elle  n'avait  pas  demandé  à  son  maître  la  permission 
d'agir  ainsi,  elle  fut  saisie  de  crainte  et  pria  Dieu  d'écarter  d'elle  les  consé- 
quences de  son  action.  Le  seigneur  Fatinelli  voulut  en  ces  jours  faire  mesu- 
rer ce  qu'il  possédait  de  fèves.  Sainte  Zite  épouvantée  se  cachait  derrière  sa 
maîtresse  tout  en  s'étonnant  que  le  maître  ne  dît  rien.  Les  coffres  étaient 
pleins  comme  auparavant.  Sainte  Zite  remercia  le  Seigneur  de  sa  généro- 
sité. Dieu  ne  pouvait  rien  refuser  à  sa  servante,  il  suppléait  même  à  ce 
qu'elle  oubliait  parfois  de  faire,  absorbée  qu'elle  était  par  la  prière.  Un 
jour  qu'elle  était  restée  longtemps  à  l'église,  elle  s'aperçut  avec  terreur  que 
le  soleil  était  déjà  haut  sur  l'horizon:  or,  elle  devait  pétrir  ce  jour-là  et 
faire  cuire  le  pain  ;  elle  s'attendait  à  des  reproches,  mais  les  anges  avaient 
fait  sa  besogne,  elle  trouva  le  pain  prêt  à  mettre  au  four,  et  reconnut  à  la 
suave  odeur  qu'il  exhalait,  les  ouvriers  qui  l'avaient  fait.  Un  pèlerin  brûlé 
de  la  soif  et  de  la  chaleur,  lui  demanda  un  jour  l'aumône.  N'ayant  absolu- 
ment rien,  elle  ne  savait  que  faire  ;  tout  à  coup  elle  lui  dit  d'attendre  un 
instant,  va  puiser  de  l'eau  dans  un  vase,  la  lui  apporte  et  fait  dessus  le  signe 
de  la  croix.  Le  pèlerin,  en  ayant  goûté,  en  but  à  longs  traits  :  cette  eau  se 
trouvait  changée  en  un  vin  délicieux.  La  nourriture  qu'on  lui  assignait  à  la 
maison,  elle  y  touchait  rarement,  mais  réservait  le  tout  pour  quelque 
pauvre  ou  pour  quelque  malade.  Elle  avait  un  lit  convenable,  mais  c'était 
pour  y  réchauffer  les  pauvres  ;  pour  elle,  sa  couche  ordinaire  était  la  terre 
ou  une  planche.  Toutes  les  misères,  corporelles  ou  spirituelles,  excitaient 
en  elle  une  tendre  commisération.  C'était  l'usage,  quand  les  magistrats 
devaient  condamner  à  mort  un  criminel,  de  l'annoncer  par  le  son  des 
cloches.  A  ce  signal  la  pauvre  servante  se  mettait  en  prières  avec  larmes 
pendant  trois  ou  quatre  jours,  quelquefois  jusqu'à  sept,  pour  obtenir  au 
malheureux  le  salut  de  son  âme.  Cette  commisération  pour  les  condamnés 
à  mort,  elle  la  montra  encore  du  haut  du  ciel.  Un  paysan  du  royaume  de 
Naples,  ayant  été  pendu  pour  un  vol  dont  il  était  innocent,  elle  vint  le 
dégager  après  l'exécution. 

Douce,  humble,  soumise  envers  tout  le  monde,  Zite  était  d'un  courage 
intrépide  à  l'égard  des  libertins.  Un  des  domestiques  ayant  voulu  attenter  à 
sa  pudeur,  elle  lui  déchira  le  visage  avec  ses  ongles.  Pour  conserver  ce  pré- 
cieux trésor,  elle  joignit  une  prière  presque  continuelle  au  jeûne  et  à  la 
mortification.  Elle  se  levait  à  minuit,  assistait  à  Matines  dans  l'église  voisine 
de  Saint-Fridien,  y  priait  avec  larmes  pour  elle  et  pour  les  autres. 

Ces  exercices  de  piété  et  de  charité  n'empêchaient  point  Zite  de  servir 
ses  maîtres  avec  une  ponctualité  humble  et  affectueuse.  Quand  il  leur  arri- 
vait de  se  fâcher  contre  elle  ou  d'autres  personnes,  elle  se  jetait  à  leurs 
pieds,  quoiqu'il  n'y  eût  pas  de  sa  faute,  et  leur  demandait  humblement  par- 
don. Cette  humilité,  jointe  à  ses  autres  vertus,  leur  inspira  pour  elle  une 
religieuse  vénération.  Cependant  ils  ne  lui  avaient  pas  toujours  rendu  jus- 
tice :  on  traita  sa  modestie  de  stupidité  ;  son  exactitude  à  tous  ses  devoirs 


SAINTE   ZITE,   VIERGE.  51 

fut  regardée  comme  le  fruit  d'un  orgueil  secret.  La  signora  Fatinelli  se 
laissa  prévenir  contre  elle  par  les  autres  domestiques  qui  la  détestaient  : 
son  maître  la  honnissait  au  point  qu'il  ne  pouvait  la  voir  sans  entrer  dans  de 
violents  transports  de  fureur.  Plus  tard,  quand  ils  eurent  apprécié  le  trésor 
que  possédait  leur  maison,  ils  lui  confièrent  le  maniement  de  leurs  affaires. 
Un  mot  de  sa  bouche  suffisait  pour  calmer  le  signor  Fatinelli  dont  l'humeur 
était  fort  emportée.  Certes,  la  sainteté  n'est  pas  toujours  glorifiée  en  ce 
monde.  Zite  ne  prévoyait  pas  que  la  sienne  le  serait  :  autrement  elle  n'eût 
pas  été  sainte.  C'est  pourquoi  elle  fut  toujours  également  humble  et  soumise. 

Une  nuit  de  Noël,  qu'il  faisait  extrêmement  froid,  Zite  se  disposait  à  se 
rendre  à  Matines.  Son  maître  lui  dit  :  a  Comment  cours-tu  à  l'église  par  un 
temps  si  froid,  que  nous  pouvons  à  peine  nous  en  défendre  ici  avec  tous  nos 
vêtements?  toi  surtout,  épuisée  par  le  jeûne,  vêtue  si  pauvrement,  et  qui  vas 
t' asseoir  sur  un  pavé  de  marbre?  Ou  bien  reste  ici  pour  vaquer  à  tes  saintes 
oraisons,  ou  bien  prends  sur  tes  épaules  mon  manteau  à  fourrures  pour  te 
garantir  du  froid  ».  Zite,  ne  voulant  pas  manquer  à  un  office  aussi  solennel, 
s'en  allait  avec  le  manteau,  lorsque  le  maître  lui  dit,  comme  pressentant  ce 
qui  allait  arriver  :  «  Prends  garde,  Zite,  que  tu  ne  laisses  le  manteau  à  un 
autre,  de  peur  que,  s'il  est  perdu,  je  n'en  souffre  du  préjudice,  et  toi,  de 
grosses  fâcheries  de  ma  part  ».  Elle  lui  répondit  :  «  Ne  craignez  pas,  mon- 
sieur, votre  manteau  vous  sera  bien  gardé  ».  Entrée  dans  l'église,  elle  aper- 
çut un  pauvre  demi-nu,  qui  murmurait  tout  bas,  et  qui  grelottait  de  froid. 
Emue  de  compassion,  Zite  s'approche  et  lui  dit  :  «  Qu'avez-vous,  mon  frère, 
et  de  quoi  vous  plaignez-vous?  »  Lui,  la  regardant  d'un  visage  placide, 
étendit  la  main  et  toucha  le  manteau  en  question.  Aussitôt  Zite  l'ôte  de  ses 
épaules,  en  revêt  le  pauvre  et  lui  dit  :  «  Tenez  cette  pelisse,  mon  frère,  jus- 
qu'à la  fin  de  l'office,  et  vous  me  la  rendrez  ;  n'allez  nulle  part,  car  je  vous 
mènerai  à  la  maison  et  vous  chaufferai  près  du  feu  ».  Cela  dit,  elle  alla  se 
mettre  à  l'endroit  où  elle  priait  d'ordinaire.  Après  l'office,  et  quand  tout  le 
monde  fut  sorti,  elle  chercha  le  pauvre  partout,  au  dedans  et  au  dehors  de 
l'église,  mais  ne  le  trouva  nulle  part.  Elle  se  disait  en  elle-même  :  «  Où 
peut-il  être  allé  ?  Je  crains  que  quelqu'un  ne  lui  ait  pris  le  manteau,  et  que, 
de  honte,  il  n'ose  se  présenter  à  mes  yeux.  Il  paraissait  assez  honnête,  et  je 
ne  crois  pas  qu'il  ait  voulu  attraper  le  manteau  et  s'enfuir  ».  C'est  ainsi 
qu'elle  excusait  pieusement  le  pauvre.  Mais  enfin,  ne  l'ayant  pu  trouver, 
elle  revenait  un  peu  honteuse,  espérant  toujours  néanmoins  que  Dieu  apai- 
serait son  maître,  ou  inspirerait  au  pauvre  de  rapporter  le  manteau.  Quand 
elle  fut  de  retour  à  la  maison,  le  maître  lui  dit  des  paroles  très-dures,  lui  fit 
de  vifs  reproches.  Elle  ne  répondit  rien,  mais,  lui  recommandant  d'espérer, 
elle  lui  raconta  comment  la  chose  s'était  passée.  Il  entrevit  bien  comment 
la  chose  s'était  passée,  mais  ne  laissa  pas  de  murmurer  jusqu'au  dîner.  A  la 
troisième  heure,  voilà  sur  l'escalier  de  la  maison  un  pauvre  qui  charmait 
tous  les  spectateurs  par  sa  bonne  mine,  et  qui,  portant  le  manteau  dans  ses 
bras,  le  rendit  à  Zite,  en  la  remerciant  du  bien  qu'elle  lui  avait  fait.  Le 
maître  voyait  et  entendait  le  pauvre.  Il  commençait,  ainsi  que  Zite,  à  lui 
adresser  la  parole,  lorsqu'il  disparut  comme  un  éclair,  laissant  dans  leurs 
cœurs  une  joie  inconnue  et  ineffable,  qui  les  ravit  longtemps  d'admiration. 

On  a  cru  que  ce  vieillard  était  un  ange  ;  c'est  pourquoi  la  porte  de 
l'église  où  elle  rencontra  le  pauvre  au  manteau  a  été  depuis  appelée  la 
porte  de  l'Ange. 

Chaque  vendredi  elle  allait  en  pèlerinage  à  San-Angelo  in  Monte,  à  deux 
lieues  de  Lucques  ;  un  jour  qu'elle  avait  été  retenue  par  les  travaux  de  la 


52  27  avril. 

maison  plus  que  d'ordinaire,  elle  fut  surprise  par  la  nuit.  Un  cavalier  qui 
suivait  le  même  chemin  lui  prédit  qu'elle  périrait  dans  les  précipices  si  elle 
continuait  à  marcher  au  milieu  des  ténèbres  :  mais  quand  il  arriva,  il  fut 
bien  saisi  de  trouver  à  la  porte  de  l'église  celle  qu'il  croyait  avoir  laissé  loin 
derrière  lui.  Sainte  Zite  avait  un  grand  amour  pour  sainte  Marie-Made- 
leine et  pour  saint  Jean  l'Evangéliste  ;  une  veille  de  fête  de  la  première,  elle 
voulut  aller  faire  brûler  un  cierge  devant  son  autel  dans  une  église  assez 
éloignée  de  Lucques.  Elle  arriva  tard  et  trouva  les  portes  fermées  ;  elle 
alluma  son  cierge,  se  mit  à  genoux  et  s'endormit.  La  nuit,  un  orage  terrible 
s'éleva,  la  pluie  tomba  par  torrents,  et  la  Sainte  reposait  :  quand  elle  se 
réveilla,  les  rues  étaient  couvertes  d'eau,  mais  elle  n'avait  pas  même  été 
touchée  par  une  goutte  de  pluie,  et  son  cierge  brûlait  encore.  Les  portes 
alors  s'ouvrirent  devant  elle,  et  quand  le  curé  arriva  pour  dire  la  messe,  il 
trouva  la  Sainte  en  prières  dans  cette  église  qui  n'avait  pas  été  ouverte 
depuis  la  veille  au  soir.  Nous  pourrions  rapporter  beaucoup  de  faits  sem- 
blables, ils  serviraient  à  prouver  de  plus  en  plus  la  protection  toute  parti- 
culière dont  le  ciel  entourait  sa  servante.  Ses  dernières  années  se  passèrent 
dans  une  prière  et  une  extase  presque  continuelles.  Elle  mourut  âgée  de 
soixante  ans,  le  27  avril  1278,  après  avoir  reçu  les  derniers  Sacrements  avec 
une  ferveur  extraordinaire  :  elle  n'avait  servi  qu'un  seul  maître.  Aussitôt 
qu'elle  eut  rendu  le  dernier  soupir,  une  étoile  brillante  parut  au-dessus 
de  la  maison  où  reposait  son  corps,  et  les  enfants  se  mirent  à  crier  dans  les 
rues  :  la  Sainte  est  morte,  allons  voir  la  Sainte  dans  la  maison  de  Fatinelli. 
Toute  la  ville  vint  rendre  hommage  à  la  vertu  de  l'honorable  servante  que 
Dieu  venait  de  glorifier  en  la  rappelant  à  lui. 

Les  miracles  se  multiplièrent  tellement  au  tombeau  de  sainte  Zite,  que, 
quatre  ans  après  sa  mort,  l'évêque  permettait  qu'on  l'honorât  d'un  culte 
public.  Ce  culte  s'est  rapidement  répandu  et  dans  sa  patrie  et  dans  toute 
l'Europe.  Le  cercueil  de  sainte  Zite  fut  ouvert  par  trois  fois  différentes  en 
1446, 1581, 1652,  et  on  trouva  le  corps  qu'il  renfermait  parfaitement  intact  ; 
il  était  encore  en  1841  dans  un  état  parfait  de  conservation,  tel  que  les  Bol- 
landistes  le  décrivaient  dans  les  Acia  Sanctorum  au  xvne  siècle  :  il  est  en- 
châssé et  gardé  avec  beaucoup  de  respect  dans  l'église  Saint-Fridien.  En 
1696,  Innocent  XII  a  consacré  le  culte  qu'on  rendait  à  sainte  Zite  et  publié 
un  décret  de  béatification. 

On  lui  donne  pour  attributs  un  trousseau  de  clefs  suspendu  à  sa  ceinture 
et  une  cruche  :  les  clefs  rappellent  qu'elle  fut  investie  de  la  confiance  de 
ses  maîtres  après  avoir  été  l'objet  de  leurs  mauvais  traitements,  et  la 
cruche,  le  miracle  qu'elle  fit  de  changer  l'eau  en  vin  au  bénéfice  des 
pauvres.  —  On  montre  encore  à  Lucques  le  puits  où  elle  prit  de  l'eau 
pour  faire  ce  miracle.  —  On  l'a  aussi  représentée  debout  devant  les 
portes  de  la  ville,  et  la  sainte  Vierge  venant  lui  ouvrir  le  guichet.  La  miséri- 
cordieuse Marie  dut  rendre  ce  service  à  sa  servante  un  soir  que  celle-ci 
s'était  attardée  à  ses  bonnes  œuvres.  Une  bonne  vieille  gravure  allemande, 
que  nous  avons  sous  les  yeux,  la  représente  sous  les  traits  d'une  jeune  fille 
accorte,  revêtant  le  vieillard  de  la  pelisse  de  son  maître. 

Sainte  Zite  est  la  patronne  de  Lucques  ;  elle  l'était  aussi  de  toute  la 
république  de  ce  nom,  quand  elle  existait. 

Les  servantes  et  les  femmes  de  charge  l'invoquent  comme  leur  modèle 
et  leur  particulière  protectrice. 

De  la  chaumière  du  mont  Sagrati ,  qui  avait  abrité  le  berceau  de 
l'humble  Sainte,  on  a  fait  une  chapelle  qui  lui  est  dédiée. 


LE  BIENHEUREUX  PIERRE  ARMENGOL.  53 

On  a  recueilli  plusieurs  maximes  spirituelles  de  sainte  Zite  :  en  voici  deux 
qui,  tout  en  exprimant  des  vérités  connues,  les  mettent  parfaitement  en 
relief  :  «  Une  servante  paresseuse  »,  disait-elle,  «  ne  doit  pas  être  appelée 
pieuse;  une  personne  de  notre  condition,  qui  affecte  d'être  pieuse,  sans  être 
essentiellement  laborieuse,  n'a  qu'une  fausse  piété  ». 

«  Travailler,  c'est  prier  »,  disait-elle  encore  souvent. 

Terminons  par  cet  éloge  de  l'un  de  ses  historiens  :  «  Zite  avait  la  piété 
des  Saints,  qui  ne  se  contente  pas  de  quelques  pratiques  extérieures,  mais 
qui  pénètre  les  profondeurs  de  l'âme.  Elle  n'était  pas  de  celles  qui  sont 
plus  promptes  à  prier  qu'à  pardonner;  à  aller  à  l'église,  qu'à  vaquer  aux 
devoirs  de  leur  état  ;  à  donner  une  aumône  qu'à  réprimer  leur  langue  ou  à 
dompter  leurs  passions  ». 

Stolz,  Rohrbacher,  et  autres  hagiographes. 


LE  BIENHEUREUX  PIERRE  ARMENGOL 


1304.  —  Pape  :  Saint  Benoit  XI. 

I«a  patience,  c'est  le  martyre. 

Saint  Bonav.,  Serm.  m  de  saneto  Andréa. 

Pierre  Armengol  appartenait  à  une  famille  noble  et  craignant  Dieu.  Son 
père,  don  Arnaldo  Armengol  de  Moncada,  était  de  la  famille  des  comtes 
d'Urgel,  alliée  à  celle  des  rois  de  Gastille.  Sa  jeunesse  ne  fit  pas  présager 
que  plus  tard  il  deviendrait  un  Saint,  car  il  se  fit  bandit  et  chef  de  bandits. 
Les  desseins  de  Dieu  sont  impénétrables,  car  on  voit,  en  1258,  ce  voleur  de 
grands  chemins  se  faire  moine  et  entrer  à  Barcelone  dans  un  couvent  de  la 
Merci.  Comprenant  la  nécessité  de  réparer  sa  vie  passée,  il  se  livra  à  de 
rudes  et  austères  pénitences  et  traita  son  corps  en  ennemi. 

La  longue  persévérance  de  Pierre  dans  le  bien,  son  obéissance  ponc- 
tuelle, son  humilité  profonde,  sa  piété  exemplaire  et  sa  rigoureuse  péni- 
tence, inspirèrent  à  ses  supérieurs  tant  de  confiance  en  lui,  qu'ils  le  donnè- 
rent pour  compagnon  à  d'autres  religieux  de  l'Ordre  chargés  d'aller  parmi 
les  infidèles  traiter  de  la  rédemption  des  captifs.  Il  fit  ses  premiers  essais 
dans  les  royaumes  de  Grenade  etdeMurcie,  qui  gémissaient  alors  sous  la  ty- 
rannie des  Maures.  Le  Bienheureux  montra,  en  ces  négociations  délicates, 
tant  de  charité,  de  prudence  et  de  zèle  que  ses  confrères,  les  esclaves,  et  les 
infidèles  eux-mêmes,  conçurent  pour  lui  une  haute  estime. 

Les  succès  qui  avaient  couronné  les  premiers  travaux  du  saint  religieux 
déterminèrent  le  général  de  l'Ordre  à  lui  confier  une  Rédemption  et  à  l'en- 
voyer à  Alger.  Il  s'y  rendit,  et  Dieu  bénit  tellement  ses  efforts  qu'en  moins 
de  deux  mois  il  racheta  trois  cent  quarante-six  captifs,  qu'il  fit  partir  aus- 
sitôt pour  l'Espagne,  sous  la  conduite  de  quatre  de  ses  confrères.  Quant  à 
lui,  il  resta  parmi  les  Maures  avec  le  vénérable  Guillaume,  son  compagnon, 
parce  qu'il  voulait  aller  à  Bougie,  ville  des  états  d'Alger,  pour  y  délivrer 
quelques-uns  de  ses  frères  qui  y  étaient  restés  en  otage,  et  briser  les  fers  de 
cent  dix-neuf  chrétiens  qui,  par  les  cruels  traitements  qu'ils  éprouvaient, 
étaient  en  danger  d'apostasier.  Pierre  fit  en  effet  ce  voyage,  et  procura  la 


54  27  avril. 

liberté  à  tous.  Heureux  d'avoir  pu  réussir  dans  sa  pieuse  entreprise,  il  ne 
songeait  qu'à  retourner  en  Europe,  et  il  était  près  de  s'embarquer,  lorsqu'on 
l'avertit  que  dix-buit  enfants  chrétiens  se  trouvaient  très-exposés  à  perdre 
en  même  temps  la  foi  et  les  mœurs,  si  on  les  laissait  davantage  entre  les 
mains  de  patrons  impies  et  corrompus  qui,  par  leurs  cruautés  envers  ces 
malheureux  enfants,  les  avaient  presque  réduits  à  apostasier  et  à  devenir 
les  victimes  de  leurs  débauches.  A  cette  triste  nouvelle,  le  cœur  charitable 
du  saint  religieux  est  ému  de  compassion  :  il  court  au  lieu  où  se  trouvaient 
ces  jeunes  esclaves  ;  il  les  exhorte  à  résister  courageusement  à  toutes  les  ten- 
tatives de  séduction  qu'on  emploierait  pour  les  perdre;  il  les  embrasse  avec 
tendresse,  et  finit  par  leur  promettre  de  leur  procurer  la  liberté  aux  dépens  de 
la  sienne,  et  de  sa  vie  même,  s'il  le  fallait,  pourvu  qu'ils  conservent  fidèlement 
la  foi  qu'ils  avaient  reçue  au  baptême.  En  ayant  obtenu  d'eux  l'assurance, 
il  se  rend  chez  les  patrons,  et  traite  avec  eux  de  la  rançon  des  enfants, 
moyennant  la  somme  de  mille  ducats  ;  mais  comme  il  n'avait  plus  d'argent, 
il  propose  de  rester  en  otage,  et  même  esclave,  jusqu'au  moment  où  le  reli- 
gieux qui  allait  conduire  les  autres  chrétiens  reviendrait  et  rapporterait  la 
somme  convenue.  Sa  proposition  ayant  été  agréée,  les  enfants  sont  rendus 
à  la  liberté  et  embarqués  pour  l'Espagne  avec  leurs  compatriotes. 

La  captivité  volontaire  du  serviteur  de  Dieu  à  Bougie  lui  fournit  des  oc- 
casions fréquentes  d'exercer  la  charité  dont  son  cœur  était  embrasé.  Il  ne 
se  contenta  pas  d'exhorter  les  esclaves  chrétiens  à  la  fidélité  envers  Dieu,  il 
instruisit  aussi  plusieurs  Maures  des  vérités  de  la  religion;  et  en  ayant  con- 
verti quelques-uns,  il  leur  procura  la  grâce  du  baptême.  La  chose  ne  put 
être  si  secrète  que  les  zélés  sectateurs  de  Mahomet  n'en  fussent  avertis  ;  il 
n'en  fallut  pas  davantage  pour  faire  arrêter  le  saint  religieux,  et  le  faire 
jeter  dans  une  noire  prison,  où  l'on  devait  le  laisser  mourir  de  faim.  Mais 
les  Turcs  qui  lui  avaient  vendu  les  jeunes  esclaves,  voyant  qu'il  ne  les  payait 
pas,  parce  que  l'argent,  qu'il  leur  avait  promis,  éprouvait  quelque  retard  à 
arriver,  l'accusèrent  d'être  un  espion  envoyé  par  les  rois  chrétiens  pour  con- 
naître l'état  du  pays,  et  le  firent  condamner  à  être  pendu. 

Cette  injuste  sentence  reçut  aussitôt  son  exécution.  On  conduisit  Pierre 
hors  de  la  ville,  et  il  fut  attaché  à  une  potence.  Le  bourreau  le  secoua 
longtemps  et  ne  le  quitta  que  lorsqu'il  le  crut  expiré.  Les  patrons  dont  il 
était  le  débiteur  demandèrent  que  son  cadavre  restât  suspendu  et  qu'il  ser- 
vît de  pâture  aux  oiseaux  de  proie.  Il  y  était  effectivement  depuis  six  jours, 
lorsque  le  P.  Guillaume  Florentin,  son  compagnon,  arriva  d'Espagne  à 
Bougie,  apportant  avec  lui  l'argent  pour  la  rançon.  Quelle  fut  sa  douleur, 
lorsqu'il  apprit  que  le  Saint  avait  été  condamné  à  mort  et  exécuté  !  Il  se 
rend  au  lieu  du  supplice  en  versant  des  larmes  abondantes  ;  mais,  ô  pro- 
dige !  Pierre,  que»l'on  jugeait  mort  depuis  longtemps,  lui  adresse  ces  pa- 
roles :  «  Cher  frère,  ne  pleurez  pas  ;  je  vis,  soutenu  par  la  sainte  Vierge  qui 
m'a  assisté  tous  ces  jours-ci  ».  Le  P.  Guillaume,  rempli  d'une  joie  difficile  à 
décrire,  détache  du  gibet  le  bienheureux  Martyr,  en  présence  de  toute  la 
ville,  qui  était  accourue  pour  voir  cette  merveille,  et  de  plusieurs  matelots 
espagnols  montant  le  navire  qui  venait  d'amener  ce  père.  Le  divan,  au  lieu 
de  laisser  remettre  l'argent  de  la  rançon  aux  barbares  patrons  qui  l'avaient 
exigé  avec  tant  de  rigueur,  en  acheta  vingt-six  esclaves,  qui  furent  remis  au 
Saint  et  à  son  compagnon,  et  tous  ensemble  partirent  aussitôt  pour  l'Es- 
pagne. 

Depuis  ce  temps,  le  serviteur  de  Dieu  eut  le  cou  de  côté,  et  le  visage 
d'une  pâleur  très-grande  ;  le  Seigneur,  sans  doute,  le  permettant  ainsi  pour 


SAINT   ANASTASE  I",   PAPE.  55 

prouver  la  vérité  du  miracle.  Plein  de  reconnaissance  envers  la  sainte  Vierge, 
à  laquelle  il  devait  sa  conservation,  il  voulut  se  retirer  en  un  couvent  soli- 
taire qui  lui  était  dédié  sous  le  titre  de  Notre-Dame  des  Prés.  Il  y  passa  dix 
années  dans  l'exercice  continuel  de  la  prière  et  de  la  pénitence.  Du  pain  et 
de  l'eau  faisaient  sa  seule  nourriture.  La  réputation  de  sa  sainteté  et  le 
bruit  du  miracle  dont  il  avait  été  l'objet  attirèrent  bientôt  dans  sa  solitude 
un  grand  nombre  de  personnes  qui  venaient  le  voir  et  réclamer  son  secours  : 
il  les  recevait  avec  bonté,  les  soulageait  et  les  guérissait  de  leurs  infirmités. 
On  le  voyait  parfois  ravi  en  extase  et  goûter  dès  ici-bas  ces  consolations  sen- 
sibles que  Dieu  réserve  aux  plus  fidèles  de  ses  amis.  Lorsqu'il  rappelait  son 
martyre,  il  avait  coutume  de  dire  ces  paroles  à  ses  frères  :  «  Croyez-moi  ; 
je  pense  n'avoir  vécu  que  le  peu  de  jours  beureux  que  j'ai  passés  au  gibet, 
parce  que  alors  je  me  croyais  mort  au  monde  ».  Favorisé  du  don  de  pro- 
phétie, il  prédit  plusieurs  événements  qui  eurent  lieu  comme  il  les  avait 
annoncés.  Il  prédit  aussi  sa  mort  quelques  jours  avant  qu'elle  arrivât.  Une 
grave  maladie  l'ayant  réduit  à  l'extrémité,  il  reçut  les  Sacrements  de  l'Eglise, 
et  rendit  ensuite  son  âme  à  son  Créateur,  en  disant  ces  paroles  :  «  Je  plai- 
rai au  Seigneur  dans  la  terre  des  vivants  ».  Le  27  avril  1304  fut  le  jour  de 
son  bienheureux  trépas.  Plusieurs  miracles  opérés  par  son  intercession,  en 
prouvant  sa  sainteté,  contribuèrent  à  lui  faire  rendre  un  culte  public.  Ce 
culte  fut  approuvé  par  le  pape  Innocent  XI  le  28  mars  1686,  et  Benoît  XIV 
a  inséré  le  nom  de  saint  Pierre  Armengol  dans  le  Martyrologe  romain. 

Ses  attributs  dans  les  arts,  sont  la  corde  et  le  gibet  :  une  main,  celle  de 
la  sainte  Vierge,  le  soutient  par  les  pieds. 

AA.  SS.,  sept. 


SAINT  ANASTASE  Ier,  PAPE  (401). 

Anastase,  romain  d'origine,  était  fils  de  Maxime,  et  fut,  après  la  mort  de  Sirice,  ordonné 
évêque  de  Rome.  Pendant  qu'il  gouvernait  avec  éclat,  l'hérésie,  accréditée  sous  le  nom  d'Oiigène, 
partie  des  régions  de  l'Orient,  vint  fondre  sur  l'Eglise  comme  une  violente  tempête,  et  menaça  de 
troubler  la  pure  doctrine  et  d'ébranler  la  vrate  foi.  Mais  homme  d'une  très-riche  pauvreté  et 
d'une  sollicitude  apostolique,  Anastase,  ayant  vu  le  monstre  de  l'erreur  lever  sa  tête  funeste,  se 
hâta  de  lui  porter  un  coup  mortel  ;  il  fit  taire  tous  les  sifflements  de  l'hydre.  Les  hérétiques  eurent 
beau  se  cacher,  il  sut  les  faire  sortir  de  leurs  retraites  obscures  ;  par  ses  lettres,  il  condamna  en 
Occident  ce  qui  avait  été  déjà  condamné  en  Orient.  Le  zèle  ne  lui  lit  jamais  défaut  pour  veiller  à 
la  garde  de  la  foi  de  ses  peuples.  Aucune  province  de  son  empire  spirituel,  en  quelque  lieu  de  la 
terre  qu'elle  fût  située,  n'échappait  à  sa  surveillance  :  ses  lettres  allaient  partout  prévenir  les 
fausses  doctrines,  ou  les  anéantir. 

Un  concile  de  l'église  d'Afrique  lui  envoya,  ainsi  qu'à  Vénérius,  évêque  de  Milan,  un  évêque 
en  députation  pour  obtenir  du  secours  en  faveur  de  cette  Eglise  alors  affligée  d'une  grave  disette 
de  ministres  sacrés,  et  exposée  à  voir  périr  un  grand  nombre  d'âmes  au  milieu  de  populations 
plongées  dans  la  misère,  parmi  lesquelles  on  n'aurait  pas  trouvé  même  un  diacre  ou  un  homme 
lettré.  Anastase  écrivit  à  ces  mêmes  évèques  d'Afrique,  les  exhortant  avec  la  sollicitude  et  la  sin- 
cérité d'une  charité  paternelle  et  fraternelle  tout  ensemble,  à  s'opposer  ouvertement  et  avec 
vigueur  aux  pièges  et  aux  fraudes  perverses  dont  se  servaient  les  Donatistes  pour  faire  la  guerre  à 
l'Eglise  catholique.  Ce  fut  par  l'autorité  de  ce  Pontife  que  l'on  décida  que  les  évêques  donatistes, 
et  les  clercs  de  tous  ordres  seraient  reçus  dans  l'unité  catholique,  pour  y  exercer  les  offices  ecclé- 
siastiques selon  qu'il  paraîtrait  expédient  à  ceux  qui  avaient  intérêt  pour  leur  salut  à  l'exercice  ou 
à  la  suspension  de  leur  ministère. 

Il  arrêta  que  nul  homme  d'outre-mer  ne  serait  admis  à  l'honneur  de  la  cléricature  sans  une 
lettre  signée  par  cinq  évêques.  11  régla  que  la  lecture  des  saints  évangiles  serait  faite  par  les 


56  28  avril. 

prêtres,  non  pas  assis,  mais  debout  et  inclinés.  Il  construisit,  dans  la  ville  de  Rome,  la  basilique 
Crescentienne,  située  dans  la  deuxième  région,  sur  la  voie  Mamertine.  En  deux  ordinations  faites 
au  mois  de  décembre,  il  créa  huit  prêtres,  cinq  diacres  et  des  évêqnes  pour  divers  diocèses  ;  enfin 
il  s'endormit  en  paix,  et  fut  enseveli  dans  le  cimetière  de  l'Orso  Pileato  1,  sous  les  empereurs 
Arcadius  et  Honorius.  Saint  Jérôme  écrit  que  l'Eglise  n'eut  pas  longtemps  le  bonheur  de  le  posséder, 
de  peur  que  Rome,  la  tète  du  monde,  ne  tombât  sous  un  si  grand  évèque  :  il  fut  ravi  et  trans- 
porté dans  l'autre,  afin  qu'il  n'entreprit  pas  de  s'opposer  par  ses  prières  à  l'exécution  d'une  sen- 
tence irrévocable  :  car,  peu  de  temps  après  sa  mort,  Rome  fut  prise  par  les  Goths  et  saccagée. 

Propre  de  Rome. 


XXVIII*  JOUR  D'AVRIL 


MARTYROLOGE  ROMAIN. 

A  Ravenne,  la  naissance  au  ciel  de  saint  Vital,  martyr,  père  de  saint  Gervais  et  de  saint  Pro- 
tais, lequel,  ayant  enlevé  et  enseveli  avec  l'honneur  qui  lui  était  dû  le  corps  de  saint  Ursicin,  fut 
arrêté  par  le  consulaire  Paulinus,  et,  après  le  supplice  du  chevalet,  fut  jeté  dans  une  fosse  pro- 
fonde où  on  l'accabla  de  terre  et  de  pierres,  et,  par  ce  martyre,  il  passa  de  ce  monde  dans  le  sein 
du  Christ.  171.  —  A  Milan,  sainte  Valérie,  martyre,  épouse  de  saint  Vital,  n6  s.  —  A  Àtino, 
saint  Marc,  qui  fut  ordonné  évèque  par  le  bienheureux  apôtre  Pierre,  prêcha  le  premier  l'Evangile 
aux  Equicoles  (habitants  de  la  campagne  de  Rome),  et  reçut  la  couronne  du  martyre  sous  le  pré- 
sident Maxime,  dans  la  persécution  de  Domitien.  82.  —  A  Alexandrie,  le  supplice  de  sainte  Théo- 
dora,  vierge,  qui,  ayant  refusé  de  sacrifier  aux  idoles,  fut  enfermée  dans  un  lieu  infâme,  d'où 
par  une  admirable  faveur  de  Dieu,  un  des  frères,  nommé  Didyme,  la  retira  promptement,  ayant 
changé  de  vêtements  avec  elle.  Quelque  temps  après,  ils  fureut  exécutés  et  couronnés  ensemble, 
dans  la  persécution  de  Dioclétien,  sous  le  président  Eustrate.  304.  —  Le  même  jour,  les  saints 
martyrs  Aphrodise,  Caralippe,  Agape  et  Eusèbe.  65.  —  Dans  la  Pannonie  (Hongrie),  saint  Pol- 
lion,  martyr  sous  l'empereur  Dioclétien  2.  304.  —  A  Rruse,  en  Bithynie,  les  saints  martyrs  Patrice, 
évèque,  Acace,  Ménandre  et  Polyène.  me  s.  —  A  Tarazona,  en  Espagne,  saint  Prudence,  évèque 
et  confesseur.  Avant  846.  —  A  Pentina,  ville  de  l'Abruzze,  saint  Pamphile,  évèque  de  Valva, 
illustre  par  sa  charité  pour  les  pauvres  et  par  le  don  des  miracles.  Son  corps  fut  enseveli  à  Sul- 
moua.  vne  s. 

MARTYROLOGE    DE   FRANCE,    REVU   ET  AUGMENTÉ. 

A  Noyon,  saint  Emon  ou  Imon,  évèque,  massacré  par  les  Danois  idolâtres,  en  haine  de  la  reli- 
gion. —  Au  diocèse  de  Laon,  sainte  Probe,  vierge  et  martyre,  dont  les  ossements  sacrés  ont  été 
transférés  avec  ceux  de  sainte  Germaine,  vierge,  du  village  de  la  Capelle,  au  monastère  de  Hénin- 
Liétard,  de  l'Ordre  de  Saint-Augustin,  en  Hainaut.  iva  s.  —  En  Poitou,  à  Géré,  près  de  Passa- 
vant, saint  Francaire,  confesseur,  père  de  saint  Hilaire  3.  — A  Sens,  saint  Arthème,  évèque.  609. 
—  A  Liège,  la  célèbre  translation  du  chef  de  saint  Lambert.  —  A  Gap,  l'octave  et  la  translation 
de  saint  Marcellin.  —  A  Avesnes,  près  de  Reims,  saint  Gombert4,  seigneur  champenois  et  mari 
de  sainte  Berthe,  lequel,  s'étant  retiré  près  de  l'Océan  et  y  ayant  bâti  un  monastère,  fut  mis  à 
mort  pour  la  foi  par  les  idolâtres.  Son  corps  a  été  rapporté  à  Avesnes,  dans  le  monastère  des 
religieuses  qu'il  avait  fondé.  —  A  Rodez,  la  fête  de  saint  Affrique,  évèque  de  Comminges.  — 
A  Clairvaux,  le  bienheureux  Robert,  né  à  Rruges  de  la  noble  famille  de  Gruthuysen,  d'abord  abbé 

1.  Ainsi  dénommé  d'un  joueur  de  paume  qui  s'appelait  Ursus  Pileatus  et  qui  avait  en  cet  endroit  son 
mausolée. 

2.  Saint  Pollion  était  lecteur  de  l'église  de  Cibales,  patrie  de  Valentinien.  Il  souffrit,  à  quelques  an- 
nées de  distance,  le  même  jour  que  saint  Eusèbe,  son  évèque,  dont  nous  citons  le  nom  dans  les  mentions 
diverses  ci-après,  p.  57.  Voir  Dora  Ruinart. 

3.  Voyez  au  21  septembre.  --  4.  Voir  la  Vie  de  saint  Gombert  au  l«r  mal. 


MARTYROLOGES.  57 

de  Notre-Dame  de  Dunes  et  ensuite  successeur  de  saint  Bernard  dans  l'abbaye  de  Clairvaux.  Saint 
Bernard,  étant  sur  le  point  d'aller  à  Dieu,  avait  déclaré  que  Robert  était  le  plus  digne  de  lui 
succéder.  Samedi  saint  de  l'an  115t.  —  A  Langres,  la  vénérable  Anne  de  La  Vesvre,  fondatrice 
du  monastère  des  Ursulines  de  cette  ville,  morte  à  l'âge  de  trente-six  ans.  Elle  eut  le  don  des 
miracles.  1616.  —  A  Saint-Laurent-sur-Sevre,  départ  de  ce  monde  du  vénérable  Louis-Marie 
Grignon  de  Montfort1.  1716.  —  En  Océanie,  le  vénérable  Louis-Marie  Chanel,  prêtre  de  la  So- 
ciété des  Maristes,  pro-vicaire  apostolique  de  l'Océanie  occidentale  et  premier  martyr  de  cette 
partie  du  monde  2.  23  avril  1841.  —  A  Cambron,  le  bienheureux  Gérard  de  Bourgogne,  deuxième 
abbé  de  ce  monastère  et  successeur  du  bienheureux  Fastrède.  1172.  —  A  Versailles,  fête  de  saint 
Gauthier,  abbé  de  Saint-Martin  de  Pontoise.  1099. 

MARTYROLOGES  DES  ORDRES  RELIGIEUX. 

Martyrologe  des  Camaldules  et  de  Vallombreuse.  —  Saint  Clet  et  saint  Marcellin. 

Martyrologe  des  Dominicains.  —  La  fête  du  patronage  de  saint  Joseph,  époux  de  la  bieo^ 
heureuse  Vierge  Marie,  Mère  de  Dieu. 

Martyrologe  des  Franciscains.  —  A  Poggibonzi,  en  Toscane,  le  bienheureux  Ldce  ou  Lu- 
chési,  confesseur,  qui,  converti  à  une  meilleure  vie  et  revêtu  de  l'habit  du  Tiers  Ordre  par  saint 
François,  fit  de  dignes  fruits  de  pénitence,  et,  après  sa  mort,  brilla  par  la  gloire  des  miracles. 
1232! 

Martyrologe  des  Augustins.  —  A  Sienne,  en  Toscane,  le  bienheureux  Augustin  Novello, 
confesseur  de  notre  Ordre,  qui  était  d'une  si  grande  humilité  que,  nommé  général  de  tout  l'Ordre 
et  forcé  d'accepter  cette  fonction  par  le  souverain  Pontife,  il  s'en  démit  après  deux  ans,  se 
retira  au  désert  de  Saint-Léonard,  où  il  s'endormit  dans  le  Seigneur,  comblé  de  toutes  les  vertus. 

Martyrologe  des  Capucins.  —  A  Avila,  en  Espagne,  au  couvent  des  Arènes,  la  translation  de 
saint  Pierre  d'Alcantara,  confesseur,  de  l'Ordre  des  Mineurs,  d'un  tombeau  privé  à  un  monument 
public,  construit  par  l'évèque  de  cette  ville,  à  ses  dépens,  en  même  temps  qu'une  belle  chapelle. 

—  La  fête  du  patronage  de  saint  Joseph.  —  Le  second  jour  des  Rogations,  à  Alcara,  en  Es- 
pagne, la  translation  du  corps  de  saint  Didace,  confesseur,  de  l'Ordre  des  Mineurs,  lequel  fut 
trouvé,  deux  cents  ans  après  sa  mort,  entier,  non  corrompu,  souple  et  exhalant  une  odeur  suave. 

ADDITIONS   FAITES   D'APRÈS   LES   BOLLANDISTES   ET  AUTRES   HAGIOGRAPHES. 

A  Corcyre,  île  de  la  mer  Ionienne,  les  saints  Zenon,  Eusèbe,  Néon,  Vitalius,  martyrs  convertis 
par  Jason  et  Sosipater,  apôtres  de  l'île  de  Corfou  ;  ils  rendirent  l'âme  dans  la  chaufferie  d'une 
forge.  Vers  l'an  100.  — ACibales3,  en  Hongrie,  avec  saint  Pollion,  mentionné  ci-dessus,  les 
saints  Eusèbe,  évèque,  et  Tiballe,  tous  deux  martyrs,  sous  Dioclétien.  —  A  Alexandrie,  saint  Vic- 
turin,  martyr.  —  Avec  les  saints  Aphrodise,  Caralippe,  Eusèbe  et  Agape,  sainte  Maline  et  cent 
soixante-dix  autres.  —  Et  ailleurs,  les  saints  martyrs  Cyrille,  Aquila,  Pierre  Domitiana  et  Rufus. 

—  En  Afrique,  les  saints  Manille,  Donat,  Maurille,  Lucien,  Victorin,  Nice,  vierge,  et  soixante- 
douze  autres  ;  de  plus,  un  autre  saint  Lucien  avec  deux  cent  soixante-dix  autres,  tous  martyrs.  — 

—  A  Lésina,  ancienne  ville  d'Apulie,  aujourd'hui  détruite,  les  saints  Alexandre,  Firmien,  Primien 
et  Tellure,  martyrs.  Leurs  corps,  levés  de  terre,  partie  en  598,  partie  en  1598,  ont  été  transférés 
à  Naples,  où  on  les  honore  dans  l'église  de  l'Annonciade.  —  Chez  les  Grecs,  saint  Memnon,  thau- 
maturge. —  En  Irlande,  saint  Cronan,  abbé  du  monastère  de  Roscrea,  fondé  par  lui.  Il  eut  le 
titre  d'évèque.  Vers  l'an  640.  —  Fête  de  saint  Paul  de  la  Croix,  instituteur  des  Passionistes.  Cette 
fête  a  été  étendue,  en  1872,  à  tout  l'univers  catholique  *. 

1.  Voir  sa  Vie  dans  le  volume  consacré  aux  Vénérables  et  personnes  contemporaines  mortes  en  odeur 
de  sainteté. 

2.  Voir  sa  vie  dans  le  volume  consacré  aux  Vénérables. 

3.  Cibales,  située  entre  la  Save  et  la  Drave,  est  détruite  depuis  longtemps.  C'était  la  patrie  de  Valen- 
tinien. 

4.  Voir  sa  vie  au  1G  novembre. 


58  28  avril. 

SAINTE  THÉODORA  ET  SAINT  DLDYME,  MARTYRS 

304.  —  Pape  :  Saint  Marcellin.  —  Empereur  :  Dioclétien. 


Votre  cœur  est  fort,  parce  que  tous  aimez  la  chastjt*. 
Judith,  xv,  11. 

Eustratius  Proculus,  préfet  augustal  d'Alexandrie,  se  fit  amener  la  vierge 
Théodora  à  son  tribunal.  Il  commença  l'interrogatoire  par  lui  demander  de 
quelle  condition  elle  était.  «  Je  suis  chrétienne  »,  répondit  Théodora. — 
Le  Préfet  :  «  Etes-vous  esclave  ou  de  condition  libre?  » — Théodora  :  «  Je  suis 
chrétienne.  Jésus-Christ  venant  au  monde  m'a  affranchie,  et  d'ailleurs  je 
suis  née  de  parents  que  le  monde  appelle  libres  ».  —  Le  Préfet  :  «  Qu'on 
fasse  venir  le  curateur  de  la  ville  ».  —  Lorsqu'il  fut  arrivé,  le  Préfet  lui  de- 
manda ce  qu'il  savait  de  Tbéodora.  Il  dit  qu'il  la  connaissait  pour  être  libre 
et  d'une  très-bonne  famille  de  la  ville.  Le  Préfet,  adressant  la  parole  à 
Théodora  :  «  Pourquoi,  étant  née  de  parents  nobles,  n'êtes-vous  point  ma- 
riée ?»  —  Théodora  :  a  C'est  pour  plaire  à  Jésus-Christ.  En  se  faisant  homme, 
il  nous  a  délivrés  de  la  corruption,  et  j'espère  qu'il  m'en  préservera,  si  je  suis 
fidèle  » . — Le  Préfet  :  «  Les  empereurs  ordonnent  que  les  vierges  sacrifient  aux 
dieux  ou  soient  exposées  dans  un  lieu  de  prostitution».  —  Théodora  :  «  Je 
crois  que  vous  n'ignorez  pas  que  Dieu,  dans  chaque  action,  regarde  la  vo- 
lonté ;  si  donc  je  persiste  dans  la  résolution  de  conserver  mon  âme  pure,  je 
ne  serai  point  coupable  de  la  violence  qu'on  pourra  me  faire». — Le  Préfet: 
«  Yotre  naissance  et  votre  beauté  m'inspirent  pour  vous  des  sentiments  de 
compassion  ;  mais  cette  compassion  vous  sera  inutile  si  vous  n'obéissez.  Oui, 
j'en  jure  par  les  dieux,  ou  vous  sacrifierez,  ou  vous  deviendrez  l'opprobre 
de  votre  famille  et  le  rebut  des  honnêtes  gens  ». 

Le  Préfet  insista  encore  sur  l'ordonnance  des  empereurs;  mais  la  Sainte 
fit  toujours  la  même  réponse,  puis  elle  ajouta  :  «  Si  vous  me  faites  couper 
une  main,  un  bras,  la  tête,  sera-ce  moi  qui  serai  coupable  ?  ne  sera-ce  pas 
plutôt  celui  qui  commettra  cette  violence  ?  Je  suis  unie  à  Dieu  par  le  vœu 
de  virginité  que  je  lui  ai  fait  ;  mon  corps  et  mon  âme  lui  appartiennent  :  je 
m'abandonne  entre  ses  mains;  il  saura  conserver  ma  foi  et  ma  chasteté  ». — 
Le  Préfet  :  «  Rappelez-vous  votre  naissance  et  ne  couvrez  pas  votre  famille 
d'un  opprobre  éternel». — Théodora  :«  Jésus-Christ  est  la  source  du  véritable 
honneur  ;  c'est  de  lui  que  mon  âme  tire  toute  sa  beauté  :  il  sera  assez  puis- 
sant pour  soustraire  sa  colombe  aux  griffes  de  l'épervier». — Le  Préfet: «Que 
je  plains  votre  aveuglement  !  Pouvez-vous  mettre  votre  confiance  dans  un 
homme  crucifié?  Y  a-t-il  de  la  raison  à  croire  qu'il  défendra  votre  chasteté 
dans  un  lieu  infâme?  » — Théodora:  «Oui,  je  crois  et  je  crois  fermement  que 
ce  Jésus,  qui  a  souffert  sous  Ponce-Pilate,  me  délivrera  des  mains  de  ceux 
qui  ont  conspiré  ma  perte,  et  qu'il  me  conservera  pure  et  sans  tache.  Jugez, 
après  cela,  si  je  puis  le  renoncer  ». 

Le  Préfet:  «  Il  y  a  longtemps  que  je  vous  écoute  avec  patience;  mais 
enfin,  si  vous  persistez  dans  votre  opiniâtreté,  je  n'aurai  pas  plus  d'égards 
pour  vous  que  pour  la  dernière  des  esclaves  ». — Théodora  :«  Je  vous  aban- 
donne mon  corps,  aussi  bien  en  êtes-vous  le  maître  ;  mais  quant  à  mon 


SAIiNTE   THÉODORA   ET   SAINT  DIDYME,   MARTYRS.  59 

âme,  elle  est  au  pouvoir  de  Dieu  seul». — LePréfet  :«Qu'on  lui  donne  deux 
soufflets  pour  la  guérir  de  sa  folie  et  pour  lui  apprendre  à  sacrifier  aux 
dieux». — Théodora  :«  Par  Jésus-Christ,  qui  est  mon  protecteur,  je  ne  sacri- 
fierai point  aux  démons,  et  je  ne  me  résoudrai  jamais  à  les  adorer  ».  — Le 
Préfet  :«  Faut-il  que  vous  me  forciez  à  faire  publiquement  un  pareil  affront 
à  une  fille  de  votre  qualité  1  Vous  en  êtes  venue  au  comble  de  la  folie  ».  — 
Théodora  :« Cette  sainte  folie,  qui  nous  fait  confesser  le  Dieu  vivant,  est  une 
vraie  sagesse,  et  ce  que  vous  appelez  affront  sera  pour  moi  le  principe  d'une 
gloire  éternelle  ».  —  Le  Préfet  :  «  A  la  tin,  je  perds  patience,  et  je  vais  faire 
exécuter  l'édit.  Je  me  rendrais  moi-même  coupable  de  désobéissance  envers 
les  empereurs,  si  je  différais  plus  longtemps  à  punir  la  vôtre». —  Théodora: 
«Vous  craignez  de  déplaire  à  un  homme;  comment  me pouvez-vous  faire  un 
crime  de  ce  que  je  crains  de  déplaire  au  souverain  Maître  du  ciel  et  de  la 
terre?» — LePréfet  :«Vous  n'appréhendez  pas  de  témoigner  du  mépris  pour 
les  ordonnances  des  empereurs  et  d'abuser  de  ma  patience?  Eh  bien!  je 
vous  donne  trois  jours  pour  penser  mûrement  à  ce  que  vous  avez  à  faire  ; 
mais  ce  terme  expiré,  si  je  ne  vous  trouve  soumise,  par  les  dieux,  je  vous 
ferai  exposer  dans  un  lieu  de  débauche,  afin  qu'aucune  femme  ne  soit  tentée 
de  vous  imiter». — Théodora:  «Vous  n'avez  qu'à  supposer  les  trois  jours  déjà 
expirés,  car  je  ne  changerai  point  de  sentiment.  Il  y  a  un  Dieu  qui  prendra 
soin  de  moi.  Faites  donc  ce  qu'il  vous  plaira.  Si  toutefois  vous  m'accordez 
les  trois  jours,  j'ai  une  grâce  à  vous  demander  :  c'est  qu'on  n'attente  point 
à  mon  honneur  avant  que  vous  ayez  rendu  votre  jugement  ».  —  Le  Préfet  : 
«Cela  est  juste.  Ainsi  j'ordonne  que  Théodora  soit  gardée  pendant  trois  jours; 
je  veux  qu'on  ne  lui  fasse  aucune  violence,  et  qu'on  la  traite  d'une  manière 
conforme  à  sa  naissance  » . 

Les  trois  jours  étant  passés,  le  Préfet  se  fit  amener  Théodora.  Comme  il 
vit  qu'elle  persistait  toujours  dans  sa  première  résolution,  il  lui  dit  :  «  La 
crainte  d'encourir  l'indignation  des  empereurs  m'oblige  d'exécuter  leurs  or- 
dres. Prenez  donc  le  parti  de  sacrifier,  ou  je  vais  prononcer  la  sentence. 
Nous  verrons  si  votre  Jésus-Christ,  pour  lequel  vous  persistez  dans  le  refus 
d'obéir,  vous  délivrera  de  l'infamie  à  laquelle  vous  allez  être  condamnée  ». 
—  Théodora  :  «  Que  cela  ne  vous  inquiète  pas.  Le  Dieu  qui  a  été  jusqu'ici  le 
gardien  de  ma  pureté,  s'en  rendra  le  protecteur  contre  la  violence  de  quel- 
ques hommes  perdus  qui  voudront  y  attenter  ». 

La  sentence  ayant  été  prononcée,  Théodora  fut  conduite  dans  un  lieu 
de  débauche.  En  y  entrant,  elle  leva  les  yeux  au  ciel,  et  dit  :  «  Dieu  tout- 
puissant,  Père  de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ,  secourez  votre  servante,  et 
retirez-la  de  ce  lieu  infâme.  Vous  qui  délivrâtes  saint  Pierre  de  la  prison, 
sans  qu'il  eût  souffert  aucun  outrage,  daignez  être  le  protecteur  et  le  gar- 
dien de  ma  chasteté,  afin  que  tout  le  monde  reconnaisse  que  je  suis  à 
vous  ». 

Cependant  une  troupe  de  libertins  accoururent  à  la  maison  ;  ils  regar- 
daient déjà  cette  innocente  beauté  comme  une  proie  qui  ne  pouvait  leur 
échapper  ;  mais  Jésus-Christ  veillait  à  la  garde  de  son  épouse,  et  il  lui  en- 
voya un  de  ses  serviteurs  pour  la  délivrer. 

Il  y  avait  parmi  les  chrétiens  d'Alexandrie  un  jeune  homme  plein  de  zèle 
pour  la  gloire  de  Dieu  :  il  se  nommait  Didyme.  Brûlant  du  désir  de  tirer  la 
Sainte  du  danger,  il  s'habilla  en  soldat  et  entra  hardiment  dans  le  lieu  où 
elle  était.  Théodora,  le  voyant  approcher,  se  sentit  glacer  tout  le  sang  dans 
les  veines.  Elle  fuit  devant  lui  et  parcourt  tous  les  coins  du  lieu  où  elle  est 
renfermée.  Didyme  lui  dit  ;  «  Ne  craignez  rien,  ma  sœur  ;  je  ne  suis  pas  ce 


60  28  AVRIL. 

que  je  vous  parais,  je  suis  votre  frère  en  Jésus-Christ  :  j'ai  eu  recours  à  ce 
déguisement  pour  vous  arracher  de  ce  lieu.  Donnez-moi  vos  habits  et  pre- 
nez les  miens.  Sauvez-vous  ensuite  et  je  resterai  en  votre  place  ».  Théodora 
fait  ce  que  Didyme  exige  d'elle  ;  elle  s'habille  en  soldat,  enfonce  un  cha- 
peau sur  ses  yeux  et  s'en  va  sans  être  reconnue  de  personne.  Son  libérateur 
lui  avait  recommandé  de  marcher  les  yeux  baissés,  sans  s'arrêter,  sans  par- 
ler à  qui  que  ce  fût,  et  d'affecter  la  contenance  honteuse  et  l'empressement 
embarrassé  d'un  homme  qui  sort  de  semblables  lieux.  Lorsqu'elle  se  vit  hors 
de  tout  danger,  son  àme  prit  son  essor  vers  le  ciel,  elle  témoigna  sa  recon- 
naissance au  Dieu  qui  venait  de  la  délivrer. 

Quelque  temps  après,  un  libertin  entra  et  fut  extrêmement  surpris  de 
trouver  un  homme  au  lieu  d'une  femme.  Lorsqu'il  eut  entendu  le  récit  de 
ce  qui  était  arrivé,  il  sortit  et  alla  en  instruire  ses  compagnons.  Le  juge,  in- 
formé de  l'affaire,  envoya  chercher  le  jeune  homme,  et  lui  demanda  son 
nom.  Celui-ci  répondit  qu'il  s'appelait  Didyme.  —  Le  Préfet  :  «  Qui  vous  a 
engagé  à  faire  ce  que  vous  avez  fait?  »  —  Didyrne  :  «  Dieu  lui-même  me  l'a 
commandé». — Le  Préfet  :«Avant  que  je  vous  fasse  mettre  à  la  question,  dé- 
clarez où  est  Théodora». — Didyme:«  Je  vous  jure  que  je  n'en  sais  rien.  Tout 
ce  que  je  puis  vous  en  dire,  c'est  qu'elle  est  une  véritable  servante  de  Dieu 
et  qu'il  l'a  conservée  pure  et  chaste  pour  avoir  confessé  son  Fils,  Jésus- 
Christ  ».  —  Le  Préfet  :  «  De  quelle  condition  êtes-vous ?  »  — Didyme  :  «  Je  suis 
chrétien  et  affranchi  de  Jésus-Christ». — Le  Préfet: «Qu'on  lui  donne  la  ques- 
tion deux  fois  plus  forte  qu'à  l'ordinaire,  pour  punir  l'excès  de  son  inso- 
lence».— Didyme:  «Je  vous  prie  d'exécuter  ponctuellement  les  ordres  de  vos 
maîtres  par  rapport  à  moi  ».  —  Le  Préfet  :  «  Par  les  dieux,  tu  peux  t'attendre 
à  être  tourmenté  comme  tu  le  mérites,  à  moins  que  tu  ne  sacrifies.  L'o- 
béissance est  l'unique  moyen  qui  te  reste  d'obtenir  grâce  pour  ton  premier 
crime». — Didyme:  «Je  vous  ai  déjà  donné  des  preuves  que  je  ne  crains  point 
de  souffrir  pour  la  cause  de  Jésus-Christ.  En  agissant  comme  j'ai  fait,  je  me 
suis  proposé  deux  choses  :  sauver  une  vierge  de  l'infamie,  et  confesser  pu- 
bliquement le  Dieu  que  j'adore.  J'espère  sortir  victorieux  de  tous  les  tour- 
ments auxquels  vous  pourrez  me  condamner.  La  vue  de  la  mort  la  plus 
cruelle  ne  me  déterminera  jamais  à  sacrifier  aux  démons  ».  —  Le  Préfet  : 
«  J'ordonne  qu'en  punition  de  son  audace,  on  lui  tranche  la  tête  et  que 
son  corps  soit  brûlé». —  Didyme: «Béni  soit  le  Dieu  Père  de  Notre-Seigneur 
Jésus-Christ,  pour  n'avoir  point  rejeté  mes  vœux,  pour  avoir  délivré  Théo- 
dora, sa  servante,  et  pour  m'avoir  jugé  digne  d'une  double  couronne  ». 
Conformément  à  la  sentence  du  juge,  on  coupa  la  tête  à  Didyme,  et  son 
corps  fut  brûlé.  Ici  finissent  les  actes  des  saints  Martyrs. 

Saint  Ambroise,  qui  raconte  l'histoire  de  Théodora1,  dit  qu'elle  courut 
au  lieu  où  on  exécutait  Didyme,  et  qu'elle  voulut  mourir  en  sa  place.  Il  fait 
une  belle  peinture  de  la  pieuse  contestation  qu'il  y  eut  entre  eux.  Théodora 
avouait  à  Didyme  qu'elle  lui  était  redevable  de  la  conservation  de  son  hon- 
neur ;  mais  elle  ajoutait  qu'elle  n'avait  pas  prétendu  lui  céder  sa  couronne. 
«  C'est  pour  ma  chasteté  »,  lui  disait-elle,  «  que  vous  vous  êtes  fait  ma  cau- 
tion, ce  n'est  pas  pour  ma  vie;  tant  que  ma  virginité  sera  en  danger,  à  la 
bonne  heure  que  vous  ayez  répondu  pour  moi.  Il  n'en  est  pas  ainsi  lors- 
qu'on me  demande  la  vie  ;  je  suis  en  état  d'acquitter  une  pareille  dette. 
D'ailleurs  la  sentence  n'a  été  rendue  qu'à  cause  de  moi.  La  fuite  a  été  l'oc- 
casion de  votre  mort.  Je  n'ai  point  fui  pour  ne  point  mourir,  mais  pour  ne 

1.  Voir  ce  Pèie,  L.  de  Yirg,  i,  u,  c.  4.  C'est  par  méprise  qu'il  appelle  The'odora  Yierge  d'Antioch*. 


SAINT   APHRODISE,    PREMIER  ÉVÊQUE   DE   BÉZIERS,    MARTYR.  61 

point  être  déshonorée.  Mon  honneur  ne  court  plus  de  risques.  Mon  corps 
est  capable  de  souffrir  pour  Jésus -Christ  ». 

Théodora  et  Didyme  obtinrent  ce  qu'ils  désiraient  ;  ils  furent  décapités 
l'un  et  l'autre  ;  mais  Didyme  remporta  le  premier  la  palme  du  martyre.  Il 
est  compté  parmi  ceux  qui  souffrirent  sous  Dioclétien  à  Alexandrie,  en 
304.  Les  deux  Saints  sont  nommés  dans  le  Martyrologe  romain  sous  le  28 
avril. 

On  peint  sainte  Théodora  voilée,  pour  exprimer  soit  sa  confusion,  soit 
le  changement  d'habits. 

Nous  avons  substitué  a  la   narration  du  Père  Giry    les  Actes  mêmes   des   saints  Martyrs,  dont  uno 
partie  a  e'te'  copiée  sur  les  registres  publics  et  le  reste  écrit  par  un  témoin  oculaire. 


S.  APHRODISE,  PREMIER  ÉVÊQUE  DE  BÉZIERS,  MARTYR  (ier  siècle). 

L'église  de  Béziers,  en  Languedoc,  solennise  aujourd'hui  le  martyre  de  saint  Aphrodise,  son 
apôtre  et  son  premier  évêque.  Selon  l'auteur  du  Martyrologe  des  Saints  de  France,  il  était  de  la 
ville  d'Hermopolis,  en  Egypte;  il  eut  le  bonheur  de  loger  chez  lui  les  divins  fugitifs  Jésus,  Marie 
et  Joseph,  lorsqu'ils  quittèrent  Bethléem  par  un  ordre  du  ciel,  pour  éviter  la  fureur  d'Hérode. 
Eclairé  en  ce  pays  de  ténèbres,  par  un  rayon  de  la  lumière  divine,  il  vint  en  Judée  au  bruit  des 
merveilles  qu'y  opérait  Jésus-Christ,  son  ancien  hôte;  là,  s'unissant  aux  Apôtres,  il  fut  admis  au 
nombre  des  disciples  de  ce  maître  adorable  ;  après  la  résurrection,  il  s'attacha  plus  particulière- 
ment à  saint  Pierre,  et  l'accompagna  ensuite  en  tous  ses  voyages,  et  surtout  à  Rome,  lorsqu'il  y 
vint  établir  son  siège,  comme  dans  la  capitale  et  la  maîtresse  de  l'univers. 

Saint  Paul  y  vint  aussi  :  dans  une  conférence  qu'ils  eurent  sur  ce  qui  était  plus  expédient  pour 
la  gloire  de  Dieu  et  pour  la  prédication  de  l'Evangile,  il  fut  résolu  que  saint  Paul  passerait  dans 
les  Espagnes,  et  que  saint  Pierre  demeurerait  en  Italie;  saint  Aphrodise  fut  donné  comme  auxi- 
liaire à  saint  Paul.  Il  le  suivit  donc  jusqu'en  France,  avec  Serge-Paul,  proconsul,  que  cet  apôtre 
des  Gentils  avait  instruit  et  baptisé  en  l'île  de  Chypre,  comme  il  est  rapporté  dans  les  Actes  des 
Apôtres.  Il  fut  sacré  évêque  de  Béziers,  par  l'un  ou  l'autre  des  deux  Paul.  Aphrodise  y  trouva 
des  consciences  corrompues  par  le  vice,  et  le  pays  infecté  par  l'idolâtrie.  Il  ne  voyait  dans  les 
villes  que  les  désordres  de  l'iniquité,  les  monuments  de  la  superstition.  Les  esprits  étaient  ense- 
velis dans  les  plus  épaisses  ténèbres,  et  les  cœurs  étaient  plongés  dans  tous  les  dérèglements  dont 
notre  nature  viciée  est  capable.  Ces  obstacles  néanmoins  ne  lui  firent  point  perdre  courage;  au 
contraire,  ils  enflammèrent  d'autant  plus  son  zèle,  qu'ils  étaient  plus  difficiles  à  surmonter  :  Aphro- 
dise commença  à  prêcher  avec  une  ferveur  incroyable  le  nom  de  Jésus-Christ,  et  à  reprendre  les 
mœurs  déréglées  de  ce  peuple.  Les  païens,  charmés  de  ces  saints  entretiens,  faisaient  paraître  en 
même  temps  de  l'étonnement  et  de  la  satisfaction,  et  se  pliaient  aux  principes  de  la  vertu  qu'il 
leur  présentait.  Mais  un  jour  que  ce  bon  pasteur,  tout  embrasé  d'un  feu  céleste,  distribuait  à  ses 
ouailles  le  pain  de  la  parole  de  Dieu,  une  troupe  d'idolâtres,  armés  de  fureur  et  de  rage,  se  jetant 
au  travers  de  l'assemblée,  se  saisirent  de  sa  personne,  et  lui  abattirent  enfin  la  tête  et  à  trois  de 
ses  compagnons,  Caralippe,  Agape  et  Eusèbe.  Ce  fut  en  la  rue  Ciriaque,  dite  depuis  de  Saint- 
Jacques,  l'an  de  Notre-Seigneur  65,  le  28  avril,  la  première  année  de  son  épiscopat. 

Le  même  auteur  du  martyrologe  des  saints  de  France  ajoute  que  le  corps  de  saint  Aphrodise, 
se  relevant  de  lui-même,  prit  entre  ses  mains  sa  tète  abattue,  et  que,  passant  par  le  milieu  de  la 
ville,  il  la  porta  jusqu'à  une  petite  chapelle  qu'il  avait  auparavant  consacrée  sous  le  titre  de  Saint- 
Pierre,  où  il  fut  enseveli.  Dieu  l'a  rendu  depuis  illustre  par  plusieurs  miracles  ;  les  fidèles  lui  ont 
bâti  une  plus  grande  église,  desservie  par  des  chanoines  :  on  y  a  transféré  solennellement  ses 
saintes  reliques.  Cette  église  existe  encore,  dit  le  Propre  de  Carcassonne  de  1855,  et  les  reliques 
de  saint  Aphrodise  y  sont  toujours  vénérées  :  c'était  la  cathédrale  de  l'ancien  évèché  de  Béziers, 
avant  la  construction  de  l'église  des  Saints  Nazaire  et  Celse. 

On  représente  saint  Aphrodise  monté  sur  un  chameau,  sans  doute  pour  rappeler  qu'il  venait 
d'Afrique.  Les  Biterrois  ont  conservé,  jusqu'au  xvme  siècle,  l'usage  de  promener  un  chameau 
artificiel,  le  jour  de  l'Ascension,  en  mémoire  de  leur  Apôtre  qui  était  venu  de  si  loin  et  qui  était 
censé  avoir  été  témoin  de  l'Ascension  du  Sauveur. 


62  28  avril. 


SAINT  VITAL  ET  SAINTE  VALÉRIE,  MARTYRS  (171). 

Durant  la  persécution  de  Marc-Aurèle  (d'après  l'opinion  de  Baronins),  un  médecin  de  Ravenne, 
nommé  Ursicin,  fut  condamné  à  mort  comme  chrétien  :  la  vue  du  supplice  l'impressionna  si  vive- 
ment qu'il  semblait  abattu  et  prêt  à  apostasier.  Vital,  père  de  saint  Gervais  et  de  saint  Protais, 
assistant  à  cette  scène,  cria  au  martyr  dont  le  courage  chaucelait  :  «  Qu'est-ce  là,  Ursicin  ?  Pour- 
quoi hésites-tu?  que  crains-tu?  toi  qui,  en  qualité  de  médecin,  as  donué  la  santé  aux  malades, 
tu  te  vas  laisser  blesser  sans  pouvoir  jamais  te  guérir?  Tu  as  déjà  triomphé  de  taut  de  tourments, 
veux-tu  perdre  en  un  moment  la  gloire  de  tes  trophées,  et  rendre  inutile  tout  ce  que  tu  as  amassé 
avec  tant  de  peines?  Souviens-toi  que,  par  cette  mort  qui  passera  comme  le  vent,  tu  acquerras 
une  vie  immortelle  dans  l'éternité  ».  Ces  paroles  ranimèrent  Ursicin,  qui  mourut  généreusement 
pour  Jésus-Christ,  le  19  juin  ;  et  Vital,  assuré  d'avoir  donné  la  vie  de  l'âme  à  Ursicin,  ensevelit 
son  corps  avec  beaucoup  de  soin  et  de  dévotion. 

Le  juge,  nommé  Paulin,  sachant  ce  que  Vital  avait  fait,  l'exhorta  doucement  à  quitter  la  vaine 
superstition  des  chrétiens,  et  à  repreudre  l'ancienne  religion  des  Romains  :  si  non,  il  serait  obligé 
de  le  punir.  Mais  Vital  lui  répondit  qu'il  devait  plutôt  renoncer  lui-même  aux  faux  dieux,  et  adorer 
la  majesté  d'un  Dieu  vivant,  et  de  son  fils  Jésus-Christ,  par  qui  le  monde  a  été  créé,  et  en  qui  il 
subsiste.  Le  juge  le  fit  mettre  sur  le  chevalet,  où  sa  peau  fut  déchirée,  ses  membres  tirés  et  ses 
os  déboités  ;  mais  sa  constance  étant  à  l'épreuve  de  tous  ces  supplices,  Paulin  commanda  qu'il  fût 
mené  au  même  lieu  où  Ursicin  avait  été  exécuté,  et  que,  s'il  ne  voulait  pas  adorer  les  dieux,  on 
le  mit  tout  vivant  dans  une  fosse  profonde,  qui  serait  aussitôt  comblée  de  pierres  et  de  terre,  a8a 
qu'il  y  fût  étouffé.  On  fit  ainsi  mourir  saint  Vital,  à  l'instigation  d'un  prêtre  d'Apollon,  qui,  à 
l'instant  où  le  Saint  expira,  fut  possédé  du  démon  et  tourmenté  avec  tant  de  rage,  qu'il  ne  faisait 
que  crier  :  «  Tu  me  brûles,  Vital;  tu  me  tourmentes,  Vital  ;  tu  me  mets  tout  en  feu,  Vital  ».  Il 
demeura  l'espace  de  sept  jours  en  cet  état;  ne  pouvant  plus  souffrir  l'ardeur  qui  le  consumait,  il  se 
jeta  enfin  dans  une  rivière  :  châtiment  de  sa  cruauté  contre  le  saint  Martyr.  Quoique  certains  au- 
teurs placent  le  martyre  de  saint  Vital  sous  Néron,  en  l'année  62,  nous  l'avons  mis,  comme  Baro- 
nins, l'an  171.  On  voit  à  Rome,  à  Ravenne  et  au  mont  Saint-Sabin,  de  magnifiques  églises  sous 
son  nom. 

Ou  célèbre  encore  aujourd'hui  la  mémoire  de  sainte  Valérie,  son  épouse,  et  on  lui  donne  le 
glorieux  titre  de  Martyre  ;  parce  que,  en  allant  à  Milan,  elle  rencontra  des  sacrificateurs  qui  lui 
ordonnèrent  de  manger  des  viandes  offertes  aux  idoles  ;  et,  sur  son  refus,  l'accablèrent  de  tant  de 
coups,  qu'on  la  porta  demi-morte  à  Milan,  où,  deux  jours  après,  elle  mourut  de  ses  blessures.  Tel 
est  le  récit  d'Adon,  en  son  Martyrologe,  où  il  fait  mémoire  de  ces  deux  saints  époux.  Ceux  de 
Bède,  d'Usuard  et  le  Romain  en  parlent  aussi. 

On  donne  saint  Vital  pour  militaire  et  chevalier  romain,  ce  qui  explique  la  cuirasse  dont  il  est 
souvent  revêtu  par  les  peintres  et  les  sculpteurs.  On  le  peint  aussi  enfoui  dans  terre  jusqu'à  la 
ceinture,  ou  bien  formant  groupe  avec  sainte  Valérie,  sa  femme,  saint  Gervais  et  saint  Protais, 
leurs  enfants.  Saint  Vital  est  le  principal  Patron  de  Ravenne.  On  y  garde  ses  reliques  dans  la 
magnifique  église  de  son  nom  qui  fut  bâtie,  par  l'empereur  Justinien,  en  547  :  il  y  en  a  aussi  à 
Boulogne,  en  France,  et  à  Lille.  Le  culte  de  saint  Vital  est  populaire  en  Savoie,  où  il  est  honoré 
cous  le  nom  de  saint  Viard. 

Of.  Eagiologium  italicum. 


Ste  PROBE  ET  Ste  GERMAINE,  VIERGES  ET  MARTYRES  (ive  siècle). 

Sainte  Probe  et  sainte  Germaine,  aussi  nommées  Preuve  et  Grimonie,  naquirent  en  Irlande,  au 
IV»  siècle.  Pour  se  soustraire  aux  sollicitations  de  parents  idolâtres  qui  voulaient  les  engager  dans 
les  liens  du  mariage,  elles  quittèrent  généreusement  leur  pays  et  vinrent  se  fixer  dans  les  Gaules. 
Grimonie  se  retira  en  un  lieu  dit  plus  tard  la  Capelle,  à  cause  d'une  chapelle  élevée  sur  son  tom- 
beau, et  Probe  à  Tonson,  près  de  Laon,  dans  le  Val-des-Chenizelles.  Les  émissaires  de  leurs  pa- 
rents les  y  découvrirent  quelque  temps  après  et  les  sommèrent  de  retourner  avec  eux.  Mais  il» 


SAINT  AFFRIQUE,   ÉVÊQUE  DE  COMMINGES.  63 

trouvèrent  ces  vierges  chrétiennes  inébranlables  dans  leur  résolution  et  leur  tranchèrent  la  tète. 
Dom  Robert  Wyard,  bénédictin,  ajoute,  dans  son  Histoire  de  l'abbaye  de  Saint-Vincent  de  Laon, 
que  sainte  Probe  «  porta  sa  tête  jusques  à  l'église  de  Saint-Pierre-le-Vieil,  sur  une  pierre  qui  s'y 
voit  encore.  Ses  reliques,  ajoute-t-il,  ont  esté  longtemps  conservées  en  cette  abbaye  de  Saint- Vin- 
cent de  Laon,  et  on  y  célèbre  encore  aujourd'hui  sa  feste,  conjointement  avec  celle  de  sainte  Gri- 
monie...  » 

Une  partie  des  reliques  de  sainte  Probe  fut  réunie,  dès  le  ixe  siècle,  aux  reliques  de  sainte 
Grimonie,  nous  disent  les  annotateurs  de  Dom  Wyard,  dans  leur  édition  de  1858  (JIM.  les  abbés 
Cardon  et  Mathieu).  Mais  les  guerres  malheureuses  qui  désolèrent  la  France,  ayant  obligé,  quatre 
siècles  plus  tard,  les  habitants  de  la  Capelle  de  déposer  en  un  lieu  plus  sûr  leur  trésor,  ils  le  con- 
fièrent aux  moines  bénédictins  de  Saint-Jean  de  Lesquielles,  dont  le  couvent,  situé  sur  une  haute 
montagne,  était  protégé  par  sa  propre  position  et  par  la  tour  du  fort  de  la  ville.  Au  xvie  siècle, 
l'antique  monastère  de  Saint-Jean  de  Lesquielles  tombait  sous  la  rage  des  hérétiques,  l'église  elle- 
même  n'échappait  qu'en  partie  à  leur  fureur  ;  mais  Dieu  veillait  sur  les  restes  de  ses  servantes. 
Grâces  aux  soins  d'Adrien  de  Crol,  comte  de  Rœux  et  gouverneur  de  Flandre  et  d'Artois,  les  pré- 
cieuses reliques  étaient  transportées, en  1540,  dans  l'église  des  chanoines  d'Hénin-Liétard,  où  elles 
furent  l'objet  d'une  grande  vénération.  En  1748,  l'église  de  Lesquielles  obtint  des  chanoines  d'Hé- 
nin  restitution  d'une  partie  de  ces  reliques,  et  elles  furent  rapportées  en  grande  pompe  à  Les- 
quielles, où  se  font  encore  aujourd'hui  trois  processions  annuelles  en  leur  honneur. 

Van  Drivai,  Hagiologie  d'Arras. 


SAINT  AFFRIQUE,  ÉVÊQUE  DE  COMMINGES  (vie  siècle). 

On  croit  que  saint  Affrique  est  originaire  de  Bourgogne  et  qu'il  tire  sa  naissance  d'une  noble 
et  illustre  maison  de  cette  contrée. 

Les  vertus  qui  embellirent  d'abord  sa  vie  le  mirent  dans  un  rang  éminent  et  le  désignèrent 
comme  digne  de  gouverner,  en  qualité  d'évèque,  l'église  de  Comminges.  C'est  dans  le 
VIe  siècle  que  se  place  l'épiscopat  de  saint  Affrique.  Alors  l'arianisme  déployait  encore  dans  le 
midi  des  Gaules  un  zèle  des  plus  ardents  pour  semer  le  poison  perfide  de  ses  doctrines  hérétiques. 
Les  succès  que  les  Goths  avaient  obtenus  par  leurs  armes  les  encouragèrent  à  imposer  aux  peuples 
vaincus  les  erreurs  de  l'arianisme  dont  ils  étaient  infectés,  en  même  temps  que  leur  domination, 
et  la  pure  foi  chrétienne  subissait  de  mortelles  et  nombreuses  atteintes.  Le  pays  de  Rouergue 
était  une  des  provinces  du  midi  de  la  France  où  les  Goths  avaient  assis  le  mieux  leur  funeste 
empire,  et  où  l'arianisme,  s'affirmant  davantage,  était  devenu  le  plus  florissant. 

Animé  d'un  saint  courage  de  venger  la  gloire  de  Dieu  indignement  outragé  et  le  nom  de  Jésus- 
Christ  blasphémé,  et  du  zèle  du  salut  des  âmes,  saint  Affrique  n'hésite  pas  à  se  dévouer  pour 
faire  la  conquête  de  ces  peuples  que  l'hérésie  a  arrachés  du  sein  de  l'Eglise.  Il  quitte  donc  la  ville 
de  Comminges,  et,  allant  se  placer  sur  les  lieux  mêmes  où  l'arianisme  se  montrait  le  plus  enva- 
hisseur et  le  plus  opiniâtre,  il  appelle  au  combat  ses  adversaires,  tantôt  par  de  savantes  discussions 
sur  les  matières  religieuses,  tantôt  au  moyen  de  conférences  éloquentes  ;  là  il  expose  la  doctrine  or- 
thodoxe, fait  ressortir  le  côté  faible,  l'erreur,  la  perfidie  des  doctrines  ariennes,  et  parvient  à  ra- 
mener aux  véritables  croyances  du  catholicisme  toutes  ces  multitudes  trompées  ou  retenues  dans 
l'erreur  par  l'influence  mauvaise  de  leurs  vainqueurs. 

Tant  de  succès  heureux  ne  devaient  pas  laisser  les  Ariens  indifférents.  Voilà  donc  qu'ils  noir- 
cissent la  réputation  du  saint  Evèque  missionnaire  par  les  plus  atroces  calomnies  :  ils  lui  imputent 
toutes  sortes  de  crimes;  ils  le  maltraitent;  ils  l'accablent  de  reproches,  d'outrages,  d'injures. 
Semblable  à  un  roc  immobile,  l'homme  de  Dieu  est  impassible  et  inébranlable  :  il  laisse  passer 
ces  vents  et  celte  tempête  se  calmer,  au  fond  de  sa  prison  où  ils  l'ont  jeté;  et  quand  l'heure  de 
la  délivrance  eut  sonné  pour  lui,  plus  intrépide  encore  après  qu'avant,  il  poursuit  ses  travaux  sans 
se  décourager.  C'est  alors  que  Dieu,  voulant  assurer  définitivement  la  victoire  à  la  campagne  que 
saint  Affrique  avait  entreprise  contre  l'arianisme,  lui  vint  en  aide  d'une  manière  éclatante  par  la 
force  des  miracles  qu'il  posséda  dans  un  degré  éminent. 

L'un  des  miracles  que  nous  a  transmis  une  pieuse  tradition  eut  lieu  au  moment  où  saint  Af- 
frique célébrait  la  sainte  Messe.  A  la  communion,  une  auréole  de  feu  brilla,  comme  une  ravissante 
couronne,  autour  de  sa  tète;  ceux-là  qui  étaient  assez  purs  pour  communier  eurent  seuls,  dit  l'his- 


64  28  avril. 

torien  de  sa  vie,  le  bonheur  de  la  contempler;  quam  qui  sanctissimse  synaxis  digni  erwtâ, 
conspiciebant,  indig?iis  autem  non  aspedabilem. 

Après  une  vie  toute  apostolique,  saint  Afîrique,  comblé  de  mérites,  étant  mort,  son  corps  fat 
enterré  dans  une  des  villes  du  Rouergue  qui  porte  aujourd'hui  son  nom,  et  qui  s'est  formée  à  la 
suite  du  grand  concours  des  fidèles  que  la  protection  puissante  du  glorieux  serviteur  de  Dieu  atti- 
rait à  son  tombeau.  On  y  gardait  en  vénération  ses  reliques  dans  l'église  collégiale  établie  en 
1444  ;  la  fureur  aveugle  des  Calvinistes  les  a  dispersées,  et  il  n'en  reste  plus  aujourd'hui  que 
quelques  petites  parcelles. 

Le  culte  de  saint  Affrique  est  célèbre  dans  plusieurs  villes  du  Midi  :  à  Nimes,  Rodez,  Castres, 
Comminges  ',  Albi,  Toulouse.  Ces  deux  dernières  villes  possèdent  quelques-unes  de  ses  reliques. 

On  célèbre  la  fête  de  saint  Affrique,  dans  le  diocèse  de  Rodez,  le  28  avril. 

L'antienne  du  Magnificat  des  Vêpres  est  propre  : 

Affricane,  spéculum   et   nitor  Ecclesi»,    Christi  Affrique,  miroir  et  gloire  de  l'Eglise,  Tabernacle 

Tabernaculum  et  supernae  gratias;  Pastor.  rege  po-  du  Christ  et  de  la  grâce  céleste;  ô  Pasteur,  dirigez 

pulum   in  virga  justitise,  praebens  adminiculum  in  votre  peuple  avec  la  règle   de  justice;  soutenez  ce 

valle  miserias.  Alléluia!  peuple  dans  la  vallée  des  larmes.  Alléluia. 

Vabres  l'a  choisi  pour  un  de  ses  patrons,  en  même  temps  que  Saint-Pierre. 

De  vieilles  tapisseries  et  un  antique  bassin  de  cuivre  émaillé,  que  l'on  possédait  encore  au 
xvme  siècle,  rappelaient  quelques-uns  des  miracles  qui  avaient  rendu  saint  Affrique  populaire. 
Ici  c'est  un  imprudent  navigateur  qui  veut  traverser  la  Sorgue  pendant  qu'elle  est  débordée  et 
qui,  précipité  dans  les  flots,  est  transporté  par  une  force  invisible  sur  l'autre  rive  après  avoir 
invoqué  l'homme  de  Dieu  ;  là  c'est  un  misérable  qui,  ayant  contrefait  le  paralytique  pour  arracher 
une  aumône  à  saint  Affrique,  est  réellement  frappé  de  paralysie  et  n'est  guéri  qu'après  lui  avoir 
confessé  sa  faute.  Plus  loin,  c'est  le  miracle  de  l'auréole  brillant  autour  de  sa  tète  pendant  la 
célébration  de  la  sainte  messe  2. 

Extrait  du  Propre  de  Rodes,  par  M.  le  chanoine  Bousquet;  —  Cf.  Saints  du  Rouergue,  par  M.  l'abbé 
Servieres  ;  les  Saints  de  Franche-Comlé,  etc. 


SAINT  ARTHÈME,  ÉVÊQUE  DE  SENS  (609). 

Issu  d'une  noble  famille  du  pays,  Arthème  fut  engagé  dans  les  liens  du  mariage  avant  d'être 
promu  aux  fonctions  épiscopales,  et  eut  au  nombre  de  ses  enfants  la  pieuse  Eulosie  qui  prit  le 
voile.  Le  sacre  d'Arthème  eut  lieu  le  23  avril  579. 

Il  reçut  à  la  pénitence  publique  un  Espagnol,  nommé  Bond  (Baldus),  et  d'un  grand  criminel 
en  fit  un  grand  Saint.  On  voyait  encore,  il  y  a  quelques  années,  sur  la  rive  gauche  de  l'Yonne,  au 
sommet  d'une  montagne,  les  ruines  de  l'ermitage  où  vécut  et  mourut  saint  Bond,  après  sept  année» 
d'effrayantes  austérités. 

Saint  Arthème  alla  de  vie  à  trépas  le  28  avril  609,  et  fut  inhumé  dans  l'église  Saint-Pierre. 

Voir  France  pontificale,  e'dit.  Repos. 

1.  Lugduni  convenarum. 

2.  Pour  être  complet,  nous  devons  ajouter  que  tout  n'est  pas  absolument  certain  dans  la  vie  de  saint 
Affrique  telle  que  nous  venons  de  la  donner  :  en  adoptant  la  légende  du  Propre  de  Rodez,  qui  le  fait 
évêque  de  Comminges,  nous  avons  suivi  l'opinion  la  plus  probable.  Les  anciens  documents  appellent 
Lugdunum  la  ville  dont  il  fut  évêque.  Or,  il  y  avait,  dit  M.  l'abbé  Servieres,  «  trois  villes  épiscopales 
de  ce  nom  dans  les  Gaules  :  Lugdunum  Clavatum,  Laon  ;  Lugdunum  Secusianorum,  Lyon;  et  Lugdunum 
Convenarum,  Comminges;  et  on  doute  laquelle  des  trois  était  le  siège  de  notre  Saint.  Les  plus  fortes 
probabilités  sont  cependant  pour  Comminges  ».  Théophile  Raynaud,  s'appuyant  sur  l'Histoire  manuscrite 
des  Saints  du  comté  de  Rourgogne,  conservée  à  la  bibliothèque  de  la  rue  Richelieu,  a  Paris,  soutient 
dans  son  Uagiologium  Lugdunense,  que  saint  Affrique  fut  évêque  de  Lyon  sur  le  Rhône  en  490.  Cependant, 
il  faut  avouer  que  les  autres  historiens  de  la  ville  de  Lyon  et  tous  les  hagiographes  modernes,  Baillet, 
Godescard,  etc.,  ne  sont  ni  pour  cette  date,  ni  pour  cette  ville  :  ils  adoptent,  sans  donner  de  preuves  do 
reste,  le  vi«  siècle  et  la  ville  de  Comminges.  Comme  les  documents  concernant  saint  Affrique  ont  péri 
dans  un  incendie,  on  en  sera  longtemps  encore  réduit  à  des  probabilités.  . 


LE   BIENHEUREUX   AUGUSTIN  NOVELLO.  65 


LE  BIENHEUREUX  LUCHÈSE,  CONFESSEUR  (1232). 

Luce  on  Luchèse  était  un  marchand  de  Poggibonzi,  près  de  Sienne.  La  politique  et  le  commerce 
l'occupaient  plus  que  le  service  de  Dieu  et  le  salut  de  son  âme.  Saint  François  parcourait  alors  la 
Toscane  annonçant  la  parole  de  Dieu  et  appelant  les  âmes  à  la  pénitence.  11  vint  à  Poggibonzi; 
tout  le  peuple  se  pressa  pour  l'entendre,  et  au  milieu  de  la  foule  était  le  marchand  Luchèse.  Le 
Saint  eut  le  talent,  avec  la  grâce  de  Dieu,  de  toucher  son  cœur,  et  après  le  sermon  il  le  vit  se 
présenter  à  lui  et  lui  demander  ce  qu'il  fallait  faire  pour  gagner  le  ciel.  Le  Saint  eut  alors  une 
révélation  d'en  haut  par  laquelle  il  connut  que  Luchèse  était  l'homme  qui  le  premier  devait 
embrasser  la  règle  de  Tiers  Ordre  que,  depuis  longtemps,  il  avait  l'intention  de  fonder.  Il  lui  eu 
donna  l'habit  et  lui  imposa  les  règles  qu'approuva  plus  tard  Nicolas  IV.  Le  commerçant  abandonna 
dès  lors  entièrement  la  politique  et  le  commerce  pour  ne  plus  s'occuper  que  de  son  salut  et  des 
œuvres  de  miséricorde.  Il  lui  resta  la  gloire  d'avoir  été  le  premier  membre  de  cet  Ordre  qui  a  sauvé 
tant  d'âmes  et  qui,  aujourd'hui,  semble  reprendre  vie  partout.  Le  bienheureux  Luchèse  rendit  son 
âme  à  Dieu  en  1232.  Les  Frères  Mineurs  ont  obtenu  d'Innocent  XII,  en  1694,  la  permission  de 
célébrer  le  28  avril  la  fête  du  bienheureux  Luchèse. 

Manuel  du  Tiers  Ordre. 


LE  BIENHEUREUX  AUGUSTIN  NOVELLO  (1309). 

Mathieu  de  Termini  était  de  la  Sicile  et  appartenait  à  une  noble  famille  de  Catalogne  venue 
pour  s'y  établir.  Il  étudia  le  droit  à  Bologne  et  se  fit  une  réputation  comme  habile  professeur.  Plus 
tard,  revenu  en  Sicile,  il  occupa  des  dignités  à  la  cour  de  Manfred  :  il  prit  part  à  la  bataille  de 
Bénévent,  où  périt  Manfred,  et  fut  compté  parmi  les  morts,  1266.  Mathieu  de  Termini,  se  voyant  à 
deux  doigts  de  la  mort,  fit  un  retour  sérieux  sur  lui-même  ;  il  comprit  la  vanité  des  choses  de  la 
terre  et  promit  à  Dieu,  s'il  guérissait,  de  se  consacrer  tout  entier  à  son  service.  Il  revint  en  santé 
et  tint  à  sa  parole.  Il  entra  chez  les  Ermites  de  Saint-Augustin,  où  il  prit  le  nom  d'Augustin  No- 
vello  (nouvel  Augustin).  Cachant  sa  science  et  son  nom  sous  l'habit  modeste  de  frère  lai,  il  laissa 
ignorer  qui  il  était.  Le  couvent  eut  à  soutenir  un  procès  qui  donna  beaucoup  d'inquiétude  aux  frères. 
Augustin  ne  put  y  résister  ;  il  alla  trouver  le  supérieur,  le  priant  de  lui  donner  ce  qu'il  fallait  pour 
écrire.  Celui-ci,  étonné,  et  croyant  que  le  frère  Augustin  savait  à  peine  lire,  ne  céda  qu'à  ses  ins- 
tances réitérées.  Augusiin  rédigea  un  mémoire  court,  mais  lumineux  et  si  fort  que  l'avocat  de  la 
partie  adverse  ne  put  s'empêcher  de  s'écrier  :  C'est  le  diable  ou  un  ange,  ou  Mathieu  de  Termini, 
que  l'on  a  dit  mort  à  la  bataille  de  Bénévent,  qui  a  rédigé  ce  document.  Il  voulut  voir  l'auteur  de 
l'écrit,  le  reconnut  et  l'embrassa  avec  joie,  et  annonça  aux  Augustins  qu'ils  avaient  au  milieu  d'eux 
un  trésor.  Le  général  des  Augustiniens,  Clément  d'Osimo,  l'emmena  quelque  temps  après  à  Rome, 
où  il  lui  fit  recevoir  la  prêtrise  et  le  chargea  de  revoir  les  constitutions  de  son  Ordre.  Augustin 
fut  pendant  vingt-deux  ans,  à  son  grand  regret,  confesseur  du  Pape.  On  le  vénérait  à  la  cour  du 
Pontife  et  on  le  regardait  comme  un  Saint.  En  1298,  élu  général  du  Tiers  Ordre,  il  n'accepta  que 
sur  l'ordre  exprès  du  Pape,  et  deux  ans  après  il  renonçait  à  sa  dignité  pour  se  retirer  aux  envi- 
rons de  Sienne  dans  l'ermitage  de  Saint-Léonard.  Il  consacra  les  dix  dernières  années  de  sa  vie  à 
la  prière  et  à  la  contemplation,  et  rendit  son  âme  à  Dieu  en  1309.  Clément  XIII  approuva  soc 
culte  en  1759. 

Tous  les  hagiograpues  modernes. 


Vies  des  Saints.  —  Tome  Y. 


66  29  avril. 


XXIX*  JOUR  D'AVRIL 


MARTYROLOGE   ROMAIN. 

À  Milan,  saint  Pierre,  martyr,  de  l'Ordre  des  Frères  Prêcheurs,  tué  par  les  hérétiques  en 
haine  de  la  foi  catholique.  1252.—  A  Paphos,  en  Chypre,  saint  Tychique  *,  disciple  du  bienheureux 
Paul,  que  cet  Apôtre  appelle  dans  ses  épitres  son  frère  bien-aimé,  un  ministre  lidèle,  et  son  com- 
pagnon en  Notre-Seigneur  Jésus-Christ.  iei  s.  —  A  Cirtha,  en  Numidie,  la  naissance  au  ciel  des 
saints  martyrs  Agape  et  Secondin,  évèques,  qui,  après  un  long  exil  en  cette  ville,  ajoutèrent  à 
l'éclat  du  sacerdoce  la  gloire  du  martyre.  Ils  souffrirent  pendant  la  persécution  de  Valérien,  qui 
fut  celle  où  la  rage  des  païens  fit  les  plus  grands  efforts  pour  ébranler  la  foi  des  justes.  En  leur 
compagnie  souffrirent  Emilien,  soldat,  Tertulle  et  Antonie,  vierges  consacrées  à  Dieu,  et  une 
femme  avec  ses  deux  enfants  jumeaux.  260.  —  Le  même  jour,  sept  bienheureux  Larrons,  qui, 
ayant  été  convertis  à  la  foi  de  Jésus-Christ  par  saint  Jason,  gagnèrent  la  vie  éternelle  par  le  mar- 
tyre2. 100.— A  Brescia,  saint  Paulin,  évêque  et  confesseur3.  Vers  428. —  Au  monastère  de  Cluny, 
saint  Hugues,  abbé.  1109.  —  Au  monastère  de  Molesmes,  saint  Robert,  premier  abbé  de  Ci- 
teaux.  1110. 

MARTYROLOGE  DE  FRANCE,  REVU  ET  AUGMENTÉ. 

A  Auxerre,  saint  Martin,  moine  du  monastère  de  Saint-Germain.  —  A  Denain,  sur  l'Escaut, 
sainte  Ave,  vierge  et  seconde  abbesse  de  ce  lieu,  iv»  s. —  A  Troyes,  saint  Ursion  et  saint  Matj- 
rèle,  confesseurs.  —  A  Soissons,  la  mémoire  de  sainte  Probe  et  de  saint  Eutrope.  —  Au  diocèse 
de  Nantes,  la  mémoire  de  saint  Secondel,  vulgairement  Second,  diacre  et  solitaire,  patron  de 
Besne  4.  Vers  560.  —  A  Viviers,  saint  Aule,  évèque  de  ce  siège.  Il  y  avait  autrefois  à  Viviers  une 
église  de  son  nom.  Ses  reliques  furent  brûlées  par  les  Calvinistes  6.  —  A  Merville,  entre  Lille  et 
Saint-Omer,  le  décès  de  saint  Amé,  archevêque  de  Sens,  dont  le  corps,  qui  avait  été  porté  à 
Soissons,  est  présentement  à  Douai.  Sa  fête  se  fait  à  Sens  le  13  septembre.  Vers  689.  —  A  Pise, 
le  martyre  de  saint  Tropez,  honoré  le  17  mai  au  diocèse  de  Fréjus,  où  il  y  a  une  ville  qui  porte 
son  nom.  ier  s. 

MARTYROLOGES  DES  ORDRES  RELIGIEUX. 

Martyrologe  des  Bénédictins,  des  Camaldules,  de  Va  Nombreuse,  des  Cisterciens.  —  An 
monastère  de  Molesmes,  saint  Robert,  premier  abbé  de  Citeaux. 

Martyrologe  des  Dominicains.  —  A  Milan,  saint  Pierre,  martyr,  de  l'Ordre  des  Frères  Prê- 
cheurs, qui  conserva  jusqu'à  son  dernier  soupir  la  parure  de  la  chasteté;  et  qui,  combattant  contre 

1.  Saint  Tychique  était  un  Hébreu  de  la  province  d'Asie  :  l'Ecriture  nous  apprend  qu'il  remplissait 
auprès  de  saint  Paul  la  fonction  de  messager  :  il  fut  porteur,  entre  autres,  des  épitres  de  l'Apôtre  aux 
Colossiens  et  aux  Ephésiens  (Coloss.,  iv,  7,  8;  Eph.,  vi,  21,  22). 

L'Eglise  grecque  et  la  tradition  le  mettent  au  nombre  des  soixante-douze  disciples  de  notre  bien-aimé 

Sauveur  Jésus-Christ;  ce  qui  nous  amené  à  croire  qu'il  n'a  pas  été  converti  par  saint  Paul,  mais  qu'il  lui 

fut  donné  pour  être  son  collaborateur  dans  la  prédication  de  l'Evangile  et  son  compagnon   de  voyage.  En 

e  65,  saint  Paul  eut  la  pensée  de  le  donner  pour  successeur  à  saint  Timothée  dans  le  gouvernement 

de  i'é^lise  d'Ephèse. 

La  tradition  ajoute  qne  saint  Tychique  fut  successivement  évêque  de  Colophon,  en  Ionie,  et  de  Chal- 
CéJcine,  en  Bithynie. 

2.  Voici  les  noms  des  sept  bienheureux  Larrons  ie  Corfou  :  Saturnin,  Jusiscliolus,  Fansticn,  Janvier, 
Marsalius,  Euphrasius  et  Mammius. 

3.  Les  Bollandistes  nomment  cet  évêque  de  Brescia  saint  Paul  1",  et  affirment,  sur  l'autorité  d'un 
sav-int  archéologue  brescian,  qu'aucun  catalogue  épiscopal,  aucun  Missel,  aucun  Bréviaire  ne  nomment 
Un  évêque  de  cette  ville  ayant  porté  le  nom  de  Paulin. 

4.  Voir  la  Vie  de  saint  Second,  avec  celle  de  saint  Friard,  au  1er  août.  —  5.  Voir  sa  Vie  plus  haut, 
t.  iv,  p.  51. 


SAINT  ROBERT,    FONDATEUR  DE   MOLESMES  ET  DE   CÎTEAUX.  67 

les  hérétiques  par  la  parole  et  par  la  science,  fut  massacré  par  eux,  et  scella,  de  son  sang  répandu, 
la  foi  catholique,  qu'il  avait  défendue  durant  sa  vie  avec  une  admirable  constance;  ses  mérites 
excellents  sont  attestés  par  de  fréquents  miracles. 

ADDITIONS   FAITES   D'APRÈS   LES   BOLLANDISTES   ET   AUTRES   HAGIOGRAPHES. 

A  Corcyre,  sainte  Cercyre,  vierge  et  martyre.  Cette  Sainte  était  fille  du  président  Cercilin, 
à  la  fois  gouverneur  et  juge  de  Corfou.  L'admirable  patience  que  montraient  les  disciples  de  Jésus- 
Christ  devant  le  tribunal  de  son  père,  toucha  son  jeune  cœur  et  la  convertit  au  christianisme. 
Dénoncée  à  Cercilin,  ce  père  dénaturé  commit  l'infamie  de  la  livrer  à  un  esclave,  nommé  Ethiops, 
pour  la  déshonorer.  Ethiops  recula  devant  une  apparition  monstrueuse  qui  servit  comme  de  rem- 
part à  la  jeune  fille.  Sainte  Cercyre  fut  d'abord  percée  de  flèches,  puis  lapidée.  Ethiops  souffrit 
aussi  le  martyre  et  est  compté  au  nombre  des  Saints.  Vers  l'an  100. — Au  même  lieu,  saint  Ethiops. 
Même  époque.  —  A  Ravenne,  saint  Libère  Ier,  huitième  évèque  de  cette  ville  '.  Vers  l'an  200.  — 
A  Àtina,  en  Italie,  ancien  pays  des  Volsques,  aujourd'hui  Terre  de  Labour,  saint  Cher,  évèque  et 
martyr.  Il  priait  pour  un  démoniaque  lorsque  les  païens  le  massacrèrent.  Son  sang  guérit  le  pos- 
sédé en  rejaillissant  sur  lui.  An  249.  —  En  Angleterre,  saint  Senan,  confesseur,  qui  mena  la  vie 
solitaire  dans  le  nord  du  pays  de  Galles,  sur  les  terres  du  père  de  sainte  Vénefride;  cette  Sainte 
allait  souvent  lui  demander  des  instructions  et  lui  rendit  les  devoirs  de  la  sépulture  s.  vu8  s.  — 
Encore  en  Angleterre,  saint  Wilfrid  II,  archevêque  d'York.  Vers  744.  —  A  Venise,  la  translation 
de  saint  Léon,  évèque  de  Vile  de  Samos. 


SAINT   ROBERT, 


RELIGIEUX  DE  MONTIER-LA-CELLE,  ABBÉ  DE  SAINT-MICHEL  DE  TONNERRE, 
PRIEUR  DE  SA1NT-AY0UL, 

FOiNDATEUR  DE  MOLESMES  ET  DE  CITEAUX» 

1110.  —  Pape  :  Pascal  II.  —  Roi  de  France  :   Louis  VI,  le  Gros, 


L'âme  du  juste  médite  l'obéissance» 
Prov.,  xv,  28. 

Le  fondateur  de  Molesmes  et  de  Cîteaux  naquit  en  Champagne,  à  Troyes 
ou  aux  environs  de  cette  ville  (1017).  Sa  mère  avait  nom  Ermengarde  et 
son  père  Théodéric*.  Tous  deux,  également  nobles  et  riches,  avaient  su 
garder  dans  les  voies  du  siècle  une  piété  sans  faiblesse,  et  méritaient,  par 
la  sainteté  de  leurs  mœurs,  l'honneur  d'avoir  un  tel  fils.  «  Economes  de  la 
Providence,  ils  rachetaient,  par  d'abondantes  aumônes,  les  fautes  de  fragi- 
lité qui  s'attachent  aux  âmes  les  plus  justes,  comme  la  poussière  aux  pieds 
du  voyageur  ». 

Un  signe  merveilleux  précéda  sa  naissance  et  annonça  les  desseins  du 

1.  Saint  Libère  le',  huitième  évèque  de  Ravenne.  était  un  philosophe  grec.  Baronius,  au  30  décembre, 
le  confond  avec  Libérlus  III,  évèque  de  la  môme  ville. 

2.  Les  Bollandistes  pensent  qu'il  s'agit  ici  du  même  saint   Senan   qui  est  honoré  dans  la  paroisse  de 
Plousane,  ancien  diocèse  de  Léon. 

3.  Molesmes  est  aujourd'hui  une  ville  d'environ  dix  mille  habitants,  à  17  kilomètres  de  Châtillon-snr- 
Seine  'Côte-'l'Or).  —  Citeaux  est  un  village  de  quatre  cents  habitants  dans  le  nicme  département.  —  De 

('elle-lès-Troyes,  11   ne  reste  que  des  ruines.   On  regrette  surtout  son  église,  qu»  était  uae 
des  plus  belles  de  la  Champagne. 

4.  Quelques  auieuri  pauiem  qu'il 


68  29  avril. 

ciel  :  Ermengarde,  sur  le  point  d'être  mère,  vit  en  songe  la  très-sainte 
Vierge  Marie,  qui  lui  offrit  une  bague  d'or,  en  disant  :  «  Je  veux  pour  fiancé 
le  fils  que  tu  as  conçu  ;  voici  l'anneau  du  contrat  *  ». 

Le  fiancé  de  Marie  fut  nommé  Robert  sur  les  fonts  du  baptême  ;  sa  fa- 
mille le  reçut  avec  une  joie  mêlée  de  respect,  et  l'éleva  pour  l'Eglise.  A 
l'âge  de  quinze  ans,  il  offrit  au  Seigneur  «  la  fleur  bénie  de  sa  jeunesse»,  en 
entrant  chez  les  Bénédictins  de  Montier-la-Celle,  dans  le  voisinage  de  Troyes. 
Il  y  fut  le  modèle  des  novices  et  l'émule  des  plus  saints  religieux.  «  Il  affli- 
geait sa  chair  innocente  par  des  jeûnes  prolongés,  et  il  ne  cessait,  ni  le  jour 
ni  la  nuit,  ses  entretiens  avec  Dieu  ».  L'étude  assidue  de  Jésus  crucifié 
l'initia  rapidement  aux  secrets  de  la  plus  haute  perfection.  Ame  candide  et 
affectueuse,  d'une  admirable  docilité  aux  délicates  impressions  de  la  grâce, 
il  était  plus  enclin  aux  suavités  de  la  contemplation  qu'au  travail  exté- 
rieur ;  aussi  le  verrons-nous  pendant  toute  sa  vie  obéir  et  céder  pour  avoir 
la  paix. 

Les  moines,  pleins  d'estime  pour  une  religion  si  profonde,  le  nommè- 
rent prieur  presque  au  sortir  de  son  noviciat,  et,  quelque  temps  après,  ceux 
de  Saint-Michel  de  Tonnerre  le  choisirent  pour  abbé.  C'est  dans  cette  abbaye 
que  des  ermites,  établis  dans  la  forêt  de  Colan,  vinrent  le  trouver  et  le  prier 
de  se  joindre  à  eux,  afin  de  leur  enseigner  la  règle  de  Saint-Benoît,  qu'ils 
avaient  résolu  d'embrasser.  Il  eût  bien  voulu  les  suivre  aussitôt  ;  car,  à  Saint- 
Michel,  ses  efforts  pour  affermir  la  régularité  étaient  stériles  ;  mais,  cédant 
à  l'opposition  des  moines,  il  attendit  l'heure  de  Dieu,  et  resta  à  Saint-Mi- 
chel. Ce  ne  fut  pas  pour  longtemps,  car  il  retourna  bientôt  en  son  pre- 
mier monastère  de  Montier-la-Celle. 

Rentré  dans  la  vie  de  simple  religieux,  il  commença  à  goûter  dans  le 
calme  de  la  solitude  et  du  silence  les  délices  de  la  contemplation  divine,  et 
ce  fut  dans  ce  céleste  commerce,  entretenu  par  la  prière  continuelle,  qu'il 
reçut  les  grâces  par  lesquelles  Dieu  le  préparait  aux  grands  desseins  qu'il 
avait  sur  lui. 

Quelque  résolution  que  Robert  eût  prise  de  ne  plus  sortir  de  ce  repos 
heureux  où  son  âme,  dégagée  de  toutes  les  choses  de  la  terre,  jouissait  de 
Dieu  même,  il  ne  put,  sans  manquer  à  l'obéissance  qu'il  avait  vouée,  refuser 
de  prendre  la  direction  du  monastère  de  Saint-Ayoul  ou  Aigulphe  de  Pro- 
vins, qui  dépendait  de  Montier-la-Celle. 

Cependant  les  sept  ermites  de  Colan,  toujours  désireux  d'avoir  Robert 
pour  supérieur,  présentèrent  une  requête  au  pape  Alexandre  II,  qui  ordonna 
à  Robert  d'aller  les  diriger. 

Voici  l'histoire  de  cet  ermitage,  berceau  de  Molesmes  et  de  Cîteaux  :  Deux 
gentilshommes  normands,  frères  selon  la  chair,  mais  non  pas  selon  l'esprit, 
impies  et  libertins,  traversaient  un  jour  la  forêt  de  Colan,  entre  Tonnerre 
et  Chablis,  pour  se  rendre  à  un  tournoi.  Or,  chacun  d'eux  eut  l'horrible 
pensée  d'égorger  son  frère  alin  de  jouir  de  ses  biens.  Cette  pensée  devint  un 
désir...;  toutefois  ils  résistèrent  et  parvinrent  à  l'étouffer.  A  leur  retour,  et 
dans  le  même  endroit  de  la  forêt,  la  même  tentation  les  assaillit  plus  vio- 
lente et  plus  irrésistible...;  mais  Dieu  retint  leurs  bras  et  toucha  si  forte- 
ment leur  âme,  qu'ils  allèrent  tous  deux  accuser  leurs  fautes  à  un  prêtre 
retiré  dans  cette  solitude.  Ensuite,  chemin  faisant,  ils  se  révélèrent  l'un  à 
l'autre  le  désir  abominable  qu'ils  avaient  eu  et  la  lutte  qui  l'avait  suivi... 
Cette  révélation  les  frappa  d'épouvante  et  les   convertit.  Renonçant  au 

1.  Volo  filium  quem  gestas  in  utero  ex  isto  mini  annulo  desponsari.  (Vita,  i.) 


SAINT  ROBERT,   FONDATEUR  DE  MOLESMES  ET  DE   CÎTEAUX.  69 

monde,  ils  distribuèrent  leurs  richesses  aux  pauvres,  et  vinrent  se  mettre 
sous  la  direction  du  pieux  ermite  de  Colan. 

L'humble  communauté  s'accrut,  et  saint  Robert  dut  chercher  un  em- 
placement plus  salubre  pour  bâtir  une  abbaye  régulière.  Remontant  la  rive 
droite  de  la  Laignes,  il  amena  ses  religieux,  au  nombre  de  treize,  dans  la 
forêt  de  Molesmes,  et  là,  sur  le  penchant  d'une  colline,  il  construisit,  avec 
des  troncs  d'arbres  et  des  branches  entrelacées,  un  oratoire  et  des  cellules 
à  l'entour.  Ce  pauvre  monastère,  image  de  Bethléem,  fut  dédié  à  la  Sainte 
Vierge,  le  dimanche  20  décembre  1075,  —  Raynard  de  Bar  étant  évêque  de 
Langres,  et  saint  Grégoire  VII,  vicaire  de  Jésus-Christ. 

Robert  en  eut  la  conduite  avec  le  titre  d'abbé  ;  il  y  établit  la  règle  de 
Saint-Benoît  et  s'eflbrça  d'y  faire  germer  les  vertus  religieuses.  Par  son 
exemple,  il  aidait  ses  Gis  spirituels  à  supporter  le  poids  du  travail  et  des 
austérités,  et,  par  son  langage  tout  céleste,  il  les  encourageait  à  semer  dans 
les  larmes,  afin  de  moissonner  dans  la  joie.  Et  ses  fils  joyeux  rivalisaient  de 
bonne  volonté  à  qui  serait  le  plus  doux,  le  plus  humble,  le  plus  obéissant 
et  le  plus  silencieux.  Dans  ces  luttes  pacifiques,  la  charité  régnait  en  souve- 
raine, car  les  succès  de  chacun  étaient  l'honneur  et  comme  le  patrimoine 
de  tous. 

Dans  ces  commencements,  l'évêque  de  Troyes,  passant  près  de  Molesmes, 
eut  la  pensée  de  visiter  l'abbaye  ;  —  c'était  l'heure  où  les  moines,  fatigués 
par  le  jeûne  et  le  travail,  allaient  au  réfectoire  ;  —  il  y  entra  avec  eux.  On 
ne  put  lui  offrir  que  des  légumes  et  des  fruits,  si  grande  était  la  pauvreté  ! 
mais  la  vue  de  ces  religieux  fervents,  leur  modestie  et  leur  paix  au  sein  de 
l'indigence,  le  remplirent  d'admiration,  et  il  s'en  retourna  en  bénissant  Dieu. 

Or,  à  quelque  temps  de  là,  Molesmes  manqua  de  pain  ;  saint  Robert,  qui 
avait  remis  5  la  Providence  le  souci  de  la  vie,  prit  à  la  lettre  ces  paroles  du 
Prophète:  «  Vous  qui  n'avez  point  d'argent,  hâtez-vous  d'acheter  »,  et  il 
envoya  deux  religieux  acheter  sans  argent  des  vêtements  et  des  vivres. 
Obéissant  à  leur  bienheureux  Père,  ils  se  dirigent  vers  la  ville  de  Troyes. 
L'évêque  apprend  l'arrivée  de  ces  moines,  dont  les  pieds  nus  et  l'extrême 
dénûment  excitent  sa  pitié  ;  il  se  les  fait  amener,  reconnaît  ses  hôtes  de 
Molesmes,  les  accueille  dans  sa  maison,  et,  quand  ils  sont  reposés  du  voyage, 
il  leur  donne  un  chariot  chargé  de  provisions.  Tous  les  Frères  bénirent  le 
Seigneur,  au  retour  des  envoyés,  et  s'excitèrent  à  la  persévérance. 

A  partir  de  ce  moment,  l'épreuve  de  l'extrême  pauvreté  cessa  à  Molesmes  : 
les  seigneurs  du  voisinage  firent  à  l'envi  des  donations  au  nouveau  mo- 
nastère. 

Mais,  hélas  !  pourquoi  «  l'homme  ennemi  »  sema-t-il  de  l'ivraie  dans  ce 
champ  du  père  de  famille?....  La  piété  des  fidèles  ayant  enrichi  Molesmes, 
l'abondance  détrôna  la  pauvreté,  et  il  se  trouva  des  esprits  superbes  qui 
méprisèrent  le  travail  des  mains,  et  élevèrent  des  prétentions  sur  les  églises 
voisines,  alléguant,  pour  se  justifier,  la  coutume  d'autres  abbayes.  Saint 
Robert,  le  prieur  Albéric,  Etienne  et  plusieurs  moines,  luttèrent  contre  ces 
innovations  déplorables,  mais  en  vain.  Ceux  qui  répudiaient  la  pauvreté 
méconnurent  l'obéissance,  et  notre  Bienheureux,  se  voyant  débordé,  crut 
pouvoir  déposer  la  crosse  abbatiale,  à  l'exemple  du  patriarche  saint  Benoît, 
et  il  se  retira  dans  la  solitude  d'Or,  où  de  pieux  cénobites  servaient  Dieu 
dans  la  pénitence  et  la  ferveur. 

Cependant  les  moines  de  Molesmes  ne  tardèrent  pas  à  reconnaître  qu'ils 
avaient  péché  grièvement  en  obligeant  leur  saint  fondateur  à  s'éloigner 
d'eux  ;  Albéric,  Etienne  et  les  meilleurs  religieux  s'étaient  enfuis,  la  dis- 


70  3EJ  AYKIL. 

corde  régnait  au  sein  de  la  communauté,  devenue  semblable  à  un  esquif 
sans  pilote,  et  Dieu  avait  détourné  les  aumônes  des  fidèles.  Honteux  d'avoir 
outragé  leur  père,  et  n'osant  pas  le  prier  de  revenir,  ils  écrivirent  au  Pape 
et  en  obtinrent  un  bref  qui  en  joignait  à  Robert  de  reprendre  le  gouvernement 
de  Molesmes;  l'évêque  de  Langres  était  chargé  d'en  procurer  la  prompte 
exécution.  Robert  obéit,  sans  demander  ni  excuses  du  passé  ni  promesses 
pour  l'avenir  ;  l'abandon  à  la  volonté  de  Dieu  lui  suffisait  ;  Albéric  et  les 
autres  revinrent  eux  aussi  à  Molesmes. 

Si  «  Dieu  est  de  charité  »,  les  Saints  qui  vivent  plus  abondamment  de  sa 
vie  sont  remplis  de  mansuétude.  Robert  oublia  les  torts  de  ses  enfants,  et 
usa  de  condescendance  ;  l'abbaye  retrouva  pour  un  temps  la  paix  dans  la 
ferveur,  et  communiqua  même  un  peu  de  sève  religieuse  à  des  monastères 
déchus.  Toutefois,  le  succès  ne  descendit  plus  sur  elle  :  en  contrariant  les 
desseins  de  Dieu,  elle  avait  perdu  sa  couronne  de  reine.  Le  temps  qui  use 
ou  consolide,  diminua  la  bonne  volonté  de  plusieurs  qui  se  prirent  à  re- 
gretter les  réformes  consenties,  tandis  que  d'autres  déploraient  en  secret 
les  dispenses  accordées  et  soupiraient  après  l'austérité  d'autrefois.  En  en- 
tendant lire  au  Chapitre  la  Règle  qu'ils  voyaient  délaissée  en  plusieurs  de  ses 
prescriptions,  ils  ne  pouvaient  se  défendre  d'une  amère  tristesse  ;  pour  eux, 
la  paix  de  l'âme  n'était  plus  dans  ce  couvent  qu'ils  avaient  aimé,  et  ils  s'in- 
quiétaient du  jour  béni  qui  leur  rendrait  cet  inestimable  trésor. 

Ces  tendances  opposées  ne  brisèrent  point  l'harmonie  extérieure,  mais 
élevèrent  jour  par  jour  un  mur  de  séparation  entre  les  Frères  ;  à  la  fin, 
Etienne  découvrit  à  Albéric  les  sentiments  qui  agitaient  son  âme  ;  Albéric 
répondit  à  cette  confidence  par  les  mêmes  aveux,  et  tous  deux  conçurent  le 
projet  de  bâtir  une  abbaye  où  la  Règle  serait  observée  à  la  lettre  et  sans 
dispense  générale.  Ce  projet  mûrit,  et,  au  moment  de  l'exécuter,  Etienne 
s'en  ouvrit  à  saint  Robert,  qui  entra  dans  leurs  vues  et  promit  son  concours. 
Cela  fait,  on  résolut  de  quitter  Molesmes,  mais  cette  fois  avec  la  permission 
du  Siège  apostolique,  afin  de  prévenir  toutes  difficultés.  En  conséquence, 
vers  le  commencement  de  l'année  1097,  Robert  et  six  de  ses  moines  se  pré- 
sentèrent à  l'archevêque  de  Lyon,  Hugues,  légat  du  Pape  en  France,  et  en 
obtinrent  cette  lettre  : 

«  Hugues,  archevêque  de  Lyon  et  légat  du  Siège  apostolique,  à  Robert, 
abbé  de  Molesmes,  et  aux  religieux  qui  désirent  avec  lui  servir  Dieu  suivant 
la  règle  de  Saint-Benoît. 

«Que  tous  ceux  qui  se  réjouissent  de  l'avancement  de  l'Eglise,  notre  sainte 
mère,  sachent  que  vous  êtes  venus  à  Lyon  avec  quelques-uns  de  vos  enfants 
spirituels  du  couvent  de  Molesmes,  et  Nous  avez  déclaré  vouloir  observer, 
d'une  manière  plus  stricte  et  plus  parfaite,  la  règle  de  Saint-Benoît,  gardée 
maintenant  avec  négligence  et  tiédeur  dans  ledit  monastère  ;  et  puisque 
différentes  causes  s'opposent  manifestement  à  ce  que  vous  puissiez  accom- 
plir en  ce  lieu-là  votre  bon  dessein,  Nous,  consultant  votre  salut  et  celui  de 
vos  frères,  avons  pensé  que  le  meilleur  était  de  vous  retirer  dans  tout  autre 
couvent  que  la  bonté  divine  vous  accordera,  et  d'y  servir  le  Seigneur  dans 
la  ferveur  et  la  paix.  A  vous  donc  qui  avez  comparu  devant  Nous,  abbé  Ro- 
bert, Frères  Albéric,  Odon,  Jean,  Etienne,  Létalde  et  Pierre,  ainsi  qu'à  tous 
ceux  qui  sont  déterminés  à  vous  suivre,  Nous  avons  permis  d'exécuter  ce 
bon  dessein,  et  Nous  vous  exhortons  à  y  persévérer,  et  confirmons  par  ces 
présentes,  à  perpétuité,  cette  décision  en  vertu  de  l'autorité  apostolique  et 
par  l'apposé  de  notre  sceau  *  ». 

1.  Exord.  Magn.  Cist.  (Dist.  i,  c»p.  M.î 


SAINT  ROBERT,   FONDATEUR  DE  MOLESMES  ET  DE  CÏTEAUX.  71 

Robert,  muni  de  cette  lettre  qui  résume  sa  pensée,  revint  à  Molesmes, 
déclara  son  dessein  à  tous  les  religieux  et  les  délia  de  l'obéissance  qu'ils  lui 
avaient  vouée  ;  il  sortit  ensuite,  n'emportant  de  l'abbaye  qu'un  livre  d'offices 
pour  le  copier,  les  vêtements  et  les  vases  sacrés  nécessaires  à  la  célébration 
du  sacrifice  divin.  Vingt  et  un  moines  le  suivaient. 

Avant  son  départ  de  Molesmes,  Robert  avait  choisi,  disent  quelques  his- 
toriens, la  forêt  de  Cîteaux  pour  y  bâtir  une  abbaye,  et  obtenu  la  protection 
d'Eudes  ou  Odon,  duc  de  Bourgogne  ;  mais  une  antique  légende  veut  qu'il 
se  soit  avancé  vers  le  Midi,  sous  la  conduite  de  la  Providence,  par  les  chemina 
les  moins  frayés,  et  qu'arrivé  ainsi  dans  une  forêt,  à  quatre  lieues  de  Dijon, 
une  voix  mystérieuse  lui  ait  dit  :  «  Arrête  ici,  siste  hic  »,  d'où  l'appellation 
de  Cîteaux.  —  Quoi  qu'il  en  soit,  Cîteaux  était  à  ce  moment  une  forêt  sau- 
vage, «  sise  au  milieu  des  eaux  »,  dans  le  diocèse  de  Chalon-sur-Saône,  au 
bailliage  de  Nuits.  Raynaud,  vicomte  de  Beaume,  en  détacha  une  lande  in- 
culte et  marécageuse  où  croissaient  les  glaïeuls  et  les  joncs,  et  l'accorda  au 
moine  Robert,  qui  l'accepta  au  nom  de  la  très-sainte  Vierge.  Marie  agréa 
cet  hommage,  et  Cîteaux,  succédant  à  Molesmes,  devint  le  berceau  d'une 
«  famille  aussi  nombreuse  que  les  étoiles  du  firmament  ». 

Robert  et  ses  religieux  défrichèrent  la  lande,  bâtirent  un  oratoire  et  des 
cellules,  et  le  21  mars  1098,  fête  de  saint  Benoît  et  dimanche  des  Rameaux, 
le  nouveau  monastère  fut  béni  en  l'honneur  de  la  Mère  de  Dieu,  comme 
Molesmes  l'avait  été  et  comme  le  seront  dans  la  suite  des  âges  toutes  les  égli- 
ses cisterciennes.  Ce  même  jour  Robert  fut  élu  abbé,  et  après  que  tous  les 
religieux  eurent  renouvelé  leurs  vœux  d'obéissance,  il  nomma  saint  Albéric 
prieur  et  saint  Etienne  sous-prieur. 

De  ce  jour  Cîteaux  fut  un  «jardin  fermé  »,  un  séjour  de  paix  et  la  cité 
des  Saints...  Mais  les  moines  ne  durent  pas  oublier  que  la  joie  parfaite 
n'habite  pas  ici-bas  de  longs  jours  avec  nous.  Tandis  que  saint  Robert  tra- 
vaillait à  établir  cette  admirable  discipline  qui  sanctifia  tant  d'âmes,  que, 
moins  de  trois  siècles  après,  le  Chapitre  général  de  l'Ordre  décrétait  de  ne 
plus  poursuivre  la  canonisation  d'aucun  cistercien,  «  dans  la  crainte  que  le 
trop  grand  nombre  ne  les  rendît  moins  vénérables  *  »,  les  moines  de 
Molesmes  recouraient  au  souverain  Pontife  pour  qu'il  obligeât  une  seconde 
fois  le  saint  abbé  à  revenir  parmi  eux. 

Urbain  II  remit  le  soin  de  cette  affaire  à  son  légat,  Hugues,  archevêque 
de  Lyon,  en  lui  ordonnant  de  conseiller  à  saint  Robert  de  reprendre  la  con- 
duite de  l'abbaye  de  Molesmes,  et  de  pourvoir,  en  même  temps,  à  ce  que  les 
religieux  y  gardent  la  Règle  et  laissent  en  paix  leurs  frères  de  Cîteaux.  Hu- 
gues décida  notre  Bienheureux  à  faire  le  sacrifice  de  ses  plus  chères  affec- 
tions et  à  quitter  Cîteaux.  Deux  moines  de  cette  abbaye,  «  qui  n'aimaient 
pas  le  désert  »,  le  suivirent  à  Molesmes. 

Dieu  bénit  l'obéissance  de  saint  Robert,  et  les  religieux  surent  enfin 
l'apprécier  ;  mais  au  milieu  de  ces  consolations  tardives,  il  ne  put  oublier 
ses  fils  de  Cîteaux. 

«  Je  vous  affligerais  trop  »,  leur  écrit-il,  «si  ma  langue  pouvait  servir 
de  plume,  mes  larmes  d'encre  et  mon  cœur  de  papier...  Il  se  dessèche,  ce 
cœur,  depuis  qu'on  m'a  séparé  de  vous,  s'il  est  vrai  toutefois  qu'on  ait  réussi 
à  m'en  séparer  ;  car  la  distance  n'éloigne  pas  ceux  que  la  charité  réunit 
dans  le  Christ  Jésus...  Que  Molesmes  ait  mon  corps,  puisque  l'obéissance  l'a 
voulu  ;  mais  mon  âme  est  à  vous,  son  amour  et  ses  désirs  sont  à  Cîteaux... 
Le  corps,  qui  est  ici,  vous  salue  ». 

1.  Ne  iuultitudine  sancti  vilescerent  la  Ordina. 


72  29  avril. 

Ces  sublimes  accents  révèlent  la  tendresse  de  cœur  et  le  mérite  de  l'obéis- 
sance de  Robert.  Appelé,  de  son  couvent  de  Montier,  à  Saint-Michel  de 
Tonnerre,  il  va  s'y  épuiser  en  de  stériles  efforts.  —  Les  ermites  de  Colan  le 
demandent,  il  attend,  pour  les  suivre,  que  les  obstacles  suscités  par  l'envie 
soient  tombés.  —  On  le  rappelle,  il  y  revient.  —  Quand  il  a  fondé  Cîteaux, 
Molesmes  le  réclame,  et  il  y  retourne,  quittant  ses  fils  bien-aimés  pour  ses  fils 
rebelles...  Ainsi  toute  sa  vie  s'écoule  !... 

Les  regrets  du  saint  abbé  durent  se  changer  en  allégresse  lorsqu'il  vit  les 
religieux  de  Molesmes  accepter  la  réforme  telle  qu'il  la  voulait  et  embras- 
ser l'étroite  observance  de  la  règle  bénédictine  l. 

Il  sembla,  pour  employer  les  expressions  d'un  vieil  hagiographe,  que 
Cîteaux  avait  été  transporté  à  Molesmes,  ou  plutôt  que  Molesmes  était 
devenu  un  autre  Cîteaux.  Voici  un  fait  éclatant  qui  fit  briller  aux  yeux  des 
religieux  tout  le  mérite  de  leur  saint  abbé. 

Il  arriva,  disent  les  Annales,  que  deux  pauvres  vinrent  demander  l'au- 
mône à  la  porte  de  l'abbaye.  Notre  Bienheureux  les  reçut  avec  respect  et 
appela  aussitôt  le  frère  cellérier,  afin  qu'il  leur  donnât  de  quoi  manger.  —  «  Il 
n'y  a  plus  de  pain  dans  tout  le  monastère  »  ,  répondit  le  moine  d'un  air  af- 
fligé. —  «  Que  servirez-vous  donc  »,  repartit  le  Bienheureux,  «  au  dîner  des 
Frères?  »  —  Embarrassé  par  cette  observation,  il  répondit  d'une  manière 
évasive  «  qu'il  n'en  savait  rien  »  ;  force  fut  donc  de  renvoyer  ces  pauvres 
les  mains  vides.  A  l'heure  du  dîner,  Robert  aperçoit  des  pains  sur  la  table, 
et,  les  indiquant  du  regard  au  cellérier  :  «  Frère  »,  lui  dit-il,  a  où  les  avez- 
vous  eus?  »  —  «  Je  les  avais  mis  en  réserve  pour  les  religieux  ».  —  A  cette 
réponse,  l'homme  de  Dieu  sent  la  douleur  et  l'indignation  jaillir  de  son 
âme  ;  il  prend  une  corbeille,  ramasse  tous  les  pains  et  les  jette  dans  la  ri- 
vière !...  Dieu,  pour  récompenser  cette  action  héroïque,  envoya  par  un  sei- 
gneur étranger  des  vivres  au  monastère.  Que  ne  devait-on  pas  attendre  d'une 
communauté  enseignée  par  un  tel  maître?... 

Son  dernier  jour  venu,  il  le  dit  aux  Frères,  recommanda  son  âme  à  Dieu, 
et  passa  de  l'exil  au  paradis,  le  21  mars  1110.  La  nuit  de  sa  mort,  deux  arcs- 
en-ciel  se  développèrent,  — l'un  de  l'Orient  à  l'Occident,  et  l'autre  du  Nord 
au  Midi, —  et  à  leur  point  de  jonction  apparut  une  croix  de  lumière  nimbée 
d'une  auréole  radieuse.  Peu  à  peu  cette  croix  s'agrandit  et  fut  environnée 
de  cercles  de  feu  aux  couleurs  variées.  Ce  signe,  disent  les  annalistes  de 
Cîteaux,  témoignait  de  la  sainteté  de  Robert,  et  présageait  la  gloire  de  sa  fa- 
mille spirituelle. 

RELIQUES  ET  CULTE  DE  SAINT  ROBERT. 

On  ensevelit  son  corps  au  milieu  de  la  nef  de  l'église  abbatiale,  «  dans  un  sarcophage  en  pierre 
qu'on  entoura  de  grillages  en  fer  ».  Honorius  III  inscrivit  son  nom  au  catalogue  des  Rienheureux 
en  1222,  et  permit  d'en  faire  l'office.  Innocent  IV  le  canonisa  en  12i3.  Cette  même  année,  le 
29  septembre,  l'abbé  Geoffroy  mit  le  cbef  de  saint  Robert  dans  un  buste,  et  son  corps  dans  une 
chasse  «  riche  d'argenterie  et  de  pierreries  a;  elle  fut  vendue  en  1430,  à  Dijon,  pour  payer  la 
rançon  imposée  aux  religieux  de  Molesmes  par  l'armée  d'Archambaud...  Une  nouvelle  châsse  en  ar- 
gent devint  la  proie  des  protestants,  et  le  magnifique  reliquaire,  «  exécuté  par  un  artiste  lombard  », 

1.  Il  est  facile  de  conclure,  par  le  succès  qu'obtint  saint  Robert  auprès  des  religieux  Je  Molesmes,  que 
leurs  désordres  ne  devaient  pas  être  graves.  Tout  leur  relâchement  avait  consisté  à  délaisser  le  travail 
4es  mains,  à  recevoir  des  oblations  des  mains  des  fidèles,  et  a  introduire  des  innovations  clans  leur  vête- 
ment, malgré  la  défense  de  leur  supérieur.  Il  ne  faut  pas  perdre  de  vue  que  saint  Robert  se  posait  en  ré- 
formateur, et  que  l'observation  par  à  peu  près  de  la  règle  de  Saint-Benoit  ne  lui  suffisait  pas  :  il  lui 
fallait  l'étroite  observance.  Il  finit  par  l'obtenir;  mais  il  ne  serait  jto"  juste  de  traiter  de  relâchés  les 
moines  de  Molesmes  qui  voulaient  se  contenter  des  sévérités  de  la  règle  ordinaire. 


SAINT  HTJGTTES,   ABBÉ  DE  CLUNY.  73 

en  1781,  celle  de  la  Révolution.  En  suite  de  la  loi  du  10  septembre  1792,  le  maire  de  Molesmesfit 
réunir  le  chef  de  saint  Robert  au  reste  du  corps,  eu  envoya  le  buste  en  argent,  du  poids  de  vingt- 
deux  marcs,  au  chef-lieu  du  district.  Cette  cérémonie,  remarque  le  procès-verbal  du  17  février 
1793,  se  fit  avec  grand  respect!  On  chanta  le  répons  :  Erunt  Reliquiœ  et  la  collecte  de  l'office 
de  la  translation,  ensuite  on  enferma  les  reliques  dans  une  châsse  qui  fut  scellée  du  sceau  de  la 
municipalité.  Le  19  thermidor  an  II,  l'agent  national  enleva  les  ossements  de  la  châsse,  qui  était 
déposée  dans  la  salle  dite  «  des  Droits  de  l'Homme  »,  les  mit  dans  une  corbeille  et  les  plaça  sous 
une  pierre  tombale  «  avec  un  petit  cercueil  »  renfermant  tous  les  papiers,  —  authentiques,  procès- 
verbaux  des  translations  et  des  envois  de  reliques,  —  les  débris  de  son  suaire,  uue  aube,  et 
d'autres  vêtements. 

Le  29  avril  1826,  Mgr  de  Boisville  eut  le  bonheur  de  reconnaître  cet  inestimable  trésor.  L'I- 
dentité des  reliques  lui  fut  affirmée  par  plusieurs  témoins  oculaires,  et  notamment  par  le  maire 
qui  avait  signé  le  procès-verbal  de  1793.  Elles  enrichissent  aujourd'hui  l'église  paroissiale  de 
Molesmes. 

Plusieurs  églises  du  diocèse  de  Troyes,  entre  autres  celle  d'Isle-Aumont,  possèdent  des  statues 
de  saint  Robert.  11  est  représenté  avec  les  attributs  d'abbé  fondateur,  et,  à  ses  côtés,  une  petite 
église  renferme  une  relique  de  ce  grand  Saint.  A  Avirey-Lingey,  saint  Robert,  crosse  et  mitre, 
tient  à  la  main  un  plateau  chargé  de  fraises.  Voici  l'explication  que  donne  la  tradition  de  cet  at- 
tribut assez  peu  commun  :  La  comtesse  de  Bar-sur-Seine  étant  malade,  déclara  à  son  mari  qu'elle 
mourrait  si  on  ne  lui  donnait  des  fraises.  Or,  une  neige  épaisse  couvrait  la  terre  à  cette  époque 
de  l'année.  Le  comte,  embarrassé,  courut  à  Molesmes  expliquer  à  saint  Robert  le  bizarre  caprice  de 
sa  femme.  Le  Saint  conduisit  le  comte  dans  les  jardins  de  l'abbaye  :  «  Prions  »,  lui  dit-il.  Puis, 
faisant  enlever  la  neige,  on  vit  paraître  des  fraises  d'une  saveur  et  d'un  parfum  extraordinaires. 
Mais  son  attribut  le  plus  ordinaire  est  Vanneau  qu'il  reçoit  des  mains  de  la  Sainte  Vierge.  —  Il 
est  le  patron  des  Loges-Margueron. 

La  Vie  de  saint  Robert,  écrite  par  un  moine  contemporain,  Guy  de  Molesmes,  servit  de  documenta  cella 
que  l'abbé  Adon  fit  rédiger  moins  d'un  siècle  après,  et  que  les  Bollandistes  ont  éditée  au  29  avril.  Voir 
VExordium  magn.  Cist.;  Y  Abrégé  chron.  de  1G77  (aux  archives  de  la  Côte-d'Or);  les  authentiques  con- 
servés à  Molesmes;  Saints  de  Dijon,  par  Dnplus;  Saints  de  Troyes,  par  Defer.  Nous  avons  reproduit  en 
grande  partie  la  rédaction  de  M.  l'abbé  Duplus. 


SAINT  HUGUES,  ABBÉ  DE  GLUNY 


1024-1109.  —  Papes  :  Jean  XIX;  Pascal  IL  —  Rois  de  France  :  Robert  II,  le  Pieux; 

Louis  VI,  le  Gros. 


La  gloire  même  mondaine  n'exclut  pas  la  sainteté; 
elle  en  est  le  vêtement,  suivant  l'expression  du 
Sage.  Comm.  sur  l'Eccli.,  l,  12. 

Hugues  naquit  en  1024,  à  Semur,  en  Brionnais.  Son  père,  Dalmace, 
comte  de  Semur,  et  sa  mère,  Aremberge  de  Vergy,  étaient  tous  deux  de  la 
première  noblesse  de  Bourgogne.  Aremberge,  pendant  sa  grossesse,  se  re- 
commanda aux  prières  d'un  saint  prêtre.  Celui-ci,  en  célébrant  la  messe, 
vit  dans  le  calice  la  figure  rayonnante  d'un  enfant  d'une  admirable  beauté. 
Ce  fut  pour  la  mère  un  présage  que  son  fils  serait  un  jour  ministre  des 
autels.  Dalmace,  au  contraire,  voulait  que  son  fils  devînt  l'héritier  de  son 
antique  famille.  Il  chercha  de  bonne  heure  à  lui  inspirer  l'amour  des  che- 
vaux, des  armes,  de  la  chasse,  des  faucons,  à  lui  donner  une  éducation 
noble  et  militaire  ;  mais  le  jeune  Hugues,  comme  la  pieuse  Aremberge  l'a- 
vait pressenti,  préférait  à  tous  ces  plaisirs,  à  tous  ces  exercices  de  la  jeu- 
nesse noble,  la  conversation  des  vieillards,  les  livres  et  les  églises.  Enfin,  il 
obtint  d'aller  chez  son  grand  oncle,  Hugues,  évêque  d'Auxerre  et  comte  de 
Chalon-sur-Saône  ;  c'est  là  qu'il  fit  ses  études.  A  l'âge  de  quinze  ans,  il 
entra  dans  le  monastère  de  Cluny,  dont  il  fut  nommé  prieur  au  bout  de 


74  29  avril. 

quelques  années,  puis  abbé,  à  la  mort  de  saint  Odilon,  et  ainsi  général  de 
tout  l'Ordre.  Il  n'avait  que  vingt-cinq  ans;  mais  son  mérite  fit  oublier  sa 
jeunesse.  Il  avait,  à  la  fleur  de  l'âge,  la  maturité  de  la  vieillesse.  Aussi 
jouit-il  bientôt  d'un  rare  crédit  auprès  des  puissances  civiles  et  religieuses. 
Il  avait  déjà,  étant  prieur,  rempli  une  mission  difficile  en  réconciliant 
l'empereur  Henri  le  Noir  avec  les  moines  de  Payerne,  qui  dépendaient  de 
Cluny. 

Quelques  mois  après  son  élection,  il  assista  au  concile  de  Reims,  pré- 
sidé par  Léon  IX,  et  y  occupa  le  second  rang  entre  tous  les  abbés  de  la 
chrétienté.  Le  discours  qu'il  fut  chargé  d'y  prononcer  contre  la  simonie  et 
le  concubinage  des  clercs,  eut  beaucoup  de  retentissement  et  de  succès  ; 
les  conclusions  en  furent  sanctionnées  parle  concile.  «  Hugues,  abbé  de 
Cluny,  lisons-nous  dans  les  actes  du  concile,  parla  le  second  et  dit  :  Je  n'ai 
rien  donné  et  je  n'ai  rien  promis  pour  obtenir  la  dignité  d'abbé.  La  chair 
le  voulait  bien,  mais  l'esprit  et  la  raison  s'y  sont  opposés  ».  On  peut  remar- 
quer ici  l'humilité  de  ce  saint  abbé  qui,  en  reconnaissant  qu'il  n'avait  rien 
donné  pour  obtenir  sa  charge,  semble  avouer  qu'il  avait  été  tenté  de  le  faire. 
De  Reims,  Hugues  suivit  le  Pape  à  Rome,  assista,  chemin  faisant,  au  concile 
de  Mayence,  où  siégèrent  quarante  évêques  ;  puis  à  un  autre  concile  à 
Rome,  dans  lequel  il  fut  pour  la  première  fois  question  des  erreurs  de 
Bérenger  de  Tours,  le  plus  ancien  des  précurseurs  de  Luther.  Dans  le  con- 
cile romain,  Hugues,  le  plus  jeune  des  abbés,  eut  encore  la  seconde  place. 
Peu  de  temps  après,  il  alla  tenir  à  Cologne,  sur  les  fonts  baptismaux,  le 
fils  de  l'empereur  d'Allemagne.  Il  célébra  la  fête  de  Pâques  en  cette  ville, 
où  les  Allemands  ne  pouvaient  se  lasser  d'admirer  la  douceur  de  sa  conver- 
sation, les  grâces  de  son  visage,  et  la  gravité  de  ses  mœurs  dans  un  âge 
si  peu  avancé,  car  le  saint  abbé  n'avait  pas  encore  trente  ans.  A  peine  de 
retour  à  Cluny,  il  courut  en  Hongrie  réconcilier  le  roi  André  avec  l'em- 
pereur. 

Il  se  passait  rarement  des  choses  importantes,  sans  que  Hugues  n'y  prît 
une  grande  part.  Robert  Ier,  duc  de  Bourgogne,  irrité  de  la  mort  de  son 
fils,  tué  par  les  Auxerrois,  s'était  déclaré  l'ennemi  de  l'évêque  d'Autun,  et 
ravageait  la  Bourgogne.  Un  concile  s'assemble  à  Autun  en  1055.  Le  duc 
refuse  fièrement  d'y  comparaître.  Hugues  le  calme,  le  fléchit,  et  l'amène 
sans  résistance  dans  la  sainte  assemblée,  où  l'abbé  de  Cluny  parle  avec  tant 
d'éloquence,  que  Robert,  touché  jusqu'au  fond  du  cœur,  pardonne  aux 
meurtriers  de  son  fils  et  rétablit  la  paix. 

En  un  autre  temps,  les  évoques  de  Châlons  et  de  Mâcon  doivent  à  saint 
Hugues  leur  réconciliation.  Il  préside  au  concile  d'Avignon,  comme  légat 
du  pape  Nicolas  II.  Ses  lumières  éclairaient  toutes  les  assemblées  de  l'Eglise 
de  France.  A  Toulouse,  en  1068  ;  à  Châlons,  en  1072  ;  à  Autun  encore,  en 
1077  ;  à  Clermont,  en  1095  ;  partout  les  synodes  catholiques  s'honoraient 
de  sa  présence.  Sa  renommée  de  vertu  était  si  grande,  que  le  pape 
Etienne  IX,  malade  à  Florence,  voulut  l'y  retenir  pour  l'assister  au  lit  de 
mort,  et  recevoir  ses  derniers  soupirs. 

Mais  Grégoire  VII  surtout,  cet  illustre  et  saint  Pape  qui  fut  d'abord 
prieur  de  Cluny,  témoigna  à  l'abbé  Hugues  la  confiance  la  plus  filiale  et  la 
plus  affectueuse.  Il  n'y  avait  pas  un  an  qu'il  était  placé  sur  le  Saint-Siège, 
que  déjà,  en  1074,  il  se  plaignait  avec  tendresse  de  n'avoir  pas  encore  vu  à 
Rome  son  ami,  l'abbé  de  Cluny.  Au  plus  fort  de  ses  disgrâces  et  des  inquié- 
tudes de  sa  vie  publique,  il  ne  trouvait  pas  de  plus  grande  consolation  que 
de  répandre  dans  le  cœur  de  Hugues  toutes  les  douleurs  du  sien,  et  de  le 


SAINT   HUGUES,    ABBÉ  DE   CLUNY.  75 

rendre  confident  intime  de  ses  plaintes  éloquentes  sur  les  tristesses  de 
l'Eglise.  Plus  d'une  fois  saint  Grégoire  le  nomma  arbitre  et  juge  d'impor- 
tantes contestations  ecclésiastiques  ;  par  exemple,  des  causes  notables  de 
l'Eglise  d'Auvergne  et  de  l'évoque  d'Orléans.  Il  le  regardait  comme  l'un  de 
ses  légats  dans  les  Gaules. 

Pendant  la  grande  et  terrible  querelle  qui  partagea  Grégoire  VII  et  l'em- 
pereur Henri  IV,  Hugues  sut  rester  fidèle  à  l'affection  qu'il  devait  à  son  fils 
spirituel,  et  à  la  soumission  due  au  souverain  Pontife.  Il  conjura  plus  d'une 
fois  la  tempête  soulevée  contre  Grégoire;  mais  il  défendit  aussi  Henri  IV 
jusqu'à  la  mort,  contre  l'ingratitude  de  son  fils,  et  ménagea,  en  1077,  par 
son  crédit  auprès  de  la  célèbre  comtesse  Matbilde,  la  réconciliation  de 
l'empereur  avec  saint  Grégoire.  C'est  à  Hugues  que  l'empereur  détrôné  et 
fugitif  écrivait  avec  douleur  les  détails  de  la  révolte  d'Henri  V  ;  et  l'abbé 
de  Cluny  ne  méconnut  point  les  bienfaits  qu'il  avait  reçus  de  la  famille  im- 
périale. 

Dans  ces  temps  mémorables,  le  rôle  de  l'abbaye  de  Cluny  fut  immense. 
C'est  d'elle  que  sortirent  deux  des  plus  illustres  Papes  qui  aient  occupé  la 
chaire  de  saint  Pierre,  et  qui,  par  l'élévation  de  leur  esprit,  comme  par  la 
sévérité  de  leurs  mœurs,  étaient  dignes  de  continuer  l'œuvre  de  Grégoire  : 
Urbain  II  et  Pascal  II.  L'un  et  l'autre,  disciples  de  Hugues,  furent  envoyés 
à  Grégoire  VII,  par  l'abbé  de  Cluny,  et  se  succédèrent  immédiatement  au 
trône  pontifical.  Ce  fait  singulier  suffit  seul  pour  faire  comprendre  la 
prépondérance  morale  du  monastère  bourguignon  dans  le  xie  et  le  xne 
siècle. 

Urbain  II,  dès  son  avènement,  s'empressa  de  l'annoncer  à  l'abbé  Hugues, 
son  maître,  en  des  termes  de  respect  et  de  fraternité,  tout  pleins  encore 
des  souvenirs  de  la  maison  où  il  avait  été  élevé.  En  venant  au  fameux  con- 
cile de  Clermont,il  alla  jusqu'à  Cluny,  y  bénit  le  grand  autel  de  la  nouvelle 
église  qu'on  venait  de  bâtir,  et  repartit  avec  Hugues  pour  l'assemblée  ca- 
tholique où  fut  décidée  la  première  croisade.  Hugues  fut  très-honoré  et  eut 
beaucoup  d'influence  dans  ce  concile. 

Pascal  II,  devenu  pape,  vint  revoir  Cluny;  de  là  il  remonta  vers 
Dijon,  où  il  consacra  l'église  de  Saint-Bénigne.  Il  fut  pour  Hugues  ce 
qu'avait  été  Urbain  II  ;  et  tous  deux  renouvelèrent  et  confirmèrent  tous  les 
privilèges  que  Grégoire  VII  avait  déjà  renouvelés,  dans  une  longue  bulle, 
en  faveur  de  l'abbaye  et  de  l'abbé  de  Cluny. 

Peu  s'en  fallut  que  Hugues  ne  décidât  le  roi  de  France,  Philippe  Ior,  par 
ses  entreliens  familiers,  à  venir,  sous  l'habit  de  moine  de  Cluny,  faire  péni- 
tence de  sa  vie  passée.  Le  roi  pourtant  se  contenta  de  soumettre  à  Hugues 
l'abbaye  de  Saint-Martin  des  Champs. 

Mais  rien  n'égala  l'amitié  dévouée  qu'Alphonse  VI,  roi  de  Castille,  porta 
à  l'abbé  de  Cluny.  Alphonse,  retenu  prisonnier  par  Sanche,  son  frère,  avait 
dû  sa  délivrance  aux  prières  et  à  l'autorité  de  Hugues.  Dans  sa  reconnais- 
sance, il  fonda  en  Espagne  deux  monastères  soumis  à  Cluny,  et  il  doubla  le 
cens  annuel  que  Ferdinand,  son  père,  avait  promis  à  l'abbaye.  Si  Hugues 
ne  l'eût  retenu  sur  le  trône,  il  se  serait  fait  moine  en  Bourgogne  ;  il  voulut 
du  moins,  en  conservant  la  royauté,  contribuer  généreusement  à  la  cons- 
truction de  la  basilique,  dont  l'abbé  de  Cluny  entreprit  l'immense  construc- 
tion. Hugues  vint  à  Burgos  pour  voir  le  roi  Alphonse,  et,  dans  ce  voyage, 
on  lui  attribue  l'honneur  d'avoir  introduit  dans  l'église  d'Espagne  le  rit 
romain  à  la  place  du  rit  gothique  ou  mosarabique. 

La  môme  année,  l'arbitrage  de  Hugues  fut  sollicité  par  deux  princes 


76  29  avril. 

Raymond  de  Bourgogne,  comte  de  Galice,  et  Henri,  comte  de  Portugal, 
qui  lui  envoyèrent  un  traité  de  partage  sur  la  succession  de  leur  beau-père, 
Alphonse,  roi  de  Castille  et  de  Léon. 

Un  comte  de  Mâcon,  Wido,  entra  au  monastère  de  Cluny  avec  ses  fils, 
trente  chevaliers  et  un  grand  nombre  de  serviteurs.  La  comtesse,  sa  femme, 
se  retira  dans  le  couvent  de  Marcigny,  fondé  par  saint  Hugues.  Hugues  Ier, 
duc  de  Bourgogne,  céda  ses  Etats  à  son  frère  Eudes,  et  vint  finir  ses  jours  à 
Cluny,  dans  les  austérités  chrétiennes.  Guillaume  le  Conquérant  pria  notre 
saint  abbé  de  venir  passer  quelque  temps  en  Angleterre,  pour  prendre  la 
direction  de  tous  les  monastères  de  cette  contrée.  Il  le  conjurait  de  lui  en- 
voyer du  moins  six  moines.  Hugues  refusa,  ne  voulant  avoir  aucune  part 
aux  violences  de  ce  conquérant,  qui  dépouillait,  destituait  le  clergé  anglo- 
saxon,  et  le  remplaçait  par  un  clergé  normand. 

Les  maisons  monastiques  et  toutes  les  ressources  de  l'abbaye  de  Cluny 
s'accroissaient  sans  relâche.  Dans  le  testament  de  Guillaume  le  Bâtard,  il  y 
avait  un  legs  annuel  pour  Cluny.  La  première  fille  de  l'abbaye  de  Cluny, 
la  Charité-sur-Loire,  est  fondée.  Thibaud  III,  comte  de  Troyes,  et  Adé- 
laïde, sa  femme,  font  une  donation  considérable  à  Cluny.  Le  monastère  de 
Saint-Arnould  de  Crespy  lui  est  soumis  par  le  comte  Simon  de  Crespy  ; 
celui  de  Saint-Bertin,  par  Robert,  comte  de  Flandre  ;  celui  de  Rimesingue, 
par  l'empereur  Henri  ;  celui  de  Saint-Wulmar,  parle  comte  de  Boulogne; 
celui  de  Nogent-le-Rotrou ,  par  le  comte  Geoil'roy.  L'évêque  d'Orléans, 
l'évêque  de  Bâle,  les  archevêques  de  Lyon,  de  Besançon,  de  Reims,  concè- 
dent à  l'abbé  de  Cluny  les  monastères  de  leurs  diocèses.  A  Auxerre,  à 
Auch,  à  Tarbes,  à  Limoges,  dans  toute  l'Aquitaine,  partout  des  concessions 
nouvelles  qu'il  serait  trop  long  d'énumérer. 

Les  papes  et  les  rois  ne  sont  pas  satisfaits  de  protéger  de  leurs  chartes 
l'agrandissement  progressif  du  monastère  de  Cluny  ;  ils  lui  soumettent  eux- 
mêmes  des  établissements  monastiques.  Urbain  II,  en  plein  concile,  exalte 
et  privilégie  l'abbaye  de  Cluny,  et  fait  signer  sa  bulle  par  les  Pères  du  con- 
cile. Il  menace  ceux  qui  troublent  Cluny  de  toutes  les  peines  spirituelles. 
Enfin,  il  donne  à  Hugues  le  droit  de  porter  les  ornements  pontificaux  dans 
les  fêtes  solennelles. 

Après  ce  tableau  de  la  vie  publique  de  saint  Hugues,  voyons  rapidement 
les  merveilles  de  sa  vie  privée.  Il  était  austère  dans  son  vivre,  prudent  en 
toutes  ses  actions,  grave  et  sérieux  en  ses  paroles,  modeste  en  toutes  ses 
démarches,  charitable  envers  tous,  ami  du  silence,  ennemi  de  l'oisiveté  ;  il 
priait  sans  cesse,  et,  s'il  prenait  quelque  repos,  ce  n'était  que  pour  recom- 
mencer son  travail  avec  plus  d'ardeur.  Il  avait  grand  soin  que  ses  religieux 
eussent  tout  ce  qui  était  nécessaire  pour  leur  entretien,  de  crainte  que  le 
besoin  de  ces  choses  ne  préjudiciât  à  l'observation  de  la  Règle.  Les  secours 
célestes  ne  lui  manquaient  pas  non  plus  pour  le  gouvernement  de  son 
Ordre.  Un  moine  de  Cluny,  plusieurs  disent  Hildebrand,  qui  fut  plus  tard 
Grégoire  VII,  vit  un  jour  Jésus-Christ  s'asseoir  dans  une  stalle  du  chœur,  à 
côté  de  Hugues,  et  lui  dicter  les  décrets  et  les  règles  monastiques.  Il  con- 
naissait par  révélation  ce  qui  se  passait  dans  ses  monastères.  Un  jour,  à 
Saint-Jean-d'Angely,  il  lui  semble,  dans  une  vision,  que  la  foudre  tombe  sur 
Cluny.  Il  se  rend  aussitôt  dans  ce  monastère,  et  n'ayant  pu  y  apprendre 
quelle  faute  s'y  est  commise  pour  attirer  ainsi  la  colère  de  Dieu,  il  se  met 
en  prière,  et  le  ciel  lui  révèle  qu'un  de  ses  religieux  a  gravement  offensé 
Dieu.  Au  monastère  de  la  Charité-sur-Loire,  il  donna  le  baiser  de  paix  à 
tous  les  religieux,  excepté  à  un  novice  dont  Dieu  lui  fit  connaître  les  fautes 


SAINT   HUGUES,   ABBÉ  DE   CLUNT.  77 

secrètes.  Un  jour  qu'il  était  avec  les  évêques  de  Châlons  et  de  Mâcon,  il  lut 
dans  le  cœur  de  quelqu'un  qui  se  trouvait  là,  et  le  décida  à  confesser  une 
faute  qu'il  n'avait  pas  osé  avouer.  Un  messager  vint  un  jour  lui  dire  à  Nan- 
teuil  :  «  Villeuque  est  mort  ».  «  Vous  vous  trompez  »,  repartit  le  Saint, 
«  ce  n'est  pas  Villeuque,  mais  Oric  ».  Il  connut  par  révélation,  comme  on 
le  voit  dans  la  vie  de  saint  Anselme,  la  mort  de  son  persécuteur  Guillaume 
le  Roux,  et  lui  en  fît  part. 

Il  avait  souvent  averti  un  de  ses  religieux,  nommé  Durand  de  Bridon, 
de  s'abstenir  de  quelques  plaisanteries,  inconvenantes  dans  la  bouche  d'un 
ecclésiastique  et  d'un  religieux  :  il  lui  avait  même  prédit  un  châtiment  sé- 
vère. En  effet,  ce  religieux  étant  mort,  il  apparut  à  un  autre  nommé  Séguin, 
avec  une  bouche  horrible,  qui  semblait  porter  le  châtiment  des  paroles 
qu'elle  avait  prononcées,  malgré  la  défense  de  saint  Hugues  :  ce  pauvre 
défunt  recommanda  à  Séguin  de  rendre  compte  à  l'abbé  de  Cluny  des 
souffrances  qu'il  endurait  dans  le  purgatoire.  Hugues  ordonna  à  sept  de  ses 
religieux  le  silence  pendant  une  semaine,  et  des  prières  continuelles  pour 
sa  délivrance.  Au  bout  de  la  semaine,  le  mort  apparut  encore,  et  se  plai- 
gnit que  le  silence  ayant  été  rompu  par  un  des  frères,  son  soulagement 
avait  été  différé.  On  garda  donc  ce  silence  sept  autres  jours  :  alors  Durand 
se  fit  voir  une  troisième  fois,  mais  tout  brillant  de  lumière,  marque  du 
bonheur  éternel  dans  lequel  il  venait  d'entrer. 

Dans  le  Beauvaisis,  Hugues  reçut  de  grands  honneurs  chez  Albert,  sei- 
gneur de  Gornay  ;  il  prédit  à  sa  femme,  Ermengarde,  que  l'enfant  qu'elle 
portait  dans  son  sein  était  un  fils,  et  qu'il  entrerait  un  jour  dans  l'Ordre  de 
Cluny.  L'événement  vérifia  en  tout  point  cette  prédiction.  Il  prédit  aussi  à 
Hoël,  archidiacre  du  Mans,  que  l'année  suivante  il  serait  évoque  du  Mans,  et 
l'exhorta  à  répondre  à  une  si  grande  grâce. 

Une  fois  que  Hugues  traversait  les  Alpes  pour  se  rendre  à  Rome,  une 
pauvre  vieille  femme,  cachée  dans  le  creux  d'un  rocher,  effraya  sa  mule, 
qui  tomba  avec  lui  dans  un  précipice  :  tout  le  cortège  s'épouvante  et  le  croit 
mort  ;  mais  il  est  retenu  par  les  branches  d'un  arbre  ;  on  le  délivre,  et  à 
peine  est-il  hors  de  danger,  que  l'arbre  mystérieux  disparaît.  Cette  protec- 
tion miraculeuse,  Dieu  l'accordait  non-seulement  au  Saint,  mais  à  d'autres, 
par  ses  prières  et  môme  son  intercession  ;  et,  dès  son  vivant,  il  rendit  une 
parfaite  santé  à  un  jeune  garçon  qui,  tombant  du  haut  d'un  clocher,  s'était 
brisé  tous  les  membres.  Un  clerc,  revenant  d'Espagne,  était  tombé  dans  un 
précipice  des  monts  Pyrénéens  ;  mais  invoquant  le  nom  du  saint  abbé,  il 
fut  retenu  par  un  rameau  qui  le  préserva.  Un  autre  allait  être  submergé 
dans  la  Loire,  mais  il  fut  délivré  en  invoquant  l'abbé  Hugues,  en  le  priant, 
bien  qu'absent,  de  le  secourir.  Un  religieux,  appelé  Guillaume,  ne  sachant 
plus  quel  remède  employer  pour  un  mal  qu'il  avait  à  la  jambe,  s'avisa  de 
demander  sa  guérison  à  Notre-Seigneur  Jésus-Christ,  par  l'intercession  de 
son  saint  abbé.  S'étant  endormi  là-dessus,  il  vit  durant  le  sommeil,  deux 
hommes  vêtus  de  blanc,  qui  lui  versaient  d'une  huile  céleste  sur  la  jambe; 
et,  à  son  réveil,  il  se  trouva  parfaitement  guéri. 

Mais,  parmi  ces  miracles,  il  ne  faut  pas  omettre  celui  qu'il  fit  à  Paris, 
dans  l'église  même  de  Sainte-Geneviève,  où  il  avait  célébré  la  sainte  messe. 
Il  se  fit  apporter  la  chasuble  de  saint  Pierre,  qui  s'y  gardait  fort  religieu- 
sement, et,  l'appliquant  sur  un  paralytique,  appelé  Robert,  il  lui  dit  les 
mêmes  paroles  que  ce  Prince  des  Apôtres  avait  dites  autrefois  à  Enée  de 
Lyda  :  «  Le  Seigneur  Jésus-Christ  te  guérit,  lève-toi  et  fais  ton  lit  ».  Et,  à 
l'heure  même,  cet  homme  fut  guéri,  ei  s'en  retourna  chez  lui,  sans  l'aide 


78  29  avril. 

de  personne  et  en  bonne  santé,  rendant  grâces  à  Dieu,  à  saint  Pierre  et  au 
vénérable  abbé.  Il  y  eut  là  une  sainte  dispute  entre  les  assistants  et 
saint  Hugues  :  ceux-là  lui  attribuant  le  miracle,  et  lui  l'attribuant  à  saint 
Pierre.  Il  avait,  si  je  puis  parler  ainsi,  acquis  une  telle  estime  auprès  de  Dieu, 
que  des  pèlerins  furent  avertis,  au  sépulcre  des  Apôtres,  par  une  vision 
céleste,  d'aller  à  Cluny  dont  ils  n'avaient  jamais  entendu  parler. 

Sa  cbarité  ne  se  lassait  jamais  ;  toujours  entouré  de  pauvres,  il  donnait 
toujours;  il  faisait  préparer  pour  eux,  d'avance,  des  vêtements  et  des  vivres, 
parce  que,  disait-il,  la  miséricorde  ne  doit  pas  se  faire  attendre.  Son  indul- 
gence égalait  sa  cbarité.  Un  jour,  qu'il  revenait  d'Espagne,  il  ramenait  avec 
lui  un  jeune  maure  nouvellement  baptisé.  Ce  jeune  homme  dont  l'âme,  dit 
la  légende,  était  encore  plus  noire  que  le  visage,  osa  voler  son  maître  ;  mais 
le  saint  bomme  pardonna  et  ne  voulut  jamais  abandonner  sur  le  chemin  le 
nouveau  converti.  Une  autre  fois  qu'il  visitait  ses  monastères  dans  la  Vas- 
conie,  il  aperçut  près  de  la  route  un  pauvre  toit  de  lépreux  :  c'était  un 
homme  autrefois  riche  et  bien  portant,  qui  était  venu  se  cacher  dans 
cette  solitude.  Chacun  fuit  et  s'écarte  de  la  contagion.  Hugues  seul  entre 
dans  la  cabane,  parle  au  lépreux,  le  touche,  le  console,  lui  donne  sa  tuni- 
que et  le  guérit. 

Lui  qui  pratiquait  des  mortifications  si  extraordinaires,  modérait  celles 
de  ses  enfants  spirituels.  Le  légat,  Pierre  Damien,  visitant  l'abbaye  de 
Cluny,  voulait  augmenter  les  sévérités  de  la  Règle;  mais  Hugues,  consul- 
tant à  la  fois  son  expérience  et  sa  bonté  paternelle  pour  ses  moines,  lui  dit  : 
a  Travaillez  avec  nous,  vivez  de  notre  vie  pendant  huit  jours,  et  vous  déci- 
derez après  ».  Le  légat  n'insista  pas  davantage  et  ne  voulut  point  se  sou- 
mettre à  l'épreuve. 

Faut-il  s'étonner  si,  sous  un  tel  abbé,  les  moines  de  Cluny  devinrent  si 
nombreux?  Dans  un  seul  Chapitre,  Hugues  sévit  entouré  de  trois  mille 
moines,  et  un  auteur  contemporain,  Orderic  Vital,  assure  que  dix  mille 
vivaient  sous  la  conduite  de  notre  Saint.  C'est  lui  qui  fit  bâtir  à  Cluny,  en 
style  roman,  l'église  dont  nous  avons  raconté  la  ruine  au  13  janvier  :  c'était 
la  plus  grande  de  tout  l'univers  à  cette  époque,  et  elle  ne  fut  surpassée 
depuis,  en  grandeur,  que  par  Saint-Pierre  de  Rome.  On  en  peut  voir  la 
description  dans  l'histoire  de  l'abbaye  de  Cluny,  par  M.  Lorain. 

Hugues  fit  aussi  plusieurs  beaux  règlements  touchant  l'office  divin  ; 
entre  autres,  qu'en  la  fête  et  durant  l'octave  de  la  Pentecôte,  on  chanterait 
à  Tierce  l'hymne  propre  :  Veni  Creator,  ce  qui  a  depuis  été  reçu  par  toute 
l'église  catholique. 

Enfin,  le  temps  de  sa  mort  approchant,  Dieu  le  lit  connaître  de  plusieurs 
manières  :  un  laboureur,  appelé  Bertin,  de  Varennes,  étant  au  milieu  d'un 
champ,  vit  un  grand  nombre  d'hommes  qui  suivaient  une  dame  d'une  ad- 
mirable beauté  ;  un  de  la  compagnie  lui  ayant  demandé  à  qui  était  ce 
champ,  il  lui  répondit  simplement  qu'il  appartenait  à  saint  Pierre  et  à 
l'abbé  Hugues:  «C'est  donc  à  moi  »,  repartit  celui  qui  l'avait  interrogé, 
«  parce  que  je  suis  Pierre  ;  et  pour  ceux-ci  que  tu  vois,  ce  sont  autant  de 
saints  qui  marchent  à  la  suite  de  la  Vierge,  Mère  du  Sauveur  du  monde  ; 
va  donc  dire  à  l'abbé  Hugues  qu'il  mourra  bientôt,  et  qu'il  mette  ordre  à 
sa  maison  ».  Berlin  lui  porta  ces  nouvelles,  les  plus  agréables  qu'il  eût  re- 
çues en  toute  sa  vie.  Il  se  prépara  à  bien  mourir,  et,  étant  tombé  malade, 
il  reçut  les  Sacrements  avec  une  dévotion  merveilleuse.  Le  prêtre  lui  donna 
le  saint  Viatique,  et  lui  ayant  demandé  s'il  reconnaissait  la  chair  vivifiante  de 
son  Seigneur,  il  répondit  fermement:  «  Oui,  je  la  reconnais  et  je  l'adore  ». 


SAINT  PIERRE   DE   VERONE,   MARTYR.  79 

Ensuite,  s'étant  fait  porter  à  l'église  de  la  sainte  Vierge,  et  mettre  sur  la 
cendre  et  sur  le  cilice,  il  sortit  de  ce  monde  le  29  avril  l'an  de  Notre-Sei- 
gneur  H 08,  selon  Hugues  de  Cluny,  qui  a  écrit  sa  vie,  et  1109,  selon  Baro- 
nius.  âgé  de  quatre-vingt-cinq  ans,  après  avoir  été  abbé  soixante  ans.  Saint 
Godefroi,  évêque  d'Amiens,  qui  était  alors  à  Rome,  connut,  par  une  vision, 
que  ce  saint  abbé  était  décédé,  parce  qu'il  lui  sembla  voir  les  religieux  de 
Cluny  qui  le  suppliaient  de  donner  les  derniers  Sacrements  à  leur  supérieur 
Hugues.  Une  bonne  religieuse  de  Jouarre,  appelée  Sabine,  apprit  aussi,  par 
une  vision,  cette  sainte  mort.  Elle  vit  la  sainte  Vierge,  assistée  d'un  grand 
nombre  de  Saints,  au  milieu  desquels  il  y  avait  un  siège  magnifique,  qu'on 
lui  dit  être  préparé  pour  l'abbé  Hugues.  Il  y  eut  beaucoup  d'autres  révéla- 
tions de  son  décès  et  de  sa  gloire. 

Le  corps  de  saint  Hugues  fut  enterré  avec  pompe  derrière  l'autel  matu- 
tinal,  dans  la  grande,  église  de  Cluny.  Il  fut  relevé  depuis  et  déposé  sur  le 
grand  autel  pour  y  recevoir  les  bommages  des  peuples.  Peu  de  temps  après, 
il  fut  mis  au  nombre  des  Saints  par  le  pape  Calixte  II. 

Saint  Hugues  n'a  pas  laissé  beaucoup  d'écrits.  De  toutes  les  lettres  qu'il 
a  dû  adresser  à  tant  d'illustres  personnages  avec  lesquels  il  fat  en  relation, 
sept  seulement  nous  restent  :  l'une  à  Guillaume  le  Conquérant;  une  autre 
à  Pbilippe  I6r,  roi  de  France  ;  une  troisième  à  Urbain  II  ;  trois  à  saint  An- 
selme, archevêque  de  Cantorbéry,  et  la  septième  à  un  de  ses  disciples, 
Anastase.  Quelques  conseils  pieux  à  ses  frères,  des  recommandations  pour 
son  couvent  de  Marcigny  qu'il  chérissait,  quelques  règlements  monastiques 
sur  les  aumônes  et  les  livres  de  la  bibliothèque,  une  espèce  de  confession 
générale,  voilà  à  peu  près  tout  ce  qui  reste  de  ce  grand  homme  ;  et,  bien 
que  la  latinité  en  soit  assez  pure,  et  le  style  remarquable  pour  l'époque, 
nous  n'en  parlons  que  par  respect  pour  une  aussi  glorieuse  mémoire.  Mais 
les  lettres  qui  lui  ont  été  adressées  par  les  Papes,  les  rois,  les  évoques,  et 
dont  un  grand  nombre  subsiste  dans  divers  recueils,  prouvent,  si  on  les 
avait  su  recueillir,  toute  la  variété  de  la  correspondance  de  Hugues,  et  de 
quel  prix  elle  serait  aujourd'hui  pour  l'histoire  générale. 

On  voyait  à  Cluny,  avant  le  pillage  des  protestants,  une  statue  en  ver- 
meil de  saint  Hugues.  Le  Saint  portait  une  mitre  et  une  crosse  enrichies  de 
diamants.  Il  tenait  à  la  main  une  église  dorée,  et  dans  cette  église  était  ren- 
fermée la  tête  de  saint  Hugues.  Autour  de  la  statue  principale  étaient  figu- 
rés plusieurs  saints  personnages  dorés,  chacun  dans  une  niche  séparée. 

Voir  Histoire  de  l'abbaye  de  Cluny,  par  M.  Lorain. 


SAINT  PIERRE  DE  VÉRONE,  MARTYR 

1206-1252.  —  Papes  :  Innocent  III;  Innocent  IV.  —  Empereurs  d'Allemagne  :  Philippe; 

Conrad  IV. 

Veritas!  Telle  était  la  devise  des  croisés  d'Alby,  telle 

est  celle  du  Dominicain  ! 
Je  crois.  Seigneur,  mais  aidez  la  faiblesse  de  ma  foi. 
Marc,  ix,  23. 

Dieu,  qui  sait  tirer  la  lumière  du  milieu  des  ténèbres,  fit  paraître  saint 
Pierre,  martyr,  comme  un  bel  astre  au  milieu  des  erreurs  des  Cathares, 


80  29  AVRIL. 

espèces  de  Manichéens  qui  s'étaient  introduits  dans  le  nord  de  l'Italie.  Il 
naquit  à  Vérone,  l'an  1206,  de  parents  infectés  de  cette  pernicieuse  hérésie; 
Dieu  le  préserva  du  danger  auquel  l'exposait  sa  naissance.  Le  père  de  notre 
Saint,  voulant  qu'il  apprît  les  belles-lettres,  ne  craignit  pas  de  le  mettre 
chez  un  maître  catholique.  Le  jeune  Pierre  y  fut  bientôt  initié  aux  principes 
de  la  vraie  religion,  comme  à  ceux  de  la  bonne  littérature.  Un  de  ses  oncles 
l'ayant  interrogé  sur  sa  leçon,  l'écolier  lui  récita,  entre  autres  choses,  le 
Symbole  des  Apôtres,  et  le  lui  expliqua  dans  le  sens  des  catholiques,  surtout 
ces  paroles  :  Créateur  du  ciel  et  de  la  terre.  L'oncle  essaya  vainement  de  lui 
prouver  que  ce  n'était  pas  Dieu,  mais  le  démon,  ou  le  mauvais  principe  qui 
avait  produit  toutes  les  choses  visibles  :  il  eut  beau  dire  qu'il  y  avait  dans  le 
monde  des  choses  mauvaises  de  leur  nature,  et  que  conséquemment  elles 
ne  pouvaient  être  l'ouvrage  de  Dieu  ou  d'un  être  infiniment  parfait.  L'en- 
fant tint  bon  :  rien  ne  put  le  faire  changer.  Cette  fermeté  donna  des  craintes 
à  l'oncle  ;  il  les  communiqua  au  père  qui  fut  loin  de  les  partager,  soit  qu'il 
attachât  peu  d'importance  à  ces  questions  religieuses,  soit  qu'il  espérât 
ramener  plus  tard  son  fils  aux  idées  de  sa  secte  ;  il  l'envoya  à  l'université 
de  Bologne  pour  y  continuer  ses  études.  La  Providence  y  préserva  Pierre 
des  atteintes  du  vice,  comme  elle  l'avait  préservé  de  l'hérésie  :  elle  lui  ins- 
pira même  le  dessein  de  renoncer  entièrement  au  monde.  Il  alla  se  présen- 
ter à  saint  Dominique,  qui,  après  s'être  assuré  de  sa  vocation,  lui  donna 
l'habit  de  son  Ordre,  quoiqu'il  ne  fût  âgé  que  de  seize  ans.  Pierre  se  crut 
dès  lors  obligé  d'imiter,  et  même  de  surpasser  tous  les  autres  dans  le  che- 
min de  la  perfection.  Il  dormait  peu,  jeûnait  beaucoup,  priait  toujours,  et, 
sans  avoir  égard  à  la  délicatesse  de  l'âge  où  il  était,  il  ne  mesurait  ses 
forces  que  sur  les  ardeurs  de  son  amour  et  de  son  zèle.  Dans  l'année  de  son 
noviciat,  il  tomba  en  une  très-dangereuse  maladie,  que  l'on  attribua  juste- 
ment à  l'excès  de  ses  abstinences  :  il  ne  pouvait  presque  plus  avaler  aucune 
nourriture. 

Après  sa  profession,  il  s'appliqua  avec  tant  de  zèle  aux  études,  qu'en 
peu  de  temps  il  se  rendit  capable  de  recevoir  les  ordres  sacrés,  de  monter 
en  chaire,  d'attaquer  les  hérétiques,  et  de  paraître  dans  les  plus  belles  occa- 
sions pour  la  défense  et  le  soutien  de  l'Eglise.  Il  s'y  comportait  avec  tant 
de  ferveur,  que,  selon  les  termes  de  saint  Antonin,  toutes  ses  actions  parais- 
saient animées  d'une  très-vive  foi  et  d'une  très-ardente  charité.  Quand  il 
était  au  chœur,  la  présence  de  Jésus-Christ  au  saint  Sacrement  de  l'autel 
l'embrasait  comme  un  séraphin  ;  mais  principalement  depuis  qu'il  se  vit 
honoré  du  sacerdoce  ;  car  à  la  seule  pensée  qu'il  devait  célébrer  ces  augus- 
tes mystères,  il  s'abîmait  jusque  dans  le  néant  ;  et  il  n'élevait  jamais  le  ca- 
lice, dans  le  très-saint  sacrifice,  sans  demander  instamment  à  Dieu  la  grâce 
de  répandre  son  sang  pour  sa  gloire.  Il  avait  un  talent  particulier  pour  tou- 
cher les  cœurs  dans  la  prédication  ;  ce  qui  fit  que  ses  supérieurs  l'envoyèrent 
prêcher  dans  la  Toscane,  la  ïtomagne,  la  Marche  d'Ancône,  le  Bolonais  et 
le  Milanais  ;  il  réussit  si  admirablement,  que  les  hérétiques  détestèrent  leurs 
erreurs,  les  pécheurs  les  plus  obstinés  dans  le  vice  firent  pénitence,  et  les 
gens  de  bien  se  confirmèrent  en  la  vertu. 

Le  démon,  irrité,  résolut  de  le  traverser  par  toutes  les  voies  imaginables. 
Notre  Saint  prêchait  à  Florence  :  c'était  dans  le  vieux  marché,  parce  que 
les  églises  n'étaient  pas  assez  vastes  pour  le  grand  nombre  de  personnes  qui 
accouraient  pour  l'entendre  ;  ce  monstre  d'enfer  y  parut  sous  la  forme  d'un 
cheval  noir  courant  à  toute  bride  ;  il  semblait  prêt  à  fendre  la  foule  et 
écraser  tous  ceux  qui  se  rencontreraient  sur  son  passage  ;  mais  le  Saint, 


SAINT  PIERRE  DE   VÉRONE,   MARTYR.  81 

faisant  le  signe  de  la  croix,  dissipa  ce  fantôme,  et  tout  le  peuple  le  vit  s'é- 
vanouir comme  de  la  fumée.  Après  la  prédication,  Pierre  se  mettait  ordi- 
nairement au  confessionnal  pour  y  recevoir  les  pénitents  :  un  jour,  il  s'en 
trouva  un  qui,  touché  de  regret  de  ses  fautes,  s'accusa  d'avoir  donné  un 
coup  de  pied  à  sa  mère  ;  le  saint  Confesseur  lui  en  fit  une  sévère  répri- 
mande ;  et,  pour  l'exciter  davantage  à  la  sainte  contrition,  il  lui  dit  que  le 
pied  qui  avait  ainsi  frappé  sa  mère  mériterait  d'être  coupé.  Le  pénitent  se 
coupa  lui-même  le  pied  dès  qu'il  fut  de  retour  en  sa  maison.  Le  Saint,  que 
le  peuple  accusait  déjà  d'imprudence,  l'ayant  appris,  vint  trouver  le  péni- 
tent, prit  son  pied,  le  réunit  à  sa  jambe  et,  faisant  le  signe  de  la  croix,  le 
remit  en  son  premier  état  :  ce  miracle  fit  concevoir  plus  d'estime  que  jamais 
pour  sa  sainteté  et  sa  très-sage  conduite. 

Cependant  Dieu,  qui  éprouve  ordinairement  la  vertu  de  ses  Saints,  vou- 
lut éprouver  celle  de  Pierre.  Lorsqu'il  était  au  couvent  de  Saint-Jean- 
Baptiste,  à  Côme,  il  le  favorisa  de  plusieurs  visites  du  ciel  ;  ainsi,  les  saintes 
vierges  et  martyres  Catherine,  Agnès  et  Cécile  lui  apparurent,  dans  sa  cel- 
lule, et  conférèrent  avec  lui  si  familièrement  et  d'une  voix  si  intelligible, 
qu'un  religieux,  qui  passa  par  le  dortoir,  entendant  cette  conférence,  s*i- 
magina  que  c  était  effectivement  des  femmes  qui  étaient  entrées  dans  le 
monastère  et  qu'il  avait  attirées  dans  sa  chambre.  Il  prit  des  témoins  de  ce 
qu'il  croyait  entendre,  et  tous  ensemble  s'en  plaignirent  dans  le  chapitre 
au  supérieur  :  celui-ci,  n'examinant  pas  l'affaire  d'assez  près,  relégua  le 
P.  Pierre  au  couvent  d'Iësi,  dans  la  Marche  d'Ancône,  pour  y  mener  une 
vie  retirée,  sans  paraître  davantage  en  public.  Le  Saint,  qui  n'avait  pas  voulu 
se  défendre,  de  crainte  de  manifester  la  grâce  qu'il  avait  reçue  du  ciel,  et 
afin  de  souffrir  quelque  chose  pour  Dieu,  supporta  durant  quelque  temps 
cette  confusion  avec  une  patience  admirable  ;  mais  enfin,  il  lui  échappa  de 
s'en  plaindre  amoureusement  au  crucifix,  devant  qui  seul  il  déchargeait 
son  cœur  :  «  Eh  quoi  !  mon  Dieu  »,  lui  dit-il,  «  vous  savez  mon  innocence, 
comment  soufïrez-vous  que  je  demeure  si  longtemps  plongé  dans  l'infa- 
mie? »  Mais  Notre-Seigneur  lui  répondit  :  «  Et  moi,  Pierre,  n'étais-je  pas 
innocent?  Avais-je  mérité  les  opprobres  et  les  douleurs  dont  j'ai  été  accablé 
dans  le  cours  de  ma  passion?  Apprends  donc  de  moi  à  souffrir  avec  joie  les 
plus  grandes  peines,  sans  avoir  commis  les  crimes  pour  lesquels  on  te  les 
impose  ».  Ces  paroles  de  Jésus-Christ  firent  une  telle  impression  sur  le  cœur 
de  saint  Pierre,  qu'il  mit  dès  lors  toute  sa  félicité  dans  les  souffrances,  tout 
son  honneur  dans  l'humiliation  et  toute  sa  joie  dans  la  croix  de  Jésus-Christ. 
Mais  lorsque  sa  confusion  lui  plaisait  ainsi,  Dieu  fit  découvrir  tout  le  mys- 
tère et  connaître  l'innocence  de  son  serviteur  :  ce  qui  le  fit  rappeler  de  ce 
bannissement  pour  paraître  avec  plus  d'éclat  qu'auparavant,  selon  la  pra- 
tique de  Notre-Seigneur,  qui  est  d'élever  d'autant  plus  ses  serviteurs  qu'ils 
se  sont  davantage  humiliés  pour  son  amour. 

Dès  qu'il  fut  délivré  de  sa  prison,  il  reprit  les  armes  delà  parole  de  Dieu 
pour  combattre  l'hérésie.  Le  pape  Grégoire  IX,  qui  connaissait  sa  science 
et  son  zèle,  le  nomma  inquisiteur  général  de  la  foi,  en  1232.  Mais  ce  qui 
donnait  le  plus  de  poids  à  ses  prédications,  c'étaient  les  miracles  qu'il  faisait 
à  toute  heure,  pour  prouver  la  vérité  de  sa  doctrine.  Un  jour,  disputant 
contre  un  hérétique  sur  une  place  publique,  où  tout  l'auditoire  était  brûlé 
par  les  ardeurs  du  soleil,  il  obtint  de  Dieu,  en  un  instant,  une  nuée  qui 
couvrit  l'assemblée  et  lui  donna  un  rafraîchissement  nécessaire  :  ce  que  cet 
hérétique  l'avait  défié  de  faire.  Une  autre  fois,  il  rendit  muet  un  autre  héré- 
tique, qui  était  un  grand  parleur  et  qui  avait  proposé  beaucoup  d'argu- 
Viks  des  Saints.  —  Tome  V.  e 


82  29  avril. 

ments  contre  la  vérité  de  notre  religion.  Un  autre  feignit  d'être  malade 
pour  surprendre  le  Saint,  et  lui  demanda  sa  guérison  ;  mais  il  fut  bien 
trompé  dans  sa  feinte,  car  il  devint  tout  de  bon  si  malade,  qu'il  se  vit  en  un 
moment  à  l'extrémité  et  à  deux  doigts  de  la  mort.  Il  reconnut  sa  faute,  la 
confessa,  et  reçut  une  guérison  parfaite  tant  de  l'âme  que  du  corps,  par  les 
prières  du  serviteur  de  Dieu. 

Ces  merveilles  se  passaient  à  Milan,  où  saint  Pierre  travaillait  de  toutes 
ses  forces  à  la  conversion  des  hérétiques.  Un  jour,  il  les  trouva  si  obstinés 
dans  leurs  erreurs,  que  le  découragement  s'empara  de  son  âme  :  il  allait 
renoncer  à  cette  œuvre  :  néanmoins  il  consulta,  avant  tout,  la  Sainte  Vierge 
à  ce  sujet,  en  priant  à  genoux  devant  une  de  ses  images.  Il  entendit  alors 
une  voix  qui  lui  dit  :  «  Pierre,  j'ai  prié  pour  toi,  afin  que  ta  foi  ne  soit 
jamais  ébranlée;  continue  donc  et  persévère  en  ton  premier  travail  ».  Ces 
paroles  de  la  très-sainte  Vierge  remplirent  intérieurement  son  cœur  de  tant 
de  vigueur  et  de  zèle,  qu'il  résolut  de  ne  plus  s'employer  à  l'avenir  qu'à 
soutenir  et  à  défendre  la  foi  contre  ses  ennemis,  quand  il  faudrait  perdre 
cent  fois  la  vie. 

Reprenant  donc  ses  premières  fonctions  avec  plus  d'ardeur,  il  passa  de 
Milan  à  Céséna,  où  on  lui  amenait  les  malades  par  troupes,  afin  qu'il  les 
guérît.  De  Céséna  il  alla  à  Ravenne  :  à  son  arrivée,  qui  eut  lieu  le  soir,  il 
parut  sur  le  clocher  de  la  paroisse  de  Saint-Jean  un  flambeau  allumé  qui  ne 
s'éteignait  point,  quoiqu'il  fît  alors  un  grand  vent  et  que  la  neige  tombât  en 
abondance.  Il  vint  aussi  à  Mantoue  et  à  Venise,  où  il  guérit,  par  le  moyen 
de  la  sainte  confession,  deux  femmes  malades  à  la  mort. 

Enfin,  il  arriva  au  couvent  de  Côme,  dont  il  avait  été  nommé  prieur  :  il 
avait  déjà  gouverné,  en  cette  même  qualité,  les  couvents  de  Plaisance,  de 
Gênes,  d'Aoste  et  d'Iësi,  et  partout  il  avait  fait  des  miracles  pour  confirmer 
ce  qu'il  prêchait  au  peuple  ;  mais  il  en  fit  particulièrement  dans  ce  dernier 
couvent  :  car,  d'une  seule  bénédiction,  il  guérit  plusieurs  malades  et  estro- 
piés, qui  attendaient  son  retour  à  la  porte  de  la  ville.  Par  le  même  signe  de 
la  croix,  il  rendit  l'usage  de  tous  ses  membres  à  une  religieuse  de  l'Ordre 
des  Humiliés,  nommée  Thérasie,  qui  était  depuis  sept  ans  percluse  de  tout 
son  corps.  Deux  autres  paralytiques  reçurent  aussi  de  lui  une  grâce  sem- 
blable. Au  reste,  il  opérait  ces  miracles  par  le  zèle  qu'il  avait  pour  la  con- 
version des  hérétiques,  et  afin  qu'à  la  vue  de  ces  œuvres,  qui  excèdent  sans 
doute  le  pouvoir  de  l'homme,  ils  reconnussent  la  fausseté,  les  rêveries  et  les 
superstitions  de  leur  secte. 

Nous  ne  voulons  pas  non  plus  omettre  ce  qui  arriva  à  deux  fermiers  du  ter- 
ritoire de  Côme,  dont  l'un  était  hérétique  et  l'autre  catholique.  L'hérétique, 
lorsqu'il  semait  ses  grains,  les  recommandait  au  démon,  comme  au  Sei- 
gneur des  choses  visibles  ;  le  catholique  priait  Dieu  de  bénir  les  siens;  le 
saint  Prieur  en  étant  averti,  prédit  au  fermier  hérétique  que,  s'il  ne  cessait 
de  faire  une  prière  si  impie,  ses  terres  ne  rapporteraient  pas  un  seul  épi, 
et  qu'au  contraire  celles  de  son  voisin  catholique  produiraient  du  blé  au 
centuple:  ce  qu'il  avait  prédit  arriva  effectivement;  mais  la  stérilité  des 
terres  de  l'hérétique  fut  très-fertile  pour  lui,  puisqu'elle  opéra  sa  conver- 
sion et  celle  de  beaucoup  d'autres  qui  apprirent  ce  miracle.  Cependant  les 
chefs  des  Manichéens,  extrêmement  irrités  contre  le  Saint,  résolurent  enfin 
de  le  faire  mourir,  et  confièrent  l'exécution  de  cet  affreux  complot  à  deux 
assassins.  Pierre  connut  d'avance,  par  une  lumière  surnaturelle,  le  martyre 
qui  l'attendait  :  il  en  parla  du  haut  de  la  chaire,  et  dit  que  le  jour  même  où 
Judas  avait  vendu  le  sang  de  son  Maître,  c'est-à-dire  le  mercredi  de  la  se- 


SAINT  PIERRE  DE  VÉRONE,   MARTYR.  83 

maine  sainte,  les  hérétiques  avaient  aussi  agité  la  question  d'acheter  le 
sien  ;  que  l'argent  était  déjà  entre  les  mains  de  celui  qui  le  devait  assassiner. 
11  leur  prédit  même  ce  que  ses  ennemis  ne  savaient  pas  :  que  le  lieu  où  le 
meurtre  s'exécuterait,  était  entre  Côme  et  Milan,  et,  qu'au  reste,  il  était 
préparé  à  le  souffrir  joyeusement.  Il  ajouta  que  ses  ennemis  se  trompaient 
fort,  en  se  persuadant  qu'après  sa  mort  il  ne  combattrait  plus  pour  exter- 
miner leur  secte  ;  qu'au  contraire  ce  serait  alors  qu'il  leur  ferait  une  guerre 
plus  redoutable. 

Enfin,  le  5  avril,  saint  Pierre,  allant  pour  les  affaires  de  l'inquisition,  de 
Côme  à  Milan,  fut  rencontré,  sur  les  deux  heures  après  midi,  par  les  assas- 
sins, dans  un  lieu  nommé  Barlasina,  où  l'un  de  ces  traîtres,  appelé  Carino, 
lui  déchargea  sur  la  tête  un  coup  de  hache  avec  tant  de  violence,  qu'il 
tomba  à  terre  demi-mort.  Le  Saint,  s'agenouillant  le  mieux  qu'il  lui  fut  pos- 
sible, récita  le  premier  article  du  Symbole  des  Apôtres,  et,  ayant  offert  en 
sacrifice  à  la  majesté  de  Dieu,  le  sang  qu'il  versait  pour  la  défense  de  la 
foi,  il  y  trempa  deux  de  ses  doigts  et  en  écrivit  ces  trois  mots  sur  la  terre  : 
Credo  in  Deum,  Je  crois  en  Dieu  ;  mais  le  meurtrier,  impatient  de  ce  qu'il 
n'était  pas  encore  mort,  lui  enfonça  dans  l'épaule  gauche  un  autre  coup  qui 
lui  perça  le  cœur.  Ce  fut  ainsi  que  l'âme  du  Saint  prit  son  essor  vers  le  ciel, 
pour  y  recevoir  la  triple  couronne  de  la  virginité,  du  doctorat  et  du  martyre. 
Cet  assassinat  eut  lieu  l'an  de  Notre-Seigneur  1252  :  Pierre  était  âgé  de  qua- 
rante-six ans.  Le  religieux  qui  l'assistait,  appelé  frère  Dominique,  n'échappa 
point  non  plus  à  la  fureur  de  ces  assassins  :  ils  le  percèrent  de  plusieurs  coups 
et  le  laissèrent  pour  mort  sur  la  place  ;  et,  en  effet,  il  mourut  peu  après. 

Le  corps  du  saint  Martyr  fut  porté  solennellement  à  Milan,  et  déposé  en 
l'église  de  Saint-Eustorge,  possédée  et  desservie  par  les  religieux  de  son 
Ordre.  Les  miracles  continuant  à  son  tombeau  vérifièrent  sa  prophétie, 
qu'après  sa  mort  il  ferait  une  plus  cruelle  guerre  aux  hérétiques  qu'il  n'a- 
vait fait  durant  sa  vie.  La  nuit  même  où  il  fut  porté  en  cette  église,  on  vit 
une  grande  lumière  s'élancer  de  la  terre  au  ciel.  Ces  prodiges  ouvrirent  les 
yeux  à  un  grand  nombre  d'hérétiques.  Néanmoins,  il  s'en  trouva  un  si  té- 
méraire à  Florence,  que,  voyant  l'image  de  saint  Pierre,  où  il  était  repré- 
senté avec  le  poignard  dans  le  sein,  il  proféra  ce  blasphème  :  «  Oh  !  que 
n'étais-je  présent  quand  on  a  assassiné  ce  traître,  je  lui  eusse  bien  donné  un 
autre  coup  !  »  Mais  la  parole  étaità  peine  sortie  de  sa  bouche,  qu'il  demeura 
muet,  sans  pouvoir  plus  dire  un  seul  mot,  jusqu'à  ce  qu'il  eût  reconnu  sa 
faute  et  embrassé  la  foi  catholique.  Carino  même,  son  meurtrier,  qui  s'était 
échappé  des  mains  de  la  justice  et  réfugié  à  Forli,  reconnaissant  son  crime, 
en  demanda  pénitence  aux  Pères  de  l'Ordre,  y  prit  l'habit  de  religion  et  le 
porta  saintement  le  reste  de  sa  vie. 

Tant  de  victoires  obtenues  par  les  mérites  du  bienheureux  Pierre  sur 
les  ennemis  de  l'Eglise,  et  les  miracles  sans  nombre  qui  se  firent  à  son  tom- 
beau et  à  l'invocation  de  son  nom,  portèrent  le  pape  Innocent  IV  à  décréter 
sa  canonisation  l'année  d'après  son  martyre,  le  25  mars;  et  il  ordonna  que 
sa  fête  serait  célébrée  le  29  avril,  parce  que  le  5,  qui  fut  le  jour  de  sa  mort, 
peut  être  occupé  par  les  fêtes  de  Pâques.  Depuis,  le  pape  Sixte  V,  par  une 
Bulle  expédiée  l'an  1586,  fit  insérer  la  fête  de  ce  glorieux  Martyr  dans  le 
Bréviaire  romain. 

Depuis  sa  canonisation,  il  a  fait  encore  un  grand  nombre  de  prodiges, 
car  il  a  rendu  la  santé  à  toutes  sortes  de  malades,  ressuscité  des  morts,  se- 
couru des  femmes  dans  leur  grossesse  ou  dans  leur  enfantement,  rendu  la 
raison  à  des  insensés,  guéri  des  épileptiques  et  délivré  des  possédés.  Ses  re- 


84  29  avril. 

liques  ont  été  distribuées  en  plusieurs  villes  d'Italie.  Paris  possédait,  avant 
1793,  au  grand  couvent  des  Jacobins,  le  coutelas  qui  a  été  consacré  par  le 
sang  d'un  si  illustre  Martyr,  et  les  deux  doigts ,  encore  couverts  de  leur  cbair 
et  de  leur  peau,  qu'il  y  trempa  pour  écrire,  en  mourant,  sa  dernière  con- 
fession de  foi.  Les  religieux  de  ce  monastère  avaient  des  authentiques  de 
l'une  et  de  l'autre  de  ces  reliques. 

Saint  Pierre  de  Vérone  est  honoré  en  Lombardie  et  à  Palma,  dans  la 
Grande-Canarie.  Il  est  particulièrement  cher  aux  Dominicains,  dont  il  a  été 
le  premier  martyr  :  c'est  pourquoi  ils  l'appellent  saint  Pierre-Martyr. 

L'école  lombarde  et  Fra  Angelico  de  Fiésole  ont  souvent  reproduit  ce 
martyre  et  les  traits  de  saint  Pierre  de  Vrrone.  On  le  représente  :  1°  à  ge- 
noux, écrivant  avec  son  sang  sur  le  sable  :  Je  crois  en  Dieu  ;  2°  il  porte  une 
entaille  à  la  tête  et  un  glaive  perce  sa  poitrine  ;  3°  il  est  couronné  de  la  tri- 
ple couronne  de  la  virginité,  de  la  science  et  du  martyre  ;  4°  il  tient  à  la 
main  un  crucifix  et  un  lis. 

Acta  Scmctorum,  Thomas  Lentino  et  Ambroise  Taeglo,  auteurs  contemporains. 


SAINTE  TERTULLE  ET  SAINTE  ANTONIE,  VIERGES  (260). 

La  persécution  dans  laquelle  souffrirent  les  vierges  Tertulle  et  Antonie,  sévissait  en  Afrique  et 
particulièrement  dans  la  colonie  de  Cirtha  (Constantine),  avec  une  violence  inouïe.  La  rage  du  démon 
et  des  persécuteurs  ne  s'exerçait  pas  seulement  sur  ceux  qui,  ayant  traversé  les  persécutions  sans 
se  laisser  ébranler,  vivaient  librement  en  continuant  de  servir  Dieu  ;  mais  la  main  de  l'enfer  insa~ 
tiable  s'étendait  encore  sur  les  exilés  que  la  fureur  du  président  avait  déjà  couronnés  martyrs,  non. 
par  l'effusion  de  leur  sang,  mais  par  la  manifestation  des  sentiments  de  leurs  cœurs. 

Parmi  ceux  que  l'on  amenait  au  tribunal  desjuges.se  trouvaient  A gapius.  évêque.  le  guide  et  le 
père  en  Jésus-Christ  des  vierges  Tertulle  et  Antonie,  et  son  collègue  Secondin.  Le  zèle  de  la  pré- 
dication les  avait  conduits  à  Mugues;  ils  y  avaient  fondé  une  chrétienté  par  leur  exemple  et  par 
leur  enseignement.  Ils  laissèrent  en  ce  lieu  Marien  et  Jacques,  dans  la  disposition  de  suivre  bientôt 
leurs  pas  pour  aller  à  la  gloire.  «  Tout  à  coup  »,  raconte  un  des  confesseurs,  «  une  troupe  hostile 
et  une  multitude  irritée  se  jeta  sur  la  maison  qui  nous  abritait  comme  sur  un  asile  de  la  foi  que 
l'on  voudrait  détruire.  Alors  nous  fûmes  traînés  de  Mugues  jusqu'à  la  ville  de  Cirtha.  Nous  étions 
suivis  de  ceux  que  nous  aimions  et  qui  nous  aimaient,  de  ceux  qui  avaient  été  élus  pour  recevoir 
la  palme  du  martyre,  et  que  l'amour  de  nous,  ainsi  que  la  grâce  du  Christ,  attiraient  vers  la  cou- 
ronne glorieuse  ».  Après  qu'on  les  eut  interrogés,  leur  courage  à  confesser  le  nom  du  Christ  fut 
récompensé  par  la  prison. 

Quand  ils  eurent  subi  divers  interrogatoires  et  divers  supplices,  la  prison  de  Lambèse,  qu'ils 
avaient  déjà  appris  à  connaître,  les  reçut  de  nouveau.  Cependant  chaque  jour  périssaient  de  nom- 
breux chrétiens.  Alors  Agapius,  prévoyant  que  son  tour  serait  bientôt  venu,  se  mit  à  prier  le  Sei- 
gneur pour  Tertulle  et  Antonie,  qu'il  chérissait  comme  ses  filles,  afin  qu'il  daignât  leur  procurer  le 
martyre  en  même  temps  qu'à  lui-même  et  qu'ils  ne  fussent  point  séparés.  Il  obtint  alors  du  ciel 
la  réponse  que  ce  qu'il  demandait  avec  tant  d'instance  lui  avait  été  accordé  dès  sa  première  oraison. 

C'est  le  16  décembre  quel»  fàte  de  ces  Martyrs  se  célèbre  à  Alger. 

Propre  d'Alger. 


SAINTE  AVE  DE  DENAIN,  VIERGE  (rv°  siècle). 

On  trouve,  dans  un  très-ancien  martyrologe  de  l'abbaye  de  Denain,  le  nom  de  la  bienheureuse 
Ave,  qui  était  honorée  dans  cette  communauté.  C'était  une  jeune  personne  très-favorisée  des  biens 
de  la  fortune,  mais  privée  de  la  vue.  Elle  avait  fait  déjà  plusieurs  pèlerinages  au  tombeau  des 


MARTYROLOGES.  85 

Saints,  afin  qu'il  plût  à  Dieu  de  la  guérir  de  son  infirmité,  et  sa  prière  n'avait  pas  encore  été 
exaucée,  lorsqu'un  jour  un  ange  l'avertit,  dit-on,  de  se  transporter  au  sépulcre  de  sainte  Renfroio 
et  de  demander  sa  guérison  au  ciel  par  les  mérites  et  l'intercession  de  cette  Vierge.  La  bienheu- 
reuse Ave  le  fit  et  fut  promptement  guérie.  Pour  témoigner  à  Dieu  sa  reconnaissance,  elle  donna 
ses  biens  à  cette  abbaye,  fit  restaurer  l'église  de  Samte-Marie,  où  on  transporta  les  reliques  de  sa 
bienfaitrice.  Elle-même  prit  l'habit  religieux  dans  cette  communauté  et  y  vécut  saintement  auprès 
du  tombeau  de  sainte  Renfroie.  La  bienheureuse  Ave  mourut  dans  de  grands  sentiments  de  piété 
et  fut  enterrée  dans  l'église  de  Saint-Martin.  Sa  mémoire  resta  toujours  en  bénédiction  dans  ce  lieu. 
II.  l'abbé  Destombes. 


SAINT  URSÏON  (375)  ET  SAINT  MAURÈLE  DE  TROYES  (545). 

Ursion  gouverna  le  monastère  et  la  paroisse  d'Isle-Aumont,  à  quelques  kilomètres  de  Troyes, 
On  place  sa  mort  vers  l'an  375.  Une  église  fut  bâtie  sous  son  vocable,  près  du  ruisseau  d'Hozain. 
Ce  qui  reste  de  ses  ossements  et  le  suaire  précieux  qui  les  enveloppait  est  aujourd'hui  (1872)  con- 
servé dans  la  belle  église  de  Saint-André,  près  de  Troyes. 

Saint  Matirèle  fut  également  religieux  du  monastère  de  Saint-Ursion  et  curé  de  la  paroisse 
d'Isle-Aumont.  Les  détails  de  sa  vie  ne  sont  point  parvenus  jusqu'à  nous.  L'histoire  n'a  conservé 
que  le  souvenir  delà  tendre  amitié  qui  l'unissait  à  saint  Lyé.  11  mourut  vers  l'an  545.  Ses  reliques, 
transportées  à  Montier-la-Celle,  lors  des  incursions  des  Normands  —  ainsi  que  celles  de  saint 
Ursion,  de  saint  Mélain,  de  saint  Phal  et  de  sainte  Exupérance  —  sont  aujourd'hui  conservées  dans 
l'église  de  Saint-André-lès-Troyes  :  cette  église  a,  du  reste,  hérité  de  la  plupart  des  reliques  de 
Moutier-la-Celle. 

La  fête  de  la  translation  à  Montier-la-Celle  était  autrefois  célébrée  le  26  avril,  comme  nous  le 
voyons  par  le  Propre  de  Troyes  de  1548  ;  mais  la  fête  particulière  de  saint  Maurèle  était  le  21  mai, 
et  celle  de  saint  Ursion  le  29  septembre. 

Propre  de  Troyes  da  15-4S  ;  Saints  de  Troyes,  par  M.  Defer  ;  Notices  locales. 


XXXe  JOUR  D'AVRIL 


MARTYROLOGE   ROMAIN. 

A  Rome,  sainte  Catherine  de  Sienne,  vierge,  de  l'Ordre  de  Saint-Dominique,  d'une  vie 
éclatante  eu  sainteté  et  en  miracles,  que  Pie  II  mit  au  rang  des  saintes  vierges.  1380.  —  A  Lam- 
bèse,  en  Numidie,  la  naissance  au  ciel  des  saints  martyrs  Marien,  lecteur,  Jacques,  diacre  : 
le  premier,  après  avoir  déjà  surmonté  les  rigueurs  de  la  persécution  de  Dèce,  en  confessant  le 
Christ,  fut  de  nouveau  arrêté  avec  son  très-illustre  collègue,  et  tous  deux  ensemble  ayant  été, 
après  des  supplices  cruels  et  recherchés,  réconfortés  jusqu'à  deux  fois  par  des  révélations  divines, 
furent  enfin,  avec  beaucoup  d'autres,  achevés  par  le  glaive.  260.  —  A  Saintes,  le  bienheureux 
Eutrope,  évèque  et  martyr,  que  saint  Clément  dirigea  vers  la  Gaule,  après  l'avoir  sacré  évèque, 
et  qui,  ayant  prêché  longtemps  l'Evangile,  eut  la  tête  brisée  pour  le  témoignage  rendu  à  Jésus- 
Christ,  et  termina  sa  vie  par  cette  victoire.  —  A  Cordoue,  les  saints  martyrs  Amatob,  prêtre, 
Pierre,  moine,  et  Ludovic.  855.  —  A  Novare,  saint  Laurent  »,  prêtre,  et  plusieurs  enfants  dont 
il  faisait  l'éducation,  martyrisés  avec  lui.  —  A  Alexandrie,  les  saints  martyrs  Aphrodise,  prêtre, 
et  trente  autres.  —  A  Ephèse,  saint  Maxime,  martyr,  couronné  dans  la  persécution  de  Dèce.  Vers 
250.  —  A  Fermo,  dans  la  Marche  d'Aucône,  sainte  Sophie,  vierge  et  martyre.  —  A  Naples,  saint 

1.  Ces  martyrs  de  Novare  souffrirent  sous  l'empereur  Valentinien.  Ils  furent  mis  a  mort  sans  aucune 
formalité  légale  par  la  multitude  païenne.  Voici  une  petite  pièce  de  vers  qui  a  été  anciennement  gravée 


86  30  AVRIL. 

Sévère,  évêque,  qui,  entre  autres  miracles,  rappela,  pour  un  temps,  un  mort  de  son  sépulcre,  afin 
de  convaincre  un  imposteur  qui  tourmentait  une  veuve  et  des  pupilles  pour  une  fausse  dette.  Ve  s. 

—  A  Euna,  dans  l'Epire,  saint  Donat,  évêque,  qui  brilla  au  temps  de  l'empereur  Théodose  par 
une  sainteté  extraordinaire  *.  387.  —  A  Londres,  en  Angleterre,  saint  Erkonwald,  évêque,  qui 
brilla  par  beaucoup  de  miracles.  698. 

MARTYROLOGE  DE  FRANCE,  REVU  ET  AUGMENTÉ. 

A  Reims,  saint  Maternien,  évêque,  frère  de  saint  Materne  de  Milan  ;  il  décéda  le  7  juillet,  mais 
sa  fête  se  fait  principalement  en  ce  jour,  auquel  l'archevêque  Hincmar  leva  son  corps  de  terre  et 
l'envoya  comme  un  riche  présent  à  Louis,  roi  de  Germanie.  349-370.  —  A  Maëstricht,  saint 
Quirille,  évêque.  Vers  489.  —  A  Chalon-sur-Saône,  saint  Jean,  saint  Didier,  saint  Flavius,  et 
autres  bienheureux  évèques  de  cette  ville,  dont  la  fête  commune  se  faisait  autrefois  en  ce  jour. 
Aujourd'hui,  leurs  fêtes  se  célèbrent  au  diocèse  d'Autun  :  celle  de  saint  Jean,  le  15  mai  ;  celle  de 
saint  Flavius,  le  13  du  même  mois;  celle  de  saint  Didier,  le  26  juin.  —  Au  même  lieu,  saint  Désiré, 
prêtre,  qui  a  part  à  la  solennité  de  ces  saints  prélats.  Décédé  à  Gourdon,  où  il  avait  vécu  dans 
la  solitude,  il  fut  transféré  à  Chàlon,  en  l'église  de  l'hôpital  des  Lépreux.  Il  s'en  ât  une  seconde 
translation,  à  laquelle  assista  le  pape  Jean  VIII,  à  son  retour  du  concile  de  Troyes.  Saint  Grégoire 
de  Tours  écrit  qu'il  était  invoqué  contre  le  mal  de  dents.  Vers  569.  —  A  Tonnerre,  saint  Micho- 
mer,  confesseur,  disciple  de  saint  Germain  d'Auxerre.  441.  —  A  Vernon-sur-Seine,  saint  Adjoteub 
ou  Ajoctre,  moine  de  l'abbaye  de  Tiron,  dont  la  vie  est  remplie  de  prodiges  et  d'exemple9 
admirables  de  vertus.  1131.  — Au  même  lieu,  la  bienheureuse  Rosemonde,  mère  de  saint  Ajoutre. 

—  Dans  le  diocèse  de  Besançon,  la  fête  de  saint  Sigismond,  roi  de  Bourgogne  ».  524.  —  A 
Waulsort,  près  de  Dinant,  sur  la  Meuse,  au  diocèse  de  Liège,  saint  Forannan,  qui  fut  abbé 
de  ce  lieu,  après  avoir  abdiqué  l'archevêché  d'Armagh,  en  Irlande.  982.  —  Au  monastère  de 
Savigny,  au  diocèse  d'Avranches,  le  bienheureux  Aymon  ou  Amon,  de  l'Ordre  de  Citeaux,  célèbre 
par  sa  science  et  la  singulière  pureté  de  ses  mœurs.  —  A  Jouarre,  la  bienheureuse  Sabine,  vierge, 
de  l'Ordre  de  Saint-Benoit.  1173.  —  A  l'abbaye  d'Afflighem,  en  Belgique,  le  bienheureux  Baoul, 
surnommé  le  Silencieux,  à  cause  du  silence  qu'il  garda  pendant  sept  ans.  Un  incendie  ayant  éclaté, 
un  jour,  à  peu  de  distance  du  lieu  où  il  se  trouvait,  Dieu  lui  inspira  de  prononcer  cette  parole  : 
«  Flamme,  arrête-toi  »,  et  la  flamme  s'arrêta.  Il  était  contemporain  de  saint  Bernard.  —  En 
Auvergne,  saiut  Ponce,  huitième  abbé  de  la  Chaise-Dieu,  qui  finit  ses  jours  en  Terre-Sainte,  et  fut 
enterré  dans  la  vallée  de  Josaphat,  non  loin  du  tombeau  de  la  sainte  Mère  de  Dieu.  —  Dans  le 
Perthois,  en  Champagne,  sainte  Hoïlde  ou  sainte  Houe,  vierge,  qui  reçut  le  voile  des  mains  de  saint 
Alpin,  évêque  de  Chàlons  ;  son  corps,  après  quelques  siècles,  fut  porté  à  Saint-Etienne  de  Troyes  ; 
un  de  ses  ossements  fut  transféré  à  Sainte-Houe,  abbaye  de  Cisterciennes,  dans  l'ancien  duché  de  Bar, 
en  Lorraine  s,  et  un  autre  à  Paris,  dans  l'église  des  Petites-Cordelières.  Ve  s.  —  A  Cologne,  la 
translation  de  saint  Quirin,  honoré  aussi  au  diocèse  de  Troyes  le  même  jour4. —  A  Verdun,  l'entrée 
au  ciel  de  saint  Pulchrone,  évêque  de  cette  ville.  470.  —  A  Autun,  saint  Placide,  abbé  du  célèbre 
monastère  de  Saint-Symphorien  :  les  traditions  donnent  le  nom  d'anges  aux  religieux  de  cette 
communauté.  Qui  le  mérita  mieux  que  Placide,  dont  l'histoire  oublieuse  ne  nous  a  rien  conservé, 
mais  que  l'Eglise  a  voué  à  l'immortalité  en  le  plaçant  sur  nos  autels  ?  Saint  Placide  est  le  dernier 
des  religieux  de  Saint-Symphorien  qui  ait  mérité  les  honneurs  du  culte  public  5.  L'époque  n'était 
pas  éloignée  où  les  Sarrasins  allaient  coucher  l'abbaye  dans  un  linceul  de  poussière,  vins  s.  —  A 
Paris,  la  vénérable  Madeleine  de  Saint-Joseph,  religieuse  carmélite.  Elle  était  fille  d'Antoine  Dubois, 
seigneur  de  Fonteines-Marans,  que  les  rois  Charles  IX  et  Henri  III  chargèrent  de  plusieurs  négocia- 
tions importantes.  A  l'âge  de  quatre  ans,  elle  fut  si  frappée  de  ce  qu'on  lui  dit  sur  les  suites  de  la 
mort,  à  l'occasion  d'un  enfant  qu'on  portait  en  terre,  qu'elle  conçut  un  invincible  dégoût  pour  les 
vanités  du  monde.  Lorsqu'on  mettait  un  peu  plus  de  soin  qu'à  l'ordinaire  en  l'habillant,  elle  disait  : 

sur  le  tombeau  qui  contenait  les  ossements  des  Martyrs,  et  d'où  de'couialt  une  liqueur  salutaire   aux 

malades  : 

Aspicis  hoc  marmor  tnmnli  de  more  caratumï  Vois-tu  ce  marbre  en  forme  de  tombeau?  Il  est 

Id  solidnm  est  intus,  rima  nec  ulla  patet,  solide  à   l'intérieur,  nulle   fente  ne  s'y  ouvre,  d'où 

Unde  queat  tellus  occultas  mittere  lyrnphas  :  la  terre  pourrait  verser  des  eaux  cachées.  C'est  de» 

Manat  ab  ingestis  ossibus  iste  liquor.  ossements  ensevelis  en   ce  lieu   que  vient  cette  11- 

Si  dubitas,  uiedio  sudantes  toile  sepulcro-  queur.  Si  tn  doutes,  enlève  du  sépulcre  les  reliques 

Keliquias,  dices  :  Unda  salubris  ubi  est?  qui   donnent  ces  gouttes,  tu  diras   alors  :  Où  est 

maintenant  cette  onde  salutaire?  —  Baronius. 

1.  Les  reliques  de  saint  Donat  furent  apportées  par  les  Vénitiens  dans  réglise  Sainte-Marie  de  Murano. 

2.  Voir  au  1"  mai. 

3.  Une  ferme,  près  de  Bussy-la-Côte,  canton  de  Revigny,  arrondissement  de  Bar-le-Duc,  rappells 
seule  aujourd'hui  le  nom  de  sainte  Houe  et  marque  l'emplacement  de  l'ancien  monastère,  qui  était  de 
l'Ordre  de  Citeaux. 

4.  Voir  le  30  mars  et  le  3  mai. 

5.  Voir  l'histoire  de  la  fondation  a  la  vie  de  saint  Euphrone  d'Autun  et  à  celle  de  saint  Symphorien. 


MARTYROLOGES.  87 

«  A  quoi  bon  tout  ceci  puisqu'il  faut  mourir?  »  L'intendant  de  la  maison  de  son  père  ayant 
un  jour  trouvé  mauvais  qu'elie  fit  travailler  les  pauvres  à  des  ouvrages  dont  on  ne  tirait 
aucun  profit,  elle  lui  répondit  :  «  Si  nous  perdons  de  l'argent,  nous  gagnons  des  âmes  ».  Made- 
moiselle de  Fonteines  entra,  à  l'âge  de  vingt-six  ans,  au  Carmel  de  Paris  que  venait  de  fonder 
Mme  Acarie,  et  mourut  en  Dieu  le  30  avril  1637.  Le  pape  Pie  VI  a  déclaré  que  la  mère  Madeleine 
de  Saint-Joseph  avait  pratiqué  les  vertus  chrétiennes  dans  un  degré  héroïque. 

MARTYROLOGES   DES   ORDRES   RELIGIEUX. 

Martyrologe  des  Dominicains.  —  Sainte  Catherine  de  Sienne... 

Martyrologe  des  Servîtes.  —  A  Forli,  saint  Pérégrin,  confesseur,  de  l'Ordre  des  Servîtes,  dont 
la  naissance  au  ciel  est  honorée  le  1er  mai. 

Martyrologe  de  Citeaux.  —  Le  bienheureux  Raymond  de  Calatrava.  11C3. 

ADDITIONS  FAITES  DIAPRÉS  LES  ROLLANDISTES  ET  AUTRES    HAGIOGRAPHES. 

A  Urcitana,  ville  aujourd'hui  détruite,  à  deux  lieues  d'Almeria,  dans  l'ancien  royaume  de  Gre- 
nade, en  Espagne,  saint  Indalèce,  évèque  de  cette  ville,  qui  fut  ordonné  à  Rome  par  saint  Pierre 
et  saint  Paul,  et  fut  envoyé  prêcher  l'Evangile  dans  la  Péninsule  Ibérique  avec  Torquat,  Second, 
Euphrasius,  Cécilius,  Tésiphont  et  Eusitius,  missionnaires  comme  lui.  Les  reliques  de  saint  Inda- 
lèce furent  transférées,  en  1080,  au  monastère  de  Saint-Jean  de  la  Penha  et  glorifiées  par  de 
nombreux  miracles.  Ier  s.  —  Chez  les  Grecs,  saint  Maxime,  martyr,  qui  périt  d'un  coup  d'épée 
dans  le  ventre:  il  est  différent  du  martyr  du  même  nom  mentionné  au  romain.  Epoque  incertaine. 
—  A  Rome,  saint  Quirin,  évêque  et  martyr,  enseveli  dans  la  catacombe  de  Prétextât.  Celait  peut- 
être  un  évêque  d'un  pays  lointain,  mort  eu  accomplissant  sa  visite  aux  seuils  des  Apôtres.  —  A 
. '. ,/hrodisia  ',  les  saints  martyrs  Radicianus,  diacre;  Téreuce,  Marin,  prêtres;  Dagarus  avec  douze 
antres  ;  Méturns,  Clément,  Lucinus,  Télesphore,  Primosus,  Saturnin,  Emélien,  MaTorica,  Saturnina, 
dont  les  noms  seulement  sont  parvenus  jusqu'à  nous.  —  Et  ailleurs,  les  funérailles  de  saint  Poly- 
chrone,  évèque,  dont  le  siège  est  inconnu.  —  A  Forli,  dans  les  Romagnes,  saint  Mercnrial,  évèque 
de  cette  ville.  156  ou  405.  —  A  Trente,  sainte  Maxence  ',  veuve.  Vers  l'an  400.  —  Chez  les 
Grecs,  saint  Clément,  confesseur  et  poète,  qui,  après  avoir  charmé  la  terre  par  ses  chants,  alla, 
à  son  tour,  entendre  dans  le  ciel  les  mélodies  des  anges.  Vers  le  ixe  s.  —  A  Kempten,  en 
Souabe,  la  bienheureuse  Hildegarde,  reine,  femme  de  Charleraagne,  mère  de  Charles  le  Chauve, 
de  Pépin  et  de  Louis  le  Pieux,  et  fondatrice  du  monastère  de  Kempten  (Campidona),  où  ses 
reliques  opérèrent  beaucoup  de  miracles.  783.  —  A  Ferden  ou  Werden,  en  Saxe,  saint  Switbert, 
dit  le  Jeune,  évèque  9.  807.  —  A  Vérone  et  à  Augsbourg,  saint  Gualfard  qui,  après  avoir  exercé 
la  profession  de  sellier  et  distribué  aux  pauvres  l'argent  qu'il  avait  amassé  par  son  travail, 
fécut  vingt  ans  de  la  vie  des  solitaires.  1127.  —  A  Monticiano,  en  Toscane,  le  bienheureux 
Antoine,  de  l'Ordre  des  Ermites  de  Saint-Augustin,  sur  le  tombeau  duquel  des  lis  fleurirent  spon- 
tanément. Après  l'an  800.  —  A  Ravensbourg,  dans  le  Wurtemberg,  le  bienheureux  Louis  von 
Bruck,  jeune  écolier  de  quatorze  ans  environ,  qui  fut  mutilé  et  pendu  par  les  Juifs  dans  une  forêt, 
près  d'Haslach.  Un  météore,  qui  échiira  plusieurs  nuits  de  suite  cette  forêt,  fit  découvrir  son  corps, 
en  l'honneur  duquel  on  bâtit  une  petite  chapelle  qui  devint  un  lieu  de  pèlerinage.  Un  siècle  après, 
ilfutreportéàRavensbourgdans  la  chapelle  de  Saint-Vit.  1429. —  A  Lucques,  le  bienheureux  Michel  de 
Barga,  de  l'Ordre  des  Frères  Mineurs  de  l'Observance,  que  l'on  voyait  parcourir  les  campagnes  pour 
faire  le  catéchisme,  exhortera  la  piété.  Plus  d'une  fois,  il  lui  arriva  de  prendre  la  place  des  ber- 
gers, pendant  que  ceux-ci  allaient  accomplir  leurs  devoirs  religieux.  1479. 

1.  Laquelle?  Il  y  avait  trois  villes  de  ce  nom  :  l'une  en  Carie,  l'antre  en  Lycle,  et  la  troisième  en 
Ttrace. 

2.  Sainte  Maxence.  —  Cette  illustre  veuve  est  la  mère  de  trois  Saints  :  Claudien,  Majorien  et  Vigile. 
Ce  dernier  devint  évêque  de  Trente  et  fut  un  des  prélats  remarquables  du  ive  siècle.  Veuve  de  bonne 
heure,  sainte  Maxence  quitta  Rome  pour  échapper  aux  importunités  de  ceux  qui  sollicitaient  sa  main. 
L'église  de  Trente  célèbre  sa  fête  sous  le  rit  double  :  à  quelque  distance  de  cette  ville,  se  trouve  un 
village  nommé  de  son  nom  Santa-Masenza.  (Voir  la  vie  de  saint  Vigile.) 

3.  Nous  ne  mentionnons  cet  évêque  que  pour  mémoire,  car  il  est  prouvé  maintenant  qu'on  l'a  con- 
fondu avec  saint  Switbert  dit  l'Ancien,  évêque  de  Werden,  en  Hollande,  dont  nous  avons  donné  la  Vie  an 
l*r  murs.  Saint  Switbert  de  Werden,  en  Saxe,  n'a  jamais  existé. 


88  30  AVRIL, 

SAINT  EUTROPE,  VULGAIREMENT  YTROPE, 

ÉVÊQUE  DE  SAINTES,  MARTYR 
ET  SAINTE    EUSTELLE,  VIERGE 

Ier  siècle. 

Ad  sanctos  cineres,  currile,  eivitas; 

Sunt  hxc  plena  Deo  pignora  martyrum. 

JBic  cunx  fidei;  funeris  in  sinu 

Vitam  pleirius  hausimus. 

Que  la  cité  accoure  se  prosterner  devant  ces  cendres 
vénérées;  elles  sont  vivifiées  par  le  Dieu  des  mar- 
tyrs. Ici  fut  le  berceau  de  votre  foi  ;  c'est  au  sein 
de  la  mort  que  nous  avons  trouvé  la  vie. 

Santolius,  Hymni. 

Vers  le  milieu  du  Ie*  siècle  de  l'ère  chrétienne,  un  homme  couvert 
d'une  longue  robe  de  lin  et  s'appuyant  sur  un  bâton  noueux,  qui  lui  rendait 
moins  rudes  les  fatigues  d'une  longue  et  pénible  route,  s'acheminait,  à  pas 
pressés,  à  travers  les  vastes  forêts  de  la  Saintonge.  Sorti  de  ces  bois  touffus 
et  profonds,  qui  dérobaient  à  ses  yeux  une  des  plus  belles  contrées  des 
Gaules,  il  ne  tarda  pas  à  distinguer  à  l'horizon,  la  ville  de  Mediolanum 
(aujourd'hui  nommée  Saintes).  Cette  ville,  qui  était  le  but  de  son  voyage, 
s'annonçait  au  loin  par  une  longue  ceinture  de  murs,  flanqués  de  hautes 
tours.  Les  coupoles  et  le  sommet  des  édifices  qu'il  entrevoyait  à  peine  à  tra- 
vers les  légères  vapeurs  du  matin,  indiquaient  que  la  domination  romaine, 
en  la  dotant  de  ces  nombreux  monuments,  l'avait  également  dotée  du  droit 
de  cité.  Sur  les  riants  coteaux  qui  environnaient  et  dominaient  la  ville 
s'élevaient  d'élégantes  villas,  entourées  de  bouquets  de  verdure  et  de  fleurs, 
dont  la  brise  embaumée  emportait  au  loin  les  parfums.  Mille  ruisseaux 
roulant  une  eau  limpide  répandaient  partout  la  fraîcheur  et  la  vie,  et  ser- 
pentaient dans  des  pleines  fécondes  que  doraient  de  riches  moissons. 

A  la  vue  de  tant  de  merveilles,  Eutrope,  c'était  le  nom  du  pèlerin,  se 
prosterna  la  face  contre  terre.  Après  une  prière  fervente  adressée  au  Sei- 
gneur, i!  se  releva,  disant  tout  haut  :  Mon  Dieu,  accordez  aux  habitants  de 
cette  grande  cité  qui  s'étend  à  mes  pieds  de  n'être  point  sourds  à  la  parole 
sainte  que  je  leur  apporte  en  votre  nom,  préparez-les  aux  saintes  vérités 
que  je  vais  leur  expliquer.  Que  leurs  bouches  prononcent  bientôt  avec 
amour  votre  nom  divin,  qu'ils  brisent  leurs  idoles,  et  que  désormais  ils  ne 
reconnaissent  d'autre  Dieu  que  vous. 

Saint  Eutrope,  que  les  Saintongeois  reconnaissent  pour  leur  Apôtre  et 
leur  premier  évêque, était  un  de  ces  Bienheureux  dont  parle  Notre-Seigneur, 
qui  ont  eu  l'honneur  de  le  voir  sur  la  terre  et  de  converser  avec  lui  :  ce  que 
tant  de  rois  et  de  prophètes  ont  désiré  si  ardemment  et  qu'ils  n'avaient  pas 
obtenu.  C'est  ainsi  que  le  porte  la  tradition  des  églises,  au  récit  de  Baro- 
nius.  Les  Jansénistes  et  nos  évêques  gallicans  ont  fait/t,  à  qui  mieux  mieux, 
des  anciennes  légendes  léguées  par  la  foi  de  nos  Pères.  C'est  un  tort  à  nos 
yeux,  parce  que,  si  ces  légendes  récitées  aux  soirées  d'hiver,  ont  pu  perdre 


SAINT  EUTROPE,  ÉVÊQUE  DE  SAINTES,  MARTYR.  89 

quelque  chose  de  leur  naïveté  native,  en  passant  de  bouche  en  bouche,  et 
en  revêtant  quelque  teinte  du  caractère  du  narrateur,  il  n'est  pas  moins  vrai 
qu'il  y  a  dans  ces  récits  un  fond  vrai.  Il  s'agissait  de  dégager  l'inconnu  ; 
on  a  trouvé  plus  logique  de  tout  nier. 

Il  existe  à  Saintes  une  très-ancienne  légende  sur  saint  Eutrope.  Le  Saint 
serait  fils  d'un  roi  (grand  personnage)  de  Perse.  Dans  son  enfance  il  fut 
conduit,  par  son  gouverneur,  à  la  cour  d'Hérode  ;  il  entendit  parler  de  Jésus 
de  Nazareth  et  de  ses  prodiges  ;  il  voulut  le  voir,  demanda  à  lui  être  pré- 
senté, reçut  sa  bénédiction  et  embrassa  sa  doctrine.  Il  retourna  cbez  son 
père  qu'il  gagna  au  christianisme,  plus  tard  il  revint  en  Judée  et  y  apprit  la 
mort  du  Christ  condamné  au  supplice  de  la  croix  ;  indigné,  il  reprit  encore 
le  chemin  de  la  Perse  et  y  ût  mettre  à  mort  tous  les  Juifs  qui  se  trouvaient 
dans  les  Etats  de  son  père.  M.  l'abbé  Lacurie,  vicaire-général  honoraire  de 
S.  B.,  le  patriarche  de  Chaldée,  a  pris  des  renseignements  sur  l'origine  de 
saint  Eutrope.  L'opinion  de  l'église  Chaldéenne,  qui  vient  confirmer  la  légende 
française,  est  que  le  premier  évoque  de  Saintes  était  Chaldéen  et  fils  d'un 
grand  personnage.  Dégoûté  du  monde,  il  revint  trouver  saint  Pierre  qui 
l'éleva  au  sacerdoce,  et  l'envoya  à  Mediolanum- S  antonum. 

Eutrope  ayant  prié,  comme  nous  l'avons  dit  plus  haut,  reprit  sa  marche 
vers  la  ville.  Arrivé  auprès  de  la  porte  principale,  il  entra  dans  une  hôtellerie 
pour  se  reposer  un  instant  des  longues  fatigues  du  voyage  et  prendre  un  fru- 
gal repas,  puis  il  pénétra  au  sein  de  la  cité  et  devint  l'objet  de  la  curiosité 
publique.  La  sévérité  de  son  costume,  qui  offrait  un  singulier  contraste  avec 
la  douceur  de  sa  physionomie,  lui  attirèrent  les  regards  de  tous  les  passants; 
parvenu  au  centre  de  Mediolanum,  il  choisit  une  place  spacieuse.  Ayant  groupé 
autour  de  lui  une  foule  considérable  de  citoyens  et  d'artisans,  il  tira  de  son 
sein  une  petite  croix  de  bois  grossièrement  travaillée,  et  commença  à  racon- 
ter, avec  un  enthousiasme  sublime,  la  vie,  les  miracles  et  la  mort  de  notre  Sau- 
veur. En  entendant  ces  récits  merveilleux,  le  peuple,  croyant  voir  un  fou  ou 
un  imposteur,  s'arma  de  bâtons  et  se  rua  sur  le  missionnaire.  Eutrope, 
chassé  de  la  ville  aussi  cruellement,  se  réfugia  sur  une  hauteur  voisine, 
choisit  un  lieu  désert  et  se  construisit  une  cabane  sur  les  flancs  d'un  rocher. 

Découragé  par  cet  insuccès,  Eutrope  reprit  le  chemin  de  Rome  ;  saint 
Pierre  était  mort,  saint  Clément  ranima  son  zèle,  l'ordonna  évêque  et  le 
mit  sous  la  conduite  de  saint  Denys  l'Aréopagite  qui,  avec  une  caravane 
d'autres  missionnaires,  venait  évangéliser  le  nord  des  Gaules  *. 

Eutrope  suivit  donc  l'Aréopagite  jusqu'à  la  ville  d'Arles  et  de  là  passa 
en  Guyenne.  Le  culte  particulier  dont  saint  Eutrope  est  l'objet,  même 
de  nos  jours,  dans  les  montagnes  de  l'Ariége,  porte  à  croire  que  cet 
Apôtre  aura  évangélisé  certaines  contrées  du  midi  de  la  France  avant 
de  regagner  Saintes.  Quoi  qu'il  en  soit,  revenu  dans  sa  retraite  isolée, 
Eutrope  se  livra  à  la  prière  et  à  la  mortification.  Des  racines  détrempées 
dans  l'eau  étaient  sa  nourriture  de  chaque  jour,  un  peu  de  paille  suffisait 
pour  reposer  son  corps  épuisé  par  les  veilles.  Malgré  l'accueil  peu  favorable 
que  lui  avaient  fait  les  habitants  de  Mediolanum,  souvent  il  abandonnait  sa 
chère  solitude  et,  parcourant  les  campagnes  environnantes,  il  annonçait 
partout  la  parole  de  Dieu.  Il  se  hasarda  même  à  rentrer  dans  la  ville.  La 
pureté  de  ses  mœurs,  la  simplicité  de  son  langage  lui  concilièrent  peu  à  peu 

1.  Grégoire  de  Tours,  dont  on  se  plaît  à  invoquer  le  témoignage  en  faveur  de  l'évangélisation  des 
Gaules  au  n:e  siècle,  — quoique  le  texte  sur  lequel  on  s'appuie  soit  loin  d'être  authentique,  —  Grégoire 
tls  Tours  atteste  que  saint  Eutrope,  fondateur  de  l'Eglise  de  Saintes,  fut  au  moins  envoyé  par  saint  Clément1. 
De  gloria  martyrum,  liv.  ier,  chap.  56. 


90  30  AVRIL. 

l'estime  d'un  petit  nombre  de  païens.  Quelques-uns,  entraînés  par  son  élo- 
quence inspirée,  s'instruisirent  de  la  vraie  religion  et  reçurent  le  baptême. 

Encouragé  par  ce  premier  succès,  Eutrope  redoubla  de  persévérance  et 
de  zèle.  Dès  ce  moment,  on  le  vit  tous  les  jours  parcourir  les  rues  et  les 
places  de  Mediolanum,  suivi  d'une  grande  multitude  de  peuple,  qui  se  plaisait 
à  lui  donner  le  titre  d'envoyé  de  Dieu. 

Un  jour,  le  peuple  s'étant,  comme  de  coutume,  assemblé  autour  d'Eu- 
trope,  une  jeune  fille,  d'une  rare  beauté  et  d'une  baute  naissance,  fendit 
tout  à  coup  la  foule  et  vint  se  prosterner  aux  pieds  de  l'Apôtre  en  lui  disant: 
«  Maître,  je  veux  embrasser  la  religion  du  Cbrist,  instruisez-moi  des  vérités 
qu'elle  enseigne».  Eutrope  ayant  remercié  le  Seigneur,  amena  la  Vierge 
dans  le  lieu  où  s'assemblaient  les  nouveaux  chrétiens,  et  l'initia  aux  princi- 
paux mystères  de  la  foi. 

Eustelle,  c'était  le  nom  de  la  jeune  païenne,  fut  bientôt  baptisée  ;  la 
grâce  transforma  son  âme.  Elle  voulut  partager  avec  Eutrope  les  rudes  fati- 
gues de  l'apostolat. 

Or,  cette  conversion  causa  une  grande  rumeur  dans  la  ville  de  Mediola- 
num. Eustelle  était  fille  du  légat  du  préteur  des  Gaules  :  il  y  avait  tout  à 
craindre  de  la  part  de  cet  homme,  qui,  par  sa  haute  dignité,  devait,  plus  que 
tout  autre,  faire  respecter  les  dieux  de  l'empire.  Abusant  de  sa  puissance,  il 
pouvait  envoyer  à  la  mort  le  téméraire  qui  avait  osé  arracher  sa  fille  du 
sein  de  l'idolâtrie.  En  apprenant  que  sa  fille  était  chrétienne,  le  père  d'Eus- 
telle  entra  dans  une  extrême  fureur.  Il  la  chassa  brutalement  de  son  palais. 
Revenu  à  de  meilleurs  sentiments,  il  tenta  de  ramener  sa  fille  par  la  dou- 
ceur et  les  séductions.  Eustelle  répondit  toujours  avec  la  plus  grande  fer- 
meté et  ne  consentit  pas  à  retourner  dans  la  maison  paternelle.  Elle  s'était 
construite  une  étroite  cellule  non  loin  de  la  cabane  d'Eutrope.  C'est  dans 
cet  humble  asile  qu'elle  voulait  passer  ses  jours.  Irrité  partant  de  résistance, 
le  légat  ne  chercha  plus  à  dissimuler  son  ressentiment  ;  sa  fureur  ne  con- 
naissant plus  de  bornes,  il  attendit  impatiemment  le  jour  de  la  vengeance. 
Il  ignorait,  ce  cruel  Romain,  qu'en  préparant  à  Eutrope  la  palme  du  mar- 
tyre, il  lui  préparait  un  trône  dans  le  ciel,  et  que  son  nom,  immortalisé 
par  son  supplice,  serait  prononcé  avec  respect  par  les  générations  futures. 

Le  légat  fit  appeler  tous  les  bouchers  de  la  ville  ;  il  leur  distribua  une 
somme  de  cent  cinquante  sous  romains,  et  leur  ordonna  d'aller  mettre  à 
mort  Eutrope,  et  de  ramener  Eustelle  dans  son  palais. 

La  veille  des  calendes  de  mai,  les  bouchers  sortirent  de  la  ville  de  grand 
matin,  et,  suivis  d'une  foule  de  païens  qui  applaudissaient  à  la  cruauté  du 
légat,  armés  de  bâtons,  de  haches  et  de  courroies  garnies  de  plomb,  ils  se 
dirigent  vers  la  cabane  du  solitaire,  qui  était  en  ce  moment  à  genoux  et  en 
oraison.  Ils  l'entraînent  hors  de  son  asile,  font  pleuvoir  sur  sa  tète  une  grêle 
de  pierres,  le  frappent  sans  pitié  à  coups  de  bâtons,  et  déchirent  tout  son 
corps  ;  ils  consomment  leur  forfait  en  lui  fendant  la  tête  d'un  coup  de 
hache.  Dès  qu'Eutiope  eut  rendu  le  dernier  soupir,  ses  meurtriers  ne  son- 
geant plus  à  amener  Eustelle  auprès  de  son  père,  prirent  la  fuite  et  rentrè- 
rent tumultueusement  dans  la  ville,  effrayés  du  crime  qu'ils  venaient  de 
commettre. 

Dès  que  la  nuit  eut  étendu  ses  premiers  voiles,  quelques  chrétiens, 
guidés  par  Eustelle,  ensevelirent  le  corps  du  saint  missionnaire  dans  la  ca- 
bane qui  avait  abrité  sa  vie.  La  mort  d'Eustelle  suivit  de  près  celle  de 
l'Apôtre  qui  l'avait  convertie  à  la  vraie  foi.  Elle  fut  inhumée,  selon  ses  dé- 
sirs, à  côté  du  tombeau  du  premier  martyr  de  la  Saintonge. 


SAINT  EUTROrE,   ÉVÊQUE  DE  SAINTES,   MARTYR.  91 

Saint  Eutrope  est  représenté  la  tête  fendue  par  une  hache  ou  un  coupe- 
ret. Près  de  lui  se  trouve  un  arbre  :  la  présence  de  cet  arbre  dans  les  monu- 
ments relatifs  à  l'Apôtre  de  Saintes  s'explique  de  différentes  manières,  car 
on  en  a  perdu  depuis  longtemps  le  vrai  sens.  Les  uns  disent  qu'avant  de  re- 
cevoir le  coup  de  grâce,  saint  Eutrope  fut  pendu  à  un  arbre  et  longuement 
tourmenté  dans  cette  gênante  position  :  toujours  est-il  qu'autrefois  saint 
Eutrope  a  passé  pour  être  fort  secourableaux  gens  condamnés  à  mort.  Les 
autres  prenant  la  chose  de  plus  haut  pensent  que  cet  arbre  rappelle  une 
bonne  action  du  Saint  dans  sa  jeunesse,  lors  de  l'entrée  triomphale  de 
Notre-Seigncur  à  Jérusalem  ;  car  il  aurait  été  un  de  ceux  qui  montèrent 
sur  les  arbres  de  la  route  et  en  arrachèrent  des  branches  pour  les  jeter  sur 
les  pas  du  Sauveur.  Tel  est  le  fait  que  rappellerait  cet  arbre. 

L'histoire  de  saint  Eutrope  est  dit-on,  peinte  sur  les  vitraux  de  la  cathé- 
drale de  Sens. 

On  l'invoque  contre  l'hydropisie. 

MIRACLES,  RELIQUES  ET  CULTE  DE  SAINT  EUTROPE. 

RESTAURATION  DE    SA   CRYPTE. 

Ce  grand  évêque  a  fait  de  tous  côtés  et  dans  tous  les  siècles  des  prodiges  fort  signalés.  Il  a 
tiré  miraculeusement  de  l'eau  et  du  feu  ceux  qui  devaient  y  être  ou  noyés  ou  consumés.  Il  a  dé- 
livré du  fond  des  cachots  des  captifs  et  des  prisonniers  que  leurs  ennemis  y  avaient  enfermés.  Il 
en  a  même  transporté  un,  en  un  instant,  de  Babylone  à  Saintes,  avec  la  cage  d'airain  où  les  infi- 
dèles l'avaient  enfermé.  Il  a  guéri  des  malades,  ressuscité  des  morts,  chassé  les  démous  des  corps 
des  possédés  et  opéré  d'autres  semblables  merveilles.  L'on  remarquera  aussi  dans  l'histoire  de  ces 
miracles  les  châtiments  terribles  que  la  justice  de  Dieu  a  exercés  contre  plusieurs  personnes  qui 
ont  eu  la  témérité  de  profaner  la  fêle  de  cet  illustre  prédicateur  de  l'Evangile. 

Pies  de  cinq  siècles  avaient  passé  sur  le  tombeau  oublié  du  Martyr;  bien  des  peuples  avaient 
foulé  le  sol  qui  renfermait  ses  saintes  dépouilles,  l'Eglise  brillait  alors  plus  que  jamais,  elle  était 
sortie  victorieuse  des  persécutions  romaines,  elle  avait  assisté  à  la  chute  de  l'empire,  elle  était 
demeurée  ferme  au  milieu  des  flots  de  barbares  venus  du  Nord,  qui  envahirent  et  dévastèrent  une 
graude  partie  de  l'Europe  méridionale.  «  Au  milieu  de  cet  épouvantable  chaos,  la  civilisation  eût 
à  jamais  disparu  de  la  lerre,  sans  la  religion,  aidée  des  lumières  et  de  la  vigilance  des  papes l  ». 
Plus  récemment  encore,  l'Eglise  venait  de  triompher  des  schismes  qui  avaient  un  instant  alarmé 
ses  enfants  les  plus  fidèles,  mais  qui  n'avaient  jamais  affaibli  ni  la  puissance  de  ses  dogmes,  ni  la 
force  de  sa  doctrine.  Avec  la  paix  dont  elle  jouissait,  se  levaient  de  toutes  parts  des  monastères, 
où  des  hommes  éloignés  des  bruyantes  clameurs  des  cités,  savaient  allier  le  culte  de  la  prière  aux 
rudes  labeurs  des  champs.  Us  instruisaieut  le  peuple  et  lui  faisaient  partager  l'amour  de  l'agri- 
culture; joignant  l'exemple  à  leurs  leçons,  ils  défrichaient  eux-mêmes  les  terres  incultes. 

Clovis  venait  d'être  baptisé.  Dans  l'intérêt  de  la  fui  qu'il  avait  embrassée,  il  marcha,  à  la  tête 
des  Francs,  vers  la  Gaule  méridionale,  afin  de  châtier  les  Visigoths,  qui  l'occupaient  alors  et  qui 
professaient  l'Arianisme.  Il  les  vainquit  aux  champs  de  Vauclatle,  el  les  poursuivit  jusqu'aux  pieds 
des  Pyrénées.  En  retournant  vers  le  Nord,  le  vainqueur  s'arrêta  à  Mediolanum,  et  y  fut  reçu 
avec  acclamation.  11  n'en  sortit  point  sans  avoir  laissé  des  sommes  considérables,  pour  y  construire 
des  églises  et  des  monastères,  auxquels  il  accorda  de  grands  privilèges. 

Vers  cette  époque,  deux  moines  occupés  à  défricher  le  coteau  où  Eutrope  avait  été  inhumé, 
retrouvèrent  les  ossements  du  martyr.  Us  remarquèrent  sur  le  crâne  une  fente  profonde,  qui  n'a- 
vait pu  être  faite  que  par  un  coup  de  hache.  Pendant  la  nuit,  tandis  que  les  deux  religieux  étaient 
plongés  dans  un  profond  sommeil,  saint  Eutrope  leur  apparut.  «  Sachez  »,  leur  dit-il,  «  que  la 
fracture  que  vous  avez  vue  à  ma  tête  est  la  trace  du  martyre  que  j'ai  supporté  ».  Pallade  (saint 
Pallais),  évêque  de  Saintes,  averti  de  cette  vision  miraculeuse,  fit  transporter  les  ossements  du  saint 
Apôtre  dans  une  chapelle  de  l'église  de  Saint-Etienne,  qu'il  venait  de  faire  bâtir  dans  un  des  faubourgs 
de  la  ville.  Plus  tard,  un  riche  couvent  de  Bénédictins  s'éleva  autour  de  la  basilique  qui  prit  le 
nom  de  Saint-Eutrope.  Les  saintes  reliques,  exposées  à  la  vénération  des  fidèles,  attirèrent  d'abord 
quelques  pèlerins  accourus  des  contrées  voisines;  mais  au  bruit  des  cures  miraculeuses  opérées 
par  l'intercesion  du  Saint,  en  faveur  de  ceux  qui  venaient  le  visiter  avec  foi,  des  populations 
entières  vinrent  avec  empressement  s'agenouiller  aux  pieds  de  ses  autels.  L'église  de  Saint-Eu- 
trope devint  un  pèlerinage  célèbre. 

1.  Laeretelle,  Introduction  à  l'histoire. 


92  30  AVRIL. 

Franchissons  tout  l'espace  qui  sépare  cette  époque  du  XVIe  siècle  ;  arrivons  à  l'année  1562. 
Alors  les  guerres  de  religion  désolaient  la  Saintonge  ;  les  protestants  pillaient  et  renversaient  les 
maisons  du  Seigneur.  On  avait  lieu  de  craindre  que  déjà  le  corps  de  saint  Eutrope  n'eut  été  brûlé 
par  les  hérétiques,  et  l'on  redoutait  le  même  sort  pour  son  chef  précieux.  François  Noël,  prieur 
du  couvent  de  Saint-Eutrope,  le  transporta  secrètement  dans  la  cathédrale  de  Saint-André,  à  Bor- 
deaux ;  mais,  en  1602,  la  sainte  relique  fut  rendue  à  son  église  par  les  soins  de  Pierre  de  la 
Place,  l'un  des  successeurs  de  Noël. 

Plus  tard,  quand  la  tempête  politique  de  1789  passa  sur  la  France,  la  religion  eut  encore 
ses  jours  de  deuil  ;  mais  des  pièces  authentiques  prouvent  que  la  relique  de  saint  Eutrope  ne  dis- 
parut pas  dans  la  tourmente  révolutionnaire  ;  et  elle  a  toujours  été  conservée  dans  l'église  qui 
porte  son  nom. 

Les  habitants  de  Saintes  n'ignorent  pas,  et  nous  apprendrons  avec  plaisir  aux  étrangers,  entre 
les  mains  de  qui  pourra  tomber  notre  récit,  la  restauration  de  la  crypte  ou  chapelle  souterraine 
de  l'église  de  Saint-Eutrope.  Cette  restauration  a  un  double  but  :  d'abord,  la  conservation  d'un 
édifice  précieux  pour  l'histoire  de  l'architecture  religieuse,  ensuite  la  restitution  au  culte  d'un  monu- 
ment dédié  à  la  religion  depuis  près  de  douze  siècles.  Donnons  à  chacun  ce  qui  l"l  est  dû  :  c'est 
à  la  sollicitation  de  M.  l'abbé  Lacurie,  aumônier  du  collège  de  Saintes,  que  les  travaux  ont  été 
entrepris  par  la  Société  française  instituée  pour  la  conservation  des  monuments  historiques. 

!.e  vendredi  19  mai  1843,  à  huit  heures  du  matin,  des  ouvriers  étaient  occupés  à  fouillera  l'en- 
droit où  s'élevait,  avant  la  Révolution,  le  maître-autel  de  la  crypte.  Ils  ne  tardèrent  pas  à  recon- 
naître les  traces  d'une  excavation  pratiquée  dans  le  rocher  qui  tient  lieu  de  pavé  à  la  crypte. 

Mise  à  découvert,  l'excavation,  dont  la  forme  est  celle  d'un  carré  long,  a  présenté  les  dimen- 
sions suivantes  :  Longueur  :  1  m.  23  c;  largeur  :  0  m.  85  c.  ;  profondeur  :  1  m.  88  c.  Au  fond, 
l'on  voyait  une  pierre  en  forme  de  tombe,  taillée  à  tète  de  diamant,  dans  les  dimensions  suivantes  : 
Longueur  :  1  m.  20  c;  largeur  :  0  m.  90  c;  épaisseur  :  0  m.  37  c.  Cette  pierre  était  traversée 
de  part  en  part,  aux  quatre  coins,  par  des  boulons  ou  barres  rondes  de  fer,  d'environ  deux  centi- 
mètres de  diamètre,  consolidés  dans  leurs  trous  avec  du  plomb  coulé  en  fusion,  et  qui  la  liaient 
à  un  objet  sur  lequel  elle  reposait.  Sur  sa  face  extrême  supérieure,  du  côté  du  couchant,  on  lisait 
le  nom  Eutropius,  écrit  en  caractères  carlovingiens  de  longue  dimension,  profondément  gravés  et 
parfaitement  visibles. 

Le  coffre,  que  recouvrait  cette  pierre,  fut  enlevé,  et  les  ossements  qu'il  contenait  furent  livrés 
à  deux  médecins  chargés  de  les  examiner. 

Cette  opération  eut  lieu  en  présence  des  nombreux  assistants,  impatients  d'en  connaître  le  résultat. 
Les  docteurs  parvinrent,  en  peu  de  temps,  à  reconstituer  le  squelette  à'un  homme,  moins  la 
tête  et  l'os  supérieur  de  l'un  des  bras.  C'est  ici  le  lieu  de  dire  que,  depuis  des  siècles,  on 
honore,  dans  l'église  de  Saint-Eutrope  de  Saintes,  une  relique  que  la  tradition,  appuyée  de  titres 
importants,  a  toujours  fait  considérer  comme  le  chef  du  bienheureux  Martyr.  Nous  ajouterons 
aussi,  pour  les  personnes  qui  l'ignorent,  que  l'on  expose  à  la  vénération  des  fidèles,  dans  lune  des 
églises  de  la  ville  de  Béziers,  un  os  que  des  monuments  écrits  disent  être  celui  de  l'un  des  bras 
du  premier  prédicateur  de  la  foi  chez  les  Santons. 

Nous  n'avons  pas  l'intention  de  discuter,  dit  un  témoin  oculaire,  M.  l'abbé  Briand,  aujourd'hui 
décédé  :  nous  sommes  seulement  narrateur.  Pourtant  nous  ne  pouvons  nous  dispenser  de  faire 
cette  remarque  :  on  suppose,  avec  beaucoup  de  raison,  que  le  squelette  découvert  est  celui  de 
saint  Eutrope  ;  il  manque,  à  ce  squelette,  la  tête  et  l'os  supérieur  d'un  bras.  Or,  deux  églises 
ont  de  justes  motifs  de  se  croire  en  possession  des  parties  manquantes.  Quelle  frappante  coïn- 
cidence !... 

Ajoutons,  cependant,  que  les  médecins  trouvèrent  aussi  dans  le  coffre  une  tête;  mais,  après  un 
scrupuleux  examen,  ils  déclarèrent  qu'à  en  juger  par  sa  forme,  par  ses  proportions,  par  celles  des 
dents,  dont  plusieurs  tenaient  encore  à  leurs  alvéoles  et  plusieurs  autres  étaient  répandues  dans  le 
cofirei  cette  tête  n'était  pas  en  rapport  de  force  avec  les  ossements  qu'ils  avaient  sous  les  yeux  et 
que,  presque  certainement,  elle  n'appartenait  pas  au  même  sujet.  Elle  leur  parut  être  plutôt  celle 
d'une  jeune  femme  ou  d'un  adulte. 

Enfin,  il  y  avait  eucore  dans  le  coffre  une  partie  notable  des  ossements  d'un  enfant  presque 
naissant.  On  y  remarquait  aussi  un  peu  de  terre,  quelques  fragments  de  ciment  et  la  coquille 
ronde  et  blanche  d'un  petit  limaçon.  Ces  dernières  circonstances  ne  conduisent-elles  pas  à  l'idée 
d'une  translation  ?  Un  procès-verbal,  constatant  les  événements  de  la  journée,  fut  signé  par  toutes 
les  ptrsonnes  convoquées  et  par  d'autres  assistants. 

Le  30  avril  ramène,  chaque  année,  la  double  fête  de  saint  Eutrope  et  de  sainte  Eustelle,  patrons 
de  la  ville  de  Saintes.  Outre  les  cérémonies  que  l'Eglise  célèbre  en  l'honneur  du  saint  Martyr  et 
de  la  servante  du  Seigneur,  l'autorité  civile  ordonne  des  réjouissances  publiques  qui  attirent  un 
grand  concours  d'étrangers  dans  l'antique  Mediolanum.  Autrefois,  des  ménétriers  parcouraient  la 
ville  en  tous  sens  et  s'arrêtaient  devant  la  demeure  de  ceux  qui  portaient  le  nom  du  Saint  ou 
de  la  Sainte,  et  y  exécutaient  une  courte  sérénade.  La  ville  de  Saintes,  qui  demeure  plongée 
pendant  tout  le  reste  de  l'année  dans  le  silence  et  l'isolement  le  plus  complet  ,  revêt  le 
lendemain  une  physionomie  toute  nouvelle.  La  foule  joyeuse  inonde  le  pavé  de  ses  rues.  Le 


SAINT   EUTROPE,    ÉVÉQUE   DE   SAINTES,   MARTYR.  93 

contentement  est  universel  ;  mais,  comme  pour  offrir  un  singulier  contraste  aux  bruyantes  joies  de 
la  ville,  un  usage  traditionnel  a  consacré  un  pieux  pèlerinage  à  la  grotte  de  sainte  Eustelle,  située 
sur  une  des  collines  qui  environnent  la  ville. 

Voici  maintenant  quelques  détails  précieux  sur  le  culte  de  saint  Eutrope  dans  les  montagnes 
de  l'Ariége  ;  détails  que  nous  devons  à  l'obligeance  de  M.  l'abbé  P.  Authier,  curé  d'Unac  (diocèse 
de  Pamiers).  Ce  savant  ecclésiastique  nous  écrivait,  en  novembre  1871  : 

«  Le  saint  Eutrope  dont  il  est  question  aux  pages  22  et  23  de  ma  brochure  sur  le  prieuré 
d'Unac,  est  bien  le  saint  Eutrope,  évèque  et  martyr  de  Saintes,  puisque  nous  en  célébrons  la  fête 
de  temps  immémorial  au  30  avril,  et  que  je  ne  connais  pas  d'autre  Saint  de  ce  nom  fêté  ce  même 
jour. 

«  Pour  vous  dire  comment  son  culte  s'est  établi  dans  nos  contrées,  je  ne  puis  fonder  mes  asser- 
tions que  sur  des  conjectures.  L'église  dans  laquelle  nous  célébrons  cette  fête,  où  se  fuit  le  pèle- 
rinage le  30  avril,  est  une  église  bâtie  dans  la  seconde  moitié  du  xie  siècle,  soudée  à  une  tour 
de  clocher  plus  ancienne,  dont  l'architecture  accuse  une  construction  du  vme  ou  ixe  siècle.  Les 
présomptions  les  plus  fondées  donnent  à  croire  que  l'église  actuelle  du  XIe  siècle  a  été  décorée  et 
desservie  par  les  Bénédictins  de  Cluny;  mais  que  la  première  église,  dont  la  tour  de  clocher  et  de 
garde  existe  encore,  élait  l'église  d'une  abbaye  militaire  fondée  par  Charlemagne  ou  son  fils,  Louis 
le  Débonnaire,  roi  d'Aquitaine,  résidant  à  Toulouse  en  son  jeune  âge.  La  dévotion  du  pèlerinage 
auprès  des  reliques  de  saint  Eutrope  aura  été  établie,  ou  par  les  abbés  militaires,  comme  les  dévo- 
tions voisines  de  pèlerinage  aux  autels  de  la  Sainte  Vierge  de  Sabart,  Montganzy  et  Celles,  que 
l'on  croit  remonter  à  cette  époque,  ou  par  les  religieux  de  Cluny,  qui  avaient  dédié  des  chapelles 
à  saint  Eutrope  dans  la  basilique  de  la  maison-mère.  Les  pèlerins  à  Saint-Eutrope  d'Unac  font 
bénir  une  petiie  bouteille  de  vin  à  l'autel  anciennement  dédié  à  saint  Eutrope  et  le  boivent  à  jeun 
à  très-petites  doses,  soit  comme  remède,  soit  comme  préservatif  de  maladies.  11  en  est  de  cette  pra- 
tique comme  de  celle  qui  faisait  emporter,  par  les  pèlerins,  à  titre  de  remède,  l'huile  des  lampes 
qui  éclairaient  les  tombeaux  de  saint  Martin,  à  Tours,  et  autres  Saints. 

«  Je  ne  saurais  affirmer  que  l'église  de  l'abbaye  militaire  d'Unac  fût  dédiée  à  saint  Eutrope; 
mais  il  est  constant  que  l'autel  où  les  habitants  et  les  pèlerins  routiniers  viennent  toujours  déposer 
tout  naturellement  leur  vin  qui  doit  être  sanctifié  par  la  bénédiction  solennelle  de  l'Eglise,  se  trouve 
à  six  mètres  en  avaut  et  en  face  de  la  grande  ouverture  de  la  vieille  tour  carlovingienne,  c'est-à- 
dire,  là  où  était  l'autel  de  la  primitive  église. 

«  L'église  actuelle  du  xie  siècle  a  été  dédiée  à  saint  Martin,  de  Tours,  patron  titulaire,  et  le* 
autels  des  collatéraux  furent  dédiées  aux  patrons  secondaires,  l'un  à  saint  Maur  et  l'autre  à  saint 
Eutrope,  à  la  place  même  de  l'autel  carlovingien. 

«  Y  avait-il  des  reliques  de  saint  Eutrope  à  Unac,  à  l'époque  de  l'établissement  du  pèlerinage? 
Je  l'ignore.  En  entrant  dans  cette  paroisse,  il  y  a  quarante  ans,  j'ai  trouvé,  dans  le  tombeau  d'un 
reliquaire  du  moyen  âge,  qui  avait  servi  d'ostensoir  pour  la  bénédiction  solennelle  du  saint  Sacre- 
ment, de  tout  petits  fragments  de  reliques  de  saint  Eutrope,  saint  Maur  et  autres  Saints  comme 
l'indiquaient  des  fragments  de  vélin,  avec  une  note  disant:  «  Aquestas  reliquias  foren  trobadas 
in  claustro  de  l'nutar  de  missa  de  mossum  S.  Félix,  l'an  1565  ».  Cette  église  anciennement  pa 
roissiale,  fut  détruite  cette  année-là  par  les  Huguenots,  à  Unac.  Ces  reliques  étaient  sans  autre  authen- 
tique et  sans  sceau.  Je  n'en  ai  pas  entendu  mentionner  d'autres.  Maintenant  nous  avons  reçu  d'un 
de  nos  évèques  de  Pamiers  1°  un  fragment  de  trois  centimètres  des  reliques  d'un  saint  Eutrope, 
martyr,  extrait  par  lui  de  la  basilique  cathédrale  de  Saint-Lizier,  en  notre  diocèse;  et  2°  un  autre 
fragment  d'un  centimètre  obtenu  par  lui-même  à  Saintes,  en  1845,  lors  de  la  translation  solennelle 
du  tombeau  de  saint  Eutrope  ». 

Nous  avons  puisé  notre  récit  sur  suint  Eutrope  dans  Baronius  et  le  Père  Giry  ;  dans  YITistoire  de 
l'église  Santone,  par  M.  l'abbé  Briand,  aujourd'hui  défunt;  dans  des  lettres  particulières  qu'ont  bien 
voulu  nous  adresser  M.  Lacurie,  de  Saintes,  l'habile  restaurateur  de  la  crypte  de  Saint-Eutrope,  vicaire- 
général  honoraire  de  S.  B..  le  patriarche  de  Clialdé?.  M.  l'abbé  Grasilier,  aumônier  duCarmel  de  Saintes, 
M.  l'abbé  Authier,  curé  d'Unac,  au  diocèse  de  Pamiers,  M.  l'abbé  Ant.  Ricard,  directeur  de  la  Sem.  lit»» 
gique  de  Marseille,  etc. 


04  30  AVRIL. 

SAINTS  JACQUES,  MARIEN,  ÀGAPIUS,  ÉMILIEN 

MARTYRS  EN  NUMIDIE  (ALGÉRIE). 
260.  —  Pape  :  Saint  Denys.  —  Empereur  :  Valérien. 


Saints  de  Dieu,  souvenez-vous  devant  Notre-Seig.'.^irr 
de  ceux  dont  vous  savez  bien  les  noms. 
Inscription  commémorative  du    martyre    des  saints 

Jacques  et  Marien,  retrouvée  à  Constantine. 

Toutes  les  fois  que  les  bienheureux  martyrs  do  Dieu  tout-puissant  et  de 
son  Christ,  dans  leur  course  empressée  pour  saisir  la  couronne  du  royaume 
des  cieux,  font  une  demande  aux  frères  qu'ils  ont  le  plus  aimés,  ils  n'ou- 
blient pas  la  loi  de  l'humilité,  qui  toujours  donne  à  la  foi  son  plus  grand 
éclat;  et  plus  leur  demande  est  modeste,  plus  aussi  elle  est  efficace.  Or, 
deux  très-illustres  Martyrs  du  Seigneur  nous  ont  donné  la  mission  de  faire 
connaître  leur  gloire  au  monde  :  l'un  est  Marien,  qui  parmi  tous  nos  frères 
nous  était  spécialement  cher,  et  l'autre  Jacques  ;  tous  deux,  outre  les  enga- 
gements communs  du  baptême  et  la  profession  d'un  môme  culte,  m'étaient 
encore  attachés,  vous  le  savez,  par  les  liens  de  la  famille.  Sur  le  point  de 
soutenir  leur  glorieux  combat  contre  les  cruelles  fureurs  du  siècle  et  les 
attaques  des  gentils,  ils  désirèrent  que  les  frères  fussent  instruits  par  nous 
dans  cette  lutte  où  ils  entraient  sous  la  conduite  de  l'Esprit-Saint.  Ce  n'était 
point  pour  faire  célébrer,  par  une  vaine  jactance,  au  milieu  du  monde,  la 
gloire  de  leur  couronne,  mais  pour  laisser  à  la  multitude  des  fidèles,  au 
peuple  de  Dieu,  un  exemple  qui  les  instruisît  et  fortifiât  leur  foi.  Et  ce  ne 
fut  pas  sans  raison  que  leur  amitié  me  choisit  pour  publier  ces  récits;  car 
qui  pourrait  douter  que  nous  n'ayons  connu  et  partagé  les  secrets  de  leur 
vie  ?  Nous  vivions  ensemble  dans  les  liens  d'une  étroite  union,  quand  le 
temps  de  la  persécution  est  venu  nous  surprendre. 

Nous  voyagions  en  Numidie,  et  nous  avions  réuni  les  gens  de  notre 
suite,  comme  nous  faisions  toujours  ;  mais  la  route  que  nous  suivions  nous 
menait  remplir  le  ministère  que  la  religion  et  la  foi  nous  avaient  imposé, 
tandis  qu'elle  conduisait  nos  compagnons  au  ciel.  Ils  arrivèrent  en  un  lieu 
appelé  Muguas,  près  des  faubourgs  de  Cirtha  f,  colonie  romaine.  Dans  cette 
ville,  en  ce  moment,  l'aveugle  fureur  des  gentils  et  les  ordres  des  officiers 
militaires  avaient  soulevé  une  cruelle  persécution,  comme  les  flots  déchaî- 
nés du  siècle;  la  rage  du  diable,  altéré  du  sang  des  justes,  avait  soif  d'é- 
prouver leur  foi.  C'est  pourquoi  nos  bienheureux  martyrs  Marien  et  Jacques 
ne  doutèrent  point  que  ce  ne  fût  là  un  signe  certain  de  la  miséricorde  di- 
vine qui  exauçait  leurs  prières  ;  car,  s'ils  se  trouvaient  ainsi  au  lieu  et  au 
moment  où  la  persécution  sévissait  avec  le  plus  de  cruauté,  ils  compre- 
naient que  c'était  la  main  du  Christ  qui  les  avait  conduits  à  la  couronne  du 
martyre.  Tous  ceux  en  effet  que  le  Christ  chérit  étaient  l'objet  des  fureurs 
aveugles  du  préfet,  qui  les  faisait  rechercher  par  ses  soldats  ;  sa  cruelle 
folie  ne  s'exerçait  pas  seulement  contre  les  fidèles  qui  servaient  leur  Dieu 

1.  On  sait  que  Cirtha  reçut  plus  tard  le  nom  de  Constantine.  en  l'honneur  de  Constantin,  qui  la  retira 
de  ses  ruines  après  la  mort  de  Maxence. 


SAINTS  JACQUES,   MARIEN,    AGAPIUS,   ÉMILIEN,   MARTYRS  EN  NUMTDIE.  95 

en  pleine  liberté,  après  être  sortis  vainqueurs  des  persécutions  précédentes; 
le  diable  encore  étendait  son  insatiable  main  sur  ceux  qui,  depuis  long- 
temps condamnés  à  l'exil,  avaient  mérité  par  leur  désir,  sinon  par  l'effusion 
de  leur  sang,  la  couronne  des  martyrs. 

Or,  parmi  ceux  qu'on  rappelait  ainsi  de  l'exil  pour  les  présenter  au  pré- 
fet, étaient  Agapius  et  Secundinus,  tous  deux  évêques,  tous  deux  recom- 
mandables  par  leur  tendre  charité  pour  les  frères,  mais  l'un  d'eux  surtout 
par  la  sainteté  de  sa  continence.  Ce  n'était  point  d'un  supplice  à  un  autre 
supplice  qu'on  les  traînait,  ainsi  que  le  pouvaient  croire  les  gentils;  bien 
plutôt  ils  allaient  d'une  gloire  à  une  autre  gloire,  d'un  combat  à  un  autre 
combat.  Après  avoir  arraché  aux  pompes  du  siècle  et  soumis  au  joug  du 
Christ  leurs  compagnons  de  captivité,  ils  allaient,  avec  le  courage  qu'inspire 
une  foi  consommée,  fouler  aux  pieds  l'aiguillon  de  la  mort.  Et  certes,  c'eût 
été  un  crime  de  ne  pas  courir  à  la  victoire  dans  ces  lottes  d'ici-bas  qui  ne 
durent  qu'un  instant,  quand  le  Seigneur  s'empressait  au-devant  d'eux  pour 
les  avoir  auprès  de  lui.  Ainsi  Agapius  et  Secundinus  allaient  au  noble  com- 
bat que  leur  avait,  il  est  vrai,  préparé  une  puissance  de  la  terre,  mais  au- 
quel le  Christ  lui-même  les  appelait.  Nous  avons  eu  le  bonheur  d'offrir 
l'hospitalité  à  ces  deux  pontifes,  qui  devaient  unir  à  la  gloire  du  sacerdoce 
la  palme  du  martyre.  Tel  était  l'esprit  de  grâce  qui  les  animait,  que  non 
contents  d'offrir  à  Dieu  le  précieux  sacrifice  de  leur  sang  dans  un  généreux 
et  saint  témoignage,  ils  voulaient  faire  de  tous  les  fidèles  autant  de  martyrs, 
en  leur  inspirant  leur  courage  dans  la  foi.  Il  est  vrai  que  le  seul  spectacle 
de  leur  dévouement  et  de  leur  constance  aurait  suffi  pour  confirmer  la  foi 
des  frères;  mais  leur  charité,  leur  tendre  affection  pour  nous,  voulait 
assurer  davantage  notre  persévérance.  Ils  laissèrent  tomber  sur  nos  âmes, 
comme  une  céleste  rosée,  la  parole  du  salut  ;  car  il  leur  était  donné  de 
voir  celui  qui  est  appelé  le  Verbe  ou  la  parole  de  Dieu,  et  ils  ne  pouvaient 
taire  ses  merveilles.  Je  ne  m'étonne  point  si,  pendant  le  peu  de  jours  qu'ils 
demeurèrent  avec  nous,  nos  âmes  ont  largement  puisé  la  vie  et  le  courage 
dans  leurs  saintes  exhortations  ;  car  déjà  le  Christ,  à  la  veille  de  leur  pas- 
sion, faisait  éclater  en  eux  sa  grâce. 

Enfin,  quand  ils  nous  quittèrent,  leurs  exemples  et  leurs  instructions 
avaient  disposé  Marien  et  Jacques  à  suivre  la  même  voie,  en  marchant  sur 
leurs  traces  glorieuses.  Il  y  avait  à  peine  deux  jours  qu'ils  étaient  partis, 
que  déjà  la  palme  du  martyre  venait  d'elle-même  trouver  ces  deux  frères 
bien-aimés.  Ce  n'était  plus,  comme  partout  ailleurs,  un  ou  deux  soldats 
slutionnaires,  c'était  une  centurie  entière  qui  recherchait  des  victimes  à  la 
persécution. 

Cette  troupe  armée  par  la  violence,  et  avec  elle  une  multitude  impie, 
étaient  accourues  en  foule  à  la  villa  que  nous  habitions,  comme  au  puissant 
boulevard  de  la  foi.  Attaque  mille  fois  glorieuse  pour  nous  !  bienheureuse 
alerte  digne  d'être  célébrée  par  les  transports  de  la  joie  !  On  venait  à  nous  pour 
que  le  sang  des  justes,  de  Marien  et  de  Jacques,  accomplît  ici-bas  les  des- 
seins de  la  miséricorde  de  Dieu.  Nous  avons  peine  ici,  frères  bien-aimés,  à 
contenir  la  joie  dont  nos  cœurs  sont  remplis.  A  peine,  depuis  deux  jours, 
des  saints  se  sont  arrachés  à  nos  embrassements  pour  aller  subir  leur  glo- 
rieuse passion,  et  nous  avons  encore  avec  nous  des  frères  qui  vont  être 
martyrs  !  Lorsque  approcha  l'heure  de  la  divine  bonté,  elle  daigna  nous 
donner  aussi  à  nous  quelque  part  à  la  gloire  de  nos  frères  ;  nous  fûmes 
traînés  de  Muguas  dans  la  colonie  de  Cirtha.  Marien  et  Jacques,  nos  frères 
bien-aimés,  nous  y  suivirent  ;  destinés  à  la  palme,  leur  amour  pour  nous  et 


96  30  AVRIL. 

la  miséricorde  du  Christ  les  guidaient  sur  nos  pas  ;  car,  par  un  contraste  qui 
mérite  d'être  remarqué,  ceux-là  suivaient  qui  cependant  allaient  ouvrir  la 
marche  à  tous  les  autres.  Ils  n'attendirent  pas  longtemps.  Ils  nous  exhor- 
taient avec  un  saint  transport  de  zèle,  et  proclamaient  hautement  et  sans 
crainte  qu'eux  aussi  étaient  chrétiens.  Aussitôt  donc  ils  furent  interrogés  ; 
comme  ils  persévéraient  à  confesser  courageusement  le  nom  du  Christ,  on 
les  conduisit  en  prison. 

Alors  ils  furent  soumis  à  des  tourments  cruels  et  nombreux  par  un  soldat 
stationnaire,  le  bourreau  des  hommes  justes  et  pieux.  Il  avait  pris,  pour 
aider  sa  cruauté,  les  magistrats  de  Centurio  et  de  Cirtha,  qui  se  faisaient 
ainsi  les  prêtres  du  diable  ;  comme  si  la  foi  se  brisait  avec  les  membres  dans 
celui  qui  compte  pour  rien  le  soin  de  son  corps  !  Mais  Jacques,  qui  avait 
toujours  paru  plus  fort  dans  sa  foi,  parce  qu'il  avait  déjà  triomphé  de  la 
persécution  de  Décius,  répétait  avec  une  noble  fierté  que  non-seulement 
il  était  chrétien,  mais  que  de  plus  il  était  diacre.  De  son  côté,  Marien  pro- 
voquait les  supplices,  en  confessant  qu'il  était  lecteur  :  il  l'était  en  effet. 
Comment  dire  les  tourments  nouveaux  qu'inventèrent  contre  eux  les  cruels 
artifices  du  diable,  toujours  trop  habile  à  ébranler  la  foi  ?  Marien  fut  sus- 
pendu pour  être  déchiré  ;  en  sorte  que,  par  une  providence  spéciale  de 
Dieu,  le  supplice  même  du  martyr  était  vraiment  son  exaltation.  Le  nœud 
qui  le  tenait  en  l'air  lui  serrait,  non  les  mains,  mais  l'extrémité  des  doigts, 
afin  que  la  masse  du  corps,  supportée  par  des  membres  si  faibles,  augmentât 
la  douleur.  Même  on  eut  la  cruauté  de  lui  attacher  aux  pieds  des  poids  pe- 
sants ;  en  sorte  que,  tirée  en  sens  contraire,  la  charpente  entière  du  corps 
se  disloquait  ;  les  nerfs  étaient  brisés,  les  entrailles  déchirées  ;  mais,  ô  bar- 
bare impiété  des  gentils,  contre  le  temple  de  Dieu,  contre  le  cohéritier  du 
Christ,  tu  n'as  rien  fait  I  tu  as  suspendu  les  membres  d'un  martyr,  ouvert 
ses  flancs,  mis  à  nu  ses  entrailles  ;  mais  notre  Marien  a  placé  sa  confiance 
en  Dieu  ;  et  plus  se  sont  multipliés  les  tourments  de  son  corps,  plus  a  grandi 
son  courage.  Enfin  la  fureur  des  bourreaux  fut  vaincue,  et  il  fallut  le  recon- 
duire en  prison,  tout  joyeux  de  son  triomphe.  Là,  avec  Jacques  et  les  au- 
tres frères,  il  célébra,  par  des  prières  longues  et  ferventes,  la  victoire  du 
Seigneur. 

Gentils,  maintenant  qu'allez-vous  faire  ?  croyez-vous  que  des  chrétiens 
sentent  les  tourments  d'une  prison,  qu'ils  seront  effrayés  des  ténèbres  de  ce 
monde,  eux  qu'attendent  les  joies  de  l'éternelle  lumière?  leur  esprit,  forti- 
fié par  l'espérance  de  la  grâce  dont  il  va  bientôt  jouir,  embrasse  les  cieux 
dans  ses  nobles  élans,  et  il  n'est  plus  aux  supplices  dont  on  le  veut  punir. 
Eu  vain  les  hommes  chercheront,  pour  exercer  leurs  châtiments,  une  re- 
traite profonde,  les  sombres  horreurs  d'un  antre,  un  séjour  de  ténèbres  ; 
quand  on  espère  en  Dieu,  aucun  lieu  n'est  affreux,  aucun  temps  ne  parait 
triste.  Les  chrétiens  consacrés  à  Dieu,  leur  père,  reçoivent,  et  !e  jour  et  la 
nuit,  les  consolations  du  Christ,  leur  frère.  Ainsi  en  arriva-l-il  à  Marien. 
Après  les  tourments  dont  on  avait  déchiré  son  corps,  il  s'endormit  d'un 
sommeil  profond  et  tranquille  ;  et,  à  son  réveil,  il  nous  raconta  lui-même  en 
ces  termes  ce  que  la  divine  bonté  lui  avait  fait  voir  pour  soutenir  et  encou- 
ger  ses  espérances  :  «Mes  frères  »,  nous  disait-il,  «j'ai  vu  se  dresser  devant 
moi,  à  une  grande  hauteur,  un  tribunal  d'un  éclat  éblouissant,  sur  lequel 
siégeait  un  personnage  faisant  l'office  de  juge.  Il  dominait  une  estrade  où 
l'on  moniait  par  de  nombreux  degrés.  On  faisait  approcher  les  confesseurs 
un  à  un,  par  ordre,  devant  le  juge,  qui  les  condamnait  à  être  décapités, 
quand  tout  à  coup  j'entendis  une  voix  claire  et  puissante  qui  cria  :  «  Qu'on 


SAINTS   JACQUES,   MAREEN,    AGAPIUS,    EMILIEN,   MARTYRS   EN  NUMTDIE.  97 

amène  Mari  en  !»  et  aussitôt  je  montai  sur  l'estrade.  A  ce  moment,  j'aper- 
çus, assis  à  la  droite  du  juge,  Cyprien,  que  je  n'avais  point  encore  vu  ;  il  me 
présenta  la  main,  m'éleva  jusque  sur  le  plus  haut  degré  de  l'estrade  et  me  dit 
en  souriant  :  «  Viens  t'asseoir  avec  moi  » .  Je  m'assis  en  effet  ;  et  l'interroga- 
tion des  autres  confesseurs  continua.  A  la  fin,  le  juge  se  leva,  et  nous  le  con- 
duisîmes jusqu'à  son  prétoire.  Nous  marchions  à  travers  des  lieux  où  se  dé- 
ployaient d'agréables  prairies,  et  qu'embellissait  le  riant  feuillage  des  bois; 
de  hauts  cyprès  et  des  pins  dont  la  tête  s'élevait  jusqu'au  ciel,  étendaient 
au  loin  leur  ombrage  ;  on  eût  dit  que  la  verdure  des  forêts  environnait  ces 
lieux  comme  d'une  immense  couronne.  Au  milieu,  les  eaux  pures  d'une 
source  abondante  remplissaient  à  pleins  bords  un  vaste  bassin.  Mais  voilà 
que  tout  à  coup  le  juge  disparaît  à  nos  yeux  ;  alors  Cyprien,  prenant  une 
coupe  qui  par  hasard  se  trouvait  au  bord  de  la  fontaine,  la  remplit  de  nou- 
veau, me  la  présenta  et  j'en  bus  moi-même  avec  bonheur.  Enfin,  tandis  que 
je  rendais  grâces  à  Dieu,  le  son  de  ma  voix  m'éveilla  ». 

A  ce  récit,  Jacques  se  rappela  que  Dieu  avait  daigné  lui  montrer  la  cou- 
ronne qui  lui  était  réservée.  En  effet,  quelques  jours  auparavant,  Marien  et 
Jacques,  et  moi  avec  eux,  nous  voyagions  ensemble  sur  le  même  char.  Vers 
le  milieu  du  jour,  à  un  endroit  où  la  route  était  rocailleuse  et  difficile,  Jac- 
ques avait  été  saisi  d'un  sommeil  profond  ;  nous  l'appelâmes,  et  quand  il  se 
fut  éveillé  :  «  Mes  frères  »,  qous  dit-il,  je  viens  d'éprouver  une  grande  émo- 
tion; mais  c'est  la  joie  qui  transportait  mon  âme;  vous  aussi,  réjouissez- 
vous  donc  avec  moi.  J'ai  vu  un  jeune  homme  d'une  taille  prodigieuse  ;  il 
avait  pour  vêtement  une  robe  d'une  blancheur  si  éclatante,  que  les  yeux  ne 
pouvaient  la  contempler  ;  ses  pieds  ne  touchaient  pas  la  terre,  et  son  front 
se  cachait  dans  les  nuages.  Gomme  il  passait  rapidement  devant  nous,  il 
nous  jeta  deux  ceintures  de  pourpre,  une  pour  toi,  Marien,  et  une  pour 
moi,  et  il  nous  dit:  «  Suivez-moi  promptement  ».  Dans  un  tel  sommeil, 
quelle  force  contre  l'ennemi  !  quelle  veille  lui  peut  être  comparée  !  Qu'il 
est  heureux  le  repos  de  celui  qui  veille  dans  la  foi  !  Les  membres  terrestres 
seuls  sont  enchaînés,  car  il  n'y  a  que  l'esprit  qui  puisse  voir  Dieu.  Gomment, 
après  cela,  décrire  les  transports  de  joie  et  les  sentiments  généreux  de  nos 
martyrs,  qui,  sur  le  point  de  souffrir  pour  confesser  le  saint  nom  de  Dieu, 
avaient  eu  le  bonheur  d'entendre  le  Christ  et  de  le  voir  s'offrir  à  leurs  re- 
gards. Rien  n'avait  pu  l'arrêter,  ni  l'agitation  bruyante  d'un  char,  ni  la 
clarté,  ni  la  chaleur  du  jour,  au  milieu  de  sa  course.  Il  n'avait  point  attendu 
l'heure  silencieuse  de  la  nuit  ;  et,  par  une  grâce  spéciale  et  toute  nouvelle, 
il  avait  choisi,  pour  se  montrer  à  son  martyr,  un  temps  où  il  n'a  pas  l'habi- 
tude de  se  révéler  à  ses  saints. 

Au  reste,  les  deux  frères  ne  furent  pas  les  seuls  à  jouir  de  cette  faveur 
céleste.  Emilien,  qui,  dans  les  rangs  de  la  gentilité,  appartenait  à  l'ordre 
équestre,  était  aussi  en  prison  avec  les  autres  chrétiens.  Il  était  parvenu 
jusqu'à  l'âge  de  cinquante  ans  sans  avoir  perdu  le  privilège  de  la  chasteté. 
Il  avait  encore  redoublé  dans  la  prison  ses  longs  jeûnes;  ses  prières  plus 
multipliées  étaient,  avec  le  Sacrement  du  Seigneur,  la  seule  nourriture  qui, 
tous  les  jours,  soutenait  son  âme  et  la  préparait  au  combat.  Or,  Emilien 
également,  au  milieu  du  jour,  s'était  endormi,  et,  quand  il  s'éveilla,  il  nous 
raconta  en  ces  termes  les  secrets  de  sa  vision  :  «  Je  sortais  de  prison  » ,  nous 
dit-il,  «  quand  tout  à  coup  je  rencontrai  un  gentil,  mon  frère  selon  la  chair. 
D'une  voix  pleine  d'insulte  il  me  demanda  de  nos  nouvelles,  et  m'interrogea 
avec  curiosité  comment  nous  nous  trouvions  des  ténèbres  de  la  prison  et 
de  ses  jeûnes  forcés.  Je  lui  répondis  que,  pour  les  soldats  du  Christ,  la  pa- 
Yies  des  Saints.  —  Tome  V.  7 


98  30  AVRIL. 

rôle  de  Dieu  était,  au  milieu  des  ténèbres,  la  plus  éclatante  lumière,  et  dans 
les  jeûnes,  une  nourriture  qui  comble  tous  les  désirs.  A  ces  paroles,  il  re- 
prit :  «  Sachez,  vous  tous  qui  êtes  retenus  en  prison,  que  si  vous  vous  obsti- 
nez à  ne  pas  changer,  la  peine  de  mort  vous  attend  ».  Mais  moi,  qui  crai- 
gnais que  ce  ne  fût  un  mensonge  inventé  à  plaisir  pour  nous  tromper,  je 
voulais  la  confirmation  d'une  nouvelle  qui  comblait  tous  mes  vœux  :  «  Est- 
il  vrai  »,  lui  dis-je,  «  que  nous  souffrirons  tous?  »  Il  répéta  de  nouveau  ses 
premières  paroles,  et  dit  :  a  Bientôt  votre  sang  va  couler  sous  le  glaive.  Mais 
je  voudrais  savoir  si  vous  tous,  qui  méprisez  ainsi  la  mort,  vous  recevrez 
au  ciel  des  récompenses  égales,  ou  si  vos  couronnes  seront  différentes  ».  Je 
lui  répondis  :  «  Je  ne  suis  pas  capable  de  donner  un  sentiment  sur  une 
question  si  relevée.  Cependant»,  lui  dis-je,  «  lève  un  peu  les  yeux  vers  le 
ciel  ;  tu  y  verras  resplendir  l'innombrable  armée  des  étoiles.  Est-ce  que 
toutes  ces  étoiles  brillent  du  même  éclat  ?  et  la  lumière  daas  toutes  est-elle 
égale?  »  A  cette  réponse,  la  curiosité  du  gentil  trouva  encore  une  question 
à  faire  :  «  Si  donc  » ,  me  dit-il,  a  il  doit  y  avoir  entre  vous  une  différence, 
qui  sont  ceux  qui  mériteront  la  préférence  dans  les  bonnes  grâces  de  votre 
Dieu?  »  —  «  Entre  tous  les  autres,  lui  répondis-je,  il  y  en  a  deux  surtout 
dont  je  ne  dois  point  te  dire  les  noms,  mais  que  Dieu  connaît.  Ce  sont  ceux 
dont  la  victoire  est  plus  difficile  et  presque  sans  exemple  ;  plus  rare,  par  con- 
séquent, leur  couronne  est  plus  glorieuse.  C'est  pour  eux  qu'il  a  été  écrit  : 
Il  est  plus  facile  à  un  chameau  de  passer  par  le  trou  d'une  aiguille,  qu'à  un 
riche  d'entrer  dans  le  royaume  des  cieux  ». 

Après  ces  visions,  ils  demeurèrent  encore  quelques  jours  en  prison;  puis 
on  les  amena  de  nouveau  devant  le  tribunal,  afin  que  le  magistrat  de  Cirtha, 
non  content  des  premiers  châtiments  par  lesquels  il  avait  honoré  la  géné- 
reuse profession  de  leur  foi,  les  renvoyât  encore  au  préfet.  En  ce  moment, 
un  de  nos  frères,  qui  se  trouvait  parmi  les  spectateurs,  attira  sur  lui  les  yeux 
de  tous  les  gentils  ;  car,  ayant  eu  le  bonheur  de  proclamer  sa  foi,  il  sembla 
que  la  splendeur  du  Christ  éclatait  sur  son  visage  comme  dans  ses  paroles. 
Les  impies,  dans  l'emportement  de  leur  fureur,  lui  demandaient  si,  lui  aussi, 
il  était  de  la  religion  des  martyrs  et  portait  le  même  doid  qu'eux.  Aussitôt, 
par  une  prompte  confession  de  sa  foi,  il  mérita  de  partager  leur  bonheur. 
Ainsi  les  bienheureux  martyrs,  pendant  qu'on  les  préparait  au  supplice,  ga- 
gnèrent à  Dieu  de  nombreux  témoins.  Enfin,  on  les  envoya  au  préfet  ;  ils 
parcoururent  avec  joie  cette  route  difficile  et  pénible  ;  dès  leur  arrivée,  on 
les  présenta  à  ce  magistrat  ;  après  quoi  on  les  jeta  pour  la  seconde  fois  dans 
les  prisons  de  Lambôse.  Car  les  prisons,  c'est  la  seule  hospitalité  que  les 
gentils  sachent  donner  aux  justes. 

Durant  plusieurs  jours,  le  sang  fut  répandu  sans  pitié,  et  grand  nombre 
de  nos  frères  furent  envoyés  au  Seigneur  ;  cependant  la  rage  insensée  du 
préfet  ne  pouvait  arriver  jusqu'à  Marien  et  à  Jacques,  et  aux  autres  victimes 
d'entre  les  clercs  :  tant  étaient  nombreux  les  laïques  qui  étaient  frappés  ; 
car  cet  impie  cruellement  habile  avait  séparé  les  différents  Ordres  de  notre 
religion,  espérant  que  les  laïques,  ainsi  isolés  des  clercs,  céderaient  aux 
tentations  du  siècle  et  à  leurs  propres  terreurs.  C'est  pourquoi  nos  deux 
amis,  les  fidèles  soldats  du  Christ,  et,  avec  eux,  le  reste  des  clercs,  s'affligeaient 
que  les  laïques  les  eussent  devancés  au  combat  et  à  la  gloire,  et  qu'on  leur 
eût  réservé  à  eux  une  victoire  si  lente  et  si  tardive. 

Durant  cette  longue  attente,  Jacques  fut  consolé  par  une  nouvelle  vi- 
sion. Agapius,  ce  saint  pontife  dont  nous  avons  parlé,  avait,  depuis  long- 
temps déjà,  consommé  son  martyre.  Deux  jeunes  filles,  Tertulla  et  Antonia, 


SAINTS   JACQUES,    MARIEN,    AGAPIUS,   ÊMILIEN,    MARTYRS   EN  NUMTDIE.  99 

qu'il  aimait  d'une  tendresse  toute  paternelle,  avaient  souffert  avec  lui.  Sou- 
vent il  avait  demandé  à  Dieu  pour  elles  de  les  associer  à  son  martyre,  et 
Dieu  avait  daigné  récompenser  sa  foi,  lui  en  donnant  l'assurance  par  ces 
paroles  :  «  Pourquoi  demandes- tu  sans  cesse  ce  que  tu  as  mérité  depuis 
longtemps  par  une  seule  prière  ?  »  Or,  Agapius  apparut  à  Jacques  dans  sa 
prison,  au  milieu  du  sommeil.  En  effet,  sur  le  point  de  recevoir  le  coup  de 
la  mort,  pendant  qu'on  attendait  l'arrivée  du  bourreau,  on  entendit  Jac- 
ques qui  disait  :  «  Que  je  suis  heureux  !  je  vais  rejoindre  Agapius,  je  vais 
m'asseoir  avec  lui  et  tous  les  autres  martyrs  au  banquet  céleste.  Cette  nuit 
même,  je  l'ai  vu,  notre  bienheureux  Agapius  ;  au  milieu  de  tous  ceux  qui 
avaient  été  enfermés  avec  nous  dans  la  prison  de  Girtha,  il  paraissait  le  plus 
heureux  ;  un  joyeux  et  solennel  banquet  les  réunissait.  Marien  et  moi,  em- 
portés par  l'esprit  de  dilection  et  de  charité,  nous  y  courions  comme  à  des 
agapes,  lorsque  tout  à  coup  vint  au-devant  de  nous  un  jeune  enfant,  que  je 
reconnus  pour  un  des  deux  frères  jumeaux  qui,  trois  jours  auparavant, 
avaient  souffert  avec  leur  mère.  Un  collier  de  roses  était  passé  à  son  cou, 
et,  dans  sa  main  droite,  il  tenait  une  palme  d'une  riante  verdure.  «  Où  cou- 
rez-vous ?  »  nous  dit-il  ;  «  réjouissez-vous,  soyez  dans  l'allégresse  ;  demain 
vous  souperez  avec  nous  ».  Oh  !  qu'elle  est  grande,  qu'elle  est  magnifique  la 
bonté  de  Dieu  envers  les  siens  !  Quelle  tendresse  paternelle  dans  le  cœur  du 
Christ  Notre-Seigneur,  qui  donne  à  ses  enfants  bien-aimés  des  récompenses 
si  belles  et  leur  fait  connaître  à  l'avance  les  bienfaits  que  sa  clémence  leur 
réserve  ! 

Cependant  le  jour  a  succédé  à  la  nuit  dans  laquelle  cette  vision  a  été 
manifestée,  et  bientôt  la  sentence  du  préfet  va  servir  à  l'accomplissement  des 
promesses  de  Dieu.  C'est  une  condamnation,  mais  qui  affranchit  des  tribu- 
lations du  siècle  Marien  et  Jacques  avec  les  autres  clercs,  pour  les  rendre 
participants  de  la  gloire,  dans  la  société  des  Patriarches.  Ils  furent  donc 
conduits  au  lieu  de  leur  triomphe  ;  c'était  une  vallée  profonde,  traversée  par 
un  fleuve  dont  les  rivages  s'élevaient  doucement  en  colline,  et  formaient 
ainsi,  des  deux  côtés,  comme  des  degrés  d'un  amphithéâtre.  Le  sang  des 
martyrs  coulait  jusqu'au  lit  du  fleuve  ;  et  cette  scène  n'était  point  sans 
mystère  pour  les  saints  qui,  baptisés  dans  leur  sang,  allaient  encore  recevoir 
dans  les  eaux  comme  une  nouvelle  purification. 

Yous  eussiez  vu  alors  l'ingénieux  système  d'une  barbarie  qui  abrège  ses 
coups  pour  les  multiplier.  Environné  de  tout  un  peuple  de  martyrs  dont  la 
tête  est  destinée  au  glaive,  le  bourreau  les  a  disposés  avec  art  sur  de  lon- 
gues files,  en  sorte  que  ses  coups  sacrilèges  semblaient  courir  d'une  tète  à 
l'autre,  emportés  par  une  aveugle  fureur.  Ainsi  rien  n'arrêtait  son  cruel  mi- 
nistère ;  c'était  le  moyen  le  plus  prompt  pour  consommer  cette  barbare 
exécution.  Si,  en  effet,  il  les  eût  tous  frappés  à  la  même  place,  les  cadavres 
se  seraient  entassés  en  un  énorme  monceau  ;  le  lit  du  fleuve  lui-même, 
bientôt  comblé,  n'aurait  pas  suffi  à  un  si  épouvantable  carnage.  Suivant  la 
coutume,  avant  de  frapper  les  victimes,  on  leur  banda  les  yeux  ;  mais  les 
ténèbres  ne  purent  obscurcir  leurs  âmes  ;  une  lumière  vaste,  immense,  les 
inondait  de  ses  ineffables  splendeurs.  Un  grand  nombre,  malgré  le  voile  qui 
leur  dérobait  l'éclat  du  jour,  racontaient  à  leurs  compagnons  dans  la  mort 
et  aux  frères  témoins  de  leur  supplice,  qu'ils  voyaient  des  scènes  d'une 
merveilleuse  beauté,  des  coursiers,  plus  blancs  que  la  neige,  montés  par  des 
jeunes  gens  dont  les  robes  blanches  jetaient  un  vif  éclat.  D'autres,  en  même 
temps,  parmi  les  martyrs  aussi,  confirmaient  les  récits  de  leurs  compagnons, 
par  le  témoignage  d'un  autre  sens  ;  ils  avaient  entendu  les  frémissements 


100  30  AVRIL. 

des  coursiers  et  le  bruit  de  leurs  pas.  Quant  à  Marien,  déjà  rempli  de  l'es- 
prit de  prophétie,  il  annonçait,  avec  une  assurance  pleine  de  courage,  que  le 
jour  était  proche  où  le  sang  des  justes  allait  être  vengé.  Il  prédisait  les 
plaies  nombreuses  dont  le  monde  était  menacé,  la  peste  qui  allait  fondre 
du  ciel  sur  la  terre,  la  captivité,  la  famine,  les  tremblements  de  terre,  les 
déluges  d'insectes  dont  les  piqûres  seraient  mortelles.  Par  ces  prophéties, 
non-seulement  la  foi  du  Martyr  confondait  les  gentils  ;  elles  étaient  encore 
un  puissant  aiguillon,  ou  plutôt  comme  le  son  de  la  trompette  dans  les 
combats,  pour  exciter  et  fortifier  le  courage  des  frères,  leur  rappelant 
qu'au  milieu  des  plaies  affreuses  du  monde,  les  justes  de  Dieu  ne  devaient 
pas  laisser  échapper  l'occasion  si  belle  d'une  mort  pieuse  et  honorable  *. 

Quand  le  sacrifice  fut  achevé,  la  mère  de  Marien,  transportée  d'une  joie 
digne  de  la  mère  des  Machabées,  et  assurée  maintenant  du  sort  de  son  fils 
dont  le  martyre  était  consommé,  le  félicita  de  son  bonheur  et  s'applaudit 
elle-même  d'avoir  donné  le  jour  à  un  tel  fils.  Elle  embrassait  ce  corps  que 
ses  entrailles  avaient  porté  et  qui  faisait  aujourd'hui  sa  gloire.  Ses  lèvres, 
avec  une  religieuse  tendresse,  déposaient  de  nombreux  baisers  sur  la  plaie 
encore  sanglante.  0  Marie,  que  tu  es  heureuse  !  heureuse  d'être  la  mère 
d'un  tel  fils,  heureuse  de  porter  un  si  beau  nom  !  Qui  ne  croirait  pas  au 
bonheur  qu'apporte  avec  lui  un  nom  si  grand,  en  voyant  cette  nouvelle 
Marie  recevoir  une  pareille  gloire  du  fruit  de  ses  entrailles  ?  Vraiment  elle 
est  ineffable  la  miséricorde  du  Dieu  tout-puissant  et  de  son  Christ,  envers 
ceux  qui  ont  mis  leur  confiance  en  son  nom.  Non-seulement  sa  grâce  les 
prévient  et  les  fortifie,  mais  encore,  en  les  rachetant  de  son  sang,  il  leur 
donne  la  vie.  Qui  pourrait  mesurer  la  grandeur  de  ses  bienfaits  ?  Sa  pater- 
nelle miséricorde  opère  sans  cesse  et  répand  sur  nous  les  dons  que  la  foi 
nous  montre  comme  le  prix  du  sang  de  notre  Dieu.  A  lui  soient  la  gloire 
et  l'empire  dans  les  siècles  des  siècles  !  Amen 2  ». 

Saint  Jacques  et  saint  Marien  sont  patrons  de  Gubbio,  dans  l'Ombrie  : 
on  garde  leurs  reliques  dans  la  cathédrale-  de  cette  ville.  Leur  fête  se  célèbre 
en  Algérie,  le  30  mars. 

Ces  Actes  font  partie  de  la  collection  de  Dom  Ruinart. 

1.  Ces  maux  prédits  par  saint  Marien  furent  la  prise  de  Valérien  par  les  Perses  en  260,  la  fin  tragique 
de  ce  prince,  la  guerre  des  trente  tyrans,  la  peste,  etc.  —  Lambèse,  dont  il  est  question  dans  ce  récit, 
se  trouvait  a  douze  lieues  de  la  ville  actuelle  de  Constantine. 

2.  Le  Propre  d'Alger  nous  avait  appris  qu'on  avait  retrouvé,  près  du  fleuve  Roummel,  à  Constantine, 
l'ancienne  Cirtna,  une  inscription,  gravée  sur  le  roc,  qni  rappelle  le  martyre  de  saint  Jacques,  do  saint 
Marien  et  de  leurs  compagnons.  Nous  avons  été  assez  heureux  pour  découvrir  une  des  leçons  de  cette 
inscription  dans  les  Souvenirs  de  l'église  d'Afrique,  par  le  Père  Cahier.  Voici  cette  leçon  que  nous  accom- 
pagnons de  la  traduction  : 

PRIDIE.  KAL.  MAI.  PASSIO.  XC(?)  MARTVRORVM.  La  veille  des  calendes  de  mai,  passion  de  quatre- 

NOSTRATIVM  (î).  MARIANI.  ET.  vingt-dix  Martyrs,  nos  concitoyens   :   Marien  et 

IACOBI.  D(iaconi).  AGAPU.  E(piscopiî).  RVSTICI.  Jacques,  diacres;  Agapius,  évêque;  Rustique,  Cris- 

CKISPINI  (et).  ALT(erius?).  .EMILIANI.  pin,  et  un  autre;  Emilien,  Zenon  ;  Silvain,  évêque, 

ZEONIS.  SILBANI.  E(t).  C(om)PL(uriumî).  et  plusieurs  autres.  —  Saints  de  Dieu,  souvenez- 

SANCTI.  DEI.  MEMORAMINI.  IN.  CONSPECTV.  vous  devant   Notre-Seigneur    de  ceux  dont  vous 

D(o)M(i)N(i).  f  (Jesu  Christi?)  savez  bien  les  noms.  Que  nous  faut-il  de  plus? 
QVORVM.  NOMINA.  SCITIS.  SVFECIT  (suflncit?). 
IND(ictione).  XV. 

Il  y  a  un  barbarisme  dans  le  texte  latin  :  c'est  marlurorum.  «  Or  »,  dit  le  Père  Cahier,  «  il  ne  faut 
pas  reculer  devant  la  constatation  d'un  barbarisme  dans  les  monuments  africains  populaires.  On  en  ver- 
rait bien  d'autres  en  Italie,  où  la  sève  latine  pouvait  mieux  maintenir  le  purisme.  Mais  je  no  sache  pas 
de  formule  élégante  ou  simplement  correcte  qui  pût  valoir  mieux,  en  fait  d'inscription  chrétienne,  que 
cette  clause  :  Saints  de  Dieu,  souvenez-vous...  » 


SAINT  PULCHRONE,    CINQUIÈME  ÉVÊQUE   DE  VERDUN.  101 

SAINT  PULCHRONE, 

CINQUIÈME  ÉVÊQUE   (CONNU)  DE  VERDUN 


454-470.  —  Papes  :  Saint  Léon  Ier;  Hilaire;  Simplice.  —  Empereurs  :  Maxime;  Avit; 
Majorien;  Sévérus;  Anthémius. 


Tous  les  historiens  qui  ont  parlé  de  saint  Pulchrone,  ont  vu  en  lui  le 
second  fondateur  de  l'église  de  Verdun,  le  restaurateur  de  la  cité  presque 
entièrement  détruite  par  les  Barbares,  le  puissant  thaumaturge,  le  modèle 
des  vertus  épiscopales. 

La  famille  de  saint  Pulchrone  était  une  des  plus  illustres  de  la  Gaule- 
Belgique,  non-seulement  par  le  rang,  mais  encore  par  la  piété.  Les  bonnes 
œuvres  de  ses  parents  furent  si  agréables  à  Dieu  qu'il  leur  révéla  par  un 
ange  la  naissance  d'un  fils  qui  serait  une  lumière  dans  la  maison  du  Sei- 
gneur et  qui  apaiserait  le  courroux  du  ciel  irrité  contre  les  hommes. 

Il  naquit  à  Troyes  en  Champagne,  mais  son  père  et  sa  mère  faisaient 
souvent  leur  résidence  à  Verdun  ;  ils  moururent  quelques  années  après  la 
naissance  de  leur  fils  qui  fut  conduit  à  Toul,  chez  saint  Loup,  son  parent, 
où  il  fit  ses  premières  études.  Saint  Loup  ayant  quitté  le  monde  pour  se  re- 
tirer dans  le  célèbre  monastère  de  Lérins,  il  laissa  Pulchrone  à  Toul  pour  y 
continuer  ses  études.  Il  l'appela  à  Troyes,  lorsqu'il  fut  fait  évêque  de  cette 
ville,  et  l'emmena  avec  lui  dans  un  voyage  qu'il  fit  en  Angleterre  pour  y 
combattre  l'hérésie  pélagienne. 

Sous  un  tel  maître,  Pulchrone  parvint  à  un  très-haut  degré  de  science  et 
de  vertu  ;  ordonné  prêtre,  il  en  remplit  toutes  les  fonctions  avec  zèle  et  dis- 
crétion. 

L'église  de  Troyes  avait  alors  une  si  grande  réputation  que  toutes  les 
villes  des  Gaules  souhaitaient  avoir  pour  évêque  un  disciple  de  saint  Loup  ; 
c'est  ce  qui  porta  le  clergé  et  les  fidèles  de  Verdun  à  demander  saint  Pul- 
chrone pour  pasteur  ;  le  passage  des  Huns  avait  réduit  cette  ville  à  un  état 
pitoyable.  Saint  Loup  vit  du  bien  à  faire,  il  obligea  son  disciple  à  se  rendre 
aux  prières  d'un  diocèse  couvert  de  ruines.  Les  fidèles  étaient  dispersés  au 
loin  et  vivaient  comme  ils  pouvaient.  Le  nouveau  pasteur  rassembla  les  bre- 
bis dispersées  par  la  tempête.  Ses  premières  instructions  furent  très-tou- 
chantes. Il  les  exhortait  à  la  patience  et  à  la  résignation,  les  engageait  à 
apaiser  par  la  pratique  des  bonnes  œuvres  la  colère  de  Dieu  irrité  contre  les 
péchés  des  hommes.  Son  exemple  plus  encore  que  ses  discours  inclinait 
leurs  cœurs  vers  la  contrition.  Les  païens  voyant  les  chrétiens  s'humilier  et 
faire  pénitence  se  sentaient  portés  à  les  imiter. 

Après  avoir  rétabli  la  célébration  des  saints  mystères  et  les  autres 
exercices  de  la  religion  interrompus  par  les  ravages  des  Huns,  saint  Pul- 
chrone, en  fils  dévoué  de  l'Eglise,  fit  le  voyage  de  Rome  pour  visiter  le 
tombeau  des  Apôtres  et  demander  au  Saint-Siège  la  confirmation  de  son 
élection. 

A  son  retour,  il  publia  dans  son  diocèse  les  décisions  du  Concile  d'Ephèse 
qui  déclaraient  Marie,  Mère  de  Dieu,  et  fit  bâtir  dans  les  murs  de  Verdun 
une  basilique,  qu'il  dédia  sous  le  titre  de  la  nativité  de  Notre-Dame.  Dans 


102  30  AVRIL. 

le  temple  la  sainte  Vierge  fut  représentée  tenant  sous  ses  pieds  un  serpent 
pour  marquer  sa  victoire  sur  les  hérétiques  avec  cette  inscription  : 

THÉOTOCOS,   MÈRE   DE   DIEU;    CHRISTOTOCOS,    MÈRE  DU   CHRIST. 

C'est  sur  un  terrain  de  son  héritage  que  saint  Pulchrone  fit  bâtir  cette 
église  de  la  sainte  Vierge.  Pour  agrandir  la  part  du  Seigneur,  quelques 
habitants  lui  donnèrent  leurs  jardins,  situés  sur  le  penchant  de  la  montagne 
où  sont  encore  à  présent  l'évêché  et  la  cathédrale. 

Le  christianisme  fit  de  nouveaux  progrès  en  France,  après  les  invasions 
des  Barbares  ;  le  paganisme  disparut  presque  entièrement  sous  les  ruines 
des  vieilles  cités  gauloises  ;  et  ce  fut  sans  doute  pour  consacrer  ce  triomphe 
de  l'Evangile  que  saint  Pulchrone  fît  construire,  sur  le  point  le  plus  élevé 
de  la  ville,  une  basilique  assez  vaste  pour  contenir  les  fidèles  nouvellement 
convertis  et  qui  formèrent  dès  lors  la  majorité  de  la  population  verdu- 
noise.  Il  transféra  dans  la  nouvelle  église  le  siège  épiscopal  qui  avait  été 
jusqu'alors  dans  l'église  Saint-Pierre  et  Saint-Paul  hors  des  murs,  et  mit  la 
ville  ainsi  que  tout  le  diocèse  sous  la  protection  de  la  Sainte  Vierge.  Les 
décrets  du  Concile  d'Ephèse  (431)  et  du  Concile  de  Chalcédoine  (451),  en 
proclamant  les  divines  prérogatives  de  Marie,  avaient  puissamment  contri- 
bué à  populariser  son  culte.  C'est  à  partir  de  cette  époque  surtout  que  l'on 
dédia  un  grand  nombre  de  temples  en  son  honneur,  que  des  fêtes  furent 
instituées  en  mémoire  de  ses  mystères  et  que  les  évoques  la  choisirent  pour 
la  protectrice  spéciale  de  leurs  diocèses. 

On  serait  tenté  de  croire  que  les  écoles,  les  bibliothèques,  tous  les  do- 
cuments des  sciences  disparurent  dans  le  grand  cataclysme  des  invasions 
barbares.  Certes  bien  des  choses  périrent,  mais  l'amour  de  l'étude  resta, 
surtout  au  sein  du  clergé.  La  décadence  des  lettres  commença,  il  est  vrai, 
au  ve  siècle  ;  mais  cette  décadence  n'empêcha  pas  les  Gaules  de  produire  un 
grand  nombre  de  savants,  de  théologiens,  de  philosophes,  d'historiens,  de 
poètes  et  d'orateurs  distingués.  Leurs  ouvrages  ne  sont  pas  tous  venus  jus- 
qu'à nous.  Mais  ceux  que  nous  connaissons  prouvent  que  l'on  recevait  en- 
core dans  les  écoles  publiques  une  culture  intellectuelle  peu  commune.  La 
plupart  des  évêques  gaulois  du  ve  et  du  vie  siècle  étaient  choisis  dans  les 
rangs  des  lettrés  et  ils  devinrent  bientôt,  par  les  écoles  qu'ils  fondèrent,  les 
instituteurs  des  âges  qu'on  appelle  barbares,  «  dont  il  ne  faut  pas  nier  la 
barbarie,  mais  qu'on  aurait  cru  moins  ignorants,  si  on  les  avait  moins 
ignorés  ».  Ces  écoles  épiscopales  gardèrent  les  traditions  littéraires  jusqu'à 
la  création  des  écoles  monastiques,  et  à  ce  seul  titre  elles  mériteraient  d'être 
mieux  connues.  Saint  Pulchrone  en  établit  une  dans  sa  ville  de  Verdun. 
L'éclat  qu'elle  répandit  rejaillit  sur  le  clergé  de  tout  ce  diocèse.  De  nom- 
breux ouvriers  évangéliques  y  furent  formés,  qui  convertirent  le  reste  des 
idolâtres  :  l'office  divin  y  gagna  aussi  en  splendeur  et  en  régularité.  L'évê- 
que  donna  de  plus  tout  son  riche  patrimoine  à  l'église.  Les  revenus  en 
furent  employés  à  l'entretien  du  sanctuaire  et  à  la  construction  de  loge- 
ments pour  les  prêtres  avec  lesquels  il  vivait  en  commun  ;  telle  fut  la  pre- 
mière origine  du  Chapitre  de  Verdun. 

Le  saint  évêque  était  respecté  et  aimé  des  grands  et  des  petits  ;  il 
gagnait  à  Jésus-Christ  les  plus  obstinés  par  son  affabilité  insinuante,  par 
sa  vie  exemplaire  et  par  le  grand  nombre  de  miracles  qui  appuyaient 
les  vérités  sorties  de  sa  bouche  ;  son  visage  était  gai  et  ses  paroles  graves.  Il 
se  considérait  comme  une  victime  d'expiation  pour  les  péchés  de  son  peuple 
qu'il  voyait  exposé  au  danger  de  tomber  sous  la  domination  des  conque- 


SAINT   PULCHKONE,    CINQUIÈME  ÉVÊQUE   DE   VERDUN.  103 

rants  venus  d'au-delà  du  Rhin.  Les  guerres  civiles  divisaient  les  villes  et  les 
provinces  de  la  Gaule-Belgique  :  les  unes  étant  encore  soumises  aux  Romains, 
aux  mains  desquels  elles  allaient  bientôt  échapper  et  qui  les  chargeaient 
d'impôts  excessifs,  et  les  autres,  aux  Francs  qui  faisaient  tous  les  jours  de 
nouvelles  conquêtes.  Childéric,  leur  roi,  avait  forcé  les  généraux  romains 
d'abandonner  Cologne,  pris  Trêves  d'assaut  et  conquis  tout  le  pays  situé 
entre  le  Rhin  et  la  Meuse.  Verdun  qui,  cette  fois,  ne  fut  point  attaqué,  s'en 
crut  redevable  à  la  protection  de  son  saint  Pasteur. 

Ses  vertus  et  ses  travaux  furent  couronnés  par  une  mort  précieuse  le 
dernier  jour  d'avril  de  l'an  470.  Il  avait  travaillé  seize  ans  comme  évêque,  à 
faire  fleurir  la  science  et  la  piété  au  milieu  de  son  troupeau.  La  coutume 
romaine  d'enterrer  les  morts  le  long  des  grands  chemins  existait  encore  en 
ce  temps-là,  à  Verdun.  Saint  Pulchrone  fut  donc  enseveli  près  d'une  voie 
publique,  non  loin  de  la  porte  actuelle  de  la  citadelle.  On  éleva  sur  son 
tombeau  un  oratoire  qui  devint  dans  la  suite  l'église  paroissiale  de  Saint- 
Amant.  En  1625,  cette  église  occupait  encore  l'emplacement  où  sont  creusés 
aujourd'hui  les  fossés  de  cette  même  citadelle.  Dans  la  suite  des  temps,  les 
reliques  de  saint  Pulchrone  furent  transférées  partie  à  l'église  Saint-Pierre 
et  Saint-Paul,  partie  à  l'abbaye  de  Saint-Vannes.  Sa  fête  se  célèbre  à  Ver- 
dun, le  30  avril. 

MONUMENTS  ET  TRADITIONS. 

La  tradition,  qui  attribue  à  saint  Pulchrone  la  construction  de  la  cathédrale  de  Notre-Dame  de 
Verdun,  dans  l'intérieur  des  murs  de  la  cité  et  sur  l'emplacement  qu'elle  occupe  encore  aujourd'hui, 
est  consignée  dans  les  Bréviaires  de  ce  diocèse  en  ces  termes  :  «  Novam  ab  eo  intra  urbem  ba$i~ 
licam  a  fundamentis  mdificatam,  Deo,  sub  nascentis  Virginis  Deiparse  nomine,  fuisse  conse- 
cratam....  referunt  ». 

Roussel,  auteur  d'une  histoire  de  Verdun  publiée  en  1745,  n'admet  pas  que  saint  Pulchrone  ait 
dédié  son  église  sous  le  titre  de  la  Nativité  de  Notre-Dame,  et  il  refuse  à  Verdun  l'honneur  d'avoir 
célébré,  dès  le  v«  siècle,  cette  fête  de  la  Mère  de  Dieu.  Il  oppose  à  la  tradition  constante  for- 
melle de  l'église  de  Verdun,  deux  raisons  dont  la  première  ne  prouve  rien,  puisqu'elle  est  tirée 
du  silence  d'un  historien  du  IXe  siècle,  comme  si  cet  historien  ou  plutôt  cet  annaliste  avait  dû  ou 
pu  tout  dire.  La  seconde  est  basée  sur  l'interprétation  tout  à  fait  arbitraire  d'un  mot  de  saint  Ful- 
bert de  Chartres,  qui  dit,  dans  une  de  ses  homélies  pour  Notre-Dame  de  septembre,  «  qu'après 
l'institution  de  fêtes  pins  anciennes  et  plus  solennelles,  la  dévotion  des  fidèles  a  demandé  l'adjonc- 
tion de  la  fête  de  la  Nativité  célébrée  aujourd'hui  ».  —  Non  contenta  fuit  devotio  fidelium, 
quin  Nativitatis  solemne  superadderet  hodieinum.  —  Le  mot  hodiernum,  dans  un  sermon 
prêché  le  jour  de  la  fête  même,  n'indique  pas  le  moins  du  monde  qu'il  s'agisse  d'une  fête  instituée 
récemment.  D'ailleurs  le  texte  de  Fulbert,  qui  mourut  en  1029  (voir  sa  vie  ci-dessus  au  10  avril), 
si  on  le  prenait  dans  le  sens  de  Roussel,  n'exprimerait  qu'une  erreur  manifeste;  car  il  est  certain 
que  sous  le  pontificat  de  Sergius  Ier,  vers  l'an  688,  on  célébrait  cette  fête  à  Rome.  Les  sacramen- 
taires  de  saint  Grégoire  et  de  saint  Léon  le  Grand,  les  martyrologes  de  Bède,  d'Adon  etc.,  la 
mentionnent.  Si  ensuite  l'on  veut  absolument  que  saint  Fulbert  ait  parlé  d'une  institution  récente, 
cela  peut  être  vrai  pour  l'église  de  Chartres  et  non  pour  les  autres.  De  plus,  Du  Saussay,  dans  le 
martyrologe  gallican  au  8  septembre,  pense  que  saint  Maurille,  disciple  de  saint  Martin  et  de  saint 
Ambroise,  devenu  évêque  d'Angers,  institua  le  premier  la  fête  de  la  Nativité  de  la  sainte  Vierge 
dans  la  Gaule  :  ce  qui  expliquerait  le  nom  A' Angevine  autrefois  donné  à  Notre-Dame  de  septembre, 
de  même  qu'on  appelait  la  Normande  la  fête  de  l'Immaculée-Conception,  dont  la  célébration  com- 
mença en  Normandie  et  en  Angleterre.  Peut-on  conclure  de  tout  cela  que  la  fête  de  la  Nativité  de 
Notre-Dame  a  été  réellement  établie  à  Verdun  par  saint  Pulchrone  ?  Cette  conséquence  ne  serait 
pas  rigoureuse  ;  mais  ce  qui  est  certain,  c'est  que  rien,  absolument  rien,  n'infirme  la  tradition 
constante  de  l'église  de  Verdun,  qui  s'est  toujours  attribué  l'honneur  d'avoir  célébré  la  première 
ou  l'une  des  premières,  la  naissance  de  Marie.  Les  cartulaires,  les  livres  de  cérémonies,  les  plus 
anciens  Bréviaires,  appuient  cette  tradition  :  or,  c'est  une  bien  bonne  et  bien  solide  preuve  que 
celle  de  la  tradition  appuyée  des  monuments  ;  puisque  les  monuments  et  la  tradition,  les 
uns  étayant  l'autre,  attestent  que  de  temps  immémorial,  Verdun  a  célébré  la  Nativité  de  la 
sainte  Vierge,  comme  une  solennité  qui  lui  est  propre,  comme  la  fête  patronale  de  l'église  cathé- 
drale, et  eela  jusqu'à  la  révolution  de  1793  ;  puisque,  d'autre  part,  tradition  et  monuments  font 


104  30  AVRIL. 

à  saint  Pulchrone  l'honneur  de  cette  institution,  pourquoi  venir,  en  1745,  lui  ravir  cet  honneur? 

A  l'occasion  des  inscriptions  grecques  que  saint  Pulchrone  aurait  fait  graver  au-dessous  d'un 
bas-relief  représentant  la  sainte  Vierge  assise  et  écrasant  le  serpent,  il  est  bon  de  savoir  que  des 
inscriptions  du  même  genre  se  voient  encore  aujourd'hui  sur  un  pilier  de  la  cathédrale  de  Verdun. 
Mais  c'est  l'archidiacre  Wassebourg,  auteur  des  Antiquités  de  la  Gaule  belgique,  qui  ht  faire  au 
xvie  siècle  une  représentation  de  la  sainte  Vierge  écrasant  le  serpent,  et  placer  au-dessus  l'ins- 
cription Gsotoxo,-  et  X/5îaTox<35,  continuant  ainsi  la  tradition  qui  attribuait  à  saint  Pulchrone  un 
monument  de  la  même  façon,  conçu  dans  la  même  pensée,  exécuté  d'après  les  mêmes  données. 
C'est  une  chose  digne  de  remarque,  en  effet,  que,  depuis  bien  des  siècles,  on  ne  s'est  pas  contenté 
dans  l'église  de  Verdun,  des  mots  latins  Mater  Dei  et  Deipara  comme  expression  du  dogme  catho- 
lique, mais  qu'on  a  cru  devoir  exprimer  cette  vérité  par  les  paroles  grecques  du  concile  d'Ephèse. 
C'est  ainsi  qu'on  lit  dans  un  ancien  Bréviaire  de  cette  église,  qui  date  de  saint  Louis  :  Ave,  Theo- 
tokos,  virgo  Maria,  qux  firmam  mundi  regentem  machinaux  Filium  protulisti,  etc.  (troisième 
antienne  du  troisième  Nocturne  au  jour  de  l'Assomption).  Le  Bréviaire  de  1486  et  celui  de  1560 
conservèrent  cet  usage  dans  les  offices  de  l'Assomption,  de  l'Annonciation,  etc.  En  insérant  dans 
l'inscription  de  son  monument  les  mots  grec  Theotokos,  Christotokos,  employés  fréquemment  par 
le  concile  de  Chalcédoine,  Wassebourg  a  sans  doute  voulu  faire  allusion  à  l'ancienne  liturgie  de 
Verdun,  qui  employait  très-souvent  ces  ternies  dans  les  offices  de  la  bienheureuse  Vierge. 

Le  curieux  monument  élevé  par  la  piété  de  Wassebourg,  se  trouve  dans  la  chapelle  de  la  sainte 
Vierge,  sur  le  mur  qui  fait  face  à  l'autel.  Les  terroristes  le  mutilèrent  en  1793. 

Dans  la  partie  supérieure  du  bas-relief,  on  lit  l'ingénieux  distique  suivant,  où  l'on  fait  dire  à 
la  sainte  Vierge  : 

Sum  quod  eram,  nec  eram  quod  sum;  nunc  dicor  Je  suis  ce  que  j'étais;  mais  je  n'étais  pas  ce  que 

[utrumqne.        Je  suis  :  actuellement  je  suis  l'un  et  l'autre. 
Christiferam  pletatis  heram  cole  me,  geni  tunique.  Honorez  mon  fils;  honorez  en  moi    le    Porte- 

Christ,  la  Mère  de  miséricorde. 

Au  centre  du  bas-relief,  la  Vierge  est  assise  et  couronnée.  De  la  main  droite  elle  tient  un  lis, 
symbole  de  la  virginité,  et  de  la  main  gauche  elle  soutient  l'enfant  Jésus,  qui  lui-même  porte  le 
globe  du  monde  surmonté  d'une  croix.  A  ses  pieds,  Marie  foule  le  dragon  infernal. 

Or,  précisément  à  la  hauteur  de  la  tête  de  la  Vierge,  on  lit  ces  deux  inscriptions  caractéris- 
tiques : 

à  droite  :  à  gauche  : 

XplSTOTOxbç,  @£OTOXOSt 

Mater  Christi.  Mater  Dei. 

Au  dessous  et  à  peu  près  au  droit  des  pieds  de  la  Vierge  est  agenouillé,  les  mains  jointes 
bien  dévotement,  le  pieux  archidiacre  à  qui  l'on  doit  ce  monument.  Il  adresse  à  Marie  cette  humble 
prière,  qui  court  sur  un  cartouche  trois  fois  enroulé  : 

Dignare  me  laudare  te,  Virgo  sacrata.  0  Vierge  sainte,  souffrez  que  Je  vous  loue. 

Au-devant  de  lui  sont  ses  armoiries  à  la  stoïque  devise,  dont  l'énergique  brièveté,  empruntée. 
du  paganisme,  résume  toute  la  morale  chrétienne  : 

Abstine  et  sustine.  Abstiens-toi  et  réslgne-tol. 

En  face  de  l'archidiacre  et  sur  le  même  plan  sont  six  enfants  de  chœur,  qui  envoient  vers  la 
ciel  les  paroles  de  cette  strophe,  distribuées  sur  quatre  cartouches  : 

Monstra  te  esse  matrem  :  Montrez-vous  notre  Mère  : 

Sumat  per  te  preces,  Qu'il  reçoive  par  vos  mains  notre  prière, 

Qui  pro  nobis  natus,  Celui  qai,  né  pour  notre  salut, 

Tulit  esse  tuus.  A  bien  voulu  devenir  votre  fils. 

Au  bas,  dans  toute  la  largeur  de  l'encadrement,  la  signification  de  cette  sculpture  se  résume 
dans  cette  légende  : 

Hsec  contrivit  caput  serpentis  antiqui,  quae  sola  Voici  celle  qui  a  brisé  la  tête  du  serpent,  qui,  à 

eunctas   haereses   interemit  et,  Virgo    permanens,        elle  seule,   a  détruit  toutes  les  hérésies,  et,  tout 
Deum  et  hominem  genuit.  en  demeurant   vierge,  a   mis    au    monde   Jésus- 

Christ,  Dieu  et  homme. 

Enfin,  plus  bas  encore  et  en  dehors  du  cadre  se  trouve  cette  inscription  en  lettres  gothiques  : 

Représentation  de  l'image  Nostre-Dame  de  Verdun,  ordonnée  par  sainct  Pulchrone,  cinquième  euesque 
d'icelle  Cité,  selon  le  décret  du  Concilie  de  Calcedone  :  Ou  il  fut  présent  quant  les  hérésies  contre  Ift 


SAINT  HAMON  OU  AYMON,   RELIGIEUX  DE  L  ABBAYE  DE   SAYIGNY. 


105 


Vierge  Marie  furent  confondues.  Et  décrété  que  désormais  serait  appellée  Christotokos  et  Theotokot  ; 
C'est-à-dire  mère  de  Christ  et  mûre  de  Dieu,  En  l'an  de  grâce  quatre  cent  cinquante-doux. 

Cette  image  est  en  bois,  et  Wassebourg  l'a  fait  graver  au  commencement  de  son  livre  des 
Antiquités  de  la  Gaule  belgique. 

On  aura  remarqué  que  la  dernière  inscription  fait  assister  saint  Pulchrone  au  concile  de  Chal- 
cédoine  ;  mais  ce  dire  n'est  pas  soutenable,  puisque  saint  Pulchrone  ne  fut  ordonné  évèque  qu'en 
454,  trois  ans  après  la  tenue  de  ce  concile.  Y  a-t-il  assisté  comme  simple  prêtre,  ou  l'aura-t-on 
confondu  avec  deux  autres  Pulchrone  ou  Polychrone,  l'un  évêque  d'Antipatride  en  Palestine,  et 
l'autre  d'Epiphanie  en  Asie  Mineure  ?  Cette  dernière  hypothèse  explique  d'une  manière  assez  plau- 
sible l'erreur  dans  laquelle  est  tombé  à  ce  sujet  l'auteur  des  Antiquités  de  la  Gaule  belgique. 

Bien  que  notre  intention  ne  soit  pas  de  soutenir  que  l'idée  de  représenter  la  sainte  Vierge  de 
la  manière  que  nous  venons  de  dire,  remonte  à  saint  Pulchrone  lui-même,  tout  en  constatant  que 
le  pieux  archidiacre  de  Verdun,  Wassebourg,  s'est  fait  l'écho  d'une  tradition  respectable,  nous  ne 
pouvons  nous  empêcher  de  répondre  à  une  dernière  objection,  qui  a  été  faite  au  nom  de  la  cri- 
tique des  deux  derniers  siècles,  de  cette  critique  si  prétentieuse  et  pourtant  si  ignorante.  On  a  donc 
dit,  sans  le  prouver,  bien  entendu,  que  la  coutume  de  représenter  la  Vierge  écrasant  le  serpent  sous 
ses  pieds,  ne  s'est  introduite  que  depuis  les  discussions  sur  V Immaculée-Conception.  Ou  peut 
croire,  répondrons-nous,  que  ce  symbole  devint  alors  plus  général  ;  mais  il  y  avait  longtemps  que  l'on 
représentait  le  dragon  infernal  sous  les  pieds  de  saint  Michel,  de  saint  Georges,  de  sainte  Margue- 
rite, etc.  La  malédiction  prononcée  à  l'origine  contre  le  séducteur  de  la  première  Eve  :  —  Ipsa 
conteret  caput  tuum  :  Elle  t'écrasera  la  tète,  —  fit  naître  de  bonne  heure  l'idée  d'introduire  le 
même  emblème  dans  les  images  de  Celle  que  les  Pères  de  l'Eglise  surnommaient  la  seconde  Eve. 
La  critique  n'avait  sans  doute  pas  lu  Prudence,  poète  du  ive  siècle,  qui  semble  décrire  dans  ces 
beaux  vers  l'image  de  Notre-Dame,  attribuée  à  saint  Pulchrone  : 


Hoc  odium  vêtus  illuderat, 
Hoc  erat  aspidis  atque  hominis 
Digladiabile  discidium, 
Quod  modo  cernua  femineis 
Vipera  proteritur  pedibus. 

Edere  namque  Deum  mérita, 
Oninia  Virgo  venena  doniat  : 
Tractibus  anguls  inexplicitis 
Virus  inerme  piger  revomit, 
Gramine  concolor  in  viridi. 

Hymn.  ante  eibum,  v.  146-155. 


L'antique  haine  du  serpent  fut  la  source  de  la 
séduction  ;  c'est  parce  qu'il  règne  entre  les  enfants 
des  hommes  et  lui  une  éternelle  inimitié  que  la 
vipère  est  humiliée,  foulée  aux  pieds  de  la  femme. 

La  vierge  qui  a  mérité  de  mettre  un  Dieu  au 
inonde,  triomphe  de  tous  les  poisons.  Sous  son 
étreinte,  le  reptile  indolent,  aux  anneaux  tortueux 
vomit  sur  le  gazon  son  glauque  virus,  désormais 
inoffensif. 


Consulter  l'Histoire  ecclésiastique  et  civile  de  Verdun,  augmentée,  nouv.  éd.,  Bar-le-Duc,  1863;  Oza- 
nam,  Etudes  germaniques,  t.  n,  p.  386. 


SAINT  HAMON  OU  AYMON, 

RELIGIEUX  DE  L'ABBAYE  DE  SAYIGNY  EN  NORMANDIE 
1173.  —  Pape  :  Alexandre  III.  —  Roi  de  France  :  Louis  VII. 


Ce  Saint  vit  le  jour  dans  le  diocèse  de  Rennes,  vers  le  commencement 
du  xue  siècle.  Le  surnom  de  Landachop,  qu'il  porta  en  religion,  fait  croire 
qu'il  naquit  à  Landecob,  village  de  la  paroisse  de  Saint-Etienne  -en-Cogles. 
Ses  parents,  qui  appartenaient  à  une  bonne  famille,  et  qui  étaient  très-ver- 
tueux, lui  inspirèrent,  dès  son  bas  âge,  la  crainte  de  Dieu.  Né  avec  le  plus  heu- 
reux naturel,  il  se  montra  remarquable  surtout  par  sa  docilité,  sa  simplicité 
et  sa  douceur.  Le  Seigneur  ayant  accordé  à  ce  vertueux  jeune  homme  une 
intelligence  peu  commune,  il  fit  ses  études  avec  succès,  et,  pendant  qu'il 
resta  dans  le  siècle,  il  donna  de  sa  capacité  des  preuves  non  équivoques  ; 
mais  les  avantages  qu'il  pouvait  y  trouver  ne  le  rassurèrent  pas  contre  les 


106  30  AVRIL. 

dangers  qui  y  menacent  la  vertu  :  aussi  prit-il  le  parti  de  le  fuir  et  d'em- 
brasser l'état  religieux.  L'abbaye  de  Savigny,  fondée  par  saint  Vital  dans  le 
diocèse  d'Avranches,  et  peu  éloignée  du  lieu  de  la  naissance  de  Hamon,  fut 
celle  qu'il  choisit  pour  le  lieu  de  sa  retraite.  Il  s'y  présenta,  et  fut  reçu  avec 
bonté  par  saint  Geoffroy,  qui  gouvernait  alors  cette  maison.  A  peine  le 
nouveau  postulant  était-il  entré  au  noviciat  et  commençait-il  à  goûter  les 
douceurs  de  la  religion,  qu'il  fut  faussement  soupçonné  d'être  lépreux  et  en 
danger  d'être  renvoyé.  Il  évita  cette  disgrâce,  qu'il  craignait  beaucoup,  en 
demandant  à  aller  servir  deux  religieux  de  ce  monastère,  qui  étaient,  eux, 
réellement  atteints  de  cette  horrible  maladie,  et  qui  se  trouvaient  dans  un 
bâtiment  séparé,  nommé  le  Désert.  Son  abbé  ayant  favorablement  accueilli 
sa  demande,  Hamon  s'y  rendit,  et  se  fît  le  serviteur  de  ces  pauvres  infirmes. 

Pendant  que  les  deux  religieux  prenaient  leur  repos,  Hamon  se  dérobait 
secrètement,  et  se  retirait  dans  la  chapelle  de  la  maison,  où  il  s'occupait 
tantôt  à  chanter  des  psaumes,  tantôt  à  prier,  le  corps  prosterné  ;  il  se  livrait 
à  ce  saint  exercice  avec  tant  d'assiduité,  il  avait  si  peu  de  soin  de  lui,  qu'on 
l'a  vu  plusieurs  fois  tomber  en  défaillance.  La  communauté  reconnut  enfin 
qu'il  n'était  nullement  lépreux,  et,  après  qu'il  eut  passé  un  assez  long  temps 
d'épreuves  dans  le  Désert,  il  fut  admis  à  faire  sa  profession  ;  avantage  après 
lequel  il  soupirait  vivement,  et  qui  contribua  encore  à  augmenter  sa  ferveur. 
Elle  parut  si  remarquable  à  saint  Geoffroy,  son  abbé,  qu'il  crut  devoir  l'ap- 
peler aux  ordres  sacrés,  et,  plus  tard,  le  faire  élever  à  la  prêtrise. 

Revêtu  de  cet  auguste  caractère,  saint  Hamon  se  montra  un  homme  nou- 
veau. La  sainteté  du  sacerdoce  le  pénétrait  si  vivement,  qu'il  en  était  tout 
absorbé ,  et  que,  souvent,  il  oubliait  de  prendre  la  nourriture  corporelle.  On  sent 
assez  quelle  confiance  devait  inspirer  un  prêtre  si  plein  de  ferveur  :  aussi  saint 
Geoffroy  le  chargea-t-il  bientôt  de  l'emploi  de  confesseur  de  la  commu- 
nauté. Le  serviteur  de  Dieu  ne  trompa  pas  l'espoir  que  son  abbé  avait  conçu 
de  son  zèle  et  de  sa  capacité.  Il  produisit  de  grands  fruits  dans  le  tribunal 
de  la  pénitence  ;  et  sa  réputation  se  répandit  tellement  dans  divers  couvents 
de  femmes  de  la  province,  que,  plus  d'une  fois,  il  se  vit  obligé  de  quitter 
son  cloître  pour  les  assister  dans  leurs  besoins  spirituels.  Les  plus  remar- 
quables de  ses  disciples  furent  saint  Pierre  d'Avranches,  religieux  de  Savi- 
gny, et  la  bienheureuse  Bergoigne,  religieuse  de  Mortain,  tous  deux  célèbres 
par  la  sainteté  de  leur  vie.  Il  les  dirigea  l'un  et  l'autre  jusqu'à  leur  mort, 
et,  peu  de  temps  après  leur  décès,  Dieu  lui  donna  la  consolation  de  les  voir 
dans  la  gloire.  Saint  Pierre  d'Avranches  lui  apparut  tout  éclatant  de  lumière, 
et  lui  fit  connaître  l'état  heureux  dans  lequel  il  se  trouvait. 

Ce  n'était  pas  seulement  aux  personnes  consacrées  à  Dieu  que  Hamon  se 
rendait  utile.  Sa  vertu  si  pure  et  si  parfaite  lui  gagnait  la  confiance  des 
grands  et  des  gens  du  monde,  qui  lui  faisaient  l'aveu  de  leurs  faiblesses, 
écoutaient  avec  respect  ses  sages  conseils,  et  en  profitaient,  tant  pour  régler 
leurs  mœurs  que  pour  se  livrer  à  la  pratique  des  bonnes  œuvres.  Lorsqu'il 
se  présentait  à  lui  des  personnes  dont  la  conscience  était  chargée  de  quel- 
ques fautes  considérables,  il  ne  se  contentait  pas  d'agir  à  leur  égard  en  juge 
et  en  médecin,  il  se  rendait  aussi  leur  intercesseur  auprès  de  Dieu,  et  tâchait, 
par  les  plus  ferventes  prières,  de  faire  descendre  sur  eux  l'esprit  de  com- 
ponction. Souvent  il  lui  a  été  révélé,  dans  cette  occupation  sainte,  que  ceux 
pour  qui  il  demandait  miséricorde,  s'en  étaient  rendus  indignes  par  un 
endurcissement  volontaire.  Les  remèdes  qu'il  appliquait  aux  péchés  des 
autres  ne  le  rassuraient  pas,  et,  souvent,  il  tremblait  pour  lui-même,  et 
appréhendait  qu'il  ne  lut  pas  assez  guéri  des  plaies  que  le  commerce  du 


SAINT  HAMON   OU  AYMON,   RELIGIEUX  DE  L'ABBAYE  DE   SAVIGNT.  107 

siècle  avait  faites  à  son  âme,  avant  son  entrée  dans  la  religion.  C'est  ce  qui 
était  cause  qu'il  n'approchait  de  l'autel  qu'avec  une  sainte  frayeur.  Outre 
une  pureté  de  vie  où  sa  conscience  délicate  ne  souffrait  la  trace  d'aucune 
tache,  il  apportait,  dans  la  célébration  des  saints  mystères,  une  attention  si 
vive  à  toutes  les  cérémonies  et  à  toutes  les  paroles,  qu'il  ne  lui  échappait 
rien  sur  quoi  ses  réflexions  n'agissent  d'une  manière  qui  lui  rendait  le  passé 
comme  présent,  et  qui  a  donné  lieu  de  dire  qu'il  voyait  véritablement  les 
choses  mystérieuses  qui  faisaient  la  matière  de  son  application.  Ainsi  quand 
il  disait,  à  la  consécration  :  «  Le  jour  qui  précéda  celui  auquel  il  souffrit,  il 
prit  du  pain,  etc.  »,  les  yeux  de  son  âme  voyaient  distinctement  le  divin 
Sauveur,  dont  il  parlait,  prendre  le  pain  et  le  bénir.  Quand  il  invitait  l'ange 
de  Dieu  à  présenter,  devant  le  trône  de  Sa  Majesté,  l'offrande  sacrée,  son 
esprit  voyait  à  l'instant  l'exécution  de  ses  prières  dans  le  ministère  des 
anges.  S'il  priait  Dieu  d'agréer  son  offrande  comme  il  avait  reçu  celles 
d'Abraham  et  de  Melchisédec,  il  voyait  de  quelle  manière  son  offrande  était 
accompagnée,  aux  yeux  de  Dieu,  de  celles  de  ces  saintes  âmes.  Il  était  heu- 
reux d'avoir  toujours  apporté  une  attention  nouvelle  au  plus  redoutable  de 
nos  mystères,  et  à  celle  de  toutes  nos  actions  qui  mérite  le  plus  toute  notre 
attention  et  tout  le  recueillement  de  notre  esprit,  comme  les  biens  que 
nous  y  recevons  méritent  toute  la  reconnaissance  de  notre  cœur. 

Le  Seigneur,  qui  se  plaît  à  se  communiquer  aux  âmes  innocentes,  favo- 
risa son  serviteur  de  ces  grâces  précieuses  qu'il  réserve  d'ordinaire  pour  ses 
plus  chers  amis.'  C'était  surtout  pendant  la  célébration  des  saints  mystères 
que  saint  Hamon  recevait  ces  marques  particulières  de  la  bonté  de  Dieu  qui 
remplissaient  son  âme  des  plus  douces  consolations.  L'historien  de  sa  vie 
assure  qu'un  jour,  pendant  le  saint  sacrifice  et  au  moment  de  prononcer 
les  paroles  saintes  de  la  consécration,  Hamon  eut  une  vision  dans  laquelle 
il  vit  Jésus-Christ  qui  était  debout,  le  visage  tourné  vers  l'Orient  et  qui  par 
un  signe  lui  exprima  sa  satisfaction.  Il  en  éprouva  une  joie  si  grande  que 
pendant  quelques  instants  il  en  perdit  l'usage  de  ses  sens.  Lorsqu'il  fut  re- 
venu à  lui,  il  conserva  de  cette  vision  un  souvenir  si  vif  et  si  constamment 
présent,  qu'il  ne  pouvait  plus  accorder  aucune  attention  aux  objets 
créés. 

Les  supérieurs  du  monastère  de  Savigny  jugèrent  à  propos  de  charger 
Hamon  du  soin  des  frères  convers  de  la  maison.  C'était  un  emploi  difficile, 
parce  que  la  plupart  de  ces  frères  étaient  des  hommes  grossiers  et  ignorants, 
qui,  après  être  entrés  dans  la  voie  de  la  perfection,  regardaient  bientôt  en 
arrière  et  faisaient  peu  de  progrès  dans  la  vertu.  Quelques-uns  même  re- 
tournaient dans  le  monde  pour  pouvoir  y  vivre  à  leur  fantaisie.  Le  serviteur 
de  Dieu  s'affligeait  beaucoup  de  leur  conduite,  et  pensait  qu'elle  pouvait 
être  causée  par  quelque  négligence  ou  quelque  autre  défaut  de  sa  part.  Il 
attribuait  aussi  à  son  incapacité  le  départ  de  ces  malheureux  fugitifs,  et 
craignait  que  le  Seigneur  ne  lui  demandât  un  jour  compte  de  leurs  âmes. 
Un  jour  qu'il  était  encore  à  ce  sujet  plus  accablé  qu'à  l'ordinaire,  il  vit,  pen- 
dant la  messe  et  au  moment  de  la  communion,  Jésus-Christ  attaché  à  la 
croix,  mais  plein  de  vie,  ayant  la  tête  penchée  du  côté  droit,  et  qui  lui 
parla  de  cette  manière  :  «  Si,  tout  innocent  que  je  suis,  j'ai  souffert  de  si 
grands  maux  pour  l'amour  de  vous,  n'est-il  pas  bien  juste  que  vous  comp- 
tiez pour  rien  la  peine  que  vous  endurez  pour  moi  ?  »  Au  même  moment  le 
cœur  du  saint  religieux  fut  pénétré  d'une  si  grande  consolation  et  de  tant 
de  douceur,  qu'il  crut  fermement  que  cette  apparition  n'avait  eu  lieu  que 
pour  le  tirer  de  l'anxiété  dans  laquelle  il  se  trouvait,  et  pour  le  délivrer  des 


108  30  AVRIL. 

peines  qu'il  éprouvait  au  sujet  de  ses  frères.  Cette  faveur  spirituelle  le  com- 
bla de  joie,  et  il  n'en  parlait  qu'avec  transport. 

Hamon  eut  la  consolation  d'apprendre  l'état  bienheureux  dans  lequel  se 
trouvaient  les  âmes  de  son  père  et  de  sa  mère. 

On  assure  que  ce  saint  religieux  connaissait  le  secret  des  cœurs,  et  que 
Dieu  lui  découvrit  le  triste  état  dans  lequel  se  trouvait  un  de  ses  confrères, 
qui,  dépositaire  infidèle,  avait  gardé  pour  lui  de  l'argent  qu'il  était  chargé 
de  distribuer  en  aumônes.  Ce  saint  homme  possédait  aussi  le  talent  de  la 
persuasion,  et  Guillaume  de  Toulouse,  entre  autres,  en  fit  l'épreuve.  C'était 
un  célèbre  docteur  de  Caen,  qui,  étant  pénétré  pour  Hamon  delà  plus  haute 
estime,  était  venu  le  voir  et  lui  avait  témoigné  le  désir  de  se  consacrer  au 
service  de  Dieu  à  Savigny.  Il  manifestait  en  même  temps  le  dessein  de  re- 
tourner à  Caen  pour  arranger  ses  affaires  temporelles,  et  promettait  de  re- 
venir sans  trop  de  délai.  Quelques  abbés  de  l'Ordre  de  Gîteaux,  qui  se  trou- 
vaient sur  les  lieux,  et  auxquels  il  communiqua  ses  intentions,  les  combat- 
tirent fortement,  et  voulurent  lui  faire  voir  combien  il  était  dangereux  pour 
sa  vocation  qu'il  rentrât  dans  le  monde.  Tous  leurs  efforts  furent  inutiles, 
et  Guillaume  n'en  resta  pas  moins  dans  la  résolution  de  faire  ce  voyage.  Ces 
abbés  s'étant  ensuite  retirés,  Hamon  vint  trouver  en  particulier  le  docteur, 
lui  parla  avec  tant  de  douceur  et  d'un  ton  si  persuasif,  qu'il  eut  bientôt  à  se 
réjouir  d'un  succès  que  les  abbés  réunis  n'avaient  pu  obtenir.  Il  se  chargea 
d'aller  lui-même  à  Caen  mettre  en  ordre  les  affaires  du  docteur,  qui,  tran- 
quille désormais,  ne  songea  plus  qu'à  se  consacrer  à  Dieu,  dans  la  maison 
où  il  se  trouvait  alors.  Son  mérite  le  fit  choisir  dans  la  suite  pour  gouverner 
en  qualité  d'abbé  le  célèbre  monastère  de  Cîteaux,  où  il  fut  remarquable 
par  sa  tendre  compassion  envers  les  pauvres  et  les  affligés.  Il  y  mourut 
en  H  75. 

Comme  il  n'y  avait  dans  l'abbaye  aucun  religieux  plus  saint  que  Hamon, 
ce  fut  aussi  à  lui  seul  que  l'on  donna  le  soin  de  toucher  et  de  distribuer 
quelques  reliques  des  Saints,  dont  la  maison  avait  été  enrichie  par  son 
moyen.  Il  ne  portait  la  main  à  ces  précieux  restes  des  temples  vivants  du 
Saint-Esprit,  qu'avec  tremblement  :  et  sans  les  miracles  qui  accompa- 
gnaient souvent  ce  religieux  exercice,  il  aurait  eu  peine  à  se  résoudre  de  le 
continuer,  tant  il  avait  peur  d'être  puni,  comme  téméraire,  d'une  action 
dont  personne  n'était  plus  digne  que  lui.  Ce  n'était  pas  seulement  aux  reli- 
ques des  Saints  qu'il  avait  une  dévotion  si  vive  et  si  respectueuse;  il  honorait 
aussi  leur  mémoire,  et  faisait  construire  des  oratoires  sous  leur  invocation. 
Plusieurs  chapelles  des  environs  de  Savigny  ont  été  pendant  longtemps  des 
preuves  subsistantes  de  son  zèle  pour  le  culte  des  amis  de  Dieu  qui  sont  en 
possession  de  la  gloire  éternelle. 

On  met  au  nombre  de  ses  miracles  ce  qui  lui  arriva  à  l'égard  d'une  reli- 
gieuse d'une  abbaye  par  où  il  passa  dans  un  de  ses  voyages.  Cette  religieuse 
étant  à  l'extrémité,  souhaita  que  le  Saint  entendît  sa  confession.  Hamon 
ne  put  lui  refuser  son  ministère  dans  une  occasion  si  pressante  ;  mais  il  se 
hâtait  aussi  de  retourner  à  son  monastère  où  l'obéissance  le  rappelait.  La 
religieuse  mourante  témoigna  beaucoup  de  douleur  de  son  départ,  et  le 
Saint,  touché  de  son  affliction,  lui  dit  avec  une  simplicité  pleine  de  con- 
fiance :  «  Il  faut  que  j'obéisse,  et  que  je  m'en  retourne;  mais  attendez  pour 
mourir  que  je  sois  revenu  ».  Il  partit  aussitôt,  et  étant  revenu  quel- 
ques jours  après,  il  trouva  que  la  mort  avait,  pour  ainsi  dire,  respecté  ses 
ordres.  Il  semblait  que  cette  bonne  religieuse  n'attendait  plus  que  la  béné- 
diction de  Hamon  pour  aller  jouir  de  la  béatitude;  aussitôt  qu'elle  l'eut 


SAINT  HAMON  OU   AYMON,  RELIGIEUX  DE  L' ABBAYE  DE   SAVIGNY.  109 

revu,  et  entendu  les  discours  édifiants  dont  il  était  venu  la  fortifier  dans  ce 
terrible  passage,  elle  rendit  tranquillement  son  esprit  à  Dieu. 

L'abbaye  de  Savigny  n'avait,  du  temps  de  saint  Hamon,  qu'une  église 
étroite,  et  qui  tombait  en  ruines.  Saint  Vital  l'avait  bâtie  ;  mais  elle  n'était 
plus  en  proportion  du  nombre  des  religieux  que  renfermait  cette  maison. 
Le  serviteur  de  Dieu  désirait  vivement  que  l'ancienne  église  fût  remplacée 
par  une  autre  plus  solide  et  plus  spacieuse  ;  le  Seigneur  exauça  ses  désirs  ; 
une  vision  qu'il  eut  lui  apprit  qu'ils  seraient  bientôt  accomplis.  En  effet,  le 
vénérable  Joscelin,  abbé  de  Savigny,  fit,  peu  de  temps  après,  démolir  cette 
église  qui  s'était  déjà  écroulée  en  partie,  et  fit  construire  celle  qu'on  y  a  vue 
jusqu'à  la  fin  du  xvm9  siècle.  Hélas  !  l'impiété  révolutionnaire  n'a  pas  plus 
respecté  ce  monument  et  le  reste  du  monastère  que  les  autres  ouvrages  des 
Saints.  L'abbaye  de  Savigny  n'offre  plus  qu'un  monceau  de  ruines. 

Ce  saint  bomme  fut  affligé,  sur  la  fin  de  sa  vie,  d'une  maladie  qui  ne  lui 
permettait  pas  de  se  tenir  coucbé.  Il  était  assis  et  supportait  ses  douleurs 
avec  une  patience  qui  faisait  l'admiration  et  l'édification  de  tout  le  monde. 
A  ces  afflictions  corporelles  se  joignaient  des  terreurs  de  l'âme,  causées  par 
les  approches  de  la  mort  qu'il  redoutait.  Mais  le  Seigneur  mit  fin  à  ces 
épreuves  qu'il  ne  permettait  que  pour  rendre  plus  pure  et  plus  parfaite  la 
vertu  de  son  serviteur.  Hamon  fut  favorisé  de  plusieurs  visions  dans  les- 
quelles il  eut  quelque  connaissance  du  bonheur  des  Saints.  Cette  connais- 
sance, qui  remplit  son  cœur  de  joie,  lui  inspira  une  ferme  espérance  de  par- 
venir à  la  céleste  patrie.  C'est  ainsi  qu'il  reçut  de  Dieu  des  consolations  qui 
adoucirent  les  maux  du  corps,  et  calmèrent  les  peines  de  l'esprit.  Il  mourut 
saintement  le  30  avril  de  l'an  1173.  L'auteur  anonyme  de  sa  Vie  assure  qu'il 
a  connu  ceux  qui  avaient  vécu  avec  ce  religieux  ;  et  cette  Vie  porte  en  tête 
le  titre  de  Vie  de  saint  Hamon,  qualité  que  l'auteur  lui  donne,  comme  une 
dénomination  qui  lui  était  acquise  et  solidement  établie.  On  assure  que  cet 
auteur  est  Etienne  de  Fougères,  évêque  de  Rennes,  contemporain  de  saint 
Hamon.  Les  religieux  de  l'abbaye  de  Savigny  ne  célébraient  pas  de  fête 
particulière  de  leur  saint  confrère  ;  mais  ils  faisaient  tous  les  jours  à  l'office 
mémoire  de  cinq  Saints,  parmi  lesquels  il  était  nommé.  Son  corps  fut  levé 
de  terre  avec  solennité  par  les  évêques  d'Avranches,  de  Rennes  et  du  Mans, 
dès  l'année  11S4.  Il  s'en  fit  une  seconde  translation  en  1243.  La  majeure 
partie  fut  alors  déposée  dans  un  tombeau  élevé  devant  un  des  autels  de 
l'église,  et  le  reste  fut  renfermé  dans  une  châsse.  Depuis  la  révolution  elles 
se  trouvent  dans  l'église  de  la  paroisse  de  Savigny,  où  on  les  vénère.  Plu- 
sieurs miracles  opérés  par  ce  vertueux  religieux  sont  autant  de  preuves  de 
sainteté.  D.Ménard  assure  qu'on  conservait  dans  la  bibliothèque  de  Savigny 
douze  volumes  manuscrits  des  ouvrages  de  saint  Hamon. 

Cf.  Histoire  des  saints  de  Bretagne,  par  Dom  Lobineaa. 


110  30    AVRIL. 

SAINTE  CATHERINE  DE  SIENNE,  VIERGE 

1347-1380.  —  Papes  :  Clément  VI 5  Clément  VII.  —  Empereurs  :  Charles  IV;  Wenceslu. 


Alléluia,  Alléluia. 
Sideribus  cunctis  fulgentior  est  Catharina, 
Et  decus  sternum  est  hxc  quoque  virginibus, 

Alléluia. 
Alléluia,  Alléluia.  Catherine   l'emporte  en  éclat  snr 
tous  les  astres,  et  sa  gloire  rehausse  éternellement 
celle  des  vierges.  Alléluia. 

Missel  dominicain. 

Il  y  avait  autrefois  à  Sienne,  au  cœur  de  la  Toscane,  une  honnête  et 
laborieuse  famille  d'artisans.  Elle  habitait  une  humble  maison  que  l'on  voit 
encore  à  Sienne  dans  la  rue  de  dell'Oca,  non  loin  d'un  grand  monastère  de 
l'Ordre  de  Saint-Dominique  ;  la  piété  du  moyen  âge  édifia  dans  la  suite,  tout 
auprès  de  cette  maison  devenue  célèbre,  une  chapelle  pieuse  qui  fut  l'objet 
de  fréquents  pèlerinages.  Le  chef  de  cette  famille  était  un  honnête  teintu- 
rier de  la  ville  de  Sienne.  Il  avait  nom  Giacomo  di  Benincasa.  C'était  un 
membre  de  la  noble  famille  de  Benincasa.  Comme  Joseph,  cet  humble  reje- 
ton de  la  maison  de  David,  il  retrempait  dans  les  sueurs  du  travail  le 
rameau  humilié  de  sa  généalogie  méconnue,  et  il  protestait  dans  sa  per- 
sonne, en  faveur  de  la  loi  divine,  contre  cette  orgueilleuse  loi  des  hommes 
qui  proscrivait  encore  le  travail  du  sein  des  races  aristocratiques.  Sa  femme 
Lapa  était  le  modèle  des  vertus  du  mariage,  et  elle  élevait  sagement  dans  la 
crainte  de  Dieu  ses  nombreux  enfants  :  elle  en  eut  vingt-cinq.  Le  travail  et  la 
prière  habitaient  au  milieu  d'eux.  C'était  comme  un  sanctuaire  des  grâces 
divines  :  celle  qui  les  réunit  toutes,  fut  Catherine,  un  des  derniers  fruits  de 
cette  union,  Catherine,  l'illustre,  la  savante,  la  prédestinée,  la  gloire  de  ses 
parents  et  de  sa  patrie,  à  laquelle  la  république  de  Sienne  voulut  donner 
son  nom,  comme  un  surnom  de  famille.  Et  cela  est  si  vrai  qu'on  n'a  jamais 
connu  cette  Sainte  autrement  que  sous  ce  nom  :  Sainte  Catherine  de  Sienne. 
Il  n'y  a  pas  de  titre  au-dessus  d'un  tel  titre  parmi  les  hommes. 

Il  y  a  autour  de  l'enfance  de  cette  Sainte  déjà  comme  une  auréole  qui 
annonce  ce  qu'elle  devait  être  un  jour.  Ce  n'est  que  douceur,  suavité,  pré- 
dilections humaines  et  divines.  On  la  nomma  dans  sa  famille  et  parmi  les 
amis  de  son  père  Eupkrosyne,  c'est-à-dire  plaisir  du  cœur,  pour  exprimer  la 
joie  et  la  paix  qu'apportait  sa  douce  présence.  En  elle  brillait  toute  la  sainte 
innocence,  la  douceur  sans  nom  de  cet  âge  heureux  que  le  sauveur  Jésus, 
ce  beau  lis  sans  tache,  a  désigné  comme  le  doux  symbole  de  la  prédestina- 
tion. 

Elevée,  suivant  l'expression  du  bienheureux  Raymond  de  Capoue,  qui  a 
écrit  sa  vie  et  qui  a  signé  ce  beau  livre  du  nom  de  son  confesseur  indigne, 
élevée  comme  une  enfant  qui  appartenait  à  Dieu,  elle  montra  des  vertus 
inconnues  à  cet  âge.  Elle  donnait  tout  ce  qu'elle  avait,  et  ne  recherchait 
déjà  que  l'imitation  du  divin  modèle,  qui  fut  l'étude  de  toute  sa  vie.  A  cinq 
ans,  Catherine  savait  la  salutation  angélique,  et  comme  elle  avait  pour  sa 
mère  du  ciel  une  tendresse  instinctive,  et  qu'elle  ne  pouvait  encore  l'ho- 
norer que  de  cette  manière,  elle  récitait  à  chaque  instant  du  jour  cette 


SAINTE   CATHERINE  DE   SIENNE,    VIERGE.  411 

douce  prière,  quelquefois  en  s'agenouillant  à  chaque  marche  de  l'église 
ou  de  la  maison  paternelle.  Et  alors,  hien  souvent  les  Anges  venaient 
soulever  la  petite  Catherine,  qui  se  trouvait  transportée  chez  son  père 
sans  que  ses  pieds  eussent  touché  la  terre.  Cette  fraîche  dévotion  faisait  la 
joie  de  son  père,  et  attirait  sur  elle  les  regards  complaisants  de  Dieu,  qui 
destinait  à  sa  gloire  cette  frêle  créature. 

Le  signe  des  faveurs  célestes  ne  tarda  pas  à  paraître  à  l'aurore  de  cette 
vie  qui  devait  être  si  belle,  si  remplie.  Un  jour,  Catherine  avait  alors  six  ans, 
sa  mère  l'envoya,  avec  son  petit  frère  Etienne,  un  peu  plus  âgé  qu'elle, 
chez  sa  sœur  Bonaventure,  mariée  aux  environs  de  la  ville.  Lorsqu'ils  reve- 
naient tous  les  deux,  par  cette  descente  qu'on  appelle  la  Valle-Piatta,  la  petite 
Catherine  vit  tout  à  coup  dans  les  airs,  sur  le  sommet  de  l'église  de  Saint- 
Dominique,  un  trône  resplendissant  où  était  assis  Notre-Seigneur,  revêtu 
d'ornements  pontificaux,  entouré  de  saint  Pierre,  de  saict  Paul,  et  de  saint 
Jean  l'Evangéliste.  L'amour  de  Jésus-Christ  avait  déjà  envahi  l'âme  de  Cathe- 
rine tout  entière.  Le  Sauveur  fixa  sur  elle  un  regard  majestueux  et  empreint 
d'une  délicieuse  tendresse.  Puis  il  la  bénit  en  souriant.  Cette  vue  jeta  la  pe- 
tite Catherine  dans  l'extase,  et  lui  fit  oublier  que  son  petit  frère  marchait 
toujours.  Le  petit  Etienne,  en  effet,  s'arrêta  un  peu  plus  loin,  et  comme  il 
ne  voyait  pas  Catherine,  il  accourt  près  d'elle,  et  lui  prenant  la  main, 
il  lui  dit  :  Que  fais-tu  là?  Pourquoi  ne  viens-tu  pas?  —  Mais  Catherine 
demeurait  insensible,  et  elle  souriait  toujours  à  sa  douce  vision.  Enfin, 
comme  si  elle  s'éveillait  d'un  long  sommeil,  elle  abaissa  ses  yeux  et  dit  à 
son  frère  :  Si  tu  voyais  les  belles  choses  que  je  vois,  tu  ne  m'aurais  pas  ainsi 
troublée.  —  Quand  elle  releva  les  yeux  pour  ressaisir  cette  apparition  cé- 
leste, tout  avait  disparu.  L'enfant  pleura  et  se  reprocha  d'avoir  baissé 
les  yeux. 

De  ce  moment,  Catherine  ne  conserva  de  l'enfance  que  sa  candeur  ;  il 
n'y  avait  plus  rien  en  elle  qui  ne  fût  parfait.  Déjà  son  cœur  était  plein  de 
l'amour  de  Dieu,  et  sa  volonté  complètement  soumise  à  celle  d'en  haut. 
Elle  commença  à  se  recueillir  dans  la  prière  et  l'oraison  ;  et,  signe  précoce 
de  sa  vocation,  elle  réunissait  autour  d'elle  de  petites  filles  auxquelles  elle 
faisait  partager  les  exercices  de  sa  piété.  H  y  avait  déjà  des  austérités  monas- 
tiques dans  les  pratiques  de  cette  piété  enfantine. 

Comme  sainte  Thérèse,  saint  Bruno,  et  les  plus  grands  Saints,  la  solitude 
avec  ses  rêveries,  son  majestueux  silence  plein  d'harmonies,  vaste  comme 
la  voix  de  Dieu  lui-même,  la  solitude,  cette  école  des  plus  hautes  vertus, 
tenta  cette  âme  d'élite  dès  le  matin  de  sa  vie.  —  Un  jour,  comme  sainte 
Thérèse,  ce  dégoût  prématuré  des  choses  du  monde  l'entraîna  vers  les  cam- 
pagnes solitaires  qui  environnent  la  ville  de  Sienne.  Dans  le  renfoncement 
d'une  grotte  qui  avoisinait  les  chemins,  elle  crut  trouver  le  désert.  Tout 
parlait  à  sa  jeune  imagination  ;  aussitôt  elle  se  mit  en  prières,  et  son  âme 
ardente  éleva  son  corps  au-dessus  de  la  terre.  Mais  Dieu  lui  fit  connaître 
qu'elle  était  trop  jeune  et  trop  faible  pour  ce  genre  de  vie.  L'Esprit-Saint  la 
rappela  à  la  maison  paternelle.  Elle  obéit  ;  mais  en  sortant  de  cette  grotte, 
ces  routes  désertes  par  lesquelles  elle  devait  regagner  la  ville,  lui  firent 
peur.  Et  puis  il  y  avait  si  loin  encore  pour  revenir  à  la  Valle-Piatta.  Enfin, 
que  dirait  sa  mère,  toute  sa  famille,  de  cette  longue  absence?  Elle  pria  et 
elle  se  sentit  aussitôt  transportée  comme  par  une  force  surnaturelle  à  li 
porte  de  la  ville.  On  l'avait  crue  chez  sa  sœur  Lysa.  Elle  dit  ceci  longtemps 
après  à  son  confesseur,  le  bienheureux  Raymond. 

L'intelligence  qu'elle  avait  des  choses  divines  lui  fit  comprendre  qu'il  y 


H  2  30  AVUIL. 

a  dans  l'ordre  de  la  perfection  un  degré  supérieur,  que  c'est  cet  état  d'inno- 
cence et  d'ignorance  complète  de  la  vie  des  sens,  qu'on  appelle  l'état  de 
virginité.  Elle  sentit  qu'il  y  a  une  exquise  pureté  que  la  majorité  des 
hommes  ne  connaît  point,  ou  du  moins  qu'ils  n'ont  pas  le  courage  de  pra- 
tiquer au-delà  de  l'adolescence,  et  sans  laquelle  pourtant  est  impossible  cette 
union  ineffable  avec  le  Créateur  qui  est  le  premier  besoin  ressenti  par  les 
âmes  d'élite.  Peut-être  aussi  ses  yeux  étaient-ils  tombés  un  jour  sur  cette 
page  du  livre  divin  où  le  Sauveur,  dans  un  mot,  révèle  à  ses  disciples,  encore 
aveuglés  par  la  chair,  ce  grand  signe  de  la  prédestination  céleste,  et  peut- 
être  que  son  cœur  était  attaché  à  cette  belle  page.  Ces  mots,  vides  de  sens 
pour  tant  de  belles  intelligences  arrivées  à  leur  maturité,  n'avaient  pas  été 
muets  pour  cette  enfant  de  sept  ans.  Un  jour  qu'elle  était  seule  devant  Dieu, 
et  que  personne  ne  pouvait  l'entendre,  elle  se  jeta  aux  genoux  de  la  bien- 
heureuse vierge  Marie,  ce  modèle  et  cette  gardienne  des  vierges,  et  les  yeux 
pleins  de  larmes,  prosternée  humblement,  elle  prit  à  témoin  l'Immaculée 
Reine  de  la  pureté  du  vœu  solennel  qu'elle  allait  faire  pour  toute  sa  vie. 

«  0  bienheureuse  Vierge  » ,  lui  dit-elle,  «  mère  de  ce  bel  amour  que 
Dieu  a  mis  dans  mon  cœur,  et  qui,  je  le  sens,  est  la  plus  parfaite  des  affec- 
tions de  ce  monde,  vous  qui  la  première  avez  conservé  pour  le  Dieu  jaloux, 
la  pureté  de  votre  corps  et  de  votre  cœur,  daignez  ne  pas  considérer  la 
profonde  indignité  de  votre  servante,  et  accordez-lui  de  recevoir  pour  époux 
celui  qu'elle  désire  de  toutes  les  forces  de  son  âme,  votre  divin  fils  Jésus. 
Et  moi,  je  vous  promets  ici,  à  lui  et  à  vous,  de  conserver  mon  innocence 
pour  l'amour  de  lui,  et  de  ne  jamais  recevoir  d'autre  époux  ». 

Le  Seigneur  entendit  sa  promesse,  et  plus  tard  il  la  consacra  par  une 
union  mystique  devant  la  cour  céleste. 

Après  ce  vœu,  Catherine  marcha  à  grands  pas  dans  les  voies  saintes  ; 
crucifier  son  corps,  humilier  l'amour-propre,  ce  qui  est  encore  de  toutes  les 
macérations  la  plus  agréable  à  Dieu,  c'était  toute  son  occupation.  Elle  se 
priva  de  viande,  et  quand  on  lui  en  servait,  elle  la  donnait  à  son  petit  frère 
Etienne.  Avec  les  vertus  saintes,  grandirent  aussi  dans  ce  cœur  l'amour  des 
âmes  et  le  désir  de  la  gloire  de  Dieu.  Aussi  aima-t-elle  d'une  tendresse 
exquise  les  Saints  qui  avaient  le  plus  travaillé  à  ces  deux  grandes  œuvres  de 
la  vie  :  la  conversion  des  pécheurs  et  la  glorification  du  nom  de  Dieu.  Saint 
Dominique  était  un  de  ceux  qui  en  avaient  fait  le  but  spécial  de  leur  vie. 
Catherine  fut  prise  pour  ce  Saint  et  pour  son  angélique  vertu  d'une  véné- 
ration et  d'une  tendresse  particulières,  et  elle  résolut  d'entrer  un  jour  ou 
l'autre  dans  un  monastère  de  l'Ordre  de  Saint-Dominique. 

Il  y  eut  même  un  moment  dans  son  cœur  la  pensée  de  se  dépayser,  de 
prendre  des  habits  d'homme  et  d'entrer  dans  l'Ordre  des  Frères  Prêcheurs. 
On  avait  vu  autrefois  une  grande  Sainte  oublier  son  sexe  et  le  laisser  igno- 
rer aux  autres,  mourir  dans  les  saintes  solitudes  sous  l'habit  des  cénobites  ; 
mais  le  projet  auquel  elle  s'arrêta  fut  d'entrer  dans  l'Ordre  des  Sœurs  de 
Saint-Dominique. 

Il  y  avait  alors  en  Italie  un  grand  nombre  de  monastères  de  femmes  de 
cet  Ordre;  il  y  en  avait  deux  à  Sienne,  et  on  appelait  ces  religieuses  les 
Sœurs  ;  on  les  reconnaissait  de  loin  à  leur  grand  manteau  noir  de  la  Péni- 
tence de  Saint-Dominique,  et  à  cause  de  cela  on  les  nommait  les  sœurs 
Mantelées,  Mantellate.  Catherine  résolut  d'aller  trouver  ces  religieuses  et  les 
pria  de  la  recevoir  parmi  elles,  et  de  lui  laisser  porter  leur  habit. 

Mais  Dieu  voulut  qu'une  grande  épreuve  vînt  encore  fortifier  sa  vo- 
cation. 


SAINTE   CATHERINE   DE   SIENNE,    VIERGE.  113 

Cette  épreuve,  presque  toutes  les  femmes  qui  ont  quitté  le  monde  pour 
servir  Dieu  uniquement  et  sans  réserve  l'ont  connue  ;  chez  les  unes,  elle  est 
née  d'elles-mêmes,  et  de  ce  levain  de  vanité  que  ce  sexe  délicat  et  gracieux 
tire  de  sa  propre  beauté.  Chez  les  autres,  elle  naît  d'un  autre  genre  d'obsta- 
cles encore  moins  aisé  à  vaincre,  des  contradictions  que  leur  cœur  sent 
s'élever  autour  de  lui  et  qu'il  peut  rencontrer  dans  un  monde  qu'elles  esti- 
ment encore  ou  dans  une  famille  dont  elles  redoutent  l'improbation  ou  la 
douleur. 

La  famille  de  la  petite  Catherine  avait  fait  pour  elle  d'autres  projets  :  sa 
mère  Lapa  voulait  la  marier.  Déjà  une  des  sœurs  aînées  de  Catherine, 
Bonaventure,  avait  fait  un  mariage  qui  réjouissait  sa  mère;  et  elle-même 
s'occupait  à  trouver  à  sa  jeune  sœur  un  bon  établissement.  L'amour  de 
Dieu  et  son  service  n'étaient  pas  incompatibles  avec  le  mariage,  on  avait 
même  vu  des  mères  de  famille  sanctifiées  par  leurs  enfants.  Tous  ces  rai- 
sonnements n'affaiblirent  pas  le  dessein  encore  secret  de  Catherine,  mais 
elle  se  laissa  aller  aux  désirs  de  sa  mère  et  de  sa  sœur.  Tout  en  gardant  sa 
foi  pure  au  dedans  d'elle-même,  elle  se  laissa  vêtir  avec  élégance,  elle 
accepta  toutes  les  parures  dont  on  relevait  sa  fraîcheur  et  sa  beauté.  Elle 
soigna  son  corset,  elle  se  fit  jolie  et  chercha  à  plaire  ;  mais  elle  secoua  à 
temps  cet  engourdissement  de  sa  piété.  Elle  se  réveilla  de  ce  sommeil  de 
son  âme  et  elle  s'en  punit  cruellement. 

Quant  à  sa  jeune  sœur,  elle  expia  aussi  ce  crime  involontaire  d'avoir 
voulu  enlever  à  Dieu  un  cœur  fait  pour  lui  seul.  Elle  mourut  prématuré- 
ment, et  Catherine  eut  à  pleurer  pour  elle-même  et  sur  cette  sœur  chérie. 
Elle  offrit  à  Dieu  larmes  et  jeûnes  pour  cette  chère  âme,  et  elle  eut  la  con- 
solation d'être  éclairée  d'en  haut  sur  ses  destinées  éternelles.  Dieu  lui  fit 
grâce,  mais  sa  mère  n'avait  pas  renoncé  à  ses  vues  sur  Catherine  ;  l'espé- 
rance de  se  voir  revivre  dans  de  nombreux  petits-enfants  flattait  son  orgueil. 
A  ses  yeux  toute  la  gloire  d'une  femme  étant  dans  la  fécondité  de  ses  en- 
trailles, elle  la  pressa  plus  que  jamais.  Un  dominicain,  ami  de  cette  famille, 
fut  prié  d'user  sur  Catherine  de  toute  son  autorité.  Elle  fit  à  ce  saint  moine 
la  confession  de  son  cœur,  et  lui  ne  chercha  pas  à  ébranler  de  si  beaux  des- 
seins. Eh  bien  !  lui  dit  ce  confident  de  son  pieux  secret,  s'il  est  vrai  que 
vous  n'ayez  plus  aucun  désir  de  ce  monde,  donnez-en  à  votre  famille  un 
signe  extérieur,  coupez  vos  cheveux.  C'est  ainsi  seulement  que  vous  mar- 
querez sérieusement  votre  résolution. 

Couper  ses  beaux  cheveux  noirs,  l'orgueil  de  sa  mère,  la  parure  de  sa 
jeunesse,  le  fallait-il? 

Catherine  n'hésita  pas,  elle  mit  les  ciseaux  dans  ses  belles  tresses,  et 
elles  tombèrent.  Elle  prit  un  voile  et  en  couvrit  sa  tête  découronnée  pour 
cacher  à  sa  mère  cette  sorte  de  larcin  fait  à  sa  tendresse.  Lapa  s'en  aperçut 
enfin,  sa  douleur  lui  ôta  tout  d'abord  le  sentiment  de  la  colère.  Mais  ensuite, 
ce  fut  une  explosion  de  récriminations.  Penses-tu,  dit-elle,  échapper  à  nos 
vues  sur  toi  rien  que  par  là  ?  Tes  cheveux  croîtront,  et  quand  ton  cœur  de- 
vrait en  être  déchiré,  nous  te  forcerons  bien  de  prendre  un  mari. 

Alors  Lapa,  pour  détourner  Catherine  de  la  direction  qu'avaient  prise 
ses  idées,  lui  donne  pour  occupation  de  régler  tout  l'intérieur  du  ménage  : 
elle  aidait  la  servante  presque  dans  les  détails  les  plus  grossiers,  et  il  lui 
restait  à  peine  le  temps  de  suivre  ses  plus  stricts  devoirs  religieux.  Elle  ne 
perdit  pas  patience,  et  la  grâce  de  Dieu  la  soutint  dans  cette  nouvelle  con- 
tradiction. C'est  alors  qu'elle  se  fit  comme  une  cellule  au  dedans  d'elle- 
même,  où  elle  s'enfermait  avec  Dieu  pendant  que  son  corps  était  absorbé 
Vies  des  Saints.  —  To.ue  v.  8 


H  4  30  AYRIL. 

par  le  travail.  En  servant  son  père,  elle  s'imaginait  servir  Notre-Seigneur 
Jésus-Christ.  En  servant  sa  mère,  elle  croyait  servir  la  sainte  Vierge  ;  ses 
frères  et  ses  sœurs  lui  représentèrent  les  disciples  et  les  saintes  femmes. 

Mais  son  père,  homme  plus  pieux  et  plus  clairvoyant  que  tout  le  reste  de 
sa  famille,  discerna  cette  vocation  invincible  jusque  dans  cette  soumission  à 
des  ordres  qui  la  privaient  de  ses  heures  de  méditations  et  de  ses  œuvres 
saintes.  Dieu  fit  un  miracle  pour  venir  en  aide  à  sa  bonne  foi  et  à  sa  piété.  Il 
vit  un  jour  paraître  sur  sa  fille  prosternée  en  prières,  loin  de  tous  les  yeux, 
une  colombe  blanche  comme  la  neige.  C'était  un  avertissement  céleste,  et 
Giacomo  comprit  qu'il  ne  pouvait  lutter  avec  Dieu.  Le  plus  grand  obstacle 
à  la  vocation  de  Catherine  se  trouva  vaincu. 

Dans  Catherine  aussi  se  trouvèrent  rompus  au  même  instant  les  liens  qui 
l'attachaient  à  la  terre.  Le  même  jour  elle  assembla  sa  famille,  déclara  à 
tous  le  vœu  par  lequel  son  cœur  s'était  engagé  au  Seigneur  irrévocable- 
ment, et  le  refus  absolu  qu'elle  faisait  de  toute  alliance  en  ce  monde. 
Eclairé  par  l'esprit  d'en  haut,  son  père  ne  résista  plus,  il  ordonna  même 
qu'on  la  laissât  en  toute  liberté  suivre  la  vocation  qu'elle  avait  choisie. 

L'amour  trop  sensible  de  Lapa  pour  sa  fille  Catherine  céda  à  l'autorité 
de  Giacomo,  et  elle  immola  bien  à  regret  à  ce  Dieu  contre  lequel  son  déses- 
poir luttait  encore,  toutes  les  espérances  qu'elle  avait  fait  reposer  sur  cette 
chère  enfant. 

Catherine  se  fit  comme  une  cellule  dans  la  maison  de  son  père  où  toutes 
les  pratiques  de  la  pénitence  assuj  étirent  à  son  esprit  victorieux  sa  chair  si 
pure.  Alors  commença  pour  elle  une  vie  d'austérités  et  de  privations  si 
fortes,  que  les  plus  grands  Saints  n'en  ont  pas  connu  au-delà  de  ce  degré. 
Discipline,  châssis  de  fer,  cilice,  privation  de  nourriture,  aucun  de  ces 
martyres  volontaires  de  la  pénitence  ne  fut  inconnu  à  sa  jeunesse.  Une  de 
ses  plus  dures  austérités  fut  une  lutte  journalière  contre  le  sommeil  :  quel- 
quefois il  était  fort  tard  que  Catherine  discourait  encore  avec  son  confes- 
seur, le  bienheureux  Raymond  de  Capoue,  sur  les  choses  de  Dieu.  Son  âme 
et  son  corps  veillaient,  et  cependant  ce  saint  homme,  vieilli  dans  le  service 
de  Dieu  et  la  vie  la  plus  sainte,  s'affaissait  sur  lui-même  et  dormait.  Alors 
elle  l'éveillait  doucement  et  lui  disait  :  Est-ce  ainsi  que  le  corps  doit  l'em- 
porter sur  les  choses  de  l'esprit,  et  est-ce  à  un  homme  de  Dieu  que  je  parle 
des  choses  divines  ? 

Elle  finit  par  arriver  à  l'âge  de  vingt  ans,  en  pouvant  vivre  uniquement 
de  pain,  d'eau  et  d'herbes  crues. 

Mais  ce  ne  fut  pas  sans  une  certaine  décroissance  de  sa  santé  et  de  ses 
forces.  Longtemps  la  tendresse  de  sa  mère  lutta  contre  cette  vie  pénitente. 
Elle  l'arrachait  le  soir  à  son  cilice  et  aux  planches  sur  lesquelles  reposaient 
la  nuit  ses  membres  délicats  et  amaigris,  pour  la  mener  dormir  dans  son  lit 
à  elle.  Du  côté  de  Catherine  c'était  aussi  une  lutte  continuelle  contre  cette 
tendresse  qui  combattait  la  grâce,  et  son  esprit  de  pénitence  était  si  ingé- 
nieux qu'il  parvenait  toujours  à  détruire  les  soins  que  sa  mère  prenait  de 
son  pauvre  corps. 

Un  jour,  elle  l'emmena  aux  eaux;  les  eaux  de  Sienne  étaient  fort  re- 
nommées au  moyen  âge.  C'était  par  une  belle  matinée  d'été,  dans  une  belle 
vallée  que  bordaient  presque  les  Apennins  ;  sous  l'ombrage  odorant  des 
citronniers  et  des  orangers  se  trouvait  le  bassin  des  baigneurs  ;  tout  en  ce 
lieu  devait  parler  de  repos  et  de  mollesse  à  cette  jeune  fille.  Catherine 
peut-être  sentit  tout  le  danger  qu'il  y  avait  pour  son  âme  dans  cette  mysté- 
rieuse attraction  qui  existe  entre  les  harmonies  de  la  nature  et  la  vie  de  nos 


SAINTE   CATHERINE  DE   SIENNE,    VIERGE.  H 5 

sens,  et  tout  de  suite  elle  voulut  assujétir  en  elle  une  bonne  fois  à  la  grâce 
tous  ses  instincts  sensuels.  Elle  témoigna  à  sa  mère  le  désir  de  n'entrer  dans 
l'eau  que  lorsque  tout  le  monde  serait  parti.  La  foule  des  baigneurs  ne  tarda 
pas  à  s'écouler,  et  aussitôt  Catherine  d'entrer  dans  l'eau  ;  mais  sous  prétexte 
de  se  rendre  le  bain  plus  profitable,  elle  se  tint  à  l'ouverture  des  canaux 
qui  amenaient  l'eau  sulfureuse.  Et  qu'on  juge  du  supplice  qu'elle  infligeait 
en  ce  moment  à  un  pauvre  corps  affaibli,  qui  se  trouva  tout  brûlé  par  ces 
flots  d'eau  bouillante. 

L'auteur  de  sa  vie  raconte  qu'elle  lui  disait  plus  tard  avec  sa  simplicité 
de  colombe,  et  comme  pour  écarter  de  cette  pénitence  tout  son  mérite 
réel  :  «  Je  pensais  pendant  ce  temps-là  aux  tortures  de  l'enfer  et  du  purga- 
toire ;  je  suppliais  mon  Créateur  que  j'ai  tant  offensé,  de  changer  pour  moi 
ces  tourments  mérités  en  ces  douleurs  que  je  souffrais  volontiers,  et  dans 
l'espoir  de  cette  miséricorde,  j'oubliais  tout  ». 

Savez-vous,  vous  qui  lisez  l'imparfaite  narration  de  cette  vie  d'ange, 
quelles  étaient  ces  offenses  qu'elle  expiait  si  cruellement?  Ces  offenses,  son 
confesseur,  un  homme  véridique,  digne  de  toute  créance,  n'a  pas  craint  de 
nous  le  dire,  c'étaient  de  légers  manquements  à  l'esprit  de  la  grâce  :  c'était 
peut-être  un  instant  d'un  de  ses  jours  dérobé  à  la  constante  pensée  de  Dieu; 
c'était,  le  croirons-nous  !  l'oubli  de  quelque  pieuse  habitude,  ou  un  quart 
d'heure  de  sommeil  que  lui  reprochait  peut-être  cette  grâce  de  Dieu,  qui 
régnait  victorieuse  et  souveraine  dans  sa  chair  subtilisée  par  la  force  de 
l'esprit. 

Nous  avons  souvent  entendu  blasphémer  autour  de  nous  ces  saintes  ru- 
desses, ces  héroïques  emportements  de  l'esprit  contre  la  chair.  Ce  n'est 
même  pas  seulement  le  vulgaire  qui  a  osé  s'élever  contre  cette  vie  d'austé- 
rité et  de  pénitence  que,  seule,  la  loi  de  liberté  individuelle  défendrait 
contre  ses  anathèmes.  Des  livres  écrits  par  quelques  plumes  vénérées,  élo- 
quentes dans  les  choses  humaines,  mais  inhabiles  dans  les  choses  de  Dieu, 
ont  été  les  organes  quelquefois  fanatiquement  impies  de  cette  réprobation 
d'un  siècle  irréligieux  et  perverti.  Nous  qui  sommes  encore  dans  le  monde, 
qui  y  tenons  par  tant  de  liens,  osons  interpréter  cependant  la  raison  de 
cette  vie  ascétique.  La  foule  ne  voit  dans  ces  disciplines,  ces  haires,  ces 
cilices,  que  le  sang  qui  les  teint.  Sur  ces  corps  de  Saints,  elle  ne  voit  que 
les  plaies  qu'ils  se  sont  faites  eux-mêmes  dans  une  sainte  barbarie  ;  et  pour- 
tant si  quelque  vertu  miraculeuse  sort  de  ces  plaies  pour  notre  bien,  c'est 
parce  que  c'est  la  main  même  qui  tient  à  ce  corps  qui  les  y  a  creusées,  qui 
les  y  a  nourries.  Quelle  énergie  de  corps  et  d'âme  ne  révèlent  pas  tous  ces 
tourments  volontairement  soufferts  ?  Et  sans  ces  emportements  de  l'esprit 
contre  la  chair,  qui  sait  jusqu'à  quel  point  la  chair  se  fût  emportée  elle- 
même  contre  l'esprit  ? 

Tous  les  droits  que  le  corps  abdique,  il  les  cède  à  l'esprit  ;  toutes  les 
forces,  toutes  les  facultés  dont  il  se  refuse  l'exercice,  affluent  vers  l'âme.  Ce 
corps  exténué,  amaigri,  épuisé,  n'est  plus  une  barrière  entre  l'âme  et  son 
Créateur,  entre  l'homme  et  l'infini  ;  c'est  à  peine  un  voile  qui  protège 
contre  l'indiscrète  curiosité  des  indifférents  les  mystérieux  entretiens  de 
cette  âme  avec  Dieu.  Elevée  au-dessus  d'elle-même,  subtilisée,  cette  âme 
voyante  ne  connaît  plus  de  ténèbres  ;  une  lumière  surnaturelle  descend  au 
dedans  d'elle-même  et  la  relie  aux  mystères  du  royaume  de  Dieu  dont 
chaque  jour  elle  appelle  l'avènement  avec  d'ineffables  ardeurs.  Devenue 
plus  clairvoyante  que  tous  les  savants  selon  le  monde,  elle  perçoit,  elle, 
l'immensité  de  ce  Dieu,  sa  majesté,  sa  sainteté  incomparable  si  outragée,  si 


H  6  30  AVRIL. 

méconnue  par  l'humanité  coupable.  Alors  les  forfaits  des  pécheurs  lui  appa- 
raissent dans  toute  leur  horreur  ;  ses  manquements  à  elle-même  prennent 
des  proportions  relatives  à  la  grandeur  de  cette  majesté  offensée,  de  cette 
nature  impeccable  de  Dieu,  devant  qui  la  plus  haute  vertu  n'est  elle-même 
que  ténèbres  et  imperfections.  Alors  cette  âme  sainte  voit  avec  terreur  les 
Anges  se  voiler  de  leurs  ailes  devant  le  Dieu  trois  fois  Saint  ;  et  comme  la 
justice  de  ce  Dieu  lui  demande  des  holocaustes,  et  qu'il  n'en  veut  point 
hors  de  nous-mêmes,  cette  créature  d'élite  s'offre  à  cette  justice.  Elle 
s'offre  elle-même,  c'est-à-dire  qu'elle  offre  sa  chair  innocente  pour  être 
consumée  par  le  feu  de  l'esprit  ;  c'est-à-dire  qu'elle  accomplit,  qu'elle  réa- 
lise dans  la  loi  du  Christ  les  sacrifices  de  la  loi  primitive  ;  c'est-à-dire  qu'à 
ce  feu  sacré  qui  brûle  dans  le  chaste  sanctuaire  de  son  âme,  toujours  sans 
se  consumer,  elle  jette  l'aliment  toujours  renouvelé  de  toutes  les  passions, 
de  tous  les  instincts,  de  toutes  les  convoitises  de  la  nature  corrompue. 

Et  voilà  pourquoi  la  douleur  est  absente  de  toutes  ces  douleurs  inven- 
tées, amoncelées  volontairement  sur  ces  corps  de  Saints  et  de  Saintes.  Voilà 
pourquoi  ils  souriaient  à  la  souffrance,  et  fuyaient  le  plaisir. 

Cependant  la  mère  de  Catherine,  Lapa,  ignorante  des  mystères  de  cette 
vie  intérieure,  avait  grand'peine  à  comprendre  aussi  la  raison  de  cette  vie 
de  pénitence  dans  sa  fille,  si  pure,  si  douce,  si  charitable.  Elle  se  désolait 
chaque  jour,  et  ne  cessait  de  se  plaindre  de  ce  que  sa  belle  Catherine,  au- 
trefois si  forte,  si  robuste,  qu'elle  portait  sans  fatigue  jusqu'au  grenier  de  la 
maison  la  charge  d'un  âne  ou  d'un  cheval,  n'était  plus  qu'une  chétive  créa- 
ture qui  n'avait  de  force  qu'en  parlant  de  Dieu  et  des  choses  célestes.  Ce 
fut  aussi  une  grande  douleur  pour  elle  que  de  voir  Catherine  prendre 
l'habit  des  Sœurs  de  la  Pénitence.  Jusqu'à  l'entrée  de  Catherine  parmi  ces 
sœurs,  on  n'avait  vu  là  encore  que  des  veuves  et  des  femmes  mariées.  Ces 
sœurs  vivaient  même  au  dehors,  dans  leur  famille.  C'est  de  ce  moment  seu- 
lement que  ce  Tiers  Ordre  des  Sœurs  de  la  Pénitence  de  Saint-Dominique 
prit  une  forme  plus  régulière  et  plus  parfaite. 

Ce  fut  un  beau  jour  pour  cette  jeune  fille  que  celui  où  elle  monta  avec 
sa  mère  à  l'église  de  Saint-Dominique  et  où,  devant  ses  sœurs  en  religion 
rassemblées  de  bonne  heure  dans  le  sanctuaire,  elle  reçut  l'habit  symbolique 
qu'elle  désirait  si  ardemment  depuis  son  enfance,  la  tunique  blanche,  sym- 
bole d'innocence,  le  manteau  noir,  symbole  d'humilité.  Innocence  et  humi- 
lité, ce  fut  là  toute  sa  vie.  Car  l'illustration  à  laquelle  était  appelée  cette 
simple  fille  du  peuple  de  Toscane  ne  devait  rien  ôter  à  l'angélique  pureté 
de  ses  mœurs,  ni  à  la  simplicité  de  tout  son  être. 

11  y  eut  encore  en  elle,  dès  ce  moment,  un  redoublement  de  ferveur  et 
de  piété.  Elle  fut  de  ce  moment  trois  ans  à  observer  si  bien  le  silence  mo- 
nastique qu'elle  ne  parla  de  tout  ce  temps  que  pour  se  confesser.  La  pau- 
vreté aussi  fit  partie  de  sa  vie  ;  elle  renonça  à  tout,  au  milieu  même  de 
l'abondance  qui  régnait  dans  la  maison  de  son  père,  où  elle  se  regardait 
comme  une  servante,  et  non  comme  l'héritière  de  toute  cette  aisance. 
Quant  à  la  chasteté  et  à  l'obéissance,  ces  deux  autres  vœux  si  sévères  de  la 
vie  de  religion,  c'était  depuis  longtemps  la  base  de  toute  sa  vie. 

Qui  pourrait  dire  ses  veilles,  ses  prières,  ses  méditations,  ses  gémisse- 
ments ?  Celui  qu'elle  aimait,  l'objet  ineffable  de  tous  ses  soupirs,  entendait 
ces  gémissements  de  son  esprit,  souvent  il  daignait  à  son  appel  venir  encou- 
rager sa  servante;  et  cette  vision  céleste  l'absorbait  tellement  que  l'extase 
arrêtait  sur  ses  lèvres  les  mots  commencés.  Ces  communications  si  étroites 
et  si  intimes  avec  l'Esprit  de  Dieu  expliquent  comment  son  âme  avait  assez 


SAINTE   CATHERINE   DE    SIENNE,    VIERGE.  117 

de  forces  pour  soutenir  son  corps  épuisé  par  l'abstinence;  car  elle  restait 
souvent  un  espace  de  temps  illimité  sans  prendre  de  nourriture.  Elles  ex- 
pliquent aussi  comment  cette  simple  fille  révéla  au  moyen  âge  cette  doc- 
trine admirable,  qui  est  un  miracle  inexplicable  dans  une  femme  privée  de 
toute  science  selon  les  hommes. 

Digne  fille  de  saint  Dominique  et  de  saint  Thomas  d'Aquin,  ces  deux 
dévotions  chères  à  son  cœur  avec  la  dévotion  à  sainte  Madeleine  que  Dieu 
lui-même  lui  donna  pour  patronne  dans  une  de  ses  visions,  le  premier  fon- 
dement de  la  doctrine  de  sainte  Catherine  de  Sienne  est  le  parfait  détache- 
ment de  soi-même  jusque  dans  la  pensée  du  cœur.  Dieu  lui  avait  dit  dans 
une  apparition  :  «  Ma  fille,  ne  pense  qu'à  moi  :  si  tu  le  fais,  je  penserai  sans 
cesse  à  toi  ».  Au  sujet  de  sa  doctrine,  sainte  Catherine  eut  dès  lors  de  nom- 
breuses visions.  Mais,  comme  pour  l'éclairer  sur  la  nature  de  ces  révéla- 
tions, et  la  rassurer  contre  le  malin  esprit  à  qui  cette  âme  sainte  fut  tou- 
jours une  redoutable  ennemie,  le  Sauveur  se  montra  à  elle  un  jour  et  lui 
enseigna  la  manière  de  discerner  les  inspirations  de  l'Esprit-Saint  d'avec 
celles  du  démon.  «  Mes  visions  »,  lui  dit-il,  «  commencent  par  la  terreur  et 
continuent  dans  la  paix.  Leur  début  fait  sentir  une  certaine  amertume  qui 
se  change  peu  à  peu  en  douceur,  tandis  que  les  inspirations  du  malin  esprit 
commencent  par  troubler  l'âme  par  une  fausse  joie.  Mais  elles  finissent  par 
la  tristesse  et  les  ténèbres;  car  mes  voies  sont  bien  différentes  de  celles  de 
l'enfer»  Les  visions  qui  viennent  de  moi  procurent  aussi  l'humilité,  et  les 
autres  enflent  d'orgueil  :  car  l'orgueil  est  père  du  mensonge,  et  l'humilité 
est  inséparable  de  la  sainteté  » . 

Ce  ne  fut  depuis  qu'une  perpétuelle  communion  de  Catherine  avec  Dieu. 
Parlait-elle  à  quelqu'un,  souvent  ses  visions  célestes  la  surprenaient  au 
milieu  de  cette  conversation,  nécessaire  sans  doute,  mais  humaine.  Une  âme 
qui  est  à  Dieu,  pensait-elle,  doit  lui  appartenir  non-seulement  en  vue  du 
ciel,  mais  plus  encore  en  vue  de  l'union  par  l'amour.  «  Pourquoi  vous  oc- 
cuper de  vous  ?  »  disait-elle  souvent  dans  la  suite  à  ses  disciples  et  à  son 
confesseur  même.  «  Laissez  agir  la  Providence,  au  milieu  des  plus  grands 
dangers,  elle  a  les  yeux  fixés  sur  vous,  elle  vous  sauvera  toujours  ».  Elle  a 
consacré  dans  ses  œuvres  des  Chapitres  admirables  à  cette  divine  Provi- 
dence qu'elle  exaltait  de  toute  la  force  de  son  amour. 

Aussi  cette  Providence  de  Dieu  l'aima-t-elle  et  la  garda- t-elle  d'une  façon 
presque  toujours  miraculeuse.  Elle  se  trouva  ainsi  savoir  lire  et  écrire  par 
un  prodige,  un  jour  que,  découragée  de  ses  efforts  inutiles,  elle  la  conjura 
de  lui  venir  en  aide. 

Un  des  sublimes  enseignements  de  la  doctrine  de  Catherine  est  encore 
celui-ci  :  «  L'âme  unie  à  Dieu  »,  dit-elle,  «  l'aime  autant  qu'elle  déteste  la 
partie  sensuelle  de  son  être  ».  L'amour  de  Dieu  engendre  la  haine  du  pé- 
ché, et  lorsque  l'âme  voit  que  le  péché  prend  racine  dans  les  sens,  elle  les 
hait  et  s'efforce  d'anéantir  le  péché  qui  est  en  eux.  Cette  haine  sainte  com- 
mence dans  l'âme  par  un  certain  mépris  d'elle-même,  et  ce  mépris  la  pro- 
tège contre  les  séductions  des  hommes  et  du  démon.  Ainsi  saint  Paul  disait 
autrefois  :  «  C'est  dans  ma  faiblesse  qu'est  ma  force  ».  Parole  féconde  que 
les  Saints  ont  développée  dans  leurs  actes  sublimes.  Il  faut  voir  de  là,  com- 
bien dans  ses  enseignements  Catherine  fustige  en  ses  disciples  l'amour- 
propre,  «père  de  l'orgueil  »,  disait-elle,  «  et  de  tous  les  vices  ».  Quand 
elle  disait  cela,  elle  parlait  sur  les  ruines  de  son  propre  cœur  immolé  à 
Dieu  seul  depuis  longtemps.  Mais  avant  d'être  élevée  à  ces  merveilles  de  la 
sagesse  incréée  et  de  l'amour  divin,  Catherine  avait  eu  à  lutter  avec,  l'esprit 


US  30  AVRIL. 

des  ténèbres.  L'antique  serpent  avait  soufflé  à  ses  oreilles  de  jeune  fille  des 
paroles  impures.  Il  avait  jeté  le  trouble  et  le  désespoir  dans  l'âme  fervente 
de  la  chrétienne.  Il  le  faut  dire  à  la  gloire  de  Catherine,  et  pour  l'éternelle 
consolation  de  toutes  les  âmes  chrétiennes,  qui,  plus  que  les  âmes  mon- 
daines, connaissent  les  angoisses  de  la  tribulation. 

Un  jour,  Catherine  tomba  dans  des  doutes  mortels,  car  elle  fut  tentée 
dans  son  âme  avant  que  de  l'être  dans  ses  membres,  ainsi  qu'il  est  arrivé 
aux  plus  grands  Saints.  Ennemi  de  ses  pénitences  et  de  ses  macérations, 
l'esprit  du  mal  lui  insinua  que  Dieu  l'allait  abandonner  dans  les  voies  ex- 
traordinaires où  il  l'avait  conduite  ;  et  que  si  l'on  peut  retrouver  sa  route 
dans  les  chemins  battus,  on  ne  le  saurait  plus  jamais,  une  fois  jeté  dans  ces 
chemins  mystérieux  qui  conduisent  ou  à  une  perfection  presque  impossible, 
ou  à  une  damnation  presque  certaine.  Quel  moment  !  quel  supplice  !  Hé- 
las !  tous  les  tourments  de  ce  monde  ne  sauraient  offrir  l'image  de  cette 
affreuse  perplexité.  Aspirer  à  Dieu,  à  la  perfection,  et  voir  s'éloigner  comme 
un  mirage  menteur  ce  ciel  d'amour  et  de  pureté  dont  l'âme  a  fait  dès  ce 
monde  sa  fin  et  sa  vie  !  Tomber  de  là,  non  dans  les  sentiers  communs,  mais 
dans  la  fange  qui  les  borde  !  Oh  !  quand  les  anciens  avaient  créé  cette  figure 
fantastique  et  effrayante  de  leur  Tantale  au  supplice,  ils  avaient  eu  la  vision 
de  l'âme  chrétienne  dévorée  de  cette  soif  du  ciel  que  rien  ne  peut  éteindre 
que  le  ciel  même,  de  cette  soif  aiguillonnée  encore  par  cette  épouvantable 
tentation. 

«  Pauvre  fille,  murmurait  à  Catherine  une  voix  sardonique  et  cruelle, 
quelle  audace,  quelle  témérité  dans  ton  désir  de  la  perfection  !  Penses-tu 
t'élever  impunément  au  rang  des  anges,  toi,  fragile  créature,  pétrie  du  même 
limon  que  tous  ces  pécheurs  ?  Oublie  ces  rêves  insensés  !  tu  es  jeune  en- 
core; pendant  que  tes  yeux  ont  encore  quelque  éclat,  que  ton  front  a  gardé 
sa  jeunesse,  fixe  l'un  de  ces  cœurs  que  tu  as  dédaignés  jusqu'à  ce  jour.  Là 
seulement  est  la  sécurité,  là  seulement  est  le  bonheur.  Yois  Rachel,  vois 
Sara,  Rébecca.  Ne  sont-ce  pas  de  saintes  femmes  ?  Et  penses-tu  t'élever 
jamais  au-dessus  de  ces  modèles  des  femmes  fortes  ?  »  Et  Catherine,  chan- 
celante de  terreur,  mais  forte  de  sa  'oi  et  de  sa  confiance,  répondait  :  «Je 
me  confie  en  celui  qui  fait  ma  force,  au  Christ  que  j'aime,  et  non  en  moi  ». 
Que  les  cœurs  chrétiens  retiennent  bien  ceci  et  qu'ils  s'arrêtent  à  ce  tableau. 
Il  y  a  des  moments  dans  la  vie  où  ce  souvenir,  ce  seul  souvenir,  peut  les 
sauver  du  désespoir.  Cette  confiance  persévérante,  cette  droiture  de  son 
esprit  et  de  son  cœur  qui  la  fixa  à  cette  pensée  comme  à  un  point  d'appui, 
cette  confiance  sauva  Catherine.  Le  mauvais  esprit  alors  quitta  son  âme.  Il 
s'empara  de  la  femme.  Il  y  entra  par  la  pensée,  cette  messagère  du  ciel  et 
de  l'enfer.  Il  l'entoura  donc  des  tableaux  les  plus  honteux,  des  images  les 
plus  grossièrement  sensuelles.  Ce  supplice  dura  longtemps.  Catherine  dé- 
tournait les  yeux,  et  la  rougeur  montait  à  son  front  pudique.  Mais  derrière 
elle,  les  mêmes  images  reparaissaient.  Obsédée,  elle  fuyait,  comme  autrefois 
saint  Jérôme  fuyait  sa  grotte  sainte,  sa  cellule  étroite,  toute  remplie  de  chas- 
teté et  de  souvenirs  de  pénitence  ;  elle  allait  demander  à  tous  les  sanc- 
tuaires de  Sienne  sa  délivrance;  mais  partout  elle  portait  avec  elle  ces  fan- 
tômes de  l'enfer.  Les  autels  de  saint  Dominique,  céleste  protecteur  de  toutes 
les  chastetés  en  péril,  étaient  les  confidents  de  ses  terreurs  et  de  ses  an- 
goisses. Mais  Catherine,  éprouvée,  n'oubliait  pas  la  prière,  ce  canal  de  tout 
secours  divin.  Elle  augmentait  au  contraire  ses  sacrifices,  le  nombre  d'heures 
qu'elle  donnait  à  l'oraison,  à  la  pénitence.  Fidèle  aux  inspirations  de  la 
grâce,  elle  s'excitait  aune  haine  sainte  d'elle-même  et  profitait  de  son  hu- 


SAINTE   CATHERINE   DE   SIENNE,    VIERGE.  119 

miliation  apparente  pour  offrir  au  Seigneur  un  plus  parfait  sentiment  de  sa 
pauvreté  spirituelle.  Quelquefois  elle  restait  de  longues  heures  comme 
anéantie  au  pied  de  la  croix.  Puis  elle  se  levait  pour  servir  Dieu  avec  plus 
de  courage. 

C'est  par  cette  humilité,  cette  soumission  constante,  que  Catherine 
triompha  d'une  épreuve  si  terrible.  Elle  avait  duré  plusieurs  jours.  Elle 
s'éloigna,  et  pour  longtemps.  C'est  alors  que,  prosternée,  elle  sentit  l'Esprit- 
Saint  éclairer  son  cœur  de  cette  lumière  féconde  qui  lui  fit  sentir  la  néces- 
sité de  ces  épreuves  dans  la  carrière  de  la  sainteté.  La  béatitude  est  au  bout, 
mais  les  épreuves  et  les  douleurs  sèment  cette  route.  Hélas  !  que  de  larmes 
ont  marqué  sur  cette  terre  le  passage  de  ces  Saints  que  notre  cœur  chérit, 
que  notre  culte  honore  !  Mais  Jésus,  en  les  appelant  après  lui,  leur  avait 
dit,  :  Que  celui  qui  veut  me  suivre  laisse  tout  là  et  qu'il  prenne  ma  croix.  Et 
eux,  généreux  jusqu'à  une  sainte  folie,  ils  ont  dit  :  Seigneur,  ce  n'est  pas 
assez  de  votre  croix,  nous  vous  rendrons  sang  pour  sang  ! 

C'est  ce  que  Catherine  de  Sienne  disait,  elle  aussi,  à  son  Seigneur  dans 
ses  communications  avec  lui  qui  n'étaient  visibles  que  pour  elle  seule.  Après 
cette  épreuve  cruelle,  la  consolation  et  la  joie  abondèrent  dans  son  cœur. 
Le  Sauveur  lui-même  lui  apparut  comme  dans  son  sacrifice  du  Calvaire. 
«  Où  étiez-vous,  Seigneur,  lui  demanda  doucement  Catherine,  pendant 
que  ma  pensée  était  souillée  de  toutes  ces  images  ?  —  J'étais  dans  ton 
cœur,  ma  fille,  lui  dit  l'Epoux,  et  j'y  étais  ravi  par  la  fidélité  que  tu  me  gar- 
dais pendant  ce  douloureux  combat  ». 

Au  milieu  des  torrents  de  félicités  qui  remplirent  sa  vie  à  dater  de  ce 
jour,  Catherine  revenait  encore  à  ce  souvenir  avec  délices.  La  pensée  de  ce 
qu'elle  avait  souffert  inondait  d'émotion  et  de  reconnaissance  son  âme  déli- 
vrée. Comme  saint  Jérôme,  elle  se  prenait  quelquefois  à  regretter  cette 
époque  militante  de  sa  vie.  C'avait  été  pour  elle  un  pas  immense  dans  la 
vertu. 

Ici  commencent  la  vie  publique  de  Catherine,  ainsi  que  parle  son  saint 
confesseur,  et  son  action  bienfaisante  sur  toute  la  chrétienté.  Comme  dit 
encore  le  bienheureux  Raymond  de  Capoue  :  Une  telle  lumière  ne  pouvait 
rester  sous  le  boisseau,  et  ne  fallait-il  pas  montrer  à  tous  les  regards  la  ville 
placée  sur  la  montagne  ? 

C'est  alors  aussi  qu'eut  lieu  dans  la  vie  de  Catherine  cette  union  mys- 
tique entre  elle  et  son  Seigneur  bien-aimé,  vision  digne  de  l'admiration  des 
anges,  qui  a  saisi  l'imagination  de  nos  artistes  d'élite,  et  qu'ils  ont  repro- 
duite tant  de  fois  dans  la  peinture  et  dans  la  légende. 

Un  jour,  —  on  était  à  la  veille  du  Carême,  et  tous,  chrétiens  et  mon- 
dains, célébraient  par  toutes  les  folies  d'usage  les  dernières  allégresses  du 
carnaval,  —  Catherine  était  seule  dans  sa  cellule,  et  elle  adorait  de  toute 
son  âme  ce  Dieu  que  tout  oubliait  autour  d'elle.  «  Seigneur»,  dit-elle  dans 
son  extase  sainte,  «  rendez-moi  forte,  afin  que  rien  ne  puisse  jamais  me 
séparer  de  votre  amour  ».  Une  voix,  la  voix  divine  de  l'Epoux,  lui  répon- 
dit :  «  Sois  en  paix,  je  t'épouserai  dans  la  foi  ». 

A  ces  mots,  l'Epoux  descendit  lui-même,  et  avec  lui  parurent  devant 
Catherine  éblouie  la  resplendissante  Vierge  Marie,  patronne  sacrée  de  toutes 
les  Vierges  du  ciel  et  de  la  terre,  puis  saint  Jean  l'Evangéliste,  avec  son  re- 
gard d'aigle  et  sa  pureté  de  colombe,  le  victorieux  saint  Paul,  saint  Domi- 
nique, illustre  par  ses  mœurs  d'ange  et  ses  doctes  travaux,  enfin  avec  eux 
tous,  le  roi  David,  cet  éternel  modèle  de  l'amour  pénitent;  en  présence  de 
tout  ce  cortège  de  saintetés  et  de  vertus,  la  Vierge  Immaculée,  mère  du 


120  30  AVRIL. 

pur  amour,  prit  dans  ses  mains  divines  la  main  droite  de  Catherine  et  la 
présenta  à  son  Fils  en  lui  demandant  pour  elle  l'anneau  mystique.  Un  an- 
neau d'or  orné  de  quatre  pierres  précieuses  qui  entouraient  un  diamant 
magnifique,  brillait  dans  la  main  du  Sauveur.  Sans  doute  il  y  avait  là  encore 
une  figure  intelligible  seulement  à  la  piété  de  Catherine  et  des  Saints. 

Le  Sauveur  présenta  la  bague  à  sa  fiancée  et  la  lui  mit  au  doigt  en  di- 
sant :  «  Moi,  ton  Créateur  avec  mon  Père  céleste,  moi  ton  Rédempteur,  je 
t'épouse  à  présent  dans  la  foi,  et  tu  la  conserveras  pure  jusqu'au  jour  où 
nous  célébrerons  dans  le  ciel  les  noces  éternelles  ». 

La  vision  disparut,  mais  l'anneau  resta  au  doigt  de  Catherine.  Elle  seule 
le  voyait;  pour  tous,  il  était  invisible.  Il  ne  la  quitta  jamais,  et  elle  ne  se 
lassa  jamais  de  l'admirer. 

De  ce  moment,  Dieu  voulut  que  ce  zèle,  que  Catherine  nourrissait  dans 
son  cœur  pour  sa  gloire  et  le  salut  des  hommes,  portât  son  fruit.  Déjà,  à 
cette  époque,  quelques-uns  étaient  scandalisés  de  la  grandeur  de  ses  révé- 
lations et  de  l'héroïsme  de  ses  vertus.  Car  l'onction  de  la  parole  divine  était 
souvent  sa  seule  nourriture,  et  elle  se  refusait  pendant  longtemps  les  ali- 
ments, sans  que  pourtant  elle  tombât  en  défaillance.  Un  célèbre  ascète  de 
Florence  en  fut  scandalisé  comme  les  autres.  Il  le  lui  témoigna,  et  Cathe- 
rine se  défendit,  dans  une  lettre  modeste  et  tout  empreinte  de  force  et  de 
grâce,  des  soupçons  que  sa  conduite  avait  fait  naître  dans  l'esprit  de  cet 
homme. 

Ainsi  Catherine  eut  souvent  à  subir  des  contradictions  redoutables  dans 
sa  famille,  et  même  dans  sa  famille  spirituelle.  Les  uns  la  traitaient  d'hypo- 
crite, les  autres  la  raillaient.  Un  religieux  de  l'Ordre  de  Saint-Dominique 
l'accabla  une  fois  d'outrages  cruels,  Catherine  ne  lui  répondit  que  par  le 
silence,  et  charitable  autant  que  patiente,  elle  le  défendit  contre  le  Père 
Raymond  et  les  religieux  de  son  Ordre  qui  voulaient  traiter  avec  sévérité  un 
homme  que  la  grâce  trouvait  si  rebelle. 

Le  Seigneur  lui  dit  un  jour  :  L'orgueil  des  hommes  est  devenu  intrai- 
table, ma  justice  les  confondra  par  un  équitable  jugement.  Je  veux  leur 
donner  une  confusion  salutaire,  et  pour  cela,  dans  ma  divine  sagesse,  je 
leur  enverrai  des  femmes  ignorantes  et  faibles  par  nature,  mais  sages  et 
puissantes  par  ma  grâce  afin  de  confondre  leur  orgueil.  Catherine  devait 
être  une  de  ces  femmes  privilégiées,  la  plus  illustre  peut-être.  Dieu  lui  or- 
donna formellement  de  paraître  en  public,  lui  promettant  d'être  avec  elle 
par  sa  grâce,  et  c'est  ce  que  témoignèrent  admirablement  plusieurs  faits 
merveilleux  de  sa  vie  de  famille.  Portée  par  l'humilité  de  son  esprit  et  de 
son  état  à  remplir,  dans  ses  rapprochements  avec  sa  famille,  les  offices  les 
plus  dédaignés  de  tous  et  des  serviteurs  eux-mêmes,  Catherine  reçut  cepen- 
dant la  grâce  de  n'être  jamais  troublée  dans  ses  intimes  communications 
avec  Dieu,  même  au  milieu  des  plus  rudes  travaux  domestiques,  et  souvent 
on  la  vit  soulevée  de  terre  durant  ses  extases,  comme  autrefois  sainte  Ma- 
rie-Madeleine :  son  corps  suivait  son  âme  pour  montrer  la  vertu  de  l'Esprit 
qui  l'attirait.  Un  jour  qu'elle  était  assise  auprès  du  feu  pour  surveiller  les 
viandes  qu'on  faisait  rôtir,  Catherine  eut  une  de  ces  extases  qui  l'arra- 
chaient à  la  terre.  Sa  belle-sœur  survint  qui,  voyant  cela,  habituée  qu'elle 
était  à  voir  sa  sœur  dans  cet  état  de  ravissement,  continua  son  ouvrage.  Elle 
emporta  les  viandes  quand  il  en  fut  temps  et  laissa  Catherine  livrée  à  sa 
vision;  quand  elle  revint  après,  elle  trouva  Catherine  sur  les  charbons  ar- 
dents. Or,  le  feu  était  très-grand.  Aussitôt  la  jeune  femme  effrayée  s'enfuit 
en  criant  :  Hélas  !  hélas  I  Catherine  est  toute  brûlée  !  Quand  on  retira  la 


SAINTE   CATHERINE  DE  SIENNE,    VIERGE,  {21 

jeune  fille,  son  corps  et  ses  vêtements  étaient  intacts.  Il  n'y  avait  pas  trace 
de  brûlure,  pas  môme  de  poussière  ni  de  cendre  attachée  à  l'étoffe  de  sa 
robe.  «  Le  feu  céleste  qui  embrasait  son  âme,  dit  un  de  ses  confesseurs,  avait 
arrêté  le  feu  de  la  terre  » .  L'Esprit-Saint  la  préservait  aussi  des  pièges  où  l'atti- 
rait souvent  l'esprit  malin.  On  raconte  qu'un  jour  cet  ennemi  des  hommes, 
dans  sa  fureur  contre  Catherine,  la  jeta  dans  un  grand  feu  devant  ceux  qu'elle 
instruisait.  Tandis  que  les  assistants  poussaient  des  cris  de  frayeur  et  s'effor- 
çaient de  la  retirer  du  feu,  elle  se  relevait  seule  en  souriant,  et  ses  vêtements 
n'étaient  pas  même  endommagés.  Catherine  regarda  tranquillement  autour 
d'elle,  et  elle  dit  toute  riante  à  ceux  qui  la  regardaient,  aussi  effrayés  de  ce 
miracle  qui  la  sauvait  qu'ils  l'avaient  été  de  cet  accident  étrange  :  «  N'y 
faites  pas  attention,  c'est  la  mauvaise  bête  » . 

Cett2  mauvaise  bête,  sainte  Thérèse  l'a  connue  aussi,  quand  sa  sainteté 
se  perfectionnait  dans  les  combats.  Cette  mauvaise  bête,  Dieu  le  Père,  pour 
notre  rédemption,  lui  permit  bien  d'oser  transporter  sur  la  montagne  la 
personne  immaculée  de  notre  Sauveur.  Pourquoi  n'aurait-elle  pas  son  rôle 
dans  les  tourments  et  le  martyre  de  nos  Saints  les  plus  illustres  ? 

Catherine  fut  aussi  précipitée  dans  un  bourbier  par  cette  puissance  de 
l'enfer.  Elle  revenait  ce  jour-là  bien  tranquillement  à  Sienne  sur  son  âne, 
et  quelques  frères  de  Saint-Dominique  l'entouraient.  Mais  là,  comme  tou- 
jours, la  récompense  suivit  l'épreuve. 

Un  jour  que  la  Sainte  était  restée  longtemps  en  prières  à  l'église  Saint- 
Dominique,  et  qu'elle  revenait  chez  elle,  elle  se  trouva  environnée  d'une 
immense  lumière.  Elle  s'arrête,  et  voit  le  Sauveur  tenant  entre  ses  mains  un 
cœur  resplendissant  de  vie  et  de  beauté.  —  Elle,  tremblante,  s'humilie  et 
se  prosterne  devant  son  céleste  Epoux.  —  Mais  le  Christ  vient  à  elle  avec 
bonté,  et  lui  ouvrant  le  côté,  il  place  dans  son  sein  ce  cœur  au  lieu  du  sien 
même.  Depuis  longtemps  la  fidèle  Catherine  avait  dit  à  son  bien-aimé  : 
Seigneur,  ôtez-moi  mon  cœur.  —  Ma  fille,  dit  le  Sauveur,  voici  mon  cœur 
que  je  vous  donne,  et  par  lui  vous  vivrez  toujours.  Les  compagnes  de  Ca- 
therine affirmèrent  qu'elles  avaient  vu  à  son  côté  une  cicatrice  rouge  qui 
témoignait  de  la  vérité  de  ce  qu'elle  disait.  Depuis  ce  temps  Catherine  porta 
au  dedans  d'elle,  non  pas  seulement  ce  feu  symbolique  de  la  charité,  mais 
un  feu  ardent  et  véritable,  et  ce  feu  renouvela  en  elle  tout  son  être  et  toutes 
ses  vertus. 

Dans  sa  modeste  cellule  descendaient  toutes  les  poésies,  toutes  les  féli- 
cités du  ciel.  Tantôt  c'était  la  Reine  des  anges  elle-même,  tantôt  c'était 
saint  Thomas  d'Aquin,  saint  Jean  l'Evangéliste,  qui  lui  prodiguaient  leurs 
sublimes  enseignements.  Un  autre  jour  elle  reçut  pour  patronne  la  bien- 
heureuse Marie-Madeleine,  et  elle  connut  d'elle  en  un  instant  cette  suavité 
d'amour,  cet  abandon  généreux  qui  l'avait  attirée  du  sein  des  délices  mon- 
daines aux  pieds  du  Christ.  —  Depuis  ce  temps,  elle  ne  nomma  plus  sainte 
Madeleine  que  la  douce  amoureuse,  sa  mère. 

Ainsi  que  pour  tous  les  Saints,  la  vraie  nourriture  de  Catherine  était  la 
viande  et  le  breuvage  eucharistiques,  et  son  union  avec  le  Sacrement  de 
l'autel  était  si  intime,  si  continuelle,  que  la  seule  vue  du  pain  sacré  la  ras- 
sasiait quelquefois. 

Son  confesseur  raconte  qu'il  semblait  que  la  victime  eucharistique, 
comme  si  elle  eût  été  impatiente  d'aller  résider  dans  ce  tabernacle  de  pureté 
et  de  sainte  adoration,  vint  un  jour  se  placer  d'elle-même  sur  la  patène 
au  moment  où  il  s'avançait  pour  donner  la  communion  à  son  illustre  péni- 
tente. —  Souvent  des  témoins  affirmèrent  que  la  sainte  hostie,  au  moment 


422  30  avril. 

de  la  communion,  s'élançait  des  mains  du  prêtre  jusqu'aux  lèvres  de  Ca- 
therine. —  Ce  n'étaient  que  miracles  et  faveurs  du  ciel. 

Elle  voyait  les  anges  servir  la  messe,  un  voile  d'or  à  la  main.  Elle  enten- 
dait les  chœurs  célestes.  Elle  voyait  les  Saints,  la  Vierge  elle-même,  ravis 
d'admiration  devant  les  abaissements  du  Dieu  de  l'autel. 

Elle  communiait  tous  les  jours  et  elle  croyait  avec  le  grand  nombre  des 
Saints  que  l'homme  pécheur,  après  avoir  purifié  sa  conscience  par  l'absolu- 
tion, ne  doit  pas,  sous  le  seul  prétexte  de  son  indignité,  s'éloigner  de  la 
table  sainte. 

A  ce  sujet,  elle  écrivit  à  un  chevalier  de  la  république  de  Florence  une 
lettre  remarquable  dont  voici  quelques  lignes  :  «  Une  vous  convient  pas  de 
faire  comme  beaucoup  de  gens  imprudents  qui  manquent  à  ce  qui  est  com- 
mandé par  la  sainte  Eglise,  disant  :  Je  ne  suis  pas  digne  !  et  ils  passent  un 
long  temps  dans  le  péché  mortel  sans  prendre  la  nourriture  de  l'âme.  —  0 
coupable  humilité  !  Eh  !  qui  ne  voit  que  vous  n'en  êtes  pas  digne  !  N'atten- 
dez pas,  car  vous  ne  serez  pas  plus  digne  à  la  dernière  heure  qu'à  la  pre- 
mière. —  Avec  notre  propre  justice  nous  ne  serons  jamais  dignes,  mais  Dieu 
est  celui  qui  est  digne,  et  qui  nous  fait  dignes  par  sa  dignité  qui  est  infinie, 
qui  ne  diminue  jamais  ». 

La  vie  active  de  Catherine  n'est  pas  moins  digne  d'admiration,  pas  moins 
semée  de  merveilles  que  ne  l'est  sa  vie  mystique,  et  que  ne  le  fut  plus  tard 
sa  vie  enseignante.  —  L'aumône  était  comme  une  récréation  pour  son 
cœur.  Elle  aimait  surtout  à  user  des  biens  que  son  père,  homme  droit  et 
juste,  lui  remettait  pour  l'aumône  en  faveur  des  misères  cachées  et  hono- 
rables que  la  société  des  villes  cache  dans  son  sein.  Il  y  avait  à  Sienne  de 
ces  nobles  et  chastes  misères  qui  se  voilaient,  honteuses  de  leurs  dénûments. 
Catherine  les  allait  chercher  discrètement.  De  sa  main  amie  elle  rassasiait 
ces  vénérables  affamés,  elle  substituait  un  lit  au  grabat,  remplissait  la  huche 
de  pain  nouveau,  apportait  le  vin,  le  blé,  l'huile,  et,  en  même  temps,  des 
larmes  de  sympathie,  une  compassion  fraternelle  faisaient  accepter  avec 
bonheur  des  dons  qu'on  eût  rougi  de  mendier  à  l'opulence  altière.  —  Elle 
allait  seule,  le  matin  à  la  dérobée,  chez  ces  pauvres.  Dieu  lui  ouvrait  mira- 
culeusement leur  porte,  qu'elle  refermait  en  se  sauvant  après  avoir  laissé  là 
ses  offrandes. 

Un  jour  qu'une  maladie  cruelle  la  retenait  au  lit,  elle  sut  qu'une  pauvre 
veuve  de  son  voisinage  n'avait  plus  de  pain  à  donnera  ses  enfants.  Son  cœur 
saigna  de  compassion,  et  elle  pria,  afin  que  le  Seigneur  lui  donnât  assez  de 
force  pour  pouvoir  s'en  aller  secourir  cette  détresse.  Le  lendemain,  elle  se 
lève  avant  le  jour,  glane  dans  les  greniers  de  la  maison  paternelle,  se  charge 
de  pain,  de  vin,  de  blé,  d'huile  et  de  tout  ce  qu'elle  trouve  d'aliments  sous 
sa  main.  Mais  comment,  faible  et  malade,  emporter  seule  toutes  ces  provi- 
sions ?  il  y  en  avait  presque  la  charge  d'une  mule.  Dieu  lui  viendra  en  aide. 
Les  forces  peuvent-elles  manquer  aux  serviteurs  fidèles  que  la  Providence 
a  élus  ses  trésoriers  en  ce  monde  ?  Elle  met  une  partie  de  sa  charge  sur  ses 
épaules,  une  autre  à  sa  ceinture,  elle  en  prend  une  autre  à  deux  mains,  et 
soulève  tous  ces  fardeaux  en  invoquant  Dieu.  Son  espérance  n'est  pas  trom- 
pée. Elle  se  met  en  marche,  légère  comme  un  messager  d'en  haut;  elle  ne 
sentait  seulement  pas  peser  sur  elle  cette  charge,  qui  était  de  près  de  cent 
livres.  —  Elle  court;  elle  arrive.  —  Mais  près  de  la  maison  de  la  veuve,  son 
pas  se  ralentit,  son  fardeau  se  fait  sentir.  Elle  prie  avec  ferveur  et  la  force 
lui  revient.  —  La  porte  de  la  pauvre  demeure  n'était  pas  fermée  par  le  haut. 
Elle  l'ouvre  et  dépose  sa  charge  à  l'intérieur.  Mais  le  poids  en  était  si  con- 


SAINTE   CATHERINE   DE   SIENNE,   YIERGE.  123 

sidérable  qu'en  tombant  elle  réveille  la  pauvre  veuve.  —  Déjà  Catherine 
fuyait  et  conjurait  son  divin  époux  de  lui  rendre  les  forces  qu'il  venait  de 
lui  retirer  en  lui  ôtant  son  fardeau.  —  La  veuve  avait  reconnu  son  habit. 
Elle  savait  que  cette  bienfaitrice  qui  se  cachait  était  Catherine,  Catherine 
dont  l'aumône  matinale,  comme  celle  de  saint  Nicolas,  venait  réjouir  le  ré- 
veil des  malheureux,  Catherine  dont  la  charité  fraternelle  donnait  au  pauvre, 
comme  saint  Martin,  la  plus  grande  moitié  de  son  manteau. 

Un  jour,  à  l'église  des  Frères  Prêcheurs  de  Sienne,  un  pauvre  lui  de- 
manda l'aumône;  elle  n'avait  rien,  mais  refuser  à  un  pauvre  était  pour  elle 
une  amère  douleur.  Elle  regarda  donc  sur  elle  ce  qu'elle  pouvait  lui  don- 
ner :  la  fiancée  du  Seigneur  n'avait  ni  bagues  ni  perles,  car  sa  parure,  sa 
gloire  est  intérieure.  Ses  yeux  s'arrêtèrent  sur  une  croix  d'argent  qui  était 
attachée  à  un  de  ces  petits  cordons  garnis  de  nœuds,  sur  lesquels  on  récite 
l'Oraison  dominicale  et  qu'on  appelle  pour  cette  raison  des  Pater  noster. 
Elle  détacha  cette  croix  et  la  donna  au  pauvre,  qui  la  reçut  avec  joie  et  se 
retira.  La  nuit  d'ensuite,  comme  Catherine  priait,  le  Sauveur  lui  apparut 
tenant  à  la  main  la  même  croix  tout  ornée  de  pierres  précieuses.  —  Recon- 
nais-tu cette  croix,  ma  fille,  lui  dit-il.  —  Je  la  reconnais,  dit  Catherine, 
mais  elle  n'était  pas  si  belle  lorsqu'elle  était  à  moi.  —  Hier,  dit  le  Seigneur, 
tu  me  l'as  donnée  avec  amour,  et  moi  je  te  promets  qu'au  jour  du  juge- 
ment je  te  la  rendrai  telle  qu'elle  est,  afin  qu'elle  devienne  ta  gloire.  —  Il 
disparut,  mais  il  reparut  encore  souvent  à  Catherine  sous  l'habit  des  pauvres. 
Un  jour  elle  donna  à  l'un  de  ces  pauvres,  dont  la  figure  inconnue  cachait  à 
son  cœur  celui  qu'elle  aimait,  sa  robe>  la  seule  qu'elle  s'était  gardée.  Le  Sei- 
gneur lui  rendit  le  lendemain  une  tunique  semée  d'or  et  de  perles  pré- 
cieuses. Prémices  des  récompenses  éternelles  qui  figuraient  déjà  ce  manteau 
de  gloire  dont  Dieu  revêtira  ceux  qui  auront  couvert  ses  membres  glorieux, 
dans  la  triste  nudité  des  pauvres  de  ce  monde  !  Un  autre  jour  le  Sauveur 
renouvelait  en  sa  faveur,  dans  la  maison  de  son  père,  ce  miracle  de  l'eau 
changée  en  vin  aux  noces  de  Cana.  Les  souffrances  sans  remède,  les  maux 
que  la  science  avait  renoncé  à  guérir,  attiraient  surtout  la  compassion  de 
Catherine. 

Il  y  avait  à  Sienne  une  malheureuse,  nommée  Tecca.  La  lèpre  couvrait 
son  corps,  et  ses  plaies  répandaient  l'infection  autour  d'elle  :  tout  l'aban- 
donnait. La  charité  insatiable  de  Catherine  adopta  cette  infortunée.  Elle 
l'entourait  de  soins,  se  faisait  son  esclave  et  ne  craignait  pas  de  l'embras- 
ser comme  une  amie.  Tous  ceux  qui  souffraient  n'étaient-ils  pas  ses  amis  ? 
Cette  malheureuse  s'accoutuma  à  ces  soins,  à  cette  tendresse,  miracle  d'une 
religion  d'amour  et  de  sacrifice  ;  elle  ne  voulut  plus  permettre  à  Catherine 
de  s'absenter  le  dimanche  pour  l'office  divin.  La  lépreuse,  qui  se  croyait 
dus  tous  ces  soins,  blasphémait  et  calomniait  sa  bienfaitrice.  La  mère  de 
Catherine  la  conjurait  de  laisser  cette  méchante  vieille,  mais  la  charité  de 
Catherine  ne  se  rebutait  pas  ;  elle  contracta  enfin  cette  horrible  lèpre  qu'elle 
combattait  dans  Tecca.  Ce  malheur  ne  l'arrêta  pas  dans  sa  tâche;  mais  celui 
qui  guérit  et  qui  sauve  s'était  assez  réjoui  du  généreux  courage  de  sa  bien- 
aimée.  Tecca  mourut,  et  elle  n'eut  pas  plus  tôt  rendu  le  dernier  soupir  que 
la  lèpre  de  Catherine  disparut  tout  à  coup,  et  que  ses  mains  qui  l'avaient 
contractée  tout  d'abord  devinrent  plus  blanches  et  plus  éclatantes  de 
beauté  qu'auparavant. 

Une  autre  exerça  aussi  cruellement  sa  patience  :  c'était  une  religieuse  de 
son  Ordre,  Palmerina.  Son  orgueil  blessé,  une  sourde  envie,  avait  excité 
dans  son  cœur  une  haine  envenimée  contre  cet  ange  de  vertus;  elle  jeta  sur 


f24  30  aywl. 

cette  réputation  sans  tache  d'ignobles  calomnies.  Dieu  la  punit,  elle  fut  at- 
taquée d'une  maladie  mortelle,  et  elle  se  trouva  à  l'agonie.  Pendant  ce 
temps,  Catherine  s'accusait  de  tout  ce  mal,  et  elle  conjurait  son  divin  Sau- 
veur de  ne  pas  laisser  cette  âme  quitter  le  monde  sans  lui  avoir  inspiré  des 
sentiments  de  charité  et  de  douceur.  C'est  alors  que,  dans  une  extase,  elle 
vit  par  l'esprit  de  Dieu  combien  est  belle  une  âme,  une  de  ces  âmes  que  le 
Sauveur  a  aimées  jusqu'à  descendre  du  ciel  pour  les  racheter. 

La  puissante  prière  de  Catherine  retardait  toujours  l'agonie  de  Palme- 
rina,  et  le  dernier  combat  de  cette  pauvre  femme  était  quelque  chose  d'ef- 
frayant. Catherine  en  eut  la  révélation,  et  elle  versa  tant  de  larmes  qu'elle 
obtint  enfin  de  Dieu  la  conversion  de  ce  cœur  endurci  qu'un  rayon  de  mi- 
séricorde vint  éclairer  à  son  heure  dernière.  Elle  s'accusa  de  sa  faute  et  re- 
çut le  baiser  et  le  pardon  de  Catherine  exaucée. 

La  paix  et  la  joie  la  suivaient  partout.  Ici  elle  sauvait  l'honneur  d'une 
noble  famille,  là  elle  réconciliait  des  ennemis  politiques,  ailleurs  l'appe- 
laient les  infirmités  les  plus  rebutantes.  Calomniée  souvent  par  ceux  qu'elle 
secourait,  elle  vit  se  renouveler  l'ingratitude  de  Tecca  et  de  Palmerina 
dans  une  autre  religieuse  de  son  Ordre,  Andréa,  dont  elle  lavait  sans  dégoût 
les  ulcères  et  les  plaies.  Cette  malheureuse  atteignit  Catherine  dans  sa  ré- 
putation. La  vierge  ne  tenait  à  son  honneur  devant  les  hommes  que  pour 
l'honneur  de  celui  dont  elle  avait  à  glorifier  le  nom  sans  tache.  —  Mais 
l'exquise  pudeur  de  cet  honneur  même  conserva  toute  sa  délicatesse.  La 
vertu  vraie  et  sincère  porte  avec  elle  une  dignité,  un  calme  que  rien  ne  sau- 
rait ébranler.  Andréa  fut  touchée  de  la  grâce.  —  Son  cœur  se  rendit  à  la 
douceur  qui  s'échappait  du  sourire  de  cette  vierge  qu'elle  persécutait.  Elle 
protesta  hautement  de  cette  angélique  innocence,  et  Dieu  fut  glorifié  encore 
cette  fois  dans  la  personne  de  sa  servante. 

Mais  ce  ne  fut  pas  tout,  et  Catherine  devait  jeter  sur  les  discordes  poli- 
tiques, qui  divisaient  sa  patrie,  l'onction  et  la  paix  divine,  aussi  est-elle 
appelée  l'ange  pacificateur  de  Sienne. 

En  1368,  une  révolution  terrible  avait  inauguré  le  Mont  des  Réforma- 
teurs, car  les  républiques  italiennes  furent  toujours  déchirées  par  leurs 
discordes  intestines.  —  Les  républicains  de  Sienne  abattus  tombèrent  sous 
la  rude  domination  des  plébéiens  dont  la  tyrannie  soupçonneuse  épiait  les 
citoyens  jusque  dans  l'intimité  la  plus  secrète  de  la  famille.  Le  noble  Agnelo 
d'Andréa  fut  arrêté  pour  n'avoir  pas  invité  un  réformateur  à  une  grande 
fête  qu'il  donnait  dans  sa  villa  près  de  Sienne. 

De  sa  paisible  cellule  Catherine  entendit  les  menaces  de  l'émeute  et  les 
cris  de  mort  que  cette  foule  en  révolte  jetait  au  sénateur  Ludovic  de  Ma- 
gliano,  et,  ange  de  paix,  elle  écrivait  à  la  duchesse  sa  femme  des  paroles 
d'espérance  et  d'encouragement  pour  la  conjurer  de  demeurer  ferme  au 
service  de  Dieu  au  sein  de  la  tribulation. 

Elle  avait  converti  aussi  ce  jeune  chevalier  de  Pérouse  que  la  république 
de  Sienne  immola  à  son  ombrageuse  tyrannie,  Nicolas  Rulda,  accusé  de  ré- 
volte et  de  complot  par  le  Mont  des  Réformateurs.  Le  gouvernement  popu- 
laire lança  contre  lui  une  sentence  de  mort.  —  L'âme  fière  de  ce  patricien 
ne  s'abaissa  point  à  demander  grâce.  Il  offrit  sa  tête  à  la  haine  populaire.  — 
Mais  sa  jeunesse  avait  été  licencieuse,  et  l'amitié  de  Catherine  le  réconcilia 
avec  la  divine  justice.  A  sa  voix  le  repentir  descendit  dans  son  cœur.  —  Il 
mourut  en  héros. 

Il  avait  exigé  de  Catherine  qu'elle  le  conduisît  au  supplice,  afin  que  la 
prière  de  cette  vierge  l'escortât  au  pied  du  trône  de  Dieu.  —  Sainte  Cathe- 


SAINTE   CATHERINE   DE   SIENNE,   VIERGE.  125 

rine  de  Sienne,  dédaignant  les  haines  que  cette  bonne  œuvre  pouvait  lui 
susciter,  le  suivit  au  lieu  où  il  devait  être  exécuté.  Catherine  lui  sourit  à  ses 
derniers  moments,  et  ce  fut  le  plus  sublime  tableau  que  l'on  pût  voir  dans 
les  épisodes  de  ces  révolutions  sinistres,  que  cette  sainte  fille  auprès  de  ce 
billot,  que  cette  enfant  du  peuple  exhortant  ce  patricien  à  mourir  en  martyr, 
et  que  ce  sang  de  la  noble  Italie  jaillissant  sur  le  manteau  virginal  d'une 
fille  d'artisans. 

Déjà  depuis  longtemps  Catherine  était  plus  qu'une  simple  vierge  chré- 
tienne. —  Elle  était  aussi  la  femme  forte,  celle  qui  répand  partout  la  paix, 
l'ordre,  le  travail.  Elle  porta  surtout  l'ordre  dans  le  monde  spirituel,  et  à 
cette  époque  elle  commença  à  poser  la  première  pierre  de  cette  fondation 
mystique,  de  cette  école  qui  fait  sa  gloire. 

On  avait  vu  dans  l'antiquité  des  femmes  illustres  enseigner  quelquefois 
des  doctrines  de  philosophie.  La  célèbre  Hypatia  avait  été  l'une  des  gloires 
de  son  siècle  en  ce  sens  *. 

L'exemple  d'une  femme  enseignant  et  parlant  en  public  n'était  donc  pas 
nouveau,  surtout  dans  ces  républiques  italiennes  si  voisines  des  chauds 
climats  de  la  Grèce. 

Mais  l'exemple  d'une  femme,  quelque  sainte  qu'elle  fût,  parlant  tout 
haut  théologie  et  sainteté,  voici  qui  devait  assurément  attirer  l'étonnement 
public  dans  cette  catholique  Italie  du  moyen  âge.  Sainte  Brigitte  dans  ses 
révélations,  sainte  Hildegarde,  avaient  toutes  deux  illustré  leur  sainteté  par 
de  savants  écrits  qui  avaient  aidé  l'Eglise  à  cette  protestation  de  notre  glo- 
rieux moyen  âge  contre  le  rationalisme  religieux  dont  le  fantôme  se  dres- 
sait menaçant.  Sainte  Catherine  de  Sienne  fit  plus,  elle  osa  prêcher  haute- 
ment sa  doctrine.  —  Elle  la  proclama,  et  jeta  aux  échos  de  Sienne,  de 
Pise,  de  Rome  ses  mystiques  enseignements.  Elle  fut  l'un  des  chefs  glorieux 
de  cette  école  mystique,  la  seule  qui  établît  l'harmonie  entre  l'esprit  et  le 
cœur,  la  seule  qui  ne  séparât  pas  la  puissance  de  connaître  de  celle  d'aimer. 
Catherine  se  souvint  qu'il  avait  été  dit  autrefois  un  mot  sublime  :  Aimer,  c'est 
savoir,  et  dédaignant  la  vérité  abstraite,  elle  ramena  instinctivement  toutes 
les  spéculations  à  l'amour. 

Le  plus  grand  miracle  de  cette  vie  si  belle  et  si  pleine  de  prodiges  est 
peut-être  ce  don  miraculeux  de  science  et  de  force  que  l'Esprit-Saint  lui 
envoya  et  qui  fit  un  philosophe,  un  théologien  illustre  de  cette  fille  du  peu- 
ple qui  n'avait  jamais  rien  appris. 

Du  moment  où  elle  commença  à  parler  en  public,  elle  attira  à  elle  des 
multitudes  d'hommes  et  de  femmes  qui  descendaient  des  montagnes  et  des 
pays  environnants  pour  entendre  sa  parole  d'amour  et  de  consolation.  — 
Des  monastères  mêmes  sortaient  de  leur  clôture  pour  l'entendre.  —  Et  c'est 
un  spectacle  étrange,  que  cette  jeune  fille  inspirée  appelant  autour  d'elle 
toute  une  école  composée  de  parents,  d'amis,  de  prêtres,  de  chevaliers,  de 
soldats,  de  jeunes  femmes,  de  religieux,  de  laïques  tous  unis,  tous  comme 
une  seule  famille  dans  la  même  foi,  la  même  doctrine,  le  même  amour,  la 
même  espérance,  tous  soumis  à  cette  âme  supérieure  qui  les  dominait  de 
toute  la  grandeur  et  la  force  qu'elle  avait  reçues  de  Dieu,  tous  la  louant, 

1.  Hypatia,  fille  de  Théon,  mathématicien  d'Alexandrie,  née  à.  Alexandrie,  l'an  370  de  Jésus-Christ, 
devint  elle-même  si  habile  dans  les  mathématiques  et  la  philosophie,  que  les  magistrats  de  cette  ville 
l'invitèrent  à  faire  des  cours  publics.  Elle  obtint  les  plus  brillants  succès  et  acquit  un  grand  crédit  sur 
Oreste,  gouverneur  de  la  ville;  mais  elle  était  païenne  et  peu  favorable  aux  chrétiens.  Des  furieux, 
ameutés  contre  cette  femme,  s'emparèrent  de  sa  personne,  l'assommèrent,  et  traînèrent  dans  les  rues  ses 
membres  en  lambeaux,  l'an  416  de  Jésus-Christ.  Les  écrits  d'Hypatia  ont  péri  dans  l'incendie  de  la  bi- 
bliothèque d'Alexandrie.  On  la  surnomme  la  Philosophe. 


126  30  AVRIL. 

invoquant  la  puissance  que  sa  prière  avait  acquise  sur  le  cœur  de  Dieu  et 
glorifiant  ce  Dieu  dans  son  humble  servante. 

Nous  regrettons  d'avoir  donné  trop  de  place  à  la  vie  obscure  de  Cathe- 
rine pour  pouvoir  insister  davantage  sur  ce  tableau  remarquable  où  de 
grands  hommes  de  son  temps,  groupés  par  une  admiration  sincère  autour 
d'elle,  la  proclament,  d'une  voix  unanime  et  non  suspecte,  la  femme  la  plus 
illustre  du  moyen  âge. 

La  doctrine  mystique  qu'enseigne  Catherine  se  résume  en  deux  mots  : 
amour  et  patience.  C'est  là  toute  sa  vie,  c'est  là  aussi  sa  doctrine.  Dans  cette 
doctrine,  sainte  Catherine  de  Sienne  ne  sépare  pas  de  l'amour  silencieux  et 
extatique,  des  douceurs  de  l'oraison,  la  vie  active  de  la  charité  qui  se  ré- 
pand sur  l'humanité  souffrante  et  pécheresse  en  flots  généreux  et  féconds. 

Ce  ne  fut  pas  d'elle-même  que  cette  illustre  élève  de  l'amour  du  Christ 
osa  prêcher  ses  frères  et  leur  révéler  les  miracles  et  les  lumières  surnatu- 
relles infuses  dans  son  âme.  Son  humilité  la  défendit  longtemps  de  tant 
d'honneurs.  Mais  l'inspiration  est  un  ordre  de  l'Esprit-Saint.  — Ni  l'ignorance 
de  ses  élus,  ni  la  barbarie  des  hommes  ne  peuvent  l'empêcher  de  se  produire 
et  de  sortir  du  cœur  et  de  l'intelligence  des  Saints.  —  Qui  a  pu  l'arrêter 
dans  les  Prophètes?  Est-ce  que  Zacharie,  le  grand  prêtre,  frappé  par  la  jus- 
tice de  Dieu  dans  l'organe  même  de  sa  parole,  ne  sentit  pas  se  délier  les  liens 
qui  retenaient  sa  langue  pour  obéir  à  l'Esprit  qui  soufflait  à  son  oreille  le 
nom  de  Jean  lorsqu'il  fallut  nommer  le  précurseur  du  Messie  ? 

Donc,  en  face  des  écoles  turbulentes  des  plus  illustres  universités  de 
l'Europe,  Catherine  ouvrit  son  école  mystique  comme  un  jardin  délicieux 
où  les  doux  enseignements  de  l'amour  divin  attendaient  les  âmes  malades 
que  le  doute  ou  le  rationalisme  avait  frappées.  —  Toute  la  gloire  de  cette 
sainte  mission  ne  venait  à  Catherine  que  de  son  humble  obéissance  aux 
mouvements  de  la  grâce,  de  cette  grâce  qui  l'avait  prise  dans  les  langes  de 
l'enfance  et  qui  l'avait  conduite,  docile  et  victorieuse,  aux  plus  hauts  som- 
mets de  la  perfection  chrétienne.  —  C'était  toute  la  philosophie  de  la  croix, 
dont  elle  avait  reçu  l'insufflation  du  Sauveur  lui-même  dans  les  jours  obs- 
curs et  pénibles  de  sa  vie  mortifiée  et  solitaire  ! 

On  a  tout  dit  des  enseignements  de  Catherine  quand  on  a  nommé  ses 
disciples.  Le  premier,  selon  la  grâce,  est  le  bienheureux  Raymond  de  Ca- 
poue.  —  Le  second  est  un  artiste,  un  artiste  dont  la  foi  ardente  fit  presque 
un  maître,  André  Vanni.  Raymond  de  Capoue  était  de  l'Ordre  de  Saint-Do- 
minique. Il  fut  un  des  successeurs  de  Catherine  avec  le  Père  Tommaso  délia 
Fonte  et  Barthélémy  de  Sienne,  tous  les  deux  aussi  de  l'Ordre  des  Frères 
Prêcheurs.  Maîtres  et  disciples  de  leur  pénitente,  ils  venaient,  après  la  con- 
fession sacramentale,  écouter  Catherine,  et  restaient  assis  aux  pieds  de  cette 
vierge,  écoutant  l'Esprit  parler  par  sa  bouche  pure  et  innocente.  Quant  au 
Père  Bartbélemy,  c'était  un  homme  éminent.  Apôtre  de  la  Toscane,  il  re- 
cueillit le  premier  les  chroniques  du  Tiers  Ordre.  —  Il  fut  l'ami  de  Cathe- 
rine ;  il  l'avait  connue  jeune,  et  rien  n'est  plus  doux  ni  plus  pur  que  le  récit 
qu'il  fit  de  la  naissance  de  leur  sainte  amitié.  Il  l'accompagna  plus  tard  dans 
ses  voyages  à  Pise,  à  Lucques,  à  Avignon,  à  Gênes,  à  Florence  et  à  Rome. 
—  Catherine,  suivant  ce  don  de  connaissance  parfaite  qu'elle  avait  des 
âmes,  sentait  dans  son  cœur  comme  l'écho  de  toutes  les  souffrances  et  de 
toutes  les  impressions  que  ressentait,  à  quelque  dislance  que  ce  fût,  ce 
cœur  qui  lui  était  si  cher.  Il  en  était  ainsi  pour  quelques  autres  de  ses  dis- 
ciples privilégiés,  Etienne  Macconi,  par  exemple. 

La  conquête  de  cette  âme  lui  avait  été  moins  facile.  Elle  l'avait  saisie  au 


SAINTE   CATHERINE  DE   SIENNE,    VIERGE.  127 

milieu  du  fougueux  emportement  des  plaisirs.  Pressé  d'un  ardent  désir  de 
délivrance  pour  sa  chère  patrie,  ce  jeune  homme  plein  de  passions  vives  et 
généreuses  avait  résolu  de  mettre  fin  aux  luttes  aristocratiques  et  aux  hai- 
nes politiques  qui  divisaient  la  république  siennoise.  Il  osa  choisir  pour  ar- 
bitre entre  sa  noble  famille  et  quelques  nobles  races  rivales  ennemies,  Ca- 
therine, dont  la  sainteté  était  devenue  une  autorité.  Catherine  résolut  de 
donner  à  Dieu  cette  belle  âme.  Elle  y  arriva.  Dès  les  premières  exhortations 
que  lui  insinua  la  Sainte  sur  l'irrégularité  de  sa  vie,  les  yeux  d'Etienne  se 
mouillèrent  de  larmes.  «  Le  doigt  de  Dieu  est  là  »,  dit-il.  Ce  jeune  homme 
était  venu  là  pour  le  salut  des  autres,  il  y  trouva  le  sien. 

Catherine  ne  fut  pas  longtemps  à  procurer  la  paix  que  sollicitait  Etienne 
à  force  de  prières.  Un  jour  qu'elle  s'était  mise  en  oraison  dans  l'église  de 
San-Christophe,  attendant  en  vain  le  rendez-vous  qu'elle  avait  fixé  aux  re- 
présentants de  ces  races  rivales,  voici  que  la  grâce  rompt  tout  à  coup  cette 
naine  héréditaire,  rivée  pour  ainsi  dire  à  leurs  nobles  blasons.  Ils  entrent 
dans  cette  église  où  paraît  Catherine  en  extase,  environnée  déjà  comme 
d'une  auréole.  En  cet  instant  la  paix  et  la  charité  descendent  dans  l'âme  de 
ces  rudes  chevaliers.  —  Catherine  alors  se  lève,  leur  parle  de  Dieu  et  des 
biens  que  produit  la  concorde.  Elle  exige  d'eux  le  mutuel  pardon,  le  mu- 
tuel oubli  de  leur  vieille  haine.  Elle  unit  leurs  mains,  elle  les  confond  dans 
son  baiser  de  sœur.  Tous  pleurent,  tous  demandent  cette  union,  cette  fra- 
ternité que  leur  prêche  si  bien  l'ange  de  la  patrie,  et  Catherine  glorifie  Dieu 
qui  seul  peut  faire  de  semblables  miracles. 

Etienne  fit  de  rapides  progrès  dans  la  vertu.  Il  ne  quittait  presque  pas 
cette  chapelle  souterraine  de  l'hospice  de  Sainte-Marie  délia  Scala  où  Ca- 
therine réunissait  ses  amis  et  ses  disciples  pour  prier  avec  elle,  et  où  elle 
avait  elle-même  son  petit  oratoire.  —  Plus  d'une  fois  sa  douce  amie,  qu'il 
nommait  sa  mère,  et  qui  avait  aussi  pour  lui  toutes  les  tendresses  et  les  an- 
goisses maternelles,  le  délivra  d'un  péril,  l'arracha  au  danger  d'une  conju- 
ration. Sa  prière  sauva  aussi  d'une  fièvre  dévorante  Néri,  un  ami  d'Etienne, 
jeune  et  brillant  chevalier  qu'elle  forma  aussi  à  l'humble  école  du  Christ. 
Ardent,  plein  de  l'orgueil  de  son  sang,  le  glaive  de  l'humilité  lui  parut  d'a- 
bord cruel  et  fit  saigner  son  cœur  à  ses  premières  blessures.  Catherine  ac- 
coutuma cette  âme  fiôre  à  porter  docilement  le  joug  de  l'Evangile.  Mais  ce 
fut  avec  l'affection  clairvoyante  d'une  mère,  par  des  soins  progressifs  et  dé- 
licats qu'elle  la  fortifia  et  qu'elle  l'éleva. 

Ce  fut  à  la  foi  encore  timide  de  ce  jeune  homme  qu'elle  adressait  ce  re- 
proche :  Je  veux,  mon  fils,  que  tu  ouvres  l'œil  de  ton  intelligence,  que  tu 
voies  l'amour  de  Dieu  pour  toi,  et  que  tu  perdes  la  crainte.  La  crainte  est 
un  oubli  de  cette  doctrine  qui  t'a  été  enseignée,  elle  dessèche  l'âme  et  le 
corps  et  les  retient  dans  une  continuelle  tristesse. 

Ce  Néri  devint  un  des  plus  ardents  défenseurs  de  la  foi  au  moyen  âge. — 
Plus  tard  il  négocia,  par  l'ordre  de  Catherine,  la  paix  de  l'Eglise  avec  la  reine 
Jeanne  de  Naples.  —  Il  mourut  peu  après  Catherine  dans  un  ermitage  des 
montagnes  de  l'Ombrie. 

Après  ceux-là  venait  Vanni,  qui  peignait  dans  l'enthousiasme  de  la  foi 
ce  beau  couronnement  de  la  Vierge  qu'on  admirait  dans  un  des  palais  de 
Sienne.  Catherine  l'avait  connu  étant  âgée  à  peine  de  vingt  ans.  Ce  jeune 
artiste,  une  imagination  de  poëte,  un  cœur  de  héros,  avait  subi  la  domi- 
nation de  cette  belle  âme  si  chaste,  si  élevée,  si  ardente.  —  Il  avait  pour 
elle  un  sentiment  exquis  où  l'admiration,  le  respect,  la  tendresse  venaient 
se  fondre  en  une  affection  d'élite.  Un  jour  qu'il  la  surprit  ravie  en  extase 


128  30  AVRIL. 

dans  la  chapelle  de  Saint-Dominique  de  Sienne,  Vanni  peignit  avec  son 
cœur  ce  portrait  de  Catherine  qu'on  vit  longtemps  sur  ce  mur.  Dans  la 
suite,  l'artiste  devint  capitaine  du  peuple.  Ce  jour-là  il  reçut  de  Catherine 
une  lettre  admirable  qu'on  a  conservée  et  qui  est  tout  un  traité  d'économie 
sociale  et  politique. 

Un  autre  disciple  de  Catherine  fut  Matthieu  de  Cenni,  un  homme  admi- 
rable, un  cœur  de  feu,  capable  des  plus  héroïques  entreprises  de  la  charité. 
Il  fut  un  jour  à  l'extrémité,  à  l'hôpital  de  la  Miséricorde  où  il  combattait  de 
tous  ses  soins  les  ravages  que  fit  à  Sienne  la  peste  terrible  de  l'an  1374.  Ca- 
therine l'apprend,  elle  court  à  son  cher  enfant.  «  Allons  »,  lui  dit-elle, 
«  debout,  Matthieu.  Il  n'est  point  temps  de  rester  dans  le  repos  ».  Et  son 
cher  malade  se  leva  plein  de  joie.  La  prière  de  Catherine,  le  vœu  de  sa  ten- 
dresse l'avait  sauvé. 

A  trois  milles  de  Sienne  s'élevait  au  moyen  âge  le  monastère  de  Lecceto. 
Là  vivaient  des  ermites  de  l'Ordre  de  Saint-Augustin.  Catherine  aimait  ce 
monastère.  Perdu  dans  les  solitudes  de  cette  fertile  campagne  d'Italie,  il 
faisait  oublier  à  l'âme  fidèle  qu'à  ses  pieds  mugissaient  les  passions  et  les 
convoitises  de  la  terre.  Ce  fut  là  que  s'établit  vraiment  le  siège  de  l'école 
de  Catherine.  Tous  les  souvenirs  qui  se  rattachent  à  son  nom  béni  sont  là. 
—  Près  de  l'église  est  cette  chambre  devenue  célèbre  où  elle  se  retirait  pour 
être  seule  avec  Dieu.  —  Elle  trouva  dans  ce  monastère  encore  un  disciple, 
un  Anglais  venu  dans  ces  solitudes  on  ne  sait  comment.  Elle  y  trouva  aussi 
le  frère  Antoine  de  Nice,  dont  toute  la  vie  fut  consacrée  à  la  défense  de 
l'Eglise,  et  un  autre  frère,  Jean  Tantucci.  Celui-là  appelait  Catherine  hum- 
blement son  maître.  Elle  y  connut  aussi  le  frère  Félix  da  Massa,  et  ce 
bienheureux  frère  Jérôme,  amant  passionné  des  divins  mystères  de  la  Ré- 
demption. 

Après  eux  venaient  des  femmes  dont  les  noms  se  sont  illustrés  en  s'atta- 
chant  au  sien.  Il  y  en  eut  un  grand  nombre  dans  les  rangs  de  ces  Mantellate, 
religieuses  de  la  Pénitence  de  Saint-Dominique.  Celles  qui  sont  devenues  les 
plus  célèbres  sont  :  la  noble  Jeanne  Pazzi,  une  ardente  Florentine  dont  Ca- 
therine aimait  le  bon  cœur  et  la  belle  intelligence.  Jeanne  de  Capa,  —  con- 
solée par  Catherine,  au  milieu  de  la  terrible  émeute  de  Florence  qui  l'avait 
frappée  de  terreur  ;  guérie  d'une  fièvre  dangereuse  par  son  intercession,  elle 
la  suivit  et  l'aima.  Il  y  avait  aussi  Cecca,  dont  on  voit  le  tombeau  à  la  Minerve, 
Cecca  la  rieuse,  la  folle,  comme  disait  doucement  Catherine.  Enfin,  il  y 
avait  l'aimable  Alessa  ;  Alessa,  une  fille  de  la  race  illustre  des  Sarracini. 
Cette  charmante  jeune  femme  était  demeurée  veuve  à  vingt  ans.  Comme 
Asella,  tant  louée  par  saint  Jérôme,  elle  déroba  au  monde  sa  jeunesse  et 
ses  illusions  flétries,  sous  le  voile  des  Mantellate.  C'est  ainsi  qu'elle  connut 
Catherine,  et  qu'elle  s'attacha  à  elle.  Alessa  survécut  à  cette  chère  amie  ;  et 
quand  les  saintes  reliques  de  Catherine,  portées  en  triomphe,  passèrent  dans 
les  rues  de  Sienne,  c'était  sur  le  bras  d'Alessa  en  deuil  que  s'appuyait  Lapa, 
la  vieille  mère  de  Catherine,  autrefois  rendue  à  la  vie  par  les  prières  de 
cette  vierge,  pour  de  longues  années.  Tous  les  disciples  de  Catherine,  laïques 
et  religieux,  ont  témoigné  des  prodiges  de  son  éloquence  admirable,  in- 
compréhensible dans  une  femme  élevée  comme  elle  l'avait  été.  Les  savants 
de  son  siècle  l'interrogeaient  ébahis.  «  D'où  vient  tant  de  science  »,  se  di- 
saient-ils, à  une  femme  obscure  qui  n'a  jamais  rien  appris  ?  »  Tout  ce  qu'elle 
savait  lui  venait  directement  de  Dieu,  comme  elle  le  dit  assez  dans  le  livre 
qu'elle  composa  durant  ses  extases.  Il  lui  arrivait  souvent  de  dicter  à  deux 
ou  trois  secrétaires  à  la  fois  sur  des  sujets  divers,  et  sans  aucun  embarras. 


SAINTE  CATHERINE  HE  SIENNE,  VIERGE.  129 

Sa  parole  séduisait  tout  le  monde,  et  ses  détracteurs  eux-mêmes  avaient  la 
bouche  pleine  de  louanges  quand  ils  l'avaient  vue.  De  tous  côtés  on  venait 
l'entendre. 

De  là,  de  cette  illustration,  de  cette  sainteté,  le  poids  qu'elle  eut  dans 
les  destinées  de  l'Eglise  et  de  son  pays.  Tant  de  travaux  pourtant  n'arrêtaient 
point  les  pratiques  ordinaires  de  sa  piété  et  de  sa  charité  active.  Elle  était 
l'honneur  de  son  peuple,  et  cependant  les  plus  humbles  d'entre  les  Saints  la 
voyaient  prosternée  dans  leurs  sanctuaires.  Elle  affectionnait  entre  tous  le 
monastère  de  Monte-Pulciano,  une  fondation  du  treizième  siècle  où  repo- 
saient les  reliques  d'une  sainte  jeune  fille  du  pays,  morte  dans  la  fleur  de  sa 
jeunesse,  sous  l'habit  des  servantes  de  Dieu  et  dans  l'odeur  des  vertus.  C'é- 
tait sainte  Agnès  de  Monte-Pulciano.  Humble  fleur  de  l'Apennin,  son  tom- 
beau recevait  les  hommages  de  toute  la  catholicité  italienne.  On  prétend 
que  lorsque  Catherine  s'avança  pour  lui  baiser  les  pieds,  cette  sainte  du 
ciel,  comme  si  elle  tressaillait  en  reconnaissant  une  sainte  de  la  terre,  sou- 
leva doucement  l'un  de  ses  pieds  et  le  présenta  à  Catherine. 

Dans  ce  monastère  de  Monte-Pulciano,  fondé  sous  la  Règle  de  Saint-Do- 
minique, Catherine  enferma  tout  ce  qu'elle  aimait  de  sa  famille  :  deux  niè- 
ces, ses  enfants  chéries,  filles  de  sa  sœur  Lysa.  Ces  doux  liens  l'attirèrent 
quelquefois  encore  à  Monte-Pulciano.  La  vocation  de  sa  chère  Eugénie 
fut  surtout  l'objet  de  ses  soins,  et  quand  elle  en  était  éloignée,  elle  lui  écri- 
vait des  lettres  presque  semblables  à  celles  que  saint  Jérôme  adressait  de  sa 
solitude  de  Bethléem  à  ces  jeunes  prêtres  qu'il  voulait  être  l'honneur  de 
l'Eglise  et  l'édification  des  fidèles. 

A  un  autre  monastère,  le  vieux  couvent  de  Santa-Bonda,  elle  avait  une 
amie,  la  sœur  Constance,  avec  laquelle  elle  passait  quelquefois  de  longues 
et  douces  heures  d'intimité,  comme  elle  le  faisait  avec  Alessa  à  Sienne.  En 
revenant  vers  sa  ville  natale,  elle  s'arrêtait  quelquefois  avec  quelques-uns 
de  ses  frères  au  château  délia  Rocca.  Un  jour,  après  avoir  réconcilié  deux 
chevaliers  du  voisinage,  ennemis  depuis  longtemps,  elle  délivra  une  pauvre 
femme  tourmentée  par  l'esprit  malin  en  lui  faisant  sur  la  gorge,  où  il  se  te- 
nait, le  signe  de  la  croix. 

Ce  château  délia  Rocca  appartenait  à  de  nobles  amis  de  Catherine  que  la 
tyrannie  du  Populaire  épiait  de  loin,  parce  que  cette  illustre  famille  lui  était 
suspecte.  Au  Nord  de  ce  magnifique  domaine,  se  déroulait  une  des  plus 
belles  vallées  de  l'Orica.  Ce  séjour  aurait  fait  les  délices  de  Catherine  sur  la 
terre,  si  ses  rêves  du  ciel  n'eussent  fermé  d'avance  son  cœur  à  tous  les  dé- 
sirs, même  les  plus  purs,  de  ce  monde  ;  car  elle  aimait  cette  nature  qui  lui 
parlait  de  Dieu  si  hautement.  Elle  aimait  le  chant  matinal  des  oiseaux,  les 
bruits  du  soir  dans  la  campagne,  les  fleurs,  toutes  ces  poésies  que  la  main 
de  Dieu  a  semées  sur  la  terre.  Au  sommet  des  Apennins  elle  cherchait  à  sai- 
sir les  soupirs  des  feuilles  agitées  par  le  vent,  et  les  harmonies  de  cette  na- 
ture majestueuse  et  sauvage.  Elle  aussi,  elle  était  poëte  ;  et  tous  les  Saints 
l'ont  portée  dans  leur  cœur,  dans  leur  intelligence,  la  Poésie,  que  la  Fable 
elle-même  avait  faite  la  fille  du  ciel. 

Catherine  tint  d'une  autre  famille  le  superbe  château  de  Belcaro,  où  le 
Pape  l'autorisa  à  établir  une  communauté  de  Mantellate.  Là  seulement  le 
Tiers  Ordre  devint  régulier.  Elle  avait  déjà  fondé  le  monastère  de  Notre- 
Dame  des  Anges. 

Au  retour  d'un  de  ces  pèlerinages,  elle  trouva  à  Sienne  le  deuil  et  la 
douleur.  C'était  l'année  1374  ;  la  guerre  civile  déchirait  la  république  sien- 
noise.  A  ces  horreurs  se  joignait  la  peste.  L'Ange  de  Sienne  ne  manqua  pas 
Vies  des  Saints.  —  Tome  V.  9 


130  30  AVRIL. 

à  son  pays.  Catherine  ne  pouvait  lui  refuser  tous  les  secours  de  sa  prière  et 
de  sa  charité.  Elle  et  ses  compagnes  y  furent  sublimes. 

Le  salut  des  âmes  l'appela  ensuite  à  Pise.  Quelques  frères  et  quelques 
Mantellate  l'accompagnèrent  dans  ce  voyage.  Elle  était  là  chez  Gérard  Buon- 
conti,  et  son  arrivée  fut  une  fête.  —  L'archevêque,  des  seigneurs,  des  reli- 
gieux, des  prêtres,  des  enfants  de  familles  illustres,  firent  son  cortège.  On 
y  voyait  la  petite  Tora,  qui  devint  plus  tard  la  bienheureuse  sainte  Claire 
Gambacorti.  Dans  la  maison  de  Gérard  elle  renouvela,  par  la  force  de  sa 
prière,  ce  miracle  d'un  tonneau  vide  devenu  tout  à  coup  plein  d'un  vin 
délicieux  et  inépuisable. 

Cependant,  deux  grandes  pensées  agitaient  l'âme  de  Catherine  :  la  paci- 
fication de  l'Eglise,  sa  mère  chérie,  pour  laquelle  elle  se  sentait  dévorée  de 
zèle  et  d'amour,  puis  cette  pensée  si  féconde  du  moyen  âge:  la  guerre 
sainte  des  croisades. 

Elle  avait  à  Pise  de  fréquents  entretiens  avec  l'ambassadeur  de  Chypre, 
et  elle  lui  communiquait  le  pressentiment  qu'elle  avait  des  prochains  mal- 
heurs dont  un  long  schisme  allait  déchirer  l'Eglise.  Elle  en  faisait  aussi  la 
confidence  à  ce  bon  Père  Raymond  qui  la  suivait  partout.  Elle  voyait  cette 
croisade,  objet  de  tous  ses  vœux,  reculée  bien  loin  encore  par  les  discordes 
qui  séparaient  les  peuples  chrétiens.  —  Ce  fut  peut-être  la  douleur  qui  con- 
suma sa  vie. 

Pérouse  venait  de  se  révolter,  et  Catherine,  qui  prévoyait  tous  les  maux 
à  venir,  fit  tout  pour  empêcher  la  révolte  à  Pise,  à  Lucques  et  dans  le  reste 
de  la  Toscane.  —  A  Lucques,  elle  avait  déjà  fondé  comme  une  colonie  mys- 
tique avec  laquelle  elle  correspondait. 

Ce  fut  à  Pise  que  Catherine  demeura  morte  pendant  tout  un  jour.  Ses 
sœurs,  ses  frères  pleuraient  autour  d'elle  ;  tout  à  coup  revinrent  les  batte- 
ments de  son  cœur,  et  on  l'entendit  s'écrier  :  «  0  mon  âme,  que  tu  es  mal- 
heureuse !  » 

Tous  se  réjouissaient  de  voir  leur  mère,  leur  bienfaitrice  revenue  parmi 
eux  ;  seule  elle  pleurait,  parce  que  son  âme,  qui  avait  déjà  peut-être  entrevu 
les  splendeurs  de  Dieu,  redescendait  sur  cette  terre  d'exil. 

Et  en  effet,  Catherine  le  révéla.  —  Elle  avait  entrevu  tous  les  mystères 
de  l'autre  vie,  la  gloire  des  justes,  la  confusion  des  pécheurs.  Elle  avait  vu 
la  divinité,  et  le  Père  céleste  lui  avait  dit  :  «  Considère  toutes  ces  choses,  et 
redescends  sur  la  terre  pour  révéler  mes  jugements  aux  hommes,  et  pour 
les  convertir  et  les  enseigner.  Tu  les  instruiras  de  la  doctrine  spiri- 
tuelle, et  je  te  donnerai  ma  divine  sagesse  contre  laquelle  ne  peuvent  rien 
les  contradictions  du  monde  ». 

Peu  de  temps  après,  dans  une  de  ses  extases,  et  comme  Catherine,  dé- 
vorée de  cette  charité  généreuse  que  connurent  tous  les  Saints,  demandait 
au  Sauveur  d'être  admise  à  l'honneur  d'avoir  part  aux  souffrances  de  la 
croix,  elle  reçut  sur  son  corps  tous  les  stigmates  de  la  Passion.  Ces  douleurs 
qu'elle  avait  tant  désirées  étaient  cruelles.  —  Elle  comprit  alors  quel  était 
cet  amour  immolé  qui  avait  sauvé  le  monde  ;  elle  comprit  combien  «  ce 
cœur  avait  aimé  les  hommes  ».  Ces  plaies  divines  et  miraculeuses  se  voyaient 
encore  sur  elle,  même  après  sa  mort. 

Les  travaux  de  Catherine  pour  l'unité  de  l'Eglise  sont  l'illustration  de  la 
dernière  partie  de  sa  vie. 

Le  quatorzième  siècle  finissait  dans  des  convulsions  étranges.  Ce  n'étaient 
que  discordes  dans  tous  les  Etats  de  l'Europe.  Discordes  politiques,  civiles, 
religieuses,  l'incendie  était  partout,  et  partout  terrible.  L'Allemagne,  la 


SAINTE   CATHERINE  DE  SIENNE,   VIERGE.  431 

France,  l'Angleterre,  l'Espagne  étaient  déchirées  au  dedans,  ou  menacées 
au  dehors.  Les  républiques  n'étaient  pas  plus  heureuses.  Dans  les  Pays-Bas 
et  dans  les  républiques  italiennes,  la  tyrannie  populaire  faisait  regretter  ou 
désirer  le  joug  du  plus  dur  despotisme. 

Dans  la  république  de  Sienne,  cette  tyrannie  populaire  n'était  pas  repré- 
sentée par  un  seul,  comme  il  en  est  même  dans  les  monarchies  les  plus  ca- 
lamiteuses  ;  —  car  le  gouvernement  libéral,  cette  grande  hérésie  politique,  a 
ses  sectes  comme  toutes  les  hérésies.  —  Le  mont  des  Réformateurs,  le  mont 
des  Neuf,  le  mont  des  Douze,  donnaient  à  la  république  autant  de  maîtres 
qu'ils  avaient  de  membres.  Les  Visconti  ravageaient  la  Lombardie,  —  Naples 
était  frappée  de  terreur  sous  la  domination  de  Jeanne,  —  Rome,  abandonnée 
par  les  Papes  d'Avignon,  était  dans  un  état  pire  encore,  l'anarchie  la  dé- 
chirait. 

Et  cependant  l'Italie,  dévorée  par  tant  de  fléaux,  dominait  encore  les 
nations  par  son  âme  et  par  son  esprit.  Le  Droit  et  la  Poésie  y  avaient  atteint 
toute  leur  splendeur.  —  Pétrarque  et  Boccace  y  représentaient  le  Génie  de 
la  Poésie.  —  Et  Catherine,  offrant  dans  ses  écrits  et  ses  discours  la  gravité, 
la  rectitude  d'un  homme  d'Etat  à  côté  de  son  poétique  mysticisme,  person- 
nifiait en  elle  seule  le  Génie  du  Droit  et  le  Génie  de  la  Poésie.  —  En  ce  sens 
elle  ne  fut  pas  seulement  l'honneur  de  son  siècle  et  de  son  pays  ;  elle  offre 
comme  un  résumé  de  leur  caractère. 

Cependant,  les  Etats  pontificaux,  reconquis  par  Gilles  Albornoz,  refleu- 
rissaient pendant  que  la  lutte  des  Papes  avec  cette  terrible  maison  de  Vis- 
conti recommençait.  Il  se  fit  une  ligue  dans  la  chrétienté,  formée  des  prin- 
cipales puissances  de  l'Europe.  Sur  ces  entrefaites,  les  légats  qui  avaient 
succédé  au  sage  gouvernement  d'Albornoz  avaient,  par  leur  ambition  et 
leur  rapacité,  soulevé  la  république  de  Florence  jusque-là  si  dévouée  au 
Saint-Siège.  La  haine  contre  le  clergé  alla  chez  les  Florentins  jusqu'à  l'abo- 
lition des  tribunaux  canoniques,  et  jusqu'au  massacre  des  prêtres.  — A 
Prato  la  même  révolte  avait  eu  lieu.  Galéas  Visconti  profita  de  ces  faits.  La 
révolte  prit  encore  des  proportions  plus  vastes.  Le  vieil  esprit  gibelin  orga- 
nisa le  gouvernement  de  la  terreur.  —  Pérouse,  Bologne  et  plus  de  soixante 
villes  des  Etats  du  Pape  firent  cause  commune  avec  Florence.  C'était  plus 
que  le  sentiment  de  l'indépendance  patriotique  qui  était  l'âme  de  la  révolte. 
Le  digne  et  excellent  Grégoire  XI  le  sentit  et  en  fut  frappé.  Mais  il  protesta 
contre  les  événements  par  son  interdit.  Il  le  devait. 

Le  commerce  florentin  fut  abattu  dans  cette  lutte  sanglante.  Las  des 
vexations  et  du  pillage  que  leur  faisaient  subir  les  nations  chez  lesquelles 
tout  leur  commerce  s'était  réfugié,  les  Florentins  essayèrent  une  démarche 
de  conciliation  auprès  de  Grégoire:  elle  échoua.  Qui  allait  rétablir  l'harmo- 
nie entre  cette  puissance  populaire  déchaînée  et  la  puissance  spirituelle  de 
l'Eglise  romaine  ?  Les  choses  étaient  dans  un  état  désespéré.  Catherine,  à 
la  nouvelle  de  tous  ces  maux,  était  demeurée  consternée.  —  Elle  aimait 
son  pays  avec  cette  énergie  qu'elle  portait  dans  ses  plus  douces  affections. 
Et  l'Eglise,  combien  plus  elle  l'aimait!  quelle  amertume,  quels  combats 
pour  son  cœur  ! 

Un  jour  elle  se  leva,  comme  un  demi-siècle  plus  tard  devait  se  lever 
Jeanne  d'Arc  l'inspirée,  —  une  fille  du  peuple  aussi.  —  Elle  portait  ce  jour- 
là  le  salut  de  la  chrétienté  dans  son  cœur.  Alors  commença  entre  Catherine 
et  Grégoire  XI  une  sublime  correspondance.  Elle  nous  initie  à  une  politique 
nouvelle  qui  ne  parle  pas  le  langage  de  la  diplomatie  commune  ;  c'est  la 
vraie  politique,  la  seule  bonne,  celle  qui  éclaire,  qui  pacifie.  Elle  prie,  elle 


132  30  AVMi; 

conjure  ce  Pontife  :  —  «  Hélas  !  mon  doux  Père  »,  lui  écrit-elle,  (t  au  nom 
de  Jésus  crucifié,  je  vous  prie  d'agir  avec  bonté  et  de  vaincre  la  malice  et 
l'orgueil  de  vos  enfants  par  la  patience,  l'humilité  et  la  douceur.  Vous 
savez,  Père,  qu'on  ne  chasse  pas  le  démon  par  le  démon,  mais  par  la  seule 
vertu.  Hélas  !  Père  !  la  paix,  la  paix  pour  l'amour  de  Dieu,  afin  que  vos  en- 
fants ne  perdent  pas  l'héritage  de  la  vie  éternelle.  La  paix  et  non  plus  la 
guerre  !  marchons  sur  nos  ennemis  portant  l'étendard  sacré  de  la  croix  et 
armés  du  glaive  de  la  douce  et  sainte  parole  de  Dieu.  Je  ne  puis  rien  de 
plus;  ayez  pitié  des  doux  et  amoureux  désirs  que  je  vous  offre  avec  mes 
larmes  pour  la  sainte  Eglise.  Pour  moi,  je  donnerai  volontiers  ma  vie  pour 
la  gloire  de  Dieu  et  le  salut  des  âmes.  —  Jésus,  amour  ».  Telle  est  donc  la 
politique  de  Catherine  :  Prière,  larmes,  pardon,  paix.  C'est  la  politique  delà 
croix. 

Non-seulement  c'était  sa  politique,  mais  elle  n'était  pas  d'un  autre  parti 
que  de  celui  de  la  justice.  Pendant  qu'elle  demandait  au  Pape  la  paix,  pour 
que  la  civilisation  chrétienne  pût  aller  au  secours  des  Lieux  Saints,  et  pour 
que  cessât  cette  captivité  de  la  papauté  d'Avignon,  elle  cherchait  à  redres- 
ser le  vice  réel  de  l'administration  des  légats,  qui  avaient  été  le  grand  levain 
dans  ces  révoltes. —  Elle  peignait  dans  ses  lettres,  pleines  de  sens  et  d'équité, 
la  source  de  tant  de  maux,  et  elle  écrivait  aux  princes  et  aux  seigneurs 
pour  ranimer  dans  leurs  cœurs  le  sentiment  patriotique  et  le  respect  des 
droits  populaires. 

Les  tentatives  des  Florentins  pour  la  paix  échouèrent  encore  une  fois.  Il 
n'y  avait  plus  que  Catherine  qui  pût  la  procurer.  Elle  se  leva  malade,  partit 
en  envoyant  au-devant  d'elle  Raymond  de  Capoue  ;  elle  osa  aller  elle-même 
demander  la  paix  à  Grégoire.  Cette  paix,  le  rétablissement  de  la  papauté  à 
Rome,  c'était  tout  le  rêve  de  Catherine. 

Mais  elle  acheta  chèrement  le  succès.  Il  fut  cruellement  retardé  par  la 
mauvaise  foi  des  Florentins,  qui  semblèrent  longtemps  se  jouer  de  la  pa- 
tience de  ce  bon  Pontife.  Les  cardinaux  eux-mêmes,  jaloux  de  voir  les  avis 
de  Catherine  toujours  prépondérants  dans  les  conseils  du  Pape,  s'attaquè- 
rent à  la  sainteté  de  cette  vierge.  Trois  d'entre  eux  surtout,  des  hommes 
éminents  par  la  science,  essayèrent  de  la  surprendre  dans  ses  discours.  Ca- 
therine fut  inébranlable,  et  elle  les  confondit  par  l'humilité  et  la  sagesse  de 
ses  réponses  ;  ils  avouèrent  au  Pape  que  l'Esprit-Saint  parlait  par  cette 
bouche  pacifique  et  inspirée. 

Dans  ce  séjour  à  Avignon,  Catherine  accomplit  une  grande  entreprise. 
Elle  osa  proclamer  devant  le  souverain  Pontife  les  vices  de  la  cour  romaine. 
Elle  osa  demander  au  nom  de  la  doctrine  immaculée  du  Christ  la  réforme 
de  ces  abus. 

Elle  parlait  de  toutes  ces  choses  avec  une  éloquence  oratoire  et  une  rec- 
titude qui  charmaient  Grégoire,  et  qui  emportaient  sa  volonté.  —  Il  la  fai- 
sait venir  souvent  et  lui  ordonnait  de  parler  des  choses  de  Dieu  en  plein 
consistoire;  ses  discours  étaient  dignes  de  l'admiration  publique.  Quelques- 
uns  sentaient  en  elle  se  remuer  l'inspiration  divine  ;  mais  d'autres,  envieux, 
jaloux,  affectaient  d'être  scandalisés.  Il  s'en  fallait  peu  qu'ils  la  présen- 
tassent au  peuple  comme  sorcière,  ainsi  que  le  peuple  anglais  l'osa  faire  plus 
tard  pour  Jeanne  d'Arc. 

La  cour  d'Avignon  lui  fut  hostile,  car  on  savait  que  la  mission  de  Cathe- 
rine était  de  ramener  à  Rome  la  papauté  triomphante.  Elle  décida  enfin 
cette  grande  question.  —  Sainte  Brigitte,  une  autre  sainte  illustre,  venait 
de  mourir,  et  ses  prophéties  avaient  ébranlé  aussi  le  Pape.  Enfin  l'heure 


SAINTE   CATHERINE   DE   SIENNE,   VIERGE.  133 

de  ce  départ  tant  désiré  par  Catherine  arriva.  Le  Pape  quitta  solennellement 
Avignon,  et  il  alla  se  rasseoir  sur  le  tombeau  de  saint  Pierre  (17  janvier  4377). 
Grégoire  avait  exigé  qu'elle  partît  en  même  temps  que  lui.  Toulon  et  les 
autres  villes  qu'elle  traversa  voulurent  voir  cette  fille  que  la  cour  papale 
avait  en  si  haute  estime  et  dont  la  sainteté  faisait  tant  de  bruit.  Elle  fit 
encore  là  du  bien. 

11  lui  fallait  maintenant  pacifier  Florence,  où  le  vent  de  la  révolution 
soufflait  toujours.  Catherine  demanda  la  paix  avec  la  cour  romaine.  Elle 
l'obtint  du  parti  guelfe,  qui  était  la  fleur  de  la  nation.  Le  comité  des  Huit 
ne  la  voulut  pas  ;  cette  querelle  engendra  de  nouvelles  discordes. 

Dans  cette  lutte  suprême ,  les  Huit  furent  vainqueurs.  La  populace 
était  avec  eux,  ce  fut  un  horrible  carnage.  Catherine  apparaissait  à  ces 
misérables,  comme  la  plus  illustre  hostie  à  sacrifier  à  la  patrie,  au  bien  pu- 
blic. Menacée  avec  tous  les  siens,  entourée  de  vociférations  effrayantes, 
poursuivie,  Catherine,  le  sourire  aux  lèvres,  se  félicitait  en  elle-même  de 
pouvoir  donner  sa  vie  et  son  sang  pour  l'Eglise.  Elle  espérait  peut-être  que 
ce  sang  apaiserait  les  fureurs  populaires,  qu'il  dissiperait  l'ivresse  de  ces 
forcenés  et  ferait  refleurir  la  paix  dans  la  Toscane.  La  populace  la  plus 
redoutable  de  Florence,  les  Ciompi  ou  cardeurs  de  laine,  la  cherchait  de 
toutes  parts.  Elle  présenta  sa  tête  à  leurs  hallebardes  levées.  —  Elle  se  jette 
au  milieu  de  ces  furieux  et  tombe  à  genoux  aux  pieds  de  leur  chef  :  «  Tu 
cherchés  Catherine  »,  leur  dit-elle,  «la  voici.  Fais  ce  que  Dieu  te  permettra, 
mais  ne  fais  aucun  mal  à  ceux-ci  qui  sont  à  moi  » . 

Le  chef  de  la  conjuration  populaire  s'arrête  à  sa  vue.  Ce  courage,  ce 
mépris  de  la  vie,  l'inspiration  qui  la  guidait  toujours  dans  les  grandes 
heures  de  sa  destinée,  donnaient  à  Catherine  un  prestige  que  soutenait  sa 
sainteté  bien  connue.  «  Retirez-vous  »,  lui  dit-il.  «  Fuyez,  de  grâce  », 
comme  s'il  avait  craint  qu'un  de  sa  troupe  osât  porter  la  main  sur  cette  élue. 

Mais  Catherine  ne  se  relevait  pas.  «Non»,  dit-elle,  «je  veux  mourir 
ici,  je  veux  donner  mon  sang  pour  ce  Dieu  dont  vous  outragez  les  vicaires, 
pour  vous,  pour  votre  salut.  C'est  là  mon  unique  désir  ».  Cette  troupe  fut 
émue.  Et  ce  chef  forcené  s'enfuit  les  yeux  pleins  de  larmes,  comme  s'il  eût 
été  la  victime  poursuivie  et  non  le  bourreau. 

De  ce  jour  la  révolution  se  calma  dans  Florence,  et  peu  à  peu  Catherine 
vit  s'avancer  cette  paix  pour  laquelle  elle  s'était  offerte  en  holocauste. 

Les  villes  des  Etats  pontificaux  étaient  près  de  se  rendre  ;  la  République 
florentine  sentait  ses  intérêts  politiques  et  commerciaux  menacés  par  cette 
révolution  même,  qui  n'avait  abouti  qu'à  des  tribunaux  de  sang.  Gré- 
goire ne  demandait  qu'un  peu  de  bonne  volonté.  Catherine,  comme  la 
colombe  de  l'arche,  porta  de  l'un  à  l'autre  camp  le  rameau  d'olivier,  et  la 
paix  de  Sarzana  termina  sa  mission  politique.  Son  nom  fut  chargé  des  bé- 
nédictions de  la  république.  A  Sienne  elle  fut  reçue  en  triomphe  (mars  1378). 

Aussitôt,  cette  femme  humble  et  forte  alla  cacher  sa  gloire  dans  sa  cel- 
lule solitaire  délia  contrada  dell'  Oca.  Là  elle  dicta  à  ses  disciples  bien- 
aimés  ce  livre  admirable  qui  résume  sa  doctrine,  et  qui  est  le  chef-d'œuvre 
de  ses  travaux,  le  Dialogue,  un  des  monuments  les  plus  importants  de  la 
théologie  mystique. 

Catherine  n'est  pas  étrangère  à  la  réforme  de  l'administration  temporelle 
du  Pontificat  qui  réparait  toute  l'odieuse  conduite  des  légats.  La  consti- 
tution de  Grégoire  XI  assura  le  bonheur  et  la  liberté  aux  populations  des 
Etats  du  Pape. 

Au  joug  débonnaire  de  Grégoire  XI  succéda  le  gouvernement  droit, 


134  30  AVUTL. 

juste,  mais  sévère  d'Urbain  VI.  Ce  noble  Pontife  voulut  établir  la  réforme 
ecclésiastique  dans  toute  sa  rigueur.  Ses  cardinaux  s'unirent  contre  lui.  Un 
schisme  éclata  dans  l'Eglise.  Ce  fut  encore  une  nouvelle  douleur  et  de  nou- 
veaux travaux  pour  Catherine. 

Lorsque  Urbain  VI  n'était  encore  qu'archevêque  de  Bari,  il  avait 
connu  Catherine  à  la  cour  d'Avignon,  et  il  savait  sa  vertu  et  son  influence 
sur  l'esprit  des  peuples.  Il  l'appela  à  Rome  par  un  ordre  formel,  car  la  Sainte 
sentait  venir  ses  derniers  jours  sur  la  terre,  et  elle  avait  besoin  de  solitud?. 
et  de  recueillement. 

Urbain  VI  la  reçut  avec  bienveillance  et  comme  une  vraie  puissance 
qu'elle  était  d'ailleurs,  par  le  mérite  et  la  sainteté.  —  Elle  fit  aux  cardinaux, 
en  plein  consistoire,  un  discours  si  sage,  si  imposant,  sur  la  Providence 
particulière  de  Dieu  dans  le  gouvernement  de  son  Eglise,  qu'elle  fortifia  le 
cœur  éprouvé  du  nouveau  chef  de  l'Eglise,  et,  à  la  prière  d'Urbain,  elle  se 
dévoua  à  la  défense  de  l'unité. 

Elle  appela  à  l'obéissance  au  souverain  Pontife  tous  les  princes  de  l'Eu- 
rope ;  son  second  soin  fut  de  chercher  par  des  lettres  pleines  de  cœur,  et 
animées  de  l'énergique  sentiment  du  devoir,  à  ramener  les  trois  cardinaux 
auteurs  du  schisme.  Ensuite,  comme  elle  craignait  que  la  France,  fille  aînée 
de  l'Eglise,  ne  fortifiât  le  schisme  en  donnant  son  adhésion,  elle  écrivit  au 
roi  Charles  V  lui-môme,  pour  lui  demander  sa  récognition  en  faveur  d'Ur- 
bain VI.  Ce  n'était  pas  une  petite  démarche.  Le  roi  Charles  V  était  long  à 
prendre  ses  décisions,  et  se  fût-il  trompé,  il  n'y  fût  pas  revenu.  De  plus, 
la  France  ne  cachait  pas  ses  sympathies  pour  les  Papes  français  d'Avignon. 
Ce  qu'on  avait  prévu  arriva.  Charles  V  se  déclara  pour  Clément  VII  qui 
siégeait  à  Avignon. 

La  France  fut  excommuniée.  En  haine  de  son  influence,  l'Angleterre 
se  fit  urbaniste.  L'Allemagne,  la  Hongrie  avaient  déjà  offert  leur  obéissance 
à  Urbain  VI,  par  les  négociations  de  Catherine. 

Mais  Clément  VII,  en  démembrant  les  Etats  pontificaux  au  profit  d'un 
prince  de  la  maison  de  France,  se  rendit  impopulaire  en  Italie1.  Catherine 
eut  donc  l'avantage  de  prêcher  pour  la  patrie  commune  menacée,  en  même 
temps  que  pour  l'unité  de  l'Eglise,  tandis  que  la  France  n'avait  pour  alliée 
que  Jeanne  de  Naples  ;  toutes  les  nations  chrétiennes  s'étaient  liguées 
contre  elle. 

On  vit  alors,  au  milieu  de  cette  grande  querelle  de  la  chrétienté,  s'éle- 
ver la  voix  de  deux  femmes,  les  plus  illustres  peut-être  de  ce  temps,  toutes 
deux  sœurs  en  sainteté,  toutes  deux  éminentes  en  mérite.  Ce  fut  sainte 
Catherine  de  Sienne,  l'arbitre  de  l'Italie,  et  une  autre  Catherine,  fille  de 
sainte  Brigitte,  à  qui  Urbain,  qui  la  connaissait,  disait  :  «  Ma  fille,  on  voit 
bien  que  vous  avez  été  nourrie  du  lait  de  votre  mère  ».  La  grande  pensée 
de  la  réformation  de  l'Eglise  unit  ces  deux  femmes  illustres.  Des  sympathies 
mutuelles  de  leur  pensée  politique,  naquit  cette  belle  et  sainte  amitié  qui 
fait  leur  gloire.  Sainte  Catherine  de  Sienne,  la  plus  éminente  des  deux, 
était  dans  ces  douces  relations  la  plus  humble  encore  des  deux,  et  c'était 
elle  qui  allait  chaque  jour  chercher  l'entretien  de  son  amie  au  Viminal,  où 
était  l'humble  monastère  des  religieuses  Clarisses  que  dirigeait  Catherine  de 
Suède. 

Catherine  tenta  de  ramener  à  la  vraie  Eglise  le  cœur  endurci  de  Jeanne 
do  Naples.  Elle  entama  avec  cette  reine  une  longue  correspondance.  Mais 

1.  Il  ne  s'était  réservé  que  Rome  et  la  Sabine  et  avait  érigé  tout  le  reste  en  un  royaume  de  l'Adriatique 
destiné  au  duc  d'Anjou,  frère  de  Charles  V. 


SAINTE   CATHERINE  DE  SIENNE,    VIERGE.  135 

l'aveuglement  et  la  cruelle  légèreté  de  Jeanne  lassèrent  la  patience  de  Ca- 
therine. Jeanne,  déchue  depuis  longtemps  de  son  trône  par  ses  crimes,  n'y 
avait  plus  qu'un  pied  en  quelque  sorte.  Catherine  s'adressa  à  Charles 
Durazzo. 

Ce  jeune  prince  répondit  à  son  appel.  Il  reconnut  publiquement  Ur- 
bain VI,  et  vengeur  des  crimes  de  la  reine  de  Naples,  appelé  par  les  vœux 
des  Napolitains,  il  recueillit  l'héritage  de  cette  princesse. 

La  dernière  consolation  humaine  qui  attendait  Catherine  en  ce  monde, 
fut  la  victoire  qu'Urbain  VI  remporta  dans  Rome  même  contre  une  bande 
de  Bretons,  partisans  de  l'antipape  Clément  VII.  Catherine  se  priva  de  ses 
disciples  bien-aimés  pour  offrir  leurs  bras  à  la  défense  de  la  papauté. 
Raymond  et  Etienne  étaient  partis.  Ils  avaient  surpris  à  ses  paupières  des 
armes  prophétiques.  C'était  son  dernier  adieu. 

L'année  1380  fut  la  dernière  de  cette  glorieuse  vie  qui  s'était  donnée, 
distribuée  à  tous.  Elle  expira  le  29  avril.  C'était  le  jour  de  la  fête  de 
saint  Pierre,  martyr,  ce  bienheureux  dominicain  qui  rendit  l'âme  en  écrivant 
avec  son  sang  ces  mots  :  Je  crois  en  Dieu. 

Les  angoisses  que  lui  causaient  ses  révélations  sur  l'avenir  de  l'Eglise 
furent  pour  cette  Sainte  comme  une  passion  douloureuse.  Elle  criait  au 
Seigneur,  et  demandait  grâce  pour  cette  Eglise,  épouse  de  son  divin  Fils. 
«Prenez»,  criait-elle,  «  ô  mon  Créateur,  ce  corps  que  j'ai  reçu  de  vos 
mains.  Ne  pardonnez  ni  à  la  chair,  ni  au  sang,  rompez-le,  jetez-le  dans  des 
brasiers  ardents  ;  brisez  mes  os,  pourvu  qu'il  vous  plaise  de  m'exaucer  en 
faveur  de  votre  vicaire...  » 

Elle  écrivit  avant  sa  dernière  heure  au  bienheureux  Raymond  :  «  Mon 
ami,  ma  vie  se  distille  pour  l'Eglise,  douce  épouse  du  Christ.  Je  marche 
dans  la  voie  arrosée  du  sang  des  martyrs.  Je  prie  Dieu  de  me  laisser  voir 
bientôt  la  rédemption  de  son  peuple  ». 

L'esprit  malin,  son  ennemi,  lui  suscita  un  combat  terrible  à  ce  moment 
suprême,  car  la  mort  des  Saints  du  Seigneur  est  quelquefois  pleine  de  tribu- 
lations et  d'angoisses.  Le  spectacle  de  cette  lutte  dernière,  et  des  souf- 
frances de  cette  âme  qu'au  seuil  du  ciel  même  l'enfer  voulait  ravir  encore, 
fît  tressaillir  les  pieuses  femmes  et  les  Saints  qui  l'entouraient.  Cette  souf- 
france fut  longue,  mais  enfin  le  tentateur  la  laissa  ;  le  sourire  reparut  sur  les 
lèvres  de  Catherine,  et  ses  hymnes  de  reconnaissance  au  Dieu  qui  l'attendait 
ne  finirent  plus  qu'avec  sa  vie. 

Ses  adieux  à  ceux  qu'elle  aimait  furent  sublimes.  Son  aimable  Etienne, 
conduit  aux  pieds  de  Catherine  mourante  par  une  inspiration  du  Saint-Es- 
prit, reçut  ses  dernières  paroles.  Il  se  retira  dans  l'Ordre  des  Chartreux, 
ainsi  que  Catherine  le  lui  avait  prédit. 

Il  y  avait  à  Rome  une  pieuse  veuve,  Sémia,  qu'elle  admettait  dans  sa 
familiarité.  Elle  avait  fait  un  rêve  cette  nuit  même,  un  rêve  prophétique 
qui  lui  montra  les  miséricordes  de  Dieu  sur  Catherine,  et  la  présentation  au 
ciel  de  cette  nouvelle  sœur  des  vierges. 

Plusieurs  de  ses  disciples  reçurent  aussi  l'avertissement  du  triomphe 
éternel  de  leur  mère  bien-aimée.  Catherine  elle-même  apparut,  à  l'heure 
de  sa  mort,  au  Père  Raymond,  son  directeur  spirituel  qui  était  alors  à 
Gênes,  et  lui  fit  connaître  son  bonheur. 

La  nouvelle  de  cette  mort  fut  une  calamité  dans  l'Eglise,  un  deuil  pour 
toute  l'Italie.  Le  corps  de  sainte  Catherine,  paré  de  l'habit  de  Saint-Domi- 
nique, avec  le  voile  de  laine  blanche  et  le  manteau  noir,  fut  porté  à  la  Mi- 
nerve et  déposé  dans  une  chapelle  de  Saint-Dominique.  Ses  funérailles 


136  30  AVRIL. 

durèrent  trois  jours.  Les  miracles  abondèrent  depuis  dans  cette  chapelle 
bénie. 

Mais  la  République  de  Sienne  fut  jalouse  de  Rome,  et  elle  demanda  au 
Pape  une  relique  de  cette  fille  de  ses  entrailles.  Le  Pape  lui  donna  cette 
tête  qui  avait  porté  tant  de  hautes,  tant  de  nobles  pensées.  L'arrivée  de 
cette  relique  précieuse  à  Sienne  fut  un  triomphe  encore  plus  complet  que 
le  premier  pour  la  mémoire  vénérée  de  Catherine.  Tous  les  habitants  de 
Sienne,  laïques  et  religieux,  grands  et  petits,  pauvres  et  riches,  allèrent 
saluer  le  Chef  bienheureux  de  la  Sainte. 

La  République  de  Sienne  honora  à  l'égal  d'un  lieu  saint  la  maison  de 
Giacomo,  où  Catherine  avait  grandi  en  âge  et  en  vertus. 

Cette  pauvre  cellule  de  la  Fullonica,  toute  pleine  des  ravissements  de 
Catherine,  des  parfums  de  sa  pureté,  et  de  ses  soupirs  vers  le  ciel,  cette 
cellule  où  elle  travaillait  avec  ses  compagnes,  où,  en  vraie  italienne,  elle 
mêlait  souvent  aux  paroles  saintes  une  mélodie  musicale  sortie  de  son 
cœur  de  poëte,  cette  cellule  elle-même  est  aujourd'hui  un  oratoire  magni- 
fique. L'art  a  paré  ce  sanctuaire,  l'opulence  l'a  enrichi  de  ses  dons.  Enfin 
le  culte  de  la  catholicité  l'honore  et  le  consacre. 

Avant  93,  Paris  possédait  quelques-uns  de  ses  ossements  dans  le  grand 
couvent  des  religieux  de  Saint-Dominique.  L'église  de  Mailly  (Somme)  pos- 
sède actuellement  de  ses  reliques. 

Le  pape  Pie  II  la  canonisa  en  1461,  quatre-vingt  et  un  ans  après  sa  nais- 
sance au  ciel,  et  Urbain  VIII,  dans  la  réforme  du  Bréviaire,  transféra  sa 
fête  au  30  avril.  Par  décret  du  13  avril  1866,  Pie  IX  a  établi  sainte  Cathe- 
rine de  Sienne,  la  seconde  patronne  de  Rome. 

Voici  comme  on  représente  la  sainte  patronne  de  Sienne  : 

1°  Notre-Seigneur  lui  apparaît,  et  pour  la  récompenser  de  sa  charité 
envers  les  malades,  lui  permet  d'appliquer  sa  bouche  sur  la  plaie  de  son 
côté  ;  2°  saint  Dominique  la  revêt  de  l'habit  de  son  Ordre  ;  3°  on  la  voit  te- 
nant un  chapelet  à  la  main,  agenouillée,  avec  le  même  saint  Dominique 
aux  pieds  de  la  sainte  Vierge.  C'est  pour  exprimer  qu'après  le  fondateur  de 
la  dévotion  du  Rosaire,  nul  n'a  plus  travaillé  aie  répandre  que  sainte  Cathe- 
rine de  Sienne  ;  4°  sur  une  ancienne  gravure  en  bois  du  xve  siècle,  on  la 
trouve  debout,  tenant  un  crucifix  accompagné  d'un  lis  et  d'une  palme.  De 
la  même  main,  elle  tient  encore  un  livre  sur  lequel  est  écrit  :  Jesu  dolce, 
Jesu  amore;  de  l'autre,  un  cœur  enflammé  avec  cette  légende  sur  une  bande- 
rolle  :  Cor  mundum  créa  in  me,  Deus.  Au  dessus  deux  Anges  volent  en  suspen- 
dant trois  couronnes  sur  sa  tête,  celle  de  la  science,  celle  de  la  virginité  et 
celle  du  martyre  (par  les  stigmates  sans  doute)  ;  5°  mais  la  manière  la  plus 
caractéristique  de  la  représenter  est  assurément  la  suivante  :  Figure  en  pied, 
costume  des  religieuses  dominicaines,  sur  la  tête  une  couronne  d'épines,  un 
crucifix  à  la  main  sur  lequel  s'épanouit  un  bouquet  de  lis  ;  aux  pieds,  aux 
mains,  au  côté  gauche,  les  stigmates  figurées  par  des  étoiles  à  sept  rayons 
ou  plis;  6°  Fra  Bartolemeo,  de  l'Ordre  de  Saint-Dominique,  a  peint  le 
mariage  mystique  de  sainte  Catherine. 

Outre  les  lettres  et  le  dialogue,  on  a  de  sainte  Catherine  un  traité  de 
l'Obéissance,  un  de  la  Discrétion,  un  de  l'Oraison  et  un  quatrième  de  la  Provi- 
dence.Il  y  a  dans  tous  un  grand  fond  de  théologie  mystique. 

La  Vie  de  sainte  Catherine,  qui  occupe  cent-vingt-six  pages  in-folio  dans  les  Bollandistes,  t.  m 
d'avril,  a  d'abord  été'  composée  par  le  Père  Kaymond  de  Capoue,  son  confesseur  :  nul  mieux  que  lui  ne 
connaissait  la  Sainte;  il  parle  en  témoin  oculaire.  Voir  aussi  une  lettre  du  Pore  Etienne  Conrard,  prieur 
de  la  Chartreuse  de  Pavie;  la  bulle  de  la  canonisation  rapportée  par  Surius  et  les  Bollandistes;  les  ad- 
mirables lettres  de   la  Sainte;  son  Histoire,   par  Chavin  do  Malan,  2  vol.  in-8o,  Paris,  1844. 


SAINT   ADJUTEUR,    SEIGNEUR  DE   VERNON,    ERMITE.  137 

SAINT  ADJUTEUR  ',  SEIGNEUR  DE  VERNON,  ERMITE 

1131.  —  Pape  :  Innocent  II.  —  Roi  de  France  :  Louis  VI,  le  Gros. 


Celui  qui  croit  en  Dieu  observe  ses  commandement!, 
et  celui  qui  met  en  Dieu  sa  confiance  ne  tombera 
dans  aucun  mal.  Eccli.,  xxxn,  33. 

Adjuteur  était  de  l'illustre  maison  des  seigneurs  de  Vernon-sur-Seine  ; 
un  d'eux,  noramé  Guillaume,  est  enterré  dans  l'église  principale  de  ce  lieu; 
il  est  appelé,  dans  son  épitaphe,  prince  de  Vernon,  et  passe  pour  avoir  été 
grand-père  de  notre  Saint.  Son  père  s'appelait  Jean,  et  sa  mère  Rosemonde, 
l'un  et  l'autre  fort  pieux  et  remplis  de  charité  pour  les  pauvres.  La  sainteté 
de  Rosemonde  fut  même  si  grande,  qu'on  lui  donne  le  titre  de  Bienheu- 
reuse, et  qu'on  l'invoque  publiquement  avec  son  fils.  L'éducation  qu'Adju- 
teur  reçut  par  leurs  soins  le  rendit  bientôt  un  excellent  modèle  de  vertu.  Il 
faisait  sa  principale  occupation  de  la  prière  ;  il  domptait  son  corps  par  des 
jeûnes  et  des  abstinences  très-rigoureuses,  et  ne  lui  épargnait  rien  de  ce  qui 
était  propre  à  le  rendre  entièrement  soumis  à  l'esprit.  Son  austérité  alla 
même  jusqu'à  un  tel  excès,  que,  tout  jeune  qu'il  était,  il  ne  paraissait  avoir 
que  la  peau  et  les  os. 

Dans  la  fleur  de  sa  jeunesse,  il  se  croisa  avec  un  grand  nombre  d'autres 
seigneurs  pour  aller  faire  la  guerre  en  Palestine,  et  tâcher  de  délivrer  le 
sépulcre  de  Notre-Seigneur  des  mains  des  infidèles.  Lorsqu'il  fut  près 
d'Antioche,  quinze  cents  ennemis  l'attaquèrent,  et  mirent  aisément  en  fuite 
sa  troupe,  qui  n'était  que  de  deux  cents  hommes.  Alors  il  implora,  avec  une 
ardeur  extrême,  le  secours  du  ciel,  et  pria  sainte  Madeleine,  pour  laquelle 
la  ville  de  Vernon  avait  alors  une  grande  dévotion,  de  ne  le  pas  abandonner 
en  cette  occasion. 

A  peine  avait-il  achevé  sa  prière,  qu'un  ouragan  épouvantable  éclata 
tout  à  coup,  remplit  les  infidèles  de  terreur,  et  les  obligea  de  prendre  la 
fuite  à  leur  tour.  Adjuteur  rallia  ses  gens,  leur  donna  un  nouveau  cou- 
rage, et  avec  ce  peu  de  monde,  poursuivit  si  vigoureusement  les  fuyards, 
qu'il  en  demeura  mille  sur  place,  et  que  le  reste  fut  mis  entièrement  hors 
de  combat. 

Après  dix-sept  ans  de  diverses  entreprises,  où  il  fit  toujours  paraître  un 
courage  intrépide  pour  la  cause  du  christianisme,  il  tomba  entre  les  mains 
des  ennemis,  fut  fait  prisonnier,  jeté  dans  un  cachot  et  chargé  de  chaînes  ; 
on  lui  fit  même  souffrir  beaucoup  de  tourments  pour  l'obliger  à  renier  sa 
foi  et  à  se  faire  sarrasin.  Mais  il  ne  fut  pas  moins  constant  dans  cette  cala- 
mité, qu'il  avait  été  courageux  dans  les  combats,  et  rien  ne  fut  capable 
d'ébranler  sa  foi,  pour  laquelle  il  souhaitait  même  de  répandre  tout  son 
sang  et  de  perdre  la  vie.  Un  jour,  qu'après  un  traitement  fort  barbare,  il 
était  seul  et  abandonné  dans  sa  prison,  il  leva  les  yeux  au  ciel  et  implora  le 
secours  de  sainte  Madeleine,  pour  qui  il  avait  une  singulière  dévotion, 
comme  tous  ceux  de  son  pays,  et  de  saint  Bernard  de  Tiron,  qui  était  mort 
depuis  peu  et  que  Dieu  rendait  éclatant  par  de  grands  miracles. 

1.  Ajoutre,  Ustre,  Adjuton,  Adjudou,  Aiatou,  eto. 


138  30  AVEU. 

A  la  suite  de  cette  prière  il  s'assoupit,  et,  pendant  cet  assoupissement,  il 
fut  transporté  avec  ses  chaînes,  du  fond  de  sa  prison,  qui  était  en  Orient, 
en  un  bois  proche  de  la  ville  de  Vernon,  lieu  de  son  domaine.  Sainte  Made- 
leine et  saint  Bernard,  auteurs  de  ce  grand  miracle,  l'ayant  mis  doucement 
à  terre,  lui  dirent  que  ce  devait  être  là  le  heu  de  son  repos  jusqu'à  la 
fin  de  sa  vie.  L'archevêque  de  Rouen ,  qui  était  Hugues  III,  en  fit  des 
informations,  et  le  reconnut  véritable  par  la  déposition  de  cinq  ou  six  sei- 
gneurs qui  avaient  mangé  avec  lui,  en  Palestine,  la  veille  de  son  transport 
et  de  son  arrivée  en  Normandie. 

Pour  lui,  afin  de  reconnaître  cette  grâce,  il  fit  bâtir  une  chapelle  à  l'hon- 
neur de  sainte  Madeleine,  au  lieu  même  où  cette  sainte  amante  de  Jésus- 
Christ  l'avait  déposé,  et  y  fit  dresser  trois  autels,  dont  le  principal  fut  dédié 
sous  le  nom  de  Saint-Sauveur  et  de  Sainte-Marie-Madeleine.  Ensuite,  il  se 
fit  religieux  dans  l'abbaye  de  Tiron,  qu'il  institua  héritière  de  tous  ses  biens, 
et  y  vécut  avec  tant  de  sainteté  qu'il  était  un  sujet  d'admiration  pour  tous 
les  religieux.  Il  avait  un  lit  dans  sa  chambre  comme  les  autres  religieux, 
mais  il  couchait  sur  la  terre  et  ne  se  servait  de  ce  lit  que  pour  cacher  son 
austérité.  Il  assistait  aux  repas  de  la  communauté,  mais  il  s'y  contentait  de 
pain  et  d'eau  et  de  quelques  herbages  sans  assaisonnements.  Il  ne  quittait 
jamais  son  cilice,  et  le  plus  usé  de  tous  les  habits  était  celui  qui  lui  était 
le  plus  agréable. 

Avec  la  permission  de  ses  supérieurs,  il  se  retira  en  solitude  dans  cette 
chapelle  de  Sainte-Madeleine  qu'il  avait  fait  bâtir,  et  qui  était  accompa- 
gnée de  quelques  maisons,  prieuré  dépendant  de  Tiron.  Il  n'est  pas  croyable 
avec  quelle  ferveur  d'esprit,  et  avec  quelle  austérité  il  vécut  en  cet  ermi- 
tage. Son  logement  était  une  grotte  derrière  l'autel.  Son  exercice  continuel 
était  de  prier  et  d'exercer  la  charité  corporelle  et  spirituelle  envers  le  pro- 
chain. L'archevêque  Hugues,  qui  a  le  premier  écrit  sa  vie,  dit  qu'il  s'appli- 
qua avec  un  zèle  infatigable  au  secours  des  religieux  qui  étaient  dans  le 
besoin,  à  la  réparation  des  églises,  au  soulagement  des  pauvres,  à  la  récon- 
ciliation des  grands  seigneurs  et  des  princes,  à  la  réformation  de  la  jeunesse, 
au  rétablissement  des  bonnes  mœurs,  et  à  tout  ce  qui  pouvait  contribuer  à 
l'ornement  du  christianisme  ;  qu'il  était  persévérant  dans  les  veilles  et  dans 
la  prière,  infatigable  dans  le  travail,  patient  dans  les  afflictions,  zélé  pour  la 
Chasteté,  qu'il  conserva  intacte  à  la  guerre  où  les  dangers  sont  si  nombreux 
pour  cette  vertu;  enfin,  qu'il  se  rendit  aimable  à  Dieu,  aux  Anges  et  aux 
hommes. 

Les  miracles  relevèrent  encore  ses  grandes  vertus.  Il  rendit  la  vue  aux 
aveugles,  l'ouïe  aux  sourds,  la  santé  à  toutes  sortes  de  malades,  et  délivra 
un  homme  possédé  d'un  furieux  démon.  Ayant  appris  qu'il  y  avait  dans  la 
Seine  un  gouffre  très-dangereux,  où  il  se  perdait  beaucoup  d'hommes  et  de 
bateaux,  il  pria  l'évêque  de  s'y  transporter,  de  faire  dessus  le  signe  de  la 
croix,  et  d'y  jeter  de  l'eau  bénite;  et,  pour  lui,  il  y  jeta  une  partie  de  la 
chaîne  avec  laquelle  il  avait  été  transporté  ;  et,  au  même  instant,  le  gouffre 
se  remplit,  et  cessa  d'être  dangereux. 

La  fin  de  la  vie  de  saint  Adjuteur  étant  arrivée,  il  fit  supplier  l'évêque 
diocésain  et  l'abbé  de  Tiron  de  le  venir  assister.  Ils  se  transportèrent  aussi- 
tôt en  sa  chapelle  ;  après  qu'il  eut  reçu  de  leurs  mains  les  derniers  Sacre- 
ments, il  rendit  son  âme,  chargée  de  mérites,  à  Notre-Seigneur.  Ce  fut  le 
30  avril  de  l'an  1131.  Son  corps  fut  enterré  en  cette  même  chapelle,  qui 
avait  été  le  lieu  de  ses  grandes  pénitences.  Il  s'y  fit  ensuite  un  grand  nombre 
de  miracles  :  un  huissier,  à  qui  un  seigneur  qu'il  venait  assigner,  avait  crevé 


SAINT  MAXIME,   MARCHAND  EN  ASIE,   MARTYR.  139 

les  yeux,  y  fit  une  neuvaine,  vit  la  nuit  saint  Adjuteur  qui  apportait  de 
l'huile  et  sainte  Madeleine  qui  lui  oignait  les  paupières,  et,  à  son  réveil,  il 
se  trouva  guéri.  La  ville  de  Vernon  et  le  pays  d'alentour  étant  continuelle- 
ment affligés  d'incendies,  de  grêles,  d'inondations  et  d'autres  fléaux  de 
Dieu,  s'obligèrent  à  une  procession  à  la  chapelle  de  Sainte-Madeleine,  et 
furent  entièrement  délivrés.  Dix  habitants  seulement,  qui  s'étaient  moqués 
de  cette  dévotion,  périrent  misérablement  dans  l'année  avec  tous  leurs 
biens  et  leurs  maisons.  Parmi  les  villages  qui  eurent  part  à  cette  grâce,  on 
met  ceux  de  Passy,  de  Gaillon,  d'Estrépagny  et  de  Longueville.  La  même 
ville  étant  assiégée,  et  souffrant  de  grands  dommages  par  le  feu  grégeois 
que  l'on  jetait  dedans,  fut  préservée  de  ce  feu  qui  rebroussa  contre  les 
assiégeants,  aussitôt  que  l'on  eut  imploré  le  secours  de  saint  Adjuteur.  Des 
fiévreux  ont  aussi  été  guéris  à  son  tombeau,  et  l'on  éprouve  encore  tous  les 
jours  sa  puissance  auprès  de  Dieu. 

Saint  Adjuteur  est  représenté  en  costume  de  guerrier  ou  de  religieux 
bénédictin;  des  chaînes  sont  à  ses  pieds.  On  le  voit  encore  traversant  les 
airs,  soutenu  soit  par  des  anges,  soit  par  sainte  Madeleine  et  saint  Bernard 
de  Tiron.  —  Des  oiseaux  chantent  sur  son  tombeau  dont  on  avait  perdu 
la  trace  :  c'est,  dit-on,  à  cette  circonstance  qu'on  en  dut  la  découverte. 
On  invoque  saint  Adjuteur  pour  ne  pas  se  noyer,  sans  doute  par  allusion  à 
son  nom  qui  signifie  secourable. 

Acta  Sanctorum,  apr. 


SAINT  MAXIME,  MARCHAND  EN  ASIE,  MARTYR  (251). 

L'empereur  Dèce,  ayant  résolu  d'exterminer  notre  sainte  religion,  fit  publier  par  tout  l'empire 
des  édits  qui  ordonnaient  aux  chrétiens  d'adorer  les  idoles.  Maxime,  qui  était  d'Asie  et  marchand 
de  condition,  se  déclara  hautement  pour  serviteur  de  Jésus-Christ.  On  l'arrêta  aussitôt,  et  on  le 
conduisit  devant  le  proconsul  Optime. 

Le  proconsul,  après  lui  avoir  demandé  son  nom,  ajouta  :  «  De  quelle  profession  êtes-vous? 
—  Maxime  :  De  condition  libre,  mais  serviteur  de  Jésus-Christ.  —  Le  proconsul  :  Quelle  est  votre 
profession?  —  Maxime  :  Je  suis  un  homme  du  peuple,  et  je  vis  de  mon  négoce.  —  Le  proconsul  : 
Etes-vous  chrétien?  —  Maxime  :  Oui,  je  le  suis,  quoique  pécheur.  —  Le  proconsul  :  N'avez-vous 
pas  connaissance  des  édits  qui  ont  été  publiés  depuis  peu?  —  Maxime  :  Quels  édits?  et  que 
portent-ils?  —  Le  proconsul  :  Que  tous  les  chrétiens  aient  à  renoncer  à  leur  superstition  et  à 
reconnaître  le  vrai  prince  à  qui  tout  obéit,  et  qu'ils  adorent  ses  dieux.  —  Maxime  :  Je  connais 
cet  édit  impie;  et  c'est  cela  même  qui  m'a  porté  à  confesser  publiquement  ma  religion.  —  Le 
proconsul  :  Puisque  vous  êtes  informé  de  la  teneur  des  édits,  sacrifiez  donc  aux  dieux.  —  Maxime: 
Je  ne  sacrifie  qu'à  un  seul  Dieu,  et  je  me  félicite  de  lui  avoir  sacriGé  dès  ma  jeunesse.  —  Le  pro- 
consul :  Sacrifiez  pour  sauver  votre  vie;  car  je  vous  déclare  que  si  vous  désobéissez,  je  vous  ferai 
expirer  dans  les  tourments.  —  Maxime  :  C'est  ce  que  j'ai  toujours  désiré  :  je  ne  me  suis  fait  con- 
naître que  pour  avoir  l'occasion  de  quitter  promptement  cette  misérable  vie,  afin  d'en  posséder  une 
qui  est  éternelle  ». 

Alors  le  proconsul  lui  fit  donner  plusieurs  coups  de  Mton;  il  lui  disait  en  même  temps  :  «  Sa- 
crifiez, Maxime,  sacrifiez  pour  vous  délivrer  des  tourments.  —  Maxime  :  Ce  qu'on  souffre  pour  le 
nom  de  Jésus-Christ  n'est  point  un  tourment,  c'est  une  vraie  consolation  *;  mais  si  j'avais  le 
malheur  de  m'écarter  de  ce  qui  est  prescrit  dans  l'Evangile,  ce  serait  alors  que  je  devrais  m'at- 
tendre  à  des  supplices  éternels  ».  Le  proconsul,  irrité  de  sa  résistance,  ordonna  qu'il  fût  étendu 
sur  le  chevalet;  et  pendant  qu'on  le  tourmentait,  il  lui  répétait  souvent  ces  paroles  :  «  Renonce, 
misérable,  à  cet  entêtement  insensé,  et  sacrifie  enfin  pour  sauver  ta  vie. —  Maxime  :  Je  la  perdrais 

1.  llxc  non  sunt  tormenta,  sed  unctiones. 


440  30  avril. 

en  sacrifiant;  et  c'est  pour  la  conserver  que  je  ne  sacrifie  pas.  Vos  bâtons,  vos  ongles  de  fer, 
votre  feu,  ne  me  causeront  aucune  douleur,  parce  que  la  grâce  de  Jésus-Christ  est  en  moi;  elle 
me  délivrera  de  vos  mains,  pour  me  mettre  en  possession  du  bonheur  dont  jouissent  tant  de  Saints 
qui,  dans  le  même  combat,  ont  triomphé  de  votre  cruauté;  et  c'est  par  la  vertu  de  leurs  prières 
que  j'obtiens  cette  force  et  ce  courage  que  vous  voyez  en  moi  '. 

Le  proconsul,  désespérant  de  pouvoir  vaincre  le  soldat  de  Jésus-Christ,  prononça  la  sentence 
suivante  :  «J'ordonne  que  Maxime,  qui  a  refusé  d'obéir  aux  édits,  soit  lapidé  pour  servir  d'exemple 
aux  chrétiens  ».  Maxime  fut  aussitôt  enlevé  par  une  troupe  de  satellites,  qui  le  conduisirent  hors 
de  la  ville,  où  ils  l'assommèrent  à  coups  de  pierres.  Son  martyre  arriva  en  250  ou  251. 

Saint  Maxime  est  honoré  par  les  Grecs  le  14  mai,  qui  fut  le  jour  de  sa  mort.  Il  est  nommé 
gous  le  30  avril  dans  le  martyrologe  romain. 

Ces  actes  sont  un  modèle  de  ce  qu'on  appelle  des  Actes  proconsulaires,  c'est-a-dire  qu'ils  ont  été  tiré» 
mot  à  mot  du  greffe  du  tribunal  qui  condamna  saint  Maxime.  Cf.  Surius,  Baronius,  Henschenius  et  Ruinart  ; 
Tillemont,  Fleury,  etc. 


SAINTE  HOILDE,  YIERGE  (ve  siècle). 

Hoïlde,  vierge  illustre,  eut  pour  père  Sigmare,  et  pour  mère,  Leutrade.  Ses  parents,  d'une 
noblesse  distinguée,  comte  et  comtesse  de  Perthes,  en  Champagne,  eurent  sept  filles  aussi  pieuses 
que  nobles.  L'aînée  se  nommait  Amée,  la  plus  jeune  Manégilde  ou  Ménehould  ;  Hoïlde  était  du 
nombre  des  intermédiaires.  Toutes  grandirent  à  l'ombre  de  la  vigilance  de  leurs  parents,  le  cœur 
cultivé  et  formé  par  les  bonnes  mœurs  et  les  sages  enseignements.  Ayant  reçu  de  leurs  parents  un 
corps  sain  et  de  Dieu  une  âme  excellente,  elles  furent  agréables  à  Dieu  et  aux  hommes,  et,  comme 
il  sied  à  des  Vierges  bien  nées  et  bien  élevées,  elles  eurent  toujours  une  sagesse  supérieure  à  leur 
âge.  Eclairées  dès  leurs  tendres  années  par  la  grâce  de  Dieu,  et,  voyant  combien  le  monde  était 
assujéti  au  règne  du  mal,  elles  résolurent,  d'un  consentement  unanime,  de  mépriser  ses  attraits, 
ainsi  que  les  fausses  délices  de  la  chair,  pour  s'unir  à  Jésus-Christ  seul  et  pour  lui  garder  leur 
fleur  de  virginité.  —  Amée  exhortait  ses  sœurs,  Ménehould  appuyait  ses  exhortations  ;  Hoïlde 
voulait  que  ce  fût  un  parti  pris. 

En  ce  temps,  saint  Alpin,  évèque  de  Châlon,  visitant  les  églises  de  son  diocèse,  se  rendit  à 
Perthes,  où  il  reçut,  avec  un  pieux  empressement,  les  sept  jeunes  sœurs  que  leurs  dévots  parents 
lui  présentèrent.  De  leur  plein  consentement,  il  les  consacra  à  Dieu,  leur  fit  connaître  encore 
mieux  le  prix  de  la  virginité,  leur  donna  une  règle  de  vie  et  de  sages  prescriptions,  les  enrichit 
de  sa  bénédiction,  et,  en  se  retirant,  les  recommanda  à  leurs  parents,  non  plus  simplement  comme 
leurs  filles,  mais  comme  les  fiancées  de  Dieu  même.  Elles  suivirent  toute  leur  vie  la  règle  que  leur 
avait  donnée  saint  Alpin.  Amée,  Ménehould  et  Hoïlde  parvinrent  à  une  sainteté  plus  haute  que  les 
autres  ;  et,  après  avoir  supporté  en  cette  vie  les  travaux  des  bonnes  œuvres,  elles  s'envolèrent 
dans  le  séjour  de  la  gloire. 

Plusieurs  siècles  après,  le  comte  de  Champagne,  Henri  le  Libéral,  eut  une  vision,  pendant  son 
sommeil,  dans  laquelle  il  lui  sembla  qu'il  était  tombé  dans  un  puits,  et  qu'un  terrible  malheur 
avait  frappé  sa  vie  ;  mais  sainte  Hoïlde  vint  à  son  aide  et  le  délivra.  A  son  réveil,  ayant  demandé 
et  appris  qui  était  sainte  Hoïlde,  il  fit  rechercher  son  corps.  Il  le  découvrit  et  le  fit  transférer  à 
l'église  Saint-Etienne  de  Troyes,  qu'il  avait  construite  et  dédiée  au  premier  martyr.  Cette  transla- 
tion eut  lieu,  en  1159,  au  mois  de  septembre.  Dieu  l'approuva  par  des  miracles,  et  le  bruit  qu'ils 
produisirent  fit  que  la  comtesse  de  Bar  demanda  et  obtint  un  bras  de  sainte  Hoïlde,  pour  le  déposer 
dans  un  monastère  de  religieuses,  de  l'Ordre  de  Citeaux,  lequel  prit  le  nom  de  Sainte-Hoïlde.  Dieu 
glorifia  une  si  grande  Sainte  par  des  miracles.  Pour  obtenir  de  l'eau  en  un  temps  d'extrême 
sécheresse,  les  chanoines,  ayant  porté  le  corps  de  sainte  Hoïlde  en  procession,  furent  inondés 
d'une  pluie  abondante.  Un  homme,  atteint  d'une  maladie  si  grave  qu'il  ne  pouvait  marcher,  ni 
porter  sa  main  à  sa  bouche,  fut  averti  par  sa  femme,  la  veille  de  la  fête  de  sainte  Hoïlde,  de  faire 
un  vœu  à  cette  Sainte  et  de  se  recommander  à  elle  ;  le  lendemain  matin,  on  le  porta  auprès  de  la 

1.  Omnium  sanctorum  orationibus  qui  in  hâc  colluctatione  certantes,  vestras  superaverunt  iusanias, 
nobisque  virtutum  esempla  reliquerunt.  Ruin.,  p.  145. 


LE3  SAINTS  AMATOR,  PIERRE,  LUDOVIC  ET  JEAN,  MARTYRS  A  CORDOUE.      141 

ehâsse  de  la  Sainte  ;  quand  il  eut  accompli  son  vœu  et  fait  sa  prière,  il  se  trouva  guéri  et  put 
revenir  à  la  maison  sans  aide.  Une  femme,  récemment  accouchée,  minée  par  une  fièvre  incessante 
et  étouffée  par  un  dangereux  abcès  à  la  gorge,  avait  été  vainement  traitée  par  les  médecins  qui 
désespéraient  de  sa  vie;  mais,  avertie  par  son  frère,  qui  était  chanoine  de  Saint-Etienne,  d'offrir 
un  vœu  et  des  prières  à  sainte  Hoïlde,  elle  suivit  ce  conseil,  et,  à  l'instant,  elle  vomit  le  pus  de 
son  abcès,  fut  délivrée  de  la  fièvre  et  rendue  pleinement  à  la  santé.  Le  corps  de  sainte  Hoïlde 
reposait  dans  une  châsse  dorée  et  recevait  de  nombreux  hommages. 

Ancien  Propre  de  Troyu  de  1S48. 


SAINT  ERKONWALD,  ÉVÊQUE  DE  LONDRES  (698). 

Saint  Erkonwald  était  fils  de  l'un  des  rois  de  l'Heptarchie,  on  ne  sait  duquel.  Il  sortit  des 
domaines  de  son  père  et  alla,  avec  la  part  de  son  héritage,  fonder  deux  monastères  :  l'un  à  Chertsey, 
dans  le  comté  de  Surrey,  près  de  la  Tamise;  l'autre  à  Barking,  dans  le  comté  d'Essex  :  ce  dernier 
était  destiné  à  des  religieuses  :  il  en  donna  le  gouvernement  à  sainte  Edilburge,  sa  sœur.  En  665, 
le  roi  Sebba  le  fit  sortir  de  sa  solitude  de  Chertsey  pour  l'élever  sur  le  siège  épiscopal  de  Londres 
qu'il  occupa  onze  ans.  Il  augmenta  considérablement  les  revenus  et  les  bâtiments  de  Saint-Paul. 
Cette  magnifique  église,  qui  était  la  gloire  de  la  nation  anglaise,  fut  détruite  par  la  fureur  des 
schismatiques,  au  xviB  siècle.  Avant  d'accomplir  cette  œuvre  de  destruction,  ils  tirèrent  les  morts 
de  leurs  tombeaux,  brisèrent  les  monuments  funéraires  et  jetèrent  au  vent  les  cendres  qu'ils  conte- 
naient. Dans  cette  barbare  recherche,  on  trouva,  entre  autres,  le  corps  du  pieux  roi  Sebba  embaumé 
et  enveloppé  d'étoffes  précieuses.  On  se  proposait  de  découvrir  des  trésors,  et  l'infâme  avidité  des 
chercheurs  ne  trouva  que  quelques  anneaux  avec  leurs  pierres  et  un  calice  de  peu  de  valeur.  Ce 
qui  se  fit  à  Londres,  se  fit  dans  tout  le  reste  de  l'Angleterre. 

En  1533,  le  corps  de  saint  Erkonwald  disparut  de  la  cathédrale  et  il  n'en  a  plus  été  reparlé 
depuis  que  celle-ci  a  été  reconstruite. 

Disons  un  mot  des  monastères  de  Chertsey  et  de  Barking,  fondés  par  saint  Erkonwald.  Le 
premier,  brûlé  par  les  Danois  qui  en  massacrèrent  l'abbé  et  les  quatre-vingt-dix  religieux,  fut 
rebâti  par  le  roi  Edgar.  Le  second  jouissait  d'un  revenu  d'environ  deux  cent  mille  francs,  lorsque 
la  main  avide  d'Henri  VIII  s'appropria  couvent  et  rentes. 


LES  SAINTS  AMATOR,  PIERRE,  LUDOVIC  ET  JEAN, 

MARTYRS  A  CORDOUE  (855). 

Saint  Euloge,  évêquc  et  martyr  de  Cordoue,  en  Espagne,  nous  a  conservé  le  nom  de  quatre 
héroïques  confesseurs,  dont  les  Maures  versèrent  le  sang  en  l'année  855.  Le  premier  et  le  plus 
intrépide  était  un  jeune  prêtre,  nommé  Amator,  qui  avait  quitté  sa  petite  ville  de  province,  — 
le  bourg  de  Martos  —  et  s'était  rendu,  avec  sa  famille,  à  Cordoue,  pour  y  faire  ses  études.  Ses 
compagnons  de  martyre  furent  un  moine,  nommé  Pierre,  et  Ludovic,  tous  deux  nés  à  Cordoue,  de 
familles  bourgeoises.  Ils  s'étaient  dévoués,  par  zèle,  à  la  conversion  des  Mahométans;  mais  l'exé- 
cution de  ce  projet  mit  dans  une  telle  fureur  les  ennemis  de  la  foi,  qu'ils  fondirent  sur  eux  et  les 
égorgèrent.  Leurs  corps  furent  jetés  dans  le  Guadalquivir,  fleuve  qui  passe  à  Cordoue.  Les  chré- 
tiens de  diverses  localités  les  recueillirent  et  leur  donnèrent  la  sépulture.  Ils  sont  honorés  d'un 
culte  public  à  Cordoue,  où  ils  ont  un  office  particulier  du  rite  semi-double. 

Le  bienheureux  Pierre  fut  enseveli  au  monastère  de  Saint-Sauveur,  presque  aux  portes  de 
Cordoue,  et  le  bienheureux  Ludovic  à  quelques  milles  de  là,  dans  la  ville  de  Palma,  dont  les  comtes 
prirent  souvent  le  nom  de  Louis,  par  dévotion  envers  ce  glorieux  Martyr.  Quant  au  bienheureux 
Amator,  il  fut  transporté  dans  sa  patrie,  qui  changea  de  nom  en  sa  mémoire  et  prit  celui  de 
Martos,  altération  d'Amator.  On  joint  a  ces  trois  Martyrs  le  bienheureux  Jean,  qui  n'est  pas 
nommé  par  le  martyrologe  romain. 


142  30  AVBIL. 


SAINT  RAYMOND  DE  CALATRAVA  (1163). 

Sa  fête  tombe  le  30  avril  dans  le  diocèse  qui  l'a  vu  naître.  Voici  une  notice  succincte  de  ce 
saint  fondateur. 

«  Saint  Raymond  naquit  à  Saint-Gaudens,  ancien  diocèse  de  Comminges,  à  la  fin  du  xi6  siècle, 
et  fut  religieux  de  l'Ordre  de  Cîteaux,  au  couvent  de  l'Escale-Dieu,  dans  le  diocèse  de  Tarbes. 
Envoyé  en  Espagne  avec  quelques  autres  religieux,  dans  le  but  d'y  étendre  l'Ordre,  il  fonda  le 
couvent  de  Hitero,  dont  il  fut  le  premier  abbé,  et  qu'il  rendit  très-florissant  par  ses  rares  qualités 
et  sa  réputation  de  sainteté. 

«  Dans  ce  temps-là,  les  Almohades  travaillaient  à  reprendre  les  places  conquises  sur  eux  parle 
roi  d'Espagne.  Ils  désiraient  surtout  reprendre  celle  de  Calatrava.  Effrayés  des  grands  préparatifs 
des  infidèles,  les  Templiers,  qui  avaient  reçu  la  garde  de  cette  ville,  ne  se  sentirent  pas  assez 
forts  pour  résister  aux  Maures,  et  ils  la  rendirent  au  roi  Sanche.  Le  roi  fut  embarrassé  de  cette 
restitution  peu  généreuse.  11  fit  publier  que,  si  quelque  vaillant  homme  voulait  se  charger  de  la 
défense  de  Calatrava,  il  lui  donnerait  cette  ville,  avec  toutes  ses  dépendances  et  ses  privilèges. 
Aucun  des  chevaliers  de  Castille  n'osant  se  présenter,  le  religieux  français  de  l'Escale-Dieu,  l'abbé 
de  Hitero,  demanda  au  roi  la  défense  de  la  place.  Le  roi,  applaudissant  à  son  généreux  projet, 
s'empressa  de  la  lui  accorder.  Raymond,  accompagné  d'un  de  ses  moines  qui  avait  porté  les  armes, 
fit  un  énergique  appel  à  tous  les  cœurs  pieux,  et,  ayant  réuni  une  armée  de  vingt  mille  hommes, 
auxquels  il  sut  communiquer  son  ardeur,  il  parvint,  avec  l'aide  du  ciel,  sur  lequel  il  comptait 
plus  que  sur  les  efforts  humains,  à  repousser  les  inûdèles  et  à  les  chasser  des  positions  d'où  il» 
menaçaient  Calatrava. 

«  Ce  fut  alors  que  lui  vint  la  pensée  de  réunir  un  certain  nombre  de  ses  compagnons  d'armes, 
des  plus  nobles  et  des  plus  pieux,  pour  fonder  l'Ordre  de  Calatrava,  dans  lequel,  joignant  la  vie 
militaire  à  la  vie  monastique,  on  s'engageait  à  défendre  la  religion  contre  ses  ennemis.  Raymond 
lui  adapta  la  Règle  de  Citeaux.  Il  était  déjà  avancé  en  âge  quand  il  chassa  les  Maures.  Il  passa  la 
reste  de  sa  vie  dans  les  soins  de  son  Ordre  et  l'exercice  des  vertus  religieuses,  attaché  surtout  à 
la  contemplation  des  choses  divines,  jusqu'à  ce  qu'il  mourut,  en  1163.  Son  corps,  après  avoir 
passé  trois  cents  ans  à  Calatrava,  fut  transporté  au  monastère  du  Mont-de-Sion,  à  Tolède.  Sa  fête 
se  célèbre,  dans  l'ancien  diocèse  de  Comminges,  le  30  avril  ». 

Fourni  par  M.  Fourcade,  professeur  au  séminaire  de  Saint-Ptf, 


FIN  DU  MOIS  D  AVMt. 


MARTYROLOGES.  143 


MOIS   DE   MAI 


PREMIER  JOUR  DE  MAI 


MARTYROLOGE  ROMAIN. 

La  naissance  au  ciel  des  bienheureux  apôtres  Philippe  et  Jacques.  Philippe,  après  avoir 
converti  à  la  foi  de  Jésus-Christ  presque  tout  le  pays  des  Scythes,  vint  à  Hiérapolis,  ville  d'Asie, 
où  il  fut  crucifié,  puis  assommé  à  coups  de  pierre,  et  se  reposa  ainsi  dans  une  fin  glorieuse. 
Quant  à  saint  Jacques,  qui  est  aussi  nommé,  dans  l'Ecriture,  frère  du  Seigneur,  et  qui  fut  le 
premier  évèque  de  Jérusalem,  ayant  été  précipité  du  haut  du  temple,  il  eut  les  jambes  rompues, 
et  fut  ensuite  achevé  à  l'aide  d'un  levier  de  foulon,  avec  lequel  on  lui  brisa  le  crâne  ;  il  fut  enterré 
au  même  endroit,  non  loin  du  temple.  61.  —  En  Egypte,  saint  Jérémie,  prophète,  qui  fut  lapidé 
par  la  populace,  et  mis  à  mort,  à  Taphnis,  où  son  corps  fut  aussi  mis  en  terre.  Saint  Epiphane 
dit  «  que  les  fidèles  avaient  coutume  d'aller  prier  à  son  tombeau,  et  qu'ils  en  rapportaient  de  la 
poussière  qui  leur  servait  de  remède  contre  la  morsure  des  aspics  ». —  Dans  le  Vivarais,  saint  Andéol, 
sous-diacre,  que  saint  Polycarpe  envoya  de  l'Orient  dans  la  Gaule,  avec  plusieurs  autres,  pour  y 
prêcher  la  parole  de  Dieu.  Ce  Saint  fut  rompu  de  coups  avec  des  bâtons  hérissés  d'épines,  et  eut 
la  tête  fendue  en  quatre  parties,  en  forme  de  croix,  avec  une  épée  de  bois,  ce  qui  consomma  son 
martyre  sous  l'empire  de  Sévère.  208.  —  A  Huesca,  en  Espagne,  les  saints  martyrs  Orens  et 
Patience.  —  A  Sion,  dans  le  Valais,  saint  Sigismond,  roi  des  Burgondes  ou  Bourguignons,  qui 
fut  jeté  et  noyé  dans  un  puits,  et  fut  eusuite  célèbre  par  ses  miracles.  524.  —  A  Auxerre,  saint 
Amateur,  évêque  et  confesseur.  418.  —  A  Auch,  saint  Orience  ou  Orens,  évèque.  Ve  s.  —  En 
Angleterre,  saint  Asaph  *,  évèque,  et  sainte  Walburge,  vierge.  778. — A  Bergame,  sainte  Grate, 
veuve.  —  A  Forli,  le  bienheureux  Pérégrin,  de  l'Ordre  des  Servites  de  la  bienheureuse  vierge  Marie  *. 

MARTYROLOGE  DE  FRANCE,  REVU  ET  AUGMENTÉ. 

A  Amiens,  saint  Ache  et  saint  Acheul,  martyrs,  dont  les  reliques  reposent  dans  une  église  magni- 
fique, bâtie  en  leur  honneur  aux  portes  de  la  ville.  —  A  Russou,  au  pays  de  Tongres,  S.  Evermar, 
martyr,  qu'un  tyran,  nommé  Haccon,  massacra  en  haine  de  sa  piété,  dans  un  bois,  comme  il  allait 
en  pèlerinage  à  Saint-Gervais  de  Maëstricht.  700.  —  A  Avenay,  au  diocèse  de  Chàlons-sur-Marne, 
sainte  Berthe,  femme  de  saint  Gombert,  laquelle,  après  avoir  vécu  quelque  temps  avec  lui  à 
l'ombre  du  mariage,  dans  une  pureté  angélique,  s'en  sépara  de  son  consentement,  et  embrassa  la 
vie  religieuse,  ce  qui  ne  l'exempta  pas  de  la  persécution  des  impies,  qui  la  mirent  cruellement  à 
mort  et  en  firent  une  illustre  martyre,  vu8  s.  Leur  fête  se  célèbre  à  Reims  le  28  avril.  —  En 
Auvergne,  sainte  Florine,  vierge  et  martyre.  —  A  Auch,  mémoire  de  saint  Ursinien,  dont  le  culte 
a  péri  en  traversant  les  âges  :  il  précéda  saint  Orens  sur  le  siège  d'Auch.  —  A  Coutances,  saint 
Cariulphe  ou  Criou,  originaire  de  Bayeux,  et  saint  Domard,  tous  deux  disciples  de  saint  Marcoul. 
La  cathédrale  de  Coutances  possède  de  leurs  reliques.  —  Le  vendredi  après  l'Ascension,  fête  de 

1.  Saint  Asaph  était  disciple  de  saint  Kentigern,  évêque  de  Glascow.  Ce  prélat,  chassé  de  son  siège, 
fonda  un  monastère  dans  le  nord  du  pays  de  Galles,  sur  le  bord  de  l'Elwy.  Lorsque  saint  Kentigern  fat 
rappelé  à  Glascow,  saint  Asaph  fut  placé  a  la  tête  du  monastère  et  du  siège  épiscopal  qui  était  attaché 
à  ce  monastère.  Le  siège  d'Elwy  prit  le  nom  de  Saint-Asaph. 

2.  Voir  une  notice  sur  sa  vie  au  30  avril. 


144  1er  MAI, 

sainte  Gertrdde,  patronne  de  Vaux-en-Dieu!et,  au  diocèse  de  Reims.  —  A  Vabres,  en  Rouergue, 
saint  Africain,  évèque  de  Comminges,  qui  purgea  la  plus  grande  partie  de  cette  province  de  l'in- 
fection de  l'arianisme.  Sa  fête  se  célèbre  à  Rhodez  le  28  avril  *.  vi«  s.  —  A  Montauban,  saint 
Théodard,  archevêque  de  Narbonne,  qui  fut,  pendant  sa  vie,  un  trésor  de  doctrine,  un  prodige 
d'éloquence  et  un  modèle  parfait  de  sainteté.  Vers  893.  —  Dans  la  Basse-Bretagne,  saint  Brieuc, 
évèque  et  confesseur.  Sa  fête  se  fait  à  Quimper  le  13  mai.  Vers  614.  —  Près  de  Cadillac,  sur  la 
Garonne,  vis-à-vis  d'Alengon,  saint  Macaire,  évèque  de  Comminges,  disciple  de  saint  Martin,  qui 
convertit  à  la  foi  la  ville  qui  porte  son  nom,  ayant  saint  Cassien  et  saint  Victor  pour  collègues 
dans  le  ministère  de  la  prédication.  Son  corps  repose  maintenant  à  Bordeaux,  où  il  a  été  trans- 
porté avec  une  pompe  extraordinaire  par  un  des  ducs  d'Aquitaine,  vi8  s.  —  A  Gap,  saint  Arige 
ou  Arey,  évèque,  loué  par  saint  Grégoire  le  Grand  pour  son  zèle  contre  les  Simoniaques  2.  604. 

—  Au  diocèse  de  Coulances,  saint  Marcodl,  abbé,  qui  a  mérité  à  nos  rois  très-chrétiens  la  grâce 
héréditaire  de  guérir  les  écrouelles.  11  y  a  quelques  parcelles  de  ses  reliques  dans  l'église  cathé- 
drale de  Coutances,  ainsi  que  dans  l'église  paroissiale  de  Saint-Marcoul,  dans  le  même  diocèse. 
558.  —  A  Nanteuil,  saint  Domard  et  saint  Criou,  les  fidèles  compagnons  de  saint  Marcoul  qui 
moururent  le  même  jour  que  lui.  53S.  —  A  Tarbes,  saint  Juste  ou  Justin,  saint  Magne, 
saint  Isice   et  saint  Photius,   prédicateurs  apostoliques.  Leur  fête  est  à   Tarbes  le  28   mars, 

—  A  Meaux,  saint  Blandin,  confesseur,  dont  le  corps  est  au  prieuré  de  la  Celle,  près  de  Fare- 
montier.  Après  le  milieu  du  vne  s.  —  A  Reims,  S.  Tni:oDCU>HE,  vulgairement  saintTHiou, 
abbé  de  Saint-Thierry. Vers  590.—  A  Savigny,  diocèse  d'Avranches,  les  bienheureux  Geoffroy, 
Guillaume,  Pierre  et  Haymon,  religieux  de  ce  monastère,  dont  les  corps  ont  été  levés  de  terre  en 
ce  jour,  pour  être  exposés  à  la  vénération  des  fidèles.  Les  deux  premiers  ont  aussi  été  abbés.  — 
A  Auxerre,  sainte  Marthe,  vierge,  qui  conserva  dans  son  mariage  avec  saint  Amateur  ou  Amatre, 
depuis  évèque  d'Auxerre,  la  même  pureté  que  la  nature  lui  avait  donnée  à  sa  naissance.  —  A 
Troyes,  un  autre  saint  Amateur,  évèque  de  cette  ville.  340.  —  A  Villefranche,  en  Bourbonnais 
(diocèse  de  Moulins),  pèlerinage  de  sainte  Thorette,  bergère.  XIIe  s.  —  A  Fosse,  en  Hainaut, 
saint  Outain  ou  Ultan,  missionnaire  irlandais,  frère  de  saint  Fursy  et  de  saint  Foillan,  premier  abbé 
du  Mont-Saint-Quentin,  massacré  par  des  brigands  idolâtres  au  moment  où  il  traversait  une  forêt 
avec  trois  compagnons  en  chantant  les  louanges  de  Dieu.  Il  fut  enseveli  dans  l'église  Sainte- 
Agathe  de  Fosse  qu'il  avait  fait  construire  sur  un  fonds  à  lui  donné  par  sainte  Gertrude  de 
Nivelle  3.  Vers  68C.  — A  Moncel,  dans  le  diocèse  de  Beauvais,  sainte  Pétronille,  de  l'illustre  famille 
des  comtes  de  Troyes,  première  abbesse  de  l'abbaye  de  ce  nom  fondée  par  Philippe  le  Bel.  Jusqu'au 
moment  de  leur  dispersion  à  la  fin  du  xvin6  siècle,  les  religieuses  de  Moncel  ont  toujours  vénéré 
sainte  Pétronille  comme  leur  modèle  et  l'ont  invoquée  comme  leur  protectrice  auprès  de  Dieu  *.  1355. 

1.  Voir  ce  jour.  —  2.  Voir  sa  vie  au  1G  août. 

3.  Sa  mémoire  se  trouve  dans  les  martyrologes  des  Pays-Bas  sous  le  1er  mai,  jour  de  sa  mort,  arrivée 
en  686  ou  environ.  Ses  reliques  existaient  encore  vers  la  fin  du  dernier  siècle  dans  l'église  de  Fosse, 
petite  ville  située  a  trois  lieues  de  Namur.  Ce  fut  Notger,  évèque  de  Liège,  qui  en  fit  une  ville  qu'il  en- 
toura de  murailles  en  974,  et  changea  vers  le  même  temps  le  monastère,  dévasté  pendant  les  irruptions 
des  Normands,  en  un  chapitre  de  chanoines.  Saint  Norbert  demeura  quelque  temps  parmi  les  chanoines 
de  Fosse,  qui  lui  cédèrent,  en  1125,  leur  oratoire  de  lïœux,  bâti  au  même  endroit  où  saint  Foillan  avait 
souffert  le  martyre.  C'est  cet  oratoire  qui  donna  naissance  à  l'abbaye  de  Saint-Foillan  ou  Feuillan-aux- 
Hceux,  dont  les  religieux  payaient  tous  les  ans  au  Chapitre  de  Fosse  une  pièce  d'or  ou  douze  deniers  d'ar- 
gent, et  devaient  lui  présenter  leur  abbé  après  sa  bénédiction,  afin  d'y  prendre  la  crosse  abbatiale  sur 
l'autel  de  saint  Foillan.  Ces  chanoines  ont  été  des  premiers,  l'an  1246,  à  célébrer  la  Fête-Dieu,  à  la  de- 
mande de  Robert,  évèque  de  Lidge.  (Mgr  de  Ram.) 

4.  Nous  allons  retracer  en  quelques  mots  l'origine  de  la  fondation  royale  de  Moncel  :  Ils  rappelleront 
un  édifiant  exemple  de  foi  et  de  piété  donné  à  ses  sujets  par  un  petit-fils  de  saint  Louis. 

«  Malgré  ses  tristes  démêlés  avec  le  souverain  pontife  Boniface  VIII  »,  dit  l'historien  du  diocèse  de 
Beauvais.  «  Philippe  le  Bel  tenait  à  la  religion,  et  professait  une  grande  estime  pour  les  personnes  qui  en 
remplissaient  fidèlement  les  devoirs,  et  suivaient  la  route  qu'elle  trace  pour  arriver  à  la  perfection  ». 
Animé  de  ces  religieux  sentiments,  il  décréta  en  ces  termes,  pendant  un  séjour  qu'il  fit  a  Pont-Sainte- 
Maxence,  la  fondation  d'un'  monastère  de  l'Ordre  de  Sainte-Claire  :  «  Nous  avons  délibéré,  en  l'honneur 
du  Tout-Puissant,  de  la  bienheureuse  Vierge  Marie,  des  Apôtres  saint  Pierre  et  saint  Paul,  de  toute  la 
cour  céleste,  et  aussi  pour  la  célèbre  et  spéciale  mémoire  de  saint  François  et  de  sainte  Claire,  de  fonder 
un  couvent  de  religieuses  au  lieu  dit  Le  Moncel,  proche  de  notre  maison  royale...  Là,  des  sœurs  dudit 
Ordre  offriront  a  Dieu,  auteur  de  tout  bien,  des  prières  et  des  hosties  salutaires  pour  nous,  nos  succes- 
seurs, l'état  de  notre  royaume,  et  en  même  temps  pour  le  soulagement  des  âmes  de  notre  très-chère  et 
aimée  épouse,  et  de  nos  parents...  »  Ce  prince  jeta  lui-même  les  fondements  de  cette  abbaye,  mais  elle 
ne  put  être  livrée  a  sa  sainte  destination  que  sous  le  règne  de  Philippe  de  Valois.  Le  17  juillet  1336,  la 
reine  Jeanne  de  Bourgogne  y  mit  douze  religieuses  tirées  des  couvents  de  Saint-Marcel  de  Paris,  de 
Longchamp  et  de  Sainte-Catherine  de  Provins.  Le  monastère  du  Moncel  vit  accroître  rapidement  ses  ri- 
chesses. Il  reçut  en  don,  ou  acquit  à  prix  d'argent,  la  seigneurie  de  Pontpoint,  plnsieurs  fermes  impor- 
tantes, les  dîmes  de  Villeneuve,  etc.  Pendant  la  captivité  du  roi  Jean,  les  religieuses  vendirent,  pour  le 
racheter,  les  pierreries  et  les  vases  d'or  et  d'argent  que  Philippe  de  Valois  leur  avait  donnés.  Louis  XIV 
leur  fit  présent  du  château  de  Pont,  appelé  aussi  château  de  Fécamp...  L'église  de  cette  abbaye  fut  de'- 
truite  en  1793...  Les  bâtiments  claustraux  sont  passés  dans  le  domaine  particulier.  (Graves,  Annuaire  de 
l'Oise,  statistique  du  canton  de  Pont-Sainte-Maxence,  56-60.) 


MARTYROLOGES.  145 

—  A  Amiens,  saint  Milfort,  saint  Varloix,  saint  Luxor,  sainte  Agrippine,  sainte  Laurienne,  saint 
Gratien  et  plusieurs  autres  qui  ne  sont  plus  connus  que  par  de  vagues  traditions.  Puisse  le  sou- 
venir que  nous  leur  accordons,  nous  les  rendre  propices.  —  En  Basse-Bretagne,  la  translation  de 
saint  Corentin,  évêque  de  Quimper,  qui  a  laissé  à  cette  ville,  avec  son  nom,  une  mémoire  éternelle 
de  ses  vertus.  On  célèbre  son  décès  le  12  décembre,  et  sa  translation  le  premier  dimanche  de 
mai.  —  A  Clermont,  en  Auvergne,  fête  de  Notre-Dame  de  Grâce,  qu'on  invoque  contre  les  maladies 
contagieuses.  —  A  Solesmes,  les  saints  martyrs  Boniface,  Maxime,  Vital  et  Julienne,  dont  les  corps, 
tirés  des  catacombes,  furent  donnés  à  cette  abbaye  en  1661  :  on  les  y  vénère  encore  aujourd'hui. 

—  A  Etretat,  en  Normandie,  cérémonie  de  la  bénédiction  de  la  mer.  —  Au  diocèse  de  Troyes, 
sainte  Germaine,  vierge  et  martyre,  et  sainte  Honorée.  451. 

MARTYROLOGES  DES   ORDRES  RELIGIEUX. 

Martyrologe  des  Chanoines  réguliers.  —  Chez  les  Prémontrés  :  Le  dimanche  dans  l'octave 
de  l'Ascension,  au  diocèse  de  Ruremonde,  dans  la  province  de  Falcobourg,  saint  Gerlac,  confes- 
seur, qui,  sous  l'habit  de  Prémontré,  mena  pendant  quatorze  ans  une  vie  très-austère,  enfermé 
dans  l'intérieur  d'un  chêne  qu'il  avait  lui-même  creusé  et,  enfin,  comblé  de  vertus  et  de  miracles, 
décéda  dans  le  Seigneur  le  5  janvier  1. 

Martyrologe  des  Trinitaires  déchaussés.  —  A  Madrid,  la  translation  solennelle  du  corps  de 
notre  Père  saint  Jean  de  Matha,  lequel,  ayant  été  enfermé  dans  une  châsse  d'argent,  ornée  de 
pierres  précieuses,  fut  promené  sur  les  épaules  des  citoyens  les  plus  notables,  dans  une  procession 
très-solennelle,  par  les  rues  et  par  les  places  de  la  ville,  puis  porté  dans  l'église  de  l'Ordre  des 
Trinitaires,  où  il  fut  déposé  par  l'autorité  d'Innocent  XIII,  et  où  il  est  visité  et  honoré  avec  une 
grande  dévotion.  (La  fête  de  cette  translation  a  lieu  le  samedi  avant  le  cinquième  dimanche  après 
Pâques.) 

Martyrologe  des  Capucins.  —  A  Assise,  en  Ombrie,  la  dédicace  de  la  basilique  patriarcale 
de  saint  François,  qu'Innocent  IV  consacra  solennellement,  et  que  Grégoire  IX  soumit  directement 
au  Saint-Siège,  et  établit  dans  la  dignité  de  chef-lieu  et  de  métropole. 

ADDITIONS  FAITES  D'APRÈS  LES  BOLLANDISTES  ET  AUTRES   HAGIOGRAPHES. 

A  Hierapolis,  sainte  Marianne  et  sainte  Philippe,  filles  de  l'apôtre  saint  Philippe.  i«  s.  —  A 
Catane,  en  Sicile,  saint  Comin  ou  Comice,  martyr.  270.  —  A  Gallipoli,  en  Italie,  ville  où  a  long- 
temps prédominé  la  langue  grecque  et  où  l'on  élisait  tour  à  tour  un  évêque  hellène  et  un  évêque 
latin,  la  déposition  de  saint  Maur  de  Libye,  martyrisé  à  Rome.  Il  y  avait  autrefois,  à  Gallipoli, 
une  église  et  une  abbaye  du  nom  de  Saint-Maur.  Règne  de  Numérien.  283.  —  A  Avellino  et  a 
Atripalda,  dans  le  royaume  de  Naples,  fête  de  saint  Hypolixte  ou  Hypolistre,  prêtre  et  martyr, 
originaire  d'Antioche,  qui  vint  prêcher  l'Evangile  en  Italie,  et  convertit  huit  mille  hommes  dans  la 
seule  ville  d'Avellino  :  il  est  le  principal  patron  de  cette  dernière  ville  et  d'Atripalda.  303.  —Près 
d'Evora,  en  Portugal,  en  un  lieu  dit  la  Fosse  aux  Martyrs,  sainte  Colombe  et  sa  sœur  mises  à 
mort  pour  Jésus-Christ.  Une  fontaine  jaillit  à  l'endroit  où  roulèrent  leurs  tètes,  dont  les  eaux  furent 
longtemps  salutaires  aux  malades  qu'y  amenait  une  vraie  foi.  303.  —  Encore  en  Portugal,  le 
vénérable  Gérald,  de  l'Ordre  des  Chanoines  réguliers  à  Canseda  :  on  l'invoque  contre  les  maux  de 
côté.  xne  s.  —  En  Afrique,  les  saints  Quintien,  Eleuthère,  Gage,  Alexandre  et  Saturnin,  martyrs. 

—  Et  ailleurs,  les  saints  martyrs  Apollonius  et  Euphémius.  —  Chez  les  Grecs,  saint  Sabas, 
martyr,  qui  fut  suspendu  par  les  doigts  à  un  figuier.  —  A  Nisibe,  en  Mésopotamie,  saint  Bâtas, 
martyr,  qui  avait  quitté,  à  l'âge  de  trente  ans,  sa  famille,  ses  richesses  et  la  Perse,  sa  patrie, 
pour  venir  se  faire  religieux  sur  les  terres  de  l'empire  romain.  Le  roi  de  Perse  ayant  déclaré  la 
guerre  à  ses  nouveaux  sujets  chrétiens,  lorsque  l'empereur  Jovien  lui  eut  cédé  Nisibe,  Bâtas  fui 
pris.  Dix  soldats  lui  tirèrent  les  bras  et  disloquèrent  tous  ses  membres  ;  après  quoi  on  le  garrotta, 
on  retendit  par  terre  et  on  lui  coupa  la  tète.  Vers  365.  —  Chez  les  Grecs,  sainte  Isidora,  vierge, 
qui,  comme  une  abeille  fatiguée  du  poids  du  jour,  s'envola,  chargée  du  miel  des  bonnes  œuvres, 
vers  le  céleste  rucher.  —  A  Trêves,  sur  la  Moselle,  saint  Théodulphe,  prêtre,  qu'il  ne  faut  pas 
confondre  avec  saint  Théodulphe  de  Beims.  Ses  reliques  furent  découvertes,  en  1240,  dans  l'ora- 
toire du  palais  de  sainte  Hélène  et  déposées  au  couvent  des  Dominicains.  La  tradition,  qui  n'avait 
pas  oublié  ce  Saint,  bien  que  l'on  ignorât  l'endroit  où  gisait  son  corps,  le  faisait  petit-neveu  des 
empereurs  romains.  vne  s.  —  A  Castel-san-Peregrino  (autrefois  village  de  Contro),  dans  le  diocèse 
de  Nocera,  en  Ombrie,  saint  Pèlerin  qui,  repoussé  par  les  habitants  de  ce  lieu,  mourut  de  froid 
et  de  misère,  pendant  une  nuit  d'hiver.  Les  villageois,  ayant  trouvé  son  bâton  qui  avait  fleuri  près 
de  son  cadavre,  reconnurent  leur  faute  et  sa  sainteté.  Milieu  du  XIe  s.  —  A  Terni,  dans  l'Ombrie, 
les  saints  Procule,  Péleste,  Agapit  et  trente-trois  soldats,  martyrs.  —  En  Orient,  saint  Quentin  ou 
Quintien,  martyr.  —  A  Mérida,  en  Espagne,  saint  Saturnin,  martyr.  —  En  Irlande,  saint  Kellac, 
évêque.  Vers  l'an  600.   —  A  Pauzano,  en  Toscane,  saint  Euphrosin  qui  parait  avoir  été   un 

1.  Voyez  ce  jour. 

Vies  des  Saints.  —  Tqme  V.  10 


146  in  MAÏ. 

évèque  missionnaire.  Ses  actes  ont  péri.  La  tradition  locale  montre  une  pierre  où  il  a  laissé  l'empreinte 
de  son  pied  et  une  autre  où,  s'étant  assis,  il  a  laissé  celle  de  ses  reins.  Il  existe,  à  Panzano,  une 
église  de  sou  nom.  —  A  Fossombrone,  en  Ombrie,  saint  Aldebrand,  évèque  et  patron  titulaire  de 
la  cathédrale.  Il  mourut  centenaire.  xne  s.  —  A  Montaione,  en  Toscane,  le  bienheureux  Vivald  ou 
Ubald,  ermite,  du  Tiers  Ordre  de  Saint-François  et  patron  de  l'église  paroissiale.  Il  se  mit  d'abord 
au  service  d'un  autre  ermite  qui  était  lépreux,  et  passa  le  reste  de  sa  vie  dans  un  marronier  creux. 
Plus  tard,  il  s'éleva,  sur  son  ermitage,  une  église  et  un  couvent  de  la  stricte  Observance  qui  prit  son 
nom.  xive  s.  —  A  Agamio,  dans  ie  diocèse  de  Novare,  en  Italie,  sainte  Panacée,  vierge  et  bergère, 
tuée  par  une  indigne  belle-mère  qui,  l'ayant  trouvée  occupée  à  prier,  lui  enfonça  des  fuseaux  dans 
la  tète.  Son  tombeau,  sur  lequel  s'est  élevée  une  église,  est  devenu  un  but  de  pèlerinages.  On  a, 
dans  le  diocèse  de  Novare,  une  grande  dévotion  à  sainte  Panacée  que  l'on  invoque  surtout  contre 
l'épilepsie.  1383.  —  A  Bergame,  sainte  Grata  ou  Gracieuse.  Fille  de  Lupus,  gouverneur  de  la  ville, 
elle  fut  mariée  à  un  seigneur  germain,  bien  que,  dans  son  cœur,  elle  eût  désiré  n'avoir  d'autre  époux 
que  Jésus-Christ.  Mais  le  Seigneur,  qui  connaissait  les  secrets  désirs  de  sa  servante,  permit  que  son 
mari  mourût  avant  la  consommation  du  mariage.  Héritière  d'un  riche  patrimoine,  elle  l'employa  tout 
entier  à  de  bonnes  œuvres  :  elle  fonda  trois  oratoires  et  un  hôpital  où  elle  allait  elle-même  soigner 
les  malades.  Ces  libéralités  firent  sans  doute  fermer  les  yeux  aux  autorités  locales  sur  le  manque 
d'égard  que  Grata  témoignait  aux  édits  impériaux  alors  si  sévères  «ontre  les  chrétiens.  Elle  put 
donner  l'hospitalité  à  Alexandre,  un  des  officiers  de  la  légion  thébéenne  qui  avait  échappé  par  la 
fuite  au  massacre  de  ses  compagnons  d'armes,  ainsi  que  quelques  soldats  de  sa  suite.  Lorsque 
Alexandre,  devenu  de  soldat  apôtre  du  Christ,  eut  été  mis  à  mort  pour  la  cause  de  la  religion, 
Grata  l'ensevelit  de  ses  propres  mains.  307. 

FÊTES  MOBILES  DE  MAI. 

Le  troisième  dimanche  après  la  Pentecôte,  fête  du  Très-Saint  Cœur  de  Jésus.  —  Dans  un  grand 
nombre  de  diocèses  de  France,  le  dimanche  dans  l'octave  de  l'Ascension,  fête  des  saintes  reliques 
dont  le  diocèse  est  enrichi.  —  A  Billom,  en  l'église  de  Saint-Cerneuf  (et  pour  mémoire),  fête 
d'une  relique  du  précieux  sang  de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ,  qui  fut  apportée  de  Syrie  vers  la 
fin  du  XIe  siècle  à  l'époque  de  la  première  croisade,  par  deux  chanoines  de  cette  église,  Durand 
Albanelli,  parent  de  Godefroy  de  Bouillon,  et  Pierre  Barbasta.  Cette  inestimable  relique,  qui  a 
disparu  à  la  Révolution,  consistait  en  une  cuillerée,  environ,  d'un  sang  qui  conservait  sa  couleur 
naturelle  et  sa  fluidité.  Plusieurs  authentiques  accompagnaient  le  vase  dans  lequel  était  contenu 
le  précieux  sang  :  l'un  datait  du  temps  de  l'un  des  successeurs  de  Tibère,  l'autre  de  l'empire  de 
Valens.  Des  bulles  d'Eugène  IV  (1444)  établissant  une  confrérie  en  l'honneur  du  précieux  sang  de 
Billom  ;  de  Paul  VI,  de  Calixte  III,  de  Léon  X,  de  Clément  VII,  attestent  un  grand  nombre  de  mi- 
racles opérés  par  la  vertu  de  ce  sang  divin.  Nous  lisons  dans  une  brochure  intitulée  :  Discours 
historique  sur  le  sang  précieux  que  l'on  révère  dans  l'église  collégiale  et  royale  de  Saint- 
Cerneuf  de  la  ville  de  Bellom  en  Auvergne,  brochure  qui  date  de  1757  :  «  On  a  surtout  recours 
à  la  relique  du  précieux  sang  dans  les  pertes  de  sang,  telles  que  dyssenteries,  hémorrhagies,  etc., 
et  pour  les  maux  d'yeux  '  ».  —  Procession  à  la  chapelle  de  Notre-Dame  de  la  Croix  à  Marciac, 
diocèse  d'Auch.  En  1653,  lorsque  la  peste  ravageait  Marciac  et  les  pays  circonvoisins,  la  Sainte 
Vierge  apparut  dans  la  campagne,  entourée  d'une  lumière  éclatante,  à  une  femme  du  peuple,  et 
lui  dit  que  le  fléau  cesserait  si  on  lui  élevait,  en  ce  lieu-là  même,  une  chapelle  sous  le  titre  de 
Notre-Dame  de  la  Croix.  Quand  la  pauvre  femme,  à  son  retour  en  ville,  raconta  ce  qui  lui  était 
arrivé,  on  la  traita  de  visionnaire.  Cependant  le  mal  augmentant  toujours,  on  se  décide  à  essayer 
le  moyen  qu'elle  proposait.  On  va  en  procession  au  lieu  désigné  par  elle  ;  on  le  bénit,  et  à  peine 
a-t-on  posé  la  première  pierre  que  le  fléau  diminue  d'intensité  ;  à  mesure  que  les  murs  s'élèvent, 
il  diminue  encore,  jusqu'à  ce  qu'enfin  l'état  sanitaire  ait  repris  son  cours  normal.  En  93,  la  cha- 
pelle fut  dévastée,  les  ex-voto  enlevés,  la  voûte  abattue,  les  autels  brisés,  la  statue  jetée  dans  un 
puits.  On  retira  plus  tard  cette  sainte  image  mutilée  ;  et  quand  luirent  des  jours  meilleurs,  on  la 
plaça  solennellement  là  où  elle  est  encore  aujourd'hui.  —  Le  dimanche  dans  l'octave  de  la  Tri- 
nité, fête  de  Notre-Dame  des  Flots,  à  Sainte-Adresse,  près  du  Havre,  chapelle  chère  aux  marins. 
L'origine  de  ce  sanctuaire  remonte  au  xiv6  siècle  :  l'envahissement  des  flots  l'avait  fait  disparaître 
depuis  trois  cents  ans,  lorsque  le  zèle  du  curé  de  Sainte-Adresse  l'a  relevé  en  1859.  —  Le  1er  mai 
1841,  inauguration  de  la  nouvelle  chapelle  de  Montciel,  au  diocèse  de  Saint-Claude  et  translation 
de  la  statue  qu'on  vénérait  dans  l'ancien  sanctuaire  aliéné  par  la  Révolution.  Notre-Dame  de 
Montciel  doit  sa  fondation  à  un  Bénédictin  du  prieuré  de  Saint-Désiré,  qui,  poussé  par  le  désir 
d'une  vie  plus  parfaite,  vint  s'établir  sur  la  montagne  où  s'élève  aujourd'hui  la  chapelle,  près 
de  Lons-le-Saulnier.  —  Anniversaire  de  la  découverte  d'une  statue  miraculeuse,  vénérée  sous  le 
nom  de  Notre-Dame  du  Noyer,  à  Cuiseaux,  dans  le  diocèse  d'Autun.  Ce  nom  lui  vient  du  tronc 

1.  Cette  brochure,  devenue  presque  introuvable,  nous  a  été  communiquée  par  M.  Maison,  curé  de  Saint- 
Cerneuf  de  Billom,  en  août  1871.  Nous  prenons,  ici,  occasion  de  lui  en  exprimer  toute  notre  gratitude. 


MARTYBOLOGES.  147 

d'tm  noyer,  où  elle  était  cachée  à  l'origine.  Un  berger  seul  la  connaissait;  et  tons  les  jonrs  on  le 
voyait  priant  à  deux  genoux,  avec  une  grande  ferveur,  devaut  ce  noyer.  Interrogé  pourquoi  il  se 
mettait  à  genoux  au  pied  de  cet  arbre,  il  en  dit  la  raison  ;  et  aussitôt  tous  les  voisins  vinrent  prier 
avec  lui,  puis  élevèrent  une  chapelle,  dans  laquelle  ils  renfermèrent  le  noyer  et  bâtirent  autour  de 
l'arbre  un  pilier,  destiné  à  porter  la  statue,  pour  qu'elle  fût  en  évidence  à  tous.  Dès  lors,  cette 
chapelle  devint  un  lieu  de  pèlerinage  et  dura  cinq  siècles.  La  Révolution  arriva  et  vendit  la 
chapelle  pour  en  faire  une  habitation  profane.  La  statue  revint  alors  à  l'église  paroissiale,  où  on 
la  vénère  encore  aujourd'hui.  1er  mai  1249.  —  Les  jours  des  Rogations,  et  pendant  le  mois  de 
mai,  processions  à  Notre-Dame  de  Romay,  au  diocèse  d'Autun.  C'est  une  chapelle  où  toute  la 
contrée  se  plaît  tant  à  aller  honorer  Marie.  Dans  cette  chapelle,  antérieure  au  xn8  siècle,  on 
vénère  une  statue  de  la  Vierge  en  pierre  assez  grossièrement  travaillée,  et  que  la  tradition  fait 
remonter  au  x8  siècle.  Enfouie  dans  une  prairie  voisine,  à  l'époque  des  guerres  de  religion,  pour 
la  soustraire  à  la  fureur  des  calvinistes,  elle  fut  retrouvée,  dit  la  tradition  locale,  en  fouillant  le 
sol,  là  où  l'on  voyait  des  bœufs  venir  chaque  jour  gratter  la  terre  et  comme  s'agenouiller  devant 
la  sainte  image.  Notre-Dame  de  Romay  est  au  Charolais  ce  qu'est  Fourvières  à  Lyon,  Notre- 
Dame  de  la  Garde  à  Marseille.  Le  concours  des  pèlerins  étrangers  y  rivalise  avec  la  piété  des 
habitants  ;  et  tel  qui  ne  prie  plus  Dieu  ne  peut  se  défendre  d'aimer  Notre-Dame  de  Romay,  de  s'a- 
genouiller et  quelquefois  de  verser  une  larme  devant  son  autel.  En  93,  la  statue  miraculeuse  fut 
soustraite  à  la  profanation  par  le  dévouement  d'une  jeune  fille,  qui,  aidée  de  son  frère,  la  cacha 
d'abord  dans  le  lit  de  la  rivière  voisine,  puis  dans  la  fosse  d'une  tannerie,  enfin  dans  sa  propre 
demeure,  derrière  le  rideau  de  son  lit  ;  et  les  hommes  de  la  Révolution,  qui  vinrent  l'y  chercher, 
fouillèrent  partout,  excepté  là  où  elle  était.  La  paix  rendue  à  l'Eglise,  la  Vierge  vint  reprendre 
sa  place  dans  son  sanctuaire  ;  et  depuis  lors  elle  ne  cesse  d'y  recevoir  les  hommages  empressés 
des  populations.  Pie  IX  a  accordé  à  un  sanctuaire  si  renommé  de  nombreuses  indulgences,  dont  le 
tableau  est  affiché  dans  l'église.  —  Le  dimanche  de  la  Pentecôte,  commencement  des  pèlerinages 
à  Notre-Dame  de  la  Certenne,  sur  la  paroisse  de  Mesvres,  au  diocèse  d'Autun.  C'était,  avant  l'ère 
chrétienne,  au  sommet  le  plus  élevé  de  la  montagne,  un  camp  dont  la  muraille  d'enceinte  est  en- 
core visible  ;  et  au  pied,  était  une  résidence  de  druides.  Les  pierres  et  les  fontaines  y  étaient 
estimées  sacrées;  on  y  honorait  trois  déesses  qui,  correspondant  aux  trois  Parques  des  Romains,  pré- 
sidaient à  la  génération  et  à  la  naissance,  dispensaient  l'abondance  et  les  richesses  ;  et  les  femmes 
leur  offraient  des  pommes  avec  des  cornes  d'abondance,  à  la  fête  des  Matronales.  Comme  le  vul- 
gaire croyait  que  ces  déesses  se  rendaient  visibles  aux  hommes  et  entraient  en  contact  avec  eux, 
leur  culte,  plus  populaire  que  celui  des  grandes  divinités,  s'est  conservé  sous  le  nom  de  dames  et 
de  fées.  De  là  fut  donné  aux  roches  de  Dettey,  qui  forment  une  espèce  d'enceinte,  le  nom  de 
Roches  à  la  Dame  ;  de  là  à  Sans,  hameau  de  Sennecey-le-Grand,  un  quartier  où  abondent  les 
vestiges  d'antiques  constructions,  porte  le  nom  de  Quart-des-Dames.  Une  des  trois  dames  de  la 
Certenne  avait  son  temple  sur  la  montagne  ;  et  elle  était  censée  guérir  de  la  fièvre;  la  seconde  à 
la  Maison-Dru,  et  elle  passait  pour  donner  du  lait  aux  nourrices  ;  la  troisième  à  la  Commelle,  et 
on  recourait  à  elle  pour  la  guérison  du  mai  d'yeux.  Enfin  les  jeunes  filles  allaient  demander  à  ces 
trois  déesses  des  époux,  et  les  nourrices,  du  lait.  Tel  était  l'état  où  le  christianisme  trouva  la 
montagne  de  la  Certenne.  Pour  déraciner  ces  grossières  superstitions,  il  substitua  à  l'oratoire  païen 
placé  à  la  lisière  du  camp,  sur  un  tertre  entouré  jadis  d'un  fossé,  une  chapelle  de  la  Vierge  dont 
le  vocable  de  Notre-Dame  remplaça  celui  de  la  Dame  que  portait  la  déesse;  il  recommanda  aux 
peuples  de  déposer  aux  pieds  de  la  Vierge  l'eau  puisée  à  la  fontaine  pour  la  faire  bénir  par  elle  ; 
enfin  il  tenta  tous  les  moyens  d'élever  les  esprits  d'un  culte  grossier  au  spiritualisme  chrétien  ;  et 
quoiqu'il  soit  toujours  demeuré  quelques  restes  des  vieilles  superstitions,  qui  ont  obligé  plusieurs 
fois  les  évèques  d'Autun  à  interdire  la  chapelle,  la  piété  sincère  de  beaucoup  de  pèlerins  y  offre 
un  spectacle  consolant  pour  la  foi.  Le  pèlerinage  commence  le  jour  de  la  Pentecôte  :  au  soleil 
couchant  on  gravit  la  montagne  ;  les  groupes  de  pèlerins  se  dispersent,  les  uns  vont  boire  à  la 
fontaine  de  la  Dame,  d'autres  vont  dans  le  bois  voisin  chercher  un  gite  sous  la  feuillée  pour  se  re- 
poser et  dormir.  Les  plus  dévots  se  rendent  à  la  chapelle,  y  récitent  des  prières  ou  y  chantent 
des  cantiques  toute  la  nuit  ;  le  rosaire,  les  litanies,  les  lectures  se  succèdent  sans  interruption. 
Tout  ce  monde  entassé  dans  cet  étroit  sanctuaire  respire  à  peine,  ses  murs  suintent  sous  le  souffle 
de  toutes  les  haleines,  la  statue  suinte  elle-même,  et  alors  on  crie  au  miracle  ;  la  Vierge  pleure, 
chacun  s'approche  ;  on  lui  fait  toucher  les  livres,  les  médailles,  les  chapelets,  les  vêtements  des 
malades  ou  quelques  linges  pour  les  appliquer  ensuite  sur  les  membres  malades.  Rien  n'est  plus 
populaire  que  ce  pèlerinage  :  chaque  année  on  se  fait  une  fête  d'aller,  comme  on  le  dit,  à  la  bonne 
Notre-Dame  de  la  Certenne  '.  —  Le  premier  dimanche  de  mai,  fête  de  Notre-Dame  des  Malades,  à 
Ornans,  diocèse  de  Resançon.  Le  sanctuaire  autrefois  célèbre  de  Notre-Dame  des  malades  ayant  été 
renversé  à  la  Révolution  et  n'ayant  pas  été  rétabli,  l'église  Saint-Laurent  hérita  de  la  statue  qu'on 
y  vénérait.  Le  premier  dimanche  de  mai,  on  la  porte  processiounellement  là  où  fut  autrefois  sa 
chapelle  pour  ne  pas  laisser  périr  le  souvenir  d'un  passé  glorieux.  —  Le  lundi  de  la  Pentecôte, 
pèlerinage  à  Notre-Dame  de  Ruglose,  au  diocèse  d'Aire,  un  des  pèlerinages  les  plus  fréquentés  de 

1.  Notre-Dame  de  France,  par  M.  Hamoa. 


148  1er  MAI. 

la  Gascogne.  Placée  sur  la  paroisse  de  Pouy,  qu'a  tant  illustrée  la  naissance  de  saint  Vincent  de 
Paul,  à  cinq  kilomètres  du  cliêue  qui  abrita  la  première  enfance  de  cet  homme  de  Dieu,  au  milieu 
des  sables  du  désert,  cette  antique  chapelle  était,  de  temps  immémorial,  l'objet  de  la  vénération 
de  toute  la  contrée,  ainsi  que  la  statue  de  Marie,  qu'on  y  conservait,  lorsque,  le  28  novembre 
1569,  Jeanne  d'Albret  rendit  une  ordonnance  portant  que  les  «  oratoires  champêtres  qui  servaient, 
disait-elle,  à  de  folles  superstitions,  ensemble  les  autels  et  rétables  des  églises  dans  les  villes 
et  les  villages  seraient  rasés,  démolis  et  les  pierres  converties  à  des  besoins  utiles  ».  L'année 
suivante,  1570,  en  vertu  de  ce  décret,  le  sanctuaire  de  Buglose  fut  livré  aux  flammes  ;  et  la  statue, 
sauvée  de  la  destruction  par  quelques  catholiques,  fut  jetée  secrètement  par  eux  dans  un  marais, 
aujourd'hui  desséché,  à  trente  ou  quarante  pas  de  la  fontaine  miraculeuse  qui  existe  encore.  Ils  se 
proposaient  de  l'en  retirer  quand  luiraient  des  jours  meilleurs;  mais,  ces  jours  n'étant  pas  venus 
de  leur  vivant,  ils  emportèrent  leur  secret  dans  la  tombe.  En  1620,  Louis  XIII  venait  de  rétablir  le 
culte  catholique  dans  le  Béarn,  quand  un  pâtre,  qui  avait  coutume  de  mener  paître  son  troupeau 
près  du  marais,  vit,  de  dessus  un  chêne  où  il  était  monté,  un  de  ses  bœufs  entrer  dans  le  marais  et 
y  lécher  une  statue  en  poussant  des  gémissements.  11  descend  aussitôt,  court  avertir  le  curé  de 
Pouy;  celui-ci  arrive,  on  retire  la  statue,  et  l'on  reconnaît  l'image  de  la  Sainte  Vierge.  Alors  les 
traditions  à  demi  effacées  dans  le  souvenir  se  réveillent  :  on  réunit  des  pierres  éparses,  on 
dresse  à  la  statue  de  Marie  un  piédestal  à  la  place  même  où  est  aujourd'hui  la  chapelle  de  la 
Fontaine  ;  et  depuis  lors,  la  Sainte  Vierge  ne  s'appelle  plus  que  Notre-Dame  de  Buglose,  nom 
formé  du  mot  français  beugler.  Un  nouveau  sanctuaire  fut  bientôt  élevé.  Vers  la  fin  du  xvin»  siè- 
cle, Buglose  échappa  à  la  ruine  qui  enveloppa  tant  d'églises.  Quelques  dévastateurs  essayèrent, 
dit  la  tradition  locale,  de  porter  sur  l'autel  une  main  sacrilège  ;  mais  ils  s'arrêtèrent  effrayés,  dès 
le  début  de  leur  œuvre.  Cependant  on  craignit  pour  la  sainte  image,  si  elle  restait  dans  son  sanc- 
tuaire ;  et  des  mains  pieuses  la  transportèrent  pour  un  temps  à  l'oratoire  de  la  Fontaine.  Là,  bien 
des  fidèles  vinrent  la  prier  pendant  ces  jours  mauvais  ;  et  les  révolutionnaires,  faisant  prévaloir 
sur  leur  haine  l'intérêt  fiscal,  ne  les  empêchèrent  point;  ils  se  bornèrent  à  mettre  en  régie  les 
aumônes  que  la  piété  apportait,  et  à  brûler  les  archives.  Quand  le  culte  fut  rétabli  en  France, 
les  pèlerins  reprirent  le  chemin  de  la  sainte  chapelle  ;  les  paroisses  voisines  recommencèrent  à 
s'y  rendre  processionnellement.  Malheureusement  l'église  n'était  pas  en  rapport  avec  la  célébrité 
de  son  pèlerinage.  En  1854,  on  en  commença  une  nouvelle  sur  les  fondements  renouvelés  et 
agrandis  de  l'ancienne.  —  Le  lundi  de  la  Pentecôte,  procession  de  diverses  paroisses  à  Notre- 
Dame  de  Biran,  dans  le  diocèse  d'Auch.  La  chapelle  de  Biran  dut  sa  première  origine  à  la  décou- 
verte d'une  petite  statue  de  la  Vierge,  portant  à  son  cou  une  croix  de  pierres  blanches,  trouvée 
sur  le  tronc  d'un  grand  arbre,  dans  lequel  elle  avait  été  indiquée  par  une  lumière  vive  rayonnant 
d'en  haut  à  travers  les  branches.  Tous  les  habitants,  émerveillés  du  prodige,  abattirent  l'arbre,  et 
élevèrent,  à  l'endroit  même,  une  petite  chapelle  où  l'on  plaça  la  statue  dans  une  niche  construite 
avec  le  bois  de  cet  arbre.  —  Le  même  jour,  procession  à  Notre-Dame  de  Cahuzac,  dans  le  même 
diocèse.  On  raconte  que  les  Calvinistes,  ne  pouvant  supporter  le  bien  qui  se  faisait  dans  cette 
chapelle,  résolurent  d'y  mettre  le  feu.  Trois  fois,  en  effet,  à  l'entrée  de  la  nuit,  ils  partirent  de 
Mauvesin  dans  ce  dessein,  marchèrent  tout  le  temps,  et  trois  fois  ils  se  trouvèrent,  au  point  du 
jour,  n'ayant  encore  fait  qu'une  lieue  de  chemin,  si  fatigués,  qu'ils  ne  purent  que  revenir  sur  leurs 
pas.  Le  gouverneur  de  l'Isle-en-Jourdain,  mécontent  de  ces  inutiles  tentatives,  vint  en  personne, 
en  plein  jour,  à  la  tète  des  huguenots,  jusqu'à  Cahuzac;  mais  à  l'entrée  de  la  chapelle,  il  se 
sentit  soudainement  abattu  sous  la  main  de  Dieu,  et  brûlé  par  un  feu  intérieur,  qui  l'obligea  à  se 
retirer  en  toute  hâte.  —  Le  lundi  de  la  Pentecôte,  pèlerinage  à  Notre-Dame  de  Marsan,  située  près 
de  Saint-Lizier,  dans  l'ancien  diocèse  de  Conserans.  Sur  le  coteau,  où  l'on  admire  la  gracieuse 
chapelle  de  Notre-Dame,  s'élevait,  pendant  le  règne  du  paganisme,  un  autel  dédié  à  Mars,  que 
l'évèque  du  lieu  remplaça,  en  670,  par  un  autel  consacré  à  la  sainte  Vierge.  Au  Xe  siècle,  la  peste 
noire  ayant  envahi  le  midi  de  la  France  et  le  nord  de  l'Espagne,  les  populations  effrayées  de  se 
voir  décimées  par  le  fléau,  se  vouèrent  à  Notre-Dame  de  Marsan.  A  ce  vœu  général  et  solennel, 
le  fléau  s'arrêta;  et,  dans  l'élan  de  leur  reconnaissance,  les  villes  de Tarbes,  d'Auch,  de  Saragosse, 
du  Val-d'Arau,  et  plus  encore  toutes  les  populations  voisines,  se  rendirent,  le  lundi  de  la  Pente- 
côte, à  Notre-Dame  de  Marsan,  pour  lui  offrir  leurs  hommages.  Elles  ne  s'en  tinrent  pas  là  :  depuis 
cette  époque,  leurs  députés  vinrent  chaque  année  renouveler  leurs  actions  de  grâces  avec  leurs 
offrandes;  et  on  construisit,  pour  les  recevoir,  un  magnifique  hôtel,  appelé  l'hôtel  des  Ambassa- 
deurs, dont  les  chambres,  ainsi  que  le  ciel  des  lits,  étaient  ornés  de  tableaux  que  chacune  des 
villes  délivrées  de  l'épidémie  avait  fait  peindre  en  mémoire  de  cet  événement  mémorable.  Depuis 
93,  la  ville  de  Saint-Lizier  est  la  seule  à  venir,  le  lundi  de  la  Pentecôte,  continuer  les  traditions 
du  passé  ;  et  les  tableaux  de  l'hôtel  des  Ambassadeurs  ont  disparu.  —  Le  1er  mai  et  le  8  septem- 
bre, pèlerinage  à  Notre-Dame  du  Caria,  située  dans  le  diocèse  de  Carcassonne,  sur  le  plateau 
d'une  haute  montagne  qu'entourent  des  montagnes  plus  hautes  encore.  On  raconte  qu'autrefois  un 
grand  seigneur,  quittant  ce  monde  et  ses  jouissances,  pour  consacrer  le  reste  de  ses  jours  à  se 
préparer  à  la  mort,  se  retira  sur  ce  plateau  qui  forme  un  véritable  désert;  que  d'autres,  édifiés  de 
la  vie  sainte  qu'il  y  menait,  vinrent  se  joindre  à  lui,  et  formèrent  une  communauté  qui  se  bâtit  de 
vastes  habitations,  dont  les  fondements  sont  visibles  encore  ;  et,  au  centre  de  ces  habitations,  est 


MARTYROLOGES.  449 

le  sanctuaire  actuel  de  Notre-Dame  du  Caria.  La  réputation  de  Notre-Dame  du  Caria  dans  les  envi» 
rons  est  telle  que  ceux-là  mêmes  qui  ne  se  font  pas  scrupule  de  manquer  la  messe,  le  dimanche,  ne 
manquent  pas  le  pèlerinage  du  1er  mai  et  du  8  septembre.  —  Le  lundi  de  la  Pentecôte,  le  15  août, 
le  8  septembre  et  le  25  mars,  procession  à  Notre-Dame  de  Brouls,  dans  le  diocèse  de  Toulouse.  La 
statue  qu'on  y  vénère  fut  mise  à  découvert  par  une  vache  en  creusant  la  terre  et  en  poussant  de 
longs  mugissements.  —  Dans  le  même  diocèse,  le  lundi  de  la  Pentecôte  et  le  8  septembre,  pèle- 
rinage à  Notre-Dame  du  Bout-du-Puy.  —  Le  jour  de  l'Ascension,  anniversaire  de  la  découverte 
de  la  statue  de  Notre-Dame  de  Bourisp,  au  diocèse  de  Tarbes.  Le  sanctuaire  de  Bourisp,  perdu  au 
fond  des  Pyrénées  françaises,  doit  son  origine,  comme  beaucoup  d'autres,  à  la  découverte  d'une 
statue  de  la  Vierge  par  un  berger,  auquel  un  de  ses  bœufs  l'indiqua  en  allant  souvent,  à  l'écart 
du  troupeau,  la  caresser  de  sa  langue.  Plusieurs  fois  transportée  ailleurs,  cette  statue  revenant 
toujours  là  où  on  l'avait  trouvée,  on  lui  éleva,  dans  ce  lieu-là  même,  d'abord  une  chapelle,  puis 
«ne  église,  dont  un  architecte  inconnu  traça  le  plan,  dirigea  les  travaux  et  disparut  aussitôt  après, 
et  dont,  tant  la  légende  est  féconde  ici  en  merveilleux,  des  mains  invisibles  taillèrent,  chaque 
nuit,  le  bois  et  la  pierre,  de  sorte  que  le  matin  tout  était  prêt  à  être  placé.  La  piété  populaire 
entoura  aussitôt  ce  sanctuaire  de  ses  hommages  et  n'a  pas  cessé  depuis. —  Le  jour  de  l'Ascension, 
pèlerinage  principal  à  Notre-Dame  de  Sewen  :  c'est  un  des  plus  anciens  de  l'Alsace,  puisqu'une 
tradition  de  temps  immémorial  le  fait  remonter  jusqu'au  ve  siècle,  à  l'époque  de  l'invasion  des 
barbares.  Alors,  dit-on,  les  chrétiens  persécutés  se  réfugièrent  dans  la  vallée  de  Sewen,  et  y  bâ- 
tirent une  petite  chapelle  en  l'honneur  de  la  Vierge.  La  piété  des  populations  l'eutbientôt  agrandie 
et  ornée  ;  des  habitations  se  groupèrent  tout  autour,  et  la  paroisse  de  Sewen  prit  naissance,  sous 
le  titre  de  grand  Ermitage  de  la  Vierge,  par  opposition  au  village  d'Hoba  ou  Hubach  qui  s'appela 
Petit  Ermitage  de  la  Mère  de  Dieu,  en  allemand  Klein-Einsiedlen.  Plus  tard  un  établissement  de 
dames  chanoinesses  ayant  été  fondé  dans  cette  vallée  presque  inaccessible,  la  nouvelle  commu- 
nauté, dotée  de  la  propriété  de  toute  la  vallée,  fit  défricher  une  portion  des  forêts,  écouler  les 
eaux  stagnantes,  établir  des  ponts  et  des  chemins,  et  convertit  ainsi  un  désert  sauvage  et  insalubre 
en  un  pays  fertile  et  agréable,  qui  bientôt  se  peupla  jusqu'à  former  quinze  communes.  Le  culte 
de  Notre-Dame  se  maintint  à  Sewen  à  l'époque  de  la  réforme,  durant  les  horreurs  de  la  guerre  de 
trente  ans  ;  les  étrangers  y  vinrent  peu,  mais  les  femmes  et  les  filles  des  environs  se  retirèrent 
dans  la  partie  la  plus  solitaire  de  la  vallée,  et  s'y  retranchèrent  pour  se  dérober,  sous  la  protec- 
tion de  Marie,  à  la  brutalité  des  soldats.  Aujourd'hui  encore,  malgré  les  spoliations  et  les  ravages 
qu'y  a  exercés  la  Dévolution  de  93,  le  pèlerinage  ne  cesse  pas  d'être  fréquenté.  —  Inauguration 
solennelle  de  la  chapelle  réparée  de  Marie  dans  l'église  Saint-Martin,  à  Colmar.  Là  repose,  entre 
deux  fenêtres,  sur  une  colonne  en  pierre  de  taille,  une  statue  de  la  Mère  de  Dieu  portant  l'Enfant 
Jésus,  chef-d'œuvre  de  l'école  allemande  du  xvie  siècle.  Les  artistes  de  tous  les  pays  viennent 
encore  admirer  en  ce  lieu,  au-dessus  du  rétable  de  l'autel,  le  tableau  de  la  Vierge  aux  Oiseaux, 
donné  par  le  peintre  lui-même,  Martin  Schœr,  qui  voulut  ainsi  honorer  l'église  où  il  avait  été 
baptisé.  Cette  sainte  chapelle  fut  le  refuge  et  l'espérance  des  catholiques  de  Colmar  indignement 
persécutés,  pendant  tout  le  xvi6  et  le  xvu8  siècle,  par  le  protestantisme,  qui,  s'étant  emparé  du 
pouvoir,  en  abusa,  au  mépris  de  toutes  les  lois  de  la  justice  et  de  l'équité.  Plus  on  souffrait  de 
vexations,  plus  on  se  pressait  à  l'autel  de  la  Vierge,  pour  réclamer  son  assistance.  Les  autorités 
hérétiques  en  vinrent  jusqu'à  confisquer  tous  les  ornements  dont  on  décorait  l'autel,  jusqu'à  inter- 
dire les  cloches  qu'on  réserva  uniquement  pour  les  usages  civils.  Il  serait  impossible,  disent  les 
annalistes  de  Colmar,  de  raconter  les  mille  prodiges  obtenus  dans  ce  sanctuaire,  et  dont  les 
richesses  qui  le  décoraient  rendaient  témoignage.  Un  des  plus  remarquables  est  le  maintien  de  la 
foi  dans  la  ville,  malgré  toutes  les  violences  et  les  persécutions  du  protestantisme  investi  du  pou- 
voir pendant  deux  siècles.  Aussi  cette  chapelle  était  le  siège  de  plusieurs  congrégations  qui 
aimaient  à  s'y  rassembler  sous  l'œil  de  Marie.  Il  y  avait,  entre  autres,  la  congrégation  des  jeunes 
personnes,  qui  compte  encore  aujourd'hui  au  moins  six  cents  associées,  et  la  congrégation  des 
hommes,  qui,  depuis  son  origine  jusqu'à  nos  jours,  n'a  cessé  d'être  regardée  comme  le  boulevard 
du  catholicisme  dans  Colmar.  —  Le  samedi  d'avant  la  Trinité,  fête  de  la  confrérie  de  Notre-Dame 
de  l'Assomption  attachée  à  l'antique  et  toujours  vénéré  sanctuaire  de  Notre-Dame  de  Monswiller, 
à  une  demi-lieue  de  Saverne.  Le  pèlerinage  de  Monswiller  est  aujourd'hui  le  plus  fréquenté  de 
l'Alsace  après  celui  ds  Marienthal.  La  célébrité  de  Notre-Dame  de  Monswiller  remonte  au  siège 
de  Saverne  par  Mansfeld.  Lorsque  cet  Attila  de  la  chrétienté  vint  assiéger  cette  ville,  les  habitants 
implorèrent  la  Vierge  de  Monswiller  ;  et,  pleins  de  confiance  dans  son  secours,  ils  se  jetèrent  sur 
les  troupes  assaillantes  en  criant  :  «  Vive  Notre-Dame  de  Monswiller  !  Vive  notre  protectrice  !  »  et 
ils  les  repoussèrent.  Elles  revinrent  quelques  jours  après  à  l'assaut,  mais  elles  furent  réduites  à 
abandonner  le  siège.  Pour  se  venger  de  la  protection  céleste  à  laquelle  elles  attribuaient  leur 
défaite,  elles  se  précipitèrent  sur  Monswiller;  elles  en  brisèrent  les  autels,  en  lacérèrent  les  ta- 
bleaux; puis,  mettant  le  feu  à  l'édifice,  elles  en  firent  un  monceau  de  cendres;  mais,  chose  mer- 
veilleuse, plus  tard,  au  milieu  des  débris,  on  retrouva  l'image  de  Marie  parfaitement  intacte,  sans 
la  moindre  détérioration;  ce  miracle,  consigné  dans  l'histoire,  eut  pour  témoin  toute  la  popu- 
lation de  Saverne.  —  A  Ligny-en-Barrois,  le  cinquième  dimanche  après  Pâques,  ou  le  sixième, 
lorsque  le  cinquième  n'est  pas  en  mai,  fête  de  Notre-Dame  des  Vertus.  Cette  Vierge,  parfaite 


150  Ie'  MM. 

ressemblance  de  celle  qui  se  voit  à  Bologne  et  à  Sainte-Marie-Majeure  de  Rome,  serait  la  copie  de 
l'une  des  vierges  de  saint  Luc.  Elle  passa  successivement  des  mains  de  Clément  IV  (1265),  dans 
celles  de  René  d'Anjou,  frère  de  saint  Louis,  de  Jeanne  lre,  reine  de  Naples,  et  des  Chartreux  de 
la  ville  de  Capri.  Ceux-ci  la  donnèrent  à  Antoine  de  la  Salle,  écuyer  de  René,  duc  d'Anjou,  de 
Lorraine  et  de  Bar,  prétendant  au  trône  des  Deux-Siciles,  pour  se  ménager  la  protection  de  celui 
qu'ils  pensaient  devoir  être  bientôt  leur  maître.  En  1459,  Antoine  de  la  Salle,  devenu  gouverneur 
des  enfants  de  Louis  de  Luxembourg,  connétable  de  France,  qui  habitaient  Ligny,  plaça  la  pré- 
cieuse image  dans  la  chapelle  du  château  d'où  elle  passa  dans  l'église  collégiale  de  cette  ville.  En 
1544,  ce  tableau,  emporté  par  un  officier  de  Charles-Quint,  passa  de  Ligny  au  Bouchon,  et  sa 
vertu  merveilleuse  se  manifesta  dans  cet  exil,  comme  dans  le  sanctuaire  où  on  l'honorait  précé- 
demment. Trente-six  ans  après,  c'est-à-dire  en  1580,  sur  la  demande  de  la  comtesse  de  Ligny, 
Marguerite  de  Savoie,  la  sainte  image  fut  rendue  à  Ligny  ;  et  la  comtesse,  après  en  avoir  bien  fait 
constater  l'authenticité,  la  plaça  provisoirement  dans  l'église  du  château.  Le  bruit  de  cet  heureux 
retour  se  répandit  promptement  ;  et  de  tous  côtés  accoururent  des  pèlerins,  désireux  de  revoir 
l'image  de  leur  protectrice  et  de  leur  Mère.  A  la  Révolution  française,  par  un  sentiment  religieux 
bien  rare  à  cette  époque,  l'administration  du  département  la  transporta  de  l'église  collégiale  à  l'é- 
glise paroissiale  :  et  son  intronisation  dans  ce  nouveau  sanctuaire  se  fit  avec  une  solennité  qu'on 
n'aurait  pas  pu  espérer  dans  des  jours  si  malheureux.  Après  la  loi  du  30  mai  95,  qui  autorisait  la 
réouverture  des  églises,  ils  la  confièrent  à  Hubert  Mulot,  pour  la  garder  jusqu'à  ce  qu'on  lui  eût 
préparé  un  lieu  convenable.  Trois  jours  furent  employés  à  cette  préparation  ;  et  pendant  ce  temps-là, 
la  demeure  de  Mulot  fut  entourée  de  milliers  d'hommes,  de  femmes  et  d'enfants,  avides  de  prier 
devant  cette  précieuse  relique.  Le  22  juin,  tout  étant  prêt,  eut  lieu  la  translation  à  l'église  ;  et  ce 
fut  là  pour  Notre-Dame  des  Vertus  un  véritable  triomphe  :  la  ville  entière  s'y  trouvait  et  accom- 
pagnait, par  les  rues,  la  précieuse  image,  comme  dans  les  plus  beaux  jours  d'autrefois.  Cette  fête 
n'eut  d'égale  que  celle  de  l'année  suivante,  1796,  1er  mai  et  cinquième  dimanche  après  Pâques; 
jour  où,  de  temps  immémorial,  se  célébrait  la  fête  de  Notre-Dame  des  Vertus.  Là,  non-seulement 
tous  les  habitants  de  Ligny,  mais  toutes  les  paroisses  voisines,  malgré  la  difficulté  des  temps  et 
les  dangers  auxquels  on  s'exposait,  semblaient  s'être  donné  rendez-vous  ;  on  porta  processionnel- 
lement  en  triomphe  l'image  miraculeuse  ;  et  chacun  vint  présenter  sa  tète  sous  son  pied  pour  lui 
témoigner  sa  confiance.  Ce  semblant  de  liberté  religieuse  dura  peu  ;  quinze  mois  plus  tard,  l'église 
ayant  été  fermée  de  nouveau,  la  sainte  image  fut  recelée  chez  de  pieux  habitants  ;  d'où,  à  la  res- 
tauration du  culte,  elle  vint  reprendre  son  antique  place  dans  sa  chapelle,  hélas  I  horriblement 
dégradée  par  le  marteau  révolutionnaire.  Elle  y  demeura  au  milieu  des  ruines  jusqu'en  1814,  où 
commença  la  première  restauration  du  sanctuaire,  qui  ne  fut  achevée  qu'en  1823.  Là,  les  fidèles 
viennent  toujours  la  vénérer.  On  la  porte,  comme  autrefois,  en  procession  par  les  rues,  le  cin- 
quième dimanche  après  Pâques  ;  et  avant  qu'elle  sorte  de  l'église,  deux  prêtres  la  soutiennent  en 
l'air,  pendant  que  plusieurs  milliers  de  pèlerins  satisfont  la  dévotion  qu'ils  ont  de  passer  dessous. 
Sous  le  second  empire,  les  magistrats  de  Ligny  ont  montré  moins  de  courage  que  leurs  devanciers  de 
la  grande  Révolution  :  ils  n'assistaient  plus  aux  processions  de  la  bonne  Mère. —  A  Ploulech,  dans 
le  diocèse  de  Saiut-Brieuc,  célébration  pendant  tout  le  mois  de  mai,  des  offices  paroissiaux  à  No- 
tre-Dame de  Kozgéodeck.  Kozgéodeck  est  un  mot  celtique  qui  signifiait  :  vieille  ville  maritime  ou 
vieille  ville  fortifiée,  parce  que  là  était  autrefois  l'ancienne  Lexobie,  place  importante  à  l'époque 
gallo-romaine.  C'était,  dans  le  principe,  un  siège  épiscopal  fondé  par  Drennulus,  disciple  du  noble 
decurion  Joseph  d'Arimathie,  qui  ensevelit  Notre-Seigneur,  comme  l'expose  l'auteur  des  Catalo- 
gues historiques  et  chronologiques  des  anciens  évêchés  de  Bretagne  1  ;  c'est  même,  selon  plu- 
sieurs, la  première  église  qui  ait  été  élevée  à  la  Sainte  Vierge  dans  l'Armorique.  En  836,  Lexobie 
ayant  été  attaqué  et  détruit  par  les  Danois  ou  Normands s,  les  habitants,  rentrés  dans  leurs  foyers 
ap  es  le  départ  de  ces  cruels  ennemis,  reconstruisirent  une  autre  église  de  la  Sainte  Vierge,  qui, 
malgré  la  translation  du  siège  épiscopal  à  Tréguier  en  849,  conserva  son  ancienne  renommée 
etcmiimua  d'attirer  la  foule  des  pèlerins3.  —  Le  lundi  de  la  Pentecôte,  procession  à  Notre-Dame 
du  Roncier,  à  Josselin,  dans  le  diocèse  de  Vannes.  Vers  l'an  808,  dit  la  tradition,  longtemps  avant 
la  fondation  de  la  ville  de  Josselin,  un  laboureur  cultivant  la  terre  au  lieu  même  où  l'on  a  bâti 
l'église  Notre-Dame,  et  coupant  des  ronces  avec  sa  faucille,  qu'on  voit  encore  suspendue  à  la 
voûte,  y  trouva  cette  statue,  et  obtint  de  la  placer  dans  une  petite  chapelle,  qui  était  alors  sous 
l'invocation  de  saint  Léger.  Bientôt  les  peuples  accoururent  au  modeste  sanctuaire,  qu'ils  n'appe- 
lèrent plus  que  Notre-Dame  du  Roncier;  et,  y  ayant  obtenu  des  miracles,  ils  témoignèrent  leur 
reconnaissance  par  leurs  offrandes.  Les  seigneurs  de  Clissou  et  de  Rohan,  aussi  bien  que  les  bour- 
geois et  habitants  de  Josselin,  y  firent  des  dons  magnifiques  ;  Clisson  voulut  même  y  être  enterré. 
Pendant  la  Révolution,  le  trésor  fut  pillé,  la  grosse  cloche  mise  en  pièces  et  l'église  profanée. 
Aujourd'hui  un  certain  nombre  de  pèlerins  visitent  encore  Notre-Dame  de  Josselin,  et  y  offrent 

1.  Descriptio  utriusque  Britannix,  11b.  ix,  cap.  56. 

2.  Pierre  le  Baud,  Histoire  de  Bretagne,  c.  14. 

3.  Mémoires  sur  l'état  des  évéchés,  chapitres,  clergé  et  monastères  de  la  province,   par  un  Carme  qnl 
écrivait  antérieurement  à  l'histoire  générale  de  Bretagne,  édition  de  1675. 


MARTYROLOGES.  151 

des  ex-voto  ;  la  procession  se  fait  le  lundi  de  la  Pentecôte,  non  plus  avec  la  pompe  d'autrefois, 
mais  toujours  avec  une  nombreuse  assistance,  même  des  paroisses  circonvoisines.  On  y  remarque 
surtout  plusieurs  personnes  atteintes  de  convulsions  héréditaires  qui  les  font  aboyer  comme  les 
chiens,  et  dont  les  accès  ne  cessent  qu'après  qu'elles  ont  baisé  la  statue.  La  légende  populaire 
raconte  que  cette  malédiction  attachée  à  un  petit  nombre  de  familles  provient  de  la  dureté  de 
leurs  ancêtres,  qui  lâchèrent  leurs  chiens  contre  une  pauvre  mendiante  malade,  qui  leur  deman- 
dait seulement  un  peu  d'eau  pour  étancher  sa  soif.  —  Le  dimanche  de  la  Trinité,  pèlerinage 
principal  à  Notre-Dame  de  Lotivi,  dans  la  presqu'île  de  Quiberon,  au  diocèse  de  Vannes.  Ce  pèle- 
rinage est  très-fréquenté,  non-seulement  par  les  marins,  mais  encore  par  les  malades  atteints 
d'hydropisie.  Ce  sanctuaire  a  autrefois  appartenu  aux  Templiers  qui  avaient  la  Trinité  pour  fête 
principale  de  leur  Ordre.  —  Le  premier  dimanche  de  mai,  grand  pardon  ou  fête  patronale  de 
Notre-Dame  de  Guyaudet,  dans  la  paroisse  de  Bolhoa,  au  diocèse  de  Saint-Brieuc.  On  en  raconte 
ainsi  l'origine  :  en  1692  vivait,  au  village  du  Guyaudet,  Claude  Alain,  homme  pauvre,  chargé 
d'une  nombreuse  famille  qu'il  soutenait  de  son  travail  et  des  secours  qu'y  ajoutait  la  charité  des 
fidèles,  mais  animé  d'une  grande  piété  envers  la  Mère  de  Dieu.  Un  matin  que  les  provisions 
manquaient  au  logis,  il  sort  pour  aller  chercher  un  peu  de  farine  au  moulin,  après  avoir,  selon  sa 
coutume,  bien  prié  la  Sainte  Vierge  pour  lui  et  sa  famille.  En  passant  près  de  la  fontaine  du 
Guyaudet,  il  lui  semble  entendre  une  voix  ;  il  regarde  et  voit  sur  le  bord  de  la  fontaine  une 
petite  statue  de  Marie.  Il  en  conclut  que  la  Mère  de  Dieu  veut  qu'on  lui  bâtisse  une  chapelle  en 
ce  lieu  ;  et  la  Sainte  Vierge,  pour  lui  prouver  que  telle  est  en  effet  sa  volonté,  lui  ordonne  de  dire 
à  sa  femme  de  ne  prendre  qu'une  cuillerée  de  farine  pour  faire  des  crêpes  à  toute  sa  famille.  La 
femme  obéit,  et  cette  petite  quantité  de  farine  fournit  abondamment  de  la  nourriture  à  tous  pen- 
dant plusieurs  jours.  Claude  Alain,  ne  pouvant  résister  à  l'évidence  de  ces  faits  merveilleux,  se 
rend  chez  le  curé  de  Bnthoa  ;  celui-ci  le  renvoie  en  lui  recommandant  de  se  défier  de  son  imagi- 
nation. La  Mère  de  Dieu  réitère  son  avertissement,  et  Alain  ses  instances  auprès  du  curé  :  celui- 
ci  persiste  dans  son  incrédulité.  Enfin  la  voix  se  fait  de  nouveau  entendre,  et  l'assure  que  de  cette 
fois  il  sera  écouté.  Il  se  rend  donc  chez  le  curé,  et  le  trouve  frappé  de  cécité,  priant  Marie  de  lui 
rendre  la  vue,  avec  promesse  de  faire  ce  qu'elle  voulait.  Le  curé,  non  content  de  prier  et  de 
promettre,  se  fait  conduire  en  procession  à  la  fontaine  ;  et  à  peine  est-il  arrivé  près  de  la  sainte 
image  qu'il  recouvre  la  vue.  On  crie  au  miracle  ;  le  curé  place  la  petite  statue  sur  une  pierre 
qu'on  voit  encore  non  loin  de  la  chapelle,  et  sur  laquelle  les  pèlerins  vont  s'agenouiller.  Autour 
de  cette  pierre,  il  fait  construire  d'abord  un  oratoire  en  planches  ;  puis,  à  l'aide  des  offrandes 
qu'on  y  apporte,  la  chapelle  actuelle.  —  Le  lundi  de  la  Pentecôte,  pèlerinage  à  Notre-Dame  de 
Lambader,  au  diocèse  de  Quimper.  Notre-Dame  de  Lambader,  autrefois  propriété  des  Templiers, 
est  d'architecture  arabe.  Les  bretons  invoquent  Notre-Dame  de  Lambader  pour  toutes  les  misères 
de  la  vie  ;  mais  les  mères  l'invoquent  spécialement  pour  leurs  enfants  tardifs  à  parler  :  elles  font 
offrir  pour  eux  le  saint  sacrifice,  y  présentent  à  bénir  du  pain  qu'elles  leur  font  manger,  promet- 
tent à  la  Sainte  Vierge  que,  si  elle  leur  donne  l'usage  de  la  langue,  le  premier  mot  qu'elles  leur 
apprendront  à  prononcer  sera  son  nom  béni,  et  se  retirent  ensuite  pleines  de  confiance.  —  Le 
dimanche  de  la  Trinité,  grand  pardon  *  ou  fête  patronale  de  Notre-Dame  de  Rumengol,  au  diocèse 
de  Quimper.  Notre-Dame  de  Rumengol  ou  de  Tout-Remède,  selon  l'étymologie  que  quelques-uns 
tirent  de  deux  mots  celtiques,  Remed  oll,  Remedium  omne,  est,  depuis  quinze  cents  ans,  un  des 
sanctuaires  de  Marie  les  plus  fréquentés.  Dans  l'origine,  ce  n'était  qu'une  chapelle  en  bois,  bâtie 
par  Grallon  le  Grand,  premier  roi  chrétien  de  la  Bretagne,  pour  opposer  un  sanctuaire  de  la  Mère 
de  Dieu  au  monument  druidique  qu'on  appelait  en  breton  Ru  men  goulou,  mots  qui  signifient 
pierre  rouge  de  la  lumière,  et  que  quelques-uns  donnent  comme  l'étymologie  de  Rumengol.  En 

1.  En  Bretagne,  on  appelle  pardon  la  fête  patronale  d'une  église  ou  d'une  chapelle,  parce  que  lei 
pécheurs  qui  s'y  disposent  pieusement  y  obtiennent  non-seulement  le  pardon  de  leurs  fautes,  mais  en- 
core souvent  une  indulgence  plénière  qui  est  la  remise  ou  le  pardon  des  peines  temporelles  dues  aux  pé- 
chés mêmes  dont  on  a  été  absous.  Ces  grandes  cérémonies  du  pardon  se  reproduisant  souvent  dans  l'his- 
toire de  la  Bretagne,  nous  croyons  devoir  les  décrire  ici  :  Les  grands  pardons  durent  au  moins  trois  jours, 
et  les  paroisses  voisines  s'y  rassemblent  avec  un  empressement  où  la  religion  et  l'amour  du  plaisir  ont 
peut-être  une  part  égale.  La  veille,  on  surcharge  d'ornements  les  autels;  on  revêt  les  Saints  du  costumo 
du  pays,  on  dépose  à  leurs  pieds  les  offrandes  qu'on  veut  leur  faire  et  qu'on  apporte  sur  un  brancard 
entouré  de  rubans  et  de  fleurs,  précédé  du  tambourin  du  village,  au  bruit  des  cloches  sonnées  à  haute 
volée,  et  des  chants  de  joie  de  la  multitude.  Toutes  les  têtes  se  découvrent  au  passage  de  ces  offrandes, 
qui  sont,  tantôt  du  beurre  ou  des  œufs,  tantôt  des  oiseaux,  surtout  des  poules  blanches.  A  l'issue  des 
Vêpres,  la  procession  sort  de  l'église  avec  ses  bannières,  ses  croix  et  ses  reliques  que  portent  sur  des 
brancards,  après  en  avoir  acheté  le  droit,  des  hommes  en  bonnet  blanc,  en  chemise  do  même  couleur, 
ceints  d'un  ruban  de  couleur  vive,  et  escortés  de  gardes  costumés.  Apres  les  reliques,  viennent  les  por- 
teurs de  bâtons  coloriés,  surmontés  de  divers  Saints  sculptés  plus  ou  moins  artistement,  puis  une  multi- 
tude d'enfants  avec  des  clochettes  qu'ils  agitent  de  toutes  leurs  forces.  Quand  la  procession  est  arrivée  à 
la  croix  du  cimetière,  le  vieillard  le  plus  vénérable  du  canton  prononce,  au  pied  de  la  croix,  la  prière 
pour  les  morts  et  la  rénovation  des  promesses  du  baptême.  Après  cette  procession,  des  pauvres  accourus 
à  la  fête  font,  moyennant  un  prix  débattu,  le  tour  de  l'église  à  pied  ou  à  genoux,  en  récitant  le  chapelet.... 
(Voyage  dans  le  Finistère,  par  Emile  Souvestre.) 


152  1er  MAI. 

1536,  on  éleva  l'église  actuelle,  comme  le  porte  l'inscription  gravée  sur  une  pierre  de  la  façade. 
—  Le  jour  de  l'Ascension,  à  Nantes,  commencement  de  la  station  à  Notre-Dame  de  Miséricorde* 
ou  neuvaine  préparatoire  à  la  fête  de  la  Pentecôte.  Le  sanctuaire  célèbre  de  Notre-Dame  de  la 
Miséricorde,  qui,  du  reste,  n'existe  plus  aujourd'hui,  remonte  à  l'année  1024.  La  colline  du  Mar- 
troy,  alors  couverte  d'une  forêt,  recelait  un  dragon  qui  ravageait  tous  les  environs  et  faisait  la 
terreur  de  la  ville.  Après  de  vains  efforts  pour  le  tuer,  on  eut  recours  à  la  Mère  de  Dieu,  et  l'on 
fit  vœu  de  lui  bâtir  une  chapelle  en  ce  lieu-là  même,  si  l'on  était  délivré  du  monstre.  Pleins  de 
confiance  dans  son  secours,  trois  jeunes  gentilshommes  se  dévouèrent  pour  le  salut  de  leurs  con- 
citoyens, et  allèrent,  avec  intrépidité,  attaquer  le  redoutable  dragon.  La  lutte  fut  horrible  :  un 
des  jeunes  gens  succomba;  mais  pendant  que  la  bête  s'acharnait  sur  sa  victime,  les  deux 
autres  la  tuèrent.  Le  clergé  et  une  grande  foule  de  peuple  se  rendent  à  la  colline  sous  la 
conduite  de  l'évêque  Valtérius  II.  On  pose  aussitôt  les  fondements  du  nouveau  sanctuaire  sous  le 
vocable  de  Notre-Dame  de  la  Miséricorde  ;  et,  dès  qu'il  est  bâti,  il  devient  un  lieu  de  pèlerinage 
des  plus  fréquentés,  et  donne  son  nom  à  tout  le  quartier  qui  s'appelle  encore  aujourd'hui  du  nom 
de  Miséricorde.  Lorsqu'en  93  on  renversa  l'édifice  qui  attirait  les  sympathies  de  toutes  les  âmes 
religieuses,  une  pieuse  fille  cacha  la  statue  tant  vénérée  ;  et  après  la  Révolution,  elle  la  remit  à 
l'église  paroissiale  de  Saint-Similien,  où  fut  transférée  l'antique  neuvaine  avec  les  indulgences. 
.La  statue  de  Notre-Dame  de  la  Miséricorde,  placée  dans  cette  même  église  de  Saint-Similien,  attire  à 
elle,  comme  autrefois,  de  nombreux  pèlerins,  qui  semblent  vouloir  lui  faire  oublier  son  ancienne  cha- 
pelle, où  l'on  venait  non-seulement  du  pays  de  Nantes,  mais  de  l'Anjou,  quelquefois  même  du 
Poitou  et  des  Marches,  et  où  les  ex-voto  appendus  aux  murailles  disaient  les  miracles  qu'elle  y 
avait  accordés.  —  Le  1er  mai  1855,  inauguration  de  la  nouvelle  église  de  Notre-Dame  des  Ar- 
dilliers,  près  Saumur,  dans  le  diocèse  d'Angers.  Ce  sanctuaire,  un  des  plus  célèbres  de  France 
par  les  grands  miracles  qui  s'y  sont  opérés,  doit  son  origine  à  une  image  en  pierre  de  la  Mère 
de  Dieu,  que  vénérait,  dans  sa  grotte  où  il  se  tenait  caché,  un  fervent  religieux  de  Saint-Florent, 
nommé  Absalon,  chassé  de  son  monastère  par  les  Normands.  En  1614,  Notre-Dame  des  Ardilliers 
fut  donnée  à  la  congrégation  de  l'Oratoire,  que  venait  de  fonder  en  France  le  cardinal  de  Bérulle. 
Sous  la  direction  des  Oratoriens,  le  pèlerinage  de  Notre-Dame  des  Ardilliers  devint  de  plus  en  plus 
célèbre.  M.  Olier  y  vint,  en  1641,  avec  ses  associés,  M.  de  Foix  et  M.  du  Fenier,  pour  recommander 
à  la  sainte  Vierge  le  dessein  qu'il  méditait  de  fonder  le  séminaire  de  Saint-Sulpice.  En  1706,  le 
vénérable  Grignon  de  Montfort  y  vint  prier  également  pour  la  double  congrégation  de  prêtres  du 
Saint-Esprit  et  de  sœurs  de  la  Sagesse,  qu'il  se  proposait  d'établir.  Après  les  noms  des  indivi- 
dus dévoués  à  ce  sanctuaire  de  Marie,  viennent  les  cités  diverses,  les  villes  de  Poitiers,  de  Mont- 
morillon,  de  Celles,  de  Saint-Aignan,  s' engageant  par  vœu  à  envoyer,  tous  les  ans,  une  députation 
à  Notre-Dame  des  Ardilliers;  la  ville  de  Riom,  lui  déléguant  ses  principaux  habitants  pour  se 
mettre  sous  sa  protection,  et  faisant  déposer,  comme  témoignage  perpétuel  de  dévouement,  uu 
tableau,  en  relief,  d'argent,  de  saint  Amable,  son  patron;  la  ville  de  Bourges,  se  vouant  à  Notre- 
Dame  des  Ardilliers  dans  une  maladie  contagieuse,  et  lui  déléguant  deux  de  ses  échevins  pour  la 
remercier  de  la  cessation  du  mal.  L'hérésie  elle-même  ne  pouvait  se  défendre  d'un  respect  invo- 
lontaire pour  la  statue  tant  vénérée  ;  et  lorsqu'en  1562  les  Huguenots  vinrent  piller  cette  église, 
enlever  son  trésor  et  ses  vases  sacrés,  profaner  les  corps  des  Saints  et  celui  de  Jésus-Christ  même, 
ils  ne  touchèrent  pas  à  l'image  de  la  Vierge.  Dieu  alors,  prenant  la  défense  de  sa  Mère  contre 
ses  ennemis,  redoubla  les  miracles,  à  mesure  que  ceux-ci  redoublaient  leur  fureur.  Notre-Dame  des 
Ardilliers  survécut  à  la  tempête  de  93,  qui  renversait  tous  les  anciens  souvenirs  ;  mais  ce  que  les 
hommes  avaient  épargné,  le  temps,  auquel  rien  ne  résiste,  ne  l'épargna  pas  :  en  1849,  il  fallut 
reconstruire  la  chapelle  de  la  Vierge,  qu'avait  élevée  le  cardinal  de  Richelieu,  et  qui  menaçait 
ruine  ;  il  fallut  renouveler  même  l'édifice  entier.  Les  fidèles,  par  leurs  souscriptions  généreuses, 
eurent  bientôt  fait  les  frais  de  cette  dépense.  Les  travaux  étant  terminés,  Mgr  l'évêque  d'Angers 
vint,  le  1er  mai  1855,  inaugurer,  par  une  fête  splendide,  l'antique  église  rajeunie,  que,  depuis  cette 
époque,  on  visite  avec  une  ardeur  toujours  nouvelle.  —  Le  lundi  de  la  Pentecôte,  fêle  principale  de 
Notre-Dame  de  la  Faigne  ou  du  Hêtre1,  dans  la  paroisse  de  Pontvallain,  au  diocèse  du  Mans.  La  tradition 
du  pays  fait  remonter  jusqu'aux  premiers  siècles  du  christianisme  l'origine  de  ce  sanctuaire.  Alors, 
dit-on,  un  seigneur  des  environs,  encore  idolâtre,  rencontra  sur  un  hêtre,  en  visitant  ses  vastes 
domaines,  l'image  de  la  Viergequelesnouveauxchretiensyavaientplaceepourlavenerer.il  essaie 
de  la  briser, mais  en  vain;  il  l'emporte  alors  et  la  renferme  dans  son  château,  pour  qu'elle  ne  serve 
plus  au  culte  chrétien  qu'il  a  en  horreur.  La  statue  revient  se  placer  sur  le  hêtre.  Le  même  phéno- 
mène se  reproduisant  plusieurs  fois,  le  seigneur  se  convertit,  reçut  le  baptême  et  fit  construire,  à 
la  place  du  hêtre,  une  chapelle  de  la  Vierge.  Les  pèlerins  aussitôt  y  accoururent  ;  et  quelle  que 
soit  la  situation  de  ce  sanctuaire  au  milieu  d'une  campagne  déserte,  loin  de  tout  centre  de  popula- 
tion, si  l'on  excepte  la  grosse  ferme  qui  l'environne,  jamais  depuis  lors  ce  concours  n'a  cessé.  — 
Le  premier  dimanche  de  mai,  fête  patronale  de  Notre-Dame  de  l'Aumône,  à  Rumilly,  au  diocèse 
de  Chambéry.  En  1240,  le  sieur  Amédée  de  Gonzié,  poursuivant  les  bêtes  fauves  sur  les  rives  du 
Chéran,  s'oublia  jusqu'à  décocher  une  flèche  contre  la  statue  vénérée  qu'on  avait  placée  sur  la 

1.  Nostra  P.omina  de  Fago. 


MARTYROLOGES.  153 

bord  du  Chéran  qu'il  fallait  traverser  à  gué,  pour  protéger  les  voyageurs  ;  le  trait,  se  retournant 
aussitôt  contre  lui,  vint  le  frapper  à  l'œil  et  lui  ôta  la  vue.  Dans  sa  douleur  il  tombe  à  genoux 
et  promet  à  Marie  de  lui  bâtir  une  chapelle  en  ce  lieu-là  même,  s'il  recouvre  l'usage  des  yeux. 
Sa  prière  fut  aussitôt  exaucée  ;  et  non  content  d'élever  un  sanctuaire,  où  il  transporta  la  statue 
miraculeuse,  il  fit  construire,  près  de  ia  nouvelle  chapelle,  un  monastère,  qu'il  confia  aux  Reli- 
gieux réguliers  de  Saint-Augustin,  en  les  chargeant  d'offrir  un  asile  aux  voyageurs  que  la  crue  des 
eaux  empêcherait  de  passer.  On  gardait  ces  étrangers  pendant  trois  jours,  et  s'ils  étaient  pauvres, 
on  leur  fournissait  l'argent  et  les  provisions  nécessaires  pour  continuer  leur  voyage.  Lorsqu'un 
pont  eut  été  jeté  en  cet  endroit,  l'argent  destiné  aux  passants  fut  distribué  aux  indigents  du  pays, 
qui  en  conséquence  appelèrent  le  monastère  Notre-Dame  de  l'Aumône.  Ce  sanctuaire  devint  un 
lieu  célèbre  de  pèlerinage.  En  93,  cette  chapelle  fnt  vendue  avec  ses  dépendances,  et  on  en  con- 
fisqua les  fondations  et  les  rentes  ;  mais  elle  ne  fut  ni  démolie  ni  profanée  ;  et  quelque  temps 
après,  le  comte  de  Pengon,  ayant  été  jeté  dans  les  prisons  de  Paris,  fit  vœu,  s'il  échappait  à  la 
guillotine,  de  racheter  la  sainte  chapelle  et  de  la  rendre  au  culte.  Ce  vœu  lui  valut  sa  délivrance. 
11  racheta  la  chapelle  de  l'Aumône,  et  en  fit  donation  à  la  ville  de  Rurailly  le  7  janvier  1806.  La 
statue  qu'on  voit  aujourd'hui  sur  le  maltre-autel  est  encore,  dit-on,  la  même  qui  existait  du  temps 
d'Amédée  de  Gonzié,  celle  devant  laquelle,  depuis  six  cents  ans,  tant  de  tètes  se  sont  inclinées, 
tant  de  larmes  ont  coulé,  tant  de  prières  se  sont  épanchées,  tant  de  grâces  ont  été  obtenues.  — 
Le  premier  dimanche  de  mai,  fête  patronale  de  Notre-Dame  du  Roc,  à  Castellane,  au  diocèse  de 
Digne.  Notre-Dame  du  Roc  est  ainsi  nommée  du  rocher  pittoresque  et  majestueux,  haut  de  deux 
cents  mètres,  au  sommet  duquel  elle  est  placée.  Elle  date  de  la  tin  du  vin"  siècle.  Alors  quelques 
habitants  du  pays,  s'étant  retirés  et  fortifiés  sur  cette  hauteur  pour  se  mettre  à  l'abri  des  incur- 
sions des  Sarrasins,  s'y  construisirent  une  chapelle  de  la  Vierge,  secours  des  chrétiens  et  conso- 
latrice des  affligés.  Bientôt  les  peuples  du  voisinage  accoururent  se  grouper  tout  autour,  et  il  se 
forma  une  ville  qui  reçut  le  titre  de  Petra  caslellana,  rocher  avec  château.  Après  l'expulsion  des 
barbares,  les  habitants  transportèrent  peu  à  peu  leurs  habitations  dans  la  plaine,  et  y  construi- 
sirent au  pied  du  roc  une  nouvelle  ville,  qui  est  la  ville  actuelle  ;  mais  ils  ne  perdirent  rien  de 
leur  affection  pour  la  chapelle  de  Notre-Dame  du  Roc,  qui  avait  été,  pendant  deux  siècles,  leur 
boulevard  inexpugnable  ;  et  depuis  cette  époque  jusqu'à  nos  jours,  ils  n'ont  jamais  cessé  de  l'a- 
voir en  grande  vénération.  —  Le  lundi  de  la  Pentecôte,  à  Thorame-Haute,  diocèse  de  Digne,  fête 
patronale  de  Notre-Dame  delà  Fleur,  dont  on  raconte  ainsi  l'origine.  Au  commencement  du  siè- 
cle dernier,  dit-on,  la  Vierge  apparut  plusieurs  fois  à  un  berger,  lui  commandant  de  faire  construire 
une  chapelle  en  ce  lieu.  Sur  le  refus  des  habitauts  d'obtempérer  aux  paroles  du  berger,  la  Vierge 
donna  de  son  apparition  des  preuves  si  irrécusables,  que  tout  le  monde  se  mit  à  l'œuvre  avec  en- 
thousiasme ;  et  pendant  la  construction,  un  des  ouvriers  ayant  émis  le  désir  que  la  rivière  près  de 
laquelle  on  élevait  sa  chapelle  se  portât  à  la  rive  opposée,  pour  laisser  à  sec  la  rive  près  de  la- 
quelle on  travaillait,  et  mettre  ainsi  le  sable  sous  la  main,  la  rivière  obéit  aussitôt  au  vœu  qu'on 
venait  d'émettre  ;  et  tous,  témoins  du  prodige,  criant  au  miracle,  se  remirent  aussitôt  au  travail 
avec  une  nouvelle  ardeur.  On  honore  Notre-Dame  de  la  Fleur  comme  la  patronne  des  voyageurs  ; 
et  il  est  rare  qu'un  voiturier  passe  devant  ce  sanctuaire  sans  déposer  dans  le  tronc  son  obole.  Les 
plus  éloignés  mêmes  des  pratiques  religieuses  conservent  encore  cette  dévotion.  —  Le  dimanche 
des  Rogations,  commencement  des  quarante  jours  de  fête  en  l'honneur  de  Notre-Dame  du  Château, 
à  Tarascon,  diocèse  d'Aix.  Notre-Dame  du  Château,  autrement  appelée  la  belle  Briançonne,  est 
une  petite  statue  en  bois  de  vigne,  haute  d'environ  dix-huit  pouces.  Elle  avait  été  d'abord  honorée 
dans  la  paroisse  du  Bouchier,  arrondissement  de  Briançon  ;  mais,  vers  le  milieu  du  xiv8  siècle 
pour  la  soustraire  aux  Vaudois  qui  brisaient  toutes  les  statues  et  toutes  les  images,  l'ermite  Im- 
bert,  qui  en  avait  la  garde,  l'emporta  à  Tarascon.  Les  habitants  offrirent  avec  bonheur  un  asile  à 
la  Vierge  bannie,  dont  ils  connaissaient  la  célébrité,  et  la  déposèrent  dans  une  petite  chapelle 
en  face  du  château.  Là,  chaque  jour,  dès  les  premiers  rayons  du  soleil,  l'ermite,  parcourant  les 
rues,  convoquait  tous  les  fidèles  à  venir  saluer  celle  que  l'Eglise  appelle  l'Etoile  du  malin  ;  une 
foule  immense  se  rendait  à  son  invitation,  et  faisait  retentir  l'air  de  pieux  cantiques  en  l'honneur 
de  Marie.  Cependant  les  juifs  établis  dans  ce  quartier,  se  trouvant  iucommodés  surtout  le  samedi, 
jour  de  leur  sabbat,  par  l'affluence  des  pèlerins  à  la  chapelle  du  château,  demandèrent  de  faire 
placer  ailleurs  la  belle  Briançonne,  en  ofl'rant  de  lui  bâtir  une  élégante  chapelle  là  où  l'on  vou- 
drait. Ou  accepta  leur  offre,  à  la  condition  qu'ils  construiraient  en  même  temps  un  ermitage  pour 
l'ermite  chargé  de  garder  la  chapelle,  et  creuseraient  un  puits  à  son  usage.  Les  juifs  se  soumi- 
rent à  cet  engagement,  et  taillèrent  dans  le  roc  de  la  montagne  Saint-Gabriel,  à  cinq  kilomètres 
de  la  ville,  un  ermitage  qui  servit  tout  à  la  fois  de  chapelle  à  la  statue,  et  d'habitation  à  l'ermite. 
Les  fidèles  de  Tarascon  ne  tardèrent  pas  à  s'affliger  de  n'avoir  plus  au  milieu  d'eux  la  sainte  sta- 
tue ;  et  comme  c'était  la  coutume  alors  de  porter  à  la  procession  des  Rogations  toutes  les  statues 
des  Saints,  celles  surtout  qui  appartenaient  à  des  confréries,  ils  demandèrent  qu'on  allât  la  pren- 
dre, tous  les  ans,  le  dimanche  avant  les  Rogations,  pour  la  porter  en  procession,  et  qu'on  la  gar- 
dât, au  moins  quelque  temps  après,  pour  en  jouir.  Ce  fut  d'abord  pendant  une  semaine,  et  succes- 
sivement on  prolongea  le  temps  jusqu'à  quarante  jours.  Cette  translation  fut  une  grande  fête  pour 
tout  le  pays;  et  cette  fête  s'est  perpétuée  jusqu'à  nos  jours,  où  elle  attire  chaque  année  un  con- 


154  1er  MAI. 

cours  de  peuple  extraordinaire.  Elle  a  en  effet  une  physionomie  spéciale,  qui  contraste  avec  nos 
mœurs  modernes,  et  l'on  se  croirait  en  plein  moyen  âge.  Ce  jour-là,  dès  trois  heures  du  matin, 
précédés  de  leur  antique  oriflamme,  qu'ornent  des  pampres  de  vigne  mêlés  à  des  feuilles  d'orties, 
les  prieurs  de  la  confrérie  de  Saint-Roch  vont,  au  son  du  tambourin  et  de  la  cornemuse,  annon- 
cer la  fête  dans  les  campagnes  voisines.  Pendant  ce  temps,  la  grosse  cloche  donne  le  signal  du 
départ,  les  rues  se  remplissent  de  pèlerins  ;  tous  se  rassemblent  à  l'église  pour  entendre  la  messe 
qui  se  dit  à  quatre  heures.  Le  saint  sacrifice  terminé,  la  procession  s'organise,  se  met  en  marche, 
à  la  suite  d'un  grand  crucifix  que  porte  quelquefois  un  frère  pieds  nus,  et  fait  retentir  les  rues 
du  chant  des  litanies.  Tarascon  devient  presque  complètement  désert  ;  hommes,  femmes,  enfants, 
tous  se  rendent  à  Notre-Dame  du  Château.  A  la  chapelle,  les  messes  se  succèdent  depuis  six  heu- 
res. Après  la  dernière  messe,  tous  s'approchent  de  l'autel  et  viennent  respectueusement  baiser  les 
pieds  de  la  statue,  puis  se  retirent  pour  prendre  sur  la  mousse  et  le  gazon  leur  modeste  repas.  A 
dix  heures,  la  cloche  de  la  chapelle  annonce  le  départ  ;  et  aussitôt,  au  son  de  la  flûte  et  du  tam- 
bourin, tous  se  rangent  en  file  en  chantant  Y  Ave,  maris  stella.  La  statue,  en  toilette  champêtre, 
est  placée  sur  un  brancard,  orné  de  fleurs  fraîchement  cueillies  à  la  montagne.  Au  bas  de  la  colline, 
l'officiant  bénit  avec  la  croix  tout  le  pays,  pour  y  appeler  la  fécondité  ;  et  l'on  continua  la  marcha 
jusqu'à  l'église  rurale  de  Saint-Elienne  des  Grés,  où  la  Vierge  demeure  jusqu'à  quatre  heures  du 
soir  exposée  à  la  vénération  publique.  Après  quelque  temps  de  repos,  on  chante  les  Vêpres  solen- 
nelles, et,  à  quatre  heures,  on  reprend  la  marche.  A  l'entrée  de  Tarascon  s'offre  un  spectacle  frappant, 
qui  fait  toujours  éprouver,  à  ceux-là  mêmes  qui  y  sont  accoutumés,  des  émotions  dont  on  ne  peut 
se  défendre.  L'empressement  de  la  multitude,  le  bruit  des  boites  et  des  décharges  continuelles  de 
mousqueterie,  les  acclamations  d'un  peuple  immense,  la  rencontre  de  la  monstrueuse  tarasque  qui 
bondit  trois  fois,  comme  épouvantée  par  la  présence  de  Marie,  donnent  à  cette  fête  un  cachet  de 
piété  joyeuse,  unique  en  son  genre.  Le  clergé  et  les  autorités  de  la  ville  reçoivent  la  statue  à  la 
porte  Saint-Jean.  Là,  on  la  dépouille  de  sa  toilette  du  matin,  dont  les  pieuses  femmes  se  dispu- 
tent les  épingles,  pour  en  attacher  les  premiers  langes  d'un  enfant  nouveau-né,  et  on  la  revêt  de 
ses  plus  belles  robes.  A  sept  heures  et  demie,  la  procession  entre  dans  l'église  Sainte-Marthe,  au 
son  des  cloches  et  des  orgues,  au  roulement  des  tambours,  au  bruit  de  la  trompette,  aux  cris  per- 
çants de  la  cornemuse,  à  la  détonation  des  boites,  et  aux  accents  saintement  passionnés  de  toutes 
les  voix  qui  chantent  à  cris  redoublés  :  Sancta  Maria,  ora  pro  nobis.  On  dépose  ensuite  la  statue 
sur  le  trône  qui  lui  a  été  préparé  ;  pendant  les  quarante  jours  qu'elle  y  demeure,  elle  y  reçoit  les 
hommages  constants  des  fidèles,  et  chaque  jour  un  héritier  de  la  famille  Dusseau  la  revêt  d'une 
robe  nouvelle.  Cet  honneur  a  été  dévolu  à  perpétuité  à  cette  estimable  famille,  en  reconnaissance 
de  ce  que,  pendant  la  grande  Révolution,  le  sieur  Dusseau  déroba  la  statue  à  la  fureur  des  révo- 
lutionnaires, et  la  tint  cachée  jusqu'à  la  réouverture  des  églises.  Au  bout  de  quarante  jours,  on 
reporte  à  sa  montagne  la  sainte  image,  mais  sans  éclat,  tant  on  est  affligé  de  s'en  séparer;  souvent 
la  douleur  va  jusqu'à  faire  couler  les  larmes.  —  Le  lundi  de  la  Pentecôte  et  le  15  août,  pèle- 
rinage à  Notre-Dame  de  la  Couture,  au  diocèse  d'Evreux.  Entre  les  sanctuaires  de  ce  diocèse 
brille,  comme  le  soleil  au  milieu  des  astres,  l'antique  et  splendide  église  de  Notre-Dame  de  la  Cou- 
ture, à  Rernay,  Beats  Maris  de  Cultura,  ainsi  appelée  de  la  terre  où  elle  fut  bâtie,  et  qu'il 
fallut  défricher.  Ce  beau  monument  dut  son  origine,  selon  la  tradition,  à  une  statue  de  la  Vierge, 
enfouie  en  terre  au  sommet  d'une  colline,  dans  un  bois  près  de  Bernay,  et  découverte  par  des 
bergers  vers  la  fin  du  Xe  siècle,  sur  l'indication  d'une  de  leurs  brebis,  qui  grattait  continuellement 
la  terre  en  cet  endroit.  Les  pèlerins  et  les  processions  y  affluaient  non-seulement  de  Lisieux, 
d'Orbec,  de  Lieurey  et  de  SaintrGeorges,  mais  encore  de  Rouen,  de  Caen,  de  Pontaudemer,  de 
l'Aigle,  de  Paris  même.  Encore  aujourd'hui  on  y  vient  de  douze  à  quinze  lieues,  et  les  pèlerins 
s'y  comptent  par  milliers.  Les  paroisses  de  Broglie,  de  Drucourt,  de  Landepereuse,  de  Saint-Aubin, 
de  Saint-Clair,  des  Jonquerets,  de  Couibepine,  de  Malouy,  de  Saint-Martin-du-Tilleul  et  autres 
lieux  y  viennent  en  procession,  sous  la  conduite  de  leurs  curés  respectifs,  avec  les  frères  de 
la  charité  qui  agitent  leurs  clochettes,  les  confrères  de  Saint-Michel,  qui  battent  le  tambour,  les 
musiciens  qui  font  résonner  leurs  instruments,  le  commun  des  fidèles  qui  chantent  les  louanges  de 
Marie  ;  et,  quand  on  est  arrivé,  les  prêtres,  souvent,  ne  suffisent  pas  au  pieux  empressement  de 
cette  foule,  avide  de  recevoir  les  Sacrements.  Tel  est  le  spectacle  qui  s'offre,  chaque  année,  à 
Notre-Dame   de  la  Couture,  soit  le  lundi  de  la  Pentecôte,  soit  le   15  août l.  —  Le  lundi  de  la 

1.  C'est  surtout  dans  la  cérémonie  des  bâtons  de  la  Sainte  Vierge  que  se  manifeste  la  grande  dévotion 
du  diocèse  d'Evreux  envers  elle.  Pour  comprendre  ceci,  il  faut  se  rappeler  qu'au  moyen  â?e  le  bâton 
était  le  symbole  de  la  royauté  ou  du  moins  de  l'autorité;  de  telle  sorte  que  l'échevin,  chef  d'un  ville, 
aussi  bien  que  le  chef  des  avocats  ou  d'une  corporation  quelconque,  portait  un  bâton  comme  signe  de  sa 
dignité.  Par  cette  raison,  la  statue  de  la  Vierge,  dans  presque  toutes  les  paroisses,  est  placée  au-dessus 
du  bâton,  sous  une  espbce  de  dais  surmonté  d'une  couronne  et  enrichi  de  dorures.  Aux  principales  fêtes 
de  la  Vierge,  on  courre  ce  bâton  de  rubans,  de  fleurs,  de  dentelles;  et,  au  milieu  de  détonations  d'armes 
à  feu,  on  le  porte  à  l'église  en  grande  pompe,  escorté  de  nombreuses  jeunes  filles,  toutes  vêtues  et  voilées 
de  blanc;  on  fait  alors  de  grandes  réjouissances  et  un  repas  solennel  de  famille.  Toute  jeune  fille  tient 
à  grand  honneur  d'être  la  reine  du  bâton  au  moins  une  fois  dans  la  vie  ;  et  elle  y  attache  l'idée  d'un» 
protection  toute  spéciale  de  la  Sainte  Vierge  pour  son  heureux  établissement;  idée  sans  doute  irrépro- 


MARTYROLOGES.  155 

Pentecôte,  le  8  septembre  et  le  lundi  de  Pâques,  pèlerinage  à  Notre-Dame  de  Nazareth,  diocèse  de 
Montpellier.  La  chapelle  remplace  sur  une  montagne,  où  se  voit  encore  un  dolmen,  un  ancien 
temple  de  druides.  «  La  sainte  Vierge  »,  dit-on,  «  apparut  en  ce  lieu,  demandant  qu'on  substituât 
son  autel  au  culte  impie  qui  avait  souillé  ces  monts,  et  laissa,  sur  le  rocher,  l'empreinte  de  son  pied 
qu'on  montre  encore  aujourd'hui». —  Le  1er  mai, commencement  des  pèlerinages  au  célèbre  sanc- 
tuaire de  Notre-Dame  de  Grâce,  à  Rochefort,  au  diocèse  de  Nimes.  Ce  sanctuaire  réunit  le  prestige 
de  la  plus  haute  antiquité  avec  l'éclat  des  plus  étonnants  miracles.  L'historien  Bories,  dans  son  livre 
intitulé  :  La  royale  couronne  des  rois  d'Arks,  attribue  à  Charlemagne  la  fondation  de  ce  sanc- 
tuaire. L'injure  du  temps  ou  des  hommes  détruisit,  on  ne  sait  à  quelle  époque,  l'œuvre  de  Char- 
lemagne ;  et  on  lui  substitua  une  petite  chapelle,  où  les  peuples  ne  cessèrent  d'honorer  sur  ce 
rocher  une  statue  de  la  Vierge,  connue,  à  raison  de  sa  couleur,  sous  le  nom  de  Sainte- Brune. 
Cette  image,  qui  existe  encore  dans  le  nouveau  sanctuaire,  fut,  selon  la  tradition,  découverte  par 
un  berger  sur  le  versant  occidental  de  la  montagne,  dans  un  enfoncement,  où  se  voit  une  niche 
très-visitée  des  pèlerins.  Au  xvi»  siècle,  les  Calvinistes  saccagèrent  et  détruisirent  la  chapelle  ; 
mais  on  eut  le  bonheur  de  soustraire  à  la  destruction  la  statue  vénérée.  L'Eglise  actuelle,  qui  ne 
fut  terminée  qu'en  1778,  est  due  aux  enfants  de  saint  Denoit  chargés  de  la  desservir.  Non  moins 
attentifs  aux  besoins  du  corps  qu'aux  intérêts  de  l'âme,  les  Bénédictins  firent  creuser  dans  le  roc 
deux  immenses  citernes  destinées  à  recevoir  les  eaux  pluviales,  afin  de  fournir  de  l'eau  à  la  troupe 
des  pèlerins.  Tant  de  zèle,  joint  au  bel  ordre  qu'ils  mirent  dans  le  service  de  la  chapelle,  jeta  le 
pius  grand  éclat  sur  ce  pèleriuage.  Les  multitudes  y  accoururent  non-seulement  des  pays  voisins, 
mais  de  tout  le  Languedoc,  du  Vivarais  ,  du  Gévaudan ,  du  Dauphiné  et  autres  provinces. 
Chaque  année  y  comptait  plus  de  cinquante  mille  personnes.  93  survint  sur  cet  illustre  sanc- 
tuaire :  on  en  chassa  les  Bénédictins,  on  en  pilla  toutes  les  richesses  et  toutes  les  reliques. 
On  abattit  la  tête  de  la  statue,  on  la  porta  à  la  pointe  d'un  sabre  sur  le  penchant  de  la  colline, 
d'où  on  la  fit  rouler  jusqu'au  bas.  Mais  Dieu  punit  promptement  ces  profanateurs.  Deux  furent 
frappés  de  cécité  ;  deux  périrent  de  mort  violente  ;  et  deux  autres,  qui  avaient  proféré  d'horribles 
blasphèmes  contre  la  sainte  Vierge,  furent  écrasés  le  même  jour  sous  les  débris  d'une  muraille 
nouvellement  construite.  Des  exemples  si  frappants  de  la  vengeance  du  ciel  arrêtèrent  les  destruc- 
teurs dans  leur  œuvre  sacrilège  ;  ils  respectèrent  un  certain  nombre  û'ex-voto,  qui  restaient  encore 
appendus  aux  murs,  et  laissèrent  la  chapelle  telle  qu'elle  était  ;  de  sorte  que,  pendant  la  tour- 
mente révolutionnaire,  les  prêtres  fidèles  purent  y  exercer  leur  saint  ministère.  Devenue  propriété 
nationale  et  cédée  à  l'hospice  d'Uzès,  elle  fut  laissée,  par  l'administration  de  l'hospice,  à  la  dis- 
position de  plusieurs  ecclésiastiques,  qui  y  dispensèrent  aux  peuples  les  secours  et  les  consolation» 
de  la  religion.  En  1836,  elle  passa  aux  mains  de  l'évêque  de  Nimes,  qui,  voyant  l'importance 
toujours  croissante  que  prenait  ce  pèlerinage,  la  coufia,  en  1846,  aux  religieux  Maristes.  Ceux-ci 
firent  aussitôt  restaurer  le  monastère  et  construire  de  vastes  asiles  pour  loger  les  pèlerins.  Ce 
nouvel  état  de  choses  accrut  considérablement  l'affluence,  surtout  dans  les  mois  de  mai,  d'août, 
de  septembre,  et  à  l'époque  des  retraites  spirituelles,  que  les  Pères  Maristes  donnent  successivement 
tantôt  aux  hommes,  tantôt  aux  femmes.  Parmi  ces  pieux  pèlerins,  on  distingue  les  élèves  du  petit 
séminaire  de  Beaucaire,  qui,  chaque  année,  le  29  avril,  franchissent  une  distance  de  six  heures  de 
marche,  arrivent  le  soir  à  la  maison  des  Maristes,  communient  le  lendemain  et  déposent  sur  l'autel 
une  offrande  au  nom  du  petit  séminaire.  L'après-midi,  ils  reprennent  le  bâton  de  voyage  et  cal- 
culent la  marche  de  manière  à  arriver  à  Beaucaire  pour  le  premier  exercice  du  mois  de  mai. 
Toute  la  communauté  vient  en  procession  à  leur  rencontre  ;  on  leur  donne  le  rang  d'honneur,  et 
on  se  rend  ainsi,  au  chant  des  cantiques,  à  la  chapelle  du  séminaire,  où  commence  aussitôt  l'exer- 
cice du  mois,  que  ces  pieux  voyageurs  viennent  de  placer  sous  la  protection  de  Notre-Dame  de 
Grâce.  —  Au  diocèse  de  Limoges,  procession  à  Notre-Dame  de  Sauvagnac,  le  lundi  de  la  Pente- 
côte. La  tradition  fait  remonter  l'origine  de  cette  chapelle  au  xue  siècle.  Le  seigneur  de  Mérignac, 
se  voyant,  dit  la  légende,  près  de  faire  naufrage  en  revenant  de  la  croisade,  fit  vœu  d'élever  une 
chapelle  à  la  sainte  Vierge,  s'il  échappait  à  la  mort.  11  échappa  en  effet;  et,  pour  acquitter  son 
vœu,  il  fonda  cette  chapelle  sur  un  pic,  au  milieu  des  montagnes  de  Grandmont  ;  il  y  fit  don  d'une 
lampe  d'argent  en  forme  de  vaisseau,  et  appela  ce  sanctuaire  du  nom  de  Sauvagnac,  c'est-à-dire 
sauvé  des  eaux,  salvus  ab  aqua.  Vers  ces  derniers  temps,  le  pieux  sanctuaire  étant  tombé  dans  un 
état  de  dégradation,  tout  le  diocèse  fut  invité  à  souscrire  pour  le  restaurer  ;  et,  avec  douze  mille 
francs,  fruit  de  la  souscription,  on  l'agrandit  et  on  y  ajouta  une  abside  semi-circulaire.  L'inaugu- 
ration de  la  chapelle  ainsi  restaurée  témoigna  de  la  dévotion  de  tout  le  pays  pour  ce  lieu  de 
pèlerinage.  —  Le  dernier  dimanche  de  mai,  pèlerinage  à  Notre-Dame  de  Cardonnay,  au  diocèse  de 
Rouen,  canton  d'Aumale  :  son  nom  lui  vient  du  chardon  sous  lequel  fut  trouvé  la  statue  qu'on  y 
vénère  :  la  chapelle  remonte,  au  moins,  au  xn«  siècle.  Vendue  en  93,  cette  chapelle  est  heureu- 
sement tombée  entre  les  mains  d'un  acquéreur  religieux,  qui  tient  à  la  conserver,  et  qui  l'a  même 
enrichie  de  plusieurs  indulgences  que  Pie  IX  a  accordées  à  ceux  qui  viendraient  visiter  ce  béait 

ehable,  sauf  les  abus  ou  la  superstition  qui  peuvent  s'y  mêler  quelquefois,  puisque  le  mariage  étant  l'acte 
le  plus  important  de  la  vie,  il  n'est  rien  de  plus  chrétien  que  de  le  placer  sous  la  protection  do  la  Sainte 

Vierge. 


156  Ie*  MAI. 

sanctuaire.  La  paroisse  d'Aumale  conservant,  pour  Notre-Dame  de  Cardonnay,  les  pieux  sentiments 
de  ses  ancêtres,  s'y  rend  encore  aujourd'hui  en  procession  le  dernier  dimanche  de  mai  et  le  len- 
demain de  la  première  communion  des  enfants.  Le  collège  y  va  de  son  côté  le  dernier  jeudi  du 
mois  de  mai  ;  enfin,  plusieurs  paroisses  de  Picardie,  entre  autres  Gauville  et  Morvilliers,  s'y  ren- 
dent en  pèlerinage  vers  la  même  époque.  Cette  chapelle,  du  reste,  est  entretenue  avec  soin  ;  elle 
possède,  outre  le  tabernacle  et  les  ornements  de  celle  de  Rueil,  de  nombreux  tableaux  qui  attes- 
tent la  confiance  et  la  piété  du  peuple.  —  Le  lundi  de  la  Pentecôte,  pèlerinage  à  Notre-Dame  de 
Bethléem,  au  diocèse  d'Orléans.  —  Le  lundi  de  la  Pentecôte,  fête  de  Notre-Dame  de  Nanteuil, 
au  diocèse  de  Blois.  Le  culte  de  la  sainte  Vierge  en  ce  lieu,  s'il  en  faut  croire  la  tradition  répandue 
dans  le  pays,  remonte  jusqu'aux  premiers  temps  de  l'établissement  du  christianisme  dans  ces 
contrées.  Alors  une  statue  de  Marie  ayant  été  découverte  parmi  le  feuillage  d'un  grand  chêne,  on 
la  retira  pour  la  placer  sur  le  bord  d'une  fontaine  voisine  où  l'on  pouvait  plus  facilement  la  voir 
et  l'honorer  ;  «  mais  »,  dit  la  légende,  «  la  statue  étant  revenue  d'elle-même  au  lieu  où  on  l'avait 
trouvée,  on  lui  éleva  une  chapelle  à  double  étage  dans  l'emplacement  même  du  chêne  ».  Au 
Xiie  siècle,  l'église  et  le  prieuré  de  Nanteuil  relevaient  de  l'abbaye  de  Pontlevoy.  On  attribue  la 
construction  du  sanctuaire  actuel  à  la  munificence  de  Philippe-Auguste,  qui  voulut  par  là  témoi- 
gner sa  reconnaissance  à  Marie  pour  un  double  bienfait  :  le  premier,  c'était  qu'elle  lui  avait  obtenu 
une  pluie  abondante  pour  désaltérer  son  armée  qui  se  mourait  de  soif;  le  second,  ce  fut  la  vic- 
toire sur  le  roi  d'Angleterre  et  la  prise  de  Montrichard.  La  dévotion  des  rois  et  des  seigneurs  pour 
la  Vierge  de  Nanteuil  était  partagée  par  les  fidèles  ;  de  toutes  parts  on  y  venait  en  pèlerinage, 
surtout  le  lundi  de  la  Pentecôte  ;  ce  qui  donna  naissance  à  une  foire  renommée  qui  s'y  établit  ce 
jour-là  dès  avant  le  xive  siècle,  et  au  nom  historique  de  Pré  des  Pèlerins,  que  porte  encore 
aujourd'hui  la  vaste  prairie  voisine  de  l'église,  ainsi  appelée  parce  que  les  pieux  voyageurs  avaient 
droit  d'y  faire  paître  leurs  montures.  Les  habitants  de  Tours  se  distinguaient  entre  tous  par  leur 
dévotion  pour  ce  sanctuaire.  Les  guerres  de  religion  et  les  troubles  de  la  Ligue,  qui  désolèrent  le 
xvi«  siècle,  n'empêchèrent  point  les  pèlerins  du  Blésois,  de  la  Touraine  et  du  Berri  de  se  rendre 
à  Nanteuil.  Malgré  les  bouleversements  politiques,  l'affluence  ne  discontinua  pas,  et,  souvent  même, 
dans  les  calamités  publiques,  les  paroisses  entières  s'y  rendaient  et  faisaient  le  vœu  d'y  revenir 
tous  les  ans.  Au  xvn8  siècle,  même  affiuence  ;  et,  parmi  les  nombreux  pèlerins,  on  compte  un 
des  plus  saints  prêtres  de  cette  époque,  M.  Olier,  curé  de  Saint-Sulpice.  Enfin,  au  xviii»  siècle,  le 
bienheureux  Joseph  Labre  vint  y  passer  quinze  jours,  et  la  haute  idée  qu'il  y  laissa  de  sa  sainteté 
est  encore  vivante  dans  le  pays.  L'époque  désastreuse  de  la  Révolution  fut  annoncée  par  les  traits 
attristés  de  la  figure  de  Notre-Dame  de  Nanteuil  et  par  les  larmes  qui  coulèrent  de  ses  paupières. 
Plusieurs,  qui  refusèrent  d'y  croire,  vinrent  examiner  le  fait  de  leurs  propres  yeux,  et  furent 
obligés  d'en  convenir.  Les  révolutionnaires  n'en  tirèrent  d'autre  conséquence  qu'une  haine  plus 
passionnée  contre  la  Vierge  miraculeuse  ;  ils  dévastèrent  entièrement  son  église,  brisant  les  autels 
et  les  tabernacles,  lacérant  les  tableaux,  pillant  tout  ce  qu'ils  espéraient  vendre  à  leur  profit  et 
brûlant  tout  le  reste.  Après  ces  exploits  de  Vandales,  ils  passèrent  une  corde  au  cou  de  la  statue 
vénérée  et  la  firent  tomber  violemment  à  leurs  pieds,  où  elle  se  brisa.  La  tète,  séparée  du  tronc, 
roula  dans  la  poussière;  et  une  femme,  l'ayant  outrageusement  repoussée  du  pied,  en  fut  bientôt 
punie  par  une  mort  accompagnée  des  plus  cruelles  souffrances.  Une  autre  femme,  plus  digne  de 
son  sexe,  recueillit  religieusement  ce  pieux  débris;  et,  à  la  réouverture  des  églises,  un  artiste  y 
ayant  adapté  un  corps  en  place  de  celui  qui  avait  été  brisé,  on  remit  la  nouvelle  statue  au  lieu 
où  était  l'ancienne.  Les  pèlerinages  alors  recommencèrent  comme  autrefois.  Chàteauvieux  et  Saint- 
Aiguan  reprirent  l'usage  de  leur  procession  annuelle,  et  des  guérisons  miraculeuses  furent  souvent 
la  récompense  de  la  foi  des  populations.  L'église  de  Nanteuil  est  un  des  beaux  monuments  que 
nous  a  légués  le  moyeu  âge.  —  A  Aubervilliers  ',  dans  le  diocèse  de  Paris,  le  deuxième  dimanche 
de  mai,  fête  de  Notre-Dame  des  Vertus.  En  1338,  il  n'y  avait  là  qu'une  petite  chapelle,  avec  un 
autel  et  une  statue  de  la  sainte  Vierge  ;  mais,  cette  même  année,  le  deuxième  mardi  de  Pâques, 
une  jeune  fille,  voulant  parer  l'autel,  pria  un  jeune  homme  de  venir  l'aider  dans  ce  pieux  office. 
Pendant  qu'ils  s'occupaient  de  ce  soin,  voilà  que,  tout  à  coup,  la  statue  se  couvre  de  sueur  et  l'eau 
coule  sur  sa  face  ;  phénomène  d'autant  plus  extraordinaire  que  le  temps  était  très-sec  et  la  chaleur 
extraordinaire.  Dans  leur  surprise,  ils  appellent  d'abord  des  témoins  et  convoquent  ensuite  tous  les 
habitants  au  son  de  la  cloche.  Bientôt  le  bruit  du  prodige  se  répandit  et  les  pèlerinages  commen- 
cèrent. Les  nombreux  miracles,  opérés  à  Aubervilliers,  firent  appeler  la  statue  Notre-Dame  des 
Vertus,  c'est-à-dire  des  miracles.  Le  concours  devint  si  nombreux  au  xvne  et  au  xviii»  siècle,  que 
huit  prêtres,  constamment  attachés  au  sanctuaire,  ne  suffisaient  pas  à  la  dévotion  des  pèlerins. 
Cette  dévotion  a  fort  diminué,  mais  n'a  point  entièrement  disparu  :  les  mères  y  viennent  apporter 
les  enfants,  et  les  populations  s'y  pressent  le  second  mardi  de  mai.  —  A  Tourcoing,  les  familles 
chrétiennes  se  consacrent,  pendant  le  mois  de  mai,  à  Notre-Dame  de  la  Marlière.  La  statue,  qu'on 
y  vénérait  autrefois,  fut  trouvée  dans  le  tronc  d'un  arbre  séculaire  :  emportée,  en  1562,  par  un 
eoldat  calviniste,  elle  fut  échangée  par  un  pieux  bûcheron  contre  deux  fagots  ;  mais  la  Révolution 
de  93  la  fit  disparaître.  La  piété  envers  ce  sanctuaire  n'en  est  pas  moins  vive.  —  Le  lundi  de 

1.  Aubervilliers  n'était  autrefois  que  la  maison  de  campagne  d'un  nommé  Albert  — Alberti  villa. 


MARTYROLOGES.  157 

la  Pentecôte,  fête  patronale  de  Notre-Dame  de  Quarte,  entre  Bavay  et  Reims,  n  y  vient,  ce  jour- 
là,  jusqu'à  trente  mille  pèlerins;  ils  arrivent  dès  l'aurore,  font  le  tour  de  l'église,  prient  devant  la 
sainte  image  de  Marie,  lui  font  toucher  divers  objets,  des  rosaires,  des  rameaux  verts,  etc.,  qu'ils 
emportent  ensuite  avec  eux.  A  l'époque  de  la  Révolution,  les  femmes  de  Pont-sur-Sambre  s'ar- 
mèrent de  pierres  et  chassèrent  les  démolisseurs  qui  venaient  dans  l'intention  de  renverser  le 
sanctuaire.  —  Le  lundi  de  Pâques  et  le  lundi  de  la  Pentecôte,  pèlerinage  à  Notre-Dame  de  Verti- 
gneul,  non  loin  de  Cambrai.  Ce  pèlerinage  célèbre,  déjà  très-fréquenté  dès  l'an  1428,  est  plus 
fréquenté  encore  de  nos  jours,  surtout  par  les  mères  qui  y  apportent  leurs  enfants  en  bas  âge,  pour 
les  mettre  sous  la  protection  de  la  Reine  du  ciel.  —  Le  jour  de  l'Ascension,  pèlerinage  principal 
à  Notre-Dame  d'Orcival  *,  dans  le  diocèse  de  Clermont.  Ce  pèlerinage  est  parmi  tous  ceux  qui 
existent  dans  le  monde  un  des  plus  fréquentés  et  des  mieux  conservés.  La  Vierge,  qu'on  y  honore, 
est  atribuée  à  saint  Luc.  —  Le  mardi  de  la  Pentecôte,  pèlerinage  principal  à  Notre-Dame  de  Pitié, 
Vierge  célèbre,  à  un  quart  de  lieue  d'Aigurande,  dans  le  diocèse  de  Bourges.  On  dit  que,  en  93,  on 
voulait  scier,  par  le  milieu,  la  statue  de  la  Vierge,  mais  que  la  scie  rebelle  se  refusa  à  cette 
profanation.  Alors  un  des  démagogues  démolisseurs  saisit  une  hache,  frappa  à  coups  redoublés  et 
parvint  à  séparer  la  tête  du  tronc  :  en  tombant,  cette  tète  alla  rouler  aux  pieds  d'une  jeune  fille 
qui  la  ramassa  religieusement  et  la  porta  à  sa  mère.  Celle-ci  la  reçut  avec  respect  et  la  déposa 
dans  un  lieu  secret,  où  les  fidèles  purent  venir  prier  Marie  de  faire  lever  sur  la  France  des  jours 
meilleurs.  —  Le  dimanche  de  la  Trinité,  pèlerinage  à  Notre-Dame  de  Cluis-Dessous,  au  diocèse  de 
Bourges.  L'origine  de  ce  sanctuaire  est  due  à  deux  solitaires  qui  vinrent  se  retirer  dans  les  lieux 
où  il  s'élève,  alors  couverts  de  broussailles,  pour  y  mener  la  vie  érémitique.  Les  Bénédictins  en 
prirent  le  service  et  y  furent  remplacés,  au  xve  siècle,  par  les  Franciscains  :  ces  derniers  élevèrent 
la  chapelle  actuelle  qui,  grâce  à  la  religion  et  malgré  sa  pauvreté,  jouit  d'une  gloire  immortelle, 
tandis  que,  tout  à  côté,  l'orgueilleux  château  des  Montpensier  git  dans  la  poussière.  La  Vierge  de 
Cluis  porte  le  nom  de  Notre-Dame  de  la  Trinité.  Cette  Vierge,  remarquablement  belle,  fut  sous- 
traite à  l'impiété  pendant  la  Révolution  :  le  calme  revenu,  on  la  rendit  à  son  sanctuaire.  Pendant 
tout  le  cours  de  l'année,  des  pèlerins  viennent  souvent  prier  Notre-Dame  de  Cluis,  surtout  pour 
les  maladies  qui  les  affligent,  eux  ou  leurs  proches.  Si  la  personne  malade  est  une  jeune  fille,  ce 
sont  trois  jeunes  filles  qui  font  le  pèlerinage;  si  c'est  une  femme  mariée,  ce  sont  trois  femmes 
mariées  ;  si  c'est  un  jeune  homme,  ce  sont  trois  jeunes  gens;  et  ainsi  se  traduit  en  action,  d'une 
manière  saisissante,  le  dogme  de  la  fraternité  évangélique.  Mais  rien  n'est  beau  comme  la  proces- 
sion du  jour  de  la  Trinité  :  les  pèlerins  y  sont  au  nombre  de  dix  à  douze  mille.  Pendant  les  trois 
semaines  qui  précèdent,  ils  jeûnent  le  vendredi,  et  font  quelque  aumône  à  des  pauvres  encore  plus 
pauvres  qu'eux.  Un  grand  nombre  se  rend  dès  la  veille  ;  et,  à  minuit,  au  moment  précis  où  les 
anciens  Bénédictins  commençaient  à  chanter  Matines,  commencent  les  processions  particulières  ; 
les  pèlerins  s'en  vont  par  bandes  de  trois  en  l'honneur  du  mystère  du  jour,  le  front  découvert, 
souvent  les  pieds  nus,  toujours  le  chapelet  à  la  main  et  dans  le  plus  profond  silence.  Ils  parcou- 
rent les  quatorze  stations  du  chemin  de  la  croix  disposées  par  les  Franciscains  sur  un  espace 
d'environ  deux  lieues,  dans  les  rues  de  Cluis,  sur  les  places  publiques.  Telle  est  la  dévotion  à  Notre- 
Dame  de  Cluis-Dessous  ;  et  elle  s'est  toujours  maintenue,  à  ce  point,  que  même  dans  les  plus 
mauvais  jours  de  la  Révolution,  on  ne  cessa  pas  de  faire  la  procession  nocturne.  —  Le  lundi  delà 
Pentecôte,  procession  solennelle  à  Notre-Dame  du  Puis.  Notre-Dame  du  Puis,  à  Gargilesse,  dans 
le  diocèse  de  Bourges,  est  une  gracieuse  église  fondée  par  Hugues  II,  seigneur  de  Naillac  en  1236, 
sur  le  modèle  de  la  magnifique  église  abbatiale  de  Déols.  Le  religieux  seigneur  de  Naillac  établit 
le  droit  d'asile  dans  les  terres  qui  environnent  le  sanctuaire  ;  et  par  des  croix  plantées  de  sa  propre 
main,  il  détermina  l'enceinte  où  devait  s'exercer  ce  droit  sacré.  Le  chemin,  que  parcourent  encore, 
de  nos  jours,  les  processions,  est  celui  limité  par  les  croix  de  Hugues  de  Naillac.  L'église  est 
byzantine,  parfaitement  homogène  de  style,  et  un  petit  chef-d'œuvre.  Le  gouvernement  français 
l'a  fait,  à  ce  titre,  complètement  restaurer  dans  ces  dernières  années.  —  Le  jour  et  le  lundi  de  la 
Pentecôte,  pèlerinage  principal  à  Notre-Dame  du  Laus,  diocèse  de  Gap.  —  Le  lendemain  de  la 
Pentecôte,  pèlerinage  à  Notre-Dame  du  Hamel,  entre  Crevecœur  et  Grandvilliers,  dans  le  diocèse 
de  Beauvais.  A  ce  sanctuaire  se  rattache  le  souvenir  de  la  délivrance  miraculeuse  du  sire  de  Créqui, 
lequel  s'était  croisé  sous  Louis  VII  et  demeura  captif  des  mahométans,  dix  ans,  pendant  lesquels 
on  tenta  tous  les  moyens  de  lui  faire  renier  sa  foi,  le  frappant  souvent  jusqu'à  le  mettre  tout  en 
sang.  Son  maître,  désespérant  d'y  réussir,  lui  signifia  un  jour  que  le  lendemain  il  le  ferait  étran- 
gler. Raoul,  sur  cet  avis,  passe  une  partie  de  la  nuit  en  prières,  se  recommande  à  Notre-Dame  du 
Hamel  ;  puis,  cédant  à  la  lassitude,  il  s'étend  par  terre  et  s'endort.  Chose  merveilleuse,  dit  la 
légende  :  le  lendemain  matin  il  se  réveille  ;  il  se  retrouve  au  Hamel,  et  apprend  d'un  berger  que 
la  dame  de  Créqui,  sa  femme,  qui  se  croyait  veuve,  se  marie  ce  jour-là  même  au  sire  de  Renty.  Aus- 
sitôt il  se  rend  au  château  de  son  père,  et  essaie,  mais  en  vain,  de  se  faire  reconnaître,  tant  il 
était  maigre,  décharné  et  mal  vêtu.  Alors  il  va  attendre  la  mariée  sur  le  chemin  par  où  elle  doit 
se  rendre  à  l'église  ;  il  l'aborde  à  son  passage,  lui  présente  la  moitié  de  l'anneau  nuptial,  ainsi 
que  le  bracelet  qu'elle  lui  avait  donné  à  son  départ,  et  lui  dit  à  l'oreille  quelques  secrets  que  lui 

1.  Ursi  vallis  ou  vallée  des  Ours;  Orci  vallis,  vallée  d'Enfer  :  elle  est  en  effet  très- étroite. 


158  1er  MAI. 

seul  connaissait.  La  dame,  convaincue,  tombe  dans  ses  bras,  l'emmène  à  l'église  de  Notre-Dame  du 
Hamel  célébrer,  non  plus  des  noces,  mais  le  retour  de  l'époux  retrouvé  ;  et  l'on  suspendit  ses 
chaines  au  mur  du  sanctuaire,  en  signe  de  reconnaissance  éternelle.  —  A  Nantes,  neuvaine  de 
l'Ascension,  à  la  Pentecôte,  à  Notre-Dame  de  Bonne-Garde  dont  l'origine  est  due  à  une  statue 
miraculeuse  qui  apparut  une  nuit  au  sein  d'une  vive  lumière.  La  chapelle,  démolie  naguère  pour 
faire  place  à  une  nouvelle  rue,  vient  d'être  reconstruite,  en  style  ogival ,  au  confluent  de  la  Loire 
et  de  la  Sèvre.  —  Le  dimanche  dans  l'octave  de  l'Ascension,  à  Saint-Léonard  de  Rubempré,  au 
diocèse  d'Amiens,  fête  solennelle  de  la  translation  des  reliques  de  saint  Victoria,  enfant  martyr, 
cité  aux  martyrologes  des  27  mars  et  14  mai1. 


SAINT  JACQUES  LE  MINEUR,  APOTRE 

61.  —  Pape  :  Saint  Pierre.  —  Empereur  :  Néron. 

Priez  avec  foi  et  sans  défiance,  car  celui  qui  est  dans 
la  défiance  est  semblable  au  flot  de  la  mer  qui  est 
agité  et  emporté  ça  et  là  par  le  vent. 

Ep.  Jae.,  i,  6. 

Saint  Jacques,  de  la  tribu  royale  de  Juda,  naquit  à  Cana,  onze  ou  douze 
ans  avant  Notre-Seigneur  Jésus-Christ.  Il  était  communément  appelé  le 
Juste,  à  cause  de  la  haute  réputation  de  vertu  qu'il  s'était  acquise  parmi  le 
peuple,  et  aussi  parce  qu'il  appartenait  à  la  secte  des  Esséniens,  qui  étaient 
les  religieux  ou  les  Justes  de  ce  temps-là.  Bien  qu'il  ne  fût  pas  de  la  tribu 
sacerdotale,  on  lui  permettait  néanmoins  d'entrer  dans  le  lieu  du  temple 
où  les  prêtres  seuls  avaient  droit  d'entrer,  et  qui  s'appelait  Sancta.  Quel- 
ques auteurs  disent  qu'il  entrait  aussi,  pour  faire  ses  prières,  dans  le  sanc- 
tuaire appelé  Sancta  sanctorum,  bien  que  cela  n'eût  jamais  été  permis  qu'au 
grand  prêtre,  et  seulement  une  fois  l'année. 

Secondement,  il  était  appelé  Oblias,  c'est-à-dire  le  Rempart  du  peuple. 
Aussi,  comme  nous  l'apprend  Eusèbe,  d'après  Hégésippe  et  Clément  d'Alexan- 
drie, les  plus  sages  des  Juifs  se  persuadaient  que  la  prise  et  le  pillage  de 

1.  Le  corps  de  saint  Victorin,  jeune  enfant  d'environ  douze  ans,  fut  trouvé  dans  les  catacombes,  près 
la  voie  de  Tiburce,  le  27  mars  1842.  Dans  son  tombeau  étaient  une  fiole  teinte  de  sang  et  cette  inscription  : 
dep.  bitorini.  in  p.,  c'est-à-dire,  Depositio  S.  Victorini  in  pace.  Ses  ossements  furent  enchâssés  dans 
une  composition  de  cire  représentant  un  corps  humain,  revêtu  de  précieux  vêtements  de  soie  et  d'or. 

C'est  ainsi  qu'arrivé  à  Amiens,  en  1846,  il  fut  présenté  avec  l'authentique  qui  l'accompagnait,  le 
23  avril  1846,  à  Mgr  Mioland,  qui  reconnut  la  relique  et  permit  de  l'exposer  à  la  vénération  des  fidèles, 
comme  il  appert  de  son  visa  apposé  sur  l'authentique.  Le  jour  de  la  translation  fut  fixé,  par  Mgr  l'évêque 
d'Amiens,  au  14  mai  1846.  Il  voulut  présider  lui-même  cette  cérémonie.  La  paroisse  de  Rubempré,  à  qui 
était  destinée  cette  insigne  relique,  don  précieux  du  R.  P.  Lartigue,  de  la  Compagnie  de  Jésus,  qui  l'avait 
obtenue  de  S.  E.  le  cardinal  Patiizi,  vicaire  général  de  N.  S.  P.  le  pape  Grégoire  XVI,  se  prépara  à  la 
recevoir  par  une  retraite  de  dix  jours.  Le  jour  de  la  translation  arrivé,  le  Prélat,  précédé  d'un  nombreux 
clergé  et  de  plus  de  quinze  mille  fidèles,  se  rendit  processionnellement  à  l'église  paroissiale  de  Pierregot, 
pour  y  prendre  le  saint  corps  qui  y  avait  été  déposé.  Il  fut  transporté  de  là  à  l'église  de  Rubempré  et 
déposé  sur  une  magnifique  estrade  surmontée  d'un  riche  baldaquin,  pour  y  rester,  pendant  un  Triduum, 
exposé  à  la  vénération  des  fidèles  et  ensuite  placé  sous  le  maître-autel,  restauré  à  neuf,  mis  à  jour  et 
fermé  de  glaces. 

A  partir  du  jour  de  la  translation,  et  tous  les  jours  de  l'octave,  le  Pape  avait  accordé  une  indulgence 
plénière  stationnelle.  Il  a  également  donné  la  permission  de  faire,  tous  les  ans,  à  perpétuité,  la  fête  de 
saint  Victorin,  qui  a  été  fixée  par  Mgr  Mioland,  évêque  d'Amiens,  au  dimanche  dans  l'octave  de  l'Ascen- 
sion, avec  une  indulgence  de  sept  ans  et  de  sept  quarantaines  à  perpétuité. 

Depuis  la  translation  des  reliques  de  saint  Victorin,  en  1846,  jusqu'aujourd'hui  (1874),  la  fête  de  ce 
saint  Martyr  se  célèbre  tous  les  ans  avec  la  plus  grande  pompe.  Un  grand  concours  de  peuple  des  pays 
environnants  afliue  à  Rubempré.  Le  saint  corps  est  porté  par  les  jeunes  geus  dans  toutes  les  rues  de  co 
bourg.  Enfin,  ce  Saint  est  devenu  si  populaire  que  le  pays  l'a  adopté  pour  son  second  patron.  —  Hagio- 
graphie du  diocèse  d'Amiens,  par  M.  l'abbé  Corblet. 


SAINT  JACQUES   LE   MINEUR,    APÔTRE.  159 

cette  grande  ville,  et  le  nombre  infini  de  maux  dont  la  nation  juive  fut  alors 
accablée,  étaient  la  punition  du  crime  commis  contre  la  personne  de  saint 
Jacques,  en  le  faisant  mourir. 

Troisièmement,  les  fidèles  le  nommaient  ordinairement  le  Frère  du  Sei- 
gneur :  l'apôtre  saint  Paul,  écrivant  aux  Galates,  leur  dit  :  «  Qu'étant  allé  à 
Jérusalem  voir  saint  Pierre,  il  n'avait  point  vu  d'autre  apôtre  que  Jacques, 
frère  du  Seigneur  ».  Ce  n'est  pas  qu'il  fût  fils  de  la  Sainte  Vierge,  comme 
l'impie  Helvidius  a  eu  l'effronterie  de  le  dire  :  car  cette  Mère  adorable  étant 
demeurée  perpétuellement  vierge,  selon  la  foi  de  l'Eglise,  elle  n'a  pu  avoir 
d'autre  fils  que  celui  qu'elle  a  conçu  par  la  seule  opération  du  Saint-Esprit. 
Ce  n'est  pas  non  plus  qu'il  fût  fils  de  saint  Joseph,  par  une  autre  femme, 
comme  quelques  autres  auteurs  l'ont  écrit  :  car  c'est  le  sentiment  commun 
des  fidèles  que  saint  Joseph  était  vierge  lorsqu'il  épousa  Notre-Dame,  et 
qu'il  a  conservé  la  fleur  de  sa  virginité  jusqu'à  sa  mort.  D'ailleurs,  les  Evan- 
gélistes  nous  apprennent  que  saint  Jacques  était  fils  d'une  Marie  qui  suivait 
Notre-Seigneur,  et  qui  assista  sur  le  Calvaire  à  son  crucifiement  :  vivant  en 
même  temps  que  la  Sainte  Vierge,  elle  ne  pouvait  pas  être  épouse  de  saint 
Joseph.  Saint  Jacques  est  donc  appelé  Frère  du  Seigneur,  selon  la  manière 
de  parler  des  Hébreux,  parce  qu'il  était  son  proche  parent  et  son  cousin,  sa 
mère  étant  nièce  de  saint  Joachim  et  de  sainte  Anne,  et  cousine  germaine 
de  la  Sainte  Vierge. 

Il  avait  trois  frères,  dont  l'Evangile  fait  mention  et  qui  sont  aussi  appe- 
lés Frères  de  Jésus-Christ,  à  savoir  :  Joseph,  Simon  et  Jude,  dont  le  dernier 
est  du  nombre  des  douze  Apôtres,  et,  dans  son  Epître  canonique,  se  nomme 
lui-même  frère  de  Jacques,  s'estimant  plus  honoré  de  cette  qualité  que  les 
personnes  du  monde  ne  le  sont  de  leurs  plus  grandes  alliances  ;  quant  à 
Joseph,  frère  de  Jacques,  c'est  probablement  ce  Joseph,  autrement  dit  Bar- 
sabas,  et  surnommé  aussi  le  Juste,  qui  fut  proposé,  avec  saint  Mathias,  pour 
remplir  la  place  du  traître  Judas.  Cependant  il  semble  que  le  nom  de  Frère 
du  Seigneur  ait  surtout  appartenu  à  saint  Jacques,  et  que  ce  soit  le  nom  par 
lequel  on  le  distinguait  des  autres  Apôtres,  comme  on  le  peut  voir  dans  les 
plus  anciens  auteurs,  et  même  dans  l'historien  Josèphe,  cité  par  Eusèbe  ; 
peut-être  parce  qu'il  était  l'aîné  de  ses  cousins  ;  que  son  insigne  piété  le 
rendait  plus  conforme  à  la  vie  et  à  la  sainteté  du  Sauveur  ;  ou  enfin,  qu'il 
lui  ressemblait,  dit-on,  parfaitement  de  visage  ;  en  effet,  les  fidèles  allaient 
exprès  à  Jérusalem  pour  le  voir  :  en  le  regardant,  ils  croyaient  encore  voir 
Celui  qui  était  monté  dans  le  ciel,  et  qui  n'était  plus  visible  parmi  les 
hommes. 

Hégésippe,  auteur  fort  ancien,  dont  nous  avons  déjà  parlé,  dit  que  cet 
apôtre  fut  sanctifié  dès  le  sein  de  sa  mère.  Cest  un  privilège  que  l'Ecriture 
sainte  attribue  à  Jérémie  et  à  saint  Jean-Baptiste,  et  Dieu  a  pu  aussi  l'accor- 
der à  saint  Jacques  ;  et  il  est  probable  que  cet  auteur,  qui  vivait  immédia- 
tement après  les  Apôtres,  et  que  le  Martyrologe  romain  loue  pour  sa  sain- 
teté et  pour  la  sincérité  avec  laquelle  il  a  écrit  Y  Histoire  de  V Eglise,  n'eût 
pas  avancé  ce  fait,  si  ce  n'eût  été  la  croyance  commune  des  fidèles.  D'après 
ce  même  auteur,  Jacques  ne  mangea  jamais  rien  qui  eût  eu  vie.  Une  buvait 
que  de  l'eau,  il  n'usait  ni  de  parfums,  ni  de  bains,  quoique  cela  fût  fort  or- 
dinaire de  son  temps  ;  il  priait  si  assidûment,  qu'il  s'était  fait  des  calosités 
aux  genoux.  Saint  Epiphane  assure  qu'il  est  demeuré  vierge  toute  sa  vie,  et 
saint  Jérôme,  avec  plusieurs  autres  écrivains  ecclésiastiques,  le  propose 
comme  un  modèle  d'innocence,  de  sainteté  et  de  pénitence,  qui  donnait  de 
l'admiration  aux  anges  et  aux  hommes. 


160  Ier  MAI. 

Le  Texte  saint  ne  nous  dit  rien  de  lui  en  particulier,  depuis  que  Notre- 
Seigneur  l'eut  appelé  ensa compagnie.  Seulement,  d'après  un  certain  livre 
d'Evangiles,  dont  usaient  les  Nazaréens,  et  que  saint  Jérôme,  qui  l'a  traduit 
du  grec  en  latin,  appelle,  selon  les  Hébreux,  au  soir  de  la  Cène,  après  avoir  bu 
le  calice  du  Seigneur,  saint  Jacques  déclara  qu'il  ne  mangerait  point  avant 
que  le  Fils  de  l'Homme  fût  ressuscité  ;  c'est  pourquoi  Notre-Seigneur  lui  ap- 
parut le  jour  même  de  sa  résurrection,  et,  lui  ayant  demandé  du  pain,  il  le 
bénit,  le  rompit  et  le  lui  présenta,  lui  disant  :  «  Ne  fais  plus,  mon  frère, 
difficulté  de  manger,  parce  que  le  Fils  de  l'homme  est  ressuscité  ».  Mais 
cette  apparition  ne  peut  être  celle  dont  parle  saint  Paul,  écrivant  aux  Co- 
rinthiens, puisqu'il  ne  la  met  qu'après  l'apparition  à  plus  de  cinq  cents  dis- 
ciples, laquelle  n'arriva  pas  le  jour  même  de  la  Résurrection,  mais  plusieurs 
jours  après. 

Après  la  descente  du  Saint-Esprit,  lorsque  le  nombre  des  fidèles  se  fût 
multiplié  à  Jérusalem,  saint  Pierre,  de  son  autorité  et  de  l'avis  des  autres 
apôtres,  établit  saint  Jacques  évêque  de  cette  ville,  où  sa  vertu  l'avait  rendu 
l'objet  du  respect  universel,  comme  nous  l'apprennent  Hégésippe,  Eusèbe 
et  saint  Jérôme.  La  lettre  attribuée  au  pape  saint  Anaclet  dit  que  la  céré- 
monie de  l'ordination  se  fit  par  saint  Pierre,  assisté  de  saint  Jacques  le  Ma- 
jeur et  de  saint  Jean,  son  frère  ;  c'est  pourquoi,  dans  la  suite,  l'Eglise  a 
ordonné  qu'un  évêque  ne  serait  sacré  que  par  trois  évêques.  Les  Papes,  néan- 
moins, peuvent  dispenser  de  cette  loi,  et  ils  l'ont  souvent  fait  lorsqu'ils  ont 
envoyé  des  évêques  porter  la  foi  dans  des  pays  éloignés.  Il  semble  même 
assez  manifeste  que,  lorsque  les  Apôtres  ont  ordonné  des  évêques,  dans  le 
cours  de  leurs  prédications,  ils  n'étaient  pas  toujours  assistés  de  deux  au- 
tres évêques. 

Saint  Epiphane  rapporte  que  saint  Jacques  portait  sur  sa  tête  une  lame 
ou  plaque  d'or.  C'était  apparemment  une  marque  distinctive  de  la  dignité 
épiscopale.  Polycrate,  cité  par  Eusèbe,  rapporte  la  même  chose  de  saint 
Jean,  et  quelques  auteurs  le  disent  aussi  de  saint  Marc.  Il  est  probable  que 
cela  se  fit  à  l'imitation  du  grand  prêtre  des  Juifs. 

C'est  la  seule  marque  extérieure  que  l'histoire  ecclésiastique  nous  ap- 
prenne avoir  été  portée  par  les  évêques  dans  les  premiers  siècles  ;  encore  ne 
paraît-elle  pas  avoir  été  fort  usitée.  La  raison  en  est  que  les  ministres  de 
l'Evangile,  étant  recherchés  par  les  païens  avec  une  sorte  de  fureur,  se 
donnaient  de  garde  de  se  distinguer  au  dehors  du  reste  des  chrétiens. 

Cette  ordination  de  saint  Jacques  lui  donna  un  nouveau  crédit,  non- 
seulement  parmi  les  fidèles,  mais  aussi  dans  la  compagnie  des  autres  Apô- 
tres. Aussi,  saint  Pierre  ayant  été  délivré  par  un  ange  des  prisons  d'Hérode, 
envoya  aussitôt  lui  en  donner  avis.  Aussi,  dans  le  concile  que  tinrent  les 
Apôtres,  touchant  l'observation  des  cérémonies  légales,  à  laquelle  les  Juifs, 
nouvellement  baptisés,  voulaient  qu'on  obligeât  les  Gentils  qui  se  conver- 
tissaient, il  opina  le  second,  et  immédiatement  après  saint  Pierre  ;  et  son 
avis  eut  tant  de  poids,  qu'aussitôt,  sans  délibérer  davantage,  on  résolut  de 
faire  un  décret  conformément  à  ce  qu'il  avait  dit.  Saint  Paul  parle  de  lui 
avec  beaucoup  d'honneur  dans  l'Epître  aux  Galates,  surtout  dans  le  chapi- 
tre second,  où,  le  joignant  à  saint  Pierre  et  à  saint  Jean,  il  les  appelle  tous 
trois  les  colonnes  de  l'Eglise. 

Ce  saint  Apôtre,  vivant  ainsi  dans  Jérusalem  et  y  exerçant  l'office  d'évê- 
que  et  de  pasteur  du  peuple  de  Dieu,  y  obtenait  des  résultats  merveilleux 
et  attirait  tous  les  jours,  par  les  exemples  de  sa  sainte  vie  et  par  l'éclat  de 
ses  prédications,  plusieurs  juifs  à  la  connaissance  de  Jésus-Christ.  Ananus, 


SAINT  JACQUES  LE  MINEUR,   APÔTRE.  161 

qui  était  alors  grand  prêtre,  homme  fier,  turbulent  et  cruel,  et  de  la  secte 
des  Sadducéens,  ne  put  souffrir  plus  longtemps  ces  conquêtes  que  Jacques 
faisait  sans  cesse  à  Jésus-Christ.  Il  profita  de  l'intervalle  qui  s'écoula  entre 
la  mort  du  procurateur  romain  Festus  et  l'arrivée  de  son  successeur  Albin 
pour  satisfaire  sa  haine  contre  Jacques  et  quelques  autres  chrétiens  de  con- 
sidération. Il  viola  audacieusement  les  droits  de  la  suprématie  romaine  et 
le  fit  comparaître  devant  le  sanhédrin.  Après  lui  avoir  donné  beaucoup  de 
louanges,  lui  avoir  rappelé  de  la  manière  la  plus  flatteuse  l'estime  que  tout 
le  peuple  avait  pour  lui,  il  lui  exposa  :  «  que  tout  le  monde  embrassant  la 
secte  des  chrétiens,  le  temple  et  le  culte  de  Dieu  allaient  être  entièrement 
abandonnés.  Un  israélite  aussi  zélé  que  Jacques,  pour  la  gloire  de  Dieu,  de- 
vait empêcher  un  si  grand  mal  ;  persuadé  de  sa  justice  et  de  sa  sainteté,  il 
ne  doutait  nullement  qu'il  ne  le  fît  avec  beaucoup  de  courage.  Il  le  priait 
donc,  lorsqu'une  foule  de  juifs  se  seraient  assemblés  dans  Jérusalem,  pour 
la  fête  de  Pâques,  de  monter  dans  le  lieu  le  plus  éminent  du  Temple,  et  là, 
de  déclarer  sincèrement,  devant  tous  les  assistants,  ce  qu'il  pensait  de  Jésus 
qui  avait  été  crucifié.  C'était  lui  mettre  l'honneur  de  la  synagogue  entre  les 
mains  et  abandonner  les  intérêts  de  la  loi  de  Moïse  ;  mais  il  ne  doutait 
point  qu'il  n'agît  en  cette  affaire  en  homme  de  conscience  ».  Saint  Jacques 
voyant  là  une  belle  occasion  de  prêcher  Jésus-Christ,  accepta  volontiers 
cette  offre,  et,  un  jour  qu'un  grand  nombre  d'habitants  et  d'étrangers  s'é- 
taient assemblés,  il  monta  sur  le  pinacle  du  temple,  qui  était  comme  un 
perron  qui  regardait  sur  le  parvis  ou  sur  la  grande  nef.  Alors  les  prêtres  lui 
crièrent:  «Juste,  dont  nous  honorons  tous  les  sentiments,  dites-nous  ce 
que  vous  pensez  de  Jésus  qui  a  été  crucifié  ».  Ils  croyaient  qu'il  n'aurait  pas 
la  hardiesse  de  le  déclarer  le  Christ  et  le  Messie  ;  mais  cet  Apôtre,  plein  de 
courage,  s'écria:  «Pourquoi  me  demandez-vous  mon  avis  touchant  Jésus,  Fils 
de  l'Homme  ?  nel'ai-jepas  déjà  déclaré  une  infinité  de  fois  devant  tous  ceux 
qui  ont  voulu  avoir  part  à  la  lumière  de  l'Evangile  ?  Sachez  qu'il  est  assis  à 
la  droite  de  Dieu,  son  Père,  et  qu'un  jour  il  viendra  de  là  juger  les  vivants 
et  les  morts  ».  Cette  confession  remplit  les  fidèles  de  joie  ;  une  espèce  d'ap- 
plaudissement s'éleva  parmi  eux  ;  mais  les  prêtres  et  leurs  partisans,  se 
voyant  trompés,  furent  remplis  de  fureur  ;  ils  s'écrièrent  dans  l'assemblée 
que  le  Juste  avait  lui-même  erré  et  qu'il  ne  fallait  pas  le  croire  ;  puis,  mon- 
tant précipitamment  au  lieu  où  il  était,  ils  le  jetèrent  en  bas  pour  lui  briser 
la  tête.  Il  ne  mourut  pas  néanmoins  de  cette  chute  ;  mais,  se  mettant  à 
genoux,  il  commença  à  prier  Dieu  pour  ses  persécuteurs,  en  disant  :  «  Sei- 
gneur, pardonnez-leur  cette  faute,  parce  qu'ils  ne  savent  ce  qu'ils  font  ». 
Un  prêtre,  des  descendants  de  Récham,  fils  de  Réchabim,  entendant  cette 
prière,  en  fut  si  touché,  qu'il  dit  à  ces  barbares  :   «  Que  faites-vous  ?  N'en- 
tendez-vous pas  le  Juste  qui  prie  pour  vous?  »  Mais  cela  ne  les  empêcha 
pas  de  lui  jeter  des  pierres  pour  le  lapider  ;  un  teinturier  lui  déchargea  sur 
la  tête  un  coup  du  levier  dont  il  se  servait  pour  fouler  les  étoffes.  Ainsi 
mourut  saint  Jacques,  le  jour  de  Pâques,  qui  était  le  10  avril  de  l'an  61  de 
Jésus-Christ. 

Les  Juifs  attribuèrent  à  sa  mort  injuste  la  destruction  de  Jérusalem. 
Ananus  fit  périr  plusieurs  autres  chrétiens.  Le  gouverneur  romain  le  désap- 
prouva hautement.  Le  roi  Agrippa  fit  plus,  il  le  dépouilla  de  la  souveraine 
sacrificature. 


Vies  des  Saints.  —  Tome  V.  1 1 


162  1er  MAI. 

RELIQUES,  ÉCRITS,  LITURGIE  DE  SAINT  JACQUES  LE  MINEUR; 

—  LES  TROIS   SAINTS  JACQUES. 

Son  saint  corps  fut  enseveli  auprès  du  temple,  au  lieu  même  de  son  martyre  ;  depuis,  ses 
ossements  ont  été  apportés,  pour  la  plus  grande  partie,  à  Rome,  avec  ceux  de  saint  Philippe,  et, 
de  là,  les  principaux  ont  été  transférés  à  Toulouse,  par  le  zèle  de  l'empereur  saint  Charlemagne, 
et  déposés  en  l'église  Saint-Sernin.  Il  y  a  d'autres  églises  qui  prétendent  en  posséder  des  parties 
considérables  :  comme  celle  de  Saint-Zoile,  à  Compostelle,  un  morceau  du  chef;  celle  des  Jésuites, 
à  Anvers,  un  autre  morceau  ;  celle  de  Saint-Etienne,  à  Forli,  une  mâchoire  ;  la  cathédrale  de 
Langres,  un  bras,  que  l'on  dit  y  être  depuis  sept  cents  ans  ;  Saint-Corneille,  de  Compiègne,  une 
grande  partie  de  son  crâne,  où  s'est  conservée  la  trace  du  coup  de  levier  qui  fut  déchargé  sur  la 
tète  du  Saint  ;  l'église  de  Saint-Jacques-du-Haut-Pas,  à  Paris,  dédiée  sous  les  noms  de  Saint-Jac- 
ques et  de  Saint-Philippe,  quelques  ossements,  qui  disparurent  pendant  la  Révolution  française. 
La  chaire  épiscopale  de  saint  Jacques  se  voyait  encore  à  Jérusalem  an  ive  siècle. 

Mais  la  plus  avantageuse  relique,  qui  nous  reste  de  lui,  est,  sans  doute,  l'excellente  épitre  qu'il 
a  écrite,  et  qui  est  la  première  des  sept  canoniques  ;  il  y  donne  des  leçons  admirables  à  tous  les 
fidèles  ;  il  leur  apprend  surtout  à  recevoir  les  afflictions  avec  joie,  et  à  considérer  la  croix  comme 
le  plus  puissant  instrument  de  leur  salut;  à  prier  avec  foi  et  avec  persévérance  ;  à  mépriser  les 
richesses  et  la  gloire  du  monde,  comme  des  choses  qui  passent  en  un  moment  ;  à  se  défier  de  leur 
convoitise,  qui  est  la  source  de  toutes  leurs  tentations;  à  ne  se  pas  contenter  d'entendre  la  parole 
de  Dieu,  mais  à  la  mettre  fidèlement  en  pratique  en  joignant  les  œuvres  avec  la  foi  ;  à  réprimer 
leur  langue,  dont  la  trop  grande  liberté  produit  une  infinité  de  maux,  et  à  ne  point  faire  acception, 
des  personnes,  mais  à  estimer  les  pauvres  autant  que  les  riches.  Il  y  prescrit  aussi  la  forme  d'ad- 
xinistrer  le  sacrement  de  l'Extrême-Onction,  ce  que,  sans  son  épitre,  nous  n'aurions  su  que  par 
la  tradition  non  écrite.  Dans  la  rédaction  du  symbole,  on  lui  attiibue  l'article  :  «  Je  crois  au  Saint- 
Esprit  ».  Son  attribut  constant  est  le  battoir  de  foulon  avec  lequel  il  fut  assommé,  qu'il  tient  à 
la  main. 

On  croit  généralement  que  saint  Jacques  adressa  son  épitre  aux  Judéo-Chrétiens  du  nord  de 
l'Afrique,  qui  faisaient  consister  tout  leur  christianisme  dans  une  foi  théorique  au  Messie  sans 
pratiquer  les  préceptes  et  les  conseils  de  Jésus-Christ  :  saint  Jacques  leur  fait  voir  que  la  foi  sans 
les  œuvres  est  une  foi  morte,  qui  ne  suffira  pas  pour  les  justifier.  Il  n'y  a  donc  pas  opposition 
véritable  entre  lui  et  saint  Paul  qui  fait  dépendre  la  justification  de  la  foi  et  non  des  œuvres  de 
la  loi  mosaïque.  Tous  deux  combattent  chez  les  Judéo-Chrétiens  le  pharisaïsme  qui  faisait  con- 
sister la  perfection  dans  des  pratiques  extérieures,  dans  les  œuvres  légales  :  tous  deux  enseignent 
la  foi  et  les  œuvres  chrétiennes,  animées  par  cette  foi. 

Il  y  a  aussi  une  liturgie  orientale  qui  porte  le  nom  de  saint  Jacques,  et  dont  parle  saint  Proclus, 
patriarche  de  Constautinople,  ainsi  que  le  concile  in  Trullo.  Quel  qu'en  soit  l'auteur,  elle  est,  au 
moins,  d'une  très-haute  antiquité.  (Voir  le  Père  Le  Brun.)  Peut-être  saint  Jacques  aura-t-il  donné 
seulement  la  direction  générale  de  cette  liturgie  ;  on  aura  ensuite  travaillé  sur  le  même  plan,  et 
on  y  aura  fait  des  additions.  Clément  d'Alexandrie,  ap.  Euseb.,  1.  il,  c.  1,  et  saint  Jérôme,  /. 
contra  J»vin.,  louent  la  grande  habileté  du  même  Apôtre  dans  les  matières  qui  ont  la  religion 
pour  objet. 

Durant  les  premiers  temps,  on  n'écrivait  que  quelques  parties  de  la  liturgie.  Jusqu'au  IVe  siècle, 
on  ne  sut  que  par  tradition  les  paroles  de  l'invocation  sacrée  ou  de  la  consécration  du  pain  et 
du  vin,  et  l'on  en  agissait  de  la  sorte  par  un  motif  de  respect.  Voir  saint  Basile,  /.  de  Spir. 
Sancto,  c.  27.  Saint  Justin  dit  «  qu'on  priait  dans  la  liturgie  pour  les  empereurs,  pour  les  diffé- 
rents Etats,  etc.  »  Saint  Cyrille  a  donné  une  explication  assez  étendue  de  celle  que  l'on  suivait  en 
son  église. 

Les  monuments  les  plus  authentiques  prouvent  que,  dès  la  naissance  du  christianisme,  il  y  avait 
nne  liturgie,  et  que  les  premières  formules  de  prières  dont  elle  était  composée  furent  établies  par 
les  Apôtres.  C'est  ainsi  que  saint  Jacques  fnt  le  premier  auteur  de  celle  de  Jérusalem.  On  y  ajouta, 
depuis,  quelques  nouvelles  prières,  mais  on  ne  toucha  point  au  point  essentiel  ;  de  là  vient  que 
les  liturgies  des  églises  fondées  par  les  Apôtres  ont  toujours  porté  leurs  noms.  Encore,  de  nos 
jours,  les  chrétiens  de  Syrie  suivent,  comme  venant  de  saint  Jacques,  la  liturgie  qui  porte  son  nom. 

Les  continuateurs  de  Bollandus  ont  renouvelé  l'opinion  rejetée  depuis  si  longtemps  des  trois 
saints  Jacques,  et  distingué  saint  Jacques,  fils  d'Alphée,  l'un  des  douze  Apôtres,  de  saint  Jacques, 
frère  du  Seigneur,  dont  nous  venons  de  parler,  qu'ils  tiennent  n'avoir  pas  été  de  ce  nombre  ;  ils 
disent  que  saint  Jacques,  fils  d'Alphée,  était  de  Galilée,  de  la  tribu  de  Zabulon  ou  de  Nephtali,  et 
frère  de  saint  Matthieu  ;  dans  la  division  des  royaumes,  il  alla  prêcher  la  foi  à  Gaza  et  à  Tyr,  et 
fut  ainsi  martyrisé  à  Ostrasine.  Mais  quelques  efforts  qu'ils  fassent  pour  établir  cette  opinion,  que 
plusieurs  savants  auteurs  ont  réfutée,  lorsqu'elle  a  été  proposée  par  Erasme,  je  ne  crois  pas  qu'elle 
soit  vue  de  bon  œil  par  ceux  qui  ont  quelque  déférence  pour  les  sentiments  de  l'Eglise  romaine, 


SALNT  JACQUES   LE   MINEUR,    APÔTRE.  163 

laquelle  ne  reconnaît  que  deux  saints  Jacques  dans  le  nombre  des  Disciples,  et  tient,  dans  son 
office  ecclésiastique  et  dans  son  martyrologe,  que  celui  qui  est  appelé  frère  du  Seigneur,  qui  a 
écrit  une  épître  canonique,  et  qui  fut  ordonné  évèque  de  Jérusalem,  est  un  des  apôtres  que  Notre- 
Seigneur  choisit,  étant  encore  sur  la  terre,  pour  composer  sou  collège,  et  le  môme  que  saint 
Jacques,  fils  d'Alphée.  Ces  nouveaux  auteurs  citent  pour  eux  un  très-petit  nombre  d'écrivains;  il 
y  en  a  un  grand  nombre,  sui  tout  parmi  1  s  Latins,  qui  leur  sont  contraires  :  les  autorités  et  les  raisons 
dont  ils  s'appuient  ont  plus  d'apparence  que  de  solidité,  et  quelques-unes  même  favorisent  [lus 
l'opinion  commune  que  la  leur.  Saint  Jérôme,  bien  loin  d'entrer  dans  leur  sentiment,  leur  est 
directement  contraire,  non-seulement  dans  son  Traité  contre  Helvidius,  qu'il  a  fait  étant  jeune 
nais  aussi  dans  son  Commentaire  sur  le  cJiapitre  17  d'haie.  Car  il  ne  reconnaît  en  ce  lieu  que 
quatorze  Apôtres,  à  savoir  :  les  onze  que  Notre-Seigneur  avait  choisis,  saint  Mathias,  qui  remplit 
le  lieu  de  Judas,  et  saint  Paul  et  saint  Barnabe,  qui  leur  furent  ajoutés  par  l'ordre  exprès  da 
Saint-Esprit.  Or,  cela  ne  serait  pas  véritable  si  saint  Jacques  le  Mineur,  que  saint  Paul  appelle  si 
solennellement  Apôtre,  n'avait  pas  été  du  nombre  des  douze,  puisqu'alors  il  y  en  aurait  eu  quinze. 
C'est  donc  le  sentiment  de  saint  Jérôme,  que  saint  Jacques  le  Mineur,  frère  du  Seigneur,  est  le 
même  que  l'apôtre  saint  Jacques.  Les  auteurs  dont  nous  parlons,  qui  citent  pour  eux  le  même 
saint  Docteur  sur  ce  chapitre,  n'ont  pas  considéré  qu'il  l'a  interprété  deux  fois  de  suite  ;  dans  le 
premier  commentaire,  il  met,  il  est  vrai,  saint  Jacques,  frère  du  Seigneur,  hors  du  nombre  des 
douze  Apôtres,  selon  l'opinion  de  quelques  interprètes  qu'il  ne  suit  pas  ;  mais,  dans  le  second,  où 
il  parle  selon  son  sentiment,  il  dit  ce  que  nous  venons  de  rapporter.  Au  livre  des  Ecrivains 
ecclésiastiques,  il  suppose  encore,  comme  véritable,  que  saint  Jacques  a  bu,  dans  la  dernière  cène, 
le  calice  du  Seigneur  :  or,  il  n'y  a  que  les  douze  Apôtres  qui  aient  participé  à  ce  grand  bonheur. 
Il  a  donc  reconnu  que  saint  Jacques  était  de  ce  nombre,  et  n'en  a  pas  reconnu  trois. 

Ajoutons  quelques  considérations  à  ce  qui  précède  : 

1°  Il  est  vrai  que  saint  Jacques  le  Mineur  et  frère  du  Seigneur,  était  fils  de  Marie,  femme  de 
Cléophas  ;  mais  cela  n'empêche  pas  qu'il  ne  fût  fils  d'Alphée,  soit  qu'Alphée  et  Cléophas  lussent 
une  même  personne,  soit  qu'Alphée  étant  mort,  Marie  ait  épousé  Cléophas.  Telle  était  la  manière 
dont  le  Père  Giry  résolvait  la  difficulté  généalogique.  Aujourd'hui,  grâce  aux  progrès  de  la  philo- 
logie, il  n'y  a  plus  de  difficulté  de  ce  chef;  car  les  deux  noms  Cléophas  et  Alphée,  ne  sont  qu'au 
seul  et  même  nom,  sont  de  la  même  forme  ;  la  prononciation  seule  est  différente  C>2brî).  La  mère 
de  saint  Jacques  le  Mineur  se  nommait  bien  Marie  (Matth.,  xxvn,  56  ;  Marc,  xv,  40  ;  saint  Jean, 
six,  23).  Ce  dernier  nous  montre  en  elle  la  femme  de  Cléophas  et  la  sœur,  ou  la  cousine  de  la  Mère  de 
Jésus-Christ;  Jacques  était,  par  conséquent,  le  cousin —  Consobrinus —  de  Jésus  :  c'est  pourquoi  il 
est,  en  cette  qualité,  appelé  le  frère  du  Seigneur  àicïyis  roû  kupi^u  (Galat.,  i,  19).  Quelque  éton- 
nant que  cela  puisse  paraître  à  un  Occidental  moderne,  il  est  constant  qu'en  hébreu  l'oncle  nomme 
le  neveu  et  le  neveu  nomme  l'oncle  Ï1N,  àoù^àt,  frère,  et  qu'ainsi  ce  mot  désigne  ea  général  un 
cousin-germain.  Le  latin  germanus  lui-même  ne  désigne-t-il  pas  également  le  cousin  et  le  frère, 
mais  plutôt  le  cousi?i  que  le  frère  ?  Ainsi  donc  Jacques  le  Mineur,  l'Apôtre,  et  Jacques,  le  frère  du 
Seigneur,  ne  sont  qu'une  même  personne,  et  les  efforts  des  savants  protestants  ou  autres  pour 
démontrer  que  les  deux  désignations  supposent  deux  personnes  échouent  devant  ce  fait  que  le 
Nouveau  Testament  ne  connaît  pas  trois  Jacques,  qu'il  n'en  cite  que  deux,  qu'il  les  distingue  l'un 
de  l'autre  tant  qu'ils  vivent  tous  deux,  tandis  que,  après  la  mort  de  Jacques  le  Majeur,  il  n'est  plus 
question  que  de  Jacques,  fils  d'Alphée  (Marc,  xv,  40  ;  Act.,  i,  13  ;  xiï,  2  ;  xn,  17  ;  xv,  13  ;  xxî» 
18;  Gai.,  n,  12;  I  Cor.,  xv,  7). 

2°  11  est  encore  vrai  que  saint  Jacques  le  Mineur  fut  ordonné  évêque  ;  mais  il  ne  faut  p» 
conclure  de  là  qu'il  ne  soit  pas  Apôtre  ;  car,  bien  que  les  Apôtres  eussent  reçu,  le  jour  de  la  cène, 
le  caractère  sacerdotal,  ou  même  la  puissance  épiscopale,  on  pouvait  néanmoins  exercer  encore 
sur  eux  les  cérémonies  de  l'Ordination;  ce  que  fit  saint  Pierre,  à  l'égard  de  saint  Jacques,  pour  le 
préposer  au  gouvernement  de  l'église  de  Jérusalem. 

Telle  est  encore  la  réponse  du  Père  Giry  :  on  peut  y  ajouter  que  rien  ne  prouve  une  consé- 
cration directe  de  saint  Jacques  par  les  Apôtres.  La  seule  chose  certaine,  c'est  que,  jusqu'à  la 
dispersion,  ils  gouvernèrent  en  commun  l'église  de  Jérusalem,  et  qu'à  leur  départ,  alors  qu'ils  se 
partagèrent  le  monde,  cette  même  église  de  Jérusalem  échut  en  partage  à  Jacques,  fils  d'Alphée. 

Pour  nous  résumer  :  il  n'y  a  eu  que  deux  saints  Jacques  :  saint  Jacques  le  Majeur,  fils  de 
Zébédée,  et  saint  Jacques  le  Mineur,  fils  d'Alphée,  tous  deux  apôtres  du  Seigneur.  Si  on  nous 
demande  pourquoi  le  Saint  dont  nous  venons  de  donner  la  vie  fut  appelé  Mineur,  nous  répondrons 
que  ce  nom  paraît  lui  avoir  été  donné  ou  parce  qu'il  fut  appelé  à  l'apostolat  après  saint  Jacques 
le  Majeur,  ou  parce  qu'il  était  de  petite  taille. 

Cf.  Acta  Sanctorum;  Maistre,  les  Soixante-douze  disciples;  Goschler,  Dictionnaire  de  théologie.  — 
Voir  au  Saj  plément&e  ce  volume  quelques  détails  sur  l'Invention  des  corps  des  apôtres  saint  Philip]  a  et 
caint  Jacques,  en  1873. 


164  1er  MAI. 


SAINT  PHILIPPE,  APOTRE 


ier  siècle. 


Cet  Apôtre,  après  avoir  reçu  le  Saint-Esprit,  se  ren- 
dit dans  la  Scythie  qui  lui  était  échue  en  partage,, 
et  convertit  presque  toute  cette  nation  à  la  fol 
Chrétienne.  Bréu.  romain,  1er  mai. 

Bethsaïde,  village  situé  le  long  de  la  mer  Tibériade,  en  Galilée,  a  eu 
l'honneur  de  donner  trois  Apôtres  à  Jésus-Christ  :  saint  Pierre,  saint  André 
et  notre  saint  Philippe.  Il  s'appliqua,  dès  sa  jeunesse,  à  l'étude  des  saintes 
lettres,  et  particulièrement  des  livres  de  Moïse,  où  il  découvrit,  comme  sous 
des  ombres,  les  belles  vérités  qu'il  a  reconnues  depuis  en  la  personne  de 
son  maître,  le  Sauveur  du  monde.  Cela  le  disposa  beaucoup  à  ouvrir  les 
yeux  à  la  lumière  de  l'Evangile,  lorsque  Notre-Seigneur  l'appela  à  sa  suite. 
Clément  d'Alexandrie  rapporte,  comme  un  fait  avéré,  que  saint  Philippe 
était  celui  qui,  ayant  été  appelé  à  la  suite  de  Jésus-Christ,  demanda  la  per- 
mission de  retourner  auparavant  dans  sa  maison  pour  ensevelir  son  père,  et 
auquel  le  Sauveur  répondit  :  «  Suivez-moi,  et  laissez  aux  morts  le  soin  d'en- 
sevelir leurs  morts  ».  Jésus-Christ,  par  cette  réponse,  ne  prétendait  pas  con- 
damner ceux  qui  rendent  aux  morts  les  derniers  devoirs;  il  voulait  seule- 
ment faire  entendre  à  son  nouveau  disciple,  qu'étant  appelé  aux  fonctions 
sublimes  d'un  ministère  tout  spirituel,  elles  devaient  avoir  la  préférence  sur 
les  œuvres  corporelles  de  miséricorde.  Il  commença  aussitôt  à  exercer  les 
fonctions  apostoliques  :  car,  ayant  rencontré  Nathanaël,  il  lui  annonça  qu'il 
avait  eu  le  bonheur  de  trouver  le  Messie,  et  l'amena  vers  lui. 

«  Nous  avons  trouvé  »,  lui  dit-il,  «  celui  dont  il  est  parlé  dans  la  loi  de 
Moïse  et  dans  les  écrits  des  Prophètes,  Jésus  de  Nazareth,  fils  de  Joseph  ». 
Ces  paroles  ne  firent  pas  d'abord  beaucoup  d'impression  sur  Nathanaël  :  il 
ne  croyait  pas  que  le  Messie  attendu  pût  sortir  de  Nazareth;  mais  Philippe 
lui  dit  de  le  suivre,  de  venir  voir  par  lui-même  ce  qui  en  était.  Il  était  per- 
suadé qu'il  n'aurait  pas  plus  tôt  vu  Jésus,  qu'il  le  reconnaîtrait  sur-le-champ 
pour  le  Fils  de  Dieu.  Nathanaël  fit  ce  que  son  ami  exigeait  de  lui.  Jésus  le 
voyant  approcher,  dit  :  a  Voilà  un  vrai  Israélite,  dans  lequel  il  n'y  a  ni  dé- 
guisement ni  artifice  ».  Nathanaël,  surpris  de  ce  que  Jésus  l'appelait  par 
son  nom,  lui  demanda  comment  il  pouvait  le  connaître.  Jésus  lui  répondit  : 
«  Je  vous  ai  vu  avant  que  Philippe  vous  appelât,  lorsque  vous  étiez  sous  le 
figuier  ».  Nathanaël,  ainsi  que  l'expliquent  les  Pères,  se  rappelant  alors  qu'il 
avait  été  dans  un  lieu  si  retiré  qu'aucun  homme  n'avait  pu  le  voir,  confessa 
que  Jésus  était  le  Fils  de  Dieu,  le  Roi  d'Israël,  ou,  ce  qui  revient  au  même, 
le  Messie  prédit  par  Moïse  et  par  les  Prophètes. 

Trois  jours  après  cet  événement,  Philippe  se  trouva  aux  noces  de  Cana, 
où  Jésus  avait  été  invité  avec  ses  disciples.  L'année  suivante,  il  fut  mis  au 
nombre  des  Apôtres  par  le  Sauveur,  lorsqu'il  forma  le  sacré  collège. 

Nous  lisons  encore  dans  l'Evangile  que,  quand  Notre-Seigneur  voulut 
faire  le  grand  miracle  de  la  multiplication  de  cinq  pains  et  de  deux  pois- 
sons, il  s'adressa  à  saint  Philippe,  et  lui  demanda  où  l'on  pourrait  acheter 
des  vivres  pour  toute  cette  multitude.  C'était  afin  de  lui  faire  mieux  con- 


SAINT  PHILIPPE,  APÔTRE.  165 

naître  l'excellence  du  prodige  qu'il  allait  opérer,  et  de  donner  une  nouvelle 
vigueur  à  sa  foi.  Quelques  Gentils,  venus  de  Jérusalem,  pour  y  adorer  Dieu 
à  la  fête  de  Pâques,  entendant  parler  des  merveilles  que  faisait  Jésus-Christ, 
et  désirant  le  voir,  s'adressèrent  aussi  à  saint  Philippe,  comme  à  celui  qu'ils 
jugeaient  le  plus  propre  pour  leur  procurer  cette  grâce.  Enfin,  lorsque  le 
Sauveur,  le  soir  de  sa  passion,  eut  entretenu  ses  Apôtres  de  sa  génération 
éternelle,  de  sa  venue  au  monde  et  de  son  retour  à  son  Père,  saint  Phi- 
lippe lui  fit  cette  demande  :  «  Seigneur,  montrez-nous  votre  Père,  et  ce 
nous  sera  assez  ».  A  quoi  ce  divin  Maître  répondit  :  «  Il  y  a  si  longtemps  que 
je  suis  avec  vous,  et  vous  ne  me  connaissez  pas  encore  ?  Philippe,  celui  qui 
me  voit,  voit  aussi  mon  Père  ».  Doctrine  admirable,  et  qui  nous  découvre 
de  grands  secrets  sur  le  mystère  de  la  très-sainte  Trinité. 

Après  l'ascension  du  Fils  de  Dieu  et  la  descente  du  Saint-Esprit,  les 
Apôtres  se  partageant  les  diverses  provinces  du  monde,  l'Asie  supérieure 
fut  le  lot  de  saint  Philippe.  Il  alla  porter  la  doctrine  de  l'Evangile,  qu'il 
confirma  par  la  force  de  plusieurs  miracles  :  guérissant  les  malades  et  chas- 
sant les  démons  des  corps  des  possédés  par  l'imposition  de  ses  mains.  Il 
passa  ensuite  en  Scythie,  où  il  employa  plusieurs  années  à  convertir  les  ido- 
lâtres. Saint  Isidore  a  dit  qu'il  a  aussi  prêché  aux  Gaulois;  mais  on  prétend 
à  faux,  selon  nous,  qu'il  veut  dire  aux  Galates,  colonie  de  Gaulois,  qui  s'était 
établie  dans  cette  partie  de  la  Phrygie,  appelée  Galatie  l.  Lorsqu'il  eut  passé 
quelques  années  en  Scythie,  il  vint  à  Hiérapolis,  ville  considérable  de  Phrygie, 
afin  d'y  annoncer  les  vérités  du  Christianisme.  Etant  entré  dans  un  temple 
de  cette  ville,  comme  l'écrit  Métaphraste,  il  y  trouva  une  monstrueuse  vipère  * 
que  le  peuple  adorait,  et  à  laquelle  on  offrait  de  l'encens  et  des  sacrifices; 
ayant  compassion  de  ce  peuple,  le  saint  Apôtre  se  jeta  par  terre  et  pria  Dieu 
de  lui  ouvrir  les  yeux  et  de  le  délivrer  de  cette  tyrannie  de  Satan.  Sa  prière 
fut  exaucée,  le  serpent  mourut  aussitôt,  et  le  peuple  se  trouva  tout  disposé 
à  recevoir  la  lumière  de  l'Evangile;  mais  les  prêtres  et  les  magistrats  ne  le 
pouvant  souffrir,  se  saisirent  de  Philippe,  et,  après  l'avoir  tenu  quelques 
jours  en  prison,  le  fouettèrent  cruellement,  le  crucifièrent,  et  enfin  l'assom- 
mèrent à  coups  de  pierres,  pendant  que,  de  son  côté,  il  remerciait  Jésus- 
Christ  de  ce  qu'il  lui  faisait  part  de  sa  croix. 

Néanmoins,  avant  qu'il  expirât,  Dieu,  le  vengeur  des  injures  que  l'on 
fait  à  ses  Saints,  suscita  un  si  épouvantable  tremblement  de  terre,  que  plu- 
sieurs grands  édifices  tombèrent  et  que  les  abîmes,  ouvrant  leur  sein,  en- 
gloutirent les  auteurs  de  cette  impiété.  Les  idolâtres,  étonnés  de  ce  pro- 

1.  Le  fait  de  la  venue  de  saint  Philippe  dans  la  partie  des  Gaules  bordée  par  l'Océan  est  certain, 
d'après  saint  Isidore  de  Se'ville,  dans  son  livre  De  la  naissance,  de  la  vie  et  de  la  mort  des  Saints;  d'après 
l'ancien  Bréviaire  de  Tolède;  d'après  Fréculphe,  1.  u,  c.  4;  d'après  saint  Julien,  évêque  de  Tolède,  au 
vue  siècle,  in  comment,  in  proph.  Nahum;  «  Philippus  Galllam  (J.-C.  pertulit)  »  apud  Boll.  25  julii,  p.  86; 
d'après  saint  Beatus,  prêtre,  au  vme  siècle,  ibid.,  p.  89;  d'après  la  Chronique  de  Lucius  Dester,  ami  de 
saint  Jérôme,  qui  dit,  ad  ann.  34  J.-C.  :  «  Philippo  (contigit)  Scythia  et  Gallia  »;  d'après  Bède,  in  Collec- 
taneis;  et  Florus,  in  Martyrologio ;  d'après  le  livre  qui  traite  de  festis  Apostolorum  et  qui  se  trouve  dans 
l'ancien  martyrologe  A/S.  de  saint  Jérôme  ;  d'après  Guillaume  de  Malmesburg,  dans  son  livre  de  antiqui- 
tate  Glastoniensis  Ecclesix,  inséré  dans  le  recueil  publié  par  Gale  :  Historié  Anglicie  Scriptores  quin- 
decim,  Oxford,  1691,  in-fol.,  t.  Ier,  p.  292.  Jusqu'à  présent,  les  adversaires  de  cette  tradition  n'ont  donné 
que  des  preuves  négatives  qui  ne  prouvent  rien. 

2.  Ce  récit  se  trouve  également  dans  les  Actes  de  saint  Philippe,  édités  en  latin  par  Papebrocb, 
1er  mai,  et  dans  Nicétas,  orat.  in  Philippum,  édita  a  Combefisio,  t.  i,  Auctar.;  dans  les  Menées,  dans 
Jacq.,  archev.  de  Gênes;  Ribadeneira,  etc.  On  sait  qu'avant  la  venue  de  Jésus-Christ,  les  démons  se  fai- 
saient très-souvent  adorer  sous  la  forme  du  serpent  ou  dragon,  ou  sous  l'image  de  quelque  homme  fa- 
meux. Les  temples  des  païens  étaient  appelés  par  Strabon,  1.  xiv,  Draconia,  parce  que  les  démons  y 
étaient  adorés  sous  des  formes  do  dragons  et  de  serpents.  Bollandus  parle  avec  estime  des  Actes  de  saint 
Philippe,  oh  sont  rapportés  ces  faits  (1er  mal,  p.  12;  Till.,  mém.,  n.  3).  Stilting  prouve  que  chez  les 
païens  on  adorait  assez  communément  un  serpent.  Les  Epidauriens,  les  Romains  eux-niêines,  et  plusieurs 
Autres  nations,  ont  adoré  un  dragon. 


166  1"  MAI. 

dige,  reconnurent  la  vérité  et  laissèrent  aux  fidèles  la  liberté  de  détacher  le 
saint  Apôtre.  Mais  lui,  qui  se  sentait  blessé  à  mort,  et  qui  ne  voulait  pas 
perdre  l'honneur  de  mourir  sur  la  croix,  comme  son  maître,  les  empêcha 
de  le  faire;  et,  après  avoir  prié  pour  toute  l'assistance,  il  demanda  à  Dieu 
de  recevoir  son  âme  entre  ses  mains  :  Saint  Philippe  avait  travaillé  vingt 
ans  parmi  les  Gentils. 

Le  corps  de  saint  Philippe  fut  enlevé  par  les  chrétiens,  qui  lui  donnèrent 
la  sépulture  telle  que  le  temps  et  le  lieu  le  purent  permettre  à  leur  dévo- 
tion; et,  depuis,  une  partie  ayant  été  réservée  pour  Constantinople,  le  reste 
fut  apporté  à  Rome  et  déposé  en  l'église  des  Douze-Apôtres,  bâtie  par  les 
papes  Pelage  Ier  et  Jean  III,  son  successeur,  laquelle  s'appelle  vulgairement 
les  Saints-Apôtres,  qui  est  maintenant  un  couvent  de  religieux  de  Saint- 
François.  Une  partie  de  ses  ossements  fut  transférée,  du  temps  de  Gharle- 
magne,  en  la  ville  de  Toulouse;  et  même  en  la  ville  de  Paris  on  voyait,  tous 
les  ans,  le  1er  de  mai,  en  la  grande  église  de  Notre-Dame,  le  chef  de  saint 
Philippe,  qui  lui  fut  donné,  enchâssé  en  or,  par  Jean  III,  duc  de  Berry,  fils 
du  roi  Jean.  La  ville  de  Florence,  en  Italie,  fut  aussi  enrichie  d'un  de  ses 
bras;  et  la  ville  de  Troyes,  en  France,  d'une  partie  de  son  crâne,  qui  y  fut 
apportée  de  Constantinople  par  l'évêque  Garnier,  lorsque  les  Français  se 
fui'  nt  rendus  maîtres  de  cette  grande  ville. 

De  nos  jours,  la  cathédrale  d'Autun  se  glorifie  de  posséder  la  tête  de 
saint  Philippe  qui  avait  appartenu  aux  religieux  de  Cluny.  Cette  prétention 
serait  en  contradiction  avec  ce  que  nous  venons  de  dire  au  sujet  de  Notre- 
Dame  de  Paris  ;  on  peut  concilier  les  deux  assertions  en  disant  que,  dans  l'un 
et  l'autre  cas,  il  s'agit  d'une  partie  seulement  du  chef  de  l'Apôtre. 

A  l'est  de  Jérusalem,  sur  le  flanc  de  la  colline  des  Oliviers,  non  loin  du 
lieu  où  Jésus,  montant  au  ciel,  laissa  la  dernière  empreinte  de  ses  pas  sur  le 
sol  terrestre,  on  montre  encore  aujourd'hui  (1871),  une  grotte  taillée  dans 
le  rocher,  où  douze  pécheurs  se  réunirent  pour  formuler,  en  un  symbole 
immortel,  la  foi  qui  devait  conquérir  le  monde. 

Saint  Philippe  prononça  l'article  :  Est  descendu  aux  enfers.  —  On  le  re- 
présente crucifié  la  tête  en  bas,  attaché  parles  talons  à  une  branche  d'arbre, 
et  les  deux  bras  cloués  à  un  mur.  Il  va  de  soi  qu'on  l'a  souvent  associé  à 
saint  Jacques,  leur  fête  se  célébrant  le  même  jour.  —  Saint  Philippe  est 
patron  de  la  cathédrale  d'Alger. 

Notre  saint  Apôtre  s'était  engagé  dans  l'état  du  mariage  :  il  était  père  de 
plusieurs  filles.  Quelques-unes  d'entre  elles,  dit  Clément  d'Alexandrie  i,  em- 
brassèrent l'état  du  mariage.  Deux  vécurent  dans  le  célibat,  moururent  fort 
âgées,  et  furent  enterrées  à  Hiérapolis,  comme  nous  l'apprenons  de  Poly- 
crate  cité  par  Eusèbe  2.  On  lit  dans  Sozomène  3,  qu'une  de  ces  saintes 
vierges  ressuscita  un  mort.  Papias,  qu'Eusèbe  cite  dans  son  histoire  *,  parle 
aussi  de  cette  résurrection;  mais  il  ne  dit  point  qu'elle  ait  été  opérée  par 
aucune  des  saintes  vierges;  il  dit  seulement  qu'il  avait  appris  le  miracle  de 
leur  propre  bouche.  Polycrate  fait  mention  d'une  autre  fille  de  saint  Phi- 
lippe, que  la  sainteté  éminente  de  sa  vie  rendit  fort  célèbre  à  Ephèse,  où 
elle  fut  enterrée.  Il  appelle  ces  trois  sœurs  les  lumières  de  l'Asie. 

On  croit  que  la  dernière  est  sainte  Hermione  ou  Hermine  que  les  Grecs 
honorent  le  4  de  septembre.  Ils  disent  qu'elle  était  fille  de  saint  Philippe, 
apôtre;  que,  après  avoir  beaucoup  souffert,  sous  Trajan,  lorsqu'il  vint  à 
Ephèse,  elle  consomma  son  martyre  sous  Adrien.  Son  tombeau  est  marqué 

1.  Strom.,  liv.  m,  p.  428.  —  2.  Bist.,  liv.  vi,  c.  32.  —  3.  LIv.  vu,  C.  27.  —  4.  Liv.  in,  C.  39. 


SAINT  ANDÉOL.  1G7 

entre  les  plus  saints  monuments  de  la  ville  d'Ephèse,  où  on  le  voyait  sur 
une  montagne. 

Les  Grecs  disent  dans  l'histoire  de  saint  Hermione,  qu'Eutychia,  l'une 
de  ses  sœurs,  vint  avec  elle  à  Ephèse,  et  qu'elles  gagnèrent  à  Jésus-Christ 
un  grand  nombre  de  personnes. 

Ils  donnent  aussi  à  saint  Philippe,  apôtre,  une  sœur  vierge,  nommée 
Marianne  ou  Marie,  qui,  après  avoir  participé  à  ses  travaux  apostoliques  jus- 
qu'à sa  mort,  se  retira  en  Lycaonie,  où  elle  mourut  en  paix.  Ils  mettent  sa 
îête  au  17  de  février. 

Acta  Sanctorum,  U.  l'abbé  Maist.e,  etc.  —  Voir,  au  Supplément  de  ce  volume,  une  Notice  sur  Ylnven- 
tion  des  corps  des  Apôtres  saint  Philippe  et  saint  Jacques,  en  1873. 


SAINT  ANDEOL 

208.  —  Pape  :  Saint  ZépMrin.  —  Empereur  romain  :  Septime  Sévère. 

A  tous  ceux  qui  aiment  à  étudier  à  contempler  dans 
les  saints  «  les  plus  belles  âmes  de  la  terre,  les 
meilleures,  les  plus   nobles,  les  plus  pures,  les 
plus  fortes  que  l'humanité  ait  produites, . .  » 
Mgr  Dupanlovjp, 

La  jeunesse  d'Andéol  nous  est  presque  inconnue.  De  bonne  heure,  il 
fréquenta  la  célèbre  école  de  Smyrne,  véritable  pépinière  d'Apôtres  et 
de  Martyrs,  qui  avait  eu  pour  fondateur  saint  Jean  FEvangéliste  et  qui  avait 
pour  continuateur  l'admirable  Polycarpe. 

Gomme  à  Antioche,  l'Esprit-Saint  avait  dit  :  «  Séparez-moi  Saul  et  Barnabe 
pour  l'œuvre  à  laquelle  je  les  ai  appelés  *  »,  il  fut  révélé  à  saint  Polycarpe 
que  Bénigne,  Andoche,  Thyrse  et  Andéol  iraient  travailler  au  salut  des  peu- 
ples des  Gaules.  Les  deux  premiers  étaient  prêtres,  Thyrse,  diacre,  et  le 
bienheureux  Andéol,  sous-diacre  2. 

Cependant,  on  touchait  au  moment  suprême  ;  le  vaisseau  allait  mettre  à 
la  voile.  «  Frères,  faites-nous  vos  adieux  »,  dit  Polycarpe  ;  et  des  larmes 
coulaient  de  ses  yeux  3.  Ce  noble  et  saint  vieillard,  âgé  de  plus  de  quatre- 
vingts  ans,  ne  pouvait  quitter  sans  une  profonde  émotion  des  fils  qu'il  ai- 
mait tendrement 4. 

1.  Actes  des  Apôtres,  xm,  2. 

2.  Tous  les  Actes,  tous  les  martyrologes,  toutes  les  liturgies  sont  d'accord  sur  ce  point. 

3.  Actes  et  ancien  office  du  Saint. 

4.  Le  souvenir  de  la  mission  de  saint  Andéol  et  des  rapports  de  filiation  qu'elle  avait  établis  entre  l'é- 
glise d'j  Viviers  et  l'église  de  Smyrne,  s'est  perpétué  de  siècle  en  siècle  au  sein  de  cette  illustre  métro- 
pole de  l'Asie-Mineure. 

De  nos  jours,  le  dernier  successeur  de  saint  Polycarpe,  Mer  Mussabini,  voulant  rendre  plus  étroite 
encore  cette  union  cimentée  par  le  sang  du  bienheureux  Martyr,  qui  fut  le  glorieux  enfant  de  l'église  de 
Smyrne,  avant  d'être  l'apôtre  de  l'Helvie,  écrivait  nagueres  à  Mer  Guibert,  alors  évêque  de  Viviers,  la 
lettre  suivante,  monument  trop  intéressant  pour  notre  histoire,  trop  précieux  à  la  piété  et  à  la  foi  catho- 
lique, pour  n'être  pas  conservé  : 

«  Archevêché  de  Smyrne. 

■  Smyrne,  le  2C  mai  1852. 

■  Monseigneur, 

«  Je  viens  prier  Votre  Grandeur  de  vouloir  bien   nous   procurer  une  copie  de  l'office  particulier  de 

saint  Andéol,  qu'on  est  en  usage  de  réciter  dans  le  Vivarai-s,  où  il  a  versé    son    sang  pour  la  foi.   Ayant 

obtenu  dernièrement  du  Saint-Siège  l'Induit  pour  mon  clergé  de  faire  la  fête  de  ce  saint  Martyr,  qui  fut 

notre  compatriote,  sous-diacre  de  l'église  de  Smyrne  et  disciple  de  mon  processeur,  saint  Polycarpe, 


168  1er  mai. 

Le  navire  qui  portait  saint  Andéol  et  ses  compagnons  fut  obligé,  à  ce 
que  l'on  croit,  de  relâcher  à  l'île  de  Corse  l.  Les  légendaires  racontent 
qu'une  furieuse  tempête  s'étant  élevée,  telle  que  les  matelots  ne  se  souve- 
naient pas  d'en  avoir  jamais  vu  la  pareille,  on  fut  forcé  de  séjourner,  pen- 
dant quelques  jours,  dans  celte  île,  dont  saint  Paul  avait  évangélisé  les  ha- 
bitants2. Le  calme  s'étant  rétabli,  on  remit  à  la  voile  et  les  missionnaires 
saluèrent  bientôt  la  nouvelle  patrie  où  les  envoyait  la  Providence. 

Ayant  pris  terre  à  Marseille,  ils  s'acheminèrent  directement  sur  Lyon, 
où  ils  furent  accueillis  par  saint  Pothin  et  par  saint  Irénée. 

Quoiqu'il  soit  impossible  de  fixer  la  date  de  son  départ,  il  paraît  plus 
certain  qu'Andéol  ne  prolongea  pas  beaucoup  son  séjour  à  Lyon.  Il  reçut 
pour  mission  de  porter  l'Evangile  à  Carpentras  3  et  dans  les  régions  méri- 
dionales que  fertilise  le  Rhône  (166). 

Dieu  laissa  saint  Polycarpe  plus  de  quatre-vingts  ans  sur  la  terre,  pour 
rendre  témoignage  aux  vérités  qu'il  avait  apprises  des  Apôtres.  Cette  longue 
vie,  toute  dépensée  au  service  de  l'Eglise  et  à  la  gloire  de  Dieu,  fut  couron- 
née par  un  glorieux  martyre,  en  la  sixième  année  de  l'empire  de  Marc-Au- 
rèle,  qui  est  la  cent  soixante-sixième  après  Jésus-Christ*. 

Cette  date  est  très-importante  pour  nous.  D'abord,  elle  fixe,  d'une  ma- 
nière certaine,  l'époque  de  l'arrivée  de  saint  Andéol  dans  les  Gaules.  En  effet, 
qu'onfasse  suivre  le  martyre  de  l'évêque  de  Smyrne,  d'aussi  près  que  l'on 
voudra,  de  l'envoi  des  quatre  missionnaires,  on  ne  pourra  placer  cet  envoi 
plus  tard  qu'en  l'année  166.  En  rapprochant  de  cette  date  celle  de  la  mort 
de  saint  Andéol  (208),  par  la  différence,  on  obtient,  d'une  manière  précise, 
le  minimum  de  la  durée  de  son  séjour  dans  les  Gaules,  c'est-à-dire  qua- 
rante-deux ans.  Si  l'on  borne  à  quelques  mois,  comme  il  est  probable,  le 
temps  qu'il  passa  à  Lyon,  il  restera  quarante  ans  environ  pour  la  vie  apos- 
tolique de  notre  Saint.  Ce  calcul  a  reçu  la  plus  haute  sanction  dans  les  litur- 
gies romaine  et  viennoise,  où  on  le  lit,  chaque  année,  dans  l'office  divin,  au 
jour  de  la  fête  de  saint  Andéol 5. 

Nous  avons  vu  que  saint  Andéol,  en  quittant  Lyon,  se  dirigea  vers  Car- 
pentras. 

En  effet,  dans  le  canton  de  Carpentras,  on  trouve  des  lieux  où  le  souve- 
nir de  ses  prédications  a  survécu,  malgré  tous  les  obstacles,  dans  la  mémoire 
reconnaissante  des  peuples.  Nous  voulons  parler  du  bourg  de  Mazan.  Dans 
cette  commune,  il  y  a  un  quartier  dit  de  saint  Andéol,  où  il  existait,  avant 
la  révolution  de  89,  une  chapelle  très-ancienne,  dédiée  à  notre  Saint.  Elle 
était  bâtie  sur  une  colline  au  pied  de  laquelle  on  voyait  des  restes  de  monu- 
ments antiques.  Une  tradition  immémoriale  en  ce  pays  veut  que  saint 
Andéol  s'y  soit  arrêté  pour  l'évangéliser. 

Un  peu  plus  haut,  non  loin  d'Orange,  à  Camaret,  on  retrouve  les  mêmes 
traditions  et  les  mêmes  hommages.  On  assure  même  que  l'Apôtre  de  Jésus- 
Christ  y  fut  battu  de  verges  et  l'on  montre  encore  le  lieu  où  s'accomplit 

par  lequel  il  a  été'  envoyé  en  France  pour  prêcher  l'Evangile,  ainsi  qu'il  est  dit  dans  le  martyrologe  ro- 
main et  attesté  par  saint  Jérôme,  Eusèbe,  etc..  nous  adopterions  rolontiers,  Monseigneur,  l'office  parti- 
culier que  vous  récitez  le  jour  de  sa  fête,  car  nous  aurions  ainsi  le  bonheur  d'unir  ce  jour-la  nos  prière» 
aux  vôtres,  et  de  resserrer  ainsi  les  liens  de  la  charité  entre  l'église  de  Smyrne,  une  des  sept  de  l'Apo- 
calypse, et  la  respectable  église  de  Viviers. 

«  Veuillez  agréer,  Monseigneur,  l'assurance,  etc. 

•  f  Astoise,  archevêque  de  Snvjrnt  ». 

Extrait  de  VEistoire  du  Yiuarais,  t.  i,  p.  179. 

1.  Actes  de  saint  Andéol.—  2.  Bollandistes,  1  mail,  p.  36,  not.  H. 

3.  Actes  de  saint  Andéol.  —  4.  Tillemont,  t.  n,  p.  336;  Pagi,  an.  169. 

5.  Bréviaire  vieanol»  et  Propre  du  diocèse  de  Viviers. 


SAINT   ANDË0L,  169 

cette  cruelle  exécution.  Saint  Andéol  possède  dans  cette  paroisse  un  antique 
sanctuaire  bâti  par  Louis  le  Débonnaire. 

Dans  l'accomplissement  de  l'œuvre  du  salut  des  âmes,  le  courageux 
sous-diacre,  comme  un  autre  saint  Jean-Baptiste,  remplissait  le  rôle  de  pré- 
curseur. Partout  où  il  allait,  il  invitait  à  faire  pénitence  et  annonçait  la 
venue  du  royaume  de  Dieu.  Lorsque  ceux  qui  ont  des  yeux  pour  voir  et  des 
oreilles  pour  entendre  avaient  formé  le  désir  d'embrasser  la  vie  nouvelle,  il 
les  catéchisait  et  leur  conférait  le  baptême.  Puis,  content  d'avoir  accompli 
sa  mission  dans  ce  lieu,  il  se  retirait,  cédant  la  place,  sans  doute,  aux  vrais 
Pasteurs  des  âmes,  à  ceux  que  Jésus-Christ  a  revêtus  des  pouvoirs  plus  éten- 
dus du  sacerdoce.  Suivant  toutes  les  probabilités,  il  parcourut  de  cette 
manière  une  partie  de  la  Provence,  le  Dauphiné  et  la  Franche-Comté 
qu'évangélisaient  en  même  temps  les  disciples  de  saint  Irénée,  saintFerréol 
et  saint  Ferrution,  apôtres  de  Besançon;  saint  Félix,  apôtre  de  Valence. 

La  tradition  semble  assez  explicite  sur  ce  point  :  elle  rapporte  que  saint 
Félix  et  ses  compagnons  ont  aussi  évangélisé  le  Vivarais  *  ;  d'un  autre  côté, 
les  nombreuses  paroisses  ou  chapelles  du  diocèse  de  Valence  qui  conservent 
encore  le  nom  de  saint  Andéol  donnent  à  penser  qu'il  avait  précédé  les  dis- 
ciples de  saint  Irénée  dans  ces  parages  :  sa  marche  le  conduisait  naturelle- 
ment vers  ces  contrées.  Mais  il  est  temps  de  le  suivre  dans  le  Vivarais, 
l'Helvie  de  César,  le  département  de  l'Ardèche  actuel  *. 

Ceux  qui  ont  étudié  les  origines  du  christianisme  savent  que  les  premiers 
missionnaires  de  la  foi  avaient  une  prédilection  bien  connue  pour  les  grands 
centres  de  population. 

Il  semble  naturel  de  voir  saint  Andéol  rester  fidèle  à  cette  discipline,  et 
venir,  en  entreprenant  la  conversion  des  Helviens,  établir  son  séjour  à  Aps, 
leur  cité  principale. 

Cependant,  il  lui  préféra  une  ville,  certainement  moins  populeuse,  mais 
qui  ne  laissait  pas  d'être  considérable,  Bergoïate,  appelée  aujourd'hui  Bourg- 
Saint-Andéol.  Dans  cette  dernière  ville,  la  plus  méridionale  du  Vivarais, 
il  se  trouvait  plus  rapproché  des  pays  qu'il  avait  parcourus  d'abord.  Dieu, 
d'ailleurs,  dont  la  Providence  dispose  toute  chose  pour  le  bien  des  âmes  et 
pour  la  gloire  des  Saints,  voulait,  en  conduisant  son  serviteur  dans  cette 
cité,  donner  pou^  théâtre  à  ses  derniers  travaux  et  à  ses  luttes  suprêmes  un 
lieu  plus  durable  qu'Aps,  que  les  Vandales  détruisirent  entièrement  deux 
siècles  après  l'époque  dont  nous  parlons. 

Avant  de  pousser  plus  loin  notre  récit,  il  est  nécessaire,  pour  l'intelli- 
gence des  faits,  de  prendre  une  exacte  connaissance  de  la  cité,  objet  des 
prédilections  de  saint  Andéol. 

La  ville  se  composait  de  deux  agglomérations  bien  distinctes,  séparées 
par  le  fleuve,  mais  portant  le  même  nom  et  régies  par  la  même  administra- 
tion urbaine  :  Bergoïate  de  la  rive  droite  et  Bergoïate  de  la  rive  gauche, 
qu'on  désignait  par  ces  mots  :  Haut  ou  Bas- Bergoïate.  Le  Bas-Bergoïate  ou 
Gentibe  occupait  l'emplacement  de  la  ville  actuelle  de  Bourg-Saint-Andéol. 

De  ces  deux  agglomérations,  Bergoïate-le-Haut  nous  paraît  avoir  été  la 
plus  considérable  à  l'origine  :  c'était  le  centre  de  l'activité,  du  commerce 
et  de  l'industrie,  la  cité  des  travailleurs  et  du  petit  peuple,  circonstance  qui 
nous  explique  les  prédilections  de  l'Apôtre,  qui  en  avait  fait  sa  résidence  et 
le  siège  de  sa  prédication.  L'autre,  au  contraire,  placée  par  sa  situation  un 

1.  Les  montagnes  qui  regardent  Valence  et  qui  ont  longtemps  relevé  de  ce  diocèse  ;  11  y  a  les  pa- 
roisses de  Saint-Félix,  de  Salnt-Fortunat. 

2.  Les  Helviens  avaient  pour  capitale  Alba-Augusta  (aujourd'hui  Aps). 


170  I"  MJ& 

peu  en  dehors  du  tumulte  et  du  mouvement  des  affaires,  moins  peuplée,  tou- 
jours  calme  et  silencieuse,  était  le  séjour  préféré  des  nobles  Gallo-Romains 
dont  les  fastueuses  villas  s'étalaient  au  front  des  coteaux  d'alentour,  et  des 
prêtres  voués  au  service  des  dieux  du  paganisme.  La  première  conserva  jus- 
qu'au milieu  du  moyen  âge  la  prépondérance  dont  elle  jouissait  sous  les  em- 
pereurs romains  ;  la  seconde  dut  à  la  découverte  du  tombeau  de  notre  saint 
Martyr,  d'être  tirée  tout  à  coup  de  son  obscurité,  et  de  conquérir  en  peu 
de  temps  la  célébrité  et  la  prééminence  que  ses  dieux  jadis  n'avaient  pu  lui 
assurer;  à  partir  du  douzième  siècle,  les  accroissements  successifs  de  ce 
simple  petit  bourg  lui  donnèrent  bientôt  l'aspect  et  les  proportions  d'une 
ville  importante,  tandis  que  le  Bergoïate  de  la  rive  gauche,  désolé  par  les 
ravages  des  guerres  et  des  inondations,  s'acheminait  avec  une  égale  rapidité 
vers  son  déclin  et  vers  sa  ruine.  Abandonné  chaque  jour  de  quelques-uns  de 
ses  habitants,  qui  allaient  chercher  un  refuge  dans  la  ville  de  saint  Andéol,  il 
n'était  plus,  à  la  fin  du  treizième  siècle,  qu'un  lieu  complètement  désert  : 
la  fille  avait  dévoré  la  mère. 

C'est  donc  à  Bergoïate-le-Haut  qu'Àndéol  était  descendu  en  arrivant; 
c'est  là  qu'il  prêchait  l'évangile  de  Jésus  avec  un  succès  merveilleux.  Sur 
ces  entrefaites,  l'empereur  Sévère,  qui  traversait  les  Gaules  pour  se  rendre 
en  Bretagne,  où  il  allait  soumettre  les  tribus  sauvages  de  la  Calédonie,  vint 
aussi  à  Bergoïate,  en  se  dirigeant  sur  Valence,  et  y  campa  avec  une  partie 
de  ses  troupes.  Or,  au  moment  de  l'arrivée  de  ce  prince,  il  y  avait  en  ce  lieu 
un  concours  extraordinaire  de  peuple.  La  foule  se  pressait  autour  d'un 
personnage  qui  discourait  en  public  :  tout  entière  sous  le  charme  de  cette 
parole  inconnue,  elle  jetait  à  peine  un  regard  distrait  sur  le  spectacle  im- 
posant des  légions  romaines  marchant,  enseignes  déployées,  sous  les  ordres 
de  leur  empereur.  Piqué  dans  sa  curiosité  et  peut-être  aussi  dans  son  or- 
gueil, Sévère  demanda  la  cause  du  rassemblement.  Terrible  fut  la  colère  du 
césar,  en  apprenant  que  le  personnage  qui  attirait  ainsi  l'attention  et  les 
sympathies  du  peuple,  n'était  autre  qu'un  chef  de  chrétiens,  propageant  en 
plein  jour  les  erreurs  de  sa  secte.  Il  ordonna  qu'on  se  saisît  sur-le-champ 
d'Andéol  et  qu'on  l'amenât  devant  lui. 

Un  tribunal  est  dressé  à  la  hâte  ;  auprès  sont  étalés  tous  les  instruments 
ordinaires  de  la  torture,  et  au  milieu  de  ce  funèbre  appareil,  siège  Sévère 
en  personne.  C'est  lui -même  qui,  d'un  ton  de  menace,  interroge  Andéol  sur 
son  nom,  son  pays,  l'objet  de  la  mission  qu'il  se  donne.  —  «  L'Orient  est 
ma  patrie  »,  répond  l'Apôtre  avec  calme,  a  et  je  viens  de  Smyrne,  envoyé 
par  l'évêque  de  cette  ville  avec  plusieurs  autres  qui  sont  mes  pères  et  mes 
maîtres,  pour  annoncer  le  Sauveur  Jésus-Christ  et  prêcher  sa  doctrine  aux 
peuples  qui  l'ignorent  :  si  vous  voulez  savoir  mon  nom,  César,  je  m'appelle 
Andéol  ».  —  «  Tu  es  donc  venu  »,  s'écrie  le  tyran,  «  pour  déshonorer  nos 
dieux  et  fouler  aux  pieds  les  édite  des  empereurs  !  songes-tu  bien  à  la  sévé- 
rité des  châtiments  qui  t'attendent,  toi  et  les  malheureux  Helviens  que  tu 
séduis  ?  » 

Prenant  ensuite  un  air  et  un  ton  de  douceur  affectée,  il  exhorte  l'Apôtre 
à  renoncer  à  ses  chimériques  idées  plutôt  que  d'exposer  sa  personne  à  la 
rigueur  des  tourments  :  qu'il  abandonne  une  secte  impie,  qu'il  consente  à 
offrir  de  l'encens  aux  dieux,  il  pourra  vivre  heureux  au  sein  d'un  doux 
repos,  gratifié  de  l'une  des  fonctions  les  plus  honorables  du  palais,  comblé 
de  distinctions  et  de  richesses,  que  lui  assure  la  munificence  des  empereurs. 
—  «  Prête  donc  l'oreille  à  mes  conseils  »,  ajoute-t-il,  «  laisse  là  cette  reli- 
gion que  tu  professes,  laquelle  &  été  inventée  depuis  peu  par  un  certain 


SAIKT  ANDÉOL.  171 

Christ  que  j'ignore  et  qui  a  été  crucifié,  dit-on,  en  la  prêchant.  Maudis  ce 
Christ,  et  rends  hommage  aux  dieux  immortels  ».  —  «  Je  n'adore  qu'un 
Dieu  »,  réplique  Andéol,  «  le  Dieu  unique  et  véritable,  qui  a  créé  le  ciel  et 
la  terre.  Pour  vos  stupides  divinités,  César,  je  les  méprise  ;  ce  ne  sont 
qu'idoles  sourdes  et  muettes,  fabriquées  par  la  main  des  hommes,  que  le 
démon  vous  persuade  d'adorer  » . 

Irrité  de  la  sainte  hardiesse  de  ce  langage,  l'empereur  Sévère  ordonne 
qu' Andéol  soit  livré  à  la  torture.  Alors  se  renouvelle  l'une  des  scènes  accou- 
tumées de  la  sanglante  tragédie  à  laquelle  le  monde  païen  ne  cessait  d'assis- 
ter depuis  la  naissance  du  christianisme.  Lorsque  les  paroles  de  séduction, 
les  promesses  comme  les  menaces  étaient  venues  échouer  devant  la  foi 
ferme  et  généreuse  du  chrétien,  le  tyran  polythéiste  appelait  à  son  aide  les 
bourreaux  :  il  fallait  alors  épuiser  sur  des  enfants,  des  vierges  délicates,  de 
faibles  vieillards,  toutes  les  ressources  de  la  cruauté  et  toute  la  science  des 
tortures,  sans  pouvoir  venir  à  bout  d'ébranler  leur  constance.  Ainsi,  au 
signal  donné  pour  commencer  le  supplice,  Andéol  est  couché  à  terre,  lié 
par  les  pieds  et  les  mains  à  des  cordes  qu'on  tend  et  qu'on  détend  ensuite 
avec  de  violentes  secousses  au  moyen  d'arcs  et  de  poulies  :  et,  au  milieu  de 
cette  affreuse  tension,  qui  rend  tous  les  nerfs  du  corps  humain  semblables 
aux  cordes  d'un  instrument  de  musique,  le  saint  Confesseur  est  rudement 
battu  de  verges  armées  de  piquants  et  de  pointes  de  fer  ;  puis  on  lui  déchire 
la  chair  avec  des  ongles  rougis  au  feu  ;  puis  ce  corps  tout  meurtri  et  san- 
glant est  attaché  à  une  roue  élevée  au-dessus  d'un  brasier  dans  lequel  on 
verse  l'huile  à  flots  pour  activer  l'ardeur  des  flammes  *.. 

Du  haut  de  cette  roue  embrasée,  comme  sur  un  lit  de  repos,  Andéol 
tranquille,  le  visage  radieux  et  serein,  levait  les  yeux  au  ciel  et  priait  : 
«  Soyez  béni,  mon  Dieu  »,  disait-il,  «  je  vous  rends  grâces,  Seigneur  Jésus, 
qui  m'accordez  de  souffrir  pour  votre  nom.  Ne  m'abandonnez  point  dans 
ce  suprême  combat  ;  faites,  au  contraire,  qu'y  persévérant  avec  une  cons- 
tance inébranlable,  je  mérite  de  me  présenter  devant  votre  majesté  avec  la 
palme  du  vainqueur  ».  On  l'entendit  aussi  faisant  cette  belle  et  touchante 
invocation  :  «  0  saint  Polycarpe,  mon  bienheureux  maître,  vous  l'ami  du 
Christ,  qui  brillez  au  ciel  comme  une  pierre  précieuse,  priez  pour  votre  ser- 
viteur, afin  qu'il  soit  muni  de  patience  et  de  courage,  et  que  vous  puissiez 
triompher  avec  joie  de  votre  doctrine  et  de  ma  victoire  dans  le  Seigneur  ». 
En  effet,  le  courage  du  saint  Martyr  semblait  renaître  à  mesure  qu'on  mul- 
tipliait les  tourments.  Les  bourreaux  étaient  lassés,  la  fureur  de  Sévère, 
désespérée,  mais  non  vaincue  :  voulant  réserver  Andéol  à  de  nouveaux 
supplices  pour  le  lendemain,  il  ordonne  qu'on  le  conduise  en  prison.  Alors 
Céricius,  tribun  d'une  des  légions  de  l'armée,  propose  à  l'empereur  de  ren- 
fermer le  chrétien  dans  un  caveau  du  temple  dédié  au  dieu  Mars,  sur  l'au- 
tre rive  du  Rhône  :  amener  ainsi,  chargé  de  chaînes,  l'ennemi  des  dieux 
jusque  dans  leur  sanctuaire  était  une  sorte  de  réparation  qui  toucherait  le 
cœur  des  immortels  et  les  rendrait  propices.  Le  superstitieux  césar  applau- 
dit à  cette  idée  ;  le  fleuve  lui  semble  d'ailleurs  une  excellente  barrière  à 
interposer  entre  l'Apôtre,  dont  il  redoute  l'influence,  et  ce  peuple,  coupable 
de  trop  de  sympathie  pour  le  chrétien.  Andéol  est  donc  enfermé  dans  le  ca- 
veau souterrain  du  temple  de  Mars. 

Or,  vers  le  milieu  de  la  nuit,  les  gardes  d'Andéol  virent  tout  à  coup  des 
rayons  de  lumière  briller  à  travers  les  portes  de  sa  prison  :  tout  l'intérieur 
du  souterrain  en  était  illuminé.  Puis  des  voix  d'une  douceur  ravissante  se 

1.  Bollaud.,  Act.  S.  Andéol,  maii,  i,  38. 


172  1er  MAI. 

firent  entendre  ;  un  colloque  mystérieux  s'établit  entre  Andéol  et  d'invisi- 
bles personnages  ;  ils  parlaient  des  combats  du  saint  Martyr  et  de  la  gloire 
qui  l'attendait  :  «  Bon  courage,  frère  chéri  »,  disaient  ces  voix,  «  demain 
vous  recevrez  la  couronne  du  martyre.  Parcourez  jusqu'au  bout  la  san- 
glante carrière ,  et  le  Christ  vous  recevra  lui-même  en  triomphe,  décoré  de 
la  palme  du  martyre,  aans  la  gloire  du  paradis  ».  Andéol,  de  son  côté, 
exprimait  à  ses  célestes  visiteurs  toute  la  joie  qui  inondait  son  âme;  il  les 
remerciait  du  baume  qu'ils  avaient  répandu  sur  ses  souffrances,  et  les  priait 
pour  que  l'exemple  de  sa  patience  dans  la  lutte  suprême  achevât  la  con- 
version des  gentils  à  la  foi. —  Un  concert  d'une  délicieuse  harmonie  succéda 
à  ces  discours  :  les  voix  semblaient  monter  dans  les  airs,  s'affaiblir  graduel- 
lement et  se  perdre  dans  le  lointain.  Le  silence  et  l'obscurité  se  firent  de 
nouveau  dans  la  prison  ;  la  vision  céleste  avait  disparu. 

Lorsqu'on  vint,  par  l'ordre  de  Sévère,  tirer  l'Apôtre  de  la  prison,  toutes 
les  plaies  qui,  la  veille,  couvraient  son  corps  étaient  cicatrisées  et  entière- 
ment guéries  :  Andéol  semblait  avoir  recouvré  les  forces  et  l'énergie  de  sa 
jeunesse.  Le  farouche  empereur,  ayant  appris  de  l'un  des  gardes  les  détails 
de  la  vision  nocturne,  jura,  par  le  dieu  Mars  et  par  ses  victoires,  qu'il  sau- 
rait empêcher  le  magicien  de  séduire  plus  longtemps  les  peuples  et  de  rui- 
ner la  puissance  de  ses  dieux.  Il  se  hâta  de  prononcer  la  sentence  de  mort, 
et  ordonna  qu'elle  fût  exécutée  en  sa  présence.  A  l'instant,  un  soldat  s'arme 
de  l'une  de  ces  épées  de  bois  très-dur,  dont  les  gladiateurs  se  servaient 
pour  s'escrimer,  et,  tandis  qu' Andéol  adresse  au  ciel  une  dernière  prière 
dans  un  dernier  regard,  le  bourreau  de  Sévère  lui  partage  la  tête  en  forme 
de  croix. 

Ainsi  consomma  son  martyre,  le  1er  mai  de  l'an  208,  selon  l'opinion  la 
plus  commune ,  le  bienheureux  Andéol ,  premier  apôtre  des  Helviens. 
Sévère,  dont  la  haine  fanatique  trouvait  encore  à  s'exercer  jusque  sur  les 
membres  inanimés  du  saint  Martyr,  fit  lier  le  corps  avec  une  chaîne  de  fer 
à  laquelle  était  suspendue  une  énorme  pierre,  et  jeter  ce  lourd  fardeau  dans 
le  Rhône,  afin  que,  ensevelis  sous  les  flots,  les  restes  vénérés  d'Andéol 
échappassent  aux  honneurs  que  leur  réservait  la  piété  des  fidèles.  Mais  la 
Providence,  qui  veille  sur  les  ossements  de  ses  Saints,  poussa  la  précieuse 
dépouille  vers  la  rive  occidentale  du  fleuve.  Il  est  dit  que  l'Apôtre,  avant  de 
quitter  sa  prison,  avait  prié  le  Seigneur  de  permettre  qu'il  reposât,  après  sa 
mort,  dans  ce  lieu  où  la  gloire  de  Dieu  et  de  ses  Anges  l'avait  visité.  Et 
Dieu,  pour  exaucer  ce  dernier  vœu  de  son  serviteur,  sembla  s'être  plu  à 
multiplier  les  prodiges.  Ainsi  la  lourde  chaîne  enroulée  autour  du  corps 
mutilé  du  Martyr,  et  qui  devait  par  son  poids  l'entraîner  au  fond  du  fleuve, 
se  rompit  d'elle-même,  comme  l'un  de  ces  liens  fragiles  qu'une  main  d'en- 
fant brise  en  se  jouant,  et  disparut  seule  sous  les  eaux.  Le  saint  corps,  au 
contraire,  soutenu  et  dirigé  par  un  bras  invisible,  prit  sa  route  à  travers  les 
flots  rapides,  coupant  le  courant  du  fleuve  en  ligne  droite  :  arrivé  au  bord, 
il  fut  soulevé  par  une  vague  et  porté  mollement  à  une  distance  d'environ 
deux  toises  sur  le  rivage.  Depuis  cinq  jours,  il  était  là  exposé  aux  injures  de 
l'air,  sans  montrer  la  plus  légère  trace  de  corruption,  protégé  par  une  vertu 
mystérieuse  qui  commandait  le  respect  aux  bêtes  et  aux  oiseaux  de  proie. 
Chaque  nuit,  assurait-on,  des  chants  et  des  sons,  doux  et  harmonieux 
comme  ceux  d'une  mélodie  céleste,  s'étaient  fait  entendre,  et  l'on  avait  vu 
briller  une  lumière  qui  entourait  le  saint  corps  d'une  auréole  éclatante1.  Le 
récit  de  ces  merveilles,  porté  au  loin  de  bouche  en  bouche,  parvint  aux 

1.  Bolland.,  Act.  S.  Andéol,  mali,  i,  39. 


SAINT   ANDEEOL. 


173 


oreilles  d'une  dame  riche  et  de  noble  condition,  nommée  Tullie.  Elle  se 
rendait,  ce  jour-là  même,  à  une  de  ses  villas  située  aux  environs  de  Ber- 
goïate.  En  suivant  la  voie  romaine,  elle  rencontra,  près  du  lieu  où  gisait  le 
corps  de  saint  Andéol,  un  groupe  nombreux  de  païens  que  la  nouveauté  du 
spectacle  y  avait  attirés.  Faisant  arrêter  son  char,  elle  interrogea  quelques- 
uns  des  assistants  et  recueillit  de  leur  bouche  tous  les  détails  que  nous  ve- 
nons de  raconter  :  détails  bien  consolants  pour  sa  foi  et  pour  sa  piété,  car 
elle  était  chrétienne.  Elle  résolut  aussitôt  de  donner  une  sépulture  hono- 
rable aux  restes  vénérés  du  saint  Martyr.  Mais,  n'osant  confier  à  personne 
l'exécution  de  son  pieux  dessein,  elle  vint  elle-même,  accompagnée  de  ses 
esclaves  les  plus  fidèles  et  les  plus  sûrs,  et,  profitant  du  silence  et  de  l'obs- 
curité de  la  nuit,  elle  enleva  le  corps  secrètement,  et  le  déposa  dans  un  sar- 
cophage païen  qu'elle  fit  enterrer  au  même  endroit,  à  une  grande  profon- 
deur, afin  de  soustraire  la  précieuse  dépouille  à  la  fureur  sacrilège  des 
persécuteurs. 

On  représente  saint  Andéol  debout,  en  costume  de  sous-diacre,  tenant 
à  la  main  une  palme  et  un  livre,  le  catéchisme  sans  doute.  Un  couteau  de 
bois  est  enfoncé  horizontalement  sur  le  haut  de  la  tête  du  saint  martyr. 

CULTE  ET  RELIQUES  DE  SAINT  ANDÉOL. 

Les  reliques  du  bienheureux  Andéol  demeurèrent  ainsi  cachées  pendant  six  cents  ans,  jus- 
qu'au jour  de  leur  première  invention,  qui  eut  lieu  en  858  sous  le  règne  de  Charles  le  Chauve  et 
l'épiscopat  de  Bernoin,  évèque  de  Viviers. 

Tout  en  laissant  le  sarcophage  dans  le  môme  lieu  et  à  la  même  profondeur  où  elle  l'avait  placé, 
Tullie  ût  faire  par  dessus  une  petite  crypte  qui  a  conservé  son  nom.  Ce  précieux  monument  existe 
encore,  sous  l'église  Saint-Polycarpe,  tel  qu'il  fut  reconstruit  au  IXe  siècle.  Il  a  toujours  été 
connu  sous  le  nom  de  crypte  de  la  bienheureuse  Tullie.  Le  peuple  l'appelait  la  grotte  ou  crypte 
de  la  sainte  Romaine.  Le  nom  de  Sainte  Roumelle,  que  l'on  trouve  dans  quelques  documents, 
est  évidemment  une  corruption  de  Sainte  Roumaine  ou  Sainte  Romaine. 

C'est  dans  ce  modeste  sanctuaire  que  les  premiers  chrétiens  de  Bergoïate  venaient  s'agenouiller, 
auprès  de  la  tombe  vénérée  de  leur  Apôtre. 

Quelque  vénérable  que  fût  la  crypte  de  la  bienheureuse  Tullie  nouvellement  rendue  à  la  lu- 
mière avec  le  saint  dépôt  qu'elle  avait  si  fidèlement  conservé,  c'était  un  lieu  trop  étroit  et  trop 
pauvre  pour  y  laisser  plus  longtemps  le  tombeau  de  saint  Andéol.  L'église  de  Saint-Polycarpe  elle- 
même  était  désormais  insuffisante.  Il  fallait  un  édifice  à  la  fois  plus  vaste  et  plus  magnifique, 
digne  de  la  gloire  du  saint  Martyr  et  de  l'affluence  des  fidèles.  D'après  des  notices  faites  dans  le 
xviie  et  le  xviii6  siècle,  Charles  le  Chauve  contribua  par  ses  largesses  à  l'érection  de  cet  édiûce. 
C'est  à  partir  de  la  construction  de  cette  église  que  Bergoïate  prit  le  nom  de  Bourg-Saint -Andéol. 
Malgré  les  restaurations  du  xne  siècle  et  quelques  mutilations  d'une  date  postérieure,  l'œuvre  de 
Bernoin  est  parvenue  jusqu'à  nous.  Quoique  restée  vide  depuis  la  translation  des  reliques  de  saint 
Andéol,  la  crypte  de  la  bienheureuse  Tullie  fut  conservée  avec  le  plus  grand  soin  et  entourée  d'un 
profond  respect.  Jusqu'à  la  fin  du  dernier  siècle,  on  y  venait  prier  et  offrir  le  saint  sacrifice  de  la 
messe  comme  dans  un  lieu  très-saint.  M.  l'abbé  Paradis,  ancien  élève  de  l'Ecole  des  Chartes,  a 
acheté  l'église  Saint-Polycarpe  et  la  crypte,  pour  les  rendre  au  culte. 

Lorsque  la  victoire  et  l'édit  du  grand  Constantin  eurent  assuré  la  paix  de  l'Eglise  et  permis  au 
culte  chrétien  de  prendre  sa  place  au  soleil,  les  fidèles  s'empressèrent  de  perpétuer  par  des  mo- 
numents le  souvenir  des  scènes  que  nous  venons  de  décrire.  Sur  les  ruines  du  temple  de  Mars, 
au-dessus  de  la  crypte  souterraine  qui  avait  servi  de  prison  pour  Andéol,  ils  bâtirent  une  église 
dédiée  au  saint  Sauveur  et  une  autre  au-dessus  du  tombeau  de  saint  Andéol,  placée  sous  l'invo- 
cation de  saint  Polycarpe  ;  cette  antiquité  chrétienne,  qui  possédait  au  plus  haut  degré  le  senti- 
ment des  choses  religieuses,  consacrait  ainsi,  en  les  associant  l'une  à  l'autre,  la  gloire  du  disciple 
par  la  mémoire  vénérée  du  maître.  Sur  le  lieu  même  du  martyre,  ils  ne  firent  que  dresser  un  tron- 
çon de  colonne  antique,  et  ce  monument  si  simple,  entouré  pour  tout  ornement  d'une  agreste  vé- 
gétation, a  traversé  les  siècles,  connu  jusqu'en  ces  derniers  temps  sous  le  nom  de  saint  Pilon. 
Chaque  année,  au  jour  de  la  fête  de  saint  Andéol,  on  voyait  accourir  des  populations  entières  qui 
venaient  raviver  leur  foi  au  contact  de  cette  terre  arrosée  par  le  sang  du  premier  apôtre  de  la 
contrée.  La  partie  supérieure  du  Pilon  se  couvrait,  au  printemps,  d'une  effervescence  rougeûtre, 
que  le  peuple,  dans  sa  foi  simple  et  naïve,  prenait  pour  les  taches  mêmes  du  sang  de  saint  Andéol, 


174  ï9*  MAï. 

qui  réapparaissaient  à  chaque  anniversaire  de  son  martyre.  Ce  précieux  monument  avait  disparu 
à  la  suite  de  la  grande  Révolution.  On  le  croyait  détruit.  11  avait  été,  en  effet,  scié  en  plusieurs 
morceaux,  et  ses  débris  étaient  entrés  comme  vils  matériaux  dans  la  construction  des  bâtiments 
d'une  ferme.  Mais  on  a  eu  le  bonheur  d'en  retrouver  un  des  fragments  les  plus  considérables. 

Le  nom  sous  lequel  on  désignait  ce  monument,  la  vénération  dont  il  était  l'objet,  portent  à 
penser  que  le  choix  n'en  fut  pas  abandonné  à  l'arbitraire  ni  au  hasard  ;  mais  que  ce  Pilon  était 
une  borne  ou  un  poteau  d'amarrage,  que  les  bourreaux  rencontrèrent  sur  le  lieu  du  supplice,  et 
dont  ils  profitèrent  pour  la  sanglante  exécution.  La  croyance  populaire  veut  qu'il  en  ait  été  ainsi. 

Au  commencement  du  xue  siècle,  l'église  de  Sainl-Andéol  se  trouva,  par  le  fait  des  guerres 
féodales,  réduite  à  un  état  d'extrême  détresse.  Pour  la  relever,  Léger,  évoque  de  Viviers,  la  céda 
aux  chanoines  de  Saint-Ruf,  qui  la  desservirent  jusqu'en  1774,  époque  de  leur  suppression.  Léger 
ne  se  contenta  pas  de  réparer  les  ruines  spirituelles  du  sanctuaire  :  l'église  de  Saint-Andéol  me- 
naçait ruine,  il  la  fit  réparer  et  embellir  en  respectant  scrupuleusement  le  plan  de  Bernoin  :  puis 
il  obtint  que  le  pape  Calixte  II  vînt  en  personne  la  consacrer  (27  février  1119).  Le  souvenir  de 
cette  consécration  a  été  célébré  par  une  fête  spéciale  jusqu'à  la  Révolution. 

La  gloire  de  saint  Andéol  ne  resta  pas  enfermée  dans  les  étroites  limites  du  théâtre  de  son 
martyre.  En  544,  à  la  suite  d'une  guerre  contre  ïheudis,  roi  des  Visigoths,  Childebert,  fils  de 
Clovis.  ayant  apporté  d'Espagne  et  de  la  Septimanie  un  grand  nombre  de  reliques,  ce  prince,  de 
concert  avec  saint  Germain,  évêque  de  Paris,  résolut  de  placer  ces  restes  vénérables  dans  une  ba- 
silique qui  fût  pour  les  âges  futurs  une  preuve  de  sa  munificence  et  de  son  respect  envers  les 
Saints.  11  fit  construire,  dans  ce  but,  l'abbaye  de  Saint-Vincent,  à  laquelle  saint  Germain  devait 
plus  tard  donner  son  nom.  Cet  illustre  et  saint  évêque  engagea  aussi  Childebert  à  élever  en  l'hon- 
neur de  saint  Andéol  une  chapelle  ou  oratoire  qui  dépendit  de  l'abbaye.  En  traversant  la  portion 
de  la  Septimanie  qui  était  encore  soumise  aux  Visigoths,  Childebert,  entre  autres  reliques,  avait 
pu  s'emparer  de  quelque  ossement  de  saint  Andéol  :  ce  qui  expliquerait  la  dévotion  extraordinaire 
de  Childebert  et  de  saint  Germain  pour  l'Apôtre  du  Vivarais.  Le  célèbre  évêque  de  Paris,  ayant 
passé  la  première  partie  de  sa  vie  à  Aulun,  dans  les  contrées  évangélisées  par  saint  Bénigne,  saint 
Andoche  et  saint  Thyrse,  trouvait  aussi  dans  sa  dévotion  envers  ces  Saints,  un  motif  tout  naturel 
d'honorer  celui  dont  le  nom  fut  toujours  inséparable  du  nom  des  Apôtres  de  la  Bourgogne.  L'ora- 
toire finit  par  devenir  une  église  paroissiale,  sous  le  nom  de  Saint-André-des-Arcs,  qui  a  toujours 
reconnu  saint  Andéol  pour  son  principal  patron.  L'église  Saint-André  des  Arcs  ou  des  Arts,  à  Paris, 
n'existe  plus,  quoi  qu'en  disent  les  continuateurs  de  Godescard  :  le  nom  de  la  rue  seule  rappelle 
son  existence  :  l'emplacement  en  était  au  coin  de  cette  rue  et  de  la  place  actuelle  de  Saint-Michel. 

Si  nous  descendons  jusqu'à  l'extrémité  septentrionale  de  l'Espagne,  dans  le  comté  de  Bésalu, 
qui,  sous  Charlemagne  et  ses  premiers  successeurs,  releva  de  la  France,  nous  trouvons  un  mo- 
nastère fort  ancien,  placé  sous  le  vocable  de  saint  Andéol  et  de  saint  Laurent.  Autour  du 
monastère,  aujourd'hui  détruit,  se  forma  le  village  de  Saint-Andéol-de-Guya,  où  le  culte  de  notre 
Saint  est  encore  très-populaire. 

En  793,  Louis  le  Débonnaire,  se  rendant  en  province,  fit  construire  à  Camaret,  bourg  de  la 
principauté  d'Orange,  une  église  pour  honorer  une  relique  de  saint  Andéol  que  possédait  déjà  cette 
localité.  L'antique  sanctuaire  de  Louis  le  Pieux  existe  encore.  Il  a  été  refait  en  partie  ;  mais  ce 
qui  est  primitif  se  reconnaît  aisément. 

Pour  achever  d'esquisser  le  tableau  du  développement  de  son  culte,  pendant  le  moyen  âge,  en 
dehors  du  Vivarais,  il  n'y  a  qu'à  placer  ici  l'énumération  des  lieux  où  il  est  encore  en  honneur. 

Dans  le  diocèse  de  Dijon,  non  loin  de  la  ville  de  Saulieu,  se  trouve  la  paroisse  de  Saint-An- 
deux  ou  de  Saint-Andéol.  L'église  paroissiale  est  assez  grande  et  paraît  fort  ancienne.  Outre  le 
maître-autel,  il  y  a,  dans  la  nef  latérale  de  droite,  une  chapelle  dédiée  à  saint  Andéol.  Sur  l'autel 
de  cette  chapelle,  on  voit  une  antique  statue  en  pierre  peinte,  représentant  le  Martyr  vêtu  en  sous» 
diacre  et  la  tète  rasée,  sauf  la  couronne,  qui  est  très-apparente.  Au  diocèse  de  Lyon,  nous  trou- 
vons l'église  de  Saint-Andéol-de-Monccaux,  que  Leutade,  comte  de  Mâcon,  par  une  charte  de  l'an 
943,  donna  à  l'abbaye  de  Cluny  ;  celles  de  Saint-Andéol-la-Valla,  archiprètré  de  Saint-Etienne,  et 
de  Saint-Andéol-le-Château,  archiprètré  de  Mornant,  mentionnées  toutes  deux  dans  les  pouillés  du 
Xiii6  et  du  xiv»  siècle,  mais  dont  l'origine  doit  remonter  beaucoup  plus  haut.  Au  diocèse  [de 
Grenoble,  l'église  et  paroisse  de  Saint-Andéol,  canton  de  Monestier-de-Clermont.  Au  diocèse  du 
Puy,  il  y  avait  autrefois  le  prieuré  de  Saint-Andéol-de-Poliguac,  qui  relevait  de  l'abbaye  de  Pé- 
brac  et  qui  reçut  de  grands  dons,  en  10G0,  d'Armand,  vicomte  de  Polignac,  et  d'Humbert,  évêque 
du  Puy.  Au  diocèse  de  Mende,  il  y  a  l'église  de  Saint-Andéol-de-Clerguemort,  canton  de  Fraissi- 
net-en-Lozère,  arrondissement  de  Florac.  Dans  le  diocèse  de  Valence,  où,  suivant  toute  probabi- 
lité, saint  Andéol  précéda  les  disciples  de  saint  Irénée,  saint  Félix  et  ses  compagnons,  les  lieux 
qui  s'honorent  de  l'avoir  pour  Patron  se  multiplient.  Il  y  avait  autrefois  Saint-Andéol-en-Trièves, 
archiprètré  du  Bas-Triève.  Ou  y  trouve  actuellement  Saint-Andéol-en-Quint,  archiprètré  de  Die  ; 
Saiut-Andéol-de-Chadeuil  ;  Saint-Andéol,  canton  de  Saint- Vallier.  Il  existe,  dans  cette  dernière 
paroisse,  un  pèlerinage  en  son  honneur,  où  de  nombreux  pèlerins  venaient  l'invoquer.  On  y  vé- 
nérait une  relique  et  une  statue  du  Martyr.  Par  une  singularité  historique,  destinée  à  rappeler  son 
genre  de  mort,  il  est  représenté  n'ayant  eue  la  moitié  de  sa  tête.  Il  y  a  quelques  années,  Mgr 


sal\t  a:;hlol.  175 

Chatrousse,  évèque  de  Valence,  condamna  l'exposilion  et  le  coite  public  de  b>  relique,  parce 
qu'elle  n'était  pas  accompagnée  de  lettres  authentiquer  Dans  la  même  diocèse,  il  y  a  encore  un 
hameau,  commune  de  la  Bastie-Rolland,.  qui  porte  le  nom  de  Saink-Andéol  et  qui  possède,  en 
l'honneur  du  saint  Martyr,  une  chapelle  fort  ancienne  et  vénérée.  Au  commencement  du  mois  de 
mai,  on  y  vient  en  pèlerinage  de  tontes  les  contrées  voisines.  La  tradition  des  lieux  veut  que 
saint  Andéol  y  ait  apporté  la  foi.  Au  diocèse  de  Gap,  encore  une  église  de  Saint-Andéol.  Dans 
le  diocèse  d'Avignon,  non  loin  de  Carpeulras,  sur  la  paroisse  de  Mazan,  il  y  avait,  avant  1793,  une 
chapelle  dédire  à  saint  Andéol  avec  le  titre  de  prieuré.  Les  habitants  de  la  campagne,  l'invoquaient 
comme  leur  i'atron  particulier  et  comme  l'apôtre  du  pays.  Lorsque  le  printemps  commençait  à 
étaler  ses  richesses,  ils  allaient  en  procession,  des  rameaux  verdoyants  à  la  main,  dans  l'oratoire 
du  Saint,  pour  demander  à  Dieu  par  sa  puissante  intercession  la  conservation  des  fruits  de  leurs 
travaux.  La  chapelle  avait  été  réparée  en  1679,  et  on  y  avait  ajouté  un  petit  ermitage  destiné  à 
loger  celui  qui  prenait  soin  du  vénéré  sanctuaire.  Dans  l'assemblée,  où  ces  réparations  furent  dé- 
crétées, et  dont  le  compte  rendu  se  conserve  dans  le  Livre  des  conseils  de  la  communauté  de 
Mazan,  le  premier  consul  expose  que  ladite  communauté  «  doit  faire  mettre  en  état  la  fontaine 
qui  coule  auprès  de  la  chapelle,  afin  de  s'attirer  davantage  les  grâces  particulières  que  le  grand 
saint  Andéol  se  trouve  faire  dans  les  ville  et  terroir  de  Mazan,  ainsi  que  plusieurs  merveilles  en 
faveur  des  persounes  atteintes  de  fièvres  et  autres  maladies,  lesquelles  sont  guéries,  principalement 
le  jour  de  la  fête  du  Saint,  au  1er  mai,  eu  se  servant,  après  l'avoir  invoqué  à  la  sainte  messe,  de 
l'eau  de  ladite  fontaine1».  Sur  les  bords  de  la  Durance,  au  diocèse  d'Aix,  on  trouve,  près  d'Or- 
gon  et  antérieurement  à  l'an  1000,  une  chapelle  de  Saint-Andéol,  que  Pons,  évêque  de  Marseille, 
céda,  en  1003,  à  la  célèbre  abbaye  de  Saint-Victor.  C'est  à  l'ombre  tutélaire  de  cet  oratoire,  que 
se  forma,  plus  tard,  le  village  de  Saint-Andéol.  L'antique  chapelle  n'est  autre  que  celle  qu'on  voit 
encore  au  milieu  du  cimetière. 

En  1562,  le  trop  fameux  baron  des  Adrets,  après  avoir  semé  le  meurtre  et  l'incendie  dans  le 
Daupbiné,  vint  attaquer  Bourg-Saint-Andéo!,  qui  ne  put  tenir  contre  des  forces  trop  supérieures 
en  nombre.  A  peines  des  bandes  prosteslantes  y  furent-elles  entrées,  qu'elles  coururent  aux  églises. 
:Les  portes  de  celle  de  Saint-Andéol  furent  brûlées,  les  autels  renversés,  le  tombeau  du  saint  Martyr 
ouvert  :  tout  fut  horriblement  saccagé  et  profané.  Le  farouche  baron  livra  la  ville  au  pillage.  Les 
consuls  se  virent  contraints  de  livrer  l'argenterie  des  églises.  La  châsse  de  saint  Andéol,  les  autres 
reliquaires  et  les  vases  sacrés  furent  fondus  et  servirent  à  payer  le  salaire  des  fanatiques.  Eu  se 
retirant,  le  baron  des  Adrets  laissa  une  garnison,  sous  les  ordres  du  seigneur  de  Saiut-iiémési. 

Dans  ces  temps  de  dévastation  et  d'acharnement  contre  les  reliques  des  Saints,  que  devinrent 
celles  de  saint  Andéol?  Elles  furent  heureusement  sauvées  de  la  fureur  des  protestants.  Lorsqu'on 
confia  la  châsse  en  argent  à  la  garde  des  consuls,  le  chef  du  Martyr  en  avait  été  retiré  préalable- 
ment et  placé  dans  une  petite  caisse  en  bois,  avec  quelques  autres  fragments.  Après  l'apaisement 
des  troubles,  le  chef  de  saint  Andéol  fut  retiré  de  la  caisse  en  bois  pour  être  placé  dans  uu  reli- 
quaire nouveau  d'une  magnificence  en  rapport  avec  sa  destination.  Il  était  d'argent,  comme  l'an- 
cien, et  surmonté  pareillement  d'un  buste  en  argent,  à  l'efiigie  du  glorieux  Martyr.  Le  protestan- 
tisme passa  dans  la  ville  de  Bourg  comme  un  torrent  dévastateur;  il  ne  put  y  prendre  racine. 
Grâce  à  sa  confiance  en  saint  Audéol,  c-tte  cité  devint,  au  contraire,  jusqu'à  la  du  des  troubles 
religieux,  le  boulevard  du  catholicisme  en  Vivarais. 

Les  armoiries  de  la  ville  de  Bourg-Saint-Andéol  nous  fournissent  le  parfait  symbole  de  cette 
confiance  de  ses  habitants  envers  leur  saint  Patron.  Elles  sont  de  gueules  à  trois  bourdons  d'ar- 
gent, au  chef  cousu  d'azur  chargé  d'un  bagdelaire  d'argent  garni  d'or.  Dans  le  couteau  on 
reconnaît  sans  peine  le  signe  traditionnel  du  genre  de  mort  qui  a  terminé  le  martyre  de  saint 
Andéol.  Les  bourdons  représentent  l'affluence  des  pèlerins  à  son  tombeau  et  la  dévotion  envers 
lui.  11  y  a  en  trois,  peut-être  à  cause  des  trois  quartiers  de  la  ville,  qui  formaient  auiant  de  pa- 
roisses. La  devise  achève  d'éclaircir  ce  symbolisme  :  «  His  fulta  manebit  unitas,  Appuyée  sur  ces 
choses  l'unité  nous  restera  »,  c'est-à-dire,  tant  que  fleurira  dans  nos  murs  la  dévotion  envers  notre 
illustre  et  saint  Patron,  nous  sommes  assurés  qu'il  étendra  sur  nous  sa  protection  et  qu'il  ne  per- 
mettra pas  à  l'erreur  de  briser  parmi  nous  l'unité  de  la  foi.  Ce  caractère  remarquable  de  la  pro- 
tection de  saint  Andéol  sur  la  cité  qui  lui  est  particulièrement  consacrée,  a  été  reconnu  et  accepté 
par  l'autorité  la  plus  compétente.  11  se  trouve,  en  effet,  consigné  dans  la  légende  de  l'office  du 
saint  Martyr.  On  y  attribue  à  son  puissant  patronage  le  privilège  que  la  ville  de  Bourg-Saint- 
Andéol  possède,  seule  parmi  les  villes  circonvoisines,  d'être  restée  toujours  vierge  dans  sa  foi. 

Les  quelques  vieillards  qui  ont  vu  la  lin  du  xvni0  siècle  et  qui  survivent  encore,  se  souvien- 
nent des  marques  non  équivoques  de  vénération  dont  on  environnait  alors  non-seulement  les  osse- 
ments sacrés  du  saint  Martyr,  mais  tous  les  monuments  illustrés  et  sanctifiés  par  son  souvenir.  Ils 
racontent  qu'au  jour  de  la  fête  de  saint  Andéol,  ou  voyait  des  populations  entières  venir  rendre 
hommage  au  Saint  qui  avait  évangélisé  leurs  pères.  On  accourait,  non-seulement  des  lieux  cir- 
convoisius,  mais  de  Grenoble,  de  Carpentras,  de  Vaison,  d'Orange  et  du  fond  de  la  Provence.  Un 
de  ces  vieillards  a  affirmé  à  M.  l'abbé  Mirabel,  auteur  d'une  vie  de  saint  Andéol,  que  l'Espagne  elle- 

1.  Extrait  des  archives  de  Mazan. 


176  1"  MAI. 

même  avait  envoyé  des  députations,   qu'il  en  était  venu  plusieurs  fois  de  Catalogne.  Cet  état  de 
choses  persévéra  jusqu'aux  jours  néfastes  de  la  grande  Révolution. 

Comme  tant  d'autres  cultes  que  les  siècles  avaient  environnés  de  leur  respect,  celui  de  saint 
Andéol  sombra,  pour  un  temps,  dans  l'immense  cataclysme  qui  vint  fondre  sur  la  France,  après 
1789.  En  1791,  le  curé  et  les  vicaires  de  Saint-Andéol  ayant  prêté  serment  à  la  constitution  civile 
du  clergé,  le  service  religieux  en  souffrit  beaucoup.  Les  offices  furent  désertés  par  les  paroissiens 
les  plus  instruits  et  les  plus  fervents.  A  partir  du  1er  février  1794,  les  portes  de  Saint-Andéol  fu- 
rent fermées.  Cinquante  citoyens  eurent  le  courage  de  demander  à  la  municipalité  la  faculté  de 
rouvrir  cette  église  et  d'y  entretenir  des  ministres  du  culte  à  leurs  frais  ;  mais  leurs  plaintes  ne 
furent  pas  écoutées.  Le  vénéré  sanctuaire  ne  s'ouvrit  que  devant  les  commissaires  du  gouvernement. 
Au  nom  de  la  souveraineté  populaire,  ces  derniers  vinrent  enlever  l'argenterie  et  livrer  le  monu- 
ment à  la  dévastation.  Le  maitre-autel,  remarquable  par  sa  beauté,  fut  détruit.  Le  tombeau  de 
saint  Andéol,  profané  et  jeté  à  la  rue.  Les  statues  des  Saints,  les  bannières,  les  reliquaires  en  bois, 
mis  en  pièces  et  jetés  dans  les  flammes  d'un  bûcher  allumé  sur  la  place  publique.  11  faut  rendre 
justice  au  malheureux  prêtre  qui  avait  donné  l'exemple  de  la  défection  à  ses  paroissiens  :  dans 
ces  conjonctures,  il  fit  tous  ses  efforts  pour  sauver  de  la  destruction  les  ossements  de  saint  Andéol. 
Il  demanda  qu'ils  fussent  déposés  aux  archives  de  la  commune,  avec  les  documents  annexés,  pour 
y  être  conservés  à  titre  d'antiquités.  On  dit  aussi  qu'il  avait  essayé  de  les  cacher.  Mais  tous  ses 
efforts  furent  inutiles  ;  le  saint  corps  fut  jeté  dans  les  flammes,  sous  ses  yeux.  Les  révolutionnaires 
de  Paris,  persuadés  qu'il  faut  un  culte  au  peuple,  lui  avaient  donné  celui  de  la  déesse  Raison. 
La  nouvelle  divinité  fut  établie  dans  le  sanctuaire  de  Saint-Andéol,  sur  le  frontispice  duquel  on 
mit  cette  inscription  :  Temple  de  la  Raison.  En  1866,  on  mit  la  main  à  l'œuvre  pour  réparer 
l'église  paroissiale,  dédiée  à  saint  Andéol,  qui  menaçait  ruine.  La  restauration  intérieure  et  exté- 
rieure de  l'édifice  fut  bientôt  complète.  Mais  il  manquait  à  ce  sanctuaire  dont  la  jeunesse  venait 
d'être  redoublée  ;  il  lui  manquait,  au  moins  quelque  parcelle  des  restes  vénérables  de  son  illustre 
Patron.  Assez  longtemps  on  aima  à  croire  qu'une  partie  du  saint  corps,  cachée  par  des  mains 
pieuses,  en  1793,  avait  échappé  aux  flammes.  Dans  cette  espérance,  de  nombreuses  recherches 
avaient  été  faites,  mais  inutilement,  le  vandalisme  sacrilège  des  révolutionnaires  n'ayant  rien 
épargné.  Toutefois,  Dieu  voulait  ne  pas  rester  sourd  à  des  désirs  si  conformes  à  ses  desseins.  En  effet, 
à  peine  les  travaux  de  restauration  étaient-ils  achevés,  que  des  reliques  arrivaient  de  deux  côtés  k 
la  fois.  Les  premières  ont  été  tirées  de  deux  reliquaires  en  bois  conservés  à  l'hospice  de  Bourg- 
Saint-Andéol  et  munis  des  lettres  et  du  sceau  de  Mgr  de  Savines,  évêque  de  Viviers.  L'un  de  ces 
reliquaires,  envoyé  à  Rome  par  les  soins  de  Monsieur  l'archiprètre  de  Bourg-SaintrAndéol,  fut 
présenté  à  l'examen  de  la  Congrégation  des  Saintes-Reliques,  qui,  le  trouvant  muni  de  toutes  les 
marques  d'authenticité  désirables,  permit,  par  lettres  signées  du  cardinal-vicaire,  de  l'exposer 
publiquement  à  la  vénération  des  fidèles.  L'autre  reliquaire,  en  tout  semblable  au  précédent,  a  été 
reconnu  et  déclaré  authentique  par  Mgr  Delcusy,  évêque  de  Viviers.  Une  parcelle  de  ces  reliques 
a  été  placée  dans  le  nouvel  autel  de  saint  Andéol  ;  une  autre,  dans  un  reliquaire,  à  part,  pour  être 
plus  facilement  présentée  à  la  vénération  des  fidèles.  Des  reliques  plus  considérables  se  conser- 
vaient, à  Valence,  dans  l'ancien  prieuré  de  Saint-Félix,  qui  appartint  longtemps  à  l'Ordre  de  Saint- 
Ruf,  et  où  sont  actuellement  des  religieuses  de  Saint- Vincent  de  Paul.  Elles  étaient  renfermées 
dans  un  coffret,  que  l'on  trouva,  en  1850,  dans  le  maitre-autel  de  la  chapelle  du  prieuré,  eu 
faisant  quelques  réparations.  Grâce  à  l'initiative  de  M.  Paradis,  l'église  de  Bourg-Saint-Andéol 
vient  de  recouvrer  intégralement  cette  insigne  relique.  Pour  achever  sa  bonne  œuvre,  le  donataire 
a  renfermé  ces  restes  vénérables  dans  un  beau  reliquaire.  La  translation  de  ces  fragments  du  chef 
de  l'illustre  Martyr  a  été  faite  le  dimanche  3  mai  1868. 

Cf.  Histoire  de  l'Eglise  de  Viviers,  par  M.  l'abbé  Bousiller,  et  Vie  de  saint  Andéol,  par  M,  l'abbé. 
Mlrabel. 


SAINT  AMATEUR  OU  AMATRE,  ÉVÊQUE  D'AUXERRE.  Ml 


SAINT  AMATEUR  l  OU  AMATRE,  ÉVÊQUE  D'AUXERRE 

ET  SAINTE  MARTHE,  SON  ÉPOUSE 
418.  —  Pape  :  Saint  Zozime.  —  Empereur  d'Occident  :  Honorais, 


Amator,  dont  le  nom  a  été  si  parfaitement  justifié 

par  la  charité  qui  remplissait  son  cœur 

Boll.,  Vie  du  Saint,  1er  mai. 

Saint  Amatre  naquit  à  Auxerre,  dans  le  cours  du  rve  siècle,  de  Procli- 
dius,  riche  habitant  de  cette  ville,  et  de  Isiciole,  dame  d'Autun.  Zélé  dès  sa 
jeunesse  pour  le  service  de  Dieu,  il  étudia  les  saintes  lettres,  sous  la  con- 
duite de  Valérien,  son  évêque.  Quand  il  fut  arrivé  à  l'âge  de  s'établir,  son 
père  voulut  le  marier  à  une  riche  héritière  de  la  ville  de  Langres,  nommée 
Marthe;  le  jour  du  mariage,  il  avait  prié  saint  Valérien,  évêque  d'Auxerre, 
de  vouloir  bien  venir  lui-même  bénir  le  lit  nuptial  ;  mais  Valérien,  sans 
doute  par  la  permission  de  Dieu,  au  lieu  de  réciter  les  prières  en  usage  dans 
cette  circonstance,  lut  la  bénédiction  qu'on  prononçait  sur  les  personnes 
qui  se  consacrent  à  Dieu.  Amatre  et  Marthe,  qui  seuls  s'en  étaient  aperçus, 
se  promirent  de  vivre  comme  frère  et  sœur  ;  plus  tard,  après  la  mort  de 
saint  Valérien,  ils  allèrent  trouver  saint  Elade,  son  successeur,  pour  obtenir 
d'être  reçus,  l'un  parmi  les  clercs,  et  l'autre  parmi  les  religieuses  ;  Elade  les 
bénit  et  coupa  les  cheveux  au  jeune  homme,  avant  de  l'admettre  au  nombre 
des  clercs. 

Amatre  n'était  encore  que  diacre,  lorsqu'il  fit  sentir  sa  fermeté  à  Palladie, 
dame  autunoise,  qui,  passant  les  fêtes  de  Pâques  au  faubourg  d'Auxerre  où 
elle  avait  un  riche  domaine,  était  venue  à  l'église  revêtue  d'habits  trop 
somptueux.  Il  la  guérit  ensuite  miraculeusement  d'une  maladie,  convertit 
et  baptisa  son  mari. 

Un  autre  prodige  vint  le  signaler  à  l'attention  publique  :  une  légion  de 
démons  chassée  de  l'île  Gallinaria,  par  saint  Martin  de  Tours,  vint  hanter 
le  Mont-Artre,  près  d'Auxerre  ;  il  l'en  chassa  par  la  vertu  du  nom  de  Notre- 
Seigneur  Jésus-Christ. 

Elevé  à  l'épiscopat  l'an  386,  il  s'employa  tout  entier  à  la  sanctification 
de  son  troupeau.  Il  conquit  à  Jésus-Christ  une  si  grande  multitude  de 
fidèles,  que  l'ancienne  et  unique  basilique  d'Auxerre  étant  devenue  trop 
étroite  pour  les  contenir,  il  en  construisit  une  plus  vaste  dans  l'enceinte  des 
murs  de  la  ville.  Il  la  dédia  en  l'honneur  de  saint  Etienne,  premier  martyr. 

Animé  par  son  zèle  pour  la  vraie  religion,  il  ne  craignit  pas  d'exciter  la 
colère  de  Germain,  gouverneur  du  pays,  en  faisant  couper,  malgré  lui,  un 
arbre  qui  entretenait  dans  le  pays  de  vaines  superstitions.  Il  se  serait  volon- 

1.  On  confond  assez  généralement  saint  Amateur  d'Auxerre  avec  saint  Amateur  de  Troyes.  Parce  que 
Troyes  a  honoré  un  Saint  du  même  nom  que  celui  du  célèbre  évêque  d'Auxerre,  ce  n'est  pas  une  raison 
pour  faire  des  deux  un  seul  personnage.  Il  sera  facile  de  se  convaincre  qu'Amateur  ou  Amatre  d'Auxerre 
et  Amateur  ou  Amadour  de  Troyes  sont  distincts,  si  l'on  considère  que  l'évêque  de  Troyes  a  occupé  le 
siège  épiscopal  de  l'an  340  à  346,  tandis  que  celui  d'Auxerre  gouverna  cette  église  de  385  a  418.  De  plus, 
les  Actes  de  saint  Amateur  d'Auxerre  sont  parfaitement  connus,  tandis  qu'on  ignore  absolument  ceux  de 
saint  Amateur  de  Troyes. 

Vies  des  Saints.  —  Tome  V.  12 


178  Ie*  MAI. 

tiers  exposé  au  martyre  en  affrontant  la  colère  de  Germain,  s'il  n'eût  appris 
par  révélation  divine  que  ce  même  Germain  serait  son  successeur  et  un 
très-grand  serviteur  de  Dieu. 

Il  s'éloigna  pour  quelque  temps  de  sa  ville  épiscopale  et  se  dirigea  vers 
Autun,  soit  pour  donner  au  courroux  de  Germain  le  temps  de  s'apaiser, 
soit  pour  demander  au  préfet  des  Gaules,  Julius,  l'autorisation  de  conférer 
les  Ordres  au  gouverneur  d'Autun,  qui  était  loin,  en  ce  moment,  de  soup- 
çonner ce  que  la  miséricorde  de  Dieu  voulait  faire  de  lui. 

Son  historien  particulier,  Etienne  Africain,  nous  apprend  quelques  cir- 
constances de  ce  voyage.  Saint  Amateur,  traversant  la  forêt  de  Goulou,  les 
paysans  qui  le  reconnurent  pour  un  évêque  au  petit  reliquaire  qu'il  portait 
au  cou,  lui  frayèrent  un  chemin.  Le  Saint  bénit  leur  nourriture  et  guérit  un 
malade  par  le  signe  de  la  croix.  Ce  miracle  lui  attira  les  acclamations  de  toute 
la  contrée.  Non  loin  de  là,  il  rencontra  un  riche  habitant  de  la  ville  d'Alise, 
nommé  Suffronius,  qui  faisait  la  recherche  d'une  certaine  quantité  d'argen- 
terie qu'on  lui  avait  enlevée.  Ce  seigneur  se  joignit  au  saint  évêque  qui  le 
consola,  et  lui  donna  l'espoir  d'une  prompte  restitution.  Les  voleurs  furent 
en  effet  rencontrés  à  trois  milles  de  là,  et  la  restitution  fut  faite  comme  le 
Saint  l'avait  prédit.  Il  détermina  Suffronius  à  leur  pardonner,  et  à  leur  faire 
seulement  promettre  sur  le  tombeau  de  saint  Andoche  et  de  saint  Thyrse, 
qu'ils  changeraient  de  vie.  Cette  circonstance  nous  apprend  que  la  rencontre 
se  fit  dans  le  voisinage  de  Saulieu  où  était  ce  tombeau  de  nos  saints  Apôtres. 

Saint  Amateur,  approchant  d'Autun,  y  fut  reçu  avec  une  grande  pompe  ; 
l'évêque,  saint  Simplice,  alla  au-devant  de  lui  avec  son  clergé,  et  le  préfet 
Jules,  avec  ses  officiers.  Le  lendemain,  saint  Amateur  ayant  fait  demander 
audience  au  préfet,  ce  religieux  magistrat  s'avança  pour  le  recevoir,  et 
commença  par  lui  demander  sa  bénédiction.  Le  saint  évêque,  après  la  lui 
avoir  donnée,  lui  parla  ainsi  :  «  Dieu  m'a  fait  la  grâce  de  m'apprendre  le  jour 
de  ma  mort,  et  comme  personne  n'est  plus  propre  à  gouverner  mon  Eglise 
que  l'illustrissime  Germain,  selon  que  le  Seigneur  a  daigné  me  le  révéler,  je 
prie  votre  Celsitude  de  m'accorder  la  permission  de  le  tonsurer  ».  Le  préfet 
lui  répondit  :  «  Quoiqu'il  soit  utile  et  même  nécessaire  à  notre  république, 
cependant  puisque  le  Seigneur  se  l'est  choisi,  ainsi  que  votre  béatitude  me 
l'assure,  je  vous  déclare  que  je  ne  puis  aller  contre  l'ordre  de  Dieu  ». 

Ayant  donc  obtenu  sa  demande,  saint  Amateur  se  disposait  à  revenir  à 
Auxerre,  mais  l'évêque  d'Autun  le  retint  encore  un  peu  de  temps,  pour  la 
dédicace  d'un  oratoire  élevé  anciennement  sur  le  tombeau  de  saint  Sym- 
phorien.  Les  deux  évêques  revenant  de  la  cérémonie  de  la  dédicace,  ren- 
contrèrent trois  lépreux  qu'ils  guérirent  par  des  onctions  d'huile  bénite,  et 
en  leur  faisant  boire  de  l'eau  du  Jourdain  que  l'on  disait  avoir  été  apportée 
de  la  Palestine  par  le  saint  évêque  Rhétice.  Saint  Amateur  emporta  quel- 
ques reliques  du  saint  martyr  et  les  déposa  près  d'Auxerre,  dans  un  ora- 
toire du  Mont-Artre,  qui  prit  le  nom  de  Saint-Symphorien. 

Ayant  appris  la  mort  de  Marthe,  qui,  depuis  leur  séparation,  s'était  reti- 
rée à  Airy,  terre  de  sa  famille,  il  fit  transporter  son  corps  à  Auxerre,  et 
l'inhuma  sur  le  Mont-Artre,  proche  la  ville. 

Le  saint  évêque  fit  un  voyage  en  Orient,  d'où  il  rapporta  des  reliques 
considérables  de  saint  Cyr  et  de  sainte  Julitte  *.  Ce  fut  à  la  suite  de  ce 
voyage  que  le  culte  de  ces  saints  martyrs  s'établit  en  Occident. 

De  retour  à  Auxerre,  il  rassembla  ses  clercs  et  les  avertit  de  songer  à  lui 
donner  un  successeur.  Les  voyant  tristes  et  silencieux,  il  se  dirige  vers 

1  Voir  au  16  juin,  vie  de  saint  Cyr. 


SAINT  ORENS,  ÉVÊQUE  d'aïïCH.  179 

l'église,  où  il  avait  convoqué  tout  le  peuple,  et  y  trouve  Germain  en  prière 
avec  les  autres  ;  il  le  dépouille  de  l'habit  séculier,  l'enrôle  dans  la  milice 
de  l'Eglise  et  le  déclare  son  successeur,  en  lui  recommandant  de  garder  sans 
tache  l'honneur  qu'il  venait  de  recevoir.  Après  cela,  ce  père  pieux  étant 
tombé  malade,  il  se  fit  porter  dans  l'église  sur  son  siège  épiscopal.  Ce  fut  là 
qu'il  s'éteignit  entre  les  mains  de  ceux  qui  le  soutenaient. 

On  vit  aussitôt  un  chœur  de  bienheureux  descendre  dans  l'église,  chan- 
tant des  hymnes  et  des  cantiques,  et  conduire  son  âme  au  ciel.  Le  clergé  et 
les  fidèles  qui  étaient  réunis  autour  du  saint  évêque,  entonnèrent  à  leur 
tour  le  chant  des  psaumes.  C'était  un  mercredi,  le  1er  mai  de  l'an  418.  Son 
corps  fut  inhumé  sur  le  Mont-Artre,  dans  l'oratoire  où  reposait  déjà  sainte 
Marthe.  —  L'église  que  saint  Amateur  avait  élevée  sur  le  Mont-Artre  pour 
y  recevoir  les  reliques  de  saint  Symphorien,  prit  plus  tard  le  nom  de  son 
fondateur.  Le  culte  de  notre  Saint,  établi  en  France  dès  le  vie  siècle,  se  ré- 
pandit jusqu'en  Catalogne,  à  l'occasion  d'une  de  ses  reliques  que  Charle- 
magne  avait  donnée  à  cette  contrée. 

On  représente  saint  Amatre  avec  une  hache  à  la  main  :  devant  lui  est  un 
arbre  qu'il  s'apprête  à  frapper.  La  vie  du  Saint  explique  le  pourquoi  de  ces 
attributs. 

Acta  Sanetorum,  X"  mai,  et  en  fait  d'auteurs  modernes  :  Légendaire  d'Autun,  Hagiologie  de  Never*. 
Culte  de  saint  Symphorien,  divers  propres,  etc. 


SAINT  ORENS,  EVEQUE  D'AUGH 

?•  siècle. 


Voulez-vous  recevoir  avec  respect,  publier  et  obser- 
ver les  traditions  des  saints  Pères,  et  les  constitu- 
tions du  Sie'ge  apostolique  ?  —  Je  le  veux. 
Pontifical  romain,  consécration  des  évêques. 

Saint  Orens  succéda  à  saint  Ursinien,  un  de  ces  Pontifes  dont  les  vertus 
ne  sont  point  parvenues  jusqu'à  nous,  et  dont  le  culte  a  péri  en  traversant 
le  cours  des  âges.  A  sa  mort,  on  songea  à  donner  à  l'église  d'Auch  un  pas- 
teur, qui  fît  revivre  celui  qu'elle  pleurait.  Or,  dans  ces  temps  de  foi  simple 
et  naïve,  les  hommes,  comprenant  leur  impuissance,  tournaient  leurs  vœux 
et  leurs  espérances  vers  le  ciel,  et  souvent  se  reposaient  uniquement  sur  lui 
du  soin  de  choisir.  On  ordonna  à  cet  effet  un  jeûne  public  et  des  prières  so- 
lennelles, et  Dieu  se  plut  à  les  exaucer  d'une  manière  sensible.  Quand  le 
clergé  et  le  peuple  furent  réunis  pour  l'élection,  une  voix  d'en  Haut  pro* 
nonça  le  nom  d'Orens. 

Il  était  né  à  Huesca,  sur  la  frontière  d'Aragon,  d'un  père  que  les  légen- 
daires font  comte  ou  gouverneur  d'Urgel,  ce  qui  a  porté  plusieurs  biogra- 
phes à  lui  donner  cette  ville  pour  patrie.  Son  éducation  répondit  à  la  no- 
blesse et  à  la  piété  des  auteurs  de  ses  jours,  qui  sont  honorés  l'un  et  l'autre 
d'un  culte  public  sous  le  nom  de  saint  Orens  et  de  sainte  Patience l.  Il  fit  en 
peu  de  temps  de  grands  progrès  dans  les  lettres  et  de  plus  grands  encore 

1.  Quelques  auteurs  le  disent  frère  des  saints  diacres  Laurent  et  Vincent:  d'autres  lui  refusent  l'hon- 
neur d'avoir  eu  pour  père  un  autre  saint  Orens,  et  pour  mère  sainte  Patience. 


180  1"  MAI. 

dans  les  voies  du  salut.  Le  Seigneur,  qui  le  destinait  à  devenir  un  des  orne- 
ments de  son  sacerdoce,  l'arracha  du  sein  de  sa  famille,  au  moment  où  tous 
les  biens  et  tous  les  honneurs  de  sa  maison  passaient  sur  sa  tête  par  la  mort 
de  son  frère  aîné.  Un  ange  l'avertit  et  le  conduisit  comme  par  la  main  dans 
la  vallée  de  Lavedan,  à  quelques  heures  de  Tarbes. 

Tandis  que  le  pieux  jeune  homme  mettait  tous  ses  soins  à  se  cacher  au 
monde,  Dieu  sembla  se  plaire  à  le  glorifier.  La  réputation  de  sa  sainteté  et 
le  bruit  des  miracles  qui  la  signalaient,  se  répandirent  bientôt  de  toutes 
parts  :  on  vit  les  peuples  accourir  en  foule  vers  le  lieu  de  sa  retraite.  Ils  ne 
venaient  y  chercher  qu'un  remède  à  leurs  infirmités,  et  ils  trouvaient  dans 
les  prières  et  les  avis  charitables  du  serviteur  de  Dieu  la  santé  de  leur  âme 
avec  celle  de  leur  corps. 

Cependant  le  vertueux  solitaire  s'alarma  de  ce  concours.  Il  craignit  les 
séductions  d'un  amour-propre  que  tout  éveillait,  et  afin  de  se  dérober  à 
tant  d'empressement,  il  quitta  la  vallée  de  Lavedan  et  gravit  le  sommet 
d'une  roche  escarpée,  qui,  à  son  approche,  se  partageant  en  deux,  parut  ou- 
vrir son  sein  pour  lui  prêter  un  asile  ignoré  et  presque  invisible.  Dans  cette 
roche  profonde,  caché  aux  regards  des  hommes,  mais  sous  l'œil  de  Dieu,  il 
se  livra  aux  veilles,  aux  jeûnes,  aux  macérations,  à  toutes  les  rigueurs  de  la 
plus  austère  pénitence.  «  Là  »,  nous  dit  un  de  ses  anciens  biographes,  «  les 
herbes  étaient  sa  viande,  l'eau  sa  boisson,  sa  maison  un  antre,  le  ciel  son 
toit,  la  terre  son  lit  et  un  rude  cilice  son  vêlement  ».  Cet  esprit  de  mortifi- 
cation le  suivait  jusque  dans  ses  prières.  Tous  les  jours  il  récitait  le  psau- 
tier, les  reins  ceins  d'une  chaîne  de  fer  et  plongé  jusqu'à  mi-corps  dans  un 
bassin  d'eau  froide. 

Les  heures  que  lui  laissaient  ses  exercices  religieux,  il  les  consacrait  à  la 
composition  d'un  poëme  remarquable  pour  l'époque,  et  dont  quelques  écri- 
vains ont  voulu  faire  honneur  à  des  Orens  qui  n'existèrent  jamais.  Partagé 
en  deux  livres  et  composé  de  vers  élégiaques,  il  a  pour  titre  cummoniioire  ou 
avertissement  :  c'est  une  peinture  des  divers  obstacles  qui  s'opposent  à  notre 
salut  et  une  sorte  de  guide  vers  le  ciel.  Il  respire  une  douce  et  sainte  mé- 
lancolie, comme  les  malheurs  de  l'empire  et  l'aspect  d'une  nature  abrupte 
et  sauvage  devaient  facilement  l'inspirer.  En  y  travaillant,  l'auteur  chan- 
tait encore  les  louanges  de  Dieu  et  s'occupait  à  procurer  sa  gloire  '. 

Nous  trouvons  très-beaux  ces  vers  sur  la  brièveté  de  la  vie  : 

Omnis  paulatim  letho  nos  applicat  hora,  Chaque  heure  qui  s'écoule   nous  rapproche 

Hoc  quoque  quo  loquimur  tempore  praemo-       du  trépas  ;  l'instant  où  je   parle   est  déjà  du 

[riuiur  ;       domaine  de  la  mort. 

Et  per  fallentes  tacito  molimine  cursus  Par  une  marche  qui  nous  dérobe  ses  progrès 

Urget  supiemos  ultima  vita  dies.  insensibles,  la  dernière  des  heures  presse  le  pas 

du  dernier  de  nos  jours. 

Quum  cibus  et  somnus,  dura  verba  et  pocula  Pendant  que  tu  manges  et  pendant  que  tu 

[mulceut,       dors;  pendant  que  tu  t'enivres  de  vin  et  de 
S:ve  àcsïû  sedeas,  seu  peregrina  petas,  paroles  ;  alors  que  tu  es  assis  dans  ton  logis  et 

lorsque  tu  marches  au  dehors  ; 

1.  Le  ton  du  poëto  est  toujours  noble  et  élevé;  son  style  est  plein  d'onction  et  de  simplicité-;  la  net- 
teté de  l'expression  fait  déjà  entrevoir  cette  langue  latine  du  moyen  âge  que  les  saint  Bernard  et  les 
saint  Thomas  d'Aquin  ont  su  rendre  si  claire,  et  qui,  sous  leur  plume,  nous  semble  si  bien  appropriée  à 
l'expression  des  vérités  du  christianisme.  Il  y  a  peu  d'ouvrages  qui  soient  aussi  dignes  que  ce  poëme 
d'être  mis  entre  les  mains  de  la  jeunesse,  tant  à  cause  de  son  mérite  littéraire,  qu'à  cause  des  conseils 
qu'il  renferme.  Le  Commonitorium  n'a  été  publié  dans  son  entier  qu'en  1717.  A  ce  propos  nous  ne  pou- 
vons nous  empêcher  de  faire  remarquer  que  sans  les  Bénédictins  et  les  autres  Ordres  religieux,  beaucoup 
de  poètes  chrétiens  seraient  peut-être  perdus  aujourd'hui.  Les  philologues,  entraînés  par  le  mauvais  es- 
prit de  la  Renaissance,  ont  complètement  négligé  ces  poètes,  taudis  qu'ils  nous  ont  inondés  d'un  déluge 
de  note3  et  de  commentaires  sur  les  poètes  profane». 


SAINT  ORENS,  ÉVÊQUE  D'AUCH.  18! 

Dumque  geris  quodcumque  geris,  vel  non  geris  Pendant  chacune  de  tes  actions  volontaires 

[ultro,       ou  involontaires,  la  mort,  que  rien  n'arrête, 
Mors  movet  alternum  nil  remorata  pedem.  avance,  avance  toujours. 

Cereus  ut  caecae  positus  sub  tempore  noctis  De  même  que  le  flambeau  que  nous  allumons, 

Compensare  diem  luminis  officio,  pour  tromper  les  ténèbres  de  la  nuit  et  rem- 

placer la  lumière  du  jour, 

Dum  non  sentimus,  lento  consumitur  igné  :  Se  consume  lentement  sans  que  nous  nous 

Semper  et  ad  finem  flamma  vorax  properat;      en  apercevions  et  que  la  flamme  se  hâte  de 

ronger  la  matière  soumise,  à  son  activité  ; 

Sic  hominum  res  est,  pereunt  qnaecumque  ge-  Ainsi  en  est-il  de  l'homme  et  de  sa  destinée  : 

[runtur,       tout  périt  ;  ce  qui  a  le  plus  brillé  passe,  et  la 
Proficit  et  moritur  quod  sibi  vita  trahit.  vie  elle-même  se  résout  dans  la  mort. 

Ainsi  s'écoulaient  ses  jours,  lorsque  les  députés  de  l'église  d'Auch  vin- 
rent lui  apprendre  les  ordres  du  ciel  et  le  conjurer  de  ne  point  se  refuser 
aux  vœux  empressés  d'un  peuple  qui  l'attendait.  L'humilité  est  le  sceau  de 
la  sainteté,  et  même  de  tout  vrai  mérite.  Orens,  se  jugeant  complètement 
indigne  de  la  haute  dignité  qu'on  lui  déférait,  refusa  de  croire  à  ce  que  ce 
récit  avait  de  flatteur,  et  sans  en  entendre  davantage,  il  prit  aussitôt  le 
bâton  de  voyageur,  et  déjà  il  se  préparait  à  fuir;  mais  arrêté  par  les  dépu- 
tés et  craignant,  sur  leurs  assurances  redoublées,  de  résister  à  Dieu,  il  pria 
le  Maître  suprême  de  lui  faire  connaître  plus  spécialement  sa  volonté.  Sa 
prière  était  à  peine  finie,  que  le  bâton  qu'il  tenait  à  la  main  prend  racine, 
étend  ses  rameaux,  et  se  couvre  d'un  vert  feuillage.  A  la  vue  de  ce  miracle, 
Orens  courbe  la  tête  et  se  dirige  vers  Auch.  Quand  il  fut  près  d'entrer  dans 
ses  murs,  tous  les  malades  qui  y  étaient  renfermés  se  trouvèrent  subite- 
ment guéris.  Ce  second  miracle  acheva  de  lui  gagner  les  cœurs.  Les  habi- 
tants s'empressèrent  de  sortir  à  sa  rencontre  pour  lui  témoigner  leur  joie  et 
leur  reconnaissance. 

Le  nouveau  pasteur  se  dévoua  au  salut  de  ses  ouailles.  Quoique  la  croix 
brillât  depuis  longtemps  sur  le  front  des  Césars,  le  paganisme  comptait  en- 
core, surtout  dans  les  provinces  reculées,  des  sectateurs  nombreux.  Orens 
s'attacha  d'abord  à  l'extirper  de  son  diocèse.  Dans  ce  but,  non-seulement  il 
combattit  les  rites  idolâtriques,  mais  encore  il  abattit  tous  les  monuments 
qui,  en  rappelant  le  souvenir  des  fausses  divinités,  en  perpétuaient  le  culte. 
Là,  où  l'ami  des  arts  est  tenté  de  gémir,  l'homme  doué  d'un  sens  pratique 
ne  peut  refuser  son  assentiment.  Avant  tout,  il  fallait  ramener  la  société 
égarée  dans  les  voies  de  l'erreur. 

Aux  portes  de  sa  ville  épiscopale,  sur  une  montagne  appelée  alors  Ner- 
vica  ou  Nerveia,  s'élevait  un  temple  célèbre  consacré  à  Apollon.  Orens  s'y 
transporte,  le  détruit,  et  sur  ses  ruines  il  élève  une  église  en  l'honneur  du 
jeune  enfant  Cyr  et  de  sa  mère,  sainte  Julitte,  martyrisés  ensemble  sous 
Dioclétien.  Du  nom  légèrement  altéré  de  cette  tendre  et  innocente  victime, 
le  mont  s'appela  depuis  Saint-Cric. 

Un  zèle  aussi  actif  contre  le  paganisme  ne  pouvait  rester  muet  et  indif- 
férent devant  les  vices  qui  souillaient  la  religion.  Mais  ici,  la  résistance  fut 
singulièrement  opiniâtre  ;  on  triomphe  quelquefois  plus  facilement  des  in- 
fidèles et  des  hétérodoxes  que  des  indignes  enfants  de  l'Eglise.  Vainement 
le  pieux  évêque  fit-il  tour  à  tour  entendre  les  accents  de  la  plus  douce  et 
de  la  plus  tolérante  charité,  ou  gronder  les  foudres  de  la  parole  évangéli- 
que,  sa  voix  fut  complètement  méconnue  et  toutes  ses  exhortations  dédai- 
gnées. Tant  d'efforts  infructueux  amenèrent  dans  son  cœur  le  décourage- 
ment. D'ailleurs,  son  ancien  attrait  pour  la  solitude  le  poursuivait  sans  cesse 


182  i"  mai. 

au  milieu  de  la  vie  publique.  Enfin,  sa  profonde  humilité  lui  montrait  tou- 
jours comme  trop  lourd  le  fardeau  imposé  à  ses  épaules.  De  là,  la  résolution 
qu'il  forma  d'abandonner  un  peuple  qu'il  ne  pouvait  réformer.  Il  reprit  la 
cuculle  et  le  bourdon  de  l'ermite  ,  et  retourna  pauvre  et  content  à  la 
grotte,  ancien  témoin  de  ses  austérités  et  depuis  l'objet  de  tous  ses  regrets. 

Ce  départ  consterna  ses  ouailles.  Elles  avaient  pu  se  montrer  indociles 
et  rebelles,  mais  elles  n'en  avaient  pas  moins  chéri  leur  pasteur  et  vénéré 
ses  hautes  vertus.  On  courut  après  lui  en  lui  promettant  une  vie  nouvelle. 
Le  Saint  se  laissa  toucher  à  ces  sentiments,  et  sacrifiant  son  amour  pour  la 
retraite  à  l'espoir  de  sauver  les  âmes,  il  retourna  vers  le  troupeau  qui  le 
redemandait,  et  au  milieu  duquel  son  ministère  porta  désormais  les  fruits 
les  plus  abondants.  Ses  succès,  ses  talents,  sa  piété  et  les  miracles  nombreux 
dont  Dieu  se  plaisait  à  relever  les  vertus  de  son  serviteur,  le  plaçaient  à  la 
tête  des  évêques  d'Aquitaine.  Ainsi  son  nom  se  présenta  naturellement  à 
Théodoric  I",  roi  des  Visigoths  ariens,  lorsque  ce  prince,  assiégé  dans  Tou- 
louse par  Lictorius,  lieutenant  du  célèbre  Aétius,  lui  envoya  en  députation 
quelques  prélats  orthodoxes  de  ses  Etats  pour  demander  la  paix  ;  mais  Lic- 
torius reçut  les  prélats  avec  hauteur  et  presque  avec  mépris  ;  et  trompé  par 
les  vaines  promesses  des  aruspices  et  des  devins,  qui  lui  assuraient  qu'il  en- 
trerait en  triomphe  dans  Toulouse  et  qu'il  prendrait  le  chef  des  ennemis,  il 
repoussa  toutes  les  propositions  d'accommodement. 

Pendant  que  le  général  romain  repaissait  son  orgueil  de  la  pensée  d'une 
victoire  certaine,  Théodoric,  nous  dit  Salvien,  s'humiliait  devant  le  Dieu  des 
armées,  et  couvert  d'un  cilice,  il  se  prosternait  souvent  en  prières.  Il  se  releva 
enfin  avec  confiance  pour  marcher  au  combat.  L'amour  de  la  gloire  d'un 
côté,  la  nécessité  de  l'autre,  rendirent  longtemps  l'action  sanglante  et  dou- 
teuse. Peut-être  l'avantage  fût-il  resté  aux  Romains,  si  Lictorius,  se  jetant 
trop  en  avant  dans  la  mêlée,  n'eût  été  fait  prisonnier.  Cette  prise,  en  déci- 
dant le  succès,  termina  le  combat  et  commença  les  ignominies  du  lieute- 
nant d' Aétius. 

Conduit  à  Toulouse,  il  dut  y  subir  un  triomphe  bien  différent  de  celui 
que  se  promettait  sa  présomption,  et  que  lui  avaient  prédit  ses  imprudents 
conseillers.  On  lui  prodigua  tous  les  outrages  dont  peut  se  souiller  un  vain- 
queur en  délire.  Placé  à  reculons  sur  un  âne,  on  le  promena  dans  toutes  les 
rues,  les  mains  liées  derrière  le  dos  et  le  corps  chargé  de  chaînes  pesantes. 
On  le  confina  ensuite  dans  un  cachot  ténébreux,  où  durant  cinq  ou  six  mois 
on  lui  jeta  un  pain  noir  destiné  à  irriter  sa  faim  sans  le  satisfaire,  et  après 
qu'une  si  longue  et  si  cruelle  maladie  l'eût  rendu  méconnaissable  à  tous  les 
regards,  on  finit  par  faire  tomber  sa  tête  sous  la  hache  du  bourreau.  Dans 
un  sort  aussi  tragique,  les  anciennes  légendes  ne  manquent  pas  de  voir  la 
punition  de  l'outrage  fait  à  saint  Orens  et  à  ses  vénérables  collègues. 

Du  reste,  cette  ambassade,  d'autant  plus  honorable  que  notre  Saint  la 
devait  à  un  prince  hérétique,  couronna  sa  vie.  Dès  qu'il  fut  revenu  à  Auch, 
Dieu  lui  apparut  et  lui  fit  connaître  que  sa  dernière  heure  approchait.  Ici 
nous  laisserons  parler  un  de  ses  anciens  biographes  l  :  «  Dès  lors,  sentant 
approcher  son  désiré  trespas,  il  fut  merveilleusement  resjouy  et  consolé  en 
son  âme,  et  quoique  toute  sa  vie  eust  esté  une  continuelle  préparation  à  la 
mort,  il  s'arma  des  Saints-Sacrements  pour  combattre  de  nouveau  ce  dragon 
infernal,  que  tant  de  fois  il  avait  vaincu.  Suppliant  Nostre-Seigneur  de  re- 
cevoir son  âme  entre  ses  mains  et  que  ceux  qui,  après  son  décès,  auraient 

1.  La  Vie  du  glorieux  saint  Orens,  évesque  d'Auch,  composée,  sur  les  mémoires  tirez  des  ancienne» 
légendes  et  des  plus  fidèles  historiens  a  Tolose  chez  Arnaud  Colomiez,  sans  date. 


SAINT   ORENS,   ÉVÊQUE  D'ATTGtf.  183 

recours  à  lui  en  leurs  ennuis  et  fascheries  spirituelles,  eussent  la  grâce  par- 
ticulière de  chasser  l'ennemy  d'enfer  qui  leur  causerait  ce  trouble.  Inconti- 
nent une  voix  céleste  fut  entendue  par  deux  ecclésiastiques  témoins  de  la 
vision  :  «  Orens,  je  t'accorde  tout  ce  que  tu  me  demandes  en  faveur  de  ceux 
qui  se  recommanderont  à  toy,  lesquels  invoquants  ton  secours  en  toutes  les 
infirmités,  tribulations  d'esprit,  nécessitez  et  angoisses  en  seront  délivrez 
et  ne  manqueront  jamais  de  biens  temporels  en  leur  besoin  ». 

«  Ainsi,  ce  saint  prélat,  dont  la  mémoire  est  en  bénédiction,  finit  sa  car- 
rière mortelle  comme  les  lampes  aromatiques  avec  une  suave  odeur,  comme 
les  cygnes  en  chantant  mélodieusement  ses  propres  funérailles  et  comme  le 
phœnix  en  se  consumant  dans  le  feu  de  sa  charité  et  poussant  sa  belle  âme 
par  un  souspir  d'amour,  mourut  dans  le  baiser  du  Seigneurie  premier may 
qui  est  le  jour  où  l'Eglise  célèbre  sa  feste  ». 

RELIQUES  ET  CULTE  DE  SAINT  ORENS. 

Son  corps  fut  inhumé,  à  Auch,  dans  l'église  de  Saint-Jeau-Baptiste  qui  ne  tarda  pas  a  s'appeler 
tantôt  de  son  premier  nom  et  tantôt  du  nom.  de  l'illustre  et  saint  prélat,  dont  les  dépouilles 
Tenaient  de  lui  être  confiées,  et  insensiblement  ce  dernier  prévalut. 

Ce  changement  nous  révèle  la  haute  opinion  qu'avait  de  ses  vertus  son  ancien  troupeau  et  la 
confiance  qu'on  conservait  en  sa  protection  auprès  de  Dieu.  La  ville  le  choisit  pour  son  second 
patron  :  bientôt  plusieurs  paroisses  du  diocèse  se  placèrent  sous  son  vocable.  Le  concours  était 
grand  près  de  ses  restes  sacrés,  et  l'église  qui  les  renfermait,  devenait,  chaque  année,  plu* 
insuffisante. 

Bernard  le  Louche,  comte  d'Armagnac,  témoin  de  cette  insuffisance,  l'agrandit,  ou  plutôt,  sur 
Bon  emplacement,  il  bâtit  la  superbe  basilique  a  trois  nefs  qu'on  admirait  près  des  rives  du  Gers, 
et  qui,  fermée  et  mulilco  en  1793,  fut  vendue  peu  après  et  acheva  de  disparaître  de  1800  à  1804; 
car  la  chapelle  de  la  Conception,  qui  existe  encore  et  qui  en  faisait  autrefois  partie,  n'appartient 
nullement  aux  constructions  élevées  par  ordre  de  Bernard  le  Louche,  et  ne  remonte  qu'auxiv8  ou  au 
xv«  siècle.  Là  ne  s'arrêta  pas  la  dévotion  du  comte.  A  côté  de  la  basilique,  il  construisit  une  vaste 
abbaye  et  y  plaça  des  religieux  qu'il  chargea  de  veiller  sur  les  cendres  de  saint  Oreas,  et  de  prier 
près  de  sa  tombe,  et  qu'il  dota  généreusement. 

L'archevêque  d'Auch  voulut  s'associer  à  ces  libéralités.  Il  scinda  la  paroisse  de  la  ville,  que  ses 
prédécesseurs  avaient  jusqu'alors  administrée  seuls,  à  l'aide  du  clergé  placé  sous  leur  discipline  immé- 
diate, et  en  attribua  uue  portion  à  la  nouvelle  église,  en  la  constituant  en  paroisse  propre  et 
distincte.  L'abbaye  ne  tarda  pas  à  changer  de  mailre  ;  elle  passa  aux  Bénédictins  de  Cluny  sous 
l'épiscopat  de  saint  Austinde,  et  fut  réduite  en  prieuré.  Bernard  de  Sédirac  ou  de  Sérillac,  le  troi- 
sième prieur  qui  gouverna  la  maison,  releva  le  corps  de  saint  Orens  et  le  plaça  dans  un  endroit 
plus  apparent  et  plus  honorable.  Cette  translation  eut  heu  le  G  août.  Les  anciens  martyrologes  du 
diocèse  mentionnent  le  jour,  mais  ne  désignent  pas  l'année,  qu'il  faut  placer  entre  1075,  époque 
où  le  prédécesseur  de  Bernard  de  Sérillac  vivait  encore,  et  1080,  époque  où  Bernard  était  devenu 
archevêque  de  Tolède,  en  Espagne. 

Le  nom  et  les  vertus  de  saint  Orens  ne  restèrent  pas  moins  populaires  dans  la  Bigorre  que  dans 
le  diocèse  d'Auch.  Deux  monastères  y  furent  bâtis  en  son  honneur  :  l'un,  à  quelques  pas  de  son 
ancienne  retraite  et  presque  sur  le  théâtre  de  sesaustérités,  et  l'autre,  dans  le  vicomte  de  Montaner 
et  le  voisinage  de  la  ville  de  Maubourguet  ;  pour  les  distinguer,  on  surnomma  celui-ci  de  la  Règle 
ou  de  la  Reoule,  et  on  l'appela  l'abbaye  de  Saint-Orens  de  la  Règle  ou  de  la  Reoule,  ou  simplement 
la  Reoule. 

On  gardait  dan8  le  premier,  outre  quelques  reliques  du  Saint  encore  conservées  de  nos  jours, 
une  partie  de  la  chaîne  dont  il  se  ceignait  quand  il  récitait  le  psautier,  et  nombreux  furent  le» 
miracles  opérés  à  l'aide  et  par  la  vertu  de  cette  chaîne. 

Le  reste  de  cette  chaîne  fut  envoyé  à  Toulouse  dans  le  couvent  de  Sainte-Croix.  Outre  cette 
chaîne,  les  religieux  de  ce  couvent  obtinrent,  du  prieur  et  des  moines  d'Auch,  quelques  reliques 
qu'ils  reçurent  le  12  juillet  1354,  et  qu'ils  firent  enchâsser  dans  un  chef  et  un  bras  d'argent.  «  On 
ne  saurait  »,  ajoute  l'écrivain  4  auquel  nous  empruntons  ces  détails,  «  assez  dire  la  dévotion  des 
Toulousains  et  des  peuples  circonvoisins  envers  ce  Saint;  car  leurs  enfants  ont  à  peine  reçu  le 

1.  L'auteur  de  sa  Vie,  publiée  à  Tholoze,  chez  Arnaud  Colomiez,  invoqué  plus  haut.  Cette  grande 
dévotion  des  Toulousains  envers  saint  Orc-ns,  que  divers  autres  monuments  attestent,  ne  tendrait-ella 
pas  à  confirmer  la  part  que  saint  Orens  prit  à  la  délivrance  de  la  ville  sous  Théodoric  1er?  Néanmoins, 
comme  cette  délivrance  remonte  a  un  date  si  éloignée,  nous  n'oserions  rien  affirmer  à  ce  sujet. 


481  1M  MAI. 

saint  baptême,  qo*il3  vont  à  l'église  de  Saint-Orens  les  mettre  Bons  la  protection  de  ce  grand  Saint 
pour  les  enrôler  dans  sa  confrérie,  établie  dans  ledit  couvent,  une  des  plus  belles  et  des  plus 
anciennes  de  la  ville,  enrichie  d'indulgences  par  notre  Saint-Père  le  pape  Paul  V  ». 

Le  bruit  des  miracles  opérés  près  du  tombeau  de  saint  Orens,  ou  de  ses  restes  vénérés,  franchit 
les  Pyrénées  et  se  répandit  sur  les  frontières  d'Espagne.  La  ville  d'Huesca  s'honorait,  avec  raison, 
de  lui  avoir  donné  le  jour.  L'évêque  du  lieu  et  ses  magistrats  invoquèrent  ce  titre  pour  obtenir, 
eux  aussi,  quelques-unes  de  ses  reliques.  Ils  s'adressèrent  d'abord  à  Rome  et  à  Paris,  et,  après 
avoir  obtenu,  non  sans  de  longues  supplications,  l'autorisation  du  Pape  et  l'assentiment  du  roi  de 
France,  ils  envoyèrent  à  Auch  une  députation  composée  de  l'écolâtre  de  la  cathédrale  et  de  trois 
notables  auxquels  se  joignit  Dom  Manuel  Lopez,  noble  espagnol  réfugié  à  Coarrase,  en  Béarn. 
Mgr  Léonard  Destrappes  ',  un  prélat  digne  lui-même  des  honneurs  publics  de  la  sainteté,  que 
Rome,  nous  l'espérons,  lui  décernera  un  jour,  occupait  alors  le  siège  métropolitain.  Il  accueillit  les 
députés  avec  joie,  et  leur  octroya  volontiers  leur  demande. 

Depuis  cette  translation,  on  fit  encore  quelques  emprunts  à  la  châsse  de  saint  Orens  pour  enri- 
chir de  ses  reliques  quelques  sanctuaires  du  diocèse  d'Auch  ou  des  diocèses  voisins,  comme  l'église 
paroissiale  de  Miradoux  qui  a  pris  le  Saint  pour  patron,  ou  la  chapelle  du  collège  d'Auch,  dirigé 
alors  par  les  jésuites.  Mais  le  reste  du  corps  resta  dans  ia  basilique  où  il  avait  été  d'abord  ense- 
veli, et  malheureusement,  hélas  !  il  n'en  partagea  que  trop  le  sort.  Le  chef  était  renfermé  dans 
un  magnifique  buste  d'argent,  œuvre  du  moyen  âge,  pour  laquelle  Jean  Ier,  comte  d'Armagnac, 
légua  cent  livres  par  son  testament  de  l'an  1373.  On  gardait  les  ossements  dans  le  coffre  de  bois 
doré  garni  de  fer  dont  nous  parlions  naguère.  Près  d'eux,  une  communauté  de  Bénédictins  sécu- 
larisés, en  1721,  et  transformés  en  Chapitre,  célébrait,  tous  les  jours,  les  offices  publics  de  l'Eglise. 
Tout,  dans  cette  enceinte,  annonçait  que  sous  ces  voûtes  reposait  le  second  Patron  de  la  ville 
d'Auch.  Aujourd'hui  tout  a  disparu  :  le  Propre  seul  du  diocèse  garde  le  souvenir  de  l'évêque  poète 
du  Ve  siècle. 

Cf.  Histoire  de  Gascogne,  par  Monlezun. 


SAINT  SIGISMOND,  ROI  DE  BOURGOGNE 

524.  —  Pape  :  Saint  Jean  I«r.  —  Roi  de  France  :  Childebert  I»'. 


Rien  de  plus  sublime  qu'un  roi  qui,  les  mains  éten- 
dues sur  le  peuple,  adore  le  Souverain  commun 
des  rois  et  des  peuples. 

Sidoine  Ap.,  Epist.  ad  Serranum. 

Une  des  plus  belles  œuvres  du  christianisme,  c'est  la  conversion  de  ces 
peuples  barbares  qui  envahirent  l'Occident  au  cinquième  siècle,  et  que  la 
religion  arracha,  par  tant  d'efforts,  à  des  mœurs  sanguinaires,  pour  leur  faire 
comprendre  et  pratiquer  les  vertus  évangéliques.  Il  était  difficile  que  cette 
œuvre  de  régénération  s'opérât  d'une  manière  complète  dans  ces  âmes 
farouches.  Aussi,  malgré  l'influence  de  la  religion,  la  nature  barbare  repre- 
nait quelquefois  le  dessus.  De  là  vient  ce  mélange  de  vertus  et  de  vices,  de 
cruauté  et  de  douceur,  qu'on  retrouve  dans  les  caractères  de  cette  époque, 
où  le  mal  se  montre  souvent  dans  ce  qu'il  a  de  plus  odieux,  et  le  bien,  dans 
ce  qu'il  a  de  plus  sublime.  Cependant,  la  foi  finissait  presque  toujours  par 
l'emporter  sur  les  instincts  de  la  barbarie,  et  si  les  âmes  se  laissaient  aller 
à  quelque  crime,  le  repentir  venait  bientôt  en  demander  et  en  obtenir 
l'expiation,  comme  nous  le  voyons  dans  la  vie  de  saint  Sigismond. 

Sigismond  était  fils  de  Gondebaud,  roi  de  Bourgogne 2,  qui  s'en  était  rendu 

1.  On  doit  écrire  Destrappes  et  non  de  Trappes  :  c'est  l'orthographe  que  porte   son  extrait   de  nais- 
lance,  du  3  octobre  1558.  —  Semaine  religieuse  de  Nevers,  30  mars  1872. 

2.  Les   Bourguignons  ou  Burgondes  étaient   une  des  principales  tribus  des  Vandales,  suivant  Pline 
•t  Zozime.  Co  point  d'histoire  a  été  fort  bien  éclairci  par  Mille. 


SAINT  SIGISMOND,   ROI  DE  BOURGOGNE.  185 

entièrement  maître  en  faisant  mourir  son  frère  Chilpéric,  père  de  sainte 
Clotilde  de  France.  Grégoire  de  Tours  a  loué  la  piété  de  Carétènes,  sa  mère. 
C'est  cette  princesse  qui  fit  bâtir  à  Lyon  l'église  de  Saint-Michel,  où  elle  fut 
inhumée  (506).  Elle  avait  mis  le  plus  grand  soin  à  élever  son  fils  Sigismond 
dans  la  religion  catholique.  Mais  son  zèle  n'obtint  pas  tout  le  succès  qu'elle 
avait  cherché.  Le  roi  Gondebaud  était  arien,  et  l'exemple  du  père  fut  fatal 
à  la  foi  du  fils,  qui  embrassa  aussi  l'arianisme. 

Cependant,  un  saint  prélat,  qui  était  alors  l'oracle  des  Eglises  de  la 
Gaule,  Avitus,  évêque  de  Vienne,  travaillait  avec  ardeur  à  ramener  Gonde- 
baud dans  le  sein  de  l'Eglise.  Si  ses  efforts  ne  furent  pas  couronnés  de  succès, 
ils  eurent  au  moins  pour  résultat  d'éclairer  Sigismond,  qui,  plus  fidèle  à  la 
grâce  et  plus  docile  a  la  voix  d'Avitus,  abjura  l'erreur  et  revint  à  la  vraie  foi. 
Celte  conversion  eut  lieu  longtemps  avant  la  mort  de  Gondebaud,  qui  ne 
paraît  pas  l'avoir  contrariée  ;  car  il  estimait  Avitus,  et  reconnut  même  plu- 
sieurs fois  secrètement  la  vérité  du  dogme  catholique,  sans  oser  le  professer 
en  public. 

L'exemple  de  Sigismond  fut  suivi  par  ses  enfants,  qui  avaient  été  élevés, 
comme  lui,  dans  le  sein  de  l'arianisme.  Sa  fille,  nommée  Suavegothe,  et  son 
fils  Sigéric,  se  convertirent  à  la  voix  d'Avitus.  Ce  saint  évêque  eut  ainsi  la 
joie  de  voir  l'erreur  disparaître  presque  entièrement  de  cette  famille  puis- 
sante, qui  pesait  alors  d'un  si  grand  poids  sur  les  destinées  de  la  Gaule.  Il 
prononça,  à  cette  occasion,  une  homélie  dont  il  ne  nous  reste  que  le  titre 
et  qui  était,  dit  Agobard,  aussi  admirable  par  la  beauté  des  pensées  que  par 
l'harmonie  des  expressions. 

Sigismond,  avant  d'être  élevé  au  trône,  fut  nommé,  comme  son  père, 
patrice  de  l'empire  dans  les  Gaules.  Les  princes  bourguignons  se  tenaient 
très-honorés  de  cette  dignité,  que  leur  conféraient  les  empereurs  d'Orient, 
dont  ils  se  glorifiaient  d'être  les  mandataires.  Sigismond  avait  épousé,  dès 
l'an  493  ou  494,  Ostrogotho,  fille  de  Théodoric,  roi  d'Italie.  Son  père,  en 
lui  faisant  contracter  cette  union,  avait  voulu  s'assurer  dans  Théodoric  un 
puissant  allié  contre  les  entreprises  de  Clovis,  roi  des  Francs,  dont  le  voisi- 
nage l'inquiétait.  Enol3,  Gondebaud  associa  son  fils  au  trône,  et  le  fit  cou- 
ronner à  Genève.  Dès  ce  jour,  Sigismond  eut  à  gouverner  spécialement  cette 

Les  Bourguignons  s'établirent  d'abord  le  long  de  la  Vlstule,  dans  la  Prusse.  En  407,  Ils  passbrent  la 
Rhin,  et  entrèrent  dans  les  Gaules.  En  413,  Gondicaire,  leur  premier  roi,  conquit  le  pays  situe'  entre  la 
Haut-Rhin,  le  lîhône  et  la  Saône.  Peu  après,  il  étendit  sa  domination;  et  l'Etat  qu'il  forma  comprenait 
ce  qu'on  appela  depuis  le  duché  de  Bourgogne,  la  Franche-Comté,  la  Provence,  le  Lyonnais,  le  Dauphiné, 
la  Savoie,  etc.  Il  régna  jusqu'en  463,  comme  on  le  voit  par  sa  lettre  au  pape  Hilaire,  et  par  la  réponse 
de  ce  Pape,  qui  l'appelle  son  fils,  etc. 

Chilpéric,  son  fils  et  son  successeur,  fut  zélé  catholique.  Après  un  règne  de  vingt-huit  ans,  il  fut  as- 
sassiné avec  sa  femme,  ses  fils  et  son  frère  Godomar,  par  Gondebaud,  son  autre  frère,  qui  avait  embrassé 
l'arianisme.  Celui-ci  mourut  en  516,  et  laissa  deux  fils,  Sigismond  et  Godomar.  Il  réforma  le  code  des 
lois  bourguignonnes,  appelé  de  son  nom  loi  Gombette.  Il  fit  venir  à  Genève,  où  était  sa  cour,  les  deux 
filles  de  son  frère  Chilpéric.  Chrone,  l'aînée,  prit  le  voile  ;  Clotilde,  la  cadette,  épousa  Clovis,  roi  des 
Francs.  Celui-ci  déclara  la  guerre  à  Gondebaud,  pour  venger  la  mort  de  Chilpéric;  mais  il  fit  depuis  la 
paix  avec  lui.  Clodomir,  roi  d'Orléans,  et  ses  frères,  attaquèrent  saint  Sigismond,  qui  fut  fait  prisonnier 
et  mis  à  mort  en  524.  Dix  ans  après,  les  rois  de  France  partagèrent  entre  eux  le  royaume  de  Bourgogne. 
Gontran,  fils  de  Clotaire  1er,  prit  le  titre  de  roi  de  Bourgogne,  et  régna  à  Chalon-sur-Saône,  quoique 
SIgebert,  son  frère,  possédât  une  grande  partie  de  ce  pays.  Childebert,  fils  de  Sigebert,  et  Thierry  II,  fils 
de  Childebert,  prirent  le  même  titre.  Il  fut  éteint  en  613;  mais  Charles,  le  dernier  des  fils  de  l'empereur 
Lothaire,  le  fit  revivre  avec  celui  de  roi  de  Provence,  puis  do  roi  d'Arles.  La  Haute-Bourgogne  fut  appe- 
lée Franche-Comté,  parce  qu'elle  ne  devait  que  le  service  militaire. 

Nous  voyons  les  Bourguignons  chrétiens  et  catholiques,  peu  de  temps  après  qu'ils  eurent  passé  le 
Rhin  et  qu'ils  se  furent  établis  en  France.  Sozomène  met  leur  conversion  vers  l'an  317.  Il  n'est  donc  pas 
vrai  qu'ils  tombèrent  dans  l'arianisme  presque  aussitôt  après  avoir  embrassé  le  christianisme.  Suivant 
Socrate,  Nicéphore,  Orose,  etc.,  ils  furent  zélés  catholiques  jusqu'à  la  fin  dn  \e  siècle;  ils  ne  persistèrent 
même  dans  l'arianisme  que  durant  le  règne  de  Gondebaud,  qui  fut  le  troisième  de  leurs  rois.  (Voir  Mille, 
Abr.  chron.  de  l'Eist.  eccl.,  civ.  et  littér.  de  Bourg.,  an  1771.) 


186  Ie*  MAI. 

partie  des  Etats  de  Bourgogne,  qui  comprenait  l'Helvétie  occidentale  et  la 
Séquanie,  avec  Genève  pour  capitale. 

Sigismond,  élevé  à  la  dignité  royale  et  éclairé  de  la  lumière  de  la  foi, 
s'appliqua  à  réparer  par  ses  bonnes  œuvres  le  tort  qu'il  avait  fait  à  la  reli- 
gion par  ses  erreurs.  C'est  dans  cette  vue  qu'il  commença,  dès  l'an  515,  à 
relever  et  à  agrandir  le  célèbre  monastère  d'Agaune1.  Ce  monastère  avait 
été  fondé,  à  une  époque  antérieure,  par  les  religieux  de  Condat.  Mais  il 
était,  depuis,  tombé  en  décadence,  et,  à  ce  moment,  des  prêtres  et  des 
laïques  y  habitaient  confusément.  Alors,  nous  dit  un  chroniqueur  du  temps, 
saint  Maxime,  évêque  de  Genève,  exhorta  le  roi  Sigismond  à  remettre  en 
honneur  ce  lieu,  sanctifié  autrefois  par  le  martyre  de  la  légion  thébaine,  et 
à  en  écarter  cette  foule  de  gens  de  tout  sexe  et  de  toute  condition,  qui  y 
avaient  établi  leur  demeure.  Il  était  juste  qu'un  lieu  illustré  par  le  courage 
de  généreux  athlètes  de  la  foi,  ne  fût  habité  que  par  des  hommes  consacrés 
à  la  prière,  et  dont  les  vœux  appelleraient  sur  le  prince  les  bénédictions  du 
Ciel.  Le  roi  assembla  donc  un  conseil  à  ce  sujet.  On  y  décida  que  toutes  les 
femmes  et  les  séculiers  établis  à  Agaune  en  seraient  exclus,  et  qu'on  y  éta- 
blirait une  communauté  de  moines  occupés  à  célébrer  nuit  et  jour  les 
louanges  de  Dieu. 

Grâce  à  la  munificence  du  prince,  le  monastère  et  l'église  furent  rebâtis 
dans  de  vastes  proportions.  Saint  Avitus,  évêque  de  Vienne,  saint  Maxime, 
de  Genève,  et  saint  Viventiole,  de  Lyon,  avaient  à  cœur  de  relever  la  vie 
monastique  dans  ces  lieux,  et  furent  les  principaux  moteurs  dans  cette  en- 
treprise. Sur  ces  entrefaites  le  roi  Gondebaud  mourut  (516),  et  Sigismond, 
élevé  sur  le  trône  de  son  père,  brisa  les  entraves  qui  pesaient  encore  sur  les 
Eglises  de  la  Gaule,  et  rendit  aux  évêques  toute  la  liberté  dont  ils  avaient 
besoin  pour  assembler  des  conciles  et  accomplir  de  grandes  œuvres.  Les 
bâtiments  du  monastère  d'Agaune  étant  terminés,  le  roi  y  convoqua,  le  1" 
mai  516,  une  assemblée  d'évêques  et  de  seigneurs.  On  remplaça  l'ancienne 
règle  par  une  constitution  nouvelle,  suivant  laquelle  les  religieux  seraient 
exempts  du  travail  des  mains  et  tenus  de  chanter  au  chœur  sans  interrup- 
tion, auprès  des  reliques  vénérées  des  martyrs  thébains.  C'est  ce  qu'on  ap- 
pela le  laus  perennis  ou  psalmodie  perpétuelle. 

Pour  remplir  cet  office,  le  nombre  des  religieux  devait  être  considérable. 
On  en  fit  venir  de  Lérins,  de  Grigny,  de  l'Ile-Barbe  et  de  Condat,  et  on  leur 
donna  saint  Hymnemode  pour  abbé.  Sigismond  pourvut  à  leur  subsistance 
avec  une  libéralité  vraiment  royale.  Il  fit  rédiger  un  acte  authentique  des 
donations  qu'il  faisait  aux  moines  d'Agaune. 

L'année  qui  suivit  cette  donation  (517),  vingt-quatre  évêques,  qui  appar- 
tenaient aux  huit  provinces  ecclésiastiques  de  la  Bourgogne,  se  réunirent, 
le  6  septembre,  en  concile  national  à  Epaone,  pour  s'entendre  sur  les  ré- 
formes à  introduire  dans  les  Eglises  de  la  Gaule.  Ce  fut  après  ce  concile 
qu'eut  lieu  la  dédicace  de  la  basilique  d'Agaune,  le  22  septembre,  jour  de 
la  fête  des  martyrs  thébains,  et  saint  Avitus  prononça  dans  cette  circons- 
tance un  discours  dont  il  ne  nous  reste  que  le  titre. 

L'Eglise  des  Gaules  reflorissait,  grâce  au  zèle  éclairé  de  ses  évêques  et  à 
la  liberté  que  leur  avait  rendue  Sigismond.  Ce  prince,  depuis  sa  conversion, 
s'appliquait  à  faire  disparaître  l'hérésie  de  ses  Etats,  et  à  y  mettre  en  hon- 
neur le  culte  du  vrai  Dieu.  C'est  le  témoignage  que  lui  rendait  saint  Avitus, 
dans  les  lettres  qu'il  lui  écrivait  souvent.  Cependant,  cette  heureuse  harmo- 
nie qui  régnait  entre  le  roi  Sigismond  et  les  évêques  des  Gaules,  fut  un 

U  Aujourd'hui  S»int-JIaurice-en-Valais. 


SAINT   SIGISMOND,    ROI  DE   BOURGOGNE.  187 

instant  troublée.  Un  concile,  tenu  à  Lyon  en  518,  ayant  frappé  d'anathème 
un  seigneur  de  la  cour,  qui  avait  contracté  un  mariage  incestueux,  Sigis- 
mond,  trompé  par  des  conseillers  perfides,  prit  la  défense  de  ce  courtisan 
et  exila  les  courageux  évêques  à  Sardines.  Mais  il  comprit  bientôt  que  le 
rôle  de  persécuteur  est  toujours  odieux,  et,  plein  d'admiration  pour  la 
constance  des  saints  prélats,  qui  avaient  mieux  aimé  plaire  à  Dieu  qu'aux 
hommes,  il  les  rappela  dans  leurs  diocèses. 

Sigismond  gouvernait  son  peuple  avec  justice,  et  tout  semblait  annoncer 
la  prospérité  de  son  règne,  lorsqu'un  événement  tragique  vint  jeter  sur  lui 
la  honte  et  le  malheur.  Ici  nous  laissons  parler  Grégoire  de  Tours  :  «  Sigis- 
mond »,  dit-il,  «  ayant  perdu  sa  première  femme,  Ostrogothe,  fille  de 
Théodoric,  roi  d'Italie,  dont  il  avait  eu  un  fils  nommé  Sigéric,  en  épousa 
une  seconde.  Mais  celle-ci,  selon  la  coutume  des  belles-mères,  se  mit  à  mal- 
traiter le  fils  de  son  mari  et  à  lui  susciter  des  querelles.  Or,  un  jour  de  fête, 
le  jeune  homme,  reconnaissant  sur  elle  les  vêtements  de  sa  mère,  lui  dit, 
le  cœur  plein  de  courroux  :  Tu  n'étais  pas  digne  de  porter  sur  tes 
épaules  ces  vêtements,  qu'on  sait  avoir  appartenu  à  ta  maîtresse,  c'est-à- 
dire  à  ma  mère.  Transportée  de  fureur,  elle  excite  alors  Sigismond  par 
des  paroles  insidieuses  :  Ce  fils  pervers,  dit-elle,  aspire  à  s'emparer  de 
ion  royaume,  et  se  propose,  après  t'avoir  fait  périr,  d'étendre  ses  Etats  jus- 
qu'en Italie,  en  se  rendant  maître  du  royaume  que  possédait  dans  ce  pays 
son  aïeul  Théodoric.  Il  sait  bien  que  tant  que  tu  vivras,  il  ne  peut  accom- 
plir son  dessein,  et  qu'il  ne  s'élèvera  que  par  ta  ruine.  Sigismond,  excité 
par  ces  accusations  perfides  et  se  laissant  aller  aux  conseils  de  sa  méchante 
femme,  devint  un  cruel  parricide.  Un  jour,  sur  l'après-midi,  comme  son 
fils  était  appesanti  par  le  vin,  il  lui  ordonne  d'aller  dormir,  et,  pendant  son 
sommeil,  on  lui  passe  autour  du  cou  un  mouchoir  noué  sous  le  menton; 
puis  deux  serviteurs,  tirant  chacun  un  bout  de  ce  mouchoir,  l'étranglent 
(522).  Aussitôt  que  cela  fut  fait,  le  père,  se  repentant,  mais  trop  tard,  se 
précipita  sur  le  cadavre  de  son  fils,  et  se  mit  à  pleurer  amèrement.  On  rap- 
porte qu'un  vieillard  lui  dit  alors  :  —  C'est  sur  toi  que  tu  dois  pleurer 
maintenant,  toi  qui,  par  suite  d'un  perfide  conseil ,  es  devenu  un  cruel 
parricide  ;  celui  que  tu  as  fait  périr  innocent  n'a  pas  besoin  qu'on  le  pleure. 
Cependant  le  roi  se  rendit  au  monastère  de  Saint-Maurice,  et  y  passa  un 
grand  nombre  de  jours  dans  les  larmes  et  dans  les  jeûnes  pour  y  implorer 
son  pardon  ». 

Le  crime  de  Sigismond  était  grand  sans  doute.  Mais  ce  qui  semble  en 
diminuer  l'horreur,  c'est  que  ce  prince,  persuadé  que  son  fils  était  coupa- 
ble, se  crut  obligé  de  mettre  la  raison  d'Etat  au-dessus  des  sentiments  de 
la  nature.  Du  reste,  les  remords  dont  il  fut  déchiré,  les  larmes  qu'il  répan- 
dit, la  pénitence  à  laquelle  il  se  condamna,  lui  obtinrent  grâce  devant  le 
ciel.  Car  si  Dieu  punit  son  crime  par  la  révolte  de  ses  sujets,  il  glorifia  son 
repentir  en  illustrant  son  tombeau  par  des  miracles,  et  la  religion  l'honora 
plus  tard  du  titre  de  saint,  comme  elle  en  avait  honoré  David  pénitent  et 
Madeleine  repentante. 

Sigismond  s'humiliait  à  Agaune,  sous  la  cendre  et  le  cilice,  conjurant 
le  ciel  de  tirer  vengeance  en  ce  monde  du  mal  qu'il  avait  fait,  et  de  n'en 
pas  réserver  la  punition  après  cette  vie.  Dieu  exauça  le  roi  pénitent,  et  lui 
envoya  des  disgrâces  pour  le  sauver  éternellement.  Les  princes  francs, 
moins  touchés  de  son  repentir  que  frappés  de  son  parricide,  crurent  l'oc- 
casion favorable  pour  s'emparer  de  ses  Etats.  Ils  espéraient  que  les  grands 
du  royaume  de  Bourgogne,  irrités  contre  leur  roi,  ne  prendraient  point  sa 


188  i"  MAI. 

défense,  et  que  Théodoric,  saisi  d'horreur  en  apprenant  la  mort  de  son 
petit-fils,  abandonnerait  Sigismond  à  la  vengeance  des  princes  et  à  la  jus- 
tice de  Dieu.  La  reine  Clotilde  elle-même  excitait  ses  enfants  à  venger 
contre  les  Bourguignons  la  mort  de  son  père  Chilpéric,  que  Gondebaud 
avait  fait  mourir.  Sigismond,  réveillé  par  ces  bruits  de  guerre,  sort  de  sa 
retraite  et  vient  à  Lyon.  Pour  intéresser  à  sa  cause  le  plus  puissant  des  fils 
de  Clovis,  Thierry,  roi  d'Austrasie,  il  lui  avait  donné  en  mariage  sa  fille 
Suavegothe.  En  conséquence,  Thierry  resta  neutre  dans  cette  guerre.  Mais 
les  fils  de  Clotilde,  Glodomir,  Glotaire  et  Ghildebert,  étaient  déjà  en  cam- 
pagne avec  une  puissante  armée.  Ils  présentèrent  la  bataille  à  Sigismond 
et  à  son  frère  Gondemar.  Ces  deux  princes,  trop  faibles  pour  soutenir  l'at- 
taque des  Francs,  furent  aussitôt  mis  en  déroute.  Gondemar  parvint  à  se 
sauver.  Mais  Sigismond,  ayant  essayé  de  fuir  vers  Agaune  pour  y  chercher 
un  asile,  fut  poursuivi  par  ses  propres  sujets,  qui  se  joignirent  aux  Francs. 
Découvert  dans  un  lieu  nommé  Versallis  l,  où  il  s'était  revêtu  d'un  habit  de 
moine,  il  fut  pris  et  livré  à  Glodomir,  qui  fit  emmener  à  Orléans  ce  roi  in- 
fortuné, avec  sa  femme  et  ses  deux  jeunes  fils  (523). 

Cependant,  la  plupart  des  soldats  bourguignons  étaient  restés  fidèles  à 
la  cause  de  leur  prince.  Gondemar  les  rallie,  et  veut  encore  une  fois  tenter 
la  fortune  à  la  tête  de  cette  armée.  Il  attaque  les  Francs,  les  refoule  sur 
leurs  terres,  leur  reprend  leur  conquête  et  se  fait  proclamer  roi  de  Bour- 
gogne. Mais  cette  victoire  fut  aussi  peu  durable  qu'elle  avait  été  rapide. 
«  Clodomir  »,  dit  Grégoire  de  Tours,  a  se  disposant  à  marcher  de  nouveau 
contre  les  Bourguignons,  résolut  de  faire  mourir  Sigismond.  Le  bienheu- 
reux Avitus,  abbé  de  Saint-Mesmin  de  Micy,  à  deux  lieues  environ  d'Or- 
léans, prêtre  fameux  dans  ce  temps-là,  lui  dit  à  cette  occasion  :  —  Si,  tour- 
nant tes  regards  vers  Dieu,  tu  changes  de  dessein,  et  si  tu  ne  souffres  pas 
qu'on  tue  ces  gens-là,  Dieu  sera  avec  toi,  et  tu  obtiendras  la  victoire  ;  mais 
si  tu  les  fais  mourir,  tu  seras  livré  toi-mêmo  aux  mains  de  tes  ennemis,  et 
tu  subiras  leur  sort  :  il  arrivera  à  toi,  à  ta  femme  et  à  tes  fils  ce  que  tu 
auras  fait  à  Sigismond,  à  sa  femme  et  à  ses  enfants.  Mais  Clodomir,  mépri- 
sant cet  avis,  répondit  à  Avitus  :  —  Ce  serait  une  grande  sottise  de  laisser 
un  ennemi  chez  moi  quand  je  marche  contre  un  autre  :  car  l'un  m'attaque- 
rait par  derrière,  et  l'autre  de  front,  et  je  me  trouverais  jeté  entre  deux 
armées.  La  victoire  sera  plus  sûre  et  plus  facile  si  je  les  sépare  l'un  de 
l'autre.  Le  premier  une  fois  mort,  il  sera  aisé  aussi  de  se  défaire  du  se- 
cond ».  Il  livra  donc  au  glaive  Sigismond,  avec  sa  femme  et  ses  deux  fils, 
et  les  fit  jeter  dans  un  puiLs,  près  de  Coulmiers,  village  du  territoire  d'Or-, 
léans  (524). 

Telle  fut  la  fin  tragique  de  ce  prince,  dont  la  mort  fut  bientôt  suivie  de 
la  ruine  définitive  de  son  royaume.-  En  effet,  Clodomir,  après  le  meurtre  de 
Sigismond,  se  dirigea  contre  les  Bourguignons,  qu'il  attaqua  près  du  village 
de  Véséronce,  entre  Vienne  et  Belley.  Il  fut  tué  dans  la  mêlée.  Mais  ce 

1.  Les  Bollandistes  ont  pensé  que  Versallis,  l'endroit  oîi  saint  Sigismond  se  réfugia,  était  dans  le  voi- 
sinage de  Lyon.  Mais,  d'après  une  histoire  manuscrite  de  l'abbaye  d'Agaune,  ce  lieu  est  situé  au-dessus 
du  rocher  qui  couvrait  ce  monastère,  et  s'appelle  encore  Verossa.  C'est  là  que  Sigismond  se  retira  après 
sa  défaite.  Il  y  vécut  quelque  temps  en  ermite,  se  fit  couper  les  cheveux  et  prit  l'habit  religieux.  Quelques 
Bourguignons  vinrent  l'y  trouver,  et,  feignant  d'être  touchés  de  son  malheur,  lui  conseill  rent  de  se  re- 
tirer au  monastère.  Sigismond  écouta  leur  conseil  ;  mais  quand  il  arriva  aux  portes  d'Agaune,  il  fut  in- 
vesti par  ses  ennemis  et  conduit  à  Clodomir,  qui  tenait  déjà  la  reine  de  Bourgogne  et  ses  deux  fils  pri- 
sonniers à  Orléans. 

L'ermitage  de  Verossa  continue  à  être  habité,  même  de  nos  jours,  par  un  solitaire  :  il  n'est  pas  un 
pèlerin  ni  un  touriste  qui  ne  fasse  l'ascension  du  rocher.  Près  de  l'ermitage  est  une  chapelle  très-propietto 
où  l'on  se  sent  élevé  entre  ciel  et  terre  et  où  il  fait  bon  prier. 


SAINT  MARCULPHE   OU  MARG0UL,   ABBÉ.  189 

malheur,  loin  d'abattre  les  Francs,  exaspéra  leur  courage,  et,  selon  Gré- 
goire de  Tours,  ils  mirent  en  fuite  Gondemar,  écrasèrent  les  Bourguignons, 
et  soumirent  tout  le  pays  à  leur  pouvoir. 

CULTE  ET  RELIQUES  DE  SAINT  SIGISMOND. 

La  mort  violente  de  Sigismond  parut  une  expiation  suffisante  de  ses  fautes,  et  les  peuples  que 
sa  chute  avait  révoltés  ne  songèrent  plus  qu'à  la  pénitence  qu'il  en  avait  faite.  Peut-être,  dit  un 
historien,  si  tout  son  règne  eût  été  sans  tache,  il  n'aurait  servi  le  Seigneur  ni  avec  assez  d'humi- 
lité, ni  avec  assez  de  crainte.  On  lui  donna,  selon  la  coutume  de  ce  temps,  le  titre  de  Martyr, 
qu'on  attribuait  aux  saints  immolés  pour  une  cause  quelconque.  Son  corps,  ceux  de  sa  femme  et 
de  ses  enfants,  restèrent  trois  ans  dans  le  puits  de  Couturiers,  et  pendant  ce  temps,  disent  ses 
Actes,  on  y  vit  souvent  une  lampe  miraculeusement  allumée.  Les  peuples  accoururent  à  ce  lieu 
pour  y  vénérer  le  saint  roi  ;  et  il  plut  à  Dieu  d'y  opérer  des  miracles  par  l'intercession  de  saint 
Sigismond.  On  y  bâtit,  dans  la  suite,  une  chapelle,  et  les  maisons  qui  s'élevèrent  peu  à  peu  autour 
de  ce  sanctuaire,  formèrent  un  village  qui,  dès  le  temps  de  Charles  le  Chauve,  s'appelait  le  Puits 
de  saint  Sigismond,  ou  simplement  Saint-Sigismond.  On  y  construisit  également  un  prieuré  de 
l'Ordre  de  Saint-Benoit,  dont  la  collation  appartenait  à  l'abbé  de  Saint-Mesmin. 

Mais  c'est  surtout  à  Agaune  que  le  culte  de  saint  Sigismond  fut  en  honneur.  Ambroise,  abbé 
de  ce  monastère,  avec  l'aide  d'Ansémonde,  seigneur  bourguignon,  qui  avait  toujours  été  fidèle  au 
roi,  obtint  du  roi  Thierry  la  permission  de  retirer  son  corps  du  puits  de  Coulmiers.  11  le  fit  trans- 
porter à  Agaune,  où  on  l'ensevelit  honorablement  dans  l'église  de  Saint-Jean-1'Evangéliste.  C'est 
là  que  les  fidèles  vinrent  implorer  la  protection  du  roi  pénitent,  et  les  grâces  qu'on  y  obtient, 
écrivait  Grégoire  de  Tours,  sont  une  preuve  qu'il  est  mis  au  nombre  des  Saints.  On  y  célébrait 
une  messe  spéciale  en  son  honneur,  et  on  l'invoquait  particulièrement  pour  être  délivré  des  atteintes 
de  la  fièvre.  Le  culte  de  saint  Sigismond  est  très-répandu  dans  la  Savoie,  qui  avait  fait  partie  de  son 
royaume  de  Bourgogne.  Saint-Sigismond-sur-Aime,  Saint-Sigismond,  près  d'Albertville  (diocèse  de 
Tarentaise),  Saint-Sigismond  près  d'Aix-les-Bains  (Chambéry),  Saint-Sigismond,  près  de  Cluses 
(Annecy),  passent  pour  être  contemporains  de  l'époque  burgonde  ;  on  y  trouve  une  assez  grande 
quantité  d'antiquités  romaines. 

Quelques  reliques  de  saint  Sigismond  furent  successivement  transportées  à  Notre-Dame  des 
Ermites,  en  Suisse,  et  à  Prague,  en  Bohème,  où  l'on  célébrait  sa  fête  le  11  mai,  sous  le  rite 
double  de  seconde  classe.  Ce  fut  l'empereur  Charles  IV  qui,  l'an  1366,  fit  transporter  à  Prague  le 
chef  de  saint  Sigismond.  A  Agaune,  elles  étaient  conservées  dans  une  châsse  d'argent,  avec  celles 
des  fils  du  saint  roi,  Giscalde  et  Gondebaud.  Une  de  ses  reliques  est  au  Carmel  d'Amiens. 

Le  nom  de  Sigismond  est  inscrit  dans  les  plus  anciens  Martyrologes,  et  en  particulier  dans  le 
Martyrologe  romain.  Sa  fête,  célébrée  dans  un  grand  nombre  d'églises  de  Bohême,  d'Allemagne, 
d'Italie  (Crémone),  d'Espagne,  de  Suisse,  etc.,  l'est  aussi  depuis  longtemps  dans  le  diocèse  de 
Besançon,  sous  le  rite  double  (30  avril). —  Les  attributs  de  saint  Sigismond  dans  les  arts  sont  une 
église  qu'il  porte  sur  la  main,  et  la  figure  d'un  puits.  Son  genre  de  mort  explique  ce  dernier  sym- 
bole, et  la  fondation  de  l'abbaye  de  Saint-Maurice,  le  premier. 

Voir  l'épitaphe  de  la  mère  de  saint  Sigismond,  dans  Ducliesne,  t.  i,r  ;  consulter  en  outre,  sur  les  di- 
vers événements  qui  se  rapportent  à  la  vie  de  saint  Sigismond  :  Grég.  de  Tours,  De  miraculis  S.  Juliani, 
c.  7  et  8  ;  Ilist.  des  Francs,  1.  m,  c.  5  ;  De  gloria  Martyr.,  1.  Ier,  c.  75  ;  Epitome,  c.  34  ;  les  œuvres  de 
saint  Agobard,  de  Lyon,  et  de  saint  Avite,  de  Vienne  ;  Frodoard,  Ilist.  de  Reims,  1.  n  ;  Dom  Plancher, 
Eist.  de  Bourgogne,  passim  ;  la  Chronique  de  Sigebert  et  V Histoire  de  France  d'Aimoin  ;  Ch.  de  Saussaye, 
Annales  de  l'église  d'Orléans  ;  le  Sacramentaire  gallican,  édité  par  Mabillon,  qui  donne  la  Messe  propre 
de  saint  Sigismond;  le  Missel  de  Trague  du  sve  siècle,  où  l'on  trouve  une  belle  prose  en  son  honneur;  les 
Bollandistes  au  22  septembre,  et  enfin  la  Vie  des  Saints  de  Franche-Comté,  Besançon,  1856. 


SAINT  MARCULPHE, 

PREMIER  ABBÉ  DE  NANTEUIL ,  AU  DIOCÈSE  DE  CODTANCES 
558.  —  Pape  :  Pelage  Ie».  —  Roi  de  France  :  Clotaire  I". 

Saint  Marculphe,  appelé  aussi  Marcou  ou  Marcoul,  naquit  à  Bayeux,  de 
parents  considérables   par  leur  noblesse,  mais  plus  illustres  encore  par 


190  1"  MAI. 

ieur  piété.  Aussitôt  qu'il  se  vit  en  état  de  disposer  de  ses  biens,  il  en  fît  si 
bonne  part  aux  pauvres  et  aux  orphelins,  que,  pratiquant  à  la  lettre  le  con- 
seil de  l'Evangile,  il  ne  se  réserva  rien  que  la  Providence.  Il  quitta  même  le 
pays  de  sa  naissanee  pour  aller  étudier  la  vertu  dans  l'école  de  saint  Posses- 
seur, évêque  de  Coutances. 

Il  travailla  à  la  perfection  sous  un  si  bon  maître,  jusqu'à  l'âge  de  trente 
ans,  à  l'imitation  de  Notre-Seigneur,  qui  mena  autant  de  temps  une  vie 
cachée  avant  de  prêcher.  Mais  lorsqu'il  eut  cet  âge,  saint  Possesseur  l'or- 
donna prêtre  et  l'établit  missionnaire  de  son  diocèse.  Marcoul  s'en  acquitta 
avec  tant  de  zèle  et  d'édification,  qu'on  le  regardait  comme  un  ange  des- 
cendu du  ciel,  pour  enseigner  la  science  des  Saints.  Il  autorisait  sa  doctrine 
par  la  sainteté  de  sa  vie,  qui  n'était  qu'un  jeûne  continuel,  car  il  ne  man- 
geait que  du  pain  d'orge  avec  des  herbes  crues.  Son  habit  était  un  rude 
cilice  couvert  de  peaux  de  mouton.  On  eût  pu  le  prendre  pour  un  nouveau 
saint  Jean-Baptiste  :  aussi  se  retirait-il,  à  son  exemple,  dans  les  déserts,  où 
il  passait  des  quarantaines  entières  avec  deux  autres  serviteurs  de  Dieu, 
nommés  Domard  et  Griou,  qu'il  s'était  associés  :  ils  se  rendirent  si  parfaits 
imitateurs  de  ses  vertus,  qu'ils  méritèrent  d'entrer  dans  le  ciel  le  même 
jour  que  leur  maître. 

Tandis  que  le  Saint  vivait  ainsi  dans  sa  solitude,  Dieu  lui  envoya  un  ange 
qui  lui  dit  d'aller  vers  Childebert  Ier,  roi  de  France  et  fils  du  grand  Clovis, 
pour  lui  demander  un  petit  lieu  appelé  Nanteuil,  près  de  la  ville  de  Cou- 
tances, sur  le  bord  de  la  mer,  afin  d'y  bâtir  un  monastère  en  faveur  de  ceux 
qui  voudraient  mener  une  vie  plus  parfaite,  et  se  consacrer  au  service  de 
Dieu  le  reste  de  leurs  jours.  Saint  Marcoul,  obéissant  à  cette  voix,  se  rendit 
aussitôt  à  Paris  ;  il  y  arriva  lorsque  le  roi  entendait  la  messe  en  sa  chapelle, 
avec  la  reine  Ultrogothe,  son  épouse.  N'osant  paraître  avec  ses  pauvres 
habits  devant  la  majesté  royale,  il  se  retira  dans  un  coin  de  la  chapelle,  en 
attendant  qu'il  plût  à  Dieu  de  découvrir  sa  venue  ;  ce  qui  se  fit  par  un  mi- 
racle :  quelques  démoniaques  assistaient  à  la  messe  ;  les  démons,  qui  les 
possédaient,  s'écrièrent  effroyablement:  a  Marcoul,  serviteur  de  Jésus- 
Christ,  aie  pitié  de  nous,  parce  que  ta  présence  nous  tourmente  ».  Ces  cris 
surprirent  extrêmement  toute  la  cour  :  le  roi  fit  chercher  parmi  tous  les 
assistants  celui  qui  s'appelait  Marcoul.  Le  Saint,  ainsi  découvert,  rendit 
compte  à  Childebert  de  son  voyage,  et  lui  en  dit  le  sujet.  Le  roi  l'approuva 
et  lui  promit  aide  et  protection  ;  mais  il  le  pria  aussi  de  chasser  les  démons 
des  corps  de  ces  possédés.  Alors  le  Saint,  se  confiant  en  la  bonté  de  Dieu, 
et  ne  doutant  point  qu'il  ne  l'assistât  en  une  occasion  où  il  s'agissait  de  sa 
gloire,  se  prosterna  à  terre  et,  levant  les  mains  et  les  yeux  au  ciel,  il  implora 
tout  haut  sa  miséricorde  pour  ces  pauvres  affligés.  Ensuite,  faisant  le  signe 
de  la  croix  sur  eux,  il  commanda  aux  esprits  malins  d'en  sortir  ;  ils  en  sor- 
tirent aussitôt,  les  laissant  à  demi  morts.  Mais,  peu  de  temps  après  cette 
heureuse  délivrance,  ils  se  relevèrent  en  parfaite  santé. 

Cette  merveille  ravit  toute  la  cour  ;  chacun  admirait  la  puissance  de 
Dieu  et  les  mérites  de  son  serviteur.  Le  roi,  très-content  d'avoir  fait  une  si 
heureuse  rencontre  dans  son  royaume,  et  trouvé,  parmi  ses  sujets,  un  si 
saint  personnage,  lui  fit  délivrer  le  brevet  de  la  donation  qu'il  lui  faisait  de 
la  terre  de  Nanteuil  ;  il  le  conjura  même  de  venir  souvent  à  la  cour,  et  de 
lui  demander  hardiment  tout  ce  dont  il  aurait  besoin  pour  l'établissement 
de  sa  maison,  et  pour  la  subsistance  de  ses  religieux.  Enfin,  il  le  fit  conduire 
par  un  seigneur  illustre,  appelé  Léonce,  auquel  il  donna  l'intendance  des 
bâtiments  de  ce  nouveau  monastère. 


SAINT  MARCULPHE   OU  MARCOUL,   ABBÉ.  191 

Marcoul  se  contenta  de  construire  d'abord  un  oratoire  avec  quelques 
cellules.  Il  s'y  renferma  aussitôt  avec  ses  disciples,  dont  le  nombre  augmen- 
tait de  jour  en  jour.  Il  leur  apprit  à  ne  rien  posséder  qu'en  commun,  cha- 
cun ne  s'attribuant  en  propre  que  ses  défauts  et  ses  péchés  ;  à  fuir  l'oisiveté, 
à  s'occuper  sans  relâche  à  la  prière,  à  la  lecture,  au  travail  des  mains.  Il 
s'appliqua  surtout  à  faire  revivre  en  eux  l'esprit  des  premiers  chrétiens, 
unis  si  étroitement,  qu'ils  n'avaient  qu'un  cœur  et  qu'une  âme.  Pour  lui,  les 
austérités  communes  ne  suffisaient  pas  :  il  allait  passer  le  Carême  dans  une 
île  voisine  de  Nanteuil  ;  il  avait  pour  demeure  une  espèce  de  hutte  qu'il 
avait  construite  lui-même.  Il  restait  plusieurs  jours  sans  manger;  il  cou- 
chait sur  la  terre  nue  ;  une  pierre  était  son  chevet. 

Il  permit  aux  plus  fervents  de  ses  disciples  de  l'imiter  ;  ils  passèrent  dans 
l'île  de  Jersey  pour  y  mener  la  vie  anachorétique  :  Marcoul  vint  les  y  re- 
joindre. Pendant  qu'il  séjournait  dans  cette  île,  des  pirates  anglo-saxons  y 
firent  une  descente  pour  la  ravager.  Les  habitants,  qui  n'étaient  que  trente, 
désespérant  de  résister  à  cette  invasion,  vinrent  se  jeter  aux  pieds  de 
l'homme  de  Dieu,  et  le  prièrent  de  les  défendre.  Il  leur  promit  le  secours 
de  Dieu,  leur  rendit  le  courage  et  les  exhorta  à  courir  en  armes  sur  les 
ennemis.  Ils  obéissent,  attaquent  les  pirates,  les  enfoncent  et  les  extermi- 
nent tous  jusqu'au  dernier.  En  reconnaissance  de  ce  service,  le  seigneur  de 
l'île  en  donna  la  moitié  à  Marcoul,  qui  y  fonda  un  monastère.  Il  fit  encore 
d'autres  établissements  semblables,  avec  le  secours  du  roi  Ghildebert  et  de 
la  reine  Ultrogothe  :  Dieu  l'aidait  encore  plus  par  des  miracles. 

Nous  n'en  ferons  point  le  détail  :  nous  nous  contenterons  d'en  rapporter 
deux.  Un  seigneur,  nommé  Gênais,  le  vint  trouver  à  Nanteuil  avec  un  de  ses 
enfants  qui  avait  été  mordu  par  un  loup  enragé  ;  il  était  déchiré  par  tout  le 
corps,  et  Ton  n'attendait  plus  que  l'heure  de  sa  mort.  Le  Saint,  touché  de  la 
douleur  du  père  et  des  plaies  du  fils,  le  guérit  parfaitement  par  le  signe  de  la 
croix.  Faisant  un  second  voyage  à  la  cour,  pour  obtenir  la  confirmation  des 
donations  faites  à  ses  monastères,  il  se  reposa  sur  le  bord  de  l'Oise  :  un  lièvre, 
pressé  des  chiens,  se  réfugia  sous  son  habit  ;  mais  les  chasseurs  ayant  obligé 
le  Saint  de  le  lâcher,  ce  pauvre  animal  se  sauva,  tandis  que  les  chiens  et  les 
chevaux  demeurèrent  immobiles.  Un  de  ces  cavaliers  voulut  pousser  le 
sien  à  force  d'éperons  ;  mais  il  fut  renversé  par  terre  et  dangereusement 
blessé.  Marcoul,  malgré  les  injures  qu'il  en  avait  reçues,  s'approcha  de  lui, 
et,  faisant  le  signe  de  la  croix  sur  ses  plaies,  le  guérit  aussitôt  entièrement. 

Le  roi,  alors  à  Gompiègne,  sachant,  par  le  bruit  de  ce  miracle  qui  s'é- 
tait répandu  à  la  cour,  que  le  Saint  venait,  alla  au-devant  de  lui  pour  le 
recevoir,  le  fit  loger  dans  son  palais,  confirma,  par  de  nouvelles  lettres-pa- 
tentes, les  donations  qu'il  lui  avait  faites  à  son  premier  voyage  ;  et,  après 
avoir  recommandé  à  ses  prières  sa  personne,  son  épouse,  la  reine  Ultrogothe, 
et  les  princesses,  ses  filles,  et  tous  ses  Etats,  il  reçut  sa  bénédiction,  et  enfin 
lui  permit  de  s'en  retourner  à  son  abbaye  de  Nanteuil.  Le  Saint  n'y  fut  pas 
plus  tôt  arrivé  que,  se  trouvant  dans  une  extrême  faiblesse,  il  fut  contraint 
de  se  mettre  au  lit.  Il  fut  visité  par  toutes  les  personnes  considérables  de  la 
province,  et  particulièrement  par  saint  Lô,  évêque  de  Goutances,  qui  re- 
grettait toujours  la  perte  que  son  diocèse  allait  faire  par  la  mort  d'un  si 
saint  homme,  dont  il  recevait  tant  de  secours  ;  il  lui  administra  les  derniers 
sacrements  et  l'assista  jusqu'à  sa  dernière  heure,  qui  arriva  le  1"  mai,  vers 
le  milieu  du  vi°  siècle. 

Saint  Domard  et  saint  Criou,  ses  deux  fidèles  compagnons,  moururent 
aussi  le  même  jour  et  à  la  même  heure  que  lui.  Et,  comme  ils  s'étaient 


192  1"   MAI. 

tous  trois  parfaitement  aimés  durant  leur  vie,  ils  furent  mis  dans  un  même 
tombeau,  à  Nanteuil,  afin  qu'ils  ne  fussent  pas  séparés  après  leur  mort. 

Quelques  années  après,  saint  Ouen,  archevêque  de  Rouen,  faisant  la 
visite  des  diocèses  suffragants  de  sa  métropole,  fut  supplié  parHervin,  abbé 
de  Nanteuil,  de  transférer  le  corps  de  saint  Marcoul  en  un  lieu  plus  hono- 
rable, à  cause  de  la  quantité  de  miracles  qui  se  faisaient  par  son  interces- 
sion. Comme  le  saint  archevêque  voulait  par  dévotion  en  prendre  quelques 
reliques,  on  entendit  distinctement  dans  l'église  une  voix  du  ciel  qui  disait  : 
«  Prends  de  toutes  les  parties  du  corps  du  bienheureux  Marcoul  celle  que  tu 
voudras,  mais  garde-toi  bien  de  toucher  à  sa  tête  ». 

C'est  à  ce  Saint  que  nos  rois  très-chrétiens  se  reconnaissaient  redevables 
du  pouvoir  qu'ils  avaient  de  guérir  les  écrouelles  ;  de  là  vient  qu'après  avoir 
été  sacrés  à  Reims,  ils  allaient  faire  une  neuvaine  à  Gorbeny,  au  diocèse  de 
Laon,  dans  l'église  qui  lui  est  dédiée,  et  où  l'on  conserve  encore  une  partie 
de  ses  reliques.  Le  chef  fut  volé  vers  1637. 

Des  parcelles  des  reliques  de  saint  Marcoul  avaient  aussi  été  transportées 
pendant  les  guerres  des  Normands  de  l'abbaye  de  Nanteuil  en  la  ville  de 
Mantes,  au  diocèse  de  Chartres,  avec  les  corps  de  saint  Domard  et  de  saint 
Criou,  et  déposées  dans  la  principale  église  dédiée  à  la  Sainte  Vierge,  où  les 
miracles  continuaient  à  s'opérer  plus  particulièrement  pour  la  guérison  des 
écrouelles  :  ce  que  l'on  peut  voir  en  sa  vie  que  Simon  Faroul,  doyen  et 
officiai  de  Mantes,  a  composée. 

On  représente  saint  Marcoul  :  1°  touchant  le  menton  ou  le  cou  d'un  sup- 
pliant à  genoux  devant  lui,  pour  indiquer  qu'on  l'invoque  contre  les 
écrouelles  ;  2°  bénissant  un  pain  et  le  donnant  à  une  pauvresse  ;  or,  comme 
cette  pauvresse  était  le  diable  déguisé  sous  les  traits  d'une  femme,  la  béné- 
diction du  saint  homme  mit  en  fuite  le  tentateur  ;  3°  confirmant  à  Louis  XIV 
le  pouvoir  de  guérir  les  scrofuleux:  ce  prince  les  touchait  lesjoursoùil  avait 
communié;  4°  à  Paris,  sur  la  place  Maubert  (Maître  Albert),  on  invoquait 
autrefois  saint  Marcoul  conjointement  avec  saint  Cloud,  contre  les  maladies 
de  la  peau  en  général,  dartres,  scrofules,  etc.  C'est  pourquoi  ces  deux  Saints 
se  trouvent  quelquefois  réunis  dans  les  vieilles  estampes. 

Le  plantain  qui  est  recommandé  pour  le  pansement  des  plaies  scrofu- 
leuses  est  vulgairement  nommé  Herbe  de  saint  Marcoul. 

Le  martyrologe  d'Usuard  et  celui  des  Saints  de  France  par  Du  Saussay 
marquent  sa  fête  le  1er  mai. 

PÈLERINAGE  DE  SAINT-MARCOUL,    A   CORBENY  (aisne). 

Le  pèlerinage  de  Saint-Marconi,  à  Corbeny,  a  été  une  des  illustrations  du  diocèse  de  Laon, 
maintenant  réuni  au  diocèse  de  Soissons  (Aisne). 

Ce  pèlerinage  a  pour  objet  le  culte  de  saint  Marcoul,  abbé  de  Nanteuil,  au  diocèse  de  Cou- 
tances  :  il  avait  vécu  dans  le  cours  du  vi«  siècle,  et  sa  sainteté  et  son  crédit  près  de  Dieu  lui 
avaient  concilié  la  vénération  de  Childebert  Ier.  Les  courses  perpétuelles  des  Normands,  qui  infes- 
taient souvent  l'ancienne  Neustrie,  avant  la  cession  perpétuelle  qui  leur  fut  faite  de  cette  pro- 
vince, avaient  obligé  les  moines  de  Nanteuil  à  chercher  un  asile  plus  sur  pour  eux-mêmes  et  pour 
les  reliques  du  saint  abbé,  qu'ils  emportèrent  avec  eux  comme  leur  plus  précieux  trésor.  Ils  furent 
accueillis  dans  la  maison  royale  de  Corbeny  par  Charles  le  Simple,  et  ils  s'y  fixèrent  avec  leur 
précieux  trésor. 

Dix  ans  après,  la  nouvelle  fondation,  enrichie  par  les  dons  de  Frédérune,  épouse  de  Charles  le 
Simple,  fut  réunie  à  l'abbaye  de  Saint-Remi  de  Reims,  à  laquelle  elle  appartint  comme  prieuré 
jusqu'à  la  Révolution  française. 

Les  miracles  multipliés  obtenus  par  l'intercession  de  saint  Marcoul  attirèrent  à  Corbeny  le 
concours  des  peuples.  Une  des  circonstances  dans  lesquelles  éclata  le  plus  la  confiance  des  fidèles 


SAINT  MARCULPHE   OU  MARCOUL,  ABLÉ.  193 

envers  saint  Marcoul  fut  le  transport  des  saintes  reliques  dans  les  principales  villes  de  la  contrée, 
l'an  H 02.  Corbeny  ayant  été  pillé  et  réduit  à  une  grande  misère  par  les  vexations  du  fameux 
Thomas  de  Marie,  les  moines  prirent,  selon  l'usage  de  ce  siècle,  la  résolution  de  porter  de  ville  en 
ville  le  corps  de  leur  saint  Patron,  et  de  recueillir  des  aumônes  qui  leur  permissent  de  relever  le 
monastère  et  de  se  procurer  à  eux-mêmes  la  subsistance  nécessaire.  Après  avoir  été  reçus  avec 
un  grand  empressement  à  Reims  et  à  Châlons,  ils  allèrent  à  Soissons  en  passant  par  Braine.  Leur 
séjour  à  Péronne  fut  marqué  par  des  grâces  nombreuses  accordées  à  la  piété  des  fidèles.  «  Nous 
ne  pouvons  pas  »,  dit  l'auteur  contemporain  à  qui  nous  devons  le  récit  de  ce  voyage,  «  énumérer 
toutes  les  guérisons  du  Saint.  On  plaça,  hors  de  la  ville,  une  croix  dans  un  lieu  où  les  moines  de 
Corbeny  s'étaient  arrêtés,  et  présentement  encore,  le  Seigneur  y  accorde  des  faveurs  multipliées 
aux  malades  qui  recourent  à  l'intercession  de  son  serviteur  ».  Ils  revinrent  par  Vermand,  Ribemont, 
Franqueville  (Francorum  Curtis),  Vaux-sous-Laon,  etc.  Cette  narration,  insérée  par  Mabillon  dans 
les  Actes  des  Saints  de  l'Ordre  de  Saint-BenoîL  sect.  iv,  part.  4,  a  été  suivie  par  les  auteurs 
du  Gallia  christiana,  t.  IX,  p.  242. 

Mais  ce  qui  rendit  surtout  ce  lieu  célèbre,  ce  fut  la  grâce  singulière  attribuée  aux  rois  de 
France  de  guérir  les  écrouelles,  par  une  vertu  qu'on  croit  plus  généralement  leur  avoir  été  com- 
muniquée par  le  pouvoir  du  saint  abbé.  Car,  quoique  quelques  auteurs  aient  voulu  attribuer  ce 
don  à  la  vertu  du  saint  chrême,  dont  les  rois  étaient  oints  dans  la  cérémonie  de  leur  sacre,  des 
preuves  nombreuses,  et  la  conduite  des  rois  eux-mêmes  portent  a  l'attribuer  à  l'intercession  de 
saint  Marcoul.  Le  savant  pape  Benoit  XIV,  après  avoir  montré  qu'il  y  a  des  grâces  miraculeuses 
qui  ne  sont  pas  accordées  à  raison  de  la  sainteté  de  celui  qui  en  est  l'instrument,  donne  pour 
exemple  le  privilège  qu'ont  les  rois  de  France  de  guérir  les  écrouelles,  non  par  une  «  vertu  qui 
leur  est  innée,  mais  par  une  grâce  qui  leur  a  été  donnée  gratuitement  (c'est-à-dire  indépendam- 
ment de  leurs  vertus),  soit  lorsque  Clovis  embrassa  la  foi,  soit  lorsque  saint  Marcoul  l'obtint  de 
Dieu  pour  tous  les  rois  de  France  ».  (Bened.  XIV,  de  Canoniz.  sanct.,  lib.  iv,  c.  3  ,  n°  21.)  Dans 
ces  circonstances  donc,  c'est  plutôt  la  foi,  la  confiance  et  l'humilité  du  malade  qui  est  exaucée  de 
Dieu,  que  le  désir  de  celui  qui  est  l'instrument  de  sa  miséricorde.  Quoi  qu'il  en  soit,  il  est 
démontré,  par  les  registres  mêmes  de  la  Cour  des  comptes,  que  tous  les  rois  de  France,  au  moins 
depuis  saint  Louis  jusqu'à  Louis  XIII  inclusivement,  firent  ce  pèlerinage  avant  de  toucher  les 
malades,  et  tout  porte  à  penser  que  saint  Louis  n'a  fait  en  cela  que  suivre  l'exemple  de  ses  pré- 
décesseurs. Ainsi,  selon  l'ancienne  coutume,  après  que  le  roi  avait  été  sacré  à  Reims,  il  se  ren- 
dait en  pèlerinage  à  Corbeny;  les  moines  allaient  à  sa  rencontre,  et  lui  remettaient  entre  les  mains 
la  tête  de  saint  Marcoul,  que.  le  prince  portait  lui-même  jusqu'à  l'église  et  replaçait  sur  l'autel.  Le 
lendemain,  le  roi,  après  avoir  entendu  la  messe  et  avoir  prié,  touchait  le  visage  des  malades,  en 
faisant  sur  eux  le  signe  de  la  croix  et  en  prononçant  ces  paroles  :  «  Le  roi  te  touche,  Dieu  te 
guérit  ».  Les  malades  devaient  faire  une  neuvaine,  pendant  laquelle  ils  devaient  jeûner.  «  C'est 
la  vérité  »,  dit  un  très-ancien  auteur  qui  donne  ces  détails,  «  que  c'est  de  cette  manière  que 
d'innombrables  malades  ont  été  guéris  par  les  rois  de  France  ». 

Nous  croyons  devoir  ajouter  ici  quelques  témoignages,  choisis  entre  un  grand  nombre  d'autres, 
qui  feront  voir  comment  cette  croyance  ancienne  s'est  conservée  à  travers  les  âges.  Guilbert,  abbé 
de  Nogent,  qui  mourut  en  1124,  parle  ainsi,  dans  un  livre  qu'il  a  composé  sur  les  Gages  des 
Saints  :  «  Nous  voyons  notre  seigneur  le  roi  Louis  (le  Gros)  opérer  le  prodige  accoutumé.  Oui, 
étant  moi-même  à  côté  du  roi,  j'ai  vu  ceux  qui  souffraient  des  écrouelles  au  cou,  ou  dans  d'autres 
parties  du  corps,  accourir  en  foule  (catervatim),  pour  qu'il  les  touchât  ou  fit  sur  eux  le  signe  de 
la  croix,  ce  que  le  prince  faisait  avec  humilité  et  bonté.  Son  père,  Philippe,  avait  obtenu  la  gloire 
du  même  miracle,  mais  il  l'avait  perdue  par  je  ne  sais  quelles  fautes  ».  Philippe  était  monté  sur 
le  trône  en  1060. 

Non-seulement  on  sait,  par  les  registres  de  la  Cour  des  comptes,  que  saint  Louis  a  accompli  le 
pèlerinage  de  Corbeny  ;  mais  Guillaume  de  Nangis,  auteur  contemporain  de  sa  Vie,  ajoute  «  que 
le  pieux  roi  avait  coutume,  lorsqu'il  touchait  les  malades  scrofuleux,  pour  la  guérison  desquels 
Dieu  a  accordé  aux  rois  de  France  une  grâce  singulière,  d'ajouter  aux  paroles  usitées  le  signe 
de  la  croix,  qu'avaient  omis  plusieurs  de  ses  prédécesseurs,  parce  qu'il  désirait  que  la  guérison  fût 
attribuée  à  ce  signe  salutaire  ». 

«  Philippe  le  Bel,  approchant  de  la  mort,  fit  appeler  Louis  le  Hutin,  son  fils  aîné,  lui  apprit  la 
manière  de  toucher  les  malades,  en  lui  montrant  que,  selon  l'Ecriture, Dieu  n'exauce  pas  les  vicieux... 
(Dutillet,  Recueil  des  rois  de  France.) 

«  Louis  XII,  ce  roi  dévot  sans  hypocrisie,  qui  se  réconciliait  à  Dieu  par  la  confession  sept  à 
huit  fois  par  an,  usait,  en  ces  rencontres,  de  la  grâce  de  guérir  les  écrouelles  ».  (Histoire  de 
Louis  XII,  par  Cl.  de  Seyssel.) 

Voici  ce  que  porte  une  ordonnance  donnée  par  François  I",  en  1542  :  «  Au  retour  de  notre 
sacre  de  Reims,  en  allant  à  l'église  de  M.  Saint-Marcoul  de  Corbeny,  où  nous  et  nos  prédécesseurs 
avons  coutume  d'aller  faire  nos  oblations,  et  révérer  le  précieux  corps  dudit  saint  Marcoul,  pour 
le  très-excellent  privilège  de  la  guérison  des  écrouelles,  qu'il  a  plu  au  Créateur  miraculeusement 
impartir  à  nous  et  nos  prédécesseurs  par  le  toucher  et  le  signe  victorieux  de  la  croix,  par  le  moyen 
duquel  survient  ladite  guérison,  etc.  » 

Vibs  des  Saints.  —  Tome  V.  13 


194  1"  MAI. 

André  Laurent,  médecin  et  conseiller  du  roi,  dans  un  livre  sur  cette  prérogative  de  nos  rois, 
qu'il  publia,  en  1609,  du  vivant  de  Henri  IV,  assure  que  ce  prince  touchait  et  guérissait  plus  de 
quinze  cents  malades  par  an. 

Louis  XIV  fut  le  premier,  depuis  saint  Louis,  qui  n'ait  pas  fait  le  voyage  de  Corbeny.  La  guerre 
désolait  la  Picardie  en  1654,  année  de  son  sacre,  et  l'on  craignit  d'exposer  la  personne  du  monar- 
que. On  apporta  les  reliques  de  saint  Marconi  à  l'abbaye  de  Saint-Remi  de  Reims  ;  on  commença  la 
neuvaine,  et,  après  avoir  communié,  le  jeune  roi  toucha  les  malades,  réunis  au  nombre  de  plus  de 
deux  mille  dans  le  jardin  de  l'abbaye.  La  chose  se  passa  de  même  au  sacre  de  Louis  XV. 

Voici  comment  Louis  XVI  s'exprima  en  1772  :  «  Chers  et  bien-aimés,  nous  avions  espéré  nous 
rendre  à  Saint-Marcoul,  après  la  cérémonie  de  notre  sacre,  et  remplir,  en  ce  pèlerinage,  à  l'exemple 
de  nos  prédécesseurs,  les  œuvres  de  piété  chrétienne  ;  mais  l'intendant  de  la  province  de  Cham- 
pagne s'est  rendu  près  de  nous,  pour  nous  représenter  que  les  chemins  étaient  impraticables  et  le 
passage  des  rivières  peu  sûr  (par  le  lac  de  Berry).  Nous  avons  voulu  nous  rendre  aux  remontrances 
de  la  province  sur  les  inconvénients  de  ce  voyage.  Cependant,  ne  voulant  manquer  à  aucune  des 
dévotions  qui  s'observent  en  pareille  occasion,  nous  ordonnons  que  la  châsse  de  saint  Marcoul  soit 
apportée  dans  l'église  de  Saint-Remi  ;  vous  donnant  avis  que  nous  nous  y  rendrons  le  14  de  ce 
mois,  pour  remplir  toutes  les  pratiques  de  piété  et  de  charité  pratiquées  par  les  rois  nos  prédé- 
cesseurs, etc.  » 

Quand  Charles  X  fut  sacré,  en  1825,  les  reliques  furent  encore  apportées  et  déposées  à  l'hos- 
pice de  Saint-Marcoul,  à  Reims  ;  la  neuvaine  s'y  fit,  et  le  roi  toucha  les  malades  qui  lui  furent 
présentés  *,  Le  respectable  abbé  Desgenettes,  qui  est  mort  curé  de  Notre-Dame  des  Victoires,  à 
Paris,  se  donnait  comme  témoin  des  guérisons  alors  opérées  sous  ses  yeux. 

On  ne  s'étonnera  pas,  sans  doute,  que,  après  tant  de  preuves  de  leur  confiance  en  saint  Marcoul, 
les  rois  de  France  aient  comblé  de  dons  et  de  privilèges  le  pays  et  le  prieuré  de  Corbeny,  ainsi 
que  les  confréries  dont  il  était  le  centre. 

Du  reste,  ce  n'est  pas  seulement  pour  la  guérison  des  éerouelles  qu'a  été  fréquenté  de  torit 
temps  le  pèlerinage  de  Corbeny,  mais  aussi  pour  celles  des  autres  maladies,  «  guérison  que,  selon 
le  témoignage  des  auteurs  du  Gallia  christiana,  les  suffrages  de  saint  Marcoul  obtiennent  souvent, 
lors  surtout  que  la  prière  est  accompagnée  d'une  vive  foi  et  de  la  confession  sincère  d'un  cœur 
pénitent  ».  —  Antiquités  religieuses  du  diocèse  de  Soissons  et  Laon,par  M.  Lequeux,  chanoine 
de  Paris,  ancien  supérieur  du  séminaire  et  vicaire-général,  t.  Ier,  p.  183  et  suivantes. 

Voiries  Actes  de  saint  Marconi,  avec  les  notes  du  Père  Papebroch;  Mabillon,  Sasc.  4,  Ben.  part.  2;  la 
Gallia  christ,  nova,  t.  ix,  p.  919;  et  Trigan,  Eist.  ecclés.  de  Normandie,  p.  87,  88,  89,  90,  92,  123,  263.  — 
Voir  aussi  Histoire  du  pèlerinage  de  Corbeny,  par  M.  l'abbé  Blatt. 


SAINT  BRIEUG,  EVEQUE  EN  BRETAGNE 


vie  ou  vu»  siècle. 


Saint  Brieuc  était  originaire  de  la  Grande-Bretagne,  dans  le  pays  nommé 
alors  Regio  Coritiniana,  et  qui  est,  d'après  le  docteur  Jean  Lingard,  le  même 
que  nous  appelons  aujourd'hui  Cardigan.  Il  naquit  comme  une  rose  entre 
les  épines,  de  parents  qui  n'étaient  pas  encore  chrétiens.  Mais  un  ange  leur 
apparut,  comme  autrefois  au  père  et  à  la  mère  de  Samson,  et  les  avertit  de 
quitter  le  culte  des  faux  dieux,  afin  d'être  les  dignes  parents  du  fils  que  le 
vrai  Dieu  leur  voulait  donner.  Il  leur  dit  aussi  qu'ils  le  devaient  appeler 
Brieuc  ;  nom  qui,  selon  les  racines  de  la  langue  hébraïque,  signifie  béni  de 
Dieu.  Comme  ils  virent  en  lui  de  grandes  inclinations  pour  le  bien,  sachant 
que  saint  Germain,  abbé  de  Saint-Symphorien,  hors  les  portes  d'Autun,  en 
France,  avait  assemblé  une  belle  école,  où  il  instruisait  les  enfants  avec  un 
merveilleux  succès,  ils  le  lui  envoyèrent,  selon  l'ordre  qu'ils  en  reçurent 
du  ciel,  par  le  ministère  du  même  ange. 

1.  On  trouvera  dans  l'Ami  de  la  religion,  t.  xiv,  le  précis  de  ce  qui  se  passa  à  l'hospice  de  Saint- Liar- 
eoul,  et  le  procès-verbal  relatif  à  la  guérison  de  plusieurs  malades. 


SAINT   BRIEUC,   ÉVÈQUE   EN  BRETAGNE.  195 

Cet  enfant  étant  à  une  si  bonne  école,  paraissait,  entre  ses  compagnons, 
comme  un  soleil  au  milieu  des  étoiles,  tant  par  l'éclat  de  ses  vertus,  que 
par  les  grands  miracles  que  Dieu  opérait  par  son  moyen.  A  peine  âgé  de  dix 
ans,  il  rencontra  des  lépreux  en  allant  chercher  de  l'eau  à  une  fontaine  ; 
n'ayant  rien  pour  leur  faire  l'aumône,  il  leur  donna  sa  cruche  ;  mais  en 
ayant  été  repris,  comme  d'une  chose  contraire  à  l'obéissance,  il  eut  recours 
à  la  prière  ;  Dieu  lui  envoya  miraculeusement  un  autre  vase,  beaucoup  plus 
beau  que  celui  qu'il  avait  donné.  Ainsi  son  saint  Abbé  fut  confirmé  dans  la 
pensée  qu'il  avait  déjà  que  ce  jeune  enfant  serait  un  jour  un  grand  serviteur 
de  Dieu  ;  du  reste,  quand  on  le  lui  avait  présenté  pour  la  première  fois,  il 
avait  aperçu  une  colombe,  blanche  comme  la  neige,  qui  se  vint  reposer  sur 
sa  tête,  pour  marquer  la  pureté  et  la  sainteté  de  son  âme.  Il  fit  encore  d'au- 
tres merveilles  à  cet  âge  ;  on  rapporte  qu'il  délivra,  par  sa  prière,  un  homme 
possédé  du  démon. 

Saint  Germain  étant  invité  par  le  roi  Childebert  Ie*  à  venir  à  Paris,  y 
amena  avec  lui  cet  illustre  disciple,  dont  les  vertus  lui  étaient  parfaitement 
connues.  Et,  depuis,  étant  évêque  de  Paris,  il  l'ordonna  prêtre  et  le  fit  son 
aumônier1. 

Ce  zélé  serviteur  de  Dieu,  méditant  toujours  de  plus  hauts  desseins,  et 
ne  voulant  point  mettre  de  bornes  à  ses  vertus,  eut  la  pensée  de  retourner 
au  pays  de  sa  naissance,  afin  d'y  éclairer  ceux  qui  croupissaient  encore  dans 
les  ombres  de  la  mort,  et  de  donner  la  vie  de  l'âme  à  ceux  dont  il  avait  reçu 
celle  du  corps.  Il  communiqua  cette  résolution  à  saint  Germain,  qui  l'ap- 
prouva et  lui  donna  d'autres  religieux  pour  l'accompagner  et  l'assister  dans 
une  si  belle  entreprise.  Il  partit  donc  de  Paris,  après  avoir  reçu  sa  bénédic- 
tion épiscopale,  et  s'en  alla  arborer  la  croix  de  Jésus-Christ  et  l'état  monas- 
tique dans  la  Grande-Bretagne,  et  particulièrement  dans  la  province  de 
Coritanie,  où  il  arriva  heureusement,  après  avoir  essuyé  une  furieuse  tem- 
pête, qu'il  calma  par  la  force  de  ses  prières.  Il  y  prêcha  la  doctrine  de  l'E- 
vangile et  baptisa  ses  parents  et  la  plupart  de  ses  compatriotes.  Notre-Sei- 
gneur  confirma  encore  sa  parole  par  une  infinité  de  miracles  ;  car  if  délivra 
le  pays  de  la  famine  et  de  la  peste,  guérit  plusieurs  malades  désespérés, 
préserva  de  la  rage  une  personne  qui,  mordue  par  un  chien  enragé,  com- 
mençait à  ressentir  les  atteintes  de  ce  mal  ;  remit  une  cuisse  rompue,  rejoi- 
gnit le  pouce  à  un  charpentier  qui  se  l'était  coupé,  rendit  la  vue  à  un  aveugle 
et  opéra  une  foule  d'autres  merveilles.  Il  planta  aussi  des  croix  par  toute  la 
province,  bâtit  des  églises,  érigea  des  monastères  et  les  peupla  de  religieux, 
auxquels  il  donna  la  règle  qu'il  avait  pratiquée  en  France  sous  saint  Ger- 
main ;  enfin,  il  n'omit  rien  de  ce  qu'il  jugea  nécessaire  pour  la  gloire  do 
Dieu  et  pour  le  salut  des  âmes. 

Les  affaires  de  la  religion  étant  bien  établies  en  Angleterre,  le  Saint, 
inspiré  de  Dieu,  repassa  la  mer  et  s'en  vint  en  la  Basse-Bretagne,  dite  autre- 
ment Armorique.  Il  prêcha  d'abord  dans  le  paysdeTréguier,  dont  il  convertit 
le  comte  nommé  Conan  ;  avec  le  secours  de  ce  prince,  il  bâtit  le  monastère  de 
Landebaëron.  Plus  tard,  laissant  le  gouvernement  de  cette  maison  à  l'un  de 
ses  disciples,  il  vint  par  mer,  avec  quatre-vingts  religieux,  suivant  la  côte 
de  l'occident  à  l'orient,  au  port  que  forme  l'embouchure  de  la  rivière  de 
Gouet  :  ayant  été  bien  accueilli  par  le  comte  Rigual,  il  s'établit  dans  la 

1.  La  chronologie  de  saint  Brieuc  est  très-contestable;  il  y  a  aussi  partage  d'opinions  touchant  la 
saint  Germain  auquel  fut  confie  saint  Brieuc  dans  sa  jeunesse.  D'après  les  uns,  ce  fut  à  saint  Germain 
d'Auxerre,  qui  passa  dans  la  Grande-Bretagne,  en  4-'9;  selon  les  autres,  ce  fut  a  saint  Germain,  chèque 
de  Paris.  Nous  ne  pouvons  entrer  dans  ces  interminables  discussions,  qui  n'ont  point  encore  amené  un 
résultat  unanimement  accepté. 


196  1"  mai. 

vallée  qui,  à  cause  de  lui,  s'est  depuis  nommée  Saint-Brieuc-des-Vaux, 
parce  qu'il  y  a  plusieurs  vallées.  L'église  du  monastère  qu'il  y  fonda  fut 
bientôt  érigée  en  cathédrale,  et  notre  Saint  fut  nommé  évêque  de  ce  lieu. 

Comme  il  avait  une  singulière  dévotion  à  la  Sainte  Vierge,  il  fit  dresser, 
sur  le  bord  d'une  fontaiile,  assez  près  de  sa  cathédrale,  un  oratoire  en  son 
honneur,  qu'il  appelait,  pour  ce  sujet,  Notre-Dame-de-la-Fontaine,  et  où  il 
allait  souvent  faire  ses  prières. 

Enfin,  Dieu  voulant  couronner  sa  vie  par  une  précieuse  mort,  lui  révéla 
que  le  temps  en  était  proche.  Le  Saint  en  donna  avis  à  ses  religieux  huit 
jours  auparavant  ;  il  se  munit  de  toutes  les  armes  spirituelles  et  surtout  des 
derniers  Sacrements  ;  après  quoi  il  expira  paisiblement  en  leur  présence, 
en  proférant  le  saint  nom  de  Jésus.  Il  était  âgé  de  plus  de  quatre-vingt-dix 
ans.  On  ne  s'accorde  pas  sur  l'époque  de  sa  mort  :  les  uns  la  mettent  en  502, 
d'autres  en  614.  La  chambre  où  il  expira  fut  remplie  d'une  odeur  délicieuse  ; 
un  de  ses  religieux,  nommé  Marcan,  vit  son  âme  s'envoler  au  ciel,  en  forme 
de  colombe  ;  un  autre,  nommé  Siviau,  ou  Sieu,  vit  aussi  le  saint  Evêque 
monter  au  ciel  sur  une  échelle  brillante  de  lumière  et  avec  un  cortège 
d'anges. 

Son  corps  fut  inhumé  dans  sa  cathédrale  :  mais,  lors  de  l'invasion  des 
Normands,  pour  le  sauver,  on  le  mit  dans  un  sac  de  cuir  de  cerf,  et  Erispoë, 
duc  de  Bretagne,  le  transporta  à  l'abbaye  de  Saint-Serge  d'Angers,  où  il  y 
eut  encore  une  célèbre  translation  en  4166.  Depuis,  l'an  1210,  Pierre,  évê- 
que de  Samt-Brieuc,  se  rendit  lui-même  à  Angers  pour  obtenir  quelque 
chose  de  ces  saintes  reliques.  On  lui  donna  deux  côtes,  un  bras  et  une  ver- 
tèbre du  cou,  qu'il  transporta  lui-même  en  grande  pompe.  Ces  saints  osse- 
ments, lorsqu'ils  entrèrent  dans  la  cathédrale  qui  leur  était  si  chère,  tres- 
saillirent de  joie  :  on  remarqua  qu'ils  s'agitaient  d'eux-mêmes.  Ils  ont 
heureusement  échappé  aux  profanations  de  1793  ;  ils  reposent  dans  un  beau 
reliquaire  de  bronze  doré,  donné  en  1820  par  Mgr  Hyacinthe  de  Quélen, 
alors  coadjuteur  de  l'évêque  de  Saint-Brieuc,  et  depuis  archevêque  de  Paris. 
L'église  de  Saint-Benoît-sur-Loire  possède  aussi  un  petit  fragment  des  reli- 
ques de  saint  Brieuc,  mais  celles  qui  se  trouvaient  à  Angers,  ainsi  que  celles 
de  Paris,  ont  disparu.  Depuis  1804,  la  fête  de  saint  Brieuc  est  fixée  au  second 
dimanche  après  Pâques. 

L'attribut  de  saint  Brieucj  est  une  bourse  ou  aumônière.  Il  était  autre- 
fois le  patron  des  boursiers  ou  fabricants  d'aumônières,  probablement  parce 
que  cette  industrie  a  autrefois  fleuri  dans  la  ville  de  Saint-Brieuc. 

Voir  les  Vies  des  Saints  de  Bretagne,  par  Dom  Lobineau,  et  la  Vie  du  Saint  par  le  chanoine  La  Devl- 
•ion,  Saint-Brieuc,  1627,  in-12. 


SAINT  GOMBERT  ET  SAINTE  BERTHE, 

SON  ÉPOUSE,  MARTYRS 


vne  siècle. 


Saint  Gombert  était  d'une  naissance  fort  illustre,  puisque  sa  maison 
avait  l'honneur  d'être  alliée  à  celle  des  rois  de  France  et  descendait,  parles 


SAINT  GOMBERT  ET  SAINTE  BERTHE,   SON  ÉPOUSE,   MARTYRS.  107 

femmes,  de  Chilpéric  ou  Clotaire  II.  Il  fut  élevé,  dès  sa  jeunesse,  avec  son 
frère  saint  Nivard,  depuis  archevêque  de  Reims,  dans  toutes  les  délices  de 
la  cour.  Mais  Dieu  s'empara  de  bonne  heure  de  son  cœur  et  en  prit  posses- 
sion avant  que  le  monde  y  exerçât  son  empire  et  sa  tyrannie.  Bien  qu'il 
vécût  au  milieu  de  la  cour,  ses  plus  chères  délices  étaient  de  lire  la  sainte 
Ecriture  et  d'y  méditer  jour  et  nuit  la  loi  de  son  Dieu,  pour  se  rendre  capa- 
ble de  recevoir  son  esprit  et  l'abondance  de  ses  grâces. 

Quand  ses  parents  le  virent  en  âge  de  se  marier,  ils  lui  firent  prendre 
une  épouse,  nommée  Berthe,  également  illustre  par  sa  naissance  et  par  ses 
vertus.  Le  jeune  prince  avait  d'abord  hésité  ;  mais  il  entendit  une  voix  du 
ciel  qui  lui  dit  :  «  Gombert,  ne  craignez  pas  de  consentir  à  votre  mariage 
avec  Berthe,  parce  que  Dieu  en  veut  tirer  un  bien  considérable  ».  En  effet, 
Berthe  fut  l'illustre  compagne  de  sa  piété.  Comme  ils  avaient  résolu  tous 
deux  de  vivre  dans  une  virginité  perpétuelle,  ils  demeurèrent  ensemble 
comme  le  frère  et  la  sœur  :  bien  qu'à  l'extérieur,  et  pour  ce  qui  regarde  le 
ménage  et  le  règlement  de  leur  famille,  ils  se  rendissent  réciproquement 
tous  les  devoirs  de  deux  fidèles  époux. 

Notre  Saint  eut  un  démêlé  avec  saint  Réole,  le  successeur  de  son  frère  à 
l'archevêché  de  Reims.  Nivard  avait  légué  tous  ses  biens  à  sa  cathédrale  et 
aux  abbayes  de  Haut-Villiers  et  de  Verzy  ;  ces  biens  consistaient  dans  sa 
part  de  patrimoine,  qui  n'avait  point  encore  été  partagée  entre  lui  et  Gom- 
bert. Mais,  après  quelques  conférences,  l'affaire  fut  heureusement  terminée, 
les  biens  dont  il  était  question  ayant  été  partagés  entre  saint  Gombert,  qui 
en  eut  la  moitié,  et  les  églises  légataires  qui  eurent  l'autre  moitié  ;  et  il  ne 
fut  pas  nécessaire  de  rétablir  la  bonne  intelligence  entre  ces  deux  serviteurs 
de  Dieu,  parce  que  leur  procès  avait  été  sans  aigreur  et  sans  nulle  altération 
de  la  charité. 

Saint  Gombert  et  sainte  Berthe  étant  ainsi  paisibles  possesseurs  de  leurs 
patrimoines,  résolurent  de  les  employer  entièrement  au  service  de  Jésus- 
Christ  et  en  firent  de  tous  côtés  de  grandes  aumônes.  Mais  leur  ferveur 
s'augmentant  de  plus  en  plus,  ils  se  séparèrent  l'un  de  l'autre,  afin  que, 
n'ayant  plus  de  commerce  avec  les  créatures,  ils  se  donnassent  entièrement 
à  Dieu.  Le  Saint  fit  d'abord  bâtir  à  Reims,  auprès  de  la  porte  Basée,  autre- 
fois Basilicaire,  un  célèbre  monastère  en  l'honneur  du  grand  apôtre  saint 
Pierre,  et  le  dota  de  grands  revenus  pour  y  entretenir  un  bon  nombre  de 
saintes  filles,  qui  y  ont  longtemps  servi  Dieu  avec  beaucoup  d'édification  *. 
Mais,  comme  il  brûlait  de  zèle  pour  la  gloire  de  son  Maître,  il  croyait  n'avoir 
rien  fait  si,  avec  ses  biens,  il  ne  donnait  son  sang  et  sa  vie  pour  le  nom  de 
Jésus-Christ.  Il  se  joignit  donc  à  quelques  religieux  qui  allaient  en  Irlande 
et  y  visita  les  célèbres  monastères  de  cette  île,  d'où  sortaient  tant  de  prédi- 
cateurs de  l'Evangile  ;  lui-même  en  construisit  un  pour  y  enseigner  la  pra- 

1.  Voici,  sur  les  monastères  de  Saint-Pierre,  des  renseignements  qui  rectifieront  ce  qne  nons  avons 
pn  dire  d'inexact  à  ce  snjet  dans  la  sixième  édition  : 

Il  y  avait  autrefois,  à  Reims,  deux  monastères  de  femmes  placés  sons  l'invocation  de  saint  Pierro, 
lesquels  tiraient  leur  nom  de  leur  situation  topographique  :  l'un  Saint-Pierre  le  Haut  ou  Saint-Pierre 
les  Dames,  et  l'autre  Saint-Pierre  le  Bas  :  le  premier  fondé  par  saint  Baudry  et  sainte  Bove,  le  second 
fondé  par  saint  Gombert  : 

lo  Saint-Pierre  le  Bas,  qui  reconnaissait  pour  son  fondateur  saint  Gombert,  était  situé  près  de  la 
porte  Basée,  ainsi  nommée  soit  parce  qu'elle  conduisait  aux  basiliques  du  faubourg  Saint-Remi,  soit, 
plus  probablement,  parce  qu'elle  avait  été  érigée  lors  de  l'entrée  triomphale  de  César  a  Reims,  car  la 
voie  qui  conduisait  à  cette  porte  s'appelant  rue  César,  la  porte  a  pn  s'appeler,  par  la  même  considération, 
porte  Basilicaire  ou  Royale.  Le  monastère  de  Saint-Pierre  le  Bas  a  été  détruit  de  bonne  heure.  Au 
x8  siècle,  il  était  encore  occupé  par  des  religieuses  ;  mais  il  ne  tarda  pas  à  être  détruit,  et  sur  son  em- 
placement s'éleva  l'église  Saint-Patrice. 

8o  Saint-Pierre  le  Haut  ou  Saint-Pierre  les  Dames,  qui  existe  encore  en  partie  aujourd'hui,  fait  re- 


198  5"  mai. 

tique  de  la  Règle  de  Saint-Benoît,  laquelle  n'avait  pas  encore  remplacé  celle 
de  saint  Patrice  et  de  saint  Colomban.  11  n'y  alla  pas  les  mains  vides  ;  il  y 
porta  beaucoup  d'argent,  et  il  fît  bientôt  bâtir  une  belle  église  et  un  magni- 
fique monastère,  auquel  il  donna  presque  tous  les  biens  qu'il  avait  hérités 
de  sa  mère.  De  sorte  qu'en  peu  de  temps  l'on  vit  dans  ce  pays,  où  jus- 
qu'alors on  n'avait  vu  que  des  adorateurs  du  démon,  une  très-florissante 
communauté  de  serviteurs  de  Dieu,  qui,  malgré  les  puissances  de  l'enfer,  y 
plantèrent  la  croix  de  Jésus-Christ  et  la  religion  chrétienne. 

Les  prêtres  païens,  irrités  de  voir  ces  étrangers  abolir  le  culte  de  leurs 
dieux,  ranimèrent  le  zèle  de  leurs  partisans,  et  allèrent,  à  la  tête  d'une 
troupe  de  furieux,  attaquer  le  nouveau  monastère.  Saint  Gombert,  après 
avoir  exhorté  ses  religieux  et  les  fidèles  à  donner  généreusement  leur  vie 
pour  Jésus-Christ,  se  retira  dans  l'église,  et  là,  prosterné  devant  le  saint 
Sacrement,  il  remercia  Dieu  du  martyre  qui  l'attendait.  Les  idolâtres  entrent 
pleins  de  rage,  saisissent  Gombert,  le  chargent  de  chaînes  et  le  traînent  au 
lieu  du  supplice  :  là,  l'ayant  dépouillé,  ils  le  frappent  à  coups  de  corde,  de 
bâton  et  de  fouet  Enfin,  l'un  d'eux  lui  tranche  la  tête.  C'était  le  29  avril, 
vers  la  fin  du  vne  siècle. 

Revenons  maintenant  à  Berthe,  épouse  du  saint  Martyr.  Elle  désirait, 
elle  aussi,  fonder  quelque  pieux  monastère  dans  une  solitude.  Comme  elle 
ne  savait  quel  emplacement  choisir,  un  Ange  de  lumière  lui  apparut  et  lui 
fit  voir,  au  pied  d'une  colline  et  à  l'entrée  d'un  bois,  une  plaine  agréable  et 
qui  semblait  être  faite  exprès  pour  son  dessein  ;  il  dressa  même  le  plan  du 
monastère  et  marqua  toutes  les  largeurs  et  les  hauteurs  de  cet  édifice.  La 
Sainte,  consolée  par  cette  vision,  s'en  alla  en  ce  lieu,  nommé  Val-d'Or,  près 
d'Avenay,  et  elle  y  bâtit  une  abbaye,  selon  le  plan  que  l'Ange  lui  avait 
donné,  et  lui  assigna  un  revenu  considérable  pour  l'entretien  des  religieuses 
qu'elle  y  amena  de  Reims  ;  elle  se  mit  du  nombre,  et  en  entreprit  la  con- 
duite par  un  ordre  céleste  :  la  très-sainte  Vierge  lui  commanda  d'acquiescer 
au  désir  de  ses  filles  qui  l'avaient  choisie,  malgré  elle,  pour  leur  abbesse. 

Son  élection  fut  approuvée  par  des  miracles  qu'elle  faisait  presqu'à 
chaque  moment  :  son  histoire  dit  qu'elle  a  donné  la  vue  aux  aveugles,  l'ouïe 
aux  sourds  et  la  parole  aux  muets  ;  et  que  souvent,  par  ses  prières,  elle  a 
fait  trembler  la  mort  et  l'enfer.  Voici  ce  que  l'abbé  Flodoard  rapporte  avec 
des  détails  particuliers  :  «  La  ville  d'Avenay,  étant  extrêmement  incommo- 
dée par  une  disette  d'eau,  les  religieuses  de  l'abbaye  du  Val-d'Or  sollicitè- 
rent leur  sainte  Mère  de  pourvoir  à  cette  nécessité  par  la  vertu  de  ses 
prières  ;  et  comme  elle  était  en  oraison  pour  cet  effet,  saint  Pierre,  patron 
de  ce  monastère,  lui  apparut  sous  la  forme  d'un  vénérable  vieillard,  qui 
tenait  deux  clefs  d'or  en  ses  mains,  l'avertissant  d'acheter,  à  une  petite 
lieue  de  l'abbaye,  un  terrain  où  il  y  avait  une  fontaine,  qu'elle  pourrait  ai- 
sément faire  conduire  dans  la  ville  pour  le  besoin  des  habitants.  La  Sainte 
se  sentant  fortifiée  par  cette  vision,  acheta  ce  terrain  une  livre  d'argent, 
qui  reviendrait  maintenant  au  prix  de  cinquante-cinq  à  soixante  francs  ; 

monter  son  origine  à  sainte  Bove  et  a  saint  Baudry,  son  frère.  Il  était  hors  de  la  ville;  mais  les  guerres 
qui  désolèrent  la  France,  obligèrent  les  religieuses  à  se  retirer  dans  l'intérieur  :  elles  s'établirent  dans  ua 
lieu  où,  dit-on,  il  avait  existé,  dès  le  temps  de  saint  Rémi,  une  communauté  de  femmes. 

Les  corps  saints  qu'il  renfermait  furent  transportés  de  l'ancien  couvent  dans  le  nouveau. 

L'abbaye  de  Saint-Pierre  les  Dames  est  située  près  des  remparts,  au  nord. 

Il  ne  reste  des  bâtiments  anciens  que  les  jardins,  deux  ailes  du  logement  de  l'abbesse.  L'église,  vrai 
monument,  est  détruite. 

Les  restes  sont  occupés  par  les  Dames  de  la  Congrégation  de  Notre-Dame,  de  la  règle  de  Saint-Au- 
gustin, mais  révisée  par  le  bienheureux  Pierre  Fourrier.  S'il  est  vrai  qu'il  ait  existé  là  des  religieuses 
dès  le  temps  de  saint  Rémi,  on  voit  q,ue  c'est  une  terre  véritablement  bénie.  —  Cerf,  chanoine  honoraire* 


SAINT  GOMBERT  ET  3AINTE   BERTHE,    SON   ÉPOUSE,   MARTYRS.  199 

mais  la  difficulté  fut  de  conduire  cette  eau  dans  Avenay  et  de  changer  le  lit 
ordinaire  de  son  ruisseau,  qui  prenait  un  autre  cours.  Néanmoins,  la 
Sainte,  se  confiant  en  la  bonté  de  Dieu,  traça  sur  la  terre  avec  une  baguette, 
comme  un  petit  canal,  par  où  les  eaux  commencèrent  à  couler  vers  la  ville 
d'Avenay,  se  frayant  ainsi  un  passage  et  un  nouveau  lit  qu'elles  n'ont  jamais 
quitté  depuis.  Elle  donna  dès  lors  à  cette  petite  rivière  le  nom  de  Livre  t 
parce  qu'elle  avait  acheté  sa  source  une  livre  d'argent». 

La  sainte  abbesse  y  vivait  avec  ses  filles  comme  des  anges  sur  la  terre 
et  comme  ces  vierges  de  l'Evangile,  qui  attendaient  avec  impatience  l'arri- 
vée de  l'Epoux  ;  elle,  en  particulier,  était  la  plus  humble  de  toute  l'abbaye  ; 
ses  mains  commandaient  plutôt  que  sa  bouche,  et  elle  n'établissait  les  lois 
de  son  monastère  que  par  l'exemple  de  ses  actions.  Il  ne  lui  manquait  plus 
que  l'occasion  du  martyre,  pour  remplir  les  désirs  de  son  cœur.  Enfin, 
Notre-Seigneur,  qui  prévient  les  désirs  de  ses  élus,  lui  accorda  cette  faveur 
par  un  accident  qui  semble  bien  tragique.  Quelques  neveux  de  son  mari, 
fâchés  de  ce  qu'elle  employait  tout  son  patrimoine  en  des  œuvres  de  charité, 
conspirèrent  avec  Moncie,  leur  sœur  ou  leur  cousine,  pour  la  faire  mourir. 
Etant  entrés  dans  son  monastère  en  un  temps  de  silence,  lorsque  toutes  les 
religieuses  étaient  retirées,  et  s'étant  secrètement  glissés  dans  la  cellule  de 
Berthe,  ils  l'y  massacrèrent  cruellement  sans  que  personne  de  la  maison 
s'en  aperçût.  Ainsi  elle  eut  l'accomplissement  de  ses  souhaits,  et  elle  fut  vé- 
ritablement martyre  ;  car  elle  fut  tuée  en  haine  de  la  vertu  et  parce  qu'elle 
donnait  tout  son  bien  à  Dieu. 

Dieu  ne  laissa  pas  ce  crime  impuni.  Ceux  qui  en  avaient  été  les  auteurs 
furent  possédés  du  démon,  et  périrent  misérablement.  Il  n'en  fut  pas  ainsi 
de  la  pauvre  Moncie  :  Dieu  la  traitant  avec  plus  de  miséricorde,  permit  que 
sainte  Berthe  lui  apparût  quelques  jours  après.  Lui  rendant  le  bien  pour  le 
mal,  elle  l'avertit  que,  pour  obtenir  la  rémission  de  son  crime,  elle  devait 
avoir  soin  que  le  corps  de  saint  Gombert,  son  mari,  fût  transporté  dans  sa 
province  natale,  et  déposé  auprès  du  sien  dans  le  monastère  du  Val-d'Or 
d'Avenay.  Elle  accepta  cette  commission  avec  beaucoup  de  zèle,  dans  le 
désir  que  son  péché  lui  fût  pardonné.  Lorsque  le  corps  de  saint  Gombert 
fut  proche  de  celui  de  sainte  Berthe,  cette  meurtrière  jeta  quantité  de  sang 
par  la  bouche  et  par  le  nez  ;  mais  cela  ne  la  surprit  pas,  parce  que  la  Sainte 
l'en  avait  avertie  dans  la  vision  qu'elle  avait  eue,  et  lui  avait  donné  cet  ac- 
cident pour  un  signe  de  l'entière  rémission  de  ses  fautes,  en  récompense  de 
l'honneur  qu'elle  rendrait  à  son  mari  et  à  elle,  après  avoir  commis  un  si 
grand  attentat  contre  eux.  Plusieurs  miracles  se  sont  faits  au  tombeau  de 
ces  deux  saints  Epoux  :  des  possédés,  des  désespérés,  des  malades  et  toutes 
sortes  de  personnes  affligées,  qui  sont  venues  le  visiter,  y  ont  reçu  le  soula- 
gement qu'elles  désiraient.  Cent  ans  après  leur  mort,  on  ouvrit  encore  leur 
sépulcre,  et  le  corps  de  sainte  Berthe  fut  trouvé  aussi  beau  et  aussi  entier, 
et  ses  plaies  aussi  fraîches  que  le  jour  de  son  martyre.  Il  en  sortit  même  du 
sang,  lorsque  celui  de  saint  Gombert  en  fut  approché. 

D.  Morlot,  Histoire  du  diocèse  de  Reims;  notes  locales. 


MAI. 


SAINTE  WALBURGE,  ABBESSE 

778.  —  Pape  :  Adrien  Ie». 


Cette  illustre  Vierge  était  anglaise  de  nation,  fille  d'un  saint  roi  nommé 
Richard,  et  de  Unne,  ou  Unnoheide,  sœur  de  saint  Boniface,  évêque  de 
Mayence  et  apôtre  d'Allemagne.  Elle  conçut,  dès  sa  jeunesse,  un  si  grand 
mépris  pour  toutes  les  choses  de  la  terre,  que,  sans  avoir  égard  ni  à  la  no- 
blesse de  sa  naissance,  ni  à  son  âge,  ni  même  à  la  qualité  de  son  sexe,  elle 
résolut  de  quitter  son  pays,  de  suivre  ses  deux  frères,  Guillebaud  et  Gom- 
baud,  qui  avaient  passé  la  mer,  et  de  se  rendre  avec  eux  auprès  de  leur 
saint  oocle,  pour  travailler,  sous  sa  conduite,  à  la  gloire  de  Jésus-Christ.  Afin 
de  mieux  réussir  dans  une  si  généreuse  entreprise,  elle  se  joignit  à  cinq  re- 
ligieuses envoyées  par  l'abbesse  Tetta  à  ce  saint  prélat,  qui  les  lui  avait  de- 
mandées ;  car  les  peuples  étaient  plus  attirés  à  la  foi  catholique  et  à  la  pra- 
tique de  la  vertu  par  la  vie  exemplaire  des  religieux  et  des  religieuses,  que 
par  tout  autre  chose.  Ces  compagnes  furent  Cunigilde,  tante  de  saint  Lulle; 
Béragite,  fille  de  la  précédente  ;  Cunitudre,  sainte  Thècle  et  sainte  Liobe, 
illustres  vierges  que  l'on  a  toujours  regardées  en  Allemagne  comme  les 
principales  fondatrices  des  monastères  de  religieuses. 

Dieu  fit  connaître  par  un  miracle  qu'il  approuvait  cette  admirable  réso- 
lution :  une  horrible  tempête  étant  survenue  aussitôt  après  qu'elles  se 
furent  embarquées  sur  l'Océan,  Walburge  la  fit  cesser  tout  à  coup  par  ses 
prières,  lorsque  chacun  se  croyait  perdu  ;  de  sorte  que  cette  troupe  aposto- 
lique arriva  heureusement  en  Allemagne.  On  ne  peut  pas  exprimer  la  joie 
de  saint  Boniface  quand  il  vit  tant  d'illustres  personnes  se  venir  consacrer 
au  service  du  Sauveur  du  monde,  dans  un  pays  où  les  mystères  de  la  foi 
étaient  presque  inconnus.  Notre  Sainte  n'y  fut  pas  plus  tôt  arrivée,  qu'elle 
se  retira  en  Thuringe,  auprès  de  son  frère  Gombaud,  supérieur  de  sept  mo- 
nastères de  religieux.  Ce  Saint,  ravi  d'avoir  auprès  de  lui  une  si  excellente 
ouvrière,  fit  bâtir  une  maison  religieuse,  où  elle  s'enferma  avec  d'autres 
filles,  qui  voulurent  avoir  part  à  un  si  grand  bien,  et  commença  à  donner 
d'éclatantes  marques  de  sa  vertu,  et  plus  particulièrement  de  sa  ferveur  et 
de  son  détachement  de  toutes  les  choses  de  la  terre.  Mais,  quelque  temps 
après,  saint  Gombaud  ne  pouvant  souffrir  les  honneurs  qu'on  lui  rendait  en 
Thuringe,  à  cause  de  son  éminente  sainteté,  résolut  de  se  retirer  ailleurs, 
où  il  pût  vivre  plus  caché.  Il  alla  donc  en  Bavière,  pour  consulter  son  frère 
Guillebaud,  évêque  d'Eischtœdt;  et,  par  le  conseil  de  ce  saint  prélat,  et  les 
libéralités  du  prince  Utilon,  il  fonda,  à  Heidenheim,  deux  célèbres  monas- 
tères :  l'un  pour  les  hommes  et  l'autre  pour  les  filles;  il  fit  venir  dans  ce 
dernier  sainte  Walburge,  afin  d'en  être  la  supérieure. 

Ce  fut  alors  que  sa  sainteté  parut  dans  son  plus  beau  lustre  :  obligée  de 
se  rendre  elle-même  un  modèle  de  perfection  aux  yeux  de  ses  religieuses, 
elle  fit  admirer,  dans  toute  sa  conduite,  une  charité  ardente,  une  sagesse 
consommée,  une  humilité  profonde,  une  douceur  extrême,  une  oraison 
continuelle,  une  mortification  sans  relâche  et  un  véritable  zèle  pour  la 
gloire  de  Dieu  et  pour  la  religion.  C'est  ainsi  qu'après  avoir  saintement  gou- 
verné cette  maison,  il  plut  à  l'Epoux  des  vierges  de  l'appeler  en  sa  gloire 


SAINTE  WALBURGE,    ABBESSE.  201 

le  25  février  778,  selon  l'opinion  la  plus  probable.  On  l'honore  le  1er  mai,  à 
cause  d'une  translation  de  ses  reliques. 

Son  corps  fut  inhumé,  par  son  frère  Guillebaud,  dans  le  môme  monas- 
tère d'Heidenheim ;  il  fut  transféré,  près  de  cent  ans  après,  à  Eichstœdt,par 
la  piété  d'Ocharius,  évoque  de  la  même  ville,  qui  l'avait  fait  canoniser,  un 
peu  auparavant,  par  le  pape  Adrien  II.  Mais,  dans  la  suite  des  temps,  ses 
saintes  reliques  furent  transportées  à  Furnes,  avec  celles  des  saints  Guille- 
baud et  Gombaud,  par  les  soins  de  Gertrude,  comtesse  de  Flandre  ;  il  s'en 
trouve  néanmoins  quelques  parties  dans  plusieurs  autres  églises,  qui  en  ont 
été  enrichies  par  la  piété  des  princes  et  par  la  dévotion  des  fidèles. 

On  raconte  quelques  miracles  que  la  Sainte  a  faits  durant  sa  vie.  Elle 
guérit  la  fille  d'un  seigneur,  presque  mourante  ;  toutes  les  religieuses  aper- 
çurent une  lumière  céleste,  que  Dieu  avait  formée  pour  lui  servir  de  flam- 
beau lorsqu'elle  s'en  retournait  de  l'église  en  son  couvent.  Elle  eut  le  pou- 
voir d'empêcher  des  chiens  furieux,  non-seulement  de  l'approcher,  mais 
même  de  japper  après  elle;  ce  qui  a  donné  occasion  de  l'invoquer  contre  la 
rage  de  ces  animaux.  Quant  aux  nombreux  miracles  opérés  après  sa  mort, 
on  peut  les  voir  dans  les  Bollandistes  :  il  en  est  un  qui  continue  aujourd'hui 
et  qui  est  d'autant  plus  remarquable  :  de  son  tombeau  à  Eichstœdt,il  dé- 
coule une  liqueur  embaumée  que  l'on  recueille  avec  respect  et  qui  sert  aux 
guérisons.  Ce  fait  est  exprimé  dans  ses  images  par  une  fiole  qu'on  met  dans 
sa  main  ou  près  d'elle  ;  à  ses  pieds  est  une  couronne  qui  indique  son  origine 
royale.  Fille  d'un  saint,  sœur  de  deux  autres  saints,  elle  leur  est  souvent 
associée  dans  les  vieilles  estampes1. 

La  mémoire  de  sainte  Walburge  est  très-célèbre  en  France,  en  Allema- 
gne, en  Angleterre  et  en  Flandre,  comme  on  le  peut  juger  par  les  églises, 
les  monastères  et  les  autres  lieux  publics  qui  sont  dans  tous  ces  pays-là 
consacrés  à  son  honneur.  Mais  il  ne  faut  point  la  confondre  avec  sainte 
Wéréburge,  fille  d'un  roi  des  Merciens,  de  laquelle  le  Martyrologe  d'Angle- 
terre parle  le  3  de  ce  mois,  ni  avec  d'autres  saintes  Walburge,  qui  étaient 
du  nombre  des  onze  mille  vierges,  compagnes  de  sainte  Ursule. 

Acta  Sanctorum  ;  Caractéristiques  des  Saints. 

1.  Ce  groupe  est  aussi  exprime'  dans  un  hymne  du  moyen  âge  de  l'Allemagne  catholique  t 
...  Prœsens  festum  dum  dévote  debemus  persolvere, 
Quod  dicavit  sacer  suo  Willebaldus  transitu. 


Duxit  una  fratrem  suum  Winebaldum  dominum 
Nec  non  patrem  ac  sororem  Waldburgam  sanctis- 

[simam,  etc. 
SS.  Mone,  Hymni  latini  medii  «ut,  m,  561,  cité  par  le  Père  Cahier,  1. 1",  p.  403. 


202  ier  mai. 

SAINT  THÉODARD  OU  SAINT  AUDARD, 

ÊVÊQUE  DE  NARBONNE  ET  PATRON  DE  MONTAUBAN 
893.  —  Pape  :  Formose.  —  Roi  de  France  :  Eudes. 


Voulez-vous  enseigner  par  vos  paroles  et  par  vos 
exemples  au  peuple  pour  lequel  vous  allez  être  or- 
donne', les  choses  que  vous  savez  être  contenues 
dans  les  Ecritures? —  Je  le  veux. 

Pontifical  romain,  consécration  des  e'vêques. 

Saint  Théodard  est  la  première  et  la  plus  belle  illustration  de  la  ville  de 
Montauban  '.  Il  parut  dans  ces  jours  de  troubles,  d'orages,  de  guerres  civiles 
et  d'invasions  des  Sarrasins,  qui  suivirent  le  règne  de  l'immortel  Charle- 
magne,  de  ce  héros  chrétien  surnommé,  ajuste  titre,  le  Trismégiste  moderne, 
et  qui  a  si  puissamment  contribué  à  la  propagation  de  la  vraie  foi,  à  l'indé- 
pendance temporelle  du  Saint-Siège  et  aux  progrès  de  la  civilisation  dans 
l'Europe  entière  *. 

La  patrie  de  saint  Théodard  fut  la  petite  ville  de  Montauriol.  Elle  était 
bâtie  sur  un  riant  et  fertile  coteau  qui  s'élève  aux  confins  du  Toulousain  et 
du  Qucrcy,  et  au  pied  duquel  serpente  le  Tescou,  au  moment  même  où  il 
va  se  jeter  dans  le  Tarn  3 .  Son  emplacement  se  trouvait  donc  tout  à  fait 
contigu  à  celui  qu'occupe  aujourd'hui  la  nouvelle  ville  de  Montauban.  Les 
divers  auteurs  qui  ont  parlé  de  saint  Théodard,  paraissent  n'avoir  pu  décou- 
vrir l'année  précise  de  sa  naissance  ;  mais  il  nous  semble  qu'il  n'est  guère 
possible  de  la  mettre  plus  tard  qu'en  840,  c'est-à-dire  à  l'époque  de  la  mort 
de  l'empereur  Louis  le  Débonnaire.  L'histoire  garde  le  silence  sur  les  noms 
et  les  titres  des  parents  de  notre  Saint;  mais  elle  nous  apprend  qu'ils  étaient 
riches,  puissants,  et  aussi  distingués  par  leur  piété  que  par  la  noblesse  et 
l'ancienneté  de  leur  race.  Ils  avaient  consacré  une  partie  de  leur  fortune  à 
fonder,  conjointement  avec  le  roi  d'Aquitaine,  Pépin  I6r,  une  magnifique 
abbaye  très-près  de  l'enceinte  de  Montauriol,  et  dans  une  position  vraiment 
ravissante. 

A  Toulouse,  où  il  avait  été  placé  pour  terminer  ses  études,  Théodard 
s'empressa  de  s'enrôler  dans  la  cléricature.  Tous  ses  goûts  le  portaient  vers 
le  service  des  autels.  Sigebode,  archevêque  de  Narbonne  et  primat  d'Aqui- 
taine, étant  venu  à  Toulouse  pour  régler  d'importantes  affaires  ecclésias- 
tiques, remarqua  bientôt  le  jeune  Théodard.  Touché  de  la  piété  et  du  sa- 
voir du  fervent  lévite,  le  zélé  prélat  résolut  de  l'attacher  à  sa  personne  et  à 
son  Eglise.  Ainsi  la  Providence  disposait  tout  pour  faire  briller,  sur  un  plus 
grand  théâtre,  les  vertus  du  digne  descendant  des  seigneurs  de  Montauriol. 

1.  La  ville  actuelle  de  Montauban  est  d'assez  récente  origine.  Elle  fut  fondée  en  1144,  par  Alphonse 
Jourdain,  comte  de  Toulouse.  Elle  doit  son  existence  à  l'antique  bourg  de  Montauriol,  et  à  la  célèbre 
abbaye  de  Saint-Martin  ou  de  Saint-Théodard,  établie,  selon  le  sentiment  le  plus  probable,  dès  le  com- 
mencement du  ix«  siècle.  L'œuvre  du  comte  de  Toulouse  ne  fut  en  réalité  que  le  prolongement,  ou  pour 
mieux  dire  le  déplacement  de  la  vieille  ville  et  son  rétablissement  dans  une  position  plus  avantageuse. 
Mais  l'exécution  de  cette  entreprise  compromit  gravement  la  sécurité  des  moines  de  Saint-Martin  et 
leurs  droits  incontestables  sur  le  district  de  Montauriol. 

2.  Charlemagne,  dans  son  testament,  légua  à  ses  fils  la  tutelle  de  l'Eglise  romaine.  —  Du  Pape. 
S.  Vita  S.  Theodardi,  cap.  6  ;  Histoire  générale  du  Languedoc,  t.  n,  p.  31. 


SAINT  THÉODAED,  ÉVÊQUE  DE  NARBONNE.  203 

«  L'auteur  de  sa  vie  rapporte  que  les  juifs  s'étant  présentés  au  roi  Carloman, 
pour  le  supplier  de  les  mettre  à  l'abri  de  quelques  avanies  que  leur  faisait 
tous  les  ans  l'évêque  de  Toulouse,  nommé  Bernard,  avec  le  clergé  et  le 
peuple  de  cette  ville,  ce  prince  ordonna  à  Sigebode,  archevêque  de  Nar- 
bonne,  d'assembler  sur  ce  sujet  un  concile  à  Toulouse  pour  y  écouter  leurs 
plaintes  et  leur  rendre  justice.  Il  ajoute  que  Théodard,  s'étant  présentée 
l'assemblée,  justifia  pleinement  les  Toulousains,  et  confondit  les  Juifs  sur 
tous  leurs  prétendus  griefs». 

Le  Concile  terminé,  Sigebode  reprit  le  chemin  de  son  diocèse;  mais  il 
eut  grand  soin  d'adjoindre  à  sa  suite  le  lévite  qui  avait  si  fortement  fixé  son 
attention.  Théodard  se  trouva  donc  transporté  à  Narbonne  et  établi  dans  le 
palais  archiépiscopal.  Sur  ces  entrefaites,  l'archidiacre  de  Narbonne  étant 
mort,  le  clergé  et  les  fidèles  s'empressèrent  de  désigner  Théodard  pour 
remplir  la  place  vacante.  Sigebode  acquiesça  avec  bonheur  à  ce  désir,  et 
comme  Théodard  n'était  encore  que  sous-diacre,  il  se  hâta  de  lui  imposer 
les  mains  et  de  lui  conférer  le  diaconat.  Revêtu  de  sa  nouvelle  dignité,  le 
saint  jeune  homme  justifia  pleinement  le  choix  qu'on  avait  fait  de  lui.  Il 
surpassa  même  ce  que  le  peuple,  le  pontife  et  le  clergé  attendaient  de  sa 
prudence,  de  son  zèle  et  de  son  dévouement.  Il  se  multipliait  et  savait  se 
faire  tout  à  tous,  dans  la  rigueur  de  l'expression.  Chacun  bénissait  sa  bonté, 
et  trouvait  en  lui  un  soutien,  un  défenseur,  un  ami.  «  Il  fut,  dit  la  légende 
du  bréviaire,  l'œil  de  l'aveugle,  le  pied  du  boiteux,  le  père  des  indigents  et 
le  consolateur  des  affligés  *  ».  Appliqué  à  la  prière,  à  l'oraison  et  aux  saintes 
veilles,  il  passait  la  plus  grande  partie  de  ses  nuits  sans  dormir,  et,  à  l'imi- 
tation du  prophète  royal,  il  ne  manquait  jamais  de  louer  le  Seigneur  sept 
fois  par  jour,  en  récitant  séparément  chacune  des  heures  canoniales  de 
l'office  divin. 

En  878,  Sigebode  se  trouvant  retenu  à  Narbonne  pour  une  grave  mala- 
die, Théodard  fut  député,  en  sa  qualité  d'archidiacre,  pour  aller  à  Nîmes 
assister  à  la  recherche  des  reliques  de  saint  Baudile  2.  Ce  fut  vraisembla- 
blement au  retour  de  cette  importante  mission  que  Théodard,  déjà  con- 
sommé en  vertu,  fut  ordonné  prêtre,  malgré  ses  craintes,  ses  résistances  et 
ses  réclamations.  Il  se  regardait  comme  tout  à  fait  indigne  d'exercer  les  su- 
blimes fonctions  du  sacerdoce,  et  il  fallut  l'ordre  formel  et  réitéré  de  son 
évêquepour  qu'il  acceptât  le  nouveau  fardeau  que  l'Eglise  allait  lui  imposer. 

Cependant,  l'heure  choisie  par  la  Providence  allait  sonner.  Sigebode, 
après  avoir  gouverné  son  Eglise  pendant  quinze  ans,  avec  le  plus  grand  zèle 
et  la  plus  grande  vigueur  s,  se  trouva  au  terme  de  ses  travaux  et  au  jour  de 
la  récompense.  Aussitôt  après  sa  mort,  les  évêques  de  Carcassonne  et  de 
Béziers  se  rendirent  à  Narbonne  pour  célébrer  ses  funérailles,  dresser  l'in- 
ventaire des  livres,  ornements  et  vases  sacrés  de  cette  métropole,  et  surtout 
afin  de  présider  à  l'élection  d'un  nouvel  archevêque.  Ils  se  hâtèrent  donc  de 
convoquer  les  fidèles  et  le  clergé  dans  l'église  des  saints  ma;  lyrs,  Just  et 
Pasteur.  Les  clercs,  les  abbés,  les  nobles  et  le  peuple  n'eurent  qu'une  seule 
et  même  voix  pour  proclamer  le  nom  de  Théodard.  Ainsi  Théodard  fut  élu 
archevêque  de  la  belle  et  puissante  ville  de  Narbonne  *. 

1.  Oculus  fuit  cœco,  et  pas  claudo;  pater  pauperum,  et  mœrentium  consolator  merito  conclamatm. 
(Proprium  SS.  dicscesis  Montis-Albani,  die  1  maii. 

2.  Voir  la  vie  de  saint  Bautlile  au  20  mal.  —  3.  Histoire  du  Languedoc,  t.  n,  Preuves,  p.  2. 

4.  Saint  Sidoine-Apollinaire,  évêque  de  Clermont,  et  qui  vivait  au  ve  siècle,  a  compose'  les  vers  sui- 
vants ù  la  louante  de  l'antique  capitale  de  la  Gaule-Narbonnaise  : 

Salve  Narbo,  potens  salubritate.  Salut  Narbonne,  dont   le  climat  est  si  salubre; 

Urbe  et  rure  simul  bonus  vider!,  cité  en  qui  se  réunissent  tous  les  biens  de  la  ville 


204  ier  mai. 

Comme  tous  les  élus  de  Dieu,  comme  tous  les  grands  Saints,  Théodard 
avait  la  plus  tendre  dévotion  à  l'auguste  Vierge  qu'il  appelait  sa  mère,  et  à 
laquelle  il  recourait  à  chaque  instant.  Il  voulut  donc  donner  à  son  peuple 
une  preuve  éclatante  de  son  zèle  pour  le  culte  de  Marie,  et  montrer  qu'il 
mettait  son  épiscopat  tout  entier  sous  la  puissante  protection  de  la  Reine 
du  ciel.  Il  choisit,  pour  le  lieu  de  sa  consécration,  une  église  dédiée  à  la 
Mère  de  Dieu,  et  il  voulut  que  cette  cérémonie  se  fît  le  jour  même  de  la 
belle  solennité  de  l'Assomption  (15  août  885). 

Théodard,  qui  avait  sans  cesse  à  l'esprit  ces  paroles  du  Sauveur  :  «  Tu 
es  Pierre,  et  sur  cette  pierre  j'établirai  mon  Eglise  »,  tenait  au  Saint-Siège 
apostolique  du  fond  de  ses  entrailles.  C'était  vers  ce  point  lumineux  que  ses 
yeux  étaient  constamment  fixés;  c'était  à  cette  source  qu'il  puisait  toutes 
ses  règles  de  conduite.  Pour  lui,  le  Pape  et  l'Eglise  n'étaient  qu'une  seule 
et  même  chose  *.  Aussi  sa  première  pensée,  dès  qu'il  eut  été  sacré  évêque, 
fut-elle  de  faire  le  voyage  de  Rome,  de  la  ville  sainte,  de  la  mère  et  maîtresse 
de  toutes  les  autres  Eglises,  et  d'aller  déposer  aux  pieds  du  vicaire  de  Jésus- 
Christ  l'hommage  de  sa  soumission,  de  son  attachement  inaltérable  et  du 
dévouement  le  plus  complet.  Celui  qui  occupait  alors  la  chaire  de  saint 
Pierre  était  Etienne  V,  un  des  plus  grands  papes  du  moyen  âge  *.  Etienne  V, 
qui  veillait  avec  tant  de  sollicitude  sur  les  intérêts  de  l'Eglise  catholique, 
fut  heureux  d'écouter  le  récit  que  Théodard  lui  fit  de  l'état  de  la  religion 
dans  son  diocèse,  dans  sa  province,  dans  la  Gaule  et  dans  les  Espagnes.  Il 
le  retint  auprès  de  lui  aussi  longtemps  qu'il  put,  et,  avant  de  le  laisser  re- 
prendre le  chemin  de  Narbonne,  il  lui  conféra  le  pallium,  confirma  de  nou- 
veau tous  ses  pouvoirs  et  droits  de  métropolitain,  et  lui  donna  une  ample 
bénédiction  apostolique  pour  lui-même,  son  clergé,  sa  noblesse,  son  peuple 
et  tous  les  fidèles  de  la  Septimanie. 

Cette  même  année  (886),  saint  Théodard  eut  la  consolation  de  rétablir 
un  évêché  qui  était  vacant  et  délaissé  depuis  le  commencement  du  vin8 
siècle.  C'est  celui  d'Ausonne,  dans  la  Marche  d'Espagne.  Les  Sarrasins  s'é- 
tant  emparés  de  ce  pays,  l'avaient  dévasté  et  y  avaient  opprimé  la  religion 
catholique. 

Saint  Théodard  assista,  en  887,  à  la  translation  solennelle  qui  fut  faite  à 
Pamiers,  des  reliques  de  saint  Antonin, prêtre  et  martyr  dans  la  Gaule,  au  ter- 
ritoire de  Cahors,  selon  les  expressions  du  martyrologe  de  Saint-Riquier 8. 

Rien  ne  pouvait  lasser  le  zèle  de  Théodard,  et  il  savait  l'étendre  à  tout. 
Aucun  détail  de  l'administration  temporelle  et  spirituelle  n'échappait  à  sa 
vigilante  sollicitude.  Quand  il  prit  en  main  les  rênes  du  diocèse  de  Nar- 

iluris,  civitms,  ambitn,  tabernis,  et  des  champs.  Chez  toi  tout  est  remarquable  :  tes 

Portis,  porticibus,  foro,  theatro,  murs,  tes  habitants,  ta  vaste  enceinte,  tes  maisons, 

Delubris,  capitoliis,  monetis,  tes  portiques,  ton  forum,  ton  théâtre,  tes  temples, 

Termis,  arcubus,  horreis,  macellis,  tes  capitules,  tes  hôtels  de  la  monnaie,  tes  thermes, 

Pratis,  fontibus,  insulis,  salinis,  tes  arcs  de  triomphe,  tes  greniers,  tes  abattoirs, 

Stagnis,  flumine,  merce,  ponte,  ponto...  tes  gazons,  tes  fontaines,  tes  îles,  tes  salines,  tes 

étangs,   ton  fleuve,  tou  commerce,  ton   pont,   ta 

mer... 
Carminé  ssin,  ad  Consentium  Narbonensem.  —  Gallia  ckristiana,  t.  vi,  p.  2. 

1.  «  Le  Pape  et  l'Eglise,  c'est  tout  un  •,  disait  saint  François  de  Sales  dans  son  inimitable  langage.— 
Du  reste,  ce  mot  célèbre  n'est  que  l'écho  fidèle  de  la  tradition  catholique  depuis  le  temps  des  Apôtrei 
jusqu'à  nos  jours. 

2.  Dom  Vaissette  et  les  Pères  Bénédictins,  auteurs  de  la  Nouvelle  Gaule  chrétienne,  disent  que  le  Pon- 
tife régnant  était  Etienne  VI  ;  mais  c'est  évidemment  une  erreur,  car  Etienne  VI,  à  qui  les  détracteurs 
du  Saint-Siège  attribuent  la  prétendue  sentence  contre  Formose,  ne  fut  élu  Pape  qu'en  896,  c'est-a-dire 
trois  ans  après  la  mort  de  saint  Théodard.  (Voyez  Rohrbacher,  Histoire  de  l'Eglise,  t.  su,  p.  457  et  suiv.) 

J.  Voir  la  vie  de  saint  Antonin  au  2  septembre. 


SAINT  THÉODARD,  ÉVÊQUE  DE  NARBONNE.  205 

bonne,  il  trouva  son  église  cathédrale  dans  le  plus  triste  état.  Depuis  l'époque 
funeste  où,  sous  la  féroce  domination  des  Sarrasins,  elle  avait  été  dévastée 
à  l'intérieur  et  même  à  l'extérieur,  les  ressources  nécessaires  pour  la  répa- 
rer convenablement  n'avaient  pu  être  réunies.  La  longueur  et  la  difficulté 
de  l'entreprise  ne  furent  point  capables  d'effrayer  le  pieux  pontife.  Dès  les 
premiers  jours  de  son  épiscopat,  il  se  mit  résolument  à  l'œuvre.  Il  dirigeait 
lui-même  tous  les  travaux,  encourageait  les  ouvriers  et  les  payait  généreu- 
sement de  ses  propres  deniers.  11  se  privait  avec  bonheur  d'une  foule  de 
choses  très-utiles  à  sa  maison  pour  restaurer  et  embellir  celle  du  Seigneur. 
Après  plus  de  quatre  années  de  soins  continuels,  d'efforts  multipliés  et  de 
grands  sacrifices,  il  eut  enfin  la  consolation  de  voir  ses  vœux  accomplis. 
L'antique  église  s'était  relevée  de  ses  ruines,  toute  trace  de  profanation 
avait  disparu  de  son  enceinte,  et  elle  brillait  d'une  jeunesse  nouvelle. 

La  charité  de  Théodard  envers  les  malheureux  était  inépuisable.  Il  était 
réellement  leur  providence  de  la  terre.  Les  Sarrasins,  ces  ennemis  déclarés  du 
nom  chrétien  et  de  la  civilisation,  se  mirent  à  exercer  de  fréquents  actes  de 
piraterie  durant  l'épiscopat  de  saint  Théodard.  Souvent  ils  débarquaient  en 
force  dans  les  environs  de  Narbonne,  et  là  ils  commettaient  toutes  les  atro- 
cités imaginables.  Tout  ce  qu'il  avait  chez  lui  était  chaque  jour  distribué  aux 
infortunées  victimes  des  brigandages  des  Infidèles,  et  il  s'appliquait  surtout  à 
retirer  de  leurs  mains  les  captifs  réduits  en  servitude  et  exposés  au  danger 
de  perdre  leur  foi.  Il  employa  à  cette  œuvre  de  miséricorde  tout  l'argent 
qu'il  put  se  procurer.  Pour  surcroît  d'épreuves,  une  effrayante  famine  de 
trois  années  consécutives  vint  désoler  le  diocèse,  à  la  suite  des  incursions 
des  Sarrasins.  Le  moment  arriva  où  le  saint  pontife  vit,  avec  une  indicible 
angoisse,  qu'il  ne  lui  restait  absolument  rien,  et  cependant  la  disette  étalait 
encore  une  partie  de  ses  horreurs.  A  quel  expédient  recourir  ?...  Il  n'en 
connaissait  plus  qu'un  seul,  bien  extrême  et  bien  pénible.  Mais  il  s'agissait 
des  membres  souffrants  de  Jésus-Christ;  il  crut  donc  ne  devoir  pas  hésiter  à 
faire  le  dernier  sacrifice.  Il  employa  les  revenus  de  son  église  métropolitaine, 
et  il  aliéna  même  les  biens  qu'elle  possédait,  pour  subvenir  aux  plus  pres- 
santes nécessités  du  moment.  Il  fit  plus;  il  vendit  les  vases  sacrés  et  les 
autres  choses  précieuses  du  trésor  de  sa  cathédrale,  afin  de  pouvoir  conti- 
nuer ses  immenses  aumônes.  Il  ne  voulut  réserver  que  ce  qui  était  indis- 
pensable pour  la  célébration  des  saints  mystères  et  la  conservation  de  la 
divine  Eucharistie.  Voulant  indemniser  son  église,  il  lui  donna  une  grande 
et  belle  croix  garnie  d'or  et  d'argent,  et  contenant  une  notable  parcelle  de 
la  vraie  croix  de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ.  Il  lui  fit  aussi  présent  de  deux 
châsses  très-bien  sculptées  et  qui  renfermaient  d'insignes  reliques. 

Tant  de  soins,  de  fatigues,  de  travaux,  de  mortifications  volontaires,  de 
peines  de  tout  genre,  devaient  altérer  le  tempérament  le  plus  robuste  et  dé- 
truire la  santé  la  plus  florissante.  Théodard,  quoique  peu  avancé  en  âge, 
avait  vieilli  avant  le  temps.  Ses  forces  physiques  diminuaient  sensiblement, 
et  bientôt  de  tristes  symptômes  vinrent  alarmer  tous  ses  diocésains,  tous 
ses  enfants.  Une  fièvre  continue,  et  qui  devenait  de  jour  en  jour  plus  ar- 
dente, avait  saisi  le  pieux  pontife,  l'empêchait  de  goûter  le  sommeil,  et  le 
dévorait  à  vue  d'œil.  Néanmoins,  il  ne  voulut  rien  changer  d'abord  à  son 
régime,  à  ses  pénitences  et  à  son  travail.  La  lecture  et  l'étude  des  saintes 
Ecritures  avaient  pour  lui  un  attrait  irrésistible.  Il  continua  donc  à  les  feuil- 
leter et  à  les  méditer  et  le  jour  et  la  nuit;  et  il  affirmait  que  c'était  à  cette 
source  qu'il  avait  puisé  toute  sa  science  et  tout  son  amour  delà  perfection. 
Il  persévéra  aussi  dans  ses  jeûnes,  ses  longues  oraisons,  ses  visites  des 


206  Ie*  mai. 

pauvres  et  ses  courses  apostoliques.  En  891,  il  se  rendit  encore,  sur  l'invi- 
tation de  l'archevêque  de  Sens,  à  un  concile  que  le  roi  Eudes  avait  fait  con- 
voquer, et  qui  se  tint  dans  la  petite  ville  de  Mehun-sur-Loire. 

Tel  est  le  dernier  acte  connu  du  ministère  épiscopal  de  saint  Théodard. 
Dès  lors,  sa  vie  ne  fut  plus  que  souffrances,  langueurs  et  amertumes.  Les 
médecins  et  toutes  les  personnes  qui  l'approchaient,  ne  cessant  de  lui  ré- 
péter qu'il  devait  se  soigner  et  consentir  à  prendre  les  médicaments  récla- 
més par  son  état,  il  répondit  avec  calme  et  fermeté  :  «  Que  la  volonté  du 
Seigneur  se  fasse.  C'est  lui  qui  est  l'arbitre  souverain  de  la  santé  et  de  la 
maladie,  de  la  vie  et  de  la  mort;  rien  n'arrive  que  par  son  ordre  ou  sa  per- 
mission... Tous  les  remèdes  que  je  veux  employer,  se  réduiront  à  un  seul  : 
je  vais  retourner  dans  ma  patrie,  dans  la  région  Toulousaine,  dans  le  pays 
de  mes  pères  et  de  mon  enfance,  dans  ces  lieux  que  je  laissai  pour  venir 
ici,  où  la  vocation  divine  m'appelait...  Là,  je  pourrai  à  l'aise  respirer  la 
douceur  de  l'air  natal,  me  nourrir  des  mets  salutaires  de  cette  fertile  con- 
trée, réjouir  mes  yeux  par  la  vue  de  ses  sites  charmants,  et  faire  de  déli- 
cieuses promenades  dans  ses  belles  campagnes  '  ». 

Ayant  mis  ordre  à  ses  affaires  domestiques  et  pourvu  à  l'administration 
de  son  diocèse,  le  pieux  pontife  vint  à  Toulouse,  où  il  avait  achevé  le  cours 
de  ses  études  et  où  il  comptait  beaucoup  d'amis  dévoués  *.  Mais  il  comprit 
bientôt,  soit  par  l'aggravation  de  son  mal,  soit  par  un  avertissement  du  ciel, 
que  sa  fin  approchait,  qu'il  touchait  au  terme  de  sa  carrière  mortelle.  Sur- 
le-champ  sa  résolution  est  prise;  il  déclare  à  ceux  qui  l'entourent  qu'il 
veut  être  conduit  sans  retard  à  Montauriol,  au  lieu  où  il  a  reçu  le  jour,  dans 
ce  monastère  que  ses  ancêtres  ont  dédié  à  saint  Martin  de  Tours,  et  où  il  a 
appris  les  premiers  éléments  des  sciences  sacrées  et  profanes.  Son  plus  vif 
désir  est  de  rendre  le  dernier  soupir  à  l'endroit  même  où  l'eau  du  saint 
baptême  l'a  fait  enfant  de  Dieu  et  de  l'Eglise.  Les  bons  moines  de  Montau- 
riol accueillirent  le  vénérable  évêque  comme  un  bienfaiteur,  comme  un 
père  et  comme  un  Saint.  Heureux  de  posséder  un  pareil  hôte,  ils  l'envi- 
ronnèrent des  soins  les  plus  assidus,  les  plus  intelligents  et  les  plus  affec- 
tueux. Mais  tous  les  secours  humains  étaient  devenus  impuissants,  et  l'au- 
guste malade  le  savait  mieux  que  personne.  Aussi,  toute  son  occupation 
consistait  à  se  préparer  à  la  mort  par  des  prières,  de  pieuses  lectures  et  de 
fréquentes  aspirations  vers  le  ciel.  Quand  il  sentit  que  le  jour  de  sa  déli- 
vrance était  sur  le  point  de  paraître,  il  appela  dans  son  appartement  le  père 
abbé  et  tous  les  religieux  prêtres  du  monastère.  Alors  il  fit,  en  poussant  de 
profonds  soupirs  et  en  répandant  beaucoup  de  larmes,  une  accusation  pu- 
blique de  tous  les  péchés  de  sa  vie,  péchés  qu'il  regardait  comme  très-con- 
sidérables, et  qui,  réellement,  n'étaient  que  des  manquements  bien  légers. 
On  lui  apporta  la  divine  Eucharistie,  le  saint  Viatique.  Il  serait  impossible 
de  redire  avec  quelle  ferveur,  quelle  foi,  quelle  espérance  et  quel  tendre 
amour  il  adora  et  reçut  le  Dieu  fait  homme,  le  corps  et  le  sang  de  l'Agneau 
sans  tache,  de  Jésus-Christ,  le  Pasteur  des  pasteurs.  Dès  qu'il  eut  commu- 
nié, il  adressa  à  son  divin  maître  cette  belle  et  touchante  prière,  qui  fut  re- 
ligieusement suivie  par  tous  les  assistants  :  «  Seigneur,  Dieu  tout-puissant, 
vous  dont  la  bonté  et  la  miséricorde  sont  infinies,  vous  qui,  par  une  seule 
parole  et  par  un  seul  acte  de  votre  volonté,  avez  tiré  l'univers  du  néant  et 
établi  l'ordre  merveilleux  qui  y  règne;  vous  qui  avez  bien  voulu  former 
l'homme  à  votre  image,  en  lui  donnant  une  âme  active,  immortelle,  et  un 
corps  qui,  après  être  tombé  en  dissolution  et  en  poussière,  reprendra,  un 

1.  Vita  S.  Theodardi,  cap.  6.  —  2.  Voyez  Baillet  et  les  Bollandistes. 


SAINT  TrTÉODARD,   ÉVÊQUE  DE  NARBONNE.  207 

jour,  une  jeunesse  toute  nouvelle,  ayez  compassion  de  votre  pauvre  et  in- 
digne serviteur;  ne  détournez  pas  vos  regards  de  lui,  et,  puisqu'il  n'a  de 
confiance  qu'en  vous,  daignez,  ô  père  clément,  l'admettre  au  céleste  baiser 
de  paix  !  Je  sais  que  devant  vous  personne  ne  peut  se  vanter  d'être  juste,  et 
que  vous  trouvez  des  taches  même  dans  vos  Saints  :  je  suis  donc  perdu  sans 
ressource  si  vous  considérez  mes  fautes,  mes  nombreuses  iniquités.  Mais  ce 
qui  me  rassure,  c'est  qu'il  est  écrit  que  vous  êtes  plein  de  douceur  et  de  bonté, 
et  que  vous  faites  miséricorde  à  tous  ceux  qui  recourent  sincèrement  à  vous.  Je 
vous  en  supplie  donc,  éloignez  de  moi  le  prince  des  ténèbres  et  la  troupe 
odieuse  de  ses  satellites;  daignez  me  pardonner  toutes  mes  infractions  à 
votre  sainte  loi,  toutes  mes  misères,  toutes  mes  imperfections,  et  confondez 
les  ennemis  de  mon  âme  et  de  mon  salut.  Recevez  mon  âme  à  sa  sortie  de 
ce  monde  et  placez-la  dans  les  rangs  des  justes,  dans  l'assemblée  des  saints 
pontifes,  afin  qu'au  jugement  général  je  me  trouve  à  votre  droite,  que  j'en- 
tende la  sentence  de  bénédiction,  et  que  je  vous  accompagne  dans  les  splen- 
deurs du  royaume  éternel  ».  En  achevant  ces  derniers  mots, le  bienheureux 
prélat  éleva  les  yeux  et  les  mains  vers  le  ciel,  et  son  visage  devint  radieux 
d'espérance  et  d'amour.  Bientôt  après,  il  parut  entrer  dans  un  doux  som- 
meil...., et  son  âme,  brisant  ses  liens  mortels,  s'envola  dans  la  société 
des  anges. 

CULTE  ET  RELIQUES  DE  SAINT  THÉODARD. 

Saint  Théodard  quitta  cette  terre  le  premier  jour  de  mai  de  l'an  893,  sous  le  règne  du  roi 
Eudes.  Sa  mort  plongea  dans  le  deuil  son  diocèse,  les  moines  et  les  habitants  de  Montauriol,  qu'il 
avait  comblés  de  &e9  bienfaits,  et  la  province  entière  de  la  Septimanie,  dont  il  était  le  soutien,  la 
gloire  et  l'ornement.  Aussi,  une  multitude  immense  de  fidèles  accourut  de  toutes  parts  pour  con- 
templer encore  une  fois  ses  traits  vénérés,  et  pour  assister  à  ses  funérailles  qui  furent  célébrées 
par  plusieurs  évèques,  entourés  d'un  grand  nombre  de  prêtres  et  de  tous  les  religieux  du  monas- 
tère de  Saint-Martin. 

«  Les  miracles  continuels,  dit  Dom  Vaissette,  que  Dieu  opéra  à  son  tombeau,  ne  contribuèrent 
pas  peu  à  accélérer  sa  canonisation;  et  il  était  déjà  reconnu  pour  Saint  au  milieu  du  x»  siècle. 
Le  monastère  de  Saint-Martin,  ou  il  était  inhumé,  avait  déjà  pris  son  nom  ou  celui  de  Saint-Au- 
dard,  qui  est  le  même  K 

Jean  d'Auriole,  qui  occupa  le  siège  épiscopal  de  Montauban  depuis  le  13  avril  1492  jusqu'au 
21  octobre  1519,  était  un  prélat  très-zélé  pour  le  culte  divin  et  pour  l'embellissement  de  sa  ca- 
thédrale. Il  donna  deux  cloches  d'une  grosseur  extraordinaire,  ferma  toutes  les  chapelles  par  des 
grilles  de  cuivre  ou  de  fer  ouvragé,  et  fit  orner  splendidement  le  chœur.  Mais  un  de  ses  dons  les 
plus  remarquables  fut  la  magnifique  châsse  dans  laquelle  il  plaça  les  précieuses  reliques  de  saint 
Théodard.  Elle  était  en  vermeil,  du  poids  de  trente  marcs,  et  au  dessus  se  trouvait  la  statue  du 
saint  Patron  tenant  à  la  main  le  bâton  pastoral.  Ce  superbe  reliquaire  était  exposé  à  la  véné- 
ration des  fidèles  le  jour  de  la  fête  de  saint  Théodard  ;  et  on  le  conservait  soigneusement  dans  le 
trésor  de  la  sacristie  de  la  cathédrale,  selon  la  recommandation  du  donateur.  Il  fut  là  comme 
une  arche  sainte  et  tutélaire,  jusqu'à  l'époque  à  jamais  regrettable  de  la  domination  protestante  à 
Montauban. 

Les  calvinistes,  déjà  puissants  et  redoutables  dans  plusieurs  villes  de  France,  vinrent  à  bout, 
moitié  par  ruse  et  moitié  par  force,  de  s'emparer  de  la  cité  Montalbanaise,  et  d'y  commander  en 
maîtres.  Leur  joug  fut  dur  et  pesant.  Ils  employèrent  les  menaces,  la  violence,  la  prison,  l'exil  et 
les  vexations  de  tout  genre  pour  entraîner  les  catholiques  à  l'apostasie  ;  et,  afin  de  détruire  tout 
vestige  du  vrai  culte,  ils  ne  reculèrent  devant  aucun  excès  *. 

1.  Histoire  générale  du  Languedoc,  1. 11,  p.  31.  —  On  remarque  dans  le  testament  de  Raymond,  pre- 
mier du  nom,  comte  de  Rouergue,  etc.,  les  dispositions  suivantes,  écrites  en  961,  en  faveur  du  monastère 
de  Saint-Théodard  : 

■  ...  Illa  qnarta  parte  de  illa  ecclesia  Sancti-Cirlct,  et  illo  alode  qnod  ego  acquisivl  in  Deumpentala, 
Sanoti-Audardi  remaneat.  Illo  alode  de  mongio  Sancti-Audardi  remaneat.  Illa  ecclesia  Ricario  fllio  Isarno 
remaneat  ad  alode;  post  suum  discessum  Sancti-Audardi  remaneat  cum  alio  alode  ».  (Hist.  du  Languedoc, 
t.  ii,  Preuves,  p.  109. 

Dans  le»  archives  de  Montauban  on  trouve  les  titres  de  plusieurs  donations  faites  an  monastère  de 
Saint-Tudodard,  sous  les  dates  de  septembre  949,  janvier  951  et  février  955. 

*.  «  Nous  déflora  »,  dit  le  savant  Bergier,  «  les  calomniateur»  do  clergé  do  citer  un  seul  pays,  une 


208  1er  mai. 

Ecoutons  les  estimables  auteurs  de  l'Histoire  du  Languedoc  :  a  Les  désordres  que  les  reli- 
gionnaires  commirent  à  Montauban  et  à  Castres,  à  la  fin  de  l'année  1561,  furent  aussi  extrêmes 
que  ceux  qu'ils  exercèrent  à  Montpellier  et  à  Nimes.  Les  huguenots  de  Montauban,  après  s'être 
saisis,  dès  le  mois  de  juillet,  des  églises  des  Cordeliers  et  de  Saint-Louis,  se  rendirent  entièrement 
maîtres  de  cette  ville,  d'où  ils  chassèrent  tous  les  catholiques  le  21  d'octobre.  Ils  pillèrent  leurs 
maisons  et  ravagèrent  toutes  les  églises,  excepté  celle  du  Moustier  ou  de  la  cathédrale,  qui  était 
située  dans  le  faubourg,  parce  qu'elle  était  extrêmement  forte.  Ils  la  forcèrent  cependant  le  20  de 
décembre,  la  pillèrent  et  la  brûlèrent. 

«  Ils  maltraitèrent  surtout  les  religieuses  de  Sainte-Claire,  après  avoir  pris,  pillé  et  brûlé  leur 
couvent.  Ils  les  enlevèrent,  et,  les  ayant  exposées  à  demi  nues  aux  risées  du  peuple,  ils  leur  pro- 
posèrent de  se  marier.  Sur  leur  refus,  on  leur  fit  porter  la  hotte,  comme  à  des  manœuvres,  pour 
servir  aux  fortifications  de  la  ville;  enfin  on  les  chassa.  Les  chanoines  de  la  cathédrale  se  transfé- 
rèrent à  Villemur,  et  ceux  de  la  collégiale  à  Montech,  au  mois  de  mars  suivant  *  ». 

Cette  église  du  Moustier,  qui  fut  dévastée  et  incendiée  en  1561  par  les  protestants,  était  une 
grande  et  belle  basilique,  digne  de  la  piété  et  de  la  richesse  de  ses  fondateurs,  et  surtout  de  la 
sainteté  du  pontife  qui  avait  choisi  sa  sépulture  dans  son  enceinte.  Le  Bret  nous  la  représente 
comme  une  des  plus  magnifiques  cathédrales  du  royaume,  et  effectivement  la  description  qu'il  en 
donne,  et  le  plan  qui  en  a  été  retrouvé  dans  les  archives  de  la  ville  de  Montauban,  nous  montrent 
combien  cet  antique  édifice  était  remarquable  par  son  heureuse  situation,  sa  masse  imposante,  sa 
tour  élancée,  la  beauté  de  son  portail,  la  majesté  de  sa  vaste  nef,  le  fini  de  son  architecture,  ses 
nombreuses  chapelles  et  ses  décorations  intérieures. 

C'était  l'œuvre  patiente,  religieuse  et  artistique  de  huit  siècles  ;  c'était  le  berceau  de  la  nou- 
velle cité,  son  premier  titre  de  gloire,  tout  le  grand  et  le  beau  de  son  histoire  ;  là  se  trouvaient 
groupés  les  souvenirs  les  plus  saisissants  ;  là,  les  ancêtres  des  Montalbanais  avaient  été  consacrés 
à  Dieu  et  instruits  de  leurs  devoirs  ;  là,  ils  avaient  prié,  et  chanté  les  cantiques  du  Seigneur  ;  là, 
reposaient  leurs  cendres  vénérées  ;  là,  étaient  les  reliques  d'un  grand  Saint,  d'un  apôtre,  d'un 
bienfaiteur  de  toute  la  province,  d'un  prélat  dont  le  nom  était  cher  à  l'Eglise,  et  qui  avait  tout 
fait  pour  sa  patrie...  Ce  merveilleux  passé  a  été  méconnu,  oublié,  compté  pour  rien  !...  La  fureur 
des  nouveaux  iconoclastes  est  montée  à  son  comble,  et,  comme  une  trombe  dévastatrice,  elle  a 
tout  emporté,  tout  anéanti!... 

Une  seule  église,  aujourd'hui,  se  glorifie  d'avoir  les  restes  de  saint  Théodard  :  c'est  celle  de 
Villebrumier,  chef-lieu  de  canton,  située  à  peu  de  distance  de  Montauban. 

La  croyance  unanime  et  inébranlable  des  fidèles  de  cette  paroisse  a  pour  base  une  vénérable 
tradition,  qui  remonte,  sans  interruption,  à  plus  de  deux  cents  ans. 

Il  résulte  des  informations  prises  dernièrement  par  M.  Guyard,  vieaire  général  de  Montauban  à 
Narbonne,  que  les  églises  Saint-Just  et  Saint-Paul  ne  possèdent  plus  aucune  relique  de  saint 
Théodard.  La  cathédrale  de  Montauban  en  conserve  une  ;  mais  elle  sort  de  Villebrumier.  C'est 
Mgr  Dubourg  qui  la  fit  tirer  de  la  châsse  en  1833. 

La  ville  de  Montech,  qui  a  été  pendant  de  longues  années  la  résidence  de  l'évêque  et  du  cha- 
pitre expulsés  par  les  huguenots,  a  dû  certainement  avoir  autrefois  quelques  reliques  de  saint 
Théoisrd.  Malheureusement  elles  ont  disparu  ;  seulement  on  a  trouvé,  il  y  a  une  trentaine  d'an- 
nées, dans  la  sacristie  de  l'église  de  Montech,  un  ancien  reliquaire  renfermant  une  portion  d'os 
assez  considérable,  mais  sans  authentique.  Il  est  à  présumer  que  ce  fragment  provient  de  la  châsse 
de  saint  Théodard.  Le  reliquaire,  dont  le  travail  est  remarquable,  appartient  aujourd'hui  à  Madame 
la  marquise  de  Pérignon,  qui  l'a  déposé,  avec  la  relique,  dans  la  chapelle  de  son  château  de 
Finhan. 

Les  habitants  de  Villebrumier  ont  toujours  été  heureux  et  fiers  de  posséder  les  restes  de  saint 
Théodard.  Ils  les  regardent  avec  raison  comme  leur  bien  le  plus  précieux  et  comme  une  sauve- 
garde pour  le  pays.  Dans  les  peines,  les  souffrances,  les  maladies  invétérées,  surtout  dans  les 
fièvres  pernicieuses  et  les  calamités  publiques  ou  privées,  on  tourne  les  yeux  vers  saint  Théodard, 
on  réclame  son  assistance,  on  s'empresse  d'aller  prier  devant  la  châsse  qui  contient  ses  ossements 
bénis,  et  toujours  on  ressent  les  effets  de  sa  puissante  protection.  Une  foule  de  faits  prouvent  la 
confiance  entière  des  fidèles  en  leur  saint  Patron,  et  montrent  les  grâces  nombreuses  obtenues  par 
ceux  qui  l'invoquent  avec  foi  et  persévérance. 

A  l'imitation  de  ce  qui  se  pratiquait  autrefois  dans  l'antique  cathédrale  de  Montauban,  les  reli- 
ques du  grand  archevêque  de  Narbonne  sont  exposées  chaque  année  à  la  vénération  publique,  le 
1er  mai,  jour  où  l'Eglise  célèbre  sa  fête.  De  plus,  on  les  porte  en  triomphe  dans  une  procession 

seule  ville,  oîi  les  calvinistes,  devenus  les  maîtres,  aient  souffert  l'exercice  de  la  religion  catholique.  En 
Suisse,  en  Hollande,  en  Suède,  en  Angleterre,  ils  l'ont  proscrite,  souvent  contre  la  foi  des  traités.  L'ont- 
ils  jamais  permise  en  France  dans  leurs  villes  de  sûreté?...  Une  maxime  sacrée  de  nos  adversaires,  est 
qu'il  ne  faut  pas  tolérer  les  intolérants  :  or,  jamais  religion  ne  fut  plus  intolérante  que  le  calvinisme  ; 
vingt  auteurs,  même  protestants,  ont  été  forcés  d'en  convenir  ».  (Dictionnaire  de  Théologie,  art.  Calvi-* 
nistes.J 

1.  Histoire  générale  du  Languedoc,  t.  v,  p.  212;  Gallia  christiana  vêtus,  t.  n,  p.  766. 


SAINT  THÉODARD,  ÉVÊQUE  DE  NARBONNE.  209 

générale  qui  a  lieu  av«ec  beaucoup  de  pompe,  durant  cette  même  solennité.  Tous  les  paroissiens 
se  font  un  honneur  et  un  devoir  d'assister  à  cette  cérémonie;  aucun  n'oserait  s'en  dispenser;  les 
plus  indifférents  pour  la  religion  sortent  alors  de  leur  apathie  et  s'empressent  de  se  joindre  à  la 
multitude,  qui  chante  les  louanges  de  l'illustre  et  généreux  protecteur  de  la  contrée. 

En  1652,  Mgr  Pierre  de  Berthier,  dont  les  vertus  ont  brillé  d'un  si  vif  éclat  sur  le  siège  épis- 
copal  de  Montauban,  se  rendit  à  Villebrumier  pour  visiter  les  reliques  de  saint  Théodard  '.  Voici 
la  copie  de  l'acte  de  vérification  qu'il  dressa  lui-même  avec  un  soin  tout  particulier  : 

Inventaire  des  ossements,  qu'on  croit  de  saint  Théodard,  trouvés  dans  l'église  de  Ville- 
brumier, et  que  j'ai  mis  dans  ce  coffre,  en  la  visite  que  j'en  ai  faite  le  30  décembre 
1652. 

«  Un  paquet  couvert  de  taffetas  blanc,  fermé  et  cacheté  de  mes  armes,  sur  lequel  est  écrit  : 
Oi  fémur,  n°  1  ; 

«  Autre  paquet,  comme  dessus,  où  est  écrit  :  Os  fémur,  n°  2; 

«  Autre  paquet  cù  est  écrit  :  Les  deux  os  des  jambes,  avec  cinq  sommités  ou  apophyses,  n°  3  ; 

«  Autre  paquet,  comme  dessus,  où  est  écrit  :  «  Les  fociles  en  plusieurs  pièces,  n°  4  ; 

«  Autre  paquet,  comme  dessus,  où  est  écrit  :  «  Douze  vertèbres  avec  leurs  fragments,  n°  5  ; 

a  Autre  paquet,  où  est  écrit  :  Grand  nombre  de  fragments  des  côtes,  n°  6  ; 

c  Autre,  où  est  écrit  :  «  Les  fragments  des  omoplates  et  l'os  sternum,  n°  7  ; 

a  Autre,  où  est  écrit  :  Les  astragales  ou  articles  des  pieds  et  des  mains,  en  grand  nombre,  n°  8  ; 

«  Autre,  comme  dessus,  où  est  écrit  :  Un  tronçon  de  l'ischion  et  autre  fragment  de  l'os 
sacrum,  n°  9  ; 

«  Autre,  où  est  écrit  :  Morceaux  d'os  inconnus,  n°  10. 

«  Fait  à  Villebrumier,  ce  30  décembre  1652. 

«  Pierre, 
«  Evêque  de  Montauban  ». 

Les  reliques  de  saint  Théodard  demeurèrent,  jusqu'en  1833,  dans  le  coffre  où  les  plaça  Mgr  de 
Berthier.  Alors  l'ancienne  châsse  tombant  de  vétusté,  le  curé  et  les  habitants  de  Villebrumier  en 
firent  travailler  une  autre,  et  les  restes  du  Saint  y  furent  solennellement  déposés. 

Les  dix  paquets  inventoriés  par  Mgr  de  Berthier  et  scellés  du  sceau  de  ses  armes,  sont  encore 
aujourd'hui  dans  l'état  où  il  les  a  décrits  :  seulement  un  des  sachets  de  soie  se  trouve  déchiré  en 
partie,  mais  c'est  par  suite  de  l'ouverture  qui  dut  y  être  pratiquée  lorsque  Mgr  Dubourg  voulut 
avoir  pour  sa  cathédrale  une  relique  de  saint  Théodard. 

Nous  avons  abrégé  la  vie  de  saint  Théodard,  par  M.  J.-A.  Gnyard,  vicaire  général  de  Montauban, 
in-12,  Paris  et  Montauban,  185G.  L'auteur  a  pnisé  lui-même  dans  la  Gallia  christiana  et  dans  deux  Vies 
du  Saint  que  l'on  possède  :  l'une  donnée  par  les  Bollandistes,  l'autre  qui  avait  été  extraite  des  archives 
de  Saint-Etienne,  à  Toulouse,  et  qui  fut  conservée  dans  les  Mémoires  de  l'Histoire  du  Languedoc,  par 
Catel. 

1.  Mgr  de  Berthier  fut  très-zélé  pour  les  intérêts  spirituels  et  matériels  de  la  cité  Montalbanaise.  Il 
s'appliqua  de  toutes  ses  forces  à  consolider  ses  diocésains  dans  la  foi,  à  les  prémunir  contre  les  séduc- 
tions de  l'erreur,  et  à  réparer  autant  que  possible  les  ravages  de  l'hérésie.  Il  fit  bâtir  le  grand  séminaire, 
dont  il  confia  la  direction  a  son  vénérable  ami  Vincent  de  Paul  et  à  la  Congrégation  fondée  par  lui.  Il 
obtint  que  la  cour  des  aides  fût  transférée  de  Cahors  à  Montauban;  qu'il  y  eût  un  bureau  des  finances, 
et  que  tous  les  consuls  fussent  choisis  parmi  les  catholiques.  Le  gouvernement  lui  accorda  d'assez  fortes 
sommes  pour  la  restauration  de  la  place  Royale,  pour  l'embellissement  du  lieu  qu'avait  occupé  l'église 
Saint-Martin,  et  pour  la  construction  d'un  palais  épiscopal  sur  l'emplacement  du  château  des  comtes  de 
Toulouse. 

Immédiatement  après  la  mort  de  saint  Vincent  de  Paul,  Mgr  de  Berthier  écrivait  les  lignes  suivantes, 
qu'on  lira  avec  intérêt  :  ■  Dieu  m'avait  donné  tant  de  respect  et  d'affection  pour  M.  Vincent,  que  je  crois 
en  vérité  qu'aucun  de  ses  enfants  n'a  senti  mieux  que  moi  la  douleur  de  sa  mort;  mais,  comme  je  pense 
qu'elle  était  nécessaire  pour  qu'il  reçût  les  couronnes  que  la  grâce  de  Jésus-Christ  avait  préparées  à  s-es 
mérites,  je  me  soumets  à  la  volonté  du  Maitre  de  la  vie  et  de  la  mort  ;  et  j'espère  que  M.  Vincent,  dans  le 
ciel,  ne  pourvoira  pas  moins  aux  besoins  dont  il  était  chargé  sur  la  terre;  et  que  la  consommation  glo- 
rieuse de  sa  charité  aidera  d'une  manière  plus  forte  à  la  perfection  de  tant  d'oeuvres  chrétiennes  qu'i' 
avait  commencées  parmi  nous...  »  (Collet,  \ie  de  saint  Vincent  de  Paul,  t.  n,  p.  89,  Nancy,  1748.) 


Vies  des  Saints.  —  Tome  V.  14 


210  f"  MAT. 


S,c  THORETTE,  BERGÈRE  DANS  LE  BOURBONNAIS 


xne  siècle. 


Serviteurs,  nous  disent  les  Saints  Livres,  obéissez 
dans  le  Seigneur,  entourez  vos  maîtres  d"honneurs 
et  de  respects.  Soyez  soumis  non-seulement  à 
ceux  qui  sont  bons  et  modestes,  mais  encore  à 
ceux  qui  sont  remplis  de  défauts. 

C'est  dans  une  métairie  de  l'ancien  diocèse  de  Bourges,  appelée  Nouzil- 
Iers,  au  pied  de  l'antique  collégiale  de  Montcenoux,  autrefois  desservie  par 
treize  chanoines  de  Saint-Ursin,  de  Bourges,  à  quelques  pas  de  la  belle 
église  de  Villefranche,  que  sainte  Thorette  a  fait  éclater  les  plus  touchants 
exemples  de  douceur  et  de  piété,  d'obéissance  et  de  mortification,  d'angé- 
lique  pureté  et  de  patience  à  toute  épreuve. 

Tout  prouve  que  la  métairie  où  vécut  sainte  Thorette  était  autrefois  un 
village  plus  important.  L'on  n'y  compte  aujourd'hui  que  cinq  chaumines  dé- 
labrées. La  plus  apparente,  en  face  de  Montcenoux,  montre  au  linçoir  de 
sa  fenêtre  des  ornements  religieux  :  un  calice,  une  hostie  et  un  prie-Dieu. 
Un  écu  se  voit  à  l'une  des  portes  voisines. 

Dieu  qui  dédaigne  l'éclat  du  rang  et  les  vaines  distinctions  après  les- 
quelles on  court  si  avidement  aujourd'hui,  a  voulu  nous  laisser  ignorer  tout 
ce  qui  concerne  l'origine  et  les  premières  années  de  sainte  Thorette,  le 
nom  de  ses  parents,  le  lieu  et  l'époque  de  sa  naissance.  Il  nous  la  fait  voir 
immédiatement  dans  l'exercice  plein  et  entier  de  sa  vie  domestique  et 
champêtre  de  bergère  aux  gages  d'un  fermier.  Tout  porte  à  croire,  néan- 
moins, qu'elle  existait  avant  le  xme  siècle. 

Les  moments  d'un  serviteur  ne  sont  point  à  lui,  mais  appartiennent  ex- 
clusivement au  maître  qui  l'occupe.  Jamais  notre  Sainte  ne  perdit  une 
seule  minute.  L'esprit  intérieur,  qui  accompagnait  tous  ses  actes,  bien  loin 
de  la  distraire,  la  soutenait,  l'encourageait  au  milieu  de  ses  fatigues. 

Un  jour  cependant,  la  pieuse  fille  s'était  oubliée,  pour  ainsi  dire,  dans 
un  colloque  avec  l'objet  de  ses  pures  affections.  Les  heures  qu'elle  devait  à 
son  emploi  s'étaient  passées  dans  une  sorte  de  ravissement,  tant  la  prière  a 
de  charmes  pour  un  cœur  épris  de  son  Dieu  I  A  son  insu  donc,  le  fuseau 
s'était  échappé  de  ses  doigts  ;  le  soir  arriva  et  sa  tâche  n'était  point  faite. 

Le  maître  du  ciel  ne  voulut  pas  que  le  maître  de  la  terre  fût  privé  du 
bénéfice  qui  lui  appartenait  ;  il  ne  voulut  point  surtout  que  sa  religieuse 
amante  perdît  la  récompense  que  méritait  son  dévouement.  Durant  l'intem- 
pestive oraison,  une  main  céleste  avait  filé  la  quenouille  involontairement 
délaissée,  en  sorte  que  la  besogne  se  trouva  finie  elle-même,  juste  au  mo- 
ment où  s'achevait  l'extatique  prière.  A  cette  vue,  Thorette  lève  au  ciel  des 
}-eux  mouillés  par  la  reconnaissance.  Elle  ne  put  exprimer  autrement  la 
joie  intérieure  qui  la  dominait. 

Noble  et  généreuse  fille,  ah!  soyez  imitée  par  toutes  celles  qui  partagent 
votre  condition.  Que  jamais,  sous  prétexte  de  dévotion,  on  ne  les  voie  négli- 
ger leur  travail  ;  Dieu  ne  le  veut  point,  il  le  défend  même. 

Mais  le  ciel  ne  s'en  tint  pas  à  ce  fait  merveilleux,  raconté  par  tous  ;  la 


SAINTE  THORETTE,  BERGÈRE  DANS  LE  BOURBONNAIS.  211 

tradition  affirme  que,  pour  faciliter  à  notre  Sainte  son  amour  de  l'oraison, 
son  bon  ange,  tandis  qu'elle  priait,  travaillait  à  sa  place,  et  ainsi  l'ouvrage 
de  Thorette  ne  resta  jamais  incomplet. 

Celui  qui  anéantit  les  superbes  et  se  plaît  à  exalter  les  humbles  lui 
accorda  maintes  fois  des  marques  visibles  de  sa  bienveillance.  Un  jour 
qu'elle  était  bien  loin  dans  les  champs,  occupée  à  chercher  à  ses  brebis  les 
meilleures  herbes,  voici  qu'un  sombre  et  menaçant  orage  paraît  à  l'horizon. 
—  Ne  craignez  point,  vertueuse  enfant,  tandis  qu'une  pluie  torrentielle 
bouleversera  toute  la  contrée,  une  atmosphère  calme  vous  enveloppera  ; 
autour  de  vous  et  de  vos  chères  brebis,  il  se  fera  comme  un  jour  de  beau 
soleil.  Nouvelle  toison  de  Gédéon,  vous  serez  seule  respectée.  Encore  une 
fois,  ne  craignez  point  :  quelle  tempête  saurait  être  fâcheuse  pour  vous  qui 
vous  fiez  au  Seigneur  ? 

Autrefois  Dieu  bénit  la  maison  de  Laban  à  cause  de  son  serviteur  Jacob. 
La  sage  Thorette  portait  bonheur  au  domaine  qu'elle  habitait.  Les  trou- 
peaux confiés  à  sa  garde  prospérèrent  toujours,  dit  la  tradition,  et  beau- 
coup mieux  que  ceux  des  métairies  environnantes. 

On  eût  dit  que  ces  animaux  avaient  l'intelligence  du  mérite  de  leur 
maîtresse.  Voulait-elle  abandonner  son  âme  à  l'une  de  ces  méditations  qui 
la  ravissaient  aux  sens,  toutes  ses  brebis,  groupées  autour  d'elle,  broutaient 
tranquillement  les  herbes,  sans  songer  à  nuire  aux  héritages  voisins.  Au 
contraire,  emportée  par  sa  ferveur,  la  jeune  vierge  désirait-elle  aller  rem- 
plir quelques-unes  de  ses  dévotions  à  l'église,  il  suffisait  qu'elle  plantât  sa 
houiette  au  milieu  de  la  troupe  bêlante,  et  ses  dociles  agneaux  se  gardaient 
d'eux-mêmes,  et  jamais,  pendant  son  absence,  aucun  de  ces  féroces  ani- 
maux, si  communs  autrefois  dans  ces  régions  boisées,  ne  s'avisa  d'attaquer 
ses  fidèles  brebis.  Sa  vertu  était  comme  un  charme  auquel  ne  pouvaient 
échapper  les  natures  même  les  plus  ingrates  et  les  plus  rebelles. 

Un  jour,  le  ruisseau  qui  coule  au  bas  de  Nouzillers  était  gonflé  outre 
mesure,  et  la  bergère,  placée  sur  la  rive  opposée,  ne  pouvait  ramener  ses 
moutons  au  bercail.  Dans  sa  religion  naïve,  elle  se  rappelle  que  la  foi  a  le 
privilège  de  transporter  les  montagnes,  et  que  si  nous  avions  de  cette  foi 
céleste  gros  seulement  comme  un  grain  de  sénevé,  la  nature  obéirait  à  nos 
moindres  volontés  ;  elle  fait  le  signe  de  la  croix  sur  le  torrent  débordé,  en 
frappe  les  eaux  avec  sa  houlette,  et  soudain  une  voie  miraculeuse  s'ouvre 
devant  elle. 

Une  autre  fois,  c'étaient  des  étrangers,  des  ouvriers  maçons  se  rendant 
du  Bourbonnais  dans  la  Marche,  leur  pays,  qui  se  trouvaient  arrêtés  par  la 
même  difficulté.  Dans  leur  impatience,  ces  hommes  grossiers  se  laissaient 
aller  au  murmure,  au  blasphème.  La  jeune  vierge  les  invite  doucement  à  la 
résignation,  les  engage  à  faire  la  sainte  volonté  de  Dieu,  puis,  dans  la  cha- 
rité qui  la  presse,  elle  demande  hardiment  un  miracle.  Au  tact  de  sa  hou- 
lette, nouveau  Jourdain,  le  ruisseau  retourne  en  arrière  et  laisse  passer 
à  pied  sec  ces  hommes  qui  publient  hautement  les  louanges  et  le  pouvoir 
de  la  thaumaturge. 

Rentrée  le  soir  au  logis,  plus  modeste  encore  que  d'habitude,  on  ne 
voulut  plus  lui  permettre  de  remplir  les  ouvrages  humiliants  et  pénibles 
dont  cependant  elle  s'acquittait  avec  tant  de  bonheur,  a  —  Non,  ma  fille, 
non»,  lui  dit  son  vieux  maître  en  refusant  certains  services  qu'elle  avait 
coutume  de  lui  rendre  ainsi  qu'à  sa  famille,  «  vous  êtes  une  sainte.  Nous 
devons  tous,  dorénavant,  vous  mieux  respecter  ». 

Son  humilité  ne  put  tenir  à  cette  épreuve.  Elle  quitte  brusquement  la 


212  *6r  MAT. 

chaumière  où,  par  anticipation,  une  sorte  de  culte  lui  était  rendu,  et  va 
dans  la  solitude  cacher  les  grâces  que  Dieu  lui  accordait  avec  tant  de  géné- 
rosité. 

C'est  dans  ce  Champ  des  Combes,  voisin  du  monastère  inspirateur,  qu'elle 
se  retirera  ;  elle  aura  soin  de  descendre  bien  bas  dans  la  vallée.  La  cavité 
d'un  chêne  séculaire  lui  servira  d'asile.  Quelques  herbes,  quelques  fruits 
sauvages  pour  apaiser  sa  faim,  l'eau  du  torrent  pour  étancher  sa  soif,  une 
prière  ardente,  interrompue  par  de  courts  instants  donnés  à  la  nature,  telles 
seront  désormais  sa  préoccupation,  sa  vie.  Aussi,  d'elle  comme  du  divin 
précurseur,  on  pourra  dire  qu'elle  ne  mangeait  ni  ne  buvait  ;  Dieu  seul  suf- 
fisait à  ses  besoins,  Deus  meus  et  omnia  *. 

Déjà  elle  était  mûre  pour  le  ciel.  Bien  que  les  austérités  eussent  affaibli 
ses  forces,  elle  n'en  continuait  pas  moins  ses  pieux  exercices  de  chaque 
jour.  Comme  le  soldat  qui  tient  à  mourir  les  armes  à  la  main,  ce  sera  du 
milieu  de  cette  campagne  embaumée  par  ses  vertus  et  de  l'intérieur  de  ce 
vieil  arbre,  témoin  de  sa  ferveur,  que  son  âme  ardente  et  pure  s'envolera 
vers  son  Dieu.  Elle  a  entendu  la  voix  du  Bien-Aimé  qui  lui  disait  :  Viens  du 
Liban,  ma  colombe,  mon  épouse,  ma  toute  belle  ;  viens,  tu  seras  couronnée.  Elle 
n'a  pu  résister  à  une  invitation  si  pressante,  et  ses  liens  se  sont  à  l'instant 
brisés. 

En  ce  moment,  ô  prodige  !  toutes  les  cloches  des  églises  environnantes, 
à  Murât,  à  Villefranche,  à  Montcenoux,  s'ébranlent  d'elles-mêmes  pour 
annoncer  qu'une  créature  privilégiée  venait  de  quitter  la  terre. 

Longtemps  retentit  l'airain,  c'étaient  des  vibrations  inaccoutumées, 
quelque  chose  de  triomphal  qui  émouvait  au  loin  la  contrée. 

En  un  clin  d'œil  accourut  un  peuple  immense  ;  tous  s'étaient  instincti- 
vement rendus  dans  la  solitude  vénérée. 

Au-dessus  de  l'arbre,  tombeau  de  la  Sainte,  se  dessinait  une  grande  croix 
lumineuse,  sorte  de  labarum,  qui  signalait  au  loin  sa  victoire. 

Au  milieu  des  cantiques  et  des  chants  d'allégresse,  on  porte  en  triomphe 
ce  précieux  trésor  au  lieu  tout  naturellement  désigné  pour  sa  sépulture. 
C'est  dans  la  basilique  des  bons  moines,  où  elle  avait  si  souvent  prié,  tout 
près  du  maître-autel,  où  elle  avait  si  fréquemment  reçu  son  Dieu,  que  ce 
glorieux  corps  fut  déposé. 

Dès  ce  jour,  les  hommages  des  peuples  lui  furent  spontanément  décer- 
nés, et,  suivant  l'usage  de  ces  temps,  l'autorité  locale  diocésaine  en  régla, 
en  consacra  la  manifestation.  Chaque  année,  au  1er  mai,  avait  lieu  la  com- 
mémoration publique  ;  un  pèlerinage,  tout  de  foi  et  de  piété,  attirait  à  Ville- 
franche  et  dans  l'enceinte  de  Montcenoux  un  concours  extraordinaire  de 
personnes  de  tous  les  rangs  et  de  toutes  les  conditions. 

Montmarault  et  Saint-Priest,  Chavenon  et  Murât,  Chappes,  Cosne,  Doyet, 
Monvicq,  etc.,  envoyaient  de  pieuses  députations  à  ce  tombeau  renommé. 
Que  de  grâces  furent  accordées  !  Que  de  bienfaits  advinrent  à  toutes  ces 
âmes  fermement  dévouées  au  culte  de  sainte  Thorette  ! 

Tant  de  splendeurs  se  maintinrent  jusqu'en  1698 2,  époque  où  fut  sup- 
primée la  collégiale  de  Saint-Ursin,  établie  depuis  des  siècles  sur  ce  coteau 
du  Bourbonnais.  Par  ordre  du  cardinal  de  Gesvres,  cent  sixième  archevêque 
de  Bourges,  les  reliques  de  sainte  Thorette  furent  portées  de  l'église  de 
Montcenoux  dans  celle  de  Villefranche. 

Depuis  cette  translation,  sauf  quelques  jours  d'une  interruption  néfaste, 

1.  Maxime  de  saint  François  d'Assise.  —  2.  Dictionnaire  hagiographique,  ait.  sainte  Tlioietto. 


NOTRE-DAME   DE   BETHLÉEM   A   FERRIÈRES.  213 

ces  ossements  précieux  sont  toujours  restés  là  exposés  à  la  vénération  des 
fidèles. 

En  1841,  par  les  ordres  de  Msr  de  Pons,  évêque  de  Moulins,  fut  entre- 
prise une  minutieuse  information  sur  l'authenticité  des  reliques  et  sur  la 
légitimité  du  culte  de  sainte  Thorette. 

On  reconnut  que,  lors  de  la  révolution  de  93,  ce  corps  avait  été  profané 
et  jeté  sur  les  dalles  du  temple.  Recueillis  et  conservés  par  des  mains 
pieuses,  tous  les  débris  en  avaient  été  successivement  rendus  à  l'église  où 
était  auparavant  le  dépôt  général. 

Tous  les  ans,  la  solennité  extérieure  s'observe  le  premier  dimanche  de 
mai.  Le  pèlerinage  en  est  moins  fréquenté  qu'autrefois,  il  est  vrai  ;  néan- 
moins, c'est  toujours  avec  confiance  que  l'on  vient  invoquer  la  douce  et 
pieuse  bergère  qui  s'est  autrefois  sanctifiée  sur  ces  bords. 

La  dévotion  à  cette  autre  Geneviève  ne  se  limite  pas  au  Bourbonnais  ;  il 
existe  dans  le  Berri  une  localité  à  la  fois  commune  et  paroisse,  qui  est  dési- 
gnée sous  le  nom  de  Sainte- Thorette. 

La  fondation  du  village  remonte  à  une  époque  reculée,  l'église  est  du 
xne  siècle.  Notre  sainte  étant  titulaire  du  monument  et  patronne  du  lieu, 
cette  double  circonstance  nous  permet  d'assigner  une  sorte  de  date  au 
temps  où  elle  a  vécu.  Sa  fête,  là,  se  célèbre  le  dernier  dimanche  d'avril. 

Extrait  de  la  Légende  de  sainte  Thorette,  par  M.  l'abbé  Boudant,  curé  de  Cbantelle. 


NOTRE-DAME  DE  BETHLEEM  A  FERRIÈRES 


La  ville  de  Ferrières  est  pleine  des  plus  glorieux  souvenirs.  Elle  possède 
des  titres  de  haute  noblesse  et  des  droits  sacrés  à  la  vénération  des  peuples. 
Son  premier  sanctuaire  est  celui  de  Notre-Dame  de  Bethléem.  Ce  lieu  de  pèle- 
rinage, un  des  plus  fréquentés  du  diocèse  d'Orléans,  en  est  peut-être  en  même 
temps  le  plus  ancien.  Plusieurs  historiens  l  en  font  remonter  l'origine  jus- 
qu'aux temps  apostoliques,  à  l'époque  où  saint  Savinien  et  saint  Potentien 
évangélisèrent  le  Sénonais.  Saint  Savinien,  disent-ils,  éleva  un  petit  oratoire 
à  la  Mère  de  Dieu,  convoqua  pour  sa  consécration  tous  ceux  qu'il  avait 
gagnés  à  l'Evangile  ;  et,  à  cette  occasion,  un  prodige  insigne  vint  confirmer 
dans  la  foi  ces  nouveaux  chrétiens.  C'était  la  nuit  de  Noël,  et  on  allait 
commencer  le  saint  sacrifice,  lorsque  tout  à  coup  une  vive  lumière  remplit 
le  sanctuaire  ;  la  sainte  Vierge  apparaît,  portant  l'enfant  Jésus  dans  ses 
bras,  accompagnée  de  saint  Joseph  ;  et  les  anges,  s'associant  à  cette  glo- 
rieuse apparition,  entonnent  comme  autrefois  le  Gloria  in  excelsis.  Saisi 
d'un  saint  enthousiasme,  Savinien  s'écrie  :  «  C'est  vraiment  ici  Bethléem  ». 
Et  depuis  lors  jusqu'à  nos  jours  ce  nom  est  toujours  resté  au  sanctuaire  *. 
La  tradition  de  ce  fait  miraculeux  s'est  conservée  à  travers  les  siècles.  Il 
est  raconté  par  Loup,  abbé  de  Ferrières,  qui  écrivait  en  850,  et  par  plu- 
sieurs autres  historiens.  Il  est  mentionné  formellement  dans  une  bulle  de 
Grégoire  XV,  et  cité  dans  une  charte  de  Clovis  que  rapporte  dom  Morin. 

On  comprend  tout  le  retentissement  que  dut  avoir  un  pareil  prodige.  De 
toutes  les  parties  de  la  Gaule  devenue  chrétienne,  les  peuples  accoururent 

1.  Dom  Morin,  Histoire  du  Gâtinais;  Dom  Ranessant,  prieur  de  Ferrières,  1635;  Gallia  chrisliana. 
t.  Quod  nomen  ad  n»ç  usque  tempora  locus  ille  retinet;  Bréviaire  de  Ferrières,  fête  de  Noël,  6«  leçon. 


214  1*  MAI- 

pour  prier  dans  le  sanctuaire  de  Bethléem.  Lorsque,  vers  l'an  434,  Attila 
pénétra  dans  le  pays  avec  ses  hordes  barbares,  il  livra  aux  flammes  ce  lieu 
vénéré,  et  plus  de  trois  cent  soixante  personnes  y  périrent,  ou  ensevelies 
sous  les  débris  de  l'édifice,  ou  massacrées  par  le  fer.  Mais  la  piété  des  peu- 
ples releva  bientôt  de  ses  ruines  le  religieux  sanctuaire,  imparfaitement 
d'abord,  parce  qu'elle  ne  pouvait  mieux  faire,  plus  magnifiquement  en- 
suite, dès  qu'elle  le  put;  et  en  481,  Notre-Dame  de  Bethléem  entra  dans 
une  ère  nouvelle  de  prospérité.  Glovis,  quoique  encore  païen,  entendant 
raconter  tant  de  merveilles  de  ce  sanctuaire,  eut  la  curiosité  de  le  visiter. 
Les  ermites  qui  en  étaient  les  gardiens  le  reçurent  avec  le  plus  grand 
honneur;  et  le  prince,  touché  de  ce  bon  accueil,  se  montra  bienveillant 
envers  eux  jusqu'à  contribuer  de  sa  royale  munificence  à  la  reconstruc- 
tion et  à  l'embellissement  du  religieux  édifice.  D'un  autre  côté,  Clotilde, 
jeune  encore,  y  venait  chaque  année  en  pèlerinage  f,  et  les  ermites, 
admirant  sa  foi  et  sa  piété,  osèrent  parler  à  Glovis  de  la  vertueuse  et  belle 
chrétienne  ;  ils  lui  en  firent  un  si  grand  éloge  que  le  roi  païen  voulut  la 
connaître  ;  le  regard  du  fier  Sicambre  eut  bientôt  découvert  sous  le 
voile  de  sa  modestie  le  trésor  des  douces  vertus  qui  la  distinguaient.  Il 
résolut  de  l'épouser,  et  bientôt  la  sainteté  de  Clotilde  vint  embellir  le 
trône  de  France.  Clotilde  voua  à  la  sainte  Vierge  son  second  fils  Clodo- 
mir,  vint  prier  pour  lui  h  Notre-Dame  de  Bethléem  lorsqu'elle  le  vit 
dangereusement  malade  ;  et  sa  guérison  obtenue,  elle  l'y  fit  baptiser  au 
pied  de  l'autel  avec  la  permission  de  Clovis,  encore  païen.  La  reconnais- 
sance de  la  reine  et  du  roi,  lorsqu'il  fut  devenu  chrétien,  se  traduisit  bien- 
tôt en  nombreux  bienfaits,  et  entre  autres  par  la  construction  d'une  vaste 
église  tout  près  du  sanctuaire  de  Bethléem,  laquelle,  sous  le  vocable  de 
saint  Pierre  et  de  saint  Paul,  devint  l'église  des  religieux.  Ce  n'est  pas  sans 
doute  l'église  qu'on  voit  aujourd'hui  ;  le  temps  et  les  guerres  l'ont  plusieurs 
fois  ruinée  ;  mais  la  religion  l'a  autant  de  fois  relevée. 

Sous  Clotaire  II,  Notre-Dame  de  Bethléem  ne  fut  pas  moins  favorisée. 
Le  prince  y  vint  lui-même  en  pèlerinage.  Adalbert,  seigneur  d'Etampes, 
restaura  l'église  ainsi  que  le  monastère  des  ermites ,  endommagé  sur 
plusieurs  points  par  les  guerres.  Enfin  à  cette  époque  fut  fondée  définitive- 
ment l'abbaye  de  Ferrières,  cette  abbaye  fameuse  qu'illustrèrent  dans  les 
âges  suivants  tant  de  vertus  et  de  talents,  qui  compta  dans  ses  écoles  des 
milliers  d'élèves,  qui  fut  longtemps  une  pépinière  d'évêques,  qui  n'eut  de 
rivale  que  la  grande  école  de  Tours,  qui  enfin,  aussi  riche  en  durée  qu'en 
illustrations,  subsista  jusqu'en  1793. 

Sous  Dagobert,  même  protection  fut  continuée  au  pieux  sanctuaire.  Ce 
monarque  y  fonda  une  messe  qui  devait  être  dite  à  perpétuité  sur  l'autel 
de  Notre-Dame,  et  qui  fut  appelée  la  messe  royale.  De  plus,  sur  sa  de- 
mande, le  pape  Grégoire  II  accorda  à  l'abbaye  le  privilège  de  porter  les 
armes  de  Saint-Pierre  de  Rome  et  plusieurs  autres  faveurs  signalées,  qui 
furent  dans  la  suite  confirmées  par  Paul  Ier,  Eugène  II,  Alexandre  III  et 
Urbain  III. 

Charlemagne,  qui  avait  eu  pour  précepteur  le  célèbre  Alcuin,  abbé  de 
Ferrières,  se  montra  également  généreux  pour  Notre-Dame  de  Bethléem, 
et  ses  successeurs  sur  le  trône  imitèrent  son  exemple. 

A  la  fin  du  xne  siècle,  les  religieux,  aidés  par  de  si  puissants  protecteurs, 
firent  reconstruire  leur  église  ainsi  que  la  belle  flèche  octogone,  haute  de 
cent  cinquante  pieds,  qui  la  surmontait,  et  qui  tomba  en  1837.  Ce  magni- 

1,  Dom  Morin,  p.  766. 


NOTRE-DAME   DE   BETHLEEM   A   FERRIÈRES.  215 

fîque  monument  terminé,  ils  invitèrent  Alexandre  III  à  venir  le  consacrer 
lui-même.  Ce  Pape,  une  des  plus  grandes  figures  historiques  du  xne  siècle, 
estimant  qu'un  sanctuaire  si  célèbre  dans  le  monde  chrétien  était  digne 
d'un  tel  honneur,  se  rendit  de  sa  personne  à  Ferrières.  Il  fit  la  cérémonie 
le  29  septembre  4163,  et  il  puisa  dans  ce  saint  asile  un  adoucissement  aux 
maux  dont  fut  traversé  son  pontificat. 

Après  trois  siècles  de  prospérité  et  de  gloire,  Notre-Dame  de  Bethléem 
vit  encore  arriver  de  nouveaux  jours  de  deuil.  Sous  le  règne  de  Charles  VII, 
les  Anglais,  maîtres  de  tout  le  pays,  vinrent  ravager  Ferrières,  brûlèrent 
l'église,  dont  ils  ne  laissèrent  debout  que  la  flèche.  Mais  le  ciel  ne  laissa  pas 
ce  crime  impuni.  Selon  une  légende  traditionnelle,  le  soldat  anglais  qui 
avait  mis  le  feu  au  lieu  saint  se  sentit  tout  à  coup  dévoré  jusqu'au  fond  des 
entrailles  comme  par  un  feu  mystérieux  dont  rien  ne  pouvait  éteindre  les 
ardeurs  ;  et  dans  l'excès  de  sa  douleur,  il  alla  se  précipiter  dans  un  puits 
voisin.  En  1607,  un  prieur  du  monastère,  voulant  constater  le  fait,  fit  son- 
der le  fond  de  ce  puits,  et  on  y  trouva  des  ossements  humains. 

L'église  de  Notre-Dame  de  Bethléem,  tant  de  fois  renversée  et  tant  de 
fois  reconstruite,  sortit  de  nouveau  de  ses  ruines  en  1460,  grâce  à  la  piété 
généreuse  de  dom  Blamchefort,  abbé  de  Ferrières.  Ce  saint  religieux,  que 
ses  éminentes  vertus  et  surtout  sa  charité  pour  les  pauvres  rendaient  véné- 
rable dans  toute  la  contrée,  aimait  tant  la  sainte  Vierge,  que,  quand  il  se 
sentit  près  de  mourir,  il  se  fit  porter  au  pied  de  son  autel  et  y  rendit  le  der- 
nier soupir.  On  l'y  enterra,  et  on  lui  éleva  un  tombeau  richement  sculpté. 
Les  pierres  de  ce  tombeau  vénéré  ayant  été  conservées,  on  l'a  rétabli  dans 
l'église  principale  de  Ferrières,  au  milieu  du  chœur,  où  il  est  l'objet  de  la 
vénération  des  peuples  de  la  contrée,  qui  regardent  comme  un  saint  ce 
pieux  serviteur  de  Marie.  Mais  l'église  et  le  tombeau  furent  pillés,  profanés 
par  les  protestants  au  xviB  siècle  ;  et  les  révolutionnaires  de  93  en  achevè- 
rent la  dégradation  jusqu'à  ne  laisser  debout  que  les  murs  de  l'église; 
encore  même  les  mirent-ils  dans  un  état  de  délabrement  qui  en  compro- 
mettait la  solidité. 

Après  la  révolution,  cette  église  fut  conservée  comme  annexe  de  l'église 
paroissiale  de  Saint-Pierre  ;  mais  elle  n'en  demeura  pas  moins  pour  les 
fidèles  l'église  de  prédilection;  et,  lorsqu'en  1837  sa  belle  flèche  s'affaissa 
tout  à  coup  sur  ses  bases  dégradées  et  écrasa  l'église  de  son  énorme  poids, 
toute  la  ville  demanda  avec  instance,  non  la  reconstruction  de  ce  gigan- 
tesque et  monumental  clocher  qui  s'élevait  à  cent  cinquante  pieds  au-des- 
sus des  combles  de  l'église  ;  hélas  !  les  ressources  du  pays  n'y  eussent  pas 
suffi,  mais  au  moins  la  restauration  du  sanctuaire  où  tant  de  générations 
étaient  venues  prier.  Le  digne  pasteur,  M.  l'abbé  Champion,  partageant  le 
religieux  enthousiasme  de  ses  paroissiens,  ouvrit  une  souscription  volon* 
taire.  Prompts  à  répondre  à  cet  appel,  les  riches  donnèrent  de  leur  argent, 
les  fermiers  offrirent  leurs  chevaux  et  leurs  voitures  pour  tous  les  charrois 
nécessaires  ;  le  pauvre,  qui  n'avait  que  ses  bras,  donna  de  son  temps,  et  l'on 
vit  dans  un  même  jour  jusqu'à  soixante-dix  ouvriers,  tous  animés  du  même 
zèle,  du  même  sublime  désintéressement,  travailler  avec  ardeur  à  cette 
œuvre  de  restauration.  En  moins  d'une  année,  Notre-Dame  de  Bethléem 
sortit  de  ses  ruines;  et  les  fidèles,  réunis  de  nouveau  dans  son  enceinte, 
purent  y  continuer  les  prières  et  les  chants  des  anciens  âges. 

On  y  admire,  à  gauche  du  grand  autel,  le  tombeau  de  dom  Morin,  qui 
fut  l'architecte  des  deux  chapelles  latérales,  ainsi  que  le  rétable  du  grand 
autel  et  les  décorations  du  sanctuaire,  qui  sont  attribués  à  la  munificence 


216  1er  MAI. 

de  Marie  de  Médicis.  Mais  ce  qui  mérite  bien  plus  l'attention  et  le  respect, 
c'est  la  Vierge  noire,  échappée  aux  dévastations  des  Anglais,  aux  profana- 
tions des  protestants,  à  l'impiété  des  révolutionnaires,  placée  maintenant 
dans  la  chapelle  latérale,  à  gauche  du  sanctuaire  ;  Vierge  séculaire  et  mira- 
culeuse, aux  pieds  de  laquelle  de  nombreux  pèlerins,  entre  autres  les  habi- 
tants de  Montargis,  viennent  prier  encore  aujourd'hui  avec  une  confiance 
que  justifie  et  encourage  le  souvenir  des  grâces  obtenues  dans  la  succession 
des  siècles. 

La  dévotion  à  ce  religieux  sanctuaire  inspira  dès  le  temps  des  rois  mé- 
rovingiens une  institution  pieuse,  connue  sous  le  nom  de  Confrérie  royale 
de  Notre-Dame,  qui  dura  des  siècles.  Cependant  le  temps,  qui  use  tout,  la 
mina  peu  à  peu,  elle  tomba  ;  et  elle  n'existait  plus  qu'à  l'état  de  souvenir, 
lorsque  Louis  XIII,  informé  par  dom  Morin,  religieux  de  Ferrières,  de 
l'existence  de  l'antique  confrérie,  ordonna  qu'elle  fût  rétablie  et  en  fit 
approuver  les  règlements  par  Grégoire  XV. 

Ce  n'était  pas  seulement  cette  pieuse  association  qui  attirait  les  fidèles 
à  Notre-Dame  de  Bethléem  ;  c'était  encore  les  nombreuses  indulgences 
qu'y  avait  accordées  Grégoire  XV,  à  cinq  époques  principales  de  l'année, 
savoir  :  au  dimanche  avant  l'Ascension,  aux  fêtes  de  Pâques,  de  la  Pente- 
côte, de  saint  Paul  et  de  saint  Michel.  On  ne  pouvait  compter  les  pèlerins 
qu'amenait  ces  jours-là  à  Ferrières  le  désir  de  gagner  les  indulgences.  Mais, 
hélas  !  de  toutes  ces  pieuses  pratiques,  de  toutes  ces  antiques  fondations,  il 
ne  reste  plus  que  le  pèlerinage  du  lundi  de  la  Pentecôte  ;  alors  on  fait  une 
procession  solennelle  ;  on  porte  en  grande  pompe  les  saintes  reliques 
échappées  aux  diirérentes  dévastations  de  Notre-Dame  de  Bethléem  et  de 
l'église  de  l'abbaye  de  Ferrières,  et  les  pèlerins  y  sont  nombreux.  Fasse  le 
ciel  que  la  ville  de  Ferrières,  n'étant  plus  aujourd'hui,  grâce  au  chemin  de 
fer,  qu'à  quelques  heures  de  la  capitale,  voie  bientôt  un  meilleur  avenir, 
et  que  ces  antiquités  si  glorieuses,  ces  ruines  heureusement  devenues  la 
propriété  de  Msr  Dupanloup,  évoque  d'Orléans,  soient  consolées  et  voient 
briller  encore  quelques  rayons  de  la  beauté  de  leurs  anciens  jours  ! 

Notre-Dame  de  France. 


NOTRE-DAME    DU    LAUS  ', 

ET  LA  V.  BENOITE  RENCUREL, 

NOTRE-DAME  D'ÉRABLE,  NOTRE-DAME  DES  FOURS,  ETC. 

J'ai  demandé  le  Laus  à  mon  divin  Fils  pour  la  con- 
version des  pécheurs  et  il  me  l'a  octroyé J'ai 

destiné  cette  église  à  la  conversion  des  pécheurs. 
La  très-sainte  Vierge  à  sœur  Benoîte  en  1664  et  16G9. 

Notre-Dame  du  Laus,  située  à  huit  kilomètres  de  Gap,  a  été  fondée  il  y 
a  deux  siècles  par  une  simple  bergère  nommée  Benoîte  Rencurel,  et  plus 

1.  Un  lac  desséché  depuis  des  siècles  occupait  le  fond  de  la  vallée  et  lui  a  laissé  son  nom  :  Laus;  ce 
mot,  prononcé  suivant  l'idiome  des  montagnes  (Laous),  veut  dire  un  lac.  Un  ancien  auteur  a  voulu  voir 


NOTRE-DAME  LU  LAUS,   ET  LA   VÉNÉRABLE   BENOITE   RENCUREL.  217 

tard  appelée  communément  sœur  Benoîte,  parce  qu'elle  s'était  associée  au 
Tiers  Ordre  de  Saint-Dominique. 

Cette  âme  d'élite,  ayant  entendu  un  prédicateur  dire  en  chaire  que  la 
sainte  Vierge  est  toute  bonne  et  toute  miséricordieuse,  conçut  un  violent 
désir  de  la  voir  et  demanda  à  Marie,  avec  les  plus  ardentes  prières,  de  se 
montrer  à  elle.  Marie  le  lui  accorda,  et  lui  apparut,  non  pas  une  fois,  mais 
fréquemment,  et  cela  pendant  cinquante-six  ans  entiers. 

Ce  fut  sans  nul  doute  par  une  secrète  disposition  de  la  Providence  que 
l'enfant  qui,  du  berceau  à  la  tombe,  devait  être  en  butte  aux  plus  mauvais 
traitements  des  esprits  infernaux  et  leur  résister  si  courageusement,  na- 
quit le  jour  où  l'Eglise  célèbre  la  fête  du  noble  Archange,  vainqueur  de 
Lucifer. 

En  effet,  le  29  septembre  1647,  dans  le  petit  village  de  Saint-Etienne, 
séparé  du  Laus  par  une  étroite  prairie,  naissait,  dans  une  famille  de  pauvres 
paysans  restés  inconnus  au  monde,  une  petite  fille,  à  la  naissance  de  laquelle 
personne  ne  prit  garde.  On  ignorait  que  dans  peu  d'années  les  anges  l'ap- 
pelleraient «  ma  sœur  »,  et  qu'elle  serait  l'élève  et  la  fille  chérie  de  la  Reine 
des  anges  et  des  hommes1.  Au  sein  d'une  pauvreté  laborieuse,  acceptée 
avec  piété,  la  première  enfance  de  Benoîte  Rencurel  s'écoula  sous  le  toit  de 
chaume  que  bientôt  elle  devait  quitter  pour  voir  sa  pauvreté  héréditaire 
s'accroître  encore  et  son  humble  condition  s'abaisser  de  plus  en  plus.  Toute 
l'éducation  et  l'instruction  données  par  la  mère  Rencurel  à  sa  fille  se  bor- 
nèrent à  lui  recommander  d'être  toujours  sage  et  de  bien  prier  Dieu,  et, 
pour  bien  prier  Dieu,  elle  ne  lui  enseigna  que  le  Pater  et  Y  Ave  Maria  ;  mais 
avec  ces  prières,  tombées  des  lèvres  divines  et  angéliques,  on  peut  réciter 
le  Rosaire  :  c'en  était  assez  pour  apprendre  toute  la  science  du  salut  à  notre 
jeune  enfant  ;  le  Rosaire  devint  vite  sa  dévotion  de  prédilection,  et  souvent 
les  saints  anges  vinrent  le  réciter  visiblement  avec  elle.  Benoîte  n'avait  que 
sept  années  lorsque  Dieu  appela  à  lui  son  père  Rencurel,  et  l'année  suivante 
un  indigne  parent  dépouillait  la  veuve  et  les  trois  orphelins  de  leur  toit  de 
chaume  et  de  leurs  petits  champs.  Le  pain  manqua,  et  Benoîte,  à  huit  ans, 
entra  comme  bergère  au  service  de  deux  maîtres  à  la  fois,  car  un  seul  n'au- 
rait pu  la  nourrir  pendant  la  famine  qui  régnait  alors  dans  le  pays  ;  elle 
gardait  donc  en  môme  temps,  chaque  jour,  deux  troupeaux  pour  un  mor- 
ceau de  pain  noir,  que  ces  deux  maîtres  lui  servaient  à  tour  de  rôle  pendant 
huit  jours.  En  quittant  sa  mère,  Benoîte  ne  lui  avait  demandé  pour  tout 
don  qu'un  chapelet. 

Les  deux  maîtres  de  Benoîte  ne  se  lassaient  pas  d'admirer  sa  piété, 
sa  douceur,  sa  docilité,  et  s'étonnaient  fort  de  ne  voir  en  elle  aucun  de 
ces  petits  défauts  inhérents  à  l'enfance.  Contente  du  morceau  de  pain 
dur  et  grossier  qu'elle  recevait  chaque  matin  au  départ,  elle  ne  déroba  ja- 
mais rien  à  ses  maîtres  ;  jamais  sa  main  ne  s'étendit  même  pour  cueillir  en 
passant  le  long  des  vergers  sans  clôture  une  pomme  ou  un  grain  de  raisin. 
Son  morceau  de  pain  trempé  dans  l'eau  du  torrent  composait  tout  son  repas. 
Son  jeune  cœur  était  déjà  si  embrasé  de  l'amour  divin,  que  p^u  lui  impor- 
tait la  nourriture  matérielle  ;  mais  comme  on  ne  peut  aimer  Dieu  sans  aimer 
les  hommes,  qu'il  a  tant  aimés,  elle  les  aima  en  Dieu  et  pour  Dieu.  Aussi 
son  unique  morceau  de  pain  ne  lui  appartenait  même  plus  dès  qu'elle  ren- 
contrait un  enfant  qui  avait  faim,  et  elle  le  partageait  avec  lui.  Bientôt  sa 

dans  Laus  le  mot  latin  qui  signifie  louange,  et  11  l'applique  au  désir  que  Marie  avait  d'être  honorée  sa 
ca  lieu. 

1.  Son  père  se  nommait  Guillaume  Rencurel,  et  sa  mère  Catherine  Matheron. 


218  *er  mai. 

charité  la  porte  à  tout  donner,  et  voici  à  quelle  occasion  :  Jean  Rolland, 
un  de  ses  maîtres,  pouvait  sans  peine,  malgré  la  disette  croissante,  ôteràsa 
table  sept  morceaux  de  pain  en  quinze  jours;  mais  il  n'en  était  pas  de 
même  chez  son  autre  maître,  Louis  Astier,  dont  elle  gardait  le  petit  trou- 
peau en  même  temps  que  celui  du  riche  fermier  Rolland.  Cependant,  comme 
la  femme  Astier  aimait  sa  douce  bergère,  elle  préférait  lui  donner,  aux  dé- 
pens de  son  appétit,  la  même  quantité  de  pain  qu'en  des  jours  meilleurs. 
Benoîte,  après  avoir  reçu  sans  mot  dire  ce  pain  si  rare,  le  distribuait  secrè- 
tement aux  six  petits  enfants  Astier,  qui  le  mangeaient  sans  comprendre 
que  ces  fragments  de  pain  étaient  comme  des  morceaux  de  la  vie  de  la 
pieuse  enfant.  Quant  à  elle,  Benoîte  se  disait  pour  se  fortifier  :  «  Ah  !  c'est 
bien  assez  que  je  mange  la  semaine  prochaine  chez  mon  autre  maître  ». 
Elle  partait  donc  à  jeun  pour  conduire  ses  troupeaux  dans  la  montagne  ; 
elle  revenait  à  jeun  et  se  couchait  de  même,  et  cela  pendant  sept  fois  vingt 
quatre  heures  consécutives  !  Elle  souffrait  tant  de  la  faim,  que  le  sang  lui 
jaillissait  de  la  bouche  et  des  narines  :  mais  les  anges  des  Alpes  recueillaient 
chaque  goutte  de  ce  sang  si  pur,  pour  le  faire  retomber  plus  tard  en  torrent 
de  grâces  sur  les  pécheurs. 

Avec  son  pain,  son  cœur  et  ses  rosaires,  Benoîte  donnait  sa  compassion  à 
tous  les  malheurs  qui  arrivaient  à  sa  connaissance.  Un  jour,  elle  apprend 
qu'une  femme  vient  de  perdre  connaissance  et  que  son  état  est  grave  ;  aus- 
sitôt elle  court  vers  l'église  en  entraînant  après  elle  toutes  les  petites  filles 
qu'elle  rencontre  sur  son  chemin,  et,  de  concert  avec  elles,  récite  le  rosaire 
avec  une  grande  ferveur.  Avant  de  s'éloigner  de  son  troupeau,  elle  lui  avait 
dit  avec  cette  foi  qui  transporte  les  montagnes  :  «  Tu  ne  toucheras  point  à 
ce  pré,  ni  à  celui-ci,  ni  à  celui-là  »,  et  le  troupeau,  pendant  son  absence, 
resta  à  brouter  paisiblement  dans  le  lieu  qu'elle  lui  avait  désigné. 

Après  le  Rosaire,  la  troupe  enfantine  vint  voir  la  malade,  toute  prête  à 
retourner  à  l'église  s'il  en  était  besoin.  Mais  Dieu  l'avait  exaucée  :  la  malade 
avait  recouvré  la  connaissance  et  la  parole,  et  le  premier  usage  qu'elle  en 
fit,  fut  pour  remercier  et  bénir  ces  enfants  et  surtout  Benoîte.  Aux  prières, 
la  jeune  et  sainte  bergère  savait  à  l'occasion  joindre  les  exhortations.  Elle 
parlait  avec  tant  d'éloquence  de  Dieu,  du  ciel,  de  l'enfer,  qu'elle  trouvait 
le  chemin  des  cœurs  les  plus  endurcis.  C'est  ainsi  que  Jean  Rolland,  l'un  des 
deux  maîtres  qu'elle  servait  à  la  fois,  homme  brutal,  colère  et  blasphéma- 
teur, vaincu  par  l'éloquence  de  sa  douce  bergère ,  donna  à  tout  le  pays 
l'exemple  d'une  conversion  aussi  inattendue  qu'éclatante.  C'était  donc  par 
l'exercice  des  plus  sublimes  vertus  que  Benoîte  se  préparait,  sans  le  savoir, 
pour  la  plus  grande  mission  à  laquelle  elle  était  prédestinée. 

Benoîte  comptait  dix-sept  printemps;  son  angélique  pureté  qui  réjouis- 
sait le  regard  des  anges  et  impressionnait  même  les  gens  grossiers  au  milieu 
desquels  elle  vivait,  l'avait  rendue  particulièrement  chère  à  la  Reine  des 
Yierges. 

Un  beau  jour  du  mois  de  mai  1664,  elle  avait  conduit  ses  troupeaux  sur 
la  montagne  de  Saint-Maurice,  et  elle  était  entrée  dans  la  chapelle  en  ruine  * 
dédiée  à  l'illustre  chef  de  la  légion  thébaine,  pour  y  réciter  son  chapelet, 
lorsque  ce  saint  lui  apparut  et  l'engagea  à  conduire  désormais  son  troupeau 
dans  la  vallée  de  Saint-Etienne,  parce  que  ce  serait  là  que,  selon  son  désir, 
elle  verrait  la  sainte  Vierge. 

Le  lendemain,  dès  l'aurore,  le  troupeau  prenait  de  lui-même  le  chemin 
de  la  vallée,  et  Benoîte  le  suivait  d'un  air  joyeux,  sans  se  rendre  compte  de 

1.  Cette  chapelle  a  depuis  été  restaurée. 


NOTEE-DAME  DU  LAUS,   ET  LA   VÉNÉRABLE  BENOÎTE  RENCUBEL.  219 

ses  pensées.  Il  y  avait  au  fond  du  vallon  et  à  l'entrée  du  bois  une  petite 
grotte  où  elle  avait  l'habitude  de  se  retirer  pour  dire  son  Rosaire. 

A  peine  arrivée  en  face  de  la  grotte,  Benoîte  y  vit  une  dame  d'une 
beauté  incomparable  tenant  entre  ses  bras  un  enfant  d'une  beauté  non 
moins  admirable.  Malgré  la  prédiction  du  Saint,  la  sainte  et  naïve  bergère 
ne  pouvait  croire  que  la  sainte  Vierge  fût  descendue  du  ciel  pour  exaucer 
l'immense  désir  qu'elle  avait  de  la  contempler  ;  elle  croyait  donc  n'avoir 
devant  les  yeux  qu'une  simple  mortelle,  et  elle  lui  offre  ingénument  un 
morceau  de  son  pain  noir.  La  dame  sourit  de  cette  simplicité  enfantine  et 
ne  lui  répond  rien. 

Le  jour  suivant  et  pendant  tout  près  de  quatre  mois,  Benoîte  contempla 
dans  ce  lieu  celle  qui  fait  la  joie  des  anges  et  l'ornement  du  ciel.  Dès  le 
premier  jour,  la  figure  de  la  jeune  bergère  parut  aux  yeux  de  tous  transfi- 
gurée comme  son  âme,  sa  beauté  avait  pris  un  cachet  tout  céleste,  et  ses 
paroles  avaient  acquis  une  vertu  irrésistible.  Elle  faisait  part  de  son  bonheur 
à  tout  le  monde  avec  une  simplicité  joyeuse,  et  chacun,  en  voyant  le  chan- 
gement qui  s'était  opéré  en  elle,  se  disait  :  «  Si  c'était  la  sainte  Vierge 
qu'elle  voit  !  »  Quant  à  l'humble  bergère,  elle  ne  le  savait  point  encore  et 
ne  songeait  même  point  à  demander  à  celle  qui  lui  donnait  toute  cette  joie 
qui  elle  était. 

Avant  de  faire  de  Benoîte  son  amie  et  la  dispensatrice  de  ses  grâces,  la 
sainte  Vierge  daigna  en  faire  son  élève,  et  lorsqu'elle  se  fut  étroitement  at- 
taché l'âme  de  la  jeune  bergère  par  l'attrait  irrésistible  de  sa  beauté,  elle 
commença  à  lui  parler,  et  ce  fut  pour  l'instruire,  l'éprouver,  l'encourager. 
Pour  se  mettre  à  la  portée  de  l'intelligence  peu  cultivée  de  l'enfant  des 
montagnes,  elle  descendit  à  des  familiarités  qui  nous  étonneraient,  si  nous 
ne  savions  que  la  bonté  de  Marie  est  sans  borne.  Elle  ne  dédaigna  même 
pas  de  lui  apprendre  à  prier,  comme  le  font  les  mères,  en  répétant  mot  à 
mot  une  prière  à  leurs  enfants  ;  c'est  ainsi  qu'elle  lui  apprit  ses  litanies, 
encore  inconnues  dans  le  pays,  et  en  lui  enjoignant  de  les  apprendre  à  son 
tour  à  ses  compagnes  et  de  les  répéter  chaque  soir  avec  elles.  Les  jeunes 
filles  d'Avançon  et  de  Valserre  se  mirent  promptement  comme  celles  de 
Saint-Etienne  à  réciter  chaque  soir  les  litanies  de  la  divine  Vierge  ;  toutes 
les  processions  qui  arrivent  au  Laus  les  chantent  en  gravissant  la  monta- 
gne ;  toute  messe  célébrée  à  l'autel  de  Marie  est  suivie  de  ses  litanies,  qu'on 
redit  encore  tous  les  samedis  et  tous  les  dimanches  sur  un  air  qui  ne  s'en- 
tend qu'au  Laus  et  qui  remue  toutes  les  fibres  de  l'âme1.  Si  presque  tous 
les  habitants  de  la  vallée  croyaient  que  c'était  vraiment  la  très-sainte  Vierge 
qui  apparaissait  à  Benoîte,  quelques-uns  doutaient  encore  ;  mais  lorsque 
deux  impies,  qui  avaient  blasphémé  publiquement  contre  la  belle  dame  de 
Benoîte,  eurent  reçu  un  châtiment  rigoureux  et  exemplaire,  tout  le  monde 
crut  qu'en  effet  l'Etoile  de  la  mer  s'était  levée  sur  cette  heureuse  val- 
lée. Le  bruit  de  ces  choses  traversa  les  montagnes  et  arriva  à  Gap,  tandis 
que  M.  Grimaud,  homme  capable  et  intègre,  juge  de  la  vallée,  ordonna  à 
Benoîte  de  demander  à  celle  qui  lui  apparaissait  si  elle  ne  serait  point  la 
Mère  de  Dieu,  et  si  elle  ne  voulait  point  qu'on  lui  élevât  en  ce  lieu  une 
chapelle  ? 

Benoîte  adressa  donc  à  la  belle  dame  la  demande  que  le  pieux  juge  lui 
avait  suggérée  ;  la  sainte  Vierge  lui  répondit  : 

«  Je  suis  Marie,  Mère  de  Jésus  »,  puis  elle  ajouta  :   «  Mon  Fils  veut  être 

1.  Les  titanes  apprises  par  la  très-sainte  Vierge  a  sœur  Benoîte  sont  celles  connues  clans  toute  l'EgliM 
«ous  le  nom  de  Litanies  de  Lorette.  Elles  n'ont  de  local  que  Tair  sur  lequel  on  les  chante  au  Laus. 


220  1er  mai. 

honoré  dans  cette  paroisse,  mais  non  dans  ce  lieu...  »  La  sainte  Vierge,  vou- 
lant autoriser  publiquement  la  croyance  à  la  révélation  qu'elle  venait  de 
faire,  commanda  ensuite  à  Benoîte  d'amener  les  filles  de  Saint-Etienne  en 
procession  à  la  grotte  ;  celle-ci  répondit  à  cet  ordre  avec  sa  profonde  ingé- 
nuité :  «  Possible  qu'elles  ne  voudront  pas  croire  :  écrivez-le  ».  —  «  Cela 
n'est  pas  nécessaire  »,  répondit  la  Mère  des  miséricordes  en  disparaissant. 

Non-seulement  les  filles  de  Saint-Etienne  se  rendirent  avec  empresse- 
ment à  la  procession  ordonnée  par  Marie,  qui  eut  lieu  le  30  août  ;  mais 
M.  Fraisse,  curé  de  la  paroisse,  et  le  juge  de  paix,  y  vinrent  aussi  pour  ob- 
server attentivement  ce  qui  se  passerait,  et  ils  en  dressèrent  procès-verbal. 
La  très-sainte  Vierge  apparut  à  Benoîte  devant  tous,  et  comme,  lorsque 
tout  le  monde  fut  retiré,  elle  était  restée  à  prier  dans  le  vallon,  Marie  lui 
apparut  de  nouveau  et  lui  dit  :  «  Vous  ne  me  verrez  plus  dans  ce  lieu  *  ». 
Cette  vallée  était  en  effet  trop  peu  étendue  pour  qu'on  pût  y  élever  une 
église. 

Pendant  un  mois  entier,  Benoîte  ne  vit  plus  sa  divine  maîtresse  ;  elle  en 
éprouvait  une  si  vive  douleur  que,  encore  un  peu  de  temps,  elle  n'aurait  pu 
y  survivre.  Elle  dirigeait  de  préférence  son  troupeau  dans  un  pâturage  d'où 
son  œil  explorait  sans  cesse  les  deux  versants  de  la  montagne,  tandis  qu'elle, 
demandait  en  gémissant  aux  nuages  qui  passaient  sur  sa  tête,  aux  oiseaux 
qui  voltigeaient  aux  quatre  vents  du  ciel,  s'ils  ne  lui  apporteraient  pas 
bientôt  des  nouvelles  de  sa  bien-aimée. 

Un  jour  béni,  de  l'autre  côté  du  torrent  et  à  mi-côte  de  la  colline  der- 
rière laquelle  s'abrite  le  Laus,  elle  reconnaît,  malgré  l'éclat  extraordinaire 
qui  l'environne,  la  divine  Vierge  ;  elle  s'écrie  :  «  Oh  !  ma  bonne  mère, 
pourquoi  m'avez-vous  si  longtemps  privée  du  bonheur  de  vous  voir  ?  »  puis 
elle  traverse,  avec  le  secours  d'une  de  ses  chèvres,  le  torrent  grossi,  et  se 
jette  aux  pieds  de  la  Reine  du  ciel. 

Tout  ce  que  Benoîte  révéla  de  cette  apparition,  c'est  que  la  sainte  Vierge 
lui  dit  :  a  Vous  ne  me  reverrez  plus  que  dans  la  chapelle  du  Laus,  cher- 
chez-la, vous  la  reconnaîtrez  aux  suaves  odeurs  qui  s'en  exhaleront  dès  la 
porte  *  » . 

Dans  la  solitude  si  profonde  alors  du  Laus,  quelques  pieux  montagnards 
avaient,  en  1640,  élevé  une  petite  chapelle  dédiée  à  Notre-Dame  de  Bon- 
Rencontre.  Cet  humble  édifice,  couvert  en  chaume,  ne  renfermait  qu'un 
espace  d'un  peu  plus  de  deux  mètres,  un  autel  en  maçonnerie  qui,  pour 
tout  ornement,  avait  deux  flambeaux  de  bois  et  un  saint  ciboire  en  étain. 
C'était  là  que  la  Reine  du  ciel  attendait  la  jeune  bergère,  comme  dans  re- 
table de  Bethléem  elle  avait  reçu  les  bergers  de  la  Judée.  Benoîte  ne  con- 
naissait pas  cette  chapelle,  elle  la  cherchait  en  pleurant,  lorsque  attirée  par 
l'odeur  des  parfums  annoncés,  elle  la  découvre  enfin  ;  elle  entre,  et  en 
voyant  la  radieuse  Vierge  sur  l'autel,  elle  tombe  à  genoux,  muette  de  bon- 
heur. La  Mère  de  Jésus  lui  fait  entendre  sa  voix  céleste,  mais  c'est  pour  lui 
reprocher  doucement  les  larmes  qu'elle  a  versées  et  l'exhorter  à  la  résigna- 
tion. Benoîte  répond  humblement  à  sa  bonne  Mère  :  ce  n'est  plus  qu'ainsi 
qu'elle  parlera  de  Marie,  et  cette  appellation,  nouvelle  dans  l'église,  est 
restée  dans  toute  la  vallée  où  la  très-sainte  Vierge  est  toujours  invoquée 
sous  le  nom  de  la  Bonne-Mère. 

1.  Sur  l'emplacement  de  la  grotte  oh  Marie  se  montra  si  souvent  à  Benoîte,  on  a  élevé  une  petite  cha- 
pelle sous  le  vocable  de  Notre-Dame  des  Fours. 

2.  Un  petit  monument  commémora tif  de  cette  apparition  a  été  élevé  sur  le  chemin  de  Saint-Etienne 
au  Laus  ;  eut  endroit  se  nomme  Pindrau. 


NOTRE-DAME  DU  IATJS,   ET  LA  VÉNÉRABLE  BENOÎTE  RENCUREL.  221 

Benoîte,  en  se  relevant,  voit  l'autel  déjà  si  pauvre  par  lui-même,  et  où 
la  Reine  du  ciel  ne  dédaigne  pas  de  poser  ses  pieds  tout  couverts  de  pous- 
sière; elle  s'écrie  :  «  Ma  bonne  Mère,  agréez  que  je  détache  mon  tablier 
pour  le  mettre  sous  vos  pieds,  il  est  tout  blanc.  —  Non,  répond  la  sainte 
Vierge,  gardez-le  ;  dans  peu,  rien  ne  manquera  ici,  ni  nappes,  ni  orne- 
ments ;  je  veux  y  faire  bâtir  une  église  en  l'honneur  de  mon  très-cher  Fils 
et  au  mien,  où  beaucoup  de  pécheurs  et  de  pécheresses  viendront  se  con- 
vertir ;  elle  sera  grande  comme  je  la  veux  ;  et  c'est  là  que  je  vous  apparaî- 
trai souvent. —  Où  prendra-t-on  de  l'argent  pour  bâtir  cette  église?  de- 
manda la  jeune  fille  qui  connaissait  la  grande  misère  du  pays.  —  Soyez  sans 
inquiétude,  l'argent  ne  manquera  pas,  et  je  veux  que  ce  soit  celui  des 
pauvres  » . 

On  était  alors  à  la  fin  de  septembre  1664  ;  après  un  long  entretien,  Marie 
congédia  la  bergère  pour  qu'elle  fût  rentrée  chez  ses  maîtres  avant  la  nuit. 
Chaque  jour,  jusqu'au  printemps  suivant,  Benoîte  revint  passer  de  longues 
heures  aux  pieds  de  sa  céleste  maîtresse,  autant  que  la  neige  et  ses  devoirs 
le  lui  permettaient. 

Marie,  qui  la  préparait  à  entrer  dans  le  Tiers  Ordre  de  Saint-Dominique, 
lui  apprenait  dès  lors  à  unir  la  vie  active  à  la  vie  contemplative,  et  l'aver- 
tissait toujours,  afin  qu'elle  la  quittât  assez  à  temps  pour  que  son  devoir 
n'en  souffrît  pas  et  qu'elle  continuât  à  travailler  et  à  obéir  dans  son  humble 
condition  de  bergère.  Elle  voulait  lui  apprendre  à  mépriser  les  vaines  paru- 
res du  monde  et  à  ne  s'occuper  que  de  l'ornement  de  son  âme  ;  elle  lui  dé- 
fendit donc  de  porter  une  belle  robe  que  le  gouverneur  de  Gap,  M.  du  Saix, 
lui  avait  envoyée.  Elle  la  formait  peu  à  peu,  avec  une  douceur  et  une  pa- 
tience de  mère,  pour  la  mission  à  laquelle  elle  la  destinait,  et  elle  lui  recom- 
mandait sans  cesse  de  bien  prier  pour  les  pécheurs.  Elle  lui  en  fit  si  bien 
sentir  l'importance,  que  déjà  la  jeune  bergère  se  montrait  animée  du  plus 
grand  zèle  de  remplir  sa  tâche  sublime.  On  ne  la  rencontrait  plus  que  les 
yeux  empreints  d'une  douce  gravité  et  son  rosaire  à  la  main.  Dans  ses  appa- 
ritions, la  sainte  Vierge  lui  avait  appris  que  nulle  offrande  ne  lui  était  plus 
agréable  que  celle  de  la  couronne  mystique  du  Rosaire,  que  nulle  prière 
n'était  plus  efficace  pour  arracher  les  pécheurs  de  l'abîme  du  mal  et  les 
âmes  souffrantes  de  l'abîme  du  purgatoire  :  aussi  prit-elle  depuis  lors  la  ré- 
solution à  laquelle  elle  ne  faillit  jamais,  de  réciter  chaque  jour,  en  outre  de 
plusieurs  autres  prières,  quinze  rosaires  et  quinze  chapelets  pour  honorer 
doublement  le  nombre  sacré  des  mystères  du  Rosaire,  et  comme  le  jour  ne 
lui  suffisait  pas  pour  tant  de  prières,  pendant  le  sommeil  de  ses  maîtres,  elle 
quittait  sans  bruit  la  maison,  et,  malgré  les  ténèbres,  le  froid  et  la  pluie, 
elle  allait  s'agenouiller  sur  le  seuil  de  l'église  du  village,  où  les  premiers 
rayons  du  jour  la  trouvaient  souvent  encore.  Quelquefois,  ainsi  que  cela 
arriva  au  glorieux  saint  Dominique,  un  ange  lui  ouvrait  la  porte  de  l'é- 
glise, et  depuis  les  anges  l'assistèrent  dans  plusieurs  circonstances  de  sa  vie. 
Un  jour  de  ce  même  automne  1664,  ses  maîtres  l'avaient  envoyée  couper  de 
l'herbe,  non  loin  de  l'église  de  Valserre  ;  elle  entra  dans  le  lieu  saint  avec 
l'intention  de  n'y  faire  qu'une  courte  prière  ;  mais  bientôt  son  âme  quitta 
la  terre  et  s'éleva  vers  les  régions  célestes.  Lorsqu'elle  revint  de  son  extase, 
le  soleil  avait  déjà  disparu  derrière  les  montagnes,  et  la  nuit  arrivait  rapi- 
dement; elle  sort  avec  inquiétude  de  l'église  et  trouve,  avec  une  joyeuse 
surprise,  que  pendant  qu'elle  faisait  l'office  des  anges,  un  esprit  céleste  avait 
fait  le  sien,  coupé  et  lié  un  gros  paquet  d'herbes  avec  la  corde  qu'elle  avait 
laissée  à  la  porte  de  l'église. 


222  1"  MAI. 

Pendant  ce  temps,  le  public  attendait  avec  une  religieuse  impatience, 
pressentant  que  de  grandes  choses  se  préparaient  dans  ce  lieu,  et  pendant 
tout  l'hiver,  les  filles  d'Avançon  bravèrent  les  glaces  et  les  neiges  pour  aller 
chaque  jour  chanter  au  Laus  les  litanies  et  les  cantiques  de  la  divine 
Marie. 

Le  nombre  des  visiteurs  devint  bientôt  si  grand,  qu'il  fallut,  pour  en- 
tendre leurs  aveux  et  leur  donner  la  communion,  dresser  des  confession- 
naux et  des  autels  dans  la  campagne.  Le  25  mars  1665,  en  particulier,  moins 
d'un  an  après  la  première  apparition,  des  flots  de  peuples  envahirent  la 
chapelle,  autrefois  déserte;  et  le  3  mai  suivant,  il  s'y  rencontra  trente-cinq 
paroisses  à  la  fois,  marchant  chacune  sous  sa  bannière.  Marie  récompensa 
tant  de  zèle  pour  sa  chapelle  par  des  guérisons  miraculeuses,  des  conver- 
sions inattendues ,  des  prodiges  divers  dont  le  récit  est  consigné  dans  les 
volumineux  manuscrits  qu'on  conserve  au  Laus.  Un  des  plus  remarquables 
fut  obtenu  par  le  juge  même  du  lieu  :  il  avait  une  fille  muette  de  nais- 
sance ;  il  en  demanda  la  guérison  dans  la  sainte  chapelle,  et  elle  lui  fut  aus- 
sitôt accordée. 

Le  14  septembre  de  la  même  année,  arriva  au  Laus  le  vicaire  général 
du  diocèse,  accompagné  de  plusieurs  hommes  de  grand  mérite;  il  venait 
faire  une  enquête  juridique  sur  les  faits  dont  tout  le  monde  parlait.  A  l'an- 
nonce de  cette  enquête,  l'humble  bergère  s'enfuit  effrayée  dans  le  bois,  pour 
prier  et  consulter  la  sainte  Vierge,  et  revint  bientôt  rassurée  par  elle.  Be- 
noîte répondit  à  tout  avec  beaucoup  de  calme  et  d'à-propos;  et  sur  l'obser- 
vation qu'on  lui  fit  que,  s'il  ne  se  faisait  plus  de  miracles,  on  l'éloignerait 
du  Laus,  et  qu'on  démolirait  la  chapelle  :  «  Après  tout  ce  que  j'ai  vu  et 
entendu  »,  dit-elle,  «  je  ne  doute  pas  qu'il  ne  s'en  fasse  encore  plus  à  l'ave- 
nir que  par  le  passé  ».  L'enquête  terminée,  le  vicaire  général  tenta  deux 
fois  de  partir;  et  deux  fois  il  en  fut  empêché  par  une  pluie  violente,  qui 
commençait  au  moment  où  il  montait  à  cheval.  Ce  ne  fut  pas  sans  un  des- 
sein de  Dieu.  Car  le  lendemain  même,  il  fut  témoin  d'un  miracle  éclatant 
qui  s'opéra  dans  la  chapelle  du  Laus.  Catherine  Yial,  privée  de  l'usage  de 
ses  jambes  desséchées,  et  tellement  repliées  en  arrière  qu'elles  paraissaient 
collées  sur  son  corps,  fut  subitement  guérie,  le  dernier  jour  de  sa  neuvaine. 
Le  grand  vicaire  dressa  procès-verbal  du  fait;  les  témoins  le  signèrent,  et 
la  guérison  fut  si  complète,  qu'un  mois  après,  sa  paroisse  étant  venue  en 
procession  remercier  la  sainte  Vierge,  c'était  Catherine  Vial  elle-même  qui 
portait  la  bannière. 

Nonobstant  ces  faits,  il  y  eut  des  hommes  qui  accusèrent  Benoîte  de 
tromper  le  peuple  par  ses  rêveries;  on  voulut  l'arrêter  et  la  mettre  en  pri- 
son; et  trois  fois  la  sainte  Vierge  la  déroba  aux  poursuites  de  ses  persécu- 
teurs. Des  personnes  pieuses  même  se  liguèrent  contre  elle,  soutenant 
qu'elle  n'avait  aucune  vertu,  et  essayèrent  de  la  faire  chasser  du  Laus  par 
les  supérieurs  ecclésiastiques.  En  réponse  à  ces  accusations,  Dieu,  vers  ce 
même  temps,  opéra  au  Laus  un  nouveau  miracle.  Un  des  premiers  officiers 
de  la  cour  de  Savoie,  orgueilleux  et  impudique,  violent  et  emporté,  entre 
dans  la  chapelle  la  tête  haute,  les  yeux  égarés,  sans  donner  aucune  marque 
de  respect.  Tout  à  coup,  il  se  sent  saisi  d'horreur  de  lui-même;  et  immo- 
bile pendant  plus  d'une  heure,  il  repasse  dcns  sa  conscience  les  crimes  de 
sa  vie,  en  conçoit  une  douleur  profonde,  va  se  confesser  et  sort  converti, 
pleinement  réconcilié  avec  Dieu. 

Cette  chapelle  où  s'opéraient  tant  de  prodiges,  pouvait  à  peine  contenir 
dix  à  douze  personnes;  et  la  foule,  qui  se  pressait  tout  autour,  avait  à  subir 


NOTRE-DAME  DU  LAUS,  ET  LA  VÉNÉRABLE  BENOÎTE  RENCUREL.  223 

les  intempéries  des  saisons.  Il  était  donc  indispensable  de  la  remplacer  par 
une  église  plus  vaste.  En  1665,  Benoîte,  sans  ressource  aucune  que  sa  con- 
fiance en  Marie,  entreprend  l'œuvre.  Elle  en  trace  les  fondations,  de  ma- 
nière à  établir  le  chœur  et  le  maître-autel  de  la  nouvelle  église  dans  l'em- 
placement môme  de  la  chapelle  de  Bon-Rencontre;  puis  elle  appelle  à  son 
aide  toutes  les  âmes  qui  aiment  la  sainte  Vierge,  et  leur  communique  sa 
sainte  ardeur.  Une  pauvre  femme,  qui  vivait  d'aumônes,  se  présente  la  pre- 
mière, et  offre  une  pièce  d'or;  les  habitants  des  environs  apportent  chacun 
son  offrande,  les  uns  en  nature,  les  autres  en  argent;  tous  ceux  qui  montent 
au  Laus  prennent  une  ou  plusieurs  pierres  dans  le  torrent  qui  coule  au  bas 
du  vallon,  et  les  apportent  sur  la  hauteur.  Un  an  fut  ainsi  employé  à  pré- 
parer les  matériaux;  et  quand  tout  fut  prêt,  on  se  mit  à  l'œuvre.  Benoîte, 
de  son  côté,  présidait  elle-même  aux  travaux,  les  activait  et  les  dirigeait. 
Elle  préparait  les  repas  des  ouvriers,  faisait  la  prière  avec  eux,  et  leur  di- 
sait de  temps  en  temps  des  paroles  de  salut;  d'autres  fois  elle  y  entremêlait 
des  avis  utiles  pour  prévenir  les  accidents,  de  sorte  que,  pendant  toute  la 
durée  des  constructions,  pas  un  seul  blasphème  ne  fut  entendu,  pas  un  seul 
accident  n'arriva.  En  quatre  ans,  cette  église  fut  achevée.  Ce  grand  édifice 
avait  commencé  avec  rien  ;  les  mains  des  pauvres  en  avaient  assemblé  les 
matériaux,  les  aumônes  des  fidèles  en  avaient  creusé  les  fondements,  la  Pro- 
vidence en  éleva  les  murs,  et  la  confiance  en  Dieu  l'acheva.  Le  portail  seul 
restait  à  faire,  mais  l'archevêque  d'Embrun,  ambassadeur  de  France  en  Es- 
pagne, étant  tombé  à  Madrid  gravement  malade,  se  souvint  des  prodiges 
qu'opérait  Notre-Dame  du  Laus.  Il  l'invoqua,  et  fit  vœu  de  bâtir  le  portail 
s'il  revenait  à  la  santé.  Promptement  guéri,  il  exécuta  promptement  son 
vœu;  et  ainsi  il  ne  manqua  plus  rien  au  saint  édifice. 

Benoîte  était  dans  sa  vingtième  année  lorsqu'on  posa  la  première  pierre 
de  l'église  qui,  quatre  années  après,  fut  achevée  et  reçut  le  nom  de  Notre- 
Dame  du  Laus.  Le  25  décembre,  après  la  messe  de  minuit,  un  grand  nombre 
d'esprits  célestes  célébrèrent  l'inauguration  de  la  nouvelle  église,  en  faisant 
trois  fois  le  tour  de  l'édifice  sacré  au  chant  du  Gloria  in  excelsis.  Sœur  Be- 
noîte, qui  était  restée,  selon  sa  coutume,  à  prier  dans  le  lieu  saint,  suivait 
la  procession  angélique.  Les  personnes  qui  se  trouvaient  à  l'extérieur  étaient 
pour  ainsi  dire  éblouies  par  la  vive  clarté  qui  brillait  par  les  fenêtres  et 
enivrées  par  les  suaves  parfums  qui  s'exhalaient  de  l'église,  quoique  les 
portes  en  fussent  fermées.  Les  premiers  historiens  de  Notre-Dame  du  Laus 
sont  unanimes  pour  parler  des  suaves  et  célestes  parfums  du  Laus,  et  ils  en 
parlent  comme  d'un  fait  public  dont  une  infinité  de  personnes  peuvent 
rendre  témoignage.  Ces  parfums  étaient  quelquefois  si  intenses,  qu'ils  se 
répandaient  de  la  chapelle  dans  toute  la  vallée.  Le  vicaire  général  de  Gap 
s'exprime  ainsi  à  ce  sujet  :  «  Les  odeurs  de  Marie  sont  si  suaves,  si  déli- 
cieuses, et  donnent  une  si  grande  consolation  que  celui  qui  les  sent  croit 
déjà  jouir  par  avant-goût  du  ciel.  A  mesure  qu'elles  frappent  l'odorat,  elles 
élèvent  l'âme  et  toutes  ses  puissances,  et  remplissent  le  cœur  de  joie;  les 
parfums  des  fleurs  ne  sont  rien  en  comparaison  de  ceux-ci,  parce  qu'ils  sont 
des  écoulements  de  la  divinité  ». 

Sœur  Benoîte,  qui  respirait  ces  parfums  à  leur  source  et  dont  tous  les 
sens  étaient  épurés  par  la  sainteté,  en  était  toute  pénétrée.  Lorsqu'elle  reve- 
nait d'avec  sa  bonne  Mère,  son  visage,  comme  celui  de  Moïse  descendant  du 
Sinaï,  paraissait  tout  lumineux,  ses  vêtements  restaient  longtemps  et  pro- 
fondément imprégnés  de  la  céleste  odeur,  et  son  âme  était  tellement  enivrée 
de  consolations,  que  pendant  plusieurs  jours  elle  ne  pouvait  ni  boire,  ni 


224  1er  mai. 

manger,  ni  dormir.  Les  suaves  parfums  étaient  donc  pour  la  foule  qui  ne 
voyait  pas  la  sainte  Mère  de  Dieu,  une  preuve  sensible  de  sa  présence,  puis- 
qu'ils étaient  moins  une  grâce  particulière  qu'un  attribut  de  la  nature  cé- 
leste de  Marie. 

D'après  les  observations  de  Benoîte,  les  hiérarchies  angéliques  se  distin- 
gueraient par  des  parfums  que  Dieu  répand  en  abondance  sur  toute  l'étendue 
des  cieux  comme  un  élément  de  bonheur,  aussi  bien  que  par  la  clarté,  l'agi- 
lité et  les  autres  éléments  plus  ou  moins  connus  de  la  céleste  félicité.  Ainsi 
la  jeune  bergère  avait  remarqué  que,  si  tous  les  anges  exhalent  de  doux 
parfums,  tel  ange  embaumait  plus  fortement  ou  différemment  de  tel  autre, 
mais  toujours  d'une  manière  bien  inférieure  à  la  Reine  des  anges  et  des 
hommes.  Pour  les  parfums  qui  s'exhalaient  de  la  sacrée  et  adorable  per- 
sonne de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  qu'elle  eut  le  bonheur  de  contempler 
plusieurs  fois,  ils  surpassaient  d'une  manière  infinie  tout  ce  qu'elle  avait 
éprouvé  en  ce  genre.  Nous  ne  pouvons  nous  étonner  qu'il  en  soit  ainsi  des 
âmes  bienheureuses,  puisque  notre  Père  Saint-Dominique  et  sœur  Benoîte 
sa  digne  fille  ont  donné,  étant  encore  sur  la  terre,  des  marques  de  ce  privi- 
lège, ainsi  que  plusieurs  autres  Saints.  Tout  ce  qui  appartenait  à  la  sainte 
bergère  était  parfumé;  son  haleine,  tout  ce  qu'elle  touchait  et  l'air  qu'elle 
traversait.  Elle  n'avait  point  encore  parlé  que  le  souffle  de  ses  lèvres  préve- 
nait délicieusement  l'odorat  avant  d'aller  remuer  le  cœur,  et  ce  parfum 
était  d'autant  plus  suave  et  plus  pénétrant,  que  les  transports  de  son  amour 
actuel  pour  Dieu  étaient  plus  grands.  Lorsque  son  cœur  s'était  encore  ré- 
chauffé au  foyer  de  l'amour  par  une  fervente  communion,  une  extase,  une 
vision,  elle  enivrait  alors  de  ses  parfums  tous  ceux  qui  l'approchaient. 

Les  parfums  de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ,  de  la  sainte  Vierge,  des 
anges  et  de  notre  sœur  Benoîte,  composent  ce  que  la  tradition  a  nommé  les 
bonnes  odeurs  du  Laus  :  le  charme  si  pieux  de  ce  mot  dure  encore,  et  de 
loin  en  loin  des  âmes  privilégiées  perçoivent  les  célestes  parfums  du  Laus. 

Au  moment  où  Benoîte  jouissait  du  succès  de  son  œuvre,  il  s'éleva  contre 
elle  des  contradictions  inouïes,  surtout  dans  les  rangs  du  clergé  alors  infecté 
du  venin  janséniste.  La  haine  alla  jusqu'à  fabriquer  et  afficher,  aux  portes 
de  la  cathédrale  d'Embrun,  un  interdit  contre  cette  sainte  fille,  avec  me- 
nace d'excommunication  contre  tout  prêtre  qui  célébrerait  dans  la  chapelle 
du  Laus.  On  mit  en  jeu  la  jalousie  et  l'intérêt,  en  représentant  que  la  dévo- 
tion nouvelle  à  Notre-Dame  du  Laus  détruirait  l'antique  dévotion  à  Notre- 
Dame  d'Embrun,  qui  était  en  possession  de  recevoir  de  nombreux  pèlerins 
apportant  de  riches  offrandes.  L'ancien  grand  vicaire,  protecteur  du  Laus, 
était  mort;  celui  qui  le  remplaçait  ne  connaissait  point  l'état  des  choses. 
Mais,  dans  cet  abandon  général,  Benoîte  ne  désespéra  point.  «  La  dévotion 
du  Laus,  lui  dit  son  bon  ange,  le  18  mars  1700,  est  l'œuvre  de  Dieu,  que  ni 
l'homme  ni  le  démon  ne  sauraient  détruire,  et  qui  subsistera  jusqu'à  la  fin 
du  monde,  fleurissant  toujours  plus,  et  faisant  de  grands  fruits  partout  ». 
En  effet,  le  nouveau  grand  vicaire  mande  Benoîte  à  Embrun,  la  soumet  à 
un  sérieux  examen,  en  conclut  que  la  dévotion  à  la  chapelle  du  Laus  vient 
de  Dieu,  et  que  la  vertu  de  l'humble  bergère  est  non-seulement  incontes- 
table, mais  éminente.  Chose  remarquable,  pendant  quatorze  jours  que  Be- 
noîte resta  à  Embrun  pour  cette  affaire,  elle  ne  prit  aucune  nourriture;  et 
ni  sa  santé  ni  ses  forces  n'en  furent  altérées.  La  veille  de  son  départ,  passant 
la  journée  en  prières  à  la  métropole,  elle  reçut  pendant  la  grand'messe  une 
visite  de  la  sainte  Vierge,  laquelle  l'exhorta  à  la  patience  contre  les  persé- 
cutions qui  pourraient  lui  survenir  encore.  Le  lendemain,  au  moment  d'ar- 


NOTRE-DAME   DU  LAUS,    ET  LA   VÉNÉRABLE   BENOÎTE   RENCUREL.  225 

river  au  Laus,  elle  vit  en  vision  Jésus  crucifié,  tout  couvert  de  sang;  et  cette 
vue  lui  déchira  le  cœur,  au  point  qu'elle  en  perdit  la  parole  pendant  deux 
jours.  Marie  vint  la  consoler,  en  lui  recommandant  de  prier  pour  les  pé- 
cheurs, pour  qui  Jésus-Christ  a  tant  souffert.  Le  nouvel  archevêque  d'Em- 
brun, Mgr  de  Genlis,  fut  pour  elle  un  second  consolateur.  Ce  prélat,  venu 
au  Laus,  fut  tellement  ému  en  entrant  dans  l'église,  qu'il  s'écria  :  Vere  Do- 
minus  est  in  loco  isto ;  vraiment  Dieu  est  ici.  Il  interrogea  ensuite  Benoîte; 
et  ses  réponses,  qu'il  écrivit  de  sa  propre  main,  lui  inspirèrent  tant  de  vé- 
nération pour  sa  personne,  qu'il  déclara  n'avoir  jamais  rencontré  ni  vertu 
plus  solide  ni  fille  plus  simple. 

Néanmoins,  sans  cesser  d'admirer  Benoîte,  Mgr  de  Genlis  la  laissa 
persécuter.  A  la  pitoyable  rivalité  de  la  métropole,  le  Jansénisme,  fort 
puissant  alors,  vint  prêter  son  concours  et  livra  à  notre  héroïque  ber- 
gère une  guerre  longue,  perfide  et  ténébreuse.  On  attribue  aussi  aux 
Jansénistes  le  dessein  de  la  faire  passer  pour  sorcière  et  condamner  comme 
telle.  Il  fut  encore  question  d'enlever,  en  même  temps  que  Benoîte,  le  pieux 
ermite  de  Notre-Dame  de  l'Erable,  voisin  du  Laus,  pour  publier  ensuite 
qu'ils  s'étaient  sauvés  ensemble 

Cependant  les  populations,  toujours  entraînées  par  la  grande  voix  des 
miracles,  continuaient  à  affuer  au  Laus,  lorsqu'on  trouva  moyen  de  ralentir 
leur  zèle  en  remplaçant  les  saints  prêtres  qui,  dès  l'origine,  s'étaient  consa- 
crés au  nouveau  pèlerinage,  par  des  directeurs  Jansénistes  qui  firent  péné- 
trer avec  eux  le  désespoir  et  le  découragement  dans  le  sanctuaire  de  Marie. 
L'ennemi  était  donc  au  cœur  de  la  place;  le  refuge  des  pécheurs  était 
fermé,  Benoîte  elle-même  n'avait  plus  de  confesseur  !  Il  y  eut  alors  dans 
l'élan  des  populations  vers  le  Laus  un  temps  d'arrêt  forcé  que  ses  historiens 
ont  appelé  :  Eclipse  du  Laus....  Mais  bientôt  à  l'éclipsé  devait  succéder  un 
radieux  soleil. 

L'image  de  Marie,  qui  faisait  la  gloire  d'Embrun,  disparut  sans  qu'on 
pût  la  retrouver,  et  un  demi-siècle  plus  tard,  non-seulement  le  Laus,  mais 
Embrun,  était  donné  au  diocèse  de  Gap,  qui,  dès  l'origine,  s'était  montré 
dévoué  au  nouveau  sanctuaire  de  Marie. 

Benoîte,  de  son  côté,  reçut  des  consolations  proportionnées  à  ses  terribles 
épreuves.  Outre  les  fréquentes  apparitions  des  anges  et  de  quelques  Saints, 
notre  sœur  jouit  à  six  reprises  différentes  de  la  vision  du  chaste  Joseph,  l'époux 
de  Marie  et  le  père  nourricier  de  l'Enfant  Jésus,  qu'elle  eut  le  bonheur  de 
contempler  plusieurs  fois  sous  la  forme  d'un  gracieux  enfant,  dans  la  sainte 
Eucharistie,  avant  que,  devenue  plus  avancée  encore  dans  les  voies  de  la 
perfection,  elle  le  contemplât  dans  les  douleurs  de  sa  passion.  De  toutes  ces 
apparitions,  celle  qui  la  charmait  le  plus  était  la  douce  présence  de  sa  bonne 
Mère  qui  la  comblait  de  mille  faveurs.  Un  jour,  quelques  bons  ouvriers 
ayant  offert,  par  charité,  à  la  pauvre  mère  de  Benoîte  de  donner  à  sa  petite 
vigne  la  culture  dont  elle  avait  besoin,  elle  chargea  sa  fille  de  les  y  conduire 
et  de  leur  servir  leur  modeste  repas.  En  attendant,  Benoîte  entre  dans 
l'église  '  qui  était  tout  près  de  la  vigne.  A  peine  y  était-elle  entrée,  que  la 
divine  Vierge  lui  apparaît,  et  qu'elle  tombe  dans  une  extase  qui  dura  le  reste 
de  la  journée  et  toute  la  nuit  suivante,  de  sorte  que  les  ouvriers  durent  pour- 
voir eux-mêmes  à  leurs  besoins.  Leur  charité  ne  s'en  était  pas  formalisée, 
et  le  lendemain  matin  on  les  vit  continuer  leur  travail  dans  la  petite  vigne 
de  la  pauvre  veuve.  Benoîte  ne  savait  avec  quelle  excuse  elle  pourrait  abor- 
der ces  braves  gens,  lorsque  la  Reine  du  ciel,  avant  de  la  laisser  sortir  de  la 

1.  L'antique  église  de  Valserres  est  toujours  debout  au  milieu  des  vignes. 

Vies  des  Saints.  —  Tome  V.  15 


Ie*  MAI. 

chapelle  le  matin,  remplit  son  tablier  de  roses  fraîches  et  d'un  parfum 
exquis  pour  qu'elle  les  distribue  aux  ouvriers,  qui  les  reçurent  comme  un 
précieux  don  du  ciel,  car  on  n'était  qu'au  15  mars,  et  aucune  végétation  ne 
paraissait  encore  sous  l'âpre  climat  alpestre. 

Plus  tard,  dans  sa  cinquante-deuxième  année,  Marie  accorda,  le  jour  de 
l'Assomption  1698,  une  grâce  plus  signalée  encore  à  notre  pieuse  sœur,  en 
l'emmenant  après  elle  au  ciel,  où  bientôt,  sans  qu'avec  saint  Paul  elle  pût 
dire  si  c'était  avec  ou  sans  son  corps,  elle  nagea  dans  des  flots  de  lumière, 
d'harmonie  et  de  parfums,  en  traversant  les  diverses  phalanges  des  bienheu- 
reux :  «  Au  rang  le  plus  élevé  »,  lui  dit  sa  divine  conductrice,  «  sont  les 
martyrs  vêtus  de  rouge  ;  viennent  ensuite  les  vierges  vêtues  de  blanc,  et  les 
couleurs  variées  distinguent  au  rang  inférieur  les  autres  bienheureux  ». 
Parmi  ceux-ci,  Benoîte  reconnut  ses  deux  directeurs,  morts  depuis  plusieurs 
années,  et  sa  pieuse  mère  qui  la  regardait  avec  une  tendresse  ineffable.  Elle 
eût  voulu  leur  parler,  mais  Marie  l'entraîna  plus  loin,  et  elle  vit  encore 
beaucoup  de  choses  si  admirables  qu'elle  ne  pouvait  pas  les  rendre.  Au  mo- 
ment où  la  nuit  touchait  à  son  terme,  le  même  cortège  angélique,  qui  avait 
emmené  la  sainte  bergère,  la  rapportait  dans  sa  cellule,  tellement  enivrée 
de  consolations  qu'elle  passa  quinze  jours  sans  prendre  aucune  nourriture. 
Ce  ne  fut  que  par  obéissance  qu'elle  confia  à  son  directeur  cette  vision  si 
remarquable.  Un  soir  de  la  Toussaint,  notre  sœur  resta  fort  tard  au  pied  de 
la  croix  d'Avançon  à  prier  pour  les  âmes  du  purgatoire,  lorsque,  selon  son 
expression,  elle  aperçut  sortir  de  la  vallée  une  nuée  d'un  quart  de  lieue,  et 
composée  d'une  multitude  d'âmes  sous  formes  humaines,  ayant  à  leur  tête 
la  sainte  Vierge  et  deux  anges.  Une  âme,  se  détachant  de  l'immense 
cohorte,  vint  à  elle  et  lui  dit  :  «  Nous  sommes  des  âmes  qui  sortons  du  pur- 
gatoire. Pendant  notre  vie,  nous  sommes  venues  ici  prier  avec  confiance  la 
Mère  de  Dieu,  qui  nous  délivre  dans  ce  beau  jour;  ses  mérites,  ainsi  que 
vos  prières  et  vos  souffrances,  chère  sœur,  ont  abrégé  le  temps  de  notre 
expiation.  Avant  de  nous  introduire  dans  la  céleste  patrie,  la  divine  Vierge 
nous  conduit  rendre  grâces  à  Dieu  dans  son  sanctuaire  » .  Lorsque  cette 
multitude  eut  remercié,  dans  l'église  du  Laus,  Jésus  et  Marie  de  sa  déli- 
vrance, elle  monta  au  ciel,  où  Benoîte  la  suivit  du  regard  et  de  ses  désirs. 
La  familiarité  des  anges  et  de  notre  pieuse  sœur  était  comme  celle  qui 
existe  sur  la  terre  entre  des  frères  et  sœurs  bien  unis,  tant  sa  pureté  sans 
tache  la  rapprochait  des  esprits  angéliques.  Lorsque  le  démon  l'avait  dépo- 
sée sur  quelque  roche  inaccessible,  son  ange  venait  l'en  retirer,  il  lui  frayait 
le  passage  à  travers  les  rocs,  les  glaces  et  les  broussailles  chargées  de  neiges  ; 
il  la  ramenait  des  lieux  inconnus  où  elle  se  trouvait  perdue,  il  l'aidait  à 
franchir  le  torrent  impétueux  qui  lui  barrait  le  passage,  et,  dans  les  nuits 
obscures,  il  devenait  lumineux  pour  éclairer  son  chemin.  Plus  de  vingt  fois, 
lorsqu'elle  fut  laissée  par  le  démon  sur  le  toit  de  la  chapelle  de  Notre-Dame 
de  l'Erable 2,  un  ange  l'aidait  à  en  descendre,  lui  ouvrait  la  porte  delà  cha- 
pelle et  y  récitait  le  rosaire  avec  elle.  Sans  doute,  pour  la  soutenir  dans  ses 
cruelles  épreuves,  l'esprit  céleste  lui  énumérait  toutes  les  grâces  qu'elle 
avait  obtenues,  tous  les  maux  qu'elle  avait  détournés,  tous  les  pécheurs 
qu'elle  avait  convertis.  Lorsque  les  persécutions  que  le  démon  lui  faisait 
endurer  eurent  atteint  leur  apogée,  les  anges,  sous  la  forme  nouvelle  de  petits 
oiseaux  qui  chantaient,  priaient  et  parfumaient  l'air,  venaient  assister  à  son 
sacrifice,  non  pour  la  soulager,  mais  pour  la  vénérer.  Gomme  ils  étaient 

1.  Mgr  Depéry,  qui  ne  recalait  devant  aucun  sacrifies  pour  sauver  quelque  souvenir  de  Benoîte,  9 
acheté  la  chapelle  de  l'Erable,  l'a  agrandie  et  ornée. 


NOTRE-DAME  DU  LAUS,   ET  LA  VÉNÉRABLE   BENOÎTE  RENGUREL.  227 

lumineux,  elle  les  regardait  de  temps  à  autre  :  un  jour,  elle  les  voyait 
blancs  ;  le  lendemain,  rouges  ;  un  autre  jour,  les  deux  couleurs  s'alternaient 
dans  la  couronne  qu'ils  formaient  en  volant  au-dessus  de  sa  tête.  Rien  ne 
convenait  mieux,  en  effet,  autour  d'une  victime  si  pure  et  si  éprouvée,  que 
la  couleur  de  la  virginité  unie  à  celle  du  martyre  ;  et,  afin  qu'elle  n'oubliât 
pas  les  mystiques  rapports  qu'avaient  ses  douleurs  avec  la  passion  du  Christ, 
les  célestes  oiseaux  chantaient  le  plus  habituellement,  en  l'accompagnant  à 
son  retour  dans  sa  cellule,  les  litanies  de  la  Passion.  Cependant  une  fois, 
afin  qu'elle  éprouvât,  comme  son  Sauveur,  la  douleur  d'un  complet  isole- 
ment, elle  resta  deux  jours,  sans  aucun  secours,  sur  le  roc  où  l'aigle  niche, 
où  Satan  l'avait  rudement  laissée  tomber. 

Pendant  que  les  Jansénistes  étaient  les  maîtres  au  Laus,  un  ange  offrit  à 
Benoîte  de  lui  donner  son  Bien-Aimé  ;  le  tabernacle  s'ouvrit  de  lui-même, 
l'ange  prit  le  ciboire  et  bientôt  Jésus  entrait  dans  le  cœur  de  la  sainte  ber- 
gère, pendant  qu'un  autre  ange  assistait  à  la  pieuse  cérémonie.  Les  deux 
directeurs,  qui  l'avaient  quittée  pour  aller  recevoir  au  ciel  la  récompense 
de  leur  foi  et  de  leur  zèle,  venaient,  comme  les  anges,  la  visiter,  l'encoura- 
ger et  la  consoler.  Un  jour,  au  moment  où  la  vision  s'éloignait,  Benoîte  té- 
moigna de  son  désir  de  quitter  la  terre  pour  la  suivre  au  ciel  :  «  Pas  encore, 
répondit  l'âme  bienheureuse  de  son  directeur,  patience  ;  il  faut  encore 
souffrir  ». 

Cependant  les  hommes  hostiles  qui  desservaient  le  pèlerinage  furent 
éloignés,  et  l'autorité  diocésaine  leur  substitua  les  prêtres  de  Sainte-Garde, 
vrais  hommes  de  Dieu,  qui  firent  refleurir  la  solitude  du  Laus  *.  Benoîte, 
voyant  ainsi  toutes  choses  en  bon  état,  comprit  que  sa  mission  était  finie,  et 
qu'elle  n'avait  plus  qu'à  se  préparer  à  la  mort.  Un  ange  vint  le  lui  annon- 
cer; et  ce  fut  pour  elle  le  sujet  d'une  grande  joie.  Elle  mourut  en  odeur  de 
sainteté,  le  jour  des  saints  Innocents  1718,  âgée  de  soixante  et  onze  ans  et 
trois  mois;  et,  depuis  ce  moment,  sa  mémoire  est  de  plus  en  plus  vénérée; 
la  voix  publique  demande  sa  canonisation,  et  cédant  à  tant  de  vœux  autant 
qu'à  ses  convictions  personnelles,  Mgr  Bernadou,  évêque  de  Gap,  instruit 
en  ce  moment  le  procès,  recueille  les  informations  pour  les  transmettre  au 
Saint-Siège,  auquel  seul  il  appartient  de  prononcer. 

Sœur  Benoîte  fut  ensevelie  près  du  maître-autel  et  de  cette  balustrade  de 
la  communion,  dont  si  souvent  pendant  sa  vie  mortelle  elle  avait  éloigné  les 
âmes  indignes  d'y  participer.  Quoiqu'une  neige  épaisse  fût  tombée  les  jours 
précédents  et  eût  rendu  les  chemins  impraticables,  le  concours  du  peuple  qui 
assista  à  ses  funérailles  fut  si  considérable  que  l'acte  mortuaire  de  notre 
sœur  crut  devoir  en  faire  mention.  La  foule  en  larmes  se  pressait  autour  du 
cercueil  découvert  pour  voir  encore  une  fois  les  traits  de  celle  qu'elle  ap- 
pelait sa  mère  et  sa  bienfaitrice,  et  faire  toucher  à  son  corps  ou  à  ses  vête- 
ments des  croix,  des  chapelets,  des  médailles,  etc.;  enfin  une  grosse  pierre 
fut  scellée  sur  le  sépulcre  et  déroba,  aux  yeux  de  tous,  ce  corps  saint,  et  le 
don  des  miracles,  promis  par  la  sainte  Vierge,  continua  à  faire  connaître 
aux  générations  suivantes  la  puissance  auprès  de  Dieu  de  l'intercession  de 
sa  servante.  Cette  pierre  se  voit  toujours  dans  l'église  du  Laus,  à  fleur  de 
sol,  avec  son  inscription,  gravée  par  une  main  inhabile,  et  ainsi  conçue  : 
Tombeau  de  la  sœur  Benoîte,  morte  en  odeur  de  sainteté,  le  28  décembre  1718. 
Un  tableau  de  1688,  qui  se  voit  encore  dans  l'église  du  Laus,  nous  donne 
une  idée  des  traits  de  notre  sainte  bergère.  Elle  était  grande  et  belle,  tous 

1.  La  Congrégation  des  prêtres  de  Sainte-Garde  fnt  fondée,  en  1699,  par  M.  Berthet.  prêtre  d'Avignon, 
pour  l'œuvre  des  missions  et  in  retraites  et  pour  l'éducation  de  la  jeunesse  ecclésiastique. 


228  1er  mai. 

ses  membres  étaient  dans  une  parfaite  harmonie  avec  sa  taille.  Les  lignes 
de  son  visage  sont  si  pures  et  si  suaves,  qu'en  les  considérant  on  est  plutôt 
frappé  de  l'aspect  d'une  âme  que  de  celui  d'un  corps.  Sa  petite  bouche 
semble  créée  exclusivement  pour  prier.  Ses  cheveux  sont  noirs  ainsi  que  ses 
yeux,  qui  ont  quelque  chose  de  voilé;  sa  figure  pâle  est  brunie  et  dorée  par 
le  soleil,  quoique  la  peau  en  soit  restée  fine  et  un  peu  brillante;  un  mélange 
de  foi,  de  douce  gravité  et  de  résignation  donne  à  tout  son  être  une  expres- 
sion de  religieuse  mélancolie.  Elle  est  vêtue  d'une  serge  grossière,  filée  et 
tissée  au  village,  et  quia  pris  la  forme  du  costume  habituel  des  montagnes. 
Depuis  la  mort  de  sœur  Benoîte,  les  étrangers  comme  les  habitants  du 
pays  vénéraient  la  pauvre  chaumière  où  elle  était  née  à  Saint-Etienne,  comme 
un  lieu  sacré  ;  Mgr  Depéry  l'avait  acquise  et  l'avait  restaurée  lorsque,  le  28 
janvier  1850,  un  violent  incendie  dévora  presque  tout  le  village  de  Saint- 
Etienne.  Les  flammes,  qui  auraient  dû  dévorer  des  premières  et  en  entier 
la  pauvre  chaumière,  s'arrêtèrent  comme  repoussées  par  une  main  puis- 
sante et  invisible,  lorsqu'elles  furent  entrées  à  l'endroit  où  était  l'alcôve, 
berceau  de  Benoîte.  Les  débris  que  le  feu  avait  respectés  furent  recueillis 
comme  des  reliques,  et  entrèrent  dans  la  nouvelle  construction.  Sur  une 
plaque  de  marbre  noir,  placée  au  front  de  la  maison,  on  lit  l'inscription 
suivante  : 

ICI  EST  NÉE 

LE  29   SEPTEMBRE   1647, 

BENOÎTE  RENCUREL, 

FONDATRICE   DU  LAOS. 

CETTE  MAISON  A  ÉTÉ  ACHETÉE  ET  RESTAURÉS 

EN    1850 

PAR  M«r  JEAN-IRÉNÉE  DEPÉRY, 

ÉVÈQUE  DE  GAP. 

L'endroit  où  naquit  notre  sœur,  et  où  la  très-sainte  Vierge  daigna  si 
souvent  converser  avec  elle,  a  été  converti  en  une  gracieuse  chapelle,  pla- 
cée sous  le  vocable  de  Notre-Dame  de  l'Enfance.  Dans  cette  maison  de 
sœur  Benoîte,  Mgr  Depéry  a  fondé  une  école  pour  les  petites  filles  de  Saint- 
Etienne;  la  religieuse,  chargée  de  la  diriger,  devra  toujours  ajouter  à  son 
nom  celui  de  Benoîte;  elle  aura  aussi  toujours  un  petit  jardin,  une  chèvre 
et  des  brebis,  pour  ressembler  à  la  sainte  bergère  du  Laus. 

Les  prêtres  de  Sainte-Garde  continuèrent  avec  grandes  bénédictions  leur 
ministère  à  Notre-Dame  du  Laus  jusqu'en  1791.  Alors  ils  furent  brutalement 
chassés  :  leur  maison,  leur  mobilier,  l'église,  et  ce  qu'elle  contenait,  les 
tableaux,  les  ex-voto,  les  riches  ornements  de  la  statue,  tout  fut  vendu  à 
vil  prix  ou  livré  aux  flammes;  ce  qui  n'empêcha  pas  les  habitants  de  Réa- 
lon,  paroisse  à  quelque  distance  d'Embrun,  de  venir  processionnellement 
au  Laus  prier  pour  la  cessation  de  la  sécheresse  qui  désolait  le  pays.  Sous 
le  règne  même  de  la  Terreur,  les  pèlerins  venaient  prier  à  genoux  devant 
la  porte  de  la  chapelle  fermée.  Au  retour  de  l'ordre,  Mgr  Miollis,  qui,  comme 
évèque  de  Digne,  avait  le  Laus  sous  sa  juridiction,  en  vertu  du  concordat, 
racheta  la  sainte  chapelle  avec  le  presbytère,  obtint,  quelques  années  après, 
le  couvent  avec  les  biens  qui  en  dépendaient,  et  y  établit  les  Oblats  de 
Marie,  fondés  à  Marseille  par  Mgr  de  Mazenod.  Ceux-ci  y  demeurèrent  jus- 
qu'en 1841,  où  ils  cédèrent  la  place  à  la  société  des  missionnaires  du  dio- 
cèse de  Gap,  qui  y  exercent  encore  et  y  exerceront  longtemps  leur  saint 
ministère. 


iAINT  JÉRÉMIE,  PROPHÈTE.  229 

Le  pèlerinage,  ainsi  pourvu  de  bons  ouvriers,  reçut  de  Pie  IX,  quelques 
années  après,  le  plus  grand  honneur  que  puisse  accorder  le  Saint-Siège.  Le 
souverain  Pontife  envoya,  par  deux  protonotaires  apostoliques,  deux  magni- 
fiques couronnes,  l'une  destinée  à  la  Vierge,  l'autre  à  l'Enfant  Jésus;  et  le 
23  mai  1855,  eut  lieu,  pour  la  cérémonie  du  couronnement,  une  des  plus 
magnifiques  fêtes  qui  se  puissent  voir  sur  la  terre.  Le  Cardinal  de  Bordeaux 
la  présidait,  entouré  des  archevêques  d'Aix,  d'Avignon,  de  Turin,  des 
évêques  de  Digne,  de  Grenoble,  de  Gap,  de  six  cents  prêtres  et  de  quarante 
mille  fidèles.  C'était  plus  qu'il  n'en  fallait  pour  réveiller  la  dévotion  au 
pèlerinage  et  rehausser  sa  célébrité.  Aussi,  depuis  cette  époque,  la  foule  y 
est  prodigieuse;  on  y  compte,  chaque  année,  jusqu'à  quatre-vingt  mille 
pèlerins.  Les  uns  choisissent,  pour  ce  pieux  voyage,  le  jour  de  la  Nativité, 
qui  en  est  la  fête  patronale;  les  autres,  la  Fête-Dieu,  la  Saint-Jean,  la 
Saint-Pierre  ou  le  Rosaire;  d'autres  le  23  mai,  anniversaire  du  couronne- 
ment; mais  le  plus  grand  nombre  viennent  aux  fêtes  de  la  Pentecôte. 

Année  dominicaine  et  Notre-Dame  de  France. 


SAINT  JÉRÉMIE,  PROPHÈTE  (590  av.  J.-C). 

Jérémie,  le  second  des  quatre  grands  prophètes,  sortait  d'une  famille  sacerdotale ,  et  naquit  à 
Anatlroth,  petit  bourg  près  de  Jérusalem,  vers  l'an  645  avant  Jésus-Christ.  Il  fut  sanctifié  dans  le 
sein  de  sa  mère,  et  destiné  dès  lors  à  la  mission  qu'il  devait  bientôt  remplir  ;  car  il  commença  à 
prophétiser,  étant  à  peine  sorti  de  l'enfance,  vers  l'an  629  avant  Jésus-Christ,  sous  le  règne  de 
Josias,  roi  de  Juda,  et  il  continua  sous  ses  ssficessîBn,  Les  malheurs  qu'il  prédisait  aux  Juifs  de 
la  part  de  Dieu,  tels  que  la  prise  de  Jérusalem,  la  captivité  de  ses  habitants,  la  peste  et  les  autres 
fléaux,  indisposèrent  contre  lui  les  principaux  de  la  nation  ;  mais  ce  qui  mit  le  comble  à  leur 
colère,  c'est  la  sainte  liberté  avec  laquelle  il  les  reprenait  de  leurs  désordres.  Lorsque  Jérusalem 
fut  prise,  l'an  606  avant  Jésus-Christ,  par  Nabazardin,  général  des  Babyloniens,  le  vainqueur  lui 
laissa  la  liberté  de  rester  en  Judée.  Jérémie  en  profita  pour  consoler  et  encourager  ceux  de  ses 
compatriotes  qui  avaient  échappé  à  la  mort  et  à  la  captivité.  Mais,  comme  il  continuait  à  leur 
prédire  des  calamités,  en  punition  de  leurs  crimes,  ils  le  jetèrent  dans  une  fosse  remplie  de  boue, 
et  il  y  aurait  péri  sans  un  ministre  du  roi  Sédécias,  qui  l'en  fit  retirer  à  temps.  Lorsque  les  Baby- 
loniens vinrent  de  nouveau  assiéger  Jérusalem,  l'an  598  avant  Jésus-Christ,  le  saint  Prophète  était 
plongé  dans  un  cachot,  et  la  prise  de  la  ville  le  rendit  à  la  liberté.  Ce  fut  contre  son  gré,  et  en 
foulant  aux  pieds  ses  menaces  prophétiques,  que  les  Juifs,  pour  se  soustraire  à  la  tyrannie  de 
Nabuchodunosor,  émigrèrent  en  Egypte,  et  il  fut  contraint  de  les  y  accompagner  avec  Baruch,  son 
disciple  et  son  secrétaire.  Comme  il  ne  cessait  de  leur  annoncer  de  la  part  de  Dieu  les  maux  qui 
allaient  fondre  sur  eux,  ils  résolurent  de  se  débarrasser  d'un  homme  qui  ne  leur  faisait  que  de 
sinistres  prédictions,  et  ils  le  lapidèrent  à  Taphné  ou  Tanès,  l'an  590  avant  Jésus-Christ.  «  Les 
chrétiens  »,  dit  saint  Epiphane,  «  avaient  coutume  d'aller  prier  sur  son  tombeau,  et  la  poussière 
qu'ils  en  détachaient  leur  servait  d'autidote  contre  la  morsure  des  aspics  ».  Il  est  honoré  par  les 
Grecs  et  par  les  Latins;  chez  ces  derniers,  sa  fête  n'est  célébrée  nulle  part  avec  plus  de  pompe 
qu'à  Venise,  qui  se  glorifie  de  posséder  une  portion  de  ses  ossements.  Ses  Prophéties,  en  cin- 
quante-deux chapitres,  sont  suivies  de  ses  Lamentations.  «  Jérémie  »,  dit  saint  Jérôme,  «  a  une 
diction  moius  relevée  qu'Isaïe  et  d'autres  prophètes,  mais  sa  simplicité  est  quelquefois  sublime. 
Dans  son  langage  typique,  on  rencontre  des  expressions  pleines  d'énergie.  Rien  de  plus  touchant 
et  qui  exhale  une  douleur  plus  profonde  et  mieux  sentie  que  ses  Lamentations  ». 

Dans  les  arts,  on  caractérise  Jérémie  par  un  texte  quelconque  de  ses  prophéties,  tracé  sur  sa 
Cartouche,  et  par  des  pierres  —  instrument  de  sa  mort  —  qu'il  tient  dans  les  plis  de  sa  robe.  Voir 
les  œuvres  de  Michel-Ange,  de  Martin  de  Vos,  de  Jean  Leclerc,  etc. 


230  1er  mai. 


Ste  GERMAINE  ET  Ste  HONORÉE,  DE  BAR-SUR-AUBE  (451). 

La  montagne  qui  domine  Ta  gracieuse  ville  de  Bar-sur-Aube  n'a  pas  toujours  été  déserte  el 
solitaire  comme  nous  la  voyons  aujourd'hui.  Au  v»  siècle,  une  bourgade  du  nom  de  Florentia 
couvrait  son  sommet  escarpé.  C'est  là  que  vivait  une  jeune  fille  appelée  Germaine,  d'une  exquise 
beauté,  mais  d'une  foi  et  d'une  vertu  plus  grandes  encore.  Seule  avec  son  vieux  père,  déjà  veut 
depuis  longtemps,  la  jeune  enfant  n'avait  jamais  connu  les  tendresses  maternelles,  mais  elle  en 
cherchait  le  dédommagement  dans  les  chastes  embrassements  du  Sauveur. 

Le  détail  de  la  plupart  de  ses  actions  n'est  pas  venu  jusqu'à  nous.  On  sait  toutefois  que,  lorsque 
ses  occupations  habituelles  lui  en  laissaient  le  loisir,  elle  allait  visiter,  dans  les  environs  de  la 
ville,  une  de  ses  parentes,  vierge  comme  elle,  et  son  émule  dans  la  pratique  des  préceptes  et  de» 
conseils  de  l'Evangile.  C'était  sainte  Honorée,  dont  les  reliques  ont  été  conservées  jusqu'à  la  Révo- 
lution dans  l'église  de  l'hôpital  Saint-Nicolas. 

«  Chaque  matin  aussi  »,  disent  ses  Actes,  a  Germaine  se  plaisait  à  aller  puiser  à  la  fontaine,  qui, 
depuis,  a  reçu  son  nom,  une  onde  pure  pour  l'usage  des  autels  ;  et  quand,  plus  tard,  la  piété 
publique  érigea  sur  la  montagne  une  basilique  à  saint  Etienne,  premier  martyr,  Germaine  y  con- 
tribua selon  ses  faibles  forces,  en  fournissant  aux  travailleurs,  autant  qu'elle  le  pouvait,  l'eau  qui 
leur  était  nécessaire  ». 

Malgré  son  zèle  et  sa  vertu,  la  jeune  vierge  ne  fut  point  à  l'abri  de  la  malveillance.  Quelques- 
uns  de  ces  hommes,  pour  qui  la  simplicité  du  juste  est  un  objet  de  dérision  1,  jetant  un  regard 
de  mépris  sur  les  humbles  fonctions  auxquelles  elle  se  dévouait,  ne  virent  en  elle  qu'une  personne 
vile  dont  ils  pouvaient  se  jouer  impunément.  Hardis  contre  la  douceur  et  la  piété,  parce  qu'elles 
sont  sans  défense,  ils  se  firent  un  passe-temps  de  briser  dans  ses  mains  le  vase  fragile  qu'elle 
portait,  et,  lui  jetant  un  vieux  crible,  l'engagèrent,  avec  un  rire  moqueur,  à  continuer  son  noble 
service.  Germaine,  sans  proférer  une  parole,  mais  pleine  de  foi  dans  la  toute-puissance  de  son  Dieu, 
relève  le  crible,  va,  sans  hésiter,  le  remplir  à  la  fontaine,  et  l'apporte  aux  travailleurs,  sans  qu'une 
seule  goutte  d'eau  s'en  soit  échappée.  C'est,  en  souvenir  de  ce  miracle,  comme  aussi  du  soin 
constant  avec  lequel  Germaine  pourvoyait  aux  besoins  des  autels,  qu'on  ne  la  représente  jamais 
sans  placer  en  ses  mains  ou  sans  déposer  à  ses  pieds  les  deux  vases,  emblème  de  la  fonction  qu'elle 
s'était  imposée. 

Ce  n'est  pas  tout  :  on  prétend,  aujourd'hui  encore,  reconnaître  le  chemin  que  Germaine  suivait 
le  long  de  la  colline  pour  venir  à  la  fontaine  qui  coule  au  pied  :  les  habitants  de  Bar-sur-Aube  ne 
manquent  jamais  de  le  montrer  aux  voyageurs  ou  de  le  signaler,  lorsque  la  conversation  tombe 
sur  sainte  Germaine.  L'herbe,  dit-on,  y  croit  plus  verte  et  plus  vivace  ;  le  blé,  plus  vigoureux. 

Mais  la  voix  de  l'Epoux,  l'appelant  au  banquet  éternel,  ne  devait  pas  tarder  à  se  faire  entendre. 
Attila  avait  passé  le  Rhin.  Bientôt  ses  farouches  soldats  sont  sous  les  murs  de  Bar.  Germaine, 
sans  déliance,  était  descendue  de  la  montagne,  selon  sa  coutume,  pour  aller  puiser  à  la  fontaine. 
Elle  est  aperçue  par  les  soldats  ;  ils  courent  à  elle,  l'arrêtent  et  l'amènent  à  leur  général.  Le 
barbare  la  voit  :  elle  attire  son  attention  et  captive  ses  regards.  Il  prétend  en  faire  sa  compagne, 
mais  Germaine  résiste.  Promesses,  menaces,  tout  est  employé  pour  la  séduire  ou  la  vaincre  :  tout 
est  inutile. 

La  vierge  lui  apprend  qu'elle  est  chrétienne  :  c'en  est  assez.  Furieux  contre  le  Dieu  dont  il  sent 
malgré  lui  la  force  irrésistible,  le  tyran  livre  Germaine  au  bourreau,  et  ordonne  de  lui  trancher  la 
tête.  Les  dignes  satellites  de  ce  maître  farouche  entraînent  la  jeune  héroïne  ;  mais  elle  loue  et 
bénit  le  Seigneur,  qui,  non-seulement  lui  conserve  la  fleur  de  son  innocence,  mais  daigne  encore 
la  faire  triompher  d'un  tyran  barbare.  Enfin,  le  glaive  est  tiré  ;  la  tête  de  Germaine  tombe,  et  son 
âme  prend  son  essor  vers  les  cieux. 

A  la  nouvelle  de  cette  glorieuse  mort,  les  fidèles  de  la  montagne,  tout  en  larmes,  coururent 
vers  le  corps  précieux  de  leur  chère  concitoyenne  ;  ils  le  recueillirent  avec  amour  et  l'ensevelirent 
religieusement  dans  la  basilique  de  Saint-Etienne,  aux  lieux  mêmes  sanctifiés  par  les  vertus,  le 
zèle  et  les  prières  de  l'humble  vierge. 

Dans  les  mauvais  jours  de  1793,  le  corps  de  sainte  Germaine  ne  fut  pas  plus  épargné  que  celui 
d'un  grand  nombre  d'autres  serviteurs  de  Dieu.  Quelques  ossements  échappèrent  à  la  fureur  des 

1.  Deridetur  justi  simplicité».  (S.  Grégoire,  pape.) 


SAINTE   GERTRUDE   DE   VAUX-EN-DIEULET.  231 

patriotes,  et  sont  aujourd'hui  vénérés  dans  les  deux  églises  de  Bar-sur-Anbe  et  dans  l'humble 
oratoire  élevé  en  1076,  détruit  depuis,  rebâti  plus  tard  au  sommet  de  la  montagne,  sur  les  ruines 
de  l'ancienne  basilique. 

A  quelque  distance  de  la  chapelle  est  le  lieu  où  Germaine  reçut  la  couronne  du  martyre.  Une 
croix  de  fer  y  fut  posée  en  1840,  et  sur  sa  base  en  pierre  une  inscription  commémorative. 

Souvent  dans  l'année,  mais  surtout  au  jour  anniversaire  de  son  triomphe  (19  janvier)  et 
durant  le  mois  que  la  foi  de  nos  pères  lui  a  consacré  (mois  de  mai),  on  voit  les  pèlerins  gravir  la 
montagne  qui  porte  le  nom  de  la  vierge-martyre  ou  visiter  les  autels  dédiés  sous  son  vocable  dans 
les  deux  églises  de  Bar-sur-Aube,  et  qui  couservent  quelques-unes  de  ses  précieuses  reliques. 

La  pieuse  vierge  Honorée  n'est  pas  oubliée  des  fidèles  de  Bar-sur-Aube.  Après  avoir  vénéré  les 
reliques  de  sainte  Germaine  dans  la  chapelle  de  la  montagne,  ils  vont  s'agenouiller  devant  celles 
de  sa  glorieuse  parente,  et  hii  adressent  leurs  prières  avec  la  plus  grande  confiance.  Autrefois,  le 
corps  de  cette  Sainte  reposait,  en  grande  partie,  dans  l'église  du  prieuré  Saint-Nicolas  (aujourd'hui 
l'hôpital),  et  sa  fête  se  célébrait  le  lundi  de  la  Pentecôte.  Le  souvenir  s'en  est  perpétué  jusqu'à 
ces  derniers  temps  dans  l'église  de  l'hôpital.  Il  y  a  vingt  ans  environ,  on  y  célébrait,  en  ce  même 
jour,  en  l'honneur  de  sainte  Honorée,  une  grand'messe,  des  vêpres  solennelles,  suivies  du  Salut 
du  très-saint  Sacrement.  Enfin,  naguère  encore,  il  existait,  à  Bar-sur-Aube,  une  confrérie  sous 
son  vocable. 

Vie  de  sainte  Germaine,  par  il.  l'abbé  Blainpignon  et  M.  Defer. 


SAINTE  GERTRUDE  DE  VAUX-EN-DIEULET  (fin  du  ve  siècle). 

La  paroisse  de  Vaux-en-Dieulet,  vulgairement  Dieulet  *,  est  ainsi  nommée,  parce  qu'elle  est 
située  dans  la  principale  vallée  d'une  petite  contrée,  appelée  anciennement  le  Dieulet,  entre 
Beaumont,  au  nord,  et  Buzancy,  au  midi;  à  trois  moyennes  lieues,  ou  quinze  kilomètres  de 
Mouzon,  ci-devant  province  de  Champagne,  et  diocèse  de  Reims,  maintenant  département  des  Ardennes. 

La  Sainte,  révérée  à  Vaux-Dieulet,  était  originaire  du  diocèse  de  Châlons-sur-Marne,  et  y  vivait 
dans  le  mêue  temps  que  sainte  Houe,  sainte  Ménehould,  sainte  Manne,  sainte  Ame,  sainte  Susanne^etc. 

On  rapporte  le  martyre  de  sainte  Gertrude  au  temps  que  les  Francs,  encore  païens,  établissaient 
leur  monarchie  dans  les  Gaules,  avant  la  conversion  du  roi  Clovis  au  christianisme,  c'est-à-dire, 
avant  l'an  480.  Quoique  née  d'un  père  attaché  opiniâtrement  aux  erreurs  du  paganisme,  elle  eut  le 
bonheur  de  croire  en  Jésus-Christ  et  de  renaître  spirituellement  dans  les  eaux  du  baptême. 

Arrivée  à  l'âge  de  choisir  un  état,  elle  préféra  celui  de  la  virginité.  Elle  suivit  l'avis  de  saint 
Paul,  en  refusant  de  s'allier  par  le  mariage  à  un  époux  qui,  n'étant  pas  chrétien,  l'eût  gênée  dans 
les  exercices  de  sa  religion,  ou  ne  lui  eût  pas  permis  d'élever  ses  enfants  chrétiennement.  Sa 
fermeté  dans  cette  sainte  résolution,  lui  attira  des  mauvais  traitements  de  la  part  de  son  père 
barbare  ;  ses  propres  frères  furent  ses  persécuteurs. 

Gertrude,  pour  se  soustraire  aux  traitements  inhumains  et  au  danger  de  perdre  la  foi,  s'éloigna 
de  sa  famille  :  Dieu  la  conduisit  dans  le  Dieulet,  à  dix-huit  lieues  de  Chàlonsv  dans  le  diocèse  de  Reims. 

Elle  se  retira  d'abord  dans  une  vallée,  dite  de  la  Vuamelle,  où  l'abbaye  de  Belval  fut 
fondée  vers  l'an  1130  par  les  disciples  de  saint  Norbert.  Elle  passa  ensuite  à  l'autre  extrémité 
du  Dieulet,  vers  le  couchant,  dans  un  autre  vallon  (que  les  anciens  titres  nomment  le  Bos  ou  le 
bois  de  Noé),  appelé  aujourd'hui  le  bout  de  Noé;où  coule  une  source  d'eau,  qui  a  toujours  été 
appelée  la  sainte  fontaine,  ou  la  fontaine  de  sainte  Gertrude.  On  prétend  que,  en  arrivant  dans 
ce  vallon  de  l'Argonne  qui  est  maintenant  cultivé  et  qui  termine  le  territoire  de  Vaux  vers  celui 
de  Saint-Pierremont,  la  Sainte  se  trouvait  fort  altérée  et  qu'il  n'y  avait  point  d'eau  pour  étancher 
sa  soif.  A  sa  prière,  une  source  abondante  jaillit,  qui,  aujourd'hui  encore,  perpétue  le  nom  et  les 
bienfaits  de  sainte  Gertrude. 

Ses  deux  frères,  qui  l'avaient  suivie  dans  la  fuite,  ayant  découvert  le  lieu  de  sa  retraite,  la 
poursuivirent,  comme  elle  fuyait  encore  devant  eux,  jusque  sur  le  sommet  de  la  côte,  entre  le 
village  de  Vaux-Dieulet  et  celui  de  Sommauthe,  et  là  ils  la  percèrent  des  flèches  dont  ils  étaient 
armés.  Elle  couronna  ainsi  sa  pure  vie  par  une  sainte  et  glorieuse  mort. 

Son  corps  fut  inhumé  au  même  lieu  sur  la  montagne  ;  les  fidèles  accoururent  à  son  tombeau,  il 

1.  Purochia  vallium  in  dio  Ixto,  vallée  sous  ua  ciel  riant. 


232  1er  mai. 

8'y  opéra  des  guérisons  ;  ses  ossements  furent,  dans  la  suite,  recueillis  et  transportés  avec  solen- 
nité dans  l'Eglise  paroissiale  qui  fut  dédiée  sous  son  invocation;  et  le  nom  de  sainte Gertrude  fut 
inséré  depuis  dans  les  litanies  qui  se  chantent  à  la  bénédiction  des  fonts  baptismaux,  dans  tout  le 
diocèse  de  Reims. 

La  translation  des  reliques  de  sainte  Gertrude  a  été  faite  le  jour  de  l'Ascension  de  Notre-Sei- 
gneur  Jésus-Christ  ;  et  la  fête  de  cette  Sainte  a  été  fixée  dès  lors  au  vendredi  suivant.  On  en 
rapporte  l'époque  au  temps  de  Charles  Martel.  On  se  fonde  sur  un  extrait  du  manuscrit  de  l'abbaye 
de  Belval,  dont  l'historien  de  Reims  fait  mention  :  et,  en  effet,  la  vieille  église,  bâtie  alors,  dont 
l'emplacement  se  voit  hors  du  village,  et  qui  a  subsisté  jusqu'en  1774,  était  dans  la  forme  et  le 
goût  de  celles  du  pays  bâties  dans  le  siècle  de  Charlemagne. 

Le  grand  concours  des  fidèles,  qui  s'est  renouvelé  chaque  année,  a  donné  lieu  à  une  foire,  qui 
continue  de  se  tenir,  à  Vaux-Mieulet,  le  jour  même  de  l'Ascension. 

Le  curé  et  les  paroissiens  de  Vaux  ont  déployé  le  zèle  le  plus  louable  pour  soustraire  les  reli- 
ques de  sainte  Gertrude  à  la  dévastation  de  leur  église,  en  1794.  Ils  ont  eu  soin  de  les  tirer  delà 
châsse,  et  les  ont  tenu  cachées  pendant  cinq  ans  et  demi  dans  l'intérieur  du  mur  de  l'église,  et 
ne  les  en  ont  retirées  qu'en  1799,  pour  les  exposer  de  nouveau  à  la  vénération  des  fidèles. 

Le  chef  de  sainte  Gertrude  est  enfermé  dans  un  globe  de  cuivre,  séparément  du  reste  des 
reliques.  Les  autres  ossements  sont  contenus  dans  un  coffre  de  fer,  très-ancien  et  tout  rouillé, 
lequel  est  fermé  de  deux  serrures,  dont  les  clefs  ont  été  portées  sans  doute  à  Reims  ;  ce  coffre 
est  renfermé  dans  une  châsse  très-ancienne,  en  bois  de  chêne,  ornée  de  sculptures  et  de  peinture, 
qui  rappellent  les  principales  circonstances  du  martyre  de  sainte  Gertrude. 

Dans  le  premier  tableau,  Gertrude  touche,  de  son  bâton,  la  source  de  la  sainte  fontaine.  Dans 
le  deuxième,  ses  deux  frères  ont  leurs  arcs  tendus,  pour  la  percer  de  leurs  flèches.  Dans  le  troi- 
sième, les  deux  assassins  comparaissent  devant  un  juge  assis  sur  son  tribunal.  Dans  le  quatrième, 
sainte  Gertrude  a  la  couronne  du  martyre  sur  la  tète,  et  la  palme  en  main  ;  et  à  côté  d'elle  sont 
des  pèlerins  à  genoux,  et  le  curé  de  la  paroisse,  en  costume  très-ancien  de  Chanoine  régulier 
prémontré.  Ces  peintures  ont  été  renouvelées,  en  1671,  et  en  1783,  en  y  faisant  repasser  le 
pinceau  du  peintre,  sans  rien  changer  aux  figures. 

Les  pèlerins,  qui  vont  vénérer  sainte  Gertrude  a  Vaux-en-Dieulet,  ont  coutume  de  faire  trois 
stations  dans  l'église,  l'une  devant  le  grand  autel,  l'autre  à  la  chapelle  de  la  sainte  Vierge,  la 
troisième  à  la  chapelle  de  Sainte-Gertrude.  Quelques-uns  vont  faire  une  quatrième  station  à  la 
Sainte-Fontaine,  et  une  cinquième  à  la  tombe  de  sainte  Gertrude,  sur  la  montagne. 

Ceux  des  pèlerins,  qui  ne  vont  point  à  la  sainte  fontaine  et  à  la  tombe,  font  leur  procession 
dans  l'église,  ou,  à  l'entour,  dans  le  cimetière. 

La  tradition  du  pays,  sur  la  vie  et  le  martyre  de  notre  sainte  Gertrude,  est  appuyée  sur  des 
monuments  certains,  propres  à  en  perpétuer  la  mémoire  jusqu'à  la  fin  des  siècles.  Le  vallon  qui  a 
donné  retraite  à  cette  sainte  fille,  la  fontaine  qui  porte  son  nom,  son  tombeau  sur  la  montagne, 
la  possession  de  ses  reliques,  la  vieille  église  dédiée  (ainsi  que  la  nouvelle)  sous  son  invocation, 
sa  fête  solennisée  à  jour  fixe,  son  nom  invoqué  dans  les  litanies  du  diocèse,  les  très-anciennes 
peintures  sur  la  châsse  de  ses  reliques,  le  manuscrit  de  l'abbaye  de  Belval,  cité  dans  l'histoire  de 
l'église  de  Reims,  le  procès-verbal  de  l'insertion  d'une  parcelle  de  ses  reliques  dans  l'autel 
de  Sommauthe  (1649)  ;  enfin  le  concours  annuel  et  toujours  nombreux  des  fidèles  du  pays, 
au  jour  de  sa  fête,  sont  les  preuves  justificatives  de  son  histoire  et  de  son  culte. 

Notice  sur  sainte  Gertrude,  vierge  et  martyre,  patronne  de  la  paroisse  de  Vaux-en-Dieulet,  au  dépar- 
tement des  Ardennes,  diocèse  de  lîeims,  à  nous  communiquée  par  M.  l'abbé  Titeux,  curé  de  Vaux-en- 
Dieulet.  —  Cf.  Dom  Calmet,  Hist.  de  Lorraine,  liv.  v,  et  Dom  Marlot,  Hist.  du  diocèse  de  Reims. 


SAINT  THÉODULPHE  OU  THIOU, 

TROISIÈME  ABBÉ  DU  MONT-D'HOR  OU  DE   SAINT-THIERRY,   PRÈS  DE   REIMS   (590). 

Saint  Théodulphe,  vulgairement  appelé  saint  Thiou,  était  d'une  illustre  famille  de  la  seconde 
Aquitaine.  Il  quitta  le  monde  à  la  fleur  de  son  âge,  et  se  retira  au  Mont-d'Hor,  afin  d'y  vivre  parmi 
les  disciples  du  saint  abbé  Thierry.  On  l'y  occupa  vingt-deux  ans  aux  plus  pénibles  travaux  de  la 
campagne.  Après  la  mort  du  successeur  de  saint  Thierry,  l'archevêque  de  Reims  l'établit  abbé,  à 
la  prière  des  moines,  et  l'éleva  aussi  au  sacerdoce. 


SAINT  ACHE  ET  SAINT  ACHEUL.  233 

Le  Saint  marcha  sur  les  traces  de  son  bienheureux  père.  Il  pratiqua  de  grandes  austérités,  con- 
duisit ses  religieux  avec  une  fermeté  mêlée  de  douceur,  supporta  patiemment  les  travers  qu'il  eut 
à  essuyer,  et  bâtit  l'église  de  Saint-Hilaire  dans  l'enceinte  de  son  abbaye,  afin  de  doubler  son  of- 
fice et  ses  travaux.  Il  mourut  dans  un  âge  fort  avancé,  vers  l'an  590,  et  fut  enterré  en  son  mo- 
aastère.  Ses  reliques  se  gardaient  précieusement  dans  l'abbaye  de  Saint-Thierry.  Lors  de  la  sup- 
pression de  cette  abbaye,  en  1776,  elles  furent  transférées  à  l'abbaye  de  Saint-Remi  à  Reims,  à 
l'exception  du  chef,  richement  enchâssé,  qu'obtinrent  les  habitants  de  Saint-Thierry,  paroisse  sur  le 
territoire  de  laquelle  l'abbaye  du  Mont-d'Hor  était  située.  Ce  chef  est  encore  conservé  dans  l'é- 
glise de  cette  paroisse.  Quant  au  reste  du  corps,  porté  à  Saint-Remi,  il  a  été  profané  et  perdu 
pendant  la  Révolution. 

Voir  Flodoard,  ffist.  eccl.  rom.,  1.  i",  c.  25  ;  Mabillon,  Act.  sanct.  Ben.,  t.  i",  p.  346  ;  les  Bollan- 
distes,  sous  le  1er  mai,  t.  ier,  p.  94,  et  la  Gallia  christ,  nova,  t.  ix,  p.  183  ;  Godescard,  éd.  de  Lille. 


SAINT  ACHE  ET  SAINT  ACHEUL  (époque  inconnue). 

Le  diacre  saint  Ache  et  le  sous-diacre  saint  Acheul,  tous  deux  originaires  de  l'Amiénois,  reçu- 
rent un  jour  de  1er  mai  la  palme  du  martyre.  Au  milieu  des  tourments,  ils  se  bornaient  à  dire  à 
leurs  persécuteurs  :  «  Si  Dieu  est  pour  nous,  qui  sera  contre  nous  ?  »  Voilà  tout  ce  que  nous  ap- 
prend la  tradition  au  sujet  de  ces  glorieux  martyrs. 

Saint  Ache  et  saint  Acheul  furent  inhumés  dans  un  lieu  alors  nommé  Abdalène,  là  où  devait 
8'élever  plus  tard  une  église  qui  prendrait  leur  nom  après  avoir  quitté  celui  de  Notre-Dame  et  de 
Saint-Firmin.  C'est  de  là  que  leurs  corps  furent  transférés  par  saint  Salve,  évêque  d'Amiens  au 
commencement  du  vne  siècle,  dans  la  nouvelle  église  érigée  par  cet  Evêque  dans  l'enceinte  de  la 
ville,  sous  le  vocable  des  Princes  des  Apôtres,  et  qui,  plus  tard,  prit  le  nom  de  Saint-Firmin  le 
confesseur. 

Une  partie  des  reliques  des  deux  Saints  est  actuellement  conservée  à  Notre-Dame,  dans  la 
châsse  de  saint  Honoré.  La  tète  de  saint  Acheul  se  trouve  à  la  maison  des  Jésuites  de  Saint- 
Acheul  ;  le  reliquaire  est  placé  sous  l'autel  de  la  chapelle  domestique.  Autant  qu'on  peut  en  juger, 
les  os  sont  à  peu  près  réduits  en  poussière.  Une  famille  pieuse  avait  sauvé  le  crâne  de  saint 
Acheul  pendant  la  Révolution  et  en  fit  don  aux  Jésuites  en  1827. 

Saint  Firmin  le  confesseur  fit  ériger  une  église  à  Abdalène  sur  les  tombeaux  où  reposaient  les 
corps  vénérés  de  saint  Firmin  le  martyr,  de  saint  Ache  et  de  saint  Acheul,  à  côté  des  ruines  d'un 
temple  romain.  Ce  sanctuaire  fut  d'abord  dédié  à  Notre-Dame  et  à  saint  Firmin,  martyr.  Dans  le 
cours  du  moyen  âge,  on  le  désigna  simultanément  tantôt  sous  le  nom  de  Saint-Ache  et  Saint- 
Acheul,  tantôt  sous  le  nom  de  Notre-Dame-des-Martyrs.  Depuis  longtemps  il  n'est  guère  connu 
que  sous  celui  de  Saint-Acheul. 

Un  prieuré  de  clercs  réguliers  fut  institué  dans  cette  église  en  1055.  Ce  prieuré  embrassa  la 
Règle  de  Saint-Augustin  en  1109,  et  fut  érigé  en  abbaye  en  1145.  En  1291,  le  pape  Nicolas  IV 
accorda  un  an  et  quarante  jours  d'indulgences  aux  personnes  qui  visiteraient  l'église  de  Saint- 
Àcheul,  le  jour  de  la  fête  de  ce  saint  Martyr. 

Au  dernier  siècle,  l'abbaye  de  Saint-Acheul  était  possédée  par  des  chanoines  réguliers  de  la  Con- 
grégation de  Sainte-Geneviève  :  elle  existait  encore  au  moment  de  la  Révolution  de  1793.  Saint- 
Acheul-lez-Amiens  est  aujourd'hui  un  petit  village,  le  même  que  l'ancien  Abdalène.  Ce  dernier 
nom  était  celui  d'un  héritage  appartenant  au  fameux  Faustin,  et  dans  lequel  ce  pieux  personnage 
avait  fait  enterrer  honorablement  le  corps  de  saint  Firmin,  apôtre  de  la  contrée  '. 

Les  bâtiments  de  l'abbaye  Saint-Acheul  n'ont  point  été  détruits  pendant  la  Révolution.  Les 
Jésuites  y  avaient  formé,  en  1814,  un  vaste  établissement  justement  célèbre,  où  près  de  deux 
mille  jeunes  gens  recevaient  le  bienfait  d'une  éducation  chrétienne  :  l'établissement  d'éducation 
fut  supprimé  en  1828,  et  cette  célèbre  maison  n'est  plus  aujourd'hui  qu'un  noviciat  de  l'Ordre. 

L'église  Saint-Acheul  est  la  première  et  la  plus  ancienne  église  d'Amiens  :  elle  servit  de  cathé- 
drale jusqu'au  vu»  siècle,  époque  à  laquelle  saint  Salve  transféra  le  siège  épiscopal  et  la  métro- 
pole dans  l'intérieur  même  d'Amiens.  Il  parait  que  cette  église  est  aujourd'hui  dans  un  état  de 
délabrement  dont  souffrent  beaucoup  les  amis  de  l'antiquité  chrétienne  et  des  saines  traditions  de 

1.  Voir  sa  vit. 


234  1er  mai. 

l'architecture  religieuse.  Ils  font  des  vœux  pour  rendre  Notre-Dame  de  Saint-Acheul  digne  de  pro- 
téger et  de  conserver  les  souvenirs  les  plus  antiques  et  les  plus  saints  de  la  foi  dans  la  Picardie. 

Une  côte  de  saint  Acheul  est  conservée  à  la  cathédrale  d'Amiens,  dans  un  petit  reliquaire. 

Les  noms  de  saint  Ache  et  de  saint  Acheul  sont  inscrits  dans  des  Litanies  d'Amiens  qui  datent 
du  xme  siècle,  dans  le  martyrologe  attribué  à  saint  Jérôme  et  dans  tous  ceux  de  l'église  de 
France.  Le  second  de  ces  martyrs  est  patron  de  Saint-Acheul,  dans  le  canton  de  Bernaville,  et 
d'Ecouen  (Seine-et-Oise).  La  rue  actuelle  d'Amiens  à  Noyon  portait  auxme  siècle  le  nom  de  Saint- 
Acheul.  La  fête  qui  tombe  le  1er  mai  est  renvoyée  au  11,  à  cause  de  l'occurrence  de  saint  Phi- 
lippe et  de  saint  Jacques.  Elle  a  toujours  figuré  dans  les  Bréviaires  amiénois  sous  le  rit  simple  ou 
semi-double. 

Consulter  l'Hagiographie  d'Amiens,  par  M.  Corblet,  dont  nous  avons  analysé  le  savant  travail. 


SAINT  BLANDIN  (vn°  siècle). 

Blandin,  époux  de  sainte  Salaberge  et  père  de  saint  Baudoin,  ainsi  que  de  sainte  Austrude, 
était  digne  d'être  le  chef  d'une  telle  famille.  Il  consentit  à  ce  que  son  épouse  entrât  en  religion, 
et  lui-même  ne  pensa  plus  qu'à  travailler  à  sa  propre  sanctification.  Il  mourut  après  le  milieu  du 
vu6  siècle.  On  conservait,  dans  le  monastère  que  sainte  Salaberge  avait  fondé  à  Laon,  une  partie 
de  ses  reliques  avec  celles  de  sa  sainte  famille.  Saint  Blandin  est  surtout  honoré  dans  un  village 
du  diocèse  de  Meaux  qui  porte  son  nom  l. 


SAINT  ÉVERMAR,  MARTYR  (vers  700). 

Evermar  naquit  en  Frise  d'une  des  plus  nobles  familles  de  ce  pays,  et  florissait  du  temps  de 
Pépin,  fils  d'Anségise  et  de  sainte  Beggue.  Dès  sa  plus  tendre  jeunesse  il  fat  un  modèle  de  toutes 
les  vertus.  Il  désirait  avec  ardeur  de  s'élever  à  la  véritable  perfection,  et  d'offrir  même  au  Sei- 
gneur le  sacrifice  de  son  sang.  On  rapporte  qu'il  fit  d'abord  un  pèlerinage  à  Saint-Jacques  en  Ga- 
lice, et  qu'il  revint  ensuite  dans  la  Gaule-Belgique,  où  il  visita  les  tombeaux  de  quelques  Saints 
morts  depuis  peu  et  célèbres  par  leurs  miracles,  tels  que  saint  Foillan,  saint  Ultan,  saint  Fursy, 
saint  Remacle,  sainte  Gertrude  de  Nivelles  et  saint  Trou. 

Evermar,  ayant  satisfait  à  ses  vœux  près  des  tombeaux  de  ces  Saints,  alla  à  Maëstricht  pour 
visiter  celui  de  saint  Servais.  Arrivé  à  l'entrée  d'une  forêt,  nommée  Ruthe,  il  ne  la  traversa  pas, 
de  crainte  de  s'égarer  pendant  l'obscurité  de  la  nuit  qui  commençait  à  tomber.  Il  s'arrêta  dans  le 
village  d'ITerstapel,  situé  dans  le  voisinage.  Ce  village  était  alors  occupé  par  un  certain  Hacco  et 
sa  bande  qui  dépouillaient  et  assassinaient  tous  ceux  qui  passaient  par  les  bois  et  sur  les  voies 
publiques.  Afin  que  personne  ne  lui  échappât,  Hacco  avait  bâti,  sur  le  bord  de  la  Meuse,  une  mai- 
son, que,  d'après  lui,  on  nomma  Hactelet.  Evermar,  qui  ignorait  tout  cela,  alla  droit  à  cette  maison 
pour  passer  la  nuit.  La  femme  de  Hacco,  qui  craignait  Dieu  et  qui  aimait  à  servir  les  étrangers, 
reçut  notre  Saint  et  ses  compagnons  avec  beaucoup  d'amitié,  et,  après  les  avoir  bien  traités,  leur 
ïouseilla  de  partir  le  lendemain  avant  le  lever  de  l'aurore,  afin  d'échapper  aux  mains  de  son  mari. 
Ils  suivirent  le  conseil  de  cette  pieuse  femme,  et,  étant  partis  le  lendemain  matin  de  bonne  heure, 
ils  entrèrent  dans  la  forêt  de  Ruthe.  Cependant  Hacco,  ayant  appris  que  des  étrangers  avaient 
passé  la  nuit  dans  sa  maison,  en  devint  furieux,  car  il  pensait  qu'il  allait  passer  pour  un  lâche,  si 
ces  étrangers  traversaient  le  pays  sans  obstacle.  Il  courut  au  bois  avec  sa  troupe  pour  les  chercher, 
et  arriva  à  l' improviste  à  un  endroit  où  il  les  trouva  endormis,  flacco  se  jette  sur  eux  et  les  accuse 
de  fourberie,  pour  être  venus  dans  ses  domaines  sans  payer  le  droit  de  passage  :  et  puisque  main- 
tenant ils  se  sauvent  comme  des  voleurs,  il  décerne  contre  eux  la  peine  de  mort.  A  ces  mots,  il 
tombe  sur  Evermar  et  lui  ôte  la  vie  ;  après  cela  il  fait  subir  le  même  sort  à  ses  compagnons.  Les 
assassins,  après  avoir  dépouillé  les  corps,  les  laissèrent  sans  sépulture.   Ils  furent  truuvés  par 

1.  Voir  la  vie  de  sainte  Salaberge.  sa  femme,  an  22  septembre;  celle  de  saint  Baudouin,  son  fils,  an 
18  octobre,  et  celle  de  saiate  Austrude,  sa  fille,  an  17  octobre. 


SAINTE  ISIDORA  DE  TABENNES.  235 

quelques  personnes  de  la  suite  de  Pépin,  qui  se  livrait  de  ce  côté  au  plaisir  de  la  chasse.  Ces 
personnes  les  enterrèrent,  et,  ayant  remarqué  dans  le  corps  d'Evermar  un  éclat  et  une  beauté  qui 
le  distinguaient  des  autres,  ils  lui  donnèrent  une  sépulture  plus  honorable. 

Le  bois  ayant  été  essarté  dans  la  suite,  il  s'éleva  à  cet  endroit  un  village  appelé  Ruthe  ou 
Rotthem,  aujourd'hui  Rûsson,  et  une  église  sous  l'invocation  de  saint  Martin,  desservie  par  un 
prêtre  nommé  Ruzelin,  qui  menait  une  vie  très-sainte.  Ce  prêtre  découvrit  d'une  manière  extraor- 
dinaire la  sépulture  d'Evermar,  et  en  fit  son  rapport  à  îairacle,  évêque  de  Liège,  qui  ordonna  de 
déterrer  le  corps,  qu'il  transféra  dans  l'église  de  Saint-Martin  à  Rûsson,  où  il  se  fit  beaucoup  de 
miracles  qui  confirmèrent  la  sainteté  d'Evermar.  La  cérémonie  de  cette  translation  se  fit  vers  l'an 
968.  Une  autre  translation  de  ces  reliques  eut  lieu  sous  l'épiscopat  de  Théoduin,  qui  gouverna 
l'église  de  Liège  depuis  1048  jusqu'en  1075. 

Les  Bollandistes  ont  publié  (t.  i  maii),  la  vie  de  saint  Evermar  et  l'histoire  de  ses  translations  et  di 
ses  miracles.  Voyez  AA.  SS.  Belgii  selecla,  t.  v,  p.  275-287. 


SAINT  ALDEBRAND,  ÉVÊQUE  ET  PATRON  DE  FOSSOMBRONE 

(xne  siècle). 

Saint  Aldebrand,  ayant  fait  construire  sa  cathédrale,  on  comprend  jusqu'à  un  ceriain  point 
qu'elle  l'ait  choisi  pour  Patron,  et  que  dans  ses  images  on  place  uu  clocher  pour  rappeler  ce  fait. 
Mais  les  beaux  miracles  qu'on  lui  attribue  furent  sans  doute  tout-puissants  pour  le  rendre  popu- 
laire :  on  en  raconte  trois  qui  peignent  le  Saint  sous  des  couleurs  on  ne  peut  plus  pittoresques, 
on  ne  peut  plus  gracieuses. 

Il  s'était  abstenu  de  viande  toute  sa  vie  :  or,  voilà  que  sur  ses  vieux  jours  on  s'avisa  de  lui 
servir  une  perdrix  rôtie,  pour  restaurer  un  peu  son  estomac  délabré.  Sans  rien  dire,  il  bénit 
l'oiseau  et  lui  ordonna  de  reprendre  sa  volée  dans  les  airs  ;  ce  que  l'oiseau  s'empressa  de  faire. 
Une  autre  fois  qu'il  prêchait,  le  caquet  des  hirondelles  couvrait  sa  voix  :  il  leur  intima  l'ordre  de 
se  taire,  et  elles  se  turent.  Enfin,  après  sa  mort,  les  habitants  de  Fano  ayant  vaincu  ceux  de  Fos- 
sombrone  dans  une  lutte  civile,  ils  enlevèrent  deux  cloches  au  campanile  de  la  cathédrale.  Saint 
Aldebrand,  qui  les  avait  fait  mettre  là  pour  le  service  de  son  peuple,  et  non  pour  celui  de  leurs 
ennemis,  les  rendit  muettes.  Stupéfaits  de  ce  miracle,  les  habitants  de  Fano  s'empressèrent  de 
rendre  les  cloches,  qui,  dès  leur  arrivée  sur  le  pont  du  Métaure,  près  de  Fossombrone,  se  mirent 
à  sonner  d'elles-mêmes. 

Acta  Sanctorum,  t.  ier  de  mai,  p.  162  et  163,  nouv.  édit. 


SAINTE  ISIDORA  DE  TABENNES  (époque  incertaine). 

Il  y  avait  dans  un  monastère  de  femmes,  à  Tabennes,  en  Egypte,  raconte  saint  Basile,  une  sœur 
qui  se  faisait  passer  pour  folle  et  possédée  du  démon  :  les  autres  sœurs  la  crurent  si  bien  que 
nulle  d'elle  ne  voulait  même  manger  à  ses  côtés.  Elle  en  agissait  ainsi  pour  qu'on  ne  l'ôtàt  jamais 
de  la  cuisine,  dont  les  humbles  fonctions  lui  avaient  paru  si  propres  à  la  sanctifier. 

Tandis  que  les  autres  religieuses  couvraient  leur  tête  d'une  coule,  elle  enveloppait  la  sienne 
d'une  espèce  de  turban  confectionné  avec  d'infimes  morceaux  d'étoffes  :  d'où  il  paraît  assez  que 
l'uniformité  du  costume  n'était  pas  exigée  à  cette  époque  dans  les  monastères. 

Nulle  des  quatre  cents  religieuses  dont  se  composait  celui-là,  ne  la  vit  jamais  manger  ;  jamais 
elle  ne  prit  place  à  table  :  elle  faisait  son  repas  en  lavant  la  vaisselle,  et  encore  ce  repas 
était-il  composé  des  débris  restés  sur  les  tables.  Jamais  on  ne  la  vit  entamer  un  morceau  de 
pain.  Maltraitée  par  tout  le  monde,  jamais  un  murmure  ne  sortit  de  sa  bouche  :  elle  ne  parlait 
que  par  nécessité  et  le  plus  souvent  pas  du  tout. 

Or,  à  quelque  distance  de  là,  vivait  un  saint  homme  nommé  Pyotère.  Un  ange  du  ciel  lui 
apparut  et  lui  dit  :  «  Va  au  monastère  des  femmes  de  Tabennes  :  là  ta  trouveras  une  des  reli- 


236  2  mai. 

gieuses  ayant  une  espèce  de  couronne  autour  de  la  tête  ;  tu  apprendras  qu'elle  vaut  mieux  que  loi. 
Malgré  les  tribulations  du  jour  et  de  la  nuit  qui  la  visitent,  jamais  son  cœur  ne  s'est  détourné  de 
Dieu.  Elle  lutte  contre  toute  une  multitude  et  n'est  jamais  troublée,  tandis  que  toi,  qui  vis  seul 
ici,  dans  le  coin  du  désert,  tu  promènes  ta  pensée  à  travers  mille  distractions  ». 

Pyotère  se  mit  aussitôt  en  marche  pour  ce  monastère  :  y  étant  arrivé,  il  pria  les  maîtres  des 
Frères  de  l'introduire  dans  l'habitation  des  femmes.  C'était  un  Saint  et  de  plus  un  vieillard  ;  la 
permission  lui  fut  donc  facilement  accordée.  Il  demanda  alors  à  voir  toutes  les  sœurs:  or,  celle-là 
seule  qu'il  voulait  voir  ne  se  trouvait  pas  dans  les  rangs  de  la  communauté.  «  Mes  sœurs  »,  leur 
dit-il,  «  vous  n'êtes  pas  toutes  ici  !»  —  «  Mon  père  »,  lui  dit-on,  «  il  reste  une  folle  à  la  cuisine; 
c'est  ainsi  que  nous  appelons  les  possédées  du  démon  ».  —  «  Permettez  que  je  la  voie  ».  —  On 
alla  donc  chercher  la  prétendue  folle.  Or,  celle-ci  se  refusait  a  cette  exhibition.  Mais  lorsqu'on 
lui  eut  nommé  saint  Pyotère,  elle  céda. 

Le  Saint  l'ayant  reconnue  à  son  lurban,  se  jeta  à  ses  genoux  et  s'écria  :  «  Bénissez-moi  ».  A 
son  tour  elle  se  prosterna  à  terre  et  dit  :  «  Que  votre  main  s'étende  sur  moi  ». 

On  peut  s'imaginer  l'ébahissement  de  toutes  les  sœurs  qui  se  mirent  toutes  à  la  fois  à  dire  : 
«  Mon  père,  ne  vous  humiliez  pas  à  ce  point,  vous  avez  affaire  à  une  folle  ». 

«  Vous  toutes,  vous  êtes  folles  »,  reprit  saint  Pyotère  :  «  Celle-ci  est  votre  Amma  (votre 
mère)  et  la  mienne.  Je  prie  Dieu  d'être  trouvé  aussi  méritant  qu'elle,  an  jour  du  jugement  ». 

A  ces  paroles,  les  religieuses  tombèrent  aux  pieds  de  l'humble  laveuse  de  vaisselle  comme 
frappées  d'un  coup  électrique,  et  chacune  lui  fit  la  confession  de  ses  torts  envers  elle. 

Saint  Pyotère  les  réconcilia  avec  Dieu  et  leur  sœur,  puis  se  retira. 

Quelques  jours  après,  l'humble  aide-cuisinière  ne  pouvant  supporter  d'avoir  été  ainsi  glorifiée, 
rougissant  d'ailleurs  des  excuses  que  lui  avaient  faites  les  religieuses,  quitta  secrètement  le  cou- 
vent et  alla  terminer  sa  vie  dans  la  plus  complète  obscurité. 

«  Si  quelqu'un  d'entre  vous  se  croit  sage  en  ce  monde,  qu'il  devienne  fou,  pour  être  véri- 
tablement sage  l  ». 

Rosweide,  Vies  des  Pères. 


IF  JOUR  DE  MAI 


MARTYROLOGE  ROMAIN. 

A  Alexandrie,  le  bienheureux  décès  de  saint  Athanase,  évêque  de  la  même  ville,  très-célèbre 
par  sa  sainteté  et  sa  doctrine.  L'univers  presque  entier  semblait  s'être  conjuré  pour  le  persécuter. 
Néanmoins,  il  défendit  courageusement  la  foi  catholique,  depuis  Constantin  jusqu'à  Valens,  contre 
les  empereurs,  les  gouverneurs  de  province  et  les  nombreux  évèques  partisans  d  Arius  ;  il  essuya, 
de  la  part  de  ses  ennemis,  des  perfidies  sans  nombre  ;  il  fut  poursuivi  d'exil  en  exil  par  toute  la 
terre,  au  point  qu'il  ne  lui  resta  presque  aucun  lieu  sûr  pour  se  cacher.  De  retour,  à  la  fin,  dans 
son  église,  après  beaucoup  de  combats  et  autant  de  victoires  dues  à  sa  constance,  il  rendit  son 
âme  au  Seigneur,  la  quarante-sixième  année  de  son  épiscopat,  au  temps  des  empereurs  Valenti- 
nien  et  Valens.  373.  —  A  Rome,  les  saints  martyrs  Saturnin,  Néopole,  Germain  et  Célestin,  qui 
furent  d'abord  diversement  tourmentés,  puis  jetés  en  prison,  où  ils  s'endormirent  en  Notre-Sei- 
gneur  *.  —  De  plus,  les  martyrs  Exupère  et  Zoé,  sa  femme,  Cyriaque  et  Théodule,  leurs  enfants, 

1.  I  Cor.,  ni. 

2.  Les  plus  anciens  martyrologes  portent  Alexandrie  ou  ne  citent  aucun  lieu.  Baronius  a  donc  cm 
trop  facilement  à  l'autorité  de  Galesini.  qui  le  premier  a  placé  à  Rome  le  théâtre  de  ce»  martyres.  AÂ. 
SS„  t.  l«r  et  vu  de  mai,  pages  182  et  533. 


MARTYROLOGES.  237 

qui  souffrirent  sous  l'empereur  Adrien  '.  —  A  Séville,  saint  Félix,  diacre  et  martyr.  —  Le  même 
jour,  saint  Vindemial,  évêque  et  martyr,  qui  combattit  les  Ariens  par  sa  doctrine  et  par  ses  mira- 
cies,  avec  les  évêques  Eugène  et  Longin,  et  fut,  pour  cela,  décapité  par  le  commandement  du  roi 
Hunéric  *.  489.  —  A  Avila,  en  Espagne,  saint  Second,  évêque,  dont  il  est  encore  parlé  avec  d'au- 
tres, le  15  de  ce  mois.  Ier  s.  —  A  Florence,  saint  Antonin,  évêque,  de  l'Ordre  des  Frères  Prêcheur», 
illustre  par  sa  sainteté  et  par  sa  doctrine.  Sa  fête  se  célèbre  le  10  de  mai.  1459. 

MARTYROLOGE  DE  FRANCE,  REVU  ET  AUGMENTÉ. 

A  Saint-Pierre  de  Brantôme,  en  Périgord,  saint  Sicaire,  enfant  martyr,  que  l'on  tient  être  ua 
des  saints  innocents  massacrés  par  Hérode,  à  cause  de  Jésus-Christ  3.  —  Au  diocèse  d'Amiens, 
saint  Germain,  évêque  et  martyr,  lequel,  après  avoir  prêché  avec  un  zèle  incomparable  en  France, 
en  Espagne,  en  Angleterre  et  aux  Pays-Bas,  et  converti  de  nombreux  idolâtres,  eut  la  tète  abattue 
d'un  coup  d'épée,  par  le  tyran  Hubault,  sur  les  confins  de  la  Normandie  et  de  la  Picardie.  v°  s. 
—  En  Auvergne,  sainte  Flamine,  vierge  et  martyre,  exécutée  à  Nicomédie,  sous  les  empereurs 
Dioclétien  et  Maximien  ;  ses  reliques  ont  été  apportées  en  cette  province,  dans  un  lieu  nommé 
Davajac,  et  elle  était  honorée  à  Clermont,  dans  l'église  de  Saint-Allyre.  On  l'invoque  pour  le  mal 
des  yeux  et  l'on  en  reçoit  souvent  de  grands  secours.  Ve  s.  —  Dans  les  Vosges,  saint  Valbert  ou 
Gaubert,  successeur  de  saint  Eustase  et  troisième  abbé  de  Luxeuil.  665.  —  A  Saint-Omer,  saint 
Vaubert  ou  Walbert,  comte  d'Arc  et  religieux  du  monastère  de  Saint-Bertin.  —  Au  diocèse 
d'Angers,  la  célèbre  translation  du  corps  de  saint  Florent,  prêtre  et  confesseur,  dans  une  abbaye 
de  son  nom,  à  Saumur  *.  —  A  Beauvais,  sainte  Pétronille  5,  vierge.  —  A  Châlons-sur-Marne,  la 
translation  de  saint  Alpin,  évêque  de  cette  ville.  —  A  Sens,  saint  Amateur  ou  Amatre,  évêque 
d'Auxerre.  (Nommé  hier  au  martyrologe  romain.)  —  A  Tours,  la  translation  des  reliques  de  saint 
Gratien.  —  A  Tarbes,  la  fête  de  l'apparition  de  saint  Bertrand,  évêque  de  Comminges  à  un  seigneur 
de  Bigorre,  nommé  Sanche  de  Pâma,  qu'il  délivra  miraculeusement  des  fers  des  Sarrasins.  En 
mémoire  de  cet  événement,  le  pape  Clément  V,  qui  avait  été  évêque  de  Comminges,  accorda,  pour 
le  2  mai,  une  indulgence  en  forme  de  jubilé,  toutes  les  fois  que  la  fête  de  l'invention  de  la  Croix 
tomberait  un  vendredi.  —  A  Saint-Biquier,  dans  le  diocèse  d'Amiens,  sainte  Elévare  et  sainte  Spon- 
sare,  vierges  et  martyres,  m6  s.  —  A  Paris,  sainte  Avoie,  vierge  et  martyre,  que  l'on  a  confondue 
à  tort  avec  sainte  Aurée.  Epoque  inconnue. 

ADDITIONS   FAITES  D' APRÈS   LES  ROLLANDISTES  ET  AUTRES   BAGIOGRAPHES. 

A  Mélitène,  en  Arménie,  les  saints  Helpide,  Hermogène,  Eupolite  et  Loup,  martyrs,  indiqués 
dans  le  martyrologe  de  saint  Jérôme.  —  Et  ailleurs,  les  saints  martyrs  Germain,  Célestin  6,  Félix, 

1.  Saint  Hespère  (et  non  saint  Exupère,  comme  l'e'crlt  Baronius),  sainte  Zoé,  sa  femme,  et  saint  Cyriague 
et  saint  Théodule,  leurs  enfants.  —  Cette  famille  était  originaire  d'Italie  :  les  membres  qui  la  composaient, 
vendus  comme  esclaves  à  un  riche  habitant  de  la  ville  d'Attalia,  en  Pamphylie,  furent  Jetés  dans  une 
fournaise  ardente  pour  avoir  refusé  de  manger  des  viandes  offertes  aux  idoles,  que  leurs  maîtres  leur 
présentèrent  un  jour  qu'un  fils  leur  était  né.  Sainte  Zoé  a  surtout  été  honsrée  dans  l'Orient;  il  y  avait 
une  église  de  son  nom  à  Constantinople.  Ses  vertus,  ses  bons  exemples,  son  courage  la  signalèrent  en 
effet  à  l'admiration  des  hommes.  On  n'était  pas  tendre,  dans  le  paganisme,  pour  les  pauvres  :  la  porto 
des  riches  était  gardée  par  d'énormes  dogues  que  l'on  avait  dressés  à  se  jeter  sur  les  mendiants  lorsqu'il 
en  venait  à  passer  :  la  charitable  Zoé,  dont  le  christianisme  avait  relevé  les  pensées,  prenait  le  plus 
souvent  qu'elle  le  pouvait  la  place  du  portier  :  alors  elle  faisait  en  sorte  que  les  chiens  ne  déchirassent 
point  les  membres  souffrants  de  Jésus-Christ,  et  se  privait  de  tout  ce  qu'on  lui  donnait  de  nourriture  et 
de  vêtements  pour  le  leur  distribuer. 

2.  Saint  Vindemial  était  évêque  de  Capse,  en  Afrique.  Voir  quelques  détails  le  concernant  dans  la  Vie 
de  saint  Eug'eue,  au  13  juillet. 

3.  En  ce  temps-la,  Charlemagne  fondait  l'abbaye  de  Brantôme.  On  lit  dans  les  fragments  de  Réginon 
cités  par  Pithou  le  passage  suivant,  que  nous  empruntons  à  l'intéressante  monographie  de  l'église  de 
Saint-Front,  à  Périgueux,  par  M.  l'abbé  Caries  :  «  L'an  du  Seigneur  769,  Charles  le  Grand,  venant 
pour  la  seconde  fois  à  Périgueux,  fonda  sur  les  rives  de  la  Dordogne  une  basilique  en  l'honneur  du  bien- 
heureux Pierre,  prince  des  Apôtres,  dans  laquelle  il  fit,  peu  de  temps  après,  placer  l'un  des  Innocents, 
qui  avait  été  donné  à  sou  père  par  le  seigneur  Pape  de  Rome,  et  aux  mérites  ainsi  qu'à  la  protection 
duquel  il  se  disait  redevable  d'un  grand  nombre  de  victoires;  le  lieu  où  fut  fondée  cette  basilique  s'ap- 
pelle Brantosme  ».  En  1463,  l'authenticité  des  reliques  de  saint  Sicaire  fut  reconnue.  L'ancien  Bréviaire 
de  l'abbaye  de  Brantôme  racontait,  dans  une  légende,  qu'un  ange  avait  révélé  à  Charlemagne  l'endroit 
où  il  devait  laisser  le  corps  de  ce  petit  enfant.  Ce  n'est  pas  en  Périgord  seulement  que  des  reliques  des 
saints  Innocents  ont  été  apportées.  Il  y  en  avait  aussi  en  Provence.  La  Sainte-Chapelle  de  Bourges  on 
possédait  trois  au  siècle  dernier. 

4.  Voir  au  22  septembre.  —  5.  Voir  au  1er  mai. 

6.  Les  deux  premiers  sont  mentionnés  au  martyrologe  romain.  Les  Bollandistes  pensent  que  ce  ne 
sont  pas  les  mêmes  et  qu'ils  n'ont  pas  souffert  à  Rome. 


238  2  mai. 

Cétinns,  Urbain,  Bellicus  et  Privata.  —  A  Alexandrie  d'Egypte,  un  autre  saint  Germain,  et  nn  autre 
saint  Célestin  avec  sainte  Santina,  martyrs.  —  En  Corse,  saint  Vindémial,  différent  de  celui  men- 
tionné au  romain,  et  saint  Florent,  tous  deux  évèques  africains.  Exilés  en  Corse  par  le  roi  arien, 
Hunéric,  et  condamnés  à  y  couper  du  bois  pour  les  vaisseaux,  ils  périrent  de  misère.  Leurs  corps 
ont  été  transportés  à  Trevise,  en  Italie.  —  En  Catalogne,  les  saints  Simplice  et  Ambroise,  mar- 
tyrs. —  A  Gênes,  saint  Valentin,  cinquième  évêque  de  cette  ville.  325.  Son  corps  fut  retrouvé  en  985. 
— •  A  Daphnusa,  dans  l'Archipel,  saint  Sabas,  évêque. —  A  Saint-Gall,  en  Suisse,  sainte  Vilborade 
ou  Vivrède,  vierge  et  martyre,  et  la  bienheureuse  Rachilde,  vierges  recluses.  925.—  A  Unterwald, 
en  Suisse,  le  bienheureux  Conrad,  martyr,  fondateur  du  monastère  du  Mont-des-Anges,  de  l'Ordre 
de  Saint-Benoit.  1125.  —  En  Portugal,  la  bienheureuse  Mafalda,  fille  de  Sanche  Ier  et  épouse  de 
Henri  Ier,  roi  de  Castille.  Répudiée  par  son  mari,  elle  se  retira  dans  le  monastère  des  Cisterciennes 
d'Arouca  où  elle  se  rendit  illustre  par  son  esprit  de  prière,  son  amour  du  silence,  ses  mortifications 
et  les  miracles  qui,  après  sa  mort,  s'opérèrent  à  son  tombeau.  Elle  avait  une  dévotion  singulière 
envers  le  Docteur  de  l'Eglise,  saint  Jérôme,  dont  le  nom  lui  rappelait  la  trompette  épouvantable 
qui,  au  dernier  jour,  doit  appeler  tous  les  hommes  au  jugement  de  Dieu.  1252. 


SAINT  ATHANASE, 

PATRIARCHE  D'ALEXANDRIE  ET  DOCTEUR  DE  L'ÉGLISE 
S73.  —  Papes  :  Saint  Marcellin;  saint  Damase.  —  Empereurs  :  Dioclétien;  Valens. 

«  En  louant  saint  Athanase,  c'est  la  vertu  même  que 
Je  lone.  N'est-ce  pas  en  effet  louer  la  vertu  que  de 
faire  l'éloge  de  celui  qui  réunissait  toutes  les  ver- 
tus dans  sa  personne?  Athanase  fut  la  colonne  de 
l'Eglise.  Il  devint,  par  sa  conduite,  le  modèle  des 
évêques.  On  n'était  orthodoxe  qu'autant  que  l'on 
professait  la  même  doctrine  que  lui  p. 
Saint  Grégoire  de  Nazianze,  panégyrique  du  Saint. 

Une  lutte  perpétuelle  est  l'inévitable  condition  du  bien  dans  l'humanité 
déchue.  Dieu  le  fit  voir  à  son  Eglise,  lorsque,  après  avoir  si  glorieusement 
vaincu  la  persécution,  elle  eut  à  repousser  les  attaques  non  moins  formida- 
bles de  l'hérésie.  Celle-ci,  il  est  vrai,  dès  l'apparition  du  christianisme, 
avait  cherché  à  troubler  les  conquêtes  de  la  foi  ;  mais,  devant  le  glaive  des 
tyrans  et  la  gloire  des  martyrs,  elle  avait  fait  peu  de  bruit  et  obtenu  peu 
de  succès. 

Le  lecteur,  pour  comprendre  la  vie  d' Athanase,  a  besoin  de  connaître  le 
schisme  Mêlécien  et  l'hérésie  arienne.  Saint  Pierre,  prédécesseur  d'Achillas 
sur  le  siège  d'Alexandrie,  par  son  indulgence  envers  les  chrétiens  qui 
avaient  offert  de  l'encens  aux  idoles  pour  éviter  la  mort,  et  qui  s'en  repen- 
taient, avait  déplu  à  Mélèce,  évêque  de  Lycopolis  ;  ce  dernier  se  sépara  de 
la  communion  de  Pierre  et  forma  un  schisme  ;  ses  partisans  prirent  le  nom 
de  Méléciens.  Arius,  qui  des  sables  de  la  Libye  était  venu  chercher  fortune 
dans  la  capitale  de  l'Egypte,  se  joignit  à  ces  schismatiques. 

Néanmoins,  il  parvint  à  gagner,  par  un  faux  repentir,  les  bonnes  grâces 
d'Achillas,  patriarche  d'Alexandrie,  qui  l'éleva  au  sacerdoce  et  lui  confia  le 
gouvernement  d'une  des  paroisses,  nommée  Baucolis. 

Ce  n'était  pas  assez  pour  son  ambition  :  il  aspirait  au  patriarcat  ;  mais 
saint  Alexandre  lui  fut  justement  préféré,  pour  sa  piété,  sa  charité  envers 
les  pauvres,  sa  science  sacrée  et  son  éloquence.  Blessé  dans  son  orgueil 
et  voulant  à  toute  fin  jouer  un  rôle  dans  le  monde,  il  se  fit  le  chef  d'une 


SAINT   ATHANASE,    DOCTEUR  DE  L'ÉGLISE.  239 

nouvelle  doctrine,  qui  fut  bientôt  déclarée  hérétique.  Il  enseignait  que 
Jésus-Christ  n'est  point  Dieu,  mais  une  simple  créature,  plus  parfaite  à  la 
vérité  que  les  autres,  et  formée  avant  elles,  non  pas  cependant  de  toute 
éternité.  Or,  si  Jésus-Christ  n'est  pas  Dieu,  à  quoi  aboutissent  les  espérances 
des  chrétiens  ?  Il  ne  négligea  rien  pour  répandre  ces  erreurs  dans  le  peu- 
ple ;  il  les  mit  en  chansons  pour  les  ouvriers,  les  meuniers,  les  matelots,  les 
voyageurs.  Alexandre,  n'ayant  pu  ramener  cet  hérésiarque  par  les  voies  de 
la  douceur,  le  fit  condamner  par  un  concile  tenu  à  Alexandrie,  et  écrivit 
aux  évêques  qui  n'avaient  pu  y  assister,  pour  leur  en  faire  connaître  les 
décisions. 

Jamais,  peut-être,  aucun  chef  d'hérésie  ne  posséda  à  un  plus  haut  degré 
qu'Arius  les  qualités  propres  à  ce  maudit  et  funeste  rôle.  Instruit  dans  les 
lettres  et  dans  la  philosophie  des  Grecs,  doué  d'une  rare  souplesse  de  dia- 
lectique et  de  langage,  il  excellait  à  donner  à  l'erreur  les  traits  et  le  charme 
de  la  vérité.  Son  extérieur  aidait  à  la  séduction.  D'un  âge  déjà  avancé,  il 
joignait  à  l'avantage  d'une  haute  taille  la  dignité  du  vieillard.  Son  orgueil 
se  dérobait  sous  un  vêtement  simple,  sous  un  visage  modeste,  recueilli, 
mortifié,  qui  lui  donnait  un  faux  air  de  sainteté,  et  avec  lequel  il  savait 
allier  un  abord  gracieux,  un  ton  doux  et  insinuant. 

Banni  du  sanctuaire,  il  quitte  Alexandrie,  où  il  s'est  déjà  fait  de  nom- 
breux partisans,  et  va  demander  asile  à  Eusèbe,évêque  de  Césarée,  métropole 
de  la  Palestine.  Celui-ci  était  l'un  des  plus  savants  hommes  de  son  siècle,  et 
auteur  d'excellents  ouvrages,  pour  lesquels  la  postérité  a  partagé  l'admira- 
tion de  ses  contemporains.  Arius  sut  lui  faire  goûter  sa  doctrine  et  l'inté- 
resser à  sa  cause  avec  plusieurs  autres  évêques.  Parmi  eux  se  signala  un 
second  Eusèbe,  parent,  dit-on,  de  la  famille  impériale,  qui,  de  sa  propre 
autorité,  avait  osé  abandonner  le  siège  dédaigné  de  Béryte,  en  Judée,  pour 
celui  de  Nicomédie,  séjour  ordinaire  des  empereurs  d'Orient.  Sa  naissance, 
sa  position,  ses  talents,  ses  qualités  extérieures  lui  donnaient  un  crédit  et 
un  ascendant  dont  ses  sentiments  le  rendaient  indigne.  Il  avait  apostasie 
dans  la  persécution.  Condisciple  d'Arius,  on  l'a  soupçonné  d'avoir  été  son 
secret  conseiller,  avant  de  se  faire  son  protecteur  déclaré.  Quoi  qu'il  en  soit, 
bravant  encore  une  fois  les  règles  de  la  discipline  et  de  l'ordre  hiérarchi- 
que, il  prit  hautement  le  parti  du  sectaire  contre  le  digne  patriarche,  dont 
la  réputation  et  le  rang  offusquaient  son  orgueil.  Ayant  fait  venir  Arius  à 
Nicomédie,  il  se  concerta  avec  lui,  et  écrivit  en  sa  faveur  aux  évêques  pour 
obtenir  son  rétablissement.  Alexandre  fut  inébranlable  dans  sa  décision, 
comme  il  l'était  dans  sa  foi. 

Cette  scission  scandaleuse  agita  et  troubla  l'église  d'Orient.  Constantin 
en  fut  sensiblement  affligé.  Mais  l'évêque  courtisan  de  Nicomédie  lui  fit 
entendre  qu'il  ne  s'agissait  entre  Alexandre  et  Arius  que  d'une  vaine  dis- 
pute de  mots,  dont  le  tort  devait  être  surtout  attribué  au  zèle  amer  et  in- 
flexible du  premier.  Ce  fut  dans  ces  préjugés  que  l'empereur  écrivit  à  l'un 
et  à  l'autre,  par  Osius,  évêque  de  Cordoue,  qu'il  députa  en  Egypte  pour 
régler  ce  différend.  Osius  était  le  prélat  le  plus  vénéré  de  cette  époque.  II 
avait  souffert  courageusement  pour  la  foi,  avait  initié  Constantin  à  la  connais- 
sance des  vérités  du  christianisme,  et  l'on  croit  qu'il  était  venu  alors  en 
Orient  de  la  part  de  l'évêque  de  Rome,  traiter  avec  l'empereur  des  affaires 
de  l'Eglise.  La  lettre  du  prince  se  terminait  par  de  touchantes  exhortations, 
qui  attestent  son  zèle  sincère  pour  la  foi  ainsi  que  la  bonté  de  son  cœur  : 
a  Rendez-moi  des  jours  sereins  et  des  nuits  tranquilles.  Si  vos  divisions  con- 
tinuent, je  serai  réduit  à  gémir,  à  verser  des  larmes;  il  n'y  aura  plus  pour 


240  2  mai. 

moi  de  repos.  Où  en  trouverais-je,  si  ceux  qui  servent  avec  moi  le  vrai  Dieu 
se  déchirent  si  opiniâtrement  ?  Je  voulais  vous  aller  visiter,  mon  cœur  était 
déjà  avec  vous;  vos  discordes  m'ont  fermé  le  chemin  de  l'Orient.  Réunissez- 
vous  pour  me  le  rouvrir,  donnez-moi  la  joie  de  vous  voir  heureux,  comme 
tous  les  peuples  de  mon  empire  ». 

Ces  accents  d'un  père  ne  furent  point  écoutés.  Le  désordre  augmentait 
de  jour  en  jour.  L'hérésie,  comme  partout  et  toujours,  se  montra  violente 
et  rebelle.  Il  y  eut  des  émeutes.  Constantin  prononça,  à  cette  occasion,  un 
mot  justement  célèbre.  Dans  une  ville,  les  Ariens  s'étaient  emportés  jusqu'à 
jeter  des  pierres  à  la  face  d'une  de  ses  statues.  Comme  ses  ministres  l'exci- 
taient à  tirer  vengeance  de  cet  affront,  lui,  portant  la  main  à  son  visage, 
leur  répondit  en  souriant  :  «  Je  ne  me  sens  pas  blessé  ». 

La  mission  de  l'évoque  de  Cordoue  ne  fut  pas  néanmoins  sans  résultat. 
Il  comprit,  d'un  côté,  toute  la  gravité  de  la  controverse;  de  l'autre,  l'erreur 
et  la  mauvaise  foi  d'Arius  ;  et,  en  les  faisant  connaître  à  l'empereur,  il  lui 
inspira  une  grande  pensée  :  celle  de  convoquer  les  évoques  de  toute  la  chré- 
tienté, pour  donner  à  la  vérité  attaquée  l'autorité  d'une  irrécusable  déci- 
sion. Les  Apôtres  n'avaient-ils  pas  agi  ainsi  pour  terminer  la  contestation 
sur  les  observances  mosaïques? 

Au  reste,  c'était  la  première  fois,  depuis  l'extension  de  l'Evangile,  que 
les  circonstances  permettaient  de  recourir  à  ce  moyen  extraordinaire.  On 
se  trouvait  à  la  fin  de  324,  l'année  même  de  la  défaite  et  de  la  mort  de  Li- 
cinius,  indigne  beau-frère  de  Constantin,  le  dernier  des  survivants  de  cette 
funeste  ligue  de  pâtres  parvenus,  de  monstres  débauchés  et  cruels,  qui, 
pendant  près  d'un  demi-siècle,  s'enivrèrent  à  l'envi  du  sang  chrétien  et  dé- 
vorèrent la  substance  des  peuples.  Maintenant,  sous  le  doux  et  glorieux 
sceptre  de  Constantin,  l'empire  se  réjouissait  d'une  liberté,  d'une  prospérité 
inaccoutumées,  et  s'étonnait  de  voir  réunis  autour  de  ce  prince  les  ambas- 
sadeurs de  toutes  les  nations  de  l'univers,  qui  admiraient  ses  vertus  et  re- 
doutaient ses  armes,  auxquelles  la  victoire  ne  fut  jamais  infidèle.  Dans  un 
de  ces  moments  trop  rares  et  trop  courts  pour  le  bonheur  de  l'humanité, 
le  monde  entier  était  en  paix. 

Dès  le  printemps  de  l'année  325,  sur  l'invitation  et  avec  l'aide  du  puis- 
sant empereur,  qui  s'était  concerté  avec  le  chef  de  l'Eglise,  les  évêques  de 
toutes  les  parties  du  monde  se  rendirent  en  Asie,  dans  la  ville  de  Nicée, 
voisine  de  Nicomédie.  Le  peuple  fidèle,  ému  par  la  nouveauté  et  l'impor- 
tance du  débat  qu'ils  allaient  terminer,  et  la  réputation  de  leurs  vertus, 
accourait  sur  leur  passage,  se  prosternait  devant  eux  et  les  accompagnait 
de  ses  vœux  et  de  ses  espérances.  Constantin,  qui  les  avait  précédés  à  Nicée, 
les  y  accueillit  avec  la  dignité  qui  le  caractérisait,  et,  en  même  temps,  avec 
les  plus  touchants  témoignages  de  foi,  de  déférence  et  d'affection.  Combien 
ils  méritaient  cet  empressement,  ces  hommages  des  populations  et  du  pre- 
mier empereur  chrétien,  des  hommes  dont  la  plupart,  outre  leur  caractère 
sacré,  commandaient  le  respect  et  l'admiration  par  leur  âge,  leur  coura- 
geuse fidélité  dans  la  persécution,  leur  science  et  leur  sainteté  !  Celui-ci, 
ancien  solitaire,  avait  été  arraché  malgré  lui  au  désert,  dont  il  conservait, 
dans  les  dignités,  les  habitudes  simples  et  austères;  celui-là  était  célèbre 
par  ses  miracles  ;  plusieurs  portaient  encore  sur  leurs  membres  ou  sur  leur 
visage  les  stigmates  du  martyre.  Quels  plus  dignes  interprètes  du  grand 
mystère  de  la  sainte  Trinité  ! 

Ces  prélats,  sans  compter  les  prêtres,  les  diacres  et  les  laïques  éclairés 
qui  les  assistaient,  se  trouvèrent  réunis  au  nombre  de  trois  cent  dix-huit, 


SAINT  ATHANASE,   DOCTEUR  DE  L'ÉGLISE.  241 

parmi  lesquels  on  n'en  compta  que  dix-sept  infectés  d'arianisme.  Pendant 
deux  mois,  depuis  le  19  juin  jusqu'au  25  août,  ils  tinrent,  sur  différentes 
questions  de  dogme  et  de  discipline,  de  nombreuses  et  longues  conféren- 
ces. Arius  exposa  sa  doctrine.  En  l'entendant  proférer  ces  nouveautés  im- 
pies, les  Pères  du  concile  se  bouchaient  les  oreilles.  Il  leur  fallut  un  grand 
effort  de  raison  et  de  prudence  pour  consentir  à  les  examiner.  Enfin,  la 
question  fut  approfondie  et  discutée  des  deux  côtés  avec  toute  la  science 
et  toute  l'habileté  que  chacun  pouvait  désirer.  On  en  remit  la  décision  à 
une  séance  solennelle,  qui  eut  lieu,  en  présence  de  l'empereur,  dans  la 
plus  vaste  salle  de  son  palais.  Les  évoques  étaient  rangés  sur  des  sièges 
disposés  autour  de  cette  enceinte.  Un  trône  s'élevait  au  milieu  :  on  y  dé- 
posa le  livre  des  Evangiles.  Osius  présidait  l'assemblée  au  nom  du  Pape, 
que  son  âge,  ses  infirmités  et  les  exigences  de  son  rang  avaient  retenu  à 
Rome.  Dans  le  fond  de  la  salle,  un  siège  vide,  moins  élevé  que  les  autres, 
mais  tout  resplendissant  d'or,  était  destiné  à  l'empereur.  A  neuf  heures  du 
matin,  il  se  présente  sans  armes,  sans  soldats,  accompagné  seulement  de 
quelques  dignitaires  qui  professaient  le  christianisme.  A  sa  vue,  les  Pères 
du  concile,  qui  l'attendaient  en  silence,  se  lèvent  et  se  tiennent  debout. 
Tout,  dans  le  maintien,  l'air  et  la  taille  de  Constantin,  montrait  l'homme 
supérieur  aux  autres  hommes  par  les  heureux  dons  de  la  nature,  comme  il 
l'était  par  l'éminence  de  sa  dignité.  A  cinquante  ans,  il  avait  encore  l'éclat 
et  les  grâces  de  la  jeunesse.  La  franchise  de  son  caractère  et  la  pureté  de 
ses  mœurs  reluisaient  sur  son  front  serein.  Il  s'avance  au  milieu  de  cette 
assemblée  la  plus  sainte  et  la  plus  auguste  qu'on  eût  jamais  vue  sous  le 
ciel,  avec  une  magnificence  de  vêtement  qui  annonce  le  maître  de  l'em- 
pire, avec  un  respect  et  une  modestie  qui  révèlent  le  chrétien.  Arrivé 
devant  son  siège,  il  attendit,  pour  y  prendre  place,  d'y  être  invité  par  les 
évoques,  qui  s'assirent  après  lui.  Alors  s'engagea  entre  les  Pères  du  concile 
une  discussion  d'où  sortit  la  foudre  qui  terrassa  l'hérésie.  Les  blasphèmes 
d'Arius  ne  tinrent  plus  devant  le  terme  de  consubstantiel,  expression  aussi 
concise  qu'énergique  de  l'unité  de  nature  dans  les  trois  personnes  divines. 
L'univers  répéta  avec  transport  le  symbole  de  Nicée,  magnifique  dévelop- 
pement du  symbole  des  Apôtres,  hymne  sublime  de  foi,  d'amour  et  de  re- 
connaissance. Les  évêques  ariens  le  souscrivirent,  après  plus  ou  moins  de 
résistance,  avec  plus  au  moins  de  bonne  foi,  à  l'exception  de  deux,  qui 
furent  déposés  par  le  concile,  et,  avec  Arius,  condamnés,  par  l'empereur, 
au  bannissement  :  châtiment  dû  aux  téméraires  violateurs  des  lois  de  la 
plus  haute  société  qui  ait  paru  sur  la  terre. 

Dans  ce  débat  solennel,  au  milieu  de  ces  vénérables  et  savants  prélats, 
de  ces  glorieux  athlètes  de  la  foi,  on  vit  se  lever,  par  leur  conseil  et  à  leur 
grande  joie,  un  jeune  lévite,  qui  lutta  corps  à  corps  avec  Arius.  Par  la  su- 
périorité de  sa  raison,  par  la  connaissance  approfondie  et  l'intelligence  des 
livres  saints,  par  la  lucidité  et  la  force  de  l'argumentation,  par  la  chaleur 
d'une  éloquence  simple,  vraie  et  naturelle,  il  repoussa  les  audacieuses  atta- 
ques de  ce  redoutable  adversaire,  déjoua  toutes  ses  ruses,  le  poursuivit 
dans  tous  ses  détours,  ei  le  confondit,  en  éclairant  de  la  plus  vive  lumière 
ses  plus  ténébreux  retranchements.  Il  ne  charma  pas  moins  le  concile  par 
sa  modestie,  par  la  sincérité  de  sa  foi  et  de  son  dévouement  que  par  l'éclat 
de  sa  victoire  ;  car  ce  jeune  homme  aimait  l'Eglise  plus  que  le  plus  tendre 
fils  n'aime  sa  mère,  plus  que  jamais  ni  Grec  ni  Romain  n'aima  sa  patrie  : 
nous  avons  nommé  Athanase. 

Enfant  d'une  famille  distinguée  et  chrétienne  d'Alexandrie,  il  s'était 
Vies  des  Saints.  —  Tome  V.  16 


242  2  mai. 

attaché  de  bonne  heure  à  saint  Alexandre,  qui  l'avait  élevé  et  le  chérissait 
comme  un  fils. 

La  première  rencontre  de  saint  Athanase  avec  saint  Alexandre  eut  un 
caractère  tout  providentiel.  Dans  les  premiers  temps  de  son  pontificat,  dit 
Rufin,  le  saint  patriarche  Alexandre  avait  convié  tous  les  clercs  de  son 
église,  un  dimanche  soir,  à  un  repas  qu'il  voulait  leur  donner  dans  sa  mai- 
son, située  sur  le  bord  de  la  mer.  Après  les  solennités  du  jour,  Alexandre, 
en  attendant  ses  hôtes,  avait  les  yeux  fixés  sur  le  rivage,  lorsqu'il  aperçut 
un  groupe  d'enfants  qui  se  livraient  aux  jeux  de  leur  âge.  Ils  avaient  élu 
un  évoque  ;  ils  le  firent  asseoir  au  milieu  d'eux  et  écoutèrent  gravement  ses 
paroles  ;  puis  ils  s'inclinèrent  sous  sa  main  bénissante,  et  le  pontife-enfant 
imita  sur  quelques-uns  de  ses  compagnons  toutes  les  cérémonies  du  bap- 
tême. A  cette  vue,  Alexandre  craignit  une  profanation  ;  il  envoya  son 
diacre,  avec  ordre  de  lui  amener  les  enfants.  En  présence  du  véritable 
évoque,  ceux-ci  eurent  peur  et  ne  répondirent  qu'en  balbutiant  à  toutes 
ses  interrogations.  Enfin,  rassurés  par  l'air  de  douceur  et  de  bonté  qui  se 
peignait  sur  son  visage,  ils  lui  dirent  qu'ils  avaient  élu  un  d'entre  eux, 
Athanase,  pour  évêque  ;  que  celui-ci  avait  des  catéchumènes  instruits  par 
ses  soins,  auxquels  il  venait  de  conférer  le  baptême.  L'enfant  qui  répondait 
au  nom  d'Athanase  parut  alors,  mais  avec  une  confusion  facile  à  deviner. 
Le  patriarche  lui  demanda  s'il  avait  réellement  administré  le  baptême 
selon  les  rites  de  l'Eglise  et  avec  l'intention  de  conférer  un  sacrement. 
La  réponse  d'Athanase  fut  affirmative  ;  il  répéta  devant  le  patriarche  les 
formules  qu'il  avait  employées.  Saint  Alexandre  donna  l'ordre  à  ses  prêtres 
de  suppléer  aux  néophytes  ainsi  baptisés  les  autres  cérémonies  de  l'Eglise, 
mais  sans  renouveler  le  baptême,  «  parce  qu'il  avait  été  validement  con- 
féré *  ».  A  partir  de  ce  jour,  Athanase  et  ceux  de  ses  compagnons  qui  rem- 
plissaient près  de  sa  personne  les  fonctions  de  prêtres  et  de  diacre,  furent 
élevés,  du  consentement  de  leurs  parents,  dans  l'école  ecclésiastique 
d'Alexandrie.  Athanase  y  fit  de  rapides  progrès. 

Athanase  s'occupa  de  bonne  heure  à  bien  écrire.  Il  n'accorda  que  peu 
de  temps  aux  lettres  profanes,  assez  cependant  pour  ne  pas  y  rester  com- 
plètement étranger,  et  pour  que  l'on  ne  pût  attribuer  à  l'ignorance  le  rang 
subalterne  où  elles  étaient  reléguées  dans  son  estime.  Ce  noble  et  mâle  génie 
répugnait  à  consumer  ses  efforts  dans  des  études  vaines. 

Les  études  qui  se  rapportaient  à  la  religion  employaient  la  plus  grande 
partie  de  son  temps.  La  suite  de  sa  vie  et  la  lecture  de  ses  écrits  feront  voir 
jusqu'à  quel  point  il  y  excellait.  Il  cite  si  souvent  et  si  à  propos  les  livres 
saints  qu'on  croirait  qu'il  les  savait  par  cœur  :  au  moins  conviendra-t-on  que 
la  méditation  les  lui  avait  rendus  très-familiers.  C'était  là  qu'il  avait  puisé 
cette  rare  piété  et  cette  profonde  intelligence  des  mystères  de  la  foi.  Quant 
au  vrai  sens  des  oracles  divins,  il  le  cherchait  dans,  la  tradition  de  l'Eglise, 
et  il  nous  apprend  lui-même  2  qu'il  lisait  avec  soin  les  commentaires  des 
anciens  Pères.  Il  dit  dans  un  autre  endroit 3,  qu'il  apprenait  la  tradition  des 
saints  maîtres  inspirés  et  des  martyrs  de  la  divinité  de  Jésus-Christ.  Comme 

1.  Des  auteurs  regardent  ce  fait  comme  une  fable  :  1°  parce  qu'il  n'est  raconté  que  par  Rufin,  histo- 
rien (disent-ils)  peu  exact;  2*  parce  qu'il  ne  s'accorde  pas  avec  la  chronologie  de  l'histoire  de  saint 
Athanase,  car  lorsque  ce  Saint,  né  en  296  au  plus  tard,  avait  douze  ans,  Alexandre  n'était  pas  encore 
patriarche  d'Alexandrie.  Alexandre  succéda,  selon  ces  auteurs,  à  Achillas,  mort  en  313.  —  Admettons, 
disent  les  Bollandistes,  que  Rufin  se  soit  trompé,  à  distance,  sur  les  circonstances  de  nom  et  de  temps  ; 
ce  n'est  pas  une  raison  suffisante  pour  rejeter  le  fait  lui-même,  qui  peut  subsister  et  subsiste  en  effet 
dans  la  tradition,  Indépendamment  de  ces  circonstances.  D'ailleurs,  Rufin  n'est  pas  le  seul  qui  ait  rap- 
porté ce  fait. 

2.  Orat.  contra  Gentei,  p.  1?  —  3.  L.  de  Incarn.,  p.  69. 


SAINT  ATHANASE,   DOCTEUR  DE  L'ÉGLISE.  243 

il  avait  beaucoup  de  zèle  pour  la  discipline  de  l'Eglise,  il  acquit  aussi  une 
grande  connaissance  du  droit  canonique.  On  voit  encore  par  ses  ouvrages 
qu'il  savait  le  droit  civil,  et  c'est  ce  qui  lui  a  fait  donner  par  Sulpice-Sévère 
le  titre  de  jurisconsulte. 

Pour  aliment  de  sa  pensée,  il  choisit  l'Ancien  et  le  Nouveau  Testament. 
A  ces  habitudes  de  contemplation  se  joignirent  des  trésors  de  vertu, 
chaque  jour  augmentés.  La  science  et  les  mœurs  brillant  chez  Athanase 
d'un  éclat  pareil  et  se  fortifiant  mutuellement,  formèrent  cette  chaîne 
d'or,  dont  si  peu  d'hommes  réussirent  à  ourdir  le  double  et  précieux  fil.  La 
pratique  du  bien  l'initiait  à  la  contemplation,  et  la  contemplation  à  son 
tour  le  guidait  dans  la  pratique  du  bien. 

Quand  il  eut  achevé  ses  études  littéraires,  le  désir  d'avancer  dans  les 
voies  de  la  perfection  le  conduisit  aux  pieds  du  fameux  solitaire  saint  Antoine. 
Il  resta  quelques  années  sous  sa  direction,  et  revint  près  du  patriarche 
Alexandre,  qui  l'éleva  au  diaconat  et  l'employa  comme  secrétaire.  C'est 
ainsi,  ajoute  Rufin,  qu'Athanase,  nouveau  Samuel,  fut  attaché  à  la  personne 
du  grand  prêtre,  jusqu'à  ce  qu'il  fut  plus  tard  appelé  à  l'honneur  de  revêtir 
lui-même  l'éphod  pontifical. 

Athanase  n'était  encore  que  diacre,  lorsque  le  patriarche  l'amena  avec 
lui  au  concile  de  Nicée.  Mais,  aussitôt  après,  il  fut  ordonné  prêtre,  et,  l'an- 
née suivante,  l'auguste  vieillard,  se  sentant  près  de  mourir,  le  désigna  pour 
son  successeur.  Athanase  se  cacha,  pour  se  dérober,  lui  si  jeune,  à  une 
telle  dignité.  «  Tu  fuis  »,  dit  le  saint  avant  d'expirer,  «  tu  fuis,  Athanase, 
mais  tu  n'échapperas  pas  » .  Ces  paroles  furent  un  oracle.  Le  peuple  demanda 
instamment  et  obtint  des  évêques  assemblés  que  le  jeune  prêtre  fût  nommé 
évêque  d'Alexandrie.  Il  avait  à  peine  trente  ans  ;  mais,  dans  les  circons- 
tances où  se  trouvait  cette  église,  le  génie,  la  science  et  la  sainteté  n'a- 
vaient pas  besoin  du  nombre  des  années.  Ce  choix  fit  frémir  l'hérésie,  qui, 
pour  être  vaincue,  n'avait  pas  renoncé  à  ses  espérances.  Le  jour  n'est  pas 
loin,  où,  par  de  cauteleuses  démarches,  par  d'artificieuses  professions  de 
foi,  elle  saura  gagner  la  faveur  du  prince  :  et,  une  fois  armée  de  l'autorité 
publique,  jusqu'où  n'iront  pas  son  audace  et  ses  excès?  Athanase,  quels 
combats,  quelles  épreuves  vous  attendent  ! 

Athanase  signala  les  commencements  de  son  épiscopat  par  son  attention 
à  pourvoir  aux  besoins  spirituels  des  Ethiopiens.  Il  sacra  Frumence  évêque, 
et  le  leur  envoya,  afin  qu'il  pût  achever  l'œuvre  de  leur  conversion,  qu'il 
avait  si  heureusement  commencée  ;  et  lorsqu'il  eut  établi  un  bon  ordre 
dans  l'intérieur  de  la  ville,  il  entreprit  la  visite  générale  des  églises  de  sa 
dépendance. 

Les  Méléciens  donnèrent  beaucoup  d'exercice  à  son  zèle.  Ils  continuè- 
rent, après  la  mort  de  Méloce,  leur  chef,  de  tenir  des  assemblées  et  d'or- 
donner des  évêques  de  leur  propre  autorité.  Partout  ils  soufllaient  le  feu  de 
la  discorde,  et  par  là  ils  entretenaient  le  peuple  dans  l'esprit  de  révolte. 
Athanase  essaya  tous  les  moyens  possibles  pour  les  ramener  à  l'unité  ;  mais 
il  n'y  en  eut  aucun  qui  lui  réussit.  Austères  dans  leur  morale,  ils  s'étaient 
fait  un  grand  nombre  de  partisans,  surtout  parmi  les  gens  simples,  aux- 
quels ils  en  avaient  imposé.  Les  Ariens  résolurent  de  profiter  des  disposi- 
tions où  ils  les  voyaient  :  ils  s'empressèrent  donc  de  rechercher  leur  amitié. 
Les  Méléciens  n'avaient  d'abord  erré  dans  aucun  article  de  la  foi  ;  ils 
avaient  même  été  des  premiers  et  des  plus  ardents  à  combattre  la  doctrine 
d'Arius  ;  mais  bientôt  après  ils  s'unirent  aux  partisans  de  cet  hérésiarque 
pour  calomnier  et  persécuter  Athanase.  Il  se  forma  entre  eux  une  ligue 


244  2  MM. 

solennelle,  afin  que  les  coups  qu'ils  lui  porteraient  fussent  plus  efficaces. 
Saint  Àthanase  fait  observer  à  ce  sujet,  que  comme  Hérode  et  Pilate  ou- 
blièrent  la  haine  qu'ils  se  portaient  mutuellement  pour  se  réunir  contre  le 
Sauveur,  de  même  les  Méléciens  et  les  Ariens  dissimulèrent  leur  animosité 
réciproque  afin  de  former  une  espèce  de  confédération  contre  la  vérité.  Au 
reste,  voilà  l'esprit  de  tous  les  sectaires  ;  ils  font  cesser  leurs  divisions  lors- 
qu'il s'agit  de  déchirer  le  sein  de  l'Eglise  et  de  déclarer  la  guerre  à  ceux 
qui  tiennent  pour  la  doctrine  catholique. 

Constantin  donna  bientôt  de  nouvelles  preuves  de  son  attachement  à  la 
foi  de  Nicée.  Trois  mois  après  la  conclusion  du  concile,  il  exila  avec  indi- 
gnation Eusèbe  de  Nicomédie,  qui  osait  en  attaquer  les  décisions  et  com- 
muniquait ouvertement  avec  ceux  qui  s'y  montraient  rebelles. 

Mais  quels  sombres  nuages  ont  voilé  tout  à  coup  la  gloire  jusque-là  si 
pure  et  si  brillante  du  grand  Constantin  !  Quoi  1  d'un  prince  ordinairement 
si  doux  et  si  prudent,  l'histoire  raconte  des  actes  irréfléchis  et  barbares,  des 
meurtres  domestiques!  Et  puis,  sous  ce  même  prince,  qui,  jusqu'à  son 
dernier  soupir,  ne  cessa  d'avoir  horreur  de  l'hérésie,  les  hérétiques  sont 
honorés,  triomphants  et  les  catholiques  repoussés,  persécutés  !  Quelle  est 
donc  la  triste  condition  de  l'humanité  déchue  ?  Quel  impur  alliage  est  venu 
souiller  tout  à  coup  en  lui  l'or  pur  de  la  charité  chrétienne? 

Pour  comble  de  malheur,  il  perdit  sa  mère,  la  glorieuse  sainte  Hélène, 
lorsque,  à  la  veille  des  plus  astucieuses  machinations  de  l'erreur,  les  con- 
seils et  l'influence  de  cette  mère  plus  éclairée  que  lui  dans  la  foi,  eussent 
été  si  nécessaires  et  auraient  prévenu  sans  doute  de  nouvelles  fautes  ! 

Lorsque  sainte  Hélène  ne  fut  plus,  toute  la  tendresse  de  famille  et  la 
confiance  de  l'empereur  se  concentrèrent  sur  sa  sœur  Constancie,  veuve  de 
Licinius.  Celle-ci  d'ailleurs,  femme  de  mérite  et  de  vertu,  s'était  depuis 
longtemps  laissé  entêter  de  l'arianisme  par  Eusèbe  de  Nicomédie,  qui  avait 
été  le  partisan  de  Licinius,  et  par  un  prêtre  dont  l'histoire  a  dédaigné  le 
nom.  Près  de  rendre  le  dernier  soupir,  un  an  environ  après  la  mort  de 
sainte  Hélène,  elle  signala  à  Constantin  ce  prêtre  obscur  comme  le  plus 
propre  à  le  diriger  dans  les  affaires  de  la  religion.  «  Suivez  ses  avis  »,  dit- 
elle,  «  je  meurs,  aucun  intérêt  ne  m'attache  plus  à  la  terre,  mais  je  crains 
pour  vous  la  colère  de  Dieu,  je  crains  qu'il  ne  vous  punisse  de  l'exil  auquel 
vous  avez  condamné  des  hommes  justes  et  vertueux  ».  Ces  conseils  d'une 
sœur  chérie  et  mourante  ne  furent  que  trop  écoutés.  Arius  est  rappelé  avec 
les  évêques  exilés  pour  sa  cause,  moyennant  quelque  équivoque  ou  men- 
songère profession  de  foi.  Rétabli  sur  son  siège  de  Nicomédie,  et  dans  tout 
son  crédit,  Eusèbe  ne  sera  satisfait  qu'autant  qu' Arius  aura  reparu  et  repris 
ses  fonctions  dans  l'église  d'Alexandrie.  Pour  l'obtenir,  il  emploie  inutile- 
ment auprès  d'Athanase  et  les  sollicitations  et  les  menaces.  Inutilement  il 
lui  fait  écrire  par  l'empereur.  Le  patriarche  est  alors  en  butte  à  toutes  les 
les  calomnies.  Mandé  à  la  cour,  il  se  justifie  avec  une  telle  évidence,  que 
Constantin,  en  le  congédiant,  lui  remet  une  lettre  adressée  au  peuple 
d'Alexandrie,  où,  après  avoir  déploré  la  malice  de  ceux  qui  troublent  et 
divisent  l'Eglise  pour  satisfaire  leur  jalousie  et  leur  ambition,  il  ajoute  que 
les  méchants  n'ont  rien  pu  contre  leur  évêque,  dont  il  a  reconnu  l'innocence 
et  la  sainteté. 

Il  fallut  donc  se  taire  et  dissimuler  pendant  quelque  temps.  Mais  bientôt 
les  calomnies  recommencent  avec  un  acharnement  effronté.  La  cabale  que 
dirige  Eusèbe  est  en  même  temps  la  plus  fourbe  et  la  plus  audacieuse  qui 
fût  jamais.  Protestant  de  son  adhésion  à  la  foi  catholique,  ce  n'est  plus  la 


SAINT  ATHANASE,   DOCTEUR  DE  L'ÉGLISE.  245 

doctrine,  mais  le  caractère  et  la  conduite  d'Athanase  qu'elle  attaque  ;  c'est 
de  crimes  qu'elle  l'accuse.  Et  de  quels  crimes?  De  meurtres,  d'opérations 
magiques,  d'impures  violences. 

Alhanase  a  beau  se  justifier  encore  devant  l'empereur,  qui,  après  infor- 
mations prises  auprès  des  magistrats  d'Egypte,  s'irrite  de  ces  odieuses  in- 
ventions, et  menace,  si  elles  se  renouvellent,  d'en  chercher  les  auteurs. 
L'intrigant  Eusèbe  obtient  la  convocation  d'un  concile  particulier  à  Césarée, 
résidence  du  second  Eusèbe,  sous  prétexte  de  mettre  fin  aux  divisions, 
mais  au  fond  pour  y  faire  condamner  le  patriarche  d'Alexandrie,  et  il  a 
soin  d'y  faire  appeler  en  majorité  ses  partisans.  Aussi  Athanase  refuse-t-il 
pendant  ^rois  ans  de  comparaître  devant  des  juges  qui  sont  ses  ennemis; 
mais  en  344,  sur  les  ordres  formels  de  l'empereur,  à  qui  on  l'a  dépeint 
comme  un  homme  superbe  et  un  sujet  rebelle,  il  est  obligé  de  se  rendre  à 
Tyr,  où  le  synode  a  été  transféré. 

Parmi  les  imputations  déjà  détruites,  on  osa,  comme  Athanase  l'avait 
prévu,  reproduire  celles-là  mômes  dont  l'invraisemblance  seule  aurait  dû 
montrer  la  fausseté. 

Une  femme  fut  entendue,  qui  déclara  qu'elle  s'était  consacrée  à  Dieu 
par  vœu  de  virginité;  mais  que,  ayant  logé  dans  sa  maison  l'évêque  Atha- 
nase, celui-ci  n'avait  pas  rougi  d'outrager  les  droits  sacrés  de  l'hospitalité 
et  les  droits  plus  saints  encore  de  la  pudeur.  Athanase  innocent  était  aussi 
trop  habile  pour  se  laisser  confondre  par  cette  facile  et  banale  accusation. 
L'ayant  ouïe,  il  demeura  immobile  à  sa  place,  tandis  que  Timothée,  un  de 
ses  prêtres,  et  son  confident,  se  lève,  et,  s'avançant  vers  l'impudente  : 
«  Quoi  »,  lui  dit-il,  «  c'est  moi  qui  ai  commis  un  tel  crime  ?  —  Oui,  c'est 
vous  »,  s'écrie-t-elle  avec  force,  «  s'agitant,  tout  en  pleurs,  et  les  cheveux 
épars,  c'est  vous-même,  je  vous  reconnais  ».  Et  elle  indiquait  avec  assurance 
toutes  les  circonstances  de  l'attentat  imaginé.  Cette  flagrante  imposture  fut 
accueillie  par  un  rire  général,  et  la  misérable  ignominieusement  éconduite, 
malgré  les  instances  d'Athanase,  pour  qu'on  la  retînt,  afin  de  lui  faire  révé- 
ler les  auteurs  de  cette  trame  malencontreuse. 
Mais  voici  un  autre  prétendu  forfait. 

Arsène,  évêque  d'une  ville  delaThébaïde  et  l'un  des  sectateurs  deMélêce, 
cet  évêque  schismatique  dont  Arius  avait  embrassé  le  parti  avant  de  se  faire 
lui-même  chef  d'hérésie,  avait  disparu  tout  à  coup.  Les  Méléciens,  que  les 
Ariens  avaient  su  gagner  à  leur  cause,  accusèrent  Athanase  de  l'avoir  fait 
mourir.  Pour  preuve,  ils  portaient  et  montraient  de  ville  en  ville  une  main 
droite  d'homme,  prétendant  que  c'était  celle  d'Arsène,  dont  le  patriarche 
avait  voulu  se  servir  pour  des  opérations  magiques.  A  la  vue  de  cette  main 
desséchée,  les  membres  du  concile  furent  saisis,  les  uns  d'horreur,  vraie  ou 
feinte,  pour  l'attentat,  les  autres  d'indignation  contre  les  machinateurs  de 
l'affreuse  calomnie.  Athanase,  qui  s'était  préparé  à  y  donner  un  éclatant 
démenti,  seul  ne  fut  point  ému.  Aussitôt,  il  envoie  prendre  un  homme  qui 
attendait  à  la  porte,  et  qui  entre,  couvert  d'un  manteau.  C'était  Arsène  lui- 
même,  dont  Athanase  était  parvenu  à  découvrir  la  retraite  au  fond  de 
quelque  désert,  et  qu'il  avait  fait  amener  secrètement  à  Tyr.  Plusieurs  des 
assistants  connaissaient  parfaitement  Arsène  :  sa  présence  fut  un  coup  de 
foudre.  Athanase  s'étant  approché  de  lui  et  soulevant  peu  à  peu  son  man- 
teau, découvre  d'abord  la  main  gauche,  puis  la  main  droite.  «  Voilà  », 
dit-il,  «  Arsène  avec  ses  deux  mains,  le  Créateur  ne  nous  en  a  pas  donné 
davantage.  Que  mon  adversaire  montre  où  l'on  a  pris  la  troisième  ». 

C'était  trop  de  confusion  pour  les  accusateurs  d'Athanase;  à  cette  fois, 


248  2  mai. 

ils  ne  lui  pardonnèrent  ni  leur  supercherie  et  leur  sottise,  ni  son  habileté  et 
son  innocence.  Cette  confusion  se  change  tout  à  coup  en  aveugles  transports 
de  colère,  et  la  délibération  en  un  affreux  tumulte.  Si  cette  main  n'est  pas 
la  main  d'Arsène,  si  Arsène  est  vivant,  c'est  l'effet  de  quelque  sortilège,  c'est 
un  nouveau  coup  de  magie,  un  nouveau  grief  contre  Athanase.  Leur  fu- 
reur est  telle  qu'ils  se  seraient  portés  contre  lui  aux  dernières  violences, 
sans  le  gouverneur  de  la  Palestine  qui  l'arracha  de  leurs  mains,  et,  pour  le 
mettre  en  sûreté,  l'engagea  à  s'embarquer  la  nuit  suivante.  Athanase  fait 
voile  vers  Constantinople  et  va  demander  justice  à  l'empereur. 

Les  autres  chefs  d'accusation  ne  furent  pas  mieux  établis.  Qu'importe  ? 
la  décision  fut  telle  qu'on  la  devait  attendre  d'une  assemblée  délibérant 
sous  la  pression  des  Eusébiens  et  des  Méléciens  réunis,  et  de  la  force  armée 
que  l'empereur  avait  mise  à  leur  disposition.  Des  troupes  stationnaient  au- 
tour de  l'enceinte  sacrée  :  ce  n'étaient  plus  des  diacres,  mais  des  soldats  ou 
des  geôliers  qui  en  ouvraient  les  portes.  Athanase  fut  condamné  et  déposé 
par  des  juges  malintentionnés,  intimidés  ou  trompés.  Dans  la  crainte  que 
l'empereur  ne  voulût  pas  croire  aux  crimes  qu'on  lui  imputait,  on  eut  soin 
de  donner  pour  dernier  motif  de  cette  condamnation  qu'Athanase,  par  son 
orgueil  et  l'inflexibilité  de  son  caractère,  était  une  cause  de  division  et  de 
troubles  dans  l'Eglise  d'Alexandrie.  Toutefois,  de  nombreuses  et  coura- 
geuses voix  vengèrent  Athanase  de  l'injustice  dont  il  était  victime.  Le  con- 
cile se  composait  de  cent  neuf  évêques;  quarante-neuf  rendirent  témoi- 
gnage de  son  innocence  et  de  ses  vertus,  et  protestèrent  contre  l'iniquité 
de  ce  jugement. 

Dès  l'ouverture  du  concile,  le  vertueux  Potamon,  évêque  d'Héraclée  sur 
le  Nil,  voyant  Athanase  debout  devant  les  autres  évêques  assis,  dans  l'atti- 
tude d'un  accusé  devant  ses  juges,  ne  put  retenir  ses  larmes  et  son  indigna- 
tion :  «  Quoi,  Eusèbe  »,  dit-il  à  l'évêque  de  Césarée,  «  vous  êtes  assis,  vous, 
pour  juger  Athanase  qui  est  innocent!  Dites-moi,  n'étions-nous  pas  tous 
deux  en  prison  pendant  la  persécution  ?  J'y  perdis  un  œil,  vous  voilà  avec 
tous  vos  membres  :  comment  en  êtes-vous  sorti  ?  »  Ainsi,  cet  Eusèbe,  aussi 
bien  que  le  premier,  avait  apostasie  pendant  les  dernières  épreuves. 

L'illustre  confesseur,  saint  Paphnuce,  ancien  disciple  de  saint  Antoine 
et  alors  évêque  dans  la  haute  Thébaïde,  celui  auquel  Constantin  rendit  tant 
d'honneurs  au  concile  de  Nicée,  prenant  par  la  main  saint  Maxime  de  Jéru- 
salem, son  compagnon  de  martyre,  l'entraîna  hors  du  concile  en  lui  disant 
qu'après  avoir  souffert  ensemble  pour  Jésus-Christ,  ils  ne  devaient  pas  sié- 
ger dans  l'assemblée  des  méchants.  Il  l'instruisit  ensuite  de  toute  la  cons- 
piration qu'on  lui  avait  dissimulée  et  l'attacha  pour  toujours  à  la  cause 
d'Athanase. 

Il  restait  à  lever  l'anathème  dont  le  concile  œcuménique  avait  frappé 
Arius  et  à  le  rétablir  dans  F  église  d'Alexandrie.  Mais  un  ordre  de  l'empe- 
reur ayant  appelé  tout  à  coup  les  évêques  à  Jérusalem  pour  la  dédicace  de 
l'église  du  Saint-Sépulcre,  qui  venait  d'être  terminée,  ils  reprirent  dans  cette 
ville  la  suite  de  leurs  délibérations.  Arius  présenta  une  profession  de  foi  ac- 
compagnée de  lettres  de  recommandation  de  l'empereur,  à  qui  cette  pro- 
fession avait  paru  orthodoxe.  Le  concile  se  hâta  de  l'approuver  et  de  pro- 
noncer la  réunion  à  l'Eglise  d'Arius  et  de  tous  ceux  qui  avaient  suivi 
son  parti. 

Cependant  Athanase,  réfugié  à  Constantinople,  ne  pouvait  arriver  jus- 
qu'à l'empereur.  Les  Eusébiens  lui  fermaient  également  les  avenues  du  pa- 
lais et  le  cœur  du  prince.  Mais  Athanase,  par  une  démarche  hardie,  déjoua 


SAINT   ATHANASE,   DOCTEUR  DE   i/ÉGLISE.  247 

l'opposition  de  ses  ennemis.  L'empereur  entrait  un  jour  à  cheval  dans  la 
ville.  Athanase  s'approche  de  lui,  et  comme  l'empereur,  déjà  prévenu  par 
les  décisions  du  concile  de  Tyr,  avait  peine  à  l'écouter  :  «  Prince  »,  lui  dit-il, 
«Dieu  jugera  entre  vous  et  moi,  puisque,  prenant  parti  pour  mes  calom- 
niateurs, vous  refusez  de  m'entendre.  Je  ne  sollicite  aucune  faveur.  Qu'on 
me  confronte  seulement  devant  vous  avec  ceux  qui  m'ont  condamné  ». 
Cette  réclamation  était  trop  conforme  aux  principes  d'équité  et  de  modé- 
ration de  l'empereur  pour  n'être  pas  accueillie.  L'invitation  de  se  rendre 
aussitôt  à  Constantinople  pour  y  exposer  les  motifs  de  la  condamnation  du 
patriarche  d'Alexandrie,  consterna  les  évêques  qui  l'avaient  prononcée  et 
qui  se  trouvaient  encore  réunis  à  Jérusalem.  Mais  les  chefs  du  parti  furent 
assez  habiles  pour  les  engager  à  rentrer  dans  leurs  églises  après  s'être  fait 
déléguer  eux-mêmes  pour  représenter  leurs  collègues  auprès  de  l'empereur. 

Là,  les  fourbes  eurent-ils  le  front  de  répéter  les  accusations  auxquelles 
Athanase  avait  déjà  donné  de  si  foudroyants  démentis  ?  Non;  ils  en  impro- 
visèrent une  nouvelle  dont  le  succès  était  infaillible.  Athanase,  dirent-ils  à 
l'empereur,  a  menacé  d'arrêter  en  Egypte  le  blé  destiné  à  l'approvisionne- 
ment de  Constantinople.  C'était  attaquer  Constantin  par  l'endroit  le  plus 
sensible,  lui  que  rien  ne  préoccupait,  en  ce  moment,  comme  la  prospérité 
de  la  ville  dont  il  avait  jeté  les  fondements,  en  328,  sur  les  rives  enchantées 
du  Bosphore,  et  dont  il  voulait  faire  la  première  ville  du  monde. 

Malgré  les  dénégations  formelles  d'Athanase,  l'empereur,  qui  connais- 
sait l'ascendant  du  patriarche  dans  toute  l'Egypte,  crut  à  une  calomnie 
qu'Eusèbe  accompagnait  de  serments  et  l'exila  à  Trêves,  alors  la  capitale 
des  Gaules.  Injustement  accusé,  Athanase  s'était  défendu  sans  crainte;  in- 
justement condamné,  il  obéit  sans  murmure. 

La  terre  de  l'exil  fut  douce  et  hospitalière.  La  vénération  des  peuples, 
l'affection  de  saint  Maximin,  évêque  de  cette  ville,  la  bienveillance  et  les 
égards  du  jeune  Constantin,  qui  commandait  pour  son  père  dans  l'Occi- 
dent, consolèrent  le  glorieux  athlète  de  la  vérité,  de  la  disgrâce  du  prince 
et  de  l'acharnement  de  ses  ennemis. 

La  nouvelle  de  la  condamnation  et  du  bannissement  d'Athanase  répandit 
parmi  l'ardente  et  fidèle  population  d'Alexandrie  une  irritation  qui  put  à 
peine  se  contenir.  Les  villes  et  les  campagnes  de  l'Egypte,  les  solitudes 
mêmes  de  la  Thébaïde  en  furent  émues.  Mille  voix  s'élevèrent  de  toutes 
parts,  et  parmi  ces  voix,  la  plus  vénérée  de  ce  temps,  celle  de  saint  Antoine, 
pour  demander  le  rappel  de  l'illustre  patriarche;  mais  rien  ne  pat  faire  re- 
venir Constantin  d'une  mesure  qui,  justifiée  par  l'autorité  d'un  concile,  lui 
était  d'ailleurs  inspirée  par  son  aversion  pour  les  divisions  entre  les  chré- 
tiens. Il  espérait  que  l'absence  momentanée  d'Athanase  calmerait  les  esprits 
et  finirait  par  ramener  l'union  et  la  paix  dans  l'église  d'Orient.  Au  reste, 
Athanase  lui-même  s'est  plu  à  reconnaître  sur  ce  point  la  rectitude  d'in- 
tention de  Constantin.  Ce  prince  refusa  d'ailleurs  de  le  remplacer  par  un 
évêque  du  choix  des  Eusébiens  avec  une  résolution  et  des  menaces  qui  les 
firent  renoncer  à  leur  entreprise. 

Les  décisions  du  concile  de  Jérusalem  ne  devaient  pas  longtemps  porter 
bonheur  au  superbe  Arius  :  Alexandrie  le  repoussa  avec  horreur.  Rappelé 
par  l'empereur  à  Constantinople,  les  Eusébiens  se  flattèrent  de  donner  plus 
d'éclat  à  son  triomphe  en  le  faisant  rétablir  dans  l'église  même  de  la  rési- 
dence impériale.  Mais  là  se  rencontra,  pour  s'opposer  à  son  intrusion,  un 
autre  Alexandre  qui  honorait  son  nom  par  les  mêmes  vertus,  la  même  pu- 
reté et  la  même  fermeté  de  foi  que  le  patriarche  d'Egypte,  qui  le  premier 


248  2  mai. 

bannit  de  l'Eglise  le  prêtre  indocile.  Ni  prières  ni  menaces  ne  purent  déter- 
miner l'évêque  de  Constantinople  à  ouvrir  à  l'hérésiarque  les  portes  du 
sanctuaire.  Nécessité  fut  alors  aux  sectaires  de  recourir  à  l'autorité  de  l'em- 
pereur, qui,  avant  d'intervenir,  voulut  s'assurer  lui-même  des  véritables 
sentiments  d'Arius.  Celui-ci  renouvelle  devant  le  prince  ses  équivoques  pro- 
fessions de  foi.  «  Jurez,  lui  dit  Constantin,  que  votre  croyance  est  conforme 
aux  décrets  de  Nicée  ».  Ariusjura.  «S'il  en  est  ainsi,  reprit  l'empereur, 
allez  en  toute  assurance;  mais  si  votre  foi  trahit  votre  serment,  que  Dieu 
vous  juge  ».  Il  fait  appeler  aussitôt  saint  Alexandre,  lui  communique  les 
protestations  d'orthodoxie  qu'Arius  vient  de  réitérer  sous  la  foi  du  serment, 
et  ajoute  qu'il  faut  tendre  la  main  à  un  homme  qui  demande  à  se  sauver. 
L'évêque  représente  que  l'hérésiarque,  n'ayant  rétracté  aucune  de  ses  er- 
reurs, le  recevoir  dans  l'Eglise  ce  serait  y  introduire  l'hérésie  elle-même. 
L'empereur  s'irrite,  le  Saint  garde  un  silence  tout  à  la  fois  digne  et  respec- 
tueux, et  se  retire,  abandonnant  de  plus  en  plus  dans  son  cœur  sa  cause 
à  Dieu. 

Déjà,  depuis  sept  jours,  par  son  conseil  et  celui  de  l'illustre  évêque  da 
Nisibe,  saint  Jacques,  doué  du  don  de  prophétie  et  de  miracles,  qui  se  trou- 
vait en  ce  moment  à  Constantinople,  les  catholiques  imploraient,  dans  le 
jeûne  et  dans  les  larmes,  la  protection  du  ciel  contre  l'audacieuse  entre- 
prise de  l'erreur.  Sorti  du  palais  impérial  dans  une  profonde  affliction, 
l'évêque  va  se  jeter  au  pied  des  autels  et  demande  instamment  à  Dieu  d'é- 
pargner à  son  Eglise  un  tel  scandale.  C'était  un  samedi.  Eusèbe,  à  la  tête  de 
ses  partisans,  voulut  préluder  par  une  ovation  publique  à  l'installation  so- 
lennelle de  l'intrus,  fixée  au  lendemain.  La  multitude  des  Ariens  grossissait 
de  rue  en  rue,  tandis  qu'Arius  excitait  leur  enthousiasme  par  de  vains  et 
insolents  discours.  Parvenu  à  l'entrée  de  la  place  de  Constantin,  d'où  l'on 
apercevait  le  temple  où  devait  se  consommer  son  triomphe,  il  pâlit  tout  à 
coup,  et  saisi  de  violentes  douleurs  d'entrailles,  il  est  obligé  de  s'écarter  de 
la  foule.  On  le  trouve  bientôt  expirant  dans  le  lieu  secret  où  il  s'était  re- 
tiré :  digne  fin  d'une  vie  d'orgueil  et  de  sacrilège  hypocrisie.  La  justice  et 
la  patience  de  Dieu  n'attendent  pas  toujours  l'éternité  pour  punir. 

Plusieurs  Ariens  se  convertirent;  Constantin  vit  dans  ce  tragique  évé- 
nement le  châtiment  du  parjure  et  s'attacha  de  plus  en  plus  à  la  foi  de 
Nicée.  Le  lendemain,  les  catholiques  célébraient  en  paix  et  pleins  de  joie 
les  divins  mystères  et  leur  délivrance  miraculeuse.  Le  bannissement  de  saint 
Athanase  fut  la  dernière  faute  de  Constantin;  et  l'ordre  de  le  rappeler,  qu'il 
donna  un  an  après,  le  dernier  acte  de  sa  vie. 

11  laissa  trois  fils  :  Constantin,  Constance  et  Constant.  Au  premier 
échurent  la  Grande-Bretagne,  les  Gaules  et  l'Espagne;  au  second,  l'Asie  et 
l'Egypte;  au  troisième  l'illyrie,  la  Grèce,  l'Italie  et  l'Afrique. 

Constantin  le  Jeune  se  hâta  de  remplir  les  intentions  de  son  père,  et  de 
rendre  la  liberté  à  saint  Athanase,  qui  remonta  sur  son  siège,  l'an  338,  aux 
acclamations  du  peuple  d'Alexandrie  et  de  l'Egypte  entière. 

Le  rétablissement  d'Athanase  mortifia  sensiblement  les  Ariens;  aussi 
firent- ils  jouer  de  nouveaux  ressorts  pour  le  perdre.  Ils  mirent  dans  leurs 
intérêts  Constance,  qui  avait  eu  l'Orient  en  partage,  et  lui  représentèrent 
Athanase  comme  un  esprit  inquiet  et  turbulent  qui  depuis  son  retour  avait 
excité  des  séditions  et  commis  des  violences  et  des  meurtres.  Ils  l'accusèrent 
encore  d'avoir  vendu  à  son  profit  les  grains  destinés  à  la  nourriture  des 
veuves  et  des  ecclésiastiques  qui  habitaient  les  contrées  où  il  ne  venait  point 
de  blé.  Ils  formèrent  les  mêmes  accusations  auprès  de  Constantin  et  de 


SAINT  ATHANASE,    DOCTEUR  DE  i/ÉGLISE.  -49 

Constant;  mais  leurs  députés,  loin  de  réussir  à  persuader  ces  deux  princes, 
furent  renvoyés  avec  mépris.  Pour  Constance,  il  se  laissa  séduire  et  ajouta 
foi  au  dernier  chef  d'accusation.  Il  ne  fut  pas  difficile  au  patriarche  d'en 
démontrer  la  fausseté,  et  il  n'eut  autre  chose  à  faire  pour  cela  que  de  pro- 
duire les  attestations  des  évoques  de  Libye,  où  il  était  marqué  qu'ils  avaient 
reçu  la  quantité  ordinaire  de  froment.  La  calomnie  découverte  ne  dissipa 
point  les  préjugés  de  Constance.  Ce  malheureux  prince  était  gouverné  par 
Eusèbe  de  Nicomédie  et  par  d'autres  ariens,  qui  lui  inspiraient  leurs  propres 
sentiments,  et  qui  l'amenèrent  au  point  de  leur  permettre  d'élire  un  nou- 
veau patriarche  d'Alexandrie. 

La  permission  étant  accordée,  les  hérétiques  s'assemblèrent  à  Antioche 
sans  délai;  ils  déposèrent  Athanase,  et  élurent  en  sa  place  un  prêtre  égyp- 
tien de  leur  secte,  nommé  Piste.  Ce  mauvais  prêtre,  ainsi  que  1  évoque  qui 
le  sacra,  avait  été  précédemment  condamné  par  saint  Alexandre  et  par  le 
concile  de  Nicée.  Le  pape  Jules  refusa  de  communiquer  avec  cet  intrus,  et 
toutes  les  églises  catholiques  lui  dirent  anathème;  aussi  ne  put-il  jamais 
prendre  possession  d'une  dignité  qu'il  avait  usurpée. 

Athanase,  de  son  côté,  tint  à  Alexandrie  un  concile  où  se  trouvèrent 
cent  évêques.  On  y  prit  la  défense  de  la  foi,  et  l'on  y  reconnut  l'innocence 
du  patriarche.  Les  Pères  écrivirent  ensuite  une  lettre  circulaire  à  tous  les 
évêques,  et  l'envoyèrent  nommément  au  pape  Jules.  Le  Saint  alla  lui-même 
à  Rome  en  341;  mais  le  long  séjour  que  les  circonstances  l'obligèrent  de 
faire  dans  cette  ville,  donna  aux  Ariens  le  temps  de  tout  bouleverser  en  Orient. 

Dans  la  même  année  341 ,  il  y  eut  un  synode  à  Antioche,  à  l'occasion  de 
la  dédicace  de  la  grande  église.  On  fit  dans  ce  synode,  composé  d'évêques 
orthodoxes  et  hérétiques,  vingt-cinq  canons  de  discipline;  mais  les  prélats 
orthodoxes  ne  furent  pas  plus  tôt  partis,  que  les  hérétiques  y  en  ajoutèrent 
un  vingt-sixième,  qui  regardait  évidemment  saint  Athanase.  Il  portait  que 
si  un  évêque  déposé  justement  ou  injustement  dans  un  concile  retournait 
à  son  église  sans  avoir  été  réhabilité  par  un  concile  plus  nombreux  que 
celui  qui  avait  prononcé  la  déposition,  il  ne  pourrait  plus  espérer  d'être 
rétabli  ni  même  d'être  admis  à  se  justifier.  Ils  élurent  ensuite  un  certain 
Grégoire,  sorti  de  la  Cappadoce,  qui  combla  la  mesure  de  son  indignité  par 
sa  monstrueuse  ingratitude  pour  les  bienfaits  d'Athanase. 

Le  prétendu  patriarche,  escorté  de  soldats  que  commande  Philagre, 
gouverneur  de  l'Egypte,  fait  son  entrée  dans  Alexandrie  comme  dans  une 
ville  prise  d'assaut.  Le  peuple  réclama  contre  cette  nomination  et  ces  vio- 
lences, si  contraires  aux  traditions  et  à  la  discipline  de  l'Eglise.  Le  gouver- 
neur fit  à  ces  justes  plaintes  l'accueil  qu'on  devait  attendre  d'un  apostat 
décrié  pour  le  désordre  de  ses  mœurs  et  la  dureté  de  son  caractère.  Il  ap- 
pelle à  son  aide  les  Juifs,  les  païens,  la  plus  vile  populace,  qu'il  joint  à  ses 
cohortes.  Cette  troupe  hideuse  se  rue  sur  les  fidèles  assemblés  dans  les 
églises  et  s'y  livre  aux  plus  indécents  et  aux  plus  cruels  excès.  Il  y  eut  du 
sang  répandu,  les  femmes  furent  outragées,  les  païens  offrirent  à  leurs 
divinités  des  sacrifices  sur  la  table  sainte.  C'est  ainsi  que  les  erreurs  les  plus 
opposées  se  tolèrent  et  s'associent  pour  combattre  la  vérité. 

Le  Saint-Siège,  lui,  s'émut  de  tendresse  et  d'admiration  à  l'arrivée  d'un 
fils  si  dévoué,  d'un  si  glorieux  défenseur  de  la  foi  et  des  traditions  aposto- 
liques. Les  Eusébiens,  pendant  que  Constance  était  occupé  à  la  guerre 
contre  les  Perses,  avaient  accusé  Athanase  devant  le  chef  de  l'Eglise,  dont  ils 
proclamaient  ainsi  eux-mêmes  la  suprématie;  et  Athanase,  pour  répondre  à 
leurs  calomnies,  lui  avait  adressé  par  écrit  une  complète  justification  de  sa 


250  2  MAI. 

conduite,  confirmée  par  les  suffrages  des  évêques  d'Egypte,  témoins  oculaires 
des  faits.  Jules  Ier  accueillit  doue  Athanase  avec  les  égards,  l'affection  et 
l'honneur  dus  à  son  innocence,  à  son  zèle,  à  son  génie  et  à  ses  malheurs. 

Le  patriarche  prit  rang  au  concile  convoqué  par  le  Pape,  pour  instruire 
pleinement  ce  grand  procès  qui  divisait  l'Orient.  >a  présence,  la  bienveil- 
lance méritée  dont  il  était  l'objet,  déconcertèrent  ses  accusateurs.  Ils  n'o- 
sèrent pas  lui  tenir  tête  devant  un  tribunal  purement  ecclésiastique,  où 
l'absence  de  la  force  armée  et  des  ordres  du  prince  laisserait  la  vérité  et 
l'innocence  se  produire  en  toute  liberté,  et  ils  refusèrent  de  paraître  au 
concile,  afin  d'échapper  au  jugement  qu'ils  avaient  provoqué  les  premiers. 
Ce  jugement  eut  lieu  malgré  leur  abstention,  et  saint  Jules  le  proclama, 
dans  une  lettre  adressée  aux  Eusébiens,  avec  ce  ton  d'autorité  calme  et  de 
fermeté  affectueuse  qui  caractérise  le  suprême  gardien  de  la  foi,  le  père 
commun  des  fidèles.  Les  condamnations  prononcées  contre  Athanase  dans 
les  conciles  de  Tyr  et  d'Antioche,  la  nomination  et  l'installation  de  Grégoire 
furent  reconnues  entachées  de  passion  et  de  violence,  irrégulières  clans  la 
forme,  injustes  au  fond.  On  invoqua  en  même  temps  l'autorité  irréfragable 
du  concile  œcuménique  de  Nicée,  l'anathème  fulminé  par  ce  concile  contre 
Arius  et  ses  partisans,  et  enfin  les  prérogatives  de  l'Eglise  de  Rome,  son 
droit  traditionnel  et  incontestable  d'intervenir  dans  toutes  les  affaires  ma- 
jeures qui  intéressent  le  dogme  et  la  discipline. 

Les  orgueilleux  sectaires  ne  se  rendent  point  à  ces  arrêts,  et,  sous  l'égide 
de  Constance,  ils  continuent  à  exclure  des  principaux  sièges  les  évêques  or- 
thodoxes, jusqu'à  ce  que,  en  347,  à  la  demande  du  Pape  et  des  illustres 
évêques  de  Trêves  et  de  Cordoue,  Constant  obtient  de  son  frère  le  consen- 
tement à  une  réunion  des  évêques  d'Orient  et  d'Occident,  dans  la  ville  de 
Sardique,  située  en  Illyrie,  sur  les  confins  des  deux  empires. 

Dans  ce  concile,  où  le  Pape  envoya  ses  légats,  auquel  présida  le  grand 
Osius,  l'Eglise,  indépendante  et  unie  à  son  chef,  prononça  les  mêmes  oracles 
qu'à  Rome,  et  prit,  dès  le  premier  jour,  pour  principe  et  pour  règle  de  ses 
délibérations,  le  symbole  de  Nicée.  Le  droit  d'appel  et  de  recours  au  Saint- 
Siège  contre  les  décisions  des  conciles  particuliers  fut  de  nouveau  proclamé, 
Athanase  déclaré  seul  évêque  légitime  d'Alexandrie,  et  l'intrus  Grégoire 
exclu  de  la  communion  de  l'Eglise.  Deux  évêques  eusébiens,  abandonnant 
leur  parti,  vinrent  en  dévoiler  toute  la  mauvaise  foi  et  les  trames  coupables. 

Ici  encore,  les  ennemis  d'Athanase,  n'osant  affronter  la  discussion,  s'obs- 
tinèrent à  n'y  prendre  aucune  part,  renouvelèrent  leurs  protestations,  et, 
rentrés  en  Orient,  le  troublèrent  par  leur  audace  toujours  croissante.  Dans 
la  ville  d'Andrinople,  dix  catholiques,  qui  avaient  refusé  de  communiquer 
avec  eux,  furent  mis  à  mort  par  ordre  des  magistrats.  Partout  les  évêques 
catholiques  étaient  bannis,  maltraités,  odieusement  calomniés. 

Le  puissant  empereur  d'Occident,  instruit  et  indigné  de  ces  excès,  en 
écrivit  à  son  frère  sur  un  ton  qui  annonçait  qu'il  serait  dangereux  de  lui 
résister.  Les  emportements  des  Eusébiens  ouvrirent  d'ailleurs  un  instant  les 
yeux  à  Constance,  et  lui-même  se  sentit  saisi  tout  à  coup  d'admiration  pour 
le  grand  évêque  d'Alexandrie. 

Il  lui  écrivit  de  sa  main  à  plusieurs  reprises,  non-seulement  pour  l'inviter 
à  rentrer  dans  son  église,  mais  encore  pour  lui  exprimer  combien  il  serait 
heureux  de  le  voir,  et  le  presser,  le  conjurer  de  venir  à  la  cour.  Athanase  se 
délia  d'abord  d'une  bienveillance  si  imprévue  et  si  subite,  mais  il  dut  céder 
à  ces  instances  réitérées,  qu'accompagnaient  d'ailleurs  les  mesures  les  plus 
décisives.  La  persécution  avait  cessé  dans  toutes  les  provinces  ;  les  prêtres 


SAINT  ATHANASE,    DOCTEUR   DE   L'ÉGLISE.  251 

d'Alexandrie,  bannis  pour  leur  fidélité  à  leur  évêque,  étaient  rappelés.  Ayant 
pris  congé,  à  Milan,  de  l'empereur  Constant,  et  à  Rome,  du  pape  Jules, 
Athanase  reprend  le  chemin  de  l'Orient  et  voit  Constance  dans  Antioche. 
Cet  empereur  l'accueillit  avec  bonté,  l'entoura,  pendant  son  séjour,  de 
considération  et  de  respect,  et  à  son  départ,  lui  promit  avec  serment  de  ne 
plus  ouvrir  l'oreille  aux  calomnies,  de  ne  plus  souffrir  qu'on  le  troublât  dans 
son  ministère. 

Alexandrie  le  reçut  avec  les  mêmes  transports  de  joie  qui  avaient  éclaté 
à  son  premier  retour  ;  le  souvenir  des  cruautés  de  l'intrus  en  doublait  la 
vivacité.  Sa  présence  eut  des  effets  plus  importants.  Elle  refoula  autour  de 
lui  les  mauvaises  passions,  excita  la  passion  du  bien  et  de  toutes  les  vertus 
évangéliques.  Les  œuvres  de  miséricorde  se  multiplièrent  et  s'étendirent 
à  tous  les  infortunés.  Que  de  jeunes  hommes,  que  de  jeunes  filles,  sous  l'in- 
fluence de  ses  exemples,  embrassèrent  une  vie  de  sacrifices  et  d'héroïque 
dévouement  ! 

Malheureusement,  les  bienveillantes  dispositions  de  Constance  ne  furent 
pas  de  longue  durée.  Le  principal  appui  des  catholiques,  l'infortuné  Cons- 
tant, perdit  le  trône  et  la  vie,  en  330,  à  l'âge  de  vingt-sept  ans,  victime  d'une 
conspiration  ourdie  par  Magnence,  un  de  ses  généraux.  Délivré  de  la  crainte 
des  Perses  par  leur  déroute  sous  les  murs  de  Nisibe,  qu'il  dut  moins  à  ses 
armes  qu'aux  conseils  et  aux  miracles  de  saint  Jacques,  illustre  évêque  de 
cette  ville,  Constance  vengea  bientôt  la  mort  de  son  frère.  La  victoire  qu'il 
remporta  sur  l'usurpateur,  dans  les  champs  de  la  Pannonie,  mit  le  monde 
à  ses  pieds.  La  prospérité  est  funeste  aux  âmes  vaines  et  faibles.  Il  rougit 
d'avoir  cédé  aux  remontrances  de  son  frère  en  faveur  d'Athanase.  Il  oublia 
ses  serments.  Les  orthodoxes  sont  en  butte,  sur  tous  les  points  de  l'empire, 
à  une  violente  persécution,  qui,  sous  le  fils  de  Constantin,  rappelle  l'ère 
sanglante  des  martyrs. 

Dans  la  capitale  de  l'Egypte,  un  chef  militaire  à  la  tête  de  cinq  mille 
soldats,  envahit,  la  nuit,  l'église  où  priait  Athanase  avec  une  multitude 
considérable  de  peuple.  L'épée  est  tirée,  des  flèches  sont  lancées  contre 
cette  foule  agenouillée.  A  cette  subite  et  farouche  attaque,  le  peuple  se 
presse  autour  de  son  évêque,  qu'on  veut  lui  enlever,  ou  plutcH  qu'on  veut 
immoler  au  pied  des  autels.  Dans  cet  affreux  tumulte,  le  patriarche  élève 
sa  voix  toujours  obéie,  il  ordonne  aux  fidèles  de  se  retirer  et  de  se  mettre 
en  sûreté  eux-mêmes.  Pour  lui,  il  ne  sortit  que  des  derniers,  enveloppé, 
emporté  par  un  groupe  dévoué,  qui  vint  à  bout  de  le  dérober  aux  traits  de 
la  troupe  homicide. 

Proscrit  et  fugitif,  Athanase  ne  peut  croire  que  Constance  ait  commandé 
ces  sacrilèges  violences;  il  compte  d'ailleurs  encore  sur  ses  anciennes  pro- 
testations et  sur  sa  bonne  foi.  Pour  l'éclairer,  il  lui  adresse  une  grande 
apologie  où  il  réfute  un  à  un  tous  les  griefs  des  Ariens.  Ecoutons-le  ré- 
pondre à  l'accusation  d'une  prétendue  correspondance  avec  l'usurpateur 
Magnence  :  a  Le  reproche  d'avoir  voulu  irriter  contre  vous  votre  frère, 
d'heureuse  mémoire,  avait  du  moins  quelque  prétexte  aux  yeux  des  calom- 
niateurs. En  effet,  j'avais  le  privilège  de  le  voir  librement,  et  il  me  défendait 
contre  vous.  Présent,  il  m'honorait,  absent,  il  m'a  souvent  appelé.  Mais  cet 
infernal  Magnence,  Dieu  m'est  témoin  que  je  ne  le  connais  pas.  Quelle  fami- 
liarité pouvait  donc  s'établir  d'un  inconnu  à  un  inconnu  ?  Par  où  pouvais-je 
commencer  une  lettre  à  lui  ?  Etait-ce  ainsi  :  Tu  as  bien  fait  de  tuer  celui 
qui  me  comblait  d'honneurs  et  dont  je  n'oublierai  jamais  l'amitié  ?  Je  t'aime 
d'avoir  égorgé  ceux  qui,  dans  Rome,  m'ont  accueilli  avec  tant  de  faveur  ?  » 


252  2  mai. 

Cette  justification,  étincelan te  d'éloquence  et  de  vérité,  n'eut  pas  de 
prise  sur  l'âme  prévenue  de  Constance.  Il  n'en  devint  que  plus  obstiné,  et 
son  fanatisme,  plus  violent.  Un  nouvel  intrus  du  nom  de  Georges,  autrefois 
chargé  de  fournir  la  viande  de  porc  à  l'armée,  et  pire  que  Grégoire,  désho- 
nora, fit  frémir  d'indignation  par  sa  grossièreté,  par  son  ignorance,  par  son 
avarice  et  sa  cruauté,  l'illustre  siège  d'Alexandrie  que  réjouissaient  naguères 
les  nobles  qualités,  le  génie  et  les  vertus  d'Athanase.  Constance  assemble 
conciles  sur  conciles,  auxquels  il  impose,  avec  d'astucieuses  formules  de 
foi,  plus  ou  moins  favorables  à  l'hérésie,  l'inévitable  condition  de  la  con- 
damnation du  patriarche.  Il  en  fut  ainsi  à  Sirmich  en  Hongrie,  à  Rimini  en 
Italie,  à  Arles  en  France.  Les  évoques  qui  refusent  de  les  souscrire  sont  en- 
voyés dans  de  lointains  et  rigoureux  exils. 

Athanase  lui-même  errait  de  déserts  en  déserts,  toujours  recherché  et 
souvent  poursuivi  de  près  par  les  soldats  et  les  espions  des  gouverneurs  ro- 
mains. Quelquefois,  pour  leur  échapper,  il  rentrait  dans  les  populeuses  cités 
de  l'Egypte,  où  la  foule  ne  le  cachait  pas  moins  que  la  solitude.  Mais  sa 
retraite  préférée  était  dans  les  monastères  et  les  ermitages  de  la  Thébaïde, 
dont  il  aimait  à  partager  les  études,  le  silence  et  les  austérités.  Là  une  nom- 
breuse et  ardente  milice,  prête  à  mourir  pour  lui,  savait  le  soustraire  aux 
perquisitions,  remplissait  ses  messages,  copiait  et  propageait  ses  écrits  dans 
les  sociétés  chrétiennes  de  l'Orient.  «  C'est  de  là,  dit  M.  Villemain,  qu'A- 
thanase  encourageait  les  évêques  d'Egypte  zélés  pour  sa  cause;  qu'il  adres- 
sait des  lettres  apostoliques  à  son  église  d'Alexandrie;  qu'il  répondait 
savamment  aux  hérétiques  ;  qu'il  lançait  des  anathèmes  contre  ses  persé- 
cuteurs. Du  fond  de  sa  cellule,  il  était  le  patriarche  invisible  de  l'Egypte  ». 
On  ne  lui  permit  pas  de  jouir  longtemps  de  la  compagnie  des  solitaires. 
Ses  ennemis  mirent  sa  tête  à  prix.  Des  soldats  furent  chargés  de  faire  par- 
tout des  perquisitions  pour  le  découvrir.  On  eut  beau  maltraiter  les  moines, 
ils  furent  fermes  et  donnèrent  à  entendre  qu'ils  souffriraient  plutôt  la  mort 
que  de  déceler  le  lieu  où  Athanase  était  caché.  Quelque  agréable  que  fût 
au  patriarche  la  compagnie  de  ces  saints  hôtes,  il  résolut  de  les  quitter,  afin 
de  ne  pas  les  exposer  à  de  plus  rudes  souffrances.  Il  se  retira  donc  dans  une 
citerne,  où  il  pouvait  à  peine  respirer.  La  seule  personne  qu'il  vît  était  un 
fidèle  qui  lui  apportait  ses  lettres  et  les  choses  dont  il  avait  besoin  pour 
subsister;  encore  ce  fidèle  courait-il  de  grands  dangers,  tant  les  recherches 
des  Ariens  étaient  opiniâtres. 

La  mort  de  Constance  suspendit  seule  la  persécution.  Ce  prince  fut  em- 
porté par  une  maladie  subite,  lorsque  des  extrémités  de  l'Orient  il  courait 
dans  les  Gaules,  pour  réprimer  la  révolte  du  César  Julien,  que  les  troupes 
venaient  de  proclamer  Auguste,  et  qui  lui  succéda. 

Vers  le  même  temps,  l'intrus  d'Alexandrie  devenait  odieux  à  tous  les 
partis,  aux  païens  eux-mêmes,  qu'enhardissait  l'avènement  de  Julien  l'A- 
postat. Ceux-ci  le  tuèrent  dans  une  sédition  populaire;  puis  chargeant  son 
corps  sur  un  chameau,  ils  le  traînèrent  par  toute  la  ville,  le  brûlèrent  avec 
cet  animal  qui  leur  semblait  impur  pour  avoir  touché  le  cadavre  de  ce  sa- 
crilège, et  enfin  jetèrent  ses  cendres  à  la  mer.  D'un  autre  côté,  le  prince 
philosophe ,  par  ostentation  de  tolérance,  rappela  d'abord  les  évêques  exilés 
par  la  faction  arienne.  Le  retour  d'Athanase,  dont  l'absence  avait  été  plus 
que  jamais  regrettée,  excita  dans  l'Egypte  un  tressaillement  d'allégresse  et 
d'enthousiasme  populaire  dont  l'histoire  offre  peu  d'exemples.  Ce  fut,  pour 
Alexandrie  surtout,  une  fête  telle  que  l'empire  romain  n'en  connaissait  plus 
depuis  l'abolition  des  anciens  triomphes.  Il  ne  manqua  à  celui-ci  que  les 


SAINT  ATHANASE,    DOCTEUR  DE  L'ÉGLISE.  253 

spectacles  des  vaincus  enchaînés  et  l'orgueil  du  vainqueur.  Les  populations 
de  l'Egypte  étaient  accourues  pour  joindre  leurs  transports  à  ceux  des  ha- 
bitants et  des  étrangers  de  toutes  les  nations,  qui  affluaient  dans  ce  port, 
centre  du  commerce  du  monde.  Les  catholiques  révéraient  en  lui  un  Saint, 
le  plus  illustre  défenseur  de  leur  foi;  tous,  un  grand  homme,  un  bienfai- 
teur, un  père.  Au  premier  bruit  de  son  arrivée,  un  peuple  immense  se 
précipita  hors  des  murs.  Les  rivages  du  Nil  étaient  couverts  de  spectateurs. 
On  était  content  de  le  voir  seulement  de  loin,  d'entendre  le  son  de  sa  voix. 
Plus  heureux  ceux  qui  pouvaient  toucher  sa  robe,  ou  du  moins  rencontrer 
son  ombre.  Dans  la  pompe  triomphale,  le  peuple  était  groupé  par  rang 
d'âge,  de  sexe,  de  classe,  de  nation.  Les  applaudissements,  les  acclama- 
tions, les  chants  joyeux,  qui  se  succèdent  ou  se  confondent,  retentissent  de 
toutes  parts.  Le  soir  venu,  mille  flambeaux  inondent  la  ville  de  flots  de  lu- 
mière, tandis  que  la  mer  est  éclairée  au  loin  des  feux  resplendissants  des 
hautes  tours  du  Musée.  Des  festins  et  d'innocents  plaisirs  prolongent  jus- 
qu'au sein  de  la  nuit  le  bruit  et  le  mouvement  du  jour.  Depuis,  quand  on 
voulait  dire  qu'un  gouverneur  avait  été  bien  reçu  dans  la  capitale  de 
l'Egypte,  on  disait,  par  manière  de  proverbe,  qu'on  lui  avait  fait  autant 
d'honneur  qu'au  grand  Athanase.  L'hérésie  était  vaincue  dans  Alexandrie. 
Les  catholiques  rentrèrent  dans  toutes  les  églises,  les  Ariens  furent  réduits 
à  tenir  leurs  assemblées  dans  des  maisons  particulières. 

Quelque  temps  après,  Athanase  se  vit  exposé  à  de  nouvelles  épreuves 
de  la  part  de  Julien.  Ce  prince  avait  enfin  levé  le  masque,  et  ne  déguisait 
plus  ses  sentiments  par  rapport  au  paganisme.  Les  prêtres  des  idoles  d'A- 
lexandrie se  plaignirent  à  lui  de  l'efficacité  des  moyens  que  le  patriarche 
employait  contre  leurs  superstitions,  et  ils  ajoutèrent  que  s'il  restait  plus 
longtemps  dans  la  ville,  on  y  verrait  bientôt  les  dieux  sans  aucun  adora- 
teur. Leurs  plaintes  furent  écoutées  favorablement.  L'empereur  répondit 
qu'en  permettant  aux  chrétiens,  qu'il  appelait  Galiléens,  par  dérision,  de 
revenir  dans  leur  pays,  il  ne  leur  avait  point  accordé  le  droit  de  rentrer 
dans  leurs  églises;  qu' Athanase  en  particulier  n'aurait  pas  dû  porter  la  té- 
mérité si  loin  que  les  autres,  lui  qui  avait  été  exilé  par  plusieurs  empereurs. 
Il  lui  fit  donc  signifier  de  sortir  de  la  ville  aussitôt  l'ordre  reçu,  et  cela  sous 
peine  d'être  sévèrement  puni.  Il  arrêta  même  sa  mort,  et  un  de  ses  officiers 
fut  chargé  de  l'exécution  de  cet  arrêt. 

Lorsque  les  ordres  du  prince  furent  arrivés  à  Alexandrie,  la  douleur  et 
la  consternation  s'emparèrent  de  tous  les  fidèles.  Athanase  les  consola  et 
leur  dit  de  mettre  en  Dieu  leur  confiance,  les  assurant  que  l'orage  passerait 
bientôt.  Ayant  ensuite  recommandé  son  troupeau  à  ses  amis,  il  s'embarqua 
sur  le  Nil  pour  aller  dans  la  Thébaïde. 

L'officier  qui  avait  ordre  de  le  mettre  à  mort  n'eut  pas  plus  tôt  été  in- 
formé de  sa  fuite,  qu'il  le  poursuivit  avec  ardeur.  Le  Saint  fut  averti  à  temps 
du  danger.  Ceux  qui  l'accompagnaient  lui  conseillèrent  de  s'enfoncer  dans  les 
déserts;  mais  il  n'en  voulut  rien  faire;  il  ordonna  même  qu'on  le  ramenât 
vers  Alexandrie,  en  disant  :  «  Montrons  que  celui  qui  nous  protège  est  plus 
puissant  que  celui  qui  nous  persécute  ».  L'officier,  les  ayant  joints  sans  les 
connaître,  leur  demanda  s'ils  n'avaient  point  vu  Athanase.  «  Vous  êtes  pré- 
cisément sur  ses  traces;  il  ne  s'en  faut  de  rien  que  vous  lui  mettiez  la  main 
dessus  ».  L'officier  continua  sa  route,  pendant  qu' Athanase  se  rendit  à 
Alexandrie,  où  il  demeura  quelque  temps  caché. 

Julien  ayant  donné  de  nouveaux  ordres  pour  qu'on  le  mît  à  mort,  il  se 
retira  dans  les  déserts  de  la  Thébaïde.  Il  s'y  voyait  souvent  obligé  de  changer 


254  2  mai. 

de  demeure  pour  échapper  aux  perquisitions  de  ses  ennemis.  Il  était  à  An- 
tinoé,  lorsque  saint  Théodore  de  Thabenne  et  saint  Pamraon,  tous  deux 
abbés  solitaires,  vinrent  lui  rendre  visite.  Ils  le  consolèrent  en  lui  assurant 
que  ses  peines  allaient  finir.  Ils  lui  racontèrent  ensuite  comment  Dieu  leur 
avait  révélé  la  mort  de  Julien.  Ils  ajoutèrent  encore  qu'ils  avaient  appris 
par  la  même  voie,  que  Julien  aurait  pour  successeur  un  prince  religieux, 
mais  que  son  règne  serait  fort  court. 

Ce  prince  était  Jovien.  Il  refusa  d'accepter  l'empire  qu'on  lui  offrait, 
jusqu'à  ce  que  l'armée  se  fût  déclarée  pour  la  religion  chrétienne.  A  peine 
eut-il  été  placé  sur  le  trône  impérial,  qu'il  révoqua  la  sentence  de  bannis- 
sement portée  contre  Athanase.  Il  lui  écrivit  en  môme  temps  une  lettre, 
où,  après  avoir  donné  de  justes  louanges  à  sa  fermeté  et  à  ses  autres  vertus, 
il  le  priait  instamment  de  venir  reprendre  le  gouvernement  de  son  église. 

Athanase  n'avait  point  attendu  les  ordres  de  l'empereur  pour  quitter  sa 
retraite  :  il  en  était  sorti  immédiatement  après  la  mort  de  Julien,  et  il  était 
revenu  à  Alexandrie.  Son  arrivée  imprévue  avait  causé  autant  de  joie  que 
de  surprise.  Son  premier  soin,  quand  il  se  vit  rendu  à  son  troupeau,  fut  de 
reprendre  ses  fonctions  ordinaires.  L'empereur,  le  connaissant  pour  un  des 
plus  zélés  défenseurs  de  l'orthodoxie,  lui  écrivit  une  seconde  lettre,  dans 
laquelle  il  le  priait  de  lui  envoyer  une  exposition  de  la  vraie  foi,  et  de  lui 
tracer  le  plan  de  conduite  qu'il  devait  suivre  par  rapport  aux  affaires  de 
l'Eglise.  Athanase  ne  voulut  répondre  qu'après  avoir  conféré  avec  de  sa- 
vants évoques  qu'il  fit  assembler  pour  cet  effet.  Sa  réponse  portait  qu'il  fal- 
lait s'attacher  à  la  foi  de  Nicée,  qui  était  celle  des  Apôtres,  qui  avait  été 
prêchée  dans  les  siècles  suivants,  et  qui  était  encore  la  foi  de  tout  le  monde 
chrétien,  «  à  l'exception  d'un  petit  nombre  de  personnes  qui  avaient  em- 
brassé les  sentiments  d'Arius  ». 

Les  Ariens  firent  d'inutiles  efforts  pour  noircir  Athanase  dans  l'esprit  de 
l'empereur  :  ils  ne  retirèrent  que  de  la  confusion  de  leurs  calomnies.  Jo- 
vien eut  envie  de  voir  le  saint  patriarche,  dont  il  avait  conçu  une  haute 
idée;  il  le  manda  donc  à  Antioche,  où  la  cour  était  alors,  et  il  lui  donna 
mille  marques  d'estime  et  d'amitié.  Athanase,  ayant  satisfait  au  désir  et  aux 
consultations  du  prince ,  partit  d'Antioche  et  se  hâta  de  retourner  à 
Alexandrie. 

Jovien  étant  mort  le  17  février  364,  après  un  règne  de  huit  mois,  Valen- 
tinien  lui  succéda  à  l'empire.  Comme  il  voulait  faire  sa  résidence  dans  l'Oc- 
cident, il  partagea  ses  états  avec  son  frère  Valens  et  lui  donna  l'Orient  à 
gouverner.  Ce  dernier,  qui  avait  toujours  eu  du  penchant  pour  l'arianisme, 
ne  tarda  pas  à  manifester  ses  sentiments.  Ayant  reçu  le  baptême  en  367,  des 
mains  d'Eudoxe,  évêque  des  Ariens  de  Constantinopîe,  il  publia  un  éditpar 
lequel  il  bannissait  tous  les  évoques  que  Constance  avait  privés  de  leurs 
sièges. 

A  la  nouvelle  de  l'édit,  le  peuple  d'Alexandrie  s'assembla  en  tumulte 
pour  demander  au  gouverneur  de  la  province  qu'on  lui  laissât  son  évêque. 
Le  gouverneur  promit  d'en  écrire  à  Valens,  et  les  esprits  se  calmèrent. 
Athanase,  voyant  la  sédition  apaisée,  s'enfuit  secrètement  de  la  ville  pour 
se  retirer  à  la  campagne,  et  il  s'y  cacha  durant  quatre  mois  dans  le  caveau 
où  son  père  avait  été  enterré.  La  nuit  suivante,  le  gouverneur  et  le  général 
des  troupes  s'emparèrent  de  l'église  où  il  faisait  ordinairement  ses  fonc- 
tions. Ils  l'y  cherchèrent  inutilement,  sa  retraite  l'avait  dérobé  à  leur  pour- 
suite. C'était  la  cinquième  fois  qu'on  l'obligeait  à  quitter  son  siège. 

Dès  que  le  peuple  sut  le  départ  du  saint  patriarche,  il  en  témoigna  sa 


SAEST  ATHANASE,   DOCTEUR  DE   L  EGLISE.  2o5 

douleur  par  ses  cris  et  par  ses  larmes.  Tous  s'adressèrent  au  gouverneur  et 
le  prièrent  de  ménager  le  retour  de  leur  évêque.  Valens,  informé  de  tout 
ce  qui  se  passait,  craignit  qu'il  ne  s'élevât  quelque  sédition;  il  prit  donc  le 
parti  d'accorder  aux  habitants  d'Alexandrie  ce  qu'ils  lui  demandaient  avec 
tant  de  chaleur.  En  conséquence,  il  manda  qu' Athanase  pouvait  demeurer 
en  paix  à  Alexandrie  et  qu'on  ne  le  troublerait  point  dans  la  possession  des 
églises. 

On  est  surpris  et  effrayé  de  toutes  les  scènes  horribles  que  présente 
l'histoire  de  l'arianisme.  L'impiété,  l'hypocrisie,  la  dissimulation,  la  ma- 
lice, la  perfidie  des  Ariens  paraîtraient  incroyables,  si  elles  n'étaient  ap- 
puyées sur  le  témoignage  de  tous  les  historiens  du  temps,  et  de  saint  Atha- 
nase  lui-même.  Les  faits  dont  il  s'agit  étaient  notoires;  ils  se  passaient  à  la 
face  de  tout  l'univers;  ils  étaient  consignés  dans  les  synodes  des  Ariens; 
aussi  saint  Athanase  les  inséra-t-il  dans  son  apologie,  faite  pour  devenir 
publique,  avec  toutes  les  circonstances  odieuses  qui  les  accompagnaient, 
sans  craindre  que  l'on  s'inscrivît  en  faux  contre  tout  ce  qu'il  avançait. 

Mais  ce  serait  peu  connaître  le  saint  patriarche  d'Alexandrie,  que  de 
s'en  tenir  à  ces  traits  éclatants  qui  ont  fait  de  lui  un  des  principaux  héros 
du  christianisme.  Sa  vie  privée  doit  aussi  fixer  notre  admiration.  «  Il  était, 
dit  saint  Grégoire  de  Nazianze  l,  d'une  humilité  si  profonde  que  nul  ne 
portait  cette  vertu  plus  loin  que  lui.  Doux  et  affable,  il  n'y  avait  personne 
qui  n'eût  auprès  de  lui  un  accès  facile.  Il  joignait  à  une  bonté  inaltérable, 
une  tendre  compassion  pour  les  malheureux.  Ses  discours  avaient  je  ne  sais 
quoi  d'aimable  qui  captivait  tous  les  cœurs;  mais  ils  faisaient  encore  moins 
d'impression  que  sa  manière  de  vivre.  Ses  réprimandes  étaient  sans  amer- 
tume, et  ses  louanges  servaient  de  leçon;  il  savait  si  bien  mesurer  les  unes 
et  les  autres,  qu'il  reprenait  avec  la  tendresse  d'un  père  et  louait  avec  la 
gravité  d'un  maître.  Il  était  tout  à  la  fois  indulgent  sans  faiblesse  et  ferme 
sans  dureté.  Tous  lisaient  leur  devoir  dans  sa  conduite;  et  quand  il  parlait, 
ses  discours  avaient  tant  d'efficacité  qu'il  n'était  presque  jamais  obligé  de 
recourir  aux  voies  de  rigueur.  Les  personnes  de  tout  état  trouvaient  en  lui 
de  quoi  admirer  et  de  quoi  imiter.  Il  était  fervent  et  assidu  à  la  prière,  aus- 
tère dans  les  jeûnes,  infatigable  dans  les  veilles  et  dans  le  chant  des  psaumes, 
plein  de  charité  pour  les  pauvres,  condescendant  pour  les  petits,  intrépide 
lorsqu'il  s'agissait  de  s'opposer  aux  injustices  des  grands  ».  Il  avait,  selon  le 
même  auteur,  le  talent  de  persuader  ceux  qui  étaient  d'un  sentiment  con- 
traire au  sien,  à  moins  qu'ils  ne  fussent  endurcis  dans  le  mal;  et  alors  ceux 
qui  ne  se  laissaient  pas  gagner  ressentaient  une  vénération  secrète  pour  sa 
personne.  Quant  à  ses  persécuteurs,  ils  trouvaient  en  lui  une  âme  inflexible 
et  supérieure  à  toutes  les  considérations  humaines.  Semblable  à  un  roc,  rien 
n'était  capable  de  le  faire  fléchir  en  faveur  de  l'injustice. 

Athanase,  après  avoir  soutenu  de  rudes  combats  et  remporté  de  glo- 
rieuses victoires  sur  les  ennemis  de  la  foi,  passa  à  une  meilleure  vie  le  18 
janvier  373  2.  Il  mourut  dans  son  lit,  dit  la  légende  du  Bréviaire  romain.  Il 
trouvait  enfin  dans  la  mort  un  repos  qu'il  avait  longtemps  demandé  vai- 
nement aux  grottes  des  montagnes  et  aux  profondeurs  des  déserts.  Il  avait 
gouverné  quarante-six  ans  l'église  d'Alexandrie 3. 

1.  Or.  21. 

2.  Cette  date  est  appuyée  sur  l'autorité'  de  la  Chronique  orientale  des  Cophtes,  ainsi  que  sur  celle  do 
■aint  Profère  et  de  saint  Jérôme.  Socrate  s'est  donc  trompé  en  Hiettant  la  mort  de  saint  Athanase  en  37L. 

3.  Les  Grecs  honorent  saint  Athanase  le  2  de  mai,  jour  auquel  ses  reliques  furent  déposées  dans  l*é- 
gl:s2  de  Sainte-Sophie,  à  Constantinople,  lors  de  la  translation  qui  s'en  fit  d'Alexandrie  en  cette  ville. 
(Voir  leurs  éphémérides  dans  leurs   synaxaires.)  Ils  en  font  encore  mémoire  le  18  de  janvier,  que  M.  A»- 


256  2  mai. 

Voici  de  quelle  manière  sa  mort  est  décrite  par  saint  Grégoire  de  Na- 
zianze  :  «  Il  termina  sa  vie  dans  un  âge  fort  avancé,  pour  aller  se  réunir  à 
ses  pères,  aux  patriarches,  aux  prophètes,  aux  apôtres,  aux  martyrs,  à 
l'exemple  desquels  il  avait  généreusement  combattu  pour  la  vérité.  Je  dirai, 
pour  renfermer  son  épitaphe  en  peu  de  mots,  qu'il  sortit  de  cette  vie  mor- 
telle avec  beaucoup  plus  d'honneur  et  de  gloire  qu'il  n'en  avait  reçu  à 
Alexandrie,  lorsqu'après  ses  différents  exils,  il  y  rentra  de  la  manière  la 
plus  triomphante.  Qui  ne  sait  en  effet  que  tous  les  gens  de  bien  pleurèrent 
amèrement  sa  mort,  et  que  la  mémoire  de  son  nom  est  restée  profondé- 
ment gravée  dans  leurs  cœurs  ?....  Puisse-t-il  du  haut  du  ciel  abaisser  sur 
moi  ses  regards,  me  favoriser,  m'assister  dans  le  gouvernement  de  mon 
troupeau,  conserver  dans  mon  église  le  dépôt  de  la  vraie  foi  1  Et  si,  pour 
les  péchés  du  monde,  nous  devons  éprouver  les  ravages  de  l'hérésie,  puisse- 
t-il  nous  délivrer  de  ces  maux,  et  nous  obtenir,  par  son  intercession,  la 
grâce  de  jouir  avec  lui  de  la  vue  de  Dieu  !  » 

On  peut  représenter  saint  Athanase  dans  une  barque  remontant  le  Nil 
et  s'enfuyant;  assis,  tenant  une  plume  et  écrivant.  On  l'invoque  contre  les 
maux  de  tête,  probablement  en  sa  qualité  d'homme  d'esprit. 

RELIQUES  ET  ÉCRITS  DE  SAINT  ATHANASE. 

Le  corps  de  saint  Athanase,  déposé  un  2  mai,  on  ne  sait  en  quelle  année ,  dans  l'église  de 
Sainte-Sophie,  à  Constantinople,  fut.  transféré,  en  1454,  à  Venise.  La  tête,  néanmoins,  manque. 
Les  Espagnols  ont  prétendu  qu'elle  était  au  monastère  de  Valvanère,  dans  le  diocèse  de  Cala- 
horra  ;  mais  cette  prétention  n'est  nullement  fondée.  Le  Père  Papebroch  parlant,  au  2  mai  des 
Acta  Sanctorum,  de  la  tradition  des  moines  de  Valvanère,  dit  :  «  Ils  ne  peuvent  la  prouver. 
C'est  pourquoi  je  me  range  plus  volontiers  à  l'opinion  d'Antoine  Yepès,  qui  affirme  que  cette  tète 
n'est  autre  que  celle  d'un  religieux  nommé  Athanase  qui  fut  cuisinier  en  ce  couvent  et  y  mourut 
en  odeur  de  sainteté.  C'est  ce  qui  donna  naissance  à  la  fable  d'Athanase  le  Grand  se  réfugiant  à 
Valvanère.  Tamayus  Salazar,  dans  son  martyrologe  d'Espagne,  partage  l'avis  d'Yepès....  »  L'opi- 
nion de  ces  deux  auteurs  est  d'un  poids  d'autant  plus  grand,  qu'ils  ont  la  manie  de  naturaliser 
Espagnols  un  grand  nombre  de  saints  et  de  reliques  qui  n'ont  jamais  appartenu  à  la  péninsule 
ibérique.  La  tète  de  saint  Athanase  n'est  donc  pas  en  Espagne  :  elle  est  en  France,  à  Semblançay, 
dans  le  diocèse  de  Tours,  où  on  la  vénère  encore  aujourd'hui.  Nous  lisons  ce  qui  suit  dans  une 
lettre  pastorale  que  Mgr  Guibert,  archevêque  de  Tours,  a  donnée,  le  13  décembre  1861,  à  l'occasion 
de  la  translation  du  chef  de  saint  Athanase  le  Grand  :  «  L'ancienne  paroisse  de  Serrain pos- 
sédait, avant  la  Révolution,  le  chef  de  saint  Athanase  le  Grand.  C'est  ce  que  nous  apprend  une 
tradition  respectable  consignée  dans  nos  livres  liturgiques  ».  {Brév.  de  Tours  de  1685.) 

«  Mais  d'où  venait  cette  précieuse  relique  ?  Nous  n'avons  aucun  document  écrit  qui  puisse  nous 
éclairer  sur  sa  provenance.  Si  jamais  quelques  titres  écrits  ont  existé,  il  faut  croire  qu'au  milieu 
de  toutes  les  vicissitudes  du  temps,  dans  les  guerres  de  religion,  pendant  la  Révolution,  ces  titres 
ont  disparu,  comme  tant  d'autres.  Nous  sommes  donc  obligés  d'avoir  recours  à  la  tradition. 

«  De  tout  temps  on  a  cru  et  dit  que  le  chef  de  saint  Athanase  le  Grand  avait  été  apporté  des 
croisades  par  un  comte  de  Semblançay.  11  est  certain,  en  effet,  que  plusieurs  de  ces  seigneurs 
visitèrent  la  Terre  Sainte. 

«  Nous  citons  ces  faits  uniquement  pour  montrer  que  la  tradition  populaire  n'est  point  dénuée 
de  fondement.  Assurément  nous  ne  saurions  établir,  sur  ces  simples  conjectures,  l'origine  de  la 
relique  du  Serrain.  Pour  le  moment,  il  nous  suffit  de  mentionner  la  tradition  et  d'attester  que  sa 
vraisemblance  est  historiquement  prouvée. 

«  Si  nous  manquons  de  documents  positifs  et  certains  sur  l'époque  de  la  translation  au  Serrain 
de  la  relique  de  saint  Athanase,  nous  ne  sommes  pas  dans  la  même  incertitude  en  ce  qui  touche 
la  légitimité  et  la  nature  du  culte  qu'on  lui  rendait. 

semani,  in  Calend.  univ.,  t.  vi,  p.  299,  prouve,  contre  les  Bollandistes,  avoir  été  le  jour  de  sa  mort, 
comme  les  menées  le  disent  expressément.  Ils  honorent  le  même  Jour  avec  lui  saint  Cyrille,  parce  qu'il  a 
été  évêque  de  la  même  ville,  quoiqu'il  ne  »oit  mort  qu'en  juin.  On  trouve  une  autre  fête  de  saint  Atha- 
nase marquée  au  9  de  juin  dans  les  menées,  et  au  27  du  même  mois  dans  le  ménologe  de  l'empereur 
Basile.  (Voir  la  réfutation  de  Bollandus  at  de  Papebroch,  dans  M.  Assemani,  ad  2  mua,  t.  vi,  p.  SOI, 
302,  303. 


SAINT  ATHANASE,  DOCTEUR  DE  L'ÉGLISE.  257 

«  En  effet,  en  1676,  le  18  avril,  Mgr  Amelot  de  Gournay,  alors  archevêque  de  Tours,  adressait  à 
tous  les  fidèles  de  son  diocèse,  un  mandement  qui  nous  apprend  que  ce  culte  n'était  pas  nouveau, 
puisque  le  prélat  déplore  avec  amertume  que,  malgré  une  relique  aussi  précieuse,  on  ait  laissé 
l'église  tomber  en  ruine.  De  plus,  il  nous  autorise  à  supposer  que  Mgr  Amelot  avait  des  documents 
positifs  et  certains,  pour  reconnaître  et  affirmer  l'authenticité  de  cette  relique.  Il  y  est  fait  men- 
tion d'indulgences  plénières  accordées,  intiiitu  capitis  sancti  Athanasii  magni,  cujus  caput  Ma 
(ecclesia)  integrum  possidet.  Car  le  souverain  Pontife  peut  seul  accorder  des  indulgences  plé- 
nières, et  l'on  ne  saurait  admettre,  sans  témérité,  qu'il  les  ait  accordées  sans  preuves  suffisantes 
de  l'authenticité  de  la  relique. 

«  Il  est  à  remarquer,  en  effet,  que  l'archevêque  ne  dit  pas  que  ces  indulgences  sont  accordées  à 
cause  de  la  dévotion  des  habitants  du  Serrain  pour  saint  Athanase,  mais  bien  en  vue  de  son  chef, 
que  l'église  possède  en  entier.  Il  ne  nous  reste  plus  qu'à  constater  l'identité  de  la  relique  conser- 
vée sous  ce  nom,  dans  l'église  de  Semblançay. 

«  La  relique  que  possède  aujourd'hui  l'église  de  Semblançay  est  certainement  la  même  qui  était 
honorée  au  Serrain  avant  la  Révolution.  A  cette  époque  de  profanations  sacrilèges,  le  chef  de 
saint  Athanase  aurait  sans  doute  éprouvé  le  même  sort  que  tant  de  reliques  et  d'objets  précieux 
qui  ont  disparu,  si  la  paroisse  du  Serrain  n'eût  compté  dans  son  sein  quelques  hommes  de  foi.  En 
effet,  la  relique  de  saint  Athanase  et  les  autres  reliques  furent  recueillies  par  trois  officiers  muni- 
cipaux, enfermées,  scellées  et  confiées  à  l'un  d'eux,  comme  l'atteste  le  procès-verbal  suivant  : 

«  Aujourd'hui,  sixième  jour  de  la  première  décade  du  troisième  mois  de  l'an  second  de  la 
République,  nous,  officiers  municipaux,  avons  enveloppé  et  cacheté  les  reliques  connues  dans  le 
pays  sous  le  nom  de  chef  de  saint  Athanase,  le  bras  de  saint  Etienne  et  trois  ossements  de  saint 
Jean  et  de  sainte  Marguerite,  et  avons  fait  le  présent  procès-verbal  pour  en  constater  la  transla- 
tion et  le  dépôt  qui  a  été  fait  chez  le  père  Antoine  Aubry,  habitant  de  cette  commune  ». 

«  Ce  procès- verbal  est  signé  :  Durand,  maire;  Aubry  et  Pottier,  greffier.  On  voit  encore  très- 
distinctement  le  cachet  de  cire  rouge  posé  sur  cet  authentique  d'un  nouveau  genre. 

«  Le  père  Aubry  garda  soigneusement  et  avec  mystère,  ce  précieux  dépôt.  Ce  ne  fut  qu'en  1821, 
peu  de  temps  avant  sa  mort,  qu'il  se  décida  à  le  remettre  à  M.  Rutault,  alors  desservant  de  la 
paroisse  de  Semblançay,  dont  le  hameau  du  Serrain  fait  partie.  Peut-être  le  vieillard  espérait-il 
voir  un  jour  l'égiise  du  Serrain  se  relever  de  ses  ruines,  et  cet  espoir  fut  probablement  le  motif 
qui  l'engagea  à  différer  la  remise  de  ce  dépôt  sacré.  Quoi  qu'il  en  soit,  la  relique  ne  fut  remise  à 
M.  le  curé  de  Semblançay  qu'à  cette  époque.  Le  11  janvier  1821,  M.  Rutault  ouvrit  le  reliquaire 
en  présence  de  Antoine  Aubry,  et  de  Pierre  Hutour  père,  marguiller.  Il  trouva  le  procès-verbal 
cité  plus  haut,  les  cachets  intacts,  tels  qu'ils  avaient  été  apposés  lors  du  dépôt  chez  Antoine  Au- 
bry. Le  curé  fit  un  rapport  à  Mgr  l'archevêque.  Mgr  du  Chilleau  délégua  M.  Desnoux,  curé  de 
Luynes,  pour  constater  officiellement  l'identité  de  la  relique.  Elle  fut  constatée  dans  un  procès- 
verbal  qui  fut  déposé  au  secrétariat  de  l'archevêché.  Mgr  du  Chilleau  autorisa  M.  le  curé  de  Sam- 
blançay  à  exposer  cette  relique  insigne  à  la  vénération  des  fidèles,  et  à  célébrer,  chaque  année, 
la  fête  de  saint  Athanase,  du  rit  solennel  majeur.  Le  chef  du  saint  docteur  fut  alors  placé  dans 
un  reliquaire,  sur  lequel  le  commissaire  délégué  apposa  ses  cachets.  On  dressa  un  procès-verbal 
de  la  translation,  qui  eut  lieu  le  7  mai  1822.  Huit  prêtres,  présents  à  la  cérémonie,  le  signèrent. 

«  Quelques  années  plus  tard,  le  17  mai  1829,  une  nouvelle  cérémonie  eut  lieu  pour  substituer  à 
l'ancien  reliquaire  un  autre  plus  convenable.  Le  procès-verbal  de  cette  seconde  translation  fut 
dressé  par  M.  Naveau,  curé-doyen  de  Neuillé-Pont-Pierre,  qui  la  présida,  et  cinq  prêtres  présents 
y  apposèrent  leur  signature. 

«  Les  autres  reliques  consignées  dans  le  procès-verbal  des  officiers  municipaux  ont  toujours  été 
placées  avec  le  chef  de  saint  Athanase  ». 

Voici  la  liste  des  écrits  de  saint  Athanase  : 

1°  Le  Discours  contre  les  païens,  écrit  vers  l'an  318.  C'est  le  premier  ouvrage  de  saint 
Athanase.  On  y  remarque  une  grande  connaissance  de  la  littérature  profane.  Le  saint  Docteur  y 
fait  voir  l'origine,  le  progrès  et  l'extravagance  de  l'idolâtrie;  il  se  sert  ensuite  de  deux  voies  pour 
conduire  les  hommes  à  la  connaissance  du  vrai  Dieu  :  l'une  est  la  nature  de  notre  âme,  et  l'autre 
l'existence  des  choses  visibles. 

2°  Le  Discours  sur  l'Incarnation,  écrit  vers  le  même  temps,  n'est  qu'une  suite  du  précédent. 
Saint  Athanase  y  prouve  :  1°  que  le  monde  doit  avoir  été  créé;  2°  qu'il  n'y  a  que  le  Fils  de  Dieu 
qui,  par  son  incarnation,  ait  pu  délivrer  l'homme  de  la  mort  dont  le  péché  l'avait  rendu  digne. 

3°  L'Exposition  de  la  foi.  C'est  une  explication  des  mystères  de  la  Trinité  et  de  l'Incarnation 
contre  les  Ariens. 

4°  Le  traité  sur  ces  paroles  :  Toutes  choses  m'ont  été  données  par  mon  Père.  Le  but  du 
saint  Docteur  est  de  combattre  les  fausses  interprétations  que  les  Ariens  donnaient  à  ces  mêmes 
paroles. 

5°  La  Lettre  aux  évêques  orthodoxes,  contre  l'intrusion  de  Grégoire  sur  le  siège  d'Alexandrie, 
en  341. 

Vies  des  Saints.  —  Tome  V.  17 


258  2  mai. 

6°  h' Apologie  contre  les  Ariens,  composée  après  le  second  exil  du  Saint,  en  351.  C'est  un 
recueil  de  pièces  authentiques  qui  anéantissaient  toutes  les  accusations  des  Ariens  et  qui  les  con- 
vainquaient de  calomnie. 

7°  Le  Traité  des  décrets  de  Nicée  contre  les  Eusébiens.  On  y  trouve  l'histoire  de  ce  qui  s'est 
passé  au  concile  de  Nicée  contre  les  partisans  d'Arius. 

8°  L'Apologie  de  la  doctrine  de  saint  Denys  d' Alexandrie,  dont  les  Ariens  citaient  des  té- 
moignages pour  auloriser  leurs  erreurs. 

9°  La  Lettre  à  Draconce.  Ce  Draconce  était  abbé  d'un  monastère.  Ayant  été  élu  évêque 
d'Hermopole,  il  prit  la  fuite  et  se  cacha.  Saint  Athanase  lui  écrivit,  vers  l'an  355,  la  lettre  dont  il 
s'agit,  pour  l'engager  à  revenir. 

10°  La  Lettre-circulaire  aux  évêques  d'Egypte  et  de  Libye,  où  les  mauvais  desseins  des 
Ariens  sont  manifestés.  Elle  fut  écrite  en  357,  lorsque  George  de  Cappadoce  était  sur  le  point  d'u- 
surper le  siège  d'Alexandrie. 

11°  L'Apologie  adressée  à  l'empereur  Constance  en  355.  C'est  un  des  plus  finis  et  des  plus 
éloquents  de  tous  les  ouvrages  de  saint  Athanase.  11  le  composa  lorsqu'il  était  dans  le  désert.  11 
donna  aussi,  l'année  suivante,  un  autre  écrit  sous  le  titre  à' Apologie  pour  sa  fuite,  afin  de  justi- 
fier sa  retraite.  Cette  pièce  n'est  guère  moins  estimable  que  la  précédente. 

12°  La  Lettre  à  Sérapion  touchant  la  mort  d'Arius.  On  y  trouve  des  choses  importantes  sur 
l'histoire  de  l'arianisme.  Il  paraît  qu'elle  fut  écrite  en  358.  Le  Sérapion  auquel  elle  fut  adressée, 
est,  à  ce  que  l'on  croit,  le  célèbre  évêque  de  Thmuis. 

13°  La  Lettre  aux  solitaires,  écrite  vers  le  même  temps.  Il  y  est  parlé  des  persécutions  de 
saint  Àlhatiase.  L'arianisme  y  est  aussi  réfuté. 

14°  Les  quatre  discours  contre  les  Ariens,  écrits  encore  vers  le  même  temps,  lorsque  le  saint 
Docteur  était  caché  parmi  les  anachorètes.  Photius  admire,  dans  ces  discours,  une  force  et  une  so- 
lidilé  de  raisonnement  qui  écrasent  les  Ariens.  C'est  là,  dit-il,  que  saint  Grégoire  de  Nazianze  et 
saint  Basile  le  Grand  ont  puisé  cette  éloquence  mâle  et  rapide  avec  laquelle  ils  ont  si  glorieuse- 
ment défendu  la  foi  catholique.  Saint  Athanase  y  fait  un  usage  admirable  de  la  dialectique  pour 
presser  ses  adversaires;  mais  il  insiste  principalement  sur  l'autorité  de  l'Ecriture,  dont  il  tire  ses 
armes  les  plus  redoutables. 

15°  Les  quatre  Lettres  à  Sérapion  de  Thmuis,  écrites  vers  l'an  360.  La  divinité  du  Saint- 
Esprit  y  est  prouvée. 

16°  Le  Traité  des  Synodes,  écrit  l'année  précédente.  Il  contient  l'histoire  de  ce  qui  s'est  passé 
dans  les  conciles  de  Séleucie  et  de  Rimini. 

17°  Le  Tome  ou  la  Lettre  à  l'Eglise  d'Antioche,  en  362.  Le  saint  Docteur  y  exhorte  tous  les 
catholiques  à  l'union,'  et  à  recevoir  tous  les  Ariens  convertis,  pourvu  qu'ils  déclarent  professer  la 
foi  de  Nicée  et  la  divinité  du  Saint-Esprit.  Le  nom  de  tome  que  porte  cette  lettre  se  donnait  com- 
munément aux  lettres  synodales  dans  le  iv6  et  le  Ve  siècles. 

18°  La  Lettre  à  l'empereur  Jovinien,  en  3G3.  Nous  en  avons  parlé  dans  la  vie  du  Saint 

19°  La  Vie  de  saint  Antoine  fut  écrite  en  365. 

20°  Les  deux  Lettres  à  Orsise,  abbé  de  Thabenne. 

21°  Le  Livre  de  l'Incarnation  du  Verbe,  et  contre  les  Ariens.  Il  est  divisé  en  trois  parties. 
La  première  contient  la  réfutation  de  ce  que  les  Anoméens  objectaient  contre  la  divinité  de  Jésus- 
Chiist.  La  divinité  du  Saint-Esprit  est  établie  dans  la  seconde.  Saint  Athanase  emploie  la  troisième 
à  prouver,  par  l'Ecriture,  la  consubstantialité  du  Verbe. 

22°  La  Lettre  aux  évêques  d'Afrique,  vers  l'an  369.  Nous  en  avons  parlé  dans  la  vie  du 
Saint. 

23°  Les  Lettres  à  Epictète,  à  Adelphius  et  à  Maxime,  contre  les  hérétiques  qui  attaquaient 
la  consubstantialité  du  Verbe  et  la  divinité  du  Saint-Esprit. 

24°  Les  deux  Livres  contre  Apollinaire,  vers  l'an  372. 

25°  Le  Livre  de  la  Trinité  et  du  Saint-Esprit,  dont  nous  n'avons  plus  qu'une  traduction 
latine. 

26°  Outre  les  lettres  de  saint  Athanase,  dont  nous  avons  parlé,  il  en  a  écrit  encore  plusieurs 
autres  sur  divers  sujets. 

27°  Un  Commentaire  imparfait  sur  les  Psaumes,  qui  montre  que  le  saint  Docteur  avait  beau- 
coup de  talent  pour  ce  genre  d'écrire.  Nous  avons  aussi  des  fragments  d'un  Commentaire  sur 
saint  Matthieu,  qui  porte  le  nom  de  saint  Athanase.  D.  de  Montfaucon,  in  Collect.  Patr.,  sou- 
tient qu'ils  sont  véritablement  de  ce  Père.  Tournély  et  d'autres  savants  les  mettent  au  nombre  de3 
ouvrages  douteux  de  saint  Athanase. 

28°  On  met  dans  la  même  classe  les  livres  de  Y  Incarnation  du  Verbe  de  Dieu,  de  la  consubs- 
tantialité des  trois  Personnes  divines,  de  la  Virginité,  la  Synopse  de  l'Ecriture,  etc.  Ces  diffé- 
rents ouvrages  sont  fort  bien  écrits;  l'on  estime  surtout  le  Livre  de  la  Virginité.  L'Histoire  de  ce 
crucifix  de  Béryte,  dont  il  sortit  du  sang  lorsque  les  Juifs  l'eurent  percé  en  dérision  du  Sauveur, 
est  indigne  de  saint  Athanase. 

29°  Le  symbole  qui  porte  le  nom  du  saint  Docteur  ne  lui  est  attribué  que  parce  qu'il  renferme 
une  explication  du  mystère  de  la  Trinité,  sur  lequel  saint  Athanase  a  si  bien  écrit  et  pour  la  dé- 


SAINT  GERMAIN  D'ECOSSE,  ÉVÊQUE  ET  MARTYR.  259 

fense  duquel  il  a  montré  tant  de  zèle.  Il  fut  rédigé  en  latin  dans  le  ve  siècle.  Waterland  a  publié 
une  bonne  dissertation  sur  ce  symbole.  Il  a  recueilli  tout  ce  qui  avait  été  dit  de  plus  intéressant 
sur  le  même  sujet  par  plusieurs  habiles  critiques. 

30°  On  a  retrouvé  une  version  syriaque  des  Lettres  pastorales  de  saint  Athanase,  un  opuscule 
Bur  les  Azymes  et  un  traité  sur  le  Titre  des  psaumes. 

Photius  observe,  cod.  140,  que  le  style  de  saint  Athanase  est  clair,  nerveux,  plein  de  sens  et 
de  vivacité,  sans  avoir  rien  de  superflu.  Ce  Père  parait  digne  d'être  placé,  pour  le  mérite  de  l'élo- 
quence, immédiatement  après  saint  Basile,  saint  Grégoire  de  Nazianze  et  saint  Chrysostome. 

Erasme  était  grand  admirateur  du  style  de  saint  Athanase,  et  il  le  préférait  a  celui  de  tous  les 
autres  Pères.  «  Il  est  partout  »,  dit-il,  «  facile,  élégant,  orné,  fleuri,  et  admirablement  adapté  aux 
différents  sujets  que  traite  le  saint  Docteur;  et  si  quelquefois  il  n'a  pas  toute  la  politesse  que  l'on 
pourrait  désirer,  il  faut  s'en  prendre  aux  embarras  des  affaires  et  aux  persécutions  qui  ne  permet- 
taient pas  à  saint  Athanase  de  mettre  la  dernière  main  à  tous  ses  ouvrages  ».  Un  ancien  moine, 
nommé  Côme,  avait  coutume  de  dire,  touchant  les  écrits  de  notre  Saint  :  «  Quand  vous  trouverez 
quelque  chose  de  saint  Athanase,  si  vous  n'avez  pas  de  papier,  écrivez-le  sur  vos  habits  ».  Prat. 
Spirit.,  c.  40. 

La  meilleure  édition  des  œuvres  de  saint  Athanase  est  celle  du  savant  Père  de  Montfaucon, 
laquelle  parut  à  Paris  en  1698.  Elle  est  dédiée  au  pape  Innocent  XII,  et  en  trois  volumes  in-fol., 
qui  ne  font  néanmoins  que  deux  tomes.  Le  deuxième  tome  de  la  Collection  des  Pères,  que  le 
Père  de  Montfaucon  donna  à  Paris  en  1706,  est  comme  un  supplément  à  son  édition  des  oeuvres  de 
saint  Athanase. 

L'édition  donnée  par  !e  Père  de  Montfaucon  a  été  réimprimée  à  Padoue  en  1777,  4  vol.  in-fol., 
et  quoiqu'on  y  ait  inséré  les  pièces  renfermées  dans  le  second  tome  de  la  Nouvelle  Collection 
des  Pb-es,  on  lui  préfère  celle  de  Paris,  à  cause  de  la  beauté  de  l'exécution. 

M.  Migne  a  publié  une  nouvelle  édition  des  œuvres  de  saint  Athanase  dans  la  Patrologie 
grecque  ;  c'est  la  plus  complète.  Elle  reproduit,  avec  de  nombreuses  additions,  celle  de  Padoue  de 
1777,  mais  dans  un  ordre  plus  rationnel.  Le  premier  et  le  deuxième  volumes  (tomes  xxv  et  xxvi 
de  la  Patrologie  grecque),  contiennent,  avec  les  prolégomènes,  les  œuvres  historiques  et  dogma- 
tiques; le  troisième  (tome  xxvn)  contient  les  exégétiques,  et  le  quatrième  (tome  xxvm),  les 
œuvres  douteuses  et  supposées.  Arnaud  d'Andilly  a  donné,  en  français,  la  vie  de  saint  Antoine. 
On  trouvera  dans  les  Chefs-d'œuvre  des  Pères  (vol.  ni),  avec  la  version  latine  en  regard,  la 
traduction  française  de  Y  Apologie  à  Constance,  les  deux  Livres  contre  Apollinaire,  etc. 

Voir  1»  les  conciles  généraux  et  particuliers  tenus  de  l'an  313  à  l'an  373,  dans  les  Conciles  gén.  et  part, 
de  Mgr  Guérin,  4  vol.  in-8»,  Bar-le-Duc,  1869-71  ;  2o  le  panégyrique  de  saint  Athanase  par  saint  Grégoire 
de  Nazianze;  3o  l'Histoire  de  l'Eglise;  io  Godescard,  à  qui  nous  avons  emprunté  la  rédaction  de  quelques 
détails  biographiques,  laissant  de  côté  une  suite  sans  fin  de  discussions  secondaires  qui  appartiennent  à 
l'histoire  générale,  et  non  à  la  vie  de  saint  Athanase;  4«  un  recueil  intitulé:  les  Chrétiens  illustres  des 
quatre  premiers  siècles  de  l'Eglise,  par  M.  Marty,  Paris,  Albanel,  1868,  in- 12  :  cet  excellent  livre,  plein 
de  chaleur  et  de  conviction,  est  un  De  viris  chrétien  écrit  en  fort  bon  français;  5°  AA.  SS.,  t.  ie*  de  mal; 
Dom  Ceillier  ;  6<>  Mandement  de  Mgr  l'archevêque  de  Tours,  en  date  du  13  décembre  1867.  Ce  dernier  do- 
cument nous  a  été  communiqué  par  M.  l'abbé  Rolland,  aura,  du  pcns.  des  Frères  à  Tours. 


SAINT  GERMAIN  D'ECOSSE,  EVEQUE  ET  MARTYR 

Sur  la  fin  du  v«  siècle. 


Exaucez-nous,  Seigneur  ;  soyez  notre  salut,  puisque 
vous  êtes  notre  unique  espoir  sur  la  terre  et  sur 
les  flots. 

Aspiration  tirée  du  Ps.  lxiv,  6,  familière  à  saint 
Germain. 

Entre  les  agréables  fruits  que  saint  Germain,  évêque  d'Auxerre,  recueillit 
en  l'île  de  la  Grande-Bretagne,  lorsqu'il  y  fut  envoyé  comme  légat  aposto- 
lique, pour  exterminer  l'hérésie  de  Pelage,  on  peut  compter  avec  justice  un 
autre  saint  Germain,  dont  je  vais  rapporter  les  plus  belles  actions.  Ce  saint 
prélat,  étant  en  cette  île,  fît  connaissance  avec  un  seigneur  écossais,  appelé 
Audin,  qui  y  était  passé  avec  Aquila,  sa  femme.  Il  avaient  un  fils  parfaitement 


260  2  mai. 

beau  et  qui  charmait  toutes  les  personnes  qui  le  voyaient.  Saint  Germain  fut 
si  touché  de  compassion  de  les  voir  ensevelis  dans  les  ténèbres  de  l'idolâtrie, 
qu'il  demanda  à  Notre-Seigneur  leur  conversion  pour  la  récompense  de  ses 
travaux.  Sa  prière  eut  son  effet  ;  car  ce  seigneur,  pénétré  des  lumières  de 
l'Evangile  que  ce  saint  évoque  prêchait,  se  fit  chrétien  avec  sa  femme,  son 
fils  et  toute  sa  famille.  Comme  saint  Germain  avait  une  tendresse  particu- 
lière pour  leur  fils ,  il  voulut ,  à  son  baptême ,  lui  servir  lui-même  de 
parrain  et  lui  donner  son  nom.  Ce  fut  par  une  providence  du  ciel  que  ce 
jeune  néophyte  fut  effectivement,  par  son  zèle  et  son  courage,  un  autre 
saint  Germain. 

Après  son  baptême,  ses  parents  le  firent  élever  avec  tant  de  soin  dans 
la  piété  et  dans  les  sciences,  qu'il  fut  comme  le  prodige  de  son  siècle. 
Personne,  de  quelque  condition  et  qualité  qu'il  fût,  ne  l'approchait  sans  en 
être  parfaitement  satisfait  :  ses  paroles  portaient  une  certaine  onction  qui 
ravissait  tout  le  monde  ;  néanmoins,  les  pauvres  et  les  malheureux  y  étaient 
les  mieux  venus  ;  il  ne  les  pouvait  voir  sans  découvrir,  sous  leurs  misères,  la 
majesté  de  son  Rédempteur,  qui  s'est  caché  en  leurs  personnes.  Quand  il  se 
vit  en  âge  de  faire  le  choix  d'un  genre  de  vie,  il  renonça  généreusement  à 
tous  les  avantages  que  le  droit  de  sa  naissance  lui  pouvait  faire  espérer  dans 
le  monde,  pour  se  mettre  dans  les  Ordres  sacrés. 

Etant  prêtre,  il  voulut  faire  un  voyage  en  France,  pour  y  voir  son  père 
en  la  foi,  saint  Germain,  évêque  d'Auxerre  ;  c'est  pourquoi  il  résolut,  comme 
Abraham,  de  quitter  sa  patrie,  ses  parents  et  tous  ses  biens,  pour  se  donner 
entièrement  à  la  vie  apostolique  et  porter  partout  la  gloire  et  le  nom  de 
Jésus-Christ.  Mais,  étant  arrivé  sur  le  bord  de  la  Manche,  où  l'Océan  sépare 
l'Angleterre  de  la  France,  il  n'y  trouva  pas  de  vaisseau  pour  traverser  ce 
bras  de  mer  :  n'en  pouvant  pas  espérer  de  sitôt,  il  s'adressa  au  souverain 
Maître  des  eaux,  et  le  pria  de  lui  donner  de  quoi  faire  ce  trajet,  si  le  dessein 
qu'il  avait  formé  venait  de  l'Esprit-Saint.  Chose  étonnante  !  sa  prière  ne  fut 
pas  plus  tôt  achevée,  qu'il  vit  paraître  sur  les  eaux  un  chariot  qui  vint  à  lui, 
l'enleva  de  terre  et  le  transporta  en  un  moment  de  la  côte  d'Angleterre  à 
celle  de  France,  aux  environs  de  Flammenville,  près  de  Dieppe.  Les  habitants 
de  cette  contrée,  qui  vivaient  encore  dans  les  ténèbres  du  paganisme,  le 
voyant  arriver  sur  cette  nouvelle  barque,  le  prirent,  les  uns  pour  Neptune, 
dieu  des  eaux,  les  autres  pour  un  magicien  qui  faisait  paraître  ce  fantôme  à 
leurs  yeux.  Mais  ils  changèrent  bien  de  sentiment  à  la  mort  tragique  du 
juge  de  ce  lieu,  qui  expira  dans  d'horribles  douleurs  pour  avoir  blasphémé 
contre  la  doctrine  de  saint  Germain.  Sa  sainteté  fut  encore  reconnue  par  un 
autre  miracle.  Un  serpent,  d'une  prodigieuse  grandeur,  ravageait  tout  le 
pays  et  avait  nouvellement  étouffé  un  enfant.  Le  Saint  ressuscita  d'abord 
cet  innocent  ;  puis,  se  faisant  conduire  à  l'entrée  de  la  caverne,  où  ce  monstre 
se  retirait,  il  lui  jeta  son  étole  sur  le  cou,  et,  en  cet  état,  il  le  mena  fort  paisi- 
blement jusqu'à  une  citerne  très-profonde,  l'y  précipita etfitensuite  combler 
le  trou  :  ce  qui  étonna  tellement  ces  idolâtres  que  cinq  cents  se  convertirent. 

L'histoire  ne  dit  point  si  notre  Saint  rencontra  saint  Germain  d'Auxerre; 
mais  elle  dit  qu'il  passa  jusqu'à  Trêves,  où  il  trouva  l'évêque  saint  Sévère, 
qui  l'avait  accompagné  dans  son  second  voyage  d'outre-mer,  et  qui  avait 
aussi  connu  celui  dont  nous  parlons,  dans  sa  jeunesse.  Ce  prélat,  voyant  les 
talents  que  Dieu  lui  avait  donnés,  lui  conféra,  en  vertu  de  pouvoirs  spéciaux, 
le  caractère  épiscopal,  mais  sans  lui  assigner  de  siège,  afin  qu'il  pût  donner 
un  plus  large  essor  à  son  zèle.  Etant  autorisé  par  cette  nouvelle  dignité,  il 
alla  prêcher  l'Evangile  en  Frise,  et  généralement  dans  toutes  les  provinces 


SAINT   GERMAIN  D'ECOSSE,   ÉVÊQÏÏE  ET  MARTYR.  261 

de  la  Basse-Allemagne,  confirmant  sa  doctrine  par  beaucoup  de  miracles. 
Il  était  si  afiable  dans  sa  conversation,  etsi  charitable  à  secourir  les  malades, 
que  les  idolâtres  mêmes  le  chérissaient  et  couraient  après  lui  comme  après 
un  souverain  médecin.  Voilà,  en  substance,  tout  ce  que  nous  avons  pu 
recueillir  des  fruits  de  la  prédication  de  saint  Germain  dans  les  Allemagnes. 
Il  alla  ensuite  à  Rome  visiter  les  sépulcres  des  bienheureux  apôtres  saint 
Pierre  et  saint  Paul  ;  et,  priant  une  nuit  dans  l'église  de  Saint-Pierre,  il 
reçut  lui-même  la  visite  de  cet  Apôtre  qui,  approuvant  ses  travaux  pour  la 
prédication  de  l'Evangile,  l'exhorta  à  continuer,  avec  promesse  expresse 
que,  pour  sa  récompense,  il  recevrait  enfin  la  couronne  du  martyre. 

Saint  Germain,  ravi  de  ces  bonnes  nouvelles,  et  fortifié  par  cette  voix  du 
ciel,  n'eut  plus  de  repos  dans  son  cœur  qu'il  n'eût  trouvé  l'occasion  de 
recevoir  cette  palme  qu'on  lui  faisait  espérer.  Il  passa  d'abord  d'Italie  en 
Espagne,  pour  voir  si,  parmi  les  idolâtres  qui  y  étaient  encore,  ou  parmi 
les  Ariens  qui  persécutaient  les  catholiques,  il  ne  trouverait  pas  de  quoi 
satisfaire  ses  désirs.  Il  y  prêcha  partout  l'Evangile,  baptisa  plusieurs  per- 
sonnes, renversa  les  temples,  fit  bâtir  de  nouvelles  églises  au  vrai  Dieu  ; 
enfin,  il  y  fit  tant  de  miracles,  que  la  ville  de  Tolosa  en  a  conservé  longtemps 
le  souvenir. 

Mais  ce  zélé  prédicateur,  voyant  que,  au  lieu  de  la  persécution  qu'il 
cherchait  dans  les  pays  étrangers,  il  trouvait  de  l'honneur  et  des  applaudis- 
sements, crut  qu'il  serait  plus  heureux  dans  sa  patrie.  C'est  pourquoi  il 
passa  en  Ecosse,  et  se  mit  à  y  prêcher  sans  se  faire  connaître,  afin  que  ses 
parents  et  ses  amis  n'empêchassent  point  qu'il  ne  fût  persécuté.  Mais  le 
moyen  de  cacher  celui  que  le  ciel  voulait  faire  connaître  à  tout  le  monde? 
L'amour  divin  embrasait  tellement  son  cœur,  qu'il  faisait  rejaillir  l'éclat  de 
ses  saintes  flammes  jusque  sur  son  visage,  de  sorte  que  les  prêtres  mêmes 
des  idoles  lui  portaient  du  respect.  Cependant,  comme  il  ne  désirait  rien  de 
plus  que  la  dissolution  de  son  corps  pour  vivre  avec  Jésus-Christ,  il  passa 
une  seconde  fois  en  France, pour  y  chercherl'accomplissementdes  promesses 
du  ciel.  Lorsqu'il  fut  sur  mer,  le  démon,  qui  ne  lui  avait  pu  nuire  sur  la 
terre,  essaya  de  le  perdre  dans  les  eaux  :  pendant  que  le  Saint  dormait  sur 
le  tillac,  il  monta  sur  la  poupe,  et  appesantit  tellement  le  vaisseau,  que  les 
matelots  n'attendaient  plus  que  de  faire  naufrage.  Mais  le  Saint  s'étant 
éveillé,  aperçut  bientôt  l'auteur  de  ce  désordre,  et,  faisant  le  signe  de  la 
croix,  le  renvoya  lui-même  dans  les  abîmes  de  l'enfer. 

Cette  tempête  ainsi  apaisée,  le  vaisseau  arriva  heureusement  au  port  de 
la  Hougue,  entre  Barfleur  et  Carentan,  dans  le  Cotentin,  partie  de  la  Basse- 
Normandie.  Dieu  rendit  son  entrée  célèbre  ;  car  la  fille  du  gouverneur  de 
Montebourg,  paralytique  et  aveugle  de  naissance,  ayant  appris,  par  révéla- 
tion, la  venue  de  saint  Germain,  n'eut  point  de  repos  qu'on  ne  l'eût  portée 
devant  lui  ;  elle  lui  demanda  le  baptême  et  il  le  lui  administra,  la  nomma 
Pétronille,  en  l'honneur  de  saint  Pierre,  et,  en  même  temps,  lui  donna  la 
vue  et  le  parfait  usage  de  ses  membres.  Un  miracle  si  éclatant,  en  une 
personne  si  considérable  dans  le  pays,  fut  cause  de  la  conversion  générale 
de  toute  la  province.  Il  s'avança  ensuite  vers  la  ville  de  Bayeux  :  et,  comme 
il  en  approchait,  il  fit  supplier  le  gouverneur  de  lui  envoyer  quelques  rafraî- 
chissements pour  ses  gens,  qui  en  avaient  un  extrême  besoin  ;  mais  cet 
homme  incivil,  lui  ayant  refusé  cette  grâce,  reçut  bientôt  la  punition  de 
son  avarice  :  à  l'instant  même,  tous  ses  tonneaux  se  trouvèrent  épuisés 
jusqu'à  la  dernière  goutte.  Le  contraire  arriva  à  un  honorable  habitant  de 
la  ville,  appelé  Gantius  :  ayant  fait  cette  charité  au  serviteur  de  Dieu,  il 


262  2  mai. 

reçut,  pour  sa  récompense,  une  abondante  bénédiction  sur  toute  sa  famille. 
Saint  Germain,  entrant  dans  Bayeux,  pria  pour  la  délivrance  de  certains  pri- 
sonniers ;  mais,  ayant  essuyé  un  refus,  il  en  sortit  aussitôt,  et,  dans  une  sainte 
colère,  frappant  du  pied  contre  les  murs  du  rempart,  il  en  Dt  tomber  une 
partie  notable  dans  le  fossé  :  son  histoire  dit  que  l'on  s'en  souvient  encore 
dans  le  pays.  Néanmoins,  voulant  faire  paraître  à  ce  peuple  que  sa  colère 
était  de  la  nature  de  celles  des  colombes  qui  n'ont  point  de  fiel,  il  ressuscita 
un  mort  que  l'on  portait  en  terre,  et  qu'il  rencontra  aux  portes  de  la  ville  : 
cela  obligea  le  magistrat  de  lui  donner  les  prisonniers  qu'il  avait  demandés, 
et  qui  se  trouvèrent  au  nombre  de  vingt-quatre. 

Saint  Germain,  au  sortir  de  Bayeux,  prêcha  partout  le  nom  de  Jésus- 
Christ,  le  long  de  la  côte  jusqu'à  Mortemer,  village  au  pays  de  Caux,  sur  la 
rivière  d'Eaulne.  Près  de  Dieppe,  il  eut  révélation  que  le  lendemain  serait 
le  dernier  jour  de  sa  vie,  et  qu'il  y  recevrait  la  couronne  du  martyre,  qu'il 
avait  cherchée  avec  tant  d'empressement.  Il  fit  part  de  ces  agréables  nou- 
velles à  ses  chers  compagnons,  qu'il  éveilla  exprès  ;  et,  s'étant  mis  en  chemin 
dès  la  pointe  du  jour,  il  passa  près  de  la  commune  des  Essarls,  et  y  fit  désal- 
térer sa  monture  (c'était  un  âne  que  Gantius  lui  avait  donné  pour  ses  courses 
apostoliques).  Il  baptisa  ensuite  des  néophytes  dans  un  étang  qui  porte  encore 
aujourd'hui  (1871)  le  nom  de  M  are- Saint-Germain,  et  reprit  sa  route.  Il  se 
trouva  vers  le  soir  sur  la  pente  d'une  montagne,  appelée  le  Vieux-Bouen, 
entre  Aumale  etSenarpont  ;  là  demeurait  un  tyran,  nommé  Hubault,  grand 
fauteur  des  idoles.  Ce  barbare,  sach  int  l'arrivée  du  serviteur  de  Dieu,  par  le 
bruit  que  sa  renommée  faisait  de  tout  côté,  vint  au-devant  de  lui,  armé  de 
rage  et  de  fureur,  et,  l'ayant  trouvé  près  d'une  petite  chapelle  de  Notre- 
Dame,  sur  le  bord  de  la  Bresle,  autrement  dit  la  rivière  d'Eu,  qui  sépare  la 
Normandie  de  la  Picardie,  lui  déchargea  un  coup  de  cimeterre  sur  le  cou 
avec  tant  de  violence,  qu'il  lui  trancha  la  tête.  Son  âme,  laissant  son  corps, 
parut  visiblement  s'envoler  au  ciel,  sous  la  forme  d'une  colombe  plus  blan- 
che que  la  neige.  Ce  fut  le  second  jour  de  mai.  Les  auteurs  ne  s'accordent 
point  touchant  l'année  ;  néanmoins,  puisqu'il  a  été  baptisé  par  saint  Ger- 
main d'Auxerre,  qui  mourut  vers  le  ve  siècle,  l'on  peut  conclure  qu'il  a 
souffert  le  martyre  vers  l'année  480. 

Son  corps  demeura  en  pleine  campagne,  sans  que  personne  osât  lui 
donner  sépulture,  parce  que  le  tyran,  extrêmement  redouté  dans  le  pays, 
l'avait  défendu  ;  mais,  le  lendemain,  une  jeune  fille  allant  faire  sa  prière 
dans  cette  chapelle  de  Notre-Dame,  entendit  distinctement  la  voix  du  Saint, 
qui  lui  commandait  d'avertir  le  seigneur  de  Senarpont  de  lui  faire  rendre 
les  derniers  devoirs,  comme  à  celui  dont  il  avait  reçu  plusieurs  faveurs 
durant  qu'il  était  en  vie. 

Senard,  prévenu  aussitôt  par  la  jeune  fille,  s'empressa  d'accourir  avec 
des  clercs  de  tous  les  Ordres  pour  procéder  aux  funérailles.  Il  ne  trouva 
plus  le  corps  au  lieu  même  où  il  avait  été  martyrisé,  mais  un  peu  plus  loin, 
là  où  il  avait  été  transporté  par  des  anges.  Senard  l'enveloppa  d'aromates 
et  l'ensevelit  dans  un  beau  sarcophage  à  l'endroit  où  il  l'avait  rencontré  '. 
Plus  tard  il  érigea  une  église  sur  ce  tombeau  où  s'accomplirent  divers  mira- 
cles :  ce  fut  l'origine  du  village  de  Saint-Germain-sur-Bresle. 

1.  M.  Semichon  (Histoire  d 'Aumale,  t.  r  ■ ,  p.  239),  commet  donc  une  légère  inexactitude  en  disant  : 
•  Le  tyran  Hubault  avait  abattu  avec  son  glaive  la  tête  dn  Saint,  au  lieu  même  où  s'élève  aujourd'hui  l'é- 
glise de  Saint-Germain-sur-Bresle  ». 


SAINT    GERMAIN  D'ECOSSE,   ÉVÊQUE  ET  MARTYR.  2G3 

RELIQUES  ET  CULTE  DE  SAINT  GERMAIN. 

Le  corps  de  saint  Germain  resta  jnsqu'au  rx6  siècle  dans  son  tombeau  de  Saint-Germain-sur- 
Bresle,  sous  la  garde  des  Bénédictins  qui  avaient  établi  là  un  prieuré.  Les  ravages  des  Danois  les 
déterminèrent  à  mettra  ce  précieux  trésor  en  lieu  de  sûreté.  En  850  l,  deux  religieux,  chargés  de 
ces  reliques,  se  dirigèrent  vers  le  Vermaudois  et  arrivèrent  le  soir  du  13  novembre  à  Ribemont», 
où  ils  virent  s'ouvrir  subitement  devant  eux  les  portes  de  la  chapelle  de  Sainte-Anne,  située  daDs 
le  faubourg  de  Suzencourt,  et  qui  devait  plus  tard  prendre  le  vocable  de  notre  Saint.  Ils  y  passè- 
rent la  nuit;  le  lendemain,  faisint  de  vains  efforts  pour  lever  le  corps  du  Saint,  ils  comprirent 
qu'il  était  fixé  à  tout  jamais  dans  cet  asile  par  la  volonté  de  Dieu  3. 

Peu  de  temps  après,  un  comte  de  Ribemont  lit  ériger  une  église  collégiale  dans  son  château- 
fort,  en  l'honneur  du  Saint  dont  les  reliques  y  furent  bientôt  transférées. 

En  1650,  au  moment  du  siège  de  cette  viile  par  l'armée  de  Turenne,  la  châsse  d'argent  fut 
brisée  par  des  soldats  maraudeurs  qui,  frappés  d'une  soudaine  épouvante,  n'osèrent  rien  emporter. 
Un  marguillier  transporta  les  reliques  à  La  Fère,  d'où  elles  furent,  quelques  années  plus  tard, 
ramenées  à  Ribemont  *. 

C'est  en  1659  que  Jean  Cauchie  5,  curé  de  Saint-Germain  d'Amiens,  qui  était  parvenu  à  savoir 
où  étaient  conservées  les  reliques  du  Patron  de  son  église,  obtint  du  curé  de  Ribemont  le  don  de 
quelques-unes  des  reliques  qui  étaient  alors  en  dépôt  à  la  Fère  '.  Ces  restes  précieux,  qui  sont 
encore  aujourd'hui  à  Saint-Germain  d'Amiens,  furent  vérifiés  par  l'évêque  François  Faure,  le  3 
avril  1660. 

Outre  les  reliques  importantes  du  saint  Martyr  qu'on  vénère  aujourd'hui  à  Ribemont  et  à  Saint- 
Germain  d'Amiens,  on  en  conserve  quelques  fragments  à  Senarpont,  et,  dans  deux  reliquaires,  à 
Saint-Germain-sur-Bresle. 

Le  culte  de  saint  Germain  n'est  célébré  aujourd'hui  qu'à  Amiens,  à  Ribemont  (Aisne),  à  Saint- 
Germain-sur-BresIe,  à  Senarpont  et  dans  les  quelques  églises  de  Normandie  et  de  Picardie  qui  lui 
sont  consacrées. 

La  chapelle  qu'avait  bâtie  Senard,  sur  le  tombeau  de  saint  Germain,  devint  au  moyen  âge  un 
pèlerinage  très-fréqueuté  des  riverains  de  la  Bresle.  Ce  sanctuaire  fut  desservi  par  des  religieux 
bénédictins  de  l'abbaye  de  Saint-Fuscien-au-Bois,  peu  de  temps  après  la  fondation  de  ce  monas- 
tère. Lorsque  Enguerraud  de  Boves,  comte  d'Amiens,  releva  de  ses  ruines  l'abbaye  de  Saint-Fuscien, 
il  y  réunit  le  prieuré  de  Saint-Germain-sur-Bresle. 

En  mémoire  de  Senard  qui  rendit  à  Germain  les  devoirs  de  la  sépulture,  le  clergé  de  Saint- 
Germain-sur-Bresle  va  processionnellement,  avec  les  reliques  du  Patron,  le  dimanche  qui  suit 
le  2  mai,  au-devant  des  habitants  de  Senarpont  qu'il  ramène  dans  son  église.  C'est  pour  le  même 
motif  que  l'officiant,  au  moment  de  l'offrande,  prononce  ces  paroles  :  «  S'il  y  a  ici  quelque  habi- 
tant de  Senarpont,  quels  que  soient  son  âge,  son  sexe  et  sa  condition,  qu'il  approche  le  premier, 
quand  même  le  seigneur  du  lieu  serait  présent  ». 

A  Ribemont,  où  l'on  invoque  saint  Germain  contre  la  fièvre,  on  fait  chaque  année  une  proces- 
sion solennelle  le  dimanche  qui  suit  la  fête  du  saint  Martyr. 

Guy,  comte  d'Amiens,  et  sa  femme  Mathilde  avaient  d'autant  plus  en  vénération  le  culte  de 
saint  Germain,  qu'ils  possédaient  en  domaine  la  terre  où  le  missionnaire  écossais  avait  versé  son 
sang.  Ils  voulurent  propager  leur  dévotion  an  Saint  dans  la  ville  d'Amiens  et  lui  érigèrent  une 
église  non  loin  de  l'emplacement  de  l'ancien  château.  Ce  ne  fut  d'abord  qu'une  simple  chapelle. 

H  est  le  Patron  titulaire  des  églises  de  Saint-Germain  d'Amiens,  de  Saint-Germain-sur-Bresle, 
d'Argoules  (Somme),  d'une  chapelle  de  Ribeniout  (Aisne),  de  Flamanville  et  de  Carteret  (diocèse 
de  Coutances)  et  de  Mesnil-David  (canton  d'Aumale). 

Les  Bréviaires  d'Amiens,  de  1746  et  de  1840,  font  une  simple  mémoire  de  saint  Germain,  la- 
quelle a  été  supprimée  dans  le  Propre  actuel. 

A  Ribemont,  on  fête  non-seulement  la  glorieuse  mort  du  Martyr,  mais  aussi  la  translation  de 
ses  reliques  dans  cette  localité,  le  13  novembre. 

Près  du  cap  de  la  Hougue,  se  trouvent  la  pointe  et  l'anse  de  Saint-Germain.  Il  est  probable 
que  c'est  là  que  le  saint  Evêque  débarqua  pour  la  seconde  fois  dans  les  Gaules. 

1.  En  S60,  ou  même  882,  selon  d'antres. 

2.  Arrondissement  de  Saint-Quentin. 

3.  Une  tradition  locale  raconte  qu'ils  reprirent  leur  route  le  lendemain,  mais  qu'après  avoir  marché 
tout  le  jour  ils  se  retrouvèrent  devant  l'église  qu'ils  avaient  quittée  le  matin.  (Pape,  Op.  cit.,  p.  12.) 

4.  Une  partie  des  reliques  aurait  été,  dit-on,  portée  à  Saint-Quentin.  (Tillemont,  Mémoires,  etc. 
XV,  23.) 

5.  Le  Père  Daire  se  trompe  en  disant  1650.  (Histoire  d'Amiens,  ir,  214.) 

6.  Elles  sont  ainsi  énamérées  dan3  l'acte  de  donation  :  os  d'une  cunsse,  une  coste,  un  os  des  vertèbres, 
un  morceau  de  la  mâchoire  dans  laquelle  il  y  avoit  une  dent.  (Archives  de  la  paroisse  Saint-Germain 
d  A  miens.) 


26J  2  mai. 

On  sait  que  trois  rues  d'Amiens  et  un  de  ses  ilôts  portent  le  nom  de  Saint-Germain. 

Le  cercueil  antique  de  saint  Germain  subsiste  encore  sous  l'autel  de  l'église  de  Saint-Germain» 
snr-Bresle.  Le  couvercle  en  dos  d'âne  est  percé  latéralement  de  deux  trous  circulaires,  par  où  les 
pèlerins  passent  leurs  bras  et  prennent  de  la  terre  qu'ils  appliquent  sur  le  corps  des  malades 
atteints  de  la  fièvre.  Au-dessus,  une  large  pierre,  exhaussée  sur  six  piliers,  offre  l'effigie  du  saint 
Pontife  :  c'est  une  œuvre  'lu  xme  siècle.  Germain  est  couché  sur  le  dos,  revêtu  de  ses  insignes 
épiscopaux,  foulant  aux  j/ieds  un  dragon.  Ce  tombeau,  classé  au  nombre  des  monuments  histori- 
ques, a  été  lithographie  dans  le  Voyage  pittoresque  du  baron  Taylor. 

Cette  tombe,  d'après  l'inspection  du  savant  abbé  Cochet,  inspecteur  des  monuments  historiques 
du  département  de  la  Sei'ie-Inférieure,  mériterait,  vu  l'excellence  de  sa  sculpture,  d'être  renfermée 
sous  verre  ;  pour  la  préserver  de  toute  mutilation  à  l'avenir,  on  a  pris  le  parti  de  l'isoler  de 
l'autel  et  de  l'abriter  sous  une  chapelle  voûtée  et  fermée,  formant  crypte  ou  confession.  On  a  eu 
l'idée  heureuse  de  placer  sur  le  haut  de  cette  crypte  un  riche  autel  en  pierre,  fait  aux  dépens  de 
la  fabrique.  Le  rétable  et  le  tabernacle,  en  forme  de  forteresse,  rappellent  le  château  Hubault.  Ce 
repaire  du  brigandage  et  de  la  tyrannie  est  censé  avoir  été  conquis  par  le  Christianisme  civilisateur 
qui  a  élevé  sur  son  donjon  le  trône  du  vrai  Dieu.  L'exposition,  au-dessous  du  tabernacle,  a  été 
taillée  dans  un  seul  morceau  de  pierre,  avec  ses  colonnes  et  sa  voûte. 

Saint  Germain  est  ordinairement  représenté  revêtu  des  insignes  épiscopaux,  tenant  en  laisse, 
avec  son  étole,  l'hydre  aux  sept  tètes. 

Sa  statue  se  trouve  au  portail  de  Saint-Vulfran  d'Abbeville  et  de  Saint-Germain  d'Amiens  ; 
dans  l'intérieur  des  églises  de  Saint-Germain  d'Amiens  (œuvre  de  M.  Duthoit)  et  de  Saint-Germain- 
sur-Bresle  (xv«  siècle). 

Une  verrière  de  Saint-Germain  d'Amiens  figurait  la  légende  du  Patron.  Simon  Martin  écrivait 
en  1649  (Nouvelles  vies  des  Saints)  qu'on  l'estimait  mille  écus.  Il  n'en  existe  plus  qu'un  pan- 
neau qu'on  conserve  au  musée,  et  qui  représente  le  saint  Apôtre  domptant  la  chimère  aux  sept 
têtes.  —  Une  autre  verrière,  représentant  le  même  personnage,  se  voit  à  une  chapelle  du  couvent 
de  Saint-Germain. 

Voir  Y  Hagiographie  d'Amiens,  par  M.  Corblet. 


SAINT  WALBERT,  TROISIEME  ABBE  DE  LUXEUIL 

665.  —  Pape  :  Vitalien.  —  Roi  des  Francs  Austrasiens  :  Childéric  II. 


Dieu  veut  que  par  votre  vie  vous  fermiez  la  boucha 
aux  ignorants  et  aux  insensés.         I  Pet.,  n,  15. 

Saint  Walbert  succéda  à  saint  Eustase,  qui  lui-même  avait  succédé  à 
saint  Colomban,  le  fondateur  de  la  célèbre  maison  de  Luxeuil  :  il  avait  été 
son  compagnon  et  son  élève.  Né  de  race  sicambre,  d'une  famille  noble  et 
très-riche,  il  s'était  fait  remarquer  par  sa  bonne  conduite  à  la  guerre  avant 
de  s'enrôler  dans  la  milice  du  missionnaire  irlandais.  Mais  l'attrait  du  cloître 
l'emporta  sur  la  passion  belliqueuse  du  Franc.  Quand  son  parti  fut  pris,  il 
vint  à  Luxeuil,  et  y  apporta  non-seulement  la  donation  de  tous  ses  vastes 
domaines,  mais  aussi  l'habit  militaire,  dont  il  ne  voulut  se  dépouiller  que 
dans  le  monastère  même.  Il  offrit  en  même  temps  les  armes  qui  lui 
avaient  conquis  une  si  belle  renommée  et  qu'il  suspendit  à  la  voûte  de  l'é- 
glise, où  on  les  conserva  pendant  le  cours  des  siècles,  comme  un  monument 
de  la  plus  noble  victoire  qu'il  soit  donné  à  l'homme  de  remporter  ici-bas. 
Il  avait  obtenu  la  liberté  de  vivre  seul  dans  le  creux  d'un  rocher,  près  d'une 
source  d'eau  vive,  au  milieu  des  bois,  à  trois  milles  de  l'abbaye.  Ce  fut  là 
que,  à  la  mort  d'Eustase,  premier  successeur  de  Colomban,  et  sur  le  refus 
de  Gall,  les  moines  de  Luxeuil  allèrent  chercher  Walbert  pour  en  faire  leur 
troisième  abbé.  Il  les  gouverna  quarante  ans  avec  éclat  et  succès.  Son  nom 
est  resté,  dans  les  contrées  environnantes,  le  plus  populaire  de  tous  ceux 


SAINT  WALBERT,   TROISIÈME   ABBÉ  DE  LUXEUIL.  265 

qui  ont  honoré  la  grande  abbaye  séquanaise.  Il  y  maintint  la  discipline  et 
le  zèle  des  fortes  études,  tout  en  augmentant  les  domaines  de  la  commu- 
nauté, par  ses  propres  donations  d'abord,  puis  par  celles  que  la  bonne  re- 
nommée de  la  maison  attirait  de  toutes  parts. 

A  l'indépendance  temporelle  ainsi  assurée  Tint  s'adjoindre  une  sorte 
d'indépendance  spirituelle,  vivement  recherchée  dès  lors  par  tous  les  grands 
monastères,  et  qu'ils  s'empressaient  de  solliciter  soit  des  Papes,  soit  des 
conciles  provinciaux.  Il  s'agissait  de  les  mettre  à  l'abri,  par  un  privilège  so- 
lennel, des  abus  d'autorité  et  des  vexations  que  l'évêque  diocésain,  à  la  fa- 
veur de  sa  juridiction  spirituelle,  pouvait  leur  faire  subir,  soit  en  allant  loger 
chez  eux  malgré  eux,  avec  un  nombreux  cortège,  soit  en  leur  faisant  payer 
fort  cher  le  saint  Chrême  et  l'ordination  de  leurs  frères,  soit  surtout  en 
gênant  la  liberté  de  leurs  élections  intérieures.  Lérins  avait  obtenu  ce  pri- 
vilège du  concile  d'Arles,  en  451,  et  Agaune  du  concile  de  Châlon,  en  579. 
Luxeuil  ne  pouvait  manquer  de  faire  valoir  les  mêmes  droits  et  les  mêmes 
besoins. 

Sous  l'abbatiat  de  Walbert,  et  sur  la  prière  faite  au  nom  du  roi  mineur 
Clovis  II,  le  pape  Jean  IV  accorda  le  privilège  de  l'exemption  de  l'autorité 
épiscopale  «  au  monastère  de  Saint-Pierre,  fondé  »,  dit  le  diplôme  ponti- 
fical, «  parle  vénérable  Colomban,  Ecossais,  venu  comme  étranger,  mais 
tout  fervent  de  zèle  et  de  sainteté,  dans  le  royaume  des  Francs...  Si,  ce  qu'à 
Dieu  ne  plaise,  les  moines  dudit  monastère  s'attiédissent  dans  l'amour  de 
Dieu  et  l'observance  des  instituts  de  leurs  Pères,  qu'ils  soient  corrigés  par 
l'abbé,  c'est-à-dire  par  le  Père  du  monastère;  et  si  c'est  lui-même  qui  tombe 
dans  la  torpeur  et  le  mépris  de  la  règle  paternelle,  le  Saint-Siège  y  pour- 
voira ». 

Six  cents  moines  formaient,  sous  la  crosse  de  Walbert,  la  garnison  per- 
manente de  cette  citadelle  monastique,  d'où  sortaient  journellement  des 
missionnaires  isolés  ou  réunis  en  bandes  pour  aller  fonder  au  loin  de  nou- 
velles colonies  religieuses.  Il  vint  un  moment  où  la  multitude  des  religieux 
qui  se  pressaient  en  foule  pour  y  entrer  sembla  embarrasser  l'abbé  Walbert, 
et  où  il  chercha  les  moyens  de  les  placer  ailleurs  et  au  loin.  Car  sous  lui, 
plus  encore  que  sous  ses  prédécesseurs,  la  fécondité  de  Luxeuil  devint  pro- 
digieuse. «  C'est  surtout  à  son  époque  que  l'on  vit  »,  nous  dit  un  contem- 
porain, «  pulluler  à  travers  les  Gaules,  dans  les  châteaux  et  dans  les  villes, 
au  sein  des  campagnes  comme  dans  les  déserts,  des  armées  de  moines  et 
des  essaims  de  religieuses  qui  portaient  partout  la  gloire  et  les  lois  de  Benoît 
et  de  Colomban.» 

Ce  serait  une  rude  tâche  que  de  vouloir  retracer  le  tableau  fidèle  de 
cette  colonisation  monastique  de  la  Gaule  franque,  dont  Luxeuil  fut  le  foyer 
pendant  tout  le  vne  siècle. 

L'administration  de  Walbert  n'était  pas  moins  sage  au  dedans  que  féconde 
au  dehors.  Il  conseillait  l'étude  à  ses  religieux  comme  le  plus  puissant  moyen 
d'oublier  le  monde.  On  faisait  donc  marcher,  à  Luxeuil,  le  travail  de  l'intel- 
ligence de  pair  avec  le  travail  des  mains  :  les  religieux  y  lisaient  les  Pères 
grecs  et  latins.  On  avait  eu  soin  de  leur  ménager  une  vaste  bibliothèque,  et, 
afin  de  l'augmenter,  ces  bons  frères,  encouragés  par  saint  Walbert,  co- 
piaient assidûment.  «  La  fonction  de  copiste  »,  dit  Cassiodore,  «  donne  le 
secret  de  prêcher  de  la  main,  de  parler  des  doigts,  d'annoncer  le  salut  aux 
hommes  en  gardant  le  silence  ;  et  il  est  très-vrai  que  Satan  est  percé  d'au- 
tant de  coups  qu'un  copiste  transcrit  de  paroles  du  Seigneur».  Nous  ne 
parlerons  pas  ici  de  l'école  de  laïques,  qui  se  tenait  en  dehors  du  monastère 


26G  2  mai. 

sans  y  porter  le  moindre  dérangement  ;  si  saint  Walbert  n'en  fut  pas  le  fon- 
dateur, il  est  certain  du  moins  qu'il  contribua  à  son  développement,  soit  en 
y  attirant  par  son  mérite  et  sa  réputation  un  plus  grand  nombre  d'élèves, 
soit  en  multipliant  les  objets  de  l'enseignement  :  on  y  apprenait  les  diffé- 
rents sens  de  la  Bible,  avec  d'autres  branches  de  la  science  ecclésiastique, 
le  chant,  la  musique  et  tout  ce  que  l'on  comprend  sous  le  nom  d'arts  libé- 
raux et  d'humanités. 

Il  n'est  pas  possible  de  considérer  l'œuvre  de  saint  Walbert  sans  recon- 
naître en  lui  l'homme  de  Dieu,  le  bras  de  la  Providence,  le  prodige  de  son  siècle. 
Aussi,  pendant  les  quarante  années  qu'il  gouverna  le  monastère  de  Luxeuil, 
nous  voyons  cette  maison  environnée  d'une  considération  universelle. 

Au  milieu  de  toutes  les  sollicitudes  du  dedans  et  du  dehors,  Walbert 
savait  encore  trouver  du  temps  pour  ses  amis. 

Les  liens  d'une  pieuse  amitié  l'unissaient  en  particulier  à  saint  Miget, 
évêque  de  Besançon,  et  cette  union  leur  était  si  douce  à  tous  deux,  qu'ils 
voulurent  la  prolonger  au-delà  du  tombeau.  Dans  ce  but,  ils  convinrent 
entre  eux  que  celui  qui  survivrait  rendrait  à  son  ami  les  derniers  devoirs, 
et  il  est  permis  de  penser  que  ces  termes  n'indiquaient  pas  seulement  la 
déposition  du  mort  au  lieu  de  sa  sépulture,  mais  encore  ce  deuil  quel'  Esprit- 
Saint  recommande  de  faire  dans  l'amertume  de  son  âme,  et  principalement 
les  prières  et  les  sacrifices,  qui  consolent  le  défunt  au  jour  de  son  départ l. 

Ce  fut  saint  Miget  qui  demeura  chargé  de  ce  soin,  tout  à  la  fois  si  doux 
et  si  plein  d'amertume.  Walbert  touchait  à  la  quarantième  année  de  son 
gouvernement  :  cette  année  fut  pour  lui  la  dernière  ;  soutenu  par  la  pré- 
sence de  l'évêque,  et  plus  encore  par  le  souvenir  de  ses  propres  œuvres,  il 
rendit  doucement  le  dernier  soupir,  le  sixième  jour  de  mai  665.  A  la  nou- 
velle de  sa  mort,  les  populations  environnantes  accoururent  de  toutes  parts. 
Elles  venaient  mêler  leurs  larmes  à  celles  de  tous  les  religieux  du  mo- 
nastère, et  respirer  encore,  sur  le  tombeau  du  Saint,  la  bonne  odeur  des 
vertus  dont  il  avait  été  le  modèle.  Ce  tombeau,  magnifiquement  travaillé 
aux  frais  de  saint  Miget,  fut  déposé  dans  l'église  de  Saint-Martin.  C'était  un 
gage  d'amour  et  de  protection.  En  effet,  plusieurs  auteurs  ont  remarqué 
que,  durant  nombre  d'années  que  son  corps  reposa  dans  ce  lieu,  les  enne- 
mis de  la  foi  furent  impuissants  à  pénétrer  dans  la  ville,  et  qu'après  le  trans- 
port de  ce  précieux  dépôt,  on  assista  à  la  scène  de  désolation  causée  par  les 
Sarrasins,  sous  le  gouvernement  de  l'abbé  Mellin. 

Quoi  qu'il  en  soit  de  celte  conjecture,  il  est  certain  que  de  nombreux 
miracles  s'opérèrent  dans  la  suite,  par  la  vertu  des  reliques  de  saint  Walbert. 
Adson,  qui  les  raconte,  nous  dit  en  général  que  l'œil  fut  rendu  aux  aveugles, 
le  pied  aux  boiteux,  la  santé  aux  malades,  la  vigueur  aux  infirmes,  la  con- 
solation aux  cœurs  affligés.  Il  signale  ensuite  plusieurs  prodiges  en  parti- 
culier. Ainsi,  lors  de  l'invasion  des  Normands,  en  888,  la  châsse  du  saint 
Abbé,  qui,  déjà,  n'était  plus  à  l'église  de  Luxeuil,  fut  transportée  au  village 
de  Herly,  dont  les  Barbares  s'étaient  emparés  :  aussitôt  ces  mêmes  Barbares, 
entraînés  comme  par  une  force  secrète,  abandonnent  le  pays,  et  un  jeune 
libertin,  qui  s'avise  d'insulter  les  moines,  est  subitement  frappé  d'idiotisme. 
Dans  une  autre  bourgade,  qui  pourrait  bien  être  la  ville  de  Provins,  se  trou- 
vait un  personnage  assez  considérable  qui  en  revendiquait  la  possession  au 
préjudice  du  monastère  :  on  y  transféra  également  les  saintes  reliques,  et, 
quelques  jours  après,  ce  téméraire  expiait  sa  faute  par  une  chute  mortelle. 
En  Alsace,  où  les  religieux  passèrent  chargés  de  leur  trésor,  la  guérison  de 

1.  Eccli.,  xxxvni,  17,  24. 


SAINT  "WALBERT,    TROISIÈME   ABBÉ  DE   LUXEUIL.  267 

deux  aveugles  et  de  deux  hommes  perclus  de  tous  leurs  membres  amena 
sur  les  confins  du  comté  de  Montbéliard  une  foule  innombrable  de  curieux, 
sinon  de  gens  dévots  à  l'égard  de  notre  Saint.  Chez  les  Varasques,  deux 
nouvelles  guérisons,  plus  éclatantes  encore,  achevèrent  d'attacher  au  joug 
de  la  foi  ces  populations  nouvellement  converties  par  saint  Eustase.  Il  n'y 
eut  pas  jusqu'aux  objets  dont  saint  Walbert  s'était  servi,  auxquels  Dieu  ne 
voulût  attacher  une  vertu  surnaturelle  :  et  nous  en  avons  acquis  la  preuve 
certaine  dans  des  temps  plus  rapprochés  de  nous.  Un  vase  qui  lui  a  appar- 
tenu, et  qui  nous  a  été  transmis  par  une  constante  tradition,  a  été,  dans 
plusieurs  circonstances,  le  moyen  dont  Dieu  s'est  servi  pour  récompenser 
la  piété  des  fidèles  :  «  Ce  vase,  de  simple  racine  »,  dit  un  historien  du  siècle 
dernier1,  «  a  été  l'instrument  d'une  infinité  de  guérisons  :  les  fébricitants 
s'empressent  encore  d'y  boire,  et  d'imiter  à  ce  sujet  la  pieuse  antiquité,  et, 
comme  elle,  ils  y  éprouvent  le  pouvoir  du  saint  abbé  de  Luxeuil  :  j'en  ai  vu 
des  effets  qui  tiennent  du  prodige  ;  j'en  dois  rendre  ici  un  témoignage  so- 
lennel ».  C'est  ainsi  que  les  amis  de  Dieu  sont  honorés  et  glorifiés.  Tandis  que 
les  os  de  l'impie,  remplis  des  vices  de  sa  jeunesse,  dorment  dans  le  tombeau,  les 
dépouilles  de  ceux  qui  ont  vécu  saintement  tressaillent,  et  leur  corps  inanimé 
prophétise  encore 2. 

Le  nom  de  saint  Walbert  a  toujours  été  en  vénération  dans  la  Bourgogne, 
dans  la  Suisse,  et  surtout  dans  le  diocèse  de  Besançon.  Aucun  des  Saints 
qui  ont  honoré  le  monastère  de  Luxeuil  n'a  obtenu,  en  Franche-Comté,  un 
culte  aussi  populaire.  Un  grand  nombre  de  paroisses  l'invoquent  encore  au- 
jourd'hui comme  patron,  et,  pendant  longtemps  les  populations  accoururent 
à  l'église  de  l'abbaye  pour  se  prosterner  devant  sa  châsse  et  invoquer,  auprès 
de  son  tombeau,  celui  qu'on  avait  admiré  pendant  sa  vie.  Au  dixième  siècle, 
un  savant  moine  de  Luxeuil,  Adson,  écrivit  le  récit  des  miracles  nombreux 
qui  s'opérèrent  par  l'intercession  du  saint  abbé. 

Au  douzième  siècle,  nous  voyons  un  monastère  placé  sous  le  vocable  de 
notre  Saint.  C'est  le  prieuré  de  Saint-Walbert-lez-Héricourt,  qui  dépendait 
de  l'abbaye  de  Luxeuil.  Mais  un  lieu  encore  plus  rempli  de  son  souvenir, 
o'est  l'ermitage  de  saint  Walbert,  situé  à  une  lieue  de  Luxeuil,  dans  un  vallon 
qu'entoure  une  ceinture  de  bois  et  de  rochers.  C'est  là  qu'on  voit  encore  la 
grotte,  enfoncée  dans  le  sol,  où  l'illustre  solitaire  vécut  longtemps  seul 
avec  Dieu,  après  avoir  renoncé  au  monde  et  à  ses  illusions.  Là,  tout  parle 
de  lui  :  son  nom  inscrit  sur  les  murs,  la  statue  où  il  est  représenté  dans 
l'attitude  de  la  prière,  et  cette  solitude  où,  délivré  du  tumulte  du  monde, 
il  se  promenait  par  la  pensée,  au  milieu  des  splendeurs  du  paradis,  jouissant 
ainsi  dans  le  désert  de  la  société  des  anges  3. 

En  1570,  une  chapelle  en  l'honneur  de  saint  Walbert  fut  élevée  et  con- 
sacrée dans  ces  lieux  par  les  soins  de  Guillaume,  sacriste  de  l'abbaye.  Cet 
oratoire,  qui  appartient  aujourd'hui  au  séminaire  de  Luxeuil,  a  été  res- 
tauré en  1846.  Il  y  a  peu  d'années,  une  fête  populaire,  qui  se  célébrait  le 
lendemain  du  jour  de  Pâques,  attirait  encore  à  l'ermitage  de  saint  Walbert 
les  populations  voisines.  Les  reliques  de  notre  Saint  ont  été  souvent  trans- 
portées en  Alsace,  en  Champagne,  et  jusque  dans  la  Picardie,  dans  les  terres 
qu'il  avait  données  à  son  monastère.  Mais  on  les  rapportait  toujours  à 
Luxeuil,  où  elles  étaient  conservées  dans  une  châsse  en  vermeil,  à  l'excep- 

1.  Dom  Grappin,  Mémoire  adressé  à  l'académie  de  Besançon,  en  1770. 

2.  Job,  xx,  2  ;  Eccli.,  xlix,  18. 

3.  Tu  paradisum  mente  déambula.  Quotiescumque  illuc  cogitatione  conscenderis,  toties  in  ereino  non 
«ris.  (Saint  Jérôme,  Epitt.  ad  Heliodor.) 


268  2  mai. 

tion  de  sa  tête,  renfermée  dans  un  buste  d'argent.  Un  de  ses  ossements  est 
encore  aujourd'hui  déposé  dans  une  châsse  convenable,  et  exposé  à  la  vé- 
nération des  fidèles  dans  la  chapelle  du  séminaire  de  Luxeuil.  Son  Eminence 
Mgr  le  cardinal  Matthieu,  archevêque  de  Besançon,  en  a  constaté  l'authen- 
ticité, le  17  février  1852.  Le  séminaire  de  Luxeuil  possède  aussi  l'écuelle 
dont  ce  Saint  se  servait  au  monastère.  C'est  dans  ce  vase  que  buvaient  les 
malades  qui  espéraient  obtenir  leur  guérison  par  l'intercession  du  saint  abbé, 

Le  nom  de  saint  Walbert  est  inscrit  an  2  mai  dans  plusieurs  martyrologes,  et  dans  quelques  calen- 
driers dresse's  dès  la  fin  du  vme  siècle,  du  temps  de  Charlemagne.  Trithemius,  Bucelin.  H.  Menard,  du 
Saussay.  VTion.  Molanus  et  Châtelain,  en  font  également  me'moire.  —  Cf.  Baillet4  2  mai  ;  Moines  d'Occident. 
t.  h;  Saints  de  Franche-Comte',  t.  n. 


SAINTE  GUIBORAT  OU  VIBORADE,  VIERGE, 

RECLUSE  ET  MARTYRE  EN  SUISSE, 

ET  SA  COMPAGNE  SAINTE  RACHILDE 

925.  —  Pape  :  Jean  X.  —  Empereur  d'Allemagne  :  Henri  l'Oiseleur, 

Demandez  toujours  conseil  aux  sages.      Tob.,  iv,  19. 

Viborade,  appelée  parmi  nous  Guiborat1,  et  chez  les  Allemands  Weib-Ralk, 
était  née  d'une  famille  noble  et  ancienne  dans  la  Souabe,  en  haute  Allema- 
gne. Elle  fut  élevée  dès  sa  plus  tendre  enfance  dans  les  sentiments  et  les 
exercices  de  la  piété  chrétienne  :  et  le  désir  qu'elle  avait  de  se  consacrer 
uniquement  à  Dieu  se  fortifiant  toujours  avec  son  âge  et  sa  raison,  lui  fit 
préférer  inviolablement  la  conservation  de  la  pureté  de  son  corps  et  de  son 
esprit,  à  celle  même  de  sa  santé  et  de  sa  vie.  Dès  le  sortir  du  berceau  elle 
avait  paru  prévenue  d'une  grâce  particulière,  qui  l'avait  mise  au-dessus  des 
faiblesses  et  des  affections  puériles,  qui  l'avait  portée  à  se  sevrer  volontaire- 
ment de  tous  les  plaisirs  et  passe-temps  dont  on  a  coutume  d'amuser  les 
enfants,  et  qui  lui  avait  inspiré  un  air  de  modestie  et  de  gravité,  qui  fit  re- 
marquer dans  toute  sa  conduite  une  sagesse  qu'on  trouvait  difficilement 
dans  les  personnes  les  plus  consommées  en  vertu  et  en  expérience.  Elle  ap- 
portait dans  ses  occupations  spirituelles  un  tempérament  si  judicieux  entre 
l'action  et  la  contemplation,  qu'il  semblait  qu'elle  eût  réuni  en  elle  seule 
tout  le  mérite  des  deux  saintes  sœurs  Marthe  et  Marie,  qui  se  trouvèrent 
dignes  d'être  les  hôtesses  de  Jésus-Christ.  Elle  joignait  le  travail  des  mains 
et  les  pratiques  les  plus  pénibles  de  la  pénitence,  à  la  mortification  inté- 
rieure de  son  cœur  et  de  ses  passions.  De  la  maison  de  son  père  où  elle  vivait 
aussi  régulièrement  que  dans  un  monastère,  elle  allait  tous  les  matins,  le 
plus  souvent  nu-pieds  à  l'église,  qui  en  était  éloignée  de  près  d'une  demi- 
lieue.  A  son  retour  elle  se  renfermait  pour  s'appliquer  seule  en  la  présence 
de  Dieu  à  la  lecture,  au  travail  et  à  la  prière,  fuyant  non-seulement  la 
compagnie  des  personnes  du  dehors,  mais  même  les  entretiens  trop  fré- 
quents de  ses  frères,  de  ses  propres  sœurs,  et  de  tous  ceux  de  la  maison  ;  ce 
qui  ne  l'empêchait  pas  d'être  fort  exacte  à  rendre  à  ses  parents  toute  la  sou- 

L  Ou  encore  Vmede,  Vilborade. 


SAINTE   GUIBORAT  OU  VIBORADE,   VIERGE.  269 

mission  et  la  déférence  qu'elle  leur  devait,  de  les  soulager  dans  leur  vieil- 
lesse, et  de  les  servir  dans  leurs  maladies  avec  une  assiduité  et  un  zèle  qu'ils 
ne  pouvaient  eux-mêmes  assez  admirer.  Aussi  de  leur  côté  eurent-ils  pour 
elle  toute  l'indulgence  qu'elle  pouvait  souhaiter  pour  le  repos  de  sa  retraite 
et  la  liberté  de  ses  exercices,  depuis  qu'elle  eut  obtenu  d'eux  qu'ils  ne  l'as- 
sujétiraienl  plus  aux  modes  du  siècle,  et  qu'ils  ne  la  presseraient  plus  sur  le 
mariage  auquel  elle  avait  renoncé  pour  Jésus-Christ. 

La  joie  qu'elle  eut  de  voir  son  frère  Hitton  entré  dans  l'état  ecclésias- 
tique, et  dévoué  pour  le  reste  de  ses  jours  au  service  de  Dieu,  lui  fit  conver- 
tir le  travail  de  ses  mains  à  son  usage,  s'estimant  heureuse  de  pouvoir  servir 
les  ministres  de  l'autel.  Elle  lui  faisait  elle-même  ses  habits,  son  linge,  ses 
meubles  qu'elle  lui  envoyait  dans  l'abbaye  de  Saint-Gall  où  il  s'était  retiré 
pour  étudier  l'Ecriture  sainte  et  la  théologie.  Elle  travaillait  en  même  temps 
pour  les  religieux  de  ce  célèbre  monastère,  et  s'appliquait  principalement  à 
faire  les  couvertures  de  leurs  livres.  Dès  que  son  frère  fut  prêtre,  elle  se  retira 
avec  lui,  non  seulement  pour  l'assister  dans  les  soins  de  son  temporel,  mais 
aussi  dans  l'espérance  de  trouver  chez  lui  des  facilités  plus  grandes  de  ser- 
vir Dieu  et  le  prochain.  Elle  n'y  fut  point  trompée,  et  continuant  les  exer- 
cices de  charité  qu'elle  faisait  auparavant  chez  son  père  et  sa  mère,  elle  se 
vit  secondée  par  ce  digne  frère,  qui  non  content  de  lui  abandonner  tout 
son  revenu  et  sa  maison  même,  pour  en  faire  un  hôpital,  allait  encore  lui 
chercher  des  malades  qu'il  lui  amenait  tantôt  sur  sa  jument,  et  tantôt  sur 
ses  propres  épaules.  Ils  en  partageaient  tous  les  soins  entre  eux,  et  Guiborat 
se  chargeait  toujours  de  ce  qu'il  y  avait  de  plus  humiliant  et  de  plus  péni- 
ble. Ses  assiduités  à  traiter  les  malades  et  à  nourrir  les  pauvres  qui  abor- 
daient chez  elle  de  toutes  parts,  ne  diminuaient  rien  de  son  application  à  la 
prière,  ni  de  l'esprit  de  retraite  qu'elle  conservait  toujours  au  milieu  de  ces 
distractions  apparentes.  Elle  apprit  les  psaumes  sous  son  frère,  disait  l'office 
avec  lui,  et  le  servait  même  au  chœur  et  à  l'autel.  Elle  fit  avec  lui  le  pèle- 
rinage de  Rome,  pour  visiter  par  dévotion  le  tombeau  des  saints  Apôtres, 
et  les  autres  lieux  consacrés  par  le  sang  des  martyrs.  La  curiosité  n'eut  au- 
cune part  à  ce  grand  voyage,  qu'elle  avait  elle-même  sollicité  longtemps 
auparavant  auprès  de  son  frère  :  elle  joignit  à  la  fatigue  des  chemins  des 
abstinences  et  des  austérités  volontaires,  distribuant  aux  pauvres  ce  qu'elle 
retranchait  de  la  dépense  :  et  tout  le  séjour  qu'elle  fit  dans  la  ville,  fut  em- 
ployé à  faire  des  prières,  et  à  répandre  des  larmes  aux  pieds  des  autels  et  sur 
les  tombeaux  des  Saints  dont  elle  réclamait  l'intercession. 

Au  retour  de  Rome  elle  représenta  si  vivement  à  son  frère  les  difficultés 
qu'il  y  avait  de  bien  travailler  à  son  salut  dans  le  monde,  qu'elle  lui  per- 
suada de  l'abandonner  entièrement,  et  de  se  retirer  dans  l'abbaye  de  Saint- 
Gall.  Après  qu'il  y  eut  fait  profession  de  la  vie  religieuse,  il  semblait  qu'elle 
dût  suivre  son  exemple,  ce  qu'elle  ne  put  faire  néanmoins  de  plus  de  six  ans 
après.  Mais  elle  vivait  dans  le  siècle  comme  une  étrangère,  qui  n'en  suivait 
ni  les  lois,  ni  les  usages.  Elle  s'y  regardait  comme  dans  un  lieu  d'exil,  où 
elle  ne  pouvait  goûter  aucune  satisfaction  que  celle  que  lui  pouvait  procu- 
rer l'espérance  d'en  sortir.  Elle  y  vivait  comme  si  elle  eût  toujours  été  prête 
à  partir  et  à  aller  rendre  compte  à  Dieu.  Elle  s'y  macérait  le  corps  par  les 
veilles  et  les  jeûnes.  Elle  ne  mangeait  point  de  viande  et  ne  buvait  point  de 
vin,  quoiqu'on  en  servît  toujours  sur  la  table  ;  ce  qui  ne  pouvait  contri- 
buer qu'à  augmenter  encore  sa  mortification.  Elle  faisait  encore  beaucoup 
d'autres  austérités  secrètes,  dont  elle  n'avait  pour  témoin  que  deux  filles 
qui  la  servaient,  à  qui  elle  avait  appris  la  discrétion  avec  la  piété,  et  qui 


270  2  mai. 

avaient  soin  de  distribuer  aux  pauvres  et  aux  malades  ce  qu'on  croyait  qui 
était  préparé  pour  elle.  Elle  avait  un  lit  fort  propre,  et  ne  couchait  jamais 
que  sur  la  terre,  couverte  d'un  simple  cilice,  n'ayant  qu'une  pierre  pour 
chevet.  Aussi  n'y  prenait-elle  que  fort  peu  de  repos,  interrompant  son  pre- 
mier sommeil  pour  se  relever,  tandis  que  tout  le  monde  dormait,  et  pour 
passer  le  reste  de  la  nuit  en  prières.  Une  action  si  sainte  ne  laissa  point 
d'être  décriée  par  une  autre  de  ses  servantes  qui  n'avait  point  sa  confidence. 
Dieu  voulant  éprouver  la  fidélité  de  Guiborat,  et  purifier  sa  vertu  de  plus  en 
plus,  permit  que  la  calomnie  l'attaquât  par  le  côté  le  plus  sensible,  qui 
était  celui  de  l'honneur.  Cette  misérable  servante  alla  publier  partout  que 
sa  maîtresse  se  relevait  toutes  les  nuits,  mais  que  c'était  pour  faire  toute 
autre  chose  que  pour  prier  Dieu  ;  qu'après  avoir  vécu  longtemps  dans  un 
commerce  incestueux  avec  son  propre  frère,  elle  s'était  abandonnée  aux 
crimes  les  plus  honteux  qu'elle  couvrait  du  voile  de  la  nuit,  parce  que  la 
lumière  du  jour  ne  les  pourrait  souffrir.  Ceux  qui  connaissaient  la  Sainte 
n'eurent  que  de  l'indignation  pour  des  calomnies  si  noires  :  mais  il  n'y  eut 
que  trop  de  gens  parmi  les  autres,  qui  suivant  la  pente  naturelle  que  l'on  a 
ordinairement  pour  la  médisance,  la  jugèrent  capable  d'être  tombée  dans 
ces  excès,  et  crurent  lui  faire  grâce  de  plaindre  en  elle  la  fragilité  humaine. 
Guiborat,  sans  se  laisser  abattre  sous  les  traits  d'une  si  cruelle  diffamation, 
mit  toute  sa  confiance  dans  le  divin  protecteur  de  son  innocence,  qui  l'était 
aussi  de  sa  virginité.  Elle  ne  fit  point  difficulté  d'aller  se  présenter  au  tribu- 
nal de  l'évêque  de  Constance,  Salomon,  pour  répondre  à  ces  accusations,  et 
de  justifier  devant  lui  son  innocence  par  les  épreuves  périlleuses  qu'on  ap- 
pelait le  jugement  de  Dieu,  et  qui  étaient  alors  de  grand  usage. 

L'évêque,  qui  estimait  et  honorait  auparavant  la  vertu  de  Guiborat,  se 
confirma  davantage  dans  la  haute  opinion  qu'il  en  avait,  lorsqu'il  vit  que 
Dieu  se  déclarait  si  visiblement  en  sa  faveur.  Il  rechercha  avec  soin  l'occa- 
sion de  profiter  souvent  de  sa  compagnie.  Un  jour  qu'il  allait  à  l'abbaye  de 
Saint-Gall  qui  estait  de  son  diocèse,  il  lui  proposa  d'en  faire  le  voyage  avec 
lui,  et  elle  y  consentit  avec  joie.  Elle  en  trouva  la  solitude  si  fort  a  son  gré, 
que  renonçant  au  lieu  de  son  ancienne  demeure,  sous  prétexte  de  vouloir 
céder  à  la  malignité  des  médisants  et  des  calomniateurs,  elle  s'arrêta  sur 
une  montagne  voisine  de  l'abbaye,  s'y  fit  bâtir  une  cellule  proche  de  l'église 
de  Saint-Georges,  et  y  resta  près  de  quarante  ans  à  continuer  ses  austérités. 
Elle  passait  les  jours  et  les  nuits  dans  cette  église  à  prier,  y  demeurant 
quelquefois  trois  jours  de  suite  sans  manger,  et  ne  rentrait  dans  sa  cellule 
que  pour  accorder  à  son  corps  un  peu  de  repos  ou  de  nourriture,  lorsqu'elle 
le  voyait  réduit  aux  dernières  extrémités.  Les  peuples  d'alentour,  considé- 
rant qu'elle  s'était  dépouillée  de  tout  pour  Jésus-Christ,  et  qu'elle  s'était 
appauvrie  pour  soulager  les  pauvres,  lui  portaient  à  l'envi  des  aumônes 
pour  la  faire  subsister  :  ce  qui  la  remit  dans  quelque  sorte  d'abondance 
dont  elle  ne  voulut  profiter  néanmoins  que  pour  secourir  ceux  qui  étaient 
dans  le  besoin.  La  distribution  de  ces  charités  dont  elle  était  occupée 
souvent  pendant  toute  la  journée,  et  les  visites  fréquentes  de  ceux  qui 
lui  apportaient  de  quoi  y  fournir  ou  qui  la  venaient  consulter  sur  les 
affaires  de  leur  salut,  faisaient  une  si  grande  diversion  au  silence  qu'elle 
voulait  garder  dans  sa  retraite  et  à  la  contemplation  dans  laquelle  elle 
souhaitait  de  n'être  remplie  que  de  Dieu ,  qu'elle  résolut  enfin  d'em- 
brasser l'Institut  des  recluses  qui  menaient  la  vie  des  anachorètes  dans  une 
clôture  perpétuelle.  L'évêque  de  Constance  lui  bénit  une  cellule  près  de 
l'église  de  Saint-Magne,  à  quelque  distance  de  Saint-Gall,  et  fit  la  cérémonie 


SAINTE   GUIBORAT   OU  VI30RADE,    VIERGE.  271 

de  la  renfermer.  La  vie  qu'elle  mena  dans  cette  retraite  pendant  l'espace 
de  trente-quatre  ans,  eut  beaucoup  moins  de  rapport  à  celle  des  hommes 
qu'à  l'état  de  ces  esprits  bienheureux  qui  subsistent  sans  corps,  et  qui  ne 
sont  employés  qu'à  louer  Dieu,  et  à  jouir  de  sa  présence.  Elle  y  fut  si 
cachée  qu'elle  serait  demeurée  entièrement  inconnue  aux  hommes,  si  ses 
miracles  et  ses  prédictions  n'y  eussent  fait  obstacle. 

Il  y  avait  dans  le  voisinage  une  fille  de  qualité  nommée  Rachilde,  sujette 
à  beaucoup  d'infirmités  corporelles  qui  l'avaient  réduite  à  une  maladie 
qu'on  jugeait  incurable.  Ses  parents,  après  avoir  employé  inutilement  les 
remèdes  humains,  se  disposaient  à  la  faire  transporter  à  Rome  pour  deman- 
der à  Dieu  sa  guérison  par  l'intercession  des  saints  Apôtres.  Guiborat  ayant 
appris  cette  résolution,  et  connaissant  ce  que  Dieu  voulait  faire  de  cette  fille, 
se  la  fit  amener  dans  sa  cellule.  Après  l'avoir  embrassée,  elle  l'adopta  pour 
sa  fille  spirituelle,  et  lui  déclara  que  pour  obéir  à  Dieu  elle  voulait  prendre 
soin  de  son  âme  et  de  son  corps  le  reste  de  ses  jours.  Rachilde  se  trouva 
fort  consolée  dans  ses  disgrâces,  parles  témoignages  d'une  si  grande  bonté; 
et  Dieu,  pour  ne  la  point  gratifier  à  demi,  lui  rendit  une  santé  parfaite,  tant 
par  les  prières  que  par  les  services  de  Guiborat.  Les  parents  de  Rachilde, 
fort  joyeux  d'une  guérison  si  peu  espérée,  consentirent  d'abord  que  la 
Sainte  retînt  leur  fille  près  d'elle.  Mais  la  guerre  étant  survenue  entre  Henri 
de  Saxe,  dit  l'Oiseleur,  nouvellement  élu  roi  de  Germanie,  et  Burchard,  duc 
d'Allemagne,  c'est-à-dire,  de  la  Souabe,  ils  appréhendèrent  de  la  voir 
exposée  aux  insultes  des  soldats,  ou  aux  misères  de  la  faim,  et  voulurent  la 
ramener  chez  eux.  Guiborat  s'y  opposa,  et  leur  ayant  déclaré  la  volonté  de 
Dieu  sur  leur  fille,  elle  les  renvoya  en  paix,  et  peu  do  temps  après  elle  ren- 
ferma Rachilde,  et  la  fit  recluse  comme  elle,  nonobstant  les  maladies  qui 
revenaient  par  intervalle,  et  dont  elle  guérissait  de  même  par  les  prières  et 
les  soins  de  sa  mère  spirituelle.  Notre  Sainte  fut  souvent  sollicitée  de  pren- 
dre encore  d'autres  disciples,  que  son  humilité  et  son  amour  pour  la  re- 
traite lui  firent  refuser.  Elle  ne  put  néanmoins  se  dispenser  de  recevoir  une 
jeune  dame  qui  se  croyait  veuve,  et  qui  cherchait  à  servir  Dieu  sous  sa  con- 
duite. C'était  Wendiigarde,  petite-fille  de  Henri,  roi  de  Germanie,  qui  avait 
épousé  le  comte  Udalric,  pris  par  les  Hongrois  dans  un  combat,  peu  de 
temps  après  son  mariage.  La  persuasion  où  l'on  était  de  la  mort  de  son 
mari,  la  fit  rechercher  aussitôt  pour  des  partis  fort  avantageux  ;  mais  ayant 
refusé  de  passer  à  de  secondes  noces,  elle  vint  demander  à  l'abbé  de  Saint- 
Gall  '  qu'il  lui  fût  permis  de  se  bâtir  une  cellule  auprès  de  celle  de  sainte 
Guiborat,  qu'elle  avait  choisie  pour  sa  directrice.  Elle  obtint  aisément  sa 
demande,  et  n'ayant  retenu  que  ce  qui  lui  était  nécessaire  pour  sa  subsis- 
tance, elle  fit  de  grandes  aumônes  du  reste  de  son  bien  aux  pauvres  et  aux 
religieux  de  l'abbaye,  pour  le  repos  de  l'âme  de  son  mari.  Comme  elle  avait 
toujours  été  élevée  fort  délicatement,  elle  eut  beaucoup  à  souffrir  pour 
s'accoutumer  aux  abstinences  et  aux  autres  austérités  de  la  vie  qu'elle  vou- 
lait embrasser.  Elle  aimait  la  diversité  des  viandes  et  la  douceur  des  fruits; 
et  quoique  Guiborat  l'en  reprît  avec  beaucoup  de  sévérité,  et  lui  représentât 
que  cet  appétit  pour  la  variété  des  nourritures  n'était  pas  une  marque  de 
pudicité  dans  une  femme,  elle  avait  des  peines  inconcevables  à  réprimer  ses 
désirs  sur  ce  sujet.  Un  jour  qu'elle  était  dans  la  cellule  de  sa  maîtresse,  elle 
la  pria  de  lui  donner  quelques  pommes  douces,  si  elle  en  avait.  La  Sainte 
lui  dit  qu'elle  en  avait  gardé  de  fort  belles  pour  les  pauvres,  et  lui  donna 
un  de  ces  fruits  sauvages,  qu'on  appelle  des  pommes  de  bois.  Wendiigarde 

1.  Salomon,  qui  fut  depuis  évêque  de  Constance,  troisième  de  ce  nom. 


272  2  mai. 

se  jeta  dessus  avec  une  avidité  qui  semblait  tenir  quelque  chose  de  la 
fureur.  Mais  à  peine  y  eut-elle  mis  la  dent,  qu'elle  la  rejeta,  et  dit  à  la 
Sainte  :  «  Ah  !  que  vos  pommes  sont  aigres,  et  que  vous  êtes  dure  vous- 
même  !  Plût  à  Dieu  qu'il  n'y  en  eût  jamais  d'autres  dans  le  Paradis  terrestre. 
Eve  n'aurait  eu  garde  d'y  toucher  ;  et  nous  ne  serions  pas  réduites  à  tant 
de  misères.  Puisque  vous  parlez  d'Eve  (répondit  Guiborat),  vous  devez 
savoir  que  c'est  sa  convoitise  pour  un  fruit  délicieux,  qui  a  causé  sa  chute 
et  notre  malheur  ;  et  vous  pouvez  juger  par  cet  exemple,  si  la  vôtre  peut 
être  innocente  ».  Cette  remontrance  porta  coup  au  cœur  de  Wendilgarde, 
qui  se  retira  toute  confuse  pour  aller  pleurer  ses  faiblesses  dans  le  secret. 
Depuis  ce  moment  elle  travailla  si  fortement  à  se  corriger,  qu'avec  la  grâce 
de  Dieu  et  les  conseils  de  sainte  Guiborat,  elle  vint  à  bout  de  mortifier 
entièrement  ses  appétits,  et  de  pratiquer  une  parfaite  abstinence.  Elle  fit 
ensuite  tant  de  progrès  dans  les  autres  vertus,  que  l'évêque  de  Constance, 
de  l'avis  de  son  synode,  crut  devoir  lui  donner  le  voile  sacré  qu'elle  lui  de- 
mandait. Son  zèle  alla  si  loin,  que  s'accoutumant  insensiblement  à  la  vie  la 
plus  austère  des  recluses,  elle  conjura  notre  Sainte  de  lui  accorder  la  survi- 
vance de  Rachilde,  dont  on  attendait  la  mort  de  jour  à  autre,  parce  que 
tout  son  corps  s'en  allait  en  pourriture  par  la  multitude  des  ulcères  qui  s'y 
formaient.  Mais  Dieu  en  disposa  autrement.  Rachilde  fut  réservée  pour  un 
long  martyre,  et  pour  laisser  à  la  postérité  chrétienne  un  modèle  achevé  de 
la  patience  que  Dieu  nous  demande  dans  les  maux  qu'il  nous  envoie. 
Quatre  ans  après  la  retraite  de  Wendilgarde,  on  apporta  la  nouvelle  de 
l'heureux  retour  de  son  mari,  le  comte  Udalric,  qu'on  croyait  mort,  et  qui 
était  demeuré  en  captivité  durant  tout  ce  temps,  sous  la  puissance  des  Hon- 
grois ou  Esclavons.  Il  fallut  lui  rendre  sa  femme  qu'il  redemandait  :  et  les 
évêques  assemblés  dans  leur  synode,  jugèrent  que  la  profession  religieuse 
ne  pouvait  empêcher  qu'on  ne  la  lui  restituât.  Wendilgarde,  ainsi  obligée 
de  retourner  dans  le  monde,  promit  de  reprendre  ses  vœux  si  elle  survivait 
à  son  mari,  et  voua  dès  lors  à  Dieu,  sous  la  protection  de  saint  Gall,  le  pre- 
mier enfant  qu'elle  en  aurait.  Le  comte  Udalric  fut  le  fidèle  exécuteur  de 
cette  promesse  :  ayant  perdu  sa  femme  lorsqu'elle  était  en  travail,  et  sauvé 
par  l'incision  césarienne,  l'enfant  qui  fut  depuis  abbé  de  Saint-Gall. 

Cependant  les  Hongrois  ayant  recommencé  leurs  courses,  vinrent  fon- 
dre avec  fureur  dans  la  Souabe  et  les  pays  voisins.  Chacun  se  réfugia  dans 
des  lieux  fortifiés  pour  pourvoir  à  sa  sûreté  :  et  l'abbé  de  Saint-Gall  pressa 
instamment  sainte  Guiborat  de  vouloir  prendre  une  retraite  dans  une  forte- 
resse qui  dépendait  de  son  abbaye,  et  qui  était  en  état  de  faire  résistance 
aux  Barbares.  Mais  la  Sainte,  qui  avait  prédit  cette  irruption,  et  qui  était 
avertie  intérieurement  de  ce  qui  devait  lui  arriver  à  elle-même,  remercia 
l'abbé,  et  renvoya  ses  députés  qui  étaient  venus  la  quérir,  témoignant 
qu'elle  ne  voulait  point  s'opposer  à  ce  que  Dieu  avait  ordonné  d'elle.  Elle 
fit  sauver  les  ecclésiastiques  qui  servaient  l'église  de  Saint-Magne,  dont  son 
frère  Hitton  était  le  premier,  et  les  autres  personnes  qui  demeuraient  au- 
tour d'elle,  hors  sa  chère  fille  Rachilde,  qui  était  toujours  sur  la  paille,  et 
de  la  conservation  de  laquelle  elle  assura  ses  parents  qui  étaient  venus  pour 
l'enlever.  Cependant  les  Barbares  se  répandirent  dans  la  contrée,  détruisant 
avec  le  fer  et  le  feu  ce  qu'ils  ne  pouvaient  piller.  Ils  brûlèrent  l'église  de 
Saint-Magne,  et  n'en  ayant  pu  faire  autant  à  la  cellule  de  la  Sainte,  qui  était 
bien  bouchée,  ils  montèrent  sur  le  toit  qu'ils  découvrirent,  et  la  trouvèrent 
à  genoux,  qui  priait  dans  son  petit  oratoire.  Ils  la  dépouillèrent  de  tous  ses 
habits,  ne  lui  laissant  que  son  cilice  ;  et  irrités  de  ne  point  trouver  d'argent 


SAINT  VAUBERT  OU   WALBERT,    RELIGIEUX   DE   SITHIU.  273 

chez  elle,  ils  lui  déchargèrent  sur  la  tête  trois  coups  de  hache,  dont  elle 
tomba  par  terre.  Ils  la  laissèrent  à  demi  morte  au  milieu  de  son  sang,  qui 
coula  jusqu'aux  murs  de  sa  cellule  en  si  grande  abondance,  qu'ils  en  paru- 
rent imbibés  durant  plusieurs  années.  Elle  vécut  ainsi  épuisée  jusqu'au 
lendemain  matin,  qu'elle  rendit  son  âme  à  son  Créateur.  C'était  le  second 
jour  de  mai,  l'an  925.  Son  frère  Hitton  étant  revenu  peu  d'heures  après  de  la 
retraite  où  elle  l'avait  envoyé  se  cacher,  voulut  enterrer  le  corps  sur-le- 
champ,  parce  qu'il  craignait  que  les  Barbares  ne  le  brûlassent  à  leur  retour. 
Mais  la  bienheureuse  Rachilde,  que  ces  furieux  avaient  épargnée,  s'y  op- 
posa, et  l'abbé  de  Saint-Gall  vint  l'enlever  avec  ses  religieux  en  grande  cé- 
rémonie, pour  le  tenir  en  dépôt,  premièrement,  dans  cette  forteresse 
dépendante  de  son  abbaye,  qui  en  était  à  une  demi-lieue,  jusqu'à  ce  qu'on 
fût  délivré  de  la  terreur  des  Barbares  ;  et  de  là  dans  son  église,  où  il  de- 
meura jusqu'à  la  mort  de  sa  chère  fille  sainte  Rachilde,  qui  lui  survécut 
pendant  vingt  et  un  ans,  dans  des  infirmités  et  des  langueurs  continuelles, 
que  Dieu  fit  servir  à  sa  sanctification.  Cependant  Dieu  faisait  éclater  la 
gloire  dont  il  avait  couronné  sainte  Guiborat  par  divers  miracles  qu'il  opé- 
rait à  son  tombeau.  Son  corps  fut  transporté  quelques  années  après  dans 
l'oratoire  de  sa  cellule,  et  de  là  dans  l'église  de  Saint-Magne  qu'on  avait  ré- 
tablie. On  y  déposa  aussi  celui  de  sainte  Rachilde,  dont  on  crut  devoir  ho- 
norer la  mémoire,  avec  celle  de  sainte  Guiborat,  sur  les  indices  qu'on  eut 
de  sa  sainteté.  Les  honneurs  publics  qu'on  rendit  à  sainte  Guiborat  dans 
l'abbaye  de  Saint-Gall,  se  changèrent  en  un  culte  religieux  dès  le  jour  de  son 
anniversaire,  de  sorte  que  la  première  célébration  de  sa  fête  se  fit  le  second 
jour  de  mai  de  l'an  926,  comme  d'une  sainte  vierge  et  martyre.  Cependant 
elle  ne  fut  canoniquement  mise  au  nombre  des  Saints  que  l'an  1047,  par  le 
pape  Clément  II.  Les  Martyrologes  d'Allemagne,  et  ceux  de  l'Ordre  de  Saint- 
Benoît  en  font  mention  en  ce  jour  ;  mais  le  Romain  moderne  n'en  parle 
nulle  part. 

On  représente  sainte  Viborade  ou  Guiborat  debout  à  la  grille  de  sa  cellule 
murée,  distribuant  le  pain  des  bons  conseils  à  ses  visiteurs;  car,  sans  jeu 
de  mots,  le  nom  allemand  de  sainte  Yiborade,  Weib-Rath,  signifie  conseil 
des  femmes. 


SAINT  VAUBERT  OU  WALBERT,  RELIGIEUX  DE  SITHIU, 

ET  SAINT  BERTIN,   SON   FILS. 

Des  auteurs  ont  supposé  que  le  noble  leude  Walbert,  dont  il  est  parlé  dans  la  vie  de  saint 
Bertin,  et  qui  eut  avec  lui  des  rapports  si  intimes  ainsi  que  son  fils  Bertin,  est  le  même  que  le 
personnage  de  ce  nom  qui  fut,  à  cette  époque,  abbé  du  monastère  de  Luxeuil.  C'est  une  erreur 
que  les  Bollandistes  réfutent  très-bien  dans  l'article  qu'ils  ont  ajouté  à  leur  travail  sur  le  saint  abbé 
de  Sithiii. 

On  ne  connaît  presque  rien  de  la  vie  de  saint  Walbert.  Il  serait  difficile  de  dire  s'il  était  déjà 
converti  quand  saint  Bertin  arriva  dans  le  pays  des  Morins,  ou  si  ce  sont  les  instructions  et  les 
exemples  de  ce  digne  collaborateur  de  saint  Orner  qui  l'amenèrent  à  la  foi  avec  toute  sa  famille. 

Quoi  qu'il  en  soit,  il  figure  parmi  ces  hommes  puissants  et  religieux  qui  rendirent,  dans  ce 
temps,  de  grands  services  à  la  religion  par  leurs  vertus  personnelles  et  par  le  concours  qu'ils 
apportèrent  dans  l'œuvre  sainte  de  la  propagation  de  l'Evangile.  Son  épouse  Régentrude  rivalisait 
d'ardeur  et  de  piété  avec  lui,  et  un  fils  que  le  ciel  leur  donna  et  qui  fut  baptisé  par  saint  Berlin 
lui-même,  a  été  mis  au  nombre  des  saints  Religieux  que  compte  l'abbaye  de  Sithiù. 
Vies  des  Saints.  —  Tome  V.  18 


274  3  mai. 

Quelques  auteurs  pensent  que  Walbert  se  retira  aussi  dans  cette  communauté  vers  la  fin  de  sa 
vie;  mais  cette  opinion  que  rien  ne  confirme  doit  être  rejetée,  ce  semble, comme  celle  qui  le  fait 
passer  ensuite  de  ce  monastère  dans  celui  de  Luxeuil.  Voilà  tout  ce  que  l'on  peut  dire  sur  ce  véné- 
rable personnage.  Son  fils,  à  qui  saint  Bertin  donna  son  nom,  vécut  saintement  et  mourut  dans 
l'abbaye  de  Sithiû.  L'on  conserva  longtemps  ses  reliques,  avec  celles  de  plusieurs  autres  Saints, 
sous  le  maitre-autel  de  l'église  de  SaintrOmer. 

Vies  des  Saints  de  Ca?nbrai  et  d'Arras,  par  M.  l'abbé  Destombes. 


ïir  JOUR  DE  MAI 


MARTYROLOGE  ROMAIN. 

A  Jérusalem,  I'Invention  de  la  sainte  Croix,  de  Notre-Seigneur,  sous  l'empereur  Cons- 
tantin. 326.  —  A  Rome,  sur  la  voie  Nomentane,  le  supplice  des  saints  martyrs  Alexandre,  pape, 
Evence  et  Théodole,  prêtres.  Saint  Alexandre,  après  avoir  été  mis  aux  fers,  sous  l'empereur 
Adrien  et  le  juge  Aurélien  ;  après  avoir  enduré  la  prison,  le  chevalet,  les  ongles  de  fer  et  le  feu, 
a  fut  percé  par  tout  le  corps  d'une  infinité  de  coups  de  poinçon  >  »,  et  expira  dans  ce  supplice  ; 
Evence  et  Théodule,  après  une  longue  prison,  subirent  l'épreuve  du  feu,  et  furent  enfin  décapités. 
Vers  117.  —  A  Narni,  saint  Juvénal,  évèque  et  confesseur.  376.  —  A  Constantinople,  les  saints 
Alexandre,  soldat,  et  Antonine,  vierge.  Celle-ci  ayant  été  condamnée,  dans  la  persécution  de 
Maximien,  sous  le  président  Festus,  à  être  prostituée  dans  un  lieu  infâme,  en  fut  secrètement  délivrée 
par  ce  bienheureux  soldat,  qui  changea  d'habits  avec  elle  et  y  demeura  en  sa  place.  Ils  furent  ensuite 
tourmentés  ensemble,  eurent, tous  les  deux, les  mains  coupées,  furent  jetés  dans  le  feu  pour  Jésus- 
Christ,  et,  après  avoir  soutenu  un  glorieux  combat,  furent  enfin  couronnés  ensemble.  313.  —  Dans 
la  Thébaïde,  saint  Timothée  et  sainte  Maure,  sa  femme,  martyrs,  qu'un  préfet,  nommé  Arien,  après 
plusieurs  autres  tourments,  fit  attacher  à  une  croix  :  ils  y  restèrent  suspendus  vivants,  durant 
neuf  jours  entiers,  se  fortifiant  l'un  l'autre  dans  la  foi,  et  enfin  consommèrent  leur  martyre.  Vers 
286.  —  A  Aphrodisiade,  en  Carie,  les  saints  martyrs  Diodore  et  Rodopien,  qui  furent  lapidés  par 
leurs  concitoyens  dans  la  persécution  de  Dioclétien.  ive  s.  —  Au  Mont-Senario,  près  de  Florence, 
les  bienheureux  Sostegno  et  Uguccione,  confesseurs,  qui,  ayant  reçu  un  avertissement  du  ciel,  quit- 
tèrent cette  vie  le  même  jour  et  à  la  même  heure,  en  récitant  la  Salutation  angélique.  xme  s. 

MARTYROLOGE  DE  FRANCE,  REVU  ET  AUGMENTÉ. 

En  plusieurs  églises  de  France,  l'adoration  de  quelques  parties  de  la  vraie  croix  et  du  titre  qui 
fut  mis  au-dessus  de  la  tète  de  Notre-Seigneur.  —  A  Bruges,  la  mémoire  du  sang  miraculeux  qui 
coula  de  l'image  de  Notre-Seigneur,  dans  la  ville  de  Béryte,  en  Syrie. —  A  Clermont,  en  Auvergne, 
saint  Alexandre,  moine,  et  sainte  Galla,  vierge,  dont  Grégoire  de  Tours  fait  l'éloge  au  chapitre  36 
de  son  livre  De  la  gloire  des  Confesseurs.  —  A  Utrecht,  saint  Aufroi,  évêque  de  ce  siège,  qu'il 
tint  pendant  quatorze  ans,  fondateur  des  chanoinesses  de  Thorn,  près  de  Maseich,  au  pays  de 
Liège,  qui  avait  été  comte  d'Huy  et  de  Louvain,  et  avoué  de  Nivelle  et  de  Gemblours.  1008.  — 
Encore  à  Bruges,  saint  Isdebauld,  abbé  de  Dunes,  dont  les  reliques  ont  été  transférées  en  ce  jour. 

1.  Ce  supplice,  employé  autrefois  pour  faire  souffrir,  l'était  depuis  Caïus  Caligula  pour  donner  la 
mort.  Suétone  s'explique  ainsi  à  ce  sujet  (Vie  de  Caligula,  ch.  30)  :  Il  ne  voulait  pas  que,  dans  les  sup- 
plices, on  procédât  autrement  qu'à  petits  coups  répétés,  afin  que  les  patients  se  sentissent  mourir.  Le 
même  auteur  rapporte  encore  que  Galba  lui-même  fut  assassiné  à  tout  petits  coups.  Ce  supplice-la  différait 
donc  de  celui  qu'on  appelait  Stimuleum,  lequel  servait  à  faire  souffrir  seulement  et  non  à  faire  mourir,  et 
s'appliquait  aux  esclaves  voleurs.  Plaute  parle  souvent  de  celui-ci  :  Neque  nisi  supplicium  Stimuleum  de 
te  datur.  (Soldat  fanfaron.)  Utinam  Stimulus  in  manu  mihi  sit.  (Asinaria.)  At  ego  te  pendentem  fodiam 
Stimulis  triginta  dies.  (Menechmes.)  Ce  supplice  fut  fréquemment  employé  dans  les  tortures  des  Martyrs, 
comme  on  le  voit  par  leurs  Actes. 

Iliaque  infestis  perfciiunt  stimulis,  dit  Prudence,  hymne  de  saint  Hippolyte. 


MARTYROLOGES.  275 

—  À  Lectonre,  en  Gascogne,  saint  Hygin  ou  Gène,  confesseur,  apôtre  et  protecteur  de  cette  ville, 
et  trente  soldats,  martyrs,  qu'il  avait  convertis  par  ses  miracles.  iv«  s.  —  A  Auxerre,  saint  Eusèbe, 
prêtre,  et  saint  Avit,  diacre.  —  En  Touraine,  saint  Flovié,  honoré  comme  martyr  en  I'égiise  de 
son  nom,  près  de  Châtillou-sur-Indre.  —  A  Celle,  entre  Bingen  et  Creuznach,  dans  le  palatinat  du 
Rhin,  saint  Philippe  d'Ostin,  prêtre,  vme  s.  —  A  Thorn,  sur  la  Meuse,  la  bienheureuse  Hilsinde 
et  la  bienheureuse  Benoîte,  l'une  femme,  l'autre  fille  de  saint  Aufroi,  et  fondatrices  de  l'ancienne 
abbaye  de  Thorn.  xie  s.  —  En  Anjou,  le  vénérable  Didon,  abbé  de  Saint-Florent  du  Mont-Glonne, 
sous  le  gouvernement  duquel  saint  Florent  fut  brûlé  une  première  fois  par  Nominoé,  duc  de  Breta- 
gne. 849.  —  A  Foigny,  en  France,  le  bienheureux  Alexandre,  frère  convers  de  l'Ordre  de  Citeaux, 
du  sang  des  rois  d'Ecosse,  xin8  s.  —  A  Lyon,  anniversaire  de  la  fondation  de  l'œuvre  de  la  Pro- 
pagation de  la  Foi,  œuvre  admirable  qui,  avec  un  sou  par  semaine,  a  soutenu  tant  de  mission- 
naires, fait  bâtir  tant  d'églises,  procuré  à  tant  d'âmes  le  bienfait  du  salut  I  1822. 

MARTYROLOGES  DES  ORDRES  RELIGIEUX. 

Martyrologe  des  Cisterciens.  —  A  Jérusalem,  l'invention  de  la  sainte  Croix... 

Martyrologe  des  Servîtes.  —  Au  Mont-Senario,  près  de  Florence,  les  bienheureux  Sostegno  et 
Uguccione,  confesseurs,  qui,  ayant  reçu  un  avertissement  du  ciel,  moururent  le  même  jour  et  à  la 
même  heure,  en  récitant  la  Salutation  angélique  ;  saint  Philippe  Beniti  eut  une  vision  dans 
laquelle  ils  lui  apparurent  sous  la  figure  de  deux  lis  que  les  anges,  après  les  avoir  coupés  sur  la 
terre,  présentaient  à  la  sainte  Vierge  dans  le  ciel. 

ADDITIONS  FAITES  D'APRÈS  LES  BOLLANDISTES  ET  AUTRES  HAGIOGRAPHES. 

En  Asie,  saint  Hermogène,  martyr.  Ie*  s.  —  Et  ailleurs,  saint  Arbon,  martyr.  —  A  Vérone, 
sainte  Viola  ou  Violette,  vierge  et  martyre.  —  A  Rome,  sainte  Sévérina,  dame  romaine,  celle-là 
même  qui  rendit  au  pape  saint  Alexandre  Ier  les  devoirs  de  la  sépulture  *.  —  A  Fossano,  en 
Piémont,  saint  Juvénal,  confesseur,  dont  le  corps,  conservé  dans  cette  ville,  a  été  pris  pendant 
quatre  siècles  pour  celui  de  saint  Juvénal,  évèque  de  Narni,  fêté  le  même  jour.  —  A  Vicence,  en 
Italie,  saint  Ours,  confesseur.  —  A  Argos,  dans  le  Péloponèse,  saint  Pierre  le  Thaumaturge,  évêque 
de  cette  ville,  x9  s.  —  A  Ispelli,  en  Ombrie,  le  bienheureux  Ventura,  de  l'Ordre  des  Crucifères, 
qui  fonda,  dans  cette  ville,  un  couvent  et  un  hôpital.  Vers  le  ix«  s.  —  A  Mayence,  le  vénérable 
Hildebert,  archevêque  de  ce  siège,  qui  fut  d'abord  moine  de  Fulde.  Les  évèques  de  Trêves  et  de 
Cologne  lui  cédèrent  d'un  commun  accord,  à  cause  de  ses  mérites,  l'honneur  de  sacrer  empereur 
d'Allemagne,  Othon,  fils  de  Henri  l'Oiseleur.  936.  —  En  Angleterre,  le  vénérable  Henri  Carnet, 
célèbre  professeur  de  mathématiques,  et  surnommé  le  grand  Jésuite  par  les  protestants  eux-mêmes, 
qui  fut  mis  à  mort  pour  n'avoir  pas  voulu  révéler  le  secret  de  la  confession.  Une  goutte  de  son 
6ang  étant  tombé  sur  un  épi,  la  ligure  du  Père  Henri  Garnet  s'y  trouva  peinte  avec  une  ressem- 
blance parfaite.  1606.  —  A  Verceil,  en  Piémont,  la  bienheureuse  Emilie  Biccoieri  de  l'Ordre 
de  la  Pénitence  de  Saint-Dominique,  fondatrice  du  monastère  de  Sainte-Marguerite,  hors  les  murs 
de  cette  ville.  1314.  —  A  Allanquera,  en  Portugal,  le  bienheureux  Zacharie,  de  l'Ordre  des  Frères 
Mineurs,  un  des  six  premiers  religieux  que  saint  François  envoya  en  Portugal  pour  se  consacrer  à 
la  conversion  des  Maures.  N'ayant  pu  convaincre  un  de  ses  pénitents  de  la  vérité  de  la  présence 
réelle,  le  bienheureux  Zacharie  le  fit  assister  à  sa  messe  et  lui  montra  l'hostie  changée  en  vraie 
chair  jusqu'au  moment  de  la  communion  où  elle  reprit  les  apparences  du  pain.  Après  l'année  1226. 

—  A  Nocera,  en  Ombrie,  le  bienheureux  Alexandre  Vinciolo,  de  l'Ordre  des  Frères  Mineurs  et 
évêque  de  cette  ville  qu'il  délivra  autrefois  du  fléau  de  la  peste.  11  avait  été  pénitencier  de  Jean  XXII. 
1363.  —  A  Casimira,  près  de  Cracovie,  en  Pologne,  le  bienheureux  Stanislas  Soltys,  chanoine 
régulier  de  Latran  et  vice-prieur  du  couvent  du  très-saint  Corps  de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  *. 
Cent  soixaute-lreize  miracles  publiés  furent  opérés  à  son  tombeau  dans  la  seule  année  qui  suivit 
sa  mort.  1489.  —  En  Orient,  saint  Sophrone,  ermite  et  solitaire,  qui  a  traduit,  du  latin  en  grec, 
le  livre  des  Ecriuains  ecclésiastiques  de  saint  Jérôme  et  la  Vie  de  saint  Hilarion,  par  le  même. 

1.  Voir  les  Actes  de  saint  Alexandre,  ci-après. 

2.  Ce  couvent  du  Corps  de  Notre-Seignenr  avait  été  fondé,  en  1347,  par  Casimir  H,  roi  de  Pologne,  a 
l'occasion  de  l'invention  d'une  hostie  que  des  profanateurs  avaient  jetée  dans  la  rivière. 


276  3  mai. 


INVENTION  DE  LA  SAINTE  CROIX 


326.  —  Pape  :  Saint  Silvestre   Ier.  —  Empereur  :  Constantin. 


Le  signe  de  la  croix  apparaîtra  dans  le  ciel,  lorsqne 
le  Seigneur  v'cndra  juger.  Alors  seront  re've'le's  le» 
secrets  des  cœurs. 

Brév.  rom.,  3  mai,  3a  resp.  du  2e  nocturne. 

L'Eglise  a  consacré  le  3  mai  à  honorer  la  Croix  de  notre  Sauveur,  parce 
que  c'est  le  jour  où  elle  fut  trouvée,  après  avoir  été  cachée  très-longtemps. 
Voici,  en  peu  de  mots,  l'histoire  de  cette  invention  ou  découverte  : 

L'empereur  Constantin  avait  vu  paraître  au  ciel  une  croix  plus  éclatante 
que  le  soleil,  et  sur  laquelle  ces  paroles  étaient  écrites  :  Tu  vaincras  par  ce 
signe  l  ;  et,  ayant  effectivement  vaincu  le  tyran  Maxence,  par  la  vertu  de  ce 
signe,  il  en  conçut  une  si  grande  estime,  qu'il  prit  d'abord  un  soin  particu- 
lier d'en  faire  connaître  la  grandeur  et  le  mérite  dans  toute  l'étendue  de  son 
empire.  Pour  cet  effet,  il  fit  peindre  des  croix  sur  les  bannières  impériales, 
au  lieu  des  aigles  qui  y  étaient  auparavant  ;  il  en  fit  marquer  la  monnaie 
publique  de  l'empire,  et  se  fit  lui-même  représenter  tenant  dans  sa  main 
droite  un  globe  d'or,  sur  lequel  était  une  croix,  pour  faire  entendre  que 
c'était  par  elle  que  le  monde  avait  été  racheté.  Sainte  Hélène,  mère  de  cet 
empereur,  eut  une  dévotion  encore  plus  particulière  à  ce  mystère  de  notre 
salut  :  par  un  mouvement  divin,  dès  que  le  concile  de  Nicée  fut  terminé, 
elle  résolut  d'aller  en  personne  à  Jérusalem,  pour  y  visiter  les  Saints-Lieux 
et  y  chercher  ce  bois  salutaire ,  où  le  Rédempteur  du  monde  avait  été 
attaché. 

Mais  elle  ne  le  trouva  pas  sans  difficulté  :  il  n'y  avait  plus  personne  qui 
sût  l'endroit  où  on  l'avait  mis  après  que  ce  divin  crucifié  en  avait  été  déta- 
ché ;  tout  l'espace  du  Calvaire  avait  été  tellement  rempli  de  décombres, 
qu'il  était  malaisé  de  reconnaître  le  lieu  de  son  crucifiement  et  de  sa  sépul- 
ture. Elle  surmonta  néanmoins  tous  ces  obstacles  par  le  secours  du  ciel  : 
elle  apprit,  par  révélation,  que  la  croix  avait  été  enfouie  dans  un  des  ca- 
veaux du  sépulcre  de  Notre-Seigneur,  et  les  anciens  de  la  ville,  qu'elle  con- 
sulta avec  grand  soin,  lui  marquèrent  le  lieu  où  ils  croyaient,  selon  la  tra- 
dition de  leurs  pères,  qu'était  ce  précieux  monument  ;  elle  fit  creuser  en  ce 
lieu  avec  tant  d'ardeur  et  de  diligence,  qu'elle  découvrit  enfin  ce  trésor, 
que  la  divine  Providence  avait  caché  dans  les  entrailles  de  la  terre  durant 
tout  le  temps  des  persécutions,  afin  qu'il  ne  fût  point  brûlé  par  les  idolâ- 

1.  «  Je  ne  puis  résister  »,  nous  écrivait,  le  15  février  1870,  M.  l'abbé  Crévot,  directeur-aumônier  des 
sœurs  de  Saint-François  d'Assise  de  Lyon,  «  à  la  tentation  de  faire  quelques  réflexions  sur  ce  qui  a 
rapport,  dans  Giry  (3  mai)  à  l'apparition  miraculeuse  de  l'étendard  de  Constantin.  On  n'a  pas  assez  dis- 
tingué les  deux  événements  dont  le  Seigneur  a  favorisé  ce  premier  empereur  chrétien  ;  et  je  vois  avec  peine 
que  la  plupart  des  historiens  sont  en  faute  sur  cette  circonstance  qui  est  cependant  une  des  plus  impor- 
tâmes de  l'histoire  de  l'Eglise.  Il  faut  distinguer  deux  grands  événements  :  le  premier  est  l'apparition  de 
l'étendard  In  hocsigno  vinces.  qui  a  eu  lieu  à  deux  journées  de  chemin  des  Alpes,  au  moment  oh  Constantin 
partait  pour  aller  prendre  possession  de  l'empire  ;  le  second  n'est  pas  une  apparition,  c'est  un  songe  oïl 
Notre-Seigneur  recommande  a  cet  empereur  de  mettre  une  croix  sur  le  bouclier  de  chacun  de  ses  soldats, 
événement  arrivé  la  veille  du  jour  ou  s'est  livré  le  grand  combat  avec  Maxence,  au  passage  du  Tibre. 
Je  vois  avec  peine  que  les  historiens,  ou  confondent  ces  deux  événements,  ou  n'en  rapportent  qu'un  qu'ils 
ne  placent  pas  à  son  lieu.  Cependant  des  faits  pareils,  soit  en  eux-mêmes,  soit  dans  leurs  résultats,  de- 
vraient  être  caractérisés  avec  soin». 


INVENTION  DE  LA   SAINTE    CROIX.  277 

très,  et  que  le  monde,  étant  devenu  chrétien,  lui  pût  rendre  ses  adorations. 
Dieu  récompensa  cette  sainte  impératrice  beaucoup  plus  qu'elle  n'eût  osé 
l'espérer  :  car,  outre  la  croix,  elle  trouva  encore  les  autres  instruments  de 
la  Passion,  à  savoir  :  les  clous  dont  Notre-Seigneur  avait  été  attaché,  et  le 
titre  qui  avait  été  mis  au-dessus  de  sa  tête.  Cependant  une  chose  la  mit 
extrêmement  en  peine  :  les  croix  des  deux  larrons,  crucifiés  avec  lui,  étaient 
aussi  avec  la  sienne,  et  l'impératrice  n'avait  aucune  marque  pour  distinguer 
l'une  des  autres.  Mais  saint  Macaire,  alors  patriarche  de  Jérusalem,  qui 
l'assistait  dans  cette  action,  leva  bientôt  cette  nouvelle  difficulté  :  ayant 
fait  mettre  tout  le  peuple  en  prières,  et  demandé  à  Dieu  qu'il  lui  plût  de 
découvrir  à  son  Eglise  quel  était  le  véritable  instrument  de  sa  Rédemption, 
il  le  reconnut  par  le  miracle  suivant  :  Une  femme,  prête  à  mourir,  ayant 
été  amenée  sur  le  lieu,  on  lui  fit  toucher  inutilement  les  deux  croix  des 
larrons  ;  mais  dès  qu'elle  approcha  de  celle  du  Sauveur  du  monde,  elle  se 
sentit  entièrement  guérie,  quoique  son  mal  eût  résisté  jusqu'alors  à  tous 
les  remèdes  humains,  et  qu'elle  fût  entièrement  désespérée  des  médecins. 

Le  même  jour,  saint  Macaire  rencontra  un  mort  qu'une  grande  foule 
accompagnait  au  cimetière.  Il  fit  arrêter  ceux  qui  le  portaient  et  toucha 
inutilement  le  cadavre  avec  deux  des  croix  ;  aussitôt  qu'on  eut  approché 
celle  du  Sauveur,  le  mort  ressuscita. 

Sainte  Hélène,  ravie  d'avoir  trouvé  le  trésor  qu'elle  avait  tant  désiré, 
remercia  Dieu  d'une  si  grande  faveur,  et  fit  bâtir  au  même  lieu  une  église 
magnifique  ;  elle  y  laissa  une  bonne  partie  de  la  croix,  qu'elle  fit  richement 
orner  ;  une  autre  partie  fut  donnée  à  Constantinople  ;  enfin  le  reste  fut  en- 
voyé à  Rome,  pour  l'église  que  Constantin  et  sa  mère  avaient  fondée  dans 
le  palais  de  Sertorius,  et  qui  a  toujours  retenu  depuis  le  nom  de  Sainte- 
Croix-de- Jérusalem . 

L'empereur,  signalant  de  nouveau  son  respect  pour  l'instrument  sacré 
de  notre  salut,  dans  la  vingtième  année  de  son  règne,  défendit  de  crucifier 
désormais  les  malfaiteurs,  ce  qui  s'est  toujours  observé  depuis  dans  les  pays 
chrétiens.  Ainsi,  ce  qui  avait  été  une  marque  d'ignominie,  devint  un  titre 
d'honneur,  et  fut  élevé  sur  la*  couronne  des  rois,  et  sur  le  sceptre  des  plus 
grands  monarques  de  la  terre. 

Ces  merveilles  nous  font  assez  connaître  que  Dieu  agrée  les  respects  que 
nous  rendons  à  la  croix,  et  que  l'Eglise  a  été  inspirée  de  son  esprit,  lors- 
qu'elle a  institué  cette  fête  pour  en  honorer  Y  Invention.  On  ne  peut  rien 
ajouter  aux  éloges  que  les  saints  Docteurs  lui  ont  donnés.  Nous  en  rappor- 
terons quelques-uns,  pour  la  consolation  des  âmes  dévotes,  et  pour  confon- 
dre les  hérétiques  qui  en  profanent  le  signe  salutaire.  Saint  Jean  Chrysos- 
tome,  dans  un  sermon  de  la  croix,  en  parle  en  ces  termes  :  «  La  croix  est 
l'espérance  des  chrétiens,  la  résurrection  des  morts,  le  bâton  des  aveugles, 
l'appui  des  boiteux,  la  consolation  des  pauvres,  le  frein  des  riches,  la  con- 
fusion des  orgueilleux,  le  tourment  des  méchants,  le  trophée  contre  l'enfer, 
l'instruction  des  jeunes,  le  gouvernail  des  pilotes,  le  port  de  ceux  qui  font 
naufrage  et  le  mur  des  assiégés.  Elle  est  la  mère  des  orphelins,  la  défense 
des  veuves,  le  conseil  des  justes,  le  repos  des  affligés,  la  garde  des  petits,  la 
lumière  de  ceux  qui  habitent  dans  les  ténèbres,  la  magnificence  des  rois,  le 
secours  de  ceux  qui  sont  dans  l'indigence,  la  sagesse  des  simples,  la  liberté 
des  esclaves  et  la  philosophie  des  empereurs.  La  croix  est  la  prédiction  des 
Prophètes,  la  prédication  des  Apôtres,  la  gloire  des  Martyrs,  l'abstinence 
des  Religieux,  la  chasteté  des  Vierges  et  la  joie  des  Prêtres.  Elle  est  le  fon- 
dement de  l'Eglise,  la  destruction  des  idoles,  le  scandale  des  Juifs,  la  ruine 


27  3  MAI. 

des  impies,  la  force  des  faibles,  la  médecine  des  malades,  le  pain  de  ceu* 
qui  ont  faim,  la  fontaine  de  ceux  qui  sont  altérés  et  le  refuge  de  ceux  qui 
sont  dépouillés  ».  —  «  Gravons»,  dit  saint  Ephrem,  «  au-dessus  de  nos 
portes,  sur  le  front,  sur  la  bouche,  sur  la  poitrine  et  sur  toutes  les  autres 
parties  de  notre  corps  le  signe  vivifiant  de  la  croix  ;  revêtons-nous  de  cette 
impénétrable  armure  des  chrétiens  :  car  la  croix  est  la  victoire  de  la  mort, 
l'espérance  des  fidèles,  la  lumière  du  monde,  la  clef  du  paradis,  le  glaive 
qui  extermine  les  hérésies,  le  secours  des  âmes  religieuses,  le  soutien  de  la 
foi,  la  défense,  la  garde  et  la  gloire  des  catholiques.  Porte  toujours  avec 
toi,  ô  chrétien  !  cette  arme  de  jour  et  de  nuit,  en  tous  lieux  et  à  toutes  les 
heures  ;  n'entreprends  jamais  rien  sans  faire  le  signe  de  la  croix.  Quand  tu 
dors,  quand  tu  veilles,  quand  tu  marches,  quand  tu  travailles,  quand  tu 
manges,  quand  tu  bois  et  que  tu  es  sur  mer,  que  tu  traverses  les  rivières, 
prends  cette  armure  de  la  sainte  Croix  :  car,  tant  que  tu  en  seras  armé,  les 
esprits  malins  s'éloigneront  de  toi  et  n'oseront  en  approcher.  —  La  croix, 
dit  saint  Damascène,  est  notre  bouclier,  notre  défense  et  notre  trophée 
contre  le  prince  des  ténèbres.  Elle  est  le  signe  dont  nous  sommes  marqués, 
afin  que  l'ange  exterminateur  ne  nous  frappe  point,  et  de  crainte  que  nous 
ne  tombions  dans  des  filets  où  nous  trouverions  notre  perte.  Elle  relève 
ceux  qui  sont  tombés,  elle  soutient  ceux  qui  sont  debout,  elle  fortifie  les 
faibles,  elle  gouverne  les  pasteurs  ;  elle  est  le  guide  de  ceux  qui  commen- 
cent, et  la  perfection  de  ceux  qui  achèvent  ;  la  santé  de  l'âme  et  le  salut  du 
corps,  la  destruction  de  tous  les  maux,  la  cause  et  l'origine  de  tous  les 
biens,  la  mort  du  péché,  l'arbre  de  la  vie  et  la  source  de  notre  félicité  ». 
Tertullien,  auteur  très-ancien,  et  que  saint  Cyprien  appelle  son  maître,  nous 
apprend  quel  était  l'usage  des  chrétiens  touchant  le  signe  de  la  croix  :«  A  tous 
les  pas  que  nous  faisons  »,  dit-il,  «  en  entrant,  en  sortant,  quand  nous  nous 
habillons,  quand  nous  nous  levons,  quand  nous  nous  mettons  à  table,  quand 
nous  nous  asseyons,  quand  on  nous  apporte  de  la  lumière,  quand  nous  nous 
couchons,  et  généralement  dans  toutes  nos  actions,  nous  faisons  le  signe  de 
la  croix  sur  le  front  » .  Cet  exemple  des  chrétiens  des  premiers  siècles  de- 
vrait faire  impression  sur  nos  esprits,  et  nous  devrions,  à  leur  imitation, 
faire  continuellement  le  signe  sacré  de  la  croix,  puisque  nous  apprenons 
qu'il  n'est  point  de  remède  plus  prompt  ni  plus  assuré  contre  les  traverses 
et  les  tentations  de  la  vie. 

Afin  que  les  Gentils  reçussent  plus  facilement  la  lumière  de  l'Evangile, 
et  crussent  avec  moins  de  peine  que  Dieu  s'était  fait  homme  pour  mourir 
sur  une  croix,  une  des  sybilles  (qui  étaient  des  prophétesses  parmi  les  païens) 
prédit,  plusieurs  années  auparavant,  par  une  providence  particulière,  les 
merveilles  de  ce  mystère  par  ces  paroles  :  0  bois  heureux,  où  Dieu  sera  sus- 
pendu/ et  les  Egyptiens,  dans  leurs  hiéroglyphes,  signifiaient  par  la  croix  la 
santé  et  la  vie  éternelle.  Socrate,  auteur  d'une  histoire  de  l'Eglise,  écrit 
que  les  chrétiens,  en  ruinant  le  temple  de  Eérapis,  trouvèrent  des  croix  gra- 
vées sur  les  pierres  dont  il  était  bâti,  et  que  plusieurs  Gentils  se  firent  chré- 
tiens à  la  vue  de  cette  merveille. 

Les  miracles  que  Notre-Seigneur  a  faits  par  le  moyen  de  la  sainte  Croix 
sont  en  si  grand  nombre,  qu'il  ne  serait  pas  possible  de  les  rapporter  tous, 
d'autant  plus  qu'il  ne  s'en  est  jamais  fait  qui  n'aient  tiré  d'elle  leur  origine 
et  que  l'on  ne  puisse  attribuer  à  sa  vertu  toute-puissante. 

L'invention  de  la  sainte  Croix  arriva  l'an  326,  ou,  selon  la  chronique 
d'Eusèbe,  en  328. 


INTENTION  DE   LA   SAINTE   CROIX.  279 

LES  INSTRUMENTS  ET  LES  RELIQUES  DE  LA  PASSION. 

La  vraie  Croix.  —  Le  récit  de  l'Invention  de  la  vraie  Croix  a  été  donné  par  Eusèbe,  saint 
Cyrille,  saint  Ambroise,  Théophane,  Rufin,  Paulus,  Nicéphore,  Callixte,  etc.  On  ne  peut  donc  rien 
objecter  contre  cette  authenticité,  on  peut  dire  de  premier  ordre.  Nous  avons  le  nombre  et  la 
qualité  des  historiens  ;  ils  étaient  la  plupart  contemporains.  Ils  sont  parfaitement  d'accord  ;  ils 
ont  écrit  dans  des  langues  et  des  pays  différents.  Dira-t-on  qu'il  est  impossible  que  le  bois  de 
la  vraie  Croix  se  soit  conservé  si  longtemps  sous  terre  et  depuis  tant  de  siècles  après  l'in- 
vention ?  Nous  répondrons  qu'on  trouve  à  Herculanum  et  à  Pompéï  du  bois  ancien  très-bien  con- 
servé. M.  Rohault  de  Fleury,  dans  son  important  mémoire  sur  les  Instruments  de  la  Passion,  p.  53, 
rapporte  que  des  bois,  certainement  antiques,  ont  été  trouvés  dans  la  construction  de  Carthage. 
Un  morceau  de  ce  bois  fut  soumis  à  l'examen  de  l'Académie,  et  M.  Pelligot,  dans  son  mémoire, 
déclara  qu'il  appartenait  à  une  portion  d'aqueduc  ancien  où  il  était  engagé  dans  le  pisé  et  néan- 
moins d'une  conservation  parfaite. 

Sous  le  règne  d'Héraclius,  Kosroës  II  s'empara  de  la  ville  sainte,  pilla  les  églises  et  emporta  ce 
qui  restait  de  la  Croix  de  Jésus-Christ.  Après  dix  ans  de  revers,  Héraclius  battit  le  roi  de  Perse, 
délivra  les  chrétiens  emmenés  en  captivité  et  obligea  le  successeur  de  Kosroës  à  rendre  la  vraie 
Croix  que  l'empereur  ramena  à  Jérusalem  comme  le  plus  beau  trophée  de  ses  victoires.  Il  la  porta 
lui-même  sur  ses  épaules  jusque  sur  le  Calvaire,  à  travers  les  rues  de  Jérusalem,  ayant  les  pieds 
nus,  suivi  de  ses  soldats  et  d'un  peuple  immense  qui  répandait  des  larmes  de  joie.  Ce  fut  là  l'ori- 
gine de  la  fête  de  l'Exaltation  de  la  sainte  Croix,  que  l'Eglise  célèbre  le  14  septembre.  Peu  de 
temps  après,  la  sainte  Croix  fut  envoyée  à  Constantinople  à  l'archevêque  Sergius,  et  fut  reportée 
à  Jérusalem. 

L'année  1099,  lorsque  les  croisés  entrèrent  dans  la  ville  sainte,  un  de  leurs  premiers  soins  fut 
de  s'enquérir  du  bois  sacré.  Les  chrétiens,  enfermés  dans  la  ville,  l'avaient  dérobé  aux  regards 
des  musulmans  (Cédrénus,  1.  Ier,  p.  171)  ;  mais  il  n'y  en  avait  plus  qu'une  faible  partie,  puisque, 
selon  l'expression  d'Albert  d'Aix,  elle  n'avait  qu'une  demi-aune  de  longueur.  Sou  aspect  inspire 
les  plus  vifs  transports  parmi  les  pèlerins.  «  De  cette  chose,  dit  une  vieille  chronique  citée  par 
Michaud,  furent  les  chrétiens  si  joyeux  comme  s'ils  eussent  vu  le  corps  de  Jésus-Christ  pendu 
dessus  icelle  ». 

Peu  après  nous  voyons  les  guerriers  chrétiens  sortir  de  Jérusalem,  ayant  à  leur  tète  le  patriarche 
Arnould,  qui  portait  la  sainte  Croix  ;  ce  fut  ainsi  qu'ils  marchèrent  contre  le  calife  du  Caire,  qui 
s'avançait  vers  Ascalon.  Ils  la  portèrent  depuis  dans  un  grand  nombre  de  batailles.  A  la  désas- 
treuse journée  d'Hiltin,  la  sainte  Croix  tomba  au  pouvoir  de  Saladin.  Elle  était  portée  par  l'évèque 
de  Ptoléma'is,  qui,  blessé  mortellement,  la  laissa  à  l'évèque  de  Lydda.  Celui-ci  fut  pris,  ainsi  que  le 
roi  et  tous  ceux  qui  la  défendaient.  «  La  grande  Croix  fut  prise  »,  dit  Amad-Eddin,  auteur  musul- 
man, a  la  grande  Croix  fut  prise  avant  le  roi,  et  beaucoup  d'impies  (de  chrétiens)  se  firent  tuer 
autour  d'elle.  Quand  on  la  tenait  levée,  les  infidèles  fléchissaient  le  genou  et  inclinaient  la  tète. 
Ils  disent  que  c'est  le  véritable  bois  où  fut  attaché  le  Dieu  qu'ils  adorent.  Ils  l'avaient  enrichie 
d'or  fin  et  de  pierres  brillantes.  Ils  la  portaient  les  jours  de  grandes  solennités  ;  et  lorsque  leurs 
prêtres  et  leurs  évèques  la  montraient  au  peuple,  tous  s'inclinaient  avec  respect.  Ils  regardaient 
comme  leur  premier  devoir  de  la  défendre;  la  prise  de  cette  Croix  leur  fut  plus  douloureuse  que 
la  captivité  de  leur  roi  ;  rien  ne  put  les  consoler  de  cette  perte.  {Bibliothèque  des  croisades,  t.  IV, 
p.  195)  ». 

Lorsque  l'évèque  de  Salisbury  visita  la  ville  sainte  au  nom  du  roi,  Richard,  Saladin  lui  montra 
le  bois  de  la  vraie  Croix.  Les  historiens  arabes  racontent  que  les  Francs  et  les  Grecs  voulurent 
racheter  la  vraie  Croix,  et  que  Saladin  leur  répondit  que  le  roi  des  Géorgiens  en  avait  fort  inuti- 
lement offert  deux  cents  pièces  d'or...  (Road.,  de  vita  Salad.,  c.  164).  Elle  ne  fut  rendue  aux 
chrétiens  que  trente-deux  ans  après  la  prise  de  Damiette.  Déjà  plusieurs  fragments  en  avaient  été 
détachés,  et  depuis  ce  moment,  elle  a  été  divisée  à  l'infini,  en  sorte  qu'on  en  trouve  aujourd'hui 
des  parcelles  dans  tous  les  pays  du  monde. 

Indépendamment  du  fragment  qui  est  à  Rome,  dont  nous  avons  déjà  parlé,  et  de  celui  de  Cons- 
tantin, nous  voyons  dans  l'histoire  de  la  Norwége  par  Torpheus,  que  le  roi  Sigur  demanda  et 
obtint  pour  prix  du  service  qu'il  rendit  aux  Croisés  au  siège  de  Sidon,  avec  ses  dix  mille  Norvé- 
giens, un  morceau  de  la  vraie  Croix,  qu'à  son  retour  dans  sa  patrie  il  déposa  dans  la  ville  de 
Konghell.  Waldemar  III,  roi  de  Danemark,  eu  obtint  aussi  un  fragment  du  pape  Urbain  V,  à  con- 
dition qu'il  marcherait  à  la  délivrance  des  Saints-Lieux. 

Forme  de  la  croix,  support  et  dimension.  — -  M.  Rohault  (page  66)  cite  un  passage  de  saint 
Justin  et  un  autre  de  saint  Augustin,  pour  prouver  que  la  forme  de  la  croix,  qui  a  prévalu  dans 
l'art  catholique,  est  vraiment  celle  qui  était  en  usage  au  moment  de  la  mort  de  Notre-Seigneur. 
Innocent  confirme  cette  opinion  en  disant  :  Fuerunt  autem  in  cruce  dominica  ligna  quatuor: 
stipes  eiutus,  et  lignum  transversale  troncus  suppositus  et  titulus  superpositus. 

La  croix  de  Jésus-Christ  n'était  donc  pas  un  simple  tau  T,  ni  la  croix  grecque  -J-,  ni  la  croix 


280  3  mai. 

de  saint  André  X»  mais  *^a  cr01x  tn  missa>  où  la  traverse  se  trouve  à  peu  près  aux  deux  tiers  de 
la  hauteur  f . 

L'auteur  du  mémoire  que  nous  venons  de  citer,  s'appuie  sur  Plaute,  saint  Justin,  saint  Jérémie 
et  Grégoire  de  Tours  pour  établir  que  le  crucifié  avait,  un  marche-pied,  et  celte  opinion  est  con- 
firmée par  les  peintures  du  vin8  siècle,  dans  les  souterrains  de  Saiut-Clément.  Le  même  auteur, 
après  diverses  considérations  très-judicieuses,  soit  sur  ce  que  peut  porter  un  homme  valide  pen- 
dant un  trajet  de  huit  à  neuf  cents  mètres,  soit  sur  l'état  où  se  trouvait  Notre-Seigneur,  est  arrivé 
à  conclure  que  la  croix  devait  avoir  cent  soixante-dix-huit  millions  de  millimètres  cubes  et  peser 
environ  quatre-vingt-dix  kilogrammes. 

D'après  une  ancienne  tradition  rapportée  par  Gretzer,  la  Croix  se  composait  d'un  montant  dont 
la  hauteur  était  de  quinze  pieds  (quatre  mètres  quatre-vingt  centimètres),  et  d'une  traverse  da 
sept  ou  huit  pieds  (deux  mètres  trente  centimètres  à  deux  mètres  soixante  centimètres).  Par  l'ins- 
pection de  la  croix  du  bon  larron,  qui  est  encore  à  Sainte-Croix  de  Jérusalem,  à  Rome,  on  voit 
que  ce  grand  morceau  correspond  à  la  longueur  d'une  traverse  de  deux  mètres  vingt-cinq  centi-  * 
mètres  ou  cinq  coudées.  La  pièce  a  cent  cinquante-cinq  millimètres  de  longueur,  mais  l'épaisseur 
n'a  pu  être  déterminée  ;  il  est  probable  que  ce  morceau  de  bois  était  carré,  et  que  s'il  ne  l'est 
plus  aujourd'hui,  c'est  que,  pour  multiplier  cette  relique,  ou  l'aura  sciée.  Ce  morceau  de  la  croix 
du  bon  larron  a  précisément  une  échancrure  au  milieu  avec  un  trou  pour  la  cheville,  ce  qui  con- 
firme que  cet  instrument  était  une  croix  in  missa,  c'est-à-dire  que  la  tige  perpendiculaire  dépas- 
sait la  forme  du  tau. 

M.  Rohault,  après  l'examen  de  l'essence  du  bois  de  la  vraie  Croix,  avait  établi  que  c'est  une 
essence  résineuse.  Après  l'examen  de  la  croix  du  bon  larron,  Dixmas,  il  ne  peut  rester  aucun 
doute  ;  comme  ce  morceau  est  plus  considérable,  la  vérification  a  été  plus  facile.  Il  est  évident 
que  ce  bois  est  une  espèce  de  sapin;  même  avant  tout  examen  il  devait  paraître  probable  que  la 
croix  de  Notre-Seigneur  et  celle  des  deux  larrons,  ayant  été  préparées  le  même  jour  et  pour  la 
même  fin,  devaient  être  de  la  même  essence. 

D'après  une  tradition  rappelée  par  la  table  qui  se  trouve  dans  le  cloître  de  Saint-Jean  de  La- 
tran,  Jésus-Christ  était  d'une  très-haute  stature  (un  mètre  quatre  vingt-quatre  centimètres).  Simon 
le  Cyrénéen  devait  être  plus  petit,  et  saint  Luc  est  rigoureusement  exact  lorsqu'il  le  place  derrière 
Jésus-Christ,  post  Jesum  ;  la  pente  du  bois  sacré  le  mettant  à  la  hauteur  de  son  épaule.  La  litur- 
gie romaine  suit  donc  la  tradition  et  la  raison  la  plus  sévère,  en  admettant  que  le  poids  était 
partagé  entre  Jésus-Christ  et  Simon. 

Recherches  des  reliques.  —  Nous  citons  en  entier  le  §  V  de  M.  Rohault  : 

«  J'ai  essayé  de  constater  tout  ce  que  l'on  connaît  de  reliques  existantes,  ou  dont  on  a  con- 
servé le  souvenir.  J'en  ai  calculé  le  volume  par  millimètres  cubes.  Or,  tout  ce  que  j'ai  pu  recueillir 
est  bien  loin  d'égaler  le  dixième  du  volume  de  la  vraie  Croix.  Les  neuf  dixièmes,  qui  ne  se  re- 
trouvent plus,  ont  dû  suffire  pour  former  des  myriades  de  reliques  inconnues  ou  détruites  ». 

Anseau,  par  sa  correspondance  avec  Galon,  évèque  de  Paris,  dont  je  reparlerai  à  l'occasion  des 
reliques  de  Notre-Dame  de  Paris,  donne  quelque  idée  de  ce  qu'étaient  devenues,  au  vus  siècle, 
les  reliques  de  la  Passion.  Il  raconte  qu'après  la  mort  d'Héraclius,  en  636,  l'église  du  Saint-Sé- 
pulcre fut  brûlée  en  partie  par  les  infidèles,  et  que,  pour  sauver  la  croix,  les  chrétiens  se  décidè- 
rent à  la  diviser  en  dix-neuf  parties,  dont  ils  firent  des  croix  qu'ils  donnèrent,  savoir  : 

A  Constantinople,  3  ;  à  l'île  de  Chypre,  2;  à  l'île  de  Crète,  1  ;  à  Antioche,  3;  à  Edesse,  1  ;  à 
Alexandrie,  1  ;  à  Ascalon,  1  ;  à  Damas,  1  ;  à  Jérusalem,  4  ;  à  la  Géorgie,  2. 

Il  est  assez  difficile  de  savoir  quelle  était  la  dimension  de  ces  reliques.  Anseau  mentionne  seu- 
lement la  mesure  d'une  des  quatre  qui  avaient  été  déposées  à  Jérusalem  et  que  l'on  conservait 
dans  l'église  du  Saint-Sépulcre.  Elle  avait  une  palme  et  demie  de  long  sur  un  pouce  de  large  et 
autant  d'épaisseur  ;  il  ne  parle  pas  de  la  traverse  que  je  supposerai,  comme  dans  la  vraie  Croix, 
égale  à  la  moitié  du  montant.  D'après  cela,  le  volume  de  cette  Croix  serait  d'environ  cinq  cent 
mille  millimètres  cubes  ;  et  en  la  considérant  comme  une  moyenne,  on  trouverait  pour  les  dix- 
neuf  croix,  ou  plutôt  pour  le  morceau  de  Jérusalem,  que  l'on  divisa,  neuf  millions  et  demi  de 
millimètres  pouvant  représenter  un  morceau  deux  ou  trois  fois  moins  gros  que  la  relique  de  la 
croix  du  bon  larron  de  Sainte-Croix  de  Jérusalem. 

Tel  fut  le  commencement  de  la  grande  dispersion  des  reliques  de  la  vraie  Croix  ;  elle  aug- 
menta rapidement  dans  les  siècles  suivants.  Villani  rapporte  un  document  fort  curieux,  au  com- 
mencement du  ixe  siècle,  indiquant  les  villes  où  l'on  devait  trouver  le  plus  grand  nombre  de  reli- 
ques. C'est  un  testament  de  Charlemagne,  qui  laissa  en  mourant  le  tiers  de  son  riche  trésor  à  tous 
les  pauvres  de  la  chrétienté,  et  les  deux  tiers  aux  archevêques  et  évèques  de  son  empire.  Dans  ces 
trésors  se  trouvaient  sans  doute  une  grande  quantité  de  reliques.  Voici  quelques  dates  qui  intéres- 
sent l'histoire  des  reliques  de  la  vraie  Croix. 

En  1187,  à  la  journée  de  Tibériade,  les  Musulmans  vainqueurs  prirent  la  croix  de  Saint-Jean- 
d'Acre,  portée  par  l'évèque.  (Morand,  Histoire  de  la  sainte  chapelle,  p.  9.  Paris,  1790).  En  1191, 
Philippe-Auguste  et  Richard  s'étant  croisés,  se  firent  remettre  cette  croix  après  la  prise  de  Saint- 
Jean-d'Acre,  et  trente  jours  de  siège.  En  1204,  au  sac  de  Constantinople  par  les  Latins,  des  abo- 
minations furent  commises,  les  reliquaires  volés  ;  mais  des  âmes  pieuses  recueillirent  les  reliques 


INVENTION  DE  LA  SAINTE   CROIX. 


281 


que  les  spoliateurs  dédaignaient,  et  de  là  les  répandirent  dans  le  monde.  Le  doge  de  Venise,  Dan- 
dolo,  eut  une  portion  de  la  vraie  Croix,  qu'on  disait  avoir  été  portée  par  Constantin  à  la  guerre. 
L'empereur  Baudouin  prit  la  couronne  d'épines.  En  1217,  Raoul,  patriarche  de  Jérusalem,  p.irtit 
d'Acre,  portant  avec  lui  une  portion  de  la  vraie  Croix.  En  1239,  Baudouin  II,  pressé  par  les  Bul- 
gares, vint  en  France  solliciter  la  piété  de  saint  Louis,  et  lui  offrit  la  couronne  d'épines  pour  prix 
de  ses  services. 

Les  siècles  vinrent  successivement  réduire  notre  précieux  trésor,  dissipé  au  vent  des  révolu- 
tions et  au  souffle  de  l'impiété.  Il  en  reste  bien  peu,  et  cette  indigence,  rendant  chacune  de  ces 
reliques  plus  précieuse,  j'ai  pris  la  liberté  de  faire  un  appel  au  monde  catholique,  et  les  rensei- 
gnements que  j'ai  reçus  m'ont  permis  de  décrire  celles  qui  existent  encore,  et  d'en  former  un  ta- 
bleau que  l'on  trouvera  ci-après. 

Il  résulte  de  ce  tableau  que  le  volume  total  des  reliques  qui  nous  sont  parvenues,  est  de  cinq 
millions  de  millimètres  environ,  y  compris  des  reliques  peut-être  détruites,  comme  celles  d'A- 
miens, d'Onawert,  Schira,  Grammont,  Jaucourt,  etc.  ;  mais  relevées  d'après  des  descriptions  qui 
m'ont  paru  exactes.  Si  l'on  songe  à  la  petitesse  des  parcelles  qui  peuvent  se  trouver  dans  dei 
églises  et  des  couvents,  et  chez  des  particuliers,  nous  serons  bien  au-delà  de  la  vérité.  En  tri- 
plant, pour  l'inconnu,  le  volume  connu,  on  arrive  ainsi  à  quinze  millions  de  millimètres  cubes, 
qui  ne  font  pas  le  dixième  des  cent  quatre-vingt  millions  de  millimètres  que  nous  trouvons  pour 
le  volume  de  la  Croix  de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ. 

Tableau  des  volumes  connus  de  la  vraie  Croix  exprimés  en  cubes  de  un  millimètre. 


104. 

1 
15. 

47. 
3. 

20 

22 


Aix-la-Chapelle 

Amiens 4 

Angers 2 

Angleterre 30 

Arles 8 

Arras 10 

Athos  (Mont-) 878 

Autun 

Avignon 

Baugé 

Bernay 

Besançon 

Bologne 

Bonifacio 

Bordeaux 

Bourbon  Larchambault 

Bourges 

Bruxelles 516 

Chalinargues » 

Chalons 

Chamirey 

Châtiilon » 

Cheffes  (Anjou) 

Chelles » 

Compiègne 1 

Conques 

Cortone 3 

Courtrai 

Dijon 

Donawert 

Faphine 

Fiume 

Florence 

Gand ,.. 

Gênes 

Grammont 

Jaucourt 

Jérusalem 

Laugres '.. 


33. 
12. 

» 

5. 

37. 

436. 

26. 

5. 

3. 

5. 


150 
.500 
.640 
.516 
.000 
.314 
.360 
50 
220 
000 
375 
000 
.000 
.960 
.420 
.275 
.275 
.090 
» 
200 
605 
» 
100 
» 
.896 
108 
.000 
200 
.091 
.000 
» 
.250 
.640 
.450 
.458 
000 
500 
045 
200 


Laon 

Libourne 

Lille 

Limbourg 

Lougpont 

Lorris 

Lyon 

Mâcon 

Maestricht 

Marseille 

Milan 

Montepulciano. . 

Naples 

Nevers 

Nuremberg 

Padoue 

Paris 

Pise 

Poitiers 

Pontigny 

Raguse 

Riel-les-Eaux.  . 

Rome 

Royaumont... ., 

Saint-Dié 

Saint-Florent.  . . 
Saint-Quentin. . 
Saint-Sepulchre. 

Sens 

Sienne 

Tournay 

Trêves 

Troyes 

Turin 

Venise 

Venloo  

Valcourt 

Yambach , 


»      » 

3.000 

15.112 

133.768 

1.136 

»      » 

1.696 

2.000 

10.000 

150 

1.920 

500 

10.000 

876 

»      » 

64 

237.731 

8.175 

870 

12.000 

169.324 

671 

537.587 

»      » 

99 

460 

5.000 

200 

69.545 

1.680 

2.000 

18.000 

201 

6.500 

445.582 

»      » 

2.000 


Total 3.941.957 


En  vue  de  ces  faits  et  des  observations  qui  précèdent,  on  se  demande  comment  Calvin  a  pu 
dire  que  cinquante  hommes  ne  porteraient  pas  le  bois  de  la  vraie  Croix,  que  la  crédulité  du  ca- 
tholique adore  par  tout  l'univers  ;  et  Luther,  qu'avec  les  relique»  de  la  vraie  Croix,  admises  par  la 


282  3  mai. 

même  superstition,  on  ferait  la  charpente  d'un  immense  bâtiment.  Lorsqu'en  effet  il  ne  reste  pas 
dans  le  monde  la  dixième  partie  d'une  seule  croix,  que  penser  des  millions  de  dissidents  à  qui  on 
laisse  croire  ces  singulières  exagérations,  que  penser  de  la  haute  critique  de  nos  célèbres  penseurs 
qui  partagent  ces  préjugés  et  nous  reprochent  la  légèreté  de  notre  croyance?  Voilà  les  humilia- 
tions que  l'on  se  prépare  quand  on  prétend  trouver  Jésus-Christ  en  défaut.  Quant  à  nous,  après 
cette  étude,  nous  présentons  l'histoire  de  la  Croix  de  Jésus-Christ  comme  un  témoignage  irrécu- 
sable de  sa  passion. 

Les  saints  clous.  —  La  première  question  qui  se  présente  est  celle  du  nombre  de  clous. 
M.  Rohault  de  Fleury  cite  plus  de  vingt  auteurs  et  différents  monuments  pour  prouver  que  Jésus- 
Christ  fut  attaché  à  la  croix  avec  quatre  clous,  et  cela  par  les  témoignages  profanes  comme  par 
celui  des  saints  Pères,  et  des  archéologues,  des  catacombes.  (V.  p.  166.)  Les  médecins  qu'on  a 
consultés  disent  que  le  crucifiement  des  deux  pieds  par  un  seul  clou  ne  serait  guère  praticable. 
Les  clous  devaient  être  très-grands,  pour  que  Notre-Seigneur  invitât  saint  Thomas  à  y  mettre  son 
doigt.  Or,  les  clous  de  la  passion  conservés  répondent  à  ces  conditions. 

En  enlevant  Notre-Seigneur,  les  clous  ont  dû  être  arrachés  avant  la  déposition,  car  la  tète  des 
clous  n'aurait  pu  passer  à  travers  les  chairs.  Les  clous  furent  certainement  jetés  à  terre  a  mesure 
de  l'avancement  de  la  déposition,  ainsi  que  la  couronne  et  le  titre.  Or,  tout  ce  qui  venait  de  No- 
tre-Seigneur était  tellement  précieux  que  ceux  qui  le  déposèrent  durent  recueillir  ces  reliques 
faciles  à  emporter,  auxquelles  ils  joignirent  plus  tard  les  saints  suaires  et  les  linges  innombrables 
qui  avaient  du  servir  à  l'ensevelissement  de  la  victime  divine.  On  peut,  sur  ce  point,  s'en  rap- 
porter au  zèle  attentif  et  si  amoureux  de  l'auguste  Mère  de  Dieu  et  des  saintes  femmes.  Ce  sont 
ces  objets  que  sainte  Hélène  recueillit,  soit  chez  les  pieuses  fidèles,  qui  les  avaient  reçus  de  leurs 
pères,  soit  dans  le  sépulcre. 

Calvin- compte  quatorze  ou  quinze  saints  clous,  qu'il  prétend  que  les  catholiques  reconnaissent 
pour  véritables;  mais  il  en  nomme  plusieurs  dont  on  n'avait  point  entendu  parler  avant  lui;  tels 
sont  :  celui  de  l'église  de  Sainte-Hélène  à  Rome  (cette  église  est  la  même  que  celle  de  la  Sainte- 
Croix)  ;  ceux  de  Sienne,  de  Venise,  des  Carmélites  de  Paris,  de  la  Sainte-Chapelle,  de  Draguigoan, 
du  village  de  Tenaille  (ce  village  est  imaginaire). 

Le  vrai  clou  qui  est  à  Rome,  dans  l'église  de  la  Sainte-Croix,  a  été  limé  et  n'a  plus  de  pointe 
aujourd'hui.  On  a  renfermé  cette  limaille  dans  d'autres  clous  faits  de  la  même  manière  que  le 
véritable,  et,  par  ce  moyen,  on  l'a  en  quelque  sorte  multiplié.  On  a  trouvé  encore  un  autre  moyen 
de  le  multiplier  :  c'a  été  d'y  faire  toucher  des  clous  semblables,  que  l'on  distribuait  ensuite. 
Saint  Charles  Borromée,  prélat  très-éclairé,  et  de  la  plus  scrupuleuse  exactitude  en  fait  de  reli- 
ques, avait  plusieurs  clous  faits  comme  celui  que  l'on  garde  à  Milan,  et  les  distribuait  après  qu'ils 
y  avaient  touché.  Il  en  donna  un  au  roi  Philippe  11,  comme  une  relique  précieuse.  Il  y  a  des 
traces  d'une  pareille  dévotion  dans  des  siècles  fort  éloignés  du  nôtre.  Saint  Grégoire  le  Grand  et 
d'autres  anciens  Papes  donnaient  comme  une  relique  un  peu  de  limaille  des  chaînes  de  saint 
Pierre  ;  ils  eu  mettaient  aussi  dans  d'autres  chaînes  faites  de  la  même  manière.  On  lit  dans  le 
P.  Honoré  de  Sainte-Marie,  un  fait  qui  confirme  encore  ce  que  nous  venons  de  dire.  Il  s'agit  d'un 
miracle  authentique  opéré  par  le  moyen  d'un  cœur  de  taffetas  fait  à  la  ressemblance  du  cœur  de 
sainte  Thérèse.  L'auteur  cité  n'était  point  homme  à  tout  croire  indifféremment  ;  il  occupe  une 
place  distinguée  parmi  les  critiques  les  piu>  ju  iicieux. 

Revenons  aux  vrais  clous  que  sainte  Heid.ie  avait  trouvés  avec  la  croix  du  Sauveur.  Cette 
pieuse  princesse,  étant  en  danger  de  périr  sur  la  mer  Adriatique,  agitée  par  une  violente  tempête, 
y  jeta  un  des  clous,  qui  calma  les  Dots  sur-le-champ,  Gregor.  Turon.,  1.  i,  glor.  mari.  c.  6.  On 
lit  dans  saint  Ambroise,  de  obit.  Theod.  n.  47,  et  dans  d'autres  auteurs,  que  Constantin  le  Grand 
en  mit  un  au  riche  diadème  qu'il  portait  aux  jours  les  plus  solennels,  et  un  autre  à  une  bride 
magnifique  de  son  cheval,  le  regardant  comme  un  rempart  assuré  dans  les  périls  de  la  guerre.  H 
y  avait,  au  rapport  de  saint  Grégoire  de  Tours,  loc.  cit.  deux  clous  à  la  bride  du  cheval  de 
l'empereur.  L'église  métropolitaine  de  Paris  possède  deux  morceaux  de  ces  clous,  l'un  provenant 
du  trésor  de  l'abbaye  de  Saint-Denis,  et  l'autre  de  l'abbaye  de  Saint-Germain-des-Pres.  Au  moment 
où  le  premier  lui  était  rendu,  Mgr  de  Quélen,  archevêque  de  Paris,  remarqua  un  petit  morceau  de 
bois  qui  était  adhérent.  En  examinant  ce  bois  avec  une  loupe,  on  reconnut  qu'il  était  de  même 
nature  que  celui  du  grand  morceau  de  la  vraie  Croix,  dont  nous  venons  de  parler  et  qui  est  main- 
tenant à  l'église  de  Notre-Dame. 

M.  Rohault,  dans  sa  conclusion,  nous  assure  que  l'histoire  n'a  pas  perdu  de  vue  ces  reliques. 
Le  cercle  de  fer  de  Mouza,  où  il  y  avait  du  vrai  clou,  le  clou  de  Trêves  complété  par  celui  de 
Toul,  lui  paraissent  d'une  authenticité  incontestable.  (V.  p.  181.) 

Le  titre  de  la  Croix.  —  Avec  la  vraie  Croix,  le  titre  de  la  Croix  est  une  des  reliques  les  plus 
incontestables  de  la  passion  de  Jésus-Christ.  Ce  titre  nous  a  été  conservé,  au  moins  en  partie  no- 
table ;  et  c'est  un  grand  bonheur  pour  les  chrétiens  de  pouvoir  encore  lire  cette  inscription,  qui  est 
comme  le  sceau  de  notre  histoire  sacrée,  dit  M.  Rohault  de  Fleury. 

On  lit  dans  Niquet  (chap.  24,  p.  152),  cité  par  le  mémoire  où  nous  puisons  si  heureusement, 
que  l'opinion  générale  est  que  sainte  Hélène  avait  envoyé  ce  titre,  avec  les  autres  reliques  de  la 
passion,  à  Rome,  avec  une  quantité  suffisante  de  terre  prise  sur  le  calvaire  pour  couvrir  l'empla- 


INVENTION   DE   LA   SAINTE    CROIX. 


283 


cément  où  est  aujourd'hui  Sainte-Croix  de  Jérusalem  à  Rome,  et  que  c'est  de  là  que  cette  église 
a  pris  son  nom. 

Un  siècle  après,  Placidius  Valentinius  III,  fils  de  Constance-César,  neveu  des  empereurs  Arca- 
dius  et  Honorius,  par  leur  sœur  Galla-Placida,  fille  du  grand  Théodose,  orna  de  mosaïque  le  lieu 
OÙ  sainte  Hélène  l'avait  mis.  Heureusement  il  avait  été  placé  sous  le  sommet  de  l'arc  de  cette 
église,  où  il  resta  pendant  l'invasion  des  barbares  sans  attirer  leur  regard  ;  et  même  après  cette 
tempête,  et  pendant  plusieurs  siècles  de  tourmente,  on  le  perdit  de  vue.  Mais  en  1492,  le  cardi- 
nal de  Sainte-Croix,  faisant  réparer  cet  édifice,  les  ouvriers  découvrirent  le  riche  trésor  :  ce  fut 
une  joie  universelle,  et  on  vint  le  voir  pendant  trois  jours.  Il  y  a  deux  choses  dans  cette  insigne 
relique,  l'enveloppe  et  la  relique  elle-même.  L'enveloppe  est  un  carré  de  brique  en  terre  cuite  de 
trois  cent  vingt  millimètres  sur  deux  cent  dix  millimètres  plus  grande  que  le  titre  et  pouvant  par 
conséquent  bien  cacher  la  niche  où  fut  enfermée,  pendant  mille  ans,  la  boite  de  plomb  qui  la 
contenait.  Sur  cette  brique  on  lit  ces  mots  gravés  au  ciseau  :  Titulus  crucis  ;  les  lettres  antique» 
de  cinquante  millimètres  de  hauteur  sont  d'une  belle  époque. 

11  faut  remarquer  qu'on  ne  possède  à  Rome  qu'un  fragment  du  titre  qui  représente  le  centre 
de  l'inscription  en  trois  sortes  de  caractères,  allant  tous  de  droite  à  gauche  :  la  ligne  inférieure 
laisse  lire  distinctement  en  latin  :NAZARINVS  RE.  La  seconde  ligne  en  grec  :  nazapiînots;  enfin,  la 
ligne  supérieure  ne  laisse  apercevoir  que  l'extrémité  inférieure  des  lettres  de  la  ligne  superposée, 
qui  accusent  des  lettres  hébraïques,  qu'on  ne  peut  plus  lire.  Il  faut  maintenant  répoudre  à  des 
difficultés  que  l'on  a  faites  et  qui  réclament  de  sérieuses  explications. 

Le  père  Durand,  qui  vivait  peu  de  temps  après  saint  Louis,  dit  qu'il  a  vu  à  Paris  une  tablette 
portant  l'inscription  tout  entière  :  Jésus  nazarenus  Rex  Judseorum.  (Rationale,  div.  off.,  1.  VI, 
p.  354.)  Le  moine  Antonin,  voyageant  à  Jérusalem  avant  l'invasion  des  barbares,  dit  aussi  avoir 
tenu  de  ses  mains,  dans  l'église  du  Saint-Sépulcre,  le  titre  de  la  Croix. 

M.  Rohault  de  Fleury  répond  par  une  explication  qui  me  parait  aplanir  ces  difficultés.  C'est 
que  sainte  Hélène  a  traité  le  titre  comme  elle  avait  fait  de  la  Croix  ;  elle  l'a  divisé  en  plusieurs 
morceaux,  dont  le  centre  a  été  offert  à  Rome,  et  les  deux  extrémités  ont  eu  une  autre  destination. 
L'une  des  extrémités  est  restée  à  Jérusalem,  l'autre  est  venue  à  Paris.  Et  on  peut  ajouter  que, 
pour  aider  à  la  lecture  de  ce  titre,  on  aura  ajouté  un  morceau  de  bois  en  harmonie  avec  le  mor- 
ceau restant  du  vrai  titre,  et  ainsi  on  aura  pu  dire  qu'on  avait  lu  le  titre  entier.  Quant  au  mor- 
ceau de  Rome,  il  est  resté  dans  son  état  incomplet,  tel  qu'il  était  dans  son  premier  état  de  divi- 
sion, et  la  lecture  du  titre  entier  ne  se  trouve  que  sur  une  plaque  séparée,  en  terre  cuite,  et  ces 
lettres  sont  nécessairement  antiques,  et  n'appartiennent  pas  au  moyen  âge. 

Cette  portion  du  titre  de  la  vraie  inscription  qu'on  voit  à  Rome  porte  avec  elle  un  cachet  de 
son  antiquité  ;  et  tout  ce  qui  l'accompagne  nous  dit  que  c'est  une  portion  du  titre  qui  fut  placé 
sur  la  croix  de  Jésus-Christ.  Et  disons  avec  M.  Rohault  de  Fleury  :  Donc  nous  possédons,  dans 
son  intégrité  primitive,  la  relique  donnée  à  Rome  par  sainte  Hélène.  Les  objections  de  détail 
auxquelles  nous  allons  répondre  avec  le  même  auteur,  augmentent,  au  lieu  de  diminuer,  la  mesure 
d'authenticité  et  de  véracité,  car  elles  montrent  les  difficultés  invincibles  qu'aurait  eu  à  sur- 
monter un  faussaire. 

On  a  dit  :  A  cette  époque  on  ne  mettait  pas  encore  s  pour  i)  en  grec,  ni  la  terminaison  owç 
pour  os  ;  or,  Gretzer  et  Montfaucon  en  ont  montré  plusieurs  exemples.  (Voir  Mém.,  p.  193).  On  a 
objecté  qu'on  ne  trouvait  plus  d'écriture  Boustrophédone  dans  la  langue  grecque  et  romaine,  c'est- 
à-dire  de  caractère  allant  de  droite  à  gauche,  et  voilà  que  dans  Pausanias  et  dans  plusieurs  ins- 
criptions d'Italie,  on  en  trouve  des  exemples.  Qui  oserait  dire  qu'un  faussaire  aurait  eu  la  pensée 
de  se  conformer  à  ces  exceptions  ?  Il  n'aurait  eu  garde  de  se  donner  cette  apparence  d'invraisem- 
blance. On  voit  par  là  que  l'écrivain  du  titre  a  été  amené  naturellement  à  suivre  ce  mode  excep- 
tionnel pour  les  deux  dernières  longueurs,  parce  qu'ayant  commencé  par  écrire  l'hébreu,  il  a  mis 
les  deui  dernières  lignes  en  harmonie  avec  la  première,  parce  que  ce  système  n'était  pas  inconnu. 
J'appelle  cela  prendre  la  sincérité  sur  le  fait. 

Il  y  a,  au  point  de  vue  de  la  grammaire,  diverses  anomalies,  dans  cette  écriture,  qui  nous  con- 
duisent également  à  conclure  que  ce  titre  est  l'œuvre  d'un  soldat  romain,  qui  a  voulu  par  exemple 
faire  prononcer  le  u  latin,  ou  en  grec,  dans  Nazarenous.  De  quelque  côté  donc  qu'on  envisage  ce 
titre,  c'est  un  titre  certaiu  et  un  témoin  irrécusable  de  la  passion  de  Jésus-Christ. 

La  couronne  d'épines.  —  Cette  insigne  relique,  peut-être  la  plus  remarquable  de  celles  que 
possèdent  les  chrétiens,  à  cause  de  son  intégrité  relative,  nous  vient  sans  conteste  de  saint  Louis 
et  est  conservée  dans  le  trésor  de  la  cathédrale  de  Paris  ;  ici  nous  allons  seulement  un  peu  abré- 
ger M.  Rohault  de  Fleury.  (P.  293.) 

Comme  les  autres  reliques  de  la  passion,  elle  demeura  cachée  pendant  les  trois  premiers  siè- 
cles sous  les  empereurs  païens,  aux  yeux  desquels  on  dérobait  tout  ce  qui  était  saint  pour  les 
Chrétiens.  En  409,  saint  Paulin,  évèque  de  Noie,  en  admettait  l'existence  comme  un  fait  notoire; 
saint  Grégoire  de  Tours  parait  être  le  premier  qui  en  ait  parlé  explicitement;  le  patriarche  de 
Jérusalem,  vers  l'an  800,  envoya  à  Charlemagne  un  clou,  des  épines  et  un  morceau  considérable 
de  la  Croix.  Charles  le  Chauve  donna  ces  reliques  à  l'abbaye  de  Saint-Denis.  Une  inscription  du 
xn«  siècle,  placée  sur  son  tombeau,  rappelle  cette  donation. 


284  3  mai. 

Au  temps  de  la  première  croisade,  pour  engager  les  Latins  à  s'emparer  de  Constantinople, 
Alexis  Comnène  écrivit,  en  1100,  à  Robert,  comte  de  Flandre,  que  l'on  conservait  beaucoup  de 
reliques  insignes  à  Constantinople  ;  voici  les  reliques  auxquelles  il  faisait  allusion  : 

La  colonne  à  laquelle  Notre-Seigneur  a  été  attaché  ;  le  fouet  dont  il  a  été  flagellé  ;  la  robe  de 
pourpre  dont  il  a  été  revêtu  ;  la  couronne  d'épines  ;  le  roseau  qu'on  lui  a  donné  pour  sceptre  ;  les 
habits  dont  ou  l'a  dépouillé  ;  une  partie  considérable  de  sa  croix;  les  clous  qui  ont  servi  à  son 
crucifiement  ;  les  linges  trouvés  dans  son  tombeau. 

En  1228,  l'empereur  de  Constantinople.  Baudouin  II,  avait  emprunté  aux  Vénitiens  une  somme 
de  13,075  hyperberes  correspondant  à  156,900  livres  de  notre  monnaie.  Ne  pouvant  se  libérer,  il 
s'adressa  au  roi  de  France  qui  paya  la  dette  et  devint  possesseur  des  reliques  que  l'empereur  avait 
consignées  comme  gage  entre  les  mains  de  ses  prêteurs  (1239). 

Quelques  années  après,  saint  Louis  ayant  reçu  de  l'empereur  Baudoin  une  portion  considérable 
de  la  vraie  Croix  avec  d'autres  reliques,  fit  bâtir  sur  l'emplacement  de  l'ancienne  chapelle  du 
Palais  celle  qu'on  voit  aujourd'hui.  Cet  édifice,  commencé  vers  1241,  et  fini  en  1248,  coûta  au 
pieux  monarque  environ  40,000  livres  de  son  temps,  évaluées  communément  à  800,000  livres  de 
noire  monnaie. 

C'est  dans  le  même  temps  que,  par  un  singulier  rapprochement,  les  Pisans  consacrèrent  un 
reliquaire  du  même  genre  à  une  autre  portion  de  la  sainte  couronne  d'épines.  Et  la  Santa-Maria 
délia  Spina  de  Pise  est,  comme  la  sainte  chapelle  de  Paris,  une  merveille  d'architecture  ;  c'est  la 
qu'ont  été  conservées  deux  parties  de  la  couronne,  suffisantes  pour  nous  bien  faire  connaître  cet 
horrible  instrument  de  supplice  de  Notre-Seigneur,  et  par  une  autre  coïncidence,  qui  marque  bien 
l'instabilité  des  choses  humaines,  ni  l'une  ni  l'autre  châsse  de  marbre  ou  pierre  n'a  gardé  jusqu'à 
présent  sa  relique  ;  mais  ces  deux  reliques  sont  entières,  et  les  châsses  restaurées  pourraient  en- 
core les  recevoir.  (Rohault,  p.  204.) 

La  châsse  de  Notre-Dame  de  Paris  rappelle  la  mémorable  histoire  de  la  relique  dont  saint  Louis 
avait  enrichi  la  fille  aînée  de  l'Eglise.  On  lit  sur  la  première  face  :  «  La  sainte  couronne  de  Jésus- 
Christ,  conquise  par  Baudoin  à  la  prise  de  Constantinople,  en  1204,  engagée  aux  Vénitiens,  en 
12z8,  fut  rec,ue  avec  grande  piété  par  saint  Louis  à  Villeneuve,  près  Sens,  le  10  août  1239  ».  Sur 
la  seconde  face  :  «  Transférée  de  la  Sainte-Chapelle  à  l'abbaye  de  Saint-Denis,  en  France,  par 
ordre  de  Louis  XVI,  en  1791,  rapportée  à  Paris,  en  1793,  dépouillée  à  l'Hôtel  des  Monnaies  et 
portée  à  la  Bibliothèque  nationale  en  1794,  elle  fut  enfin  restituée  à  l'église  Notre-Dame,  par 
ordre  du  gouvernement,  le  26  octobre  1804  ».  Sur  la  troisième  face  :  «  Reconnue  le  5  octobre 
1805  par  P.  Dienzé  et  Ch.-N.  Warin-Flot,  vicaire  général  de  Coutances,  chargés  en  1791  d'en 
prendre  une  parcelle  pour  Port-Royal,  elle  a  été  transportée  solennellement  à  l'église  Notre-Dame, 
par  J.-B.,  cardinal  de  Belloy,  archevêque  de  Paris,  le  10  août  1806  ».  Elle  est  renfermée  dans  un 
anneau  de  cristal  relié  par  du  bronze  doré  et  des  fils  de  soie  rouge. 

La  couronne  elle-même  se  compose  de  petits  joncs  réunis  en  faisceaux.  Le  diamètre  intérieur 
de  l'anneau  est  de  deux  cent  dix  millimètres  ;  la  section  a  quinze  millimètres  de  diamètre  ;  les 
joncs  sont  reliés  par  quinze  ou  seize  attaches  de  joncs  semblables.  Un  fil  d'or  court  au  milieu  des 
attaches  pour  consolider  ces  pieux  débris.  Le  diamètre  des  joncs,  qui  sont  très-fins,  varie  de  un 
millimètre  à  un  millimètre  et  demi,  quelques-uns  sont  plies  et  font  voir  que  la  plante  est  creuse; 
leur  surface,  examinée  à  la  loupe,  est  sillonnée  de  petites  côtes. 

Voici  maintenant  une  bien  judicieuse  réflexion  de  M.  Rohault  de  Fleury.  Indépendamment  de 
l'authenticité  que  l'histoire  assure  à  la  relique  de  Notre-Dame,  l'espèce  d'invraisemblance  qui 
l'environne  au  premier  aspect  et  qui  cesse  bientôt  après  un  examen  attentif,  prouve  qu'elle  était 
vraiment  la  couronne  de  Notre-Seigneur.  Si  on  eût  voulu  composer  une  couronne  d'après  l'idée 
toute  naturelle  qu'on  devait  s'en  faire,  et  que  les  peintures  ont  suivie  sans  réflexion,  on  n'au- 
rait pas  simulé  un  anneau  de  joncs  au  lieu  d'épines,  et  on  ne  l'aurait  pas  fait  d'ailleurs  trop  grand 
pour  la  tète. 

Pour  bien  comprendre  la  valeur  de  ce  cachet  d'authenticité,  il  faut  que  le  lecteur  sache  que, 
d'après  les  observations  scientifiquement  spéciales  de  M.  Rohaut,  il  est  constaté  que  la  sainte 
couronne  de  Paris  n'est  pas  une  couronne  d'épines,  mais  un  cercle  en  jonc,  Juncus  balticus,  ori- 
ginaire des  pays  chauds,  et  ce  cercle  trop  large  d'ailleurs  pour  être  adapté  seul  à  la  tête  de  Notre- 
Seigneur  ne  servit  à  la  passion  que  de  support  pour  y  ajouter  et  superposer  une  couronne  pleine 
d'épines  qui  couvraient  toute  la  tète  et  se  rattachaient  à  ce  cercle.  Les  épines  étaient  une  espèce 
de  rhamnus. 

D'après  cette  heureuse  découverte,  on  comprend  l'usage  exact  de  la  couronne  de  Notre-Dame  ; 
pourquoi  elle  est  de  nature  différente  des  autres  branches  d'épines  qui  sont  conservées  dans  di- 
verses églises  et  qui  furent  la  couronne  proprement  dite,  et  le  vrai  instrument  du  supplice  ;  on 
n'est  plus  étouné  de  voir  une  couronne  en  apparence  entière  à  Paris,  et  de  plus,  diverses  petites 
branches  et  des  épines  isolées  et  détachées  en  cent  trois  villes  de  la  chrétienté  ;  mais  la  plus 
notable  partie  se  trouve  à  Pise,  à  Trêves  et  à  Bruges.  Celles  de  Trêves,  venues  de  sainte  Hélène, 
ont  un  grand  caractère  d'authenticité,  et  ressemblent  parfaitement  à  celles  de  Pise. 

J'ajoute  que  j'ai  été  bien  frappé  en  lisant  le  verset  14  du  chap.  ix  des  Juges,  qui  dit  :  Dixe- 
runt  omnia  ligna  ad  rhamnum  :  Veni,  et  impera  super  nos.  Est-il  possible  de  ne  pas  y  voir 


INVENTION  DE  LA  SAINTE   CROIX.  285 

le  rôle  que  cet  arbrisseau  devait  jouer  dans  la  grande  scène  du  calvaire  ?  Le  rhamnus  devient 
le  signe  et  l'illustration  de  la  royauté  de  Jésus-Christ  ;  et  cette  royauté,  le  rhamnus  l'a  écrite  avec 
ua  sang  divin. 

Les  saintes  robes  de  Trêves  et  d'Argenteuil.  —  Arrivons  maintenant  aux  vêtements  du  Sau- 
veur. Il  est  question,  dans  le  récit  de  la  pission,  de  sa  robe  tirée  au  sort,  et  c'était  l'accomplisse- 
ment d'une  prophétie.  Or,  cette  robe,  nous  la  possédons  encore  comme  une  pièce  à  conviction  ; 
nous  possédons  avec  elle  plusieurs  autres  vêtements  qui  ont  eu  l'honneur  de  couvrir  la  sainte 
humanité  de  Jésus-Christ. 

Jésus-Christ  devait  avoir,  selon  la  coutume  des  Juifs,  une  tunique,  espèce  de  chemise  sans 
couture,  une  robe  par  dessus,  semblable  à  la  soutane  des  ecclésiastiques,  et  enfin  un  manteau, 
vêtement  extérieur  qui  s'enlevait  aisément  et  ne  se  conservait  pas  dans  l'intérieur  des  apparte- 
ments. On  regarde  comme  certain  que  Jésus-Christ,  dans  sa  passion,  n'avait  conservé  qu'un  seul 
de  ses  vêtements  habituels,  et  dans  deux  circonstances  il  fut  revêtu  de  robes  de  dérision,  de  la 
robe  blanche  devant  Hérode,  et  de  la  robe  d'écarlate  devant  Pilate  et  le  peuple  juif. 

Les  villes  de  Trêves  et  d'Argenteuil  possédaient  chacune  une  tunique  que  l'on  dit  avoir  appar- 
tenu à  Notre-Seigneur,  et  chacune  croyait  autrefois  posséder  la  robe  sans  couture  ;  ce  qui  mettait 
dans  les  esprits  une  confusion  regrettable.  Mais  des  études  récentes  ont  démontré  que  les  deux 
peuvent  être  véritables,  il  est  certain  que  la  longue  robe,  conservée  et  honorée  à  Trêves,  est 
différente  de  celle  d'Argenteuil.  C'est  la  première  qui  est  arrivée  d'abord  en  Europe,  parce  que  ce 
fut  sainte  Hélène  elle-même  qui  l'envoya  à  Ayvilius,  évêque  de  Trêves. 

On  ne  doit  pas  être  surpris  que  la  ville  de  Trêves  ne  puisse  montrer  de  documents  écrits  cons- 
tatant l'authenticité,  qu'à  partir  du  xne  siècle.  Qui  ne  conuait  les  malheurs  de  cette  cité  pendant 
l'invasion  des  Barbares,  particulièrement  au  Ve  siècle  ?  Cent  fois  la  possession  de  cette  ville  a  été 
disputée  entre  les  Gaulois,  les  Francs,  les  Suèves,  etc.,  et  toujours  elle  a  été  victime  de  la  part 
des  vaincus  comme  des  vainqueurs.  Comment  chercher  des  monuments  écrits  sous  ces  décom- 
bres ?  Mais  les  traditions  ont  survécu,  et  toutes,  dit  M.  Rohault,  elles  sont  d'accord  sur  l'authen- 
ticité des  reliques. 

Cependant  l'église  de  Trêves  a  un  monument  écrit  :  c'est  un  diptyque  en  ivoire,  ouvrage  romain 
de  la  décadence,  qui  représente  l'introduction  des  reliques  de  Trêves  dans  cette  ville  et  leur  ré- 
ception par  sainte  Hélène.  En  1196,  l'archevêque  Jean,  faisant  travailler  à  la  cathédrale,  trouva  la 
cassette  qui  soutenait  la  sainte  robe.  A  partir  de  ce  moment  jusqu'en  1512,  elle  resta  sous  le 
maitre-autel  sans  être  exposée  ;  et  après  bien  des  vicissitudes,  de  1512  à  1810,  elle  revint  à  Trê- 
ves d'où  elle  avait  été  éloignée  pendant  un  siècle.  La  caisse  contenant  la  sainte  robe  fut  déposée 
dans  la  chambre  aux  reliques  et  ouverte. 

La  haute  antiquité  du  vêtement  est  évidente.  La  sainte  robe  est  plus  brune  à  l'intérieur  qu'à 
l'extérieur,  blanchâtre  en  quelques  places,  grisâtre  dans  le  reste.  On  crut  n'y  trouver  aucune  es- 
pèce de  couture  ;  mais  le  dos  avait  été  couvert  de  gaze,  parce  que  le  tissu  se  défaisait  ec  beau- 
coup de  places,  et  que  les  fils  pendaient.  Les  fils  sont  si  fins  qu'on  les  distingue  à  peine  à  l'œil 
nu.  La  matière  semble  être  des  filaments  d'orties.  Longueur,  un  mètre  cinquante-cinq  centimètres  ; 
manche,  soixante-treize  centimètres  ;  largeur,  au  bas,  un  mètre  seize  centimètres.  Lorsque  cette 
relique  fut  exposée  en  1810,  plus  de  deux  cent  mille  pèlerins  y  affluèrent. 

Les  titres  d'authenticité  de  la  robe  d'Argenteuil  sont  parfaitement  établis  et  distribués  de  siècle 
en  siècle,  de  manière  qu'on  ne  la  perd  pas  de  vue  depuis  Grégoire  de  Tours  qui  en  fait  l'historique 
depuis  l'origine.  11  dit  que  cette  tunique,  achetée  par  les  fidèles,  fut  portée  à  une  ville  de  Galatie, 
province  de  l'Asie-Mineure,  à  cent  cinquante  milles  de  Constantinople.  La  reiique  y  était  conser- 
vée dans  une  basilique  consacrée  aux  saints  archanges,  et  dans  un  caveau  secret,  dans  un  coffre  de 
bois  ;  de  là  elle  fut  transportée  à  Jaffa  pour  être  à  l'abri  des  attaques  du  roi  de  Perse,  marchant 
sur  l'Arménie  et  l'Asie  Mineure,  en  590,  où  il  détruisait  toutes  les  églises.  L'an  594,  cette  robe 
fut  solennellement  transportée  à  Jérusalem  par  trois  patriarches,  Grégoire  d'Antioche,  Thomas  de 
Jérusalem  et  Jean  de  Constantinople,  et  une  foule  de  peuple.  (Gretzer,  1.  Ier,  c.  97.)  Vingt  ans 
après,  Chosroès  la  prit  et  l'emporta  eu  Perse.  Héraclius  la  reprit  en  627,  et  la  transporta  à  Cons- 
tantinople, puis  à  Jérusalem,  pour  la  rapporter  enfin  à  Constantinople  où  elle  était  plus  en  sûreté. 
L'impératrice  Irène,  envoyant  de  riches  présents  à  Charlemagne,  y  comprit  la  tunique  sans  cou- 
ture de  Notre-Seigneur.  Charlemagne  avait  une  sœur  nommée  Gisèle,  qui  habitait  depuis  quelque 
temps  un  monastère  à  Argenteuil,  près  de  Paris,  et  dépendant  de  Saint-Denis.  Théodrade,  fille  de 
Charlemagne,  se  consacra  à  Dieu  dans  le  même  monastère,  et  l'empereur  demanda  qu'elle  y  fût 
abbesse.  Comme  il  aimait  beaucoup  cette  princesse,  il  fit,  en  sa  faveur,  la  translation  solennelle 
dans  celte  abbaye  de  la  précieuse  relique,  le  13  août  800. 

Le  curé  d'Argenteuil  a  eu  la  pensée  malheureuse  de  diviser  la  sainte  tunique  en  plusieurs  par- 
ties pour  mieux  la  soustraire  aux  profanations,  en  sorte  qu'il  est  aujourd'hui  difficile  de  la  resti- 
tuer daos  sa  première  forme.  Mais  les  anciennes  descriptions  sont  là  qui  nous  disent  ce  qu'elle 
était,  c'est-à-dire  la  même  forme  que  celle  de  Trêves,  seulement  un  peu  plus  courte.  Selon  M.  Da- 
vin,  le  tissu  est  en  poil  de  chameau  assez  lâche,  et  ressemble  à  du  canevas  dont  les  fils  seraient 
très-tors.  Les  fiis  sont  distribués  à  deux  millimètres  pour  trois  fils.  Elle  est  faite  à  l'aiguille,  tissée 
de  haut  en  bas  dans  toute  son  éteudue,  sur  le  plus  simple  des  métiers,  telle  qu'une  tablette  rece- 


286  3  mm. 

vant  sur  les  deux  faces  la  chaîne  et  la  trame.  Les  bras  n'étaient  couverts  qu'à  moitié,  et  le  vête- 
ment pouvait  descendre  jusqu'au  bas  du  genou. 

Il  semble  démontré,  dit  M.  Rohault,  que  Trêves  possède  la  robe  longue  de  dessus,  tissée  en 
lin  fin,  ornée  de  dessins,  etc.,  et  Argenteuil,  la  tunique  plus  courte,  sans  couture,  grossièrement 
tissée  d'un  seul  fil  en  poil  de  chameau.  Toutes  les  deux  ont  été  portées  par  Notre-Seigneur  ;  mais 
c'est  la  dernière  qu'il  avait  sur  le  Calvaire.  Moscou  croit  posséder  une  robe  de  Jésus-Christ.  Il 
pourrait  se  faire  que  ce  fût  une  partie  du  manteau,  d'après  ce  que  M.  Prilejaëf  a  communiqué  à 
M.  Rohault  à  ce  sujet.  Rien  n'empêche  qu'il  y  ait  dans  plusieurs  autres  lieux  de3  reliques  des 
vêtements  de  Jésus-Christ  ;  car,  en  ajoutant  les  morceaux  qui  se  trouvent  à  Saint-Praxède,  à  Saint- 
Roch,  à  Rome,  le  vestiaire  connu  de  Jésus-Christ  n'est  pas  fort  considérable,  et  assurément  tout 
ne  nous  est  pas  parvenu.  A  Venise,  il  y  a  un  morceau  de  la  robe  blanche  de  dérision  portée  devant 
Hérode.  On  montre  à  Saint-François  de  Philipo-Anagni,  en  Italie,  à  Saint-Jean  de  Latran  et  à 
Samle-Marie-Majeure,  des  morceaux  de  la  robe  de  pourpre,  dont  Notre-Seigneur  fut  revêtu  dans 
le  palais  de  Pilate. 

Les  saints  suaires.  —  Que  n'a-t-on  pas  dit  d'insultant  contre  la  piété  des  fidèles  et  contre  la 
dignité  de  l'Eglise  sur  la  facilité  qu'on  lui  reproche  de  laisser  exposer  à  la  vénération  des  chré- 
tiens un  grand  nombre  de  suaires,  de  robes  et  de  voiles,  comme  instruments  de  la  passion  ?  Ici, 
eomme  sur  tant  d'autres  points  de  la  croyance  religieuse,  des  études  plus  approfondies  apprendront 
aux  téméraires  frondeurs  qu'il  est  dangereux  de  condamner  l'Eglise.  Quand  doue  notre  siècle 
\oudra-t-il  se  résigner  à  ne  prononcer  des  condamnations,  que  lorsqu'il  aura  bien  connu  les  pièces 
du  procès? 

oue  nous  dit  l'histoire  sur  la  manière  d'embaumer  chez  les  Juifs,  du  temps  de  Notre-Seigneur? 
On  aurait  déjà  pu  savoir  par  saint  Jean  (chap.  xx),  que,  dans  l'embaumement  des  morts,  on  se 
servait  de  plusieurs  enveloppes  ;  on  parle  de  linteamina  au  pluriel,  et  rie  sudarium,  autre  objet 
mis  à  part  dans  le  sépulcre  après  la  résurrection.  Il  faut  donc  se  défaire  d'une  idée  puisée  dans 
les  usages  modernes,  qui  ne  représentent  qu'un  seul  suaire  pour  un  seul  mort.  Au  chapitre  XI, 
44,  saint  Jean  nous  montre  Lazare  sortant  du  tombeau;  mais  il  avait  les  pieds  et  les  mains  liés 
avec  des  linges  et  des  bandelettes.  M.  Rohault  pense  avec  Langellé  et  bien  d'autres  savants,  et 
cela  est  incontestable,  que  la  manière  d'ensevelir  les  morts  chez  les  Egyptiens  fut  pratiquée  aussi 
par  les  Hébreux  et  se  conserva  jusqu'au  temps  de  Notre-Seigneur.  Il  y  avait  trois  manières  d'em- 
baumer chez  les  Egyptiens.  Selon  Diodore,  l'une  coûtait  un  talent,  cinq  mille  cinq  cent  francs  ; 
l'autre  deux  mines,  mille  huit  cent  cinquante-trois  francs  ;  et  la  troisième,  très-peu.  Sans  doute, 
les  momies  égyptiennes,  qui  nous  sont  parvenues,  avaient  été  l'objet  d'un  embaumement  très- 
soigné.  On  en  peut  voir  le  détail  dans  le  même  historien.  (Liv.  i",  ch.  91.)  Hérodote  dit  les  mêmes 
choses.  Veut-on  savoir  quelle  quantité  de  toile  entrait  dans  ces  somptueuses  sépultures  ?  L'arabe 
Abdallatif  vous  le  dira.  Il  y  en  a,  dit-il,  où  il  entre  plus  de  mille  aunes  de  toile  de  chanvre.  On 
peut  comprendre  par  là  qu'on  en  faisait  encore  une  dépense  considérable,  même  dans  les  enseve- 
lissements de  deuxième  classe.  En  1867,  tout  Paris  fut  témoin,  à  l'exposition,  du  dépouillement 
de  momies  qui  donna  une  quantité  prodigieuse  de  linges.  Avant  d'aller  plus  loin,  insistons  encore, 
pour  établir  que,  sur  ce  point,  les  usages  des  deux  peuples  étaient  semblables.  On  peut  dire  qu'en 
tout  ce  qui  n'était  pas  défendu  par  la  loi,  les  Hébreux  avaient  emprunté  beaucoup  au  peuple  chez 
lequel  ils  avaient  vécu  plusieurs  siècles,  dont  Moïse  avait  connu  la  science,  dont  la  langue  était 
encore  connue  au  temps  d'Abraham,  puisqu'il  parlait  au  roi  sans  truchement.  Voici  ce  que  dit  la 
Genèse,  et  c'est  un  fait  important  (Genèse,  cb.  l,  v.  2)  :  Joseph  commanda  à  ses  serviteurs  et  aux 
médecins  d'embaumer  le  corps  de  son  père,  et  il  fallut  quarante  jours  pour  terminer  cet  embau- 
mement. C'était  évidemment  la  méthode  égyptienne,  décrite  par  les  historiens  dont  nous  venons 
de  parler.  La  similitude  des  usages  est  donc  bien  établie.  M.  le  chevaiier  de  Rossi  a  montré  à 
M.  Rohault,  dans  le  cimetière  de  Saint-Callixte,  un  corps  embaumé  et  enveloppé  tout  à  fait  à  la 
façon  égyptienne,  et  on  sait  que  les  inhumations  des  catacombes  sont  des  premiers  siècles  de  l'ère 
chrétienne. 

Peut-on  croire  maintenant  qu'un  homme  riche,  comme  Joseph  d'Arimathie,  et  les  saintes  femmes 
n'ont  pas  prodigué  ce  qu'ils  avaient  de  plus  précieux  chez  eux,  en  bijoux,  en  aromates,  en  linges, 
pour  en  faire  honneur  au  Maître  vénéré  ? 

Malgré  le  soin  que  prirent  le  bienheureux  Joseph  et  les  saintes  femmes  d'étancher  le  sang, 
comme  l'ensevelissement  eut  lieu  immédiatement  après  la  mort,  il  est  très-vraisemblable  de  dire 
que  le  sang  a  pu  traverser  plusieurs  plis  des  linceuls  et  donner  lieu  à  l'existence  de  plusieurs 
suaires  portant  des  empreintes,  que  l'on  a  vénérées  dans  différentes  villes  de  la  chrétienté,  et  on 
peut  affirmer  que  tous  les  linceuls  ne  sont  pas  parvenus  jusqu'à  nous.  Si  donc  il  est  une  chose  qui 
doit  causer  de  l'étonnement,  ce  n'est  pas  qu'il  y  ait  eu  des  saints  suaires  à  Besançon,  à  Turin,  à 
Cahors,  à  Cadouin,  à  Carcassonne  et  à  Rome  ;  mais  qu'il  n'en  soit  pas  resté  davantage,  et  cela 
prouve  la  sincérité  et  la  bonne  foi  des  chrétiens,  à  qui  il  répugne  naturellement  d'employer  la 
fourberie  dans  une  matière  si  grave.  Sans  doute  la  sainteté  des  choses  n'en  empêche  pas  l'abus  ; 
mais  il  faut  qu'il  y  ait  un  intérêt  humain  considérable.  Ici  où  serait-il  ?  L'excommunication  menace 
ceux  qui  en  font  trafic. 

La  santa  scala,  le  roseau,  l'éponge,  la  lance.—  L'escalier  du  palais  de  Pilate  fut  transporté 


INVENTION  DE  Là  SAINTE  CROIX.  287 

k  Rome  par  sainte  Hélène,  en  326,  et  déposé  à  Saint-Jean  de  Latran.  En  850,  saint  Léon  IV  éta- 
blit la  dévotion  de  le  monter  à  genoux.  Comme  on  ne  pouvait  monter  ces  escaliers  qu'à  genoux, 
les  marches  en  étaient  tellement  usées  qu'il  a  fallu  les  recouvrir  de  doublures  de  bois  de  noyer , 
ces  doublures  sont  évidées  par  devant,  de  manière  à  laisser  voir  la  relique,  qui  se  compose  de 
vingt-huit  marches  en  marbre  blanc,  dont  les  veines,  légèrement  grises,  sont  dans  le  sens  de  la 
longueur  des  marches.  Il  n'y  a  pas  de  moulures  sur  le  devant;  elles  ont,  les  huit  premières,  3  m.  30  c. 
de  longueur  ;  et  les  autres,  2  m.  50  c. 

Le  dôme  de  Florence  possède  un  petit  fragment  du  roseau  de  la  royauté  dérisoire  de  Jésus- 
Christ;  un  autre  plus  considérable,  cent  dix  millimètres,  est  au  couvent  d'Andeschs,  en  Bavière, 
et  un  autre  de  cent  quatre-vingts  millimètres  au  couveut  de  Watoped,  du  Mont-Athos.  En  réunis- 
sant tous  ces  fragments,  nous  ne  passons  guère  trois  cent  millimètres  :  le  roseau  devait  dépasser 
de  beaucoup  cette  longueur.  Ici  encore,  comme  pour  la  plupart  des  saintes  reliques,  il  y  a  eu 
déperdition,  au  lieu  de  fausse  multiplication. 

A  la  prise  de  Jérusalem  par  les  Perses,  en  614,  la  sainte  éponge  fut  portée  à  Constantinople 
le  14  septembre  de  la  même  année.  Saint  Grégoire  de  Tours,  quelques  années  auparavant,  en  parle 
comme  d'une  relique  que  l'on  vénérait  publiquement  à  Jérusalem  avec  la  lance  et  le  roseau,  la 
couronne  d'épines  et  la  colonne,  sans  marquer  le  lieu  où  on  les  gardait.  Le  vénérable  Bède  l'a  vue 
à  Jérusalem  dans  le  calice  de  Notre-Seigneur,  calice  d'argent  qu'on  croyait  avoir  servi  à  la  cène. 
Un  fragment  de  la  sainte  éponge  est  venu  en  France  avec  les  reliques  offertes  à  saint  Louis  ; 
Saiut-Jacques  de  Compiègne  en  a  eu  une  petite  parcelle.  On  en  voit  aussi  des  fragments  à  Rome 
dans  les  églises  de  Saint-Sylvestre,  de  Saint-Jean  de  Latran,  de  Sainte-Marie-Majeure,  Sainte- 
Marie  in  Transtevère,  Saint-Marc  et  Sainte-Marie  in  Compitelli.  Toutes  réunies  ne  formeraient, 
selon  toute  apparence,  qu'une  éponge  assez  médiocre  de  grandeur. 

Du  temps  du  vénérable  Bède,  la  sainte  lance  était  renfermée  dans  une  croix  de  bois  sous  le 
portique  du  Martyr,  église  construite  par  Constantin.  L'évêque  François-Adolphe  l'a  vue  également. 
Selon  Grégoire  de  Tours,  elle  fut  transportée  de  Jérusalem  à  Constantinople,  au  temps  d'Héraclius. 
En  1092,  les  croisés  la  trouvèrent  à  Antioche  ;  en  1243,  Beaudouin  en  céda  la  pointe  à  saint  Louis. 
Une  partie  de  la  lance  fut  envoyée  par  Bajazet,  en  1492,  à  Innocent  VIII,  qui  la  plaça  à  Saint- 
Pierre  de  Rome,  où  elle  est  en  grande  vénération.  Bajazet  fit  dire  que  la  pointe  était  en  France. 
Benoît  XIV  fit  venir  de  Paris  la  pointe  de  la  sainte  lance,  afin  de  la  rapprocher  de  la  lance  elle- 
même,  déposée  dans  la  basilique  de  Saint-Pierre,  et  il  constata  que  l'adaptation  était  satisfaisante. 

La  pierre  où  fut  posée  la  croix  ; —  la  pierre  de  l'onction.  —  Mgr  Mislin  a  dénoncé  une  super- 
cherie des  Grecs.  La  cavité,  qui  est  au  sommet  du  calvaire,  n'est  pas  celle  où  la  croix  fut  plantée. 
Dans  le  bouleversement  arrivé  dans  l'incendie  de  1808,  ils  enlevèrent  la  pierre  dans  laquelle  avait 
été  enfoncée  la  vraie  croix,  pour  la  transporter  à  Constantinople,  et  mirent  une  autre  pierre  à  la 
place,  et  la  véritable  fut  perdue  dans  un  naufrage.  Mais,  si  le  zèle  jaloux  des  chrétiens  enlève 
les  pierres,  on  ne  peut  enlever  les  lieux. 

En  descendant  du  calvaire,  on  trouve  immédiatement  la  pierre  de  l'onction  sur  laquelle  Joseph 
d'Arimathie  embauma  le  co'-ps  de  Jésus.  Longue  de  huit  pieds,  large  de  deux,  elle  est  aujourd'hui 
revêtue  d'une  table  de  marbre  rouge  qui  n'a  que  quelques  pouces  d'épaisseur.  Elle  est  entourée 
de  grands  candélabres  et  de  dix  lampes  en  argent. 

La  colonne  de  la  flagellation  ;  —  le  saint  sang.  —  La  colonne,  à  laquelle  Jésus-Christ  fut  lié 
pendant  sa  flagellation,  se  gardait  anciennement  à  Jérusalem  sur  le  Mont-Sion  avec  d'autres  saintes 
reliques.  C'est  ce  que  nous  apprenons  de  saint  Grégoire  de  Nazianze,  or.  i,  in  Julian.,  de  saint 
Paulin,  ep.  34  ;  de  saint  Grégoire  de  Tours,  L  i«,  de  glor.  mort.,  c.  7  ;  du  vénérable  Bède,  de 
locis sanctis,  c.  3 ;  de  saint  Prudence;  de  saint  Jérôme,  etc.  Cette  colonne  se  voit  présentement  à 
Rome,  à  travers  un  grillage  de  fer,  dans  une  petite  chapelle  de  l'église  de  Sainte-Praxède.  Suivant 
une  inscription  placée  au-dessus  de  la  chapelle,  elle  y  fut  apportée,  en  1223,  par  le  cardinal  Jean 
Colonne,  légat  du  Saint-Siège  en  Orient,  sous  le  pape  Honorius  III.  Elle  est  de  marbre  gris,  et 
longue  d'un  pied  et  demi.  Elle  a,  dans  sa  base,  un  pied  de  diamètre  et  huit  pouces  seulement  par 
le  haut.  Le  socle  de  la  colonne  est  conservé  dans  le  riche  trésor  de  Saint-Marc,  à  Venise.  On  y 
voit  encore  un  anneau  de  fer  auquel  on  attachait  les  criminels.  Quelques-uns  pensent  qu'elle  n'est 
que  la  partie  supérieure  de  la  colonne  dont  parle  saint  Jérôme  :  mais  on  n'y  aperçoit  aucune 
marque  de  fracture.  Les  Juifs  fouettaient  les  criminels,  premièrement  sur  le  dos,  ensuite  (au  moins 
souvent)  sur  le  ventre,  puis  sur  les  deux  côtés.  Il  parait  que  la  même  chose  s'observait  chez  les 
Romains. 

Le  sangàe  Jésus-Christ,  que  l'on  garde  en  quelques  endroits,  et  dont  le  plus  fameux  est  celui 
de  Mantoue,  provient  de  ce  qui  a  quelquefois  découlé  miraculeusement  des  crucifix  que  des  Juifs  ou 
des  païens  ont  percés  en  haine  du  Sauveur.  Ces  miracles  si  touchants  sont  racontés  et  établis 
d'une  manière  péremptoire  dans  des  histoires  fort  authentiques.  Voir  saint  Thomas,  1.  m,  p.  54, 
a.  2,  ad  5  ;  et  quod,  l.  V,  a.  5  i. 

Le  saint  bandeau.—  M.  Baras,  curé  de  Saint-Ceré  (Lot),  a  signalé  à  notre  attention  l'existence 

1.  Voir  au  martyrologe  du  1er  majt  page  u6  d9  ce  volume,  ce  que  nous  disons  du  précieux  sang  de 
Billom. 


288  3  mai. 

d'une  précieuse  relique  de  Notre-Seignenr  Jésus-Christ,  oubliée  depuis  longtemps,  et  que  possède 
une  petite  église  de  campagne,  au  diocèse  de  Cahors.  Cette  relique  se  rattache  à  la  vie  de  saint 
Namphase  dont  le  tombeau  est  dans  l'église  de  Caniac  '.  Saint  Namphase  fut  le  restaurateur  de 
l'abbaye  de  Marcillac  à  laquelle  fut  donnée,  par  Charlemagne,  la  précieuse  relique  dont  nous  par- 
lons. C'est  le  saint  bandeau  dont  furent  couverts  les  yeux  de  Notre-Seigneur,  dans  la  maison  de 
Caïphe,  lors  de  la  cène  décrite  par  l'Evangile  :  «  On  commença  à  lui  voiler  la  face,  à  le  souffleter 
et  à  lui  demander  qui  le  frappait  ».  La  petite  église  de  Saint-Julien  de  Lunegarde  a  le  bonheur  de 
posséder  cette  insigne  relique  depuis  plusieurs  siècles. 

Ce  bandeau  est  un  morceau  de  toile  de  lin  assez  long  pour  faire  le  tour  de  la  tète,  et  large 
d'environ  dix  centimètres;  il  présente  de  nombreuses  taches  de  sang. 

L'historien  Dominicy,  dans  son  ouvrage  de  Sudario  capitis  Christi,  imprimé  a  Cahors  en  1640, 
dit  :  Asservatur  in  ecclesia  S.  Juliani  de  Lunegarde  (cujus  prœsentatio  ad  abbatem  Marci- 
liocensem  pertinet),  tenue  vélum  ex  lino  xgyptio  ;  idemque  illud  esse  dicunt  quo  Christi 
faciem  milites  obduxere,  dùm  per  ludibrium  colaphis  cœderetur.  Est  et  in  eadem  Ecclesia, 
frusturn  arundinis,  ei  in  signum  regni  affectati,  pro  sceptro  traditse,  p.  47...  Hanc  porro 
cœnobio  Marciliacensi,  cum  vélo  quo  Christus  eadem  in  cena  obductus  fuit,  a  Carolo  Magno 
illius  monasterii  restauratore  olim  vêtus  affirmât  traditio,  eamque  postmodum  ecclesiœ  de 
Lunegarde,  ab  illius  cœnobii  abbatibus  traditam,  et  locus  ille  (qui  ab  hoc  monasterio  ad  hoc 
pendet),  vasta  superioris  Cadurcinii  solitadi?ie  et  sylva  horrenda  obsitus,  tantorum  pignorum 
gratia,  a  populis  devotionis  ergo  adeuntibus  in  posterum  frequentaretur...  Sacras  quamplures 
reliquias  in  multis  Galliarum  ecclesiis  (Carolum  Magnum)  deposuisse  nemo  potest  inficiari, 
illosque  maxime   ab  oriente  quxsitas,  p.  50. 

Ces  textes  si  précis  de  l'historien  du  Quercy,  acquièrent,  à  nos  yeux,  une  nouvelle  autorité  d'un 
monument  qui  m'a  été  communiqué  par  M.  l'abbé  Ayrales  retiré  à  Saint-Chignes,  paroisse  de  Saigros, 
canton  de  Saint-Ceré.  C'est  un  acte  notorié  sur  parchemin  dans  lequel  est  rapporté  :  1°  la  présenta- 
tion faite  par  l'abbé  de  Marcillac  d'un  nommé  Jeanny  de  Podio  de  Cardailhac  en  remplacement 
d'un  certain  Valette,  démissionnaire  à  la  cure  de  Saint-Julien  de  Lunegarde  ;  2°  la  nomination  faite 
de  ce  même  de  Podio  (Dupuy  probablement)  à  ladite  cure,  pour  le  frère  et  vicaire  général  de 
Mgr  Antoine  d'Alamand,  évêque  de  Cahors.  Cet  acte  est  de  l'année  1468.  —  Cet  acte  suppose  que 
le  droit  de  présentation,  exercé  par  l'abbé  de  Marcillac,  existait  avant  cette  époque.  Ne  peut-on  pas 
conclure  raisonnablement  que  le  saint  bandeau  avait  déjà  été  déposé  à  Lunegarde  à  une  époque 
antérieure  à  l'année  1468? 

Je  crois  que  Dominicy  commet  une  erreur  en  parlant  d'un  fragment  du  roseau.  Je  suis  con- 
vaincu, comme  le  porte  l'inscription  attachée  à  la  relique,  que  c'est  de  la  vraie  croix  de  Notre- 
Seigneur  Jésus-Christ  qui  fut  déposée  dans  l'église  de  Saint-Julien  de  Lunegarde  en  même  temps 
que  le  saint  bandeau. 

Le  titre  authentique  de  ces  reliques  n'existe  plus.  M.  Pons,  curé  de  Lunegarde  avant  1789,  et 
mort,  je  crois,  en  1834,  a  dit,  à  plusieurs  personnes  qui  me  l'ont  rapporté,  «  qu'il  avait  eu  ce  titre 
en  sa  possession,  mais  qu'il  l'avait  perdu  à  l'époque  de  son  émigration  ».  Ceci  nous  a  été  attesté  par 
feue  Mme  Pons  de  Reilhac,  mère  de  M.  Antoine  Pons,  notaire;  par  Mme  feue  Claretty,  mère 
de  Mme  Pégourié  du  Grand-Domaine,  et  par  M.  Laveyfflères,  curé  de  Saint-Martin-le-Désarnat,  ancien 
curé  de  Lunegarde,  précédemment  vicaire  de  M.  Pons. 

Il  est  certain  que  de  temps  immémorial  il  y  a  eu  des  pèlerins  se  rendant,  par  dévotion,  à 
Lunegarde.  1°  La  fontaine,  où  les  pèlerins  vont  encore  puiser  de  l'eau,  en  est  une  preuve.  Son 
nom  Font-Roumive  veut  dire  fontaine  des  pèlerins,  Font  des  Roumious.  Au  moyen  âge,  on 
avait  donné,  dans  le  langage  du  pays,  le  nom  de  Roumious,  qui  va  à  Rome,  à  ceux  qui  entrepre- 
naient un  pèlerinage  quelconque,  parce  que  le  pèlerinage  de  Rome  étant  le  plus  célèbre,  on  appe- 
lait Roumious  ceux  qui  s'y  rendaient.  Il  existe,  à  Rocamadour,  un  chemin  qu'on  appelle  lou  Comi 
dey  Roumious.  2°  Les  vieillards,  que  j'ai  connus  à  Lunegarde,  m'ont  affirmé  que,  de  tout  temps, 
le  pèlerinage  avait  été  fréquenté,  surtout  avant  la  grande  Révolution.  On  s'y  rendait  même  de 
l'Auvergne,  comme  l'a  attesté  un  marchand  colporteur  de  ce  pays-là  qui  me  disait  «  avoir  entendu 
dire  à  son  grand-père,  mort  nonagénaire,  alors  qu'il  était  lui-même  petit  enfant,  qu'on  allait  d'Au- 
vergne en  pèlerinage  à  Lunegarde  ».  Ce  marchand  s'appelait  Andrieu  et  était  âgé  de  plus  de 
soixante  ans.  Ce  témoignage  est  antérieur  à  1850.  J'atteste,  dit  en  terminant  M.  l'abbé  Raras,  la 
vérité  des  témoignages  ci-dessus. 

Cf.  La  Bible  sans  la  Bible,  2  gr.v.  in-8o,  2e  éd.,  Bar-le-Duc,  1871-72. 

1.  Caniacum  et  non  Camiacum,  comme  on  l'a  imprimé  par  erreur  dans  la  légende  du  Propre  de 
Cahors. 


SAINT   ALEXANDRE,    PAPE,    ETC. 


SAINT  ALEXANDRE,  PAPE, 

S.  ÉVENCE,  S.  THÉODULE,  PRETEES,  StB  BALBINE,   S.  QUIRIN, 
St8  THÉODORA,  S.  HERMÈS,  MARTYRS 

108-117.  —  Empereurs  :  Trajan;  Adrien, 


Votre  tristesse  sera  changée  en  Joie.  —  Le  monde  se  ré- 
jouira pendant  que  vous  vous  serez  attristés,  mais 
votre  tristesse  sera  changée  en  joie. 

Comm.  des  Martyrs  au  temps  pascal. 

Saint  Alexandre  avait  trente  ans  lorsque  l'élection  le  porta  sur  le  Saint- 
Siège  pour  gouverner  l'empire  des  âmes.  Il  était  né  à  Rome  dans  la 
région  palatine,  au  quartier  dit  la  Tête  de  Taureau  *,  ainsi  nommée  d'un 
taureau  de  bronze  érigé  pour  perpétuer  le  souvenir  de  la  victoire  de  Marius 
sur  les  Teutons  ;  son  père  s'appelait  comme  lui,  Alexandre. 

Les  conversions  merveilleuses  qu'il  opéra,  surtout  dans  les  rangs  élevés 
de  la  société,  attirèrent  sur  lui  l'attention  des  persécuteurs  ;  mais  laissons 
parler  les  Actes  : 

«  Alexandre,  qui  siégea  le  sixième  sur  la  chaire  du  bienheureux  Pierre, 
apôtre,  était  un  homme  d'une  sainteté  incomparable  ;  jeune  d'années,  il 
était  vieux  par  la  foi.  La  grâce  divine  lui  concilia  tellement  l'affection  de  la 
ville  de  Rome,  qu'il  convertit  à  Jésus-Christ  un  grand  nombre  de  sénateurs. 
Une  de  ses  premières  conquêtes  fut  le  préfet  de  Rome,  Hermès,  qu'il  bap- 
tisa avec  sa  femme,  sa  sœur,  sainte  Théodora  et  ses  fils,  et  douze  cent  cin- 
quante esclaves  qui  leur  appartenaient,  en  un  seul  jour  de  Pâques.  Avant 
de  recevoir  l'eau  régénératrice,  Hermès  leur  rendit  à  tous  la  liberté  ;  ils 
continuèrent  à  servir  libres  celui  qu'ils  avaient  servi  esclaves  ;  Hermès  leur 
distribua  tous  ses  biens.  Cependant  l'empereur  Trajan  venait  d'envoyer  à 
Rome  le  chef  de  sa  milice,  Aurélianus,  avec  ordre  de  mettre  à  mort  tous 
les  chrétiens.  Dès  son  arrivée,  les  prêtres  païens  vinrent  lui  dénoncer  le  fait  ; 
Hermès  et  le  pape  Alexandre  furent  jetés  dans  un  cachot.  Sur  leur  passage, 
la  foule,  soulevée  par  les  pontifes  idolâtres,  poussait  des  cris  de  mort  : 
Qu'on  les  brûle  vifs  !  disait-elle.  Ce  sont  eux  qui  rendent  nos  temples  dé- 
serts et  qui  ont  détourné  des  millions  d'hommes  du  culte  des  dieux  !  —  Le 
préfet  de  la  ville,  Hermès,  fut  remis  à  la  garde  du  tribun  Quirinus.  Com- 
ment, lui  disait  ce  soldat,  un  patricien  tel  que  vous,  un  lieutenant  de  l'em- 
pereur, avez-vous  pu  perdre  à  plaisir  un  poste  éminent,  pour  l'échanger 
contre  des  chaînes  réservées  aux  plus  vils  criminels  ?  —  Hermès  lui  répon- 
dit :  Je  n'ai  pas  perdu  ma  préfecture,  je  n'ai  fait  que  la  déplacer.  Une  di- 
gnité terrestre  est  soumise  à  toutes  les  vicissitudes  de  la  terre  ;  une  dignité 
céleste  est  éternelle  comme  Dieu  même.  —  Quoi  !  s'écria  le  tribun,  avec 
la  sagesse  que  nous  admirons  en  vous,  vous  avez  pu  vous  laisser  séduire  par 
une  doctrine  si  insensée  !  Vous  croyez  qu'il  reste  quelque  chose  de  nous 

l.  Capnt  Tanri. 

Vies  des  Saints.  —  Tome  V.  19 


290  3  mai. 

après  cette  vie,  quand  notre  corps  est  réduit  en  cendres  qu'il  suffit  d'un 
souffle  pour  disperser?  —  Moi  aussi,  dit  Hermès,  il  y  a  quelques  années,  je 
riais  d'une  telle  espérance  et  n'estimais  que  cette  vie  mortelle.  —  Mais,  re- 
prit Quirinus,  qui  donc  a  pu  vous  faire  changer  de  sentiment?  quelles 
preuves  avez-vous  eues  pour  croire?  faites-les-moi  connaître  ;  je  croirai 
peut-être  à  mon  tour.  —  Hermès  répondit  :  Tu  as  en  ce  moment  sous  ta 
garde  le  prisonnier  qui  m'a  convaincu  ;  c'est  Alexandre.  —  A  ces  mots, 
Quirinus  éclata  en  malédictions  contre  Alexandre,  et  s'écria  :  Mon  cher 
maître,  illustre  Hermès,  je  vous  en  conjure,  rentrez  dans  votre  grade  ;  re- 
venez à  vous-même;  votre  patrimoine,  votre  famille,  toute  votre  maison 
vous  seront  rendus.  Alexandre  n'est  qu'un  imposteur  ;  Aurélianus  m'a 
chargé  de  vous  dire  que,  si  vous  consentiez  à  sacrifier  aux  dieux,  rien  n'est 
perdu  pour  vous.  Je  vous  demandais  quelles  preuves  avaient  déterminé  votre 
résolution,  et  vous  me  nommez  un  misérable  magicien,  un  scélérat  que  j'ai 
fait  jeter  dans  une  basse  fosse  !  Est-il  bien  vrai  que  vous  ayez  pu  être  séduit 
par  cet  artisan  de  crimes  ?  Mais  un  paysan  serait  à  peine  le  jouet  d'un  pareil 
Samardachus  l  qui  bientôt  sera  brûlé  vif  1  S'il  était  si  puissant,  que  ne  se 
délivre-t-il  lui-même,  et  vous  avec  lui  ?  —  Les  Juifs,  reprit  Hermès,  ont  dit 
la  même  parole  à  Jésus-Christ,  mon  maître,  quand  il  fut  sur  la  croix  :  Qu'il 
descende,  disaient-ils,  et  nous  croirons  en  lui  !  Or,  si  Jésus-Christ  n'avait 
pas  eu  horreur  de  leur  perfidie  et  s'il  n'avait  pas  connu  clairement  leur 
mauvaise  foi,  il  serait  réellement  descendu  de  la  croix  en  leur  présence,  et 
leur  serait  apparu  dans  toute  sa  majesté.  —  Eh  bien  !  dit  Quirinus,  s'il  en 
est  ainsi,  je  vais  à  votre  Alexandre,  je  lui  dirai  :  Veux-tu  que  je  croie  à  ton 
Dieu  ?  Je  vais  faire  tripler  le  nombre  de  tes  chaînes  ;  trouve-toi  alors  à 
l'heure  du  souper  dans  la  cellule  d'Hermès.  Si  je  vois  un  tel  miracle,  je 
croirai.  —  Le  tribun  se  rendit  dans  le  cachot  d'Alexandre,  lui  fit  cette  pro- 
position, et,  après  avoir  doublé  les  gardes  à  sa  porte,  le  laissa.  Alexandre  se 
mit  en  prières  :  Mon  Seigneup  et  mon  Dieu  !  vous  qui  m'avez  fait  asseoir 
sur  le  siège  de  Pierre,  votre  apôtre,  vous  m'êtes  témoin  que  je  ne  veux 
point  me  soustraire  à  la  passion  et  à  la  mort  qui  m'attendent.  Accordez- 
moi  seulement  de  me  conduire  ce  soir  à  votre  serviteur  Hermès,  et  faites 
que  demain  matin  je  sois  de  retour  dans  ce  cachot.  —  Or,  à  l'entrée  de  la 
nuit,  un  enfant,  tenant  une  torche  allumée,  apparut  au  prisonnier,  le  prit 
par  la  main,  ouvrit  la  fenêtre  scellée  et  le  conduisit  à  la  cellule  d'Hermès  ; 
les  deux  Martyrs,  miraculeusement  réunis,  se  mirent  en  prières,  et  Quiri- 
nus, apportant  le  repas  du  soir,  les  trouva  dans  cette  attitude.  Sa  stupeur, 
son  effroi,  ne  lui  permirent  pas  d'articuler  une  parole  ;  il  paraissait  fou- 
droyé. Tu  as  voulu  un  miracle  pour  croire,  lui  dirent-ils  ;  tu  vois  le  mira- 
cle. Crois  donc  à  Jésus-Christ,  Fils  de  Dieu,  qui  exauce  ses  serviteurs,  et 
qui  a  promis  de  leur  accorder  tout  ce  qu'ils  lui  demandent.  Quirinus  avait 
eu  le  temps  de  reprendre  ses  esprits.  C'est  peut-être  là,  répondit-il,  un  des 
prestiges  de  votre  magie  ?  —  Quoi  !  dit  Hermès,  est-ce  donc  par  notre  vo- 
lonté que  nous  aurions  pu  briser,  sans  laisser  de  traces,  les  portes  de  ton 
cachot?  Tu  as  triplé  tes  gardes,  et  cependant  nous  voici  ensemble.  Crois 
donc  enfin  ;  il  n'y  a  pas  d'autre  magie  que  la  puissance  de  Jésus-Christ,  ce 
Dieu  qui  rendait  la  vue  aux  aveugles,  guérissait  les  lépreux  et  ressuscitait 
les  morts  !  —  Le  tribun  se  sentait  ému  :  J'ai,  dit-il,  Balbina,  ma  fille,  que  je 
comptais  marier  bientôt.  Il  lui  est  survenu  un  goitre  au  cou  ;  guérissez-la 
et  je  croirai  en  Jésus-Christ.  —  Alexandre  lui  dit  :  Détache  cette  chaîne  de 

1.  Ce  terme  de  mépris,  usité  dans  le  langage  vulgaire  de  cette  époque,  représente  assez  bien  notre 
expression  de  charlatan. 


SAINT   ALEXANDRE,   PAPE,   ETC.  291 

fer  qui  lie  mon  cou,  fais-la  toucher  à  ta  fille,  et  elle  sera  guérie.  —  Quiri- 
nus  hésitait,  il  ne  savait  s'il  voulait  laisser  les  deux  captifs  réunis.  Referme 
la  porte  de  la  cellule,  à  la  manière  accoutumée,  lui  dit  le  Pontife  ;  demain 
matin  je  serai  dans  mon  cachot.  —  En  effet,  le  lendemain,  à  la  première 
heure  du  jour,  Quirinus  ouvrit  la  porte  du  cachot  d'Alexandre.  Le  geôlier 
n'était  pas  seul,  Balbina,  sa  fille,  miraculeusement  guérie,  l'accompagnait  ; 
il  se  prosterna  aux  pieds  du  saint  Martyr,  et,  fondant  en  larmes,  il  dit  : 
Seigneur,  je  vous  en  conjure,  intercédez  pour  moi  le  Dieu  dont  vous  êtes 
l'évêque,  afin  qu'il  me  pardonne  mon  incrédulité  passée  ;  voici  ma  fille, 
votre  servante,  j'ai  fait  ce  que  vous  m'avez  dit,  elle  est  guérie  \  ». 

Quirinus  était  converti.  Alexandre  lui  demanda  :  Combien  y  a-t-il  de 
captifs  dans  cette  prison  ?  —  Environ  une  vingtaine,  répondit  le  tribun.  — 
Informe-toi  s'il  en  est  quelques-uns,  parmi  eux,  qui  aient  été  incarcérés 
pour  le  nom  du  Christ.  —  Quirinus  fit  cette  enquête  et  revint  bientôt  dire 
au  Pontife  :  Il  y  a  un  prêtre  âgé  nommé  Eventius,  et  un  autre  venu  d'Orient, 
nommé  Théodulus.  —  Va,  lui  dit  Alexandre,  et  amène-les-moi.  —  Le  tri- 
bun ne  se  contenta  pas  d'amener  à  Alexandre  les  deux  prêtres  ;  il  réunit 
autour  du  saint  Pontife  tous  les  autres  prisonniers  :  Ceux-ci,  dit-il,  sont  des 
voleurs,  des  adultères,  des  assassins,  tous  chargés  de  crimes.  —  Cest  pour 
les  pécheurs,  dit  Alexandre,  que  Jésus-Christ,  Notre-Seigneur,  est  descendu 
du  ciel,  il  nous  appelle  tous  à  la  pénitence  et  au  pardon.  —  Commençant 
alors  à  les  instruire,  il  leur  parla  avec  tant  de  force  et  d'efficacité,  que,  tou- 
chés de  ses  paroles,  ils  demandèrent  le  baptême.  Alexandre  chargea  les 
prêtres  Eventius  et  Théodulus  de  les  recevoir  au  nombre  des  catéchumènes 
et  de  continuer  leur  instruction.  Bientôt  Quirinus,  Balbina,  sa  fille,  tous  les 
membres  de  sa  maison  et  tous  les  captifs,  reçurent  le  baptême  ;  la  prison 
fut  changée  en  une  église.  Le  greffier,  commentariensis,  dénonça  à  Aurélia- 
nus  tout  ce  qui  venait  de  se  passer.  Ce  lieutenant  impérial  fit  appeler  Qui- 
rinus :  Je  te  voulais  du  bien,  lui  dit-il,  tu  m'as  indignement  trompé  ;  te 
voilà  la  dupe  de  cet  Alexandre  !  —  Je  suis  chrétien,  répondit  Quirinus.  Vous 
pouvez  me  flageller,  me  trancher  la  tête,  me  jeter  aux  flammes,  je  ne  serai 
jamais  autre  chose  !  Tous  les  prisonniers  qui  étaient  sous  ma  garde  sont 
chrétiens  comme  moi.  J'ai  supplié  le  pontife  Alexandre  et  le  patricien  Her- 
mès de  quitter  leur  cachot,  je  leur  en  ai  ouvert  les  portes,  ils  s'y  sont  refu- 
sés ;  ils  aspirent  à  la  mort  comme  un  affamé  à  un  festin  ;  maintenant,  faites 
de  moi  ce  que  vous  voudrez.  —  Insolent  !  dit  le  magistrat  romain,  je  vais  te 
faire  couper  la  langue  et  t'appliquer  à  la  torture.  —  Quirinus  eut  en  effet  la 
langue  coupée,  et  fut  étendu  sur  le  chevalet  ;  après  ce  supplice,  on  lui 
coupa  successivement  les  mains  et  les  pieds  ;  enfin  Aurélianus  donna  l'ordre 
de  le  décapiter  et  fit  jeter  son  corps  aux  chiens.  Durant  la  nuit,  les  frères 
enlevèrent  secrètement  ces  précieux  restes  et  les  ensevelirent  dans  le  cime- 
tière de  Prétextât,  sur  la  voie  Appienne.  Balbina,  fille  de  Quirinus,  consacra 
sa  virginité  au  Seigneur.  Un  jour,  Alexandre  la  vit  baiser  respectueusement 
la  chaîne  de  fer  qui  l'avait  miraculeusement  guérie  :  Cessez,  lui  dit-il,  de 
baiser  cette  chaîne.  Cherchez  plutôt  les  fers  que  le  bienheureux  Pierre  a 
portés,  vous  pourrez  leur  prodiguer  vos  hommages.  —  La  vierge  n'oublia 
pas  cette  recommandation  du  Martyr.  Après  de  longues  et  pénibles  recher- 
ches, elle  découvrit  enfin  les  chaînes  de  l'Apôtre  et  les  légua  depuis  à  la  pa- 
tricienne Théodora,  sœur  d'Hermès.  Celui-ci  eut  la  tête  tranchée  par  ordre 
d' Aurélianus.  Théodora  recueillit  ses  restes  et  les  ensevelit  dans  la  cata- 

1.  Bolland.,  Acta  Sanct,,  Alexandri,  papce,  c.  1-3. 


292  3  MAI. 

combe  de  l'ancienne  voie  Salaria1,  près  de  Rome,  le  5  des  calendes  de  sep- 
tembre. Aurélianus  fit  saisir  tous  les  prisonniers  baptisés  par  Alexandre  ;  on 
les  embarqua  sur  un  navire  désemparé,  qui  fut  coulé  en  pleine  mer1». 

Aurélianus  s'était  réservé  Alexandre,  et  les  deux  prêtres  Eventius  et 
Théodulus,  pour  les  interroger  avec  plus  de  soin.  «  Je  veux  »,  dit-il  au  pon- 
tife, «  apprendre  de  ta  boucbe  tout  le  mystère  de  votre  secte.  Explique-moi 
comment,  au  nom  de  je  ne  sais  quel  Christ,  vous  courez  au-devant  des  chaî- 
nes et  de  la  mort.  —  Ce  que  vous  me  demandez,  répondit  Alexandre,  est  le 
secret  des  Saints.  Et  il  nous  a  été  dit  :  «  Ne  livrez  pas  les  saints  mystères 
aux  chiens  ».  —  Je  suis  donc  un  chien  1  s'écria  Aurélianus.  —  Hélas  !  reprit 
Alexandre,  le  chien  meurt  tout  entier  ;  il  n'a  point  de  compte  à  rendre 
après  la  vie  ;  il  n'a  point  d'âme  immortelle  qui  puisse  être  condamnée  à  une 
éternité  de  souffrances.  Mais  l'homme,  formé  à  l'image  de  Dieu,  se  doit  aux 
obligations  qu'un  tel  privilège  lui  impose  ;  des  supplices  éternels  sont  ré- 
servés à  ses  crimes.  Dignitaire  de  l'empire,  vous  puniriez  un  audacieux  qui 
aurait  outragé,  dans  une  de  vos  statues,  la  majesté  du  fonctionnaire  public. 
Cependant,  mortel  vous-même,  les  châtiments  que  vous  infligez  ne  sauraient 
dépasser  la  mort  temporelle.  Mais  Dieu  est  éternel,  ses  sentences  ont  l'é- 
ternité pour  sanction  et  pour  durée.  —  Ce  n'est  point  là  répondre,  dit  Au- 
rélianus. Je  t'ai  nettement  interrogé.  Parle,  ou  je  vais  te  livrer  aux  fouets 
des  licteurs.  —  Quoi  !  dit  Alexandre,  vous  prétendez  m'arracher,  par  des 
menaces,  la  révélation  de  nos  mystères  !  C'est  à  moi  que  vous  tenez  un  pa- 
reil langage  !  Mais,  en  dehors  de  mon  Roi  qui  est  aux  cieux,  nulle  puissance 
ne  saurait  me  faire  trembler.  Sachez  que  les  chrétiens  subissent  toutes  les 
tortures,  sans  prononcer  une  seule  parole  qui  puisse  trahir  le  secret  de  leur 
foi.  Ils  le  livrent  pourtant  tout  entier  à  la  docilité  des  humbles  disciples.  — 
Aurélianus  crut  devoir  faire  intervenir  la  toute-puissance  impériale,  dont  il 
était  le  représentant.  Trêve  de  subterfuges  !  dit-il.  Tu  n'es  point  devant  un 
juge  ordinaire.  Je  suis  le  délégué  de  Trajan,  le  maître  du  monde.  —  Prenez 
garde,  dit  Alexandre.  La  toute-puissance,  dont  vous  vous  faites  gloire,  sera 
bientôt  réduite  à  néant». —  La  prophétie  du  saint  Pape  devait  se  réaliser 
bientôt  par  la  mort  imprévue  d' Aurélianus  et  de  l'empereur  lui-même  ;  mais 
en  ce  moment  elle  exaspéra  le  fonctionnaire.  «  Misérable  1  s'écria-t-il.  J'ai 
trop  tardé  à  sévir.  Tu  vas  expirer  dans  les  tourments.  —  Qu'importe  !  ré- 
pondit Alexandre.  Ne  sait-on  pas  que  tel  est  le  sort  que  vous  réservez  à  l'in- 
nocence? Vous  n'accordez  la  vie  qu'à  ceux  qui  abjurent  le  nom  de  Jésus- 
Christ,  mon  Dieu.  Or,  je  n'aurai  point  cette  lâcheté.  Il  me  faut  donc  périr 
par  vos  mains.  Je  mourrai,  comme  Hermès,  ce  patricien  que  le  martyre  a 
mis  véritablement  au  rang  des  clarissimes.  Je  mourrai,  comme  Quirinus,  ce 
vrai  tribun  du  Christ,  et  comme  ces  glorieux  régénérés  qui  viennent  de 
monter  aux  cieux  !  —  Voilà  précisément  ce  que  je  te  demande,  dit  Aurélia- 
nus. Pourquoi,  vous  autres  chrétiens,  préférez-vous  la  mort  à  toutes  les 
offres  que  je  puis  vous  faire  ?  —  J'ai  déjà  répondu,  dit  Alexandre  :  Non  licet 
sanctum  dare  canibus.  —  Encore  cette  injure  !  s'écria  Aurélianus.  Assez 
de  vaines  paroles  !  Licteurs,  faites  votre  office  !  —  Alexandre  fut  étendu  sur 
le  chevalet  ;  on  lui  déchira  les  flancs  avec  des  ongles  de  fer,  et  on  avivait 
les  plaies  saignantes  avec  des  torches  enflammées.  Le  Martyr  souriait,  en 
priant.  —  Insensé,  lui  dit  le  magistrat.  Tu  n'as  pas  quarante  ans  I  Pourquoi 

1.  On  sait  qu'il  y  avait  deux  voies  Salaria,  distinguées  l'une  de  l'autre  par  les  expressions  vêtus  et 
no>m.  (Voir  la  savante  nomenclature  des  catacombes,  dressée  selon  l'ordre  des  voies  romaines,  par  M.  Edni. 
de  l'Hervilliers  :  A  travers  les  catacombes  de  Rome,  p.  5-7.) 

2.  kct.  S.  Alex.,  cap,  3. 


SAINT  ALEXANDRE,   PAPE,   ETC.  293 

perdre  à  plaisir  ton  existence  ?  —  Plût  à  Dieu,  dit  le  Martyr,  que  vous  ne 
perdiez  pas  vous-même  votre  âme  immortelle  !  —  En  ce  moment  la  femme 
d'Aurélianuslui  envoya  dire  :  Mettez  Alexandre  en  liberté.  C'est  un  Saint.  Si 
vous  persistez  à  le  torturer,  la  vengeance  divine  éclatera  sur  vous,  et  j'aurai  le 
malheur  de  vous  perdre.  —  Alexandre  est  jeune  !  répondit  Aurélianus.  De- 
mandez à  ma  femme  si  telle  n'est  pas  la  raison  du  tendre  intérêt  qu'elle  lui 
porte  ».  —  En  réalité,  la  femme  d'Aurélianus  était  chrétienne,  et  son  mari 
l'ignorait.  «  Quand  le  Pontife,  épuisé  par  la  perte  de  son  sang,  fut  descendu 
du  chevalet,  on  amena  Eventius  et  Théodulus.  Aurélianus  s'adressa  à 
Alexandre  :  Dis-moi,  lui  demanda-t-il,  qui  sont  ceux-ci  ?  —  Ce  sont  deux 
Saints,  deux  prêtres,  répondit  Alexandre.  —  Comment  te  nommes-tu,  dit 
le  magistrat  à  Eventius  ?  —  Mon  nom  parmi  les  hommes  est  Eventius,  re- 
prit le  prêtre.  Mais  je  suis  chrétien,  et  tel  est  mon  nom  spirituel.  —  Depuis 
quand  es-tu  chrétien  ?  ajouta  Aurélianus.  —  Depuis  soixante-dix  ans.  J'ai 
été  baptisé  à  l'âge  de  onze  ans  ;  à  vingt  ans  je  fus  ordonné  prêtre.  J'ai  main- 
tenant quatre-vingt-un  ans.  Cette  dernière  année  de  ma  vie  a  été  la  plus 
heureuse  pour  moi,  car  je  l'ai  passée  dans  un  cachot,  pour  le  nom  de  mon 
Dieu  !  —  Prends  pitié  de  ta  vieillesse,  dit  Aurélianus.  Abjure  le  Christ  ;  j'ho- 
norerai tes  cheveux  blancs,  tu  seras  l'ami  de  l'empereur,  et  je  te  comblerai 
de  richesses.  —  Eventius  répondit  :  Je  vous  croyais  quelque  sagesse,  mais 
votre  cœur  est  aveuglé  ;  il  refuse  de  s'ouvrir  à  la  lumière  divine.  Cependant 
il  est  temps  encore  ;  embrassez  la  foi  véritable  ;  croyez  en  Jésus-Christ,  fils 
du  Dieu  vivant,  et  il  vous  sera  fait  miséricorde.  —  Le  magistrat  fit  éloigner 
Eventius,  sans  lui  répondre.  Théodulus  reçut  l'ordre  d'approcher  du  tribu- 
nal. Et  toi  aussi,  dit-il,  voudras-tu  compter  pour  rien  les  ordres  que  je  te 
donne  au  nom  de  l'empereur  ?  —  Ni  vous,  ni  vos  ordres,  ne  sauriez  m'ef- 
frayer  !  s'écria  Théodulus.  Qui  êtes-vous,  vous  qui  torturez  les  Saints  de 
Dieu  ?  Qu'a  fait  Alexandre,  le  saint  pontife,  pour  mériter  les  supplices  que 
vous  lui  avez  infligés  ?  —  Espères-tu  donc  y  échapper  toi-même  ?  demanda 
Aurélianus.  —  A  Dieu  ne  plaise,  s'écria  Théodulus.  Jésus-Christ  ne  me  refu- 
sera pas  la  grâce  d'être  associé  à  ses  martyrs  !  »  —  Cette  parole  fit  naître 
dans  l'âme  d'Aurélianus  une  pensée  qu'il  crut  merveilleuse.  Il  donna  l'ordre 
d'attacher  dos  à  dos  Alexandre  et  Eventius,  et  les  fit  jeter  tous  deux  dans 
une  fournaise  ardente.  Quant  à  Théodulus,  il  voulut  qu'on  le  tînt  près  du 
four  embrasé,  pour  y  être  témoin  de  leur  supplice,  mais  sans  le  partager. 
Cependant  le  miracle  des  compagnons  de  Daniel  se  renouvela  en  ce  mo- 
ment. «  Du  milieu  des  flammes,  Alexandre  s'écria  :  Théodulus,  mon  frère, 
viens  à  nous  !  L'ange  qui  apparut  aux  trois  jeunes  Hébreux  est  ici  à  nos  cô- 
tés, il  te  garde  une  place  !  —  A  ces  mots,  Théodulus,  échappant  aux  soldats, 
se  précipita  dans  la  fournaise.  On  entendait  les  trois  Martyrs,  libres  dans  les 
flammes,  chanter  la  parole  du  Psaume  :  «  Seigneur,  vous  nous  avez  éprou- 
vés par  le  feu,  et  il  ne  s'est  trouvé  en  nous  aucune  iniquité  !  »  —  Aurélianus, 
furieux  de  ce  prodige  qu'il  attribuait  à  un  pouvoir  magique,  les  fit  retirer 
de  la  fournaise.  Eventius  et  Théodulus  eurent  la  tête  tranchée.  Alexandre, 
réservé  à  un  supplice  plus  douloureux,  eut  tout  le  corps  percé  lentement 
par  des  pointes  d'acier,  jusqu'à  ce  qu'il  rendît  l'âme.  Aurélianus  insultait  à 
leurs  cadavres,  quand  il  entendit  une  voix  du  ciel  qui  lui  disait  :  Ces  morts, 
que  tu  outrages,  sont  maintenant  dans  un  lieu  d'éternelles  délices,  mais  toi 
tu  vas  descendre  en  enfer  !  —  Saisi  d'horreur,  le  magistrat  rentra  dans  son 
palais,  tremblant  de  tous  ses  membres.  Il  appela  Severina,  sa  femme.  J'ai 
cru  voir,  lui  dit-il,  un  jeune  homme  au  visage  étincelant;  il  a  jeté  à  mes 
pieds  comme  une  épée  flamboyante,  et  m'a  dit  :  Aurélianus,  tu  vas  mainte- 


294  3  mai. 

nant  recevoir  ta  récompense  !  —  Un  tremblement  nerveux  s'est  emparé  de 
moi.  La  fièvre  me  dévore.  Que  faire  ?  Invoque  ton  Dieu  pour  moi  ;  prie-le 
de  me  faire  miséricorde.  —  Severina  répondit  :  J'irai  moi-même  ensevelir 
les  saints  Martyrs,  ils  intercéderont  pour  nous.  —  Elle  alla  donc,  et  dans 
un  de  ses  domaines,  au  septième  milliaire  de  Rome,  sur  la  via  Nomentana  ; 
elle  déposa  de  ses  mains  Eventius  et  Alexandre  dans  le  même  tombeau. 
Théodulus  fut  enseveli  seul,  dans  un  sépulcre  à  part.  Les  prêtres  de  Rome 
et  tous  les  fidèles  avaient  accompagné  les  corps  des  Martyrs.  Ils  demeurè- 
rent réunis,  pendant  que  Severina  revint  en  toute  hâte  près  de  son  époux. 
Aurélianus  était  en  proie  au  plus  violent  délire  ;  une  fièvre  ardente  le  con- 
sumait ;  des  paroles  incohérentes  sortaient  de  ses  lèvres  ;  parfois  cependant 
il  lui  échappait  des  imprécations  contre  lui-même;  il  se  reprochait  son 
crime.  —  Infortuné,  dit  Severina,  vous  avez  méprisé  mes  conseils  !  La  main 
de  Dieu  s'appesantit  sur  vous  !  —  Bientôt  Aurélianus  expira  dans  des  con- 
vulsions atroces.  Severina  se  revêtit  d'un  cilice  ;  elle  vint  se  prosterner  sur 
la  tombe  des  Martyrs,  et  ne  voulut  plus  quitter  ce  lieu.  Plus  tard,  lorsque 
le  pontife  Sixte  fut  arrivé  d'Orient,  elle  obtint  qu'un  évêque  y  célébrerait 
chaque  jour  les  saints  mystères.  Voilà  pourquoi  un  prêtre  est  demeuré  jus- 
qu'à ce  jour  attaché  à  cet  oratoire.  Or,  le  martyre  des  saints  Alexandre, 
Eventius  et  Théodulus ,  eut  lieu  le  cinq  des  nones  de  mai  (3  mai  117). 
Gloire  à  Dieu  dans  les  siècles  des  siècles.  Amen 1  !  » 

Tels  sont  les  Actes  de  saint  Alexandre  qui  ont  été  retrouvés  au  xvra6  siè- 
cle dans  un  manuscrit  de  la  bibliothèque  du  Vatican  :  ce  sont  les  premiers 
d'un  Pape  qui  aient  échappé  à  l'incendie  des  archives  chrétiennes  ordonné 
par  Dèce  et  Dioclétien.  Les  détails  qu'ils  renferment  sont  merveilleusement 
confirmés  par  la  découverte  du  tombeau  de  saint  Alexandre  et  de  saint 
Evence,  qui  a  été  faite  à  Rome,  sur  la  même  voie  de  Nomente,  en  1844,  1860 
et  1864 2. 

On  représente  saint  Alexandre  Ier  percé  d'aleines  ou  de  clous  qui  sont 
enfoncés  dans  la  poitrine. 

Suivons  maintenant  jusqu'au  terme  de  leur  carrière  glorieuse  les  autres 
personnages  que  nous  avons  vu  figurer  dans  le  drame  émouvant  des  Actes 
du  saint  Pontife. 

Sainte  Balbine,  la  fille  spirituelle  d'Alexandre,  après  avoir  passé  le  reste 
de  sa  vie  comme  un  ange,  employant  ses  biens  à  la  nourriture  des  pauvres 
chrétiens,  remit  son  âme  à  l'Epoux  des  vierges  en  l'année  169,  le  31  mars, 
jour  auquel  le  Martyrologe  romain  lui  fait  l'honneur  de  la  mentionner. 
Son  corps  virgisal  fut  enseveli  près  des  restes  du  Martyr,  son  père,  sur 
la  voie  Appienne. 

On  représente  sainte  Balbine  :  prenant  en  main  les  chaînes  du  pape 
saint  Alexandre  ;  ou  bien,  le  Pape  lui  met  ses  chaînes  sur  le  cou,  à  côté 
de  saint  Quirin,  son  père.  On  l'invoque  contre  les  écrouelles,  dont  saint 
Alexandre  la  guérit  miraculeusement. 

On  représente  saint  Quirin  avec  un  bras  coupé  ;  —  on  lui  donne  quelque- 
fois un  cheval  et  une  armure,  sans  doute  pour  rappeler  sa  qualité  de  chevalier 
romain  ou  de  tribun  militaire  ;  —  un  faucon  refuse  de  toucher  à  sa  langue, 
qu'on  lui  jette  en  aliment  ;  et  des  chiens,  à  ses  membres,  qu'on  leur  donne  à 
dévorer.  Un  ancien  tableau  qui  se  trouvait  autrefois  dans  le  chœur  des  chanoi- 
nesses  nobles  de  saint  Quirin  à  Nuyss  rappelait  l'épisode  de  la  langue  offerte 
au  faucon.  Un  auteur  ajoute  mpme  le  curieux  détail  que  voici  :  On  recou- 

1.  Act.  S.  Alex.,  cap.  4;  Bolland.,  3  maii. 
t.  Cf.  Darras,  Histoire  de  l'Eglise,  vu. 


SAINT  ALEXANDRE,   PAPE,  ETC.  295 

rait  à  saint  Quirin  pour  la  guérison  des  fistules,  scrofules,  appelées  grâces  de 
saint  Quirin.  Les  maîtres  de  saint  Quirin,  c'est-à-dire  les  infirmiers  chargés 
de  soigner  les  malades  qui  venaient  à  Nuyss  chercher  leur  guérison,  ne  pou- 
vaient manger  des  œufs  et  de  la  volaille  tant  que  durait  le  traitement.  Un 
autre  tableau  représentait  le  martyr  traîné  au  supplice  par  dix  chevaux  :  ces 
animaux  gagnèrent  à  cela  d'être  souvent  délivrés  de  la  morve  par  «  le  be- 
noît saint  ». 

Saint  Quirin  est  particulièrement  honoré  à  Cologne  où  il  y  avait  de  ses 
reliques  dans  l'église  de  Saint-Pantaléon,  dans  celle  de  Saint-Alban  et  dans 
cinq  autres  ;  à  Zulpich,  à  Mayence,  à  Paris,  près  de  Louvain,  à  Lille,  à 
Tongres,  à  Floresse,  à  Bruxelles,  à  Nuyss,  à  Corregio  et  dans  la  Lorraine, 
etc.  On  l'invoque,  en  outre,  contre  la  paralysie,  les  maux  de  jambes,  et  en 
Brabant,  contre  les  maux  d'oreilles. 

Dans  un  abrégé  de  la  vie  et  du  martyre  de  saint  Quirin,  publiée  en 
1847  *,  on  trouve  sur  les  reliques  de  ce  bienheureux  et  sur  celles  de  sainte 
Balbine,  sa  fille,  d'intéressants  détails,  dont  voici  un  résumé  succinct.  Lg 
saint  pape  Léon  IX,  Brunon  de  Dachsbourg,  auparavant  évêque  de  Toul, 
vivement  sollicité  par  Pépa,  sa  sœur  ou  sa  mère,  qui  l'était  venue  visiter  à 
Rome,  consentit  à  lui  donner  les  corps  de  saint  Quirin  et  de  sainte  Balbine, 
dont  elle  souhaitait  enrichir  le  couvent  de  Nuyss,  non  loin  de  Cologne,  dont 
elle  était  abbesse.  Lors  de  son  retour,  arrivée  un  soir  à  quelque  distance  de 
Dachsbourg,  aujourd'hui  Dabo,  le  mulet  qui  portait  les  châsses  s'arrêta 
sans  plus  vouloir  avancer  ;  force  fut  de  déposer  avec  toute  la  décence  pos- 
sible le  vénérable  fardeau,  que  le  lendemain  on  ne  put  soulever,  malgré  de 
vigoureux  et  persévérants  efforts.  Pépa,  reconnaissant  à  tel  signe  que  Dieu 
avait  des  vues  de  miséricorde  pour  le  pajrs  où  elle  se  trouvait,  fit  élever  une 
chapelle  au  lieu  même  du  dépôt  et  y  laissa  les  corps  du  père  et  de  la  fille, 
dont  néanmoins  elle  emporta  les  chefs  à  Nuyss.  La  pieuse  abbesse  confia  la 
garde  de  la  chapelle  et  des  saintes  châsses  à  une  personne  dévouée  à  l'en- 
tretien du  nouveau  sanctuaire.  Après  la  mort  de  la  fidèle  gardienne,  l'abbé  de 
Marmoutiers,  en  Alsace,  la  remplaça  par  un  de  ses  religieux,  puis  ensuite  fit 
transporter  les  reliques  dans  son  abbaye.  Mais  les  populations  de  la  contrée, 
attribuant  à  cet  enlèvement  les  calamités  qui  vinrent  les  affliger,  adressè- 
rent de  vives  réclamations  au  comte  de  Dachsbourg  qui,  les  ayant  trans- 
mises en  y  joignant  les  siennes,  à  l'abbé  de  Marmoutiers,  obtint  la  restitu- 
tion des  châsses  protectrices.  De  son  côté,  l'abbé  représenta  au  comte  qu'il 
serait  plus  convenable  d'en  confier  la  garde  à  deux  ou  trois  religieux  qui 
serviraient  le  Seigneur  auprès  de  ces  insignes  reliques.  Le  comte  souscrivit 
au  désir  de  l'abbé  ;  il  bâtit  le  prieuré  de  Saint-Quirin  où  elles  furent  hono- 
rablement placées  et  autour  duquel  s'éleva  le  beau  village  qui  porte  son 
nom*.  Les  grâces  nombreuses  et  signalées,  obtenues  par  l'intercession  des 
deux  Martyrs,  ont  fait  de  cette  localité  le  but  d'un  pèlerinage  considérable 
qui  n'a  pas  discontinué. 

Une  parcelle  des  reliques  de  saint  Quirin  a  été  replacée  dans  la  chapelle 
primitive,  nommée  la  Chapelle  haute,  dans  laquelle  les  pèlerins  ne  manquent 
pas  d'aller  prier.  Il  en  existe  une  autre  dans  l'église  champêtre  de  Saint' 
Hilaire,  au  canton  de  Saint-Nicolas-de-Port 8. 

1.  Conversion  et  martyre  de  saint  Quirin  et  de  sainte  Balbine,  sa  fille,  etc.,  par  M.  Vagner,  ln-12  de 
60  pages,  Nancy,  1847. 

2.  Arrondissement  de  Sarrebourg  (Jleurthe). 

3.  Ces  détails  sur  le  culte  de  saint  Quirin,  en  Lorraine,  nous  ont  été  fournis  par  M.  l'abbé  Guillaume, 
aumônier  de  la  Chapelle  ducale,  à  Nuncy. 


296  3  mai. 

Nous  avons  déjà  vu  sainte  Théodora  rendre  les  devoirs  de  la  sépulture 
chrétienne  à  son  frère,  Hermès,  le  préfet  de  Rome,  converti.  Le  lieu  où  elle 
l'ensevelit  s'appelait  la  Rue  du  Sel.  Le  pape  Pelage  II  y  fit  ouvrir  plus  tard 
un  cimetière  qui  porta  le  nom  de  Saint-Hermès.  On  n'a  pas  de  détails  au- 
thentiques sur  le  reste  de  la  vie  de  sainte  Théodora.  On  sait  seulement 
qu'après  avoir  été  régénérée  dans  les  eaux  du  baptême,  elle  renonça  aux 
plaisirs  et  disposa  de  tous  ses  biens  en  faveur  des  pauvres.  Elle  fut  égale- 
ment mise  à  mort  pour  la  foi,  les  uns  disent  en  117,  les  autres  en  133; 
mais  si  c'est  en  133,  elle  ne  peut  avoir  été  condamnée  par  le  préfet  Auré- 
lien,  comme  le  disent  quelques  auteurs,  puisque  ce  bourreau  des  chrétiens 
alla  rendre  compte  à  Dieu  ,  peu  après  avoir  envoyé  au  supplice  saint 
Alexandre  et  l'illustre  phalange  de  ses  disciples. 

Le  culte  de  sainte  Théodora  est  mieux  établi  que  sa  vie.  Vers  le  milieu 
du  xvne  siècle,  les  religieuses  Ursulines  de  Caen,  désirant  enrichir  leur  cha- 
pelle de  quelques  reliques,  supplièrent  le  pape  Alexandre  VII,  de  leur  accor- 
der le  corps  d'un  martyr  et  d'une  vierge  martyre.  On  venait  précisément  de 
découvrir  les  cendres  sacrées  de  saint  Marin,  jeune  sénateur  romain,  de 
sainte  Théodora  et  de  saint  Hermès,  son  frère.  Sa  Sainteté,  condescendant  aux 
vœux  des  pieuses  filles  de  Sainte-Ursule,  leur  envoya  les  corps  des  deux  pre- 
miers :  la  réception  solennelle  en  fut  faite  à  Caen,  le  10  septembre  1656. 
Echappées  aux  recherches  des  révolutionnaires  de  93,  ces  saintes  reliques 
reçoivent  encore  de  nos  jours  les  hommages  des  chrétiens,  dans  la  chapelle 
des  religieuses  Ursulines  de  Caen.  Ce  saint  dépôt  ne  saurait  être  nulle  part 
mieux  placé  que  chez  ces  épouses  du  Christ,  dont  tous  les  efforts  tendent  à  se 
sanctifier  elles-mêmes  et  à  sanctifier  les  autres  en  formant  des  jeunes  filles 
pour  Dieu  et  la  famille. 

Les  Ursulines  de  Caen  célèbrent,  par  une  permission  spéciale,  la  fête  de 
sainte  Théodora  le  premier  dimanche  non  empêché  après  Pâques,  et  le  pre- 
mier dimanche  de  septembre,  elles  solennisent  la  fête  de  la  double  transla- 
tion des  reliques  de  saint  Marin  et  de  sainte  Théodora. 

ÉPITRES  ET  RÈGLEMENTS  DISCIPLINAIRES  DE  SAINT  ALEXANDRE. 

1°  Saint  Alexandre  eut  à  combattre  deux  sortes  d'hérétiques,  les  Doeètes  et  les  Héracléonites. 
Les  premiers  niaient  la  réalité  de  la  passion  du  Sauveur  :  c'est  contre  eux  qu'est  dirigé  son 
premier  règlement  écrit,  ordonnant  de  faire  mention  de  la  passion,  dans  le  saint  sacrifice,  par  ces 
mots  :  Qui  pridie  quam  pateretur  jusqu'à  la  consécration.  Comme  il  le  dit  lui-même,  c'était  la 
simple  confirmation  d'un  usage  traditionnel,  —  a  patribus  accepimus,  —  mais  de  peur  que  les 
hérétiques  n'arguassent  d'ignorance,  il  coupa  court  à  leurs  innovations  par  le  glaive  de  la  pa- 
role écrite. 

«  Dans  l'oblation  des  Sacrements  »,  dit-il,  «  qui  se  fait  à  la  solennité  de  la  messe,  il  convient 
de  faire  mémoire  de  la  passion  du  Seigneur...  L'oblation  du  sacrifice  doit  consister  uniquement 
dans  le  pain  et  le  vin  mêlé  d'eau.  Les  Pères  nous  ont  appris  que  le  calice  du  Seigneur  ne  doit 
point  être  rempli  de  vin  seul,  ni  d'eau  seule,  mais  du  mélange  de  l'un  et  de  l'autre.  La  raisoa 
en  est  facile  à  comprendre  :  c'est  que  du  cœur  ouvert  de  Jésus-Christ  s'échappèrent  à  la  fois  d> 
sang  et  de  l'eau...  » 

2°  Héracléon  dogmatisait  en  Sicile.  C'était,  en  moins  d'un  siècle,  le  dix-huitième  hérésiarque 
qui  s'en  prenait  à  l'œuvre  divine  de  Jésus-Christ.  Il  enseignait  que  le  baptême  conférait  une  grâce 
inamissible  :  on  voit  que  le  quiétisme  date  de  loin.  Les  évèques  de  Sicile  en  référèrent  au  Pape 
qui  eomposa  un  traité  contre  Héracléon,  et  envoya  un  saint  prêtre  nommé  Sabinianus  le  leur  porter. 
Sabinianus  eut,  avec  l'hérésiarque,  une  conférence  publique  dans  lequel  il  le  réduisit  au  silence. 
Cet  important  fait  historique  a  été  mis  en  lumière  par  l'érudition  non  suspecte  d'un  savant  français, 
le  Père  Sirmoud  *. 

3°  Décrétale  relative  à  l'eau  bénite,  instituant  l'usage  de  la  conserver  dans  les  maisons 
chrétiennes. 

1.  Cf.  Baluzii,  Nov.  col.  conc,  t.  ier,  p.  3,  et  Mansi,  Conc.  collect.,  t.  ie». 


LA  BIENHEUREUSE  EMILIE  BICCHIERI.  297 

On  a  fait  des  dissertations  à  perte  de  vue  sur  l'origine  de  l'eau  bénite  :  on  a  voulu  y  voir 
l'intention  de  sanctiâer  l'usage  païen  de  l'eau  lustrale  :  c'est  de  l'érudition  inutile,  car  si  l'on  avait 
lu,  en  France,  les  lettres  de  saint  Alexandre,  —  ses  décrétales  si  l'on  veut,  —  on  y  aurait  vu  que 
le  paganisme  n'a  rien  à  voir  dans  cette  question,  et  que  l'origine  de  l'eau  bénite  procède  directe- 
ment du  cérémonial  hébreu  transformé  par  les  Apôtres,  adapté  à  la  liturgie  de  ceux  qui  croient 
en  esprit  et  en  vérité.  «  Je  ne  suis  pas  venu  détruire  la  loi  »,  disait  le  Maître,  «  mais  la  compléter  ». 
Ses  disciples  se  ressouvenant  de  ce  précepte  du  Lévitique  (n,  13)  :  «  Dans  toute  oblation  au  Sei- 
gneur, tu  mêleras  du  sel  »,  en  ont  mêlé  à  l'eau.  Le  sel,  qui  était  chez  les  Juifs  le  symbole  de  la 
sagesse,  devenait,  pour  les  chrétiens,  le  symbole  de  Jésus-Christ  lui-même,  la  sagesse  incréée.  De 
plus,  les  premiers  chrétiens  n'avaient-ils  pas  appris  de  saint  Paul  à  étendre  les  mains  en  forme  de 
croix,  pour  prier,  et  à  les  purifier  par  une  ablution  préalable  ;  ce  que  nous  faisons  encore  aujour- 
d'hui en  entrant  dans  nos  églises  :  or,  où  est-il  question  d'eau  lustrale  dans  les  épitres  de  saint 
Paul  (I  Tim.,  n,  8  ;  Tertullien,  de  orat.,  cap.  2),  et  surtout  les  doctes  Annales  de  Baronius; 
Y  Histoire  de  l'Eglise,  par  M.  l'abbé  Darras,  t.  vu  ;  Acta  Sanctorum,  1. 1",  de  mai  ?  Le  Père  Giry 
avait  dit,  en  peu  de  mots,  la  même  chose  que  nous  :  preuve  que  la  prétendue  critique  moderne  n'avait 
pas  entraîné  toutes  les  convictions  en  attaquant,  de  parti  pris,  les  documents  primitifs. 

Les  décrétales  de  saint  Alexandre  Ier  se  trouvent  au  tome  v  de  la  Patrologie  grecque  de 
M.  Migne, 

Acta  Sanctorum,  3  mai;  Darras,  Eist.  de  l'Eglise,  t.  vu;  notes  locales. 


LA  BIENHEUREUSE  EMILIE  BICCHIERI, 

DU  TIERS  ORDRE  DE  SAINT -DOMINIQUE 
1314.  —  Pape  :  Clément  V.  —  Duc  de  Milan:  Matthieu  Ier,  Visconti. 

O  charmante  fleur  de  virginité,  qui  dès  vos  tendres 
années  ayez  Drille  dans  le  jardin  de  Dieu  à  l'égal 
d'un  lis;  vous  dont  l'âme  habitait  déjà  le  ciel, 
pendant  que  votre  corps  était  encore  enchaîné  a 
la  terre,  faites-moi  la  grâce  de  marcher  sur  vos 
saintes  traces. 

Vie  de  la  bienheureuse,  par  la   soeur   Mathilde. 
Apud  Boll. 

Emilie  naquit  le  3  mai  1238,  à  Verceil,  de  Pierre  Bicchieri  et  de  Alésia 
Borromée,  aussi  distingués  par  leur  naissance  que  par  leur  fortune.  Elle 
était  la  quatrième  de  sept  sœurs  que  Dieu  donna  à  ses  parents.  Toutes  se 
marièrent  avantageusement  :  seule  Emilie  devait  suivre  une  voie  qui  est 
d'ailleurs  celle  de  l'exception.  Dès  ses  jeunes  années  elle  se  montra  douée 
d'heureuses  qualités  que  développa  une  éducation  chrétienne.  Elle  se  dis- 
tingua de  bonne  heure  par  une  tendre  dévotion  à  l'égard  de  la  sainte 
Vierge,  et  sa  mère  étant  morte,  elle  pria  Marie  de  lui  servir  de  mère.  On  la 
vit  s'appliquer  dès  son  enfance  à  la  pratique  de  la  mortification  et  du 
silence.  Elle  parlait  peu  afin  d'avoir  plus  de  temps  à  consacrer  avec  Dieu.  A 
des  oraisons  fréquentes  elle  joignait  le  jeûne  et  la  pratique  du  renoncement 
et  de  la  charité.  Elle  aimait  ardemment  les  pauvres  et  mettait  en  œuvre, 
afin  de  les  soulager,  tous  les  moyens  qui  étaient  en  son  pouvoir.  Bicchieri 
était  fier  de  sa  fille,  et  cherchait  à  lui  procurer  un  établissement  avanta- 
geux, mais  cela  n'entrait  pas  dans  les  desseins  d'Emilie  qui  voulait  se  con- 
sacrer à  Dieu.  Agée  seulement  de  quatorze  ans,  elle  va  trouver  son  père,  se 
jette  à  ses  pieds  et  le  conjure  de  la  laisser  entrer  en  religion.  Le  père  sur- 
pris refuse  d'abord  son  consentement,  et  puis  vaincu  par  ses  sollicitations, 
lui  accorde  ce  qu'elle  demande. 


298  3  mai. 

Dès  lors  se  regardant  comme  séparée  du  monde  et  consacrée  à  Dieu, 
elle  se  mit  à  mener  dans  la  maison  de  son  père  la  vie  d'une  véritable  reli- 
gieuse. Son  choix  n'était  pas  encore  fixé.  Elle  se  décida  plus  tard  pour 
l'Ordre  de  Saint-Dominique,  et  son  père  lui  ayant  fait  bâtir  un  monastère, 
elle  y  entra  avec  plusieurs  compagnes  qui  étaient  venues  se  ranger  sous  sa 
conduite.  Après  un  an  de  noviciat,  elle  prenait  l'habit  du  Tiers  Ordre  de  Saint- 
Dominique  et  cessait  toute  relation  avec  le  dehors,  ne  voulant  plus  recevoir 
que  son  père  :  malheureusement  elle  le  perdit  peu  de  temps  après,  et  malgré 
sa  douleur  profonde,  montra  une  grande  résignation  à  la  volonté  de  Dieu. 

Ses  compagnes  la  choisirent  pour  leur  supérieure  et  n'eurent  pas  à  s'en 
repentir,  tant  elle  leur  montra  de  tendresse  et  d'affection.  Remplie  d'une 
profonde  humilité,  elle  partageait  avec  ses  filles  les  travaux  les  plus  vils  et 
les  plus  abjects  de  la  maison.  Elle  tenait  beaucoup  à  l'exacte  observance  de 
la  règle  et  au  respect  envers  les  supérieurs  ecclésiastiques  :  elle  regardait 
son  confesseur  comme  l'interprète  des  volontés  de  Dieu  sur  elle  et  ses  filles. 
Connaissant  à  fond  chacune  de  ses  sœurs,  elle  les  traitait  d'après  le  degré 
de  perfection  auquel  elles  étaient  parvenues.  Mais  il  est  une  chose  qu'elle 
demandait  à  toutes  indistinctement  :  la  pureté  d'intention.  Elle  voulait 
aussi  qu'elles  eussent  pour  but  en  toutes  leurs  actions  la  gloire  de  Dieu. 
Elle  mettait  tous  ses  soins  à  entretenir  en  elles  une  parfaite  charité.  Elle 
avait  pour  cela  établi  une  coutume  touchante  au  milieu  de  sa  commu- 
nauté :  la  veille  des  fêtes,  chaque  religieuse  se  mettait  à  genoux  devant  ses 
compagnes,  et  leur  demandait  pardon  des  mauvais  exemples  qu'elle  leur 
avait  donnés  et  des  peines  qu'elle  leur  avait  causées. 

Les  constitutions  du  monastère  de  Sainte-Marguerite  (tel  était  le  nom 
de  cette  nouvelle  fondation),  portaient  que  les  jours  de  jeûne  on  ne  pou- 
vait pas  même  boire  de  l'eau  en  dehors  des  repas,  sans  la  permission  de  la 
supérieure.  Celle-ci,  qui  était  fort  versée  dans  la  connaissance  des  voies  spi- 
rituelles, quelquefois  la  refusait,  quelquefois  l'accordait.  Elle  ne  man- 
quait jamais  de  dire  qu'une  mortification,  une  abstinence  qu'on  s'impose 
par  pure  obéissance  est  du  plus  grand  profit  pour  la  vie  éternelle.  Elle  en- 
seignait aussi  à  offrir  cette  mortification  à  Jésus-Christ,  en  mémoire  de  la 
soif  qu'il  éprouva  sur  la  croix.  Elle  allait  jusqu'à  supplier  ses  religieuses  de 
vouloir  bien  réserver  ce  soulagement  pour  l'autre  monde,  de  le  déposer 
entre  les  mains  de  leur  ange  gardien,  afin  qu'il  l'appliquât  au  rafraîchisse- 
ment de  leurs  âmes  lorsqu'elles  seraient  en  purgatoire.  Un  exemple  vint 
prouver  l'efficacité,  le  mérite  de  cette  excellente  pratique.  Sœur  Cécile  Mar- 
guerite Avogadro  de  Quinto  se  montra  à  mère  Emilie  trois  jours  après  sa 
mort.  Or,  la  mère  Emilie  avait  quelquefois  refusé  à  cette  sœur  la  permis- 
sion de  boire  :  quelque  pénible  que  fût  ce  refus,  selon  les  instructions  de 
la  supérieure,  sœur  Cécile  offrait  sa  mortification  à  Jésus  crucifié.  Mais  à 
peine  était-elle  morte,  que  son  ange  gardien  se  montrant  à  elle  au  travers 
des  flammes  du  purgatoire,  il  les  éteignit  presqu'entièrement  à  l'aide  de 
l'eau  dont  elle  s'était  privée  sur  la  terre.  Elle  resta  trois  jours  seulement 
dans  le  lieu  d'expiation,  à  cause  de  l'affection  trop  charnelle  qu'elle  avait 
eue  pour  sa  propre  mère  :  cette  tache  effacée,  elle  en  fut  aussitôt  tirée  à 
cause  des  mortifications  qu'elle  avait  pratiquées  par  obéissance. 

Ses  filles  n'étaient  pas  seules  l'objet  de  sa  charité  ;  elle  s'occupait  égale- 
ment des  pauvres  et  des  affligés.  Mais  autant  elle  était  douce  et  charitable 
envers  les  autres,  autant  elle  était  sévère  envers  elle-même,  ne  vivant  que 
de  privations.  Dieu  récompensait  tant  de  vertus  par  des  faveurs  extraordi- 
naires. Un  jour  de  fête  que  sa  charité  l'avait  retenue  près  d'une  sœur  ma- 


LA  BIENHEUREUSE  EMILIE   BICCHIERI.  299 

laile,  pendant  que  toutes  ses  sœurs  participaient  nu  banquet  de  l'Agneau, 
elle  s'affligea  fort  d'être  privée  de  la  communion.  S'étant  rendue  à  l'église 
avant  que  l'office  fût  terminé,  elle  se  prosterna  devant  le  crucifix  et  se  plai- 
gnit avec  amour  d'être  ainsi  privée  de  la  nourriture  céleste,  qui  fait  ger- 
mer et  soutient  la  virginité.  Aussitôt  un  ange  descendit  du  ciel,  lui  donna 
la  communion  de  ses  propres  mains;  ce  dont  toutes  les  sœurs  furent  té- 
moins. La  mère  Emilie  fit  alors  entonner  l'hymne  d'actions  de  grâces,  per- 
suadée que  ses  religieuses  devaient  être  bien  agréables  à  Notre-Seigneur, 
pour  que  ce  bon  Maître  les  rendît  ainsi  témoins  de  ses  aimables  privautés 
envers  elle.  Comment  raconter  toutes  les  faveurs  dont  Dieu  la  combla,  soit 
pour  son  profit,  soit  pour  celui  du  prochain  ?  C'est  ainsi  qu'elle  guérit  subi- 
tement plusieurs'de  ses  sœurs  en  leur  donnant  sa  bénédiction,  et  arrêta  un 
incendie  en  faisant  le  signe  de  la  croix  sur  les  flammes. 

Mais  le  don  des  miracles  ne  fut  pas  la  seule  grâce  spéciale  que  Notre- 
Seigneur  accorda  à  sa  servante.  Elle  goûtait  dans  la  prière  tant  de  douceurs, 
qu'elle  se  fût  jour  et  nuit  adonnée  à  ce  pieux  exercice,  sans  les  obliga- 
tions de  sa  charge  et  les  devoirs  de  la  vie  commune.  Elle  suppléait  la  nuit 
à  ce  qu'elle  n'avait  pu  faire  le  jour,  et  souvent  sa  prière  était  une  extase 
continuelle.  Or,  il  arriva,  dans  le  temps  que  le  ciel  se  communiquait  ainsi 
à  son  âme,  que  le  pays  de  Verceil  était  désolé  par  des  pluies  incessantes.  On 
avait  fait  des  prières  spéciales,  institué  des  neuvaines,  le  tout  sans  résultat. 
Une  nuit  que  la  bienheureuse  Emilie  suppliait  la  sainte  Vierge  de  venir  au 
secours  de  ses  compatriotes,  cette  bonne  Mère  lui  apparut  au  milieu  d'un 
ciel  pur  et  serein,  la  consola  et  lui  enseigna  une  formule,  une  suite  de 
prières  auxquelles  elle  attacha  une  efficacité  certaine  pour  elle  et  pour  tous 
ceux  qui  les  réciteraient  contre  les  orages.  Nous  donnerons  cette  formule 
à  la  suite  de  la  vie  de  la  bienheureuse  Emilie.  Une  autre  fois  qu'elle  était 
en  prières  dans  sa  cellule,  et  qu'elle  demandait  avec  supplication  à  la  sainte 
Vierge  de  lui  apprendre  la  manière  de  prier,  la  Reine  des  anges  lui  apparut 
encore  et  lui  dit  :  «  Ma  fille  bien-aimée,  la  douceur  de  tes  paroles  m'attire 
vers  toi.  Tu  veux  savoir  quelle  serait  la  prière  la  plus  agréable  à  mon  Fils. 
Eh  bien  1  apprends  que  tu  lui  plairas  beaucoup,  si,  rappelant  à  ton  souvenir 
ses  trois  longues  oraisons  de  Gethsemani,  tu  récites  trois  Pater  et  trois  Ave; 
si  tu  lui  rends  grâce  pour  les  souffrances  qu'il  a  endurées,  son  agonie,  la 
sueur  du  sang,  et  si  tu  pries  pour  ceux  qui,  luttant  contre  les  dernières 
étreintes  de  la  mort,  sont  sur  le  point  de  rendre  l'âme  ».  A  partir  de  ce  mo- 
ment, elle  ne  manqua  pas  un  seul  jour  à  cette  pratique,  et  en  retira  de 
grandes  consolations. 

Elle  voulut  aussi  savoir  de  Notre-Seigneur,  quelle  était  celle  des  dou- 
leurs de  sa  passion  qui  avait  été  le  plus  aiguë.  Ce  bon  Maître  lui  assura  qu'il 
avait  enduré  la  plus  vive  de  ses  souffrances,  pendant  les  trois  heures  qu'il 
était  resté  suspendu  à  la  croix.  Il  promit  en  même  temps  d'accorder  le 
don  des  trois  vertus  théologales  aux  personnes  qui,  à  trois  heures  du  soir, 
réciteraient  trois  Pater  et  trois  Ave  en  mémoire  de  sa  crucifixion. 

Un  autre  jour  que  la  bienheureuse  Emilie  méditait  le  mystère  du  cou- 
ronnement d'épines,  elle  demanda  à  Notre-Seigneur  de  lui  faire  éprouver 
ce  qu'il  avait  enduré  lui-même  dans  cette  circonstance.  Le  Sauveur  lui  ré- 
pondit par  la  bouche  d'un  crucifix,  qu'elle  était  exaucée.  Lorsqu'elle  quitta 
la  prière,  elle  sentit  un  si  violent  mal  de  tête,  qu'elle  fut  obligée  de  se 
mettre  au  lit  et  d'y  rester  trois  jours,  au  bout  desquels  sainte  Madeleine  et 
sainte  Catherine  lui  apparurent  et  lui  donnèrent  à  boire  d'une  eau  qui  dis- 
sipa le  mal  de  tête  et  la  soif  ardente  qui  l'accompagnait. 


300  3  mai. 

La  bienheureuse  Emilie  tomba  malade  à  l'âge  de  soixante-seize  ans.  Elle 
comprit  que  sa  fin  approchait,  elle  redoubla  de  ferveur  dans  la  pratique  de 
toutes  les  vertus  et  se  montra  un  modèle  accompli  de  résignation  chré- 
tienne. Après  avoir  reçu  les  derniers  Sacrements,  après  avoir  adressé 
quelques  paroles  à  ses  sœurs,  les  avoir  toutes  embrassées  l'une  après  l'autre, 
elle  rendit  son  âme  à  Dieu  en  1314.  Son  corps  resta  huit  jours  exposé  à  la 
vénération  des  fidèles,  et  plusieurs  infirmes  qui  s'en  approchèrent  recou- 
vrèrent aussitôt  la  santé.  Clément  XIV  approuva  son  culte  en  1769. 

Formule  de  prières,  enseignée  par  la  sainte  Vierge  à  la  Mère  Emilie,  contre  la  tempête  et 
les  trop  grandes  pluies  : 

1°  Faire  une  procession  dans  laquelle  on  portera  le  cierge  pascal,  avec  la  croix  et  l'eau  bénite; 
bénir  les  quatre  coins  du  ciel  et  dire  à  chaque  bénédiction  : 

Credo  in  Deum  patrem,  etc. 

Et  verbum  caro  factum  est  et  habitavit  in  nobis. 

Per  signum  Crucis,  de  inimicls  nostris  libéra  nos  Par  le  signe  de  la  Croix,  ô  notre  Dieu,  de'livrez- 

Deus  noster.  f  In  nomine  Patrls  et  fllii  et  Spiritus        nons  de  nos  ennemis.  Au  nom  du  Père,  etc. 
Sancti.  Amen. 

2°  Au  retour  de  la  procession,  réciter  les  litanies  de  la  sainte  Vierge,  et  l'hymne  : 

Maria,  Mater  gratiae,  Marie,  Mère  de  grâce, 

Mater  misericordiœ.  Mire  de  miséricorde, 

Tu  nos  ab  hoste  protège,  Protégez-nous  contre  l'ennemi, 

Et  ruortis  hora  suscipe.  Amen.  Et  à  l'heure  de  la  mort,  recevez-nous  entre  vos 

[bras.  Ainsi  soit-il. 
Cf.  Acta  Sanctorum,  t.  ni  de  mai,  nonv.  édit. 


LE  BIENHEUREUX  ALEXANDRE,  RELIGIEUX  CISTERCIEN, 

A   FOIGNY   DANS  LE   DIOCÈSE  DE  LAON  (XIIIe  siècle). 

Le  bienheureux  Alexandre  était  Bis  d'un  roi  d'Ecosse,  et  le  plus  jeune  de  trois  frères  qui  avaienl 
fléià  embrassé  la  vie  religieuse.  Sainte  Mathilde,  leur  sœur,  qui,  elle  aussi,  courait  dans  les  voiea 
in  Seigneur,  tint  au  jeune  Alexandre  le  discours  suivant  :  «  Eh  quoi  !  mon  frère,  pendant  que 
tous  nous  avons  échangé  la  terre  pour  le  ciel,  serez-vous  le  seul  de  notre  famille  à  vous  attacher 
aux  biens  périssables  d'ici-bas  ?»  —  Le  jeune  homme  se  mit  à  pleurer  :  la  lutte  entre  la  chair  et 
l'esprit  était  pénible.  A  la  fin,  il  dit  à  sa  soeur  «  de  faire  de  lui  ce  qu'elle  voudrait  ».  La  pieuse 
princesse  le  prit  par  la  main  et  le  conduisit  à  une  ferme  où  elle  lui  fit  apprendre  à  traire  le  lait, 
ï  obtenir  le  beurre  et  à  faire  le  fromage.  Quand  l'apprentissage  fut  fini,  tous  deux  passèrent  la 
mer  et  s'en  vinrent  à  Foigny,  en  France.  Le  jeune  homme  entra  chez  les  Cisterciens  en  qualité  de 
berger  et  se  donna  comme  très-expert  dans  l'art  de  faire  le  fromage.  Il  fut  accepté  pour  tel,  vécut 
et  mourut  dans  cette  humble  fonction.  Sainte  Mathilde,  en  quittant  son  frère,  lui  avait  dit  un 
éternel  adieu,  en  lui  faisant  observer  que  leur  sacrifice  serait  bien  plus  agréable  à  Dieu,  s'ils  ne 
se  revoyaient  jamais  sur  la  terre. 

Or,  il  arriva,  après  la  mort  du  bienheureux  Alexandre,  qu'un  religieux,  atteint  d'une  maladie 
de  poitrine,  eut  la  pensée  d'aller  prier  à  son  tombeau.  La  foi  du  poitrinaire  fut  récompensée  :  le 
bienheureux  Alexandre  lui  apparut  éclatant  comme  un  soleil,  portant  deux  couronnes,  l'une  sur  la  tète, 
l'autre  à  la  main.  Comme  le  religieux  avait  l'air  de  demander  du  regard  ce  que  signifiait  ce  double 
symbole,  le  Bienheureux  lui  dit  :  a  La  couronne  que  je  porte  à  la  main  est  la  couronne  terrestre 
que  j'ai  abandonnée  pour  l'amour  de  Jésus-Christ;  l'autre  est  celle  des  élus;  elle  m'est  commune 
avec  tous  les  Saints.  Pour  te  donner  confiance  en  cette  vision,  sois  guéri  ».  Il  guérit  en  effet, 
mais  ne  révéla  qu'au  lit  de  la  mort  l'apparition  dont  il  avait  été  favorisé.  On  se  rappela  alors  une 
prouesse  cynégétique  du  berger  du  monastère  ;  car  un  jour  qu'un  énorme  sanglier  s'était  jeté  à  la 
traverse  dans  son  troupeau  de  vaches,  il  demanda  son  coutelas  au  chasseur  essoufflé  qui  le  pour- 
suivait et,  d'un  coup  adroitement  porté,  abattit  l'animal.  En  rapprochant  ce  fait  de  la  vision  du 
religieux,  on  arrivait  à  une  presque  certitude.  Sainte  Mathilde,  du  reste,  n'était  pas  loin  :  elle  s'était 
retirée  dans  les  environs  en  uu  endroit  nommé  Lapion  et  d'elle  on  apprit  toute  la  vérité. 

Acta  Sanctorum,  3  maii. 


MARTYROLOGES.  301 


IV  JOUR  DE  MAI 


MARTYROLOGE  ROMAIN. 

A  Ostie,  le  bienheureux  décès  de  sainte  Monique,  mère  de  saint  Augustin,  qui  a  laissé,  dans 
le  neuvième  livre  des  Confessions,  le  témoignage  irrécusable  de  la  sainteté  de  sa  vie.  387.  — 
Aux  mines  de  Phenno,  en  Palestine,  la  naissance  au  ciel  du  bienheureux  Sylvain,  évêque  de  Gaza, 
qui  reçut  la  couronne  du  martyre,  avec  plusieurs  membres  de  son  clergé,  dans  la  persécution  de 
Dioclétien,  par  l'ordre  du  César  Maximien-Galère.  311.  —  De  plus,  trente-neuf  bienheureux  Martyrs, 
condamnés  aux  mines  en  ce  même  lieu,  qui,  après  avoir  souffert  les  rigueurs  du  fer  chaud  et 
d'autres  tourments,  furent  décapités  avec  lui.  —  A  Jérusalem,  saint  Cyriaque,  évoque,  qui,  étant 
allé  visiter  les  Saints-Lieux,  fut  tué  sous  Julien  l'Apostat.  —  Dans  l'Ombrie,  saint  Porphyre, 
martyr  '.  Règne  de  Dèce.  —  A  Nicomédie,  la  fête  de  sainte  Antonie,  martyre,  qui  souffrit  une 
question  excessivement  dure,  et,  entre  autres  supplices,  fut  suspendue  par  un  bras  pendant  trois 
heures,  puis  détenue  dans  un  cachot  l'espace  de  deux  ans;  et  enfin,  par  l'ordre  du  gouverneur 
Priscillien,  fut  consumée  par  les  flammes  pour  sa  persévérance  à  confesser  le  Seigneur.  —  A 
Lorck,  en  Autriche,  saint  Florian,  martyr,  qui,  sous  Dioclétien,  et  par  l'ordre  du  gouverneur 
Aquilin,  fut  précipité  dans  l'Ens,  avec  une  pierre  au  cou.  —  A  Tarse,  sainte  Pélagie,  vierge, 
qui  fut  enfermée  dans  un  bœuf  d'airain  ardent,  et  accomplit  ainsi  son  martyre.  IVe  s.  —  A  Colo- 
gne, saint  Paulin,  martyr  2.  —  A  Milan,  saint  Vénère,  évêque,  dont  saint  Jean  Chrysostome  a  fait 
connaître  les  vertus  dans  une  lettre  qu'il  lui  écrivit.  408.  —  En  Périgord,  saint  Sacerdos  ou 
Serdon,  évêque  de  Limoges.  —  A  Hildesheim,  en  Saxe,  saint  Godard  ou  Gothard,  évêque 
et  confesseur,  mis  au  nombre  des  Saints  par  Innocent  IL  1038.  —  A  Auxerre,  saint  Curcodème, 
diacre  ».  me  s. 

MARTYROLOGE  DE  FRANCE,  REVU  ET  AUGMENTÉ. 

A  Turin,  la  fête  de  l'adoration  du  saint  Suaire.  —  A  Bordeaux,  fête  de  saint  Macaire,  évêque 
régionnaire,  disciple  et  ami  de  saint  Martin  de  Tours,  envoyé  par  lui  en  Aquitaine  pour  y  prêcher 
Jésus-Christ.  Ses  reliques  sont  conservées  dans  la  cathédrale  de  Bordeaux  *.  Il  avait  d'abord  été 
enseveli  dans  l'église  Saint-Laurent  de  Lengon  d'où  le  comte  Guillaume  le  Bon  le  fit,  plus  tard, 
transférer  à  Bordeaux  :  la  légende  rapporte  que,  pendant  cette  translation,  les  cierges  restèrent 
allumés  en  dépit  des  vents  et  de  la  pluie  5.  —  Dans  tout  l'Ordre  des  Minimes,  la  canonisation  de 
saint  François  de  Paule,  faite  par  le  pape  Léon  X,  le  premier  jour  de  mai,  l'an  de  grâce  1519,  et 
le  douzième  après  sa  mort.  —  En  Palestine,  plusieurs  Religieux  français,  massacrés  sur  le  Mont- 
Thabor.  1113.  —  A  Verdun,  les  saints  évèques  Pulchrone,  Possesseur  et  Firmin.  C'est  aujourd'hui 
le  jour  de  leur  translation  6.  —  A  Auxerre,  saint  Marse,  saint  Alexandre,  S.  Jovinien,  et  autres 
clercs,  compagnons  de  saint  Curcodème,  dont  il  est  parlé  dans  la  vie  de  saint  Pèlerin.  —  A  Tours, 
saint  Antoine,  abbé  et  confesseur,  qui,  après  avoir  passé  plusieurs  années  au  monastère  de  Saint- 
Julien  de  Tours,  alla  vivre  en  reclus  en  un  lieu  nommé  plus  tard  de  son  nom  Saint-Anloine- 
du-Rocher.  vie  s.  —  A  Senlis,  saint  Malulfe  ou  Malou,  évêque  de  cette  ville,  qui  donna  un  bel 
exemple  du  pardon  des  injures  en  allant  ensevelir  de  ses  propres  mains  le  roi  Chilpéric, 
assassiné  à  Chelles  et  abandonné  de  tout  le  monde,  bien  que  ce  prince  eut,  de  son  vivant,  refusé 

1.  Ses  Actes  disent  qu'il  évangélisa  la  ville  de  Camerino  et  convertit  entre  autres  saint  Venant,  dont 
tl  est  fait  mention  au  18  mai.  Aussi  le  représente-t-on  accompagné  de  ce  jeune  Saint. 

2.  On  le  tient  pour  diacre  et  disciple  de  saint  Materne.  Au  xnie  siècle,  une  église  fut  élevée  à  Co-. 
logne  en  son  honneur  et  en  l'honneur  de  sainte  Cécile. 

3.  Voir  la  Vie  de  saint  Pèlerin,  au  16  de  co  mois. 

4.  M.  Cirot  de  la  Ville,  lettre  du  7  avril  1870.  —  5.  Propre  de  Bordeaux,  1855.  —  Saint  Macaire, 
dont  on  fait  la  fête  le  4  mai  a  Bordeaux,  ami  et  disciple  de  saint  Martin  de  Tours,  fut  envoyé  par  lui  en 
Aquitaine.  Il  mourut  à  Langon,  sur  la  Garonne.  Une  ville  s'éleva  sur  l'autre  rive  du  fleuve  qui  prit  la 
nom  de  Saint-Macaire.  On  l'honore  comme  Pontifo. 

«.  Voir,  aa  30  avril,  la  Vie  de  saint  Pulchrone. 


302  4  mai. 

nne  simple  audience  au  saint  évêque.  Fin  du  vie  s.  —  Au  même  lieu,  saint  Candide,  successeur 
du  précédent  et  autrefois  honoré  le  même  jour  que  lui.  —  Dans  l'abbaye  de  Foigny,  au  diocèse  de 
Laon,  saint  Alexandre,  prince  d'Ecosse  et  convers  de  l'Ordre  de  Citeaux.  —  A  Carcassonne,  sainf 
Lupin,  chanoine  et  confesseur,  dont  le  corps  se  voit  dans  la  cathédrale  dédiée  sous  le  nom  de 
Saint-Nazaire.  On  en  fait  la  fôte  l'avant-veille  de  l'Ascension.  ix«  s.  —  Au  Parc,  monastère  près 
de  Louvain,  sainte  Catherine,  vierge,  qui,  ayant  été  convertie  du  judaïsme  à  la  foi  chrétienne,  par 
une  assistance  particulière  de  la  Mère  de  Dieu,  vécut  très-saintement  dans  cette  retraite,  et  y  devint 
illustre  par  beaucoup  de  miracles.  —  A  Troyes,  sainte  Hélène,  vierge,  dont  les  reliques  furent 
apportées  à  Constantinople  en  1209.  —  A  Liessies,  le  bienheureux  Guntrand,  premier  abbé  de  la 
célèbre  abbaye  de  ce  nom.  Elle  avait  été  fondée  en  sa  faveur  par  ses  propres  parents.  Après  l'année 
764.  —  Au  même  lieu,  sainte  Hiltrude,  sœur  du  précédent,  qui  renonça,  de  son  côté,  au  monde 
et  se  retira  dans  une  cellule  où,  à  l'exemple  de  saint  Benoît  visitant  sainte  Scholastique,  son  frère 
allait  quelquefois  s'entretenir  avec  elle  des  choses  du  ciel,  vin»  s.  —  A  Saint-Wandrille,  arrondis- 
sement d'ivetot,  saint  Gervol,  quinzième  abbé  de  Fontenelle  ;  il  fit  construire  un  grand  nombre 
d'églises  dans  la  vallée  où  se  trouvait  l'abbaye.  Fin  du  vin8  s.  —  Au  monastère  de  l'Arivoir 
fondé  par  saint  Bernard,  près  de  la  même  ville,  sainte  Jeanne,  recluse,  dont  les  reliques  y  furent 
apportées  en  1246.  —  A  Avignon,  la  translation  des  reliques  de  sainte  Anne.  —  A  Angers,  saint 
Godebert  et  saint  Aglibert,  évêques,  dont  on  a  fait  la  fête,  dans  l'église  Saint-Serge,  jusqu'à  la 
Révolution.  Fin  du  vn«  s. 

MARTYROLOGES   DES  ORDRES  RELIGIEUX. 

Martyrologe  des  Basiliens.  —  A  Païenne,  la  translation  des  reliques  de  saint  Jean  Thériste, 
de  l'Ordre  de  Saint-Basile,  dont  la  mémoire  est  honorée  dans  notre  Ordre  le  25  juin. 

Martyrologe  des  Chanoines  réguliers.  —  A  Ostie,  sainte  Monique. 

Martyrologe  des  Augustins.  —  A  Ostie,  sainte  Monique,  qui  fut  deux  fois  la  mère  de  saint 
Augustin,  puisqu'elle  l'enfanta  au  monde  et  au  ciel... 

ADDITIONS  FAITES  D'APRÈS   LES  BOLLANDISTES  ET  AUTRES   HAGIOGRAPHES. 

Fête  de  l'Enfant  Jésus,  retrouvé  au  temple.  —  Fête  de  la  couronne  d'épines  de  Notre-Seigneur 
Jésus-Christ.  —  A  Bologne,  sainte  Trifiné,  martyre,  dont  le  corps  y  fut  transporté  de  Rome  en 
1650.  —  Au  même  lieu,  la  fête  des  saints  martyrs  Paulin,  Fulgence,  Innocent,  Fortunat,  Erasme, 
"Valentin,  Pacifique  dont  les  reliques  y  furent  portées  de  Rome  en  1662.  —  A  Foligno,  en  Orobrie, 
les  saints  martyrs  Héraclée,  Juste  et  Maur,  soldats  et  martyrs,  qui  furent  convertis  par  l'évèque  de 
cette  ville,  saint  Félicien,  sous  le  règne  de  l'empereur  Dèce.  —  A  Enée,  en  Carie,  saint  Ulpien, 
évêque  de  cette  ville,  qui  eut  le  corps  percé  de  broches  rougies  au  feu.  —  A  Scythopolis,  ancienne 
ville  de  Palestine,  les  saints  Aphrodise,  Melde,  Macrobe,  Valérien,  Léonce,  Antonin  et  soixante  de 
leurs  compagnons,  martyrs.  —  A  Lucques,  saint  Synèse,  martyr,  dont  les  reliques  sont  déposées 
dans  un  coiïre  de  bois  de  cyprès  avec  celles  de  saint  Avertan  et  de  saint  Roméo.  Les  Actes  de 
saint  Synèse  sont  complètement  ignorés.  —  A  Bergame,  saint  Jacques,  diacre  et  martyr.  Les 
Ariens  l'attaquèrent  un  jour  qu'il  prêchait  du  haut  de  la  chaire  de  vérité,  le  blessèrent  à  la  tête 
d'un  coup  de  flèche,  puis  le  précipitant,  ils  l'achevèrent  à  coups  de  bâton  :  ces  frénétiques  avaient 
déjà  immolé  quarante  membres  du  clergé  de  Bergame,  lorsqu'ils  résolurent  de  perdre  notre  Saint 
que  ses  grandes  vertus  avaient  un  instant  protégé.  380.  —  A  Isernia,  en  Italie,  saint  Benoit,  évêque 
de  cette  ville,  «  qui  fut  »,  dit-on,  «  assisté  à  son  lit  de  mort  par  saint  Paulin  de  Noie,  son 
contemporain  et  son  ami  ».  Bien  qu'on  ignore  les  Actes  de  son  épiscopat,  le  culte  qu'on  lui  rend 
atteste  sa  haute  sainteté  et  son  crédit  auprès  de  Dieu.  Une  lampe  brûle  constamment  devant  ses 
reliques  conservées  sous  un  autel  de  la  grande  église.  —  A  Forli,  en  Italie,  saint  Valérien  mis  à 
mort  par  les  Ariens  qu'il  avait  vivement  combattus.  Les  catholiques  durent  à  son  intercession  de 
reprendre  possession  de  la  ville  ;  aussi  le  choisirent-ils  pour  un  de  leurs  patrons  et  élevèrent-ils  une 
église  en  son  honneur.  Ve  s.  —  A  Lodi,  saint  Titien,  évêque.  477.  —  En  Angleterre,  saint  Ethel- 
red,  roi  des  Merciens,  qui,  après  un  règne  de  trente  ans,  alla  s'enfermer  dans  un  monastère  et  y 
vécut  saintement  treize  autres  années.  726.  —  A  Sinigaglia,  en  Italie,  saint  Paulin,  évêque  et 
patron  de  cette  ville.  Epoque  inconnue.  —  En  Bithynie,  saint  Nicéphore  Hégumène,  d'un  monas- 
tère fondé  par  lui  près  de  Brousse  et  qui,  ayant  été  jeté  en  prison  pour  la  défense  des  saintes 
images,  y  rendit  son  âme  à  Dieu.  814.  —  A  Padoue,  saint  Crescent,  prêtre,  qui  construisit  les 
églises  de  Sainte-Cécile  et  de  Sainte-Lucie  et  qui  était  autrefois  honoré  chez  les  religieuses  de 
Sainte-Agathe.  1090.  —  A  Verucchio,  dans  le  duché  d'Urbin,  le  bienheureux  Grégoire,  de  l'Ordre 
des  Ermites  de  Saint-Augustin,  que  des  parents  avides  chassèrent  du  couvent  élevé  par  les  soins 
de  sa  mère  et  qui  mourut  chez  les  Franciscains  de  Rieti  à  l'âge  de  cent  dix-huit  ans.  1343.  —  A 
Sulmona,  en  Italie,  le  bienheureux  Philippe  d'Aquila,  de  l'Ordre  de  l'Observance  des  Réguliers  de 
Saint-François,  qui,  ayant  consulté  saint  Jean  de  Capistran  sur  les  moyens  de  remédier  à  un 


SAINTE   MONIQUE,   VEUVE.  303 

penchant  presque  irrésistible  pour  le  sommeil  et  sur  les  mesures  à  prendre  pour  être  délivré  des 
imaginations  qui  l'y  poursuivaient,  en  reçut  pour  réponse  :  «  Soyez  patient  et  soyez  homme  :  toute 
affliction  est  faite  pour  augmenter  nos  mérites  ».  1456.  —  A  Cracovie,  en  Pologne,  le  bienheureux 
Michel  Gédroc,  de  l'Ordre  des  Chanoines  réguliers  de  Notre-Dame  de  Métro,  qui,  né  difforme,  privé 
d'un  œil  et  d'une  jambe, avec  une  taille  au-dessous  de  la  moyenne, vécut,au  milieu  des  autres  religieux, 
du  travail  de  ses  mains,  comme  l'apôtre  saint  Paul,  et  qui,  arrivé  au  moment  de  sa  sainte  mort, 
prédit  à  ses  frères  de  grands  malheurs  temporels  et  spirituels  à  cause  de  leur  conduite  peu  édi- 
fiante. 1485.  —  A  Varsovie,  le  bienheureux  Ladislas  Gielnow,  de  l'Ordre  des  Frères  Mineurs  de 
l'Observance  l.  1505.  —  En  Angleterre,  Jean  Houthon,  homme  de  bienheureuse  mémoire,  prieur 
de  la  Grande-Chartreuse  de  Londres,  qui,  pour  avoir  refusé  de  reconnaître  la  suprématie  d'Henri  VIII 
dans  les  choses  spirituelles,  fut  cruellement  mis  à  mort  avec  dix-huit  autres  de  ses  religieux.  Après 
avoir  été  traîné  par  des  chevaux  fougueux,  l'espace  de  plusieurs  milles,  il  fut  suspendu  au  gibet. 
Là  le  bourreau  le  mutila,  lui  arracha  le  cœur  et  les  entrailles  qu'il  jeta  dans  le  feu.  —  Avec  lui  souf- 
frirent Robert  Laurens,  prieur  de  Bellevaux  ;  Augustin  Webster,  prieur  de  la  Visitation  Sainte- 
Marie;  et  Reginald,  de  l'Ordre  de  Sainte-Brigitte  :  en  tout  vingt-deux  victimes  dont  les  membres 
sanglants  furent  promenés  en  diverses  localités.  1535. 


SAINTE  MONIQUE,  VEUVE 


332-387.  —  Papes  :  Saint  Sylvestre;  saint  Sirice.  —  Empereurs  :  Constantin  H; 
Théodose  le  Grand. 


Qui  seminant  in  lacrymis,  in  exultatione  metent. 
Cens    qui   sèment  dans  les   larmes,  moissonneront 
dans  l'allégresse.  Ps.  cxxv,  6. 

Il  y  avait  dix-huit  ans  que  le  pape  saint  Sylvestre  tenait  le  gouvernail  de 
la  barque  de  saint  Pierre,  et  vingt  ans  que  l'empereur  Constantin  avait  fait 
asseoir  sur  le  trône  la  religion  chrétienne,  lorsque,  en  332,  à  Tagaste,  sim- 
ple village  que  les  Arabes  nomment  aujourd'hui  Souk-Arras  2,  apparut  au 
sein  d'une  famille  chrétienne,  dans  un  foyer  de  paix,  d'honneur  et  d'anti- 
ques vertus,  une  enfant  qui  reçut  en  naissant  le  nom  de  Monique,  nom 
dont  elle  allait  faire  un  symbole  si  touchant  de  consolation  et  d'espérance. 

Son  père  et  sa  mère,  qui  étaient  chrétiens  et  même  très-pieux,  s'effor- 
cèrent de  tremper  vigoureusement  l'àme  de  leur  enfant.  Son  enfance  fut 
confiée  à  une  vieille  servante.  Zélée,  prudente,  austère,  un  peu  dure  et  gron- 
deuse, mais  dévouée  à  sa  jeune  maîtresse,  elle  environnait  de  sa  vigilance 
la  plus  active  ce  berceau  qui  contenait  de  si  saintes  et  si  glorieuses  des- 
tinées. 

Préservée  ainsi  de  tout  péril,  cultivée  avec  tant  de  soin,  jamais  plante  ne 
se  vit  plus  tôt  couronnée  de  fleurs  et  de  fruits  que  notre  sainte  enfant.  Elle 
était  encore  toute  petite  que  déjà,  guettant  le  moment  où  on  ne  la  voyait 
pas,  elle  s'en  allait  seule  à  l'église,  et  là,  debout,  les  mains  jointes,  les  yeux 
modestement  baissés,  elle  trouvait  tant  de  charme  à  s'entretenir  avec  Dieu, 
qu'elle  oubliait  le  moment  de  rentrer  à  la  maison.  Quelquefois  aussi,  en 
jouant  avec  ses  compagnes,  elle  disparaissait  tout  à  coup,  et  on  la  retrou- 
vait immobile,  recueillie,  au  pied  d'un  arbre,  ayant  oublié  le  jeu  dans  la 
prière.  Souvent  môme  elle  se  levait  la  nuit  en  secret,  s'agenouillait  par 
terre,  et  récitait  avec  un  recueillement  et  une  ferveur  précoces  les  prières 
que  lui  avait  apprises  sa  bonne  mère.  Elle  se  familiarisait  ainsi,  dès  son  en- 

1.  Voir  au  23  octobre. 

t.  Su  U  route  de  Cartbage  a  Blppone,  non  Iota  du  champ  de  bataille  de  Zoma. 


304  4  MAI. 

fance,  avec  cet  art  divin  de  la  prière  dont  elle  devait  faire  plus  tard  un  si 
merveilleux  usage  ;  elle  s'exerçait  de  bonne  heure  à  manier  cette  arme 
puissante  avec  laquelle  elle  devait  frapper  de  si  grands  coups. 

Un  autre  attrait  s'éveillait  en  même  temps  dans  le  cœur  de  sainte 
Monique  :  l'amour  des  pauvres.  Souvent,  quand  elle  était  à  table,  elle 
cachait  dans  son  sein  une  partie  du  pain  qu'on  lui  servait,  et  quand  on  ne 
la  voyait  pas,  elle  se  tenait  sur  le  seuil  de  la  porte,  cherchant  un  pauvre  à 
qui  elle  le  pût  donner.  A  ces  dons  qui  venaient  d' en-haut  se  joignaient 
d'autres  vertus  que  lui  faisait  acquérir  l'active  et  austère  surveillance  de  sa 
nourrice,  qui,  pour  la  préserver  de  tout  péril  dans  l'avenir,  l'habituait  à  la 
sobriété,  à  la  pénitence,  à  la  force  d'âme  et  à  l'esprit  de  sacrifice,  sans  les- 
quels il  n'y  a  ni  chrétienne,  ni  épouse,  ni  mère,  ni  sainte. 

Au  milieu  de  ce  doux  éclat  de  vertu  naissante,  on  vit  cependant  appa- 
raître en  sainte  Monique  une  de  ces  ombres  légères  que  Dieu  permet  quel- 
quefois pour  rendre  ses  Saints  plus  vigilants  et  plus  humbles.  On  l'avait 
chargée  d'aller  chaque  jour  au  cellier  faire  la  provision  de  vin.  Or,  il  arri- 
vait quelquefois  qu'après  avoir  baissé  le  vase  pour  le  remplir,  elle  l'appro- 
chait de  ses  lèvres,  non  par  amour  du  vin,  car  il  lui  inspirait  même  une 
certaine  répugnance,  mais  par  cette  espièglerie  et  cette  gaîté  de  la  jeunesse 
qui  se  plaît  aux  choses  défendues.  Mais,  comme  en  méprisant  les  petites 
choses  on  tombe  peu  à  peu  dans  de  plus  grandes,  il  advint  que  la  quantité 
de  vin  qu'elle  prenait  augmentait  tous  les  jours,  et  que  son  aversion  pour 
cette  liqueur  diminuait  à  proportion.  Dieu  cependant  veillait  sur  Monique, 
et  se  servit,  pour  la  corriger,  d'une  servante  qui  était  le  témoin  journalier 
et  complaisant  de  sa  faute.  Un  jour  qu'elle  se  disputait  avec  sa  jeune  maî- 
tresse, elle  lui  reprocha  ce  défaut  et  l'appela  :  «  Buveuse  de  vin  pur  ». 
Percée  de  ce  trait,  Monique  rougit,  et  reconnaissant  la  laideur  de  son  péché, 
elle  se  condamna  sévèrement  et  s'en  corrigea  pour  toujours.  Cette  faute 
eut  pour  la  pieuse  jeune  fille  les  plus  heureux  résultats  :  elle  mit  une  pre- 
mière larme  de  repentir  dans  ses  yeux,  lui  inspira  le  goût  de  la  mortifica- 
tion, la  rendit  humble  et  défiante  d'elle-même. 

Avec  les  dons  surnaturels  se  développaient  en  sainte  Monique  les  dons 
naturels.  Son  esprit  était  juste,  élevé,  pénétrant;  elle  avait  une  soif  insa- 
tiable d'apprendre.  A  ces  dons  de  l'intelligence  s'enjoignaient  de  meilleurs 
encore  :  une  douceur  inépuisable  avec  une  rare  fermeté  ;  une  paix  que  rien 
n'altérait  jamais,  avec  infiniment  de  feu  dans  l'âme  et  de  décision  dans  la 
volonté.  Son  caractère  était  à  la  fois  constant  et  hardi  ;  son  cœur,  d'une  sen- 
sibilité extrême,  était  porté  à  la  tendresse,  et  cependant  plein  d'énergie  dans 
l'amour  et  dans  l'action. 

Quant  aux  dons  extérieurs,  Monique  en  augmentait  encore  le  charme 
par  la  plus  aimable  modestie.  Gomme  elle  connaissait  déjà  le  prix  de  la  simpli- 
cité, et  la  difficulté  de  conserver  sous  des  vêtements  de  luxe  un  cœur  mor- 
tifié et  prêt  au  sacrifice,  elle  refusait  avec  une  douce  fermeté  les  tissus 
précieux  et  parfumés  dont  on  aurait  voulu  la  voir  revêtue. 

Ainsi  se  passa  la  première  enfance  de  sainte  Monique,  comme  une  belle 
aube  qui  annonce  un  plus  beau  jour.  Déjà  elle  sortait  de  l'adolescence,  et 
elle  entrait  dans  la  jeunesse,  lorsqu'elle  fut  demandée  en  mariage.  Ses  pa- 
rents l'accordèrent,  et,  par  un  incompréhensible  dessein  deDieu,  cette  jeune 
vierge,  cette  sainte  et  aimable  enfant  qui,  du  moins,  semblait  prédestinée 
à  des  noces  heureuses,  fut  donnée  à  un  homme  qui  paraissait  bien  peu 
digne  d'aspirer  à  l'honneur  d'une  telle  alliance.  Patrice  était  de  Tagaste  où 
il  exerçait  la  charge  de  curiale.  Il  était  païen  de  religion,  indifférent,  sans 


SAINTE  MONIQUE,   VEUVE.  305 

principes  ;  il  était  violent,  colère  et  de  mœurs  légères.  Patrice  cependant 
avait  le  cœur  plus  grand  que  la  fortune,  et  nous  verrons  peu  à  peu  ces  qua- 
lités se  développer  sous  la  main  délicate  de  l'ange  que  Dieu  lui  donnait  pour 
compagne. 

La  foi  et  l'amour  de  Dieu  soutenaient  sainte  Monique.  Jusqu'ici  elle 
n'avait  habité  que  la  paix  d'un  foyer  chrétien.  Elle  ne  soupçonnait  pas  ce 
que  sont  ces  intérieurs  de  famille  où  Dieu  ne  préside  pas  et  où  les  passions, 
non  enchaînées,  font  de  la  vie  un  orage.  Sa  belle-mère  vivait  encore; 
païenne  comme  Patrice,  elle  lui  ressemblait  aussi  pour  l'humeur  et  le 
caractère  :  c'était  une  femme  impérieuse,  violente,  acariâtre  et  jalouse.  Les 
servantes  étaient  dignes  de  l'un  et  de  l'autre  :  elles  se  livraient  à  la  calom- 
nie envers  leur  jeune  maîtresse. 

Chaque  jour  révélait  à  Monique  les  abîmes  qui  la  séparaient  de  Patrice. 
Celui-ci  ne  comprenait  rien  à  la  vie  de  sa  sainte  compagne.  Ses  prières  le 
fatiguaient  ;  ses  aumônes  lui  paraissaient  excessives.  Il  trouvait  bizarre 
qu'elle  voulût  visiter  les  pauvres,  les  malades,  qu'elle  aimât  les  esclaves. 
C'était  là  pour  sainte  Monique  sa  vie  ou  plutôt  sa  souffrance  de  chaque  jour. 
Elle  s'y  serait  résignée,  si  du  moins  la  pureté  de  son  cœur  n'eût  rencontré 
aucun  péril.  Dès  les  premiers  jours,  si  jeune  encore,  si  innocente  surtout, 
elle  entrevit  avec  étonnement  tout  ce  qu'il  y  a  de  faiblesses  dans  un  cœur 
d'homme  que  la  grâce  de  Jésus-Christ  n'a  pas  touché.  Mais  cette  vue  ne  fit 
pas  défaillir  son  courage.  Au  lieu  de  s'abattre  comme  font  tant  de  chré- 
tiennes, et  surtout  au  lieu  de  s'éloigner  du  toit  conjugal,  élevant  son  cœur 
plus  haut,  Monique  comprit  que  Dieu  ne  lui  avait  pas  envoyé  cette  pauvre 
âme  pour  qu'elle  l'abandonnât  ;  mais  qu'au  contraire,  il  la  lui  avait  confiée 
pour  qu'elle  essayât  de  la  guérir,  de  la  convertir  et  de  l'illuminer. 

Pour  gagner  son  mari  a  Dieu,  elle  n'employa  ni  la  parole,  ni  la  discus- 
sion, ni  les  reproches.  Au  lieu  de  prêcher  la  vertu,  elle  la  pratiqua.  Elle 
s'efforça  d'être  douce,  humble,  patiente,  modeste,  dévouée;  sûre  que  si, 
au  lieu  de  mettre  la  vérité  sur  ses  lèvres,  elle  parvenait  à  la  mettre  dans  sa 
vie,  il  viendrait  un  jour  où  Patrice  n'y  résisterait  pas  et  se  rendrait  à  une 
lumière  si  douce,  si  discrète  et  si  vraie.  Elle  voyait  bien  les  faiblesses  et  les 
infidélités  de  son  mari  ;  mais  jamais  elle  ne  lui  en  dit  un  seul  mot.  Elle 
soutirait  en  silence.  Elle  pleurait  quand  il  était  absent  ;  elle  sollicitait  ar- 
demment pour  lui  la  foi  et  l'amour  divin,  seuls  capables  de  rendre  les 
hommes  chastes. 

Elle  observait  le  même  silence  de  douceur,  d'humilité,  de  discrétion,  de 
vrai  amour  quand  il  entrait  dans  ses  emportements.  Elle  attendait  que  cette 
fureur  fût  passée  ;  et  alors,  profitant  du  retour  de  la  raison,  et  de  ces  mo- 
ments de  tendresse  où  les  hommes,  violents,  mais  affectueux  comme  l'était 
Patrice,  cherchent  à  faire  oublier  leurs  emportements  à  ceux  qui  en  ont 
souffert;  elle  lui  disait  confidemment,  avec  une  grande  délicatesse,  et 
quand  elle  était  seule  avec  lui,  quelques  mots  d'explication  et  même  de 
tendre  reproche,  qui  presque  toujours  étaient  bien  reçus. 

Cette  méthode  de  douceur,  ce  secret  de  silence  et  d'abnégation,  elle 
le  conseillait  à  toutes  ses  amies;  et  quand  celles-ci,  meurtries  au  visage 
et  déshonorées  par  la  violence  de  leurs  jeunes  maris,  venaient  se  plaindre  à 
elle  :  «  Prenez-vous-en  à  votre  langue  »,  leur  disait-elle  agréablement.  Et 
l'on  sentait  bien  qu'elle  avait  raison  ;  car  bien  que  son  mari  fût  plus  violent 
que  personne,  jamais  il  ne  la  frappa.  Elle  put  le  voir  quelquefois  bondir  de 
colère  et  menacer  ;  il  n'alla  jamais  plus  loin  ;  de  son  doux  regard  elle  le 
contint  toujours.  Cette  douceur,  cette  délicatesse,  ce  dévouement  creusè- 
Vies  des  Saints.  —  Tome  V.  20 


306  4  Mi- 

rent dans  l'âme  de  Patrice,  à  son  insu,  un  sillon  dont  il  ne  sut  que  plus  tard 
la  profondeur.  Son  amour,  car  même  au  milieu  de  ses  emportements  et  de 
ses  faiblesses  il  aimait  Monique,  se  transformait  insensiblement.  Il  acqué- 
rait de  l'élévation  et  de  la  noblesse,  et  un  sentiment  de  respect  dont  il 
n'avait  jamais  eu  l'idée. 

Sans  doute  il  y  avait  loin  de  là  à  un  changement  de  mœurs,  à  une  con- 
version complète.  Mais  Monique  apprenait  tous  les  jours,  dans  la  prière, 
comment  se  rachètent  les  âmes  ;  elle  avait  une  confiance  absolue  en  Dieu, 
une  espérance  indomptable  en  son  secours,  avec  une  telle  certitude  de  l'ob- 
tenir, que  rien  n'était  capable  de  la  décourager  jamais. 

C'est  au  milieu  de  ces  tristes,  de  ces  premières  et  encore  bien  vagues  et 
bien  lointaines  espérances,  que,  pour  consoler  Monique,  pour  l'attacher  à 
Patrice  malgré  ses  infidélités,  et  lui  rendre  supportable  et  même  cher  ce 
foyer  où  elle  avait  tant  à  souffrir,  Dieu  lui  fit  goûter  pour  la  première  fois 
le  plus  grand  bonheur  qui  soit  peut-être  ici-bas,  après  celui  de  se  consacrer 
entièrement  à  lui  :  elle  fut  mère,  et,  encore  à  la  fleur  de  son  âge,  elle  vit 
successivement  trois  petits  enfants  se  suspendre  à  son  cou  et  commencer  à 
sourire  à  ses  larmes. 

Le  premier  qu'elle  reçut  des  mains  de  Dieu  fut  ce  fils  à  jamais  célèbre 
sous  le  nom  de  saint  Augustin.  On  dit  que,  pendant  qu'elle  le  portait,  elle 
eut  la  révélation  des  merveilles  dont  il  serait  un  jour  l'instrument,  si  elle 
savait  le  rendre  fidèle  à  Dieu. 

Le  second  se  nommait  Navigius.  Doux  et  pieux  enfant,  il  fut  jusqu'à  la 
fin,  et  surtout  pendant  les  tristes  écarts  d'Augustin,  le  tendre  consolateur  et 
le  gardien  fidèle  de  sa  mère.  Elle  eut  aussi  une  fille,  à  laquelle  on  croit 
qu'elle  donna  le  nom  d'une  des  Saintes  les  plus  populaires  de  l'Afrique, 
sainte  Perpétue,  la  célèbre  martyre  de  Carthage1. 

Monique  eût  été,  sinon  heureuse,  du  moins  consolée  en  recevant  de 
Dieu  cette  petite  famille,  si  une  douleur,  plus  amère  que  tout  ce  qu'elle 
connaissait  encore,  ne  fût  venue  se  mêler  à  ses  joies  et  n'eût  achevé  d'em- 
poisonner sa  vie.  Patrice  était  de  plus  en  plus  dominé  par  ses  tristes 
faiblesses.  Ni  la  beauté  de  l'esprit  et  du  cœur  de  sa  sainte  épouse,  ni  la  ten- 
dresse et  la  force  de  l'affection  qu'elle  lui  avait  vouées,  ni  la  naissance  suc- 
cessive de  trois  petits  enfants,  n'avaient  pu  enchaîner  cette  âme  légère,  et, 
malgré  les  supplications  et  les  larmes  de  Monique,  il  commençait  à  afficher 
ses  désordres.  Comment  peindre  ce  que  souffre  alors  une  femme  chrétienne, 
une  épouse,  une  mère?  C'est  là  ce  martyre  de  l'âme  dont  a  parlé  saint  Am- 
broise,  qui,  pour  s'accomplir  dans  le  secret  du  foyer  domestique,  n'est  ni 
moins  affreux  ni  moins  déchirant  que  le  martyre  du  corps. 

Abandonnée  à  la  fleur  de  l'âge,  trahie  par  le  père  de  ses  enfants,  Moni- 
que, qui  voyait,  après  quatre  à  cinq  ans  de  mariage,  s'évanouir  les  espé- 
rances dont  elle  s'était  bercée  dès  les  premiers  jours,  redoubla  de  ferveur  et 
de  confiance  en  Dieu,  et,  sans  rien  changer  à  ses  habitudes  de  silence,  de 
discrétion,  de  douce  et  patiente  attente  vis-à-vis  de  son  mari,  les  perfection- 
nant même,  elle  se  tourna  tout  entière  du  côté  de  ses  enfants. 

Mais,  si  tendres  que  fussent  les  soins  donnés  par  sainte  Monique  à  ses 
enfants,  ce  n'était  là  que  le  prélude  de  la  grande  œuvre  dont  elle  se  sentait 
chargée  par  Dieu.  Ce  qu'il  fallait  avant  tout  et  au  plus  vite,  c'était  de  former 
la  conscience  d'Augustin.  L'heure  allait  bientôt  venir  où,  des  leçons  de  sa 
mère,  il  passerait  aux  exemples  de  son  père  ;  où,  du  cœur  et  du  sein  de  Mo- 
nique, il  allait  tomber  dans  une  société  profondément  corrompue  et  habi- 

1.  Navigius  et  Perpétue  ont  eu  des  autels  et  un  culte  à  Rome. 


SAINTE  MONIQUE,   VEUVE.  307 

lement  corruptrice.  Aussi,  pour  former  cette  conscience,  Monique  mettait 
sans  cesse  devant  les  yeux  de  son  enfant  les  grands  principes  de  la  foi,  les 
vives  et  pures  lumières  de  l'Evangile.  Et  dans  ces  vives  et  pures  lumières,  il 
y  en  a  une  qu'elle  aimait  à  lui  transmettre  comme  un  trésor  qu'elle  avait 
reçu  de  ses  ancêtres  :  c'était  le  mépris  de  la  terre,  le  dégoût  pour  ce  qui  est 
fini,  limité,  périssable.  Elle  lui  parlait  sans  cesse  de  l'amour  de  Dieu,  de  la 
crèche  où  il  était  descendu,  et  où  il  s'était  fait  pauvre  et  esclave  pour  nous  ; 
de  la  croix  où  il  était  monté  tout  sanglant,  afin  de  nous  donner  la  mesure 
de  son  amour.  Pour  mettre  le  dernier  trait  à  la  conscience  de  son  fils,  Mo- 
nique s'efforçait  de  lui  inspirer  l'horreur  du  mal,  la  haine  de  tout  ce  qui 
souille  le  cœur  et  le  dégrade.  Et,  avec  cette  abnégation  des  mères  qui  ne 
craignent  pas  de  s'humilier  pour  préserver  leurs  enfants,  elle  lui  avouait 
jusqu'à  ses  propres  fautes. 

C'est  ainsi  qu'elle  forma  peu  à  peu  l'âme  d'Augustin,  qu'elle  y  mit  la 
profondeur,  la  tendresse,  la  délicatesse,  la  droiture;  qu'elle  lui  fit  enfin 
cette  conscience  dont  il  ne  put  jamais  se  débarrasser. 

Augustin  n'était  encore  que  catéchumène  quand  une  maladie  vint  tout 
à  coup  le  mener  jusqu'au  bord  de  la  tombe.  Sa  mère  courait  inquiète,  se 
précipitait,  demandant  à  grands  cris  le  baptême  pour  son  enfant  qui,  pressé 
d'horribles  souffrances,  ne  pensait  cependant  qu'à  Dieu,  à  son  âme,  à  son 
éternité.  Patrice  laissait  faire  sainte  Monique,  parce  qu'il  était  trop  homme 
d'honneur  et  en  même  temps  trop  généreux,  pour  gêner,  sur  le  bord  de  la 
tombe,  la  liberté  de  conscience  de  son  enfant,  et  pour  ajouter  dans  le  cœur 
de  Monique,  à  l'amère  douleur  de  perdre  son  Augustin,  la  douleur,  plus 
amère  mille  fois,  de  voir  son  éternité  exposée  et  son  salut  compromis. 
Mais  aussitôt  que  le  danger  eut  cessé,  l'indifférent  et  le  païen  repa- 
rurent en  Patrice,  et  il  signifia  sa  volonté  que  le  baptême  fût  renvoyé  à 
plus  tard. 

Monique  n'insista  pas  ;  car,  avec  Patrice,  elle  ne  le  savait  que  trop,  il 
n'y  avait  pas  à  insister.  Seulement  elle  sentit  qu'elle  contractait  une  obliga- 
tion encore  plus  stricte  que  par  le  passé,  de  veiller  sur  l'âme  de  son  fils. 
Avertie  par  le  danger  qu'il  venait  de  courir,  elle  résolut  de  ne  pas  le  perdre 
un  instant  de  vue,  et,  sacrifiant  de  plus  en  plus  les  tristes  plaisirs  du  monde, 
elle  se  constitua  son  ange  gardien  et  sa  providence  visible.  Afin  que  rien  ne 
vînt  la  contrarier  dans  ce  travail  important,  elle  s'appliqua  avec  plus  de 
zèle  que  jamais  à  employer  vis-à-vis  de  son  mari,  de  sa  belle-mère,  de  ses 
parents,  de  ses  domestiques  même,  cette  méthode  de  douceur  et  de  patience 
dont  nous  avons  déjà  parlé,  avec  laquelle  elle  espérait  bien  les  désarmer 
tous.  En  effet,  la  paix  rayonna  bientôt  autour  d'elle,  et  sa  maison  ressembla 
à  ces  sanctuaires  dont  le  silence  garde  les  entrées,  et  qui  remplissent  de 
leur  calme  tous  ceux  qui  y  apportent  leurs  agitations  et  leurs  douleurs. 
Mais  c'est  surtout  vis-à-vis  de  son  mari  qu'elle  déploya  les  industries  de  sa 
belle  âme  et  les  richesses  de  son  admirable  méthode.  11  était  païen,  elle 
voulut  le  ramener  à  Dieu  ;  il  était  père,  elle  voulut,  à  son  insu,  l'associer  à 
son  œuvre  ;  elle  voulut  au  moins  obtenir  qu'il  ne  la  contrariât  pas. 

Monique,  qui  savait  que  plus  tard  peut-être  les  passions  viendraient  et 
emporteraient  d'autant  plus  rapidement  le  jeune  homme  qu'il  aurait  pour 
excuse  l'exemple  de  son  père  ;  Monique,  disons-nous,  qui  savait  combien 
ces  premiers  temps  sont  propices  pour  former  le  cœur  d'un  enfant,  ne  per- 
dait pas  un  seul  jour.  Comme  on  jette  au  printemps  de  belles  semences 
dans  un  jardin,  elle  jetait  chaque  matin  quelque  vérité  dans  l'âme  de  son 
fils.  Elle  réussissait  si  bien,  que  toutes  les  objections  et  toutes  les  résistances 


308  4  *^r- 

de  Patrice  tombaient  impuissantes  devant  ce  doux  empire  qu'elle  avait  pris 
sur  son  fils  et  qui  croissait  chaque  jour. 

Libre  ainsi,  ne  trouvant  plus  d'obstacles,  ou  en  trouvant  chaque  jour  de 
moins  grands,  elle  se  hâtait  d'achever  la  conscience  d'Augustin.  Sa  vie  se 
résumait  de  plus  en  plus  en  deux  mots  :  Dieu  et  son  enfant. 

L'inquiétude  allait  bientôt  se  mêlera  ces  premières  joies  d'une  mère. 
Augustin  sortait  à  peine  de  l'enfance,  et  déjà  il  fallait  songer  à  lui  faire 
commencer  ses  études.  Sainte  Monique,  qui  craignait  qu'en  voulant  former 
son  esprit  on  ne  déformât  sa  conscience  ou  son  cœur,  ne  se  hâta  pas  de 
l'éloigner.  Elle  le  confia  à  des  maîtres  qui  habitaient  Tagaste.  Mais  Augus- 
tin montra  une  paresse  insurmontable,  un  dégoût  pour  l'étude  que  rien  ne 
pouvait  vaincre. 

Alarmée  de  cette  première  apparition  du  mal  dans  l'âme  de  son  enfant, 
et  sentant  qu'à  cette  noble  nature  il  fallait  un  autre  aiguillon  que  la  crainte, 
Monique  conduisit  son  fils  à  «  des  serviteurs  de  Dieu  »,  à  «  des  hommes  de 
prière»,  afin  qu'ils  l'aidassent  à  surmonter  son  aversion  pour  l'étude  par 
des  motifs  plus  élevés.  A  ce  défaut,  Augustin  joignait  un  orgueil,  une  pas- 
sion désordonnée  pour  le  succès  et  les  louanges,  et  un  amour  singulier  pour 
le  jeu  et  le  plaisir. 

n'est  au  milieu  de  ces  inquiétudes  que  notre  Sainte  se  vit  obligée  de  se 
séparer  de  son  fils.  Augustin  commençait  à  grandir,  et  Tagaste  n'offrait  pas 
assez  de  ressources  pour  l'éducation  d'un  jeune  homme.  On  résolut  de  l'en- 
voyer à  Madaure,  la  patrie  d'Apulée.  Monique  y  conduisit  et  y  laissa  son 
fils,  après  avoir  versé  dans  son  cœur  tous  les  conseils  avec  toutes  les  larmes 
que  verse  une  mère  en  pareille  circonstance. 

bur  ces  entrefaites,  Dieu  réservait  à  Monique  une  consolation  :  Patrice 
fit  vers  la  religion  et  l'Eglise  un  premier  pas.  La  vérité  l'avait  emporté,  et 
Patrice  venait  de  déclarer  à  sa  pieuse  épouse  qu'il  était  résolu  à  abjurer  le 
paganisme.  Avec  quelle  joie  Monique  avait  accueilli  cette  nouvelle  !  Tres- 
saillant de  bonheur,  elle  l'accompagna  à  l'église  pour  y  abjurer  publique- 
ment le  paganisme  et  y  faire  profession  de  la  foi  chrétienne.  Augustin,  de 
retour  à  Tagaste,  les  suivit. 

Mais  au  moment  où  sainte  Monique  commençait  à  gagner  son  mari,  son 
fils  achevait  de  lui  échapper.  Elle  vint  donc  trouver  Augustin,  et  com- 
mença à  lui  montrer,  par  son  émotion  et  par  ses  larmes,  ce  qu'elle  pensait 
du  triste  état  de  son  âme.  Souvent  elle  le  prenait  à  part,  et,  en  se  prome- 
nant avec  lui,  elle  lui  disait  quelque  chose  de  Dieu,  de  la  foi  de  son  enfance, 
de  la  paix  et  de  l'honneur  des  cœurs  purs,  de  la  laideur  du  mal,  et  de 
l'horreur  qu'il  doit  nous  inspirer.  Mais  Augustin  ne  comprenait  déjà  plus 
ce  langage. 

Monique,  remplie  d'inquiétude,  allait  de  nouveau  être  obligée  de  se  sépa- 
rer de  son  fils.  Les  vacances  étant  terminées,  elle  le  conduisit  à  Garthage 
pour  y  continuer  ses  études.  Dans  une  ville  aussi  profondément  corrompue, 
Augustin  ne  devait  pas  tarder  à  tomber  dans  les  plus  grands  excès.  Quand 
Monique  apprit  les  désordres  de  son  fils,  sa  douleur  fut  si  profonde,  qu'on 
put  craindre  qu'elle  n'y  succombât.  Ses  larmes  coulaient  jour  et  nuit.  Elle 
ne  savait  môme  plus  les  contenir  en  public.  Il  y  avait  des  jours  où,  quand 
elle  revenait  du  saint  sacrifice,  la  place  qu'elle  avait  occupée  en  était  toute 
baignée. 

L'Eglise  a  institué,  le  A  mai,  en  l'honneur  de  sainte  Monique,  une  fête 
qu'on  pourrait  appeler  la  fête  des  larmes  d'une  mère  chrétienne.  Voici  sur 
quel  ton  et  de  quelle  manière  : 


SAINTE  MONIQUE,   VEUVE.  309 

Ànt.  I*\  —  Elle  pleurait  et  elle  priait  assidûment,  cette  mère,  afin  d'ob- 
tenir la  conversion  de  son  Augustin. 

Ant.  2.  —  0  bienheureuse  mère,  qui  deviez  un  jour  être  exaucée  selon 
l'immensité  de  vos  désirs  !  En  attendant,  elle  pleurait  jour  et  nuit,  cette 
mère  affligée,  et  elle  priait  ardemment  pour  son  fils. 

Ant.  3.  —  La  voilà,  cette  veuve  qui  sait  pleurer  ;  elle  qui  versa  de  si 
constantes  et  de  si  amères  larmes  pour  son  fils. 

Ant.  4.  —  Ils  ont  élevé  leurs  voix,  Seigneur  ;  ils  ont  élevé  leurs  voix,  ces 
fleuves  de  larmes  qui  tombaient  des  yeux  de  cette  sainte  mère. 

Ant.  5.  —  Elle  pleurait  sans  mesure,  cette  mère  inconsolable 

Tout  l'office  continue  sur  ce  ton,  et  nous  révèle  dans  cette  mère  admi- 
rable une  douleur  comme  il  n'y  en  a  pas  un  second  exemple  dans  l'histoire 
de  l'Eglise. 

Une  chose  cependant  soutenait  ici  notre  Sainte  ;  c'est  qu'elle  ne  pleurait 
plus  seule.  Patrice,  en  s'associant  à  sa  foi,  commençait  à  s'associer  à  ses 
larmes.  Bientôt  il  tomba  malade,  demanda  et  reçut  le  baptême  avec  une 
grande  ferveur.  Après  quoi  il  s'endormit  chrétiennement  et  en  paix,  assisté 
par  l'ange  que  Dieu  lui  avait  donné  pour  épouse,  et  qui,  à  force  de  dou- 
ceur, de  patience,  de  tendre  dévouement,  de  courageux  sacrifices,  l'avait 
ramené  de  si  loin  et  rendu  à  Dieu. 

Après  la  mort  de  Patrice,  les  belles  aspirations  de  l'âme  de  sainte  Moni- 
que, gênées  et  comprimées  pendant  son  mariage,  ne  trouvant  plus  d'obsta- 
cles, on  la  vit  rapidement  s'élever  à  ce  que  la  vertu  à  de  plus  héroïque.  Par 
un  sentiment  de  touchante  fidélité  à  la  mémoire  de  son  mari,  elle  jura  dans 
son  cœur  qu'elle  n'aurait  pas  d'autre  époux  mortel.  Au  deuil  de  Patrice 
qu'elle  porta  toute  sa  vie,  se  joignait  le  deuil  de  la  mère  qui  voit  périr  l'âme 
de  son  fils  et  qui,  pour  la  sauver,  ne  peut  que  prier  et  s'immoler  pour  lui. 
Pour  que  ses  larmes  devinssent  plus  puissantes  et  ses  prières  égales  au 
besoin  qu'Augustin  en  avait,  elle  s'enferma  dans  la  solitude  et  se  voua  plus 
entièrement  que  jamais  au  silence,  à  la  vie  cachée,  au  dévouement,  à  toutes 
les  misères,  et  avant  tout  au  pur  et  généreux  amour  de  Dieu.  Dès  lors  ses 
jeûnes  furent  fréquents  et  rigoureux.  Son  temps  était  consacré  au  service 
des  pauvres  qu'elle  nourrissait  et  pansait  de  ses  mains.  Elle  visitait  les  hôpi- 
taux, passait  de  longues  heures  au  chevet  du  lit  des  infirmes  et  ensevelissait 
les  morts.  Elle  tenait  lieu  de  mère  aux  petits  orphelins,  les  élevait  comme 
ses  propres  enfants,  les  recueillait  quelquefois  dans  sa  propre  maison  et  les 
nourrissait  à  sa  table. 

Mais  la  plus  belle  de  toutes  ses  œuvres,  celle  à  laquelle  elle  donnait  tout 
son  cœur,  c'était  de  consoler  les  veuves  et  les  femmes  mariées.  Aussi  elle 
employait  à  ces  œuvres  difficiles  toute  sa  douceur,  sa  délicatesse  exquise, 
son  profond  et  lumineux  esprit.  C'est  à  la  source  toujours  vive  et  intaris- 
sable de  l'amour  et  du  sacrifice,  à  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  présent  au 
saint  autel,  qu'elle  venait  sans  cesse  se  rafraîchir  et  se  retremper. Chaque  matin 
elle  assistait  à  la  sainte  messe,  et,  soit  à  la  sainte  table,  soit  dans  ses  oraisons, 
Dieu  la  comblait  des  grâces  les  plus  privilégiées.  Elle  avait  le  don  des  larmes. 

Pendant  ce  temps,  avec  la  vertu,  la  foi  elle-même  avait  baissé  dans  l'âme 
d'Augustin.  Monique  suivait  avec  épouvante  tous  les  progrès  du  mal,  mais 
sans  se  décourager.  Elle  avait  foi  en  Dieu.  Cependant  Augustin,  séduit  par 
les  Manichéens,  venait  de  se  faire  l'apôtre  de  leurs  erreurs.  Qui  pourrait 
peindre  l'étonnement  et  la  douleur  de  sainte  Monique  à  cette  nouvelle  im- 
prévue ?  Les  vacances  approchaient  et  Augustin  allait  revenir  à  Tagaste. 
Sainte  Monique  résolut  de  l'attendre. 


310  4  MAI. 

Quand  Augustin  rentra  à  la  maison  paternelle,  au  premier  mot  qu'il 
laissa  échapper  de  son  hérésie,  sainte  Monique  se  redressa  indignée.  Elle  se 
sentait  atteinte  dans  ce  qu'il  y  avait  en  elle  de  plus  délicat  et  de  plus  pro- 
fond. L'amour  qu'elle  avait  pour  Dieu,  l'attachement  à  la  sainte  Eglise,  sa 
tendresse  pour  un  fils  égaré,  la  crainte  de  le  voir  perdu  à  jamais,  l'horreur 
du  mal,  s'unissantà  la  fois  dans  son  âme,  lui  inspirèrent  un  des  plus  beaux 
actes  d'énergie  chrétienne  dont  l'histoire  des  Saints  ait  gardé  le  souvenir. 
Elle  chassa  Augustin  de  chez  elle,  lui  déclara  qu'elle  ne  le  souffrirait  plus 
ni  à  sa  table  ni  à  son  toit  ;  et,  détestant  les  blasphèmes  dont  il  faisait  pro- 
fession, pleine  de  cette  colère  auguste  qui  investit  une  mère  d'une  si  irré- 
sistible autorité,  elle  lui  ordonna  de  sortir  de  sa  maison  et  de  n'y  plus  ren- 
trer. Augustin  baissa  la  tête  et  sortit.  Après  son  départ,  Monique,  se 
retrouvant  mère,  tomba  à  genoux,  laissa  couler  ses  larmes,  et  appela  Dieu 
à  son  aide. 

Dieu  l'écouta,  car  elle  eut  un  songe  qui  lui  rendit  un  peu  de  calme  en 
lui  rendant  l'espérance.  «  Il  lui  semblait  »,  dit  saint  Augustin,  «  être  debout 
sur  une  règle  de  bois,  triste  et  accablée,  lorsqu'elle  vit  venir  à  elle  un  jeune 
homme  rayonnant  de  lumière,  gai  de  visage  et  qui  souriait  à  sa  douleur. 
En  l'abordant,  il  l'interrogea  sur  la  cause  de  ses  larmes  ;  mais  on  voyait  à 
son  air  qu'il  la  savait,  et  qu'il  ne  l'interrogeait  que  pour  la  consoler.  Monique 
avait  répondu  qu'elle  pleurait  la  perte  de  son  fils  :  —  Oh  !  reprit  le  jeune 
homme,  ne  vous  inquiétez  pas  ainsi.  Et,  montrant  du  doigt  la  règle  de  bois 
sur  laquelle  elle  était,  il  ajouta  :  Voyez  votre  enfant.  Il  est  là  où  vous  êtes. 
—  Elle  regarda  alors  plus  attentivement,  et  elle  m'aperçut  en  effet,  auprès 
d'elle,  debout  sur  la  môme  règle  ». 

Tout  émue,  Monique  courut  trouver  son  fils,  et  lui  raconta  le  songe 
qu'elle  venait  d'avoir.  Augustin  essaya  de  l'interpréter  à  son  avantage. 
«  Non,  non  » ,  reprit  la  Sainte,  «  il  n'a  pas  dit  :  Où  il  est,  tu  seras  ;  mais  : 
Il  sera  où  tu  es  ».  Pleine  d'espérance,  Monique  permit  à  son  fils  de  reprendre 
sa  place  à  la  maison  et  à  la  table  paternelle. 

Sainte  Monique  évitait  avec  son  fils  toute  discussion,  mais  cherchait 
partout  des  hommes  qui  eussent  assez  d'autorité  et  de  talent  pour  se  faire 
écouter  par  lui.  Un  jour,  elle  apprit  l'arrivée  à  Tagaste  d'un  vénérable  et 
savant  évêque.  Monique  y  court  tressaillant  d'espérance,  fermement  per- 
suadée que  sa  vision  allait  se  réaliser.  Mais  le  saint  évêque  lui  dit  en 
secouant  la  tête  que  le  moment  n'était  pas  encore  venu.  «  Laissez-le  », 
ajouta-t-il  ;  «  seulement  priez  beaucoup  ».  Comme  sainte  Monique,  fondant 
en  larmes, le  pressait  de  voir  son  fils  :  «  Allez,  allez  »,  lui  dit  l'évêque  atten- 
dri, «  il  est  impossible  que  le  fils  de  tant  de  larmes  périsse  ». 

Ce  mot  perça  au  vif  le  cœur  de  sainte  Monique.  Il  lui  sembla  qu'il  des- 
cendait du  ciel.  Monique  rentra  chez  elle  en  le  méditant  ;  car  ce  simple  mot 
d'un  vieillard,  joint  à  la  vision  qu'elle  avait  eue,  commença  à  l'apaiser  un 
peu,  en  lui  rendant  l'espérance. 

Ce  calme  ne  fut  pas  de  longue  durée  :  sur  ces  entrefaites,  elle  reçut  une  lettre 
d'Augustin  qui  lui  annonçait  qu'il  venait  de  se  décider  à  quitter  Carthage  pour 
aller  s'établir  à  Rome.  A  cette  nouvelle,  sainte  Monique  éprouva  un  affreux 
sorrement  de  cœur  ;  car  le  voir  partir  pour  Rome  avec  une  foi  éteinte,  un 
esprit  flottant  à  tout  vent  de  doctrine,  une  âme  consumée  par  les  passions, 
c'était  comme  si  elle  l'eût  vu  se  jeter  dans  les  abîmes.  Prenant  aussitôt  son 
parti,  elle  décida  qu'Augustin  ne  partirait  pas  pour  Rome,  ou  qu'elle  parti- 
rait avec  lui,  et  que,  dans  le  péril  où  était  son  âme,  elle  ne  l'abandonnerait 
pas.  Elle  se  rendit  aussitôt  à  Carthage,  se  jeta  au  cou  de  son  fils,  le  serra 


SAINTE  MONIQUE,   VEUVE.  311 

violemment  dans  ses  bras,  et  le  conjura  avec  des  flots  de  larmes  de  ne  pas 
partir,  ou  du  moins  de  l'emmener  avec  lui.  Dès  lors  elle  ne  voulut  pas  le 
quitter;  mais  pendant  que,  accablée  de  fatigue  et  d'émotion,  elle  passait  la 
nuit  dans  les  larmes,  retirée  dans  une  petite  chapelle  dédiée  à  saint  Cyprien, 
l'illustre  évoque  de  Carthage,  Augustin  montait  sur  un  vaisseau  et  s'éloi- 
gnait du  rivage,  malgré  la  promesse  faite  à  sa  mère.  Quand,  le  matin  venu, 
sortant  de  la  chapelle,  elle  trouva  la  rive  déserte  et  le  vaisseau  disparu,  elle 
devint  «  folle  de  douleur  ».  Elle  errait  sur  le  bord  de  la  mer,  et  le  remplis- 
sait de  ses  cris.  Elle  accusait  son  fils.  Elle  se  plaignait  à  Dieu.  Enfin,  épuisée 
de  larmes,  abattue,  à  bout  de  forces,  après  avoir  mille  fois  accusé  son  fils  de 
cruauté  et  de  mensonge,  n'ayant  aucun  moyen  de  le  suivre  sur  les  flots, 
elle  revint  à  Tagaste. 

Sainte  Monique,  n'y  tenant  plus,  résolut  d'aller  rejoindre  son  fils.  Elle 
arrive  à  Rome  ;  mais  elle  ne  l'y  trouve  plus.  Il  était  déjà  parti  pour  Milan. 
Elle  repartit  donc  aussitôt,  pleine  de  la  môme  ardeur,  et  soutenue,  à  travers 
les  fatigues  de  ce  second  voyage,  par  cette  même  foi  indomptable  qu'elle 
reverrait  son  fils  et  qu'elle  le  convertirait. 

A  peine  arrivée  à  Milan,  elle  alla  trouver  saint  Ambroise  qui  la  reçut 
avec  une  joie  attendrie.  Il  ne  pouvait  se  lasser  de  contempler  cette  mère, 
sur  le  visage  de  laquelle  l'amour  de  Dieu  et  la  tendresse  pour  un  fils  égaré 
avaient  creusé  de  si  vénérables  sillons.  Leurs  rapports  furent  fréquents  et 
intimes.  Monique,  qui  avait  appris  de  saint  Ambroise  à  ne  pas  entrer  en 
discussion  avec  son  fils,  et  qui  était  décidée  à  abandonner  à  un  homme  si 
sage  le  soin  de  le  sauver,  continuait  à  prier,  à  se  taire,  et  à  verser  au  pied 
des  saints  autels  ses  larmes  toutes-puissantes. 

Enfin  Monique  vit  arriver  le  moment  après  lequel  elle  soupirait  depuis 
si  longtemps.  Augustin,  après  dix-sept  années  de  résistance,  se  rendit. 
Sainte  Monique  ne  contenait  plus  sa  joie  ;  elle  couvrait  son  fils  de  son 
regard  heureux  ;  elle  l'arrosait  de  ses  larmes.  0  moment  heureux,  où  une 
mère  retrouve  son  enfant  qu'elle  croyait  mort,  ou  qu'elle  voyait  mourir  ! 
Mais,  ô  moment  plus  heureux  encore,  où  une  mère  chrétienne  voit  renaître 
dans  l'âme  de  son  fils  la  foi,  la  pureté,  le  courage,  la  vertu  ;  et  où,  chré- 
tienne affligée  des  douleurs  de  l'Eglise,  elle  prévoit  que  ce  fils  dégénéré  eu 
va  devenir  la  lumière,  la  gloire  et  le  vengeur  1 

Dès  que  les  vacances  furent  ouvertes,  sainte  Monique  amena  Augustin  à 
la  campagne.  C'est  là  que  l'un  et  l'autre  vinrent  cacher  leur  joie  et  prépa- 
rer leurs  âmes  au  grand  jour  du  saint  baptême.  Quelques  amis  s'étaient 
joints  à  eux.  Sainte  Monique  était  l'apôtre  de  ce  petit  cénacle.  "îout  son  es- 
prit, tout  son  génie,  tout  son  cœur,  toute  sa  foi,  toutes  les  ardeurs  de  son 
zèle,  toutes  les  industries  de  sa  charité,  elle  les  employait  à  secocd^  en  eux 
l'action  de  Dieu.  Sainte  Monique  assistait  à  toutes  les  conférences  de  son 
fils  avec  ses  jeunes  amis  ;  elle  y  prenait  quelquefois  la  parole,  et  comme 
Dieu  donne  à  la  pureté  et  à  l'amour  un  singulier  don  de  lumière,  elle  lais- 
sait tomber,  au  milieu  des  entretiens,  des  mots  qu'Augustin  faisait  transcrire 
aussitôt  sur  ses  tablettes,  et  que  nous  allons  recueillir  à  notre  tour  pour 
achever  de  connaître  par  eux  la  mère  du  Platon  chrétien. 

«  L'âme  n'a  qu'un  seul  aliment,  c'est  de  connaître  et  d'aimer  la  vérité  ». 
— <•  «  Celui  qui  désire  le  bien  et  le  possède,  est  heureux.  Mais  s'il  veut  le 
mal,  quand  même  il  l'obtiendrait,  combien  il  est  malheureux  !»  —  «  Celui 
qui  aime  et  possède  des  choses  périssables  ne  peut  jamais  être  heureux  : 
fùt-il  même  sûr  de  ne  jamais  les  perdre,  je  l'estimerais  encore  malheureux, 
parce  que  tout  ce  qui  est  passager,  est  sans  rapport  avec  l'âme  de  l'homme. 


312 

Et  plus  il  le  recherchera,  plus  il  sera  misérable  et  indigent;  car  toutes  les 
choses  de  la  terre  ne  rendraient  jamais  une  âme  heureuse  1  ». 

Après  six  mois  passés  dans  cette  intime  et  délicieuse  vie  de  Cassiacum ', 
sainte  Monique  et  son  fils  retournèrent  à  Milan.  Le  moment  du  baptême 
étant  arrivé,  Augustin  se  rendit  à  l'église  de  Saint-Jean-Baptiste,  accompa- 
gné de  sa  mère  et  de  ses  amis.  Monique,  vêtue  de  la  robe  blanche  bordée 
de  pourpre  des  veuves,  enveloppée  de  longs  voiles,  s'efforçait  en  vain  de 
cacher  à  tous  les  regards  la  joie  qui  inondait  son  âme.  Un  rayon  de  paix, 
de  sécurité  toute  divine,  apparaissait  sur  son  front  et  achevait  de  donner 
à  sa  physionomie  quelque  chose  de  céleste. 

Ce  qui  avait  grandi  le  plus  en  sainte  Monique,  c'était  l'amour,  car  son 
amour  pour  Jésus-Christ  et  son  amour  pour  Augustin  ne  faisaient  qu'un.  Ils 
avaient  crû  ensemble.  Elle  avait  déjà  eu  quelques  extases  dans  la  prière  ; 
mais  depuis  le  baptême  elles  devinrent  plus  fréquentes.  Quelquefois  elle  était 
si  enivrée  de  son  bonheur  qu'elle  demeurait  un  jour  entier  absorbée,  sans 
parole,  sans  préoccupation  de  ce  qui  l'entourait,  jouissant  intérieurement 
et  seule  avec  Dieu.  D'autres  fois,  elle  perdait  jusqu'à  l'usage  de  ses  sens. 
Depuis  la  conversion  de  son  fils,  elle  ne  pensait  plus  qu'au  ciel,  et  il  était 
facile  d'entrevoir  qu'on  ne  la  retiendrait  pas  longtemps  ici-bas.  Un 
jour  elle  parut  comme  s'élever  de  terre,  et,  ravie  hors  d'elle-même,  elle  se 
mit  à  crier  :  «Volons  au  ciel,  volons  au  ciel  ».  Son  visage  resplendissait 
d'une  joie  toute  divine.  Depuis  lors,  cette  idée  du  ciel  ne  la  quitta  plus. 
Maintenant  qu'elle  voyait  son  fils  converti,  pieux,  n'ayant  plus  besoin  dêtre 
couvert  de  la  protection  de  sa  mère,  l'idée  du  ciel  reprenait  sans  cesse  le 
dessus. 

Comme  Augustin  et  ses  amis  ne  songeaient  plus  qu'à  retourner  en 
Afrique,  sainte  Monique  partit  avec  eux.  On  arriva  à  Civita-Vecchia,  puis  à 
Rome  et  enfin  à  Ostie  où  on  espérait  rencontrer  un  navire  qui  les  transpor- 
terait tous  en  Afrique  ;  mais  il  fallut  attendre  quelques  jours.  Sur  ces  entre- 
faites, elle  dit  à  son  fils  :  «  Plus  rien  maintenant  ne  me  retient  sur  la  terre. 
Je  ne  sais  plus  ce  que  j'ai  à  y  faire,  ni  pourquoi  j'y  suis  encore,  puisque  j'ai 
réalisé  toutes  mes  espérances  ».  Cinq  jours  après  cet  entretien,  elle  fut  prise 
d'un  accès  de  fièvre  qui  l'obligea  à  se  mettre  au  lit.  Elle  comprit  que  l'Epoux 
l'appelait,  et  elle  ne  pensa  plus  qu'à  se  préparer  à  sa  venue.  Etant  au  lit, 
recueillie  et  priant,  elle  eut  un  ravissement,  une  de  ces  douces  et  fortes 
extases  qui  enlèvent  l'âme  à  elle-même,  en  laissant  le  corps  immobile  et 
évanoui.  On  la  crut  morte.  On  s'empressa  autour  d'elle.  On  s'agitait  et  on 
cherchait  des  remèdes  pour  la  rappeler  à  la  vie,  lorsqu'elle  ouvrit  douce- 
ment les  yeux,  a  Où  étais-je  ?  »  dit-elle  étonnée  ;  et  pour  révéler  en  un  mot 
de  quelles  hautes  régions  elle  descendait,  et  ce  qu'elle  y  avait  appris  : 
«  Vous  enterrerez  ici  votre  mère  !  »  dit-elle. 

A  ce  mot,  Augustin  sentit  les  larmes  monter  à  flots  de  son  cœur  ;  mais 
il  eut  la  force  de  les  retenir.  «  Vous  enterrerez  mon  corps  où  vous  voudrez, 
reprit-elle.  Ne  vous  en  mettez  pas  en  peine.  Peu  m'importe.  Ce  que  je  vous 
demande  seulement,  c'est  de  vous  souvenir  de  moi  à  l'autel  du  Seigneur, 
et  en  quelque  lieu  que  vous  soyez  ». 

A  partir  de  ce  moment ,  Monique  se  tut,  uniquement  occupée  de 
recueillir  son  âme  pour  la  préparer  à  la  venue  de  l'Epoux.  Elle  souffrait  de 
cruelles  douleurs  ;  mais  la  douleur  n'est  pas  un  obstacle  à  la  transfiguration 

1.  De  beat.  Vita,  n.  8,  10,  11. 

2.  Villa  que  Verecundus,  un  des  collègues  de  saint  Augustin  dans  l'enseignement,  avait  mise  à  1» 
fars  i% 'as.i  ùe  sainte  Monique. 


SAINTE  MONIQUE,  VEUVE.  313 

des  âmes.  Augustin  assistait  silencieux  à  cette  transfiguration  de  sa  mère. 
Il  ne  la  quittait  pas  un  instant  ;  tour  à  tour  ravi  et  brisé,  il  suivait  des  yeux, 
il  aidait  même  de  sa  prière,  du  vif  élan  de  son  cœur,  ce  merveilleux  et  dur 
travail  qui  allait  dégager  sainte  Monique  de  son  enveloppe  terrestre. 

Celle-ci  l'encourageait  du  regard  :  souffrant  beaucoup,  mais  sentant 
qu'elle  arrivait  enfin,  qu'il  ne  fallait  plus  qu'un  effort,  elle  le  remerciait  de 
l'appui  qu'il  lui  prêtait.  Neuf  jours  s'écoulèrent  ainsi,  au  bout  desquels 
sonna  enfin  l'heure  de  la  délivrance.  Elle  priait  en  silence,  pleine  de  foi, 
détachée  de  tout,  heureuse,  sentant  qu'elle  allait  la  première  en  un  lieu  où 
Augustin  viendrait  la  rejoindre,  et  laissant  sur  son  visage  un  reflet  de  lu- 
mière, de  joie  et  de  paix. 

On  dit  qu'au  dernier  moment,  comme  elle  demandait  avec  de  plus  vives 
instances  la  sainte  Eucharistie  qu'on  croyait  toujours  devoir  lui  refuser  à 
cause  de  ses  cruelles  souffrances  de  l'estomac,  on  vit  entrer  dans  sa  cham- 
bre un  petit  enfant  qui  s'approcha  de  son  lit,  la  baisa  sur  la  poitrine,  et 
aussitôt,  comme  s'il  l'eût  appelée,  elle  inclina  la  tête  et  rendit  le  dernier 
soupir.  C'était  en  Tannée  387,  le  neuvième  jour  de  sa  maladie,  la  cinquante- 
sixième  année  de  son  âge. 

Aussitôt  que  Monique  eut  expiré  ,  Augustin  n'y  put  tenir.  Sentant 
s'amonceler  dans  son  âme  les  flots  d'une  douleur  immense,  arrêtant  à  force 
d'énergie  des  ruisseaux  de  larmes  prêts  à  déborder,  il  se  lève,  s'approche 
du  lit,  regarde  longuement  une  dernière  fois  le  visage  de  sa  mère,  et  après 
avoir  fermé,  d'un  doigt  reconnaissant,  ces  yeux  qui  avaient  tant  pleuré  sur 
lui,  il  s'enfuit  à  la  hâte  ;  car  il  ne  voulait  pas  attrister  par  ses  gémissements 
une  scène  où  son  cœur  de  chrétien  lui  disait  que  tout  devait  respirer  l'allé- 
gresse. «  Je  sentais  »,  dit-il,  «  affluer  dans  mon  cœur  une  douleur  immense, 
prête  à  déborder  en  torrents  de  pleurs  ;  mais  mes  yeux,  sur  l'impérieux 
commandement  de  mon  âme,  ravalaient  leur  courant  jusqu'à  demeurer 
secs,  et  cette  lutte  me  déchirait  ».  —  Le  corps  de  sainte  Monique  fut  porté 
à  l'église,  où  l'on  offrit  pour  elle  le  sacrifice  avant  de  la  descendre  au  tom- 
beau, comme  cela  se  pratiquait  parmi  les  fidèles. 

Dans  l'église  de  Saint-Augustin,  à  Rome,  la  chapelle  dédiée  à  sainte  Mo- 
nique est  ornée  de  peintures  à  fresque  qui  représentent  sa  vie,  ou  plutôt 
toutes  ses  espérances  et  toutes  ses  joies.  On  la  voit  d'abord  les  yeux  mouillés 
de  pleurs,  avec  un  rayon  de  bonheur  sur  le  front,  écoutant  un  vieil  évêque 
qui  lui  annonce  la  conversion  future  du  fils  de  tant  de  larmes.  Plus  loin,  on 
revoit  la  même  figure,  noyée  dans  la  même  douleur  ;  mais  le  rayon  de  joie 
est  plus  vif  :  elle  écoute  un  ange  qui  lui  dit  :  Ubi  tu  et  ille,  «  où  tu  es  il 
viendra  » ,  et  qui  lui  montre  dans  le  lointain  les  deux  ombres  unies  et  heu- 
reuses de  la  mère  et  du  fils.  Plus  loin  encore,  on  voit  les  larmes  s'arrêter 
tout  à  fait  sur  la  figure  de  la  Sainte,  et  une  douce  et  pure  joie  briller  dans 
ses  yeux  :  c'est  le  moment  où  saint  Augustin  lui  annonce  sa  conversion. 
Puis  sainte  Monique  apparaît  sur  son  lit  de  mort,  radieuse,  entourée  de  ses 
enfants,  serrant  la  main  d'Augustin  converti,  et  expirant  les  yeux  au  ciel,  le 
sourire  sur  les  lèvres.  —  On  la  représente  quelquefois  :  1°  portant  une 
tablette  marquée  du  nom  de  Jésus,  pour  exprimer  que  c'était  elle  qui  avait 
inspiré  ou  mérité  à  son  fils  l'amour  de  Notre-Seigneur  ;  —  2°  ayant  près 
d'elle  ou  dans  sa  main  une  écharpe  ou  ceinture  ;  allusion  à  une  coutume 
des  Ermites  de  Saint-Augustin  qui  distribuent  des  ceintures  bénites  sous 
l'invocation  de  sainte  Monique. 


814  4  Mil. 


CULTE  ET  RELIQUES  DE  SAINTE  MONIQUE. 

Sainte  Monique  demeura  de  longs  siècles  dans  le  sarcophage  en  pierre  qu'elle  devait  à  la  piété 
de  son  fils.  Son  nom  était  vénéré  à  Ostie,  où  son  corps  reposait,  et,  après  la  publication  des 
Confessions,  il  le  fut  dans  le  monde  entier.  Mais  on  ne  voit  pas  qu'on  lui  rendit  de  culte.  Sa  fête 
n'est  marquée  ni  dans  les  martyrologes  universels  d'Usuard,  d'Adon,  du  vénérable  Bède,  ni  dans 
les  calendriers  spéciaux  de  l'église  d'Afrique. 

Vers  le  viB  ou  le  vu6  siècle,  son  corps  fut  transporté  sans  bruit,  sans  cérémonie,  dans  l'église 
de  Sainte-Aurée,  à  Ostie,  et  enfin  sous  l'autel,  au  fond  d'un  caveau  dont  les  prêtres  de  cette  église 
avaient  seuls  le  secret.  Dès  le  XIIe  et  le  xni8  siècle,  sainte  Monique  commençait  à  sortir  de  l'ombre 
Sa  fête  s'établissait  sur  plusieurs  points  à  la  fois,  et  partout  on  la  plaçait  le  4  mai.  Des  autels  se  dres- 
saient en  son  honneur  dans  les  vieilles  cathédrales  du  moyen  âge  ;  des  hymnes  étaient  composées  à  sa 
louange;  et,  sur  les  fresques  et  les  vitraux  des  églises,  on  commençait  à  voir  rayonner  sa  belle 
figure.  Déjà  Benozzo  Gozzoli  avait  peint  quelques-unes  des  plus  belles  scènes  de  sa  vie,  et,  en 
particulier,  sa  mort,  dans  le  chœur  de  l'église  de  San-Gimignano, 

Le  pape  Martin  V  chargea  Pierre  Assalbizi,  religieux  de  l'Ordre  des  Ermites  de  Saint-Augustin, 
de  chercher  les  reliques  de  sainte  Monique,  et  de  les  apporter  à  Rome.  Il  se  rendit  en  toute  hâte 
à  Ostie,  accompagné  du  bienheureux  Augustin  Favorini,  prieur  général  du  même  Ordre,  et  d'un 
grand  nombre  de  prêtres  et  de  religieux.  Le  sarcophage,  qui  renfermait  les  restes  vénérables  de 
notre  Sainte,  fut  ouvert  et  les  ossements  qu'il  renfermait  furent  mis  dans  une  châsse  en  bois. 

Quand  les  reliques  arrivèrent  à  Rome,  un  peuple  considérable  fit  cortège  à  l'humble  char  qui 
les  portait.  Tout  le  monde  voulait  voir  la  châsse,  la  toucher,  la  baiser,  et  les  commissaires  apos- 
toliques, les  religieux  et  les  prêtres  d'Ostie,  qui  entouraient  le  char  et  lui  faisaient  une  escorte 
d'honneur,  ne  pouvaient  plus  avancer.  Un  miracle  vint  augmenter  l'enthousiasme  qui  ne  connut 
plus  de  bornes.  Une  femme,  s'approchant  du  char,  appliqua  son  enfant  malade  contre  la  châsse, 
avec  un  regard  où  se  peignait  toute  sa  foi.  Et,  tout  à  coup,  un  immense  frémissement  courut  dans 
la  foule  :  l'enfant  était  guéri. 

Le  lendemain,  on  retourna  à  Ostie  et  on  rapporta,  en  triomphe,  le  sarcophage  dans  lequel  avait 
reposé  son  corps.  Plusieurs  miracles,  plus  éclatants  encore,  accompagnèrent  cette  translation  qui 
ge  fit  au  milieu  d'une  foule  qui  s'était  accrue  et  que  rien  ne  pouvait  contenir. 

Martin  V  procéda  à  la  translation  des  restes  précieux  de  sainte  Monique  dans  un  tombeau  de 
marbre  blanc,  orné  de  sculptures  d'un  grand  prix,  dû  à  la  piété  de  Matteo  Veggio  de  Lodi.  Le 
chef  de  la  Sainte  fut  enfermé  dans  un  reliquaire  d'or  garni  de  cristal.  Comme  l'église  de  Saint- 
Trophonius  était  trop  petite  pour  contenir  le  grani  nombre  de  pèlerins  qui  venaient  implorer  la 
Sainte,  Matteo  Veggio  de  Lodi  fit  construire  une  chapelle  dans  laquelle  il  fit  transporter  son  saint 
corps.  Le  pape  Eugène  IV  institua  une  confrérie  des  Mères  chrétiennes  sous  le  patronage  de  sainte 
Monique. 

Le  cardinal  d'Estouville,  archevêque  de  Rouen,  fit  bâtir  à  Rome  une  église  qu'il  dédia  à  saint 
Augustin.  Le  corps  de  sainte  Monique  fut  placé  dans  une  chapelle  à  gauche  du  grand  autel,  avec 
cette  inscription  : 

HIC.  JAC.  CORPVS.  S.   MATRÏ3.  MONIC/E. 

Au  bas  du  tombeau  on  lit  l'inscription  suivante  : 

ic  a  xc 

SEPVTXRVM.  VBI.  B.  MONIOE.  CORPVS. 

APVD.    OSTIA.   TIBKRINA.    ANNIS,    M.  XL! 

JACVIT.   OB.  IN.   EO.  EDITA.  IN   EJVS 

TRANSLATIONE.   MIRACVLA.    EX 

OBSCVRO.   LOCO.  IN  ILLVSTRIOREM 

ÏRANSPONENDVU.  FILII.  PIENTISS, 

CYRARVNT.  ANNO.  SALVTIS. 

MDLXVI. 

Au  xvi«  siècle,  la  dévotion  h  sainte  Monique  ne  cessa  de  croître )  son  nom  fut  alors  inscrit 
dans  tous  les  Martyrologes.  Sa  tète  commença  à  se  célébrer  partout,  et  son  oftice  fut  inséré  au 
bréviaire  romain.  En  1576,  le  pape  Grégoire  XIII  envoya  un  fragment  de  son  chef  à  Bologne.  Une 
parcelle  fut  accordée  à  la  confrérie  de  Sainte-Monique,  à  Rome.  Une  cote  fut  envoyée  à  Pavie,  et 
quelques  ossements  aux  Pères  jésuites  de  Munster  et  aux  Ermites  de  Saint-Augustin  de  Trêves. 

Au  xixe  siècle,  le  culte  de  sainte  Monique  s'épanouit.  Le  1er  mai  1850,  pu  vit  naître  à  Paris, 
dans  la  chapelle  de  Notre-Dame  de  Sion,  une  pieuse  association  dite  des  Mères  chrétiennes,  qui 
réunissent  leurs  prières  pour  la  conversion  de  leurs  fils  ou  de  leurs  maris  égarés.  En  1854,  elle 
était  établie  à  Lille,  à  Amiens,  à  Nantes,  à  Versailles,  à  Cambrai,  à  Valenciennes,  puis  à  Belley, 


SAINT  SACEMOS,  W  SAINTE  MONDANE,  SA  MEBE.  315 

a  Fréjus,  à  Toulon,  à  Bordeaux,  à  Tours,  à  Coutances,  à  Rouen,  à  Bayeux,  à  Lyon,  à  Orléans, 
à  Londres,  à  Dublin,  à  Liverpool,  à  Stockholm,  à  Saint-Pétersbourg,  à  Odessa,  à  Vienne,  à  Stutt- 
gard,  à  Fribourg,  à  la  Haye,  à  Bologne,  à  Turin,  à  Madrid,  à  Chambéry,  à  Florence,  etc.  En  1855, 
elle  étendit  ses  branches  à  Constantinople,  à  Jérusalem,  à  Pondichéry,  à  l'Ile  Maurice,  en 
Afrique,  à  la  Martinique,  à  Sidney,  dans  l'Océanie,  à  Alger,  à  Genève,  à  Santiago,  à  Buenos-Ayrei 
et  dans  les  Indes. 

Cette  association  des  Mères  chrétiennes  fut  élevée  à  la  dignité  d'archiconfrérie  par  un  bref  apos- 
tolique en  date  du  11  mars  1856. 

Mgr  de  Las-Cases,  évèque  de  Constantine,  à  peine  assis  sur  le  siège  restauré  de  saint  Augustin, 
ouvrit,  aux  Mères  chrétiennes,  deui   sanctuaires  nouveaux,  l'un  à  Tagaste  et  l'autre   à  Hippone. 

Le  i  mai  1872  eut  lieu,  à  Notre-Dame  d'Afrique,  la  translation  solennellp  d'une  relique  de  sainte 
Monique,  que  Mgr  Lavigerie,  archevêque  d'Alger,  avait  récemment  obtenue  de  Rome  :  c'était  l'os 
du  bras  de  la  Sainte.  Cette  relique  insigne  et  une  autre  de  saint  Augustin  étaient  placées  dans  deux 
grands  reliquaires  d'or  ;  aprèâ  avoir  été  exposées  à  la  vénération  de  tous  sur  deux  espèces  de  trônes, 
étincelants  de  lumière,  elles  furent  portées  triomphalement,  puis  rapportées  chacune  à  son  autel. 
Celui  de  sainte  Monique  est  à  droite  sous  la  grande  coupole. 

Cette  Vie  a  été  entièrement  refaite  d'après  la  belle  Histoire  de  sainte  Monique,  par  M.  l'abbé  Bou- 
gaud,  vicaire  général  d'Orle'ans.  —  Cf.  Confessions  de  saint  Augustin,  Bollandistes,  et  Bréviaire  des  Cha- 
noines réguliers  de  l'Ordre  de  Saint-Augustin. 


SAINT  SACERDOS, 

ÉVÊQUE  DE  LIMOGES,  PATRON  DE  LA  VILLE  ET  DU  DIOCÈSE  DE  SARLAT, 
ET   SAINTE    MONDANE,    SA   MÈRE 

120.  —  Pape  :  Saint  Grégoire  II.  —  Roi  de  France  :  Chilpériq  JJ, 


H  a  été  grand  selon  le  nom  qu'il   portait,  et  trts- 
grand  pour  sauver  les  élus  de  Dieu. 
Office  de  saint  Sacerdos. 

Saint  Sacerdos  naquit  en  l'an  670,  sur  les  bords  de  la  Dordogne,  en  un 
lieu  appelé  Calviac,  et  désigné  sous  le  nom  de  Calabre  dans  les  anciennes 
chroniques,  à  quelques  lieues  seulement  de  la  ville  de  Sarlat,  Laban,  son 
père,  et  Mondane,  sa  mère,  étaient  originaires  de  Bordeaux  et  occupaient 
un  rang  distingué  entre  les  familles  les  plus  éminentes  de  cette  ville.  A  cette 
époque,  l'Aquitaine  avait  pour  duc  ou  gouverneur  Anticius  ou  Anicius. 
Celui-ci  avait  de  grandes  possessions  dans  la  province  des  Pétrocoriens  ;  il 
voulut  les  visiter;  Laban  et  Mondane  l'y  accompagnèrent.  Ayant  donc  re- 
monté le  cours  de  la  Dordogne,  Anicius  s'arrêta  avec  ses  illustres  amis  dans 
le  village  de  Calabre,  sur  les  frontières  des  Pétrocoriens  et  des  Cadurques. 
Dieu  avait  résolu  d'honorer  ce  pays  par  la  naissance  d'un  grand  saint.  En 
effet,  peu  de  temps  après,  Mondane  mit  au  monde  son  premier-né.  L'heu^- 
reux  Laban,  se  rendant  auprès  du  gouverneur,  lui  dit  :  «  Seigneur,  s'il  vous 
était  agréable  d'honorer  votre  serviteur  d'une  faveur  insigne,  j'03erais  voua 
prier  de  retirer  de  la  fontaine  sacrée  du  baptême  le  fils  que  Dieu  vient  da 
m'accorder  ».  Et  Anicius,  heureux  de  s'associer  au  bonheur  d'une  famille 
qu'il  aimait,  dit  à  Laban  :  «  Si  vous  me  présentez  votre  fils,  je  ferai  ce  que 
vous  me  demandez  ».  Et  Laban  ne  tarda  pas  à  présenter  son  fils  à  Anicius, 
et  il  lui  dit  :  «  Seigneur,  voilà  le  fils  que  Dieu  m'a  donné  et  que  vous  avez 
promis  de  retirer  de  la  fontaine  sacrée  du  baptême  »,  Et  le  fils  de  Laban  et 


316  £  MAI. 

de  Mondane  fut  baptisé,  et  il  reçut  le  nom  de  Sacerdos,  en  prévision,  dit  le 
légendaire,  de  ce  qu'il  serait  un  jour,  dans  l'Eglise,  un  prêtre  éminent  et 
un  saint  évêque  l.  Anicius  se  montra  généreux  envers  l'enfant  dont  il  était 
devenu  le  père  spirituel.  Il  lui  donna  en  propriété  le  village  de  Calabre, 
avec  les  terres  qui  en  dépendaient,  pour  qu'il  pût  en  jouir,  les  gouverner  et 
les  transmettre  à  ses  successeurs. 

Cependant  le  jeune  Sacerdos  avait  grandi  ;  il  fallut  songer  à  lui  donner 
un  maître  qui  perfectionnât  l'œuvre  de  son  éducation,  commencée  sous  le 
toit  paternel.  Laban  et  Mondane  crurent  avoir  trouvé  le  maître  qu'ils  dési- 
raient, dans  la  personne  de  saint  Capuan,  qui  occupait  alors  le  siège  épis- 
copal  de  Cahors.  Le  saint  évêque  ne  tarda  pas  à  comprendre  que  Dieu  avait 
fait  choix  de  son  disciple  pour  l'élever  à  la  dignité  du  sacerdoce.  Il  fut  con- 
firmé dans  son  jugement  par  un  ange  qui  lui  apparut  et  lui  ordonna,  de  la 
part  de  Dieu,  de  conférer  au  jeune  Sacerdos  l'ordre  de  diacre.  Après  son 
ordination,  Sacerdos  dut  se  séparer  de  Capuan,  son  maître,  et  revenir  au 
village  de  Calabre,  que  Laban  et  Mondane  avaient  toujours  habité  depuis 
la  naissance  de  leur  fils.  Dieu  avait  ses  desseins  ;  nous  en  verrons  l'accom- 
plissement. Il  destinait  le  jeune  lévite  à  la  plénitude  du  sacerdoce,  à  la 
gloire  de  l'épiscopat  ;  il  voulut  l'y  préparer  par  le  recueillement  de  la  soli- 
tude. Il  y  avait  dans  le  village  de  Calabre  un  monastère  qui  pouvait  avoir 
été  fondé  en  ce  lieu,  dans  le  vie  siècle,  par  Canalis,  abbé  du  monastère  de 
Genouillac  2,  ou  par  quelqu'un  de  ses  trois  illustres  disciples,  Sour,  Amand 
et  Cyprien.  Avant  d'être  moine  du  monastère  de  Calabre,  Sacerdos  en  fut 
le  bienfaiteur.  L'église  et  la  demeure  des  moines  tombaient  en  ruines; 
Sacerdos  les  fît  rebâtir  de  ses  propres  deniers,  et,  voulant  que  les  préoccu- 
pations des  nécessités  temporelles  ne  pussent  jamais  nuire  à  la  ferveur  du 
service  de  Dieu,  il  donna  aux  moines  le  village  de  Calabre  avec  toutes  ses 
dépendances,  tels  qu'il  les  avait  reçus  lui-même  de  la  générosité  d'Anicius. 
Après  s'être  ainsi  dépouillé  de  tout  ce  qu'il  possédait,  il  pouvait  librement 
suivre  le  Seigneur  et  se  livrer  à  tout  son  attrait  pour  la  solitude.  Il  prit 
bientôt  l'habit  monastique  et  passa  sept  années  avant  d'être  promu  au  sa- 
cerdoce, dans  les  austérités  de  la  pénitence,  se  faisant  surtout  remarquer 
par  les  actes  de  l'humilité  la  plus  parfaite. 

La  vie  si  austère  de  Sacerdos,  tant  d'actes  de  vertus,  qu'il  s'efforçait  de 
cacher,  mais  dont  le  vase  trop  plein  débordait  de  toutes  parts,  lui  eurent 
bientôt  gagné  l'affection,  l'estime,  la  vénération  des  religieux.  Aussi,  l'abbé 
étant  venu  à  mourir,  tous,  d'une  commune  voix,  acclamèrent  Sacerdos 
pour  lui  succéder. 

Dieu  voulut  honorer  son  fidèle  serviteur  et  manifester  par  le  don  des 
miracles  sa  grande  sainteté.  Il  y  avait,  à  cette  époque,  dans  le  village  de 
Calabre,  un  homme  lépreux  depuis  plusieurs  années  et  séparé  de  la  société 
de  ses  frères.  Et  un  ange  apparut  à  saint  Sacerdos,  et  lui  dit  :  «  Allez  visiter 
le  malheureux  lépreux,  lavez  soigneusement  vos  mains  et  touchez  toutes 
les  parties  du  corps  où  vous  trouverez  des  traces  de  la  maladie  ».  Et  saint 
Sacerdos  s'empressa  d'obéir  au  commandement  de  l'ange  :  il  alla  visiter  le 
lépreux,  et,  adressant  à  Dieu  une  fermente  prière,  il  lava  ses  mains  et  toucha 
le  corps  du  lépreux  ;  et  la  lèpre  disparut  à  l'instant,  et  le  malheureux  fut 
guéri.  Et  les  habitants  du  lieu  et  ceux  de  toute  la  contrée,  en  apprenant  ce 
miracle,  rendirent  gloire  à  Dieu  dans  des  transports  de  reconnaissance,  et 
exaltèrent  les  vertus  et  les  mérites  du  Saint. 

1.  Quelques  auteurs  ont  écrit  Sardos,  Serdou,  Sardon,  Seidon,  Sardot,  Savdont  et  même  Sadroc. 

2.  Dans  le  diocèse  de  Cahors,  non  loin  des  frontières  du  Férigord. 


SAINT  SACERDOS  ET  SAINTE  MONDANE,    SA  MÈRE.  317 

Mondane  avait  résolu  de  marcher  sur  les  traces  de  son  fils,  mais  les 
liens  qui  l'unissaient  à  Laban  ne  pouvaient  être  rompus.  Aussi  fidèle  épouse 
que  mère  chrétienne,  son  bonheur  eût  été  imparfait  si,  en  s'engageant  dans 
la  voie  de  la  perfection,  dans  la  voie  du  ciel,  elle  eût  laissé  derrière  elle  son 
époux,  engagé  dans  la  voie  du  monde.  Un  jour  donc,  Mondane,  s'étant 
jetée  aux  genoux  de  Laban,  les  mains  jointes  et  les  yeux  baignés  de  larmes, 
lui  dit  :  «  Je  vous  en  conjure,  cherchons  tous  deux  à  acheter  le  ciel  par  le 
sacrifice  des  biens  terrestres  » ,  et  Laban  dont  la  grâce  avait  vivement  pénétré 
le  cœur,  acquiesça  aux  désirs  de  Mondane.  Bientôt  ils  se  dépouillèrent  de 
tous  leurs  biens  dont  ils  firent  deux  parts,  l'une  pour  l'Eglise  de  Jésus-Christ 
et  l'autre  pour  les  pauvres  et  les  étrangers.  Il  est  probable  que  Laban  se 
retira  dans  le  même  monastère  de  Calviac,  avec  Sacerdos  son  fils.  Quant  à 
Mondane,  elle  se  retira  sur  la  rive  gauche  de  la  Dordogne,  en  face  du  mo- 
nastère, et  fixa  sa  demeure  dans  une  grotte. 

Dieu  ménageait  à  son  serviteur  Sacerdos  une  épreuve  propre  tout  à  la  fois 
à  augmenter  ses  mérites  et  à  mettre  plus  en  évidence  sa  vertu.  Laban  avait 
complété  les  années  de  sa  vie,  il  était  arrivé  au  terme  de  son  pèlerinage,  et 
Dieu  lui  devait  la  récompense  promise  à  ceux  qui  ont  tout  quitté  pour  le  sui- 
vre. Un  jour  que  le  Saint  vaquait  à  la  prière  avec  ses  religieux,  à  la  seconde 
heure  du  j  our,  on  vint  lui  dire  que  son  père  se  mourait.  Mais  il  était  si  profon- 
dément ravi  en  Dieu  qu'il  ne  vit  point  le  messager  ni  n'entendit  ce  qu'il  lui 
disait.  Il  fallut  attendre  qu'il  fût  revenu  de  son  extase.  Il  courut  alors,  en  toute 
hâte,  auprès  de  son  père,  qui  déjà,  depuis  quelques  instants,  avait  rendu  le 
dernier  soupir.  Sacerdos  en  éprouva  une  vive  douleur,  qui  fut  augmentée 
lorsqu'il  sut  que  le  mal  avait  fait  des  progrès  si  rapides  que  le  mourant  n'avait 
pu  recevoir  le  viatique  pour  le  passage  de  la  vie  présente  à  la  vie  future,  du 
temps  à  l'éternité.  Mais,  si  sa  douleur  fut  grande,  sa  foi  fut  vive  à  trans- 
porter les  montagnes.  En  présence  des  religieux  et  des  habitants  du  lieu, 
qui  étaient  accourus  à  la  première  nouvelle  de  la  mort  de  Laban,  il  se  pros- 
terne, la  face  contre  terre,  et  reste  là  longtemps  à  prier.  Enfin,  il  se  relève 
plein  de  confiance  et  le  visage  comme  rayonnant  d'une  lumière  céleste. 
Puis  il  s'approche  du  très-cher  défunt  et,  lui  prenant  la  main,  il  l'appelle  à 
deux  fois  par  son  nom.  Et,  à  la  voix  de  son  fils,  le  vieux  Laban  relève  la 
tête  et  apparaît  comme  sortant  d'un  profond  sommeil  :  et,  promenant  ses 
regards  étonnés  sur  les  assistants  qui  l'entourent,  il  leur  dit  :  «  J'avais 
quitté  ce  monde  à  la  seconde  heure  de  ce  jour,  mais  je  dois  aux  mérites  de 
mon  fils  d'avoir  été  rendu  à  la  vie  ».  Et  tous  les  assistants,  étonnés  et  saisis 
d'un  saint  enthousiasme  à  la  vue  de  ce  miracle,  poussent  des  cris  de  joie 
vers  le  ciel,  et  rendent  grâces  à  Dieu.  Et  le  Saint  se  hâte  de  donner  le  via- 
tique à  son  père  ;  puis,  se  prosternant,  à  l'exemple  du  patriarche  Jacob, 
«  Mon  père  »,  dit-il,  «  donnez-moi  votre  bénédiction  ».  Et  le  vieux  Laban 
bénit  son  fils,  et  de  nouveau  il  rend  son  âme  à  Dieu.  Touchant  exemple  du 
zèle  sacerdotal  qui  doit  entourer  le  chrétien  à  sa  dernière  heure  !  Touchant 
exemple  aussi  du  prix  qu'on  attachait  autrefois  à  la  bénédiction  paternelle  ! 
On  comprenait  que  «  la  bénédiction  du  père  affermit  la  maison  des  en- 
fants l  ».  On  semble  l'avoir  oublié  aujourd'hui. 

Sur  ces  entrefaites,  la  ville  de  Limoges  se  voit  privée  de  son  premier 
pasteur  par  la  mort  d'Aggéric,  et,  telle  est  la  réputation  de  Sacerdos,  tel 
l'ascendant  de  ses  vertus,  que,  d'un  commun  accord,  le  clergé  et  le  peuple 
le  désignent  pour  occuper  le  siège  vacant.  Nous  ne  connaissons  pas  les  actes 
de  son  épiscopat,  qui  dut  être  fructueux  en  bonnes  œuvres.  Notre  Saint 

1.  Eecli.,  m,  11. 


318  4  mai. 

avait  noblement  rempli  la  tâche  que  Dieu  lui  avait  imposée  et  comblé  la 
mesure  de  ses  mérites.  Epuisé  par  les  austérités  de  la  pénitence  et  les  fati- 
gues d'un  laborieux  épiscopat  plus  que  par  les  années,  il  pressentait  que  sa 
fin  était  prochaine.  Elevé  sur  la  chaire  épiscopale,  il  n'avait  pas  oublié,  au 
milieu  des  splendeurs  de  sa  dignité,  la  chère  solitude  de  Calviac,  et  il  s'était 
bien  promis  de  revenir  dans  cet  asile  fortuné,  pour  rendre  le  dernier  soupir 
dans  le  lieu  où  il  avait  pris  naissance  à  la  vie  monastique  :  sa  mort  devant 
y  être  plus  douce,  plus  agréable  à  Dieu.  Il  fait  toutes  ses  dispositions,  règle 
toutes  ses  affaires,  l'ait  ses  adieux  à  son  clergé  et  à  son  peuple,  et  va  déposer 
son  bâton  de  pasteur  sur  le  tombeau  de  saint  Martial.  Puis,  il  prend  le  bâton 
du  pèlerin  et  sort  de  sa  ville  épiscopale,  laissant  après  lui  les  regrets  les  plus 
vifs.  C'était  un  bien  touchant  spectacle  qu'offrait  ce  vénérable  et  saint  évo- 
que, s'acheminant  vers  le  lieu  où  il  devait  consommer  sa  course,  après  avoir 
bien  combattu  les  combats  du  Seigneur  ;  apportant  lui-même  sa  dépouille 
mortelle  dans  les  lieux  où  fut  son  berceau,  et  allant  en  confier  la  garde  à 
ces  moines  qui  furent  ses  frères,  qu'il  avait  si  longtemps  édifiés,  avec  les- 
quels il  avait  marché  avec  tant  d'unanimité  dans  la  maison  de  Dieu  1  Anges 
du  ciel,  gardiens  des  voyageurs,  veillez  sur  le  saint  évoque  et  dirigez  sa 
marche  chancelante  dans  sa  longue  voie  1  Le  Saint  était  arrivé  à  un  petit 
bourg  du  Bas-Limousin,  placé  sur  la  rive  de  la  Dordogne,  aujourd'hui  la 
petite  ville  d'Argentat.  Et  c'est  là  que  Dieu  avait  fixé  le  terme  du  pèlerinage 
de  son  serviteur.  Il  y  fut  bientôt  atteint  d'une  violente  fièvre  dont  les  accès 
renouvelés  lui  firent  comprendre  que  sa  fin  approchait.  Il  demanda  qu'on 
lui  donnât  le  Viatique  des  élus  et  qu'on  orgnît  son  corps  de  l'huile  sainte 
des  mourants,  et,  recommandant  à  ceux  qui  l'accompagnaient  de  porter 
son  corps  au  monastère  de  Calviac,  il  rendit  doucement  son  âme  à  Dieu,  le 
5  du  mois  de  mai  de  l'année  720  de  Notre-Seigneur.  Le  souvenir  de  cette 
mort  s'est  conservé  dans  la  petite  ville  d'Argentat,  et  l'on  montre  encore  le 
lieu  où  se  retira  le  saint  évêque  et  où  il  rendit  le  dernier  soupir.  Une  pieuse 
et  naïve  légende  accompagne  le  récit  de  cette  maladie  et  de  cette  mort. 
Nous  ne  pouvons  lui  refuser  une  bienveillante  hospitalité  dans  ces  pages. 
Nous  la  racontons  telle  que  la  racontent  tous  les  historiens  de  la  vie  du 
saint  évêque.  «  Accablé  par  l'âcreté  de  la  fièvre  et  épuisé  de  forces,  le  Saint 
demanda  des  œufs  pour  se  rafraîchir  et  se  soulager.  Ses  disciples  ayant 
couru  par  tout  le  village,  n'en  trouvèrent  pas  un  seul,  parce  que  les  milan3 
et  autres  oiseaux  de  proie  étaient  si  communs  dans  ce  lieu  et  aux  environs, 
qu'ils  dévoraient  toutes  les  poules  qu'on  essayait  d'y  élever.  Ayant  appris 
cela,  le  saint  évêque  voulut  être,  avant  de  mourir,  le  bienfaiteur  du  village 
qui  lui  donnait  l'hospitalité  au  terme  de  sa  course,  et  il  prononça  cet  arrêt  : 
qu'à  l'avenir  aucun  oiseau  de  proie  n'ose  inquiéter  les  poules  de  ce  village 
et  des  environs.  Et,  ajoute  le  légendaire,  cet  arrêt  a  été  inviolable  jusqu'à 
ce  jour  ». 

A  peine  saint  Sacerdos  eut-il  rendu  le  dernier  soupir,  que  ses  disciples 
se  disposèrent  à  exécuter  la  dernière  volonté  de  leur  maître.  Après  avoir 
honorablement  enseveli  son  corps,  ils  le  placèrent  dans  une  barque  pour  le 
conduire  sur  les  eaux  de  la  Dordogne  jusqu'au  monastère  de  Calviac,  où, 
la  nouvelle  de  sa  mort  y  étant  déjà  parvenue,  on  se  préparait  à  faire  au 
saint  évêque  de  dignes  funérailles.  Mondane,  la  mère  du  bienheureux  Sa- 
cerdos, vivait  encore,  toujours  retirée  dans  la  grotte  qu'elle  avait  choisie 
pour  sa  demeure.  Depuis  quelques  années,  Dieu,  qui  se  plaît  à  éprouver  les 
saints,  avait  permis  qu'elle  devînt  aveugle.  Apprenant  que  le  corps  de  son 
fils  approchait  du  rivage,  Mondane  s'y  fit  conduire,  désolée,  mais  confiante 


SAINT  SACERDOS  ET  SAINTE  MONDANE,  SA  MERE.  319 

en  Dieu.  Là  devait  se  terminer  son  épreuve,  Dieu  voulant  glorifier  en  ce 
moment  le  corps  de  son  fidèle  serviteur,  en  rendant  la  vue  à  sa  fidèle  ser- 
vante. Sur  la  terre,  le  Saint  avait  obtenu  la  résurrection  de  son  père  ;  au 
ciel,  il  obtient  que  la  vue  soit  rendue  à  sa  mère.  Heureux  le  père,  heureuse 
la  mère  d'un  tel  fils!  Cependant  les  moines  de  Galviac  étaient  descendus 
avec  un  grand  concours  de  fidèles  sur  la  rive  du  fleuve,  pour  y  recevoir  le 
corps  de  celui  qui  avait  été  leur  frère  et  leur  père,  et  qui  ne  s'était  éloigné 
d'eux  que  pour  leur  revenir,  sept  ans  plus  tard,  avec  l'auréole  des  saints 
pontifes.  Ils  retirèrent  de  la  barque  la  sainte  relique,  la  mirent  sur  leurs 
épaules  et  la  portèrent  ainsi  jusqu'à  leur  église. 

L'humble  Mondane  s'était  de  nouveau  retirée  dans  sa  grotte,  où  elle 
méditait  les  années  éternelles,  dans  le  silence  et  le  recueillement.  Sa  con- 
solation était  d'aller  prier  sur  le  tombeau  de  son  fils.  Dieu  réservait  à  Mon- 
dane la  plus  belle  couronne  :  celle  du  martyre.  Deux  ans  après  la  mort  de 
saint  Sacerdos,  l'Aquitaine  fut  ravagée  par  l'armée  des  barbares,  connus 
sous  le  nom  de  Sarrasins,  et  venus  du  fond  de  l'Espagne  sous  la  conduite  de 
Zama,  leur  chef.  Avant  d'assiéger  Toulouse,  où  ils  furent  battus  par  Eudes, 
comte  d'Aquitaine,  ils  se  répandirent  dans  le  Périgord,  ravageant  et  pil- 
lant tout  ce  qu'ils  trouvaient  sur  leur  passage.  Ils  arrivèrent  sur  les  bords 
de  la  Dordogne,  et  c'est  alors  que  Mondane,  qui  leur  reprochait  leurs  bar- 
bares excès  et  leurs  impiétés,  fut  massacrée  sur  le  tombeau  de  son  fils,  en 
confessant  la  foi  de  Jésus-Christ.  Après  le  départ  de  ces  barbares,  les  fidèles 
recueillirent  le  corps  de  la  Sainte  et  lui  donnèrent  la  sépulture  auprès  du 
tombeau  de  saint  Sacerdos  ;  et  Dieu  daigna  glorifier  le  tombeau  de  la  mère 
comme  il  avait  glorifié  le  tombeau  du  fils.  Plusieurs  miracles  s'y  opérèrent 
en  faveur  des  malheureux  qui  vinrent  s'y  recommander  à  l'illustre  servante 
du  Seigneur.  La  mémoire  de  la  Sainte  est  restée  précieuse  dans  cette  pieuse 
contrée.  Une  église  lui  fut  dédiée  vers  la  fin  du  xin8  siècle,  non  loin  de  la 
grotte  qui  lui  servit  d'asile  pendant  le  temps  de  son  veuvage  et  de  sa  péni- 
tence. On  montre  encore  dans  cette  grotte,  que  le  pèlerin  se  plaît  à  visiter, 
le  tas  de  cailloux  pris  dans  le  lit  de  la  Dordogne,  sur  lesquels  la  Sainte  repo- 
sait son  corps  affaibli  par  les  jeûnes  et  les  macérations  ;  et,  au  bas  du  ro- 
cher, coule  encore  la  source  où  elle  allait  se  désaltérer,  dont  les  eaux  vives, 
sanctifiées  par  le  contact  de  sa  main  et  de  ses  lèvres,  furent  longtemps 
aimées  des  malades,  de  ceux-là  surtout  qu'affligeaient  de  violents  maux  de 
tête.  Heureuse  terre  de  l'antique  Calabre,  vraiment  aimée  de  Dieu  et  privi- 
légiée entre  toutes.  Heureux  ceux  qui  habitent  tes  demeures  !  Voyageur, 
qui  suivez  le  cours  majestueux  de  la  Dordogne,  arrêtez-vous  ici  ;  vous  êtes 
sur  la  terre  des  Saints.  A  votre  droite,  vous  avez  Calviac  avec  quelques  tra- 
ces de  son  monastère  ;  Calviac  où  furent  le  berceau  et  le  tombeau  de  saint 
Sacerdos  ;  à  votre  gauche,  l'église,  la  grotte  et  la  fontaine  de  sainte  Mon- 
dane, qui  rappellent  de  si  pieux  souvenirs.  Et,  là  haut,  sur  la  montagne, 
saluez  l'antique  château,  bien  placé  dans  le  voisinage  des  Saints.  Il  porte 
un  nom  doux  à  prononcer  dans  notre  langue,  le  nom  de  Fénelon,  et 
rappelle  un  des  plus  aimables  génies  dont  se  glorifie  la  France,  et  que  le 
Périgord  est  fier  d'appeler  son  enfant1. 

Les  milans,  les  éperviers  et  autres  oiseaux  de  proie,  éconduits  d'Ar- 
gentat  par  saint  Sacerdos,  peuvent  lui  servir  d'attribut  caractéristique  dans 
les  arts. 

1.  Le  château  de  Fénelon,  sorti  de  la  famille  des  marquis  de  Fénelon  peu  d'années  avant  la  Révolution 
de  1789,  et  passé  depuis  en  diverses  mains,  vient  d'être  acheté  par  il.  le  comte  Eraest  de  Maleville,  qui 
en  répare  les  ruines  ayeo  autant  de  zèle  <jue  d'intelligence. 


320  4  maî. 

CULTE  ET  RELIQUES  DE  SAINT  SACERDOS. 

Le  culte  de  saint  Sacerdos  commença  le  jour  de  ses  funérailles,  sur  son  tombeau,  qui  devint 
le  but  des  pieux  pèlerinages  de  tous  les  habitants  de  la  contrée.  Ces  pèlerinages  devinrent  plus 
fréquents  et  plus  nombreux  dès  le  jour  que  le  corps  de  sainte  Mondane  reposa  à  côté  du  corps  de 
son  fils  :  saintes  reliques,  que  les  moines  de  Calviac  conservèrent  comme  un  précieux  trésor,  sur 
lesquelles  reposait  la  vertu  de  Dieu,  jusqu'au  jour  où  leur  monastère  étant  devenu  une  solitude, 
les  religieux  de  Saint-Sauveur  de  Sarlat  se  les  approprièrent  et  les  transportèrent  dans  leur 
église. 

Ceci  se  passait  sous  le  règne  de  Charlemagne,  c'est-à-dire  avant  l'année  814.  L'église  de  Sar- 
lat célébrait  la  fête  de  cette  translation  le  3  du  mois  de  juillet.  Dès  ce  moment,  saint  Sacerdos 
fut  le  Patron  de  l'abbaye  et  de  la  ville  de  Sarlat,  et  lorsque,  en  1317,  cette  Abbaye  fut  érigée  en 
évèché  par  le  pape  Jean  XXII,  saint  Sacerdos  fut  le  Patron  du  nouveau  diocèse. 

Nous  ne  pouvons  adopter  l'opinion  du  chanoine  Tarde,  qui  fixe  à  l'année  1140  la  translation 
du  corps  de  saint  Sacerdos  ;  car  le  monastère  de  Calviac  fut  détruit  par  les  Normands,  vers  l'an- 
née 848,  et  il  ne  se  releva  jamais  de  ses  ruines. 

Le  corps  de  saint  Sacerdos  fut  conservé  intact  dans  l'église  du  monastère  de  Sarlat  jusqu'en  1574. 
Mais,  à  cette  époque  de  désastreuse  mémoire,  le  deuil  se  fit  sur  ces  saintes  reliques;  elles  furent 
profanées,  comme  toutes  celles  que  possédait  l'église  de  Sarlat.  Le  22  février  de  cette  année 
1574,  les  protestants  s'emparèrent  de  la  ville,  conduits  par  le  capitaine  Vivans.  «  Ils  pillèrent  les 
églises  »,  dit  le  chanoine  Tarde  ;  «  les  reliques  dont  Charlemagne  avait  honoré  l'église  cathé- 
drale de  cette  ville,  et  qui  y  avaient  été  religieusement  conservées  depuis  cet  empereur,  furent 
brûlées  et  jetées  au  vent,  ainsi  que  le  corps  du  grand  et  vénérable  saint  Sacerdos  ». 

Cependant  Dieu  ne  permit  pas  que  le  corps  de  saint  Sacerdos  devint  tout  entier  la  proie  des 
flammes.  Les  fidèles  purent  en  conserver  quelques  parties  (le  tibia  entre  autres),  dont  il  est  fait 
mention  dans  des  documents  des  années  1695  et  1719. 

A  l'époque  désastreuse  de  notre  Révolution  de  1793,  la  relique  de  saint  Sacerdos  fut  sauvée 
par  M.  Gamat,  curé  de  Sarlat,  et  confiée  à  une  dame  Faujanet,  qui,  malheureusement,  après  le 
retour  du  calme,  nia  le  dépôt  qu'elle  avait  reçu. 

Ce  ne  fut  qu'après  sa  mort,  que  la  famille  en  fit  la  remise  à  M.  de  Larouverade,  curé  de 
Sarlat. 

Mais  il  était  nécessaire  de  constater  que  ces  reliques  remises  par  la  famille  Faujanet  étaient 
bien  les  mêmes  que  celles  qui  se  trouvaient  avant  1793  dans  la  châsse  de  saint  Sacerdos,  et 
étaient  attribuées  à  ce  Saint  et  honorées  comme  telles.  C'est  ce  que  fit  M.  le  curé  de  Sarlat, 
après  en  avoir  reçu  la  commission  officielle  de  Monseigneur  l'évèque  d'Angouième,  qui  avait  sous 
sa  juridiction  le  diocèse  de  Périgueux  et  de  Sarlat.  La  constatation  eut  lieu  à  Sarlat  le  10  sep- 
tembre 1819. 

Une  parcelle  de  cette  relique  est  honorée  dans  la  cathédrale  de  Périgueux.  Elle  y  fut  déposée 
en  1826  par  Monseigneur  de  Lostanges,  après  s'être  assuré  lui-même  de  son  authenticité  par 
l'examen  qu'il  fit  du  procès-verbal  d'enquête,  approuvé  par  Monseigneur  l'évèque  d'Angouième. 
C'est  tout  ce  qui  reste  du  corps  de  saint  Sacerdos. 

L'abbaye  de  Sarlat,  dont  les  reliques  de  saint  Sacerdos  ont  fait  la  célébrité,  fut,  avons-nous 
dit,  érigée  en  évêché  le  13  janvier  1317.  de  siège,  supprimé  en  1790  par  la  constitution 
civile  du  clergé,  ne  fut  point  rétabli  par  le  concordai  de  1801.  Et  l'église,  abbatiale  d'abord,  puis 
cathédrale,  ne  fut  plus  que  l'église  d'une  cure  de  première  classe,  gouvernée  par  un  curé  ayant 
le  titre  d'archiprêtre. 

En  1854,  l'église  de  Sarlat  recouvra  son  titre  d'EGLiSE  Cathédrale.  Sa  Sainteté  Pie  IX  re- 
connut l'existence  canonique  du  diocèse  de  Sarlat,  sous  la  juridiction  et  l'autorité  des  évêques  de 
Périgueux,  et  autorisa  Mgr  George  et  ses  successeurs  à  ajouter  au  titre  d'évèque  de  Périgueux 
celui  d'EvÈQUE  de  Sarlat. 

Cf.  Vie  de  saint  Sacerdos,  évêque  de  Limoges  et  patron  de  l'ancien  diocèse  de  Sarlat,  dédiée  à  Mgr  N.-J. 
Dabert,  évêque  de  Périgueux  et  de  Sarlat,  par  A.-B.  Pergot,  cnré  de  Terrasson.  Périgueux,  Lenteigne, 
libraire;  Bouuet,  libraire,  et  à  Terrasson,  chez  l'auteur;  in-8*,  1365. 


SAINT   FLORIAN.    SOLDAT    ET   MAB.TTO.  321 


SAINT  FLORIAN,  SOLDAT  ET  MARTYR  (204  ou  297). 

De  même  que  Jérusalem  a  son  Etienne  et  Rome  son 
Laurent,  de  même  la  Pologne  a  son  Florian. 
Proverbe  polonais. 

Florian  était  né  et  demeurait  au  bourg  de  Zeiselmaur,  dans  la  Basse-Autriche.  On  ne  con- 
naît de  sa  vie  que  la  fin,  c'est-à-dire  le  martyre.  Il  servait  dans  les  armées  impériales  et  était 
chrétien  en  secret  :  il  avait  le  grade  de  chef  des  emplois,  ce  qui  équivaut  probablement  à  officier 
d'administration,  lorsque  l'édit  de  persécution  fut  publié.  Grand  nombre  de  chrétiens  prirent  la 
fuite.  Dieu  suscita  alors  son  serviteur  Florian  pour  faire  renaitre,  par  son  héroïsme,  le  courage 
dans  l'âme  des  fidèles.  Ayant  appris  que  le  gouverneur  du  pays,  Aquilin,  venait  de  verser  le  sang 
de  quarante  confesseurs  de  la  foi  à  Lorch,  où  était  le  siège  du  gouvernement,  il  se  leva  et  s'y 
rendit  de  lui-même.  En  route,  il  rencontra  des  soldats  envoyés  à  la  recherche  des  chrétiens.  «  Ne 
vous  donnez  pas  tant  de  peine  »,  leur  dit-il,  «  en  voici  un  chrétien  :  prenez-moi  et  laissez-en 
d'autres  en  paix  ». 

Amené  au  tribunal  d'Aquilin,  celui-ci  lui  dit  :  «  Ce  qu'on  rapporte  de  toi  est-il  vrai  ?  sacrifie 
et  tu  seras  des  nôtres  ».  —  «  Je  ne  le  ferai  point  ». 

Le  gouverneur  entra  dans  une  grande  colère  et  le  menaça  de  l'y  forcer  par  les  tourments.  Le 
Saint  ne  répondit  pas,  mais,  levant  les  yeux  au  ciel,  il  pria  son  Seigneur  et  son  Dieu  de  le  fortifier 
dans  le  combat. 

«  Que  signifie  cette  attitude  »,  reprit  le  gouverneur,  «  as-tu  la  prétention  d'insulter  les  em- 
pereurs ?»  —  Le  martyr  ne  répondit  que  par  le  silence. 

Ne  pouvant  rien  obtenir,  le  gouverneur  lui  fit  donner  deux  fois  la  bastonnade  et  arracher  la  chair 
des  épaules,  puis  le  condamna  à  être  noyé  dans  l'Ens,  rivière  qui  passe  près  de  Lorch. 

Les  soldats  le  menèrent  sur  le  pont  :  ils  eurent  l'humanité  de  lui  donner  le  temps  de  recom- 
mander son  âme  à  Dieu;  après  quoi,  ils  le  précipitèrent  dans  les  flots,  la  tète  la  première  :  on 
lui  avait  attaché  une  lourde  pierre  au  cou. 

Une  pieuse  femme,  nommée  Valérie,  enterra  le  corps  de  saint  Florian  à  sa  campagne.  Dans  la 
suite,  on  érigea  sur  son  tombeau  une  église  à  laquelle  on  ajouta  un  couvent  de  Bénédictins.  Ce 
dernier  ayant  été  détruit  par  les  incursions  des  barbares,  Angelbert,  évêque  de  Passau,  le  fit  relever 
et  le  donna  aux  chanoines  de  Saiut-Augustin  qui  le  possèdent  encore.  Cette  belle  abbaye  est  située 
dans  la  Basse-Autriche,  près  d'Ens  et  non  loin  de  Lintz. 

Plus  tard,  on  ne  sait  à  quelle  époque,  ses  reliques  furent  transportées  à  Rome.  Les  Tartares 
et  les  Prussiens  ayant  ravagé  la  Pologne  dans  le  xie  siècle,  le  roi  Casimir  et  Gédéon,  évèque  de 
Cracovie,  demandèrent  au  pape  Lucius  III  quelques  reliques  de  saints  martyrs  et  obtinrent  entre 
autres  celles  de  saint  Florian  (1183).  Depuis  cette  époque,  il  est  le  patron  de  la  Pologne.  Son 
culte  est  aussi  très-répandu  en  Autriche.  Il  a  un  office  propre  à  Passau,  qui  a  remplacé  comme 
importance,  au  point  de  vue  civil  et  ecclésiastique,  l'ancienne  ville  de  Lorch,  devenue  un  village. 
On  l'invoque  surtout  contre  l'incendie  :  cela  remonte  à  un  charbonnier  qui,  étant  tombé  au  milieu 
d'un  eniDrasement,  fut  sauvé  en  invoquant  saint  Florian.  Ce  fait  et  les  autres  circonstances  de  sa 
vie  sont  représentés  dans  une  série  de  quinze  tableaux  qui  décorent  l'église  de  son  nom,  située 
entre  Lintz  et  Stira.  Un  autre  de  ces  tableaux  rappelle  le  miracle  de  l'aigle  que  Dieu  envoya  pour 
défendre  contre  les  attaques  des  animaux  de  proie,  le  corps  du  Martyr,  échoué  sur  le  rivage.  Un 
troisième  montre  l'attelage  qui  enlève  le  corps,  épuisé  de  fatigue  et  de  soif  et  ne  pouvant  plus 
avancer.  Aux  pieds  des  bœufs  jaillit  une  fontaine  dans  laquelle  ils  se  désaltèrent  et  dont  les  eaux 
devinrent  célèbres  par  leur  efficacité  dans  diverses  maladies.  —  Plus  loin,  on  voit  des  soldats  invo- 
quer saint  Florian.  Ce  patronage  est  on  ne  peut  mieux  justifié.  Son  principal  attribut  est  une 
espèce  de  seau  des  montagnes  avec  lequel  il  verse  de  l'eau  sur  les  maisons  embrasées l. 

AA.  SS.,  t.  ier  de  mai. 

1.  Pour  être  impartial,  nous  devons  ajouter  que  les  Allemands  ont  la  prétention  d'avoir  gardé  leur 
saint  Florian,  et  que,  par  conséquent,  celui  qui  est  honoré  a  Cracovie  est  différent  de  celui  honoré  en 
Autriche,  en  Bavière  et  autres  pays  teutoniques.  Tant  d'autres  villes  et  pays  prétendent  posséder  le  saint 
Florian  des  Germains  et  lui  rendent  comme  tel  un  culte  qui  confond  des  Saints  du  même  nom  avec  le 
leur,  que  nous  inclinons  a  donner  gain  de  cause  aux  Allemands.  Voici  comment  on  distingue  les  divers 

Vies  ces  Saints.  —  Tome  V.  21 


322  ■*  mai. 


SAINT  CYRIAQUE,  ÉVÊQUE  ET  MARTYR. 

Le  triomphe  de  saint  Cyriaque,  martyrisé  en  Palestine,  où  il  était  allé  visiter  les  Saints-Lieux,  se 
répandit  promptement  en  Gaule.  Il  fut  honoré  d'un  culte  particulier  dans  la  ville  de  Provins.  Une 
église  avait  déjà  été  érigée  anciennement  en  son  honneur,  lorsque  Henri  Ier,  comte  de  Champagne, 
apporta  de  l'Orient  son  chef  vénéré,  et  construisit  une  nouvelle  église  aussi  vaste  que  splendide. 
Cette  église,  maintenant  paroissiale,  était  autrefois  desservie  par  un  collège  de  prêtres  et  jouissait 
de  nombreux  privilèges  et  immunités.  On  y  garde  encore  aujourd'hui  une  certaine  partie  de  son 
chef,  dont  la  translation  est  honorée  le  29  juillet. 

Saint  Cyriaque  était,  selon  Baronius,  un  évèque  de  la  ville  d'Ancône.  Il  accomplît  son  martyre 
sous  Julien  l'Apostat,  après  avoir  enduré  beaucoup  d'affreux  tourments. 

Propre  de  Meaux. 


SAINT  FIRMIN,  ÉVÊQUE  DE  VERDUN  (486). 

Ce  saint  prélat  naquit  à  Toul.  La  terre  de  Flavigny,  sur  Moselle,  faisait  partie  du  domaine  de 
sa  famille.  Il  devint  évèque  de  Verdun  et  gouvernait  cette  ville  lorsque  Clovis  revint  en  vainqueur 
de  Tolbiac.  Les  Verdunois  essayèrent  de  se  révolter  contre  les  Francs  auxquels  ils  obéissaient 
depuis  quelque  temps.  Ils  choisirent,  pour  exécuter  leur  complot,  le  moment  où  saint  Firmin, 
atteint  de  la  maladie  dont  il  mourut,  était  hors  d'état  de  s'opposer  à  une  entreprise  insensée.  Il 
rendait  le  dernier  soupir  lorsque  les  Francs  vainqueurs  étaient  sur  le  point  de  forcer  les  portes  de 
la  cité.  Sa  mort  jeta  la  consternation  dans  la  ville  qui,  privée  tout  à  coup  de  son  plus  puissant 
défenseur,  confia  au  prêtre  saint  Euspiee  la  délicate  mission  d'aller  implorer  la  clémence  du  roi. 
Saint  Firmin  qui,  du  haut  du  ciel,veillaitsur  son  troupeau, inspira  au  vainqueur  de  pardonner  :  Clovis 
entra  pacifiquement  dans  la  ville. 

De  son  vivant,  saint  Firmin  avait,  pendant  une  grande  famine,  nourri  son  troupeau  du  blé  que, 
par  une  sage  prévoyance,  il  avait  accumulé  dans  les  greniers  de  l'église.  Un  noble  bourguignon 
lui  en  envoya  même  acheter  une  quantité  suffisante  pour  faire  subsister  quatre  mille  personnes. 

Le  corps  du  saint  évèque,  d'abord  inhumé  dans  l'église  des  saints  apôtres  Pierre  et  Paul,  resta 
ignoré  de  longues  années.  Enfin  il  fut  révélé  en  964,  époque  à  laquelle  il  fut  transféré  dans  l'ancien 
domicile  de  sa  famille,  à  Flavigny,  sur  Moselle,  où  on  le  vénère  encore  aujourd'hui  dans  l'église 
paroissiale. 

Roussel,  Histoire  de  Verdun,  notes  locales. 

Saints  du  nom  de  Florian  : 

Saint  Florian,  guerrier  romain,  martyrisé  et  honoré  en  Autriche,  etc.; 

Saint  Florian,  martyr  romain  :  c'est  probablement  celui  dont  le  pape  Lucius  III  donna  les  reliques  k 
la  Pologne  ; 

Saint  Florian  dont  les  reliques  furent  apportées  a  Vicence  en  1290; 

Saint  Florian  dont  le  corps  fat  découvert,  en  1411,  sur  le  bord  de  la  rivière  d'Esino,  dans  le  Picenum 
(Marche  d'Ancône); 

Saint  Florian  et  ses  quarante  compagnons,  honorés  à  Bologne,  et  dont  les  corps  furent  apportés  de 
Palestine; 

Saint  Florian  honoré  à  Venise; 

Saint  Florian  dont  les  reliques  furent  apportées  à  Munster  avec  celles  de  saint  Victorin  et  brûlées  par 
les  Anabaptistes.  Il  serait  un  peu  fort,  disent  les  Bollandistes  se  corrigeant  eux-mêmes  dans  leur  sup- 
ple'ment,  de  supposer  que  les  reliques  entières  d'un  seul  Florian  se  trouvent  en  tant  d'endroits  à  la 
fois.  La  célébrité  du  plus  ancien  d'entre  eux  aura  amené  les  Polonais,  les  Italiens,  les  "Westphaliens  à 
croire  que  leurs  reliques  respectives  ne  devaient  pas  provenir  d'un  autre  que  de  celui  qui  avait  souffert 
en  Autriche  (t.  vil  de  mai,  p.  565). 

Quant  à  la  légende  du  saint  Florian  de  Rome,  qui  est  en  réalité  celui  que  les  Polonais  honorent  en  le 
prenant  pour  celui  d'Autriche,  nous  en  rapporterons  le  trait  suivant  :  elle  raconte  qu'en  entrant  dans  la 
crypte  oh  reposaient  plusieurs  corps  saints,  le  pape  Lucius  III  demanda  quel  était  celui  d'entre  eux 
qui  désirait  aller  en  Pologne;  que  saint  Florian,  soulevant  le  couvercle  de  son  tombeau,  étendit  son 
bras  au  dehors,  comme  pour  dire  :  «  C'est  moi  ».  Ecce  ego  adsum.  —  Cf.  Père  Cahier. 


SAINT  ANTOINE  DU  ROCHER.  323 


SAINT  ANTOINE  DU  ROCHER  (vi6  siècle). 

Saint  Antoine  appartient  au  diocèse  de  Tours  par  sa  vie  et  par  sa  mort.  Il  vint  en  France  vers 
l'an  542,  et  fut  probablement  l'un  des  cinq  Apôtres  de  la  vie  monastique,  que  saint  Benoit  avait 
envoyés  dans  notre  patrie,  sous  la  conduite  de  saint  Maur  ».  Antoine  et  trois  de  ses  compagnons, 
Constantinien,  Simple  et  Fauste,  se  rendirent  d'abord  au  Mans,  où  l'évêque  de  cette  ville,  saint 
Innocent,  les  avait  appelés.  Ils  établirent  à  Glanfeuil  un  monastère  qu'ils  dédièrent  à  saint  Martin. 
Antoine  ne  s'y  arrêta  que  très-peu  de  temps  ;  il  était  désigné  pour  Tours,  et  il  vint  y  fonder  la 
célèbre  abbaye  de  Saint-Julien. 

Pendant  plusieurs  années,  il  en  fut  le  premier  abbé  et  il  lui  donna  son  nom  qu'elle  porta  pen- 
dant longtemps,  comme  nous  le  voyons  par  des  lettres  datées  de  940,  dans  lesquelles  on  appelle 
ce  monastère  le  monastère  de  Saint-Julien  ou  de  Saint-Antoine.  Il  y  fut  un  modèle  de  toutes  les 
vertus.  Ce  qu'il  enseignait,  il  le  pratiquait  2,  dit  une  chronique  du  monastère  de  Saint-Julien; 
mais,  attiré  invinciblement  par  l'attrait  de  la  solitude,  il  méprisa  les  joies  du  monde,  il  aima  d'un 
grand  amour  la  pauvreté  et  il  fut  le  possesseur  de  nombreuses  richesses  sans  jamais  y  attacher  son 
cœur.  Il  se  retira  à  quelques  kilomètres  de  Tours,  dans  un  lieu  charmant  et  paisible  et  entouré  de 
tous  côtés  par  des  forêts.  Caché  dans  la  caverne  d'un  rocher,  qni  n'avait  guère  plus  de  quatre 
pieds  en  largeur,  en  profondeur  et  en  élévation  s,  le  pieux  serviteur  de  Dieu  y  servait  Dieu  assi- 
dûment :  Deo  ibi  Dei  servus  servieàat  assiduus.  Seul  avec  Dieu  seul,  Antoine  se  sanctifia  dans 
cette  solitude,  lutta  contre  le  démon  et  contre  lui-même,  puis  il  s'endormit  dans  le  Seigneur  plein 
de  mérites  et  de  vertus. 

Peu  de  temps  après  sa  mort,  ses  restes  furent  transportés  par  les  moines  de  Saint-Julien  dans 
leur  abbaye,  et  plus  tard  ils  furent  exposés  à  la  vénération  des  fidèles  sur  le  maître-autel  de  cette 
église,  où  ils  demeurèrent  jusqu'en  1562,  époque  où  les  calvinistes  dépouillèrent  toutes  nos  églises 
et  brûlèrent  les  reliques  de  tous  nos  Saints.  Quand  des  jours  plus  paisibles  furent  rendus  à  l'église 
de  Tours,  les  moines  de  Saint-Julien  réclamèrent  et  obtinrent  du  curé  de  Saint-Antoine  du  Rocher 
une  partie  des  reliques  de  leur  saint  Abbé,  qu'il  possédait  encore;  ils  les  reçurent  avec  un  grand 
respect  et  les  renfermèrent  dans  une  boite  d'argent  qui  fut  placée  entre  les  bras  d'une  statue  du 
Saint  également  en  argent. 

L'église  de  Saint-Julien  conserva  ces  reliques  jusqu'à  la  grande  tourmente  de  93,  où  l'esprit  du 
mal,  déchaîné  sur  le  monde,  fit  aux  Saints  de  Dieu  une  guerre  telle  que  l'Eglise  n'en  avait  point 
connue  depuis  les  grandes  persécutions  païennes.  Aujourd'hui  l'église  de  Saint-Julien  ne  possède 
plus  que  le  souvenir  de  ce  grand  Saint,  fondateur  de  son  monastère. 

Mais  la  grotte  où  le  Bienheureux  mourut  est  toujours  l'objet  d'un  pieux  et  touchant  pèlerinage. 
Sur  la  ligne  du  chemin  de  fer  qui  conduit  au  Mans,  arrêtez-vous  à  Saint-Antoine  du  Rocher  et 
rendez-vous  pieusement  à  cette  grotte  où  vécut  et  mourut  saint  Antoine.  Peu  de  temps  après  la 
mort  du  Saint,  deux  autels  y  furent  élevés  :  on  voit  encore  une  fontaine  près  de  laquelle,  dit 
une  chronique  du  XIe  siècle,  jamais  aucune  femme  n'approcha  :  une  d'elles  ayant  voulu  braver 
la  défense,  fut  frappée  de  mort.  A  la  Révolution  de  93,  cette  grotte  fut  pillée,  profanée  et  elle 
devint  l'asile  des  bêtes  immondes.  En  1842,  le  pieux  et  bon  prêtre,  M.  l'abbé  Gervais,  qui  desser- 
vait cette  paroisse,  fut  assez  heureux  pour  arracher  à  la  profanation  cette  grotte,  témoin  de  tant 
de  vertus.  Il  la  fit  restaurer,  et,  à  sa  prière,  Mgr  Morlot,  alors  archevêque  de  Tours,  vint  la  bénir 
solennellement.  A  l'endroit  où  la  tradition  veut  que  le  Saint  ait  rendu  le  dernier  soupir,  il  fit  placer 
une  belle  statue,  œuvre  d'Avisseau  père,  et  représentant  le  Saint  étendu  sur  une  natte,  tenant  la 
croix  dans  ses  mains  et  les  yeux  levés  vers  le  ciel  qui  va  bientôt  devenir  sa  récompense.  Le  pèle- 
rinage, qui  n'avait  jamais  été  complètement  interrompu,  a  reçu  un  nouvel  essor,  et  l'on  vient  sou- 
vent de  bien  loin  implorer  la  protection  du  saint  Solitaire. 

L'archéologue  et  le  curieux  vont  sur  cette  paroisse  de  Saint-Antoine  du  Rocher  admirer  un 
monument  druidique,  qui  peut  exercer  leur  imagination  et  aiguiser  leur  curiosité,  mais  qui  ne  dit 
rien  à  leur  cœur  ;  nous  les  engageons  à  faire  quelques  pas  de  plus  et  à  visiter  le  rocher  de  Saint- 
Antoine  :  ils  ne  regretteront  pas  leur  course. 

L'abbé  Rolland,  chan.  honoraire,  aumônier  du  Pensionnat  des  Frères  des  Ecoles  chrétiennes  de  Tours. 

1.  Cette  tradition  est  acceptée  par  le  Bréviaire  do  Tours. 

2.  Kam  quod  ore  prsedicabat  opère  perficiebat. 
8.  Bolland.,  Acta  Sanclorum,  4  maii. 


324  4  mai. 


SAINT  GOTHARD  OU  GODARD  »,  ÉYÊQUE  DE  HILDESHEIM  (1038). 

Saint  Gothard,  né  en  Bavière  sur  la  fin  du  x8  siècle,  fut  élevé  avec  soin,  et,  après  d'excel- 
lentes études  où  il  fit  de  grands  progrès  dans  les  sciences  et  dans  la  vertu,  il  quitta  le  monde 
pour  se  faire  moine  dans  l'abbaye  d'Altaich.  Il  en  devint  successivement  prieur  et  abbé,  et  sut  y 
maintenir  la  plus  édifiante  régularité.  Il  fut  ensuite  chargé  de  renfermer  les  abbayes  de  Hesfeld 
en  Hesse,  de  Tergensée  au  diocèse  de  Freisingen  et  de  Chremsmunster  au  diocèse  de  Passaw,  mis- 
sion difficile  dont  il  s'acquitta  avec  succès.  Il  fut  élu  pour  succéder  à  saint  Bernward,  évêque 
de  Hildesheim,  mort  en  1020;  mais  il  fallut  tout  l'ascendant  de  l'empereur  saint  Henri  pour  le 
faire  acquiescer  à  son  élection. 

Il  parut  bientôt  que  la  grâce  de  l'ordination  lui  avait  donné  de  nouvelles  forces  pour  remplir 
les  fonctions  de  son  nouveau  ministère,  dont  il  s'acquitta  avec  le  plus  grand  zèle,  la  prudence  la 
plus  éclairée  et  une  rare  confiance  dans  le  secours  de  Dieu.  Il  établit  une  discipline  très-régn- 
lière  dans  le  Chapitre  de  sa  cathédrale,  au  point  qu'il  en  forma  un  véritable  monastère.  Il  insti- 
tua des  écoles  pour  former  la  jeunesse  dans  la  vertu  comme  dans  les  lettres,  et  veilla  par  lui- 
même  sur  ceux  qu'il  avait  choisis  parmi  les  autres,  et  qu'il  élevait  dans  son  séminaire  pour  le 
ministère  des  autels.  Il  ne  négligea  point  non  plus  le  culte  extérieur  de  Dieu,  il  répara  les  églises, 
en  bâtit  de  nouvelles,  eut  soin  des  fabriques,  des  revenus  ecclésiastiques  et  des  ornements  des 
temples.  Il  fit  démolir  l'église  qu'Otowin,  dixième  évêque  de  Hildesheim,  avait  élevée  en  l'hon- 
neur de  sainte  Marie  et  de  saint  Epiphane,  et  qui  était  entièrement  tombée  en  ruines;  il  fit  bâtir 
au  même  endroit  un  couvent,  qui  fut  achevé  la  troisième  année  de  son  gouvernement.  Il  y  avait 
à  l'extrémité  de  sa  ville  épiscopale,  un  marais  que  la  terreur  populaire  disait  être  hanté  par  les 
mauvais  esprits  et  les  revenants.  Notre  Saint  le  fit  dessécher  et  alla  y  planter  sa  tente  :  ce  fut  là 
aussi  qu'il  éleva  un  vaste  hôpital  où  toutes  les  misères,  toutes  les  nécessités  trouvaient  un  soula- 
gement :  les  étrangers  y  étaient  accueillis  comme  les  gens  du  pays. 

En  1023,  l'archevêque  de  Mayence  convoqua  un  synode  national  auquel  notre  Saint  aussi  fut 
appelé.  En  s'y  rendant,  il  délivra,  dans  les  environs  du  château  de  Gruona,  un  possédé  qui 
était  généralement  réputé  pour  tel.  Ce  miracle,  que  les  témoins  oculaires,  malgré  sa  défense,  ré- 
pandirent partout,  donna  un  nouveau  lustre  à  sa  sain'eté. 

Mais  ce  fut  là  le  moindre  de  ses  miracles  :  il  en  fit  d'innombrables  avant  et  après  sa  mort. 
Un  entre  autres  frappa  plus  vivement  l'imagination  des  masses  et  servit  à  le  caractériser  dans 
les  estampes  et  les  bas-reliefs.  Il  avait  excommunié  certains  de  ses  diocésains  :  or,  un  jour  qu'il 
se  préparait  à  célébrer  les  saints  mystères,  il  les  vit  entrer  dans  l'église,  en  dépit  de  l'excommu- 
nication. Invoquant  le  pouvoir  de  Dieu,  il  ordonna  aux  morts  de  se  lever  de  leurs  tombeaux  et  de 
donner  l'exemple  de  l'obéissance  aux  transgresseurs  de  ses  ordonnances  :  ceux-ci  soulevant  le 
couvercle  de  leurs  sépulcres,  organisèrent  une  procession  et  sortirent  de  l'église. 

Il  mourut  le  4  mai  1038,  et  fut  canonisé  en  1131  par  Innocent  II.  Plusieurs  églises  d'Alle- 
magne l'honorent  comme  leur  patron.  Il  a  laissé  des  lettres  qui  respirent  la  piété  et  qui  prouvent 
qu'il  était  un  des  hommes  les  plus  instruits  de  son  siècle. 

En  l'année  1132  qui  suivit  sa  canonisation  et  la  translation  de  ses  reliques,  on  commença  à 
bâtir  un  monastère  de  l'Ordre  de  Saint-Benoit,  sous  l'invocation  de  saint  Gothard,  et  deux  autels 
lui  furent  consacrés  dans  la  cathédrale.  Au  xvi8  siècle,  on  conservait  dans  cette  dernière  une 
chasuble  lui  ayant  appartenu  et  plusieurs  autres  reliques  qui  attiraient  encore  la  vénération  non- 
seulement  des  catholiques,  mais  encore  des  protestants  :  les  femmes  enceintes  surtout  y  avaient 
recours  au  Saint. 


SAINTE  HÉLÈNE,  VIERGE  HONORÉE  A  TROYES. 

L'évêque  de  Troyes,  Garnier  de  Traîne],  suivit  la  quatrième  croisade  comme  aumônier  de 
l'armée  latine.  Quand  les  croisés  se  furent  rendus  maître  de  Constantinople,  la  ville  opulente  eu 
richesses  de  toutes  sortes  fut  livrée  au  pillage  ;  les  églises  possédaient  de  précieuses  reliques  que 

1.  Et  encore  Godehard,  Godehardus. 


MARTYROLOGES.  325 

les  seigneurs  se  réservèrent  afin  de  les  transporter  avec  eux  en  Occident.  Garnier  avait  été  chargé 
de  la  garde  de  ces  reliques,  et  pour  cela  il  en  eut  une  large  part.  Parmi  celles  qui  lui  furent  attri- 
buées, se  trouvait  un  corps  saint  et  entier,  celui  de  sainte  Hélène,  vierge,  qui,  depuis,  est  devenue 
patronne  du  diocèse  de  Troyes.  La  joie  fut  grande  à  Troyes  quand  les  saintes  reliques  arrivèrent; 
cependant  cette  joie  ne  tarda  pas  à  être  troublée.  Quelle  était  cette  sainte  Hélène  ?  Garnier  était 
mort  emportant  avec  lui  les  détails  qu'il  avait  pu  recueillir  sur  les  lieux.  Le  nouvel  évêque  envoya 
en  Orient  pour  prendre  des  informations,  mais  cette  démarche  n'amena  pas  grande  lumière,  car  les 
faits  que  rapporta  l'envoyé  étaient  tellement  entachés  d'anachronisme  qu'on  ne  pouvait  ajouter 
grande  foi  à  son  récit.  Hélène,  d'après  ce  récit,  était  née  dans  la  petite  ville  de  Naturas,  non 
loin  de  la  mer  de  Constantinople.  Le  roi  de  Corinthe  était  son  père  ;  l'évêque  du  lieu  lui  avait 
donné  au  baptême  le  nom  d'Hélène.  Elle  s'adonna  de  bonne  heure  à  la  piété,  et  Dieu  la  récompensa 
de  son  amour  et  de  sa  ferveur  par  le  don  des  miracles.  Elle  en  opéra  de  très-nombreux  pendant  sa 
vie,  et  ses  reliques  en  opérèrent  de  fort  remarquables  après  leur  arrivée  à  Troyes.  La  jeune  fille 
fit  son  premier  miracle  à  douze  ans.  Un  jour,  une  mendiante  l'aborda  près  d'une  fontaine  et  lui 
demanda  l'aumône.  Hélène  la  pria  de  lui  offrir  à  boire  dans  le  vase  de  bois  qu'elle  tenait  à  la  main 
et,  quand  après  avoir  bu,  elle  le  lui  rendit,  ce  vase  était  devenu  un  vase  d'argent  Plusieurs  fois, 
le  simple  attouchement  de  son  voile  guérit  les  malades  et  procura  aux  pécheurs  une  contrition 
profonde  de  leurs  fautes.  On  ne  connaît  pas  l'année  de  sa  mort.  C'est  en  1211  que  le  culte  de 
sainte  Hélène  fut  autorisé  dans  le  diocèse  de  Troyes.  Il  est  des  auteurs  qui  ont  prétendu  que  cette 
sainte  Hélène  était  la  même  que  l'impératrice  Hélène,  mère  du  grand  Constantin,  mais  rien  n'est 
moins  probable.  La  châsse  magnifique,  dans  laquelle  était  enfermé  le  corps  de  sainte  Hélène,  fut 
brisée  à  la  Révolution  et  les  reliques  livrées  aux  flammes.  Il  en  a  été  sauvé  quelques  restes  qui 
ont  été  placés  dans  la  châsse  de  sainte  Màthie,  patronne  aussi  du  diocèse,  et  les  deux  fêtes  se  font 
maintenant  le  même  jour.  Au  xiv»  siècle,  il  était  défendu  de  travailler  aux  champs  le  jour  de  la 
fête  de  sainte  Hélène.  A  la  même  époque,  l'évêque  devait  entretenir  jour  et  nuit  un  cierge  allumé 
devant  le  tombeau  de  la  vierge  venue  des  rivages  aimés  du  soleil. 

Le  4  mai  1530,  la  présence  du  corps  de  la  Sainte  suffit  pour  arrêter  soudain  les  ravages  d'un 
incendie  formidable  qui  menaçait  de  détruire  toute  la  ville  de  Troyes. 

Les  reliques  de  la  vierge  sainte  Hélène  furent  reconnues  à  la  cathédrale  de  Troyes  le  24  avril 
1821  :  il  y  en  a  des  parcelles  dans  plusieurs  paroisses  du  diocèse. 

L'église  d'Auxerre  a  fait  sa  fête  de  1600  à  1728. 

Cf.  Saints  du  diocèse  de  Troyes,  par  M.  l'abbé  Defer  ;  Propre,  etc. 


V  JOUR  DE  MAI 


MARTYROLOGE  ROMAIN. 

A  Rome,  saint  Pie  V,  pape,  de  l'Ordre  des  Frères  Prêcheurs,  qui  s'appliqua  avec  autant  de 
succès  que  de  courage  à  relever  la  discipline  ecclésiastique,  à  déraciner  les  hérésies,  à  réduire 
les  ennemis  du  nom  chrétien,  et  gouverna  l'Eglise  catholique  par  sa  vie  sainte  autant  que  p.ir  ses 
saintes  lois.  1572.  —  Encore  à  Rome,  sainte  Crescentieune,  martyre1.  —  Au  même  lieu,  saint 
Sylvain,  martyr.  —  A  Alexandrie,  saint  EutJiyme,  diacre  :  mis  en  prison  pour  Jésus-Christ,  il  s'y 
endormit  paisiblement  dans  le  Seigneur.  —  A  Thessalonique,  la  fête  des  saints  martyrs  Irénée, 
Pérégnn  et  Irène,  consumés  dans  les  flammes.  —  A  Auxerre,  le  martyre  de  saint  Jovinien,  lecteur*. 
—  A  Alicate,  en  Sicile,  saint  Ange,  prêtre,  de  l'Ordre  des  Carmes,  qui  fut  massacré  par  les  héré- 
tiques pour  la  défense  de  la  foi  catholique.  Vers  1223.  —  A  Jérusalem,  saint  Maxime,  évèqne  et 
confesseur,  que  Maximien-Galère  César  avait  condamné  aux  mines,  après   lui  avoir  fait  arracher 

1.  Les  Ursulines  d'Amiens  possèdent  une  de  ses  reliques. 

2.  Saint  Jovinien  était  un  des  compagnons  de  saint  Pèlerin.  On  pense  que  sa  mort  suivit  de  près  celle 
du  saint  Apôtre  d'Auxerre  (304;. 


326  5  mai. 

un  œil  et  brûler  un  pied  avec  un  fer  chaud  '.  350.  —  A  Edesse,  en  Syrie,  saint  Euloge,  évèque 
et  confesseur.  Après  381.  —  A  Arles,  en  Gaule,  saint  Hilaire,  évèque,  illus're  par  sa  science  et 
par  sa  sainteté.  449.  —  A  Vienne,  saint  Nicet  ou  Nizier,  évèque,  personnage  vénéré  pour  sa  grande 
sainteté.  392-395.  —  A  Bologne,  saint  Théodore,  évèque,  d'un  mérite  éclatant.  Vers  540.  —  Le 
même  jour,  saint  Sacerdos  ou  Serdon,  évèque  de  Sagonte,  aujourd'hui  Murviedro.  Vers  530.  —  A 
Milan,  saint  Géronce !,  évèque.  470.  —  Au  même  lieu,  la  conversion  de  saint  Augustin,  évèque  et 
docteur  de  l'Eglise,  à  qui  saint  Ambroise  fit  connaître  la  vérité  catholique,  et  qu'il  baptisa  en  ce 
jour.  387. 

MARTYROLOGE  DE  FRANCE,  REVU  ET  AUGMENTÉ. 

A  Vienne,  saint  Nectaire,  treizième  évèque  de  cette  ville.  361-375.  —  Au  même  lieu,  saint  Flo- 
rent H,  successeur  du  précédent.  375-392.  —  A  Trêves,  saint  Britton,  évèque,  qui  souscrivit  au 
premier  concile  de  Valence,  et  eut  pour  successeur  Félix,  au  sacre  duquel  assista  saint  Martin.  386. 

—  A  Tours,  saint  Avertin  ,  chanoine  régulier  de  la  Congrégation  de  Saint-Gilbert  d'Angleterre, 
patron  de  Bougival,  au  diocèse  de  Paris.  1180.  Sa  fête  est  le  15  mai  à  Tours.  —A  Sarlat,  sainte 
Mondane,  veuve  et  martyre,  mère  de  saint  Sacerdos,  évèque  de  Limoges,  fêté  le  même  jour. 
Vers  530.  —  A  Chinon,  au  diocèse  de  Tours,  saint  Jean,  solitaire,  qui  fut  visité  par  sainte  Bade- 
gondc.  vie  s.  —  A  Douai,  saint  Mauraàt  ou  Mauront,  abbé  de  Breuil,  sur  la  Lys,  fils  de  sainte  Bic- 
trude.  702.  —  A  Melz,  sainte  Valdrade  ou  Valdrée,  vierge  et  abbesse  de  Sainl-Pierre-aux-Non- 
nains.  (Voir  sa  vie  au  Supplément  de  ce  volume.)  —  A  Gap,  fête  de  saint  Arige  ou  Arey,  évèque. 

—  A  Saint-Maximin,  l'invention  du  corps  de  sainte  Madeleine  ».  —  A  Mayence,  saint  Gothard, 
évèque  de  ce  siège.  —  Dans  le  diocèse  de  Chàlons-sur-llarne,  saint  Pétran,  solitaire.  Il  était  irlau- 
dais  d'origine  et  passa  dans  les  Gaules  avec  saint  Gibrien,  saint  Hélain  et  trois  autres  de  ses  frères, 
ainsi  que  sainte  Franche  et  ses  deux  autres  sœurs.  Tous  sont  honorés  d'un  culte  public.  vie  s.  — 
A  Nivelle,  en  Flandre,  la  bienheureuse  Ide,  épouse  de  saint  Pépin  de  Landen  et  mère  de  sainte 

1.  On  croit  que  saint  Maxime  fut  un  des  confesseurs  de  la  foi  qui  parurent  avec  leurs  glorieuses  cica- 
trices au  concile  de  Nicée  (325).  C'est  à  lui  que  saint  Paphnuce  adressa  ces  énergiques  paroles  au  concile, 
on  plutôt  au  conciliabule  de  Tyr  (335),  tenu  par  les  Ariens  pour  y  condamner  saint  Athanase  :  «Une 
convient  pas  à  des  confesseurs  de  la  foi  qui  ont  perdu  leurs  membres  au  service  de  Jésus-Christ,  de 
s'asseoir  au  milieu  des  fourbes  et  des  impies  ».  A  partir  de  ce  moment,  saint  Maxime  prit  envers  et 
coBt'  e  tous  la  défense  du  grand  Athanase.  En  349  il  tint  un  concile  à  Jérusalem  pour  y  désapprouver 
l'expulsion  de  l'illustre  patriarche  qui  venait,  pour  la  troisième  ou  quatrième  fois,  de  quitter  Alexandrie. 
Les  Ariens,  irrités  de  la  sainte  liberté  de  Maxime,  le  chassèrent  lui-même  de  son  siège  :  il  mourut  l'an- 
née suivante. 

2.  Saint  Géronce  eut  à  consoler  son  peuple  des  maux  effroyables  causés  par  la  guerre  d'Odoacre. 
Milan,  sa  ville  natale,  fut  presque  entièrement  ruinée.  Jamais,  dit  le  Bréviaire  de  Milan,  il  ne  se  laissa 
accabler  par  le  malheur  des  temps  ou  intimider  par  la  perversité  des  hommes.  Il  fut  enterré  dans  l'église 
de  Saint-Simplicien  (AA.  SS.  à  ce  jour). 

3.  En  l'an  1281,  le  prince  Charles  d'Anjou,  inspiré  par  son  zèle  religieux,  réunit  un  concile  à  Saint- 
Maximin,  pour  procéder  à  la  recherche  du  corps  de  sainte  Marie-Madeleine,  qui  avait  disparu  à  l'époque 
des  invasions  des  Barbares.  Ce  concile  était  présidé  par  Gnillaume  de  Longis,  cardinal  de  la  sainte  Eglise 
romaine  et  chancelier  du  roi.  Il  se  composait  de  quatre  archevêques,  cinq  évêques,  dix  abbés,  un  grand 
nombre  de  docteurs  en  théologie  et  de  personnes  pieuses.  Les  divers  témoignages,  les  écrits,  les  monuments 
relatifs  à  la  cause,  furent  attentivement  examinés,  discutés,  et  enfin  le  concile  porta  un  décret  solennel,  qui 
désignait  et  reconnaissait  comme  vraies  et  authentiques  les  reliques  de  sainte  Madeleine.  Ce  décret  fut 
confirmé  par  Boniface  Vin  et  accueilli  par  les  fidèles  avec  un  pieux  enthousiasme.  C'est  ainsi  que  Made- 
leine, qui  jadis  avait  cherché  avec  tant  de  sollicitude  le  corps  du  Sauveur  ressuscité,  eut  la  gloire,  après 
sa  mort,  de  voir  son  corps  recherché  avec  le  même  soin.  La  Provence  entière  se  réjouit  d'avoir  retrouvé 
ce  corps  autrefois  immolé  à  une  si  longue  pénitence,  et  qui  avait  vécu  de  la  vie  du  Sauveur  bien-aimé, 
bien  plus  que  du  souffle  qui  l'animait  encore.  Le  Christ  nous  la  rendit  et  illumina  l'horreur  du  tombeau 
de  l'éclat  de  la  gloire,  afin  que  nous  allions  vers  Jésus,  attirés  par  les  parfums  de  Madeleine,  et  que  nous 
retrouvions  l'esprit  de  pénitence  avec  le  corps  de  Madeleine  pénitente.  En  vain  célébrerions-nous  l'in- 
vention du  corps  de  Madeleine,  si  nous  n'imitions  son  repentir.  Nous  devons  nous  réjouir  d'avoir  retrouvé 
Madeleine,  mais  il  faut  nous  retrouver  aussi,  nous  que  le  péché  a  perdus,  et  en  célébrant  cette  fête,  ne 
pas  négliger  d'en  retirer  des  fruits  de  salut.  Puisque  la  perle  des  reliques  a  été  retrouvée,  examinons  de 
plus  près  le  chef  de  la  bienheureuse  Madeleine.  L'aspect  de  cette  tête,  conservée  entière,  inspire  la  péni- 
tence. N'excitant  point  l'horreur  qu'inspire  d'ordinaire  la  vue  des  restes  humains,  elle  n'inspire  que  l'a- 
mour et  la  vénération.  Sur  cette  tête  de  Madeleine,  éclate  un  merveilleux  prodige  :  comme  si  Madeleine 
avait  répété  à  la  mort  les  paroles  que  le  Christ  lui  avait  adressées  à  elle-même  :  «  Ne  me  touchez  point», 
la  mort  n'a  osé  toucher  la  partie  du  doigt  que  le  Sauveur  avait  consacrée.  Elle  semble  garder  encore  les 
signes  de  la  vie,  ce  qui  suffirait  pour  prouver  l'authenticité  de  ses  reliques.  De  plus,  on  trouve  entiers, 
et  l'on  conserve  dans  une  châsse,  ces  bienheureux  cheveux  que  la  sainte  amante  de  Jésus,  inspirée  par 
une  pieuse  audace,  jeta  comme  un  lien  ou  un  filet  autour  des  pieds  de  son  Juge  et  de  son  Sauveur.  Aussi, 
peut-ou  regarder  ces  reliques  de  Madeleine  comme  une  relique  du  Sauveur  lui-même,  à  caus-;  du  contact 
qui  les  a  consacrées.  Puisse  chacun  de  nous  imiter  le  sincère  repentir  de  Madeleine,  et  le  Sauveur  dire 
de  nous,  comme  d'elle  :  «  Beaucoup  de  péchés  lui  sont  remis,  parce  qu'il  a  beaucoup  aimé  • .  (Propre  du 
diocèse  de  Marseille.) 


SAINT  BAKSÉS,  SAINT  EULOGE  ET  SAINT  PROTOGÈNE.  327 

Gertrude.  652.  —  Dans  le  diocèse  ds  Nevers  et  d'Auxerre,  saint  Jovinien,  lévite  et  martyr,  l'un 
des  compagnons  de  saint  Pèlerin,  évêque  d'Auxerre  :  sa  tête  et  un  de  ses  bras  furent  donnés,  en 
1071,  au  monastère  delà  Charité-sur-Loire  *. 

MARTYROLOGES   DES   ORDRES   RELIGIEUX. 

Martyrologe  des  Chanoines  réguliers.  —  A  Milan,  la  conversion  de   saint  Augustin,  notre' 

Père... 

Martyrologe  des  Frères  Prêcheurs.  —  A  Rome,  saint  Pie  V... 

Martyrologe  des  Carmes.  —  A  Alicate,  en  Sicile,  saint  Ange,  prêtre,  de  l'Ordre  des  Carmes, 
qui  fut  tué  par  les  hérétiques  pour  la  défense  de  la  foi.  1225.  —  A  Rome,  saiut  Pie  V. . . 

Martyrologe  des  Augustins,  —  A  Milan,  la  conversion  de  saint  Augustin,  notre  Père... 

Martyrologe  des  Hiéronymites .  —  A  Milan,  la  conversion  de  saint  Augustin,  évêque.  —  Le 
deuxième  dimanche  de  mai.  —  La  fête  de  la  bienheureuse  Marie,  Vierge  des  Grâces,  accordée  à 
notre  Congrégation  par  le  pape  Pie  VI. 

ADDITIONS   FAITES  D'APRÈS   LES  BOLLANDISTES   ET  AUTRES  HAGIOGRAPHES. 

A  Constantinople,  la  mémoire  de  sainte  Irène,  martyre,  fille  d'un  petit  roi  du  nom  de  Licinius, 
«  Elle  fut  »,  dit-on,  «  convertie  par  saint  Timothée,  disciple  de  saint  Paul  ».  Ses  Actes  sont  très- 
obscurs,  mais  sa  mémoire  est  illustre  dans  tout  l'Orient,  et  les  temples  que  Constantin  le  Grand  et 
après  lui  Justinien  firent  élever  eu  son  honneur,  témoignent  assez  de  la  célébrité  de  son  culte.  La 
basilique  de  Sainte-Irène,  élevée  par  ce  dernier,  a  élé  comparée  aux  diamants  dont  on  orne  un 
bracelet:  le  bracelet,  c'était  Constantinople  2.  Ier  s.  —  En  Afrique,  les  saints  Grégoire,  Archélaùs, 
Félicissima,  martyrs.  —  A  Vérone,  sainte  Teuthérie  et  sainte  Tusque,  vierges,  dont  les  corps 
furent  retrouvés,  en  1161,  dans  une  église  qui  leur  avait  été  dédiée  dès  l'année  750.  —  A  Bova, 
en  Calabre,  saint  Léon,  moine,  de  l'Ordre  de  Saint-Basile.  —  A  Orto,  dans  les  Etats  de  l'Eglise, 
saint  Lande,  martyr.  Vers  le  vie  s.  —  A  Coriuthe,  saint  Athanase,  archevêque.  Xe  s.  —  A  Culuiz, 
en  Prusse,  sainte  Otta  ou  Jutta,  veuve,  qui  embrassa  la  pauvreté  volontaire  et  se  consacra  au 
service  des  lépreux.  Quand  son  indigence  et  la  leur  les  privaient  de  lumière  la  nuit,  Dieu  permettait 
que  le  corps  de  sa  servante  en  éclairât  les  ténèbres  comme  un  soleil  éclatant.  1204.  —  Dans  le 
territoire  d'Otrante,  sainte  Hérine,  vierge,  qui  a  donné  son  nom  à  une  église  de  Lecce,  où  elle 
est  honorée  en  ce  jour.  —  Au  même  lieu,  sainte  Vénère  ou  Yeuérande,  vierge,  suivante  de  sainte 
Hérine.  —  A  Constantinople,  saint  Gaïen  et  saint  Gains,  martyrs,  qui  étaient  autrefois  honorés 
dans  l'église  de  Saint-Côme.  —  A  Tortone,  saint  Aribert,  évêque  de  cette  ville. 


S.  BARSBS,  S.  EULOGE  ET  S.  PROTOGENE 

ive  siècle. 


Cette  parole  de  l'Apôtre  contient  un  grand  sens  :  Les 
Saints  sont  les  premiers  en  ce  monde. 

Comrn.  sur  la  Ire  aux  Cor.,  vi,  2. 

Saint  Barsès,  dont  le  Martyrologe  romain  fait  mention  au  30  janvier, 
saint  Euloge  qui  est  cité  aujourd'hui,  et  saint  Protogène  qui  lésera  demain, 
furent  tous  trois  évêques,  les  deux  premiers  d'Edesse,  et  le  troisième  de 
Carrhes  au  ive  siècle,  à  une  époque  où  les  Ariens  rendaient  la  vie  dure  aux 
évêques  catholiques. 

2.  Voir  la  vie  de  saint  Pèlerin  au  16  mai. 

2.  Nous  ne  connaissons  pas  aujourd'hui  l'état  du  culte  de  sainte  Irène  parmi  les  Ofrecs.  Mais  autrefois 
sa  protection  était  réputée  toute-puissante.  Un  grand  nombre  de  lieux  changèrent  de  nom  pour  prendre 
le  sien.  Ainsi  en  fut-il,  au  vme  siècle,  de  l'île  de  Tharasia,  dans  l'archipel,  qui  s'appelle  encore  aujour- 
d'hui Santorin.  Les  habitants  se  croyaient  redevables  à  sa  protection  de  n'avoir  pas  été  engloutis  par 
un  volcan  sous-marin  qui  éclata  en  72S.  Los  deux  villes  de  San-Reino  et  de  Sant-Arino,  en  Chypre  ; 
Nérodiade,  en  Asie-Mineure,  qui  s'est  appelée  Irénopolis  ;  Sant-Arem,  en  Portugal,  sont  autant  do  cités 
qui  doivent  probablement  leur  nom  à  la  célèbre  Martyre. 


328  5  mai. 

Barsès  et  Euloge  avaient  d'abord  été  solitaires.  Lorsque  le  premier  fut 
porté  sur  le  siège  épiscopal  d'Edesse,  le  second  vint  dans  la  même  ville 
exercer  les  fonctions  du  ministère  pastoral.  Et  lorsque  saint  Barsès  fut  re- 
légué aux  extrémités  de  la  Mésopotamie,  où  il  mourut,  loin  de  son  trou- 
peau, saint  Euloge  en  prit  soin,  comme  étant  le  bras  du  saint  évêque,  et 
le  maintint  dans  le  droit  sentier  de  l'orthodoxie  catholique. 

Comme  on  avait  choisi  un  loup,  selon  l'expression  deThéodoret,  c'est-à- 
dire  un  évêque  arien,  pour  occuper  le  siège  de  saint  Barsès,  le  peuple,  à 
qui  on  avait  aussi  ôté  les  églises,  ne  voulut  point  communiquer  avec  lui, 
et  tint  ses  assemblées  à  la  campagne.  Il  se  produisit  dans  cette  occasion  un 
fait  qui  honore  trop  la  mémoire  de  ce  saint  pasteur  et  la  foi  de  ses  ouailles, 
pour  n'être  pas  détaillé  ici.  C'est  d'après  Socrate,  Rufin,  Sozomène  et  Théo- 
doret  que  nous  Talions  rapporter. 

L'empereur  Valens  étant  venu  à  Edesse  pour  voir  la  célèbre  église  où 
reposaient  les  reliques  de  saint  Thomas,  apôtre,  fut  extrêmement  irrité  de 
trouver  les  catholiques  assemblés  en  grand  nombre,  et,  dans  le  feu  de  sa 
colère,  il  frappa  du  poing  le  visage  du  préfet,  appelé  Modeste,  qui  était 
à  son  côté,  lui  reprochant  de  ne  pas  les  avoir  chassés  comme  il  le  lui  avait 
commandé.  Il  lui  ordonna  en  même  temps  de  rassembler  tous  les  archers 
de  la  ville  et  les  gens  de  guerre  qui  se  trouvaient  sur  le  lieu,  pour  disperser 
ce  peuple  à  coups  de  bâton  et  de  massue,  et  même  de  se  servir  de  traits  et 
d'épées  s'il  en  était  besoin. 

Quoique  Modeste  fût  tout  dévoué  aux  volontés  de  l'empereur,  il  ne  laissa 
pas  d'avoir  horreur  de  cet  ordre,  dont  il  remit  l'exécution  au  lendemain; 
de  plus  il  en  fit  avertir  secrètement  les  catholiques,  afin  qu'il  ne  trouvât 
personne  qu'il  pût  maltraiter.  Il  sortit  donc  dès  le  matin  avec  beaucoup  de 
bruit  et  de  tumulte,  faisant  de  grandes  menaces  par  ses  gens  pour  sauver 
les  apparences;  mais  il  fut  fort  surpris  lorsqu'il  s'aperçut  que  les  catholiques, 
bien  loin  de  se  cacher,  accouraient  en  foule  au  lieu  de  l'assemblée.  Dans 
son  étonnement  il  hésitait  sur  ce  qu'il  avait  à  faire,  et  cependant  il  s'avan- 
çait vers  l'endroit,  quand  il  vit  tout  à  coup  sortir  d'une  maison  une  pauvre 
femme  avec  son  enfant  entre  les  bras,  qui  n'avait  pas  même  pensé  à  se  cou- 
vrir la  tête,  ni  à  fermer  sa  porte,  et  qui  fendant  la  presse  des  officiers,  dont 
il  était  précédé,  courait  pour  joindre  les  autres. 

Il  se  douta  bien  de  son  dessein,  et  pour  mieux  s'en  assurer,  il  se  la  fit 
amener,  et  lui  dit  :  —  «  Malheureuse  femme,  où  courez-vous  sans  voile  et 
avec  tant  de  précipitation  ?»  —  «  Je  me  hâte  »,  lui  répondit-elle,  «  de  me 
rendre  où  les  autres  vont  ».  —  «  Mais  ne  savez-vous  pas  »,  lui  dit  Modeste, 
«  que  le  préfet  a  ordre  de  l'empereur  de  massacrer  tous  ceux  qu'il  y  trou- 
vera ?»  —  «  Je  le  sais  »,  répondit  la  femme,  «  et  c'est  afin  qu'il  m'y  trouve 
aussi  que  j'y  cours  ».  —  «  Et  pourquoi  portez-vous  aussi  cet  enfant  »,  ré- 
pliqua Modeste  ?  —  «  C'est  »,  dit-elle,  «  afin  qu'il  ait  le  bonheur  de  souffrir 
le  martyre  avec  moi  ». 

Le  préfet  comprit  par  le  courage  intrépide  de  cette  femme,  qu'il  n'en 
devait  pas  moins  attendre  des  autres  catholiques,  et  étant  retourné  sur-le- 
champ  vers  l'empereur,  il  lui  raconta  ce  qu'il  avait  vu,  et  lui  représenta  qu'il 
fallait  ou  laisser  les  catholiques  en  repos,  ou  se  déterminer  à  les  faire  tous 
périr,  ce  qui  ne  pouvait  que  lui  attirer  la  honte  d'avoir  exercé  une  cruauté 
sans  exemple. 

L'empereur  se  rendit  en  partie  à  ses  persuasions,  et  commanda  néan- 
moins de  faire  appeler  ceux  qui  tenaient  le  premier  rang  entre  les  fidèles, 
c'est-à-dire  les  prêtres  et  les  diacres,  et  de  leur  ordonner  de  sa  part  de 


SAINT  BARSÈS,  SAINT  EULOGE  ET  SAINT  PROTOGÈNE.  329 

communiquer  avec  l'évêque  arien  qu'il  avait  mis  à  la  place  de  saint  Barsès, 
ou  de  les  reléguer  bien  loin,  s'ils  refusaient  d'obéir.  Saint  Euloge  était  le 
chef  de  ce  respectable  clergé,  et  Protogène  était  le  premier  après  lui.  Eu- 
loge  avait  pratiqué,  comme  nous  l'avons  dit,  la  vie  solitaire  près  de  Garrhes. 
Modeste  les  ayant  donc  assemblés,  leur  représenta,  en  montrant  beaucoup 
de  modération,  que  c'était  une  témérité  de  leur  part  de  s'opposer  aux  vo- 
lontés d'un  prince  qui  commandait  à  tant  de  peuples,  eus  qui  n'étaient 
qu'une  poignée  de  gens  sans  pouvoir,  et  les  exhorta  à  lui  obéir. 

Ils  l'écoutèrent  en  silence,  et  le  préfet  voulant  avoir  quelque  réponse 
s'adressa  à  saint  Euloge,  et  lui  demanda  pourquoi  il  ne  disait  rien.  «  Je  ne 
croyais  pas  devoir  répondre,  lui  dit  le  Saint,  puisque  vous  ne  m'interrogiez 
pas  ».  —  «  Il  y  a  pourtant  longtemps  que  je  parle,  dit  le  préfet,  et  que  je 
vous  exhorte  à  choisir  le  parti  qui  vous  est  le  plus  avantageux  ».  —  «  J'ai 
cru,  répliqua  Euloge,  qu'ayant  parlé  à  tous  en  général,  je  ne  devais  répondre 
qu'avec  tous  les  autres;  mais  si  vous  voulez  savoir  mon  sentiment  en  parti- 
culier, je  ne  vous  le  cacherai  pas  ».  —  «  Communiquez  donc  avec  l'empe- 
reur »,  répondit  le  préfet.  A  quoi  Euloge  répondit  par  une  fine  raillerie  :  — 
«  L'empereur  voudrait-il  ajouter  la  dignité  d'évêque  à  la  puissance  impé- 
riale ?  » 

Le  préfet  sentit  la  raillerie,  et  y  répondit  par  des  injures  en  homme  vi- 
vement piqué;  ensuite  il  ajouta  :  «  Je  ne  vous  ai  pas  dit  cela,  rustre  et 
stupide  que  vous  êtes,  j'ai  voulu  seulement  vous  porter  à  communiquer 
avec  ceux  qui  sont  de  sa  communion  » .  Mais  Euloge  lui  ayant  dit  qu'ils 
étaient  déjà  soumis  à  un  pasteur,  le  préfet  fit  arrêter  quatre-vingts  ecclé- 
siastiques et  les  relégua  tous  en  Thrace. 

Le  bruit  s'en  répandit  bientôt,  et  il  y  eut  presse  dans  leur  route  pour 
les  voir,  les  habitants  des  villes  et  des  bourgs  accourant  au-devant  d'eux 
pour  les  combler  d'honneur,  et  les  féliciter  de  leur  constance  et  des  vic- 
toires qu'ils  remportaient  sur  l'hérésie.  Leurs  ennemis  en  furent  jaloux,  et 
firent  entendre  à  l'empereur  qu'ayant  voulu  les  déshonorer  par  cet  exil,  ils 
en  avaient  acquis  plus  de  gloire  ;  ce  qui  détermina  ce  prince  à  les  séparer 
et  à  les  envoyer  deux  à  deux,  les  uns  en  Thrace,  les  autres  en  Arabie  et 
d'autres  dans  la  Thébaïde.  On  porta  même  la  cruauté  jusqu'à  séparer  ceux 
d'entre  eux  qui  étaient  unis  par  les  liens  du  sang,  et  d'emmener  les  frères, 
l'un  d'un  côté  et  l'autre  de  l'autre. 

Mais  Dieu,  qui  fait  servir  la  malice  des  hommes  à  ses  fins,  et  qui  en  tire 
sa  gloire,  permit  que  saint  Euloge  et  Protogène  son  second,  fussent  relé- 
gués à  Antinoé  pour  le  salut  de  plusieurs.  Ils  y  trouvèrent  à  la  vérité  un 
évêque  catholique,  et  assistèrent  aux  assemblées  ecclésiastiques.  Mais  voyant 
que  le  nombre  des  fidèles  était  petit,  et  ayant  appris  avec  douleur  qu'il  res- 
tait encore  beaucoup  de  païens,  ils  ne  se  contentèrent  pas  d'en  gémir  devant 
Dieu,  et  résolurent  de  travailler  à  leur  conversion.  Saint  Euloge  s'enferma 
dans  une  cellule,  où  il  priait  jour  et  nuit,  afin  que  Dieu  bénît  son  entre- 
prise; et  Protogène,  qui  possédait  les  belles-lettres,  et  était  en  même  temps 
un  habile  sténographe,  ouvrit  un  école  où  il  montrait  à  écrire  aux  enfants, 
et  les  instruisait  des  saintes  Ecritures,  leur  dictant  surtout  les  psaumes  et 
les  endroits  des  écrits  des  Apôtres  qui  leur  étaient  plus  convenables. 

Un  miracle  qu'il  fit  dans  ce  temps-là  donna  du  crédit  à  sa  sainte  doc- 
trine et  hâta  la  conversion  de  plusieurs.  Un  de  ses  écoliers  tomba  malade. 
Il  alla  le  visiter,  et  le  prenant  par  la  main  il  le  guérit  par  la  force  de  sa 
prière.  Le  bruit  s'en  répandit  aussitôt  :  de  sorte  que,  quand  il  y  avait  quelque 
enfant  malade,  les  parents  l'appelaient  pour  le  guérir;  mais  comme  il  leur 


330  5  mai. 

disait  qu'il  ne  pouvait  prier  Dieu  pour  eux  qu'ils  n'eussent  reçu  auparavant 
le  baptême,  ils  y  consentaient  sans  difficulté,  et  ainsi  il  leur  donnait  la  santé 
de  l'âme  et  du  corps. 

Théodoret  dit  aussi  que,  quand  il  avait  converti  quelque  païen,  il  le 
conduisait  à  saint  Euloge  pour  recevoir  de  lui  le  sceau  du  Seigneur.  Et 
comme  le  Saint  se  plaignait  de  ce  qu'il  venait  interrompre  sa  prière,  il  lui 
répondait  que  le  salut  de  ceux  qui  sortaient  de  l'erreur  pressait  davantage. 
Du  reste,  ajoute  cet  historien,  tout  le  monde  admirait  Protogène  qui,  ayant 
reçu  de  Dieu  le  don  de  miracles  et  de  lumière  pour  faire  connaître  la  vé- 
rité à  tant  de  gens,  se  regardait  pourtant  comme  inférieur  à  Euloge,  et  lui 
amenait  ceux  qu'il  avait  gagnés  au  Seigneur,  ce  qui  donnait  une  très-haute 
idée  de  sa  grande  vertu. 

Enfin,  le  calme  ayant  été  rendu  à  l'Eglise,  ces  deux  Saints  retournèrent 
dans  leur  patrie;  mais  ce  ne  fut  pas  sans  regret  de  la  part  de  ceux  qu'ils 
quittèrent,  car  ils  les  accompagnèrent  avec  beaucoup  de  gémissements  et 
de  larmes,  et  surtout  l'évêque  du  lieu,  qui  se  voyait  privé  par  leur  départ 
des  secours  qu'il  en  retirait  pour  le  bien  de  son  diocèse.  A  leur  retour,  saint 
Euloge  fut  mis  en  la  place  de  saint  Barsès,  qui  avait  passé  de  cette  vie  à  une 
meilleure.  Et  quant  à  Protogène,  on  le  chargea  du  gouvernement  de  l'église 
de  Carrhes  *,  où  il  y  avait  beaucoup  à  travailler,  à  cause  du  grand  nombre 
de  personnes  qui  y  étaient  encore  engagées  dans  les  erreurs  du  paganisme  : 
aussi  ne  pouvait-on  mieux  confier  qu'à  lui  un  champ  si  hérissé,  pour  ainsi 
dire,  de  ronces  et  d'épines.  Saint  Euloge  fut  placé  sur  la  chaire  d'Edesse 
par  saint  Eusèbe,  évêque  de  Samosate.  Ce  fut  avant  le  concile  d'Antioche, 
auquel  il  assista  en  370,  ainsi  qu'à  celui  de  Constantinople  en  381. 

Vies  des  Pères  des  déserts  d'Orient. 


SAINT  ÏÏILAIRE,  ARCHEVÊQUE  D'ARLES 

401-449.  —  Papes  :  Saint  Anastase  ;  saint  Léon  le  Grand.  —  Empereurs  d'Occident  :  Honorais  : 

Valentinien  III. 


Voulez-vous  montrer  en  tout,  comme  l'ordonnent 
les  saints  Canons,  fidélité',  soumission  et  obéis- 
sance au  bienheureux  apôtre  Pierre,  qui  a  reçu  de 
Dieu  le  pouvoir  de  lier  et  de  de'lier,  a  son  vicaire 
notre  Saint-Père  le  Pape,  et  aux  pontifes  romains» 
ses  sucessseurs  ?  —  Je  le  veux. 

Pontif.  rom.,  sacre  des  évêques. 

Le  Saint  dont  nous  allons  parler  a  lui-même  écrit  sa  vie,  sans  y  penser, 
en  faisant  celle  d'un  autre  Saint.  Il  nous  apprend  dans  l'oraison  funèbre 
qu'il  a  faite  de  saint  Honoré,  ou  Honorât,  son  prédécesseur,  que  ce  grand 
homme  sortait  quelquefois  de  sa  solitude  de  Lérins,  pour  gagner  des  âmes 
à  Dieu.  Un  jour,  étant  venu  dans  le  pays  d'Hilaire,  qui  était  ou  la  Bourgo- 
gne ou  la  Lorraine,  et  peut-être  la  ville  de  Toul,  et  le  voyant  déjà  fort  em- 
barrassé dans  le  monde,  il  entreprit  de  l'en  détacher,  lai  exposant,  d'un 
côté,  la  vanité  du  siècle,  les  périls  de  cette  vie  et  les  difficultés  de  s'y  sauver, 
et,  de  l'autre,  l'excellence  de  la  vie  religieuse  et  les  avantages  que  l'on  y 

1.  Aujourd'hui  Harran,  au  sud-ouest  d"Kdesse. 


SAINT  HILAIRE,   ARCHEVÊQUE  D' ARLES.  331 

trouve  pour  aller  sûrement  au  ciel.  Mais  comme  il  vit  que  tous  ses  discours, 
quoique  fort  pressants,  ne  faisaient  aucune  impression  sur  son  cœur,  et  que 
le  jeune  homme  protestait  toujours,  et  môme  par  serment,  qu'il  ne  chan- 
gerait jamais  la  vie  séculière  pour  s'enfermer  dans  un  cloître,  il  lui  dit, 
dans  un  esprit  prophétique  :  «Dieu  m'accordera,  avec  le  temps,  ce  que  vous 
me  refusez  aujourd'hui  ».  En  effet,  après  que  le  saint  abbé  eut  prié  pour  la 
conversion  d'Hilaire,  son  cœur  changea  tout  à  coup,  et  il  conçut  autant  de 
dégoût  des  vanités  du  monde,  qu'il  les  avait  aimées  avec  passion  auparavant  ; 
de  sorte  que,  rompant  enfin  toutes  les  chaînes  qui  le  tenaient  attaché  au 
siècle,  il  s'enfuit  en  la  solitude  de  Lérins,  pour  y  travailler  à  la  perfection, 
sous  la  sage  conduite  d'un  si  saint  abbé. 

Hilaire  ne  se  fit  pas  religieux  à  demi,  car  il  se  rendit  si  accompli  dans 
toutes  les  vertus,  que  saint  Honorât,  se  voyant  élevé  à  l'archevêché  d'Arles, 
le  substitua  en  sa  place,  et  le  fit  le  second  abbé  du  célèbre  monastère  de  Lérins, 
Peu  de  temps  après,  sentant  le  grand  poids  de  sa  charge  épiscopale,  il  vou- 
lut l'avoir  auprès  de  lui  pour  se  servir  de  ses  conseils  et  décharger  ses  épaules 
d'une  partie  de  son  fardeau;  mais  l'amour  de  la  solitude,  dont  le  saint  Abbé 
était  charmé,  lui  fit  bientôt  abandonner  la  ville  pour  retourner  à  son  ab- 
baye, et  il  s'y  rendit  avec  plus  d'ardeur  qu'il  n'y  était  allé  la  première  fois, 
lorsqu'il  s'était  fait  religieux,  ainsi  que  saint  Eucher,  évêque  de  Lyon,  le 
remarque  expressément  dans  une  de  ses  épîlres  à  saint  Honorât. 

Le  saint  Archevêque,  sentant  ses  forces  beaucoup  diminuer,  fit  encore 
revenir  son  saint  disciple,  afin  qu'il  l'assistât  à  la  mort  et  qu'il  lui  rendît  les 
derniers  devoirs  de  la  sépulture.  Hilaire  le  fit  avec  l'amour  et  la  tendresse  que 
l'on  voit  dans  l'oraison  funèbre  qu'il  prononça  sur  son  saint  ami.  Craignant 
d'être  élu  en  la  place  du  défunt  qui  avait  manifesté  ce  désir,  Hilaire  partit  aussi- 
tôt pour  sa  chère  solitude;  mais  Castus,  gouverneur  de  la  ville,  ayant  décou- 
vert son  dessein,  le  fit  arrêter;  le  Saint  se  vit  bientôt  environné  de  la  milice, 
du  peuple  et  du  clergé  ;  chacun  l'exhortait  à  se  rendre  :  tout  ce  qu'il  put 
faire,  ce  fut  de  protester  qu'il  n'accepterait  la  prélature  que  si  Dieu  lui  ma- 
nifestait sa  volonté  par  quelque  signe.  A  l'heure  même,  une  colombe  parut, 
blanche  comme  la  neige,  et  vint  se  poser  au  milieu  de  cette  nombreuse  as- 
semblée, sur  la  tête  d'Hilaire,  et  on  ne  put  la  faire  partir  avant  que  le  Saint 
n'eût  acquiescé  à  son  élection.  Il  n'avait  que  vingt-neuf  ans;  mais  sa  jeu- 
nesse ne  servit  qu'à  rendre  ses  vertus  plus  aimables  et  plus  éclatantes. 

Il  ne  faut  pas  s'imaginer  que  ce  saint  religieux  relâchât  rien  des  rigueurs 
du  cloître,  pour  se  voir  élevé  à  la  dignité  d'archevêque  ;  il  pratiqua  toujours 
les  mêmes  austérités,  et  sut  très-bien  allier  la  vie  monastique  à  la  prélature. 
Son  vivre,  son  vêtir  et  son  coucher  furent  les  mêmes  qu'auparavant;  et, 
pour  être  devenu  plus  grand  prélat,  il  n'en  fut  pas  moins  religieux,  ni  moins 
mortifié.  Les  revenus  de  son  église  ne  le  rendaient  pas  plus  riche  :  car  il  les 
distribuait  avec  tant  de  libéralité,  qu'il  se  vit  bientôt  réduit  à  se  servir  de 
calices  et  de  patènes  de  verre.  Sa  charité  pour  les  pauvres  alla  même  jus- 
qu'à travailler  de  ses  propres  mains,  pour  avoir  de  quoi  leur  donner,  quoi- 
qu'il fût  d'une  naissance  illustre  et  que  les  fonctions  éminentes  de  sa  charge 
semblassent  l'en  exempter. 

Les  Saints  eux-mêmes  commettent  des  fautes;  et  la  sainteté  n'est-elle 
pas  le  plus  souvent  l'innocence  recouvrée  par  la  pénitence?  Un  excès  de 
zèle  porta  saint  Hilaire  à  sortir  des  bornes  des  convenances  vis-à-vis  du  sou- 
verain Pontife  saint  Léon  le  Grand  ;  mais  il  reconnut  sa  faute,  s'en  repentit 
et  donna  satisfaction  au  souverain  Pontife.  Il  envoya,  à  cet  effet,  à  Home, 
les  trois  prêtres  les  plus  considérables  de  son  clergé,  Ravenne,  Nectaire  et 


332  5  mai. 

Constance;  et  il  vécut,  depuis,  avec  saint  Léon,  dans  la  meilleure  intelli- 
gence; ce  grand  Pape,  dans  une  lettre  qu'il  écrivit  quelque  temps  après  la 
mort  de  l'archevêque  d'Arles,  l'appelle  Hilaire  de  sainte  mémoire. 

Le  talent  que  saint  Hilaire  avait  pour  la  prédication  était  singulièrement 
remarquable.  Lorsqu'il  parlait  aux  savants  du  monde,  il  s'exprimait  avec 
cette  grâce,  cette  élégance  et  ce  ton  de  noblesse  qui  caractérisent  les  grands 
orateurs;  mais  s'il  avait  à  instruire  des  gens  sans  lettres,  il  changeait  sa 
manière  et  proportionnait  ses  discours  à  la  capacité  des  plus  ignorants.  Ce 
qu'il  y  avait  de  plus  admirable,  c'est  que,  dans  les  instructions  les  plus  fa- 
milières, il  savait  allier  un  style  simple  et  naïf  avec  la  majesté  de  l'Evangile. 
Il  prêchait  la  vérité  sans  déguisement  et  sans  jamais  flatter  les  grands.  Nous 
en  citerons  un  exemple.  Il  avait  souvent  averti  en  particulier  un  juge  de  la 
province,  qui  administrait  la  justice  avec  une  criminelle  partialité  :  ses 
avertissements  n'avaient  produit  aucun  effet.  Un  jour  qu'il  prêchait,  le  ma- 
gistrat, suivi  de  ses  officiers,  entra  dans  l'église.  A  peine  l'eut-il  aperçu,  qu'il 
interrompit  son  discours.  Son  auditoire  paraissant  étonné,  il  dit  qu'un 
homme  qui  avait  si  souvent  négligé  les  avis  qu'on  lui  avait  donnés  pour  le 
salut  de  son  âme,  ne  méritait  pas  d'être  nourri  de  la  parole  divine  avec  le 
peuple  fidèle.  Le  juge,  frappé  de  cette  réflexion,  rougit  et  rentra  en  lui- 
même.  Le  Saint  reprit  ensuite  le  fil  de  son  discours.  Ayant  remarqué,  un 
autre  jour,  que  plusieurs  personnes  sortaient  de  l'église  après  la  lecture  de 
l'Evangile  et  précisément  dans  le  moment  où  il  prêchait,  il  les  fit  revenir, 
en  leur  disant  :  «  Il  ne  vous  sera  pas  si  facile  de  sortir  des  cachots  ténébreux 
de  l'enfer,  si  vous  avez  le  malheur  d'y  tomber  ». 

Son  éloquence  était  rehaussée  par  l'éclat  de  ses  miracles  et  de  ses  vertus. 
Par  la  seule  imposition  de  ses  mains,  il  rendit  la  vue  à  un  aveugle;  il  déli- 
vra un  énergumène  ;  il  obtint  du  ciel  la  guérison  d'un  de  ses  diacres  qui 
avait  eu  un  pied  écrasé  par  un  bloc  de  marbre. 

Il  avait  la  plus  grande  tendresse  pour  les  pécheurs,  lorsqu'il  administrait 
la  pénitence,  ce  qui  se  faisait  ordinairement  le  dimanche  après  l'office  et 
les  instructions  publiques  ;  beaucoup  venaient  recevoir  de  lui  le  remède  aux 
maladies  de  leur  âme.  Il  excitait  par  ses  larmes  celles  des  pénitents.  On  ne 
pouvait  l'entendre  ni  même  le  regarder,  sans  avoir  le  cœur  brisé  de  com- 
ponction, et  l'esprit  effrayé  par  les  jugements  de  Dieu,  par  le  jour  terrible 
de  sa  colère  et  par  la  damnation  éternelle  ;  on  était  dégoûté  de  la  vie  pré- 
sente et  l'on  prenait  la  résolution  de  ne  plus  vivre  que  pour  le  ciel.  Le  Saint 
inspirait  facilement  ces  sentiments  aux  autres,  les  ayant  lui-même.  Sa 
grande  maxime  étant  de  rapporter  tout  à  Dieu,  il  le  considérait  comme  son 
juge  souverain,  et  examinait  chaque  jour,  en  sa  présence,  l'état  de  son  âme: 
aussi  veillait-il  avec  une  grande  attention  à  tout  ce  qu'il  pensait,  à  tout  ce 
qu'il  faisait,  à  tout  ce  qu'il  disait. 

Il  présida  à  plusieurs  conciles,  entre  autres  à  ceux  de  Riez,  en  439  ; 
d'Orange,  en  441;  de  Vaison,  en  442;  d'Arles,  en  443;  il  combattit  les  héré- 
sies, surtout  le  pélagianisme,  rétablit  la  discipline  ecclésiastique,  fonda  des 
monastères,  où  il  fit  régner  la  plus  parfaite  régularité.  Il  en  donnait  lui- 
même  l'exemple.  Car  le  premier  acte  de  son  épiscopat  avaii  été  de  se  réunir 
au  clergé  de  sa  cathédrale  pour  vivre  en  communauté  :  le  dernier  membre 
de  cette  Congrégation  lui  était  plus  cher  que  lui-même  ;  le  plus  petit  acci- 
dent qui  leur  arrivait  l'affligeait;  leur  mort  lui  arrachait  des  larmes.  Ils  vi- 
vaient du  revenu  de  leur  travail  :  Hilaire  lui-même,  l'archevêque  d'Arles, 
le  vicaire  du  Saint-Siège,  travaillait  sans  cesse  :  pendant  qu'on  lui  parlait, 
qu'on  lui  lisait,  qu'on  lui  récitait  des  prières,  il  faisait  des  nattes.  Il  allait 


SAINT  HILAIRE,  ARCHEVÊQUE   D'ARLES.  333 

toujours  nu-pieds,  même  en  hiver,  même  pendant  ses  fréquents  voyages  : 
c'est  ainsi  qu'il  alla  à  Rome,  sous  son  modeste  vêtement,  il  portait  un  ci- 
lice.  Rien  ne  lui  coûtait  quand  il  s'agissait  du  salut  de  son  peuple  ;  on  l'a 
vu,  les  jours  déjeune,  prêcher  trois  heures  de  suite.  Il  vendait  tout,  jus- 
qu'aux vases  sacrés,  comme  je  l'ai  déjà  dit,  pour  racheter  les  pauvres  Gau- 
lois tombés  au  pouvoir  des  tribus  germaniques  qui  envahissaient  la  Gaule. 
Il  avait  d'illustres  amis,  comme  saint  Germain,  évêque  d'Auxerre,  un  des 
apôtres  de  la  Grande-Rretagne,  et  destructeur  du  Pélagianisme  ;  il  se  con- 
sultaient souvent  l'un  l'autre  sur  les  affaires  de  leurs  diocèses.  Enfin,  con- 
sumé de  zèle  et  d'austérité,  Hilaire  tomba  malade  ;  et,  comme  un  jour  il 
croyait  être  à  l'extrémité,  il  lui  sembla  voir  devant  lui  tous  les  vêtements 
d'Aaron,  de  la  manière  qu'ils  sont  décrits  dans  l'Ecriture  :  lorsqu'il  se  dis- 
posait à  les  mettre,  croyant  qu'ils  étaient  préparés  pour  lui,  son  prêtre,  Ra- 
venne,  fut  appelé  pour  s'en  revêtir  et  célébrer  les  saints  Mystères  :  il  recon- 
nut bien,  par  là,  que  son  heure  était  arrivée,  et  que  Dieu  lui  faisait  voir  son 
successeur.  Il  en  donna  avis  à  ses  enfants  spirituels,  leur  prédisant  qu'à  onze 
heures  du  soir  il  partirait  de  ce  monde  :  ce  qui  arriva  le  5  mai,  l'an  de 
Notre-Seigneur  449,  de  son  âge  le  quarante-huitième  et  la  dix-neuvième 
année  de  son  épiscopat. 

Toute  la  ville  d'Arles  pleura  sa  perte  prématurée  ;  chacun  voulut  toucher 
le  Saint  avant  qu'il  fût  enseveli  :  les  juifs  mêmes  assistèrent  aux  funérailles. 
Pendant  le  service  funèbre,  on  n'entendait  guère  chanter  les  psaumes  et 
faire  l'éloge  du  Saint  qu'en  hébreu  ;  car  les  juifs  seuls  pouvaient  parler  :  la 
voix  des  chrétiens,  accoutumés  à  prier  en  latin  et  en  grec,  était  étouffée 
par  la  douleur.  Tel  est  le  récit  d'un  témoin  oculaire.  Son  corps,  inhumé 
dans  l'église  de  Sainte-Etienne,  fut  transféré  ensuite  dans  celle  de  Saint- 
Geniez,  et  de  là  enfin  dans  celle  de  Saint-Honorat.  Au  milieu  du  xne  siècle, 
ces  saintes  reliques  furent  transférées  dans  l'église  de  Sainte-Croix. 

Son  attribut  est  la  colombe,  qui  est  le  symbole  de  l'élection  par  inspira- 
tion ou  à  l'unanimité. 


ÉCRITS  DE  SAINT  HILAIRE. 


Nous  n'avons  aujourd'hui  qu'un  seul  ouvrage  authentique  de  saint  Hilaire,  c'est  la  Vie  de  saint 
Honorât,  son  prédécesseur  sur  le  siège  d'Arles  (tome  L  de  la  Patrologie  de  M.  Migne).  Son  bio- 
graphe cite  encore  Homélies  sur  les  fêtes  de  l'année  ;  explication  dû-Symbole  ;  lettres  en  grand 
nombre  ;  des  vers.  On  a  aussi  attribué  à  saint  Hilaire  d'Arles,  un  poëme  sur  la  Providence  divine, 
et  on  en  a  conclu  qu'il  était  semi-pélogien.  Pour  arriver  à  cette  conclusion,  il  resle  à  prouver: 
1°  que  ce  livre  est  réellement  de  saint  Hilaire;  tous  les  savants  admettent  aujourd'hui  que  notie 
Saint  n'en  est  point  l'auteur;  2°  que  le  sémi-pélagianisme  est  contenu  dans  ce  livre.  Or,  on  con- 
vient généralement  qu'il  n'y  est  que  pour  ceux  qui  veulent  l'y  voir.  Quant  à  la  lettre  de  saint 
Prosper  à  saint  Augustin,  qu'on  invoque  aussi  contre  Hilaire,  que  nous  apprend-elle?  qu'Hihiire 
pensait  en  tout  comme  Augustin,  excepté  sur  la  prédestination  :  chose  très-permise.  Accuse-t-on 
saint  Augustin  de  faire  partie  des  hérétiques  connus  sous  le  nom  de  prédestinatiens,  parce  qu'il 
enseigue  que  le  décret  de  la  prédestination  à  la  gloire  est  absolu  antécédent  ?  Pourquoi  traiter  de 
semi-pélagien  saint  Hilaire  pour  avoir  rejeté  ce  système?  Est-on  pélagien  parce  qu'on  trous e 
plus  raisonnable  de  croire  que  la  prédestination  des  élus  à  la  gloire  est  conditionnelle,  consé- 
quente, c'est-à-dire  fondée  sur  la  prévision  de  leurs  mérites  naturels? 

Il  ne  faut  pas  confondre  saint  Hilaire  d'Ailes  avec  :  1°  l'évèque  Hilaire,  ami  de  saint  Jean  Chry- 
soslôme,  qui,  en  cette  qualité,  fut  exilé  dans  le  Pont;  2°  Hilaire,  évèque  de  Narbonne;  3°  Hilaire, 
diacre  et  envoyé  du  pape  Libère  au  concile  de  Milan  (335),  maltraité  par  les  Ariens,  et  exilé  par 
l'empereur  Constance  ;  4°  Hilaire,  jeune  laïque  de  Syracuse,  disciple  ardent  de  saint  Augustin. 

On  possède  encore  son  épitaphe,  dans  une  chapelle  souterraine,  sous  le  maitre-autel  de 
Saint-Honorat-lès-Arles.  Elle  est  gravée  sur  une  grande  table  de  marbre  enchâssée  dans  la  muraille, 
et  rompue  en  plusieurs  morceaux.  Cette  inscription  est  en  beaux  caractères  romains;  la  voici: 


334  5  mai. 

Antistes  Domini  qui  paupertatis  amorem  Rustica  quia  etiam  pro  XPO  munia  sumens 

Proponens  auro  rapuit  celestia  regaa.  Servile  obsequium  non  dedignatus  adiré 

Hilarius  cui  palma  obitus  et  vivere  XPS  Officio  vixit  minimus  et  culmine  summus 

Contemnens  fragilem  terreni  corporis  usum  Nec  mirum  si  post  haec  meruit  tua  limina  XPE 

Hic  carnis  spolium  liquit  ad  astra  volans.  Angelicasque  domos  intravit  et  aurea  régna 
Sprevit  opes  dum  querit  opes  mortalia  mutans      Divitias  Paradise  tuas  fragrantia  semper 

Perpetuis  cœlurn  donis  terrestribus  émit.  Gramina  et  halantes  divinis  floribus  hortos 

Gemma  sacerdotum  plebis  orbisque  magister  Suijectasque  videt  nubes  et  sidéra  cœli. 

La  Vie  de  saint  Hilaire  a  été  vraisemblablement  écrite  par  un  de  ses  nombreux  disciples,  l'évêque 
Honorât,  de  Marseille,  prédicateur  et  auteur  de  plusieurs  écrits,  que  Gennade  vante  beaucoup  {De  Vir. 
illustr.,  c.  99).  Voir  Surius,  les  Bollandistes,  et  dans  cet  ouvrage  la  Vie  de  saint  Léon  au  11  avril. 


SAINT  MAURONT  OU  MAURANT,  PATRON  DE  DOUAI 


634-702.  —  Papes  :  Honorius  Ier;  Jean  VI.  —  Rois  de  France  :  Dagobert  I"; 
Childebert  III. 


Saint  Maurant  ou  Mauront  naquit  dans  la  Flandre  française  vers  l'an  634, 
probablement  à  Merville,  sur  la  rivière  de  la  Lys,  autrefois  diocèse  de  Thé- 
rouanne,  aux  confins  de  la  Flandre  et  de  l'Artois,  entre  Aire  et  Armentières  *. 

Il  eut  pour  père  le  bienheureux  Adalbaud,  duc  de  Douai,  petit-fils  de 
Clotaire,  roi  de  France,  seigneur  riche  et  puissant,  mais  plus  illustre  encore 
par  ses  vertus  que  par  ses  richesses,  et  qui  mérita  que  l'Eglise  honorât  sa 
mémoire  le  second  jour  de  février  ;  et  pour  mère  sainte  Rictrude,  née  à 
Toulouse,  en  Aquitaine,  de  sang  royal  comme  son  noble  époux. 

Il  eut  l'honneur  d'être  baptisé  par  un  Saint,  nommé  Riquier,  si  célèbre 
lui-même  par  son  zèle  apostolique,  par  sa  vie  pénitente,  et  surtout  par  la 
fondation  de  la  fameuse  abbaye  qui  porta  son  nom,  près  d'Abbeville,  dans 
le  Ponthieu,  aujourd'hui  département  de  la  Somme. 

Saint  Maurant  était  l'aîné  de  quatre  enfants.  Clotsende,  Eusébie  et  Adal- 
sende,  ses  sœurs,  qui  sont  également  honorées  d'un  culte  public  par  l'Eglise, 
savoir  :  la  bienheureureuse  Clotsende,  abbesse  de  Marchiennes  après  sainte 
Rictrude,  sa  mère,  le  30  juin  ;  sainte  Eusébie,  abbesse  de  Hamage,  le  16 
mars  ;  et  la  bienheureuse  Adalsende,  religieuse  sous  sainte  Eusébie,  le  24 
décembre.  C'était  donc  toute  une  famille  de  Saints. 

Les  enfants,  après  Dieu,  durent  leur  sainteté  aux  soins  de  leurs  pieux  pa- 
rents, mais  surtout  aux  leçons,  aux  larmes,  aux  prières,  aux  jeûnes  et  aux 
aumônes  de  leur  sainte  mère.  Que  ne  peut  une  éducation  solidement  chré- 
tienne pour  l'innocence  et  le  bonheur  des  enfants  ! 

Il  reste  peu  de  souvenirs  de  l'enfance  de  saint  Maurant.  Voici  seulement 
un  trait,  dans  lequel  ceux  qui  ne  croient  point  au  hasard,  ne  manqueront 
pas  de  voir  une  providence  particulière  de  la  part  de  Dieu. 

Nous  venons  de  dire  qu'il  avait  reçu  le  baptême  des  mains  de  saint  Riquier. 
Or,  il  arriva  qu'unjour  ce  vénérable  et  saint  prêtre,  autant  pour  le  profit  de 
son  âme  que  pour  les  consolations  de  l'amitié,  vint  faire  visite  à  la  bienheu- 
reuse Rictrude.  Après  les  entretiens  de  piété,  dont  ils  avaientnourri  leurs  âmes 
comme  d'un  pain  délicieux  et  tout  céleste,  l'homme  de  Dieu,  déjà  remonté 

1.  Meurivilla,  Mauranville  (villa  de  Maurand),  Merville  est  aujourd'hui  une  petite  ville  ouverte  du. 
Nord,  dans  les  environs  de  laquelle  se  trouvait  l'abbaye  de  Breuil,  complètement  détruite,  ainsi  que 
l'abbaye  de  Marchiennes.  (Lettre  de  M.  l'abbé  Brunet..  vicaire  à  Douai.) 


SAINT  MAUR0NT  OU  MAURANT,  PATRON  DE  DOUAI.  335 

sur  son  cheval,  se  disposait  à  partir.  De  son  côté,  la  bienheureuse  servante 
du  Seigneur,  par  honneur  et  par  amitié,  comme  il  se  pratique  d'ordinaire, 
s'était  avancée  de  quelques  pas  hors  de  la  maison  ;  elle  prit  dans  ses  bras 
et  éleva  son  petit  Maurant,  et  pria  saint  Riquier  de  donner  à  son  filleul  sa 
bénédiction  paternelle.  L'homme  de  Dieu,  sans  descendre  de  cheval,  prend 
l'enfant  entre  ses  bras,  soit  pour  l'embrasser,  soit  en  effet  pour  le  bénir.  Mais, 
voici  tout  à  coup,  dit  celui  qui  raconte  le  fait,  que  l'ennemi  de  tout  bien, 
dans  sa  rage  jalouse,  inspire  à  l'animal  une  sorte  de  furie  qui  ne  lui 
était  nullement  ordinaire.  Il  s'agitait  à  la  manière  d'un  démoniaque  , 
grinçait  des  dents,  s'emportait  et  courait  çà  et  là  avec  une  étrange  im- 
pétuosité. Saint  Riquier  se  voyait  en  grand  danger  de  périr  ;  mais  il  crai- 
gnait surtout  pour  l'enfant  ;  la  pauvre  mère  ne  craignait  pas  moins.  Elle 
ne  savait  plus  comment  faire.  Déjà  presque  défaillante,  comme  si  elle  eût 
vu  de  ses  yeux  la  mort,  le  bras  levé  contre  des  objets  si  chers,  elle  détour- 
nait son  visage  tout  baigné  de  larmes,  pour  n'être  pas  témoin  de  leur  chute 
lamentable.  Toute  la  maison  était  accourue  au  bruit  du  péril.  Cependant  le 
serviteur  de  Dieu,  qui  tenait  toujours  l'enfant,  adresse  une  prière  au  Sei- 
gneur. A  peine  l'avait-il  achevée,  que  voilà  l'enfant  à  terre,  sans  aucun  mal, 
comme  un  petit  oiseau  qui  s'abat  en  volant  ;  et  le  cheval,  de  son  côté,  a  re- 
pris sa  première  douceur,  comme  un  paisible  agneau.  La  mère,  de  saisir 
avec  joie  son  cher  enfant,  et  de  le  presser  tendrement  sur  son  cœur.  L'en- 
fant souriait  à  sa  mère,  et  aux  plus  vives  angoisses  succédait  partout  l'i- 
vresse du  bonheur.  On  ne  peut  douter  qu'un  si  heureux  dénouement  ne  fût 
dû  aux  mérites  de  ces  deux  saintes  âmes.  Et  comme  souvent,  par  la  toute- 
puissante  bonté  de  Dieu,  les  efforts  de  l'enfer  pour  perdre  les  justes  ne  font 
que  contribuer  davantage  à  leur  progrès  dans  la  vertu,  ainsi  arriva-t-il  que 
cette  épreuve  ne  fit  qu'ajouter  à  la  perfection  de  saint  Riquier.  Car  faisant 
réflexion  que  le  Seigneur,  son  Dieu,  lorsqu'il  vint  pour  racheter  le  monde, 
voulant  nous  donner  un  exemple  d'humilité,  avait  paru  monté,  non  sur  un 
cheval  superbement  enharnaché,  mais  sur  une  simple  ânesse  que  lui  avaient 
disposée  ses  Apôtres,  lui-même,  dans  la  suite,  toutes  les  fois  qu'il  y  avait 
nécessité  pressante  de  voyager,  à  l'exemple  de  son  divin  Maître,;ne  voulut 
jamais  avoir  d'autre  monture. 

Sa  première  éducation  terminée,  le  jeune  Maurant  fut  envoyé  à  la  cour 
de  France,  sous  le  roi  Clovis  II  et  la  reine  sainte  Bathilde.  Il  y  demeura  plu- 
sieurs années,  et,  en  considération  de  ses  vertus  et  de  son  mérite,  autant 
que  de  sa  naissance  et  de  sa  noblesse,  le  roi  l'honora  du  titre  de  secrétaire 
et  de  chancelier  du  royaume. 

Ce  fut  dans  cet  intervalle  qu'il  eut  la  douleur  de  perdre  son  bienheu- 
reux père,  cruellement  assassiné  par  des  scélérats,  dans  un  voyage  que  ce- 
lui-ci fit  de  Flandre  en  Gascogne,  pour  y  voir  les  parents  et  les  biens  de 
sainte  Rictrude,  son  épouse. 

Sainte  Rictrude,  après  la  mort  de  son  mari,  résolut  de  consacrer  à  Dieu 
sa  viduité.  Ayant  refusé  des  secondes  noces,  que  le  roi  Clovis  II  lui  propo- 
sait avec  un  des  plus  grands  seigneurs  de  sa  cour,  elle  tourna  toutes  ses 
pensées  et  toutes  ses  affections  vers  le  ciel  ;  et,  par  le  conseil  de  saint 
Amand,  auparavant  évoque  de  Maëstricht,  elle  quitta  entièrement  le  monde, 
prit  le  voile  et  se  retira  dans  l'abbaye  de  Marchiennes,  dont  elle  devint  ab- 
besse  quelques  années  plus  tard,  et  qu'elle  édifia  autant  qu'elle  l'illustra 
par  quarante  années  des  plus  austères  pénitences  et  des  plus  solides  vertus. 
Elle-même,  avec  le  bienheureux  Adalbaud,  avait  donné  à  saint  Amand  cette 
terre  de  Marchiennes,  pour  y  fonder  une  abbaye  d'hommes,  qui  prit  le  nom 


336  5  mai. 

d'Elnone.  C'est  depuis,  qu'en  ayant  augmenté  les  bâtiments  et  les  ayant  sé- 
parés de  ceux  des  religieux,  elle  y  établit  une  communauté  de  femmes, 
sous  le  nom  d'abbaye  de  Marchiennes.  Au  nombre  des  religieuses  furent 
d'abord  ses  trois  filles,  dont  il  a  été  parlé  plus  haut. 

Cependant  le  jeune  Maurant  était  retourné  dans  son  pays  pour  un  ma- 
riage qu'il  se  proposait  de  contracter.  Déjà  il  en  avait  arrêté  toutes  les  con- 
ditions, et  même  célébré  les  fiançailles,  lorsque,  touché  des  exhortations  de 
saint  Amand,  il  se  dégoûta  lui-même  entièrement  du  monde  et  résolut  de 
se  consacrer  pleinement  à  Dieu  dans  l'état  de  virginité.  Il  est  à  croire  que 
la  mort  de  son  bienheureux  père,  le  souvenir  de  ses  grandes  vertus,  l'exem- 
ple de  sa  sainte  mère  et  de  ses  trois  sœurs,  joints  à  leurs  ferventes  prières, 
ne  contribuèrent  pas  peu  à  cette  généreuse  détermination,  en  lui  faisant 
mieux  sentir  toute  la  frivolité  des  biens  d'ici-bas,  et  tout  le  bonheur  qu'il  y 
a  de  se  donner  à  Dieu  sans  réserve. 

Il  communiqua  donc  à  sa  sainte  mère  le  désir  qu'il  avait  de  renoncer 
pour  toujours  au  mariage.  Celle-ci  craignit  d'abord  que  Maurant  ne  voulût 
prendre  le  parti  du  célibat,  que  pour  se  livrer  à  la  débauche  avec  plus  de 
liberté,  comme  font  tant  d'infortunés  jeunes  gens  qui  se  précipitent  ainsi 
aveuglément  dans  les  abîmes  éternels.  Dans  cette  pensée,  elle  fait  prier 
saint  Amand,  ce  charitable  médecin  des  âmes,  de  la  venir  trouver,  et  lui 
confie  ses  vives  inquiétudes  de  mère  sur  le  salut  de  son  fils.  Il  ne  fut  pas 
difficile  à  saint  Amand  de  la  consoler  et  de  rendre  la  paix  à  son  cœur  affligé. 

Peu  après,  comme  ce  saint  évêque  célébrait  solennellement  la  messe  en 
présence  du  jeune  Maurant,  il  arriva  qu'une  abeille  voltigeant  fit  trois  fois 
le  tour  de  la  tête  de  celui-ci.  Saint  Amand,  qui  avait  remarqué  cette  cir- 
constance, croit  y  voir  un  présage  du  ciel,  fait  appeler  le  jeune  Maurant  et 
l'exhorte  à  exécuter  au  plus  tôt  le  dessein  qu'il  avait  conçu,  et  qu'une  révé- 
lation secrète  venait  de  lui  faire  connaître  comme  agréée  d'en  haute 

Saint  Maurant  ne  différa  plus  ;  il  commence  par  se  remettre  entre  les 
mains  de  saint  Amand  et  s'abandonne  pleinement  à  sa  direction.  Ce  saint 
Pontife,  selon  les  règles  de  l'Eglise,  le  bénit  et  lui  donne  la  tonsure  cléri- 
cale en  forme  de  couronne.  Il  lui  apprend  en  même  temps  la  signification 
mystérieuse  de  cette  sainte  cérémonie.  La  tonsure,  lui  dit- il,  en  mettant  à 
nu  le  haut  de  la  tête,  nous  rappelle  que  rien  n'est  caché  aux  yeux  du  Sei- 
gneur, pas  même  les  pensées  les  plus  intimes  ;  et  par  le  retranchement  des 
cheveux,  souvent  renouvelé  ensuite,  elle  nous  apprend  qu'il  faut  retrancher 
de  même  sans  relâche  les  désirs  superflus  et  criminels.  Cette  forme  de  cou- 
ronne, ajoute-t-il,  nous  exprime  et  la  tiare  du  souverain  prêtre  et  le  diadème 
du  grand  Roi  ;  elle  nous  dit  que  nous  appartenons  désormais  à  un  sacerdoce 
royal,  et  qu'après  les  combats  et  les  épreuves  de  cette  vie,  endurés  avec 
patience,  Dieu  réserve  dans  l'autre,  à  ceux  qui  l'aiment,  une  couronne  de 
gloire  immortelle  et  infinie...  Ces  leçons  symboliques  recueillies  de  la  bouche 
du  saint  évêque  et  de  la  sainte  Ecriture  elle-même,  le  bienheureux  Mau- 
rant les  grava  profondément  dans  sa  mémoire  et  travailla  surtout  avec  un 
soin  extrême  à  les  réaliser  dans  la  pratique. 

Elevé  plus  tard  à  l'ordre  de  diacre,  toute  son  application  fut  de  mener 
de  plus  en  plus  une  conduite  digne  du  nom  qu'il  portait  et  du  caractère 
sacré  dont  il  était  revêtu. 

Le  Seigneur,  de  son  côté,  lui  ménagea  un  moyen  d'avancement  dans  la 
vertu,  en  lui  procurant  la  société  de  saint  Amé,  évêque  de  Sens.  Voici 
comme  la  chose  arriva  :  ce  saint  avait  été  élevé,  malgré  lui,  sur  le  siège 
épiscopal  de  Sens.  Cinq  ans  après,  calomnié  par  des  envieux  auprès  du  roi, 


SAINT  MAUR0NT  OU  MAURANT,  PATRON  DE  DOUAI.  337 

qui  était  alors  Thierry  III,  il  fut  relégué  d'abord  à  Péronne,  dans  un  monas- 
tère, sous  la  garde  de  saint  Oultain,  qui  en  était  abbé.  Après  la  mort  du 
bienheureux  Oultain,  Thierry  remit  saint  Amé  entre  les  mains  de  saint  Mau- 
rant,  avec  charge  de  le  garder  à  son  tour.  Saint  Maurant  était  alors  devenu 
abbé  d'un  monastère  appelé  Breuil,  qu'il  venait  de  faire  bâtir  lui-même 
dans  sa  terre  de  Merville,  dont  il  a  été  parlé  plus  haut.  Il  connut  bientôt  le 
riche  trésor  que  le  ciel  venait  de  lui  confier  en  la  personne  de  saint  Amé;  il 
le  traita,  non  pas  comme  un  banni,  ni  un  prisonnier,  mais  comme  un  saint 
et  un  homme  de  Dieu  ;  il  se  trouvait  honoré  de  s'en  faire  le  très-humble 
serviteur  ;  et  toute  son  application,  à  lui  et  à  ses  religieux,  était  d'étudier 
sa  sainte  vie  comme  un  parfait  miroir  des  plus  excellentes  vertus.  Il  voulut 
même  qu'il  fût  supérieur  de  son  monastère  en  sa  place,  et  se  soumit  à  sa 
direction  comme  le  plus  simple  des  religieux.  Après  sa  mort,  en  690,  il  le 
fit  ensevelir  avec  beaucoup  d'honneur  et  garda  ses  précieuses  dépouilles 
dans  son  monastère  de  Breuil,  jusqu'à  ce  que,  trois  ans  après,  il  les  fît 
transporter  dans  une  nouvelle  église,  qu'il  avait  fait  bâtir  en  l'honneur  de  la 
sainte  Vierge. 

Saint  Maurant  reprit  alors  la  direction  de  son  monastère,  qu'il  avait  été 
si  heureux  d'abord  de  céder  à  saint  Amé.  On  ne  peut  dire  avec  quelle  appli- 
cation il  travailla,  jusqu'à  son  dernier  soupir,  à  se  sanctifier  lui-même  et  à 
sanctifier  aussi  les  religieux  qui  étaient  venus  se  ranger  sous  sa  conduite. 
On  vit  fleurir,  au  monastère  de  Breuil,  dans  toute  la  perfection  évangélique, 
toutes  les  vertus  qui  honorent  les  plus  saintes  communautés,  l'esprit  de  re- 
traite, de  recueillement,  de  silence  et  de  prière,  une  humilité  profonde, 
une  mortification  universelle,  une  douceur  inaltérable,  une  patience  invin- 
cible, un  détachement  admirable  de  toutes  les  choses  d'ici-bas,  un  saint 
zèle  pour  les  plus  austères  pratiques  de  la  pénitence,  pour  les  jeûnes,  les 
Teilles,  les  cilices,  etc. 

Saint  Maurant  gouvernait  en  même  temps  l'abbaye  de  Marchiennes,  de- 
puis la  mort  de  sainte  Rictrude  sa  mère,  arrivée  deux  ans  avant  celle  de 
saint  Amé,  en  688.  Il  n'avait  pu  refuser  cette  consolation  à  sa  sainte  mère, 
qui  l'en  avait  prié  avant  de  rendre  le  dernier  soupir.  Il  dirigea  donc  l'abbaye 
de  Marchiennes  tant  qu'il  vécut,  c'est-à-dire  durant  l'espace  d'environ  qua- 
torze ans.  Nous  n'avons  aucun  détail  sur  ces  dernières  années  de  sa  vie. 

Enfin,  le  moment  était  arrivé  où  Dieu  devait  couronner  dans  le  ciel  une 
vie  si  pleine  de  vertus  et  de  mérites.  Saint  Maurant  était  venu  visiter  l'ab- 
baye de  Marchiennes  dont  il  s'était  chargé,  comme  nous  venons  de  le  dire, 
à  la  prière  de  sa  mère  expirante.  Cette  visite  n'eut  lieu,  sans  doute,  que  par 
un  dessein  particulier  de  la  divine  providence.  Dieu  voulait  que  des  cœurs, 
que  les  liens  de  la  charité,  bien  plus  encore  que  ceux  du  sang,  avaient  si 
étroitement  unis  pendant  la  vie,  ne  fussent  pas  séparés,  même  après  la 
mort,  et  qu'ils  reposassent  en  paix  au  même  endroit.  Il  permit  donc  que, 
surpris  tout  à  coup  par  la  maladie  dont  il  devait  mourir  dans  l'abbaye  de 
Marchiennes,  saint  Maurant,  après  avoir  rempli  une  dernière  fois  les  pieux 
devoirs  de  son  saint  ministère  et  reçu  les  consolations  de  la  religion,  s'y 
endormît  du  sommeil  des  justes  dans  les  bras  du  Seigneur,  à  côté  de  sa 
mère  et  de  ses  trois  bienheureuses  sœurs.  Sa  mort  arriva  le  5  mai  de  l'an  702, 
dans  la  soixante-huitième  année  de  son  âge  ;  selon  d'autres,  le  5  mai  706, 
dans  sa  soixante- douzième  année. 


Vies  des  Saints.  —  Tome  V.  22 


338  5  mai. 

CULTE  ET  RELIQUES  DE  SAINT  MAURANT. 

Son  corps  demeura  longtemps  dans  l'église  de  Marchiennes,  où  il  avait  été  inhumé  d'abord.  Oa 
lit  dans  les  Chroniques  de  Marchiennes  qu'il  fut  déposé  dans  l'église,  du  côté  de  l'orient,  près 
d'un  puits  qu'il  avait  fait  creuser  pour  le  service  de  l'autel,  et  qui  porte  encore  aujourd'hui 
son  nom. 

Il  en  fut  exhumé  depuis,  on  ne  sait  pas  bien  à  quelle  occasion,  et  la  plus  grande  partie  de  ses 
ossements  furent  transportés  à  Douai.  Là  se  trouvaient  aussi,  depuis  le  ixe  siècle,  ceux  de  saint  Amé. 

On  les  y  avait  apportés  du  monastère  de  Breuil,  pour  les  soustraire  aux  ravages  des  Normands. 
Ainsi  reposèrent  ensemble,  quelque  temps  après  leur  mort,  dans  une  même  église,  les  restes  vénérés 
de  ces  deux  grands  Saints,  qui,  pendant  leur  vie,  avaient  été  liés  d'une  amitié  si  étroite  et  si  pure. 

L'église  de  Saint-Amé,  où  les  précieux  restes  de  saint  Maurant  furent  conservés  jusqu'en  93, 
dans  une  chapelle  de  cette  grande,  riche  et  magnifique  collégiale,  est  aujourd'hui  détruite  et  il 
n'en  reste  plus  aucun  vestige. 

On  voyait  dans  cette  église  une  grande  et  magnifique  chapelle,  avec  un  autel  dédié  sous  le 
triple  vocable  de  saint  Maurant,  de  sa  mère,  sainte  Rictrude,  et  de  son  bienheureux  père,  Adalbaud. 
On  y  voyait  également  leurs  trois  statues.  Celle  de  saint  Maurant  était  au  milieu  ;  elle  portait  un, 
vêtement  de  distinction  en  forme  de  manteau  royal,  fleurdelisé,  de  la  main  droite  un  sceptre, 
et  de  la  gauche  un  édifice  surmonté  d'un  clocher.  Les  fleurs  de  lis  indiquaient  sa  haute  lignée,  et 
l'édicule,  ses  fondations  religieuses.  De  ces  trois  statues,  il  ne  reste  plus  aujourd'hui  que  celle  de 
saint  Maurant. 

L'abbaye  de  Saint-Ghislin,  en  Hainaut,  se  vante  aussi  de  posséder  le  crâne  de  saint  Maurant 
dans  une  belle  tête  de  vermeil,  et  la  moitié  d'un  de  ses  bras  daus  un  autre  reliquaire. 

On  raconte  plusieurs  miracles  opérés  depuis  sa  mort.  Le  premier  se  trouve  dans  la  vie  de  sainte 
Rictrude,  écrite  vers  la  fin  du  xn»  siècle  par  un  religieux  anonyme  de  l'abbaye  de  Marchiennes. 

Nous  avons  dit  que  les  reliques  de  saint  Maurant  avaient  été  transportées  plus  tard  à  Douai.  En 
conséquence  de  cette  translation,  et  avec  le  consentement  du  clergé  et  du  peuple  de  la  ville,  il 
avait  été  statué  que,  tous  les  ans,  le  5  mai,  on  célébrerait  la  fête  de  saint  Maurant  avec  une 
grande  solennité.  Elle  devait  être  annoncée  publiquement  dans  toutes  les  églises,  le  dimanche  qui 
précède;  toute  œuvre  servile  était  interdite  ce  jour-là,  et  chacun  s'empressait  d'assister  aux  saints 
offices  avec  grande  dévotion,  ainsi  que  cela  se  voit  encore  aujourd'hui,  ajoute  l'historien.  Mais  on 
alla  plus  loin  encore.  Par  vénération  pour  ce  grand  Saint,  on  en  vint,  une  année,  jusqu'à  interdire 
le  travail,  dès  la  venue  de  sa  fête,  à  compter  de  trois  heures  de  l'après-midi.  Or,  il  arriva  qu'un 
cordonnier  s'obstina  de  rester  à  son  travail  après  l'heure  prescrite,  sans  respect  pour  le  Saint, 
sans  égard  même  pour  les  remontrances  que  lui  faisaient  de  charitables  voisins.  «  Comment  donc  !  » 
lui  disaient-ils,  «  et  quelle  témérité  !  Ne  voyez-vous  pas  que  c'est  Dieu  même  que  vous  méprisez 
en  méprisant  ses  saints  et  en  désobéissant  aux  commandements  de  l'Eglise,  notre  mère?  Avez-vous 
donc  oublié  que  le  Seigneur  a  dit  :  Ceux  qui  vous  écoutent,  c'est  moi  qu'ils  écoutent,  et  ceux 
qui  vous  méprisent,  c'est  moi  qu'ils  méprisent  ?  Or,  vous  savez  très-bien  que  cette  fête  est 
d'usage  et  d'obligation  chaque  année.  Et  vous,  esclave  de  l'avarice  et  d'un  vil  intérêt,  vous  ne 
craignez  pas  de  transgresser  le  précepte  du  Seigneur  ».  A  quoi  ce  malheureux  prévaricateur  répon- 
dait (ce  que  d'ailleurs  l'on  répond  si  souvent  encore  aujourd'hui)  :  «  Eh  !  les  prêtres  nous  impo- 
sent ce  qu'ils  veulent,  au  gré  de  leurs  caprices.  Et  qu'est-ce  donc  que  Maurant,  qu'est-ce  que  Ric- 
trude, sa  mère?  des  hommes  comme  nous,  rien  de  plus.  Ils  étaient  nés  dans  la  richesse,  voilà 
tout;  mais  ils  n'étaient  pas  d'une  autre  nature  que  nous;  et,  à  la  mort,  ils  sont  allés  rejoindre 
leurs  pères  tout  comme  les  autres.  Je  ne  les  honore  ni  ne  les  crains;  ils  ne  peuvent  rien  ni  pour 
ni  contre  moi  ;  ils  sont  bien  morts  ». 

A  peine  avait-il  achevé  ces  blasphèmes,  continue  l'historien,  que,  se  remettant  de  nouveau  à 
son  ouvrage,  tout  à  coup,  je  ne  sais  comment,  le  tranchant  qu'il  tenait  d'une  main,  va  transpercer 
Vautre  comme  s'il  eût  voulu  découper  un  morceau  de  cuir.  Il  n'en  put  jamais  être  pleinement  guéri 
et  demeura  estropié  tout  le  reste  de  sa  vie,  en  sorte  que,  ne  pouvant  plus  travailler,  il  se  vit  peu 
à  peu,  de  riche  qu'il  était  d'abord,  réduit  à  l'indigence,  accablé  de  dettes,  et  contraint,  pour  échap- 
per à  ses  créanciers,  de  s'enfuir  secrètement  du  pays,  n'ayant  plus  rien. 

Les  voisins  ne  manquèrent  pas  alors  de  se  rappeler  les  blasphèmes  qu'ils  lui  avaient  entendu 
proférer,  et  de  voir  dans  son  malheur  un  juste  châtiment  de  son  impiété.  On  le  sut  bientôt  dans 
toute  la  ville,  et  la  dévotion  pour  le  culte  des  Saints  reprit,  dès  ce  moment,  une  nouvelle  ferveur. 

Dans  un  autre  Recueil  de  la  vie  et  des  miracles  de  sainte  Rictrude,  composé  par  un  autre 
religieux,  nommé  Vualbert  ou  Gualbert,  et  qui  se  trouve  également  parmi  les  manuscrits  de  Mar- 
chiennes, il  est  parlé  d'un  puits,  dont  nous  avons  dit  un  mot  plus  haut,  appelé  puits  de  saint 
Maurant,  que  lui-même,  par  respect,  avait  fait  creuser  pour  qu'il  pût  servir  exclusivement  à  laver 
et  à  purifier  les  vases  sacrés  et  les  linges  de  l'autel  ;  on  ajoute  que  l'on  y  voyait  venir  un  grand 
nombre  de  malades,  attaqués  d'écrouelles  ou  de  scrofules,  et  que,  continuellement  ils  éprouvaient 
par  la  vertu  de  Notre-seigneur  Jésus-Christ,  combien  était  puissante  l'intercession  de  sainte  Rie* 


SAINT  MAURONT  OU  MAURANT,  PATRON  DE  DOUAI.  339 

trude  et  de  son  bienheureux  fils  saint  Maurant  ;  car,  après  avoir  bu  de  cette  eau  salutaire,  s'en 
être  lavés  le  visage  et  le  corps,  ils  s'en  retournaient  parfaitement  guéris  et  pour  toujours. 

Jean  Buzelin,  jésuite,  dans  son  Histoire  de  la  Belgique,  imprimée  à  Douai,  partie  sous  le  titre 
de  Annales  Gallo-Flandriœ,  en  1624,  et  partie  sous  le  titre  de  Gallo-Flandra  sacra  et  profana, 
en  1625,  a  recueilli  beaucoup  de  choses  sur  saint  Maurant.  Il  raconte,  entre  autres,  comme  l'ayant 
tiré  d'un  livre  précieux  appartenant  à  l'église  de  Saint-Amé  de  Douai,  que,  lors  d'une  translation 
des  ossements  de  saint  Maurant  dans  une  nouvelle  châsse,  translation  faite  à  Douai,  en  l'année  1139, 
par  Alvis,  évêque  d'Arras,  en  présence  de  plusieurs  personnages  importants,  et  entre  autres  de 
Goswin,  abbé  du  monastère  d'Anchin,  dans  le  Hainaut,  et  archimandrite  de  la  Chaise-Dieu,  en  Au- 
vergne, il  parut  une  sorte  de  prodige,  qui  contribua  singulièrement  à  faire  éclater  de  nouveau 
la  gloire  de  saint  Maurant,  et  à  justifier  les  honneurs  que  la  piété  des  fidèles  s'empresse  de  lui 
rendre.  On  vit,  et  tout  le  monde  en  fut  témoin,  un  cercle  tout  à  fait  extraordinaire,  nuancé  de 
diverses  couleurs,  environner  en  forme  de  couronne  tous  ceux  qui  maniaient  alors  les  sacrés  osse- 
ments, et  cela  jusqu'à  ce  qu'ils  achevèrent  de  les  déposer  dans  la  nouvelle  châsse. 

Nous  terminerons  le  récit  de  ces  quelques  miracles  par  un  fait  beaucoup  plus  récent  et  non 
moins  signalé  peut-être. 

C'était  en  1556,  la  veille  des  Rois,  pendant  la  nuit.  Gaspard  de  Coligny,  grand-amiral  de 
France,  assiégeait  la  ville  de  Douai.  Il  voulut  profiter  de  la  circonstance  ;  et  sachant  qne,  pen- 
dant cette  nuit,  le  peuple  de  Flandre  avait  coutume  de  célébrer  les  Rois  par  des  festins,  il  espéra 
les  surprendre  à  la  faveur  de  l'ivresse  et  du  sommeil  qui  en  est  la  suite;  il  fit  donc  donner  Tas- 
saut.  Mais  saint  Maurant  veillait  à  la  sûreté  delà  ville.  Il  apparaît  en  songe  au  gardien  de  l'église 
de  Saint-Aîné,  où  nous  avons  dit  que  reposaient  ses  précieuses  reliques;  il  lui  ordonne  par  trois 
fois  de  sonner  Matines.  Le  gardien  ne  reconnaissant  point  saint  Maurant,  s'y  refuse  d'abord,  allé- 
guant qu'il  n'était  pas  encore  l'heure;  mais,  forcé  enfin,  il  le  fait  et  voilà  qu'au  lieu  des  coups  de 
Matines,  c'est  le  tocsin  d'alarme  qui  retentit.  Dans  toute  la  ville,  on  s'éveille,  on  court  aux  armes, 
on  vole  aux  remparts;  mais  quelle  ne  fut  pas  la  surprise  des  assiégés,  lorsqu'ils  virent  de  leurs 
propres  yeux  le  Saint  lui-même,  allant  çà  et  là  sur  la  muraille,  tel  que  sa  statue  nous  le  repré- 
sente, avec  son  vêtement  tout  étincelant  de  pierreries  et  parsemé  de  lis  d'or,  et  le  sceptre  royal 
en  la  main  droite.  On  ne  douta  point  que  ce  ne  fût  lui-même  qui  eût  défendu  la  ville,  en  attendant 
que  les  habitants  fussent  éveillés.  Le  peuple  et  le  sénat  de  Douai  en  furent  si  persuadés  que, 
par  reconnaissance,  on  institua  une  procession  annuelle  dans  laquelle  on  porte  solennellement  les 
reliques  vénérées  du  Saint;  ce  sont  les  chanoines  eux-mêmes  qui  ont  cet  honneur,  et  il  s'y  fait 
un  immense  concours  de  peuple. 

Le  bruit  de  ce  prodige  se  répandit  jusque  dans  les  pays  étrangers,  car  on  le  trouve  rnestionné 
dans  un  calendrier  des  Bénédictins  édité  à  Mâcon  l'an  1622. 

Arnold  Wion,  qui  nous  a  transmis  la  mémoire  de  cette  délivrance  miraculeuse,  ajoute,  dans  une 
note  marginale,  que  son  propre  père,  Aimé  Wion,  alors  procureur-général  de  la  ville,  était  arrivé 
le  premier  de  tous  en  armes  sur  la  muraille  et  qu'il  y  avait  été  témoin  lui-même  de  cette  scène 
miraculeuse. 

Jean  Buzelin,  que  nous  avons  déjà  cité,  au  deuxième  livre  de  ses  Annales,  rapporte  ce  même 
fait  et  à  peu  près  dans  les  mêmes  termes,  sous  la  date  de  1557.  Un  trait  si  éclatant  pourra  ren- 
contrer des  incrédules.  L'auteur  que  nous  venons  de  citer  raconte  que,  déjà  de  son  temps,  quel- 
ques-uns cherchaient  à  lui  donner  une  explication  naturelle.  A  les  entendre,  le  sénat  aurait  reçu 
avis  du  péril  par  quelques  paysans  entrés  la  veille  au  soir  dans  la  ville  ;  sur  cet  avis,  les  postes 
des  remparts  auraient  été  doublés,  et  enfin,  au  signal  donné  par  la  sentinelle  du  haut  de  la  tour 
prétorienne,  on  aurait  prévenu  à  temps  le  succès  des  embûches.  Mais  telle  n'est  point  la  croyance 
commune,  ajoute  Jean  Buzelin,  et  tous  les  autres,  avec  plus  de  raison,  attribuent  cette  délivrance 
à  la  seule  protection  de  saint  Maurant.  Nous  disons  à  notre  tour  :  pourquoi  donc  n'aimerions- 
nous  pas  à  y  croire  nous-mêmes  ?  Un  miracle  doit-il  tant  coûter  à  la  toute-puissance  de  Dieu  ? 
elle  est  infinie  ;  à  sa  bonté  pour  les  hommes  ?  elle  est  sans  bornes  ;  à  son  amour  pour  les  Saints 
eux-mêmes  ?  il  se  fait  un  plaisir  de  faire  éclater  leur  gloire  aux  yeux  d'un  monde  dédaigneux  et 
incrédule. 

L'église  actuelle  de  Saint-Jacques,  à  Douai,  possède  encore  quelques  reliques  de  saint  Maurant. 
On  trouve  aussi  près  de  la  Scarpe,  et  non  loin  de  l'endroit  où  était  l'ancienne  collégiale  de  Saint- 
Amé,  une  fontaine  qui  porte  son  nom.  Il  n'est  pas  rare  de  voir  des  personnes  puiser  de  l'eau  à 
cette  fontaine,  ou  y  tremper  des  linges  pour  des  malades.  Une  guérison  prompte  ou  inespérée  a 
récompensé  souvent  la  pieuse  confiance  des  fidèles. 

A  Merville,  le  culte  de  saint  Maurant,  comme  celui  de  saint  Amé,  s'est  aussi  fidèlement  con- 
servé jusqu'à  ce  jour.  Il  y  a  quelques  années  à  peine  qu'une  famille  pieuse  fit  élever,  sur  la 
route  qui  conduit  de  cette  ville  au  village  de  Vieux-Berquin,  une  chapelle  sous  le  patronage  de 
ces  deux  protecteurs  de  la  contrée.  Le  5  mai,  jour  de  la  fête  de  saint  Maurant,  on  y  commence 
une  neuvaine,  durant  laquelle  le  saint  sacrifice  est  célébré,  chaque  matin,  au  milieu  d'une  foule 
d'habitants  qui  viennent  réclamer  avec  confiance,  pour  eux  et  pour  leurs  parents,  les  grâces  et  les 
bénédictions  du  ciel. 

Les  armoiries  de  Merville  représentaient  autrefois  saint  Maurant  et  saint  Amé. 


340  5  MAI- 

Deux  paroisses  du  diocèse  de  Soissons,  Margival  et  Levergies  honorent  saint  Maurant  d'un 
culte  particulier. 

Margival  est  un  petit  village  au  nord-est  de  Soissons  (Aisne),  à  dix  kilomètres  de  cette 
ville,  au  fond  d'une  petite  vallée.  Si  l'on  se  demandait  d'où  vient  que  l'église  et  la  paroisse  de 
Margival  se  trouvent  sous  le  patronage  de  saint  Maurant,  et  ce  qui  a  pu  donner  lieu  de  choisir 
parmi  tant  d'autres  Saints,  plus  connus  du  pays,  un  Saint  qui  parait  l'être  beaucoup  moins,  nous 
pourrions  répondre  d'abord  que,  quoique  assez  peu  connu  aujourd'hui,  saint  Maurant  a  pu  l'être 
beaucoup  plus  autrefois.  Nous  pourrions  répondre  encore  qu'il  parait,  par  l'histoire,  que  les  re- 
liques de  saint  Amé  ayant  été  apportées  d'abord  de  Breuil  à  Douai,  comme  nous  l'avons  vu,  pour 
les  sauver  de  la  fureur  des  Normands,  on  ne  les  y  crut  pas  encore  assez  en  sûreté,  et  qu'on  les 
apporta  ensuite  de  Douai  à  Soissons  qui  était  une  ville  beaucoup  plus  forte.  Or,  qui  sait  si  on 
n'y  apporta  pas  en  même  temps  celles  de  saint  Maurant?...  Ce  qui  est  certain,  c'est  que  la  présence 
de  saint  Amé  dut  réveiller  naturellement  dans  Soissons  et  aux  alentours  la  pensée  et  la  véné- 
ration du  saint  abbé  qui  lui  avait  donné  un  gracieux  asile  dans  son  monastère,  et  avec  lequel  il 
avait  eu  des  rapports  si  intimes  et  si  dignes  de  l'un  et  de  l'autre. 

Mais  voici  une  réponse  beaucoup  plus  vraisemblable  et  qui  nous  peut  aisément  dispenser  de 
toute  autre  explication.  Il  est  raconté  dans  le  Recueil  des  miracles  de  sainte  Rictrude,  par  le 
religieux  anonyme  que  nous  avons  déjà  cité  plus  haut,  que,  près  de  Soissons,  la  bienheureuse 
vierge  Eusébie,  sœur  de  saint  Maurant,  possédait  avec  sa  mère,  sainte  Rictrude,  une  terre  nom- 
mée Vregny;  que  cette  terre  lui  avait  été  donnée  par  Dagobert,  roi  de  France,  et  parla  reine 
Nanthilde,  son  épouse,  parce  que  tous  deux  l'avaient  tenue  sur  les  fonts  de  baptême  en  qualité 
de  parrain  et  de  marraine;  que,  plus  tard,  sainte  Eusébie  ayant  pris  le  voile,  à  l'exemple  de  sa 
mère,  dans  l'abbaye  de  Marchiennes,  elle  avait  donné  à  perpétuité,  à  l'église  de  cette  abbaye,  la 
terre  de  Vregny  avec  toutes  ses  dépendances;  et  que  c'est  pour  cela  que,  chaque  année,  le  vil- 
lage de  Vregny  envoie  à  l'abbaye  de  Marchiennes  une  certaine  quantité  de  vin,  tant  pour  le  ser- 
vice de  l'autel  que  pour  les  infirmes  et  les  hôtes.  Et,  en  effet,  nous  trouvons  dans  YEtat  du  dio- 
cèse de  Soissons,  imprimé  en  1783,  que,  alors  encore,  il  y  avait  dans  cette  paroisse  une  maison 
appartenant  à  l'abbaye  de  Marchiennes,  et  que  le  seigneur  censier  était  l'abbé  de  Marchiennes. 
Aujourd'hui  même,  cette  maison  existe  encore  et  l'on  voit,  sur  le  terroir  de  Vregny,  un  lieu  dit  la 
Couture  de  Marchiennes.  En  faut-il  davantage  pour  expliquer  l'origine  de  la  dévotion,  qui  fit 
dédier  l'église  de  Margival  sous  le  titre  de  saint  Maurant  et  placer  toute  la  paroisse  sous  son 
puissant  patronage  ;  surtout,  si  l'on  considère  que  les  deux  terroirs  se  touchent,  et  que  la  terre  de 
Vregny  pouvait  alors  s'étendre  jusqu'à  Margival  et  l'embrasser  dans  ses  dépendances  ?  Nous  irions 
volontiers  plus  loin  et  nous  dirions  que  c'est  même  de  là  que  le  village  a  pris  son  nom  de  Mar- 
gival ;  soit  qu'on  le  tire  du  nom  de  saint  Maurant  lui-même,  Mauronti  vallis,  c'est-à-dire  vallée 
de  saint  Maurant  :  soit  plus  probablement  du  nom  de  l'abbaye  où  vivaient  sa  mère  et  sa  sœur,  et 
qu'il  gouverna  lui-même  quelque  temps,  Marchiana  ou  Marciana  vallis,  vallée  de  Marchiennes. 
Nous  laissons  le  jugement  à  de  plus  habiles  que  nous;  mais  il  n'y  a  pas  loin,  ce  nous  semble,  de 
Marchienneval  à  Marchival,  puis  à  Margival.  Le  Propre  Soissonnais,  en  1852,  dans  la  légende  de 
Matines,  a  adopté  cette  étymologie. 

Mais  pourquoi,  à  quelque  distance  de  Margival,  la  fontaine  de  saint  Maurant  ?  pourquoi  l'usage 
de  la  procession  qui  s'y  fait  le  jour  de  sa  fête  ?  pourquoi  la  coutume  d'y  venir  en  pèlerinage  et 
d'y  prier  spécialement  pour  les  petits  enfants  ? 

On  pourrait  répondre  que  la  terre  de  Vregny  ayant  appartenu  à  sainte  Eusébie  et  à  sainte 
Rictrude,  il  a  pu  très-bien  se  faire  que  saint  Maurant,  dans  un  de  ses  voyages  à  Vregny,  soit 
venu  à  Margival,  qu'il  se  soit  arrêté  près  de  cette  fontaine,  ait  bu  même  de  son  eau,  et  que  la 
tradition,  depuis,  en  ait  conservé  le  pieux  souvenir  jusqu'à  nos  jours. 

Mais  nous  aimons  mieux  dire  que  cette  fontaine  est  destinée  simplement  à  rappeler  le  puits 
que  saint  Maurant  avait  fait  creuser  lui-même,  près  de  l'église  de  l'abbaye  de  Marchiennes,  pour 
le  service  de  l'autel,  et  près  duquel  il  fut  inhumé  d'abord,  ainsi  qu'il  a  été  dit  plus  haut. 

Alors  s'explique  aisément  l'usage  de  la  procession  annuelle  et  du  pèlerinage  :  car  nous  avons 
vu  la  vénération  des  peuples  pour  le  puits  de  Saint-Maurant  et  les  miracles  qui  s'y  opéraient. 

Pourquoi  y  prier  spécialement  pour  les  petits  enfants  ?  Nous  en  verrions  volontiers  la  raison 
dans  la  manière  merveilleuse  dont  fut  sauvé  saint  Maurant,  encore  petit  enfant,  lorsqu'il  courut  un 
si  grand  danger  entre  les  mains  de  saint  Riquier.  On  a  pensé  que,  dans  le  ciel,  il  s'intéresserait, 
à  son  tour,  d'une  manière  toute  spéciale  à  tous  les  dangers  que  peut  courir  cet  âge. 

Levergies  est  un  village  de  douze  cents  habitants,  situé  à  deux  lieues  nord  de  Saint-Quentin, 
à  peu  près  en  ligne  droite  de  cette  dernière  ville  à  Marchiennes.  C'est  un  lieu  de  pèlerinage  à 
saint  Maurant. 

A  un  kilomètre  du  village  s'élevait,  avant  la  Révolution,  une  statue  de  six  pieds  représen- 
tant saint  Maurant,  posée  sur  un  piédestal  en  pierres.  Cette  statue,  par  sa  position,  dominait  tous 
les  environs.  A  l'entour,  la  piété  de  nos  pères  avait  planté  quatre  ormes  pour  donner  ombrage  aux 
pèlerins  qui  venaient  en  grand  nombre  des  environs,  souvent  même  des  pays  lointains.  Tout  fut 


SAINT  ANGE,   DE  L'ORDRE  DES  CARMES,   MARTYR.  341 

détruit  en  93.  Il  ne  reste  plus  aujourd'hui  que  quelques  pierres  éparses.  Un  débris  de  la  statue, 
que  l'on  replaça  sur  une  pierre,  se  conserva  longtemps;  mais  les  outrages  que  l'impiété  ou  l'hé- 
résie lui  ont  fait  souffrir  depuis,  à  mille  reprises,  l'ont  rendu  aujourd'hui  méconnaissable.  L'appât 
du  gain  y  fut  aussi  souvent  pour  quelque  chose  :  car  les  pèlerins  déposaient  parfois  leur  pieuse 
offrande  sous  ces  débris,  qui  leur  rappelaient  la  douce  pensée  du  Saint,  et,  pour  recueillir  l'of- 
frande qui  était  souvent  le  droit  du  premier  venu,  la  statue  devait  en  souffrir,  surtout  quand  elle 
avait  affaire  à  quelque  main  ennemie  ou  sans  religion;  elle  était  alors  renversée  sans  pitié.  La 
tète  grossièrement  travaillée  que  l'on  y  voit  maintenant,  est  l'œuvre  toute  récente  de  quelque  ci- 
seau rustique,  mais  n'a  d'autre  mérite  que  d'appeler  une  autre  statue  plus  conforme  à  l'art  et 
qui  puisse  être  bénie  par  l'Eglise. 

Quant  à  l'origine  du  pèlerinage,  en  vain  on  interroge  les  traditions  et  les  anciens  ;  on  se  perd 
dans  la  nuit  des  temps  sans  rien  découvrir.  Peut-être  le  devons-nous  à  quelque  faveur  particu- 
lière, en  reconnaissance  de  laquelle  une  chapelle  aurait  été  élevée  en  l'honneur  du  Saint  par  un 
habitant  du  pays;  quoi  qu'il  en  soit,  nous  espérons  que  les  enfants  ne  le  céderont  pas  à  leurs 
pères  en  respect  et  en  dévotion  pour  leur  glorieux  et  puissant  protecteur,  et  que  leurs  mains 
dévouées  se  hâteront  bientôt  de  relever  les  ruines,  au  pied  desquelles  leurs  pères  ont  prié  avec 
tant  de  foi  et  puisé  si  souvent  les  consolations  chrétiennes. 

Malgré  le  triste  état  des  lieux,  le  pèlerinage  s'y  continue  toujours.  Les  habitants  du  pays 
aiment  à  le  faire  la  nuit  ou  avant  le  soleil.  On  ne  peut  en  donner  la  raison.  Les  pèlerins  étran- 
gers y  sont  encore  assez  nombreux,  et  quelquefois  on  les  y  rencontre  par  petites  caravanes. 

Comme  à  Douai  et  à  Margival,  c'est  surtout  pour  les  enfants  que  saint  Maurant  est  invoqué  à 
Levergies.  Les  jeunes  gens  du  pays  l'invoquent  aussi  pour  être  exemptés  de  la  milice,  et  d'autres 
pour  d'autres  faveurs;  trop  peu  peut-être  pour  leur  salut. 

Un  nouveau  motif  de  dévotion  attirera  désormais  les  pieux  pèlerins  à  saint  Maurant  :  l'église 
de  Levergies  vient  de  s'enrichir  avec  reconnaissance  d'une  relique  du  Saint,  petite,  il  est  vrai, 
mais  néanmoins  chère  et  précieuse.  Cette  sainte  relique  est  venue  de  Douai  même,  par  l'évêché 
de  Soissons. 

Cette  vie  a  été  écrite  par  M.  l'abbé  Gobaille,  archiprêtre  de  Saint-Quentin.  —  M.  l'abbé  Bvunet,  vi- 
caire à  Douai;  M.  l'abbé  Destombes,  auteur  de  la  Vie  des  saints  d'Arras,  et  M.  l'abbé  Julliait,  curé  da 
Levergies  (1860),  ont  bien  voulu  nous  fournir  quelques  renseignements  particuliers.  —  Cf.  aussi  lea 
Bollandistes  aux  5  et  12  mai. 


SAINT  ANGE,  DE  L'ORDRE  DES  CARMES,  MARTYR 

1223.  —  Pape  :  Honoré  III.  —  Roi  de  France  :  Louis  VIII. 


Ce  ne  sont  pas  les  Martyrs  qui  font  l'Evangile;  c'est 
l'Evangile  qui  fait  les  Martyrs. 

S.  Cyprien,  Ep.  vin  Martyr,  et  Conf. 

Deux  époux,  Jessé  et  Marie,  tous  deux  juifs,  qui  avaient  la  crainte  de 
Dieu,  souhaitaient  ardemment  de  connaître  la  vérité.  Un  jour,  la  sainte 
Vierge  leur  apparut  et  leur  déclara  que  le  Messie  était  venu,  que  c'était  son 
fils,  et  elle  les  exhorta  à  croire  en  lui.  Touchés  de  cette  apparilion,  ils 
s'adressèrent  au  patriarche  de  Jérusalem  qui  les  mit  d'abord  parmi  les  ca- 
téchumènes, et,  après  le  temps  requis,  leur  conféra  le  baptême. 

Marie,  devenue  chrétienne,  mit  au  monde  deux  jumeaux,  dont  l'un, 
dans  le  baptême,  fut  appelé  Ange,  et  l'autre,  Jean. 

Ces  deux  enfants  avaient  quatre  ans,  d'autres  disent  sept  ans,  lorsqu'ils 
perdirent  leurs  parents,  qui  les  laissèrent  sous  la  tutelle  et  la  protection  du 
patriarche  qui  les  avait  baptisés.  L'homme  de  Dieu  les  reçut  en  sa  maison 
comme  ses  propres  enfants,  et  les  éleva  dans  la  vertu  et  dans  les  sciences 
avec  la  même  affection  que  s'il  en  eût  eu  la  commission  du  ciel.  Lorsqu'ils 


342  S  m.\i. 

eurent  dix-huit  ans,  prévoyant  que  sa  mort  n'était  pas  éloignée,  il  leur  pro- 
posa de  se  faire  religieux  de  l'Ordre  du  Mont-Carmel  ;  c'était  ce  qu'ils  dési- 
raient avec  ardeur,  et  ils  ne  pouvaient  pas  entendre  une  proposition  qui 
leur  fût  plus  agréable.  Aussi,  sans  différer,  ils  entrèrent  dans  le  couvent  de 
cet  Ordre,  à  Jérusalem,  et  y  prirent  l'habit  de  religion.  Ils  passèrent  leur 
noviciat  avec  une  si  grande  ferveur  et  une  sainteté  si  édifiante,  qu'ils  n'eu- 
rent aucune  peine  à  être  reçus  à  la  profession.  Pour  la  faire,  ils  demandè- 
rent d'aller  au  Mont-Carmel,  et  ils  furent  accueillis  de  tous  les  Pères  avec 
une  joie  et  une  bienveillance  extraordinaires. 

Après  leurs  vœux,  comme  ils  avaient  devant  les  yeux  la  vie  de  ces  grands 
Prophètes,  qui  avaient  sanctifié  cette  montagne  par  leurs  larmes,  leurs 
prières  et  leurs  pénitences,  ils  voulurent  joindre  les  exercices  les  plus  ri- 
goureux de  la  mortification  à  une  oraison  continuelle.  Outre  leur  Règle, 
qu'ils  observaient  au  pied  de  la  lettre,  ils  entreprirent,  par  la  permission  de 
leurs  supérieurs,  beaucoup  d'autres  austérités.  Quatre  jours  de  la  semaine, 
depuis  la  sainte  Croix  de  septembre  jusqu'à  Pâques,  ils  ne  prenaient  que 
du  pain  et  de  l'eau,  et  les  autres  jours,  ils  n'y  ajoutaient  que  des  fèves  crues, 
ne  mangeant  jamais  de  chair,  ni  rien  de  ce  qui  en  provient,  et  ne  buvant 
jamais  de  vin.  Ils  avaient,  au  lieu  de  chemise,  des  cottes  de  mailles  qu'ils 
n'ôtaient  jamais,  et  ne  couchaient  que  sur  des  planches.  Telles  furent  les 
mortifications  corporelles  qu'ils  continuèrent  jusqu'à  la  fin  de  leur  vie. 
Pour  leurs  prières  vocales,  ils  récitaient  tous  les  jours  les  cent  cinquante 
psaumes  de  David. 

Ces  deux  frères  firent  plusieurs  miracles,  que  l'on  peut  voir  dans  la 
Chronique  de  leur  Ordre  ;  nous  n'en  rapporterons  qu'un  ici,  pour  faire  voir 
le  mérite  de  l'obéissance.  Le  bienheureux  Ange,  étant  âgé  de  vingt-six  ans, 
fut  envoyé,  par  ses  supérieurs,  à  Jérusalem,  pour  y  être  ordonné  prêtre.  Il 
fit  de  grandes  résistances  pour  n'être  point  promu  à  cette  dignité,  qu'il  re- 
gardait comme  un  ministère  infiniment  élevé  au-dessus  de  ses  mérites;  mais 
il  fallut  que  son  humilité  cédât  à  la  volonté  de  ceux  qui  tenaient  à  son 
égard  la  place  de  Jésus-Christ.  Dans  ce  voyage,  arrivé  sur  les  bords  du  Jour- 
dain, il  le  trouva  débordé  contre  l'ordinaire,  sans  aucun  moyen  de  le  passer. 
Cela  ne  fat  point  capable  de  l'arrêter  dans  un  voyage  entrepris  par  pure 
obéissance  :  il  pria  Dieu  pendant  une  demi-heure,  invitant  les  soixante  per- 
sonnes qui  l'accompagnaient,  à  en  faire  autant.  Ensuite,  il  commanda  aux 
eaux  de  lui  faire  passage,  au  nom  du  Père,  du  Fils  et  du  Saint-Esprit,  par 
les  mérites  des  saints  patriarches  Elie  et  Elisée,  et  en  considération  de  la 
sain'e  obéissance  qui  l'envoyait.  Aussitôt  le  fleuve  obéit  à  sa  voix  ;  et,  arrê- 
tant d'un  côté  le  cours  de  ses  eaux,  et  coulant  de  l'autre  vers  la  mer,  il 
laissa  le  passage  libre  à  toute  l'assemblée  :  Dieu  renouvelant  ainsi  les  an- 
ciennes  merveilles  qu'il  avait  faites  au  temps  de  Moïse,  de  Josué  et  du  pro- 
phète Elisée. 

Le  bruit  de  ce  miracle  se  répandit  bientôt  dans  tout  le  pays,  et  particu- 
lièrement dans  Jérusalem,  dont  les  habitants  vinrent  au-devant  de  saint 
Ange  ;  comme  il  était  leur  compatriote,  ils  supplièrent  le  prieur  du  couvent 
de  le  retenir,  ce  qu'il  fit.  Le  Saint  dit  donc  sa  première  messe  dans  cette 
maison.  Il  obtint  ensuite  permission  de  passer  les  fêtes  de  Noël  dans  la  crè- 
ehe  de  Bethléem  ;  et,  pendant  qu'il  y  était,  une  femme  apporta,  à  ses  pieds, 
son  fils  qui  était  mort,  le  suppliant  de  le  ressusciter.  Ange  se  trouva  tout 
interdit  à  cette  demande,  ne  se  croyant  pas  digne  de  faire  des  miracles; 
mais,  vaincu  enfin  par  les  larmes  d'une  mère  affligée,  il  étendit  sa  chape 
sur  l'enfant;  et  comme  il  priait,  les  yeux  élevés  vers  le  ciel,  le  mort  revint 


SAINT  ANGE,   DE   L'ORDRE   DES   CARMES,    MARTYR.  343 

en  vie,  publiant  la  gloire  du  Tout-Puissant  et  le  mérite  de  son  serviteur. 

Ces  miracles,  faisant  connaître  le  bienheureux  Ange  plus  qu'il  ne  vou- 
lait, il  résolut  de  mettre  son  humilité  hors  de  ces  périls,  en  fuyant  le 
monde.  Dès  le  lendemain  de  cette  résurrection,  il  se  retira  secrètement, 
avec  permission  de  son  prieur,  en  un  désert  de  la  Palestine,  appelé  le  désert 
de  la  Quarantaine,  à  cause  du  jeûne  de  quarante  jours  que  Notre-Seigneur 
y  a  fait.  Il  y  passa  cinquante  ans  dans  une  si  grande  solitude,  qu'il  n'y  était 
visité  que  par  des  esprits  célestes. 

Durant  ce  temps,  Jean,  son  frère,  qu'il  avait  laissé  sur  le  Mont-Carmel, 
et  qui  s'y  était  rendu  illustre  par  toutes  sortes  de  vertus,  fut  élu  patriarche 
de  Jérusalem.  Ce  nouveau  prélat,  ne  pouvant  plus  souffrir  l'absence  de  son 
saint  frère,  ne  négligea  rien  pour  découvrir  où  il  était.  Dieu  fit  en  même 
temps  connaître  à  saint  Ange  qu'il  voulait  se  servir  de  lui  pour  la  conver- 
sion des  âmes  dans  un  pays  éloigné,  et  qu'il  devait,  pour  cela,  quitter  la  vie 
solitaire  et  érémitique.  Ainsi  il  retourna  à  Jérusalem,  s'adressa  à  son  frère, 
et  lui  déclara  l'ordre  qu'il  avait  reçu  du  ciel  de  passer  en  Italie,  et  de  là  en 
Sicile.  En  attendant  le  moyen  de  s'embarquer,  il  fit  quelques  prédications 
dans  cette  sainte  ville,  avec  tant  de  zèle,  que  dans  une  seule  il  ne  convertit 
pas  moins  de  quatre-vingts  juifs.  Après  avoir  donné  cette  consolation  à  sa 
patrie,  il  prit  avec  lui  trois  de  ses  confrères,  dont  l'un  s'appelait  Enoch  ; 
c'est  celui  qui  a  écrit  sa  vie,  comme  l'a  remarqué  le  cardinal  Baronius  dans 
ses  Annotations  sur  le  Martyrologe  romain. 

En  passant  par  Alexandrie,  selon  Tordre  qu'il  en  avait  reçu  du  ciel,  il 
salua  le  patriarche,  qui  lui  donna  des  reliques  pour  porter  à  Rome  ;  après 
une  première  descente  en  Sicile,  où  il  fut  tiré  miraculeusement  des  mains 
des  pirates,  il  alla  à  Rome  offrir  les  reliques  dont  il  était  porteur,  au  pape 
Honorius  III,  et  lui  exposer  que  Dieu  le  destinait  à  évangéliser  la  Sicile.  Le 
Pape  lui  fit  très-bon  accueil  et  lui  donna  pouvoir  de  remplir  la  mission  à 
laquelle  Dieu  l'avait  appelé.  Avant  de  partir,  Ange  visita  les  églises  de  cette 
sainte  cité,  et  rencontra,  dans  Saint-Jean-de-Latran,  saint  Dominique  et 
saint  François,  qui  s'entretenaient  ensemble. 

Saint  François,  le  voyant,  dit  à  saint  Dominique  :  a  Voilà  un  Ange  de 
Jérusalem  ;  son  nom  est  déjà  marqué  dans  le  ciel,  comme  celui  d'un  mar- 
tyr ».  Et,  en  disant  cela,  il  s'avança  vers  lui,  et  se  jeta  à  ses  pieds  ;  mais 
Ange,  qui  fut  éclairé  d'une  semblable  lumière,  le  releva  et  lui  dit  :  «  Quel 
bonheur,  mon  cher  Père  François,  de  vous  rencontrer,  vous  qui  êtes  un 
homme  véritablement  humble,  et  qui  méritez  de  porter  les  marques  sacrées 
de  notre  Rédemption  !  »  Au  sortir  de  l'église,  il  guérit  un  lépreux,  ce  qui 
fut,  en  quelque  façon,  le  sceau  de  sa  mission  apostolique. 

Ensuite,  il  se  rendit  une  seconde  fois  en  Sicile,  où  son  arrivée  fut  signalée 
par  plusieurs  miracles;  et  à  peine  eut-il  mis  pied  à  terre  dans  l'île,  qu'il 
commença  à  prêcher  les  vérités  de  l'Evangile  :  ce  qu'il  fit  avec  tant  de 
succès,  qu'il  convertit  en  peu  de  temps  quatre  cents  juifs,  qui  reçurent  le 
saint  Baptême.  On  vit,  dit-on,  tomber  des  roses  et  des  lis  de  sa  bouche, 
pendant  qu'il  parlait.  Il  guérit  aussi  plusieurs  malades,  entre  autres  l'ar- 
chevêque de  Palerme.  Le  Saint,  après  lui  avoir  rendu  la  santé,  se  fit  con- 
naître à  lui  et  lui  demanda  son  agrément  pour  exercer  sa  mission  dans  toute 
l'étendue  de  son  diocèse. 

Il  y  avait  dans  cette  île  un  comte,  appelé  Bérenger,  qui  était  de  grande 
autorité  par  tout  le  pays,  mais  d'une  vie  très-scandaleuse  ;  il  entretenait 
publiquement  sa  propre  sœur.  Le  Saint,  à  qui  Dieu  avait  fait  connaître  ce 
désordre  dès  la  Palestine,  vint  à  la  ville  d'Alicata,  où  cet  incestueux  faisait 


344  5  mai. 

sa  résidence.  Il  lui  parla  d'abord  en  particulier  ;  mais  n'ayant  rien  gagné 
sur  lui,  il  lui  remontra  en  public  l'abomination  et  l'borreur  de  son  crime, 
et  le  menaça  des  châtiments  de  Dieu  et  des  rigueurs  de  sa  justice  ;  il  le  fit 
avec  tant  d'énergie,  que  les  plus  intimes  confidents  du  comte  l'abandonnè- 
rent, et  sa  sœur,  cédant  enfin  aux  reproches  de  sa  conscience,  reconnut  sa 
faute,  confessa  son  crime  et  l'effaça  par  un  torrent  de  larmes,  déclarant 
hautement  que,  depuis  douze  ans,  sa  vie  avait  été  pleine  d'infamie  devant 
Dieu  et  devant  les  anges,  quoique  les  hommes  n'en  eussent  peut-être  pas  vu 
toute  l'horreur  et  toute  l'abomination. 

Mais  le  comte  endurci,  et  grinçant  des  dents  comme  un  frénétique 
contre  son  médecin,  jura  que  la  liberté  de  ses  discours  lui  coûterait  la  vie. 
En  effet,  tandis  que  le  serviteur  de  Dieu  continuait  ses  prédications,  saint 
Jean-Baptiste,  par  l'ordre  duquel  il  avait  entrepris  cette  mission,  lui  apparut 
le  premier  jour  de  mai,  et  l'assura  que  le  cinquième  jour  suivant  serait  le 
jour  de  son  triomphe  et  de  sa  gloire.  Ange  s'y  disposa  comme  pour  une 
bonne  fête,  et  ce  jour  heureux  pour  lui  étant  arrivé,  il  monta  en  chaire 
pour  achever  de  dire  tout  ce  que  l'Esprit  de  Dieu  lui  inspirerait  pour  l'ac- 
complissement de  sa  mission.  Ensuite  il  alla  dire  la  messe  dans  l'église  de 
Saint-Jacques,  au  sortir  de  laquelle  des  assassins  se  jetèrent  sur  lui  et  le 
percèrent  de  cinq  coups  d'épée.  Le  peuple  commençait  à  s'émouvoir  ;  mais 
le  saint  Martyr  l'apaisa,  et,  avec  une  parfaite  présence  d'esprit,  il  récita 
tout  haut  le  premier  psaume  :  «  Bienheureux  l'homme  qui  n'est  point  allé 
en  l'assemblée  des  impies  »;  et  le  trentième  :  «  Seigneur,  j'ai  espéré  en 
vous  » ,  jusqu'au  verset  :  «  Seigneur,  je  remets  mon  esprit  entre  vos  mains  ». 
Et,  en  disant  ces  paroles,  il  expira  le  5  mai  de  l'année  1225,  ou  environ; 
c'était  deux  ans  après  la  rencontre  de  saint  Dominique  et  de  saint  François. 
Toute  l'assistance  aperçut  un  rayon  de  lumière  qui,  sortant  de  sa  bouche, 
s'élevait  jusqu'au  ciel,  et  une  espèce  de  colombe  qui  semblait  prendre  son 
vol  le  long  de  cette  clarté  ;  il  apparut  aussi  en  même  temps  à  l'archevêque 
de  Palerme,  lui  faisant  savoir  qu'il  s'en  allait  au  ciel,  et  le  priant  de  faire 
enterrer  son  corps  à  l'endroit  où  il  avait  répandu  son  sang  pour  la  gloire  de 
son  Maître.  L'archevêque  lui  fit  faire  des  funérailles  conformes  à  sa  grande 
réputation  de  sainteté. 

On  le  représente  :  1°  tenant  à  la  main  une  palme  dans  laquelle  sont 
enfilées  les  trois  couronnes  de  la  virginité,  de  la  prédication  et  du  martyre; 
2°  avec  un  glaive  qui  lui  perce  la  poitrine  et  lui  fend  la  tête. 

Le  Martyrologe  romain  dit  qu'il  mourut  par  les  mains  des  hérétiques, 
d'où  l'on  infère  que  le  comte  avait  ajouté  l'hérésie  à  son  inceste.  Pour  les 
saintes  reliques  qu'il  apporta  d'Alexandrie  à  Rome,  le  catalogue  en  est  écrit 
bien  au  long  dans  les  Annales  de  l'Eglise,  sous  l'année  1220;  c'était  une 
image  de  la  très-sainte  Vierge  Marie,  les  os  d'un  bras  et  d'une  jambe  de 
saint  Jean-Baptiste,  le  chef  du  prophète  Jérémie,  un  bras  de  sainte  Cathe- 
rine, vierge  et  martyre,  et  l'os  d'une  jambe  de  saint  Georges,  martyr  dô 
Cappadoce. 

Le  diocèse  d'Amiens  possède  quelques  reliques  du  Saint  :  une  omoplate 
est  conservée  dans  une  châsse  à  Assevillers  ;  un  os  de  l'avant -bras  à 
Chaulnes. 

Cette  Vie  a  été  tirée  des  Annales  ecclésiastiques  de  Baronius  et  d'un  manuscrit  qui  est  au  Vatican, 
n  3813  concernant  les  affaires  de  l'Ordre  du  Mont-Carmel.  Le  pape  Honorius  III  a  mis  saint  Ange  au 
nombre  des  saints  Martyrs,  peu  de  temps  après  sa  mort,  ainsi  que  l'a  remarqué  le  R.  P.  François  Victor, 
minime,  en  sou  Traité  de  la  canonisation  des  Saints. 


SAINT  PIE  Y,   PAPE.  345 


SAINT  PIE  Y,  PAPE 


1504-1572.  —  Pape  :  Jules  II,  jusqu'en  1566.  —  Empereurs  :  Maximilien  I";  Maximilien  II. 
Rois  de  France  :  Louis  XII  ;  Charles  IX. 


Et  les  Philistins   furent  saisis  d'épouvante,  disant  : 
Dieu  est  venu  dans  le  camp  d'Israël. 

I  Reg.,  rv,  7. 

Le  bourg  de  Bosco,  dans  le  territoire  d'Alexandrie ,  en  Piémont,  est 
devenu  célèbre  par  la  naissance  de  Pie  V.  Ce  grand  Pape  y  vint  au  monde  le 
17  janvier  1504,  et  fut  nommé  Michel  sur  les  fonts  de  baptême  ;  des  auteurs 
disent  cependant  qu'il  fut  appelé  Antoine,  et  que  le  nom  de  Michel  ne  lui 
fut  donné  qu'à  son  entrée  en  religion.  Son  père  s'appelait  Paul,  et  était  de 
la  famille  de  Ghislieri,  noble  et  patricienne,  de  Bologne,  mais  qui  en  avait 
été  bannie  longtemps  auparavant  par  une  sédition  populaire.  Sa  mère  se 
nommait  Domenica  Augeria.  Tous  deux  pauvres,  mais  vertueux,  ils  eurent 
grand  soin  d'élever  cet  enfant  dans  la  crainte  du  Seigneur,  persuadés  que  la 
bonne  éducation  valait  mieux  que  tous  les  trésors  de  la  terre.  Lorsqu'il  fut 
âgé  de  douze  ans,  il  entra,  avec  l'agrément  de  ses  parents,  chez  les  Domi- 
nicains de  Voghera,  à  sept  lieues  de  Bosco.  Chaque  matin,  il  servait  la  messe 
et  consacrait  le  reste  du  jour  à  l'étude.  Il  passa  ensuite  au  couvent  de 
Vigevano,  où  il  fit  son  noviciat,  puis  sa  profession  en  1519.  A  peine  eut-il 
appris  la  philosophie  et  la  théologie  qu'on  le  jugea  capable  de  les  enseigner. 
Il  reçut  la  prêtrise  à  Gênes,  âgé  de  vingt-quatre  ans.  Dans  un  Chapitre  de 
son  Ordre,  à  Parme,  en  1543,  il  soutint  des  thèses  publiques  où  il  réfuta 
admirablementles  erreurs  des  luthériens  et  des  calvinistes,qui  commençaient 
à  se  répandre. 

Ses  études,  néanmoins,  ne  l'empêchaient  pas  d'assister  assidûment  au 
chœur  et  à  l'oraison,  ni  de  satisfaire  à  ses  autres  exercices  de  piété.  Cette 
grande  capacité,  jointe  à  une  solide  vertu,  fit  jeter  les  yeux  sur  lui  pour 
l'élever  aux  charges  de  son  Ordre  ;  il  gouverna  ses  frères  avec  tant  de  pru- 
dence, de  douceur  et  de  charité,  que  chacun  s'estimait  heureux  de  vivre 
sous  sa  conduite  :  il  avait  un  merveilleux  empire  sur  les  esprits  les  plus 
difficiles  et  les  moins  traitables.  On  raconte  une  chose  remarquable  qui  lui 
arriva  lorsqu'il  était  prieur  en  Lombardie.  La  guerre  et  la  famine  affligeant 
cette  province  et  les  autres  voisines,  trois  cents  soldats  vinrent  à  son  cou- 
vent  pour  le  piller  :  notre  Saint  se  présente  à  eux  sans  crainte,  les  accueille 
comme  des  hôtes,  et  leur  inspire  tant  de  vénération,  que  ces  gens  de  guerre 
séjournent  un  mois  dans  la  communauté,  non-seulement  sans  commettre 
aucun  dégât,  mais  même  sans  en  troubler  l'ordre  :  ils  observaient  eux- 
mêmes  la  Règle,  se  trouvant  à  l'office,  mangeant  au  réfectoire  avec  les 
autres  religieux,  et  entendant,  avec  un  profond  silence,  la  lecture  qui  s'y 
faisait.  Nommé  inquisiteur  *  de  Côme  et  de  Bergame,  le  saint  religieux  fit 

1.  Prononçons  ce  titre  sans  affectation,  mais  sans  détours.  Si  la  fausse  tolérance  qui  domine  dans  nos 
mœurs  s'offense  des  mesures  qu'a  dû  prendre  un  délégué  fidèle  du  Saint-Siège,  gard  en  zélé  de  la  foi  et 
ferme  dans  l'action,  ce  n'est  pas  nous  qui  devons  rougir  de  voir  un  héros  de  l'Eglise,  un  Saint,  inaugurer 
sa  carrière  en  montant  sur  ce  tribunal  dont  on  ne  saurait  nier  l'utilité  et  les  services,  le  seul  de  tous  les 
tribunaux  humains  qui  ait  eu  la  mission  d'absoudre  le  coupable  dès  que  le  coupable  avait  dit  :  «  Je  me 
rétracte  ». 


346  5  MM- 

paraître  dans  cette  charge  le  zèle  qu'il  avait  pour  la  foi.  Il  y  courut  souvent 
de  °rands  dangers,  qui  ne  purent  ébranler  sa  constance.  On  décria  même 
sa  conduite  auprès  des  princes  :  il  fut  obligé  d'aller  se  justifier  à  Rome.  Il 
s'acquit  en  cette  ville  l'estime  des  plus  grands  personnages,  entre  autres  de 
Jean-Pierre  Carafa,  cardinal  Tbéatin,  qui  fut  depuis  Paul  IV,  et  de  Rodolphe 
Pio,  cardinal  de  Carpi;  et,  à  leur  recommandation,  il  fut  établi  par  Jules  III 
commissaire  général  de  l'inquisition  à  Rome  ;  et,  après  la  mort  de  ce  Pape 
et  celle  de  Marcel  II,  qui  ne  fut  que  vingt  et  un  jours  sur  le  Siège  aposto- 
lique, le  même  cardinal  Théatin  étant  parvenu  au  pontificat,  il  le  fit  pre- 
mier, souverain  et  perpétuel  inquisiteur,  avec  une  autorité  si  étendue,  qu'il 
avait  le  pouvoir  de  juger  par  lui-même  toutes  sortes  de  causes,  et  d'absou- 
dre ou  de  condamner  en  dernier  ressort  les  accusés,  ce  que  les  souverains 
Pontifes  n'avaient  pas  encore  accordé,  et  ce  qu'ils  n'ont  pas  même,  depuis, 
accordé  à  personne,  s'étant  toujours  réservé  le  jugement  en  dernier  res- 
sort. Ce  Pape  l'avait  auparavant  fait,  malgré  lui,  évoque  de  Népi  et  de 
Sutri,  et,  deux  ans  après,  l'avait  créé  cardinal-prêtre  du  titre  de  la  Minerve  ; 
mais  il  s'appela  cardinal  Alexandrin,  surnom  qu'il  portait  déjà  depuis  long- 
temps, à  cause  de  la  ville  d'Alexandrie,  qui  était  peu  éloignée  du  lieu  de  sa 
naissance. 

Ces  honneurs,  qui  auraient  été  capables  de  faire  quelque  changement 
dans  les  autres,  ne  firent  aucune  impression  sur  son  cœur,  et  il  en  était  si 
peu  touché,  que  quand  Paul  IV  lui  parla  de  la  pourpre,  il  lui  dit  ces  pa- 
roles :  «  Hé  quoi  !  Saint-Père,  voulez-vous  me  tirer  du  purgatoire  pour  me 
précipiter  dans  l'enfer  ?  »  Sa  modestie  lui  faisant  regarder  cette  éminente 
dignité  comme  beaucoup  au-dessus  de  ses  forces  et  de  ses  mérites,  il  crai- 
gnait de  n'en  pas  assez  bien  remplir  toutes  les  obligations.  Il  ne  quitta 
point  la  robe  dominicaine,  observa  ses  jeûnes  et  ses  austérités  habituels,  et 
ne  voulut  pas  que  ses  parents  attachassent  à  son  crédit  la  moindre  espé- 
rance temporelle.  Sa  maison  ne  fut  composée  que  des  personnes  dont  il  ne 
pouvait  se  passer  avec  bienséance,  et  dont  la  vie  était  irréprochable.  Quand 
il  recevait  quelqu'un  au  nombre  de  ses  domestiques,  il  l'avertissait  que  ce 
n'était  point  tant  dans  un  palais  qu'il  entrait  que  dans  un  monastère  où  il 
fallait  vivre  en  religieux.  Il  avait  soin  qu'on  s'approchât  souvent  des  Sacre- 
ments, et  prenait  quelquefois  certains  jours  pour  donner  lui-même  la  com- 
munion à  tous  ceux  de  sa  maison.  Il  était  plein  de  bonté  pour  eux,  respec- 
tant leur  sommeil,  leurs  repas,  ne  les  accablant  jamais  de  fatigues,  ayant 
soin  d'eux  dans  leurs  maladies. 

Pie  IV,  qui  avait  succédé  à  Paul  IV,  ne  fut  pas  plus  tôt  élu  souverain  Pon- 
tife, qu'il  transféra  le  cardinal  Alexandrin  des  évêchés  de  Népi  et  de  Sutri  à 
celui  de  Mondovi,  dans  le  Piémont;  car  cette  église  était  tellement  désolée, 
soit  par  la  négligence  des  évoques  précédents,  soit  par  le  voisinage  des 
hérétiques,  qu'il  fallait  un  pasteur  qui  eût  autant  de  zèle  que  notre  Saint 
pour  y  rétablir  la  foi  dans  son  ancienne  pureté.  Dès  qu'il  fut  de  retour  à 
Rome,  après  la  visite  de  son  diocèse,  le  Pape,  qui  lui  avait  ordonné  de  re- 
venir, le  mit  d'une  congrégation  qu'il  avait  établie  pour  terminer  les  diffi- 
cultés touchant  le  Concile  de  Trente,  qui  se  tenait  alors.  Le  cardinal 
Alexandrin  se  montra  en  toutes  ses  fonctions  le  défenseur  des  lois  et  de  la 
discipline  ecclésiastiques.  Ainsi  il  s'opposa  vigoureusement  à  la  promotion 
au  cardinalat  de  Ferdinand  de  Médicis  et  de  Frédéric  de  Gonzague,  à  cause 
de  leur  grande  jeunesse,  et  parce  que  c'était  le  temps  où  l'on  travaillait 
activement  à  réformer  la  discipline  ecclésiastique;  quand  il  s'agissait  de 
l'honneur  et  de  l'intérêt  de  l'Eglise,  il  faisait  au  Pape  les  remontrances 


SAINT  PIE  V,  PAPE,  347 

les  plus  hardies.  Lorsqu  on  lui  représentait  que  cette  trop  grande  liberté 
pourrait  lui  attirer  quelque  disgrâce,  il  répondait  que  dès  qu'on  ne  vou- 
drait plus  souffrir  qu'il  dît  la  vérité,  il  retournerait  de  grand  cœur  dans  son 
cloître. 

Après  la  mort  de  Pie  IV,  arrivée  le  9  décembre  1565,  saint  Charles 
Borromée,  résolu  d'éviter  pour  lui-même  une  succession  qui  entraînait  une 
si  grave  responsabilité,  réunit  tous  les  suffrages  en  faveur  du  cardinal 
Alexandrin.  Ce  choix  fut  universellement  approuvé.  Mais  l'élu  était  désolé  : 
il  eut  recours  aux  prières  et  aux  larmes  pour  qu'on  ne  lui  imposât  pas  un 
fardeau  au-dessus  de  ses  forces.  Enfin,  la  crainte  de  résister  à  la  volonté  de 
Dieu  lui  fit  donner  son  consentement  le  7  janvier  1566. 

Il  prit  le  nom  de  Pie  V,  pour  montrer  au  peuple,  qui  appréhendait  sa 
sévérité,  qu'il  voulait  gouverner  avec  douceur.  C'est  pourquoi  il  disait  de- 
puis «  qu'il  se  comporterait  d'une  telle  manière,  qu'on  aurait  plus  de  regret 
de  sa  mort  qu'on  n'avait  eu  de  crainte  de  son  élection  ».  En  effet,  il  com- 
mença son  pontificat  par  des  actions  d'une  débonnaireté  singulière  ;  il  ne 
fut  pas  plus  tôt  assis  sur  le  Siège  apostolique,  qu'il  se  fit  apporter  la  liste  de 
tous  les  pauvres  de  la  ville,  afin  de  leur  donner  à  chacun  une  aumône  par 
semaine;  et,  au  lieu  de  jeter  de  l'or  et  de  l'argent  au  peuple,  ou  de  l'em- 
ployer en  des  festins  et  en  d'autres  dépenses  superflues,  ainsi  qu'on  faisait 
ordinairement  à  l'élection  des  Papes,  il  fit  distribuer  toutes  ces  sommes  aux 
hôpitaux  et  aux  pauvres  honteux.  Il  établit  aussi  des  personnes  qui  eussent 
soin  des  orphelins  et  des  jeunes  filles,  jusqu'à  ce  qu'elles  fussent  en  âge  de 
se  marier  ;  alors,  il  les  pourvoyait  libéralement  de  dot.  Enfin,  le  jour  même 
de  son  couronnement,  il  fit  donner  cinq  cents  ducats  à  un  laboureur  qu'il 
reconnut  au  milieu  de  la  foule,  et  qui  l'avait  reçu  autrefois  charitablement 
chez  lui,  lorsqu'il  s'était  égaré  de  son  chemin  en  se  sauvant  la  nuit  de  Ber- 
game,  à  cause  de  la  persécution  des  hérétiques.  Ces  libéralités  dissipèrent 
les  vaines  craintes  que  l'on  avait  conçues  de  son  gouvernement,  et  firent 
espérer  aux  Romains  d'être  heureux  sous  le  pontificat  d'un  si  saint  homme; 
mais  ce  ne  furent  là  encore  que  des  préludes  des  profusions  qu'il  devait 
faire  dans  la  suite  pour  le  repos  de  l'Eglise.  La  France  n'oubliera  jamais  les 
secours  d'hommes  et  d'argent  qu'il  envoya  à  Charles  IX  contre  les  calvi- 
nistes, qui  avaient  pris  les  armes  contre  lui  ;  et  nous  ne  lui  sommes  pas 
peu  redevables,  comme  ce  roi  ordonna  à  son  ambassadeur  à  Rome  de  le 
déclarer  en  plein  consistoire,  des  célèbres  victoires  de  Jarnac  et  de  Mont- 
contour,  où  les  troupes  italiennes,  qu'il  avait  envoyées  sous  la  conduite  du 
comte  de  Sainte-Flore,  aidèrent  infiniment  le  duc  d'Anjou,  qui  fut  depuis 
Henri  III,  à  défaire  ces  rebelles;  aussi  le  roi,  en  reconnaissance  de  cette 
assistance,  lui  envoya,  après  ces  victoires,  plusieurs  enseignes  des  ennemis, 
dont  les  premières  furent  mises  en  l'église  de  Saint-Pierre  et  les  autres  en 
celle  de  Saint-Jean-de-Latran  K 

1.  La  joie  causée  par  les  victoires  de  Jarnac  et  de  Moncontour  dura  peu.  Catherine  de  Me'dicis,  incapable 
d'élever  son  regard  au-dessns  des  embarras  présents,  et  de  poursuivre  un  grand  dessein,  reprit  les  négociations. 
Des  bruits  de  paix  vinrent  jusqu'à  Rome.  «  Si  Votre  Majesté,  écrit  aussitôt  le  Pape,  veut  faire  fleurir  son 
royaume,  elle  doit  travailler  à  extirper  l'hérésie,  et  ne  souffrir  dans  ses  Etats  que  l'exercice  de  la  reli- 
gion catholique,  née,  pour  ainsi  dire,  avec  la  monarchie,  et  maintenue  avec  tant  de  zèle  par  vos  prédé- 
cesseurs ».  Mais  les  pourparlers  continuaient,  et  Pie  V,  inquiet,  écrit  de  nouveau  :  «  Si  nous  voyions 
qu'il  pût  jamais  exister  entre  Votre  Majesté  et  ses  ennemis  une  paix  qui  dût  on  relever  la  cause  de  la 
religion  ou  procurer  la  tranquillité  du  royaume,  nous  ne  méconnaîtrions  pas  notre  mission  au  point  de 
ne  pas  interposer  notre  autorité  pour  faire  conclure  un  accommodement.  Mais  nous  savons,  ainsi  que 
Votre  Majesté  en  a  fait  mille  fols  l'expérience,  qu'il  n'y  a  de  composition  possible  qu'une  composition 
feinte  et  pleine  de  pièges  ».  Il  suppliait  Charles  IX  d'oublier  toute  pensée  et  toute  volupté  terrestres,  et 
de  prendre  pour  but  les  intérêts  de  Dieu  et  l'avenir  do  son  propre  royaume.  Mais  Catherine  ne  voyait  ni 
ai  haut  ni  si  loin  ;  et  le  roi,  maintenu  sous  sa  tutelle  par  ses  ombrageuses  réserves,  ne  pouvait  suivre  les 


348  5  mai. 

L'île  de  Malte  serait  peut-être  entre  les  mains  des  Turcs,  si  ce  saint 
Pape,  lorsque  tout  était  désespéré,  n'eût  secouru  ces  généreux  chevaliers, 
leur  envoyant  trois  mille  hommes  avec  quinze  mille  écus  d'or,  et  s'il  n'eût 
continué  de  leur  en  donner  cinq  mille  par  mois  pendant  les  sept  que  dura 
encore  le  siège  l. 

On  se  souviendra  éternellement  de  la  mémorable  bataille  de  Lépante, 
où  la  foi  triompha  de  l'infidélité,  et  les  armes  chrétiennes  des  armes  otto- 
manes ;  le  grand  Pie  V  en  sera  toujours  regardé  comme  le  principal  au- 
teur. Il  sollicita  les  princes  chrétiens  de  faire  une  sainte  ligue  contre 
Sélim  II,  qui,  enflé  des  succès  qu'il  avait  eus  en  plusieurs  entreprises,  et 
s'imaginant  que  rien  ne  pourrait  arrêter  le  cours  de  ses  conquêtes,  avait 
résolu  la  ruine  de  l'Italie.  Le  Pape  engagea  particulièrement  dans  l'union 
le  roi  d'Espagne,  la  seigneurie  de  Venise  et  les  autres  princes  dont  les  Etats 
étaient  plus  voisins  des  Turcs  ;  et  ce  fut  par  ses  pressantes  instances  que  le 
traité  en  fut  conclu  dans  Rome,  et  signé  au  Consistoire  le  20  mai  1571.  Il 
fournit,  de  son  côté,  douze  galères  équipées  et  armées,  avec  trois  mille 
hommes  de  pied  et  deux  cent  soixante-dix  chevaux,  sous  la  conduite  de 
Marc-Antoine  Colonna.  Enfin,  le  Saint-Père  n'épargna  rien  pour  l'exécu- 
tion d'un  si  grand  dessein,  et  le  ciel,  dont  il  avait  imploré  le  secours  par 
des  jeûnes,  des  prières  et  des  aumônes  extraordinaires,  le  favorisa  telle- 
ment, que  la  prodigieuse  armée  des  infidèles  fut  entièrement  défaite,  et 
qu'en  l'espace  de  quatre  heures  (7  octobre  1571),  il  y  eut  trente  mille  Turcs 
tués  et  dix  mille  faits  prisonniers  ;  trente-quatre  des  principaux  capitaines 
et  cent  vingt  chefs  de  galères  y  périrent  ;  quinze  mille  chrétiens  furent  mis 
en  liberté  ;  les  confédérés  prirent  cent  quatre-vingt-dix  navires,  en  brûlè- 
rent ou  coulèrent  à  fond  quatre-vingts,  et  ne  perdirent  qu'environ  sept 
mille  cinq  cents  hommes. 

Ce  fut  un  étrange  spectacle  de  voir  la  mer  teinte  de  sang,  couverte  de 
bras,  de  jambes,  de  têtes,  de  cadavres  et  de  moribonds,  et  remplie  de  voiles 
déchirées,  de  mâts  rompus,  de  rames  brisées  et  d'une  quantité  innombrable 
d'armes  de  toutes  sortes  flottant  sur  les  eaux.  C'est  néanmoins  ce  qui  nous 
fait  connaître  la  grandeur  de  cette  victoire,  et  quelles  sont  les  obligations 
que  les  fidèles  ont  à  saint  Pie  V,  qui  l'a  procurée  à  l'Eglise  par  ses  soins  et 

inspirations  du  courage  dont  il  était  doué  naturellement.  Pie  V  revint  à  la  charge  :  «  Nous  vous  avertis- 
sons »,  dit-il,  o  que  cette  paix  sera  la  source  des  plus  grandes  calamités.  S'il  est  auprès  de  vous  des  per- 
sonnes qui  pensent  autrement,  ceux-là  se  trompent  par  ambition,  ou  bien,  oubliant  ce  qu'exige  l'honneur 
de  la  religion  et  de  Votre  Majesté,  ils  ne  respectent  ni  Dieu  ni  le  roi.  Ils  devraient  considérer  que  par  la 
conclusion  de  cette  paix.  Votre  Majesté  tire  ses  ennemis  les  plus  acharnés  du  poste  où  ils  exercent  ou- 
vertement le  brigandage,  pour  les  recevoir  dans  sa  propre  maison  et  tomber  dans  leurs  pièges  ».  Puis, 
s'élevant  à  la  contemplation  des  justices  divines,  il  ajoute  :  «  Vous  dire  combien  il  est  horrible  de  tom- 
ber entre  les  mains  du  Dieu  vivant  qui,  a.  cause  des  péchés  des  peuples  et  des  rois,  a  coutume  d'affliger 
les  royaumes  et  de  les  transporter  de  leurs  anciens  maîtres  à  d'autres,  vous  dire  cela,  c'est  répéter  une 
chose  évidente,  et  dont  la  Grèce  seule  ferait  foi  de  nos  jours  ».  Cette  lettre  est  du  23  avril  1570.  Le  8  août 
de  la  même  année,  la  paix  était  conclue.  On  sent  des  larmes  dans  les  paroles  adressées  alors  par  Pie  V 
au  cardinal  de  Bourbon  :  «  Votre  prudence  vous  fera  comprendre  l'amertume  que  nous  avons  ressentie  à 
la  nouvelle  de  cette  pacification.  Plût  à  Dieu  que  le  roi  eût  pu  reconnaître  que  les  menées  sourdes  de  ses 
ennemis  vont  maintenant  l'exposer  à  de  plus  grands  dangers  qu'autrefois  durant  la  guerre....  Le  coeur 
toutefois  ne  nous  faillit  point,  nous  souvenant  que  nous  tenons  sur  la  terre  la  place  de  Celui  qui  garda 
la  vérité  éternellement,  a  travers  les  siècles,  et  qui  ne  confond  pas  ceux  qui  espèrent  en  lui  ». 

Ces  appréhensions  douloureuses  furent  promptement  justifiées.  Les  réformés,  croissant  chaque  jour  en 
audace,  firent  regrettera  Catherine  de  Médicis  les  concessions  qu'elle  leur  avait  faites;  ce  fut  alors 
que  son  astucieux  génie  lui  offrit  le  remède  aussi  odieux  que  le  mal.  Pie  V,  en  poussant  à  la  guerre, 
la  voulait  franche  et  déclarée;  Catherine  répondit  à  ses  ennemis  par  les  embûches  de  la  Saint-Barthé- 
lemy.  Pour  n'avoir  pas  suivi  les  conseils  du  souverain  Pontife,  la  royauté,  non  contente  d'avoir  fortifié 
la  réforme  par  sa  faiblesse,  la  rendait  populaire  par  d'horribles  massacres. 

1.  On  sait  que  Bonaparte  s'empara  de  cette  lie  en  1798,  avant  de  se  rendre  en  Egypte,  et  qu'il  mit 
ainsi  fin  à  l'Ordre  de  Malte  comme  Etat.  Les  Anglais  enlevèrent  l'ile  de  Malte  aux  Français  en  1800,  et 
ta  possèdent  encore  aujourd'hui. 


SAINT  PIE  V,  PAPE.  349 

l'a  obtenue  par  la  ferveur  de  ses  prières.  Ayant  eu  révélation  du  temps  ofi 
la  bataille  se  devait  livrer,  il  passa,  comme  un  autre  Moïse,  le  jour  et  la 
nuit  précédente  en  oraison  ;  et  on  remarqua  qu'au  moment  où  les  armées 
en  vinrent  aux  mains,  le  vent,  qui  avait  été  jusqu'alors  contraire  aux  chré- 
tiens, changea  tout  à  coup,  et,  poussant  la  fumée  des  canons  contre  les 
Turcs,  les  mit  presque  hors  d'état  de  combattre.  Les  prisonniers  ennemis 
avouèrent  aussi  que,  durant  la  bataille,  ils  avaient  vu  en  l'air  Jésus-Christ 
et  les  apôtres  saint  Pierre  et  saint  Paul,  suivis  d'une  multitude  d'anges 
l'épée  à  la  main,  qui  les  menaçaient  de  les  faire  mourir  ;  ce  qui  leur  avait 
donné  une  telle  épouvante,  qu'ils  ne  savaient  plus  ce  qu'ils  faisaient.  On 
n'a  pas  omis  cette  circonstance  miraculeuse  dans  la  description  que  l'on  a 
faite  de  cette  signalée  victoire,  sur  un  tableau  qui  se  voit  encore  au  Vatican. 
Pie  V  eut  aussi  révélation  du  gain  de  la  bataille,  à  la  même  heure  que  les 
chrétiens  triomphèrent  des  infidèles. 

Outre  ces  illustres  trophées  que  le  saint  Pape  a  remportés  par  les  armes 
matérielles  sur  les  ennemis  de  l'Eglise,  nous  rapporterons,  en  peu  de  mots, 
les  glorieuses  victoires  qu'il  a  gagnées  par  les  armes  spirituelles  sur  l'hé- 
résie et  sur  les  vices.  Bien  que  l'Eglise  soit  toujours  sainte,  pure  et  incor- 
ruptible en  sa  doctrine,  le  dérèglement  néanmoins  ne  se  glisse  que  trop 
souvent  dans  les  membres  particuliers  qui  la  composent.  Il  était  extrême 
au  temps  de  notre  Saint,  et  les  mœurs  étaient  si  corrompues,  et  la  disci- 
pline ecclésiastique  si  relâchée,  qu'il  fallait  un  aussi  grand  courage  que  le 
sien  pour  entreprendre  une  réformation  générale  sur  le  modèle  des  décrets 
du  saint  Concile  de  Trente.  Pour  cet  effet,  il  envoya  partout  des  légats,  des 
nonces,  savoir  :  en  Angleterre,  en  Ecosse,  en  Irlande,  en  Hongrie,  en  Po- 
logne, en  Flandre,  en  Allemagne  et  en  France,  afin  de  s'opposer  aux  pro- 
grès de  l'hérésie  qui  s'était  déjà  emparée  d'une  partie  de  ces  royaumes  et 
menaçait  l'autre  d'une  funeste  ruine  ;  d'y  fortifier  les  fidèles  contre  les  nou- 
velles erreurs,  et  d'y  assister  les  pauvres  catholiques  que  la  persécution 
avait  réduits  à  l'extrémité.  Il  eut  grand  soin  de  consoler  les  personnes 
affligées  pour  la  religion,  soit  par  des  envoyés,  soit  par  ses  propres  lettres. 
lien  écrivit  plusieurs  à  Marie  Stuart,  reine  d'Ecosse,  qui  était  cruellement 
persécutée  par  Elisabeth,  reine  d'Angleterre.  Sachant  qu'elle  était  privée 
de  l'usage  des  Sacrements,  particulièrement  de  celui  de  l'Eucharistie,  par 
l'impitoyable  geôlier,  il  lui  donna  permission  de  se  communier  elle-même, 
quand  on  lui  ferait  parvenir  des  hosties  consacrées.  Il  envoya  aussi  des 
missionnaires  aux  Indes,  pour  y  cultiver  la  vigne  du  Seigneur  qu'on  y  avait 
nouvellement  plantée,  et  pour  éclairer  les  idolâtres  qui  étaient  encore  dans 
les  ténèbres  du  paganisme.  Cependant  il  travaillait  continuellement  à  Rome 
à  la  réformation  des  mœurs  du  clergé  et  du  peuple,  pour  tâcher  de  rendre 
à  l'Eglise  son  ancienne  splendeur.  Il  exhortait  souvent  les  cardinaux  à  être 
la  lumière  du  monde,  selon  les  paroles  de  Jésus-Christ,  et  à  briller  plus  par 
leur  vertu  et  par  l'innocence  de  leur  vie,  que  par  la  pourpre  et  l'éclat  de 
leur  dignité.  Il  protestait  hautement  qu'il  n'accorderait  ni  ne  souffrirait 
jamais  rien  qui  fût  contraire  aux  décrets  du  concile  de  Trente.  Il  ordonna 
à  tous  les  évoques  de  résider  dans  leur  diocèse,  disant  que  les  pasteurs  qui 
voulaient  paître  leurs  brebis  n'en  devaient  pas  être  éloignés.  Il  défendit  aux 
juges,  sous  de  graves  peines,  de  prolonger  les  procès,  de  favoriser  qui  que 
ce  fût  dans  leurs  jugements,  pas  même  ceux  de  la  maison  pontificale.  Il 
voulut  que  la  justice  fût  rendue  gratuitement  aux  pauvres.  Il  fit  un  édit 
contre  les  courtisanes  :  elles  furent  reléguées  dans  un  quartier  obscur,  et 
menacées  de  peines  sévères  si  elles  se  montraient  ailleurs.  Il  réprima  un 


350  5  mai. 

autre  fléau  de  Rome  :  c'était  l'usure  des  Juifs.  Il  favorisa  à  cet  effet  les 
monts-de-piété,  dont  l'institution  est  due  à  Paul  III  (1559).  Il  délivra  les 
Etats  pontificaux  des  assassinats  et  des  brigandages  qui  désolaient  alors 
l'Italie.  Cependant  le  chef  des  bandits,  le  plus  redoutable,  Mariano  d'Ascoli, 
avait  échappé  à  toutes  les  poursuites.  Un  homme  de  la  campagne  vint 
offrir  au  Pape  de  le  lui  livrer  :  Comment  ferez-vous  ?  demanda  Pie  V.  —  Il 
a  l'habitude  de  se  fier  à  moi,  répondit  le  montagnard,  je  l'attirerai  facile- 
ment dans  ma  maison.  —  Jamais  nous  n'autoriserons  une  semblable  per- 
fidie, s'écria  le  Pape  ;  Dieu  fera  naître  quelque  occasion  de  châtier  ce 
brigand,  sans  qu'on  abuse  ainsi  de  la  bonne  foi  et  de  l'amitié.  Mariano 
d'Ascoli  ayant  appris  cette  noble  réponse  de  Pie  V,  se  retira  aussitôt  de  ses 
Etats  et  n'y  reparut  plus. 

Ce  saint  réformateur  proscrivit  les  combats  d'animaux,  comme  contrai- 
res à  l'humanité  ;  les  jeux  que  réprouve  la  justice,  les  excès  des  cabarets  et 
des  assemblées  publiques.  Il  s'appliqua  aussi  particulièrement  à  rétablir  ce 
qui  regardait  le  culte  divin;  il  fit  faire  la  correction  du  Bréviaire,  du  Missel 
et  du  petit  office  de  la  sainte  Vierge,  aux  litanies  de  laquelle,  après  la  ba- 
taille de  Lépante,  il  fit  ajouter  ces  mots  :  Auxilium  Christianoywm,  orapro 
nobis  ;  c'est-à-dire  :  «  Vierge  sainte,  qui  êtes  le  secours  des  chrétiens,  priez 
pour  nous  ». 

Il  ne  faut  pas  oublier  dans  cet  ordre  d'idées  sa  réformation  de  la  mu- 
sique religieuse.  Au  commencement  du  xvi9  siècle,  cette  musique  s'était 
laissée  envahir  par  un  style  tellement  fleuri  et  profane,  que  le  pape  Mar- 
cel II  avait  été  sur  le  point  de  bannir  de  l'Eglise  toute  autre  mélodie  que 
celle  du  plain- chant.  L'exécution  d'un  décret  si  rigoureux  ne  fut  conjurée 
que  par  la  patiente  condescendance  de  saint  Charles  Borromée  et  par  le 
génie  de  Palestrina.  Ce  grand  artiste,  jadis  simple  enfant  de  chœur  sous 
le  nom  de  Pierre-Louis,  dans  une  obscure  église  de  Palestrina,  son  lieu 
natal,  s'était  élevé  au  rang  de  maître  de  chapelle  de  la  basilique  de  Saint- 
Jean-de-Latran.  Saint  Charles,  agissant  en  qualité  de  membre  d'une  com- 
mission instituée  par  Pie  IV  pour  décider  la  question  de  la  musique  reli- 
gieuse, envoya  chercher  Palestrina,  et  lui  donnant  clairement  à  entendra 
que  le  sort  de  l'art  était  entre  ses  mains,  lui  commanda  d'écrire  une  messe 
suivant  les  principes  sévères  tracés  par  le  concile.  Trois  mois  après,  Pales- 
trina présentait  au  cardinal  Borromée  trois  messes,  dont  l'une,  communé- 
ment appelée  messe  du  pape  Marcel l,  porte  cette  devise  :  Deus  m  adjuto- 
rium  meum  intende,  tracée  par  la  main  tremblante  du  compositeur  et  encore 
lisible  aujourd'hui  sur  le  manuscrit.  Ce  fut  un  succès  complet  pour  la  cause 
de  la  musique  sacrée,  et  Pie  V,  dont  l'élévation  eut  lieu  presque  im  média  - 
ment  après,  nomma  Palestrina  son  maître  de  chapelle,  sanctionnant  par 
cette  élection  même  l'usage  de  la  musique,  dans  tous  les  temples  de  la  ca- 
tholicité. 

Pie  V  ordonna  que  la  fête  de  saint  Thomas  d'Aquin  se  célébrerait  à 
l'avenir  comme  celles  des  quatre  Docteurs  de  l'Eglise  2.  Il  retrancha  plu- 
sieurs abus  qui  s'étaient  introduits  dans  les  matières  bénéficiales,  et  spécia- 
lement dans  les  résignations  par  lesquelles  on  les  rendait  héréditaires  dans 
les  familles  ;  comme  on  lui  remontra  que  ces  lois  allaient  ruiner  la  cour  ro- 
maine, le  Saint  fit  cette  admirable  réponse  :  «  Il  vaut  mieux  que  la  cour 
soit  ruinée,  que  de  renverser  la  religion  de  l'Eglise  catholique  ».  C'est  par  ses 

1.  On  l'exécute  encore  chaque  année  dans  la  chapelle  Sixtine,  à  l'office  du  samedi  saint. 

2.  C'est  à  lui  qu'on  est  redevable  de  l'excellente  édition  des  Œuvres  du  saint  Docteur,  qui  parut  en 
1570. 


SAINT  PIE  V,   PAPE.  351 

soins  que  fut  achevé  et  publié  le  savant  catéchisme  du  concile  de  Trente, 
qui  renferme  aussi  nettement  que  solidement  tous  les  mystères  de  la  foi, 
toutes  les  beautés  de  la  théologie;  l'Eglise  a  voulu  que  les  pasteurs  eussent, 
en  un  seul  petit  livre,  de  quoi  nourrir  leurs  esprits  et  de  quoi  repaître  les 
peuples  qui  leur  sont  confiés.  Il  érigea  la  Congrégation  des  Frères  de  la  Cha- 
rité, dont  le  bienheureux  Jean  de  Dieu  avait  jeté  les  premiers  fondements, 
et  leur  donna  la  Règle  de  Saint-Augustin.  Il  fit  faire  trois  voeux  de  religion 
aux  clercs  réguliers,  dits  de  Somasque,  institués  par  le  pieux  Jérôme  Emi- 
lien,  sénateur  de  Venise.  Il  réforma  l'ordre  de  Cîteaux  en  Sicile,  où  il  était 
presque  déchu.  Il  réunit  les  Servites  qui  s'étaient  divisés  en  deux  corps.  Il 
supprima  l'Ordre  des  Humiliés,  autrefois  si  florissant  en  Italie,  à  cause  d'un 
attentat  qu'un  religieux  de  cet  institut  avait  commis  contre  la  personne  de 
saint  Charles  Borromée,  qui  avait  entrepris  de  les  réformer.  Enfin,  il  fit 
plusieurs  réformes  monastiques,  comme  on  peut  le  voir  dans  Gabutius.  Il 
envoya  aux  Minimes  de  France,  pour  visiteur,  le  R.  P.  Mathurin  Aubert, 
qui  avait  été  son  confesseur  depuis  sa  promotion  au  cardinalat,  avec  le 
R.  P.  Le  Tellier,  tous  deux  religieux  du  même  Ordre. 

Grâce  à  ses  soins,  les  religieux  Minimes  déployèrent  une  grande  cons- 
tance en  face  de  l'hérésie  :  pas  un  ne  fut  du  nombre  des  apostats,  à  ime 
époque  où  il  y  en  eut  tant. 

Il  nous  reste  à  dire  quelques  mots  de  la  vie  privée  et  des  vertus  de  notre 
saint  Pape.  Il  ne  manquait  point  de  dire  tous  les  jours  la  messe,  à  moins 
qu'une  maladie  ne  le  mît  hors  d'état  de  le  faire.  Il  avait  une  singulière  dé- 
votion envers  la  Passion  de  Notre-Seigneur,  sur  laquelle  il  méditait  souvent. 
Il  faisait  assidûment  l'oraison  tous  les  matins,  et  il  y  était  si  appliqué  que, 
quand  ses  domestiques  avaient  à  lui  parler,  ils  étaient  obligés  de  le  tirer  par 
la  robe  pour  le  faire  revenir  à  lui  ;  et  elle  était  accompagnée  d'une  telle 
ferveur,  qu'il  obtenait  de  Dieu  tout  ce  qu'il  demandait;  le  Sultan,  comme 
il  l'a  confessé  plusieurs  fois,  appréhendait  plus  les  prières  du  saint  Pape  que 
les  armes  de  tous  les  princes  chrétiens.  Il  célébrait  les  divins  mystères  avec 
une  telle  révérence,  que  plusieurs  juifs  et  hérétique»  se  convertirent  pour 
l'avoir  vu  officier  pontificalement.  Il  étudiait  sans  cesse  l'Ecriture  sainte,  et 
lisait  tous  les  jours  quelque  endroit  de  la  vie  de  saint  Dominique  ou  de 
quelque  autre  saint  de  son  Ordre,  afin  de  se  former  sur  leur  conduite.  Tous 
les  soirs,  il  faisait  assembler  ses  domestiques  pour  se  trouver  aux  litanies  et 
aux  autres  prières  qu'il  voulait  qu'on  récitât  en  sa  présence.  Les  grandes 
occupations  qu'il  avait  ne  l'empêchaient  point  de  dire  tous  les  jours  le  cha- 
pelet à  l'honneur  de  la  sainte  Vierge.  Il  priait  souvent  pour  les  morts,  et  il 
a  avoué  qu'il  avait  reçu  de  merveilleux  secours  de  cette  dévotion  dans  les 
plus  grands  périls.  Tous  les  ans,  pendant  les  jours  de  fêtes  et  de  divertisse- 
ments qui  précèdent  le  Carême,  il  visitait  les  sept  églises  de  Rome,  suivi  de 
toute  la  maison  pontificale.  Il  ne  jeûnait  pas  seulement  le  Carême,  quoi- 
qu'il eût  plus  de  soixante  ans  et  fût  très-infirme,  mais  encore  l'A  vent  ;  dans 
les  autres  temps,  il  ne  mangeait  de  la  viande  que  trois  fois  la  semaine,  ce 
qu'il  observa  toute  sa  vie,  même  dans  ses  plus  grandes  maladies;  et,  comme 
un  de  ces  jours  d'abstinence,  étant  malade  à  mort,  on  lui  présenta,  par 
ordre  du  médecin,  une  composition  d'amandes  pilées  avec  de  la  viande, 
dès  qu'il  s'en  aperçut,  il  n'en  voulut  point  manger,  et,  se  plaignant  de  cette 
tromperie  :  «  Voulez-vous  »,  dit-il,  r  que,  pour  deux  jours  que  j'ai  encore  à 
vivre,  je  viole  une  coutume  que  j'observe  depuis  soixante  ans?  »  Il  garda 
sa  chasteté  inviolable  ;  ses  confesseurs  ont  attesté,  dans  le  procès  de  sa  ca- 
nonisation, qu'ils  n'avaient  point  remarqué  qu'il  eût  fait  aucune  faute 


352  5  mai. 

notable  contre  cette  vertu.  Il  visitait  lui-même  les  hôpitaux  et  s'informait 
diligemment  auprès  des  malades  s'ils  étaient  bien  assistés,  tant  pour  leur 
corps  que  pour  leur  âme.  On  ne  peut  raconter  les  charités  qu'il  fit  durant 
une  maladie  contagieuse  et  une  cruelle  peste  qui  affligèrent  Rome  sous 
son  pontificat  :  il  pourvut  soigneusement  aux  besoins  des  personnes  qui  en 
étaient  atteintes.  Il  avait  une  grande  horreur  de  l'avarice  ;  quoique  l'argent 
lui  manquât  dans  la  guerre  contre  les  Turcs,  bien  loin  d'établir  des  impôts 
pour  cela,  il  jeta  au  feu  des  cahiers  qu'on  lui  avait  présentés,  qui  conte- 
naient des  moyens,  même  légitimes,  de  lever  quelques  deniers.  Des  prmces, 
lui  demandant  une  dispense  de  mariage,  lui  offrirent  quinze  mille  écus  d'or 
pour  l'obtenir  ;  mais  le  Saint,  après  avoir  examiné  la  chose,  et  trouvé  qu'il 
la  pouvait  accorder  sans  préjudice  des  saints  Canons,  l'accorda,  et  refusa 
l'argent  qu'on  lui  présentait  :  son  dataire  lui  remontrait  qu'on  pouvait, 
sans  péché,  recevoir  cette  somme  et  l'employer  à  des  usages  pieux  ;  le 
Saint  cita  pour  réponse  ces  paroles  du  concile  de  Trente  :  Haro,  ex  causa,  et 
gratis,  c'est-à-dire  rarement,  pour  des  motifs  réels,  et  gratuitement.  Un 
criminel,  condamné  à  la  mort,  lui  ayant  fait  offrir  dix  mille  ducats  pour 
racheter  sa  vie,  Pie  V  répondit  que  la  justice  était  faite  pour  les  riches 
comme  pour  les  pauvres,  et  ne  voulut  point  lui  faire  de  grâce.  Quoiqu'il 
fût  naturellement  prompt,  il  modérait  néanmoins  tellement  son  humeur, 
qu'il  ne  paraissait  rien  d'austère  dans  ses  paroles.  Il  donnait  volontiers  au- 
dience à  toutes  sortes  de  personnes,  mais  particulièrement  aux  pauvres, 
qu'il  écoutait  avec  une  patience  admirable,  jusqu'à  ce  qu'ils  lui  eussent 
tout  dit  ;  et,  quand  il  ne  pouvait  leur  accorder  ce  qu'ils  demandaient,  il  ne 
les  refusait  qu'avec  une  peine  extrême.  11  s'efforçait  d'obliger  ceux  qui  lui 
avaient  rendu  quelque  mauvais  office,  et  jamais  il  ne  garda  le  souvenir 
d'une  injure.  Il  pardonna  à  un  libertin,  qui  avait  fait  quelque  pasquinade 
contre  lui,  en  lui  disant  :  «  Mon  ami,  je  vous  ferais  punir  sévèrement  si  vous 
aviez  outragé  le  souverain  Pontife;  mais  parce  que  vous  n'avez  offensé  que 
Michel  Ghislieri,  allez-vous-en  en  paix  » .  Il  ne  voulut  pas  non  plusqu'on  pour- 
suivît une  autre  personne  de  noble  condition,  qui  avait  conspiré  contre  sa  vie. 
Que  dirai-je  de  l'humilité  et  de  la  modestie  de  notre  saint  Pape?  Bien 
que  la  dignité  pontificale  l'obligeât  à  recevoir  des  honneurs,  ils  n'étaient 
néanmoins  pour  lui  que  des  supplices  :  il  regardait  cet  éclat  extérieur 
comme  des  épines  très-piquantes,  qui  l'avertissaient  du  péril  où  il  était 
exposé.  En  effet,  il  avoua  qu'il  n'avait  pas  eu  un  moment  de  repos  depuis 
qu'il  était  sur  le  Siège  apostolique  ;  que  sa  condition  était  digne  de  com- 
passion, et  qu'il  se  repentait  bien  d'avoir  accepté  une  charge  qui  était  au- 
dessus  de  ses  forces.  Aussi  délibéra-t-il  plusieurs  fois  s'il  n'abdiquerait  pas 
pour  jouir  de  la  tranquillité  religieuse  qu'il  avait  goûtée  avec  tant  de  plai- 
sir dans  son  cloître.  Il  ne  put  souffrir  d'ameublements  précieux  ni  de  tapis- 
series rares  dans  son  palais;  on  n'y  voyait  point  de  peintures  profanes,  mais 
des  crucifix  et  d'autres  tableaux  de  piété.  Il  défendit  qu'on  lui  fît  un  habit 
neuf  quand  il  fut  élu  pape,  se  contentant  de  ceux  que  son  prédécesseur 
avait  laissés.  Il  porta  toujours  une  tunique  de  grosse  laine  au  lieu  de  che- 
mise, et  il  fut  impossible  de  lui  en  faire  mettre  d'autre  plus  fine,  ni  de  lui 
persuader  de  se  servir  d'un  habit  de  drap  de  Cuença,  parce  qu'il  le  trouvait 
trop  beau.  Il  ne  voulut  pas  permettre  que  l'on  mît,  dans  le  Capitule,  une 
statue  que  le  peuple  romain  avait  érigée  en  sa  mémoire  :  «  J'aimerais 
mieux  »,  disait-il,  «  être  gravé  dans  le  cœur  des  gens  de  bien  et  vivre  dans 
la  postérité  par  des  exemples  de  vertu,  que  d'être  en  marbre  ou  en  airain 
sur  une  place  publique  ». 


SAINT  PIE  V,  PAPE.  353 

Il  tint  la  même  conduite  pour  ses  neveux,  ses  nièces  et  ses  proches  :  il 
leur  donnait  ce  qui  était  nécessaire  pour  les  instruire,  les  marier,  les  faire 
vivre  honnêtement  :  mais  il  refusa  de  leur  ouvrir  la  voie  des  honneurs  et 
de  l'opulence.  Il  croyait,  avec  raison,  que  les  revenus  ecclésiastiques  ne 
doivent  avoir  qu'une  destination  sainte.  Il  ne  pouvait  supporter  que,  dans 
le  gouvernement  soit  spirituel,  soit  temporel,  on  eût  en  vue  autre  chose 
que  la  gloire  de  Dieu  et  l'honneur  de  l'Eglise  ;  d'après  lui,  ce  qu'on  ap- 
pelle raison  d 'Etat  est  une  invention  du  démon,  de  l'ambition,  et  des  autres 
passions. 

Ce  saint  Pape  souffrait  depuis  longtemps  les  douleurs  de  la  pierre,  sans 
permettre  qu'on  lui  fît  l'opération,  qui  seule  pouvait  le  guérir.  Au  mois  de 
janvier  1572,  les  médecins  déclarèrent  que  sa  vie  était  en  danger.  Au  milieu 
des  souffrances  les  plus  aiguës,  il  ne  laissa  pas  échapper  la  moindre  plainte  ; 
il  se  contentait  de  soupirer  devant  le  crucifix,  qu'il  regardait,  qu'il  baisait 
tendrement  ;  il  disait  alors  à  Notre-Seigneur  :  a  Seigneur,  augmentez  le 
mal,  mais  aussi  augmentez  la  patience  ».  Tant  que  ses  forces  lui  permirent 
de  se  tenir  debout,  il  célébra  lui-même  le  saint  sacrifice  de  la  messe  ;  quand 
il  n'en  fut  plus  capable,  il  y  assistait  chaque  matin  dans  sa  chambre  et  y 
communiait.  Le  4  avril,  jour  du  vendredi  saint,  il  fit  apporter  une  grande 
croix  dans  son  oratoire,  se  leva  et  alla  nu-pieds  l'adorer,  arrosant  de  ses 
larmes  les  cinq  plaies  du  Sauveur.  Le  bruit  de  sa  mort  s'étant  répandu  dans 
Rome,  il  put  entendre  les  gémissements  de  son  peuple,  qui  le  pleurait. 
Touché  de  ces  marques  d'amour,  il  voulut  encore  une  fois  bénir  les  Romains. 
Le  jour  de  Pâques  il  se  fît  transporter,  revêtu  de  ses  habits  pontificaux,  dans 
la  loge  au-dessus  de  la  grande  porte  de  Saint-Pierre  :  la  vie  reparut  un 
instant  sur  son  visage  ;  sa  voix  se  trouva  fortifiée,  de  sorte  que  sa  bénédiction 
fut  entendue  distinctement  jusque  dans  les  rangs  les  plus  reculés  de  cette 
immense  multitude  agenouillée  sur  la  place  de  Saint-Pierre.  Le  21  avril,  il 
entreprit  un  pieux  exercice  que  tout  le  monde  croyait  au-dessus  de  ses  for- 
ces, c'était  de  faire  les  stations  des  sept  églises  :  il  se  mit  en  marche,  malgré 
son  médecin,  soutenu  par-dessous  les  bras.  Sa  pâleur  était  si  livide  qu'on 
crut  le  voir  expirer  pendant  le  trajet.  Dans  la  basilique  de  Saint-Jean-de- 
Latran,  il  monta  l'escalier  saint  à  genoux,  baisa  trois  fois  la  dernière  marche 
et  ne  pouvait  se  résoudre  à  quitter  ce  lieu  sacré.  Lorsqu'on  l'eut  ramené  au 
Vatican,  on  tâcha  d'écarter  de  son  lit  toute  préoccupation  extérieure  ;  mais 
on  ne  put  lui  cacher  l'arrivée  de  catholiques  anglais,  qui  fuyaient  les  persé- 
cutions d'Elisabeth.  Il  voulut  les  voir,  les  combla  de  gages  d'affection,  leur 
fit  raconter  tout  ce  qui  intéressait  l'Eglise  en  Angleterre,  et  recommanda 
particulièrement  au  cardinal  Alexandrin  de  pourvoir  aux  besoins  de  ces 
hôtes,  qui  se  trouvaient  dans  un  parfait  dénûment.  Quand  on  les  eut  con- 
gédiés, on  l'entendit  s'écrier  en  joignant  les  mains  :  «  Mon  Dieu,  vous  savez 
si  j'ai  toujours  été  prêt  à  répandre  mon  sang  pour  le  salut  de  cette  nation  ». 
Plus  il  approchait  de  sa  fin,  plus  il  était  tranquille  :  une  sainte  joie  brillait 
sur  son  visage,  tandis  que  le  spectacle  de  ses  souffrances  et  de  sa  patience 
arrachait  d'involontaires  sanglots  autour  de  lui.  Parmi  les  prières  qu'on  li- 
sait à  son  chevet,  une  grande  partie  du  jour  et  de  la  nuit,  il  affectionnait 
surtout  les  sept  Psaumes  de  la  Pénitence  ;  il  faisait  arrêter  le  lecteur  à  cha- 
que verset,  afin  de  produire  des  actes  de  contrition,  conformes  à  ceux  du 
roi  pénitent.  Plusieurs  fois  on  lui  lut  la  Passion  de  Notre-Seigneur  Jésus- 
Christ,  et  à  chaque  fois  qu'on  prononçait  ce  nom  sacré,  il  se  découvrait. 
Quand  ses  mains  déjà  raides  et  glacées  lui  refusèrent  leur  service,  il  s'ac- 
quitta de  ce  devoir  respectueux  avec  l'aide  d'une  personne  placée  près  de 
Vies  des  Saints.  —  Tome  V.  23 


354  5  mai. 

lui.  Le  30  avril  il  reç  jt  l' Extrême-Onction.  Il  voulut  encore  une  fois  s'age- 
nouiller, et,  dans  la  plus  humble  attitude,  il  invoqua  Dieu  pour  les  nécessi- 
tés de  son  Eglise  qui,  objet  de  ses  soins  pendant  sa  vie,  occupa  ses  pensées 
jusque  dans  la  mort.  Il  fit  venir  quelques  membres  du  Sacré- Collège  pour 
leur  donner  ses  dernières  instructions  :  a  II  ne  me  reste  »,  leur  dit-il,  «  qu'à 
vous  recommander,  de  toute  mon  âme,  cette  même  Eglise  que  Dieu  avait 
commise  à  ma  garde.  Faites  vos  efforts  pour  m'élire  un  successeur  plein  du 
zèle  de  la  gloire  de  Dieu  ;  qu'il  ne  soit  attaché  à  aucun  autre  intérêt  en  ce 
monde,  et  ne  cherche  que  le  bien  de  la  chrétienté  ».  La  chaleur  avec  la- 
quelle il  prononça  ces  paroles,  en  agitant  ses  bras  défaillants,  épuisa  ce  qui 
lui  restait  de  force.  A  partir  de  ce  moment,  les  regards  attachés  sur  la  croix, 
il  ne  laissa  plus  échapper  de  ses  lèvres  que  des  textes,  à  peine  articulés,  de 
la  sainte  Ecriture.  Il  expira  le  premier  jour  de  mai  1572,  à  cinq  heures  et 
demie  du  soir,  âgé  de  soixante-huit  ans  :  son  règne  avait  duré  six  ans,  trois 
mois  et  vingt-trois  jours.  Les  médecins,  pour  se  rendre  compte  de  son  cou- 
rage, firent  l'autopsie  de  la  partie  qui  avait  été  malade  et  y  trouvèrent  trois 
pierres  noires  :  ils  déclarèrent  que  sa  patience,  dans  une  situation  si  dou- 
loureuse, avait  été  surhumaine.  La  mort  du  saint  Pontife  fut  pleurée  dans 
tout  l'univers  catholique.  En  Espagne,  sainte  Thérèse  en  eut  révélation  et 
s'écria  toute  éplorée,  devant  ses  carmélites  :  «  Ne  vous  étonnez  pas,  mes 
sœurs,  et  pleurez  plutôt  avec  moi,  car  l'Eglise  est  veuve  de  son  très-saint 
Pasteur». 

Parmi  les  miracles  que  Dieu  opéra  en  faveur  de  Pie  V,  le  suivant  est  ra- 
conté par  tous  les  historiens  contemporains  :  Un  jour  qu'il  voulut  baiser, 
selon  sa  coutume,  un  crucifix  devant  lequel  il  faisait  sa  prière,  le  pied  du 
Christ  se  retira  de  lui-même  ;  c'est  que  des  pervers  avaient  enduit  de  poison 
ce  crucifix,  comme  on  le  vit  en  l'essuyant  avec  de  la  mie  de  pain  qui,  pré- 
sentée ensuite  à  des  chiens,  les  fit  périr  sur-le-champ.  Le  Saint  ne  voulut 
pas  même  qu'on  recherchât  ces  assassins.  Les  arts  ont  souvent  reproduit 
l'événement  du  crucifix. 

11  prédit  plusieurs  événements  longtemps  avant  qu'ils  arrivassent.  Un 
jurisconsulte  étant  monté  en  chaire  dans  le  dessein  d'invectiver  contre  sa 
conduite,  il  perdit  la  parole  à  l'heure  même,  et  mourut  misérablement 
quelques  jours  après.  Il  a  chassé  les  démons  des  corpsde plusieurs  possédés, 
et  beaucoup  de  pécheresses  se  sont  converties  à  la  vue  de  son  saint  corps 
exposé  après  sa  mort.  Dans  un  incendie  de  la  chapelle  du  duc  de  Sessa,  le 
feu,  qui  avait  fondu  jusqu'aux  vases  d'argent,  ne  fit  aucun  dommage  à  deux 
images  de  Pie  V,  dont  l'une  était  de  toile  et  l'autre  de  carton.  Anne-Marie 
Martinozzi,  femme  du  prince  de  Conti,  a  été  guérie  de  grandes  douleurs  de 
tête,  et  est  accouchée  heureusement  après  plusieurs  fausses  couches,  en 
vénérant  comme  une  précieuse  relique  le  chapeau  de  ce  saint  Pape.  Enfin, 
on  a  expérimenté  que  les  Agnus  Dei  consacrés  de  sa  main  avaient  une  vertu 
particulière  pour  préserver  de  l'eau,  des  flammes  et  des  armes  :  un  débor- 
dement du  Tibre  fut  arrêté  en  un  moment  par  une  de  ces  saintes  images 
de  cire  qu'il  y  fit  jeter,  et  des  soldats  devinrent  presque  invulnérables,  en 
portant  sur  eux  de  ces  précieuses  reliques. 

Dès  qu'il  fut  décédé,  chacun  fit  ses  efforts  pour  avoir  quelque  morceau 
de  ses  vêtements,  et  on  fut  obligé,  pour  arrêter  la  dévotion  du  peuple  qui 
avait  été  trop  loin  en  cela,  d'enfermer  son  corps  dans  une  chapelle  où  on 
pouvait  seulement  lui  baiser  les  pieds  à  travers  des  barreaux.  Le  général  de 
l'Ordre  de  Saint-Dominique  obtint,  à  force  de  prières,  une  tunique  de  laine 
qu'il  avait  portée,  et  en  fit  ensuite  présent  à  Sébastien,  roi  de  Portugal. 


SAINT  BRITTON,  ÉVÊQUB.  355 

Plusieurs  princes  demandèrent,  avec  empressement,  quelqu'une  de  ses  ca- 
lottes ou  ses  souliers,  ou  quelque  autre  chose  qui  lui  avait  servi,  tant  on 
avait  de  vénération  pour  lui.  Les  Turcs  mêmes  firent  en  sorte  d'avoir  son 
portrait,  comme  d'un  des  plus  grands  hommes  du  monde. 

Les  pèlerins  qui  se  rendent  à  Rome  ne  manquent  pas  de  visiter,  au  cou- 
vent de  Sainte-Sabine,  la  chapelle  dite  de  saint  Pie  V.  Cette  chapelle  n'est 
pas  autre  chose  que  la  cellule  qu'occupa  saint  Pie  V,  alors  qu'il  s'appelait 
simplement  frère  Michel  Ghislieri.  Elle  est  en  tête  d'un  long  couloir,  à 
l'entrée  duquel  on  lit  en  gros  caractères  :  Silence. 

Le  tableau  du  maître-autel  représente  le  miracle  du  crucifix.  Sur  le  mur 
de  gauche,  un  tableau  représente  saint  Philippe  de  Néri  prédisant  la  tiare  à. 
notre  saint  religieux  ;  sur  celui  de  droite,  le  saint  Pontife  ramasse  un  peu 
de  poussière  du  Vatican  et  la  donne  à  des  ambassadeurs  polonais,  qui  dési- 
raient des  reliques,  en  leur  disant  :  Voici  ce  que  vous  désirez,  cette  pous- 
sière fut  baignée,  il  y  a  quinze  siècles,  du  sang  des  martyrs.  Vis-à-vis  l'au- 
tel, au-dessus  de  la  porte,  Pie  V  est  peint  à  genoux,  regardant  avec  anxiété 
par  une  des  fenêtres  de  son  palais.  Un  ange  à  ses  côtés  lui  annonce  la  ba- 
taille de  Lépante,  et  lui  décrit  avec  enthousiasme  les  détails  de  cette  grande 
victoire  navale  qui  fut  son  œuvre,  et  dont  il  attribue  le  succès  à  la  vierge 
du  Rosaire.  Enfin,  sur  l'autel,  s'offre  à  votre  vénération  un  très-beau  cru- 
cifix d'ivoire.  C'est  celui  même  de  saint  Pie  V.  Jusque-là  on  l'avait  conservé 
avec  un  religieux  respect  au  Vatican  ;  mais  Pie  IX,  notre  bon  Pontife,  dans 
une  de  ses  visites  à  Sainte-Sabine,  l'a  offert  aux  religieux  du  couvent,  leur 
disant,  avec  sa  gracieuseté  accoutumée,  que  c'était  à  eux,  mieux  qu'à  tout 
autre,  que  devait  appartenir  cette  précieuse  relique. 

On  représente  encore  saint  Pie  V  avec  un  rosaire,  car  il  avait  une  grande 
confiance  en  cette  dévotion.  On  place  aussi  à  ses  côtés  une  flotte,  pour  rap- 
peler la  victoire  de  Lépante  et  l'institution  de  la  fête  de  Notre-Dame  de  la 
Victoire. 

Le  corps  de  saint  Pie  V,  qui  se  conserva  sans  corruption,  fut  inhumé 
dans  l'église  des  religieux  de  son  Ordre,  qu'il  avait  fondée  à  Bosco,  lieu  de 
sa  naissance,  où  il  avait  choisi  sa  sépulture  ;  mais  quinze  ans  après,  à  sa- 
voir, l'an  1588,  Sixte  V  le  fit  transporter  en  la  basilique  de  Sainte-Marie- 
Majeure,  où  il  lui  avait  fait  dresser  un  superbe  mausolée  au  côté  droit  de 
l'autel.  Les  miracles  qui  se  firent  à  son  tombeau  engagèrent  la  sainte  Con- 
grégation des  Rites  à  ordonner  que,  le  jour  de  l'anniversaire  de  son  décès, 
on  ne  dirait  plus  une  messe  des  trépassés,  mais  une  messe  de  la  très-sainte 
Trinité,  en  actions  de  grâces  de  ce  que  Dieu  avait  reçu  son  âme  en  la  com- 
pagnie des  Saints;  ce  qu'Urbain  VIII  confirma  l'an  1615;  et  le  1"  mai  de 
l'an  1672,  Clément  X  a  fait  le  décret  de  sa  béatification.  Mais  enfin,  le  22  mai 
1712,  le  pape  Clément  XI  le  déclara  Saint,  après  avoir  observé  toutes  les  for- 
malités ordinaires  pour  ce  sujet. 

Nous  nous  sommes  beaucoup  serri,  pour  compléter  le  Père  Giry,  de  YEistoire  de  saint  Pie  V,  par 
M.  le  comte  de  Falloux,  2  vol.  in-12,  chez  Sagnier  et  Bray;  Paris,  2".  édition,  1851. 


SAINT  BRITTON,  ÉVÊQUE  DE  TREVES  (rv8  siècle). 

Britton  succéda  à  saint  Bonose  sur  le  siège  de  Trêves.  Appelé  à  Rome  pour  la  confirmation 
des  actes  du  concile  de  Nicée,  il  occupa,  parmi  les  évêquas  d'Occident,  la  troisième  place  après 
le  pape  Damase  et  saint  Ambroise,  en  qualité  de  primat  et  d'évêque  métropolitain  des  Gaules  : 
lthacius,  un  évêque  d'Espagne,  était  venu  à  Trêves  pour  des  démêlés  avec  les  Priscillianistes  ; 


356  5  mai. 

poursuivi  par  les  calomnies  de  ces  hérétiques,  il  était  sur  le  point  d'être  chassé  de  la  ville  par 
les  magistrats  :  Britton  le  soutint  et  le  justifia.  Pendant  son  épiscopat,  saint  Àmbroise  et  saint 
Martin  vinrent  à  Trêves,  où  ils  opérèrent  des  miracles  et  ne  craignirent  point  de  reprendre  l'em- 
pereur Maxime  et  les  évêques  courtisans.  Britton  sut  défendre  son  église  contre  l'hérésie  priscil- 
lienne  ;  et,  orné  de  vertus  dignes  de  l'épiscopat,  il  s'endormit  dans  le  Seigneur  le  3  de  mai. 

Propre  de  Trêves. 


SAINT  AVERTIN,  CHANOINE  GILBERTIN  (1180). 

Saint  Avertin  naquit  en  Angleterre  vers  le  milieu  du  xne  siècle.  Disciple  de  saint  Thomas  de 
Cantorbéry,  chanoine  de  Saint-Gilbert,  il  fut  élevé  au  diaconat  et  se  distingua  par  de  nombreuses 
et  brillantes  vertus.  Il  avait  une  tendresse  particulière  pour  les  pauvres,  et  Dieu  récompensa  ses 
vertus  par  le  don  des  miracles. 

Lorsque  le  grand  et  illustre  martyr  des  droits  de  l'Eglise,  saint  Thomas,  vint  à  Tours  pour 
assister  au  concile  de  1163  tenu  dans  cette  ville  par  le  pape  Alexandre  III  pour  déposer  l'antipape 
Victor,  il  se  fit  accompagner  de  son  pieux  archidiacre.  Avertin  visita  tous  les  lieux  qui  rappelaient 
le  souvenir  de  saint  Martin  ;  il  désira,  sans  doute  à  l'exemple  de  tant  de  Saints,  fixer  sa  demeure 
près  de  la  tombe  du  grand  thaumaturge  ;  mais  il  ne  voulut  pas  abandonner  son  saint  évêque,  et 
tant  que  dura  son  exil,  il  en  partagea  les  amertumes  et  les  tristesses.  Il  rentra  avec  lui  dans  sa 
patrie,  mais  ce  ne  fut  pas  pour  longtemps.  Après  le  glorieux  martyre  de  saint  Thomas,  il  quitta 
l'Angleterre  et  revint  en  Touraine.  11  se  retira  dans  le  bois  de  Cangé,  à  quelques  kilomètres  de  la 
ville  de  Tours,  près  du  bourg  de  Saint-Pierre  de  Vençay.  Il  avait  résolu  d'y  vivre  dans  la  solitude, 
comme  le  disciple  de  saint  Martin  et  les  solitaires  des  grottes  de  Marmoutier.  Touché  de  son 
mérite  et  de  sa  sainteté,  les  habitants  du  village  de  Vençay  ne  lui  permirent  pas  de  réaliser 
son  pieux  dessein  :  ils  l'entourèrent  de  vénération,  lui  confièrent  le  soin  de  leurs  âmes,  écoutè- 
rent sa  parole  avec  avidité,  eurent  recours  à  ses  prières  et  à  ses  conseils  ;  et  Dieu,  par  son 
entremise,  les  favorisa  de  grâces  extraordinaires.  Le  pieux  solitaire  mourut  en  1180.  Il  fut  enseveli 
dans  l'église  de  Saint-Pierre  de  Vençay,  où  il  opéra  de  nombreux  miracles.  Les  pèlerins  vinrent 
en  foule  prier  sur  sa  tombe,  et  le  village  changea  son  premier  nom  contre  celui  de  Saint-Avertin. 

Son  corps  fut  brûlé  par  les  Huguenots  en  1562.  Dans  les  commencements  du  xvne  siècle, 
le  Père  Guillaume  Guérin  1,  visitant  l'église  de  Saint-Avertin,  n'y  trouva  aucune  relique  du 
Saint;  mais  il  y  vit  une  statue  très-vénérée  et  entourée  de  nombreux  ex-voto,  parmi  lesquels 
on  voyait  surtout  des  tètes  de  cire,  car  le  Bienheureux  avait  reçu  du  ciel  le  don  de  guérir 
toutes  les  douleurs  de  tète.  La  dévotion  envers  ce  Saint  était  si  grande  qu'autrefois  toutes  les 
maisons  du  bourg  étaient  transformées  en  hôtelleries  pour  y  recevoir  les  pèlerins.  Les  grands 
pèlerinages  avaient  lieu  le  mardi  de  Pâques  et  le  5  mai,  jour  de  sa  fête.  Cette  dévotion  a  sensi- 
blement diminué  avec  le  temps,  cependant  quelques  rares  pèlerins  se  rendent  encore  aujourd'hui  à 
Saint-Avertin  pour  y  prier  le  saint  confesseur.  —  Il  est  également  le  patron  de  Bougival,  au  dio- 
cèse de  Versailles  2. 

M.  l'abbé  Rolland,  chan.  honoraire,  aumônier  du  Pensionnat  des  Frères  des  Ecoles  chrétiennes  de  Tours. 

1.  Acta  Sanctorum,  5  maii. 

2.  Sa  statue  le  représente  vêtu  en  diacre,  disent  les  Bollandistes  ;  d'où  l'on  conclut  qu'il  n'était  pas 
prêtre.  D'après  le  propre  de  Tours,  «  il  enseignait  la  religion  aux  gens  de  la  campagne  ;  —  ut  christiania 
moribus  agrestes  imbueret  ».  —  Ce  qu'il  pouvait  faire  sans  être  revêtu  de  la  plénitude  du  sacerdoce,  D'ail- 
leurs tous  les  martyrologes  sont  unanimes  à  le  qualifier  diacre. 


MARTYROLOGES.  357 


VI'  JOUR  DE  MAI 


MARTYROLOGE  ROMAIN. 

A  Rome,  la  fête  de  saint  Jean,  devant  la  Porte  Latine  ;  ce  bienheureux  Apôtre  amené  d'Ephèse 
à  Rome,  chargé  de  fers,  par  l'ordre  de  Domitien,  fut  condamné  par  jugement  du  sénat  à  être  jeté 
dans  une  chaudière  d'huile  bouillante,  devant  la  porte  de  ce  nom,  et  en  sortit  plus  frai3  et  plus 
fort  qu'il  n'y  était  entré.  Vers  l'an  95.  —  A  Antioche,  saint  Evode,  qui,  comme  l'écrit  saint 
Ignace  au  peuple  d'Antioche,  fut  ordonné  premier  évêque  de  cette  ville  par  l'apôtre  saint  Pierre  et  finit 
sa  vie  par  un  glorieux  martyre  *.  62.  —  A  Cyrène  *,  saint  Lucius,  évêque,  dont  saint  Luc  fait 
mention  dans  les  Actes  des  Apôtres.  Ier  s.  —  En  Afrique,  les  saints  martyrs  Héliodore  et  Vénuste, 
avec  soixante-quinze  autres.  —  En  Chypre,  saint  Théodote,  évêque  de  Cérines,  qui,  ayant  enduré 
des  souffrances  très-dures  sous  l'empereur  Licinius,  rendit  enfin  son  âme  à  Dieu  pendant  la  paix 
de  l'Eglise.  IVe  s.  —  A  Damas,  la  fête  de  saint  Jean  Damascène,  célèbre  par  sa  sainteté,  autant 
que  par  sa  doctrine,  qui  combattit  avec  courage,  par  ses  discours  et  ses  écrits,  pour  le  culte  des 
saintes  images,  contre  Léon  l'Isaurien.  Ayant  eu  la  main  droite  coupée  par  l'ordre  de  ce  prince, 
il  la  recouvra  tout  à  coup  saine  et  entière,  pendant  qu'il  se  recommandait  à  l'image  de  la  bien- 
heureuse Vierge  qu'il  avait  défendue.  —  A  Carrhes,  en  Mésopotamie,  saint  Protogène  3,  évêque. 

—  En  Angleterre,  saint  Edbert,  évêque  de  Lindisfarne,  célèbre  par  son  érudition  et  sa  piété. 
718.  —  A  Rome,  sainte  Bénédicte  ou  Benoîte,  vierge  *.  —  A  Salerne,  la  translation  de  saint 
Mathieu,  apôtre,  dont  le  corps  sacré,  apporté  autrefois  d'Ethiopie  en  divers  endroits,  et  enfin  dans 
cette  ville,  fut  enseveli  avec  de  grands  honneurs  dans  une  église  dédiée  sous  son  nom. 

MARTYROLOGE  DE  FRANCE,  REVU  ET  AUGMENTÉ. 

A  Auxerre,  le  triomphe  des  saints  évêques  Valère  et  Valérien  :  celui-ci,  au  conciie  de  Cologne, 
souscrivit  à  la  condamnation  d'un  évêque  qui  niait  la  divinité  de  Jésus-Christ  5.  324  et  364.  -— 
Sur  les  confins  de  la  Gascogne,  saint  Justin,  disciple  des  prédicateurs  de  l'Evangile,  et  glorieux 
martyr  du  Fils  de  Dieu.  —  A  Vienne,  en  Dauphiné,  saint  Just,  évêque  et  martyr,  auquel  le  pape 

1.  Saint  Evode  est  du  nombre  des  soixante-doaze  disciples  primitifs  de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ. 

2.  Il  s'agit  de  Cyrène  en  Libye,  patriarcat  d'Alexandrie  (aujourd'hui  Cairoon,  dans  la  province  de  Baca). 

—  Saint  Lucius  est  compté  parmi  les  soixante-douze  disciples  de  Jésus-Christ. 

3.  Théodoret  parle  de  saint  Protogène,  liv.  iv,  ch.  16;  ainsi  que  Nicéphore,  liv.  n,  ch.  23,  et  liv.  xin, 
eh.  5.  Il  florissait  du  temps  de  l'empereur  Valens,  et  défendit  énergiquement  contre  lui  la  fol  de  l'Eglise 
catholique.  Il  parvint  jusqu'an  règne  de  Théodose,  sous  lequel  il  mourut;  il  eut  pour  successem  Vitus, 
qui  assista  au  concile  œcuménique  de  Constantinople.  Baronlus.  (Voir,  au  jour  précédent,  sa  vie  et  celle 
de  saint  F.uloge.) 

4.  Saint  Grégoire  raconte,  dans  ses  Dialogues  (iv,  13),  que  sainte  Galla  était  malade  de  la  maladie 
qui  devait  la  conduire  à  la  mort.  Or,  une  nuit,  saint  Pierre  lui  apparut  entre  deux  candélabres  qu'elle 
avait  fait  placer  au  pied  de  son  lit,  car,  dit  l'illustre  biographe,  elle  n'aimait  pas  les  ténèb>es  qui  sont 
l'image  du  péché,  a  Eh  quoi,  Seigneur  »,  dernanda-t-elle,  «  mes  péchés  me  seraient-ils  remis"'  »  —  «  Oui  », 
répondit  saint  Pierre,  «  prépare-toi  a  me  suivre  ».  —  «  Dans  ce  cas,  Seigneur,  faites  que  ma  sœur  Benoîte 
m'accompagne  ».  —  «  Non  pas  maintenant,  mais  dans  trente  jours  ».  Et  il  en  fut  ainsi.  Aa.  SS. 

5.  De  saint  Valère  on  ne  sait  rien,  sinon  qu'il  siégea  dix-sept  ans  et  qu'il  fut  enseveli  sur  le  mont 
Artre,  a  côté  de  son  prédécesseur,  saint  Marcellin.  Si  gaint  Marcellin  était  son  prédéce-seur  médiat  ou 
Immédiat,  c'est  ce  que  nous  ne  pourrions  décider,  la  chronologie  des  évêques  d'Auxerre  étant,  comme 
Celle  de  la  plupart  des  églises,  très-embrouillée  (324). 

Quant  à  saint  Valérien,  qui  aurait  succédé  à  saint  Valère,  et  qui  siégea  trente  ans,  il  aurait  assisté, 
en  346,  au  concile  contesté  de  Cologne  et  signé  une  lettre-circulaire  notifiant  les  actes  du  concile  de 
Sardique,  car  on  y  lit  la  signature  d'un  évêque  Gaulois,  nommé  lioàepuuç  :  or,  on  ne  connaît  pas  d'é- 
Têque  contemporain  du  même  nom. 

On  pourra  faire  observer  que  l'on  n'a  pas  le  nom  de  tous  les  évêques  de  France  an  ive  siècle,  et  noua 
n'irons  point  à  rencontre. 

C'est  saint  Valérien  qui  forma  à  la  piété  saint  Amatre.  Nous  avons  raconté  ci-dessus,  dans  la  Vie  de 


358  6  mai. 

saint  Pie  Ier  écrivit  une  lettre  de  consolation  pleine  de  l'esprit  de  Jésus-Christ.  Vers  168.  —  Dans 
l'Ordre  de  Citeaux,  la  mémoire  de  plus  de  cent  martyrs  du  même  Ordre,  exécutés  pour  la  foi,  en 
divers  temps  et  en  divers  lieux.  —  Au  monastère  de  Cambron,  près  de  Mons,  en  Hainaut,  le 
bienheureux  Henri,  qui,  épouvanté  d'une  vision  céleste,  quitta  son  évêché  et  se  fit  pauvre  et 
humble  religieux  en  cette  abbaye,  où  il  persévéra  jusqu'à  sa  mort,  qui  fut  précieuse  devant  Dieu 
et  devant  les  hommes.  —  A  Aire-sur-1'Adour,  saint  Gérons  ou  Géronce,  confesseur,  et  saint  Edence. 

—  A  Paris,  la  translation  du  chef  de  saint  Louis,  du  monastère  de  Saint-Denis  à  la  Sainte-Cha- 
pelle du  Palais,  où  l'on  en  fait  la  fête  dans  l'octave  de  l'Ascension.  —  A  Soissons,  la  fête  de  saint 
Victrice,  évêque  de  Rouen,  nommé  au  Martyrologe  romain  le  7  août  l.  —  Dans  le  Limbourg,  le 
lundi  avant  la  Pentecôte,  la  fête  de  saint  Gerlac,  pénitent,  dont  le  décès  est  marqué  le  5  janvier*. 

—  A  Paris,  sainte  Atoye,  vierge  et  martyre.  —  A  Arras,  le  bienheureux  Hatta,  premier  abbé 
de  Saint- Waast  d'Arras.  699. 

ADDITIONS  FAITES  D'APRES   LES  BOLLANDISTES  ET  AUTRES  HAGIOGRAPHES. 

En  Afrique,  saint  Secondien,  évêque,  et  avec  lui  les  saints  Jacques,  Marien,  Concorde,  Marine, 
Héliodore,  Saturnin,  Silvain,  tous  martyrs.  —  A  Milan,  en  Italie,  les  saints  martyrs  Victor,  Félix, 
un  autre  Victor,  Carisie,  Auûdia,  Judith,  Emeria,  un  troisième  Victor,  Acuta,  Faustina,  Hilarianus, 
Victoriana,  Saturnina,  Gavina,  Hedentus,  Furtuna,  Victoria,  Prima,  Galanus,  Valentina,  Fortunata, 
Postumus,  Faustin,  Majorique,  Venustus,  Massunus,  Processa,  Secundianus,  Importuna,  Quintien, 
Pierre,  Tasso,  Casseric,  Mapparic,  Veneria,  Bonefacia,  Quintus,  Floriana,  Victorine,  Demorus, 
Gaudola,  une  autre  Victorine,  Crispin,  Possinus,  un  autre  Félix,  Donat,  Laborus,  Massilus,  Gaïeu, 
Farerus,  Quintus,  Rogatus,  Maxence,  Ninna,  Virtutus,  Valérie,  Tironius,  Matrona,  Citinus,  Florian, 
Hirenée,  Fortunat,  Faustin,  Gavinus,  Hernius,  Pappalique,  Prime,  Cassus,  Second,  Célérin,  Hié- 
remia,  Flavius,  Macrobe,  Marcellin,  Maxime,  Bafrodite,  Augustien,  Viticus  et  soixante-cinq  autres; 
on  autre  Gaïanus  et  ses  vingt  compagnons,  avec  un  grand  nombre  d'autres.  C'est  sans  doute  en 
faisant  allusion  à  ces  Martyrs  que  saint  Ambroise  dit  dans  son  sermon  pour  la  fête  de  saint  Nazaire 
et  de  saint  Celse  :  «  D'autres  villes  sont  Gères  de  posséder  les  reliques  d'un  seul  martyr  :  et 
toi,  terre  de  Milan,  nourrice  de  célestes  combattants,  mère  féconde  d'innombrables  vertus,  réjouis- 
toi  :  tu  possèdes  des  peuples  entiers  de  Martyrs  ».  Règne  de  Maximien.  — A  Tarente,  en  Calabre, 
les  saints  Mathieu  et  Prime,  martyrs.  —  Chez  les  Grecs,  saint  Pacôme,  saint  Hilarion,  saint  Marnas 
et  saint  Patrice.  —  A  Imola,  dans  les  Romagnes,  saint  Maurel  ou  Maurélius,  évêque.  Bon  citoyen  et 
bon  évêque,  il  aima  à  la  fois  son  Eglise  et  sa  patrie.  Après  l'année  524.  —  Au  Mont-Cassin,  en  Italie, 
saint  Pétronax,  abbé  et  restaurateur  du  célèbre  monastère  de  ce  lieu.  752.  —  Au  même  lieu,  mé- 
moire des  saints  Paldon,  Tason  et  Taton  qui  aidèrent  saint  Pétronax  à  relever  les  ruines  amoncelées 
sur  le  sol  par  les  Lombards,  cent  trente  ans  auparavant.  —  A  Trequenda,  au  diocèse  de  Sienne,  la 
bienheureuse  Bonizella,  veuve  illustre  par  sa  charité  envers  les  membres  déshérités  de  Jésus-Christ, 
et  le  bienheureux  Guy,  son  neveu,  dont  les  cendres  reposaient  à  ses  pieds  dans  l'église  paroissiale. 
On  raconte  que,  après  le  décès  de  la  bienheureuse  Bonizella,  des  abeilles — malgré  la  répulsion  de  ces 
nobles  insectes  pour  ce  qui  est  mort —  vinrent  se  poser  sur  sa  main  comme  pour  honorer  l'instrument 
de  tant  de  libéralités  versées  dans  le  sein  des  pauvres.  1300.  —  A  Thosa,  près  de  Bruch,  en  Suisse,  la 
bienheureuse  Elisabeth,  de  Bude  ou  de  Hongrie,  vierge,  appelée  aussi  sainte  Reine,  nom  qu'elle  avait 
refusé  de  porter  durant  sa  vie.  Elle  était  fille  du  roi  de  Hongrie,  André  IH,  et  embrassa  l'Ordre  de  Saint- 
Dominique.  Il  ne  faut  pas  la  confondre  avec  son  homonyme  et  parente,  la  veuve  du  landgrave  de 
Thuringe.  Elle  mourut  en  1338  à  l'âge  de  quarante  et  un  ans  :  sa  vie  avait  été  semée  de  maladies 
et  d'afflictions  presque  continuelles.  Les  unes  et  les  autres  sont  les  arrhes  que  Jésus-Christ  donne 
à  ses  fiancées.  —  A  Côme,  dans  le  Milanais,  au  monastère  de  Saint-Mare,  la  bienheureuse  Pru- 
dence, vierge,  de  l'Ordre  des  Ermites  de  Saint-Augustin,  qui,  après  sa  mort,  se  leva  de  sa  bière 
pour  adorer  une  dernière  fois  le  très-saint  Sacrement.  1492. 

ce  dernier,  comment,  par  une  méprise  qui  devait  avoir  des  conséquences  heureuses,  saint  Valérien  récita 
une  bénédiction  pour  une  autre.  * 

Il  fut  enterré  au  mont  Artre. 

Il  y  avait  jutrefois,  dans  le  diocèse  d'Anxerre,  une  église  importante  dédiée  à  saint  Valérien.  Sou» 
l'épiscopat  de  saint  Aunaire  (573-603),  elle  fut  mise  au  rang  des  églises  principales.  Selon  toute  appa- 
rence, elle  éta't  située  à  Chitry,  à  trois  lieues  d'Auierre. 

Une  église  a  été  élevéu  sous  son  invocation  à  Chateaudun,  diocèse  de  Chartres,  et  l'on  y  garde  depui» 
longtemps  une  partie  de  ses  reliques.  Cf.  AA.  SS.  au  6  mai,  et  la  France  Pontificale,  éd.  Eepos. 

1.  Voir  à  ce  jour.  —  2.  Voyez  ce  Jour. 


SAINT  JEAN,    MARTYR  DEVANT   LA  PORTE   LATINE.  359 

SAINT  JEAN,  MARTYR  DEVANT  LA  PORTE  LATINE 

Vers  95.  —  Pape  :  Saint  Anaclet.  —  Empereur  :  Domitien. 

Sic  eum  volo  manere,  donec  veniam. 

Je  veux  qu'il  survive  au  martyre  jusqu'à  ce  qu'il 
meure  de  sa  mort  naturelle  et  que  je  vienne  la 
chercher.  Joan.,  rxi,  22. 

Les  fils  de  Zébédée,  Jacques  et  Jean,  ne  connaissaient  encore  ni  le  mys- 
tère de  la  croix  ni  la  nature  du  royaume  de  Jésus-Christ,  lorsque,  par  l'organe 
de  leur  mère,  ils  le  priaient  de  les  faire  asseoir  l'un  à  sa  droite^  et  l'autre  à  sa 
gauche,  c'est-à-dire  de  leur  donner  les  deux  premières  places  de  son  royaume. 
«  Pouvez-vous  »,  leur  dit  le  Sauveur,  «  boire  le  calice  que  je  dois  boire? 
pouvez-vous  participer  à  mes  opprobres  et  à  mes  souffrances  ?  »  Les  deux 
disciples  répondirent  affirmativement  et  protestèrent  à  leur  divin  Maître 
qu'ils  étaient  dans  la  résolution  de  tout  endurer  pour  lui.  Alors  Jésus  leur 
prédit  qu'ils  boiraient  son  calice  et  qu'ils  auraient  beaucoup  à  souffrir  pour 
la  vérité  de  son  Evangile.  Cette  prédiction  fut  littéralement  accomplie  dans 
saint  Jacques ,  lorsque  Hérode  le  fit  mourir  à  cause  de  la  religion  qu'il 
professait. 

Quant  à  saint  Jean,  qui  aimait  si  tendrement  son  divin  Maître  et  qui  en 
était  si  tendrement  aimé,  on  peut  dire,  sans  faire  violence  au  texte  sacré, 
qu'il  but  le  calice  du  Sauveur  et  qu'il  en  partagea  l'amertume  lorsqu'il 
assista  à  son  crucifiement.  En  effet,  son  cœur  était  déchiré  par  le  sentiment 
des  douleurs  qu'il  lui  voyait  souffrir  ;  mais  ce  n'était  encore  là  qu'un  prélude 
de  ses  peines.  Après  la  descente  du  Saint-Esprit,  il  se  vit  condamné,  avec  les 
autres  Apôtres,  à  la  prison,  aux  fouets,  aux  opprobres.  Enfin  la  prédiction 
de  Jésus-Christ  eut  son  entier  accomplissement  lorsqu'il  mérita,  sous  Domi- 
tien, la  couronne  du  martyre. 

L'empereur  Domitien,  auteur  de  la  seconde  persécution  générale  suscitée 
à  l'Eglise,  était  universellement  haï  pour  sa  cruauté,  son  orgueil  et  ses 
impudicités.  Il  fut,  au  rapport  de  Tacite,  encore  plus  cruel  que  Néron,  et 
il  prenait  plaisir  à  repaître  ses  yeux  du  spectacle  des  exécutions  barbares 
dont  l'autre,  au  moins,  se  dérobait  ordinairement  la  vue.  Sous  son  règne, 
Rome  fut  inondée  du  sang  de  ses  plus  illustres  habitants.  Ennemi  de  tout 
bien,  il  bannit  ceux  qui  avaient  la  réputation  d'hommes  vertueux,  entre 
autres  Dion  Chrysostome  et  le  philosophe  Epictète  *  ;  mais  ce  fut  sur  les 
chrétiens  que  tombèrent  ses  principaux  coups.  Outre  qu'il  ne  pouvait  souf- 
frir la  sainteté  de  leur  doctrine  et  de  leur  vie,  qui  lui  était  un  reproche  tacite 
de  ses  crimes,  il  était  encore  animé  contre  eux  par  cette  haine  que  leur 
portaient  tous  les  païens. 

1.  L'auteur  de  VEncInridion,  le  plus  parfait  abrégé  de  morale  qui  soit  sorti  de  la  plume  d'un  païen. 
C'est  avec  raison  que  les  Stoïciens  ont  Tegardé  Epictète  comme  le  plus  grand  philosophe  de  leu'-  secte. 
L'empereur  Marc-Antonin  ne  pouvait  se  rassasier  de  liro  ses  ouvrages.  Saint  Augustin  et  saint  Charles 
Borroiuée  les  lisaient  aussi  avec  beaucoup  de  plaisir.  L'édition  la  plus  complète  et  la  meilleure  que  nous 
en  ayons,  eBt  celle  qui  parut  à  Londres  en  1741,  2  vol.  in-4*,  par  les  soins  et  avec  les  notes  de  Jean  Up~ 
ton.  Il  vient  de  paraître  une  excellente  traduction  dn  Manuel  d'Epîctete,  avec  de  savantes  notes  et  des 
réflexions  tres-chrétiennes  :  elle  a  pour  auteur  M.  Louis  Cordier,  curé  de  Pouilly-les-Chery  (Aisne).  Il 
faut  Joindre  a  ce  livre  un  autre  ouvrage  du  même  auteur  qui  y  sert  de  commentaire  et  dont  voici  le  titre  : 
Du  stoïcisme  et  du  Christianisme,  rapports  et  différence*. 


360  6  mai. 

Saint  Jean  l'Evangéliste  vivait  encore.  Il  était  chargé  du  gouvernement  de 
toutes  les  églises  d'Asie,  et  jouissait  d'une  grande  réputation,  tant  à  cause 
de  cette  éminente  dignité  que  de  ses  vertus  et  de  ses  miracles.  Ayant  été 
arrêté  à  Ephèse,  il  fut  conduit  à  Rome  l'an  95  de  Jésus-Christ.  Il  parut  devant 
l'empereur,  qui,  loin  de  se  laisser  attendrir  par  la  vue  de  ce  vénérable  vieil- 
lard, eut  la  barbarie  d'ordonner  qu'on  le  jetât  dans  une  chaudière  remplie 
d'huile  bouillante.  Il  y  a  toute  apparence  que  le  saint  Apôtre  souffrit  d'abord 
une  cruelle  flagellation,  conformément  à  ce  qui  se  pratiquait  à  l'égard  des 
criminels  qui  n'avaient  point  le  droit  de  bourgeoisie  romaine.  Quoi  qu'il  en 
soit,  on  ne  peut  au  moins  douter  qu'il  n'ait  été  jeté  dans  l'huile  bouillante  : 
Tertullien,  Eusèbe  et  saint  Jérôme  le  disent  expressément. 

Nous  ne  craignons  point  d'assurer  que  le  Saint  fit  éclater  une  grande  joie 
lorsqu'il  entendit  prononcer  sa  sentence  ;  il  brûlait  d'un  ardent  désir  d'aller 
rejoindre  son  divin  Maître,  de  lui  rendre  amour  pour  amour,  et  de  se  sacri- 
fier pour  Celui  qui  nous  avait  tous  sauvés  par  l'effusion  de  son  sang.  Mais 
Dieu  se  contenta  de  ses  dispositions,  en  lui  accordant  toutefois  le  mérite  et 
l'honneur  du  martyre  :  il  suspendit  l'activité  du  feu,  et  lui  conserva  la  vie, 
comme  il  l'avait  conservée  aux  trois  enfants  qui  furent  jetés  dans  la  fournaise 
de  Babylone.  L'huile  bouillante  se  changea  pour  lui  en  un  bain  rafraîchis- 
sant, et  il  en  sortit  plus  fort  et  plus  vigoureux  qu'il  n'y  était  entré. 

L'empereur  fut  très-frappé,  ainsi  que  la  plupart  des  païens,  de  cet  évé- 
nement; mais  il  l'attribua  au  pouvoir  de  la  magie.  Ce  que  l'on  publiait  des 
prétendus  prodiges  opérés  par  le  fameux  Apollonius  de  Tyane,  qu'il  avait 
fait  venir  à  Rome,  ne  contribua  pas  peu  à  le  confirmer  dans  cette  opinion. 
La  délivrance  miraculeuse  de  l'Apôtre  ne  fit  donc  sur  lui  aucune  impression, 
ou  plutôt  elle  ne  servit  qu'à  augmenter  son  endurcissement  dans  le  crime. 
Il  se  contenta  toutefois  de  bannir  le  Saint  dans  l'île  de  Pathmos  l.  C'est  là 
qu'il  composa  son  apocalypse  dont  chaque  mot,  disent  les  Pères,  est  un 
mystère.  Désormais  la  parole  de  Jésus-Christ  :  Eumvolo  manere  donec  venia?n, 
—  «  Je  veux  qu'il  vive  jusqu'à  ce  que  je  vienne  »,  était  accomplie. L'appari- 
tion du  Sauveur  à  saint  Jean  exilé  dans  Pathmos  réalisait  précisément  sa 
promesse  de  le  faire  échapper  à  une  mort  violente  et  de  le  laisser  mourir 
tranquillement  lorsqu'il  serait  venu  le  visiter  ;  car  telle  est  l'interprétation 
de  ces  mots  :  Je  veux  qu'il  vive  jusqu'à  ce  que  je  vienne,  que  les  autres  Apô- 
tres avaient  pris  pour  un  brevet  d'immortalité  accordé  à  saint  Jean. 

Domitien  *  ayant  été  assassiné  l'année  suivante,  Nerva,  rempli  de  bonnes 
qualités  et  d'un  caractère  naturellement  pacifique,  fut  élevé  à  l'empire. 
Saint  Jean  eut  la  liberté  de  sortir  du  lieu  de  son  exil  et  de  retourner  à 
Ephèse. 

Ce  fut  auprès  de  la  porte  appelée  Latine  parce  qu'elle  conduisait  dans  le 
Latium,  qu'il  remporta  ce  glorieux  triomphe.  Pour  conserver  la  mémoire 
du  miracle,  on  consacra  une  église  en  cet  endroit  sous  les  premiers  empe- 
reurs chrétiens.  On  dit  qu'il  y  avait  un  temple  de  Diane,  dont  on  changea 
la  destination  pour  le  faire  servir  au  culte  du  vrai  Dieu.  Cette  église  fut 
rebâtie,  en  772,  par  le  pape  Adrien  Ier.  On  visite,  encore  aujourd'hui,  la 

1.  Une  des  îles  Sporades,  situées  dans  la  mer  Egée  ou  l'Archipel,  oîi  se  trouve,  dans  le  couvent  de 
Saint-Jean  nommé  l'Apocalypse,  un  séminaire  grec,  avec  une  école,  une  bibliothèque  et  une  collection 
de  médailles. 

'J.  Domitien  régna  depuis  l'an  81  jusqu'à  l'an  96.  Nous  apprenons  de  Suétone  et  d'Eus'ebe,  qu'il  porta 
l'impiété  jnsqu'à  se  faire  donner  le  titre  de  Seigneur  et  de  Dieu.  C'était  lui  qui,  renfermé  dans  son  ca- 
binet, employait  une  partie  de  son  temps  à  prendre  des  mouches  qu'il  enfilait  ensuite  avec  un  poinçon. 
On  vit  surtout  après  sa  mort  combien  il  était  détesté.  On  abattit  ses  statues,  on  ôta  son  nom  des  édifices 
publics,  et  ses  décrets  furent  annulés  par  le  sénat. 


SAINTE  AVOYE,   VIERGE   ET  MARTYRE.  361 

chapelle  Saint  -Giovanni-  in  -oleo  sur  l'emplacement  même  du  supplice. 
La  fête  de  saint  Jean,  devant  la  Porte  Latine,  a  été  longtemps  chômée  en 
plusieurs  églises.  Elle  a  été  d'obligation  en  Angleterre,  au  moins  depuis  le 
xn8  siècle  jusqu'à  la  prétendue  réforme;  mais  on  la  mettait  seulement  au 
nombre  des  fêtes  du  second  rang ,  auxquelles  toute  œuvre  servile  était 
défendue,  excepté  le  labour  des  terres.  Les  Saxons,  qui  s'établirent  dans  la 
Grande-Bretagne,  avaient  une  dévotion  singulière  à  saint  Pierre  et  à  saint 
Jean  l'Evangéliste.  En  plusieurs  lieux,  les  imprimeurs  honorent  saint  Jean, 
devant  la  Porte  Latine,  comme  leur  patron  ;  en  d'autres,  ce  sont  les  vigne- 
rons et  les  tonneliers,  à  cause  delà  cuve;  ailleurs,  ce  sont  les  chandeliers  et 
lampistes,  à  cause  de  l'huile  et  des  matières  graisseuses.  En  mémoire  de  son 
supplice,  on  l'invoque  contre  les  brûlures.  Quant  au  choix  des  imprimeurs, 
nous  ne  saurions  l'expliquer.  Serait-ce  parce  qu'ils  ont  commencé  par  impri- 
mer du  latin???  —  Les  mots  Porte  Latine  doivent  probablement  avoir  dé- 
terminé ce  choix.  Il  va  de  soi  que  les  lithographes,  relieurs,  régleurs  et 
papetiers  ont  adopté  le  même  patronage  que  les  imprimeurs. 

Tiré  de  Tertullien,  Prxscript.,  c.  86;  de  saint  Jérôme,  in  Jovin.,  t.  ier,  p.  14,  et  de  Tillemont,  Jlist. 
eccies.,  t.  ier,  p.  338,  et  de  Ylstoria  délia  Chiesa  di  S.  Giovanni  avanti  Porta  Latina  scritta,  da  Gio  Maris 
Crescembini,  Roma,  1716,  in— 1°. 


SAINTE  AYOYE,  VIERGE  ET  MARTYRE 


m6  siècle. 

Sainte  Avoye,  qui  s'appela  d'abord  Aurée,  naquit  en  Sicile  vers  le  com- 
mencement du  me  siècle.  Son  père,  qui  se  nommait  Quintien,  était  du  nom- 
bre de  ces  petits  rois  que  les  Romains  toléraient  dans  le  pays  de  leurs  con- 
quêtes, à  condition  qu'ils  reçussent  d'eux  la  couronne  royale,  et  qu'ils  dé- 
pendissent absolument  de  leur  empire.  Il  persécutait  cruellement  les  chré- 
tiens pour  plaire  aux  empereurs  romains,  et  parce  qu'il  était  fortement 
attaché  au  culte  des  idoles.  La  mère  de  notre  Sainte,  qui  s'appelait  Gérasine, 
et  qui  était  de  la  Grande-Bretagne,  où  les  Siciliens,  selon  Athénée,  ont  fait 
de  toute  antiquité  grand  trafic,  avait  des  sentiments  tout  contraires  :  car, 
non-seulement  elle  favorisait  les  chrétiens,  mais  elle  était  elle-même  une 
très-fidèle  servante  de  Jésus- Christ.  Gela  fit  naître  d'abord  un  peu  de  désu- 
nion entre  elle  et  son  mari  ;  mais  Dieu  lui  donna  tant  de  pouvoir  sur  l'es- 
prit de  cet  idolâtre,  qu'après  beaucoup  de  sages  remontrances,  qu'elle  for- 
tifiait par  l'exemple  d'une  vie  innocente  et  irrépréhensible,  elle  le  convertit 
enfin  et  lui  fit  embrasser,  avant  sa  mort,  la  religion  dont  il  avait  été  le  fléau 
et  le  plus  terrible  persécuteur.  On  dit  qu'elle  eut  neuf  enfants  de  lui  : 
trois  garçons  et  six  filles  ;  elle  les  éleva  dans  une  telle  innocence,  qu'on  les 
eût  pris  pour  un  chœur  d'anges  et  non  pour  des  descendants  de  l'homme 
déchu.  Aurée,  qui  semble  avoir  été  la  dernière  des  filles,  surpassait  les  au- 
tres par  sa  grande  ferveur  et  par  son  amour  sincère  et  très-ardent  pour 
Jésus-Christ. 

Un  jeune  homme,  épris  de  sa  beauté,  l'attendit  un  jour  à  la  porte  de 
l'église  où  les  chrétiens  étaient  assemblés,  et  quand  elle  sortit,  il  lui  déclara 
sa  passion  ;  mais  la  jeune  Aurée,  qui  avait  déjà  choisi  Notre-Seigneur  pour 


362  6  mai. 

son  Epoux,  se  détourna,  aux  premières  paroles,  sans  vouloir  en  entendre 
davantage  ni  répondre.  Rentrée  chez  elle,  ses  larmes  coulèrent  en  abon- 
dance, elle  gémit  du  danger  qu'elle  venait  de  courir  ;  de  peur  que  la  beauté 
de  son  corps,  qui  devait  passer  comme  une  fleur,  ne  lui  fît  perdre  celle  de 
son  âme,  qui  pouvait  être  immortelle,  elle  pria  son  Epoux,  avec  de  grands 
soupirs,  de  la  rendre  aussi  laide  et  aussi  désagréable  aux  yeux  des  hommes, 
qu'elle  avait  été  jusqu'alors  capable  de  leur  plaire  et  de  leur  inspirer,  par  sa 
seule  vue,  un  amour  criminel.  0  Dieu  !  qu'elles  sont  rares  les  jeunes  filles 
qui  craignent  les  dangers  de  la  beauté  et  de  la  vanité  !  combien,  hélas  !  ai- 
ment mieux  être  belles  que  chastes,  et  plaire  à  un  homme  qui  ne  sera  de- 
main que  pourriture,  que  de  se  conserver  l'amour  de  Jésus-Christ  qui  est 
éternel  et  qui  fait  part  à  ses  amantes  des  trésors  de  son  éternité  !  Aurée  ne 
se  contenta  pas  de  faire  la  demande  dont  nous  venons  de  parler  :  afin  de 
n'être  plus  aimée  que  de  Dieu  seul,  elle  entreprit  de  détruire  les  grâces  de 
son  visage  par  les  veilles,  les  jeûnes,  les  fatigues  de  longues  prières  qu'elle 
faisait  prosternée  contre  terre,  et  par  d'autres  austérités.  Vains  efforts  !  plus 
elle  cherchait  à  devenir  livide,  exténuée,  défaite,  plus  son  Epoux  céleste 
répandait  d'agréments  et  de  charmes  sur  toute  sa  personne,  voulant  qu'elle 
fût  en  tout,  à  l'extérieur  comme  à  l'intérieur,  digne  de  lui. 

Aurée,  comprenant  l'intention  divine,  résolut  de  se  tenir  cachée  dans  le 
secret  de  son  oratoire,  afin  de  n'être  vue  que  de  Celui  qui  était  l'unique  ob- 
jet de  ses  désirs.  Ce  fut  là  que,  lui  parlant  cœur  à  cœur,  elle  fut  souvent 
inondée  du  torrent  de  ses  consolations,  et  qu'elle  goû-ta,  dans  une  grande 
paix,  combien  il  est  doux  en  lui-même,  et  combien  il  est  libéral  et  magni- 
fique à  l'endroit  de  ceux  qui  le  craignent.  Elle  fut  aussi  visitée  par  un  ange 
revêtu  d'un  habit  plus  blanc  que  la  neige  et  plus  éclatant  que  le  soleil,  qui 
l'assura  que  Jésus-Christ,  son  souverain  Seigneur,  l'avait  reçue  pour  son 
épouse,  et  que  cette  alliance  serait  si  ferme  et  si  inébranlable,  que  ni  les 
embûches  du  démon,  ni  les  poursuites  des  créatures,  ne  seraient  jamais  ca- 
pables de  la  rompre.  On  ne  saurait  exprimer  la  joie  avec  laquelle  Avoye 
reçut  un  si  glorieux  message,  ni  les  effets  d'amour  qu'elle  fit  pour  en  témoi- 
gner sa  reconnaissance  à  son  Sauveur.  L'ange,  par  un  surcroît  de  grâce,  lui 
donna  un  nouveau  nom,  comme  autrefois  il  en  avait  été  donné  un  nouveau 
à  Abraham,  à  Sara,  à  Jacob,  à  saint  Pierre  et  aux  enfants  de  Zébédée  ;  le 
nom  <X  Aurée1,  qu'elle  avait  porté  jusque-là,  était  comme  un  présage  qu'elle 
brillerait  un  jour,  dans  le  ciel,  de  l'or  de  la  charité.  L'ange  la  nomma  Avoye*, 
pour  signifier  qu'elle  était  destinée  à  ramener,  dans  les  voies  du  salut,  une 
infinité  de  personnes  qui  s'en  trouveraient  éloignées.  Elle  lui  demanda  com- 
ment elle  pourrait  correspondre  à  tant  de  bontés  de  son  Epoux  envers  elle. 
Il  lui  répondit  que  c'était  en  suivant  sa  mère  dans  la  Grande-Bretagne, 
pour  y  tenir  compagnie  à  sa  cousine  Ursule,  par  laquelle  Dieu  voulait 
faire  de  grandes  choses,  et  qui  allait  se  rendre  illustre  dans  toute  l'Eglise  par 
les  glorieux  combats  qu'elle  soutiendrait  pour  la  foi  et  pour  la  chasteté. 

Cependant  Quintien,  son  père,  vint  à  mourir,  et  laissa,  par  sa  mort,  Gé- 
rasine,  sa  femme,  tutrice  de  ses  enfants  et  régente  de  son  petit  royaume. 
Peu  de  temps  après,  c'est-à-dire  vers  l'année  234,  Dionet,  roi  de  Cornouail- 

1.  Aurea,  dorée.  —  Les  Bollandistes,  t.  vu  de  mai,  nouv.  éd.,  disent  que  sainte  Aurée  et  sainte  Avoye 
sont  différentes  l'une  de  l'autre.  Nous  ne  les  suivrons  pas  dans  leurs  raisonnements  qui  ne  mènent  du 
reste  à  rien  de  concluant  :  l'histoire  de  cette  sainte  ou  de  ces  saintes  est  embarrassée  de  trop  de  difficul- 
tés et  couverte  de  trop  d'obscurités  pour  que  nous  puissions,  même  au  prix  de  longs  efforts,  résoudre  les 
unes,  dissiper  les  autres.  Ceci  est  une  question  d'hagiographie  parement  locale  que  quelque  savant  des 
diocèses  de  Vannes  ou  de  Paris  élucidera  peut-être  un  Jour. 

3.  A  via,  loin  de  la  voie. 


SAINTE  AYOYE,    VIERGE  ET  MARTYRE.  363 

les,  qui  avait  épousé  Darie,  sœur  de  la  même  Gérasine,  et  qui  en  avait  eu 
une  fille  unique  ,  qui  est  la  grande  sainte  Ursule ,  commença  à  faire 
des  préparatifs  pour  le  mariage  de  cette  excellente  vierge,  avec  Holo- 
pherne,  fils  d'un  roi  de  la  Grande-Bretagne.  Il  convia  à  cette  solennité  la 
mère  de  notre  Sainte  :  cette  pressante  invitation,  l'inspiration  divine  et  la 
révélation  qu'avait  eue  sa  fille,  déterminèrent  la  princesse  à  entreprendre 
ce  pénible  vojrage. 

Après  avoir  mis  bon  ordre  à  toutes  les  affaires  de  sa  maison  et  de  sa  pe- 
tite communauté,  dont  elle  confia  le  gouvernement  à  l'un  de  ses  fils,  elle 
s'embarqua  pour  la  Grande-Bretagne  :  elle  mena  avec  elle  sa  chère  Avoye  et 
trois  autres  de  ses  filles,  que  sainte  Elisabeth  de  Sconange  et  le  bienheureux 
Herman  de  Steinfeld,  en  leurs  révélations,  appellent  Babile,  Julienne  et  Vic- 
toire, et  le  dernier  de  ses  fils,  âgé  seulement  de  dix  ans,  qu'on  nomme  Adrien. 
Après  une  heureuse  traversée,  nos  saints  voyageurs  arrivèrent  dans  la 
Grande-Bretagne  où  ils  furent  reçus  avec  des  témoignages  d'honneur  et  de 
joie  extraordinaires. 

Sainte  Ursule,  qui  reconnut  la  prudence  et  la  vertu  de  Gérasine,  sa  tante, 
lui  découvrit  le  dessein  auquel  elle  se  sentait  portée  par  une  inspiration  cé- 
leste :  c'était  d'éviter  les  noces  qu'on  lui  préparait  avec  tant  de  pompe,  en 
quittant  le  lieu  de  sa  naissance  et  en  s'enfuyant  en  un  autre  pays,  où  la  di- 
vine ProvidencB  lui  préparait  un  auguste  triomphe  et  la  couronne  du  mar- 
tyre. Non-seulement  Gérasine  approuva  ce  projet,  qui  venait  de  Dieu,  mais 
elle  voulut  y  avoir  part  :  ses  quatre  filles  l'imitèrent,  surtout  notre  sainte 
Avoye,  qui  désirait  tant  verser  son  sang  pour  Jésus-Christ.  Onze  mille  vier- 
ges, assemblées  pour  les  noces  d'Ursule,  s'associèrent  aussi  à  sa  résolution. 
Elles  s'embarquèrent  et  s'abandonnèrent  au  souffle  de  la  Providence.  Nous 
raconterons,  au  21  octobre,  leurs  longues  pérégrinations.  Il  suffit  de  dire  ici 
qu'à  Cologne  elles  tombèrent  entre  les  mains  d'une  armée  de  Huns,  qui  en 
firent  un  horrible  massacre.  11  n'y  en  eut  que  trois  dont  le  martyre  fut  dif- 
féré. De  ce  nombre  était  sainte  Avoye.  Un  chef  de  ces  barbares  la  fit  cap- 
tive, dans  l'espoir  que  la  rigueur  de  la  prison  ou  des  supplices  la  forcerait 
de  renoncer  à  sa  foi  et  à  son  vœu  de  virginité. 

C'était  sans  doute  une  chose  bien  digne  de  compassion  de  voir  cette 
tendre  vierge,  après  avoir  perdu  sa  mère,  ses  sœurs  et  toutes  ses  compa- 
gnes, égorgées  en  sa  présence,  se  trouver  seule,  en  un  pays  inconnu,  sous 
la  puissance  d'un  barbare  qui  n'avait  rien  d'humain  que  le  visage,  et  qui,  à 
l'idolâtrie  et  à  l'impiété,  joignait  une  humeur  farouche  et  une  brutalité 
semblable  à  celle  des  animaux  les  plus  lascifs,  se  trouver  sous  la  garde  d'une 
troupe  de  soldats  qu'elle  pouvait  appeler,  comme  saint  Ignace  le  martyr, 
une  troupe  de  tigres.  Mais  Notre-Seigneur  Jésus-Christ,  qui  l'avait  choisie 
pour  son  épouse,  ne  l'abandonna  pas  dans  cette  nécessité.  Il  éclaira  son 
cachot  d'une  lumière  céleste  ,  pour  lui  montrer  qu'il  était  auprès  d'elle  et 
qu'il  la  prenait  sous  sa  divine  protection.  Il  lui  envoya  un  ange,  qui  la  con- 
sola et  lui  fit  savoir  que  son  martyre  n'avait  été  différé  que  pour  le  rendre 
plus  glorieux,  et  qu'en  souffrant  plus  de  tourments,  elle  gagnait  une  cou- 
ronne plus  éclatante.  Il  voulut  même  que  la  sainte  Vierge  fût  sa  nourricière 
durant  sa  prison  :  cette  divine  Mère  lui  apportait  chaque  semaine  trois  pains 
pétris  par  la  main  des  anges,  et  dont  la  blancheur  et  le  goût  surpassaient 
tout  ce  qu'elle  avait  mangé  d'agréable  et  de  délicieux  en  la  maison  du  roi 
son  père.  C'est  ainsi  que  les  peintres  représentent  ordinairement  notre 
Sainte.  On  la  voit  en  prison,  recevant  des  pains  de  la  main  d'une  vierge,  à 
travers  une  grille  de  fer.  Ces  faveurs  extraordinaires,  jointes  à  la  grâce  in- 


364  6  mai. 

térieure  dont  l'Epoux  céleste  remplissait  l'âme  de  la  Martyre,  la  fortifièrent 
si  puissamment,  que  ni  les  promesses,  ni  les  menaces,  ni  les  sollicitations 
les  plus  pressantes,  ni  même  les  tourments  les  plus  aigus,  ne  purent  jamais 
ébranler  sa  constance.  On  dit  qu'on  fit  entrer  des  lions  dans  son  cachot 
pour  la  dévorer  ;  mais  Celui  qui  avait  conservé  Daniel,  dans  la  fosse  aux 
lions,  préserva  aussi  cette  innocente  brebis  de  la  gueule  de  ces  bêtes,  et  elle 
n'en  reçut  que  des  caresses. 

On  ignore  en  quel  pays  Avoye  était  ainsi  captive.  Si  nous  en  croyons  une 
tradition,  la  Sainte  fut  amenée  par  mer  sur  le  territoire  de  Boulogne,  en 
France  (Pas-de-Calais),  et  là,  se  voyant  rendue  à  la  liberté,  elle  se  retira 
dans  un  bois,  auprès  d'un  bourg  appelé  Divernie,  où  elle  vécut  quelque 
temps  en  solitude.  Un  oratoire  a  été  bâti  en  ce  lieu  et  occupé,  pendant 
plusieurs  siècles,  par  des  ermites. 

Le  Boulonnais  aurait  donc  été  le  théâtre  du  triomphe  de  sainte  Avoye,  après 
ses  longs  et  rudes  combats.  Des  barbares  firent  irruption  en  ce  pays.  Comme 
elle  ne  chercha  point  à  se  cacher,  ni  à  se  mettre  en  sûreté  dans  quelque 
place  forte,  elle  tomba  entre  les  mains  de  ces  infidèles,  qui  lui  arrachèrent 
les  yeux,  lui  tranchèrent  la  tête,  et  la  firent  ainsi,  selon  son  désir,  une  glo- 
rieuse martyre  de  Jésus-Christ.  D'après  son  histoire,  rimée  envieux  français, 
que  l'on  conservait  encore,  au  xvin8  siècle,  dans  la  paroisse  d'Imbleville, 
au  diocèse  de  Rouen,  les  bourreaux  de  la  Sainte  la  fouettèrent  si  cruelle- 
ment avec  des  verges  et  des  scorpions,  que  son  corps,  étant  tout  déchiré, 
on  eût  pu  facilement  lui  compter  les  os  ;  ils  frottèrent  ses  plaies  avec  une 
haire  piquante  et  les  aspergèrent  de  sel  fondu  et  bouillant  ;  ils  lui  coupè- 
rent aussi  les  mamelles  avec  des  couteaux  émoussés  ;  enfin,  ils  lui  firent 
souffrir  tous  les  supplices  que  la  cruauté  peut  inventer.  Aussi,  dans  certains 
tableaux  représentant  cette  illustre  martyre,  on  voit,  au  bas  de  la  tour  où 
elle  est  prisonnière,  un  ange  qui  lui  présente  un  calice,  comme  pour  lui 
dire  qu'elle  boira  dans  le  calice  amer  du  Fils  de  Dieu,  et  qu'elle  aura  part 
aux  plus  grandes  rigueurs  de  sa  Passion. 

Une  tradition  nous  apprend  que  sainte  Avoye  est  apparue  dans  la  pa- 
roisse de  Pleumélée,  près  de  la  ville  d'Auray,  au  diocèse  de  Vannes,  en 
Bretagne,  et  qu'elle  a  sanctifié,  par  son  attouchement  et  sa  bénédiction, 
une  pierre  et  une  fontaine,  sur  le  bord  de  la  mer.  Depuis,  par  son  interces- 
sion, les  enfants  que  l'on  met  sur  cette  pierre,  qui  est  creusée  par  le  milieu, 
ou  que  l'on  plonge  dans  cette  fontaine,  y  obtiennent  le  pouvoir  de  mar- 
cher ;  c'est  pourquoi  les  habitants  et  les  pèlerins  y  ont  fait  bâtir  un  fort  bel 
oratoire,  qui  porte  le  nom  de  cette  illustre  vierge.  C'est  sans  doute  pour 
quelques  faveurs  semblables  que  la  ville  de  Meulan-sur-Seine  a  pris  sainte 
Avoye  pour  la  patronne  et  la  titulaire  de  sa  paroisse  ;  qu'on  lui  a  érigé  des 
chapelles  à  Imbleville,  au  diocèse  de  Rouen  ;  à  Belleville,  au  diocèse  de 
Reims  ;  et  que,  du  temps  de  Philippe-Auguste,  grand  aïeul  de  saint  Louis, 
on  consacra  en  son  honneur,  à  Paris,  l'église  qui  porta  son  nom  ;  la  rue  dans 
laquelle  se  trouvait  cette  église  était  aussi  nommée  Sainte-Avoye.  Du  temps 
du  Père  Giry,  l'église  Sainte-Avoye  appartenait  aux  Ursulines  ;  elles  lui  four- 
nirent les  documents  dont  il  composa  cette  biographie. 

On  invoque  principalement  sainte  Avoye  pour  les  enfants  qui  tardent 
trop  à  marcher  et  pour  les  pécheurs  endurcis.  Ses  reliques  étaient  conser- 
vées, avant  la  Révolution  de  1793,  à  Paris,  dans  l'église  Sainte-Avoye,  et 
dans  l'abbaye  de  Saint-Antoine-des-Champs. 

Voir  Du  Breuil,  Antiquités  de  Paris;  Jacques   Malbraquc,  Histoire  des  Morinois,  liv.  n;  Arthns  du 
Moustier,  Martyrologe  des  saintes  Femmes,  et  la  Vie  de  saiute  Uisule. 


SAINT  JEAN  DAMASGÈNE.  365 


SAINT  JEAN  DAMASGENE,  DOCTEUR  DE  L'EGLISE 

780.  —  Pape  :  Adrien  Ier.  —  Empereur  d'Orient  :  Constantin  V. 


Le  bien  n'est  pas  même  bien  s'il  n'est  bien  fait. 
Maxime  favorite  de  saint  Jean  Damascène. 

Jean  Damascène,  nommé  aussi  Mansour  ou  Chrysorroas1,  est  le  dernier 
des  Pères  grecs  et  l'écrivain  le  plus  remarquable  du  vme  siècle.  Il  naquit  dans 
les  dernières  années  du  vne  siècle,  en  Syrie,  à  Damas,  ce  qui  lui  a  fait  donner 
le  nom  de  Damascène.  Cette  ville  était  au  pouvoir  des  Sarrasins  depuis  l'an 
633.  Le  père  de  notre  Saint,  quoique  zélé  chrétien,  était  très-estimé  parmi 
ces  infidèles,  à  cause  de  la  noblesse  de  sa  naissance,  de  sa  probité  et  de  ses 
talents.  Il  plut  au  chef  des  Sarrasins,  au  kalife,  qui  en  fit  son  ministre.  Dans 
cette  haute  position,  il  employait  sa  fortune  et  son  influence  à  protéger  les 
chrétiens  opprimés,  à  racheter  ceux  qui  étaient  captifs.  Ces  bonnes  œuvres 
furent  récompensées  par  la  divine  Providence.  Un  jour,  dans  une  troupe  de 
ces  malheureux  exposés  sur  la  place  publique,  on  vit  ceux  qui  étaient  des- 
tinés à  la  mort  se  jeter  aux  pieds  de  l'un  d'entre  eux  et  se  recommander 
humblement  à  ses  prières.  C'était  un  religieux  italien,  nommé  Cosme,  pris 
sur  mer  avec  les  autres.  Les  barbares,  ayant  remarqué  le  respect  que 
lui  témoignaient  ses  compagnons  de  malheur,  lui  demandèrent  de  quelle 
dignité  il  avait  été  revêtu  parmi  les  chrétiens.  Il  répondit  qu'il  n'en  avait 
point  d'autre  que  celle  de  prêtre.  «  Je  suis  »,  ajouta-t-il,  «  un  inutile  moine 
qui  a  étudié  non-seulement  la  philosophie  chrétienne,  mais  encore  la  philo- 
sophie étrangère  »  ;  et,  en  disant  ces  mots,  ses  yeux  se  remplirent  de  larmes. 
Le  père  de  Jean  étant  survenu,  lui  demanda  la  cause  de  sa  tristesse.  Cosme  lui 
confessa  naïvement  qu'il  s'affligeait  de  mourir  avant  d'avoir  pu  communi- 
quer à  d'autres  les  sciences  qu'il  avait  acquises.  Or,  depuis  longtemps  le 
père  cherchait  pour  son  fils  un  homme  qui  pût  lui  donner  une  éducation 
convenable.  Ravi  de  trouver  ce  trésor  dans  un  captif  qu'on  allait  égorger, 
il  courut  le  demander  au  Kalife,  qui  le  lui  accorda  sans  peine.  Cosme  non- 
seulement  reçut  la  liberté,  il  devint  l'ami  du  père,  le  maître  du  fils,  qui, 
sous  sa  direction,  apprit  avec  un  succès  prodigieux  la  grammaire,  la  dialec- 
tique, l'arithmétique  de  Diophante  ou  l'algèbre,  la  géométrie,  la  musique, 
la  poésie,  l'astronomie,  mais  surtout  la  théologie  ou  la  science  de  la  reli- 
gion. Ses  progrès  ne  furent  pas  moindres  dans  la  vertu  que  dans  les  sciences. 
Il  avait  pour  compagnon  d'étude  un  orphelin  de  Jérusalem,  que  son  père 
avait  adopté.  Quand  son  éducation  fut  achevée,  Cosme  se  retira  en  Pales- 
tine, dans  la  laure  de  saint  Sabas,  d'où  il  fut  tiré  pour  être  fait  évêque  de 
Majume.  Le  mérite  de  Jean  fut  bientôt  connu  du  prince  des  Sarra^ns,  qui 
le  fit  chef  de  son  conseil,  après  la  mort  de  son  père. 

Circonstance  bien  remarquable  !  C'est  un  pauvre  moine  d'Italie,  captif, 
voué  à  la  mort,  qui  introduit  les  sciences  de  Grèce  et  de  Rome  à  la  cour  des 
Kalifes  de  Damas,  qui  les  enseigne  au  fils  du  grand  visir  ;  et  ce  fils,  devenu 
grand  vizir  lui-même,  puis  moine,  sous  le  nom  de  saint  Jean  Damascène, 
parvient  à  naturaliser,  pour  un  temps,  ces  sciences  étrangères  parmi  ces 

1.  Chrysorroas  :  brillant  comme  l'or.  —  Mansour  :  Rachite,  nom  patronymique. 


366  6  mai. 

mêmes  musulmans,  parmi  ces  mêmes  Arabes,  qui  les  avaient  proscrites  et 
brûlées  avec  la  bibliothèque  d'Alexandrie.  D'après  ces  faits,  qui  viennent 
d'être  constatés  par  des  savants  de  France,  ce  ne  sont  pas  les  chrétiens  qui 
ont  appris  ces  sciences  humaines  des  musulmans,  comme  certains  hommes 
se  plaisent  à  dire,  mais  les  musulmans  qui  les  ont  apprises  des  chrétiens. 

On  avait  vu  plus  d'un  empereur  grec  de  Gonstantinople  protéger  l'héré- 
sie ;  il  y  en  eut  un  qui  inventa  lui-même  une  hérésie  nouvelle  :  ce  fut  de 
condamner  et  de  briser  les  images  des  Saints  comme  une  idolâtrie.  C'était 
l'empereur  Léon,  surnommé  l'Isaurien,  parce  qu'il  était  natif  d'Isaurie,  pays 
et  peuple  pour  le  moins  aussi  barbares  que  l'étaient  alors  les  Huns  et  les  Van- 
dales (730).  Comme  il  était  très-ignorant,  il  se  mit  en  tête  qu'en  honorant 
les  saintes  images,  les  catholiques  honoraient  non  pas  les  saints  qu'elles 
représentent,  mais  la  matière  et  la  couleur  dont  ces  images  sont  faites.  Il 
entreprit  de  les  abolir,  les  fit  ôter  des  églises  et  brûler  sur  les  places  publi- 
ques. Les  catholiques  qui  s'y  opposaient  furent  tourmentés  et  mis  à  mort. 
Son  fils,  Constantin  Copronyme,  se  montra  encore  plus  furieux.  Constanti- 
nople  devint  un  théâtre  de  supplices  :  on  crevait  les  yeux,  on  coupait  les 
narines  aux  catholiques  ;  on  les  déchirait  à  coups  de  fouet,  on  les  jetait 
dans  la  mer. 

L'empereur  en  voulait  surtout  aux  moines  :  il  n'y  avait  tourments 
et  outrages  qu'il  ne  leur  fît  souffrir.  On  leur  brûlait  la  barbe  enduite  de 
poix  ;  on  leur  brisait  sur  la  tête  les  images  des  Saints,  peintes  sur  bois. 
Son  plus  grand  plaisir  était  de  présider  à  ces  supplices. 

Les  chrétiens,  fidèles  à  leur  foi,  combattirent  l'hérésie,  selon  la  cou- 
tume, par  la  prière,  le  jeûne  et  par  le  martyre  enduré  avec  une  constance 
héroïque.  Quelques-uns  défendirent  la  vérité  par  d'éloquents  écrits  ;  de  ce 
nombre  furent  surtout  saint  Germain,  évêque  de  Constantinople,  et  Jean 
Damascène,  gouverneur  de  Damas  et  ministre  du  kalife.  L'empereur,  irrité, 
put  facilement  exercer  sa  vengeance  sur  saint  Germain  ;  mais  comment 
atteindre  saint  Jean  Damascène  dans  un  empire  étranger?  S'étant  procuré 
un  autographe  de  Jean,  il  ordonna  à  un  habile  copiste  de  s'exercer  à  imiter 
cette  écriture,  et  il  parvint,  par  ce  moyen,  à  fabriquer  une  lettre  que  Jean 
lui  adressait,  et  dans  laquelle  il  lui  offrait  de  lui  livrer  Damas  par  trahison. 
L'empereur  envoya  cette  fausse  lettre  au  kalife,  l'avertissant,  en  bon  voisin, 
qu'il  avait  un  traître  pour  ministre.  Cette  lâche  et  vile  imposture  eut  un 
plein  succès.  Malgré  les  dénégations  les  plus  énergiques  de  Jean,  le  kalife 
lui  fit  couper  la  main  droite,  et  ordonna  qu'elle  fût  attachée  à  un  poteau 
dans  une  place  publique.  La  victime,  ayant  obtenu  qu'on  lui  rendît  sa  main 
coupée,  se  retira  dans  son  oratoire,  et  là,  ce  vaillant  défenseur  des  saintes 
images>  agenouillé  devant  une  image  de  la  vierge  Marie,  pria  ainsi  : 

«  Très-pure  Vierge,  qui  avez  enfanté  mon  Dieu,  vous  savez  pourquoi  on 
m'a  coupé  la  main  droite  ;  vous  pouvez,  s'il  vous  plaît,  me  la  rendre  et  la 
rejoindre  à  mon  bras  ;  je  vous  le  demande  avec  instance,  afin  que  je  l'em- 
ploie désormais  à  écrire  les  louanges  de  votre  Fils  et  les  vôtres  ».  Ayant  dit 
cela,  il  s'endormit,  et  la  sainte  Vierge  lui  apparut  et  lui  dit  :  «  Vous  êtes 
maintenant  guéri  ;  composez  des  hymnes,  écrivez  mes  louanges  et  accom- 
plissez votre  promesse  ».  Le  Saint  étant  réveillé,  trouva  sa  main  parfaite- 
ment réimie  à  son  bras;  rien  n'indiquait  qu'elle  en  eût  jamais  été  séparée, 
si  ce  n'est  une  petite  ligne  rouge  qui  l'entourait  en  forme  de  bracelet, 
comme  marque  de  ce  miracle.  Le  prince  des  Sarrasins,  reconnaissant  par 
ce  prodige  l'innocence  de  Jean,  lui  rendit  son  ancienne  fonction.  Mais  Jean 
ne  demeura  pas  longtemps  au  service  des  hommes  :  la  guérison  de  sa  main 


SAINT  JEAN  DAMASCÈNE.  367 

lui  avait  sans  doute  paru  une  approbation  par  le  ciel  de  ses  travaux  théolo- 
giques. Désirant  dès  lors  se  livrer  uniquement  au  service  de  Dieu,  il  affran- 
chit ses  esclaves,  distribua  ses  biens  à  ses  parents,  aux  églises  et  aux  pau- 
vres, et  se  retira,  avec  son  frère  adoptif,  qui  s'appelait  Cosme  comme  son 
précepteur,  près  de  Jérusalem,  dans  la  laure  de  saint  Sabas.  Cet  abbé  lui 
donna  pour  directeur,  un  ancien  moine,  fort  expérimenté  dans  la  conduite 
des  âmes.  Notre  Saint  en  reçut  les  leçons  suivantes,  qu'il  pratiqua  comme  si 
Jésus-Christ  les  lui  avait  données  de  sa  propre  bouche  :  «  Ne  faites  jamais  votre 
propre  volonté  ;  —  exercez-vous  à  mourir  à  vous-même  en  toutes  choses,  afin 
de  bannir  tout  attachement  aux  créatures  ;  —  offrez  à  Dieu  vos  actions,  vos 
peines,  vos  prières  ;  —  pleurez  sans  cesse  les  fautes  de  votre  vie  passée  ;  — 
ne  vous  enorgueillissez  point  de  votre  savoir  ni  de  quelque  avantage  que  ce 
soit,  mais  convainquez-vous  fortement  que,  de  votre  propre  fonds,  vous 
n'êtes  qu'ignorance  et  faiblesse  ;  —  renoncez  à  toute  vanité,  défiez-vous  de 
vos  lumières  et  ne  désirez  jamais  d'avoir  des  visions  et  des  faveurs  extraor- 
dinaires; —  éloignez  de  votre  esprit  tout  ce  qui  pourrait  vous  rappeler 
l'idée  du  monde,  gardez  exactement  le  silence  et  souvenez-vous  que  l'on 
peut  pécher,  même  en  disant  de  bonnes  choses,  lorsqu'il  n'y  a  point  de  né- 
cessité ;  —  prenez  conseil  d'autrui  dans  les  choses  difficiles  ;  —  tournez  tous 
vos  désirs  vers  Dieu  ;  —  n'écrivez  point  de  lettres  sans  permission  de  vos 
supérieurs  ;  —  ne  contredisez  personne;  —ne  murmurez  point;  —  ne  crai- 
gnez pas  de  vous  égarer,  hors  de  la  voie  de  la  perfection,  en  suivant  les 
ordres  de  vos  supérieurs  ».  Jean  suivit,  comme  je  l'ai  dit,  ponctuellement 
ces  leçons,  et  avançait  à  grands  pas  dans  la  voie  de  la  perfection.  Son  direc- 
teur mettait  sans  cesse  l'obéissance  de  l'illustre  et  pieux  novice  à  de  nou- 
velles épreuves.  Un  jour,  il  lui  ordonna  d'aller  vendre  des  corbeilles  de  pal- 
mier à  Damas,  et  lui  défendit  de  les  donner  au-dessous  d'un  certain  nrix 
qu'il  marqua  et  qui  était  exorbitant.  Le  Saint  obéit  sans  dire  un  seul  mot.  Il 
se  rendit,  sous  un  habit  pauvre,  dans  cette  même  ville  dont  il  avait  été  le 
gouverneur.  Quant  il  eut  exposé  sa  marchandise  et  dit  le  prix,  il  fut  traité 
d'extravagant  et  accablé  d'injures,  qu'il  souffrit  en  silence.  A  la  fin,  un  de 
ses  anciens  serviteurs,  l'ayant  reconnu,  eut  pitié  de  lui  et  acheta  toutes  ses 
corbeilles  le  prix  qu'il  voulait  les  vendre. 

Nous  raconterons  encore  deux  victoires  que  son  humilité  lui  fit  remporter. 
Un  moine  était  inconsolable  de  la  mort  de  son  frère  :  Jean,  pour  arrêter  le 
cours  de  ses  larmes,  lui  cita  un  vers  grec,  dont  le  sens  était  qu'il  faut  s'at- 
tendre à  voir  périr  tout  ce  qui  est  terrestre  et  mortel.  Là-dessus,  son  directeur 
lui  reprocha  de  faire  parade  de  sa  science  :  u  Vous  avez  »,  lui  dit-il,  «  violé 
la  défense  que  je  vous  avais  faite  de  parler  sans  nécessité  ».  Puis  il  le  con- 
damna à  rester  enfermé  dans  sa  cellule.  Le  Saint  s'avoua  humblement  cou- 
pable de  désobéissance,  et,  au  lieu  d'alléguer  la  pureté  de  son  intention,  il 
pria  les  autres  moines  d'intercéder  pour  lui  et  de  lui  obtenir  le  pardon  de  la 
faute  qu'il  avait  commise  :  sa  grâce  lui  fut  accordée,  mais  à  condition  qu'il 
ferait  une  action,  qui,  chez  les  anciens,  était  considérée  comme  un  supplice 
auquel  on  condamnait  les  criminels,  et  qui,  dans  les  communautés,  était 
ce  qu'il  y  avait  de  plus  humiliant,  je  veux  dire  la  vidange  des  fosses  d'ai- 
sance. L'ancien  ministre  du  kalife  s'acquitta  de  cet  emploi  avec  un  empres- 
sement et  une  humilité  qui  remplirent  d'admiration  les  plus  anciens  de  la 
communauté,  les  plus  avancés  dans  l'obéissance. 

Une  si  grande  vertu  réunie  à  des  talents  si  remarquables  firent  juger 
notre  Saint  digne  d'être  élevé  au  sacerdoce.  Cette  dignité  augmenta  sa  fer- 
veur. On  crut  alors  qu'il  était  assez  solidement  vertueux  et  assez  humble 


368  6  mai. 

pour  écrire  en  faveur  de  la  foi.  Nous  donnons  ci-dessous  la  liste  de  ses  ou- 
vrages. Il  s'y  trouve  trois  discours  contre  l'hérésie  des  Iconoclastes,  intitulés: 
Discours  sur  les  images.  Il  y  déclare  que  le  prince  doit  se  contenter  du  gouver- 
nement de  l'Etat,  et  ne  point  se  mêler  de  faire  des  décisions  sur  la  doctrine. 
Cette  autorité-là  appartient  à  l'Eglise;  l'Eglise  ne  peut  errer  :  elle  ne  peut 
donc  tomber  dans  l'idolâtrie. 

Il  démontre  très-bien  que  l'Eglise  catholique  n'adore  que  Dieu,  quoi- 
qu'elle vénè?*e\es  Saints.  Quant  aux  images,  elles  servent  à  nous  instruire,  à 
réveiller  notre  dévotion,  parce  que,  notre  nature  étant  double,  sensible  et 
intellectuelle,  il  nous  faut  des  choses  visibles  pour  nous  rappeler  les  invi- 
sibles. Dieu  s'est  rendu  lui-môme  visible  en  s'incarnant.  Est-on  idolâtre 
parce  qu'on  a  du  respect  pour  Y  Ecriture  sainte?  C'est  pourtant  une  chose 
matérielle  comme  les  images,  et  les  images  nous  rappellent,  comme  l'Ecri- 
ture sainte,  Dieu  et  les  choses  invisibles.  Jean  ne  se  contenta  pas  d'écrire 
contre  les  Iconoclastes  ;  il  parcourut  la  Syrie,  la  Palestine,  pour  raffermir 
les  chrétiens  persécutés;  il  alla  même,  dans  l'espoir  du  martyre,  à  Constan- 
tinople,  dont  l'empereur  Constantin-Copronyme  avait  fait  la  capitale  de 
l'erreur  et  de  la  persécution.  Mais  Dieu  en  avait  ordonné  autrement.  Notre 
Saint  put  revenir  dans  sa  laure,  où  il  continua  ses  savants  écrits,  Il  y  mourut 
vers  l'an  780  :  il  avait  vécu  cent  quatre  ans.  Au  xne  siècle,  on  montrait  en- 
core son  tombeau,  près  du  portail  de  l'église  de  la  laure. 

On  représente  saint  Jean  Damascène  prosterné  aux  pieds  de  la  sainte 
Vierge  qui  rapproche  sa  main  coupée  de  son  poignet  ;  vendant  des 
corbeilles,  etc. 

ÉCRITS  DE  SAINT  JEAN  DAMASCÈNE. 

1°  Le  Livre  de  la  Dialectique.  Quoique  la  philosophie  de  Platon  fût  en  vogue  du  temps  de 
saint  Jean  Damascène,  il  adopta  celle  d'Aristote,  comme  Boèce  avait  fait  parmi  les  Latins.  11  fit 
disparaître  l'obscurité  qui  enveloppait  la  physique  de  ce  philosophe,  et  en  montra  le3  principes 
dans  tout  leur  jour.  Il  réduisit  sa  logique  à  un  corps  de  règles,  sans  tomber  dans  une  prolixité 
fastidieuse  ;  par  ce  moyen  l'art  du  raisonnement  devint  facile  à  apprendre.  On  a  souvent  abusé  de 
la  logique,  en  y  traitant  des  questions  inutiles  et  même  ridicules  ;  grâce  au  bon  sens,  la  plupart 
de  ces  questions  ont  été  proscrites  des  écoles.  On  ne  perd  plus  un  temps  précieux  à  étudier  les 
futilités  ;  mais  il  ne  faut  pas  réfléchir  pour  mépriser  la  logique  lorsqu'elle  se  renferme  en  ses  justes 
bornes.  Elle  étend  l'esprit  et  lui  donne  de  la  précision  et  de  la  justesse  ;  elle  met  de  l'ordre  et  de 
la  clarté  dans  les  idées  ;  elle  apprend  à  juger  des  choses  en  elles-mêmes  fit  selon  les  vrais  prin- 
cipes; enfin,  elle  dispose  à  l'étude  des  autres  sciences,  dont  elle  est,  en  quelque  sorte,  la  clef. 
Sous  le  terme  général  de  sciences,  nous  comprenons  aussi  la  théologie,  qui  ne  peut  absolument  se 
passer  du  secours  de  la  logique.  Ce  furent  toutes  ces  considérations  qui  déterminèrent  saint  Jean 
Damascène  à  donner  un  abrégé  de  la  logique  et  de  la  physique  d'Aristote. 

2°  Le  Livre  des  Hérésies,  où  il  en  compte  cent  quatre,  est  un  abrégé  de  saint  Epiphane.  Quant 
aux  hérésies  qui  ne  sont  venues  que  depuis  ce  Père,  saint  Jean  Damascène  puise  ce  qu'il  en  dit 
dans  les  écrits  de  Théodoret,  de  Timolhée  de  Constantinople,  etc.  Il  y  parle  cependant  de  plu- 
sieurs hérétiques  dont  aucun  autre  auteur  ne  fait  mention  ;  il  y  réfute  surtout  le  mahométisme  et 
l'iconomachie. 

3°  Les  quatre  Livres  de  la  Foi  orthodoxe,  en  cent  chapitres.  C'est  un  corps  de  doctrine  qui 
renferme  tout  ce  que  l'on  doit  croire,  ainsi  que  les  principaux  articles  de  la  discipline  de  l'Eglise. 
Le  saint  docteur  traite,  dans  le  premier,  de  Dieu  et  de  ses  attributs  ;  dans  le  second,  de  la  création 
des  anges,  de  l'homme,  de  la  liberté  et  de  la  prédestination  ;  dans  le  troisième,  du  mystère  de 
l'Incarnation  ;  dans  le  quatrième,  des  Sacrements,  etc. 

Les  trois  ouvrages  ci-dessus  peuvent  être  considérés  comme  les  parties  d'un  tout  ;  comme  n'en 
faisant  qu'un.  C'est,  en  effet,  un  ensemble  de  doctrine  qui,  sous  le  nom  de  Source  de  la  Science, 
embrasse  depuis  les  premiers  éléments  du  langage  et  du  raisonnement  scientifique  jusqu'aux  plus 
hautes  élévations  de  la  foi  chrétienne.  Le  saint  docteur  adressa  ces  trois  traités  à  son  ancien 
précepteur  qui  l'avait  comme  obligé  à  les  faire. 

«  La  science  »,  dit-il,  «  est  la  connaissance  vraie  de  ce  qui  est.  Notre  esprit,  ne  l'ayant  pas 
en  lui-même,  non  plus  que  l'œil  la  lumière,  a  besoin  d'un  maître.  Ce  maître  est  la  vérité  même, 


SAINT  JEAN  DAMA5CÈNE.  369 

le  Christ,  qui  est  la  sagesse  et  la  vérité  en  personne,  et  en  qui  sont  cachés  tous  les  trésors  de  la 
science.  On  peut  tout  apprendre  par  l'application  et  le  travail,  mais  avant  tout  et  après  tout,  parla 
grâce  de  Dieu.  Comme  l'Apôtre  nous  avertit  d'éprouver  toutes  choses  et  de  retenir  ce  qui  est 
bon,  nous  consulterons  les  écrits  des  sages  de  la  gentilité  ;  peut-être  y  trouverons-nous  quelque 
chose  d'utile  à  notre  âme.  Un  artisan  quelconque,  pour  faire  son  ouvrage,  a  besoin  d'instruments; 
il  convient  d'ailleurs  que  la  reine  soit  servie  par  quelques  suivantes.  Les  sciences  purement  humaines 
sont  les  servantes  de  la  vérité,  des  instruments  et  des  armes  pour  la  défendre. 

«  La  philosophie  est  la  science  naturelle  de  ce  qui  est,  en  tant  que  cela  est  ;  la  science  des 
choses  divines  et  humaines  ;  la  méditation  de  la  mort;  l'imitation  de  Dieu  ;  l'art  des  arts,  la  science 
des  sciences;  enfin  l'amour  de  la  sagesse.  Or,  la  vraie  sagesse,  c'est  Dieu  ;  donc  l'amour  de  Dieu 
est  la  vraie  philosophie.  La  philosophie  se  divise  en  spéculative  et  en  pratique  ;  la  spéculative  se 
subdivise  en  théologie,  physiologie  et  mathématique  ;  la  pratique,  en  morale,  économie  et  poli- 
tique. Le  propre  de  la  théologie  est  de  considérer  les  êtres  immatériels,  Dieu,  les  anges  et  les 
âmes.  La  physiologie  est  la  science  des  choses  matérielles,  telles  que  les  animaux,  les  plantes,  les 
pierres  ;  tout  ce  qu'on  appelle  aujourd'hui  histoire  naturelle.  La  science  mathématique  considère 
les  choses  qui,  quoique  sans  corps  par  elles-mêmes,  sont  néanmoins  considérées  dans  les  corps  ; 
tels  que  les  nombres,  les  accords,  les  figures,  les  mouvements  des  astres.  La  théorie  des  nombres 
constitue  l'arithmétique  ;  la  théorie  des  sons,  la  musique  ;  la  théorie  des  figures,  la  géométrie  ;  la 
théorie  des  astres,  l'astronomie.  La  philosophie  pratique  traite  des  vertus,  règle  les  mœurs  et  la 
conduite;  si  elle  donne  des  règles  à  l'individu,  elle  s'appelle  morale;  à  une  maison  tout  entière, 
elle  s'appelle  économie  ;  à  des  villes  et  à  des  pays,  elle  s'appelle  politique. 

«  Comme  la  philosophie  est  la  science  de  ce  qui  est,  nous  parlerons  de  l'être.  Nous  commen- 
cerons par  la  logique  ou  l'art  de  raisonner,  qui  est  moins  une  partie  de  la  philosophie  que  l'ins- 
trument dont  elle  se  sert  pour  toutes  les  démonstrations.  Nous  traiterons  d'abord  des  mots  simples 
qui  expriment  des  idées  simples,  et  nous  viendrons  ensuite  aux  raisonnements.  L'être  est  un  nom 
commun  à  tout  ce  qui  est  ;  et  il  se  divise  en  substance  et  en  accident.  La  substance  est  ce  qui 
existe  en  soi-même,  et  non  dans  un  autre,  par  exemple,  un  corps  ;  l'accident  est  ce  qui  ne  peut 
exister  en  soi-même,  mais  que  l'on  considère  dans  un  autre,  par  exemple,  une  couleur  ». 

C'est  avec  cette  justesse  et  cetle  clarté  que  saint  Jean  Damascène  précise  les  mots  et  les  idées 
qui  constituent  le  langage  et  la  raison  scientifiques.  Quand  on  fait  attention  que  les  discordances 
philosophiques  parmi  les  païens,  que  les  grandes  hérésies  parmi  les  chrétiens,  venaient  toutes 
d'une  obscurité  et  d'une  confusion  plus  ou  moins  volontaires  touchant  les  mots  et  les  idées  d'être, 
de  substance,  de  nature,  de  forme,  d'hypostase,  de  personne,  on  voit  que  saint  Jean  Damascène 
ne  pouvait  mieux  commencer  que  par  les  bien  définir,  et  que  quiconque  cherche  la  vérité  en 
conscience,  ou  veut  la  défendre  sincèrement,  doit  faire  de  misme. 

4°  Les  trois  Discours  sur  les  Images.  Nous  en  avons  parlé  en  traitant  de  la  vie  du  Saint. 

5°  Le  Livre  de  la  sainte  Doctrine.  Ce  n'est,  à  proprement  parler,  qu'une  profession  de  foi 
raisonnée.  Le  Saint  y  distingue  en  Jésus-Christ  deux  volonté.»  et  deux  opérations  naturelles. 

6°  Le  Livre  contre  les  Monophysites,  c'est-à-dire  centre  ceux  qui  n'admettaient  qu'une 
nature  en  Jésus-Christ  après  l'union  hypostatique.  Cet  ouvrage  est  écrit  avec  beaucoup  de  force  et 
de  solidité. 

7°  Le  Livre  ou  le  Dialogue  contre  les  Manichéens.  Les  erreurs  de  ces  hérétiques  y  sont  fort 
bien  réfutées.  Le  cardinal  Mal  en  a  publié  un  second  différent  du  premier. 

8°  La  Dispute  contre  un  Sarrasin,  qui  n'est  qu'en  lati.i  dans  les  anciennes  éditions.  On  l'a 
donnée  pour  la  plus  grande  partie  en  grec  avec  les  dialogui  s  de  Théodore  Abucaras,  évêque  de 
Carame,  en  Syrie. 

9°  Les  Opuscules  sur  les  dragons  et  les  sorcières,  dont  nous  n'avons  plus  qu'un  fragment.  Le 
but  de  ces  ouvrages  était  de  montrer  le  ridicule  de  certaines  histoires  fabuleuses  qui  avaient  courg 
parmi  les  Sarrasins. 

10°  Le  Livre  de  la  Trinité,  par  demandes  et  par  réponses.  S'il  n'a  pas  saint  Jean  Damascène 
pour  auteur,  il  est,  au  moins,  une  compilation  de  ses  ouvrages. 

11°  La  Lettre  à  Jourdain  sur  le  Trùagion,  où  il  est  prouvé  que  la  triple  répétition  du  mot 
Saint  s'adresse  à  la  divinité  subsistante  en  trois  personnes,  et  non  au  Fils  seul.  Le  Saint  rejette 
les  additions  des  Syriens  monophysites,  en  montrant  que,  par  rapport  à  ces  sortes  de  rits,  on  doit 
s'en  tenir  à  ce  qui  se  pratique  dans  l'Eglise. 

12°  La  Lettre  sur  le  jeûne  du  Carême.  Saint  Jean  Damascène  y  loue  la  discipline  qui  s'obser- 
vait dans  l'église  de  Jérusalem.  Le  jeune  durait  sept  semaines  dans  cette  Eglise,  et  l'on  ne  mangeait 
tous  les  jours  qu'après  le  coucher  du  soleil,  excepté  les  samedis  et  les  dimanches.  Pendant  la 
première  semaine,  on  s'abstenait  seulement  de  viande  :  mais  on  ne  laissa  pas  de  jeûner  jusqu'au 
soir  :  c'est  ce  qu'on  appelait  la  préparation  au  Carême.  Les  six  autres  semaines,  outre  la  viande, 
on  s'abstenait  encore  d'œufs,  de  fromage  et  de  laitage.  La  semaine  de  la  Passion,  on  ne  se  nour- 
rissait que  de  xérophagie  ou  d'aliments  secs.  Le  Saint  ne  condamnait  point  ceux  qui  ajoutaient  au 
Carême  une  huitième  semaine  ;  mais  il  donnait  la  préférence,  dans  son  estime,  à  ceux  qui  suivaient 
l'usage  commun  ;  et  il  avait  coutume  de  répéter  à  ce  sujet  sa  maxime  favorite  :  o  Le  bien  n'est 
pas  même  bien,  s'il  n'est  bien  fait  ». 

Vies  des  Saints.  —  Tome  V.  24 


370  6  mai. 

13°  Le  Livre  des  huit  vices  capitaux.  Le  saint  docteur  comptait  huit  vices  capitaux,  parce 
qu'il  distinguait  la  vaine  gloire  de  l'orgueil,  avec  les  anciens  auteurs  ascétiques.  Après  avoir  montré 
en  quoi  ils  consistent,  il  donne  le  moyen  de  les  combattre  et  de  les  détruire,  ce  qu'il  fait  avec 
beaucoup  plus  de  précision  que  Cassien  et  saint  Nil,  qui  avaient  traité  le  même  sujet. 

14°  Le  Livre  de  la  vertu  et  duvice. On  y  trouve  une  courte  description  des  vertus  et  des  vices. 

15°  Le  Traité  de  la  nature  composée,  contre  les  Acéphales  ou  Monopbysites  ;  le  Traité  des 
deux  volontés,  contre  les  Monothélites  ;  le  Livre  contre  les  Nestoriens.  Ce  sont  des  réfutations 
des  erreurs  de  ces  différents  hérétiques  sur  le  mystère  de  l'Incarnation. 

1G°  Le  Discours  sur  ceux  qui  sont  morts  dans  la  foi  n'est  point  de  saint  Jean  Damascène, 
non  plus  que  plusieurs  autres  opuscules  qui  sont  dans  le  second  tome  de  l'édition  du  Père 
Le  Quien. 

11°  Une  Profession  de  foi,  que  quelques  auteurs  contestent  au  Saint. 

18°  Un  Commentaire  sur  les  épîtres  de  saint  Paul. 

19°  Plusieurs  Proses,  odes  et  hymnes  pour  Noël,  l'Epiphanie,  Pâques,  la  Pentecôte,  l'Ascension, 
la  Transfiguration,  l'Annonciation.  Il  n'est  pas  sûr,  d'après  Dom  Ceillier,  qu'elles  soient  toutes  de 
saint  Jean  Damascène  :  on  les  croit  mêlées  avec  celles  d'Anatolius  et  de  Métaphraste.  Les  Bollan- 
distes  inclinent  à  croire  qu'il  fut  le  premier  auteur  du  Synaxaire  des  Grecs,  recueil  de  vies  des 
Saints,  qui  correspond  a  nos  Bréviaires.  Gilles  Romain  cite  le  Martyrologe  de  saint  Jean  Damas~ 
cène,  et  il  a  été  remarqué  que,  jamais  avant  lui,  il  n'avait  été  question  en  Orient  d'abréviation 
et  d'abréviateur  des  vies  des  Saints. 

20°  Des  Homélies,  dont  une  sur  la  Transfiguration  prononcée  dans  l'église  du  Mont-Thabor 
même  ;  une  sur  la  Parabole  du  Figuier  ;  une  sur  la  Passion  de  Jésus-Christ  ;  deux  sur  Y  Annon- 
ciation ;  deux  sur  la  Nativité  de  la  sainte  Vierge  ;  et  trois  sur  la  mort  de  la  sainte  Vierge  :  on 
sait  que  saint  Jean  Damascène  ne  laissait  échapper  aucune  occasion  de  témoigner  à  Marie  sa  ten- 
dresse et  sa  dévotion;  une  en  l'honneur  de  saint  Jean  Chrysostome;  la  dernière  esta  la  louange 
de  sainte  Carbe. 

21°  La  passion  de  saint  Arthémius,  Y  Histoire  de  Barlaam,  ermite,  et  de  Josaphat,  roi  des 
Indes.  L'école  de  Baillet  a  mis  en  doute  la  véracité  de  cette  histoire.  Les  plus  modérés  n'osent  pas 
en  rejeter  le  fond,  mais  soupçonnent  saint  Jean  Damascène  de  l'avoir  revêtu  d'une  forme  qui  en 
aurait  affaibli  l'authenticité.  Quoi  qu'il  en  soit,  Baronius,  Surius,  l'abbé  de  Billy,  d'autres  hagio- 
graphes  et  d'autres  historiens  font  mention  de  ce  récit  et  n'élèvent  aucun  doute  sur  sa  véracité. 
Nous  reproduisons  le  jugement  qu'en  porte  Huet,  tout  en  protestant  contre  le  mot  de  roman  : 
«  C'est  un  roman  »,  dit-il,  «  mais  spirituel  ;  il  traite  de  l'amour,  mais  c'est  de  l'amour  divin  ;  l'on 
y  voit  beaucoup  de  sang  répandu,  mais  c'est  du  sang  des  martyrs.  Non  pas  que  je  veuille  soutenir 
que  tout  en  soit  supposé  :  il  y  aurait  de  la  témérité  à  désavouer  qu'il  y  ait  jamais  eu  de  Barlaam 
ni  de  Josaphat.  Le  témoignage  du  Martyrologe  romain  qui  les  met  au  nombre  des  Saints,  ne  permet 
pas  d'en  douter...  Cet  ouvrage,  soit  pour  la  manière  dont  il  est  écrit,  soit  pour  l'agrément  de  son 
invention,  soit  pour  sa  piété,  a  été  si  fort  au  goût  des  chrétiens  d'Egypte,  qu'ils  l'ont  traduit  en 
langue  cophte,  et  qu'il  est  aujourd'hui  assez  commun  dans  leurs  bibliothèques  ».  De  l'origine  des 
Romans,  p.  87  ;  Paris,  1685. 

22°  Un  Etymologicon,  qui  fournit  des  corrections  importantes  pour  les  dictionnaires  d'Hésychius 
et  de  Suidas. 

23°  Pour  compléter  cette  encyclopédie  de  saint  Jean  Damascène,  il  faut  y  joindre  son  grand 
ouvrage  des  Parallèles.  C'est  une  comparaison  des  sentences  des  Pères  avec  celles  de  l'Ecriture, 
sur  presque  toutes  les  vérités  morales.  Elles  sont  rangées  par  matière  et  avec  beaucoup  de  soin, 
suivant  l'ordre  de  l'alphabet  grec.  Le  saint  docteur  les  avait  d'abord  distribuées  en  trois  livres, 
dont  le  preroier  traitait  de  Dieu  et  des  choses  divines;  le  second,  de  l'état  et  de  la  condition  des 
choses  humaines  ;  le  troisième,  des  vertus  et  des  vices  ;  mais  il  jugea  depuis  que  son  ouvrage 
serait  plus  commode  aux  lecteurs  s'il  en  divisait  les  titres  par  ordre  alphabétique.  Ce  qu'il  y  a 
d'avantageux  dans  ce  recueil,  c'est  que  saint  Jean  Damascène  nous  y  a  conservé  bien  des  fragments 
d'anciens  auteurs,  dont  nous  n'avons  plus  de  connaissance  que  par  lui. 

24'  Le  cardinal  Mai  a  retrouvé,  de  saint  Jean  Damascène,  plusieurs  hymnes  ou  odes  en  l'hon- 
neur de  saint  Basile,  de  saint  Chrysostome,  de  saint  Nicolas  de  Myre,  de  saint  Georges  et  de  saint 
Biaise.  Ces  hymnes  sont  en  prose  poétique.  11  y  en  a  huit  en  Thonneur  de  saint  Basile,  sept  en 
l'honneur  de  saint  Chrysostome  :  on  y  voit  célébrées  les  vertus  et  les  actions  que  nous  connaissons 
de  l'un  et  de  l'autre.  Dans  les  neuf  odes  en  l'honneur  de  saint  Nicolas,  mais  dont  les  deux  pre- 
mières manquent,  le  poète  de  Damas  résume  la  tradition  commune  des  Grecs  et  des  Latins  sur 
l'illustre  pontife  de  Myre  :  o  Ni  le  sable  qui  est  sur  le  bord  de  la  mer  a,  lui  dit-il,  «  ni  la  multitude 
des  flots,  ni  les  perles  de  la  rosée  et  les  flocons  de  la  neige,  ni  le  chœur  des  astres,  ni  les  gouttes 
de  la  pluie  et  les  courants  des  fleuves, ni  les  bouillonnements  des  fontaines, n'égaleront, ô  Père!  le 
nombre  de  vos  miracles  '.  Tout  l'univers  a  en  vous  un  prompt  secours  dans  les  afflictions,  un 
encouragement  dans  les  tristesses,  une  consolation  dans  les  calamités,  un  défenseur  dans  les  ten- 
tations, un  remède  salutaire  dans  les  maladies  ».  Damascène  célèbre  particulièrement  sa  puissance 

1.  AA.  SS.,  3  februar;  saint  Blas..  Comment.  prX.»  n.  9.  CVoir  an  6  décembre,  où  nous  donnons  la 
Vie  de  saint  &icolas  de  Mi're,  d'après  saint  J.  D.) 


SAINT  JEAN  DAMASCÈNE.  37i 

à  délivrer  les  prisonniers  qui  l'invoquent  dans  les  fers  ;  son  apparition  à  l'empereur  Constantin  au 
milieu  de  la  nuit  pour  sauver  trois  généraux  de  la  mort  injuste  à  laquelle  on  les  avait  condamnés; 
son  zèle  à  confesser  la  foi  dans  la  persécution,  à  combattre  l'hérésie  d'Aiius  pour  en  préserver  son 
troupeau  ;  sa  charité  incomparable,  qui  dérobe  à  la  connaissance  du  malheureux  la  main  qui  le 
soulage,  qui  sauve  ainsi  du  déshonneur  un  père  et  ses  trois  lllles  que  l'excès  de  la  misère  allait 
livrer  au  crime.  Dans  les  sept  ou  huit  hymnes  en  l'honneur  de  saint  Georges,  Damascène  chante 
les  mêmes  tourments  et  les  mêmes  miracles  que  nous  voyons  célébrer  par  son  compatriote  André, 
archevêque  de  Crète  :  la  roue,  les  feux,  les  brodequins  de  fer,  le  breuvage  empoisonné,  la  résur- 
rection du  mort,  la  conversion  du  magicien  Athanase,  les  démons  contraints  à  confesser  leur 
impuissance  et  la  divinité  de  Jésus-Christ. 

Dans  les  neuf  hymnes  en  l'honneur  de  saint  Biaise,  mais  qui  présentent  quelques  lacunes,  il 
rappelle  tous  les  faits  principaux  que  nous  lisons  dans  les  quatre  ou  cinq  vies  du  même  Saint. 
Espérons  que  cet  accord  ne  laissera  plus  lieu  à  aucun  doute.  —  Comment  donc  Godescard  a-t-il 
pu  dire  :  «  L'histoire  de  la  vie  de  ce  saint  évèque  nous  est  ineonnue  ?»  On  a  eu  bien  tort  de  le 
croire  sur  parole  ;  car  s'il  est.  vrai  de  dire  que  la  publication  des  hymnes  de  saint  Jean  Damascène, 
par  le  cardinal  Mai,  est  relativement  récente,  il  n'est  pas  moins  vrai  qu'il  existait  quatre  autres 
biographies  de  saint  Biaise  auxquelles  ces  hymnes  n'ajoutent  rien  comme  détails  *. 

Quant  aux  hymues  de  saint  Jean  Damascène  sur  saint  Pierre,  qu'il  appelle  le  coryphée,  il  ne 
nous  en  reste  que  quatre  avec  une  partie  de  la  cinquième.  On  lit  ces  paroles  au  Prince  des  Apô- 
tres :  «  Ayant  reçu  du  Christ  l'Eglise,  que  le  Seigneur  lui-même  a  formée,  et  non  pas  l'homme, 
vous  l'avez  gouvernée  comme  un  navire.  Gardien  de  Rome,  trésorier  du  royaume  céleste,  pierre 
de  la  foi,  fondement  inébranlable  de  la  foi  catholique,  soyez  célébré  dans  les  saints  cantiques  ». 
Dans  la  première  strophe  de  la  seconde  hymne,  saint  Damascène  parle  du  voyage  instantané  de 
saint  Pierre,  de  Rome  à  la  montagne  de  Sion,  pour  assister  aux  funérailles  de  la  sainte  Vierge, 
qu'il  appelle  la  nuée  vivante  de  Dieu.  Dans  h  première  strophe  de  la  cinquième,  il  parle  du 
triomphe  de  l'apôtre  sur  Simon  le  Magicien. 

Mais  ce  qu'il  y  a  surtout  de  pieusement  remarquable,  c'est  que  la  dernière  strophe  de  chaque 
hymne  est  une  louange  et  une  invocation  à  la  maternité  divine  de  la  sainte  Vierge  Marie.  Il  lui 
dit,  par  exemple,  dans  les  deux  dernières  hymnes  à  saint  Basile  :  «  Celui  qui  n'a  point  de  corps 
est  sorti  avec  un  corps  de  vos  entrailles;  lui  qui,  par  la  parole,  a  formé  la  nature  incorporelle,  lui 
qui  a  donné  l'essence  à  toute  essence  créée,  raisonnable  et  irraisonnable,  lui  la  parole  de  Dieu  le 
Père  :  c'est  pourquoi,  Mère  de  la  vie,  faites  mourir  en  moi  les  passions  du  corps,  qui  font  mourir 
mon  esprit.  C'est  vous,  toute  sainte  Vierge,  que  je  présente,  avocate  irrécusable  et  bienveillante 
médiatrice,  à  celui  qui  est  né  de  vous  ;  et  je  vous  supplie  d'effacer  entièrement,  par  votre  mater- 
nelle intercession,  la  multitude  de  mes  fautes  ».  —  Dans  la  première  et  la  seconde  à  saint  Pierre  : 
«  C'est  par  votre  enfantement  immaculé  qu'a  été  rouvert  l'antique  paradis,  fermé  par  notre  pre- 
mière mère,  et  qu'a  été  rendue  au  genre  humain  l'ancienne  patrie.  —  C'est  vous,  auguste  Souve- 
raine, puissant  refuge,  Patronne  toujours  prête  à  sauver,  que  j'implore  et  supplie  ardemment  : 
protégez  mon  âme,  quand  elle  sortira  de  cette  tente  et  qu'elle  s'éloignera  de  la  terre  pour  un  autre 
monde  ».  —  Dans  la  première,  la  seconde  et  la  quatrième  à  saint  Georges  :  «  La  langue  traînante 
et  à  la  voix  grêle,  la  bouche  au  son  désagréable,  craignent  de  vous  entonner  des  hymnes,  ô  Dame 
souveraine  !  car  vous  êtes  chantée  par  les  langues  des  anges,  langues  de  feu  et  de  flamme,  et  par 
la  bouche  de  ceux  qui  n'ont  point  de  corps.  —  La  tempête  des  péchés,  les  vagues  de  l'iniquité, 
les  fréquents  écueils  de  la  malice,  me  poussent  ensemble  dans  le  gouffre  béant  du  désespoir  : 
donnez-moi  la  main,  ô  Vierge  I  de  peur  que  les  flots  ne  m'ensevelissent  tout  vivant.  —  Le  lion 
rugissant  tourne  autour,  cherchant  à  me  dévorer  :  ne  m'abandonnez  pas  en  proie  à  ses  dents,  ô 
vous  Immaculée,  qui  avez  enfanté  Celui  qui,  de  sa  main  divinement  puissante,  a  brisé  les  dents 
molaires  des  lions  ». 

C'est  surtout  dans  ses  écrits  dogmatiques  que  saint  Jean  fait  paraître  l'étendue  de  son  génie. 
Son  style  y  est  plein  de  force  et  de  clarté;  ses  raisonnements  sont  solides  et  concluants.  L'auteur 
y  montre  partout  une  singulière  pénétration  d'esprit  et  une  sagacité  merveilleuse  à  expliquer  les 
mystères  de  la  foi.  Dans  son  Livre  de  la  foi  ortliodoxe,\\  a  tellement  lié  toutes  les  vérités,  qu'il 
en  résulte  un  corps  complet  de  théologie.  On  le  regarde  comme  l'inventeur  de  la  méthode  que  l'on 
a  depuis  adoptée  dans  les  écoles  théologiques,  et  que  saint  Anselme  introduisit  depuis  parmi  les 
Latins.  Cave  refuse  le  titre  d'homme  judicieux  à  quiconque  n'admire  pas,  dans  les  écrits  de  saint 
Jean  Damascène,  une  érudition  extraordinaire,  une  grande  justesse  et  une  grande  précision  dans 
les  idées,  une  force  non  commune  dans  les  raisonnements.  Jean  IV,  patriarche  de  Jérusalem,  loue 
la  profonde  connaissance  que  le  saint  docteur  avait  des  mathématiques.  Selon  Baronius,  saint  Jean 
Damascène  s'est  trompé  quelquefois  par  rapport  aux  faits  historiques  ;  mais  cela  ne  venait  que  de 
l'infidélité  de  sa  mémoire. 

Le  Père  Le  Quien,  dominicain,  a  donné  une  bonne  édition  des  œuvres  de  saint  Jean  Damascène, 
avec  des  notes  et  des  dissertations.  Paris,  1712,  2  vol.  in-fol.  Cette  édition  a  reparu  à  Vérone, 
eu  1748,  avec  des  améliorations. 

I.  Voir  au  3  février,  ou  nous  donnons  la  Vie  de  saint  Biaise,  d'après  saint  Jean  Damascène. 


372  6  mai. 

Cette  noble  entreprise  fut  commencée  par  Jean  Aubert,  continuée  par  Combéfis,  achevée  par 
Le  Quien.  Elle  se  fit  par  ordre  des  assemblées  du  clergé  de  France  (1635-1636).  Jusque-là  on 
n'avait  que  des  parties  des  œuvres  de  saint  Jean  Damascène,  la  plupart  en  latin,  non  dans  le 
texte  original. 

On  trouvera  les  œuvres  complètes  de  saint  Jean  Damascène  dans  la  Patrologie  grecque  de 
M.  Migne,  tomes  xciv,  xcv,  xcvi. 

Cf.  A  A.  SS.,  t.  il  de  mai,  et  l'Itinéraire  des  Lieux-Saints,  de  Jean  Phocas,  qui  se  trouve  au  commen- 
cement de  ce  tome  (nouv.  éd.);  D.  Ceillier  (nouv.  éd.);  Rohrbacher. 


LE  BIENHEUREUX  HATTA,  ABBÉ  DE  SAINT- VAAST  (699). 

On  voit,  dans  la  vie  de  saint  Aubert,  que  ce  pontife  avait  commencé  la  construction  de  l'ab- 
baye de  Saint-Vaast  d'Arras  sur  l'emplacement  de  l'oratoire,  où  cet  apôtre  des  Atrébates  avait 
coutume  de  se  retirer  pour  prier,  et  où  son  corps  fut  dans  la  suite  transporté.  Ce  fut  saint  Vindi- 
cien,  son  successeur,  qui  le  gouverna  pendant  quelques  années  ;  mais  en  685,  ce  prélat,  de  con- 
cert avec  Thierry  III,  roi  des  Francs,  appela  le  bienheureux  Hatta,  dont  ils  avaient  entendu  louer 
la  vertu  et  la  sagesse,  pour  lui  confier  la  direction  de  cette  importante  abbaye. 

Hatta  vivait  alors  dans  le  monastère  de  Blandinberg,  près  de  Gand,  bâti  par  saint  Àmand  ;  ce 
saint  missionnaire  fondait  sur  lui  de  grandes  espérances  et  l'estimait  beaucoup  à  cause  de  la  sa- 
gesse de  sa  conduite.  Le  fervent  disciple  s'efforçait  de  marcher  sur  les  traces  de  son  maître,  et  les 
auteurs  disent  à  sa  louange  qu'il  reproduisait  fidèlement  toutes  les  vertus  qu'il  avait  remarquées 
et  étudiées  en  lui. 

On  ne  connait  rien  en  détail  sur  les  œuvres  du  bienheureux  Hatta  pendant  son  administration 
de  l'abbaye  de  Saint-Vaast  ;  mais  l'excellente  direction  imprimée  à  cette  communauté  et  l'esprit  de 
discipline  et  de  ferveur  qui  y  régna  longtemps,  font  suffisamment  l'éloge  de  ce  saint  abbé. 

En  686,  il  accompagna  à  Hamage  saint  Vindicien,  qui  avait  été  invité  par  Gertrude  II,  abbesse 
de  ce  monastère,  à  consacrer  une  nouvelle  église,  élevée  à  la  gloire  de  Dieu,  sous  le  vocable  de 
sainte  Marie. 

Les  auteurs  du  Gallia  Christiana,  t.  m,  p.  374,  parlent  aussi  d'un  privilège  qui  aurait  été 
accordé  par  ce  saint  évèque  au  bienheureux  Hatta,  et  dans  lequel  étaient  garanties  l'entière  liberté 
de  ses  religieux  et  la  permission  de  suivre  la  Règle  de  saint  Benoit. 

Quelques  auteurs  lui  donnent  dans  leurs  écrits  le  titre  de  Saint,  quoique  d'ordinaire  on  ne  lui 
applique  que  celui  de  bienheureux  ;  son  nom  a  toujours  été  en  vénération  dans  l'abbaye  de  Saint- 
Vaast.  On  croit  qu'il  mourut  vers  l'an  699. 

M.  l'abbé  Destombes. 


SAINT  EDBERT,  ÉVÈQUE  DE  LINDISFARNE  (718). 

Edbert  était  un  saint  homme  qui  excellait  dans  la  connaissance  des  divines  Ecritures,  et  qui 
donnait  chaque  année  aux  pauvres  la  dixième  partie  de  ses  biens.  Il  succéda,  en  687,  à  saint 
Cuthbert,  sur  le  siège  épiscopal  de  Lindisfarne,  et  gouverna  onze  ans  son  diocèse  avec  beaucoup 
d'édification.  Il  s'était  fait  une  loi  de  passer  le  Carême  et  les  quarante  jours  qui  précèdent  la  fête 
de  NoCl,  dans  un  lieu  solitaire  où  son  prédécesseur  avait  servi  Dieu  avant  de  venir  dans  l'île  de 
Farne.  Eloigné  pendant  ce  temps-là  de  la  compagnie  des  hommes,  il  gardait  une  abstinence  rigou- 
reuse, et  ne  s'occupait  que  des  exercices  de  la  prière  et  de  la  contemplation. 

Onze  ans  après  la  mort  de  saint  Cuthbert,  les  moines  de  Lindisfarne,  ayant  trouvé  son  corps 
entier  et  sans  aucune  marque  de  corruption,  ainsi  que  les  vêtements  dont  il  était  enveloppé,  de- 
mandèrent à  leur  évèque  la  permission  de  transférer  ses  précieuses  reliques.  Ils  le  portèrent  dans 
ta  solitude  où  était  alors  une  partie  des  vêtements  qui  avaient  enveloppé  le  saint  corps.  Edbert 
les  baisa  respectueusement,  puis  ordonna  que  les  reliques  de  son  saint  prédécesseur,  renfermées 
dans  un  coffre  tout  neuf,  fussent  mises  dans  le  sanctuaire,  au-dessus  du  niveau  du  pavé,  a  Le 


MARTYROLOGES.  373 

tombeau  »,  ajoute-t-il,  «  sanctifié  par  un  tel  miracle,  ne  restera  pas  longtemps  vide  ».  Par  là  il 
désignait  sa  mort  prochaine.  En  effet,  il  tomba  dangereusement  malade,  et  mourut  le  6  mai  sui- 
vant. Il  fut  enterré  dans  le  tombeau  de  saint  Cuthbert,  et  il  s'opéra  plusieurs  miracles  par  son 
intercession.  11  est  nommé  en  ce  jour  dans  le  Martyrologe  romain. 

Voyez  Bède,  Hist.,  1.  ni,  c.  25  ;  1.  rv,  c.  29,  o.  30,  et  in  vita  sancti  Cuthberti. 


Yir  JOUR  DE  MAI 


MARTYROLOGE   ROMAIN. 

A  Cracovie,  en  Pologne,  la  fête  de  saint  Stanislas,  évèque  et  martyr,  mis  à  mort  par  l'impie 
roi  Boleslas.  1079.  —  A  Terracine,  dans  la  Campanie,  la  fête  de  la  bienheureuse  Flavie  Domitille, 
vierge  et  martyre.  Fille  de  la  sœur  du  consul  Flavius  Clémens,  elle  se  consacra  à  Dieu  et  reçut  le 
voile  sacré  des  mains  de  saint  Clément,  et,  pendant  la  persécution  de  Domitien,  ayant  été  dé- 
portée avec  beaucoup  d'autres  dans  l'île  Ponza  pour  la  confession  de  Jésus-Christ,  elle  y  continua 
un  long  martyre  :  conduite  enfin  à  Terracine,  comme  elle  y  opérait  de  nombreuses  conversions 
par  ses  enseignements  et  ses  miracles,  le  juge  fit  mettre  le  feu  à  la  chambre  où  elle  était  avec 
deux  Vierges,  ses  compagnes,  Euphrosine  et  Théodora,  et  termina  ainsi  le  cours  d'un  glorieux 
martyre.  On  célèbre  encore  sa  mémoire,  avec  celle  des  saints  martyrs  Nérée  et  Achillée,  le  12  du 
mois  de  mai.  99.  —  Le  même  jour,  saint  Juvénal,  martyr  *.  —  A  Nicomédie,  les  saints  martyrs 
Flavius,  Auguste  et  Augustin,  frères.  —  Au  même  lieu,  saint  Quadrat,  martyr,  qui  fut  tourmenté 
à  plusieurs  reprises  dans  la  persécution  de  Dèce,  et  eut  enfin  la  tête  tranchée.  me  s.  —  A  Rome, 
saint  Benoît,  pape  et  confesseur.  685.  —  A  York,  en  Angleterre,  saint  Jean,  évèque,  célèbre 
par  sa  sainteté  et  ses  miracles.  721.  —  À  Pavie,  saint  Pierre,  évèque.  738.  —  A  Rome,  la  trans- 
lation du  corps  de  saint  Etienne,  premier  martyr,  lequel,  apporté  de  Constantinople  à  Rome,  sous 
le  pontificat  du  pape  Pelage,  fut  déposé  au  Campo-Verano,  dans  le  sépulcre  de  saint  Laurent,  mar- 
tyr, où  il  est  honoré  par  les  fidèles  avec  une  grande  dévotion. 

MARTYROLOGE  DE  FRANCE,  REVD  ET  AUGMENTÉ. 

A  Agen,  fête  de  la  translation  des  reliques  de  saint  Etienne. —  A  Troyes,  en  Champagne,  sainte 
Mastidie  ou  Mathie,  dont  le  corps  fut  trouvé  sans  corruption  plusieurs  années  après  son  décès. 
—  A  Maëstricht,  saint  Domitien,  évèque.  560.  —  A  Autun,  saint  Placide,  prêtre  et  abbé  de  la 
basilique  de  Saint-Symphorien  *.  680.  —  A  Auxerre,  saint  Valérien,  évèque  de  ce  siège  s.  —  A 
Château-Thierry,  saint  Sérénic,  abbé,  dont  les  reliques  y  furent  apportées  avec  celles  de  saint 
Sérené,  son  frère,  à  l'époque  où  les  Normands  désolaient  la  France,  sous  la  conduite  de  leur 
chef  Hasting.  vu»  s.  —  A  Laon,  saint  Bason,  confesseur,  dont  les  reliques  se  conservent  en  l'é- 
glise Saint-Jean  de  cette  ville,  vu»  s.  —  A  Séez,  saint  Milheart,  évèque,  qui  acheva  et  consacra 
la  basilique  de  Saint-Martin,  commencée  par  saint  Sérénic.  670.  —  Près  de  Dourdan,  au  diocèse 
de  Chartres,  sainte  Même,  honorée  comme  vierge  et  martyre  dans  le  lieu  qui  porte  son  nom,  à 
une  journée  de  Paris.  —  A  Locarn,  dans  la  paroisse  de  Duault,  près  de  Montafilan,  en  Bretagne, 
saint  Hernin,  solitaire.  —  A  Faremoutier,  en  Brie,  sainte  Sessétrude,  vierge,  celléiière  de  ce  mo- 
nastère sous  sainte  Fare,  dont  Jonas,  moine  de  Bobio,  sous  la  règle  de  saint  Colomban,  décrit  la 
mort  miraculeuse,  arrivée  avant  celle  de  sainte  Fare  '.  vu8  s.  —  A  Tarbes,  saint  Misselin,  con- 
fesseur. —  Au  diocèse  de  Meaux,  saint  Blandin  5.  —  A  Evreux,  sainte  Marie,  mère  de  Jacques  et 
de  Salomé,  dont  la  cathédrale  possédait  autrefois  les  reliques  et  à  laquelle  le  diocèse  rend  un  culte 
particulier.  i«  g. 

1.  Les  Bollandistes  pensent  que  saint  Juvénal,  nommé  aujourd'hui  par  le  martyrologe  romain,  est 
celui  qui  est  honoré  à  Bénévent  avec  la  qnalité  d'évêque  et  martyr.  Baronius  croit  que  c'est  celui  honoré 
il  Narni  ;  mais  il  suffit  de  faire  remarquer  que  ce  dernier  n'a  que  le  titre  de  confesseur. 

2.  Voir,  au  22  août,  une  note  à  saint  Symphorien.  —  3.  Voir  au  6  maL 
4.  Voir  à  la  Vie  de  sainte  Fare,  au  7  décembre.  —  5.  Voir  au  !•«  mai. 


374  7  mai. 


MARTYROLOGES   DES   ORDRES  RELIGIEUX. 

Martyrologe  des  Basiliens.  —  A  Damas,  la  fête  de  saint  Jean  Damascène,  de  l'Ordre  de 
Saint-Basile. 

Martyrologe  des  Chanoines  réguliers.  —  A  Rome,  saint  Benoit  II,  qui  fut  d'abord  chanoine 
de  Latran,  avant  d'être  élevé  sur  le  siège  de  saint  Pierre,  rétablit  l'antique  liberté  de  l'Eglise,  et 
s'endormit  dans  le  Seigneur,  illustre  par  ses  vertus  et  ses  miracles. 

Martyrologe  des  Frères  Prêcheurs.  —  La  mémoire  de  la  sainte  Couronne  d'épines  du  Sauveur. 

ADDITIONS   FAITES  D'APRÈS   LES   BOLLANDISTES  ET   AUTRES   HAGIOGRAPHES. 

A  Cordoue  et  en  d'autres  villes  d'Espagne,  fête  de  saint  Raphaël,  archange.  —  A  Cologne,  fête 
des  cinq  Joies  de  la  bienheureuse  Vierge  Marie.  —  A  Girone,  en  Espagne,  les  saints  Evoald 
et  Sixte,  martyrs,  mis  à  mort  sous  le  proconsul  Dacien.  En  langue  vulgaire,  saint  Evoald  est 
nommé  saint  Hou  III.  —  Aux  saints  Flavius,  Augustin  et  Auguste,  frères,  que  les  Bollandistes 
disent  avoir  été  évêques,  il  faut  joindre  les  saints  Marcellin,  Macrobe  et  Euthée  ou  Eutychès.  — 
A  Gaëte,  dans  le  royaume  de  Naples,  saint  Innocent,  évêque  d'Afrique,  qui  fut  enseveli  dans  cette 
ville.  ive  s.  — A  Ferrare,  en  Italie,  saint  Maureille,  évêque  et  martyr,  patron  de  cette  ville.  vne  s. 
—  Au  territoire  de  Bergame,  saint  Albert  le  Laboureur,  né  à  Ogna  et  mort  à  Crémone,  où  il  fut 
enseveli  dans  l'église  Saint  -Matthieu.  Saint  Albert  est  le  patron  des  garçons  de  cave  et  de 
ceux  qui  travaillent  au  transport  des  vins,  car  sur  la  fin  de  sa  vie  il  s'établit  à  Crémone  et  por* 
tait  en  ville,  comme  on  dit.  1190.  —  A  Gubbio,  en  Italie,  le  bienheureux  Villain,  évêque  de  cette 
ville.  An  1220.  —  Dans  les  Calabres,  les  saints  Reginald  et  Franc,  solitaires,  et  cinq  autres 
ermites,  qui  renouvelèrent  les  prodiges  de  pénitence  et  de  concorde  fraternelle  des  premiers  moines 
de  l'Egypte.  Pontificat  d'Eugène  IV.  —  En  Angleterre,  sainte  Alix  ou  Adélaïde  *. 


SAINT  SERENIC  *  ET  SAINT  SERENE,  SON  FRÈRE 

HECLUS  AUX  DIOCÈSES  D£  SÉEZ  ET  DU  MANS 
Vers  669.  —  Pape  :  Vitalien.  —  Roi  de  France  :  Clotaire  III. 


En  appelant  ses  serviteurs  Mêles  à  jouir  du  bonheur 
du  ciel,  Dieu  leur  donne  un  protectorat  spécial  à 
exercer  sur  certaines  contrées  on  sur  certaine» 
classes  d'hommes. 

Vie  de  saint  Sérenë,  par  D.  Piolin. 

Saint  Sérenic  et  saint  Sérené  naquirent  à  Spolète,  à  quinze  lieues  de 
Rome,  dans  les  premières  années  du  vu0  siècle.  Ils  étaient  frères  selon  la 
chair  ît  selon  l'esprit.  Ils  sortaient  d'une  famille  patricienne  puissante  dans 
toute  l'Ombrie.  Leurs  parents  leur  procurèrent  dès  l'enfance  des  maîtres 
habiles  et  capables  de  graver  dans  leurs  jeunes  cœurs  les  sentiments  chré- 
tiens. Sérenic  était  l'aîné;  il  aima  tout  d'abord  son  frère  d'une  affection 
très-tendre,  mais  toute  surnaturelle.  Il  n'usait  de  l'avantage  de  son  âge  que 
pour  exhorter  Sérené  à  la  vertu  et  aux  pratiques  de  la  perfection,  dont  il 
lui  donnait  l'exemple.  Bientôt  les  deux  frères  rivalisèrent  d'ardeur  pour  la 
piété;  l'étude,  la  mortification,  l'aumône  faisaient  l'objet  de  toute  leur  at- 
tention. Doués  de  facultés  heureuses  et  bien  secondés  par  les  maîtres  habiles 

1.  Alix  des  Français,  disent  les  Bollandistes,  est  peut-être  la  m5ma  qu'Adélaïde  ou  Ezeilide  des  Anglais. 

2.  Ou  Sénéric,  Selering,   Selerin,  Senéré.  Sénéry,  ou   encore  Sérenic  et  Séiéué.   Et  encore  Céncric, 
Cenéré,  suifaat  les  pays. 


SAINT  SÉRENIC  ET  SAINT  SÉRENÉ,  SON  FRÈRE.  375 

et  dévoués  qu'on  leur  avait  donnés,  Sérenic  et  Sérené  firent  des  progrès  re- 
marquables en  toutes  les  connaissances  auxquelles  ils  s'appliquèrent;  mais 
ils  réservèrent  leurs  plus  grands  efforts  pour  l'étude  des  vérités  contenues 
dans  la  sainte  Ecriture,  les  enseignements  de  l'Eglise  et  du  Siège  apostolique. 

Lorsque  nos  deux  saints  frères  furent  parvenus  à  l'âge  viril,  ils  com- 
prirent de  plus  en  plus  la  nécessité  de  se  donner  sans  réserve  à  Dieu.  Ces 
paroles  de  l'Evangile  firent  sur  eux  la  plus  vive  impression  :  «  Celui  qui 
aime  son  père  et  sa  mère  plus  que  moi,  n'est  pas  digne  de  moi  '  ».  Un  ange 
apparut  à  chacun  des  deux  frères  durant  une  nuit  consacrée  à  la  prière,  et 
vint  les  confirmer  dans  leurs  projets  de  renoncement.  Il  leur  déclara  que 
la  volonté  de  Dieu  les  appelait  d'abord  à  Rome;  qu'ils  devaient  dire  un  éter- 
nel adieu  à  leurs  proches  et  à  leur  patrie;  que  leur  sacrifice  devait  être 
complet  et  absolu;  qu'ils  auraient  quelque  temps  à  passer  dans  la  basilique 
de  Saint-Pierre,  uniquement  occupés  du  service  divin,  des  jeûnes,  des 
veilles,  des  psalmodies  et  des  autres  exercices  pratiqués  par  les  religieux 
qui  desservaient  ce  sanctuaire.  A  cette  époque,  la  basilique  du  Prince  des 
Apôtres,  ainsi  que  plusieurs  des  principales  églises  de  Rome,  étaient  desser- 
vies par  les  enfants  de  saint  Benoît.  Sérenic  et  Sérené  comprirent  tout  aus- 
sitôt que  le  ciel  les  appelait  à  marcher  par  la  voie  que  le  grand  patriarche 
du  Mont-Cassin  a  tracée  à  ses  disciples.  Aussitôt  qu'ils  connurent  d'une 
manière  certaine  les  desseins  de  Dieu  sur  eux,  ils  se  hâtèrent  d'y  corres- 
pondre, quittèrent  tout  et  se  rendirent  promptement  à  Rome.  A  leur  arri- 
vée dans  la  ville  sainte,  ils  furent  bien  accueillis  du  Pape  et  de  la  commu- 
nauté des  moines  du  Vatican.  Ils  reçurent  avec  bonheur  l'humble  habit  de 
Saint-Benoît,  et  se  portèrent  avec  ferveur  à  la  pratique  de  toutes  les  obser- 
vances. Loin  de  se  ralentir  avec  le  temps,  leur  zèle  prit  toujours  de  nou- 
veaux accroissements.  Durant  plusieurs  années,  ils  rivalisèrent  constamment 
avec  les  moines  les  plus  saints  de  la  communauté  dans  la  pratique  des 
jeûnes,  des  veilles  et  des  oraisons;  en  un  mot, c'étaient  de  parfaits  disciples 
de  saint  Benoît.  Touchés  des  efforts  que  Sérenic  et  Sérené,  encore  si  jeunes, 
faisaient  avec  tant  de  générosité  pour  s'avancer  dans  la  voie  étroite  qui 
conduit  à  la  vie,  de  leur  patience,  de  leur  humilité,  de  leur  sobriété  et  de 
leurs  autres  vertus,  tous  les  moines  du  Vatican  les  regardaient  comme  leurs 
modèles.  Ne  se  contentant  pas  d'une  vaine  admiration,  ils  s'efforçaient  de 
les  imiter,  et  proclamaient  hautement  leurs  mérites.  Instruit  des  qualités 
de  ces  deux  frères,  le  souverain  Pontife  voulut  se  les  associer  dans  les  soins 
pénibles  de  son  ministère,  et  les  créa  diacres-cardinaux.  Quoique  les  hon- 
neurs extérieurs  attachés  au  cardinalat  aient  reçu  des  développements  no- 
tables depuis  le  vu6  siècle,  il  est  certain  néanmoins  que  dès  lors  celui  qui 
était  élevé  à  cette  dignité  tenait  le  premier  rang  dans  le  clergé  de  l'Eglise 
romaine,  et  par  conséquent  dans  tout  l'univers  chrétien. 

Saint  Sérenic  et  saint  Sérené  ne  jouirent  pas  longtemps  de  la  haute  di- 
gnité que  leurs  vertus  leur  avaient  méritée,  sans  comprendre  les  périls 
nouveaux  auxquels  elle  les  exposait.  Quoiqu'ils  fissent  tous  leurs  efforts 
pour  se  soustraire  aux  marques  de  respect  qu'on  leur  donnait  de  toutes 
parts,  ils  craignaient  que  la  vaine  gloire  ne  se  glissât  insensiblement  dans 
leur  cœur.  La  présence  du  danger  éveilla  en  eux  une  plus  grande  vigilance, 
et  leur  fit  redoubler  leurs  prières.  Enfin  un  ange  apparut  à  Sérenic  la  nuit, 
et  lui  dit  :  «  Pourquoi  te  livres-tu  à  l'inquiétude,  Sérenic  ?  Poursuis  l'ac- 
complissement du  dessein  qui  t'a  fait  abandonner  ton  père,  ta  mère  et  tes 
biens.  Le  Seigneur  ne  veut  pas  que  tu  restes  plus  longtemps  en  ce  lieu; 

1.  Mattli.,  x,  »7. 


376  7  mai. 

mais  il  t'ordonne  de  gagner  un  pays  plus  éloigné  » .  Après  donc  avoir  reçu 
l'avertissement  de  l'ange,  Sérenic  et  Sérené  se  disposèrent  promptement  à 
quitter  Rome.  Ils  traversèrent  presque  toute  l'Italie,  coururent  de  grands 
dangers  en  passant  les  Alpes,  et  parvinrent  dans  les  provinces  méridionales 
de  la  Gaule.  Comme  ils  étaient  incertains  du  lieu  où  ils  devaient  se  fixer,  ils 
parcoururent  plusieurs  régions  de  ce  vaste  territoire.  Les  contrées  de  l'ouest 
de  la  Gaule  étaient  célèbres  entre  toutes  par  les  tombeaux  de  saint  Martin, 
à  Tours,  et  de  saint  Julien,  au  Mans.  D'autres  sanctuaires  privilégiés  atti- 
raient encore  la  foule  des  pèlerins  :  ainsi,  dans  le  seul  diocèse  du  Mans, 
l'église  cathédrale,  dédiée  depuis  plus  de  cent  ans  à  saint  Gervais  et  à  saint 
Protais,  était  devenue  le  lieu  où  la  puissance  miraculeuse  de  ces  deux  athlètes 
du  Christ  éclatait  avec  le  plus  de  splendeur  en-deçà  des  Alpes.  Depuis  plus 
d'un  siècle,  d'ailleurs,  et  surtout  depuis  l'épiscopat  de  saint  Innocent  (532- 
543),  le  diocèse  du  Mans  était  devenu  comme  la  Thébaïde  de  la  Gaule. 

Ce  fut  dans  la  solitude  de  la  Charnie  que  l'ange  du  Seigneur  conduisit 
Sérené  et  Sérenic.  Il  est  certain  que  vers  le  milieu  du  vne  siècle,  lorsque 
nos  deux  saints  moines  vinrent  habiter  le  diocèse  du  Mans,  la  forêt  de 
Charnie  offrait  de  profondes  solitudes,  où  de  nombreux  anachorètes  vi- 
vaient dans  le  silence  et  la  retraite,  pratiquant  toutes  les  œuvres  de  l'ascé- 
tisme le  plus  rigoureux.  C'était  ce  que  saint  Sérené  et  son  frère  recher- 
chaient. Il  paraît  cependant,  d'après  des  traditions  assez  plausibles,  qu'ils 
habitèrent  d'abord  pendant  quelque  temps  le  lieu  où  est  maintenant  la  ville 
de  Château-Gontier.  C'était  alors  une  terre  importante  qui  appartenait  aux 
moines  de  Bazouges.  Nos  deux  frères  auraient  pu  y  vivre  en  paix,  si  pour 
un  motif  qui  nous  est  inconnu,  ils  n'avaient  bientôt  quitté  le  diocèse  d'An- 
gers pour  venir  habiter  celui  du  Mans.  Ils  fixèrent  leur  demeure  près  du 
bourg  de  Saulges.  La  cabane  qui  leur  avait  servi  d'asile  dans  la  ferme  des 
moines  de  Bazouges  resta  en  vénération;  plus  tard  elle  fut  convertie  en  une 
chapelle  où  la  piété  des  chrétiens  implora  le  secours  de  saint  Sérené  jusque 
dans  les  premières  années  du  xrxe  siècle.  Le  voisinage  de  ce  bourg  attira  à 
nos  deux  moines  de  fréquentes  visites.  Ce  concours  fatiguait  singulièrement 
Sérenic,  dont  l'âme  était  éprise  d'amour  pour  la  contemplation.  Dieu  se 
servit  de  cet  attrait  pour  conduire  le  saint  anachorète  dans  un  diocèse  voi- 
sin; car  il  ne  voulait  pas  que  ces  deux  flambeaux  fussent  exclusivement  ré- 
servés à  éclairer  le  Maine.  Sérenic  commença  donc  à  prendre  en  dégoût  un 
lieu  qui  lui  semblait  trop  pourvu  de  toutes  les  commodités  de  la  vie,  et 
surtout  trop  fréquenté;  et  il  ne  tarda  pas  à  s'en  ouvrir  à  son  frère,  lui  ma- 
nifestant le  désir  qu'il  éprouvait  de  s'avancer  plus  profondément  dans  le 
désert.  Jamais  jusqu'à  ce  jour  ces  deux  frères  ne  s'étaient  séparés  l'un  de 
l'autre.  Mais  la  volonté  de  Dieu  exigeait  un  nouveau  sacrifice;  ils  l'offrirent 
généreusement  et  sans  aucun  retard.  Ce  ne  fut  pas  toutefois  sans  verser 
beaucoup  de  larmes  que  Sérenic  et  Sérené  se  quittèrent.  Après  cette  sépa- 
ration, saint  Sérenic  s'avança  du  côté  du  pays  d'Hyesmes,  et  choisit  pour 
séjour  un  lieu  très-désert,  situé  sur  le  bord  de  la  rivière  de  Sarthe,  envi- 
ronné de  rochers,  et  que  l'on  ne  pouvait  aborder  que  par  un  sentier  étroit. 
Dans  cette  retraite,  il  ne  fut  suivi  que  par  un  jeune  enfant  nommé  Flavart, 
qu'il  avait  adopté  sur  les  fonts  du  baptême,  et  qui  s'était  attaché  à  lui  avec 
un  entier  dévouement.  Il  salua  l'ange  de  cette  solitude,  et  bénit  mille  fois 
son  guide  céleste,  qui  l'avait  invisiblement  amené  en  un  désert  où  rien  ne 
le  troublerait  plus  dans  son  commerce  avec  Dieu.  Après  avoir  prié  long- 
temps le  front  contre  terre,  au  moment  où  il  levait  la  tête,  il  aperçut  près 
de  lui  une  fontaine  qui  venait  de  jaillir  miraculeusement  du  sol  auparavant 


SAINT   SÉRENIC  ET  SAINT   SÉRENÉ,    SON   FRÈRE.  377 

aride,  et  qui,  depuis  ce  jour,  n'a  cessé  de  couler.  Le  prodige  ne  s'arrêta 
pas  à  cette  première  marque  de  la  protection  divine;  car,  afin  de  prouver 
déplus  en  plus  les  mérites  de  son  serviteur,  Dieu  donna  à  cette  eau  le  pou- 
voir de  guérir  les  malades.  Quelque  temps  après,  Sérenic  voulant  traverser 
la  rivière,  et  n'ayant  pas  de  nacelle,  se  trouva  fort  embarrassé;  il  recourut 
à  la  prière,  puis  il  fit  le  signe  de  la  croix  sur  l'eau,  qui  se  divisa  en  deux  et 
laissa  un  libre  passage.  Le  jeune  Flavart,  qui  suivait  son  maître,  surpris  et 
comme  hors  de  lui-même  d'un  tel  prodige,  laissa  tomber  dans  le  lit  de  la 
rivière  le  livre  qu'il  portait.  Sa  stupéfaction  était  telle,  qu'il  n'eut  aucune 
conscience  de  l'accident  qui  venait  de  lui  arriver;  mais  lorsqu'il  fut  remis 
de  sa  première  émotion,  il  reconnut  la  perte  qu'il  avait  faite,  et  se  prit  à 
regarder  Sérenic  d'un  visage  pâle  et  décomposé.  Le  Saint  lui  demanda  d'où 
venait  cette  altération  dans  ses  traits;  Flavart,  tombant  à  ses  pieds,  lui 
avoua  en  tremblant  la  faute  qu'il  avait  commise.  Son  maître  le  releva  avec 
bonté,  et  le  rassura  pleinement  en  lui  disant  qu'un  jour  ce  livre  lui  serait 
rendu.  En  effet,  six  ans  après,  ce  livre  fut  retiré  de  la  rivière  aussi  sain  que 
si  l'eau  ne  l'avait  pas  touché.  Ce  manuscrit  se  conservait  encore  au  neu- 
vième siècle  dans  la  basilique  construite  par  Sérenic;  et  l'auteur  de  sa  vie 
affirme  l'avoir  vu  ne  portant  aucune  tache.  Sa  prière  était  si  fervente,  qu'il 
ne  se  contentait  pas  de  réciter  l'office  de  chaque  jour  prescrit  par  saint  Be- 
noît et  saint  Colomban;  mais  il  y  ajoutait  encore  l'office  selon  le  rite  de 
l'Eglise  romaine.  Cependant  une  aussi  grande  lumière  ne  pouvait  rester  ca- 
chée aux  yeux  de  tout  le  monde  durant  longtemps  ;  le  bruit  de  la  sainte 
vie  de  Sérenic  émut  les  populations  du  voisinage;  il  se  répandit  ensuite  plus 
loin  encore,  et  l'on  vint  en  foule  visiter  le  saint  ermite  et  se  recommander 
à  ses  prières. 

Parmi  ceux  qui  fréquentaient  le  plus  assidûment  la  cellule  de  Sé- 
renic, il  se  trouva  des  âmes  douées  d'une  plus  forte  aspiration  vers  les 
choses  du  ciel;  elles  se  proposèrent  de  suivre  de  si  beaux  exemples,  et  sup- 
plièrent l'homme  de  Dieu  de  les  prendre  sous  sa  conduite.  En  peu  de  temps 
le  nombre  des  disciples  qui  se  réunirent  pour  vivre  sous  sa  direction  s'ac- 
crut prodigieusement;  et  l'on  compta  bientôt  jusqu'à  cent  quarante  moines 
rangés  sous  sa  discipline.  Il  mit  un  soin  particulier  à  régler  et  à  faire  exécu- 
ter pieusement  ces  longues  psalmodies  qui  sont  le  premier  devoir  et  la  plus 
grande  joie  de  la  vie  monastique,  et  qui,  au  sentiment  des  Saints,  arrêtent 
les  fléaux  et  font  descendre  sur  la  terre  des  grâces  abondantes.  Sérenic  n'a- 
vait pas  voulu  être  élevé  au  sacerdoce;  mais  il  remplissait  chaque  jour  ses 
fonctions  de  diacre  dans  l'église  de  son  monastère.  Notre  saint  abbé  avait 
commencé  à  construire  une  vaste  basilique  qu'il  se  proposait  de  dédier  sous 
le  patronage  de  saint  Martin;  mais  il  fut  prévenu  par  la  mort,  qui  l'enleva 
de  ce  monde  le  7  mai.  Il  était  dans  un  âge  très-avancé,  et  avait  annoncé  à 
ses  moines  l'époque  et  les  circonstances  de  son  trépas. 

Revenons  à  saint  Sérené  que  nous  avons  laissé  à  Saulges.  Ce  n'est  or- 
dinairement qu'après  les  exercices  laborieux  d'une  longue  pénitence,  que 
l'âme  purifiée  reçoit  les  dons  surnaturels  qui  achèvent  son  union  intime 
avec  Dieu.  Il  en  arriva  ainsi  pour  Sérené  :  après  les  rudes  travaux  de  la  vie 
active,  et  les  expiations  de  la  vie  purgative,  il  commença  à  jouir  des  faveurs 
célestes  les  plus  extraordinaires.  Son  commerce  avec  Dieu  devint  plus  in- 
time; des  ravissements  et  des  extases  fréquents  relevaient  au-dessus  des 
sens;  des  inspirations  parties  du  ciel  lui  apportaient  des  connaissances  su- 
périeures aux  lumières  qui  s'acquièrent  par  l'étude  et  par  la  pénétration 
naturelle  de  l'esprit.  Souvent,  lorsqu'après  des  jeûnes  prolongés  et  d'aus- 


378  7  mai. 

tères  pénitences  il  demeurait  comme  privé  de  forces,  les  anges  venaient  le 
visiter  ;  ils  lui  apparaissaient  sous  des  formes  sensibles  et  s'entretenaient 
avec  lui.  Le  Sauveur  lui-même  ne  dédaignait  pas  de  faire  goûter  à  l'âme  de 
son  fidèle  serviteur  les  charmes  de  sa  présence,  et  lui  donnait  à  ressentir 
un  avant-goût  du  bonheur  céleste.  Sérené  reçut  aussi  le  don  de  pénétrer 
le  secret  des  cœurs  et  de  découvrir  l'état  de  la  conscience  de  ceux  qui  l'ap- 
prochaient. Souvent  il  révéla  aux  personnes  qui  le  consultaient  des  fautes 
qu'elles  avaient  commises  depuis  un  grand  nombre  d'années,  et  qui  s'étaient 
même  effacées  de  leur  mémoire  :  aussi  l'esprit  le  plus  audacieux  n'eût  osé 
proférer  un  mensonge  en  sa  présence.  Des  vertus  si  éminentes  ne  pouvaient 
rester  longtemps  cachées  aux  fidèles  du  voisinage,  qui  furent  les  premiers 
à  visiter  Sérené  dans  sa  solitude;  mais  bientôt  après  il  en  vint  de  contrées 
plus  éloignées.  Beaucoup  de  ceux  qui  le  visitaient  ainsi  lui  offraient  des 
présents;  il  les  recevait  pour  ne  pas  affliger  par  ses  refus  et  ne  pas  priver 
ces  personnes  du  mérite  de  l'aumône;  mais  il  distribuait  le  tout  aux  pauvres 
qui  venaient  aussi  à  sa  cellule  et  y  étaient  toujours  bien  accueillis.  Il  lui 
venait  souvent  des  pécheurs  qui  s'étaient  plongés  dans  le  crime,  dont  le 
cœur  était  bourrelé  de  remords  et  l'âme  livrée  au  désespoir  :  Sérené  les 
recevait  avec  une  affabilité  particulière,  les  comblait  de  tant  de  consola- 
tions, et  leur  offrait  des  motifs  d'espérance  si  puissants,  qu'ils  ne  sJen  re- 
tournaient qu'après  avoir  purifié  leur  conscience,  et  après  que  la  joie  d'un 
esprit  en  repos  avait  pris  la  place  des  agitations  et  de  la  tristesse,  suites 
funestes  du  péché.  Plusieurs  fois  aussi  il  vit  des  personnes  divisées  par  des 
haines  violentes,  et  il  avait  une  grâce  particulière  pour  les  réconcilier;  il 
ne  les  laissait  jamais  partir  d'auprès  de  lui  avant  qu'elles  ne  se  fussent  juré 
réciproquement  une  amitié  inviolable.  Ainsi  brillait  le  pieux  solitaire  des 
bords  de  l'Erve,  semblable  à  une  lumineuse  étoile  du  matin,  astre  de  paix 
et  d'amour  pour  conduire  le  peuple  chrétien  dans  le  sentier  du  salut.  Celui 
qui  avait  abandonné  père,  mère,  frères,  sœurs,  et  tout  espoir  ici-bas,  devint 
bientôt  le  chef  d'une  nombreuse  famille,  c'est-à-dire  de  tous  les  pauvres  et 
de  tous  les  affligés.  Cette  paternité  sainte  se  manifesta  d'une  manière  écla- 
tante dans  une  circonstance  lugubre  pour  le  Maine  et  toute  la  France. 
Sainte  Bathilde,  qui  gouverna  durant  quelques  années  le  royaume  de 
France,  au  nom  de  ses  enfants  mineurs,  et  avec  les  conseils  de  saint  Léger, 
évêque  d'Autun,  fit  goûter  à  l'Eglise  et  aux  populations  des  jours  de  bon- 
heur et  de  prospérité.  Mais  une  faction  de  seigneurs  mécontents  abreuva 
d'amertume  la  reine  régente.  Bathilde,  en  butte  à  la  haine  des  grands  et 
dégoûtée  de  l'inertie  du  peuple,  descendit  du  trône  et  se  renferma  dans 
l'abbaye  de  Chelles.  Là,  sous  l'humble  habit  de  Saint-Benoît,  qu'elle  avait 
toujours  chéri,  elle  vécut  moins  puissante,  mais  plus  heureuse;  une  lâche 
envie  lui  enleva  le  sceptre  ;  une  reconnaissance  tardive  consacra  sa  gloire. 
Ebroïn,  maire  du  palais,  s'était  placé  à  la  tête  des  seigneurs  ennemis  de 
Bathilde  et  de  saint  Léger.  Il  usa  de  son  pouvoir  avec  la  cruauté  d'un  tyran; 
et  tout  fut  livré  à  l'inquiétude  et  au  trouble  dans  l'Etat.  Son  audace  à  mé- 
priser toutes  les  lois  réveilla  le  courroux  des  seigneurs;  il  fut  renversé  et 
renfermé  dans  l'abbaye  de  Luxeuil.  Mais  trois  ans  après,  une  nouvelle  ré- 
volution procura  à  Ebroïn  le  moyen  de  ressaisir  l'autorité  et  de  recommen- 
cer ses  violences.  Childéric  II  (670-673),  oubliant  les  saints  exemples  dont 
son  enfance  avait  été  environnée,  s'abandonna  à  des  passions  honteuses,  et 
s'attira  la  haine  et  le  mépris  de  tout  le  monde.  Les  barons  formèrent  une 
conspiration  contre  lui;  ils  le  surprirent  dans  une  forêt  où  il  chassait,  et  le 
massacrèrent.  De  retour  à  Paris,  ils  cernèrent  le  palais,  enfoncèrent  les 


SAINT   SÉRÉNIC  ET   SAINT   SÉRENÉ,    SON   FRÈRE.  379 

portes,  et  mirent  à  mort  la  reine  qui  était  enceinte,  avec  l'aîné  de  ses  en- 
fants. Lorsque  la  nouvelle  de  la  mort  du  roi  fut  connue,  disent  les  chroni- 
queurs du  temps,  les  hommes  qui  avaient  été  bannis  par  son  ordre,  re- 
vinrent sans  crainte;  leurs  vengeances  produisirent  des  discordes  si  grandes 
dans  le  royaume,  qu'on  crut  que  l'Antéchrist  allait  paraître.  Dans  la  pro- 
vince du  Maine,  ces  factions  ensanglantèrent  les  villes,  les  châteaux,  les  cam- 
pagnes; et  le  peuple,  réduit  au  désespoir,  ne  connaissait  plus  aucun  frein. 

Aux  maux  que  causaient  les  rivalités  armées  vinrent  se  joindre  d'autres 
douleurs.  Les  champs  abandonnés  ne  produisirent  rien  au  temps  de  la 
moisson;  les  milices  avaient  détruit  même  les  espérances;  d'ailleurs,  Dieu 
qui  voulait  châtier  son  peuple  pour  les  crimes  qu'il  avait  commis,  avait  re- 
fusé aux  champs  la  pluie  qui  les  féconde  :  la  disette  fut  extrême.  Les  pri- 
vations de  tout  genre  firent  naître  une  de  ces  maladies  fréquentes  à  cette 
époque,  et  que  les  annalistes  comme  le  peuple  désignent  sous  le  nom  de 
peste.  La  contagion  était  si  maligne,  qu'on  prenait  le  mal  en  parlant,  en 
respirant;  non-seulement  l'homme  communiquait  la  peste  à  son  semblable, 
mais  elle  atteignait  même  les  animaux.  Tous  les  travaux  étaient  suspen- 
dus; chacun  marchait  isolé,  et  voyait  dans  tout  passant  un  pestiféré,  par 
conséquent  un  ennemi  mortel.  Souvent  ceux  qui  portaient  un  cadavre  au 
tombeau  ne  regagnaient  pas  leur  demeure,  et  l'on  vit  plus  d'une  fois  le  fos- 
soyeur tomber  mort  et  occuper  la  place  qu'il  préparait  pour  un  autre.  Ac- 
cablées par  le  présent,  menacées  pour  l'avenir,  lésâmes  les  plusfortes  étaient 
saisies  par  le  trépas  ou  le  désespoir.  Les  cadavres  des  défunts  n'étaient  pas 
toujours  recouverts  de  terre,  et  les  émanations  morbides  qui  s'en  exhalaient 
auraient  suffi  à  elles  seules  pour  dépeupler  les  villes  et  les  campagnes. 

Le  clergé  et  le  peuple  allèrent  se  jeter  aux  pieds  de  Févêque  du  Mans, 
saint  Béraire,  et  le  supplièrent  de  chercher  un -remède  à  leurs  maux. 
Le  prélat  ordonna  un  jeûne  de  trois  jours,  avec  des  processions  et  des 
messes  solennelles  d'expiation.  Le  troisième  jour,  il  fut  révélé  à  un  moine, 
homme  d'une  éminente  piété,  que  le  pays  serait  délivré  des  malheurs  sous 
lesquels  il  gémissait,  par  les  mérites  et  les  prières  de  saint  Sérené.  Ce  reli- 
gieux s'empressa  de  faire  connaître  à  l'évêque  ce  que  le  ciel  lui  avait  ré- 
vélé. Béraire  prit  avec  lui  les  hommes  les  plus  vénérables  de  son  clergé,  et 
se  rendit  en  toute  hâte  dans  le  désert  de  Saulges.  L'homme  de  Dieu  reçut 
le  saint  évêque  avec  un  profond  respect;  ils  s'embrassèrent  avec  une  tendre 
affection,  et  le  prélat  demanda  au  solitaire  à  lui  parler  en  secret.  Lorsque 
tout  le  monde  se  fut  retiré,  saint  Béraire  exposa  à  Sérené  le  motif  qui  l'avait 
conduit  dans  son  ermitage;  il  lui  fit  voir  qu'il  n'avait  agi  que  par  l'ordre 
de  Dieu,  et  le  conjura  de  s'employer  au  plus  tôt  pour  faire  cesser  les  maux 
qui  accablaient  le  peuple.  L'humilité  de  Sérené  refusa  de  croire  qu'une 
œuvre  aussi  importante  lui  fût  réservée;  et  il  protesta  qu'il  était  indigne  de 
l'entreprendre.  Béraire  insista,  lui  affirma  que  Dieu  avait  fait  connaître  sa 
volonté  à  ce  sujet,  et  que  s'il  n'obéissait  pas,  il  se  rendrait  coupable  et 
répondrait  de  la  perte  du  peuple.  Tout  aussitôt  saint  Sérené  se  mit  en 
prière  :  il  jeûna,  veilla,  répandit  un  torrent  de  larmes;  le  ciel  enfin  se  laissa 
fléchir  :  car  «  la  prière  assidue  du  juste  est  toute-puissante  ».  Des  pluies 
subites  chassèrent  de  l'air  les  influences  pestilentielles;  elles  disposèrent  en 
même  temps  la  terre  pour  la  récolte  prochaine,  en  sorte  que  l'abondance 
succédant  à  la  disette  passée  fit  oublier  les  privations  et  les  misères  précé- 
dentes. Un  prodige  aussi  éclatant  donna  à  Sérené  une  haute  influence;  il  en 
usa  pour  porter  les  chefs  des  différentes  factions  à  la  concorde.  Les  animo- 
sités  les  plus  invétérées  tombèrent  à  la  parole  de  l'homme  de  Dieu;  et  le 


380  7  mai. 

pays  lui  fut  redevable  de  la  paix  dont  il  était  privé  depuis  si  longtemps. 
Touché  des  merveilles  que  Sérené  venait  d'opérer,  saint  Béraire  voulut 
l'obliger  à  accepter  la  dignité  d'archidiacre  du  Mans.  Cette  dignité  était 
très-considérable,  et  la  première  du  diocèse  après  l'épiscopat.  Sérené  dé- 
clina ces  fonctions,  et  fit  voir  à  l'évêque  qu'ayant  l'honneur  d'être  diacre- 
cardinal  de  l'Eglise  romaine,  il  ne  devait  pas  dégénérer  en  acceptant  une 
dignité  dans  une  Eglise  inférieure.  Le  pouvoir  miraculeux  du  solitaire  de 
l'Erve  se  manifestait  chaque  jour  par  de  nouveaux  prodiges.  La  séquence 
que  l'on  chantait  le  jour  de  sa  fête,  affirme  qu'il  guérit  un  homme  d'un 
virus  mortel  par  le  signe  de  la  croix.  Par  le  même  moyen,  il  guérit  plusieurs 
aveugles;  et  de  nos  jours  encore  beaucoup  l'invoquent  avec  efficacité  dans 
les  infirmités  qui  affectent  la  vue.  Depuis  longues  années,  Sérené  travaillait 
avec  un  courage  infatigable  pour  s'enrichir  chaque  jour  de  nouveaux  mé- 
rites devant  Dieu.  Sous  les  glaces  de  l'âge,  on  remarquait  en  lui  la  même 
ardeur  pour  les  austérités  de  la  pénitence  et  les  travaux  de  son  ministère. 
Mais  l'heure  du  repos  était  arrivée  :  il  le  comprit  aussitôt  qu'il  fut  atteint 
de  la  maladie.  Après  avoir  donné  ses  dernières  instructions  à  ses  disciples, 
Sérené  reçut  avec  une  ferveur  extraordinaire  le  corps  du  Sauveur;  et  son 
âme,  ornée  d'innocence  et  de  mérites,  s'envola  au  ciel.  C'était  le  21  de  juil- 
let, vers  l'an  680.  Au  moment  même  où  son  âme  se  détacha  de  son  corps,  la 
foule  qui  s'était  réunie  autour  de  lui  entendit  dans  les  airs  les  chants  des 
anges  et  les  suaves  accords  d'une  mélodie  céleste.  Plusieurs  aussi  ressen- 
tirent l'impression  d'un  parfum  supérieur  à  tous  ceux  que  les  hommes 
peuvent  composer.  Aux  funérailles,  la  multitude  fut  si  considérable,  que 
l'on  eût  dit  que  toute  la  province  y  était  accourue;  et  tous  le  pleuraient 
comme  le  père  de  la  patrie,  dit  son  vieil  historien.  Il  fut  enseveli  dans  une 
église,  et  son  tombeau  devint  aussitôt  un  lieu  de  pèlerinage  très-fréquenté 
et  le  théâtre  d'innombrables  miracles. 

CULTE  DE  SAINT  SÉRENÉ  ET  DE  SAINT  SÉRÉNIC. 

Saint  Milehart,  évèque  de  Séez,  acheva  la  construction  de  l'église,  que  saint  Séienic  avait 
«ommencée,  et  en  fit  la  consécration.  Le  corps  de  saint  Sérenic  y  fut  transféré  et  enseveli  sous 
l'autel  majeur.  Moins  de  deux  siècles  après  son  heureux  trépas,  le  nombre  des  miracles  opérés 
par  notre  saint  abbé  était  si  grand,  et  la  dévotion  des  peuples  pour  le  thaumaturge  si  fervente, 
que  la  basilique  avait  cessé  de  porter  le  nom  de  Saint-Martin,  et  n'était  plus  connue  que  sous  le 
nom  de  Saiut-Sérenic.  La  paroisse  du  diocèse  de  Séez,  sur  laquelle  était  situé  le  monastère  fondé 
par  saint  Sérenic,  le  reconnaît  depuis  plus  de  huit  siècles  pour  son  patron.  De  même  la  paroisse 
de  Saint-Clérin,  près  de  Bonnétable,  nommée  souvent  dans  les  titres  anciens  Saint-Cénerin  et 
Saint-Céneric,  l'honore  de  tout  temps  comme  son  protecteur  auprès  de  Dieu.  Une  tradition  an- 
cienne veut  que  le  bienheureux  anachorète  ait  vécu  quelque  temps  sur  son  territoire,-  et  que  les 
moines  qu'il  y  avait  implantés,  aient  donné  origine  au  prieuré  qui  y  fleurit  pendant'plusieurs 
siècles.  A  l'époque  des  invasions  normandes,  vers  l'an  910,  les  reliques  de  saint  Sérenic  furent 
transportées  à  Château-Thierry,  en  Champagne.  Elles  y  furent  conservées  longtemps  dans  l'église 
du  Château-Fort  ;  mais  cette  église  ayant  été  détruite,  les  reliques  du  Saint  furent  transportées 
dans  l'église  de  Saint-Crépin,  principale  paroisse  de  la  ville.  On  venait  surtout  à  Château-Thierry 
invoquer  saint  Sérenic  contre  la  fièvre.  C'était  la  dévotion  de  la  ville  et  de  tout  le  pays,  comme 
celle  de  sainte  Geneviève  était  la  dévotion  de  Paris.  «  Malheureusement  »,  nous  écrivait  le  13  no- 
vembre 1858,  M.  Husson,  curé  archiprêtre  de  Château-Thierry,  «  à  l'époque  de  la  Révolution  de 
1793,  la  magnifique  châsse  qui  renfermait  ces  reliques  fut  brisée,  les  ossements  jetés  çà  et  là 
dans  l'église,  alors  théâtre  affreux  de  profanation  et  de  destruction.  De  pieux  fidèles  recueillirent 
quelques  fragments  de  ces  précieuses  reliques,  tels  qu'un  os  du  bras,  une  côte,  etc.  Un  acte  au- 
thentique fut  dressé  à  ce  sujet,  et  ces  reliques  sont  conservées  maintenant  dans  notre  église  parois- 
siale, dans  une  petite  châsse.  La  fête  du  Saint  n'est  plus  célébrée  ;  seulement,  le  jour  de  la  fête, 
le  8  mai,  on  expose,  sans  aucune  cérémonie,  les  reliques  au  milieu  de  l'église,  pour  répondre  à  la 
dévotion  des  fidèles  des  campagnes  voisines,  qui  viennent  les  vénérer,  et  on  les  laisse  exposéei 
pendant  huit  jours  ». 


SAINT  SÉRÉNIC  ET  SAINT  SÉRENÉ,  SON  FRÈRE.  381 

On  tient  par  tradition  que  la  sépulture  première  de  saint  Sérené  eut  lieu  dans  la  chapelle  qui 
porte  encore  son  nom,  dans  le  bourg  de  Saulges.  Il  y  rassemblait,  dit-on,  le  peuple  et  ses  dis- 
ciples pour  leur  donner  ses  instructions.  Ces  souvenirs  recommandent  à  la  piété  des  fidèles  cet  édi- 
fice qui  ne  conserve  néanmoins  aucun  caractère  architectonique  capable  d'en  déterminer  l'âge  ; 
la  partie  supérieure  du  bâtiment  parait  même  avoir  été  reconstruite  à  une  époque  qui  ne  doit  pas 
être  très-reculée. 

Après  la  mort  de  saint  Sérené,  ses  vénérables  dépouilles  reposèrent  donc,  durant  quelque 
temps,  dans  l'église  où  ses  disciples  les  avaient  ensevelies.  Mais,  vers  les  premières  années  du 
XIIIe  siècle,  la  seigneurie  de  la  paroisse  de  Saulges  fut  donnée  à  l'évêque  d'Angers.  Ce  prélat 
proposa  à  l'évêque  du  Mans  de  faire  un  échange  avec  une  terre  que  celui-ci  possédait  dans  le  dio- 
cèse d'Angers  et  qui  se  nommait  Vicus  epùcopi,  Ville-l'Evèque,  à  quatre  lieues  de  la  capitale  de 
l'Anjou.  Avant  la  conclusion  du  traité,  l'évêque  d'Angers  fit  transporter  les  reliques  de  saint  Sé- 
rené dans  sa  ville  épiscopale.  Au  ix«  siècle,  le  moine  qui  écrivit  le  récit  des  actions  de  saint  Sé- 
rené, affirmait  que  l'on  voyait  encore  les  restes  de  soii  tombeau  dans  l'église  où  il  avait  été  ense- 
veli. Ainsi,  dès  le  vme  siècle,  le  bourg  de  Saulges  fut  privé  des  reliques  de  son  saint  protecteur  ; 
mais  la  vénération  pour  l'illustre  solitaire  n'en  fut  pas  diminuée  :  tout  le  pays  était  rempli  du 
souvenir  de  ses  prodiges.  Il  est  vraisemblable  que  les  disciples  de  Sérené  formèrent  aussitôt  un 
monastère  pour  y  pratiquer  les  règles  qu'il  leur  avait  données.  Dès  le  vne  siècle,  le  bienheureux 
Mérole  établit  sa  demeure  dans  le  monastère  dit  de  Saint-Pierre,  à  Saulges.  Ce  monastère  suc- 
comba, avec  un  grand  nombre  d'autres  sanctuaires,  durant  les  tempêtes  du  ixe  siècle,  par  les  ra- 
vages des  Normands,  ou  par  les  guerres  intestines.  Toutefois,  l'église  de  Saint-Pierre,  à  Saulges, 
subsistait  encore  au  temps  de  l'évêque  du  Mans  Vulgrin  (1055-1064).  Ce  fut  alors  que  Guy  de 
Saulges,  avec  l'assentiment  de  Hugues,  seigneur  de  Sillé-le-Guiîlaume,  son  suzerain,  rétablit  le 
monastère.  Depuis  les  fatales  guerres  du  xve  siècle,  il  n'y  a  plus  à  Saulges  ni  prieuré  ni  religieux 
pour  accueillir  les  pèlerins  :  et  toutefois  ils  visitent  encore  en  grand  nombre,  chaque  année,  ce 
sanctuaire,  dans  lequel  la  puissance  de  saint  Sérené  ne  cesse  d'éclater.  Le  lieu  du  pèlerinage  est 
à  une  certaine  distance  du  bourg  de  Saulges,  au  fond  d'un  vallon  des  plus  gracieux,  sur  la  rive 
gauche  de  l'Erve,  qui  coule  à  pleins  bords,  et  est  assez  large  en  cet  endroit,  étant  retenue  par  la 
chaussée  d'un  moulin,  à  quelques  pas  au  dessous.  Il  y  a  quelques  années,  la  statue  du  Saint,  qui 
n'est  qu'une  modeste  figure  en  bois,  reposait  sous  un  simple  toit  menaçant  ruine.  En  1849,  la  pa- 
roisse de  Saulges  et  M.  le  marquis  Henri  de  la  Rochelambert  firent  réparer  ce  sanctuaire  avec  goût 
et  solidité.  Un  peu  plus  tard,  en  1858,  M.  le  marquis  de  la  Rochelambert,  Mme  la  marquise  de  la 
Rochelambert,  M.  Adrien  de  Monfrand  et  M"1  de  Monfrand  donnèrent  la  propriété  de  ce  sanctuaire 
et  du  terrain  environnant  à  la  fabrique  de  Saulges.  La  statue  de  saint  Sérené  repose  dans  une 
niche  pratiquée  dans  le  mur.  On  lit  au  dessous  une  inscription  qui  rappelle  les  principales  actions 
du  bienheureux.  Sous  les  pieds  du  thaumaturge  jaillit  une  source  d'eau  vive  qui  va  se  perdre  dans 
l'Erve.  Il  est  d'usage  pour  les  pèlerins,  après  avoir  fait  leurs  prières,  de  s'approcher  de  cette 
source  et  d'y  boire  quelques  gouttes  d'eau.  Beaucoup,  venus  pour  demander  la  guérison  de  quelque 
maladie,  lavent  avec  l'eau  de  la  source  la  partie  de  leur  corps  où  siège  la  douleur,  et  dans  les  der- 
nières années  (1850-1868)  on  a  vu  plusieurs  cures  dues  à  cet  acte  de  piété.  Enfin,  un  grand  nombre 
de  pieux  visiteurs  ont  coutume  de  remporter  une  bouteille  de  cette  eau  comme  un  souvenir  et  un 
gage  de  la  protection  du  saint  tutélaire  de  la  contrée. 

Aussitôt  que  la  ville  d'Angers  se  fut  enrichie  des  précieuses  reliques  de  saint  Sérené,  elle 
les  vénéra  tout  particulièrement.  Une  prébende  de  la  cathédrale  portait  le  nom  de  saint  Sé- 
rené ;  et  on  érigea  de  bonne  heure  un  autel  en  son  honneur.  Dès  le  ix»  siècle,  on  célé- 
brait la  fête  de  ce  Saint  ;  et  c'est  son  premier  historien  qui  l'affirme  de  la  façon  la  plus 
positive.  Cette  même  fête  est  indiquée  dans  le  missel  d'Angers,  imprimé  en  1498  :  elle  y 
est  double  à  cinq  chapes  ;  il  y  a  une  messe  propre  avec  séquence  ;  ce  qui  ne  s'accordait, 
dans  les  usages  du  temps,  qu'aux  patrons  et  aux  saints  principaux.  Dans  les  litanies  du  rituel, 
publié  par  Henri  Arnaud,  réimprimé  sous  Jean  de  Vaugiraud,  et  en  usage  jusqu'en  1828,  on 
invoque  saint  Sérené  avec  saint  Antoine,  saint  Benoit,  saint  Bernard  et  saint  Dominique.  Saint 
Sérené,  ou  Cérené,  est  du  rit  double,  avec  une  oraison  et  leçons  propres,  depuis  l'adoption 
du  Romain  (1er  dim.  d'Avent,  1858),  en  vertu  de  l'approbation  de  la  S.-C.  des  Rites,  en  date 
du  il  juin  1851.  On  ne  fait  plus  mémoire  de  saint  Sérenic  (ou  Cérenic,  vulgairement  Célérin, 
au  pays  du  Maine),  ainsi  qu'on  le  faisait  autrefois  de  temps  immémorial.  —  L'autel  de  saint  Sé- 
neré  n'existe  plus.  —  Il  n'y  a  plus  de  pèlerinage,  en  son  honneur,  à  la  cathédrale. 

La  confiance  que  les  Angevins  plaçaient  en  saint  Sérené  paraît  surtout  pour  le  culte  qu'ils  ren- 
daient a  ses  reliques.  Sa  châsse  était  solennellement  portée  aux  processions  des  Rameaux,  de  saint 
Marc,  des  Rogations,  le  jour  de  l'Ascension  et  le  21  juillet,  fête  de  notre  Saint.  Ces  processions 
étaient  très-solennelles;  on  y  déployait  une  grande  pompe,  et  elles  faisaient  tout  le  tour  de  la  cité. 
Les  curés  de  Sainte-Croix,  Saint-Evroult  et  Saint-Aignan,  et  l'un  des  chapelains  du  Chapitre  chargé 
de  la  garde  des  reliques,  jouissaient  du  privilège  de  porter  la  châsse  sur  leurs  épaules.  Si  quelque 
procession  solennelle  était  extraordinairement  indiquée,  c'était  encore  la  châsse  de  saint  Sérené 
que  l'on  portait.  Lorsqu'une  maladie  contagieuse  affligeait  le  pays,  on  descendait  la  châsse  de 
jaint  Sérené,  et  on  la  transportait  dans  l'une  des  églises  de  la  ville.  Cette  châsse,  mentionnée  dans 


382  7  MAI. 

tous  les  inventaires,  notamment  dans  celui  du  18  mars  1421,  (propriété  de  M.  Joubert,  chan.  bon., 
custode)  a  disparu  pendant  la  Révolution,  et  ses  ossements  mêlés  avec  ceux  trouvés  dans  les  tom- 
beaux violés,  ont  été  enfouis  pêle-mêle  dans  un  lieu  maintenant  ignoré  de  la  cathédrale.  En  1681, 
1782  et  1786,  l'évèque  d'Angers,  le  doyen  et  les  chanoines  ouvrirent  la  châsse  pour  donner  des 
reliques  aux  paroisses  de  Saulges,  de  Sablé  et  du  Plessis-Grammoire,  qui  en  avaient  sollicité  avec 
instance. 

La  paroisse  de  Chemiré-sur-Sarthe  honore  saint  Sérené  d'un  culte  particulier.  Lorsque  le 
corps  du  serviteur  de  Dieu  fut  transféré  de  Saulges  à  Angers,  dit  la  tradition,  le  cortège  qui  le 
portait  fit  une  station  dans  le  village,  au  lieu  appelé  aujourd'hui  la  chapelle  de  Saint-Sérené  ou 
des  Grenouilles.  Peu  après  cet  événement,  on  construisit  cette  chapelle  en  l'honneur  du  saint  car- 
dinal; les  personnes  atteintes  de  la  goutte  s'y  rendaient  fréquemment  pour  y  être  soulagées  de 
leur  mal,  jusqu'à  la  fin  du  xvu°  siècle.  Nous  lisons,  dit  D.  Piolin,  dans  les  Mémoires  de  Joseph 
Grandet  :  «  Il  y  a  à  Château-Gontier  un  cimetière  nommé  le  Martray,  où  est  une  petite  chapelle  de 
saint  Sérené,  que  l'on  prétend  avoir  été  autrefois  le  lieu  où  le  Saint  s'était  retiré  en  solitude,  et 
où  il  se  fait  tous  les  ans  une  espèce  de  miracle  dans  une  fontaine  dont  les  eaux  commencent  à 
couler  la  veille  de  la  fête  (du  saint  patron),  quelque  sécheresse  qui  soit  dans  le  pays,  et  continue 
de  couler  pendant  quinze  jours  ».  Depuis  les  mauvais  jours  de  la  Révolution,  la  chapelle  de  Saint- 
Sérené,  sur  le  monticule  du  Martray,  n'existe  plus  ;  mais  on  en  voit  encore  plusieurs  pans  de  mu- 
raille, et  à  côté,  on  distingue  encore  le  lieu  où  était  l'habitation  du  saint  cardinal.  Beaucoup  de 
personnes  dans  le  pays  ont  oublié  son  nom,  mais  n'ont  pas  cessé  de  l'honorer  sous  le  vocable 
générique  du  Saint  solitaire  ;  d'autres  l'appellent  saint  Cénerin.  La  chapelle  était  autrefois  très- 
vénérée  et  le  but  de  nombreux  pèlerinages  ;  mais,  dès  avant  1792,  cependant,  on  n'y  disait  plus 
la  messe  et  l'on  ne  s'y  rendait  plus  en  procession.  On  y  voyait  deux  statues  :  l'une  de  la  sainte 
Vierge,  et  l'autre  de  saint  Sérené  en  costume  de  cardinal.  La  foule  des  pèlerins  s'y  trouvait  tou- 
jours plus  considérable  le  21  juillet  de  chaque  année.  Les  funestes  doctrines  préconisées  par  le 
xvine  siècle  ne  purent  ralentir  la  piété  des  habitants  de  Chàteau-Gontier  et  de  la  contrée  voisine 
pour  le  saint  solitaire  qui  avait  sanctifié  ces  lieux;  de  nos  jours  encore,  il  ne  se  passe  pas  de  se- 
maine où  de  pieux  chrétiens  ne  viennent  puiser  de  l'eau  à  la  fontaine  ;  et  ces  fervents  pèlerins 
viennent  souvent  de  parages  éloignés.  C'est  surtout  en  faveur  des  personnes  atteintes  de  maladies 
d'yeux  ou  de  faiblesse  de  vue  que  saint  Sérené  raauifeste  sa  puissance  à  l'aide  de  cette  eau.  Il  e6t 
sans  doute  à  regretter  que  l'édilité  de  Château-Gontier,  peu  de  temps  après  1830,  ait  cru  devoir 
détourner  le  coui-s  de  cotte  fontaine,  qui  se  trouvait  jusqu'alors  près  de  la  chapelle  ;  mais  on  doit 
lui  savoir  gré  d'avoir  conservé  au  boulevard  voisin  le  nom  de  Saint-Sérené. 

La  ville  de  Sablé  professe  pour  saint  Sérené  une  vénération  traditionnelle,  qui  assurément  remonte 
aune  haute  antiquité.  En  1782,  elle  pria  le  Chapitre  d'Angers,  le  siège  épiscopal  vacant,  de  lui  ac- 
corder des  reliques  de  ce  Saint.  Les  chanoines  accueillirent  favorablement  sa  requête.  Le  12  juillet 
de  l'année  suivante,  Henri  Hanuche,  docteur  en  théologie,  curé  de  Notre-Dame  de  Sablé  et  doyen  rural, 
obtint  de  François-Gaspard  de  Jouffroy-Gonssanst  évêque  du  Mans,  la  permission  de  faire  une  réception 
solennelle  aux  reliques  de  saint  Sérené  ;  de  célébrer  la  fête  annuelle  de  ce  Saint  du  rite  solennel  ma- 
jeur le  dimanche  le  plus  voisin  du  21  juillet,  et  d'accomplir  en  ce  jour  une  procession  solennelle  par  les 
rues  de  la  ville,  en  portant  les  saintes  reliques  ;  enfin  d'honorer  saint  Sérené  comme  patron  secon- 
daire de  la  paroisse.  Malgré  les  ravages  de  la  Révolution,  l'église  de  Sablé  possède  encore  deux 
fragments  des  os  de  saint  Sérené,  qui  ont  été  reconnus  authentiquement  le  22  juillet  1839  par 
Mgr  Jean-Baptiste  Bouvier,  évèque  du  Mans.  Grâce  au  zèle  pieux  de  M.  Louis  Couret,  ancien  curé 
de  Sablé,  ces  saintes  reliques  reposent  dans  uue  belle  châsse,  acquise  en  1856.  A  cette  occasion, 
la  paroisse  de  Saulges,  qui  ne  possédait  plus  aucune  relique  du  serviteur  de  Dieu  son  protecteur, 
fut  assez  heureuse  pour  obtenir  un  petit  fragment  de  l'un  de  ses  os. 

Dès  l'an  16S5,  Robert  Dodard,  bachelier  en  théologie  et  curé  de  la  paroisse  de  Saint-Sérené 
(Céneré),  près  de  Montsûrs,  obtint  du  Chapitre  d'Angers  et  de  l'évèque  Henri  Arnaud,  une  côte 
du  saint  anachorète.  La  requête  de  Robert  Dodard  constate  que  de  nombreux  pèlerins  se  rendaient 
chaque  année  dans  l'église  de  Saint-Sérené  pour  implorer  le  bienheureux  patron.  La  translation 
se  fit  avec  la  plus  grande  pompe.  Quoique  profanée  par  l'impiété  révolutionnaire,  la  précieuse 
relique  fut  recueillie  parle  curé  Michel-François  Leduc,  un  confesseur  de  la  foi  durant  la  persécution. 
i. commue  par  l'autorité  diocésaine,  cette  relique  est  encore  exposée  à  la  vénération  des  fidèles. 
On  vient  de  construire  une  nouvelle  église  en  l'honneur  de  saint  Sérené,  et  notre  Saint-Père  le 
(  ape  Pie  IX,  autrefois  archevêque  de  Spolète,  patrie  de  nos  Saints,  a  daigné  bénir  lui-même  la 
première  pierre. 

Par  suite  de  l'une  ou  l'autre  de  ces  donations,  la  cathédrale  d'Angers  est  rentrée  en  possession 
de  quelques  parcelles  des  reliques  de  saint  Sérené,  et  même  de  saint  Séneric,  et  par  une  ordon- 
nance de  Mgr  Augebaut,  27  septembre  1859,  ces  reliques,  suivant  l'ancien  usage,  sont  portées  aux 
processions  de  saint  Marc  et  des  Rogations.  M.  l'abbé  Barbier,  alors  garde-reliques,  en  soumettant 
à  Sa  Grandeur  l'ordonnance  qu'elle  signa  à  ce  sujet,  oublia  sans  doute  de  faire  la  même  demande 
pour  le  jour  de  l'Ascension  de  Notre-Seigneur,  en  sorte  que  l'ancien  usage  n'est  rétabli  qu'à  demi. 

On  ne  célébrait  pas  la  fête  de  saint  Sérené  dans  tout  le  diocèse  du  Mans  avant  l'année  1748; 
Charles  de  Froullay,  qui  introduisit  alors  une  nouvelle  liturgie,  l'y  fit  entrer  en  simple  mémoire. 


SAINT  BENOÎT   II,   PAPE.  383 

Dans  le  nouveau  propre  du  diocèse  du  Mans,  on  n'a  pas  jugé  à  propos  de  conserver  la  fête  de  cet 
illustre  solitaire  ;  mais  l'église  de  Laval  a  été  heureusement  inspirée  en  lui  consacrant  une  fête 
double.  Enfin,  l'église  de  Séez,  qui,  de  temps  immémorial,  célèbre  la  fête  de  saint  Séreuic,  le 
il  mai,  ainsi  qu'on  peut  le  voir  par  les  missel  et  bréviaire  de  1496  et  années  suivantes,  fait  men- 
tion du  solitaire  de  l'Erve.  comme  d'un  puissant  et  glorieux  ami  de  Dieu,  dans  les  leçons  de 
l'office  consacré  à  son  illustre  frère  saint  Sérenic1. 

17e  de  saint  Sérené  et  le  Pèlerinage  de  Saulges,  par  le  R.  P.  Dom  Paul  Piolin,  bénédictin  de  la  Con- 
grégation de  France,  2e  édition;  Angers,  in-32,  1868.  —  ÂA.  SS.  au  7  mai;  Dora  Piolin,  Histoire  du 
diocèse  du  Mans,  t.  rer. —  M.  Husson,  chanoine  honoraire  et  cuïé-archipiitre  de  Château-Thierry,  par  sa 
lettre  en  date  du  13  novembre  185S,  a  bien  voulu  nous  fournir  des  renseignements  sur  le  culte  et  les 
reliques  de  saint  Sérenic. 


SAINT  BENOIT  II,  PAPE 

685.  —  Empereur  d'Orient  :   Constantin   Pogonat. 


Laus  divina  mihi  semper  fuit  unica  cura  ; 

Post  obilum  sit  laus  divina  mihi  unica  merces. 

Chanter  les  louanges  de  Dieu  a  été  sur  la  terre  mon 
unique  occupation  :    Que  ce  soit   après   ma   mort 
mon  unique  récompense. 
Epitaphe  du  pieux  Ouvrard,    maître  de  musique  à 

la  cathédrale  de  Tours. 

Benoît  II  était  Romain  de  naissance,  et  fut  attaché  au  service  de  l'Eglise 
dès  son  jeune  âge.  Il  étudia  l'Ecriture  sainte  avec  beaucoup  d'application, 
et  se  rendit  fort  habile  dans  la  science  du  chant  ecclésiastique.  Il  prenait  un 
singulier  plaisir  à  chanter  les  louanges  du  Seigneur,  et  regardait  cette  fonc- 
tion comme  un  apprentissage  de  ce  que  font  les  bienheureux  dans  le  ciel. 
Sa  tendre  piété  et  ses  autres  vertus  le  firent  élever  au  sacerdoce  :  il  eut  une 
grande  part  au  gouvernement  de  l'Eglise  sous  les  papes  Agathon  et  Léon  II. 
Après  la  mort  de  ce  dernier,  arrivée  en  683,  il  fut  élu  pour  lui  succéder  ; 
mais  son  intronisation  n'eut  lieu  que  l'année  suivante,  parce  qu'il  fallut 

1.  Nous  ajoutons  ici  quelques  renseignements  qu'on  a  bien  voulu  nous  transmettre  d'Angers  sur  les 
reliques  de  la  cathédrale  de  cette  ville  : 

1'  Saint  Maurille.  La  nouvelle  châsse  de  1471  (tome  i«r  de  nos  manuscrits),  pesant  245  marcs  1  once 
1/2  gros  d'argent,  et  14  marcs  7  onces  2  gros  en  or,  ornée  de  pierreries,  a  disparu  avec  les  reliques  dans 
la  tourmente  révolutionnaire. 

L'église  de  Notre-Dame  de  Chalonnes  a  donné  à  la  cathédrale  une  parcelle  des  ossements  de  notre 
saint  Maurille,  12  septembre  1860. 

2°  Saint  Mainbœuf.  Trois  ossements  provenant  de  l'ancienne  collégiale  de  Saint-Mainbœuf,  maintenant 
détruite.  Il  y  a  un  fragment  notable  d'une  de  ses  eûtes. 

3°  Saint  René.   Un  os  du  pied,  donné  a  la  cathédrale  par  l'église  de  Notre-Dame  de  Chalonnes  (Anjou). 

4*  Saint  Maurice.  Quatre  ossements  avec  un  os  d'un  de  ses  compagnons  martyrs.  Consulter  le  registre 
des  actes  épiscopaux,  pages  210-211,  à  l'évêché,  pour  une  belle  parcelle  des  ossements  de  saint  Martin, 
donnée  par  Mgr  Morlot. 

5°  Saint  Loup,  évêque  d'Angers.  Sept  ossements,  savoir  :  partie  inférieure  du  fémur  droit,  fragment 
de  la  diaphyse  d'un  fémur,  deuxième  vraie  côte  droite,  douze  vertèbres  dorsales,  extrémité  antérieure 
d'une  vraie  côte,  extrémité  inférieure  du  tibia,  fragment  d'un  pariétal.  Ces  reliques  proviennent  de  l'an- 
cienne église  Saint-Martin  (non  rendue  au  culte!!!),  comme  il  est  constaté  par  les  authentiques  du  vi- 
caire général,  de  M.  Henri  Arnaud,  1692,  et  de  M.  Mortault,  14  juillet  1S03. 

6"  Saint  Eutrope.  L'extrémité  postérieure  du  troisième  métatarsien,  donnée  le  9  novembre  1860,  par 
Mgr  de  La  Rochelle.  Cette  belle  parcelle  a  été  demandée  et  obtenue  en  e'change  d'une  parcelle  de  saint 
Mainbœuf,  évêque  d'Angers,  et  en  mémoire  de  l'ancienne  confraternité  des  Chapitres  d'Angers  et  de  la 
Rochelle. 

7"  Une  très-petite  parcelle  de  saint  André,  apôtre,  dont,  en  1495,  la  cathédrale  possédait  un  bras. 
(Inventaire  du  2  février,  t.  ier.)  Cette  petite  parcelle  a  été  donnée  à  la  cathédrale  depuis  peu  de  temps 
avec  beaucoup  d'autres  :  apôtres,  martyrs,  etc.   Quelques-unes  sont  très-belles. 


384  7  mai. 

attendre  le  retour  des  envoyés  qui  étaient  allés  à  Constantinople  prier  l'em- 
pereur Constantin  Pogonat  de  confirmer  son  élection,  selon  l'usage  qui  se 
pratiquait  alors.  Benoît,  secondé  par  ce  prince,  mit  beaucoup  de  zèle  à 
faire  recevoir  partout  les  décrets  du  Concile  général  de  Constantinople 
contre  les  Monothélites.  Les  évêques  d'Espagne  s'assemblèrent  à  Tolède 
pour  souscrire  à  la  décision  de  foi  faite  à  Constantinople,  et  ils  envoyèrent 
une  copie  de  leur  décret  avec  un  exposé  de  leurs  sentiments  sur  le  point 
controversé.  Quoiqu'ils  reconnussent  deux  volontés  en  Jésus-Christ,  Benoît 
trouva  cependant  que  les  expressions  dont  ils  se  servaient  n'étaient  point 
assez  claires,  et  il  les  pria  de  s'expliquer  de  manière  à  ne  laisser  aucun 
doute  sur  leur  orthodoxie,  ce  qu'ils  firent  dans  le  quinzième  concile  de 
Tolède.  Il  travailla  aussi  de  tout  son  pouvoir  à  ramener  à  de  meilleurs  sen- 
timents Macaire,  patriarche  d'Antioche,  qui  avait  été  déposé  pour  cause 
d'hérésie. 

Comme  l'usage  de  demander  à  l'empereur,  qui  résidait  à  Constantino- 
ple, la  confirmation  de  l'élection  d'un  nouveau  pape,  entraînait  de  longs 
délais  qui  étaient  préjudiciables  à  l'Eglise,  le  Saint  pria  Constantin  d'y 
apporter  remède,  et  le  prince  donna  une  loi  adressée  au  clergé,  au  peuple 
et  à  l'armée  de  Rome,  par  laquelle  il  permettait  de  procéder  sur-le-champ 
à  l'intronisation  de  celui  qu'ils  auraient  élu  pour  pape.  Cet  empereur  avait 
beaucoup  de  vénération  pour  Benoît  :  il  lui  en  donna  une  preuve  en  lui 
envoyant  à  Rome  une  boucle  des  cheveux  de  ses  deux  fils,  Justinien  et  Hé- 
raclius.  C'était  une  espèce  d'adoption  usitée  dans  ce  temps-là  :  celui  qui 
recevait  des  cheveux  d'un  jeune  homme  était  en  quelque  sorte  regardé 
comme  son  père.  Benoît  II  travailla  beaucoup  à  la  conversion  des  héréti 
ques  ;  il  s'appliqua  aussi  à  réparer  et  à  orner  les  églises.  Il  illustra  par  une 
multitude  de  bonnes  œuvres  son  trop  court  pontificat,  qui  fut  de  dix  mois 
seulement.  L'humilité,  la  douceur,  la  patience,  la  mortification  et  l'amour 
des  pauvres,  telles  étaient  les  principales  vertus  qui  brillaient  dans  ce 
saint  Pape.  Il  mourut  le  7  mai  685,  et  fut  enterré  dans  l'église  de  Saint- 
Pierre.  Sa  mort  fut  un  deuil  pour  les  pauvres.  On  peut  représenter  saint 
Benoît  II  faisant  l'aumône. 

Cf.  Liber  Pontificalis  ;  Artaud  de  Montor,  Hist.  des  Papes,  et  les  Hist.  de  l'Eglise. 


S.  STANISLAS,  ÉVÊQUE  DE  CRACOYIE,  MARTYR 

1030-1079.  —  Papes  :  Jean  XIX  ;  Grégoire  VII.  —  Souverains  de  Pologne  :  Miécillas  II  ;  Boleslas  II, 
le  Farouche.  —  Rois  de  France  :  Robert  II,  le  Pieux;  Philippe  Ier. 

Si  je  dis  au  pécheur  :  Tu  périras  !  et  si  tu  n'ouvres 
pas  la  bouche  pour  l'avertir  et  le  faire  revenir  de  son 
égarement,  le  pécheur  périra  à  cause  de  son  péché, 
mais  je  te  redemanderai  son  sang  à  toi-même.  Si,  au 
contraire,  tu  as  averti  le  pécheur  pour  le  faire  re- 
venir de  son  égarement,  et  s'il  n'a  pas  voulu 
t'écouter,  alors  il  sera  seul  cause  de  sa  perte,  et 
ton  âme  sera  sauvée. 

Ezéchiel,  sxxm,  8  et  9. 

Ce  saint  évêque  naquit  à  Sézépanow,  petit  bourg  de  Pologne,  éloigné 
seulement  de  deux  lieues  de  la  ville  de  Bochnie,  et  de  sept  de  la  ville  de 


SAINT  STANISLAS,  ÉVÊQUE  DE  CRAGOVIE,   MARTYR.  385 

Cracovie,  capitale  du  royaume.  Son  père,  nommé  Wielislas,  était  l'un  des 
principaux  seigneurs  du  pays,  et  avait  acquis  beaucoup  de  réputation  dans 
les  armes  ;  et  sa  mère,  nommée  Bogna,  était  aussi  d'une  maison  très-illus- 
tre. Mais  leur  vertu  et  leur  rare  piété  les  élevaient  encore  au-dessus  de  leur 
naissance.  Ils  étaient  le  refuge  des  pauvres,  les  protecteurs  des  veuves,  les 
parents  des  orphelins,  et  exerçaient  avec  joie,  envers  les  étrangers,  la  vertu 
d'hospitalité.  Mais  autant  ils  étaient  doux  et  charitables  envers  les  autres, 
autant  ils  étaient  sévères  envers  eux-mêmes,  pratiquant  des  jeûnes,  des 
veilles  et  autres  austérités,  pour  purifier  leurs  âmes  et  les  orner  de  toutes 
les  vertus  chrétiennes  que  pouvait  demander  leur  condition.  Leur  zèle  les 
porta  même  à  bâtir,  d'un  commun  accord,  dans  l'une  de  leurs  terres,  une 
belle  église  ;  ils  la  dédièrent  à  sainte  Marie-Madeleine,  pour  laquelle  ils 
avaient  une  dévotion  particulière.  Ils  y  donnèrent  beaucoup  de  revenus  et 
quantité  d'ornements  et  de  vases  d'or  et  d'argent;  ils  y  allaient  le  jour  et 
la  nuit  faire  leurs  prières. 

Une  seule  chose  manquait  à  leur  bonheur  :  après  trente  ans  de  mariage, 
ils  n'avaient  pas  d'enfants  et  ne  pouvaient  plus  concevoir  humainement 
l'espérance  d'en  avoir.  Mais  comme  ils  mettaient  tout  leur  espoir  en  Dieu, 
et  qu'ils  le  priaient  avec  ferveur  de  leur  donner  un  fils,  non  pour  perpétuer 
leur  nom  et  leur  illustre  race,  mais  pour  être  consacré  au  service  des  autels, 
leurs  vœux  furent  exaucés.  Ce  présent  du  ciel  naquit  le  26  juillet  1030.  Il 
fut  baptisé  dans  l'église  de  Sainte-Madeleine,  et  nommé  Stanislas.  Les 
leçons,  les  vertus  de  parents  si  éclairés  et  si  vertueux,  enseignèrent  de 
bonne  heure  la  piété  au  jeune  Stanislas.  Dans  un  âge  où  d'ordinaire  on  n'a 
de  goût  que  pour  les  amusements,  il  aimait  la  prière  et  la  mortification.  Il 
gardait  dans  ses  repas  la  plus  exacte  sobriété.  Il  lui  arrivait  souvent  de  cou- 
cher sur  la  terre  nue,  de  souffrir  volontairement  le  froid  et  plusieurs  autres 
incommodités.  Il  ne  se  permettait  de  récréation  qu'autant  qu'il  en  fallait 
pour  ne  pas  altérer  sa  santé.  Il  distribuait  aux  pauvres  l'argent  qu'il  rece- 
vait de  ses  parents  pour  des  plaisirs  légitimes.  Lorsqu'il  eut  fait  avec  succès 
ses  premières  études,  on  l'envoya  d'abord  à  Gnesne,  qui  était  alors  la  plus 
célèbre  université  de  Pologne,  et  ensuite  à  Paris,  où  il  s'appliqua,  pendant 
sept  ans,  à  la  science  du  droit  canonique  et  de  la  théologie.  Quoiqu'il  fût 
étranger  en  cette  ville,  il  ne  laissa  pas  de  s'y  faire  estimer  et  aimer  de  tout 
le  monde,  pour  la  beauté  de  son  esprit  et  un  certain  air  de  sagesse  et  d'hon- 
nêteté qui  reluisait  en  toutes  ses  actions.  On  voulait  le  faire  docteur  ;  mais 
il  le  refusa  par  humilité. 

De  retour  en  Pologne,  et  devenu,  parla  mort  de  ses  parents,  possesseur 
d'une  fortune  considérable,  Stanislas  disposa  de  tout  ce  qu'il  avait  en  faveur 
des  pauvres,  afin  de  servir  Dieu  avec  plus  de  liberté.  L'évêque  de  Cracovie, 
Lampert  Zula,  qui  connaissait  la  capacité  et  la  vertu  de  notre  Saint,  l'or- 
donna prêtre  et  le  fit  chanoine  de  sa  cathédrale.  Stanislas  fut  le  modèle  du 
Chapitre  :  il  affligeait  son  corps  par  l'abstinence,  lisait  et  méditait  conti- 
nuellement l'Ecriture  sainte,  veillait  beaucoup,  et  était  assidu  aux  divins 
offices.  Chargé  du  soin  d'annoncer  la  parole  de  Dieu,  il  s'en  acquitta  avec 
un  admirable  succès.  Sa  réputation  devint  si  grande,  que  plusieurs  ecclé- 
siastiques et  laïques  venaient  à  lui  de  toutes  les  provinces  de  la  Pologne, 
lui  proposer  leurs  doutes  et  le  consulter  sur  ce  qui  regardait  leur  cons- 
cience. 

Qui  n'eût  été  ravi  de  ses  réponses  ?  Elles  étaient  dictées  par  la  foi,  la 
prudence,  l'érudition,  la  sincérité  et  la  charité  la  plus  tendre.  Après  la  mort 
de  Lampert,  le  désir  du  vénérable  défunt,  les  vœux  réunis  du  roi,  du  clergé 

Vies  des  Saints.  —  Tome  V.  25 


386  1  mai. 

et  du  peuple,  appelèrent  Stanislas  à  lui  succéder  :  il  refusa  énergiquement  ; 
mais  il  lui  fallut  obéir  aux  ordres  formels  du  pape  Alexandre  II.  Il  fut  sacré 
en  1072.  Obligé  de  remplir  les  fonctions  des  Apôtres,  il  tâcha  d'en  pratiquer 
toutes  les  vertus.  Il  se  revêtit  d'un  cilice  qu'il  porta  toujours  jusqu'à  la 
mort,  afin  de  fortifier  son  esprit  en  mortifiant  sa  chair.  Il  ne  refusa  jamais 
son  conseil  et  son  assistance  à  personne,  et  son  plaisir  était  de  faire  du  bien 
à  tous  ceux  qui  s'adressaient  à  lui,  pour  les  gagnera  Jésus-Christ.  Sa  maison 
devint  le  refuge  des  pauvres  :  il  se  fit  donner  une  liste  exacte  des  veuves  et 
de  tous  ceux  qui  étaient  dans  le  besoin,  afin  de  les  secourir.  Tous  les  ans,  il 
visitait  son  diocèse,  et  apportait  un  prompt  remède  aux  désordres.  Il  exi- 
geait surtout  que  les  prêtres  menassent  une  vie  édifiante  et  agréable  à  Dieu, 
pour  servir  de  modèles  aux  autres,  et  offrir,  avec  des  mains  pures,  le  sacri- 
fice de  notre  réconciliation.  Il  s'appliquait  à  ne  rien  dire  que  de  grave,  de 
sérieux  et  de  digne  d'un  Pontife  de  Jésus-Christ. 

Il  n'avait  nulle  peine  à  oublier  les  injures,  et  vivait  avec  tout  le  monde 
avec  la  douceur  et  la  bonté  d'un  père.  Il  n'avait  de  prédilection  que  pour  les 
faibles  et  les  délaissés  :  il  protégeait,  avec  une  invincible  fermeté,  les  oppri- 
més, et  ce  fut  là  l'origine  des  persécutions  qui  lui  firent  remporter  la  palme 
du  martyre. 

La  Pologne  avait  alors  pour  roi  Boleslas  II.  Ce  prince  avait  montré  de  la 
valeur  dans  la  guerre  contre  les  Russes  ;  mais  il  se  plongea  dans  tous  les 
excès  de  la  débauche  et  de  la  tyrannie,  au  point  qu'on  l'appela  Boleslas  le 
Cruel.  Le  rapt  et  le  viol  étaient  les  crimes  journaliers  d'un  souverain  qui 
devait  faire  observer  les  lois  et  la  morale  dans  son  royaume  :  il  n'avait 
même  plus  ce  reste  de  pudeur  qui  cherche  les  ténèbres  pour  y  cacher  le 
crime. 

Personne  n'osait  lui  faire  la  moindre  remontrance  sur  ses  désordres. 
Stanislas,  plus  hardi  que  les  autres,  ne  craignit  pas  de  l'aller  trouver  :  il  lui 
représenta  l'énormité  de  ses  crimes  et  les  conséquences  funestes  de  ses  scan- 
dales. Le  prince  chercha  d'abord  à  s'excuser  par  de  vaines  raisons  ;  vivement 
pressé  par  les  justes  exhortations  du  Saint,  il  parut  enfin  se  repentir  et  pro- 
mit de  se  corriger. 

Mais  ces  résolutions,  si  elles  étaient  sincères,  ne  furent  point  durables. 
Boleslas  continua  sa  vie  scandaleuse.  Ainsi,  il  fit  enlever  de  force  dans  la 
province  de  Siradie,  la  femme  du  seigneur  Miécislas,  appelée  Christine,  et 
aussi  remarquable  par  sa  vertu  que  par  sa  beauté.  Cet  acte  immoral  et 
tyrannique  fit  frémir  d'indignation  toute  la  noblesse  polonaise.  Elle  pria 
l'archevêque  de  Gnesne,  primat  du  royaume,  et  les  évêques  qui  allaient  à  la 
cour,  de  parler  fortement  au  roi  ;  mais  ces  prières  furent  inutiles.  Les  pré- 
lats ne  dirent  rien  pour  ne  pas  déplaire  à  leur  souverain.  La  noblesse  se 
vengea  d'eux  en  publiant  partout  qu'ils  étaient  des  âmes  mercenaires  et 
qu'ils  avaient  bien  moins  égard  à  la  cause  de  Dieu  qu'à  leur  fortune  et  à 
leur  ambition.  Stanislas  seul  osa  une  seconde  fois  se  charger  de  la  dange- 
reuse mission  d'affronter  le  roi.  Après  s'y  être  préparé  par  de  ferventes 
prières,  il  alla,  escorté  de  quelques  seigneurs  et  de  quelques  ecclésiastiques, 
trouver  Boleslas  :  d'une  voix  modeste  et  respectueuse,  il  l'exhorta  à  cesser 
ses  désordres,  et  lui  dit  même,  en  terminant,  que,  s'il  ne  se  corrigeait  pas, 
il  s'exposait  aux  censures  de  l'Eglise.  Cette  menace  d'excommunication  jeta 
le  roi  dans  une  grande  fureur.  Il  injuria  grossièrement  le  courageux  pré- 
lat, et  lui  dit  :  «  Quand  on  sait  parler  si  peu  convenablement  à  un  roi,  on 
devrait  être  porcher  et  non  évêque  ». 

Stanislas,  sans  se  laisser  intimider,  renouvela  ses  instances,  et  comme  le 


SAINT   STANISLAS,   ÉVÊQUE   DE   CRACOVIE,   MARTYR.  387 

roi  lui  avait  reproché  de  manquer  de  respect  à  la  majesté  royale,  il  lui  dit 
ces  paroles,  dignes  d'être  méditées  :  «  N'établissez  aucune  comparaison 
entre  la  dignité  royale  et  la  dignité  épiscopale  ;  car  en  ce  cas  je  vous  dirais 
que  la  première  est  à  la  seconde,  ce  que  la  lune  est  au  soleil,  ou  le  plomb  à 
l'or  ».  Le  roi,  ne  sachant  que  répondre  à  des  paroles  aussi  sages  et  aussi 
vraies,  se  retira  brusquement  sans  congédier  l'évêque.  Le  monarque  résolut 
dès  lors  de  se  venger.  Comme  la  conduite  de  l'évêque  de  Cracovie  était 
irréprochable,  Boleslas  n'y  trouva  pas  le  moindre  prétexte  à  ses  persécu- 
tions. Il  eut  recours  à  la  calomnie.  Stanislas  avait  acheté,  d'un  seigneur 
nommé  Pierre,  la  terre  de  Piotrawin,  en  avait  payé  le  prix  en  présence  de 
témoins,  et  l'avait  donnée  et  unie  à  l'église  de  Cracovie.  Aucune  formalité 
n'avait  manqué  à  cette  vente.  Néanmoins,  Stanislas  n'avait  pas  exigé  une 
quittance  du  vendeur,  ayant  pleine  confiance  en  la  bonne  foi  des  témoins 
devant  lesquels  il  l'avait  payé.  Pierre  était  mort.  Le  roi  fit  venir  ses  neveux, 
les  exhorta  à  redemander  cet  héritage  comme  un  bien  usurpé  par  l'évêque, 
et  les  assura  qu'il  intimiderait  si  bien  les  témoins,  qu'ils  n'oseraient  jamais 
ouvrir  la  bouche  ni  déposer  la  vérité.  Ces  héritiers  suivirent  les  instructions 
de  Boleslas,  intentèrent  le  procès,  et  citèrent  l'évêque  devant  le  roi. 

Notre  Saint  comparut  devant  une  assemblée  nombreuse  de  juges  que  le 
roi  présidait,  comme  cela  se  pratiquait  pour  certaines  causes.  Ses  adver- 
saires se  plaignirent  de  ce  qu'il  avait  usurpé  leur  bien,  et  lui  soutint,  au 
contraire,  qu'il  l'avait  acheté  et  bien  payé.  Ils  le  nièrent  ;  alors  le  Saint 
allégua  des  témoins  :  on  les  fit  venir  ;  mais  ils  étaient  si  fort  effrayés  par  les 
menaces  qu'on  leur  avait  faites,  qu'ils  n'eurent  pas  le  courage  de  parler. 

Stanislas  allait  être  condamné  comme  usurpateur  du  bien  d'autrui. 
Alors,  ayant  élevé  son  cœur  à  Dieu,  il  en  reçut  une  inspiration  soudaine  : 
il  demanda  à  ses  juges  trois  jours  de  délai,  promettant  de  faire  comparaître, 
en  personne,  Pierre  son  vendeur,  mort  depuis  trois  ans.  On  le  lui  accorda  par 
moquerie.  Le  Saint  jeûna,  veilla,  pria  Notre-Seigneur  de  défendre  sa  cause, 
et,  le  troisième  jour,  après  avoir  dévotement  célébré  la  sainte  messe,  il  s'en 
alla,  revêtu  de  ses  habits  pontificaux,  escorté  de  ses  clercs  et  de  beaucoup 
de  fidèles,  à  l'endroit  où  Pierre  était  enterré,  fit  ôter  la  tombe,  creuser  la 
terre,  et,  quand  le  cadavre  fut  découvert,  il  le  toucha  de  son  bâton  pastoral 
en  lui  ordonnant  de  se  lever,  au  nom  du  Père,  du  Fils  et  du  Saint-Esprit. 
Le  mort  obéit  aussitôt  à  la  voix  du  Saint,  se  leva  et  le  suivit  :  Stanislas  le 
mena  au  tribunal  où  le  roi,  sa  cour  et  une  foule  immense  étaient  dans  une 
vive  attente  ;  il  dit  :  «  Voici  Pierre,  qui  m'a  vendu  sa  terre  de  Piotrawin  :  il 
est  ressuscité  pour  rendre  témoignage  devant  vous  !  demandez-lui  s'il  n'est 
pas  vrai  que  je  lui  ai  payé  le  prix  de  cette  terre.  C'est  un  homme  connu,  son 
tombeau  est  ouvert,  Dieu  vient  de  le  ressusciter  pour  rendre  témoignage  à 
la  vérité  :  sa  parole  vaut  mieux  que  celle  des  témoins  ».  Il  n'est  pas  possible 
de  peindre  la  stupéfaction  du  roi,  des  juges,  des  témoins,  et  des  deman- 
deurs. Le  ressuscité  parla  à  son  tour,  pour  déclarer  que  l'évêque  lui  avait 
payé  sa  terre  devant  les  deux  témoins,  qui  trahissaient  la  vérité  :  puis  se 
tournant  vers  ses  neveux,  il  leur  fit  de  vifs  reproches  d'avoir  poursuivi  le 
saint  évêque  contre  tout  droit  et  toute  justice,  et  les  exhorta  à  faire  péni- 
tence d'un  si  grave  péché.  Stanislas  offrit  à  Pierre,  s'il  voulait  encore  vivre 
quelques  années,  de  le  lui  obtenir  de  Notre-Seigneur;  mais  Pierre  répondit 
qu'il  était  en  purgatoire  et  que,  cependant,  il  aimait  mieu::  y  retourner 
tout  de  suite,  et  en  souffrir  les  peines,  que  de  s'exposer  au  danger  de  se 
perdre  dans  cette  vie  terrestre.  Il  conjura  seulement  le  saint  évêque  de 
prier  Notre-Seigneur,  afin  que  les  peines  du  purgatoire  fussent  abrégées  en 


388  7  mai. 

sa  faveur,  et  qu'il  pût  bientôt  entrer  dans  le  séjour  des  Bienheureux.  Après 
cela  Pierre  s'en  retourna  à  son  tombeau  accompagné  de  l'évêque  et  d'une 
grande  multitude  de  peuple;  il  se  coucha  dans  sa  fosse,  priant  toute  l'assis- 
tance de  le  recommander  à  Dieu,  et  mourut  une  seconde  fois  pour  \  Ivre 
éternellement.  Ce  miracle  fit  une  vive  impression  sur  Boleslas.  Il  réprima 
quelque  temps  ses  débauches  et  ses  cruautés.  Il  fit  même  une  expédition 
glorieuse  contre  les  Russes  et  se  rendit  maître  deKiow,  leur  capitale  ;  mais 
là,  au  milieu  de  l'enivrement  de  la  victoire,  il  s'abandonna  de  nouveau  à 
ses  passions  déréglées.  Non  content  de  ses  excès  ordinaires,  il  en  vint 
jusqu'à  commettre  publiquement  les  abominations  de  Sodome  et  de 
Gomorrhe.  Le  farouche  conquérant,  pour  faire  diversion  à  ses  voluptés, 
envoyait  par  centaines  les  malheureux  vaincus  à  l'échafaud,  non-seulement 
les  hommes,  mais  encore  les  femmes  enceintes  et  les  nourrices. 

A  son  retour  de  cette  expédition,  il  traita  ses  sujets  de  la  manière  la  plus 
indigne.  Saint  Stanislas,  comme  un  autre  Jean-Baptiste,  résolut  enfin  d'ar- 
rêter à  tout  prix  la  licence  effrénée  de  ce  nouvel  Hérode,  se  dévouant  au 
martyre,  s'il  le  fallait,  pour  la  gloire  de  Dieu  et  le  salut  de  la  Pologne.  Il 
demanda  à  Dieu  par  des  jeûnes,  des  larmes  et  des  prières,  la  conversion  de 
son  roi  :  il  lui  fit  plusieurs  visites  dans  lesquelles  il  ne  négligea  rien  pour  lui 
ouvrir  les  yeux  et  le  tirer  de  l'abîme  ;  mais  Boleslas  s'y  enfonçait  de  plus  en 
plus.  Semblable  à  ces  malades  frénétiques  qui  regardent  leurs  médecins 
comme  des  ennemis,  il  s'emporta  contre  le  Saint,  le  chargea  d'injures  et  le 
menaça  même  de  la  mort,  s'il  continuait  à  censurer  sa  conduite. 

L'évêque  de  Cracovie,  après  ces  avertissements  si  nombreux  donnés  au 
coupable,  voyant  son  impénitence  et  ses  scandales  s'accroître  de  jour  en 
jour,  consulta  d'autres  évêques,  et,  sur  leur  avis,  et  à  la  prière  de  tous  les 
gens  de  bien,  il  excommunia  publiquement  Boleslas  et  lui  interdit  l'entrée 
de  l'Eglise.  Boleslas  n'en  continua  pas  moins  d'assister  aux  prières  publi- 
ques :  l'évêque  ordonna  alors  qu'on  cesserait  l'office  divin  dès  que  le  prince 
excommunié  entrerait  dans  l'église.  Néanmoins,  afin  de  n'être  point  troublé 
par  la  présence  de  Boleslas,  le  Saint  alla  célébrer  les  saints  mystères  dans 
une  église  de  Saint-Michel,  hors  de  la  ville.  Boleslas  l'y  suivit  et  ordonna  à 
quelques-uns  de  ses  gardes  d'entrer  dans  cette  église  et  d'y  massacrer 
l'évêque  :  ils  entrèrent  ;  mais,  quand  ils  voulurent  mettre  les  mains  sur  le 
Saint  qui  célébrait  la  messe,  une  lumière  céleste  les  épouvanta  et  les  ren- 
versa par  terre. 

Le  roi,  se  moquant  de  leur  lâcheté,  en  envoya  d'autres  :  ce  prodige  se 
renouvela  trois  fois  ;  enfin  Boleslas  vint  lui-même,  l'épée  nue  à  la  main,  et 
frappa  sur  la  tête  du  saint  évêque  un  coup  si  violent,  qu'il  fit  rejaillir  la 
cervelle  contre  la  muraille  ;  ensuite,  savourant  à  loisir  son  atroce  ven- 
geance, il  mutila  le  visage  du  saint  Martyr,  lui  coupant  de  ses  propres 
mains,  le  nez  et  les  lèvres.  Puis,  par  son  ordre,  ce  corps  sacré  fut  traîné 
hors  de  l'église  et  mis  en  lambeaux,  qu'on  dispersa  dans  les  champs,  pour 
servir  de  proie  aux  oiseaux  et  aux  bêtes  sauvages  ;  mais  Notre-Seigneur 
envoya  quatre  grands  aigles  qui  défendirent,  deux  jours  entiers,  les  saintes 
reliques  ;  et  la  nuit,  chaque  lambeau  du  corps  du  Martyr  reluisait  d'une 
lumière  céleste.  Quelques  prêtres  et  quelques  personnes  pieuses,  enhardies 
par  ces  prodiges,  osèrent,  malgré  la  défense  du  roi,  recueillir  ces  membres 
épars  qui,  par  un  miracle  surprenant,  se  réunirent  parfaitement.  On  eût 
dit  qu'ils  n'avaient  jamais  été  séparés.  On  n'y  voyait  même  aucune  cica- 
trice. Il  en  sortait  des  parfums  qui  embaumaient  l'air  d'une  manière  déli- 
cieuse. Le  corps  du  saint  Martyr  fut  d'abord  enterré  à  la  porte  de  l'église 


SAINT   STANISLAS,   ÉVÊQUE  DE   CRACOVIE,   MARTYR.  389 

de  Saint-Michel  ;  dix  ans  plus  tard  on  le  transféra  à  Cracovie,  et  on  l'ense- 
velit au  milieu  de  l'église  de  la  forteresse,  avec  une  grande  magnificence. 
Le  pape  saint  Grégoire  VII  ne  pouvait  laisser  impuni  un  crime  semblable.  Il 
mit  en  interdit  le  royaume  de  Pologne,  anathématisa  Boleslas  et  le  déclara 
déchu  de  la  royauté.  Ce  prince,  poursuivi  à  l'extérieur  par  la  réprobation 
universelle  de  ses  sujets,  à  l'intérieur  par  la  pensée  de  ses  crimes  et  surtout 
de  l'odieux  assassinat  qu'il  avait  commis,  se  sauva  en  Hongrie.  Le  roi 
Ladislas  l'accueillit  avec  bonté.  Le  repentir  était  enfin  entré  dans  son  âme  : 
toujours  poursuivi  par  les  remords  de  sa  conscience,  il  entreprit  le  pèleri- 
nage de  Rome,  pour  implorer  l'absolution  du  Pape.  Il  se  mit  donc  en  route, 
accompagné  d'un  seul  domestique,  et  vêtu  en  pèlerin.  Arrivé  dans  la  Carin- 
thie,  devant  la  porte  du  couvent  des  Bénédictins  d'Ossiach,  il  s'y  arrêta  pour 
demander  l'aumône.  Alors,  inspiré  d'en  haut,  il  résolut  de  passer  le  reste  de 
ses  jours  dans  ce  saint  asile,  en  y  menant  une  vie  pénitente.  Il  y  fut  admis, 
en  effet,  comme  frère  lai,  et,  en  cette  qualité,  il  rendit  aux  moines  les  plus 
humbles  services,  comme  aurait  fait  un  valet  ou  un  domestique.  Etant  peu 
habitué  à  ce  genre  de  travail,  il  s'y  prenait  assez  maladroitement,  et,  comme 
personne  ne  connaissait  au  couvent  sa  haute  origine,  il  lui  arrivait  parfois 
d'être  mené  rudement  par  les  moines  ou  par  les  autres  gens  de  service  de  la 
maison.  Boleslas  souffrait  tout  en  esprit  de  pénitence,  avec  une  patience 
inaltérable  ;  il  poussa  même  la  résignation  et  l'humilité  jusqu'à  observer  un 
silence  perpétuel,  comme  s'il  eût  été  muet.  Le  vieux  chroniqueur  dit  naïve- 
ment à  ce  sujet  :  «  C'est  ainsi  qu'il  était  devant  Dieu  plus  grand  dans  la 
cuisine,  qu'il  n'avait  été  sur  le  trône  ».  Il  vécut  ainsi  sept  ans,  lorsqu'enfin 
il  plut  à  Dieu  de  mettre  un  terme  à  ses  peines  et  à  sa  pénitence.  Alors  seu- 
lement, sur  son  lit  de  mort,  il  fit  de  nouveau  usage  de  la  parole,  et  il  pria 
l'abbé  de  venir  le  visiter.  Il  lui  révéla  l'histoire  de  sa  vie  passée,  son  nom, 
son  origine,  ses  crimes,  et  particulièrement  le  meurtre  qu'il  avait  commis 
sur  la  personne  de  saint  Stanislas.  Il  lui  fit  cette  confession  avec  les 
marques  de  la  plus  sincère  contrition  ;  puis,  après  avoir  reçu  les  Sacre- 
ments, il  remit  à  l'abbé  l'anneau  royal,  qu'il  avait  tenu  caché  jusque-là, 
et  il  mourut. 

On  avait  remarqué  que,  souvent,  pendant  la  nuit,  Boleslas  passait  des 
heures  entières  en  prières  ferventes  devant  une  image  de  la  sainte  Vierge, 
d'où  l'on  peut  conclure  que  c'est  la  Mère  de  Dieu  qui  lui  obtint  la  grâce 
de  la  conversion  et  d'une  sainte  mort.  Son  corps  repose,  encore  aujourd'hui, 
dans  l'église  du  monastère  d'Ossiach  l. 

Le  martyre  de  saint  Stanislas  eut  lieu  le  8  mai  1079  ;  il  fut  canonisé  en 
1253,  par  Innocent  IV.  Le  pape  Clément  VIII  a  fait  insérer  sa  fête  dans  le 
Missel  et  le  Bréviaire  romain,  pour  être  célébrée  par  toute  l'Eglise,  selon  le 
rite  double,  le  7  mai,  parce  que  le  8  est  occupé  par  la  fête  de  l'apparition 
de  saint  Michel.  Beaucoup  de  miracles  ont  été  opérés  au  tombeau  du  Saint. 
Il  a  ressuscité  six  morts,  rendu  la  vue  à  des  aveugles  et  guéri  toutes  sortes 
de  maladies. 

Le  corps  de  saint  Stanislas  fut  transféré  dans  la  cathédrale  de  Cracovie 

1.  Tel  est  le  récit  que  donne  de  la  fin  de  Boleslas  M.  A.  Stolz,  auteur  d'une  Vie  des  Saints  imprimée 
à  Fribourg  en  Brisgau,  en  1867.  Dans  sa  première  édition,  en  1854,  cet  hagiographe  avait  suivi  l'opinion 
communément  adoptée  jusqu'ici,  d'après  laquelle  Boleslas  erra  sans  repos,  sans  asile,  suivi  seulement  da 
quelques  chiens;  tomba  en  démence,  et  un  jour,  épuisé  de  lassitude,  s'assit  au  coin  d'une  borne,  ou  il  fut 
dévoré  par  ses  propres  chiens.  M.  A.  Stolz  a  modifié  son  opinion,  depuis  qu'il  a  eu  communication  d'un 
très-vieil  ouvrage  imprimé  en  Carinthle,  d'après  lequel  Boleslas  II  fit  une  fin  plus  conforme  aux  miséri- 
cordes de  Dieu.  D'un  autre  côté,  la  tradition  du  monastère  d'Ossiach,  qui  existe  encore,  le  tombeau  de 
Boleslas  qu'on  y  montre,  sont  assurément  des  témoignages  qui  peuvent  contribuer  à  modifier  l'histoire 
sur  ce  point. 


390  7  mai. 

en  1088.  L'assassinat  de  saint  Stanislas,  revêtu  de  sa  chasuble,  au  pied  de  l'autel 
par  Boleslas  lui-même  ;  les  aigles  qui  gardent  son  corps  dans  les  champs,  la 
résurrection  du  mort  qu'il  amène  pour  témoigner  en  sa  faveur,  servent  à 
caractériser  saint  Stanislas  dans  les  représentations  qu'on  a  faites  de  lui. 

Il  est  l'un  des  patrons  de  la  Pologne  et  est  surtout  honoré  à  Gracovie,  à 
Schweidnitz,  etc. 

Voir  Callot,  S.  Leclerc,  Estampes,  Paris,  etc.  Voir  les  Bollacdistes,  Longin,  Dugloss,  les  Vies  choisies 
d'Andilly,  etc. 


SAINTE  MASTIDIE  OU  MATHIE,  VIERGE. 

«  Mastidie,  de  Troyes,  était  une  vierge  d'une  vertu  extraordinaire.  Ses  Actes  ont  péri;  on  en 
conclut  qu'elle  florissait  dans  les  premiers  siècles  de  la  foi  chrétienne.  Mais  le  peu  de  monuments 
qui  nous  restent  de  sa  vie  suffisent  pour  faire  entrevoir  du  moins  l'éclat  de  sa  sainteté.  En  l'an 
843  de  notre  salut,  elle  reposait  sous  l'autel,  selon  que  cela  se  pratiquait  pour  les  anciens  Martyrs. 
Les  habitants  de  la  ville  de  Troyes,  et  en  particulier  sainte  Maure,  vierge,  l'honoraient  très-dévo- 
tement et  très-pieusement.  Or,  la  cité  de  Troyes  ayant  été  saccagée  et  brûlée  avec  toutes  ses 
églises,  en  892,  par  les  Normands,  les  reliques  de  notre  Sainte  disparurent  pour  longtemps  sous 
les  ruines  amoncelées.  Environ  un  siècle  après,  en  992,  Milon,  évèque  de  Troyes,  trouva  le  corps 
de  sainte  Mastidie,  en  faisant  fouiller  le  sol  de  la  cathédrale;  il  était  tout  entier  et  enveloppé 
d'un  suaire  de  pourpre.  Déposé  dans  l'église  avec  honneur,  il  brilla  par  de  nombreux  miracles, 
surtout  en  l'an  1007,  où  il  fut  porté,  pour  une  station,  dans  l'église  suburbaine  de  Saint-Remy, 
pour  le  temps  pascal,  et  rendit  la  santé  à  un  très-grand  nombre  de  malades,  selon  ce  qu'on  lit 
dans  l'histoire  de  son  invention.  Dans  la  suite,  comme  une  grande  multitude  de  peuple  affluait  à 
Troyes  pour  honorer  les  saintes  reliques,  on  désigna  le  8  mai  pour  la  célébration  de  la  fête. 

«Voici  quelques-uns  des  miracles  opérés  par  la  Sainte,  en  l'an  1007  :  Elle  guérit  une  femme  de 
la  ville  de  Tonnerre,  dont  la  main  gauche  était  desséchée;  elle  guérit  un  enfant  de  trois  ans,  de 
la  ville  de  Sens,  malade  et  débile  des  jambes.  Elle  rendit  la  lumière  à  un  aveugle.  Elle  redressa, 
une  femme  qui  était  cul-de-jatte;  elle  rendit  sain  et  dispos  un  paralytique,  malade  depuis  déj;'i 
trente  ans;  elle  rendit  l'ouïe  à  une  femme  de  Sens,  et  la  vue  à  une  autre  femme.  Elle  fit  marcher 
droit  uu  enfant  qui  se  traînait  à  la  manière  des  bètes;  elle  guérit  deux  petites  filles  âgées  de  cinq 
ans;  un  homme  de  Toul,  d'une  contraction  du  visage;  un  jeune  homme  dont  le  côté  gauche  du 
corps  était  paralysé.  Ces  miracles  rendirent  sainte  Mastidie  très-célèbre  et  très-chère  à  toutes  les 
populations  voisines.  L'auteur  qui  composa  la  relation  de  son  invention,  l'appelle  vierge  royale, 
incomparable,  vouée  à  Dieu  ». 

Il  y  a  des  reliques  de  sainte  Mathie,  à  la  cathédrale  de  Troyes,  qui  ont  été  reconnues  le 
25  avril  1821.  Saint-Remy  de  Troyes,  Le  Chêne,  Maizières-la-Grande-Paroisse,  Jully-sur-Sarce,  La 
Maison-des-Champs  en  possèdent  des  fragments  qui  sont  partout  l'objet  d'une  grande  vénération. 

Les  anciennes  constitutions  du  diocèse  de  Troyes,  renouvelées  en  1371,  défendaient  les  tra- 
vaux des  champs  le  jour  de  la  fête  de  sainte  Mathie. 

Ancien  propre  de  Troyes,  notes  locales. 


SAINT  MISSELIN  OU  MESCLIN,  PRÊTRE  DE  TARBES. 

Misselin  était  un  prêtre  de  Tarbes.  Saint  Grégoire  de  Tours  fait  en  quelques  mots  un  grand 
éloge  de  lui,  en  comparant  ses  vertus  et  ses  mérites  à  ceux  de  saint  Justin.  On  lit  dans  un  vieux 
manuscrit,  que  ce  saint  prêtre  se  mit  à  la  tête  des  Bigorrais  pour  chasser  de  Tarbes  les  Gotns 
ariens,  qui  s'en  étaient  emparés  et  y  exerçaient  des  cruautés  inouïes.  Pendant  plusieurs  siècles, 
on  célébra  la  délivrance  de  Tarbes  le  25  mai,  jour  auquel  on  faisait  aussi  la  fête  de  Misselin. 
Depuis  longtemps,  la  fête  de  saint  Misselin  se  célèbre  le  7  mai.  H  est  patron  d'une  paroisse  des 
environs  de  Tarbes,  où  une  tradition  porte  qu'il  était  né. 

Fourni  par  M.  Forcade, 


SAINT   JEAN   DE   BEVERLEY.  391 


SAINT  DOMITIEN,  ÉVÊQUE  DE  MAESTRICHT  (vers  560). 

Saint  Domitien  est  né  en  France  sur  la  fin  du  ve  siècle.  11  fut  d'abord  élevé  sur  le  siège  épis- 
copal  de  Tongres  ;  celui  de  Maêstricht  étant  devenu  vacant,  le  peuple  et  le  clergé  de  cette  ville, 
qui  connaissaient  son  mérite  et  la  réputation  dont  il  jouissait,  l'élurent  pour  évêque  de  leur  ville. 
Domitien  accepta  malgré  lui  cette  nouvelle  dignité,  mais  il  remplit  avec  un  zèle  infatigable  les 
devoirs  qu'elle  lui  imposait.  Par  sa  science  et  sa  sainteté  il  fut,  à  la  lettre,  la  lumière  du  monde 
et  le  sel  de  la  terre  :  c'est  ce  qti'on  eut  lieu  de  remarquer  au  cinquième  concile  d'Orléans,  tenu 
en  541.  Dans  une  disette  extraordinaire  qui  désola  son  troupeau,  comme  les  riches  cessaient  leurs 
aumônes,  dans  la  crainte  de  manquer  eux-mêmes  du  nécessaire,  Domitien  leur  reprocha  vivement 
leur  dureté  et  leur  peu  de  foi,  les  conjurant  de  ne  pas  laisser  mourir  de  faim  leurs  frères  ;  et  pour 
qu'ils  n'eussent  rien  à  appréhender  pour  eux-mêmes,  il  les  assura  que  la  récolte  prochaine,  mal- 
gré les  apparences  contraires,  suffirait  à  tous  les  besoins  ;  ce  qui  arriva. 

Il  délivra  par  ses  prières  les  habitants  de  Huy  d'un  animal  extraordinaire  qui  avait  causé  de 
grands  ravages,  et  passa  quelque  temps  dans  cette  ville,  où  il  convertit  plusieurs  de  ceux  qui 
étaient  encore  idolâtres.  Domitien  connut  par  révélation  l'époque  de  sa  mort,  et,  sur  la  fin  de  sa 
vie,  il  visita  par  dévotion  les  tombeaux  de  plusieurs  saints,  entre  autres  celui  de  saint  Servais, 
évêque  de  Tongres.  Il  mourut  le  7  mai  560,  et  son  corps  fut  enterré  è  Huy,  dont  il  est  patron. 
Il  s'opéra  un  grand  nombre  de  miracles  à  son  tombeau,  et  son  corps  ayant  été  levé  de  terre  sous 
Charlemagne,  fut  trouvé  entier  et  bien  conservé. 

On  fait  encore  tous  les  ans  une  procession  à  la  fontaine  près  de  laquelle  saint  Domitien  est 
censé  avoir  tué  le  monstre,  le  dragon,  comme  disaient  nos  pères.  Cette  fontaine  est  probablement 
celle  où  le  Saint  baptisait,  et  dès  lors  rien  d'étonnant  qu'on  ait  figuré  sous  les  traits  d'un  dragon 
le  démon  dont  la  fonction  est  de  détourner  les  hommes  du  baptême  d'abord,  et  de  tout  bien  en- 
suite. —  On  représente  donc  saint  Domitien  avec  ce  dragon  allégorique  ou  réel  à  ses  pieds  et  on 
l'invoque  contre  les  fièvres. 


SAINT  JEAN  DE  BEVERLEY  (721). 

Saint  Jean  de  Bever'ey,  évêque  d'York,  né  au  milieu  du  vu»  siècle,  au  village  de  Harphan, 
dans  le  pays  des  Deïrois,  alla  étudier  les  sciences  humaines  et  divines  dans  la  célèbre  école  fon- 
dée par  saint  Théodore  de  Cantorbéry.  11  étudia  aussi  à  Oxford  et  aurait  été  le  premier  qui,  en 
récompense  de  son  savoir,  reçut  les  marques  de  distinction,  appelées  dans  la  suite  maîtrise  et 
doctorat,  et  eut  pour  maître  l'abbé  saint  Adrien.  Ensuite  il  prit  l'habit  monastique  dans  le  monas- 
tère de  Withby,  alors  gouverné  par  saint  Hilde.  11  fut  tiré  de  sa  solitude  vers  l'an  685,  pour  être 
placé  sur  le  siège  épiscopal  d'Hexam  ;  mais  il  continua  la  vie  qu'il  menait  dans  le  cloître,  et  il 
consacrait  à  la  contemplation  tous  les  moments  qui  n'étaient  pas  absorbés  par  ses  fonctions  épis- 
copales.  Pour  vaquer  plus  librement  à  ce  saint  exercice,  il  se  retirait  souvent  dans  une  cellule, 
qui  était  auprès  de  l'église  de  Saint-Michel,  au-delà  de  la  Tyne,  et  il  y  passait  ordinairement  le 
Carême.  Au  commencement  d'un  Carême,  il  emmena  avec  lui  dans  sa  retraite  un  jeune  homme 
muet  de  naissance  et  dont  la  tête  était  couverte  d'une  dartre  hideuse.  Quelques  jours  après,  il  lui 
rendit  l'usage  de  la  parole  en  formant  le  signe  de  la  croix  sur  sa  langue,  ensuite  il  lui  apprit  à 
lire.  Un  médecin  s'étant  chargé  de  soigner  le  mal  que  ce  jeune  homme  avait  à  la  tète,  Jean  donna 
sa  bénédiction  aux  remèdes  qui  opérèrent  une  entière  guérison.  Lorsque  saint  Wilfrid,  dont  on 
avait  démembré  le  diocèse  pour  ériger  plusieurs  sièges  nouveaux,  parmi  lesquels  était  celui 
d'Hexam,  fut  rétabli,  en  705,  dans  l'intégrité  des  possessions  dont  on  l'avait  dépouillé,  Jean  quitta 
son  siège,  qui  fut  supprimé  ;  mais  peu  de  temps  après,  il  fut  obligé  d'accepter  l'évêché  d'York, 
que  le  même  Wilfrid  lui  céda.  Saint  Bède,  qui  reçut  de  lui  le  diaconat  et  la  prêtrise,  lorsqu'il 
était  eucore  évêque  d'Hexam,  rapporte  de  lui  plusieurs  miracles,  entre  autres  la  guérison  de  la 
femme  d'un  seigneur  du  voisinage,  à  laquelle  il  rendit  la  santé  avec  de  l'eau  qu'il  avait  bénite. 
Le  saint  Evêque  fonda  à  sept  milles  d'York  le  monastère  de  Beverley,  où  il  se  rendait  souvent 
pour  se  renouveler  dans  l'esprit  intérieur;  il  s'y  fixa  définitivement  en  712,  après  avoir  gouverné 


392  8  mai. 

pendant  sept  ans  l'église  d'York,  qu'il  résigna  à  saint  Wilfrid  le  Jeune,  et  passa  le  reste  de  sa  vie 
dans  les  exercices  de  la  vie  monastique.  Il  mourut  le  7  mai  721.  Son  monastère  ayant  été  détruit 
par  les  Danois,  le  roi  Athelstan,  qui  avait  remporté  sur  les  Ecossais  une  victoire  complète,  de  la- 
quelle il  se  croyait  redevable  à  l'intercession  de  saint  Jean,  bâtit  sur  l'emplacement  de  l'ancien 
monastère  une  collégiale  qui  fut  dédiée  sous  son  invocation.  Quatre  siècles  plus  tard,  Henri  V 
ayant  gagné  sur  les  Français  la  fameuse  bataille  d'Azincourt,  après  avoir  invoqué  la  protection  de 
saint  Jean  de  Beverley,  voulut,  par  reconnaissance,  que  sa  fête  fût  cbômée  dans  toute  l'Angle- 
terre. En  1037,  Alfric,  archevêque  de  Cantorbéry,  transféra  solennellement  dans  l'église  les  reli- 
ques de  saint  Jean,  et  en  1664,  on  retrouva,  en  creusant  une  fosse  dans  cette  église,  une  boite  de 
plomb  qui  renfermait  plusieurs  fragments  d'os  avec  un  peu  de  poussière,  ainsi  que  des  inscrip- 
tions qui  indiquaient  que  c'étaient  les  précieuses  reliques  du  Saint,  qu'on  avait  cachées  au  com- 
mencement du  règne  d'Edouard  VI. 

Les  évêques  schismatiques  s'empressèrent  de  faire  enfouir  ces  précieux  restes.  Car  au  bruit  de 
leur  découverte,  protestants  et  catholiques  étaient  accourus.  Mais  la  reine  ayant  témoigné  le  désir 
d'avoir  des  reliques  d'un  Saint  qui  avait  été  si  souvent  le  bouclier  de  la  nation  anglaise,  ou  les 
enleva  sans  bruit  pendant  la  nuit  :  les  Jésuites  d'Angleterre  en  apportèrent  une  partie  à  Anvers. 

Cf.  Acta  Sanctorum,  tomes  n  et  vu  de  mai. 


VIIF  JOUR  DE  MAI 


MARTYROLOGE  ROMAIN. 

Au  Mont-Gargnan,  I'Apparition  de  saint  Michel,  archange.  —  A  Milan,  le  bienheureux 
décès  de  saint  Victor,  martyr,  maure  de  nation,  et  chrétien  dès  son  enfance,  qui,  étant  soldat  dans 
la  garde  prétorienne,  et  persévérant  courageusement  dans  la  confession  du  Seigneur,  nonobstant 
les  instances  très-vives  que  lui  faisait  Maximien  lui-même  de  sacrifier  aux  idoles,  fut  d'abord 
meurtri  de  coups  de  bâtons  sans  qu'il  en  ressantit  aucune  douleur,  par  la  protection  spéciale  de 
Dieu  ;  fut  ensuite  arrosé  de  plomb  fondu  sans  en  éprouver  aucune  douleur,  et  consomma  enfin  son 
glorieux  martyre  ayant  eu  la  tète  tranchée  *.  303.  —  A  Constantinople,  saint  Acathe,  centurion,  qui, 
ayant  été  dénoncé  comme  chrétien  par  le  tribun  Firmus,  dans  la  persécution  de  Dioclétien  et 
Maximien,  et  cruellement  torturé  à  Périnthe  par  le  juge  Bibien,  fut  enfin  condamné  à  avoir  la  tête 
tranchée  à  Byzance,  par  le  proconsul  Flaccin.  Son  corps  est  honorablement  conservé  à  Squillacio, 
où  il  aborda  miraculeusement2.  303.  —  A  Vienne,  saint  Denis,  évêque  et  confesseur.  — A 
Auxerre,  saint  Hellade,  évêque.  387.  —  Au  diocèse  de  Besançon,  saint  Pierre,  évêque  et 
confesseur.  1174.  —  En  Ecosse,  saint  Wiron  ou  Guiron,  évêque.  Vers  700. 

1.  Les  chrétiens  de  la  ville  de  Milan  eurent  grand  soin  d'aller  lever  le  corps  du  saint  Martyr,  et  leur 
évêque,  saint  Materne,  l'ensevelit  près  d'un  petit  bois,  où  l'on  bâtit  longtemps  après  une  église  en  sou 
honneur. 

On  en  a  encore,  depuis,  dédié  d'autres  dans  la  ville  sous  son  nom,  et  son  culte  est  devenu  célèbre, 
non-seulement  dans  le  Milanais,  mais  en  plusieurs  autres  endroits. 

Saint  Ambroise  parle  de  notre  Martyr  comme  de  l'un  des  principaux  patrons  de  son  diocèse,  et  le 
place  a  côté  des  saints  martyrs  Nabor  et  Félix.  Saint  Grégoire  de  Tours  dit  que  le  Tout-Puissant  honora 
son  tombeau  de  beaucoup  de  miracles.  L'église  de  Milan,  qui  portait  son  nom,  appartenait  aux  religieux 
Olivétans,  qui  la  relevèrent  depuis  avec  beaucoup  de  magnificence.  Lorsque  saint  Charles  Borromée  la 
dédia,  il  y  transféra  solennellement,  le  20  juillet  1576,  les  reliques  du  saint  Martyr,  auxquelles  il  joignit 
le  corps  de  saint  Satyre,  frère  de  saint  Ambroise.  Les  martyrologes  anciens,  qui  portent  le  nom  de  saint 
Jérôme,  marquent  sa  fête  au  8  et  au  15  mai,  et  d'autres  au  7  et  au  14.  Le  martyrologe  romain  en  fait 
l'éloge  au  8. 

2.  Saint  Acathe  était  originaire  de  Cappadoce.  Périnthe  ou  Héraclée,  qui  fut  témoin  de  sa  première 
torture,  était  une  ville  de  Thrace,  devenue  plus  tard  archiépiscopale  avec  un  port  sur  la  Propontide  (au- 
jourd'hui mer  Noire),  à  soixante  milles  de  Byzance  (environ  quinze  lieues).  —  Squillacio,  où  abordèrent 
ses  glorieuses  reliques,  et  dont  il  est  le  patron,  est  une  ville  de  la  Calabre  citérieure,  dans  le  royaume  de 


MARTYROLOGES.  393 


MARTYROLOGE  DE  FRANCE,  REVU  ET  AUGMENTÉ. 

A  Limoges,  saint  Aurélien,  second  évêque  de  ce  siège  et  successeur  de  saint  Martial,  qui  l'avait 
ressuscité  et  converti.  Il  est  honoré  à  Limoges  le  10  de  ce  mois.  —  A  Bourges,  saint  Désiré, 
frère  de  saint  Dieudonné,  moine  et  martyr,  lequel,  après  avoir  très-dignement  exercé  l'office  de 
garde-des-sceaux  de  France,  étant  appelé  à  l'épiscopat,  y  brilla  par  toutes  sortes  de  vertus  et 
par  une  infinité  de  miracles.  Il  souscrivit  au  cinquième  concile  d'Orléans.  550.  —  A  Chalon-sur- 
Saône,  saint  Jean,  évêque  de  cette  ville,  qui  nous  est  connu  par  une  lettre  élogieuse  de  saint 
Sidoine  Apollinaire,  son  consécrateur  l.  Vers  473.  —  A  Ruremonde,  dans  la  Gueldre  et  autres 
provinces,  soit  du  Rhin,  soit  de  la  Meuse,  mémoire  de  saint  Plelchera,  prêtre,  et  de  saint  Otger, 
diacre,  compagnons  de  saint  Wiron,  nommé  au  Romain.  —  A  Metz,  saint  Godon,  évêque,  à  l'insti- 
gation duquel  saint  Sigebert,  roi  des  Francs-Austrasiens,  fonda  un  célèbre  monastère  au  pays  de 
Luxembourg.  650.  —  A  Reims,  saint  Gibrien,  prêtre,  qui,  venu  d'Irlande  en  France,  se  retira 
près  de  Chàlons,  en  Champagne,  et  y  mena  une  vie  céleste,  sur  les  bords  de  la  Marne.  Son  corps 
fut  transporté  à  Reims.  vie  s.  Mémoire  de  saint  Hélain,  de  saint  Trésain,  de  saint  Veran,  de  saint 
Abran,  de  saint  Pétran,  de  sainte  Franche,  de  sainte  Prompcie  ou  Piomce  et  de  sainte  Possenne, 
frères  et  sœurs  de  saint  Gibrien.  —  A  Sens,  saint  Martin,  dit  le  voyageur,  confesseur.  —  En  Lor- 
raine, le  bienheureux  Scheir,  confesseur,  fondateur  de  l'abbaye  de  Chaumozey.  1120-1127.  —  A 
Nivelle,  en  Brabant,  la  bienheureuse  Itte,  femme  du  duc  Pépin,  maire  du  palais  des  rois  d'Aus- 
trasie,  religieuse  sous  sainte  Gertrude,  sa  fille.  652.  —  A  Douai,  le  bienheureux  Raymare,  prévôt 
de  l'église  collégiale  de  Saint-Amé,  dans  laquelle  il  fut  enseveli.  Règne  de  Philippe  Ier.  1060-1108. 

ADDITIONS  FAITES  D'APRÈS  LES  BOLLAKDISTES  ET  AUTRES  HAGIOGRAPHES. 

A  Constantinople,  avec  saint  Acathe  ou  Acace,  mentionné  ci-dessus,  les  saints  Maxime,  prêtre, 
Anthes,  diacre,  Arestin,  Marin,  Tampus,  Stercita,  Rogata,  Victuria,  Florida,  une  autre  Florida, 
Lucius,  Donata,  Victor,  Fluvia,  Jean,  Nina,  Castus,  Gaïus,  Furius,  Maxime,  un  autre  Victor,  Julia, 
Félix,  Marcien,  Famosa,  Honesta,  Nègre,  Baptisius,  Rustique,  Processus,  Secunda,  Militus,  Félicie, 
Maxima,  Dativa,  Tunianus,  Eutidius,  Secundola,  Datica,  Gundinus,  Tertule,  Célestin,  Faustin, 
Cénerius,  Barach,  Siddin,  une  autre  Nina,  Tidus,  Mittunus,  Sirique,  Rogatus,  Baccorus,  Gadderus, 
Béreuse,  Donata,  Spicus,  un  autre  Rogat,  Saturnina,  Gaudiosa,  Vital,  Cécile,  Januaria,  Galla, 
Sénéré,  un  autre  Rogat,  Matrona,  Augustine,  un  autre  Saturnin,  Rufus,  Victor,  Faustin,  Cithinus, 
Zadère,  Antiquus,  une  autre  Nina,  Sature,  Vicoma,  tous  martyrs.  An  303.  —  En  Afrique,  les  saints 
Eutique,  Fortuné,  Saturnin  et  Marcie,  martyrs.  —  En  Egypte,  les  saints  Victor,  Etienne  et  Janvier, 
martyrs,  mentionnés,  ainsi  que  les  précédents,  dans  le  martyrologe  de  saint  Jérôme.  Et  ailleurs, 
une  cohorte  entière  de  soldats,  qui  se  laissèrent  égorger  comme  des  agneaux.  —  En  Licaonie, 
saint  Taraise,  thaumaturge.  —  Chez  les  Grecs,  saint  Mêle,  auteur  d'hymnes  sacrés.  —  A  Vérone, 
en  Italie,  saint  Métrone,  prêtre,  qui  est  honoré  dans  l'église  Saint-Vital,  où  l'on  montre  encore  la 
chaîne  et  la  pierre  retenant  cette  chaîne,  qui  fut  l'instrument  de  sa  pénitence.  —  A  Saludez,  près 
de  Rimini,  en  Italie,  le  bienheureux  Aimé  ou  Amat,  confesseur.  An  1200.  —  A  Santarem,  en  Por- 
tugal, le  bienheureux  Bernard,  de  l'Ordre  des  Frères  Prêcheurs,  et  deux  saints  enfants.  Vers  1265. 
—  A  Massaccio,  en  Italie,  le  bienheureux  Ange,  martyr,  de  l'Ordre  des  Caraaldules,  enseveli  dans 
une  église  qui  porte  son  nom.  An  1458.  —  A  Vigevano,  en  Piémont,  le  vénérable  serviteur  de 
Dieu,  Pierre-Georges  Odescalc,  dont  voici  l'épitaphe  :  a  A  Pierre-Georges  Odescalc,  patricien  de 
Côme,  fils  de  Thomas,  sénateur  du  royaume  ;  lumière  de  l'Eglise,  de  sa  patrie  et  de  sa  famille  ; 
référendaire  des  deux  signatures,  protonotaire  ad  instar  participantium  ;  correcteur  des  lettres 
apostoliques;  gouverneur  de  Fermo,  légat  en  Suisse;  évêque  d'Alexandrie  et  ensuite  de  Vige- 
vano. De  nombreux  autels  érigés  par  ses  mains,  ses  écrits,  des  établissements  religieux  sont  autant 
de  glorieux  monuments  de  sa  piété  envers  Dieu,  la  sainte  Vierge  et  les  Saints.  Pasteur  et  père 
toujours  vigilant  et  toujours  plein  de  tendresse,  il  a  quitté  trop  tôt  la  terre,  au  milieu  des  pleurs 
de  gens  de  bien  pour  aller,  lui  qu'on  ne  pleurera  jamais  assez,  vivre  éternellement  dans  les  cieux. 
Le  9  des  nones  de  mai  1620.  Son  père  Raymond  ».  Et  au  dessus  du  tombeau  :  «  La  vierge  Ma- 
rie que,  vivant,  Pierre-Georges,  évêque,  a  toujours  honorée  d'un  culte  particulier,  reçoit  encore  des 
hommages  de  ses  ossements  ici  déposés  ».—  Pour  mémoire,  saint  Aurèle,  évêque  arménien,  dont  les 

Naples.  Enfin,  Constantinople,  d'où  11  s'envola  an  ciel,  l'honora  de  bonne  heure  d'un  culte  particulier. 
Constantin  le  Grand  fit  ériger  en  son  honneur  une  église  que  le  peuple  appela  la  Noix,  en  mémoire  de 
ce  qu'on  avait  enfermé  dans  les  constructions  le  noyer  auquel  le  Saint  avait  été  suspendu  pour  être  fla- 
gellé. Cette  église  étant  tombée  en  ruines,  Justinien  la  releva  et  en  fit  un  des  sanctuaires  les  plus  riches 
de  Constantinople.  Le  marbre  blanc  y  avait  été  prodigué  à  telle  profusion  que  l'on  aurait  cru  entrer  dans 
un  temple  de  neige,  disent  les  écrivains  grecs  :  le  soleil  d'Orient  devait  contribuer  beaucoup  a  produire 
cet  effet  d'éblouissement. 

1.  Sid.  Ap.  Ep.  lib.  iv.  Ep.  35. 


394  8  biai. 

reliques  furent  apportées  à  Hirschau,  en  Bavière1.  —  Encore  en  Bavière,  le  vénérable  Frédéric, 
d'abord  religieux  d'Einsielden  et  ensuite  abbé  d'Hirschau,  qui  fut  atrocement  calomnié  par  trois  de  ses 
moines  et  cruellement  persécuté  par  le  comte  Adalbert,  proche  parent  du  saint  pape  Léon  IX.  Adal- 
bert,  impressionné  par  le  châtiment  qui,  dès  cette  vie,  atteignit  les  moines  coupables,  se  réfugia, 
à  son  tour,  dans  la  solitude  du  cloître,  où  il  mourut  repentant  2.  1070. 


L'APPARITION  DE  SAINT  MICHEL,  ARCHANGE 


Dieu,  ayant  donné  l'archange  saint  Michel  à  son  Eglise,  pour  en  être  le 
protecteur,  comme  il  était  autrefois  celui  de  la  Synagogue,  a  voulu  faire 
paraître,  en  divers  temps  et  en  divers  lieux,  quelque  merveille  par  son  in- 
tercession et  par  son  ministère,  afin  que  les  fidèles  ne  pussent  pas  douter 
de  sa  bienveillance  à  leur  endroit  ;  qu'ils  lui  rendissent  leurs  respects  et 
qu'ils  eussent  recours  à  lui  dans  leurs  besoins.  Nous  trouvons  dans  les  His- 
toires ecclésiastiques  diverses  apparitions  de  cet  Archange,  et  nous  y  re- 
marquons plusieurs  églises  consacrées  en  son  honneur,  tant  en  Orient  qu'en 
Occident. 

Siméon  Métaphraste  rapporte  une  de  ces  apparitions  faite  dès  le  pre- 
mier ou  le  second  siècle  de  l'Eglise,  près  de  la  ville  de  Chone,  en  Phrygie, 
à  un  homme  de  Laodicée  ;  elle  fut  cause  de  sa  conversion  et  de  celle  de  sa 
fille,  ainsi  que  de  la  guérison  de  cette  même  fille  qui  était  muette.  Elle  fut 
aussi  suivie  de  la  construction  d'un  temple  en  l'honneur  de  ce  glorieux 
protecteur,  tel  que  la  persécution  et  le  malheur  des  temps  le  pouvaient 
permettre.  Florus  de  Trapani,  le  plus  ancien  des  poètes  chrétiens,  assure 
qu'avant  son  temps  saint  Michel  était  apparu  à  Rome,  et  qu'on  y  faisait  une 
fête  solennelle  en  son  honneur  ;  ce  qui  ne  peut  être  que  fort  ancien.  Ses 
vers  sont  rapportés  par  le  cardinal  Baronius,  en  ses  Commentaires  sur  le 
martyrologe  romain.  Sozomène  et  Nicéphore,  en  leurs  histoires,  font  men- 
tion d'une  autre  apparition  de  saint  Michel  à  Constantin  le  Grand,  dans  les 
premières  années  de  son  empire;  elle  le  porta  à  bâtir,  dans  Constantinople, 
une  église  magnifique  qui  fut  appelée  Sosthène.  Procope  témoigne  que 
l'empereur  Justinien,  qui  régnait  dans  le  vie  siècle,  fit  dédier  six  églises  en 

1.  Voir  la  note  suivante. 

2.  Hirschau  (Allemagne)  était  un  monastère  de  l'Ordre  de  Saint-Benoit,  situé  dans  la  forêt  Noire,  dit 
le  Gallia  chrisliana,  qui  le  place  dans  le  diocèse  de  Spire  (Bavière).  Son  historien,  le  savant  chroniqueur 
Tritheme,  l'a  rendu  célèbre.  Voyez  Chronique  d'Hirschau,  continuée  jusqu'en  1503;  Saint-Gall,  1690, 
3  vol.  in-fo. 

Son  origine  est  ainsi  racontée  :  «  Notinge,  évêque  de  Verceil,  en  Italie,  voulant  repasser  en  Allemagne 
pour  voir  son  père,  le  comte  Erlafroy,  et  désirant  lui  faire  présent  du  corps  de  saint  Aurèle,  évêque  ar- 
ménien, qui  était  en  sa  disposition,  avait  cependant  quelque  scrupule  de  tirer  ces  reliques  de  son  diocèse, 
lorsque  le  Saint  lui  révéla  que  son  dessein  lui  était  agréable,  et  qu'il  souhaitait  vcir  bâtir  un  monastère 
dans  le  lieu  oh  Dieu  rendrait  la  vue  a  un  aveugle.  Notinge  alla  donc  visiter  ses  parents  en  Allemagne,  et 
y  transféra  les  reliques  du  Saint.  Non  loin  du  château  d'Erlafroy,  était  une  chapelle  dédiée  à  saint  Na- 
saire,  où  il  jugea  devoir  mettre  ce  précieux  dépôt.  Comme  il  l'y  portait,  survint  un  aveugle  qui  recouvra 
subitement  la  vue,  en  présence  de  tous  les  assistants.  Ce  miracle  accrut  singulièrement  la  vénération 
qu'on  avait  pour  le  Saint  ;  et  bientôt,  à  la  persuasion  de  Notinge,  le  comte  Erlafroy  fonda  un  monastère 
dans  ce  même  lieu.  On  en  posa  les  fondements  l'an  S30,  et  il  fut  achevé  sept  ans  après.  Erlafroy  pria 
Raban,  alors  abbé  de  Fuldo,  où  il  gouvernait  huit  cent  soixante-dix  religieux,  de  lui  donner  seize  de  ses 
disciples,  pour  peupler  son  monastère  ;  il  obtint  facilement  cette  faveur,  et  quinze  religieux  de  Fulde, 
sous  la  conduite  du  vénérable  Llmbert,  vinrent  prendre  possession  du  nouveau  monastère,  qui  fut  appelé 
Hirschau.  Otgar,  archevêque  de  Mayence,  dédia  l'église  l'an  838,  et  y  transféra  solennellement  les  reliques 
de  saint  Aurèle.  Cette  église  était  sous  l'invocation  de  saint  Pierre.  Bntard,  disciple  de  Raban-Maur,  l'un 
des  seize  religieux  venus  de  Fnlde,  enseigna  les  lettres  dans  l'abbaye  d'Hirschau,  avec  une  grande  répu- 
tation de  savoir  et  de  piété.  Il  refusa  l'évêché  d'Halberstadt,  qui  lui  fut  offert  après  la  mort  du  savant 
Haimon.  —  Voyez,  Gallia  christ.,  t.  v,  col.  764,  la  série  des  quarante-huit  abbés. 


L'APPARITION  DE   SAINT  MICHEL,   ARCHANGE.  395 

mémoire  du  même  prince  du  ciel,  et  qu'il  les  orna  de  riches  présents.  La 
peste  désolant  la  ville  de  Rome,  en  l'année  590,  saint  Grégoire  le  Grand  vit, 
au-dessus  d'un  fort,  le  môle  d'Adrien,  un  ange  qui  remettait  son  épée  dans 
son  fourreau,  pour  marquer  que  la  colère  de  Dieu  était  apaisée  par  les 
prières  du  peuple,  et  que  ce  mal  allait  cesser  ;  et  en  mémoire  de  ce  miracle, 
vingt  ans  après  ou  environ,  le  pape  Benoît  III  ou  IV  fît  construire  au  même 
lieu  une  église  de  Saint-Michel,  qui  fît  changer  de  nom  à  ce  fort,  et  le  fit 
appeler  le  château  Saint-Ange.  Cette  église  fut  bientôt  accompagnée  d'une 
autre  du  même  nom  dans  le  marché  appelé  de  la  Pêcherie.  Enfin,  nous  ap- 
prenons, par  une  ancienne  inscription  que  l'on  voit  à  Rome,  gravée  sur  du 
marbre,  que  le  pape  Léon  IV,  après  avoir  remporté  une  insigne  victoire  sur 
les  Sarrasins,  et  les  avoir  chassés  du  port  de  Rome,  fit  bâtir  un  nouveau 
temple  au  Vatican,  sous  le  nom  de  ce  chef  des  armées  de  Dieu  :  ce  fut  vers 
l'année  849. 

La  France  n'a  pas  non  plus  manqué  de  témoignages  de  la  protection  et  de 
l'assistance  de  saint  Michel.  Nos  historiens  remarquent  que,  vers  l'année  709, 
il  honora  saint  Aubert,  dixième  évêque  d'Avranches,  d'une  apparition  très- 
Temarquable,  et  lui  déclara  que  la  volonté  de  Dieu  était  qu'il  lui  fît  bâtir  une 
église  dans  la  mer,  sur  le  haut  d'un  rocher  appelé  La  Tombe.  Le  Saint,  qui 
voulait  s'assurer  de  la  vérité  de  cette  vision,  n'obéit  pas  aussitôt;  mais  l'Ar- 
change lui  apparut  deux  autres  fois,  et,  à  la  troisième,  il  lui  pressa  le  front 
avec  son  doigt,  et  y  laissa  une  forte  empreinte,  que  l'on  voit  encore  à  son 
crâne  l.  Ainsi  il  fut  obligé  de  se  rendre;  et,  ayant  fait  bâtir  l'église  à  l'en- 
droit qui  lui  avait  été  marqué,  il  y  mit  des  chanoines  réguliers.  Elle  fut  en- 
suite donnée  aux  religieux  de  l'Ordre  de  Saint-Benoît.  C'est  ce  que  nous 
appelons  le  mont  Saint-Michel,  dont  le  pèlerinage  fut  si  célèbre,  et  que 
Dieu  a  rendu  illustre  par  une  infinité  de  miracles  et  de  secours  surnaturels. 
Mais  la  plus  insigne  et  la  plus  remarquable  apparition  de  saint  Michel,  est 
celle  que  l'Eglise  célèbre  aujourd'hui,  et  qui  se  fit  au  mont  Gargan,  que 
l'on  nomme  maintenant  le  mont  Saint-Ange,  près  de  la  ville  de  Siponto, 
dite  aujourd'hui  Manfredonia,  en  la  province  de  la  Pouille  et  au  royaume 
de  Naples. 

En  voici  l'histoire  en  abrégé.  Au  temps  du  pape  Géïase  Ier,  l'an  492,  un 
homme  riche,  nommé  Gargan,  ayant  de  grands  troupeaux  à  la  campagne, 
un  de  ses  taureaux  s'éloigna  des  autres,  et  s'enfuit  dans  les  montagnes.  On 
le  chercha  quelques  jours  inutilement;  mais,  l'ayant  enfin  trouvé  dans  une 
caverne,  on  lui  tira  une  flèche,  qui,  rejaillissant  contre  celui  qui  l'avait 
tirée,  le  blessa.  Ses  compagnons,  étonnés  de  cet  accident,  et  jugeant  qu'il  y 
avait  quelque  chose  de  mystérieux  là-dessous,  eurent  recours  à  l' évêque 
de  Siponto  pour  apprendre  de  lui  ce  que  ce  pouvait  être.  Ce  prélat  or- 
donna un  jeûne  de  trois  jours,  et  exhorta  les  fidèles  à  se  mettre  en  prières 
pour  obtenir  du  ciel  la  grâce  de  découvrir  ce  que  signifiait  ce  miracle.  Au 
bout  de  trois  jours,  saint  Michel  lui  apparut,  et  lui  déclara  que  cette  ca- 
verne, où  le  taureau  s'était  retiré,  était  sous  sa  protection,  et  que  Dieu 
voulait  qu'elle  fût  consacrée  sous  son  nom  en  l'honneur  de  tous  les  anges. 
L'évêque,  accompagné  de  tout  son  clergé  et  de  son  peuple,  fut  la  recon- 
naître, et  la  trouva  déjà  toute  disposée  en  forme  d'église  :  on  commença  d'y 
célébrer  les  divins  offices,  et  l'on  y  bâtit  aussi  un  temple  plus  magnifique, 
où  la  puissance  divine  a  opéré  plusieurs  grands  miracles,  qui  font  bien  voir 
la  vérité  de  la  révélation.  Saint  Romuald,  fondateur  de  l'Ordre  des  Camal- 

1.  Voir,  au  1S  avril,  dan*  la  Vie  de  saint  Paterne,  la  lettre  que  nons  a  écrite  sur  ce  sujet  M.  le  curé  dn 
mont  Saint-Michel. 


396  8  mai. 

dules,  ordonna  à  l'empereur  Othon  d'y  aller  nu-pieds  depuis  Rome, 
pour  pénitence  de  ce  qu'il  avait  fait  mourir  le  sénateur  Grescence,  ou 
du  moins  de  ce  qu'il  avait  consenti  à  sa  mort.  C'est  une  marque  de  la 
vénération  que  l'on  a  toujours  eue  pour  ce  saint  temple,  et  une  preuve 
que  c'était  un  lieu  de  dévotion,  où  les  pèlerins  allaient  pour  implorer  sa 
miséricorde. 

Comme  nous  devons  traiter  plus  amplement,  au  jour  de  la  dédicace  de 
saint  Michel,  de  ce  qui  touche  cet  admirable  Archange,  et  parler  en  même 
temps  des  perfections,  des  propriétés  et  des  ministères  des  autres  anges, 
nous  ne  nous  y  arrêterons  pas  davantage  en  ce  lieu  ;  nous  remarquerons 
seulement  que  le  docteur  Michel  Navé,  chanoine  et  archidiacre  de  Tour- 
nay,  a  composé  une  chronique  de  toutes  les  apparitions  de  Saint-Michel, 
et  de  toutes  les  faveurs  extraordinaires  que  l'on  a  reçues  publiquement 
de  lui  tant  dans  l'Ancien  que  dans  le  Nouveau  Testament.  Ceux  qui  sou- 
haiteront avoir  plus  d'instruction  sur  ce  sujet,  pourront  aisément  lo 
consulter. 


SAINT  PIERRE  II,  ARCHEYÈQUE  DE  TARENTAISE  ■ 


1103-1174.  —  Papes  :  Pascal  II;  Alexandre  III.  —  Souverains  de  Savoie  :  Humbert  II; 
Humbert  m.  —  Rois  de  France  :  Philippe  Ier;  Louis  VII  le  Jeune. 


Comme  au  sein  du  vallon  croît  l'humble  violette, 
0  Pierre,  tu  grandis,  faible  enfant  du  hameau. 
Pour  unique  héritage,  il  t'échut  la  houlette, 
Mais  le  Christ  te  nomma  pasteur  de  son  troupeau. 
Ode  à  saint  Pierre,  dans  Chevray. 

Pierre  de  Tarentaise  fut  une  des  plus  éclatantes  lumières  de  l'Ordre  de 
Gteaux  ;  on  l'a  appelé,  de  son  temps,  le  grand  ornement  de  l'Eglise  *  ;  le 
miracle  du  monde3  ;  l'unique  consolation  de  la  foi  dans  les  maux  dont  elle 
était  accablée  *  ;  enfin  un  génie  brillant  et  admirable  en  toutes  choses s.  Il 
naquit  vers  l'an  1102,  près  de  Vienne  en  Dauphiné6.  Ses  parents,  d'une 
condition  médiocre,  mais  d'une  vertu  éminente,  ont  laissé  dans  l'Eglise  une 
mémoire  bénie,  à  cause  de  leur  propre  sainteté  et  de  celle  de  leurs  enfants. 
Son  père,  du  même  nom  que  lui,  est  appelé  dans  les  annales  de  Cîteaux, 
le  Bienheureux  Pierre;  sa  mère,  devenue  veuve,  embrassa  la  vie  religieuse  et 
fut  abbesse  de  Betton  ;  de  ses  deux  frères,  l'un,  Lambert,  abbé  de  Chézery, 

1.  Nous  allons  Ici  compléter  ce  que  nous  avons  dit  (t.  ier,  p.  391  et  suiv.)  sur  les  origines  de  l'église  de 
Tarentaise  :  «  La  tradition  attribue  aux  compagnons  de  voyage  de  saint  Pierre,  l'introduction  du  chris- 
tianisme dans  la  Darantasia  par  les  flancs  du  Petit-Saint-Bernard  :  ce  seraient  eux  qui  auraient  établi  le 
culte  de  Saint-Pierre  à  Séez,  et  celui  de  l'Assomption  à  la  chapelle  des  glaciers.  Ce  serait  encore  en  sou- 
venir de  l'évangélisation  primitive  que  saint  Pierre  serait  resté  le  patron  du  diocèse,  d'abord  au  château 
de  Jacquême-sur-Moûtiers,  puis  à  la  cathédrale  de  Moûtiers  même  ».  —  M.  l'abbé  Ducis,  archiviste  de  la 
Haute-Savoie,  29  février  1872. 

2.  Gallia  christ.,  t.  ier,  p.  674.  —  3.  Ann.  Cist.,  i,  p.  97,  n.  10.  —  4.  Jbid.,  p.  351,  n.  5.  —  5.  Bar.  ad 
Annal.,  1160. 

6.  Nous  n'avons  pu  découvrir  d'une  manière  certaine  le  nom  du  village  ou  naquit  saint  Pierre  n  de 
Tarentaise.  Serait-ce  Saint-Maurice  de  Chuzelle,  hameau  de  50  habitants,  près  de  Vienne  (Isère)?  On 
pourrait  le  croire,  si  l'on  fait  attention  que,  par  dévotion  pour  l'illustre  chef  de  la  Légion  thébaine,  patron 
de  Vienne,  la  famille  de  saint  Pierre  donna  le  nom  de  Saint-Maurice  à  son  petit  patrimoine,  et  que  Bon- 
nevaux,  où  entra  d'abord  saint  Pierre,  n'est  qu'à  trois  lieues  de  Saint-Maurice. 


SAINT  PIERRE  II,   ARCHEVÊQUE  DE  TARENTAISE.  397 

porte  le  titre  de  Saint  ;  l'autre,  André,  fut  religieux  dans  l'abbaye  de  Bon- 
nevaux  :  sa  sœur  fut  religieuse  au  monastère  de  Betton l  dont  sa  mère  était 
abbesse. 

La  maison  paternelle  fut  donc,  pour  le  jeune  Pierre,  comme  un  sanc- 
tuaire où  l'on  ne  respirait  que  la  prière  et  l'odeur  de  Jésus-Christ.  C'était 
aussi  un  hospice  pour  les  étrangers  et  pour  les  pauvres,  qu'on  recevait  dans 
de  bons  lits,  tandis  que  les  maîtres  de  la  maison  se  contentaient  d'un  peu 
de  paille.  On  était  heureux  surtout  quand  on  pouvait  loger  quelque  bon  re- 
ligieux qui  payait  largement  son  hospitalité  par  de  saintes  instructions  et 
l'exemple  d'une  vie  édifiante.  Pierre  profitait  beaucoup  en  science  et  en 
piété  à  cette  précieuse  école. 

Cependant,  veiller  à  la  garde  des  troupeaux  de  son  père,  comme  autre- 
fois les  enfants  de  Jacob  ;  cultiver  la  terre  ou  continuer  un  petit  négoce, 
c'est  tout  ce  qui  lui  était  réservé  ;  il  ne  devait  pas  avoir  une  plus  grande 
part  aux  affaires  d'ici-bas.  Loin  du  tumulte  des  passions,  il  eût  coulé  paisi- 
blement ses  jours  en  faisant  le  bien  dans  le  lieu  retiré  qui  l'avait  vu  naître. 
Mais  Dieu  a  d'autres  desseins  sur  lui,  sa  voix  se  fera  bientôt  entendre. 

Près  de  son  frère  Lambert  qui  étudie,  Pierre  étudie  aussi,  sans  que  l'on 
s'en  doute.  Il  est  son  maître  à  lui-même.  Il  saisit  facilement  et  apprend  des 
choses  difficiles  que  personne  ne  lui  a  expliquées.  Doué  d'ailleurs  d'une 
mémoire  prodigieuse,  il  retient  ce  qu'il  lit  et  ce  qu'il  voit.  Un  peu  plus  tard, 
il  donne  la  preuve  bien  inattendue  de  sa  grande  mémoire,  lorsqu'un  jour  il 
se  met  à  réciter  tout  le  Psautier,  qu'il  avait  lu  souvent  par  dévotion.  Le 
père,  étonné  de  ce  qui  se  passe  dans  cet  enfant,  malgré  ses  projets  arrêtés  et 
ce  que  l'on  appelle  les  convenances  de  famille,  ne  veut  pas  comprimer  plus 
longtemps  l'ardeur  du  jeunePierre.il  lui  permet  d'étudier  le  latin;  dès 
qu'il  put  comprendre  le  beau  commentaire  de  saint  Augustin  sur  les  Psau- 
mes, il  le  transcrivit  de  sa  main  pour  mieux  le  graver  dans  son  esprit. 

Lorsqu'il  eut  atteint  l'âge  de  vingt  ans,  il  obtint  de  son  père  la  permis- 
sion d'entrer  dans  l'abbaye  de  Bonnevaux,  qui  venait  d'être  fondée  dans  le 
Dauphiné,  sous  la  règle  austère  de  saint  Bernard.  Pendant  les  dix  ans  qu'il 
y  passa,  il  édifia  toute  la  communauté  et  y  attira,  par  la  réputation  de  sa 
sainteté,  son  père,  ses  deux  frères  et  dix-sept  seigneurs.  Comme  il  avait 
parfaitement  rempli  les  principaux  emplois  du  cloître,  qu'on  lui  avait  con- 
fiés, et  qu'il  savait  bien  obéir,  on  le  jugea  digne  de  commander.  On  le 
chargea  de  la  fondation  du  monastère  de  Tamié  *,  dans  le  diocèse  de  Taren- 
taise,  entre  les  montagnes  qui  séparaient  la  province  du  Genevois  de  la  Sa- 
voie propre  :  cet  endroit  était,  au  xie  siècle,  le  principal  passage  de  Suisse 
en  Italie  :  c'était  un  désert  regardé  comme  inhabitable,  où  l'on  pouvait, 
par  conséquent,  rendre  de  grands  services  aux  voyageurs.  Pierre  vint  s'y 
établir  en  1132  ',  avec  quelques  religieux,  ou  plutôt  il  y  établit  la  charité  en 
personne.  Les  moines  de  Tamié  n'avaient  pour  nourriture  qu'un  peu  de 
pain  et  d'eau,  avec  des  herbes  mal  apprêtées,  dans  lesquelles  on  jetait  quel- 

1.  Le  couvent  de  Betton  (Ordre  de  Citeaux,  diocèse  de  Chambéry)  était  de  la  filiation  de  Tamié.  Saint 
Pierre  avait  sans  doute  concouru  a  son  érection.  Il  a  été  vendu,  ainsi  que  ses  dépendances,  à  la  grande 
Révolution,  et  a  été  racheté  la  même  année  que  Tamié  (1827).  Ses  bâtiments  ont  été  convertis  dès  lors 
en  ui,e  maison  de  santé  dirigée  par  les  Sœurs-Grises  et  dotée  par  M.  le  général  comte  de  Boigne.  Ceux  de 
Tamié,  d*abord  résidence  des  missionnaires  diocésains  de  Moûtiers,  puis  pensionnat  tenu  par  des  frères, 
sont  aujourd'hui  (1872)  de  nouveau  habités  par  des  enfants  de  saint  Bernard  (colonie  du  val  Sainte-Marie, 
diocèse  de  Besançon). 

2.  Mons  qui  stat  médius. 

3.  L'an  1132,  la  14  des  calendes  de  mars,  les  frères  Pierre,  Vlllelme  et  Aynard  de  Chevron-Villette, 
de  cette  même  famille  qui  avait  déjà  donné  un  grand  Pape  à  l'Eglise  et  qui  a  fourni  dans  la  suite  quatra 
abbés  à  Tamié,  un  évêque  d'Aoste,   trois  archevêques  de  Tarentalse,  dont  un  (Benoit  Théophile)  est  dit 


398  8  mai. 

ques  grains  de  sel  ;  mais  quel  soin  pour  les  pauvres,  les  pèlerins,  les  voya- 
geurs !  Pierre  les  servait  lui-même  à  table,  leur  donnait  des  vêtements,  et 
accompagnait  tout  cela  de  quelques  pieuses  réflexions  pour  le  salut  des 
âmes.  Aussi  la  réputation  du  Saint  volait  de  tous  côtés  ;  on  venait  le  con- 
sulter sur  les  affaires  difficiles  :  le  comte  de  Savoie,  Amédée  III,  se  rendait 
quelquefois  lui-même  à  Tamié,  pour  recevoir  ses  avis.  Le  don  des  miracles 
lui  fit  surtout  une  grande  célébrité  :  il  guérit  publiquement  un  paralytique  ; 
quand  sa  communauté  manquait  de  pain,  il  n'avait  qu'à  prier  Dieu  pour 
en  obtenir. 

L'archevêché  de  Tarentaise  étant  venu  à  vaquer  (1138)  par  la  déposition 
d'Isdraël,  qui  l'avait  aussi  mal  gouverné  qu'il  l'avait  injustement  usurpé, 
l'abbé  de  Tamié  fut  unanimement  élu  par  tout  le  clergé  de  cette  église.  Une 
charge  si  pesante,  surtout  en  un  siècle  aussi  corrompu  que  celui-là,  était 
bien  contraire  aux  inclinations  et  à  l'humilité  de  Pierre  :  on  ne  put  la  lui 
faire  accepter  que  dans  le  Chapitre  général  de  Gîteaux,  où  tous  les  Pères  et 
les  abbés  de  l'Ordre,  et  particulièrement  saint  Bernard,  abbé  de  Glairvaux, 
lui  ordonnèrent  de  se  soumettre  à  la  volonté  de  Dieu. 

Le  nouvel  archevêque  trouva  son  diocèse  dans  le  plus  triste  état  :  il  en 
entreprit  la  réforme  avec  autant  de  zèle  que  de  prudence. 

Le  clergé  de  sa  cathédrale  est  peu  réglé  et  négligent  :  Pierre  y  substitue 
des  chanoines  réguliers  de  Saint-Augustin,  qu'il  instruit  et  gouverne  comme 
un  père  ferait  de  ses  enfants,  assistant  avec  eux  à  tous  les  pieux  exercices. 
Il  retire  les  biens  des  ecclésiastiques  des  mains  qui  les  avaient  usurpés  ;  il 
pourvoit  les  églises  de  tout  ce  qui  est  nécessaire  au  culte  divin,  de  sorte 
que,  dans  ce  pays  pourtant  si  pauvre,  il  ne  laissa  pas,  en  mourant,  une 
seule  chapelle  qui  n'eût  un  calice  d'argent.  Les  pauvres  et  les  malades  sont 
le  principal  objet  de  sa  sollicitude  ;  il  fonde  un  hospice  à  Moutiers,  rétablit 
et  dote  celui  du  Petit-Saint-Bernard,  et,  étendant  sa  charité  au-delà  de  son 
diocèse,  bâtit  deux  autres  refuges,  l'un  sur  le  Mont  de  la  Lésion,  l'autre  sur 
le  Mont-Jura,  lieux  presque  inhabitables.  Sa  maison  est  un  asile,  où  l'on 
reçoit  à  toute  heure  les  indigents,  les  étrangers,  les  malades.  Quand  il  visite 
son  diocèse,  il  porte  de  modestes  provisions  pour  sa  subsistance,  et  n'en 
use  jamais  avant  d'en  avoir  fait  part  aux  pauvres.  Si  bon  pour  les  autres,  il 
est  très-rude  pour  lui-même  :  vêtu  en  moine,  malgré  sa  dignité  épiscopale, 
il  mène  la  vie  du  cloître  ;  il  dort  peu,  il  ne  mange  que  des  herbes  et  du  pain 
bis.  Il  fait  de  longues  oraisons  pendant  la  nuit  et  il  afflige  son  corps  par  des 
mortifications  extraordinaires. 

Nous  ne  dirons  point  tout  ce  que  la  charité  de  Pierre  lui  fait  entre- 
prendre et  nous  ne  répéterons  même  pas  tout  ce  qu'en  disent  les  historiens, 
mais  nous  ne  saurions  taire  une  institution  de  bienfaisance  qui  porte  un 
caractère  particulier,  et  du  Saint  et  de  la  localité;  laquelle,  sans  être  une 
fondation  véritable,  en  a  toutes  les  conséquences,  et  a  donné  lieu  à  des 
actes  qui  l'ont  rendue  historique. 

Les  mois  qui  précèdent  la  moisson  étant  ceux  où  les  peuples  éprouvent 
le  plus  de  besoin,  le  Saint  y  pourvoit  par  une  distribution  générale  en  soupe 
et  en  pain  qu'il  fait  faire  chaque  jour.  Ce  sont,  dit  Geoffroy,  son  historien, 
des  espèces  d'agapes,  auxquelles  l'archevêque  admet  indistinctement  ceux 
qui  se  présentent l.  Il  assiste,  par  ce  moyen,  un  grand  nombre  de  pauvres, 

Bienheureux  :  ces  trois  frères  et  pieux  seigneurs  cèdent,  à  titre  de  fondation,  la  proprie'te'  de  Tamié  et  ses 
dépendances  a  l'abbé   de   Bonnevaux,  Jean  le  Bienheureux,   en    présence   de   l'abbé  d'Hautecombe  (suint 
Amédée  d'Hauterive),  de  notre  saint  Pierre,  jeune  religieux,  et  en   l'assistance  de  saint  Pierre  Ie',  qui 
occupait  alors  le  siège  de  Tarentaise.  (Besson,  Preuves,  p.  231.) 
1.  Bollandus,  die  S  maii. 


SAINT  PIERRE  II,   ARCHEVÊQUE  DE  TARENTAISE.  399 

non-seulement  durant  un  mois  et  pendant  sa  vie,  mais  pendant  des  siècles  ; 
car  ses  successeurs  imitent  son  exemple  et  continuent  à  faire,  dans  les 
cloîtres  bâtis  par  saint  Pierre,  une  pareille  distribution,  principalement 
pendant  le  mois  de  mai.  Cette  aumône,  connue  sous  le  nom  de  pain  de  mai, 
devient  de  plus  en  plus  un  objet  de  vénération  à  cause  de  son  antiquité  et 
surtout  à  cause  de  son  origine  :  l'enfant  du  pauvre  s'y  trouvait  à  côté  de 
l'enfant  du  riche  ;  celui-ci  donnait  généreusement  d'une  main  ce  qu'il  rece- 
vait pieusement  de  l'autre. 

Il  n'a  fallu  rien  moins  que  la  grande  révolution  pour  détruire  une  cou- 
tume dont  le  premier  anneau  remontait  à  saint  Pierre  IL  II  est  plus  d'un 
vieillard  qui  en  parle  encore  comme  d'un  souvenir  pieux  de  l'enfance,  qui 
laisse  dans  l'âme  je  ne  sais  quoi  de  traditionnel,  de  respectable  et  de  saint. 
Comme  celle  de  tant  d'autres  choses  précieuses  qui  ont  péri  alors,  la  mé- 
moire de  cette  tradition  se  perd  de  jour  en  jour  à  mesure  que  les  hommes 
qui  ont  vécu  dans  les  deux  siècles  disparaissent. 

En  traversant  les  Alpes,  pendant  un  hiver  très-rigoureux,  il  rencontre 
une  pauvre  femme  fort  âgée,  malade,  transie  de  froid  et  baignée  de  larmes  ; 
il  se  dépouille,  pour  la  revêtir,  de  sa  robe  de  religieux,  ne  se  réservant  que 
le  manteau  appelé  coule;  il  s'expose  ainsi  à  mourir  de  froid  lui-même,  et 
il  arrive,  en  effet,  très-malade  à  l'hospice  du  Petit-Saint-Bernard.  Sa  charité 
est  récompensée,  dès  cette  vie,  par  d'innombrables  miracles  qu'il  opère  en 
Italie,  en  Savoie,  en  Bourgogne.  A  Saint-Claude,  la  foule  qui  se  presse  au- 
tour de  lui  pour  obtenir  les  grâces  du  ciel,  dont  il  est  le  distributeur,  est  si 
grande,  qu'il  faut  prendre  des  mesures  pour  éviter  les  accidents  :  Pierre  se 
retire  dans  la  tour  de  l'église,  où  conduisent  deux  escaliers  :  par  l'un  mon- 
tent les  pèlerins,  les  malades,  et  quand  ils  ont  reçu  la  bénédiction  du  Saint, 
ils  descendent  par  l'autre.  Pendant  ce  séjour,  trois  étrangers  viennent  le 
remercier  de  leur  délivrance  :  «  Ils  étaient  »,  lui  disent-ils,  «  enfermés  dans 
les  prisons  de  Lausanne  ;  le  récit  de  ses  vertus  et  de  ses  miracles  les  a  con- 
vertis ;  ils  l'ont  invoqué,  comme  on  invoque  un  saint  qui  règne  dans  le  ciel  ; 
il  leur  est  apparu  dans  la  prison,  a  rompu  leurs  chaînes,  et,  leur  donnant 
la  main,  les  a  fait  miraculeusement  sortir,  en  passant  sans  être  vus,  au  mi- 
lieu des  gardes,  qui  jouaient  aux  dés  ». 

Se  voyant  accablé  de  tant  de  gloire,  Pierre  s'en  effraie  et  résout  de  ren- 
trer dans  l'obscurité  du  cloître  (1155).  Ayant  échangé  ses  habits  contre  les 
haillons  d'un  pauvre,  il  s'enfuit,  accompagné  d'un  seul  domestique,  et  va  au 
fond  de  l'Allemagne,  se  faire  recevoir  dans  un  couvent  de  son  Ordre.  A  la 
nouvelle  de  cette  fuite,  la  désolation  fut  universelle.  Un  de  ses  jeunes  dio- 
césains, élevé  dans  son  palais,  entreprit  de  le  chercher  jusqu'à  ce  qu'il  l'eût 
trouvé.  En  effet,  après  avoir  pendant  un  an  visité  beaucoup  de  monastères, 
il  arriva  enfin  dans  celui  où  était  son  archevêque  ;  il  se  tint  sur  le  passage 
des  religieux  pendant  qu'ils  allaient  au  travail,  il  reconnut  Pierre,  et  se  jeta 
à  ses  genoux  en  le  priant  de  revenir  dans  son  diocèse.  Les  autres  religieux 
furent  bien  surpris  :  ils  se  jetèrent  aussi  aux  pieds  du  prélat,  s'excusant  de 
de  ne  l'avoir  pas  traité  selon  sa  dignité  et  ses  mérites.  Son  retour  fut  un 
véritable  triomphe  :  il  retrouva  plus  d'honneurs  qu'il  n'en  avait  fui  (1157). 

Dieu  le  rappelait,  parce  qu'il  avait,  si  nous  pouvons  parler  ainsi,  besoin  de 
lui  pour  défendre  son  Eglise  et  réconcilier  les  princes.  Un  rôle  immense  at- 
tendait notre  Saint.  L'Eglise  était  alors  déchirée  par  le  schisme.  L'empereur 
Frédéric  Barberousse,  qui  prétendait  mettre  sous  sa  domination  absolue  le 
monde  entier,  ne  trouvant  plus  d'obstacle  à  ce  dessein,  que  le  Pape  légi- 
time, ordinaire  défenseur  des  droits  des  peuples  et  de  l'Eglise,  établit  un 


400  8  mai. 

antipape,  Victor  III.  L'archevêque  de  Tarentaise  fut  presque  le  seul  sujet  de 
l'empire  qui  osât  se  déclarer  ouvertement  pour  le  Pape  légitime,  Alexan- 
dre III  :  il  prit  son  parti  dans  plusieurs  conciles,  il  parcourut  plusieurs  con- 
trées pour  y  faire  reconnaître  son  autorité,  entre  autres  l'Alsace,  la  Bour- 
gogne, la  Lorraine,  l'Italie  :  tout  l'Ordre  de  Cîteaux  suivit  ce  noble  exemple; 
or,  il  comptait  alors  plusieurs  évêques,  sept  cents  abbés  et  une  multitude 
presque  innombrable  de  moines  :  ces  milliers  de  voix,  qui  proclamèrent  en 
même  temps  le  même  Pape,  en  toutes  les  contrées  de  l'Europe,  ne  contribuè- 
rent pas  peu  au  triomphe  de  la  vérité.  Pierre  ne  craignit  pas  de  parler  en  fa- 
veur d'Alexandre  III  à  Frédéric  lui-même  :  «  Cessez  » ,  lui  dit-il,  «  de  persécuter 
l'Eglise  et  son  chef,  les  prêtres  et  les  religieux,  les  peuples  et  les  cités  qui 
se  montrent  favorables  au  Pape  légitime.  Il  est  un  roi  qui  gouverne  les  rois 
eux-mêmes  et  à  qui  vous  rendrez  un  compte  rigoureux  de  votre  conduite  ». 
L'empereur,  qui  avait  exilé  plusieurs  partisans  d'Alexandre,  ne  s'offensa 
point  des  remontrances  du  saint  prélat,  tant  il  respectait  ses  vertus  ou  crai- 
gnait son  influence  sur  les  peuples.  Un  de  ses  courtisans  lui  en  ayant 
exprimé  sa  surprise,  et  essayant  d'exciter  son  indignation  contre  Pierre, 
Frédéric  répondit  :  «  Je  m'oppose  aux  hommes,  il  est  vrai,  parce  qu'ils  le 
méritent,  mais  voulez-vous  que  je  me  déclare  ouvertement  contre  Dieu  ?  » 

Alexandre  III  désirait  voir  celui  qui  défendait  la  papauté  avec  tant  de 
succès  ;  il  le  manda  à  Rome  :  ce  voyage  de  Pierre  fut  une  prédication,  une 
procession,  un  triomphe,  une  suite  de  miracles.  Il  évangélisa  et  édifia  la 
Toscane  ;  à  Yerceil,  il  réconcilia  les  deux  partis  qui  divisaient  la  ville  ;  à 
Bologne,  il  rendit  la  santé  à  l'évêque,  en  lui  imposant  les  mains,  et  la  vue 
à  un  aveugle  en  faisant  le  signe  de  la  croix  sur  ses  yeux.  Partout  où  il  passa, 
on  le  priait  de  prêcher  et  de  consacrer  des  autels.  Le  Pape  et  la  ville  de 
Rome  le  reçurent  avec  les  plus  grands  témoignages  d'estime  et  de  vénération. 

En  1170,  le  Pape  chargea  notre  Saint  de  réconcilier  Henri  II,  roi  d'An- 
gleterre, et  Louis  VII,  roi  de  France,  qui  étaient  en  guerre.  Malgré  son 
grand  âge,  Pierre  se  mit  aussitôt  en  route  pour  remplir  cette  mission  :  il 
prêchait  et  opérait  de  nombreux  miracles  dans  tous  les  lieux  qu'il  traver- 
sait. Au  monastère  cistercien  de  Prully,  dans  le  diocèse  de  Sens,  il  renou- 
vela le  prodige  de  la  multiplication  des  pains,  pour  nourrir  les  étrangers 
que  sa  réputation  y  attirait  en  foule. 

Dès  qu'il  approchait  d'une  ville  ou  d'un  village,  la  nouvelle  s'en  répan- 
dait :  Voici  le  Saint  qui  arrive,  disait-on  de  toute  part  ;  aussitôt  la  population 
s'ébranlait,  la  route  se  couvrait  de  feuillages,  on  se  précipitait  au-devant 
du  thaumaturge,  on  lui  baisait  les  pieds  et  les  mains  ;  il  était  obligé  de 
s'arrêter  pour  écouter  les  plaintes  de  tous  ceux  qui  souffraient  et  de  les 
consoler,  de  les  guérir,  de  faire  entendre  au  peuple  la  parole  de  Dieu. 

Les  rois  de  France  et  d'Angleterre  avaient  envoyé  bien  loin,  au-devant 
de  lui,  des  seigneurs  de  leurs  cours  ;  Louis  VII  et  Henri,  héritier  présomptif 
de  la  couronne  d'Angleterre,  et  le  comte  de  Flandre,  l'attendaient  à  Chau- 
mont,  dans  le  Vexin,  sur  les  confins  de  la  France  et  de  la  Normandie.  Dès 
que  Henri  l'aperçut,  il  descendit  de  cheval  et  courut  au-devant  de  lui. 
Après  avoir  baisé  le  manteau  du  prélat,  il  le  pria  de  le  lui  céder  :  ce  vête- 
ment était  lacéré  et  presque  tout  en  pièces,  tant  on  en  avait  détache  de 
morceaux  par  vénération.  L'abbé  de  Clairvaux,  qui  accompagnait  le  saint 
pontife,  ayant  demandé  à  Henri  de  quel  usage  lui  serait  ce  vieil  habit  : 
«  Vous  ne  parleriez  pas  ainsi  »,  dit  le  prince,  «  si  vous  saviez  quels  effets 
merveilleux  a  produits,  sur  les  malades,  la  ceinture  que  j'ai  obtenue  du 
Saint,  il  y  a  quelques  années  ».  Le  roi  de  France  et  sa  suite  arrivèrent  pen- 


SAINT  PIERRE  II,  ARCHEVÊQUE  DE  TARENTAISE.  401 

dant  ce  temps  ;  mais  les  princes  disparaissent  dans  cette  foule  et  devant  le 
Saint  :  on  ne  voyait  que  lui,  on  se  pressait  autour  de  lui.  Une  femme,  con- 
duisant par  la  main  son  fils  aveugle,  s'efforçait  en  vain  d'arriver  jusqu'au 
prélat  ;  il  s'en  aperçut  et  lui  fit  faire  un  passage.  La  mère  demanda  la  gué- 
rison  de  son  fils  ;  le  Saint,  mouillant  ses  doigts  avec  de  la  salive,  en  frotte 
les  yeux  et  la  tête  de  l'enfant,  fait  le  signe  de  la  croix  et  se  met  en  prières. 
Les  princes  et  les  autres  témoins  de  cette  scène  se  demandaient  quelle  en 
serait  l'issue  ;  tout  à  coup,  l'enfant  regarde  et  s'écrie,  joyeux  et  surpris  : 
«  Je  vois  ma  mère,  je  vois  des  arbres,  des  hommes  et  tout  ce  qui  est  ici  ». 
Tout  le  monde  est  ravi.  La  mère,  hors  d'elle-même,  se  jette  aux  pieds  du 
Saint  en  versant  des  larmes  de  joie,  sans  avoir  la  force  de  parler.  Le  roi  de 
France  se  prosterne  devant  l'enfant  pour  adorer  la  puissance  divine,  qui 
vient  d'éclater  en  lui,  baise  avec  respect  son  front  et  ses  yeux,  et  lui  fait 
une  généreuse  offrande. 

Après  de  tels  prodiges,  pouvait-on  ne  pas  voir,  dans  le  saint  archevêque, 
l'envoyé  de  Dieu  même?  Le  roi  d'Angleterre,  Henri  II,  se  rendit  à  l'entre- 
vue qui  lui  avait  été  proposée  par  le  prélat  ;  elle  eut  lieu  entre  Trie  et  Gi- 
sors,  et  le  29  septembre  de  la  même  année,  Henri  II  se  réconcilia,  à  Am- 
boise,  avec  ses  fils  et  avec  le  roi  de  France  ;  mais,  à  cette  date,  saint  Pierr® 
était  déjà  dans  le  ciel.  Après  l'entrevue  de  Gisors,  il  s'était  dirigé  vers  l'ab- 
baye de  Mortemer,  dans  le  diocèse  de  Rouen,  où  il  distribua  solennellement 
les  Cendres,  le  6  février,  à  Louis  VII  et  à  son  gendre,  Henri  d'Angleterre.  Il 
sentit  qu'il  n'avait  plus  que  peu  de  temps  à  vivre  ;  ce  fut  pour  lui  un  motif 
de  redoubler  de  zèle  ;  aussi,  ces  derniers  jours  de  sa  vie  sont  remplis  de 
bonnes  œuvres  et  de  miracles  accomplis  en  France.  Il  va  d'abord,  sur  la 
demande  de  la  reine  de  France,  au  monastère  de  Haute-Bruyère,  de  l'Ordre 
de  Fontevrault,  y  consacre  un  autel  et  y  rend  la  vue  à  une  jeune  fille 
aveugle,  en  faisant  sur  elle  le  signe  de  la  croix.  Dans  l'abbaye  de  Lière,  où 
il  passe  quelques  jours,  il  guérit  deux  sourds  et  un  paralytique.  La  charité 
qui  l'anime  semble  lui  donner  des  ailes.  On  le  voit  en  quelques  semaines  au 
couvent  de  la  Chassagne,  où  il  termine  plusieurs  affaires  du  plus  haut  inté- 
rêt; dans  celui  de  la  Bussière,  dont  il  consacre  l'église  et  où  il  guérit,  par 
la  seule  imposition  des  mains,  un  sourd-muet  et  deux  aveugles  ;  au  château 
de  Montmorency,  où  il  inaugure  la  chapelle  ;  à  Longuet,  où,  sur  la  prière  de 
l'évêque  de  Langres,  il  dédie  un  autel  à  saint  Bernard,  qui  venait  d'être 
canonisé  ;  à  Besançon,  où,  après  avoir  entretenu  l'archevêque  Ebrard  des 
affaires  de  l'Eglise,  il  achève  de  l'éclairer  sur  le  schisme  que  Frédéric  avait 
suscité,  le  confirme  et  l'affermit  dans  l'obéissance  envers  le  Pape  légitime. 
On  attendait  saint  Pierre  dans  l'abbaye  de  Bellevaux  avec  une  vive  et  pieuse 
impatience.  Il  part  en  effet  pour  ce  monastère,  et  se  propose  d'y  paraître 
avec  la  simplicité  d'un  religieux.  Avant  d'arriver  au  couvent,  ses  forces 
l'abandonnent  ;  une  indisposition  l'oblige  à  prendre  un  peu  de  repos  ;  il 
s'arrête  au  bord  de  la  route,  près  d'une  source  qui  descend  d'un  coteau 
voisin.  Ce  lieu,  connu  dans  le  pays  sous  le  nom  de  Saint-Justin,  sera  désor- 
mais consacré  par  l'agonie  de  l'illustre  légat  ;  on  plantera  une  croix  aux 
bords  de  la  fontaine  ;  l'eau  pure  qui  a  ranimé  le  Saint  dans  sa  défaillance, 
la  terre  qu'il  a  arrosée  de  ses  dernières  sueurs,  seront  de  siècle  en  siècle 
l'objet  de  la  vénération  des  habitants.  Saint  Pierre  avait  soixante-treize  ans. 

Transporté  au  couvent  de  Bellevaux,  notre  Saint  s'y  endormit  dans  le 
Seigneur,  le  8  mai  1174.  Son  corps  demeura  trois  jours  exposé  à  la  vénéra- 
tion du  peuple,  puis  déposé  sous  un  autel  dédié  à  la  sainte  Vierge  ;  Ebrard, 
archevêque  de  Besançon  (Bellevaux  est  tout  près  de  cette  ville),  présida  à 
Vies  des  Saints.  —  Tome  V.  26 


402  8  mai. 

ses  obsèques.  Bientôt,  le  tombeau  de  saint  Pierre  de  Tarentaise  devint,  par 
de  nombreux  miracles,  un  lieu  de  pèlerinage.  Il  fut  canonisé  en  1191,  par 
le  pape  Célestin  III. 

On  le  représente  parlant  aux  rois  de  France  et  d'Angleterre  pour  les 
réconcilier  ;  à  l'empereur  Frédéric  Barberousse  pour  le  ramener  du 
schisme,  etc. 

RELIQUES  DE  SAINT  PIERRE  DE  TARENTAISE. 

Les  reliques  du  Saint,  que  la  Savoie  et  la  France  se  disputaient,  furent  partagées  par  le  Pape  : 
l'église  de  Tarentaise  obtint  la  tête  ;  l'abbaye  de  Tamié,  le  bras  gauche  ;  celle  de  Citeaux,  le  bras 
droit.  Ces  précieuses  reliques  furent  perdues  en  partie  pendant  les  troubles  de  la  Révolution  fran- 
çaise et  les  guerres  qui  la  suivirent;  mais  le  reste,  qui  était  demeuré  a  Bellevaux,  fut  sauvé;  les 
habitants  de  Cirey  achetèrent  pour  quatre  cents  livres  l'autel  du  Sainl,  son  tombeau  et  les  osse- 
ments qui  y  étaient  renfermés,  et  transportèrent  le  tout  dans  leur  église,  le  24  juin  1791  ;  mais, 
en  1793,  un  administrateur  du  district  de  Vesoul  enleva  violemment  ce  trésor  :  les  os  du  Saint 
furent  emportés  avec  mépris,  au  fond  d'une  hotte,  à  Vesoul,  pour  y  être  brûlés  ;  mais  le  peuple 
de  Vesoul  montra  tant  de  respect  pour  ces  reliques  sacrées,  qu'on  n'osa  pas  les  profaner  :  ces 
démagogues,  répandant  le  bruit  qu'on  les  avait  enlevées,  les  reléguèrent  dans  les  bureaux  du 
district,  où  on  les  recueillit  précieusement,  lorsque  la  liberté  du  culte  catholique  fut  rendue  à  la 
France,  et  on  les  plaça  dans  une  des  chapelles  de  l'église  paroissiale  de  Vesoul. 

En  1812,  Claude  Lecoz,  archevêque  de  Besançon,  en  accorda  deux  parcelles  considérables  aux 
habitants  de  Cirey.  Une  colonie  de  trappistes,  vivant  selon  l'étroite  Observance  de  Sept-Fonds, 
s'établirent  à  BelJevaux,  en  181G,  et  obtinrent,  en  1819,  la  moitié  des  reliques  qui  avaient  été 
déposées  à  Vesoul,  c'est-à-dire  la  cuisse,  la  jambe  et  le  pied  gauche  du  Saint  :  on  constate,  dans 
le  procès-verbal  dressé  à  cette  occasion,  que  les  restes  précieux  de  saint  Pierre  étaient  dans  leur 
état  naturel,  sans  corruption,  couverts  de  peau,  mais  seulement  desséchés  par  l'effet  du  temps. 
Chassés  par  la  Révolution  de  1830,  les  trappistes  de  Bellevaux  se  réfugièrent  en  Suisse,  empor- 
tant, comme  consolation  dans  leur  exil,  les  reliques  de  saint  Pierre  ;  ils  les  rapportèrent,  en  1834, 
lorsqu'ils  vinrent  s'établir,  encore  en  Franche-Comté,  au  Val-Sainte-Marie  :  depuis,  le  siège 
principal  de  la  communauté  ayant  été  transféré  à  l'abbaye  de  la  Gràce-Dieu,  nne  chapelle,  dans  la 
magnifique  église  de  cette  abbaye,  fut  dédiée  à  saint  Pierre  de  Tarentaise.  C'est  là  que  reposent 
aujourd'hui  ses  reliques  dans  une  belle  châsse  :  on  y  voit,  outre  les  ossements  dont  nous  avons 
parlé,  une  portion  du  manteau  du  Saint,  sa  mitre  et  sou  calice.  L'abbaye  de  la  Gràce-Bieu  ayant 
fondé  naguère  une  colonie  à  Tamié  même,  la  mère  a  cédé  à  la  fille  une  partie  des  reliques  de  celui  qui 
l'avait  autrefois  gouvernée.  Quant  à  dire  que  les  reliques,  autrefois  données  par  le  Pape  à  la 
Savoie,  furent  toutes  perdues,  cela  n'est  pas  complètement  exact.  Voici  ce  que  nous  écrit  M.  Bérard, 
thanoine,  archidiacre  et  vicaire-général  de  Moûtiers  : 

«  Cela  n'est  malheureusement  que  trop  vrai  pour  ce  qui  concerne  la  relique  insigne  adjugée  à 
l'église  alors  métropolitaine  de  Moûtiers.  Mais  je  suis  heureux  de  pouvoir  aflirmer  que  nous  pos- 
sédons en  la  même  église,  notre  cathédrale  actuelle,  le  bras  gauche  qui  était  autrefois  à  l'abbaye  de 
Tamié.  L'authenticité  de  cette  relique  avait  été  reconnue,  en  1805,  par  Mgr  Irénée-Ives  de  Solles, 
évêque  de  Chambéry  et  de  toute  la  Savoie,  lors  de  la  visite  pastorale  qu'il  fit  en  cette  ville  et  dans 
les  principales  paroisses  de  Tarentaise,  assisté  de  M.  le  doyen  de  Maistre,  son  vicaire-général,  pré- 
cédemment doyen  de  la  métropole  de  Tarentaise,  et  vicaire-général  de  cet  archidiocèse  sur  le 
territoire  duquel  était  située  l'abbaye  de  Tamié.  Il  nous  serait  difficile  de  dire  comment  cette  pré- 
cieuse relique  est  arrivée  à  Moûtiers,  et  depuis  Tamié,  enfermée  dans  son  grand  reliquaire  surmonté 
d'une  statue  du  saint  évêque,  durant  les  troubles  de  la  Révolution,  ni  comment  elle  a  été  préservée. 
Mais  il  est  certain  : 

«  1°  Que  Mgr  de  Maistre,  qui  portait  toujours  le  plus  vif  intérêt  à  ce  qui  restait  de  l'ancien 
diocèse  de  Tarentaise,  était  plus  à  même  que  qui  que  ce  fût  de  s'assurer  de  l'authenticité  de 
cette  relique  ; 

«  2°  Qu'il  a  fait  apposer  le  sceau  de  Mgr  de  Solles  sur  ce  reliquaire  ; 

<x  3°  Que  dans  le  procès-verbal  de  cette  visite  pastorale  du  22  septembre  1805,  on  lit  :  «  Nom- 
avons  fait  apposer  notre  sceau  sur  toutes  les  reliques  dont  l'authenticité  nous  a  été  garantie  ». 

«  4°  Que  les  sceaux  de  Mgr  de  Solles  ont  été  trouvés  intacts  lors  de  l'ouverture  qu'a  fait  faire 
tout  récemment  Mgr  Turinaz,  évêque  de  Tarentaise,  de  ce  même  reliquaire  pour  y  puiser,  si 
possible,  de  plus  amples  renseignements  sur  l'authenticité  de  cette  relique  ; 

«  5°  Qu'examen  fait  de  cette  relique  en  ma  présence  par  MM.  les  docteurs  chirurgiens-méde- 
cins, Laissus  père  et  lils,  il  a  été  bien  reconnu  que  cet  os,  encore  revêtu  de  filaments  nerveux 
desséchés,  et  même  déportions  de  chair  prodigieusement  conservée,  malgré  leurs  huit  cents  ans,  et 
sur  lequel  il  est  écrit  en  vieux  style  :  ex  brachio  sancti  Pétri  H,  archiepiscop.  Tarentasiensisf 
il  a  été  reconnu,  dis-je,  que  c'était  bien  l'humérus  du  bras  gauche. 


SAINT  GIRRIEN,   PRÊTRE  ET  CONFESSEUR.  403 

«  Dans  le  même  reliquaire  se  trouve  encore  une  paire  de  gants  de  soie  blanche,  façon  moyen 
âge,  bordés  en  leur  partie  supérieure  d'un  large  galon  fil  d'or,  que,  pour  ce  motif,  noas  croyons 
être  les  gants  du  même  Saint. 

«  Nous  possédons  aussi  : 

«  1°  La  parcelle  que  M.  le  chanoine  Chevray  déclare,  à  la  page  215  de  son  Histoire  de  saint 
Pierre,  avoir  cédée  à  notre  cathédrale  sur  celle  assez  considérable  qu'il  avait  obtenue  en  Franche- 
Comté  par  l'entremise  de  M.  le  chanoine  Thiébaud,  secrétaire-général  de  l'archevêque  de  Besançon; 

«  2°  La  crosse  de  ce  Saint  religieusement  conservée  d'abord  en  l'abbaye  de  Tamié,  puis  trans- 
portée, en  1819,  en  celle  de  Novalaise  (après  la  grande  Révolution  française),  d'où  elle  nous 
est  venue,  en  1S56,  par  la  bienveillante  médiation  de  Mgr  "Vibert,  évèque  de  Maurienne  ». 

Les  autres  reliques,  le  lecteur  se  le  rappelle,  sont  à  Vesoul  et  à  Cirey.  Dans  l'église  paroissiale 
de  ce  village,  où  les  pèlerins  viennent  encore  déposer  leurs  prières  et  leurs  offrandes,  on  voit  le 
mausolée  en  marbre  qui  était  derrière  le  maître-autel  de  l'abbaye  de  Bellevaux;  les  débris  d'une 
grille  en  fer  battu,  qui  fermait  le  mausolée,  et  qui  porte  le  chilfredu  Saint  ;  sept  petites  châsses, 
soustraites  aux  perquisitions  des  révolutionnaires,  dans  lesquelles  on  remarque  des  gants,  une 
clef  et  dilférents  autres  objets  qui  ont  appartenu  au  saint  archevêque  de  Tarentaise. 

Nous  avons  refait  l'histoire  de  cette  Vie,  trop  incomplète  dans  le  Père  Giry,  en  nous  servant,  sur- 
tout, de  la  Vie  des  Saints  de  Franche-Comté,  et  de  la  Vie  du  Saint,  par  51.  le  chanoine  Chevray,  in-8» 
qui  a  paru  à  Baume  en  1841. 


SAINT  HELLADE,  ÉVÊQUE  D'AUXERRE  (387). 

Elade  ou  Hellade,  évêque  d'Auxerre,  tint  ce  siège  après  saint  Valérien,  vers  le  temps  de  Valen- 
tinien  l'Ancien.  Commis  à  la  garde  du  troupeau  du  Seigneur,  il  convertit  un  grand  nombre  d'âmes 
à  la  foi,  par  sa  parole  et  par  son  exemple.  Il  alla  recevoir  de  son  maître  céleste  la  récompense 
de  ses  travaux,  la  vingt-troisième  année  de  son  épissopat,  le  8  de  mai,  vers  l'an  385,  et  fut  en- 
seveli sur  le  Mont-Artre,  à  côté  de  ses  prédécesseurs. 

Propre  de  Sens  et  Godescard. 


SAINT  GIBRIEN,  PRÊTRE  EN  CHAMPAGNE  (vie  siècle). 

Gibrien,  prêtre,  né  en  Friande,  passa  en  France  sur  la  fin  du  Ve  siècle,  afin  de  servir  Dieu  avec 
pins  de  liberté.  Il  eut  pour  compagnons  de  son  voyage  et  de  son  dessein,  Hélain,  Trésain,  Véran, 
Abran  et  Pétran,  ses  frères,  ainsi  que  ses  trois  sœurs,  Franche,  Promptie  et  Possenne.  Ils  s'arrê- 
tèrent tous  sur  le  territoire  de  Châlons-sur-Marne.  Ils  se  dispersèrent  dans  des  lieux  solitaires, 
mais  assez  voisins  les  uns  des  autres  pour  qu'ils  pussent  se  visiter  mutuellement.  Gibrien  fixa  sa 
demeure  à  l'endroit  où  le  ruisseau,  nommé  Côle  alors  comme  aujourd'hui,  se  jette  dans  la 
Marne. 

Ses  frères  et  ses  sœurs  venaient  souvent  le  visiter  comme  un  maître  de  sainteté.  Ils  avaient 
d'ailleurs  un  grand  respect  pour  lui,  et  parce  qu'il  était  l'aîné,  et  parce  qu'il  était  revêtu  du  sacer- 
doce. Mais  ce  qui  lui  donnait  encore  plus  d'autorité,  c'était  son  amour  extraordinaire  pour  l'oraison 
et  pour  le  travail  ;  son  abstinence  admirable  dans  le  manger,  et  son  infatigable  activité  dans 
l'exercice  de  toutes  les  vertus.  Lorsqu'une  heureuse  mort  eut  couronné  sa  sainte  vie,  son  corps 
fut  enseveli  dans  le  lieu  de  sa  solitude.  Bientôt  Dieu  fit  éclater  la  gloire  de  son  serviteur  par 
divers  miracles  :  on  construisit  un  petit  oratoire  sur  soq  tombeau;  un  grand  concours  s'y  faisait, 
surtout  le  jour  anniversaire  de  la  célébration  de  ses  obsèques. 

Cet  oratoire  ayant  été  détruit  durant  les  ravages  des  Normands,  le  religieux  comte  Haderic 
obtint  de  Rodoald,  évèque  de  Châlons,  la  permission  d'emporter  où  il  voudrait  le  corps  de  saint 
Gibrien.  Il  le  transféra  à  Reims,  et  le  déposa  dans  la  basilique  de  Saint-Remy,  sous  l'épiscopat  de 
Foulques.  Il  y  est  demeuré  jusqu'à  la  Révolution  française.  Il  n'eu  reste  plus  rien.  Il  y  a,  dans  le 
diocèse  de  Châlons,  un  village  du  nom  de  Saint-Gibrien  ;  il  est  situé  non  loin  de  l'ancien  tombeau. 
Ses  frères  et  ses  sœurs  sont  aussi  honorés  d'un  culte  public.  On  compte,  dans  les  diocèses  de 
Reims  et  de  Châlons,  plusieurs  églises  dédiées  sous  l'invocation  de  saint  Véran,  de  saint  Hélain, 
4e  saint  Trésain  et  de  sainte  Possenne. 


404  8  mai. 

Il  est  plus  que  probable  que  ces  saints  voyageurs  ont  séjourné  en  Bretagne  avant  de  se  rendre 
dans  le  Chàlonais,  car  il  s'y  trouve  encore  plusieurs  localités  rappelant  leurs  noms  :  on  connaît, 
en  Bretagne,  une  paroisse  de  Saint-Hélen  ;  une  paroisse  de  Saint-Vran  ;  une  paroisse  et  plusieurs 
lieux  consacrés  à  saint  Abraham  (le  même  probablement  qu'Abran)  ;  la  grève  de  saint  Pétranj  la 
grotte  du  même  Saint  en  Trézilide. 

Propres  de  Châlons  et  de  Reims,  et  notes  locales. 


SAINT  DÉSIRÉ,  ÉVÊQUE  DE  BOURGES  (550). 

Ce  Saint  était  né  dans  le  territoire  de  Soissons,  vers  le  commencement  du  vie  siècle  ;  il  fut 
élevé  dans  la  piété  chrétienne  et  dans  l'étude  des  lettres,  avec  deux  de  ses  frères,  par  le  soin  de 
ses  parents,  que  l'on  distinguait  dans  le  pays  par  leur  vertu.  Il  fut  fait  évêque  de  Bourges,  après 
la  mort  de  saint  Arcade  ;  il  assista  au  cinquième  concile  d'Orléans,  assemblé  l'an  549,  et  au  second 
d'Auvergne,  qui  se  tint  au  plus  tard,  au  commencement  de  l'année  suivante.  Ces  conciles  condam- 
nèrent les  erreurs  de  Nestorius  et  d'Eutychès,  et  firent  de  sages  règlements  pour  la  conservation 
ou  le  rétablissement  de  la  discipline  ecclésiastique.  Après  avoir  travaillé  pendant  neuf  ans  d'épis- 
copat  à  déraciner  les  erreurs  et  les  vices  dans  son  diocèse,  et  à  rétablir  ou  à  maintenir  la  bonne 
discipline  dans  toute  l'étendue  de  sa  métropole,  il  mourut  le  dimanche,  8  mai  550,  selon  l'opinion 
la  plus  probable. 

Gallia  christiana. 


SAINT  WIRON,  ÉVÊQUE  RÉGIONNAIRE  (vers  700). 

Ruremonde  est  une  ville  du  Limbourg  hollandais  située  au  confluent  de  la  Roër  et  de  la 
Meuse1.  Or,  à  une  lieue  en  amont  de  Ruremonde,  sur  la  rive  gauche  de  la  Roër,  se  trouve  un  vil- 
lage appelé  autrefois  Mont-Saint-Pierre,  et  aujourd'hui  Mont-Sainte-Odille.  C'est  ce  lieu  alors  soli- 
taire, où  ne  parvenaient  point  les  bruits  du  monde,  que  Pépin  d'Héristal,  maire  du  palais  des  rois 
de  France,  céda  à  saint  Wiron,  pour  y  faire  croître  des  fruits  célestes.  Saint  Wiron  y  dédia  d'a- 
bord un  oratoire  à  la  Vierge  Marie,  afin  que  cette  divine  Mère  prit  comme  possession  du  terri- 
toire. Plus  tard  il  y  éleva  le  moutier  Saint-Pierre,  lequel  était  solidement  construit,  dit  le  chroni- 
queur. C'est  là  aussi  qu'avec  ses  deux  compagnons,  saint  Pléchelm,  prêtre,  et  saint  Otger,  diacre, 
il  passa  les  dernières  années  de  sa  vie. 

Autant  que  possible,  remontons  aux  commencements  de  saint  Wiron.  Il  naquit  en  Ecosse  dans 
les  premières  années  du  vne  siècle.  Il  reçut  dans  son  enfance  une  éducation  fort  chrétienne,  et 
joignit  avec  beaucoup  de  succès  l'étude  des  lettres  aux  exercices  de  la  piété.  Le  désir  qu'il  eut 
de  s'avancer  dans  la  vertu  lui  fit  choisir  pour  ses  modèles  saint  Patrice  et  saint  Cuthbert,  évêques, 
et  saint  Colomb,  abbé,  trois  Saints  des  plus  célèbres  des  Iles-Britanniques.  Il  fut  ensuite  élevé  à 
l'épiscopat,  sans  être  apparemment  attaché  à  aucune  église  particulière,  selon  un  usage  qui  était 
devenu  fort  commun  dans  ces  iles,  où  l'on  voyait  grand  nombre  de  ces  évêques  régionnaires. 

Avant  de  se  laisser  ordonner,  saint  Wiron  entreprit  le  voyage  à  Rome,  qu'il  méditait  depuis 
longtemps,  et  il  le  fit,  accompagné  de  saint  Pléchelm,  prêtre,  et  de  saint  Otger,  qui  était  diacre. 
Le  Pape  qui,  selon  quelques-uns,  était  saint  Serge  Ier,  les  reçut  très-bien.  Il  sacra  lui-même  saint 
Wiron  et  saint  Pléchelm  évêques,  et  tous  trois  s'en  retournèrent  dans  leur  pays,  où  ils  travaillè- 
rent chacun  dans  leurs  fonctions,  soulageant  les  évêques  qui  avaient  des  diocèses  trop  vastes. 
Quelques  années  après  ils  repassèrent  tous  trois  en  France,  et  saint  Wiron  obtint  pour  lui 
et  pour  ses  deux  compagnons  le  mont  de  Sainte-Odille,  à  une  lieue  de  Ruremonde,  de  la  libéralité 
de  Pépin,  dit  de  Herstal,  que  la  mairie  du  palais  rendait  maître  d'une  partie  considérable  des 
Gaules.  Ils  s'y  retirèrent  dans  la  résolution  d'y  mener  une  vie  pénitente,  entièrement  dégagée  du 

1.  Le  flamand  mond,  l'anglais  mouth,  l'allemand  rnund  signifient  également  bonche,  embouchure.  Les 
noms  de  villes  terminés  par  ce  monosyllabe  sont  donc  placés  à  l'embouchure  ou  au  confluent  d'un  cours 
4'eiu. 


LE  BIENHEUREUX  BERNARD,   DOMINICAIN.  405 

commerce  du  monde.  Ils  y  bâtirent  une  petite  église  sous  l'invocation  de  la  Sainte  Vierge,  et  en 
s'y  dressant  quelques  cellules,  ils  jetèrent  les  fondements  du  monastère  que  l'on  y  construisit 
dans  le  siècle  suivant  sous  le  nom  de  Saint-Pierre.  On  prétend  que  Pépin  fut  si  rempli  d'estime 
pour  la  sagesse  et  la  sainteté  de  Wiron,  qu'il  voulut  l'avoir  pour  directeur  de  son  âme  dans  les 
voies  du  salut,  et  même  pour  le  conseiller  de  ses  desseins  dans  ses  principales  entreprises. 

Cet  emploi  ne  l'empêcha  pas  de  mener  dans  la  solitude  une  vie  cachée  aux  hommes,  sauf  le 
temps  qu'il  donnait  à  la  conversion  des  peuples.  Dieu  le  retira  enfin  à  lui,  pour  le  récompenser 
de  sa  fidélité  et  de  son  zèle.  On  ne  connaît  pas  au  juste  l'année,  non  plus  que  le  jour  de  sa  mort  : 
on  pense  que  c'est  vers  l'année  700;  on  sait  seulement  qu'il  fut  enterré  dans  l'église  de  la  Vierge 
sur  sa  montagne,  vers  le  commencement  de  la  mairie  de  Charles  Martel.  Ses  compagnons,  saint 
Pléchelm  et  saint  Otger,  ayant  aussi  heureusement  achevé  leur  carrière,  y  eurent  pareillement  leur 
sépulture.  Leurs  corps  y  furent  conservés  dans  le  monastère  de  Saint-Pierre,  jusqu'à  ce  qu'en 
1361  on  les  transportât  à  Ruremonde,  lorsque  s'y  fit  la  transmigration  des  chanoines  de  la  mon- 
tagne de  Sainte-Odille.  Mais  longtemps  auparavant,  les  chanoines  d'Utrecht  en  avaient  enlevé  une 
partie  considérable  durant  les  incursions  des  Normands,  ce  qui  étendit  leur  culte  jusqu'au  fond  de 
la  Hollande  et  dans  la  Frise.  Ce  qu'on  avait  transporté  à  Ruremonde  demeura  longtemps  caché 
sous  le  grand  autel  de  l'église,  qui  devint  depuis  cathédrale,  lorsque  la  ville  fut  érigée  en  évê- 
ché.  C'est  ce  qui  contribua  à  les  garantir,  en  1572,  de  la  fureur  des  Calvinistes.  Ces  reliques  furent 
retrouvées  l'an  1594,  et  levées  de  terre  avec  honneur,  et  l'on  célèbre  encore  la  fête  de  cette  trans- 
lation tous  les  ans,  le  mardi  après  la  Trinité,  sous  le  titre  de  leur  élévation.  Après  la  paix  de 
Nimègue,  l'évêque  de  Ruremonde  et  le  curé  du  mont  Sainte-Odille,  l'ancienne  demeure  de  saint 
Wiron  et  de  ses  compagnons,  entreprirent  de  rebâtir  son  église  ruinée  par  les  guerres.  L'ouvrage 
fut  achevé  l'an  1686,  et  dédié  le  10  mai  sous  le  nom  de  saint  Wiron,  comme  principal  patron. 
Mais  la  fête  de  cette  dédicace  fut  remise  au  premier  dimanche  de  septembre,  pour  ne  point  être 
confondue  avec  celle  de  la  mort  du  Saint  et  de  ses  deux  compagnons,  qui  se  célèbre  le  10  mai  à 
Ruremonde,  quoique  partout  ailleurs  elle  se  fasse  le  8,  jour  auquel  elle  est  marquée  dans  les  mar- 
tyrologes, et  en  particulier  dans  le  romain  moderne.  Deux  jours  après  la  consécration  de  cette  église, 
l'évêque  Reginald  Cools  y  transporta  en  grande  cérémonie  la  moitié  des  reliques  de  saint  Wiron,  de 
saint  Pléchelm  et  de  saint  Otger,  qui  étaient  dans  l'église  cathédrale  de  Ruremonde. 

Voyez  un  ouvrage  intitulé  Pépin  de  Landen,  par  Thyll  Lorrain,  Baillet,  et  dans  les  Bollandistes,  t.  n 
de  mai,  l'ancienne  Vie  de  saint  Wiron. 


LE  B.  BERNARD,  DOMINICAIN  (après  l'année  4265). 

Le  bienheureux  Bernard  remplissait  au  couvent  des  Dominicains  de  Santarem,  en  Portugal, 
les  fonctions  de  prêtre-sacristain.  Après  sa  messe,  il  réunissait  les  petits  enfants  qui  lui  servaient 
d'acolytes  à  lui  et  aux  autres  Pères,  puis  il  leur  faisait  le  catéchisme.  Ces  enfants  apportaient 
leur  déjeuner  de  chez  leurs  parents,  et  quand  ils  avaient  servi  quelques  messes,  ils  se  réunissaient 
dans  une  espèce  de  chapelle  pour  s'y  récréer  et  manger.  Or,  il  y  avait  dans  cet  endroit  écarté  une 
statue  de  la  sainte  Vierge,  tenant  sur  ses  bras  l'enfant  Jésus  ;  —  Jésus  à  qui  plaisent  tant  l'inno- 
cence et  la  simplicité  des  enfants.  Il  quittait  les  bras  de  sa  mère  et  venait  partager  leur  repas. 
Cela  se  renouvela  plusieurs  fois,  après  quoi,  les  servants  de  messe,  peu  contents  que  l'enfant 
Jésus  n'apportât  rien  pour  le  déjeuner,  s'en  plaignirent  à  leur  maître.  Le  pieux  catéchiste  leur 
conseilla,  dans  le  cas  où  leur  convive  reviendrait  les  mains  vides,  de  lui  tenir  le  discours  suivant  : 
«  Voilà,  Seigneur,  que  vous  mangez  toujours  avec  nous  et  vous  ne  fournissez  rien  :  en  retour, 
invitez-nous,  ainsi  que  notre  maître,  dans  la  maison  de  votre  Père  ».  L'enfant  Jésus,  s'étant  pré- 
senté de  nouveau,  ils  lui  transmirent  fidèlement  le  message.  Il  leur  répondit  que  l'invitation  aurait 
lieu  et  qu'ils  se  tinssent  prêt  pour  le  jour  de  l'Ascension.  Or,  l'Ascension  était  peu  éloignée. 
Ayant  rapporté  cela  à  leur  maître,  il  se  prépara  à  paraître  au  céleste  banquet.  Le  jour  de  l'Ascen- 
sion, il  alla  de  bonne  heure  dire  sa  messe,  qui  fut  servie  par  ses  deux  accolytes  ordinaires.  Le 
saint  sacrifice  achevé,  tous  trois  cessèrent  de  vivre  :  le  même  tombeau  les  réunit.  Quelque  tempi 
après,  leurs  corps  furent  levés  de  terre  et  placés  dans  la  chapelle  dite  des  Rois,  où  un  tableau 
raconta  longtemps  la  merveille  aux  générations  pieuses. 

Acta  Sanctorum,  tome  n  de  mai. 


406  9  mai. 


LT  JOUR  DE  MAI 


MARTYROLOGE   ROMAIN. 

A  Nazianze,  le  bienheureux  décès  de  saint  Grégoire,  évêque,  surnommé  le  Théologien,  à 
cause  de  la  grande  science  qu'il  avait  des  choses  divines.  Il  releva  à  Constantinople  la  foi  catho- 
lique qui  y  était,  fort  déchue,  et  réprima  les  hérésies  qui  s'élevèrent  de  son  temps.  389.  —  A 
Rome,  saint  Hermas,  dont  l'apôtre  saint  Paul  fait  mention  dans  son  épitre  aux  Romains.  S'étant 
généreusement  sacrifié  lui-même,  il  devint  une  hostie  agréable  à  Dieu,  et  illustre  par  ses  vertus, 
il  entra  dans  le  royaume  céleste  L  Vers  95.  —  En  Perse,  trois  cent  dix  bienheureux  martyrs.  —  A 
Cagli,  sur  la  voie  Flaminienne,  saint  Géronce  2,  évêque  de  Cervia.  —  A  Vendôme,  le  décès  de 
saint  Dié,  coufesseur.in6  s.—  A  Constantinople,  la  translation  des  corps  de  saint  André,  apôtre,  et 
de  saint  Luc,  évangéliste,  apportés  d'Acnaïe,  et  de  celui  de  saint  Timothée,  disciple  de  l'apôtre 
saiut  Paul,  apporté  d'Ephèse.  iv«  s.  Longtemps  après,  le  corps  de  saint  André  fut  transféré  à  Amalfi, 
où  il  est  honoré  par  un  pieux  concours  de  fidèles  :  de  son  tombeau  il  coule  sans  cesse  une  liqueur 
pour  la  guérison  des  malades.  1208.  —  A  Rome  aussi,  la  translation  du  corps  de  saint  Jérôme, 
prêtre  et  docteur  de  l'Eglise,  apporté  de  Bethléem  de  Juda  dans  la  basilique  de  Sainte-Marie  à  la 
Crèche.  —  A  Bari,  dans  la  Pouille,  encore  la  translation  du  corps  de  saint  Nicolas,  évêque,  ap- 
porté de  Myre,  ville  de  Lycie.  1087. 

MARTYROLOGE  DE  FRANCE,  REVU  ET  AUGMENTÉ. 

A  Vienne,  en  Dauphiné,  saint  Denys,  sixième  évêque  de  cette  ville.  —  A  Quimper,  en  Basse- 
Bretagne,  saint  Tudin  ou  Tudy,  abbé,  compagnon  des  travaux  de  saint  Coreutin;  on  fait  sa  fête 
le  11  de  ce  mois.  —  A  Lierneux,  près  de  Staveloo,  en  Belgique,  la  translation  du  corps  de  saint 
Simitre,  prêtre  romain,  mis  à  mort  avec  deux  autres.  On  fait  sa  fête  le  26  de  ce  mois.  Règne 
d'Antonin.  159. —  A  Tournay,  sainte  Languida  ou  Langoureuse,  compagne  de  sainte  Ursule.  iue  s. 
—  A  Mauriac  et  dans  tout  le  diocèse  de  Saint-Flour,  fête  de  Notre-Dame  des  Miracles. 

1.  Il  s'agit  ici  de  l'auteur  du  célèbre  ouvrage  connu  sous  le  nom  de  Pasteur,  dont  un  manuscrit  ap- 
porté ces  dernières  années  du  mont  Sinaï,  nous  a  enfin  restitué  le  texte  grec.  Hermas  semble  être  un 
Helléniste  converti  par  saint  Paul  (Roin.  xyi,  4).  On  n'a  d'autres  renseignements  biographiques  sur  cet 
écrivain  que  ceux  qu'il  a  laissés  lui-même.  Né  dans  l'esclavage,  affranchi  plus  tard  et  devenu  père  de 
famille,  il  s'accuse  d'avoir,  comme  jadis  le  grand  prêtre  Héli,  trop  négligé  l'éducation  de  ses  enfants.  On 
ne  sait  si  dans  la  suite  Hermas  embrassa  le  sacerdoce;  il  était  laïque  au  moment  où  il  écrivait,  et  sa 
femme  n'avait  point  jusque-là  fait  profession  de  continence;  c'est  du  moins  ce  qu'il  est  permis  de  con- 
clure d'un  passage  où  il  exprime  l'espérance  de  pouvoir  un  Jour  lui  donner  le  nom  de  sœur.  Hermas  avait 
été  riche.  Vraisemblablement  il  avait  dû  sa  fortune  au  négoce  lucratif  qui  établissait,  entre  l'Asie  et 
Rome,  des  relations  d'affaires  et  des  échanges  si  considérables.  Il  s'accuse  d'avoir,  dans  ce  trafic,  multiplié 
les  dissimulations  et  le  mensonge.  Sa  prospérité  temporelle  ne  dura  point.  En  lui  ôtant  les  biens  de  ce 
monde,  Oieu  lui  ouvrit  le  trésor  des  richesses  immortelles.  L'Ange  de  la  pénitence  lui  apparut  sous  la 
forme  d'un  pasteur  vêtu  d'un  manteau  blanc,  une  panetière  sur  l'épaule,  une  houlette  à  la  main.  Cet  Ange 
devait  conduire  Hermas  à  Jésus-Christ,  et  ses  instructions,  recueillies  par  l'heureux  pénitent,  forment  le  livre 
du  Pasteur.  Toute  l'antiquité  chrétienne,  depuis  saint  Irénée  jusqu'à  saint  Jérôme,  a  louange  cet  ouvrage. 
Le  Pasteur  d'Hermas  était  lu  dans  les  assemblées  des  fidèles,  non  point  comme  une  écriture  canonique, 
mais  comme  un  traité  de  théologie  morale,  une  sorte  d'Apoealypse  pratique,  où  les  vertus  de  l'Evangile 
se  présentaient  tour  à  tour  en  un  gracieux  tableau,  sous  forme  de  vision,  de  préceptes  et  de  similitudes. 

Le  nom  du  pontife  Clément  (67-76),  à   qui  Hermas  remit  un  des  exemplaires  de  son  ouvrage,  ■  pour 
que  la  doctrine  eu  fût  communiquée  aux  nations  étrangères  »,  nous  donne  la  date  des  visions  d'Hermas. 
Cf.  Freppel,  les  Pères  apostoliques  ;  Darras,  Bist.  de  l'Eglise;  Dom  Ceillier,  nouv.  éd. 

2.  Saint  Géronce  de  Cervia  passe  pour  être  celui  qui  assista  le  pape  Symmaque  au  quatrième  concile 
de  Rome,  célébré  en  502.  Un  autre,  du  même  nom,  évêque  de  Camerino,  vécut  dans  le  même  siècle  et 
assista  au  concile  de  Rome,  sous  le  pape  Hilaire.  On  en  trouve  uu  troisième  parmi  les  évoques  de  la 
Gaule,  auxquels  le  pape  saint  Léon  adressa  son  épitre  cinquante-deuxième. 


SAINT   BÉAT   OU  BIÉ,    ANACHORÈTE   A  LAON.  407 


MARTYROLOGES  DES  ORDRES  RELIGIEUX. 

Martyrologe  des  Basiliens.  —  A  Nazianze,  le  décès  de  saint  Grégoire  l'Ancien,  évêque,  père 
de  saint  Grégoire  le  Théologien. 

Martyrologe  des  Hiéronymites.  —  A  Rome,  la  translation  de  saint  Jérôme,  notre  père. 

ADDITIONS   FAITES  D'APRÈS   LES  BOLLANDISTES   ET  AUTRES  HAGIOGRAPHES. 

A  Nocera,  en  Campanie,  çaînt  Prisque,  évêque,  patron  de  cette  ville.  —  A  Nicomédie  et  aux 
environs,  les  saints  Cadrât  ou  Qoadrat,  Saturnin,  Rufin  et  leurs  compagnons,  martyrs.  Sous  le 
règne  de  Valérien.  —  A  Axiopolie,  en  Bulgarie,  les  saints  Quirille,  Quindée  ou  Gindée  et  Zenon, 
martyrs.  —  A  Tarse,  en  Cilicie,  les  saints  Aphrodise,  Joconde  et  Ferme,  martyrs,  indiqués  par 
le  Martyrologe  de  saint  Jérôme.  —  A  Milan,  les  saints  Ephénique,  Caste  et  Polyme,  diacre,  mar- 
tyrs, mentionnés  à  la  même  source.  —  A  Pavie,  sainte  Honorée,  sainte  Lumineuse  ou  Lumiuose, 
sainte  Libérate,  sainte  Spécieuse  ou  Spéciose,  toutes  les  quatre  sœurs  de  saint  Epiphane,  qui  leur 
donna  lui-même  le  voile  des  vierges.  Honorée  et  Lumineuse,  ayant  été  emmenées  en  captivité 
par  Odoacre,  chef  des  Hérules,  le  barbare  les  traita  cependant  honorablement,  par  considération, 
pour  leur  saint  frère,  qui  les  racheta  bientôt  et  les  ramena  à  leur  couvent.  Honorée,  la  plus  jeune, 
iécéda  le  H  janvier,  vers  500  ;  Lumineuse,  le  9  mai,  en  496,  Libérale,  le  16  janvier,  vers  495, 
et  Spéciose,  le  16  juin  510.  C'est  à  Lumineuse  que  saint  Epiphane  avait  confié  la  tutelle  de  leur 
plus  jeune  sœur,  Honorée,  qui  était  née  d'une  seconde  épouse  de  leur  père,  nommée  Focarie.  — 
En  Espagne,  le  vénérable  Jean  d'Avila,  que  quelques-uns  qualifient  de  bienheureux.  Nous  avons 
donné  sa  vie  à  la  suite  de  celle  de  saint  Jean  de  Dieu.  —  A  Avella,  en  Italie,  le  bienheureux  Fort 
Gabrielli,  qui  vécut  d'abord  solitaire,  dans  les  Apennins,  et  que  le  désir  de  pratiquer  l'obéissance 
porta  à  embrasser  la  vie  de  communauté  dans  le  monastère  de  Font-Avellana,  fondé  depuis  peu 
par  le  bienheureux  Robert.  11  est  surtout  honoré  à  Gubio,  sa  patrie.  En  1756,  Benoit  XIV  a 
approuvé  son  culte.  104t).  —  A  Bologne,  le  bienheureux  Nicolas  Albergati,  patron  et  protecteur 
de  la  Confrérie  de  la  Persévérance,  composée  de  trente-trois  membres,  en  l'honneur  des  trente- 
trois  ans  que  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  a  passés  sur  la  terre  *.  —  Au  mont  Pilate,  en  Suisse, 
le  bienheureux  Jeajj  ou  Hans  Wagner,  ermite.  1516.  —  A  Pinave,  entre  Viane  et  Logrono,  en 
Espagne,  fête  de  saint  Giégoire,  évèque  d'Ostie  et  légat  du  Pape,  qui  mourut  à  Berruegno,  en 
Navarre.  L'église  Sain'-Sauveur  de  Pinave,  où  l'on  trouva  son  corps,  en  1260,  a  pris,  à  cause 
oe  lui,  le  nom  de  Saint-Grégoire.  On  l'invoque  contre  les  sauterelles.  On  l'honore  aussi  à  Ostie, 
en  Italie.  1044. 


SAINT  BEAT  OU  BIE,  ANACHOEETE  A  LAON 

IIIe  siècle. 


Saint  Béat  est  né  en  Italie,  de  parents  nobles  et  riches,  au  commence- 
ment du  m8  siècle.  De  bonne  heure  il  se  sentit  touché  de  la  grâce  ;  et,  vou- 
lant vivre  dans  l'humilité  et  la  pénitence,  il  quitta  la  maison  paternelle  et 
passa  dans  les  Gaules  en  habits  de  mendiant.  Il  était  accompagné  d'un  jeune 
homme  nommé  Isle  qu'il  formait  à  la  piété  et  à  qui  il  rendait  les  services 
les  plus  humiliants.  Béat  se  dirigea  d'abord  vers  la  source  de  la  Ga- 
ronne pour  y  annoncer  l'Evangile.  Il  se  trouve,  en  effet,  environ  à  deux 
lieues  de  Bagnères-de-Luchon,  une  petite  ville  du  nom  de  Saint-Béat  ;  elle 
ne  se  compose  que  de  deux  rues  qui  communiquent  par  un  beau  pont  en 
pierre.  C'est  un  souvenir  du  fruit  des  prédications  de  ce  pieux  missionnaire. 
Animé  d'un  saint  zèle  pour  étendre  le  royaume  de  Jésus-Christ,  il  parcourut 
ensuite  plusieurs  provinces,  alla  à  Nantes,  à  Vendôme,  et  en  beaucoup 
d'autres  lieux,  convertissant  partout  un  grand  nombre  d'infidèles  par  des 

1.  Voir  «on  éloge  dans  le  martyrologe  romain  de  demain,  et  sa  vie  au  3  mars. 


408  9  "Ai- 

instructions  touchantes,  soutenues  par  une  vie  irréprochable  et  par  le  don 
des  miracles.  Enfin  il  vint  à  Laon  et  choisit  pour  retraite  une  grotte  dite  de 
Chevreson  ou  Chevresson,  laquelle  était  située  à  la  pointe  orientale  de  la 
montagne  ;  aujourd'hui  elle  se  trouve  ensevelie  sous  l'un  des  bastions  de  la 
citadelle  actuelle.  Là,  Béat  menait  la  vie  la  plus  sainte  et  la  plus  austère.  Il 
passait  ordinairement  trois  jours  de  suite  sans  manger,  prenait  peu  de  repos 
et  se  livrait  à  la  prière  et  à  un  travail  continuel.  Son  occupation  était  de 
faire  des  paniers  et  des  nattes  de  joncs.  Il  les  vendait  pour  subvenir  à  sa 
subsistance  et  avoir  la  facilité  de  faire  des  aumônes.  Il  enseignait  la  voie 
du  salut  à  ceux  qui  venaient  le  trouver.  De  temps  en  temps  aussi  il  allait 
à  Laon  et  y  annonçait  Jésus-Christ  vrai  Dieu  et  vrai  homme.  Il  cherchait  à 
toucher  les  cœurs  en  racontant  les  circonstances  douloureuses  de  la  passion 
du  Sauveur,  mort  pour  le  salut  du  genre  humain.  La  vie  mortifiée  qu'il 
menait,  les  vertus  qu'il  pratiquait,  étaient  pour  ses  auditeurs  une  preuve  de 
la  vérité  des  dogmes  qu'il  enseignait.  Béat  eut  le  bonheur  d'implanter  la 
foi  dans  le  pays  Laonnois,  et  il  en  est  regardé  comme  l'Apôtre.  A  son  arrivée, 
il  avait  trouvé  dans  toute  la  contrée  environnante  un  nombre  considérable 
de  païens.  Souvent  il  se  trouva  obligé,  pour  éviter  les  persécutions, de  réunir 
ses  néophytes  dans  les  grottes  qui  se  prolongeaient  fort  loin  dans  les  flancs 
delà  montagne,  particulièrement  au-dessus  du  faubourg  de  Vaux,  et  jusque 
sous  l'emplacement  actuel  de  la  cathédrale. 

Le  Seigneur  l'aida  à  triompher  de  tous  les  obstacles,  et  lorsqu'il  mourut, 
à  la  fin  du  111e  siècle,  dans  un  âge  très-avancé,  il  bénissait  Dieu  en  voyant 
qu'il  laissait  après  lui  des  adorateurs  en  esprit  et  en  vérité  du  Christ  qu'il 
leur  avait  si  souvent  prêché.  —  Ces  fidèles  déposèrent  avec  respect  son  corps 
dans  la  caverne  qui  avait  été  son  séjour  habituel.  De  nombreux  miracles 
s'opérèrent  à  son  tombeau  et  augmentèrent  la  confiance  en  sa  puissante 
intercession.  Son  pèlerinage  devint  célèbre  dans  toute  la  contrée  où  il  était 
spécialement  invoqué  pour  la  guérison  du  cancer. 

Au  bout  de  quelque  temps  son  corps  fut  levé  de  terre  et  exposé  à  la 
vénération  des  fidèles.  En  1228,  l'évêque  Anselme  fit  faire  une  magnifique 
châsse  en  vermeil  et  y  déposa  les  reliques  de  saint  Béat,  en  y  ajoutant  quel- 
ques côtes  de  saint  Gennebaud,  un  bras  de  saint  Montain,  et  la  tête  de  sainte 
Preuve.  On  portait  solennellement  cette  châsse  en  procession  jusqu'à  la 
caverne  du  Saint,  le  9  mai  de  chaque  année  ;  depuis  la  disparition  de  cette 
caverne,  la  châsse  était  portée  en  triomphe  dans  les  rues  de  Laon.  En  1564, 
Gautier  de  Mortagne,  évêque  de  Laon,  céda  un  os  du  bras  de  saint  Béat  à 
Gérard,  abbé  de  la  Trinité  de  Vendôme,  à  la  condition  expresse  que,  chaque 
année,  ledit  fabbé  et  ses  successeurs  feraient  célébrer  un  service  pour  les 
chanoines  de  Laon  décédés. 

L'église  de  Nizy-le-Comte  *,  bâtie  en  1751,  fut  consacrée  sous  le  vocable 
de  saint  Béat;  elle  obtint,  en  1772,  un  doigt  du  Saint  et  quelques  reliques 
de  saint  Gennebaud,  de  saint  Maurice,  de  saint  Guillaume  et  de  sainte  Preuve. 
Ces  précieux  restes  ont  été,  en  1858,  renfermés  dans  une  même  châsse.  La 
fête  du  9  mai  se  célèbre  dans  cette  paroisse  avec  la  plus  grande  solennité,  et 
toute  œuvre  servile  y  est  interrompue. 

La  châsse  de  saint  Béat,  qui  est  exposée  tous  les  ans  dans  la  cathédrale 
de  Laon,  renferme  un  os  du  fémur  et  un  morceau  du  crâne.  Ces  reliques 
ont  été  réconnues  authentiques  par  Mgr  de  Simony,  évêque  de  Soissons  et 
de  Laon 2. 

L'église  de  la  Sainte-Trinité  de  Vendôme  possède  encore  les  reliques  de 

1.  Minaticum  ou  Ninnaticum.  —  2.  Henri  Congnet,  doyen  du  Chapitre  de  Soissons. 


SAINT    GRÉGOIRE  DE  NAZIANZE,   DOCTEUR  DE  L'ÉGLISE.  409 

saint  Béat.  L'église  paroissiale  de  son  nom,  qui  se  trouvait  dans  cette  ville, 
a  été  détruite  sur  la  fin  du  xvnr3  siècle. 

Enfin,  il  y  a,  dans  le  diocèse  du  Mans,  une  paroisse  qui  s'appelle  de  son 
nom  Saint-Bié  ou  Belin. 

On  le  représente  appuyé  sur  un  bâton  et  étendant  à  ses  pieds  un  dragon, 
celui  de  l'idolâtrie  sans  doute,  quoi  qu'en  racontent  les  habitants  de  Château- 
sur-Loir  '. 

Ce  qui  précède  est  tiré  en  grande  partie   de  l'Histoire  du  diocèse  de  Laon,  par  Dom  Lelong,  religieux 
bénédictin;  in-4»,  1783.  Nous  y  avons  ajouté  ce  qui  concerne  ses  reliques. 


S.  GREGOIRE  DE  NAZIANZE,  DOCTEUR  DE  L'EGLISE, 

ARCHEVÊQUE  DE  CONSTANTINOPLE 
312-389.  —  Papes  :  Saint    Melchiade;    saint  Sirice.  —  Empereurs  :  Constantin;  Théodose. 

Il  aima  les  livres,  il  aima  les  savants,  mais  les  livres 
et  les  savants  qui  parlaient  de  Dieu. 
Rohrbacher. 

Grégoire,  surnommé  le  Théologien,  à  cause  de  la  connaissance  profonde 
qu'il  avait  de  la  religion,  naquit  au  village  d'Azianze,  sur  le  territoire  de 
Nazianze,  petite  ville  voisine  de  Gésarée  en  Cappadoce.  Grégoire,  son  père, 
et  Nonne,  sa  mère,  sont  honorés  dans  l'Eglise  d'un  culte  public  ;  l'un  le 
premier  janvier,   et  l'autre  le  cinq  août. 

Nonne,  par  d'abondantes  aumônes,  attira  sur  sa  famille  les  bénédictions 
du  ciel.  Sa  charité  pour  les  pauvres  ne  l'empêchait  cependant  pas  de  rem- 
plir les  devoirs  de  la  justice  à  l'égard  de  ses  enfants  ;  elle  savait,  par  une 
sage  économie,  conserver  et  même  augmenter  leur  bien.  Les  exercices  de 
piété  emportaient  une  grande  partie  de  son  temps  ;  mais  elle  avait  une 
attention  extrême  à  remplir  les  devoirs  de  son  état. 

Grégoire,  son  mari,  suivait,  dès  l'enfance,  les  superstitions  du  paga- 
nisme. Il  était  de  la  secte  des  Hipsistaires,  ainsi  nommés,  parce  qu'ils  fai- 
saient profession  d'adorer  le  Dieu  très-haut.  Ils  adoraient  en  même  temps 
le  feu,  comme  les  Perses,  et  observaient  avec  les  Juifs  le  sabbat  et  la  distinc- 
tion des  viandes. 

Grégoire  était  le  premier  magistrat  de  la  ville  de  Nazianze,  et  remplissait 
les  devoirs  de  sa  charge  avec  beaucoup  d'intégrité.  Il  avait  aussi  toutes  les 
vertus  morales  qui  font  un  honnête  homme  selon  le  monde  ;  il  ne  lui  man- 
quait que  d'être  chrétien.  Nonne  employait  les  larmes  et  les  prières  auprès 
de  Dieu  pour  obtenir  sa  conversion.  Elle  fut  à  la  fin  exaucée.  Son  mari  ab- 
jura le  paganisme,  et  fut  baptisé  à  Nazianze  vers  le  temps  où  se  tint  le  pre- 
mier Concile  général  de  Nicée.  Autant  il  avait  apporté  de  bonnes  dispositions 
au  baptême,  autant  il  prit  de  soin  pour  en  conserver  la  grâce.  Son  mérite  le  fit 
élever  peu  de  temps  après  sur  le  siège  épiscopal  de  Nazianze,  qu'il  gouverna 
environ  quarante-cinq  ans.  Il  mourut  à  l'âge  de  près  de  quatre-vingt-dix  ans. 

1.  C'est  le  cas  de  dire  ici  :  Chacun  prêche  pour  son  Saint.  Le  Propre  de  Blois  et  de  Chartres  disent 
que  saint  Béat  mourut  dans  sa  solitude,  près  de  Vendôme.  Dom  Piolin,  Histoire  du  Mans,  dit  que  ce  fut  à 
Château-sur-Loir,  au  diocèse  du  Mans.  Enfin,  la  tradition  et  les  monuments  de  Laon,  dont  nous  avons 
adopté  la  donnée,  affirment  que  ce  fut  auprès  de  cette  ville  que  saint  Bié  termina  sa  vie.  —  Kous  nous 
contentons  de  rapporter  le  différend  sans  vouloir  nom  charger  de  l'arranger. 


410  9  mai. 

On  lit  dans  les  ouvrages  de  son  fils  le  détail  fort  édifiant  de  ses  vertus,  sur- 
tout de  son  zèle  et  de  son  humilité  1. 11  avait  eu,  avant  d'être  évêque,  trois 
enfants  :  une  fille  nommée  Gorgonie,  et  deux  garçons,  qui  étaient  Grégoire 
et  Césaire.  Nonne,  leur  pieuse  mère,  les  éleva  elle-même  dans  la  piété  et 
leur  apprit  à  lire  dans  les  livres  saints. 

Grégoire  fut  regardé  comme  le  fruit  des  prières  de  sa  mère;  aussi  fut-il 
consacré  au  Seigneur  dès  le  moment  de  sa  naissance.  Il  répondit  parfaite- 
ment aux  soins  que  prirent  ses  parents  de  le  former  à  la  vertu.  La  connais- 
sance de  Dieu  était  le  principal  objet  de  son  étude  et,  pour  croître  de  plus 
en  plus  dans  cette  connaissance,  il  se  fit  une  sainte  habitude  de  lire  assidû- 
ment les  livres  de  piété.  Il  eut  en  sa  jeunesse  un  songe  mystérieux,  qu'il 
rapporte  de  la  manière  suivante  :  «  Il  me  sembla  voir  deux  femmes  d'une 
rare  beauté,  qui  représentaient,  l'une  la  chasteté,  et  l'autre  la  tempérance; 
elles  me  caressaient  comme  leur  enfant  et  m'invitaient  à  les  suivre.  Venez 
avec  nous  »,  me  disaient-elles,  «  et  nous  vous  élèverons  jusqu'à  la  lumière 
de  la  Trinité  immortelle».  Dès  ce  moment,  le  jeune  Grégoire  conçut  un 
ardent  désir  de  vivre  dans  le  célibat.  On  voit  par  ses  écrits  qu'il  avait  une 
estime  singulière  pour  ce  saint  état  ;  il  en  a  représenté  fort  au  long  l'excel- 
lence et  les  avantages  2.  Il  est  aussi  très-énergique  lorsqu'il  parle  de  l'obli- 
gation de  garder  le  vœu  de  chasteté  ;  il  donne  à  la  violation  d'un  pareil 
vœu  les  noms  de  mort,  de  sacrilège,  de  perfidie  3. 

Quand  il  eut  appris  tout  ce  qu'il  pouvait  apprendre  dans  son  pays  natal, 
il  se  rendit  à  Césarée  de  Palestine,  et  son  frère  Césaire  à  Alexandrie.  A 
Césarée  se  trouvait  l'école  fondée  par  Origène,  et  la  fameuse  bibliothèque 
de  son  disciple,  le  martyr  saint  Pamphiie,  augmentée  par  le  savant  Eusèbe. 
De  Palestine,  il  alla  rejoindre  à  Alexandrie  son  frère  Césaire,  et  passa  quel- 
que temps  avec  lui  ;  après  quoi  il  s'embarqua  pour  Athènes,  qui  était  tou- 
jours regardée  comme  la  métropole  des  sciences  et  des  lettres.  La  saison 
n'était  pus  favorable.  Il  y  eut  une  furieuse  tempête  de  vingt  jours.  Un  mo- 
ment, le  navire  se  trouva  plein  d'eau  :  alors  tout  le  monde,  marins  et  pilote, 
ceux-là  mômes  qui  peu  avant  ne  reconnaissaient  aucun  dieu,  invoquèrent  à 
haute  voix  Jésus-Christ,  et  le  navire  fut  sauvé.  Mais  on  manqua  d'eau 
douce  ;  les  vases  qui  en  contenaient  avaient  été  précipités  à  la  mer  par  une 
secousse  plus  violente  de  la  tempête.  Un  navire  marchand  de  Phénicie, 
qu'ils  rencontrèrent,  eut  l'humanité  et  le  courage  de  leur  en  passer.  Cepen- 
dant la  tempête  ne  diminuait  point;  l'équipage  perdait  toute  espérance.  Ce 
qui  désolait  surtout  Grégoire,  c'est  qu'il  n'avait  pas  encore  reçu  le  baptême. 
Sa  douleur  était  si  grande,  que  les  matelots  mêmes  en  avaient  pitié.  Il  priait 
Dieu  avec  larmes,  et  lui  consacrait  de  nouveau  sa  vie  entière  s'il  daignait 
le  sauver  de  ce  péril.  Sa  prière  fut  exaucée  :  la  tempête  se  calma.  Il  y  eut 
plus  :  tous  ceux  qui  étaient  avec  lui  dans  le  même  navire  embrassèrent  avec 
beaucoup  de  piété  la  foi  du  Christ,  et  arrivèrent  heureusement  à  Athènes. 

Grégoire  parle  de  cette  ville  avec  enthousiasme.  On  y  voyait  alors  les 
maîtres  les  plus  distingués,  entre  autres  l'orateur  Anatolius,  que  Constance  fit 
préfet  du  prétoire;  le  célèbre  Diophante,  inventeur  de  l'algèbre,  et  Prohé- 
résius,  professeur  d'éloquence.  L'empereur  Constant  l'avait  appelé  dans  les 
Gaules.  En  repassant  par  Rome,  Prohérésius  s'y  fit  tellement  admirer,  que  le 
sénat  lui  érigea  une  statue  avec  cette  inscription  :  «  Rome,  la  reine  de 
l'univers,  au  roi  de  l'éloquence  ». 

Ce  qui  mit  le  comble  au  bonheur  de  Grégoire,  ce  fut  l'arrivée  de  son 
ami  saint  Basile.  Ils  se  connaissaient  déjà  ;  mais  alors  leur  amitié  devint  in- 

1.  Orat.  19,  carm.  —  2.  Carm.  8,  etc.  —  3.  Carm.  ». 


SAINT  GRÉGOIRE  DE  NAZIANZE,  DOCTEUR  DE  L'ÉGLISE.         411 

time.  Ils  demeurèrent  ensemble,  eurent  une  table  commune,  ne  fréquen- 
taient de  leurs  compagnons  que  les  plus  chastes  et  les  plus  paisibles.  Deux 
rues  seulement  leur  étaient  connues  dans  la  ville  :  celle  qui  conduisait  à 
l'église  et  aux  docteurs  qui  y  enseignaient  la  foi  ;  l'autre,  qui  conduisait  aux 
écoles  publiques  et  aux  maîtres  qui  enseignaient  les  sciences  humaines.  Ils 
laissaient  aux  autres  les  rues  par  lesquelles  on  allait  au  théâtre,  aux  specta- 
cles et  aux  divertissements  profanes.  Leur  sanctification  faisait  leur  grande 
affaire  ;  leur  unique  ambition  était  d'être  de  vrais  chrétiens.  C'était  en  cela 
qu'ils  faisaient  consister  toute  leur  gloire.  Leur  vie  était  fort  austère;  ils  ne 
prenaient  sur  l'argent  que  leur  envoyait  leur  famille,  que  ce  qui  était  né- 
cessaire pour  fournir  aux  plus  indispensables  besoins  de  la  nature  ;  le  reste 
était  distribué  aux  pauvres.  L'envie  ne  troublait  point  la  tranquillité  de  leur 
âme  :  ce  qui  arrivait  d'heureux  à  l'un,  causait  la  joie  et  le  bonheur  de  l'au- 
tre. Ils  s'excitaient  mutuellement  à  faire  de  bonnes  œuvres  ;  et,  par  une 
sainte  émulation,  ils  s'efforçaient  de  l'emporter  l'un  sur  l'autre  dans  la  pra- 
tique du  jeune,  de  la  prière  et  des  différents  exercices  de  piété. 

Les  premiers  pour  la  piété,  ils  n'en  furent  pas  moins  les  premiers  pour 
les  sciences  et  les  lettres.  Tant  de  sciences  et  de  vertus  excitèrent  l'admira- 
tion à  tel  point,  que  partout  où  l'on  parlait  d'Athènes  et  de  ses  maîtres  ha- 
biles, on  parlait  du  merveilleux  couple  d'amis,  Basile  et  Grégoire,  Grégoire 
et  Basile. 

A  tant  de  connaissances  précieuses,  ils  en  joignaient  une  bien  nécessaire, 
la  connaissance  des  hommes. 

Julien,  qui  fut  depuis  empereur,  vint  à  Athènes  en  355.  Saint  Basile  et 
saint  Grégoire  l'y  connurent,  parce  qu'ils  étudièrent  quelque  temps  avec  lui 
l'Ecriture  et  les  belles-lettres.  Quelque  déguisé  qu'il  fût,  les  personnes 
clairvoyantes  démêlaient  à  travers  son  extérieur  le  dérèglement  de  son 
esprit.  Saint  Grégoire  présagea  dès  lors  que  l'empire  nourrissait  un  monstre 
dans  son  sein  ;  et  ce  présage,  il  le  fondait  sur  je  ne  sais  quoi  d'extraordi- 
naire qu'on  remarquait  en  ce  prince.  En  effet,  Julien  avait  la  démarche  peu 
assurée,  des  épaules  qui  se  haussaient  et  se  baissaient  tour  à  tour,  la  tête 
toujours  en  mouvement,  des  yeux  égarés  et  inquiets.  Il  parlait  et  riait  avec 
excès.  Sa  langue,  quoique  rapide,  ne  pouvait  pas  toujours  suivre  ses  pen- 
sées ;  son  discours  était  quelquefois  entrecoupé,  et  sa  voix  hésitante  ;  sou- 
vent il  faisait  des  questions  et  des  réponses  hors  de  propos  ou  qui  man- 
quaient de  justesse  *. 

Eafwi,  arriva  un  moment  pénible.  Après  trente  années  consacrées  aux 
études,  Basile  et  Grégoire  allaient  quitter  Athènes  et  se  quitter  l'un  l'autre. 
Toute  la  ville  s'en  émut.  Professeurs  et  élèves  entourent  les  deux  amis  et 
les  conjurent  de  rester.  Basile  développe  si  éloquemment  les  motifs  qu'il 
avait  de  retourner  dans  sa  patrie,  que,  malgré  soi,  on  le  laisse  partir  ;  mais 
on  reLient  Grégoire  et  on  le  force  d'accepter  une  chaire  d'éloquence.  Ce  ne 
fut  pas  pour  longtemps,  car  peu  après  il  se  déroba  sans  bruit  pour  aller  re- 
joindre son  ami  en  Cappadoce.  Il  arrivait  à  pied  à  Constantinople,  dans  le 
même  temps  que  son  frère,  le  médecin,  y  débarquait  d'Alexandrie.  Césaire 
avait  dès  lors  une  telle  réputation,  que  les  magistrats  de  Constantinople, 
pour  le  retenir  dans  cette  ville,  lui  offrirent  un  traitement  avantageux,  une 
alliance  distinguée  et  la  dignité  de  sénateur*.  A  leur  demande,  l'empereur 
Constance  lui  donna  des  lettres  de  citoyen  et  le  nomma  son  premier  méde- 
cin. Cependant  Grégoire  sut  persuader  à  son  frère  de  revenir  avec  lui  dans 
leur  pays  natal,  et  de  lui  consacrer  les  prémices  de  son  art.  ïelles  étaient 

1.  Or.  4.  121.  —  2.  Voir  lu  Vie  de  saint  Ce'suire.  au  25  de  février. 


412  9  mai. 

les  études  et  les  mœurs  de  ce  que  nous  appelons  les  Pères  de  l'Eglise. 

Mais,  pour  revenir  à  Grégoire,  plusieurs  personnes  avaient  voulu  l'enga- 
ger à  se  fixer  à  Constantinople.  Vous  pourrez,  lui  disait-on,  suivre  le  barreau 
ou  enseigner  la  rhétorique  ;  vous  aurez  par  là  occasion  de  faire  briller  vos 
talents,  et  de  vous  avancer  promptement  dans  le  monde.  Ces  discours  ne 
furent  point  capables  d'éblouir  le  Saint  ;  il  répondit  qu'il  portait  ses  vues 
plus  loin,  et  que  son  dessein  était  de  ne  vivre  que  pour  Dieu. 

La  première  chose  qu'il  fit  en  arrivant  à  Nazianze,  fut  de  recevoir  le 
baptême  des  mains  de  son  père.  Il  se  dévoua  pour  lors  entièrement  au  ser- 
vice de  Dieu.  «  J'ai  donné  »,  dit-il  *,  «  tout  ce  que  j'ai  à  celui  de  qui  je  l'ai 
reçu,  et  je  l'ai  pris  lui  seul  pour  mon  partage.  Je  lui  ai  consacré  mes  biens, 
ma  gloire,  ma  santé,  ma  langue  et  mes  talents.  Tout  le  fruit  que  j'ai  retiré 
de  ces  avantages  a  été  le  bonheur  de  les  mépriser  pour  l'amour  de  Jésus- 
Christ  » .  Mort  au  monde  et  à  tous  ses  charmes,  il  n'avait  plus  d'ardeur  que 
pour  les  choses  de  Dieu.  Du  pain,  du  sel  et  de  l'eau  faisaient  sa  nourriture 2. 
Ses  habits  étaient  grossiers,  et  la  terre  nue  lui  servait  de  lit.  Il  s'occupait  le 
jour  à  des  travaux  pénibles,  et  passait  une  grande  partie  de  la  nuit  à  prier 
ou  à  contempler  les  perfections  divines3.  L'éloquence  profane  qu'il  avait 
étudiée  si  longtemps,  lui  parut,  ainsi  que  les  richesses,  un  objet  digne  de 
mépris.  Il  n'eut  plus  de  commerce  avec  ses  livres  classiques  ni  avec  ceux 
qui  traitaient  de  l'art  oratoire  ;  il  les  abandonna,  comme  il  le  dit  lui-même  *, 
aux  vers  et  aux  teignes.  Les  honneurs  n'étaient  à  ses  yeux  que  de  vains  songes 
dont  l'illusion  séduit  les  hommes  ;  il  craignait  les  précipices  que  l'ambition 
creuse  sous  les  pieds  de  ses  esclaves.  On  ne  voyait  rien  en  lui  qui  annonçât 
de  l'attachement  à  la  terre  ;  il  était  pour  ainsi  dire  hors  du  monde,  et  il 
n'avait  de  conversation  qu'avec  le  ciel 5.  Cela  ne  l'empêcha  cependant  pas 
de  se  charger  pour  quelque  temps  du  gouvernement  de  la  maison  de  son 
père  et  de  l'administration  de  ses  affaires. 

Sa  patience  fut  éprouvée  par  de  cruelles  maladies.  Le  dérangement  de 
sa  santé  venait  de  ses  austérités  et  des  larmes  qu'il  versait  avec  tant  d'abon- 
dance et  de  continuité,  qu'elles  l'empêchaient  quelquefois  de  dormir 6.  Il  se 
réjouissait  dans  ses  infirmités,  qui  lui  fournissaient  l'occasion  de  pratiquer  la 
mortification  et  le  renoncement  à  lui-même 7.  Il  déplorait  avec  amertume 
les  ris  immodérés  de  sa  jeunesse  qui  avaient  eu  leur  principe  dans  un  carac- 
tère extrêmement  gai.  A  force  de  combats,  il  vint  à  bout  de  réprimer  jus- 
qu'aux mouvements  indélibérés  de  la  colère,  et  de  se  rendre  tellement 
maître  de  lui-même,  qu'il  n'avait  plus  que  de  l'indifférence  pour  toutes  les 
choses  qui  lui  étaient  auparavant  les  plus  chères.  Ses  aumônes  le  rendaient 
toujours  le  plus  indigent  des  hommes  ;  ses  biens  étaient  à  tous  ceux  qui  se 
trouvaient  dans  le  besoin,  comme  un  port  est  à  tous  ceux  qui  sont  sur  mer 8. 
Personne  n'aima  jamais  plus  que  lui  la  retraite  et  le  silence.  Il  gémissait 
sur  les  dérèglements  qu'entraîne  la  démangeaison  de  parler,  et  sur  cette 
manie  pitoyable  qu'ont  certaines  gens  de  vouloir  s'ériger  en  maîtres  du 
genre  humain 9. 

Depuis  longtemps  Grégoire  désirait  rompre  tout  commerce  avec  les 
hommes,  afin  de  vaquer  plus  librement  au  service  de  Dieu.  Ce  fut  pour 
satisfaire  à  ce  désir,  qu'en  358,  il  alla  rejoindre  saint  Basile  qui  vivait  dans 
la  solitude,  près  de  la  rivière  d'Iris,  dans  la  province  du  Pont.  Les  veilles, 
les  jeûnes  et  la  prière  faisaient  les  délices  de  ces  deux  grands  hommes;  ils 
y  joignaient  le  travail  des  mains,  le  chant  des  psaumes  et  l'étude  de  l'Ecri- 

l.  Or.  l,  p.  32.  —  2.  Carm.  2,  p.  31.  —  3.  Carm.  55.  —  4.  Carm.  1.  —  *.  Or.  29.  —  6.  Carm.  55.  — 
7.  Ep.  69.  —  8.  Carm.  4».  —  9.  Or.  »,  2. 


SAINT  GRÉGOIRE  DE  NAZIANZE,   DOCTEUR  DE  i/ÉGLISE.  413 

ture  sainte.  Ils  suivaient  pour  l'explication  des  divins  oracles,  non  leurs 
propres  lumières  ni  leur  esprit  particulier,  mais  la  doctrine  des  anciens 
Pères  et  des  Docteurs  de  l'Eglise  '. 

Grégoire  ne  resta  dans  la  solitude  qu'autant  de  temps  qu'il  lui  en  fallut 
pour  connaître  les  douceurs  que  l'on  y  goûte.  Son  père,  âgé  de  plus  de 
quatre-vingts  ans,  le  rappela,  afin  qu'il  l'assistât  dans  le  gouvernement  de 
son  diocèse.  Pour  en  tirer  plus  de  secours,  il  l'ordonna  prêtre  de  force,  et 
lorsqu'il  s'y  attendait  le  moins.  Il  en  usa  de  la  sorte  parce  qu'il  connaissait 
les  sentiments  de  son  fils  à  l'égard  du  sacerdoce,  et  la  difficulté  qu'il  aurait 
de  le  faire  consentir  à  recevoir  l'imposition  des  mains.  On  met  communé- 
ment cette  ordination  au  jour  de  Noël  de  l'année  361. 

Le  Saint  se  plaignit  hautement  de  la  violence  qu'on  lui  avait  faite.  Il 
était  inconsolable  de  son  ordination  ;  il  prit  la  fuite,  et  alla  trouver  son  ami 
Basile  pour  déposer  dans  son  sein  la  douleur  dont  il  était  accablé.  Plusieurs 
personnes  improuvèrent  sa  manière  d'agir.  On  disait  que  sa  fuite  venait 
d'orgueil,  d'opiniâtreté  ou  de  quelqu'autre  motif  semblable.  Bientôt  Gré- 
goire se  condamna  lui-même.  Le  châtiment  de  Jonas,  puni  pour  avoir 
désobéi  aux  ordres  de  Dieu,  lui  inspira  d'autres  sentiments.  Il  revint  à 
Nazianze,  d'où  il  était  absent  depuis  dix  semaines,  et  y  prêcha  son  premier 
sermon  le  jour  de  Pâques. 

Ce  discours  fut  bientôt  suivi  d'un  second  qui  porte  le  titre  d'Apologie, 
parce  que  le  Saint  y  justifie  sa  fuite.  La  matière  qui  en  fait  le  sujet  est  très- 
importante.  Grégoire  y  traite  de  la  dignité  et  des  dangers  du  sacerdoce, 
des  devoirs  des  prêtres,  de  la  sainteté  requise  pour  approcher  de  l'autel  et 
pour  paraître  devant  un  Dieu  qui  est  la  pureté  même  ;  de  la  difficulté  de 
gouverner  les  consciences,  et  d'appliquer  les  remèdes  convenables  aux  dif- 
férentes maladies  des  âmes  :  de  la  science  nécessaire  aux  ministres  sacrés, 
afin  qu'ils  puissent  éclaircir  les  doutes  des  fidèles  et  réfuter  les  erreurs.  De 
tout  ce  détail,  il  conclut  qu'il  a  eu  raison  de  trembler  à  la  vue  du  fardeau 
dont  on  voulait  le  charger,  et  qu'il  a  dû  au  moins  se  préparer  quelque 
temps  au  sacerdoce  par  la  prière,  la  pénitence  et  la  méditation.  Il  est  vrai, 
ajoute-t-il,  que  la  crainte  du  compte  terrible  que  Dieu  demandera  de  la 
conduite  des  âmes  m'a  fait  quelque  temps  refuser  le  travail  ;  mais,  comme 
un  autre  Jonas,  je  suis  revenu  pour  accomplir  les  devoirs  de  l'état  auquel 
j'ai  été  appelé.  J'espère  que  l'obéissance  me  soutiendra  au  milieu  des  dan- 
gers et  qu'elle  m'obtiendra  de  Dieu  les  grâces  dont  j'ai  besoin. 

Dans  le  discours  dont  nous  venons  de  parler,  saint  Grégoire  loue  l'église 
de  Nazianze  pour  l'union  de  ses  membres  et  leur  attachement  à  la  vraie  foi. 
Malheureusement  cette  unanimité  fut  troublée  sur  la  fin  du  règne  de  Ju- 
lien 2.  L'évêque  de  Nazianze  signa  un  écrit  dressé  par  les  partisans  secrets  de 
l'arianisme,  et  conçu  en  termes  équivoques  et  captieux.  Il  s'y  était  prêté 
par  complaisance  pour  quelques  personnes  qu'il  espérait  faire  rentrer  dans 
le  sein  de  l'Eglise  :  mais  cette  démarche  imprudente  scandalisa  ses  diocé- 
sains ;  les  plus  zélés,  surtout  les  moines,  refusèrent  de  communiquer  avec 
lui.  Son  fils,  prévoyant  les  suites  funestes  de  cette  division,  mit  tout  en 
œuvre  pour  l'étouffer  dès  sa  naissance,  et  il  sut  si  bien  manier  les  esprits, 
qu'il  réconcilia  parfaitement  le  troupeau  avec  le  pasteur.  Dans  cet  accom- 
modement, il  joignait  la  fermeté  à  la  douceur,  en  sorte  qu'il  n'accorda  rien 
à  l'erreur  de  ceux  qui  avaient  séduit  son  père,  et  qui,  en  lui  arrachant  une 
souscription,  avaient  fait  douter  de  la  pureté  de  sa  foi.  Il  prononça  un  beau 
discours  à  l'occasion  du  rétablissement  de  la  paix  dans  l'église  de  Nazianze  3, 

1.  Ruiin,  Eist.,  1.  ii,  c.  9,  p.  254.  —  2.  (V.  3,  p.  53.  —  3.  Or.  12. 


414  9  MAI. 

Quelque  temps  après  la  mort  de  Julien,  il  composa  ses  deux  discours 
contre  ce  prince  apostat.  Il  y  parle  avec  cette  force  qu'employaient  les 
Prophètes  lorsque,  par  l'ordre  de  Dieu,  ils  reprenaient  les  crimes  des  rois 
impies.  Son  unique  but  était  de  défendre  l'Eglise  contre  les  païens,  en 
démasquant  l'injustice,  l'impiété  et  l'hypocrisie  de  son  plus  dangereux  per- 
sécuteur. 

Saint  Grégoire  eut  enfin  la  consolation  de  voir  son  frère  Césaire  renon- 
cer au  monde,  afin  de  ne  vivre  plus  que  pour  Dieu  ;  mais  la  mort  le  lui  en- 
leva au  commencement  de  l'année  368.  Césaire  fut  enterré  à  Nazianze,  et 
l'Eglise  l'honore  d'un  culte  public.  Saint  Grégoire  prononça  son  oraison 
funèbre.  Dans  le  détail  qu'il  donne  de  ses  vertus,  il  fait  remarquer  qu'au 
milieu  des  honneurs,  il  regarda  toujours  l'avantage  d'être  chrétien  comme  la 
première  des  dignités  et  le  plus  glorieux  de  tous  les  titres.  Il  prononça  aussi 
l'oraison  funèbre  de  sainte  Gorgonie,  sa  sœur,  qui  mourut  peu  de  temps 
après.  Il  y  relève  sa  ferveur  dans  la  prière,  son  humilité,  sa  résignation, 
son  respect  pour  les  ministres  sacrés  et  les  choses  saintes,  sa  libéralité 
envers  les  pauvres,  ses  mortifications,  son  zèle  pour  l'éducation  de  ses  en- 
fants ,  etc.  Il  regarde  comme  miraculeuse  la  guérison  d'une  paralysie 
qu'elle  obtint  en  priant  devant  l'autel,  ainsi  que  la  conservation  de  sa  vie 
après  les  meurtrissures  dangereuses  qu'elle  s'était  faites  en  tombant  de 
son  char. 

En  372,  la  Gappadoce  fut  divisée,  par  l'ordre  de  l'empereur,  en  deux 
provinces.  Celle  qu'on  appelait  la  seconde  eut  la  ville  de  Tyane  pour  capi- 
tale. Cette  division  causa  du  trouble  dans  l'Eglise.  Anthime,  évêque  de 
Tyane,  prétendait  avoir  une  juridiction  archiépiscopale  sur  la  seconde  Cap- 
padoce.  Saint  Basile  s'opposa  à  cette  prétention  ;  il  réclama  son  droit  comme 
archevêque  de  Césarée,  et  soutint  qu'une  division  purement  civile  ne  lui 
ôtait  point  la  qualité  de  métropolitain  de  la  Cappadoce.  L'amour  de  la  paix 
lui  fit  cependant  relâcher  quelque  chose  dans  la  suite  :  il  consentit  que  le 
siège  de  Tyane  fût  regardé  comme  la  métropole  de  la  seconde  Cappadoce. 

Durant  la  contestation,  saint  Basile  élut  Grégoire,  son  ami,  évêque  de 
la  ville  de  Sasimes,  qui  était  de  la  petite  division  qu'on  lui  disputait.  Gré- 
goire s'opposa  à  son  élection.  Il  se  soumit  pourtant  à  la  fin  par  un  effet  de 
l'autorité  réunie  de  son  père  et  de  son  ami.  Il  fut  sacré  par  saint  Basile  à 
Césarée,  vers  le  milieu  de  l'année  372.  Après  la  cérémonie,  il  revint  à  Na- 
zianze, en  attendant,  pour  prendre  possession  de  son  Eglise,  une  occasion 
favorable  qui  ne  se  présenta  jamais.  En  effet,  Anthime,  qui  avait  mis  le 
nouveau  gouverneur  dans  ses  intérêts,  et  qui  était  maître  de  tous  les  che- 
mins, l'empêcha  de  pénétrer  jusqu'à  Sasimes.  Saint  Basile  ayant  accusé  Gré- 
goire de  manquer  de  courage,  celui-ci  lui  répondit  qu'il  n'était  point  dis- 
posé à  combattre  pour  un  siège  épiscopal 1.  Il  gouverna  cependant  celle  de 
Nazianze,  sous  son  père,  qui  était  fort  âgé,  et  qui  mourut  l'année  suivante. 
Il  se  chargea  lui-même  de  l'oraison  funèbre  de  ce  vénérable  vieillard,  et  il 
la  prononça  en  présence  de  saint  Basile  et  de  sainte  Nonne,  sa  mère,  qui  ne 
survécut  pas  de  beaucoup  à  son  mari. 

Son  dessein,  après  la  mort  de  son  père,  était  de  vivre  dans  la  solitude, 
qui  avait  toujours  été  l'objet  de  ses  plus  ardents  désirs  ;  mais  on  le  pressa 
si  vivement  de  ne  point  abandonner  l'église  de  Nazianze,  qu'il  consentit  à 
en  prendre  soin  jusqu'à  ce  que  les  évêques  de  la  province  lui  eussent  donné 
un  pasteur. 

Comme  cette  affaire  traînait  en  longueur,  et  que  d'ailleurs  sa  santé  était 

1.  L.  vu,  c.  5. 


SAINT   GRÉGOIRE   DE   NA.ZÏANZE,    DOCTEUR   DE    L'ÉGLISE.  415 

considérablement  dérangée,  il  se  retira,  en  375  à  Séleucie,  métropole  de 
l'Isaurie.  Il  passa  cinq  ans  dans  cette  ville.  La  mort  de  saint  Basile,  arrivée 
en  378,  fut  pour  lui  un  coup  très-sensible.  Il  composa,  en  l'honneur  de  son 
ami,  douze  épigrammes  ou  épitaphes.  Il  prononça  son  panégyrique  à  Césa- 
rée  quelques  années  après,  c'est-à-dire  en  381  ou  382. 

La  persécution  ayant  cessé  par  la  mort  de  l'empereur  Valens,  qui  périt 
misérablement  en  378,  la  paix  fut  enfin  rendue  à  l'Eglise.  Les  évoques  ca- 
tholiques cherchèrent  les  moyens  de  réparer  les  ravages  que  l'hérésie  avait 
faits  ;  ils  tinrent,  -pour  cet  effet,  plusieurs  assemblées,  et  résolurent  d'en- 
voyer des  hommes  aussi  savants  que  zélés  dans  les  provinces  où  la  sainte 
doctrine  avait  le  plus  souffert.  De  toutes  les  Eglises,  il  n'y  en  avait  point 
qui  fût  dans  un  état  aussi  déplorable  que  celle  de  Gonstantinople.  Elle  gé- 
missait depuis  quarante  ans  sous  la  tyrannie  des  Ariens.  Le  peu  de  catho- 
liques qui  y  restaient,  avaient  été  longtemps  sans  pasteur  et  même  sans 
église.  Ils  s'adressèrent  à  Grégoire,  dont  ils  connaissaient  le  savoir,  l'élo- 
quence et  la  piété,  et  le  conjurèrent  instamment  de  venir  à  leur  secours.  Ils 
engagèrent  plusieurs  évoques  à  se  joindre  à  eux,  afin  d'obtenir  plus  sûre- 
ment l'effet  de  leurs  prières.  Tant  de  sollicitations  réunies  furent  quelque 
temps  inutiles,  rien  ne  pouvant  tirer  Grégoire  de  sa  retraite  de  Séleucie,  où 
il  vivait  dans  un  parfait  détachement  du  monde.  A  la  fin,  cependant,  il  fut 
forcé  de  se  rendre. 

Il  vint  donc  à  Constantinople,  en  379,  pour  se  mettre  à  la  tête  de  ce  dio- 
cèse, sans  toutefois  en  être.  Il  fut  d'abord  assez  mal  reçu.  Les  habitants  de 
cette  ville,  amateurs  du  faste,  méprisèrent  un  homme  déjà  cassé  par  l'âge, 
ayant  la  tête  chauve,  et  le  visage  exténué  de  larmes  et  d'austérités,  revêtu 
d'habits  grossiers,  montrant  en  tout  les  marques  d'une  extrême  pauvreté. 
Les  Ariens  en  firent  le  sujet  de  leurs  railleries  :  ils  l'accablèrent  d'injures  et 
noircirent  même  sa  réputation  par  leurs  calomnies.  La  persécution  devint 
générale  ;  les  grands,  comme  le  peuple,  traitaient  l'homme  de  Dieu  de  la 
manière  la  plus  indigne  :  mais  ils  ne  faisaient  que  lui  procurer  par  là  l'oc- 
casion d'acquérir  le  glorieux  titre  de  confesseur. 

Grégoire  logea  chez  des  parents  qu'il  avait  à  Constantinople,  et  c'était 
dans  leur  maison  que  les  orthodoxes  s'assemblaient  pour  l'entendre.  Quel- 
que temps  après,  il  changea  celte  maison  en  une  église  à  laquelle  il  donna 
le  nom  d'Anastasie  ou  de  résurrection,  parce  que  ce  fut  là  où  ressuscita, 
pour  ainsi  dire,  la  foi  catholique,  qui,  jusqu'alors,  avait  été  si  fortement 
opprimée  dans  cette  ville.  On  lit  dans  Sozomône  ',  que  le  nom  d'Anastasie 
fut  confirmé  à  cette  église  par  un  miracle.  Une  femme  enceinte,  dit  cet  au- 
teur, s'y  étant  tuée  en  tombant  du  haut  d'une  galerie,  recouvra  la  vie  par 
les  prières  des  fidèles  assemblés.  On  y  déposa  depuis  le  corps  de  sainte  Anas- 
tasie,  vierge  et  martyre,  qui  fut  apporté  de  Sirmich  à  Constantinople,  vers 
l'an  460 2.  Il  ne  faut  pas  confondre  cette  église  avec  une  autre  du  même 
nom,  qui  était  entre  les  mains  des  Novatiens,  sous  les  règnes  de  Constance 
et  de  Julien  l'Apostat3. 

Le  Saint  faisait  assidûment  des  instructions  dans  sa  petite  église,  et  il 
voyait  avec  joie  que  le  nombre  de  ses  auditeurs  augmentait  tous  les  jours. 
Les  Ariens  et  les  Apollinaristes,  réunis  avec  divers  autres  hérétiques,  tâ- 
chaient d'empêcher  l'effet  de  ses  discours,  en  le  diffamant  par  des  calom- 
nies atroces;  ils  avaient  même  recours  à  la  violence.  Us  le  poursuivaient  à 
coups  de  pierres  dans  les  rues;  ils  le  traînaient  devant  le  magistrat  comme 
un  brouillon  qui  ameutait  le  peuple.  Le  Saint  souffrait  avec  patience  tous 

1.  Ep.  32.  —  2.  Théod.,  Lect.,  1.  h,  p.  19,  I.  —  3.  Socrate,  t.  h.  c.  38. 


416  9  mai. 

ces  mauvais  traitements.  «Il  est  vrai  »,  se  disait-il  à  lui-même,  «  que  le 
parti  des  hérétiques  est  le  plus  fort;  mais  je  combats  pour  la  bonne  cause. 
S'ils  possèdent  les  églises,  j'ai  Dieu  dans  mes  intérêts.  Qu'ils  ne  se  glorifient 
pas  d'avoir  le  peuple  de  leur  côté;  j'ai  avec  moi  les  anges  qui  me  protègent 
et  me  défendent  » . 

Le  saint  pasteur  menait  une  vie  fort  retirée;  jamais  il  ne  faisait  de  vi- 
sites, à  moins  que  la  nécessité  ne  l'y  obligeât.  Le  temps  qu'il  n'employait 
point  aux  fonctions  du  ministère  était  consacré  à  la  méditation.  Il  ne  se 
nourrissait  que  de  pain  et  d'herbes  assaisonnées  d'un  peu  de  sel.  On  voyait 
sur  ses  j  oues  les  traces  des  larmes  qu'il  versait  presque  continuellement.  Nuit 
et  jour  il  implorait  la  miséricorde  divine  sur  son  troupeau.  Tous  ceux  qui 
l'entendaient  ne  pouvaient  s'empêcher  d'admirer  son  profond  savoir,  ainsi 
que  le  rare  talent  qu'il  avait  de  rendre  sensibles  les  vérités  les  plus  abstraites 
et  de  s'exprimer  avec  autant  de  clarté  que  d'élégance.  Les  hérétiques  et  les 
païens,  s'étant  humanisés  peu  à  peu,  eurent  la  curiosité  d'aller  l'entendre, 
et,  malgré  leurs  préventions,  ils  furent  forcés  de  reconnaître  la  supériorité 
de  son  mérite.  Chaque  jour  le  fruit  de  ses  discours  devenait  plus  sensible. 
Le  nombre  des  catholiques  s'augmentait  de  plus  en  plus.  Les  partisans  de 
l'erreur  ouvraient  les  yeux  et  s'empressaient  de  rentrer  dans  le  sein  de 
l'Eglise.  Il  n'y  avait  qu'une  chose  qui  affligeât  le  Saint  :  c'étaient  les  ap- 
plaudissements avec  lesquels  on  écoutait  ses  sermons;  il  craignait  que  son 
cœur  ne  fût  infesté  par  le  poison  de  la  vaine  gloire  ;  et  cette  crainte  faisait 
qu'il  ne  parlait  en  public,  qu'avec  une  sorte  de  timidité  et  d'embarras.  On 
ne  lui  reprocha  jamais  de  flatter  les  grands.  L'unique  but  de  ses  discours 
était  d'expliquer  et  d'affermir  la  foi  catholique  et  de  réformer  le  désordre 
de  ses  mœurs.  Il  s'élevait  fortement  contre  la  manie  de  disputer  sur  les  ma- 
tières de  religion,  abus  qui  était  alors  fort  commun  à  Constantinople.  La 
voie  du  salut  est  fermée,  selon  lui,  à  tous  ceux  que  possède  l'esprit  de  dis- 
pute. On  ne  peut  aller  au  ciel  que  par  l'observation  des  commandements 
du  Seigneur  l.  Il  faut  donc  avoir  soin  de  faire  l'aumône,  d'exercer  l'hospita- 
lité, de  visiter  et  de  servir  les  malades,  de  prier,  de  gémir  sur  ses  péchés,  de 
mortifier  ses  sens,  de  réprimer  les  saillies  de  la  colère,  de  veiller  sur  sa 
langue,  d'assujétir  la  concupiscence. 

Les  vertus  et  les  talents  de  Grégoire  attiraient  auprès  de  lui  un  grand 
nombre  de  personnes.  Saint  Jérôme  quitta  les  déserts  de  la  Syrie  pour  venir 
à  Constantinople.  Il  se  rangea  parmi  les  disciples  du  Saint;  il  étudia  sous 
lui  l'Ecriture,  et  il  se  glorifia  toujours  d'avoir  eu  un  tel  maître,  comme 
nous  le  voyons  par  ses  écrits. 

Le  merveilleux  succès  des  travaux  de  saint  Grégoire  excita  l'envie  du 
démon  et  de  ses  ministres.  Du  nombre  de  ces  derniers  fut  un  faux  chré- 
tien qui  faisait  profession  de  la  philosophie  cynique  :  c'était  le  fameux 
Maxime,  né  dans  la  ville  d'Alexandrie.  Ce  fourbe,  tout  rempli  de  l'impu- 
dence et  de  l'orgueil  de  sa  secte,  se  rendit  à  Constantinople,  où  il  sut  dé- 
guiser, sous  un  extérieur  hypocrite,  l'ambition  qui  le  dévorait,  ainsi  que 
ses  autres  vices.  Il  en  imposa  d'abord  à  plusieurs  personnes.  Saint  Grégoire 
tomba  lui-même  dans  le  piège,  et  prononça,  en  379,  l'éloge  de  Maxime  â. 

Ce  loup,  caché  sous  la  forme  d'une  brebis,  gagna  quelques  laïques  et  un 
mauvais  prêtre  ;  après  quoi  il  se  fit  ordonner  clandestinement  évêque  de 
Constantinople.  Il  reçut  l'imposition    des    mains   de   quelques   évêques 

1.  Carm.  1. 

2.  Nous  l'ayons  encore  sous  le  titre  d'Eloge  du  philosophe  Héron.  Saint  Jérôme  pense  qu'il  faut  subs- 
tituer le  nom  de  Maxime  à  celui  de  Héron. 


SAINT   GBÉGOIRE   DE   NAZIANZE,    DOCTEUR  DE   i/ÈGLISE.  417 

d'Egypte,  qui  étaient  arrivés  depuis  peu  pour  cet  effet.  Une  ordination  aussi 
irrégulière  souleva  tout  le  monde.  Le  pape  Damase  écrivit  une  lettre  où  il 
témoigna  la  douleur  que  lui  causait  un  tel  crime,  et  où  il  déclarait  que 
l'élection  de  Maxime  devait  être  regardée  comme  nulle.  L'empereur  Théo- 
dose le  Grand,  qui  était  pour  lors  à  Thessalonique,  montra  aussi  beaucoup 
d'indignation  contre  l'intrus. 

Lorsque  ce  prince  fut  arrivé  à  Constantinople,  il  proposa  à  Démophile, 
évêque  arien,  ou  de  recevoir  la  doctrine  du  concile  de  Nicée,  ou  de  sortir 
de  la  ville.  Celui-ci  se  décida  pour  le  dernier  parti.  Théodose,  ayant  vu 
Grégoire,  lui  donna  de  grandes  marques  de  son  estime  et  de  son  affection. 
Les  catholiques,  lui  dit-il  en  l'embrassant,  vous  demandent  pour  évêque, 
et  je  vous  assure  que  leur  choix  est  très-conforme  à  mes  désirs.  Quelques 
jours  après  son  arrivée,  il  ôta  les  églises  aux  Ariens,  et  mit  Grégoire  en  pos- 
session de  celle  de  Sainte-Sophie,  dont  toutes  les  autres  dépendaient. 

Durant  la  cérémonie,  le  peuple  demanda  tout  d'une  voix  que  Grégoire 
fût  évêque  de  Constantinople.  Les  cris  que  l'on  entendait  de  toutes  parts 
causèrent  une  espèce  de  confusion.  Le  Saint  cependant  la  fit  cesser,  en  di- 
sant que  pour  le  moment  on  ne  devait  penser  à  autre  chose  qu'à  remercier 
le  Seigneur  d'avoir  rétabli  la  vraie  foi.  La  modestie  qu'il  montra  en  cette 
occasion  reçut  de  grands  éloges  de  la  part  de  l'empereur. 

Il  y  avait  de  la  difficulté  par  rapport  au  siège  de  Constantinople.  On  ne 
pouvait  le  remplir  qu'après  qu'un  concile  l'aurait  déclaré  vacant,  et  qu'il 
aurait  annulé  l'ordination  de  Démophile,  ainsi  que  celle  de  Maxime  le  Cy- 
nique. Heureusement  les  évêques  de  tout  l'Orient  étaient  alors  assemblés  à 
Constantinople.  C'était  saint  Mélèce,  patriarche  d'Antioche,  qui  présidait 
au  concile.  Les  Pères,  à  sa  sollicitation,  prirent  le  parti  de  Grégoire  de  Na- 
zianze,  et  l'établirent  canoniquement  évêque  de  Constantinople,  sans  avoir 
égard  aux  larmes  que  son  humilité  lui  faisait  verser. 

Saint  Mélèce  étant  mort  durant  la  tenue  du  concile,  Grégoire  y  présida 
dans  les  dernières  sessions.  Il  mit  tout  en  œuvre  pour  rétablir  la  paix  dans 
l'église  d'Antioche,  troublée  parle  schisme;  cela  augmenta  ses  ennemis: 
ils  tentèrent  de  lui  enlever,  non-seulement  sa  dignité,  mais  la  vie.  Une  fois, 
entre  autres,  ils  chargèrent  un  assassin  de  les  défaire  d'unhomnesi  odieux. 
Le  ciel  permit  que  leur  fureur  ne  fût  pas  servie  comme  ils  le  désiraient. 
L'assassin,  touché  de  remords,  s'approcha  du  Saint,  les  yeux  baignés  de 
larmes,  frappant  sa  poitrine  et  avouant  son  crime.  Grégoire  lui  répondit  : 
«  Que  Dieu  vous  le  pardonne;  sa  bonté  qui  m'a  conservé  demande  que  je 
vous  accorde  votre  grâce.  Vous  êtes  présentement  à  moi  par  votre  crime  : 
mais  je  ne  vous  demande  qu'une  chose,  c'est  de  renoncer  à  l'hérésie  et  de 
vous  donner  sincèrement  à  Dieu  ».  Cette  douceur  fit  beaucoup  de  partisans 
au  saint  évêque,  même  parmi  les  Ariens.  La  bonté  avec  laquelle  il  traita 
ses  plus  ardents  persécuteurs,  ne  fut  désapprouvée  que  de  certains  catho- 
liques qui  se  laissaient  conduire  par  les  saillies  d'un  zèle  indiscret. 

Sur  ces  entrefaites,  les  évêques  d'Egypte  et  de  Macédoine  arrivèrent  au 
concile.  Ils  s'opposèrent  à  l'élection  de  notre  Saint,  alléguant  qu'elle  était 
contraire  aux  canons,  qui  défendaient  de  transférer  un  évêque  d'un  siège  à 
un  autre.  Le  Saint  répondit  avec  tranquillité  que  les  canons  allégués  avaient 
perdu  leur  force  en  Orient  par  le  non-usage,  ce  qui  était  de  la  plus  grande 
notoriété;  il  ajouta  que  d'ailleurs  ils  ne  pouvaient  le  regarder,  puisqu'il 
n'avait  point  pris  possession  du  siège  de  Sasimes  et  qu'il  n'avait  jamais  gou- 
verné le  diocèse  de  Nazianze  en  qualité  d'évêque  titulaire.  Voyant  que  ses 
raisons  ne  produisaient  aucun  effet,  et  qu'il  y  avait  beaucoup  de  fermenta- 
Vies  des  Saints.  —  Tome  V.  27 


418  9  MAI. 

tion  dans  les  esprits,  il  s'écria  au  milieu  de  l'assemblée  :  «  Si  mon  élection 
cause  tant  de  troubles,  je  consens  à  subir  le  sort  de  Jonas;  qu'on  me  jette 
dans  la  mer  pour  apaiser  la  tempête,  quoique  je  ne  l'aie  point  excitée.  Si 
tous  veulent  suivre  mon  exemple,  l'Eglise  jouira  bientôt  d'une  paix  pro- 
fonde. Je  n'ai  jamais  désiré  d'être  évêque,  et  si  je  le  suis,  c'est  contre  ma 
volonté.  S'il  vous  paraît  expédient  que  je  me  relire,  je  suis  prêt  à  retourner 
dans  ma  solitude,  afin  que  l'Eglise  de  Dieu  puisse  enfin  devenir  tranquille. 
Je  vous  prie  seulement  de  réunir  vos  efforts  pour  que  le  siège  de  Constanti- 
nople  soit  rempli  par  une  personne  de  vertu  et  qui  ait  du  zèle  pour  la  dé- 
fense de  la  foi  ».  Après  avoir  ainsi  parlé,  il  sortit  de  l'assemblée,  fort  con- 
tent de  s'être  déchargé  d'un  fardeau  si  pesant  *.  Les  évoques  furent 
extrêmement  surpris  de  sa  démarche;  mais  ils  eurent  la  faiblesse  d'accepter 
sur-le-champ  sa  démission. 

Au  sortir  du  concile,  Grégoire  se  rendit  au  palais.  S'étant  prosterné  aux 
pieds  de  l'empereur  et  lui  ayant  baisé  la  main,  il  lui  dit  :  «  Je  viens,  Sei- 
gneur, non  dans  le  dessein  de  demander  des  richesses  et  des  honneurs  pour 
moi  ou  pour  mes  amis,  ni  pour  solliciter  votre  libéralité  envers  les  églises; 
je  viens  demander  la  permission  de  me  retirer.  Vous  savez  que  j'ai  été  placé 
malgré  moi  sur  le  siège  de  cette  ville.  Je  suis  devenu  odieux,  même  à  mes 
amis,  parce  que  j'envisage  uniquement  les  intérêts  du  ciol.  Je  vous  conjure 
d'agréer  ma  démission.  Ajoutez  à  la  gloire  de  vos  triomphes  celle  de 
rétablir  dans  l'Eglise  l'unité  et  la  concorde  ».  L'empereur  fut  singulière- 
ment frappé  d'une  telle  grandeur  d'àme;  et  ce  ne  fut  qu'avec  beaucoup  de 
peine  qu'il  accorda  au  saint  évêque  ce  qu'il  demandait  avec  tant  d'ardeur. 

Grégoire  fit  ses  adieux  par  un  beau  discours  qu'il  prononça  dans  la  grande 
église  en  présence  des  Pères  du  concile  et  d'une  multitude  innombrable  de 
peuple  2.  Il  y  compare  l'état  où  il  avait  trouvé  l'Eglise  de  Constantinople,  à 
son  arrivée,  avec  l'état  où  il  la  laisse  en  se  retirant.  11  y  rend  grâces  à  Dieu 
du  rétablissement  de  la  foi  catholique;  il  y  proteste  qu'il  s'est  conduit  avec 
le  plus  parfait  désintéressement  depuis  son  élection,  et  qu'il  ne  s'est  rien 
approprié  des  revenus  du  siège  épiscopal  :  il  y  reproche  à  la  ville  son  amour 
pour  les  spectacles,  le  luxe  et  la  magnificence  :  et  comme  on  l'accusait  de 
porter  trop  loin  la  simplicité  de  son  extérieur  et  de  ne  pas  soutenir  l'éclat 
de  sa  dignité,  il  fait  ainsi  son  apologie  :  «  Je  ne  savais  pas  qu'il  fût  de  mon 
»ir  de  le  disputer  en  faste  aux  consuls,  aux  gouverneurs,  aux  généraux 
d'armée,  qui  ne  savent  employer  leurs  richesses  qu'à  une  pompe  mon- 
daine. J'ignorais  qu'on  pût  se  servir  du  bien  des  pauvres  pour  se  nourrir 
délicatement,  pour  monter  un  beau  cheval,  pour  se  faire  traîner  dans  un 
char  pompeux,  pour  entretenir  une  foule  de  domestiques.  Si,  en  agissant 
d'une  autre  manière,  je  vous  ai  offensés,  la  faute  est  faite,  et  j'espère  que 
vous  me  la  pardonnerez  » .  Il  finit  son  discours  en  prenant  congé  de  sa 
chère  Anastasïe,  qu'il  appelle  sa  gloire  et  sa  cowonne,  des  autres  églises  de 
la  ville,  des  saints  apôtres  qui  y  étaient  honorés;  de  son  trône  épiscopal,  de 
son  clergé,  des  moines  et  de  tous  les  serviteurs  de  Dieu,  de  l'empereur  et 
de  toute  la  cour,  de  l'Orient  et  de  l'Occident,  des  anges  tutélaires  de  son 
église,  et  de  la  sainte  Trinité  qu'on  y  honorait.  «  Mes  chers  enfants  »,  ajou- 
ta-t-il,  «  gardez  le  dépôt  de  la  foi,  et  souvenez-vous  des  pierres  qu'on  m'a 
jetées,  parce  que  je  travaillais  à  mettre  la  vraie  doctrine  dans  vos  cœurs  ». 

Cependant  les  fidèles,  ceux  surtout  qu'il  avait  d'abord  gagnés  à  Jésus- 
Christ,  étaient  inconsolables.  Ils  lui  avaient  déjà  donné  des  preuves  de  l'at- 
tachement le  plus  tendre,  en  souffrant  diverses  persécutions  pour  l'amour 

1.  Carm.  1.  —  2.  Or.  32. 


SAINT   GRÉGOIRE  DE  NAZIAJS'ZE,   DOCTEUR  DE  i/ÉGLISE.  419 

de  lui.  Ils  le  suivirent  en  pleurant  et  le  conjurant  de  rester  avec  eux.  Gré- 
goire fut  attendri  par  leurs  larmes;  mais  des  motifs  supérieurs  l'obligèrent 
à  exécuter  son  dessein.  Rendu  à  lui-même,  il  en  ressentit  une  grande  joie, 
comme  il  le  manda  depuis  à  l'un  de  ses  amis.  «  Je  ne  puis  assez  estimer  », 
disait-il,  «  les  avantages  que  mes  ennemis  m'ont  procurés  par  leur  jalou- 
sie; ils  m'ont  délivré  du  feu  de  Sodome  en  me  délivrant  des  dangers  de 
l'épiseopat 1  ». 

Avant  de  donner  sa  démission,  il  avait  fait  son  testament  que  nous  avons 
encore.  Il  est  signé  par  six  évoques  et  par  un  prêtre,  et  les  formalités  pres- 
crites par  le  droit  romain  y  sont  observées.  Le  Saint  y  confirme  la  donation 
de  tous  ses  biens  réels  et  personnels  à  l'église  et  aux  pauvres  de  Nazianze. 
Le  peu  qu'il  se  réservait  pour  vivre,  il  le  léguait  à  quelques-uns  de  ses  amis 
et  de  ses  serviteurs  qui  étaient  dans  le  besoin. 

On  est  étonné  de  la  conduite  qui  fut  tenue  à  l'égard  de  saint  Grégoire, 
quand  on  se  rappelle  tout  ce  qu'il  fit  à  Gonstantinople.  Par  son  zèle,  il  avait 
retiré  de  l'arianisme  la  plus  grande  partie  des  habitants  de  cette  ville.  Sa 
douceur  et  sa  patience  avaient  triomphé  de  l'opiniâtreté  des  hérétiques. 
Jamais  il  ne  voulut  user  du  pouvoir  qu'il  avait  de  les  faire  punir  de  toutes 
les  persécutions  qu'ils  lui  suscitèrent 2  ;  il  engagea  les  catholiques  à  les  trai- 
ter avec  la  même  modération.  La  vengeance,  leur  disait-il,  est  défendue 
aux  disciples  de  Jésus-Christ.  Ils  doivent  souffrir  patiemment,  et  rendre 
toujours  le  bien  pour  le  mal 3. 

Le  rétablissement  de  la  foi  devait  être  suivi  de  la  réformation  des 
mœurs.  Déjà  le  Saint  avait  travaillé  efficacement  à  ce  dernier  objet;  mais 
on  ne  lui  donna  pas  le  temps  d'achever  ce  qu'il  avait  si  heureusement  com- 
mencé. Les  vrais  fidèles  se  seraient  au  moins  consolés,  si  on  ne  lui  eût  pas 
donné  Nectaire  pour  successeur. 

Nectaire  était  sénateur  romain  et  en  même  temps  préteur  ou  gouver- 
neur de  Constantinople.  Non-seulement  il  était  laïque,  mais  il  n'était  pas 
même  baptisé  lorsqu'on  procéda  à  son  élection  ;  il  avait  vécu  dans  l'incon- 
tinence et  montré  peu  de  sagesse  en  plusieurs  occasions;  toutes  ces  cir- 
constances doivent  faire  rabattre  beaucoup  des  louanges  que  lui  a  données 
l'historien  Socrate.  Il  paraît  aussi  qu'il  ne  possédait  point  le  talent  de  la 
parole  4. 

Saint  Grégoire  était  parti  de  Constantinople  avant  l'élection  de  Nectaire. 
Nazianze  fut  le  lieu  qu'il  choisit  pour  sa  demeure.  Il  y  composa  le  poëme  de 
sa  vie,  où  il  insistait  particulièrement  sur  la  conduite  qu'il  avait  tenue  à 
Constantinople.  Son  but  était  en  cela  de  détruire  diverses  calomnies  que 
l'on  publiait  contre  lui.  Il  travailla  de  toutes  ses  forces  à  faire  donner  un 
évêque  à  la  ville  de  Nazianze  ;  mais  il  n'y  put  réussir,  à  cause  des  opposi- 
tions d'une  partie  du  clergé. 

Le  mauvais  état  de  sa  santé  l'obligea  bientôt  de  se  retirer  à  Arianze.  On 
croit  que  ce  fut  avant  la  fin  de  l'année  381.  Il  ne  regrettait  dans  sa  solitude 
que  l'absence  de  ses  amis  5.  Quoiqu'il  eût  toujours  été  fort  circonspect  en 
ses  discours,  il  ne  laissait  pas  de  s'accuser  d'avoir  trop  peu  veillé  sur  sa 
langue.  Pour  se  punir  de  toutes  les  paroles  inutiles  qu'il  avait  proférées,  il 
garda  un  silence  absolu  pendant  les  quarante  jours  du  Carême  de  l'an- 
née 382.  Malgré  sa  vie  retirée,  il  ne  refusait  point  de  se  communiquer  aux 

1.  Ep.  73.  —  2.  Or.  32.  —  3.  Or.  24. 

4.  Cette  observation  est  de  Tillemont.  Pallade  en  fait  une  toute  semblable  sur  Arsace,  frère  de  Nec- 
taire, que  l'on  mit  sur  le  siège  archiépiscopal  de  Constantinople  au  prdjudiee  de  saint  Chrysostonie. 

5.  Carm.  147  et  Ep.  173. 


420  9  mai. 

personnes  qui  avaient  besoin  de  ses  lumières  :  il  donnait  d'excellents  avis  à 
tous  ceux  qui  le  consultaient.  Rien  n'est  plus  sage  que  les  règles  de  con- 
duite qu'il  trace  pour  les  femmes  mariées,  dans  son  poëme  panérétique  à 
sainte  Olympiade.  Entre  autres  choses,  il  lui  dit  :  «  Premièrement,  honorez 
Dieu;  respectez  ensuite  votre  mari  comme  l'œil  de  votre  vie,  car  il  doit 
diriger  vos  actions  et  toute  votre  conduite.  N'aimez  que  lui;  qu'il  soit  votre 
joie  et  votre  consolation.  Ne  lui  donnez  jamais  l'occasion  de  se  fâcher  contre 
vous.  Cédez-lui  lorsqu'il  est  en  colère;  assistez-le,  consolez-le  dans  ses 
peines  et  dans  ses  afflictions.  Parlez-lui  avec  beaucoup  de  douceur  et  avec 
tendresse  :  soyez  modeste  dans  les  remontrances  que  vous  lui  ferez,  et  pre- 
nez pour  cela  un  moment  favorable.  Imitez  ceux  qui  veulent  apprivoiser  les 
lions;  au  lieu  d'user  de  violence  à  leur  égard,  ils  les  flattent  et  les  caressent. 
Compatissez  aux  faiblesses  de  votre  mari,  et  ne  les  lui  reprochez  jamais 
avec  amertume.  Il  ne  vous  est  pas  permis  d'en  agir  de  la  sorte  envers  celui 
que  vous  devez  préférer  à  tout  ce  qu'il  y  a  dans  le  monde  ».  Le  Saint  fait 
des  vœux  pour  qu'Olympiade  devienne  mère  de  plusieurs  enfants,  et  cela 
afin  qu'il  y  ait  plus  d'âmes  qui  chantent  les  louanges  de  Jésus-Christ  *. 
«  Une  des  maximes  qu'il  inculquait  fortement,  était  qu'il  faut  commencer 
et  finir  chaque  action  en  offrant  à  Dieu,  par  une  courte  prière,  son  cœur  et 
tout  ce  que  l'on  fait 2.  Nous  devons  à  Dieu  tout  ce  que  nous  sommes  et  tout 
ce  que  nous  avons.  Il  accepte  et  récompense  nos  plus  petites  actions,  lors- 
qu'il en  est  le  principe;  il  a  égard  pour  lors,  non  au  peu  que  nous  faisons, 
mais  aux  sentiments  dont  nous  sommes  animés.  Il  ne  rejette  point  un  cœur 
qui,  dans  la  pauvreté,  donne  ce  qu'il  a  et  ce  qu'il  est  capable  de  donner 
pour  reconnaître,  autant  qu'il  est  en  lui,  les  bienfaits  et  le  souverain  do- 
maine de  son  Seigneur  ». 

Cependant  le  siège  de  Nazianze  était  toujours  vacant.  Saint  Grégoire, 
comme  nous  l'avons  dit,  avait  été  obligé  d'en  prendre  le  gouvernement 
après  la  mort  de  son  père,  et  il  l'avait  confié  à  Clédonius  durant  son  ab- 
sence. Il  voyait  avec  douleur  différents  abus  auxquels  un  évêque  seul  pou- 
vait remédier.  Il  s'était  déjà  donné  des  mouvements  pour  en  faire  élire 
un  :  mais  ils  ne  lui  avaient  pas  réussi.  Il  redoubla  ses  efforts  en  382,  et 
l'église  de  Nazianze  eut  enfin  un  pasteur.  Le  choix  tomba  sur  un  vertueux 
prêtre  nommé  Eulalius. 

Le  Saint  résolut  de  passer  le  reste  de  ses  jours  dans  la  retraite,  auprès 
d'Arianze.  Il  était  alors  fort  âgé  et  très-infirme;  mais  cela  ne  l'empêchait 
pas  de  rendre  encore  service  à  l'Eglise,  et  surtout  à  celle  de  Nazianze.  Il  y 
avait  dans  sa  solitude  un  jardin,  une  fontaine  et  un  petit  bois,  qui  lui  fai- 
saient goûter  les  plaisirs  innocents  de  la  campagne,  les  seuls  qu'il  se  permît. 
Là,  il  pratiquait  toutes  sortes  de  mortifications  corporelles;  il  jeûnait  et 
veillait  souvent;  il  priait  beaucoup  à  genoux.  Ecoutons-le  lui-même  :  «  Je 
vis  au  milieu  des  rochers  et  des  bêtes  sauvages.  Je  ne  vois  jamais  de  feu,  et 
je  ne  me  sers  point  de  chaussure.  Une  simple  tunique  fait  tout  mon  vête- 
ment 3.  Je  couche  sur  la  paille,  et  je  n'ai  qu'un  sac  pour  couverture.  Mon 
plancher  est  toujours  arrosé  par  des  larmes  que  je  répands 4  ». 

Sur  la  fin  de  sa  vie,  il  se  mit  à  composer  des  poèmes  sur  des  sujets  de 
piété,  afin  de  contribuer  à  l'édification  de  ceux  des  fidèles  qui  aimaient  la 
musique  et  la  poésie.  D'ailleurs,  les  Apollinaristes  avaient  fait  des  poëmes 
pour  répandre  leurs  erreurs;  le  plus  sûr  moyen  de  les  discréditer  était  de 

1.  Quo  plures  célèbrent  magni prxcania  Régis,  t.  il,  page  144.  —  2.  Or.  1,  p.  1;  Or.  9,  pages  152,  153, 
154,  etc.  —  3.  Carm.  5  et  GO.  —  4.  Carm.  147. 


SAINT  GRÉGOIRE  DE  NAZIANZE,   DOCTEUR  DE  L'ÉGLISE.  42i 

leur  en  opposer  d'autres  qui  fussent  orthodoxes,  et  dont  la  lecture  pût  ins- 
truire et  édifier  en  même  temps  qu'elle  délasserait  l'esprit. 

Dans  ses  poèmes,  saint  Grégoire  raconte  l'histoire  de  sa  vie  et  de  ses 
souffrances;  il  y  publie  ses  tentations,  ses  faiblesses,  ses  fautes,  et  entre,  à 
cet  égard,  dans  un  bien  plus  grand  détail  que  lorsqu'il  est  question  des 
choses  qui  pourraient  lui  faire  honneur.  Il  s'y  plaint,  malgré  sa  vieillesse 
et  ses  austérités,  d'éprouver  toujours  les  révoltes  d'une  chair  corrompue; 
mais  il  reconnaît  en  même  temps  que  la  grâce  a  conservé  en  lui  le  trésor 
précieux  de  la  virginité.  Ces  tentations  lui  arrivaient  par  un  effet  de  la  mi- 
séricorde divine  :  elles  le  prémunissaient  contre  les  pièges  de  l'orgueil  et 
l'entretenaient  dans  la  vigilance,  en  l'avertissant  sans  cesse  de  la  nécessité 
de  combattre.  Ses  poésies  sont  encore  remplies  d'aspirations  enflammées  par 
lesquelles  il  sollicite  le  secours  de  Jésus-Christ.  Il  y  déclare  que  nous  sommes 
dans  une  dépendance  absolue  du  Sauveur.  «  Sans  sa  grâce  »,  dit-il,  «  nous 
ne  sommes  que  des  esclaves  qui  exhalent  une  odeur  de  péché;  il  nous  est 
aussi  impossible  d'opérer  le  bien,  qu'il  l'est  à  un  oiseau  de  voler  sans  ailes, 
et  à  un  poisson  de  nager  sans  eau.  C'est  lui  qui  nous  fait  voir,  agir  et  cou- 
rir 1  ».  Le  Saint,  non  content  de  veiller  et  de  prier,  s'éloignait  de  tout  ce 
qui  pouvait  avoir  quelque  rapport  au  péché,  s'efforçant  de  réduire  son 
corps  en  servitude  par  des  mortifications  continuelles  2. 

Dans  ses  lettres,  il  donnait  d'excellents  avis  et  ne  prescrivait  rien  qu'il 
ne  pratiquât  lui-même.  Nous  en  citerons  un  exemple.  Un  saint  prêtre  étant 
injustement  persécuté  en  conséquence  d'une  calomnie,  il  lui  écrivit  trois 
lettres  pour  le  consoler.  Il  lui  parlait  ainsi  dans  la  troisième  :  «  Que  peut-il, 
après  tout,  nous  arriver  de  mal  ?  Nous  n'avons  qu'une  chose  à  craindre, 
c'est  de  nous  mettre,  par  notre  faute,  dans  le  cas  de  perdre  Dieu  et  la  vertu. 
Laissons  aller  les  autres  choses  comme  il  plaira  au  Seigneur  :  il  est  le  maître 
de  notre  vie,  et  il  sait  la  raison  de  tout  ce  qui  nous  arrive;  craignons  seu- 
lement d'agir  d'une  manière  indigne  de  notre  piété.  Nous  avons  nourri  les 
pauvres,  nous  avons  servi  nos  frères,  nous  avons  chanté  des  psaumes  à  la 
louange  de  Dieu;  s'il  ne  nous  est  plus  permis  de  continuer  les  mêmes  exer- 
cices, employons-nous  à  quelque  autre  chose.  La  grâce  n'est  pas  stérile  ;  elle 
ouvre  différentes  voies  qui  toutes  conduisent  au  ciel.  Vivons  dans  la  re- 
traite, vaquons  à  la  contemplation,  purifions  nos  âmes  par  la  lumière  de 
Dieu  :  cela  n'est  peut-être  pas  moins  relevé  que  tout  ce  que  nous  pour- 
rions faire  ». 

Telles  furent  les  occupations  de  saint  Grégoire  dans  sa  dernière  retraite, 
jusqu'à  sa  bienheureuse  mort  qui  arriva  vers  389.  Il  était  âgé  de  soixante- 
dix-huit  ans,  lorsqu'il  termina  sa  vie  de  docteur,  d'évêque,  de  moine  et 
de  poète. 

En  930,  l'empereur  Constantin  Porphyrogenète  fit  transporter  ses  re- 
liques de  Nazianze  à  Constantinople  et  ordonna  qu'on  les  déposât  dans 
l'église  des  Apôtres.  Elles  furent  apportées  à  Rome  du  temps  des  croisades, 
et  elles  sont  encore  sous  un  autel  de  l'église  du  Vatican.  Les  latins  honorent 
saint  Grégoire  de  Nazianze  le  9  mai. 

ÉCRITS  DE  SAINT  GRÉGOIRE  DE  NAZIANZE. 

La  seule  édition  grecque-latine  complète  des  œuvres  de  saint  Grégoire  de   Nazianze,  est  celle 
de  M.  l'abbé  vigne,  tomes  xxxvàxxxvm  de  la  Patrologie.  Ces  œuvres  sont  : 

1°  Des  Discours  au   nombre  de  quarante-cinq.  Les  plus   fameux  sont  les  cinq  discourt'  dits 

1.  Carm.  59.  —  2.  Ep.  19G,  p.  891. 


422  9  mai. 

Théologiques  contre  les  Eunomiens  et  les  Macédoniens,  en  faveur  de  la  divinité  du  Fils  de  Dieu 
et  l'Esprit-Saint. 

2°  Deux  cent  douze  Lettres  très-intéressantes. 

3°  Son  Testament,  dont  il  a  été  parlé  dans  sa  vie. 

4°  Des  Poèmes,  les  uns  théologiques,  à  savoir  :  trente-huit  pièces  dogmatico-bibliques  et 
quarante  pièces  morales  :  les  autres  historiques,  dont  quatre-vingt-dix-sept  se  rapportent  à  saint 
Grégoire  lui-même,  deux  cent  trente  et  une  à  d'autres  personnages,  cent  vingt-neuf  épitaphes  et 
quatre-vingt-dix-neuf  épigrammes. 

Dans  le 'poème  131,  le  saint  docteur  reconnaît  qu'il  fut  redevable  de  sa  naissance  aux  prières 
de  sa  mère,  et  que,  étant  tombé  dangereusement  malade,  il  recouvra  la  santé  par  la  sainte  tabley 
c'est-à-dire  par  le  sacrifice  de  l'autel. 

Il  enseigne  et  pratique,  en  plusieurs  endroits  de  ses  ouvrages,  l'invocation  des  Saints.  11  rap- 
porte, or.  18,  que  sainte  Justine  demanda,  par  l'intercession  de  la  Mère  de  Dieu,  d'être  délivrée 
du  danger  auquel  sa  pureté  était  exposée.  Selon  lui,  les  âmes  des  Saints  connaissent  dans  le  sein 
de  la  gloire  ce  qui  nous  concerne,  ép.  201.  11  dit,  en  parlant  de  saint  Athanase,  or.  24,  «  qu'il  voit 
nos  besoins  du  haut  du  ciel,  qu'il  tend  les  bras  à  ceux  qui  combattent  encore  pour  la  vertu,  et 
qu'il  s'intéresse  d'autant  plus  en  leur  faveur,  qu'il  est  affranchi  des  liens  du  corps  ».  Il  conjure 
saint  Basile,  or.  20,  d'intercéder  dans  le  ciel  pour  ceux  qu'il  avait  gouvernés  et  aimés  sur  la  terre. 
Ailleurs,  or.  18,  il  prie  saint  Cyprien  de  l'assister.  Il  reproche  à  Julien  son  aversion  pour  les 
martyrs  dont  on  célébrait  les  fêtes,  et  le  refus  qu'il  faisait  d'honorer  leurs  corps,  qui  chassaient 
les  démons  et  guérissaient  les  malades.  On  voit  que,  de  son  temps,  il  s'opérait  plusieurs  miracles 
par  la  vertu  des  cendres  de  saint  Cyprien.  «  Ceux  »,  dit-il,  or.  1S,  «  qui  l'ont  éprouvé,  l'attestent 
hautement  ».  De  là,  ce  zèle  avec  lequel  il  s'éleva  contre  les  païens,  qui,  sous  Julien  l'Apostat, 
brûlaient  les  tombeaux  des  martyrs  et  jetaient  leurs  reliques  au  vent,  afin  de  les  priver  de  l'hon- 
neur qu'on  leur  rendait,  or.  4.  Julien  lui-même,  Misopog.,  reproche  aux  chrétiens  de  n'avoir 
employé,  durant  la  persécution  de  sept  mois  qu'ils  souffrirent  à  Antioche,  d'autres  moyens  pour  se 
défendre,  que  la  dévotion  des  vieilles  femmes  qu'ils  envoyaient  prier  assidûment  devant  les  tom- 
beaux des  martyrs.  Odiosam  istam  severitatem  septimum  jam  mensem  perpessi,  vota  quidem 
et  preces,  quo  tantis  malis  eriperemur,  ad  vetulas  dimisimus  qux  circum  sepulcra  mortuorum 
assidue  versantur.  Tous  les  passages  de  saint  Grégoire,  que  nous  venons  de  rapporter,  ont  fait 
dire  au  ministre  Laillée,  de  cultu  relig.,  que  ce  saint  docteur  avait  contribué  par  ses  paroles  et 
ses  exemples  à  accréditer  et  à  étendre  !e  culte  des  Saints. 

Si  le  style  de  saint  Grégoire  de  Nazianze  a  moins  de  douceur  et  de  facilité  que  celui  de  saint 
Basile,  il  est  certainement  plus  fleuri  et  plus  majestueux.  Ce  Père  conçoit  toujours  les  choses  no- 
blement, et  il  les  exprime  avec  une  délicatesse  et  une  élégance  inimitables. 

Selon  quelques  auteurs,  saint  Grégoire  est  le  plus  grand  des  orateurs  tant  sacrés  que  profanes. 
Saint  Basile  partage  cette  gloire  avec  lui,  au  jugement  de  Dupin  et  de  plusieurs  autres  savants. 
Le  seul  défaut  qu'on  puisse  lui  reprocher,  c'est  de  présenter  à  ses  lecteurs  trop  de  beautés,  et  de 
faire  peut-être  un  usage  excessif  des  fleurs  et  des  ligures. 

Ses  vers  sont  dignes  d'Homère,  pleins  de  douceur  et  de  facilité  ;  on  y  trouve  une  sublimité  qui 
leur  assure  la  préférence  sur  toutes  les  productions  du  même  genre  qui  sont  sorties  de  la  plume 
des  écrivains  ecclésiastiques.  Ils  mériteraient  bien  d'être  lus  dans  les  écoles  publiques. 

Le  cardinal  Mai  a  retrouvé  sur  les  poésies  de  saint  Grégoire  de  précieux  commentaires,  par 
Cosme,  précepteur  de  saint  Jean  Damascène,  et  plus  tard  évèque  de  Mazume  ou  Athédon,  dans  le 
patriarcat  d'Alexandrie. 

Godescard  et  Rohrbacher. 


LE  B.  JEAN  OU  HANS  WAGNER,  ERMITE  EN  SUISSE  (loi G). 

Il  y  mit,  vers  la  fin  du  xv8  siècle,  à  Ittingen,  près  de  Schaffliouse,  en  Suisse,  une  abbnye 
placée  sous  le  vocable  de  saint  Laurent,  que  les  Augustins  venaient  de  céder  aux  Chartreux.  Peu 
de  temps  .-'près  ce  changement,  un  jeune  homme  de  Riedlingen,  en  Souabe,  nommé  Jean  Waguer, 
vint  se  présenter  k  la  porte  du  couvent.  Sa  bonne  mine  le  fit  accepter  tout  de  suite.  En  1476,  il 
prononça  ses  vœux  de  frère  lai  et  garda  le  nom  de  Jean,  Hans  en  allemaud  vulgaire. 

Quelque  temps  après,  l'humble  frère  lai  écrivit  au  souverain  Pontife.  La  réponse  toute  pater- 
nelle d'Innocent  VIII  va  nous  apprendre  quelles  étaient  les  peines  d'esprit  du  pieux  chartreux  et 
quel  remède  le  vicaire  de  Jésus-Christ  y  appliqua.  Voici  cette  réponse  : 

«  Nous,  pape  Innocent  VIII,  à  notre  bien-aimé  fils  Jean  Wagner,  frère  lai  de  l'Ordre  des 
Chai', 

«  Mon  fils  bien-aimé,  reçois  avant  tout  notre  salut  et  notre  bénédiction  apostolique  !  Tu  nous  as 


NOTRE-DAME   DES   MIRACLES   A  MAURIAC.  423 

fait  savoir  que,  pour  te  rendre  plus  parfait  et  pour  servir  Dieu  d'autant  plus  librement,  tu  es  entré 
dans  l'abbaye  d'Ittingen,  de  l'Ordre  des  Chartreux,  située  dans  le  diocèse  de  Constance,  et  que  tu 
y  as  prononcé  les  vœux  exigés  des  frères  lais  de  cet  Ordre  ;  tu  ajoutes  que  tu  y  as  vécu  sans 
reproches  pendant  un  certain  temps.  Mais  comme  tu  ne  prévois  plus  pouvoir,  dans  cette  abbaye, 
cultiver  lu  piété  comme  ci-devant,  à  cause  des  constructions  et  des  réparations  nombreuses  qui 
s'y  font,  et  qui  occupent  principalement  les  frères  lais,  tu  as  demandé,  afin  de  pouvoir  mieux 
servir  le  Très-Haut,  de  pouvoir  te  retirer  dans  une  solitude,  et  tu  nous  as  humblement  prié  de 
t'accorder  ta  demande  dans  notre  paternelle  bienveillance.  Nous  accédons  avec  plaisir  à  tes  vœux 
et  nous  te  permettons,  en  vertu  de  cette  lettre,  après  que  tu  en  auras  demandé  la  permission  à  tes 
supérieurs,  d'aller  passer  tout  le  reste  de  ta  vie  dans  une  solitude,  que  tu  choisiras  à  ton  gré,  pour 
y  servir  le  Très-Haut,  soit  seul,  soit  avec  un  compagnon,  vêtu  d'un  habit  grossier  de  drap  gris, 
conformément  aux  trois  vœux  de  ton  Ordre,  sans  manger  de  viande  et  portant  le  cilice. 

«  Donné  à  Rome,  le  6  mai  1489,  la  cinquième  année  de  notre  pontificat  ». 

Par  suite  de  cette  lettre  apostolique,  le  frère  Jean  reçut  de  ses  supérieurs  la  permission  qu'il 
désirait,  et  la  même  année  il  quitta  la  Chartreuse  dans  le  dessein  de  chercher  quelque  solitude  dans 
les  montagnes.  Après  un  long  voyage,  il  arriva  dans  les  montagnes  du  Mont-Pilate,  cette  haute  et 
fameuse  montagne  de  la  Suisse.  Cette  contrée  s'appelle  aujourd'hui  la  Forêt  du  bon  Dieu  (Herrgots- 
wald),  et  appartient  a  la  paroisse  de  Kriens,  à  deux  lieues  de  Lucerne.  Il  trouva  sous  les  ro- 
chers élevés  et  très-saillants  une  caverne,  entourée  de  sapins  et  de  buissons  sauvages.  De  l'autre 
côté,  vers  l'orient,  le  rocher  descend  par  une  pente  escarpée  et  effrayante,  jusque  dans  la  rivière 
appelée  Kienbach,  qui  roule  avec  fracas  ses  flots  impétueux  à  travers  la  forêt.  C'est  là  que  s'éta- 
blit le  frère  Jean,  et  qu'il  observa  avec  ferveur  et  dévotion  la  règle  austère  des  Chartreux.  Le  peu 
qu'il  lui  fallait  pour  vivre,  il  le  réclamait  de  la  çhaçité  des  paysans  d'alentour  et  quelquefois  aussi 
des  bourgeois  de  Lucerne.  Il  ne  buvait  que  de  l'eau,  son  lit  était  un  rocher  et  son  oreiller  une 
pierre  ou  un  morceau  de  bois.  Il  ne  sortait  de  sa  caverne  que  lorsque  sa  paroisse,  celle  de  Kriens, 
l'appelait  au  service  divin,  ou  que  l'on  célébrait  quelque  grande  fête  dans  les  environs  ;  ou  bien, 
lorsqu'une  extrême  pauvreté  l'y  forçait.  Vis-à-vis  des  hommes,  il  était  d'une  excessive  modestie  ; 
il  ne  parlait  que  peu  et  ne  voulait  révéler  à  personne  ni  son  origine,  ni  sa  patrie,  ni  sa  condition 
antérieure  :  quoiqu'il  ne  fût  rien  moins  que  sombre,  cependant  son  visage  et  toute  sa  personne 
respiraient  toujours  la  sérénité  et  la  paix  ;  c'est  ce  qui  le  rendait  aimable  à  chacun. 

La  contrée  qu'il  habitait  appartenait  à  l'ancienne  famille  de  Weyl  de  Lucerne.  Jacques  de 
Weyl,  qui  exerçait  alors  la  magistrature,  et  Anne  Feer,  sa  pieuse  épouse,  ayant  reconnu  les  vertus 
sublimes  de  l'ermite,  lui  bâtirent  une  chapelle,  qui  fut  consacrée  au  mois  d'août  1504.  Le  frère 
Jean,  ayant  passé  vingt-six  ans  dans  la  solitude,  fut  atteint,  en  1516,  pendant  les  fêtes  de  la  Pen- 
tecôte, d'une  maladie  grave,  dont  il  mourut  le  9  mai  de  la  même  année,  muni  des  Sacrements 
de  la  sainte  Eglise. 

Ce  ne  fut  qu'après  sa  mort  qu'on  trouva  la  lettre  apostolique  citée  plus  haut,  qui  donna  tous 
les  éclaircissements  que  l'on  désirait  sur  sa  vie  antérieure.  On  enterra  son  corps  dans  la  chapelle, 
d'après  son  propre  vœu.  Il  y  en  eut  qui  virent  sortir  de  la  tombe  une  lumière  ;  ce  qui  fit  naître 
le  culte  qu'on  rendit  au  bienheureux  ermite.  En  1G13  son  tombeau  fut  ouvert,  et  lorsque  le  curé 
de  Kriens,  en  présence  de  Louis  de  Weyl,  découvrit  le  cercueil,  tous  les  assistants  furent  agréa- 
blement surpris  de  la  bonne  odeur  qui  en  sortit.  En  1G21  s'éleva  à  l'endroit  où  avait  été  la  cha- 
pelle, une  belle  église,  sous  l'invocation  de  la  très-sainte  Vierge. 

Les  reliques  du  frère  Jean  furent  placées  dans  un  nouveau  tombeau,  sur  lequel  on  voit  son 
image  avec  cette  épitaphe  :  «  Ci-gisent  les  reliques  du  bienheureux  frère  Jean  Wagner,  de  l'Ordre 
des  Chartreux,  ermite  en  ces  lieux,  qui  a  fidèlement  servi  Jésus-Christ  jusqu'à  sa  dernière  heure. 
Il  est  entré  dans  cette  solitude  en  1489.  Il  est  mort  le  9  mai  1516  ». 

Cf.  Legenden-Sammlung ,  Lucerne,  1S15. 


NOTRE-DAME  DES  MIRACLES  A  MAURIAC. 

Le  plus  célèbre  de  tous  les  sanctuaires  de  Marie  dans  la  Haute-Auvergne  est  celui  de  Notre- 
Dame  des  Miracles,  à  Mauriac.  Une  tradition,  consignée  dans  un  très-ancien  manuscrit,  le  fait 
remonter  jusqu'à  Théodechilde,  fille  de  Clovis,  ou  sa  petite-fille  d'après  Mabillon,  qui  lui  donne 
pour  père  Thierry,  roi  d'Austrasie.  Vers  l'an  507,  Théodechilde  était  à  Montsélis,  appelé  autre- 


424  9  mai. 

ment  Château-Vieux,  qui  lui  appartenait  avec  ses  dépendances.  Par  une  sombre  nuit,  elle  aperçut 
dans  la  forêt,  qu'a  remplacée  depuis  la  ville  de  Mauriac,  une  lumière  extraordinaire.  Etonnée  de 
cette  clarté,  qui  se  reproduisit  encore  la  nuit  suivante,  elle  se  rendit  sur  les  lieux  ;  et  là,  quel  ne 
fut  pas  son  étonnement,  lorsqu'elle  aperçut  au  centre  de  la  lumière  une  statue  en  bois  très-noir? 
c'était  la  Vierge  portant  l'enfant  Jésus  dans  ses  bras.  Elle  commande  aussitôt  l'érection  d'une  cha- 
pelle sur  le  lieu  même,  et  y  place  la  statue.  Bientôt  de  nombreux  miracles  s'opérèrent  dans  le  nou- 
veau sanctuaire.  D'après  l'office  de  la  fête  »,  la  vue  est  rendue  aux  aveugles,  l'ouïe  aux  sourds, 
l'usage  de  leurs  membres  aux  paralytiques,  les  possédés  sont  délivrés,  et  les  malades  atteints  du 
feu  des  ardents,  si  commun  au  moyen  âge,  sont  guéris.  Bientôt  on  accourt  à  Mauriac  des  pro- 
vinces étrangères  ;  et  la  Vierge  de  la  forêt  est  connue  au  loin  sous  le  nom  de  Notre-Dame  des 
Miracles.  Bientôt  aussi  de  modestes  habitations  s'élèvent  autour  de  son  sanctuaire,  les  uns  voulant 
passer  le  reste  de  leurs  jours  près  de  leur  bienfaitrice,  les  autres  y  établissant  des  hôtelleries 
pour  recevoir  les  pèlerins  qui  affluaient  de  toutes  parts.  En  peu  de  temps,  la  forêt  est  défrichée, 
une  ville  s'élève,  et  Notre-Dame  des  Miracles  est  la  véritable  fondatrice  de  Mauriac. 

Un  matin,  raconte  la  tradition,  on  trouva  aux  portes  de  la  chapelle  deux  hommes  en  costume 
étranger,  chargés  de  chaînes  et  plongés  dans  un  profond  sommeil.  On  les  réveille,  on  les  ques- 
tionne ;  et  ces  deux  hommes,  non  moins  étonnés  que  ceux  qui  les  interrogeaient,  racontent  que, 
réduits  en  esclavage  par  les  infidèles  dans  un  pays  lointain  (en  Espagne,  dit-on),  ils  avaient 
imploré  la  Vierge  de  Mauriac  :  la  veille  encore,  ils  s'endormaient  dans  leur  cachot,  et  ils  se  ré- 
veillent maintenant  à  la  porte  du  sanctuaire  de  Marie.  Aussitôt  on  les  détache  de  leurs  fers,  et  on 
va  chanter  dans  l'église  l'hymne  d'actions  de  grâces  a  Notre-Dame  des  Miracles.  Tel  est  le  fait 
raconté  dans  l'office  même,  et  que  confirment  les  chaînes  encore  subsistantes  qu'on  porte  en  pro- 
cession devant  la  statue  miraculeuse. 

La  chapelle  ne  tarda  pas  à  se  trouver  insuffisante  pour  contenir  soit  les  pèlerins  chaque  jour 
plus  nombreux,  soit  les  habitants  de  la  ville,  qui  grandissait  dans  la  même  proportion.  Pour  en 
bâtir  une  plus  vaste,  on  voulut  acheter  un  jardin  et  une  maison  attenant  à  la  chapelle.  Le  pro- 
priétaire, loin  de  se  prêter  à  la  vente,  ayant  pris  trois  ouvriers  pour  agrandir  la  maison  même 
qu'on  voulait  acheter,  fut  trouvé  mort  dans  son  lit,  le  jour  où  devait  commencer  la  construction 
projetée.  Deux  des  ouvriers  entrés  dans  son  appartement  pour  prendre  ses  ordres,  et  ne  rencon- 
trant qu'un  cadavre,  tombèrent  eux-mêmes  morts  subitement,  et  le  troisième,  resté  dehors,  s'éva- 
nouit de  frayeur. 

A  la  nouvelle  de  ces  coups  terribles,  on  n'hésite  plus,  on  se  met  à  l'œuvre  ;  depuis  le  xn« 
jusqu'au  xve  siècle,  on  ne  cesse  de  travailler  ;  et  l'on  fait  l'église  la  plus  belle  sans  contredit  de 
la  Haute-Auvergne,  le  modèle  le  plus  achevé  du  style  romano-byzantin. 

Un  prodige  signala  la  dédicace  de  ce  saint  temple.  Une  lumière  surnaturelle  éclaira  l'intérieur 
de  l'église  les  trois  jours  et  les  trois  nuits  qui  suivirent  la  cérémonie. 

C'est  surtout  à  la  fête  patronale,  le  dimanche  qui  suit  le  9  mai  et  le  jour  de  l'octave,  que  le 
concours  est  plus  remarquable.  Alors  des  pèlerins  venus  de  tous  les  points  du  département  du 
Cantal  et  des  départements  limitrophes  encombrent  la  petite  ville,  sans  toutefois  y  porter  le  trou- 
ble et  la  confusion  ;  car  chez  eux  tout  est  calme  et  modeste,  comme  la  piété  qui  les  anime. 

«  J'ai  beaucoup  voyagé,  dit  un  illustre  témoin  2,  j'ai  assisté  à  de  brillantes  cérémonies,  à  de 
magnifiques  processions  en  divers  lieux,  dans  plusieurs  capitales;  je  puis  affirmer  que  je  n'en  ai 
pas  vu  qui  eût  un  caractère  plus  imposant,  plus  solennellement  religieux  que  la  procession  de 
Notre-Dame  des  Miracles  à  Mauriac  ». 

Une  statue  si  célèbre  méritait  bien  l'honneur  du  couronnement.  En  effet,  le  13  mai  1855,  au 
milieu  d'une  foule  immense  accourue  à  la  fête,  en  présence  de  plusieurs  évèques  réunis  pour  eu 
relever  ia  solennité,  Notre-Dame  des  Miracles  fut  couronnée  d'un  diadème  d'or  enrichi  de  pierre- 
ries, et  donné  par  Pie  IX  lui-même. 

1.  Cf.  Propre  de  Saint-Flour,  approuvé  à  Rome,  4  vol.  ia-12,  186G  ;  et  Notre-Dame  de  Franct. 
S.  M.  le  baron  de  Sartiges  d'Angle». 


MARTYROLOGES.  425 


Xe  JOUR  DE  MAI 


MARTYROLOGE  ROMAIN. 

Saint  Antonin,  confesseur  et  archevêque  de  Florence,  dont  la  naissance  au  ciel  est  marquée 
le  2  mai.  —  A  Rome,  sur  la  voie  Latine,  le  triomphe  des  bienheureux  martyrs  Gordien  et  Epi- 
MAQUE,  dont  le  premier,  après  avoir  été,  au  temps  de  Julien  l'Apostat,  fouetté  longtemps  avec  des 
cordes  plombées,  et  ensuite  décapité,  fut  enseveli  pendant  la  nuit  par  les  chrétiens,  sur  la  même 
voie,  dans  une  crypte,  dans  laquelle,  peu  auparavant,  l'on  avait  transporté  les  reliques  du  bien- 
heureux Epimaque,  qui  avait  accompli  son  martyre  pour  la  foi  du  Christ,  dans  la  ville  d'Alexandrie. 
362.  —  Dans  la  terre  de  Hus,  le  saint  prophète  Job,  dont  la  patience  a  été  si  admirable.  —  A 
Rome,  le  bienheureux  Calépode,  prêtre  et  martyr,  que  l'empereur  Alexandre  fit  mourir  par  le 
glaive  :  son  corps  fut  ensuite  traîné  par  la  ville  et  jeté  dans  le  Tibre;  mais  le  pape  Calliste  l'ayant 
découvert,  lui  donna  la  sépulture.  Dans  les  mêmes  circonstances  furent  aussi  décapités  le  consul 
Palmace  avec  son  épouse,  ses  enfants  et  quarante-deux  personnes  de  sa  maison,  tant  hommes  que 
femmes  ;  Simplice,  sénateur,  avec  sa  femme  et  scixante-huii  chrétiens  de  sa  maison  ;  Félix  avec 
Blanda,  sa  femme  :  leurs  tètes  furent  attachées  au-dessus  de  diverses  portes  de  la  ville  pour  inti- 
mider les  chrétiens  '.  222.  —  Encore  à  Rome,  sur  la  voie  Latine,  en  un  lieu  nommé  Centum- 
Aulœ  ou  les  Cent-Salles,  la  fête  des  saints  martyrs  Quartus  et  Quintus,  dont  les  corps  ont  été  trans- 
portés à  Capoue.  —  A  Lentini,  en  Sicile,  les  saints  martyrs  Alphius  ou  Adelphe,  Philadelphe 
et  Cyrin.  Vers  260.  —  A  Smyrne,  saint  Dioscoride,  martyr.  —  A  Bologne,  le  bienheureux  Nicolas 
Albergati,  chartreux,  évêque  de  cette  ville  et  cardinal  de  la  sainte  Eglise  romaine,  illustre  par  sa 
sainteté  et  par  les  légations  dont  le  Saint-Siège  le  chargea.  Son  corps  a  été  inhumé  à  la  Chartreuse 
de  Florence.  —  A  Tarente,  saint  Catalde,  évêque,  renommé  pour  ses  miracles  2.  —  A  Milan,  l'in- 
vention des  saints  martyrs  Nazaire  et  Celse  ;  ce  fut  saint  Ambroise,  évêque,  qui  découvrit  le  corps 
de  saint  Nazaire  couvert  d'un  sang  qui  paraissait  encore  tout  frais,  et  le  transporta  dans  l'église 
des  Apôtres,  avec  celui  de  saint  Celse,  enfant,  que  ce  bienheureux  Martyr  avait  élevé  et  nourri  ; 
l'un  et  l'autre  avaient  été  frappés  du  glaive  dans  la  persécution  de  Néron,  par  l'ordre  d'Anolinus, 
le  28  de  juillet,  jour  auquel  on  célèbre  la  fête  de  leur  martyre.  —  A  Madrid,  saint  Isidore  le 
Laboureur,  illustre  par  ses  miracles,  que  Grégoire  XV  canonisa  en  même  temps  que  saint  Ignace, 
fiaint  François,  sainte  Thérèse  et  saint  Philippe.  1170. 

MARTYROLOGE  DE  FRANCE,  REVU  ET  AUGMENTÉ. 

A  Montchaude,  dans  le  canton  de  Barbezieux,  saint  Mathorin,  dont  le  tombeau  est  encore,  de 
nos  jours,  visité  par  les  pieux  pèlerins.  Son  histoire  est  complètement  inconnue.  —  Au  diocèse 
de  Bourges,  sainte  Solange,  vierge,  martyrisée  pour  la  chasteté.  Vers  880.  —  A  Besançon,  saint 
Sylvestre,  évêque,  qui,  ayant  gardé  la  virginité  dans  le  mariage,  garda  aussi  l'humilité  dans  l'épis- 
copat,  et,  joignant  une  sainteté  parfaite  à  un  grand  nombre  de  miracles,  acheva  de  détruire,  dans 
son  diocèse,  les  restes  de  l'idolâtrie  et  de  l'arianisme.  Il  fit  construire,  à  Besançon,  une  quatrième 
église  paroissiale  :  elle  était  dédiée  à  saint  Maurice  d'Agaune.  Il  fut  enseveli  à  Saint-Ferjeux. 
396.  —  Au  même  lieu,  saint  Fronime,  successeur  du  précédent.  Il  fit  construire  l'église  Saint- 
Etienne  qui  n'existe  plus  depuis  la  conquête  de  la  Franche-Comté  par  les  Français  et  y  fut  ense- 
veli. v9  s.  —  A  Bourges,  saint  Pallais,  premier  du  nom,  neuvième  évêque  de  cette  ville  :  il  fut 
enseveli  dans  une  église,  située  à  quatre  lieues  de  Bourges,  qui  prit  son  nom.  384.  —  A  l'abbaye  de 
Marsillac,  au  diocèse  de  Cahors,  le  pieux  trépas  de  saint  Pallais,  deuxième  du  nom  et  treizième 
évêque  de  Bourges.  On  lui  attribue  la  fondation  de  l'église  de  Saint-Etienne  à  Bourges,  dont 
Grégoire  de   Tours  a  célébré  la   magnificence  3.  460.   —  A  Pontoise,  saint  Guillaume,  encore 

1.  Voir,  pour  plus  de  détails,  les  Actes  de  saint  Calliste,  pape,  au  14  octobre. 

2.  Saint  Catalde  est  le  patron  de  Tarente,  où  il  a  de'trôné  saint  Pierre  et  saint  Marc.  Son  culte  data 
de  l'invention  de  ses  reliques,  qui  eut  lieu  vers  le  milieu  du  xie  siècle,  lors  de  la  reconstruction  de  la 
cathédrale.  Il  était  honoré  autrefois  à  Gênes,  à  Mondovi,  et  dans  le  diocèse  de  Sens,  où  la  paroisse  de 
Çaint-Cai'taud  a  évidemment  emprunté  son  nom  à  saint  Catalde. 

3.  Le»  notices  que  nous  donnons  Ici  sur  les  deux  Saints  du  nom  de  Pallais,  évêques  de  Bourges,  sont 


426  10  mai. 

nommé  par  corruption  de  langage  Guillemen  et  Anthilmen,  prêtre.  Il  était  anglais  de  nation 
et  jouissait  de  la  vénération  de  Philippe-Auguste,  roi  de  France,  dans  le  palais  duquel  il  termina 
sa  carrière  terrestre.  1193.  —  Encore  à  Bourges,  la  bienheureuse  Stadiole,  fondatrice  et  pre- 
mière abbesse  de  Moyen-Moutier.  624.  —  A  Tarbes,  sainte  Confesse,  vierge.  —  Dans  le  Limbourg, 
saint  Wiron,  nommé  le  8  de  ce  mois  au  martyrologe  romain.  —  A  Saint-Flour,  la  fête  des 
miracles  de  la  sainte  Vierge  Marie,  Mère  de  Dieu,  établie,  en  1855,  a  Mauriac,  par  la  per- 
mission de  Pie  IX,  pape,  sur  la  demande  de  l'évêque  de  Saint-Flour  *.  —  A  Troyes,  la  translation 
de  saint  Loup,  évèque.  —  Le  même  jour,  saint  Mondry,  évêque  de  Larzat,  en  Auvergne.  — 
A  Saint-Léonard,  en  Beauce,  la  fête  de  saint  Léonard,  anachorète.  Il  s'était  retiré  aux  environs 
de  la  forêt  de  Marchenoir,  après  avoir  été  le  disciple  de  saint  Mesmin,  à  Micy.  Il  fut  d'abord  inhumé 
dans  une  chapelle  de  Saint-Etienne  qu'il  avait  bâtie  auprès  du  bourg  actuel.  Son  corps  y  demeura 
jusqu'au  10  mai  1226,  où  l'église  paroissiale,  dédiée  sous  son  nom,  le  reçut  en  garde  :  ce  dépôt 
sacré,  que  l'on  possède  encore,  donna  lieu,  jusqu'à  la  fin  du  xvui°  siècle,  à  un  pèlerinage  célèbre 
dans  le  pays  dunois.  A  l'occasion  des  calamités  publiques,  on  portait  au  loin  les  restes  vénérés  du 
saint  patmn  :  c'est  ainsi  que,  le  12  mai  1772,  on  les  amena  processionnellement  jusqu'à  Blois  pour 
obtenir  la  cessation  d'une  sécheresse  désastreuse  et  prolongée  :  le  ciel  exauça  instantanément  les 
vœux  des  bons  habitants  de  Saint-Léonard,  vi8  s.  —  Au  diocèse  de  Belley,  la  fête  de  saint  Ville- 
baud  2,  patron  de  la  paroisse  de  Saint- Vulbas  à  laquelle  il  a  donné  son  nom  et  qui  possède  ses 
reliques.  Villcbaud  était  patrice  ou  gouverneur  de  la  Bourgogne  transjurane  (Franche-Comté,  Dau- 
phiué,  Gex,  Bresse,  Bugey)  sous  Dagobert  et  Clovis  IL  II  fut  mis  à  mort  pour  la  justice  par  Flaocat, 
maire  du  palais  de  Bourgogne,  dont  il  avait  contrarié  l'élection.  Le  tombeau  de  saint  Villebaud  est 
encore,  de  nos  jours,  le  but  d'un  pèlerinage  très-fréquenté  3.  660.  —  A  Remiremont,  dans  les 
Vosges,  le  dimanche  le  plus  rapproché  du  10  mai,  procession  votive  de  Notre-Dame  du  Trésor, 
ainsi  appelée  parce  que  les  Chanoinesses  de  Remiremont  conservaient  cette  statue  de  Notre-Dame 
dans  le  trésor  de  leur  église  avec  les  autres  reliques  qui  étaient  en  leur  possession.  Cetle  statue 
en  bois  de  cèdre,  renfermant  des  cheveux  de  la  sainte  Vierge,  fut  donnée,  dit-on,  aux  Chanoinesses 
par  Charlemagne  et  fut  toujours  depuis  l'objet  d'une  vénération  spéciale.  On  se  souvient  encore 
des  merveilleux  effets  de  sa  protection,  en  1682,  alors  qu'un  tremblement  de  terre  avait  renversé 
Remiremont  :  on  porta  la  statue  en  procession  le  10  mai  et  le  tremblement  cessa  ce  jour-là  même. 
Depuis  la  Révolution,  la  statue  vénérée  est  dans  l'église  paroissiale  de  Remiremont.  On  lui  fait 
des  neuvaines  pour  obtenir  un  temps  favorable.  Presque  tous  les  jours  arrivent  à  son  autel  des 
montagnards  qui  ont  marché  toute  la  nuit  pour  venir  y  faire  brûler  un  cierge  et  obtenir  soit  la 
guérison  de  quelque  maladie,  soit  l'adoucissement  de  quelque  peine. 

MARTYROLOGES   DES   ORDRES  RELIGIEUX. 

Martyrologe  des  Chanoines  réguliers.  —  A  Fossombrone,  dans  l'Emilie,  saint  Aldobrand, 
confesseur,  qui  gouverna  le  monas'sre  des  Clercs  réguliers  de  Rimini  avec  une  infatigable  vigi- 
lance, qui,  devenu  évêque  de  Fossombrone,  fut  le  modèle  de  son  troupeau,  et  enfiu,  après  avoir 
donné  de  grands  exemples  de  vertus  et  opéré  de  grands  miracles,  s'envola  au  ciel  le  1er  de  mai. 
Xiie  s.  —  Le  même  jour,  les  saints  martyrs  Gordien  et  Epimaque,  dont  les  corps  reposent  et  sont 
honorés  dans  la  basilique  de  Latran. 

Martyrologe  des  Frères  Prêcheurs.  —  A  Florence,  saint  Antonin,  archevêque  de  cette  ville, 
de  l'Ordre  des  Frères  Prêcheurs. 

ADDITIONS   FAITES  D'APRÈS   LES   BOLLANDISTES   ET  AUTRES   HAGIOGRAPIIES. 

A  Tergeste,  en  Istrie,  les  saints  Prime,  prêtre,  Marc,  diacre,  Jason,  Célien  et  quatre-vingt-deux 
autres,  martyrs,  sous  le  règne  de  l'empereur  Adrien.  —  A  Luxembourg,  les  saints  Tertullien  et 
Chrysanthe,  martyrs  romains,  transférés  en  cette  ville  en  1625.  —  A  Castelnuovo,  sur  le  Tage,  les 
saints  Sabin  et  Certèse,  martyrs  romains,  dont  les  reliques  furent  données  aux  Carmes  du  désert 
de  Bolarque,  en  1647.  —  En  Irlande,  saint  Comgall  *,  abbé  de  Banchor.  Il  fonda,  comme  l'avait 

extraites  des  Acta  Sanctorum.  Dom  Piolin,  bénédictin  de  Solesmes,  h  qui  nons  devons  plusieurs  notes 
rectificatives  qui  ont  pris  place  dans  cet  ouvrage,  nous  fait  observer  que  le  premier  de  ces  Saints  e'tait 
le  onzième,  et  non  le  neuvième  évêque  de  Bourges,  et  qu'il  mourut  vers  450,  au  lieu  de  3S4;  que  le  se- 
cond ne  fut  pas  évêque  de  Bourges.  Comme  le  docte  religieux  ne  prouve  pas  ses  assertions,  nous  nous 
contentons  de  rapporter  son  opinion  pour  montrer  au  moins  avec  quelle  déférence  nous  accueillons  tout 
ee  qui  nous  vient  de  lui. 

1.  Voir  au'9  mai. 

2.  On  l'appelle  encore  Vnlbaud  et  Bourbas,  en  latin  Vulbandus  et  Vibaldus. 

3.  Cf.  Hist.  hagiol.  du  diocèse  de  Belley. 

4.  La  légende  irlandaise  raconte  que  saint  Comgall  ayant  de  nombreux  hôtes  à  recevoir  et  ne  trouvant 
pas  de  quoi  les  traiter  convenablement,  il  fut  secouru  par  des  Anges  qui  poussèrent  une  grande  quantité 


SAINTE    SOLANGE,    VIERGE   ET  MARTYRE.  427 

prédit  saint  Patrice,  ce  monastère  illustre,  d'où  sortirent  une  foule  de  Saints,  entre  autres  saint 
Colomban.  601.  —  A  Padoue,  la  bienheureuse  Béatrix  Atestina  de  la  famille  d'Est,  vierge,  de 
l'Ordre  de  Saint-Benoit.  Elle  mourut  à  vingt  ans.  1226.  —  A  Sorigo,  sur  le  lac  de  Côme,  le  bien- 
heureux Mire,  solitaire,  dont  le  corps  fut  retrouvé  dans  l'église  de  Saint-Michel  de  cette  ville,  l'an 
1452.  On  l'invoque  pour  obtenir  de  la  pluie.  —  A  Borne,  la  sainte  mort  du  vénérable  Père  Nicolas 
Launoy,  d'abord  chanoine  de  Fumes  et  ensuite  l'un  des  premiers  disciples  de  saint  Ignace.  La 
peste  ayant  éclaté  à  Vienne,  en  Autriche,  où  il  dirigeait  le  collège  des  jésuites,  il  opéra  des  gué- 
risons  miraculeuses  par  le  signe  de  la  croix  ou  un  simple  attouchement.  1583.  —  En  Italie,  le 
bienheureux  Jacques,  ermite,  de  l'Ordre  de  la  Croix  de  Funt-Avellane.  Cet  Ordre,  qu'a  illustré  saint 
Pierre  Damien,  a  produit  soixante-quatorze  Saints.  1300. 


SAINTE  SOLANGE,  VIERGE  ET  MARTYRE 

880.  —  Pape  :  Jean  VIII.  —  Roi  de  France  :  Louis  III. 

Festa  venerunt  annua 
Quibus  virgo  perinclyta 
Honoratur  Solangia 

Alléluia. 
A  sainte  Solange 
Offrons  en  ce  jour 
Un  chant  de  louange, 
Un  tribut  d'amour. 
Ancienne  prose  en  l'honneur  de  sainte  Solange  qu'on 
chante  encore  aujourd'hui  sur  l'air  0  Filii  et  Filix. 

La  très-illustre  vierge  Solange  *  est  la  patronne,  et,  pour  ainsi  dire,  la 
sainte  Geneviève  du  Berry.  Elle  naquit  au  bourg  de  Villemont,  à  deux  ou 
trois  lieues  de  la  ville  de  Bourges.  Son  père  était  un  pauvre  vigneron  qui 
menait  une  vie  très-chrétienne  ;  Dieu  récompensa  sa  piété  en  bénissant  son 
mariage.  Il  eut  une  fille  qui  fut  nommée  Solange.  Chez  cette  admirable 
enfant,  la  beauté  du  corps  et  celle  de  l'âme  se  rehaussaient  réciproquement, 
de  sorte  qu'elle  faisait  les  délices  de  Dieu  et  des  hommes.  Son  père  lui  ins- 
pira, dès  ses  plus  tendres  années,  une  grande  haine  pour  le  péché  mortel, 
et  elle  conçut,  en  même  temps,  un  amour  si  tendre  pour  son  Dieu,  qu'elle 
avait  aussi  de  l'horreur  pour  les  plus  petites  fautes  qui  pouvaient  blesser 
les  yeux  de  la  divine  Majesté.  Elle  avait  tant  d'estime  et  de  respect  pour  les 
leçons  salutaires  qu'elle  recevait  de  ses  parents,  qu'elle  les  préférait  à  tous 
les  vains  discours  et  à  tous  les  jeux  qui  font  ordinairement  le  plaisir  et  la 
joie  des  enfants  de  son  âge. 

Cette  éducation  si  sainte,  cette  docilité  à  y  correspondre  disposèrent  le 
cœur  de  la  jeune  Solange  à  recevoir  les  célestes  communications  :  elle 
commença,  dès  l'âge  de  sept  ans,  à  se  sentir  brûler  des  flammes  du  plus  pur 
amour.  Elle  avait  un  attrait  particulier  pour  tout  ce  qui  avait  rapport  à  la 
vie  de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ.  Elle  ne  se  lassait  point  de  bénir  son  saint 
nom  et  de  le  prononcer  partout  avec  un  sentiment  de  piété  qui  faisait  con- 

de  poissons  vers  son  abbaye.  On'rapporte  aussi  qu'il  porta  dans  la  main  une  pierre  chauffée  a  blanc  sans  en 
éprouver  aucune  lésion,  et  qu'une  autre  fois,  ayant  jeûné  inutilement  —  qu'on  remarque  la  force  de  ces 
expressions  —  contre  un  roi  insensible  à  ses  prédications,  il  divisa  un  caillou  en  quatre  par  le  seul  con- 
tact de  sa  salive.  A  la  suite  de  ce  miracle,  le  roi  se  convertit  :  ces  faits  peuvent  servir  à  caractériser  le 
Saint  dans  les  arts. 

1.  De  vieilles  chroniques  l'appellent  Solange  ou  Soulange;  son  lieu  natal  n'existe  plus;  on  voit  au 
milieu  du  Pré-Verdier  les  ruines  d'une  maison  qu'habitait,  dit-on,  sainte  Solange.  Cette  prairie  est  à  une 
demi-lieue  du  bourg  appelé  du  nom  de  la  Sainte  depuis  sa  mort,  et  auparavant  Saint-Martin  du  Cros. 
{Vie  de  sainte  Solange,  par  M.  l'abbé  Oudoul,  p.  6.) 


428  10  mai. 

naître  qu'elle  l'avait  profondément  imprimé  dans  le  secret  de  son  cœur.  Ces 
transports  du  céleste  amour  ne  lui  permirent  pas  d'attendre  plus  longtemps 
pour  choisir  son  parti  ;  et,  comme  elle  avait  déjà  méprisé  le  monde  avant 
même  d'en  connaître  les  faux  attraits,  elle  n'hésita  pas  à  prendre  pour  son 
unique  époux,  Jésus-Christ  qu'elle  aimait  si  ardemment  :  elle  lui  promit  de 
bon  cœur  de  garder  une  virginité  perpétuelle.  Il  est  vrai  qu'elle  avait  tou- 
jours vécu  dans  une  grande  innocence,  mais  elle  ne  se  fiait  pas,  pour  cela,  à 
ses  propres  forces  ;  il  n'y  avait  point  de  jour,  ni  de  nuit  qu'elle  ne  priât  Dieu 
de  la  conserver  dans  cette  pureté  angélique  qu'il  demande  des  âmes  qui  lui 
sont  fidèles.  Elle  se  plaisait  à  répéter  souvent  ces  belles  paroles  de  la  vierge 
sainte  Agnès  :  «  J'aime  Jésus-Christ  qui  a  eu  une  vierge  pour  mère  ;  j'aime 
Jésus,  puisqu'en  l'aimant  je  demeure  chaste,  en  le  touchant  je  demeure 
pure,  et  en  l'embrassant  je  demeure  vierge  ». 

Cette  chaste  colombe  sortait  souvent  du  lieu  de  sa  demeure  ordinaire,  je 
veux  dire  du  bourg  de  Villemont,  pour  aller  gémir  plus  librement  et  à  loisir 
dans  un  lieu  solitaire  et  écarté,  qu'on  appelle  encore  aujourd'hui,  pour  cela, 
le  Champ  de  sainte  Solange.  On  a  élevé  depuis,  au  milieu  de  ce  champ,  une 
croix  de  bois,  qu'il  faut  souvent  renouveler,  car  les  pèlerins  en  coupent  de 
petits  morceaux  qu'ils  emportent  par  dévotion.  Son  père  l'avait  chargée  de 
la  garde  d'un  petit  troupeau  :  aucune  occupation  ne  convenait  mieux  aux 
goûts  de  Solange  ;  tout  en  veillant  sur  ses  moutons,  elle  pouvait  contempler 
son  céleste  Epoux,  qui  invite  les  âmes  à  venir  le  trouver  dans  la  solitude; 
elle  aimait  surtout  à  se  le  figurer,  mourant  pour  elle  sur  la  croix.  Elle  se 
consacrait  mille  fois  à  lui,  elle  lui  protestait  qu'elle  était  prête  à  l'imiter,  à 
souffrir  les  plus  horribles  tourments  pour  son  amour.  Nous  verrons  ses  vœux 
exaucés.  En  attendant,  Jésus-Christ,  qui  ne  se  laisse  jamais  vaincre  en  géné- 
rosité, combla  Solange  de  ses  faveurs  :  de  sorte  que,  comme  une  autre 
Geneviève,  elle  se  rendit  très-utile  à  toutes  les  populations  voisines.  Cette 
jeune  bergère  sut,  comme  Geneviève,  faire  la  guerre  aux  démons,  les  chasser 
des  lieux  dont  ils  s'étaient  emparés,  arrêter  et  dissiper  les  vents  et  les  tem- 
pêtes qui  nuisaient  aux  pays  d'alentour.  La  seule  présence  de  cette  chaste 
vierge  faisait  sortir  les  esprits  impurs  des  corps  des  possédés.  Il  suffisait  aux 
malades  d'avoir  le  bonheur  d'être  aperçus  dans  les  chemins  par  la  Sainte, 
et  d'en  attendre  du  secours  pour  se  trouver  guéris  de  leurs  infirmités.  Ce 
don  de  faire  si  facilement  des  miracles,  qui  a  été  le  privilège  des  plus  grands 
Saints,  lui  a  été  communiqué  abondamment.  Son  histoire  assure  qu'elle 
arrêtait  et  faisait  disparaître  par  un  seul  acte  de  sa  volonté,  les  animaux 
qui  gâtaient  et  détruisaient  les  fruits  qui  étaient  sur  la  terre  ;  et  que,  s'il 
arrivait  que  quelqu'une  de  ses  brebis  s'écartât  et  se  jetât  dans  les  prairies 
voisines  qui  n'étaient  pas  de  son  ressort,  elle  ne  se  servait  ni  de  chien  ni  de 
bâton  pour  la  faire  revenir  :  il  lui  suffisait  d'élever  son  cœur  vers  son  Epoux 
céleste,  et  de  désavouer  intérieurement  le  dégât  que  pouvaient  causer  ces 
animaux  :  ils  revenaient  aussitôt  rejoindre  le  troupeau  avec  une  docilité  qui 
jetait  dans  l'admiration  ceux  qui  en  étaient  les  témoins. 

Voici  un  autre  prodige,  qui  indique  de  quelles  lumières  Dieu  éclairait 
son  âme.  Si  l'on  en  croit  les  leçons  de  l'office  que  l'Eglise  lui  a  consacré,  il 
paraissait  le  jour  et  la  nuit,  au-dessus  desatête,  une  étoile  qui  la  conduisait 
en  ses  démarches,  et  qui  lui  servait  de  règle  en  tout  ce  qu'elle  devait  faire  ; 
cette  étoile  lui  servait  spécialement  de  guide  et  d'avertissement,  lorsque  le 
temps  qu'elle  avait  destiné  à  l'oraison  ou  à  la  psalmodie  s'approchait;  comme 
si  cette  lumière,  qui  invitait  autrefois  les  saints  rois  Mages  à  aller  recon- 
naître et  adorer  Jésus-Christ,  eût  été  reproduite  pour  favoriser  cette  sainte 


SAINTE   SOLANGE,    VIERGE  ET   MARTYRE.  429 

épouse  du  même  Sauveur,  et  lui  indiquer  les  précieux  moments  auxquels 
le  divin  Epoux  demandait  ses  adorations. 

La  sainteté  de  la  jeune  bergère,  ses  vertus,  sa  beauté,  la  rendirent  célèbre. 
Cette  renommée  inspira  un  vif  désir  de  la  voir,  à  Bernard  de  la  Gothie,  fils  de 
Bernard,  comte  de  Poitiers,  de  Bourges  et  d'Auvergne.  Il  monte  à  cheval, 
et,  sous  prétexte  d'aller  à  la  chasse,  il  se  rend  sur  les  terres  de  Villemont,  où 
Solange  gardait  son  troupeau.  A  peine  l'a-t-il  vue,  qu'une  passion  violente 
s'empare  de  son  cœur1.  Il  descend  aussitôt  de  cheval,  aborde  la  jeune  vierge; 
et  ayant  soin  de  ne  laisser  échapper  aucune  parole  qui  puisse  alarmer  son 
innocence,  il  lui  offre  de  devenir  son  épouse.  «  Par  ce  mariage  »,  lui  dit-ilf 
«  vous  serez  princesse  du  vaste  pays  où  je  règne,  vous  ferez  le  bonheur  de 
vos  parents  aussi  bien  que  le  vôtre  ». 

Solange  lui  répond  que,  dès  l'âge  le  plus  tendre,  elle  appartient  à  Dieu, 
qu'elle  lui  a  voué  son  cœur,  qu'ainsi  elle  ne  peut  plus  en  disposer  en  faveur 
d'aucun  homme.  Ce  refus  ne  fait  qu'irriter  le  désir  du  jeune  prince  ;  il  résolut 
d'obtenir  par  la  force  ce  qu'on  refuse  à  ses  prières,  à  ses  promesses.  N'écou- 
tant donc  que  sa  passion,  il  s'élance  pour  saisir  Solange  :  elle  lui  échappe, 
elle  fuit  :  il  la  poursuit,  l'atteint,  l'enlève,  la  met  devant  lui  sur  son  cheval 
et  l'emporte,  faisant,  pendant  le  chemin,  de  nouveaux  efforts  pour  triompher 
de  ses  refus.  Mais  Solange,  fortifiée  par  la  grâce,  et  préférant  la  mort  à  la 
perte  de  sa  virginité,  s'arrache  tout  à  coup  des  bras  de  son  ravisseur  et  se 
jette  à  terre,  auprès  d'un  petit  ruisseau  qui  coulait  en  cet  endroit.  L'amour 
méprisé  se  change  vite  en  haine,  surtout  chez  les  personnes  violentes  et 
brutales.  Bernard,  plein  de  honte  et  de  fureur  de  se  voir  dédaigné,  vaincu 
par  une  bergère,  se  précipite  sur  elle,  l'épée  à  la  main,  et  lui  tranche  la  tête. 

Cette  chaste  et  fidèle  épouse  était  trop  chère  au  Sauveur  pour  qu'il  ne 
marquât  pas  sur  l'heure,  et  par  quelque  signe  miraculeux,  combien  ce  sacri- 
fice lui  avait  été  agréable.  Solange  donc,  qui  avait  courageusement  reçu  le 
coup  delà  mort,  étant  debout,  ne  perdit  point  cette  position,  quoique  sa 
tête  fût  séparée  de  son  corps  ;  mais,  comme  si  elle  eût  reçu  une  nouvelle  vie 
par  le  mérite  du  martyre,  elle  ouvrit  paisiblement  ses  mains  pour  recevoir 
sa  belle  tête  ;  sa  bouche  prononça  encore  par  trois  fois  le  saint  nom  de  Jésus, 
qui  lui  avait  été  si  familier  pendant  sa  vie.  Elle  alla  ainsi  jusqu'à  Saint- 
Martin-du-Cros  ;  elle  fut  ensevelie  dans  le  cimetière  de  cette  église,  à  l'en- 
droit où,  en  1281,  on  éleva,  en  son  honneur,  un  petit  monument  en  forme 
d'autel. 

On  la  représente  gardant  ses  moutons,  avec  une  étoile  au-dessus  de  sa 
tête;  d'autres  fois,  elle  est  agenouillée  au  pied  d'une  croix,  et  entourée  de 
son  troupeau  ;  on  aperçoit  dans  le  lointain  le  comte  Bernard,  accompagné 
d'un  écuyer.  Enfin,  on  la  voit,  le  plus  communément,  portant  sa  tête  entre 
ses  mains.  Nous  lisons,  dans  une  Vie  de  sainte  Solange,  par  M.  Oudoul,  curé 
danslediocèse  de  Bourges2,  la  description  des  anciennes  tapisseries  de  l'église 
de  Sainte-Solange;  c'est  l'histoire  iconographique  de  cette  Sainte.  Nous  nous 
empressons  de  la  reproduire  ici  :  «On  voit»,  dit-il, «dans le  chœur  de  Sainte- 
Solange,  six  tableaux  en  tapisserie,  d'un  fort  bon  goût  et  bien  exécutés,  qui 
représentent  l'histoire  de  la  Sainte,  d'après  la  tradition.  Le  premier  repré- 
sente sainte  Solange  entourée  de  ses  brebis,  au  pied  de  la  croix  qui  était, 
dit-on,  au  milieu  du  pacage  commun.  On  voit,  dans  la  nef  de  la  même  église 
et  dans  celle  de  Saint-Etienne  de  Bourges,  un  tableau  qui  offre  le  même 
sujet.  Le  deuxième  représente  la  pieuse  bergère  auprès  de  ses  moutons,  et 
le  comte,  à  pied,  la  sollicitant;  l'écuyer  du  prince  est  dans  le  fond,  à  cheval. 

1.  Ut  vidit,  ut  perilt.  —  2.  1828. 


430  10  mai. 

Le  troisième  représente  le  comte  à  cheval,  voulant,  aidé  de  son  écuyer, 
enlever  Solange  ;  dans  le  fond,  on  voit  le  cheval  de  l'écuyer.  Le  quatrième 
représente  le  prince  levant  le  fer  sur  Solange  qui,  inclinée  avec  résignation, 
se  prépare  au  martyre  ;  l'écuyer  est  derrière  le  comte  :  on  voit,  au  haut  du 
tahleau,  un  ange,  une  couronne  à  la  main.  Au  bas,  on  lit  cette  inscription 
en  laine  rouge  :  Cette  histoire,  en  tapisserie,  de  sainte  Solange,  a  été  faite,  en 
470i,  des  deniers  de  la  confrérie.  Le  cinquième  représente  sainte  Solange 
debout,  sa  tôte  entre  ses  mains,  allant  à  l'église  de  Saint-Martin,  qui  est  dans 
le  fond,  figurée  comme  avant  l'incendie  de  la  flèche  de  la  tour  ;  derrière  la 
Sainte,  on  voit  le  comte  et  l'écuyer  courant  à  toute  bride.  Il  est  bon  d'ob- 
server que  ce  trait  merveilleux  était  gravé  sur  la  châsse  de  cuivre  doré,  dont 
il  fut  fait  présent  en  1511,  qui,  comme  l'a  judicieusement  remarqué  quel- 
qu'un, était  sur  le  modèle  de  la  première  ;  et  que,  sur  la  châsse  d'argent 
comme  sur  celle  d'aujourd'hui,  on  fut  soigneux  de  respecter  la  tradition  en 
ce  point  » .  Le  Père  Cahier,  dans  ses  Caractéristiques,  donne  un  croquis  très- 
gracieux  représentant  sainte  Solange  après  sa  mort.  La  jeune  fille  est  affaissée 
au  pied  d'un  tertre  surmonté  d'une  croix  rustique.  De  sa  main  droite,  elle 
ramasse  les  plis  de  sa  robe  sur  sa  poitrine,  et  de  sa  main  gauche,  qui  embrasse 
la  croix,  elle  tient  une  palme  entrelacée  de  roses  et  de  lis.  Une  dague  est 
enfoncée  dans  son  thorax.  A  côté,  un  agneau  qui  bêle  ;  à  terre,  la  quenouille 
et  le  fuseau.  La  décollation  paraît  assez  peu  probable  au  Père  Cahier,  dans 
une  lutte  comme  celle  qui  a  dû  s'engager  entre  la  Sainte  et  son  ravisseur. 
D'ailleurs  rien  n'empêche  de  supposer  que  la  victime,  percée  d'une  dague, 
ait  ensuite  été  achevée  par  la  décapitation. 

RELIQUES  ET  CULTE  DE  SAINTE  SOLANGE. 

On  exhuma  bientôt  ses  restes  précieux,  à  cause  des  miracles  qu'ils  opéraient;  on  les  transféra  du 
cimetière  dans  l'église  de  Saint-Martin,  qui  prit  alors  le  nom  de  Sainte-Solange.  Ils  furent  renfermés 
d'abord  dans  une  châsse  en  bois,  artistement  travaillée  ;  et,  plus  tard,  dans  une  châsse  en  cuivre 
doré.  La  dernière  translation  eut  lieu  le  lundi  de  la  Pentecôte,  8  juin  1511.  La  cérémonie  fut 
présidée  par  Mgr  Denis  de  Bar,  ancien  évêque  de  Saint-Papoul,  qui,  avec  l'autorisation  des  vicaires- 
généraux  capitulaires,  consacra  solennellement,  dans  cette  circonstance,  l'églis-e  de  Sainte-Solange. 
Au  xvne  siècle,  cette  châsse  fut  renfermée  dans  une  aulre  d'argent. 

En  1793,  la  châsse  de  sainte  Solange  fut  enlevée  de  la  paroisse  du  diocèse  de  Courges,  qui 
porte  son  nom,  et  ses  reliques  furent  dissipées.  Mais  «  en  faisant  ma  visite  d'archidiacre  à  Méry- 
ès-Bois,  le  5  avril  1843,  nous  écrit  M.  Caillaud,  vicaire-général,  j'y  trouvai  des  reliques  de  sainte 
Solange  :  un  os  du  crâne,  la  mâchoire  supérieure  et  une  dent  de  la  Sainte.  Ces  reliques  apparte- 
naient, avant  la  Révolution,  à  l'abbaye  des  Bernardins  de  Lorois  et  avaient  été  transférées  avec 
grande  pompe  à  Méry-ès-Bois,  en  1791,  lorsque  les  moines  quittèrent  le  couvent;  je  divisai  ces 
reliques  en  deux  portions  à  peu  près  égales,  dont  l'une  resta  à  Méry-ès-Bois,  et  l'autre  fut  donnée 
à  la  paroisse  de  Sainte-Solange  ». 

Le  diocèse  de  Nevers,  plus  heureux  que  celui  de  Bourges,  a  pu  sauver  tout  ce  qu'il  possédait 
des  reliques  de  sainte  Solange  ;  la  petite  boite  qui  les  renferme  porte  cette  inscription  :  Fragmenta 
reliquiarum  sanctse  Solangise,  V.  M.,  1612. 

Nous  ne  pouvons  raconter  les  nombreux  miracles  qui  se  sont  opérés  et  s'opèrent  eneore  par 
l'intercession  de  la  vierge  de  Villemont  :  les  muets  recouvrent  la  parole;  les  aveugles,  la  vue  ;  les 
sourds,  l'ouïe  ;  les  paralytiques,  le  mouvement  ;  les  boiteux,  le  pouvoir  de  marcher  ;  des  malades 
de  toute  espèce,  leur  guérison  ;  des  possédés,  leur  délivrance.  M.  l'abbé  Caillaud  nous  écrit  encore: 
«  Les  miracles  continuent  de  s'opérer  à  Sainte-Solange.  En  1834,  une  personne  de  la  paroisse  du  Lys- 
Saint-Georges  (Indre),  Marie  Moulin,  âgée  de  vingt-six  ans,  y  recouvra  la  parole  qu'elle  avait  perdue 
depuis  quatorze  ans.  Le  28  mai  1850,  une  religieuse  du  Bon-Pasteur,  Pauline  Barbery,  eu  religion 
sœur  Saint-Alexis,  atteinte,  depuis  trente-huit  jours,  d'une  inflammation  de  poitrine  qui  l'avait 
réduite  à  un  état  de  faiblesse  tel  que  ses  compagnes  et  le  médecin  la  regardaient  comme  mou- 
rante, fut  instantanément  guérie,  après  une  neuvaine  à  sainte  Solange  ». 

Les  habitants  de  Bourges  ont  toujours  eu  recours  à  sainte  Solange,  dans  les  calamités  publiques, 
et  leur  confiance  n'a  jamais  été  trompée.  Dans  ces  circonstances,  ils  demandent  qu'on  porte  pro- 
cessionnellement,  dans  leurs  murs,  la  châsse  qui  renferme  les  reliques  de  leur  sainte  patronne. 


SAINTE   SOLANGE,   VIERGE  ET  MARTYRE.  431 

n  Le  31  mai  1637,  Henri  de  Bourbon,  prince  de  Condé,  se  rendit  en  pèlerinage  à  Sainte-Solange 
et  voulut  conduire  lui-même,  à  la  métropole,  les  saintes  reliques  que  la  population  entière  récla- 
mait. Ce  fut  pour  Bourges  un  jour  de  fête  ;  on  jonchait  de  fleurs  les  rues  par  lesquelles  la  chasse 
devait  passer  ;  le  devant  des  maisons  était  tapissé  ;  de  toutes  parts  on  n'entendait  que  de  pieux 
cantiques  ». 

Ces  processions  avaient  lieu  principalement  dans  les  temps  de  sécheresse  ;  on  a  le  procès- 
verbal  de  la  dernière  qui  eut  lieu  :  c'était  au  mois  de  juin  1730. 

C'étaient  toujours  des  habitants  du  lieu  qui,  dans  ces  processions,  portaient  la  châsse  de  sainte 
Solange;  ils  devaient  être  à  jeun,  en  état  de  grâce,  la  tête  et  les  pieds  nus,  couverts  de  couronnes 
et  de  fleurs,  et  communier  à  la  messe  solennelle,  dans  l'église  Saint-Etienne.  «  On  sait  »,  dit  le 
Père  Giry,  «  que  deux  hommes,  qui  menaient  une  vie  déréglée,  s'étant  présentés  pour  porter  la 
châsse,  il  leur  fut  impossible,  quelques  efforts  qu'ils  fissent,  et  quelques  secours  qu'on  leur  donnât, 
de  la  remuer  de  la  place  où  elle  était.  L'an  1631,  la  procession  qui  revenait,  étant  proche  le  bourg 
de  Paracy,  un  des  porteurs  de  la  châsse  s'étant  laissé  emporter  à  jurer  avec  scandale  pour  quelque 
chose  qui  lui  déplaisait,  fut  puni  sur-le-champ  d'une  manière  miraculeuse  et  très-particulière.  Un 
des  bras  du  brancard,  sur  lequel  la  châsse  était  posée,  s'appesantit  si  rudement  et  si  fortement 
6ur  son  épaule  (l'autre  bras  du  même  brancard  demeurant  en  l'air),  que  ce  malheureux  semblait  en 
devoir  être  écrasé  :  ni  lui,  ni  le  peuple  ne  comprirent  pas  d'abord  le  mystère  ;  «  mais  le  criminel  », 
dit  l'histoire,  «  ayant  connu,  par  un  autre  miracle  de  la  divine  bonté,  la  faute  qu'il  venait  de 
commettre,  en  jurant,  en  demanda  aussitôt  pardon  à  Dieu,  à  la  Sainte  et  au  peuple  ;  et,  l'ayant 
obtenu  par  de  véritables  larmes  qui  marquaient  le  regret  sincère  de  son  cœur,  il  eut  la  joie  de  se 
voir  admis  pour  continuer  à  porter  ce  précieux  trésor  pendant  le  reste  du  chemin  :  ce  qu'il  fit  sans 
aucune  peine  ». 

«  Une  tendre  vénération  »,  dit  M.  Baynal,  historien  du  Berry,  «  semblable  à  celle  qu'inspira 
sainte  Geneviève  dans  le  diocèse  de  Paris,  s'est  attachée  au  souvenir  de  la  bergère  de  Villemont. 
On  montre  encore  l'emplacement  de  la  chaumière  où  elle  est  née,  le  sentier  qu'elle  suivait  pour 
se  rendre  au  pâturage  et  qui,  dit-on,  se  couvre,  chaque  année,  d'une  récolte  plus  abondante,  le 
champ  où  elle  allait  prier,  la  fontaine  sur  les  bords  de  laquelle  elle  fut  décapitée,  le  lieu  où  ses 
restes  furent  d'abord  ensevelis.  Le  10  mai,  anniversaire  de  sa  mort,  le  lundi  de  la  Penteeôte,  anni- 
versaire de  la  translation  de  ses  reliques  et  de  la  dédicace  de  son  Eglise,  une  foule  immense  de 
pèlerins,  de  malades,  de  mères,  tenant  leurs  enfants  dans  leurs  bras,  viennent  invoquer  son  inter- 
cession et  chercher  autour  de  son  église  sinon  la  santé,  au  moins  l'espérance  ;  sa  châsse  est  portée 
proeessionnellement  par  des  hommes  revêtus  d'aubes  et  couronnés  de  fleurs.  Cette  châsse  en  bois 
argenté,  aujourd'hui  vide  des  reliques  de  la  Sainte,  a  remplacé  une  châsse  en  argent  détruite 
pendant  la  Révolution  et  que  la  ville  de  Bourges  avait  offerte  à  la  modeste  église  de  village  en 
1657.  Jadis,  en  effet,  toutes  les  fois  que  régnaient  de  longues  sécheresses,  on  apportait  solennelle- 
ment, à  Bourges,  les  reliques  de  sainte  Solange,  et  on  a  conservé  la  mémoire  de  plusieurs  de  ces 
processions  que  des  pluies  abondantes  avaient  suivies  de  bien  près.  Le  pape  Alexandre  VIII,  par 
une  bulle  du  19  mars  1658,  approuva  la  pieuse  Confrérie  qui,  depuis  longtemps,  existait  sous  le 
nom  de  Sainte-Solange,  et  lui  accorda  de  nombreuses  indulgences  qui  ont  été  renouvelées  jusqu'à 
nos  jours  par  divers  actes  du  Saint-Siège.  Le  8  mai  1693,  kgr  Phelippeaux  de  la  Vrillière,  alors 
archevêque  de  Bourges,  sur  la  demande  des  habitants  de  la  ville,  décida  que  dorénavant  la  fête  de 
la  sainte  bergère  serait  célébrée  dans  la  ville  et  la  septaine  le  10  mai  de  chaque  année  ;  seulement, 
pour  la  première  fois,  cette  fête  était  remise  au  18;  et,  pour  la  rendre  plus  solennelle,  on  devait 
apporter,  en  l'église  cathédrale,  la  châsse  où  reposaient  les  précieuses  reliques.  Il  y  a  quelques 
années,  on  voyait  encore,  dans  les  vastes  appartements  du  château  de  Bréey,  plusieurs  tableaux  à 
fresque  qui  représentaient  le  martyre  de  Solange  ;  et  cette  dévotion  toute  populaire  a  même  dépassé 
les  limites  de  la  province  ;  ses  fêtes  attirent  beaucoup  d'habitants  des  provinces  voisines,  surtout 
du  Morvan,  et  sa  mémoire  flst  honorée  dans  la  cathédrale  de  Nevers  ». 

Les  mefflb:vs  Je  la  Confrérie,  ?es  pèlerins,  qui  viennent  aux  fêtes  annuelles,  reçoivent  le  nom 
pop;!!a::\;  'le  Cousins  de  sainte  Solange.  Il  y  a,  à  Bourges  (autrefois  à  Saint-Pierre  le  Puellier, 
aujourd'hui  à  la  cathédrale),  à  Issoudun  (église  de  Saint-Cyr),  à  Châteauroux  (église  de  Saint- 
"hristyphe),  à  Nevers  (cathédrale),  des  Confréries  uDies  à  la  Confrérie  principale.  Les  souverains 
Pciitifes  ont  accordé  à  cette  Confrérie  de  nombreuses  indulgences  que  Benoit  XIV  ratifia  et  confirma 
en  1751. 

Pieuses  légendes  du  Berry,  par  M.  Veillât  ;  Hist.  du  Berry,  par  M.  Raynal,  t.  i«,  p.  313.  —  On  trouve 
encore  dans  la  Vie  de  sainte  Solange,  par  le  R.  P.  J.  Alet  (p.  1S  et  suiv.),  d'intéressants  détails  sur  la 
culte  rendu  à  la  patronne  du  Berry  depuis  sa  mort  jusqu'à  nos  jours,  ainsi  qu'un  grand  nombre  d'hymne» 
et  de  prières  écrites  en  son  honneur. 


432  10  mai. 

SAINT  ISIDORE,  LABOUREUR 

PATRON  DE  LA  VILLE  DE   MADRID  ET  DES  LABOUREURS 
1170.  —  Pape  :  Alexandre  III. 


Le  vrai  agriculteur  n'oublie  point  Dieu  au  milieu  d« 
son  travail,  car  il  attend  plus  de  Dieu  que  de  son 
travail,  suivant  cette  parole  de  l'Ecriture  :  «  Plan- 
ter n'est  rien,  arroser  n'est  rien  :  le  tout  est  de 
faire  pousser,  et  c'est  Dieu  seul  qui  en  a  le  pou- 
voir ».  Saint  Basile,  hom.  in  Ps.  xxxil. 

Isidore  naquit  à  Madrid,  en  Espagne,  de  parents  très-pauvres,  qui,  par 
leurs  instructions  et  leurs  exemples,  lui  inspirèrent  l'horreur  du  péché  et 
l'amour  de  Dieu  :  mais  ils  ne  purent  lui  faire  faire  aucune  étude.  L'Esprit- 
Saint  y  suppléa  et  lui  apprit,  sans  livres,  la  science  du  salut.  Isidore  se  mit, 
dans  sa  jeunesse,  au  service  d'un  riche  habitant  de  Madrid,  nommé  Jean  de 
Vergas,  pour  labourer  sa  terre.  Quand  il  fut  en  âge  de  se  marier,  il  épousa 
une  femme  appelée  Marie  Torribia,  aussi  pauvre  que  lui,  s'il  s'agit  des  biens 
extérieurs  que  le  monde  estime,  mais  très-riche  en  vertus  :  c'était  une  de 
ces  femmes  fortes  dont  parle  le  Sage,  qui  surpassent  beaucoup  de  Vierges 
en  mérite  et  en  belles  actions.  Dieu  bénit  leur  mariage  par  la  naissance  d'un 
fils  qu'ils  élevèrent  dans  sa  crainte,  et  auquel  ils  inspirèrent  de  bonne  heure 
les  véritables  sentiments  de  la  piété.  On  dit  que  cet  enfant  étant  tombé  dans 
un  puits,  que  l'on  montre  encore  à  Madrid,  dans  une  maison  appartenant 
aux  descendants  et  héritiers  de  Jean  de  Vergas,  s'y  noya  ;  mais  ses  parents 
ayant  demandé,  par  une  fervente  prière,  qu'il  leur  fût  rendu,  leurs  vœux 
furent  aussitôt  exaucés  :  l'eau  du  puits  s'éleva  miraculeusement  jusqu'au 
bord,  et  y  apporta  l'enfant  plein  de  vie  et  de  santé.  Ce  fut  peut-être  cette 
insigne  faveur  qui  les  engagea,  par  reconnaissance,  à  se  séparer  l'un  de 
l'autre  et  à  promettre  à  Dieu  une  continence  perpétuelle. 

La  vie  de  ce  saint  laboureur  était  admirable.  Son  exercice  ordinaire,  qui 
était  de  mener  la  charrue,  ne  l'empêchait  pas  d'être  parfaitement  pieux  et 
d'avoir  toutes  ses  heures  réglées  pour  des  exercices  spirituels.  Il  consacrait 
entièrement  les  jours  de  fêtes  à  prier,  à  entendre  la  parole  de  Dieu,  à 
assister  aux  offices  que  l'on  chante  dans  l'église,  et  surtout  à  entendre  la 
messe  avec  une  dévotion  extrême.  Les  jours  ouvrables  il  se  levait  de  grand 
matin,  quoiqu'il  eût  passé  une  grande  partie  de  la  nuit  en  prières,  et  visitait 
les  principales  églises  de  Madrid,  qu'il  arrosait  souvent  d'un  torrent  de 
larmes.  Il  prenait  ainsi  sur  le  temps  de  son  sommeil,  pour  satisfaire  sa  dé- 
votion, et  se  rendait  exactement  à  ses  travaux.  Néanmoins,  ses  compagnons 
l'accusèrent,  auprès  de  leur  maître,  de  faire  passer  une  dévotion  superflue 
avant  les  devoirs  de  son  état.  Jean  de  Vergas,  pour  vérifier  par  lui-même  la 
valeur  de  ces  accusations,  examina  de  très-près  comment  Isidore  travaillait. 
0  prodige!  il  vit  un  jour  deux  personnages  mystérieux,  à  l'air  tout  céleste, 
qui  aidaient  le  saint  laboureur  à  conduire  sa  charrue.  Il  apprit  de  la  bouche 
même  d'Isidore  que  c'étaient  des  anges,  et  il  fut  persuadé,  dès  lors,  que  la 
piété  est  utile  à  tout,  quand  on  sait  l'allier  avec  ses  autres  obligations.  Il  ne 
regarda  plus  Isidore  que  comme  un  homme  extraordinaire  et  qui  attirerait 


SAIXT  ISIDORE,   LABOUREUR.  433 

sur  ses  biens  et  sur  toute  sa  famille  les  bénédictions  du  ciel.  En  effet,  le  Saint  fit 
beaucoup  de  miracles  en  sa  faveur.  Il  fit  revivre  un  de  ses  chevaux  qui  était 
mort  et  dont  il  avait  un  extrême  besoin.  Sa  fille  étant  décédée  après  une 
longue  et  douloureuse  maladie,  il  la  ressuscita  :  grande  joie  pour  un  père 
inconsolable.  Un  jour,  Jean  de  Vergas  l'étant  venu  voir  dans  la  campagne 
où  il  labourait,  il  fit  sourdre  miraculeusement  une  fontaine  pour  soulager 
sa  soif,  en  frappant  seulement  la  terre  :  cette  fontaine  n'a  point  cessé  depuis 
ce  temps-là  de  couler,  et  sert  même  à  la  guérison  des  malades.  Un  loup 
emportait  un  de  ses  bestiaux  :  au  lieu  de  courir  après,  il  se  mit  en  prières, 
et  son  oraison  fut  si  efficace,  qu'elle  fit  mourir  subitement  le  loup  et  déli- 
vra l'animal  qu'il  était  près  d'égorger  et  de  dévorer.  Aussi  ce  maître,  qui 
connaissait  combien  un  serviteur  si  fidèle  lui  était  nécessaire,  se  déchargea 
entièrement  sur  lui  de  l'exploitation  de  sa  terre  :  c'était,  dit-on,  le  domaine 
de  Caramancha  le  bas,  situé  auprès  de  l'ermitage  de  Sainte-Marie-Madeleine. 

Quoique  peu  riche,  Isidore  était  libéral  envers  les  pauvres  ;  il  partagea 
souvent  avec  eux  son  dîner,  ou  plutôt  il  se  contentait  de  leurs  restes.  Un 
jour  qu'il  avait  tout  donné,  un  nouveau  pauvre  s'étant  présenté,  Isidore 
pria  sa  femme  de  voir  s'il  n'y  avait  pas  encore  quelque  nourriture;  quoi- 
qu'elle sût  qu'il  n'y  avait  plus  rien,  elle  y  alla,  par  obéissance,  et  trouva  le 
plat,  qu'elle  croyait  vide,  aussi  plein  que  s'ils  n'y  eussent  point  encore  tou- 
ché. Dieu  avait  l'ait  un  miracle  pour  récompenser  et  seconder  leur  charité. 

Une  autre  fois,  ayant  été  invité  à  un  festin  de  confrérie,  il  s'occupa  si 
longtemps  à  la  prière  et  à  la  visite  des  églises,  qu'il  n'arriva  qu'à  la  fin  du 
repas.  En  entrant,  il  fut  suivi  de  quantité  de  pauvres,  qui  s'étaient  amassés 
autour  du  logis,  dans  l'espérance  d'avoir  quelques  restes  par  aumône.  Les 
confrères  lui  dirent  que  c'était  une  chose  étrange  qu'il  vînt  si  tard  et  qu'il 
traînât  encore  avec  lui  un  si  grand  nombre  de  pauvres  ;  ils  ajoutèrent  qu'on 
lui  avait  conservé  sa  part,  mais  non  pas  celle  des  mendiants.  Il  répondit  : 
«  C'est  assez  ;  elle  suffira  pour  moi  et  pour  les  pauvres  de  Jésus-Christ  ;>.  En 
effet,  ceux  qui  allèrent  chercher  cette  part  trouvèrent  un  repas  entier,  et, 
par  ce  grand  prodige  de  la  libéralité  de  Dieu,  il  y  eut  de  quoi  faire  un  se- 
cond banquet;  Isidore  fit  entrer  tous  les  pauvres,  et  mangea  avec  eux  plus 
agréablement  qu'il  n'eût  fait  avec  les  confrères  qui  l'avaient  invité. 

La  bonté  de  cœur  d'Isidore  s'étendait  jusque  sur  les  animaux.  Un  jour 
d'hiver  que  la  terre  était  couverte  de  neige,  étant  parti  de  chez  lui,  avec  un 
sac  de  blé  sur  le  dos,  pour  le  porter  au  moulin,  il  vint  à  un  endroit  où  de 
nombreuses  familles  d'oiseaux  étaient  perchées  sur  les  arbres,  exposées  aux 
tourments  du  froid  et  de  la  faim.  A  celte  vue,  ému  de  pitié,  il  déblaie  la 
neige  avec  ses  mains  et  ses  pieds,  dépose  son  sac  à  terre,  l'ouvre  et  répand 
une  bonne  partie  des  grains,  que  les  pauvres  petits  affamés  vinrent  aussitôt 
becqueter.  Son  compagnon,  moins  compatissant,  se  moqua  de  lui,  de  ce 
qu'il  prodiguait  ainsi  son  blé;  mais  Dieu  fit  voir  que  cette  action  charitable 
lui  avait  plu.  Arrivé  au  moulin,  Isidore  vit  son  sac  plein,  comme  si  per- 
sonne n'y  avait  touché,  et  sous  la  meule  on  trouva  une  quantité  de  farine 
égale  au  rendement  ordinaire  de  deux  sacs  de  blé.  Qu'il  y  a  loin  de  cette 
conduite  de  saint  Isidore  à  celle  de  beaucoup  de  campagnards  qui  traitent 
avec  dureté,  quelquefois  avec  une  barbarie  révoltante,  non-seulement  les 
petits  oiseaux,  si  utiles  à  leurs  champs,  mais  les  animaux  qui  sont  les  com- 
pagnons dociles  et  indispensables  de  leurs  travaux  ! 

Il  n'y  avait  point  de  lieu  de  dévotion  autour  de  Madrid  qu'il  ne  vi- 
sitât fort  assidûment.  Il  allait  surtout  très-souvent  à  la  chapelle  Notre- 
Dame  de  Torrelaguna,  à  celle  de  Notre-Dame  de  YAtocha,  et  à  celle  de 
Vies  des  Saints.  —  Tome  V.  28 


434  10  mai. 

Sainte- Marie- Madeleine.  Sa  femme,  qui  était  une  parfaite  imitatrice  de 
sa  vertu,  lui  tint  toujours  fidèle  compagnie  dans  ces  pèlerinages,  jusqu'à 
ce  qu'elle  se  retirât  entièrement  dans  un  petit  héritage,  auprès  de  l'ermi- 
tage de  Garaquiz.  Comme  elle  allait  de  là  à  une  église  de  la  Sainte  Yierge, 
ayant  trouvé  la  rivière  Xamara  débordée  par  une  crue  d'eau  inopinée,  elle 
étendit  son  tablier  sur  la  rivière  et  la  passa  sur  cette  barque  improvisée 
avec  la  même  confiance  qu'elle  eût  marché  sur  la  terre  ferme.  Elle  a  fait 
encore  d'autres  miracles  qui  lui  ont  mérité,  après  sa  mort,  le  nom  et  les 
honneurs  de  Sainte.  On  l'appelle,  en  Espagne,  Sancta  Maria  de  la  Cabeza; 
elle  fut,  dit-on,  ainsi  appelée,  à  cause  de  son  saint  chef  qui,  mis  dans  un 
reliquaire  à  part,  est  souvent  porté  en  procession  pour  obtenir  de  Dieu  de 
la  pluie  :  car  de  la  Cabeza  signifie,  en  notre  langue,  du  chef  ou  de  la  tête. 
Elle  fut  d'abord  enterrée  au  petit  ermitage  de  Caraquiz,  au  milieu  de  la 
sacristie;  depuis,  ses  os  ayant  été  levés  de  terre,  on  les  cacha  dans  un  lieu 
plus  secret,  et  son  crâne  fut  mis  dans  le  reliquaire  dont  nous  venons  de  par- 
ier. Enfin,  l'an  1615,  tout  le  corps  a  été  transféré  à  Torrelaguna,  où  il  est 
honoré  de  toute  l'Espagne  par  beaucoup  de  vœux,  de  pèlerinages  et  de 
processions. 

Saint  Isidore  mourut  quelque  temps  avant  elle,  d'une  manière  aussi 
sainte  et  aussi  édifiante  que  sa  vie  avait  été  pure,  le  15  mai  1170.  On  l'en- 
terra dans  le  cimetière  de  Saint-André,  à  Madrid,  où  il  demeura  quarante 
ans  oublié.  Après  ce  temps,  il  apparut  en  songe  à  un  de  ses  anciens  amis,  et 
le  pressa  de  procurer  l'élévation  et  la  translation  de  son  corps  ;  mais  cet 
homme  négligea  de  le  faire  :  ce  qui  lui  attira  une  maladie  violente.  Le  Saint 
apparut  une  seconde  fois  à  une  dame  fort  vertueuse,  et  lui  dit,  de  la  part 
de  Dieu,  qu'elle  ne  différât  point  de  lui  procurer  cet  honneur.  Elle  en  parla 
au  clergé  de  Madrid  ;  on  fut  au  lieu  de  sa  sépulture,  on  ouvrit  son  tombeau 
et  on  le  trouva  aussi  entier  et  aussi  frais  que  s'il  fût  mort  le  môme  jour, 
quoiqu'on  l'eût  mis  sous  une  gouttière,  dont  les  eaux  seules  étaient  capables 
de  le  corrompre  en  peu  de  temps.  Il  fut  donc  levé  de  terre  avec  beaucoup 
de  dévotion  et  porté  dans  l'église  de  Saint-André.  Deux  prodiges  augmen- 
tèrent la  vénération  pour  ce  Saint.  Il  sortait  de  ses  membres  et  de  ses 
suaires  une  odeur  si  agréable,  qu'elle  embaumait  l'air  d'une  manière  déli- 
cieuse ;  et  comme  cette  cérémonie  se  fit  la  nuit,  toutes  les  cloches  de  la 
ville  sonnèrent  d'elles-mêmes.  Une  chose  si  extraordinaire  attira  sur-le- 
champ  à  son  cercueil  une  grande  partie  de  la  ville.  Plusieurs  malades  qui 
se  trouvèrent  dans  la  foule  furent  guéris.  Des  paralytiques,  des  boiteux, 
des  aveugles  que  l'on  avait  vus  demander  l'aumône  dans  les  rues  et  les 
places  publiques,  recouvrèrent  l'usage  de  leurs  membres  et  de  leurs  or- 
ganes, et  s'en  retournèrent  guéris  en  leurs  maisons.  Les  villages  voisins 
voulurent  aussi  avoir  part  à  une  si  grande  fête,  et  la  protection  de  saint  Isi- 
dore se  répandit  également  sur  eux.  On  exposa  dès  lors  son  image  vénérable 
en  public,  et  comme  beaucoup  de  personnes  l'avaient  vu  et  savaient  les  cir- 
constances particulières  de  sa  vie,  on  en  fit  des  peintures  sacrées  qui  en  ont 
conservé  la  mémoire. 

La  musique  céleste  que  l'on  entendit  souvent  à  son  tombeau  anima  en- 
core davantage  à  honorer  ce  grand  serviteur  de  Dieu.  La  voix  de  tout  le 
peuple,  avec  le  consentement  des  prélats  et  des  supérieurs  ecclésiastiques, 
l'ayant  déjà  comme  canonisé,  on  commença  à  porter  son  corps  en  proces- 
sion, pour  détourner  les  fléaux  de  Dieu  et  pour  attirer  ses  bénédictions.  Un 
jour  qu'on  le  portait  à  cause  d'une  sécheresse  extrême  qui  désolait  tout  le 
pays,  un  astrologue  maure  et  mahométan  se  moqua  de  cette  dévotion,  et, 


SAINT  ISIDORE,    LAEOUREUR.  435 

se  fiant  aux  calculs  de  son  art,  dit  tout  haut  que,  s'il  pleuvait  avant  vingt- 
quatre  heures,  il  voulait  être  poignardé.  Cependant  Dieu  exauça  les  prières 
du  peuple,  qui  avait  un  si  puissant  intercesseur  auprès  de  lui.  Le  ciel  se 
couvrit  de  nues,  et  il  plut  en  si  grande  abondance,  que  toute  la  terre  en  fut 
abreuvée.  Le  Maure  vit  le  miracle,  mais  il  ne  laissa  pas  de  demeurer  dans 
son  infidélité  :  il  fut  puni  de  cette  résistance  à  la  grâce  ;  il  mourut  peu  de 
temps  après  de  la  manière  dont  il  avait  parlé  dans  son  serment. 

L'an  1211,  don  Alphonse,  roi  de  Gastille,  faisant  la  guerre  aux  Maures, 
dans  le  défilé  appelé  las  Navas  de  Tolosa,  cherchait  vainement  un  sentier 
par  lequel  il  pût  aller  attaquer  les  ennemis  ;  mais  saint  Isidore  lui  apparut 
et  lui  montra  un  chemin  aisé  et  inconnu.  Par  ce  moyen,  le  roi  remporta 
une  insigne  victoire  sur  les  infidèles.  Une  si  grande  faveur,  obtenue  par  les 
mérites  de  ce  saint  laboureur,  engagea  les  rois  d'Espagne  à  poursuivre  sa 
canonisation.  Un  nombre  innombrable  de  miracles  qui  furent  faits  dans  la 
suite  par  son  intercession,  et  qui  sont  rapportés  bien  au  long  par  les  conti- 
nuateurs de  Bollandus,  stimulèrent  le  zèle  de  ceux  qui  travaillaient  à  cette 
canonisation;  mais  ce  qui  porta  le  roi  d'Espagne,  Philippe  III,  à  faire  les 
derniers  efforts  pour  l'obtenir,  ce  fut  la  guérison  miraculeuse  qu'il  reçut  le 
16  novembre  1619,  après  qu'il  se  fut  fait  apporter,  dans  sa  chambre,  le 
corps  de  ce  bienheureux  Confesseur,  qui  fut  trouvé  encore  entier.  Par  un 
décret  du  pape  Grégoire  XV,  le  22  mars  1622,  saint  Isidore  fut  canonisé 
avec  saint  Ignace,  saint  François-Xavier,  sainte  Thérèse  et  saint  Philippe 
de  Néri  :  on  les  appela  les  cinq  Saints. 

On  a  représenté  saint  Isidore  :  tenant  une  bêche  i  ;  faisant  sortir  une 
source  de  terre  avec  le  fer  d'une  espèce  de  lance  ou  instrument  de  jardi- 
nier 2  :  nous  avons  dit  plus  haut  en  quelle  circonstance  saint  Isidore  fit 
sourdre  cette  fontaine  :  ce  peut  être  un  des  motifs  pour  lesquels  il  est  invo- 
qué contre  la  sécheresse;  tenant  une  gerbe3;  sur  un  même  plan,  avec 
sainte  Marie  de  la  Cabeza,  sa  femme  ;  priant  pendant  que  son  maître,  caché 
derrière  des  arbres,  le  surveille,  et  que  les  Anges  labourent  son  champ  4  ;  à 
genoux  :  près  de  lui,  son  âne  venant  de  tuer  un  loup  qui  voulait  le  manger 3  ; 
dirigeant  une  charrue  dans  un  sillon  :  cette  manière  indique  encore  sa  pro- 
fession 6;  porté  en  terre  :  un  ange  sonne  la  cloche  d'une  église  pendant  la 
marche  funèbre  7. 

Cette  Vie  a  été  écrite  par  Jean,  diacre,  vers  l'année  1261.  Beaucoup  d'autres  auteurs  y  ont  travaillé 
depuis  et  y  ont  ajouté  les  miracles  récents  :  comme  Jacques  Bléda,  de  l'Ordre  de  Saint-Dominique,  et 
Jérôme  Quintana,  notaire  du  Saint-Office  à  Madrid.  Quant  au  culte  de  la  femme  de  saint  Isidore,  il  fut 
approuvé  par  Innocent  XII,  en  1697. 

1.  Cabinet  des  Estampes,  h,   Paris,  t.  ix,  f.  103.  —  2.   Ibid. 

3.  Frise  de  saint  Vincent  de  Paul,  a  Paris,  par  Hippolyte  Flandrin.  C'est  une  innovation,  et  !e  Pire 
Cahier  est  d'avis  qu'il  ne  faut  point  sortir  de  la  caractéristique  populaire  quand  celle-ci  existe. 

4.  Cabinet  des  Estampes,  à  Paris,  t.  îx,  f.  103.  —  5.  Ibid.  —  6.  Ibid.,  t.  in,  f.  20.  —  7.  Ibid. 


436  10  mai. 


SAINT  ANTONIN,  ARCHEVÊQUE  DE  FLORENCE 


1389-1439.  —  Papes  :   Clément  VII;   Pie  II.  —  Empereurs  d'Allemagne:   Wenceslas; 

Frédéric  III. 


Saint   Antonin   appliquait   à    la  dévotion   envers    la 
sainte  Vierge,  ce  que  Saloraon  a  dit  de  ia  Sagesse  : 
«  Toutes  sortes  de  biens  me  sont  venus  avec  elle, 
et  j'ai  reçu  par   ses   mains    des   honneurs    et   da 
grâces  sans  fin  ». 

Saiut  Antonin,  ainsi  appelé  au  lieu  d'Antoine,  parce  qu'il  était  de  petit* 
taille,  naquit  à  Florence  en  1389,  Son  père  était  notaire,  et  se  nommait 
Nicolas  Pierrozi,  et  sa  mère  Thomassine  ;  ils  prirent  un  grand  soin  de  l'éle- 
ver dans  la  crainte  de  Dieu.  Ils  n'eurent  pas  beaucoup  de  peine,  parce  qu'il 
était  d'un  si  bon  naturel  que  l'on  eût  dit  que  la  vertu  était  née  avec  lui.  A 
l'âge  de  dix  ans,  il  ne  manquait  pas  d'aller  tous  les  jours  dans  une  église  de 
Saint-Michel  pour  y  faire  ses  prières  au  pied  du  Crucifix  et  à  l'autel  de  la 
Sainte  Vierge,  à  l'honneur  de  laquelle  il  disait  ce  répons  :  Sancta  et  imma- 
culata  Virginitas.  Ce  fut  là  que,  quelques  années  après,  il  conçut  le  dessein 
de  se  faire  religieux  de  l'Ordre  des  Frères  Prêcheurs  :  il  en  demanda 
l'habit  au  Père  Dominici,  qui  fut  depuis  cardinal-archevêque  de  Raguse,  et 
légat  du  Saint-Siège  en  Hongrie.  Ce  pieux  et  savant  Dominicain  faisait  alors 
bâtir  un  couvent  de  son  Ordre  à  Fiésoli,  à  deux  milles  de  Florence.  Voyant 
le  petit  Antoine  de  si  faible  complexion  en  apparence,  qu'il  ne  semblait  pas 
qu'il  pût  supporter  les  rigueurs  de  la  Règle,  il  lui  demanda  à  quelles  études 
il  s'appliquait  ;  l'enfant  répondit  qu'il  étudiait  le  droit-canon.  «  Eh  bien  !  » 
lui  dit  Dominici  pour  l'ajourner,  «  je  vous  recevrai  dans  notre  Ordre  quand 
vous  saurez  votre  droit  par  cœur  ».  Cette  réponse  fut  loin  d'étonner  le  pos- 
tulant; redoublant  de  courage,  il  étudia  avec  tant  d'ardeur,  qu'en  peu  de 
temps  il  apprit  par  cœur  les  règles  et  le  texte  du  droit  :  c'est  pourquoi  le 
Père,  reconnaissant  évidemment  l'opération  de  la  main  de  Dieu  sur  ce 
jeune  homme,  lui  donna  le  saint  habit,  l'an  1407,  la  seizième  année  de 
son  âge. 

Nous  ne  nous  arrêterons  point  ici  à  décrire  avec  quelle  ferveur  il  passa  son 
noviciat,  et  prononça  ses  vœux  au  couvent  de  Cortone,  où  les  supérieurs 
l'avaient  envoyé.  Le  pape  Nicolas  V  le  jugeait  digne  d'être  canonisé  dès  le 
temps  de  sa  vie  ;  preuve  convaincante  qu'il  avait  fait  de  grands  progrès  en 
la  perfection.  Son  zèle  et  son  courage  surpassaient  ses  forces,  et  les  rigueurs 
de  la  Règle  lui  semblaient  si  légères,  que,  ne  s'en  contentant  point,  il  cou- 
chait encore  sur  la  dure,  ne  quittait  point  le  cilice,  et  prenait  la  discipline 
toutes  les  nuits  :  il  ajoutait  aussi  à  l'office  du  chœur  celui  de  la  Vierge  et 
celui  des  morts,  avec  les  sept  Psaumes  de  la  Pénitence,  et  quelquefois  le 
Psautier  tout  entier.  Son  recueillement  était  si  grand  pendant  ses  prières, 
et  particulièrement  pendant  l'oraison  mentale,  qu'on  l'a  vu  plusieurs  fois 
élevé  de  terre. 

Il  eût  bien  voulu  toujours  continuer  ce  genre  de  vie  ;  mais  l'obéissance 
l'appliqua  bientôt  au  secours  du  prochain  :  car  il  fut  élu  supérieur  des  cou- 


SAINT   ANTONIN,    ARCIIEVÊOUE  DE   FLORENCE.  437 

vents  de  Fiésoli,  de  Cortone,  de  Gaëte,  de  Florence,  de  Sienne,  de  Pistoie, 
de  Naples  et  de  Rome,  et  les  gouverna  l'un  après  l'autre  :  et  partout  il 
maintint  l'observance  de  la  Règle,  non-seulement  par  ses  pressantes  exhor- 
tations, mais  encore  par  ses  exemples.  Il  était  le  premier  à  tout;  et  quoi- 
qu'il fût  ensuite  vicaire- général  de  la  Congrégation  de  Naples  et  de  Tos- 
cane, et  provincial  de  la  province  romaine,  il  s'abaissait  néanmoins  jus- 
qu'aux ministères  les  plus  humbles  de  la  communauté  où  il  résidait.  11 
disait  tous  les  jours  la  sainte  messe,  et  en  servait  une  autre  ;  il  prêchait  fort 
souvent  et  avec  beaucoup  de  succès,  et  il  écoutait,  avec  une  patience  et 
une  assiduité  merveilleuses,  les  confessions  de  ceux  dont  il  avait  touché  les 
cœurs  par  la  force  de  ses  paroles. 

Cependant  l'archevêché  de  Florence  vint  à  vaquer,  par  la  mort  du  car- 
dinal Barthélémy  Zarabella,  et  il  y  avait  neuf  mois  entiers  que  l'on  était  en 
contestation  sur  l'élection  d'un  successeur,  lorsque  le  pape  Eugène  IV, 
jetant  les  yeux  sur  le  Père  Antonin,  vicaire-général  de  la  Congrégation 
réformée  de  Naples,  le  nomma  archevêque  de  cette  grande  ville  ;  et  voyant 
qu'il  refusait  obstinément,  il  lui  fit  commandement,  «  en  vertu  du  Saint- 
Esprit  et  de  la  sainte  obéissance  » ,  sous  peine  de  péché  mortel  et  même 
d'excommunication,  d'accepter  cette  charge.  Ne  pouvant  plus  s'opposer  à 
des  ordres  si  précis,  il  leva  les  yeux  et  les  mains  au  ciel  ;  puis,  se  tournant 
vers  quelques  personnes  doctes  qu'il  avait  assemblées  pour  savoir  si,  vu  son 
incapacité,  il  était  obligé  d'obéir  à  ce  commandement  :  «  Vous  savez  », 
dit-il,  «  mon  Dieu,  que  j'accepte  cette  charge  contre  mavolonté,pourne  pas 
résister  à  celle  de  votre  vicaire  ;  assistez-moi  donc,  Seigneur,  ainsi  que  vous 
savez  que  j'en  ai  besoin  ».  Il  fit  ensuite  son  entrée  à  Florence,  les  pieds 
nus  et  les  yeux  baignés  de  larmes,  tandis  que  toute  la  ville  retentissait  de 
joie  de  posséder  un  si  digne  pasteur,  le  considérant  comme  un  Saint  ;  et, 
en  effet,  il  l'était  devant  Dieu,  qui  pénètre  le  secret  des  cœurs. 

Cette  nouvelle  dignité  ne  lui  fit  rien  changer  dans  sa  vie  privée  :  car  il 
garda  toujours  jusqu'aux  moindres  observances  de  son  Ordre  ;  de  sorte  que 
ceux  qui  n'eussent  pas  été  informés  de  son  nouveau  caractère,  l'eussent 
plutôt  pris  pour  un  simple  religieux  que  pour  l'archevêque  de  Florence.  Sa 
table,  son  lit,  sa  chambre  et  généralement  tous  les  meubles  de  son  palais 
archiépiscopal,  ne  ressentaient  que  la  pauvreté  religieuse.  Son  train  n'était 
composé  que  de  six  personnes,  à  qui  il  donnait  de  bons  gages,  afin  de  les 
empêcher  de  rien  recevoir  de  ceux  qui  avaient  quelque  affaire  à  l'archevê- 
ché. Il  prenait  lui-même  connaissance  des  causes  qui  devaient  se  juger  à 
son  tribunal,  ne  se  contentant  pas  des  soins  de  son  officiai,  auquel,  néan- 
moins, il  donnait  tous  les  ans  cent  ducats  d'or,  afin  qu'il  rendît  la  justice 
sans  nul  salaire.  Tout  le  monde  se  trouvait  si  bien  de  ses  jugements,  de  ses 
avis  et  de  ses  conseils,  qu'on  lui  donna  le  titre  d'Antonin-des-Conseils, 
avant  même  qu'il  fût  archevêque. 

Quoique  d'un  accès  si  facile  pour  toutes  les  personnes  qui  demandaient 
son  assistance,  il  se  montrait  néanmoins  extrêmement  réservé  à  l'égard 
des  femmes  ;  il  ne  leur  parlait  que  par  nécessité,  et  ses  yeux  pudiques  n'o- 
saient les  regarder.  Il  prêchait  ordinairement  les  dimanches  et  les  fêtes  en 
quelque  église  de  la  ville,  il  faisait  même  des  instructions  familières  et  des 
catéchismes.  Il  tenait  exactement  ses  synodes,  visitait  son  diocèse,  et  enfin 
n'omettait  rien  de  ce  que  doit  faire  un  bon  prélat.  Il  récitait  d'abord  ses 
Matines  avec  ses  clercs  domestiques,  suivant  la  pratique  de  son  Ordre  ; 
mais,  apprenant  qu'on  ne  les  chantait  pas  avec  assez  de  respect  dans  la 
cathédrale,  il  voulut  y  assister,  pour  remédier  à  ce  désordre. 


438  10  mm. 

Voilà  quelle  était  la  vigilance  de  ce  saint  Prélat  ;  mais  ce  qui  est  mer- 
veilleux, c'est  que,  parmi  tant  de  différentes  fonctions,  il  ne  perdit  jamais 
la  solitude,  la  paix  ni  la  sérénité  de  son  cœur,  parce  que,  comme  il  l'avoua 
lui-même  à  un  de  ses  chanoines  appelé  François  de  Chastillon,  il  s'y  était 
formé  de  bonne  heure  un  oratoire,  où  il  se  retirait  souvent.  Il  remit  l'état 
ecclésiastique  dans  sa  splendeur,  et  en  retrancha  plusieurs  désordres  que 
les  guerres  civiles  y  avaient  causés.  C'est  pourquoi  le  Pape,  qui  connaissait  la 
pureté  de  son  zèle  et  la  justice  de  ses  jugements,  défendit  d'appeler  des 
sentences  qu'il  aurait  données.  Il  sut  très-bien  user  de  cette  faveur  à  l'avan- 
tage de  l'église  de  Florence.  Il  la  délivra  des  pratiques  impies,  immorales 
et  funestes  de  la  magie  ;  de  la  plaie  non  moins  déplorable  de  l'usure  ;  des 
charlatans  et  des  comédiens.  Certains  joueurs  avaient  inventé  un  nouveau 
brelan,  où  la  jeunesse  de  Florence  perdait  tous  les  jours  de  grosses  sommes 
d'argent,  au  grand  préjudice  des  familles;  le  saint  Archevêque  défendit 
d'abord  ce  jeu,  sous  peine  d'excommunication  ;  ensuite  il  allait  lui-même 
sur  les  lieux  et  en  chassait  honteusement  ceux  qu'il  y  rencontrait,  renver- 
sant les  tables,  les  dés,  l'argent  et  les  jetons.  Son  zèle  le  porta  encore  à 
purger  les  églises  de  ces  causeurs  insolents,  qui  en  profanent  la  sainteté 
par  leurs  entretiens  sacrilèges  ;  il  les  en  chassait  tous. 

Il  ne  craignit  pas  même  de  s'opposer  aux  magistrats  et  au  bras  séculier, 
lorsque,  passant  les  bornes  de  leur  puissance,  ils  entreprenaient  sur  les 
droits  et  les  immunités  de  l'Eglise.  Il  réprimait  leurs  violences  par  les  cen- 
sures ecclésiastiques,  sans  appréhender  les  menaces  qu'on  lui  faisait.  Un 
jour,  quelqu'un  l'ayant  menacé  de  le  jeter  parlafenêtre  et  de  le  faire  priver 
de  son  évêehé,  il  répondit  avec  calme  qu'il  ne  se  jugeait  pas  digne  du  mar- 
tyre, et  qu'il  avait  toujours  désiré  être  déchargé  de  l'épiscopat  ;  que,  dans 
cet  espoir,  il  avait  toujours  gardé  la  clé  de  sa  chambre  du  couvent  de  Saint- 
Marc,  pour  s'y  retirer.  Voilà  quel  a  été  le  zèle  de  ce  grand  archevêque  ; 
disons  maintenant  quelque  chose  de  sa  douceur  et  de  sa  compassion  pour 
les  pauvres  et  pour  toutes  sortes  de  malheureux. 

Il  divisait  le  revenu  de  son  bénéfice  en  trois  parties  :  la  première,  fort 
médiocre,  était  pour  l'entretien  de  sa  maison  ;  la  seconde,  pour  la  répara- 
tion du  palais  archiépiscopal  qui  tombait  en  ruine  ;  et  la  troisième,  pour 
le  soulagement  des  pauvres,  et  celle-ci  était  la  pins  grosse  et  devint  enfin 
presque  le  total,  parce  que  le  palais  étant  réparé,  il  ne  pensa  plus  qu'aux 
pauvres.  Il  faisait  tous  les  jours  de  grandes  aumônes  à  sa  porte,  sans  la  re- 
fuser à  personne  ;  et  c'était  avec  tant  de  profusion,  que  quelquefois  il  ne 
restait  plus  rien  pour  sa  maison.  Aux  grandes  fêtes  de  l'année,  il  distribuait 
deux  cents  ducats  d'or  en  diverses  œuvres  de  piété  ;  il  vendait  même  ses 
meubles,  ses  livres  et  ses  habits  pour  assister  les  nécessiteux  avec  plus  de 
libéralité.  Aussi  était-il  l'asile  de  tous  ceux  qui  étaient  dans  la  misère.  En 
voici  un  bel  exemple  :  Un  habitant  de  Florence  vint  le  supplier  de  l'aider 
à  doter  trois  de  ses  filles  :  le  charitable  Prélat  n'ayant  rien  alors  à  lui  donner, 
lui  conseilla  de  visiter  chaque  jour  l'église  de  l'Annonciade,  lui  assurant 
que  Notre-Dame  elle-même  doterait  ses  filles.  Comme  il  s'y  en  allait  un 
matin,  il  trouva  deux  aveugles  qui,  croyant  n'être  entendus  de  personne, 
se  racontaient  l'un  à  l'autre  leur  bonne  fortune  :  l'un  disait  qu'il  avait  deux 
cents  ducats  cousus  dans  son  bonnet,  et  l'autre  qu'il  en  avait  trois  cents 
dans  son  pourpoint.  Il  avertit  le  saint  Archevêque  qui  fit  venir  ces  aveugles; 
et,  après  leur  avoir  reproché  leur  malice,  de  frustrer  les  véritables  pauvres, 
en  recevant  des  aumônes  dont  ils  n'avaient  pas  besoin,  il  les  condamna  à 
payer  une  amende  de  quatre  cent  cinquante  ducats,  qui  servirent  à  doter  les 


SAINT   ANTONIN,    ARCHEVÊQUE   DE   FLORENCE.  439 

trois  jeunes  filles.  Ce  fut  là  un  trait  de  prudence  et  de  cette  justice  que  l'on 
appelle  distributive. 

En  voici  un  autre  de  charité  qui  n'est  pas  moins  considérable.  Le 
Saint,  passant  une  fois  par  la  rue  Saint-Ambroise,  aperçut,  sur  la  maison 
d'une  bonne  veuve,  des  anges  qui  paraissaient  se  réjouir;  il  voulut  savoir 
qui  étaient  ceux  qui  y  demeuraient,  et  il  y  trouva  trois  jeunes  personnes 
qui,  pour  gagner  leur  pain  et  celui  de  leur  mère,  travaillaient  jour  et  nuit, 
sans  même  excepter  les  fêtes;  il  en  eut  compassion,  et  leur  assigna  une 
rente  annuelle  pour  vivre,  afin  qu'elles  ne  fussent  plus  obligées  de  travailler 
les  fêtes.  La  piété  et  la  bonne  conduite  disparurent  avec  la  nécessité  du 
travail.  Saint  Antonin,  passant  une  autre  fois  par  le  même  endroit,  n'y  vit 
plus  les  anges,  mais  un  démon  si  horrible,  qu'il  l'effraya  de  son  regard  :  il 
en  donna  avis  à  la  mère  et  aux  jeunes  filles,  et  leur  retrancha  une  par- 
tie de  son  aumône,  de  crainte  que  l'oisiveté  ne  leur  causât  un  plus  grand 
malheur. 

C'était  encore  trop  peu,  pour  saint  Antonin,  de  donner  ses  biens,  s'il  ne 
consacrait  aussi  sa  personne  et  sa  vie  pour  le  salut  de  ses  ouailles  :  dans  un 
temps  de  contagion,  tous  les  riches  abandonnaient  Florence,  pour  éviter  le 
mauvais  air  ;  le  Saint  y  demeura  généreusement  pour  assister  les  pestifé- 
rés, et  ne  craignit  point  de  les  visiter  et  de  leur  administrer  lui-même  les 
Sacrements.  C'est  cette  charité  du  prochain,  et  ce  grand  zèle  à  le  servir, 
qui  lui  ont  fait  mettre  la  main  à  la  plume  au  milieu  de  ses  fonctions 
épiscopales,  et  composer  tant  de  beaux  et  excellents  traités  pour  la  con- 
solation des  âmes,  pour  l'instruction  des  peuples  et  pour  la  satisfaction  des 
savants. 

C'est  aussi  cette  charité  qui  lui  a  fait  opérer  tant  de  miracles,  guérir  des 
malades  désespérés  des  médecins,  ressusciter  des  morts  et  multiplier  du 
pain  et  de  l'huile.  Ses  paroles  avaient  aussi  une  vertu  admirable  :  car  un 
habitant  de  Florence  lui  ayant  fait  présent,  le  premier  jour  de  l'année, 
d'un  panier  de  fruits,  dans  l'espérance  d'en  recevoir  quelque  bonne  récom- 
pense, et  voyant  que  le  Saint,  pour  toute  reconnaissance,  ne  lui  disait  que 
ce  mot  :«  Dieu  vous  le  rende  »,  il  s'en  alla  tout  mécontent.  L'Archevêque  le 
sachant  le  fit  rappeler,  et  mit  en  sa  présence  le  panier  de  fruits  dans  le  bas- 
sin d'une  balance,  et  dans  l'autre  un  billet  contenant  ces  paroles  :  «  Dieu 
vous  le  rende  »,  et  ce  billet  se  trouva  peser  plus  que  le  panier  ;  le  pauvre 
homme,  tout  confus,  lui  demanda  pardon.  Il  fit  encore  paraître  la  force  de 
ses  paroles  lorsque,  pour  donner  de  la  terreur  à  quelques  personnes  qui  le 
pressaient  de  fulminer  une  sentence  d'excommunication  pour  un  sujet  qui 
ne  le  méritait  pas,  il  prit  un  pain  blanc,  sur  lequel  il  prononça  quelque 
anathème,  et  aussitôt  ce  pain  devint  plus  noir  que  des  charbons. 

Etant  âgé  de  soixante-dix  ans,  il  tomba  malade  d'une  petite  fièvre  ;  il 
prévit  qu'il  allait  bientôt  mourir,  quoiqu'on  lui  promît  une  prompte  guéri- 
son  ;  c'est  pourquoi  il  reçut  promptement  les  Sacrements,  et  rendit  ainsi 
sa  belle  âme  à  Dieu  avec  ces  paroles  :  «  Mes  yeux  sont  toujours  élevés  vers 
mon  Seigneur,  parce  que  c'est  lui  qui  dégagera  mes  pieds  des  filets».  Ce 
fut  le  2  mai,  veille  de  l'Ascension,  l'an  1459,  la  treizième  année  de  son 
épiscopat.  Un  religieux  de  l'Ordre  de  Cîteaux,  qui  faisait  son  oraison,  vit 
monter  son  âme  au  ciel  sous  la  forme  d'un  petit  enfant  environné  d'une 
nuée. 

Son  corps,  conformément  à  son  testament,  fut  porté  en  l'église  du  cou- 
vent de  Saint-Marc.  Le  pape  Pie  II,  qui  était  alors  à  Florence,  donna  sept 
ans  et  autant  de  quarantaines  d'indulgences  à  tous  ceux  qui  le  visiteraient 


440  10  mai. 

et  lui  baiseraient  les  pieds.  Il  demeura  huit  jours  ainsi  exposé,  exhalant  une 
Irès-agréable  odeur.  Il  s'est  fait  plusieurs  miracles  à  son  tombeau,  d'après 
lesquels  le  pape  Adrien  VI  fit  le  décret  de  sa  canonisation,  l'an  1523.  La 
bulle  de  canonisation  n'a  été  publiée  que  par  Clément  VII,  successeur 
d'Adrien  VI. 

On  représente  saint  Antonin  tenant  de  la  main  gauche  sa  crosse  épisco- 
pale,  et  dans  la  main  droite  une  balance  où  est  placé,  d'un  côté  le  panier  de 
fruits  que  lui  apporte  un  paysan,  et  de  l'autre  un  bout  de  papier  avec  ces 
mots  :  «  Que  Dieu  vous  le  rende  ».  Nous  avons  raconté  ce  trait.  On  prétend 
que  le  Saint  se  servit  de  la  môme  comparaison  vis-à-vis  d'un  hôtelier  qui  lui 
avait  fourni  un  frugal  repas  dans  un  voyage  :  alors  l'écrit  porte  ces  mots, 
qu'on  récite  aux  grâces  :  Iietribuere  dignare,  Domine,  omnibus  nobis  bona  fa- 
cientibus,  vitam  œlernam  :  «  Récompensez,  Seigneur,  parle  don  de  la  vie 
éternelle,  tous  ceux  qui  nous  font  du  bien  ».  On  place  près  de  lui  le  titre 
de  ses  ouvrages  :  Summa  theologica  ;  opus  Chronicorum,  etc.  On  lui  attribue 
aussi  le  lis  de  la  virginité  ;  mais  l'attribut  principal  du  Saint  est  évidem- 
ment la  balance. 

ÉCRITS  DE  SAINT  ANTONIN. 

Nous  avons  plusieurs  écrits  de  saint  Antonin  : 

1°  Une  Somme  théologique,  divisée  en  quatre  parties.  On  y  trouve  une  explication  des  vertus 
et  des  vices,  avec  les  motifs  qui  portent  à  la  pratique  des  unes  et  à  la  fuite  des  autres. 

2°  Un  Abrégé  d'histoire,  appelé  aussi  Chronique  tripartite,  depuis  la  création  du  monde 
jusqu'à  l'an  145S.  L'auteur  montre  de  la  sincérité  et  de  la  bonne  foi;  mais  il  manque  souvent 
d'exactitude  lorsqu'il  raconte  des  faits  éloignés  de  son  temps. 

3°  Une  Petite  Somme  où  sont  renfermées  les  instructions  nécessaires  aux  confesseurs. 

4°  Quelques  Sermons  et  quelques  Traités  particuliers  sur  les  vertus  et  les  vices.  Voir  le 
Père  Echard,  de  Script.  Ord.  Prœdicat.,  t.  Ier,  p.  818,  et  les  Ballerini,  dans  la  vie  de  saint 
Antonin,  qu'ils  ont  mise  à  la  tète  de  leur  édition  des  œuvres  du  saint  archevêque.  Le  Père  Mamachi 
a  donné  aussi  une  édition  de  la  Somme  théologique  de  saint  Antonin,  avec  des  notes  très-prolixes. 
Elle  parut  à  Florence  en  1741. 

Le  pape  Clément  VII  fit  aussi  e'crire  sa  Vie  par  le  Père  Vincent  Mainard  de  Géminien,  procureur 
général  de  l'Ordre  de  Saint-Dominique.  C'est  celle  qui  est  rapportée  au  troisième  tome  de  Surius,  et  que 
nous  avons  suivie  en  ce  recueil,  avec  d'autres  documents  que  les  continuateurs  de  Bollaadus  ont  donnés  an 
public. 


LE  PATRIARCHE  JOB  (1500  ans  av.  J.-C). 

Le  patriarche  Job  naquit  dans  la  terre  de  Hus,  pays  situé  entre  l'Idumée  et  l'Arabie,  vers  l'an 
1700  avant  Jésus-Christ.  11  était  un  modèle  de  vertus,  craignant  Dieu,  élevant  ses  enfants  dans  la 
piété.  Le  Seigneur,  qui  se  plaisait  lui-même  à  rendre  témoignage  de  la  sainteté  de  son  serviteur, 
permit  au  démon  de  lui  faire  subir  les  épreuves  les  plus  terribles,  à  condition  qu'il  lui  laisserait  la 
vie  sauve.  Aussitôt  toute  sa  fortune,  qui  était  considérable,  disparaît;  ses  enfants  périssent  écrasés 
sous  les  ruines  d'une  maison,  et  ces  tristes  nouvelles  lui  sont  apportées  l'une  après  l'autre,  sans 
le  moindre  intervalle.  A  chacune,  Job  se  contente  de  répondre  :  Dieu  me  les  avait  donnés,  Dieu 
me  les  a  ôtés,  il  n'est  arrivé  que  ce  qui  lui  a  plu  ;  que  son  saint  nom  soit  béni.  Le  démon,  vaincu 
par  cette  patience  héroïque,  l'affligea  dans  son  corps  en  lui  envoyant  une  lèpre  hideuse,  qui  l'in- 
fecta de  la  tète  aux  pieds.  Job,  repoussé  de  la  société  de  ses  semblables,  se  vit  réduit  à  se  con- 
finer sur  un  fumier,  et  à  racler  avec  un  morceau  de  pot  cassé  le  pus  qui  sortait  de  ses  plaies.  Sa 
femme,  la  seule  personne  de  sa  famille  que  le  démon  lui  avait  laissée,  vint  ajouter  à  ses  maux 
en  lui  reprochant  sa  piété,  qui  ne  lui  avait  servi  de  rien,  et  en  insultant  à  son  infortune.  Job, 
pour  toute  réponse,  lui  dit  :  Puisque  nous  avons  reçu  des  biens  de  la  main  de  Dieu,  pourquoi 
n'en  recevrions-nous  pas  aussi  des  maux? 


LE   PATRIARCHE   JOB.  441 

Trois  de  ses  amis  vinrent  le  visiter  et  furent  pour  lui  des  consolateurs  d'autant  plus  importuns, 
qu'ils  confondaient  les  maux  que  le  Seigneur  envoie  aux  justes  pour  les  éprouver  avec  ceux  qu'il 
inflige  aux  méchants  pour  les  punir,  et  ils  s'efforcèrent  de  lui  prouver  que  s'il  souffrait,  c'est  qu'il 
l'avait  mérité.  Job  se  justifie  avec  calme  et  modération,  et  Dieu  lui-même  prend  en  main  la  cause 
de  son  serviteur,  fait  éclater  son  innocence,  lui  rend  d'autres  enfants,  des  biens  plus  qu'il  n'eu 
avait  perdus,  et  le  guérit  de  sa  lèpre.  Après  une  longue  carrière,  il  mourut  vers  l'an  1500  avant 
Jésus-Christ,  âgé  de  plus  de  deux  siècles.  Quelques  auteurs  ont  prétendu  que  Job  était  un  per- 
sonnage imaginaire,  et  que  le  livre  qui  porte  son  nom  était  moins  une  histoire  qu'une  fiction  ; 
mais  cette  opinion  est  contredite  par  l'autorité  d'Ezéchiel  et  de  Tobie,  qui  parlent  de  lui  comme 
d'un  personnage  qui  a  réellement  existé  ;  l'apôtre  saint  Jacques,  qui  le  propose  comme  un  mo- 
dèle de  patience,  combat  aussi  ce  sentiment  qui  a  contre  lui  toute  la  tradition,  tant  celle  des 
Juifs  que  des  Chrétiens.  Le  livre  de  Job  est  écrit  en  vers  dans  l'original  ;  aussi  est-il  étincelant 
de  beautés  poétiques  du  premier  ordre. 

Personne  (hors  ceux  qui  ont  voulu  prendre  Job  pour  un  personnage  parabolique)  n'a  douté 
qu'il  n'eût  été  enterré  dans  son  pays;  mais  tout  le  monde  n'a  point  été  d'accord  touchant  ce  qui 
est  arrivé  à  son  corps.  Entre  ceux  qui  estiment  que  jamais  il  ne  fut  remué  du  lieu  de  la  sépul- 
ture, quelques-uns  prétendent  que  son  tombeau  s'est  conservé  jusqu'en  ces  derniers  siècles  aux 
extrémités  de  l'idumée,  où  ils  mettent  la  terre  de  Hus,  près  de  Bosra,  ville  de  l'Arabie  Pétrée,  et 
où  s'étendait  autrefois  le  partage  de  la  tribu  de  Manassès.  L'on  montre  encore  aux  voyageurs  et 
aux  pèlerins  de  notre  temps  une  pyramide  que  l'on  dit  avoir  été  érigée  près  de  ce  tombeau,  pour 
y  servir  de  monument  à  la  postérité,  selon  que  les  anciens  avaient  coutume  d'en  user.  D'autres 
ont  prétendu  que  l'on  avait  transporté  son  corps  à  Constantinople.  Il  est  vrai  que  l'on  voyait  en  cette 
ville,  dans  le  vie  siècle,  une  église  et  un  monastère  du  nom  de  Job,  dont  les  archimandrites  ou 
abbés  le  faisaient  considérer  par  leur  mérite  ;  mais  l'histoire  ne  dit  pas  que  les  reliques  de  Job 
aient  donné  lieu  à  la  construction  de  ces  édifices.  Aussi  cette  opinion  de  la  translation  du  corps 
de  Job  à  Constantinople  semble  être  fondée  sur  une  erreur  qui,  dans  les  siècles  postérieurs,  a 
fait  prendre  pour  le  saint  homme  Job  un  sarrasin  ou  arabe  de  ce  nom,  mahométan  de  religion, 
qui  fut  tué  au  siège  de  Constantinople  l'an  672,  et  qui  fut  enterré  au  pied  des  murailles  de  la 
ville.  C'est  du  tombeau  de  ce  dernier  qu'est  venu  le  nom  d'un  faubourg  de  Constantinople,  appelé 
Job,  plutôt  que  du  monastère  du  saint  homme  Job,  quoique  les  Turcs  aussi  bien  que  les  Chrétiens 
du  quartier  se  soient  laissé  persuader  du  contraire. 

Les  prétentions  de  ceux  de  l'Occident  sur  les  reliques  de  Job  ne  paraissent  pas  avoir  plus  de 
fondement.  Ceux  qui  veulent  qu'elles  fussent  à  Rome  dès  le  vne  siècle,  ont  négligé  de  nous  dire 
quand  et  comment  elles  y  étaient  venues.  Ils  n'ont  avancé  cela  que  pour  avoir  le  plaisir  de  feindre 
que  Rotharis,  roi  des  Lombards,  qui  régna  depuis  638  jusqu'en  653,  fit  transporter  de  Rome*à 
Pavie  les  corps  de  Job,  des  deux  Tobies,  de  la  jeune  Sara  et  de  beaucoup  d'autres  Martyrs  de  la 
loi  nouvelle.  On  les  déposa,  dit-on,  dans  l'église  de  Saint-Jean-Baptiste,  et  elles  furent  exposées 
à  la  vénération  publique  dans  la  chapelle  de  Saint-Raphaël,  archange,  où  elles  demeurèrent  jus- 
qu'à ce  qu'elles  furent  furtivement  enlevées,  sans  que  l'on  eût  pu  savoir  dans  la  suite  ce  qu'en 
firent  les  voleurs.  Leur  intention  était  de  dérober  de  véritables  reliques  et  de  nuire  à  ceux  qui  les 
croyaient  telles,  et  qui  les  honoraient  de  bonne  foi.  De  sorte  que  ce  ne  serait  rien  diminuer  de 
l'énormité  de  leur  sacrilège  de  nous  apprendre  que  c'étaient  toutes  fausses  reliques,  que  jamais 
on  ne  vit  à  Rome  les  os  ni  de  Job  ni  des  deux  Tobies.  et  que  de  plus,  il  est  faux  que  le  roi  Ro- 
tharis ait  jamais  rapporté  des  reliques  de  Rome,  qu'on  lui  aurait  données  par  reconnaissance, 
comme  on  le  dit,  pour  avoir  secouru  et  délivré  la  ville  des  Barbares  ;  ce  qui  est  une  autre  fiction, 
capable  de  faire  rire  ceux  qui  savent  que  les  rois  lombards  n'ont  jamais  fait  que  du  mal  à  la  ville 
de  Rome. 

Outre  le  tombeau  de  Job  qu'Alfonse  Tostat,  évèque  d'Avila,  disait  subsister  encore  de  son 
temps  près  du  Jourdain,  être  toujours  visité  avec  une  grande  dévotion  par  les  peuples,  il  semble 
que  son  fumier  fut  respecté  aussi  comme  les  reliques,  au  moins  du  temps  de  saint  Chrysostome. 
S'il  faut  prendre  littéralement  et  sans  figure  ce  que  ce  Père  a  dit  au  peuple  d'Antioihe,  on  sera 
obligé  de  reconnaître  que  ce  fumier,  tout  autrement  précieux  que  le  trône  des  rois  et  le  lit  des 
reines,  attirait  en  Arabie  une  infinité  de  pèlerins  d'au-delà  des  mers  et  des  extrémités  de  la  terre, 
pour  voir  ce  théâtre  des  combats  et  de  la  patience  victorieuse  du  saint  homme,  et  en  tirer  des 
instructions. 

Entre  les  saints  personnages  qui  ont  paru  devant  et  après  Jésus-Christ,  l'Eglise  n'en  connaît 
guère  qui  ait  mérité  plus  de  culte  et  de  vénération  que  Job,  qui  a  eu  l'avantage  d'être  Saint  dans 
tous  les  états  de  sa  vie,  dans  le  repos  et  la  prospérité,  de  même  que  dans  les  calamités  et  les  dou- 


4:42  10  mai. 

leurs,  selon  le  témoignage  de  Dieu  même  qui  voulut  le  faire  éprouver  par  Satan,  c'est-à-dire  pat 
l'ennemi  du  genre  humain,  le  seul  qui  osât  contester  cette  sainteté  dans  l'Ecriture.  11  est  repré- 
senté dans  Ezéchiel  comme  un  ami  de  Dieu,  capable  d'intercéder  pour  les  autres,  jusqu'à  faire  de 
lui  comme  de  Noé  et  de  Daniel  une  espèce  de  proverbe,  pour  dire  que  quand  il  se  trouverait 
parmi  les  pécheurs  et  les  impies  des  justes  aussi  saints  que  ces  trois,  ils  n'empêcheraient  pas 
que  Dieu  punit  le  péché  des  autres  dans  sa  colère,  mais  que  leur  justice  leur  servirait  à  se  sauver 
eux-mêmes.  Job  avait  déjà  été  reçu  intercesseur  de  son  vivant  auprès  de  Dieu  pour  ses  trots  amis. 
Outre  qu'il  est  proposé  dans  le  livre  de  Tobie  comme  un  modèle  de  la  patience  sanctifiante,  il  semble 
que  l'apôtre  saint  Jacques  ait  voulu  le  canoniser  encore  dans  son  Epitre  :  «  Vous  voyez  ».  dit-il, 
«  que  nous  appelons  les  prophètes  Bienheureux  de  ce  qu'ils  ont  tant  souffert  ;  vous  avez  appris 
quelle  a  été  la  patience  de  Job,  et  vous  avez  vu  la  fin  dont  le  Seigneur  l'a  couronnée  ». 

L'Eglise  fait  profession  d'honorer  Job  comme  un  prophète,  comme  un  Martyr,'et  comme  le  type 
ou  la  figure  de  Jésus-Christ,  d'autant  plus  parfaite  qu'il  a  joint  les  souffrances  avec  l'innocence. 
C'est  ce  que  l'on  trouve  expliqué  par  les  saints  Pères,  avec  autant  d'étendue  et  de  variété  que 
pouvait  le  demander  l'importance  du  sujet,  pour  former  des  modèles  à  tous  les  fidèles.  Les  Grecs 
t  les  Orientaux  ont  choisi  le  sixième  jour  de  mai  pour  faire  la  fête  de  Job  dans  leurs  églises  :  ce 
qui  se  pratique  aussi  chez  les  chrétiens  d'Arabie,  d'Egypte  et  d'Ethiopie,  chez  les  Russes  ou  les 
Moscovites  et  les  autres  peuples  qui  se  gouvernent  sur  le  rit  des  Grecs.  Les  Latins  ont  mieux 
aimé  assigner  son  culte  au  dix  du  même  mois.  C'est  le  premier  des  Saints  de  l'Ancien  Testament, 
après  les  frères  Macchabées,  martyrs,  à  qui  l'Eglise  d'Occident  ait  entrepris  de  décerner  publique- 
ment ces  honneurs  religieux.  Les  anciens  martyrologes  du  nom  de  saint  Jérôme  se  servent  des 
termes  de  jour  natal  et  de  déposition,  mais  qui  ne  signifient  rien  ici.  Ils  donnent  à  Job  la  qualité 
de  prophète  ;  ce  qui  a  été  observé  dans  les  suivants,  depuis  ceux  d'Adon  et  d'Usuard  jusqu'au 
romain  moderne.  Saint  C.hrysostome  lui  avait  déjà  attribué  celle  de  Martyr,  comme  ont  fait  d'au- 
tres encore  depuis.  Quelques  autres  martyrologes  ne  le  marquent  qu'au  onze  du  même  mois.  Un 
calendrier  Julien  le  met  au  neuf.  Et  il  est  remarquable  que  toutes  les  églises  de  la  terre  se  sont 
accordées  à  le  mettre  dans  le  même  mois,  et  dans  l'espace  de  six  jours;  ce  qui  ne  se  trouve  guère 
en  ceux  qui  ont  un  culte  étendu  en  Orient  et  en  Occident. 

Nous  ne  connaissons  point  de  Saints  parmi  les  Prophètes  et  les  autres  justes  qui  ont  précédé 
Jésus-Christ  en  l'honneur  de  qui  on  ait  dressé  des  églises  et  des  chapelles  en  plus  grand  nombre. 
On  en  voit  en  Italie  plus  qu'en  aucun  autre  pays  des  Latins.  Son  office  est  de  rit  semi-double  à 
Venise  et  par  tout  le  diocèse,  de  même  que  celui  du  prophète  Jérémie.  On  solennise  sa  fête 
comme  celle  des  plus  célèbres  d'entre  les  saints  venus  depuis  Jésus-Christ,  dans  plusieurs  villes  de 
Lombardie,  de  Toscane,  de  l'Etat  ecclésiastique  de  Rome.  Il  y  est  devenu  le  patron  d'un  nombre 
prodigieux  d'hôpitaux.  Les  malades  de  diverses  espèces,  principalement  ceux  qui  étaient  attaqués 
de  la  lèpre,  de  la  ladrerie,  de  la  galle  et  de  la  vérole  en  Italie,  se  sont  mis  sous  sa  protection 
particulière  pour  obtenir  ou  leur  guérison,  ou  le  don  de  la  patience  qui  leur  est  nécessaire,  par  son 
intercession.  Outre  son  office  public  reçu  et  approuvé  de  l'Eglise,  il  y  avait  une  messe  votive  du 
bienheureux  Job  contre  le  mal  de  Naples,  que  les  Italiens  ont  mieux  aimé  appeler  mal  français. 
Quoiqu'elle  se  trouvât  dans  les  missels,  principalement  dans  le  romain,  le  bienheureux  pape  Pie  V 
ne  laissa  point  de  la  supprimer  et  de  l'interdire,  mais  sans  nuire  au  culte  du  bienheureux  Job 
dans  les  lieux  où  il  se  trouvait  établi.  Cette  messe  propre  fut  rétablie  néanmoins  dans  le  siècle 
suivant  pour  les  églises  d'Espagne,  où  l'on  est  travaillé  plus  qu'ailleurs  du  mal  des  écrouelles, 
qui  sont  comprises  parmi  les  espèces  contre  lesquelles  on  réclame  l'intercession  de  Job.  C'est 
ce  qui  se  fit  par  l'autorité  du  Saint-Siège,  et  qui  se  renouvela  en  dernier  lieu  sous  le  pape  Clé- 
ment IX.  La  contestation  survenue  à  Rome  sous  Innocent  XI,  en  1680,  à  l'occasion  de  la  chapelle 
d'un  hôpital  que  l'on  voulait  dédier  sous  le  nom  du  bienheureux  Job,  dans  la  ville  d'Albano,  n'a 
servi  qu'à  autoriser  davantage  son  culte. 

La  France  et  les  Pays-Bas  ont  admis  aussi  le  culte  public  de  Job,  quoiqu'avec  moins  d'étendue 
et  moins  d'éclat  peut-être  que  l'Italie  et  l'Espagne.  On  y  voit  des  tableaux  consacrés  sur  une 
infinité  d'autels,  surtout  dans  les  hôpitaux.  Le  cardinal  de  Bérulle  ayant  dressé  un  calendrier  et 
un  bréviaire  pour  la  Congrégation  de  l'Oratoire,  qu'il  avait  fondée  en  France,  fit  composer  un 
office  de  rit  semi-double  avec  la  messe  pour  le  jour  de  la  fête  de  Job,  au  dix  de  mai.  11  le  publia 
et  le  fit  observer  par  l'autorité  du  Siège  apostolique,  et  la  permission  expresse  des  évèques  du 
royaume,  après  que  l'affaire  eut  été  longtemps  examinée,  débattue,  et  confirmée  en  diverses 
assemblées  et  chapitres  généraux. 

On  représente  naturellement  le  saint  homme  Job  couché  sur  son  fumier  et-  couvert  d'ulcères  ; 
son  image  se  multiplia  surtout  au  svie  siècle,  où  l'usage  de  l'invoquer  contre  le  mal  vénérien 


S.    ADELPHE,    S.   PHILADELPHE   ET   S.    CYRLN,    MARTYRS,   ETC.  443 

fut  peut-être  répandu  par  le  souvenir  de  ces  paroles  de  l'Ecriture  :  «  Le  diable  le  frappa  d'un 
ulcère  malin  ».  (Job,  n,  7.) 

Outre  les  lépreux  et  les  syphilitiques,  le  saint  homme  Job  a  pour  clients  les  gens  mélancoli- 
ques et  accablés  de  chagrin  ;  sans  doute  à  cause  du  peu  de  consolation  que  sa  femme  et  ses  amis 
apportèrent  à  ses  peines. 

Cf.  Baillct,  Petin,  le  Père  Cahier. 


S.  ADELPHE,  S.  PHILADELPHE  ET  S.  GYRIN,  MARTYRS, 
Ste  THÈCLE,  Ste  JUSTINE,  VIERGES  *,  ET  Ste  ISIDORA  (vers  255-260). 

La  ville  de  Lentini,  en  Sicile  (Leontium),  vit  naître  Thècle  et  Justine  :  elles  étaient  cou- 
sines-germaines et  appartenaient  à  des  familles  aussi  nobles  que  pieuses.  La  mère  de  Thècle, 
Isidora,  qui  a  mérité  par  sa  vie  pure  d'être  honorée  comme  Sainte,  les  éleva  toutes  deux  ensemble 
dans  la  crainte  et  l'amour  de  Dieu.  Cette  femme,  supérieure  aux  faiblesses  trop  communes  des 
mères  même  chrétiennes,  sut  inspirer  à  ces  deux  jeunes  filles  un  amour  sincère  de  la  virginité.  Thècle 
perdit  de  boune  heure  cette  tendre  more  ;  maie  les  deux  cousines  étaient  prêtes  au  grand  combat 
de  la  vie.  Demeurées  héritières  de  grands  biens,  elles  vécurent  dans  un  strict  esprit  de  pauvreté, 
usèrent  de  leurs  revenus  pour  le  soulagement  des  pauvres  et  notamment  des  chrétiens  persécutés 
pour  la  foi,  les  soignant  dans  les  prisons,  rachetant  leurs  corps  après  le  supplice  et  leur  procurant 
une  sépulture  digne  des  membres  de  Jésus-Christ. 

Le  Seigneur,  qui  mesure  les  épreuves  au  degré  de  sainteté  auxquelles  il  veut  élever  les  âmes 
qu'a  choisies  sa  droite,  permit  que  Thècle  tombât  dans  une  paralysie  qui  dura  six  ans  et  que 
Justine  perdit  un  œil  par  accident  ;  mais  Dieu,  qui  ne  châtie  que  pour  récompenser,  devait,  dès  ce 
inonde,  manifester  sa  puissance  en  leur  faveur.  —  Les  intrépides  confesseurs  de  la  foi,  Adelphe, 
Philadelphe  et  Cyrin  étant  venus,  en  un  moment  où  la  persécution  s'était  ralentie,  visiter  et  con- 
soler les  deux  vierges,  se  mirent  pour  elles  en  prières,  et,  armés  de  la  confiance  en  Dieu,  les 
marquèrent  du  signe  de  la  croix.  Par  une  de  ces  merveilles  auxquelles  la  prière  des  martyrs  avait 
accoutumé  les  chrétiens,  les  yeux  de  Justine  s'ouvrirent  et  les  membres  de  Thècle  revinrent  à  la  vie. 

Les  deux  vierges  reprirent  dès  lors,  avec  une  ardeur  nouvelle,  le  cours  de  leurs  bonnes  œuvres  : 
elles  eurent  à  soulager  en  particulier  leurs  bienfaiteurs  qui  passèrent  deux  années  entières  en 
prison  avant  de  subir  le  glorieux  supplice  qui  devait  les  envoyer  au  ciel.  L'un  mourut  par  le  glaive 
et  les  deux  autres  par  le  feu.  Justine  et  Thècle  recueillirent  pieusement  leurs  corps  qui  avaient 
été  jetés  à  l'eau  et  les  ensevelirent  avec  vénération.  Dénoncée  pour  ce  fait  même  à  Tertulle,  ce 
féroce  gouverneur  qui  fit  tant  de  victimes  en  Sicile,  Thècle  comparut  devant  lui  :  mais  Dieu  ne 
voulait  pas  encore  priver  la  terre  de  cet  appui  des  chrétiens  et  des  pauvres.  Tertulle  mourut  et 
Thècle  fut  remise  en  liberté.  Toujours  de  moitié  dans  ses  bonnes  œuvres  avec  sa  sainte  coopéra- 
trice  Justine,  elle  travailla  à  l'œuvre  de  Dieu  par  tous  les  moyens  dont  peut  disposer  une  femme  ; 
elle  fournissait  à  la  subsistance  des  ministres  de  l'autel,  élevait  des  églises  et  des  oratoires, 
propageait  le  culte  de  la  Mère  de  Dieu  :  elle  obtint  même  l'érection  d'un  évèché  à  Lentini  et 
pourvut  à  sa  dotation.  Justine  et  Thècle,  parvenues  toutes  deux  au  terme  de  leur  carrière  et  de 
leurs  bienfaits,  reçurent,  de  la  part  des  trois  frères  martyrs,  l'avertissement  de  se  préparer  :  un 
mois  après,  elles  étaient  dans  le  ciel  du  nombre  des  épouses  de  l'Agneau  sans  tache. 

Les  saints  Adelphe,  Philadelphe  et  Cyrin  sont,  après  Notre-Dame,  les  patrons  de  Lentini.  Les 
Italiens  appellent  saint  Adelphe  saint  Alûo. 

Nous  n'avons  trouvé  nulle  part  des  traces  du  culte  de  sainte  Isidora,  de  sainte  Justine  et  de  sainte 
Thècle  2. 

1.  Nous  avons  mentionne'  sainte  Thècle  et  sainte  Justine  an  10  janvier;  mais,  comme  leur  vie  se  rat- 
tache a  celle  des  trois  martyrs  Adelphe,  Philadelphe  et  Cyrin,  nous  avons  renvoyé  leur  notice  à  ce  jour. 

'2.  Apres  avoir  lu  les  46  pages  in-fu  que  les  Bollandistes  consacrent  à  ces  Martyrs,  notre  conviction  est  celle 
de  ces  savants  hagio_jraphes  :  c'est-à-dire  que  les  Actes  qui  les  concernent  ont  été  interpolés  et  qu'on  ne  sait 
rien  de  certain  a  leur  égard  :  une  seule  chose  est  hors  de  doute,  c'est  la  célébrité  de  leur  culte  chez  les 
Siciliens  et  les  Grecs.  11  fut  un  temps  où  les  Actes  des  Martyrs  étaieut  un  thème  à  romans  :  ceux  des 
saints  Adelphe,  Philadelphe  et  Cyrin  ont  eu  la  mauvaise  fortune  de  servir  de  trame  a  des  broderies.  De 
l'a,  la  difficulté  de  distinguer  le  vrai  du  faux.  Nous  l'avons  essayé,  et  nous  pensons  qu'on  peut  s'en  tenir  à 
notre  récit  abrégé. 


44  i  10  MAL 

S.  GORDIEN,  S.  ÉPIMAQUE,  Ste  MARINE,  S.  JANVIER,  MARTYRS 

(362). 

Julien,  surnommé  l'Apostat,  ne  voulant  pas,  à  son  avènement  à  l'empire,  se  priver  entièrement 
de  la  réputation  de  prince  débonnaire,  dissimula  quelque  temps  la  haine  qu'il  avait  contre  les 
chrétiens.  Mais,  quoiqu'il  ne  se  déclarât  pas  ouvertement  leur  ennemi,  il  faisait  cependant  exécuter 
contre  eus  toutes  sortes  de  cruautés  par  ses  lieutenants,  envoyant  pour  cela,  dans  les  provinces, 
ceux  qu'il  savait  être  les  plus  grands  ennemis  de  la  foi,  afin  que  les  excès  qu'ils  commettraient 
fussent  plutôt  imputés  à  leur  haine  particulière  qu'aux  ordres  qu'il  aurait  pu  leur  donner.  Gordien 
fut  un  de  ces  juges,  et  Julien  lui  donna  le  vicariat  de  la  ville  de  Rome,  sous  le  préfet  Apronien, 
afin  qu'il  put  contenter  la  haine  qu'il  avait  contre  les  fidèles.  Il  y  avait  alors  dans  les  prisons  un 
vénérable  prêtre,  nommé  Janvier,  avec  qui  ce  juge  lia  souvent  des  entretiens.  Dieu  lui  toucha  enfin  le 
cœur  par  son  ministère  :  il  ouvrit  les  yeux  aux  rayons  de  la  lumière  divine  et  résolut  de  se  faire 
chrétien  ;  il  fut  baptisé  par  Janvier,  avec  Marine,  sa  femme,  et  cinquante-deux  personnes  de  sa 
famille.  Clémentien,  tribun  du  peuple,  l'ayant  su,  en  informa  aussitôt  l'empereur,  qui  cassa  Gordien 
et  donna  sa  charge  au  dénonciateur.  Celui-ci,  étant  devenu  juge  de  Gordien,  le  fit  amener  devant 
lui,  lui  reprocha  son  ingratitude  envers  l'empereur  et  lui  fit  de  grandes  menaces  s'il  ne  consentait 
à  sacrifier  aux  idoles.  Gordien  demeura  ferme  ej.  inébranlable  dans  sa  foi,  se  moquant  de  Julien 
et  de  ses  faux  dieux.  Clémentien  le  fit  fouetter  avec  une  cruauté  indigne,  non-seulement  d'un 
citoyen  romain,  mais  même  d'un  barbare  et  d'un  scythe;  il  lui  fit  briser  les  os  avec  des  cordes 
plombées,  et,  lui  ayant  fait  trancher  la  tète,  il  ordonna  que  son  corps  fût  exposé  sur  les  grauds 
chemins,  avec  défense  de  lui  rendre  les  devoirs  de  la  sépulture.  Cependant  la  Providence  divine 
permit  qu'il  fût  gardé  par  les  chiens.  Il  fut  cinq  jours  en  cet  état,  au  bout  desquels  un  domestique 
de  Gordien,  assisté  de  quelques  chrétiens,  l'enleva  la  nuit  et  l'enterra  dans  le  même  caveau  où  l'on 
avait  déposé  celui  de  saint  Epimaque. 

Saint  Epimaque  avait  souffert  le  martyre  à  Alexandrie,  vers  250,  avec  un  autre  chrétien  nommé 
Alexandre.  On  les  jeta  d'abord  tous  deux  dans  une  affreuse  prison  :  on  les  en  retira  ensuite  pour 
les  fustiger  et  leur  déchirer  les  côtés.  Enfin  ils  furent  brûlés  dans  la  chaux  vive.  Les  reliques  de 
saint  Epimaque  furent  apportées  d'Alexandrie  à  Rome.  Elles  sont  aujourd'hui  avec  celles  de  saint 
Gordien,  au  diocèse  d'Augsbourg,  dans  l'abbaye  de  Kempten,  qui  fait  partie  du  royaume  de  Bavière. 

L'Eglise  joignant  dans  son  office  cet  autre  Bienheureux  à  saint  Gordien ,  nous  croyons 
devoir  ajouter  un  mot  en  passant.  Plusieurs  martyrologes  le  font  natif  de  Rome,  et  met- 
tent son  supplice  en  cette  capitale  du  monde,  de  même  que  celui  de  saint  Gordien.  Mais  le 
Bréviaire  et  le  martyrologe  romain  portent  qu'il  endura  la  mort  à  Alexandrie,  ainsi  que  nous 
venons  de  le  dire,  et  qu'y  ayant  été  consumé  par  le  feu,  ses  cendres  furent  apportées  à  Borne  par 
les  chrétiens  et  déposées  dans  la  grotte  où  le  corps  de  saint  Gordien  fut  depuis  enseveli. 

Pour  ce  qui  est  de  Marine,  femme  de  saint  Gordien,  elle  fut  condamnée  par  ignominie  à 
labourer  la  terre  dans  un  lieu  appelé  autrefois  Aquas  Salvis,el  aujourd'hui  les  fontaines  de  saint 
Paul,  elle  y  finit  ses  jours  en  la  confession  de  Jésus-Christ.  Quant  à  saint  Janvier,  il  fut  marqué 
au  visage  par  infamie;  le  reste  de  ses  supplices  et  le  genre  de  sa  mort  nous  sont  inconnus. 

Voilà  tout  ce  que  l'on  sait  du  martyre  de  saint  Gordien,  dont  il  est  fait  me'moire  dans  tous  les  mar- 
tyrologes, avec  saint  Epimaque,  le  10  mai.  Le  cardinal  Baronius  en  parle  en  cet  endroit  et  dans  le  qua- 
trième tome  de  ses  Annales,  où  il  ne  manque  pas  de  remarquer  l'erreur  de  plusieurs  auteurs  qui  décrivent 
ce  martyre  comme  s'il  se  fût  passé  en  la  présence  de  Julien,  quoique  cet  empereur  n'ait  jamais  été  à 
Rome  durant  son  règne. 


SAINT  MATHURIN  DE  MONTCHAUDE. 

Le  21  février  1872,  M.  Gayraud,  curé  de  Montchaude,  canton  de  Barbézieux  (diocèse  d'Angou- 
lême),  a  eu  la  bonté  de  nous  adresser  sur  saint  Mathurin  les  renseignements  qu'on  va  lire  : 

«  Saint  Mathurin,  honoré  à  Montchaude,  est  l'objet  d'un  pèlerinage  immémorial.  Tous  les  ans, 
le  10  mai,  on  voit  arriver,  dès  les  premières  heures  du  jour,  de  nombreux  étrangers,  dont  plusieurs 


MARTYROLOGES.  445 

ont  fait  quelquefois,  à  pied,  plus  de  dix  lieues,  dans  l'espoir  d'obtenir,  pour  eux-mêmes  ou  pour 
ceux  qui  leur  sont  chers,  des  faveurs  spirituelles  ou  corporelles.  Depuis  neuf  ans  que  j'exerce  le 
saint  ministère  dans  cette  paroisse,  j'ai  toujours  vu  une  grande  affluence  en  ce  jour.  Jamais  l'église 
n'a  pu  contenir  la  foule.  Je  ne  puis  évaluer  a  moins  de  quatre  mille,  le  nombre  des  personnes 
qui,  en  1866,  se  rendirent  à  cette  cérémonie.  Cette  année-là,  la  fête  de  notre  Saint  coïncidait  avec 
la  fête  de  l'Ascension.  Dès  six  ou  sept  heures  du  matin,  des  pèlerins  se  rendent  à  l'église  pour 
faire  bénir  soit  des  objets  de  piété,  soit  de  petits  pains,  du  vin,  des  gâteaux,  etc.,  etc.,  ou  pour 
faire  dire  sur  eux  des  Evangiles.  A  neuf  heures,  la  procession  s'organise  et  se  dirige  en  chantant 
les  Litanies  des  Saints,  vers  le  tombeau  du  Saint,  qui  s'élève  eu  forme  d'autel,  surmonté  d'une 
croix  de  pierre,  au  milieu  d'un  petit  bois,  à  une  distance  d'un  kilomètre  environ  de  l'église.  Là,  on 
chante  l'antienne  Hic  vu-...,  tirée  de  l'office  d'un  confesseur  non  pontife,  suivie  du  verset  et  de 
l'Oraison.  Après  la  bénédiction  des  divers  objets  déposés  sur  le  tombeau  et  l'offrande,  pendant 
laquelle  on  offre  à  baiser,  à  tous  ceux  qui  y  prennent  part,  un  tableau  représentant  un  religieux 
solitaire,  la  procession  reprend  le  chemin  de  l'église,  où  l'on  célèbre  immédiatement  la  messe 
Os  Justi,  d'un  confesseur  non  pontife,  autorisée  par  l'Ordinaire.  La  messe  chantée,  il  y  a  bénédic- 
tion des  objets  qui  sont  présentés,  lectures  d'Evangiles  et  la  cérémonie  est  terminée. 

«  Ce  n'est  pas  seulement  le  10  mai  que  le  tombeau  de  saint  Mathurin  attire  des  pèlerins,  il 
est  encore  visité  dans  le  cours  de  l'année  ;  on  y  trouve  quelquefois  des  ex-voto  et  on  y  voit  des 
cierges  allumés  pendant  la  nuit.  La  tradition  ne  dit  pas  si  le  tombeau  a  jamais  été  ouvert  pour 
examiner  l'état  des  reliques  du  Saint. 

«  Malgré  mes  recherches,  je  n'ai  pu  rien  trouver  d'écrit  sur  la  vie  de  saint  Mathurin  de  Mont- 
chaude,  ni  sur  l'origine  de  son  culte.  La  tradition  ne  dit  rien  de  précis,  non  plus,  ni  sur  sa  vie, 
ni  sur  l'époque  de  sa  vie.  On  prétend  qu'il  habitait  un  village,  voisin  de  son  tombeau,  qui  existe 
encore  aujourd'hui  et  qu'on  nomme  Chez  Maran.  Après  une  vie  sainte  et  solitaire,  son  corps  aurait 
été  déposé  à  l'endroit  où  s'élève  le  pauvre  monument  dont  j'ai  parlé.  Son  culte  ne  peut  s'expliquer 
sans  l'existence  de  faits  merveilleux  qui  auront  éclaté  pendant  sa  vie  et  surtout  après  sa  mort  et 
qui  se  renouvellent  encore  de  temps  en  temps.  J'ai  été  témoin  moi-même  de  quelques  guérisons 
étonnantes,  à  l'occasion  des  neuvaines  faites  à  saint  Mathurin.  Monsieur  le  curé  de  Saiute-Lheu- 
rinne  (Charente-Inférieure),  m'a  raconté  qu'une  de  ses  paroissiennes,  que  ses  parents  avaient  été 
obligés  de  monter  et  de  conduire  sur  une  charrette,  avait  été  subitement  guérie  le  jour  de  la  Saint- 
Mathurin,  et  qu'elle  avait  pu  s'en  retourner  à  pied.  J'ai  vu  cette  personne  deux  ou  trois  fois  à 
Montchaude,  le  10  mai.  Elle  venait  communier  et  visiter  le  tombeau  de  saint  Mathurin  en  actions 
de  grâces  ». 

Notes  locale*. 


XIe  JOUR  DE  MAI 


MARTYROLOGE   ROMAIN. 

A  Rome,  sur  la  voie  Salaria,  la  fête  de  saint  Anthime,  prêtre,  qui,  après  une  vie  pleine  de 
vertus  et  de  prédications  merveilleuses,  fut  précipité  dans  le  Tibre,  pendant  la  persécution  de 
Dioclétien,  et  en  fut  retiré  par  le  secours  d'un  ange  qui  le  rapporta  dans  son  oratoire;  il  eut  ensuite 
la  tête  tranchée,  et  s'envola  victorieux  dans  le  ciel.  ive  s.  —  Le  même  jour,  saint  Evelle,  martyr, 
de  la  maison  de  Néron,  qui,  voyant  la  constance  de  saint  Torpés  '  dans  ses  tourments,  crut  en  Jésus- 
Christ,  pour  lequel  il  fut  aussi  lui-même  décapité.  —  A  Rome  encore,  les  saints  martyrs  Maxime, 
Bassus  et  Fabius,  exécutés  sous  Dioclétien  sur  la  voie  Salaria.  304.  —  A  Camerino,  les  saints 
martyrs  Anastase  et  ses  compagnons,  qui  furent  mis  à  mort  dans  la  persécutiou  de  Dèce,  sous  le 
gouverneur  Antiochu3.  —  A  Osirao,  dans  la  Marche  d'Ancône,  les  saints  martyrs  Sisinnius,  diacre, 
Dioclès  et  Florent,  disciples  de  saint  Anthime,  prêtre,  qui  furent  lapidés,  et  accomplirent  ainsi 
leur  martyre  sous  Dioclétien.  —  A  Varennes,   saint   Gengoul,  martyr.  760.  —  A  Vienne,  saint 

1.  Le  même  que  saint  Tropez,  honoré  en  Provence,  dont  nous  donnons  la  Yie  ailleurs. 


4i<3  11  MAI. 

Mamert,  archevêque,  qui,  pour  détourner  un  fléau  qui  menaçait  son  peuple,  institua  dans  sa  ville 
trois  jours  de  litanies  solennelles  avant  la  fête  de  l'Asceusiou  de  Notre-Seigneur,  que  l'Eglise 
universelle  a  depuis  reçues  et  approuvées.  Vers  477.  —  A  Souvigny,  saint  Mayeul,  abbé  de  Cluny, 
dont  la  vie  fut  illustrée  par  de  saintes  actions.  994.  —  A  San-Severino,  dans  la  Marche  d'Ancône. 
saint  Illuminé,  confesseur.  —  A  Grotaglia,  bourg  du  diocèse  de  Tarente,  saint  François  de 
Girolamo,  confesseur,  de  la  Compagnie  de  Jésus,  homme  d'une  charité  et  d'une  patience  merveil- 
leuses pour  procurer  le  salut  des  âmes,  que  Grégoire  XVI  a  mis  au  nombre  des  Saints  ;  sa  fête  se 
célèbre  à  Naples  avec  un  grand  concours  de  peuple,  daus  l'église  de  la  maison  professe  de  la 
Compagnie  où  son  corps  repose  *.  1716. 

MARTYROLOGE   DE   FRANCE,   REVU  ET   AUGMENTÉ. 

A  Agen,  fête  de  saint  Eutrope,  évêque  de  Saintes.  Le  Propre  d'Agen  place  la  mission  de  saint 
Eutrope  au  Ier  siècle.  —  A  Ax,  dans  le  diocèse  de  Pamiers,  saint  Udaut,  piètre  et  martyr,  dont 
le  corps  a  été  tranféré  a  Ripoll,  en  Catalogne.  452.  —  A  Sens,  sainte  Lissière  ou  Léthère,  vierge 
et  martyre,  dont  les  reliques  reposaient  dans  l'église  de  Saint-Pierre-le-Vif.  —  A  Metz,  les  saints 
évèques  Ruf  et  Agatombre.  Ruf  fut  le  neuvième  et  Agatombre  le  vingtième  évèque  de  Metz.  Ori- 
ginaire de  la  Grèce,  Agatombre  passa  d'abord  en  Italie  d'où  la  persécution  du  roi  goth,  Théodoric, 
le  chassa.  S'étant  retiré  à  Metz,  ses  vertus  le  firent  donner  pour  successeur  à  l'évèque  Gramatius. 
11  travailla  à  orner  sa  cathédrale  et  mourut  saintement.  Ses  restes  allèrent  dormir  dans  la  crypte 
de  baiut-Clément  (530).  Quant  à  saint  Ruf,  il  est  mentionné  au  Martyrologe  romain  le  7  novembre. 
—  A  Séez,  saint  Milehard,  évèque  2.  —  Au  monastère  de  l'Esterp,  dans  le  diocèse  de  Limoges, 
saint  Gautier,  chanoine  régulier  et  abbé,  qui  brilla  par  ses  vertus  et  ses  miracles.  1070.  —  En 
Haiuaut,  saint  Waubert  et  sainte  Bertilie.  père  et  mère  de  sainte  YValtrude  et  de  sainte  Aldegonde. 
H60.  —  En  Dauphiné,  la  translation  du  corps  de  saint  Antoine  le  Grand,  de  Constantinople,  au 
bourg  qui  porte  sou  nom,  où  fut  bâtie  en  son  honneur  une  célèbre  commanderie,  chef-lieu  de 
toutes  les  maisons  de  son  Ordre.  —  A  Pontigny,  le  bienheureux  Guy,  frère  aine  de  saint  Bernard, 
qui  le  vit  à  sa  mort  allant  jouir  de  l'éternité  bienheureuse.  —  A  Tours,  la  fête  de  la  Protection 
de  cette  ville  par  saint  Martin.  —  A  Amiens,  la  fête  de  saint  Ache  et  saint  Acueul,  dont  l'entrée 
au  ciel  est  marquée  le  1er  mai.  —  A  Blois,  la  fête  de  saint  Béat  ou  Bié,  nommé  au  Martyrologe 
romain  le  9  de  ce  mois.  —  A  Montpellier,  la  fête  de  saint  Ponce  de  Thomières,  nommé  au  Marty- 
rologe romain  le  14.  —  A  Reims,  la  fôte  de  saint  Gibrien,  déjà  nommé  le  8  de  ee  mois.  —  A 
Verdun,  la  fête  de  saint  Possesseur  3,  qui  succéda  à  saint  Pulchrone.  Contemporain  des  invasions 
franques,  vandales  et  hunniques,  il  consola  son  peuple  dans  ces  jours  de  la  colère  céleste,  en 
mêlant  ses  larmes  aux  siennes,  en  l'entraînant  aux  pieds  des  autels  et  en  versaut  l'aumône  dans  le 
sein  des  pauvres.  Son  corps,  d'abord  déposé  dans  l'église  de  Saint-Pierre  et  de  Saiut-Paul,  est 
aujourd'hui  vénéré  dans  sa  cathédrale.  Fin  du  v°  s.  —  A  Croix-Gente  ou  Gentille,  près  de  Mon- 
tendre,  dans  le  diocèse  de  la  Rochelle,  bénédiction,  en  1S62,  du  nouveau  sanctuaire  destiné  à 
recevoir  la  statue  de  Notre-Dame  de  Pitié.  Ce  sanctuaire,  ruiné  à  l'époque  des  guerres  de  religion, 
fut  entièrement  rasé  à  l'époque  de  la  Révolution.  Suivant  les  récits  populaires,  la  fondation  de  la 
chapelle  est  due  à  un  fait  touchant.  Un  père,  qui  avait  eu  la  douleur  de  perdre  son  enfant,  fit 
vœu  de  bâtir  une  chapelle  à  l'endroit  même  où  l'enfant  serait  retrouvé.  La  Mère  divine  eut  pitié 
de  ce  pauvre  père  et  lui  rendit  son  fils  dans  l'endroit  où  vient  d'être  rebâtie  la  chapelle  de 
Croix-Gente. 

MARTYROLOGES    DES   ORDRES   RELIGIEUX. 

Martyrologe  des  Chanoines  réguliers.  —  Chez  ceux  de  Latran,  saint  Gautier,  abbé  du 
monastère  de  l'Esterp... 

Martyrologe  des  Bénédictins.  —  Saint  Pierre,  martyr,  mentionné  le  29  avril. 

Maiiijrologe  des  Cisterciens.  —  Au  monastère  de  Bellevaux,  au  diocèse  de  Besançon,  saint 
Pierre,  de  l'Ordre  de  Citeaux,  qui,  d'abbé  du  monastère  de  Tamié,  en  Savoie,  devint  archevêque 
de  Tarentaise,  et  qui,  comblé  de  toute  espèce  de  mérites,  s'en  alla  au  ciel  le  14  septembre  1174. 

Martyrologe  des  Dominicains.  —  A  Cracovie,  eu  Pologne,  saint  Stanislas. 

Martyrologe  des  Franciscains.  —  Saint  Georges,  martyr,  dont  l'Eglise  célèbre  la  fête  le 
23  avril. 

1.  Quelques  Ordres  religieux  célèbrent  aujourd'hui  la  fête  de  saint  Alexandre  1er,  pape.  Voir  sa  Vie 
au  3  mai. 

2.  Voir  la  Vie  de  saint  Sérené  et  Sérénic  ci-dessus. 

3.  Tout  ce  que  l'on  sait  de  saint  Possesseur  se  réduit  a  dire  qu'il  occupait  un  rang  distingué  dans  la 
magistrature  de  Verdun,  qu'il  engagea  fortement  ses  concitoyens  a  choisir  saint  Pulchroue  pour  leur 
évêque,  et  qu'après  la  mort  de  celui-ci,  il  lui  succéda  sur  le  sié0'e  épiscopal  (470-486).  Voir  la  Vie  de 
saint  Pulchrone  au  30  avril. 


SAINT  UDAUT,   PRÊTRE   ET   MARTYR.  447 

Martyrologe  des  Mineurs  conventuels.  —  A  Recanati,  dans  la  Marche  d'Ancône,  le  bienheureux 
Bienvenu  Marene,  confesseur,  de  l'Ordre  des  Mineurs,  remarquable  par  son  admirable  piété  et  par 
l'éclat  de  ses  miracles.  Le  pape  Pie  VII  confirma  le  culte  immémorial  de  ce  saint  homme,  et 
permit  de  célébrer  sa  fête  avec  l'office  de  la  messe  :  sa  bienheureuse  mort  arriva  le  5  de  ce  mois. 

Martyrologe  des  Carmes.  —  A  Randazio,  en  Sicile,  la  fête  du  bienheureux  Aloysius  Rabata, 
de  l'Ordre  des  Carmes,  admirable  par  sa  régularité,  sa  charité  et  l'amour  de  ses  ennemis  *.  1490. 

ADDITIONS  FAITES   D 'APRÈS   LES   BOLLANDISTES   ET  AUTRES   HAGIOGRAPHES. 

Au  monastère  de  Saint-Lambert,  en  Styrie,  la  translation  des  saints  martyrs  romains  Cyrille, 
Eleuthère,  Marcien  et  Dorothée,  qui  eut  lieu  en  1650.  —  A  Constantinople,  saint  Mucius,  prêtre 
et  martyr,  qui  fut  mis  à  mort  de  la  façon  la  plus  cruelle  pour  avoir  renversé  une  idole  de  Baccbus 
en  faisant  le  signe  de  la  croix.  Constantin  le  Grand  fit  élever  une  église  qui  lui  était  dédiée.  C'est 
dans  cette  église  que  fut  lue  la  condamnation  de  Nestorius.  —  A  Altino,  en  Italie,  saint  Népotien, 
prêtre,  dont  l'éloge  a  été  écrit  par  saint  Jérôme,  qui  lui  était  très-attaché.  Vers  396.  —  En  Angle- 
terre, saint  Frémond,  roi  d'une  portion,  de  cette  contrée  et  martyr.  Vers  le  vine  s.  —  A  Naples, 
le  bienheureux  Nicolas,  ermite,  qui  fut  tué  dans  cette  ville  par  un  des  serviteurs  de  Marie,  reine 
de  Jérusalem,  de  Sicile  et  de  Hongrie,  que  la  princesse  chargeait  du  soin  de  porter  ses  aumônes 
au  saint  ermite.  1310.  —  A  Zell,  près  de  Worms,  dans  le  Palatinat,  saint  Philippe,  ermite.  Anglais 
de  naissance,  il  quitta  sa  patrie  et  fit  un  pèlerinage  à  Rome.  Il  vint  ensuite  s'établir,  près  de  Worms, 
en  un  village  qui,  après  sa  mort,  s'appela  Zell  ou  Celulle.  Ses  restes  mortels  ont  été  conservés, 
dans  l'église  de  Zell,  jusqu'en  1531  ;  sa  fête  se  célébrait  le  11  mai  dans  l'ancien  évèché  de  Worms, 
comme  elle  se  fait  encore  aujourd'hui  dans  le  nouveau  diocèse  de  Spire.  L'ermitage  de  Zell  fut, 
au  xne  siècle,  changé  en  un  prieuré  dépendant  de  la  riche  abbaye  de  Hornbach,  près  de  Deux- 
Ponts.  Au  xme  siècle,  le  prieuré  fut  érigé  en  collégiale,  et,  au  xiv°,  il  se  forma  une  Confrérie 
en  l'honneur  de  saint  Philippe,  dont  les  riches  revenus  furent,  à  l'époque  de  la  Réforme,  incor- 
porés par  Jules  II  à  l'Université  d'Heidelberg.  Saint  Philippe  de  Zell  vivait  au  vin6  siècle. 


SAINT  UDAUT,  PRETRE  ET  MARTYR, 

APOTRE  DES  HUNS  DU  DANUBE  ET  DES  VALLÉES  PYRÉNÉENNES  DE  L'ARIÉGE 
452.  —  Pape  :   Saint  Léon  le  Grand.  —  Empereurs  d'Occident  :   Honorius  ;  Valentinien   III. 

Que  ceux  qui  ont  la  charge  des  âmes  ne  calculent 
point  les  dangers  de  leur  mission  ;  qu'ils  se  disent 
comme  l'Apôtre  :  Malheur  à  moi,  si  je  garde  le 
silence.  /  Cor.,  is,  17. 

Au  centre  de  la  vallée  de  la  haute  Ariége,  sillonnée  par  la  limpide  ri- 
vière que  les  généraux  romains  avaient  nommée  Aurigera,  que  les  Vvisi- 
goths  et  les  Francs,  qui  y  dominèrent  après  eux,  appelèrent  Arrega  2,  d'où 
vient,  par  corruption,  le  nom  d' Ariége,  à  sept  kilomètres  en  aval  d'Ax,  on 
voit  se  détacher,  du  flanc  de  la  montagne,  une  tour  massive,  quadrangu- 
laire,  percée  de  plusieurs  rangs  de  baies  géminées  dont  la  construction, 
sans  ornements  et  d'un  style  assez  primitif,  annonce  seule  l'antiquité.  C'est 
là  le  clocher  du  vieux  prieuré  d'inac.  Cette  tour,  encore  solide  et  pleine  de 
vie,  devint,  il  y  a  déjà  presque  huit  cents  ans,  le  clocher  d'une  nouvelle 
église  qui  lui  fut  accolée  après  la  destruction  de  la  première.  Cette  nou- 
velle église,  nonobstant  ses  petites  dimensions,  attire,  plus  que  la  vieille 
tour  de  son  clocher,  l'attention  des  touristes,  par  ses  proportions  et  ses  or- 

1.  Le  culte  du  bienheureux  Prieur  de  Randazio  a  été  approuvé  par  Grégoire  XVI.  Ses  Reliquts  sont 
dans  l'église  des  Carmes  de  cette  ville. 

2.  D'Ar-rieg,  «  rivière  d'en  haut  »,  dit-on. 


448  **  mai. 

nementations  architecturales,  et  a  mérité  d'être  classée  parmi  les  monu- 
ments dont  le  gouvernement  français  protège  la  conservation  l. 

Ce  vieux  monument  de  deux  époques  apparaît  entouré  d'une  agglomé- 
ration de  pauvres  habitations,  qu'on  nomme  le  village  d'Unac. 

C'est  pendant  les  conquêtes  de  Charlemagne  sur  les  Sarrasins,  pendant 
l'organisation  des  Marches,  par  lui-même  ou  par  ses  lieutenants,  complétée 
sous  le  gouvernement  de  son  fils  Louis  le  Débonnaire,  régnant  à  Toulouse 
sous  le  titre  de  roi  d'Aquitaine,  c'est-à-dire  depuis  778  jusqu'à  812,  que  fut 
fondé  le  prieuré  d'Unac. 

Unac  se  trouve  à  quelque  distance  d'Ax,  la  ville  aux  trente-neuf  sources 
thermales,  dont  le  martyre  de  saint  Udaut  illustra  les  murs. 

Saint  Udaut,  lisons-nous  dans  les  vieilles  Chroniques  résumées  par  le 
pieux  abbé  Authier,  curé  d'Unac  *,  vint  au  monde  l'année  405.  Il  mourut 
martyrisé  pour  la  foi  de  Jésus-Christ  le  11  du  mois  de  mai  452,  à  Ax-sur- 
l'Ariége,  aujourd'hui  ville  de  France  au  diocèse  de  Pamiers,  et  alors  ville 
du  diocèse  de  Toulouse,  dans  l'ancienne  province  romaine  de  la  Septima- 
nie  Narbonnaise,  royaume  des  "Wisigoths,  sous  le  règne  de  Thorismon. 

Revêtu  du  caractère  sacerdotal,  saint  Udaut  exerça  le  ministère  aposto- 
lique principalement  dans  cette  partie  des  Pyrénées  qui  s'élèvent  dans  les 
diocèses  d'Elne,  (aujourd'hui  de  Perpignan),  du  Vic-d'Ausonne,  (aujourd'hui 
de  Vich),  d'Urgel  et  de  Toulouse,  travaillant  avec  zèle  à  la  conversion  des 
païens  qui  existaient  en  grand  nombre  dans  ces  contrées,  encourageant  les 
fidèles  catholiques,  persécutés  par  les  Wisigoths  ariens,  maîtres  de  ce  pays; 
et  il  y  souffrit  le  martyre  dans  l'accomplissement  de  ces  saints  devoirs,  par 
la  main  des  rois  ostrogoths  de  l'armée  d'Attila,  qu'il  avait  déjà  évangélisés 
avec  les  Huns  dans  leurs  campements  des  provinces  romaines  sur  les  bords 
du  Danube. 

Saint  Udaut  naquit  en  Italie,  d'une  de  ces  nobles  familles  païennes  des 
barbares,  qui,  combattant  depuis  longtemps  sous  les  généraux  de  l'empire 
romain,  y  avaient  obtenu  des  terres,  et  avaient  servi  à  l'empereur  Hono- 
rius,  pour  arrêter,  sous  le  commandement  de  Stilicon,  Vandale  dont  il 
avait  épousé  la  fille,  une  armée  de  deux  cent  mille  Goths,  dans  les  mon- 
tagnes de  la  haute  Italie.  Pendant  qu'Udaut  se  formait,  dans  son  adoles- 
cence, à  la  vie  dure  des  camps  par  les  exercices  de  la  chasse,  il  fut  conduit 
un  jour  auprès  d'un  saint  ermite  du  nom  de  Pancrace,  par  une  biche  qu'il 
voulait  percer  de  ses  traits.  La  bête  des  bois,  vivement  pourchassée,  était 
venue  se  blottir  aux  pieds  du  Saint,  comme  le  chien  du  chasseur  lorsqu'il 
est  surpris  et  poursuivi  par  le  loup  altéré  de  son  sang.  A  la  vue  du  saint 
ermite,  qui  l'accueillit  avec  bonté,  Udaut,  bien  loin  de  tuer  la  biche,  fut 
frappé  comme  d'une  vision  miraculeuse.  Tout  ce  qu'il  avait  appris  de  la 
religion  chrétienne  avec  les  enfants  de  son  âge  dans  leurs  temples,  lui  re- 
vient à  l'esprit  :  c'est  Dieu  qui  l'appelle  à  lui.  Fidèle  à  la  grâce  prévenante, 
il  était  disposé  à  faire  la  volonté  du  ciel.  Il  demande  donc  au  saint  ermite  la 
permission  de  demeurer  dans  son  ermitage,  pour  mieux  s'instruire  des  vé- 
rités religieuses,  et  peu  de  temps  après  il  reçut  le  baptême. 

Devenu  enfant  de  Dieu  et  de  son  Eglise,  Udaut  se  consacra  tout  entier 
au  service  de  l'un  et  de  l'autre,  mais  il  avait  à  faire  son  apprentissage.  Il  se 
faisait  durement  alors.  Saint  Pancrace  eut  le  soin  d'en  avertir  son  disciple. 
Cependant  cet  ermitage  dans  l'Italie,  si  proche  de  la  maison  des  parents 
idolâtres  d'Udaut,  ne  parut  pas  au  saint  directeur  un  lieu  sûr,  pour  proté- 

1.  Le  classement  de  cette  église  romane  date  de  l'année  I 

■  .  Brochure  in-8",  imprimés  en  1870  chez  Chauvin,  à  Toulouse. 


SALNT  UDAUT,   PRÊTRE  ET  MARTYR.  449 

ger  son  néophyte  d'un  jour.  Il  voulut  le  mettre  à  l'abri  de  la  chair  et  du 
sang  et  des  tentations  de  découragement.  Les  deux  compagnons  quittèrent 
leur  solitude  d'Italie,  et  étant  arrivés  sur  le  bord  de  la  mer,  saint  Pancrace, 
montrant  à  Udaut  une  galère  prête  à  mettre  à  la  voile,  lui  demanda  s'il 
persévérait  dans  ses  promesses  du  baptême.  Sur  sa  réponse  affirmative,  ils 
demandèrent  passage  dans  ce  navire  et  vinrent  débarquer  à  sa  destination, 
à  Port-Vendres,  non  loin  de  l'ancienne  ville  épiscopale  d'Elne. 

C'était  vers  l'an  423.  Les  Wisigoths  ariens,  gouvernés  alors  par  leur  roi 
Théodoric  Ier  qui  défendit  si  vaillamment  Toulouse,  sa  capitale,  contre  le 
général  romain  Littorius,  et  fut  tué  plus  tard  dans  la  célèbre  bataille  des 
champs  Catalauniques,  en  combattant  contre  Attila,  étaient  les  maîtres  de 
toute  la  partie  orientale  et  centrale  de  la  chaîne  des  Pyrénées.  C'est  là 
qu'Udaut  passa  les  plus  belles  années  de  sa  vie,  ce  fut  là  le  théâtre  de  ses 
rudes  pénitences  et  de  ses  premiers  travaux  dans  la  vie  apostolique. 

A  peine  les  deux  ermites  furent  arrivés  dans  les  premières  cavernes  de 
ces  montagnes,  que  les  sentiments  naturels  du  barbare  commencèrent  à  se 
réveiller  en  Udaut  :  déjà  il  prenait  en  dégoût  la  vie  contemplative  ;  il  se  re- 
pentait aussi  d'avoir  abandonné  ses  parents.  Sans  chercher  trop  longtemps 
à  se  faire  violence,  il  avait  même  ouvert  la  cellule  de  saint  Pancrace  pour 
lui  faire  ses  adieux,  lorsqu'il  trouva  son  directeur,  averti  dans  l'oraison  de 
ses  découragements,  adressant  à  Dieu  de  ferventes  prières,  pour  lui  obtenir 
la  grâce  de  la  persévérance.  En  même  temps  un  coup  de  tonnerre  se  faisait 
entendre,  une  lumière  brillante  comme  une  étoile  vint  éclairer  pendant 
longtemps  la  tête  vénérable  du  vieil  ermite.  Terrifié  par  ce  nouveau  pro- 
dige, comme  il  avait  été  impressionné  par  la  rencontre  de  la  biche,  le  jeune 
homme  fut  incontinent  guéri  de  ses  illusions.  Il  se  prosterna  le  visage  contre 
terre  pour  demander  pardon  à  Dieu  et  à  son  serviteur  de  son  ingratitude 
et  de  la  défaillance  de  sa  foi.  Ils  s'enfoncèrent  ensuite  plus  profondément 
dans  le  pays  désert  des  montagnes,  afin  de  s'y  livrer  à  de  plus  intimes  prières 
et  à  de  plus  rudes  macérations. 

Saint  Pancrace,  si  rempli  de  l'esprit  de  charité,  ne  put  habiter  longtemps 
dans  le  voisinage  des  chaumières  qui  abritaient  encore  des  indigènes  païens 
sans  travailler  à  leur  conversion.  Lorsqu'il  fut  plus  connu  avec  son  disciple, 
ce  furent  les  habitants  des  viiles  qui  accoururent  en  foule  vers  les  solitaires 
des  rochers.  Eux-mêmes  durent  aussi  leur  porter  les  lumières  et  les  conso- 
lations de  la  foi  chrétienne,  comme  l'avait  fait,  parmi  leurs  ancêtres,  saint 
Saturnin,  premier  évêque  de  Toulouse,  qui  avait  évangélisé  cette  contrée 
immédiatement  après  les  Apôtres.  Depuis,  la  foi  ne  s'était  jamais  éteinte 
dans  ces  montagnes,  mais  elle  y  avait  peu  d'adeptes.  Udaut,  de  son  côté, 
avec  sa  connaissance  des  idiomes  barbares  des  Goths  envahisseurs,  s'em- 
ployait activement  auprès  de  ceux  de  cette  nation  pour  le  bien  général. 

Il  est  permis  de  croire  que  c'est  pendant  le  cours  de  ces  travaux  que  le 
saint  directeur  d'Udaut  présenta  son  disciple  à  l'ordination  sacerdotale. 
Est-ce  àLampius,  évêque  de  Barcelone,  qui  avait  déjà  imposé  les  mains 
pour  le  sacerdoce  à  saint  Paulin,  évêque  de  Noie,  ou  à  quelque  autre  évêque 
de  la  contrée  ?  le  vieil  historien  du  Saint  ne  nous  l'apprend  pas.  Mais  Sa- 
lazar  ',  un  des  écrivains  de  sa  vie  au  dix-septième  siècle,  ne  craint  pas  d'af- 
firmer que  notre  Saint  est  mort  prêtre  et  martyr,  et  c'est  l'opinion  de  toutes 
les  églises  qui  le  vénèrent,  puisqu'elles  l'ont  toujours  représenté  sur  leurs 
autels  revêtu  des  insignes  de  ce  caractère  sacré  2.  Les  fatigues  apostoliques, 

1.  En  el  Martirologio  espagnol,  al  dia  11  de  mayo,  tome  ni,  page  138. 

2    La  famille  Gomma  d'Ax,  dont  nous  voyous  ua  membre  figurer  sur  le  catalogue  des  consuls  de  cetw 

Vies  des  Saints.  —  Tome  V.  29 


450  **  MAI. 

jointes  à  ses  macérations,  épuisèrent  les  forces  de  saint  Pancrace.  Tout 
plein  de  mérites,  il  s'endormit  dans  la  paix  du  Seigneur. 

Dès  ce  moment,  l'esprit  de  foi  qui  enfante  les  prodiges  passa  du  vieil 
ermite  dans  le  cœur  de  son  disciple,  de  même  que  l'esprit  d'Elie  passa  dans 
le  cœur  du  prophète  Elisée,  lorsqu'ils  se  séparèrent  pour  toujours  sur  les 
bords  du  Jourdain.  Sous  cette  direction  divine,  saint  Udaut  voulut  se  pré- 
parer à  de  plus  grands  travaux,  par  un  pèlerinage  au  tombeau  de  saint  Sa- 
turnin dont  il  avait  bien  souvent  invoqué  la  protection  dans  ses  missions. 
Il  avait  aussi  l'intention  d'en  obtenir  des  reliques  des  habitants  de  Toulouse, 
pour  les  offrir  à  la  vénération  reconnaissante  des  descendants  des  Espa- 
gnols qu'il  avait  enfantés  à  Jésus-Christ. 

En  arrivant  à  Toulouse,  le  prêtre  missionnaire  y  apprit  que  les  fidèles 
de  cette  Eglise,  ayant  perdu  leur  premier  pasteur,  saint  Exupère,  étaient 
toujours  depuis  empêchés  par  leurs  rois  vvisigoths  de  lui  désigner  un  suc- 
cesseur, quoiqu'ils  n'eussent  pas  trop  à  souffrir,  de  leur  part,  de  flagrantes 
persécutions,  dans  la  crainte  qu'avaient  ces  rois  ariens  de  s'aliéner  le  cœur 
de  leurs  sujets  catholiques.  Il  y  fut  reçu  par  le  prêtre  Jean  et  par  ses  com- 
pagnons dans  le  ministère  sacré,  Raymond  et  Vincent,  qui  dirigeaient  les 
fidèles  toulousains.  Ces  saints  prêtres  étaient  venus  à  sa  rencontre  d'après 
un  avertissement  surnaturel.  De  son  côté,  saint  Udaut  reçut  de  Dieu  le  pou- 
voir de  révéler  aux  fidèles  de  Toulouse  combien  il  jouissait  des  faveurs  cé- 
lestes, en  ressuscitant  parmi  eux  un  de  leurs  enfants  mort,  du  nom  de 
Profane. 

Saint  Udaut  resta  peu  de  temps  dans  la  ville  de  Toulouse.  Plusieurs  de 
ses  plus  fervents  chrétiens  étaient  à  la  veille  d'aller  visiter  les  Saints-Lieux 
de  Rome;  ils  lui  exprimèrent  le  bonheur  qu'ils  éprouveraient,  s'il  voulait 
se  décider  lui-même  à  les  guider  à  travers  les  barbares  qu'ils  seraient  expo- 
sés à  rencontrer  partout  sur  leur  route.  Leurs  instances,  jointes  au  désir 
qu'il  avait  souvent  éprouvé  de  visiter  les  tombeaux  de  saint  Pierre  et  de 
saint  Paul,  lui  firent  comprendre  qu'il  ferait  la  volonté  de  Dieu,  en  leur 
donnant  cette  satisfaction.  Il  partit  de  Toulouse  et  arriva  dans  la  capitale 
du  monde  chrétien  l'année  444. 

La  grande  nouvelle  du  moment,  la  plus  effrayante,  c'était  les  progrès 
d'Attila  avec  une  armée  des  plus  formidables,  dans  la  Mœsie  et  la  Pannonie, 
aux  environs  du  Danube,  marchant  sur  Constantinople  et  bientôt  sur  Rome. 
«  Parmi  les  rois  qui  le  suivaient  comme  des  esclaves,  il  y  en  avait  deux 
qu'Attila  distinguait  sur  tous;  c'étaient  :  Ardaric,  roi  des  Gépides;  l'autre, 
Valamir,  roi  des  Ostrogoths,  accompagné  de  ses  deux  frères  Théodémir 
et  Vidémir.  Ces  trois  derniers  princes,  plus  nobles  que  celui  qu'ils  recon- 
naissaient pour  maître,  étaient  de  la  race  des  Amales,  la  plus  illustre 
de  la  nation  gothique.  Valamir  se  rendait  recommandable  par  sa  discré- 
tion, par  sa  douceur  et  par  une  franchise  qui,  jointe  à  la  bravoure,  forme 
le  vrai  caractère  des  héros  '  ».  Par  cette  citation  nous  faisons  con- 
naître les  trois  rois  qui  martyrisèrent  saint  Udaut  à  Ax,  quelques  années 
plus  tard. 

ville  à  la  fin  dn  xve  siècle,  conserve  précieusement  un  ancien  autel  dont  lô  rétable  offre  en  bas-relief  une 
petite  statuette  de  ce  Saint  peinte  et  dorée,  et  désignée  par  son  nom  d'Udaut.  Elle  est  revêtue  de  la  chape, 
de  l'êtole  et  d'une  barrette  noire.  Cet  autel  est  trop  décoré  pour  avoir  été  fait  pendant  la  Terreur  de  1793. 
Il  appartenait  à  quelque  chapelle  ou  publique  ou  privée  d'Ax,  puisqu'on  y  voit  aussi  les  deux  statuettes 
des  Apûtres  fils  de  Zébédée,  saint  Jacques  et  saint  Jean,  vénérés  l'un  dans  son  antique  église  de  Saint- 
Jean-d'Ause,  et  l'autre  dans  sa  vieille  ladrerie.  Les  .anciens  habitants  d'Ax  vénéraient  donc  aussi  saint 
Udaut  comme  prêtre  en  même  temps  que  comme  patron  secondaire. 
I.  Le  Beau,  Histoire  du  Bas-Empire,  liv.  ssxiu,  paragr.  20. 


SAINT  UDAUT,  PRÊTRE  ET  MARTYR.  451 

Il  n'en  fallait  pas  tant  pour  enflammer  le  zèle  apostolique  de  saint  Udaut. 

Il  se  sépara  donc  des  Toulousains,  ses  compagnons  de  pèlerinage  à 
Rome,  pour  obéir  à  ses  inspirations,  en  se  dirigeant  vers  l'armée  d'Attila. 
Ceux  des  habitants  d'en-deçà  du  Danube,  qui  avaient  été  épargnés  par  l'ar- 
mée envahissante,  y  étaient  traités  comme  des  esclaves.  A  tous  les  maux 
dont  ils  étaient  accablés  déjà,  Dieu  avait  ajouté  une  plaie  de  reptiles  ou 
d'insectes  venimeux  qui  les  faisaient  périr  en  grand  nombre.  Saint  Udaut 
s'appliqua  à  consoler  et  à  encourager  ces  chrétiens,  en  les  délivrant,  par 
ses  prières,  de  ce  surcroît  de  malheurs.  La  reconnaissance  et  l'admiration 
des  chrétiens  pour  le  saint  missionnaire  ne  manquèrent  pas  d'attirer  l'at- 
tention des  chefs  barbares.  Ils  s'aperçurent  que  le  Saint,  par  ses  prédica- 
tions et  ses  guérisons  miraculeuses,  se  faisait  des  prosélytes  dans  les  familles 
mêmes  de  leurs  sujets. 

Le  roi  Wuillielm,  frère  aîné  d'Attila,  subissant,  comme  bien  d'autres 
rois  secondaires,  l'ascendant  de  son  puîné,  fut  chargé  le  premier  de  châtier 
cet  ennemi  des  jongleurs  du  camp,  qui  avait  plus  de  crédit  à  lui  seul  qu'eux 
tous  par  ses  prestiges.  Il  le  condamna  au  supplice  du  fouet  cro-heté  de  fer. 
Cet  instrument  de  supplice  appelé  aujourd'hui  le  knout,  est  resté  en  usage 
chez  les  Russes,  d'où  il  est  à  espérer  que  la  civilisation  chrétienne  finira  par 
le  faire  disparaître.  Il  a  encore  été  appliqué,  avec  beaucoup  de  cruauté,  en 
plein  dix-neuvième  siècle,  aux  Polonais  restés  fidèles  à  leur  patrie  et  à  leur 
religion.  «  Le  knout l  est  une  longue  et  étroite  lanière,  recuite  dans  une 
espèce  d'essence,  et  fortement  enduite  de  limaille  métallique.  Ainsi  préparée, 
la  lanière  acquiert  une  dureté  et  une  pesanteur  extrêmes.  Mais  avant  qu'elle 
ne  se  durcisse,  on  a  le  soin  de  replier  sur  eux-mêmes  les  bords,  amincis  à 
dessein,  et  qui  forment  de  cette  façon  une  rainure  dans  toute  la  longueur 
de  la  courroie,  terminée  par  un  petit  crochet  de  fer.  Si  le  bourreau  sait  son 
métier,  le  supplicié  perd  connaissance  au  troisième  coup,  et  expire  après 
le  cinquième  ».  Saint  Udaut  fut  attaché  sur  la  planche  appelée  kobila,  le 
dos  nu,  la  tête  appuyée  sur  le  bord  supérieur,  les  pieds  fixés  à  la  partie 
inférieure,  et  les  mains  liées,  embrassant  la  planche.  Dans  cette  position, 
la  pesante  lanière,  cinglée  avec  vigueur  par  le  bourreau  sur  les  flancs  du 
Martyr,  de  son  côté  concave,  coupe  les  chairs  comme  un  couteau,  et, 
retirée  horizontalement  par  le  même  exécuteur,  ramène,  au  moyen  du 
crochet  et  par  longues  bandelettes,  les  parties  détachées  des  chairs  sai- 
gnantes. Les  coups  se  répétèrent  jusqu'à  ce  que  Wuillielm,  voyant  les  flancs 
de  saint  Udaut  décharnés  et  supposant  qu'il  était  mort,  donna  le  signal  de 
la  fin  du  spectacle. 

Détaché  de  la  kobila,  le  saint  Martyr  fut  laissé  comme  cadavre  sur  le 
théâtre  de  l'exécution.  Il  n'était  qu'évanoui.  Après  une  guérison  miracu- 
leuse, saint  Udaut  dirigea  ses  pas  et  ses  travaux  apostoliques  vers  la  division 
des  Ostrogoths.  Ce  fut  le  tour  de  Valamir  d'y  mettre  ordre.  Conduit  devant 
le  tribunal  pour  les  mêmes  motifs  qui  l'avaient  fait  comparaître  devant 
celui  de  Wuillielm,  le  second  juge,  informé  de  la  récidive,  le  condamna  au 
même  supplice  national,  en  accusant  la  trop  grande  indulgence  du  roi  des 
Huns,  qui  n'avait  point  fait  exécuter  la  loi  réglementaire  du  nombre  pres- 
crit de  coups  de  knout.  Voulant  même  rendre  le  spectacle  plus  attrayant, 
Valamir  condamna  l'impie  à  boire,  à  la  santé  des  dieux,  une  coupe  pleine 
de  plomb  fondu,  s'il  ne  succombait  pas  dans  le  supplice  du  fouet. 

Au  jour  fixé  pour  l'exécution  de  ce  jugement,  saint  Udaut  endura  avec 

1.  Martyrs  de  la  Sibérie,  ch.  12,  par  A.  de  Laniotlit. 


452  il  mai. 

le  même  appareil  et  la  même  cruauté,  dans  le  camp  des  Ostrogoths,  le 
chiffre  légal  de  cent  et  un  coups  de  knout  sans  rendre  le  dernier  soupir;  mais 
se  relevant  sur  ses  pieds  comme  un  squelette  sanglant,  après  avoir  été  dé- 
taché de  la  kobila,  il  bénit,  avec  sa  foi  d'apôtre  en  la  vertu  du  signe  de  la 
croix,  la  coupe  brûlante  du  plomb  fondu  que  lui  offrait  un  second  bour- 
reau, et  l'avala  comme  une  confortable  liqueur.  La  peine  infligée  par  le 
jugement  était  subie.  Le  juste  Valamir  ne  s'irrita  point.  Tout  ému  de  ce 
qui  venait  de  se  passer  d'horrible  et  de  merveilleux  sous  ses  yeux  aussi  bien 
que  sous  ceux  de  son  armée,  il  ne  lui  fit  point  trancher  la  tête.  S'il  l'avait 
fait,  sa  réputation  d'équité  aurait  perdu  quelque  chose  de  son  prestige  de- 
vant ses  sujets.  Il  se  contenta  de  le  faire  chasser  bien  loin  de  l'armée 
d'Attila. 

En  quittant  le  camp  d'Attila,  saint  Udaut  retourna  vers  les  Pyrénées, 
dans  ces  diocèses  auxquels  il  avait  été  destiné  et  attaché  par  son  ordina- 
tion. Il  lui  restait  là  beaucoup  à  faire. 

Nous  avons  dit  qu'en  entreprenant  un  pèlerinage  hors  de  ce  pays  où 
étaient  les  plus  vives  affections  de  son  cœur,  saint  Udaut  avait  eu  l'intention 
de  le  doter  de  quelques  reliques  du  corps  de  saint  Saturnin,  premier  évêque 
de  Toulouse,  pour  les  déposer  sous  les  autels  que  les  sueurs  apostoliques  du 
saint  évêque  y  avaient  fait  lever.  Aussi  il  s'empressa,  en  arrivant  dans  la 
capitale  des  Wisigoths,  de  demander  une  perle  de  ce  précieux  écrin  que 
les  fidèles  toulousains  conservaient  avec  tant  de  vigilance.  Ces  fidèles  chré- 
tiens qu'il  avait  édifiés  à  son  premier  passage,  ceux  surtout  qu'il  avait  ac- 
compagnés dans  leur  pèlerinage  à  Rome,  et  l'avaient  vu  partir  vers  l'armée 
d'Attila,  le  revoyant  échappé  aux  dents  de  ce  lion,  tout  couvert  des  traces 
de  ses  cruelles  morsures,  n'eurent  rien  à  lui  refuser;  sa  demande  d'ailleurs 
était  si  juste  ! 

Le  diocèse  de  Toulouse,  en  remontant  le  cours  de  l'Ariége,  était  alors 
limitrophe  avec  celui  d'Urgel,  par  le  val  d'Andorre.  C'est  par  ce  chemin,  le 
plus  direct  et  le  plus  facile,  que  saint  Udaut  franchit  les  sommets  des  Py- 
rénées, portant  la  précieuse  relique  de  saint  Saturnin.  Un  de  ses  premiers 
soins,  en  arrivant  dans  le  pays  d'Urgel,  fut  d'y  bâtir  une  église  au  lieu  de 
Tavernolas,  qu'il  dédia  au  saint  premier  évêque  de  Toulouse,  et  où  il  dé- 
posa sa  relique.  C'est  en  ce  lieu  et  auprès  de  cette  église,  que  s'éleva,  bien- 
tôt après,  un  monastère  fort  célèbre,  au  commencement  du  neuvième 
siècle,  sous  le  nom  de  Saint-Saturnin  de  Tavernolas,  auquel  on  en  unissait 
plusieurs  autres  au  commencement  du  dixième  siècle. 

Rentré  dans  sa  mission  des  Pyrénées,  saint  Udaut  s'y  occupa  exclusive- 
ment d'y  gagner  des  âmes  à  Dieu.  Ces  travaux  apostoliques  durèrent  sept 
ans  jusqu'à  sa  mort. 

Au  printemps  de  l'année  452,  après  avoir  réparé  les  pertes  qu'il  avait 
essuyées  dans  les  plaines  de  Châlons,  Attila  parut  en  Italie.  Il  s'était  chargé 
de  châtier  les  Romains  avec  son  homme  d'exécution  Ardaric,  roi  des  Gé- 
pides,  et  le  gros  de  son  armée.  Là,  Yalamir,  avec  sa  division  ostrogothe, 
se  séparait  de  lui  et,  suivant  le  cours  de  Rhône,  venait  combattre  les  Wisi- 
goths dans  leurs  propres  Etats.  Valamir  et  tous  les  siens  avaient  juré 
depuis  longtemps  une  haine  irréconciliable  aux  Wisigoths  de  France  et 
d'Espagne. 

Le  11  mai  452,  l'armée  ostrogothe  d'Attila  commandée  par  trois  de  ses 
lieutenants,  que  la  légende  de  saint  Udaut  appelle  rois,  campait  à  Ax,  au 
centre  des  Pyrénées,  prête  à  en  franchir  les  plus  hauts  sommets,  limites  entre 
les  Gaules  et  l'Espagne  à  une  distance  de  vingt  kilomètres  du  col  de  Puy- 


SAINT  UDAUT,    PRÊTRE   ET  MARTYR.  453 

morenc  le  plus  praticable,  à  cinq  kilomètres  des  défilés  étroits  de  Mérens, 
gardés  par  les  Wisigoths.  C'était  pour  elle  un  jour  critique.  Valamir  vou- 
lut offrir  des  sacrifices  au  dieu  Mars,  pour  stimuler  l'avidité  de  ses  guer- 
riers et  leur  animosité  contre  les  Wisigoths.  Saint  Udaut,  se  trouvant  sur  les 
lieux,  ne  manqua  pas  de  détourner  de  ces  sacrifices  sacrilèges  les  prosé- 
lytes qu'il  avait  faits  à  la  foi  chrétienne  dans  l'armée  de  Valamir,  avant  son 
martyre  dans  les  provinces  danubiennes,  comme  saint  Maurice  en  détour- 
nait la  légion  Thébaine,  dans  une  semblable  occasion.  Averti  d'un  schisme 
dans  son  armée  pour  l'offrande  des  sacrifices,  le  roi  ostrogoth  ne  fit  point 
éclater  sa  sévérité  en  décimant  ni  en  massacrant  en  bloc  les  chrétiens  ré- 
fractaires  :  il  était  trop  intéressé  à  les  ménager;  mais  il  déchargea  sa  colère 
sur  saint  Udaut,  que  ses  officiers  avaient  conduit  devant  son  tribunal  au 
pied  des  autels,  comme  l'instigateur  de  ce  désordre.  L'œil  perçant  du  roi 
barbare  reconnut  à  l'instant  l'apôtre  chrétien  qui  à  Faste,  capitale  des 
Huns  sur  le  Danube,  était  allé  annoncer  l'Evangile  aux  sujets  d'Attila.  Il 
en  fut  troublé.  Mais  il  se  hâta  de  lui  adresser  la  parole  en  l'interpelant  avec 
vivacité.  «  N'es-tu  pas  »,  lui  dit-il,  «  cet  Udaut  dont  le  fouet  a  déjà  déchiré 
le  corps;  l'homme  flétri  par  mon  ordre  ?  Tu  as  pu,  par  tes  sortilèges,  ava- 
ler sans  mourir  ma  coupe  de  plomb  fondu  !  Faut-il  encore  que  je  te  re- 
trouve ici  semant  l'indiscipline  parmi  mes  enfants,  pour  nous  attirer  la 
colère  de  notre  grand  dieu  protecteur  !  Répare  tes  impiétés  et  tes  trahi- 
sons en  offrant  de  l'encens  au  dieu  de  la  guerre,  ou  disparais  à  jamais  de  ce 
monde  !  »  Saint  Udaut  lui  répond  avec  calme  :  «  Je  n'ai  jamais  détourné 
vos  soldats  de  leurs  devoirs,  prince;  mais  je  ne  crains  pas  plus  vos  sévérités 
que  dans  les  temps  passés,  et  je  ne  sacrifierai  pas  aujourd'hui  à  votre  idole 
impuissante...  »  Il  allait  parler  encore,  lorsque  Valamir  ordonne  qu'il  soit 
immédiatement  enfermé  dans  un  tonneau  où  avait  été  contenu  le  vin  des 
sacrifices.  Il  fait  ensuite  enfoncer  des  clous  dans  cet  instrument  de  sup- 
plice improvisé,  et  ordonne  qu'il  soit  roulé  du  haut  des  prairies  où  se  trou- 
vait son  tribunal,  auprès  des  murs  de  la  vieille  ville  d'Ax.  C'est  ainsi  qu'il 
fait  ruisseler  le  sang  du  saint  Martyr  devant  les  étendards  portant  l'image 
de  l'épée  de  Mars  échelonnés  dans  les  rangs  de  ses  cavaliers,  jusqu'au  lieu 
où,  retiré  tout  sanglant  de  son  tonneau,  on  lui  plonge  un  poignard  dans 
le  cœur. 

La  tradition  orale  des  habitants  d'Ax  sur  le  martyre  de  saint  Udaut, 
opéré  dans  leur  ville  par  trois  rois,  qui  le  firent  rouler  dans  un  tonneau 
hérissé  de  clous,  est  incontestable.  Le  lieu  de  sa  sépulture  après  le  martyre 
a  toujours  porté  le  nom  de  Saint-Udaut  et  est  encore  aujourd'hui  orné 
d'une  croix  de  fer  scellée  dans  la  pierre.  Le  rétable  d'un  ancien  autel  dé- 
coré d'une  statuette  en  bas-relief  désignée  par  son  nom  est  un  témoignage 
irrécusable  du  culte  que  lui  ont  rendu  les  habitants  de  cette  ville. 

Ce  lieu  est  situé  entre  les  deux  rivières  d'Ause  et  d'Ariége  et  entre  deux 
rochers,  en  dehors  de  la  ville.  Cent  vingt-neuf  ans  plus  tard,  lorsque  les 
premiers  rois  de  France  eurent  renversé  à  Toulouse  le  trône  des  Wisigoths, 
l'année  581,  sous  le  règne  de  Chilpéric  et  Childebert,  pendant  que  le  duc 
Didier  gouvernait  la  contrée,  les  habitants  d'Ax  obtinrent  la  permission  de 
leur  évêque  saint  Germier  ou  Magnulphe,  son  successeur,  d'exhumer  le 
corps  du  saint  Martyr,  pour  le  déposer  honorablement  dans  leur  église  pa- 
roissiale, et  l'y  vénérèrent  comme  un  patron  secondaire.  Dans  le  supplé- 
ment de  son  Martyrologe  gallican,  Du  Saussay,  évêque  de  Toul,  dit  qu'il  y 
devint  célèbre  par  des  prodiges  divins.  Il  fut  la  sauvegarde  de  cette  ville, 
dans  cette  vallée  si  exposée  aux  déprédations,  comme  chemin  stratégique, 


454  H  MAI. 

particulièrement  dans  les  guerres  de  Charlemagne  et  de  Louis  le  Pieus 
contre  les  Sarrasins. 

En  978,  des  religieux  de  l'abbaye  de  Ripoll  furent  envoyés  à  Ax  pous 
faire  la  translation  solennelle  des  reliques  de  saint  Udaut,  d'Ax  à  Ripoll; 
cette  dernière  localité  se  trouvait  plus  au  centre  du  pays  qi>e  le  Saint  avait 
évangélisé  avec  tant  de  zèle. 

C'est  là  que  repose  encore  aujourd'hui  le  prêtre  martyr  que  le  Seigneur 
a  couronné.  Ses  reliques  y  sont  déposées  dans  une  magnifique  urne  d'ar- 
gent, sur  laquelle  sont  retracés  en  bas-relief  plusieurs  de  ses  miracles. 

La  dévotion  à  saint  Udaut  devint  populaire  au  moyen  âge  dans  les 
Marches  d'Espagne,  et  elle  ne  s'y  est  point  affaiblie  encore  de  nos  jours. 
Elle  s'est  étendue  dans  le  reste  de  l'Espagne  et  elle  a  été  importée  par  les 
Catalans  jusque  dans  le  Mexique.  Nous  en  trouvons  la  preuve  la  plus  au- 
thentique dans  ce  que  dit  l'auteur  d'un  abrégé  de  sa  vie,  imprimé  à  Vich 
en  1863,  en  tête  d'une  petite  brochure  renfermant,  avec  les  prières  et  can- 
tiques à  saint  Udaut,  l'ordre  d'une  neuvaine  enrichie  d'indulgences  par 
l'évêque  diocésain  de  Vich,  par  son  métropolitain  de  Tarragone,  et  par 
d'autres  évêques  d'Espagne  et  du  Mexique.  «  On  célèbre  »,  nous  dit  cet 
écrivain,  «  à  Ripoll  la  fête  du  martyre  de  saint  Udaut  le  11  mai,  avec  la 
plus  grande  solennité  et  avec  un  grand  concours  des  populations  du  voisi- 
nage, qui  toutes  le  regardent  comme  leur  bienfaiteur  et  leur  protecteur, 
parce  qu'en  toute  occasion  Dieu  a  accordé  par  ses  mérites  une  infinité  de 
miracles.  Toutes  les  fois  qu'on  découvre  ses  reliques,  ses  dévots  serviteurs 
respirent  une  odeur  délicieuse  qu'aucun  parfum  ne  saurait  produire.  Son 
assistance  est  manifeste  toutes  les  fois  qu'on  l'invoque  dans  les  fièvres  ou 
autres  maladies.  (Que  celui  qui  comme  moi-même  en  aura  fait  l'expérience, 
ne  manque  pas  de  le  proclamer  !)  Dans  les  temps  de  sécheresse,  lorsqu'on 
porte  processionnellement  son  corps  saint  au  dehors  du  temple,  Dieu  ne 
manque  pas  d'exaucer  son  serviteur.  Mais  la  protection  la  plus  manifeste 
du  saint  Martyr  s'éprouve  dans  les  accouchements  difficiles.  Il  n'est  pas 
alors  de  femme  qui  ne  le  trouve  propice,  si  elle  l'invoque  avec  ferveur  ». 

Etudes  historiques  et  religieuses  sur  le  pays  de  la  haute  vallée  de  l'Ariége,  par  M.  l'abbé  Authier,  curé 
d'Unac  ;  Toulouse,  imprimerie  A.  Chauvin  et  fils,  1S70. 


g.  MAMERT,  ARCHEVÊQUE  DE  VIENNE  EN  DAUPHINE 

417.  —  i'ape  :  Saint  Simplice.  —  Invasion  des  Gaules  par  les  Francs. 


Si  les  fléaux  sont  entre  les  mains  de  Dieu  la  verge  qui 
Châtie  les  hommes,  la  prière  est  entre  les  mains  de 
l'homme  la  force  qui  peut  apaiser  Dieu  et  faire  des- 
cendre ses  bienfaits  sur  la  terre. 

L'antiquité  nous  a  laissé  peu  de  détails  sur  la  vie  de  saint  Mamert.  Mais 
il  s'est  rendu  fort  célèbre  par  l'établissement  des  Rogations.  Ce  n'est  pas 
qu'il  soit  le  premier  auteur  de  ces  processions  saintes,  que  l'on  fait  pour 
attirer  les  bénédictions  de  Dieu  sur  les  fruits  de  la  terre;  mais,  de  son 
temps,  elles  étaient  presque  tombées  en  désuétude,  ou  bien  se  faisaient  sans 
dévotion.  Mamert  les  rétablit,  et,  y  ajoutant  le  jeûne  à  la  prière,  il  ordonna 


SAINT  MAMERT,    ARCHEVÊQUE   DE   VIENNE    EN   DAUPHINÉ.  455 

qu'on  les  ferait  les  trois  jours  qui  précèdent  l'Ascension.  Cette  pieuse  ré- 
forme fut  d'abord  reçue  de  toutes  les  Eglises  de  France,  suivant  le  décret  du 
premier  Concile  d'Orléans,  tenu  sous  Clovis  le  Grand,  et  le  fut  ensuite  de 
l'Eglise  de  Rome,  par  l'autorité  de  Léon  III. 

Yoici  à  quelle  occasion  saint  Mamert  eut  cette  pieuse  pensée  :  il  occupait 
dignement  le  siège  archiépiscopal  de  Vienne,  dans  lequel  il  avait  succédé 
à  saint  Simpiicius,  dans  le  milieu  du  ve  siècle.  Outre  les  calamités  publiques 
de  toutes  les  Gaules,  qui  étaient  alors  exposées  aux  irruptions  des  nations 
barbares,  spécialement  des  Huns  et  des  Goths,  la  ville  et  le  pays  de  Vienne 
se  virent  affligés  par  des  malheurs  particuliers  qui  les  menaçaient  d'une 
désolation  universelle  :  cette  ville  était  souvent  ébranlée  par  de  si  effroyables 
tremblements  de  terre,  que  ses  habitants  étaient  contraints  de  l'abandon- 
ner, de  peur  d'être  accablés  sous  ses  ruines  ;  d'ailleurs,  certains  feux  s'em- 
brasaient sous  terre,  et,  faisant  fumer  les  montagnes  et  les  forêts,  en  chas- 
saient les  cerfs,  les  ours,  les  sangliers  et  les  autres  bêtes  sauvages,  qui  se 
sauvaient  tout  épouvantés  dans  les  bourgs  et  dans  les  villes,  où  leur  pré- 
sence répandait  la  terreur.  Le  vigilant  pasteur  consola,  encouragea  son 
peuple  par  d'éloquents  discours  :  il  fit  voir  dans  ces  malheurs  autant  de 
coups  de  verges  d'un  père  courroucé,  dont  il  fallait  implorer  la  clémence 
par  la  soumission  et  par  des  prières  ferventes  et  continuelles. 

Il  arriva  de  plus  que,  la  nuit  de  Pâques,  le  feu  prit  à  un  édifice  public 
de  Vienne,  et  y  continua  avec  tant  de  violence,  que  chacun  s'attendait  à  un 
embrasement  général.  Mamert,  qui  avait  déjà  opéré  des  prodiges  sembla- 
bles, se  prosterna  devant  l'autel,  et  ses  larmes,  ses  prières,  arrêtèrent  l'in- 
cendie. Saint  Avite  dit  expressément  que  les  flammes  s'éteignirent  d'une 
manière  miraculeuse  *, 

Ce  fut  dans  cette  nuit  épouvantable  que  Mamert  conçut,  devant  Dieu,  le 
projet  des  Bogations,  en  régla  les  psaumes  et  les  prières;  il  y  ajouta  le 
jeûne,  la  confession  des  péchés,  les  larmes,  la  componction  du  cœur.  Quant 
au  but  de  ces  processions  salutaires,  le  voici,  d'après  une  homélie  que  l'on 
croit  être  de  saint  Mamert,  et  qui  se  trouve  parmi  les  sermons  attribués  à 
Eusèbe  d'Emèse  :  «  Nous  y  prierons  »,  dit-il,  «  le  Seigneur,  de  nous  déli- 
vrer de  nos  infirmités,  de  détourne*  ses  fléaux  de  dessus  nous,  de  nous  pré- 
server de  tout  malheur,  de  nous  garantir  de  la  peste,  de  la  grêle,  de  la 
sécheresse  et  de  la  fureur  de  nos  ennemis;  de  nous  donner  un  temps  favo- 
rable pour  la  santé  des  corps  et  pour  la  fertilité  de  la  terre,  de  nous  faire 
jouir  de  la  paix  et  du  calme,  et  de  nous  pardonner  nos  péchés  ».  Tel  est  à 
peu  près  tout  ce  que  l'on  sait  de  saint  Mamert.  Saint  Avite  le  nomme  son 
parrain  :  spiritualem  a  baptismo  patrera*.  11  bâtit  à  Vienne  une  nouvelle 
église  en  l'honneur  de  saint  Ferréol,  martyr,  dont  il  avait  transféré  le  corps, 
après  l'avoir  découvert.  On  voit  un  évêque  Mamert  au  concile  d"Arles  de 
475.  C'est  vraisemblablement  notre  Saint.  Il  mourut,  dit-on,  en  477.  Son 
corps,  inhumé  à  Vienne,  fut  ensuite,  par  l'ordre  du  pape  Jean  III  et  du  roi 
Gontran,  transporté  à  Orléans  et  déposé  en  la  cathédrale  de  cette  ville,  où 
il  était  en  grande  vénération.  Les  protestants  le  brûlèrent  dans  le  xvic  siècle. 

LE  MOINE  MAMERT  CLAUDIEN. 

Saint  Mamert  avait  un  frère  plus  jeune  que  lui.  Ce  fut  Mamert  Claudien,  moine,  puis  prêtre 
et  coopérateur  fidèle  de  l'évêque  de  Vienne.  Il  vivait  au  milieu  du  v6  siècle  et  mourut  entre  470 
et  474.  Sidoine  Apollinaire  le  regardait  comme  le  plus  beau  génie  de  son  siècle.  Il  était  a  la  fois 

l.  3om.  de  Rogat.  —  2.  Ibid. 


456  11  mai. 

poëte,  philosophe  et  théologien  :  il  pouvait  répondre  à  toutes  sortes  de  questions  et  combattre 
toutes  les  erreurs  ;  mais  sa  modestie  et  sa  vertu  le  rendaient  bien  plus  recommandable  encore  que 
son  savoir.  Il  enseigna  au  clergé  de  son  frère  les  saintes  Ecritures,  le  chant  ecclésiastique  et  la 
liturgie,  qu'il  enrichit  de  plusieurs  hymnes,  entre  autres  de  celle  du  dimanche  de  la  Passion  : 

Pange,  Hngua,  gloriosi  Kedis,  S  ma  langue, 

Lauream  certaminis.  Du  Christ  souffrant  le  combat  glorieux. 

Son  ouvrage  le  plus  important  est  son  traité  en  trois  livres  sur  la  Nature  de  l'âme  i.  Le  but 
de  Mamert  Claudien  est  de  réfuter  Faust  de  Riez,  en  Provence,  qui  niait  l'incorporéité  des  anges 
et  des  âmes  humaines  et  n'admettait  que  l'incorporéité  de  Dieu.  11  dédie  son  écrit  à  Sidoine 
Apollinaire,  encore  laïque.  On  n'avait  point  encore  si  bien  raisonné  sur  !a  nature  du  corps,  sur 
celle  de  l'âme  et  sur  la  distinction  de  ces  deux  substances.  L'auteur  y  enseigne  clairement  Vani- 
misme  :  «  L'âme  est  la  vie  du  corps  en  cette  vie  ;  elle  est  également  dans  tout  le  corps  et  dans 
chacune  de  ses  parties;  elle  n'est  point  locale,  elle  est  autant  dans  chaque  partie  du  corps  que 
dans  le  tout  ».  Il  prouve,  par  dix  syllogismes  excellents,  que  l'âme  est  incorporelle.  On  ne  parle 
guère  plus  solidement  ni  plus  clairement  aujourd'hui  que  la  science  psychologique  a  fait  d'incon- 
testables progrès. 


SAINT  GENGOUL  \  MARTYR 

160.  —  Pape  :  Paul  Ier.  —  Roi  de  France  :  Pépin  le  Rref. 


Ce  qui  est  agréable  a  Dieu,  c'est  que  l'on  endure  en 
vue  de  lui  plaire  les  peines  que  l'on  souffre  injus- 
tement. I  Ep.  de  saint  Pierre,  n,  19. 

Une  mauvaise  femme  est  plus  amère  que  la  mort. 

Saint  Gengoul  peut  servir  -de  modèle  k  ceux  dont  lo 
ménage  est  troublé  paT  l'infidélité. 

Saint  Gengoul  était  d'une  maison  très-illustre  de  Bourgogne  ;  ses  pa- 
rents, qui  n'avaient  pas  moins  de  vertus  que  de  richesses,  eurent  grand 
soin  de  son  éducation.  Il  passa  son  enfance  et  les  premières  années  de  sa 
jeunesse  dans  une  parfaite  innocence,  joignant  à  l'étude  des  lettres,  où  il 
réussit  extrêmement,  les  exercices  de  la  piété  chrétienne.  Il  n'y  avait  rien 
de  si  honnête  ni  de  si  pudique  que  lui  :  il  fuyait  la  compagnie  des  libertins 
et  la  vue  de  tous  les  objets  qui  pouvaient  ternir  la  fleur  de  sa  chasteté.  Son 
plaisir  était  de  visiter  les  églises,  d'entendre  la  parole  de  Dieu,  de  la  médi- 
ter dans  le  secret  de  son  cœur,  et  de  lire  des  livres  spirituels  et  capables 
de  l'instruire  des  pures  maximes  de  l'Evangile.  On  n'entendait  jamais 
sortir  de  sa  bouche  des  paroles  indiscrètes,  ni  même  inutiles.  Son  visage, 
par  sa  modestie,  inspirait  de  la  dévotion  à  ceux  qui  avaient  le  bonheur  de 
l'entretenir. 

Ses  parents  étant  morts,  il  se  vit  maître  de  beaucoup  de  terres  et  de 
seigneuries  ;  mais,  bien  loin  de  dissiper  ces  biens  par  des  dépenses  crimi- 
nelles ou  superflues,  il  les  administra  avec  autant  de  prudence  et  de  sagesse 
que  s'il  eût  été  un  vieillard  consommé  dans  l'art  de  l'économie  et  du  gou- 
vernement domestique.  Les  églises  et  les  pauvres  y  eurent  beaucoup  de 
part,  et  il  crut  qu'il  ne  pouvait  témoigner  sa  reconnaissance  envers  Dieu, 
qui  lui  avait  donné  ces  richesses,  qu'en  lui  en  rendant  une  partie  par  l'as- 
sistance de  ses  ministres  et  de  ceux  dont  il  veut  que  nous  considérions 

1.  T.  un  de  la  Patrologie  de  M.  Migne. 

3.  Gengou,  Gengoux,  Gigou,  Genf,  Gandoul,  Gingolph,  Gangulfus,  et  en  Allemagne,  Golf. 


SAINT   GENGOUL,  MARTYR.  457 

l'indigence  comme  semblable  à  la  sienne  propre.  Etant  en  âge  de  se  ma- 
rier, il  prit  une  femme  qui  était  aussi  d'une  maison  noble  et  riche,  mais 
elle  lui  convenait  peu  d'ailleurs  pour  les  qualités  de  l'esprit  et  du  cœur  : 
elle  n'avait  point  la  piété  de  notre  Saint  ;  elle  était  vaniteuse,  mondaine, 
légère.  Dieu  permit  une  société  si  inégale  pour  éprouver  la  vertu  dô  son 
serviteur  et  le  purifier  dans  le  creuset  des  afflictions. 

Gengoul,  qui  était  un  des  principaux  seigneurs  de  Bourgogne,  et  qui 
avait  beaucoup  de  bravoure,  prit  une  grande  part  aux  guerres  nombreuses 
que  fit  le  roi  Pépin  le  Bref;  il  passa  pour  avoir  prêté  le  secours  du  bras 
séculier  à  la  prédication  de  l'Evangile  dans  la  Frise  ;  ce  qui  expliquerait  la 
dévotion  dont  il  a  été  et  est  encore  l'objet  en  Hollande. 

Pépin  l'estimait  singulièrement,  à  cause  de  ses  beaux  faits  d'armes  et  de 
sa  sainteté,  qu'il  vit  éclater  même  par  des  prodiges.  Il  l'aimait  tant,  qu'il  le 
faisait  coucher  dans  sa  tente.  Un  soir,  quand  ils  furent  tous  deux  au  lit,  la 
lampe,  qu'on  avait  éteinte,  se  ralluma.  Le  roi,  s'étant  réveillé,  fut  surpris 
de  cette  lumière  ;  il  se  leva  et  souffla  la  lampe,  qui  se  ralluma  encore  ;  le 
prodige  se  renouvela  trois  fois,  et  convainquit  Pépin  qu'un  saint  reposait 
dans  sa  tente.  L'histoire  de  Gengoul  raconte  une  merveille  bien  plus  extra- 
ordinaire :  il  s'en  retournait  en  Bourgogne,  pour  s'y  reposer  des  fatigues  de 
la  guerre  ;  en  passant  par  le  Bassigny,  il  s'arrêta  dans  un  endroit  délicieux, 
pour  y  prendre  sa  réfection  :  c'était  sur  le  bord  d'une  fontaine,  dont  les 
eaux  étaient  très-belles  et  excellentes.  Il  l'acheta  et  la  paya  à  celui  qui  en 
était  le  possesseur.  Dieu  voulut  punir  l'avarice  de  ce  dernier  :  car  il  croyait 
bien  avoir  à  la  fois  la  fontaine  et  son  prix,  ne  voyant  pas  comment  le  Saint 
pourrait  la  transporter  dans  ses  terres.  Gengoul,  arrivé  à  Varennes,  sa  rési- 
dence habituelle,  ficha  son  bâton  dans  la  terre  et  en  fit  jaillir  une  magni- 
fique fontaine  :  c'était  celle  qu'il  avait  achetée,  car  elle  cessa  d'exister  dans 
la  terre  du  vendeur  avare. 

Nous  l'avons  déjà  dit,  Notre-Seigneur  destinait  Gengoul  à  être  un  grand 
modèle  de  patience,  un  autre  Tobie,  un  autre  Job.  Sa  femme  se  moquait  de 
sa  piété,  insultait  à  ses  vertus;  à  la  fin,  elle  lui  devint  infidèle.  Le  Saint, 
s'en  étant  aperçu,  fut  plongé  dans  une  vive  douleur  et  une  grande  per- 
plexité, trouvant  également  pénible  et  funeste  de  punir  ce  crime  et  de  le 
laisser  impuni.  Il  était  toujours  dans  cet  embarras,  lorsqu'un  jour,  se  pro- 
menant seul  avec  la  coupable,  il  lui  dit  :  «  Il  y  a  longtemps  qu'il  court  des 
bruits  contre  votre  honneur.  Je  n'ai  pas  voulu  vous  en  parler  avant  de  sa- 
voir s'ils  étaient  fondés;  mais  aujourd'hui,  il  ne  m'est  plus  permis  de 
garder  le  silence  :  je  vous  rappelle  donc  qu'une  femme  n'a  rien  de  plus 
cher  au  monde  que  son  honneur  ;  elle  doit  tout  faire  pour  le  conserver  ou 
le  recouvrer  ». 

Cette  misérable  épouse  lui  répondit  avec  impudence  «  qu'il  n'y  avait 
rien  de  plus  injuste  que  les  bruits  qu'on  faisait  courir  contre  elle  ;  elle  lui 
avait  gardé  sa  foi  jusqu'alors  et  elle  la  lui  garderait  toujours  ;  il  était  mal- 
heureux pour  elle  d'être  victime  de  telles  calomnies  ».  —  a  S'il  en  est  ainsi, 
réplique  le  Saint,  voici  une  eau  limpide  et  qui  n'est  ni  assez  chaude  ni 
assez  froide  pour  nuire  (ils  étaient  alors  sur  le  bord  d'une  fontaine}.  Plon- 
gez-y votre  bras  :  si  vous  n'en  éprouvez  aucun  mal,  vous  serez  innocente  à 
mes  yeux  ».  La  coupable,  considérant  cette  épreuve  comme  un  trait  de  la 
simplicité  de  son  mari,  s'empressa  de  fournir  un  témoignage  si  facile  de 
son  innocence,  et  plongea  son  bras  dans  l'eau  jusqu'au  coude.  Elle  fut  bien 
surprise  quand,  à  mesure  qu'elle  l'en  retira,  la  peau,  se  détachant  comme 
si  on  l'eût  écorchée,  vint  pendre  jusqu'au  bout  de  ses  doigts  d'une  manière 


458  il  mai. 

horrible  :  elle  ressentit  des  douleurs  excessives.  Confuse,  interdite,  elle 
n'osait  plus  lever  les  yeux  sur  son  mari  ;  et  néanmoins,  l'orgueil  l'empê- 
chant encore  de  s'avouer  coupable  et  de  demander  pardon,  elle  demeura 
dans  un  honteux  silence,  à  l'exception  des  cris  que  la  douleur  lui  arrachait. 
Alors  Gengoul  lui  dit  :  «  Je  pourrais  vous  livrer  à  toute  la  sévérité  de  la 
loi  ;  mais  j'aime  mieux  vous  laisser  la  liberté  d'expier  vous-même,  dans  la 
pénitence  et  les  larmes,  l'adultère  dont  le  ciel  vient  de  vous  convaincre. 
Cependant  je  ne  demeurerai  pas  plus  longtemps  avec  vous  ;  retirez-vous 
dans  la  terre  que  je  vous  ai  affectée  pour  votre  douaire,  tâchez  d'y  apaiser 
la  colère  de  Dieu  justement  irrité  contre  vous,  compensez  par  des  bonnes 
œuvres  les  iniquités  que  vous  avez  commises  ;  et,  pour  moi,  je  me  retirerai 
aussi,  afin  que  la  compagnie  d'une  adultère  ne  me  fasse  pas  participant  de 
son  crime  » . 

Ainsi  saint  Gengoul  mit  sa  femme  dans  une  de  ses  seigneuries,  et  lui 
assigna  un  certain  revenu  pour  sa  subsistance  ;  lui,  de  son  ,côté,  se  retira 
dans  un  château  qu'il  avait  auprès  d'Avallon,  ville  de  Bourgogne,  sur  le 
Cussin,  entre  Auxerre  et  Autun.  De  là,  il  continua  de  veiller  sur  la  conduite 
de  celle  que  son  infidélité  avait  rendue  indigne  de  ses  soins  :  il  l'exhortait 
souvent,  par  lettres,  à  rentrer  en  elle-même  et  à  expier  ses  fautes  passées 
par  une  meilleure  vie.  Mais  ses  remontrances  furent  fort  inutiles.  Cette 
femme  libertine,  se  voyant  séparée  de  son  mari,  en  profita  pour  continuer 
ses  désordres.  Elle  ne  se  contenta  pas  de  vivre  publiquement  dans  l'adul- 
tère ;  mais,  craignant  que  son  mari  ne  donnât  tous  ses  biens  aux  pauvres, 
à  qui  il  faisait  déjà  de  grandes  aumônes,  ou  même  ne  la  punît  selon  toute 
la  rigueur  des  lois,  elle  résolut  sa  mort,  avec  le  complice  de  ses  désordres, 
qui  se  chargea  de  l'exécution.  Cet  assassin  se  rend  donc  secrètement  à  la 
résidence  de  Gengoul,  et,  ayant  trouvé  le  moyen  d'entrer  dans  sa  chambre 
lorsqu'il  était  seul  et  encore  couché,  prend  l'épée  qui  était  pendue  près  de 
son  chevet  et  lève  le  bras  pour  lui  en  décharger  un  grand  coup  sur  la  tête. 
Mais  Gengoul,  s'étant  réveillé  en  ce  moment,  pare  le  coup,  qui  le  frappe 
seulement  sur  la  cuisse.  La  blessure  était  néanmoins  mortelle.  Le  Martyr 
de  la  justice  et  de  la  chasteté  eut  le  temps  de  recevoir  les  derniers  Sacre- 
ments avant  de  s'endormir  dans  le  Seigneur,  le  11  mai  760. 

Il  avait  deux  tantes  d'une  insigne  vertu,  qu'il  avait  laissées  à  Varennes  : 
l'une  s'appelait  Villetrude  et  l'autre  Villegose.  Ces  saintes  femmes,  ayant 
appris  la  mort  de  leur  neveu,  souhaitèrent  que  son  corps  fût  enterré  en 
l'église  de  leur  bourg  :  c'était  d'autant  plus  juste,  qu'il  en  était  le  fondateur 
et  qu'il  avait  donné  de  grands  revenus  pour  l'entretien  des  clercs  qui  la 
desservaient.  Elles  prirent  avec  elles  tout  le  clergé,  et,  encore  suivies  d'une 
partie  des  habitants,  elles  se  transportèrent  en  diligence  au  lieu  où  il  était 
décédé.  On  ne  put  pas  leur  refuser  son  corps  :  il  fut  donc  conduit  à  Va- 
rennes  avec  beaucoup  de  solennité  et  au  milieu  des  flambeaux  et  des  chants 
ecclésiastiques,  qui  ne  discontinuèrent  presque  point  durant  tout  ce  che- 
min, qui  est  de  plusieurs  lieues.  Ce  qui  rendit  cette  pompe  funèbre  fort 
éclatante,  ce  fut  que  saint  Gengoul  lit  paraître,  par  plusieurs  miracles,  la 
gloire  dont  son  âme  jouissait  déjà  dans  le  ciel. 

Dieu  continua  à  manifester  par  de  nombreux  miracles  la  vertu  et  la 
sainteté  du  Martyr.  La  France,  les  Pays-Pas,  l'Allemagne  lui  élevèrent  des 
autels.  La  Suisse  plaça  sous  son  invocation  plusieurs  de  ses  églises;  et  au  pied 
des  Alpes,  sur  le  bord  du  lac  de  Genève,  dans  le  diocèse  d'Annecy,  un  village 
qui  porte  le  nom  de  saint  Gingolph  est  dédié  à  saint  Gengoul.  La  tradition 
rapporte  qu'il  y  séjourna  quelque  temps  retiré  parmi  les  rochers,  comme 


SAINT   GENGOUL,   MARTYR.  459 

un  anachorète,  et  se  livrant  à  la  contemplation,  à  la  prière  et  à  la  péni- 
tence. 

Au  reste,  le  meurtre  de  saint  Gengoul  ne  demeura  pas  impuni  :  l'adul- 
tère qui  l'avait  assassiné,  étant  retourné  vers  son  infâme  maîtresse  pour  lui 
donner  avis  de  son  homicide,  fut  saisi  sur-le-champ  de  violentes  coliques 
et  mourut  dans  un  lieu  digne  de  lui,  au  milieu  des  plus  atroces  douleuvs. 
La  femme  du  Saint,  qui  ajouta  à  ses  crimes  celui  de  se  moquer  de  ses  mi- 
racles, fut  châtiée  par  une  incommodité  honteuse  qui  lui  dura  toute  la  vie. 

On  représente  saint  Gengoul  en  costume  de  baron,  armé  de  toutes 
pièces,  avec  une  croix  sur  son  écu,  la  main  posée  sur  la  garde  de  son  épée, 
dont  la  pointe  fait  sortir  de  terre  une  source  l.  Saint  Gengoul  est  l'un  des 
patrons  de  Harlem,  en  Hollande,  de  Florennes,  dans  la  province  dt  Jtfamur, 
de  Toul,  de  Varennes,  en  Champagne,  de  Montreuil-sur-Mer,  stc.  Il  est 
spécialement  invoqué  par  les  mal  mariés. 

RELIQUES  DE  SAINT  GENGOUL. 

Ses  saintes  reliques  furent  dans  la  suite  transférées  à  Langres,  où  une  église  des  Carmélites  a 
porté  son  nom.  Beaucoup  d'autres  lieux  se  glorifient  d'en  posséder  ou  d'en  avoir  autrefois  possédé 
quelque  partie,  surtout  la  ville  de  Florennes,  près  de  Philippeville,  00.  Gérard,  chanoine  de  Reims 
et  depuis  évèque  de  Cambrai,  fit  bâtir  une  célèbre  maison  en  l'honneur  de  cet  illustre  Martyr. 
Elle  fut  d'abord  occupée  par  des  chanoines  et  puis  par  des  religieux.  Les  miracles  qui  s'y  firent 
ont  été  décrits  par  Gouzon,  qui  en  a  été  le  quatrième  abbé. 

M.  Henriot,  curé  de  Varennes,  nous  écrivait  le  23  décembre  1858  :  «  L'église  de  Varennes  n'a 
qu'une  parcelle  d'ossements  de  saint  Gengoul.  M.  l'abbé  Carré  en  possède  une  plus  grande, 
mais  qu'on  ne  peut  considérer  comme  insigne.  L'évèché  de  Langres  a  un  fragment  considérable  de 
la  cotte  de  mailles  du  Saint.  M.  le  curé  des  Loges  possède  aussi  un  fragment  de  cette  cotte  de 
mailles.  Voilà  tout  ce  que  je  sais  des  reliques. 

«  La  fontaine  de  saint  Gengoul  est  dans  la  crypte  d'une  chapelle  autrefois  bien  fréquentée  des 
pèlerins.  Bon  nombre  de  personnes  encore  existantes  ont  vu,  appendus  aux  murs  de  la  crypte,  des 
béquilles  et  des  ex-voto  du  siècle  précédent.  Malheureusement  la  chapelle  a  été  convertie  en  ha- 
bitation et  la  crypte  en  cave.  La  fontaine  a  été  recouverte  de  maçonnerie.,  et  l'eau  en  a  été  déri- 
vée par  un  conduit  ou  drainage.  La  dévotion  n'a  plus  d'objet  dans  cette  chapelle. 

«  Cette  chapelle  tient  au  village.  Elle  est  du  xv°  siècle.  Sa  hauteur  est  divisée  en  étages; 
mais  aucune  dégradation  n'a  altéré  son  caractère.  Il  faudrait  peu  pour  la  restaurer,  et,  si  je  n'avais 
dû  relever  l'église  paroissiale  de  ses  ruine?,  j'aurais  déjà  fait  cette  restauration  ». 

Et  M.  l'abbé  J.-L.  de  Blaye,  curé  d'Imling,  le  19  décembre  1862  :  «  Saint  Gérard,  évèque  de 
Toul,  obtint*  pour  l'église  collégiale  qu'il  avait  fondée  en  l'honneur  de  saint  Gengoul,  des  reliques 
de  ce  saint  Martyr,  qui  furent  conservées  jusqu'à  la  Révolution.  Cette  église,  maintenant  parois- 
siale, ne  possède  plus,  sous  ce  titre,  qu'un  fragment  de  crâne  dont  la  certitude  est  loin  d'être 
complète  :  en  effet,  il  est  dans  un  état  de  détérioration  assez  avancé  pour  qu'il  soit  permis  de 
douter  qu'il  appartienne  au  même  squelette  que  le  chef  et  les  nombreux  ossements  conservés  à 
la  cathédrale  de  Langres.  Ceux-ci,  dont  la  provenance  est  d'une  notoriété  incontestable,  accusent 
un  fort  développement,  sont  d'une  conservation  presque  éburnée,  et  ont  une  teinte  d'un  biun  rou- 
geâtre. 

Les  fidèles  de  Montreuil  se  rendaient  autrefois  en  pèlerinage  à  la  chapelle  de  Saint-Gengoul, 
située  sur  la  paroisse  Saint-Josse  (Pas-de-Calais).  Cette  dévotion  a  été  transférée  depuis  dans  une 
église  du  faubourg,  en  même  temps  que  sa  statue  équestre.  Le  culte  de  ce  Saint  a  persisté  à  Ber- 
nay.  Il  y  a  de  ses' reliques  à  Saint-Vulfran  d'Abbeville.  La  relique  (nuque),  obtenue  du  chapitre  de 
Toul,  en  '071,  et  conservée  à  Montreuil-sur-Mer,  fut  brûlée  en  1793;  elle  a  été  remplacée  depuis 
par  une  autre  que  Mgr  Parisis  donna  à  la  chapelle  actuelle. 

La  célèbre  Hroswitha  a  composé,  au  xe  siècle,  un  poëme  latin,  extrêmement  curieux,  sur  la  passion 
de  saint  Gengoul.  On  en  trouvera  l'analyse  dans  la  Reçue  de  l'art  chrétien,  t.  xm,  p.  136. 

Plusieurs  auteurs  parlent  honorablement  do  saint  Gengoul  :  le  martyrologe  romain  lui  donne  la  qua- 
lité de  Martyr  ;  Surius  et  Bollandus  rapportent  ses  Actes,  tirés  de  divers  manuscrits.. 

I.  Voir  les  œuvres  de  Callot,  au  Cabinet  des  Estampes  de  Paris,  tome  vin,  f.  20. 


460  H  mai. 


SAINT  MAYEUL  ',  QUATRIÈME  ABBÉ  DE  CLUNY 


906-994.  —  Papes  :  Sergius  III;    Jean  XVI.    —  Rois  de  France  :  Charles  III,  dit  le  Simple; 

Hugues  Capet. 


On  s'aime  trop  pour  vouloir  être  damne  ;  mais  on  ne 
vit  pas  assez  chrétiennement  pour  ne  pas  l'être.  Il 
est  étrange qu'il  se  trouve  des  gens  qui  ne  crai- 
gnent point  ce  qu'ils  croient. 

P.  Croiset  au  11  mai. 

Saint  Mayeul  naquit  vers  l'an  906,  d'une  noble  et  opulente  famille  de 
Valensolle,  petite  ville  du  diocèse  de  Riez.  Il  perdit  ses  parents  fort  jeune. 
Foucher,  son  père,  avait  donné  à  l'abbaye  de  Cluny  vingt  terres,  avec  les 
églises  qui  en  dépendaient.  Il  restait  encore  à  notre  Saint  d'immenses  pos- 
sessions, qui  furent  ravagées  par  les  Hongrois  et  les  Sarrasins.  Mayeul,  à 
cause  des  incursions  de  ces  barbares,  quitta  la  Provence  et  se  retira  en 
Bourgogne,  àMâcon,  cbez  un  ricbe  seigneur,  son  parent.  Bernon,  évêque 
de  cette  ville,  l'ayant  déterminé  à  entrer  dans  l'état  ecclésiastique,  le  fit 
chanoine  de  sa  cathédrale,  et  l'envoya  étudier  la  philosophie  à  Lyon,  cé- 
lèbre école,  sous  un  maître  habile,  nommé  Antoine,  abbé  du  monastère  de 
l'Ile-Barbe. 

A  son  retour  à  Mâcon,  Mayeul  fut  promu,  par  tous  les  degrés,  jusqu'au 
diaconat,  par  l'évêque,  qui  le  fit  même  archidiacre.  Il  s'acquitta  de  cette 
charge,  sous  Bernon  et  son  successeur  Maimbeu,  avec  la  piété  et  la  charité 
d'un  nouvel  Etienne  :  il  n'avait  pas  moins  soin  des  pauvres  que  des  autels  ; 
il  ne  se  contentait  pas  de  leur  distribuer  les  aumônes  des  fidèles,  comme  le 
voulait  son  emploi;  il  y  joignait  les  siennes,  c'est-à-dire  qu'il  y  consacrait 
tous  ses  revenus,  ne  se  réservant  que  le  strict  nécessaire  pour  sa  subsistance 
de  chaque  jour.  Son  économe  lui  reprocha  ce  qu'il  appelait  son  impré- 
voyance. Pendant  une  famine,  Mayeul  ne  pouvait  plus  ni  donner  ni  em- 
prunter, ni  presque  se  nourrir,  lui  et  ses  gens  ;  ses  ressources  étaient  épui- 
sées. Il  tint  ferme  néanmoins  contre  les  murmures  et  le  découragement  de 
ceux  qui  n'avaient  pas  en  Dieu  la  même  confiance  que  lui.  Il  implora  la 
Providence  ;  sa  foi  fut  récompensée  :  il  trouva  près  de  sa  chambre,  une 
bourse  où  il  y  avait  sept  pièces  d'argent.  Un  scrupule  semblable  à  celui  du 
saint  homme  Tobie  lui  fit  craindre  que  cette  bourse  n'appartînt  à  quelque 
autre  personne  et  ne  lui  fût  pas  destinée.  Il  fit  annoncer,  dans  toute  la  ville, 
par  un  crieur  public,  qu'il  était  prêt  à  remettre  cette  somme  à  celui  qui 
l'avait  perdue  :  personne  ne  vint  la  réclamer.  Il  la  distribua  aux  pauvres 
tout  entière,  quoiqu'il  fût  réduit  lui-même  en  ce  moment  à  la  dernière  indi- 
gence. Le  lendemain,  il  lui  vint,  d'un  endroit  d'où  il  n'attendait  rien,  des 
voitures  pleines  de  provisions,  qui  firent  enfin  cesser  les  plaintes  de  son 
économe  et  de  ses  domestiques. 

Quelque  temps  après,  il  fut  chargé  d'enseigner  la  philosophie  et  la  théo- 
logie aux  clercs  de  l'église  de  Mâcon  et  aux  autres  qui  viendraient  suivre  ses 
leçons.  Il  s'en  acquitta  avec  un  grand  succès  et  gratuitement  :  ce  qu'on 
n'avait  point  encore  fait  avant  lui.  Il  ne  lui  fut  pas  aussi  facile  d'éviter  les 

1.  Maïeul,  Majolus. 


SAINT  MAYEUL,    QUATRIÈME  ABBÉ  DE   CLUNY.  461 

applaudissements  que  les  honoraires  ;  mais  il  ne  donna  pas  plus  de  place  en 
son  cœur  à  la  vaine  gloire  qu'à  l'avarice.  N'attendant  sa  récompense  que  de 
Dieu,  il  eût  voulu  n'être  connu  que  de  Dieu.  Mais  il  ne  put  empêcher  sa 
réputation  de  s'étendre  au  loin.  L'archevêché  de  Besançon  étant  devenu 
vacant  par  la  mort  de  Guifred,  le  clergé,  le  peuple  et  le  prince  nommèrent 
Mayeul  pour  occuper  ce  siège.  Mais  notre  Saint  refusa  d'acquiescer  à  cette 
élection,  et,  pour  se  mettre  à  l'abri  des  dangers  de  l'ambition  et  des  illu- 
sions du  siècle,  il  entra  dans  l'abbaye  de  Cluny,  qui  était  très-florissante 
sous  le  gouvernement  d'Aymard,  son  troisième  abbé  (943).  Vertueux  comme 
il  l'était,  Mayeul  n'avait  guère  que  l'habit  à  changer  pour  mener  la  vie  mo- 
nastique. Il  y  fit  des  progrès  qui  attirèrent  sur  lui  tous  les  regards,  comme 
sur  un  modèle. 

L'abbé  le  fit  bibliothécaire  et  apocrisiaire.  Il  s'acquitta  de  la  première 
charge  en  remplissant  la  bibliothèque  du  monastère  de  bons  livres  ;  il  en 
exclut  les  poètes  profanes,  et  ne  laissait  pas  même  lire  Virgile  aux  religieux. 
L'office  d'apocrisiaire  renfermait  tout  à  la  fois  les  fonctions  de  secrétaire 
de  l'Ordre,  de  procureur  et  de  trésorier.  Il  fut  par  là  obligé  de  faire  de  nom- 
breux voyages,  dans  lesquels  il  n'agissait  que  par  obéissance  et  demeurait 
toujours  recueilli.  En  allant  à  Rome,  lorsqu'il  se  trouvait  à  Ivrée,  il  guérit 
par  l'onction  de  l'huile  sainte,  le  moine  Heldric  (ancien  courtisan  du  roi 
d'Italie),  qui  l'accompagnait. 

En  948,  l'abbé  Aymard,  se  sentant  vieux  et  aveugle,  fit  nommer  abbé, 
en  sa  place,  Mayeul,  qui  fut  obligé  d'accepter  cette  charge,  pour  ne  pas 
désobéir  à  son  supérieur,  au  Chapitre  de  l'Ordre  et  à  quelques  évêques  as- 
semblés à  cet  effet. 

Obligé  de  signer,  comme  abbé  de  Cluny,  les  actes  où  il  dut  mettre  son 
nom,  il  ne  se  regarda  néanmoins  que  comme  le  vicaire  de  l'ancien  abbé,  ou 
plutôt  comme  le  serviteur  de  tous  les  religieux  de  la  maison.  Jamais  on  ne 
le  vit  plus  humble,  plus  officieux,  plus  exact,  plus  régulier  à  faire  ce  qu'il 
était  obligé  de  commander  aux  autres. 

Cependant  il  ne  se  faisait  presque  plus  rien  que  sous  son  autorité  :  l'an- 
cien abbé,  ayant  entièrement  perdu  la  vue,  se  jugea  tout  à  fait  inutile  au 
gouvernement,  et  se  retira  dans  l'infirmerie,  où,  en  lui  conservant  son  titre, 
on  le  laissa  jouir  du  repos  que  demandaient  ses  infirmités  et  son  grand  âge. 
Quoiqu'il  fût  humble  dans  ses  sentiments,  patient  dans  ses  afflictions  et  fort 
soumis  aux  ordres  de  Dieu,  il  ne  parut  pas  insensible  au  chagrin  et  à  la  ja- 
lousie, lorsqu'il  remarqua  qu'on  s'accoutumait  à  l'oublier,  et  qu'il  s'ima- 
gina qu'on  le  méprisait.  Un  jour  qu'il  envoya  demander  du  fromage  pour 
son  repas,  le  cellérier,  embarrassé  de  plusieurs  choses  à  la  fois,  refusa  d'en 
donner  au  frère  qui  le  servait,  et  répondit  assez  aigrement  que  c'était  trop 
de  deux  maîtres  dans  la  maison,  et  qu'on  ne  pouvait  obéir  à  la  fois  à  tant 
d'abbés  qui  se  mêlaient  de  commander.  Le  vieillard,  à  qui  le  frère  servant 
eut  l'indiscrétion  de  rapporter  cette  dureté,  se  mit  en  colère  tout  sérieuse- 
ment. Le  lendemain,  il  se  fit  conduire  au  Chapitre  par  le  frère;  et,  s'adres- 
sant  à  Mayeul,  il  lui  dit  que,  s'il  l'avait  élevé  au-dessus  de  lui,  ce  n'était 
pas  pour  en  être  persécuté  ;  qu'il  ne  lui  avait  donné  son  autorité  que  comme 
un  père  peut  la  donner  à  son  fils  ;  qu'il  ne  la  lui  avait  pas  vendue,  et  qu'il 
ne  prétendait  pas  qu'il  s'en  servît  pour  le  traiter  en  esclave.  «  Etes-vous 
mon  maître  ou  mon  religieux?  »  ajouta-t-il.  L'abbé  Mayeul  répondit,  avec 
la  douceur  qui  lui  était  naturelle,  qu'il  était  toujours  son  religieux,  et  qu'il 
ne  se  regarderait  jamais  autrement,  faisant  profession  de  lui  obéir  jusqu'à 
la  fin.  «  Si  cela  est  »,  repartit  le  vieillard  aveugle,  «  quittez  le  rang  d'abbé 


462  H  mai. 

et  reprenez  votre  ancienne  place  parmi  les  frères  ».  Mayeul  obéit  sur 
l'heure  ;  et  Aymard,  se  déclarant  seul  abbé,  se  comporta  comme  le  juge  et 
le  président  du  Chapitre.  Il  accusa  aussitôt  le  cellérier  qui  l'avait  offensé,  le 
fit  prosterner  contre  terre,  lui  fit  une  sévère  correction,  et  lui  imposa  une 
pénitence  aussi  rude  qu'il  jugea  à  propos.  Après  avoir  fait  ainsi  l'office  de 
juge  pendant  une  demi-heure,  il  descendit  du  siège  et  ordonna  à  Mayeul 
d'y  remonter.  Notre  Saint  obéit  avec  la  même  facilité  et  la  même  indiffé- 
rence qu'il  avait  fait  paraître  lorsqu'il  en  était  descendu,  et  donna,  par  cette 
conduite,  des  preuves  bien  solides  de  son  humilité  et  du  peu  d'attache 
qu'il  avait  pour  un  poste  qu'il  n'occupait  que  contre  son  gré.  Depuis  ce 
temps,  auquel  l'ancien  abbé  Aymard  ne  survécut  guère,  Mayeul  gouverna 
sa  maison  et  son  Ordre  avec  la  réputation  du  plus  saint  homme  de  son  siè- 
cle, et  Dieu  contribua  à  confirmer  cette  opinion  par  diverses  grâces  surna- 
turelles, dont  il  prit  plaisir  de  le  combler,  pour  récompenser,  ou  plutôt 
pour  augmenter  sa  vertu.  Sans  cesse  appliqué  aux  besoins  de  ses  religieux, 
il  n'en  pourvoyait  pas  avec  moins  de  zèle  à  ceux  des  pauvres  et  des  étran- 
gers, et  il  avait  encore  plus  d'ardeur  pour  le  salut  des  âmes  que  pour  la 
conservation  des  corps.  Sans  cesse,  ou  il  instruisait  de  vive  voix,  ou  il 
exhortait  par  lettres,  ou  il  faisait  des  règlements  de  discipline  religieuse,  ou 
il  répondait  à  des  consultations  de  conscience,  ou  il  priait,  ou  il  lisait  :  car 
il  était  si  ennemi  de  l'oisiveté  et  de  la  perte  du  temps,  qu'il  avait  toujours 
le  livre  à  la  main,  lors  même  qu'il  était  à  cheval  pour  faire  ses  voyages. 
Cette  assiduité  à  l'étude  le  rendit  très-versé  dans  la  science  des  saintes  Ecri- 
tures et  des  Canons.  Il  s'était  aussi  rendu  fort  habile  dans  le  droit  civil  et  la 
philosophie,  et  il  ne  croyait  pas  faire  injure  à  sa  profession,  ni  perdre  le 
temps  qu'il  devait  à  ses  religieux,  en  revoyant  encore  quelquefois  les  livres 
des  anciens  philosophes  :  il  regardait  ces  connaissances  comme  des  captives, 
à  qui  il  suffisait  d'ôter  ce  qu'elles  avaient  d'étranger  ou  de  nuisible,  pour 
les  faire  servir  à  la  vérité  de  notre  religion  ou  au  règlement  de  nos  mœurs. 
Il  jouissait  d'une  grande  considération  auprès  des  papes,  des  empereurs 
et  des  rois  de  son  temps,  dont  plusieurs  eurent  occasion  de  connaître  son 
rare  mérite,  lorsque  les  affaires  de  l'Eglise  et  de  son  Ordre,  et  quelquefois 
même  la  charité,  l'obligeaient  d'aller  à  leur  cour.  OthonI"  et  l'impératrice 
Alix  ou  Adélaïde,  sa  femme,  le  chargèrent  de  réformer  les  monastères  d'Al- 
lemagne et  les  autres  qui  se  trouvaient  dans  les  terres  de  l'empire.  Il  y  tra- 
vailla avec  beaucoup  de  succès  à  Ravenne,  à  Pavie,  et  en  d'autres  endroits 
de  la  Lombardie  ;  dans  le  pays  des  Suisses,  dans  la  Souabe,  puis  en  quel- 
ques autres  monastères  d'Allemagne,  où  il  rétablit  ou  fit  recevoir  de  nou- 
veau l'institut  de  Cluny.  Il  en  réforma  aussi  un  grand  nombre  en  France, 
entre  autres  Marmoutier  en  Touraine,  Saint-Germain  d'Auxerre,  Saint- 
Jean  de  Réomé  ou  Moûtier-Saint-Jean, Saint-Bénigne  de  Dijon,  Saint-Maur 
des  Fossés,  près  de  Paris.  Quelques  années  après,  le  pape  Benoît, VII  lui  fit 
remettre  celui  de  Lérins  ou  de  Saint-Honorat  entre  les  mains,  pour  y  éta- 
blir cette  même  réforme.  Les  auteurs  de  sa  Vie,  qui,  au  jugement  deBaillet, 
méritent  d'être  écoutés  comme  des  témoins  recevables,  les  uns  parce  qu'ils 
vivaient  avec  lui,  les  autres  à  cause  de  leur  savoir  et  de  leur  probité,  rap- 
portent diverses  merveilles  que  Dieu  opéra  par  son  moyen  pour  autoriser 
les  choses  qu'il  faisait  à  sa  gloire,  ou  à  l'avantage  de  l'Eglise,  ou  pour  sa 
propre  sanctification.  Une  de  ses  dévotions  favorites  était  d'aller  en  pèleri- 
nage aux  lieux  où  l'on  publiait  que  Dieu  accordait  des  grâces  extraordi- 
naires sous  l'invocation  de  ses  Saints.  Il  satisfaisait  sa  piété  et  sa  charité,  le 
long  des  chemins,  en  priant  et  en  répandant  les  aumônes  dont  il  faisait 


SAINT  MATEUL,    QUATRIÈME   ABBÉ  DE   CLUNT.  463 

bonne  provision  avant  de  sortir  de  son  abbaye.  Un  jour  qu'il  visitait  par  dé- 
votion Notre-Dame  du  Puy-en-Velay,  un  aveugle  lui  dit  avoir  eu  révélation 
de  saint  Pierre  qu'il  recouvrerait  la  vue  en  lavant  ses  yeux  avec  l'eau  dans 
laquelle  l'abbé  Mayeul  aurait  lavé  ses  mains.  L'humble  abbé  le  renvoya  avec 
une  forte  réprimande,  et,  sachant  qu'il  avait  demandé  de  cette  eau  à  ses 
domestiques,  il  leur  défendit,  avec  menaces,  de  lui  en  donner.  L'aveugle  ne 
se  découragea  point  :  après  avoir  été  rebuté  plusieurs  fois,  il  attendit  l'abbé 
à  son  retour  du  Puy,  sur  le  chemin,  dans  une  montagne  voisine,  nommée 
le  Mont- Joie,  prit  son  cheval  par  la  bride  et  jura  qu'il  ne  le  quitterait  pas 
avant  d'avoir  obtenu  ce  qu'il  demandait  ;  pour  qu'il  n'y  eût  point  d'excuse, 
il  portait  de  l'eau  dans  un  vase  pendu  à  son  cou.  Mayeul,  touché  d'une  foi 
si  vive,  mit  pied  à  terre,  et,  ayant  béni  l'eau,  il  en  fit  le  signe  de  la  croix 
sur  les  yeux  de  l'aveugle  ;  puis,  s'étant  prosterné  avec  toute  sa  suite,  il  pria 
avec  larmes  la  Mère  de  Miséricorde.  Sa  prière  n'était  pas  achevée,  que 
l'aveugle  s'écria  :  «  Je  suis  guéri  ».  —  «  Retournez  donc  en  paix  chez  vous, 
répliqua  le  saint  abbé,  et  racontez  le  miracle  que  la  puissance  de  la  sainte 
Vierge  a  opéré  en  votre  faveur  » .  Il  paraît  que  c'est  à  cause  de  ce  miracle 
qu'on  célèbre  dans  l'église  du  Puy  la  fête  de  saint  Mayeul. 

Passant  un  jour,  en  allant  à  Rome,  par  la  ville  de  Coire,  au  pays  des 
Grisons,  l'évêque  Alpert,  malade  à  l'extrémité,  le  pria  de  le  visiter.  Mayeul 
vint  donc  le  voir  et  l'exhorta  à  la  patience  et  à  la  soumission  aux  ordres  de 
Dieu.  L'évêque  souhaita  de  lui  confesser  ses  péchés.  Mayeul  l'entendit,  et 
prescrivit  les  remèdes  qu'il  jugeait  les  plus  propres  pour  guérir  les  plaies 
de  son  âme.  L'évêque  en  conçut  quelque  espérance  aussi  pour  la  guérison 
de  son  corps,  et  conjura  ce  grand  serviteur  de  Dieu  de  demander,  par  ses 
prières,  qu'il  fût  en  état  de  faire  le  saint  Chrême  pour  le  jour  de  Pâques, 
qui  approchait.  La  foi  de  l'un  et  de  l'autre  fut  exaucée  :  l'évêque  fut  guéri. 
Pendant  ce  voyage,  un  religieux  qui  l'accompagnait,  lui  ayant  gravement 
désobéi,  lui  demanda  pardon  de  sa  désobéissance,  et  se  soumit  à  telle  péni- 
tence qu'il  lui  plairait  de  lui  imposer  pour  l'expier.  «  Est-ce  tout  sérieuse- 
ment »,  dit  le  Saint,  «  que  vous  demandez  la  pénitence?  »  —  «  Oui,  répondit 
le  frère  ».  Il  y  avait  là  un  lépreux  qui  demandait  l'aumône  :  «  Approchez- 
vous  donc  de  ce  lépreux  »,  reprit  le  Saint,  «  et  baisez-le  ».  A  cet  ordre,  le 
religieux  embrassa  le  lépreux  qui  faisait  horreur  à  voir.  Il  le  baisa  sans 
marquer  aucune  répugnance  ;  et  Dieu,  pour  faire  connaître  combien  cette 
obéissance  lui  était  agréable,  rendit  la  santé  au  lépreux  par  ce  baiser. 

Au  retour  de  Rome,  saint  Mayeul  fut  rencontré  par  une  troupe  de 
Sarrasins  qui  exerçaient  leurs  brigandages  dans  les  Alpes,  et  qui  occupaient 
tous  les  passages  de  l'Italie.  Il  fut  pris  avec  toute  sa  suite,  qui  était  nom- 
breuse, au  pied  de  la  montagne  que  nous  appelons  communément  le  grand 
Saint-Bernard,  entre  la  Savoie  et  le  Valais;  et,  après  avoir  été  volé  et  battu, 
il  fut  retenu  prisonnier  dans  le  village  de  Pont-Oursier  (sur  la  Dranse,  qui 
va  se  décharger  dans  le  Rhône  à  Martigny).  Il  consola  ses  compagnons,  et 
les  excita  par  ses  exhortations  et  son  exemple  à  soutenir  généreusement 
cette  disgrâce.  Ayant  aperçu  l'un  des  barbares  qui  levait  le  sabre  pour 
fendre  la  tête  à  un  de  ses  serviteurs,  il  courut  pour  lui  retenir  le  bras,  et 
sauva  la  vie  à  ce  malheureux  ;  mais  il  fut  lui-même  blessé  à  la  main,  et  la 
cicatrice  lui  en  demeura  le  reste  de  ses  jours.  Il  refusa  de  manger  de  la 
viande,  et  il  garda  son  institut  aussi  régulièrement  que  dans  son  cloître.  Il 
fit  un  lieu  d'oraison  de  la  caverne  affreuse  où  les  Barbares  le  jetèrent  chargé 
de  chaînes,  et  il  porta  ceux  qui  étaient  retenus  avec  lui  à  sanctifier  tout  ce 
temps  de  leur  captivité  par  la  prière  et  les  autres  exercices  de  piété  que 


H   MAI* 

pouvait  leur  permettre  l'état  où  ils  se  trouvaient.  Les  Barbares  lui  avaient 
laissé,  par  mégarde,  un  livre,  le  Traité  sur  F  Assomption  de  la  Vierge,  attribué 
dès  lors  à  saint  Jérôme.  Ce  fut  pour  Mayeul  une  grande  consolation.  Il  pria 
la  Mère  de  Dieu  d'obtenir  sa  délivrance  avant  la  fête  de  son  Assomption, 
qui  était  encore  éloignée  de  vingt-quatre  jours.  S'étant  endormi  après  cette 
prière,  il  trouva,  à  son  réveil,  ses  fers  rompus.  On  lui  permit  d'envoyer  un 
de  ses  compagnons  à  Cluny  chercher  sa  rançon,  qui  devait  être  de  mille 
livres  pesant  d'argent.  Cette  somme  fut  bientôt  fournie  par  le  monastère  de 
Cluny  et  les  pays  d'alentour,  où  la  nouvelle  de  la  captivité  de  Mayeul  avait 
excité  la  plus  vive  douleur  et  fait  couler  les  larmes.  Le  Saint  fut  délivré 
avant  l'Assomption.  On  lui  restitua  les  livres  qu'il  rapportait  de  Rome.  Mais 
le  fruit  le  plus  important  de  sa  captivité  fut  la  conversion  de  plusieurs 
Sarrasins  qu'il  instruisit  dans  ses  fers,  et  qui  furent  si  touchés  par  la  vue  de 
sa  sainteté,  qu'ils  demandèrent  le  baptême.  Sa  délivrance  causa  beaucoup 
de  joie,  non-seulement  aux  religieux  de  son  Ordre,  mais  encore  aux  grands 
du  siècle  :  car  ils  avaient  pour  lui  une  rare  vénération  ;  mais  personne  ne 
l'honorait,  ne  l'aimait  plus  que  l'empereur  Othon  II,  qui  semblait  avoir 
hérité  des  sentiments  de  son  père.  Le  Saint  profita  de  son  influence  sur  ce 
prince,  pour  le  réconcilier  avec  l'impératrice  Adélaïde,  sa  mère.  En  974,  le 
Saint-Siège  étant  devenu  vacant,  l'empereur  fît  tous  ses  efforts  pour  décider 
Mayeul  à  accepter  la  tiare  :  personne  n'en  était  plus  digne  que  lui;  il  refusa 
néanmoins  constamment,  et,  ce  qui  n'est  pas  moins  admirable,  il  ne  tira 
jamais  vanité  d'un  refus  qui  semblait  devoir  lui  être  si  glorieux  ;  il  continua 
de  s'humilier  sans  cesse  devant  Dieu,  à  la  gloire  duquel  il  rapportait  toutes 
ses  pensées  et  toutes  ses  actions.  C'était  pour  la  gloire  de  Dieu  qu'il  travail- 
lait à  accroître  et  à  affermir  son  Ordre  :  il  espérait  que  Dieu  s'y  ferait  servir 
et  honorer  de  la  manière  qu'il  veut  et  qu'il  doit  l'être  par  ceux  qu'il  se 
choisirait,  en  les  retirant  de  la  corruption  du  siècle.  Il  fit  dresser  jusqu'à 
neuf  cent  cinquante-neuf  chartes  ou  titres,  en  faveur  de  sa  maison  et  de 
son  Ordre,  pendant  tout  le  temps  de  son  gouvernement  jusqu'à  l'an  991  :  ce 
qui  l'a  fait  considérer  comme  le  second  fondateur  de  Cluny. 

En  cette  année  (991),  se  sentant  de  plus  en  plus  baisser  sous  le  poids  de 
la  vieillesse,  et  peu  éloigné  de  sa  fin,  il  fit  choix  de  saint  Odilon,  son  disci- 
ple, pour  être  son  successeur.  Il  suivit  en  cela  les  traces  de  ses  prédéces- 
seurs :  ainsi  le  bienheureux  Bernon,  le  premier  fondateur  de  Cluny,  avait 
fait  mettre  saint  Odon  en  sa  place  de  son  vivant:  et  nous  avons  vu  que 
l'abbé  Aymard  en  avait  usé  de  même  à  l'égard  de  notre  Saint.  Odilon,  après 
avoir  été  élu  par  ses  soins,  du  consentement  général  de  la  congrégation, 
béni  par  les  évoques,  agréé  par  les  princes  et  les  seigneurs,  demeura  son 
coadjuteur  avec  la  qualité  d'abbé,  comme  Mayeul  l'avait  été  du  vivant  d' Ay- 
mard. Ces  premiers  abbés  de  Cluny  ne  se  choisissaient  ainsi  eux-mêmes  leurs 
successeurs  que  pour  mieux  assurer  l'avenir  de  cet  institut,  en  le  confiant 
à  des  supérieurs  capables  et  pieux.  C'est  pour  le  même  motif  qu'ils  s'atta- 
chaient aussi  à  faire  approuver  leur  élection  par  les  rois  et  les  grands  du 
pays  et  par  les  prélats.  Le  gouvernement  de  ce  grand  Ordre  devait  rencon- 
trer beaucoup  moins  d'obstacles,  ayant  l'agrément,  la  protection  des  puis- 
sances ecclésiastiques  et  séculières  :  on  évitait  par  là  les  troubles  et  les  di- 
visions. Au  reste,  saint  Odilon  ne  tarda  guère  à  justifier,  parla  sagesse  de 
sa  conduite,  le  choix  de  saint  Mayeul,  qui  vécut  encore  trois  ans.  Il  conti- 
nua d'exercer  ses  fonctions  d'abbé  durant  ce  temps,  et  de  travailler  encore 
avec  une  vigueur  que  la  caducité  de  son  âge  ne  pouvait  faire  attribuer  qu'à 
une  assistance  toute  particulière  du  ciel.  Les  forces  corporelles  lui  ayant 


SAINT  MAYEUL,    QUATRIÈME   ABBÉ  DE   CLUNY.  465 

entièrement  manqué  l'an  992,  il  s'abstint  de  sortir  davantage  et  ne  voulut 
plus  paraître  en  public.  Le  roi  de  France  Hugues  Gapet,  qui  ignorait  son 
état,  le  fit  prier  instamment  de  venir  à  Paris  pour  mettre  la  réforme  dans 
l'abbaye  de  Saint-Denis  et  y  faire  revivre  l'esprit  de  saint  Benoît.  Le  Saint 
n'avait  encore  rien  perdu  de  son  zèle,  quoiqu'il  eût  perdu  ses  forces  :  voyant 
que  le  prince  réitérait  ses  instances  de  jour  en  jour,  il  se  mit  en  chemin,  et 
dit  adieu  à  ses  frères,  persuadé  qu'il  ne  les  reverrait  plus.  Etant  arrivé  à 
Souvigay  en  Bourbonnais,  l'un  des  cinq  premiers  prieurés  de  l'Ordre,  à 
quatorze  lieues  de  Gluny,  dans  le  diocèse  de  Glermont  en  Auvergne,  il  y  fut 
retenu  par  la  maladie  dont  la  fin  fut  celle  de  ses  travaux  et  le  commence- 
ment de  son  repos  éternel.  Il  y  mourut  de  la  mort  des  justes  entre  les  bras 
de  ses  frères,  le  onzième  jour  de  mai  de  l'an  994,  le  vendredi,  lendemain 
de  l'Ascension,  âgé  d'environ  quatre-vingt-huit  ans. 

On  peut  représenter  saint  Mayeul,  recevant  d'une  main  divine,  d'un 
ange  probablement,  sept  pièces  d'or  pour  le  récompenser  de  n'en  avoir  pas 
ramassé  sept  autres  qu'il  avait  trouvées,  de  peur  de  faire  tort  à  celui  qui 
îes  avait  perdues  :  cet  acte  de  vertu  était,  comme  nous  l'avons  dit,  d'au- 
tant plus  méritoire  que  le  monastère  du  saint  abbé  était  dans  le  besoin  ; 
reçu  par  l'empereur  Othon  II  et  sainte  Adélaïde  qui  veulent  le  faire  élire 
Pape  *. 

Saint  Mayeul  est  le  patron  de  Souvigny  en  Bourbonnais  et  de  plusieurs 
localités  de  la  Lombardie. 

RELIQUES  ET  CULTE  DE  SAINT  MAYEUL. 

Mayeul,  abbé  de  Cluny,  mourut  à  Souvigny  eu  994.  Les  moines,  venus  avec  lui  de  la  maison 
mère,  voulurent  remporter  son  corps.  Cette  nouvelle,  connue  bientôt  dans  la  cité,  excita  une 
pieuse  émeute.  «  Qu'on  nous  laisse  notre  Saint  !  »  criait-on  de  toutes  parts,  «  qu'on  nous  laisse  notre 
Saint  !  »  Mille  bras  des  environs  se  réunirent  et  formèrent  un  faisceau  inexpugnable.  On  veille,  on. 
fait  la  garde  à  toutes  les  issues  du  monastère  :  force  fut  donc  de  laisser  le  vénérable  défunt,  qui 
fut  enterré  à  Souvigny,  dans  la  vieille  basilique  de  Saint-Pierre. 

Les  peuples  accoururent  en  foule  devant  ces  restes  précieux.  Des  miracles  éclatèrent,  des  mira- 
cles tellement  évidents,  que  Beggon,  évêque  de  Clermont,  n'hésita  pas  à  ériger  un  autel  sur  ce 
tombeau,  que  le  ciel  couvrait  de  tant  de  faveurs.  C'était,  comme  on  le  sait,  la  manière  de  cano- 
niser à  cette  époque.  Cent  ans  après,  en  1093,  Urbain  II  leva  de  terre  le  corps  du  Bénédictin 
vénéré  :  il  voulait  par  là  l'exposer  plus  solennellement  au  culte  des  fidèles. 

Mayeul  fut  un  des  Saints  auxquels  on  s'adressait  avec  le  plus  de  confiance  :  les  merveilles  opé- 
rées à  son  tombeau  nous  en  expliquent  la  cause.  Pierre  le  Vénérable  n'a  pas  craint  de  dire  «  que, 
après  la  sainte  Vierge,  il  n'y  avait  aucun  Saint  dans  l'Europe  qui  eût  fait  plus  de  miracles  que 
saint  Mayeul  ».  Cette  confiance  a  survécu  à  la  perte  des  reliques  du  thaumaturge.  Il  y  a  quelques 
années,  un  chrétien  de  Souvigny,  à  la  suite  d'une  neuvaine  à  saint  Mayeul,  obtint  une  guérison 
qui  fut  regardée  partout  comme  miraculeuse. 

Le  culte  de  saint  Mayeul  a  commencé  à  sa  mort  et  s'est  perpétué  de  siècle  en  siècle  jusqu'à 
nos  jours.  Déjà,  du  temps  de  Pierre  le  Vénérable,  on  accourait  de  toutes  les  parties  de  l'Europe  8 
près  de  ce  tombeau,  qui  devint  le  but  d'un  pèlerinage  des  plus  célèbres.  On  vit,  pendant  des  siècles, 
une  foule  de  visiteurs,  Papes,  rois,  princes,  seigneurs,  gens  de  toutes  les  classes  et  de  toutes  les 
professions. 

Les  habitants  de  Souvigny  regardaient  avant  tout  saint  Mayeul  comme  leur  Patron  et  leur 
Protecteur. 

L'Université  de  la  cathédrale  du  Puy  en  Velay  lui  rendait  le  même  honneur  en  1210  :  les 
grands-vicaires  écrivirent  aux  religieux  de  Souvigny  pour  demander  quelques  reliques  de  ce  per- 
sonnage, auquel  le  diocèse  du  Puy  avait  tant  de  confiance.  On  leur  envoya  une  partie  du  srapu- 
laire  qui  avait  appartenu  à  l'humble  abbé.  On  garde,  aux  archives  de  Souvigny,  les  lettres  et 

1.  Saint  Mayeul  est  représenté  sur  le  frontispice  du  livre  intitulé  :  Bibliotheca  Cluniacensis  et  Cata- 
logus  abbatum,  in-f»,  1614.  On  trouve  sur  le  même  titre,  les  portraits  de  plusieurs  hommes  et  femmes 
illustres  de  l'Ordre  de  Cluny  :  saint  Odon,  saint  Odilon,  saint  Hugues,  etc. 

3.  Ancien  Bourbonnais,  p.  116  du  Voyage  pittoresque. 

Vies  des  Saints.  —  Tome  V.  lmi 


466  11  mai. 

procès-verbaux  qui  furent,  dans  cette  circonstance,  échangés  entre  le  Chapitre  du  Puy  et  le  prieuré 
de  Souvigny  *.  On  y  voit  quelles  précautions  on  prenait  alors  pour  conserver  aux  reliques  leur 
authenticité.  Non-seulement  le  Bourbonnais  et  la  France,  mais  les  peuples  d'Italie  avaient  une 
particulière  vénération  pour  l'illustre  fils  de  saint  Benoit.  En  1682,  le  grand-duc  de  Florence 
remercie  le  prieur  de  Souvigny  de  la  précieuse  relique  qu'il  en  a  reçue  '.  Les  clercs  réguliers  de 
la  Congrégation  de  Somasque,  en  Italie,  honorent  saint  Mayeul  comme  un  Saint  de  leur  Ordre,  ou 
plutôt  comme  un  de  leurs  Patrons,  depuis  qu'on  leur  a  donné  l'église  et  le  monastère  de  son  nom 
à  P;ivie,  en  Lombardie. 

Quatre  corps  saints  ont  reposé  dans  la  belle  église  de  Souvigny  :  saint  Léger,  saint  Principin, 
saint  Odilon  et  saint  Mayeul.  Leurs  images  figurent  au  frontispice  de  l'ouvrage  de  Dom  Marcaille. 
Saint  Léger  a  été  transféré  à  Ebreuil  ;  saint  Principin  à  Hérisson,  où  était  le  lieu  de  son  œïrtyre 
(Chateloi)  ;  les  deux  autres  sont  restés  dans  l'église  qui  en  avait  reçu  le  dépôt.  Mais  vint  la  Révo- 
lution de  93.  Le  chef  de  saint  Mayeul  et  son  corps,  de  même  que  ce  qui  appartenait  à  saint 
Odilon,  en  un  mot  tout  ce  que  renfermait  de  précieux  le  trésor  de  l'église  prieurale,  tout  alors  fut 
sacrilégement  brûlé.  Quelques  personnes  croient  posséder  des  fragments  de  la  tunique  ou  scapu- 
laire  du  Saint  ;  mais  nous  avons  le  regret  de  dire  que  rien  n'est  authentique  à  cet  égard.  De  tous 
ces  objets  précieux,  la  châsse  est  seule  aujourd'hui  conservée  dans  l'église  de  Souvigny.  On  voit, 
dans  un  meuble  de  la  sacristie,  un  instrument  de  forme  rudimentaire,  auquel  on  n'attache  pas 
assez  d'attentiou  :  c'est  le  peigne  de  saint  Mayeul.  Les  peignes  liturgiques  étaient  encore  employés 
au  moyen  âgé  ;  les  prêtres  devaient  s'en  servir  immédiatement  avant  de  monter  à  l'autel 3.  A  l'une 
des  extrémités  de  la  ville  de  Souvigny,  on  voyait  naguère  l'arbre  légendaire  de  saint  Mayeul  ;  il 
est  tombé  de  vétusté.  Une  croix  de  fort  bon  goût  a  remplacé  celle  qu'ombrageait  l'ormeau  sécu- 
laire, et  chaque  année,  aux  Rogations,  une  procession  se  fait  à  la  croix  de  saint  Mayeul.  Elle  a 
le  privilège  d'attirer  une  foule  recueillie  et  nombreuse,  tant  le  souvenir  du  Saint  est  vivace  encore 
dans  le  pays.  D'anciens  procès-verbaux,  déposés  aux  archives  du  même  monastère,  parlent  d« 
quelques  processions  où  étaient  portés  les  chefs  de  saint  Odilon  et  de  saint  Mayeul.  Quelle  foi, 
quel  enthousiasme  dans  toutes  ces  fêtes  !  Qui  ne  connaît  l'église  de  Souvigny,  la  gloire  et  la  mer- 
veille du  Bourbonnais  ?  A  ceux  qui  s'étonneront  de  la  vaste  étendue  de  ce  monument,  nous 
répondrons  :  «  Ce  n'est  point  là  l'oratoire  de  trente  ou  quarante  moines,  c'est  la  basilique  de  Saint- 
Mayeul  ».  Le  culte  de  ce  grand  Saint  demandait  un  vaisseau  en  harmonie  avec  l'immense  quantité 
de  fidèles  qui  se  rendaient  là  pour  prier.  Ce  lieu  était,  en  outre,  le  Saint-Denis  de  nos  ducs  de 
Bourbon.  Nobles  et  princes  venaient  y  fléchir  le  genou  pendant  leur  vie  ;  et,  après  leur  mort, 
ils  voulaient  reposer  sous  ces  voûtes  majestueuses,  près  de  celui  qui  possédait  tant  de  puissance 
au  ciel. 

Pour  l'état  actuel  de  l'abbaye  de  Souvigny  et  de  ses  reliques,  voir,  au  1er  janvier,  la  fin  de  la 
Vie  de  saint  Odilon. 

Notes  fournies  par  M.  Boudant,  curé  de  Chantelle  (Allier). 


SAINT  GAUTIER,  CHANOINE  REGULIER 

ABBÉ  DE  L'ESTERP,  EN  LIMOUSIN 
^90-1070.  —  Papes  :   Jean  XVI  ;    Alexandre  II.  —  Rois  de  France  :  Hugues-Capet;  Philippe  le». 


Tout  le  monde  ne  peut  pas  quitter  pour  toujours  ses 
affaires  et  sa  maison  ;  mais...  nul  qui  ne  doive  se 
soustraire  quelque  temps  à  ses  affaires  temporelles 
pour  s'occuper  uniquement  de  l'affaire  du  salut. 
Père  Croiset  au  11  mai. 

Saint  Gautier  naquit  vers  l'an  990,  de  l'une  des  meilleures  familles  de 
l'Aquitaine  ;  plusieurs  de  ses  ancêtres  avaient  été  honorés  de  la  dignité 
consulaire;  son  père,  Raymond,  et  sa  mère,  Galburge,  jouissaient  l'un  et 
l'autre  d'une  grande  considération.  Ils  habitaient  le  château  de  Gonfolens, 

1.  Pièces  inédites.  —  2.  Manuscrit  de  l'ancien  prieuré  de  Souvigny.  Piàçs  inédite. 
3.  Bulletin  monumental,  rédigé  par  SI.  de  Caumont,  année  1SC1. 


SAINT   GAUTIER,   CHANOINE  RÉGULIER.  467 

au  confluent  de  la  Vienne  et  du  Goire.  Son  bisaïeul  maternel,  issu  d'une  noble 
famille  franque,  avait  eu  sous  son  commandement  trois  villes  importantes 
de  l'Aquitaine, 

La  jeunesse,  l'enfance  même  du  jeune  Gautier,  furent  si  bien  inspirées 
par  la  sagesse  que,  dès  l'âge  le  plus  tendre,  il  pouvait  servir  d'exemple  même 
aux  vieillards.  Après  qu'il  eut  reçu  de  sa  pieuse  mère  les  soins  et  l'éducation 
de  la  première  enfance,  vint  le  moment  de  l'envoyer  dans  un  monastère  pour 
qu'il  y  étudiât  les  lettres,  ainsi  que  le  faisaient  la  plupart  des  enfants  de 
familles  nobles  :  c'est  à  l'abbaye  du  Dorât  qu'il  fut  confié,  grâce  à  la  répu- 
tation de  saint  Israël.  A  peine  au  milieu  des  chanoines  du  Dorât,  le  jeune 
Gautier  brilla  entre  tous  leurs  élèves  par  sa  vivacité  d'esprit,  par  la  douceur 
de  ses  mœurs  et  par  l'élégance  de  ses  manières.  Saisissant  avec  facilité  les 
sentences  obscures,  il  les  retenait  avec  une  grande  sûreté  de  mémoire.  Ce 
n'était  point  assez  pour  son  esprit  que  les  assertions  qui  ne  reposaient  que 
sur  la  seule  autorité  du  maître  ;  mais,  dans  toute  question,  il  recherchait 
l'évidence,  il  consultait  les  lumières  de  sa  raison.  Par  cette  méthode,  il 
dépassa,  avec  une  rapidité  extraordinaire,  les  limites  des  premiers  éléments 
qui  lui  étaient  enseignés  et  celles  même  de  son  âge.  Faisant,  à  l'exemple  de 
ses  condisciples,  de  nombreuses  questions  sur  les  matières  analogues  à  celles 
de  l'enseignement,  il  apprit,  pour  ainsi  dire,  plus  qu'on  ne  lui  enseignait. 
«  Jamais  »,  dit  son  biographe,  «  il  n'eut  besoin,  comme  la  plupart  des  autres 
enfants,  d'être  contraint  au  travail  par  le  fouet  »  ;  car  son  amour  volontaire 
pour  la  science  augmentait  chaque  jour  son  ardeur  pour  l'étude  :  ni  les 
jeux  ni  la  légèreté  de  l'enfance  ne  diminuèrent  jamais  son  empressement 
pour  ses  livres  et  pour  ses  tablettes. 

Simple  écolier,  déjà  il  était,  par  sa  conduite,  un  exemple  vivant  :  il 
regardait  comme  une  honte  pour  celui  qui  étudie  les  lois  du  langage  d'être 
ignorant  des  règles  beaucoup  plus  utiles  qui  doivent  diriger  la  conduite,  et 
il  évitait  avec  soin  tout  ce  dont  on  devrait  rougir  non-seulement  dans  ses 
actions,  mais  encore  dans  ses  paroles  ;  sa  conversation  ne  roulait  que  sur 
des  choses  utiles.  Il  avait  en  horreur  la  colère  et  l'envie,  ainsi  que  l'orgueil, 
qui  est  le  père  de  l'une  et  de  l'autre.  Jamais  il  ne  prêta  la  langue  à  la  moindre 
médisance.  Il  cédait  volontiers  à  ceux  qui  lui  étaient  inférieurs  soit  par  la 
naissance,  soit  par  le  savoir,  et  il  se  conciliait  l'amitié  de  ses  rivaux.  Toutes 
ses  démarches  portaient  en  elles-mêmes  un  tel  caractère  de  perfection  qu'on 
y  sentait  bien  moins  l'œuvre  de  la  nature  que  celle  de  la  grâce. 

Un  jour  la  communauté  du  Dorât  fut  mise  en  émoi  par  l'arrivée  d'un 
grand  personnage  qui  venait,  en  passant,  lui  demander  l'hospitalité  :  c'était 
Hervée  *,  trésorier  du  monastère  de  Saint-Martin  de  Tours,  dont  il  rebâtissait 
la  célèbre  basilique.  Tous  les  entretiens  des  chanoines  et  de  leurs  élèves 
roulèrent  naturellement  sur  les  qualités  éminentes  de  Hervée,  et  principa- 
lement sur  sa  ferveur  si  connue  que  de  toutes  parts  on  se  recommandait  à 
ses  prières,  comme  nous  pouvons  le  voir  encore  aujourd'hui  par  plusieurs 
lettres  de  ses  contemporains.  Ces  conversations  enflammèrent  l'ardeur  et  la 
curiosité  du  petit  Gautier,  qui,  voulant  devenir  puissant  lui  aussi  par  ses 
prières  auprès  de  Dieu,  résolut  de  dérober  à  Hervée  le  secret  de  les  rendre 
plus  efficaces. 

Au  moment  où  ce  personnage  entrait  dans  l'église  pour  se  prosterner 
devant  le  saint  Sacrement,  le  petit  Gautier  se  glissa  furtivement  dans  l'inté- 
rieur du  prie-Dieu  qu'on  lui  avait  préparé  dans  le  chœur,  et  de  là  il  prêta 
une  oreille  attentive  pour  surprendre  les  paroles  et  les  formules  de  prières 

1.  Nous  avons  donné  en  avril  la  vie  du  Bienheureux  Hervéo. 


468  il  mai. 

que  Hervée  adresserait  à  Dieu.  Mais  le  saint  homme,  pénétré  d'émotion  et 
de  bonheur  en  se  retrouvant  dans  le  sanctuaire  après  plusieurs  jours  de 
voyage,  versait  d'abondantes  larmes  sans  faire  entendre  aucune  parole,  sans 
émettre  aucun  son  articulé.  Gautier  comprit  par  là  que  les  soupirs  et  les 
larmes  valaient  mieux  devant  le  Seigneur  que  les  plus  savantes  paroles,  et 
c'est  ce  genre  de  prières  qu'il  pratiqua  dans  la  suite. 

Cette  pieuse  espièglerie  ne  pouvait  demeurer  secrète  :  Hervée,  en  ayant 
eu  connaissance,  admira  dans  un  âge  si  tendre  ce  désir  ardent  du  progrès 
spirituel  ;  puis  il  montra  à  sa  suite  et  à  ceux  des  chanoines  qui  l'entouraient 
qu'un  modèle  de  perfection  se  cachait  sous  l'extérieur  modeste  de  ce  jeune 
enfant,  et  il  annonça  de  lui  les  plus  grandes  choses.  «  Combien  n'est  pas 
remarquable  en  effet  chez  un  enfant  une  telle  intention  !  Pendant  que  la 
légèreté  et  la  dissipation  des  autres  écoliers  abusaient,  pour  se  livrer  aux 
jeux,  de  la  présence  d'un  hôte  vénérable,  Gautier  seul,  grâce  à  la  maturité 
de  son  jugement,  ne  voulut  pas  que  le  passage,  même  rapide,  d'un  homme 
pieux  fût  inutile  à  son  âme  ». 

Gautier  devint,  plus  tard,  chanoine  du  Dorât.  Soit  qu'il  fût  au  chœur, 
soit  qu'il  fût  chez  lui,  il  était  toujours  occupé  de  la  présence  de  Dieu  dans 
la  prière.  11  mortifiait  continuellement  sa  chair  par  les  jeûnes,  le  cilice,  les 
veilles,  et  par  le  retranchement  de  tout  ce  qui  aurait  été  capable  de  flatter 
les  sens.  Il  perdit  bientôt  son  maître,  le  bienheureux  Israël,  mais  il  marchait 
déjà  d'un  pas  si  ferme  dans  les  voies  étroites  de  la  perfection  évangélique, 
que,  avec  la  grâce  de  Dieu,  il  ne  s'en  écarta  jamais,  et  ne  recula  point  en 
arrière.  Quoiqu'il  fût  regardé  par  ses  confrères  comme  leur  modèle,  il  ne 
laissait  pas  de  les  observer  pour  étudier  leurs  vertus  et  les  imiter  ;  il  savait 
même  profiter  de  leurs  défauts  pour  corriger  les  siens,  et  pour  veiller  sur 
lui-même  avec  une  précaution  continuelle. 

Ayant  encouru  l'indignation  de  l'abbé  ou  du  prieur  de  son  église,  pour 
avoir  essayé  d'adoucir  l'humeur  féroce  avec  laquelle  il  traitait  les  cha- 
noines, et  voyant  que  tout  ce  qu'il  faisait  pour  lui  gagner  le  cœur,  ne  servait 
qu'à  l'aigrir  contre  lui,  il  se  retira  dans  le  bourg  de  Conflans  ou  Confolens, 
dont  les  principaux  habitants  étaient  de  ses  parents.  La  réputation  que  sa 
vertu  lui  avait  acquise  le  fit  bientôt  connaître  aux  Chanoines  réguliers  de 
l'Esterp,  abbaye  du  diocèse  de  Limoges,  à  huit  lieues  de  cette  ville,  à  onze 
d'Angoulême,  à  quatorze  de  Poitiers.  Ces  religieux  n'oublièrent  rien  pour 
l'attirer  dans  leur  communauté,  et  ils  n'eurent  point  de  peine  à  y  réussir. 
Il  n'y  fut  pas  plus  tôt  entré,  qu'il  devint  l'objet  de  leur  admiration  dans 
toute  sa  conduite  ;  et  ils  conçurent  le  dessein  de  le  choisir  pour  leur  supé- 
rieur, dès  que  leur  abbé  viendrait  à  manquer.  Un  pèlerinage  de  dévotion, 
qu'il  fit  ensuite  en  Terre  Sainte,  ne  leur  fit  point  perdre  cette  résolution,  et 
Dieu,  pour  la  leur  faire  exécuter,  permit  que  le  retour  de  Gautier  et  la  mort 
de  l'abbé  arrivassent  dans  le  même  temps.  Notre  Saint  refusa  d'abord  cette 
charge  :  sa  résistance  fut  longue,  mais  elle  fut  surmontée  à  la  fin  par  la 
violence  qu'ils  lui  firent,  et  par  l'autorité  d'Aymard,  seigneur  du  pays.  Il 
avait  alors  environ  quarante-deux  ans  ;  il  s'appliqua  à  gouverner  sa  com- 
munauté, moins  par  son  autorité  que  par  les  exemples  de  sa  vie,  les  lumières 
de  ses  instructions  et  les  secours  célestes  que  sa  prière  continuelle  attirait 
Bur  lui  et  sur  les  autres.  Il  ne  se  considérait  que  comme  le  dernier  d'entre 
eux  ;  il  voyait  dans  son  rang  de  supérieur  l'obligation  démarcher  le  premier 
dans  le  chemin  pénible  et  étroit  de  la  perfection  religieuse,  et  de  se  faire 
suivre  par  les  autres.  Il  veillait  sur  tous  aussi  exactement  que  s'il  n'en  eût 
eu  qu'un  à  conduire;  il  étudiait  leur  tempérament,  leurs  forces,  leurs 


SAINT  GAUTIER,   CHANOINE  RÉGULIER.  469 

inclinations,  et  se  faisait  tout  à  tous  ;  il  modifiait  ou  changeait  quelquefois 
les  règlements  généraux  en  faveur  des  particuliers,  persuadé  que  ce  qui  est 
utile  à  l'un  peut  devenir  nuisible  à  l'autre.  Il  savait  si  heureusement  discerner 
ce  qui  était  vice  d'avec  ce  qui  était  de  nature,  qu'il  déracinait  l'un  en  épar- 
gnant l'autre,  avec  plus  d'adresse  et  d'assurance  que  les  médecins  les  plus 
habiles  n'en  ont  pour  enlever  la  chair  morte  et  corrompue,  sans  endommager 
celle  qui  est  vive  et  saine. 

Malgré  le  soin  continuel  de  son  monastère,  il  ne  négligeait  pas  les  popu- 
lations d'alentour.  Il  faisait,  en  toutes  saisons,  de  grandes  distributions  d'au- 
mônes ;  il  jeûnait  pour  avoir  de  quoi  apaiser  la  faim  des  pauvres,  et  souffrait 
le  froid  pour  pouvoir  couvrir  leur  nudité  et  les  garantir  de  la  rigueur  des 
hivers  ;  n'étant  sévère  qu'à  lui-môme,  il  se  refusait  tout  pour  donner  tout 
aux  autres.  Il  ne  se  contentait  point  de  maltraiter  son  corps  par  les  austé- 
rités ordinaires  de  la  pénitence,  il  se  levait  la  nuit,  et  se  déchirait  à  coups 
de  fouet  dans  l'obscurité  et  sans  témoin.  Ce  tourment  n'était  pas  pour  punir, 
de  quelque  révolte,  sa  chair  qui  lui  était  fort  soumise  depuis  longtemps, 
mais  pour  la  mettre  hors  d'état  de  se  révolter  jamais.  Quand  il  s'aperçut 
que  cette  rude  discipline  ne  le  faisait  plus  souffrir  assez,  à  cause  de  l'habi- 
tude, et  aussi  parce  que  son  bras  manquait  de  force  pour  la  lui  donner,  il 
fit  un  marché  secret  avec  un  homme  robuste  pour  lui  prêter  le  sien.  Le 
pape  Victor  II  apprit  ce  que  la  renommée  publiait  des  grands  talents  que 
Dieu  avait  donnés  à  notre  Saint  pour  travailler  au  salut  des  autres  ;  afin  que 
ses  services  pussent  être  plus  utiles  à  l'Eglise,  il  lui  envoya  le  pouvoir  d'écouter 
les  confessions  de  tous  ceux  qui  voudraient  se  présenter  à  lui,  de  lier  et  délier 
selon  sa  prudence,  et  même  d'exclure  de  l'Eglise  par  l'excommunication,  et 
d'y  faire  rentrer  les  pécheurs  par  l'absolution.  Gautier  donna  lieu  de  croire 
que  Dieu  avait  attaché  le  salut  de  plusieurs  personnes  à  l'usage  qu'il  fit  de 
ce  pouvoir  :  il  s'en  servit  pour  faire  rentrer  une  infinité  de  pécheurs  dans 
les  voies  de  la  pénitence,  pour  garantir  les  uns  du  désespoir  et  les  autres  de 
la  présomption.  Au  milieu  de  toutes  ses  occupations,  Dieu  purifia  de  temps 
en  temps  sa  vertu  par  le  feu  des  adversités  et  des  tribulations.  Il  exerça,  en 
dernier  lieu,  sa  patience,  par  la  privation  de  la  vue,  qu'il  perdit  sept  ans 
avant  sa  mort.  Après  l'avoir  longtemps  éprouvé  de  la  sorte,  et  l'avoir  trouvé 
toujours  égal  dans  sa  constance  et  sa  fidélité,  il  l'appela  à  la  récompense 
éternelle  le  11  mai  de  l'an  1070.  Il  avait  alors  quatre-vingts  ans,  et,  pendant 
ses  derniers  jours,  ni  l'âge  ni  la  maladie  ne  purent  ôter  à  cette  âme  intrépide 
sa  vigueur.  La  mort  ne  fut  pour  lui  qu'une  fonction  dont  il  s'acquitta  comme 
de  toutes  les  autres,  en  chrétien  calme  et  fervent.  Il  commença  par  un  grand 
discours  de  consolation  à  ses  frères,  se  fit  donner  le  sacrement  del'Extrême- 
Onction  et  celui  de  la  sainte  Eucharistie.  Ensuite  il  se  fit  porter  à  l'église, 
et  là,  couché  sur  la  cendre,  devant  l'autel  de  la  Mère  de  Dieu,  pendant  qu'on 
lui  lisait  quelques  versets  de  la  sainte  Ecriture,  pour  exciter  l'essor  de  son 
âme,  elle  s'envola  vers  Dieu.  Son  corps  fut  enterré  dans  la  même  église,  au 
milieu  d'une  foule  immense,  accourue  à  la  nouvelle  de  sa  mort.  Dieu  honora 
son  tombeau  de  divers  miracles  qui  servirent  à  confirmer  l'opinion  qu'on 
avait  de  sa  sainteté.  Gautier  en  avait  fait  aussi  quelques-uns  de  son  vivant 
pour  la  guérison  des  corps.  Mais,  selon  la  remarque  de  l'auteur  de  sa  vie, 
ils  doivent  être  de  fort  petite  considération  auprès  de  ceux  qu'il  avait 
obtenus  de  Dieu  pour  guérir  les  âmes  de  leurs  vices.  Sa  fête  était  établie 
dès  l'an  1091  ;  mais,  quoique  son  culte  ait  toujours  été  public  depuis  le 
commencement  du  xme  siècle,  il  paraît  néanmoins  qu'il  n'a  été  guère  en 
usage  que  chez  les  Chanoines  réguliers. 


470  H  mai. 

Voir  Baillet  et  les  Bollandistes,  mai,  tome  n,  page  701  et  suiy. 

Vies  de  saint  Israël  et  de  saint  The'obald,  chanoines  de  l'église  collégiale  du  Dorât;  Histoire  de  leurs 
reliques  et  de  leur  culte,  par  M.  l'abbé  Rougerie,  professeur  de  théologie  au  petit  Séminaire  du  Dorât  : 
1  roi.  in-8";  Le  Dorât.  Suréneau,  libraire-éditeur,  1871. 


SAINT  FRANÇOIS  DE  GIROLAMO  \ 

DE  LÀ  COMPAGNIE  DE  JÉSUS 


1642-1716.  —  Papes  :  Urbain  VIII;  Clément  XI.  —  Empereurs  d'Allemagne  :  Ferdinand  III; 

Charles  VI. 

Si  Dieu  est  pour  nous,  répétait  souvent  le  Bienheu- 
reux François,  qui  sera  contre  nous? 

Si  les  saints  sont  des  astres  dont  Motre-Seigneur  orne  le  firmament  de 
l'Eglise,  pour  nous  éclairer  dans  notre  dangereuse  navigation,  sur  une 
mer  pleine  d'écueils,  il  nous  semble  que  leur  lumière  nous  est  plus  utile, 
lorsqu'ils  ont  brillé  dans  des  temps  plus  rapprochés  de  nous.  C'est  ce  qui 
nous  engage  à  écrire  l'histoire  de  saint  François  de  Girolamo,  qui  a  vécu  dans 
le  xvme  siècle  et  qui  a  été  canonisé  de  nos  jours.  Un  petit  village,  voisin  de 
Tarente,  en  Italie,  et  qui  porte  le  nom  de  Grotailles,  sera  à  jamais  célèbre 
pour  avoir  vu  naître  notre  Saint,  le  17  septembre  1642.  Ses  parents,  Jean 
Léonard  de  Girolamo  et  Gentilesca  Gravina,  étaient  encore  moins  distin- 
gués par  le  rang  honorable  qu'ils  occupaient  dans  leur  pays  que  par  la 
vertu  et  l'excellente  éducation  qu'ils  donnaient  à  leurs  enfants,  au  nombre 
de  onze  :  François  était  l'aîné  ;  on  pouvait,  dès  l'enfance,  entrevoir,  dans 
cette  plante  bénie  du  ciel,  toutes  les  vertus,  comme  des  fleurs  à  travers 
leurs  boutons  naissants  ;  on  admirait  surtout  un  jugement  qui  devançait 
les  années,  une  douce  soumission,  une  entière  obéissance  à  ses  parents, 
une  modestie  virginale,  un  ardent  amour  pour  la  prière  et  la  retraite  ;  sa 
charité  pour  les  pauvres  était  sans  bornes  ;  il  n'avait  pas  le  courage  de  ren- 
voyer un  mendiant  sans  le  soulager  ;  il  répandait  à  pleines  mains  de  l'ar- 
gent, des  vivres  et  tout  ce  qu'il  pouvait  se  procurer  :  ce  que  Dieu  montra 
lui  être  agréable  par  un  grand  prodige;  car  sa  mère  le  surprit  un  jour  dans 
un  pieux  larcin,  au  moment  où  il  emportait,  pour  le  distribuer  aux  pau- 
vres, du  pain  qu'il  avait  pris  à  la  maison  ;  elle  lui  reprocha  de  dépouiller  sa 
famille  pour  des  étrangers,  lui  défendant  d'en  user  ainsi  à  l'avenir  ;  l'enfant 
répondit,  la  rougeur  sur  les  joues,  mais  avec  des  yeux  rayonnants  de  con- 
fiance en  Dieu  :  «  Pensez-vous,  ma  mère,  que  l'aumône  nous  laisse  jamais 
sans  pain  ?  regardez  le  buffet,  satisfaites-vous  et  voyez  ».  Elle  y  regarde 
aussitôt  et  voit  qu'il  n'y  manque  pas  un  pain  ;  elle  se  jette  alors  à  son  cou, 
les  yeux  baignés  de  larmes,  retire  la  défense  qu'elle  lui  a  faite,  et  lui  donne 
toute  liberté  de  disposer  à  son  gré  de  tout  ce  qui  était  dans  la  maison. 

Ses  dispositions  ne  brillèrent  pas  moins  pour  l'étude  que  pour  la  piété  : 
il  saisissait  principalement  les  vérités  de  la  religion  avec  une  facilité  admi- 
rable ;  tout  cela  porta  ses  parents  à  le  consacrer  au  Seigneur  comme  un 
autre  Samuel.  Il  y  avait,  dans  le  village,  une  société  d'ecclésiastiques,  qui 

1.  Ou  encore  de  Geronimo  et  de  Hyeronimo  :  Girolamo  est  la  traduction  italienne   de  Hyeronimu», 
Géronimus. 


SAINT  FRANÇOIS  DE   GIR0LAM0,   LE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS.  471 

vivaient  saintement,  sans  être  liés  par  des  vœux,  sous  la  protection  de  saint 
Cajétan  :  François  fut  reçu  dans  cette  sainte  communauté  où  sa  piété  fit 
bientôt  l'admiration  de  tout  le  monde  et  le  sujet  de  tous  les  entretiens.  Le 
supérieur,  charmé  de  ses  excellentes  qualités,  le  chargea  de  faire  le  caté- 
chisme aux  enfants  et  de  tenir  l'église  en  ordre  ;  il  remplit  si  admirable- 
ment cette  tâche,  que  l'archevêque  de  Tarente  lui  donna  la  tonsure  i  l'âge 
de  seize  ans.  Comme  il  avait  achevé  ses  humanités,  ses  parents  l'envoyèrent 
à  Tarente  suivre  le  cours  de  philosophie  et  de  théologie;  il  y  reçut  les 
ordres  mineurs ,  le  sous-diaconat  et  le  diaconat.  Ensuite,  il  se  rendit  à 
Naples  pour  y  apprendre  le  droit  canonique  et  le  droit  civil,  en  compagnie 
d'un  de  ses  frères,  nommé  Joseph,  qui,  montrant  pour  la  peinture  un  goût 
merveilleux,  venait  étudier  cet  art  sous  un  maître  éminent.  Mais  ce  qui 
occupait  le  plus  les  pensées  de  notre  Saint  était  d'achever  le  sacrifice  qu'il 
voulait  faire  de  lui-même  à  Dieu.  S'étant  donc  procuré  une  dispense  du 
Pape  à  cause  de  son  âge,  il  reçut,  le  18  mars  1666,  avec  des  transports  de 
joie  impossibles  à  décrire,  l'ordre  de  la  prêtrise,  des  mains  de  don  Sanchez 
de  Herrera,  évêque  de  Pouzzoles. 

Quoiqu'il  vécût  dans  le  monde  comme  n'étant  pas  du  monde,  il  aspirait 
dès  lors  à  s'arracher  à  sa  dissipation,  à  son  air  empesté,  et  à  chercher  la 
science  et  la  perfection  dans  la  solitude  ;  le  ciel  condescendit  à  son  désir. 
Une  place  de  préfet  étant  devenue  vacante  au  collège  des  nobles  de  la 
compagnie  de  Jésus,  il  l'obtint,  et  il  lui  fut  même  permis  de  conserver  son 
frère  avec  lui.  Les  jeunes  gens  confiés  à  ses  soins  ne  tardèrent  pas  à  s'aper- 
cevoir que  c'était  un  Saint  qui  avait  été  placé  à  leur  tête  :  ils  le  virent  à 
son  air,  à  son  maintien,  à  ses  manières  aimables,  à  sa  conversation  pleine  de 
douceur  et  de  piété,  aux  austérités  et  aux  mortifications  qu'il  ne  réussissait 
pas  à  cacher  entièrement,  et  surtout  à  sa  patience,  dont  nous  devons  donner 
ici  un  exemple  :  un  écolier  irrité,  après  avoir  vomi  contre  lui  un  torrent 
d'injures,  en  vint  jusqu'à  le  frapper  au  visage.  Quoique  pris  à  l'improviste, 
il  ne  manifesta  pas  la  moindre  émotion,  ne  proféra  pas  une  plainte  ;  mais, 
tombant  à  genoux,  il  présenta  humblement  l'autre  joue  à  celui  qui  l'avait 
frappé.  Depuis,  on  ne  l'appela  jamais  autrement  que  le  Saint  Prêtre.  Après 
cinq  ans  de  résidence  en  ce  lieu,  dans  le  poste  de  préfet,  notre  Saint,  alors 
âgé  de  vingt-huit  ans,  suivant  la  volonté  de  Dieu  qui  l'appelait  dans  la 
compagnie  de  Jésus,  triompha,  à  force  de  prières,  de  la  résistance  de  son 
père,  qui  s'opposait  à  ce  pieux  dessein.  On  n'avait  jamais  eu  de  novice  plus 
humble,  plus  fervent,  plus  mortifié,  plus  obéissant  :  pour  éprouver  l'or  de 
de  ses  vertus  dans  le  creuset  des  afflictions  et  des  croix,  ses  supérieurs  le 
soumirent  aux  plus  rudes  épreuves,  jusqu'à  lui  défendre,  pour  ses  préten- 
dus péchés,  de  dire  la  messe  plus  de  trois  fois  la  semaine  :  ce  coup,  le  plus 
rude  pour  son  cœur,  dont  toute  la  joie  était  de  s'unir  à  son  Sauveur,  ne 
put  lui  arracher  le  moindre  murmure.  Mais  Notre-Seigneur  sut  bien  le  dé- 
dommager de  ce  sacrifice  qu'il  s'imposait  par  obéissance  :  il  le  visitait  en 
personne,  et  de  sa  divine  main  lui  distribuait  le  pain  des  anges. 

De  si  rudes  exercices  anéantirent  tellement  en  lui  le  vieil  homme,  et 
l'homme  nouveau  grandit  de  telle  sorte,  qu'au  bout  d'un  an  il  put  s'élancer 
comme  un  géant  dans  la  carrière  apostolique  ;  ses  supérieurs  l'envoyèrent 
en  mission  avec  le  fameux  Père  Agnello  Bruno.  Pendant  trois  ans,  ces  saints 
missionnaires  parcoururent  tous  les  villages  de  la  Pouille  et  de  la  terre 
d'Otrante,  convertissant  les  pécheurs  et  fortifiant  les  justes,  de  sorte  qu'on 
avait  coutume  de  dire  d'eux  :  le  Père  Bruno  et  le  Père  Girolamo  semblent 
être,  non  de  simples  mortels,  mais  des  anges  envoyés  exprès  pour  sauver 


472  11  mai. 

les  âmes.  Rappelé  à  Naples  en  1674,  pour  achever  ses  études  de  théologie, 
ce  savant  directeur  des  âmes,  cet  éloquent  prédicateur  se  remit  sur  les 
bans  avec  la  joie  et  la  docilité  d'un  enfant,  protestant  qu'il  ne  savait  rien, 
qu'il  avait  besoin  d'apprendre,  bien  que  ses  Cahiers  de  théologie  fussent 
grandement  recherchés  et  estimés  ;  il  consultait  ses  compagnons  d'étude 
et  ne  perdait  aucune  occasion  de  se  faire  passer  pour  ignorant.  Afin  d'en- 
tretenir son  zèle,  ses  supérieurs  lui  permirent  de  prêcher  le  dimanche  et 
les  fêtes  sur  les  places  publiques  :  ce  qu'il  faisait  avec  des  succès  merveil- 
leux. Ses  études  terminées,  il  fut,  par  une  disposition  particulière  de  la 
divine  Providence,  nommé  prédicateur  à  l'église  appelée  le  Gésu-Nuovo, 
en  4675,  où  il  commença  les  travaux  de  cette  carrière  apostolique  qu'il 
continua  pendant  quarante  ans,  sans  interruption,  jusqu'à  la  fin  de  son 
pèlerinage  terrestre.  Pendant  les  trois  premières  années,  il  est  vrai,  il  n'eut 
point  d'autre  charge  que  de  faire  l'invitation  ou  exhortation  à  la  commu- 
nion, comme  cela  se  pratiquait  en  cette  église,  le  troisième  dimanche  de 
chaque  mois.  Cette  œuvre  et  une  foule  d'autres,  auxquelles  il  se  livrait  tout 
entier,  ne  pouvaient  étancher  sa  soif  du  salut  des  âmes.  A  la  nouvelle  que 
la  mission  du  Japon  allait  s'ouvrir  de  nouveau,  il  demanda  d'aller  verser 
son  sang  pour  Jésus-Christ  ;  mais  Jésus-Christ  lui  répondit  par  la  bouche  de 
ses  supérieurs,  qu'il  devait  considérer  Naples  comme  «  ses  Indes  et  son 
Japon  »,  et  se  contenter  des  épines  du  martyre  par  un  renoncement  absolu 
à  ses  inclinations,  sans  en  cueillir  la  rose.  Dès  lors  il  regarda  le  royaume  de 
Naples  comme  la  portion  de  la  vigne  du  Seigneur  où  il  devait  dépenser  ses 
sueurs.  Yoici  à  quelle  occasion  il  en  commença  la  culture  : 

Pour  délivrer  le  royaume  de  Naples  des  calamités  qui  le  désolaient,  on 
avait  ordonné  des  prières  publiques  pendant  huit  jours,  et  chaque  jour  une 
procession  de  pénitence  devait  se  rendre,  à  travers  les  rues  de  la  ville,  à  la 
cathédrale,  pour  y  entendre  la  parole  de  Dieu.  Le  Père  Sambrosi,  le  plus 
grand  prédicateur  de  l'époque,  fut  chargé  un  jour  de  faire  le  sermon,  et  le 
Père  François  de  diriger  la  procession,  et  de  lui  adresser  de  temps  en  temps 
des  paroles  de  pénitence.  Quand  la  procession  fut  entrée  dans  l'église,  le 
tendre  pasteur  de  Jésus-Christ,  voyant  une  partie  du  troupeau  en  dehors, 
exclue  du  divin  pâturage,  parce  qu'il  lui  était  impossible  de  pénétrer,  fut 
inspiré  du  Saint-Esprit  de  rassasier  leur  faim  :  il  monte  sur  une  éminence 
qui  dominait  la  foule,  puis,  élevant  la  voix,  il  tonne  contre  le  vice  avec  une 
énergie  si  pleine  de  feu  et  de  terreur,  en  même  temps  que  le  zèle  et  la  ma- 
jesté d'un  prophète  brillaient  dans  ses  yeux,  qu'il  s'élève  un  cri  général 
d'effroi  parmi  ses  auditeurs,  comme  s'ils  voyaient  l'enfer  s'ouvrir  pour  les 
dévorer  :  ils  tombent  la  face  contre  terre,  ils  versent  des  torrents  de  larmes, 
ils  font  retentir  l'air  de  leurs  gémissements,  ils  poussent  des  cris  de  douleur 
vers  le  trône  de  la  miséricorde  :  ainsi  il  fut  difficile  de  dire  lequel,  du  dis- 
cours prononcé  dans  l'église  ou  de  celui  qui  l'avait  été  en  dehors,  produisit 
le  plus  de  bien.  Cet  heureux  incident  détermina  les  supérieurs,  en  1678,  à 
confier  à  François  toute  la  mission  ;  elle  comprenait  trois  devoirs  : 

Le  premier  était  d'entretenir  le  zèle  d'une  confrérie  dont  les  membres 
assistant  à  toutes  les  processions  étaient  comme  le  bras  droit  du  mission- 
naire ;  il  établit  parmi  eux  la  coutume  de  fréquenter  les  Sacrements  tous 
les  dimanches  et  toutes  les  fêtes  de  la  sainte  Yierge  ;  la  pratique  de  l'orai- 
son mentale  aussi  bien  que  la  prière  vocale  ;  celle  aussi  de  la  pénitence  et 
de  l'humiliation  publiques  ;  l'exercice  des  stations  ou  Chemin  de  la  Croix, 
où  il  versait  ordinairement  lui-même  des  torrents  de  larmes;  enfin,  la  visite 
en  procession  de  sept  églises,  en  mémoire  des  sept  voyages  de  notre  divin 


SAINT  FRANÇOIS  DE  GIROLAMO,  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS.  473 

Rédempteur.  A  chaque  église,  le  Saint  faisait  une  exhortation,  et  la  pieuse 
cérémonie  se  terminait  par  une  consécration  que  chacun  faisait  de  lui- 
même  à  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  et  à  sa  sainte  Mère,  avec  des  vœux  de 
fidélité  perpétuelle. 

Le  second  devoir  était  de  prêcher  en  public.  Voici  de  quelle  manière 
notre  Saint  s'y  comportait  :  chaque  dimanche  il  passait  d'abord  deux  heures 
en  oraison,  après  quoi  il  se  frappait  longtemps  et  rudement  avec  la  disci- 
pline (pratique  qu'il  observait  tous  les  jours  à  son  lever);  puis  il  disait  la 
messe,  récitait  ensuite  les  heures  canoniales,  la  tête  nue  et  à  genoux, 
quelquefois  devant  le  saint  Sacrement  ;  il  passait  le  reste  de  la  matinée  au 
confessionnal,  ou  avec  sa  congrégation.  Après  le  dîner,  il  employait  la  ré- 
création en  grande  partie  en  entretiens  spirituels  avec  ses  bien-aimés,  et  ne 
la  quittait  que  pour  discourir  et  méditer  pendant  une  heure  sur  la  Passion 
de  Notre-Seigneur.  A  l'heure  marquée,  le  Saint  et  ses  compagnons  sor- 
taient dans  les  rues,  marchant  en  procession  ;  puis  se  dirigeant  de  divers 
côtés,  se  mettaient  à  prêcher  au  peuple.  François  montait  ordinairement 
sur  une  estrade,  près  ou  vis-à-vis  des  baladins  et  des  charlatans,  qui  s'en- 
fuyaient à  son  approche.  Après  le  discours,  il  tombait  à  genoux  au  pied 
de  la  croix  et  se  frappait  les  épaules  avec  la  discipline  ;  puis  il  retournait 
au  confessionnal,  où  il  demeurait  jusqu'au  moment  où  l'on  fermait  les 
portes  de  l'église. 

Le  troisième  devoir  attaché  à  sa  charge  était  l'invitation  à  la  commu- 
nion :  pendant  les  neuf  jours  qui  précédaient  le  troisième  dimanche  de 
chaque  mois,  il  parcourait  les  rues  de  la  ville,  agitant  une  sonnette  et  répé- 
tant d'une  voix  forte  quelques  sentences  tirées  de  l'Ecriture,  pour  inviter 
les  âmes  à  se  nourrir  du  pain  qui  donne  la  vie  éternelle.  On  ne  saurait  ima- 
giner ses  peines  et  ses  privations,  lorsqu'il  parcourait  ainsi  les  environs  de 
Naples  :  souvent  sous  un  soleil  dévorant  ou  une  pluie  battante,  à  travers 
des  marais,  sur  des  rochers,  souvent  au  péril  de  sa  vie  et  de  ses  membres.  Il 
voj'ageait  toujours  à  pied,  jusqu'au  dernier  temps  de  sa  vie,  qu'il  fut  obligé 
d'aller  à  cheval  ;  mais  il  était  bien  récompensé  de  ses  fatigues,  lorsque,  le 
jour  venu,  il  pouvait  introduire  dans  la  salle  du  festin,  pour  mangei 
l'Agneau  qui  sauve  de  l'extermination  éternelle,  jusqu'à  vingt  mille  conviés. 

Mais,  avant  d'entrer  dans  de  nouveaux  détails  sur  la  carrière  aposto- 
lique de  notre  Saint,  il  est  bon  de  dire  quelque  chose  de  la  qualité  qui  lui 
fit  opérer  tant  de  merveilles,  c'est-à-dire  de  sa  rare  éloquence  ;  sa  voix  était 
forte  et  sonore,  son  style  simple,  abondant  et  impressionnable  :  quelquefois 
il  s'insinuait  dans  le  cœur  de  son  auditoire  par  des  manières  gracieuses  et 
attrayantes  ;  quelquefois  il  accablait  les  esprits  sous  le  poids  des  plus  forts 
arguments.  Il  avait  coutume  de  parler  avec  tant  de  véhémence,  que  le  sang 
lui  venait  parfois  sur  les  lèvres.  Sa  méthode  ordinaire  était  de  peindre 
d'abord  l'énormité  du  péché  et  les  terreurs  des  jugements  divins  sous  des 
couleurs  si  frappantes,  qu'il  excitait  dans  les  pécheurs  des  alarmes  et  de 
l'indignation  contre  eux-mêmes  ;  puis,  changeant  de  ton  avec  une  habileté 
de  maître,  il  parlait  sur  la  douceur  et  la  bonté  de  Jésus-Christ,  de  manière 
à  faire  succéder  l'espérance  au  désespoir  et  à  porter  la  conviction  dans  les 
cœurs  les  plus  endurcis.  C'était  là  le  moment  qu'il  choisissait  pour  leur 
adresser  un  appel  si  tendre  et  si  entraînant,  qu'on  les  voyait  tomber  à  ge- 
noux devant  leur  Sauveur  crucifié,  et  solliciter  par  les  précieux  canaux  de 
la  grâce,  c'est-à-dire  par  ses  plaies  encore  saignantes,  en  versant  des  larmes 
et  en  poussant  des  sanglots,  leur  pardon  et  leur  réconciliation.  Il  était  dans 
l'usage  d'ajouter  à  la  fin  quelque  exemple  frappant  des  châtiments  ou  des 


474  H  MAI. 

grâces  de  Dieu,  pour  laisser  dans  les  âmes  une  impression  plus  profonde. 
Avant  de  parler  aux  hommes,  il  avait  soin  de  s'entretenir  avec  Dieu  aux 
pieds  du  crucifix  ;  comme  un  autre  Moïse,  il  sortait  tout  en  feu  de  ce  col- 
loque sacré.  Le  ciel  lui  inspira,  en  diverses  circonstances,  des  paroles  d'un 
effet  surnaturel  :  en  1707,  une  éruption  du  Vésuve  obscurcit  l'air,  le  peuple 
tremblant  se  rassemble  sur  la  place,  le  Saint  y  paraît  et  s'écrie  d'un  ton 
lugubre  :  «  Naples,  dans  quel  temps  es-tu  ?  Naples,  dans  quel  temps 
es-tu?  »  En  1688,  dans  un  tremblement  de  terre,  il  cria  aussi  au  peuple 
effrayé  :  «  Cessez  de  pécher  !  si  vous  voulez  que  le  châtiment  cesse  » .  Beau- 
coup de  pécheurs  confessèrent  leurs  péchés  et  menèrent  depuis  une  vie 
religieuse.  Ses  sermons  étaient  ordinairement  suivis  du  repentir  et  de  la 
conversion  de  cinq  ou  de  'six  et  même  de  dix  femmes  perdues  de  mœurs, 
qui  venaient,  en  s'arrachant  les  cheveux  et  versant  des  larmes  amères, 
solliciter  la  permission  d'aller  expier  leurs  fautes  dans  quelque  couvent. 

Un  jour,  une  misérable  de  cette  espèce,  devant  la  maison  de  laquelle  le 
serviteur  de  Dieu  prêchait,  fit  ce  qu'elle  put  pour  l'interrompre,  en  profé- 
rant toutes  sortes  de  sons  discordants  :  notre  Saint  n'y  fit  pas  même  atten- 
tion et  continua  son  discours  jusqu'au  bout.  Quelque  temps  après,  passant 
devant  cette  maison  et  la  voyant  fermée  :  «  Ah  !  dit-il  à  un  de  ceux  qui 
étaient  à  ses  côtes,  qu'est  devenue  Catherine  ?»  —  «  Elle  est  morte  subite- 
ment hier  »,  répondit-on.  —  «  Morte  !  ajouta  François,  entrons  et  voyons- 
la  ».  Puis  entrant,  en  effet,  dans  la  maison,  il  monta  l'escalier  et  trouva  le 
cadavre  déposé,  selon  l'usage.  Alors,  au  milieu  du  silence  de  l'assemblée  : 
«  Catherine  !  »  s'écria-t-il,  «  dites-moi  où  vous  êtes?  »  et  deux  fois  il  répéta 
les  mêmes  paroles.  Mais,  quand  une  troisième  fois  il  eut  parlé  d'un  ton 
d'autorité,  les  yeux  du  cadavre  s'ouvrirent,  ses  lèvres  s'agitèrent  à  la  vue 
de  tout  le  monde,  et  une  faible  voix,  qui  semblait  venir  d'une  grande  pro- 
fondeur, répondit  :  «  En  enfer  !  en  enfer  !  !  !  »  Aussitôt,  tous  ceux  qui 
étaient  présents,  saisis  de  terreur,  s'enfuirent  de  la  chambre,  et  le  saint 
homme,  lui,  en  se  retirant,  répéta  plusieurs  fois  :  a  En  enfer  !  en  enfer  ! 
Dieu  tout-puissant,  Dieu  terrible!  en  enfer!  »  Cette  circonstance  et  ces 
paroles  produisirent  tant  d'effet  que  plusieurs  n'osèrent  rentrer  chez  eux 
sans  s'être  confessés.  Ainsi,  il  profitait  de  toutes  les  circonstances  pour 
amollir  les  âmes  endurcies.  Une  autre  fois  il  peignit  en  termes  si  forts  l'ou- 
trage fait  à  Dieu  par  le  péché,  qu'un  enfant  se  mit  à  pleurer  amèrement  : 
le  Saint  le  fait  venir  auprès  de  lui,  l'embrasse  avec  tendresse  et  s'écrie  : 
a  Cet  enfant  innocent  verse  des  larmes,  tandis  que  tant  de  pécheurs  restent 
insensibles  ».  Puis,  éclairé  d'une  lumière  surnaturelle,  il  dit  à  l'enfant  : 
<t  Mais  ton  père,  que  fait-il  ?  »  Or,  ce  père  était  un  grand  pécheur,  et, 
comme  il  se  trouvait  présent,  il  fut  tellement  touché  des  larmes  de  son  fils, 
des  reproches  du  Saint  et  surtout  de  la  grâce,  qu'il  accourut  se  jeter  au 
pied  du  crucifix  en  criant  miséricorde  pour  ses  péchés.  Son  repentir  sem- 
bla se  communiquer  à  la  foule,  et  plusieurs  pécheurs  se  convertirent. 

Une  femme,  qui  avait  pendant  bien  des  années  mené  une  vie  de  désordre, 
s'était  enfin  convertie  après  un  sermon  ;  François  lui  dit  en  public  :  —  a  Ma 
pauvre  fille,  qu'avez-vous  gagné  par  le  péché  ?  quels  biens,  quel  plaisir  ?  » 
—  «  Hieni  rien,  répondit-elle  toute  en  pleurs  ;  les  vêtements  mêmes  que  je 
porte  ne  sont  pas  les  miens  !  Ils  sont  de  loyer  ».  —  «  Dieu,  l'entend ez-vo us? 
s'écria  le  Saint,  tel  est  le  sort  de  tout  pécheur!  »  Un  jour  qu'il  prêchait 
devant  une  maison  mal  famée,  on  en  vit,  au  milieu  même  de  son  discours, 
une  voiture  se  préparer  à  sortir  ;  on  pria  ceux  qui  y  étaient  d'attendre 
quelques  instants  et  de  ne  pas  interrompre  le  serviteur  de  Dieu  ;  mais,  ces 


SAINT  FRANÇOIS  DE   GIROLAMO,   DE  LA  COMPAGNIE  DE  JESUS.  475 

personnes  n'en  faisant  aucun  cas,  crièrent  au  cocher  de  pousser  en  avant  : 
«  Divin  Jésus  »,  s'écria  notre  Saint  en  tenant  le  crucifix  à  la  main  devant 
les  chevaux,  «  puisque  ces  déesses  n'ont  point  de  respect  pour  vous,  ces 
bêtes  sans  raison  du  moins  vous  rendront  hommage  ».  A  l'instant  môme, 
ces  animaux  tombèrent  à  genoux  et  ne  voulurent  point  remuer  que  le  dis- 
cours ne  fût  fini.  On  ne  peut  expliquer,  sans  miracle,  comment  saint  Fran- 
çois pouvait  suffire  à  des  travaux  qui  auraient  occupé  la  vie  de  plusieurs 
apôtres  :  on  le  voyait  continuellement  dans  les  hôpitaux,  les  prisons  et  les 
galères,  et,  en  outre,  il  allait  dans  les  maisons  visiter  les  malades  ;  il  pour- 
voyait aux  nécessités  spirituelles  des  monastères,  des  asiles  ou  maisons  de 
refuge,  des  confréries  et  des  écoles  ;  il  allait  prêcher  la  nuit  même  dans  les 
repaires  du  vice.  Une  fois,  au  moment  où  il  était  en  prières  dans  sa  cham- 
bre, il  se  sentit  tout  à  coup  inspiré  d'aller  prêcher  :  il  le  fait  dans  les  ténè- 
bres, à  l'angle  d'une  rue,  prenant  pour  sujet  la  correspondance  immédiate 
à  la  grâce  divine,  et  s'en  retourne  sans  savoir  dans  quel  dessein  et  avec 
quel  fruit  le  Saint-Esprit  l'a  fait  parler.  Le  lendemain,  une  jeune  femme 
vint  se  confesser  à  lui  ;  elle  avait  été  effrayée,  lorsqu'il  avait  fait  retentir 
dans  la  nuit  la  menace  des  vengeances  divines  et  le  danger  de  différer  sa 
conversion  au  moment  même  et  au  lieu  où  elle  était  disposée  à  pécher  ; 
son  complice,  qui  se  moquait  de  ses  craintes,  était  mort  tout  à  coup,  son 
âme  s'étant  déjà  envolée  au  tribunal  de  Dieu,  lorsque  les  paroles  de  blas- 
phème étaient  encore  sur  ses.  lèvres.  Rien  ne  pouvait  arrêter  un  zèle  si 
ardent.  Il  fut  souvent  maltraité  par  ceux  qu'il  voulait  retirer  de  l'enfer, 
mais  il  ne  recula  jamais,  pas  même  devant  la  mort,  et  Dieu  le  protégea 
toujours. 

Nous  regrettons  de  ne  pouvoir  raconter  toutes  les  conversions  admi- 
rables qui  sont  rapportées  dans  la  vie  de  ce  saint  missionnaire  ;  mais  nous  ne 
pouvons  nous  défendre  de  citer  celle-ci,  qui  intéresse  en  quelque  sorte  notre 
pays.  Il  y  avait  à  Paris  un  protestant  qui  s'appelait  François  Cassier.  Cet 
homme  avait  épousé  une  bonne  catholique,  nommée  Magdeleine  Olivier, 
de  laquelle  il  eut  deux  filles.  Il  aurait  bien  voulu  les  amener  au  protestan- 
tisme, mais  la  mère  les  avait  toujours  préservées  de  cette  apostasie  :  aussi, 
les  accablait-il  de  mauvais  traitements  et  les  avait-il  prises  en  une  haine 
terrible.  Après  la  mort  de  sa  femme,  il  résolut  de  conduire  ses  enfants  à 
Genève  pour  en  avoir  plus  facilement  raison.  Il  les  force  à  prendre  des 
habits  d'homme  et  se  met  en  route  avec  elles.  Un  jour  qu'elles  étaient  fati- 
guées de  la  marche,  elles  prient  leur  père  de  leur  permettre  de  se  reposer 
un  peu.  Le  père  y  consent,  se  sentant  las  aussi  :  il  se  couche  sur  l'herbe  et 
s'endort.  C'était  dans  un  lieu  solitaire  ;  les  malheureuses  filles,  égarées  par 
les  mauvais  traitements  qu'elles  enduraient  depuis  longtemps,  profitent  de 
son  sommeil,  prennent  doucement  ses  pistolets,  le  tuent  et  cachent  son  ca- 
davre sous  des  buissons.  Après  cet  horrible  crime,  elles  sortent  de  France, 
gardant  toujours  leurs  habits  d'hommes  et  vont  s'engager  à  Milan,  au  ser- 
vice de  Charles  II,  roi  d'Espagne,  à  qui  ce  duché  appartenait.  Leur  compa- 
gnie, dont  le  capitaine  était  don  Emmanuel  de  Arriéta,  fut  envoyée  en  gar- 
nison à  Messine,  puis  à  Naples,  d'où  elle  partit  pour  une  expédition  contre 
les  bandits  qui  s'étaient  retirés  dans  les  Abruzzes.  Les  deux  sœurs  se  bat- 
tirent vaillamment  :  mais  l'une,  ayant  été  tuée  dans  une  rencontre,  l'autre 
eut  soin  d'enterrer  son  cadavre,  de  peur  qu'en  le  dépouillant  on  en  reconnût 
le  sexe,  ce  qui  aurait  fait  découvrir  la  fraude.  Celle  qui  restait  avait  pris  le 
nom  de  Charles  Pimentel.  Après  l'extermination  des  bandes  de  brigands, 
elle  revint  à  Naples,  où  la  grâce  de  Dieu  l'attendait. 


476  il  mai. 

Un  jour  que  Charles  Pimentel  était  de  garde  avec  sa  compagnie,  sur  la 
place  du  Château-Neuf,  le  Saint  l'aperçut,  et  après  le  sermon,  il  lui  fit  signe 
de  venir  lui  parler.  —  «  Que  peut  me  vouloir  cet  homme  »,  se  disait  le  sol- 
dat ?  Je  ne  le  connais  pas  et  n'ai  rien  à  faire  avec  lui  ».  Cependant  le  Saint 
l'ayant  appelé  de  nouveau,  il  y  alla,  et  celui-ci  lui  dit  en  le  prenant  à  l'écart  : 
—  «  Je  voudrais  bien  que  tu  allasses  te  confesser  ».  —  «  Me  confesser!  » 
répondit  le  soldat,  «  et  pourquoi?  Est-ce  que  j'ai  commis  quelque  grand 
crime  qui  ait  mérité  la  corde  ?  En  bonne  conscience,  je  ne  me  connais  pas 
de  péchés  ».  Et  en  disant  cela,  il  lui  tourna  brusquement  les  épaules.  Le 
saint  l'arrêta.  —  «  Mais  comment  peux-tu  dire  que  tu  n'as  pas  commis  de 
péché  » ,  reprit-il  ?  «  N'es-tu  pas  une  femme  qui  se  cache  sous  ces  habits 
d'homme?  n'es-tu  pas  Marie  Cassier,  née  à  Paris,  d'où  tu  es  venue  en  Italie  ? 
ne  te  fais-tu  pas  appeler  Charles  Pimentel  ?  Il  ne  te  sert  à  rien  de  le  nier, 
car  celui  qui  me  l'a  dit,  c'est  ce  Seigneur  Jésus  que  tu  vois  là  sur  la  croix. 
Veux-tu  que  je  t'en  dise  davantage?  N'est-ce  pas  toi  qui,  d'accord  avec  ta 
sœur,  as  tué  cruellement  ton  père  ?»  A  ces  paroles  si  nettes,  le  soldat,  tout 
étourdi,  pâlit  et  se  mit  à  trembler  des  pieds  à  la  tête.  Il  ne  voulut  point 
avouer  cependant  :  —  «  Mais,  Père  » ,  reprit-il  après  un  moment  de  silence, 
«je  ne  sais  qui  a  pu  vous  faire  un  pareil  conte  ».  Puis,  réfléchissant  qu'il 
fallait  empêcher  le  Père  de  parler,  il  lui  promit  de  l'aller  trouver  le  lende- 
main pour  se  confesser.  Le  Saint  attendit  deux  jours,  mais  inutilement;  il 
se  mit  à  sa  recherche,  et  l'ayant  rencontré,  il  lui  dit  :  «  Est-ce  ainsi  que  tu 
tiens  la  parole  que  tu  m'avais  donnée  ?»  —  «  Père,  croyez-moi  »,  reprit  le 
soldat,  «  je  ne  l'ai  pas  pu  ;  du  reste,  il  est  impossible  que  j'aille  vous  trouver 
maintenant,  car,  par  ordre  du  vice-roi,  nous  allons  nous  embarquer  sur-le- 
champ  ;  nous  partons  pour  la  Toscane  ».  Le  Saint  réfléchit  quelque  temps. 
«  Non,  vous  ne  partirez  pas  »,  reprit-il  ;  «jure-moi  donc  sur  ce  Christ  que 
tu  viendras  demain  matin  me  trouver.  Ne  crains  rien,  car  j'ai  grand  espoir 
que  Dieu  veut  te  sauver  ».  En  effet,  l'ordre  de  départ  fut  révoqué  le  jour 
même,  comme  il  l'avait  prédit,  et  le  soldat  se  rendit  aussitôt  à  l'église  du 
Gesh-Nuovo  pour  accomplir  sa  promesse.  Quand  le  Père  l'aperçut,  il  tres- 
saillit d'une  sainte  allégresse.  «Eh  quoi  !  »  lui  dit-il,  «  tu  voulais  t'échapper 
des  mains  de  Dieu  !  Mais  c'est  un  père  qui  t'aime  et  qui  te  voulait  pour  lui  ». 
Le  Saint  entendit  ensuite  sa  confession  ;  il  le  disposa  à  recevoir  l'absolution 
ce  matin-là  même  et  le  fit  approcher  de  la  Table  sainte.  Le  soldat  passa 
cette  heureuse  journée  à  l'église,  en  exercices  de  dévotion.  Le  soir,  le  Saint 
le  fit  conduire  chez  la  marquise  de  Santo-Stéfano.  Cette  dame,  qui  était 
fort  pieuse,  l'accueillit  à  merveille.  Elle  fit  reprendre  à  Marie  Cassier  les 
habits  de  son  sexe,  la  garda  pendant  quatre  mois  et  l'établit  ensuite  dans 
une  petite  maison  où  elle  vécut  d'une  rente  de  six  ducats  par  mois,  que  le 
Saint  lui  avait  obtenue  sur  la  caisse  militaire,  et  qui  était  la  retraite  des 
soldats  invalides. 

Cette  conversion  si  extraordinaire  eut  lieu  en  l'année  1688.  Marie  Cas- 
sier ne  mourut  qu'en  1727,  et  elle  en  confirma  les  détails  sous  la  foi  du  ser- 
ment pour  le  procès  de  canonisation.  Elle  resta  toujours  dans  les  sentiments 
les  plus  humbles  et  les  plus  repentants,  pleurant  sa  faute  et  en  faisant  cha- 
que jour  pénitence.  Le  Saint  avait  placé  auprès  d'elle  un  de  ses  frères, 
nommé  Cataldo.  C'était  un  homme  tout  occupé  de  son  salut,  de  bon  conseil 
et  d'une  vie  exemplaire  Marie  Cassier  le  servait  et  le  soignait  dans  ses  ma- 
ladies, qui  étaient  fort  fréquentes.  Un  jour,  il  fut  surpris  d'une  fièvre  si  ar- 
dente que  l'on  connut  bientôt  qu'il  n'y  pourrait  résister.  Cataldo  comprit  le 
danger  où  il  était  :  il  fit  volontiers  à  Dieu  le  sacrifice  de  sa  vie  ;  il  ne  regret- 


SAINT  FRANÇOIS  DE   GIROLAMO,   DE   LA  COMPAGNIE   DE   JÉSUS.  477 

tait  qu'une  chose,  c'est  que  son  frère  bien-aimé  ne  fût  pas  là  pour  l'aider 
dans  ce  terrible  passage.  Saint  François  de  Girolamo  était,  lui  aussi,  malade 
en  ce  moment-là,  et  ses  supérieurs  l'avaient  envoyé  à  cinq  lieues  de  Naples, 
dans  le  bourg  de  Récalé,  renommé  pour  la  salubrité  de  l'air.  Or,  deux  jours 
avant  que  Cataldo  ne  mourût,  Marie  Cassier,  étant  dans  une  chambre  voi- 
sine, l'entendit  pousser  un  fort  gémissement.  Elle  accourut  pour  lui  porter 
secours,  mais  elle  s'arrêta  tout  effrayée  à  l'entrée  de  la  chambre,  en  voyant 
saint  François  de  Girolamo  qui  embrassait  tendrement  le  malade  et  qui  lui 
disait  :  «  Mon  frère,  allez  plein  de  courage  et  avec  confiance  là  où  Dieu, 
votre  bon  père,  vous  appelle,  et  où  les  Saints  vous  attendent.  Souvenez-vous 
qu'il  rend  au  centuple  ce  qu'on  lui  a  donné,  et  sachez  que  je  ne  tarderai 
guère  à  vous  suivre  ».  Il  prit  ensuite  Marie  Cassier  à  part.  «  Ma  fille  »,  lui 
dit-il,  «  Cataldo  marche  à  grands  pas  vers  l'éternité  :  aie  soin  de  l'assister 
fidèlement.  Il  mourra  vendredi  prochain,  à  la  quatrième  heure  de  nuit.  Il 
faut  que  je  le  quitte  maintenant  ;  mais  j'espère  le  revoir  avant  sa  mort  » .  On 
croit  qu'il  le  revit,  en  effet,  car  le  malade,  un  peu  avant  sa  mort,  donna 
tant  de  signes  d'une  joie  extraordinaire,  que  Marie  Cassier  était  persuadée 
qu'il  avait  eu  le  bonheur  de  mourir  dans  les  bras  du  Saint,  encore  que 
celui-ci  fût  resté  invisible  pour  elle.  Du  reste,  le  jour  où  il  était  venu,  il 
entra  et  sortit,  quoique  les  portes  de  la  maison  fussent  closes,  et  deux  frères 
qui  étaient  avec  lui  au  bourg  de  Récalé  affirmèrent  qu'il  ne  les  avait  pas 
quittés  d'une  minute,  qu'il  n'était  pas  même  en  état  de  le  faire  à  cause  de  sa 
grande  faiblesse. 

Parmi  les  hardiesses  où  l'Esprit-Saint  l'a  poussé,  nous  en  citerons  encore 
une  des  plus  merveilleuses  :  dans  une  procession,  il  s'arrêta  devant  la  porte 
d'une  maison  ;  mû  par  une  inspiration  soudaine,  il  frappe  fortement  en 
criant  :  «  Ouvre,  femme  infernale,  maîtresse  d'école  d'enfer,  ouvre  !  »  Quel- 
ques instants  après,  on  vit  paraître  une  méchante  femme  flétrie,  hideuse, 
défigurée,  dans  l'intérieur  de  la  maison,  on  aperçut  une  demi-douzaine  de 
jeunes  gens  et  un  pareil  nombre  de  jeunes  personnes  que  cette  misérable 
avait  réunis  pour  le  crime  et  qui  étaient  près  de  sacrifier  leur  vertu.  «  Voilà 
bien  »,  s'écria  le  Saint,  «  l'école  de  Satan,  l'antichambre  de  l'enfer.  Com- 
ment osez-vous  »,  dit-il  à  ces  jeunes  gens,  «  attenter  à  la  vertu  de  ces  âmes 
innocentes,  pour  lesquelles  Dieu  a  versé  son  sang  ?  Sortez  d'ici  !  »  Il  retira 
ainsi  ces  malheureuses  filles  de  l'abîme,  et  leur  procura  une  place  dans  un 
asile  où  elles  purent  sauver  leur  âme.  Plusieurs  fois  il  arrêta  des  jeunes  gens 
à  la  porte  de  ces  repaires  du  vice,  ou  les  en  retira  en  y  entrant  lui-même  le 
crucifix  à  la  main.  Nous  ne  finirions  jamais  s'il  nous  fallait  raconter  les  con- 
versions merveilleuses  où  notre  Saint  fut  l'instrument  de  la  grâce.  Un 
homme  ne  fréquentait  plus  les  Sacrements  depuis  vingt-cinq  ans,  lorsque, 
averti  en  songe,  à  plusieurs  reprises,  d'avoir  recours  à  notre  Saint,  il  prit 
enfin  courage  et  obéit,  à  son  grand  bonheur  et  pour  la  gloire  de  Notre-Dame, 
à  la  protection  de  laquelle  il  était  redevable  de  cet  avertissement.  Un  autre, 
à  qui  le  Saint,  au  commencement  de  sa  confession,  demanda  combien  il  y 
avait  de  temps  qu'il  ne  s'était  pas  confessé,  se  mit  à  fondre  en  larmes  et  à 
supplier  le  Saint  de  ne  pas  le  renvoyer  parce  qu'il  était  un  grand  pécheur  ; 
et  le  Saint,  lui  recommandant  de  ne  pas  se  décourager,  lui  demanda  s'il  y 
avait  dix,  vingt  ou  cinquante  ans  :  «  Précisément,  mon  père  »,  dit-il,  «  il  y 
a  cinquante  ans  que  je  suis  éloigné  de  Dieu.  —  Eloigné  de  Dieu  !  »  reprit 
François,  «  pourquoi  avez-vous  abandonné  un  si  tendre  Père,  un  Sauveur 
qui  a  versé  son  sang  pour  vous,  jusqu'à  la  dernière  goutte  ?  Ah  !  plutôt  con- 
vertissez-vous à  lui,  et  allez  au-devant  de  celui  qui  a  couru  si  longtemps 


478  11  mai. 

après  vous  ».  Un  assassin,  qui  avait  été  payé  pour  tuer  quelques  personnes, 
traversant  un  groupe  d'auditeurs,  devant  lequel  le  Saint  prêchait,  s'arrêta 
en  se  disant  à  lui-même  :  «  Celui  que  je  cherche  ne  serait-il  point  parmi 
tette  multitude  ?  »  Il  se  tint  donc  là  pour  observer  et  ne  put  s'empêcher 
d'entendre  le  discours  de  notre  saint  prédicateur,  et,  en  l'entendant,  il  ne 
put  se  défendre  de  rester  pour  l'écouter,  comme  s'il  eût  été  retenu  dans  ce 
lieu  par  enchantement,  quand  tout  à  coup  ces  paroles  retentissent  à  ses 
oreilles  :«  Des  milliers  de  pénitents  pleurent  leurs  fautes  passées,  et  toi,  mi- 
sérable pécheur,  tu  médites  de  nouveaux  crimes  !  Malheureux,  que  ni  le 
bras  de  Dieu  levé  pour  lancer  ses  foudres,  ni  l'enfer  ouvert  sous  tes  pieds 
pour  t'engloutir,  ne  sauraient  détourner  du  crime  !  »  Sa  conscience  fut  dé- 
chirée de  remords,  son  cœur  se  détourna  du  mal,  il  confessa  ses  iniquités, 
et  'e  meurtrier,  il  devint  un  Saint.  Naples  ne  fut  pas  le  seul  théâtre  du  zèle 
de  notre  saint  apôtre  ;  il  parcourut  toutes  les  provinces  du  royaume,  à 
l'exception  delà  Calabre,  et  donna  plus  de  cent  missions;  partout  où  il 
allait,  le  clergé  et  le  peuple  venaient  à  sa  rencontre,  il  commençait  aussitôt 
par  un  discours  d'ouverture  et  une  invocation  au  saint  patron  et  aux  anges 
gardiens  du  lieu.  A  la  fin,  avant  de  partir,  lorsqu'il  exhortait  les  fidèles  à  la 
persévérance,  tous,  d'une  seule  voix,  promettaient  de  garder  inviolablement 
leurs  engagements,  et  quand  il  leur  donnait  sa  dernière  bénédiction  et  leur 
faisait  son  adieu  ordinaire,  qui  était  de  les  retrouver  dans  le  ciel,  les  paroles 
ne  peuvent  exprimer,  ni  l'imagination  se  représenter  les  émotions  de  la 
multitude.  Le  démon,  il  est  vrai,  furieux  de  voir  tant  d'âmes  arrachées  des 
filets  de  l'enfer,  ne  négligeait  rien  pour  molester  François  et  le  faire  échouer 
en  suscitant  contre  lui  des  nuées  d'ennemis  qui  décriaient  sa  conduite  ; 
mais  sa  conduite,  mieux  connue,  réfutait  toutes  les  calomnies,  et  sa  pa- 
tience décourageait  les  outrages. 

Il  eut  quelquefois  à  lutter  contre  les  obstacles  d'une  autre  nature  :  l'é- 
vêque  de  Chiéti,  capitale  des  Abruzzes,  auquel  il  demanda  la  permission  de 
prêcher,  lui  dit  :  «  Vraiment  oui  ;  mais,  Père  François,  je  dois  vous  préve- 
nir que  le  peuple  de  notre  ville  est  un  peuple  spirituel  et  cultivé,  accou- 
tumé à  peser  à  son  juste  poids  la  force  des  raisons  et  capable  de  le  faire  ; 
vous  sentirez  donc  tout  d'abord  que  certaines  pratiques  propres  à  parler 
aux  sens,  telles  que  l'exposition  de  la  Croix  ou  des  images  de  la  Sainte 
Vierge  et  des  autres  Saints,  choses  admirables  en  elles-mêmes,  seraient  ici 
tout  à  fait  hors  de  place  et  de  nature  à  faire  plus  de  mal  que  de  bien  ».  — 
«  On  aura  certainement  égard  aux  désirs  de  Votre  Grandeur  »,  dit  l'humble 
Saint,  «au  moins  jusqu'à  ce  que  vous  jugiez  convenable  d'y  déroger  ».Peu 
après,  le  prélat  ressentit  une  peine  aiguë  dont  il  ne  pouvait  se  rendre 
compte.  Cédant  aux  remords  de  sa  conscience,  il  envoya  dire  au  Saint  qu'à 
l'égard  de  ce  qui  avait  fait  le  sujet  de  leur  conversation,  il  s'en  rapportait  à 
sa  discrétion,  et  il  eut  plus  d'une  fois  occasion  de  constater  les  fruits  de  ces 
pratiques  qu'il  avait  d'abord  condamnées. 

Nous  n'entreprendrons  pas  de  traiter  en  particulier  chacune  des  vertus 
de  notre  Saint.  Toutefois,  nous  ne  pouvons  passer  sous  silence  son  fervent 
amour  pour  Jésus-Christ  :  il  l'honorait  et  l'adorait  plus  particulièrement 
dans  les  mystères  de  sa  sainte  enfance,  de  sa  sainte  passion  et  de  son  ado- 
rable Sacrement.  Lorsqu'il  méditait  sur  ces  mystères,  il  était  toujours  ab- 
sorbé et  pénétré  d'amour,  et  quand  il  approchait  du  Sacrement  de  l'autel, 
son  visage  était  enflammé  comme  s'il  eût  été  devant  le  feu;  il  ne  pouvait 
souffrir  les  irrévérences  envers  la  divine  Eucharistie  ;  il  réprimanda  une 
dame  de  qualité  qui  était  demeurée  assise  pendant  la  consécration.  Il  avait 


SAINT   FRANÇOIS   DE    G1R0LAM0,   DE   LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS.  479 

aussi  une  tendre  dévotion  pour  la  Sainte  Vierge  :  pendant  vingt-deux  ans, 
il  eut  l'habitude  de  prêcher  un  sermon  en  son  honneur  et  à  sa  louange, 
toutes  les  semaines.  C'était  à  la  jeunesse  surtout  qu'il  avait  soin  de  recom- 
mander cette  dévotion  comme  le  préservatif  le  plus  assuré  de  l'innocence 
et  le  meilleur  remède  du  péché,  disant  qu'il  était  difficile  de  se  sauver,  si 
on  ne  se  sentait  pas  de  dévotion  envers  la  Mère  de  Dieu.  Marie  était  son 
conseil  dans  le  doute,  sa  consolation  dans  ses  peines,  sa  force  dans  toutes 
ses  entreprises,  son  refuge  dans  le  danger;  il  éprouvait  des  délices  inexpri- 
mables toutes  les  fois  qu'il  récitait  le  rosaire  de  notre  tendre  Mère.  Il  avait 
également  une  dévotion  toute  particulière  pour  son  Ange  gardien,  pour 
saint  François-Xavier,  pour  saint  Janvier  et  surtout  pour  saint  Cyr;  il  pla- 
çait toutes  les  missions  'qu'il  faisait  sous  son  patronage  :  ce  fut  un  débat 
perpétuel  entre  le  Martyr  et  le  Saint  à  qui  procurerait  le  plus  d'honneur  à 
l'autre  ;  François  recourait  à  saint  Cyr  dans  toutes  ses  entreprises  ;  saint  Cyr 
favorisait,  de  son  côté,  toutes  les  entreprises  de  François;  il  ne  visitait  ja- 
mais un  malade  qu'il  ne  le  bénît  avec  les  reliques  du  saint  Martyr,  et  les  re- 
liques du  saint  Martyr  obtenaient  toujours  la  santé  du  corps  ou  de  l'âme  ', 
selon  son  désir.  Il  ne  fut  point  content  qu'il  n'eût  obtenu  les  permissions 
nécessaires  pour  établir  une  fête  en  l'honneur  de  ce  saint  Patron,  afin  qu'il 
lui  fût  rendu  un  honneur  public.  Le  troisième  dimanche  de  mai  fut  le  jour 
fixé  pour  cela. 

La  charité,  l'humilité,  l'obéissance  de  notre  Saint  n'étaient  pas  moins  ad- 
mirables :  Dieu  ne  lui  refusa  pas  non  plus  les  dons  précieux  dont  il  se  plaît 
quelquefois  à  favoriser  ses  serviteurs.  En  voici  quelques  exemples  :  il  éprou- 
vait de  fréquentes  extases,  souvent  en  présence  de  plusieurs  témoins  ;  un 
jour  surtout,  qu'il  faisait  une  exhortation  à  la  communion,  son  visage  bril- 
lait, par  moments,  d'un  si  radieux  éclat,  que,  comme  celui  de  Moïse,  il 
éblouissait  les  yeux  de  ceux  qui  le  voyaient.  Ce  n'était  pas  non  plus  par  des 
moyens  naturels  que  sa  voix,  lorsqu'elle  était  enrouée  et  faible,  se  faisait 
entendre  distinctement  à  des  distances  immenses;  il  avait  le  don  de  se 
rendre  présent  en  plusieurs  lieux  à  la  fois  et  en  même  temps;  pour  celui  de 
prophétie,  il  l'exerçait  tantôt  sérieusement  et  ouvertement,  tantôt  comme 
en  plaisantant  et  d'une  manière  énigmatique,  comme  si  l'on  n'eût  pas  dû 
croire  qu'il  avait  cette  faveur.  Une  jeune  fille,  étant  dans  le  doute  si  elle  de- 
vait se  marier  ou  bien  entrer  dans  l'état  religieux,  consulta  le  Saint  :  «  Vous 
courrez  de  plus  grands  dangers  en  restant  dans  le  monde  »,  lui  dit-il,  «  et 
ne  vous  laissez  pas  épouvanter  par  la  pensée  que  vous  aurez  à  mener  une 
vie  longue  et  laborieuse.  Quel  âge  avez-vous?  »  —  «  Dix-sept  ans  »,  répon- 
dit-elle. —  «  Encore  juste  autant  d'années,  et  vous  serez  à  la  fin  de  votre 
pèlerinage».  Ce  que  l'événement  montra  être  véritable;  car  cette  jeune 
personne,  retirée  dans  un  couvent,  y  mourut  en  odeur  de  sainteté  au  bout 
de  dix-sept  ans. 

Une  pauvre  femme  perdit  un  enfant  d'un  an,  et  n'ayant  pas  le  moyen  de 
le  faire  enterrer,  elle  le  porta  à  l'église  et  le  plaça  dans  le  confessionnal  du 
Père  François.  En  entrant  dans  l'église,  le  saint  homme,  qui  avait  tout  vu 
par  une  lumière  surnaturelle,  s'adressant  à  la  célèbre  pénitente  Marie-Louise 
Cassier,  lui  dit  :  «  Voyez  dans  mon  confessionnal,  vous  y  trouverez  un  en- 
fant abandonné  ;  chargez-vous-en,  jusqu'à  ce  que  je  trouve  à  le  placer  con- 
venablement ».  Elle  obéit  à  l'instant;  mais,  levant  la  couverture  qui  l'enve- 
loppait, elle  se  tourna  vers  le  Saint  et  lui  dit  :  «  Mon  père,  il  est  mort!  »  — 
«  Non,  non  »,  répondit-il,  «  il  est  endormi  »;  et  en  même  temps  il  lui  fit  un 

l.  Saint  Cyr  souffrit  le  martyre  le  31  Janvier,  l'an  288  de  Jésus-Christ  ;  TOir  sa  notice  a  ce  Jour. 


480  H  mai. 

signe  de  croix  sur  le  front  et  lui  appliqua  de  l'eau  bénite  sur  les  lèvres,  et 
voilà  que  l'enfant  ouvre  les  yeux  et  commence  à  respirer.  «  Allons  »,  ajouta 
le  Saint,  «  appelez  la  mère,  qui  est  au  bas  de  l'église  ».  La  pauvre  femme 
tout  d'abord  refusa  de  venir,  et,  à  la  vue  de  l'enfant,  elle  ne  pouvait  croire 
que  ce  fût  le  sien;  mais  lorsqu'il  allongea  ses  petits  bras  et  témoigna  la  re- 
connaître, elle  le  colla  sur  son  sein  avec  des  ravissements  de  joie;  et,  après 
avoir  reçu  de  saint  François  une  aumône  abondante,  elle  retourna  chez 
elle.  Une  jeune  religieuse  s'étant  présentée  devant  notre  Saint  pour  faire  sa 
confession  :  «Allez  »,  lui  dit-il  sèchement,  «  je  ne  puis  ni  ne  veux  vous  en- 
tendre ».  —  «  Comment  !  »  s'écria-t-elle  avec  étonnement,  «  vous  volez  à  la 
recherche  des  femmes  de  mauvaise  vie  et  vous  rejetteriez  une  épouse  de 
Jésus-Christ?  »  —  «  Venez-vous  pour  vous  confesser  »,  reprit  François,  «sans 
examen,  sans  contrition,  sans  ferme  propos  de  changer  de  vie  et  sans  la 
moindre  étincelle  de  dévotion?  »  Cette  réponse  fit  rentrer  la  religieuse  en 
elle-même,  et,  reconnaissant  ses  désordres,  elle  changea  de  vie. 

Il  faisait  honneur  à  saint  Cyr  de  tous  les  miracles  que  le  ciel  lui  accor- 
dait. Il  y  avait,  dans  un  monastère,  une  religieuse  affligée  d'horribles  con- 
vulsions; on  envoya,  à  la  fin,  chercher  le  Père  François  :  «  Je  vous  apporte 
de  bonnes  nouvelles  »,  dit-il  en  entrant,  «  un  médecin  qui  guérit  tous  les 
maux  »;  puis  il  lui  donna  la  relique  de  saint  Cyr  à  baiser,  en  disant  :  «  Avez- 
vous  confiance  en  ce  médecin?  voulez-vous  l'invoquer  et  avoir  dorénavant 
de  la  dévotion  pour  lui  ?  »  Et  comme  elle  répondit  affirmativement  :  «  Vous 
voilà  déjà  guérie  »,  dit-il,  «  levez-vous  et  allez  à  l'instant  même  au  chœur, 
rendre  grâces  à  Dieu  ».  Et  aussitôt,  à  son  grand  étonnement  et  à  sa  grande 
consolation,  comme  de  tous  ceux  qui  étaient  présents,  elle  fit  ce  qu'il  avait 
commandé. 

Mais  il  est  temps  de  raconter  la  fin  d'une  si  belle  vie  :  notre  Saint  en  fut 
averti  par  une  inspiration  divine.  A  la  mort  de  son  frère,  il  fit  entendre  ces 
paroles  :  «  Dans  un  an  d'ici,  nous  nous  trouverons  réunis  ».  Et  lorsqu'il 
était  encore  en  pleine  santé,  il  dit  en  prenant  congé  des  religieuses  de 
Sainte-Marie-du-Divin-Amour  :  «  Mes  chères  filles,  c'est  pour  la  dernière 
fois  que  je  vous  parle  aujourd'hui;  ne  m'oubliez  pas  dans  vos  prières.  Adieu, 
jusqu'à  ce  que  nous  nous  revoyions  dans  le  paradis  ».  Pendant  sa  maladie, 
il  dit,  à  l'approche  de  la  fête  de  saint  Cyr  :  «  Je  ne  serai  pas  en  vie  pour  la 
voir  ».  Enfin,  lorsque  le  médecin  qui  le  soignait  lui  fit  sa  dernière  visite,  il 
le  remercia  de  ses  attentions  et  ajouta  :  «  Nous  ne  nous  reverrons  plus  dé- 
sormais de  ce  côté  de  la  tombe  :  car  lundi  sera  le  dernier  jour  de  ma  vie  ». 
On  ne  saurait  exprimer  les  cruelles  souffrances  que  Notre-Seigneur  lui  en- 
voya pour  achever  de  le  purifier,  afin  que  son  âme  entrât  plus  brillante  dans 
la  gloire,  et  cependant  il  ne  lui  échappa  jamais  un  murmure;  il  répétait 
seulement  :  «  Béni  soit  Dieu,  le  père  de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ,  qui 
nous  console  dans  toutes  nos  tribulations!  »  Quand  quelqu'un  s'approchait 
pour  compatir  à  ses  souffrances,  lui,  qui  ne  trouvait  pas  le  calice  assez  plein 
auprès  de  celui  de  son  Sauveur,  joignait  les  mains  sur  sa  poitrine  en  s'é- 
criant  :  Crescant  in  mille  millia  :  «  Qu'elles  s'accroissent  à  l'infini  !  »  On  lui 
parlait  du  bien  qu'il  avait  fait  :  «  Rien,  rien  »,  répondait-il,  «  la  faute  que 
j'ai  le  plus  à  appréhender,  c'est  ma  paresse  ».  Comme  on  l'exhortait  à  invo- 
quer saint  Cyr  pour  obtenir  le  rétablissement  de  sa  santé  et  obtenir  quelques 
années  de  vie  à  consacrer  encore  au  service  de  Dieu  :  «  Ah!  non  »,  dit-il, 
«  le  Saint  et  moi  nous  nous  sommes  entendus  sur  ce  point  ;  l'affaire  est 
maintenant  consommée  ».  La  faveur  qu'il  demandait  était  de  voir  achever 
la  statue  qu'il  avait  entreprise  en  l'honneur  de  son  saint  Patron  ;  elle  lui  fut 


SAINT  FRANÇOIS   DE    GIROLA.MO,   DE   LA   COMPAGNIE   DE  JÉSUS.  481 

accordée  :  «  Maintenant  »,  dit-il,  «  je  meurs  content  ».  Le  jour  de  la  fête 
de  l'Exaltation  de  la  Sainte-Croix,  après  avoir  fait  une  confession  générale, 
il  reçut  le  saint  Viatique,  et,  six  jours  après,  l'Extrême-Onction.  Tout  le  long 
de  la  nuit,  il  laissa  son  cœur  s'épancher  en  toute  liberté,  et  voici  quelles 
étaient  les  paroles  qu'on  lui  entendait  répéter  :  «  Bénissons  le  Père,  le  Fils 
et  le  Saint-Esprit;  louons-le  et  exaltons-le  à  tout  jamais!  Le  Seigneur  est 
grand  et  infiniment  digne  de  louanges,  dans  la  cité  de  notre  Dieu  sur  la 
sainte  montagne  !  »  Puis,  baisant  les  plaies  du  Crucifix  en  pleurant,  il  s'é- 
criait :  «  Souvenez-vous,  divin  Jésus,  que  cette  àme  vous  a  coûté  pour  sa 
rançon  jusqu'à  la  dernière  goutte  de  votre  sang!  »  L'infirmier,  l'engageant 
à  prier  du  cœur  plutôt  que  des  lèvres,  à  cause  de  la  peine  qu'il  avait  à  par- 
ler :  «  Ah  !  mon  cher  frère  »,  lui  répondit-il,  «  quoi  que  nous  puissions  pen- 
ser ou  dire  d'un  Dieu  si  grand,  sa  grandeur  est  au-delà  de  toute  pensée  et 
de  toute  expression  !  »  Puis,  les  yeux  fixés  sur  la  pieuse  image  de  la  Sainte 
Vierge,  il  lui  parlait  en  ces  termes  si  humbles  :  «  Ah  !  Marie,  ma  très-chère 
mère,  vous  m'avez  toujours  chéri  comme  une  tendre  mère,  quoique  je  ne 
fusse  pour  vous  qu'un  enfant  trop  indigne.  Comblez  maintenant  la  mesure 
de  vos  bontés  à  mon  égard,  en  m'obtenant  l'amour  de  votre  divin  Fils!  » 
Ensuite,  comme  s'il  se  fût  déjà  trouvé  sur  la  porte  du  paradis,  il  exhalait 
ainsi  ses  ardents  désirs  d'y  entrer  :  «  Que  la  maison  du  Seigneur  est  grande  ! 
bienheureux  ceux  qui  habitent  dans  votre  maison,  Seigneur;  ils  vous  loue- 
ront dans  les  siècles  des  siècles.  Anges  saints,  que  tardez-vous?  ouvrez  les 
portes  de  la  justice,  j'y  entrerai  et  je  louerai  le  Seigneur!  » 

Malgré  le  désir  que  notre  Saint  avait  tant  de  fois  exprimé  qu'on  le  lais- 
sât seul,  il  fut  impossible  d'arrêter  la  foule  qui  se  pressait  pour  le  voir  une 
dernière  fois,  lui  baiser  les  mains  et  recevoir  sa  dernière  bénédiction.  Il  les 
bénissait  tous  avec  une  aimable  douceur,  et,  voyant  couler  leurs  larmes  : 
«  Ne  pleurez  pas  »,  disait-il,  «  je  vais  au  ciel,  où  je  me  souviendrai  de  vous 
et  serai  plus  à  portée  de  vous  être  utile  ».  Le  démon  fit  un  dernier  effort 
pour  arracher,  au  moment  décisif,  la  victoire  des  mains  de  celui  qui  l'avait 
terrassé  si  souvent.  Dieu  le  permit  pour  ajouter  à  la  honte  du  malin  esprit 
et  à  la  gloire  du  Bienheureux.  Dans  la  rigueur  de  la  lutte,  on  vit  toute  sa 
personne  s'agiter  violemment  :  poussant  un  cri,  il  appelait  à  son  secours 
Notre-Seigneur,  Notre-Dame  et  tous  les  Saints  ;  il  répondit  à  ceux  qui  lui 
demandèrent  la  cause  de  cette  horrible  convulsion  :  «  Je  combats,  je  com- 
bats! Au  nom  de  Dieu,  priez  pour  moi  que  je  ne  succombe  pas!  »  Puis, 
comme  s'il  repoussait  son  ennemi,  il  disait  :  «  Non,  jamais;  retire-toi,  je 
n'ai  rien  à  démêler  avec  toi  !  »  Son  visage,  enfin,  reprit  son  éclat,  et  il  ré- 
péta avec  douceur  ces  paroles  :  «  C'est  bien,  c'est  bien!  »  et  ausslôtil  se 
mit  à  chanter  le  Magnificat  et  le  Te  Deum,  pour  remercier  Dieu  de  sa  vic- 
toire; enfin,  il  alla  en  recevoir  la  couronne  éternelle  le  11  mai  1716,  dans 
la  soixante-quatorzième  année  de  son  âge  et  la  quarante-sixième  de  sa  vie 
religieuse. 

L'infirmier,  voulant  garder  quelques  reliques  d'un  si  saint  homme,  osa, 
avant  de  le  revêtir  des  habits  sacerdotaux,  lui  couper  un  morceau  de  la 
peau  qui  couvrait  la  plante  de  ses  pieds,  si  souvent  sanctifiés  en  courant 
après  les  brebis  égarées;  mais,  malgré  ses  précautions,  le  pieux  larcin  fut 
bientôt  découvert  ;  car  le  sang  se  mit  à  couler  si  abondamment  de  la  plaie, 
que  non-seulement  les  linges  en  furent  empreints,  mais  qu'on  en  remplit 
une  fiole  contenant  trois  ou  quatre  onces.  De  nombreux  miracles  honorant 
ses  précieuses  reliques,  indiquèrent  la  gloire  dont  son  âme  jouissait  dans  le 
ciel;  il  fut  béatifié  par  Pie  VII,  en  1806,  et  canonisé  par  Grégoire  XVI,  en 
Vies  des  Saints.  —  Tome  V.  31 


482  12  mai. 

1839,  en  même  temps  que  saint  Alphonse  de  Liguori,  saint  Jean-Joseph  de 
la  Croix,  saint  Pacifique  de  San-Severino  et  sainte  Véronique  Giulani.  Cette 
circonstance  a  fait  qu'on  a  représenté  ces  Saints  réunis  dans  un  même  ta- 
bleau. En  sa  qualité  de  missionnaire,  on  met  dans  la  main  de  saint  Fran- 
çois un  Crucifix;  dans  le  lointain  on  place  le  Vésuve,  pour  rappeler  que 
Naples  fut  le  théâtre  principal  de  ses  travaux  apostoliques.  Saint  François 
est  l'un  des  nombreux  patrons  de  Naples. 

Son  corps  est  conservé  sous  un  autel  latéral  qui  lui  est  dédié,  dans  la 
belle  église  de  la  maison  professe  des  Jésuites,  à  Naples,  nommée  le  Gesù- 
Nuovo.  Au-dessus  de  l'autel,  on  voit,  dans  une  niche,  sa  statue  de  grandeur 
naturelle. 

Nous  avons  tiré  sa  vie  du  récit  que  nous  en  a  donné  le  cardinal  Wiseman. 


XIIe  JOUR  DE  MAI 


MARTYROLOGE  ROMAIN. 

A  Rome,  sur  la  voie  d'Ardée,  les  saints  martyrs  Nérée  et  Achillée,  frères,  qui  furent  pre- 
mièrement relégués  pour  Jésus-Christ  dans  l'île  de  Ponza  avec  Flavie  Domitille,  dont  ils  étaient 
eunuques  ;  puis  ensuite  fouettés  très-cruellement  ;  enfin,  comme  Minucius  Rufus,  consulaire,  les 
voulait  forcer  à  sacrifier  aux  idoles,  par  le  supplice  du  chevalet  et  par  celui  du  feu,  et  qu'ils 
disaient  «  que,  ayant  été  baptisés  par  l'apôtre  saint  Pierre,  il  leur  était  impossible  de  sacrifier  », 
ils  eurent  la  tète  tranchée.  Leurs  saintes  reliques,  en  même  temps  que  celles  de  Flavie  Domitille, 
furent  transférées  solennellement,  par  l'ordre  du  pape  Clément  VIII,  la  veille  de  ce  jour,  de  la 
diaconie  ou  sacristie  de  Saint-Adrien,  dans  leur  propre  et  ancien  titre,  maintenant  restauré,  où 
elles  avaient  été  autrefois  déposées  et  conservées.  Ier  s.  —  Au  même  lieu,  sur  la  voie  Aurélienne, 
saint  Pancrace,  martyr,  qui  fut  décapité  à  l'âge  de  quatorze  ans,  sous  l'empire  de  Dioclétien. 
304.  —  A  Rome  encore,  saint  Denys,  oncle  paternel  du  même  saint  Pancrace.  —  En  Sicile,  saint 
Philippe  d'Agiro,  qui  fut  envoyé  en  cette  île  par  le  Pontife  romain,  et  en  convertit  une  grande 
partie  à  Jésus-Christ.  Sa  sainteté  paraît  surtout  par  le  pouvoir  qu'il  a  de  délivrer  les  possédés. 
Epoque  incertaine  1.  —  A  Salamine,  en  Chypre,  saint  Epiphane,  évêque,  illustre  par  son  érudition 
étendue  et  par  sa  science  des  saintes  lettres,  en  même  temps  qu'il  était  admirable  par  sa  sain- 
teté, son  zèle  pour  la  foi  catholique,  sa  libéralité  envers  les  pauvres  et  le  pouvoir  qu'il  avait  de 
faire  des  miracles.  403.  —  A  Constantinople,  saint  Germain,  évèque,  que  ses  vertus  et  sa  doctrine 
ont  rendu  célèbre,  et  qui  reprit  généreusement  Léon  l'Isaurien,  lorsqu'il  publia  son  édit  contre  les 
saintes  images 2.  Vers  732.  —  A  Trêves,  saint  Modoald,  évêque.  640.  —  A  Calzada,  en  Castilie, 
saint  Dominique  ou  Domingoe,  confesseur.  1109. 

MARTYROLOGE  DE   FRANCE,   REVU  ET  AUGMENTÉ. 

A  Meaux,  saint  Vaubert,  évêque.  —  Au  diocèse  de  Dax,  en  Guyenne,  saint  Macaire,  abbé.  — 
A  Marehienues,  en  Flandre,  sainte  Rictrude,  veuve  et  abbesse  de  ce  monastère.  683.  —  A 
Anderlecht,  près  de  Rruxelles,  le  décès  de  saint  Guidon,  sacristain  de  Notre-Dame  de  Laeken,  puis 
pèlerin.  1012.  —  A  Tours,  la  réception  des  reliques  de  saint  Maurice  et  de  ses  compagnons.'—  A 

1.  On  le  représente  portant  le  livre  des  exoreismes  ou  recevant  la  bénédiction  du  Pape  :  la  légende 
apporte  que  Philippe,  qui  ne  savait  que  le  grec,  se  mit  à  parler  latin  aussitôt  qu'il  ©ut  reçu  cette  béné- 
Sction.  —  Acta  Sanctorum. 

2.  Voir  une  notice  sur  saint  Germain,  dans  la  Vie  de  saint  Grégoire  II,  au  13  février,  et  la  question 
«es  saintes  Images,  dans  les  Conciles  généraux  et  particuliers,  par  Mgr  Guérin,  t.  n,  p.  39. 


MARTYROLOGES.  483 

Tarbes,  saint  Htgin,  confesseur.  —  A  Comminges,  le  trépas  de  Garsias  de  Horto,  vingt-sixième 
évèque  connu  de  ce  siège,  qui  mourut  en  odeur  de  sainteté.  Avant  la  bataille  de  Muret,  livrée  par 
Simon  de  Montfort  aux  Albigeois  et  dont  le  succès  sauva  le  catholicisme  dans  le  midi  de  la  France 
(13  septembre  1213),  le  serviteur  de  Dieu,  Garsias  de  Horto,  prenant,  des  mains  de  l'évèque  de 
Toulouse,  une  relique  de  la  vraie  Croix,  bénit  les  soldats  catholiques  avec  le  bois  rédempteur,  et 
leur  promit  le  ciel  s'ils  tombaient  en  cette  bataille  où  ils  exposaient  leur  vie  pour  la  foi.  1218. 
—  A  Celettes,  dans  le  diocèse  de  Blois,  fête  de  saint  Mondry  qui  fonda,  à  deux  lieues  de  cette 
ville,  au  bord  du  Beuvron,  une  église  et  un  village  appelés  Celettes  en  mémoire  de  sa  cellule  primi- 
tive '.  Le  Bienheureux  y  mourut  et  reposa  dans  l'humble  sanctuaire  qu'il  avait  érigé.  Son  culte  et 
ses  reliques  ont  subsisté  jusqu'à  ce  jour.  vie  s.  —  A  Entrains,  dans  le  diocèse  de  Nevers,  saint 
Vibius,  homme  apostolique,  qui  fut  enterré  vivant  pour  avoir  prêché  la  foi  en  Jésus-Christ  9. 
Epoque  incertaine.  —  A  Lincoln,  en  Angle! erre,  saint  Rémi,  religieux  de  l'abbaye  de  Fécamp,  qui 
conseilla  la  fondation  du  monastère  de  Saint-Etienne  de  Caen.  1091. 

MARTYROLOGES   DES    ORDRES   RELIGIEUX. 

Martyrologe  des  Basiliens.  —  A  Salamine,  en  Chypre,  saint  Epiphane,  évêque,  de  l'Ordre  da 
Saint-Basile. 

Martyrologe  des  Chanoines  réguliers.  —  A  Rome,  sur  la  voie  d'Ardée,  saint  Pancrace, 
martyr,  dont  le  chef  est  conservé  dans  la  basilique  de  Latran. 

Martyrologe  des  Dominicains.  —  Au  monastère  d'Aveiro,  de  l'Ordre  des  Frères  Prêcheurs,  la 
naissance  au  ciel  de  la  bienheureuse  Jeanne,  vierge,  infante  de  Portugal,  fille  du  roi  Alphonse  V. 
A  cause  de  ses  grandes  vertus,  le  pape  Innocent  XII,  de  l'avis  des  vénérables  cardinaux  de  la 
Congrégation  des  Rites,  permit  d'houorer  sa  mémoire  dans  tout  le  royaume  de  Portugal  et  dans 
tout  l'Ordre  des  Frères  Prêcheurs,  par  la  célébration  de  la  messe  et  de  l'office  du  commun  d'une 
vierge  non  martyre. 

ADDITIONS    FAITES   D'APRÈS   LES   BOLLANDISTES   ET   AUTRES    HAGIOGRAi'i^ ... 

A  Bettona,  en  Italie,  les  saints  Chryspolite,  évêque,  Barontius,  bouvier  de  profession,  Tutéla, 
sœur  du  précédent,  et  douze  autres  femmes,  ainsi  qu'un  espion  converti  par  eux,  tous  martyrs.  Le 
premier  aurait  été  envoyé  dans  ce  pays  par  saint  Pierre,  selon  une  biographie  postérieure;  mais  ils  parais- 
sent plutôt  avoir  souffert  sous  le  règne  de  Maximien.— A  Rome  (probablement),  les  saints  Cyriaque, 
Maxime,  Grade,  Sothère,  vierge,  Rothère,  Jean,  Achille,  Moïsée,  Aphrodite  et  cinq  cent  quatre 
autres,  ainsi  que  les  saints  Alexandre,  Moïsète  et  Lucius,  tous  martyrs,  mentionnés  dans  le  Mar- 
tyrologe de  saint  Jérôme.  —  A  Palma,  en  Sicile,  translation  des  reliques  de  saint  Félix,  enfant 
martyr,  dont  le  corps  fut  trouvé  à  Rome  dans  la  catacombe  de  Saint-Callixte  en  1675.  —  En  Thrace 
€t  en  Macédoine,  saint  Germain  Hégumène,  fondateur  du  monastère  de  Cosinitre,  et  distinct  de 
saint  Germain,  patriarche  de  Constantinople,  fêté  le  même  jour.  Avant  le  IXe  s.  —  A  Bologne, 
saint  DaiAo,  prêtre,  qui  vécut  solitaire  dans  une  petite  chapelle  sise  sur  la  paroisse  de  Sainte- 
Marie  d'Amola.  On  l'invoque  contre  l'épilepsie  et  surtout  les  hernies.  Les  Bolonais  le  représentent 
en  habits  sacerdotaux,  entouré  de  malades  qui  lui  présentent  des  ceintures  à  bénir  3.  1184.  — 
Dans  la  même  ville,  la  bienheureuse  Imelda  Lambertini,  vierge.  Voici  son  épitaphe  :  «  Au  Dieu 
très-bon  et  très-grand.  La  bienheureuse  Imelda  Lambertini,  vierge,  née  d'une  famille  illustre,  fut 
plus  illustre  encore  par  la  sainteté  précoce  de  sa  vie.  Enflammée  de  dévotion  envers  la  sainte 
Eucharistie,  elle  eut  scrupule  de  s'approcher  de  la  sainte  table  à  cause  de  sa  jeunesse  :  elle  avait 
à  peine  atteint  sa  onzième  année.  Comme  elle  se  répandait  en  larmes  et  en  prières,  la  miséricorde 
divine  daigna  la  consoler  :  une  hostie  lui  fut  envoyée  du  ciel  :  elle  expira  aussitôt  après  l'avoir 
prise,  l'an  1333  du  Seigneur4  ». — A  Sulmona,  en  Italie,  la  bienheureuse  Gemma,  vierge  recluse.  Fille 
de  pauvres  paysans,  elle  gardait  les  quelques  brebis  qui  formaient  tout  l'avoir  de  sa  famille,  lors- 
qu'elle fut  enlevée  par  les  serviteurs  d'un  certain  Roger,  comte  de  Celano.  Gemma  essaya  de  fléchir 
6on  ravisseur.  Difu  donna  tant  d'éloquence  à  ses  prières  et  à  ses  larmes  que  le  comte,  non  content 
de  respecter  sa  victime,  fit  élever,  pour  réparer  sa  faute,  une  église  en  l'honneur  de  saint  Jean- 
Baptiste  et,  tout  à  côté,  une  réclusion  où  sainte  Gemma  passa  les  quarante-deux  dernières  années 
de  sa  vie.  L'église  de  Saint-Jean-Baptiste  prit,  dans  la  suite,  le  nom  de  Sainte-Gemma.  1429.  — • 
En  Espagne,  la  bienheureuse  Catherine  de  Cardone,  vierge,  qui  étonna  le  monde  par  sa  vie  péni- 

1.  Cella  Si  Munderici. 

2.  Une  pierre  sépulcrale,  placée  sur  le  Heu  oh  reposait  son  corps,  portait  cette  laconique  inscription  : 

Vibius  hic  effossus  est  quia  prxdicavit. 
S.  AA.  SS. 

4.  La  bienheureuse  Imelda  est  la  patronne  des  premiers  communiant*.  Nous  donnerons  sa  vie  le  16 
septembre,  jour  auquel  les  dominicains  célèbrent  sa  fête. 


484  *2  mai. 

tente.  Née  à  Naples,  elle  fut  d'abord  gouvernante  de  Charles,  infant  d'Espagne.  La  corruption  de 
la  cour  l'obligea  à  se  démettre  de  ses  fonctions.  Saint  Pierre  d'Alcantara,  qu'elle  consulta  sur  ses 
projets,  lui  permit  de  se  retirer  dans  une  solitude  où  elle  revêtit  l'habit  des  Ermites  :  elle  resta 
trois  ans  dans  le  désert  sous  l'œil  de  Dieu,  inconnue  aux  hommes.  Affligée  de  diverses  maladies, 
elle  se  réfugia  dans  une  grotte,  près  d'un  monastère  de  Carmélites  déchaussés  où  elle  passa  les 
sept  dernières  années  de  sa  vie.  Sainte  Thérèse  l'a  proclamée  une  grande  Sainte.  1577.  —  Le 
12  mai  1850,  a  Rimini  (Italie),  dans  la  vénérable  maison  des  missions,  une  image  de  la  sainte 
Vierge  représentant  Notre-Dame  de  Miséricorde,  peinte  sur  toile,  ouvre  et  ferme  alternativement 
les  yeux.  Plus  de  trente  mille  personnes  accourent  et  sont  témoins  du  prodige.  La  sainte  Vierge 
est  représentée  sur  la  toile  les  yeux  fermés;  on  la  voit,  par  intervalles,  les  lever  au  ciel,  les 
tourner  à  droite  et  à  gauche,  les  fixer  sur  les  assistants  avec  l'expression  de  la  compassion  la  plus 
douce.  Beaucoup  de  personnes,  qui  ne  croyaient  pas  aux  miracles,  y  croient  désormais.  Dans 
Rimini  l'émotion  est  générale,  les  blasphèmes  cessent,  des  conversions  éclatantes  s'opèrent. 


LES   SAINTS   NEREE,   AGHILLEE, 

FLAVIE  DOMITILLE,  LA  JEUNE,  EUPHROSYNE  ET  THÉODORA, 

MARTYRS 
Premier  siècle. 

Les  justes  s'élèveront  arec  une  grande  hardiesso 
contre  ceux  qui  les  auront  accablés  d'afflictions, 
et  qui  leur  auront  ravi  le  fruit  de  leurs  travaux. 
Les  méchants  seront  saisis  de  trouble  et  d'une 
horrible  frayeur;  ils  seront  surpris  d'étonnement, 
en  voyant  tout  d'un  coup,  contre  leur  attente, 
les  justes  sauvés.  Sagesse,  v,  1,  2. 

La  mémoire  de  saint  Nérée  et  de  saint  Achillée  est  fort  célèbre  dans 
l'Eglise,  et  leur  culte  est  très-ancien.  Ils  étaient  frères  ;  mis  au  service  de 
la  princesse  Domitille,  nièce  de  l'empereur  Domitien,  encore  fort  jeunes, 
ils  eurent  le  bonheur  d'être  instruits  à  la  foi,  et  d'être  baptisés,  par  saint 
Pierre  même,  avec  cette  sainte  et  illustre  famille,  qui  toute  donna  son  sang 
pour  Jésus-Christ. 

La  piété  de  Nérée  et  d'Achillée  gagna  l'estime  et  l'affection  de  leur  maî- 
tresse qui,  charmée  de  leur  exacte  probité  et  de  leur  zèle  pour  la  religion, 
les  fit  ses  chambellans,  et  leur  donna  toute  sa  confiance. 

Les  actes  les  plus  anciens  de  la  vie  de  ces  deux  Saints  disent  que  voyant 
un  jour  avec  quel  soin  et  quelle  étude  leur  maîtresse  se  parait  pour  se  pré- 
senter chez  le  comte  Aurélien  à  qui  elle  venait  d'être  fiancée,  ils  en  furent 
vivement  peines  ;  et  animés  d'un  saint  zèle  pour  son  salut,  ils  prirent  la 
liberté  de  lui  représenter  fort  respectueusement  combien  ce  désir  de  plaire 
à  un  homme  mortel  était  indigne  d'une  âme  qu'ils  avaient  toujours  cru 
destinée  à  être  épouse  de  Jésus-Christ.  Cette  remontrance  respectueuse, 
qui  n'était  que  l'effet  d'un  zèle  sage  et  désintéressé,  fit  impression  sur  le 
cœur  et  sur  l'esprit  de  la  princesse.  Les  deux  Saints  profitèrent  d'une  si 
heureuse  disposition  ;  ils  lui  représentèrent  que  sa  religion  et  sa  vertu  lui 
promettaient  une  plus  grande  fortune  ;  ils  lui  parlèrent  avec  tant  d'énergie 
de  la  vanité  des  honneurs  et  des  biens  de  ce  monde,  du  vide  qui  se  trouve 
dans  tous  les  plaisirs,  de  la  brièveté  de  nos  jours,  et  surtout  des  amertumes 
et  des  durs  assujétissements  de  l'état  du  mariage  ;  ils  lui  peignirent  d'une 


LES   SAINTS   NÉRÉE,    ACfflLLÉE,    ETC.  485 

manière  si  vive  et  si  pathétique  le  prix  et  le  mérite  de  la  virginité,  que 
Domitille  protesta  qu'elle  n'aurait  jamais  d'autre  époux  que  Jésus-Christ,  à 
qui  seul  désormais  elle  voulait  plaire  ;  et  s'adressant  à  ces  deux  héros  chré- 
tiens :  Puisque  Dieu  s'est  servi  de  vous,  leur  dit-elle,  pour  m'inspirer  le 
désir  d'être  son  épouse,  hâtez-vous  de  m'obtenir  l'honneur  d'en  porter  les 
marques,  et  d'en  recevoir  la  grâce.  Elle  parlait  de  la  bénédiction  que  rece- 
vaient dès  lors  les  vierges,  et  du  voile  que  l'évêque  leur  donnait  comme  un 
signe  de  leur  consécration  à  Jésus-Christ. 

Saint  Nérée  et  saint  Achillée  tressaillant  de  joie,  et  charmés  de  la  béné- 
diction que  Dieu  avait  donnée  à  leur  zèle,  courent  vers  saint  Clément,  qui 
avait  succédé  à  saint  Pierre,  et  lui  déclarent  la  résolution  où  était  la  prin- 
cesse Domitille  de  ne  jamais  perdre  le  précieux  trésor  de  sa  virginité.  Le 
vénérable  Pontife,  bénissant  le  Seigneur,  se  rend  auprès  de  la  Sainte,  et  la 
trouvant  déterminée  à  ne  plus  vouloir  d'autre  époux  que  Jésus-Christ  :  — 
«  Avez-vous  bien  pensé,  ma  tille,  lui  dit  le  saint  Pape,  au  rude  combat  que 
vous  aurez  à  soutenir?  et  aurez-vous  assez  de  courage  pour  remporter  la 
victoire  ?  Aurélien,  irrité  du  refus  que  vous  faites  de  son  alliance,  ne  man- 
quera pas  de  vous  accuser  d'être  chrétienne  auprès  de  l'empereur  :  à  quelles 
furieuses  tentations  n'exposera-t-on  pas  votre  foi  ;  et  vous  et  nous  pour- 
rons-nous éviter  le  martyre?  »  —  «  Et  n'est-ce  pas»,  répond  la  Sainte,  «le 
plus  grand  bonheur  qui  puisse  nous  arriver  ?  Je  compte  peu  sur  mes  pro- 
pres forces,  mais  j'attends  tout  delà  grâce  toute-puissante  de  mon  divin 
Epoux,  et  la  persécution  ne  fera  qu'avancer  notre  bonheur  et  notre  gloire.» 
Saint  Clément,  attendri  par  cette  généreuse  réponse,  et  encore  plus  édifié 
de  l'empressement  que  la  Sainte  témoignait  d'être  consacrée  au  Seigneur, 
la  bénit  avec  solennité  et  lui  mit  le  voile  sur  la  tête. 

Ce  que  le  saint  Pape  avait  prévu  ne  fut  pas  longtemps  à  se  réaliser. 
Aurélien,  informé  du  parti  qu'avait  pris  Domitille,  devint  furieux  ;  et, 
après  avoir  employé  inutilement  et  les  promesses  et  les  menaces  pour  la 
déterminer  à  changer  sa  résolution,  il  fit  saisir  tous  ceux  qu'il  soupçonna 
l'avoir  aidée  de  leurs  conseils,  les  déféra  aux  tribunaux  comme  chrétiens, 
et  employa  tout  son  crédit  pour  les  faire  condamner  au  dernier  supplice. 

Saint  Nérée  et  saint  Achillée,  confidents  de  la  princesse,  furent  les 
premiers  arrêtés.  Le  comte  crut  que,  s'il  pouvait  les  gagner,  il  viendrait 
bientôt  à  bout  de  la  Princesse.  Tout  fut  mis  en  œuvre  pour  surprendre  leur 
religion  et  pour  tenter  leur  fidélité  :  caresses,  espérances,  promesses,  solli- 
citations, rien  ne  fut  oublié,  mais  rien  ne  put  ébranler  la  foi  des  serviteurs 
de  Dieu  ;  leur  constance  irrita  son  dépit.  Il  obtint  qu'ils  fussent  dépouillés 
et  déchirés  à  coups  de  fouet  de  la  manière  la  plus  cruelle.  La  joie  qu'ils 
firent  paraître  dans  cet  horrible  tourment  fit  perdre  espérance  au  tyran  de 
les  pervertir.  Ils  furent  déclarés  chrétiens,  et  par  là  même  ennemis  de 
l'empereur  et  de  l'Etat.  La  crainte  qu'on  eut  que  leur  fermeté  dans  la  foi 
ne  rendit  plus  inébranlable  la  constance  de  Domitille,  fit  qu'on  les  envoya 
à  Terracine,  afin  que  le  consul  Minutius-Rufus  instruisît  leur  procès. 

Les  formalités  furent  bientôt  remplies  ;  on  leur  ordonna  de  renoncer  à 
Jésus-Christ  et  d'offrir  de  l'encens  aux  idoles.  Ils  répondirent,  avec  une 
hardiesse  qui  étonna  le  tyran,  qu'ayant  été  baptisés  par  l'apôtre  saint 
Pierre,  et  éclairés  des  lumières  de  la  foi,  ils  ne  reconnaissaient  point 
d'autre  dieu  que  le  Dieu  des  chrétiens  ;  qu'ils  déploraient  le  malheur  et 
l'aveuglement  des  païens  qui  se  forgeaient  presque  autant  de  divinités  qu'il 
y  avait  d'hommes,  et  qui  n'adoraient,  dans  tous  ces  faux  dieux,  que  leurs 
propres  passions. 


4.SG  12  mai. 

Une  réponse  si  précise  et  si  frappante  irrita  le  consul  ;  il  les  fît  mettre 
sur  le  chevalet,  et,  après  leur  avoir  fait  déchirer  les  côtés,  il  commanda 
qu'on  hrûlât  leurs  plaies  avec  des  torches.  La  violence  de  la  douleur  ne 
servit  qu'à  faire  éclater  leur  joie  et  leur  ardent  amour  pour  Dieu.  Mais  le 
tyran,  craignant  que  ce  spectacle  ne  produisît  une  impression  trop  favo- 
rable sur  l'esprit  et  sur  le  cœur  des  païens,  leur  fit  couper  la  tête.  Ce  glo- 
rieux martyre  arriva  le  12  mai  de  l'an  98  ;  les  corps  des  Saints  furent 
enlevés  par  Auspice,  leur  disciple,  et  enterrés  sur  le  chemin  d'Ardée,  à  une 
demi-lieue  de  Rome,  où  l'on  bâtit  depuis  une  église,  monument  éternel  du 
triomphe  de  ces  glorieux  Martyrs. 

Saint  Grégoire  le  Grand  y  prononça  une  homélie  qui  est  la  vingt-hui- 
tième sur  les  Evangiles  ;  il  y  exhorte  les  fidèles  à  imiter  ces  grands  saints, 
dont  les  corps  étaient  présents,  et  à  mépriser,  à  leur  exemple,  le  monde 
et  les  vanités  trompeuses  de  cette  vie. 

La  foi  de  l'illustre  vierge  Domitille  ne  fut  pas  ébranlée  par  la  mort  de 
ces  deux  généreux  chrétiens  ;  sa  naissance,  son  nom,  sa  beauté,  son  mérite, 
portèrent  l'empereur  à  l'épargner  ;  il  se  contenta  de  la  reléguer  dans  l'île 
de  Ponza,  près  de  Terracine.  Mais  Aurélien,  ne  désespérant  point  de  la 
gagner,  la  fit  rappeler  quelque  temps  après.  Il  trouva  le  moyen  de  mettre 
auprès  d'elle  deux  jeunes  demoiselles,  ses  sœurs  de  lait,  nommées  Euphro- 
sine  et  Théodora,  sages  à  la  vérité,  mais  remplies  de  l'esprit  du  monde  et 
du  désir  de  s'établir.  La  promesse  de  leur  trouver  un  parti  avantageux,  si 
elles  déterminaient  la  princesse  à  épouser  le  comte,  leur  fit  employer  tout 
ce  que  l'art  et  l'esprit  peuvent  trouver  de  plus  séduisant  :  tantôt  elles  lui 
demandaient  si  elles  pouvaient  être  chrétiennes,  et  si,  pour  être  sauvées 
dans  sa  religion,  il  fallait  nécessairement  être  vierges  ;  tantôt  elles  lui  di- 
saient :  Si  le  mariage  est  licite,  pourquoi  refusez-vous  un  établissement 
qui,  ne  vous  empêchant  point  d'être  chrétienne,  vous  donne  le  moyen  de 
convertir  un  jour  votre  époux,  sa  famille  et  ses  domestiques  ? 

Sainte  Domitille  découvrit  aisément  l'esprit  qui  les  faisait  parler,  et> 
ayant  répondu  à  leurs  questions  d'une  manière  à  ne  point  souffrir  de  répli- 
que, elle  leur  demanda  à  son  tour  si,  ayant  été  promises  à  deux  riches 
seigneurs,  elles  seraient  d'humeur  d'écouter  la  proposition  que  leur  feraient 
de  vils  esclaves?  Non  certainement,  répondent-elles,  à  moins  d'avoir  perdu 
l'esprit.  Et  pourquoi,  reprit  alors  la  Sainte,  vous  récriez-vous  si  je  suis 
aussi  sage  ?  En  consacrant  à  Dieu  ma  virginité,  je  suis  devenue  l'épouse  de 
son  Fils  unique  Jésus-Christ  ;  cette  auguste  alliance  doit  durer  pendant 
toute  l'éternité  ;  les  avantages  de  cet  heureux  état  sont  infinis.  Que  vous  en 
semble?  honorée  de  cette  heureuse  qualité,  dois-je  préférer  au  Fils  unique 
du  Dieu  vivant  l'alliance  d'un  homme  mortel  ?  Elle  parla  avec  tant  de  grâce 
et  de  force,  qu'Euphrosine  et  Théodora,  touchées  et  convaincues  par  ses 
raisons,  parurent  ébranlées  ;  cependant  elles  hésitaient  encore.  Si  ce  que 
vous  dites  est  vrai,  répliqua  Théodora,  j'ai  un  frère  qui  a  perdu  les  yeux, 
faites  que  votre  divin  Epoux  lui  rende  la  vue.  Votre  frère  est  absent,  répond 
la  Sainte,  le  miracle  viendrait  trop  tard  :  mais  vous  avez  une  jeune  muette 
qui  vous  sert,  faites-la  venir,  la  puissance  de  Jésus-Christ  éclatera  plus 
promptement,  et  vous  en  serez  plus  tôt  convaincue.  La  jeune  fille  se  pré- 
sente ;  sainte  Domitille  prie,  la  muette  recouvre  la  parole,  et  le  premier 
usage  qu'elle  en  fait,  est  de  publier  qu'il  n'y  avait  point  d'autre  dieu  que  le 
Dieu  des  chrétiens.  A  ce  prodige,  Euphrosine  et  Théodora  se  jettent  aux 
pieds  de  sainte  Domitille,  publient  qu'elles  sont  chrétiennes,  et  déclarent 
qu'elles  ne  veulent  point  d'autre  époux  que  Jésus- Christ. 


SAINT  PANCRACE,   MARTYR.  487 

Aurélien,  ayant  appris  ce  qui  était  arrivé,  ne  garda  plus  de  mesure  ;  il 
gagna  le  consul,  homme  cruel  et  ennemi  mortel  des  chrétiens,  qui  fit 
mettre  le  feu  à  la  maison  où  était  renfermée  sainte  Domitille  avec  ses  deux 
servantes.  Immolées  comme  de  pures  victimes  au  Dieu  vivant,  elles  con- 
sommèrent ainsi  leur  glorieux  martyre.  Le  diacre  saint  Césaire  vint  le  jour 
suivant  pour  ramasser  leurs  cendres,  et  les  trouva  prosternées  contre  terre 
sur  leurs  visages,  comme  si  elles  eussent  été  en  prières;  le  feu  leur  avait 
ôté  la  vie  sans  les  brûler,  ni  toucher  à  un  seul  cheveu  de  leur  tête. 

Dans  les  arts,  on  donne  souvent  une  couronne  à  sainte  Flavie  Domitille 
à  cause  de  sa  parenté  avec  Domitien. 

CULTE  ET  RELIQUES. 

M.  de  Rossi  vient  de  découvrir  (1874),  dans  le  cimetière  de  Domitille,  à  Rome,  le  tombeau 
primitif  et  l'inscription  tumnlaire  des  saints  martyrs  Nérée  et  Achillée. 

Quant  à  leurs  reliques,  le  pape  Grégoire  IX  les  retira  des  catacombes  (xm*  siècle),  ainsi  que 
celles  de  sainte  Flavie  Domitille,  et  les  transporta  dans  la  diaconie  de  Saint-Adrien.  Elles  y  rece- 
vaient depuis  plusieurs  siècles  les  bommages  empressés  des  fidèles,  lorsque  l'immortel  Baronius» 
titulaire  de  l'église  urbaine  des  saints  Nérée  et  Achillée,  fit  restaurer  cette  basilique  et  obtint  du 
pape  Clément  VIII  la  permission  d'y  transporter  les  corps  des  saints  martyrs. 

Il  y  a  néanmoins  beaucoup  d'autres  églises,  tant  de  France  que  d'Espagne  et  des  Pays-Bas, 
qui  se  glorifient  d'avoir  quelques  parties  de  ces  saintes  reliques.  De  ce  nombre  est  l'église  parois- 
siale de  Satilieu  (diocèse  de  Viviers). 

Sainte  Flavie  Domitille,  vierge  et  martyre,  ne  doit  pas  être  confondue  avec  sa  tante,  Flavie 
Domitille,  surnommée  l'ancienne.  Celle-ci  était  fille  de  Domitille,  sœur  de  l'empereur  Domitien. 
Ce  prince  la  maria  à  saint  Flavius  démens,  son  cousin-germain,  qui  était  fils  d'un  frère  de  "Ves- 
pasien.  Flavius  Clémens,  ayant  été  mis  à  mort  pour  la  foi,  Domitille  fut  accusée  du  même  crime 
par  les  païens,  effrayés  de  voir  le  christianisme  envahir  si  vite  la  famille  impériale;  mais  comme 
ou  la  croyait  assez  punie  par  la  mort  de  son  mari,  Domitien  lui  ordonna  seulement,  au  bout  de 
trois  ou  quatre  jours,  d'en  épouser  un  autre.  Sur  son  refus,  il  la  bannit  dans  l'île  de  Pannataria 
(aujourd'hui  de  Sainte-Marie),  près  de  Pouzzoles.  Il  est  probable  qu'elle  retourna  à  Rome,  ou  du 
moins  sur  le  continent,  lorsque  Domitien  eut  été  assassiné.  Elle  avait  eu  de  saint  Flavius  Clémens 
deux  fils.  Comme  Domitien  les  destinait  à  lui  succéder,  il  leur  avait  fait  prendre  les  noms  de 
Domitien  et  de  Vespasien,  et  avait  confié  le  soin  de  leur  éducation  au  célèbre  rhéteur  Quintilien. 
On  ignore  le  reste  de  leur  histoire.  On  croit  que  Flavie  Domitille,  l'ancienne,  avait  eu  aussi  une 
fille  qui  porta  le  même  nom,  et  fut  mariée  à  Flavius  Onésimus. 

P.  Croiset;  Baillet;  Godescard,  et  JJartigny  :  Bulletin  d'Archéologie  chrétienne. 


SAINT  PANCRACE,  MARTYR 

804.  —  Pape  :  Saint  Marcel.  —  Empereur  romain  :   Dioctétien. 


La  mort  du  jnste  est  la  condamnation  de  la  vie  des 
impies,  et  la  sagesse  du  jeune  âge,  celle  d'une 
longévité  criminelle.  Sap.,  iv,  16. 

Le  12  mai  est  encore  célèbre  par  le  martyre  de  saint  Pancrace.  C'était 
un  enfant  d'une  illustre  naissance,  de  Synnade,en  Phrygie;  ayant  perdu  de 
bonne  heure  son  père,  il  était  demeure  sous  la  tutelle  de  Denis,  un  de  ses 
oncles,  dont  le  Martyrologe  romain  fait  aussi  mémoire  aujourd'hui  comme 
d'un  saint  confesseur.  Cet  excellent  tuteur  considéra  toujours  notre  jeune 
Saint  comme  son  fils  et  prit  un  grand  soin  de  son  éducation.  Lorsqu'il  le 
vit  âgé  de  quatorze  ans  et  en  état  de  supporter  les  fatigues  d'un  voyage,  il 


488  12  mai. 

l'amena  à  Rome  avec  lui  ;  là,  s'étant  adressés  au  pape  saint  Caïus,  ils  lui 
demandèrent  instamment  de  recevoir  le  saint  Baptême,  et  d'être  pleine- 
ment instruits  des  mystères  de  la  religion  chrétienne.  Ce  saint  Pape  leur 
accorda  avec  joie  ce  qu'ils  demandaient.  Ils  conçurent  alors  un  grand  désir 
de  verser  leur  sang  pour  Jésus-Christ  ;  mais  Denis  mourut  avant  d'avoir  pu 
obtenir  ce  bonheur.  Pancrace  fut  pris  et  amené  à  l'empereur  Dioclétien, 
qui  fit  tous  ses  efforts  pour  lui  persuader  de  sacrifier  aux  idoles  :  il  le  traita 
d'abord  avec  bonté,  parce  qu'il  avait  été  l'ami  de  son  père,  et  qu'il  était 
charmé  de  sa  beauté.  Le  saint  enfant  lui  répondit  :  «  Qu'il  s'étonnait  com- 
ment un  empereur  si  éclairé  lui  commandait  d'avoir  de  l'estime  pour  des 
dieux  qui  n'étaient  que  des  hommes  dont  la  vie  avait  été  si  corrompue, 
que  si  ses  esclaves  ne  vivaient  pas  mieux,  il  les  ferait  punir  exemplaire- 
ment ».  L'empereur,  irrité  de  cette  réponse,  ordonna  qu'il  eût  la  tête  tran- 
chée :  ce  qui  fut  exécuté  sur  la  voie  Aurélienne.  Une  sainte  femme, 
nommée  Octavie,  emporta  secrètement  son  corps  la  nuit,  l'embauma  et 
l'ensevelit  dans  un  sépulcre  nouveau,  le  12  mai  304,  selon  le  cardinal  Ba- 
ronius. 

L'attribut  de  saint  Pancrace  est  l'épée  ;  c'est  aussi  celui  des  saints  Nérée 
et  Achillée. 

RELIQUES  ET  CULTE  DE  SAINT  PANCRACE  ;  —  SES  DIVERS  NOMS. 

Il  y  a  à  Rome  une  église  de  son  nom,  et  la  porte  anciennement  appelée  Aurélia,  se  nomme 
aujourd'hui  de  Saint-Pancrace.  Saint  Grégoire,  pape,  parle  de  sa  tombe  et  de  ses  reliques  dans 
l'Homélie  27  sur  saint  Jean  et  dans  le  troisième  livre  de  son  Registre,  épilre  18.  Saint  Grégoire 
de  Tours,  qui  vivait  avant  lui,  raconte  un  miracle  perpétuel  que  Dieu  y  faisait  par  les  mérites  de 
ce  saint  Martyr  :  ceux  qui  allaient  faire  quelque  serment  solennel  en  l'église  qui  lui  est  dédiée, 
étaient  visiblement  punis  de  Dieu,  quand  ils  ne  disaient  pas  la  vérité  :  ou  ils  tombaient  morts  sm 
la  place,  ou  ils  étaient  possédés  du  démon,  qui  les  tourmentait  par  mille  sortes  de  supplices  à  la 
vue  de  tout  le  monde. 

«  Il  s'est  fait  »,  dit  Baillet,  «  une  grande  distraction  des  reliques  de  saint  Pancrace  en  diverses 
églises  de  l'Europe  :  et  comme  il  est  assez  ordinaire  de  voir  que  lorsqu'on  a  quelque  ossement 
considérable  d'un  Saint,  on  se  vante  d'avoir  son  corps,  on  doit  être  moins  surpris  d'entendre  dire 
que  le  corps  de  saint  Paucrace  se  trouve  en  quinze  ou  vingt  endroits  différents,  sans  être  obligé 
de  recourir  au  mystère  de  la  reproduction.  Outre  ce  qui  est  resté  de  ses  reliques  dans  l'église  de 
son  nom,  à  Rome,  on  voit  son  chef  dans  celle  de  Latran  où  son  office  se  fait  double  en  remettant 
celui  des  saints  Nérée  et  Achillée  au  premier  jour  libre  qui  suit.  On  trouve  aussi  quelques  parties 
de  ses  reliques  dans  celle  de  saint  Clément  et  dans  d'autres  églises  de  la  ville.  On  en  montre  pa- 
reillement k  Albano,  ville  de  la  campagne  de  Rome  ;  dans  trois  églises  différentes  de  la  ville  de 
Bologne,  où  il  n'est  pas  possible  que  l'on  n'ait  pas  donné  son  nom  à  quelque  corps  étranger, 
puisque  l'on  produit,  parmi  ces  reliques,  une  tète  de  saint  Paucrace,  outre  celle  qui  est  dans  la 
basilique  de  Latran.  On  aurait  peut-être  sujet  de  penser  la  même  chose  de  celles  que  l'on  garde 
so^is  le  même  nom  à  Venise,  chez  les  religieuses  de  saint  Zaeharie  ;  dans  le  Milanais,  quoiqu'il 
soit  vrai  que  saint  Grégoire  le  Grand  en  ait  envoyé  du  tombeau  de  notre  Saint  à  Fortunat,  évêque 
de  Milan;  à  Lauiosca,  en  Piémont,  dans  le  comtat  de  Nice;  dans  plusieurs  autres  villes  d'Italie, 
où  on  l'appelle  saint  Brancas  ou  Brancaccio  ;  en  divers  eudroits  de  la  Sicile  :  à  Avignon,  dans 
deux  églises  différentes;  en  France,  où  en  envoyèrent  de  Ronu  les  papes  Pelage,  pour  Marseille 
et  Tours  ;  saint  Grégoire  le  Grand  pour  Pallade,  évêque  de  Saintes  ;  d'autres  à  Saint-Riquier,  à 
Saiut-Malo  et  ailleurs.  On  ne  peut  nombrer  tous  les  lieux  du  royaume  qui  se  vantent  d'en  avoir, 
mais  la  plupart  sans  titre.  La  célébrité  de  son  culte  y  est  si  grande,  qu'il  n'y  a  presque  point  de 
province  qui  ne  s'en  soit  formé  un  Saint  particulier  en  diversifiant  son  nom  par  la  corruption  de 
leur  langage.  Car  c'est  lui  que  l'on  trouve  appelé  saint  Blancat,  saint  Planchas  ou  Planchais, 
saint  Plancari,  saint  Crampas  ou  Cranpace,  par  mélathèse,  saint  Brachs,  saint  Branchais, 
saint  Blancliars,  saint  Blansé,  et  peut-être  encore  autrement. 

Saint  Pancrace  est  appelé  Planchers  en  Normandie.  Le  pape  Vitalien  envoya  de  ses  reliques  à 
saint  Wandrille,  abbé  de  Fontenelle,  qui  construisit  une  église  sous  son  invocation  :  cette  double 
circonstance  répandit  son  culte  dans  le  diocèse  de  Coutances  et  les  diocèses  voisins. 

Les  Pays-Bas  ne  sont  guère  moins  pourvus  de  reliques  qui  portent  le  nom  de  saint  Pancrace.  On 
en  voit  à  Gaud,  à  Douai  et  à  Maliues  ;  on  en  vovait  aussi  à  IHrecnt  et  à  Leyde,  avant  le  change- 


SAINT  EPIPHANE,   ÉVÊQUE  DE  S  AL  AMINE.  481) 

ment  de  religion  dans  les  Pays-Bas  unis.  On  en  montre  à  Cologne  dans  plusieurs  églises,  à  Dus- 
seldorf  sur  le  Rhin,  au  duché  de  Berg,  à  Trêves  et  même  à  Prague,  en  Bohème.  On  en  a  vu  aussi 
en  Angleterre,  où  la  première  église  consacrée  à  Bieu  depuis  la  conversion  des  Anglais  par  le 
moine  saint  Augustin,  missionnaire  de  saint  Grégoire  le  Grand,  fut  dédiée  sous  le  nom  et  l'invoca- 
tion de  saint  Pancrace,  dans  la  ville  de  Cantorbéry.  11  ne  vint  néanmoins  des  reliques  de  ce  saint 
Martyr  dans  cette  île  que  plus  de  cinquante  ans  après.  Ce  fut  le  pape  Vitalien  qui  en  envoya,  vers 
l'an  656,  à  Osvvi,  roi  de  Northumbeiland,  pour  augmenter  encore  le  culte  que  les  missionnaires 
romains  y  avaient  établi,  ou  plutôt  pour  reconnaître  et  récompenser  les  services  que  ce  prince  ren- 
dait à  l'église  du  pays.  La  plupart  des  églises  qui  gardent  des  reliques  sous  le  nom  de  saint  Pan- 
crace, ont  quelque  fête  particulière  en  différents  jours  de  l'année,  pour  célébrer  leur  réception  ou 
leur  translation  :  mais  elles  se  réunissent  à  solenniser  celle  de  son  martyre  au  12  de  mai,  quoi- 
qu'elles ne  soient  pas  toutes  persuadées  que  ce  qu'elles  ont  soit  véritablement  de  lui.  Le  12  de 
mai,  où  sa  fête  est  marquée  dans  les  Martyrologes  du  nom  de  saint  Jérôme,  dans  celui  de  Bède, 
ceux  du  IXe  siècle  et  les  suivants,  est  le  jour  de  sa  sépulture  plutôt  que  celui  de  sa  mort.  Le 
Calendrier  romain  du  ive  siècle  n'en  fait  point  mention,  mais  il  est  dans  celui  du  vme  siècle  et 
dans  les  suivants  et  dans  les  anciens  Sacramentaires  depuis  le  vi"  siècle  ». 

P.  Croiset,  Baillet,  Godescard  et  tous  les  hagiographes. 


SAINT  ÉPIPHANE, 

ÉVÊQUE  DE  SALAMINE,  EN  CHYPRE,  ET  DOCTEUR  DE  L'ÉGLISE 
310-403.  —  Papes  :  Saint  Eusèbe;  saint  Innocent  I".  —  Empereurs  :  Constantin;  Arcadius. 

La  sainte  Eglise  catholique  est  le  pivot  de  l'univers. 
Panarium,  liv.  i«r,  ch.  5. 

Saint  Epiphane  naquit  dans  un  petit  village  de  Palestine  appelé  Besanduc, 
aux  environs  d'Eleutbiropolis,  de  parents  si  pauvres,  que  son  père  gagnait 
sa  vie  à  labourer  la  terre,  et  sa  mère  à  filer  du  lin.  Cette  dernière  demeura 
chargée  de  lui  et  d'une  fille  nommée  Callitrope,  par  le  décès  de  son  mari, 
qui  mourut  lorsqu'Epiphane  était  encore  fort  jeune.  Mais  Dieu  est  surtout 
le  Père  de  ceux  qui  n'en  ont  plus  :  par  un  effet  de  sa  Providence,  un  juif 
appelé  Tryphon,  extrêmement  riche,  demanda  le  petit  Epiphane  à  sa  mère, 
et  s'en  chargea,  assurant  qu'il  lui  ferait  épouser  quelque  jour  sa  fille  unique. 
Il  le  traita  comme  il  l'avait  promis  ;  la  mort  de  sa  fille  ne  changea  point  les 
dispositions  de  Tryphon  pour  Epiphane  :  il  continua  de  le  regarder  comme 
son  fils  adoptif  et  le  laissa,  à  sa  mort,  héritier  de  tous  ses  biens. 

Instruit  des  vérités  chrétiennes  (on  ignore  à  quelle  époque  et  comment), 
Epiphane  reçut  le  baptême  avec  sa  sœur  ;  puis,  ayant  résolu  de  suivre  Jésus- 
Christ  et  de  travailler  sérieusement  à  sa  perfection,  il  se  déchargea  de  la 
conduite  de  cette  sœur  sur  une  de  ses  tantes,  appelée  "Véronique,  leur  don- 
nant, pour  leur  entretien,  une  partie  des  biens  qu'il  avait  hérités  du  juif; 
ayant  vendu  tout  le  reste,  il  en  distribua  l'argent  aux  pauvres,  sans  se  rien 
réserver  qu'une  somme  fort  modique,  pour  acheter  les  livres  nécessaires  à 
ses  études.  Elles  furent  très-étendues;  il  connaissait  diverses  langues,  sur- 
tout l'hébreu,  l'égj'ptien,  le  syriaque  et  le  grec.  Il  se  rendit,  par  là,  facile 
l'intelligence  des  Ecritures.  Il  ne  s'appliqua  pas  moins  à  s'instruire  dans  la 
piété;  à  cet  effet,  il  visitait  souvent  les  solitaires  de  Palestine  et  d'Egypte, 
dont  il  mena  la  vie  de  bonne  heure.  Des  Gnostiques,  avec  lesquels  il  se 


490  42  mai. 

trouva  en  relation,  essayèrent  de  le  séduire  par  des  femmes  qui  étaient  de 
leur  secte  ;  mais  ce  nouveau  Joseph  évita  le  danger  par  la  fuite.  Lorsqu'il 
fut  formé  à  la  vie  monastique,  il  revint  dans  sa  patrie,  fut  ordonné  prêtre 
et  fonda  un  couvent  auquel  il  présida  longtemps  en  qualité  d'abbé. 

Ayant  appris,  en  Egypte,  dans  une  conférence  avec  un  saint  religieux, 
qu'il  serait  un  jour  évêque  de  Chypre,  il  s'embarqua  secrètement  pour  se 
retirer  en  un  autre  lieu,  afin  d'éviter  cet  honneur,  qu'il  regardait  comme 
un  malheur  pour  lui.  Cependant,  un  vent  contraire  le  jeta  malgré  lui  en 
cette  île  ;  il  y  trouva  les  prélats  assemblés  pour  faire  élection  d'un  évoque 
de  Salamine,  capitale  de  tout  le  royaume,  et  il  fut  élevé  à  cette  dignité  par 
une  disposition  du  ciel.  C'était  vers  l'an  367.  Salamine  se  nommait  alors 
Gonstantia.  Le  soin  de  cette  Eglise  ne  lui  fit  point  abandonner  celui  de  son 
monastère  d'Eleuthéropolis  ;  il  y  revenait  de  temps  en  temps.  Il  continua  de 
vivre  en  solitaire  et  d'en  porter  l'habit.  Il  préférait  la  pratique  des  vertus 
aux  austérités  corporelles,  la  charité  à  l'abstinence  :  dans  sa  vieillesse,  il 
buvait  un  peu  de  vin.  Un  jour  qu'Epiphane  recevait  à  sa  table  l'illustre 
cénobite  Hilarion,  son  ami,  celui-ci  ayant  dit  :  «  Depuis  que  je  porte  l'habit 
de  solitaire,  je  n'ai  jamais  mangé  quelque  chose  qui  ait  eu  vie». — a  Et  moi», 
répliqua  l'évêque  de  Salamine,  «  depuis  que  je  porte  le  même  habit,  je  n'ai 
jamais  souffert  que  personne  s'endormît  le  soir,  ayant  dans  son  cœur  quelque 
chose  contre  moi,  et  je  ne  me  suis  jamais  endormi  moi-même  ayant  dans  le 
cœur  quelque  chose  contre  mon  prochain  ».  Hilarion  avoua  que  la  pratique 
d'Epiphane  était  meilleure  que  la  sienne.  Le  plus  grand  plaisir  de  notre 
Saint  était  de  soulager  ceux  qui  étaient  dans  le  besoin  :  beaucoup  de  per- 
sonnes riches  et  charitables  faisaient  passer  leurs  aumônes  par  ses  mains  ; 
de  ce  nombre  était  sainte  Olympiade.  Un  diacre  ayant  murmuré  contre  le 
saint  évêque,  parce  qu'il  employait  les  revenus  ecclésiastiques  au  soulage- 
ment des  pauvres,  en  fut  sévèrement  puni  par  Dieu  même. 

Notre  Saint  jouissait  d'une  considération  universelle.  Dès  qu'il  paraissait 
en  public,  le  peuple  se  pressait  autour  de  lui,  arrachait  les  fils  de  ses  vête- 
ments, pour  les  conserver  comme  des  reliques,  et  lui  baisait  les  mains  et 
les  pieds.  Les  mères  le  priaient  de  bénir  leurs  enfants.  Il  avait  le  don  des 
miracles.  Il  fut  le  seul  évêque  orthodoxe  que  le  Ariens  n'osèrent  attaquer, 
lorsque,  soutenus  par  l'empereur  Yalens,  en  371,  ils  entreprirent  une 
cruelle  persécution  contre  les  catholiques;  et  pourtant  jamais  les  hérésies 
n'eurent  d'ennemi  plus  implacable  :  il  les  recherchait,  en  étudiait  les 
caractères,  les  dénonçait  aux  autres  évoques,  et  il  écrivit  contre  elles  son 
principal  ouvrage  dont  nous  parlerons  plus  loin. 

Il  fit  le  voyage  de  Rome  en  382,  pour  assister  à  un  concile  convoqué 
par  le  pape  Damase  :  il  logea  chez  sainte  Paule,  et  il  eut,  en  385,  la  con- 
solation de  lui  offrir,  à  son  tour,  l'hospitalité  pendant  dix  jours,  à  Salamine, 
lorsqu'elle  se  rendait  en  Palestine. 

On  a  reproché  à  saint  Epiphane  certains  actes  où  il  aurait  montré  plus 
de  zèle  que  de  prudence,  comme  d'avoir  fait  des  ordinations  et  des  prédi- 
cations en  dehors  de  son  diocèse.  Il  se  justifie  lui-même  sur  ce  sujet  : 
«  C'est  la  crainte  de  Dieu  qui  m'a  fait  agir  de  la  sorte  ;  je  ne  me  suis  pro- 
posé que  l'utilité  de  l'Eglise.  Je  ne  me  plains  point  quand  un  évêque 
étranger  travaille  ainsi  à  la  gloire  de  Dieu  dans  mon  diocèse  '  ».  On  voit 
par  ces  paroles  que  son  intention  fut  toujours  pure  et  sainte.  Quant  aux 
actes  eux-mêmes,  ce  n'est  pas  ici  le  lieu  d'en  exposer  les  circonstances,  ni 
de  les  juger  :  nous  n'écrivons  pas  une  histoire  ecclésiastique. 

1.  Epist.  ad  Joau.  Hieros. 


SAINT  EPIPHANE,   ÉVÊQDE  DE  SALAMINE.  491 

Nous  ne  rapporterons  qu'un  fait  de  ce  genre  qui  eut  lieu  en  401.  Epi- 
phane, excité,  circonvenu  par  Théophile  d'Alexandrie,  alla  à  Constantinople 
pour  y  faire  condamner  les  ouvrages  d'Origène  ;  il  traita  d'abord  comme 
origéniste  saint  Jean  Chrysostome,  évêque  de  Constantinople,  qui  étant  plus 
modéré  que  lui  dans  cette  question,  offrit  l'hospitalité  à  Epiphane  ;  celui-ci 
la  refusa  et  rejeta  toute  communication  avec  lui.  Mais  ayant  reconnu  qu'il 
avait  eu  de  sa  part  dans  cette  conduite  excès  de  zèle  et  de  précipitation, 
qu'il  s'était  laissé  tromper  par  les  ennemis  de  saint  Jean  Chrysostome,  il 
résolut  de  quitter  aussitôt  cette  ville  ;  il  dit,  avant  de  s'embarquer,  aux 
évêques  courtisans  :  «  Je  vous  laisse  la  ville,  le  palais,  le  spectacle  :  pour 
moi,  je  pars,  je  n'ai  pas  de  temps  à  perdre  ».  En  parlant  ainsi,  il  pensait  à 
sa  mort,  que  saint  Jean  Chrysostome  lui  avait  prédite.  Il  mourut,  en  effet, 
pendant  la  traversée  (403).  Ses  disciples  bâtirent,  en  Chypre,  sous  son  nom, 
une  église,  où  ils  mirent  son  image  avec  beaucoup  d'autres.  Les  anciens 
ont  accordé  beaucoup  de  louanges  à  saint  Epiphane.  Bien  instruit  de  la 
doctrine  catholique,  il  la  suivit  dans  toute  son  intégrité  i.  C'était  un  homme 
admirable 2,  plein  de  Dieu 3.  Les  plus  grands  saints  s'autorisaient  de  son 
exemple  pour  justifier1  leur  conduite  4. 

On  représente  saint  Epiphane  faisant  l'aumône,  par  allusion  au  fait 
suivant  :  Un  escroc  s'entendit  avec  un  autre  pour  contrefaire  le  mort  et 
obtenir  du  Saint  de  quoi  faire  face  aux  frais  des  funérailles.  L'évêque  accorda 
ce  qu'on  lui  demandait,  mais  il  arriva  que  le  faux  mort  mourut  réellement. 
Le  survivant  courut  après  saint  Epiphane,  et  demanda  la  résurrection  de 
son  camarade.  Le  Saint  répondit  qu'ayant  fait  son  devoir,  il  n'avait  plus 
à  intervenir.  Dans  ce  cas,  un  cadavre  est  étendu  aux  pieds  du  pontife  ; 
mais  cela  ne  signifie  pas  qu'il  lui  rend  les  devoirs  de  la  sépulture,  comme 
l'ont  dit  quelques  auteurs.  —  Son  costume  est  le  plus  souvent  celui  des 
ermites.  «  Il  semble,  dit  le  Père  Cahier,  qu'on  doive  le  peindre  les  pieds 
nus  »,  s'il  est  vrai,  comme  le  rapporte  Métaphraste,  qu'ayant  perdu  une 
de  ses  sandales  dans  le  baptistère,  il  résolut  de  ne  plus  se  chausser.  Saint 
Epiphane  partage  avec  saint  Barnabe  le  patronage  de  l'île  de  Chypre. 

ÉCRITS  DE  SAINT  EPIPHANE. 

1°  Le  Panarwm  ou  Livre  des  antidotes  contre  toutes  les  hérésies,  qui  parut  en  374.  Le 
Saint  y  expose  et  y  réfute  toutes  les  hérésies  qui  avaient  précédé  la  naissance  de  Jésus-Christ,  et 
celles  qui  s'étaieDt  élevées  depuis  la  promulgation  de  l'Evangile.  Il  n'est  pas  toujours  exact  en  par- 
lant de  l'arianisme;  mais  on  sait  combien  il  est  difficile  de  découvrir  la  vérité  dans  des  points  où 
l'esprit  de  révolte  avait  tant  d'intérêt  à  l'embrouiller.  Saint  Epiphane  réfute  les  hérésies  par  l'Ecri- 
ture et  la  tradition.  «  On  doit  »,  dit-il,  «  admettre  nécessairement  la  tradition;  on  ne  peut  tout 
apprendre  par  l'Ecriture  :  c'est  pourquoi  les  Apôtres  nous  ont  transmis  quelques  vérités  par  écrit, 
et  d'autres  par  la  voie  de  la  tradition,  Hœr.  60,  c.  6,  p.  511  ».  C'est  par  la  tradition  qu'il  justifie 
la  pratique  et  qu'il  prouve  l'obligation  de  prier  pour  les  morts,  Hxr.  76,  c.  7,  8,  p.  911.  Il  ajoute 
qu'il  ne  peut  assez  s'étonner  comment  Arius  a  l'audace  d'abolir  le  jeûne  du  mercredi  et  du  ven- 
dredi «  qui  s'observe  par  toute  la  terre  et  qui  est  appuyé  sur'  l'autorité  des  Apôtres,  ibid.  » 

Saint  Epiphane  compte  quatre-vingts  hérésies  jusqu'à  son  temps,  à  partir  de  l'origine  du 
inonde;  vingt  avant  Jésus-Christ,  et  soixante  après.  L'idée  qui  lui  sert  de  base,  c'est  que  l'Eglise 
catholique  est  de  l'éternité  ou  du  commencement  des  siècles.  Adam  ne  fut  pas  créé  circoncis,  il 
n'adora  pas  non  plus  d'idole;  mais,  étant  prophète,  il  connut  Dieu,  Père,  Fils  et  Saint-Esprit.  Il 
n'était  donc  ni  juif  ni  idolâtre,  mais  montrait  dès  lors  le  caractère  du  christianisme;  autant  faut-il 
dire  d'Abel,  de  Seth,  d'Énos,  d'Hénoch,  de  Mathusalem,  de  Noé,  d'Héber,  jusqu'à  Abraham.  Jus- 
qu'alors il  n'y  avait  de  principe  d'action  que  la  piété  et  l'impiété,  la  foi  et  l'incrédulité  :  la  foi 
avec  l'image  du  christianisme,  l'incrédulité  avec  le  caractère  de  l'impiété  et  du  crime;  la  foi  sans 

1.  August.  Epist.  3S.  —  2.  Ephrem.  apud  Phot.  cod.  228.  —  3.  Damasc.  de  imag.  —  4.  Jean  l'Aumôn. 
Bolland.,  23  janr.,  p.  505. 


492  12  mai. 

aucune  hérésie,  sans  aucune  diversité  de  sentiments,  sans  aucune  dénomination  particulière,  tous 
s'appelant  hommes,  ainsi  que  le  premier;  la  même  foi  que  professe  encore  aujourd'hui  la  sainte  et 
catholique  Eglise  de  Dieu,  laquelle  existant  dès  l'origine,  s'est  révélée  de  nouveau  dans  la  suite. 
Du  premier  homme  au  déluge,  l'impiété  s'est  produite  en  crimes  violents  et  barbares  :  première 
phase  que  saint  Epiphane  appelle  barbarisme;  du  déluge  au  temps  d'Abraham,  elle  se  produisit  en 
mœurs  sauvages  et  farouches,  comme  celles  des  Scythes  :  seconde  phase,  qu'il  appelle  scythisme, 
usant  de  cette  distinction  de  saint  Paul  :  En  Jésus-Christ  il  n'y  a  ni  Barbare,  ni  Scythe,  ni  Hel- 
lène, ni  Juif.  L'hellénisme  ou  l'idolâtrie  commença  vers  le  temps  de  Sarug,  bisaïeul  d'Abraham, 
et  le  judaïsme  à  la  circoncision  de  ce  patriarche.  Abraham  fut  d'abord  appelé  avec  le  caractère  de 
l'Eglise  catholique  et  apostolique,  sans  être  circoncis.  De  l'hellénisme  naquirent  les  hérésies  ou 
systèmes  de  philosophie  grecque;  de  l'union  de  l'hellénisme  et  du  judaïsme,  l'hérésie  des  Samari- 
tains, avec  ses  diverses  branches;  du  judaïsme,  les  hérésies  des  Sadducéens,  des  Scribes,  des  Pha- 
risiens et  autres;  du  christianisme,  il  en  était  sorti  jusqu'alors  soixante,  parmi  lesquelles  il 
compte  et  réfute  ceux  qui  niaient  la  divinité  du  Saint-Esprit,  et  les  Apollinaristes  :  prouvant, 
contre  les  premiers,  que  le  Saint-Esprit  est  coéternel  et  consubstantiel  au  Père  et  au  Fils,  et  qu'il 
procède  de  l'un  et  de  l'autre;  et  contre  les  seconds,  que  le  Fils  de  Dieu,  en  s'incaruant,  a  pris 
réellement  un  corps  et  une  âme  semblable  aux  nôtres.  Quant  à  la  sainte  Vierge,  il  y  avait  des 
hérétiques  qui  en  niaient  la  perpétuelle  virginité;  d'autres,  au  contraire,  l'adoraient  comme  une 
divinité  :  il  établit  contre  ceux-là  qu'elle  est  demeurée  toujours  vierge,  et  contre  ceux-ci,  qu'il 
faut  l'honorer,  mais  adorer  Dieu  seul.  Il  termine  tout  l'ouvrage  par  la  pensée  première  :  que 
l'Eglise  catholique,  formée  avec  Adam,  annoncée  dans  les  patriarches,  accréditée  en  Abraham,  ré- 
vélée par  Moïse,  prophétisée  par  Isaïe,  manifestée  dans  le  Christ  et  unie  à  lui  comme  son  unique 
épouse,  existe  à  la  fois  et  avant  et  après  toutes  les  erreurs. 

Dans  cet  ouvrage,  ainsi  que  dans  son  Anchorat,  il  dit  que  Pierre,  le  prince  des  Apôtres,  malgré 
son  reniement,  est  la  pierre  solide  et  immuable  sur  laquelle  le  Seigneur  a  bâti  son  Eglise  dans 
tous  les  sens,  et  contre  laquelle  les  portes  de  l'enfer,  autrement  les  hérésies  et  les  hérésiarques  ne 
prévaudront  point.  C'est  à  lui  que  le  Seigneur,  en  disant  :  Pais  mes  brebis,  a  confié  la  garde  du 
troupeau,  troupeau  qu'il  gouverne  comme  il  se  doit  par  la  vertu  de  son  maître.  T.  i,  p.  500; 
t.  ii,  p.  14  et  15. 

Après  avoir  exposé  la  foi  de  l'Eglise,  il  ajoute  sa  discipline  générale.  Le  fondement  en  est  la 
virginité  que  gardaient  un  grand  nombre  de  fidèles,  puis  la  vie  solitaire,  ensuite  la  continence, 
après  quoi  la  viduité,  enfin  un  mariage  honnête,  surtout  s'il  est  unique.  La  couronne  de  cet  en- 
semble est  le  sacerdoce,  qui  se  recrute  le  plus  souvent  parmi  les  vierges,  ou  du  moins  parmi  les 
moines,  ou,  à  leur  défaut,  parmi  ceux  qui  s'abstiennent  de  leurs  femmes,  ou  qui  sont  veufs  après 
un  seul  mariage.  Celui  qui  s'est  remarié  ne  peut  être  reçu  dans  le  sacerdoce,  soit  dans  l'ordre 
d'évêque,  de  prêtre,  de  diacre  ou  de  sous-diacre.  Les  assemblées  ordonnées  par  les  apôtres  se 
tenaient  généralement  le  dimanche,  le  mercredi  et  le  vendredi  ;  ces  deux  derniers  jours  on  jeûnait 
jusqu'à  None,  excepté  dans  le  temps  pascal.  Il  n'était  pas  permis  de  jeûner  les  dimanches  ni  la 
fête  de  Noël,  quelque  jour  qu'elle  tombât.  Excepté  les  dimanches,  on  jeûnait  les  quarante  jours 
avant  Pâques  ;  les  six  derniers  on  ne  prenait  que  du  pain,  du  sel  et  de  l'eau,  et  vers  le  soir.  Les 
plus  fervents  en  passaient  plusieurs,  ou  même  tous  les  six  sans  manger.  On  faisait  nominative- 
ment mémoire  des  morts  dans  les  prières  et  le  sacrifice.  Plusieurs  avaient  la  dévotion  particulière 
de  s'abstenir  de  plus  ou  moins  de  choses  permises  d'ailleurs.  L'Eglise  défendait,  en  général,  tout 
ce  qui  était  mauvais,  superstitieux,  inhumain,  et  recommandait  à  tous  l'hospitalité,  l'aumône  et 
toutes  les  o-uvres  de  charité  envers  tout  le  monde.  Telle  est  la  substance  du  grand  ouvrage  de 
saint  Epiphane.  Il  l'envoya,  d'après  leur  prière,  à  des  prêtres  et  des  abbés  de  Syrie,  avec  une 
lettre  qui  en  contient  le  sommaire  et  qu'on  a  mal  à  propos  partagée  en  deux. 

Le  style  du  Panarium  est  peu  poli,  selon  Godeau,  Eloges  des  Ev.  illustr.  c.  37,  p.  228; 
mais  la  doctrine  qu'il  contient  est  pure  et  excellente.  On  peut  la  comparer  à  ces  diamants  qui, 
sans  être  taillés,  brillent  par  leur  beauté  naturelle.  Nous  avons  de  grandes  obligations  à  saint  Epi- 
phane de  nous  avoir  laissé  l'histoire  et  la  réfutation  des  anciennes  hérésies.  Il  est  vrai  qu'on  ne  les 
connaît  plus  que  de  nom;  mais  d'autres  leur  ont  succédé,  et  leur  succéderont  jusqu'à  la  fin  des 
siècles.  L'esprit  des  hérétiques  est  toujours  le  même;  il  traîne  toujours  à  sa  suite  l'orgueil,  l'opi- 
niâtreté et  l'attachement  à  ses  propres  pensées. 

2°  V Anchorat,  ainsi  appelé  parce  qu'il  est  comme  une  espèce  d'ancre  qui  doit  fixer  les  es- 
prits dans  la  vraie  foi,  de  peur  qu'ils  ne  flottent  et  ne  soient  entraînés  à  tout  vent  de  doc- 
trine. Le  saint  docteur  y  établit  et  y  donne  des  preuves  abrégées  des  principaux  articles  de  la  foi 
catholique. 

3°  L'Anacéphaléose,  ou  récapitulation  abrégée  du  Panarium,  et  non  de  l'Anchorat,  comme  l'a 
cru  Godescard,  ainsi  que  beaucoup  d'autres  auteurs. 

4°  Le  Traité  des  poids  et  des  mesures.  L'auteur  y  fait  paraître  beaucoup  d'érudition;  il  y 
parle  des  poids,  des  mesures  et  des  coutumes  des  Juifs,  afin  de  faciliter  aux  fidèles  l'intelligence 
de  la  Bible. 

5°  Le  Physiologue,  ou  recueil  des  propriétés  des  animaux,  avec  des  réflexions  mystiques  et 
morales.  Il  n'y  a  que  les  réflexions  que  l'on  puisse  attribuer  à  saint  Epiphane. 


SAINTE  RICTRUDE.  493 

6°  Le  Traité  des  pierres  précieuses.  Le  saint  docteur  tâche  d'y  expliquer  les  qualités  des 
douze  pierres  précieuses  qui  étaient  sur  le  rational  du  grand  prêtre  des  juifs. 

7°  Deux  Lettres  adressées,  l'une  à  Jean,  évèque  de  Jérusalem,  et  l'autre  à  saint  Jérôme.  Dans 
la  première,  le  Saint  répond  aux  différentes  plaintes  que  Jean  faisait  de  lui.  Il  y  dit  qu'ayant  vu 
dans  l'église  d'Anablate,  au  diocèse  de  Jérusalem,  un  voile  qui  pendait  à  la  porte,  et  sur  lequel 
était  peinte  une  image  de  Jésus-Christ  ou  de  quelque  saint  (il  ne  se  souvenait  plus  de  qui  elle 
était),  il  déchira  ce  voile  et  en  envoya  un  autre.  On  aurait  tort  de  conclure  de  ce  passage  que 
saint  Epiphane  ne  voulait  point  qu'on  honorât  les  images,  et  que  !e  culte  qu'on  leur  rend  est  de 
nouvelle  date  ;  le  contraire  est  attesté  par  les  monuments  les  plus  authentiques.  Eusèbe  parle  des 
miracles  opérés  à  la  célèbre  statue  de  la  femme  guérie  par  Jésus-Christ  d'un  flux  de  sang,  et  qui 
était  à  Panée  en  Palestine.  On  voit  aussi  par  saint  Grégoire  de  Nysse,  par  saint  Prudence,  par 
saint  Paulin,  par  saint  Ephrem,  etc.,  qui  vivaient  dans  le  même  temps,  que  l'usage  des  images 
était  alors  universellement  reçu  dans  l'Eglise.  Le  Clerc  en  convient  lui-même.  La  conduite  de 
saint  Epiphane  prouvs  donc  seulement  qu'il  avait  découvert  des  abus,  ou  du  moins  qu'il  craignait 
que  les  peintures  dont  il  s'agit  ne  fussent  une  occasion  de  chute,  soit  pour  les  juifs,  soit  pour  les 
païens  nouvellement  convertis.  On  sait  qu'en  pareille  circonstance,  il  est  quelquefois  prudent  de 
défendre  en  certains  lieux  une  pratique  de  discipline.  Cette  remarque  est  de  Salméron,  in  i  Joan., 
C.  5,  disp.  32. 

Dans  sa  lettre  à  saint  Jérôme,  saint  Epiphane  lui  donne  avis  de  la  condamnation  d'Origène 
par  Théophile  d'Alexandrie.  Il  y  a  encore  quelques  œuvres  de  saint  Epiphane  douteuses  ou  suppo- 
sées. (Voir  la  Patrologie  grecque  de  M.  Migne,  t.  xli,  xlii,  xliii.) 

Nous  avons  remarqué  plus  haut  que  saint  Epiphane  avait  négligé  la  politesse  du  style.  Son 
but  était  de  se  mettre  à  la  portée  des  moins  intelligents.  Au  reste,  ce  défaut  et  les  autres  que  l'on 
reprend  dans  ses  écrits  n'ont  point  empêché  qu'on  ne  l'ait  regardé  comme  un  des  principaux 
Docteurs  de  l'Eglise. 

A  A.  S  S.  et  Patrologie. 


SAINTE  RIGTRUDE, 

ÉPOUSE   DE   SAINT    ADALBÀUD,   DE   DOUAI 
Vers  l'an  688.  —  Pape  :  Sergius  Ier.  —  Roi  de  France  :  Thierry  ni, 

0  Dieu,  qui  avez  enrichi  la  bienheureuse  veuvo 
Rictrude  d'un  tel  tre'sor  de  grâce  qu'elle  a  sanc- 
tifié, en  se  sanctifiant  elle-même,  son  époux  et  ses 
enfants,  faites  qu'au  souvenir  d'une  si  grande 
vertu,  nous  marchions  d'un  pas  droit  dans  le  sen- 
tier de  la  justice.  Ainsi  soit-il, 

Propre  d'Auch,  1753. 

La  vie  de  cette  Sainte  nous  offre  toutes  les  vertus  qui  distinguent  la 
jeune  vierge,  la  vertueuse  épouse  et  la  mère  chrétienne;  et  comme  si  Dieu 
avait  voulu  donner  en  sa  personne  un  modèle  accompli  pour  toutes  les 
conditions,  il  permit  que,  devenue  veuve,  elle  entrât  peu  après  dans  un 
monastère  pour  y  donner  encore  l'exemple  de  la  perfection  religieuse.  C'est 
un  précieux  trésor  qu'une  femme  chrétienne  dans  la  famille;  ses  vertus, 
quoique  moins  éclatantes  pour  l'ordinaire  que  celles  de  l'homme,  ne 
manquent  jamais  d'exercer  une  influence  considérable  sur  toute  la  société, 
et  il  serait  facile,  en  développant  cette  pensée,  de  reconnaître  que  souvent 
les  résultats  les  plus  étonnants  et  les  plus  merveilleux  eurent  pour  premier 
principe,  la  sainteté  d'une  femme,  d'une  épouse  et  d'une  mère. 

Sainte  Rictrude  naquit  au  pays  basque  ,  d'une  famille  opulente  et 
illustre  ;  elle  appartenait  à  cette  race  vive  et  guerrière  des  Gascons  ou  Vas- 
cons  qui  lutta  si  longtemps  contre  les  Francs  du  Nord,  et  dont  les  haines 


494  12  mai. 

et  les  antipathies  nationales  se  poursuivent  si  loin  dans  notre  histoire.  A 
l'époque  dont  nous  parlons,  ces  peuples  étaient  encore  en  partie  idolâtres; 
on  en  trouve  la  preuve  dans  les  vies  de  plusieurs  Saints  du  septième  siècle, 
et  en  particulier  dans  celle  de  saint  Amand.  Rictrude,  par  une  faveur  spé- 
ciale de  la  divine  Providence,  reçut  le  jour  de  parents  chrétiens  et  ver- 
tueux, et  elle  s'éleva,  dit  le  biographe,  au  milieu  de  sa  nation  comme  une 
rose  qui  s' élance  du  milieu  des  buissons.  Elle  eut  pour  père  le  noble  et  puis- 
sant Ernold,  sa  mère  s'appelait  Lichia  l.  (605  environ). 

Dès  ses  premières  années,  cette  enfant  donna  des  marques  de  grande 
sainteté,  il  semblait  que  Dieu  se  plût  à  développer  en  elle,  avec  les  grâces 
et  les  charmes  de  son  âge,  toutes  les  vertus  et  les  belles  qualités  qui  de- 
vaient en  former  une  femme  accomplie.  «  Douce  et  modeste  dans  sa  con- 
duite, portant  empreinte  sur  son  front  l'innocence  de  son  âme,  remplie  de 
charité  et  de  prévenance  pour  tous,  la  jeune  Rictrude  croissait  en  âge  et  en 
grâce  devant  le  Seigneur,  et  à  peine  à  l'aurore  de  sa  vie,  elle  brillait  déjà 
comme  un  astre  éclatant  de  justice  et  de  sagesse  ». 

Elle  était  encore  dans  l'adolescence  lorsque  Dieu  permit  que  saint 
Amand  allât  prêcher  la  foi  dans  cette  contrée.  Ce  saint  missionnaire,  en 
effet,  n'ayant  pas  craint  de  représenter  au  roi  Dagobert  que  les  désordres 
de  sa  conduite  étaient  un  grand  scandale  pour  tousses  sujets,  qu'ils  attire- 
raient infailliblement  sur  lui  et  sur  son  royaume  la  colère  de  Dieu,  cette 
sainte  liberté  lui  avait  valu  l'exil  :  il  se  dirigea  alors  vers  la  Gascogne,  et 
la  Providence  le  conduisit  bientôt  dans  la  famille  de  sainte  Rictrude,  jeune 
et  bel  astre  qui  prit  encore  un  nouvel  éclat  par  la  splendeur  de  l'astre  nouveau 
qui  se  présentait  à  elle. 

Des  études  récentes  ayant  fixé  le  pays  d'origine  de  sainte  Rictrude 
parmi  les  Basques  2,  il  ne  sera  pas  inutile  à  la  clarté  de  notre  récit  de  faire 
voir  quel  était  l'état  politique  de  ce  pays  au  vne  siècle,  et  par  suite  de 
quelles  circonstances  cette  princesse  a  épousé  un  leude  du  nord  de  la 
France. 

Saint  Grégoire  de  Tours  rapporte  qu'en  581,  sous  le  règne  de  Chilpé- 
ric  II,  les  Vascons  ayant  commencé  à  faire  des  incursions  dans  la  Novem- 
populanie,  le  duc  Bladastes  alla  les  attaquer,  dans  leur  propre  pays,  de 
l'autre  côté  des  Pyrénées,  mais  qu'il  y  perdit  la  majeure  partie  de  son  ar- 
mée, avec  tout  son  bagage.  Quelques  années  après,  vers  588,  ces  mêmes 
"Vascons,  dit  le  même  historien,  «  se  précipitant  du  haut  de  leurs  mon- 
tagnes, descendirent  dans  les  plaines,  ravageant  les  vignes  et  les  champs, 
livrant  les  maisons  aux  flammes  et  amenant  de  nombreux  captifs,  avec  tous 

1.  Ernold,  Arnaud;  Lichia,  Lucie. 

2.  M.  Garât  (Origines  des  Basques.  Paris,  1839)  distingue  les  Vascons  des  Basques  et  des  Gascons. 
Selon  lui,  les  Vascons  sont  les  Béarnais,  les  alliés  des  Basques  dans  toutes  leurs  guerres;  les  Basques  sont 
les  continuateurs  des  Cantabres,  colonie  sémitique  amenée  dans  les  Basses-Pyrénées  sur  les  vaisseaux  des 
Phéniciens  :  les  Vascons  ou  Béarnais  auraient  donné  lcnr  nom  à  leurs  amis  les  Cantabres,  qui  dès 
lors  s'appellent  Basques,  et  à  leurs  ennemis  les  Aquitains,  qui  prirent  le  nom  de  Gascons. 

M.  Menjoulet,  lui  (Saint  Amand,  apôtre  des  Basques,  1S69),  ne  fait  qu'un  seul  peuple  des  Vascons  «t 
des  Basques.  Mais  le  résultat  indiqué  par  les  deux  auteurs  est  le  même,  à  savoir  que  les  habitants  des 
Pyrénées,  Vascons,  Basques  ou  Cantabres,  imposèrent  leur  suzeraineté  et  leur  nom  à  la  partie  de  l'Aqui- 
taine comprise  sous  le  nom  de  Novempopulanie  et  aujourd'hui  de  Gascogne. 

Nous  n'avons  aucune  raison  pour  combattre  une  théorie  d'après  laquelle  les  Cantabres  sont  les  an- 
cêtres des  Basques  en  ligne  directe,  sans  déplacement  des  populations  ;  les  Béarnais  sont  les  Vascons 
vaincus  par  Crassus  et  ennemis  de  Clovis,  et  enfin  les  Gascons  sont  les  mêmes  que  les  Aquitains,  sauf 
qu'ils  ont  pris  le  nom  des  Vascons  et  des  Basques  alliés  qui  les  soumirent  à  leur  suzeraineté.  Encore 
une  fois,  nous  n'avons  aucune  envie  de  contredire  à  cette  théorie;  mais  nous  voudrions  des  preuves,  et 
M.  Garât  n'en  donne  pas. 

M.  Menjoulet  nous  parait  plus  serré  dans  son  argumentation;  mais  alors  que  deviennent  les  Cantabres  1 
11  ne  faut  pourtant  pas  les  effacer  de  l'histoire. 


SAINTE   RICTRUDE.  495 

les  troupeaux.  Le  duc  Àustrovalde  les  poursuivit,  mais  n'en  tira  qu'une 
faible  vengeance  '  ». 

Saint  Grégoire  de  Tours,  qui  mourut  en  595,  ne  dit  plus  rien  des  Vas- 
cons  *.  Mais  l'histoire  de  ce  petit  peuple  est  continuée  par  Frédegaire, 
chroniqueur  du  vn8  siècle,  lequel  nous  apprend  qu'en  602,  Théodebert  et 
Thierry,  rois  des  Francs,  dirigèrent  leurs  armées  «  contre  les  Yascons  et  que 
les  ayant  défaits,  Dieu  aidant,  ils  les  soumirent  à  leur  empire,  les  rendirent 
tributaires  et  mirent  à  leur  tête  un  duc,  nommé  Génialis,  qui  les  gouverna 
heureusement s  » . 

Génialis  mourut,  après  une  administration  assez  longue  et  toujours 
tranquille.  Sous  le  gouvernement  de  son  successeur,  Aighinan,  les  Vascons 
se  révoltèrent,  d'accord  avec  Sénoc,  évêque  d'Eauze  et  métropolitain  de  la 
Novempopulanie.  C'est  alors  qu'ils  reconnurent  pour  leur  duc  Amand,  l'un 
des  grands  hommes  de  l'époque,  mais  dont  l'origine  est  restée  inconnue. 
Amand  franchit  l'Adour  et  parvint,  malgré  les  rois  de  France,  à  faire  ac- 
cepter son  autorité  sur  tout  le  pays  qui  s'étend  jusqu'au  fleuve  de  la  Ga- 
ronne. 

Cependant,  Dagobert  monta  sur  le  trône,  en  628,  et  fit  à  son  frère 
Caribert  un  petit  royaume  d'Aquitaine,  avec  la  ville  de  Toulouse  pour  ca- 
pitale. Ce  royaume  borné,  d'un  côté,  par  la  Loire,  de  l'autre,  par  la  Ga- 
ronne, enveloppait,  au  sud,  la  contrée  où  les  Vascons  venaient  d'établir 
leur  domination.  Mais,  Amand,  ayant  donné  en  mariage  sa  fille  Gisèle  au 
jeune  roi  d'Aquitaine,  celui-ci  acquit  alors,  ou  par  un  simple  arrangement 
de  famille,  ou  même  par  la  force  des  armes,  la  souveraineté  du  duché  des 
Vascons  K 

Les  Vascons  eurent  à  subir  une  grande  guerre  en  637.  Caribert  n'était 
plus,  Dagobert  se  hâta  de  reprendre  le  royaume  d'Aquitaine,  au  préjudice 
de  deux  orphelins,  Boggis  et  Bertrand,  fils  de  Caribert  et  petits-fils  du  duc 
des  Vascons  par  Gisèle,  leur  mère.  Il  y  a  lieu  de  croire  que,  les  Vascons 
ayant  accepté,  comme  on  l'a  vu,  la  suzeraineté  de  Caribert,  roi  d'Aquitaine, 
Dagobert  voulut  à  son  tour  les  placer  sous  son  sceptre  et  que  le  duc  Amand 
s'y  refusa,  ne  fût-ce  que  pour  conserver  ce  reste  d'héritage  à  ses  jeunes 
pupilles.  Le  fait  est  qu'au  rapport  de  Frédegaire,  les  Vascons  se  révoltèrent 
et  firent  des  ravages  dans  «  l'ancien  royaume  de  Caribert  »,  c'est-à-dire 
dans  la  seconde  Aquitaine.  Pour  mettre  un  terme  à  ces  déprédations,  le 
roi  des  Français  envoya,  sous  les  ordres  du  référendaire  Cnadoind,  une 
grande  armée  composée  de  dix  corps,  ayant  chacun  un  duc  à  sa  tête,  sans 
parler  de  plusieurs  comtes,  aussi  puissants  que  des  ducs.  Aux  approches  de 
cette  armée  qui  déjà,  dit  Frédegaire,  «  remplissait  toute  la  Vasconie,  les 
Vascons,  sortant  du  haut  des  rochers  et  du  fond  des  vallées,  coururent  aux 
combats....  s  » 

Après  la  mort  de  Caribert  et  la  conquête  de  la  Vasconie  par  la  grande 
armée  de  Chadoind,  les  officiers  de  Dagobert  arrivaient  en  nombre  dans 

1.  Greg.  Tur.,  Hist.  Franc,  liv.  vi,  cap.  12;  1.  ix,  cap.  7. 

2.  Il  mentionne  la  Vasconie  dans  une  de  ses  lettres  {Patrol.,  t.  lxxi,  col.  1463)  et  il  écrit  alors  ca 
mot  avec  un  double  W  :  Wasconia.  C'est  l'orthographe  qui  a  prévalu  depuis  chez  les  chroniqueurs. 

3.  Anno  vu  Mgai  Theuderici...  Theudebertus  et  Theudericus  exercitum  contra  Wascones  dirigunt 
ipsosque,  Deo  auxiliante,  deject«s  suœ  domination!  redigunt  et  tributarios  faciunt.  Ducem  super  ipsos, 
nomine  Genialem,  instituunt,  qui  eos  féliciter  dominarit.  (Frédeg.,  Chronic;  Patrol.,  t.  lxxi,  col.  617, 
no  21.) 

4.  Frédeg.,  cap.  57;  Hist.  du  Languedoc,  liv.  vti. 

5.  On  voit  la  distinction  précédemment  indiquée  entre  le  territoire  qui  constitue  le  duché  d'Amand, 
et  le  peuple  qui  a  donné  son  nom  a  ce  territoire  :  la  Vasconie  est  couverte  en  entier  par  l'armée  fran- 
çaise et  les  Vascons  sont  encore  renfermés  dans  les  défilés  de  la  montagne. 


496  12  mai. 

les  vallées  pyrénéennes,  qui  ne  leur  présentaient  plus  aucun  danger.  Or,  un 
de  ces  jeunes  seigneurs,  du  nom  d'Adalbaud,  duc  de  Douai,  en  Flandre,  eut 
occasion  de  voir  Rictrude  et  la  demanda  en  mariage.  Quelques  proches  pa- 
rents de  la  jeune  fille  s'opposèrent  à  ce  projet,  par  un  sentiment  de  haine 
pour  le  sang  français,  peut-être  aussi  parce  qu'Adalbaud  était  chrétien; 
mais  Ernold  et  Lichia  donnèrent  volontiers  leur  acquiescement. 

Rictrude  était  alors  à  la  fleur  de  l'âge,  et  elle  passait  pour  un  modèle 
de  candeur,  de  sagesse  et  d'innocence;  rien  de  plus  aimable  que  sa  con- 
duite, rien  de  plus  suave  que  ses  paroles,  rien  de  plus  réservé  que  toutes 
ses  démarches;  aussi  jamais  alliance  plus  belle  et  plus  agréable  à  Dieu  ne 
fut  contractée  à  la  face  des  autels,  ni  sous  d'aussi  heureux  auspices. 

Les  cérémonies  saintes  du  mariage  s'accomplirent  dans  le  recueillement 
le  plus  parfait.  «  Adalbaud  offrait  à  sa  jeune  épouse  des  vertus  héréditaires, 
un  sang  illustre,  une  mâle  beauté,  une  sagesse  et  une  prudence  qui  avaient 
devancé  les  années.  Rictrude  lui  apportait  en  retour  des  charmes  modestes 
et  pudiques,  une  noble  naissance,  de  grands  biens,  et  par-dessus  tout,  une 
vie  pure  et  sans  tache  ».  Belle  et  sainte  union  de  deux  cœurs  que  Dieu  avait 
destinés  l'un  à  l'autre,  et  que,  malgré  la  distance  des  lieux,  il  sut  réunir 
pour  l'accomplissement  de  ses  desseins  providentiels.  Ainsi,  Adalbaud,  par 
l'innocence  de  sa  jeunesse,  méritait  de  trouver  une  épouse  vertueuse. 
«  Pleine  de  sainteté  et  de  pudeur,  elle  a  une  grâce  qui  surpasse  toute  beauté, 
elle  sera  le  partage  et  le  précieux  trésor  de  ceux  qui  craignent  le  Seigneur. 
Aussi  son  mari  met  en  elle  toute  sa  confiance.  Elle  ouvre  sa  bouche  à  la 
sagesse,  et  des  paroles  de  clémence  reposent  sur  ses  lèvres  '  » . 

A  quelque  temps  de  là,  sainte  Rictrude  venait  avec  son  époux  dans  le 
pays  d'Ostrevent  où  il  avait  de  très-vastes  possessions  et  où  habitait  sa  fa- 
mille :  c'est  là  aussi  que  saint  Amand,  de  retour  de  son  exil,  venait  parfois 
se  reposer  de  ses  courses  apostoliques  et  donner  de  sages  instructions  qui 
inspiraient  à  tous  la  piété. 

Déjà  la  bénédiction  du  Seigneur  avait  comblé  les  désirs  des  deux  époux  : 
quatre  enfants  croissaient  sous  leurs  yeux  et  venaient  ajouter  dans  la  famille 
un  charme  nouveau  par  leurs  jeux  innocents,  leur  naïve  docilité  et  leurs 
vertus  naissantes.  Maurant,  l'aîné,  fut  tenu  sur  les  fonts  de  baptême  par  le 
saint  apôtre  Riquier,  qui  prêchait  la  parole  de  Dieu  dans  des  contrées  assez 
rapprochées.  Nanthilde,  épouse  de  Dagobert,  avait  servi  de  marraine  à 
Eusébie,  l'aînée  des  trois  filles.  Saint  Amand  avait  baptisé  la  seconde,  Clot- 
sende,  qui  remplaça  plus  tard  sa  mère  dans  le  monastère  de  Marchiennes; 
la  plus  jeune,  Adalsende,  était  encore  au  berceau. 

Sainte  Rictrude,  comme  son  vertueux  époux,  avait  bien  compris  toute 
la  sainteté  et  la  gravité  des  devoirs  du  mariage;  elle  savait  que  désormais 
sa  principale  occupation  devait  être  de  former  ses  enfants  à  la  sagesse  et 
qu'elle  répondrait  un  jour  devant  Dieu  de  ce  dépôt  précieux  qui  lui  était 
confié.  Aussi  s'empressèrent-ils  l'un  et  l'autre  «  de  choisir  des  hommes  sin- 
cèrement religieux  pour  donner  à  leur  jeune  famille  les  leçons  qui  forment 
à  la  science  et  surtout  à  la  vertu  ».  Eux-mêmes  y  apportèrent  tout  leur 
temps  et  leur  sollicitude  :  ils  n'ignoraient  pas  que  la  première  et  la  plus 
importante  instruction  que  les  parents  doivent  à  leurs  enfants,  c'est  l'ins- 
truction de  l'exemple  :  ils  prirent  donc  soin  de  confirmer  par  toute  leur 
conduite  les  paroles  qui  sortaient  de  leur  bouche,  et  de  pratiquer,  en  pré- 
sence de  leurs  enfants,  les  devoirs  de  la  religion,  et  quelquefois  aussi  par 
(eurs  mains,  les  œuvres  de  charité  chrétienne. 

1.  Prov.  xs.xi. 


SAINTE   RICTRUDE.  497 

Ainsi,  la  demeure  de  Rictrude  et  d'Adalbaud  devenait  véritablement 
comme  une  école  de  piété,  de  vertus  et  de  bonnes  œuvres  :  elle  était  en 
quelque  sorte  le  rendez-vous  de  toutes  les  infortunes  «  et  de  toutes  les  né- 
cessités. Là,  ils  assistent  l'indigent,  et  adoucissent  ses  travaux  et  ses  fa- 
tigues; celui  que  pressent  la  faim  et  la  soif  trouve  toujours  auprès  d'eux  le 
soulagement;  ils  donnent  au  pauvre  de  quoi  couvrir  sa  nudité,  et  ne  re- 
fusent jamais  à  l'étranger  le  pain  et  l'hospitalité  qu'il  demande.  Quelquefois 
aussi  on  les  voit  sortir  de  leur  tranquille  habitation,  environnés  de  leurs 
jeunes  enfants  qui  se  livrent  à  leurs  côtés  aux  jeux  innocents  de  leur  âge; 
avec  eux  ils  pénètrent  dans  la  maison  du  malade  et  de  l'infirme,  pour  y 
porter  la  consolation  et  le  secours.  Leurs  mains  ne  se  refusent  pas  à  ren- 
fermer dans  le  linceul  funèbre  la  dépouille  du  chrétien,  et  on  pourrait 
même  les  surprendre  parfois  cherchant  à  rappeler  le  repentir  et  la  paix  dans 
des  cœurs  endurcis  par  le  crime  ou  ulcérés  par  la  haine  ». 

Au  loin  et  à  l'entour  se  répandait  la  bonne  odeur  des  vertus  chrétiennes 
pratiquées  dans  cette  religieuse  famille,  et  leur  douce  influence  s'étendait 
sur  tous  ceux  qui  l'approchaient  :  riche  ou  pauvre,  faible  ou  puissant, 
l'homme  qui  était  dans  la  joie  comme  celui  qui  pleurait,  tous  n'avaient 
qu'une  voix  pour  exalter  et  bénir  la  charité  et  la  bienfaisance  de  sainte  Ric- 
trude et  de  son  époux. 

Telle  fut  la  conduite  de  la  noble  dame  dans  les  jours  de  sa  prospérité  et 
de  son  bonheur  ;  mais  Dieu  voulut  l'éprouver  par  l'adversité,  et  épurer  da- 
vantage encore  cette  âme  déjà  si  sainte  et  si  agréable  à  ses  yeux.  A  cette 
époque,  Adalbaud,  son  époux,  fit  un  voyage  dans  la  Gascogne,  où  l'appelait 
peut-être  quelque  expédition  militaire,  ou  bien  un  ordre  pressant  du  roi, 
qui  avait  en  lui  une  grande  confiance. 

Ce  fut  alors  que  des  hommes,  qui  appartenaient  vraisemblablement  à  la 
famille  de  sainte  Rictrude  elle-même,  voulurent  se  défaire  de  lui.  Déjà,  à 
l'époque  de  son  mariage,  ils  avaient  témoigné  un  vif  mécontentement,  et 
leur  colère  n'avait  fait  que  s'accroître  en  voyant  se  consommer  cette  alliance 
d'un  Franc  du  Nord  avec  une  illustre  princesse  de  leur  sang  et  de  leur  con- 
trée. Cette  fureur  se  réveilla  tout  à  coup,  quand  ils  le  virent  reparaître  au 
milieu  d'eux.  Les  aimables  et  brillantes  qualités  d'Adalbaud,  la  douleur 
dans  laquelle  ils  allaient  plonger  sainte  Rictrude,  son  épouse  et  leur  pa- 
rente, ne  purent  étouffer  le  désir  de  la  vengeance  dans  ces  âmes  ardentes. 
Ayant  donc  assailli  à  l'improviste  le  noble  Leude,  dans  les  solitudes  du  Pé- 
rigord,  ils  le  mirent  cruellement  à  mort. 

Sainte  Piictrude,  qui,  au  moment  du  départ  d'Adalbaud,  avait  l'esprit 
tellement  rempli  de  tristes  pressentiments,  qu'elle  ne  pouvait  s'arracher  de 
ses  bras,  apprit  bientôt  cette  lamentable  nouvelle,  qui  la  plongea,  elle,  ses 
enfants,  ses  serviteurs  et  tous  les  habitants  du  pays,  dans  la  plus  profonde 
consternation.  Elle  Qt  rendre  à  son  digne  époux  les  honneurs  de  la  sépulture 
avec  une  grande  magnificence,  prit  le  deuil  ainsi  que  toute  sa  maison,  et 
commença  à  mener  la  vie  d'une  veuve  chrétienne,  uniquement  occupée  du 
soin  de  ses  enfants  et  de  ses  serviteurs,  et  de  la  pratique  des  bonnes  œuvres. 

Ce  fut  alors  aussi  qu'elle  manifesta  le  projet,  qu'elle  nourrissait  déjà 
dans  son  âme,  de  se  retirer  du  monde,  pour  se  consacrer  entièrement  à 
Dieu  dans  la  vie  religieuse.  Aussi  prudente  que  pieuse,  elle  ne  manqua  point 
de  consulter  quelques  vénérables  personnages,  et  particulièrement  saint 
Amand,  qui  était  devenu  le  tuteur  de  la  famille,  depuis  la  mort  d'Adalbaud. 
D'après  son  conseil,  Rictrude  se  détermina  à  différer  son  départ  jusqu'à  ce 
que  son  fils  Maurant  fût  parvenu  à  l'âge  robuste,  requis  pour  être  admis  à 
Vies  des  Saints.  —  Tome  V.  32 


498  12  mai. 

la  cour  du  roi  des  Francs.  En  attendant  cette  époque,  elle  se  livra  avec 
ardeur  à  toutes  les  œuvres  de  piété,  au  milieu  de  sa  famille,  où  saint 
Amand  venait  souvent  donner  des  avis  et  des  consolations.  «  C'était  bien  le 
plus  grand  plaisir  de  ce  sage  pasteur  des  âmes,  de  faire  leçon  à  cette  sainte 
famille,  y  laissant  couler  ses  enseignements  très-doux  comme  miel,  pen- 
dant que  la  veuve  trouvait  une  mer  de  délices  en  la  méditation  des  mystères 
divins,  pour  s'y  baigner  à  loisir,  et  vivait  de  larmes  de  dévotion,  comme 
l'abeille  de  la  rosée.  Tous,  ils  donnaient  leurs  cœurs  à  manier  au  saint  pon- 
tife, tout  ainsi  que  la  cire,  dont  l'artiste  main  les  pliait  en  hommes  saints 
et  vierges  sages  :  les  petits  Maurant  et  Eusébie  prenaient  déjà  leur  essor  à 
la  vie  religieuse  sous  les  ailes  de  leur  mère.  Elle  était  l'aigle  généreuse  qui 
les  guidait  en  l'air,  faisant  qu'ils  regardassent  le  beau  soleil  de  justice,  sans 
éblouissement  des  yeux  *  ». 

Lorsque,  quelque  temps  plus  tard,  sainte  Rictrude  vit  son  fils  à  la  cour, 
estimé  et  chéri  de  tous,  encore  plus  pour  sa  sagesse  et  ses  brillantes  qualités 
que  pour  le  beau  nom  de  sa  famille,  elle  pensa  que  le  moment  était  venu 
de  se  retirer  au  monastère  de  Marchiennes  avec  ses  filles.  Déjà,  l'aînée  des 
trois,  Eusébie,  était  à  Hamage  auprès  de  sa  vénérable  aïeule  sainte  Ger- 
trude  ;  les  deux  plus  jeunes,  Clotsende  et  Adalsende,  brûlaient  aussi  de  se 
consacrer  à  Dieu.  Leur  mère  se  réjouissait  dans  le  secret  de  son  cœur,  en 
voyant  cet  innocent  empressement  de  ses  enfants,  et  elle  soupirait  après  le 
jour  où  leurs  communs  désirs  seraient  enfin  remplis.  Mais  Dieu  voulut 
mettre  encore  sa  vocation  à  la  plus  délicate  et  la  plus  difficile  épreuve. 

En  effet,  le  roi,  qui  était  rempli  d'affection  et  de  bienveillance  pour 
Adalbaud  et  sa  famille,  avait  ressenti  une  vive  douleur  quand  il  apprit  sa 
mort  cruelle  et  inopinée,  et  il  continua  d  en  donner  des  marques  par  tous 
les  ,gards  dont  il  environnait  le  jeune  Maurant.  Par  respect  pour  l'afflic- 
tion d'une  veuve  éplorée,  il  cacha  quelque  temps  à  Rictrude  ses  intentions  ; 
mais,  un  jour,  il  lui  fit  connaître  que  son  désir  était  de  la  voir  prendre  pour 
époux  quelqu'un  des  nobles  Leudes  de  sa  cour.  On  comprend  tout  ce  qu'a- 
vait de  pénible  et  d'embarrassant  une  telle  proposition,  faite  par  le  roi  lui- 
même,  dont  les  volontés,  en  pareille  circonstance,  étaient  d'autant  plus 
inflexibles,  que  presque  toujours  c'était  la  politique  ou  l'intérêt  de  la  puis- 
sance royale  qui  les  déterminait. 

Rientôt  même,  soit  que  le  monarque  eût  communiqué  ses  pensées  à 
quelques  seigneurs  du  palais,  soit  que  ses  paroles  fussent  parvenues  à  leurs 
oreilles,  plusieurs  se  présentèrent  à  l'illustre  veuve  d'Adalbaud,  la  sollici- 
tant de  se  rendre  aux  intentions  du  roi,  et  de  choisir  un  époux  capable  de 
défendre  sa  famille  et  de  la  rendre  heureuse.  Rictrude  répondit  avec  beau- 
coup de  sagesse  et  déclara  qu'une  démarche  de  cette  importance  demandait 
de  sa  part  du  temps  et  de  la  réflexion  :  ainsi  elle  écarta  momentanément 
toutes  les  sollicitations  importunes. 

Dès  la  première  déclaration  du  roi,  elle  s'était  empressée  d'instruire 
saint  Amand  de  cet  obstacle  inattendu  que  rencontrait  encore  sa  vocation, 
et  de  lui  demander  le  secours  de  ses  lumières  et  de  ses  conseils.  Avec  sa 
prudence  accoutumée,  le  saint  missionnaire  l'engagea  à  attendre  un  temps 
plus  favorable  pour  exécuter  son  dessein  d'embrasser  la  vie  religieuse.  La 
Providence  amena  bientôt  cette  occasion,  et  sainte  Rictrude  la  saisit  et  en 
profita  avec  habileté. 

Un  jour  donc  que  le  roi,  parcourant  diverses  parties  du  royaume,  était 

1.  Les  Saints  de  la  province  de  Lille,  Douai,  Orchies,  par  Martin  l'Hennite.p.  96. 


SAINTE   RICTRUDE.  499 

arrivé  dans  le  pays  d'Arras,  où  elle  avait  de  vastes  possessions1,  Rictrude 
l'invita,  avec  toute  sa  suite,  à  un  grand  festin.  Elle  n'épargna  rien  pour 
donner  à  cette  réception  toute  la  magnificence  et  la  somptuosité  convena- 
bles, de  sorte  que  Clovis  II  put  la  regarder  comme  un  témoignage  de  la  dis- 
position où  était  la  noble  veuve  de  se  conformer  à  ses  volontés. 

Au  milieu  du  repas,  qui  avait  été  animé  par  la  gaîté  la  plus  franche  et  la 
plus  cordiale,  sainte  Rictrude,  se  levant  de  table,  demanda  au  roi,  avec 
beaucoup  de  dignité  et  de  respect,  si  dans  sa  propre  maison  il  lui  était  ac- 
cordé de  faire  ce  qu'elle  désirait.  Le  monarque,  qui  croyait  sans  doute  que, 
pour  célébrer  sa  bienvenue  et  celle  des  principaux  seigneurs  du  royaume, 
elle  voulait  offrir  la  coupe  et  présenter  un  nouveau  vin  plus  généreux,  lui 
répondit  gracieusement  que  tout  lui  était  permis  dans  sa  maison.  Cette  pa- 
role prononcée,  Rictrude  tire  de  son  sein  un  voile  noir,  qui  avait  été  béni 
par  saint  Amand  lui-même,  le  met  sur  sa  tête  et  conjure  à  haute  voix  le 
Seigneur  de  l'aider  à  le  conserver  jusqu'à  la  fin  de  sa  vie.  A  cette  vue,  le  roi 
entre  dans  une  grande  colère,  sort  brusquement  de  la  salle  du  festin,  puis, 
accompagné  de  ses  gens,  il  quitte  le  château,  indigné  contre  lui-même  du 
consentement  involontaire  qu'il  vient  de  donner  à  un  acte  qui  contrarie  ses 
projets.  Pendant  ce  temps,  la  pieuse  famille,  sans  se  laisser  troubler,  re- 
mettait son  sort  entre  les  mains  de  Dieu  et  espérait  que  bientôt  ses  vœux 
seraient  exaucés. 

Dans  ces  graves  circonstances,  sainte  Rictrude  s'empressa  d'appeler  au- 
près d'elle  son  sage  et  prudent  conseiller,  saint  Amand  :  lui  seul  pouvait 
amener  une  réconciliation  désirable  entre  le  monarque  et  la  noble  veuve. 
Celui-ci  vint  en  toute  hâte,  et  se  rendit  aussitôt  à  la  cour,  pendant  que  la 
charitable  dame,  pour  attirer  les  bénédictions  du  ciel,  distribuait  une  partie 
de  ses  biens  aux  pauvres,  et  se  livrait  avec  ferveur  à  toutes  sortes  de  bonnes 
œuvres. 

Arrivé  au  palais,  saint  Amand  représenta  au  monarque,  avec  beaucoup 
de  modération  et  de  prudence,  que  la  vénérable  Rictrude  avait  conçu  de- 
puis longtemps  le  désir  de  vivre  loin  du  monde,  qu'elle  n'avait  agi  en  toutes 
choses  qu'avec  sagesse,  que  c'était  Dieu  véritablement  qui  l'appelait  à  ce 
nouveau  genre  de  vie,  et  qu'il  était  juste  que  les  désirs  des  rois  de  la  terre 
cédassent  devant  la  volonté  du  Roi  des  cieux.  Le  prince  se  rendit  à  ces  pa- 
roles si  religieuses  et  si  sages,  et  la  réconciliation  fut  opérée.  Sainte  Ric- 
trude pouvait  enfin  voler  vers  la  solitude  après  laquelle  elle  soupirait  depuis 
si  longtemps. 

Quelques  jours  après,  les  habitants  du  Castrum  de  Douai  voyaient,  pour 
la  dernière  fois,  la  sainte  épouse  d'Adalbaud  se  diriger  avec  ses  enfants  vers 
le  temple  consacré  à  la  Mère  de  Dieu  s,  et  prendre  ensuite  avec  joie  le  che- 
min de  Marchiennes.  C'est  là  que  sainte  Rictrude  se  livre  en  toute  liberté 
aux  inspirations  de  son  âme  religieuse,  et  qu'elle  se  console  de  la  perte 
d'un  époux  chéri  par  les  espérances  de  la  foi.  Sous  la  conduite  de  saint 
Jonat,  l'un  des  plus  dignes  disciples  de  saint  Amand,  elle  y  coule  des  jours 
tranquilles,  au  milieu  des  saintes  filles  qui  l'ont  suivie  dans  sa  retraite.  Sans 
cesse  son  âme  s'élève  vers  Dieu,  par  la  prière  et  les  pieuses  méditations,  et 
elle  puise  dans  les  livres  sacrés  les  lumières  qui  éclairent  son  esprit  et  les 

1.  Bolî.  su  îlaii.  —  Le  lieu  dont  il  est  question  s'appelle  aujourd'hui  Boiri-Sainte-Rictrude,  canton  de 
Beaumetz,  arrondissement  d'Arras.  Un  prieuré  de'pendant  de  Marchiennes  et  desservi  par  des  religieux  de 
ce  monastère,  fut  établi  dans  ce  lieu.  —  Dans  les  Acta  Sanctorum  Belgii,  t.  iv,  p.  487,  il  est  prouvé  que 
ce  fait  a  dû  arriver  sous  Clovis  II. 

2.  Buzel.,  Gallo-Fland.,  lib.  i,  cap.  31,  41,  passim.  —  Cette  église  arait  été  réparée  autrefois  pat 
les  soins  d'Adalbaud  et  d'Erchinoald,  sou  frère. 


500  12  mai. 

sentiments  qui  fortifient  son  cœur.  Le  temps  n'était  pas  éloigné  où  elle  au- 
rait encore  besoin  de  ce  courage  inspiré  par  la  religion,  pour  supporter  une 
nouvelle  perte  bien  sensible  à  son  cœur  maternel. 

Sainte  Rictrude  était  entrée  dans  la  solitude  de  Marcbiennes,  accompa- 
gnée de  ses  deux  petites  filles,  qui  grandissaient  à  ses  côtés,  et  qui  remplis- 
saient son  cœur  d'une  joie  ineffable.  Tout  à  coup,  une  maladie  violente  et 
opiniâtre  emporte  sous  ses  yeux  la  jeune  et  innocente  Adalsende,  au  mo- 
ment où,  sur  la  terre,  tout  était  dans  l'allégresse.  De  toutes  parts  retentis- 
sait le  cri  triomphal  des  anges  :  «  Gloire  à  Dieu  au  plus  haut  des  deux,  et 
paix  sur  la  terre  aux  hommes  de  bonne  volonté  ».  C'était  la  Nativité  du 
Sauveur,  la  touchante  solennité  de  Noël. 

Pendant  trois  jours,  sainte  Rictrude  sut  retenir  ses  larmes  et  sa  douleur 
pour  ne  point  troubler  la  fête,  mais,  quand  au  jour  des  Innocents  les  mères 
éplorées  de  Rama  firent  entendre  leurs  lamentations,  elle  ne  put  comprimer 
davantage  les  siennes.  Les  sacrés  mystères  accomplis,  et  l'heure  de  prendre 
le  premier  repas  étant  venu  :  «  Allez,  mes  sœurs  bien-aimées  »,  dit  Ric- 
trude, «  allez  prendre,  avec  actions  de  grâces,  la  nourriture  de  vos  corps; 
pour  moi,  à  l'exemple  des  mères  désolées  de  Bethléem,  je  vais  pleurer  mon 
innocente  petite  fille  Adalsende,  que  la  mort  m'a  ravie  dans  un  âge  si  ten- 
dre » .  A  ces  mots  la  parole  expire  sur  ses  lèvres,  et,  se  dirigeant  aussitôt  vers 
un  lieu  écarté,  elle  donne  un  libre  cours  à  ses  sanglots,  à  ses  gémissements 
et  à  ses  pleurs.  Tribut  touchant  de  la  nature,  qu'adoucit  seul  dans  les  âmes 
chrétiennes  le  sentiment  de  la  foi  et  des  espérances  célestes. 

Une  nouvelle  et  dernière  épreuve  était  encore  réservée  à  la  vénérable 
Rictrude  ;  mais  cette  fois,  elle  devait  se  changer  promptement  en  joie  :  ce 
fut  la  détermination  que  prit  tout  à  coup  son  fils  de  se  consacrer  au  service 
de  Dieu,  et  de  bâtir,  loin  de  la  cour,  un  monastère,  où  il  se  retirerait  avec 
d'autres  héros  chrétiens,  animés  des  mêmes  dispositions.  Cette  nouvelle, 
que  Maurant  communiqua  aussitôt  à  sa  sainte  mère,  la  remplit  d'abord  d'in- 
quiétude et  de  perplexité  ;  elle  craignait  que  ce  fils  bien-aimé,  qui  avait, 
par  ses  soins,  conservé  son  innocence  et  la  pureté  de  ses  mœurs,  ne  se  fît 
illusion  à  lui-même,  et  no  s'exposât  par  ces  engagements  irrévocables  à 
d'amers  regrets,  et  peut-être  à  de  coupables  égarements. 

Sainte  Rictrude  appela  donc  auprès  d'elle  le  vénérable  saint  Amand, 
«  son  conseiller  et  le  médecin  des  âmes  inquiètes  et  troublées  ».  Le  saint 
évêque  se  transporta  en  toute  hâte  au  monastère  de  Marchiennes  et  calma 
facilement  les  appréhensions  de  cette  vertueuse  mère,  en  lui  représentant 
tout  ce  qui  s'était  passé  au  palais  entre  Maurant  et  lui,  et  avec  quelle  pru- 
dence et  quelle  discrétion  ce  jeune  homme  avait  agi  en  toutes  choses. 

La  joie  la  plus  vive  succéda  alors  à  la  tristesse,  et  elle  fut  complète 
quand  Maurant  arriva  à  l'abbaye  de  Marchiennes,  auprès  de  sa  mère,  pour 
lui  exposer  lui-même  les  motifs  de  sa  conduite.  Là,  dans  la  chapelle  même 
du  monastère,  saint  Amand  célébra  les  divins  mystères  et  donna  au  jeune 
Leude,  qui  se  dépouillait  volontairement  de  tous  les  insignes  des  guerriers, 
la  tonsure  des  clercs.  Saint  Maurant  se  retira  ensuite  au  monastère  de 
Bruël  (Merville),  bâti  par  ses  soins  dans  des  terres  qui  appartenaient  à  sa 
famille. 

Après  la  retraite  de  son  fils  chéri,  sainte  Rictrude,  désormais  libre  de 
toute  inquiétude,  ne  fut  plus  occupée  que  de  Dieu  seul  ;  elle  avançait  à 
grands  pas  dans  les  voies  du  salut,  pratiquant  avec  fidélité  toutes  les  vertus 
de  la  vie  religieuse.  Rien  ne  pouvait  l'arrêter  dans  son  ardeur  pour  l'accom- 
plissement des  devoirs  de  sa  charge  d'abbesse  ;  elle  était  véritablement  pour 


SAINTE   RICTRUDE.  501 

ses  religieuses  une  mère  pleine  de  bonté,  cherchant  tous  les  moyens  de  leur 
être  agréable  et  de  les  faire  avancer  dans  la  perfection  de  leur  état. 

Ce  fut  au  milieu  de  ces  pieux  exercices  qu'elle  s'endormit  paisiblement 
dans  le  Seigneur,  vers  l'an  G88,  à  l'âge  d'environ  soixante-seize  ans,  lais- 
sant Clotsende  pour  la  remplacer  dans  la  direction  du  monastère  de  Mar- 
chiennes. 

CULTE  ET  RELIQUES  DE  SAINTE  RICTRUDE. 

La  mémoire  de  sainte  Rictrude  a  toujours  été  en  grande  vénération  dans  toute  la  contrée 
où  elle  passa  la  dernière  partie  de  sa  vie  :  la  haute  opinion  qu'on  avait  de  sa  vertu,  les  belles 
actions  qui  ont  signalé  sa  vie,  les  doux  souvenirs  qu'elle  a  laissés  dans  le  monde  où  elle  avait 
vécu,  tout  contribua  à  lui  concilier  après  sa  mort  les  respects  et  les  hommages  que  des  miracles, 
opérés  auprès  de  son  tombeau,  ont  encore  augmentés  de  jour  en  jour.  Plusieurs  paroisses  dans  les 
diocèses  de  Cambrai  et  d'Arras  sont  placées  sous  son  invocation.  Dans  l'église  de  Marchiennes, 
on  voit  une  très-belle  chapelle  latérale  qui  lui  est  consacrée  et  qui  a  été  presque  entièrement 
restaurée  depuis  quelques  années.  Outre  une  statue  de  la  sainte  Patronne,  il  y  a  encore  un 
monument  en  pierre  polie  qui  paraît  avoir  appartenu  à  l'ancienne  abbaye  de  Marchiennes.  Cette 
pièce  de  deux  mètres  environ  de  longueur  sur  soixante-quinze  centimètres  de  largeur  est  élevée 
de  trois  pieds  au-dessus  du  sol  :  elle  représente  sainte  Rictrude  couchée  et  les  bras  croisés  sur  la 
poitrine. 

u  La  riche  châsse  qui  renfermait  le  corps  de  sainte  Rictrude,  rapporte  M.  le  chanoine  Parenty, 
dans  son  Histoire  de  sainte  Berthe,  p.  17,  à  la  note,  fut  envoyée  de  Marchiennes  à  l'Hôtel  des 
Monnaies  de  Paris,  en  1793  '.  Un  employé  de  cet  établissement,  M.  Desrotours,  déposa  plus  tard 
ces  reliques  avec  celles  de  plusieurs  autres  saints  à  l'archevêché  de  Paris.  Elles  y  restèrent  jus- 
qu'au 29  juillet  1830,  époque  à  laquelle  elles  fuient  dispersées  pendant  le  pillage  du  palais  de 
Mgr  de  Quélen.  On  n'en  trouve  plus  qu'un  petit  fragment  conservé  dans  l'église  de  Notre-Dame  ». 

«  Sainte  Rictrude,  dit  M.  Menjoulet,  est,  dans  le  Nord  de  la  France,  l'une  des  Saintes  les  plus 
connues  et  les  plus  invoquées. 

«  Comment  donc  se  fait-il  qu'elle  le  soit  si  peu  dans  son  propre  pays  ?  Comment  les  Basques 
ont-ils  pu  oublier  cette  illustration  nationale,  et  comment,  pour  la  plupart  d'entre  eux,  le  glo- 
rieux apôtre  de  leurs  ancêtres,  saint  Amand,  est-il  en  quelque  sorte  un  étranger?  Une  telle  indif- 
férence, si  peu  conforme  à  la  constance  habituelle  des  traditions  populaires,  semblerait  devoir 
infirmer  la  vérité  des  récits  qui  précèdent,  si  la  situation  toute  particulière  de  nos  Basques,  au 
milieu  des  populations  environnantes,  n'en  donnait  une  explication  très-plausible.  Observons,  en 
effet,  que  pendant  qu'ils  conservèrent,  par  la  langue  et  par  les  mœurs,  le  sceau  toujours  distinct 
d'une  origine  commune,  les  Basques  furent  séparés  les  uns  des  autres  dans  l'ordre  ecclésiastique 
et  dans  l'ordre  civil.  Sous  ce  dernier  rapport,  les  Labourdins  et  les  Souletins  appartinrent  à  la 
Guyenne,  qui  continua  le  duché  de  Vasconie,  tandis  que  la  Basse-Navarre  fut  l'une  des  Mérindés 
(ou  districts)  du  Royaume  de  Navarre,  en  Espagne.  Dans  l'ordre  ecclésiastique,  le  fractionnement 
fut  plus  sensible  encore  ;  la  Soûle  fit  partie  du  diocèse  béarnais  d'Oloron  ;  le  Labourd  forma  la 
majeure  partie  du  diocèse  de  Bayonne  ;  quant  à  la  Basse-Navarre,  elle  se  trouve  scindée  en  deux 
parts  :  le  Sud  (Baïgorry  et  Saint-Jean-Pied-de-Port)  relevant  de  la  cathédrale  de  Bayonne,  et  le 
Nord  (Iholdy  et  Saint-Palais)  dépendant  du  diocèse  de  Dax. 

«  C'est  à  ce  morcellement  de  la  population  basquaise  qu'on  doit  attribuer  son  oubli  de  saint 
Amand.  Les  catholiques  de  la  Soûle  avaient  trouvé  dans  le  diocèse  d'Oloron  un  patron  déjà  en 
possession  de  la  vénération  publique,  saint  Grat,  né  sur  les  confins  de  leur  belle  vallée  ;  et  chaque 
année,  le  19  octobre,  ils  allaient  en  foule  vénérer  ses  reliques  à  Oloron  même.  Les  Labourdins 
eurent  pour  protecteur  bien-aimé  saint  Léon,  qui  versa  son  sang  aux  portes  de  Bayonne.  Restait 
la  Basse-Navarre  qui,  soumise  à  deux  églises  différentes,  subit  naturellement  les  prescriptions  de 
leurs  liturgies  spéciales.  Ah!  si  les  Basques  avaient  formé  un  seul  et  même  diocèse,  ils  auraient 
été  plus  fidèles  à  leurs  souvenirs;  mais  séparés,  comme  ils  le  furent,  ils  ne  pouvaient  échapper 
à  l'influence  des  traditions  qui  dominaient  dans  les  sphères  différentes,  où  ils  étaient  comme 
englobés. 

«  Ajoutons  que  les  Basques  n'ont  jamais  eu  ni  histoire,  ni  littérature  nationales.  Les  évêqnes 
des  trois  diocèses  dont  ils  dépendirent,  ignorèrent  eux-mêmes  les  origines  religieuses  de  ces  quar- 
tiers, privés  de  monuments  historiques,  et  il  a  fallu  attendre  jusqu'au  xvn»  siècle,  l'exhumation 
des  vieilles  chroniques  du  nord  de  la  France  pour  réveiller,  dans  le  Midi,  la  mémoire  de  l'apôtre 

1.  Il  existe  encore  d'anciennes  élevés  pensionnaires  de  l'al.baye  :  elles  se  rappellent  d'avoir  vu  enlever, 
au  milieu  des  larmes  et  des  gémissements  de  toute  la  communauté,  les  deux  châsses  qui  renfermaient  les 
reliques  de  sainte  Kictrude  et  de  sainte  Eusél)ie. 


502  *2  mai. 

des  Basques.  Mais,  disons-le  avec  joie,  aussitôt  que  nos  prélats  furent  éclairés  par  les  découverte» 
de  la  science  hagiographique,  ils  songèrent  à  réparer  l'oubli  de  leurs  prédécesseurs  ;  les  nouveaux 
bréviaires  de  la  province  d'Auch,  et  notamment  celui  que  Mgr  d'Arche  crut  pouvoir  publier,  en 
1753,  à  l'usage  du  clergé  de  Bayonne,  portèrent  un  office  en  l'honneur  de  saint  Arnaud,  le  6  jan- 
vier, et  un  autre  en  l'honneur  de  sainte  Bictrude,  le  10  mai.  Ne  nous  plaignons  point  de  ce  que 
les  légendes  des  deux  offices  ne  respectent  pas  suffisamment  la  nationalité  des  Casques,  qu'elles 
confondent  aussi  avec  les  Gascons  ;  il  suffit  d'y  trouver  un  hommage  important,  quoique  tardif, 
rendu  par  la  postérité  reconnaissante  à  deux  saints  qui  méritent  d'être  honorés  comme  les  vrais 
patrons  d'une  partie  au  moins  de  nos  chères  montagnes. 

«  Le  pays  basque  appartient  aujourd'hui  tout  entier  an  diocèse  de  Bayonne,  dont  il  est,  sans 
contredit,  la  portion  la  plus  profondément  catholique  ;  témoignage  d'un  béarnais  qui  veut  être 
équitable  avant  tout.  Eh  bien  !  sera-l-il  permis  à  l'auteur  de  cette  dissertation  d'exprimer  le  désir 
que  le  culte  de  saint  Amand  et  de  sainte  Bictrude  se  répande  dans  notre  beau  diocèse  ?  Pourquoi 
leur  fête  ne  serait-elle  pas  célébrée  de  ne uveau  parmi  nous,  avec  la  même  solennité  que  celles  de 
saint  Julien,  de  saint  Galactoire,  de  saint  Grat  et  de  saint  Léon  ?  Pourquoi  ne  verrait-on  pas,  sur- 
tout dans  la  Basse-Navarre,  privée  de  toute  dévotion  à  un  saint  national,  s'élevei,  sinon  quelque 
église,  du  moins  quelque  chapelle  sous  le  vocable  de  saint  Amand  et  de  sainte  Rictrude?  Pourquoi 
ces  ueux  Saints  ne  deviendraient  ils  pas  populaires,  l'un  comme  patron  spécial  des  hommes  de 
zèle  et  de  dévouement,  l'autre  comme  protectrice  assurée  des  mères  et  des  veuves  chrétiennes  ? 

«  11  a  été  fait,  tout  récemment,  une  première  réparation  à  ces  saintes  mémoires.  C'est  une 
œuvre  d'art,  exécutée  par  l'habile  et  sympathique  pinceau  de  M.  Romain  Cazes,  dans  l'église 
Sainte-Croix  d'Oloron,  monument  du  XIe  siècle.  Au  bas  du  sanctuaire  splendidement  décoré,  dans 
l'arcature,  à  sept  baies  aveugles,  qui  termine  l'abside  et  entoure  l'autel,  on  voit,  sous  le  nom  de 
Galerie  des  Saints  du  pays,  à  côté  de  saint  Julien,  de  saint  Grat,  de  saint  Galactoire  et  de 
saint  Léon,  saint  Amand,  apôtre  des  Basques,  sainte  Bictrude.  dame  vasconne  et  abbesse,  avec 
saint  Adalbaud  lui-même.  .Mais  Oloron  est  dans  le  Béarn  ;  le  pays  basque  ne  voudra  pas  rester 
déshérité  de  ses  gloires  les  plus  pures. 

«  Depuis  quelques  années,  le  diocèse  de  Bayonne  a  eu  le  bonheur  de  recouvrer  la  liturgie  de 
Rome,  qui  ne  célèbre  pas  la  fête  de  nos  deux  Saints.  Souhaitons  que  la  sagesse  épiscopale  trouve 
opportun  d'y  introduire,  suivant  toutes  les  règles  canoniques,  l'office  de  saint  Amand  et  celui  de 
sainte  Rictrude  ». 

Nous  avons  emprunté  cette  Vie  ans  Vies  des  Saints  de  Cambrai  et  d'Arras,  par  M.  l'abbé  Destombes  : 
nous  l'avons  toutefois  modifiée  en  ce  qui  concerne  la  topoàTaphie  et  l'histoire  des  événements  politiques 
contemporains,  à  l'aide  de  la  brochure  plusieurs  fois  citée  de  il.  MeDjoulet. 


SAINT  MODOALD,  ÉVÊQUE  DE  TRÊVES  (640). 

Modoatd  était  originaire  de  la  province  d'Aquitaine.  Il  était  allié  à  Pépin,  maire  du  palais  à  la 
cour  de  Dagobert,  roi  de  France.  Pépin  avait  épousé  Itte,  sœur  de  Modoald,  et  de  leur  mariage 
naqcit  Gertrude,  vierge  d'une  haute  sainteté,  honorée  à  Nivelle.  Modoald  reçut  de  ses  parents  une 
excellente  éducation,  sous  le  rapport  de  la  science,  comme  sous  celui  de  la  piété.  11  fut  reçu  à  la 
cour  de  Dagobert,  où  il  rencontra  plusieurs  personnages  d'une  grande  vertu,  comme  Arnault,  de  Metz, 
et  Cuuibei  t,  de  Cologne.  La  licence  qui  régnait  à  la  cour  ne  lui  fit  rien  perdre  de  sa  piété,  c'est 
pourquoi  Dagobert  le  choisit  pour  l'élever  sur  le  siège  archiépiscopal  de  Trêves.  Lorsque,  après 
la  fête  de  saint  Arnoult,  le  roi  se  fut  laissé  aller  à  la  vie  la  plus  dissolue,  notre  Saint,  tout  en 
veillant  soigneusement  sur  son  troupeau,  ne  cessa  pas  d'avertir  le  roi  et  de  le  rappeler  au  respect 
de  lui-même  et  à  l'observation  de  la  loi  de  Dieu.  Ses  conseils  portèrent  enfin  leurs  fruits,  Dieu 
ayant  louché  et  changé  le  cœur  du  prince,  au  grand  avantage  de  la  foi  catholique  et  de  la  religion. 

A  partir  de  cet  heureux  changement,  Dagobert,  pleurant  les  fautes  de  sa  vie  passée,  regarda 
toujours  Modoald  comme  son  père,  et  il  l'appelait  de  ce  nom,  ajoutant,  à  ses  marques  d'affection, 
de  riches  dons  destinés  à  l'ornement  et  à  l'amplification  de  l'Eglise  de  Dieu.  C'est  avec  ces  libé- 
ralités que  Modoald  érigea  de  nombreux  monastères  en  l'honneur  du  Christ  et  de  sa  sainte  Mère, 
et  qu'il  eu  dota  d'autres  richement.  Il  fonda  aussi  plusieurs  Congrégations  de  religieuses,  toujours 
avec  les  largesses  de  Dagobert,  d'autant  mieux  disposé  pour  ce  genre  d'institution  que  lui-même 
avait  deux  filles  d'une  très-grande  piété,  et  très-zélées  pour  la  vie  solitaire  et  religieuse.  L'une 
d'elles,  irmine,  fonda  un  monastère  à  Horren  ',  près  de  Trêves,  et  y  vécut  avec  d'autres  vierges 


SAINT  DOMINIQUE  Oïï  DOMINGUE   DE  CALZADA.  503 

sous  la  direction  de  Modoald.  L'antre,  nommée  Adèle,  après  la  mort  de  son  époux,  suivit  l'exemple 
de  sa  sœur,  et  se  renferma  à  Polotiolum,  autre  monastère  de  femmes. 

Modoald  ne  s'en  tint  pas  à  ces  fondations  ;  il  bâtit,  sur  les  bords  de  la  Moselle,  un  troisième  mo- 
nastère de  filles  qu'il  plaça  sous  l'invocation  de  saint  Symphorien  d'Autun.  Le  saint  évoque  pouvait-il 
mieux  confier  la  garde  des  chastes  épouses  de  Jésus-Christ  qu'au  jeune  martyr  qui  avait  réuni 
tant  de  courage  à  tant  d'innocence  ?  Il  établit  pour  première  abbesse  de  la  communauté  Sévéra, 
6a  sœur  :  et  cette  pieuse  vierge  s'y  sanctifia  en  prenant  pour  modèle  le  saint  patron  de  son 
monastère.  Là,  sans  verser  son  sang  pour  Jésus-Christ,  elle  aussi  cependant  fut  une  victime  volon- 
taires, non  pas  de  sa  foi,  mais  de  son  amour  :  car,  chaque  jour,  n'immola-t-elle  pas  sur  l'autel  de 
la  charité,  par  le  glaive  de  la  mortification,  son  corps,  sa  volonté,  son  cœur?  La  fervente  abbaye 
qu'elle  gouvernait,  en  suivant  les  conseils  de  son  frère,  avec  une  fermeté  que  tempérait  la  plus 
aimable  mansuétude,  était  simple  et  modeste.  Au  lieu  de  l'or  et  de  l'argent  on  y  voyait  briller 
comme  des  pierreries,  dit  l'hagiographe,  toutes  les  vertus  religieuses  sur  lesquelles  la  blanche 
perle  de  la  pureté  virginale  irradiait  son  doux  éclat.  Quel  délicieux  parterre  aux  yeux  des  anges 
que  cette  sainte  maison  où,  au  milieu  de  toutes  les  autres,  l'admirable  abbesse  s'élevait  comme 
un  beau  lis  et  s'épanouissait  sous  les  regards  de  Dieu  et  de  saint  Symphorien,  en  exhalant  son 
céleste  parfum  I  Sainte  Sévéra  est  honorée  le  20  août,  et  son  frère,  saint  Modoald,  le  12  mai.  Tous 
deux  voulurent  reposer  après  leur  mort  à  côté  l'un  de  l'autre  dans  l'église  de  Saint-Symphorien, 
après  s'être  aimés,  ajoute  l'historien,  comme  saint  Benoit  et  sainte  Scholastique.  Ce  monastère  fut 
détruit  pendant  l'invasion  des  Normands. 

Saint  Modoald  parvint  à  une  haute  perfection  :  sa  modestie,  sa  simplicité,  sa  patience,  sa  charité 
pour  Dieu  et  le  prochain  étaient  égales  à  celles  des  plus  grands  Saints.  Quand  il  eut  ainsi  non-seule- 
ment pratiqué  la  piété  pour  sa  part,  mais  qu'il  eut  fait  faire  de  grands  progrès  à  la  religion  dans 
tout  son  diocèse  pendant  plus  de  vingt  ans  qu'il  le  gouverna,  il  sortit  de  ce  monde  pour  aller  à 
Dieu. 

Modoald  a  été  de  tout  temps  honoré  comme  le  père  des  pauvres  et  le  refuge  des  malheu- 
reux. Son  chef  était  autrefois  gardé  avec  une  grande  vénération  dans  la  chapelle  archiépiscopale 
de  Trêves. 

On  représente  saint  Modoald  avec  une  église  sur  la  main,  pour  rappeler  la  fondation  du  mo- 
nastère de  Saint-Symphorien. 

Propre  de  Trêve»  ;  Culte  de  saint  Symphorien,  etc. 


SAINT  DOMINIQUE  OU  DOMINGUE  DE  CALZADA  (1109)- 

Ce  Saint  doit  son  nom  à  la  Chaussée  '  qu'il  fit  établir  à  travers  le  pays  où  se  trouve  la  ville 
actuelle  de  San-Domingo  de  la  Calzada,  dans  la  vieille  Castille,  sur  la  route  de  Saint-Jacques  de 
Compcstelle. 

Né  chez  les  Basques  d'Espagne,  il  quitta  son  pays  natal  et  alla  frapper  à  la  porte  de  plu- 
sieurs monastères,  mais  en  vain.  Son  extérieur  peu  avantageux  et  son  ignorance  le  firent  rejeter 
de  partout. 

Le  Saint  prit  alors  le  parti  de  se  faire  ermite.  Les  pèlerins  de  Saint-Jacques  avaient  à  traverser 
la  solitude  de  la  Rioja  infectée  par  les  voleurs.  Dominique  entreprit  de  la  rendre  praticable  aux 
voyageurs.  Il  se  construisit  d'abord  une  cabane,  bâtit  auprès  une  chapelle  en  l'honneur  de  la  très- 
sainte  Mère  de  Dieu,  se  mit  à  défricher  la  forêt,  aplanit  la  route,  la  pava  de  ses  propres  mains  et 
fît  construire  un  hospice  pour  recevoir  les  pèlerins.  La  facilité  du  chemin,  en  multipliant  les  voya- 
geurs, amena  la  population  dans  cette  région  alors  à  peu  près  déserte.  Telle  est  l'origine  de  la 
petite  ville  de  San-Domingo  de  la  Calzada  ou  Saint-Dominique  de  la  Chaussée,  autrefois  siège  d'un 
évêché  qui  a  été  transféré  à  Calahorra  et  dont  l'église  principale  est  encore  dédiée  à  noire  Saint. 
Saint  Dominique  mourut  vers  l'an  1109. 

Ses  attributs  dans  l'art  populaire  sont  un  coq  et  une  poule  qu'il  tient  d'une  main  et  une  corde 
de  pendu  qu'il  tient  de  l'autre.  Ceci  mérite  explication  :  on  raconte  donc  qu'une  famille  française, 
composée  du  père,  de  la  mère  et  d'un  jeune  homme,  se  rendant  à  Saint-Jacques  de  Compostelle, 
s'arrêta  dans  une  hôtellerie  à  San-Domingo  de  la  Calzada.  La  fille  de  la  maison  s'éprit  du  jouas 

1.  Calzada. 


504  12  MAT. 

français  et  lui  fit  des  propositions  qui  furent  rejetées.  L'ardente  espagnole  résolut  de  se  venger  : 
elle  fit  cacher,  dans  le  capuce  du  jeune  homme,  une  coupe  en  argent.  Lorsque  les  pèlerins  furent 
partis,  la  jeune  fille  cria  au  voleur  et  déclara  que  le  vol  ne  pouvait  avoir  été  commis  que  par  les 
Français  hébergés  la  veille.  On  courut  après,  et  de  fait  on  trouva  la  coupe.  Le  jeune  homme  fut 
ramené  à  la  ville  et  pendu  haut  et  court.  Ses  parents,  désolés,  continuèrent  leur  pèlerinage.  Mais 
quelle  ne  fut  pas  leur  joie  à  leur  retour  de  retrouver  leur  fils  pendu  au  gibet  encore  vivant  et 
d'apprendre  de  sa  bouche  que  saint  Dominique  l'avait  préservé  de  la  mort  :  ils  allèrent  trouver  le 
juge  et  le  supplièrent  de  prendre  cette  faveur  céleste  en  considération  pour  faire  dépendre  l'inno- 
cent. L'homme  de  loi  était  sur  le  point  de  se  mettre  à  table.  Ne  croyant  point  à  un  miracle,  il  dit 
aux  parents  :  «  Votre  fils  est  aussi  vivant  que  le  coq  et  la  poule  que  voilà  et  dont  je  vais  faire  mon 
repas  ».A  peine  ces  mots  étaient-ils  prononcés  quelesvolaillesbondirent  sur  le  plat  et  se  remplumèrent 
d'un  blanc  plumage,  symbole  de  l'innocence.  On  alla  donc  vérifier  le  fait  et  la  sentence  première 
fut  réformée.  Cette  histoire  a  été  racontée  par  un  grand  nombre  d'auteurs  ;  les  peintres-verriers 
du  moyen  âge  l'ont  souvent  reproduite.  On  frappa  des  médailles  eommémeatives  de  l'événement  : 
une  de  ces  médailles  a  été  retrouvée,  de  nos  jours,  dans  la  Seine,  à  Paris,  où  elle  avait  sans  doute 
été  apportée  par  un  pèlerin  de  Saint-Jacques.  Enfin  les  armoiries  de  Calzada  en  ont  conservé  la 
trace  et  fixent  le  théâtre  de  l'événement.  Dans  les  armoiries  en  question,  un  pont  et  une  ville 
fermée  de  murailles,  placées  sous  les  pieds  du  Saint,  rappellent  la  fondation  de  la  cité.  Le  soia 
que  saint  Dominique  prit  des  pèlerins  lui  a  encore  fait  attribuer  le  bourdon. 

Acta  Sanctorum,  trad.  nouv.;  Caractéristiques  du  Père  Cahier. 


SAINTE  JEANNE  DE  PORTUGAL,  VIERGE  (1490). 

Jeanne  était  fille  d'Alphonse  V,  roi  de  Portugal.  Dès  ses  plus  jeunes  années,  le  souvenir  de  la 
Passion  de  Notre-Seigneur  lui  faisait  verser  des  larmes  d'attendrissement.  De  bonne  heure,  elle 
jeûna  au  pain  et  à  l'eau  chaque  vendredi  et  tous  les  jours  de  la  semaine  sainte.  Parvenue  à  l'ado- 
lescence, elle  redouble  d'austérités  ;  mais  Dieu  seul  les  connaissait.  Jeanne  s'appliquait  à  paraître 
au  dehors  telle  que  devait  paraître  une  fille  de  roi.  Le  ciel  voulut  récompenser  tant  de  sainteté 
unie  à  tant  de  prudence  :  chaque  jour,  sa  beauté  acquérait  de  nouvelles  grâces. 

Demandée  en  mariage  par  plusieurs  princes,  elle  leur  refusa  constamment  sa  main.  En  ua 
temps  où  le  roi,  son  père,  et  l'infant  Jean,  son  frère,  faisaient  auprès  d'elle  des  instances  plus 
vives,  Dieu  lui  révéla  qu'elle  serait  délivrée  de  ces  importunités  par  la  mort  de  celui  auquel  ou 
voulait  la  donner  pour  épouse.  Victorieuse  de  la  chair  et  du  sang,  elle  entra  au  monastère  d'Âveiro 
de  l'Ordre  de  Saint-Dominique  :  là,  elle  fit  oublier,  par  son  humilité  et  son  obéissance,  qu'elle  était 
fille  de  rois.  Elle  immolait  son  corps  pour  la  conversion  des  pécheurs;  mais  l'œuvre  principale  de 
son  zèle  fut  la  rédemption  des  captifs  d'Afrique  :  souvent  on  la  vit  distribuer  le  pain  de  l'instruc- 
tion religieuse  à  ces  infortunés. 

Elle  rendit  sa  sainte  âme  à  Dieu,  le  4  des  ides  de  mai  1490,  emportée  par  une  maladie  cruelle, 
dont  elle  supporta  les  douleurs  avec  une  patience  invincible. 

Innocent  XII,  sur  le  rapport  qui  lui  fut  fait  des  miracles  et  de  la  réputation  de  sainteté  de  la 
bienheureuse  Jeanne,  permit  aux  églises  de  Portugal  et  aux  Frères  Prêcheurs  de  célébrer,  chaque 
année,  l'anniversaire  de  son  entrée  dans  le  repos  éternel. 

Sainte  Jeanne  est  la  patronne  d'Aveiro.  Les  Bollandistes  donnent  sa  vie  et  reproduisent  son 
portrait  authentique  dans  leur  Appendice,  au  12  mai.  On  la  représente  soit  en  habit  séculier,  soit 
en  habit  religieux  ;  dans  ce  dernier  cas,  une  couronne  d'épines  est  placée  sur  sa  tête  et  un  cru- 
cifix dans  sa  main. 

Propre  de  Portugal  et  A  A.  S  S.,  trad.  nouv. 


SAINT  HYGIN,  PATRON  DE  LEGTOURE  (Epoque  incertaine). 

Génie  ou  Hygin  est  honoré  solennellement  à  Lectoure  comme  un  des  principaux  Patrons  de 
cette  ville.  D'après  sa  vie,  écrite  par  son  auteur  ancien  à  la  vérité,  mais  non  contemporain,  et  que 


MARTYROLOGES.  505 

Bernard  de  la  Guionie  a  recueillie,  il  parait  qu'il  était  né  d'une  illustre  famille,  qu'il  était  orné  de 
toutes  les  vertus  chrétiennes,  et  doué  d'une  éloquence  merveilleuse,  que  ses  travaux  apostoliques 
amenèrent  à  la  foi  un  grand  nombre  d'idolâtres  ;  que,  pour  cela,  il  fut  en  butte  aux  persécutions, 
mais  qu'il  se  sauva  par  un  miracle  en  suite  duquel  trente  soldats,  envoyés  pour  le  prendre,  em- 
brassèrent eux-mêmes  la  foi  de  Jésus-Christ.  Il  y  avait,  anciennement  à  Lectoure,  une  église  et  un 
monastère  de  Saint-Génie.  L'emplacement  en  fut  donné,  en  1076,  à  saint  Hugues,  abbé  de  Cluny. 

Propre  de  Tarbes. 


Xffl"  JOUR  DE  MAI 


MARTYROLOGE   ROMAIN. 

A  Rome,  la  dédicace  de  l'église  de  Sainte-Marie-aux-Martyrs  (Notre-Dame  de  la  Rotonde),  que 
le  bienheureux  pape  Goniface  IV,  après  avoir  purifié  ce  vieux  temple  dédié  à  tous  les  dieux  qu'on 
appelait  le  Panthéon,  consacra  en  l'honneur  de  la  bienheureuse  Marie,  toujours  Vierge,  et  de  tous 
les  martyrs,  du  temps  de  l'empereur  Phocas.  Vers  611.  —  A  Constantinople,  le  bienheureux  Mucius, 
prêtre  et  martyr,  qui,  sous  l'empereur  Dioclétien  et  le  proconsul  Laodice,  endura  d'abord,  à 
Amphipolis,  beaucoup  de  peines  et  de  tourments  pour  la  confession  de  Jésus-Christ,  fut  ensuite 
conduit  à  Byzance  où  il  eut  la  tète  tranchée.  211.  —  A  Héraclée,  sainte  Glycère,  martyre,  native 
de  Rome,  qui  fut  exécutée  sous  l'empereur  Antonio  et  le  président  Sabin  J0  162.  —  A  Alexandrie, 
plusieurs  saints  Martyrs,  que  les  Ariens  massacrèrent  en  haine  de  la  foi  catholique,  dans  l'église 
de  Saiut-Théonas.  372.  —  A  Maëstricht,  saint  Servais,  évêque  de  l'église  de  Tongres,  dont  la 
Providence  divine  fit  voir  le  mérite  à  tout  le  monde,  en  ce  que  la  neige,  qui  couvrait  en  hiver  tout 
le  pays  d'alentour,  ne  tomba  jamais  sur  son  tombeau,  jusqu'à  ce  que  le  zèle  des  habitants  eut 
construit  dessus  une  basilique.  —  En  Palestine,  saint  Jean  le  Silenciaire. —  A  Valladolid,  saint 
Pierre  Régalati,  confesseur,  de  l'Ordre  des  Frères  Mineurs,  restaurateur  de  la  discipline  régulière 
dans  les  couvents  d'Espagne,  et  mis  au  rang  des  Saints  par  le  pape  Benoit  XIV  2. 1456. 

MARTYROLOGE  DE  FRANCE,  REVU  ET  AUGMENTÉ. 

A  Auxerre,  saint  Marcellien,  évêque  et  confesseur,  successeur  de  saint  Pérégrin.  Vers  314.  — 
A  Soissons,  saint  Onésime,  évêque,  qui  compensa  en  sa  personne  le  défaut  du  martyre  par  les 
rigueurs  d'une  incroyable  pénitence.  Son  corps  a  été  transféré  à  Douai  avec  celui  de  sainte  Gurdi- 
nelle.  Fin  du  ive  s.  —  A  Poitiers,  sainte  Agnès,  abbesse  de  Sainte-Croix,  et  sainte  Disciole, 
religieuse  du  même  monastère,  qui  l'ont  honoré  l'une  et  l'autre  par  leur  innocence,  leur  pureté 
virginale  et  leur  sainteté  exemplaire.  vi»  s.  —  A  Coincy,  en  Tardenois,  dans  le  diocèse  de  Sois- 
sons,  sainte  Rastragène,  vierge  et  martyre,  dont  on  ne  connaît  que  le  culte  qui  était  autrefois 
rendu  à  ses  reliques  dans  l'église  du  prieuré  de  ce  lieu.  —  A  Villiers-la-Poterie,  entre  Fosses  et 
Marchienne-au-Pont,  dans  le  doyenné  de  Bouvines,  près  de  Namur,  sainte  Rollande,  Dolende  ou 
Rolleinde,  fille  d'un  prince  français  nommé  Didier,  qui,  a  estimant  toutes  choses  comme  balayure 
en  dehors  de  l'amour  de  Jésus-Christ  »,  résolut  d'aller  se  cacher  dans  le  monastère  de  Sainte- 
Ursule,  à  Cologne,  pour  ne  pas  épouser  un  prince  d'Ecosse.  Elle  mourut  en  route  dans  la  chau- 
mière d'un  charitable  paysan.  On  invoque  la  sainte  Patronne  de  Villiers  contre  la  gravelle  et  la 
colique.  VIIe  s.  —  Dans  l'Ordre  de  Saint-Dominique,  la  mémoire  du  vénérable  Thomas,  dit  de 
Cantipré,  premièrement  chanoine  régulier  dans  l'abbaye  de  ce  nom,  puis  religieux  dominicain  et 
évêque  suffragant  de  Cambrai,  célèbre  par  sa  piété  et  ses  écrits.  —  A  Bayeux,  la  fête  de  saint 

1.  Les  Grecs,  chez  lesquels  le  culte  de  sainte  Glycère  est  très-célèbre,  lui  adjoignent  Laodice,  son 
geôlier,  qu'elle  convertit. 

2.  On  le  peint  présentant  du  pain  aux  pauvres  et  montrant  le  crucifix,  parce  que  l'aumône  lui  était 
une  occasion  de  prêcher  Jésus-Christ. 


50G  53  mai. 

Marcoul  ».  —  A  Séez,  la  fête  de  saint  Sérénic,  dont  le  décès  est  marqué  le  7.  —  A  Antun,  la  fêle 
de  saint  Flavien  ou  Flavius,  évêque  de  Châlons-sur-Saôue.  595.  —  A  Auch,  la  fête  de  saint 
Génie,  dont  le  décès  est  marqué  le  3  mai.  On  le  nomme  aussi  Hygin  2.  —  A  Viviers,  la  fête  de 
saint  Andéol,  dont  le  décès  est  marqué  le  1er  de  ce  mois.  —  A  Auxerre,  la  fêle  de  saint  Ilellade, 
mentionné  le  8  de  ce  mois  au  martyrologe  romain.  —  A  Orléans,  la  fête  de  saint  Sigisuiond, 
nommé  le  1er  de  ce  mois  au  martyrologe  romain. 

MARTYROLOGES   DES    ORDRES   RELIGIEUX. 

Martyrologe  des  Basiliens.  —  A  Constantinople,    saint  Germain,   évèque,   de  l'Ordre   de 

Saint-Basile. 

Martyrologe  des  Cisterciens.  —  Saint  Pierre,  martyr,  dont  la  naissauce  au  ciel  est  le  29  avril. 

Martyrologe  des  Dominicains.  —  A  Crémone,  le  bienheureux  Albert  de  la  ville  d'Ogna,  au 
territoire  de  Bergame,  du  Tiers  Ordre  de  Saint-Dominique,  illustre  par  ses  miracles,  dont  l'inhu- 
mation eut  lieu  le  7  de  mai. 

Martyrologe  des  Franciscains.  —  A  Valladolid,  saint  Pierre  Bégalati,  confesseur,  restaurateur 
de  la  discipline  régulière  dans  les  couvents  d'Espagne  et  mis  au  rang  des  Saints  par  Benoit  XIV. 

Martyrologe  des  Carmes.  —  Saint  Kérée,  saint  Achillée,  sainte  Domitille,  vierge,  et  saint 
Pancrace,  dont  l'Eglise  fait  mémoire  la  veille  de  ce  jour. 

Martyrologe  des  Augustins.  —  La  fête  de  la  bienheureuse  Vierge  Marie  du  Secours. 

Martyrologe  des  Servîtes.  —  Sainte  Catherine  de  Sienne,  dont  la  naissance  au  ciel  est  le 
30  avril. 

Martyrologe  des  Hiéronymites.  —  Saint  Pie  V,  inscrit  au  martyrologe  le  5  mais  ;  mais  sa  fête 
se  célèbre  aujourd'hui  dans  notre  Ordre. 

ADDITIONS    FAITES    D'APRÈS    LES    BOLLANDISTES   ET  AUTRES    HAGIOGIUPHES. 

A  Drizipare,  en  Thrace,  saint  Alexandre,  soldat  romain,  martyr  sous  le  règne  de  Maximien.  — 
A  Ascoli,  d'ans  la  Marche  d'Ancône,  en  Italie,  saint  Christantien,  martyr,  qu'on  invoque  contre  la 
grêle  et  les  tempêtes.  —  A  Côme,  en  Italie,  sainte  Dominique,  vierge,  sœur  de  saint  Agrippin, 
évêque  de  cette  ville,  avec  qui  elle  fut  ensevelie.  vi°  s.  —  A  Synnadare,  en  Phrygie,  saint  Pausi 
caque,  évèque.  vu'  s.  —  A  Milan,  saint  Natalis  ou  Noël,  archevêque.  751.  —  A  Constantinople, 
saint  Serge,  confesseur,  mort  en  exil,  durant  la  persécution  des  Iconoclastes.  —  En  Irlande,  saint 
:  Moëldod,  abbé.  —  A  Villamagna,  près  de  Florence,  le  bienheureux  Gérard,  solitaire,  du  Tiers 
Ordre  de  Saint-François  s.  —  A  Foligno,  en  Italie,  le  bienheureux  Antoine  le  Hongrois,  du  Tiers 
Ordre  de  Saint-François.  139S.  —A  Côme,  la  bienheureuse  Madeleine  Albriquc,  abbesse  de  Brunat, 
de  l'Ordre  des  Ermites  de  Saint-Augustin.  1465. 


SAINT  SERVAIS,  ÉVÈQUE  DE  TONGRES 

384.  —  Pape  :  Saint  Damase.  —  Empereur  d'Occident  :  Valentinien  II. 


Ma  profession  est   de  croire,  aimer  et  servir  Dieu 
Réponse  de  saint  Servais  aux  Huns. 

On  ignore  l'origine  de  saint  Servais.  Haribert,  abbé  de  Lobbes,  qui  a  fait 
l'abrégé  de  sa  vie,  dit  seulement  qu'il  était  de  grande  naissance,  qu'il  fut 
élevé  avec  beaucoup  de  soin,  et  que  sa  conduite  se  sentit  toujours  de  la 
noblesse  et  de  la  générosité  de  son  sang.  D'autres  auteurs,  rapportés  par 
Chapeau  ville,  disent  qu'il  naquit,  sur  les  frontières  de  Perse,  d'une  famille 
juive  apparentée  à  sainte  Anne,  mère  de  la  sainte  Vierge  ;  qu'il  fut  amené  à 
Tongres  par  un  Ange  ;  que,  ne  parlant  qu'une  langue,  il  était  entendu  de 
toutes  sortes  de  nations;  que  son  abstinence  était  si  admirable,  que  sou- 

I.  Voyez  le  1er  mai.  —  2.  Voyez  le  12  de  ce  mois-  —  »•  >  u«*  »-  joui  auiwuit. 


SAINT  SERVAIS,   ÉVÊQUE  DE  TONGRES.  507 

vent  il  ne  vivait  que  de  la  sainte  Eucharistie  ;  qu'il  posséda  aussi  îa  grâce  des 
guérisons  ;  les  malades  qui  pouvaient  ou  le  toucher,  ou  avoir  des  restes  de 
sa  table,  ou  même  boire  de  l'eau  dont  il  s'était  lavé  les  mains,  étaient  as- 
surés de  leur  guérison. 

Son  zèle  pour  la  foi  catholique  parut  principalement  en  trois  conciles. 
Le  premier  fut  celui  de  Cologne,  célébré  l'an  346,  où  il  fit  condamner  et 
déposer  l'évoque  de  la  môme  ville,  coupable  de  l'hérésie  des  Ariens  :  il  est 
vraisemblable  que  cet  évoque,  condamné  pour  hérésie,  fut,  non  pas  Eu- 
phratas,  comme  l'ont  cru  quelques  auteurs  ,  mais  son  prédécesseur.  Les 
termes  dont  usa  saint  Servais,  en  opinant  dans  le  concile,  sont  si  importants, 
qu'ils  méritent  bien  d'être  rapportés  :«  Je  sais  certainement»,  dit-il, «  ce  que 
ce  faux  évêque  a  enseigné  ;  je  n'en  parle  pas  par  ouï-dire,  mais  pour  l'avoir 
moi-même  entendu.  Comme  nos  églises  étaient  voisines,  je  me  suis  souvent 
opposé  à  sa  fausse  doctrine  lorsqu'il  niait  la  divinité  de  Jésus-Christ.  Je  l'ai 
fait  non-seulement  en  particulier,  mais  aussi  en  public,  en  présence  d'Atha- 
nase,  évêque  d'Alexandrie,  et  de  plusieurs  prêtres  et  diacres;  mon  avis  est 
qu'il  ne  peut  être  évêque  des  chrétiens,  et  que  ceux  qui  auront  des  commu- 
nications avec  lui  ne  pourront  porter  le  nom  de  chrétiens  ».  Dans  ces  pa- 
roles, il  parle  de  saint  Athanase  comme  d'un  témoin  fidèle  des  blasphèmes 
de  cet  évêque,  parce  que  ce  saint  Patriarche,  ayant  été  exilé  à  Trêves,  de- 
puis 336  jusqu'à  338,  avait  pu  aisément  l'entendre  à  Cologne  ou  en  quelque 
autre  lieu  voisin. 

Le  second  concile,  où  saint  Servais  fit  éclater  sa  foi  et  son  zèle  pour  la 
vérité  orthodoxe,  fut  celui  de  Sardique  :  on  y  confirma  la  consubstantialité 
du  Verbe  éternel  avec  son  Père,  que  le  concile  de  Nicée  avait  définie,  et 
saint  Athanase,  le  plus  généreux  défenseur  de  cette  consubstantialité,  y  fut 
absous  de  toutes  les  calomnies  que  les  Ariens  avaient  forgées  contre  lui.  Ce 
concile  fut  tenu  l'an  347.  Enfin,  le  troisième  concile  fut  celui  de  Rimini, 
célébré  l'an  359,  où  notre  Servais,  assisté  de  saint  Phœbade,  évêque  d'Agen, 
résista,  avec  un  courage  intrépide  et  une  force  merveilleuse,  à  la  puissance 
et  à  la  malice  des  ennemis  de  la  foi,  sans  craindre  ni  l'exil,  ni  la  faim  et  la 
soif,  ni  la  prison,  ni  même  la  mort  dont  il  était  menacé.  Il  est  vrai  qu'après 
une  longue  résistance,  il  fut  enfin  trompé  par  les  Ariens,  qui  lui  firent  si- 
gner une  formule  qui,  paraissant  tout  à  fait  orthodoxe,  avait  néanmoins  un 
sens  hérétique  dont  ils  se  prévalurent  ensuite;  mais  cette  surprise  ne  fit  que 
l'animer  davantage  contre  eux;  et,  lorsqu'il  fut  revenu  en  France,  il  tra- 
vailla avec  un  zèle  infatigable  à  en  bannir  leur  hérésie  et  à  y  faire  régner  la 
foi  orthodoxe,  que  Saturnin,  évêque  d'Arles,  et  Paterne,  évêque  de  Péri- 
gueux,  avaient  entrepris  de  ruiner. 

Dans  l'intervalle  qui  sépara  ces  deux  conciles,  le  tyran  Magnence,  qui 
avait  eu  part  au  meurtre  de  l'empereur  Constant,  et  s'était  fait  proclamer 
empereur  en  sa  place,  connaissant  le  mérite  incomparable  de  saint  Servais, 
et  combien  il  avait  de  force  et  d'éloquence  pour  persuader  ce  qu'il  voulait, 
l'envoya,  avec  un  autre  évêque,  nommé  Maxime,  vers  l'empereur  Cons- 
tance, frère  du  défunt,  pour  ménager  un  accommodement  avec  lui  et  lui 
faire  agréer  qu'il  conservât  la  pourpre  et  qu'il  fût  associé  à  l'empire  ;  mais  l'é- 
vénement nous  fait  voir  qu'ils  n'obtinrent  pas  ce  que  Magnence  souhaitait; 
ils  n'avaient  d'ailleurs  entrepris  ce  voyage  que  par  force,  et  pour  empêcher 
que  ce  tyran  ne  tourmentât  les  églises  s'ils  lui  refusaient  ce  bon  office. 

Pendant  que  saint  Servais,  après  le  concile  de  Rimini,  travaillait  à  main- 
tenir la  foi  catholique  dans  son  diocèse  et  à  en  bannir  le  vice,  qui  attire 
l'hérésie,  Dieu  lui  fit  connaître  que  les  Huns,  peuple  barbare  et  cruel,  en- 


503  13  mai. 

treraient  bientôt  dans  les  Gaules  et  que,  parmi  beaucoup  d'autres  villes,  ils 
saccageraient  et  détruiraient  celle  de  Tongres.  Celte  révélation  le  remplit 
d'une  extrême  douleur;  néanmoins,  la  prenant  d'abord  plutôt  comme  une 
menace  qu'on  pouvait  détourner  par  les  prières  et  par  les  larmes,  que 
comme  une  prédiction  absolue  et  inévitable,  il  monta  en  chaire,  exhorta 
son  peuple  à  la  pénitence,  afin  d'arracher  les  verges  de  la  main  du  Tout- 
Puissant.  Il  s'offrit  aussi  lui-même  en  sacrifice  pour  ses  enfants,  et,  par  des 
austérités  et  des  gémissements  continuels,  il  tâcha  de  rendre  Dieu  propice  à 
un  peuple  pour  qui  il  avait  la  tendresse  d'une  mère.  Mais,  voyant  que  le  ciel 
était  inflexible  et  que  tous  ses  soupirs  ne  l'attendrissaient  point,  il  résolut 
de  faire  un  voyage  à  Itome  pour  intéresser  plus  efficacement  les  apôtres 
saint  Pierre  et  saint  Paul  à  la  protection  de  sa  ville.  Il  y  alla  donc,  et  passa 
plusieurs  jours  en  jeûne  et  en  oraison  auprès  de  leurs  tombeaux.  Il  pria 
aussi  pour  la  ville  de  Metz,  parce  que  saint  Auteur,  qui  en  était  évêque,  et 
qui  ne  put  pas  l'accompagner  dans  ce  voyage,  l'avait  conjuré,  dans  son 
passage  par  sa  ville  épiscopale,  d'intercéder  pour  elle  aussi  bien  que  pour 
celle  de  Tongres.  Saint  Pierre  apparut  à  Servais  et  lui  dit  «  que  l'arrêt 
irrévocable  était  donné  contre  le  pays  des  Gaules;  les  Huns  y  descendraient 
et  y  saccageraient  les  villes  et  les  provinces  ;  celle  de  Tongres  serait  enve- 
loppée pour  ses  crimes  dans  cette  inondation  ;  mais  saint  Etienne  avait  si 
puissamment  intercédé  pour  celle  de  Metz,  dont  Auteur  était  évêque,  qu'on 
lui  avait  encore  pardonné  pour  cette  fois;  pour  lui,  il  ne  verrait  poinL  les 
maux  dont  son  pays  était  menacé  :  il  devait  s'en  retourner  promptenient, 
préparer  les  choses  nécessaires  à  sa  sépulture,  se  retirer  à  Maastricht  et  y 
attendre  la  volonté  de  Dieu  ».  On  dit  que  le  prince  des  Apôtres  lui  donna 
aussi  pour  gage  de  son  affection,  et  pour  assurance  de  ce  qu'il  lui  disait,  une 
clef  d'argent,  faite  de  la  main  des  Anges,  qui  a  depuis  opéré  beaucoup  de 
miracles.  Mais  il  y  a  des  auteurs  qui  croient  que  la  clef  que  l'on  appelle  de 
saint  Servais,  lui  fut  donnée  par  le  Pape,  et  que  c'est  une  de  ces  clefs  où 
Ton  mettait  un  peu  de  limaille  des  chaînes  de  saint  Pierre,  et  que  les  Papes 
donnaient  par  dévotion  aux  pèlerins  illustres  qui  venaient  à  Rome.  C'est 
une  conjecture  qui  a  quelque  vraisemblance;  mais,  n'étant  appuyée  de 
nulle  preuve,  elle  ne  peut  être  aussi  forte  que  la  tradition  des  églises  de 
Maëstricht  et  de  Liège,  qui  porte  que  cette  clef  est  un  présent  de  saint 
Pierre.  En  revenant  de  Rome,  il  tomba  entre  les  mains  des  Huns  qui  rava- 
geaient déjà  l'Italie.  Ils  le  jetèrent  d'abord  dans  une  basse  fosse,  pendant 
qu'ils  délibérèrent  entre  eux  sur  ce  qu'ils  en  feraient;  mais  Dieu,  qui  n'a- 
bandonne jamais  ses  serviteurs  et  qui  descend  avec  eux  dans  les  cachots  les 
plus  obscurs,  fit  paraître  au  milieu  de  la  nuit,  dans  cette  prison,  une  si 
grande  lumière,  que  ces  barbares,  étant  épouvantés,  se  crurent  trop  heu- 
reux de  délivrer  leur  prisonnier  et  de  le  mettre  en  liberté.  Il  en  convertit 
même  quelques-uns,  parce  qu'une  splendeur  merveilleuse  qui  parut  sur  son 
visage,  et  un  aigle  qui  le  couvrit  d'une  de  ses  ailes  durant  son  sommeil  et 
le  rafraîchit  du  mouvement  de  l'autre,  leur  fit  connaître  que  le  Dieu  qu'il 
adorait  était  le  Maître  et  le  souverain  Seigneur  de  toutes  choses. 

Lorsqu'il  fut  en  liberté,  il  se  remit  en  chemin  et  traversa  l'Italie  et  les 
montagnes  de  la  Savoie.  Dans  les  Vosges  il  fit  sourdre  miraculeusement  une 
fontaine,  dont  il  étancha  sa  soif,  et  qui  servit  depuis  à  la  guérison  de  plu- 
sieurs malades.  Saint  Auteur,  évêque  de  Metz,  l'étant  venu  joindre  à. 
Worms,  il  se  transporta  dans  sa  ville  pour  y  annoncer  au  clergé  et  au 
peuple  ce  qu'il  avait  appris  à  Rome  par  l'apparition  de  saint  Pierre.  Il  leur 
déclara  donc  que  leur  punition  était  différée;  mais  qu'ils  devaient  mériter 


SAINT   SERVAIS,   ÉVÊQUE  DE   TON'GRES.  509 

cette  grâce  et  éloigner  de  plus  en  plus  de  leurs  murs  l'indignation  de  Dieu 
et  la  rigueur  de  ses  châtiments  par  la  pénitence  et  par  le  changement  de 
leurs  mœurs. 

Quand  il  arriva  à  Tongres,  ses  diocésains  l'y  reçurent  avec  une  joie  in- 
croyable. Mais  cette  joie  se  changea  bientôt  en  un  torrent  de  larmes  lors- 
qu'il leur  fit  connaître  l'arrêt  irrévocable  que  Dieu  avait  porté  contre  eux. 
Leur  douleur  augmenta  beaucoup  lorsqu'il  leur  dit  qu'il  était  obligé  de  les 
quitter  et  de  passer  en  une  autre  ville  pour  y  trouver  la  paix  du  tombeau. 
Ils  l'environnèrent,  comme  autrefois  les  fidèles  d'Ephèse  et  de  Milet  avaient 
environné  saint  Paul,  pour  le  conjurer  de  ne  les  point  laisser  orphelins.  Mais 
quoique  son  cœur  fût  attendri  par  les  pleurs  de  ses  enfants,  il  ne  put  pas  se 
dispenser  d'obéir  à  l'ordre  de  Dieu.  Il  sortit  donc  de  Tongres,  emportant 
avec  lui  ce  qui  était  nécessaire  pour  sa  sépulture.  On  dit  qu'il  emporta 
aussi  les  ossements  sacrés  de  ses  prédécesseurs  et  de  quelques  autres  saints 
personnages,  honorés  d'un  culte  public  dans  son  diocèse,  afin  qu'ils  ne 
fussent  pas  exposés  à  la  profanation  des  barbares,  et  que  les  diocésains  qui 
se  réfugieraient  à  Maëstricht,  après  la  ruine  d?  Tongres,  y  trouvassent  par 
leur  moyen  une  longue  et  continuelle  protection.  Ces  Saints,  qui  l'avaient 
précédé,  sont  :  saint  Valentin,  saint  Navite,  saint  Marcel,  saint  Métropole, 
saint  Séverin,  saint  Florence  et  saint  Martin.  Avant  de  partir,  il  avait  guéri 
une  partie  des  malades  de  la  ville  ;  les  autres  furent  réservés  pour  recevoir 
la  santé  après  sa  mort  par  l'attouchement  de  son  corps. 

Il  ne  fut  pas  longtemps  à  Maëstricht  sans  voir  l'effet  de  la  prédiction  de 
saint  Pierre.  A  peine  eut-il  placé  décemment  les  saintes  reliques  qu'il  avait 
apportées  de  Tongres,  marqué  le  lieu  de  sa  sépulture  et  fait  ses  dernières 
dispositions,  qu'étant  à  l'autel,  où  il  célébrait  les  divins  Mystères,  il  fut 
averti  par  un  Ange  du  jour  et  de  l'heure  de  son  décès.  Une  fièvre  le  saisit 
aussitôt,  et,  au  bout  de  trois  jours,  après  avoir  reçu  les  derniers  Sacrements, 
exhorté  son  peuple  à  la  crainte  de  Dieu  et  prié  instamment  pour  son  salut, 
il  mourut  paisiblement,  au  milieu  d'une  grande  splendeur  qui  l'environna. 
Ce  fut  sur  les  trois  heures  de  l'après-midi,  qui  est  l'heure  de  None,  le  13  mai 
de  l'année  384. 

Son  décès  fut  accompagné  de  plusieurs  miracles  :  un  Ange  descendit  du 
ciel  et  apporta  un  voile  de  soie  dont  il  le  couvrit.  On  entendit  dans  l'air  une 
musique  céleste,  célébrant  les  victoires  qu'il  avait  remportées  sur  les  puis- 
sances de  l'enfer.  Tous  les  malades  de  Maëstricht  et  ceux  de  Tongres,  qui 
assistèrent  à  son  convoi,  furent  guéris.  Enfin,  il  fit  de  si  grands  miracles,  que 
sa  mémoire  fut  rendue  célèbre  dans  toutes  les  Gaules.  Il  fut  enterré  près  du 
pont  de  la  Digue  publique,  et  l'on  remarqua  que  la  neige  ne  couvrit  jamais 
sa  pierre  tumulaire,  quoiqu'elle  tombât  en  abondance  partout  alentour.  Le 
martyrologe  romain  n'oublie  pas  ce  prodige,  rapporté  par  saint  Grégoire 
de  Tours. 

La  même  année,  les  Huns  firent  irruption  dans  les  Gaules  et  saccagèrent 
la  ville  de  Tongres,  qui  ne  put  jamais  se  relever  entièrement  de  ce  désastre. 
Notre  Saint  n'eut  de  successeur  que  cent  ans  après,  lorsque  saint  Itemi, 
après  le  baptême  de  Clovis,  rétablit  les  églises  de  Flandre  et  les  pourvut  de 
pasteurs.  Celui  qu'il  donna  à  Maëstricht  et  à  Tongres  fut  saint  Agricole, 
qui,  par  un  respect  singulier  pour  saint  Servais,  fit  bâtir  une  église  sur  son 
sépulcre.  En  581,  saint  Monulphe  en  fit  bâtir  une  autre  bien  plus  magni- 
fique, en  son  honneur,  dans  laquelle  il  transporta  son  corps,  comme  le  dit 
saint  Grégoire  de  Tours,  dans  le  livre  de  la  Gloire  des  confesseurs.  Saint 
Hubert,  après  la  célèbre  victoire  de  Charles-Martel  sur  les  Sarrasins  (732), 


510  13  mai. 

le  jour  de  saint  Servais,  fit  une  nouvelle  translation  de  ses  précieuses  dé- 
pouilles. On  trouva  son  corps  entier  ;  le  visage  étant  découvert,  parut  si 
resplendissant,  qu'il  remplit  de  lumière  tout  le  caveau.  On  trouva  aussi  la 
clef  qu'il  avait  apportée  de  Rome,  avec  le  voile  que  les  anges  avaient  mis 
sur  lui  après  son  décès.  On  le  transféra  dans  une  châsse  d'argent  doré,  et 
on  le  plaça  au-dessus  du  grand  autel.  Depuis,  l'empereur  Othon  l'avait  fait 
transférer  à  Quedlimbourg,  dans  une  église  dédiée  sous  son  nom  ;  mais  il 
fut  bientôt  rapporté  dans  la  ville  de  Maëstricht,  on  il  a  fait  de  très-grandes 
merveilles. 

L aigle  qui  employa  ses  ailes  en  guise  d'éventail  pour  rafraîchir  le  Saint 
pendant  son  sommeil  ;  l'ange  qui  le  conduit  d'Arménie  ou  de  Perse  dans 
la  Gaule  Belgique  ;  la  clef  que  lui  remit  saint  Pierre,  ou  que  lui  aurait  sim- 
plement donnée  le  Pape  ;  un  dragon  qui  expire  près  de  lui,  symbole  de 
ses  luttes  contre  l'arianisme  ;  une  fontaine  qu'il  fait  jaillir  sous  son  bâton 
pastoral  ;  la  mitre  qu'il  reçoit  de  la  main  d'un  ange  ;  la  neige  qui  respecte 
son  tombeau,  tandis  qu'elle  en  recouvre  les  alentours,  sont  autant  d'attri- 
buts qui  ont  servi  à  caractériser  saint  Servais  dans  l'art  populaire. 

Saint  Servais  est  l'un  des  trois  Saints  de  neige  :  les  deux  autres  sont  saint 
Mamert,  11  mai,  et  saint  Pancrace,  42  mai.  L'expérience  a  constaté  que 
quelle  que  soit  la  température  antérieure,  elle  s'abaisse  en  l'un  de  ces  trois 
jours  :  on  n'a  pas  encore  expliqué  scientifiquement  ce  phénomène;  mais 
les  jardiniers  au  courant  de  leur  métier  se  gardent  bien  de  sortir  les  plantes 
de  serre  chaude,  par  exemple,  avant  la  fête  de  saint  Servais. 

En  plusieurs  endroits,  on  invoque  saint  Servais  contre  le  mal  de  jambes 
(même  des  animaux),  pour  le  bon  succès  des  entreprises  ;  contre  les  rats  et 
les  souris. 

Tons  les  martyrologes  latins  font  une  honorable  mémoire  de  saint  Servais.  Sa  Vie  a  été  écrite,  comme 
nous  l'avons  dit,  par  Haribert,  abbé  de  Lobbes.  Gilles,  moine  d'Orval,  y  a  fait  quelques  additions.  Jean 
Chapenuville,  chanoine  de  Liège,  les  a  insérées  dans  son  premier  tome  des  Gestes  des  évèques  de  Tongres, 
de  Maastricht  et  de  Liège.  Le  Père  Gilles  Buchère.  jésuite,  a  fait  une  dissertation  sur  l'histoire  des  mêmes 
évêques,  où,  dans  le  chapitre  4,  il  examine  la  chronologie  de  saint  Servais,  et  les  autres  difficultés  qui 
se  trouvent  dans  ses  Actes.  Elle  est  a  la  fin  du  même  tome  de  Chapeauville. 


SAINT  JEAN  LE  SILENCIAIRB,  ÉVÈQUE 


454-558.  —  Papes  :  Saint  Léon  le  Grand;  Félage  Ier.  —  Empereurs  d'Orient  :  Marcien; 

Justinien  1er. 


Celui  qui  sait  garder  sa  bouche  et  sa  langue,  épargne 
à  son  âme  bien  des  angoisses. 

Prov.  xki.  23. 

Saint  Jean  naquit  àNicopolis,  en  Arménie,  le  8  janvier  de  l'an  454,  sous 
l'empire  de  Marcien,  prince  très-religieux.  Encrace,  son  père,  et  Euphé- 
mie,  sa  mère,  comptaient  parmi  leurs  aïeux  des  généraux  d'armées  et  des 
gouverneurs  de  provinces.  N'étant  pas  moins  pieux  qu'illustres,  ils  élevèrent 
Jean  dans  la  crainte  de  Dieu.  Ils  moururent  lorsqu'il  n'avait  encore  que 
dix-huit  ans.  Devenu  possesseur  d'une  fortune  considérable,  notre  Saint  la 
consacra  à  de  pieux  usages;  il  bâtit  à  Nicopolis  une  église  en  l'honneur 
de  la  sainte  Vierge,  et  un  monastère  dans  lequel  il  se  renferma  avec  dix 


SAINT   JEAN  LE    SILENCIAIRE,   ÉVÊQUE.  511 

personnes  animées  de  la  même  ferveur,  qui  se  consacrèrent  entièrement  à 
Dieu  sous  sa  conduite. 

Ses  premiers  soins  furent  de  mortifier  son  corps  par  la  tempérance  et 
d'abaisser  son  esprit  par  une  véritable  humilité,  sachant  que  c'était  par  elle 
que  l'on  pouvait  conserver  la  pureté  du  corps  et  de  l'esprit,  sans  quoi  on 
ne  peut  rien  faire  dans  les  exercices  de  la  vie  spirituelle.  Il  s'appliqua  aussi 
fort  exactement  à  bien  régler  sa  langue,  ayant  appris  de  saint  Jacques  que 
«  celui  qui  croit  être  pieux,  et  néanmoins  ne  retient  pas  sa  langue,  n'a 
qu'une  piété  vaine  et  imaginaire  ».  Il  gouverna  vingt  ans  cette  petite  com- 
munauté de  serviteurs  de  Dieu  avec  tant  de  prudence,  que,  sans  les  charger 
de  beaucoup  d'austérités,  il  avait  soin  de  donner  à  leur  corps  et  à  leur  es- 
prit des  occupations  qui  les  rendissent  dignes  d'une  si  sainte  vocation. 

Cette  sage  conduite  fit  bientôt  connaître  le  mérite  et  la  sainteté  de  Jean; 
c'est  pourquoi  après  la  mort  de  l'évêque  de  Colonie,  dans  le  patriarcat  de 
Constantinople,  les  habitants  de  ce  diocèse  supplièrent  l'archevêque  de 
Sébaste,  leur  métropolitain,  de  leur  donner  pour  pasteur  ce  saint  abbé,  qui 
était  déjà  prêtre.  Ce  prélat,  qui  connaissait  sa  vertu,  le  fit  venir  sous  un 
autre  prétexte,  et  le  sacra  évêque,  quelque  résistance  qu'il  apportât.  Cette 
nouvelle  dignité  ne  changea  rien  à  sa  manière  de  vivre,  et  il  continua  de 
pratiquer,  dans  Tépiscopat,  ce  qu'il  avait  pratiqué  dans  son  monastère.  Il 
y  fit  toujours  les  mêmes  prières  et  les  mêmes  mortifications,  afin  de  con- 
server inviolablement  la  chasteté  de  son  corps  et  la  pureté  de  son  cœur.  On 
remarque  qu'il  ne  voulut  jamais  se  servir  de  bains,  si  ordinaires  en  ce 
temps-là,  mais  qui  auraient  alarmé  ses  yeux  pudiques,  pour  ne  point  se 
voir  lui-même.  L'exemple  de  sa  vertu  toucha  Pergame,  un  de  ses  frères,  et 
Théodore,  un  de  ses  cousins,  qui  tous  deux  avaient  des  emplois  honorables 
à  la  cour  de  l'empereur.  Ils  menèrent  une  vie  sainte  au  sein  des  honneurs 
et  des  richesses.  Mais  Jean  ne  reçut  pas  la  même  consolation  de  son  beau- 
frère  Pasinique,  gouverneur  d'Arménie.  Cet  homme,  quand  sa  femme  fut 
morte,  n'eut  plus  aucun  égard  pour  le  saint  prélat  :  il  mettait  même  le 
trouble  dans  son  diocèse,  empêchait  les  ecclésiastiques  de  s'acquitter  de 
leur  ministère,  et  violait  le  droit  d'asile  dont  jouissaient  les  églises.  Jean 
employa  d'abord,  pour  désarmer  son  oppresseur,  les  prières  et  les  remon- 
trances, qui  furent  inutiles.  Il  alla  alors  à  Constantinople  porter  ses  plaintes 
l'empereur  Zenon,  dont  il  obtint  justice.  Mais  craignant  pour  l'avenir  de 
nouveaux  embarras,  il  résolut  de  renoncer  à  son  évêché  :  il  s'embarqua  à 
ïinsu  des  prêtres  et  des  autres  personnes  qui  composaient  sa  suite,  et  passa 
à  Jérusalem  pour  y  vivre  inconnu.  Il  se  logea  d'abord  dans  l'hôpital  de 
Saint-Georges,  martyr,  pour  y  servir  les  pauvres  vieillards  qui  y  étaient  en- 
tretenus, et  que,  pour  ce  sujet,  on  appelait  Géronocomion,  et  par  abrévia- 
tion Gérocomium. 

Saint  Jean  demeura  là  quelque  temps,  priant  sans  cesse  Notre-Sei- 
gneur,  avec  larmes,  qu'il  daignât  lui  faire  connaître  sa  volonté,  et  lui 
découvrir  un  lieu  propre  pour  ne  s'occuper  qu'à  l'ouvrage  de  son  salut. 
Comme  il  passait  une  nuit  en  oraison  et  levait  les  yeux  au  ciel,  il  aperçut 
une  étoile  d'une  admirable  clarté,  en  forme  de  croix,  entendit  une  voix  qui  lui 
dit  :  Si  tu  veux  le  sauver,  suis  cette  lumière.  Il  obéit  à  ces  paroles,  et,  sortant  à 
l'heure  même,  il  suivit  cette  étoile  qui  le  conduisit  en  Palestine,  au  monastère 
de  Saint-Sabas,  appelé  la  Grande-Laure  :  ce  lieu  était  rempli  de  cellules  sépa- 
rées où  vivaient  cent  cinquante  solitaires.  Leur  chef,  saint  Sabas,  reçut  le 
bienheureux  Jean,  sans  connaître  ses  mérites,  ni  sa  dignité,  et  dit  à  l'éco- 
nome de  lui  donner  une  des  charges  qui  dépandaient  de  la  sienne.  Le  nou- 


512  13  mai. 

vel  ermite  s'en  acquitta  dignement,  rendant  à  cet  économe  et  à  tous  les 
autres  Pères  une  parfaite  obéissance,  exécutant  tout  ce  qu'on  lui  comman- 
dait avec  humilité,  avec  promptitude  et  avec  joie;  il  allait  chercher  de  l'eau 
dans  le  torrent;  il  faisait  cuire  les  provisions  nécessaires  pour  les  ouvriers 
qui  bâtissaient;  il  travaillait  lui-même  comme  un  manœuvre.  Il  eut  ensuite 
la  charge  de  recevoir  les  hôtes;  le  Saint  les  servait  comme  il  eût  servi  Jé- 
sus-Christ lui-même.  Dans  cette  place  si  dangereuse,  même  pour  les  plus 
parfaits,  son  âme  demeura  toujours  dans  le  recueillement  :  tout  le  monde 
admira  sa  modestie,  sa  douceur,  sa  charité.  Ensuite,  Sabas  lui  fournit  les 
moyens  d'avancer  dans  les  exercices  de  la  contemplation  en  lui  permettant 
de  vivre  dans  une  cellule  séparée  des  autres.  Il  y  demeura  trois  ans  sans 
être  vu  de  personne  durant  les  cinq  premiers  jours  de  chaque  semaine.  Le 
samedi  et  le  dimanche,  il  allait  à  l'église,  où  il  entrait  toujours  le  premier 
et  n'en  sortait  que  le  dernier  :  là,  avec  une  crainte  respectueuse,  une  mo- 
deste gravité  et  une  piété  fervente,  il  chantait  les  psaumes  selon  la  Règle. 
Sa  componction  était  si  grande,  que  lorsqu'on  offrait  le  divin  Sacrifice,  il 
répandait  une  grande  abondance  de  larmes;  les  Pères  ne  pouvaient  assez 
admirer  ce  don  qu'il  avait  reçu  de  Dieu.  Au  bout  de  trois  ans,  il  fut  établi 
économe  de  laLaure;  il  s'acquitta  si  bien  de  cette  charge,  que  l'on  voyait 
sensiblement  que  Dieu  versait  ses  bénédictions  sur  cette  communauté  par 
son  ministère. 

Enfin,  saint  Sabas  trouvant  dans  le  bienheureux  Jean  un  religieux  par- 
fait et  d'une  vertu  éminente,  voulut  le  faire  ordonner  prêtre,  ne  sachant 
pas  qu'il  le  fût.  Il  le  mena  pour  ce  sujet  à  Jérusalem,  au  saint  patriarche 
Elie  ;  lorsqu'on  fut  arrivé  à  l'église  du  Mont-Calvaire,  où  Jean  devait  rece- 
voir les  ordres,  il  demanda  au  patriarche  un  entretien  secret  :  l'ayant  ob- 
tenu, il  lui  dit.  qu'il  était  évêque,  et  qu'il  s'était  retiré  dans  la  solitude  pour 
y  faire  pénitence  de  ses  péchés  et  y  attendre  la  miséricorde  de  Dieu.  Le 
patriarche,  admirant  la  vertu  de  Jean,  lui  promit  le  secret,  et,  appelant 
saint  Sabas,  il  lui  dit  que  ce  solitaire  lui  avait  déclaré  des  choses  qui  l'em- 
pêchaient de  l'ordonner;  les  deux  solitaires  retournèrent,  Jean,  dans  sa  cel- 
lule, et  l'abbé,  dans  une  caverne  éloignée  de  trente  stades  !  de  la  Laure  où, 
pleurant  amèrement  devant  Dieu,  il  lui  dit  :  «  Pourquoi,  Seigneur,  avez- 
vous  permis  que  je  me  sois  trompé  en  la  personne  de  Jean,  îejugeant  digne 
de  la  prêtrise,  tandis  qu'il  ne  mérite  pas  de  servir  vos  autels?  »  II  passa  la 
nuit  à  gémir  ainsi.  Un  ange  lui  apparut  le  matin  et  lui  dit:  «  Sabas,  con- 
sole-toi, Jean  n'est  pas  un  vase  inutile  :  c'est,  au  contraire,  un  vase  d'élec- 
tion; mais  celui  qui  est  déjà  évêque  ne  peut  pas  être  ordonné  prêtre  ».  Il 
serait  difficile  de  décrire  quelle  fut  la  joie  de  saint  Sabas  quand  il  apprit  ce 
secret,  et  avec  quel  respect  il  alla  aussitôt  trouver  son  bienheureux  disciple 
dans  sa  cellule.  Notre  Saint  le  supplia  de  ne  rien  dire  à  personne  de  ce  que 
Dieu  lui  avait  découvert,  parce  qu'autrement  il  le  contraindrait  de  se  reti- 
rer :  et  le  saint  abbé  le  lui  promit. 

Notre  bienheureux  demeura  ensuite  quatre  ans  renfermé  dans  sa  cel- 
lule, sans  parler  à  personne,  excepté  une  fois  que  le  patriarche  Elie,  étant 
venu  faire  la  dédicace  de  l'église  du  nouveau  monastère  de  la  Laure,  sous 
le  nom  de  la  très-sainte  Vierge,  voulut  le  voir  et  l'entretint  quelque  temps 
avec  une  extrême  satisfaction.  La  sédition  de  quelques  moines  ayant  obligé 
saint  Sabas  à  quitter  sa  Laure  en  503,  notre  Saint,  qui  ne  voulait  pas  rester 
avec  ces  rebelles,  s'enfuit  dans  le  désert  de  Rube.  Il  y  passa  neuf  ans  dans 

1.  5  kilomètres  548  mètres  66  centimètres,  s'il  s'agit  du  stade  olympique;  6  kilomètres  390  mètres,  s'il 
s'agit  du  stade  oriental  basé  sur  le  pied  philéte'rien. 


SAINT  JEAN  LE  SILENCIAIRE,  ÉVEQUE.  513 

le  silence,  ne  conversant  qu'avec  Dieu  et  ne  vivant  que  de  fruits  et  de  ra- 
cines sauvages.  Rien  ne  put  le  décider  à  retourner  dans  sa  Laure  révoltée  : 
ni  les  prières  des  solitaires,  ni  la  disette,  ni  le  retour  annuel  de  la  fête  de 
Pâques,  ni  les  invasions  des  Sarrasins  dans  son  désert.  Dieu  récompensa  sa 
foi  et  sa  constance  :  des  inconnus  lui  apportèrent  des  vivres.  Un  lion,  qui 
rôdait  autour  de  la  caverne  habitée  par  Jean,  le  préservait  de  l'approche 
des  Barbares. 

Sabas  fut  rappelé  pour  gouverner  la  Laure,  en  510;  il  alla  aussitôt  cher- 
cher le  Saint  dans  sa  solitude  et  le  ramena  dans  la  communauté.  Jean  ren- 
tra donc  dans  son  ancienne  cellule,  où  il  continua,  pendant  quarante  ans, 
sa  vie  silencieuse  et  angélique. 

Néanmoins,  il  ne  refusait  pas  ses  instructions  aux  personnes  qui  venaient 
le  consulter  :  de  ce  nombre  était  son  biographe  Cyrille,  qui  commença  à 
écrire  la  vie  du  Saint  dès  son  vivant,  lorsqu'il  était  âgé  de  cent  quatre  ans. 
Il  avait  encore  l'esprit  très-vif  et  le  visage  gai.  Dieu  lui  avait  accordé  le  don 
de  prophétie  et  celui  des  miracles.  En  voici  trois  exemples  rapportés  par 
Cyrille  :  «  J'avais  environ  seize  ans  »,  dit  cet  auteur  aussi  savant  que  judi- 
cieux, «  lorsque  j'allais  consulter  saint  Jean,  qui  en  avait  alors  quatre- 
vingt-dix,  sur  l'état  que  je  devais  embrasser.  Il  me  conseilla  de  me  consa- 
crer à  Dieu  dans  le  monastère  de  Saint- Euthy me.  J'en  choisis  un  autre 
parmi  ceux  qui  étaient  situés  sur  le  bord  du  Jourdain;  mais  je  n'y  fus  pas 
plus  tôt  arrivé,  que  j'y  tombai  malade.  Mon  état  devenant  plus  dangereux, 
je  commençai  à  me  repentir  de  n'avoir  pas  suivi  exactement  le  conseil  du 
serviteur  de  Dieu.  Il  m'apparut  pendant  la  nuit,  et  après  m'avoir  repris 
avec  douceur  de  mon  attachement  à  mon  propre  sens,  il  me  dit  que  si  je 
me  rendais  au  monastère  de  Saint-Euthyme,  j'y  recouvrerais  la  santé.  Je 
me  lève,  je  participe  aux  saints  Mystères,  je  prends  de  la  nourriture,  je  me 
sens  fort,  je  me  mets  en  route  à  pied  vers  le  monastère  de  Saint-Euthyme, 
au  grand  étonnement  de  tous  ceux  qui  savaient  que  j'étais  malade  ».  A 
partir  de  cette  époque,  Cyrille  se  conduisit  toujours  par  les  conseils  de 
Jean.  Laissons-le  nous  raconter  encore  un  miracle  opéré  par  le  Saint.  «  Un 
jour  que  le  serviteur  de  Dieu  me  communiquait,  par  la  fenêtre  de  sa  cel- 
lule, la  céleste  doctrine,  un  homme,  appelé  George,  lui  amena  son  fils  qui 
était  possédé  du  démon,  et  l'ayant  mis  devant  sa  fenêtre,  se  retira.  L'en- 
fant était  là  gisant  et  pleurant.  Jean  vit  son  état  malheureux  et  fut  touché 
de  compassion.  Il  pria  pour  lui,  l'oignit  d'huile  bénite,  et  le  délivra  du 
malin  esprit  ».  Un  seigneur,  infecté  d'hérésie,  ayant  été  présenté  à  notre 
Saint  par  un  fervent  chrétien,  nommé  Théodore,  qui  dit  :  «  Mon  Père,  bé- 
nissez-nous »  ;  Jean  répondit  :  «  Vous,  Théodore,  je  vous  bénis  de  grand 
cœur;  mais  je  ne  puis  bénir  votre  compagnon,  tant  qu'il  ne  renoncera  pas 
à  l'hérésie  ».  Le  seigneur,  surpris  et  persuadé  que  ces  circonstances  ne  pou- 
vaient être  connues  de  Jean  que  par  révélation,  se  convertit.  Le  Saint  le 
réconcilia  avec  l'Eglise  et  lui  donna  la  sainte  Eucharistie. 

Une  cousine  du  converti,  nommée  Basiline,  désirait  ardemment  conver- 
ser avec  le  bienheureux  solitaire;  mais  comme  il  ne  recevait  point  les 
femmes,  elle  cherchait  par  quel  moyen  elle  pourrait  obtenir  cette  faveur. 
Le  Saint  l'ayant  su  par  révélation,  lui  apparut  pendant  son  sommeil,  et  lui 
dit  :  «  Me  voici  de  la  part  de  Dieu  :  si  vous  avez  quelques  conseils  à  me 
demander,  faites-le  » .  Il  répondit,  en  effet,  à  toutes  les  questions  que  lui 
fit  Basiline;  de  quoi  elle  rendit  de  grandes  grâces  à  Dieu. 

Saint  Jean  mourut  en  S58.il  avait  passé  soixante-seize  ans  dans  le  désert  : 
sa  vie  solitaire  ne  fut  interrompue  que  par  la  courte  durée  de  son  épiscopat. 
Vies  des  Saints.  —  Tome  V.  33 


814  13  mai. 

Les  attributs  iconographiques  de  saint  Jean  le  Silenciaire,  sont  le  doigt 
posé  sur  les  lèvres  pour  indiquer  son  amour  du  silence;  le  lion  et  le  crucifix 
lumineux.  Nous  avons  vu  dans  sa  vie,  qu'une  étoile  en  forme  de  crucifix  lui 
apparut  pour  lui  indiquer  sa  route.  Quant  au  lion,  on  a  vu  également  que 
le  roi  des  déserts  s'était  donné  la  mission  de  protéger  le  Saint  contre  les 
Sarrasins. 

Tiré  de  sa  Vie  écrite  par  le  moine  Cyrille.  Cf.  Godeau,  Eloges  des  évéques  illustres. 


SAINT  ONÉSIME,  ÉVÊQUE  DE  SOISSONS  (fin  du  rve  siècle). 

Onésime,  contemporain  de  saint  Hilaire  de  Poitiers  et  de  saint  Martin  de  Tours,  ces  illustres 
pontifes  qui  jetèrent  tant  de  gloire  sur  l'église  des  Gaules,  imita  leur  zèle  en  travaillant  à  extir- 
per de  son  diocèse  les  restes  de  l'idolâtrie  qui  avaient  survécu  aux  efforts  apostoliques  des  pre- 
miers évèques,  surtout  dans  les  campagnes,  dans  les  forêts  et  sur  le  bord  des  rivières  où  le  culte 
druidique  conserva  longtemps  quelque  empire.  On  peut  même  dire  qu'il  ne  put  jamais  être  telle- 
ment aboli  qu'il  n'en  restât  quelque  réminiscence  dans  les  superstitions  dont  cerlaines  fontaines  et 
pierres  extraordinaires  sont  encore  aujourd'hui  l'objet.  Du  reste,  pour  transformer  le  culte  idolà- 
trique  rendu  aux  arbres  antiques,  aux  rochers  par  les  anciens  Gaulois,  en  un  culte  moins  supersti- 
tieux, les  évêques  y  placèrent  des  reliques,  y  figurèrent  des  croix,  ou  y  attachèrent  la  mémoire  de 
quelque  Saint  qui  aura  remplacé  la  divinité  à  laquelle  ils  étaient  primitivement  dédiés.  Mais  les 
croyances  druidiques,  transportées  dans  les  usages  religieux  et  naïfs  du  peuple,  lors  de  la  diffusion 
du  christianisme,  n'en  demeurèrent  pas  moins  fort  entachées  de  superstition.  On  a  vénéré  de  tout 
temps  ces  grès  énormes,  ces  pierres  sacrées,  qu'on  voit  près  des  églises,  à  Brétigny,  à  Neuilly- 
Saint-Front,  à  Bitry,  à  Caisue.  Ce  sont,  il  est  vrai,  selon  la  croyance  populaire,  des  saints  qui  y 
ont  touché,  qui  s'y  sont  reposés,  qui  y  ont  laissé  l'empreinte  de  leurs  pas  comme  sur  la  pierre 
Saint-Martin,  à  Autrèches  ;  mais  la  confiance  que  l'on  a  en  leur  vertu,  plus  que  problématique,  ne 
rappelle  que  trop  les  erreurs  grossières  de  nos  pères  avant  leur  conversion  à  la  foi.  «  Oncsime 
s'appliqua  donc  à  soumettre  au  joug  léger  de  l'Evangile  le  pays  soissonnais  où  dominait  encore  la 
puissance  du  démon.  Partout  les  autels  des  faux  dieux  sont  renversés,  et  les  temples  païens  dé- 
truits ».  Il  administre  le  baptême  à  de  nombreux  néophytes  et  il  fait,  dans  la  vallée  soisson- 
naise,  beaucoup  de  miracles  nécessaires  à  la  tendre  enfance  de  cette  Eglise  naissante.  Il 
s'efforça  aussi  de  la  préserver  de  l'hérésie  arienne  qui  avait  gagné  les  Gaules.  Les  évèques  gallo- 
romains  réussissaient  d'autant  plus  dans  leurs  entreprises  pour  l'avancement  du  christianisme, 
qu'ils  étaieut  mieux  secondés  par  le  pouvoir  impérial.  Julien  l'Apostat  avait  bien  essayé  quelques 
efforts  pour  la  restauration  du  paganisme,  mais,  outre  que  ce  culte  absurde  ne  pouvait  tenir  aux 
lumières  de  la  foi,  Théodose  eut  bientôt  fait  oublier  ces  tentatives  passagères  en  décrétant  la  fe' 
meture  des  temples  et  la  proscription  définitive  du  vieux  culte  agonisant  (393-395.) 

Onésime,  comme  son  collègue  Martin  de  Tours,  joignait  à  la  parole  ardente  d'un  apôtre  une 
piété  exemplaire,  l'amour  ou  plutôt  la  passion  des  souffrances,  le  mépris  des  richesses  et  l'aver- 
sion des  plaisirs.  D'une  constitution  faible  et  maladive,  il  savait  dominer  par  la  puissance  de  son 
âme  les  infirmités  d'un  corps  travaillé  par  la  douleur.  Il  s'était  voué  à  lui-même  une  haine  qui  fai- 
sait de  sa  vie  un  martyre  continuel.  Sa  mort  fut  si  édifiante  et  si  pleine  de  mérites  que  les  fidèles 
qui  l'avaient  regardé  comme  un  Saint  pendant  sa  vie,  le  canonisèrent  d'une  voix  unanime  après 
son  décès  arrivé  dans  une  extrême  vieillesse,  le  3  des  ides  de  mai  (13  mai),  vers  la  fin  du  qua- 
trième siècle.  Il  fut  inhumé  dans  la  chapelle  de  Saint-Georges  située  au  cimetière  de  ce  nom,  dans 
le  fisc  de  Crouy.  Selon  l'historien  de  la  métropole  de  Reims,  le  corps  de  saint  Onésime  fut,  dans 
la  suite,  transféré  dans  l'église  du  monastère  qui  s'éleva  sur  l'emplacement  du  domaine  impérial 
de  Crouy  et  il  y  resta  quatre-vingt-dix  ans,  après  lesquels  il  fut  conduit  dans  l'église  de  Saint- 
Amand,  de  Douai,  dont  les  moines,  au  Xe  siècle,  en  donnèrent  une  partie  au  prieuré  de  Donchery, 
près  de  Sedan,  dépendant  de  l'abbaye  de  Saint-Médard. 

En  l'absence  de  tout  monument  historique,  on  peut  conjecturer  que  ce  fut  saint  Onésime  qui 
construisit,  à  la  fin  du  ive  siècle,  vers  388,  sur  l'emplacement  de  l'ancien  oratoire  dédié  à  la 
sainte  Vierge,  la  basilique  de  Saint-Gervais  et  Saint-Protais,  lorsque  saint  Ambroise  ayant  fait  la 
découverte  de  leurs  précieuses  reliques,  en  distribua,  selon  Grégoire  de  Tours,  une  partie  eutre 
plusieurs  villes  des  Gaules  et  de  l'Italie. 


SAINTE   AGNÈS   ET   SAINTE  DISCIOLE,    VIERGES   A  POITIERS.  515 

Selon  toutes  les  probabilités,  cette  basilique  dédiée  de  temps  immémorial  à  la  sainte  Vierge  et 
à  ces  deux  Saints  fut  dès  lors  h  Mère  Eglise  {Matrix  Ecclesia),\e  chef  de  la  ville  et  de  tout  le 
diocèse,  celle  où  siégeait  l'évèque  dans  sa  chaire  (cathedra),  entouré  de  l'élite  de  son  clergé, 
la  cathédrale,  en  un  mot,  dont  il  n'est  fait  une  mention  authentique  qu'en  646  et  qui  parait  avoir 
toujours  existé  à  travers  toutes  ses  transformations  architecturales,  à  l'endroit  qu'elle  occupe 
aujourd'hui,  dans  la  pure  splendeur  du  grand  style  du  moyen  âge. 

Extrait  des  Annales  de  l'Eglise  de  Soissons. 


SAINTE  AGNÈS  ET  SAINTE  DISCIOLE,  VIERGES  A  POITIERS  (588). 

Sainte  A<rnès,  la  très  chère  fille,  en  Jésus-Christ,  de  sainte  Radegonde,  fut  é!ev<^  auprès  de 
cette  reine  dès  sa  plus  tendre  enfance.  Lorsque  Radegonde  se  retira  de  la  cour  avec  la  permission 
du  roi,  et  se  consacra  à  Dieu  dans  le  monastère  qu'elle  fonda  à  Poitiers,  Agnès  la  suivit  dans  cette 
retraite.  Ses  progrès  dans  la  perfection  chrétienne  furent  tels  que  la  reine,  admirant  ses  vertus,  la 
vénérait  comme  sa  maîtresse  et  comme  sa  mère,  et  qu'elle  voulut  se  mettre  sous  sa  direction  avec 
toutes  les  vierges  des  plus  grandes  familles  qui  affluaient  au  monastère.  C'est  pourquoi,  avec  le 
consentement  des  sœurs  et  de  tous  les  prélats  de  la  province,  Agnès  reçut  la  bénédiction  abbatiale 
de  l'évèque  de  Paris,  saint  Germain,  que  Clotaire  avait  amené  avec  lui  à  Tours  et  présenté  à  la 
pieuse  reine.  Elle  fit  le  voyage  d'Arles  avec  sainte  Radegonde,  et  adopta,  pour  le  nouveau  monas- 
tère de  Poitiers,  la  Règle  dressée  par  saint  Césaire  pour  une  Congrégation  de  vierges  que  dirigeait  sa 
sœur  Césane. 

Agnès  montra  dans  son  gouvernement  autant  de  prudence  que  de  zèle,  autant  de  fermeté  que 
de  douceur.  Elle  eut  bientôt  deux  cents  religieuses  sous  sa  conduite.  Cédant  enfin  à  ses  instantes 
prières,  Mérovée,  évêque  de  Poitiers,  accepta  la  haute  direction  du  monastère.  Saint  Fortunat, 
qui  monta  depuis  sur  le  siège  de  Poitiers,  et  qui  exerça  dans  l'abbaye  le  ministère  sacerdotal  du 
vivant  d'Agnès  et  de  sainte  Radegonde,  nous  a  laissé  dans  ses  poésies  de  précieux  témoignages 
des  vertus  de  la  sainte  abbesse.  11  la  représente  comme  le  modèle  des  vierges  par  sa  fidélité  au 
céleste  Epoux,  comme  l'exemple  des  abbesses  par  le  zèle  de  ses  devoirs,  et  ne  parle  d'elle  que 
dans  les  termes  d'une  pieuse  vénération.  Sainte  Agnès  s'envola  dans  le  sein  de  la  céleste  béati- 
tude le  13  de  mai,  l'an  588,  neuf  mois  après  sainte  Radegonde  ;  elle  fut  ensevelie  dans  l'église 
de  Sainte-Marie,  hors  des  murs,  aujourd'hui  de  Sainte-Radegonde. 

Parmi  les  religieuses  que  l'exemple  et  les  entretiens  de  sainte  Radegonde  attiraient  en  grand 
nombre  dans  le  monastère  gouverné  par  sainte  Agnès,  il  y  en  eut  une  qui  brilla  d'une  manière  par- 
ticulière par  60n  humilité,  sa  modestie,  la  simplicité  de  ses  mœurs,  par  l'observance  attentive  de 
la  Règle  :  ce  fut  la  bienheureuse  Disciole,  nièce  de  saint  Sauve,  évêque  d'Albi.  Se  sentant  près 
de  mourir,  elle  dit  à  ses  sœurs  rassemblées  auprès  d'elle  et  qu'attristait  l'attente  de  son  dernier 
soupir  :  «  Retirez-vous  un  peu  afin  que  je  puisse  reposer  ».  Elles  la  quittèrent  donc,  tout  en  ne 
s'éloignant  pas  de  sa  cellule,  et  purent  s'apercevoir  des  ardents  désirs  du  ciel  qu'elle  exprimait 
par  ses  ferventes  aspirations.  Après  sa  mort  précieuse  devant  Dieu ,  son  corps  brilla  d'un  éclat 
extraordinaire. 

Les  restes  de  sainte  Agnès  et  de  sainte  Disciole  furent  déposés  près  du  tombeau  de  leur  mère, 
déjà  vénérée  alors  comme  une  Sainte,  et  qui  les  avait  précédées  de  peu  de  temps  dans  la  bien- 
heureuse éternité.  Placées,  l'une  à  droite  à  cause  de  sa  dignité  d'abbesse  ;  l'autre  à  gauche  de 
l'illustre  reine,  elles  semblaient  consacrer  ensemble,  dans  la  crypte  de  l'église  bâtie  par  elle,  le 
pieux  souvenir  de  leur  religieuse  intimité.  Là,  toutes  deux  furent  et  sont  encore  l'objet  des  prières 
et  de  la  vénération  des  populations  du  Poitou,  auxquelles  viennent  se  joindre,  chaque  année,  celles 
de  toutes- les  provinces  limitrophes,  attirées  vers  elles  par  une  confiance  que  d'éclatants  miracles 
ont  justifiée  mille  fois.  Souvent,  sans  doute,  on  puisa,  dans  ces  deux  tombes,  de  nombreuses 
portions  de  ces  reliques  précieuses  ;  car,  lors  des  réparations  de  la  crypte  et  de  son  pourtour, 
rendus,  en  1854,  à  leur  état  primitif  par  les  ordres  de  Mgr  Pie  ;  quand  il  fut  donné  à  celui  qui 
trace  ces  lignes  de  tirer  de  leur  obscurité  quatorze  fois  séculaire  les  deux  cercueils  de  pierre  qui 
avaient  renfermé  les  corps  sacrés  des  saintes  filles,  on  n'y  trouva  que  d'assez  rares  fragments 
mêlés  à  des  débris  d'étoffes  de  soie  et  d'or.  Ce  qu'il  y  avait  d'insigne  avait  donc  disparu  par 
quelques  causes  dont  on  n'a  aucun  souvenir;  mais  les  derniers  débris,  dont  l'authenticité  fut  alors 
canoniquement  reconnue,  ne  cessent  pas  de  sanctifier  par  leur  présence  l'église  souterraine,  où 


516  13  mai. 

sainte  Radegonde  n'a  plus  aussi  qu'une  portion  d'elle-même.  A  l'autel  principal  de  la  sainte  reine, 
fixé  dans  l'abside  orientale  de  la  crypte,  deux  autres  ont  été  annexés  et  occupent  chacun  l'un  des 
deux  autres  bras  de  la  croix  :  celui  du  nord,  à  droite  de  sainte  Radegonde,  consacré  sous  le  vocable 
de  sainte  Agnès  ;  celui  du  sud,  sous  celui  de  sainte  Disciole.  Ils  recouvrent  les  sarcophages,  et, 
comme  dans  la  primitive  église,  le  saint  sacrifice  y  peut  être  offert  sur  les  restes  vénérables  des 
amies  de  Dieu. 

Propre  de  Poitiers,  et  M.  l'abbé  Anbert,  chanoine,  historiographe  de  Poitiers. 


SAINT  FLAVIUS,  ÉVÊQUE  DE  CHALON-SUR-SAONE  (vers  595). 

Saint  Flavius  n'était  pas  moins  distingué  par  ses  vertus  que  par  sa  naissance  '.  La  haute  con- 
sidération dont  il  jouissait,  détermina  saint  Gontran,  roi  de  Bourgogne,  à  le  choisir  pour  son  réfé- 
rendaire ou  chancelier.  Il  lui  confia  donc  le  sceau  royal,  et  le  soin  de  distribuer  les  aumônes.  Cette 
charge  honorable  demandait  un  homme  juste,  zélé,  vigilant,  ferme  et  charitable.  Flavius  réu- 
nissait toutes  ces  qualités,  et  le  choix  de  Gontran  fit  autant  d'honneur  au  roi  qu'à  son  ministre. 

Après  la  mort  de  saint  Agricole,  en  580,  le  clergé  et  le  peuple  de  Châlon  élurent  pour  évèque 
le  pieux  chancelier.  On  pensait  que  ses  talents  pour  l'administration,  et  l'habitude  de  traiter 
d'importantes  affaires,  lui  faciliteraient  l'exercice  de  la  charge  pastorale.  Le  roi  de  Bourgogne  y 
consentit,  heureux  de  voir  choisir  un  évêque  parmi  ses  principaux  officiers.  Les  historiens  du 
temps  vantent  l'éloquence  de  Flavius,  forte  et  douce,  également  puissante  à  foudroyer  le  vice,  et 
à  charmer  les  cœurs  par  les  attraits  de  la  vertu.  Ce  pieux  évèque  assista  aux  deux  premiers  con- 
ciles de  Màcon,  en  581  et  585,  au  troisième  de  Lyon,  en  583,  et  au  second  de  Valence,  en  584. 
On  le  voit  encore  assister  à  Nemours,  Nemptodurum,  au  baptême  du  jeune  Clotaire,  fils  de  Fré- 
dégonde,  avec  jEtherius  de  Lyon  et  saint  Syagre  d'Autun. 

Saint  Flavius  fonda  ou  du  moins  restaura  l'abbaye  de  Saint-Pierre,  en  584.  Comme  ce  monas- 
tère tient  une  grande  place  dans  les  annales  de  Châlon,  il  coaviant  d'en  retracer  brièvement  l'his- 
toire. L'abbaye  de  Saint-Pierre  était  placée  sur  une  éminence,  au  nord  de  la  ville,  dans  un  lieu 
où  un  saint  ermite  avait  élevé  un  oratoire  près  du  cimetière  public  -.  Détruite  par  les  Sarrasins, 
l'évèque  Gilbold  la  rétablit  en  887,  sous  la  Règle  de  Saint-Benoît,  et  y  choisit  sa  sépulture  et 
celle  des  chanoines.  Elle  fut  fort  endommagée  par  le  feu  du  ciel,  le  29  août  965.  Riche  et  superbe 
en  ses  bâtiments,  elle  était  comme  une  forteresse  entourée  de  murs  et  de  fossés.  L'abbé  de  Saint- 
Pierre  avait  reçu  de  Clément  V  le  droit  de  porter  la  crosse  et  la  mitre.  Les  évèques  de  Châlon,  à 
leur  première  entrée,  étaient  défrayés  à  l'abbaye  pendant  un  jour  et  une  nuit;  mais  l'abbé  les 
obligeait  à  jurer  la  conservation  des  privilèges  et  exemptions  du  monastère. 

Pillée  par  les  Calvinistes,  en  1562,  elle  fut,  l'année  suivante,  changée  en  citadelle,  par  ordre 
de  Charles  IX.  Les  moines  dispersés,  ayant  refusé  le  château  de  Germoles,  dans  la  crainte  d'y 
être  insultés  par  les  Huguenots,  se  réunirent  en  la  commanderie  de  Saint-Antoine,  dont  la  maison 
leur  fut  adjugée  par  le  roi.  Mais  sur  l'opposition  des  Antonins,  ils  se  retirèrent  chez  les  Carmes. 
Après  avoir  tenté  en  vain  de  s'unir  au  Chapitre  de  Saint- Vincent,  ils  bâtirent  une  église  qui  fut 
consacrée  par  Poutus  de  Thyard. 

Cette  abbaye  fut  unie  à  la  congrégation  de  Saint-Maur,  en  1C62,  sous  l'abbé  Claude  Espiard. 
Tous  les  religieux  étaient  nobles;  ils  avaient  leur  noviciat  à  Chapèze.  Les  Bénédictins,  en  1G92, 
jetèrent  les  fondements  d'une  nouvelle  basilique,  dédiée  le  29  août  1713,  par  Mgr  François  Madot. 
Elle  sert  aujourd'hui  d'église  paroissiale. 

Saint  Flavius  mourut  avant  la  fin  du  vi»  siècle,  et  fut  inhumé  dans  l'église  de  Saint-Pierre. 
Relevé  de  terre  par  l'évèque  Gilbold,  il  fut  canonisé  par  Jean  VIII,  en  879.  Son  chef,  que  l'on 
conservait  à  l'abbaye  dans  un  reliquaire  d'argent,  fut  profané  et  pillé  par  les  Huguenots.  Ces  mal- 
heureux iconoclastes  enlevèrent  aussi  le  chef  de  saint  Loup,  que  l'on  a  retrouvé  depuis,  dix  châsses 
magnifiques  où  étaient  les  corps  saints,  les  statues  de  Notre-Dame,  de  saint  Jean-Baptiste,  de  saint 
Jacques  et  de  saint  Loup,  placées  aux  piliers  qui  soutenaient  la  voûte  du  chœur,  et  toutes  cou- 
vertes d'or  fin  et  d'azur. 

On  trouve  dans  plusieurs  anciens  missels  de  France,  et  dans  quelques  missels  autunois  manus- 
crits ou  imprimés,  antérieurs  au  xvn8  siècle,  une  hymne  composée  par  saint  Flavius  de  Châlon, 
pour  le  lavement  des  pieds,   le  jeudi  saint.  Un  coutumier  très-ancien  de  l'église  de  Cluny  affirme 

1  Bréviaire  et  hist.  de  Châlon.  —  2.  Courtépée,  t.  iv,  p.  473. 


LE  BIENHEUREUX  ALBERT  D'OGNA,   HOMME  DE  PEINE.  517 

que  saint  Flavius  est  réellement  l'auteur  de  cette  pièce  intéressante  qui  commence  par  ces  mots  : 

Tellus  et  œthra  jubilant  La  Cène  du  grand   Roi  remplit  d'allégresse  les 

In  magni  ccena  principis.  cieux  et  la  terre... 

Cette  hymne  entoure  le  fait  évangélique  de  quelques  embellissements  poétiques,  que  la  foi  et 
la  piété  expliquent  facilement.  —  Sur  un  des  chapiteaux  de  Saint-Lazare,  comme  dans  cette  hymne, 
Jésus-Christ,  lavant  les  pieds  de  saiut  Pierre,  est  représenté  assisté  par  des  anges. 

Note  de  SI.  Devoucoux  ;  Légendaire  d'Autun. 


LE  BIENHEUREUX  ALBERT  D'OGNA,  HOMME  DE  PEINE  (1279). 

Ce  saint  homme  naquit  dans  le  treizième  siècle,  à  Ville-d'Ogna,  lieu  du  territoire  de  Bergame, 
de  parents  qui  étaient  laboureurs  et  qui  relevèrent  très-chrétiennement  Fidèle  à  correspondre  aux 
grâces  qu'il  recevait,  Albert  montra,  dès  sa  première  jeunesse,  beaucoup  d'attrait  pour  la  piété. 
N'ayant  encore  que  sept  ans,  il  jeûnait  trois  fois  la  semaine  et  distribuait  aux  pauvres  les  aliments 
dont  il  se  privait.  Lorsqu'il  fut  capable  de  travailler,  ses  parents  l'occupèrent  au  labourage  ;  il  s'y 
livra  avee  ardeur  ;  mais,  tandis  que  ses  mains  cultivaient  la  terre,  son  esprit  se  nourrissait  de  la 
méditation  des  vérités  du  salut,  unissant  ainsi  dans  sa  personne,  par  un  heureux  accord,  les  fonc- 
tions de  Marthe  et  le  repos  de  Marie.  Fils  respectueux  et  soumis,  il  s'engagea  dans  le  mariage 
par  le  conseil  des  auteurs  de  ses  jours.  Plus  libre  alors,  il  ne  mit  presque  plus  de  bornes  à  sa 
charité  pour  les  pauvres,  qu'il  assistait  généreusement  en  toute  rencontre.  Son  épouse,  moins  par- 
faite que  lui,  trouvait  mauvais  que  ses  aumônes  fussent  si  abondantes,  et  plus  d'une  fois  lui  en  fît 
de  vifs  reproches;  mais  Albert  supporta  ce  contre-temps  avec  patience  et  justifia  sa  conduite  par 
des  prodiges.  Un  jour,  entre  autres,  qu'il  avait  donné  à  des  indigents  le  diner  qui  était  apprêté 
pour  lui  et  sa  famille,  il  le  retrouva  miraculeusement  sur  sa  table. 

Le  serviteur  de  Dieu  était  propriétaire  de  quelques  champs  qui  provenaient  de  l'héritage  pa- 
ternel. Des  hommes  riches  et  puissants  lui  en  disputèrent  la  possession  et  finirent  par  l'en  dé- 
pouiller. Réduit  à  l'indigence,  il  fut  obligé  de  renoncer  au  labourage  et  alla  se  fixer  à  Crémone, 
où  il  gagnait  sa  vie  par  son  travail.  Quoique  son  nouvel  état  lui  offrît  à  peine  de  quoi  suffire  à 
ses  besoins,  il  partageait  encore  avec  les  pauvres  le  peu  qu'il  gagnait  à  porter  du  vin,  ce  qui  fai- 
sait son  occupation  la  plus  ordinaire.  Il  continua  aussi  ses  diverses  pratiques  de  piété,  prouvant 
ainsi,  par  son  exemple,  que  les  devoirs  de  la  religion  peuvent  aisément  s'allier  avec  les  travaux  les 
plus  assidus  et  les  plus  fatigants,  lorsque  l'on  cherche  Dieu  dans  la  sincérité  de  son  cœur.  Sa 
dévotion  le  conduisit  à  Rome  et  à  Saint-Jacques  de  Compostelle.  Dans  ces  pèlerinages,  il  se  livrait 
au  travail  :  lorsque  les  ressources  lui  manquaient  et  dès  qu'il  avait  reçu  son  salaire,  il  se  hâtait 
d'en  distribuer  une  partie  aux  indigents.  Non  content  de  les  assister  corporellement,  il  devenait 
pour  eux  un  apôtre,  par  le  zèle  avec  lequel  il  les  exhortait  à  la  patience,  à  la  confession  de  leurs 
péchés  et  à  une  sincère  conversion.  C'était  aux  pauvres  des  hôpitaux  qu'il  s'adressait  surtout,  et 
il  essayait  de  les  porter  à  la  pratique  de  la  vertu  par  ses  exhortations  charitables. 

Le  bienheureux  Albert  mourut  à  Crémone  le  7  mai  1279 ',  et  fut  enterré  dans  une  des  églises 
de  celte  ville,  où  on  lui  rendit  bientôt  un  culte  public,  qui  a  été  approuvé  par  le  pape  Benoit  XIV, 
le  9  mai  1748.  Il  est  honoré  dans  plusieurs  villes  d'Italie  et  chez  les  Dominicains,  pafce  qu'il  en 
avait  embrassé  le  Tiers  Ordre. 

Entre  autres  merveilles  que  l'on  raconte  du  bienheureux  paysan  Bergamasque  et  qui  ont  servi 
à  le  caractériser  dans  les  arts,  on  raconte  qu'un  prêtre,  tardant  à  lui  apporter  le  Viatique,  une 
colombe  vola  vers  lui,  tenant  dans  son  bec  une  hostie  pour  le  communier.  On  lui  donne  encore 
pour  attribut  la  faux  :  s'étant  mis  en  route  pour  Rome,  il  vint  à  manquer  d'argent  et  loua  ses 
bras  pour  la  moisson.  Ses  compagnons  de  travail,  jaloux  de  ce  qu'il  allait  plus  vite  en  besogne 
qu'eux,  placèrent  une  enclume  dans  l'herbe  qu'il  devait  faucher  ;  mais  il  arriva  que  l'enclume  fut 
coupée  comme  une  tige  d'herbe,  sans  ébrécher  la  faux  du  saint  homme.  Enfin,  on  le  représente 
encore  traversant  d'une  rive  a  l'autre  du  Pô,  sur  son  manteau,  parce  que  les  bateliers  lui  avaient 
refusé  le  passage. 

Le  bienheureux  Albert  est  le  patron  des  hommes  de  peine. 

Voyez  les  Bollandistes,  t.  n  de  mai,  et  le  Bréviaire  dominicain,  imprimé  à  Eome  en  1771;  Godescard 
(édition  de  Bruxelles). 

1.  Les  Bollandistes  le  font  mourir  en  1190,  prétendant  qu'il  était  contemporain  et  ami  de  saint  Hom- 
mebon  ;  mais,  suivant  l'opinion  de  Benoît  XIV,  la  date  de  11' 79  est  la  plus  certaine. 


518  14  MAI. 


XIV  JOUR  DE  MAI 


MARTYROLOGE  ROMAIN. 

Le  triomphe  de  saint  Boniface,  martyr,  qui  ayant  souffert  la  mort  sous  Dioclétien  et  Maxi- 
mien, à  Tarse,  en  Cilicie,  fut  ensuite  transporté  à  Rome  et  enterré  sur  la  voie  Latine.  i\*  s.  — 
En  Gaule,  saint  Pontios,  martyr,  qui  par  sa  prédication  et  son  zèle  convertit  les  deux  césars 
Philippe,  à  la  foi,  et  remporta  sous  Valérien  et  Gallien  la  palme  du  martyre.  257.  —  En  Syrie,  les 
martyrs  saint  Victor  et  sainte  Codronne,  exécutés  sous  l'empereur  Antonin.  Victor  fut  d'abord 
tourmenté  de  plusieurs  manières  également  horribles  par  le  juge  Sébastien.  Couronne,  femme  d'un 
soldat,  admirant  sa  constance,  se  mit  à  le  louer  et  à  le  proclamer  bienheureux  ;  et  en  même 
temps  elle  vit  deux  couronnes  descendre  du  ciel,  l'une  pour  Victor  et  l'autre  pour  elle,  ce  qu'elle 
déclara  hautement  en  présence  de  tout  le  monde  :  aussi  le  juge  la  fit  démembrer  entre  deux 
arbres,  et  fit  couper  la  tète  à  Victor,  n»  s.  —  En  Sardaigne,  les  saintes  Justa,  Justine  et  Héné- 
dine  l.  n«  s.  —  A  Rome,  saint  Pascal,  pape,  qui  tira  des  cryptes  plusieurs  corps  des  saints 
Martyrs  et  les  plaça  honorablement  dans  différentes  églises.  824.  —  A  Ferentino,  en  Toscai.e,  saint 
Boniface,  évèque,  qui,  au  rapport  de  saint  Grégoire,  pape,  commença  dès  son  enfance  à  briller 
par  sa  sainteté  et  par  ses  miracles.  vie  siècle.  —  A  Naples,  saint  Pomponne,  évèque*.  Vers  536. 
—  En  Egypte,  saint  Pacome,  abbé,  qui  fonda  plusieurs  monastères  en  ce  pays,  et  écrivit  pour  ses 
moines  une  Règle  qu'un  auge  lui  dicta.  348. 

MARTYROLOGE  DE  FRANCE,  REVU  ET  AUGMENTÉ. 

A  Apt,  en  Provence,  sainte  Augie.  vierge  et  martyre,  dont  on  ne  sait  rien  sinon  que  ses  relique» 
étaient  autrefois  en  grande  vénération  à  Apt  et  à  Aix.  Elle  souffrit  probablement  sous  les  empereurs 
païens.  —  A  Clermont,  en  Auvergne,  saint  Aproncule,  évêque,  qui  remplit  dignement  ce  siège,  que 
saiut  Sidoine  Apollinaire  venait  de  laisser  vacant  par  sa  mort.  Né  à  Autun,  il  avait  été  aupara- 
vant évêque  de  Langres,  mais  il  en  avait  été  chassé  par  une  injuste  persécution,  que  lui  suscita 
Gondebaud,  roi  arien  des  Burgondes.  Gondebaud,  soupçonnant  le  saint  évèque  de  comploter  un 
soulèvement  en  faveur  de  Clovis,  avait  donné  ordre  à  ses  sicaires  de  l'assassiner.  Aproncule  se  fit 
descendre  pendant  la  nuit  du  haut  des  murs  de  Dijon  et  s'enfuit  à  Clermont  où  Sidoine  Apolli- 
naire, mourant,  le  désigna  pour  son  successeur.  Il  avait  marché  devant  le  Seigneur  dans  la  paix 
et  la  justice  ;  il  avait  détourné  bien  des  âmes  de  l'iniquité,  car  les  lèvres  du  pontife  sont  les 
dépositaires  de  la  science,  et  c'est  de  sa  bouche  que  l'on  doit  entendre  l'explication  de  la  loi  s. 
488.  —  A  Fonlcnclle,  en  Normandie,  saint  Erembert,  évèque  de  Toulouse,  qui  mourut  en  ce 
monastère,  où  il  avait  été  longtemps  religieux  ;  il  était  natif  du  village  de  Pecq,  près  de  Saint- 
Germain  en  Laye.  678.  —  Aux  diocèses  de  Séez,  de  Chartres  et  de  Blois,  saint  Gildéric  ou 
Joudry,  solitaire4.  —  Au  monastère  de  Saint-Bertin,  le  vénérable  Godescalc,  abbé  de  cette  maison, 
qui  accueillit,  avec  de  grandes  marques  de  respect  et  de  charité,  saint  Thomas  de  Cantorbéry,  qui 
abordait  en  France  comme  exilé.  1176.  —  En  1620,  1720,  1820,  fête  séculaire  de  Notre-Dame  de 
Gray,  établie  en  mémoire  du  premier  prodige  opéré  par  la  statue  miraculeuse  que  possède  cette 
ville.  La  statue  de  Notre-Dame  de  Gray  est  faite  avec  du  bois  du  célèbre  chêne  de  Montaigu,  en 
Belgique.  De  1620  à  1624,  on  compte  plus  de  deux  mille  cinq  cents  miracles  opérés  à  Gray  :  Marie 
continue  à  se  montrer  favorable  aux  nombreux  pèlerins  et  aux  pieux  fidèles  qui  vont  encore  la 
visiter  de  nos  jours.  En  1849,  le  cardinal  Matthieu  consacra  tout  le  diocèse  de  Besançon  à  Notre- 
Dame  de  Gray,  et  le  choléra  cessa.  La  statue  qui  était,  avant  la  Révolution,  confiée  à  la  garde  de3 
Capucins,  est  aujourd'hui  dans  l'église  paroissiale.  —  A  Saint-Léonard  de  Rubempré,  au  diocèse 
d'Amiens,  translation  des  reliques  de  saint  Victorin,  enfant  martyr  à  Rome  5.  1846. 

1.  Sainte  Justine  et  sainte  Hénédine  passent  pour  avoir  été  les  suivantes  de  sainte  Justa.  Celle-ci 
donna  son  nom  à  une  ville  autrefois  épiseopale  de  l'île  de  Sardaigne  oîi  son  culte  était  très-répandu. 

2.  Il  fonda  l'église  de  Sainte-Mavie  Majeure,  qui  est  encore  de  nos  jours  l'une  des  plus  fréquentées  do 
Naples,  et  y  fut  enseveli, 

3.  Exode,  ii.  —  4.  Voir  sa  Vie  au  Supplément.  —  5.  Voir  au  l"  ma»   note  1,  page  158. 


MARTYROLOGES.  319 

MARTYROLOGES  DES  ORDRES  RELIGIEUX. 

Martyrologe  des  Basiliens.  —  Dans  la  ville  de  Saint-Laurent,  en  Calabre,  saint  Gérasime, 
moine  de  notre  Ordre. 

Martyrologe  des  Chanoines  réguliers.  —  A  Cantorbéry,  en  Angleterre,  le  supplice  de  plu- 
sieurs martyrs  de  l'Ordre  des  Chanoines  réguliers,  qui  répandirent  leur  sang  pour  la  foi  de 
Jésus-Christ. 

Martyrologe  des  Franciscains.  —  A  Favriano,  dans  la  Marche  d'Ancône,  le  bienheureux 
François  de  Favriano,  confesseur,  de  l'Ordre  des  Mineurs,  prédicateur  excellent,  illustre  par  la 
gloire  de  ses  vertus  et  de  ses  miracles,  qui  s'envola  au  ciel  le  22  avril  :  le  pape  Pie  VI  approuva 
le  culte  qu'on  lui  rendait  de  temps  immémorial. 

Martyrologe  des  Mineurs  conventuels.  —  Le  bienheureux  Gérard  de  Yillamagna,  chevalier 
de  Jérusalem,  du  Tiers  Ordre  de  Saint-François,  illustre  par  son  amour  de  la  contemplation  et  de 
la  pénitence.  1267. 

Martyrologe  des  Augustins.  —  A  Florence,  saint  Antonin,  évèque,  de  l'Ordre  des  Frères 
Prêcheurs. 

Martyrologe  des  Servîtes.  —  Saint  Stanislas. 
»  Martyrologe  des  Hiéronymites.  —  Saint  Pascal,  pape. 

Martyrologe  des  Frères  Prêcheurs.  —  Le  bienheureux  Gilles  de  Saint-Irène  ou  Santarem. 

ADDITIONS  FAITES  D'APRÈS   LES  BOLLANDISTES  ET  AUTRES  HAGIOGRAPHES. 

A  Venise,  la  translation  de  saint  Barbaro,  martyr,  apporté  de  Modon,  en  Grèce,  dans  cette 
ville.  Il  souffrit  sous  Julien  l'Apostat.  —  A  Anvers,  la  translation  de  saint  Claude,  martyr,  dont  le 
corps  fut  envoyé  de  Rome  en  cette  ville,  l'an  1656.  —  A  Gênes,  saint  Ampèle,  solitaire.  Ve  s. 
—  A  Pérouse,  saint  Bevignat,  moine  et  anachorète.  Saint  Bevignat  est  un  de  ces  Saints  si  nom- 
breux ignorés  pendant  leur  vie  et  que  Dieu  s'est  plu  à  glorifier  après  leur  mort  :  un  temple  s'éleva 
pour  recevoir  ses  reliques,  et  la  cathédrale  s'honora  d'en  abriter  une  partie.  Vers  l'an  500.  —  A 
Salerne,  saint  Bonose,  évèque.  —  A  Lismoria,  en  Irlande,  saint  Cartag.  Disciple  de  saint  Comgall, 
il  fonda,  dans  le  West-Meath,  le  grand  monastère  de  Ruithin  qui  devint  la  plus  célèbre  école  de 
Bciences  et  de  piété  qu'il  y  eût  en  Mande  au  vne  siècle.  Les  persécutions  d'un  roi  du  voisinage 
l'ayant  obligé  à  prendre  la  fuite,  il  se  retira  après  avoir  gouverné  quarante  ans  le  monastère  de 
Ruithin,  dans  la  province  de  Leinster,  où  il  fonda  un  autre  monastère  à  Lismoria  dont  il  est  regardé 
comme  le  premier  évèque.  637.  —  En  Norwége,  saint  Halward,  qui  fut  mis  à  mort  dans  un  voyage 
qu'il  faisait  en  Gothland  pour  affaires  commerciales,  parce  qu'il  avait  pris  la  défense  d'une  femme 
injustement  accusée  de  vol.  La  légende  le  dit  cousin  du  roi  de  Norwége,  saint  Olaf.  Il  aurait  donc 
vécu  vers  l'an  1000.  —  A  Santarem,  en  Portugal,  le  bienheureux  Gilles,  de  l'Ordre  des  Frères 
Prêcheurs.  1265.  —  En  Angleterre,  sainte  Julienne  de  Norwich.  Il  est  probable  qu'on  ne  saurait 
plus  rien  d'elle,  s'il  n'existait  un  livre  où  elle  rend  compte  des  révélations  dont  Dieu  l'a  favorisée. 
Julienne  dit,  dans  sa  préface,  «  qu'elle  n'était  qu'une  jeune  fille  ingénue,  sans  instruction  et  sans 
expérience  ».  Dans  ses  prières,  elle  demandait  surtout  trois  grâces  :  «  D'éprouver  une  véritable 
douleur  de  la  passion  de  Jésus-Christ  ;  d'être  atteinte  d'une  maladie  corporelle,  afin  qu'elle  pût 
souffrir  pour  la  gloire  de  Dieu  ;  de  ressentir  un  désir  de  plus  en  plus  intense  d'être  unie  à  Dieu  ». 
A  l'âge  de  trente  ans,  elle  tomba  gravement  malade.  Tout  le  reste  de  sa  vie  se  passa  dans  une 
espèce  d'agonie  ou  de  léthargie,  sans  qu'elle  reprit  jamais  ses  sens.  1342.  —  A  Ratisbonne,  le 
bienheureux  Tuton,  d'abord  moine  au  couvent  de  Saint-Emméram,  secrétaire  de  l'empereur  Arnoul 
et  évèque  de  Ratisbonne.  Conrad,  qui  succéda  à  Arnoul,  étant  venu  à  Ratisbonne,  voulut  enlever 
le  livre  d'évangiles,  orné  de  pierres  précieuses,  dont  ses  prédécesseurs  avaient  fait  présent  à  l'église 
épiscopale.  Tuton  dut  céder  devant  la  violence  ;  mais,  en  plaçant  le  livre  sur  l'autel,  il  dit  :  «  Que 
saint  Emméram  accuse,  au  jour  de  la  justice,  l'auteur  de  cette  soustraction  ».  Le  châtiment  suivit 
de  près  le  crime.  Dès  que  Conrad  fut  monté  à  cheval,  il  sentit  de  violentes  douleurs  dans  le  bas 
ventre.  Il  fit  aussitôt  rendre  le  livre  ;  mais  il  emporta  son  mal  jusque  dans  le  pays  des  Francs  où 
il  mourut.  Quant  à  Tuton,  il  perdit,  plus  tard,  la  vue  et  fit  tourner  cette  affliction  à  sou  avantage 
spirituel.  931. 


520  14  mai. 

SAINT  BONIFACE,  MAETYB, 

IY«  siècle.  —  Pape  :  Marcel.  —  Empereurs  :  Galère;  Maximien. 


Que  cette  histoire  du  martyr  Boniface  est  profonde  ! 
Comme  on  y  sent  cette  divine  nostalgie  de  l'âme  qui 
a  exilé  et  qui  veut  revenir  ! 


Ecoutez  l'humble  et  forte  réponse  d'un  pécheur.  Par 
faiblesse,  transgressant  la  loi  de  Dieu,  dans  ses  œu- 
vres, il  ne  voulait  pas  du  moins  l'abjurer.  On  lui  di- 
sait :  «  Vous,  et  la  plupart  des  vôtres,  vous  êtes 
vaincus.  Cette  loi  austère  du  Christ,  elle  est  trop 
dure  aussi  pour  vous,  et  vous  ne  l'observez  pas  ».  — 
«  Oui  »,  dit-ii,  «  mais  nous  en  gémissons,  et  nous 
nous  condamnons  et  nous  obtiendrons  de  Dieu  cette 
grâce  de  ne  point  nous  laisser  ignorer  que  nous 
avons  besoin  du  martyre  ». 

Parfums  de  Rome,  n,  p.  271,  éd.  de  1867. 


Au  temps  où  Dioclétien,  proclamé  consul  pour  la  quatrième  fois,  et 
Maximien  pour  la  troisième,  gouvernaient  le  monde,  il  s'éleva  une  grande 
sédition  parmi  les  Gentils,  à  l'occasion  de  la  persécution  qui  sévissait  contre 
les  chrétiens.  Il  s'agissait  de  contraindre  tous  les  vrais  adorateurs  du  Christ 
à  courber  la  tête  devant  d'infâmes  idoles.  Les  tyrans,  de  leur  côté,  avaient 
choisi  un  des  officiers  attachés  à  leurs  personnes,  et  l'avaient  investi  de  tous 
les  pouvoirs  ;  c'était  un  juge  cruel,  astucieux  et  perfide,  nommé  Simplicius. 
Ils  l'envoyèrent  en  Orient,  dans  la  ville  de  Tarse,  métropole  de  la  province 
de  Cilicie,  avec  la  mission  de  faire  subir  un  interrogatoire,  en  audience  pu- 
blique, sans  distinction  de  sexe  ni  d'âge,  à  tous  ceux  qui  confessaient  le 
nom  du  Christ.  Il  devait,  en  même  temps,  employer  tous  les  supplices,  pour 
les  faire  promptement  céder  aux  folles  impiétés  des  empereurs. 

11  y  avait  à  Rome  une  femme  opulente,  nommée  Aglaé.  Elle  était  fille 
d'Acace,  personnage  d'une  illustre  famille  et  qui,  lui-même,  avait  été  pro- 
consul. Trois  fois  elle  avait  donné  les  jeux  publics  à  Rome,  et  joui  des  hon- 
neurs réservés  au  préfet  de  la  ville.  Elle  avait  sous  sa  main  soixante-treize 
intendants  pour  ses  domaines,  avec  un  chef  au-dessus  de  cette  armée,  pour 
la  commander.  Il  se  nommait  Boniface  ;  c'était  le  complice  de  tous  les  dé- 
sordres de  sa  maîtresse.  Adonné  au  vin  et  à  la  débauche,  il  aimait  tout  ce 
que  Dieu  déteste.  Cependant  il  avait  trois  qualités  excellentes  :  il  était  hos- 
pitalier, généreux  et  accessible  à  la  compassion.  Si,  par  hasard,  il  rencon- 
trait un  étranger  ou  un  voyageur,  il  l'invitait  avec  empressement  et  affec- 
tion, et  le  servait  lui-même.  La  nuit,  il  parcourait  les  places  publiques  et 
les  rues,  distribuant  des  secours  à  tous  ceux  qui  étaient  dans  le  besoin. 

Enfin,  après  de  longues  années,  la  dame  romaine,  touchée  de  la  grâce 
de  Dieu,  fit  venir  son  intendant,  et  lui  dit  :  «  Boniface,  mon  frère,  tu  sais 
en  combien  de  crimes  nous  nous  sommes  plongés,  sans  avoir  jamais  réfléchi 
qu'il  faudra  nous  présenter  devant  Dieu,  et  lui  rendre  compte  de  tout  le 
mal  que  nous  aurons  fait  en  ce  monde.  Mais,  aujourd'hui,  j'ai  entendu  dire 
à  des  chrétiens  que,  si  quelqu'un  assiste  les  Saints  qui  combattent  et  meu- 
rent pour  la  gloire  du  Christ,  il  aura  part  à  leur  récompense,  au  jour  ter- 
rible des  justes  jugements  du  Seigneur.  En  même  temps,  j'ai  appris  que  des 


SAINT  BONIFACE,  MARTYR.  521 

serviteurs  du  Christ  combattent  en  Orient  contre  le  démon  et  livrent  leurs 
corps  aux  tourments,  pour  ne  point  renier  leur  maître.  Va  donc,  et  apporte- 
nous  des  reliques  des  saints  Martyrs,  afin  qu'en  les  honorant  et  en  leur 
bâtissant  des  oratoires  dignes  de  leurs  combats,  nous  soyons  sauvés  par  leur 
intercession,  nous  et  un  grand  nombre  d'autres  ». 

Le  serviteur  prit  aussitôt  avec  lui  une  grande  quantité  d'or  pour  acheter 
des  reliques  de  saints  Martyrs,  pour  le  distribuer  aux  pauvres  en  même 
temps,  et  aussi  pour  honorer  les  saints  martyrs  :  il  se  choisit  douze  chevaux, 
trois  litières  et  des  parfums  de  toute  sorte.  Sur  le  point  de  partir,  il  dit 
agréablement  à  Aglaé  :  «  Maîtresse,  si  je  trouve  des  reliques  de  saints  Mar- 
tyrs, je  les  apporterai  ;  mais  si  mes  propres  reliques  vous  arrivent,  recevez- 
les  comme  celles  d'un  Martyr  ».  Aglaé  lui  répondit  :  «  Laisse  là  ton  ivresse 
et  tes  extravagances  ;  pars  et  n'oublie  point  que  tu  as  à  porter  les  reliques 
des  saints  Martyrs  ;  et  moi,  malheureuse  pécheresse,  je  t'attends  bientôt. 
Que  le  Seigneur,  le  Dieu  de  l'univers,  qui  a  daigné  prendre  pour  nous  la 
forme  d'esclave  et  verser  son  sang  pour  le  salut  du  genre  humain,  envoie 
son  ange  devant  toi,  qu'il  dirige  tes  pas  dans  sa  miséricordieuse  bonté  et 
qu'il  accomplisse  mon  désir,  sans  égard  à  mes  crimes  ». 

Boniface  partit  donc,  et,  sur  la  route,  il  se  disait  à  lui-même  :  «  Il  est 
juste  que  je  ne  goûte  pas  même  aux  viandes  et  que  je  ne  boive  pas  de  vin, 
puisque,  malgré  mon  indignité  et  mes  crimes,  je  dois  porter  les  reliques 
des  saints  Martyrs  ».  Puis,  levant  les  yeux  au  ciel,  il  priait  ainsi  :  «  Sei- 
gneur Dieu  tout-puissant,  Père  de  votre  Fils  unique,  venez  au  secours  de 
votre  serviteur  ;  dirigez  la  voie  par  laquelle  je  dois  marcher,  afin  que  votre 
saint  nom  soit  glorifié  dans  les  siècles  des  siècles.  Amen  » .  Cette  prière  ter- 
minée, il  continuait  sa  route. 

Après  quelques  jours  de  chemin,  Boniface  arriva  dans  la  ville  de  Tarse  : 
il  apprit  qu'à  ce  moment-là  même  les  saints  athlètes  du  Christ  combattaient 
les  glorieux  combats  du  martyre,  et  il  dit  aux  serviteurs  qui  l'avaient  suivi  : 
«  Mes  frères,  allez  chercher  une  hôtellerie,  et  faites-y  reposer  les  bêtes. 
Moi,  je  m'en  vais  visiter  ceux  que  mon  cœur  aime  et  désire  surtout  ren- 
contrer » . 

Il  alla  donc  au  stade  où  combattaient  les  saints  Martyrs  ;  il  les  vit  dans 
les  tortures.  L'un  était  pendu  la  tête  en  bas,  au-dessus  d'un  grand  feu  ; 
l'autre  avait  les  quatre  membres  attachés  à  des  pieux  qui  les  tenaient  vio- 
lemment écartés  ;  celui-ci  était  écrasé  par  des  bourreaux  qui  l'étouffaient  ; 
on  promenait  sur  celui-là  un  fer  tranchant  qui  le  déchirait  ;  à  un  autre  on 
avait  coupé  les  mains  ;  un  autre  encore  avait  la  gorge  traversée  par  un 
pieu  qui  était  fiché  en  terre  ;  un  dernier  enfin,  les  pieds  et  les  mains  atta- 
chés derrière  le  dos,  était  frappé  à  coups  de  bâton  par  les  bourreaux.  Tous 
les  spectateurs,  à  la  vue  de  ces  tourments,  étaient  glacés  d'effroi.  Que 
dis-je  !  l'enfer  était  vaincu,  car  les  serviteurs  du  Christ  combattaient  géné- 
reusement. 

Boniface  s'étant  approché  des  saints  Martyrs,  leur  donna  à  tous  le  bai- 
ser ;  ils  étaient  au  nombre  de  vingt  ;  puis,  élevant  la  voix  :  «  Il  est  grand  », 
s'écria-t-il,  «  le  Dieu  des  chrétiens  ;  il  est  grand  le  Dieu  des  saints  Martyrs! 
Je  vous  en  conjure,  serviteurs  du  Christ,  priez  pour  moi,  afin  que  j'aie  le 
bonheur  de  devenir  le  compagnon  de  votre  gloire,  en  combattant  avec  vous 
contre  le  démon  ».  Puis,  s'asseyant  aux  pieds  des  saints  Martyrs,  il  embras- 
sait leurs  chaînes  et  les  baisait  en  disant  :  a  Courage,  ô  vous,  les  athlètes 
du  Christ  et  ses  Martyrs  ;  combattez,  foulez  aux  pieds  le  démon;  encore  un 
peu  de  patience,  la  peine  ne  sera  pas  longue,  et  le  repos  est  sans  fin.  Les 


522  14  mai. 

tortures  sont  peu  de  chose,  quand  la  récompense  est  éternelle.  Ici-bas  votre 
corps  est  déchiré  par  les  bourreaux,  mais  au  siècle  à  venir  il  sera  servi  par 
les  anges  ». 

Cependant  le  gouverneur,  promenant  ses  regards  sur  la  foule,  aperçut 
Boniface,  et  dit  aussitôt  :  «  Quel  est  cet  homme  qui  ose  parler  ainsi,  et 
nous  vouer  au  mépris,  les  dieux  et  moi?  »  Il  le  fit  amener  devant  son  tri- 
bunal, et  s'adressant  à  lui  :  «  Dis-moi  qui  tu  es,  pour  insulter  à  la  sainteté 
de  mes  jugements  ».  Boniface  répondit  :  «  Je  suis  chrétien,  le  Christ  est 
mon  maître,  et  je  te  méprise,  toi  et  ton  tribunal  ».  Le  gouverneur  dit  : 
«  Quel  est  ton  nom?  »  Boniface  répondit  :  «  Je  l'ai  déjà  dit  :  je  suis  chré- 
tien ;  mais  si  tu  veux  connaître  le  nom  que  le  vulgaire  me  donne,  je  m'ap- 
pelle Boniface  ».  Le  gouverneur  dit  :  «  Avant  que  la  torture  te  déchire  les 
flancs,  approche  et  sacrifie  ».  Boniface  répondit  :  «Je  te  l'ai  déjà  répété 
plusieurs  fois  :  je  suis  chrétien,  et  je  ne  sacrifie  pas  aux  démons.  Si  tu  veux 
me  punir,  frappe  ;  mon  corps  est  dans  tes  mains  ». 

A  ce  discours,  le  gouverneur,  enflammé  de  colère,  le  fit  suspendre,  la 
tête  en  bas,  et  fit  promener  sur  tout  son  corps  les  ongles  de  fer;  on  le  fit 
avec  tant  de  violence  que  toutes  les  chairs  furent  enlevées  et  les  os  mis  à 
nu.  Mais  le  Bienheureux  ne  laissait  pas  échapper  une  parole  ;  ses  regards 
étaient  fixés  immobiles  sur  les  saints  Martyrs.  Le  gouverneur,  enfin,  le  fit 
détacher  et  remettre  sur  ses  pieds  :  et  après  lui  avoir  laissé  une  heure  de 
relâche,  il  lui  dit  de  nouveau  :  «  Sacrifie,  misérable,  et  prends  pitié  de  ton 
âme  ».  Le  Bienheureux  répondit  :  «  Et  toi-même,  trois  fois  misérable,  tu  ne 
rougis  pas  de  me  répéter  sans  cesse  :  Sacrifie  !  Ne  vois-tu  pas  que  le  nom 
seul  de  tes  vaines  idoles  m'est  un  supplice  que  je  ne  puis  tolérer  ?  »  Le  gou- 
verneur, furieux,  ordonna  d'aiguiser  des  roseaux  et  de  les  lui  enfoncer  sous 
les  ongles  des  mains  ;  mais  le  Saint  regarda  le  ciel  et  souffrit  en  silence.  Le 
gouverneur,  indigné  de  le  voir  insensible  à  ces  tourments,  commanda  qu'on 
lui  ouvrît  la  bouche  et  qu'on  lui  versât  du  plomb  fondu.  Alors  le  bienheu- 
reux athlète  du  Christ,  levant  les  yeux  au  ciel,  fit  cette  prière  :  «  Je  vous 
rends  grâces,  Seigneur  Jésus-Christ,  Fils  de  Dieu;  venez  au  secours  de  votre 
serviteur  et  allégez  mes  souffrances  ;  ne  permettez  pas  que  je  sois  vaincu 
par  ce  gouverneur  sacrilège;  vous  savez  que  c'est  pour  votre  nom  que  j'en- 
dure ces  tourments  ».  Et  quand  il  eut  fini  sa  prière,  il  cria  aux  saints  Mar- 
tyrs :  «  Je  vous  en  conjure,  serviteurs  du  Christ,  priez  pour  votre  serviteur  ». 

Les  Saints  lui  répondirent  tous  d'une  voix  :  «  Notre-Seigneur  Jésus- 
Christ  enverra  son  ange  ;  il  te  délivrera  des  mains  de  ce  juge  sacrilège  et 
dans  peu  il  achèvera  ta  course,  pour  inscrire  ton  nom  au  rang  des  premiers- 
nés  ».  Après  qu'ils  eurent  ainsi  prié  et  dit  Amen,  on  entendit  dans  la  foule 
un  long  gémissement  ;  tous  répétaient  en  pleurant  :  «  Il  est  grand,  le  Dieu 
des  chrétiens  !  il  est  grand,  le  Dieu  des  saints  Martyrs!  Christ,  Fils  de  Dieu, 
sauvez-nous  ;  nous  croyons  tous  en  vous  ;  c'est  en  vous  que  nous  cherchons 
notre  refuge  :  anathème  aux  idoles  des  Gentils  ».  En  même  temps,  le  peuple 
entier  courait  à  l'autel,  le  renversait  et  voulait  lapider  le  gouverneur.  Celui-ci 
se  leva,  effrayé  du  tumulte,  et  s'enfuit  devant  l'orage  qui  le  menaçait. 

Mais  le  jour  suivant,  dès  le  matin,  il  était  assis  d-e  nouveau  sur  son  tri- 
bunal, et  se  faisait  amener  le  Saint  devant  lui  :  «  Misérable  »,  lui  dit- il, 
«  d'où  te  vient  cette  folie  de  vouloir  mettre  ton  espérance  dans  un  homme, 
et  un  homme  crucifié  comme  malfaiteur  ?  »  Le  Martyr  lui  répondit  :  «  Tais- 
toi,  et  n'ouvre  pas  tes  lèvres  impies  pour  nommer  Notre-Seigneur  Jésus- 
Christ.  Serpent  cruel,  tu  enveloppes  ton  âme  d'un  voile  ténébreux,  tu  as 
vieilli  dans  les  mauvais  jours  :  anathème  à  toi  !  Si  Jésus-Christ,  mon  maître, 


SAINT  BONIFACE,  MARTYR.  523 

a  supporté  tous  les  tourments,  c'est  qu'il  roulait  sauver  le  genre  humain  ». 
Le  gouverneur,  irrité,  ordonna  qu'on  emplît  de  poix  une  chaudière,  et, 
quand  elle  serait  bouillante,  qu'on  y  jetât  le  Saint,  la  tête  la  première.  Le 
saint  Martyr  du  Christ  y  fut  en  effet  jeté  ;  mais  il  avait  fait  auparavant  le 
signe  de  la  croix.  Un  ange  du  Seigneur  descendit  du  ciel  et  toucha  la  chau- 
dière. Elle  se  fondit  aussitôt  comme  de  la  cire,  à  la  première  impression 
du  feu.  Le  Saint  n'eut  aucun  mal,  mais  plusieurs  des  bourreaux  furent 
brûlés. 

Le  gouverneur,  épouvanté  de  la  puissance  du  Christ,  et  s'étonnant  de  la 
patience  du  saint  Martyr,  le  condamna  à  avoir  la  tête  tranchée  par  l'épée. 
La  sentence  était  conçue  en  ces  termes  :  «  Il  n'a  point  obéi  aux  lois  des 
empereurs;  en  vertu  de  notre  pouvoir,  nous  voulons  qu'il  subisse  la  peine 
capitale  ».  Aussitôt  les  gardes  s'empressèrent  de  l'arracher  du  prétoire. 

Le  saint  Martyr  ayant  fait  de  nouveau  le  signe  de  la  croix,  supplia  les 
bourreaux  de  lui  donner  quelques  instants  pour  prier.  Puis,  se  tenant  de- 
bout vers  l'Orient  :  a  Seigneur  Dieu  tout-puissant  »,  disait-il,  «  Père  de 
Notre-Seigneur  Jésus-Christ,  venez  au  secours  de  votre  serviteur  ;  envoyez 
votre  ange,  et  recevez  mon  âme  dans  la  paix,  afin  que  le  cruel  et  homicide 
serpent,  dans  sa  rage,  ne  m'empêche  pas  d'aller  à  vous  ;  que  je  ne  sois  point 
le  jouet  de  ses  séductions.  Donnez-moi  le  repos  dans  le  chœur  des  saints 
Martyrs,  et  délivrez,  Seigneur,  votre  peuple  des  tribulations  dont  l'acca- 
blent les  impies  ;  car  à  vous  appartiennent  la  gloire  et  la  puissance,  avec 
votre  Fils  unique  et  l'Esprit-Saint,  dans  les  siècles  des  siècles.  Amen  ». 

Quand  il  eut  achevé  cette  prière,  le  bourreau  lui  trancha  la  tête  ;  à 
ce  moment,  la  terre  fut  ébranlée  par  une  si  violente  secousse,  que  tout  le 
monde  s'écriait  :  «  Il  est  grand  le  Dieu  des  chrétiens  !  »  Et  plusieurs  crurent 
au  Seigneur  Jésus-Christ. 

Cependant  les  compagnons  de  Boniface  le  cherchaient  partout  :  et  ne 
l'ayant  point  trouvé,  ils  commencèrent  à  se  dire  les  uns  aux  autres  :  «  Il  est 
maintenant  dans  un  lieu  de  débauche  ou  dans  un  cabaret,  à  mener  joyeuse 
vie,  tandis  que  nous  nous  tourmentons  à  le  chercher  ».  Or,  pendant  qu'ils 
raisonnaient  ainsi,  ils  rencontrèrent  par  hasard  le  frère  du  geôlier,  et  lui 
dirent  :  «  N'avez-vous  pas  vu  un  étranger  venant  de  Rome?  »  Il  leur  dit  : 
«  Hier,  un  étranger  a  été  martyrisé  ;  on  lui  a  coupé  la  tête.  —  Et  où  est-il  ?  » 
reprirent  les  autres.  Il  répondit  :  «  Dans  le  stade  ;  c'est  là  qu'il  a  souffert. 
Mais  quel  aspect  avait-il  ?  »  Ils  dirent  :  «  C'était  un  homme  d'une  forte  sta- 
ture, aux  larges  épaules,  à  la  chevelure  bien  fournie  ;  il  portait  un  manteau 
d'écarlate  ».  Le  frère  du  geôlier  reprit:  «L'homme  que  vous  cherchez  a 
subi  le  martyre  sous  nos  yeux  ».  Ceux-ci  répondirent  :  «  Non,  l'homme  que 
nous  cherchons  est  adonné  au  vin  et  à  la  débauche,  et  il  ne  fait  rien  qui 
puisse  lui  mériter  le  martyre».  L'autre  dit  :  «  Qu'avez-vous  à  craindre? 
Venez  jusqu'au  stade  ;  vous  le  reconnaîtrez  ». 

Ils  le  suivirent  donc  jusqu'au  stade,  où  il  leur  montra  la  dépouille  mor- 
telle de  Boniface,  étendu  sans  vie.  Et  ils  lui  dirent  :  «  Nous  t'en  conjurons, 
montre-nous  sa  tête  ».  Il  les  quitta  aussitôt  et  leur  rapporta  la  tête  du  Mar- 
tyr. Cette  tête  fixa  un  regard  sur  ses  anciens  compagnons,  et,  par  la  vertu 
de  l'Esprit-Saint,  dans  ses  traits  se  peignit  un  sourire.  A  cette  vue,  ses  com- 
pagnons l'ont  reconnu,  ils  pleurent  amèrement,  et  disent  :  a  Ne  vous  sou- 
venez pas  de  notre  péché  et  du  mal  que  nous  avons  dit  contre  vous,  servi- 
teur du  Christ  »;  puis  à  l'officier  :  «  C'est  bien  celui  que  nous  cherchions  ; 
nous  vous  prions  de  nous  le  donner  ».  L'officier  leur  répondit  :  «  Je  ne  puis 
vous   délivrer  gratuitement   ce  cadavre  ».  Les  compagnons  de  Boniface 


524  *2  MAI. 

payèrent  à  l'officier  cinq  cents  pièces  d'argent  et  reçurent,  à  cette  condi- 
tion, le  corps  du  Martyr.  Ils  l'embaumèrent  avec  de  riches  parfums,  et 
l'enveloppèrent  de  linceuls  d'un  grand  prix  ;  puis  ils  le  mirent  sur  une 
litière,  et  reprirent  leur  route  avec  joie,  bénissant  Dieu  de  l'heureuse  fin  du 
saint  Martyr. 

Cependant  un  ange  du  Seigneur  avait  apparu  à  Aglaé,  et  lui  avait  dit  : 
«  Celui  qui  était  ton  esclave  est  à  présent  notre  frère  ;  reçois-le  comme  ton 
maître,  et  donne-lui  un  lieu  de  repos  digne  de  sa  gloire.  Par  lui,  tous  tes 
péchés  te  seront  pardonnes  ».  Aussitôt  Aglaé  s'était  levée  :  elle  avait  pris 
avec  elle  des  clercs  pieux,  et,  tous  ensemble,  chantant  des  prières  et  por- 
tant des  cierges  et  des  parfums,  étaient  venus  au-devant  des  saintes  reliques. 
Elles  furent  déposées  à  cinquante  stades  de  Rome,  en  un  lieu  où  Aglaé  fit 
bâtir  un  oratoire  digne  des  combats  et  du  glorieux  triomphe  du  Martyr. 
Par  la  suite,  les  reliques  de  saint  Boniface  furent  transportées  au  mont 
Aventin,  dans  l'église  qui  porte  le  nom  de  Saint-Alexis.  Les  deux  Saints  sont 
placés  sous  le  même  autel,  le  héros  de  la  virginité  angélique  à  côté  du 
héros  de  la  pénitence,  redevenu  ange  par  le  baptême  du  sang,  angelicatus 
homo. 

Cependant  Aglaé  renonça  au  monde,  elle  distribua  tout  son  bien  aux 
pauvres,  aux  monastères  et  aux  hôpitaux,  affranchit  tous  ses  esclaves  ;  puis, 
avec  quelques-unes  de  ses  filles  qui,  comme  elle,  voulaient  renoncer  au 
siècle,  elle  se  consacra  au  service  du  Christ.  Le  ciel  honora  son  sacrifice; 
elle  reçut  du  Seigneur  le  pouvoir  de  chasser  les  démons  et  de  guérir,  par 
ses  prières,  toute  espèce  d'infirmités.  Elle  vécut  ainsi  dans  les  exercices 
de  la  vie  chrétienne  pendant  treize  ans,  au  bout  desquels  elle  s'endormit 
en  paix. 

Tels  sont  les  actes  des  combats  qui  ont  mérité  la  couronne  de  la  victoire 
à  l'illustre  martyr  Boniface,  pour  la  gloire  du  Père  et  du  Fils  et  de  l'Esprit- 
Saint,  dans  les  siècles  des  siècles.  Amen. 

Le  Ménologe  grec  représente  la  décapitation  de  saint  Boniface.  L'attribut 
de  sainte  Aglaé  pourrait  être  un  collier  de  perles  qu'elle  foule  aux  pieds. 

Acta  Sanctorum,  14  mal. 


SAINT  PACOME,  ABBE 


292-348.  —  Papes  :  Saint  Caïus;  saint  Jules  Ier.  —  Empereurs  :  Dioctétien  et  Maximien; 
Constantin  II,  Constance  II,  Constant. 


L'obéissance  est  le  premier  degré  de  l'humilité. 
Règle  de  saint  Benoit. 

Pacôme  naquit  en  292,  dans  la  Haute-Thébaïde,  au  sein  de  l'idolâtrie, 
comme  une  rose  au  milieu  des  épines  :  car  ses  parents  eurent  beau  l'élever 
dans  les  superstitions  du  paganisme,  il  en  eut  comme  une  horreur  instinc- 
tive. Son  estomac  ne  pouvait  supporter  le  vin  offert  aux  idoles.  Un  jour, 
que  ses  parents  l'avaient  conduit  aux  sacrifices  que  l'on  faisait  pour  obtenir 
des  oracles,  sa  présence  empêcha  les  démons  de  parler. 

A  l'âge  de  vingt  ans  il  fut  enrôlé  dans  les  troupes  impériales.  On  l'em- 


SAINT  PACÔME,  ABBÉ.  525 

barqua,  avec  d'autres  soldats,  sur  un  vaisseau  qui  descendait  le  Nil.  Le  soir, 
ils  arrivèrent  à  Thèbes  ou  Diospolis,  capitale  de  la  Thébaïde.  Il  y  avait  dans 
cette  ville  un  grand  nombre  de  chrétiens.  Ces  vrais  disciples  de  Jésus-Christ, 
qui  cherchaient  toutes  les  occasions  de  consoler  et  d'assister  ceux  qui 
étaient  dans  la  misère,  eurent  pitié  des  nouveaux  soldats  que  l'on  tenait 
étroitement  enfermés,  et  que,  d'ailleurs,  on  traitait  fort  mal  :  ils  leur  pro- 
diguèrent les  mêmes  soins  qu'ils  eussent  prodigués  à  leurs  propres  enfants  ; 
ils  leur  distribuèrent  tous  les  secours  qui  dépendirent  d'eux.  Pacôme  ne 
comprit  rien  à  une  pareille  charité  :  il  demanda  quels  étaient  ces  gens  si 
hospitaliers,  et  qui  les  poussait  à  être  si  bons  envers  des  étrangers.  On  lui 
dit  que  c'étaient  des  chrétiens,  c'est-à-dire  des  personnes  qui  croyaient  en 
Jésus-Christ,  fils  unique  de  Dieu,  et  s'appliquaient  à  faire  tout  le  bien  pos- 
sible aux  autres,  surtout  aux  étrangers,  pour  en  être  récompensés  dans  une 
autre  vie.  Le  jeune  soldat  sentit  naître  dans  son  cœur  de  l'amour  pour  une 
religion  si  sainte  ;  la  grâce  l'éclairant,  le  touchant,  son  âme  se  dégagea  peu 
à  peu  des  pensées  terrestres  ;  il  fit  cette  prière  :  «  0  mon  Dieu,  créateur 
du  ciel  et  de  la  terre,  jetez  sur  moi  un  regard  de  pitié  ;  délivrez-moi  de  mes 
misères  ;  enseignez-moi  le  moyen  de  me  rendre  agréable  à  vos  yeux  :  tout 
mon  désir  et  toute  mon  étude  seront  de  vous  servir  et  d'accomplir  votre 
sainte  volonté».  A  partir  de  ce  jour,  lorsqu'il  se  sentait  attiré  par  les 
attraits  de  la  volupté,  il  résistait  à  cette  tentation,  en  se  souvenant  qu'il 
avait  promis  à  Dieu  de  se  consacrer  à  son  service.  La  guerre  finie,  et  les 
soldats  égyptiens  congédiés,  Pacôme  retourna  en  son  pays.  Il  se  retira  dans 
un  bourg  de  la  Thébaïde,  où  les  chrétiens  avaient  une  église.  Là,  il  se  mit 
au  nombre  des  catéchumènes,  et  peu  de  temps  après  reçut  la  grâce  du 
baptême.  Une  vision,  où  il  lui  sembla  qu'une  rosée  céleste  tombait  sur  lui, 
lui  montra  les  effets  de  ce  sacrement  et  lui  inspira  le  plus  vif  désir  de  se 
consacrer  à  Dieu.  Ayant  appris  qu'un  vieillard,  nommé  Palémon,  servait 
Dieu  dans  le  fond  du  désert,  il  alla  aussitôt  le  trouver  et  le  pria  de  le  rece- 
voir comme  son  disciple. 

Le  solitaire  lui  représenta  que  la  vie  qu'il  menait  était  dure  et  pénible, 
et  que  plusieurs  avaient  déjà  tenté  inutilement  de  la  suivre.  Il  lui  conseilla 
ensuite  de  faire  l'essai  de  ses  forces  et  de  sa  ferveur  dans  quelque  monas- 
tère ;  et  pour  lui  montrer  qu'il  n'était  pas  capable  actuellement  de  vivre 
avec  lui,  il  lui  dit  :  «  Considérez,  mon  fils,  que  du  pain  et  du  sel  font  toute 
ma  nourriture  ;  l'usage  du  vin  et  de  l'huile  m'est  inconnu.  Je  passe  la  moitié 
de  la  nuit  à  chanter  des  psaumes  ou  à  méditer  les  saintes  Ecritures.  Quel- 
quefois il  m'arrive  d'être  la  nuit  entière  sans  dormir  ».  Pacôme  fut  étonné, 
mais  non  pas  découragé.  Il  répondit  qu'il  se  sentait  assez  de  force  pour 
entreprendre  tout  ce  qui  pourrait  contribuer  à  sa  sanctification,  et  en  même 
temps  il  promit  au  vieillard  de  faire  ce  qu'il  lui  ordonnerait.  Palémon, 
charmé  de  cette  réponse,  ne  balança  plus  ;  il  le  reçut  et  lui  donna  l'habit 
de  solitaire.  Ils  menèrent  ensemble  la  vie  érémitique,  c'est-à-dire  une  vie 
de  pénitence  et  de  prière  ;  ils  y  joignaient  le  travail  des  mains,  afin  de  ga- 
gner de  quoi  vivre  et  assister  les  pauvres. 

Pacôme,  dans  son  oraison,  qui  était  continuelle,  demandait  surtout  une 
parfaite  pureté  de  cœur,  afin  qu'étant  entièrement  détaché  des  créatures, 
il  aimât  Dieu  de  toutes  ses  affections.  Pour  étouffer  jusqu'au  germe  des 
passions,  il  se  forma,  avant  tout,  à  la  pratique  de  l'humilité,  de  la  patience 
et  de  la  douceur.  Souvent  il  priait  les  bras  placés  l'un  sur  l'autre  en  forme 
de  croix,  posture  qui  était  alors  fort  en  usage  dans  l'Eglise.  Au  commen- 
cement, il  était  sujet  à  s'assoupir  pendant  l'office  de  la  nuit.  Palémon 


526  14  MAT. 

le  réveillait  par  ces  paroles  :  «  Veillez  et  priez,  mon  cher  Pacôme,  de  peur 
que  l'ennemi  ne  triomphe  de  vous  et  ne  vous  enlève  tout  le  fruit  de  vos 
travaux  ».  Il  lui  ordonnait  encore  quelquefois  de  transporter  du  sable  d'un 
lieu  à  un  autre,  jusqu'à  ce  que  l'envie  de  dormir  fut  entièrement  passée. 
C'était  ainsi  que  le  jeune  novice  se  fortifiait  dans  l'habitude  de  veiller.  Il 
avait  soin  encore  de  s'appliquer  tout  ce  qu'il  lisait  ou  entendait  lire  d'édi- 
fiant, et  d'en  faire  la  règle  de  sa  conduite. 

Palémon  lui  dit  un  jour  de  Pâques  de  préparer  à  dîner.  Pacôme,  ayant 
égard  à  la  grandeur  de  la  solennité,  assaisonna  d'un  peu  d'huile  et  de  sel  les 
herbes  sauvages  qu'ils  devaient  manger  avec  leur  pain.  Palémon  fit  sa 
prière  et  se  mit  à  table  ;  mais  à  la  vue  de  l'huile,  il  se  frappa  le  front,  en. 
disant  avec  larmes  :  «  Mon  sauveur  a  été  crucifié,  et  je  me  flatterais  au 
point  de  manger  de  l'huile  ?  »  Il  ne  put  jamais  se  résoudre  à  en  goûter. 

Pacôme  allait  quelquefois  dans  un  vaste  désert  nommé  Tabenne,  et 
situé  sur  les  bords  du  Nil1.  Un  jour  qu'il  y  faisait  son  oraison,  il  enten- 
dit une  voix  qui  lui  ordonnait  de  bâtir,  à  l'endroit  où  il  était,  un  monas- 
tère destiné  à  recevoir  tous  ceux  qui  y  seraient  envoyés  de  Dieu  pour  le 
servir  fidèlement.  Vers  le  même  temps,  un  ange  lui  donna,  les  uns  disent 
de  vive  voix,  les  autres  par  écrit,  la  Règle  que  devaient  suivre  ses  religieux, 
appelés  depuis  Tabennites.  Etant  retourné  vers  Palémon,  il  lui  fit  part  de 
ce  qui  lui  était  arrivé.  Ils  se  rendirent  l'un  et  l'autre  à  Tabenne,  et  y  bâti- 
tirent  une  petite  cellule,  vers  l'an  325,  environ  vingt  ans  après  que  saint 
Antoine  eut  fondé  son  premier  monastère.  Au  bout  de  quelque  temps, 
Palémon  retourna  dans  sa  solitude  et  promit  à  son  disciple  de  venir  le  voir 
chaque  année  ;  mais  il  y  mourut  peu  de  temps  après.  Il  est  nommé  au  Mar- 
tyrologe romain  sous  le  14  janvier. 

Le  premier  disciple  qu'eut  saint  Pacôme,  fut  Jean,  son  frère  aîné.  Celui- 
là  étant  mort,  il  lui  en  vint  beaucoup  d'autres,  de  sorte  qu'il  fut  obligé 
d'agrandir  son  monastère.  Il  se  vit  en  peu  de  temps  à  la  tête  de  cent 
moines.  Il  portait  presque  toujours  un  cilice.  Il  fut  quinze  ans  sans  se  cou- 
cher, s'asseyant  sur  une  pierre  pour  prendre  le  peu  de  repos  qu'il  accordait 
à  la  nature  ;  encore  se  reprochait-il  le  court  espace  que  lui  emportait  le 
sommeil.  Il  eût  voulu  vaquer  sans  interruption  aux  saints  exercices  de 
l'amour  divin.  Depuis  sa  conversion,  il  n'avait  jamais  fait  un  repas  entier. 

Par  la  Règle  qu'il  donna  à  ses  disciples,  le  jeûne  et  le  travail  étaient  pro- 
portionnés aux  forces  de  chacun.  Ils  mangeaient  en  commun  et  en  silence, 
ayant  au  réfectoire  la  tête  couverte  de  leur  capuchon,  afin  qu'ils  ne  pus- 
sent se  voir.  Ce  capuchon  était  fait  de  grosse  toile,  ainsi  que  leur  tunique 
qui  n'avait  point  de  manches.  Ils  se  couvraient  les  épaules  d'une  peau  de 
chèvre  blanche,  à  laquelle  ils  donnaient  le  nom  de  mélote.  Ils  communiaient 
régulièrement  le  premier  et  le  dernier  jour  de  la  semaine.  Les  novices 
étaient  sévèrement  éprouvés  avant  de  prendre  l'habit,  cérémonie  qu'on  re- 
gardait alors  comme  profession  monastique  et  qui  était  suivie  de  l'émission 
des  vœux.  Saint  Pacôme  n'envoyait  aux  ordres  aucun  de  ses  religieux  ;  et 
ses  monastères  étaient  souvent  desservis  par  des  prêtres  du  dehors.  Il  rece- 
vait toutefois  les  prêtres  qui  demandaient  l'habit,  et  leur  faisait  exercer  les 
fonctions  du  ministère.  Tous  travaillaient  ;  mais  il  y  avait  diverses  espèces 
de  travaux.  Il  n'y  avait  pas  un  seul  instant  qui  ne  fût  occupé.  On  pre- 
nait un  grand  soin  des  malades  ;  saint  Pacôme  les  consolait  et  les  ser- 
vait lui-même.  La  loi  du  silence  était  si  rigoureuse,  que  quand  un  moine 
avait  besoin  de  quelque  chose,  il  ne  pouvait  le  demander  que  par  signes. 

1.  Au  diocèse  do  Teatyrs  ou  Deaderaa,  ville  située  entre  la  grande  et  la  petite  Uiospolis. 


SAINT  PACÔME,  ABBÉ.  527 

Lorsqu'on  allait  d'un  lieu  à  un  autre,  on  méditait  sur  quelque  passage  de 
l'Ecriture,  et  on  psalmodiait  même  en  travaillant.  Quand  la  mort  enlevait 
un  des  frères,  tous  les  autres  sollicitaient  la  miséricorde  divine  en  sa  fa- 
veur ;  on  offrait  aussi  le  saint  sacrifice  de  la  messe  pour  le  repos  de  son 
âme.  Les  personnes  d'une  santé  faible  n'étaient  point  exclues  du  monastère  ; 
le  saint  abbé  recevait  tous  ceux  qui  donnaient  de  vraies  marques  de  voca- 
tion et  qui  montraient  un  grand  désir  de  marcher  dans  la  voie  des  conseils 
évangéliques  *. 

Pacôme  bâtit  six  autres  monastères  dans  la  Thébaïde,  mais  à  peu  de 
distance  les  uns  des  autres.  En  338,  il  choisit  pour  le  lieu  de  sa  résidence 
celui  de  Pabau,  situé  dans  la  province  de  Diospolis  et  sur  le  territoire  de  la 
ville  de  Thèbes.  Ce  monastère  devint  encore  plus  nombreux  et  plus  célèbre 
que  celui  de  Tabenne.  Le  Saint,  par  le  conseil  de  Sérapion,  évoque  de 
Tentyre,  bâtit  aussi  une  église  dans  un  village  voisin,  en  faveur  des  pauvres 
occupés  à  la  garde  des  troupeaux.  Il  y  fit  quelque  temps  l'office  de  catéchiste. 
Rien  n'était  plus  admirable  que  la  piété  avec  laquelle  il  lisait  au  peuple  la 
parole  de  Dieu.  La  conversion  de  plusieurs  infidèles  fut  le  fruit  de  son  zèle. 
Son  évêque  voulut  inutilement  l'ordonner  prêtre  ;  son  humilité  lui  fit  tou- 
jours refuser  l'honneur  du  sacerdoce. 

Saint  Athanase  avait  un  grand  respect  pour  saint  Pacôme,  et  il  vint  le 
visiter  à  Tabenne,  en  333.  Pacôme,  de  son  côté,  révérait  singulièrement 
cet  évêque,  non-seulement  à  cause  de  ses  éminentes  vertus,  mais  encore  à 
cause  de  son  attachement  à  la  foi.  Il  avait,  comme  lui,  beaucoup  d'horreur 
pour  les  hérésies,  et  il  s'opposa  dans  toutes  les  occasions  aux  progrès  de 
ï'Arianisme. 

Pacôme  avait  une  sœur  qui,  aspirant  aussi  à  la  perfection,  était  venue 
le  voir  en  ce  monastère  :  il  lui  envoya  dire  à  la  porte  que  les  femmes  ne 
pouvaient  entrer  et  qu'il  devait  lui  suffire  de  savoir  qu'il  vivait  encore.  Ce- 
pendant, lorsqu'il  eut  appris  qu'elle  désirait  se  consacrer  à  Dieu,  il  lui  fit 
bâtir,  de  l'autre  côté  du  Nil,  un  monastère  qui  fut  bientôt  rempli  de  vierges 
zélées  pour  la  pratique  de  toutes  les  vertus.  Rien  de  plus  grave,  de  plus 
saint,  de  plus  touchant  à  la  fois  que  les  relations  entre  ces  religieux  et  ces 
religieuses.  Personne  n'allait  visiter  ces  dernières  sans  permission,  excepté 
le  prêtre  et  le  diacre  destinés  à  les  servir,  et  qui  n'y  allaient  que  les  di- 
manches. Les  religieux  qui  avale**  quelques  parents  dans  cette  commu- 
nauté, obtenaient  la  permission  de  les  visiter,  accompagnés  d'un  autre  re- 
ligieux des  plus  anciens  et  des  plus  saints.  Ils  voyaient  d'abord  la  supérieure, 
et  ensuite  leurs  parentes  en  présence  de  la  supérieure  et  des  principales 
religieuses,  sans  lui  faire  ni  en  recevoir  aucun  présent,  et  sans  manger  en 
ce  lieu.  Quand  il  y  avait  quelque  construction  à  faire  chez  les  religieuses, 
ou  quelque  autre  service  à  leur  rendre,  les  religieux  y  venaient,  conduits 
par  quelqu'un  des  plus  sages  et  des  plus  graves  ;  mais  jamais  ils  ne  man- 
geaient ni  ne  buvaient  chez  elles,  revenant  toujours  à  leur  monastère  à 
l'heure  du  repas.  L'abbé  envoyait  aux  religieuses  du  lin  et  de  la  laine,  dont 
elles  faisaient  les  étoffes  nécessaires  pour  elles  et  pour  les  religieux.  Quand 
une  religieuse  mourait,  ses  sœurs  apportaient  le  corps  jusqu'à  un  certain 
endroit,  où  les  religieux,  en  chantant,  venaient  le  prendre,  puis  ils  allaient 
l'enterrer  sur  la  montagne  où  était  leur  cimetière. 

L'obéissance  était  la  vertu  que  Pacôme  conseillait  le  plus  à  ses  religieux.  Il 
déposa  deux  procureurs  de  leur  office,  l'un  parce  qu'ayant  trouvé  du  blé  à 
bon  marché,  il  en  avait  acheté  plus  qu'il  ne  lui  avait  commandé  ;  l'autre 

1.  Saint  Jérôme  donua  une  traduction  latine  de  la  règle  de  saint  Pacôme,  que  nous  «Tons  encore. 


528  14  mai. 

parce  qu'il  avait  vendu  des  nattes  plus  cher  qu'il  n'en  avait  reçu  l'ordre. 
Dieu  fît  des  miracles  pour  justifier  cette  conduite  du  Saint.  Ayant  remarqué 
qu'un  figuier  tentait  les  religieux  par  ses  beaux  fruits,  Pacôme  ordonna  de 
le  détruire  ;  néanmoins  le  jardinier,  à  force  de  supplications,  obtint  la 
révocation  de  cet  ordre  ;  mais  un  jour  le  figuier  fut  trouvé  mort. 

Il  s'efforça  aussi  de  maintenir  dans  sa  communauté  la  pratique  de  la 
patience  et  de  l'humilité.  Théodore,  l'un  de  ses  plus  chers  disciples,  qui 
lui  succéda  après  sa  mort  dans  le  gouvernement  de  ses  monastères,  était 
tourmenté  d'un  mal  de  tête  continuel.  Quelques  frères  ayant  sollicité 
Pacôme  de  demander  à  Dieu  sa  guérison,  il  répondit  :  «  Il  est  vrai  que 
l'abstinence  et  la  prière  sont  bien  méritoires,  mais  la  patience  dans  les 
maladies  l'est  infiniment  davantage  ». 

Un  moine  fit  un  jour  le  double  de  son  ouvrage  ordinaire,  deux  nattes 
au  lieu  d'une,  et  les  mit  dans  un  lieu  où  il  savait  qu'elles  seraient  aperçues 
par  l'abbé.  Pacôme  les  aperçut  en  effet,  et  devinant  le  motif  du  frère  : 
«  Voilà  »,  dit-il,  «  bien  du  travail  et  des  peines  pour  le  démon  ».  Il  réprima 
ensuite  cette  vanité  par  des  humiliations  salutaires.  Le  religieux  fut  encore 
condamné  à  garder  sa  cellule  pendant  cinq  mois,  sans  autre  nourriture 
qu'un  peu  de  pain,  de  sel  et  d'eau. 

Excepté  cet  article  d'obéissance,  pour  lequel  saint  Pacôme  était  inexo- 
rable, parce  que  c'est  le  soutien  de  l'état  religieux,  il  avait  en  toute  autre 
chose  beaucoup  de  douceur  et  de  condescendance  à  supporter  les  faiblesses 
et  les  défauts  de  ses  frères.  Un  religieux,  appelé  Sylvain,  ayant  repris,  peu 
de  temps  après  son  entrée  dans  le  monastère,  les  manières,  le  langage  et 
les  goûts  du  monde,  scandalisait  toute  la  communauté;  les  plus  anciens 
supplièrent  le  saint  abbé  de  lui  ôter  l'habit  religieux  et  de  le  faire  sortir  du 
monastère.  Mais  saint  Pacôme  fit  tant  par  ses  prières  auprès  de  Dieu  et  par 
ses  douces  et  charitables  remontrances,  que  ce  religieux  devint  le  meilleur 
de  la  communauté,  car  il  eut  le  don  des  larmes  l'espace  de  huit  ans,  et 
mourut  comme  un  Saint.  Pacôme  protesta  à  tous  les  religieux  qu'il  avait 
vu  son  âme  monter  au  ciel,  accompagnée  d'une  multitude  innombrable 
d'esprits  bienheureux. 

La  mère  d'un  jeune  novice,  appelé  Théodore,  étant  venue  au  monastère 
pour  en  faire  sortir  son  fils,  en  vertu  de  certaines  lettres  qu'elle  avait 
obtenues  de  quelques  évoques,  saint  Pacôme  dit  simplement  à  ce  religieux 
qu'il  allât  trouver  sa  mère,  puisque  ica  prélats  l'ordonnaient  ainsi.  Théo- 
dore lui  repartit  :  a  Assurez-moi  donc,  mon  père,  que  je  ne  serai  pas 
repris  au  jugement  de  Dieu  de  cette  visite  que  j'irai  faire  à  ma  mère  ».  Le 
saint  abbé,  satisfait  de  ces  paroles,  ne  pressa  pas  davantage  son  novice,  et 
cette  résolution  du  fils  profita  si  bien  à  la  mère,  qu'elle  se  fit  elle-même 
religieuse.  Théodore  mena  une  vie  si  fervente  et  si  sainte,  qu'il  a  mérité 
d'être  mis,  après  sa  mort,  au  nombre  des  saints,  dans  le  Ménologe  des 
Grecs,  le  15  de  ce  mois. 

Un  autre  religieux,  brûlant  d'un  zèle  indiscret  de  souffrir  le  martyre, 
pria  saint  Pacôme  de  lui  en  procurer  l'occasion.  L'abbé  fit  ce  qu'il  put  pour 
lui  ôter  cette  pensée  ;  il  lui  exposa  que  c'était  une  pure  tentation,  puisque 
l'Eglise,  jouissant  alors  de  la  paix,  il  ne  fallait  pas  souhaiter  qu'elle  fût 
troublée  par  les  persécutions;  néanmoins,  voyant  que  ce  religieux  con- 
tinuait à  lui  faire  les  mêmes  instances,  il  lui  dit  enfin  qu'il  le  satisferait, 
pourvu  qu'il  eût  le  courage  du  martyre  quand  l'occasion  s'en  présenterait. 
Deux  jours  après,  il  l'envoya  chercher  du  bois  dans  la  forêt,  après  lui  avoir 
réitéré  ses  avertissements.  Ce  téméraire  y  alla,  plein  d'une  présomption  qui 


SAINT  PACÔME,   ABBÉ.  529 

se  changea  bientôt  en  une  lâche  infidélité  ;  car  des  sauvages,  qui  demeu- 
raient sur  des  montagnes  voisines  et  sacrifiaient  encore  aux  idoles,  l'ayant  fait 
prisonnier,  il  fit  bien  paraître  d'abord  quelque  résolution  de  vouloir  souffrir 
et  mourir  pour  Jésus-Christ  ;  mais  quand  il  les  vit  prendre  les  armes  et  l'en 
menacer,  il  se  rendit  aussitôt  et  mangea  de  ce  qui  avait  été  immolé  aux 
idoles.  Il  échappa,  par  ce  moyen,  de  leurs  mains  :  mais  il  fut  saisi  d'un  si 
grand  trouble  de  conscience,  qu'il  était  près  de  tomber  dans  le  désespoir, 
si  la  douceur  paternelle  du  saint  abbé  n'eût  arrêté  ses  larmes  et  n'eût  relevé 
son  courage  par  l'imposition  d'une  salutaire  pénitence. 

Les  esprits  des  ténèbres  attaquèrent  et  tourmentèrent  saint  Pacôme  par 
tous  les  artifices  qu'ils  emploient  contre  les  grands  saints.  Ils  entreprirent 
d'abord  de  lui  inspirer  de  la  vanité  :  lorsqu'il  sortait  de  la  prière,  ils  venaient 
en  troupe,  sous  des  figures  humaines,  au-devant  de  lui,  et,  faisant  semblant 
de  l'applaudir,  ils  se  disaient  l'un  à  l'autre  :  «  Place,  place  à  l'homme  de 
Dieu  !  »  D'autres  fois,  pendant  son  oraison,  ils  se  présentaient  à  lui  en  des 
postures  ridicules,  afin  de  le  distraire  et  de  l'exciter  à  rire,  et,  quand  il 
prenait  sa  réfection,  ils  lui  apparaissaient  sous  la  forme  de  jeunes  personnes 
immodestes  qui  le  priaient  de  les  recevoir  à  sa  table.  Mais  quoi  que  pussent 
faire  les  démons,  ils  ne  gagnèrent  jamais  rien  contre  ce  serviteur  de  Jésus- 
Christ;  il  conserva  toujours  la  même  gravité,  le  même  calme,  le  même 
recueillement,  également  insensible  à  leurs  louanges,  à  leurs  singeries,  à 
leurs  séductions.  Ils  l'attaquèrent  alors  ouvertement,  et  souvent  ils  le  fouet- 
tèrent avec  tant  de  cruauté,  qu'ils  laissèrent  son  corps  tout  couvert  de 
plaies.  Un  bon  religieux,  nommé  Apollo,  qui  le  venait  voir,  fut  témoin  de 
ces  sanglantes  exécutions  ;  mais  il  l'encouragea  et  l'excita  à  la  persévérance, 
l'assurant,  de  la  part  de  Dieu,  que  l'orage  cesserait  bientôt,  ainsi  qu'il 
arriva.  Dieu  lui  donna  même  un  grand  pouvoir  sur  les  démons,  ainsi  que 
sur  les  maladies.  Un  pauvre  père  lui  amena  une  de  ses  filles,  cruellement 
tourmentée  par  un  des  esprits  infernaux  ;  mais,  comme  il  n'était  point 
permis  aux  femmes  d'entrer  dans  le  couvent,  saint  Pacôme  demanda  quel- 
qu'un des  habits  de  la  possédée  pour  le  bénir  ;  puis  ayant  su,  par  révélation, 
que  sa  conscience  était  en  mauvais  état,  il  l'en  fit  avertir,  et,  après  lui  avoir 
fait  promettre  de  se  corriger,  il  la  guérit  avec  un  peu  d'huile  bénite  qu'il 
lui  envoya.  Il  délivra  aussi  un  jeune  possédé  en  lui  faisant  manger  un 
morceau  de  pain  bénit.  Une  femme,  affligée  d'un  flux  de  sang,  supplia  un 
bon  prêtre,  nommé  Denis,  d'attirer,  par  occasion,  le  saint  abbé  dans  son 
église.  Pacôme  y  alla,  et  cette  malade  s'étant  approchée  doucement  de  lui, 
et  ayant  touché  avec  une  grande  foi  le  bord  de  sa  robe,  à  l'exemple  de 
l'hémorrhoïsse  de  l'Evangile,  elle  se  trouva  aussitôt  guérie.  Un  de  ses  reli- 
gieux ayant  été  piqué  d'un  scorpion  durant  sa  prière,  sans  néanmoins  l'in- 
terrompre, fut  semblablement  guéri,  dès  qu'il  eut  demandé  la  santé  au  saint 
abbé. 

La  grâce  de  guérir  les  malades  n'a  pas  été  la  seule  dont  Dieu  ait  favorisé 
saint  Pacôme  ;  il  avait  encore  le  don  de  prophétie,  et  celui  de  pénétrer  les 
secrets  du  cœur.  S'entretenant  un  jour  avec  l'abbé  Théodore,  il  l'avertit 
que  les  frères  chargés  de  la  boulangerie,  qui  étaient  obligés  de  garder  le 
silence,  et  de  s'entretenir  de  saintes  pensées  pendant  qu'ils  faisaient  les 
pains  destinés  au  saint  sacrifice  de  la  messe,  s'amusaient  néanmoins  à  cau- 
ser :  on  vérifia  cette  infraction,  qui  était  réelle,  et  elle  ne  demeura  pas  sans 
punition.  Une  autre  fois,  il  donna  avis  au  Père  Vicaire  qu'un  religieux,  qui 
dormait  en  sa  cellule  pendant  l'exhortation,  éprouvait  une  violente  tenta- 
tion ;  en  effet,  il  y  succomba,  et  quitta  aussitôt  l'habit  et  la  profession  reli- 
Vies  des  Saints.  —  Tome  V.  34 


530  M  mai; 

gieuse.  Dieu  lui  fit  connaître,  dans  une  vision,  l'état  à  venir  de  son  Ordre  : 
que  plusieurs  s'y  relâcheraient  de  l'étroite  observance  ;  les  imparfaits  s'y 
étant  rendus  les  maîtres,  on  ne  remplirait  plus  les  charges  que  par  politique 
et  par  respect  humain,  et  non  par  la  considération  des  mérites  et  de  la 
capacité  des  personnes  ;  les  meilleurs  religieux  et  les  plus  dignes  en  étant 
exclus,  tout  irait  en  décadence  et  tomberait  dans  un  grand  désordre. 
Comme  le  saint  homme  s'affligeait  extrêmement  de  tant  de  malheurs, 
Notre-Seigneur  lui  apparut  avec  une  couronne  d'épines  sur  la  tête,  et  le 
consola.  Pacôme  en  fit  part  depuis  à  ses  religieux,  dans  une  longue  et 
pathétique  exhortation  qu'il  leur  fit  à  ce  sujet. 

On  pourrait  ajouter  à  ces  deux  grâces  gratuites,  celle  du  don  des  lan- 
gues :  un  religieux  d'Italie  l'étant  allé  trouver  pour  lui  découvrir  l'état  de 
sa  conscience,  le  saint  abbé  ne  le  pouvait  entendre,  parce  qu'il  ne  savait 
que  sa  langue  maternelle,  qui  était  celle  d'Egypte  ;  il  eut  recours  à  Dieu, 
et  lui  fit  cette  prière  :  «  Seigneur,  si,  faute  de  savoir  les  langues,  je  ne  puis 
aider  les  étrangers,  pourquoi  me  les  envoyez-vous  ?  Et  s'il  vous  plaît  que  je 
les  serve,  donnez-moi  ce  qui  m'est  nécessaire  pour  exécuter  votre  volonté  ». 
Il  continua  cette  oraison  l'espace  de  trois  heures  ;  et  à  la  fin,  il  reçut  du 
ciel  une  pleine  intelligence  et  un  parfait  usage  de  la  langue  grecque  et  de 
la  langue  latine. 

Ainsi,  Pacôme  obtenait  des  miracles,  non-seulement  pour  les  autres, 
mais  encore  pour  lui-même.  Il  marchait  sur  les  serpents  et  foulait  aux 
pieds  les  scorpions,  sans  en  recevoir  aucun  mal  ;  et  lorsqu'il  lui  fallait  tra- 
verser quelque  bras  du  Nil,  pour  visiter  ses  monastères,  les  crocodiles  se 
présentaient  à  lui  et  le  passaient  sur  leur  dos.  Enfin,  toute  sa  vie  n'a  été 
qu'un  miracle  continuel.  En  effet,  n'est-ce  pas  une  chose  merveilleuse 
d'avoir  vécu  si  longtemps,  presque  sans  manger,  et  absolument  sans  dor- 
mir ;  car,  durant  les  tentations  dont  nous  avons  parlé,  il  demanda  la  grâce 
à  Notre-Seigneur  de  n'être  point  sujet  au  sommeil,  afin  d'être  incessamment 
sous  les  armes  pour  combattre  l'ennemi.  Ce  qui  n'est  pas  moins  merveilleux, 
c'est  l'humilité  avec  laquelle  ce  vénérable  vieillard  recevait  les  remon- 
trances des  moindres  novices.  Un  jour  qu'il  visitait  ses  monastères  et  tra- 
vaillait aux  nattes  avec  les  autres,  un  jeune  frère,  s'aperce vant  que  saint 
Pacôme  ne  les  tressait  pas  selon  la  méthode  ordinaire,  lui  dit  librement  : 
«  Mon  père,  vous  ne  faites  pas  bien  ;  l'abbé  Théodore  le  veut  d'une  autre 
façon.  —  Eh  bien  donc  !  mon  enfant,  lui  repartit  doucement  le  Saint,  mon- 
trez-moi comment  il  faut  le  faire  ».  Et,  l'ayant  appris,  il  changea  sa  manière 
de  travailler. 

L'an  348,  la  peste  ravagea  les  monastères  de  saint  Pacôme,  et  lui  enleva 
cent  religieux.  Il  tomba  lui-même  malade  après  la  fête  de  Pâques  ;  il  était 
extrêmement  exténué  et  affaibli  ;  mais  son  visage  demeura  toujours  gai  et 
comme  brillant  d'une  sainte  joie,  qui  faisait  assez  connaître  la  candeur  et 
la  pureté  de  son  âme.  Deux  jours  avant  son  décès,  il  exhorta  ses  religieux  à 
la  persévérance  et  à  la  pratique  de  ce  qu'il  leur  avait  enseigné.  Il  les  avertit 
surtout  de  fuir  les  hérétiques,  particulièrement  les  Ariens,  les  Méléciens  et 
les  Origénistes,  et  de  ne  converser  qu'avec  des  personnes  dont  l'entretien 
les  pût  édifier  et  porter  à  la  perfection.  Enfin,  il  les  exhorta  aussi  à  élire 
pour  leur  supérieur,  en  sa  place,  un  saint  religieux  appelé  Pétronius,  à  qui 
il  recommanda,  bien  qu'il  fût  absent,  toute  la  compagnie;  ensuite  il 
aperçut  son  ange  gardien  auprès  de  lui,  et,  après  l'avoir  contemplé  d'un 
œil  tout  rempli  d'allégresse,  il  fit  le  signe  de  la  croix  et  rendit  sa  belle  âme 
à  Dieu  le  14  mai  de  l'an  348.  Ses  disciples  passèrent  la  nuit  dans  le  chant 


SAINT  PASCAL  i",  PAPE.  531 

continuel  des  psaumes  et  des  hymnes,  et  l'enterrèrent  le  jour  suivant  sur  la 
montagne,  comme  il  l'avait  ordonné. 

On  représente  saint  Pacôme  sous  un  costume  d'Ermite,  recevant  des 
mains  d'un  ange  le  livre  de  sa  Règle  ;  traversant  le  Nil  sur  le  dos  des  cro- 
codiles, etc. 

Quant  à  saint  Palémon,  on  le  trouve  dévidant  des  écheveaux  ;  ce  qui  se 
fonde  peut-être  sur  cette  circonstance  qu'il  appliquait  ses  religieux  à  tisser 
des  cilices. 

L'Ordre  de  Saint-Pacôme  a  subsisté  en  Orient  jusqu'au  xi"  siècle. 

La  Vie  de  saint  Pacôme  a  été  écrite  peu  de  temps  après  sa  mort  par  un  moine  de  Tabenne.  Voir  Ros— 
weide,  1. 1<",  p.  114;  Papebroch,  t.  m,  mal,  p.  287;  Tillemont,  t.  vu;  Cellller,  t.  iv,  édit.  Vives;  Hélyot, 
t.  I",  édit.  Migne. 


SAINT  PASCAL  Ier,  PAPE 


824.  —  Roi  de  France  :  Louis  le  Débonnaira, 


Pascal  Ier  fut  élevé  au  souverain  pontificat,  malgré  lui  et  malgré  ses 
résistances,  deux  jours  à  peine  après  la  mort  d'Etienne  V,  son  prédéces- 
seur, par  les  vœux  unanimes  du  clergé,  l'an  de  Notre-Seigneur  Jésus- 
Christ  817.  C'était  un  homme  d'une  érudition  universelle,  mais  surtout  très- 
versé  dans  les  sciences  sacrées  ;  il  était  d'une  sainteté  éminente,  d'une  rare 
éloquence,  d'une  piété  si  tendre  envers  Dieu,  et  d'une  charité  si  grande  pour 
le  prochain,  que  son  visage  s'éclairait  d'une  sainte  joie  toutes  les  fois  qu'il 
distribuait  aux  pauvres  les  biens  matériels  de  ce  monde  ;  tandis  qu'il  em- 
ployait les  veilles,  le  jeûne,  la  prière  à  acquérir  les  biens  spirituels  de  la 
vie  future. 

Dès  son  enfance  il  avait  été  élevé  dans  le  patriarcat  de  l'église  de  Latran, 
sous  les  yeux  des  souverains  Pontifes.  Il  fit  de  si  grands  progrès  dans  toutes 
les  vertus,  dans  les  lettres  et  dans  la  discipline  ecclésiastique,  qu'après 
avoir  reçu  les  ordres  sacrés,  Léon  III  le  mit  à  la  tête  du  monastère  de 
Saint-Etienne.  Là,  il  devint  un  modèle  pour  les  religieux  à  la  tête  desquels 
il  avait  été  placé  ;  il  recevait  les  pèlerins  qui  venaient  en  foule  visiter  les 
tombeaux  des  Apôtres  avec  une  bonté  incomparable,  leur  fournissait  tout 
ce  qui  leur  était  nécessaire,  et,  à  l'exemple  du  Sauveur,  il  leur  rendait  les 
services  les  plus  humbles.  Ces  preuves  non  équivoques  de  piété  et  de  charité 
le  firent  donc  juger  comme  l'homme  le  plus  digne  de  présider  aux  destinées 
du  troupeau  de  Jésus-Christ,  et  à  celles  de  l'Eglise  tout  entière.  Il  ne  lui 
manquait  rien  de  ce  qui  est  nécessaire  pour  gouverner  parfaitement  la 
barque  de  Pierre.  Il  sut  conserver  dans  toute  son  intégrité,  en  Occident,  la 
discipline  de  l'Eglise,  qui  y  était  alors  florissante.  Quant  à  l'Eglise  d'Orient, 
que  l'empereur  Léon  l'arménien  et  le  patriarche  intrus  Théodore  tenaient 
dans  un  état  continuel  d'agitation  par  la  propagation  de  l'hérésie  des  Ico- 
noclastes, il  la  consola  au  moyen  de  ses  lettres  et  des  légats  qu'il  lui  envoya. 
Il  donna  aussi  aux  Grecs  qui  se  réfugiaient  à  Rome  le  monastère  de  Saint- 
Praxède  qu'il  avait  fait  bâtir,  et  le  dota  de  riches  revenus.  Théodore,  vou- 
lant consolider  son  usurpation,  envoya  des  députés  au  Pape  pour  l'engager 
à  le  reconnaître  ;  mais  Pascal  ne  se  laissa  pas  surprendre  par  les  ruses  ni 


532  **  mai. 

intimider  par  les  menaces  ;  il  déclara  qu'il  ne  reconnaissait  pas  d'autre 
patriarche  de  Constantinople  que  le  pasteur  légitime  saint  Nicéphore,  et  il 
condamna  d'une  manière  solennelle  les  persécutions  suscitées  contre  les 
orthodoxes. 

Le  zèle  que  Pascal  montra  dans  cette  occasion  et  les  embarras  conti- 
nuels que  les  hérétiques  lui  suscitèrent  ne  l'empêchèrent  pas  de  songer  à 
étendre  le  règne  de  Jésus-Christ  dans  les  contrées  qui  n'avaient  pas  encore 
été  éclairées  des  lumières  de  l'Evangile.  Ebdon,  archevêque  de  Reims, 
ayant  appris,  à  la  cour  de  l'empereur  Louis  le  Débonnaire,  des  députés  du 
Danemark,  les  rapports  que  Pascal  avait  eus  avec  les  Danois,  éprouva  un 
vif  désir  d'aller  évangéliser  ces  peuples  encore  plongés  dans  l'idolâtrie.  11 
se  rendit  à  Rome,  où  le  saint  Pape  le  fortifia  dans  sa  généreuse  résolution 
et  lui  donna  des  pleins  pouvoirs  pour  la  mission  qu'il  voulait  entreprendre. 

Voici  un  extrait  remarquable  des  pouvoirs  que  Pascal  lui  donna.  «  Le 
Pape,  qui  est  chargé  de  veiller  au  salut  de  tous  les  hommes,  a  appris 
que  quelques  peuples  du  Nord,  privés  du  baptême  et  de  toute  connais- 
sance du  vrai  Dieu,  sont  encore  plongés  dans  les  ombres  de  la  mort.  C'est 
pourquoi  il  envoie  son  frère  et  collègue  pour  prêcher  ces  peuples  et  les  faire 
passer  des  ténèbres  à  la  lumière.  Si,  durant  l'accomplissement  de  ses  fonc- 
tions, il  s'élevait  quelque  doute  dans  son  esprit,  qu'il  s'adresse  à  Rome, 
pour  le  voir  lever  (comme  saint  Boniface),  et  qu'il  vienne  puiser  à  cette 
source  pure  de  toutes  les  lumières  *...» 

Il  transporta  dans  la  ville  un  grand  nombre  de  corps  saints,  qu'il  retira 
des  cimetières,  à  l'exemple  de  Paul  Ier,  et  d'après  les  révélations  de  sainte 
Cécile  qui  lui  indiquait  le  lieu  où  on  les  avait  placés,  il  fit  construire  de 
nouvelles  églises,  et  il  restaura  et  orna  avec  une  grande  magnificence  les 
anciennes.  Il  augmenta  les  biens  assignés  aux  hôpitaux  et  aux  monastères 
de  religieuses.  Enfin,  après  avoir  éteint  une  incendie  par  un  miracle  écla- 
tant, il  alla  se  reposer  dans  le  sein  de  Dieu,  la  huitième  année  de  son  Pon- 
tificat (824),  et  fut  enterré  dans  la  basilique  Vaticane. 

On  s'accorde  à  reconnaître  que  les  principaux  du  clergé  de  Rome,  qui 
s'appelaient  cardinaux  longtemps  avant  le  pontificat  de  Pascal  Ier,  furent 
publiquement  décorés  de  ce  titre  sous  son  règne. 

Voir  Anastase  le  bibl.,  les  Bollandistes,  Baillet  et  Baroniui. 


LE  B.  ÉGLDIUS  OU  GILLES,  DE  PORTUGAL 

1190-1265.  —  Pape  :  Clément  IV.  —  Rois  de  Portugal  :  Sanche  II  ;  Alphonse  III. 

Seigneur,  si  vous  tenez  un  compte  exact  de  nos  ini- 
quités, qui  pourra  paraître  devant  vous. 

Ps.  CXXIS,  3. 

Vers  la  fin  du  xn9  siècle,  sous  le  règne  de  Sanche  Ier,  roi  de  Portugal, 
vivait  à  la  cour  un  seigneur  du  plus  haut  rang,  conseiller  de  Sa  Majesté, 
gouverneur  de  Coïmbre,  nommé  don  Rodrigue  de  Vagliaditos.  Egidius,  son 
troisième  fils,  fut,  selon  l'usage  de  cette  époque,  destiné  à  l'état  ecclésias- 
tique dès  son  enfance,  et  ses  parents  l'envoyèrent  étudier  à  l'université  de 

1.  Voir  Kruse,  saiut  Auschaire,  page  2i5  et  suir. 


LE  C.    ÉËIDIUS   OU   GILLES,   DE  PORTUGAL.  533 

Coïmbre  ;  il  s'y  distingua  tellement  par  ses  talents  et  son  aptitude  précoce 
pour  les  sciences,  que  sa  réputation  parvint  jusqu'aux  oreilles  du  roi  qui 
dès  lors  lui  donna  de  gros  bénéfices,  car  Egidius  se  préparait  à  entrer  dans 
les  ordres.  Mais  lorsqu'il  fut  dans  sa  riche  abbaye,  il  profita  de  ses  loisirs, 
bien  moins  pour  se  livrer  à  l'étude  des  livres  saints,  que  pour  pénétrer  de 
plus  en  plus  dans  les  sciences  profanes.  Tout  le  temps  que  les  moines  pas- 
saient à  chanter  au  choeur  les  louanges  du  Seigneur,  s'écoulait  pour  lui 
dans  la  bibliothèque  où  il  avait  entassé  tout  ce  qui  devait  servir  à  ses  plai- 
sirs et  à  son  désir  d'apprendre.  Mais  voyant  qu'il  ne  pouvait  dans  son  pays 
pénétrer  dans  les  sciences  humaines  autant  que  son  ambition  l'y  poussait, 
il  résolut  d'aller  à  Paris  pour  étudier  la  médecine,  car  c'était  là  que  se 
trouvait  la  Faculté  la  plus  renommée  de  toute  l'Europe.  Trompant  donc  la 
confiance  de  son  souverain  et  les  désirs  de  ses  parents,  il  partit  de  son 
abbaye,  dont  il  avait  confié  l'administration  à  un  prieur,  et  se  mit  en  route. 
Depuis  plusieurs  jours  il  était  en  chemin,  lorsqu'un  matin,  pendant  que  les 
rênes  flottaient  sur  le  cou  de  son  beau  destrier  et  que  son  esprit  caressait 
de  brillants  rêves  d'avenir,  il  fut  accosté  par  un  homme  à  la  grande  et 
osseuse  stature,  aux  lèvres  qui  ricanaient  d'une  façon  sinistre,  et  dont  les 
yeux  le  considéraient  avec  l'expression  de  l'oiseau  de  proie  qui  fond  sur  sa 
victime. 

Le  nouveau  venu  entama  ainsi  la  conversation  :  «  Je  vois,  don  voya- 
geur, que  vous  avez  une  longue  route  à  faire?  —  Oui,  répondit  Egidius,  je 
me  rends  à  Paris.  —  Et  pour  y  étudier  la  médecine,  si  je  ne  me  trompe? 

—  Egidius,  surpris  de  voir  cet  inconnu  au  fait  de  ses  secrets  projets,  s'écria  : 
Comment  le  savez-vous,  je  n'en  ai  parlé  à  personne.  — Non,  dit  Satan,  car 
nos  lecteurs  ont  déjà  deviné  que  cet  inconnu  était  le  démon  décidé  à  ten- 
ter un  dernier  et  décisif  effort  pour  précipiter  cette  âme  chancelante  dans 
l'abîme  infernal,  —  non,  mais  je  connais  une  science  qui  pénètre  tous  les 
secrets,  qui  apprend  à  lire  dans  la  pensée  des  autres  et  à  cacher  les  siennes. 

—  Quelle  est  cette  science?  dit  Egidius  d'une  voix  ardente  de  désirs; 
dites-le-moi,  la  savez-vous?  pouvez-vous  me  l'enseigner,  je  veux  l'appren- 
dre! —  Satan,  voyant  que  le  jeune  homme  allait  succomber  à  la  tentation, 
laissa  échapper  un  rire  sardonique  et  dit  :  Cette  science  que  je  puis  vous 
apprendre,  c'est  l'alchimie.  —  Egidius  trembla,  un  frisson  parcourut  ses 
veines  ;  il  se  souvint  des  enseignements  religieux  de  son  enfance  et  de  sa 
jeunesse  ;  la  pensée  de  renoncer  au  Christ  lui  faisait  horreur.  Mais  Satan 
voyant  son  hésitation  ajouta  d'une  voix  insinuante  :  Cette  science  vous 
rendra  l'homme  le  plus  savant  de  toute  la  terre  ;  votre  réputation  deviendra 
universelle  et  vous  jouirez  de  plaisirs  et  d'honneurs  dont  vous  ne  pouvez 
avoir  la  moindre  idée  —  C'en  est  fait  !  dit  Egidius  sucombant  à  cette  ten- 
tation d'orgueil,  je  suis  prêt  à  devenir  votre  élève!  » 

A  l'instant  Satan  le  prit  et  l'emporta  à  travers  les  airs  comme  une  paille, 
puis  il  redescendit  au  milieu  d'arides  montagnes  semées  de  précipices 
béants.  A  l'approche  de  Satan  un  roc  s'entr'ouvrit,  et  tous  les  deux  entrèrent 
dans  une  vaste  caverne  où  gémissaient  depuis  bien  des  années  une  foule  de 
victimes  de  l'esprit  infernal.  Satan  lui  présenta  alors,  pour  qu'il  la  signât 
de  son  sang,  une  cédule  sur  laquelle  étaient  écrits  ces  terribles  mots  :  Je 
renonce  au  titre  d'enfant  de  Dieu  et  je  me  soustrais  à  ses  lois  ;  je  renonce  à 
ma  foi  et  je  renie  les  vœux  de  mon  baptême  pour  devenir  l'esclave  dévoué 
de  Satan  qui,  en  retour,  me  fera  avoir  les  plaisirs  et  les  honneurs  terres- 
tres... Le  malheureux  Egidius  ne  recula  pas  à  la  vue  de  ces  paroles  impies, 
il  ne  prit  pas  la  fuite...  il  s'ouvrit  une  veine  et  les  signa  de  son  propre 


534  44  MAI. 

sang  !...  11  commença  dès  lors  son  rude  apprentissage  sous  le  cruel  maître 
qu'il  s'était  donné.  Pendant  sept  longues  années,  il  resta  renfermé  dans  l'af- 
freuse caverne,  occupé,  nuit  et  jour,  à  apprendre,  à  la  sueur  de  son  front, 
les  secrets  diaboliques.  Il  éprouva  alors  par  lui-même  combien  le  service 
du  Seigneur  est  plus  doux  que  celui  du  démon  ;  mais  l'endurcissement  de 
son  cœur  et  le  désespoir  auquel  il  était  en  même  temps  en  proie  l'empê- 
chaient de  chercher  à  sortir  de  l'inique  esclavage  auquel  il  était  livré. 
Enfin,  à  l'expiration  des  sept  années,  il  sortit  de  la  caverne  possédant  plus 
de  science  naturelle  et  surnaturelle  que  qui  que  ce  soit  ;  toutes  les  forces 
occultes  de  la  nature  lui  étaient  connues  ;  il  savait  des  secrets  et  des  en- 
chantements que  nul  homme  n'avait  possédés  avant  lui  et  il  s'en  servait 
pour  assouvir  ses  inclinations  perverses  et  ses  coupables  désirs. 

Arrivé  à  Paris,  il  s'y  distingua  dans  la  Faculté  de  médecine  bien  plus 
encore  qu'il  n'avait  fait  à  Coïmbre  ;  et  les  cures  merveilleuses  qu'il  opérait, 
grâce  à  sa  science  diabolique,  le  faisaient  passer  à  juste  titre  pour  le  plus 
illustre  docteur  qui  eût  paru  sur  la  terre.  Mais  il  était  devenu  semblable  à 
ces  sépulcres  blanchis  dont  parle  Notre-Seigneur,  qui  au  dedans  ne  sont 
que  poussière  et  corruption  :  la  science  mondaine  avait  tué  la  foi  en  lui, 
tout  était  vide  et  tristesse  dans  son  âme  et  il  eût  pu  dire  avec  Salomon  : 
«  Vanité  des  vanités  et  tout  n'est  que  vanité,  hors  aimer  Dieu  et  le  servir 
seul  !  »  Au  milieu  de  l'entraînement  et  de  la  fougue  de  ses  passions,  malgré 
le  tumulte  du  monde  qui  l'entourait  et  malgré  les  démons  qui  faisaient  sa 
société,  il  avait  conservé,  comme  une  précieuse  épave  dans  un  complet 
naufrage,  la  dévotion  à  la  sainte  Vierge  ;  il  la  priait  en  secret,  chaque  jour 
quelques  Ave  Maria  montaient  de  son  cœur  sur  ses  lèvres,  et  il  avait  comme 
un  intime  pressentiment  que  Marie  le  délivrerait.  Car,  au  milieu  de  toute 
cette  pompe,  de  toutes  ces  richesses,  des  honneurs  et  de  la  gloire  humaine 
qui  l'entouraient,  Egidius  était  loin  d'être  heureux  ;  son  front  était  sou- 
cieux, une  tristesse  invincible  pesait  sur  lui  ;  il  éprouvait  par  lui-même 
combien  sont  pesantes  les  chaînes  que  Satan  forge  pour  ses  serviteurs,  et  il 
se  rappelait  souvent  dans  l'amertume  de  son  cœur  et  pour  les  regretter  ces 
jeunes  et  pures  années  où  il  jouissait  de  la  douce  et  sainte  liberté  des  en- 
fants de  Dieu.  Son  âme,  déviée  de  sa  voie,  se  tordait  dans  d'inexprimables 
angoisses,  et  tandis  que  beaucoup  admiraient  et  peut-être  enviaient  la 
splendeur  attachée  à  son  nom  et  sa  vie  luxueuse,  on  aurait  pu  l'entendre 
s'écrier  souvent  sur  sa  riche  couche  sans  sommeil  :  De  profundis  clamavi  ad 
te,  Maria  :  Maria,  exaudi  vocem  meam,  fiant  aures  tuœ  intendentes  in  vocem 
deprecationis  meœ...  Du  fond  de  l'abîme,  j'ai  crié  vers  vous,  ô  Marie  :  enten- 
dez la  voix  de  mes  supplications,  ô  Marie  !...  Mais  Satan,  jaloux  de  sa  proie, 
suggérait  au  malheureux  quelque  nouvelle  pensée  d'orgueilleuse  science, 
et  il  le  poussait  à  essayer  de  nouveaux  et  plus  puissants  enchantements, 
et  le  trop  docile  Egidius  retournait  à  ses  cornues  et  à  ses  alambics  avec 
une  activité  fiévreuse. 

Une  nuit  qu'il  avait  travaillé  à  ses  fourneaux  plus  longtemps  encore  que 
de  coutume,  la  fatigue  finit  par  le  vaincre,  et  il  tomba  endormi  sur  un 
siège  placé  dans  un  angle  de  la  pièce  où  il  se  trouvait.  Pendant  son  som- 
meil il  lui  sembla  être  transporté  dans  le  cimetière  de  son  abbaye  qu'éclai- 
raient les  pâles  rayons  de  la  lune.  Il  en  regardait  les  ombres  fantastiques, 
lorsque  la  cloche  sonore  s'ébranla  dans  le  clocher,  et  elle  frappa  douze 
coups  au  milieu  du  profond  et  solennel  silence  de  la  nuit.  Elle  vibrait  en- 
core, lorsqu'il  lui  sembla  voir  un  spectre  décharné  sortir  de  son  tombeau  ; 
il  était  vêtu  d'un  blanc  linceul,  le  vêtement  de  la  tombe  ;  sa  main  droite 


LE  B.  ÉGIDÏUS  00  GILLES,  DE  PORTUGAL.  835 

tenait  une  faux  au  tranchant  affilé,  et  sa  main  gauche  tenait  un  sablier  dans 
ses  doigts  osseux  ;  il  marchait  impassible  dans  les  allées  du  cimetière,  pas- 
sant devant  quelques  tombeaux  sans  interrompre  sa  marche,  mais  tout  à 
coup  il  s'arrêta  devant  une  tombe  et  s'écria  d'une  voix  rauque  et  dure  : 
«  Lève-toi,  moine  infidèle,  toi  qui  as  violé  tes  vœux,  lève-toi  1  »  Aussitôt  un 
spectre  se  lève  de  cette  tombe  et  suit  celui  qui  semblait  être  le  chef  de  ce 
domaine  de  la  mort.  Il  va  à  un  autre  tombeau  et  s'écrie  :  Moine  infidèle, 
lève-toi  !...  Et  il  parla  de  même  à  tous  ceux  des  moines  défunts  qui  avaient 
grièvement  péché.  Lorsqu'il  fut  arrivé  dans  le  lieu  désigné  pour  la  sépul- 
ture des  abbés  et  à  l'endroit  oti  devait  être  placée  la  tombe  d'Egidius,  il 
s'écria  d'une  voix  plus  stridente  :  «  Abbé  Egidius,  moine  infidèle,  moine 
indigne,  toi  qui  as  renoncé  à  ton  Dieu,  toi  qui  as  violé  tous  tes  vœux, 
lève-toi  !  » 

Mais  rien  ne  sortit  de  ce  tombeau  encore  sans  hôte.  —  Où  donc  est-il  ? 
dit  le  chef  des  spectres.  Moine  Egidius,  ton  heure  n'a  donc  pas  sonné  ?  — 
Il  regarda  son  sablier  :  quelques  grains  de  sable  restaient  encore...  A  bien- 
tôt !  dit-il,  et  les  spectres  quittant  leurs  linceuls  commencèrent  leur  ronde 
infernale  ;  une  place  était  vide  dans  leurs  rangs  ou  plutôt  était  occupée  par 
un  être  invisible  aux  yeux  d'Egidius.  Tout  à  coup  les  spectres  rompent  leur 
ronde,  se  dispersent  en  courant  sans  toucher  la  terre  ni  même  faire  pen- 
cher les  tiges  de  l'herbe  verdoyante  du  cimetière  ;  ils  viennent  vers  lui, 
l'entourent  et  s'arrêtent.  Le  chef  s'écrie  avec  un  accent  horrible  :  «  Mal- 
heur à  toi,  misérable,  si  tu  ne  changes  de  vie  1  »  et  tous  les  autres  spectres 
répètent  en  chœur  :  «  Change  de  vie,  misérable  !  »  Egidius,  au  comble  de 
l'effroi,  n'espère  plus  qu'en  Marie  ;  le  chef  s'approche  encore  et  lui  donne 
un  coup  de  faux  dans  le  cœur.  Le  froid  du  tranchant  acier  réveille  Egidius 
qui  s'écrie  :  «  Marie  !»  A  ce  nom  tous  les  spectres,  comme  une  troupe  de 
hiboux  devant  le  premier  rayon  de  l'aurore,  disparaissent  en  criant  :  «  Tu 
es  sauvé  !  » 

Egidius  tombe  à  genoux,  remercie  la  divine  protectrice  qui  vient  de 
briser  ses  liens  ;  il  prend  tous  les  livres  de  science  profane  qui  avaient  été 
la  cause  première  de  sa  chute,  il  brise  les  fioles  qui  contenaient  ses  philtres; 
puis  abandonnant  toutes  ses  richesses  iniques,  il  quitte  furtivement,  dénué 
de  tout,  son  somptueux  hôtel,  pendant  que  ses  nombreux  serviteurs  repo- 
sent encore  ;  il  sort  de  Paris  et  prend  à  pied  la  route  de  Portugal. 

Son  voyage  fut  triste  et  pénible.  Poursuivi  par  les  remords,  par  le  sou- 
venir de  cette  cédule  signée  de  son  sang  et  restée  au  pouvoir  de  son  infer- 
nal ennemi,  il  passait  ses  nuits  sans  sommeil,  absorbé  dans  ses  pénibles 
réflexions.  Les  peines,  la  faim,  la  soif,  la  fatigue,  les  privations  de  toutes 
sortes,  les  maladies  qui  en  furent  la  suite,  tout  lui  paraissait  une  première 
et  juste  expiation  de  ses  crimes  ;  son  repentir  égalait  seul  le  désir  qu'il 
avait  de  faire  pénitence,  et  rien  ne  l'arrêta  dans  sa  course. 

Après  être  entré  en  Espagne,  il  arriva  à  Valence  où  un  couvent  de 
Frères  Prêcheurs  venait  d'être  fondé  ;  et  les  frères,  alors  dans  toute  la 
ferveur  primitive,  s'occupaient  activement  et  de  leurs  propres  mains  à 
construire  leur  couvent.  Egidius  succombant  sous  le  poids  de  ses  chagrins 
et  sous  celui  de  ses  fatigues  corporelles,  s'assit  sur  une  pierre  et  contempla 
mélancoliquement  les  bons  religieux  ;  ils  allaient  et  venaient  avec  activité  ; 
chargés  de  pierres,  de  bois,  de  mortier,  avec  des  regards  où  régnaient  à  la 
fois  la  modestie,  la  patience  et  la  sainte  allégresse  que  donne  une  cons- 
cience pure,  ils  travaillaient  à  élever  les  murs  et  les  cloîtres  de  leur  bien- 
heureuse retraite.  Il  éprouvait  une  profonde  émotion  en  les  voyant  se 


536  44  MAI. 

livrer  avec  tant  de  joie  à  des  travaux  si  au-dessous  d'eux;  ce  spectacle  avait 
pour  lui  un  charme  qu'il  ne  pouvait  définir  et  qu'il  trouvait  bien  grand  en 
le  comparant  avec  les  travaux  infernaux  qu'il  avait  accomplis  pendant  sa 
coupable  vie.  Marie  sans  doute  lui  parla  au  cœur,  car  tout  à  coup  il  se  dit  : 
«  C'est  là  que  je  dois  passer  le  reste  de  mes  jours,  dans  l'obscurité,  l'humi- 
lité et  la  pénitence  !  »  Puis,  se  levant  aussitôt,  il  alla  trouver  le  prieur  des 
Dominicains.  Le  prieur  l'accueillit  avec  bienveillance  et  charité,  écouta  sa 
longue  confession  et  n'hésita  pas  à  lui  accorder  l'absolution,  car  la  sincérité 
de  son  accent  et  l'abondance  de  ses  larmes  faisaient  voir  que  son  repentir 
était  véritable.  De  quel  poids  son  âme  fut  soulagée,  lorsqu'elle  fut  délivrée 
du  fardeau  d'une  vie  souillée  de  crimes,  que  les  chaînes  qu'il  portait  de- 
puis si  longtemps  furent  brisées  par  l'efficacité  du  sang  précieux  de  Jésus- 
Christ,  et  qu'il  comprit  le  bonheur  qu'il  y  a  à  se  donner  à  Dieu  corps  et 
âme  !  Le  lendemain,  il  revint  trouver  le  prieur  et  se  jeta  à  ses  pieds  en  lui 
disant  :  «  Mon  père,  je  viens  vers  vous  comme  l'enfant  prodigue  revint  vers 
son  père  ;  je  reviens  vers  la  maison  de  Dieu,  mon  père  céleste  ;  comme  l'en- 
fant coupable,  je  viens  vous  conjurer  de  me  recevoir  dans  ce  couvent  au 
nombre  de  vos  plus  humbles  serviteurs  ;  je  vous  supplie  de  me  donner 
pour  partage  les  travaux  les  plus  grossiers,  les  plus  pénibles  et  les  plus  vils; 
je  les  trouverai  bien  honorables  et  bien  doux  lorsque  je  les  comparerai, 
pour  ma  juste  confusion,  au  travail  infernal  auquel  je  me  suis  livré  pendant 
tant  d'années  I  Je  n'aspire  plus  qu'à  boire  dans  le  calice  de  la  pénitence  et 
du  repentir  avec  autant  d'avidité  qu'un  homme  altéré  qui  trouve  une  fraî- 
che fontaine  dans  le  désert.  Trop  longtemps  j'ai  péché  !  Trop  longtemps 
j'ai  bu  à  la  coupe  de  l'iniquité  !  Trop  longtemps  j'ai  pactisé  avec  Satan  et 
j'ai  vécu  avec  le  mammon  infernal.  C'est  ici  le  lieu  que  j'ai  choisi  pour 
faire  pénitence,  si  vous  daignez  me  le  permettre,  et  vous  me  montrerez  la 
route  qu'il  faut  suivre  pour  aller  au  ciel  !  »  Le  prieur,  ému,  l'embrassa  en 
le  relevant  :  «  Oui  »,  lui  dit-il,  «  venez  avec  nous,  c'est  ici  que  vous  trouve- 
rez le  repos  de  votre  âme  ».  Egidius  alla  se  prosterner  devant  l'autel  de  la 
Vierge  miséricordieuse  qui  l'avait  conduit  comme  par  la  main  à  ce  port 
de  salut  pour  y  exhaler  les  transports  de  sa  joie  et  de  sa  reconnaissance 

Dès  ce  moment,  on  put  voir  parmi  les  pieux  travailleurs  un  moine  qui 
surpassait  ses  frères  par  son  ardeur  pour  le  travail  :  c'était  Egidius  qui  dès 
lors  mena  la  vie  des  Frères  Prêcheurs.  Une  prompte  obéissance,  un  silence 
rigoureux,  la  charité,  la  paix  de  l'âme,  tels  étaient  les  éléments  de  la  nou- 
velle vie  qu'Egidius  avait  embrassée.  Sa  conversion  était  sincère  et  il  expiait 
par  une  rude  pénitence  tous  les  péchés  qu'il  avait  commis.  Ayant  fait  sa 
profession  en  1221,  il  fut  bientôt  après  envoyé  au  couvent  de  Santarem,  en 
Portugal,  son  pajfs  natal. 

Mais  il  ne  faut  pas  croire  que  le  grand  tentateur  des  hommes  le  laissa 
en  repos  ;  il  lui  suscitait  les  plus  violentes  tentations  et  cherchait  à  le  pous- 
ser au  désespoir  en  lui  rappelant  sans  cesse  la  terrible  donation  qu'il  avait 
faite  par  écrit  de  son  âme.  Egidius  adressait  sans  relâche  ses  ferventes 
prières  à  Marie  pour  lui  demander  son  secours  contre  son  cruel  ennemi  ; 
enfin,  après  sept  ans  d'austères  pénitences,  d'ardentes  prières,  sa  confiance 
en  Marie  fut  récompensée  :  une  nuit  qu'après  l'avoir  longuement  priée,  il 
s'était  assoupi  au  chœur,  il  trouva  sur  l'appui  de  sa  stalle  l'impie  donation 
qu'il  avait  signée  de  son  sang  et  que  la  puissance  de  Marie  venait  d'arracher 
au  démon. 

Depuis  lors,  il  goûta  sans  mélange  les  ineffables  consolations  spirituelles 
dont  le  Seigneur  comble  souvent  ses  serviteurs  de  prédilection  ;  et  son 


SAINT  VICTOR  ET  SAINTE  COURONNE.  537 

chroniqueur,  en  racontant  plusieurs  de  ses  extases  et  de  ses  miracles,  le 
ravissement  tout  divin  dans  lequel  il  entrait  lorsqu'il  entendait  prononcer 
les  doux  noms  de  Jésus  et  de  Marie,  noms  sacrés  par  lesquels  il  dominait 
tout  l'enfer,  observe  qu'il  y  avait  là  une  bien  plus  puissante  magie  que  dans 
celle  qu'Egidius  avait  apprise  de  Satan. 

Notre  Bienheureux  fut  employé  avec  succès  par  ses  supérieurs  au  minis- 
tère des  âmes,  car  il  était  doué  merveilleusement  pour  toucher  par  ses  pré- 
dications les  pécheurs  les  plus  endurcis.  Il  exerça  à  plusieurs  reprises  les 
fonctions  de  provincial  dont  il  s'acquittait  avec  un  talent  particulier.  Enfin, 
après  avoir  édifié  par  ses  vertus  plus  encore  qu'il  n'avait  autrefois  scanda- 
lisé par  ses  désordres  ;  après  avoir  été  généralement  regardé  comme  le  plus 
grand  homme  de  son  Ordre,  pendant  sa  vie  ;  après  avoir  acquis,  en  recher- 
chant l'obscurité,  une  bien  plus  haute  réputation  qu'en  recherchant  la 
gloire  terrestre,  il  mourut  de  la  mort  du  juste  en  1265,  pour  aller  chanter 
au  ciel  les  miséricordes  du  Seigneur. 

Bcnott  XIV  a  approuvé  le  culte  du  bienheureux  Egidius  le  9  mars  1748,  et  sa  fête  se  célèbre  le 
14  mai.  Un  ancien  journal  des  rois  de  Portugal,  cité  daus  les  Actes  des  Saints,  fait  ainsi  qu'il  suit  men- 
tion de  la  mort  du  bienheureux  Egidius  ou  Gilles  :  «  Saint  Gilles,  de  l'Ordre  des  Frères  Prêcheurs,  alla  à 
Dieu  le  quatorzième  jour  de  mal,  jour  do  l'Ascension  de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ,  l'an  de  notre  salut 
douze  cent  soixante-cinq  ».  —  Ann.  Dom.,  mai  1872,  Acta  Sanctorum  et  la  plupart  des  hagiographes. 


SAINT  VICTOR  ET  SAINTE  COURONNE  (ne  siècle). 

Victor  de  Damas,  en  Syrie,  suivait  la  carrière  des  armes  sous  l'empereur  Antoniû.  Comme  il  se 
comportait  ouvertement  en  chrétien,  il  fut  sommé  par  Sébastien,  son  chef,  conformément  aux 
édils  des  empereurs,  d'abjurer  le  Christ,  et  de  brûler  de  l'encens  aux  dieux,  avec  menace,  s'il  ne 
le  faisait,  d'être  sévèrement  traité.  A  cela,  Victor  répondit  qu'il  était  non-seulement  décidé  à 
affronter  tous  les  tourments  plutôt  que  de  renoncer  à  sa  religion,  mais  qu'il  tiendrait  encore 
comme  une  grâce  de  souffrir  tout  ce  qu'on  voudrait  pour  le  nom  de  Jésus-Christ.  Irrité  de  cette 
réponse,  Sébastien  commande  qu'on  lui  brise  les  doigts,  et  que  les  articulations  d'abord  mises  à 
nu  soient  ensuite  arrachées  de  la  peau  ;  et  enfin  il  le  fait  jeter  dans  une  fournaise  ardente,  d'où 
Victor,  après  y  être  demeuré  trois  jours,  sortit  sans  le  moindre  mal. 

Ensuite,  ayant  été  forcé,  à  plusieurs  reprises,  de  manger  des  mets  empoisonnés,  il  les  prit 
impunément,  et  convertit  même  à  la  foi  du  Christ  celui  qui  avait  composé  le  poison.  Mais  là  ne 
s'arrêta  pas  la  fureur  des  bourreaux.  Par  un  nouveau  genre  de  cruauté,  ils  lui  arrachent  les  nerfs 
du  corps,  lui  arrosent  les  membres  d'huile  bouillante  ;  ils  approchent  des  torches  enflammées  de 
son  corps  suspendu  ;  il  lui  versent  dans  la  bouche  un  mélange  de  vinaigre  et  de  chaux  ;  ils  lui 
crèvent  les  yeux  ;  ils  le  laissent  suspendu  par  les  pieds  et  la  tète  en  bas  pendant  trois  jours  :  et, 
comme  loin  d'être  ébranlé  par  tant  de  supplices,  le  Martyr  ne  paraissait  pas  même  les  sentir,  il 
est  écorché  vif  et  abandonné  ainsi  tout  sanglant,  véritablement  Victor,  c'est-à-dire  vainqueur, 
puisqu'il  avait  triomphé,  par  la  vertu  de  Dieu,  et  de  la  faiblesse  de  la  nature,  et  de  la  rage  des 
démons,  et  de  la  cruauté  des  impies. 

Une  jeune  femme  de  seize  ans,  nommée  Couronne,  et  mariée  à  un  soldat,  ayant  admiré  la  cons- 
tance de  Victor,  ne  put  s'empêcher  de  le  louer  hautement,  poussée  par  l'esprit  de  Dieu  :  en  même 
temps,  elle  déclara  publiquement  qu'elle  était  chrétienne,  affirmant  qu'elle  voyait  deux  couronnes 
descendre  du  ciel,  une  pour  Victor  et  l'autre  pour  elle-même,  el  qu'elle  était  toute  prête  à  la 
mériter  par  une  belle  mort.  C'est  pourquoi,  ayant  été  arrêtée  et  sommée  de  sacrifier  aux  dieux, 
comme  elle  ne  voulut  pas  y  consentir,  elle  fut  attachée  avec  des  cordes  aux  branches  de  deux 
arbres  inclinés  l'un  vers  l'autre  avec  effort,  et  ces  arbres  étant  relâchés  tout  à  coup,  et  revenant 
à  leur  première  situation,  le  corps  de  la  jeune  femme  fut  partagé  en  deux  parties.  Pour  Victor, 
il  fut  enfin  frappé  de  la  hache,  après  avoir  fait  plusieurs  prédictions  qui  s'accomplirent.  Les  chefs 
de  ces  deux  illustres  Martyrs  étaient  pieusement  conservés  dans  la  cathédrale  de  Dijon  avant  la 
Révolution.  L'an  1286,  un  dimanche,  le  lendemain  de  la  fête  de  saint  Mathieu,  apôtre,  Guillaume, 
évêque  de  Chalon-sur-Saône,  fit,  dans  ladite  église,  la  levée  du  chef  de  sainte  Couronne  et  de 


S38  14  MAI. 


plusieurs  autres  reliques.  Les  chefs  de  nos  deux  Martyrs  étaient  portés  l'un  après  l'autre  aux  pro- 
cessions des  Rogations,  le  mardi  et  le  mercredi,  pour  conjurer  le  mauvais  temps. 


Ancien  Propre  de  Dijon. 


SAINT  PONTIUS,  VULGAIREMENT  PONS 

MARTYR  A  CIMIEZ  (257). 

Pontius  était  fils  d'un  sénateur  de  la  ville  de  Rome.  Il  étudia  les  belles-lettres  et  la  philoso- 
phie comme  les  jeunes  hommes  de  sa  condition,  et  il  le  fit  avec  succès.  Une  fois,  s'étant  levé  dès 
l'aube  du  jour,  il  se  promenait  marchant  à  l'aventure  de  côté  et  d'autre,  lorsqu'il  entendit  les 
chrétiens  qui  psalmodiaient  à  Matines.  Cette  chose,  nouvelle  pour  lui,  excita  sa  curiosité,  et,  tout 
ému  des  saintes  mélodies  qu'il  avait  entendues,  il  se  présenta  à  celui  qui  présidait  l'assemblée  : 
c'était  le  pontife  saint  Pontien  (230-235).  Il  reçut  le  jeune  homme  avec  aménité,  lui  fit  connaître 
la  religion,  l'admit  d'abord  parmi  les  catéchumènes,  et  peu  après  le  plongea  dans  les  eaux  salu- 
taires du  baptême.  Pontius,  devenu  chrétien,  eut  le  bonheur  de  donner  la  foi  à  celui  qui  lui  avait 
donné  le  jour;  il  convertit  son  père  avec  toute  sa  maison.  Après  la  mort  du  sénateur  son  père, 
Ponlius,  qui  était  appelé  à  lui  succéder  et  qui  jouissait  déjà  de  l'affection  du  prince  et  de  l'es- 
time de  tous  ses  collègues,  dédaigna  tous  ces  avantages,  et  donnant  au  pape  saint  Fabien  tous 
ses  biens  pour  être  distribués  aux  pauvres,  il  prit  la  résolution  de  consacrer  sa  vie  à  la  prédica- 
tion de  l'Evangile. 

Il  quitta  Rome  après  le  meurtre  de  Philippe,  au  moment  où  éclatait  la  persécution  de  Valérien 
et  de  Galien.  Il  se  rendit  à  Cimiez,  ville  située  au  pied  des  Alpes-Maritimes,  qui  fut  plus  tard 
détruite  par  les  Lombards,  et  près  des  ruines  de  laquelle  s'est  élevée  la  ville  de  Nice.  Le  prési- 
dent Claudius,  qui  connaissait  Pontius,  étant  venu  à  Cimiez  pour  exécuter  les  ordres  qu'avaient 
donnés  les  empereurs  de  détruire  le  nom  chrétien  jusqu'à  ses  dernières  racines,  le  fit  venir 
devant  lui  pour  le  forcer  à  sacrifier  aux  dieux.  Pontius  répondit  qu'étant  chrétien  il  lui  était 
impossible  de  faire  cette  sorte  de  sacrifice.  Il  fut  donc  suspendu  au  chevalet,  exposé  aux  ours, 
placé  sur  un  bûcher  ;  mais,  n'en  ayant  pas  été  blessé,  il  accomplit  son  martyre  par  le  tranchant 
du  glaive. 

Le  sépulcre  du  Martyr  était  fréquenté  par  un  grand  concours  de  peuple,  ainsi  que  l'atteste 
saint  Valérien,  évêque  de  Cimiez,  qui  florissait  au  temps  du  pape  6aint  Léon,  et  qui  prononça 
trois  homélies  à  la  louange  de  saint  Pontius,  patron  de  60n  église.  Plus  tard,  Charlemagne  fit 
élever  une  abbaye  de  Bénédictins  sur  son  tombeau,  près  de  Nice  :  l'emplacement  en  est  occupé 
aujourd'hui  par  un  couvent  des  Oblats  de  Marie.  L'église  actuelle  a  été  bâtie  par  les  moines  béné- 
dictins et  achevée  vers  1730  :  on  rebâtit,  à  peu  près  à  la  même  époque,  la  petite  chapelle  qui, 
sur  un  rocher  éloigné  de  cent  mètres  du  monastère,  indiquait  le  lieu  précis  où  saint  Pontius  avait 
souffert  le  martyre.  Cette  chapelle,  détruite  par  la  Révolution,  n'a  pas  été  relevée.  L'église  de 
Saint-Pons,  dans  le  diocèse  de  Nice,  ne  possède  plus  que  des  fragments  insignifiants  des  reliques 
de  son  Patron. 

En  936,  Raymond  Pons,  comte  de  Toulouse,  bâtit  en  l'honneur  de  son  patron,  envers  lequel 
il  avait  une  grande  dévotion,  un  monastère  à  Thomières,  au  diocèse  de  Narbonne,  lequel  fut 
érigé  en  siège  épiscopal  par  le  pape  Jean  XXII.  La  plus  grande  partie  du  corps  de  saint  Pontius 
fut  transférée  dans  celte  église,  mais  ces  reliques  furent  détruites  par  les  hérétiques  au  xvie  siècle. 

Le  Propre  de  Nîmes,  auquel  nous  empruntons  la  légende  de  saint  Pontius,  ne  fait  pas  mention 
de  la  conversion  des  deux  Césars  Philippe,  dont  notre  Saint  fut  l'instrument  d'après  les  auteurs  les 
plus  autorisés  :  l'Eglise  elle-même  admet  ce  fait  dans  son  Martyrologe  :  nous  pouvons  donc,  nous 
aussi,  l'admettre,  sans  craindre  de  blesser  une  critique  raisonnable. 

Propre  de  Nîmes  et  Notes  locales  fournies  par  le  B.  P.  Pierre  Caries,  Oblat  de  Marie  à  Saint-Pons-Nic». 


MARTYROLOGES.  539 


SAINT  AMPÈLE  OU  APELLES,  FORGERON  (V  siècle). 

Ce  Saint  naquit  dans  le  v«  siècle,  en  Egypte,  de  parents  honnêtes  et  aisés,  qui  lui  firent  donner  de 
l'instruction,  tout  en  lui  faisant  apprendre  un  métier.  La  semence  de  la  parole  divine  ne  tomba 
pas  sur  un  sol  ingrat,  mais  fit  germer  dans  son  cœur  les  fruits  les  plus  heureux.  Le  métier  de 
forgeron,  qu'il  avait  appris  dans  sa  première  jeunesse,  lui  procura  une  fortune  honnête,  dont  il 
n'usa  pas  cependant  uniquement  pour  lui,  mais  qu'il  employa  à  de  bonnes  œuvres.  Il  en  fit  trois 
parts  :  de  la  plus  considérable,  il  fit  don  aux  vieillards  infirmes  ou  malades  ;  la  seconde  devait 
servir  à  son  propre  entretien,  et  il  réserva  la  troisième,  tant  pour  faire  face  à  des  besoins  impré- 
vus, que  pour  venir  au  secours  de  son  prochain,  dans  des  cas  de  détresse. 

Ampèle  donna  l'exemple  de  toutes  les  vertus  chrétiennes  et  civiles  :  il  était  officieux,  paci- 
fique, modéré  dans  ses  désirs,  zélé  et  actif;  il  ne  commençait  et  ne  terminait  jamais  sa  besogne 
sans  prier,  et  pendant  qu'il  travaillait  même,  il  savait  élever  son  âme  vers  Dieu,  observant  ainsi 
ce  que  saint  Paul  nous  recommande  si  vivement,  de  prier  sans  interruption. 

Afin  de  préserver  son  âme  des  impressions  du  vice,  il  évitait  tous  les  dangers  qui  auraient  pu 
en  exposer  le  salut.  Un  jour  cependant,  il  fut  inopinément  surpris  par  la  tentation,  en  voyant 
entrer  dans  son  atelier  une  courtisane  effrontée,  mais  il  la  poursuivit  à  l'instant  avec  un  fer  ar- 
dent, et  la  força  à  la  retraite. 

Ses  forces  physiques  ayant  insensiblement  diminué,  et  ne  pouvant  plus  lui-même  diriger  se» 
affaires,  il  résolut  de  se  séparer  entièrement  des  hommes,  et  de  ne  plus  s'occuper  que  de  Dieu  et 
de  l'éternité.  Pour  accomplir  son  dessein  plus  librement,  il  traversa  la  mer  et  vint  en  Italie,  dans 
les  environs  de  Gènes,  où  il  mena  dans  la  solitude  une  vie  partagée  entre  la  mortification  et  la 
contemplation,  jusqu'à  ce  que  le  Seigneur  l'appela  à  lui. 

Il  est  le  patron  des  forgerons,  à  Gênes,  qui  lui  ont  dédié  une  chapelle  dans  l'église  de  Saint- 
Etienne.  L'enclume,  le  marteau,  etc.,  attributs  de  sa  profession,  le  fer  rouge  dont  il  poursuit  la 
courtisane,  peuvent  servir  à  caractériser  notre  Saint. 

Tiré  de  Rœss  et  Weiss,  t.  vi,  p.  439.  Voyez  les  Bollandistes  au  14  mai,  et  Lauber  au  même  jour. 


XV  JOUR  DE  MAI 


MARTYROLOGE   ROMAIN. 

En  Espagne,  les  saints  évèques  Torquat,  Ctésiphon,  Second,  Indalèce,  Cécilius,  Hési- 
chius  et  Euphrase,  qui  furent  ordonnés  à  Rome  par  les  saints  Apôtres,  et  envoyés  pour  prêcher 
la  parole  de  Dieu  en  Espagne  ;  après  qu'ils  eurent  annoncé  l'Evangile  en  diverses  villes,  et  mis 
sous  le  joug  de  la  foi  d'innombrables  multitudes,  ils  moururent  paisiblement  en  différents  lieux  de 
ce  pays  :  Torquat  à  Cadix,  Ctésiphon  à  Vierço,  Second  à  Avila,  Indalèce  à  Portilla,  Cécilius  à 
Elvire,  Hésichius  à  Gibraltar  et  Euphrase  à  Andujar.  —  A  Evora,  en  Portugal,  saint  Mancius  ou 
Manços,  martyr.  vi«  s.  —  En  l'île  de  Chio,  la  naissance  au  ciel  de  saint  Isidore,  martyr,  dans 
l'église  duquel  il  y  a  un  puits,  où  l'on  dit  qu'il  fut  jeté,  et  dont  l'eau  guérit  souvent  les  malades 
qui  en  boivent1.  251.  —  A  Lampsaque,  dans  l'Hellespont,  les  saints  martyrs  Pierre,  André, 
Paul  et  Dionysia.  250.  —  A  Fausine,  en  Sardaigne,  saint  Simplice,  évêque  et  martyr,  qui,  du 
temps  de  Dioclétien,  fut  percé  d'un  coup  de  lance  sous  le  président  Barbare,  et  acheva  ainsi  son 
martyre,  iv8  s.  —  A  Clermont,  en  Auvergne,  les  saints  martyrs  Cassius,  Victorin,  Maxime  et  leurs 

1.  Nous  donnons  sa  Vie  ailleurs. 


540  15  ai  ai. 

compagnons  *.  —  En  Brabant,  sainte  Dymp.na,  vierge  et  martyre,  fille  d'un  roi  d'Irlande,  qui  fut 
décapitée  par  l'ordre  de  son  père,  pour  la  conservation  de  sa  foi  et  de  sa  virginité  2.  vit»  s. 

MARTYROLOGE  DE  FRANCE,  REVU  ET  AUGMENTÉ. 

Au  duché  de  Clèves,  saint  Géréberne,  prêtre  et  martyr,  lequel,  ayant  instruit,  assisté  et  fortifié 
sainte  Dympne,  eut  aussi  le  bonheur  de  participer  à  son  martyre.  Ce  fut  dans  un  bourg  de  Brabant, 
nommé  Gheel,  près  de  Tilmont,  d'où  son  corps  a  été  enlevé  et  porté  à  Sousbeeck  dans  ce  duché. 
—  A  Clermont,  saint  Anatolien  ou  Antolien,  saint  Austremoine  et  six  mille  deux  cent  soixante- 
trois  autres,  martyrs,  dont  les  noms  ne  sont  connus  que  du  ciel,  qui  furent  les  généreux  compa- 
gnons de  saint  Cassius.  Ils  furent  enterrés  partie  dans  l'église  du  même  Saint,  partie  dans  l'église 
de  Saint-Vénérand.  Saint  Prix  a  composé  leur  histoire.  On  fait  encore,  en  d'autres  jours,  la  fête 
particulière  de  saint  Anatolien  et  de  saint  Austremoine  3.  —  Encore  à  Clermont,  saint  Eufraise, 
qui  succéda  à  saint  Aproncule  et  accorda  une  généreuse  hospitalité  à  saint  Quintien,  évêque  de 
Rodez,  chassé  par  son  peuple.  514.  —  A  Bingen,  dans  le  diocèse  de  Mayence,  saint  Ru- 
Peiit  ou  Robert,  prince  d'une  éminente  sainteté,  dont  la  vie,  quoique  fort  courte,  a  été 
signalée  par  quantité  de  grandes  actions.  Sainte  Hildegarde  l'a  écrite.  ixe  s.  —  Au  même  lieu, 
la  bienheureuse  Berthe,  mère  de  saint  Rupert,  qui  a  mérité  d'être  louée  par  la  même  Sainte.  — 
A  Rouen,  la  fête  de  saint  Remy,  évêque  de  ce  siège.  —  A  Autun,  le  décès  de  saint  Rhétice, 
évèque  de  cette  ville,  mentionné  par  l'empereur  Constantiu  dans  sa  lettre  au  pape  Melchiade,  et 
loué  par  saint  Jérôme,  par  saint  Augustin  et  par  Optât  de  Milève.  Vers  334.  —  A  Quimper,  saint 
Primaël,  prêtre  et  solitaire.  Ve  s.  Saint  Primaël  était  un  prêtre  que  les  révolutions  politiques  de 
la  Grande-Bretagne  chassèrent  de  son  pays.  Il  se  réfugia  dans  la  Cornouaille  française.  11  existait, 
près  de  Quimper,  avant  notre  grande  Révolution,  une  chapelle  placée  sous  son  vocable.  Deux 
paroisses  du  diocèse  de  Quimper  le  reconnaissent  encore  pour  leur  Patron.  —  A  Tours,  saint 
Avertin,  confesseur.  —  A  Autun,  la  fête  de  saint  Jean  4,  évêque  de  Chalon-sur-Saône.  —  A 
Carcassonne,  saint  Guimer  ou  Germier,  évêque.  11  fut  enseveli  dans  l'église  de  Saint-Nazaire.  On 
a  construit,  dans  le  faubourg  de  Carcassonne,  une  chapelle  qui  lui  est  dédiée  ;  on  croit  qu'elle 
occupe  l'emplacement  de  la  maison  où  il  es*,  né.  931.  —  A  Vicoigne,  le  bienheureux  Jacques, 
novice  dans  l'Ordre  des  Prémontrés.  —  A  Troyes,  saint  Phal,  abbé 5.  549.  —  A  Aix,  en  Provence, 
le  bienheureux  André  Abellon.  Né  à  Saint-Maximin  vers  1308,  il  entra  dans  l'Ordre  des  Frères 
Prêcheurs  qui,  alors  comme  aujourd'hui,  avaient  la  garde  des  reliques  de  sainte  Marie-Madeleine. 
Le  bienheureux  André,  contemporain  de  saint  Vincent  Ferrier,  fut,  comme  lui,  un  grand  prédica- 
teur. On  connaît  peu  ses  actions  :  il  remplit  plusieurs  fonctions  importantes  dans  son  Ordre  et 
occupait  ses  loisirs  à  la  peinture.  Il  mourut  au  couvent  d'Aix  le  15  avril  1540.  Le  culte  qu'on  lui 
rendit  date  du  jour  de  son  trépas.  La  poussière  de  son  tombeau  passait  pour  être  miraculeuse, 
et  des  témoins  oculaires  ont  pu  certifier  que,  en  1789,  une  lampe  brûlait  encore  continuelle- 
ment devant  son  tombeau.  Les  Dominicains  sont  en  instance  pour  obtenir  l'approbation  du  culte 
immémorial  qui  lui  est  rendu.  Ses  reliques  ont  été  retrouvées  en  1845.  —  Au  diocèse  de  Dijon, 
saint  Waldalène,  premier  abbé  de  Bèze.  Celle  abbaye  fut  fondée  par  la  munificence  d'Amalgaire, 
gouverneur  de  Lyon  et  de  son  territoire,  et  père  de  saint  Waldalène.  Vers  680.  —  Saint  Adal- 
sinde,  sœur  du  précédent,  religieuse.  Vers  650.  —  Au  diocèse  de  Nevers,  saint  Francuy.  —  Le 
vénérable  Thomas  de  Cantimpré,  de  l'Ordre  de  Saint-Dominique,  condisciple  de  saint  Thomas 
i  d'Aquin,  à  Cologne.  Il  mérita  de  voir  des  yeux  du  corps  les  traits  de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ 
:  à  l'état  d'homme  fait.  1280. 

MARTYROLOGES  DES   ORDRES  RELIGIEUX. 

Martyrologe  des  Franciscains.  —  A  Recanali,  dans  la  Marche  d'Ancône,  le  bienheureux  Bien- 
venu, confesseur. 

Martyrologe  des  Augustins.  —  Saint  Pie  V. 

1.  La  date  du  martyre  de  saint  Cassius  ou  Cassi,  comme  on  dit  en  Auvergne,  et  de  ses  compagnons 
est  sujette  à  discussion.  Nous  donnerons  notre  opinion  au  1er  novembre,  jour  auquel  nous  traiterons  de 
tous  les  Apôtres  de  l'Auvergne. 

2.  On  célèbre  aujourd'hui  à  Rome  la  fête  de  saint  Isidore,  laboureur.  Voir  sa  Vie  au  10  mai. 

3.  Voir  au  1er  novembre. 

4.  Ce  Saint  succéda  à  Paul  le  Jeune,  sur  le  siège  de  Chalon-sur-Saône.  Sidoine  Apollinaire  raconte 
que  son  exaltation  eut  lieu  à  la  honte  des  méchants  et  aux  acclamations  des  gens  de  bien,  mais  sans 
nulle  opposition.  Il  fut  sacré  par  saint  Patient,  archevêque  de  Lyon,  assisté  d'Euphrone,  évûque  d'Autun 
et  des  autres  suffragants.  Son  peuple  trouva  en  lui  un  père  tendre  et  son  clergé  un  modèle  de  vertus.  Il 
fut  mis  au  rang  des  Saints  par  le  pape  Jean  VIII,  dans  le  court  séjour  qu'il  fit  à  Châlon,  l'an  879.  (Tiré 
du  Propre  d'Autun.) 

6.  Voir  au  16  mai. 


SS.   PIERRE,   ANDRÉ  ET  PAUL,  ET  Sle  DIONYSIA,   MARTYRS.  541 

Martyrologe  des  Servîtes.  —  Saint  Isidore,  le  laboureur. 

Martyrologe  des  Capucins.  —  A  Aquila,  dans  le  royaume  de  Naples,  la  translation  de  saint 
Bernardin  de  tienne,  laquelle  eut  lieu  le  18  mai  au  temps  de  Sixte  IV. 

Martyrologe  des  Hiérony  mites.  —  Saint  Emygde,  évêque  et  martyr,  dont  la  fête  a  lieu  la 
5  du  mois  d'août,  mais  nous  la  célébrons  aujourd'hui  par  privilège. 

Martyrologe  des  Carmes  déchaussés.  —  Saint  Pie  V. 

ADDITIONS    FAITES   D' APRÈS   LES    BOLLANDISTES   ET  AUTRES    HAGIOGRAPHES. 

A  Pavie,  les  saints  Cbrysanthe  et  Fortunat,  prêtres,  ordonnés  par  saint  Syrus,  premier  evfique 
de  Pavie.  Ie*  s.  —  A  Vérone,  saint  Dimidrien,  évêque  de  cette  ville,  m8  s.  —  A  Sirmich,  en 
Pannonie,  saint  Timothée,  et  sept  vierges,  martyrs.  —  En  Sardaigne,  sainte  Rosula,  martyre,  que 
plusieurs  martyrologes  joignent  à  saint  Simplice,  fêté  le  même  jour.  —  Encore  à  Pavie,  les  saints 
Bonin,  Sotère  et  Paulin,  martyrs.  Leurs  reliques  étaient  conservées  dans  l'église  de  Saint-Gervais 
et  Saint-Protais,  enfermées  dans  la  même  urne  que  celle  qui  contenait  les  restes  des  saints  For- 
tunat et  Cbrysanthe.  —  A  Soriano,  en  Toscane,  saint  Eutice,  prêtre  et  martyr,  patron  de  Soriano 
et  d'Orta.  Règne  de  Maximien.  —  A  Rome,  les  saintes  Quirille  et  Sophie,  vierges  et  martyres, 
dont  les  corps  sont  conservés  dans  cette  ville.  —  A  Bénévent,  saint  Libérateur,  évêque  et  martyr. 
Ses  actes  ont  péri  :  ses  reliques  sont  en  si  grande  vénération  que  l'on  chôme  le  jour  de  sa  fête  à  Béné- 
vent, à  Sulmona,  à  Mantiana  où  on  lui  a  élevé  des  églises. —  A  Larisse,  en  Thessalie,  saint  Achille, 
évêque  de  cette  ville.  Vers  l'an  330.  —  En  Italie,  saint  Ilar,  fondateur  de  la  célèbre  abbaye  de 
Golliata  située  dans  les  Apennins,  sur  les  confins  de  la  Romagne.  496.  Cette  abbaye  fut  donnée 
aux  Camaldules  en  1498.  —  En  Perse,  les  saints  Siméon,  Isaac  et  Bactisoë,  martyrs,  qui  furent 
laissés  sept  jours  en  prison  sans  nourriture,  et  périrent  par  le  feu.  Persécution  de  Sapor.  iv«  s. 
—  A  Plaisance,  saint  Domninus,  diacre.  443.  —  A  Castro,  en  Calabre,  sainte  Césarie,  dont  l'his- 
toire ressemble  beaucoup  à  celle  de  sainte  Dympna,  avec  cette  différence  que  son  père  ne  put 
devenir  son  meurtrier.  Césarie  s'etant  dérobée  par  la  fuite,  termina  les  jours  de  son  exil  dans  une 
grotte.  Epoque  incertaine.  —  A  Fano,  en  Italie,  saint  Ours,  évêque.  vu»  s.  —  A  Coustautinople, 
saint  Nicolas  le  Mystique,  patriarche  de  cette  ville,  qui  fut  envoyé  en  exil  pour  s'être  opposé, 
conformément  aux  canons,  aux  quatrièmes  noces  de  l'empereur  Léon  le  Grammairien.  925.  —  A 
Lucques,  en  Italie,  le  bienheureux  Dorothée,  ermite.  On  raconte  que  la  solitude  choisie  par  lui 
n'avait  ni  ombrages,  ni  fontaine.  Il  y  planta  son  bâton  qui  se  transforma  en  un  arbre  touffu,  et 
au  pied  de  cet  arbre  jaillit  une  fontaine  abondante  et  limpide.  Cet  ermitage  fut  longtemps  le 
but  d'un  pieux  pèlerinage.  Epoque  non  désignée. 


SS.  PIERRE,  ANDRÉ  ET  PAUL,  ET  S'9  DIONYSIA, 

MARTYRS 
250,  —  Pape  :  Saint  Fabien.  —  Empereur  :  Dèce. 


Notre  ange  à  nous,   est   toujours  aussi  avec  nous  et 
près  de  nous,  quoique  invisible,  ne  l'oublions  pas. 

Au  temps  de  l'iniquité,  lorsqu'on  faisait  la  guerre  aux  serviteurs  de 
Dieu,  et  que  la  terre,  arrosée  du  bienheureux  sang  des  martyrs,  partout  se 
couvrait  des  fleurs  de  la  sainteté,  sur  le  territoire  de  Lampsaque  fut  arrêté 
un  jeune  chrétien  nommé  Pierre.  C'était  un  cœur  généreux  dans  la  foi,  et 
il  réunissait  aux  charmes  de  la  vertu  un  extérieur  plein  de  grâces.  On  le 
présenta  au  proconsul  Optimus,  qui  lui  dit  :  «  Quel  est  ton  nom  ?  »  Il  ré- 
pondit :  «  Pierre  ».  Le  proconsul  lui  dit  :  «  Es-tu  chrétien  ?  »  Pierre  ré- 
pondit :  «  Oui,  je  suis  chrétien  ».  Le  proconsul  dit  :  «  Tu  as  ici  sous  tes 
yeux  les  décrets  de  nos  invincibles  princes;  sacrifie  donc  à  la  grande  déesse 
Vénus  «.Pierre  répondit  :  «  Proconsul  Optimus,  je  m'étonne  que  tu  veuilles 
me  persuader  de  sacrifier  à  une  femme  impudique  et  infâme,  dont  les  ac- 


542  15  mai. 

tions  sont  tellement  honteuses,  qu'on  ne  pourrait  les  raconter  sans  rougir. 
Vos  histoires  elles-mêmes  accusent  ses  désordres;  et  vous  punissez  dans  les 
hommes  de  débauche  les  abominations  qui  composent  sa  vie.  Si  donc  vous 
la  nommez  courtisane  et  femme  sans  pudeur,  comment  osez-vous  me  for- 
cer à  honorer  par  l'adoration  et  les  sacrifices  une  vile  prostituée  ?  Il  est 
donc  plus  nécessaire  et  plus  glorieux  pour  moi  d'offrir  le  sacrifice  de  l'ado- 
ration et  de  la  prière,  de  la  componction  et  de  la  louange,  au  Dieu  vivant 
et  véritable,  au  roi  de  tous  les  siècles,  au  Christ  ».  A  ces  paroles,  le  pro- 
consul fit  étendre  sur  la  roue  et  attacher  avec  des  chaînes  de  fer  les  mem- 
hres  délicats  du  jeune  Martyr.  En  même  temps,  des  pièces  de  bois  furent 
disposées  tout  autour,  de  telle  manière  que,  dans  le  mouvement  de  la  roue, 
elles  devaient  heurter  le  corps  et  briser  les  os  en  mille  pièces.  Mais  plus  la 
torture  était  cruelle,  plus  le  serviteur  de  Dieu  se  montrait  courageux  et 
fort.  Sur  ses  lèvres  était  un  sourire  de  pitié  pour  son  persécuteur,  et  ses 
yeux  étaient  fixés  au  ciel  par  un  regard  d'espérance.  Il  disait  :  «  Je  vous 
rends  grâces,  Seigneur  Jésus,  qui  avez  daigné  donner  à  ma  faiblesse  assez 
de  patience  pour  vaincre  ce  tyran  cruel  ».  Le  proconsul,  témoin  de  cette 
merveilleuse  constance,  et  voyant  ses  tortures  inutiles,  lui  fit  trancher  la 
tête  d'un  coup  d'épée. 

Vers  le  même  temps,  le  proconsul  faisait  le  voyage  de  Troade,  accom- 
pagné d'un  nombreux  et  brillant  cortège.  On  lui  amena  trois  chrétiens, 
André,  Paul  et  Nicomaque.  Il  leur  demanda  d'où  ils  étaient  et  quelle  était 
leur  religion.  Nicomaque,  trop  impatient,  prévient  ses  frères,  et  s'écrie  : 
«Je  suis  chrétien  ».  Le  proconsul  dit  à  André  et  à  Paul  :  «  Et  vous,  qui 
êtes- vous  ?  »  Ils  répondirent:  «  Nous  sommes  chrétiens  ».  Le  proconsul 
dit  à  Nicomaque  :  «Sacrifie  aux  dieux,  selon  les  ordres  de  l'empereur». 
Nicomaque  répondit  :  «  Tu  sais  qu'un  chrétien  ne  doit  pas  sacrifier  aux  dé- 
mons ».  Le  proconsul  aussitôt  le  fit  suspendre  et  appliquer  à  la  torture. 
Mais,  vaincu  par  la  violence  de  la  douleur  et  sur  le  point  d'expirer,  le 
malheureux,  élevant  la  voix,  s'écria  :  «  Je  n'ai  jamais  été  chrétien;  je  sa- 
crifie aux  dieux  ».  Le  proconsul  aussitôt  le  fit  détacher.  Mais,  à  peine  a-t-il 
sacrifié,  que  le  démon  s'empare  de  lui;  il  se  roule  à  terre,  se  coupe  la 
langue  avec  les  dents,  et  expire. 

Dans  la  foule  des  spectateurs  était  une  jeune  vierge  nommée  Dionysia, 
âgée  de  seize  ans,  qui  s'écria  :  «  Ah  !  misérable,  le  plus  infortuné  de  tous 
les  hommes,  comment  pour  une  heure  de  vie  as-tu  pu  acheter  des  peines 
éternelles  et  que  la  parole  humaine  ne  saurait  décrire  ?  »  Le  proconsul, 
entendant  ces  paroles,  fit  amener  la  vierge  devant  son  tribunal,  et  lui  de- 
manda si  elle  était  chrétienne.  Dionysia  répondit  :  «  Oui,  je  suis  chrétienne; 
c'est  pourquoi  je  plains  cet  infortuné  de  n'avoir  pas  pu  souffrir  quelques 
instants  de  plus,  qui  allaient  lui  assurer  un  repos  sans  fin  ».  Le  proconsul 
dit  :  «  Il  a  vraiment  trouvé  le  repos  dont  tu  parles,  en  accomplissant  par 
un  sacrifice  la  volonté  des  dieux  et  celle  de  nos  invincibles  princes;  car  Vé- 
nus et  la  grande  Diane  ont  daigné  l'enlever  pour  le  soustraire  aux  reproches 
dont  l'auraient  accablé  ceux  qui  professent  vos  vaines  superstitions.  Sacrifie 
donc  comme  lui,  et  ne  sois  pas  plus  longtemps  dans  ces  illusions  honteuses 
qui  me  forceraient  à  te  brûler  vive  ».  Dionysia  répondit  :  a  Mon  Dieu  est 
plus  grand  que  toi.  C'est  pourquoi  je  ne  crains  pas  tes  menaces;  il  est  assez 
puissant  pour  me  donner  la  patience  dans  tous  les  supplices  dont  tu  vou- 
dras m'accabler  ».  Le  proconsul  la  livra  aux  mains  infâmes  de  deux  jeunes 
débauchés.  Pour  André  et  Paul,  il  les  fit  jeter  en  prison.  Cependant  les 
jeunes  gens  avaient  conduit  dans  leur  demeure  la  vierge,  chaste  épouse  de 


SS.  PIERRE,  ANDRÉ  ET  PAUL,   ET  Sle  DIONYSIA,   MARTYRS.  543 

son  Dieu.  Jusqu'au  milieu  de  la  nuit,  ils  s'épuisèrent  en  vains  efforts  pour 
triompher  de  sa  pudeur.  Déjà  s'apaisaient  les  emportements  de  leur  brutale 
passion,  quand  tout  à  coup  leur  apparut  un  jeune  homme,  revêtu  d'une 
éclatante  lumière  qui  illumina  toute  la  maison,  A  cette  vue,  comme  ter- 
rassés par  la  crainte,  ils  tombèrent  aux  pieds  de  la  jeune  fille.  Dionysia  les 
releva,  et  leur  dit  :  «  Ne  craignez  point  ;  c'est  le  défenseur  et  le  gardien  que 
Dieu  m'a  donné,  parce  que  j'ai  été  livrée  entre  vos  mains  par  un  juge  im- 
pie ».  Les  jeunes  gens  lui  demandèrent  d'intercéder  pour  eux,  afin  qu'il  ne 
leur  arrivât  aucun  mal. 

Dès  que  le  jour  parut,  le  peuple  se  porta  en  foule  au  palais  du  procon- 
sul, demanda  à  grands  cris  qu'on  lui  livrât  André  et  Paul.  Ce  tumulte  sédi- 
tieux était  excité  par  deux  prêtres  de  Diane,  Onésicrates  et  Macédon.  Le 
proconsul,  ayant  donc  fait  venir  les  deux  confesseurs,  leur  dit  :  «  André  et 
Paul,  sacrifiez  à  la  grande  Diane  ».  André  et  Paul  répondirent  :  <c  Nous  ne 
connaissons  ni  Diane  ni  les  autres  démons  que  vous  adorez.  Nous  n'avons 
jamais  adoré  que  le  Dieu  unique  ».  Le  peuple,  entendant  ces  paroles,  criait 
plus  haut  encore  qu'on  les  lui  livrât  pour  qu'il  les  fît  mourir.  Enfin  le  pro- 
consul, voyant  qu'il  ne  pouvait  triompher  de  la  persévérance  des  saints 
Martyrs,  les  fit  battre  de  verges,  et  les  livra  au  peuple  pour  qu'il  les  lapidât. 

Mais,  pendant  qu'on  les  lapidait,  la  vierge  du  Seigneur,  Dionysia,  en  fut 
avertie  par  le  tumulte;  aussitôt  elle  pousse  un  grand  cri,  accompagné  de 
sanglots  et  de  larmes,  s'échappe  de  sa  prison  et  court  au  lieu  du  supplice. 
Là,  elle  se  jette  sur  les  corps  expirants  des  Martyrs,  en  disant  :  «  Afin  de 
pouvoir  vivre  avec  vous  dans  le  ciel,  je  veux  mourir  avec  vous  sur  la  terre  » . 
A  cette  vue,  on  s'empressa  d'aller  exposer  au  proconsul  comment  cette 
vierge,  dont  il  avait  abandonné  la  vertu  à  la  passion  de  deux  jeunes  dé- 
bauchés, avait  été  miraculeusement  sauvée  par  un  jeune  homme  tout  écla- 
tant de  lumière,  et  comment,  s'échappant  de  la  prison,  elle  était  venue  se 
jeter  sur  les  corps  de  Paul  et  d'André,  demandant  à  être  lapidée  avec  eux. 
Le  proconsul,  pour  ne  point  exaucer  sa  prière,  ordonna  de  l'enlever  et  de 
la  décapiter  dans  un  autre  lieu  ;  ce  qui  fut  exécuté. 

Ainsi  ces  illustres  Martyrs,  après  avoir  soutenu  ensemble  les  mêmes 
combats  contre  le  siècle,  le  démon  et  le  proconsul  Optimus,  ont  mérité,  par 
la  grâce  du  Christ,  les  honneurs  de  la  victoire,  chacun,  il  est  vrai,  dans  des 
supplices  différents  ;  Pierre  après  mille  tortures,  André  et  Paul  sous  les 
coups  des  pierres,  et  Dionysia  par  le  glaive.  Cela  se  passa  à  Lampsaque,  le 
jour  des  ides  de  mai,  sous  l'empire  de  Dèce  et  le  proconsulat  d'Optimus, 
Notre -Seigneur  Jésus-Christ  régnant  sur  le  monde  ;  à  lui  soit  la  gloire, 
l'honneur  et  la  puissance  ». 

Tiré  des  Actes  de  Dom  Buinart,  traduits  par  Drouet  de  Maupertuy,  revus  et  publiés  par  les  E.  P. 
Bénédictins  de  la  Congrégation  de  France. 

1.  Le  culte  de  ces  Martyrs  est  ancien  chez  les  Latins  comme  chez  les  Grecs.  Leur  nom  se  trouve  dans 
les  martyrologes  qui  portent  le  nom  de  saint  Jérôme  ;  or  l'on  sait  que  ces  martyrologes  sont  du  iv«  ou 
v»  siècle. 


544  15  mai. 

SAINT  RHÉTICE,  ÉVÊQUE  D'AUTUN 

Vers  l'aa  334.  —  Pape  :  Saint  Sylvestre  I<«.  —  Empereur  :  Constantin  le  Grand. 

Personne  n'ignore  que  le  baptême  ne  soit  la  première 
indulgence  dont  l'Eglise  use  envers  nous.  C'est  là 
que  nous  nous  déchargeons  de  tout  le  poids  da 
notre  ancien  crime.  C'est  là  que  nous  nous  lavons 
des  anciennes  souillures  de  notre  ignorance  crimi- 
nelle. C'est  là,  enfin,  que  nous  nous  dépouillons  du 
vieil  homme  avec  ce  qu'il  apporte  de  criminel  en 
naissant. 
Seule  sentence   qui   nous  reste  des  écrits  de  saint 

Rhétice,  citée  par  saint  Augustin,  in  Jul.,\iv.  rer,  n.7. 

Constance  Chlore  ayant  restauré  Autun  y  avait  fait  refleurir  l'étude  de 
l'éloquence,  en  chargeant  le  fameux  Eumène  d'en  donner  des  leçons  à  la 
jeunesse,  et  avait  engagé  la  principale  noblesse  des  Gaules  à  s'établir  dans 
cette  ville.  Rhétice  était  issu  d'une  de  ces  illustres  familles 1. 

Le  jeune  patricien,  destiné  par  la  Providence  à  être  un  grand  évoque, 
fut  élevé  avec  soin  dès  l'âge  le  plus  tendre  par  de  pieux  parents,  plus  dis- 
tingués encore  par  leur  foi  que  par  leur  noblesse,  dans  la  doctrine  chrétienne 
et  dans  toutes  les  vertus  évangéliques.  Il  reçut  en  même  temps  une  éduca- 
tion libérale,  conforme  à  sa  naissance  et  à  son  rang 2  ;  et  ses  talents  naturels, 
cultivés  par  le  travail,  protégés  par  l'innocence  du  cœur,  attirèrent  bientôt 
tous  les  regards.  Mais  le  noble  et  brillant  écolier  ne  sépara  jamais  l'étude 
des  saintes  lettres  de  l'étude  des  lettres  profanes,  et  ses  progrès  dans  la 
piété  surpassaient  encore  ses  progrès  dans  les  sciences.  Egalement  remar- 
quable par  les  qualités  du  cœur  et  par  celles  de  l'esprit,  qui  s'unissaient 
harmonieusement  en  lui  pour  former  un  ensemble  parfait,  embelli  et  sur- 
naturalisé  par  la  foi,  il  faisait  la  joie  de  ses  parents,  l'édification  des  fidèles, 
l'admiration  de  tout  le  monde. 

Cependant  le  temps  vint  où  sa  famille,  dont  il  était  l'espérance,  voulut 
l'établir.  Un  jeune  homme  si  accompli  et  distingué  par  son  mérite  person- 
nel autant  que  par  sa  position  sociale,  ne  pouvait  manquer  d'avoir  à  choisir 
entre  bien  des  partis  séduisants  et  avantageux  selon  le  monde  ;  mais  il  se 
garda  bien  de  se  laisser  éblouir  par  un  vain  éclat.  Appelant  par  la  prière 
l'assistance  divine,  si  nécessaire  en  pareille  circonstance  ;  cherchant  avant 
tout  la  vertu,  il  méritait  de  trouver  une  compagne  vraiment  digne  de  lui, 
et  il  la  trouva.  Son  choix,  dirigé  par  la  Providence,  s'arrêta  sur  une  jeune 
personne  disposée  à  être  moins  une  épouse  qu'une  sœur  capable  de  le  com- 
prendre, de  s'associer  à  sa  piété,  de  partager  ses  goûts,  de  vivre  de  sa  vie. 
Aussi  un  pur  et  céleste  amour  présida-t-il  à  leurs  noces  :  ce  fut  comme  le 
mariage  de  deux  anges,  car  leurs  cœurs  s'unirent  pour  aimer  Dieu  davan- 
tage et  se  soutenir,  en  s'appuyant  l'un  sur  l'autre  pendant  le  voyage  d'ici- 
bas.  Les  deux  jeunes  époux  passaient  ensemble  de  longues  veilles  en  prières  ; 
ensemble  il  concertaient,  ensemble  ils  accomplissaient  des  œuvres  de 
charité,  visitant  les  malades,  consolant  les  affligés  et  versant  dans  le  sein 
des  pauvres  d'abondantes  aumônes 3.  Le  couple  pieux  passa  ainsi  plusieurs 
années  pleines  et  heureuses  à  faire  le  bien  dans  un  calme  modeste,  béni  de 
Dieu  et  des  hommes.  Mais  la  position  et  les  vertus  d'un  simple  particulier 

1.  Eist.  de  l'Egl.  gall.  —  2.  Greg.  Turon.,  De  gl.  Conf.,  c.  75.  —  3.  Ibid.;  Bolland.,  19  Jul. 


SATCT   RHÉTICE,   ÉVÊQUE   D'aUTUN.  545 

n'étaient  pas  à  la  hauteur  de  l'âme  de  Rhétice.  La  Providence,  qui  le  des- 
tinait à  de  plus  grandes  choses  et  voulait  lui  donner,  pour  le  bien  de  l'Eglise, 
un  théâtre  digne  de  son  mérite,  semble  vouloir  commencer  par  déblayer  la 
voie.  Les  douceurs  de  la  vie  domestique  lui  sont  soudainement  ravies.  Des 
liens  aussi  étroits,  aussi  doux  que  sacrés  se  rompent  inopinément  ;  et  le 
même  coup  qui  les  brise,  en  le  frappant  au  cœur,  prépare  son  entrée  dans 
la  carrière  nouvelle  où  le  pousse  la  volonté  divine.  Son  épouse,  la  déposi- 
taire de  ses  pensées,  l'associée  de  ses  vertus,  la  douce  compagne  de  sa  vie, 
la  pieuse  sœur  de  son  âme,  lui  est  enlevée.  Comme  il  était  à  la  dernière 
heure  penché  sur  la  couche  de  la  malade  chérie,  pleurant  et  tenant  fixé 
tantôt  sur  elle,  tantôt  sur  l'image  de  Jésus  en  croix  un  regard  triste  mais 
résigné,  il  l'entendit  qui  lui  disait  d'une  voix  expirante  et  pleine  de  larmes  *  : 
«  Bon  et  bien-aimé  frère,  je  vais  mourir.  Nous  allons  donc  nous  quitter 
pour  un  moment  ;  mais  quand  vous  aurez  aussi  achevé  votre  course,  ayez 
soin  que  nous  soyons  alors  réunis  dans  le  sépulcre ,  comme  nous  l'avons 
été  sur  la  terre,  comme  nous  le  serons  au  ciel.  Un  chaste  amour  nous  avait 
rapprochés  ;  que  la  mort  ne  nous  sépare  pas.  Nous  avons  vécu  dans  le 
même  lit,  comme  deux  lis  sur  la  même  tige  ;  reposons  encore  ensemble 
dans  notre  dernière  demeure.  Je  vous  en  prie,  promettez  de  venir  m'y 
rejoindre  ».  Ce  furent  presque  ses  dernières  paroles,  et  Rhétice  fut  heureux 
de  faire  une  promesse  que  lui  inspirait  déjà  son  cœur.  Bientôt  après, 
l'épouse  qui  avait  été  un  ange  dans  un  corps  mortel  alla  se  réunir  aux 
anges,  en  attendant  dans  le  sommeil  de  la  tombe  la  partie  matérielle,  et 
dans  le  séjour  de  la  gloire,  l'âme  de  celui  qui  avait  été  son  époux  et  que 
plus  justement  encore  elle  appelait  son  frère. 

Le  pieux  chrétien  avait  à  peine  séché  ses  larmes,  que  l'estime  et  la  véné- 
ration universelles,  qui  depuis  longtemps  s'étaient  portées  sur  lui,  allèrent 
l'arracher  à  sa  douleur  et  à  son  solitaire  veuvage  pour  le  mettre  à  la  tête 
de  l'Eglise  d'Autun.  Son  mérite  éminent  l'avait  trahi  à  son  insu  dans  sa  vie 
privée.  Obligé  de  céder  et  de  monter  plus  haut  ;  reconnaissant  la  voix  de 
Dieu  dans  l'acclamation  unanime  et  spontanée  du  peuple  fidèle,  il  renonça 
généreusement,  pour  assumer  sur  lui  les  travaux  de  l'épiscopat,  aux  jours 
calmes  et  tranquilles  qu'il  pouvait  couler.  Il  sacrifia  son  repos,  se  sacrifia 
lui-même,  se  donna  tout  entier;  et  bientôt  l'on  vit  ce  que  peut  un  évêque, 
quand  à  la  piété  et  au  zèle  vient  se  joindre  en  lui  cette  haute  influence  que 
donnent  la  naissance,  les  talents  et  une  vertu  depuis  longtemps  reconnue 
et  proclamée.  Aussi  bien,  après  la  perte  de  sa  vertueuse  épouse,  y  en  avait- 
il  une  autre  qui  fût  digne  de  lui,  hormis  l'Eglise  elle-même  ?  Le  choix  ne 
pouvait  être  meilleur  :  l'élévation  de  Rhétice  à  l'épiscopat  parut  même 
tout  à  fait  providentielle  dans  les  circonstances  où  se  trouvait  alors  l'Eglise. 
Constantin  venait  de  succéder  à  Constance  Chlore.  Ce  prince,  il  est  vrai, 
marcha  sur  les  traces  de  son  père  et  montra  même  pour  la  cité  éduenne  et 
pour  les  chrétiens  une  bienveillance  plus  grande  encore.  Mais  l'idolâtrie 
comptait  encore  à  Autun  de  zélés  défenseurs,  parmi  lesquels  se  distinguait 
surtout  Eumène.  Le  rhéteur  ne  laissait  passer  aucune  occasion  d'éclat  sans 
étaler  dans  de  pompeux  discours,  au  milieu  de  ses  déclamations  officielles 
et  de  ses  plates  adulations  pour  les  Césars,  tout  le  luxe  de  son  érudition 
mythologique  s.  Il  fallait  donc  que  les  chrétiens  pussent  lui  opposer  un 
homme  d'une  haute  valeur,  estimé  et  considéré  de  tout  le  monde,  distingué 
par  sa  position  sociale,  son  mérite  et  ses  talents  oratoires,  qui  pût  contre- 

1.  Greg.  Tur.,  loc.  cit.  —  2.  Orat.  pro  rest.  schol.  et  Paneg.  passlm. 

Vies  des  Saints.  —  Tomf.  V.  •*■' 


546  15  mai. 

balancer  auprès  de  ses  concitoyens  et  auprès  du  prince  l'influence  du  direc- 
teur des  écoles  Méniennes.  Rhétice  était  cet  homme. 

Appelé  par  les  vœux  des  Eduens  que  leur  avait  transmis  Eumène,  Cons- 
tantin vint  à  Autun  en  311.  Il  reçut  avec  attendrissement  une  députation  des 
principaux  citoyens  et  agréa  avec  bonté  leurs  hommages.  Profondément  ému 
au  récit  de  leurs  maux,  il  versa  des  larmes  et  s'empressa  de  les  consoler  en 
leur  accordant  de  grandes  faveurs,  remit  les  taxes  arriérées,  diminua  les 
impôts,  accorda  de  nouveaux  secours  pour  la  restauration  des  édifices 
publics  et  pour  l'embellissement  de  la  ville,  continuant  ainsi  l'oeuvre  déjà 
commencée  par  son  père.  De  sorte  qu' Augustodunum,  vaste  construction 
gallo-romaine  commencée  probablement  sous  Auguste,  continuée  sous 
Yespasien,  restaurée  sous  Alexandre-Sévère,  fut  presque  entièrement  ré- 
tablie sous  Constance  Chlore  et  Constantin 1.  Mais  ce  prince,  bien  qu'on  fût 
allé  à  sa  rencontre  avec  les  images  des  dieux,  ne  parut  pas  aux  temples  et 
s'occupa  fort  peu  de  les  relever  de  leurs  ruines. 

Constantin,  après  avoir  quitté  Autun,  s'était  rendu  à  Trêves.  Là,  s  étant 
mis  à  la  tête  de  son  armée,  il  revint  avec  elle  à  Châlon  où  il  la  fit  rafraîchir 
et  prit  le  chemin  de  l'Italie.  L'empereur  suivait  donc  la  voie  impériale  %  se 
dirigeant  vers  les  Alpes  pour  aller  délivrer  Rome  et  le  monde  de  l'infâme 
et  cruel  Maxence,  lorsque  tout  à  coup,  après  avoir  adressé  une  fervente 
prière  au  Dieu  qui  était  encore  pour  lui  le  Dieu  inconnu,  une  croix  lumi- 
neuse apparut  dans  le  ciel,  un  peu  au-dessous  du  soleil,  avec  ces  mots  en 
caractères  de  feu  :  Par  ce  signe  tu  vaincras.  C'en  est  fait  :  bientôt  le  prince 
se  déclare  chrétien.  Il  veut  même  que  la  croix  et  le  monogramme  du  Christ 
ornent  désormais  son  casque  et  sa  couronne,  brillent  sur  les  écus  de  ses 
soldats  et  servent  d'étendard  à  son  armée.  Ainsi  fut  inauguré  le  quatrième 
siècle,  cette  grande  époque  qui  se  levait  sur  le  monde  avec  la  plus  belle 
génération  de  génies  que  la  terre  eût  encore  vue. 

Après  trois  siècles  de  combats  et  de  victoires,  le  christianisme  avait 
donc  enfin  son  jour  de  triomphe  solennel.  Il  s'assit  avec  Constantin  sur  ce 
même  trône  des  Césars  d'où  étaient  partis  tant  d'édits  sanglants  ;  et  Rhé- 
tice, pour  le  bien  de  l'Eglise  catholique,  pour  l'éternel  honneur  de  l'Eglise 
éduenne,  fut  mêlé  à  cette  grande  œuvre,  à  ce  prodige  de  transformation 
providentielle  :  Hœc  mutatio  dexterx  Excelsi.  Après  avoir  sans  doute  préparé, 
à  Autun,  l'esprit  du  prince  à  sa  conversion3,  il  fut  encore  choisi  pour 
l'instruire  des  vérités  de  la  foi  *,  et  mérita  d'être  appelé  le  premier  caté- 
chiste de  Constantin,  pratocatechista  Constantini.  Miraculeusement  converti 
par  l'apparition  de  la  croix,  non  loin,  selon  toute  probabilité,  de  notre 
pays 5,  et  s'entourant  aussitôt  des  lumières  de  l'épiscopat,  Constantin  voulut 

1.  Mémoires  de  la  Société  éduenne,  année  1845. 

2.  Courtépée  dit  qu'il  embarqua  ses  troupes  sur  la  Saône. 

S  Car  ce  fut  après  son  séjour  a  Autun  que  Constantin  est  dit  avoir  prié  le  vrai  Dieu  de  se  faire  con— 
naître  a  lui  et  de  le  protéger.  (Fleury,  Histoire  ecclés.) 

4.  Gagnare,  p.  10. 

h.  Plusieurs  historiens  placent  dans  nos  contrées,  dit  M.  Dinet  d'Autun,  le  lieu  où  la  croix  miraculeuse 
aprarnt  a  Constantin  et  à  toute  son  armée.  Le  Père  Longueval  (Hist.  de  l'Egl.  gall.,  t.  I",  p.  167,  édit. 
in— io,  1730)  s'exprime  ainsi  :  «  On  ne  convient  pas  du  lieu  où  le  prince  eut  cette  vision  miraculeuse.  Il  paraît 
seulement,  par  la  relation  d'Eusèbe,  que  ce  fut  dans  les  Gaules  et  avant  le  passage  des  Alpes  ».  Un  ancien 
panégyriste  de  Constantin  suppose  évidemment  la  même  chose.  De  plus,  une  foule  de  médailles  frappées  à 
Autun  et  portant  le  monogramme  du  Christ,  la  croix  grecque  qui  de  temps  immémorial  figure  dans  les  armes 
du  Chapitre,  l'autorité  des  Pères  Perry,  Marin,  Thomassin,  induiraient  à  placer  non  loin  de  nos  contrées 
l'apparition  du  prodige  qui  détermina  la  conversion  de  Constantin.  —  u  Quelques  auteurs  tiennent  »,  dit 
Sauinier,  «  que  saint  Rhétice  imprima  dans  le  cœur  de  Constantin  les  sentiments  de  la  foi,  et  que  l'éten- 
dard appelé  Labarum,  et  dont  il  fit  porter  la  figure  dans  toutes  les  batailles  qu'il  livra,  lui  apparut  dans 
le  territoire  de  l'église  d'Autun.  Les  meilleurs  auteurs  distinguent  l'apparition  de  la  croix  du  songe 


SALNT   RHÉTICE,   ÉVÊQUE   d'aUTUN.  547 

certainement  avoir  auprès  de  sa  personne  celui  qui  figurait  alors  au  pre- 
mier rang  parmi  les  pontifes  des  Gaules,  le  prélat  si  savant,  si  distingué, 
dont  il  avait  pu  apprécier  le  mérite  supérieur  pendant  son  séjour  à  Autun. 
Un  tel  prince  devait  être  initié  par  un  tel  maître  à  la  connaissance  de  nos 
dogmes  et  de  nos  saints  mystères.  Ces  deux  hommes  semblaient  faits  l'un 
pour  l'autre  :  ils  surent  se  comprendre  dès  qu'ils  se  connurent  ;  et  dès  lors 
le  grand  évoque  d' Autun  jouit  toujours  auprès  du  grand  empereur  de  la 
plus  haute  considération.  Eumène  ne  paraît  plus  :  il  s'efface  et  pâlit  comme 
sa  rhétorique.  C'est  maintenant  la  voix  éloquente  de  Rhétice  qui  domine. 
Elle  se  fait  entendre  dans  les  conciles,  et  toutes  les  paroles  qu'elle  pro- 
nonce sont  recueillies  avec  un  soin  respectueux  *.  L'éminent  prélat  usa  du 
crédit  qu'il  avait  auprès  du  prince  pour  exercer  sur  lui  la  plus  salutaire 
influence.  La  loi  par  laquelle  Constantin  défendit  de  marquer  les  criminels 
au  front,  de  peur  de  souiller  limage  de  Dieu,  ayant  été  rendue  à  Châlon  vers 
cette  époque,  on  doit  penser  que  l'évêque  d'Autun  ne  fut  pas  étranger  à  la 
publication  de  ce  sage  édit,  inspiré  par  le  christianisme  et  annonçant  déjà 
toute  une  révolution 2.  L'empereur  montra  son  estime  pour  Rhétice  par 
une  mention  spéciale  qu'il  fit  de  lui,  au  rapport  d'Eusèbe,  dans  une  de  ses 
lettres  par  laquelle  peu  de  temps  après  sa  conversion,  c'est-à-dire  le  2  oc- 
tobre 313,  il  se  hâta  de  l'appeler  au  concile  de  Rome.  L'illustre  prélat, 
précédé  dans  cette  ville  par  sa  réputation  de  science  et  de  vertu,  reçut 
l'insigne  honneur  d'être  placé  auprès  du  pape  saint  Melchiade,  dans  cette 
auguste  assemblée  réunie  pour  juger  la  cause  des  Donatistes. 

On  sait  que  pendant  la  dernière  persécution,  les  chrétiens,  en  Afrique 
spécialement,  étaient  forcés  de  livrer  les  saintes  Ecritures  ;  or,  plusieurs 
cédant  à  la  crainte  ou  à  la  violence  des  tourments  eurent  la  criminelle 
lâcheté  de  se  soumettre  à  l'exigence  des  persécuteurs.  Cécilien,  évêque  de 
Carthage,  fut  accusé  d'avoir  été  ordonné  par  des  évêques  traditeurs.  C'est 
ainsi  qu'on  appelait  ceux  qui  avaient  livré  les  saintes  Ecritures.  Des  esprits 
mécontents  ,  orgueilleux  et  brouillons,  à  la  tête  desquels  était  Donat, 
mirent  en  avant  ce  prétexte  aussi  faux  que  frivole,  l'exploitèrent  avec  tout 
l'acharnement  qu'inspire  une  jalousie  haineuse  jointe  à  une  coupable  am- 
bition, et  parvirent  à  former  un  puissant  parti  contre  Cécilien.  Us  se  sépa- 
rèrent de  sa  communion,  mirent  à  sa  place  Majorin  sur  le  siège  de  Carthage, 
et  jetèrent  ainsi  le  trouble  dans  toute  l'Eglise  d'Afrique.  Les  schismatiques 
ayant  refusé  de  se  rendre  aux  pacifiques  exhortations  que  leur  fit  de  la  part 
de  l'empereur,  Ancelin,  proconsul  de  la  province,  voulurent  s'adresser  à 
Constantin  lui-même  et  lui  écrivirent  une  lettre  conçue  en  ces  termes  : 
«  Très-puissant  prince,  vous  qui  êtes  d'une  race  juste,  vous  dont  le  père 
n'a  point  pris  part  à  la  persécution,  nous  vous  prions,  puisque  la  Gaule  est 
étrangère  à  nos  affaires,  de  nous  donner  pour  juges  des  évêques  gaulois....» 
L'empereur,  dans  l'espoir  de  faire  cesser  le  schisme,  crut  devoir  se  rendre 
à  leur  demande.  Il  en  écrivit  au  pape  saint  Melchiade  ;  et  c'est  alors  que  de 
concert  avec  lui  il  convoqua  ce  concile  de  Rome,  où  il  ne  manqua  pas  d'ap- 

qu'eut  Constantin  aux  portes  de  Rome.  Toutefois,  cette  question  est  restée  un  problème  historique  qui  n'a 
jamais  été  parfaitement  résolu.  Mais  ce  qui  parait  certain,  c'est  la  haute  estime  do  Constantin  pour  saint 
Rhétice,  l'influence  heureuse  que  cet  illustre  évêque  exerça  sur  ce  prince  et  la  part  qu'il  eut  dans  sa 
conversion  et  dans  son  instruction  ».  {Annal,  de  philos,  chrét.,  t.  xx;  Mgr  Devoucoux,  Hist.  inéd.  de 
l'église  d'Autun.)  —  D'autres  auteurs  placent  à  Arles  l'apparition  du  Labarum. 

1.  Audi  fideliter  quod  ait  homo  Dei  Rheticius,  ah  Augustoduno  episcopus.  (S.  Augustinus,  lib.  I, 
Oper.  imperf.,  n.  55.)  Rheticium  ab  Augustoduno  magnce  fuisse  auctoritatis  in  Ecclesia,  etc..  (Id.,  lib.  i, 
Cont.  Jul.  Pelag.,  c.  3.) 

2.  Datum  XI  kal.  april.  Cêbelluno,  Constantino  quartum  et  Licinio  quartum  coss.  Cod.  Theod.,  \.  n, 
de  Fceni3. 


548  15  mai. 

peler  nominativement  et  en  première  ligne  Rhétice  d'Autun,  puis  Materne 
de  Cologne  et  Marin  d'Arles,  les  trois  plus  saints  et  plus  savants  prélats  des 
Gaules,  auxquels  furent  adjoints  quinze  évoques  d'Italie  et  vingt  d'Afrique, 
dix  de  chaque  parti  '. 

L'auguste  assemblée  se  réunit  dans  le  palais  de  l'impératrice  Fausta, 
nommé  la  maison  de  Lateran,  examina  dans  trois  sessions  la  cause  qui  lui 
était  soumise  et  prononça  contre  les  Donatistes  une  sentence  dictée  par  une 
sagesse  admirable.  Ceux-ci,  montrant  alors  tout  ce  fond  d'orgueil  et  de 
mauvaise  foi  qu'on  retrouve  dans  tous  les  sectaires,  refusèrent  de  se  sou- 
mettre à  la  décision  du  concile,  calomnièrent  même  leurs  juges  et  en 
exigèrent  de  nouveaux,  bien  qu'on  leur  eût  donné  ceux  qu'ils  avaient  de- 
mandés. Constantin,  désireux  de  pacifier  l'Eglise  d'Afrique  et  poussant  la 
condescendance  plus  loin  que  ne  le  méritaient  les  obstinés  et  perfides 
schismatiques,  assembla  pour  la  même  cause,  l'année  suivante  314,  un  con- 
cile à  Arles 2.  La  nouvelle  assemblée  se  composa  de  trente-trois  évêques, 
dont  treize  des  Gaules.  L'éloquent  évêque  d'Autun  était  du  nombre.  11  s'y 
rendit  accompagné  du  prêtre  Amandus  et  du  diacre  Philomathius.  Invité 
des  premiers  à  y  porter,  comme  à  Rome  l'année  précédente,  le  poids  de 
sa  sagesse,  de  sa  science  et  de  son  autorité  universellement  reconnues,  il 
fit  paraître  encore  dans  cette  circonstance  importante  et  solennelle,  dit  un 
de  nos  historiens  %  une  profonde  doctrine,  unie  à  la  force  de  l'éloquence, 
laissant  une  grande  admiration  de  son  mérite  dans  l'esprit  de  tous  les  assis- 
tants. Les  évêques  réunis  maintinrent  et  confirmèrent  le  jugement  porté 
précédemment  contre  les  Donatistes  et  firent  en  outre  vingt- deux  canons 
disciplinaires  \ 

Rhétice,  le  plus  illustre  des  pontifes  assemblés  à  Arles,  dit  un  historien, 
gouvernait  l'Eglise  d'Autun  avec  la  réputation  et  l'autorité  que  sa  naissance, 
ses  talents  et  sa  vertu  lui  avaient  acquises  5.  Grand  par  l'importance  de  son 
siège,  —  car  Autun  était  sous  Constantin  une  des  premières,  sinon  la  pre- 
mière ville  des  Gaules  6  ;  —  grand  par  l'estime  du  Pape  et  de  l'empereur  ; 
grand  dans  les  sénats  d'évêques  dont  il  était  la  lumière  ;  grand  par  son  élo- 
quence, son  mérite  et  sa  célébrité  presque  universelle  comme  l'Eglise,  il 
semble  encore  grandir  à  nos  yeux  par  les  éloges  que  lui  ont  prodigués  deux 
des  plus  illustres  docteurs  de  son  siècle,  saint  Augustin  et  saint  Jérôme.  Le 
premier  l'appelle  un  homme  de  Dieu. 

Le  glorieux  et  saint  prélat,  qui  était  la  lumière  non  moins  que  l'admi- 
ration de  son  siècle,  fut  encore  celle  de  la  postérité  par  les  éloquents  écrits 
qu'il  publia  et  laissa  après  lui,  à  savoir,  d'après  saint  Jérôme,  un  traité 
considérable  contre  les  Novatiens  et  des  commentaires  sur  le  Cantique  des 
cantiques.  Il  ne  nous  reste  du  premier  ouvrage  qu'un  passage  relatif  au 
péché  originel  et  au  baptême,  fragment  précieux  qui  fait  vivement  regretter 
la  perte  d'un  tel  trésor.  Saint  Augustin  le  cite  deux  fois  avec  admiration, 
avec  confiance  et  comme  une  autorité  prépondérante. 

Quant  aux  commentaires  de  saint  Rhétice  sur  le  sublime  épithalame 
appelé  Cantique  des  cantiques,  ils  sont  également  perdus.  Tout  ce  qu'on  en 
a  conservé  se  réduit  à  un  seul  passage  relatif  à  l'Eucharistie,  mentionné  par 
Sirmond  et  ensuite  par  D.  Ceillier  et  D.  Rivet.  Les  ouvrages  de  saint  Rhé- 

1.  On  a  encore  la  lettre  de  Constantin  à  Melchiade.  (Voir  t.  ier,  Concil.  Lab.,  p.  1405.)  Constantin  dit 
qu'il  a  choisi  ces  trois  évêques  des  Gaules  comme  les  plus  capables  de  terminer  cette  affaire  et  ceux 
dont  la  vie  était  aussi  sainte  que  le  caractère. 

2.  L'empereur  subvenait  aux  frais  du  voyage  des  e'vèques.  —  3.  Saulnier.  —  4.  Concil.  Lab.,  t  ief, 
p.  1425. 

5.  Le  Père  Longueval,  t.  I",  liv.  II.  —  6.  Id. 


SAINT   RHÉTICE,   ÉVÊQUE   d'AUTUN.  549 

tice  existaient  encore  auxr9  siècle,  et  il  est  fort  possible  qu'ils  portent  au- 
jourd'hui le  nom  d'un  autre  auteur. 

Rhétice  qui,  par  ses  remarquables  écrits  et  par  toute  sa  vie  plus  remar- 
quable encore,  avait  déployé  tant  de  zèle  pour  la  diffusion  de  l'Evangile  et 
la  conversion  de  son  peuple,  pour  l'instruction  du  premier  empereur  chré- 
tien et  les  intérêts  de  l'Eglise  universelle,  pour  la  défense  de  la  vérité  et  de 
la  sainte  hiérarchie,  pour  le  maintien  de  la  discipline  ecclésiastique  et  pour 
l'explication  des  divines  Ecritures  dont  il  nourrissait  son  âme  et  ensuite  son 
troupeau,  n'en  montra  pas  moins  pour  le  culte  et  pour  les  sacrements,  ces 
canaux  mystérieux  par  lesquels  la  foi,  la  piété,  la  grâce  se  répandent  dans 
les  cœurs.  Il  ne  se  contenta  point  d'avoir  parlé  admirablement  du  baptême; 
il  voulut  rendre  plus  vénérable  encore  aux  yeux  des  fidèles  ce  grand  acte 
de  l'initiation  chrétienne  et  de  l'adoption  divine,  en  faisant  venir  de  l'eau 
du  Jourdain  pour  la  mêler  à  celle  du  baptistère  de  son  église  qui  s'élevait 
au  milieu  des  tombeaux  de  la  Via  strata  l.  C'était  une  sainte  et  utile  pensée. 
Car  quelle  foi  vive  la  vue  et  le  contact  de  cette  eau  prise  dans  le  fleuve  où 
le  Sauveur  lui-même  avait  voulu  être  baptisé  pour  donner  l'exemple  aux 
hommes,  devaient  inspirer  aux  catéchumènes  !  Comme  les  exhortations  que 
leur  adressait  le  saint  évêque  au  moment  de  leur  immersion  dans  la  fon- 
taine baptismale  doublement  sacrée  devaient  être  frappantes  !  Ne  croyaient- 
ils  pas  être,  ces  nouveaux  nés  en  Jésus-Christ,  sur  cette  même  rive  que 
l'Homme-Dieu  avait  sanctifiée  par  sa  présence?  voir,  eux  aussi,  le  ciel 
s'ouvrir,  l'Esprit-Saint  descendre  sur  eux  comme  il  descendit  autrefois  sur 
Notre-Seigneur  et  entendre  ces  paroles  :  «  Ce  sont  là  mes  enfants  bien-aimés  ?  » 
Cette  même  eau  prise  dans  le  lit  du  Jourdain,  par  ordre  de  Rhétice,  pour  le 
baptistère  d'Autun,  ne  produisit  pas  seulement  l'invisible  prodige  de  la  jus- 
tification, elle  servit  aussi  à  opérer  des  miracles  frappants.  On  la  vit  plus 
tard  entre  les  mains  de  saint  Amateur,  évêque  d  Auxerre,  guérir  trois 
lépreux. 

Enfin,  après  avoir  rendu  les  plus  grands  services  à  l'Eglise  d'Autun  qu'il 
illustra  et  éleva  déjà  bien  haut,  à  l'Eglise  des  Gaules,  à  l'Eglise  catholique, 
qu'il  éclaira  par  sa  doctrine,  qu'il  édifia  par  l'éminente  sainteté  de  sa  vie  ; 
après  s'être  montré  l'infatigable  promoteur  de  la  piété,  le  vengeur  de  la 
foi,  le  marteau  des  hérésies  ;  après  avoir  brillé  comme  un  astre  dans  le 
monde  chrétien,  pratiqué  toutes  les  vertus  avec  une  perfection  égale  à  la 
hauteur  de  la  dignité  épiscopale  et  parcouru  une  longue  carrière  de 
sainteté  et  de  bonnes  œuvres,  plein  de  jours  et  de  mérites,  il  rendit  son 
âme  à  Dieu,  vers  l'an  334,  et  alla  recevoir  du  Prince  des  pasteurs  la  récom- 
pense éternelle,  en  laissant  sur  la  terre  une  mémoire  bénie,  un  nom  entouré 
de  la  vénération  publique,  d'une  célébrité  sans  limites  et  d'une  autorité 
universellement  reconnue. 

Au  moment  des  obsèques,  le  ciel  se  chargea  lui-même  de  canoniser  par 
un  miracle  le  grand  évêque  et  celle  qui  avait  été  autrefois  la  compagne  de 
sa  vie,  l'associée  de  ses  vertus.  Le  corps  avait  été  lavé  et  paré  par  des  mains 
pieuses,  et  on  venait  de  le  placer  sur  le  brancard  funèbre.  Quand  tout  fut 
prêt,  les  porteurs  se  mirent  en  devoir  de  le  transporter  dans  le  lieu  saint 
destiné  à  la  célébration  des  funérailles  et  à  l'inhumation.  Mais  tous  leurs 
efforts  furent  inutiles  :  impossible  de  lui  imprimer  le  moindre  mouvement. 
Tous  les  assistants,  frappés  de  stupeur,  se  regardaient  en  silence,  muets  de 
crainte  et  de  respect,  ne  sachant  que  faire  et  que  penser,  lorsqu'un  vieillard 

1.  Peut-être  a  l'eau  d'un  autre  baptistère,  celui  de  Sainte-Marie  (Saint-Jean  le  Grand),  ou  celui  do 
Saint-Pierre  (Saint-Andoche).  On  ne  sait  s'ils  existaient  déjà. 


550  15  mai. 

rappela  la  promesse  que  Rhétice  avait  faite  à  son  épouse  mourante  d'aller 
la  rejoindre  dans  le  tombeau.  Aussitôt  on  se  disposa  à  remplir  cet  engage- 
ment sacré,  et  alors  seulement  le  Saint  permit  qu'on  emportât  son  corps. 
Ouand  il  fut  près  de  la  tombe  chérie,  il  se  ranima  et  l'on  entendit  ces  mots:  ■ 
«  Souviens-toi,  tendre  épouse,  de  la  demande  que  tu  m'adressas  à  ton  lit  de 
mort  :  je  viens  en  ce  moment  accomplir  tes  vœux  et  ma  promesse.  Fais 
place  à  un  frère  que  tu  attendais  depuis  longtemps.  Comme  je  reposais 
autrefois  auprès  de  toi  ;  ainsi  je  vais  reposer  encore.  Pour  nous  le  lit  des 
noces,  tu  t'en  souviens,  ne  fut  pas  moins  vierge  que  ne  l'est  aujourd'hui  le 
lit  du  tombeau  ».  La  foule  éperdue,  frémissante,  tombe  à  genoux  ;  et  pen- 
dant qu'elle  adore  la  puissance  et  la  bonté  de  Dieu  à  l'égard  de  ses  Saints, 
la  laveur  éclatante  dont  il  récompense  même  sur  la  terre  l'angélique  vertu, 
un  nouveau  prodige  vient  augmenter  la  religieuse  terreur  dont  elle  est 
saisie.  On  ouvre  le  tombeau  ;  et  voilà  que  l'épouse  de  Rhétice,  ranimant 
ses  membres  déjà  depuis  longtemps  glacés  par  la  mort,  et  rompant  les  ban- 
delettes qui  fixaient  ses  mains  le  long  de  son  corps,  fait  un  geste  approba- 
teur, un  signe  d'invitation  affectueuse  à  celui  qui  fut  son  époux,  son  ami, 
son  frère  2.  On  se  hâte  d'obéir  à  ce  merveilleux  appel,  on  rapproche  les 
chastes  époux  qui  s'attendaient  ;  et  au  moment  du  contact  le  tombeau 
commun  s'agite  :  il  semble  s'associer  par  un  tressaillement  de  joie  au 
bonheur  de  la  réunion  promise  et  tant  désirée.  Maintenant  que  ce  vœu  d'un 
pur  amour  est  rempli,  tout  rentre  aussitôt  dans  le  calme  mystérieux,  dans 
l'immobilité  solennelle  de  la  tombe  :  les  deux  Saints  n'avaient  plus  qu'à 
reprendre,  à  côté  l'un  de  l'autre,  leur  doux  sommeil  un  moment  interrompu, 
en  attendant  dans  la  paix  du  Seigneur  le  réveil  de  la  résurrection. 

Alors  le  miraculeux  sépulcre  fut  refermé  avec  un  pieux  respect  et  en- 
touré toujours  depuis  d'une  religieuse  vénération.  La  mémoire  chère  et 
bénie  d'un  homme  de  Dieu,  et  la  mémoire  d'un  prodige  y  restèrent  atta- 
chées pendant  tous  les  siècles.  C'est  encore  ce  même  champ,  lieu  déjà  si 
saint,  déjà  consacré  par  des  reliques  bien  précieuses  et  voisin  de  la  tombe 
de  saint  Symphorien,  c'est  le  cimetière  de  la  Via  strata  qui  eut  l'honneur  de 
recevoir  le  tombeau  de  marbre  où  furent  déposés,  à  l'ombre  de  l'église  de 
Saint-Etienne1,  les  restes  de  celui  qui  avait  été  une  des  plus  grandes 
figures  de  son  siècle  et  une  des  plus  brillantes  gloires  de  l'Eglise  d'Autun. 
Là  le  pieux  et  naïf  historien  Grégoire  de  Tours  vint  prier  et  recueillir  ce 
merveilleux  récit.  Là,  au  siècle  dernier,  on  voyait  encore  le  tombeau  de 
notre  grand  évêque,  élevé  de  terre  sous  une  arcade  creusée  dans  le  mur 
méridional  de  l'église  de  Saint-Pierre-l'Etrier  où  il  avait  été  transporté  et 
où  se  lisait  une  inscription  relativement  récente. 

Un  poëte  espagnol,  Juvencus,  qui  florissait  dans  le  même  siècle,  inspiré 
par  les  merveilles  de  la  vie  et  de  la  mort  de  saint  Rhétice,  lui  consacra 
aussitôt  le  début  d'un  poëme  où,  après  avoir  chanté  notre  grand  évoque,  il 
célèbre  la  gloire  de  Jésus-Christ  et  finit  par  la  louange  de  Constantin. 

Cf.  Saint  Symphorien  et  son  culte,  par  M.  l'abbé  Dinet. 

1.  Si  le  tombeau  de  saint  Rhétice  n'était  pas  d'abord  dans  l'église  de  Saint-Etienne  au  moins  il  y  fut 
placé  pins  tard. 

2.  Immensum  dictu 

Deprensa  est  lasvam  protendens  fœtnina  palmam, 
Invitans  socium  gestu  viventis  amoris. 
Appendix  ad  opéra  Juveiici,  PaUol.   de   Migne,  t.  xix,  p.  381. 


SAINTE  DYMPNA,   VIERGE,   ET  SAINT   GÉRÉBERNE,    PRÊTRE.  551 


Su  DYMPNA1,  VIERGE  ET  S.  GEREBERNE,  PRETRE, 

MARTYRISÉS  A  GHEEL,  EN  BRABANT 

vu*  siècle. 


La  virginité,  inconnue  aux  idolâtres,  a  toujours  jeté  un  très-vif  éclat  au 
milieu  des  peuples  barbares,  dès  les  premiers  moments  de  leur  conversion  à 
la  foi  :  elle  n'a  pas  peu  contribué  à  leur  faire  comprendre  toute  la  sainteté  et 
la  sublimité  du  christianisme,  et  en  même  temps  adoucir  leurs  mœurs  dures 
et  farouches.  La  vie  de  sainte  Dympna,  en  particulier,  offre  un  exemple 
extraordinaire,  mais  qui  s'est  renouvelé  plus  d'une  fois  chez  ces  nations 
dont  saint  Jérôme  disait  qu'elles  ne  connaissaient  aucune  loi  dans  leurs 
alliances,  et  suivaient  avec  une  aveugle  brutalité  tous  les  instincts  de  leurs 
passions  grossières. 

Dympna  était  fille  d'un  roi  ou  prince  de  Bretagne  :  peut-être  faut-il 
entendre  sous  ce  nom  le  successeur  d'un  chef  des  Angles  ou  Saxons, 
qui  vinrent  faire  invasion  dans  cette  île,  aux  ve  et  vr9  siècles.  Son  père  était 
païen  ;  sa  mère,  dont  les  actes  ne  disent  que  ce  seul  mot,  était  chrétienne 
comme  sa  fille.  Un  saint  prêtre  nommé  Géréberne,  qui  vivait  dans  les  en- 
virons de  leur  demeure,  les  avait  baptisées  l'une  et  l'autre,  et  les  entrete- 
nait dans  la  pratique  de  la  religion.  De  bonne  heure  la  jeune  Dympna  donna 
les  plus  belles  espérances,  et  sa  vertu  qui  se  développait  en  elle  avec  les 
années,  annonçait  déjà  qu'elle  saurait  dans  l'occasion  faire  preuve  d'un 
grand  courage.  Elle  était  douce,  modeste,  pleine  de  retenue,  de  pudeur,  et 
ne  cherchait  à  plaire  en  toutes  choses  qu'à  Dieu  et  aux  auteurs  de  ses  jours. 
Dympna  perdit  sa  mère  dans  un  âge  peu  avancé  encore,  et  cette  perte, 
déjà  si  triste  pour  son  cœur,  devint  encore  pour  elle  l'occasion  d'une 
grande  et  pénible  tentation. 

En  effet,  son  père,  que  la  mort  de  son  épouse  avait  rempli  d'une  pro- 
fonde douleur,  ayant  dans  la  suite  formé  le  projet  de  se  remarier,  ordonna 
à  ses  officiers  de  lui  faire  connaître  une  personne  dont  les  traits  pussent  lui 
rappeler  celle  qui  lui  avait  été  si  chère.  Après  de  longues  et  inutiles  re- 
cherches dans  la  contrée,  ils  vinrent  le  trouver,  et  par  un  inconcevable 
oubli  de  toute  pudeur,  ils  lui  conseillèrent  d'épouser  sa  fille  Dympna,  dont 
les  traits  de  ressemblance  avec  sa  mère  étaient  frappants. 

Malgré  l'horreur  qu'inspire  la  nature  pour  de  semblables  alliances,  la 
corruption  et  la  grossièreté  de  ces  peuples  ne  les  repoussaient  point  tou- 
jours :  aussi  n'est-on  qu'à  demi  étonné  en  voyant  le  roi  barbare  accepter  la 
proposition  de  ses  officiers  2.  La  jeune  vierge  frémit  à  cette  parole,  et  mal- 
gré toutes  les  instances  et  toutes  les  promesses  qu'on  lui  faisait,  elle  dé- 
clara qu'elle  n'y  consentirait  jamais.  Comme  ses  refus  ne  faisaient  qu'irriter 
les  désirs  de  son  père,  elle  demanda  quarante  jours  pour  réfléchir.  Le  roi  y 
consentit,  ne  doutant  pas  que,  cet  intervalle  écoulé,  elle  se  rendrait  à  ses 

1.  Et  encore  Dympfcue. 

2.  On  peufc  voir  dans  saint  Jérôme  (lîv.  u,  contre  Jovinien),  ce  qu'il  rapporte  des  mœurs  des  Barbares 
et  des  alliances  qu'ils  contractaient.  Apres  de  pareils  exemples,  il  n'y  a  rien  qui  doive  nous  étonner  dans 
celui  que  nous  avons  ici  sous  les  yeux.  Certains  auteurs,  avant  de  crier  à  l'invraisemblance,  devraient  du 
moins  examiner  ces  choses. 


552  15  MAI. 

sollicitations  ;  mais  la  pieuse  Dympna  avait  dans  le  cœur  une  pensée  bien 
différente. 

Elle  visita  aussitôt  le  saint  prêtre  Géréberne,  qui  continuait  de  la  diri- 
ger dans  la  vertu  et  la  pratique  de  ses  devoirs  :  là,  elle  exposa  à  ce  véné- 
rable vieillard  la  situation  critique  dans  laquelle  on  la  plaçait.  Géréberne, 
hors  de  lui-môme  en  l'entendant  ainsi  parler,  leva  les  yeux  au  ciel,  et  con- 
jura le  Seigneur  de  lui  faire  connaître  sa  volonté  dans  un  si  pressant  danger. 
Dieu  exauça  cette  fervente  prière  de  son  serviteur,  et  lui  déclara  qu'il  fal- 
lait réaliser  au  plus  tôt  le  projet  conçu  par  la  jeune  vierge,  et  fuir  dans  un 
pays  étranger  où  elle  pourrait  le  servir  sans  obstacle.  Dès  ce  moment, 
Dympna  fît,  avec  des  précautions  extrêmes,  tous  les  préparatifs  de  son  dé- 
part :  elle  gagna  un  serviteur  de  son  père  et  son  épouse,  qui  promirent  de 
l'accompagner  avec  le  saint  prêtre  Géréberne.  Tout  étant  disposé,  ils  profi- 
tèrent d'un  moment  favorable  et  se  mirent  en  mer,  s'abandonnant  au  mi- 
lieu des  flots  à  la  Providence  qui  leur  avait  inspiré  cette  résolution.  Elle  no 
les  abandonna  pas  ;  après  une  heureuse  traversée,  ils  abordèrent  non  loin 
dps  embouchures  de  l'Escaut,  près  des  lieux  où  se  trouve  aujourd'hui  la 
ville  d'Anvers.  S'étant  mis  aussitôt  à  chercher  une  retraite  où  ils  pussent  se 
reposer  de  leurs  fatigues,  ils  s'arrêtèrent  à  Gheel. 

Ce  pays  était  alors  peu  habité  :  on  ne  voyait  presque  partout  que  des 
broussailles  ou  des  bois,  au  milieu  desquels  ils  rencontrèrent  une  petite 
église  dédiée  à  saint  Martin.  Ce  lieu  leur  parut  convenable  :  ils  s'y  arrêtè- 
rent, et  c'est  là  que,  dès  ce  moment,  le  saint  prêtre  Géréberne  célébra  les 
divins  mystères.  A  quelque  distance,  ils  construisirent,  dans  le  lieu  appelé 
Zemmale,  une  petite  habitation,  où  ils  vécurent  l'espace  de  trois  mois  dans 
les  prières,  les  jeûnes  et  la  pratique  de  toutes  les  vertus. 

Cependant  le  père  de  Dympna  fut  bientôt  averti  de  la  fuite  précipitée  de 
sa  fille,  et  il  en  fut  pénétré  de  douleur  :  aussitôt  il  envoie  de  toutes  parts 
des  gens  pour  chercher  à  connaître  où  elle  s'est  cachée  ;  lui-même,  accom- 
pagné d'un  grand  nombre  de  gens  armés,  se  met  à  sa  poursuite,  et,  s'embar- 
quant  sur  ses  vaisseaux,  il  arrive  auprès  des  embouchures  de  l'Escaut  où 
quelques  indices  semblaient  lui  faire  espérer  de  trouver  la  fugitive.  Il 
ordonne  alors  à  une  partie  des  siens  de  se  disperser  dans  le  pays,  comme 
ils  avaient  fait  précédemment  en  Bretagne,  et  de  s'informer  partout  si  sa  fille 
a  paru  dans  la  contrée.  Quelques-uns  d'entre  eux  étant  arrivés  dans  un 
village  appelé  Westerloo,  assez  proche  de  Zemmale,  passèrent  la  nuit  dans 
une  auberge,  puis  le  matin,  au  moment  de  partir,  ils  payèrent  l'hôte  qui  les 
avait  traités.  Celui-ci,  en  recevant  de  leurs  mains  des  pièces  d'argent,  les 
regarda  avec  attention  et  observa  qu'elles  étaient  tout  à  fait  semblables  à 
d'autres  pièces  qu'il  possédait  :  cette  réflexion  frappa  les  envoyés  qui  lui 
demandèrent  de  qui  il  avait  pu  recevoir  une  monnaie  étrangère  comme 
celle-là.  C'est,  dit  l'hôte,  d'une  jeune  fille  de  Bretagne  qui  mène  une  vie 
solitaire  et  retirée  non  loin  d'ici,  et  qui  achète  avec  ces  pièces  les  choses 
nécessaires  à  la  vie.  Ces  paroles  ne  firent  qu'augmenter  les  soupçons  des 
officiers  du  roi  :  ils  l'interrogèrent  de  nouveau  sur  l'extérieur  de  cette  per- 
sonne, son  âge  et  ses  traits;  l'hôte  répondit  encore  à  ces  questions;  il 
ajouta  qu'elle  était  accompagnée  d'un  vénérable  vieillard,  prêtre,  et  de 
plusieurs  autres  personnes  ;  que  du  reste,  s'ils  le  désiraient,  il  pourrait  les 
conduire  en  peu  de  temps  au  lieu  qu'elle  habitait.  Les  envoyés  acceptèrent 
cette  proposition  avec  joie,  et  ayant  accompagné  leur  guide,  ils  arrivèrent 
dans  un  lieu  désert,  inculte,  sauvage,  où,  au  milieu  d'autres  personnes,  ils 
aperçurent  Dympna  qu'ils  connaissaient  très-bien.  Aussitôt  ils  s'empresse- 


SAINTE  DYJIPNA,   VIERGE,   ET  SAINT  GÉRÉBERNE,   PRÊTRE.  553 

rent  de  venir  annoncer  cette  nouvelle  au  roi,  qui  se  mit  en  chemin  avec  les 
gens  de  sa  suite,  et  se  rendit  à  l'endroit  indiqué.  Arrivé  près  de  sa  fille,  il  lui 
adresse  tour  à  tour  des  paroles  flatteuses,  des  reproches  et  des  promesses. 
«  Qu'avez-vous  pensé,  en  fuyant  ainsi  votre  père,  et  comment  avez-vous  pu 
abandonner  son  palais,  pour  venir  habiter  cette  solitude  affreuse  ?  Ne  savez- 
vous  donc  pas  quelle  place  vous  est  destinée  dans  mon  roj'aume  ?  Est-ce 
que  les  paroles  d'un  vieillard  décrépit  et  sans  force  auraient  troublé  votre 
esprit  au  point  de  vous  faire  perdre  de  vue  les  honneurs  qui  vous  attendent 
près  de  moi  ?  » 

Le  vénérable  prêtre  Géréberne,  qui  était  présent  quand  le  roi  parlait 
ainsi,  ne  put  s'empêcher  de  prendre  alors  la  parole  :  «  0  roi  »,  lui  dit-il, 
«  comment  la  passion  a-t-elle  pu  ainsi  pervertir  vos  pensées?  comment  pou- 
vez-vous  concevoir  des  projets  si  contraires  à  votre  gloire  et  à  la  vertu  de 
votre  fille?  Ignorez-vous  donc  que  la  pureté  est  le  plus  précieux  de  tous  les 
trésors,  qu'elle  donne  la  sagesse  aux  jeunes  gens,  et  aux  vieillards  la  sain- 
teté? Cessez  de  tenir  un  pareil  langage,  indigne  de  vous,  ne  sollicitez  pas 
davantage  votre  fille,  elle  persiste  et  persistera  toujours  dans  son  généreux 
dessein  ».  Puis,  se  tournant  vers  Dympna,  il  l'exhorta  de  nouveau  à  ne 
point  écouter  les  propositions  criminelles  qui  lui  avaient  été  faites. 

Plein  de  fureur  en  entendant  ce  discours,  le  roi  fait  saisir  le  vénérable 
Géréberne  par  ses  gens  qui  l'accablent  d'injures  et  de  coups;  et  voyant 
qu'il  continue  de  protester  à  haute  voix  contre  une  telle  violence,  il  donne 
un  signe,  et  les  soldats  le  renversent  sans  vie.  Après  de  nouvelles  instances 
qui  provoquent  de  nouveaux  et  plus  énergiques  refus  de  la  part  de  Dympna, 
le  roi  s'irrite,  menace  et  déclare  à  sa  fille  que  si  elle  ne  renonce  à  suivre 
les  folles  pensées  que  lui  a  suggérées  ce  misérable  vieillard,  qui  vient  de 
payer  de  sa  tète  son  audace  et  son  insolence,  elle  ressentira  elle-même  les 
effets  de  sa  colère.  «  Mon  Père  »,  répond  Dympna, a  n'espérez  pas  d'obtenir 
mon  consentement,  jamais  je  ne  le  donnerai  ». 

A  ces  mots,  le  roi  furieux  commande  à  ses  gens  de  la  tuer  ;  mais  ils 
n'osent  obéir  à  un  pareil  ordre  donné  dans  la  colère.  Voyant  leur  hésitation, 
il  saisit  lui-même  son  glaive,  et,  d'un  seul  coup,  il  abat  la  tête  de  sa  fille, 
qui  tombe  à  ses  pieds  baignée  dans  son  sang.  Le  corps  de  Dympna  et  celui 
du  vénérable  Géréberne  restèrent  quelques  jours  exposés  aux  animaux  et 
aux  oiseaux  de  proie  qui  les  respectèrent  ;  puis,  de  pieux  habitants  du  pays 
les  déposèrent  dans  la  terre.  Plus  tard,  à  cause  des  miracles  qui  s'opéraient 
en  ce  lieu,  le  clergé  et  le  peuple  cherchèrent  les  restes  des  deux  martyrs, 
et  les  trouvèrent  renfermés  dans  deux  tombeaux  d'une  pierre  extrêmement 
blanche  :  ce  qui  parut  d'autant  plus  étonnant  que  toutes  les  pierres  dans 
ce  pays  sont  noires.  Peut-être  Dieu  voulut-il  manifester  de  cette  manière 
combien  lui  avait  été  agicable  le  sacrifice  de  ces  deux  martyrs  de  la  chasteté. 

Il  se  fit  depuis  un  grand  nombre  de  guérisons  extraordinaires  au  tom- 
beau des  deux  Saints.  De  toutes  parts  on  y  accourait  pour  implorer  leur 
protection.  C'est  alors  que  les  habitants  de  Xantes  sur  le  Rhin  cherchèrent 
à  s'emparer  de  ces  reliques,  afin  de  les  conserver  au  milieu  de  leur  ville  ; 
mais  ayant  été  surpris  au  moment  où  ils  venaient  de  les  enlever,  ils  furent 
forcés  de  les  rendre.  Les  principaux  habitants  de  Gheel  pensèrent  alors  à 
agrandir  l'église  dans  laquelle  était  renfermé  le  tombeau,  et  à  placer  les 
reliques  de  sainte  Dympna  dans  une  châsse  plus  belle.  On  en  prépara  une 
qui  était  très-riche,  et  dans  laquelle  l'évêque  de  Cambrai  transporta  ces 
vénérables  dépouilles. 

L'époque  précise  de  la  mort  de  sainte  Dympna  n'est  pas  connue.  Les 


554  15  mai. 

auteurs  varient  sur  l'année  qui  peut  être  placée  vers  le  milieu  de  la  seconde 
partie  du  vne  siècle.  Pour  le  jour,  le  manuscrit  d'Utrecht,  qui  rapporte  la 
vie  de  la  sainte,  le  fixe  au  30  mai  ;  mais  c'est  le  15  que  sa  fête  est  célébrée. 

Le  village  de  Gheel  prit  beaucoup  d'accroissement  par  le  culte  et  les 
miracles  de  sainte  Dympna.  On  y  trouve  dans  la  suite  une  baronie,  un  hôpi- 
tal, et  une  église  qui  fut  érigée  en  collégiale. 

On  représente  sainte  Dympna  tenant  un  démon  enchaîné  ;  c'est  qu'elle 
est  renommée  pour  la  délivrance  des  possédés  et  la  guérison  de  la  folie  et 
de  l'épilepsie  ;  car  ce  qui  était  possession  chez  les  anciens  est  regardé  comme 
folie  ou  épilepsie  chez  les  modernes.  A  ce  titre,  on  a  établi  à  Gheel,  sous 
son  patronage,  une  maison  d'aliénés,  aussi  célèbre  en  Belgique  que  Bicêtre 
chez  nous  :  cette  maison  existe  de  temps  immémorial. 

Si  Ton  nous  demande  pourquoi  l'on  invoque  sainte  Dympna  pour  les 
possédés,  aliénés  ou  épileptiques,  nous  trouvons  facilement  le  motif  de  ce 
patronage  dans  l'acte  insensé  de  son  père  qui,  à  son  projet  d'inceste,  ajouta 
le  meurtre  :  par  un  rapprochement  facile  à  concevoir,  il  est  naturellement 
venu  à  l'esprit  du  peuple  d'invoquer  contre  la  folie  celle  qui  avait  été  vic- 
time de  la  fureur  et  de  la  démence  de  son  père. 

Nous  avons  emprunté  cette  Vie  aux  Mes  des  Saints  de  Cambrai  et  d'Arras,  par  M.  l'abbd  Destonfbe». 


LES  APOTRES  DE  L'ESPAGNE 

SAINT  TORQUAT  A  CADIX,   SAINT   CTÉSIPHON  A  VIERÇO,   SAINT  SECOND   A  AVTLA, 

SAINT  INDALÈCE  A  PORTILLA,    SAINT   CÉCILIUS   A  ELVIRE. 

SAINT  HÉSICmUS   A   GIBRALTAR   ET   SAINT   EUPHRASE   A   ANDUJAR   (ler   siècle). 

D'après  le  Martyrologe  romain,  le  témoignage  de  Grégoire  VII  et  une  lettre  adressée  au  roi 
Alphonse,  les  apôtres  saint  Pierre  et  saint  Paul  envoyèrent  sept  missionnaires  destinés  à  évangé- 
liser  l'Espagne.  Ils  étaient  âgés  déjà  et,  après  être  débarqués  à  Cadix,  fatigués  de  leur  voyage,  ils 
s'arrêtèrent  en  une  campagne  agréable  d'où  ils  envoyèrent  à  la  ville  afin  d'acheter  les  provisions 
dont  ils  avaient  besoin  pour  vivre.  Il  y  avait,  à  Cadix,  fête  en  l'honneur  des  faux  dieux.  En  voyant 
ces  hommes,  qui  paraissaient  étrangers,  les  idolâtres  craignirent  que  leurs  cérémonies  ne  fussent 
troublées,  ils  voulurent  outrager  ces  inconnus,  qui  se  retirèrent  afin  d'éviter  le  péril  qui  les  me- 
naçait. Les  idolâtres  revinrent  à  leur  poursuite,  mais  le  ciel  intervint.  Un  pont  de  pierres  se  pré- 
sente, les  chrétiens  passent,  mais,  à  peine  les  gentils  se  sont-ils  engagés  sur  ce  pont  qu'il  s'écroule 
et  s'engloutit  ('ans  les  eaux  avec  ceux  qu'il  portait.  Les  idolâtres  sont  frappés  de  ce  dont  ils  vien- 
nent d'être  témoins  et  ils  commencent  à  regarder  les  chrétiens  avec  crainte  et  avec  respect.  Les 
conversions  commencèrent  et  se  multiplièrent  dans  Cadix.  Saint  Torquat  devint  évêque  de  la  ville, 
et  ses  compagnons  se  dispersèrent  dans  différentes  parties  de  l'Espagne,  qu'ils  éclairèrent  des 
lumières  de  la  foi.  On  ne  sait  rien  du  martyre  de  ces  apôtres. 

On  raconte  qu'un  olivier,  planté  de  la  main  de  saint  Torquat,  devant  l'église  qui  lui  est  dédiée, 
à  Cadix,  fleurissait  miraculeusement  chaque  année,  le  jour  de  la  fête  de  l'apôtre,  au  giand  étonne- 
ment  des  idolâtres.  Son  corps  se  voyait  autrefois  et  se  voit  peut-être  encore  aujourd'hui  en  un 
monastère  de  Saint-Benoit,  près  de  la  ville  d'Orense,  en  Galice.  Avila  possède  une  église  de  saint 
Second,  et  se  croit  en  possession  de  ses  reliques,  transférées  dans  une  chapelle  magnifique,  bâtie 
par  les  soins  de  l'évêque  Jérôme-Marie.  Saint  Cécilius  est  le  patron  d'une  paroisse  de  Grenade. 
Les  Aragonais  ont  une  grande  dévotion  à  saint  Indalèce,  dont  ils  possèdent  les  reliques.  Le  corps 
de  saint  Euphrase  est  en  Galice,  où  se  voit  une  église  qui  lui  est  dédiée,  sur  la  montagne  du  Val 
d'Emmaùs,  près  d'un  couvent  de  saint  Benoit.  La  fè'.efle  ces  martyrs  se  célèbre  le  15  mai. 

Propre  d'Espagne. 


SALNT   FRANCHY,    ERAtITE   EN  NIVERNAIS.  555 


S.  ROBERT,  CONFESSEUR  DANS  LE  DIOCÈSE  DE  MAYENCE  (ix«  s.). 

L'aïeul  maternel  de  saint  Robert  •  était  originaire  de  la  Lorraine,  et  avait  de  riches  possessions 
près  de  Bingen,  là  où  la  Nahe  se  jette  dans  le  Rhin,  au-dessous  de  Mayence.  Il  vivait  du  temps 
de  Cbarlemagne,  il  était  considéré  parmi  les  princes  de  ce  temps,  et  il  maria  sa  fille  Berthe,  la 
mère  de  noire  Saint,  à  un  duc  païen,  nommé  Robolaùs,  homme  d'un  caractère  grossier  et  d'une 
mauvaise  conduite.  Berthe  reçut  en  dot  les  biens  que  son  père  possédait  sur  le  Rhin.  Robert 
n'avait  que  trois  ans,  lorsque  son  père  mourut  dans  un  combat  contre  les  chrétiens.  Berthe  passa 
le  reste  de  ses  jours  dans  une  continence  parfaite,  et  consacra  tous  ses  soins  maternels  à  son 
jeune  fils,  qui  avait  reçu  beaucoup  de  dons  de  la  grâce,  et  qui,  à  l'âge  de  sept  ans,  demanda  de 
son  propre  mouvement  à  être  instruit  dans  les  sciences. 

Depuis  ce  temps,  on  remarqua  en  lui  la  plus  tendre  charité  envers  les  pauvres  :  quand  il  ren- 
contrait des  enfants  indigents,  il  les  amenait  à  sa  mère,  en  disant  :  «  Ma  mère,  voilà  tes  enfants  !  » 
et  alors  Berthe,  les  accueillant  avec  bonté,  répliquait  :  «  Mon  fils,  voilà  tes  frères  ».  Un  autre 
trait  de  la  vie  du  pieux  enfant  mérite  aussi  que  nous  le  citions.  Il  n'avait  que  douze  ans,  lorsque 
Berthe  lui  fit  part  du  projet  qu'elle  avait  de  faire  bâtir  une  église  en  l'honneur  de  Dieu.  «  Ne  faites 
pas  cela,  ma  mère  »,  repartit  Robert,  c  observons  d'abord  les  paroles  du  Saint-Esprit  ;  car  le  Pro- 
phète 2  dit  :  Faites  part  de  votre  pain  à  celui  qui  a  faim,  et  faites  entrer  dans  votre  maison 
les  pauvres  et  ceux  qui  ne  savent  où  se  retirer.  Lorsque  vous  verrez  un  homme  nu,  revêtez-le; 
et  ne  méprisez  point  votre  propre  chair  ».  La  mère,  touchée  par  ces  paroles,  éleva  quelques 
maisons  pour  les  pauvres  et  les  infirmes. 

Il  se  voua  pendant  trois  ans  au  service  des  malheureux  et  des  malades  ;  il  lavait  les  pieds  aux 
pauvres  et  s'acquittait  avec  joie  des  emplois  les  plus  bas.  Après  cela,  il  prit  la  résolution  de 
quitter  la  maison  paternelle,  de  renoncer  à  tous  les  biens  temporels  et  de  se  consacrer,  à  l'exemple 
de  saint  Alexis,  au  service  du  Seigneur,  dans  des  pays  étrangers.  Sa  mère,  qui  l'aimait  tendre- 
ment, craignant  que  son  fils,  dans  un  âge  aussi  tendre  encore,  ne  tombât  dans  les  pièges  du  monde 
et  de  l'ennemi  des  hommes,  employa  les  prières  et  les  larmes  pour  le  détourner  de  son  projet,  et 
le  pria  de  faire  à  Dieu  le  sacrifice  de  son  cœur,  sans  se  séparer  d'elle.  Elle  lui  accorda  cependant 
la  permission  de  faire  un  pèlerinage  aux  tombeaux  des  saints  Apôtres,  où  il  s'arrêta,  en  effet,  pen- 
dant quelque  temps,  se  livrant  à  de  ferventes  prières  et  à  d'austères  pénitences. 

Après  son  retour  auprès  de  sa  pieuse  mère,  il  passa  encore  quelques  années  dans  l'exercice  de 
toutes  les  vertus;  il  bâtit  plusieurs  églises  et  mourut  saintement  à  l'âge  de  vingt  ans,  sous  le 
règne  de  Louis  le  Débonnaire.  Son  corps  reposait  à  côté  de  celui  de  sa  mère,  dans  le  couvent  de 
femmes  élevé  en  son  honneur  sur  le  Mont-Robert  [Ruperts-berge),  près  de  Bingen,  sur  la  rive 
gauche  de  la  Nahe. 

Tiré  de  Raess  et  Weiss,  p.  vi,  p.  459.  Voyez  la  Vie  du  Saint,  écrite  par  sainte  Hildegarde.  Cette  Vie 
fut  publiée  par  le  jésuite  Busée,  d'après  un  manuscrit  de  la  bibliothèque  de  Mayence,  par  Nicolas  Sera- 
rius,  1.  i  Rerum  Mogunt.,  c.  35  ;  traduite  en  allemand,  par  Jacques  Kobel,  secrétaire  de  la  ville-  d'Op- 
penheim,  sur  le  Rhin,  à  quatre  lieues  au-dessus  de  Mayence,  en  1524.  Voyez  Trithème,  de  scriptor.  eccl. 
in  Chron.  Spanheim,  ad  ann.  1148,  et  in  Chron.  Hirsaugiensi,  ad  ann.  1150;  Henschenius,  t.  m  maii, 
p.  503;  Johannis,  Rerum  Mogunt.,  t.  I,  p.  186,  c.  35,  et  le  Proprùtm  Mogunt.,  ad  15  maii.  —  Godescard, 
édition  du  Bruxelles. 


SAINT  FRANCHY,  ERMITE  EN  NIVERNAIS  (vu8  siècle). 

Né  dans  les  Amagnes  —  ou  Terres  aux  Moines,  ainsi  dénommées  parce  que  les  moines  les  avaient 
défrichées  —  Franchy  se  retira  de  bonne  heure  au  monastère  de  Saint-Martin  de  la  Bretonnière. 

Dieu  permit  autrefois  au  démon  de  la  jalousie  d'entrer  dans  le  paradis  terrestre,  il  ne  faut  pas 
nous  étonner  si  quelquefois  le  même  démon  exerce  ses  ravages  jusque  dans  les  maisons  les  plus 
parfaites  :  c'est  ce  qui  arriva  à  l'égard  de  saint  Franchy.  Sa  vie  toute  sainte,  son  amour  de  la 

1.  Autrement  Ropert  et  Rupert. 

2.  Busée  et  Serrarius  se  trompent  en  disant  :  dicit  enim  Christus ;  car  les  paroles  qui  suivent  «ont 
d'Isaïe,  lviii,  7. 


556  15  mai. 

discipline  et  toutes  ses  vertus  étaient  la  condamnation  de  la  vie  tiède  et  relâchée  de  quelques-uns 
de  ses  frères,  et  ils  ne  tardèrent  pas  à  lui  tendre  des  pièges.  Comme  il  savait  se  plier  à  tous  les 
besoins  de  la  maison  et  se  rendre  propre  à  toutes  les  fonctions,  il  fut  chargé  un  jour  de  faire  le 
pain  nécessaire  au  monastère  ;  mais  ses  envieux,  désirant  le  mettre  en  défaut,  cachèrent  tous  les 
instruments  de  la  boulangerie.  Franchy,  ne  les  trouvant  pas,  mit  sa  confiance  en  Dieu  :  cette  con- 
fiance ne  fut  pas  trompée  ;  il  fît  le  signe  de  la  croix,  commença  son  travail,  quoiqu'il  n'eût 
pas  ce  qui  était  nécessaire,  et  le  pain  fut  prêt  à  l'heure  et  parfaitement  conditionné. 

Dans  ces  temps  de  guerres  continuelles,  les  monastères  n'étaient  pas  épargnés  ;  celui  de  Saint- 
Martin  de  la  Dretonnière  fut  dévasté  et  consumé  par  les  flammes. 

Franchy  prit  la  résolution  de  se  retirer  dans  une  solitude  :  c'est  ce  qu'il  fit  avec  un  des  frères 
nommé  Antoine.  Là,  ils  menèrent  la  vie  la  plus  mortifiée,  vivant  d'herbes  et  de  racines.  Arrivé  à 
un  âge  avancé,  saint  Franchy  résolut  de  revenir  sur  le  sol  natal  ;  il  se  mit  donc  en  route  avec 
frère  Antoine,  mais  ses  forces  l'abandonnèrent  et  il  était  sur  le  point  de  rester  en  route.  Cepen- 
dant Dieu  voulait  qu'il  fût  après  sa  mort  le  protecteur  des  lieux  qu'il  avait  édifiés  dans  son  en- 
fance et  pendant  sa  vie  ;  deux  taureaux  indomptés,  dit  la  légende,  se  présentèrent  :  Antoine  leur 
prépara  un  joug  et  une  espèce  de  véhicule,  sur  lequel  il  plaça  le  saint  vieillard,  qui  put  de  cette 
manière  regagner  son  pays  natal,  où  il  mourut  plein  de  vertus  et  de  mérites,  vers  le  milieu  du 
vne  siècle.  On  construisit,  sous  la  protection  du  Saint,  un  monastère  au  lieu  même  où  il  avait 
passé  son  enfance.  Au  ixe  siècle,  l'église  de  ce  monastère  avait  un  titre  abbatial  ;  elle  fut  brûlée 
peu  de  temps  après;  et,  en  1031,  Hugues  II,  évèque  de  Nevers,  abandonna  aux  chanoines  de  son 
église  toutes  les  dépendances  de  l'abbaye  de  Saint-Franehy.  On  y  fit  reconstruire  une  église,  qui 
devint  paroissiale.  Plusieurs  autres  églises  du  diocèse  de  Nevers  sont  sous  son  invocation,  entre 
autres  celle  d'Amazy.  L'ancienne  paroisse  de  Poussignol,  maintenant  réunie  à  Blismes,  l'honorait 
aussi  comme  son  patron.  Nous  n'avons  aucun  détail  sur  les  reliques  de  saint  Franchy.  Nous  lisons 
dans  le  Légendaire  d'Autun  qu'elles  furent  transportées  dans  l'abbaye  de  Saint-Symphorien  de 
cette  ville.  L'époque  de  cette  translation  n'est  pas  indiquée. 

La  fête  de  saint  Franchy  se  célébrait  autrefois  le  16  mai  ;  on  l'a  avancée  d'un  jour  à  cause  de 
eon  occurrence  avec  celle  de  saint  Pèlerin. 

Hagiologie  de  Nevers. 


LE  BIENHEUREUX  JACQUES  DE  VICOIGNE  (1279). 

Une  âme  pure  et  innocente,  que  Dieu  combla  des  plus  abondantes  bénédictions,  à  qui  il  inspira 
de  bonne  heure  l'amour  de  la  retraite  et  du  recueillement  et  qu'il  se  hâta  d'appeler  à  lui  dans  les 
cieux,  tel  est,  en  peu  de  mots,  l'exposé  de  la  vie  du  bienheureux  Jacques,  religieux  de  Yicoigne. 

Il  était  encore  dans  les  années  du  noviciat  et  se  préparait  avec  une  admirable  ferveur  à  faire 
ses  vœux  de  religion,  lorsqu'il  fut  attaqué  d'une  maladie  mortelle.  Quelques  jours  avant  son  trépas, 
il  fut  tout  à  coup  ravi  en  extase  ;  puis,  au  moment  où  il  revint  à  lui,  on  remarqua  sur  ses  traits 
des  signes  d'une  joie  extraordinaire.  Le  maître  des  novices  et  d'autres  personnes  qui  étaient  pré- 
sentes, lui  en  ayant  demandé  la  cause,  il  leur  répondit  qu'il  avait  vu  dans  le  ciel  sa  place  préparée 
au  milieu  des  chœurs  de  vierges.  En  même  temps,  il  les  pria  de  chanter  avec  lui  cette  invocation 
qu'il  avait  si  souvent  répétée  avec  ses  frères  :  «  Salut  Marie;  espérance  du  monde  ».  Presque  au 
même  moment,  le  pieux  jeune  homme  remettait  paisiblement  son  âme  à  Dieu,  l'an  1279.  Trois  ans 
plus  tard,  en  travaillant  aux  fondations  d'une  nouvelle  église,  au  monastère  de  Vicoigne,  ou  trouva 
le  corps  virginal  du  saint  religieux  encore  frais  et  sans  corruption,  quoique  les  linges  dans  les- 
quels on  l'avait  enveloppé  fussent  gâtés.  Son  visage  était  si  bien  conservé  qu'on  aurait  cru  qu'il 
respirait  encore.  Dieu,  sans  doute,  voulut  manifester  ainsi  la  grande  pureté  de  son  serviteur  et 
combien  il  chérit  les  âmes  chastes.  Les  religieux  levèrent  respectueusement  le  corps  de  leur  jeune 
et  vertueux  confrère,  le  renfermèrent  dans  un  beau  sépulcre  et  le  déposèrent  dans  leur  nouvelle 
église,  où  il  reçut  depuis  lors  les  hommages  de  leur  respect  et  de  leur  amour. 

M,  l'abbé  Destombes. 


MARTYROLOGES.  557 


XVI'  JOUR  DE  MAI 


MARTYROLOGE  ROMAIN. 

A  Gubbio,  en  Italie,  saint  Ubald,  évêque,  illustre  par  ses  miracles.  1160.  —  En  Isaurie,  le 
triomphe  des  saints  martyrs  Aquilin  et  Victorien.  —  A  Auxerre,  la  passion  de  saint  Pébégrin, 
premier  évêque  de  cette  ville,  qui,  ayant  été  envoyé  dans  les  Gaules  avec  d'autres  clercs  par  le 
pape  saint  Sixte  II,  y  accomplit  le  devoir  de  la  prédication  évangélique,  et,  ayant  été  condamné 
à  avoir  la  tète  tranchée,  mérita  la  couronne  de  la  vie  éternelle.  —  A  Uzale,  en  Afrique,  les  saints 
martyrs  Félix  et  Gennade.  me  s.  —  En  Palestine,  le  martyre  des  saints  moines  tués  par  les  Sar- 
rasins dans  la  laure  de  saint  Sabas  l.  614.  —  En  Perse,  les  saints  martyrs  Abdas,  évêque,  sept 
prêtres,  neuf  diacres  et  sept  vierges,  qui  furent  tourmentés  de  divers  supplices  sous  le  roi  Isde- 
gerde,  et  accomplirent  un  glorieux  martyre  -.  351.  —  A  Prague,  en  Bohème,  saint  Jean  Népo- 
mucène,  chanoine  de  l'église  métropolitaine,  qui,  pour  avoir  refusé  constamment  de  violer  le 
secret  de  la  confession,  fut  jeté  dans  la  rivière  de  Moldau,  et  mérita  la  palme  du  martyre.  —  A 
Amiens,  en  France,  saint  Honoré,  évêque.  Vers  600.  —  Au  Mans,  saint  Domnole,  évêque  l.  581. 
—  A  la  Mirandole,  dans  l'Emilie,  saint  Possidius,  évêque  de  Calâmes,  disciple  de  saint  Augustin, 
et  l'historien  de  sa  vie.  —  A  Troyes,  saint  Fidole  ou  Phal,  confesseur.  540.—  En  Irlande,  saint 
Brandan,  abbé  *.  577.  —  A  Fréjus,  sainte  Maxime,  vierge,  qui  reposa  en  paix,  illustre  par  beaucoup 
de  vertus  3. 

1.  A  trois  lieues  de  Bethle'em.  Ce  massacre  eut  lieu  sous  le  règne  malheureux  d'Héraclius,  a  l'époque 
où  Chosroës,  roi  de  Perse,  prit  Jérusalem  et  emmena  en  captivité  saint  Zacharie,  évêque  de  Jérusalem,  et 
un  grand  nombre  de  chrétiens  de  la  Palestine.  Les  Arabes  ou  Sarrasins  profitèrent  des  désastres  de  la 
Palestine  pour  l'envahir  à  leur  tour  et  piller  tout  ce  qui  n'était  pas  tombé  sous  la  main  des  Perses.  Les 
Martyrs  de  la  Laure  de  Saint-Sabas  furent  au  nombre  de  quarante-quatre  :  c'étaient  de  vieux  moines  qui 
n'avaisnt  pu  ou  n'avaient  pas  voulu  prendre  la  fuite.  614.  AA.  SS. 

2.  L'énumération  de  ces  Martyrs  est  incomplète  dans  Baronius,  disent  les  Bollandistes  :  la  voici  d'a- 
près le  synaxaire  des  Grecs  :  «  ...  Combat  des  saints  martyrs  Abdas  et  Abdiésu,  évêques;  de  seize  prêtres, 
de  neuf  diacres,  de  six  moines  et  de  sept  vierges,  tous  originaires  de  Caschar  (en  Chaldée).  Saint  Abdiésu 
était  évêque  de  Beth-Chascar  :  il  fut  dénoncé  par  son  propre  cousin  paternel...  »  Ce  sont,  toujours  d'après 
les  Bollandistes,  les  compagnons  de  saint  Abdiésu  qui  viennent  d'être  énumérés  :  ils  étaient  trente-neuf. 
Ceux  de  saint  Abdas  étaient  au  nombre  de  trente-huit  :  ce  qui  modifie  notablement,  on  le  voit,  le  test© 
de  Baronius.  Ajoutons  que  saint  Abdiésu  souffrit  sous  le  roi  Isdegerde  et  saint  Abdas  sous  Sapor. 

3.  Franc  d'origine  et  ami  particulier  de  Clotaire,  roi  de  Soissons,  il  fut  d'abord  abbé  du  monastère  de 
Saint-Laurent  de  Paris.  Il  refusa  l'évêché  d'Avignon,  où  la  population,  encore  toute  romaine  de  mœurs  et 
de  langage,  eût  vu  d'un  mauvais  œil  un  fils  de  leude;  mais  il  accepta  celui  du  Mans,  qui  l'éloignait  moins 
du  roi.  son  protecteur.  L'œuvre  principale  de  son  épiscopat  fut  la  fondation  de  l'abbaye  de  Saint-Vincent 
au  Mans.  Nous  avons  raconté,  à  la  Vie  de  saint  Prétextât  de  Rouen,  la  prévarication  des  évêques  qui  con- 
damnèrent ce  prélat.  Domnole  fut  un  de  ces  évêques  pusillanimes;  ce  qui  prouve  que  la  sainteté  ne  va 
pas  sans  les  défauts  inhérents  à  notre  pauvre  nature  humaine  et  nous  doit  être  un  encouragement  dans 
nos  chutes  et  nos  faiblesses  (560—581).  —  D.  Piolin. 

4.  Saint  Brendan  l'Ancien,  célèbre  moine  irlandais,  —  encore  nommé  Broladre  en  Normandie,  —  fut 
précepteur  de  saint  Malo,  qui  habita  l'île  de  Jersey,  dépendante  du  diocèse  de  Coutances  au  moins  jus- 
qu'au xve  siècle.  On  trouve  encore  dans  cette  île  une  église  paroissiale  sous  le  nom  de  ce  saint  Abbé  qui 
mourut  en  Irlande  entre  577  et  578.  —  Notes  locales. 

5.  Le  culte  de  sainte  Maxime  est  célèbre  en  Provence;  sa  mémoire  est  en  vénération  surtout  dans  le 
diocèse  de  Fréjus,  mais  on  ne  connait  point  sa  vie.  Les  martyrologes  la  nomment  dès  le  ix*  siècle.  Cal- 
lian,  petit  bourg  de  2,000  habitants,  dans  l'arrondissement  de  Draguignan,  fut  pendant  plusieurs  siècles 
on  possession  de  ses  reliques;  on  l'en  déposséda  pour  les  porter  à  Fréjus;  mais,  en  1510,  on  les  rendit. 
En  1G77,  Callian  céda  une  des  côtes  de  la  Sainte  à  l'évêque  de  Fréjus,  qui  la  déposa  dans  sa  cathédrale 
oh  on  la  vénère  encore  aujourd'hui.  Les  seigneurs  de  Grasse  se  disaient  de  la  famille  de  sainte  Maxime. 
Une  tradition  locale  veut  qu'elle  ait  été  sœur  de  saint  ïropez.  Plusieurs  bourgs  et  villages  de  la  Provence 
portent  le  nom  de  Sainte-Maxime.  Les  monuments  et  documents  concernant  la  Sainte  ont  sans  doute  péri 
dans  les  invasions  des  Sarrasins.  —  Acta  Sanct.  et  Propre  de  Fréjus. 


558  16  mai. 

martyrologe  de  france,  revu  et  augmenté. 

A  Bordeaux,  saint  Fort,  évèque  et  martyr,  dont  la  mémoire  se  renouvelle  tous  les  ans  ec  cette 
ville  par  des  offices  publics  ce  même  jour  *. —  Aux  environs  de  Bourges,  saint  Victorin,  martyr.  — 
Au  diocèse  de  Chartres,  saint  Eman,  martyr,  qui  fut  tué  pour  sa  piété,  avec  saint  Maurille  et  saint 
Almaire.  vie  s.  —  A  Muret,  en  Gascogne,  saint  Germier,  évèque  de  Toulouse,  et  ses  clercs,  saint 
Dulcide  et  saint  Précieux,  dont  les  corps  ont  été  transférés  dans  l'église  de  Saint-Jacques  de  ladite 
ville  de  Muret.  Vers  561. —  A  Séez,  S.  Axnobert.  évèque  et  confesseur.  Né  dans  le  pays  bessin, 

1.  Ce  saint  Martyr,  aussi  populaire  chez  les  Latins  que  chez  les  Grecs,  très-populaire  dans  plusieurs 
paroisses  du  diocèse  de  Bordeaux,  aurait  été'  décapité  avec  deux  enfants  et  après  plusieurs  tourments.  Il 
est  presque  toujours  représenté  attaché  à  un  chevalet  ou  tenant  un  peigne  de  fer. 

L'histoir-  se  tait  sur  saint  Fort  et  n'a  rien  qui  puisse  fixer  avec  certitude  le  sens  des  monuments  oh 
l'on  croit  le  voir  soit  à  l'église  de  Saint-Seurin  de  Bordeaux,  dont  la  crypte  lui  est  consacrée  tout  entière, 
soit  dans  plusieurs  églises  du  diocèse.  Mais  ce  silence  de  l'histoire  n'est-il  pas  une  preuve  de  l'éloigne- 
ment  considérable  de  l'époque  à  laquelle  il  appartient?  En  général,  plus  les  Martyrs  se  rapprochent  du 
berceau  du  christianisme,  plus  leurs  Actes  ont  été  brefs,  rares  et  difficiles  a  conserver.  C'est  leur  carac- 
tère de  n'avoir  laissé  de  leur  vie  que  la  gloire  de  leur  martyre. 

Nous  sommes  porté  à  croire  que  saint  Fort  fut  institué  évèque  de  Bordeaux  par  saint  Martial,  an 
iet  siècle:  qu'il  fut  le  premier  évèque  de  cette  ville,  et  qu'il  est  le  même  que  Sigebert  dont  11  est  parlé 
dans  la  légende  de  saint  Martial,  de  sainte  Véronique  et  de  s:int  Amadour. 

Sigebert,  nom  d'origine  germanique,  introduit  dans  une  scène  qui  se  passe  au  i"  siècle,  dans  une  pro- 
vince romaine,  offre  une  difficulté.  Mais  si  l'on  admet  —  et  la  chose  a  été  prouvée  —  que  la  légende  de 
saint  Martial  a  été  rédigée  au  vi*  siècle,  on  admettra  aussi  que  l'auteur  n'a  fait  que  traduire  le  nom  latin 
de  saint  Fort  par  le  mot  qui  lui  correspond  dans  la  langue  des  Francs  venus  d'outre-Rhin,  car  Sigebert 
signifie  «  homme  fort  par  la  puissance  ».  Sigebert  se  compose  du  tudesqne  Sieg  (sige  en  anglo-saxon), 
■victoire,  et  de  beorth,  célèbre,  illustre.  Selon  d'autres,  il  se  formerait  de  sige,  sieg  ou  sighe,  victoire,  et 
de  werth,  digne;  ou  bien  de  sieg,  victoire,  et  de  barde,  chantre,  vainqueur,  ou  enfin  Sigebert  signifierait 
barbe  victorieuse.  Ces  variantes  ne  modifient  pas  sa  signification,  que  renferme  tout  entière  le  latin  Fortis 
ou  le  franc  lis  Fort  fûict.  de  Trévoux). 

Notons  encore  que  le  nom  de  Sigebert  ou  Sigisbert  était  si  fréquemment  porté  au  vie  siècle,  qu'il  est 
très-probable  que  le  chroniqueur  aura  voulu  faire  sa  cour  à  quelque  seigneur  ou  évèque  en  traduisant 
Fort  par  Sigebert;  ce  en  quoi  il  ne  manquait  point  a  la  vérité  historique.  N'en  faisons-nous  pas  autant 
tous  les  jours  en  traduisant  William  ou  Wilhem  par  Guillaume,  Sant  Yago  par  saint  Jacques  et  Céphas 
par  Pierre  ?  Du  reste,  il  faut  reconnaître  que  les  écrivains  du  vie  et  du  vu»  siècle  ^âge  d'or  de  la  légende) 
poussaient  trop  loin  la  manie  de  la  traduction,  de  l'interprétation  et  du  commentaire.  Ce  sont  les  sur- 
charges qu'ils  ont  ajoutées  aux  écrits  de  sair.t  Martial,  rie  saint  Denis  l'Aréopacite.  de  saint  Clément,  etc., 
par  exemple,  qui  ont  longtemps  fait  rejeter  des  ouvrages  parfaitement  authentiques. 

A  ceux  auxquels  ne  sourirait  pas  cette  étymologie,  nous  dirons  :  il  vuus  en  reste  une  autre.  Le  pre- 
mier évèque  de  Bordeaux,  quel  qu'ait  été  son  nom  primitif,  aura  conservé  dans  la  suite  le  nom  de  Fort, 
c'est-a-dire  le  Martyr  premier,  le  Martyr  par  excellence  de  la  contrée.  Le  sens  est  le  même  et  nous  re- 
porte également  à  l'époque  de  la  naissance  du  christianisme.  Ainsi,  dans  l'église  souterraine  de  la  cathé- 
drale de  Chartres,  il   y  a.  près  de  l'autel  de  la  Sainte-Vierge,  un  puits  appelé  le  Puits  des  Saints-Forts. 

La  tradition  reconnaît  les  traits  de  saint  Fort  de  Bordeaux  dans  une  statue  qui  occupait  autrefois  la 
place  d'honneur,  sous  un  dais,  au  centre  de  la  façade  occidentale  de  Saint-Seurin. 

Le  personnage  de  cette  statue  porte  le  pallium  et  la  chasuble;  la  main  droite  bénit;  la  gauche  tient 
la  crosse.  L'évêque  que  représente  cette  statue  est  remarquable  par  son  air  de  jeunesse,  et  ne  peut  en 
tout  cas  représenter  que  saint  Fort  ou  saint  Seurin.  La  voix  publique  lui  a  toujours  donné  le  nom  de 
saint  Fort:  son  air  de  jeunesse  le  lui  confirme.  Saint  Seurin,  venu  de  Cologne,  chargé  d'années,  n'appa- 
raît jamais  que  comme  un  vieillard.  Saint  Fort,  au  contraire,  est  jeune  dans  la  peinture,  jeune  dans  la 
sculpture:  il  n"a  pas  eu  le  temps  de  vieillir  à  une  époque  où  les  bourreaux  se  pressaient  plus  que  les 
ans.  La  tradition  et  l'art  s'accordent  donc  pour  lui  attribuer  cette  statue. 

Quand  on  voit  saint  Fort  donner,  en  17S3,  son  nom  a  la  rue  Putoye,  on  peut  accuser  cette  preuve  d'un 
cnlte  populaire  d'être  bien  moderne;  mais  lorsqu'on  le  voit  se  poser,  dès  le  xrv*  siècle,  à  l'entrée  principale 
d'une  basilique  qui  porte  le  nom  de  Saint-Seurin,  on  ne  peut  nier  qu'il  ne  fasse  acte  de  concurrence 
avec  ce  dernier  Saint  ;  on  dirait  même  qu'il  l'emporte  sur  lui.  A  saint  Seurin  appartient  l'é,!ise  supé- 
rieure ;  mais  la  crypte  est  demeurée  le  domaine  de  saint  Fort.  Enfin,  le  culte  de  saint  Fort  est  plus  cé- 
lèbre, plus  populaire,  plus  général  que  celui  de  saint  Seurin  lui-même. 

Il  ne  suffit  pas,  pour  expliquer  cette  différence,  de  recourir  à  l'hypothèse  de  l'influence  exercée  sur  le 
peuple  par  le  nom  lnï-même.  Ce  serait  déjà  une  consécration  très-importante  de  ce  nom.  Si  l'on  consi- 
dère, en  effet,  qu'on  ne  sait  rien  d'historique  de  la  vie  de  saint  Fort,  —  pas  même  un  fait  qui  autorise  "a 
trouver  une  raison  de  sa  protection  sur  les  enfants  pour  lesquels  on  lui  demande  la  force  et  l'accroisse- 
ment, —  on  peut  être  tenté  de  croire  que  cette  confiance  n'a  été  inspirée  aux  populations  rurales  que 
par  un  de  ces  calembours  qui,  en  bien  d'autres  occasions,  ont  fait  tirer  du  nom  d'un  Saint  tel  patronage 
qu'aucune  tradition  ne  consacre. 

Mais  ce  fait,  cette  raison  historique  de  sa  protection  sur  les  enfants,  ne  se  tronve-t-elle  pas  dans  sa  qua- 
lité de  premier  évèque  et  de  premier  martyr  ?  Le  peuple  ne  professe-t-il  pas  partout  cette  même  confiance 
envers  ceux  qui  lui  ont  apporté  la  foi  et  l'ont  signée  de  leur  sang  ?  Saint  Eutrope.  saint  Fiacre,  dont  le 
nom  ne  se  prête  pas  à  une  interprétation  semblable,  ne  sont-ils  pas  invoqués  en  faveur  d?s  enfants  dans 
la  Saiittonge,  le  Poitou,  la  Guienne.  l'Artois,  la  Brie.  l'Auvergne,  etc.,  etc.? 

La  crypte  garde  son  tombeau,  l'église  supérieure  sa  châsse;  le  tombeau  et  la  châsse  se  partagent  son 


MARTYROLOGES.  559 

saint  Annobert  fut  élevé  sur  le  siège  épiscopal  de  Séez  par  ordre  du  roi  Thierry  111.  C'est  lui  qui 
consacra  saint  Evermond,  abbé  de  Fontenai.  Au  commencement  du  xne  siècle,  l'église  qui  possé- 
dait les  reliques  de  saint  Annobert  étant  tombée  dans  l'indigence,  les  prêtres  qui  la  desservaient 
prirent  le  corps  et  le  transportèrent  de  province  en  province,  recueillant  d'abondantes  aumônes. 
Arrivés  à  l'abbaye  de  femmes  de  Marienval,  au  diocèse  de  Soissons,  ils  y  reçurent  l'hospitalité, 
mais  on  retint  le  corps  du  Saint.  C'en  fut  assez  pour  tirer  le  monastère  de  son  obscurité  et  faire 
accourir  les  pèlerins.  Cette  translation  eut  lieu  en  1122.  Saint  Annobert  mourut  vers  706  i.  — A. 
Dayeux,  saint  Regnobert,  évêque  et  confesseur,  et  saint  Zenon,  son  diacre.  Saint  Regnohert  est 
honoré,  à  Cayeiix,  le  premier  dimanche  de  septembre»  Vers  650.  —  A  Nevers,  saint  Francovée  ou 
Franchy,  solitaire,  qui  a  donné  son  nom  au  lieu  de  sa  naissance,  à  deux  lieues  de  Saint-Sauge. 

—  Sur  le  Mont-Joux,  en  Savoie,  saint  Bernard  de  Menthon,  ermite,  personnage  d'une  vertu 
extraordinaire,  et  qui,  par  son  extrême  austérité,  son  détachement  de  toutes  les  choses  du  monde, 
et  ses  grandes  victoires  sur  les  démons,  a  mérité  qu'on  l'appelât  le  nouvel  Antoine  de  son  siècle  s. 

—  A  Lérins,  la  translation  du  corps  de  saint  Aigulfe,  vulgairement  Août,  saint  abbé,  et  se» 
compagnons,  martyrisés  le  3  septembre  dans  l'île  d'Amarautume  3.  —  A  Avignon,  saint  Geins, 
ermite  et  confesseur. 

MARTYROLOGES  DES  ORDRES  RELIGIEUX. 

Martyrologe  des  Chanoines  réguliers.  —  A  Gubbio,  saint  Ubald... 
Martyrologe  des  Dominicains.  —  A  Prague,  saint  Jean  Népomucène... 
Martyrologe  des  Carmes.  —  A  Cordeaux,  le  décès  du  bienheureux  Simon  de  Stock,  confes- 
seur, de  l'Ordre  des  Carmes,  qui,  pour  sa  singulière  dévotion  envers  la  Vierge  Mère  de  Dieu,  mérita 

corps.  A  ce  corps  vénérable  tient  l'authentique  sur  parchemin  du  cardinal  de  Sourdis.  Mgr  Charles- 
François  d'Aviau  du  Bois  de  Sanzai,  en  1S27,  et  Mgr  Donnet,  en  1847,  ont  confirmé  la  croyance  du  passé. 
«  C'est  de  l'inscription  que  portaient  ces  reliques  ■>,  disait  Mgr  d'Aviau,  «  d'une  antique  tradition  et  du  té- 
moignage des  anciens  et  des  grands  de  cette  ville  que  nous  les  avons  reconnues  comme  vraies  reliques  da 
ce  saint  Martyr  » . 

On  célèbre  la  fête  de  saint  Fort  avec  procession,  avec  office  en  musique  et  panégyrique;  sa  confrérie 
Ile  laisse  passer  aucune  année  sans  solliciter  du  Chapitre  la  même  pompe. 

Autrefois,  les  maires,  clercs,  procureurs  et  prévôts  de  Bordeaux  venaient,  selon  les  statuts,  «  jurer 
sur  les  reliques  de  saint  Fort  que  bien  et  loyaument  ils  se  porteraient  en  leur  office  et  exercice  d'icelui  ». 

Montesquieu  a  vu  plusieurs  fois  pratiquer  cette  cérémonie  religieuse  sans  se  permettre  la  moindre 
observation  sur  la  réalité  du  corps  de  saint  Fort,  que  quelques-uns  ont  rejetée  en  doute.  Michel  Montaigne, 
en  sa  qualité  de  maire  de  Bordeaux,  a  prêté  serment  sur  le  bras  de  saint  Fort  sans  protestation  aucune. 

Un  grand  nombre  d'églises  sont  dédiées  à  saiut  Fort  dans  le  Bordelais,  le  Poitou,  la  Saintonge  et 
jusques  dans  le  Quercy  et  l'Anjou.  D'autres  ont  une  chapelle  ou  un  autel.  Dans  quelques-unes,  on  so- 
lennise  sa  fête;  dans  beaucoup  d'entre  elles,  le  16  mai  est  marqué  par  un  concours  d'enfants  que  l'on 
apporte  a  la  messe  et  aux  Evangiles. 

La  célébrité  resplendissante  de  ce  nom  et  de  ce  personnage  se  retrouve  jusque  dans  les  foires  nom- 
breuses dites  de  Saint-Fort  et  qui  se  tiennent  non-seulement  à  Bordeaux,  mais  dans  une  foule  de  lieux 
éloignés  les  uns  des  autres. 

Les  noms  assez  peu  académiques,  mais  tr'es-populaires,  de  Kermesse,  de  Ducasse,  de  Benichon,  de 
Foire  (féria,  férié,  fête),  qui  désignent  dans  diverses  provinces  la  grande  fête  de  chaque  village,  ne  té- 
moignent-ils pas  que  toutes  les  grandes  joies  ont  eu  leur  point  de  départ  au  jour  où  la  Messe  a  été  pour 
la  première  fois  célébrée  solennellement  en  chacun  de  ces  lieux?  En  sorte  que  l'Allemagne  luthérienne, 
dans  le  nom  de  ses  grandes  foires  commerciales,  proclame  encore,  sans  y  songer,  que,  pour  les  fonda- 
teurs de  ces  rendez-vous,  la  célébration  du  saint  Sacrifice  catholique  était  le  vrai  signal  et  comme  l'ou- 
verture légale  d'une  fête.  —  Nous  ferons  remarquer  que  la  plupart  des  anciennes  foires  ne  sont  pas  d'ins- 
titution administrative,  mais  d'origine  ecclésiastique.  Les  édits  de  nos  rois  ne  faisaient  guère  que  régle- 
menter des  réunions  commerciales  qui  devaient  leur  origine  à  la  célébration  d'une  solennité  religieuse. 
L'anniversaire  de  la  dédicace  des  églises,  les  fêtes  patronales  amenaient  une  grande  affluence.  Les  mar- 
chands y  étaient  attirés  par  l'espérance  d'un  débit  facile,  et  les  fêtes  de  l'Eglise  devenaient  bientôt  les 
fêtes  du  commerce.  Cf.  Mélanges  archéol.  des  Pères  Cahier  et  Martin,  t.  il,  p.  75;  Bévue  de  l'art  chrétien 
de  M.  Corblet,  t.  i",  p.  237;  saint  Basile,  Ascet.,  en.  iv,  qui  a  dit  :  <■  Nundinas  et  publicum  emporium  ex 
martyrum  tempore  et  ioco  facientes  ». 

C'est  le  concours  des  pèlerins  attirés  par  le  culte  des  reliques  qui  a  donné  naissance  à.  la  foire  de 
Saint-Saturnin  à  Toulouse,  de  Saint-lïomain  a  llouen,  de  Saint-Laurent  a  Laon,  de  Saint-Remi  à  Keims, 
de  Saint-Florent  à  Iîoye,  de  Saint-Fort  a  Bordeaux  et  a  Uzeste,  de  Saint-Michel  à  Marseille,  de  Saint- 
Jean-Baptiste  à  Saint-Jean  de  Maurienne,  etc.  Le  mot  foire  confirme  cette  origine.  C'est  une  transfor- 
mation non  pas  de  forum,  marché,  mais  de  farta,  fête,  conservé  plus  intégralement  dans  le  vieux  français 
feyre,  dans  l'espagnol  feria  et  l'italien  fiera.  —  Cf.  l'excellent  livre  de  M.  l'abbé  Cirot  de  la  Ville,  professeur 
a  la  Faculté  de  théologie  de  Bordeaux,  intitulé  :  Les  Origines  chrétiennes  de  Bordeaux.  Nous  n'avons  fait 
qu'abréger  le  chapitre  v  de  ce  remarquable  ouvrage. 

1.  Voir  sa  Vie  au  Supplément  de  ce  volume. 

2.  Le  martyrologe  romain  nomme  saint  Bernard  de  Menthon  le  15  juin.  Voir  à  ce  jour.  —  3.  Voir  au 
8  septembre. 


560  16  mai. 

d'obtenir  d'elle  le  scapulaire  de  son  Ordre,  et,  après  beaucoup  de  travaux,  de  s'envoler  au  ciel, 
illustre  par  beaucoup  de  miracles. 

Martyrologe  des  Servîtes.  —  A  Prague,  saint  Jean  Népotnucène... 

ADDITIONS   FAITES   D'APRÈS  LES  BOLLANDISTES  ET  AUTRES  HAGIOGRAPHES. 

Le  bienheureux  André  Bobola,  jésuite.  1657.  Béatifié  par  Pie  IX,  le  31  octobre  1853.  — 
A  Ancône,  les  saints  Pérégrin,  diacre,  Herculan  et  Flavien,  martyrs  sous  Dioclétien.  Ces  deux 
derniers  avaient  été  convertis  par  saint  Pérégrin.  On  invoque  saint  Pérégrin  d'Aucune  contre  la 
peste.  —  A  Gaëte,  sainte  Eupurie,  vierge  et  martyre.  On  dit  qu'autrefois,  le  jour  de  sa  fête,  l'eau 
de  la  mer  se  changeait  en   eau   douce.  —  A  Pavie,  saint  Pilaire.,  évêque   de   cette  ville.  376. 

—  En  Campanie,  au  diocèse  de  Suessa,  saint  Rose  ou  Rossius,  évêque  d'un  siège  inconnu,  en 
Afrique,  et  confesseur.  Il  était  du  nombre  de  ces  illustres  confesseurs  de  la  foi  que  les  Van- 
dales jetèrent  dans  des  barques  vermoulues,  v  s.  —  En  Irlande  et  dans  le  pays  de  Galles,  saint 
Carentoe  ou  Cernathe,  évêque  et  abbé.  On  dît  «  qu'il  passa  >n  Irlande  avec  saint  Patrice  «.Vers  445. 

-  \  '"onstantinople,  dans  le  quartier  des  Blaquernes,  célèbre  par  une  église  qui  fut  élevée  pour 
recevoir  des  vêtements  de  la  sainte  Vierge,  saint  Pierre,  martyr.  —  A  Fermo,  dans  l'ancien  Picé- 
num,  en  Italie,  saint  Adam,  abbé.  1209.  —  A  Sienne,  en  Toscane,  le  bienheureux  François  de 
Sienne,  de  l'Ordre  des  Servîtes.  Comme  il  dirigeait  dans  les  voies  du  salut  un  certain  nombre  de 
filles  spirituelles,  le  monde  jaloux  et  méchant  lui  reprochait  une  trop  grande  familiarité  avec  les 
femmes.  Pour  mettre  fin  aux  calomnies,  il  demanda  à  Dieu  de  le  rendre  sourd  ;  ce  qui  lui  fut  ac- 
cordé si  pleinement,  qu'il  lui  était  impossible  d'échanger  une  seule  parole.  Une  de  ses  tilles  spi- 
rituelles était  la  bienheureuse  Barthélemie  de  Sienne  dont  nous  dirons  un  mot  au  19  mai.  On  dit 
«  qu'aussitôt  après  la  mort  de  ce  dévot  serviteur  de  Marie,  un  lis  sortit  de  sa  bouche,  dont  cha- 
cune des  pétales  portait  ces  mots  :  Ave,  Maria.  On  ajoute  qu'autrefois  les  voyageurs  et  les 
pèlerins  français  ne  manquaient  jamais  de  visiter  le  tombeau  d'un  Saint  qui  avait  pour  blason  la 
fleur  royale  de  France.  Nos  rois  auraient  obtenu  du  sénat  de  Sienne  que  le  lis  miraculeux  leur  fût 
donné.  1325. 


SAINT  PELERIN  OU  PEREGRIN, 

APOTRE   DES    DIOCÈSES   D'AUXERRE   ET   DE   NEVERS 
ET  SES  COMPAGNONS,  MARTYRS 

303  ou  304.  —  Pape  :  Saint  Marcellin.  —  Empereur  romain  :  Dioclétien. 

Quiconque  veut  avoir  le  monde  pour  ami,  se  rend 
ennemi  de  Dieu.  Jacques,  iv,  4. 

Dès  les  premiers  siècles  de  l'Eglise,  l'Evangile  avait  été  annoncé  dans 
l  A uxerrois  et  dans  le  Donziais,  qui  formait  la  majeure  partie  de  l'ancien 
diocèse  d  Auxerre.  Lebœuf  prétend  que  saint  Savinien,  apôtre  du  Sénonais 
avait  étendu  son  zèle  apostolique  jusque  dans  le  Nivernais,  en  y  députant 
des  missionnaires  ;  les  deux  diacres  Sérotinus  et  OEoaldus  seraient  venus  y 
prêcher,  et  saint  Austremoine  se  serait  arrêté  à  Nevers  avant  d'aller  se  fixer 
wSJÏÏ1!?  i  ^  les  persécutions,  la  foi  se  propageait  donc  en  secret,'  et 
bieruôt  les  chrétiens  de  1  Auxerrois  firent  parvenir  jusqu'à  Rome  leurs  vœux 
aï  cents  pour  avoir  au  milieu  d'eux  un  évêque  et  des  prêtres.  Saint  Sixte  II 
occupait  alors  la  chaire  de  saint  Pierre  ;  il  ne  put  se  refuser  aux  désirs  trop 
légitimes  des  peuples  de  l'Auxerrois,  et  il  jeta  les  veux  sur  Pèlerin  ou  Pé- 
régrin, compagnon  de  saint  Laurent,  pour  remplir  cette  importante  mis- 


SAINT  PELERIN   OU  PÉRÉGRIN,    ET   SES    COMPAGNONS,   MARTYRS.  5G1 

sion  '  .  Après  lui  avoir  imposé  les  mains,  il  lui  ordonna  de  partir  pour  les 
Gaules.  Le  cardinal  Baronius  fait  remarquer  qu'il  fut  un  des  quatre  que 
consacra  ce  saint  pontife,  au  mois  de  décembre,  selon  l'usage  adopté  dans 
l'Eglise. 

Ce  fut  vers  l'an  258  ou  259  que  Pèlerin  se  mit  en  route,  ayant  pour 
compagnons  Marse,  prêtre;  Corcodome  diacre;  Jovinien  et  Alexandre, 
sous-diacres,  et  un  autre  Jovinien,  lecteur.  Ils  débarquèrent  à  Marseille, 
puis  se  rendirent  à  Lyon,  laissant  partout  sur  leur  passage  des  marques  non 
équivoques  de  leur  zèle  et  de  leur  sainteté.  De  là  ils  pénétrèrent  jusque  sur 
les  rives  de  l'Yonne,  c'est-à-dire  dans  le  pays  des  Gaules,  où  l'idolâtrie  avait 
jeté  de  plus  profondes  racines.  L'Yonne,  source  de  l'abondance  et  de  la 
prospérité  du  pays,  était  adorée  comme  une  déesse,  sous  le  nom  d'Icauna, 
et  on  lui  avait  dressé  des  autels  *  ;  Apollon,  Jupiter,  Mercure,  toutes  les 
divinités  romaines  et  celles  de  l'Orient,  recevaient  l'encens  que  leur  of- 
fraient nos  aïeux.  Tel  était  le  champ  que  la  Providence  avait  réservé  au 
zèle  de  Pèlerin  et  de  ses  disciples.  Dieu  bénit  leurs  premiers  efforts.  L'élo- 
quence, la  sainteté  et  les  miracles  de  Pèlerin  convertirent  les  principaux 
habitants  d'Auxerre  ;  bientôt  il  put  construire  une  petite  église  sur  les 
bords  de  l'Yonne,  à  la  source  de  quelques  fontaines,  et  il  eut  le  bonheur 
de  procurer  à  un  grand  nombre  d'habitants  de  ce  pays  la  grâce  du  bap- 
tême. La  croix  de  Jésus-Christ  ne  tarda  pas  à  briller  sur  les  collines  voisines, 
lieux  auparavant  consacrés  aux  pratiques  superstitieuses. 

Ce  ne  fut  point  assez  pour  notre  saint  Apôtre  d'avoir  établi  dans  Auxerre 
le  règne  de  Jésus-Christ.  Son  zèle  avait  besoin  de  s'étendre  3.  11  savait  que 
l'esprit  d'erreur  continuait  à  répandre  les  ténèbres  sur  le  reste  de  la  con- 
trée. Il  y  avait,  à  dix  lieues  d'Auxerre,  un  pays  montagneux,  couvert  de 
bois  qui  environnaient  les  lacs  formés  dans  les  vallées;  la  position  de  ce  pays 
favorisait  le  culte  des  païens  ;  c'était  la  Puisaye,  dont  une  partie  forma  le 
Donziais.  Entrains,  Interanum  4,  était  la  capitale  de  ce  pays,  ville  puissante, 
au  milieu  de  laquelle  s'élevait  le  palais  du  préfet  romain,  qui  ne  craignait 
pas  de  prendre  le  titre  de  césar.  Elle  renfermait  plusieurs  temples  dans  ses 
murs,  et,  à  l'exemple  de  Rome,  elle  avait  admis  les  divinités  grecques  et 
romaines,  auxquelles  elle  avait  associé  les  monstrueuses  idoles  de  l'Orient 5. 
Un  grand  nombre  de  routes  venaient  aboutir  à  cette  ville  des  différents 
points  des  pays  voisins.  Ce  fut  là  que  saint  Pèlerin  dirigea  ses  pas. 

1.  Les  Savelli  de  Rome  se  font  gloire  d'appartenir  à  la  famille  de  saint  Pèlerin.  MM.  de  Rosemont 
prétendent  au  même  honneur  par  leur  mère,  Mlle  de  Villenault,  dont  la  trisaïeule  était  une  demoiselle 
de  Savelli. 

2.  Lebœuf,  dans  son  Histoire  d'Auxerre,  t.  n,  p.  6,  fait  mention  d'un  autel  élevé  a  cette  divinité  par 
Tétricius  l'Africain  : 

AUG.  SACR.  DEAE 

ICAVNI 

T.  TETIUCIVS  AFRICAN. 

D  S  DD. 

3.  D'après  une  tradition  conservée  à  Corvol-l'Orgueilleux,  saint  Pèlerin  aurait  évangélisé  cette  contrée; 
on  prétend  que  le  prieuré  de  Saint-Marc  de  Fontonay  fut  construit  sur  le  lieu  même  ou  le  saint  Apôtre 
avait  prêché. 

4.  Nièvre,  arrondissement  de  Clamecy.  —  Une  pierre  géographique,  trouvée  il  y  a  quelques  années  à 
Autun,  et  qui  marquait  la  distance  de  cette  cité  aux  villes  principales  des  environs,  nomme  Entrains 
trois  fois  sous  le  nom  d' Interanum. 

5.  Il  suffit  de  visiter  le  curieux  cabinet  de  M.  Regnault,  à  Entrains,  pour  se  convaincre  que  cette  ville 
était  comme  un  vaste  panthéon.  Outre  des  statuettes  de  Jupiter,  de  Vénus  et  de  Mercure;  outre  les  dé- 
goûtants symboles  du  dieu  Priape,  et  mille  autres  objets  de  ce  genre  trouvés  sur  son  territoire,  on  y  re- 
marque de  petites  idoles  évidemment  orientales,  une,  entre  autres,  avec  quatre  bras  et  une  tête  d'élé- 
phant. Des  monnaies  et  des  médailles  de  tous  les  pays  du  monde  connu,  trouvées  a  Entrains,  prouvent 
l'importance  de  cette  ville. 

Vies  des  Saints.  —  Tome  V.  36 


562  16  mai. 

Un  Aulerque  '  venait  d'élever  un  nouveau  temple  en  l'honneur  de  Jupi- 
ter hospitalier  ;  il  n'avait  rien  négligé  dans  la  construction  de  ce  temple,  et 
la  richesse  des  décors  égalait  la  beauté  de  l'architecture.  On  accourait  de 
toutes  parts  pour  le  visiter.  Pèlerin  crut  que  la  circonstance  était  favora- 
ble, et  qu'il  devait  en  profiter  pour  déployer  tout  son  zèle  ;  il  s'avança  donc 
avec  courage  au  milieu  de  ce  peuple,  et  entreprit  de  le  détourner  de  ses 
erreurs.  Mais  à  peine  eut-il  commencé  à  parler,  qu'on  se  jeta  sur  lui  avec 
fureur  pour  le  conduire  devant  le  juge,  qui  le  fît  provisoirement  mettre  en 
prison. 

Le  lieu  où  il  fut  renfermé  était  un  souterrain  proche  Bouhy,  à  sept 
kilomètres  d'Entrains;  il  y  resta  enchaîné  jusqu'au  moment  où  on  l'en  re- 
tira, pour  le  faire  paraître  devant  le  préfet  romain.  La  prison  ne  put  ralen- 
tir son  zèle  ;  il  semblait  dire,  avec  l'apôtre  saint  Paul,  qu'on  peut  bien  jeter 
dans  les  fers  un  disciple  du  Christ,  mais  qu'il  n'est  point  de  force  humaine 
qui  puisse  enchaîner  la  parole  de  Dieu  ;  il  prêchait  le  vrai  Dieu  à  ses 
geôliers  et  à  tous  ceux  qui  l'approchaient.  Quand  on  l'eut  conduit  en  pré- 
sence du  préfet ,  il  ne  parut  aucunement  épouvanté  par  ses  menaces, 
comme  il  ne  se  laissa  pas  gagner  par  ses  promesses.  La  tradition  nous  a 
conservé  les  belles  paroles  qu'il  prononça  devant  son  tribunal  :  «  Vos  hon- 
neurs sont  la  perte  de  l'âme,  et  les  dons  que  vous  pouvez  faire  sont  de  con- 
tinuels supplices.  Pour  moi  »,  ajouta-t-il,«  j'invoque  Jésus-Christ  qui  est  le 
rédempteur  de  tous  ;  je  le  confesserai  sans  crainte  jusqu'à  la  mort;  je  sais 
que  les  promesses  de  ce  grand  roi  ne  sont  point  mensongères  ;  je  mets  en 
lui  toute  ma  confiance  » . 

Le  juge,  irrité,  ordonna  à  ses  soldats  de  le  livrer  entre  les  mains  des 
bourreaux,  et  aussitôt  les  soldats  l'entraînèrent  en  le  chargeant  de  coups. 

Epuisé  par  les  mauvais  traitements  et  par  les  rigueurs  auxquelles  il 
avait  été  auparavant  soumis  dans  la  prison,  notre  Saint  était  sur  le  point 
de  succomber,  quand  un  des  soldats,  voyant  que  les  forces,  allaient  l'aban- 
donner, lui  trancha  la  tête  de  son  épée.  Son  martyre  eut  lieu  le  16  mai  303 
ou  304,  sous  la  grande  persécution  de  Dioclétien. 

On  représente  ordinairement  saint  Pèlerin  avec  le  costume  épiscopal  ;  il 
tient  en  main  la  palme  du  martyre,  un  serpent  est  à  ses  pieds.  Nous  avons 
vu  ,  écrivait  en  1860  Mgr  Crosnier ,  l'estimable  auteur  de  l'Hagiologie 
Nivernaise,  saint  Pèlerin  peint  avec  le  serpent,  dans  une  des  absidioles 
septentrionales  de  l'église  de  La  Charité-sur-Loire.  Cette  peinture  et  d'au- 
tres, qui  se  trouvent  dans  la  même  chapelle,  nous  ont  paru  remonter  au 
XVe  siècle.  On  les  a  recouvertes  il  y  a  une  douzaine  d'années  d'une  couche 
de  badigeon  qu'il  serait  facile  d'enlever. 

C'est  ici  le  lieu  de  reproduire  la  réponse  de  M.  le  curé  de  Bouhy  à  une 
lettre  que  le  même  Mgr  Crosnier,  vicaire  général  de  Nevers,  lui  adressait 
au  mois  d'août  1857,  en  lui  demandant  des  renseignements  sur  l'attribut 
du  serpent  donné  à  saint  Pèlerin. 

«Bouhy,  12  août  1857.  Monsieur  le  vicaire  général,  vous  désirez  de 
moi  une  réponse  aux  questions  suivantes.  J'ai  hâte  de  vous  satisfaire,  en 
suivant  l'ordre  dans  lequel  vous  avez  bien  voulu  me  les  poser  : 

«  Quelle  est  la  légende  du  serpent  de  saint  Pèlerin? 

«  Nous  n'avons  rien  d'écrit  touchant  cette  question,  mais  une  tradition 
bien  établie  rapporte  que  saint  Pèlerin,  chassé  d'Entrains  par  les  idolâtres, 
s'était  réfugié  sur  le  territoire  de  Bouhy,  au  fond  d'un  vallon  très-étroit 

1.  Les  Aulerques  sont  nommés  dans  le  septième  livre  de  César,  comme  dépendants  des  Eduens,  Aulerci 
Bratmovkes ;  il  y  avait  aussi  les  Aulerci  Cenomani  et  les  Aulerci  Eburouka. 


SAINT  PÈLERIN   OU  PÉRÉGRIN,    ET   SES   COMPAGNONS,    MARTYRS.  563 

et  qui  ressemble  plus  à  un  ravin  très-profond  qu'à  une  vallée.  Là  coule  une 
source  d'eau  assez  abondante  et  très-limpide  qui  porte  le  nom  de  notre 
glorieux  patron,  et  qui,  à  l'époque  de  son  martyre,  devait  être  peu  connue, 
cachée  comme  elle  l'était  de  toutes  parts  par  le  bois  touffu  qui  ombrageait 
cette  gorge.  C'est  cependant  au  bord  de  cette  fontaine  que  le  vénérable 
pontife  fut  découvert  par  les  Intaraniens,  qui  le  sommèrent  de  les  suivre,  et 
comme  il  ne  se  hâtait  pas  assez,  du  moins  à  leur  gré,  un  d'entre  eux  eut  le 
brutal  courage  de  cingler  du  fouet  dont  il  était  armé  le  saint  apôtre  de  Jé- 
sus-Christ. Mais,  ô  prodige  !  on  vit  au  même  instant  le  fouet,  détaché  de 
son  manche,  prendre  la  forme  d'un  serpent,  s'élancer  dans  le  bassin  de  la 
fontaine,  et  disparaître  dans  les  fissures  du  rocher  par  lesquelles  on  voit 
l'eau  sourdre. 

«  Quoi  qu'il  en  soit,  il  est  un  fait  constant  et  avéré  qui  ne  doit  laisser 
aucun  doute  sur  la  vérité  du  fouet  transformé  en  serpent.  Il  y  a  à  Entrains 
une  famille  portant  le  nom  de  N...,  et  qui,  d'après  la  tradition,  descend  de 
celui  qui  eut  la  barbarie  de  se  servir  de  son  fouet  contre  saint  Pèlerin  ;  or, 
de  tout  temps,  depuis  l'époque  où  fut  martyrisé  cet  apôtre  de  notre  contrée, 
il  y  a  eu  dans  cette  famille  des  membres  portant  sur  leur  corps  le  stig- 
mate du  crime  de  leur  ancêtre,  c'est-à-dire  un  serpent  qui  les  enlace.  Le 
nommé  N...,  d'Entrains,  est  une  preuve  vivante  de  ce  fait  ou  plutôt  de  ce 
miracle. 

«  Il  n'est  pas  étonnant,  d'après  cela,  qu'on  ait  donné  à  saint  Pèlerin  le 
serpent  pour  attribut.  C'est  le  moyen  dont  il  a  plu  au  Seigneur  de  se  ser- 
vir pour  manifester  d'une  manière  éclatante  la  sainteté  de  son  serviteur  et 
perpétuer  son  culte. 

«  Vous  me  demandez  aussi  s'il  est  vrai  qu'on  ne  trouve  pas  de  serpents 
à  Bouhy.  Je  n'y  en  ai  jamais  vu  depuis  que  j'y  suis,  et  je  ne  connais  per- 
sonne qui  puisse  affirmer  en  avoir  vu,  non-seulement  sur  le  plateau  de 
Bouhy,  mais  dans  les  environs,  dans  un  rayon  de  deux  kilomètres  ;  s'il  en 
existe,  ce  ne  peut  être  que  dans  les  bois  qui  forment  la  limite  de  ma  pa- 
roisse et  celles  d'Entrains,  de  Ciez  et  de  Sainpuis.  C'est  là  seulement  qu'on 
prétend  en  avoir  vu,  mais  si  rarement  qu'il  est  permis  de  douter  de  l'exac- 
titude de  cette  assertion. 

«  On  est  tellement  persuadé  dans  notre  contrée  que  la  tei^re  de  saint  Pèle- 
rin, c'est-à-dire  de  Bouhy,  est  mortelle  aux  serpents,  que  nous  voyons 
chaque  jour  des  fidèles,  étrangers  à  notre  paroisse,  venir  de  loin  prendre 
dans  un  trou  ménagé  exprès  dans  la  chapelle  de  notre  église,  dédiée  à  saint 
Pèlerin,  de  la  terre  pour  préserver  leurs  habitations  de  ces  reptiles,  et  s'en 
servir  au  besoin  contre  leur  morsure.  Plusieurs  personnes  dignes  de  foi 
assurent  qu'elles  ont  employé  ce  moyen  avec  succès.  F.  Meyniel,  curé  de 
Bouhy  ». 

Outre  le  stigmate  du  serpent,  que  personne  ne  met  en  doute  dans  le 
pays,  il  est  un  autre  signe  aussi  bien  constaté  que  le  premier  ;  c'est  une 
masse  de  terre  qui  se  remarque  dans  la  main  d'un  des  membres  de  cer- 
taines familles,  et  à  laquelle  on  attribue  la  même  origine  :  plusieurs  des 
persécuteurs  de  saint  Pèlerin  l'auraient  poursuivi,  en  lui  jetant  des  mottes 
de  terre  ;  et  depuis  cette  époque,  leurs  descendants  auraient  conservé  ce 
stigmate  de  générations  en  générations.  Les  personnes  qui  le  portent,  soit 
à  Entrains,  soit  dans  le  voisinage,  sont  connues. 


564  16  mai. 


RELIQUES  DE  SAINT  PELERIN. 

Après  le  martyre  de  saint  Pèlerin-,  quelques  chrétiens  inhumèrent  avec  respect  ses  restes  pré- 
cieux à  Bouhy,  lieu  de  son  supplice.  Son  corps  y  reposait  encore  au  temps  de  saint  Germain,  et 
bientôt  on  éleva  une  église  sur  son  tombeau.  Plus  tard,  le  corps  du  saint  apôtre  de  l'Auxerrois 
fut  transporté  à  Saint-Denis,  proche  Paris,  et  il  ne  resta  à  Bouhy  que  sa  tète  et  les  vertèbres.  On 
dit  que  ce  fut  le  roi  Dagobert  Ier  qui  obtint  pour  le  monastère  de  Saint-Denis  le  corps  du  saint 
évèque  d'Auxerre,  et  qui  l'y  fit  transporter.  En  1144,  lorsque  l'abbé  Suger  fit  construire  la  partie 
de  l'église  de  Saint-Denis  qui  regarde  l'orient,  un  des  autels  fut  mis  sous  l'invocation  de  saint 
Pèlerin,  et  consacré  par  Hugues  de  Montaigu,  évêque  d'Auxerre. 

Dans  le  siècle  suivant,  il  se  fit  plusieurs  distractions  des  ossements  renfermés  dans  la  châsse 
de  saint  Pèlerin.  Jeanne  d'Evreux,  veuve  de  Charles  le  Bel,  en  obtint,  en  1340,  de  Guy,  abbé  de 
Saint-Denis,  et  les  remit  en  1342  aux  Jacobins  d'Auxerre,  après  les  avoir  faù  renfermer  dans  une 
châsse  d'argent.  L'empereur  Charles  IV  en  avait  aussi  obtenu  une  partie  ;  ce  fut  celle  qu'on  trans- 
porta à  Prague  en  1373.  La  paroisse  de  la  Roche-en-Bregny,  à  deux  lieues  de  Saulieu,  prétendait 
aussi  posséder  un  bras  du  Saint.  L'église  de  Sens  avait  un  reliquaire  renfermant  un  morceau  des 
vêtements  de  saint  Pèlerin,  imbibé  de  son  sang  ;  et  la  cathédrale  d'Auxerre  possédait,  dans  une 
croix  d'argent,  un  des  bras  de  son  premier  évèque,  avant  le  pillage  de  son  trésor  par  les  Calvi- 
nistes. Le  reste  du  corps,  déposé  à  Saint-Denis,  échappa  à  une  semblable  profanation  par  les  soins 
que  prirent  alors  les  religieux  de  transporter  à  Paris  tous  leurs  reliquaires.  Ce  fut  en  1570  que 
Charles  de  Lorraine,  abbé  de  Saint-Denis,  le  fit  rapporter  dans  le  monastère  ;  il  plaça  dans  une 
nouvelle  châsse  le  corps  de  saint  Pèlerin.  Dom  Georges  Viole,  parlant  de  la  Chartreuse  de  Basse- 
ville,  auprès  de  Clamecy,  rapporte  qu'on  y  conservait  de  son  temps  un  morceau  del'étole  de  saint 
Pèlerin.  Plusieurs  églises  des  environs  de  Paris  obtinrent  de  l'abbaye  de  Saint-Denis  quelques  par- 
celles des  précieuses  reliques  du  saint  Martyr. 

Dominique  Séguier,  évèque  d'Auxerre,  désirait  réparer  la  perte  que  son  église  avait  éprouvée,, 
lors  du  pillage  des  Calvinistes,  en  lui  procurant  d'autres  reliques  du  saint  apôtre  de  l'Auxerrois  ; 
il  s'adressa  donc  au  monastère  de  Saint-Denis  pour  obtenir  ce  qu'il  désirait,  et  on  consentit,  en 
1634,  à  lui  donner  la  moitié  d'un  des  os  fémur  du  Saint;  il  le  fit  enchâsser  dans  un  reliquaire 
d'argent  doré  de  la  valeur  de  2,000  livres,  et  en  fit  don  à  son  église  en  1636.  Ce  fut  neuf  ans 
plus  tard,  en  1645,  que  les  habitants  de  Bouhy,  reconstruisant  leur  autel,  trouvèrent,  en  creusant 
les  fondations,  un  débris  de  sépulcre  qui  renfermait  la  tète  et  les  vertèbres  d'un  grand  corps 
humain  et  le  corps  d'un  petit  enfant.  Le  curé,  pour  s'assurer  que  c'étaient  des  restes  de  saint 
Pèlerin,  écrivit  aux  religieux  de  Saint-Denis,  qui  ouvrirent  leur  châsse  et  reconnurent  qu'ils  pos- 
sédaient le  corps  du  Saint,  mais  sans  la  tête  et  les  vertèbres. 

Pierre  de  Broc,  alors  évêque  d'Auxerre,  transporta  lui-même  ces  restes  à  Saint-Denis,  pour  les 
confronter  avec  ceux  que  possédait  ce  monastère.  Pierre  de  Broc  s'était  contenté  de  renvoyer  à 
Bouhy  la  tète  et  les  vertèbres,  sans  rendre  aucune  ordonnance  au  sujet  de  la  supplique  des  habi- 
tants. Soixante-neuf  ans  après,  les  fidèles  de  la  paroisse  de  Bouhy  firent  de  nouvelles  démarenes 
augrès  de  Mgr  de  Caylus,  et  le  prièrent  de  rendre  une  ordonnance  définitive,  après  avoir  consulté 
tous  les  procès-verbaux. 

Mgr  de  Caylus  acquiesça  à  leur  juste  demande  ;  il  se  rendit  à  Bouhy,  examina  de  nouveau  les 
reliques,  en  présence  d'une  foule  considérable,  accourue  des  pays  voisins,  et  rendit  une  ordon- 
nance par  laquelle  il  déclara  la  relique  authentique  et  digne  de  la  vénération  des  fidèles,  et  sur-le- 
champ  il  la  vénéra  lui-même,  le  1er  mai  1715.  Dans  cette  translation,  Mgr  de  Caylus  retira  une 
portion  de  la  relique,  qu'il  donna  à  son  église  cathédrale,  et  une  autre  portion  à  l'église  parois- 
siale de  Saint-Pélerin,  d'Auxerre. 

Le  curé  de  Bouhy  était  à  cette  époque  le  sieur  Deschez,  qui  depuis  devint  chanoine  de  la  col- 
légiale de  Sainte-Eugénie,  de  Varzy  ;  dans  la  cérémonie  de  la  translation  de  1715,  il  eut  soin 
d'extraire  pour  lui  une  portion  des  reliques  de  saint  Pèlerin,  qu'il  conserva  avec  soin  jusqu'en 
1733.  A  cette  époque,  il  en  fit  don  au  chapitre  de  Sainte-Eugénie,  et  Mgr  Nicolas  Colbert,  faisant 
alors  la  visite  de  la  collégiale,  renferma  cette  relique,  avec  d'autres,  dans  une  châsse  d'ébène  et 
la  munit  de  son  sceau.  Celte  châsse  fut  une  de  celles  qu'on  transporta  le  9  octobre  1792  de  la 
collégiale  à  l'église  paroissiale  de  Saint-Pierre,  de  Varzy,  dans  le  trésor  de  laquelle  elle  est  en- 
core déposée. 

Le  4  mai  1854,  M.  l'abbé  Crosnier,  vicaire  général  de  Nevers,  passant  à  Varzy,  vérifia  les 
reliques  de  saint  Pèlerin,  reconnut  le  sceau  de  Mgr  de  Caylus,  appliqué,  en  cire  rouge  sur  l'ouver- 
ture du  reliquaire  ;  et,  comme  ce  sceau  était  en  partie  brisé,  il  le  remplaça  par  celui  de  Mgr  Du- 
fètre,  évèque  de  Nevers.  Quant  à  la  partie  du  chef  de  saint  Pèlerin  que  l'église  de  Bouhy  avait 
conservée,  Jean-Loup  Rimbault,  habitant  da  bourg,  fut  assez  heureux  pour  la  soustraire  aux  pro- 
fanations des  agents  révolutionnaires  de  1793  ;  il  en  donna  quelques  morceaux  à  ses  amis,  alla 
qu'en  cas  d'accident  on  ne  fût  pas  exposé  à  tout  perdre.  En  1817,  M.  Gaudri,  curé  de  Bouhy, 
ayant  appris  que  plusieurs  personnes  possédaient  des  reliques  de  saint  Pèlerin,  les  engagea  à 


SAINT  PHAL   OU  FIDOLUS,    ABBÉ  fl'lSLE,    EN   CnAMTAGNE.  565 

venir  les  lui  remettre,  et  un  procès-verbal,  daté  du  12  mai  de  la  même  année,  constate  que  la 
plus  grande  partie  de  ces  reliques  furent  déposées  entre  ses  mains.  M.  Ilurlault,  son  successeur, 
s'occupa  activement  à  découvrir  le  reste  de  ces  reliques,  de  concert  avec  M.  Vée,  curé  de  Dam- 
pierre-sous-Bouliy  (1828). 

Le  sieur  Rimbault  étant  décédé  à  Entrains,  sa  ytwvz  rapperfa  à  M.  Vée,  curé  d'Entrains,  un. 
morceau  du  temporal  gauche  qui  avait  été  gardé  par  le  défunt.  Outre  ce  morceau  du  chef  de 
saint  Pèlerin,  l'église  d'Entrains  possède  une  partie  du  tibia  provenant  de  la  cathédrale  d'Auxerre. 
Dans  la  reconnaissance  qui  eut  lieu  le  18  mars  1828,  M.  Hurlault  avait  conservé  pour  lui  un  frag- 
ment du  chef  de  saint  Pèlerin  ;  transféré  plus  tard  à  Courcelles,  il  en  fit  don  à  l'église  de  sa 
nouvelle  paroisse. 

ffagiologie  nivernaise  par  Mgr  Crosnier. 


SAINT   PHAL  l,    OU   FIDOLUS, 

ABBÉ  D'ISLE,  EN  CHAMPAGNE 

541).  —  Pape  :   Vigile.  —  Rois  des  Francs  :  Théodebert   et  Childebert. 


Le  Seigneur  s'est  présenté  à  moi  et  m'a  fortifié...  et 
m'a  délivré  de  tout  mal  et  me  gardera  pour  son 
royaume  céleste.  II  Tim-,  rv,  18. 

Saint  Phal  était  d'Auvergne,  et  probablement  de  Clermont,  où  son  père 
exerçait  la  charge  de  sénateur,  ce  qui  revenait  au  titre  de  gouverneur  de  la 
province.  Jeune  encore,  il  s'était  consacré  au  service  des  autels,  pour  lequel 
il  fallait  du  courage  et  de  la  constance  dans  un  pays  occupé  par  les  Visi- 
goths  et  infecté  d'arianisme  :  car  c'était  vers  le  commencement  du  vie  siècle, 
au  temps  où  Alaric  II,  dont  Poitiers  était  le  séjour  habituel,  régnait  sur  la 
première  et  la  deuxième  Aquitaine.  Ce  prince  ayant  été  tué  par  Clovis  en 
507,  dans  les  champs  de  Voulon,  le  vainqueur  n'eut  rien  de  plus  pressé  que 
d'envoyer  son  fils  Théodoric  s'emparer  du  Quercy,  du  Rouergue  et  de  l'Au- 
vergne, pendant  que  lui-môme  s'affermissait  dans  le  Poitou.  La  conquête  de 
ces  trois  provinces  ne  se  lit  pas  sans  résistance  :  elle  fut  signalée  par  de 
cruels  incendies  et  de  vastes  ruines.  Beaucoup  de  prisonniers  furent  pris 
indistinctement  dans  toutes  les  classes,  et  parmi  eux  se  trouva  le  fils,  jeune 
encore,  du  gouverneur  des  Arverni 2. 

La  Providence  a  des  voies  miraculeuses  pour  les  hommes  qu'elle  destine 
à  de  grandes  choses,  et  ce  n'en  était  pas  une  petite  de  travailler  alors  à 
former  les  sociétés  modernes,  à  implanter  le  christianisme  chez  elles 
comme  l'infaillible  germe  de  leur  civilisation.  Dieu  se  plut  donc  une  fois 
encore  à  manifester  ses  desseins  sur  un  coin  du  monde  en  révélant  à  un  de 
ses  serviteurs  la  captivité  du  jeune  patricien. 

1.  Le  nom  de  ce  Saint  est  un  de  ceux  qui  ont  été  le  plus  défigurés  en  passant  d'une  province  à  l'autre. 
Le  nom  latin  est  Fidolus  :  on  l'orthographie  Phèle  ou  Fêle  en  Poitou;  Fale  en  Auvergne;  Phal  ou  Fal  en 
Champagne,  etc. 

2.  Lecointe,  Ann.  ord.  S.  B.,  rapporte  ces  ravages  et  la  captivité  de  saint  Fidolus  a  l'an  525,  où  une 
seconde  expédition  fut  dirigée  contre  les  Auvergnats  révoltés  sous  la  conduite  de  leur  gouverneur  Arca- 
dius,  et  il  s'appuie  de  saint  Grégoire  de  Tours.  Mais  les  Bollandist-js  tiennent  pour  la  première  expédi- 
tion, comme  s'accordant  mieux  avec  plusjjwirs  points  de  chronologie,  et  particulièrement  avec  la  jeunesse 
de  saint  Phal. 


566  16  mai. 

Un  vieux  solitaire,  nommé  Aventin,  après  avoir  été  cellérier  de  Camélius, 
évêque  de  Troyes,  s'était  caché  à  deux  lieues  au  sud  de  cette  ville,  dans  une 
île  formée  par  les  sinuosités  de  la  Seine  et  de  l'Oze.  Entouré  de  nombreux 
disciples,  dont  il  dirigeait  la  vie  religieuse,  il  y  avait  fondé  un  monastère, 
célèbre  plus  tard  sous  le  nom  d'Isles-Aumont,  et  s'y  appliquait  à  la  pratique 
des  plus  austères  vertus.  Un  jour  qu'il  était  en  prières,  il  fut  averti  dans  une 
vision  que  bientôt  arriverait  près  du  couvent  un  jeune  homme  nommé 
Fidolus,  emmené  captif  de  son  pays  ;  qu'il  eût  à  le  racheter,  et  le  reçût 
parmi  ses  frères  pour  y  embrasser  la  vie  commune.  Aventin  était  en- 
core absorbé  dans  ces  pensées  lorsque  tout  à  coup  vint  à  passer  devant  la 
porte  de  sa  cellule  une  troupe  déjeunes  prisonniers.  C'était  l'élite  de  la  jeu- 
nesse auvergnate,  victime  de  la  guerre,  et  qu'on  dirigeait,  par  la  Cham- 
pagne, selon  le  caprice  de  ceux  qui  les  avaient  achetés.  L'abbé  s'empressa 
de  savoir  s'il  n'y  avait  point  parmi  eux  quelqu'un  qui  se  nommât  Fidolus, 
et,  sur  l'assurance  qu'on  ne  lui  refuserait  pas  le  jeune  clerc  s'il  voulait  le 
racheter  à  ce  titre,  Aventin  donna  pour  lui  douze  pièces  d'or,  et  le  pauvre 
esclave  devint  son  fils  spirituel.  Celui-ci  ne  tarda  pas  à  laisser  voir  quel  tré- 
sor de  sainteté  recelait  son  âme  déjà  expérimentée  dans  les  cnoses  de  Dieu. 
Aussi  Aventin  le  regardait  moins  comme  un  disciple  que  comme  un  maître; 
si  bien  que,  l'ayant  fait  honorer  du  caractère  sacerdotal,  il  lui  confia  la 
charge  de  prévôt  ou  prieur,  l'élevant  par  là  à  la  première  dignité  du  mo- 
nastère après  la  sienne.  Le  Saint  ne  fit  que  se  perfectionner  en  s'acquittant 
de  ces  graves  obligations,  et  donna  de  plus  en  plus  l'exemple  de  la  régula- 
rité dans  un  égal  amour  du  travail  et  de  la  pénitence.  Une  telle  conduite 
ne  put  qu'augmenter  le  respect  et  la  confiance  de  ses  frères,  et  ils  lui  en 
donnèrent  un  témoignage  non  moins  éclatant  qu'unanime. 

Aventin  s'était  fait  vieux.  Craintif  devant  l'approche  des  jugements  de 
Dieu  et  la  responsabilité  de  sa  conscience,  il  souhaitait  de  s'en  décharger  en 
quittant  les  soins  de  la  vigilance  pastorale,  et  quand  il  annonça  à  la  com- 
munauté cette  détermination  bien  arrêtée,  il  n'y  trouva  qu'une  voix  pour 
appeler  au  gouvernement  qu'il  abandonnait  le  saint  homme  sur  lequel  il 
avait  lui-même  fixé  son  choix.  Ce  ne  fut  pas  sans  de  longues  résistances  que 
Phal  consentit  à  prendre  le  fardeau;  mais  cette  humilité  même  devenait 
une  garantie  que  Dieu  l'aiderait  à  le  porter.  Il  en  fit  durer  la  preuve  autant 
que  sa  vie;  et  pendant  que  son  père  spirituel  achevait  la  sienne  dans  une 
plus  étroite  solitude,  où  s'éleva  bientôt  après  le  village  de  Saint-Aventin  *, 
saint  Phal,  continuant  sa  propre  sanctification  dans  celle  des  autres,  ar- 
riva au  terme  de  sa  carrière,  qu'il  acheva  le  16  mai,  vers  l'an  540,  après 
plus  de  trente  ans  passés  dans  la  vie  monastique.  D'après  les  dates  qui 
semblent  préférables,  il  devait  avoir  atteint  à  peine  à  sa  soixantième  année. 
Sa  vie  sainte,  humble  et  mortifiée  lui  avait  mérité  le  don  des  miracles  en 
ce  monde  et  le  ciel  en  l'autre.  Des  miracles,  il  en  fit  sans  nombre  :  il  rendit 
la  vue  à  deux  aveugles  en  faisant  sur  eux  le  signe  de  la  croix  ;  par  une  orai- 
son de  trois  jours,  il  guérit  un  enfant  débile  du  nom  d'Octavien;  il  rendit 
aussi  la  santé  à  un  homme  malade  de  la  rage  et  qui  se  déchirait  lui-même 
avec  ses  dents. 

1.  C'est  aujourd'hui  un  hameau  de  deux  cents  habitants,  dans  la  commune  de  Verrières,  à  quelque 
distance  de  Troyes.  On  y  découvrit,  en  1S49,  un  cimetière  mérovingien.  Une  église  du  xir  sibcle  y  est 
remarquable:  mais  elle  fut  remaniée  au  xvie,  et  possède  encore  un  vitrail  daté  de  1557.  (Voir  le  Réper- 
toire arcàiolouiqut  du  département  de  l'Aube,  par  M.  d'Aibois  de  Jubainville,  col.  118. 


SAINT  PHAL   OU   FIDOLUS,    ABBÉ  D'iSLE,    EN   CHAMPAGNE.  567 

xMONASTÈRE  DE  SAINT-PHAL  ;  —  SES  RELIQUES. 

C'est  sans  doute  après  sa  mort  que  son  monastère  prit  le  nom  de  Saint-Phal,  lorsque  beaucoup 
de  miracles,  succédant  à  ceux  qu'il  avait  faits  pendaut  sa  longue  retraite,  firent  briller  d'autant 
plus  sa  réputation  de  sainteté.  Cent  ans  après  cet  événement,  ses  reliques  furent  transportées  au 
monastère  de  la  Celle,  qui  venait  d'être  construit  dans  le  suburbium  de  Troyes.  C'était,  peut-être, 
par  suite  de  la  ruine  du  sien,  que  les  troubles  de  ces  temps  difficiles  durent  exposer,  comme  tant 
d'autres,  à  de  fréquentes  et  décisives  invasions.  Après  ce  revers,  l'importance  de  l'établissement 
diminua,  mais  il  traversa  les  siècles  eu  dépit  de  son  amoindrissement,  et,  en  1770,  Saint-Phal 
était  encore  un  prieuré  de  l'abbaye  de  Molesme,  Ordre%de  Saint-Benoit,  au  diocèse  de  Langres  '. 
Aujourd'hui  la  mémoire  de  la  pieuse  demeure  continue  de  vivre  sur  le  sol  qu'elle  avait  béni. 
Devenu  le  chef-lieu  d'une  paroisse,  le  village  de  Saint-Phal  a  multiplié  son  vocable  pour  d'autres 
églises  de  la  Champagne  et  de  la  Bourgogne.  Nous  ne  savons  comment  ce  nom  vénéré  est  allé 
s'établir  au  voisinage  de  la  Gartempe,  dans  le  Poitou,  si  ce  n'est  qu'à  une  époque  incertaine, 
mais  fort  reculée,  la  possession  de  quelque  relique  du  Saint,  ou  un  acte  de  pieuse  reconnaissance 
pour  quelque  faveur  du  ciel  obtenue  par  lui,  y  ait  fait  construire  l'église  qui  porte  son  nom. 

Cette  église  existe  encore  en  partie  dans  une  rue  du  bourg,  dont  l'issue  au  couchant  ramène 
■vers  la  rivière.  C'était  un  charmant  édifice  de  la  transition,  abandonné  et  vendu  nationulement 
en  1792,  et  racheté,  en  1811,  pour  faire  la  chapelle  d'une  école  de  jeunes  filles,  dirigée  par  les 
humbles  filles  de  la  Croix.  La  nef  a  été  divisée  en  classes  et  autres  annexes  convenables  à  ce  but; 
l'élévation,  coupée  par  un  plancher,  a  permis  de  conserver  comme  lieu  sacré  l'ancien  sanctuaire, 
dont  la  voûte  élégante  laisse  retomber  ses  nervures  légères  sur  des  chapiteaux  à  feuillages  parfai- 
tement traités  et  qui  couronnent  de  sveltes  colouues  gothiques. 

Saint-Phèle  de  Maillé  était,  en  1789,  un  bénéfice-cure  à  la  collation  de  l'évèque  de  Poitiers  j 
un  assez  gros  revenu  s'y  rattachait,  et  le  presbytère  y  attenait  avec  son  jardin  et  quelques  autres 
dépendances,  dont  les  sœurs  institutrices  n'ont  qu'une  très-petite  part.  L'une  de  ces  dépendances, 
fort  vaste  et  encore  existante,  est  toujours  désignée  sous  le  nom  de  la  Grange  d'Ecêque. 

Enfin  deux  chapellenies,  l'une  de  Notre-Dame,  l'autre  de  Saint-Roch,  étaient  desservies  dans 
Saint-Phèle  de  Maillé.  Elles  étaient  aussi  à  la  collation  du  curé  de  Saint-Pierre.  Cette  dernière 
valait  vingt-cinq  livres  de  rente,  sur  lesquelles  une  messe  était  due  par  le  chapelain. 

Les  reliques  de  saint  Pliai  furent,  pendant  de  longs  siècles,  conservées  dans  l'abbaye  de  Mou- 
tier-la-Celle. 

Le  5  janvier  1640,  sa  tète  fut  donnée  à  la  paroisse  qui  porte  son  nom,  dans  le  diocèse 
de  Troyes  :  cette  relique  fut  visitée  le  23  mai  1842  et  replacée  dans  une  châsse  neuve. 

Le  24  août  1791,  le  distric  révolutionnaire  accorda  sa  chasse  à  l'église  Saint-André-lès-Troyes  : 
le  11  mai  1802,  cette  châsse  ayant  été  ouverte,  on  y  trouva  les  authentiques.  En  1828,  elles  furent 
de  nouveau  reconnues  par  l'autorité  épiscopale. 

En  1S03,  Mgr  de  la  Tour-du-Pin  avait  enrichi  sa  cathédrale  d'un  ossement  extrait  de  la  châsse 
de  l'église  Saint-André. 

Quelques  auteurs  veulent  que  saint  Phal  ait  été  coadjuteur  de  saint  Vincent,  évoque  de  Troyes. 

Cf.  l'Ancien  Propre  de  Troyes;  Probationes  cultus  Sanctorum  diœccsis  Trecensis  :  il  y  a  dans  ce  mé- 
moire, présenté  'a  lîoœe  par  Mgr  Ravinet,  toute  une  mine  Ue  précieux  renseignements;  Saincts  et  Sainctes 
d'Auvergne,  par  J.  Branche;  Notes  d'un  voyage  archéologique  à  Saint-Pierre  de  Maillé  (Vienne),  par 
M.  l'abuc  Anlier,  etc. 

1.  Saint-Phal  appartient  maintenant  au  diocèse  de  Troyes,  dont  il  avoisine  la  ville  épiscopale.  11  sô 
trouve  sur  l'ancienne  voie  romaine  de  Troyes  à  Tonnerre.  L'église  paroissiale  fut  rtcontruite  au  xn1'  siècle, 
mais  resta  inachevée;  an  château  de  la  même  époque  y  a  été  détruit  depuis  peu  de  temps,  grâce  a  l'esprit 
de  la  Uando  noire,  qui  survit  a  la  défaite  du  corps.  (Voir  AI.  d'Aruois,  ub.  sup.,  col.  110.) 


56S  10  MAI. 

SAINT  EMAN,  MARTYR  AU  PAYS  CHARTRAIN 

5G0.  —  Pape  :  Jean  III.  —  Roi  des  Francs  Neustriens  :  Clotaire  Ier. 


Ceux  qui,  par  leurs  leçons  et  leurs  exemples,  enseignent 
aux  autres  les  voies  de  la  justice,  luiront  comme  des 
étoiles  dans  toute  l'éternité'.  Daniel,  xn. 

Saint  Nectaire,  évêque  d'Autun,  ayant  fait  un  voyage  à  Milan  pour  en 
rapporter  des  reliques  des  saints  Nazaire  et  Gelse,  rencontra  à  leur  tom- 
beau un  homme  de  Dieu  comme  lui,  et  comme  lui  pieux  pèlerin  :  il  se 
nommait  Eman  et  venait  d'une  contrée  lointaine  du  fond  de  la  Cappadoce. 
Dès  sa  plus  tendre  enfance,  nourrie  de  foi  et  de  piété,  sa  belle  âme,  forte  et 
généreuse  autant  que  pure  et  candide,  vraie  sœur  des  anges,  se  tourna 
vers  Dieu;  et  plus  tard,  ni  les  premiers  feux  de  l'adolescence,  ni  les 
ardeurs  trop  souvent  orageuses  de  la  jeunesse  ne  purent  en  troubler  le 
calme,  en  ternir  la  fraîcheur.  Encore  dans  la  fleur  de  la  jeunesse,  il  entend, 
nouvel  Abraham,  une  inspiration  secrète  qui  lui  dit  de  quitter  la  terre  de 
la  patrie  et  de  marcher  vers  l'Occident,  pour  aller  vénérer  les  tombeaux 
des  Martyrs,  y  puiser  de  saintes  et  grandes  inspirations  pour  travailler  à  la 
gloire  de  Dieu,  et  gagner  des  âmes  par  son  exemple  et  par  sa  parole. 

Le  jeune  pèlerin  dirigea  d'abord  ses  pas  vers  Itome.  Avec  quelle  vénéra- 
tion et  quel  amour  il  toucha  le  sol  de  la  ville  sainte!  Le  souverain  Pontife 
voulut  le  voir,  le  reçut  et  l'entretint  avec  une  paternelle  bonté.  Trouvant 
en  lui  dès  cette  première  entrevue  l'âme  d'un  Saint,  d'un  prêtre,  d'un 
apôtre,  il  désira  l'enrôler  dans  la  milice  cléricale  et  lui  fit  commencer  les 
études  nécessaires.  Le  jeune  Cappadocien  obéit  à  la  voix  du  vicaire  de 
Jésus-Christ  comme  à  Jésus-Christ  môme.  Il  se  mit  au  travail  et  fit  des  pro- 
grès si  rapides,  si  merveilleux,  que  bientôt  on  ne  parla  dans  Rome  que  de 
sa  science,  comme  on  ne  parlait  déjà  que  de  sa  vertu. 

Après  un  séjour  de  sept  ans  à  Rome,  Eman,  qui  avait  entendu  parler 
des  nombreux  prodiges  que  Dieu  opérait  à  Milan  par  l'intercession  de  saint 
Nazaire,  conçut  un  vif  désir  d'aller  prier  au  miraculeux  tombeau.  Il  arriva 
bientôt  dans  la  ville,  objet  de  tous  ses  vœux.  Il  n'y  choisit  point  d'autre  de- 
meure que  l'église  où  reposait  le  corps  du  glorieux  Martyr.  C'est  là  qu'il 
passa  deux  ans,  menant  une  vie  qui  tenait  plus  de  l'ange  que  de  l'homme  ; 
là  que,  dans  ses  communications  intimes  avec  Dieu,  il  eut  une  vision  céleste 
et  fut  inspiré  d'aller  à  Autun  prier  aussi  sur  le  tombeau  de  saint  Sympho- 
rien  où,  pour  répandre  de  plus  en  plus  et  confirmer  la  foi  naissante  des 
peuples  barbares  récemment  établis  dans  les  Gaules,  le  divin  Maître  voulait 
bien,  comme  à  celui  de  saint  Nazaire,  opérer  de  nombreux  miracles. 

La  Providence  ménagea  des  rapports  entre  lui  et  saint  Nectaire  qui 
allait  revenir  à  Autun.  Les  deux  pèlerins  en  se  voyant  au  tombeau  du  mar- 
tyr de  Milan  avaient  su  bientôt  se  comprendre  et  s'apprécier  :  ils  furent 
donc  enchantés  de  pouvoir  faire  route  ensemble. 

En  retrouvant  à  Autun  des  disciples,  des  enfants  de  l'évêque  de  Césarée, 
il  crut  y  retrouver  sa  patrie  absente.  Saint  Eman  apprit  avec  un  tressaille- 
ment de  joie  que  les  religieux  qui  desservaient  l'abbaye  de  Saint-Sympho- 
rien  suivaient  la  règle  de  saint  Basile,  son  compatriote. 


SAINT  EMAN,   MARTYR.  569 

Peut-être  auosi  que  le  jeune  pèlerin  trouvait  un  intérêt  tout  particulier 
à  visiter  la  Gaule.  Cette  contrée  n'aurait-elle  pas  été  le  berceau  de  ses  an- 
cêtres ?  Car  il  pouvait  fort  bien  être  Galate  d'origine,  puisqu'il  portait  le 
même  nom  que  ce  chef  gaulois,  l'Allobroge  Eman,  qui,  selon  Justin, 
faisait  partie  de  la  grande  expédition  de  Bellovèse.  Et  les  Ombriens,  peuple 
du  Milanais,  conduits  à  cette  même  expédition  en  Asie,  n'étaient-ils  point 
frères  des  Eduens?  Le  vif  intérêt  avec  lequel  Eman  visitait  Milan  et  Autun 
était  donc  peut-être  à  la  fois  religieux  et  patriotique.  Ne  retrouvait-il 
pas  dans  ces  deux  villes  le  souvenir  et  la  terre  des  aïeux  ?  La  mémoire  des 
Saints  et  la  mémoire  de  la  patrie  ne  parlaient-elles  pas  toutes  deux  à  son 
cœur '  ? 

Dieu  ne  laissa  pas  son  serviteur  jouir  bien  longtemps  du  bonheur  de  la 
pieuse  retraite  d'Autun  où  sa  main  l'avait  conduit.  L'époque  à  laquelle  il 
devait  l'appeler  à  de  nouvelles  pérégrinations  et  mettre  son  courage  à  de 
nouvelles  épreuves  était  arrivée.  Yoila  en  effet  que  dans  une  vision,  pendant 
le  sommeil  de  la  nuit,  Eman  entendit  une  voix  qui  lui  disait  :  «  Pars 
pour  Chartres  et  va  prêcher  la  divine  parole  aux  populations  de  ces  con- 
trées. C'est  là  que  le  ciel  t'appelle  :  pars  à  l'instant  et  ne  crains  rien  ».  Aus- 
sitôt il  se  leva,  se  mit  en  route  et  arriva  bientôt,  non  plus  en  pèlerin,  mais 
plutôt  en  apôtre,  au  lieu  désigné. 

A  peine  était-il  arrivé  dans  le  pays  chartrain,  qu'il  se  mit  à  prêcher  pour 
obéir  aux  ordres  du  ciel  et  à  l'impulsion  de  son  zèle.  Dieu  seconda  ses 
efforts  et  les  récompensa  en  lui  donnant  la  consolation,  bien  chère  à  un 
apôtre,  d'opérer  des  conversions  nombreuses.  C'était  la  seule  qu'il  ambi- 
tionnât, parce  qu'elle  se  confondait  avec  la  gloire  du  divin  Maître.  «  Ceci  », 
dit  le  biographe  2,  «  se  passait  sous  le  grand  roi  Théodebert,  à  qui  les  in- 
térêts de  la  religion  n'étaient  pas  moins  chers  que  ceux  du  rovaume  » 
(534-548). 

Eman  passa  deux  ans  à  Chartres,  et  son  séjour  dans  cette  ville  fut 
marqué  par  plusieurs  faits  merveilleux. 

Cependant  la  grande  fête  de  saint  Symphorien  approchait.  Eman  voulut 
aller  au  moins  une  fois  encore  prier  à  ce  tombeau  chéri  que  nos  pères  en- 
touraient d'une  vénération,  d'un  amour  et  d'une  confiance  dont  nous  nous 
faisons  à  peine  une  idée  dans  ce  siècle  à  demi  chrétien. 

Il  partit  donc  pour  Autun  et  revit  avec  bonheur  cette  ville,  cette  abbaye, 
cette  basilique  où  l'appelaient  d'affectueux  souvenirs,  où  il  avait  laissé  la 
plus  grande  partie  de  son  âme.  Là,  comme  à  l'époque  de  son  premier  pèle- 
rinage, il  passait  les  nuits  en  prière  dans  l'église  du  Martyr  et  attirait  l'ad- 
miration universelle.  Dieu  manifesta  de  nouveau  la  sainteté  de  son  servi- 
teur, en  lui  donnant  le  pouvoir  de  chasser  les  démons  du  corps  des  possédés; 
mais  en  même  temps,  pour  faire  éclater  et  épurer  de  plus  en  plus  sa 
vertu,  il  le  mit  à  une  bien  rude  épreuve.  Quelque  vil  calomniateur,  poussé 
sans  doute  par  une  odieuse  jalousie,  le  noircit,  à  ce  qu'il  paraît,  auprès  de 
Nectaire;  il  vint  même  à  bout  de  prévenir  contre  lui  le  saint  évoque  au  point 
de  le  faire  jeter  dans  un  cachot  noir  et  infect.  Le. pieux  pèlerin  se  laissa 
conduire,  sans  ouvrir  la  bouche  pour  se  plaindre,  dans  ce  lieu  d'horreur. 
Là  il  se  mit  à  genoux,  adora  les  desseins  de  Dieu  et  pria  comme  le  Sauveur 
du  monde  pour  ses  aveugles  ennemis.  Mais  voilà  que  tout  à  coup  l'affreuse 
prison  fut  inondée  d'une  éclatante  lumière  et  embaumée  de  la  plus  suave 

1.  Mémoires  de  la  Société  éduenne. 

2.  La  Vie  de  saint  Eman,  écrite  par  un   contemporain,  est  tirée  d'un  manuscrit  découvert  dans  l'ab- 
baye de  Vendôme,  par  André  Duchêne.  Bolland.,  16  maii,  p.  595. 


570  16  mai. 

odeur.  En  même  temps  la  porte  s'ouvrit  d'elle-même;  mais  l'archidiacre 
Euphrone,  qui  attribuait  probablement  ce  prodige  à  quelque  pouvoir  ma- 
gique, la  referma  aussitôt.  Elle  s'ouvrit  de  nouveau  jusqu'à  trois  fois.  Ce- 
pendant le  vénérable  évêque,  instruit  de  ce  qui  se  passait,  reconnut  le  doigt 
de  Dieu;  et  voyant  qu'Eman  avait  été  indignement  calomnié,  il  alla  se 
jeter  à  ses  pieds,  lui  demanda  pardon,  l'honora  dès  lors  d'une  estime  et 
l'entoura  d'une  vénération  plus  grande  que  jamais.  Bien  plus,  afin  de  lui 
témoigner  tout  le  cas  qu'il  faisait  de  son  mérite,  il  le  pressa  vivement  de 
vouloir  bien  consentir  à  entrer  dans  le  clergé.  L'humble  serviteur  de  Dieu, 
qui  jusque-là  n'avait  pas  osé  accepter  le  saint  ministère  des  autels,  y  con- 
sentit enfin  dans  la  crainte  d'aller  contre  la  volonté  divine  en  résistant  aux 
instances  du  pontife.  Il  pensait  aussi  que  l'éminente  qualité  de  ministre  de 
Jésus-Christ  serait  pour  lui  un  motif  de  plus  d'exercer  son  zèle,  en  même 
temps  qu'un  moyen  nouveau  de  faire  le  bien.  Prosterné  devant  le  saint 
évêque  d'Autun,  il  reçut  donc  de  lui  la  couronne  des  clercs  et  une  affec- 
tueuse bénédiction. 

Nectaire  espérait  sans  doute  pouvoir  le  conserver  dans  son  diocèse;  mais 
Dieu  en  avait  disposé  autrement  et  ne  tarda  pas  à  manifester  son  intention. 
Soudain,  au  milieu  du  silence  et  des  ténèbres  de  la  nuit,  apparaît  à  Eman, 
qui  prenait  quelques  instants  de  sommeil,  un  vénérable  évêque  paré 
d'ornements  plus  blancs  que  la  neige  et  accompagné  d'un  adolescent  à  l'an- 
gélique  visage.  «Levez-vous  »,  lui  dit-il,  a  et  retournez  à  Chartres.  De  là 
vous  vous  rendrez  au  village  appelé  Sibernie  \  et  je  vous  montrerai  l'em- 
placement où  vous  devez  bâtir  une  église.  C'est  là  que  vous  annoncerez  la 
parole  de  Dieu,  que  vous  exercerez  le  ministère  apostolique  et  que  désor- 
mais vous  fixerez  votre  résidence  jusqu'au  jour  où  Dieu  couronnera  votre 
vie  par  un  glorieux  martyre  ».  —  «  Quel  est  votre  nom,  demanda  Eman, 
ô  vous  qui  m'annoncez  une  si  belle  destinée,  depuis  longtemps  l'objet  de 
tous  mes  vœux  ?»  —  «  Je  suis,  répondit  le  mystérieux  personnage,  Eusôbe, 
autrefois  évêque  de  Verceil  ».  Et  à  ces  mots,  la  vision  disparut.  Eman  s'é- 
veilla aussitôt,  rendit  grâces  à  Dieu  et,  après  avoir  fait  une  dernière  prière 
au  tombeau  de  saint  Symphorien,  se  hâta  de  partir  pour  le  pays  où  le  ciel 
le  rappelait  :  heureux  d'emporter  avec  lui  l'assurance  d'aller  bientôt  revoir 
au  ciel  le  vénérable  pontife  et  l'aimable  adolescent,  probablement  saint 
Symphorien,  qui  lui  avaient  apparu  2. 

Arrivé  à  Orléans,  notre  saint  lévite,  persuadé  que  le  sacerdoce  lui  était 
indispensable  pour  travailler  plus  efficacement  au  salut  des  âmes,  alla  trou- 
ver l'évèque  de  cette  ville  pour  lui  communiquer  son  projet.  Celui-ci, 
frappé  de  l'air  de  sainteté  qui  se  remarquait  dans  Eman,  l'accueillit  avec 
une  bienveillance  mêlée  de  respect,  l'apprécia  de  plus  en  plus  à  mesure 
qu'il  le  connut  davantage;  et  voyant  que  c'était  un  apôtre  que  le  ciel  lui 
adressait,  il  acquiesça  bientôt  à  sa  demande.  L'homme  de  Dieu,  fortifié 
encore  par  la  grâce  du  sacerdoce,  plein  d'un  nouveau  zèle  pour  le  salut 
des  âmes  et  d'une  nouvelle  ardeur  pour  le  martyre,  se  rendit  incontinent 
à  Chartres  et  de  là  dans  le  lieu  où  la  vision  nocturne  l'avait  appelé,  y  bâtit 
une  église,  s'y  livra  avec  une  infatigable  activité  à  tous  les  travaux  du  mi- 

1.  Peut-être  Illiers. 

2.  L'histoire  ne  nomme  pas  cet  adolescent,  mais  il  est  à  croire  que  c'était  saint  Symphorien.  —  On 
est  peut-être  étonné  qu'Eusèbe  de  Verceil  apparaisse  à  Eman.  Le  pieux  pèlerin  avait  fans  doute  une 
dévotion  toute  particulière  a  ce  saint  Evêque  et  était  allé  probablement  vénérer  ses  reliques  pendant  son 
sejcir  ii  Milaa.  D'ailleurs.  Eusèbe  pouvait  être  cher  à  Eman,  parce  qu'il  avait  introduit  en  Occident 
une  rôçle  analogue  a  ceUb  ûe  saint  Basile,  suivie  par  les  clercs  de  Saint-Symphorien  et  par  Eman  lui- 
même. 


SAINT  EMAN,    MARTYR.  571 

nistère  pastoral  et  de  l'apostolat,  en  attendant  la  palme  qui  lui  avait  été 
promise.  C'est  alors  qu'il  lui  arriva  plusieurs  aventures  qui  montrent  à  la  fois 
sa  charité,  son  inaltérable  douceur  et  la  protection  dont  Dieu  l'environnait. 
—  Un  jour,  ayant  été  invité  chez  Bladiste,  un  grand  seigneur  de  la  contrée, 
il  crut  devoir  accepter,  sacrifiant,  bien  qu'à  regret,  son  amour  pour  l'hu- 
milité, la  mortification  et  la  retraite,  à  un  devoir  plus  impérieux.  Comme 
la  route  était  longue,  il  fut  obligé  de  s'arrêter,  en  revenant,  dans  une  maison 
pour  y  passer  la  nuit.  Ne  sachant  où  mettre  son  cheval,  il  fit  un  signe  de 
croix  sur  lui  et  le  laissa  paître  en  liberté  et  à  la  garde  de  Dieu  sur  la  pelouse 
voisine.  Or,  un  des  convives  de  Bladiste,  nommé  Abbon,  vil  parasite,  cupide 
autant  que  pauvre,  s'empara  de  l'animal,  monta  dessus,  mais  ne  put  s'éloi- 
gner. Eman  feignit  de  croire  que  le  voleur  avait  besoin  de  son  cheval,  le 
pria  très-poliment  de  s'en  servir  et  finit  même  par  lui  donner  de  quoi 
acheter  une  chaussure  neuve,  afin  qu'il  fût  moins  tenté  de  voler  des  chevaux. 
Dieu,  en  consacrant  par  de  nombreux  prodiges  que  nous  ne  rapportons 
pas,  l'éminente  sainteté  de  son  serviteur,  achevait  d'implanter  la  foi  dans 
les  populations  des  campagnes,  car  il  ne  fallait  rien  moins  que  le  spectacle 
de  vertus  et  de  faits  extraordinaires  pour  frapper  ces  esprits  grossiers. 

Cependant  il  soupirait  sans  cesse  après  la  palme  du  martyre  qui  lui  avait 
été  promise,  comme  le  terme  et  la  récompense  de  ses  travaux;  mais  tou- 
jours humblement  soumis  à  la  volonté  du  divin  Maître,  il  attendait  cette 
faveur,  objet  de  ses  désirs,  avec  une  patience  résignée  et  de  plus  en  plus 
active,  ne  songeant  qu'à  travailler  à  s'en  rendre  digne.  Enfin  arriva  le  mo- 
ment marqué  par  la  Providence.  Un  jour  il  alla  se  promener  avec  ses  deux 
compagnons,  les  dignes  coopérateurs  de  son  apostolat,  dans  un  bois  voisin 
de  son  humble  demeure.  Or,  il  y  avait  en  ces  lieux  une  troupe  de  brigands 
qui  depuis  longtemps  désiraient  attenter  à  la  vie  de  l'homme  de  Dieu.  Cette 
bouche  qui  prêchait  la  foi  et  la  morale  évangéliques  leur  était  odieuse. 

Ces  misérables  ayant  aperçu  Eman  au  sein  de  la  forêt  sombre  et  dé- 
serte, crurent  l'occasion  favorable  pour  exécuter  leur  affreux  projet.  Ils 
sortirent  donc  aussitôt  de  leur  repaire  et  coururent  à  lui  en  brandissant 
leurs  épées.  A  cette  vue,  le  Saint  s'avança  d'un  air  digne  et  calme  au-devant 
d'eux  et  les  invita  avec  douceur  à  quitter  la  voie  du  crime  pour  embrasser 
la  loi  de  Jésus-Christ.  Mais  ces  paroles  de  paix  et  de  salut,  loin  de  désarmer 
les  brigands,  sectateurs  barbares  de  l'ancien  druidisme,  ne  firent  qu'en- 
flammer davantage  leur  fureur  homicide,  a  II  y  a  trop  longtemps  que  tu 
prêches  :  meurs  ».  Et  à  ces  mots,  ils  le  massacrèrent  avec  ses  collabora- 
teurs, le  17  des  calendes  de  juin  (16  mai),  vers  l'an  5G0.  Les  anges  vinrent 
recueillir  les  âmes  des  martyrs  et  les  accompagnèrent  au  ciel. 

C'est  ainsi  que  pour  les  soldats  de  Jésus-Christ  le  jour  de  la  mort  de- 
vient le  jour  du  triomphe.  Avec  quel  bonheur  Eman  prit  place  au  milieu 
de  ces  martyrs  de  Rome  et  de  ces  martyrs  de  Milan  dont  il  était  allé  véné- 
rer les  reliques;  à  côté  de  saint  Symphorien  sur  le  tombeau  duquel  il  avait 
si  souvent  passé  les  jours  et  les  nuits,  demandant  à  Dieu  le  même  courage, 
le  même  sort,  la  même  récompense  !  Sa  prière  était  exaucée  :  il  possédait 
la  couronne  éternelle.  Son  corps  et  celui  de  ses  deux  compagnons,  Mau- 
rille  et  Almaire,  martyrisés  avec  lui,  furent  inhumés  à  Islaris-Cella  (Illiers), 
par  des  religieux;  et  jusqu'à  ce  jour,  dit  le  biographe,  le  Dieu  tout-puis- 
sant n'a  pas  cessé  d'opérer  des  miracles  sur  le  tombeau  de  ces  trois  fidèles 
serviteurs  morts  pour  sa  cause.  Bien  des  années  après,  les  précieux  restes 
de  saint  Eman  furent  transportés  à  Chartres  dans  l'église  de  Saint-Maurice 
fiors  des  murs,  où  ils  devinrent  l'objet  de  la  vénération  publique.  «  A  l'époque 


572  16  mai. 

des  grandes  perturbations  qui  marquèrent  la  fin  du  xvme  siècle,  dit  le 
Propre  de  Chartres,  les  cendres  sacrées  de  saint  Eman  furent  violées  et  je- 
tées au  vent.  La  chapelle  que  lui  avait  élevée  la  foi  de  nos  pères  est  consa- 
crée à  des  usages  profanes  ». 

Acta  Sanctorum  ;  Culte  de  saint  Symphorien,  par  M.  Dinet.  Propre  de  Chartres. 


SAINT  GERMIER,  EYEQUE  DE  TOULOUSE 

S61.  —  Pape  :  Jean  III.  —  Roi  des  Francs  Austrasiens  :  Childebert  II. 

Germier  avait  trente  ans  quand  il  fut  initié  au  sacerdoce.  Comme  il  tra- 
versait le  royaume  des  Francs,  la  renommée  de  sa  vertu  arriva  jusqu'à  Clo- 
vis.  Ce  prince  envoya  des  officiers  pour  le  chercher  et  le  conduire  avec 
honneur  auprès  de  lui  l.  Germier  parut  devant  Clovis  et  le  salua  profondé- 
ment. Le  roi,  en  le  voyant,  fut  tout  réjoui  de  pouvoir  connaître  un  person- 
nage aussi  saint,  dont  il  avait  entendu  parler  avec  tant  d'avantage.  Le  roi 
l'interrogea  :  Qui  êtes-vous  ?  d'où  venez- vous  ?  comment  vous  appel  az- 
vous  ?  On  m'appelle  Germier  :  je  suis  né  à  Angoulême;  j'ai  été  envoyé  dès 
mon  enfance  à  Toulouse  pour  y  apprendre  les  lettres  humaines.  J'ai  été  fait 
sous-diacre  à  Saintes,  diacre  à  Jonsac  -  et  évèque  àArsat,  quoique  indigne. 
Je  mets  en  Dieu  ma  contlance.  Le  roi  lui  dit  :  Celui  qui  s'exalte  sera  humi- 
lié, et  celui  qui  s'humilie  sera  exalté. 

Clovis  invita  Germier  à  s'asseoir  à  sa  table;  les  convives  prirent  place, 
après  que  les  mets  eurent  été  bénis  par  l'évêque.  Quand  tous  furent  assis,  il 
donna  au  roi  et  aux  princes  les  eulogies,  et  chacun  rendait  grâces  à  Dieu 
et  au  roi  de  ce  qu'il  avait  appelé  le  serviteur  de  Dieu.  Confiimés  dans  la  foi 
et  conduits  par  l'Esprit-Saint,  ils  confessaient  à  Germier  leurs  péchés.  Il 
disait  à  tous  ceux  qui  croyaient  :  Mes  enfants,  faites  pénitence,  et  accom- 
plissez ce  que  vous  avez  promis  à  Dieu  afin  que  vous  ne  périssiez  pas  au 
dernier  jugement.  Le  roi  connut  alors  qu'il  était  saint,  et  le  conjura  de 
prier  pour  son  âme;  puis  il  lui  dit  :  Demandez-moi  ce  que  vous  voudrez  de 
tous  mes  biens;  mes  serviteurs  exécuteront  vos  ordres.  Germier  répondit  : 
0  roi,  je  ne  vous  demande  rien  de  vos  domaines;  accordez-moi  seulement 
dans  le  territoire  de  Toulouse  autant  de  terre  que  pourra  en  couvrir  ma 
clamyde  à  côté  du  bienheureux  Saturnin  mon  maître,  à  l'ombre  duquel  je 
désire  que  mon  corps  repose  :  car,  après  le  Seigneur,  je  désire  l'avoir  à 
Toulouse  pour  défenseur  et  pour  appui.  Clovis  lui  dit  :  Je  vous  donne,  au- 
tour du  lieu  qui  s'appelle  Doz  (Ox),  six  mille  mesures  de  terre,  et  pour  en- 
terrer vos  morts  autant  de  terrain  que  sept  paires  de  bœufs  peuvent  en 
labourer  dans  un  jour. 

Germier  demeura  avec  le  roi  vingt-deux  jours,  et  Clovis  lui  donna  une 
somme  considérable  d'or  et  cinq  cents  sicles  d'argent,  des  croix  d'or,  des 
calices  d'argent  avec  leurs  patènes,  trois  crosses  ou  bâtons  d'argent  doré, 
trois  couronnes  dorées  et  autant  de  manteaux  de  tin  lin.  Il  lui  remit  un 

1.  Touchant  le  palais  de  Clovis  où  Germier  fut  appelé,  on  croit  communément  qu'il  était  situé  au 
confluent  du  Tarn  et  de  la  Garonne,  non  loin  de  la  ville  de  Moissuc.  Dans  cette  opinion,  ce  palais  aurait 
été  situé  sur  la  voie  qui  conduisait  d"Arsat  à  Toulouse. 

2.  A  6  lieues  de  Saintes. 


SAINT   GERMIER,    ÉVÉQUE   DE   TOULOUSE.  573 

acte  scellé  de  son  anneau  et  de  celui  des  officiers  de  sa  cour,  par  lequel  il 
confirmait  toutes  les  donations  et  les  déclarait  libres  de  toutes  redevances. 
Le  roi  dit  ensuite  à  ceux  qui  l'entouraient  :  Faites  ce  que  vous  me  verrez 
faire;  il  s'approcha  et  se  recommanda  à  Germier  par  les  cheveux  de  sa  tête, 
ce  que  tous  tirent  après  lui.  Clovis  l'embrassa  et  lui  dit  adieu.  Germier, 
après  avoir  béni  le  roi,  se  disposa  à  continuer  sa  route.  Une  multitude  in- 
nombrable de  peuple  l'accompagna  jusqu'à  quatre  milles.  Le  Saint,  versant 
des  larmes,  leur  dit  :  Que  la  paix  soit  avec  vous,  mes  frères  !...  Persévérez 
dans  la  foi  que  vous  avez  embrassée,  et  retournez  chez  vous.  Que  le  Sei- 
gneur soit  toujours  avec  vous  !...  Et  ils  partirent. 

Saint  Germier  revint  à  Toulouse  pour  y  remplir  son  ministère.  Le  peuple 
le  reçut  et  l'accompagna  dans  toutes  les  visites  des  églises;  il  se  rendit  à 
l'église  de  Saint-Saturnin,  parcourut  tous  les  lieux  qui  étaient  commis  à  sa 
garde,  et  rentra  dans  sa  maison,  où  il  trouva  ce  qu'il  avait  laissé.  Ses  ser- 
viteurs lui  dirent  :  Il  y  a  longtemps  que  vous  nous  avez  laissés;  il  nous  tar- 
dait beaucoup  de  vous  revoir.  Germier  leur  lit  part  des  biens  qu'il  avait 
apportés.  Dulcidius  et  Pretiosus,  ses  deux  fidèles  disciples,  lui  montrèrent 
tous  les  trésors  et  les  meubles  qu'il  leur  avait  confiés;  et  après  qu'il  les  eut 
examinés,  on  reporta  toutes  ces  choses  en  leur  lieu.  Le  peuple  se  réjouit  de 
l'arrivée  de  Germier,  qui  l'exhortait  à  confesser  ses  péchés  et  guérissait  les 
malades.  Il  alla  prendre  possession  de  la  terre  de  Doz  (Ox),  que  le  roi  lui 
avait  donnée  ;  il  y  construisit  une  église  en  l'honneur  de  saint  Saturnin  avec 
trois  autels,  et  il  la  consacra.  Dans  la  cérémonie  de  la  dédicace,  on  alluma 
trois  cents  flambeaux  de  cire.  En  cette  nuit,  saint  Germier  guérit  plusieurs 
aveugles,  des  boiteux,  des  paralytiques,  et  en  particulier  sept  lépreux.  La 
renommée  de  sa  sainteté  croissait  toujours  dans  sa  ville  de  Toulouse. 

Il  bâtit  ensuite  un  monastère  à  Doz  et  y  consacra  un  autel  en  l'honneur 
de  saint  Martin,  réunit  en  ce  lieu  ses  serviteurs  et  sa  famille,  plaça  à  Doz 
tout  ce  qu'il  avait  réuni  de  divers  lieux,  et  établit  en  sa  maison  des  aumô- 
niers pour  les  pauvres. 

N'étant  encore  que  diacre,  il  opéra  plusieurs  miracles  :  à  sa  prière,  Dieu 
fit  jaillir  une  source  d'eau  vive  et  reverdir  un  laurier  desséché;  il  guérit 
deux  lépreux,  délivra  trois  possédés  par  le  signe  de  la  croix,  et  éteignit  un 
vaste  incendie. 

Le  pontife  passa  sa  vie  au  milieu  des  jeûnes,  des  prières  et  des  aumônes 
pendant  trente-six  ans,  ayant  de  nombreux  serviteurs.  Le  démon  envoya  la 
peste  sur  ses  troupeaux;  ils  périrent  tous  en  une  nuit.  Les  bergers  vinrent 
lui  annoncer  cette  perte  tout  en  pleurs.  Mais  il  leur  dit  :  Est-ce  vos  péchés 
que  vous  pleurez  ?  Qu'est-ce  qui  vous  attriste  ?  Ignorez-vous  que  nous  ne 
sommes  pas  de  ce  monde,  et  que  celui  qui  a  la  vie  ne  peut  goûter  la  mort  ? 
Pourquoi  posséder  les  richesses  du  siècle  ?  Celui  qui  hait  le  monde,  aime 
Dieu.  C'est  lui  qui  a  dit  :  «  N'aimez  ni  le  monde,  ni  ce  qui  est  dans  le 
monde  ».  Cette  tentation  vient  du  démon;  ces  troupeaux  ont  péri  à  cause 
de  nos  péchés.  Le  Seigneur  les  avait  donnés,  il  les  a  repris  :  que  son  saint 
nom  soit  béni  !  Ce  même  fléau  vint  atteindre  ses  serviteurs,  et  ils  périrent 
tous.  Leur  mort  causa  à  Germier  la  plus  profonde  douleur.  Il  dit  alors  à 
Précieux  et  à  Dulcide  :  Mes  frères,  allons  à  l'église  du  prêtre  saint  Poly- 
carpe,  et  prions  Dieu  qu'il  se  montre  miséricordieux  envers  nous.  Etant 
entré  dans  l'église,  il  se  revêtit  d'un  cilice,  se  couvrit  de  cendres,  et  pen- 
dant trois  jours,  sans  boire  ni  manger,  il  persévéra  dans  la  prière,  versant 
d'abondantes  larmes,  suppliant  le  Seigneur  de  le  délivrer  de  la  tribulation 
qui  l'accablait.  Il  offrit  ensuite  le  sacrifice  pour  les  morts.  Pendant  qu'il 


574  16  mai. 

priait,  l'ange  du  Seigneur  lui  apparut  et  lui  dit  :  Sachez  que  tous  les  vôtres 
ont  été  conduits  en  Paradis.  Il  rendit  grâces  alors  à  Dieu  qui  avait  daigné 
ainsi  le  consoler.  —  Je  vous  supplie,  dit-il,  Seigneur,  de  me  placer  au 
nombre  de  vos  Saints.  —  Maître,  lui  dirent  alors  ses  disciples  en  larmes, 
pourquoi  ne  prenez-vous  aucune  nourriture  ?  pourquoi  vous  abandonnez- 
vous  à  la  douleur  ?  Nous  vous  apporterons  quelques  aliments.  Il  leur  ré- 
pondit :  Je  n'ai  ni  faim  ni  soif;  nous  devons,  à  cause  du  démon  tentateur, 
persévérer  dans  la  prière  et  le  jeûne;  Dieu  l'écrasera  sous  nos  pieds  et  tout 
nous  deviendra  prospère.  En  effet,  après  quelques  années,  il  rentra  dans 
tous  les  biens  qu'il  avait  perdus,  et  sept  ans  après  il  mourut  très-sainte- 
ment '. 

Des  monuments  encore  existants  attestent  qu'il  mourut  à  Ox,  hameau 
situé  près  de  Muret;  que  c'est  en  ce  lieu  qu'il  fut  d'abord  enterré;  qu'en- 
suite, ses  ossements,  ainsi  que  ceux  de  ses  deux  disciples,  furent  portés 
dans  l'église  paroissiale  de  Saint-Jacques  de  Muret,  où  ils  se  trouvent  encore 
dans  une  crypte  située  sous  le  sanctuaire. 

CULTE  ET  RELIQUES  DE  SAINT  GERMIER. 

Le  culte  de  saint  Germier  remonte  à  la  plus  haute  antiquité  :  il  est  fait  mention  de  lui,  sous 
le  16  avril,  dans  un  ancien  Martyrologe  manuscrit  de  l'abbaye  de  Saint-Savin  au  diocèse  de  Tarbes, 
ainsi  que  dans  un  autre  manuscrit  très-ancien  de  la  ville  de  Prague.  Quant  à  ses  deux  disciples 
Dulcidius  et  Pretiosus,  on  n'en  célèbre  point  la  fête,  quoique  leurs  reliques  soient  placées  à  côté 
de  celles  de  saint  Germier,  et  exposées  comme  elles  à  la  vénération  des  fidèles.  On  donne  vul- 
gairement à  saint  Germier  cinquante  ans  d'épiscopat.  Il  est  bien  difficile  d'admettre  une  si  longue 
durée,  surtout  lorsque  dans  ce  long  espace  de  temps  aucun  monument  historique  ne  vient  révéler 
quelque  fait  relatif  à  cet  épiscopat. 

«  Nous  croyons  »,  dit  H.  Salvan  dans  son  Histoire  générale  de  l'église  de  Toulouse,  «  avoir 
retrouvé  les  deux  oratoires  que  saint  Germier  éleva  en  l'honneur  de  saint  Saturnin  et  de  saint 
Martin.  Le  premier  était  situé  au  confluent  de  la  Garonne  et  de  la  Louge,  non  loin  du  château  de 
Muret  occupé  par  les  seigneurs  de  Comminges.  Il  est  aujourd'hui  complètement  détruit.  Le  second 
se  trouvait  au  lieu  où,  depuis,  a  été  bâtie  l'église  paroissiale  d'Ox,  qui  est  encore  dédiée  à  saint 
Martin.  Quant  au  monastère  construit  par  saint  Germier,  et  dans  lequel  il  mourut  au  milieu  de  ses 
nombreux  disciples,  il  était  situé  à  peu  de  distance  de  la  ville  de  Muret,  vers  le  couchant,  à  l'en- 
droit où  se  trouvent  ré  unies  les  trois  routes  qui  conduisent,  l'une  à  La  Masquère,  l'autre  à  Seysses, 
et  la  dernière  à  Ox.  On  a  élevé  une  croix  sur  l'emplacement  de  ce  monastère,  et  ce  quartier 
porte  encore  le  nom  de  Saint-Germier  le  Vieux.  Ce  fut  sans  doute  en  ce  lieu  que  le  saint  évêque 
resta  enseveli  jusqu'à  la  translation  de  son  corps  dans  l'église  paroissiale  de  Saint-Jacques.  Le 
monastère  de  Saint-Germier  prit,  plus  tard,  le  titre  de  prieuré,  et  fut  cédé  à  l'abbaye  de  Lézat  ». 

Le  corps  de  saint  Germier  était  autrefois  renfermé  dans  un  tombeau  creusé  dans  le  mur,  et 
dont  l'entrée  était  fermée  par  une  grille  en  fer.  L'humidité,  qui  régnait  dans  la  crypte,  nécessita 
la  translation  du  corps  dans  une  nouvelle  châsse,  qui  se  trouve  aujourd'hui  dans  une  armoire  en 
saillie  placée  vis-à-vis  de  l'ancien  tombeau.  L'église  de  la  Dalbade,  à  Toulouse,  et  la  chapelle  du 
grand  séminaire  possèdent  quelques  fragments  des  reliques  de  ce  pontife.  Il  est  le  Patron  titulaire 
de  plusieurs  paroisses  dans  le  diocèse  de  Toulouse,  et,  en  particulier,  de  celle  de  Frouzins,  village 
situé  entre  Toulouse  et  Seysses-Tolosanes.  Une  tradition  du  pays  rapporte  que  saint  Germier,  se 
rendant  de  sa  ville  épiscopale  à  Ox,  passait  à  Frouzins  par  un  chemin  près  du  cimetière,  et  que 
les  fleurs  naissaient  sous  ses  pas  :  c'est  ce  qui  a  fait  donner  à  cette  voie  le  nom  de  Monramet  ou 
des  Rameaux.  11  existait  autrefois  une  chapelle  dédiée  à  saint  Germier  au  milieu  du  cimetière  de 
Frouzins  ;  on  en  voit  encore  les  ruines.  La  piété  des  habitants  de  Muret  éleva  aussi  un  temple  à 
ce  saint  évoque  ;  cet  oratoire  devint,  plus  tard,  une  église  paroissiale  dont  M.  Moutjouzieu  fut  le 
dernier  titulaire.  L'église  de  Saint-Germier  à  Muret,  qui  existait  encore  il  y  a  peu  d'années,  avait 
été  construite  par  M.  Boutirac,  curé  de  cette  paroisse. 

Catel  rapporte  que  saint  Rémi,  archevêque  de  Reims,  fit  hommage  à  saint  Germier  d'une  mitre, 
d'une  paire  de  gants  et  d'un  anneau.  Après  la  mort  de  saint  Rémi,  Germier  fit  construire  un 
oratoire  à  Toulouse  en  son  honneur,  dans  la  rue  qui  porte  le  nom  de  Saint-Remésy  ou  Rémi.  Ces 

1.  Ici  se  termine  la  Vie  de  saint  Germier,  que  les  Bollandistes  ont  produite  d'après  un  ancien  ma- 
nuscrit de  Toulouse. 


SAINT  HONORÉ,  ÉVÊQUE  D'AMIENS,  PATRON  DES  BOULANGERS.      575 

objets  précieux  furent  placés  par  saint  Germier  dans  cet  oratoire,  et  transportés  de  là  dans  l'église 
de  Saint-Jean  de  Malte,  où  ils  étaient  exposés  à  la  vénération  des  fidèles,  à  côté  de  l'autel. 
Recueillis  par  la  piété  des  habitants  de  Toulouse  pendant  la  Révolution,  la  mitre  et  les  gants  se 
trouvent  aujourd'hui  dans  la  basilique  de  Saint-Saturnin. 

Nous  avons  abrégé  la  Vie  du  Saint  que  donnent  les  Bollandistes,  et  y  avons  ajouté  quelques  renseigne- 
ments locaux  que  nous  a  fournis  l'Histoire  générale  de  l'église  de  Toulouse,  par  M.  Salvan. 


SAINT  HONORE,  EVÈQUE  D'AMIENS 

PATRON  DES  BOULANGERS 
Vers  l'an  600.  —  Pape  :  Saint  Grégoire  le  Grand.  —  Roi  des  Francs  :  Clotairell. 


Quem  genuil  Portus  secessit  ubi  fuit  ortus  : 
Is  suns  est  hortus,  iste  est  occasus  et  ortus. 
Le  village  de  Port  fut  pour  lui  le  port  oh  il  aborda 

à  l'existence,  et  le  port  d'où  il  s'embarqua  pour 

l'éternité. 
Vers  gravés  au  moyen  âge  sur  les  7nurs  de  l'église  du 
pays  natal  de  saint  Honoré. 

Saint  Honoré,  septième  successeur  connu  de  saint  Firmin ,  naquit  à 
Port-le-Grand,  en  Ponthieu,  dans  le  diocèse  d'Amiens.  Il  appartenait  pro- 
bablement à  l'une  des  principales  familles  du  pays  :  la  tradition  désigne 
encore  actuellement  l'endroit  où  s'élevait  jadis  le  château  de  son  père,  et 
d'après  le  témoignage  d'un  historien  du  xvne  siècle  l,  on  en  voyait  de  son 
temps  subsister  quelques  ruines.  Dès  qu'il  eut  l'âge  de  raison,  il  aima  et 
pratiqua  la  vertu.  Les  jeûnes,  les  veilles  et  la  prière  étaient  toutes  ses  déli- 
ces, et  on  pouvait  dire  de  lui  ce  que  l'Ecriture  dit  de  Tobie  :  «  Que  n'étant 
encore  qu'un  enfant,  il  n'avait  toutefois  rien  de  l'enfance  » .  Saint  Béat  fut 
son  maître  et  son  guide  dans  son  éducation  cléricale.  Après  la  mort  de  ce 
prélat,  il  fut  choisi  pour  le  remplacer,  malgré  sa  résistance.  Dieu  le  ras- 
sura par  un  prodige  arrivé  à  son  sacre.  Toute  l'assistance  vit  descendre  sur 
sa  tête  un  rayon  divin  et  une  huile  mystérieuse. 

Il  plut  à  Notre-Seigneur  d'honorer  encore  son  épiscopat  par  l'invention 
miraculeuse  des  corps  des  saints  Martyrs  Fuscien,  Victoric  et  Gentien,  qui 
étaient  demeurés  cachés  aux  fidèles  plus  de  trois  cents  ans.  Un  saint  prêtre 
d'Amiens,  appelé  Lupicin,  ayant  été  averti  par  un  ange  de  retirer  ces  trois 
corps  saints  d'un  certain  endroit,  y  alla,  et,  après  avoir  creusé  assez  avant, 
il  trouva  enfin  ce  qu'il  cherchait  ;  alors,  ne  pouvant  arrêter  la  joie  de  son 
cœur,  il  chanta  une  antienne  en  leur  honneur.  On  dit  que  saint  Honoré 
l'entendit,  quoiqu'il  fût  éloigné  de  deux  lieues  ;  il  se  rendit  aussitôt  en  cet 
endroit,  assisté  de  son  clergé  et  suivi  de  tout  le  peuple  :  ces  saintes  reliques 
attiraient  tout  le  monde  par  l'agréable  odeur  qu'elles  répandaient.  Elles 
furent  l'objet  d'une  seconde  merveille  :  le  roi  Ghildebert  II  ayant  envoyé 
des  commissaires  à  Amiens  pour  enlever  ce  trésor  et  l'apporter  à  Paris,  ils 
en  furent  empêchés  par  une  vertu  divine,  qui  rendit  les  corps  saints  immo- 
biles ;  ils  furent  donc  obligés  de  laisser  à  la  ville  d'Amiens  ses  martyrs,  ses 
apôtres,  qui  faisaient  sa  gloire  et  sa  consolation.  Le  roi,  en  étant  averti, 

1.  P.  Ignace,  Histoire  ecclésiastique  d'Abbeville. 


576  16  mai. 

eut  regret  du  dessein  qu'ii  avait  formé,  ordonna  de  laisser  ces  saintes  re- 
liques dans  la  cathédrale  d'Amiens,  à  laquelle  il  fit  de  très-beaux  présents, 
soit  en  meubles  et  en  ornements  pour  le  service  divin,  soit  en  argent  et  en 
fonds  de  terre  pour  le  service  du  clergé. 

Un  jour  que  notre  pieux  Pontife  disait  la  messe  dans  la  chapelle  de  la 
Sainte-Vierge,  à  Saint-Acheul,  à  laquelle  assistait  le  prêtre  qui  fut  depuis 
son  successeur,  Notre-Seigneur  lui  apparut  visiblement  à  la  consécration, 
et  lorsqu'il  fut  temps  de  consommer  les  saintes  espèces,  il  les  prit  lui-même 
et  Je  communia  de  ses  propres  mains,  lui  accordant  ainsi  la  même  grâce 
qu'il  avait  faite  aux  Apôtres,  le  soir  de  sa  Passion  l.  Ce  ne  fut  pas  le  seul  trait 
de  ressemblance  qu'Honoré  eut  avec  les  Apôtres  :  il  a  imité  leur  zèle  pour 
la  conversion  des  âmes,  leur  charité  dans  la  pratique  des  œuvres  de  piété  et 
de  miséricorde,  et,  enfin,  leur  mortification  en  crucifiant  sa  chair  avec  ses 
passions,  par  les  jeûnes  et  les  veilles  qu'il  continua  tout  le  temps  qu'il 
vécut.  Son  historien  ne  nous  apprend  rien  de  plus,  sinon  qu'il  acheva  heu- 
reusement sa  vie  en  visitant  son  diocèse,  dans  le  lieu  même  où  il  l'avait 
reçue  de  Dieu  en  la  maison  de  son  père.  De  sorte  que  le  bourg  de  Port,  en 
Ponthieu,  a  été  le  berceau  et  le  tombeau  de  cet  illustre  prélat. 

Son  corps  y  fut  enterré  avec  honneur,  et,  depuis,  on  lui  fit  bâtir  une 
très-belle  église;  ses  précieuses  reliques  y  reposèrent  sous  le  maître-autel 
jusqu'aux  irruptions  des  Danois  et  des  Normands  :  elles  furent  alors  trans- 
férées à  Amiens,  dans  son  église  épiscopale.  Comme  on  faisait  cette  céré- 
monie, il  arriva  cette  merveille  :  on  avait  posé  le  corps  en  l'église  des  apôtres 
saint  Pierre  et  saint  Paul,  dite  autrement  de  Saint-Firmin  le  Confesseur; 
lorsqu'on  l'enleva  pour  le  porter  à  la  cathédrale,  le  crucifix  tourna  visi- 
blement la  tête  vers  la  porte  par  où  sortait  le  corps  saint,  comme  le  con- 
duisant des  yeux  ;  les  assistants,  ravis  d'admiration,  glorifièrent  Dieu  de  ce 
qu'il  honorait  ainsi  son  serviteur.  On  voit  encore  aujourd'hui  ce  crucifix 
dans  la  cathédrale  d'Amiens  2. 

Le  saint  évêque  a  fait  plusieurs  autres  merveilles  durant  sa  vie  et  après 
sa  mort  ;  mais  il  ne  nous  en  reste  aucun  détail  authentique.  Nous  savons 
seulement  ce  qu'il  fit  plusieurs  siècles  après,  pour  subvenir  aux  nécessités 
du  peuple  pendant  une  très-grande  sécheresse  :  l'évêque  Guy,  fils  de  Gau- 
thier, comte  d'Amiens,  ordonna  une  procession  générale,  dans  laquelle  on 
porta  la  châsse  de  saint  Honoré  autour  des  murs  de  la  ville  ;  on  obtint  la 
pluie  que  l'on  demandait  à  cette  occasion.  Il  se  fit  encore  plusieurs  autres 
miracles  :  des  paralytiques  furent  guéris,  des  sourds  recouvrèrent  l'usage 
de  l'ouïe,  des  muets  celui  de  la  parole,  des  boiteux  purent  marcher,  des 
prisonniers  virent  tomber  leurs  fers  et  s'ouvrir  les  portes  de  leur  cachot.  Ce 
grand  événement  est  marqué  en  Tannée  1060,  qui  est  celle  où  Philippe  Ier 
commença  à  régner. 

Depuis,  la  dévotion  à  saint  Honoré  s'étendit  merveilleusement;  car, 
non-seulement  la  ville  d'Amiens  et  tout  le  diocèse,  mais  aussi  toute  la 
France,  et  principalement  la  ville  de  Paris,  y  voulurent  avoir  part.  En  effet, 
l'an  120-i,  un  des  riches  habitants  de  cette  capitale  du  royaume,  appelé 
Renold  Chérins,  et  sa  femme,  nommée  Sibille,  firent  bâtir  une  église  en 
l'honneur  du  saint  Prélat,  dans  la  rue  qui  porte  son  nom,  et  y  fondèrent 
plusieurs  canonicats  ;  et  Richard  de  Gerberoi,  alors  évêque  d'Amiens,  l'en- 
richit d'une  partie  des  reliques  du  même  saint  évêque  ;  elles  s'y  conservaient 
avec  respect,  avant  93,  dans  une  châsse  d'argent  d'une  forme  fort  ancienne. 

1.  L'abbaye  de  Saint- Acheul  avait,  en  me'moire  de  ce  fait,  placé  une  main  divine  dans  ses  armoiries. 

2.  C'est  le  crucifix  archaïque  qui  porte  le  nom  de  Saint-Sauf. 


SAINT  HONORÉ,  ÉVÊQUE  D'AMIENS,  PATRON  DES  BOULANGERS.      577 

L'an  1301,  Guillaume  de  Mâcon,  quarante-neuvième  évêque  d'Amiens, 
ayant  fondé  la  chartreuse  d'Abbeville,  lui  assigna  des  revenus  sur  le  bourg 
et  le  village  de  Port,  ancien  domaine  de  saint  Honoré,  et  la  mit  sous  la  pro- 
tection de  ce  Saint,  dont  il  lui  donna  la  tête.  Un  doigt  du  même  Saint  fut 
aussi  offert  avec  d'autres  reliques,  par  un  évêque  d'Amiens,  à  l'abbaye  de 
Saint-Riquier  en  Ponthieu. 

Saint  Honoré,  on  le  sait,  est  presque  l  partout  le  patron  des  boulangers, 
et  par  extension  des  pâtissiers,  des  oublieurs,  des  fleuristes,  des  marchands 
de  farineux  et  de  diverses  autres  professions  qui  ont  quelque  rapport  avec 
la  fabrication  du  pain  :  c'est  pourquoi  on  le  représente  avec  une  pelle  à 
four  chargée  de  trois  pains,  qu'il  tient  dans  sa  main  gauche.  Cette  pelle  est 
si  inséparable  du  personnage  que  Santeul  lui  a  donné  place  dans  son  célè- 
bre et  irrévérencieux  quatrain  : 

Saint  Honoré 
Dans  sa  chapelle 
Avec  sa  pelle, 
Est  honoré. 

On  n'est  pas  d'accord  sur  l'origine  de  ce  patronage  liturgique,  et  sur  le 
motif  qui  a  fait  attribuer  à  saint  Honoré  les  instruments  professionnels  de 
la  boulangerie.  Toutefois,  on  croira  être  dans  le  vrai  en  adoptant  l'opi- 
nion du  très-compétent  M.  Gorblet,  chanoine,  historiographe  du  diocèse 
d'Amiens. 

«  Ce  qui  déterminait  les  choix  populaires  des  patronages  »  ,dit  cet  écrivain, 
«  ce  n'étaient  point  des  rapprochements  forcés,  des  comparaisons  subtiles, 
mais  les  faits  extraordinaires  qui  frappaient  vivement  l'imagination.  Or,  nous 
trouvons  dans  la  légende  de  saint  Honoré  un  événement  de  cette  nature, 
qui  nous  paraît  avoir  déterminé  le  choix  des  boulangers.  Lorsqu'on  apprit 
à  Port  qu'Honoré  était  promu  à  l'épiscopat,  sa  nourrice,  qui  s'occupait  alors 
de  la  cuisson  du  pain  au  château  paternel,  accueillit  cette  nouvelle  par  une 
complète  incrédulité,  et  s'écria  qu'elle  croirait  plus  volontiers  que  le  four- 
gon ardent  qu'elle  tenait  entre  les  mains  prendrait  racine  et  se  changerait 
en  arbre.  Joignant  l'acte  aux  paroles,  elle  planta  dans  la  cour  où  elle  se 
trouvait,  sa  pelle  embrasée,  emmanchée  d'un  long  bâton  qui  se  métamor- 
phosa soudain  en  mûrier,  et  qui  bientôt  après  produisit  des  fleurs  et  des 
fruits,  que  l'on  considéra  comme  un  emblème  prophétique  des  fruits  de 
salut  que  devait  porter  l'épiscopat  d'Honoré  8.  Au  xvie  siècle,  on  montrait 
encore  ce  mûrier  dans  l'ancien  logis  paternel  du  saint  évêque.  Le  souvenir 
du  fourgon  miraculeux  s'est  tellement  conservé  à  Port  que,  chaque  année, 
la  veille  de  la  Saint-Honoré,  on  allume  un  feu  de  joie  pour  perpétuer  la 
mémoire  de  cet  événement.  N'est-il  point  plus  que  probable  que  c'est  ce 
fourgon,  cet  instrument  de  boulangerie  servant  de  matière  à  un  prodige  si 
extraordinaire,  qui  a  déterminé  les  boulangers  à  prendre  saint  Honoré  pour 
patron?  A  l'occasion  de  son  élévation  à  l'épiscopat,  leur  pelle  profession- 
nelle avait  été  glorifiée  ;  ils  voulurent  à  leur  tour  glorifier  par  un  culte  spé- 
cial celui  à  qui  ils  attribuaient  ce  prodige.  Telle  est,  croyons-nous,  l'origine 

1.  Nous  disons  presque  partout,  car  dans  le  Solssonnais  c'est  saint  Lndard  qui,  au  xm»  siècle,  exerça 
la  profession  de  boulanger  ;  a  Saint-Denis,  c'était  saint  Isses,  parce  que  son  nom  signifie  blé  en  grec  ;  en 
Flandre  et  dans  diverses  églises  de  la  Belgique,  c'est  saint  Aubert,  évêque  de  Cambrai,  parce  qu'un  bou- 
langer fut  guéri  par  son  intercession. 

2.  La  légende  primitive  est  souvent  dénaturée  dans  les  récits  populaires.  Nous  en  avons  entendu  plus 
d'une  variante,  et  entre  autres  celle-ci  :  Ce  serait  après  la  mort  d'Honoré  que  l'incrédule  nourrice  se  se- 
lait  écriée  :  «  Si  celui-là  est  Saint,  je  veux  que  mon  fourgon  reverdisse!  » 

Vies  des  Saints.  —  Tome  V.  37 


578  16  mai. 

de  ce  patronage,  répandu  aujourd'hui  dans  presque  toute  la  France  et  qui, 
par  cela  même  qu'il  avait  pris  naissance  en  Picardie,  y  demeura  plus  cé- 
lèbre que  partout  ailleurs.  Les  boulangers  d'Amiens  se  considéraient  comme 
la  première  confrérie  de  la  cité,  parce  qu'ils  avaient  le  privilège  de  porter 
aux  processions  générales  la  châsse  de  leur  patron. 

Voir  l'office  de  saint  Honoré  dans  les  Bréviaires  d'Amiens  et  de  Paris;  les  Antiquités  d'Amiens,  par  la 
Morlière  :  Richard  de  Gerberoi,  etc.;  Origine  du  patronage  liturgique  des  boulangers,  par  M.  l'abbé 
J.  Corblet,  chanoine  honoraire  et  historiographe  du  diocèse  d'Amiens. 


SAINT  UBALD  '  OU  THIÉBAUT,  ÉVÊQUE  DE  GUBBIO 


1084-1160.  —  Papes  :  Grégoire  VII;  Alexandre  III.  —  Empereurs  d'Allemagne  :  Henri  IV; 
Frédéric  I«  surnommé  Barberousse.  —  Rois  de  France:  Philippe  Ier;  Louis  VII,  le  Jeune. 


Il  lui  a  confié  le  sacerdoce  pour  en  exercer  les  fonc- 
tions, pour  chanter  les  louanges  du  Seigneur,  pour 
annoncer,  en  son  nom,  sa  gloire  à  son  peuple  et 
offrir  sans  cesse  à  Dieu  un  encens  digne  de  lui  et 
dont  l'odeur  lui  fût  agréable. 

Eccli.,  xlv,  19,  20. 

Saint  Ubald,  issu  d'une  famille  noble,  naquit  à  Gubbio,  ville  de  l'état 
ecclésiastique.  Ayant  perdu  son  père  dès  le  berceau,  il  eut  pour  tuteur  un 
oncle  qui  le  fit  étudier  parmi  les  jeunes  clercs  de  l'église  cathédrale  de  Saint- 
Marien  et  Saint-Jacques.  Lorsqu'il  eut  l'âge  de  se  marier,  on  lui  proposa  des 
partis  avantageux  ;  mais  il  refusa,  disant  qu'il  avait  consacré  sa  virginité  à 
son  Sauveur  Jésus. 

Jean,  surnommé  le  Grammairien,  évêque  de  Gubbio,  voyant  la  capacité 
et  la  vertu  d'Ubald,  le  fit,  malgré  sa  jeunesse,  prieur  du  Chapitre  de  sa 
cathédrale,  où,  comme  nous  l'avons  dit,  notre  Saint  avait  fait  ses  pre- 
mières études.  Ces  Chanoines  vivaient  dans  les  plus  grands  désordres.  Le 
nouveau  prieur  en  entreprit  la  Réforme  avec  courage  et  prudence  ;  il  en 
gagna  d'abord  trois,  mieux  disposés  que  les  autres,  et  leur  persuada  de  vivre 
avec  lui  en  communauté  ;  ensuite  il  alla  visiter  les  Chanoines  réguliers,  ins- 
titués par  Pierre  de  Honestis,  sur  le  territoire  de  Ravenne.  Il  passa  trois  mois 
avec  ces  serviteurs  de  Dieu  pour  bien  connaître  leur  Règle  ;  elle  lui  plut  :  il 
la  prit  pour  la  porter  à  Gubbio.  Nous  ne  devons  pas  omettre  ici  une  faveur 
du  ciel  qu'il  reçut  en  revenant.  S'étant  endormi  sous  un  arbre,  avec  son 
compagnon,  il  y  laissa,  à  son  réveil,  le  livre  de  sa  Règle,  qui  demeura  ainsi 
exposé  à  une  grosse  pluie  dont  tout  cet  endroit  fut  abreuvé.  S'en  étant  aperçu 
en  chemin,  il  en  fut  fort  affligé  ;  il  craignait  que  le  livre  ne  fût  gâté,  ou  qu'il 
n'eût  été  pris  par  quelque  passant  ;  mais,  étant  retourné  sur  ses  pas,  il  le 
trouva  au  même  endroit  où  il  l'avait  perdu,  sans  qu'il  y  eût  apparence  qu'une 
seule  goutte  d'eau  fût  tombée  dessus.  Gela  ne  servit  pas  peu  à  gagner  le 
cœur  de  ses  Chanoines  ;  reconnaissant  si  sensiblement  l'esprit  de  Dieu  en  la 
personne  de  leur  père  et  supérieur,  ils  se  soumirent  absolument  à  tout  ce 
qu'il  voulut  leur  prescrire  pour  l'entière  observance  de  leur  Règle. 

L'évêque  de  Pérouse  étant  mort,  en  1126,  le  clergé  élut  Ubald  pour  son 
successeur  ;  il  n'eut  pas  plus  tôt  appris  cette  nouvelle,  qu'il  alla  se  cacher 

1.  Hubaldus,  Ugobaldo,  Guibout,  Hubaud. 


SAINT  UBALD   OU  THIÉBAUT,   ÉVÊQUE   DE   GDBBIO.  579 

dans  un  désert.  Il  échappa  ainsi  aux  députés  dePérouse.  Après  leur  départ, 
il  se  rendit  à  Rome,  et,  à  force  de  larmes  et  de  prières,  il  obtint  du  pape 
Honorius  II  d'être  exempt  de  l'épiscopat.  Mais,  en  1128,  ce  Pape  le  fit  élire 
évêque  de  Gubbio,  et  le  sacra  l'année  suivante. 

Le  genre  de  vie  d'Ubald  ne  changea  point  avec  sa  dignité  :  sa  nourriture 
et  ses  habits  furent  aussi  simples  qu'auparavant.  Il  continua  de  prendre  son 
repos  sur  une  paillasse,  avec  une  pauvre  couverture  :  un  lit  était  un  meuble 
inutile  pour  un  homme  qui  passait  la  plus  grande  partie  de  ses  nuits  dans 
la  prière  et  la  contemplation. 

Mais,  parmi  ses  vertus,  nous  n'en  voyons  pas  de  plus  admirable  que  la 
patience  avec  laquelle  il  supportait  les  injures  et  les  affronts.  Pendant  qu'on 
réparait  les  murailles  de  Gubbio,  il  arriva  que  les  ouvriers  empiétèrent  sur 
la  vigne  du  Saint.  Il  leur  représenta  doucement  le  tort  qu'ils  lui  faisaient, 
et  les  pria  de  cesser.  L'inspecteur  des  travaux  ne  lui  répondit  que  par  des 
insultes  ;  puis,  le  poussant  avec  brutalité,  il  le  fit  tomber  sur  un  monceau 
de  mortier.  Le  bon  évoque  se  releva  en  silence,  et  se  retira  sans  faire  la 
moindre  plainte  ;  mais  le  peuple  demanda  qu'on  lui  fît  justice  en  bannissant 
le  coupable  et  en  confisquant  ses  biens.  Il  était  si  animé  qu'Ubald,  pour  tirer 
l'inspecteur  des  mains  des  magistrats,  fut  obligé  de  dire  que  la  connaissance 
de  cette  affaire  lui  appartenait  et  que  lui  seul  devait  en  être  le  juge.  Les 
esprits  se  calmèrent  alors  un  peu.  Le  coupable,  touché  de  repentir,  déclara 
lui-même  qu'il  se  soumettrait  à  toutes  les  peines  qu'on  lui  infligerait,  dût- 
il  lui  en  coûter  la  vie.  Toute  la  vengeance  du  Saint  se  borna  à  lui  donner  un 
baiser  de  paix,  et  à  prier  Dieu  de  lui  pardonner  la  faute  dont  il  s'agissait, 
ainsi  que  toutes  celles  qu'il  pouvait  avoir  commises. 

Une  autre  fois,  il  arriva  une  sédition  dans  la  ville  ;  les  habitants  ayant 
pris  les  armes,  il  y  en  avait  déjà  quelques-uns  sur  le  carreau  :  le  Saint  y 
courut  aussitôt  pour  y  faire  l'office  du  bon  pasteur  offrant  sa  vie  pour  le  salut 
de  ses  ouailles  qui  s'entr'égorgeaient;  mais,  voyant  que  ni  sa  voix  ni  ses 
prières  ne  faisaient  rien,  il  se  jeta  au  travers  des  épées  nues  et  d'une  grêle 
de  cailloux  qui  tombaient  de  toutes  parts  ;  puis,  feignant  adroitement  qu'il 
était  blessé,  il  se  laissa  tomber  comme  s'il  eût  été  mort.  Le  peuple  en  fut  si 
surpris,  que  chacun  mit  les  armes  bas  pour  lever  les  mains  au  ciel  et  crier 
miséricorde.  Alors,  le  saint  évêque,  se  relevant  doucement,  fit  savoir  qu'il 
n'avait  aucun  mal  ;  il  rendit  ainsi  la  joie  à  toute  la  ville,  après  lui  avoir 
rendu  la  paix. 

Il  ne  montra  pas  moins  de  courage  contre  les  guerres  extérieures  que 
contre  la  guerre  civile.  Sept  villes  voisines  s'étaient  liguées  ensemble  contre 
Gubbio,  et  leur  armée  s'était  tellement  grossie,  qu'à  peine  les  Gubbiens 
pouvaient  opposer  un  homme  à  quarante  ennemis.  Notre  Saint  ordonna  un 
jeûne  de  trois  jours  et  fit  faire  des  processions  et  des  pénitences  publiques, 
pour  implorer  l'assistance  du  ciel.  Cependant,  il  allait  de  rue  en  rue,  comme 
un  généreux  capitaine,  exhorter  ses  diocésains  à  ne  point  perdre  courage, 
mais  à  se  confier  en  Dieu  ;  et,  le  jour  du  combat,  il  se  tint  à  la  porte  de  la 
ville,  afin  de  donner  sa  bénédiction  à  tous  les  soldats,  leur  promettant  la 
victoire  ;  ensuite  il  monta  sur  le  rempart  où,  comme  un  autre  Moïse,  il  pria 
pour  le  succès  des  armes  de  son  peuple.  L'ennemi  fut  repoussé  et  mis  dans 
une  complète  déroute. 

En  1155,  l'empereur  Frédéric  Barberousse,  qui  venait  de  prendre  et  de 
saccager  Spolète,  menaça  la  ville  de  Gubbio  d'un  traitement  semblable. 
Ubald  alla  au-devant  du  prince  irrité  et  désarma  sa  colère.  Frédéric  lui  donna 
de  grands  témoignages  de  vénération,  comme  à  un  Saint  ;  il  se  prosterna  à 


580  16  mai. 

ses  pieds,  lui  demanda  sa  bénédiction,  lui  fit  des  présents  et  offrit  de  lui 
rendre  les  otages  qu'il  avait  reçus  des  Gubbiens. 

Il  ne  faut  pas  s'étonner  si  tant  de  grâces  et  de  vertus  furent  accompagnées 
du  don  des  miracles.  Nous  lisons  que  saint  Ubald,  étant  encore  vivant, 
apparut  une  nuit  à  un  ecclésiastique,  qui,  ayant  un  pouce  extraordinairement 
enflé,  souffrait  une  extrême  douleur;  lorsqu'il  eut  fait  le  signe  de  la  croix 
sur  la  partie  blessée,  le  malade  se  trouva  à  l'heure  même  entièrement  guéri. 
Il  alla  le  matin  remercier  le  saint  évêque,  qui  lui  défendit,  avec  menaces, 
d'en  parler. 

Un  religieux,  qui  était  chargé  de  donner  les  ornements  au  saint  prélat, 
pour  le  très-auguste  sacrifice  de  l'autel,  étant  à  l'extrémité,  se  fit  recom- 
mander à  ses  prières.  Le  Saint  pria  pour  lui  durant  la  messe,  et  il  ne  l'eut 
pas  plus  tôt  achevée  que  le  religieux  se  trouva  en  parfaite  santé. 

Une  personne,  qui  avait  perdu  la  vue  depuis  quatre  ans,  la  recouvra  en 
baisant  avec  respect  les  mains  d'Ubald.  Une  autre,  aveugle  depuis  dix  ans, 
fut  guérie  par  la  seule  invocation  de  son  nom.  Il  défendit  à  l'un  et  à  l'autre 
d'en  jamais  rien  déclarer  :  ils  firent  comme  ces  malades  de  l'Evangile,  qui 
ne  cessaient  de  publier  les  merveilles  du  Fils  de  Dieu,  quoiqu'il  leur  fît 
défense  d'en  rien  dire.  Un  troisième  aveugle  s'étant  présenté  à  lui  pour 
obtenir  la  même  grâce,  le  saint  évêque,  connaissant,  par  une  lumière  sur- 
naturelle, que  cela  n'était  pas  expédient  pour  le  salut  de  son  âme,  le  lui 
expliqua  :  l'aveugle,  persuadé,  préféra  ne  point  recouvrer  la  vue,  qui  l'ex- 
posait à  perdre  la  lumière  éternelle. 

La  leçon  du  Bréviaire  romain,  pour  la  fête  de  notre  Saint,  remarque  qu'il 
avait  un  grand  pouvoir  pour  chasser  les  démons  hors  du  corps  des  énergu- 
mènes  ;  mais  ce  que  nous  admirons  encore  en  lui,  c'est  une  excessive  patience 
dans  ses  souffrances  et  ses  maladies,  qui  ne  furent  pas  petites  :  car  il  se 
rompit  deux  fois  la  cuisse  et  une  fois  le  bras  ;  il  avait  de  tous  côtés  des 
ulcères,  ce  qui  ne  l'empêchait  pas  de  faire  ses  fonctions  épiscopales.  Deux 
ans  avant  sa  mort,  il  fut  presque  toujours  très-malade  et  en  danger  ;  néan- 
moins, le  jour  de  Pâques,  son  peuple  désirant  recevoir  encore  une  fois  les 
Sacrements  de  sa  main,  il  obtint  de  Dieu  des  forces  pour  se  lever  du  lit, 
célébrer  la  sainte  messe,  et  faire  une  exhortation  en  public  ;  puis,  ayant 
donné  sa  bénédiction  à  ses  ouailles,  il  se  remit  au  lit  d'où  il  ne  se  leva  plus. 

Le  samedi  et  le  dimanche  de  la  Pentecôte,  ce  bon  prélat,  qui  ne  savait 
rien  refuser  à  son  peuple,  permit  l'entrée  de  sa  chambre  à  tous  ceux  qui  y 
voudraient  venir  :  il  n'y  eut  personne  en  toute  la  ville  qui  ne  se  procurât  le 
bonheur  de  lui  baiser  les  mains  ou  les  pieds.  Pour  éviter  la  confusion,  on  y 
allait  par  ordre.  En  entrant  dans  sa  chambre,  on  se  mettait  à  genoux  pour 
recevoir  sa  bénédiction  et  se  recommander  à  ses  prières  ;  ceux  qui  l'avaient 
autrefois  offensé  lui  en  demandèrent  humblement  pardon,  et  il  le  leur  accorda 
de  très-bon  cœur.  Ensuite,  chacun  se  retirait  en  l'église,  où  les  hommes  et 
les  enfants  mêmes,  tenant  des  flambeaux  allumés,  attendaient  en  prières 
l'issue  de  la  maladie  de  leur  pasteur.  Sur  le  soir,  le  mal  étant  augmenté,  il 
se  fit  apporter  les  derniers  Sacrements  de  l'Eglise,  qu'il  reçut  fort  dévote- 
ment ;  après  quoi,  récitant  des  psaumes,  il  rendit  enfin  paisiblement  son 
âme  à  Celui  qui  l'avait  créé  pour  sa  gloire,  le  16  mai  1160. 

On  représente  saint  Ubald  tenant  à  la  main  une  bannière  marquée  d'une 
croix  et  l'opposant  aux  ennemis  qui  assiègent  sa  ville  épiscopale;  —  embras- 
sant le  maçon  qui  l'avait  jeté  dans  une  fosse.  Nous  avons  raconté  le  fait  avec 
détails  ;  —  guérissant  un  possédé.  On  l'invoque  encore  aujourd'hui  pour  la 
guérison  des  énergumènes. 


SAINT  SIMON  DE  STOCK,  GÉNÉRAL  DES  CARMES.  581 

RELIQUES  DE  SAINT  UBALD. 

Le  corps  du  saint  prélat  fut  porté  en  l'église  des  saints  martyrs  Jacques  et  Marien,  où  il 
demeura  exposé  quatre  jours,  tant  pour  contenter  la  dévotion  du  peuple,  qu'à  cause  de  la  multi- 
tude des-  malades  et  des  énergumèues  que  l'on  y  amenait  de  tous  côtés  et  qui  étaient  aussitôt  déli- 
vrés ;  mais  le  plus  grand  de  tous  les  miracles  qui  se  firent  alors,  fut  la  paix  et  la  réconciliation 
des  Gubbiens  avec  les  autres  villes  du  duché  :  ils  terminèrent  leurs  différends  en  considération  du 
saint  défunt,  que  chacun  voulait  honorer.  Saint  Ubald  fut  canonisé  par  Célestin  III,  en  1192.  Son 
corps  fut  transporté,  en  1196,  sur  une  montagne  appelée  depuis  Mont-Saint-Ubald,  où  l'on  a  bâti 
une  église  de  son  nom  et  établi  des  Chanoines  réguliers. 

L'origine  de  la  ville  de  Thann,  en  Alsace,  se  rattache  à  une  relique  de  saint  Ubald  qui  y  fut 
apportée  d'une  manière  merveilleuse.  On  dit  donc  qu'étant  sur  le  point  de  mourir  et  n'ayant  pas  de 
quoi  reconnaître  les  bons  offices  de  son  fidèle  domestique,  saint  Ubald  dit  à  ce  dernier  de  prendre 
après  sa  mort,  l'anneau  d'or  qu'il  portait  au  pouce.  Le  domestique  exécute  l'ordre  de  son  maître, 
mais  le  pouce  du  saint  évêque  suit  l'anneau  qu'il  s'efforce  d'enlever.  Le  domestique,  inquiet,  s'en- 
fuit avec  son  trésor,  et,  de  crainte  de  perdre  cet  objet  si  précieux,  il  l'enferme  dans  le  pommeau 
de  sa  canne,  et  prend  le  chemin  des  Pays-Bas,  sa  patrie.  A  la  fin  de  juin  de  l'an  1161,  il  traverse 
l'Alsace,  s'arrête  au  Vieux-Thann,  et  de  là  se  prépare  à  passer  les  Vosges  par  la  vallée  de  Saint- 
Amarin  ;  mais,  obligé  de  se  reposer  sous  un  sapin  à  cause  des  fortes  chaleurs,  il  place  son  bâton 
contre  un  arbre  et  s'endort.  Bientôt  après,  voulant  continuer  sa  route,  il  reprend  son  bâton;  mais 
tous  ses  efforts  sont  inutiles,  le  bâton  ne  peut  être  enlevé  et  oppose  la  résistance  la  plus  opiniâtre. 
Le  voyageur,  stupéfait,  réclame  le  secours  de  la  multitude  ;  mais  c'est  en  vain  :  alors  il  prend  le 
parti  de  passer  la  nuit  sous  le  sapin  et  de  différer  son  départ  jusqu'au  lendemain.  Cependant  les 
miracles  continuent,  car  le  comte  Frédéric  de  Ferrette  voit,  du  haut  de  son  château  d'Engelbourg, 
au  pied  duquel  s'élèvera  la  ville  de  Thann,  au  milieu  des  ombres  de  la  nuit,  trois  flammes  s'élancer 
de  la  cime  de  l'arbre  contre  lequel  est  appuyé  le  bâton  en  question.  Le  lendemain,  ce  seigneur, 
accompagné  d'une  suite  nombreuse,  se  rend  à  l'endroit  indiqué  pour  vérifier  la  merveille  qu'il 
avait  vue  pendant  la  nuit.  Il  apprend  de  la  bouche  même  du  domestique  tout  ce  qui  s'était  passé 
au  sujet  du  bâton,  et  l'ait  vœu  de  construire  une  chapelle  à  l'endroit  où  s'était  opéré  le  miracle  de 
la  veille.  Cette  chapelle  est  aussitôt  visitée  par  de  nombreux  pèlerins,  on  construit  des  auberges 
dans  le  voisinage,  et  c'est  là  l'origine  de  Thann. 

Pour  perpétuer  le  souvenir  de  ce  fait,  on  place  encore  tous  les  ans,  le  jour  de  la  fête  de  saint 
Ubald,  trois  troncs  d'arbres  devant  l'église,  et  le  curé,  après  les  avoir  bénits,  y  met  le  feu.  Cei 
troncs  représentent  les  trois  flammes  sorties  du  sapin  que  le  comte  de  Ferrette  aperçut. 

La  chapelle  de  l'Hôtel-Dieu  d'Abbeville  possède  une  de  ses  reliques. 

Acta  Sanctornm  ;  les  Saints  d'Alsace,  pur  l'abbé  Hunckler. 


SAINT  SIMON  DE  STOCK,  GENERAL  DES  CARMES 

1265.  —  Pape  :  Clément  IV.  —  Roi  d'Angleterre  :  Henri  III. 

Que  chacun  de  vous  rende  service  aux  autres,  selon 
le  don  qu'il  a  reçu,  comme  de  fidèles  dispensateurs 
des  grâces  que  Dieu  vous  a  accordées  de  tant  de 
manières.  I  Pet.,  iv,  10. 

Saint  Simon  de  Stock  *  naquit  d'une  des  plus  illustres  familles  des  ba- 
rons d'Angleterre.  Ses  parents,  non  moins  distingués  par  leur  piété  que  par 
la  noblesse  de  leur  origine,  obtinrent  du  ciel,  par  le  mérite  de  leurs  prières, 
la  naissance  d'un  enfant  de  bénédiction.  La  Providence  sembla,  au  reste, 
vouloir  annoncer  sa  future  grandeur  en  lui  donnant  dans  le  sein  de  sa  mère 

1.  Ce  n'est  pas  à  raison  de  l'analogie  dit  nom  de  Stock,  qui  en  anglais  signifie  bois  ou  tronc  d'arbre, 
avec  celui  qui  servit  de  retraite  à  saint  Simon  de  Stock  durant  sa  vie  solitaire,  qu'il  a  été'  ainsi  appelé, 
comme  plusieurs  l'ont  écrit  :  mais  le  nom  de  de  Stock  est  son  vrai  nom  de  famille,  ainsi  que  le  prouvent 
clairement  tous  les  monuments  de  l'histoire  d'Angleterre,  ou  il  est  constaté  que  plusieurs  avant  lui  et 
après  lui,  dans  sa  famille,  ont  porté  le  nom  de  de  Stock.  —  Cf.  Acta  Sanctorum. 


582  16  mai. 

un  corps  dont  les  proportions  étaient  telles,  qu'il  ne  pouvait  naturellement 
venir  au  monde  sans  faire  perdre  la  vie  à  celle  qui  devait  lui  donner  le  jour. 
Cette  pieuse  femme,  pleine  de  confiance  dans  la  protection  de  la  très-sainte 
Vierge,  objet  ordinaire  de  sa  tendre  dévotion  et  sa  ressource  dans  ses  peines, 
se  sentit  inspirée  de  se  vouer,  elle  et  son  enfant,  à  la  Reine  des  Anges, 
pour  obtenir  par  son  intercession  une  heureuse  délivrance  l.  Bientôt  le  ciel 
fut  propice  aux  vœux  si  ardents  de  cette  mère  désolée  ;  notre  Saint,  par  le 
bienfait  spécial  d'une  protection  miraculeuse  de  la  divine  Marie,  vint  au 
monde  sans  aucun  danger  pour  sa  mère.  Il  naquit  l'an  1164,  en  Angleterre, 
dans  le  comté  de  Kent,  au  château  d'Harford,  dont  son  père  était  gouver- 
neur, et  reçut  sur  les  fonts  de  baptême  le  nom  de  Simon. 

Dès  le  berceau,  Simon  eut  pour  la  Mère  de  Dieu  la  plus  tendre  dévotion.  Il 
l'exprimait  à  sa  manière,  par  des  signes  et  des  impressions  qui,  dans  un  enfant 
encore  à  la  mamelle,  ne  pouvaient  avoir  d'autre  principe  qu'un  mouvement 
extraordinaire  de  l'Esprit  de  Dieu.  Sa  pieuse  mère  voulut  elle-même  lui  servir 
de  nourrice  ;  elle  avait  coutume,  avant  de  l'allaiter,  de  réciter  chaque  fois  à 
genoux  la  Salutation  angélique,  par  sentiment  de  reconnaissance  envers  la 
très-sainte  Vierge,  à  qui  elle  ne  cessait  d'offrir  cet  enfant  chéri,  comme 
l'ayant  reçu  du  ciel  par  sa  protection.  Lorsque,  par  distraction,  il  lui  arri- 
vait d'oublier  de  s'acquitter  de  cette  pratique  de  piété,  elle  trouvait  une 
résistance  invincible  dans  le  jeune  Simon,  qui  refusait  constamment  la 
mamelle  de  sa  mère,  jusqu'à  ce  qu'elle  eût  rendu  à  Marie  son  hommage 
accoutumé.  Par  un  prodige  semblable  à  celui  qui  est  rapporté  dans  la  vie 
du  célèbre  évêque  de  Myrrhe,  saint  Nicolas,  on  dit  que  ce  saint  enfant  s'abs- 
tenait de  la  mamelle  de  sa  mère  les  jours  du  samedi  et  les  veilles  des  fêtes 
de  la  très-sainte  Vierge  ;  tout  ce  qui  pouvait  lui  rappeler  le  souvenir  de  la 
Mère  de  Dieu,  excitait  en  lui  les  saints  transports  de  la  joie  la  plus  sensible. 
On  le  voyait  souvent  tressaillir  entre  les  bras  de  sa  mère,  lorsqu'elle  pro- 
nonçait le  doux  nom  de  Marie  ;  il  suffisait  de  lui  présenter  une  image  de  la 
très-sainte  Vierge,  pour  apaiser  aussitôt  en  lui  les  cris  et  les  mouvements 
qui  agitent  ordinairement  les  enfants  de  cet  âge,  lorsqu'ils  souffrent  quel- 
que douleur.  11  n'avait  pas  encore  un  an,  qu'on  l'entendit  articuler  plusieurs 
l'ois  distinctement  la  Salutation  angélique  avant  d'être  en  état  de  l'apprendre. 

Comme  la  grâce  prévenait  en  tout,  dans  cet  enfant  de  bénédiction, 
l'ordre  et  le  développement  de  la  nature,  on  eut  peu  de  chose  à  faire  pour 
son  éducation.  Il  sut  lire  aussitôt  qu'il  sut  parler,  et  dès  lors,  à  l'exemple 

1.  L'usage  de  vouer  les  enfants  à  la  très-sainte  Vierge  avant  leur  naissance,  est  très-ancien  dans 
l'Eglise.  L'exemple  de  saint  Simon  de  Stock  et  de  plusieurs  autres  Saints  qui  ont  appartenu  à  l'Ordre  du 
Carmel..  dont  Dieu  a  béni  par  ce  moyen  la  naissance  et  sanctifié  la  vie,  nous  prouve  combien  cet  acte  de 
piété  lui  est  agréable. 

Cet  usage  consiste  à  les  consacrer  a  la  très-sainte  Vierge  en  les  revêtant  de  ses  livrées,  c'est-à-dire 
de  vêtements  exclusivement  blancs  et  bleus,  qui  sont  les  couleurs  traditionnellement  adoptées,  et  cet 
usage  de  porter  les  livrées  de  Marie  se  prolonge  d'ordinaire  jusqu'à  l'âge  de  sept  ans.  Non-seulement 
cette  coutume  n'est  point  une  superstition;  l'Eglise,  loin  de  la  condamner,  ne  peut  que  l'encourager.  Un 
pieux  écrivain  disait,  en  parlant  de  cet  usage  :  •  Ne  craignez  point,  parents  chrétiens,  malgré  tout  ce 
que  le  monde  incrédule  ou  impie  vous  dira,  de  vouer  au  blanc  les  petits  anges  que  Dieu  vous  envoie. 
C'est  la  livrée  de  Marie  dont  vous  les  revêtez.  Tous  ces  petits  serviteurs  blancs  composent  ici-bas  la 
maison  de  cette  Impératrice  du  ciel.  Si  elle  descendait  sur  la  terre,  elle  s'entourerait  de  cette  cour  char- 
mante. Vouez-les  au  blanc,  et  cette  couleur  de  la  virginité  passera  jusqu'à  leurs  âmes.  Ce  vœu  porte 
bonheur;  la  Vierge  Marie  est  comme  intéressée  à  ne  pas  laisser  périr  ceux  qui  ont  pris  ses  couleurs.  De 
certains  droits  au  ciel  restent  toujours  à  ceux  qui  ont  revêtu,  dans  leur  enfance,  des  vêtements  blancs 
comme  la  chasteté  et  bleus  comme  le  ciel  ». 

Cet  acte  de  piété,  durant  longtemps  dans  l'oubli  et  presque  méconnu,  s'est  renouvelé  de  nos  jours  par 
la  piété  de  quelques  mères  chrétiennes  qui,  ayant  tout  à  craindre  dans  leur  état  pour  elles  et  le  fruit 
qu'elles  portent,  depuis  qu'elles  ont  été  instruites  des  avantages  de  cette  pieuse  pratique,  s'empressent 
de  se  vouer,  elles  et  leurs  enfants,  à  la  Mère  de  Dieu,  pour  obtenir  par  son  intercession  une  heureuse  dé- 
livrance. 


SAINT   SIMON  DE   STOCK,    GÉNÉRAL  DES   CARMES.  583 

de  ses  pieux  parents,  il  commença  à  réciter  le  Petit  Office  de  la  sainte  Vierge, 
ce  qu'il  continua  tout  le  reste  de  sa  vie.  S'apercevant  que  son  père  lisait 
avec  assiduité  le  Psautier,  il  lui  fit  de  vives  instances  jusqu'à  ce  qu'il  en  eût 
obtenu  un  exemplaire  pour  son  usage  journalier.  L'empressement  avec 
lequel  il  lisait  ce  saint  livre,  prouva  que  ce  n'était  pas  le  fruit  d'une  curio- 
sité enfantine,  mais  plutôt  une  inspiration  du  ciel.  Notre  Saint  était  si  pé- 
nétré de  ce  qu'il  lisait,  quoiqu'il  ne  connût  pas  encore  la  langue  latine,  son 
cœur  était  tellement  embrasé  du  feu  de  l'amour  sacré  que  respire  de  toutes 
parts  ce  livre  inspiré,  qu'on  le  voyait,  après  chaque  lecture,  comme 
ravi  en  extase.  Il  le  lisait  tous  les  jours  et  plusieurs  fois  le  jour,  mais  à 
genoux,  par  respect  pour  la  parole  de  Dieu,  toujours  avec  un  nouveau  goût 
et  avec  des  dehors  de  piété  qui  exprimaient  ce  que  son  cœur  sentait,  et  par 
suite  ravissait  d'admiration  les  assistants.  Ce  prodige  de  grâce  et  de  lu- 
mière, dans  un  enfant  de  six  ans,  devint  un  sujet  d'étonnement  et  de  res- 
pect pour  tous  ceux  qui  le  connaissaient  ;  et  chacun,  à  la  vue  de  ces  mer- 
veilles dont  ils  étaient  témoins ,  se  demandait  mutuellement ,  comme 
aitrefois  les  habitants  de  la  Judée  en  voyant  saint  Jean-Baptiste  :  Que  pen- 
sez-vous que  sera  cet  enfant  ? 

Le  père  de  Simon  de  Stock  voulut  diriger  TUT-même  les  premières  études 
de  son  fils.  Mais  l'enfant,  par  sa  pénétration^  se  montra  bientôt  capable  de 
suivre  des  cours  plus  élevés;  on  crut  devoir  lui  faire  continuer  ses  études  au 
co.lége  d'Oxford.  Simon  de  Stock  avait  à  peine  atteint  l'âge  de  sept  ans  :  il 
s'appliqua  d'abord  à  l'étude  des  belles-lettres  avec  un  tel  succès  qu'il  étonna 
tous  ceux  qui  en  furent  témoins.  Notre  Saint  fut  savant  à  un  âge  où  les  en- 
faits  commencent  à  étudier.  Malgré  tous  ses  succès,  la  science  des  saints 
fut  toujours  beaucoup  plus  du  goût  de  Simon  de  Stock  que  la  science  des 
hommes.  Ses  directeurs  crurent  devoir  l'admettre  à  la  participation  des 
Sacrements,  dans  un  âge  où  le  commun  des  enfants  discerne  à  peine  le  bien 
d'avec  le  mal.  A  mesure  qu'il  avançait  dans  la  connaissance  de  l'amour  de 
Dieu,  sa  tendre  dévotion  envers  la  très-sainte  Vierge  se  perfectionnait  et 
prenait  de  nouveaux  accroissements.  Un  jour,  lisant  un  traité  de  l'Imma- 
culée-Gonception  de  la  très-sainte  Vierge,  il  conçut  tant  d'estime,  tant 
d'anour  pour  cette  parfaite  pureté  que  l'Eglise  honore  dans  Marie, 
que  poussé  par  une  sainte  inspiration  du  ciel  et  pressé  d'un  ardent 
désir  d'avoir  quelque  ressemblance  avec  la  plus  pure  des  vierges,  qu'il  re- 
garda toujours  comme  sa  mère,  il  consacra  à  Dieu  sa  virginité.  La  crainte 
de  souiller  la  pureté  de  son  âme  et  de  son  corps  lui  faisait  éviter  avec  le 
plus  grand  soin  les  moindres  occasions,  et  même  jusqu'aux  apparences  du 
péché.  Non-seulement  il  veillait  exactement  sur  tous  ses  sens,  faisant  sans 
cesse  comme  Job,  un  pacte  avec  ses  yeux,  pour  ne  jamais  fixer  ses  regards  sur 
in  objet  dangereux;  mais  encore  il  portait  la  délicatesse  de  conscience 
jusqu'à  s'interdire  toute  familiarité  même  avec  les  enfants  de  son  âge.  Lors- 
que, dans  ses  repas,  il  pouvait  échapper  à  la  vigilance  de  ses  parents,  des 
herbes  crues,  des  salades  sans  apprêt,  des  légumes,  des  fruits  les  plus  gros- 
siers avec  le  pain  et  l'eau,  pris  avec  mesure,  faisaient  le  plus  souvent  toute 
sa  nourriture.  Si  quelquefois  il  était  surpris  dans  ces  pratiques  austères,  il 
couvrait  sa  pénitence  du  prétexte  spécieux  que  cette  sorte  de  nourriture 
était  plus  analogue  à  son  goût  et  à  son  tempérament. 

Notre  Saint  ne  tarda  point  toutefois  à  éprouver,  comme  un  nouveau 
Joseph,  les  funestes  effets  de  la  jalousie  de  son  frère  aîné,  qui,  épris  de 
l'amour  du  monde  et  peu  docile  aux  sages  conseils  de  ses  parents,  ne 
voyait  qu'avec  peine  et  chagrin  l'estime  particulière  qu'ils  avaient  pour 


584  16  mai. 

Simon  ;  il  n'entendait  qu'avec  dépit  les  éloges  que  l'on  prodiguait  de  toutes 
parts  à  cet  enfant  de  bénédiction.  Le  contraste  frappant  de  la  vie  mondaine 
et  dissipée  du  jeune  seigneur,  avec  la  vie  retirée  et  la  pureté  de  mœurs  de 
son  frère,  attirait  souvent  au  premier  de  durs  reproches  :  la  vertu,  la 
sainteté  du  jeune  Simon  devenait  la  censure  muette  et  la  condamnation  de 
ses  désordres  ;  il  résolut  sa  perte.  D'abord  tout  fut  mis  en  œuvre  pour  cor- 
rompre l'innocence  de  cet  ange  incarné.  Mais  s'apercevant  bientôt  qu'il  ne 
gagnerait  rien  ni  sur  l'esprit  ni  sur  le  cœur  de  son  frère,  par  les  pièges  qu'il 
tendait  à  son  innocence,  il  eut  recours  aux  efforts  de  la  malice  la  plus  in- 
fernale, et  suscita  une  espèce  de  persécution  qui  mit  sa  fidélité  à  Dieu  aux 
plus  rudes  épreuves.  Tantôt  il  s'étudiait  à  le  tracasser  durant  ses  exercices 
de  piété,  tantôt  il  affectait  de  jeter  du  ridicule  sur  sa  manière  de  pratiquer 
la  vertu,  s'efforçant  quelquefois  de  la  rendre  suspecte  à  ses  parents,  osant 
même  taxer  de  singularité  et  d'illusion  les  grâces  et  les  faveurs  qu'il  recevait 
du  ciel.  Il  passa  enfin  des  reproches  et  des  calomnies  au  mépris,  à  des  ou- 
trages ;  il  alla  même  jusqu'à  le  maltraiter.  Dieu  le  permettait  ainsi  pour 
faire  éclater  davantage  la  vertu  extraordinaire  de  cette  jeune  plante  qui 
devait  fleurir  plus  tard  dans  le  jardin  du  Carmel.  Redoutant  les  pièges  qie 
tendait  déjà  à  son  innocence  le  monde  séducteur,  Simon  de  Stock  se  sentit 
fortement  inspiré  d'abandonner  la  maison  paternelle,  pour  chercher  sm 
salut  dans  quelque  solitude  écartée.  Encouragé,  confirmé  dans  sa  résolution 
par  une  voix  intérieure,  qui  lui  rendait  témoignage  que  désormais  Mme 
lui  servirait  de  mère  et  de  guide  dans  ce  nouveau  genre  de  vie  auquel  le 
ciel  l'appelait,  Simon  de  Stock  quitta  sans  regret  tous  les  avantages  aux- 
quels il  pouvait  prétendre  dans  le  monde  pour  se  retirer  dans  une  affreuse 
solitude  où  Dieu  lui  avait  préparé  une  demeure. 

Lorsque  Simon  de  Stock  dirigea  ses  pas  vers  cette  solitude  projetée,  il  ^tait 
à  peine  âgé  de  douze  ans.  Ce  fut  dans  une  vaste  forêt  appartenant  aux  seigraurs 
de  Toubersville,  située  dans  le  comté  de  Kent,  au  voisinage  d'Oxford,  ju'il 
choisit  le  lieu  de  sa  retraite.  Ayant  rencontré  dans  son  chemin  un  arbre  d'une 
grosseur  prodigieuse,  dont  la  cavité  lui  offrait  un  asile,  il  y  chercha  Se  de- 
meure ordinaire,  et  s'en  servit  pour  se  mettre  à  l'abri  des  injures  de  l'air  ît  de 
la  rigueur  des  saisons.  Le  creux  de  cet  arbre  fut  son  oratoire  ;  il  l'orna  d'un 
crucifix  et  d'une  image  de  la  très-sainte  Vierge,  seuls  objets  qu'il  eût  apportés 
de  la  maison  paternelle  avec  le  Psautier,  son  livre  favori,  qui  lui  servit  à 
chanter  dans  son  désert  les  louanges  du  Seigneur  et  à  réciter  chaque  jour, 
selon  son  habitude,  le  Petit  Office  en  l'honneur  de  Marie.  Enfoncé  dans  le 
secret  de  son  désert,  le  plus  souvent  caché  et  comme  enseveli  dans  le  creux 
de  l'arbre  qui  lui  servait  de  retraite,  Simon  de  Stock  semblait  avoir  oublié 
qu'il  était  revêtu  d'un  corps  mortel  et  sujet,  comme  le  reste  des  hommes, 
aux  besoins  de  la  vie.  Des  herbes  crues,  des  racines  amères,  des  fruits  sau- 
vages que  produisait  son  désert,  et  l'eau  qui  y  coulait,  le  tout  pris  avec 
mesure  après  un  jeûne  des  plus  rigoureux,  voilà  quelle  était  toute  sa  nourri- 
ture. Mais  le  ciel,  attentif  aux  besoins  de  son  serviteur,  tempéra  dans  la  suite 
cette  austérité  par  le  secours  de  quelques  morceaux  de  pain,  qu'un  chien, 
conduit  par  un  instinct  miraculeux,  lui  apportait  de  temps  en  temps  dans 
sa  retraite,  comme  faisait  autrefois  le  corbeau  que  Dieu  envoya  au  saint 
prophète  Elie,  pour  le  nourrir  dans  sa  solitude.  Mais  le  bonheur  de  cet  ange 
du  désert  excita  bientôt  la  jalousie  de  Satan.  L'orage  de  la  tentation  éclata 
de  toute  part;  sa  conscience  alarmée  reprochait  sans  cesse  à  Simon  son 
départ,  comme  une  imprudence  qui  pourrait  donner  lieu  à  des  soupçons 
injurieux,  peut-être  même  à  des  accusations  funestes  contre  son  frère  à  qui 


SAINT  SIMON   DE   STOCK,    GÉNÉRAL  DES   CARMES.  585 

on  ne  manquerait  pas  d'imputer  d'avoir  attenté  à  sa  vie,  à  raison  de  la 
cruelle  jalousie  qu'il  avait  conçue  contre  lui.  Il  se  croyait  déjà  responsable 
des  rigueurs  dont  serait  capable  le  courroux  de  ses  parents  contre  un  fils 
dénaturé,  qu'ils  regarderaient  désormais  dan?  la  famille  comme  un  nouveau 
Caïn  et  contre  tous  ceux  qui  seraient  soupçonnés  d'être  ses  complices. 
Notre  saint  triompha  de  ces  premiers  artifices  de  l'ennemi  du  salut. 

Satan  a  recours  à  de  nouveaux  stratagèmes  :  il  ajoute  à  des  réflexions 
artificieuses  les  prestiges  les  plus  frappants.  Il  affecte  pour  ainsi  dire  de  telle 
sorte  l'imagination  de  Simon  de  Stock,  et.  tous  ses  sens,  qu'il  lui  semble 
voir  et  entendre  dans  son  désert  sa  mère  éplorée,  lui  tenant  des  propos 
analogues  aux  pensées  qui  agitent  son  esprit.  Ce  second  artifice  fit  d'abord 
la  plus  vive  impression  sur  l'esprit  de  Simon  de  Stock.  Son  cœur  fut  telle- 
ment attendri,  qu'il  se  vit  sur  le  point  de  succomber  à  la  tentation,  trompé 
qu'il  était  par  les  prestiges  du  tentateur  ;  c'est  ainsi  qu'il  l'a  déclaré  lui- 
même,  dans  la  suite,  à  quelques-uns  des  religieux  Carmes  ;  il  les  assurait 
que,  dans  cette  rencontre,  il  n'avait  échappé  à  la  séduction  que  par  une 
assistance  spéciale  de  la  très-sainte  Vierge,  qui  lui  découvrit  les  pièges  que 
le  démon  tendait  à  sa  faiblesse  et  l'en  délivra  par  sa  puissante  protection. 
L'esprit  superbe  redoubla  ses  efforts  :  il  se  transforma  encore  en  ange  de 
lumière  :  Simon  est  livré  par  l'ennemi  du  salut  à  des  peines  d'esprit,  de 
violents  scrupules,  de  cruels  remords,  sur  les  dangers  de  cette  voie  extraor- 
dinaire dans  laquelle  il  marche,  privé  qu'il  est  de  la  grâce  des  sacrements, 
dépourvu  de  tous  les  moyens  que  l'Eglise  prodigue  sans  cesse  aux  fidèles, 
tous  les  jours  exposé  à  mourir  dans  cette  affreuse  solitude,  sans  secours  et 
sans  consolations.  L'exemple  de  tant  de  saints  solitaires  que  Dieu  a  conduits 
par  la  même  voie,  ranime  sa  confiance  ;  le  souvenir  des  grâces  dont  le  ciel 
l'a  favorisé,  pour  le  confirmer  dans  sa  résolution,  le  rassure. 

Tant  de  fois  vaincu,  confus  de  sa  défaite,  Satan  l'attaque  de  front. 
Le  souvenir  des  conversations  libres  qu'il  avait  entendues  dans  la  maison 
paternelle,  de  la  bouche  de  son  frère  jaloux  de  sa  vertu  ;  l'idée  dangereuse 
des  manœuvres  dont  ce  jeune  libertin  s'était  servi  pour  le  séduire  ;  les 
mauvaises  pensées,  les  images  infâmes  de  la  volupté  criminelle  qu'il  avait 
voulu  lui  inspirer,  tout  se  retrace,  tout  se  présente  à  son  esprit,  et  tout  ce 
que  l'impureté  a  de  plus  attrayant  attaque  son  cœur.  Ces  pensées  impor- 
tunes le  suivent  partout,  son  imagination  s'échauffe,  ses  sens  sont  émus, 
son  âme  est  troublée.  En  proie  à  de  violentes  tentations,  malgré  les  hor- 
reurs de  son  désert  et  les  saintes  rigueurs  de  la  vie  la  plus  austère,  Simon  de 
Stock  se  croit  déjà  coupable.  Saintement  effrayé  des  apparences  du  mal 
dont  il  se  voit  comme  environné,  il  s'empresse  de  venger  sur  son  corps 
innocent  un  péché  dont  Dieu  ne  vit  jamais  en  lui  la  moindre  tache.  Il  dé- 
chire sa  chair  virginale  avec  de  piquantes  épines  ;  il  revêt  son  corps  d'un 
tissu  de  ronces  et  d'orties,  pour  émousser  l'aiguillon  de  la  chair  et  se 
défendre,  par  cette  espèce  d'armure,  des  traits  enflammés  de  l'esprit  impur. 
Dans  cet  état,  victime  de  l'amour  de  la  pureté,  Simon  de  Stock  ne  cesse 
d'invoquer  le  saint  nom  de  Marie  ;  c'est  par  la  vertu  toute  puissante  de  ce 
nom  redoutable  à  tout  l'enfer,  qu'il  fut,  nous  dit-il  lui-même,  délivré  de  ces 
horribles  tentations  ;  c'est  par  ce  moyen  qu'il  sortit  victorieux  des  combats 
que  le  démon  lui  livra  dans  son  désert.  Etranger  sur  la  terre,  notre  saint 
vivait  avec  Dieu  seul,  dans  le  détachement  le  plus  universel,  le  plus  parfait 
et  même  dans  l'oubli  de  toute  créature.  Quelques  auteurs  nous  disent  que 
les  anges  se  plaisaient  en  sa  compagnie,  et  charmaient  par  leur  présence 
les  horreurs  de  son  désert.  Il  y  jouissait,  nous  dit  la  Légende  de  son  Office, 


586  16  mai. 

avec  d'autant  plus  d'abondance,  des  délices  de  l'esprit  et  des  douceurs  de 
la  grâce,  parmi  ses  fréquentes  communications  avec  Dieu  et  les  esprits 
célestes,  qu'il  était  entièrement  mort  à  toutes  les  consolations  de  la  terre  et 
séparé  de  tout  commerce  avec  le  reste  des  mortels. 

Cest  dans  le  moment  où  Simon  de  Stock  recevait  le  plus  de  grâces  et  de 
faveurs  célestes  que  la  sainte  Vierge  le  favorisa,  dans  son  désert,  d'une 
apparition  -et  dans  une  révélation  expresse  lui  apprit,  de  sa  bouche  sacrée, 
que  Dieu,  content  des  pénitences  de  sa  solitude,  voulait  qu'il  achevât  l'ou- 
vrage de  sa  sanctification  en  s'unissant  aux  religieux  Carmes  et  en  embras- 
sant leur  règle,  lorsqu'ils  passeraient  de  la  Palestine  en  Angleterre,  pour  y 
fonder  des  monastères.  Mais  cette  bonne  Mère  lui  dit  également  qu'il  aurait 
à  supporter  toutes  les  contradictions  auquelles  l'Ordre  des  Carmes  serait  en 
butte  sous  sa  conduite. 

Vingt  ans  s'étaient  écoulés  parmi  les  consolations  et  les  rigueurs  du 
désert,  lorsque  Simon  de  Stock  reçut  du  ciel,  par  l'entremise  de  la  divine 
Marie,  des  ordres  pour  ainsi  dire  formels  de  quitter  sa  solitude,  pour  se 
mettre  en  état  de  remplir  les  vues  de  la  Providence  sur  lui,  selon  le  plan 
que  lui  en  avait  tracé  la  très-sainte  Vierge  elle-même.  Malgré  son  grand 
attrait  pour  la  retraite,  il  obéit  à  la  voix  du  ciel  et  revint  à  Oxford,  chez  ses 
parents,  reprendre  le  cours  de  ses  études.  Il  étudia  la  théologie  avec  un 
soin  tout  particulier,  afin  d'être  un  jour  en  état  de  remplir  le  ministère 
auquel  Dieu  le  destinait.  Aussitôt  après  son  ordination,  à  laquelle  il  consen- 
tit pour  se  conformer  aux  ordres  du  ciel,  il  revint  de  nouveau  dans  son 
désert  ;  il  ne  le  quitta  entièrement  qu'en  l'année  1212,  c'est-à-dire  quinze 
ans  après  la  révélation  que  lui  fit  la  très-sainte  Vierge,  au  sujet  de  l'arrivée 
des  Carmes  de  la  Palestine  en  Angleterre,  pour  y  fonder  des  monastères  de 
leur  Ordre. 

Pendant  ce  temps,  il  paraissait  quelquefois  aux  environs  d'Oxford,  pour 
instruire  les  ignorants,  réprimer  le  vice  par  la  force  de  ses  prédications, 
éclairant  les  uns  par  les  lumières  de  sa  doctrine  toute  céleste,  animant  les 
autres  à  l'amour  de  la  vertu  par  l'exemple  de  sa  vie,  travaillant  efficace- 
ment à  la  conversion  de  tous  les  pécheurs  et  préparant  les  voies  du  Seigneur 
par  les  premiers  efforts  de  son  zèle.  Le  différend  qui  s'éleva,  l'an  1207,  entre 
le  pape  Innocent  III  et  le  roi  d'Angleterre,  dit  Jean  sans  Terre,  à  l'occasion 
de  l'élection  de  l'archevêque  de  Cantorbéry,  devint  la  source  funeste  des 
plus" grands  maux  pour  l'Eglise  et  pour  ce  royaume.  Les  mécontentements 
que  le  Pape  reçut  du  roi  à  ce  sujet  l'ayant  obligé  de  jeter  un  interdit  géné- 
ral sur  toute  l'Angleterre,  les  suites  de  cet  événement  portant  de  toute  part 
le  trouble  et  la  désolation,  excitèrent  le  zèle  de  Simon  de  Stock.  Pour 
donner  plus  d'efficacité  aux  prières  qu'il  adressait  au  ciel  pour  la  con- 
version du  roi  d'Angleterre,  notre  Saint  intéresse  la  très-sainte  Vierge,  sa 
médiatrice,  son  refuge  ordinaire  dans  les  calamités  de  la  vie  ;  il  lui  adresse 
les  vœux  de  tous  ceux  qui  sont  l'objet  de  sa  charité,  par  une  prière  courte, 
mais  énergique,  qui  commence  par  ces  mots  :  Aima  Redemptoris  Mater,  que 
quelques  auteurs  lui  attribuent  et  qu'il  paraît  avoir  composée  à  cette  occa- 
sion. Cette  prière,  dictée  par  l'esprit  de  componction,  soutenue  de  la  plus 
vive  confiance  dans  la  puissante  protection  de  la  Mère  de  Dieu,  eut  tout 
l'effet  désiré,  récitée  qu'elle  était  avec  ferveur  par  notre  Saint  et  par  ceux 
qu'il  avait  engagés  à  se  joindre  à  lui.  La  colère  du  ciel  se  laissant  fléchir 
par  les  gémissements  de  l'ardente  charité  du  serviteur  de  Dieu  et  par  les 
sentiments  de  pénitence  de  ce  peuple  affligé  ;  lorsque  toutes  choses  étaient 
dans  la  confusion  et  dans  l'agitation  la  plus  violente,  à  la  cour  et  parmi  le 


SAINT  SIMON  LE   STOCK,    GÉNÉRAL  DES  CARMES.  587 

peuple  ;  lorsque  tout  semblait  désespéré  et  qu'il  ne  paraissait  aucune  voie 
d'accommodement,  les  parties  intéressées  par  des  injures  réciproques  y  met- 
tant les  plus  grands  obstacles,  lorsqu'on  y  pensait  le  moins  et  que  le  feu  de 
la  guerre  s'allumait  de  toute  part,  on  vit  arriver  en  Angleterre  le  Légat 
Pandolfe,  envoyé  par  le  Pape  Innocent  III,  pour  négocier  avec  le  roi  Jean 
la  paix  si  ardemment  désirée.  Celui  qui  tient  en  main  les  cœurs  des  rois, 
changea  tout  à  coup  celui  de  ce  malheureux  prince  ;  il  se  convertit  et 
accepte  sans  délai  toutes  les  conditions  de  paix  qu'on  lui  propose. 

Tandis  que  Simon  de  Stock  s'occupait  pendant  l'interdit  à  l'œuvre 
de  Dieu,  il  apprend  l'arrivée  de  deux  seigneurs  anglais  qui,  revenant 
de  la  croisade,  amenèrent  avec  eux  quelques  ermites  du  Mont-Carmel, 
avec  l'intention  de  leur  bâtir  un  monastère  en  Angleterre  et  commencer 
ainsi  leur  première  fondation  dans  ce  royaume.  A  cette  heureuse 
nouvelle,  notre  Saint,  qui,  d'après  l'avertissement  de  la  très-sainte  Vierge, 
les  attendait  dans  un  esprit  prophétique  depuis  quinze  ans,  se  hâta 
d'obéir  aux  ordres  du  ciel,  en  entrant  dans  l'Ordre  des  Carmes.  Mais,  les 
divisions  entre  le  roi  et  les  seigneurs  du  royaume,  les  troubles  qui  agitèrent 
encore  longtemps  l'Angleterre  après  la  levée  de  l'interdit,  empêchèrent 
alors  la  fondation  projetée  (1212)  '.  En  attendant  un  temps  plus  favorable, 
un  de  ces  pieux  solitaires  du  Mont-Carmel,  nommé  Raoul  Fresburn,  Anglais 
de  nation,  qui  avait  encore  à  sa  disposition  de  grands  biens  en  Angleterre, 
en  employa  une  partie,  de  l'avis  de  Simon  de  Stock,  à  former  une  Solitude 
dans  une  forêt  de  Aylesford  au  comté  de  Kent.  C'est  dans  ce  lieu  que  notre 
Saint  se  retira,  aussitôt  que  les  cellules  furent  bâties  ;  c'est  là  qu'il  reçut 
l'habit  de  l'Ordre  des  mains  du  bienheureux  Alain,  alors  Prieur  de  cette 
solitude.  A  peine  eut-on  appris  à  Oxford  l'engagement  religieux  de  notre 
Saint,  que  l'Université  de  cette  ville,  parfaitement  instruite  des  talents 
et  du  rare  mérite  de  Simon  de  Stock,  fit  de  vives  instances  auprès  des  supé- 
rieurs de  notre  Religieux,  afin  de  vaincre  la  répugnance  extrême  qu'il  avait 
de  paraître  au  milieu  des  docteurs  ;  mais  il  se  vit  obligé  de  sacrifier  l'humi- 
lité à  l'obéissance.  Simon  parut  de  nouveau  au  collège  d'Oxford,  et  aussitôt 
on  lui  décerna  le  titre  de  docteur  en  théologie  ;  son  humilité,  toujours 
ingénieuse  à  se  cacher,  toujours  attentive  à  se  dérober  à  l'éclat  des  hon- 
neurs, obtint  par  des  instances  auprès  de  son  supérieur  qu'il  lui  fût  permis 
de  se  borner  au  grade  de  bachelier  en  théologie,  et  aussitôt  après  il  se  retira 
dans  sa  solitude.  Dans  l'appréhension  qu'on  ne  fît  encore  violence  à  son 
humilité,  et,  son  attrait  pour  la  vie  solitaire  le  portant  sans  cesse  à  s'éloi- 
gner de  tout  ce  qui  pouvait  l'en  distraire,  il  profita  d'une  occasion  favorable 
que  lui  présenta  la  fondation  d'une  nouvelle  solitude  au  désert  de  Norwich, 
dans  le  pays  de  Northumberland,  par  les  soins  et  le  zèle  du  R.  P.  Raoul 

1.  Quelques  écrivains  ont  confondu,  faute  d'exainen,  les  différentes  époques  de  l'établissement  de  l'Ordre 
des  Carmes,  en  Angleterre.  Il  est  clairement  démontré,  par  des  documents  très-authentiques,  que  les 
Carmes  se  sont  établis,  en  Angleterre,  à  deux  époques  différentes.  La  première  fondation  des  religieux 
Carmes  eut  lieu,  en  1212,  dans  une  foret  appartenant  au  Révérend  Père  Raoul  de  Fresburn,  qui  revenait  dan» 
«a  patrie  en  compagnie  de  deux  seigneurs  qu'il  ava.it  connus  dans  la  Terre-Sainte.  La  seconde  fondation  eut  lieu 
en  1249,  époque  à  laquelle  les  Carmes  furent  appe  es,  eu  Angleterre,  par  les  mêmes  seigneurs  anglais  qui, 
une  première  fois,  les  y  avaient  amen  :s,  mais  n'avaient  pu  d'abord  leur  faire  construire  de  monastères, 
par  suite  des  troubles  qui  agitaient  alors  l'Angleterre.  Le  premier  de  ces  seigneurs,  Jean  lord  Vesey,  fonda 
l'ermitage  de  Holme,  prèsd'Alnewich,  dans  le  Xorthumberland  ;  et,  le  second,  Richard  lord  Gray  de  Codnor, 
fonda  celui  d'Aylesford,  près  de  Kochester,  dans  le  comté  de  Kent  :  ces  deux  ermitages  devinrent  fort 
Célèbres  et  répandirent  au  loin  l'odeur  de  la  vertu. 

Quelques  historiens  ont  prétendu  que  les  Carmes  n'avaient  paru  en  Europe  qu'à  l'époque  où  saint  Louis, 
revenant  de  la  Palestine,  les  établit  a  Paris,  ce  qui  n'arriva  qu'en  1253,  saint  Simon  de  Stock  étant  alors 
général  de  l'Ordre.  De  là,  grand  nombre  d'erreurs,  au  préjudice  de  la  vérité  du  saint  Scapulaire  et  tle 
l'époque  où  saint  Simon  le  reçut  de  la  très-sainte  Vierge.  C'est  le  16  juillet  1251,  et  non  en  1245,  comme 
quelques  écrivains  le  prétendent,  que  saint  Simon  de  Stock  regut,  des  mains  de  Mûrie,  le  saint  Scapulaire. 


588  16  mai. 

Fresburn,  qui  en  fut  élu  prieur.  Aussitôt  que  cette  solitude  fut  en  état  de 
recevoir  quelques  religieux,  Simon  de  Stock,  du  consentement  de  son 
supérieur,  s'y  retira  avec  deux  ou  trois  autres  solitaires  venus  du  Mont- 
Carmel. 

Saint  Brocard ,  second  général  latin  de  l'Ordre  des  Carmes  *,  étant 
informé  des  merveilles  que  la  grâce  opérait  parmi  les  solitaires  de  Norwich, 
et  surtout  de  la  ferveur  de  Simon  de  Stock,  voulut  l'avoir  pour  coadjuteur 
dans  le  gouvernement  de  l'Ordre  (an  1215).  En  conséquence,  saint  Brocard, 
de  l'avis  du  Chapitre  général,  nomma  Simon  de  Stock  son  vicaire,  dans 
toute  l'Europe,  pour  y  tenir  sa  place  dans  le  gouvernement  des  religieux  ; 
mais  les  maisons  des  Carmes  s'étant  multipliées  en  très-peu  de  temps,  don- 
nèrent de  l'ombrage  au  clergé  et  occasionnèrent  bientôt  une  persécution 
ouverte  qui  faillit  tout  renverser.  Satan,  jaloux  de  la  piété  des  Carmes  et 
redoutant  les  grands  avantages  que  l'Eglise  pouvait  retirer  dans  la  suite  de 
ces  nouveaux  établissements,  pour  le  salut  et  l'éducation  de  ses  enfants,  sus- 
cita de  toute  part,  contre  le  Carmel,  des  hommes  animés  d'un  zèle  indiscret 
qui,  faute  d'examen,  et  sous  prétexte  d'attachement  aux  lois  de  l'Eglise, 
prétendirent  que  l'on  devait  supprimer,  comme  contraire  aux  décrets  du 
quatrième  concile  de  Latran  et  attaquer  jusque  dans  ses  racines,  soit  en 
Orient,  soit  en  Occident,  l'Ordre  des  Carmes,  comme  un  Ordre  nouvelle- 
ment institué  et  sans  règle  approuvée  par  l'Eglise,  quoique  ces  prétentions 
fussent  démenties  par  des  couvents,  déjà  très-anciens,  même  en  Europe2. 
En  pasteur  sage,  vigilant  et  fidèle,  Simon  s'empresse  de  mettre  les  enfants 
de  Marie  à  l'abri  des  entreprises  injustes  de  ceux  qui  les  persécutent.  Le 
Carmel,  par  son  ordre,  réuni  dans  un  même  esprit,  offre  d'abord  à  Dieu, 
avant  toutes  choses,  de  ferventes  prières,  pour  implorer  dans  la  détresse 
le  secours  du  ciel  ;  et  bientôt  le  ciel  se  laisse  toucher  par  les  larmes  et  les 
gémissements  de  ses  enfants  ;  Marie  elle-même  prend  leur  défense.  Simon 
de  Stock  envoie  des  messagers  au  Pape  Honoré  III,  afin  de  l'instruire  de 
l'injuste  persécution  qu'éprouve  l'Ordre  des  Carmes;  ce  souverain  Pontife, 
après  un  accueil  des  plus  favorables,  évoque  à  son  tribunal  la  querelle  sus- 
citée par  leurs  adversaires.  Il  remet  aussitôt  cette  affaire  à  l'examen  de 
deux  commissaires,  qui,  d'abord  séduits  par  les  artifices  du  démon,  inté- 
ressés par  les  manœuvres  de  quelques  membres  du  clergé,  donnèrent  occa- 
sion, par  des  délais  affectés,  à  de  nouvelles  attaques.  Mais  Honoré  III,  éclairé 
d'en  haut  par  une  vision  miraculeuse,  déclare  avoir  reçu  l'ordre  de  la  très- 
sainte  Yierge  d'approuver  la  Règle  des  Carmes,  de  confirmer  leur  Ordre  et 
de  les  protéger  contre  les  entreprises  de  leurs  adversaires.  Convaincu  par 
lui-même  de  la  bonté  d'une  cause  que  la  Mère  de  Dieu  favorise  d'une  ma- 
nière aussi  visible,  il  se  hâte  d'exécuter  les  ordres  du  ciel,  par  une  bulle 
expresse,  dans  laquelle  il  déclare  légitime  et  conforme  aux  décrets  du  con- 
cile de  Latran,  l'existence  légale,  dans  l'Eglise,  de  l'Ordre  des  Carmes,  et  les 
autorise  à  continuer  leurs  fondations  en  Europe.  A  la  réception  de  cette 
bulle,  les  chefs  du  parti  furent  humiliés  et,  selon  une  ancienne  tradition, 
punis  du  ciel  par  un  événement  tragique.  Après  une  victoire  aussi  miracu- 

1.  Voir  la  vie  de  saint  Berthold. 

2.  11  résulte  de  témoignages  certains,  de  documents  authentiques  et  des  titres  de  fondations  —  rap- 
portés par  Lezapa  au  tome  m  des  Annales  de  l'Ordre,  —  que  des  le  vine  siècle,  époque  de  la  première 
fondation  d'un  couvent  de  Carmes  à  Florence,  jusqu'à  la  fin  du  xme  siècle,  date  de  la  fondation  du  cou- 
vent des  Carmes  à  Bordeaux,  il  résulte,  dis-je,  que  plusieurs  monastères  ainsi  que  diverses  solitudes  ont 
été  fondés  en  Europe,  en  faveur  des  religieux  Carmes;  «  car  »,  dit  saint  Cyrille,  général  de  l'Ordre, 
dans  son  livre  De  processu  et  variis  Regulis  Carmelitarum,  a  il  fallait  aux  enfants  du  Carmel  un  asile 
contre  la  persécution  des  Sarrasins,  qui  avait  commencé  dès  le  vue  siècle. 


SAINT  SIMON  DE  STOCK,  GÉNÉRAL  DES  CARMES.  589 

leuse,  remportée  par  le  zèle  de  Simon  de  Stock  sur  ses  ennemis  ligués 
contre  le  Carmel,  notre  saint  général,  voulant  transmettre  à  la  postérité  ce 
miracle  authentique  de  la  protection  de  la  très-sainte  Vierge  en  faveur  des 
Carmes,  et  perpétuer  la  reconnaissance  de  ses  enfants,  établit  alors  la  fête 
de  la  Cummémoraison  solennelle  de  la  très-sainte  Vierge,  que  tout  l'Ordre 
célèbre  chaque  année,  le  16  juillet,  jour  auquel  a  été  fixée  plus  tard,  par 
l'Eglise,  la  fête  de  la  Confrérie  du  Saint-Scapulaire. 

Cependant  le  moment  semblait  arrivé  où  l'Ordre  des  Carmes,  confor- 
mément à  la  révélation  de  la  sainte  Vierge,  faite  à  saint  Cyrille,  quelques 
années  auparavant,  allait  être  entièrement  arraché  de  la  Terre-Sainte,  pour 
être  transporté  dans  des  contrées  plus  favorables.  En  conséquence,  notre 
Saint  reçut  l'ordre  du  bienheureux  Alain,  alors  général  des  Carmes,  de  se 
rendre  sur  le  Mont-Carmel  pour  y  assister  au  Chapitre  général  convoqué  à 
l'effet  de  remédier  aux  dommages  que  l'Ordre  avait  soufferts  dans  tout 
l'Orient,  par  le  massacre  de  ceux  qui  avaient  été  immolés  par  le  glaive  des 
infidèles.  Après  une  heureuse  navigation,  il  arrive  au  pied  du  Mont-Carmel; 
il  envisage  avec  la  joie  la  plus  vive  cette  sainte  montagne  où  le  transpor- 
taient depuis  longtemps  ses  vœux  et  ses  désirs. 

Le  Chapitre  général  de  l'Ordre  se  réunit,  et  là  on  mit  en  délibération 
l'affaire  de  l'émigration  générale  des  Frères  en  Europe.  Quelques-uns  sou- 
tenaient que  dans  les  circonstances  présentes,  aucun  d'eux  ne  pouvait  en 
conscience  quitter  la  Terre-Sainte,  et  qu'on  ne  pouvait  même,  sans  faire 
tort  àlareligioD,  leur  permettre  de  se  retirer  ailleurs  et  y  fixer  leur  de- 
meure, enfin  qu'ils  ne  devaient  pas  éviter  la  persécution  à  laquelle  le  reste 
des  chrétiens  qui  habitaient  la  Palestine  étaient  exposés.  Simon  de  Stock  fait 
sentir  tous  les  inconvénients  de  l'avis  proposé  et  la  nécessité  indispensable 
de  suivre  le  sentiment  contraire,  fondé  sur  les  règles  de  la  prudence  chré- 
tienne. Il  déclare  que  c'est  une  conduite  louable  de  fuir  la  persécution,  de  peur 
de  perdre  la  foi,  et  un  très-grand  mal  d'exposer  sa  foi  au  danger  de  la  persécu- 
tion, sans  un  ordre  exprès  du  ciel,  selon  cette  maxime  de  l'Evangile  :  «  Lors- 
qu'on vous  persécutera  dans  une  ville,  fu)rez  dans  l'autre  ».  La  dispersion 
générale  fut  décidée.  Bientôt  il  n'y  eut  plus  de  sûreté  ni  sur  terre  ni  sur 
mer;  les  Sarrasins  jetèrent  partout  la  terreur  et  l'effroi,  par  les  cruautés 
qu'ils  exerçaient  contre  les  chrétiens.  Plusieurs  religieux,  sur  le  Carmel  et 
ailleurs,  périrent  sous  le  glaive  pour  le  nom  de  Jésus-Christ  ;  ceux  qui 
échappèrent  à  la  cruauté  de  ces  barbares  se  réfugièrent  dans  la  ville  de  Ptolé- 
maïde  où  l'armée  chrétienne  avait  réuni  toutes  ses  forces1.  Simon  de  Stock, 
par  une  conduite  particulière  de  la  divine  Providence  qui  le  destinait  à  un 

1.  Dès  l'an  1244,  les  Sarrasins  avaient  enlevé  à  l'Ordre  du  Carmel  les  monastères  de  Jérusalem,  du 
désert  de  la  Sainte-Quarantaine  et  de  Valin,  les  solitudes  du  Jourdain  et  de  la  mer  de  Galilée.  La  per- 
sécution ne  s'arrêta  pas  l'a,  car  en  1267,  l'Ordre  perdit  le  couvent  d'Antioche  et  les  autres  monastères 
avec  les  grottes  de  la  Syrie,  et  lorsqu'en  1289,  Melec-Messor,  Soudan  de  Babylone,  forma  le  siège  de 
Tripoli,  qu'il  emporta  d'assaut,  le  monastère  fut  aussi  enveloppé  dans  ses  ruines.  Les  couvents  de  Beau- 
lieu  et  de  Sarepta  eurent  le  même  sort.  Mais  ce  fut  en  1291,  que  la  prophétie  d'Isaïe  semblait  devoir  se 
renouveler,  et  que  la  réjouissance  et  l'allégresse  allaient  être  bannies  encore  une  fois  du  Mont-Carmel. 

Guillaume  Sanvic,  ou  Sannic,  religieux  Carme  et  témoin  oculaire,  rapporte  ainsi  la  fin  glorieuse  de 
son  Ordre  en  Palestine  : 

«  Au  mois  de  mai  1291  (vingt-six  ans  après  la  mort  de  Simon  de  Stock),  les  Sarrasins  se  rendirent 
maîtres  de  la  ville  de  Saint-Jeau-d'Acre,  où  plus  de  trente  mille  chrétiens  furent  tués  et  pris,  sans 
compter  ceux  qui  échappèrent  au  carnage,  parmi  lesquels  je  me  trouvais,  car  beaucoup  de  chrétiens 
d'Acre,  de  Tyr  et  de  Tripoli  se  sauvèrent  par  mer.  L'ennemi  dévasta  tellement  la  ville  d'Acre  avec  le 
célèbre  monastère  dus  Carmes,  qui  y  était  établi,  qu'elle  devint  inhabitable.  De  la,  il  se  rendit  a  la  mon- 
tagne sainte  du  Carmel,  qui  n'est  pas  tr'es-éloignée.  mit  le  feu  au  monastère  des  Frères  de  Notre-Dame, 
lequel  j'avais  quitté  peu  de  temps  auparavant  pour  me  rendre  a  Acre,  et  massacra  tous  les  religieux  qui 
s'y  trouvaient,  pendant  qu'ils  chantaient  le  Salve  Hegina  :  ce  couvent  avait  été  ravagé  fréquemment, 
mais  jamais  il  n'avait  été  détruit.  C'est  ainsi  que  la  religion  entière  du  Carmel  fut  exterminée  dans  la 
Pûénicie,  et,  par  une  suite  naturelle,  dans  toute  U  Terre-Sainte  ». 


590  16  mai. 

autre  genre  de  martyre,  se  trouva  heureusement  du  nombre  des  réfugiés. 

Peu  de  temps  après,  les  sources  d'eaux  de  Ptolémaïde  ayant  été  empoi- 
sonnées par  la  malice  des  infidèles,  l'armée  chrétienne,  avec  les  habitants 
de  cette  ville  et  tous  ceux  qui  s'y  étaient  réfugiés  se  virent  sur  le  point  de 
périr  ;  mais  le  ciel  veillant  partout  a  la  conservation  du  nom  chrétien, 
inspira  aux  chefs  de  l'armée  de  donner  à  Simon  de  Stock  et  à  ses  religieux 
un  corps  de  troupes  pour  les  ramener  et  les  protéger  sur  le  Mont-Carmel, 
dans  l'espérance  de  trouver  une  ressource  efficace  dans  les  eaux  de  la  fon- 
taine d'Elie,  qui,  selon  une  ancienne  tradition  du  pays,  tarissait,  par  un 
miracle  du  ciel,  toutes  les  fois  que  les  religieux  étaient  forcés,  par  la  vio- 
lence des  infidèles,  de  quitter  cette  sainte  montagne,  et,  par  un  nouveau 
miracle,  laissait  couler  ses  eaux  en  abondance  à  leur  retour,  aussitôt  qu'ils 
s'étaient  mis  en  prières.  Le  miracle  eut  lieu  en  effet,  au  grand  contente- 
ment de  l'armée  chrétienne,  qui  par  ce  secours  tout  divin  reprit  ses  forces 
et  se  vit  bientôt  en  état  de  résister  à  ses  ennemis.  Après  cette  merveille, 
dont  Simon  de  Stock  fut  le  témoin  et  le  coopérateur,  par  la  ferveur  de  ses 
prières,  le  Carmel,  protégé  qu'il  était  par  l'armée  chrétienne,  recouvra 
aussitôt  sa  tranquillité,  et  notre  saint  en  profita  pour  y  prolonger  son  séjour  ; 
car  il  ne  pouvait  alors  s'exposer  en  mer,  à  cause  de  la  persécution  des  infi- 
dèles. En  attendant  un  temps  plus  favorable  pour  s'embarquer,  il  se  livra 
entièrement  selon  son  attrait  aux  douceurs  de  la  contemplation.  Attiré  par 
un  mouvement  de  l'Esprit  de  Dieu,  il  se  renferma  seul  dans  un  grotte  du 
Mont-Carmel,  où,  selon  une  constante  tradition,  rapportée  par  plusieurs 
auteurs,  il  mena,  durant  l'espace  de  six  ans,  une  vie  toute  angélique,  sans 
aucune  espèce  de  communication  avec  le  reste  des  mortels,  n'ayant  de 
conversation  qu  avec  Dieu,  et  souvent  favorisé  des  apparitions  de  la  très- 
sainte  Vierge,  qui  chaque  jour  le  nourrissait  dune  manne  miraculeuse 
apportée  du  ciel. 

Le  temps  marqué  par  les  décrets  de  la  divine  Providence  touchait  à  son 
terme,  et  Dieu  voulait  accomplir,  par  le  ministère  de  Simon  de  Stock,  le 
grand  ouvrage  de  la  propagation  de  l'Ordre  des  Carmes  en  Europe.  Il  y 
avait  six  ans  que  notre  Saint  menait  une  vie  d'anachorète  sur  le  Carmel, 
lorsqu'il  apprit  que  quelques  seigneurs  anglais,  après  avoir  accompli  le  vœu 
de  ser  ;r  en  Terre-Sainte,  se  disposaient  à  faire  voile  pour  l'Angleterre. 
Conduits  par  la  main  de  Dieu,  ils  vinrent  lui  proposer  de  le  recevoir  sur 
leur  bord  avec  tous  les  religieux  qui  voudraient  le  suivre  ;  il  accepta  leur 
offre.  Alors  le  Bienheureux  Alain,  général  de  l'Ordre,  ne  voyant  presque 
plus  de  ressource  pour  se  maintenir  dans  la  Terre-Sainte  et  sans  espérance 
de  pouvoir  rétablir  la  plupart  des  monastères,  déjà  ravagés  par  les  infidèles, 
dans  la  Palestine,  donna  un  libre  cours  à  l'émigration  des  religieux  déjà 
commencée.  Après  avoir  pourvu  à  la  sûreté  et  à  la  tranquillité  de  ceux 
qui  voulurent  demeurer  en  Palestine,  en  leur  laissant  le  Père  Hilarion 
comme  vicaire,  il  s'embarqua  avec  un  grand  nombre  de  religieux  parmi 
lesquels  se  trouvait  Simon  de  Stock.  Malgré  les  dangers  d'une  mer  pleine 
d'écueils  et  les  continuelles  attaques  des  infidèles  ils  abordèrent  heureuse- 
ment en  Angleterre,  d'où  cette  religieuse  colonie  venue  du  Carmel  se  dis- 
persa dans  les  différentes  solitudes  et  monastères  déjà  fondés  dans  ce  pays. 
Le  général,  suivi  de  Simon  de  Stock,  se  retira  au  monastère  de  Aylesford, 
l'un  des  plus  grands  des  deux  monastères  nouvellement  bâtis  par  les  pieuses 
libéralités  de  quelques  anglais.  Instruit  des  progrès  de  l'Ordre  en  Europe, 
depuis  l'émigration  générale  des  religieux,  le  Bienheureux  Alain,  après 
avoir  examiné  l'état  actuel  des  affaires  de  l'Ordre,  forma  dès  lors  le  dessein 


SAINT  SIMON  DE  STOCK,   GÉNÉRAL  DES  CAHMES.  891 

de  laisser  à  Simon  de  Stock  le  soin  de  terminer  une  entreprise  dont  les  heu- 
reux commencements  et  le  progrès  pour  ainsi  dire  miraculeux  annonçaient 
de  toutes  parts  son  habileté  pour  le  gouvernement.  Il  convoqua ,  en 
conséquence,  le  Chapitre  général  de  son  Ordre,  l'année  suivante  (1245)  ; 
c'est  le  premier  qui  ait  été  tenu  en  Europe.  Cette  assemblée  respectable, 
composée  de  tous  les  supérieurs  de  l'Ordre,  ayant  appris  le  dessein  du  gé- 
néral, l'adopta  sans  peine,  et  après  avoir  reçu  sa  démission,  élurent  d'une 
voix  unanime  Simon  de  Stock  général  de  l'Ordre.  Notre  Saint  avait  alors 
quatre-vingts  ans.  Sous  le  gouvernement  de  Simon  de  Stock,  l'Ordre  reçut 
un  accroissement  considérable,  et  un  grand  nombre  de  fondations  eurent 
lieu  en  France.  Elles  s'y  multipliaient,  grâce  surtout  à  l'estime  que  le  roi 
saint  Louis  témoignait  aux  religieux  depuis  qu'il  les  avait  connus  en  Terre- 
Sainte.  Le  pieux  monarque  avait  été  si  frappé  de  la  vie  angélique  que  les 
solitaires  menaient  au  Carmel,  où  il  les  visita,  qu'il  s'empressa  de  faire  un 
riche  présent  à  la  France  en  y  propageant  les  religieux  Carmes  qu'il  y  avait 
amenés  *. 

La  paix  dont  jouissait  le  Carmel  ne  fut  pas  d'abord  universelle,  pro- 
tégé qu'il  était  par  le  Saint-Siège,  et  malgré  le  zèle  de  Simon  de  Stock. 
Depuis  deux  ans,  l'Ordre  des  Carmes  avait  été  solennellement  reconnu 
Ordre- Mendiant,  mais  cette  reconnaissance  n'avait  nullement  arrêté  la  fou- 
gue de  ses  ennemis.  Aux  religieux  des  autres  Ordres  s'étaient  joints  les 
prêtres  séculiers  *,  et  à  tout  prix  on  réclamait  la  suppression  de  ces  Orien- 
taux, aux  usages  inconnus  jusqu'alors,  aux  prétentions  trop  belles  pour 
qu'on  ne  leur  en  fît  pas  un  crime.  Malgré  son  abandon  filial  aux  décrets  de 
la  Providence,  Simon  ne  cessait  de  répandre  sa  douleur  aux  pieds  de  Marie. 
A  cet  effet,  il  composa  l'antienne  Flos  Carmeli,  qu'il  récitait  tous  les  jours, 
et  dont  voici  un  extrait  : 

Fleur  du  Carmel,  Vigne  odoriférante, 
Splendeur  des  cieux,  Vierge-Mère  étonnante, 

Douce  Etoile  des  mers  ; 
0  lis  sans  tache  et  plus  pur  que  la  neige, 
Donne  au  Carmel  un  nouveau  privilège  ; 

Calme  les  flots  amers. 

Après  quelques  années  de  supplications  et  de  prières,  de  soupirs  et  de 
larmes,  il  a  la  consolation  d'être  exaucé  d'une  manière  surprenante  ;  sa 
prière,  comme  celle  du  Prophète  Elie,  ouvre  les  cieux  et  en  fait  descendre 
la  Reine  des  anges.  Marie  signale,  dans  une  célèbre  vision,  sa  bonté  et  sa 
puissance  en  faveur  de  Simon  de  Stock  ;  elle  vient  à  son  secours  par  le 
bienfait  singulier  d'un  scapulaire  miraculeux  qu'elle  lui  donne  comme  un 
signe  de  sa  protection  ;  signe  précieux  qui,  depuis  plusieurs  siècles  a  été 
jusqu'à  nous  une  source  des  plus  grandes  merveilles  et  de  toutes  sortes 
de  bénédictions,  soit  en   faveur  du  Carmel,  soit  en  faveur  de  ceux  qui 

1.  Le  monastère  fondé  par  saint  Louis  à  Paris,  porta  longtemps  le  nom  de  Couvent  des  Barrés.  C'est  a 
cause  de  leur  vêtement  barré  de  diverses  couleurs,  qu'on  appela,  en  France,  les  religieux  du  Carmel,  les 
Barrés  :  Barrati  ou  Birrali,  Ra.dia.ti,  Stragulati,  et,  en  Germanie,  Strepetitii.  A  Valenciennes,  on  donna 
même  le  nom  déporte  des  Barrés  a  celle  qui  séparait  la  ville  du  faubourg  dans  lequel  ils  s'étaient  établis.  Les 
ermites  du  Carmel  avaient  eu  d'abord  le  manteau  blanc  ;  mais  ils  furent  contraints  de  quitter  cette  cou- 
leur, réservée  uniquement  aux  princes  mahométans,  et  de  prendre  un  manteau  de  sept  pièces  ou  barres, 
dont  quatre  étaient  de  couleur  blanche  et  trois  couleur  tannée.  Après  la  mort  de  saint  Louis,  les  Carmes 
de  Paris  reçurent  son  manteau  royal,  qui  fut  conservé  jusqu'à  la  Révolution,  au  couvent  de  la  place 
Maubert,  où  il  était  révéré  comme  une  des  plus  précieuses  reliques  de  ce  grand  monarque. 

2.  On  peut  consulter  à  cet  égard  une  bulle  d'Innocent  IV,  adressée  en  1254  à  l'évêque  de  Londres 
(Angleterre). 


592  16  mai. 

en  sont  revêtus.  Laissons  parler  le  Père  Pierre  Swayngton,  compagnon, 
secrétaire  et  confesseur  du  Saint  :  «  Le  Bienheureux  Simon  »,  dit-il, 
«  cassé  de  vieillesse,  affaibli  par  l'austérité  de  sa  vie  pénitente,  passait 
très-souvent  les  nuits  en  prières,  gémissant  dans  son  cœur  des  maux  dont 
ses  frères  étaient  affligés.  Il  arriva  qu'un  jour  étant  en  prières,  il  fut  comblé 
d'une  consolation  céleste,  dont  il  nous  fit  part,  en  communauté,  comme  il 
suit  :  «  Mes  très-chers  frères,  Béni  s'oit  Dieu,  qui  n'a  pas  abandonné  ceux 
qui  mettent  en  lui  leur  confiance  et  qui  n'a  pas  méprisé  les  prières  de  ses 
serviteurs.  Bénie  soit  la  très-sainte  Mère  de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ, 
qui,  se  ressouvenant  des  anciens  jours  et  des  tribulations  dont  le  poids  a 
paru  trop  lourd  et  trop  accablant  à  quelques-uns  d'entre  vous  (ne  faisant 
pas  assez  d'attention  que  ceux  qui  veulent  vivre  avec  piété  en  Jésus-Christ, 
doivent  s'attendre  à  souffrir  la  persécution),  vous  adresse  aujourd'hui,  par 
mon  ministère,  des  paroles  de  consolation,  que  vous  devez  recevoir  dans 
la  joie  du  Saint-Esprit.  Je  prie  cet  Esprit  de  vérité  qu'il  dirige  ma  langue, 
afin  que  je  parle  convenablement,  et  que  je  manifeste  avec  la  plus  exacte 
fidélité  l'œuvre  de  Dieu,  et  la  faveur  que  nous  avons  reçue  du  ciel.  Lors- 
que j'épanchais  mon  âme  en  la  présence  du  Seigneur,  moi  qui  ne  suis  que 
cendre  et  poussière,  et  que  je  priais  avec  toute  confiance  la  Vierge  sainte, 
ma  Souveraine,  que  puisqu'elle  avait  daigné  nous  honorer  du  titre  spécial 
de  Frères  de  la  bienheureuse  Vierge  Marie  elle  voulût  aussi  se  montrer  notre 
mère,  notre  protectrice,  en  nous  délivrant  de  nos  calamités,  et  en  nous 
procurant  de  la  considération  et  de  l'estime,  par  quelque  marque  sensible 
de  sa  bienveillance,  auprès  de  ceux  qui  nous  persécutaient,  lorsque  je  lui 
disais  avec  de  tendres  soupirs  :  «  Fleur  du  Carmel,  Vigne  fleurie,  splendeur 
du  Ciel,  ô  Mère-Vierge  incomparable  !  ô  Mère  aimable  et  toujours  Vierge, 
donnez  aux  Carmes  des  privilèges  de  protection,  Astre  des  mers  M  »  la  bien- 
heureuse Vierge  m'apparut  en  grand  cortège,  et  tenant  en  main  l'habit  de 
l'Ordre,  elle  me  dit  :  «  Reçois,  mon  cher  fils,  ce  scapulaire  de  ton  Ordre, 
comme  le  signe  distinctif  et  la  marque  du  privilège  que  j'ai  obtenu  pour 
toi  et  les  enfants  du  Carmel  ;  c'est  un  signe  de  salut,  une  sauvegarde  dans 
les  périls  et  le  gage  d'une  paix  et  d'une  protection  spéciale  jusqu'à  la  fin 
des  siècles.  Ecce  Signum  salutis,  salus  in  periculis.  Celui  qui  mourra  revêtu 
de  cet  habit  sera  préservé  des  feux  éternels  ».  Et  comme  la  glorieuse  pré- 
sence de  la  Vierge  sainte  me  réjouissait  au-delà  de  tout  ce  qu'on  peut  se 
figurer,  et  que  je  ne  pouvais,  misérable  que  je  suis,  soutenir  la  vue  de  sa 
majesté,  elle  me  dit,  en  disparaissant,  que  je  n'avais  qu'à  envoyer  une  dé- 
putation  au  pape  Innocent,  le  vicaire  de  son  Fils,  et  qu'il  ne  manquerait 
pas  d'apporter  des  remèdes  à  nos  maux  ».  (16  juillet  1251.) 

Quelque  magnifique  que  fût  la  première  promesse,  ce  n'était  encore  là 
qu'une  partie  de  ce  que  saint  Simon  avait  demandé.  Pour  l'exaucer  pleine- 
ment, la  sainte  Vierge  fit  une  seconde  promesse  en  faveur  des  religieux 
Carmes,  et  des  confrères  du  Scapulaire,  et  ce  fut  cette  fois  au  pape  Jean  XXII. 
Ce  souverain  Pontife,  voyant  que  l'empereur  Louis  V  de  Bavière  travaillait 
de  longue  main  à  introduire  le  schisme  dans  ses  Etats,  en  fut  très-affligé  ;  il 
adressa,  avec  plus  de  ferveur  que  jamais,  des  prières  au  Seigneur,  pour 
qu'il  voulût  détourner  les  maux  dont  l'Eglise  était  menacée.  Un  jour, 

1.  Flos  Carmeli,  Vitis  frugifera, 
Splendor  Cœli,  Virgo  puerpera, 

Singularis  ; 
Mater  mitis,  ô  viri  nescia, 
Carmelitis  da  privilégia, 
Stella  maris  t 


SAINT  SIMON  DE  STOCK,  GÉNÉRAL  DES  CARMES.  593 

s'étant  levé  de  grand  matin  pour  faire  oraison,  selon  sa  coutume,  et  se 
trouvant  à  genoux  dans  une  sorte  d'extase,  la  Reine  des  cieux,  consolatrice 
des  affligés,  lui  apparut,  entourée  de  lumière,  portant  l'habit  des  Carmes, 
et  lui  ordonna  de  confirmer  l'Ordre  du  Carmel,  d'accepter  et  de  ratifier, 
sur  la  terre,  les  grâces  et  les  privilèges  que  son  Fils  lui  avait  accordés  dans 
le  ciel.  Le  Pape,  obéissant  aux  ordres  de  la  sainte  Vierge,  expédia,  le 
3  mars  1322,  la  bulle,  dite  Sabbatine,  aux  termes  de  laquelle  la  sainte 
Vierge  s'engage  à  délivrer  du  purgatoire  les  enfants  du  Carmel  le  samedi 
qui  suivra  leur  mort. 

Reprenons  notre  récit  :  L'apparition  de  la  sainte  Vierge  à  Simon  de 
Stock  fut  bientôt  publiée  partout  où  les  Carmes  étaient  déjà  établis.  Elle 
devint  authentique  par  une  foule  de  merveilles  qui  s'opérèrent  de  toute 
part,  et  ainsi  imposa  silence  aux  adversaires  du  Carmel.  Ils  commencèrent 
peu  à  peu  à  regarder  d'un  œil  plus  favorable  des  religieux  aussi  privilégiés  ; 
plusieurs  même,  dans  la  suite,  s'empressèrent  de  participer  à  cet  insigne 
privilège,  dont  Marie  avait  favorisé  son  Ordre. 

L'Ordre  des  Carmes  se  multiplia  si  prodigieusement  sous  la  conduite  de 
notre  saint,  que  peu  d'années  après  sa  mort,  vers  la  fin  du  xrne  siècle,  selon 
la  remarque  de  Guillaume,  archevêque  de  Tyr,  cet  Ordre  comptait  déjà 
jusqu'à  sept  mille  cinq  cents  monastères  ou  solitudes,  remplis  d'un  très- 
grand  nombre  de  religieux,  que  le  même  auteur  porte  au  nombre  de  cent 
quatre-vingt  mille . 

Ne  voulant  plus  vivre  que  pour  consommer  l'œuvre  de  Dieu  qui 
lui  a  été  confiée,  Simon  prend  la  généreuse  résolution  de  consacrer  le 
peu  de  forces  qui  lui  restent  à  faire  la  visite  générale  des  monastères  de 
son  Ordre,  désirant  voir  de  ses  propres  yeux,  avant  sa  mort,  les  merveilles 
que  Dieu  avait  opérées  en  faveur  du  Carmel.  L'Europe  vit  avec  admiration 
ce  saint  vieillard,  déjà  parvenu  à  une  extrême  vieillesse,  courbé  sous  le 
poids  des  années,  exténué  par  les  rigueurs  de  la  vie  la  plus  austère,  et  n'en 
diminuant  rien,  même  durant  le  cours  de  ses  voyages,  parcourir  avec  un 
courage  infatigable  les  monastères  de  son  Ordre.  Ce  fut  durant  le  cours 
de  cette  visite  générale ,  que  Simon  de  Stock  dota  grand  nombre  de 
villes  de  ferventes  communautés  de  Carmes,  telles  que  Bruxelles,  Liège, 
Malines,  Gand,  Utrecht,  Anvers,  en  Belgique  ;  Perth,  en  Ecosse  ;  Kildare,  en 
Irlande,  etc.  C'est  aussi  dans  ce  voyage  qu'il  établit  en  divers  endroits  (à 
Bordeaux  en  particulier)  la  Confrérie  du  Saint- Scapulaire.  Le  saint  général 
eut  cela  de  particulièrement  admirable,  qu'il  conserva  toute  sa  vigueur 
morale  jusqu'à  sa  bienheureuse  mort,  et  l'on  ne  se  doute  peut-être  pas  que 
les  œuvres  dont  nous  venons  de  parler,  sont  celles  d'un  homme  qui  avait 
dépassé  sa  quatre-vingt-dixième  année.  Simon  de  Stock  arriva  à  Bordeaux 
au  commencement  de  l'an  1265  ;  c'est  là  qu'il  termina  ses  visites  et  finit  ses 
jours  par  une  mort  précieuse  aux  yeux  de  Dieu,  en  prononçant  ces  paroles 
que  l'Eglise  a  ajoutées  à  la  Salutation  angélique  :  Sancta  Maria,  Mater  Dei, 
orapro  nobis  peccatoribus,  nunc  et  in  kora  mortis  nostrœ.  Amen,  —  se  mon- 
trant, par  cet  hommage,  jusqu'à  son  dernier  soupir,  un  digne  frère  et  enfant 
de  la  bienheureuse  Vierge  Marie.  (16  mai  1265.) 

Les  épisodes  suivants  de  la  vie  de  saint  Simon  ont  servi  de  thème  aux 
artistes  dans  les  représentations  qu'ils  en  ont  données  :  1°  La  nature,  docile 
aux  ordres  de  Simon,  renverse  ses  lois.  Pour  confondre  la  calomnie,  à  sa 
prière,  des  poissons  cuits,  qu'on  lui  présente  pour  surprendre  sa  frugalité, 
reprennent  la  vie  et  le  mouvement,  rendant  témoignage,  par  cette  merveille, 
à  l'esprit  de  pénitence  qui  anime  le  serviteur  de  Dieu.  2°  Afin  de  rendre 
Vies  des  Saints.  —  Tome  V.  38 


594  16  mai. 

gloire  à  Dieu  et  confondre  l'enfer,  et  comme  pour  glorifier  la  sainte  Eucha- 
ristie, il  fait  le  signe  de  la  croix  sur  l'eau,  qui,  par  un  artifice  diabolique, 
avait  été  substituée  au  vin  préparé  pour  le  saint  sacrifice  de  la  messe,  et 
aussitôt  l'eau  est  changée  en  vin.  3°  La  sainte  Vierge  lui  apparaît  et  lui  remet 
le  scapulaire  ;  près  de  lui  sont  des  âmes  du  purgatoire  au  milieu  des  flammes. 

RELIQUES  ET  CULTE  DE  SAINT  SIMON  DE  STOCK. 

Simon  de  Stock  fut  enterré,  selon  la  recommandation  expresse  qu'il  en  avait  faite,  à  la  porte 
de  l'église  du  couvent  des  Carmes  de  Bordeaux,  situé  dans  la  rue  et  près  les  anciens  fossés  de  ce 
nom.  Mais  Dieu,  pour  récompenser  l'humilité  de  son  serviteur,  rendit  aussitôt  son  tombeau  glorieux 
par  divers  prodiges,  et  en  particulier,  par  une  lumière  miraculeuse  que  l'on  vit,  durant  plusieurs 
jours,  rejaillir  de  ce  tombeau.  La  chambre  qu'avait  habitée  notre  Saint,  durant  son  séjour  à  Bor- 
deaux, fut  érigée  en  chapelle  l'année  suivante  ;  par  ordre  de  l'archevêque,  Pierre  de  Roncevaux, 
on  y  transporta  ses  précieuses  reliques,  avec  solennité,  et,  en  vertu  de  cette  cérémonie,  selon 
l'usage  du  temps,  sans  autre  formalité,  on  lui  déféra  les  honneurs  de  la  canonisation  ;  il  fui  per- 
mis, dès  lors,  de  l'honorer  d'un  culte  public,  dans  la  ville  de  Bordeaux  et  dans  toute  l'étendue  du 
diocèse. 

Vers  l'an  1276,  le  culte  de  saint  Simon  de  Stock  fut  confirmé  par  l'autorité  du  Saint-Siège. 
Depuis  la  mort  de  saint  Simon  de  Stock,  il  s'est  fait,  à  différentes  époques,  une  ample  distribu- 
tion de  ses  reliques  aux  diverses  églises  de  l'Ordre,  soit  en  France,  en  Espagne,  en  Allemagne, 
en  Flandre,  etc.  Le  R.  P.  Guillaume  Costallo,  prieur  des  Carmes  de  Bordeaux,  donna,  en  1423,  un, 
bras  de  saint  Simon  de  Stock  aux  Carmes  de  Gand;  mais,  dans  les  troubles  excités  par  les  héré- 
tiques, en  1578,  cette  précieuse  relique  disparut  avec  tous  les  autres  trésors  de  l'église.  A  la  même 
époque,  d'autres  reliques  du  Saint,  conservées  jusqu'alors  dans  les  églises  de  Cologne  et  de  Bruges, 
en  Flandre,  eurent  le  même  sort.  On  conservait  cependant  avec  vénération,  dans  l'église  des 
Carmes,  à  Valenciennes,  un  doigt  de  la  main  droite  de  saint  Simon  ;  cette  précieuse  relique,  échap- 
pée à  la  fureur  des  hérétiques,  a  été,  depuis  1506  jusqu'en  1578,  l'instrument  de  plusieurs  mi- 
racles, et  dans  ce  même  lieu,  on  bénissait  aussi  des  pains,  sous  l'invocation  de  saint  Simon  de 
Stock,  lesquels,  souvent,  ont  été  l'occasion  de  plusieurs  guérisons  miraculeuses. 

Jusqu'en  1595,  on  vit  fréquemment  des  pèlerinages  au  tombeau  de  saint  Simon  de  Stock,  sur- 
tout des  différentes  contrées  de  la  France  et  de  l'Espagne,  soit  pour  honorer  ses  reliques,  soit 
pour  implorer  le  secours  de  sa  puissante  protection  auprès  de  Dieu.  Parmi  ces  pèlerins,  il  s'est 
trouvé  quelquefois  des  hommes  d'un  grand  mérite,  remarquables  par  leur  piété  et  leur  doctrine  ; 
Dieu  aussi  a  souvent  exaucé  leurs  vœux  et  récompensé  leur  foi  par  des  guérisons  miraculeuses. 
Ces  pèlerinages  cessèrent  insensiblement  lorsqu'on  commença  à  distribuer  dans  les  différents  en- 
droits de  ces  deux  royaumes,  quelques  portions  de  ces  précieuses  reliques. 

Le  tombeau  de  Simon  de  Stoch  fut  ouvert  en  l'année  1595,  à  l'occasion  du  voyage  d'un  célèbre 
docteur  de  Salamanque,  religieux  Carme,  d'Espagne,  qui  était  venu  à  Bordeaux  visiter  les  reliques 
du  saint.  Il  demanda  aux  supérieurs  et  en  obtint  une  relique  très-précieuse  ;  savoir,  l'os  d'une 
jambe,  pour  l'église  du  couvent  des  Carmes  de  Salamanque,  et  une  des  côtes  pour  l'église  des 
Carmes  de  Valence  ;  ces  deux  reliques  ont  toujours  été  en  grande  vénération  en  Espagne.  En 
France,  l'église  du  couvent  des  Carmes  d'Orléans  fut  enrichie,  vers  le  même  temps,  d'une  des 
côtes  de  saint  Simon  de  Stock  ;  on  la  conservait  dans  un  précieux  reliquaire,  que  l'on  portait  pro- 
cessionnellement  tous  les  ans  dans  la  ville,  la  seconde  fête  de  la  Pentecôte.  En  1617,  les  reli- 
gieuses Carmélites  du  monastère  de  Paris  obtinrent  aussi  quelque  portion  des  reliques  de  notre 
Saint,  à  la  sollicitation  de  M.  Marc-Antoine  de  Gourgues,  premier  président  du  Parlement  de 
Bordeaux. 

Après  ces  distributions,  on  renferma  tout  ce  qui  restait  à  Bordeaux  du  corps  de  saint  Simon  de 
Stock  dans  une  châsse  en  bois  de  cyprès,  pour  la  placer  sur  l'autel,  dans  sa  chapelle. 

Aux  jours  néfastes  de  93,  des  personnes  sûres  cachèrent  les  vénérables  reliques,  «t  lorsque 
Mgr  d'Aviau  ordonna  que  la  confrérie  du  Saint-Scapulaire  serait  transférée  à  la  métropole  Saint- 
André  de  Bordeaux,  on  y  porta  les  ossements  du  Saint  religieux,  dont  l'authenticité  fut  soigneuse- 
ment constatée.  Puis,  le  même  prélat  obtint  de  Pie  VII,  en  1820,  que  la  fête  de  saint  Simon  de 
Stock,  déjà  autorisée  par  Nicolas  III  (1277-1280),  serait  élevée  au  rite  double  et  de  précepte  poui 
le  diocèse  de  Bordeaux. 

Nous  n'avons  pas  l'intention  de  raconter  ici  le  rétablissement  des  Carmes  en  France  ;  disons 
seulement  que  cinq  ans  après  leur  apparition  dans  la  ville  de  Bordeaux  (1846),  M.  l'abbé  Du- 
double,  archiprètre  de  la  Primatiale,  remit  au  R.  P.  Louis  de  Gonzague,  du  très-saint  Sacrement, 
ancien  Provincial  de  l'Ordre,  pour  le  Noviciat  du  couvent  des  Carmes,  une  relique  extraite  de  la 
châsse  de  saint  Simon  de  Stock.  Le  couvent  des  Carmes,  à  Londres,  possède  aujourd'hui  la  plus 


SAINT  JEAN  NÉPOMUCÈNE.  595 

grande  relique  qui  existe  de  saint  Simon  de  Stock,  un  os  du  tibia,  ce  qui  est  parfaitement  juste, 
puisque  cet  illustre  Carme  était  Anglais.  La  translation  de  cette  relique  eut  lieu  le  16  mai  1864, 
jour  de  la  fête  du  Saint,  patron  de  l'église  et  du  couvent.  Le  cardinal-archevêque  de  Westminster 
présida  en  personne  la  cérémonie. 

Voir  sa  Vie,  écrite  peu  de  temps  après  sa  mort.  Voir  Stevens,  Monast.  Anglic.,  t.  n,  p.  159,  160; 
Léland,  de  Script.  Brit.,  t.  n,  p.  227;  Papebroch,  t.  m,  maii,  p.  553  ;  Newcourt,  Repertor.,  vol.  ier,  p.  566  ; 
Weaver,  p.  139  ;  Fuller,  1.  vi,  p.  271;  Dugdale,  sous  le  comté  de  Warwich,  p.  186,  éd.  1730  ;  le  Père 
Cosme  de  Villiers  de  Saint-Philippe,  Bibl.  Carrn.,  t.  il,  p.  740,  et  la  Vie  récente  du  Saint,  par  Alfred  de 
Monbrun,  in-12,  Condom,  1870. 


SAINT  JEAN  NEPOMUCENE 


1330-1383.  —  Papes  :  Jean  XXII;  Clément  VIL  —  Souverains  de  Bohême  :  Jean;  Wenceslas  VI. 
—  Rois  de  Erance  :  Philippe  VI  de  Valois;  Charles  VI. 


Qux  per  confessionem  scio,  minus  seio   quant  qux 
nestio. 

Ce  que  je  connais  par  la  confession,  je  le  connais 
moins  que  ce  que  je  ne  connais  pas. 

Saint  Augustin,  Serm.  x. 

Jean  Népomucène  fut  à  la  fois  fervent  anachorète,  apôtre  zélé  et  martyr 
de  Jésus-Christ.  Ce  dernier  titre  lui  est  d'autant  plus  glorieux,  que  le  se- 
cret de  la  confession,  auquel  il  en  fut  redevable,  n'ayant  jamais  excité  la 
fureur  des  tyrans,  n'avait  point  encore  eu  de  victimes.  Le  village  de  Népo- 
muck,  en  Bohême,  se  glorifie  de  l'avoir  vu  naître  en  1330  et  de  lui  avoir 
donné  son  nom.  Ses  parents  n'étaient  point  illustres  par  la  naissance,  mais 
on  voyait  briller  en  eux  toutes  les  vertus  dont  l'éclat  lui  est  préférable.  Sa 
mère,  déjà  avancée  en  âge,  ne  l'avait  obtenu  de  Dieu  que  par  l'intercession 
de  la  sainte  Vierge,  en  qui  elle  avait  une  grande  confiance.  Lorsqu'il  vint  au 
monde,  des  flammes  merveilleuses  s'allumèrent  au-dessus  de  son  berceau, 
présage  de  la  lumière  de  grâce  qui  brillerait  en  lui  dans  ce  monde,  et  de  la 
lumière  de  gloire  qui  l'attendait  dans  l'autre.  A  peine  eut-il  vu  le  jour, 
qu'on  désespéra  de  sa  vie;  mais  il  fut  arraché  des  bras  de  la  mort  par  la 
protection  de  la  Mère  de  Dieu,  que  ses  parents  implorèrent  encore  dans 
l'église  d'un  monastère  de  Cîteaux  qui  était  dans  le  voisinage.  Pénétrés 
d'une  vive  reconnaissance,  ils  consacrèrent  leur  fils  à  Dieu,  à  qui  ils  le  de- 
vaient deux  fois,  et  n'épargnèrent  rien,  malgré  leur  pauvreté,  pour  lui  don- 
ner une  excellente  éducation.  Jamais  enfant  ne  fit  concevoir  de  plus  belles 
espérances  :  il  joignait  à  beaucoup  d'esprit  et  d'application  un  grand  fonds 
de  douceur,  de  docilité,  de  candeur  et  de  piété;  tous  les  matins,  il  allait 
entendre  plusieurs  messes  dans  l'église  des  Cisterciens,  et  tous  ceux  qui  l'y 
voyaient  ne  pouvaient  s'empêcher  d'admirer  sa  modestie  et  sa  ferveur.  Lors- 
qu'il eut  appris  les  premiers  éléments  des  lettres  dans  la  maison  paternelle, 
on  l'envoya  étudier  la  langue  latine  à  Staab,  ville  considérable  du  pays.  H 
fit  ses  humanités  et  surtout  sa  rhétorique,  avec  la  plus  grande  distinction; 
il  acheva  ses  études  à  Prague,  où  il  devint  docteur  en  théologie  et  en  droit 
canon.  Il  y  reçut  une  dignité  bien  plus  précieuse,  qui  fut  celle  du  sacer- 
doce, à  laquelle  il  s'était  préparé  depuis  l'âge  de  raison  par  une  vie  pure, 
recueillie  et  pénitente,  Il  ne  se  présenta  à  son  évêque,  pour  recevoir  l'onc- 
tion sacerdotale,  qu'après  avoir  passé  un  mois  dans  la  retraite  et  purifié  son 


596  16  mai. 

âme  par  le  jeûne,  la  prière  et  la  mortification.  On  lui  ordonna  aussitôt  de 
faire  valoir  le  rare  talent  qu'il  avait  reçu  pour  la  prédication  :  son  évoque 
lui  confia  la  chaire  de  la  paroisse  de  Notre-Dame  de  Tein.  Les  premiers  tra- 
vaux de  son  zèle  produisirent  des  fruits  admirables.  Toute  la  ville  s'em- 
pressait d'aller  l'entendre  annoncer  la  parole  de  Dieu,  et  l'on  y  vit,  en  peu 
de  temps,  une  réforme  générale.  Les  étudiants,  alors  au  nombre  de  quatre 
mille,  couraient  aussi  en  foule  à  ses  sermons;  les  plus  libertins  ne  pouvaient 
l'écouter  sans  être  touchés,  et  ils  s'en  retournaient  chez  eux  pénétrés  des 
sentiments  d'une  vive  componction.  L'archevêque  et  le  Chapitre  de  Prague, 
voulant  s'attacher  un  homme  si  rempli  de  l'esprit  de  Dieu,  lui  donnèrent 
un  canonicat  qui  vint  à  vaquer,  et  notre  Saint,  tout  en  se  montrant  très- 
exact  à  assister  au  service,  trouva  encore  du  temps  pour  travailler  au  salut 
des  âmes,  en  exerçant  ses  premières  fonctions. 

Wenceslas,  fils  et  successeur  de  Charles  IV,  faisant  sa  résidence  à  Prague, 
entendit  parler  avec  éloge  du  serviteur  de  Dieu  ;  il  désira  le  connaître  et  le 
nomma  pour  prêcher  l'Avent  à  la  cour.  Bien  que  cette  commission  fût  dif- 
ficile et  périlleuse,  auprès  d'un  jeune  prince,  enivré  du  pouvoir  suprême, 
livré  aux  passions  les  plus  honteuses,  corrompu  parla  flatterie,  et  qui  porta 
depuis  le  surnom  de  fainéant  et  d'ivrogne,  Jean  accepta;  et  son  zèle  eut  tant 
de  succès,  que  Wenceslas  arrêta  un  instant  le  cours  de  ses  inclinations  dé- 
réglées, et,  pour  marquer  son  estime,  il  lui  offrit  l'évêché  du  Leitmeritz, 
qui  venait  d'être  vacant;  mais  il  ne  fut  pas  possible  de  le  lui  faire  accepter. 
Comme  on  s'imagina  que  son  refus  était  peut-être  fondé  sur  les  dangers  et 
les  travaux  inséparables  de  l'épiscopat,  on  lui  offrit  la  prévôté  de  Wische- 
radt,  qui,  après  les  évêchés,  était  la  première  dignité  ecclésiastique  de  la 
Bohême,  un  revenu  de  cent  mille  francs  y  étant  attaché  avec  le  titre  hono- 
rable de  chancelier-né  du  royaume.  Mais  ce  n'est  guère  connaître  les  Saints 
que  de  leur  faire  des  offres  semblables;  s'ils  refusent  les  grandes  places,  lors 
même  qu'elles  présentent  des  travaux  à  leur  zèle  et  des  croix  à  leur  vertu, 
que  doivent-ils  penser  de  celles  qui,  pour  tout  attrait,  ne  leur  montrent 
que  des  trésors  à  recueillir  et  des  honneurs  à  recevoir  ?  Ce  vertueux  cha- 
noine fut  aussi  inébranlable  dans  cette  occasion  qu'il  l'avait  été  dans  la 
précédente.  Si,  dans  la  suite,  il  accepta  la  place  d'aumônier  de  l'empereur, 
il  ne  le  fit  que  pour  se  mettre  à  portée  d'instruire  la  cour  avec  plus  d'auto- 
rité et  conséquemment  avec  plus  de  fruit  :  il  se  voyait  aussi,  par  là,  mieux 
en  état  de  satisfaire  sa  tendresse  pour  les  pauvres.  Cette  place,  d'ailleurs, 
ne  l'exposait  point  aux  distractions,  et  elle  ne  lui  offrait  ni  ces  richesses,  ni 
ces  honneurs  qui  l'avaient  si  fort  effrayé  dans  les  prélatures;  ainsi  ce  fut 
l'humilité  qui  le  fixa  à  la  cour,  où  l'ambition  conduit  presque  tous  les 
hommes.  Il  y  eut  la  même  compagnie  qu'il  savait  avoir  partout  :  Notre- 
Seigneur  et  les  pauvres.  Son  appartement  devint  bientôt  leur  rendez-vous, 
et  lui-même  leur  avocat  et  leur  père.  La  paix  et  la  charité  débordaient  de 
son  cœur,  et  lui  faisaient  concilier  les  différends  qui  s'élevaient  à  la  cour  et 
dans  la  ville,  assoupir  les  querelles,  arrêter  les  procès,  de  quoi  nous  avons 
encore  des  monuments  authentiques.  Si  l'on  s'étonne  qu'il  pût  trouver  du 
temps  pour  toutes  ces  œuvres,  qu'on  se  rappelle  que  les  Saints,  s'oubliant 
eux-mêmes,  ont  beaucoup  plus  de  temps  à  consacrer  aux  intérêts  du 
prochain. 

Mais  il  est  temps  d'arriver  à  ce  qui  fera  surtout,  la  gloire  immortelle  de 
Dotre  Saint.  L'impératrice  Jeanne,  fille  d'Albert  de  Bavière  et  femme  de 
Wenceslas,  laquelle  était  une  princesse  ornée  de  toutes  les  vertus,  touchée 
de  l'onction  qui  accompagnait  les  discours  de  Jean  Népomucène,  le  choisit 


SAINT  JEAN   NÉPOMUCÈNE.  597 

pour  le  directeur  de  sa  conscience.  Le  ciel,  pour  sanctifier  cette  vertueuse 
femme,  en  la  détachant  de  tout  ce  qui  pouvait  partager  son  cœur,  permit 
que  son  mari,  qui  l'aimait  avec  passion,  devînt  jaloux,  soupçonneux,  et 
usât  envers  elle  de  toutes  sortes  de  brutalités;  elle  avait  donc  grand  besoin 
de  notre  Saint  pour  la  consoler  et  la  conduire.  Toutes  les  personnes  ver- 
tueuses de  la  cour,  suivant  cet  exemple,  se  mirent  sous  la  conduite  d'un 
homme  si  versé  dans  les  voies  intérieures.  On  admirait  en  lui  le  talent  de 
former  des  Saints  sur  le  trône,  des  heureux  dans  les  souffrances,  et  de  faire 
aimer  la  vertu  au  milieu  du  grand  monde,  où  on  la  méconnaît  si  souvent 
comme  étrangère.  On  l'obligea  encore  de  diriger  les  religieuses  du  château 
de  Prague,  et  il  les  conduisit  si  bien  dans  les  exercices  de  la  vie  spirituelle, 
que  leur  maison  devint  un  modèle  de  la  perfection  ascétique. 

Mais  les  conseils  de  notre  Saint  portèrent  surtout  un  grand  fruit  dans  la 
personne  de  l'impératrice  :  elle  n'habitait  presque  plus  que  les  églises,  où 
elle  se  tenait  à  genoux  et  dans  un  recueillement  qui  faisait  l'admiration  de 
tout  le  monde.  Ses  prières  n'étaient  interrompues  que  par  le  temps  qu'elle 
employait  au  soulagement  des  pauvres,  et  elle  tenait  à  honneur  de  les  ser- 
vir de  ses  propres  mains.  Ses  entretiens  avec  les  dames  de  la  cour,  qui 
étaient  le  seul  relâchement  qu'elle  se  permît,  ne  roulaient  que  sur  les  véri- 
tés éternelles,  et  elle  y  versait  une  onction  qui  ne  pouvait  venir  que  d'une 
âme  toute  remplie  de  l'amour  de  Dieu.  Elle  entretenait  ce  feu  sacré  par  la 
fréquentation  des  sacrements,  par  de  grandes  austérités  et  des  mortifica- 
tions de  tout  genre. 

La  crainte  de  déplaire  à  son  bien-aimé  Jésus  lui  faisait  fuir  jusqu'à 
l'ombre  du  péché,  et,  s'il  lui  échappait  de  ces  fautes  dont  les  plus  saints  ne 
sont  pas  exempts,  elle  lavait  bien  vite,  dans  les  eaux  de  la  pénitence,  une 
tache  qui  aurait  pu  diminuer  les  délices  que  l'Epoux  céleste  trouve  dans 
les  âmes  toutes  pures.  Jamais  elle  ne  sortait  de  cette  piscine  sacrée,  que  le 
cœur  brisé  de  componction  et  les  yeux  baignés  de  larmes;  aussi  elle  pleu- 
rait, comme  ses  propres  péchés,  les  égarements  de  l'empereur;  elle  deman- 
dait à  Dieu  de  le  ramener  à  lui;  elle  essaya  elle-même  de  le  gagner  par 
toutes  les  marques  de  tendresse  et  de  soumission  :  ce  cruel  n'y  répondit 
que  par  les  soupçons  les  plus  outrageants  ;  il  faisait  épier  ses  actions  les 
plus  saintes  pour  y  découvrir  quelques  apparences  coupables.  Enfin,  le  dé- 
mon qui  l'obsédait  le  poursuivant  sans  cesse,  il  forma  le  projet,  aussi  nou- 
veau qu'extravagant,  de  se  faire  révéler  par  Jean  Népomucène  tout  ce  que 
l'impératrice  lui  avait  dit  dans  le  tribunal  de  la  confession.  Il  lui  fit  d'abord 
des  questions  indiscrètes,  puis  levant  le  masque,  il  s'expliqua  plus  claire- 
ment. Notre  Saint,  saisi  d'horreur,  lui  représenta  de  la  manière  la  plus  res- 
pectueuse combien  un  tel  projet  choquait  le  bon  sens  et  blessait  la  religion  ; 
mais  ce  méchant  prince,  accoutumé  à  voir  tous  ses  caprices  respectés 
comme  des  lois,  fut  outré  de  cette  résistance,  à  laquelle  il  devait  cependant 
s'attendre;  toutefois,  dissimulant  son  ressentiment,  il  congédia  le  Saint 
avec  un  morne  silence  qui  ne  lui  permit  pas  de  douter  que  sa  perte  ne  fût 
résolue. 

Quelque  temps  après,  on  servit  sur  la  table  du  prince  un  rôti  qui  était 
manqué  :  par  un  trait  digne  des  Caligula  et  des  Héliogabale,  il  ordonne  de 
mettre  à  la  broche  le  malheureux  cuisinier  et  de  le  faire  rôtir  à  petit  feu. 
Les  courtisans  pâlissent  d'horreur;  mais  comme  ils  connaissent  leur  maître, 
ils  gardent  un  honteux  silence.  Notre  Saint,  en  étant  informé,  accourt 
comme  un  nouveau  Jean-Baptiste  pour  arrêter  le  crime  de  cet  autre  Hérode, 
qui,  pour  toute  réponse,  le  fait  saisir  et  jeter  dans  un  cachot,  où  il  le  laissa 


S98  16  mai. 

quelques  jours,  sans  permettre  qu'on  lui  donne  de  la  nourriture.  Mais  la 
faim  fut  aussi  impuissante  sur  le  courage  du  serviteur  de  Dieu  que  les  pro- 
messes :  on  eut  beau  lui  dire  qu'il  ne  recouvrerait  sa  liberté  qu'en  décla- 
rant ce  qu'il  savait  de  l'impératrice  ;  il  se  montra  toujours  prêt  à  préférer 
mille  morts  à  ce  sacrilège.  Cependant,  au  bout  de  quelques  jours,  l'empe- 
reur le  fit  élargir,  le  pria  d'oublier  le  passé  et  l'invita  même  à  venir  dîner 
le  lendemain  avec  lui,  comme  témoignage  public  de  son  estime  et  de  son 
amitié.  Jean  s'étant  donc  rendu  le  lendemain  au  palais,  y  fut  très-bien  reçu, 
et,  après  le  repas,  Wenceslas  ayant  congédié  tout  le  monde,  le  retint  tout 
seul  :  il  s'entretint  d'abord  avec  lui  de  choses  indifférentes  ;  il  s'ouvrit  en- 
suite et  employa  tous  les  moyens  possibles  pour  l'engager  à  découvrir  la 
confession  de  l'impératrice  :  «  Vous  pouvez  »,  lui  disait-il,  «  compter  sur 
un  secret  inviolable  ;  si  vous  déférez  à  mon  désir,  je  vous  comblerai  de 
richesses  et  d'honneurs;  mais  si  vous  vous  y  refusez,  vous  devez  vous  attendre 
à  tout,  même  à  la  mort  ».  —  «  Je  n'y  consentirai  jamais  »,  répondit  le  saint 
Martyr  ;  «  et  vous-même,  sire,  souvenez-vous  que  vous  empiétez  sur  les 
droits  de  Dieu,  à  qui  seul  appartient  le  discernement  des  consciences.  En 
toute  autre  chose,  commandez,  je  vous  obéirai  ;  mais  en  ceci,  j'ose  dire  à 
Votre  Majesté  ce  que  répondit  saint  Pierre  aux  princes  des  prêtres  :  «  Il 
vaut  mieux  obéir  à  Dieu  qu'aux  hommes  ». 

L'empereur,  voyant  l'inutilité  de  tous  les  ressorts  qu'il  avait  fait  jouer, 
ne  contient  plus  les  élans  de  sa  fureur  :  il  ordonne  que  le  Saint  soit  recon- 
duit en  prison  et  qu'on  l'y  traite  avec  la  dernière  inhumanité.  Les  bourreaux 
retendent  sur  une  espèce  de  chevalet  ;  ils  lui  appliquent  des  torches  ardentes 
aux  côtés  et  aux  parties  du  corps  les  plus  sensibles  ;  ils  le  brûlent  à  petit 
feu  et  le  tourmentent  avec  la  plus  horrible  barbarie.  Au  milieu  de  ce  sup- 
plice, Jean  Népomucène  ne  prononce  d'autres  paroles  que  les  noms  sacrés 
de  Jésus  et  de  Marie,  les  armes  avec  lesquelles  le  chrétien  est  toujours  vain- 
queur dans  les  luttes  les  plus  pénibles.  A  la  fin,  on  le  retira  de  dessus  le 
chevalet ,  mais  il  était  presque  expirant.  Le  Seigneur,  qui  n'abandonne 
jamais  ses  enfants  lorsqu'ils  souffrent  pour  sa  gloire,  visita  son  bien-aimé 
Martyr  dans  la  prison  et  remplit  son  âme  des  plus  douces  consolations. 

Cependant  l'impératrice,  informée  de  ce  qui  se  passait,  alla  se  jeter  aux 
pieds  de  Wenceslas,  qu'elle  parvint  à  fléchir  par  ses  larmes  et  ses  prières  ; 
elle  obtint  l'élargissement  de  son  pieux  directeur.  Il  reparut  à  la  cour  en  Saint 
persécuté,  nous  voulons  dire  avec  cette  sérénité  et  cet  air  de  contentement 
qui  montraient  que  ses  souffrances  lui  semblaient  une  faveur  du  ciel  ;  mais, 
prévoyant  bien  que  le  calme  ne  serait  pas  de  longue  durée,  et,  ayant  su  par 
révélation  qu'il  mourrait  bientôt,  il  se  prépara  à  recevoir  la  couronne  du 
martyre.  Il  recommença  à  prêcher  avec  plus  de  zèle  que  jamais,  pour  que 
les  derniers  instants  de  sa  vie  se  consumassent  en  holocauste  pour  la 
gloire  de  Dieu,  dans  le  feu  de  l'amour  céleste.  Ayant  un  jour  pris  pour  texte 
de  son  discours  ces  paroles  :  a  Encore  un  peu  de  temps  et  vous  ne  me  ver- 
rez plus  »,  il  répéta  si  souvent  ces  autres  paroles  :  «  Je  n'ai  plus  guère  de 
temps  à  m'entretenir  avec  vous»,  que  l'auditoire  comprit  aisément  que 
son  but  était  de  leur  apprendre  qu'il  touchait  à  sa  dernière  heure  ;  il  ajouta 
même,  dit  son  historien  :  «  Je  finis  ma  carrière,  ma  fin  approche,  je  mourrai 
pour  les  lois  de  Jésus-Christ  et  de  son  Eglise  ».  Puis,  jetant  un  regard  plein 
de  larmes  dans  l'avenir,  que  Dieu  lui  découvrit,  il  prédit,  en  sanglotant, 
les  maux  que  l'enfer  vomirait  sur  la  Bohême  avec  l'hérésie  :  les  autels  pro- 
fanés, le  sanctuaire  anéanti,  l'usage  des  sacrements  aboli,  les  conseils  évan- 
géliques  méprisés,  les  monastères  réduits  en  cendres,  les  religieux  égorgés, 


SAINT  JEAN  NÉPOMUCÈNE.  599 

les  loups  entrant  dans  la  bergerie  pour  dévorer  le  troupeau  de  Jésus-Christ, 
les  lois  divines  et  humaines  foulées  aux  pieds. 

Trente  ans  après,  ces  paroles  ne  furent  que  trop  accomplies  ;  Jean  Huss 
et  ses  sectateurs  infectèrent  du  poison  de  leur  hérésie  les  sources  de  la  doc- 
trine et  de  la  morale,  les  sources  du  bonheur  ;  les  païens,  faisant  irruption 
dans  l'Europe,  poussèrent  leur  fureur  jusqu'à  Prague  ;  enfin,  plus  tard,  la 
face  de  l'Allemagne  fut  changée  par  Luther  ;  jamais  l'enfer  n'avait  répandu 
plus  de  ténèbres  que  par  sa  bouche.  Notre  Saint,  avant  de  descendre  de 
chaire,  dit  un  dernier  adieu  à  son  auditoire;  il  demanda  pardon  aux  cha- 
noines et  aux  clercs  de  tous  les  mauvais  exemples  qu'il  pouvait  leur  avoir 
donnés.  A  partir  de  ce  jour,  il  ne  songea  plus  qu'à  obtenir  la  grâce  d'une 
bonne  mort  ;  persuadé  que  cette  grâce-là,  surtout,  s'obtient  par  Marie,  qui 
est  le  canal  de  toutes  les  grâces,  il  alla  à  Bruntzel  visiter  la  célèbre  image 
de  cette  divine  Mère,  que  saint  Cyrille  et  saint  Méthode  avaient  apportée 
avec  la  foi  chrétienne  en  Bohême  ;  il  lui  demanda  qu'ayant  obtenu  de  Dieu 
sa  naissance,  ayant  veillé  sur  son  berceau,  et  l'ayant  conduit  comme  par  la 
main  dans  les  sentiers  si  difficiles  de  sa  vie  mortelle,  elle  voulût  bien  le  sou- 
tenir encore  à  cette  heure,  l'aider  à  traverser  la  mort  et  l'emmener  avec 
elle  dans  le  sein  de  Jésus,  son  Sauveur,  son  amour,  sa  félicité  immortelle. 

Comme  il  rentrait  dans  Prague,  sur  le  soir,  le  cruel  empereur,  qui  était 
à  sa  fenêtre,  aperçut  cette  sainte  victime,  et,  le  feu  de  la  jalousie  se  rallu- 
mant dans  son  âme,  il  le  fit  amener  devant  lui.  Sans  lui  donner  le  temps 
de  se  reconnaître,  il  lui  dit  brusquement  qu'il  n'avait  qu'à  opter  entre  mou- 
rir ou  révéler  les  confessions  de  l'impératrice.  Le  Saint  regarda  son  bour- 
reau avec  un  visage  calme  et  sévère,  sans  daigner  lui  répondre,  attendant 
avec  intrépidité  la  couronne  qu'on  lui  préparait. 

"Wenceslas,  outré  de  dépit,  et  ne  gardant  plus  de  mesure,  s'écria  :  «  Qu'on 
m'ôte  cet  homme  de  devant  les  yeux  et  qu'on  le  jette  dans  la  rivière  aussitôt 
que  les  ténèbres  seront  assez  épaisses  pour  dérober  au  peuple  la  connais- 
sance de  l'exécution  ».  Le  saint  Martyr  employa  le  peu  d'heures  qui  lui 
restaient  à  se  préparer  à  son  sacrifice.  On  le  précipita,  pieds  et  mains  liés, 
dans  la  Moldaw,  de  dessus  le  pont  qui  joint  la  grande  et  la  petite  Prague. 
Ce  pont  existe  toujours  :  on  ne  le  traverse  qu'avec  grande  vénération,  et 
les  habitants  de  Prague  conservent  encore  aujourd'hui  la  pieuse  coutume 
de  se  découvrir  devant  le  lieu  où  fut  consommé  le  glorieux  martyre,  la 
veille  de  l'Ascension,  qui  était  le  16  mai  de  l'année  4383.  Aussitôt,  des  feux 
parurent  sur  la  rivière  ;  on  voyait  une  infinité  d'étoiles,  d'une  clarté  mer- 
veilleuse, surgir  comme  du  milieu  des  flots,  reflets  de  la  gloire  dont  l'âme 
de  notre  Saint  brillait  dans  le  ciel.  Cependant,  son  corps  sacré  descendait 
doucement  le  cours  de  l'eau,  accompagné  de  nouvelles  clartés  encore  plus 
étonnantes  ;  il  semblait  que  des  flambeaux  lumineux  le  suivissent  et  le  pré- 
cédassent, rangés  dans  un  ordre  admirable,  comme  dans  une  pompe  funèbre. 
Toute  la  ville  accourut  pour  être  témoin  de  ce  prodige  ;  l'impératrice  s'em- 
pressa d'aller  demander  à  Wenceslas  ce  que  cela  signifiait  :  le  prince,  frappé 
de  terreur,  ne  sut  que  répondre  ;  il  alla  cacher  sa  honte  dans  une  cam- 
pagne, avec  défense  à  qui  que  ce  fût  de  l'y  suivre  ;  il  lui  semblait  avoir  sans 
cesse  devant  les  yeux  le  corps  de  sa  victime,  éclairé  par  les  feux  du  ciel. 
Quelques  années  après,  la  colère  divine  s'appesantit  sur  lui;  il  fut  privé 
du  trône  et  de  la  couronne  impériale,  et  mourut  d'apoplexie  au  milieu  de 
ses  désordres,  sans  avoir  eu  le  temps  de  rentrer  en  grâce  avec  Dieu.  L'im- 
pératrice, inconsolable  d'un  crime  dont  elle  était  la  cause  involontaire, 
pleura  le  Saint  jusqu'à  sa  mort,  qui  arriva  en  1387. 


000  46  MAI. 

Cependant,  on  avait  recueilli  les  précieux  restes  que  les  eaux  avaient  ap- 
portés respectueusement  sur  la  plage;  ils  furent  d'abord  déposés  dans 
l'église  Sainte-Croix  des  religieux  de  la  Pénitence,  puis  transportés  en 
grande  pompe  à  la  cathédrale,  au  milieu  d'un  concours  prodigieux.  On  fut 
obligé  de  rouvrir  le  cercueil,  pour  satisfaire  à  la  pieuse  tendresse  du  peuple, 
qui  voulait  contempler  une  dernière  fois  les  traits  du  Martyr.  Plusieurs 
malades,  dont  la  guérison  était  désespérée,  recouvrèrent  la  santé  par  son 
intercession  ;  tous  ceux  qui  se  recommandèrent  à  lui  avec  foi  obtinrent  la 
faveur  qu'ils  demandaient.  Une  odeur  admirable,  qui  sortait  du  cercueil, 
faisait  assez  voir  la  sainteté  du  précieux  dépôt  qu'il  renfermait  :  quand  on 
ouvrit  la  terre  pour  lui  confier  ce  trésor  céleste,  elle  offrit  elle-même  un 
trésor  en  échange,  comme  si  le  ciel,  qui  avait  commencé  les  funérailles 
de  son  nouvel  habitant,  eût  voulu  en  faire  la  dépense  jusqu'au  bout.  On 
grava  sur  son  tombeau  cette  épitaphe,  qui  s'y  lit  encore  aujourd'hui  : 

Ici  est  enseveli  le  très-vénérable  Jean  Népomucène,  docteur,  chanoine  de  cette 
église,  confesseur  de  la  reine,  illustre  en  miracles,  qui,  pour  avoir  gardé  le  sceau 
sacré  de  la  confession,  fut  cruellement  tourmenté  et  précipité  du  pont  de  Prague 
dans  la  rivière  de  Moldaw,  par  les  ordres  de  Wenceslas  IV,  l'an  1383. 

Il  serait  trop  long  de  raconter  tous  les  miracles  dont  Dieu  s'est  plu  à 
honorer  la  mémoire  de  son  serviteur.  Nous  n'en  citerons  que  quelques-uns  : 
Une  femme,  appelée  Catherine  Frolenta,  étant  tombée,  la  nuit,  dans  un 
puits  très-profond,  se  sentit  soulevée  hors  de  l'eau  jusqu'à  la  poitrine,  par 
notre  Saint,  qu'elle  invoqua,  et  vit  le  bord  du  puits  tout  illuminé  ;  à  la  fa- 
veur de  cette  lumière,  elle  aperçut  une  poutre  qui  lui  servit  d'appui,  jus- 
qu'à ce  que  ses  cris  la  fissent  délivrer.  Voici  un  autre  prodige  non  moins 
admirable  :  une  dame  d'un  rang  distingué,  condamnée  injustement  dans 
un  procès,  se  fait  écrire  un  mémoire  pour  l'empereur  Léopold,  et,  avant 
de  l'envoyer  à  Vienne,  elle  le  place  sur  l'autel  de  saint  Jean  Népomucène, 
en  l'honneur  duquel  elle  faisait  célébrer  une  messe.  Mais,  au  moment  de  le 
reprendre,  elle  s'aperçoit  qu'il  a  disparu.  Quatre  jours  après,  elle  met  un 
second  billet  sur  l'autel,  et  lorsqu'elle  vint  le  reprendre,  elle  trouva  le  pre- 
mier signé  de  la  main  propre  et  muni  du  sceau  de  Sa  Majesté  impériale, 
qui  ordonnait  qu'on  rendît  justice  à  la  suppliante  et  que  toutes  les  pièces 
du  procès  fussent  aussi  envoyées  à  Vienne.  Les  juges  qu'elle  alla  trouver, 
ne  croyant  pas  possible  qu'on  pût  aller  à  Vienne  et  en  revenir  en  si  peu  de 
temps,  prirent  des  informations,  et  ils  apprirent  que  le  billet  avait  été  pré- 
senté et  la  cause  de  la  dame  plaidée  à  Vienne  devant  l'empereur  par  un 
vénérable  ecclésiastique,  qui  n'était  autre  que  saint  Jean  Népomucène.  Les 
plus  illustres  familles  d'Allemagne  furent  redevables  à  notre  Saint  d'une 
foule  de  grâces  :  par  son  intercession  un  incendie  fut  éteint  dans  le  châ- 
teau du  comte  Wratislaw  ;  par  son  intercession  Charles  d'Althan,  arche- 
vêque de  Bari,  fut  préservé  de  tout  mal  dans  l'écroulement  d'un  balcon  du 
palais  Colonna  ;  le  cardinal  Frédéric  d'Althan,  vice-roi  de  Naples,  lui  fut 
redevable  de  sa  guérison. 

Les  empereurs  d'Allemagne,  de  la  maison  d'Autriche,  le  regardaient 
comme  leur  protecteur;  Ferdinand  Ier  n'entrait  jamais  dans  la  métropole 
sans  s'agenouiller  devant  son  tombeau  et  sans  y  prier  avec  ferveur.  Cette 
illustre  maison  se  montra  longtemps  reconnaissante  à  son  saint  Patron  de 
la  victoire  qu'il  lui  obtint,  en  1620,  sous  les  murs  de  Prague,  victoire  qui 
lui  fit  recouvrer  le  royaume  de  Bohême.  La  nuit  qui  précéda  la  bataille, 
saint  Jean  Népomucène  et  les  autres  patrons  du  pays  apparurent  dans  la 
cathédrale  tout  rayonnants  de  lumière  ;  l'armée  impériale,  soutenue  par 


SAINT  JEAN  NÉPOMUCÈNE.  601 

cet  heureux  présage  et  par  la  protection  du  saint  Martyr,  gagna  la  bataille 
et  reconquit  la  Bohême.  En  reconnaissance,  les  princes  de  la  maison  d'Au- 
triche obtinrent  enfin  la  canonisation  de  saint  Jean  Népomucène  :  Benoît  XIII 
en  publia  la  Bulle  en  1729. 

Le  tombeau,  qui  couvrait  des  restes  si  précieux,  fut  sauvé,  par  une  pro- 
tection spéciale  de  la  Providence,  des  profanations  des  Hussites;  il  le  fut 
encore,  en  1618,  de  celles  des  Luthériens,  qui  se  sont  toujours  attaqués  aux 
Saints  comme  à  leurs  plus  grands  ennemis.  Ayant  entrepris  de  le  démolir, 
ils  ne  purent  jamais  exécuter  leur  dessein  sacrilège  ;  il  y  en  eut  même 
plusieurs  qui  moururent  subitement  sur  la  place,  entre  autres  un  gen- 
tilhomme anglais.  On  ouvrit  ce  tombeau  en  1719  ;  le  saint  corps  était 
dégarni  de  ses  chairs  ;  mais  les  os  étaient  encore  entiers  et  parfaitement 
joints  les  uns  aux  autres  ;  sa  langue,  que  Dieu  voulut  honorer  particulière- 
ment pour  avoir  si  fidèlement  gardé  le  sceau  de  la  confession,  se  trouva 
sans  aucune  corruption,  aussi  fraîche,  aussi  vermeille,  aussi  souple  que  la 
langue  d'un  homme  vivant.  On  la  vénère  encore  dans  le  même  état  aujour- 
d'hui, renfermée  dans  un  riche  reliquaire.  Elle  est  comme  un  monument 
du  soin  particulier  que  Dieu  a  toujours  pris  d'empêcher  que  les  confesseurs 
ne  révèlent  les  secrets  du  saint  tribunal  ;  il  le  permet  ainsi  afin  que  les 
pécheurs  ne  soient  pas  détournés  et  privés  de  l'unique  espérance  de  salut 
qui  leur  reste  ;  car  nous  ne  serions  plus  tenus  d'accuser  nos  péchés  si  nous 
n'étions  moralement  sûrs  que  celui  à  qui  nous  les  accusons  ne  les  révélera 
pas.  Que  les  ministres  du  sacrement  de  Pénitence  prennent  donc  pour  eux 
cette  maxime  d'un  Père  :  «  Ce  que  je  sais  par  la  confession,  je  le  sais  moins 
que  ce  que  je  ne  sais  point  du  tout  '  ». 

La  vénération  de  ses  compatriotes  pour  ce  grand  Saint  leur  a  fait  élever 
une  église  à  la  place  de  sa  maison  paternelle,  et  un  autel  marque  le  lieu  de 
son  berceau. 

A  la  cathédrale  de  Strasbourg,  un  autel  est  dédié  à  saint  Jean  Népomu- 
cène. Au-dessus  de  l'autel  est  placé  un  très-beau  tableau  représentant  la 
mort  du  Saint,  et  à  la  place  du  tabernacle  est  un  reliquaire  qui  contient  de 
ses  ossements.  En  outre,  sur  beaucoup  de  ponts  en  Allemagne,  et  en  Alsace, 
se  trouve  sa  statue  que  les  passants  saluent,  comme  à  Prague,  avec  beau- 
coup de  respect. 

On  l'invoque  contre  les  inondations,  pour  le  passage  des  ponts  et  des 
rivières,  pour  la  bonne  confession,  contre  les  indiscrétions  et  la  calomnie. 

Les  attributs  du  Martyr  de  la  confession  sont  :  1°  un  cadenas  et  une 
lettre  fermée  que  l'on  donne  comme  les  symboles  du  secret  à  garder  ;  2°  le 
crucifix,  qui  se  place  généralement  dans  la  main  des  prédicateurs  ;  3°  un 
pont.  Dans  nombre  de  gravures  allemandes,  on  voit  au  plan  supérieur  le 
magnifique  pont  de  la  Moldaw,  dont  les  arches  majestueuses,  surmontées 
d'une  toiture  élégante,  forment  un  des  ornements  de  l'antique  cité  de  Pra- 
gue. Au  dessous,  le  Saint  est  étendu,  doucement  porté  sur  les  eaux.  Des 
étoiles  environnent  sa  tête  ;  des  nénuphars  sont  tressés  en  guirlande  autour 
de  son  corr  j  ;  4°  enfin,  un  dernier  attribut  est  celui  d'une  langue  que  tan- 
tôt il  tient  à  la  main,  qui  tantôt  est  placée  près  de  lui  dans  une  auréole  : 
cet  attribut  signifie  et  que  le  Saint  a  gardé  le  silence  lorsqu'il  l'a  dû,  et  que 
cet  organe  a  été  préservé  de  la  décomposition. 

Acta  Sanctorum  et  surtout  les  hagiographes  allemands  :  Rœss  et  Weiss,  A.  Stolz,  eto, 
1.  Saint  Augustin. 


602  16  mai. 

LE  BIENHEUREUX  ANDRÉ  B0B0LA 

1657.  —  Pape  :  Alexandre  VII.  —  Roi  de  Pologne  :  Jean  Casimir. 


Ego  enim  attendant  Mi  quanta    oporteat  eum  pro 

nomine  meo  pati. 
Je  lui  montrerai  combien  il  doit    souffrir  pour  mon 

nom.  Act.  Ap.  ix,  16. 

Les  Cosaques  de  l'Ukraine,  qui  tant  de  fois  avaient  ravagé  la  Lithuanie 
méridionale,  venaient  de  l'envahir  encore.  Le  collège  de  Pinsk,  où  souvent 
les  Pères  de  la  Compagnie  de  Jésus  avaient  éprouvé  les  maux  de  la  guerre, 
était  de  nouveau  menacé  d'une  ruine  prochaine.  Il  n'y  avait  rien  à  attendre 
des  hommes  :  le  secours  de  Dieu  n'en  était  donc  que  plus  assuré  à  ceux  qui 
mettaient  généreusement  leur  confiance  en  lui.  Le  supérieur  priait  avec 
plus  de  ferveur  et  plus  d'instances.  Il  se  demandait  en  lui-même  à  quel 
Saint  il  devait  abandonner  sa  cause.  Tout  à  coup,  c'était  la  nuit  du 
19  avril  1702,  un  religieux  revêtu  de  l'habit  de  la  Compagnie  lui  apparaît  : 
«  Vous  avez  besoin  d'un  protecteur  auprès  de  Dieu  »,  lui  dit-il  ;  «  pourquoi  ne 
vous  adressez-vous  pas  à  moi?  Je  suis  le  Père  André  Bobola,  mis  à  mort 
en  haine  de  la  foi  par  les  Cosaques.  Cherchez  mon  corps,  je  serai  le  défen- 
seur de  votre  collège  » . 

Le  recteur  de  Pinsk  fit  visiter  les  caveaux  du  collège  ;  mais,  pendant 
deux  jours,  toutes  les  fouilles  furent  inutiles.  Alors  le  Bienheureux  se  mon- 
tra de  nouveau  et  désigna  lui-même  l'endroit  où  gisait  son  corps.  C'était 
dans  un  coin  de  l'église,  sous  terre,  du  côté  droit  du  grand  autel.  Les 
fouilles  recommencèrent  donc,  et  bientôt  un  tombeau  fut  découvert  qui 
portait  cette  inscription  : 

LE  PÈRE  ANDRÉ  BOBOLA,  DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSOS, 
MIS  A  MORT  PAR  LES  COSAQUES,  A  JANOFF. 

Les  autres  corps  déposés  dans  le  même  caveau  avaient  subi  toutes  les 
humiliations  de  la  mort.  La  chasuble  et  l'aube  qui  enveloppaient  le  Bien- 
heureux tombaient  elles-mêmes  en  poussière.  Mais  Dieu  n'avait  pas  permis 
à  la  corruption  d'atteindre  le  martyr.  Bien  mieux  que  tous  les  préservatifs 
de  la  science  humaine,  la  main  divine  l'avait  défendu  ;  et  quarante-cinq 
ans  déjà  s'étaient  écoulés  depuis  qu'il  avait  cessé  de  vivre. 

Le  corps  était  là,  devant  ceux  qui  l'avaient  découvert,  conservé  dans 
son  entier,  sillonné  de  mille  blessures  dans  lesquelles  on  voyait  un  sang 
frais  encore  ;  les  chairs  étaient  restées  molles  et  flexibles;  et  l'odeur  la  plus 
suave  se  répandait  autour  de  ce  cadavre  glorifié  déjà  dans  la  mort  même. 

Ce  fut  ainsi  que  Dieu,  par  les  plus  éclatants  miracles,  préserva  lui-même 
à  jamais  de  l'oubli  la  mémoire  de  son  serviteur.  Ce  fut  ainsi  que  Dieu, 
parmi  tant  de  victimes  des  persécutions  du  schisme  en  Pologne  au  xvir3  siècle, 
choisit  lui-même  André  Bobola  pour  l'élever  sur  les  autels,  et  le  proposer 
comme  un  nouveau  protecteur,  non-seulement  aux  fidèles  de  Pinsk,  mais 
à  la  nation  polonaise,  mais  à  la  grande  unité  catholique,  si  souvent  aux 
prises  avec  le  schisme  et  l'hérésie.  «  Le  Tout-Puissant,  comme  on  l'a  dit  si 


LE  BIEN  HEUREUX  ANDRÉ  BOBOIA.  603 

justement  dans  le  procès  de  la  béatification,  fut  lui-même  le  vrai  postula- 
teur  de  cette  cause  ». 

André  Bobola  naquit  en  1592  en  Pologne,  dans  le  Palatinat  de  Sandomir. 
Sa  famille  était  illustre  et  chrétienne.  L'enfant  fut  élevé  dans  la  piété,  et  de 
bonne  heure  envoyé  au  collège  des  jésuites  à  Sandomir.  Dans  cette  maison 
ses  vertus  grandirent  avec  ses  talents  et  il  ne  tarda  pas  à  manifester  l'inten- 
tion qu'il  avait  de  se  consacrer  à  Dieu  en  entrant  dans  l'Ordre  de  ses  maîtres. 
La  famille  Bobola  avait  de  tous  les  temps  protégé  les  jésuites  qui  avaient 
été,  dans  de  nombreuses  circonstances,  les  objets  de  ses  libéralités.  Dieu  la 
récompensait  de  sa  charité  en  choisissant  dans  son  sein  le  Bienheureux 
Bobola  pour  en  faire  un  martyr  qui  perpétuerait  sa  gloire.  Le  13  juillet  1611, 
André  entrait  au  noviciat  dans  la  ville  de  Wilna.  Pendant  les  deux  ans  qui 
s'écoulèrent  jusqu'à  1613,  il  se  montra  constamment  un  modèle  pour  tous 
ses  compagnons.  Pendant  trois  ans  il  étudia  la  philosophie  sous  la  direc- 
tion du  Père  Marquât  qui,  en  voyant  la  piété  de  son  élève  et  ses  remar- 
quables talents,  en  conçut  de  grandes  espérances.  Au  sortir  de  sa  philosophie, 
il  professe  successivement  dans  la  ville  de  Brunsberg,  et  au  collège  de 
Pultava  où  il  gagne  l'affection  de  tous  ses  élèves  en  même  temps  qu'il  les 
porte  à  la  vertu  par  sa  vie  pleine  d'admirables  exemples  de  piété.  En  1621, 
il  reçoit  le  sous-diaconat  et  le  diaconat,  puis  l'année  suivante  la  prêtrise, 
après  avoir  suivi  un  cours  de  théologie  où  il  eut  pour  maître  le  Père  Mar- 
quât qui  lui  avait  enseigné  la  philosophie. 

André  Bobola  est  âgé  de  32  ans,  alors  que  nous  le  voyons  pour  la  pre- 
mière fois  adonné  au  ministère  de  la  prédication  dans  l'église  de  Saint- 
Casimir  de  Wilna.  Le  bien  qu'il  fit  dans  cette  ville  et  l'influence  qu'il  y 
acquit  furent  immenses.  Le  2  juin  1630,  il  fait  profession  solennelle  des 
quatre  vœux  et  devient  supérieur  de  la  résidence  de  Bobruisk.  Il  passa  là 
cinq  années  dans  la  pratique  des  vertus  les  plus  humbles,  ses  vertus  de  pré- 
dilection. Il  eut  l'occasion  aussi  pendant  ce  temps  de  montrer  son  ardente 
charité  dans  une  contagion  qui  ravagea  la  Lithuanie.  Il  se  livra  sans  réserve 
et  sans  aucune  précaution  au  soulagement  des  malades,  et  par  une  permis- 
sion toute  particulière  de  la  Providence  qui  le  destinait  à  un  autre  martyre, 
il  échappa  au  fléau  et  à  la  fatigue.  En  1636  il  se  démit  de  ses  fonctions  de 
supérieur  et  obtint  de  se  livrer  entièrement  aux  missions.  Pendant  vingt-un 
ans,  on  le  trouve  sur  toutes  les  routes  de  la  Lithuanie  qu'il  évangélise. 
Les  Cosaques,  les  Russes  et  les  Tartares  ravageaient  déjà  la  Pologne  des- 
tinée à  un  martyre  qui,  aujourd'hui,  n'a  pas  encore  son  terme.  Les  jésuites 
eurent  beaucoup  à  souffrir  des  envahisseurs  qui  ne  les  aimaient  pas  :  ils  se 
virent  dépouillés,  chassés  de  leurs  maisons  et  emmenés  en  captivité.  Les 
peuples  eurent  à  endurer  des  misères  atroces  :  ils  avaient  pour  les  soutenir 
et  les  aider  le  Père  André  Bobola,  qui  en  même  temps  combattait  l'erreur 
partout  où  il  la  rencontrait.  Sa  science  faisait  un  tel  mal  aux  Popes  grecs 
et  diminuait  tellement  le  nombre  de  leurs  partisans  qu'ils  résolurent  de 
réunir  leurs  forces  dans  un  coin  de  la  Lithuanie  et  d'en  faire  pour  ainsi  dire 
leur  citadelle.  Ils  choisirent  la  province  de  Polésie  qu'entourent  partout  des 
lacs  et  des  marais  ;  mais  ils  rencontrèrent  là  un  adversaire  redoutable,  le 
prince  Radziwil,  fervent  catholique,  qui  appela  les  jésuites  à  son  aide  en 
leur  offrant  une  maison  princière  à  Pinsk.  Le  Père  André  Bobola  s'y  rendit 
avec  la  conviction  qu'il  allait  au  martyre. 

Il  devint  en  effet  l'objet  de  toutes  les  attaques  des  schismatiques  qui  le 
redoutaient. 

(Jue  d'outrages  il  avait  déjà  reçus  I  que  de  fois  déjà  des  mains  sacrilèges 


604  46  mai. 

avaient  osé  se  lever  sur  lui  !  Les  prêtres  du  schisme  payaient  des  misérables 
pour  l'accabler  de  coups  et  d'injures.  Cependant  ils  imaginèrent  une  autre 
persécution  qui  devait  aller  plus  avant  dans  le  cœur  de  l'apôtre  ;  ils  ras- 
semblaient les  enfants  schismatiques  les  plus  grossiers  et  les  plus  mauvais, 
et  les  envoyaient  à  la  porte  du  collège.  Là,  quand  le  missionnaire  se  pré- 
sentait pour  sortir,  les  clameurs  les  plus  insultantes  retentissaient  aussitôt, 
les  projectiles  les  plus  honteux  volaient  sur  lui.  Cependant  il  s'avançait; 
mais  ces  enfants  lui  faisaient  cortège.  Ils  l'attendaient  devant  la  maison  des 
pauvres,  des  malades  que  sa  charité  visitait,  et  le  ramenaient  ensuite  au 
milieu  des  huées  de  leurs  jeux  infâmes.  Et  cela  dura  plusieurs  années; 
presque  chaque  jour  c'était  la  même  scène.  L'homme  de  Dieu  ne  reculait 
jamais  ;  jamais  il  n'omettait,  il  ne  différait  pas  même  ses  courses  aposto- 
liques, afin  d'éviter  ce  concert  abominable  d'outrages.  Que  dis-je?  pour  ce 
grand  cœur,  avide  des  humiliations  du  Calvaire,  c'était  comme  une  perpé- 
tuelle ovation.  Non-seulement  il  ne  trahissait  aucun  trouble,  aucune  émo- 
tion de  la  nature,  mais  la  bonté,  la  paix,  la  joie  surnaturelle  éclairait  son 
visage. 

«  Chien  de  jésuite,  chien  de  papiste!»  criaient  ces  petits  bourreaux; 
«  Lach,  Lach  !  Polonais,  Polonais  !  Prêtre  catholique  !  Dutzochwat  !  »  criaient- 
ils  encore  ;  «  Ravisseur  des  âmes  !  ravisseur  des  âmes  !  »  Oui,  c'était  bien  le 
titre  que  méritait  le  zèle  triomphant  d'André.  Ses  ennemis  eux-mêmes  pu- 
bliaient ainsi  sa  gloire  à  leur  manière,  et  nous  ne  savons  s'il  n'est  pas  encore 
plus  glorieux  pour  lui  d'avoir  été  nommé  le  ravisseur  des  âmes  par  les 
schismatiques,  que  d'avoir  été  proclamé  par  les  catholiques  l'apôtre  de 
Pinsk.  Cependant  ses  persécuteurs,  en  criant  Dutzochwat,  prétendaient  lui 
faire  la  plus  cruelle  injure  ;  ils  le  comparaient  au  démon  lui-même,  comme 
auparavant  le  bienheureux  Josaphat,  cet  évêque  martyr  de  Vitebsk,  qu'ils  re- 
présentaient armé  d'un  croc  et  tirant  les  âmes  en  enfer  et  appelaient  aussi 
Dutzochwat.  «  Ah  !  plût  à  Dieu  »,  répondait  Josaphat,  «  que  je  pusse  en  effet 
ravir  vos  âmes  et  les  conduire  en  paradis  » . 

Tel  était  aussi  le  cri  du  bienheureux  André.  Qu'il  eût  voulu  gagner  à 
Dieu  ces  pauvres  enfants  !  Quelquefois  il  les  entraînait  sur  ses  pas  en  des 
lieux  solitaires,  et  promenant  sur  eux  ce  regard  d'une  bénignité  paternelle, 
auquel  les  enfants  d'ordinaire  ne  savent  point  résister,  eux  qui  s'appro- 
chaient autrefois  avec  une  familiarité  si  touchante  du  Sauveur  Jésus,  il 
essayait  de  leur  parler  Mais  la  leçon  leur  était  faite.  Leurs  parents  et  leurs 
prêtres  les  avaient  prémunis  contre  la  séduisante  douceur  d'André.  «  Sor- 
cier !  sorcier  !  »  s'écriaient-ils,  et  se  bouchant  les  oreilles,  ils  fuyaient  avec 
épouvante.  Que  le  visage  contristé  de  l'apôtre  devait  ardemment  respirer 
alors  cette  charité  profonde,  cette  tendre  affection  pour  l'enfance  qu'il  avait 
puisée  dans  le  cœur  du  bon  Maître  !  Quels  touchants  efforts  il  faisait  pour 
retenir  ces  bourreaux  chéris  !  Ah  !  sans  doute  ce  généreux  ravisseur  des 
âmes  eut  alors  plus  d'une  fois  le  bonheur  d'arracher  au  démon  quelqu'une 
de  ces  victimes  pour  les  rendre  à  son  Dieu. 

Se9  ennemis  voyant  qu'ils  ne  gagnaient  rien  et  que  la  conduite  d'André 
Bobola  servait  sa  cause  au  lieu  de  la  perdre,  prirent  la  résolution  de  se  dé- 
barrasser de  lui  ;  ils  appelèrent  les  Cosaques  à  leur  aide.  Deux  chefs  de 
bande  s'attachèrent  à  la  poursuite  du  Bienheureux.  Un  jour  qu'il  venait  de 
dire  la  messe  et  faisait  son  action  de  grâces,  on  l'avertit  que  les  Cosaques 
arrivaient  :  on  lui  fournit  les  moyens  de  fuir,  mais  il  est  bientôt  atteint  et 
pris  par  ses  ennemis  qui  le  dépouillent,  l'attachent  à  un  arbre  et  l'accablent 
de  coups  ;  ils  lui  passent  ensuite  une  corde  au  cou  et  l'attachent  derrière 


LE   BIENHEUREUX   AJNTORÉ  BOBOLA.  605 

leurs  chevaux,  le  conduisent  à  leur  chef,  à  Ianow.  Les  réponses  calmes 
que  le  martyr  fait  à  ces  barbares  l'irritent,  et  il  reçoit  pour  punition  un 
grand  coup  de  sabre  sur  la  tête.  La  main  qu'il  avait  instinctivement  levée 
en  l'air  fut  presque  détachée  du  bras,  mais  le  préserva  d'une  mort  infail- 
lible. Alors  les  soldats  se  mirent  de  la  partie.  L'un  lui  arracha  un  œil,  les 
autres  le  conduisirent  chez  un  boucher  où  ils  allumèrent  des  torches  et  lui 
brûlèrent  différentes  parties  du  corps  en  lui  demandant  de  renoncer  à  sa 
foi.  Sur  son  refus,  on  l'étrangla  à  demi  avec  de  jeunes  branches  vertes  tor- 
dues à  l'avance,  on  lui  fit  une  tonsure  en  lui  enlevant  la  peau  de  la  tête,  on 
le  frappa  au  visage  de  façon  à  lui  casser  les  dents  ;  sous  l'horrible  et  déri- 
soire prétexte  de  lui  faire  une  chasuble,  on  lui  arrache  la  peau  du  dos.  On 
essuie  avec  une  torche  de  paille  le  sang  qui  coule  à  flots  de  cette  plaie 
atroce,  et  pour  achever  de  faire  un  monstre  de  cet  homme  dont  l'aspect 
épouvante  même  ses  bourreaux,  on  lui  enfonce  des  roseaux  sous  les  ongles, 
afin  de  leur  donner  l'apparence  de  grilfes.  Après  lui  avoir  ensuite  coupé  le 
nez  et  les  lèvres,  on  le  jette  sur  un  tas  de  fumier.  Le  Bienheureux  n'était 
plus  qu'une  masse  de  chair  informe  et  repoussante.  Deux  heures  après,  le 
capitaine,  passant  par  là,  l'acheva  d'un  coup  de  sabre.  (16  mai  1657). 

Aussitôt  la  mort  du  martyr  une  lumière  brillante  parut  sur  Ianow  et 
épouvanta  les  Cosaques  qui  montèrent  sur  leurs  chevaux  et  disparurent. 
Les  catholiques  transportèrent  son  cadavre  au  collège  des  jésuites  à  Pinsk, 
où  il  reçut  la  sépulture.  La  nouvelle  de  cette  mort  affreuse  se  répandit 
rapidement,  et  les  Polonais  se  mirent  dès  lors  à  invoquer  Bobola  comme  un 
Saint.  Quarante-cinq  ans  après  sa  mort,  on  trouva  son  corps  sans  corruption: 
cette  nouvelle  ranima  la  confiance  des  Polonais,  et  le  tombeau  de  Bobola 
devint  un  lieu  de  pèlerinage  où  s'opérèrent  de  nombreux  miracles.  Plusieurs 
fois  dans  le  cours  du  xviii6  siècle,  son  sépulcre  a  été  ouvert  et  le  corps  a  tou- 
jours été  trouvé  dans  un  état  parfait  de  conservation.  En  1808,  on  le  trans- 
porta à  Polosk  dans  le  collège  delà  Compagnie  de  Jésus.  Mais,  en  1820,  les  Jé- 
suites furent  chassés  de  Russie  par  un  décret  d'Alexandre,  ou  plutôt  par  un 
décret  de  Dieu  :  ils  étaient  envoyés  de  nouveau  sur  tous  les  points  du  monde 
à  l'apostolat.  Ils  n'eurent  pas  la  consolation  d'emporter  le  sacré  dépôt  :  ils 
le  confièrent  à  la  piété  des  religieux  de  Saint-Dominique.  Mais,  depuis,  les 
schismatiques  s'en  sont  emparés.  Toutefois,  c'est  une  justice  à  leur  rendre  : 
à  Polosk,  comme  autrefois  à  Pinsk,  ils  honorent  eux-mêmes  les  restes  de 
celui  que  le  schisme  a  frappé  ;  réparation  touchante,  qui  sans  doute  fait 
descendre  sur  eux  aussi  bien  des  grâces,  par  l'intercession  de  celui  qui  si 
longtemps  les  évangélisa,  qui  répandit  son  sang  pour  eux  en  leur  pardonnant. 

Le  Bienheureux  était  d'une  forte  corpulence  et  d'une  taille  peu  élevée  ; 
mais  dans  tout  son  extérieur  il  portait  quelque  chose  de  noble,  de  simple 
et  de  pieux  qui  disposait  en  sa  faveur.  Les  fatigues  avaient  de  bonne  heure 
dépouillé  son  front  ;  il  ne  lui  restait  qu'une  couronne  de  cheveux  blonds 
qui  blanchirent  avant  l'âge  ;  il  gardait  la  barbe  assez  longue.  La  vivacité  de 
son  regard  n'ôtait  rien  à  sa  modestie.  Sur  son  visage  un  peu  coloré  se  ren- 
contraient la  majesté  et  la  candeur.  On  aimait  à  le  voir  ;  on  aimait  à  l'en- 
tendre. Il  possédait,  avec  un  excellent  esprit,  une  mémoire  heureuse,  une 
expression  toujours  facile.  Sa  prononciation  était  agréable;  sa  voix  sonore 
et  pénétrante.  Il  s'appliquait  à  donner  une  instruction  solide;  mais  en 
même  temps  sa  douceur  insinuante  allait  aux  cœurs  ;  sa  conviction  pro- 
fonde les  touchait  en  vibrant  en  eux.  Quelquefois  sa  parole  s'élançait  comme 
la  foudre,  et  les  pécheurs  les  plus  endurcis  ne  pouvaient  plus  résister. 

C'est  Pie  IX  qui,  en  1853,  a  béatifié  André  Bobola. 


606  17   MAI. 

Notice  historique  sur  le  bienheureux  André  Bobola  de  la  Compagnie  de  Jésus,  par  le  E.  P.  Olivaint. 
Paris,  Julien,  Lanier  et  C8,  éditeurs,  1854,  et  tous  les  hagiographes  modernes. 


SAINT  GEINS  *,  LE  SOLITAIRE  DE  BAUSSET. 

Geins  naquit  à  Moteux,  près  de  Carpentras,  sur  le  territoire  de  l'archidiocèse  actuel  d'Avignon. 
Ses  parents  étaient  gens  peu  aisés,  mais  distingués  par  leur  piété.  Il  se  retira  de  bonne  heure, 
dit-on,  dans  la  solitude  de  Bausset  et  là  se  sanctifia  par  la  prière  et  le  travail  des  mains.  Un  jour 
que  ses  proches  l'étaient  venus  visiter,  il  se  trouva  n'avoir  ni  vin  ni  eau  à  leur  offrir  pour  réparer 
leurs  forces  épuisées  :  nouveau  Moïse,  il  appliqua  ses  deux  doigts  sur  la  paroi  d'un  rocher,  et 
aussitôt  il  en  coula  non-seulement  de  l'eau,  mais  du  vin.  On  montre  encore  aujourd'hui  la  fontaine 
d'eau  :  elle  coule  toujours  n  abondance,  et  ses  ondes  sont  employées  pour  combattre  les  fièvres. 
En  1630,  Alexandre  Bichi  de  Sienne  fut  créé  évêque  de  Carpentras.  Faisant  la  visite  de  son  dio- 
cèse, il  voulut  que  le  corps  de  saint  Geins  fût  placé  dans  une  châsse  plus  convenable  et  trans- 
porté processionnellement  de  la  chapelle  de  l'ermitage  dans  l'église  paroissiale  de  Bausset,  qui  en 
est  distante  d'un  quart  d'heure.  Il  y  est  encore  aujourd'hui.  Saint  Geins  est  le  patron  de  cette 
paroisse.  Il  y  a  près  de  Mont-de-Marsan  une  église  qui  porte  le  nom  de  Saint-Gein,  et  près  de 
Limoges  une  autre  qui  s'appelle  Saint-Gence. 

On  le  représente  conduisaut  une  charrue  attelée  d'une  vache  et  d'un  loup,  parce  que  ce  der- 
nier ayant  dévoré  une  des  deux  vaches  nourries  par  saint  Geins,  notre  Saint  aurait  forcé  l'animal 
ravisseur  à  compléter  sa  charrue.  On  l'invoque  contre  la  sécheresse. 

L'époque  de  sa  vie  n'est  pas  facile  à  déterminer.  Les  Franciscains  le  réclament  comme  mem- 
bre de  leur  Tiers  Ordre.  Les  uns  le  placent  au  xn°  siècle,  les  autres  au  xme.  D'autres  veulent 
qu'il  appartienne  au  xvB  siècle. 

Propre  d'Avignon  et  Fetln  dans  Mlgne. 


XVII'  JOUR  DE  MAI 


MARTYROLOGE  ROMAIN. 

À  Villa-Réal,  dans  le  royaume  de  Valence,  saint  Pascal,  de  l'Ordre  des  Mineurs,  personnage 
d'une  innocence  et  d'une  pénitence  admirables.  1592.  —  A  Pise,  en  Toscane,  saint  Torpès  ou 
Tropez,  martyr,  qui  occupait  un  rang  distingué  parmi  les  officiers  de  Néron;  il  est  un  de  ceux 
dont  l'apôtre  saint  Paul  parle,  dans  sa  lettre  adressée  de  Rome  aux  Philippiens  :  «  Tous  les  Saints 
vous  saluent,  et,  en  particulier,  ceux  qui  sont  de  la  maison  de  César  ».  Arrêté  comme  chrétien,  il 
fut  souffleté,  déchiré  cruellement  à  coups  de  fouets,  exposé  aux  bêtes  pour  en  être  dévoré,  mais 
sans  en  recevoir  aucun  dommage,  et  acheva  enfin  son  martyre  par  la  décollation,  le  29  d'avril  : 
on  fait  aujourd'hui  sa  fête  à  cause  de  la  translation  de  son  corps.  —  Ce  même  jour,  sainte  Resti- 
tute,  vierge  et  martyre,  qui,  sous  l'empire  de  Valérien,  fut  diversement  torturée  par  le  juge  Pro» 
culus,  en  Afrique,  et  placée  dans  une  nacelle  pleine  d'étoupes  et  de  poix,  pour  être  brûlée  en 
pleine  mer  ;  mais,  dès  qu'on  y  mit  le  feu,  la  flamme  se  tourna  contre  ceux  qui  venaient  de  l'allu- 
mer, et  elle,  se  mettant  en  oraison,  rendit  ainsi  son  esprit  à  Dieu.  Son  corps,  avec  la  nacelle,  vint 
aborder,  par  la  volonté  de  Dieu,  à  l'ile  d'Ischia,  près  de  Naples,  où  les  chrétiens  le  reçurent  avec 
une  grande  vénération.  Constantin  le  Grand  ht  depuis  bâtir  une  église  eu  son  honneur,  dans  la 

1,  Allas,  Gens,  Gène»,  Gtntiut,  Gel*. 


MARTYROLOGES.  607 

ville  de  Naples  K  —  A  Noyon ,  les  saints  martyrs  Hérade,  Paul  et  Aquilin,  avec  deux  autres. 
Règne  de  Dioctétien*.  —  A  Chalcédoine,  saint  Solocane  et  ses  compagnons,  soldats  et  martyrs, 
sous  l'empereur  Maximien 3.  iv«  s.  —A  Alexandrie,  les  saints  martyrs  Adrion,  "Victor  et  Basilla.  — 
A  Wurtzbourg,  saint  Brunon,  évoque  et  confesseur.  1045. 

MARTYROLOGE  DE  FRANCE,   REVO  ET  AUGMENTÉ. 

A  Agen,  fête  de  saint  Jean  Népomucène.  —  A  Tournay,  saint  Célestin,  martyr,  dont  le  peuple 
ressent  souvent  le  secours  et  la  protection.  —  A  Laon,  saint  Montan,  reclus,  qui  est  resté  plu- 
sieurs années  en  une  solitude  qui  a  retenu  son  nom,  près  de  Juvigny,  entre  Montmédy  et  Marville, 
au  pays  de  Luxembourg  ;  il  prédit  la  naissance  de  saint  Rémi,  apôtre  des  Francs,  et  recouvra  la 
vue  en  se  lavant  les  yeux  avec  le  lait  que  ce  Saint  suçait  des  mamelles  de  sa  mère.  C'est  aujour- 
d'hui le  jour  de  sa  translation.  v»  s.  —  A  Saint-Amand,  en  Flandre,  trois  compagnes  de  sainte 
Ursule,  dout  les  corps  y  ont  été  apportés,  et  y  reçoivent  la  vénération  des  fidèles.  —  En  ce  même 
jour,  le  vénérable  Laurent,  de  l'Ordre  de  Citeaux,  que  saint  Bernard  établit  premier  abbé  de  Vil- 
liers,  en  Brabant.  —A  Marconne,  proche  d'Hesdin,  en  Artois,  sainte  Framedze  ou  Framechilde, 
épouse  de  Baufroy  ou  Badefroy,  comte  du  palais  du  roi  Dagobert  II,  et  mère  de  sainte  Austre- 
berte.  Vers  685.  —  Au  Puy,  la  translation  de  saint  Julien.  —  A  Fréjus,  fête  de  saint  Tropez.  — 
A  Strasbourg,  le  vénérable  Jean  Tadlère. 

MARTYROLOGES   DES   ORDRES   RELIGIEUX. 

Martyrologe  des  Chanoines  réguliers  et  Augustins.  — A  Mirandole,  saint  Possidids,  évêque 
de  Calâmes,  disciple  de  saint  Augustin,  et  historien  de  son  illustre  vie,  qui  mourut  saintement  le 
16  mai. 

Martyrologe  de  Vallombreuse  et  des  Franciscains.  —  A  Yilla-Réal,  saint  Pascal,  de  l'Ordre 
des  Mineurs... 

Martyrologe  des  Carmes.  —  Saint  Jean  Népomucène...  *. 

ADDITIONS  FAITES  D'APRÈS  LES  BOLLANDISTES  ET  AUTRES  HAGIOGRAPHES. 

En  Orient,  saint  Andronique  et  saint  Junias,  du  nombre  des  soixante-douze  disciples  de  Jésus* 
Christ,  et  dont  saint  Paul  a  fait  l'éloge  dans  son  épître  aux  Romains  (xvi,  7)  :  «  Saluez  », 
leur  dit-il,  «  Andronique  et  Junias,  mes  parents,  les  compagnons  de  mes  liens,  qui  sont  considé- 
rables entre  les  Apôtres,  et  qui  ont  embrassé  la  foi  de  Jésus-Christ  avant  moi  ».  Ces  deux  disciples 
de  Notre-Seigneur  ont  évangélisé,  en  particulier,  Apamée,  en  Syrie,  Comanes,  dans  le  Pont,  l'Jlly- 
rie,  etc.  Ier  s.  —  A  Constantinople,  saint  Etienne,  patriarche.  893.  —  A  Sigeberg,  dans  le 
Holstein,  le  bienheureux  Thetmar,  prêtre,  qui  fut  doyen  de  Brème  et  embrassa  la  Règle  de  Saint- 
Augustin,  dans  le  monastère  de  Newmuoster,  fondé  par  le  bienheureux  Vicelin,  évêque  d'Olden- 
bourg-Lubeck.  1152.  —  A  Oria,  entre  Brindisi  et  Tarente,  dans  la  terre  d'Otrante,  en  Italie,  le 
bienheureux  François  de  Durazzo 5,  de  l'Ordre  des  Frères  Mineurs.  xive  s.  —  En  Toscane,  saint 
Fabius,  martyr;  son  identité  n'est  pas  bien  établie.  —  A  Cagliari,  en  Sardaigne,  une  autre  sainte 
Restitute,  que  l'on  croit  mère  de  saint  Eusèbe  de  Verceil,  et  dont  ies  reliques  furent  retrouvées, 
eu  1607,  dans  une  crypte  du  faubourg  d'Estampache,  qui  porte  son  nom,  près  d'une  église  dédiée 
à  sainte  Anne. 

1.  Sainte  Restitute  ne  fut  pas  oubliée  a  Carthage  :  on  pense  que  c'est  à  cette  sainte  Martyre  qu'était 
consacrée  la  grande  basilique  connue  sous  son  nom,  dans  laquelle  furent  tenus  quelques  conciles  et  où 
saint  Augustin  prononça  plusieurs  discours.  Elle  était  née  a  Ponizara,  d'après  le  Propre  de  Naples. 

2.  On  n'est  pas  d'accord  sur  le  lieu  où  ont  souffert  ces  Martyrs.  Le  Père  Labbe  opine  pour  Nyon,  sur 
le  lac  de  Genève;  d'autres  pour  Nouiodunon,  eu  Bulgarie.  Il  est  impossible  de  trancher  la  question, 
disent  les  Bollandistes. 

3.  lis  étaient  originaires  de  l'Egypte. 

4.  Voir  sa  Vie  au  jour  précédent,  le  16. 

t.  Ville  d'Illyrie,  patrie  du  Bienheureux,  appelée  Dyrracuium  par  les  anciens. 


608  17  mai. 

LE  VÉNÉRABLE  JEAN  TAULÈRE, 

RELIGIEUX  CONTEMPLATIF  DE  L'ORDRE  DE  SAINT  -  DOMINIQUE 
1361.  —  Pape  :  Innocent  VI.  —  Roi  de  France:  Jean  le  Bon. 


Prenez  de  bon  cœur  les  pénitences  qu'on  vous  donnera 
et  la  peine  due  à  vos  péchés,  de  quelque  part  qu'elle» 
viennent,  soit  de  Dieu  ou  de  ses  créatures. 

Quand  quelqu'un  vous  aura  offensé  en  quelque  façon 
que  ce  soit,  pardonnez-lui  incontinent  et  de  bon  cœur. 
Alphabet  doré  de  Jean  Taulère. 

Il  existait,  au  xive  siècle,  dans  la  ville  de  Cologne,  un  célèbre  prédica- 
teur nommé  Taulère,  lequel  était  fameux  par  sa  science  et  par  sa  charité. 
Un  jour,  il  se  trouvait  à  l'église,  priant  Dieu  de  tout  son  cœur  de  lui  faire 
connaître  le  meilleur  moyen  de  le  servir.  Sa  prière  achevée,  il  sort  et  voit 
accroupi  sur  une  des  marches  de  la  porte  un  pauvre  à  peine  couvert  de 
quelques  haillons,  et  si  défiguré  que  sa  vue  seule  excitait  la  pitié.  Il  avait  la 
tête  à  moitié  rongée  par  un  ulcère,  il  avait  perdu  un  bras  et  une  jambe,  et 
tout  son  corps  était  couvert  d'horribles  plaies.  Saisi  de  compassion,  Taulère 
s'approche  de  ce  malheureux,  tire  une  pièce  d'argent  et  le  saluant  :  Bon- 
jour, mon  ami.  — Merci,  Monsieur,  répondit  le  pauvre  ;  mais  je  n'ai  jamais 
eu  de  mauvais  jours.  Taulère  crut  que  le  malheureux  ne  l'avait  pas  com- 
pris et  lui  répéta  :  — Je  vous  souhaite  un  bon  jour;  je  vous  souhaite 
d'être  heureux  et  d'avoir  tout  ce  que  vous  pouvez  désirer.  —  Je  vous  ai 
très-bien  entendu,  Monsieur,  répliqua  le  mendiant,  et  je  vous  remercie 
de  votre  charité  ;  mais  je  vous  dis  qu'il  y  a  longtemps  que  votre  souhait  est 
accompli.  Taulère  se  disait  en  lui-même  :  Ce  bon  homme  a  perdu  la  tête, 
ou  peut-être  est-il  sourd.  C'est  pourquoi,  haussant  le  ton,  il  lui  cria  :  — 
Yous  ne  m'avez  pas  entendu  :  je  souhaite  que  vous  soyez  heureux.  —  Pour 
Dieu,  Monsieur,  ne  vous  fâchez  pas  ;  je  vous  ai  déjà  dit  que  je  vous  entends 
très-bien,  et  je  vous  répète  que  je  suis  très-heureux  et  que  je  n'ai  jamais  eu 
de  mauvais  jours. 

Un  instant  Taulère  le  tint  pour  fou  ;  mais  il  remarqua  dans  les  paroles 
de  cet  homme  un  certain  air  qui  appela  son  attention.  Il  s'approcha  de  lui, 
s'assit  à  ses  côtés  et  le  pria  avec  candeur  de  lui  mieux  exprimer  ce  qu'il  lui 
avait  dit.  —  Monsieur,  lui  répondit  ce  pauvre  homme,  c'est  très-clair. 
Depuis  mon  enfance,  je  sais  que  Dieu  est  sage,  juste  et  bon;  depuis  mon 
enfance,  je  souffre  de  la  cruelle  maladie  qui  m'a  dévoré  une  grande  partie 
du  corps  ;  j'ai  toujours  été  pauvre...  Je  me  suis  dit  :  Rien  n'arrive  sans  la 
volonté  ou  la  permission  de  Dieu.  Le  Seigneur  sait  mieux  que  moi  ce  qui 
me  convient,  parce  que  le  Seigneur  m'aime  comme  un  père  aime  son  fils... 
Je  suis  par  conséquent  bien  sûr  que  ces  souffrances  sont  pour  mon  plus 
grand  bien.  Ainsi,  je  me  suis  accoutumé  à  ne  vouloir  jamais  que  ce  que 
veut  mon  aimé  et  bon  Seigneur  ;  et  s'il  m'envoie  des  maladies,  je  les  reçois 
avec  joie,  comme  si  elles  étaient  mes  sœurs  ;  s'il  me  donne  la  santé,  je 
l'accepte  avec  plaisir  ;  s'il  ne  me  donne  pas  à  manger,  je  suis  content  de 
jeûner  pour  expier  mes  péchés  et  ceux  d'autrui  ;  si  je  n'ai  pas  de  quoi  me 


LE  VÉNÉRABLE  JEAN  TAULÈRE.  609 

vêtir,  je  me  rappelle  mon  Sauveur  nu  dans  la  crèche  et  sur  la  croix,  et  je 
me  trouve  beaucoup  plus  riche  que  lui  ;  si  je  souffre  sur  la  terre,  je  com- 
prends que  je  serai  beaucoup  plus  heureux  dans  le  ciel.  —  Que  vous  dirai-je 
de  plus  ?  Je  suis  toujours  content  :  et  si  je  pleure  d'un  œil,  je  ris  de  l'autre, 
parce  que  je  veux  tout  ce  que  Dieu  veut,  je  ne  désire  que  l'accomplisse- 
ment de  sa  sainte  volonté.  Vous  voyez  donc,  Monsieur,  que  je  suis  très- 
heureux,  que  je  n'ai  jamais  eu  de  mauvais  jours  et  que  j'ai  tout  ce  que  je 
puis  désirer. 

Taulère  pleurait  en  silence...  Il  n'avait  jamais  entendu  un  sermon  aussi 
édifiant.  Il  donna  au  pauvre  son  manteau,  l'unique  pièce  de  monnaie  qui 
restait  dans  sa  bourse,  et,  malgré  la  plaie  de  la  tête,  il  embrassa  l'homme 
avec  effusion.  Il  rentra  dans  l'église  pour  remercier  Dieu  de  lui  avoir  en- 
seigné le  moyen  le  plus  parfait  de  le  servir.  Il  imita  dans  la  suite,  autant 
qu'il  le  put,  ce  saint  pauvre,  et  il  avait  coutume  de  dire,  en  rappelant  cette 
touchante  aventure  :  «  Le  bonheur  est  possible  dans  toutes  les  conditions, 
aussi  bien  pour  le  pauvre  que  pour  le  riche,  pour  le  malade  que  pour 
l'homme  bien  portant.  Le  bonheur  est  dans  le  cœur,  et  non  ailleurs  ;  il  est 
dans  la  disposition,  et  non  dans  la  situation.  Faisons  la  volonté  de  Dieu, 
aimons  Dieu,  et  nous  serons  heureux  dans  quelque  situation  que  nous  nous 
trouvions  ». 

Si  les  vertus  et  les  prédications  de  Jean  Taulère  le  rendirent  célèbre  dans 
le  xive  siècle ,  dit  Touron  ',  les  écrits  pleins  de  lumière  et  d'onction 
qu'il  a  laissés,  ont  fait  passer  son  nom  avec  gloire  à  la  postérité.  Bossuet, 
sainte  Thérèse,  Louis  de  Blois,  le  comptent  avec  raison  au  nombre  des  plus 
grands  maîtres  de  la  vie  spirituelle.  Il  naquit  en  Allemagne,  l'an  1294,  et 
embrassa  l'institut  des  Frères  Prêcheurs  dans  le  couvent  de  Strasbourg, 
vers  le  commencement  du  pontificat  de  Jean  XXII. 

Taulère  brilla  dans  la  chaire,  à  Cologne  surtout,  et  à  Strasbourg.  Il 
combattit  les  Quiélistes  et  les  Béghards  ou  faux  spirituels,  qui  commençaient 
à  se  glisser  dans  les  rangs  de  l'Eglise.  Ses  prédications  étaient  suivies  par- 
tout des  effets  les  plus  prodigieux.  Son  éminente  piété,  sa  profonde  érudi- 
tion, l'austérité  de  sa  vie,  l'éloquence  la  plus  incisive  et  la  plus  entraînante 
forçaient  les  pécheurs  les  plus  endurcis  à  se  rendre  à  la  voix  qui  les  appelait. 
Mais  autant  était  mâle  et  pressante  son  éloquence,  autant  était  douce,  onc- 
tueuse et  persuasive  sa  direction  spirituelle.  Aussi  portait-il  les  âmes  qu'il 
conduisait  dans  les  difficiles  sentiers  de  la  vie,  à  la  plus  grande  perfec- 
tion. 

Quant  à  sa  doctrine,  voici  comment  en  parle  Bossuet.  Il  dit,  «  qu'à  son 
avis,  Taulère  n'était  pas  seulement  un  zélé  prédicateur,  mais  un  des  plus 
solides  et  des  plus  corrects  des  mystiques  ■  ».  Il  dit  aussi,  «  que  son  livre 
des  Institutions  est  parmi  les  livres  mystiques  un  des  plus  estimés3.  Si  l'on 
remarque  »,  ajoute-t-il,  «  dans  certains  de  ses  écrits  quelques  exagérations, 
elles  sont  plutôt  dues  à  la  manière  de  parler  de  son  temps  qu'à  l'imperfec- 
tion de  sa  doctrine  ».  D'ailleurs,  comme  le  fait  observer  Suarez  *,  cet  au- 
teur ne  parlait  pas,  dans  ces  circonstances,  avec  la  précision  et  la  subtilité 
scolastiques,  mais  avec  des  phrases  mystiques.  Et  Bossuet  a  dit  encore,  que, 
«  sans  vouloir  diminuer  de  la  réputation  de  Taulère,  on  ne  doit  pas  prendre 
au  pied  de  la  lettre  tout  ce  qui  est  échappé  à  ce  saint  homme  ».  Il  est  im- 
possible, du  reste,  comme  le  remarque  Feller  à  son  tour,  «  de  rappeler  aux 

1.  Histoire  des  hommes  illustres  de  Saint- Dominique,  t.  n,  p.  034. 

2.  Bossuet,  t.  x,  Inst.  sur  les  états  d'Uraison,  liv.  Ier,  J».  11  et  suiy.  —  3.  Ibid. 
4.  De  Bel,  c.  2,  lib.  h;  de  Oral.  M.,  c.  12. 

Vies  des  Saints.  —  Tome  V.  39 


610  17  mai. 

règles  communes  tout  ce  qui  a  été  écrit  sur  cette  matière1;  la  morale», 
dit-il,  «  a  ses  mystères  comme  le  dogme,  ses  profondeurs  comme  tout  ce 
qui  tient  à  la  divinité,  ses  exceptions  et  ses  contradictions  apparentes 
comme  toutes  les  sciences,  même  la  géométrie.  Vouloir  la  réduire  à  une 
exactitude  parfaitement  générale,  l'affranchir  des  modifications  dont  toutes 
les  notions  divines  et  humaines  sont  essentiellement  susceptibles ,  c'est 
en  faire  un  être  de  raison  ».  Gerson  lui-même  a  dit,  «  qu'il  ne  faut  pas 
toujours  exiger  dans  ces  sortes  d'ouvrages  la  précision  rigoureuse  du 
langage,  ni  même  des  notions  communes  de  la  morale.  Car  »,  ajoute-t-il, 
«  ceux  qui  n'ont  pas  l'expérience  de  la  vie  mystique  n'en  peuvent  non  plus 
juger  qu'un  aveugle  des  couleurs  *  ». 

Taulère  n'a  écrit  qu'en  allemand.  Surius  a  rassemblé  ses  ouvrages  et 
donné  une  traduction  latine  imprimée  à  Cologne  en  1552.  Ceux  qu'on 
tient  pour  plus  authentiques,  sont  :  1°  Quelques  sermons  du  Temps  et  des 
Saints;  2°  Une  Vie  de  Jésus-Christ;  3°  Les  Institutions,  de  tous  le  plus  célèbre; 
4°  Des  E "pitres  ;  5°  h' Alphabet  doré  ;  6°  Un  Dialogue  entre  un  théologien  et  un 
mendiant.  Touron  lui  en  attribue  quelques  autres,  mais  sur  lesquels  on 
conserve  des  doutes  s.  Nous  avons  une  traduction  récente  de  ses  sermons, 
par  M.  Charles  de  Sainte-Foi. 

Terminons  enfin  cette  notice  par  la  mort  édifiante  de  ce  saint  religioux. 
Après  une  vie  entière  écoulée  dans  l'exercice  de  la  contemplation,  dans 
l'accomplissement  de  l'apostolat  le  plus  fructueux,  dans  la  pratique  des 
plus  belles  vertus  évangéliques,  accablé  de  fatigues,  d'années,  de  croix  et 
d'une  paralysie,  son  corps  succomba,  et  son  âme  bénie  s'envola  radieuse 
vers  les  montagnes  éternelles,  le  16  des  calendes  de  juin  de  l'an  1361.  C'est 
dans  le  couvent  de  Strasbourg  qu'il  rendit  son  âme  à  Dieu,  c'est  là  que 
repose  encore  aujourd'hui  sa  dépouille  mortelle*. 

1.  Il  parle  des  voles  secrètes  par  lesquelles  Dieu  conduit  quelquefois  les  âmes  privilégiée!. 

2.  Feller,  art.  Rusbroch,  Taulère,  Armelle,  Jean  de  la  Croix. 

8.  Voyez  Touron,  Hist.  des  hommes  illusl.  de  Saint-Domin.,  t.  II,  p.  3o0  etsuiv.,  et  l'Esprit  des  Saints, 
de  M.  l'abbé  Grimes. 

4.  Le  monument  funéraire  qu'on  lui  érigea  se  voit  encore  le  long  d'un  des  côtés  du  temple  neuf  de 
cette  ville,  là  où  était  autrefois  le  cloître  des  Dominicains,  si  toutefois  le  boulet  et  la  bombe  incendiaire 
des  Badois  ont  laissé  subsister  quelque  chose  en  1870.  Ce  n'est  qu'une  simple  pierre  tombale  sur  laquelle 
est  grossièrement  tracé  son  portrait  de  grandeur  naturelle.  On  sait  qu'à  cette  époque  ce  genre  était  uni- 
Tersellement  adopté,  dans  les  cloîtres  surtout. 

Jean  Taulère  est  représenté  tenant  dans  sa  main  gauche  un  Agnus  Dei  qu'il  Indique  de  la  main  droite. 
Une  auréole  entoure  sa  tête,  et  on  y  lit  ces  mots  :  In  Jesu  Christo.  Tel  est  ce  simple  monument.  Mais  il 
couvre  la  cendre  d'un  de  ces  hommes  éminents  qui  ont  marqué  leur  place  sur  la  terre  en  faisant  faire  un 
pas  de  plus  à  la  civilisation  et  en  donnant  l'exemple  des  plus  hautes  vertus  :  c'en  est  assez  pour  que 
toutes  les  générations  le  bénissent  en  passant. 

Voici  la  seule  inscription  qu'on  y  voit.  Les  religieux  voulaient  être  humbles  même  après  leur  mort. 

Anno  Domini  MCCCLXI.  XVI  Kal.  junii 

Die  Cirici  et  Julittae 

Obiit  frater  Tauleru». 


SAINT  PASCAL   BAYLON,   RELIGIEUX  DE   i/ORDRE   DE   SAINT-FRANÇOIS.  611 

SAINT  PASCAL  BAYLON, 

RELIGIEUX   DE   L'ORDRE    DE    SAINT  -  FRANÇOIS 
1540-1592.  —  Papes  :  Paul  III;  Clément  VIII.  —  Rois  de  France  :  François  I";  Henri  IV. 


On  doit  avoir  pour  Dieu  le  cœur  d'un  enfant,  pour 
le  prochain,  le  cœur  d'une  mère,  pour  soi-même 
le  cœur  d'un  juge. 

Maxime  de  saint  Pascal. 

Pascal  Baylon  naquit  en  1540,  à  Torre-Hermosa  (Belle-Tour),  petit 
bourg  du  royaume  d'Aragon,  en  Espagne  ;  son  père  se  nommait  Martin 
Baylon,  et  sa  mère  Isabelle  Joubert,  ou  Jubera.  Notre  Saint  vint  au  monde  le 
jour  de  Pâques,  et  c'est  ce  qui  lui  fit  donner  le  nom  de  Pascal  ;  ses  parents, 
qui  gagnaient  leur  vie  à  cultiver  la  terre,  l'occupèrent  dès  son  enfance  à 
garder  des  troupeaux  et  ne  purent  lui  apprendre  autre  chose  que  la  vertu 
et  les  éléments  de  la  religion.  Mais  le  désir  de  savoir  lire  lui  fit  porter  un 
livre  aux  champs,  et  il  priait  tous  ceux  qu'il  rencontrait  de  lui  enseigner  à 
lire  et  à  écrire  ;  on  dit  que  les  anges  furent  de  ce  nombre.  Il  ne  se  servit  de 
cet  avantage  que  pour  le  salut  de  son  âme  ;  fuyant  les  livres  futiles,  il  ne 
lisait  que  ceux  qui  lui  rappelaient  les  maximes  du  christianisme,  les  exem- 
ples de  Jésus-Christ  et  de  ses  Saints. 

Une  de  ses  prières  les  plu3  ordinaires  était  l'Oraison  dominicale.  Il  se 
faisait  un  plaisir  singulier  de  se  prosterner  fréquemment  devant  la  majesté 
de  Dieu.  Il  faisait  ce  qu'il  pouvait  pour  aller  souvent  dans  les  églises,  et  il  y 
demeurait  si  longtemps,  que  ses  parents  étaient  obligés  de  l'aller  chercher 
pour  lui  faire  prendre  de  la  nourriture. 

Tout  jeune  encore,  il  fut  obligé  de  se  louer  en  qualité  de  berger.  Il  ne 
perdit  aucun  des  moyens  que  cette  profession  lui  offrait  pour  se  sanctifier. 
Il  avait,  à  l'égard  de  son  maître  Martin  Garcia,  une  docilité,  une  soumis- 
sion parfaite,  exécutant  avec  joie  et  à  la  lettre  tout  ce  qui  lui  était  ordonné. 
Lorsqu'il  était  dans  les  champs,  il  méditait  sur  les  merveilles  de  la  création, 
ou  faisait  de  pieuses  lectures.  On  le  voyait  souvent  prier  à  genoux,  sous 
quelque  arbre  à  l'écart,  sans  négliger  son  troupeau.  Il  eut  plus  d'une  fois 
des  ravissements,  et  il  ne  put  pas  toujours  cacher  aux  yeux  des  hommes 
l'amour  de  Dieu  qui  embrasait  son  cœur.  Quoique  pauvre,  il  trouvait  le 
moyen  de  faire  l'aumône,  partageant  sa  nourriture  avec  ceux  qui  en  man- 
quaient. Plusieurs  bergers,  appelés  comme  témoins  après  sa  mort,  lorsqu'on 
s'occupa  de  sa  canonisation,  déposèrent  qu'il  leur  parlait  souvent  de  Dieu, 
des  moyens  de  le  servir  et  de  l'aimer,  avec  une  éloquence  surhumaine  ; 
qu'il  était  insensible  aux  plaisirs,  ennemi  du  jeu  et  des  divertissements,  dis- 
cret en  ses  paroles  et  en  ses  démarches,  charitable  envers  son  prochain, 
toujours  prêt  à  rendre  service  à  tout  le  monde  pour  gagner  tout  le  monde 
à  Jésus-Christ. 

Son  maître,  ravi  de  cette  conduite  si  sage  et  si  sainte,  lui  exprima  sou- 
vent son  contentement  ;  comme  il  n'avait  pas  d'enfant,  il  lui  proposa  de 
l'adopter  pour  son  fils  et  son  héritier.  Mais  Pascal  craignit  que  les  biens  de 
la  terre  ne  fussent  un  obstacle  à  l'acquisition  de  ceux  du  ciel  ;  il  refusa  les 


612  17  mai. 

offres  de  son  maître,  se  rendant  par  là  plus  conforme  au  Sauveur  qui  est 
venu  sur  la  terre  non  pour  être  servi,  mais  pour  servir. 

A  l'âge  de  vingt  ans,  Dieu  lui  inspira  la  résolution  de  quitter  son  maître, 
son  pays,  sa  profession,  pour  embrasser  l'état  religieux.  Un  des  bergers,  ses 
compagnons,  qui  l'aimait  tendrement,  essaya  de  lui  faire  abandonner  ce 
projet;  le  jeune  Pascal  lui  fît  connaître,  par  un  assez  long  discours,  que  ce 
n'était  que  pour  obéir  aux  ordres  de  Dieu  qu'il  voulait  se  retirer  ;  mais  son 
ami  persistant  à  combattre  sa  résolution,  Pascal,  animé  d'un  saint  zèle,  et 
inspiré  de  Dieu,  lui  dit  :  «Puisque"  vous  doutez  de  la  vérité  de  mes  paroles, 
vous  en  serez  persuadé  par  l'effet  surprenant  que  vous  allez  voir  »  ;  il  frappa 
en  même  temps  par  trois  fois,  avec  sa  boulette,  la  terre  sèche  et  aride  où 
ils  étaient,  et  il  en  sortit  aussitôt  trois  belles  fontaines  qui  coulent  encore  à 
présent. 

Pascal  se  rendit  dans  le  royaume  de  Valence,  où  il  y  avait  un  couvent 
de  Franciscains  déchaussés,  que  l'on  appelait  Soccolans.  Ce  couvent  était 
situé  dans  un  désert,  à  quelque  distance  de  la  ville  de  Montfort.  Notre 
Saint  y  vint  consulter  ces  saints  religieux.  Sans  doute  d'après  leur  conseil, 
ou  par  défiance  de  lui-même,  avant  de  se  renfermer  dans  ce  cloître,  il  entra 
au  service  des  fermiers  du  voisinage,  et  garda  leurs  troupeaux.  Il  venait  les 
dimanches  et  les  jours  de  fête  entendre  la  messe,  recevoir  les  sacrements  et 
prendre  peu  à  peu  l'esprit  de  Saint-François,  chez  les  Soccolans.  Ses  vertus 
l'eurent  bientôt  fait  connaître  dans  toute  la  contrée  :  on  l'appelait  le  saint 
berger. 

Dans  cet  humble  emploi,  il  poussa  le  scrupule  jusqu'à  tenir  note  des 
moindres  dégâts  que  les  bêtes  confiées  à  sa  garde  faisaient  aux  champs,  ou 
le  long  des  chemins,  pour  ensuite  indemniser  les  intéressés  de  ses  propres 
deniers.  Quand  on  se  moquait  de  lui  à  ce  sujet,  il  répondait  :  «  Beaucoup 
de  petits  péchés  véniels  mènent  en  enfer  aussi  sûrement  qu'un  seul  péché 
mortel  '  ».  Une  fois  qu'on  ne  voulut  pas  de  son  argent,  il  aida  à  couper 
les  blés  de  l'intéressé,  jusqu'à  concurrence  du  dommage  causé  par  ses 
bêtes. 

Enfin  il  entra  au  couvent  des  Franciscains,  l'an  1564.  On  lui  offrit  inuti- 
lement de  faire  partie  des  religieux  engagés  dans  les  Ordres  sacrés  :  il  ne 
voulut  être  que  frère  lai,  afin  de  remplir  les  offices  les  plus  bas  et  les  plus 
pénibles,  et  de  se  sanctifier  dans  les  humiliations. 

Il  pratiqua  la  règle  de  Saint-François  dans  toute  la  rigueur  de  la  lettre  et 
de  lesprit,  et  il  s'avança  dans  la  perfection  religieuse  de  manière  à  étonner 
les  plus  anciens  et  les  plus  saints  de  la  communauté.  Il  ne  souffrait  aucun 
vide  entre  la  prière  et  le  travail,  dans  lequel  même  on  peut  dire  qu'il  conti- 
nuait ia  prière.  Jamais  on  ne  l'entendait  parler  de  personne  ou  pour  s'en 
plaindre,  ou  pour  blâmer  sa  conduite  ou  pour  donner  atteinte  à  sa  réputa- 
tion. Tous  ses  mouvements,  tous  ses  discours  et  toutes  ses  actions  respi- 
raient, dès  le  commencement,  cet  air  de  sainteté  à  laquelle  on  le  vit  arriver 
dam  ia  suite.  Quant  à  ses  austérités,  à  ses  pénitences,  il  ne  se  renfermait 
pas  toujours  dans  les  bornes  de  la  règle,  ni  même  dans  celles  de  la  pru- 
dence humaine.  Mais  s'il  tombait  dans  l'excès  de  ce  côté-là,  c'était  sans 
affectation  :  et  ce  qu'on  aurait  pu  y  trouver  à  redire  se  trouvait  suffisam- 
ment rectifié  par  son  humilité  et  le  peu  d'attache  qu'il  avait  à  son  sens.  Il 
s'était  réduit  pour  toute  sa  vie  au  pain  et  à  l'eau,  ou  à  quelques  herbes  ;  il 
portait  toujours  un  cilice  fait  de  soies  de  porc,  avec  une  triple  chaîne  de 

1.  Le  péché  véniel  par  lui-même  et  directement  ne  conduit  pas  en  eafer,  mais  il  y  conduit  indirectt~ 
ineni  en  nous  entraînant  dans  le  péché  mortel. 


SAINT  PASCAL  BATLON,    RELIGIEUX  DE   i/ORDRE   DE   SAINT -FRANÇOIS.         613 

fer  très-pesante  dont  il  se  serrait  la  peau  nue,  outre  deux  fers  à  cheval  qu'il 
avait  sous  le  cilice,  l'un  sur  l'estomac,  et  l'autre  sur  le  dos.  Il  n'avait  pour 
tout  lit  que  la  terre,  ou  quelquefois  des  ais,  et  pour  chevet  une  bûche. 
Souvent  môme,  pour  se  priver  du  plaisir  qu'il  pouvait  trouver  à  se  coucher, 
il  dormait  assis  ou  courbé  dans  une  posture  très-gênante  ;  souvent  il  passait 
les  nuits  dans  une  cellule  sans  toit  et  sans  porte.  Il  n'usait  jamais  de  la 
liberté,  nécessaire  sous  le  ciel  d'Espagne,  de  faire  la  méridienne  durant  l'été  ; 
il  travaillait  tête  nue  au  jardin  dans  les  plus  grandes  chaleurs.  Il  ne  prenait 
que  deux  ou  trois  heures  de  repos  la  nuit,  le  reste  était  pour  la  prière  dans 
sa  cellule  ;  il  se  trouvait  toujours  le  premier  à  Matines.  Ceux  qui  le  voyaient 
composé  d'un  corps  comme  le  leur,  et  qui  étaient  les  témoins  de  ses  austé- 
rités, ne  trouvaient  plus  rien  d'incroyable  dans  tout  ce  qu'on  rapporte  de 
plus  inouï,  touchant  les  anciens  solitaires  de  l'Egypte  et  de  l'Orient.  Mais 
comme  ils  se  sentaient  en  même  temps  incapables  d'atteindre  au  même 
point,  ils  reconnaissaient  dans  Pascal,  comme  dans  ces  anciens,  une  grâce 
extraordinaire  de  Dieu,  qui  rélevait  au-dessus  des  faiblesses  attachées  à  la 
condition  humaine. 

Après  le  temps  ordinaire  du  noviciat,  il  fit  ses  vœux  solennels  le  jour  de 
la  Purification  de  la  sainte  Vierge  de  l'an  1565,  n'ayant  pas  encore  vingt- 
cinq  ans  accomplis.  Depuis  ce  temps  on  le  fit  passer  de  couvent  en  couvent, 
et  on  lui  fit  faire  divers  voyages  :  il  y  trouva  une  excellente  occasion  de  se 
regarder  comme  un  étranger  sur  la  terre,  et  sa  vie  comme  un  continuel 
pèlerinage.  Partout  où  il  alla,  il  porta  ses  vertus  et  sa  régularité. 

On  le  chargeait  ordinairement,  dans  les  différents  couvents  où  on  le  fit 
séjourner,  de  la  porte  et  du  réfectoire,  parce  qu'on  le  connaissait  affable, 
discret,  vigilant,  actif,  fidèle. 

Une  fois  il  vint  quelques  femmes  qui  demandèrent  à  se  confesser  au 
supérieur  de  la  maison.  Celui-ci  ordonna  à  Pascal  de  leur  dire  qu'il  n'était 
pas  chez  lui.  —  «  Je  leur  dirai  »,  répliqua  le  portier,  «  que  vous  ne  pouvez 
pas  venir,  étant  occupé  ».  —  «  Non  »,  reprit  le  supérieur,  «  vous  direz  que 
je  ne  suis  pas  à  la  maison  ».  —  «  Pardon  »,  repartit  alors  Pascal,  qui  d'ail- 
leurs était  extrêmement  timide  et  soumis  ;  «  je  ne  puis  pas  dire  cela,  car  ce 
serait  un  mensonge,  et  par  conséquent  un  péché  ». 

En  sa  qualité  de  portier,  il  avait  coutume  de  distribuer  aux  pauvres  les 
restes  de  la  table  des  religieux  ;  et  pour  que  cette  aumône  fût  profitable  à  leur 
âme,  en  même  temps  qu'à  leur  corps,  il  adopta  l'usage  de  prier  avec  eux  à 
genoux,  avant  et  après  chaque  repas.  Durant  plusieurs  années,  il  mit  jour- 
nellement en  réserve  sa  portion  de  nourriture  pour  la  donner  à  un  pauvre 
vieillard.  Quand  il  arrivait  qu'il  n'eût  rien  à  donner  aux  malheureux,  pour 
ne  pas  les  renvoyer  les  mains  vides,  il  allait  au  jardin,  y  cueillait  des  fleurs, 
et  puis  il  les  leur  distribuait  en  les  priant  doucement  de  lui  pardonner  de 
n'avoir  que  cela  à  leur  offrir.  On  peut  croire  que  cette  sorte  d'aumône, 
donnée  d'un  si  bon  cœur,  avait  à  leurs  yeux  plus  de  prix,  que  si  un  riche 
arrogant  leur  avait  jeté  à  chacun  une  pièce  de  monnaie.  Un  jour  le  supé- 
rieur du  couvent  lui  dit  de  mieux  gérer  les  intérêts  de  la  communauté,  et 
de  ne  pas  faire  l'aumône  à  tous  ceux  qui  se  présentaient. —  «Mais  »,  répon- 
dit naïvement  Pascal,  «  s'il  se  présente  douze  pauvres,  et  que  je  ne  donne 
qu'à  dix,  il  est  à  craindre  que  précisément  parmi  les  deux  que  je  renvoie  se 
trouve  Jésus- Christ  ». 

Pour  l'amour  des  pauvres,  il  poussait  l'économie  à  l'excès  :  il  disait  à  ses 
confrères  de  ne  pas  répandre  inutilement  même  une  goutte  d'huile,  pour 
ne  pas  diminuer  d'autant  la  sainte  aumône. 


614  17  mai. 

La  simplicité  est  fille  de  l'humilité  et  mère  de  la  patience.  Le  supérieur 
du  couvent  était  un  vieillard  morose,  qui  avait  toujours  quelque  chose  à 
reprendre  dans  les  actes  de  son  portier,  et  qui  un  jour,  à  la  coulpe  ',  repro- 
cha même  publiquement  à  Pascal  d'être  orgueilleux  de  ses  vertus.  Pascal, 
sans  répondre  un  seul  mot,  et  sans  changer  de  physionomie,  s'en  retourna 
à  son  poste.  Alors,  un  des  religieux  alla  le  trouver  pour  le  consoler,  lui  di- 
sant, entre  autres,  de  porter  cette  humiliation  avec  patience.  Mais  Pascal 
lui  répondit  :  «  Sachez  »,  mon  frère,  «  que  c'est  le  Saint-Esprit  qui  a  parlé 
par  la  bouche  de  notre  Père  supérieur  ».  C'est  la  réponse  qu'il  donnait 
habituellement,  quand  on  voulait  le  consoler  de  l'espèce  de  persécution 
que  le  rigide  supérieur  exerçait  à  son  égard. 

L'âme  de  saint  Pascal  était  un  paradis,  ou,  si  l'on  veut,  un  temple  du 
Saint-Esprit,  où  jour  et  nuit  retentissaient  des  hymnes  et  des  actions  de 
grâces.  La  joie  qui  sans  cesse  remplissait  son  cœur  était  telle  qu'elle  débor- 
dait par  ses  yeux,  par  ses  traits,  et  même  par  ses  lèvres  :  toute  la  journée 
il  fredonnait  des  cantiques  et  des  psaumes.  Comme  un  enfant  qui  vient  de 
recevoir  un  joujou,  et  qui  ne  peut  cacher  sa  joie,  Pascal  ne  pouvait  s'em- 
pêcher de  parler  de  Dieu  à  tous  ceux  qu'il  rencontrait.  Maintes  fois  on  l'a 
vu  courir  à  l'un  ou  à  l'autre,  et  lui  dire  à  l'oreille  :  Tout  ce  qui  vient  de 
Dieu  est  bon;  ou  encore  :  Loué  soit  Jésus-Christ;  ou  encore  :  Mon  amour 
est  crucifié,  etc.  Au-dessus  de  la  porte  d'entrée  du  réfectoire  se  trouvait 
une  image  de  la  sainte  Yierge.  Or,  un  jour  le  bon  Pascal,  se  croyant  seul 
dans  la  salle,  se  mit  à  danser  devant  cette  image,  en  chantant  un  cantique 
en  l'honneur  de  la  Vierge,  mu  par  cette  sainte  joie  qui  fit  danser  David 
devant  l'Arche  du  Seigneur. 

La  naïveté  de  Pascal  était  une  sainte  simplicité,  fruit  de  l'innocence  de 
son  âme  et  de  sa  profonde  piété,  et  non  du  manque  d'intelligence.  Deux 
faits  le  prouvent  :  le  premier,  c'est  qu'il  avait  une  connaissance  extraordi- 
naire des  choses  divines  ;  le  second,  c'est  que  souvent  il  obtenait  ce  qu'il 
voulait  plus  sûrement  que  d'autres,  qui  eussent  été  plus  rusés.  Un  jour  le 
supérieur  chargea  l'orateur  de  la  maison  d'aller  trouver  un  bourgeois  de 
l'endroit,  qui  avait  été  offensé  par  un  autre,  pour  tâcher  de  le  réconcilier 
avec  son  ennemi.  Pascal  devait  l'accompagner.  Mais  cette  pieuse  et  chari- 
table mission  eut  si  peu  d'effet,  que  le  bourgeois  voulut  même  exercer  des 
violences  sur  le  religieux.  Alors  Pascal  dit  simplement  ces  mots  :  Mon  frère, 
pardonnez-lui  pour  l'amour  de  Dieu  !  Aussitôt  l'autre,  se  retournant  vers  le 
religieux,  lui  dit  :  «  Mon  père,  je  consens  â  tout  ce  que  vous  voudrez;  je 
lui  pardonne  pour  l'amour  de  Dieu  ».  Une  autre  fois,  un  meurtre  ayant  été 
commis,  des  hommes  influents  et  savants  cherchèrent  en  vain  à  décider  le 
fils  de  la  victime  à  pardonner  au  meurtrier.  Pascal,  doué  d'une  éloquence 
qu'on  ne  saurait  appeler  naturelle,  mais  suj-naturelle,  parvint  sans  beaucoup 
de  peine  à  convaincre  le  jeune  homme  qu'il  devait  se  désister  de  toute 
action  judiciaire,  et  même  pardonner  de  bon  cœur  au  meurtrier  de  son 
père. 

Il  n'entreprenait  aucune  affaire  tant  soit  peu  importante,  sans  avoir 
d'abord  consulté  Dieu  par  la  prière.  Un  jour,  le  supérieur  lui  remit  une 
feuille  de  papier,  avec  ordre  d'écrire  une  lettre  au  gouverneur  de  la  pro- 
vince, ami  de  Pascal,  pour  lui  recommander  une  affaire  importante  con- 
cernant le  couvent.  Au  bout  de  quelques  moments,  le  supérieur,  voulant 
savoir  si  la  lettre  était  achevée,  alla  trouver  Pascal  dans  sa  cellule  :  il  le 

1.  On  appelle  coulpe,   dans  quelques  ordres  religieux,  une  sorte  de  confession  publique,  qui  a  lieu  à 
des  époques  déterminées. 


SAINT   PASCAL  BAYLON,    RELIGIEUX  DE  L'ORDRE  DE   SAINT-FRANÇOIS.         615 

trouva  à  genoux  par  terre,  ayant  la  feuille  de  papier  entre  les  mains  jointes, 
et  priant  Dieu  de  lui  dicter  ce  qu'il  devait  écrire. 

Saint  Pascal,  en  parlant  de  la  prière,  avait  des  expressions  à  la  fois  sim- 
ples et  profondes.  Il  disait,  par  exemple  :  h  Dieu  étant  prêt  à  nous  donner 
tout  ce  qu'il  nous  faut,  nous  devons  toujours  le  prier  avec  une  entière  con- 
fiance. Dieu  attend  que  nous  lui  demandions  et  même  il  nous  excite  à  im- 
plorer son  secours.  Sachant  donc  que  Dieu  se  fait  un  plaisir  de  donner, 
nous  devons  ne  point  nous  lasser  de  lui  demander.  Quand  vous  priez,  figu- 
rez-vous être  seul  au  monde  avec  Dieu  et  pensez  qu'il  n'a  que'  vous  à 
écouter  et  à  exaucer  ;  demandez- lui  ses  grâces  avec  amour,  avec  instance, 
avec  importunité  ». 

Saint  Pascal,  en  parlant  des  scrupules,  nous  fait  comprendre  clairement 
la  différence  qui  existe  entre  la  vraie  et  la  fausse  piété.  Il  appelait  naïvement 
les  scrupules  les  puces  de  la  conscience.  Ce  qui  manque  à  beaucoup  d'âmes 
dévotes,  c'est  une  confiance  sans  bornes  en  Dieu  et  un  véritable  amour.  En 
Pascal  ces  deux  sentiments  étaient  devenus,  en  quelque  sorte,  une  seconde 
nature.  C'est  ce  qui  se  voyait  surtout  quand  il  s'approchait  de  la  sainte 
table  :  en  recevant  la  sainte  communion,  il  n'exprimait  pas  sa  ferveur  par 
des  gestes,  des  soupirs  et  des  contorsions,  comme  font  certaines  gens;  mais 
il  y  allait  simplement,  paisiblement,  comme  un  ami  qui  va  voir  et  embras- 
ser son  ami. 

Son  emploi  de  portier  et  de  réfectorier  ne  l'empêchait  pas  de  travail- 
ler aussi  au  jardin,  à  l'infirmerie,  à  la  salle  des  hôtes,  et  à  la  cuisine  même 
quand  il  en  trouvait  l'occasion.  Il  s'appliquait  à  chacune  de  ces  fonctions 
comme  s'il  n'avait  eu  qu'elle  seule.  Souvent  aussi  on  l'employait  à  scier 
du  bois,  et  l'on  était  surpris  qu'un  corps  aussi  macéré  que  le  sien  pût  résis- 
ter à  des  fatigues  sous  lesquelles  on  voyait  tous  les  jours  succomber  ceux 
qui  se  nourrissaient  le  mieux. 

L'Ordre  de  Saint-François  avait  alors  pour  général  Christophe  de 
Gheffon,  breton  de  naissance,  qui  était  à  Paris.  Il  était  difficile  aux  cou- 
vents étrangers  d'avoir  des  communications  avec  lui  ;  à  cette  époque,  pour 
un  religieux  espagnol,  aller  en  France  c'était  à  peu  près  aller  à  la  mort, 
parce  que  le  royaume  de  France  était  presque  partout  sous  la  vexation  des 
Huguenots,  qui  ne  faisaient  quartier  nulle  part  aux  moines  ni  aux  mendiants 
qui  leur  tombaient  sous  la  main.  Personne  ne  voulait  entreprendre  un 
voyage  si  dangereux  :  cependant  le  provincial  de  Valence,  se  trouvant 
indispensablement  obligé  d'écrire  au  général,  ne  vit  que  le  frère  Pascal  à 
qui  on  pût  proposer  de  porter  cette  lettre  à  Paris.  En  effet,  notre  Saint  ac- 
cepta la  commission  avec  beaucoup  de  joie,  sans  raisonnement,  sans  objec- 
tion, sans  s'inquiéter  des  moyens  de  faire  un  si  long  voyage.  Il  partit  pieds 
nus,  sans  sandales,  selon  sa  coutume.  Lorsqu'il  eut  passé  les  Pyrénées,  il 
entra  dans  un  couvent  de  France  où  il  y  avait  un  grand  nombre  de  religieux 
savants,  ce  qui  nous  fait  juger  que  c'était  à  Toulouse.  Les  périls  de  sa  mis- 
sion inspirèrent  une  telle  pitié,  qu'avant  de  le  laisser  aller  plus  loin  on 
examina  en  plein  chapitre  s'il  est  permis  de  s'exposer  à  un  péril  évident  de 
mort  en  vertu  de  l'obéissance  que  l'on  a  vouée  à  son  supérieur.  On  conclut 
enfin  que  la  chose  était  permise,  et  on  laissa  aller  le  frère  Pascal.  Joyeux  de 
cette  décision,  et  ne  désirant  rien  tant  que  d'être  martyr  de  l'obéissance,  il 
ne  se  fit  plus  scrupule  de  marcher  en  plein  jour  à  travers  les  villes,  même 
où  les  Huguenots  semblaient  être  les  maîtres.  On  cria  souvent  au  papiste 
sur  lui  ;  souvent  il  fut  poursuivi  d'un  village  à  l'autre  par  la  populace  à 
coups  de  nierres  et  de  bâtons.  Il  reçut  même  à  l'épaule  gauche  une  blessure 


616  17  mai. 

dont  il  demeura  estropié  le  reste  de  sa  vie.  Etant  près  d'Orléans,  il  se  vit 
environné  d'une  troupe  de  gens  qui  le  mirent  sur  la  religion,  et  lui  deman- 
dèrent s'il  croyait  que  le  corps  de  Jésus-Christ  était  dans  le  sacrement  de 
l'Eucharistie.  Sur  la  réponse  qu'il  leur  fit,  ils  voulurent  entrer  en  contro- 
verse avec  lui,  pour  se  donner  le  plaisir  de  l'embarrasser  par  leurs  subti- 
lités. Mais  quoiqu'il  n'eût  de  la  science  théologique  qu'autant  qu'il  avait 
plu  à  Dieu  de  lui  en  communiquer  par  infusion,  et  qu'il  ne  sût  point  d'autre 
langue  que  celle  de  son  pays,  il  les  confondit  de  telle  sorte,  qu'ils  ne  purent 
lui  répliquer  qu'à  coups  de  pierres.  Il  en  fut  quitte  pour  quelques  bles- 
sures; étant  heureusement  sorti  de  leurs  mains,  il  passa  devant  la  porte 
d'un  château,  où  il  demanda  par  aumône  un  morceau  de  pain,  comme  il 
avait  coutume  de  faire  lorsqu'il  était  pressé  par  la  faim.  Le  maître  du  lieu 
était  un  gentilhomme  huguenot,  grand  ennemi  des  catholiques,  et  il  était 
à  table  lorsqu'on  lui  dit  qu'il  y  avait  à  la  porte  une  espèce  de  moine  en  fort 
mauvais  équipage  qui  demandait  l'aumône.  Il  le  fit  entrer  ;  et  après  avoir 
longtemps  considéré  son  habit  déchiré,  et  son  visage  basané,  il  jura  que 
c'était  un  espion  espagnol,  et  il  se  préparait  à  le  faire  mourir,  si  sa  femme, 
qui  en  eut  compassion,  ne  l'eût  fait  secrètement  mettre  à  la  porte,  mais  sans 
songer  à  lui  donner  un  morceau  de  pain.  Une  pauvre  femme  catholique  du 
village  voisin  lui  fit  cette  charité  ;  et,  lorsqu'après  avoir  repris  ses  forces,  il 
se  ci  oyait  en  quelque  sûreté,  il  pensa  être  sacrifié  de  nouveau  à  la  fureur 
de  la  populace  que  son  habit  avait  attirée.  Un  de  la  bande  le  saisit,  sans 
s'expliquer  sur  ce  qu'ii  voulait  faire,  et  le  jeta  dans  une  étable  qu'il  ferma 
à  la  clef.  Pascal  se  prépara  toute  la  nuit  à  mourir  le  lendemain  ;  mais  au 
lieu  de  la  mort  qu'il  attendait,  celui  qui  l'avait  renfermé  vint  lui  apporter 
l'aumône,  et  le  fit  sortir  deux  heures  après  le  soleil  levé.  Il  arriva  enfin  à 
Paris  après  avoir  essuyé  mille  dangers,  et  en  partit  pour  retourner  en  Espa- 
gne dès  qu'il  se  fut  acquitté  de  la  commission  qui  l'avait  fait  venir  en  France. 
En  chemin,  il  vit  venir  à  lui  un  cavalier  qui,  sans  le  saluer,  lui  mit  la  pointe 
de  la  lance  contre  la  poitrine,  et  lui  demanda  :  Ou  est  Dieu?  Pascal,  sans 
s'effrayer,  mais  aussi  sans  avoir  le  temps  de  réfléchir,  lui  répondit  :  II  est 
dans  le  ciel.  Le  cavalier  retira  aussitôt  sa  lance,  et  s'en  retourna  sans  rien 
dire  de  plus.  Notre  Saint,  d'abord  étonné  de  cette  conduite,  la  comprit  en  y 
réfléchissant  davantage;  le  soldat  l'avait  épargné,  parce  qu'il  s'était  con- 
tenté de  dire  que  Dieu  est  dans  le  ciel  ;  s'il  avait  ajouté  qu'il  est  aussi  dans 
la  sainte  Eucharistie,  il  l'aurait  percé  de  sa  lance.  Pascal  s'affligea  d'avoir 
ainsi  perdu  la  couronne  du  martyre,  et  il  crut  que  Dieu  l'en  jugeait  indi- 
gne, puisqu'il  ne  lui  avait  pas  mis  cette  réponse  dans  la  pensée.  Mais  il 
remporta  la  couronne  de  l'obéissance,  pour  laquelle  il  avait  à  toute  heure 
exposé  sa  vie  dans  le  cours  d'un  si  long  voyage. 

A  son  retour  en  Espagne,  il  continua  de  donner  à  ses  frères  les  exemples 
de  toutes  les  vertus  monastiques.  Plus  il  devenait  méprisable  à  ses  propres 
yeux,  plus  il  s'attirait  l'estime  et  le  respect  des  autres.  Ils  avaient  une  si 
haute  opinion  de  sa  sagesse  et  de  sa  pénétration  dans  les  choses  de  Dieu, 
qu'ils  le  consultaient  plus  volontiers  que  leurs  docteurs  les  plus  habiles.  Les 
gardiens  des  couvents  lui  confiaient  l'inspection  de  la  maison  en  leur 
absence,  au  préjudice  des  prêtres  et  des  anciens  de  la  communauté.  Les 
maîtres  des  novices  en  usaient  de  même  ;  ils  se  déchargeaient  quelquefois 
de  leurs  emplois  sur  lui,  sachant  combien  ses  instructions  étaient  capables 
de  faire  impression  sur  l'esprit  de  leurs  élèves.  Le  Père  Ximenès,  célèbre 
professeur  de  théologie,  et  le  premier  biographe  de  notre  Saint,  assure  qu'il 
trouvait  dans  ses  entretiens,  sur  les  points  les  plus  difficiles  de  la  science 


SATNT  PASCAL   LAYLON,    RELIGIEUX   DE   L  ORDRE   DE    SAINT -FRANC  01  S.         617 

sacrée,  des  lumières  qu'il  n'avait  point  vues  dans  les  livres  des  plus  fameux 
docteurs. 

Le  Père  Emmanuel  Rodriguez,  savant  renommé,  dit  avoir  éprouvé  la 
même  chose.  Deux  théologiens  de  la  Compagnie  de  Jésus,  ayant  causé  avec 
lui  sans  le  connaître,  le  prirent  pour  un  savant.  Ils  furent  bien  étonnés 
quand  ils  surent  que  ce  n'était  qu'un  simple  Frère,  qui  n'avait  jamais  ap- 
pris la  théologie  ailleurs  que  dans  l'oraison  et  devant  le  crucifix  ;  ils  com- 
prirent que  Notre-Seigneur  communique  quelquefois  à  ses  fidèles  disciples 
plus  de  science  que  les  études  les  plus  longues. 

Pascal  Baylon  a  composé  de  petits,  mais  admirables  traités  sur  la  na- 
ture et  les  perfections  de  Dieu,  sur  le  mystère  de  la  sainte  Trinité  et  sur 
celui  de  l'Incarnation  du  "Verbe  ;  il  en  a  aussi  écrit  d'autres  sur  la  ma- 
nière de  faire  l'oraison,  sur  les  trois  degrés  de  la  perfection  chrétienne, 
sur  la  grâce,  sur  les  anges,  et  sur  plusieurs  autres  semblables  matières  de 
piété  ;  ce  fut  la  lecture  de  ces  ouvrages  qui  fit  dire  à  l'illustre  Dom  Jean  de 
Ribera,  archevêque  de  Valence  et  patriarche  d'Antioche,  parlant  au  Provin- 
cial des  Frères  Mineurs  :  «  Ah  1  mon  père,  à  quoi  nous  servent  nos  études 
si  pénibles,  puisque  les  simples  deviennent  bien  plus  savants  par  l'exercice 
de  l'humilité  et  de  l'oraison,  que  nous  en  consumant  nos  yeux  et  notre  vie 
sur  les  livres  ;  ils  s'élèvent  au  ciel  pendant  que  nous  rampons  sur  la  terre, 
et  ils  en  ravissent  la  possession  par  leur  simplicité,  pendant  que  notre 
science,  enflée  d'orgueil,  nous  donne  un  juste  sujet  de  craindre  d'en  être 
bannis  éternellement  ». 

Le  don  des  miracles  accompagnait,  chez  notre  Saint,  celui  de  la  science. 
Ayant  appris,  dans  un  voyage,  que  la  peste  désolait  une  ville  située  sur 
son  chemin,  loin  de  s'en  détourner,  il  se  hâta  d'y  aller,  exhorta  les  habitants 
à  se  repentir  de  leurs  péchés,  pria  pour  eux,  et  le  fléau  disparut  aussitôt. 
Par  une  prière,  il  obtint  de  Dieu  la  guérison  d'un  asthmatique  qui  ne  pou- 
vait plus  respirer. 

Son  supérieur  lui  commanda  de  faire  le  signe  de  la  croix  sur  un  reli- 
gieux qui  avait  une  hémorrhagie  si  dangereuse,  que  les  médecins  désespé- 
raient de  sa  vie  :  le  Saint  n'eut  pas  plus  tôt  obéi,  que  le  sang  cessa  de 
couler  et  que  le  malade  recouvra  toutes  ses  forces.  Le  procès-verbal  qui  fut 
fait  peu  de  temps  après  sa  mort,  par  autorité  de  l'Eglise,  fait  mention  d'une 
infinité  de  personnes  qui  déclarèrent  avec  serment  qu'elles  avaient  été 
guéries  de  diverses  maladies  par  la  vertu  du  signe  de  la  croix  que  ce  reli- 
gieux avait  fait  sur  elles. 

Dieu  accorda  encore  à  notre  Saint  le  don  de  prévoir  les  choses  à  venir. 
Etant  un  jour  avec  un  prédicateur  qu'il  accompagnait  dans  la  maison  d'un 
homme  riche  qui  était  du  Tiers  Ordre  de  Saint-François,  il  pria  cet  homme, 
avant  de  souper,  de  mettre  ordre  au  plus  tôt  à  sa  conscience  et  à  ses  af- 
faires domestiques,  lui  disant  qu'il  n'avait  plus  que  très-peu  de  temps  à 
vivre.  L'événement  vérifia  la  prédiction  du  Saint,  car  l'hôte,  après  s'être 
confessé  et  avoir  mis  ordre  aux  affaires  de  sa  maison,  fut  frappé  d'apoplexie, 
et  mourut  peu  ce  temps  après.  Il  donna  un  semblable  avertissement  à  un 
chanoine  de  ses  amis,  qu'il  fit  confesser  et  auquel  il  fit  recevoir  l'Extrême- 
Onction  et  le  saint  Viatique  ;  cet  ecclésiastique  mourut  une  heure  après.  Il 
en  usait  de  même  avec  tous  les  malades  qu'il  visitait,  leur  prédisant  infailli- 
blement l'issue  de  la  maladie,  ou  pour  la  santé  ou  pour  la  mort,  les  exhor- 
tant toujours  à  se  confesser  et  à  se  mettre  bien  avec  Dieu. 

Ces  faveurs  célestes,  ces  vertus,  le  bien  que  Pascal  faisait,  rendaient  les 
démons  furieux.  Iîs  lui  livrèrent  les  plus  rudes  combats  ;  quelquefois,  ils 


618  17  mai. 

s'élançaient  sur  lui  en  forme  de  lions  et  de  tigres,  comme  pour  le  dévorer  ; 
quelquefois  ils  tâchaient  de  l'épouvanter  par  des  figures  horribles  ;  ils  le 
frappaient  avec  tant  de  rage  que  son  corps  en  devenait  tout  livide;  ces  com- 
bats et  les  coups  qu'il  y  recevait  étaient  si  réels,  que  les  religieux,  qui  en 
entendaient  le  bruit,  étaient  souvent  obligés  d'accourir  à  son  secours;  mais 
le  Saint,  parfaitement  aguerri  contre  ces  ennemis  du  salut  et  de  la  perfec- 
tion des  nommes,  ne  s'effrayait  plus  de  leurs  attaques.  Changeant  alors  de 
tactique,  les  démons  se  contentèrent  de  lui  suggérer  intérieurement  des 
sentimenls  de  vanité  ;  ou  bien  ils  lui  apparaissaient  sous  des  figures  célestes, 
tantôt  de  son  ange  gardien,  tantôt  de  saint  François  d'Assise,  et  môme  de 
la  sainte  Vierge,  dans  le  dessein  de  réveiller  son  amour-propre,  en  lui  fai- 
sant croire  qu'il  était  un  grand  saint,  étant  honoré  de  la  visite  des  bien- 
heureux esprits.  Quand  Pascal  eut  découvert  cet  artifice,  l'ennemi  de  nos 
âmes  eut  recours  à  un  autre  :  il  s'offrait  à  lui  les  bras  étendus  en  forme  de 
croix,  versant  beaucoup  de  sang  de  toutes  les  parties  du  corps,  disant  au 
Saint  qu'il  venait  lui  donner  des  marques  de  son  amour  et  de  son  estime, 
de  ce  qu'il  était  le  seul  au  monde  qui  prenait  part  à  ses  souffrances  et  aux 
opprobres  qu'il  avait  supportés  dans  sa  passion  ;  mais  le  Saint,  divinement 
éclairé,  découvrant  cette  nouvelle  ruse,  dit  à  cet  ange  de  ténèbres,  dont  il 
méprisait  les  fausses  lumières  :  «  Quoi  !  loup  ravissant,  oses-tu  paraître  sous 
la  peau  de  cet  agneau  divin  qui  t'a  vaincu  par  sa  mort,  et  qui  t'a  banni  du 
monde  par  le  triomphe  de  sa  croix?  Retire-toi  d'ici,  misérable  orgueilleux, 
et  sache  que  ceux  qui  tâchent  de  devenir  les  véritables  disciples  de  sa  croix 
De  craignent  pas  plus  tes  ruses  et  tes  artifices  que  les  vains  efforts  extérieurs 
de  ta  malice  ».  A  ces  puissantes  paroles,  prononcées  dans  l'esprit  d'une  foi 
vive  et  d'une  parfaite  confiance  en  Dieu,  le  démon  se  retira  tout  confus, 
faisant  un  bruit  si  terrible,  que  tous  les  religieux  du  couvent  de  Villa  - 
Real,  où  était  alors  le  bienheureux  Pascal,  en  furent  épouvantés.  Ce  ne  fut 
pas  lu,  néanmoins,  la  dernière  attaque  que  Satan  livra  au  saint  Religieux. 
Il  y  avait  en  la  ville  de  Valence,  où  notre  Saint  demeurait  alors,  une 
jeune  demoiselle,  très-bien  faite,  en  laquelle  tout  le  monde  admirait  une 
haute  vertu  jointe  à.  une  grande  beauté  ;  comme  elle  savait  que  le  bienheu- 
reux Pascal  vivait  en  odeur  de  sainteté,  elle  le  voyait  quelquefois  pour  lui 
demander  des  avis  spirituels,  et  il  les  lui  donnait  par  charité,  comme  à 
tous  les  autres  qui  le  consultaient  sur  l'affaire  de  leur  salut;  cette  jeune 
fille  fut  charmée  des  excellentes  instructions  qu'elle  recevait  de  ce  saint  reli- 
gieux, et,  comme  il  était  portier,  elle  forma  le  dessein  de  le  venir  voir  plus 
souvent,  ayant  une  grande  facilité  pour  le  trouver  quand  elle  voudrait.  Les 
entrevues  furent  d'abord  toutes  spirituelles,  comme  dit  saint  Paul  :  mais 
le  démon  en  profita  pour  tendre  au  Saint  un  piège  très-dangereux.  Il 
excita  peu  à  peu  dans  le  cœur  de  la  jeune  fille  de  la  passion  pour  Pascal. 
Elle  lui  rendit  des  visites  plus  assidues,  et,  un  jour  qu'elle  savait  que  tous 
les  religieux  étaient  retirés,  elle  vint  sonner  à  la  porte  pour  parler  au  frère 
Pascal,  qui  était  alors  devant  le  Saint-Sacrement  ;  il  vint,  et  sa  modestie 
ordinaire  jointe  à  un  discours  rempli  de  piété,  rendit  d'abord  la  jeune  fille 
tout  interdite  ;  mais  soutenue  qu'elle  était  par  le  malin  esprit,  qui  la  gou- 
vernait en  ce  moment,  elle  commença  à  lui  parler  d'une  manière  plus 
humaine  et  plus  obligeante  qu'à  l'ordinaire;  c'en  fut  assez  pour  faire  con- 
naître à  ce  religieux  très -éclairé  qu'elle  servait  d'organe  au  démon  dans  ce 
moment  pour  le  tenter;  il  lui  fit  aussitôt  une  très-sévère  réprimande,  et,  la 
chassant  sur-le-champ  avec  indignation,  il  retourna  en  diligence  aux  pieds 
des  autels,  d'où  il  venait,  et  il  y  rendit  grâces  à  Dieu  de  l'avoir  préservé 


SAINT  PASCAL  BAYL0N,   RELIGIEUX  DE  L'ORDRE  DE   SAINT-FRANÇOIS.         619 

de  ce  danger,  et  le  pria  d'éclairer  l'esprit  de  cette  jeune  fille,  qui  s'était  lais- 
sée surprendre  par  le  démon  :  c'est  ainsi  que  les  vrais  amis  de  la  pauvreté 
triomphent  des  plus  fines  adresses  de  tout  l'enfer. 

Une  de  ses  plus  ordinaires  occupations  était  de  donner  des  avis  salu- 
taires à  ceux  qu'il  savait  être  trompés  par  les  illusions  du  démon,  sous  de 
faux  prétextes  de  piété.  Un  jeune  religieux  de  Valence  se  chargeait  de  très- 
rudes  mortifications,  et  ne  manquait  point  de  se  discipliner  tous  les  jours 
avec  une  extrême  sévérité,  quoiqu'il  ne  laissât  pas  d'ailleurs  d'être  fort  im- 
parfait et  très-négligent  dans  tous  ses  devoirs  ;  le  Saint,  qui  le  surprit  un 
jour  dans  le  temps  qu'il  se  maltraitait  ainsi  dans  l'église,  en  ayant  com- 
passion, lui  découvrit  charitablement  l'illusion  dans  laquelle  le  démon  l'en- 
tretenait ;  à  peine  eut-il  éclairé  cet  aveugle,  que  le  prince  des  ténèbres,  qui 
en  faisait  auparavant  son  jouet,  se  retira. 

Un  prédicateur,  qui  avait  une  manière  de  prêcher  toute  mondaine,  et 
qui  ne  s'étudiait  qu'à  la  politesse  du  discours,  changea  cette  manière,  sui- 
vant les  avis  du  frère  Pascal,  fit  dans  la  suite  des  conversions  très-admi- 
rables et  fut  infiniment  plus  estimé  qu'auparavant.  Il  exhortait  d'ordinaire 
tous  les  prédicateurs  à  étudier  l'Evangile  au  pied  du  crucifix,  plutôt  que 
de  chercher  des  pensées  dans  les  livres,  et  il  leur  conseillait  de  méditer,  en. 
la  présence  de  Dieu,  ce  qu'ils  désiraient  annoncer  au  peuple,  afin  d'être 
eux-mêmes  persuadés  des  vérités  qu'ils  voulaient  enseigner  aux  autres; 
car,  disait-il,  il  est  certain  que  la  langue  ne  parle  jamais  qu'aux  oreilles, 
et  qu'il  n'y  a  que  le  cœur  du  prédicateur  qui  parle  au  cœur  des  auditeurs. 

Pascal  avait  une  tendre  dévotion  pour  la  divine  Eucharistie.  Il  passait 
des  heures  entières  prosterné  devant  le  tabernacle  où  résidait  Notre-Sei- 
gneur,  et  plus  d'une  fois  alors  son  esprit  était  ravi  en  Dieu  ;  le  corps  le  sui- 
vait même,  de  sorte  qu'on  le  voyait  suspendu  en  l'air  par  l'effet  de  l'amour 
divin. 

Lorsqu'il  ne  pouvait  se  rendre  dans  l'église  pour  contenter  sa  dévotion 
envers  Jésus-Christ,  il  s'y  transportait  en  esprit,  se  prosternant  plusieurs 
fois  le  jour  contre  terre  pour  adorer  son  Sauveur,  avec  la  même  ferveur 
que  s'il  avait  été  au  pied  de  ses  autels.  Il  était  merveilleusement  soutenu 
dans  cette  dévotion  par  le  souvenir  d'une  grâce  singulière  qu'il  avait  reçue 
autrefois,  n'étant  encore  que  berger  :  gardant  un  jour  son  troupeau,  il 
avait  entendu  une  cloche  qui  lui  faisait  connaître  qu'on  élevait  la  sainte 
hostie  pendant  la  messe,  dans  une  église  voisine  ;  s'étant  prosterné  au  mi- 
lieu des  champs  pour  l'adorer,  il  arriva  que  cette  hostie  lui  apparut  dans  le 
lieu  où  il  était,  soutenue  par  la  main  des  anges,  qui  l'offraient  à  ses  adora- 
tions. Cette  faveur  extraordinaire  le  remplit  toute  sa  vie  d'une  si  douce 
consolation,  qu'il  n'y  pensait  jamais  sans  de  grands  transports  de  joie  et  de 
très-humbles  actions  de  grâces. 

Il  honorait  aussi  et  aimait  singulièrement  la  Mère  de  Dieu,  lui  deman- 
dant sans  cesse,  par  son  intercession,  d'éviter  le  péché  et  de  faire  une  sainte 
mort.  Un  jour,  comme  il  se  trouvait  à  l'église  du  couvent  de  Villa-Réal,  au 
royaume  de  Valence,  assistant  à  la  sainte  messe,  Dieu  lui  révéla  qu'il  mour- 
rait bientôt;  il  se  mit  alors  à  pousser  des  cris  d'allégresse.  Etant  sorti  de 
l'église  pour  rentrer  chez  lui,  il  embrassa  les  personnes  de  sa  connaissance 
qu'il  rencontra  dans  la  rue,  leur  faisant  ses  adieux  et  leur  annonçant  cette 
heureuse  nouvelle.  Peu  de  temps  après,  il  tomba  sérieusement  malade. 
Jusque-là  il  n'avait  jamais  permis  qu'on  lui  lavât  les  pieds,  quoique  cette 
pratique  fût  dans  les  usages  monastiques  ;  mais  la  veille  de  sa  mort  il  pria 
lui-même  un  frère  du  nom  d'Alphonse  de  lui  laver  les  pieds  avec  de  l'eau 


620  17  mai. 

chaude.  Le  frère  lui  ayant  demandé  la  raison  de  cette  prière  insolite,  Pas- 
cal répondit  :  «  Je  recevrai  aujourd'hui  l'Extrême-Onction  ;  il  faut  donc 
que  mes  pieds  soient  propres  ».  En  effet,  le  supérieur  ayant  vu  que  le  saint 
était  très-dangereusement  malade,  le  fit  transporter  à  l'infirmerie,  où,  le 
lendemain,  on  l'administra.  Il  reçut  les  sacrements  avec  une  tendre  piété, 
puis  s'endormit  doucement  dans  le  Seigneur,  après  avoir  remercié  Dieu 
de  tous  les  bienfaits  qu'il  en  avait  reçus  pendant  sa  vie,  et  après  avoir 
invoqué  trois  fois  le  saint  nom  de  Jésus,  l'an  1592,  le  dimanche  de  la 
Pentecôte,  au  moment  de  l'élévation  de  la  sainte  hostie.  Il  avait  cinquante- 
deux  ans. 

Le  grand  concours  de  peuple  qui  venait  implorer  le  secours  du  Saint 
contraignit  de  ne  faire  ses  obsèques  que  trois  jours  après  sa  mort;  une 
infinité  de  miracles,  vérifiés  juridiquement,  se  firent  alors  à  son  tom- 
beau. On  voit  encore,  disait  le  Père  Giry  au  xvne  siècle,  son  corps  sans 
marque  de  corruption,  témoignage  éclatant  de  la  sainteté  de  sa  vie.  Ce 
qu'il  y  a  de  plus  admirable  et  de  plus  surprenant,  c'est  de  voir  que 
le  corps  de  ce  grand  serviteur  de  Dieu  a  toujours  les  yeux  ouverts,  aussi 
vifs  et  aussi  brillants  que  s'il  était  en  vie.  Des  personnes  de  grand  mérite 
ont  assuré  avec  serment,  dans  le  procès-verbal  dressé  par  l'évoque  dio- 
césain et  par  les  autres  commissaires,  députés  du  souverain  Pontife,  qu'ils 
lui  ont  vu  plusieurs  fois  fermer  les  yeux  dans  le  temps  de  l'élévation  de  la 
sainte  hostie,  à  la  messe  conventuelle,  comme  si  son  cœur  était  encore 
vivant  et  animé  du  même  amour,  et  touché  du  même  respect  qu'il  avait 
pour  l'adorable  sacrement  de  l'autel  pendant  sa  vie. 

Tn  miracle  particulier  à  saint  Pascal  Baylon,  et  qui  l'a  surtout  rendu 
célèbre  après  sa  mort,  ce  sont  les  petits  coups  frappés  sur  sa  châsse,  ses 
reliques,  ses  images  :  ces  coups  annoncent  à  ses  dévots  le  succès  de  la 
prière  qu'ils  lui  ont  adressée. 

Un  donne  pour  attributs,  dans  les  arts,  à  saint  Pascal  Baylon:!0 un  calice 
surmonté  d'une  hostie  :  sa  vie  et  sa  tendre  dévotion  à  l'Eucharistie  donnent 
l'intelligence  de  ce  symbole  ;  2°  un  troupeau,  près  duquel  ii  est  à  genoux 
récitant  son  rosaire. 

Le  pape  Paul  V,  ayant  fait  faire  toutes  les  informations  requises,  permit  d'abord  aux  se'culiers  et  régu- 
liers du  royaume  de  Valence  de  faire  l'office  de  ce  grand  serviteur  de  Dieu  comme  d'un  Bienheureux, 
par  un  bref  donné  a  Rome  l'an  1618,  le  29  octobre;  il  étendit,  deux  ans  après,  cette  permission  à  ceux 
du  royaume  de  Castille  et  d'Aragon,  et  Grégoire  XV  accorda  la  même  grâce  h  tous  les  religieux  de  Saint- 
François  d'Assise,  en  l'année  1621.  Enfin,  Alexandre  VIII,  d'heureuse  mémoire,  a  procédé  dans  toutes 
les  formes  à  la  solennité  de  sa  canonisation,  par  une  bulle  du  1er  novembre  de  l'an  1680,  l'inscrivant  au 
Catalogue  des  Saints,  avec  saint  Jean  de  Capistran,  aussi  du  même  Ordre,  et  saint  Jean  de  Sahagnn, 
•aint  Jean  de  Dieu  et  saint  Laurent  Justinien.  Voir  les  Bollaudistes,  mai,  t.  iv,  et  A.  Stolz. 


SAINT  TROPEZ,  OFFICIER  DE  NÉRON,  MARTYR  (ier  siècle). 

Saint  Tropez  était  un  noble  romain  qui  faisait  partie  des  officiers  de  la  maison  de  Néron.  Il 
dut  être  converti  de  bonne  heure,  puisque  saint  Paul  parle  de  lui  dans  la  lettre  qu'il  écrivit  de 
Rome  aux  Philippiens. 

Or,  il  arriva  que  Néron  fit  élever  un  temple  et  une  statue  à  Diane,  dans  la  ville  de  Pise:  il  alla  en 
personne  assister  à  la  dédicace  de  ce  temple  et  ordonna  à  tous  ses  serviteurs  d'adorer  la  déesse. 
Tropez  s'y  refusa  et  prit  même  la  liberté  de  démontrer  à  l'empereur  l'inanité  du  culte  des  idoles.  Le 
courageux  chrétien  n'ignorait  pas  comment  un  Néron  traitait  ceux  qui  lui  déplaisaient  :  il  résolut 
donc  de  se  préparer  à  la  lutte  suprême  et  alla  demander  le  baptême  à  un  saint  prêtre  nommé 
Antoine  qui  se  tenait  caché  dans  une  grotte  des  environs  de  Pise.  Là  un  ange  lui  apparut  et  for- 
tifia son  âme.  De  retour  à  Pise,  Néron  le  fit  sommer  d'obéir  ;  mais  l'énergique  chrétien  resta  iné- 


SAINT  POSSIDIUS,    ÉVÊQUB   DE   CALAME.  621 

branlable  :  il  fut  remis  entre  les  mains  de  Sattelicus,  un  de  ses  proches,  qui  avait  reçu  la  mission 
de  le  faire  mourir. 

Satlelicus  le  jeta  en  prison  et  l'y  laissa  deux  jours  sans  nourriture  :  ce  terme  expiré,  il  le  fit 
attacher  à  une  colonne  où  les  exécuteurs  le  flagellèrent  si  inhumainement  que  bientôt  tout  son 
corps  ne  fut  plus  qu'une  plaie  sanglante.  Mais  voilà  que,  pendant  l'exécution,  la  colonne  chancela 
sur  sa  base  et  écrasa  dans  sa  chute  le  juge  et  cinquante  des  assesseurs  ou  spectateurs.  Sylvin,  le 
fils  de  Satlelicus,  condamna  ensuite  le  Martyr  à  la  roue,  puis  au  supplice  des  bêtes  :  le  lion 
auquel  on  l'exposa  vint  mourir  à  ses  pieds,  et  le  léopard  qu'on  lâcha  sur  lui  vint  le  caresser.  A 
ce  spectacle,  Evellius,un  des  conseillers  de  l'empereur,  se  convertit  et  eut  le  bonheur,  plus  tard,  de 
couronner  sa  vie  par  le  martyre  à  Rome. 

Sylvin,  transporté  de  colère,  fit  conduire  Tropez  hors  des  portes  de  Pise  où  on  lui  trancha  la 
tête  :  c'était  le  3  des  calendes  de  mai  ;  toutefois  on  célèbre  sa  fête  aujourd'hui  à  cause  de  la 
merveilleuse  translation  de  son  corps.  Ce  dépôt  sacré  ayant  en  effet  été  jeté  dans  une  barque 
avariée  sans  voiles  et  sans  rameurs,  au  lieu  de  sombrer  dans  les  flots,  arriva  sur  le3  côtes  de 
Fréjus,  et  s'échoua  dans  le  golfe  de  Grimaud.  Il  fut  recueilli  par  les  chrétiens  de  la  contrée. 
Lorsque  l'ère  des  persécutions  païennes  fut  passée,  on  éleva  une  église  à  l'endroit  où  étaient  les 
reliques  de  saint  Tropez.  Le  golfe,  où  avait  abordé  la  barque,  prit  le  nom  du  Saint  :  il  en  fut  de 
même  de  la  ville  et  du  prieuré  qu'on  bâtit  plus  tard  au  même  lieu.  Les  religieux  de  Saint- 
Victor  de  Marseille  ont  possédé  l'église  de  ce  Saint  dès  l'aunée  1056  ;  le  prieuré,  qu'ils  y  avaient 
établi,  fut  plus  tard  mis  en  commende. 

Quant  aux  reliques  du  Saint,  on  les  a  vainement  cherchées  à  deux  reprises  différentes  dans  le 
cours  du  xvne  siècle. 

Les  attributs  de  saint  Tropez  dans  les  arts  sont  la  nacelle  conduite  par  un  ange  de  Pise,  en 
Provence,  le  lion  et  le  léopard. 

AA.  SS.;  Propre  de  Fréjus;  Histoire  de  saint  Paul,  par  M.  l'abbé  Vidal;  notes  locales  fournie»  par 
M.  le  curé  de  Saint-Tropez. 


SAINT  POSSIDIUS, 

ÉVÊQUE  DE  CALAME,   EN  NUMID1E,    BIOGRAPHE  DE  SAINT  AUGUSTIN. 

Possidius,  un  des  plus  célèbres  disciples  de  saint  Augustin,  fut  élu,  en  397,  évèque  de  Ca- 
lame,  ville  de  Numidie.  Les  Donatistes  et  les  païens  donnèrent  beaucoup  d'exercice  à  son  zèle.  Les 
premiers,  s'étant  ligués  contre  lui  en  404,  le  chassèrent  de  sa  maison,  le  traitèrent  cruellement, 
et  en  vinrent  presque  jusqu'à  lui  ôter  la  vie.  Il  ne  se  vengea  d'eux  qu'en  demandant  leur  grâce  à 
l'empereur. 

Quatre  ans  après,  les  païens,  ayant  célébré  leur  fête  sacrilège  du  premier  jour  de  juin,  eurent 
l'insolence  de  danser  autour  de  l'église,  d'y  jeter  des  pierres  et  d'y  mettre  le  feu.  Ils  blessèrent 
plusieurs  ecclésiastiques,  en  tuèrent  un,  et  auraient  traité  les  autres  de  la  même  manière  s'ils 
n'eussent  pris  la  fuite.  Ceux  des  païens  qui  n'avaient  point  eu  de  part  à  ces  excès  craignirent 
qu'on  ne  les  enveloppât  dans  la  punition  des  coupables.  Nectaire,  leur  chef,  écrivit  à  saint  Augus- 
tin, pour  le  prier  de  prévenir  les  effets  de  la  justice  de  l'empereur.  Il  se  fondait  principalement, 
dans  sa  lettre,  sur  l'obligation  où  étaient  les  pasteurs  chrétiens  de  se  consacrer  aux  œuvres  de 
miséricorde,  et  de  montrer  qu'ils  sont  des  anges  de  paix.  Possidius  s'intéressa  aussi  pour  les  cou- 
pables ;  en  sorte  que  les  ordres  de  l'empereur  portèrent  seulement  que  l'on  briserait  les  idoles 
des  païens,  et  qu'à  l'avenir  il  ne  leur  serait  plus  permis  ni  d'offrir  de  sacrifices,  ni  de  célébrer 
leurs  fêtes  superstitieuses. 

Lorsqu'on  apporta  les  reliques  de  saint  Etienne  en  Afrique,  vers  l'an  410,  Possidius  en  obtint 
nne  portion  dont  il  enrichit  l'église  de  Calame.  Nous  apprenons  de  saint  Augustin  J  qu'il  s'opéra 
alors  plusieurs  miracles  par  la  vertu  de  ces  reliques. 

On  ne  peut  douter  que  Possidius  n'ait  été  du  nombre  des  évèques  qui  établirent  parmi  les 
clercs  de  leur  cathédrale  la  règle  monastique  instituée  par  saint  Augustin.  Ce  Saint  parle  lui- 
même  des  pauvres  religieux  de  Calame. 

1.  L.  xxii,  de  Ciuit.,  c.  8. 


622  i7  sai. 

L'invasion  des  Vandales  mit  à  de  rudes  épreuves  la  patience  et  le  zèle  de  saint  Possidius.  Ces 
barbares,  accoutumés  depuis  longtemps  au  carnage,  passèrent  d'Espagne  en  Afrique  au  nombre 
de  quatre-vingt  mille,  lis  se  furent  !>  entôt  rendus  maîtres  de  la  Mauritanie,  de  la  Numidie  et  de  la 
province  proconsulaire;  il  n'y  eut  que  trois  places  qui  leur  résistèrent  :  Cartilage,  Cirte  et  Hip- 
pone.  ils  pillèrent  tout  le  pays  et  toutes  les  villes  qui  se  trouvèrent  sur  leur  passage.  Calame  fut 
entièrement  ruinée,  et  il  ne  parait  pas  qu'elle  se  soit  jamais  relevée  de  sa  chute. 

Durant  la  fureur  de  la  guerre,  Possidius  se  retira  à  flippone.  11  y  ferma  les  yeux  à  saint  Augus- 
tin, qui  mourut  en  430  pendant  le  siège  de  la  ville,  laquelle  bientôt  après  tomba  entre  les  mains 
des  barbares.  Il  écrivit  la  vie  de  son  cher  maître,  à  laquelle  il  joignit  le  catalogue  de  ses  ou- 
vrages. Depuis  ce  temps-là  il  vécut  toujours  séparé  de  son  troupeau.  On  ignore  le  lieu  et  l'année 
de  sa  mort. 

Les  Italiens  prétendent  que  saint  Possidius  passa  d'Afrique  en  Italie,  et  qu'il  mourut  à  la 
Mirandole.  Celte  ville,  ainsi  que  celle  de  Reggio,  l'honorent  comme  leur  patron.  Les  Chanoines 
réguliers  font  sa  fête  le  17  mai,  et  le  comptent  parmi  les  plus  illustres  Pères  de  leur  Ordre. 

Voyez  la  Vie  et  les  écrits  de  saint  Augustin.  Voyez  aussi  le  Père  Papebroch,  t.  iv,  maii,  et  Dora  Ceil- 
lier.  Le  savant  je'suite  montre  que  l'on  ne  doit  point  confondre  saint  Possidius  avec  Possidonius,  évêque 
en  Afrique,  qui  est  quelquefois  nommé  dans  les  mêmes  eonciles. 


SAINT  MONTAIN  OU  MONTAN,  ERMITE  A  LA  PÈRE  (ve  siècle). 

Tandis  que  les  Gaules,  au  v«  siècle,  étaient  le  théâtre  des  guerres,  des  concussions  et  des  rapines, 
un  solitaire,  nommé  Montain  ou  Montan  l,  vivait  sur  la  Cher,  près  de  Juvigny,  dans  le  Luxembourg. 
Formé  à  la  vertu  dès  l'enfance,  il  vivait  séparé  du  monde  pour  n'avoir  de  commerce  qu'avec  Dieu 
et  se  livrer  tout  entier  aux  exercices  de  la  pénitence.  Inquiété  dans  sa  retraite  par  les  courses 
des  Barbares,  il  la  quitta  et  alla  chercher  une  solitude  plus  profonde  à  La  Fère  (Aisne),  lieu  alors 
rempli  de  bois,  environné  de  précipices  et  de  marais.  Là.  Montan,  tout  occupé  des  besoins  de  l'Eglise 
troublée  par  les  guerres  et  par  l'hérésie  de  Nestorius  que  le  concile  général  d'Ephèse  ('421)  venait  de 
condamner,  ne  cessait  d'implorer  le  secours  du  ciel.  Ses  prières  ne  furent  pas  sans  effet  2.  Un  jour 
que  Montan  reposait  d'un  léger  sommeil,  il  fut  par  trois  fois  averti  de  prédire  àCélinie,  noble  dame 
de  la  contrée,  qu'elle  aurait  un  fils,  et  de  lui  en  déclarer  en  même  temps  le  nom  et  les  mériies.  Tout 
à  coup  il  lui  semble  que,  par  une  grâce  divine,  il  est  transporté  au  milieu  du  chœur  des  anges  et 
de  l'assemblée  des  saintes  âmes,  tenant  ensemble  conseil  et  conférant  de  la  subversion  ou  de  la 
restauration  de  l'église  des  Gaules  :  tous  déclarent  que  le  temps  est  venu  d'avoir  pitié  d'elle  ;  et, 
en  même  temps,  une  voix  qui  retentit  avec  douceur  se  fait  entendre  d'un  lieu  plus  élevé  et  plus 
secret  :  «  Le  Seigneur  a  regardé  du  Saint  des  Saints,  et  du  ciel  en  la  terre,  pour  entendre  les 
gémissements  de  ceux  qui  sont  enchaînés,  et  pour  briser  les  fers  des  61s  de  ceux  qui  ont  péri, 
afin  que  son  nom  soit  annoncé  parmi  les  nations,  et  que  les  peuples  et  les  rois  se  réunissent 
ensemble  pour  le  servir  ». —  La  voix  disait  «  que  Célinie  concevrait  un  fils,  nommé  Rémi,  auquel 
le  peuple  serait  confié  pour  être  sauvé  3  ». 

Après  avoir  reçu  une  si  grande  et  si  douce  consolation,  le  saint  personnage,  trois  fois  averti 
d'accomplir  sa  mission,  vint  annoncer  à  Célinie  l'oracle  de  la  céleste  vision.  Or,  cette  mère  bien- 
heureuse avait  eu  longtemps  auparavant,  dans  ia  fleur  de  sa  jeunesse,  de  son  seul  et  unique  mari, 
Emile,  un  fils  nommé  Principe  (ou  Prince),  depuis  évèque  de  Soissons,  et  père  de  saint  Loup,  son 
successeur  à  l'épiscopat  de  la  rsème  ville  :  la  bienheureuse  Célinie  s'étonne  ;  elle  ne  peut  com- 
prendre comment,  déjà  vieille,  elle  enfantera  un  fils  et  le  nourrira  de  sou  lait,  d'autant  que  son 
rnan  et  elle-même,  grandement  avancés  en  âge,  épuisés  et  stériles,  n'avaient  plus  ni  espoir  ai 
désir  d'avoir  désormais  des  enfants.  Mais  le  bienheureux  Montan,  devenu  aveugle  pour  un  temps, 
afin  que  les  mérites  de  la  patience  abondassent  en  lui,  déclare  à  Célinie  que  ses  yeux  doivent  être 
arrosés  de  son  lait  et  qu'aussitôt  il  recouvrera  la  vue.  Cependant  les  bieuheureux  parents  se  livrent 
à  la  joie  d'une  si  grande  consolation,  et,  quand  le  moment  est  arrivé,  le  futur  pontife  de  Jésus- 
Christ  vient  au  monde  heureusement  et  reçoit,  sur  les  saints  fonts  de  baptême,  le  nom  de  Rémi. 
L'heureuse  promesse  faite  au  saint  Prophète  est  aussi  fidèlement  accomplie  :  car,  pendant  l'allai- 
tement, ses  yeux  sont  arrosés  du  lait  de  la  bienheureuse  mère  Célinie,  et  il  recouvre  la  vue  par 
les  mérites  de  l'enfant  *.  —  Dom  Lelong  dit  «  que  c'est  à  Cerny,  où  était  le  château  de  Célinie, 

1.  Montanus.  —  2.  D.  Lelong.  —  3.  Flodoard.  —  4.  Id.,  liv.  i«r. 


SAINT  BRUNON,    ÉVÊQUE   DE   ^TJRTZBOURG.  623 

que  la  scène  précédente  se  serait  passée  ».  —  Si  Montan  vécut  encore  quelques  années  après  avoir 
recouvré  la  vue,  il  retourna  dans  sa  solitude  de  La  Fère,  au  lieu  dit  la  Fosse  de  Saint-Montan  ; 
il  y  mourut  le  17  mai.  La  ville  de  La  Fère  et  sa  collégiale  ont  pris  pour  patron  saint  Montan.  On 
conserve,  encore  aujourd'hui,  une  petite  portion  de  ses  reliques  à  l'église  paroissiale  et  à  !a  cha- 
pelle de  l'Hôtel-Dieu  ;  elles  ont  été  reconnues  authentiques  par  Mgr  Leblanc  de  Beaulieu.  La  fête 
du  Saint  se  célèbre  à  La  Fère  avec  une  grande  solennité  le  17  mai;  et,  pendant  les  neuf  jours 
suivants,  les  fidèles  continuent  de  venir  vénérer  ses  reliques.  —  La  cathédrale  de  Laon  possédait 
autrefois  le  chef  et  un  bras  du  saint  solitaire  ;  l'abbaye  de  Juvigny  avait  la  principale  partie  de 
ton  corps. 

Henri  Congnet,  doyen  du  Chapitre.  —  Soissous,  le  17  août  186S. 

G.  Flodoart,  Histoire  de  l'église  de  Reims,  liv.  i«  ;  D.  Lelong,  Histoire  du  diocèse  de  Laon,  p.  SI. 


SAINTE  FRAMECHILDE  OU  FRAMEUZE  (685). 

Sainte  Framechilde,  mère  de  sainte  Austreberte,  était  issue  d'une  famille  puissante  du  pays  des 
Allemands,  et  elle  épousa  Badefroy,  noble  seigneur  de  la  cour  de  Dagobert  II. 

Les  anciens  hagiographes  unissent  ces  deux  noms  et  disent  que  Badefroy  et  sainte  Framechilde 
étaient  «  l'un  et  l'autre  d'une  très-haute  vertu  et  d'une  grande  sagesse  de  conduite,  fermes  dans 
la  foi,  remarquables  par  leur  charité  et  leur  amour  de  la  justice,  nourrissant  leurs  âmes  des 
saintes  espérances  de  la  religion,  et  se  faisant  un  devoir  et  un  bonheur  de  secourir  les  pauvres 
de  Jésus-Christ  ». 

La  vie  de  sainte  Austreberte,  leur  fille,  nous  apprend  l'opposition  momentanée  qu'elle  rencontra 
à  son  projet  de  consacrer  à  Dieu  sa  virginité  :  Badefroy  dut  en  être  le  principal  et  peut-être 
l'unique  auteur.  Pour  la  bienheureuse  Framechilde,  elle  pouvait  reconnaître,  dans  ces  instances  de 
sa  fille,  la  vérité  d'une  vision  qu'elle  avait  eue,  dit-on,  avant  sa  naissance,  et  dans  laquelle  on  lui 
apprenait  que  l'enfant  qu'elle  portait  dans  son  sein,  attirerait  beaucoup  d'âmes  à  Jésus-Christ.  Cette 
parole  eut,  en  effet,  son  entier  accomplissement,  à  commencer  du  jour  où  Austreberte  se  retira 
au  monastère  de  Port,  près  d'Abbeville. 

On  ne  connaît  rien  de  plus  de  la  vie  de  sainte  Framechilde,  qui  mourut  le  dix-septième  jour 
de  mai,  vers  l'an  685  :  on  l'enterra  dans  l'église  de  Marconne,  qu'elle  avait  fait  bâtir  elle-même. 
Son  corps  fut  levé  de  terre  en  1030,  par  Bauduin,  évêque  de  Thérouanne.  Ses  reliques  reposaient 
dans  l'abbaye  de  Moutreuil-sur-Mer,  fondée  par  sainte  Austreberte  :  on  en  gardait  aussi  une  partie 
dans  l'église  collégiale  et  paroissiale  d'Hesdin.  La  châsse  de  Moutreuil  fut  détruite  le  29  vendé- 
miaire, an  II  :  on  en  avait  retiré  quelques  ossements  qui  sont  encore  vénérés  aujourd'hui  à  l'église 
paroissiale  de  cette  ville,  et  qui  ont  été  authentiqués  en  1803  et  1S05  par  Mgr  de  la  Tour  d'Au- 
vergne, évêque  d'Amiens.  Sainte  Framechilde  est  honorée  le  17  mai.  Dans  le  diocèse  d'Amiens, 
dont  dépendait  autrefois  Marconne,  qui  fait  actuellement  partie  du  diocèse  d'Arras,  ou  invoquait 
spécialement  sainte  Frameuze  pour  les  maux  de  tète. 

M.  l'abbé  Destombes  et  M.  Corblet. 


SAINT  BRUNON,  ÉVÊQUE  DE  WURTZBOURG  (1045). 

Ce  Saint  était  fils  de  Conrad,  duc  de  Carinthie,  et  de  Mathilde,  de  la  maison  des  comtes  dfe 
Querfurt  et  de  Mansfeld,  nièce  de  saint  Brunon,  évêque  et  apôtre  de  la  Prusse,  qui  fut  martyrisé 
en  1008. 

Brunon  fut  élevé  avec  beaucoup  de  soin  dans  la  piété  et  dans  les  sciences,  et  il  donna  de 
grandes  preuves  des  progrès  qu'il  avait  faits  dans  l'une  et  dans  l'autre  étude,  par  divers  ouvrages 
remarquables  que  nous  avons  de  lui  sur  les  psaumes  et  les  cantiques  de  l'Eglise. 

On  ne  connaît  pas  en  détail  l'histoire  de  sa  vie  ;  on  sait  seulement  que  son  mérite  extraordi- 
naire le  fit  élire  en  1033  évêque  de  Wurtzbourg,  et  qu'il  donna  à  son  troupeau  tous  les  soins 
d'un  pasteur  vigilant,  éclairé  et  charitable.  11  employa  son  bien  à  nourrir  les  pauvres,  à  bâtir  de 
nouvelles  églises  et  à  rétablir  les  anciennes.  La  cathédrale  de  Saint-Kilien,  à  Wurtzbourg,  est  en- 
core aujourd'hui  l'uu  des  principaux  monuments  de  sa  magnificence  et  de  sa  piété. 


624  18  mai. 

Vers  l'an  1037,  il  atcompagna  à  Milan  l'empereur  Comid  le  Saîïque,  son  proche  parent,  qui 
fit  diverses  expéditions  dans  cette  partie  de  l'Italie,  pour  la  nmener  sous  son  obéissance.  On  dit 
que  saint  Ambroise  apparut  à  cette  occasion  à  notre  Saint,  qu'il  menaça  l'empereur  de  grandes 
calamités,  s'il  ne  se  désistait  de  son  dessein  de  faire  sentir  à  cett?  ville  les  effets  de  sa  colère, 
et  que  Conrad,  cédant  aux  représentations  de  Brunon,  ût  grâce  aux  révoltés. 

En  1045,  il  se  trouva  engagé  à  faire  le  voyage  de  Hongrie  avec  l'ernpereur  Henri  III,  dit  le 
Noir,  et  plusieurs  princes  d'Allemagne,  qui  allaient  rétablir  le  roi  Pierre  sur  son  trône.  L'empe- 
reur et  toute  sa  cour,  au  sortir  d'Autriche,  allèrent  loger  au  château  de  Rosenbour,  près  de  la 
ville  d'Ips  sur  le  Danube,  à  l'entrée  de  la  Haute-Hongrie.  Comme  on  se  mettait  à  table,  le  plancher 
de  la  salle  s'effondra  tout  à  coup,  et  fit  tomber  avec  lui  sous  les  ruines  tous  les  convives.  La  plu- 
part y  furent  écrasés  ou  estropiés,  plusieurs  y  moururent  sur-le-champ.  L'empereur,  qui  s'était 
heureusement  accroché  à  une  fenêtre,  fut  le  seul  qui  ne  fut  pas  blessé  ou  qui  ne  le  fut  que  légè- 
rement. Le  saint  évêque  de  Wurtzbourg  eut  le  corps  tellement  brisé,  qu'on  ne  put  pas  même  le 
transporter  hors  du  château.  Il  mourut  le  septième  jour  après  ce  funeste  accident,  qui  était 
arrivé  la  nuit  du  20  mai.  On  rapporta  son  corps  à  Wurtzbourg,  où  il  fut  mis  avec  grande  so- 
lennité dans  la  crypte  de  son  église  cathédrale,  dont  il  fut  qualifié  le  fondateur  dans  son  épi- 
taphe. 

Aventin,  dit  Baronius,  a  écrit  dans  ses  Annales  de  Bavière  de  nombreux  mensonges  sur  le 
compte  de  saint  Brunon,  évêque  de  Wurtzbourg.  Aux  impudentes  inventions  de  ce  calomniateur, 
on  peut  opposer  les  registres  de  Grégoire  IX  et  d'Innocent  IV.  On  y  trouve  des  lettres  de  ces 
deux  pontifes  qui  attestent  les  miracles  du  saint  évêque.  Voici  un  passage  de  la  lettre  de  Gré- 
goire IX  :  «  Selon  ce  que  notre  vénérable  frère,  l'évêque  Herman,  notre  cher  fils,  le  doyen  du 
chapitre,  le  chapitre  lui-même  et  le  peuple  de  Wurtzbourg,  nous  ont  fait  savoir  par  leurs  let- 
tres et  leurs  envoyés,  le  Seigneur  accorde  une  belle  gloire  à  la  pieuse  mémoire  de  Brunon,  évêque 
de  Wurtzbourg  ;  il  fait  éclater  tant  de  miracles  à  son  tombeau,  qu'il  nous  parait  convenable  de 
l'invoquer  avec  les  autres  Saints  ». 

Tiré  de  Ha»ss  et  Weis,  t.  vi,  p.  514.  Voyez  les  Bollandistes,  t.  iv,  maii;  Tritheme,  de  Script,  eccles.; 
Ignace  Gropp,  bénédictin  de  Saint-Etienne  à  Wurtzbourg,  Collectio  novissima  scriptorum  et  rerum  Wirce- 
burgensium,  t.  i,  p.  83;  t.  n,  p.  103  usque  ad  113,  60G  et  681;  et  le  Propnum  Herbipolense.  —  Godescard, 
édition  de  Bruxelles  ;  Baronius,  notes  au  martyrologe. 


XVIIIe  JOUR  DE  MAI 


MARTYROLOGE  ROMAIN. 

A  Camerino,  saint  Venant,  martyr,  qui,  à  l'âge  de  quinze  ans,  acheva  le  cours  de  son  glo- 
rieux martyre  par  la  décollation,  sous  l'empereur  Dèce  et  le  président  Antiochus,  avec  dix  autres 
chrétiens.  —  En  Egypte,  saint  Dioscore,  lecteur,  sur  qui  le  juge  exerça  toutes  sortes  de  cruautés, 
jusqu'à  lui  brûler  les  côtés  avec  des  torches;  mais  une  lumière  céleste,  éclatant  tout  à  coup, 
effraya  les  bourreaux  qui  tombèrent  par  terre  :  en  dernier  lieu,  il  fut  brûlé  avec  des  lames 
ardentes  i,  et  consomma  ainsi  son  martyre.  —  A  Spolète,  saint  Félix,  évêque,  qui  cueillit  la 
palme  du  martyre  sous  l'empereur  Maximien  s.  —  En  Egypte,  saint  Potamon,  évêque,  qui  confessa 

1.  Le  supplice  des  lames  ardentes  est  ancien;  Plaute  le  mentionne  dans  son  t  Asinaria  »  :  Stimulas, 
laminse,  cruces  (act.  3);  et  Cicéron  dans  son  «  De  Suppliciis  »  :  Quid,  cum  ardentes  laminx,  ceterique  cru- 
ciatus  admouebantur.  Saint  Cyprien,  de  la  «  Louange  du  Martyre  » ,  s'exprime  ainsi  :  Corpus  extentum 
candentes  stridet  ad  laminas.  Le  corps  étendu  frémit  au  contact  des  lames  incandescentes.  Ce  genre  de 
torture  remplit  les  Actes  des  Martyrs.  Les  lois  pénales  de  liome  le  reconnaissaient.  (Baronius.) 

2.  Saint  Félix  était  évêque  de  Spello  et  non  de  Spolète  :  ces  deux  villes  ne  sont,  du  reste,  pas  éloi- 
gnées l'une  de  l'autre,  et  le  siège  épiscopal  de  la  première  fut  îaCms,  dan»  la  suite,  transféré  à  la  se- 


MARTYROLOGES.  625 

d'abord  la  foi  sous  Maximien-Galère,  et  fut  ensuite  couronné  du  martyre  sous  l'empereur  Constance 
et  le  président  Philagrius,  arien  *.  341.  —  A  Àncyre,  en  Galatie,  saint  Théodote,  martyr,  et  les 
saintes  Thécuse,  sa  tante,  Alexandra,  Claudia,  Faine,  Euphrasie,  Matrone  et  Julitte,  vierges,  les- 
quelles furent  d'abord  exposées  dans  un  lieu  infâme  par  le  juge,  mais  la  puissance  de  Dieu  les 
garda,  et  alors  on  les  jeta  dans  un  marais  avec  une  pierre  au  cou.  Théodote  ayant  recueilli  leurs 
reliques,  et  leur  ayant  donné  une  honorable  sépulture,  le  juge  le  fit  arrêter,  déchirer  très-cruelle- 
ment, et  enfin  achever  d'un  coup  d'épée,  ce  qui  lui  valut  la  couronne  du  martyre.  Vers  304.  —  A 
Upsal,  en  Suède,  saint  Eric,  roi  et  martyr.  1151.  —  A  Rome,  saint  Félix,  confesseur,  de  l'Ordre 
des  Mineurs  Capucins,  illustre  par  sa  charité  évangélique  et  sa  simplicité,  que  le  pape  Clément  XI 
mit  au  rang  des  Saints.  1587. 

MARTYROLOGE  DB  FRANCE,  REVU  ET  AUGMENTÉ. 

A  Reims,  saint  MérolilaiQ,  prêtre  écossais,  que  des  voleurs  massacrèrent  sur  les  bords  de  la 
rivière  d'Aisne,  comme  il  allait  en  pèlerinage  à  Saint-Pierre  de  Rome.  Son  corps,  ayant  été  enterré 
secrètement,  fut,  depuis,  découvert  par  des  révélations  célestes,  qui  firent  connaître  son  mérite. 
Ses  reliques  étaient  dans  l'église  de  Saint-Symphorien,  à  Reims,  vin6  s.  —  A  Toulouse,  le  bienheureux 
Guillaume  de  Naurose,  de  l'Ordre  des  Ermites  dits  de  Saint-Augustin.  1369.  —  A  Salesches,  en 
Hainaut,  saint  Quinibert,  curé  de  ce  lieu,  dont  la  mémoire  était  célèbre  dans  les  abbayes  de 
Liesse,  du  Quesnoy  et  de  Maroilles.  IXe  s.  —  En  Auxerrois,  le  décès  de  saint  Corcodème,  diacre, 
disciple  de  saint  Pérégrin  2.  iveg.  —  A  Varzy,  dans  le  diocèse  de  Nevers,  fête  de  la  translation 
des  reliques  de  sainte  Eugénie,  martyre,  qui  eut  lieu  le  18  mai  923  '. 

MARTYROLOGES  DES  ORDRES  RELIGIEUX. 

Martyrologe  des  Basiliens.  —  A  Reggio,  dans  le  Brutium,  saint  Arsène  le  Jeune,  abbé,  de 
l'Ordre  de  Saint-Basile. 

Martyrologe  des  Franciscains.  —  A  Rome,  saint  Félix. 

ADDITIONS  FAITES  D'APRÈS  LES  BOLLANDISTES  ET  AUTRES  HAGIOGRAPHES. 

A  Constantinople,  les  saints  Urbain,  Théodore,  Ménédème,  et  soixante-dix-sept  autres,  prêtres, 
clercs  et  laïques,  martyrs.  Les  Ariens  les  embarquèrent  sur  un  navire  désemparé  auquel  ils  mirent 
le  feu  en  pleine  mer.  370.  —  En  Perse,  sainte  Sira,  vierge  et  martyre.  Elle  était  belle-sœur  de 
sainte  Golinducha  dont  le  culte  était  célèbre  à  Constantinople  dans  l'église  de  Saint-Tryphon. 
Golinducha  vivait  en  concubinage  lorsque  la  grâce  parla  à  son  cœur  et  fit  d'une  pécheresse  une 
Sainte.  Quant  à  sainte  Sira,  c'était  une  jeune  fille  appartenant  à  une  riche  famille  païenne  :  un 
prêtre  chrétien  eu  fit  une  héroïne  de  la  chasteté  et  de  la  foi.  558.  —  A  Glascow,  en  Ecosse,  saint 
Convall,  archidiacre,  disciple  de  saint  Kentigern.  Ses  travaux  apostoliques  lui  méritèrent  l'hon- 
neur d'avoir  un  office  propre  dans  le  Bréviaire  d'Aberdeen.  vu»  s.  —  A  San-Severino,  dans  la 
Marche  d'Ancône,  la  bienheureuse  Camille  Geutilli,  de  la  famille  des  comtes  de  Novellaua;  victime 
des  guerres  civiles  et  intestines  qui  désolèrent  l'Italie  au  xiv8  siècle,  la  bienheureuse  Camille  fut 
mise  à  mort  par  son  mari  pour  avoir  continué  d'entretenir  des  relations  avec  sa  mère  à  laquelle  le 
seigneur  Gentilli  avait  voué  une  haine  aussi  implacable  qu'injuste.  Le  pape  Grégoire  XVI  a  ap- 
prouvé, en  1841,  le  culte  qui  était  rendu  à  la  bienheureuse  Camille  de  temps  immémorial.  —  A 
Shaftesbury  *,  dans  le  comté  de  Dorset,  en  Angleterre,  sainte  ifilgife  ou  Elgive,  épouse  du  roi 
Edmond,  mère  des  rois  Edwy  et  Edgard  le  Pieux.  Edwy,  abandonné  aux  caprices  d'une  courti- 
sane, fit  une  fin  prématurée  :  on  dit  que  sa  sainte  mère  lui  obtint  la  grâce  d'une  conver- 
sion tardive.  Sainte  Elvige  fut  ensevelie  dans  un  monastère  qu'elle  avait  fondé  à  Shaftesbury. 
Vers  921. 

conde.  Une  image  du  Saint,  qu'on  voyait  autrefois  à  la  cathédrale  de  Spolète,  portait  :  S.  Félix,  epis- 
copus  de  Hispello  :  ce  pre'lat  assista  au  célèbre  concile  de  Sinuesse.  (Voir  la  Vie  de  saint  Marcellin,  pape.) 
Il  est  le  patron  de  Spello.  On  l'invoque  dans  les  maladies  des  enfants. 

1.  Voir  la  Vie  de  saint  Athanase  au  2  mai.  —  2.  Voir  la  Vie  de  ce  dernier.—  3.  Voir  la  Vie  de  sa in ta 
Bugénie  au  11  septembre. 

4.  Ville  fondée  en  8S0,  par  Alfred  le  Grand,  grand-oncle  du  roi  Edmond,  mari  de  sainte  Elglre. 


Vies  des  Saints.  —  Tome  V. 


40 


626  18  MAI. 

SAINT  VENANT  DE  CAMERINO,  MARTYR 

250.  —   Pape  :  Saint  Fabien.   —  Empereur  :  Dèce. 

La  ville  de  Camerino,  en  Italie,  a  été  le  lieu  de  la  naissance  et  le  théâtre 
du  martyre  du  glorieux  saint  Venant.  Il  commença,  dès  l'âge  de  quinze  ans, 
à  donner  des  marques  éclatantes  de  son  zèle  pour  la  publication  de  l'Evan- 
gile et  à  annoncer  partout  Jésus-Christ.  Comme  il  faisait  beaucoup  de  con- 
versions, il  fut  bientôt  déféré  à  Antiochus,  gouverneur  de  Camerino,  par 
l'empereur  Dèce  ,  cruel  persécuteur  des  chrétiens.  Ayant  appris  que  ce 
préfet  avait  donné  ordre  de  l'arrêter,  il  le  prévint  ;  et,  s'étant  présenté  devant 
lui  à  la  porte  de  la  ville,  il  lui  dit  avec  une  fermeté  vraiment  apostolique  : 
«  Les  dieux  que  vous  adorez,  Antiochus,  ne  sont  que  des  inventions  du 
démon.  Ils  ont  été  des  hommes  ou  des  femmes,  et  leur  vie  a  été  remplie  de 
toutes  sortes  de  crimes;  ces  défauts  ne  sont-ils  pas  incompatibles  avec  la 
véritable  divinité?  Reconnaissez  donc  un  seul  Dieu,  Créateur  du  ciel  et  de 
la  terre,  dont  le  Fils  unique  s'est  fait  homme,  et  est  mort  sur  la  croix  pour 
nous  délivrer  de  la  tyrannie  du  péché  ».  La  fureur  du  gouverneur  empêcha 
le  généreux  confesseur  de  Jésus-Christ  d'en  dire  davantage  :  ne  pouvant 
souffrir  le  mépris  qu'il  faisait  de  ses  dieux,  il  le  fit  prendre  par  ses  soldats  et 
leur  commanda  de  lui  faire  endurer  tous  les  supplices  imaginables;  ce  qui 
fut  fait  de  la  manière  la  plus  cruelle. 

En  effet,  ces  barbares  attachèrent  le  jeune  Venant  à  un  poteau  et  le 
fouettèrent  avec  tant  d'inhumanité,  qu'il  eût  expiré  dans  la  rigueur  de  ce 
tourment,  si  un  ange,  descendu  du  ciel,  n'eût  brisé  ses  chaînes,  écarté  ses 
bourreaux.  Mais  ces  misérables,  au  lieu  de  se  laisser  toucher  par  cette  mer- 
veille, revinrent  ù  la  charge  et,  l'attachant  les  pieds  en  haut  et  la  tête  en 
bas,  lui  brûlèrent  le  corps  avec  des  torches  ardentes;  ils  lui  ouvrirent  aussi 
la  bouche  et  firent  ce  qu'ils  purent  pour  le  suffoquer  par  la  fumée.  Venant 
souffrait  ces  supplices  avec  tant  de  constance,  que  plusieurs  se  convertirent 
à  la  foi,  entre  autres  Anastase  le  Corniculaire  '  :  ayant  aperçu  un  ange, 
revêtu  d'une  robe  blanche,  qui  déliait  une  seconde  fois  le  Saint,  il  crut  en 
Jésus-Christ  et  se  fit  baptiser  avec  toute  sa  famille  par  le  bienheureux  Por- 
phyre, prêtre,  et  versa,  depuis,  son  sang  pour  la  foi. 

Antiochus  croyait  Venant  déjà  mort  :  il  fut  extrêmement  surpris  d'ap- 
prendre la  manière  dont  il  avait  été  délivré,  et,  espérant  toujours  le  fléchir, 
à  cause  de  son  âge,  il  le  fit  amener  en  sa  présence,  et  tâcha  de  le  gagner  par 
la  douceur  et  par  des  promesses  ;  mais,  voyant  que  le  cœur  du  saint  jeune 
homme  était  insensible,  il  le  fit  jeter  dans  une  obscure  prison,  où,  quelque 
temps  après,  il  lui  envoya  un  soldat  nommé  Attale,  pour  le  séduire  par 
artifice  :  Attale  devait  feindre  que  lui-même  avait  autrefois  été  chrétien; 
mais  que,  ayant  reconnu  la  folie  des  chrétiens,  qui  se  privent  des  plaisirs  de 
la  vie  pour  une  vaine  espérance  des  biens  à  venir,  il  avait  renoncé  à  leur 
religion  pour  embrasser  l'adoration  des  dieux.  Le  Saint,  découvrant  le  piège 
que  le  démon  lui  tendait,  méprisa  les  remontrances  de  cet  impie  et  demeura 
ferme  dans  la  foi.  Alors,  le  tyran,  irrité  plus  que  jamais,  commanda  que 
Venant  fût  amené  devant  lui  ;  et,  lui  ayant  fait  cruellement  casser  les  dents 

1.  Le  Corniculaire  était  un  sous-officier  attaché  à  la  personne  d'un  tribun. 


SALNT  TENANT  DE  CAMEREN'O,  MARTYR.  627 

et  déchirer  les  gencives  en  sa  présence,  il  le  fit  jeter  en  cet  état  dans  un 
cloaque,  croyant  qu'il  y  serait  suffoqué  ;  mais  il  n'y  demeura  pas  longtemps  : 
car  un  ange  l'en  tira  aussitôt  pour  le  disposer  à  de  plus  grands  combats  et  à 
un  triomphe  plus  glorieux.  Le  préfet,  eu  étant  averti,  l'envoya  au  magistrat 
de  la  ville  pour  recevoir  sa  condamnation.  Ce  juge  lui  parla  avec  beaucoup 
d'emportement  et  de  fureur  ;  mais,  comme  le  serviteur  de  Dieu  continuait 
de  publier  la  vanité  des  idoles  et  la  vérité  de  notre  sainte  religion  que  ce 
juge  ne  voulait  pas  reconnaître,  il  tomba  de  son  siège  et  expira  en  disant  : 
«  Le  Dieu  de  Venant  est  le  vrai  Dieu,  vous  devez  l'adorer  et  détruire  nos 
fausses  divinités  » .  Cet  accident  ayant  été  rapporté  à  Antiocbus,  il  commanda 
que  le  Saint  fût  à  l'heure  même  exposé  aux  lions,  pour  en  être  déchiré.  Ces 
cruels  animaux  coururent  aussitôt  à  lui  ;  mais,  au  lieu  de  le  dévorer,  ils  se 
mirent  à  ses  pieds  comme  des  agneaux  et  lui  laissèrent  la  liberté  de  prêcher 
encore  au  peuple  la  foi  de  Jésus-Christ.  Les  bourreaux  furent  donc  contraints 
de  le  ramener  en  prison. 

Le  lendemain,  Porphyre,  ce  saint  prêtre  dont  nous  avons  parlé,  vint 
trouver  le  gouverneur,  et  lui  raconta  une  vision  qu'il  avait  eue  la  nuit  pré- 
cédente, dans  laquelle  tous  ceux  qui  avaient  été  baptisés  par  saint  Venant 
lui  avaient  apparu  tout  éclatants  de  lumière  ;  et  lui,  au  contraire,  environné 
de  très-épaisses  ténèbres.  Antiochus,  transporté  de  colère,  lui  fit  sur-le-champ 
trancher  la  tête,  et  commanda  qu'on  tramât  Venant,  le  reste  du  jour,  sur  des 
ronces  et  des  épines  ;  ce  qui  fut  exécuté  avec  une  telle  cruauté,  qu'il  demeura 
demi-mort.  Cependant,  ayant  été  miraculeusement  guéri,  il  se  présenta, 
dès  le  lendemain,  devant  le  tyran.  Celui-ci  le  fit  aussitôt  précipiter  du  haut 
d'un  rocher  ;  mais  ce  supplice  n'eut  pas  plus  de  succès  que  les  autres,  et  le 
Saint  ne  reçut  aucun  dommage  de  sa  chute  ;  le  gouverneur,  de  plus  en  plus 
furieux,  le  fit  traîner  mille  pas  hors  de  la  ville,  sur  des  chemins  semés  de 
pierres  et  de  cailloux.  Les  bourreaux  s'étaient  si  fort  échauffés  en  cette  exé- 
cution, qu'ils  n'en  pouvaient  plus  de  soif.  Alors  Venant,  animé  de  cet  amour 
céleste,  qui  fait  que  l'on  chérit  ses  plus  grands  ennemis,  ayant  pitié  d'eux, 
se  mit  en  prière,  et,  faisant  le  signe  de  la  croix  sur  une  pierre,  il  en  fit  sortir 
une  source  d'eau  vive,  qui  leur  servit  de  rafraîchissement.  Cette  pierre,  sur 
laquelle,  en  mémoire  du  miracle,  les  genoux  du  Saint  demeurèrent  impri- 
més, se  voit  encore  maintenant  à  Camerino,  dans  une  église  dédiée  sous  son 
nom.  Plusieurs  personnes  se  convertirent  à  la  vue  de  cette  merveille,  et, 
persistant  en  la  confession  de  Jésus-Christ,  furent  condamnées  à  avoir  la 
tête  tranchée.  Venant  les  accompagna  dans  ce  supplice,  et  finit  glorieu- 
sement ses  combats ,  en  donnant  la  dernière  goutte  de  son  sang  pour 
Jésus- Christ. 

La  mort  de  tant  d'innocents  fut  suivie  de  tremblements  de  terre  et  de 
tonnerres  si  épouvantables,  qu' Antiochus,  tout  effrayé,  fut  contraint  de 
prendre  la  fuite  ;  mais  il  ne  put  éviter  la  vengeance  divine  :  quelques  jours 
après,  il  mourut  misérablement  en  punition  de  sa  cruauté.  Le  corps  de  saint 
Venant  et  ceux  de  ses  compagnons  furent  enlevés  par  les  chrétiens,  qui 
eurent  soin  de  les  ensevelir  honorablement,  et  ils  reposent  dans  l'église  dont 
nous  venons  de  parler. 

Saint  Venant  étant  mort  à  quinze  ans,  on  a  tout  lieu  de  croire  que  l'équi- 
pement militaire  et  le  drapeau,  avec  lesquels  les  habitants  de  Camerino  aiment 
à  représenter  leur  Patron,  désignent  un  soldat  de  Jésus-Christ  plutôt  qu'un 
soldat  desempereurs,  à  moins  que  saint  Venant  ne  fût  un  enfant  de  troupe, 
comme  on  dit.  On  pourrait  encore  dire, pour  expliquer  ces  attributs,  «  que, 
au  moyen  âge,  les  patrons  des  villes  étaient  considérés  comme  chevaliers  ». 


628  18  mai. 

Sur  les  monnaies  et  médailles  que  Camerino  a  fait  frapper  en  l'honneur  de 
son  Patron,  le  Saint  tient,  dans  la  main  opposée  à  celle  qui  porte  l'éten- 
dard, un  plan  en  relief  de  la  ville  qu'il  protège.  La  fontaine,  qu'il  fit  sourdre, 
peut  encore  servir  à  caractériser  saint  Venant. 

Le  martyrologe  romain  fait  mémoire  de  saint  Venant  le  18  mai,  auquel  jour  se  célèbre  sa  fête,  par  nn 
décret  de  Clément  X,  avec  un  office  propre.  C'est  de  la  que  nous  avons  tiré  cette  Vie;  et  cet  office  doit 
sans  doute  passer  pour  authentique,  quelque  extraordinaires  que  soient  les  merveilles  que  nous  y  avons 
rapportées.  Le  cardinal  Baronius  avoue,  il  est  vrai,  dans  ses  Remarques,  que  les  Actes  de  ce  saint  Mar- 
tyr, qu'il  a  vus  à  Camerino,  sont  remplis  de  choses  apocryphes;  mais  l'Eglise  en  a  retranché  les  men- 
songes, et  ne  nous  en  a  donné  que  ce  qu'elle  a  jugé  être  conforme  à  la  vérité.  Nous  avons  emprunté  la 
Caractéristique  au  P.  Cahier. 


SAINT  THEODOTE,  CABARETIER, 

ET  SEPT  VIERGES,  MARTYRS 
303.  —  Pape  :  Saint  Marcellio.  —  Empereurs  romains  :  Dioclétien  et  Maximien. 


Il  prit  pour  son  bouclier,  dans  les  tentations,  la  tem- 
pérance, qu'il  appelait  le  principe  de  tous  les  biena. 
Actes  de  saint  Théodote. 

Théodote  était  de  la  ville  d'Ancyre,  capitale  de  la  Galatie.  Dès  son  en- 
fance, il  fut  élevé  dans  les  maximes  d'une  piété  solide,  par  les  soins  d'une 
pieuse  vierge  nommée  Técuse.  S'étant  marié,  il  prit  une  hôtellerie  et  se  mit 
a  vendre  du  vin.  Malgré  les  dangers  que  l'on  trouve  dans  cette  profession, 
il  se  montra  toujours  juste,  tempérant  et  zélé  pour  la  pratique  de  tous  les 
devoirs  du  christianisme.  Quoique  à  la  fleur  de  l'âge,  il  méprisait  tous  les 
biens  du  monde;  le  jeûne,  la  prière  et  l'aumône  faisaient  ses  délices.  Non- 
seulement  il  soulageait  les  pauvres  dans  leurs  besoins,  mais  il  portait  encore 
les  pécheurs  à  la  pénitence;  il  avail  aussi  encouragé  plusieurs  fidèles  à  souf- 
frir le  martyre.  Sa  maxime  était,  qu'il  est  plus  glorieux  à  un  chrétien  de 
vivre  dans  la  pauvreté,  que  de  posséder  des  richesses,  qui  ne  peuvent  être 
utiles,  quand  on  ne  les  emploie  pas  à  secourir  les  indigents,  ceux  surtout 
qui  sont  persécutés  pour  la  foi.  Il  condamnait  une  vie  molle  et  oisive,  en 
disant  qu'elle  énerve  un  soldat  de  Jésus-Christ,  et  qu'un  homme  livré  au 
plaisir  ne  peut  aspirer  à  la  couronne  du  martyre.  Ses  exhortations  étaient 
si  efficaces,  qu'elles  retirèrent  plusieurs  personnes  du  désordre.  Dieu  l'ho- 
nora du  don  des  miracles.  On  lit  dans  ses  actes  qu'il  guérit  plusieurs  ma- 
lades en  priant  sur  eux  ou  en  les  touchant  avec  sa  main.  Il  ne  s'effraya  point 
de  la  persécution  allumée  par  Dioclétien,  parce  qu'il  avait  vécu  toute  sa 
vie  comme  un  homme  qui  se  dispose  à  verser  son  sang  pour  Jésus-Christ. 

L'édit  publié  à  Isicomédie  en  303  arriva  bientôt  dans  la  Galatie,  qui  avait 
Théoctène  pour  gouverneur.  C'était  un  homme  cruel  qui,  pour  faire  sa 
cour  au  prince,  lui  avait  promis  d'exterminer  en  peu  de  temps  le  nom  chré- 
tien dans  l'étendue  de  sa  province.  A  peine  le  bruit  de  l'arrivée  de  l'édit  se 
fut-il  répandu  à  Ancyre,  que  la  plupart  des  fidèles  prirent  la  fuite.  Plusieurs 
se  cachèrent  dans  les  déserts  et  sur  les  montagnes.  Ce  n'était  parmi  les 
païens  que  festins  et  réjouissances.  Ils  couraient  aux  maisons  des  chrétiens, 
et  emportaient  tout  ce  qui  leur  convenait,  sans  éprouver  d'opposition.  Il 


SAINT  THÉODOTE,   CABARETIER,   ET  SEPT  VIERGES,   MARTYRS.  620 

eût  été  dangereux  de  faire  entendre  la  moindre  plainte.  Si  quelque  chré- 
tien se  montrait  en  public,  il  fallait  qu'il  optât  entre  souffrir  pour  sa  reli- 
gion ou  apostasier.  On  dépouillait  de  leurs  biens  les  plus  considérables, 
après  quoi  on  les  menait  en  prison,  où  ils  étaient  chargés  de  fers.  On  traî- 
nait ignominieusement  dans  les  rues  leurs  femmes  et  leurs  filles  :  on 
n'épargnait  pas  même  les  petits  enfants,  dont  tout  le  crime  était  d'avoir 
reçu  le  jour  de  parents  chrétiens. 

Tandis  que  la  persécution  faisait  ainsi  sentir  ses  ravages  dans  la  ville 
d'Ancyre,  Théodote  assistait  les  confesseurs  prisonniers,  et  enterrait  les 
corps  des  martyrs,  quoiqu'il  fût  défendu,  sous  peine  de  mort,  de  leur 
rendre  ce  devoir.  Le  gouverneur  avait  ordonné  d'offrir  aux  idoles  toutes  les 
denrées  nécessaires  à  la  nourriture  de  l'homme,  avant  de  les  exposer  en 
vente  :  par  là  les  chrétiens  se  voyaient  réduits  ou  à  mourir  de  faim,  ou  à 
participer  à  l'idolâtrie;  ils  se  trouvaient  même  dans  l'impossibilité  de  faire 
leur  offrande  à  l'autel.  Théodote  s'était  heureusement  pourvu  d'une  ample 
provision  de  blé  et  de  vin  qui  n'avaient  point  été  souillés  par  les  cérémo- 
nies sacrilèges  des  païens.  Il  les  vendait  au  prix  qu'ils  lui  avaient  coûté;  ce 
qui  mettait  les  fidèles  en  état  de  fournir  à  l'autel  des  oblations  pures,  et  de 
se  procurer  des  vivres  dont  ils  pouvaient  se  servir  sans  blesser  leur  cons- 
cience, et  sans  porter  ombrage  aux  idolâtres.  C'était  ainsi  qu'à  la  faveur 
d'une  profession  autorisée  par  les  lois,  le  cabaret  de  Théodote  s'était  changé 
en  un  asile  pour  tous  les  chrétiens  de  la  ville  ;  que  sa  maison  était  devenue 
un  lieu  de  prières  où  l'on  s'assemblait  pour  adorer  le  vrai  Dieu  ;  que  les 
malades  trouvaient  chez  lui  une  infirmerie,  et  les  étrangers  un  hospice  as- 
suré. La  crainte  d'être  découvert  ne  l'empêchait  point  de  saisir  toutes  les 
occasions  de  faire  éclater  son  zèle  pour  la  gloire  de  Dieu. 

Victor,  un  de  ses  amis,  fut  arrêté  vers  le  même  temps.  Les  prêtres  de 
Diane  l'accusèrent  d'avoir  dit  d'Apollon  qu'il  avait  corrompu  sa  propre 
sœur,  et  que  c'était  une  honte  pour  les  Grecs  d'honorer  comme  dieu  celui 
qui  était  coupable  d'un  crime  que  les  plus  effrontés  libertins  n'osaient  com- 
mettre. Le  juge  lui  offrit  sa  grâce  s'il  voulait  se  conformer  à  l'édit  des  em- 
pereurs. «  Obéissez  »,  lui  disait-il,  «  et  votre  soumission  sera  récompensée 
par  des  charges  honorables.  Sachez  qu'en  cas  d'opiniâtreté,  vous  devez 
vous  attendre  à  de  cruels  supplices,  et  à  la  mort  la  plus  douloureuse.  Vos 
biens  seront  confisqués,  toute  votre  famille  périra,  et  votre  corps,  après 
avoir  essuyé  toutes  sortes  de  tortures,  sera  dévoré  par  des  chiens  furieux  ». 
Théodote,  instruit  du  danger  que  courait  son  ami,  courut  à  la  prison  où  il 
était  renfermé  ;  il  l'exhorta  fortement  à  s'élever  au-dessus  des  menaces  des 
persécuteurs,  et  à  mépriser  toutes  les  promesses  que  l'on  employait  pour 
lui  ravir  la  couronne  due  à  la  persévérance.  Victor,  fortifié  par  cette  exhor- 
tation, se  sentit  animé  d'un  nouveau  courage,  et  il  souffrit  patiemment  les 
supplices,  tant  qu'il  se  souvint  des  instructions  que  Théodote  lui  avait  don- 
nées. Déjà  il  touchait  au  bout  de  sa  carrière,  mais  sa  fermeté  l'abandonna 
tout  à  coup;  il  demanda  du  temps  pour  délibérer  sur  les  propositions  qu'on 
lui  avait  faites.  On  le  reconduisit  en  prison,  où  il  mourut  de  ses  plaies,  sans 
s'être  expliqué  autrement.  Il  laissa  par  là  les  fidèles  dans  l'incertitude  par 
rapport  à  son  salut.  C'est  ce  qui  a  rendu  sa  réputation  douteuse  dans 
l'Eglise,  et  ce  qui  l'a  privé  de  l'honneur  que  l'on  y  rend  à  la  mémoire  des 
martyrs. 

Il  y  avait  à  quelques  milles  d'Ancyre  un  bourg  nommé  Malos.  Théodote, 
par  une  disposition  particulière  de  la  Providence,  y  arriva  précisément  au 
moment  où  l'on  allait  jeter  dans  la  rivière  d'Halys  les  restes  du  corps  du 


630  18  mai. 

saint  martyr  Valens,  qui,  après  diverses  tortures,  avait  été  condamné  à  être 
brûlé  vif.  Il  eut  le  bonheur  de  se  procurer  ces  précieuses  reliques;  il  les 
emporta  donc  avec  lui  pour  les  déposer  en  lieu  de  sûreté.  Lorsqu'il  était  à 
quelque  dislance  du  bourg,  il  rencontra  plusieurs  personnes  de  sa  connais- 
sance. C'étaient  des  chrétiens  que  leurs  propres  parents  avaient  livrés  aux 
persécuteurs,  pour  avoir  renversé  un  autel  de  Diane,  et  auxquels  le  Saint 
avait  depuis  peu  fait  recouvrer  la  liberté;  ils  furent  charmés  de  le  voir,  et 
ils  lui  rendirent  grâces  comme  au  bienfaiteur  commun  de  tous  les  affligés. 
Théodote,  de  son  côté,  montra  une  grande  joie  à  la  vue  des  confesseurs  de 
Jésus-Christ;  il  les  pria  d'accepter  quelque  rafraîchissement  avant  de  pas- 
ser outre.  S'étant  tous  assis  sur  l'herbe,  il  envoya  inviter  le  prêtre  du  bourg 
à  venir  manger  avec  eux,  afin  qu'il  récitât  les  prières  qui  se  disaient  avant 
le  repas  \  4  celles  où  l'on  implorait  le  secours  du  ciel  pour  les  voyageurs. 

Ceux  qui  avaient  été  envoyés  rencontrèrent  le  prêtre  qui  sortait  de 
l'église  après  Sexte,  ou  la  prière  de  la  sixième  heure  â  ;  mais  ils  ne  le  con- 
nurent pas  d'abord.  Il  leur  raconta  un  songe  qu'il  avait  eu,  puis  les  suivit 
au  lieu  où  étaient  les  fidèles.  Il  leur  offrit  à  tous  de  venir  prendre  leur  re- 
pas dans  sa  maison.  Théodote  s'en  excusa  en  disant  que  sa  présence  était 
nécessaire  à  Ancyre,  et  que  les  confesseurs  de  cette  ville  avaient  un  pres- 
sant besoin  de  son  secours.  On  dîna  donc  sur  l'herbe.  Le  repas  fini,  Théo- 
dote dit  au  prêtre,  nommé  Fronton  :  «  Ce  lieu  me  paraît  bien  propre  à 
mettre  des  reliques.  Pourquoi  différez-vous  d'y  bâtir  une  chapelle  ?  Il  fau- 
drait avant  tout  ».  répondit  le  prêtre,  a  que  nous  eussions  des  reliques.  Dieu 
vous  en  procurera,  reprit  Théodote,  ayez  soin  seulement  de  préparer  l'édi- 
fice pour  les  recevoir;  je  vous  assure  qu'elles  ne  tarderont  pas  à  venir  ».  Il 
tire  en  même  temps  son  anneau  de  son  doigt,  et  le  donne  à  Fronton,  comme 
un  gage  de  la  promesse  qu'il  lui  avait  faite,  après  quoi  il  reprend  la  route 
d'Ancyre.  La  persécution  y  avait  causé  un  bouleversement  semblable  à  celui 
que  produit  un  tremblement  de  terre. 

Parmi  ceux  que  l'on  avait  arrêtés  pour  la  foi  étaient  sept  vierges  qui, 
dès  l'enfance,  s'étaient  exercées  à  la  pratique  de  la  vertu.  Le  gouverneur, 
les  trouvant  inébranlables  dans  la  foi,  les  livra  à  de  jeunes  libertins  pour  les 
outrager,  en  mépris  de  leur  religion,  et  pour  leur  ravir  cette  chasteté  dont 
elles  avaient  toujours  été  si  jalouses.  Elles  n'avaient  pour  se  défendre  que 
les  prières  et  les  larmes  qu'elles  offraient  à  Jésus-Christ;  elles  protestaient 
aussi  contre  la  violence  qu'on  pourrait  leur  faire.  Un  de  la  troupe  des  liber- 
tins, qui  surpassait  les  autres  en  impudence,  saisit  Técuse,  la  plus  âgée  des 
vierges,  et  la  tira  à  part.  Celle-ci,  fondant  en  pleurs,  se  jette  à  ses  pieds,  et 
lui  parle  ainsi  :  «  Mon  fils,  que  prétendez-vous  faire  ?  Considérez  que  nous 
sommes  consumées  de  vieillesse,  déjeunes,  de  maladies  et  de  tourments. 
J'ai  plus  de  soixante-dix  ans,  et  mes  compagnes  ne  sont  guères  moins 
âgées  II  vous  serait  bien  honteux  d'approcher  des  personnes  dont  les  corps, 
semblables  à  des  cadavres,  seront  bientôt  la  proie  des  bêtes  et  des  oiseaux; 
car  le  gouverneur  a  ordonné  qu'on  nous  privât  de  la  sépulture  ».  Ayant 
ensuite  ôté  son  voile  pour  lui  montrer  ses  cheveux  blancs,  elle  ajouta  : 
«  Laissez-vous  attendrir  par  ce  que  vous  voyez;  peut-être  avez-vous  une 
mère  de  mon  âge.  Si  cela  est,  qu'elle  devienne  notre  avocate  auprès  de 
vous.  Nous  ne  demandons  que  la  permission  de  verser  librement  des  larmes. 
Puisse  Jésus-Christ  vous  récompenser,  si,  comme  je  l'espère,  vous  nous 

1.  Nec  enim  cibum  snmere  consueverat  sauctus,  nisi  benedicente  presbytère  Act. 

2.  Ou   de  midi.  Tierce,  chez  les  anciens,  correspondait  à   notre  neuvième  heure  du   matin,  et  none  à 
notre  troisième  heure  d'après-midi,  à  peu  de  dLdiirence  pre#. 


SAINT  THÉODOTE,   CABABETÏER,   ET   SEPT   VIERGES,   MARTYRS.  631 

épargnez  !  »  Un  discours  si  touchant  éteignit  le  feu  impur  dans  le  cœur 
des  jeunes  libertins;  ils  mêlèrent  môme  leurs  larmes  à  celles  des  sept 
vierges,  et  se  retirèrent  en  détestant  l'inhumanité  du  juge. 

Théoctène,  ayant  appris  qu'elles  avaient  conservé  leur  pureté,  se  servit 
d'un  autre  moyen  pour  vaincre  leur  constance.  Il  se  proposa  de  les  faire 
initier  aux  mystères  de  Diane  et  de  Minerve,  et  de  les  établir  prêtresses  de 
ces  prétendues  divinités.  Les  païens  d'Ancyre  avaient  coutume  d'aller  tous 
les  ans  laver  dans  un  étang  voisin  les  images  de  leurs  déesses.  Le  jour  de 
la  cérémonie  étant  alors  arrivé,  le  gouverneur  força  les  vierges  à  être  de  la 
fête.  On  devait  porter  les  idoles  en  pompe,  chacune  dans  un  chariot  séparé. 
Les  sept  vierges  furent  aussi  placées  dans  des  chariots  découverts,  et  con- 
duites à  l'étang,  afin  d'y  être  lavées  de  la  même  manière  que  les  statues  de 
Diane  et  de  Minerve.  Elles  étaient  debout,  sans  vêtements,  et  par  là  exposées 
à  l'insolence  de  la  populace.  Elles  étaient  à  la  tête  de  cette  fête  impie;  ve- 
naient ensuite  les  chariots  qui  portaient  les  idoles,  et  que  suivait  un  grand 
concours  de  peuple.  Théoctène,  accompagné  de  ses  gardes,  fermait  la 
marche. 

Cependant  Théodote  était  dans  de  vives  inquiétudes  au  sujet  des  sept 
vierges,  et  priait  Jésus- Christ  de  les  rendre  victorieuses  de  toutes  les 
épreuves  auxquelles  elles  étaient  exposées;  il  attendait  l'événement  dans 
une  maison  voisine  de  l'église  des  patriarches,  où  il  s'était  renfermé  avec 
quelques  autres  chrétiens.  Tous  restèrent  prosternés  et  en  oraison  depuis 
la  pointe  du  jour  jusqu'à  midi,  qu'ils  apprirent  que  Técuse  et  ses  six  com- 
pagnes avaient  été  noyées  dans  l'étang.  Alors  Théodote,  transporté  de  joie, 
se  redressa  sur  ses  genoux;  puis,  les  yeux  baignés  de  larmes,  il  leva  les 
mains  au  ciel,  et  remercia  le  Seigneur  à  haute  voix  d'avoir  exaucé  ses 
prières.  Il  demanda  ensuite  comment  la  chose  s'était  passée.  Il  lui  fut  ré- 
pondu par  un  témoin  oculaire  que  les  vierges  avaient  été  insensibles  aux 
flatteries  et  aux  promesses  du  gouverneur;  qu'elles  avaient  repoussé  avec 
indignation  les  anciennes  prêtresses  de  Diane  et  de  Minerve,  qui  leur  pré- 
sentaient la  couronne  et  la  robe  blanche,  comme  une  marque  du  sacerdoce 
qu'on  leur  conférait;  que  le  gouverneur  avait  ordonné  qu'on  leur  attachât 
de  grosses  pierres  au  cou,  et  qu'on  les  jetât  à  l'endroit  où  l'étang  avait  le 
plus  de  profondeur;  que  l'ordre  ayant  été  exécuté,  elles  avaient  perdu  la 
vie  sous  les  eaux. 

Théodote  délibéra  avec  Polychrone,  maître  de  la  maison  où  il  était,  sur 
les  moyens  qu'on  pourrait  prendre  pour  tirer  de  l'étang  les  corps  des  saintes 
martyres;  mais  on  apprit  sur  le  soir  que  la  difficulté  était  devenue  encore 
plus  grande,  parce  que  le  gouverneur  avait  posté  des  gardes  auprès  de 
l'étang.  Cette  nouvelle  causa  une  vive  douleur  à  Théodote  :  il  quitta  aussi- 
tôt sa  compagnie  pour  aller  à  l'église  des  patriarches.  Il  n'y  put  entrer;  les 
païens  en  avaient  muré  la  porte.  S'étant  prosterné  en  dehors  près  de  la 
conque  où  était  l'autel,  il  pria  quelque  temps;  de  là  il  se  rendit  à  l'église 
des  Pères,  dont  la  porte  était  aussi  murée  :  mais  tandis  que,  prosterné 
contre  terre,  il  répandait  son  âme  en  la  présence  de  Dieu,  un  grand  bruit 
vint  frapper  ses  oreilles.  Il  s'imagina  qu'on  le  poursuivait;  il  s'enfuit,  et  re- 
tourna dans  la  maison  de  Polychrone,  où  il  passa  la  nuit.  Pendant  qu'il 
dormait,  Técuse  lui  apparut,  et  lui  parla  ainsi  :  «  Vous  dormez,  mon  fils, 
sans  penser  à  nous.  Auriez-vous  oublié  les  instructions  que  je  vous  ai  don- 
nées pendant  votre  jeunesse,  et  les  soins  que  j'ai  pris  pour  vous  conduire  à 
la  vertu,  contre  l'attente  de  vos  parents  ?  Lorsque  je  vivais  sur  la  terre, 
vous  m'honoriez  comme  votre  mère;  mais  vous  me  négligez  après  ma  mort, 


632  18  mai. 

et  vous  ne  me  rendez  pas  les  derniers  devoirs.  Voudriez-vous  que  nos  corps 
devinssent  la  proie  des  poissons  ?  Vous  devez  vous  hâter,  parce  qu'un  grand 
combat  vous  attend  dans  deux  jours.  Levez-vous  donc,  et  allez  à  l'étang; 
mais  gardez-vous  d'un  traître  ». 

Théodote  à  son  réveil  se  leva,  et  raconta  la  vision  qu'il  avait  eue  à  ceux 
qui  étaient  dans  la  maison.  Lorsque  le  jour  fut  venu,  deux  chrétiens  s'ap- 
prochèrent de  l'étang  pour  reconnaître  la  garde.  On  espérait  que  les  soldats 
se  seraient  retirés  à  cause  de  la  fête  de  Diane;  mais  on  s'était  trompé.  Les 
fidèles  redoublèrent  leurs  prières,  et  furent  jusqu'au  soir  sans  manger;  alors 
ils  sortirent,  portant  des  faux  aiguisées  pour  couper  les  cordes  qui  tenaient 
les  corps  saints  attachés  aux  pierres.  La  nuit  était  fort  obscure,  la  lune  et 
les  étoiles  ne  donnaient  aucune  lumière.  Etant  arrivés  au  lieu  où  se  fai- 
saient les  exécutions,  et  où  personne  n'osait  aller  après  le  coucher  du  soleil, 
ils  furent  saisis  d'horreur  à  la  rencontre  des  têtes  coupées  que  l'on  avait 
fichées  sur  des  pieux,  ainsi  que  des  restes  hideux  de  corps  brûlés;  mais  ils 
entendirent  une  voix  qui  appelait  Tbéodote  par  son  nom,  et  qui  lui  disait 
d'avancer  sans  rien  craindre.  Effrayés  de  nouveau,  ils  formèrent  le  signe  de 
la  croix  sur  leur  front  \  et  ils  virent  à  l'instant  une  croix  lumineuse  du 
côté  de  l'orient.  S'étant  mis  à  genoux,  ils  adorèrent  Dieu  et  continuèrent 
leur  route.  L'obscurité  était  si  grande,  qu'ils  ne  s'entrevoyaient  pas.  Il 
tombait  en  même  temps  une  grosse  pluie  qui  gâtait  tellement  le  chemin, 
qu'ils  pouvaient  à  peine  se  soutenir. 

Au  milieu  de  tant  de  difficultés,  ils  eurent  encore  recours  à  la  prière,  et 
ils  furent  exaucés.  Ils  virent  tout  à  coup  un  flambeau  qui  leur  montrait  la 
route  qu'ils  devaient  tenir.  Dans  le  même  instant  deux  hommes  vêtus  d'ha- 
bits éclatants  leur  apparurent,  et  dirent  :  «  Prenez  courage,  Théodote,  le 
Seigneur  Jésus  a  écrit  votre  nom  parmi  ceux  des  martyrs;  il  nous  envoie 
pour  vous  recevoir.  C'est  nous  que  l'on  appelle  Pères.  Vous  trouverez  près 
de  l'étang  saint  Sosandre  armé,  dont  la  vue  épouvante  les  gardes  :  mais 
vous  n'auriez  pas  dû  mener  un  traître  avec  vous  ». 

Cependant  l'orage  continuait,  et  le  tonnerre  grondait  horriblement.  La 
tempête,  accompagnée  d'un  vent  furieux,  incommodait  beaucoup  les 
gardes,  qui,  malgré  cela,  restaient  toujours  à  leur  poste  :  mais  lorsqu'ils 
virent  un  homme  armé  de  toutes  pièces  et  environné  de  flammes,  ils  furent 
tellement  effrayés  qu'ils  s'enfuirent  dans  des  cabanes  du  voisinage.  Les 
fidèles,  à  la  faveur  de  leur  guide,  vinrent  sur  le  bord  de  l'étang.  Le  vent 
soufflait  avec  tant  de  violence,  que,  poussant  l'eau  vers  les  bords,  il  décou- 
vrait le  fond  où  étaient  les  corps  des  vierges.  Théodote  et  ses  compagnons 
les  ayant  retirés,  les  emportèrent  et  les  enterrèrent  près  de  l'église  des  pa- 
triarches. Les  noms  des  sept  vierges  étaient  Técuse,  Alexandrie,  Claudie, 
Eufhrasie,  Matrone,  Julitte  et  Phaine. 

Le  lendemain  toute  la  ville  fut  en  rumeur  à  l'occasion  du  bruit  qui  se 
répandit  qu'on  avait  enlevé  les  corps  des  sept  vierges.  Dès  qu'un  chrétien 
paraissait,  on  l'arrêtait  aussitôt  pour  l'appliquer  à  la  question.  Théodote, 
apprenant  qu'on  en  avait  déjà  saisi  un  grand  nombre,  voulait  aller  se  livrer 
lui-même,  et  avouer  le  fait;  mais  il  en  fut  empêché  par  les  frères.  Cepen- 
dant Polychrone,  déguisé  en  paysan,  se  rendit  a,  la  place  publique,  pour 
mieux  s'assurer  de  tout  ce  qui  se  passait  dans  la  ville.  Il  fut  reconnu  mal- 
gré son  déguisement,  et  conduit  devant  le  gouverneur,  qui  le  fit  appliquer 
à  la  question.  Il  souffrit  d'abord  avec  patience;  mais  il  ne  put  tenir  contre 
l'idée  de  la  mort  dont  on  le  menaçait.  Il  dit  que  Théodote  avait  enlevé  les 

1.  Perterrefacti,  crucis  wgnuj»  suœ  quisque  impressit  fionti.  Act. 


SAINT  THÉODOTE,   CABARETIER,   ET  SErT  VIERGES,   MARTYRS.  633 

corps  des  sept  vierges,  et  indiqua  le  lieu  où  ils  avaient  été  enterrés.  Le  gou- 
verneur ordonna  sur-le-champ  qu'on  allât  les  exhumer,  et  qu'on  les  brû- 
lât. Les  chrétiens  reconnurent  alors  que  Polychrone  était  le  traître  dont  ils 
avaient  été  avertis  de  se  garder. 

Théodote,  informé  de  la  trahison  du  malheureux  Polychrone,  vit  bien 
que  son  heure  était  venue.  Il  dit  adieu  aux  frères,  leur  demanda  le  secours 
de  leurs  prières,  et  ne  pensa  plus  qu'à  se  préparer  au  combat.  Il  pria  lui- 
même  longtemps  avec  eux,  afin  d'obtenir  de  Dieu  la  fin  de  la  persécution 
et  la  paix  de  l'Eglise;  on  s'embrassa  ensuite  de  part  et  d'autre  avec  beau- 
coup de  larmes.  Théodote,  ayant  fait  le  signe  de  la  croix  sur  tout  son  corps  l, 
marcha  d'un  pas  intrépide  au  lieu  du  combat.  Il  rencontra  deux  bourgeois 
de  ses  amis  qui  l'exhortèrent  à  pourvoir  à  sa  sûreté  pendant  qu'il  en  était 
temps  encore.  «  Les  prêtresses  de  Diane  et  de  Minerve  »,  lui  dirent-ils, 
«  sont  présentement  avec  le  gouverneur,  auprès  duquel  elles  vous  accusent 
de  détourner  le  peuple  d'adorer  leurs  déesses  !  Polychrone  est  là  aussi  pour 
soutenir  ce  qu'il  a  avancé  touchant  l'enlèvement  des  corps  saints.  Si  vous 
m'aimez  toujours,  répondit  Théodote,  ne  faites  point  d'efforts  pour  me  dé- 
tourner de  mon  dessein;  allez  plutôt  dire  au  gouverneur  que  celui  qu'on 
accuse  d'impiété  est  à  la  porte,  et  qu'il  demande  audience  ». 

Ayant  ainsi  parlé,  il  prit  les  devants,  et  parut  tout  à  coup  en  la  présence 
de  ses  accusateurs.  Lorsqu'il  fut  entré,  il  regarda  en  souriant  le  feu,  les 
roues,  les  chevalets  et  les  autres  instruments  de  supplice  que  l'on  avait  pré- 
parés. Théoctène  lui  dit  qu'il  était  en  son  pouvoir  de  ne  pas  souffrir  les 
tortures  dont  il  était  menacé;  il  lui  offrit  son  amitié,  l'assura  de  la  bien- 
veillance de  l'empereur,  et  lui  promit  de  le  faire  gouverneur  de  la  ville  et 
prêtre  d'Apollon,  s'il  voulait  travailler  à  détromper  les  chrétiens,  et  à  les 
faire  renoncer  au  culte  de  ce  Jésus  qui  avait  été  crucifié  sous  Pilate.  Théo- 
dote, dans  sa  réponse,  releva  la  grandeur,  la  sainteté,  les  miracles  de  Jé- 
sus-Christ; en  même  temps  il  montra  l'impiété  et  l'extravagance  de  l'ido- 
lâtrie, surtout  par  le  détail  des  crimes  infâmes  qui  étaient  attribués  aux 
dieux  par  les  poètes  et  les  historiens.  Son  discours  jeta  les  païens  dans  une 
étrange  fureur.  Les  prêtresses  de  Diane  et  de  Minerve  était  tellement  trans- 
portées de  rage,  qu'elles  s'arrachaient  les  cheveux,  déchiraient  leurs  habits 
et  mettaient  en  pièces  les  couronnes  qu'elles  portaient  sur  la  tête.  Ce  n'é- 
taient que  cris  confus  parmi  la  populace,  qui  demandait  justice  contre  l'en- 
nemi des  dieux. 

Théodote  fut  donc  étendu  sur  le  chevalet.  Chaeun  des  païens  s'empressa 
de  le  tourmenter,  afin  de  signaler  son  zèle  pour  ses  prétendues  divinités. 
Plusieurs  bourreaux,  qui  se  relevaient  tour  à  tour,  lui  déchiraient  le  corps 
avec  des  ongles  de  fer.  On  versa  ensuite  du  vinaigre  sur  ses  plaies,  et  on  y 
appliqua  des  torches  ardentes.  Le  martyr,  sentant  l'odeur  de  sa  chair  brû- 
lée, tourna  un  peu  la  tête.  Le  gouverneur  à  ce  mouvement  crut  qu'il  cédait 
à  la  violence  des  tortures.  «  Vous  ne  souffrez  »,  lui  dit- il,  «  que  pour  avoir 
manqué  de  respect  à  l'empereur  et  méprisé  les  dieux.  Vous  vous  trompez  », 
lui  répondit  Théodote,  «si  vous  attribuez  à  la  lâcheté  le  mouvement  de  tête 
que  j'ai  fait.  Je  ne  me  plains  que  du  peu  de  courage  des  ministres  de  vos 
ordres.  Paites-vous  donc  obéir;  inventez  de  nouveaux  supplices  pour  voir 
quelle  force  Jésus-Christ  inspire  à  ceux  qui  souffrent  pour  lui.  Connaissez 
enfin  que  quiconque  est  soutenu  par  la  grâce  du  Sauveur,  est  supérieur  à 
toute  la  puissance  des  hommes  ».  Le  gouverneur,  qui  ne  se  possédait  pas  de 
rage,  lui  fit  frapper  les  mâchoires  et  casser  les  dents  avec  des  pierres. 

1>  TotuiiKiue  corcus  suum  crucis  *i«tiu>  muniens,  in  itadium  processif  animo  imperterrito.  Act. 


634  18  mai. 

«  Vous  pouvez  »,  lui  disait  le  martyr,  «  me  faire  encore  couper  la  langue; 
Dieu  entend  jusqu'au  silence  de  ses  serviteurs  ». 

Les  bourreaux  étaient  épuisés  de  forces,  tandis  que  Théodote  paraissait 
insensible  aux  souffrances.  Le  gouverneur  le  renvoya  en  prison,  le  réser- 
vant toutefois  à  de  nouvelles  tortures.  Le  martyr,  en  passant  par  la  place, 
montrait  son  corps  tout  déchiré,  comme  une  marque  de  la  puissance  de 
Jésus-Christ  et  de  la  force  qu'il  communique  à  ceux  qui  lui  demeurent 
fidèles,  de  quelque  condition  qu'ils  soient.  «  Il  est  juste  »,  disait-il  en  fai- 
sant remarquer  ses  plaies,  «  d'offrir  de  semblables  sacrifices  à  celui  qui 
nous  a  donné  l'exemple,  et  qui  a  daigné  s'immoler  pour  nous  ». 

Cinq  jours  après,  le  gouverneur  le  fit  reparaître  devant  son  tribunal.  On 
l'étendit  de  nouveau  sur  le  chevalet,  et  l'on  rouvrit  toutes  ses  plaies;  on  le 
coucha  ensuite  sur  la  terre  couverte  de  morceaux  de  tuile  tout  rouges  de 
feu.  Cette  horrible  torture  ne  pouvant  ébranler  sa  constance,  il  souffrit  une 
troisième  fois  celle  du  chevalet.  Enfin  le  gouverneur  le  condamna  à  perdre 
la  tête  ;  il  ordonna  en  même  temps  de  brûler  son  corps,  de  peur  que  les 
chrétiens  ne  lui  donnassent  la  sépulture. 

Quand  Théodote  fut  arrivé  au  lieu  de  l'exécution,  il  remercia  Jésus- 
Christ  de  l'avoir  soutenu  par  sa  grâce  au  milieu  de  ses  tourments,  et  de 
l'avoir  choisi  pour  être  un  des  citoyens  de  la  Jérusalem  céleste;  il  le  pria 
aussi  de  mettre  fin  à  la  persécution,  d'avoir  pitié  de  son  Eglise  affligée,  de 
lui  rendre  enfin  la  paix.  S'étant  ensuite  tourné  vers  les  chrétiens  qui  l'ac- 
compagnaient, il  dit  :  «  Ne  pleurez  pas  ma  mort;  mais  bénissez  plutôt 
Notre-Seigneur  Jésus-Christ,  qui  m'a  fait  terminer  heureusement  ma  course, 
et  remporter  la  victoire  sur  l'ennemi.  Lorsque  je  serai  dans  le  ciel,  je  m'a- 
dresserai à  Dieu  avec  confiance,  et  je  le  prierai  pour  vous  '  ».  Après  avoir 
parlé  ainsi,  il  reçut  avec  joie  le  coup  qui  consomma  son  sacrifice.  Le  bûcher 
sur  lequel  on  mit  son  corps  parut  environné  d'une  lumière  si  éclatante, 
que  personne  n'osait  en  approcher  pour  l'allumer.  Le  gouverneur,  l'ayant 
appris,,  commanda  des  soldats  pour  garder  la  tête  et  le  tronc  du  martyr 
en  cet  endroit. 

Ce  jour-la  même,  Fronton,  prêtre  de  Malos,  vint  à  Ancyre  pour  cher- 
cher les  reliques  que  Théodote  lui  avait  promises;  il  apportait  aussi  l'an- 
neau que  le  Saint  lui  avait  laissé  comme  un  gage  de  sa  promesse.  Il  était 
venu  avec  une  ânesse  chargée  de  vin,  provenant  d'une  vigne  qu'il  cultivait 
de  ses  propres  mains.  Il  n'arriva  qu'au  commencement  de  la  nuit.  Son 
ânesse,  épuisée  de  fatigues,  s'abattit  auprès  du  bûcher,  par  un  effet  de  la 
Providence.  Les  gardes  invitèrent  Fronton  à  demeurer  avec  eux,  l'assurant 
qu'il  serait  mieux  que  dans  toute  autre  hôtellerie.  Us  avaient  fait  une  hutte 
avec  des  branches  de  saules  et  de  roseaux,  et  avaient  allumé  du  feu  auprès. 
Comme  leur  souper  était  prêt,  ils  proposèrent  à  Fronton  de  manger  avec 
eux.  Celui-ci  accepta  la  proposition,  et  leur  fit  goûter  de  son  vin,  qu'ils 
trouvèrent  excellent,  et  dont  quelques-uns  burent  jusqu'à  s'échauffer 
un  peu. 

Dans  la  conversation,  ils  racontèrent  ce  qu'ils  avaient  souffert  au  sujet 
de  l'enlèvement  des  sept  vierges,  qu'ils  disaient  avoir  été  fait  par  un  homme 
de  bronze;  ils  ajoutèrent  qu'ils  gardaient  alors  le  corps  de  cet  homme.  Le 
prêtre  les  pria  de  s'expliquer  et  de  le  mettre  au  fait  de  cette  aventure.  Un 
de  la  troupe  lui  rapporta  en  détail  ce  qui  était  arrivé  aux  sept  vierges,  et 
de  quelle  manière  leurs  corps  avaient  été  tirés  de  l'étang.  11  dit  ensuite 
qu'un  nommé  Théodote,  bourgeois  d'Ancyre,  avait  souffert  les  plus  affreux 

1.  Deinceps  enim  in  cœlis  cuui  fiducia  Deum  pro  vobis  deprecabor.  Act. 


SAINT   FÉLIX  DE   CANTALICE,    CAPUCIN.  635 

tourments  avec  une  insensibilité  qui  les  portait  à  lui  donner  le  titre  d'homme 
de  bronze;  que  le  gouverneur  l'avait  condamné  à  mort;  qu'ils  étaient  char- 
gés de  garder  son  corps,  et  qu'ils  devaient  s'attendre  à  une  rigoureuse  pu- 
nition, s'il  leur  était  enlevé. 

Fronton  remercia  Dieu  de  cette  découverte,  et  le  pria  de  l'assister  dans 
la  circonstance  où  il  se  trouvait.  Après  le  souper,  il  épia  le  moment  où  les 
gardes  seraient  profondément  endormis.  N'ayant  plus  rien  à  craindre  de 
leur  part,  il  prit  le  corps  du  martyr,  lui  remit  son  anneau  au  doigt,  et  le 
chargea  avec  la  tête  sur  le  dos  de  son  ânesse.  Lorsqu'elle  fut  dans  le  che- 
min, il  la  laissa  aller  seule,  et  elle  retourna  d'elle-même  au  bourg  de  Malos, 
où  l'on  bâtit  depuis  une  église  sous  l'invocation  de  saint  Théodote.  Ce  fut 
ainsi  que  s'accomplit  la  promesse  que  le  saint  martyr  avait  faite  à  Fronton 
de  lui  fournir  des  reliques. 

On  donne  comme  attributs  à  saint  Théodote  le  comptoir  qui  rappelle  sa 
profession,  la  torche  et  l'épée  qui  furent  les  instruments  de  sa  mort. 

Tiré  des   Actes  sinccres,  publiés  par  Dom  Ruinard.  Ils  ont  pour  auteur  Nilus,  qui,  emprisonné  avec 
The'odote,  avait  été  témoin  oculaire  de  tout  ce  qu'il  rapporte.  Voyez  Tillemont,  etc. 


SAINT  FÉLIX  DE  CANTALICE,  CAPUCIN 

1513-1587.  —  Papes  :  Léon  X;  Sixte  V. 

Gardons-nous  bien  de  confirmer,  par  notre  indolence, 
cette  proposition  de  saint  Bernard:  «  Il  y  en  a  plus 
qui  se  convertissent  du  vice  à  la  vertu  qu'il  n'y  en 
a  dont  la  ferveur  prenne  sans  cesse  de  nouveaux 
accroissements. 

Ce  bon  religieux  naquit  à  Cantalice,  au  pied  du  mont  Apennin,  sur  les 
confins  de  l'Ombrie  ou  du  duché  de  Spolète,  l'an  de  grâce  4513.  Ses  parents 
étaient  pauvres  et  laboureurs  de  profession,  mais  ils  avaient  beaucoup  de 
piété  ;  et,  comme  le  père  s'appelait  Saint  et  la  mère  Sainte,  ils  ne  démen- 
taient pas  par  leur  vie  et  leurs  actions  l'excellence  de  leur  nom.  Saint  en 
donna  un  beau  témoignage,  lorsque,  voyant  expirer  une  fille  de  son  fils 
aîné,  il  lui  dit  avec  larmes,  mais  d'un  esprit  prophétique  :  «  Allez  en  paix, 
ma  petite  Sainte,  avec  la  bénédiction  de  Dieu  et  la  mienne,  je  vous  suivrai 
de  près  :  samedi  prochain  j'espère  vous  voir  ».  Ce  qu'il  avait  prédit  arriva 
effectivement,  bien  que,  lorsqu'il  proféra  ces  paroles,  il  fût  en  pleine  santé. 

Félix  fut  le  troisième  de  quatre  enfants  qu'il  eut  de  son  mariage.  Elevé 
fort  soigneusement  dans  cette  école  domestique,  il  fît  d'abord  de  si  grands 
progrès  dans  la  vertu,  qu'on  le  considérait  déjà  comme  un  Suint.  Les  en- 
fants, lorsqu'ils  le  voyaient  approcher,  se  disaient  l'un  à  l'autre,  par  res- 
pect :  «  Voici  Félix,  voici  le  Saint  ».  Dès  qu'il  fut  en  état  ùc  rendre  quel- 
que service  à  la  famille,  son  père  l'employa  à  garder  les  bestiaux  à  la 
campagne;  et  là,  tandis  que  ses  compagnons  dormaient  la  nuit,  ou  que  le 
jour  ils  prenaient  quelque  divertissement,  il  se  retirait  secrètement,  et  se 
jetant  à  genoux  au  pied  d'un  chêne,  devant  une  croix  qu'il  y  avait  gravée, 
il  faisait  ses  prières  et  méditait  les  douleurs  de  Notre-Seigneur  en  sa  Pas- 
sion ;  outre  cela,  il  récitait,  le  plus  souvent  qu'il  pouvait,  le  Pater  et  l'Ave, 
Maria. 


636  18  mai. 

A  l'âge  de  douze  ans,  il  se  loua  en  qualité  de  berger  à  un  seigneur 
nommé  Marc  Tulle  Pichi  ou  Picarelli.  Alors,  il  ajouta  à  ses  dévotions  ordi- 
naires la  sainte  communion  et  l'assistance  plus  fréquente  au  saint  sacrifice 
de  la  messe.  Pour  l'entendre,  il  abandonnait  quelquefois  ses  troupeaux  à 
la  Providence,  qui  envoyait  un  gardien  mystérieux  :  beaucoup  de  personnes 
ont  assuré  avoir  vu  ce  berger  inconnu  et  extraordinaire.  Lorsque  Félix  fut 
plus  âgé  et  plus  fort  pour  en  avoir  soin,  il  fut  appliqué  par  son  maître  à  la 
charrue  et  aux  autres  travaux  de  la  vie  rustique  :  il  donna  partout  des 
preuves  de  sa  vertu.  Il  était  extrêmement  sobre,  fort  exact  à  observer  les 
jeûnes  commandés  par  l'Eglise;  et  bien  qu'il  travaillât  toute  la  journée, 
néanmoins,  ces  jours-là,  il  ne  mangeait  qu'une  seule  fois  vers  le  soir.  Il 
était  l'ennemi  déclaré  du  mensonge,  des  murmures  et  des  mauvais  dis- 
cours, et,  pour  les  mieux  éviter,  il  parlait  peu.  Il  était  toujours  humble, 
patient  et  si  plein  de  douceur,  que  quand  quelqu'un  l'offensait,  il  ne  se 
vengeait  point  autrement  qu'en  lui  disant  :  «  Allez,  puissiez-vous  devenir 
Saint  !  »  Il  se  plaisait  à  entendre  faire  la  lecture  des  bons  livres.  Comme  un 
jour  il  écoutait  attentivement  la  vie  des  saints  anachorètes  d'Egypte,  il 
conçut  un  si  grand  désir  de  les  imiter,  qu'il  se  proposait  déjà  de  se  faire 
ermite  ;  mais,  rentrant  en  lui-même  et  considérant  les  périls  de  la  vie  soli- 
taire, il  résolut  de  prendre  plutôt  l'habit  des  Frères  Mineurs  avec  la  réforme 
des  Capucins  ;  un  de  ses  cousins  l'en  voulant  détourner,  à  cause  de  la 
rigueur  de  leur  vie  qui  est  si  austère,  il  lui  dit  en  deux  mots  :  «  Qu'il  vou- 
lait ê4re  religieux  tout  de  bon,  ou  ne  s'en  pas  mêler  ».  Dieu  le  fortifia  dans 
cette  résolution  par  un  accident  assez  étrange. 

Comme  il  était  fort  bon  laboureur,  on  lui  donna  un  jour  commission  de 
dompter  et  de  dresser  au  joug  deux  jeunes  taureaux.  A  peine  étaient-ils 
attelés,  que  le  seigneur  Tulle,  son  maître,  s'étant  présenté  à  l'improviste, 
vêtu  de  noir,  ces  animaux  s'épouvantèrent  ;  furieux,  ils  se  mirent  à  courir 
impétueusement.  Comme  Félix  les  voulut  arrêter,  ils  le  jetèrent  par  terre, 
le  foulèrent  aux  pieds  et  lui  passèrent  la  charrue  sur  le  corps  ;  il  devait 
mourir  mille  fois  de  cet  accident  ;  néanmoins,  par  une  singulière  provi- 
dence de  Dieu,  il  n'en  reçut  aucun  mal,  quoique  tous  ses  habits  fussent  en 
pièces.  Le  serviteur  et  le  maître  reconnurent  le  doigt  du  Très-Haut,  qui 
n'aime  pas  qu'on  diffère  l'exécution  des  promesses  qu'on  lui  a  faites  ;  Félix 
n'eut  donc  pas  de  peine  à  obtenir  son  congé  pour  se  consacrer  au  service 
d'un  plus  grand  Maître,  dans  l'Ordre  des  Capucins  :  il  vint  trouver  le  gar- 
dien du  couvent  de  Civita-Ducale,  peu  éloigné  de  Cantalice,  pour  lui  de- 
mander l'habit  de  son  Ordre.  En  vain  ce  Père  lui  exposa  combien  la  vie 
d'un  capucin  est  dure  et  pénible,  il  ne  fit  qu'enflammer  les  désirs  de  Félix. 
Il  le  conduisit  alors  dans  l'église,  et,  lui  montrant  sur  une  croix  noire  Sei- 
gneur tout  sanglant,  tout  livide,  il  dit  :  «  Voici,  jeune  homme,  ce  que  Jé- 
sus-Christ a  souffert  pour  nous  ».  A  cette  vue,  et  au  ton  pathétique  du 
religieux,  Félix  sentit  son  cœur  ému  et  versa  d'abondantes  larmes.  Ces 
pieux  sentiments  semblèrent  au  Père  gardien  une  nouvelle  marque  de  voca- 
tion :  il  envoya  donc  le  jeune  postulant,  avec  une  lettre  de  recommanda- 
tion, à  Rome,  vers  le  Provincial.  Il  avait  alors  près  de  trente  ans  ;  on  lui  fit 
faire  son  noviciat  au  couvent  d'Ascoli.  Il  y  parut,  dès  le  premier  jour,  tout 
pénétré  de  l'esprit  de  son  Ordre.  Souvent  il  se  jetait  aux  pieds  du  maître 
des  novices,  le  priant  de  doubler  ses  mortifications  et  de  le  traiter  avec 
plus  de  rigueur  que  les  autres,  qui  étaient,  à  l'entendre,  plus  dociles  que 
lui,  et  plus  portés  à  la  vertu. 

Il  fit  ses  vœux  en  1545.  Quatre  ans  après,  ses  supérieurs  l'envoyèrent 


SAINT  FÉLIX  DE   CANTALICE,    CAPUCIN.  637 

à   Rome  ;   là  il   exerça  pendant   quarante  ans  l'office  de  quêteur,  de  la 
manière  la  plus  édifiante.  Pendant  ses  quêtes,  il  disait  de  temps  en  temps 
à  son  compagnon  :  «  Allons  mon  frère,  le  chapelet  à  la  main,  les  yeux 
en  terre  et  l'esprit  au  ciel  ».  Il  observait  un  silence  fort  rigoureux,  car 
il  ne  parlait  presque  point;  et,  quand  il  le  faisait,  c'était  toujours  avec 
une  grande  simplicité  et  une  extrême  douceur.  Et  ce  qui  est  admirable, 
quoiqu'en  sa  jeunesse  il  eût  été  élevé  dans  la  rusticité  des  gens  de  la 
campagne,  il  avait  néanmoins  des  manières  très-polies,  qui  le  faisaient 
aimer  autant  que  sa  sainteté  le  faisait  admirer.  Sa  démarche,  son  maintien 
seuls  suffisaient  pour  inspirer  de  la  piété.  Comme  son  office  l'empêchait  de 
visiter  les  malades  pendant  le  jour,  il  ne  manquait  pas,  la  nuit,  de  les  voir 
l'un  après  l'autre,  et  de  les  soulager  en  tout  ce  qui  lui  était  possible.  Il  ne 
se  contentait  pas  de  ceux  du  couvent  :  il  en  cherchait  par  toute  la  ville  de 
Rome,  autant  que  l'obéissance  et  sa  charge  le  lui  pouvaient  permettre,  et 
ceux  qu'il  voyait  le  plus  volontiers,  c'étaient  les  plus  nécessiteux  et  ceux 
dont  les  maladies  pouvaient  donner  le  plus  de  répugnance.  Il  employait  les 
dimanches  et  les  fêtes  à  la  visite  des  hôpitaux  publics,  pour  y  servir  les 
pauvres.  Sa  charité  s'étendait  sur  tous  les  affligés,  à  qui  il  distribuait  non- 
seulement  des  consolations,  mais  des  soulagements.  Quand  il  apercevait 
quelques  pauvres  honteux,  il  les  secourait  aussitôt  ;  il  quêtait  pour  leurs 
nécessités  avec  plus  d'affection  que  si  elles  eussent  été  les  siennes  propres  : 
c'est  ainsi  qu'il  a  sauvé  plusieurs  personnes  du  déshonneur  et  du  désespoir. 
Il  était  si  zélé  pour  la  gloire  de  Dieu,  qu'il  faisait  indifféremment  la  cor- 
rection fraternelle  aux  grands  et  aux  petits  ;  et  quand  il  rencontrait  quel- 
que jeune  débauché  dans  la  rue,  il  l'arrêtait  tout  court  pour  lui  faire  une 
remontrance  salutaire.  Deux  gentilshommes  avaient  mis  l'épée  à  la  main 
pour  vider  leur  querelle  :  ils  étaient  dans  la  plus  grande  chaleur  du  duel  : 
frère  Félix  survint  fort  à  propos,  et,  du  plus  loin  qu'il  les  vit,  il  leur  cria  de 
toutes  ses  forces  :  Deo  gratias,  mes  frères  ;  Deo  gratias  ;  dites  tous  deux  :  Deo 
gratias !  Ils  n'étaient  guère  alors  en  état  d'écouter  personne;  cependant  la 
parole  de  Félix  eut  tant  de  force  sur  eux,  qu'ils  s'arrêtèrent  tout  court,  et 
dirent  tous  deux  :  Deo  gratias/  Ensuite,  ils  prirent  pour  arbitre  de  leur 
différend,  le  saint  frère,  qui  les  réconcilia  et  les  rendit  excellents  amis.  Il 
n'avait  pas  moins  de  sagesse  que  de  zèle  dans  les  corrections  qu'il  faisait. 
Un  jour,  qu'il  était  chez  un  juge  de  la  ville  que  l'on  nommait  Bernardin 
Biscia,  on  apporta  à  ce  juge  un  jeune  veau  avec  une  lettre  pleine  de  com- 
pliments pour  lui  recommander  un  procès.  Il  en  fit  la  lecture,  et,  pendant 
ce  temps,  cet  animal  fit  entendre  des  mugissements.  Le  bienheureux  Félix 
en  profita  pour  lui  dire  :  «  Seigneur  Bernardin,  entendez-vous  bien  le  lan- 
gage de  cet  animal  ?  Il  vous  prie  de  donner  gain  de  cause  à  ceux  qui  vous 
l'envoient  ;  mais,  prenez  garde  de  ne  rien  faire  contre  votre  conscience,  de 
crainte  qu'au  jour  du  jugement  ces  dons  ne  soient  à  votre  confusion  ».  Il 
avait  la  répartie  si  prompte  et  si  adroite,  qu'il  tournait  tout  à  la  gloire  de 
Dieu  et  à  l'édification  du  prochain.  Ayant  une  fois  promis  quelques  petites 
croix  à  la  princesse  Colona,  il  arriva  par  hasard  qu'il  fut  obligé  de  les  dis- 
tribuer à  d'autres  personnes.  La  princesse  s'en  plaignit,  et  lui  dit  agréable- 
ment :  «  Voilà  qui  est  beau,  mon  frère,  de  promettre  et  de  ne  pas  tenir.  — 
Mais  combien  de  choses,  lui  repartit  frère  Félix,  promettons-nous  à  Dieu, 
que  nous  ne  lui  tenons  pas  ?  » 

Il  contracta  une  étroite  amitié  avec  saint  Philippe  de  Néri,  qui  était 
alors  à  Rome  ;  et,  toutes  les  fois  qu'ils  se  rencontraient  ensemble,  ils  se  sa- 
luaient avec  affection,  mais  d'une  façon  bien  nouvelle  :  car  ils  se  souhai- 


638  18  mai. 

taient  l'un  à  l'autre  les  supplices  du  fouet,  de  la  roue,  du  chevalet  et  de 
toutes  sortes  d'autres  tourments  pour  Jésus-Christ,  et  souvent  ils  demeu- 
raient tous  deux  hien  du  temps  sans  parler,  comme  saisis  et  tout  transpor- 
tés de  joie. 

Que  dirions-nous  après  cela  des  autres  vertus  de  notre  bienheureux?  Il 
avait  tant  d'estime  de  l'obéissance,  qu'il  demeura  avec  joie  toute  sa  vie  dans 
l'office  le  plus  humiliant.  Le  cardinal  de  Sainte-Séverine,  protecteur  de 
l'Ordre,  lui  ayant  demandé,  dans  sa  vieillesse,  s'il  ne  voudrait  pas  bien  être 
déchargé  de  sa  quête,  il  lui  repartit  avec  humilité  :  «  Monseigneur,  un 
bon  soldat  doit  mourir  l'épée  à  la  main,  et  un  âne  sous  sa  charge  ». 

Il  rendait  encore  plus  rigoureuse  la  pauvreté  extrême  de  ce  saint  Ordre. 
Jamais  il  ne  porta  de  tunique  ni  en  hiver  ni  en  été,  mais  seulement  un 
pauvre  habit  extrêmement  court  et  étroit  et  tout  garni  de  pièces.  Il  évitait 
de  voir  -es  parents,  comme  une  chose  indigne  d'un  bon  religieux,  et  un 
jour  qu  il  approcha  de  Gantalice,  il  n'y  entra  pas;  mais  comme  il  fut  obligé 
de  loger  dehors,  chez  une  de  ses  cousines,  voyant  qu'elle  lui  préparait  une 
paillasse  et  une  couverture,  il  s'en  alla  passer  la  nuit  sous  un  arbre.  Il  ne 
pouvait  rien  souffrir  qui  fût  contre  l'honnêteté  ;  non-seulement  il  avait  hor- 
reur des  paroles  libres,  mais  il  ne  pouvait  même  écouter  celles  qui  étaient 
suspectes. 

Quant  à  ses  abstinences  et  à  ses  mortifications  corporelles,  il  semble 
qu'il  ait  entrepris  de  renouveler  toutes  les  austérités  des  anciens  Pères  de 
la  Thébaïde.  Il  observait  exactement  tous  les  Carêmes  de  l'Ordre  et  jeûnait 
au  pain  et  à  l'eau  tout  le  temps  qui  avait  été  sanctifié  par  le  jeûne  de  son 
saint  patriarche.  Il  avait  tant  de  haine  de  lui-même,  qu'il  ne  pouvait  se 
traiter  assez  mal  à  son  gré.  Il  couchait  sur  des  planches  qu'il  couvrait  d'une 
vieille  natte  et  n'avait  qu'un  tronc  de  bois,  ou  tout  au  plus  un  fagot  de 
sarment  pour  chevet.  Il  ne  dormait  ordinairement  que  deux  heures,  et 
trois  quand  il  était  incommodé.  Il  passait  le  reste  de  la  nuit  en  prières, 
pendant  lesquelles  il  prenait  trois  fois  la  discipline,  et  souvent  autant  de 
l'ois  pendant  le  jour.  Il  portait,  outre  cela,  une  chemise  de  mailles  sous 
son  habit,  particulièrement  quand  il  visitait  les  sept  églises  de  Rome. 

11  fut  sujet,  sur  la  tin  de  sa  vie,  à  une  irritation  d'entrailles  qui  lui  cau- 
sait d'extrêmes  douleurs  ;  mais  il  les  souffrait  de  si  bon  cœur,  qu'il  les  ap- 
pelait des  faveurs  du  ciel  et  des  roses  du  paradis;  et,  quand  elles  étaient 
plus  aiguës,  il  les  charmait  par  quelque  cantique  spirituel  qui  ravissait 
même  ceux  qui  le  voyaient  souffrir.  Ces  saints  transports  de  joie,  au  milieu 
des  douleurs  les  plus  cuisantes,  font  assez  voir  l'excellence  de  sa  patience. 
Il  fut  toujours  si  éloigné  de  toute  sorte  de  vanité  et  de  complaisance  de  lui- 
même,  qu'il  se  croyait  indigne  de  converser  avec  les  autres  frères  :  c'est 
pourquoi,  lorsqu'il  se  trouvait  avec  eux,  il  parlait  peu  ou  ne  parlait  point 
du  tout.  Jamais  il  ne  permettait  aux  séculiers  de  lui  baiser  les  mains  (comme 
c'est  la  coutume  en  Italie  de  le  faire  par  respect  envers  les  ecclésiastiques 
et  les  religieux),  à  moins  qu'il  ne  fût  surpris.  Et  quand  il  prévoyait  que  cela 
devait  arriver,  il  faisait  rendre  cet  honneur  à  son  compagnon.  Il  avait  beau- 
coup de  vénération  pour  les  prêtres,  et  ne  leur  parlait  jamais  qu'avec  un 
très-grand  respect.  Il  a  toujours  fait  son  possible  pour  ne  paraître  qu'un 
homme  fort  simple,  afin  de  mieux  cacher  les  grâces  particulières  qu'il  re- 
cevait de  Dieu.  Il  ne  s'est  servi  de  sandales  qu'en  son  extrême  vieillesse,  et 
quand  on  lui  demandait  pourquoi  il  allait  nu-pieds  :  «  Parce  que  »,  disait- 
il,  «  je  marche  plus  à  mon  aise  ».  Il  ne  pouvait  souffrir  qu'on  dit  rien  à  sa 
louange,  et  quand  on  le  faisait  il  prenait  aussitôt  la  fuite. 


SAINT  FÉLIX   DE   CANTALICE,    CAPUCIN.  G39 

Il  avait  une  dévotion  singulière  à  la  très-sainte  Vierge  ;  il  jeûnait  au 
pain  et  à  l'eau  toutes  les  veilles  de  ses  fêtes,  avec  le  Carême  entier  que  saint 
François  faisait  en  son  honneur,  depuis  l'Octave  des  apôtres  saint  Pierre  et 
saint  Paul  jusqu'à  son  Assomption.  Il  récitait  son  rosaire  tous  les  samedis, 
et  tous  les  jours  le  chapelet,  mais  avec  tant  de  tendresse  qu'il  était  souvent 
obligé  de  l'interrompre  par  l'excès  des  douceurs  qu'il  sentait  en  son  âme. 
Il  avait  tant  d'amour  et  de  respect  pour  le  nom  de  Jésus,  qu'il  le  proférait 
en  tout  lieu  et  dans  toutes  les  occasions.  Lorsqu'il  rencontrait  des  enfants, 
il  leur  criait  :  «  Dites  :  Jésus,  mes  enfants  ;  dites  tous  :  Jésus  !  »  D'autres 
fois,  il  leur  faisait  dire  :  Deo  grattas  !  Aussi,  les  petits  enfants,  qui  savaient 
sa  dévotion,  n'attendaient  pas  qu'il  le  leur  commandât;  mais  dès  qu'ils  le 
Voyaient  de  loin,  ils  criaient  :  Deo  gratias,  frère  Félix  ;  Deo  gratiasl  Et  lui, 
ravi  et  pleurant  de  joie,  leur  répondait  le  plus  haut  qu'il  pouvait  :  Deo  gra- 
tias, mes  enfants  ;  Dieu  vous  bénisse,  Deo  gratias  !  Quand  il  servait  la  messe,  il 
n'y  pouvait  presque  pas  répondre  à  cause  des  larmes  qu'il  versait  en  abon- 
dance, et  des  douceurs  qui  inondaient  son  cœur.  Sa  dévotion  était  aussi 
fort  sensible  envers  la  passion  de  Notre-Seigneur  ;  et  lorsqu'il  en  entendait 
faire  la  lecture,  principalement  dans  la  semaine  sainte,  il  pleurait  si  amère- 
ment, qu'il  arrosait  le  pavé  de  ses  larmes.  Ses  méditations  continuelles  lui 
acquirent  une  union  habituelle  et  si  intime  avec  Dieu,  qu'il  était  toujours 
en  contemplation  et  si  fort  éloigné  de  lui-même,  que  souvent  il  ne  con- 
naissait pas  ceux  avec  qui  il  conversait,  quoique  son  office  de  quêteur  l'obli- 
geât de  traiter  avec  toutes  sortes  de  personnes.  On  rapporte  qu'un  religieux 
lui  demandant  un  jour  comment,  parmi  l'embarras  du  monde  et  une  infi- 
nité d'objets  si  différents,  il  pouvait  se  tenir  toujours  en  la  présence  de 
Dieu,  il  lui  répondit  :  «  Toutes  les  créatures  de  la  terre  sont  capables  de 
nous  élever  à  Dieu  si  nous  savons  les  regarder  d'un  œil  droit  '  ». 

Il  ne  dormait  qu'environ  deux  heures;  ensuite  il  allait  à  l'Eglise  et  y 
demeurait  en  prières  jusqu'à  Prime;  puis  il  servait  la  première  messe,  à 
laquelle  ordinairement  il  communiait  tous  les  jours.  Pour  les  fêtes  et  les 
dimanches,  il  en  entendait  plusieurs,  outre  celle  qu'il  servait.  Enfin,  le  soir, 
en  revenant  de  sa  quête,  il  no  manquait  jamais  de  rentrer  dans  l'église,  où, 
après  une  profonde  révérence,  il  baisait  la  terre  devant  le  très-saint  Sacre- 
ment. 

Ce  fut  durant  ces  visites  à  Notre-Seigneur  dans  l'Eucharistie  qu'un  reli- 
gieux-prêtre, épiant  secrètement  ce  qu'il  faisait,  l'aperçut  debout,  au 
milieu  de  l'église,  les  bras  ouverts  et  comme  en  extase,  qui  s'écriait  et  di- 
sait avec  de  grands  soupirs  :  «  Seigneur,  je  vous  recommande  ce  pauvre 
peuple  ;  je  vous  recommande  nos  bienfaiteurs.  Miséricorde,  grand  Dieu, 
faites-leur  miséricorde  !  »  Après  avoir  fait  cette  prière  pendant  un  quart 
d'heure,  il  s'arrêta  tout  court,  et  demeura  deux  ou  troix  heures  les  bras 
étendus  en  croix  et  immobile,  comme  s'il  eût  été  mort.  Une  autre  fois,  il 
eut  un  si  violent  transport  d'amour  pour  son  Sauveur,  que,  courant  au 
maître-autel,  il  pria  et  conjura  la  sainte  Vierge  de  lui  donner  pendant  ce 
temps  son  petit  Jésus;  en  effet,  cette  bonne  Mère  lui  apparut,  et,  pour  le 
contenter,  elle  lui  mit  son  cher  Fils  entre  les  mains. 

Toutes  ces  grâces  et  ces  grandes  faveurs  du  ciel,  qui  ne  purent  être  ca- 
chées, le  firent  si  fort  considérer  dans  Rome,  que,  durant  sa  vie  même, 
chacun  le  regardait  comme  un  Saint.  Etant  âgé  de  soixante-douze  ans, 
Dieu  lui  fit  savoir,  par  révélation,  qu'il  mourrait  bientôt.  En  effet,  quelque 

1.  N'est-il  pas  dit  quelque  part,  dans  l'Evangile  :  «  Si  votre  œil  est  droit,  tout  sera  droit  en  vous  ». 
ttfttth»,  VI,  22;  Luc,  xi,  31.) 


640  18  mai. 

temps  après,  il  tomba  dangereusement  malade.  Durant  sa  maladie,  il  se 
dérobait  souvent  à  l'infirmier  pour  aller  dans  l'église,  bien  qu'il  fût  si  faible, 
qu'on  était  obligé  de  le  rapporter  évanoui  et  demi-mort  en  sa  cellule. 
C'était  pour  lui  une  croix  d'être  coucbé  sur  un  matelas  qu'on  lui  avait 
donné  malgré  lui,  et  il  croyait  que  ce  n'était  pas  là  mourir  assez  pauvre- 
ment, ni  comme  un  religieux  de  Saint-François  devait  mourir.  Lorsqu'il 
eut  reçu  les  derniers  Sacrements,  la  sainte  Vierge  lui  apparut  suivie  d'une 
belle  troupe  d'anges,  pour  le  fortifier  dans  ce  dernier  passage. 

Il  en  fut  si  ravi  de  joie,  qu'il  s'écria  de  toutes  ses  forces  :  Oh  !  oh  !  oh  l  et 
demeura  ensuite  près  d'un  demi-quart  d'heure  les  bras  étendus  et  levés  vers 
le  ciel.  L'ennemi  de  tout  bien  le  voulut  tenter  de  désespoir  et  d'infidélité  ; 
mais  l'bomme  de  Dieu  l'arrêta  tout  court,  lui  disant  :  «  Que  c'était  son  Sau- 
veur qui  le  devait  juger,  et  qu'il  ne  pouvait  se  défier  de  sa  miséricorde  ;  qu'au 
reste,  il  croyait  tout  ce  que  la  sainte  Eglise  catholique  croit  et  enseigne  ». 
Enfin  il  rendit  paisiblement  son  âme  à  son  Créateur,  dans  les  louanges  de  son 
saint  nom  et  dans  celles  de  sa  sainte  Mère,  les  finissant  en  ce  monde  le  18  mai, 
pour  les  aller  continuer  durant  toute  l'éternité  dans  le  ciel. 

Sa  sainteté  a  paru,  après  sa  mort,  par  quatre  choses  bien  remarquables: 
1°  par  le  changement  de  son  corps,  qui,  de  brun  qu'il  était,  devint  aussi 
tendre  et  aussi  blanc  que  celui  d'un  enfant;  2°  par  la  célèbre  translation 
que  l'on  en  fit  du  cimetière  commun  des  religieux,  où  il  avait  été  enterré, 
en  un  tombeau  dans  l'église,  soutenu  par  des  piliers  de  marbre  qu'il  avait 
lui-même  demandés  au  seigneur  Alexandre  Poggi,  en  l'assurant  qu'ils  se- 
raient employés  pour  lui  ;  3°  par  une  liqueur  qui  distille  continuellement 
de  son  cercueil,  et  qui  est  souvent  l'instrument  de  plusieurs  merveilles; 
4°  enfin,  par  une  vertu  miraculeuse  que  Dieu  a  communiquée  à  l'huile  de  la 
lampe  qui  brûle  jour  et  nuit  devant  son  sépulcre. 

Saint  Félix  fut  béatifié  par  Urbain  VIII  en  1625;  canonisé  par  Clément  XI 
en  1712  ;  mais  la  Bulle  de  sa  canonisation  ne  fut  publiée  qu'en  1724,  par 
Benoît  XIII.  Son  corps  est  dans  l'église  des  Capucins  de  Rome.  Il  y  a  indul- 
gence plénière  pour  ceux  qui,  ayant  rempli  les  conditions  ordinaires,  visi- 
tent le  jour  de  sa  fête  une  église  de  son  Ordre. 

On  représente  saint  Félix  de  Cantalice  avec  une  besace,  un  baril  ou  une 
dame-jeanne  sur  l'épaule;  un  panier  ou  cabas  au  bras.  Parfois  il  est  ac- 
compagné d'un  âne  qui  l'aidait  dans  ses  tournées  de  quêteur.  On  trace 
sur  sa  besace  vide  ou  gonflée,  les  mots  Deo  grattas  qu'il  prononçait  avec 
la  même  piété,  soit  qu'il  fût  bien  reçu,  soit  qu'il  essuyât  des  refus.  On  le 
peint  aussi  quelquefois  rencontrant  saint  Philippe  de  Néri  dans  la  rue, 
et  lui  donnant  à  boire  à  même  sa  gourde  ou  bouteille  recouverte  d'osier. 
On  sait  que  le  Saint  récitait  volontiers  son  chapelet  en  parcourant  les 
rues  de  Rome  ;  c'est  pourquoi  il  pend  souvent  de  sa  main  droite  un  grand 
chapelet  qu'il  égrène  dévotement.  Les  Bollandistes  donnent  son  portrait 
authentique  dans  leur  appendice  au  mois  de  mai. 

Voir  les  Bollandistes,  mai,  t.  iv  et  t.  tu  de  la  nouv.  éd.,  p.  793. 


SAINT  QUINIBERT,  PATRON  DE  SALESCHES  (ixe  siècle). 

La  vie  de  saint  Quinibert,  patron  de  Salesches,  près  du  Quesnoy,  n'est  presque  point  connue. 
Les  religieux  de  Maroilles,  consultés  par  le  docte  Molanus,  n'ont  pu  constater  que  son  existence, 
sa  sainteté,  et  le  culte  qu'on  lui  rendait  dans  ce  lieu.  Il  est  vraisemblable  qu'il  appartenait  à  la 


SAINT   ÉRIC   IX.    ROI   DE    SUÈDE,    MARTYR.  641 

communauté  de  Maroilles,  qu'il  obtint  de  ses  supérieurs  de  mener  la  vie  solitaire  dans  un  petit 
ermitage  élevé  à  Salesches,  et  que  telle  fut  l'origine  du  prieuré  qui,  dans  la  suite,  y  fut  érigé. 
C'est  là  qu'il  vécut  dans  la  pratique  de  toutes  les  vertus  chrétiennes,  et  qu'il  remit  son  âme  à 
Dieu.  Les  religieux  ajoutaient  dans  leur  déposition  que  beaucoup  de  guérisons  miraculeuses  avaient 
été  opérées  dans  ce  lieu,  à  l'époque  même  où  ils  écrivaient,  par  l'intercession  du  pieux  solitaire, 
et  qu'une  multitude  de  personnes  du  pays  pouvaient  en  rendre  témoignage. 

Il  y  avait  autrefois,  dans  l'église  de  Salesches,  un  grand  nombre  de  bâtons,  de  béquilles,  et 
même  quelques  chars  que  l'on  conservait  comme  preuves  et  souvenirs  des  guérisons  opérées  sur 
des  infirmes.  Tout  fut  brûlé  dans  les  guerres  qui  désolèrent  le  nord  de  la  France  à  la  fin  du 
xvi°  siècle.  L'abbaye  de  Maroilles  avait  inscrit  le  nom  de  saint  Quinibert  dans  son  Calendrier,  et 
on  y  célébrait  solennellement  sa  fête  le  18  mai.  Aujourd'hui  encore  les  reliques  du  Saint  sont 
conservées  précieusement  dans  le  village  de  Salesches,  et  exposées  à  la  vénération  des  fidèles 
qui  ont  hérité,  pour  leur  digne  Patron,  des  sentiments  de  piété  dont  les  ancêtres  leur  ont  donné 
l'exemple. 

Vies  des  Saints  de  Cambrai  et  d'Arras,  par  M.  l'abbé  Destombes. 


SAINT  ÉRIC  IX,  ROI  DE  SUÈDE,  MARTYR  (1151). 

Gratulemur  dulci  prosa, 
Laus  Erici  gloriosa 
Prodeat  in  médium. 
Ex  radiée  generosa 
Transplantatur  vernans  rosa. 

D'un  vieux  Missel,  apud  Boll. 

Eric  l  sortait  d'une  des  plus  illustres  familles  de  Suède.  Le  puissant  seigneur  Iward  était  son 
père.  Il  s'appliqua  dans  sa  jeunesse  à  cultiver  son  esprit  par  l'étude  des  sciences,  et  à  former  son 
cœur  à  toutes  les  vertus  chrétiennes.  Quand  il  fut  en  âge  d'être  marié,  il  épousa  Christine,  fille 
d'Ingon  IV,  roi  de  Suède. 

Après  la  mort  de  Smercher  II,  les  Suédois,  touchés  des  vertus  et  des  belles  qualités  d'Eric, 
jetèrent  les  yeux  sur  lui  pour  qu'il  les  gouvernât  ;  ils  le  placèrent  donc  sur  le  trône,  en  vertu  de 
l'élection  des  Etats,  qui  s'était  faite  conformément  aux  anciennes  lois  du  pays.  Le  premier  soin 
du  nouveau  roi  fut  de  veiller  sur  son  âme  avec  une  extrême  attention.  Il  assujétissait  la  chair  à 
l'esprit  par  le  jeûne  et  les  autres  mortifications  de  la  pénitence  ;  il  vaquait  assidûment  aux  exer- 
cices de  la  prière  et  de  la  contemplation,  qui  faisaient  ses  principales  délices. 

Ses  peuples  trouvaient  un  père  en  lui,  ou  plutôt  il  était  le  serviteur  de  tous  ses  sujets.  Il  tra- 
vaillait avec  une  application  infatigable  à  leur  rendre  la  justice.  Les  malheureux  étaient  sûrs  de 
sa  protection  ;  ils  pouvaient  en  tout  temps  lui  porter  leurs  plaintes,  et  ils  ne  tardaient  pas  à  être 
délivrés  de  l'oppression.  Souvent  il  visitait  en  personne  les  pauvres  malades,  et  les  soulageait  par 
d'abondantes  aumônes.  Content  de  son  patrimoine,  il  '  ne  levait  aucune  taxe  sur  ses  sujets.  Plu- 
sieurs églises  furent  bâties  par  ses  soins.  Il  porta  de  sages  lois  pour  réprimer  les  abus  et  pour 
assurer  la  tranquillité  publique. 

Quoiqu'il  fût  naturellement  pacifique,  il  ne  put  se  dispenser  de  faire  la  guerre.  Il  marcha 
contre  les  Finlandais,  peuple  livré  aux  superstitions  du  paganisme,  et  qui  venait  souvent  piller  les 
terres  de  son  obéissance.  Il  remporta  sur  eux  une  victoire  complète  ;  mais  il  ne  put  retenir  ses 
larmes  a  la  vue  des  corps  morts  étendus  sur  le  champ  de  bataille.  Il  est  bien  triste,  disait-il,  que 
tant  de  malheureux  aient  péri  sans  avoir  reçu  la  grâce  du  baptême  !  Lorsqu'il  eut  entièrement 
soumis  la  Finlande,  il  chargea  saint  Henri,  évèque  d'Upsal,  d'y  aller  prêcher  la  foi,  et  il  y  fit 
bâtir  un  grand  nombre  d'églises. 

La  piété  d'Eric  devint  l'objet  des  railleries  de  quelques  Suédois  opiniâtrement  attachés  au  pa- 
ganisme. La  haine  succéda  bientôt  aux  railleries.  Magnus,  fils  du  roi  de  Danemark,  qui  avait  des 
vues  ambitieuses  sur  la  couronne  de  Suède,  se  mit  à  la  tète  des  mécontents,  et  les  engagea  à 
conjurer  contre  les  jours  de  leur  souverain.  Le  saint  roi  entendait  la  messe  le  lendemain  de  l'As- 

1.  Les  mots  Eric,  Erric  ou  Henri,  teutoniques  d'origine,  ont  une  même  signification  chez  les  peuples 
du  nord,  et  veulent  dire  riche  seigneur.  Saint  Eric  fut  le  neuvième  roi  de  Suède  de  ce  nom. 

Vies  des  Saints.  —  Tome  V.  41 


642  18  mai. 

cension,  lorsqu'on  vint  lui  apprendre  que  les  rebelles  avaient  pris  les  armes  et  qu'ils  s'avançaient 
pour  l'attaquer.  11  répondit  avec  tranquillité  :  «  Achevons  au  moins  le  sacrifice  ;  le  reste  de  la  fête 
se  passera  ailleurs  ». 

La  messe  finie,  il  se  recommande  à  Dieu,  fait  le  signe  de  la  croix,  et  afin  d'épargner  le  sang 
de  ses  fidèles  sujets,  qui  étaient  dans  la  disposition  de  sacrifier  leur  vie  pour  sa  défense,  il  marche 
6eul  devant  ses  gardes.  Les  conjurés,  l'ayant  joint,  se  jettent  sur  lui  avec  fureur,  le  renversent  de 
son  cheval,  lui  font  souffrir  mille  indignités,  et  lui  coupent  la  tête  en  haine  de  la  religion  chré- 
tienne. Une  fontaine  jaillit  du  lieu  où  son  sang  fut  répandu,  et  devint  célèbre  par  la  guérison  des 
malades  qui  s'y  abreuvaient. 

Son  martyre  arriva  le  18  mai  1151  '.  Dieu  glorifia  son  tombeau  par  plusieurs  miracles.  Son 
corps  est  encore  tout  entier  à  Upsal.  La  Suède  honorait  saint  Eric  comme  son  principal  patron, 
avant  qu'elle  eût  embrassé  le  luthéranisme  a. 

Dans  les  anciens  calendriers  Scandinaves,  le  18  mai  était  marqué  par  une  tête  du  saint  roi 
environnée  d'épis,  sans  doute  parce  qu'on  mettait  sous  sa  protection  l'espoir  de  la  moisson.  — 
La  bannière  de  saint  Eric  a  joué  un  grand  rôle  dans  l'histoire  de  la  Suède,  à  peu  près  comme 
l'oriflamme  de  saint  Denis  dans  la  nôtre.  Elle  était  regardée  comme  un  gage  de  la  victoire  dans 
les  combats,  et  plus  d'une  fois  elle  vit  les  Suédois  repousser  avec  succès  les  Russes  de  la  Fin- 
lande. 

On  représente  le  saint  roi  de  Suède  à  genoux  devant  un  autel,  voulant  entendre  la  messe  jus- 
qu'au bout,  bien  qu'il  fût  averti  de  l'approche  des  assassins;  la  tête  environnée  d'épis. 

Les  religieuses  Carmélites  d'Amiens  possèdent  une  relique  du  saint  roi. 

Voyez  l'ouvrage  intitulé  :  Israelis  Erlandis  liber  de  vita  et  miraculis  sancti  Erici  régis,  ex  editione  et 
cum  notis  Joannis  Schefferi.  Holmias,  1675,  in-8°.  Voyez  aussi  Henschenius,  t.  IV  maii,  p.  186;  Godescard, 
éd.  de  Bruxelles,  et  les  Caractéristiques  du  P.  Cahier. 

1.  En  1160,  suivant  les  auteurs  de  l\Arf  de  vérifier  les  dates. 

2.  Saint  Eric  fit  recueillir  les  anciennes  lois  et  constitutions  de  Suéde  en  un  volume  qui  porte  le  titre 
de  Loi  du  roi  Eric.  Ce  recueil  fut  confirmé,  dans  le  xni8  sièclo,  par  le  savant  roi  Magnus  Ladulas,  qui 
compila  et  publia,  en  1385,  un  autre  code  sous  la  tjîta  de  Garasrette. 


SUPPLÉMENT 


PREMIER  JOUR  DE  MAI 


SAINT  PHILIPPE  ET  SAINT  JACQUES. 


Quand  nous  écrivions,  en  1872,  les  vies  de  saint  Philippe  et  de  saint  Jacques  le  Mineur,  apô- 
tres, nous  ne  pouvions,  pour  traiter  la  question  des  reliques,  que  nous  servir  des  documents  fournis 
par  les  Bollandistes  et  tous  les  anciens  hagiographes.  Or,  il  s'est  fait,  le  15  janvier  1873,  une  dé- 
couverte précieuse  dont  nous  sommes  heureux  aujourd'hui  de  pouvoir  entretenir  nos  lecteurs  :  nous 
voulons  parler  de  l'invention  des  corps  dés  deux  Apôtres. 

Extrayons  quelques  lignes  du  décret  publié  à  cette  occasion  par  Son  Eminence  le  cardinal 
Patrizi,  doyen  du  Sacré  Collège,  archiprètre  de  l'église  de  Latran,  vicaire  général  de  notre  Saint- 
Père  le  pape  Pie  IX  : 

«r  La  basilique  des  douze  Apôtres,  fondée,  croit-on,  au  milieu  de  Rome,  dès  le  temps  de  Cons- 
tantin le  Grand;  ensuite  reprise  dès  ses  fondements  et  sur  un  plan  plus  vaste  par  le  pape  Pelage  I«', 
et  achevée  par  le  pape  Jean  III,  qui  la  consacra  le  premier  jour  de  mai  de  l'an  du  Seigneur  560  à 
Dieu  et  à  l'honneur  de  ses  douze  Apôtres,  mais  principalement  à  Philippe  et  à  Jacques  le  Mineur, 
se  glorifiait  de  posséder,  outre  un  très-grand  nombre  de  reliques  insignes  de  Saints,  les  corp3 
sacrés  des  Apôtres  susmentionnés,  Philippe  et  Jacques  le  Mineur,  ensevelis  sous  le  maitre-autel. 

«  Et  en  effet,  bien  qu'à  cause  d'incendies,  de  dommages  et  de  son  état  menaçant  ruine,  cette 
basilique  eût  été  restaurée  et  remise  à  neuf  par  plusieurs  Souverains  Pontifes,  et  qu'en'dernier 
lieu,  du  temps  de  Clément  XI  et  de  Benoit  XIII  qui  la  consacra,  les  religieux  mineurs  conven- 
tuels de  Saint-François,  à  la  garde  desquels  elle  avait  été  confiée  par  le  pape  Pie  II,  la  rebâtissent 
de  fond  en  comble  avec  un  art,  une  grandeur  et  une  majesté  vraiment  merveilleux,  la  tradition 
d'après  laquelle  les  dépouilles  sacrées  des  apôtres  Philippe  et  Jacques  le  Mineur  reposaient  sous 
le  maitre-autel  de  ladite  basilique,  demeura  toujours  constante,  confirmée  qu'elle  était  par  le  con- 
sentement des  écrivains,  et  par  une  antique  inscription  existant  toujours  dans  le  portique  de  la 
même  basilique. 

«  Or,  il  est  arrivé  en  ces  jours,  non  sans  un  conseil  de  la  divine  Providence,  que  dans  les  res- 
taurations qui  sont  faites  à  la  basilique  par  les  soins  et  la  piété  des  mêmes  religieux  mineurs  con- 
ventuels qui  la  décorent  de  nouvelles  peintures  et  de  dorures,  aux  parois  aussi  bien  qu'à  la  voûte; 
qui  y  font  un  pavé  tout  de  marbre  et  y  construisent  un  nouvel  hypogée  sacré  afin  d'y  conserver 
avec  plus  de  pompe  les  reliques  des  Saints;  ce  sacré  trésor  des  corps  de3  saints  apôtres  Philippe 
et  Jacques  le  Mineur  ont  été  retrouvés. 

«  En  effet,  le  15  janvier  de  l'année  courante,  il  nous  fut  donné  de  les  découvrir  sous  le  maitre- 
autel  qu'on  voulait  exhausser  et  rendre  plus  splendide,  tout  à  fait  au-dessous  de  la  mense  de  l'au- 
tel, à  l'intérieur  du  Loculus,  revêtu  en  son  entier  de  magnifiques  plaques  de  marbre  phrygien  et 
de  construction  du  via  siècle,  dans  lequel,  selon  la  tradition  ancienne  et  reçue,  étaient  déposés  les 
restes  sacrés  des  deux  Apôtres. 

«  Comme  l'exigeait  un  si  grand  événement,  une  inspection  longue  et  très-minutieuse  fut  en- 
suite faite  par  les  experts  dans  l'art  de  la  physique,  et  en  même  temps  ils  comparèrent  les  saintes 
reliques  qu'on  tenait  pour  celles  de  saint  Jacques  le  Mineur  avec  la  tête  sacrée  de  ce  même 
Apôtre,  qu'on  conserve  et  vénère  dans  l'église  cathédrale  d'Ancône;  de  plus,  ceux  qui  sont  atta- 
chés à  la  commission  d'archéologie  sacrée  en  firent  plusieurs  fois  en  notre  présence  un  sérieux  et 


644  SUPPLÉMENT.  —  14  MAI. 

mûr  examen  ;  en  présence  des  seigneurs  cardinaux  de  la  sainte  Eglise  romaine,  Antoine-Marie  Pane- 
bianco,  prêtre  du  titre  de  la  basilique,  et  Antonin  Deluca,  protecteur  de  l'Ordre  des  Mineurs  Con- 
ventuels; ouï  notre  promoteur  fiscal,  nous  ne  pouvions  goûter  une  plus  grande  jouissance  qu'en 
prononçant  et  en  déclarant,  comme  pour  la  gloire  de  Dieu  tout-puissant  et  en  Ténération  de  ses 
Saints,  nous  prononçons  et  déclarons,  en  vertu  de  notre  autorité  ordinaire  :  «  Qu'il  conste  de  la 
vérité  des  corps  récemment  découverts  sous  le  maître-autel  de  la  basilique  des  saints  Apôtres  de 
Rome  ;  et  que,  selon  la  tradition  constante,  on  doit  retenir  que  ces  corps  sont  ceux  des  bienheu- 
reux apôtres  Philippe  et  Jacques  le  Mineur,  frère  du  Seigneur,  et  que  par  conséquent  ils  doivent 
être,  comme  il  est  juste,  vénérés  comme  tels  par  tous  les  fidèles  ». 

«  Nous  voulons  d'ailleurs  que  ces  précieux  gages  de  l'Eglise  catholique  soient  renfermés  dans 
une  urne  de  marbre  et  déposés  dans  l'hypogée  récemment  construit  directement  sous  ledit  maltre- 
autel,  pour  le  culte  et  la  vénération  toujours  croissante  des  fidèles. 

«  Nous  voulons  en  outre  qu'un  exemplaire  de  ce  décret  en  parchemin,  avec  l'indication  du  no- 
taire dans  les  minutes  duquel  est  conservé  le  procès-verbal  de  reconnaissance  des  saints  corps  de 
Philippe  et  de  Jacques  le  Mineur,  soit  placé  dans  l'urne  de  marbre. 

«  Donné  de  notre  résidence,  le  19  avril  1873. 

a  Le  cardinal-vicaire, 

«  P.  chan.  Petacci,  secrétaire  ». 


XIV  JOUR  DE  MAI 


SAINT  GILDÉRIG  OU  JOUDRY,  SOLITAIRE  AU  DIOCESE  DE  SÉEZ 

(vu*  siècle). 


Saint  Gildéric  naquit  en  Ecosse,  vers  le  commencement  du  vu»  siècle.  Issu  de  parents  pauvres, 
il  mena  de  bonne  heure  une  vie  dure  et  laborieuse,  qui  le  prépara  aux  grandes  austérités  qu'il 
pratiqua  dans  la  suite.  En  effet,  lorsqu'il  fut  parvenu  à  l'âge  mûr,  le  désir  d'arriver  promptement 
à  la  perfection  évangélique  embrasa  tellement  son  cœur,  qu'il  résolut  d'abandonner  entièrement 
le  monde.  11  fit  part  de  ce  dessein  à  un  saint  personnage,  qui  lui  conseilla,  pour  rendre  son  sacri- 
fice plus  méritoire,  d'abandonner  sa  patrie  et  de  passer  en  France,  où  il  pourrait  mener  plus  faci- 
lement une  vie  solitaire  et  inconnue  au  monde.  Ayant  donc  dit  adieu  pour  toujours  à  ses  parents, 
il  s'embarqua  sur  un  vaisseau  qui  partait  pour  la  France,  et  qui  le  déposa  sur  les  côtes  de  la 
Neustrie,  dans  le  diocèse  de  Coutances. 

Après  avoir  sanctifié  par  sa  présence  plusieurs  solitudes,  il  se  retira  dans  une  épaisse  forêt, 
qui  était  proche  de  la  ville  d'Exmes.  C'est  dans  la  prière  et  la  méditation  des  vérités  éternelles 
qu'il  avait  trouvé  la  force  nécessaire  pour  accomplir  ces  grands  sacrifices.  C'est  la  prière  qui  lui 
adoucit  les  austérités  effrayantes  qu'il  pratiqua  dans  cette  profonde  solitude,  sous  les  yeux  de  Dieu 
et  des  anges.  En  effet,  après  s'être  bâti  une  petite  cellule  avec  des  branches  d'arbres,  il  réduisit 
tellement  sa  chair  sous  l'obéissance  de  l'esprit,  qu'il  n'avait  pour  tout  vêtement  qu'un  cilice,  pour 
toute  nourriture  qu'un  peu  d'orge  mêlé  avec  des  écorces  d'arbres.  Souvent,  au  plus  fort  de  l'hiver, 
et  au  milieu  de  la  nuit,  il  se  plongeait  jusqu'aux  épaules  dans  la  rivière  voisine,  et  restait  dans 
cette  eau  glacée  jusqu'à  ce  qu'il  eût  récité  tout  le  psautier.  Ayant  déclaré  la  guerre  à  son  corps 
comme  à  son  ennemi  le  plus  mortel,  il  prenait  tous  les  moyens  de  l'immoler  chaque  jour  à  la 
gloire  de  Dieu. 

Mais  quelques  efforts  qu'il  fit  pour  cacher  ses  austérités,  elles  furent  découvertes,  et  la  renom- 
mée de  sa  sainteté,  volant  de  bouche  en  bouche,  attira  bientôt  une  foule  de  personnes  qui  venaient 
le  visiter  et  se  recommander  à  ses  prières.  Parmi  ses  pieux  visiteurs,  on  remarqua  surtout  le 
comte  d'Exmes,  qui  non  content  de  lui  témoigner  sa  vénération,  lui  donna  quelques  arpents  de 


SAINT  ANNOBERT  OM  ALNOBERT,  ÉVÊQUE  DE  SÉEZ.  6-45 

terre  pour  y  bâtir  un  oratoire.  Le  Saint  ayant  élevé  de  ses  mains  un  petit  sanctuaire,  y  fit  placer 
deux  autels,  dont  l'un  fut  dédié  à  la  Mère  de  Dieu  et  l'autre  à  sainte  Marie-Madeleine,  modèle  des 
âmes  pénitentes.  Il  cultiva  le  reste  du  terrain  qu'on  lui  avait  donné,  et  par  ses  prières  il  éloigna 
de  cette  contrée  les  animaux  nuisibles,  qui  venaient  ravager  non-seulement  son  petit  enclos,  mais 
encore  les  campagnes  voisines.  Un  autre  visiteur,  qui  se  plaisait  à  combler  saint  Gildéric  des  mar- 
ques de  sa  bienveillance,  fut  saint  Annobert,  évêque  de  Séez.  Il  le  soutenait  dans  le  chemin  de  la 
perfection,  par  ses  exhortations  paternelles,  et  il  lui  procura  jusqu'à  la  fin  de  sa  vie  tons  les 
secours  spirituels  et  temporels  qui  furent  en  son  pouvoir. 

Saint  Gildéric  parvint  à  une  grande  vieillesse,  tout  en  pratiquant  ces  austérités.  Comblé  de 
jours  et  de  mérites,  il  quitta  ce  monde  pour  aller  goûter  auprès  de  Dieu  les  joies  de  l'éternité, 
après  lesquelles  il  soupirait  depuis  longtemps. 

Il  fut  enseveli  dans  l'oratoire  qu'il  avait  lui-même  bâti,  par  saint  Annobert,  qui  voulut  ainsi 
donner  à  son  ami  cette  dernière  marque  de  son  affection  sur  la  terre.  Après  avoir  reposé  quelque 
temps  daDs  cette  chapelle,  son  corps,  objet  de  la  vénération  des  fidèles,  fut  transféré  à  l'ab- 
baye d'Almenèches.  C'est  de  là  qu'il  fut  enlevé,  vers  l'année  1137,  par  Geoffroy,  comte  de  Ven- 
dôme, et  déposé  dans  une  église  située  entre  Chauvigny  et  la  Ville-aux-Clercs.  La  vénération 
universelle  qu'inspiraient  ces  saintes  reliques,  fit  bientôt  donner  à  cette  église  le  nom  de  Saint- 
Joudry  ;  mais  elle  resta  peu  de  temps  en  possession  de  son  précieux  trésor  qui  fut  transféré  dans  l'é- 
glise collégiale  de  Vendôme  où  il  fut  exposé  à  la  vénération  des  religieux  et  des  fidèles  jusqu'en 
1792.  A  cette  époque,  les  reliques  disparurent  sans  qu'on  ait  pu  découvrir  ce  qu'elles  étaient 
devenues.  On  continua  cependant  de  rendre  un  culte  public  au  Saint  dans  les  diocèses  de  Blois 
et  de  Séez.  Aujourd'hui,  il  est  vrai,  on  ne  récite  plus  d'office  en  son  honneur,  mais  sa  mémoire 
demeure  en  bénédiction  dans  les  diocèses  de  Séez,  de  Chartres  et  de  Blois. 

Ruinée  par  les  incursions  des  gens  de  guerre,  l'ancienne  église  élevée  sous  son  vocable  fut 
reconstruite  vers  1648.  L'impiété  révolutionnaire  vint  ravager  à  son  tour  cette  église,  en  1793. 
Mais  elle  fut  rebâtie  en  1835,  et  bénite  solennellement,  le  16  mai  1836,  sous  l'épiscopat  de 
Mgr  Pierre-François  de  Saussin,  évêque  de  Blois.  Elle  est  aujourd'hui  annexée  à  la  paroisse  de 
Chauvigny.  La  statue  qu'on  y  vénère,  est  grossièrement  travaillée.  Elle  représente  saint  Gildéric 
revêtu  d'une  robe  brune  à  capuchon,  un  chapelet  pendant  à  sa  ceinture  de  cuir.  Il  a  un  bréviaire 
ouvert  entre  les  mains  et  s'appuie  sur  une  canne  à  traverse  *.  Chaque  deuxième  vendredi  du  mois, 
le  curé  de  Chauvigny  y  vient  célébrer  la  messe,  à  laquelle  assiste  un  certain  nombre  de  pèlerins  2. 
Les  habitants  de  ces  contrées  ont  une  très-grande  vénération  pour  le  Saint.  On  vient  l'invoquer 
de  dix  lieues  à  la  ronde;  moins  connu  vers  Châteaudun,  il  est  plus  célèbre  dans  le  Vendômois  et 
le  pays  de  Montdoubleau.  La  fête  du  Saint,  que  l'on  célébrait  le  14  mai,  a  été  reportée  au  lundi 
de  la  Pentecôte.  Les  pèlerins  vont  en  grand  nombre  à  cette  fête  d'où  plusieurs  s'en  sont  déjà 
retournés  guéris  de  la  fièvre. 

Extrait  des  Vies  des  Saints  des  diocèses  de  Séez,  par  M.  l'abb<5  Blin,  curé  de  Durcet. 


XVIe  JOUR  DE  MAI 


SAINT  ANNOBERT  OU  ALNOBERT,  ÉVÊQUE  DE  SÉEZ  (706). 

Saint  Annobert,  un  des  plus  grands  évêques  de  l'Eglise  de  Séez,  était  d'une  famille  noble  et 
alliée  aux  personnages  les  plus  puissants  du  royaume.  Dès  l'âge  le  plus  tendre,  il  fut  confié  à 
saint  Hadoin,  évêque  du  Mans,  qui  prit  soin  de  le  former  à  la  science,  et  surtout  à  l'amour  de 

1.  C'est  la  forme  ordinaire  des  crosses  portées  par  les  moines  des  premiers  siècles. 

2.  Cette  église  ou  chapelle  est  située  dans  un  vallon  ombragé,  rempli  de  sources.  L'une  d'elles  8  une 
réputation  d'efficacité  miraculeuse  contre  les  fièvres. 


646  SUPPLÉMExNT.    —   16   MAI. 

Notre-Seigneur  Jésus-Christ.  Dieu  répandit  tant  de  bénédictions  sur  le  cœur  de  cet  enfant,  qu'il  ne 
tarda  pas  à  faire  la  joie  du  saint  Evêque  par  la  manière  dont  il  profita  de  ses  enseignements. 
Appelé  à  la  cour,  à  cause  de  la  noblesse  de  sa  naissance,  et  plus  encore  à  cause  des  talents  qu'on 
admirait  en  lui,  il  fut  bientôt  dégoûté  des  vanités  du  monde,  et  revint  avec  joie  auprès  de  saint 
Hadoin,  pour  ue  plus  servir  d'autre  maître  que  Jésus-Christ.  Quand  il  fut  arrivé  à  l'âge  prescrit 
par  les  saints  canons,  saint  Hadoin  l'éleva  au  sacerdoce  et  le  combla  des  marques  de  son  affection. 
Après  la  mort  de  cet  évèque,  saint  Annobert,  qui  désirait  depuis  longtemps  mener  une  vie  plus 
retirée,  dit  adieu  à  sa  famille,  et  se  rendit  dans  un  monastère  situé  à  Evrecy,  dans  le  diocèse  de 
Bayeux. 

L'abbé  de  ce  monastère,  nommé  Chodulfe,  remarqua  bientôt  la  science  et  la  ferveur  de  son 
nouveau  disciple.  Il  conçut  pour  lui  beaucoup  d'estime  et  lui  donna  une  grande  part  dans  le  gou- 
vernement de  son  monastère.  Appelé  bientôt  à  prendre  le  gouvernement  de  la  communauté,  saint 
Annobert  se  montra  vigilant  dans  la  conduite  du  troupeau  de  Jésus-Christ  et  s'appliqua  à  faire 
régner  la  ferveur  dans  son  monastère.  Il  passa  trente  et  un  ans  à  Evrecy,  après  quoi,  voulant 
pousser  encore  plus  loin  l'amour  qu'il  avait  voué  à  l'humilité,  il  prit  le  parti  de  se  dépouiller  de 
tout  pour  Jésus-Christ.  Il  résolut  même  d'abandonner  la  charge  d'abbé,  et  de  quitter  la  compagnie 
de  ses  religieux,  qui  le  chérissaient  comme  leur  père.  Ayant  donc  recommandé  ces  bien-aimés 
disciples  à  la  miséricorde  du  Seigneur,  il  sortit  du  monastère  avec  un  seul  religieux  nommé  Turpin, 
et  se  retira  dans  une  solitude,  près  de  la  ville  de  Séez.  C'était  la  Providence  elle-même  qui  le 
conduisait,  car,  quelque  temps  après  son  arrivée,  le  siège  épiscopal  de  Séez  étant  venu  à  vaquer, 
il  fut  choisi  pour  évèque  par  le  clergé  et  le  peuple.  Entraîné  à  l'église  cathédrale,  malgré  sa  résis- 
tance, il  fut  obligé  de  recevoir  la  consécration  épiscopale,  pour  obéir  aux  ordres  de  Thierry  III, 
roi  de  Neustrie.  Ceci  se  passait  vers  l'année  686. 

On  vit  bientôt  quelle  grâce  le  Seigneur  avait  faite  au  diocèse  de  Séez  en  lui  donnant  un  si  saint 
évèque.  Il  déploya,  pour  la  sanctification  des  fidèles,  tout  le  zèle  qu'il  avait  montré  pour  celle  de 
ses  religieux.  Ennemi  du  vice  et  toujours  occupé  à  le  combattre,  il  se  montrait  d'une  bonté  iné- 
puisable pour  tous  les  pécheurs,  afin  de  les  gagner  à  Jésus-Christ.  Il  n'avait  pas  de  plus  grand 
bonheur  que  de  prêcher  à  son  peuple  la  parole  de  Dieu,  de  lui  expliquer  le  saint  Evangile,  et  de 
lui  rappeler  les  miséricordes  infinies  de  Jésus-Christ.  Il  avait  un  visage  angélique  et  parlait  avec 
une  telle  éloquence,  que  ses  auditeurs  étaient  touchés  jusqu'aux  larmes  de  ses  prédications.  Il  joi- 
gnait constamment  la  prière  à  la  prédication,  afin  de  lui  faire  porter  plus  de  fruits.  Que  d'austérités, 
que  de  mortifications  ne  s'imposait-il  pas  pour  obtenir  de  Dieu  la  conversion  des  pécheurs?  Ses 
jeûnes  prolongés  avaient  desséché  jusqu'à  ses  os;  mais  peu  lui  importait  qu'ils  épuisassent  son 
corps,  pourvu  qu'ils  attirassent  les  bénédictions  de  Dieu  sur  son  troupeau.  Quand  il  s'agissait  de 
la  gloire  de  son  bon  maitre,  ce  grand  serviteur  de  Dieu  n'avait  pour  le  repos  que  du  mépris,  pour 
les  douceurs  de  la  vie  que  de  l'éloignement;  il  ne  soupirait  qu'après  le  travail,  les  souffrances  et 
les  humiliations.  Aussi,  quoique  pauvre  des  biens  de  ce  monde,  était-il  véritablement  riche  aux 
yeux  de  Dieu,  parce  qu'il  possédait  le  trésor  des  trésors  :  la  charité. 

Insensible  à  ses  propres  besoins,  il  était  très-attentif  à  ceux  des  fidèles  confiés  à  sa  charge.  Sa 
sollicitude  pour  les  pauvres,  qu'il  appelait  ses  enfants,  éclata  surtout  dans  une  grande  famine  qui 
vint  désoler  son  diocèse.  Il  ne  recula  devant  aucune  peine,  aucune  fatigue,  pour  sauver  la  vie  à 
son  peuple.  Il  fit  tout  pour  provoquer  la  charité  des  fidèles  et  faire  répandre  d'abondantes  aumônes 
dans  le  sein  des  malheureux.  II  donna  le  premier  l'exemple  de  la  générosité,  en  distribuant  aux 
nécessiteux  le  peu  qui  lui  restait  de  biens,  et  tous  ceux  de  son  Eglise  dont  il  put  disposer. 

Saint  Annobert  témoignait  aux  religieux  une  bonté  toute  particulière.  Il  les  visitait  souvent,  et 
les  encourageait  à  marcher  d'un  pas  ferme  dans  la  voie  du  ciel.  Il  ne  bornait  pas  son  amour  pour 
les  religieux  aux  limites  de  son  diocèse.  Plusieurs  abbayes,  appartenant  à  des  diocèses  voisins, 
éprouvèrent  les  effets  de  sa  bienveillance.  C'est  ainsi  qu'en  689  il  se  rendit  à  Rouen  pour  confir- 
mer les  privilèges  accordés  par  saint  Ansbert,  archevêque  de  cette  ville,  aux  moines  de  Fontenelle. 
Il  attira  dans  son  diocèse  plusieurs  personnages  d'une  sainteté  éminente.  Citons,  entre  autres, 
saint  Gildéric  ou  Joudry,  anachorète,  d'origine  écossaise,  aux  besoins  duquel  il  pourvut  généreuse- 
ment; saint  Evremond  et  saint  Evroult.  Après  une  vie  employée  en  bonnes  œuvres  et  à  faire 
aimer  Jésus-Christ,  il  alla  recevoir  la  récompense  promise  par  le  Sauveur  aux  bons  et  fidèles  ser- 
viteurs. C'était  le  17  des  calendes  de  juin,  vers  l'année  706. 

La  vénération  que  les  fidèles  conservèrent  pour  saint  Annobert  après  sa  mort,  et  les  miracles 
qui  s'opéraient  à  son  tombeau,  portèrent  les  évêques  de  la  province  à  le  mettre  au  nombre 
des  Saints.  Son  corps  fut  alors  levé  de  terre  et  exposé  sur  les  autels.  Plus  tard,  l'église  où 
il  reposait  étant  tombée  dans  le  plus  grand  appauvrissement,  les  prêtres  qui  la  desservaient  prirent 


SAINT  ALPINIEN,  PRÊTRE,   DISCIPLE  DE  SAINT  MARTIAL.  647 

les  reliques  du  Saint  et  les  portèrent  de  province  en  province,  afin  d'exciter  plus  vivement  la  cha- 
rité des  fidèles.  Arrivés  dans  la  paroisse  de  Morienval,  ils  déposèrent  la  châsse  dans  l'abbaye  de 
religieuses  bénédictines  de  ce  lieu.  Le  lendemain  ils  se  disposèrent  à  continuer  leur  route  ;  mais 
quand  ils  voulurent  enlever  la  châsse,  ils  la  trouvèrent  si  pesante  qu'il  leur  fut  impossible  de  la 
changer  de  place.  Reconnaissant  en  cela  la  volonté  de  Dieu,  ils  durent  laisser  à  l'église  du  monas- 
tère le  corps  de  leur  bien-aimé  Pontife. 

La  présence  de  ces  glorieuses  reliques  attira  bientôt  dans  l'église  de  l'abbaye  un  grand  concours 
de  pèlerins,  qui  répandirent  dans  toutes  les  contrées  voisines  la  dévotion  envers  saint  Annobert.  De 
la  paroisse  de  Morienval,  qui  le  choisit  pour  second  patron,  elle  pénétra  jusque  dans  la  ville  de 
Soissons,  où  l'on  célébrait  le  16  mai  la  fête  du  saint  Evêque.  C'était  aussi  le  16  mai  que  l'abbaye 
et  la  paroisse  de  Morienval  célébraient  la  principale  fête  du  Saint,  sous  le  rite  double  majeur. 
Telle  était  la  vénération  dont  on  environnait  depuis  des  siècles  ses  reliques  dans  l'abbaye  de 
Morienval,  lorsqu'en  1745  un  décret  royal  obligea  les  religieuses  à  se  disperser  en  différentes 
maisons  du  voisinage.  Ce  précieux  dépôt  fut  déposé  dans  l'église  de  Morienval  par  le  vicaire 
général  de  Mgr  Fitz-James,  évèque  de  Soissons.  Un  os  de  la  mandibule  et  un  autre  de  la  jambe  furent 
remis  plus  tard  à  l'abbesse  du  Parc-aux-Dames.  La  translation  en  fut  faite  le  25  septembre  1752, 
par  Mgr  Firmin  de  Trudaiues,  évèque  de  Senlis,  qui  permit  aux  religieuses  d'en  célébrer  la  fête 
chaque  année,  à  pareil  jour,  dans  leur  église.  Il  y  établit  aussi  une  confrérie  en  l'honneur  de  ce 
grand  Saint,  et  le  pape  Benoit  XIV  l'enrichit  de  nombreuses  indulgences,  le  1er  août  1754. 

Une  relique  du  Saint,  consistant  en  un  ossement  entier  du  bras,  fut  donnée  à  l'abbaye  béné- 
dictine de  Royal-Lieu;  mais  elle  disparut  à  la  Révolution,  sans  qu'on  ait  pu  savoir  ce  qu'elle  était 
devenue.  —  Les  reliques  conservées  à  Morienval  furent  soustraites  au  vandalisme  révolutionnaire. 
Comme  l'ancienne  châsse  était  en  mauvais  état,  on  résolut  de  les  mettre  dans  une  châsse  neuve. 
Cette  translation  eut  lieu  le  7  mai  1843.  La  reconnaissance  de  ces  restes  sacrés  par  l'évêque  de 
Beauvais  donna  un  nouvel  élan  à  la  dévotion  des  fidèles  pour  saint  Annobert. 

La  cathédrale  de  Séez,  où  l'on  n'a  cessé  depuis  onze  siècles  de  vénérer  ce  grand  Saint,  reçut, 
le  6  novembre  1864,  une  de  ses  précieuses  reliques,  qui  repose  dans  un  beau  reliquaire  en  cuivre 
doré.  On  possède  aussi  au  grand  séminaire  de  cette  ville  une  partie  du  même  ossement.  Diverses 
parcelles  ont  été  distribuées  dans  ce  diocèse  et  contribuent  à  augmenter  la  dévotion  à  saint 
Annobert. 

Extrait  des  Vies  des  Saints  du  diocèse  de  Se'ez,  par  M.  l'abbé  Blin,  curé  de  Durcet. 


XXVIIe  JOUR  D'AVRIL 


SAINT  ALPINIEN  PRÊTRE,  DISCIPLE  DE  SAINT  MARTIAL  (i"  siècle): 

Saint  Alpinien,  disciple  de  saint  Martial,  vers  l'an  43,  était  grec  et  infidèle  d'abord  ;  il  fut 
converti  à  la  foi  et  baptisé  par  saint  Pierre,  à  Antioche,  sa  patrie. 

Il  vint  dans  les  Gaules  avec  saint  Martial,  et  il  prêcha  avec  lui  l'Evangile  dans  tous  les  pays 
contenus  entre  le  Rhône  et  la  Garonne;  ils  visitèrent  Toulouse,  Agen,  Périgueux,  Cahors  et  Rodez. 

Saint  Martial,  à  sa  mort,  lui  laissa  son  mouchoir  en  souvenir,  comme  Elie  avait  laissé  son 
manteau  au  prophète  Elisée.  Alpinien  l'accepta  comme  une  riche  succession  et  s'en  servit  dans  la 
suite  pour  opérer  de  nombreux  miracles. 

Saint  Alpinien  était  particulièrement  chéri  de  saint  Martial,  à  cause  des  admirables  vertus  qui 
resplendissaient  en  lui.  Dieu  lui  accorda  plusieurs  fois  le  don  des  miracles  :  il  ressuscita  un  petit 
enfant  qu'il  rendit  à  sa  mère  ;  il  guérit  des  aveugles,  des  paralytiques  et  des  possédés  du  démon. 
Après  sa  mort,  les  miracles  continuèrent  à  son  tombeau.  Il  mourut  l'an  79,  le  26  ou  27  avril. 

Son  corps,  conservé  à  Limoges  jusqu'au  ixe  siècle,  fut  ensuite  transporté  à  Ruffec  en  848, 


ti'iB  btrPPLÉMENT.   —  tf  MAI. 

lorsque  Raymond,  comte  ^e  Limoges,  y  fit  élever  un  monastère.  Ses  reliques  furent  ensuite  trans- 
portées à  Castel-Sarrasin  (avant  le  xive  siècle).  Plusieurs  évèques  de  Montauban  et  deux  archevêques 
de  Toulouse  les  visitèrent,  et  le  pape  Clément  VIII  reconnut  leur  authenticité  par  une  bulle  adressée 
à  l'église  de  Saint-Sauveur.  Elles  étaient  conservées  autrefois  dans  un  grand  et  beau  reliquaire  en 
argent,  qui  a  disparu  à  la  Révolution. 

Saint  Alpinien  est  particulièrement  invoqué  dans  les  temps  de  calamité  et  pour  la  guérison  des 
maladies  mentales.  Mais  la  grande  manifestation  religieuse  en  faveur  de  saint  Alpinien  a  lieu  surtout 
à  l'occasion  de  la  solennité  qui  se  célèbre  à  Castel-Sarrasin,  le  dimanche  après  le  26  avril.  Dès  la 
veille,  la  ville  prend  un  air  de  fête  ;  de  nombreux  pèlerins  venus  de  loin  stationnent  aux  alentours 
de  l'église.  A  l'entrée  de  la  nuit,  le  clergé  et  le  peuple  vont  à  l'église  Saint-Jean.  Là,  après  une 
antienne  chantée  en  l'honneur  du  saint  Précurseur,  les  prêtres  reçoivent  chacun  un  cierge  allumé, 
et  le  chant  des  hymnes  commence.  Les  reliques  sont  transportées  solennellement  vers  l'église  Saint- 
Sauveur,  où  les  Compiles  sont  célébrées  avec  pompe.  Le  lendemain,  toute  la  cité  prend  part  à  la 
grande  procession,  où  les  saintes  reliques  sont  portées  triomphalement  dans  les  principales  rues 
Le  peuple  tout  entier  est  là  pour  rendre  témoignage  des  nombreux  bienfaits  reçus  par  l'intercession 
du  Saint  et  pour  proclamer  la  confiance  qu'il  lui  accorde  toujours. 

La  ville  d'Aixe,  à  deux  lieues  de  Limoges,  reconnaît  aussi  saint  Alpinien  pour  son  patron. 

Nous  devons  cette  notice  à  l'obligeance  du  R.  P.  Caries,  missionnaire  du  Calvaire  de  Touloiue. 


Ve  JOUR  DE  MAI 


SAINTE  VALDRADE  OU  VALDRÉE ,  VIERGE, 

PREMIÈRE   ABBESSE   DE  SAïlNT-PIERRE-AUX-NONNAINS,   A  METZ   (vie  siècle). 


Illustre  par  sa  piété  et  par  la  noblesse  de  son  origine,  puisqu'elle  était  alliée  aux  rois  d'Aus- 
trasie,  sainte  Vald rade  quitta  le  monde  pour  embrasser  la  vie  religieuse.  Eleuthère,  duc  des  Francs 
et  proche  parent  de  la  Sainte,  fonda  au  vie  siècle,  sous  les  murs  de  Metz,  l'abbaye  de  Saint-Pierre- 
aux-Nonnains,  qu'il  dota  de  revenus  suffisants  pour  l'entretien  de  trois  cents  religieuses.  Au  nombre 
des  biens  donnés  par  ce  duc  figuraient  les  domaines  de  Jarville  et  de  Laneuveville  que,  pour  prix 
de  son  dévouement,  il  avait  reçu  de  Théodoric,  roi  de  Bourgogne.  Valdrade,  dont  Eleuthère  avait 
encouragé  la  vocation,  fut  la  première  abbesse  du  nouveau  monastère,  auquel  elle  fit  l'abandon 
spontané  de  toute  sa  fortune,  la  deuxième  année  du  règne  de  Théodoric  ou  Thierry,  c'est-à-dire 
en  l'an  513.  Papole,  évêque  de  Metz,  et  Théodebert,  roi  d'Austrasie,  confirmèrent  en  596,  la  dona- 
tion de  Valdrade.  Dès  lors  les  territoires  de  Jarville  et  de  Laneuveville  entrèrent  dans  les  domaines 
de  l'abbaye  qui  les  faisait  administrer  pour  son  compte  et  en  touchait  les  revenus. 

Sainte  Valdrade  mourut  après  avoir  gouverné,  pendant  environ  cinquante  ans,  le  monastère  fondé 
par  son  proche  parent  et  qu'elle  avait  enrichi.  Elle  reçut  la  sépulture  dans  l'église  de  son  abbaye 
où  l'on  voyait  une  chapelle  et  un  tombeau  monumental  construits  en  son  honneur.  Quelques  siècles 
plus  tard,  le  relâchement  s'étant  introduit  dans  la  communauté,  les  religieuses  qui  la  composaient 
négligèrent  l'entretien  des  bâtiments  au  point  qu'ils  tombaient  en  ruine.  Adalbéron  II,  évêque  de 
Metz,  entreprit  de  les  relever,  et  surtout  le  temple  divin  dont  à  peine  on  voyait  la  place.  Le  corps 
de  Valdrade  fut  retrouvé,  mis  dans  une  châsse  d'argent  et  placé  d'une  manière  honorable  dans  la 
nouvelle  église. 

En  l'année  1201,  Clémence,  abbesse  de  Saint-Pierre  de  Metz,  fit  donation  à  l'abbaye  de  Clair- 
lieu  de  tout  ce  qu'elle  possédait  au  village  d'Arrentières  (aujourd'hui  détruit),  entre  Jarville  et 
Laneuveville,  et  tout  près  duquel  s'élevait  une  chapelle  de  Sainte-Valdrée.  Chaque  année,  un 
religieux  de  Clairlieu  venait  y  célébrer  la  messe  le  5  mai,  fête  de  l' Abbesse,  et  aussi  le  second 


SAINTE  VALDRADE  OU  VALDRÉE,  VIERGE  ET  ABBESSE.         649 

jour  des  Rogations.  Ce  petit  édifice  est  orienté  et  présente,  à  l'intérieur,  un  carré  de  4  mètres  50 
sur  chaque  côté.  L'autel  est  en  bois  peint.  Le  principal  et  le  plus  curieux  ornement  conservé  dans 
le  vieil  oratoire  est  une  statue  de  la  Sainte.  En  costume  d'abbesse,  Valdrade  tient  de  la  main 
droite  la  crosse  abbatiale,  et  de  la  gauche  les  statuts  de  son  monastère.  La  création  de  cette 
antique  chapelle  est  attribuée  aux  abbesses  de  Saint-Pierre-aux-Nonnains,  qui  la  consacrèrent  à  leur 
première  et  sainte  mère,  Valdrade,  dans  le  but  de  détruire  les  coutumes  superstitieuses  des  habitants 
des  villages  voisins,  qui  persistaient  à  attribuer  à  la  fausse  déesse  Hygie,  l'effet  salutaire  des  eaux 
de  la  source  voisine.  Pourquoi  faut-il  ajouter  qu'  a  après  avoir  subi  deui  expropriations  à  Metz, 
pour  cause  d'utilité  publique,  la  pauvre  Valdrade  est  menacée  d'expulsion  hors  des  murs  de  son 
humble  refuge,  non  loin  de  Nancy,  et  que  son  nom  serait  peut-être  bientôt  oublié  sans  les  pros- 
pectus de  la  nouvelle  compagnie  des  mines  de  sel  et  les  factures  de  la  future  usine  qu'elle  est 
appelée  à  décorer?  » 

Nous  devons  cette  notice  à  l'obligeance  de  M.  l'abbé  Guillaume,  chanoine  de  Nancy  et  aumOnier  dî  la 
chapelle  dacale  de  Lorraine. 


K3  DO  TOME   CINQUIÈME- 


TABLE  DES  MATIÈRES 


AVRIL 


XXIV»  JOUR.  P«g<». 

Martyrologes  Romain,  Français,  des  Ordres 

religieux.  Divers i 

S8  Beuve  et  S8  Dode,  vierges,  premières 

abbesses  de  Saint-Pierre  de  Reims,,  g 

S.  Robert,  premier  abbé  de  la  Chaise- 
Dieu , ,  5 

S.  Fidèle,  capucin  et  martyr . . , ,  8 

S.  Léger,  prêtre , . , ,  %i 

S.  Mellit,  premier  évêque  de    Londres, 

puis  archevêque  de  Cantorbéry 12 

S.  Egbert,  prêtre 12 

XXV8  JOUR. 

Martyrologes  Romain,  Français,  des  Ordres 

religieux.  Divers 13 

S.  Marc  ïEvangéliste 15 

S.  Phébade  ou  Fiari,  évêque  d'Agen....,  25 

S.  Ermin,  évêque  régionnaire 2 G 

XXVI»  JOUR. 

Martyrologes  Romain,  Français,  des  Ordres 

religieux.  Divers ,..,..,.,  27 

S.  Clet,  pape 28 

S.  Marcellin,  pape  et  martyr ,,  30 

S.  Riquier,  abbé  de  Centule ■ 33 

S.  Paschase  Radbert,  abbé  de  Corbie....  36 

S8  Exupérance,  vierge 39 

S.  Guillaume  et  S,  Pérégrin,  son  fils,.,,  39 
S.  Jean,  premier  abbé  de  Bopnevaux  et 

évêque  de  Valence , 40 

La  B°  Aida,  religieuse  humiliée , , ,  41 

XXVII8  JOUR. 

Martyrologes  Romain,  Français,  des  Ordres 

religieux.  Divers ....,, 42 

S.  Anthime,  évêque  et  martyr 43 

S8  Zite,  vierge ,„„„„„„  49 

Le  B.  Pierre  Armengol. ..,,,, ,,.,,„,,,,  53 

S.  Anastase  I",  pape,., ,.,,,,  55 

XXVIII*  JOUR, 

Martyrologes  Romain,  Français,  des  Ordres 


Pftg«. 

religieux.  Divers , ,  56 

S8  Théodora  et  S.  Didyme,  martyrs 58 

S.  Aphrodise,  premier  évêque  de  Béziers, 

martyr , , . . , , fil 

S.  Vital  et  S8  Valérie,  martyrs . , 62 

S8  Probe  et  S8  Germaine,  vierges  et  mar» 

tyres , . , , f ,  62 

S.  Affrique,  évêque  de  Gomminges 63 

S,  Arthème,  évêque  de  Sens  ,,..,,.,,,,  64 

Le  B.  Luchèse,  confesseur  ,.,,...,...,,  65 

Le  B.  Augustin  Novello limilH  66 

XXIX»  JOUR, 

Martyrologes  Romain,  Français,  des  Ordres 

religieux.  Divers. . , 66 

S.  Robert,  religieux  de  Montier-la-Celle, 
abbé  de  Saint-Michel  de  Tonnerre, 
prieur  de  Saint-Ayoul,  fondateur  de 

Molesmes  et  de  Citeaux ,,,,..,,,,.,  67 

S.  Hugues,  abbé  de  Gluny ,  ,„.,., ,  75 

S.  Pierre  de  Vérone,  martyr , , , ,  70 

S8  Tertulle  et  S8  Antonie,  vierges. ,.,.,  84 

S8  Ave  de  Denain,  vierge., ,  84 

S,  Ursion  et  S.  Maurèle  de  Troyej,,MM  85 

XXX»  JOUR. 

Martyrologes  Romain,  Français,  des  Ordre? 

religieux.  Divers 85 

S.  Eutrope,  on  Ytrope,  évêque  de  Saintes, 

martyr,  et  S8  Eustelle,  vierge 88 

SS,  Jacques,  Marien,  Agapius,  Emilien, 

martyrs  en  Numidie  (Algérie) 94 

S.  Pulchrone,  évêque  de  Verdun lût 

S.  Hamon  ou  Aymon,  religieux  de  l'abbaye 

de  Savigny  en  Normandie. ,,,,,,,,,  105 

S8  Catherine  de  Sienne(  vierge, , .  np 

S.  Adjuteur,  seigneur  de  Vernon,  ermite.  137 

S.  Maxime,  marchand  en  Asie,  martyr...  139 

S8  Hoilde,  vierge  .,.,,..,,, 140 

S.  Erkonwald,  évêque  de  Londres 141 

SS.  Amator,  Pierre,  Ludovic  et  Jean,  mar- 
tyrs à  Cordoue 141 

S.  Raymond  de  Calatrava ,,,..,.,  142 


TABLE  DES  MATIÈRES. 


MAI 


PREMIER  JOUR. 


Pages. 


Martyrologes  Romain,  Français,  des  Ordres 

religieux.  Divers 143 

Fêtes  mobiles  de  mai 146 

S.  Jacques  le  Mineur,  apôtre 158 

S.  Philippe,  apôtre 164 

S.  Andéol,  premier  apôtre  des  Helviens, 

martyr 167 

S.  Amateur  ou  Amatre,  évoque  d'Auxerre, 

et  Se  Marthe,  son  épouse 177 

S.  Orens,  évèque  d'Auch 179 

S.  Sigismond,  roi  de  Bourgogne 184 

S.  Marculphe  ou  Marcoul,  abbé 189 

S.  Brieuc,  évêque  en  Bretagne 194 

S.  Gombert  et  Se  Berthe,    son    épouse, 

martyrs 196 

Se  Walburge,  abbesse 200 

S.  Théodard  ou  Audard,  évêque  de  Nar- 

bonne  et  patron  de  Montauban 202 

S9  Thorette,  bergère  dans  le  Bourbonnais.  210 

Wotre-Dame  de  Bethléem  à  Ferrières 213 

Notre-Dame  du  Laus,  et  la  V.  Benoîte 
Rencurel,  Notre-Dame  d'Erable,  Notre- 

••       Dame  des  Fours,  etc 216 

S.  Jérémie,  prophète 229 

S»  Germaine,  vierge  et  martyre,  et  S9  Ho- 
norée, vierge,  de  Bar-sur-Aube 230 

S9  Gertrude  de  Vaux-en-Dieulet 231 

S.  Théodulphe  ou  Thiou,  troisième  abbé 
du  Mont-d'Hor  ou  de  Saint-Thierry, 

près  de  Reims 232 

S.  Ache  et  S.  Acheul,  martyrs 233 

S.  Blandin 234 

S.  Evermar,  martyr 234 

S.  Aldebrand,  évêque  et  patron  de  Fos- 

sombrone 235 

S6  Isidora  de  Tabennes 235 


Pages. 

S.  Alexandre,  pape,  S.  Evenee  et  S.  Théo- 
dule,  prêtres,  Se  Balbine,  S.  Quiiin, 
S»  Théodora  et  S.  Hermès,  tous  mar- 
tyrs       219 

La  B.  Emilie  Bicchieri,  du  Tiers  Ordre  de 
Saint-Dominique 297 

Le  B.  Alexandre,  religieux  cistercien,  à 
Foigny,  dans  le  diocèse  de  Laon....    300 

IVa  JOUR. 

Martyrologes  Romain,  Français,  des  Ordres 

religieux.  Divers 301 

Se  iVonique,  veuve 303 

S.  Sacerdos,  évêque  de  Limoges,  patron 
de  la  ville  et  du  diocèse  de  Sarlat, 

et  S9  Mondane,  sa  mère 315 

S.  Florian,  soldat  et  martyr 321 

S.  Cyriaque,  évêque  et  martyr 322 

S.  Firmin,  évèque  de  Verdun 322 

S.  Antoine  du  Rocher 323 

S.  Gothard  ou  Godard,  évèque  de  Hildes- 

heim 324 

S»  Hélène,  vierge  honorée  à  Troyes 324 

V°  JOUR. 

Martyrologes  Romain,  Français,  des  Ordres 

religieux.  Divers 325 

S.  Barsès  et  S.  Euloge,  évèques  d'Edesse, 

S.  Protogène,  évèque  de  Carrhes....  327 

S.  Hilaire,  archevêque  d'Arles 330 

S.  Mauront  ou  Maurant,  patron  de  Douai.  334 

S.  Ange,  de  l'Ordre  des  Carmes,  martyr..  341 

S.  Pie  V,  pape 345 

S.  Britton,  évêque  de  Trêves 355 

S.  Avertin,  chanoine  gilbertin 356 


H»  JOUR. 

Martyrologes  Romain,  Français,  des  Ordres 

religieux.  Divers 236 

S.  Athanase,   patriarche  d'Alexandrie  et 

docteur  de  l'Eglise 238 

S.  Germain  d'Ecosse,  évêque  et  martyr. .    259 
S.  Walbert,  troisième  abbé  de  Luxeuil...     264 
S8  Guiborat  ou  Viborade,  vierge,  recluse 
et  martyre  en  Suisse,  et  S9  Rachilde, 

sa  compagne 268 

S.  Yaubert  ou  Walbert,  religieux  de  Sithiû, 

et  S.  Bertin,  son  fils 273 

UI«  JOUR. 

Martyrologes  Romain,  Français,  des  Ordres 

religieux.  Divers 274 

Invention  de  la  sainte  Croix 276 


VI9  JOUR. 

Martyrologes  Romain,  Français,  des  Ordres 

religieux.  Divers 357 

S.  Jean,  martyr  devant  la  Porte  latine...  359 

Se  Avoye,  vierge  et  martyre 361 

S.  Jean  Damascène 365 

Le  B.  Hatta,  abbé  de  Saint- Vaast 372 

S.  Edbert,  évêque  de  Lindisfarne........  372 

VII»  JOUR. 

Martyrologes  Romain,  Français,  des  Ordres 

religieux.  Divers 373 

S.  Sérenic  et  S.  Sérené,  son  frère,  reclus 

aux  diocèses  de  Séez  et  du  Mans. . .  374 

S.  Benoit  II,  pape 383 

S.  Stanislas,  évèque  de  Cracovie,  martyr.  384 

S9  Mastidie  ou  Mathie,  vierge , .  390 


TABLE  DES  MATIERES. 


ni 


Pages. 
S.  Misselin  ou  Mesclin,  prêtre  de  Tarbes.     390 

S.  Domitien,  évèque  de  Maëstricht 391 

S.  Jeau  de  Beverley 391 

VIII»  JOUR. 

Martyrologes  Romain,  Français,  des  Ordres 

religieux.  Divers 392 

S.  Michel  (apparition  de),  archange 394 

S.  Pierre  II,  archevêque  de  Tarentaise. ..  396 

S.  Hellade,  évèque  d'Auxerre 403 

S.  Gibrien,  prêtre  en  Champagne 403 

S.  Désiré,  évèque  de  Bourges 404 

S.  Wiron,  évèque  régionnaire 404 

Le  8.  Bernard,  dominicain 405 

IX»  JOUR. 

Martyrologes  Romain,  Français,  des  Ordres 

religieux.  Divers 406 

S.  Béat  ou  Bié,  anachorète  à  Laon 407 

S.  Grégoire  de  Nazianze,  docteur  de  l'E- 
glise, archevêque  de  Constantinople.    409 

Le  B.  Jean  ou  Hans  Wagner,  ermite  en 

Suisse 422 

Notre-Dame  des  Miracles  à  Mauriac 423 

X"  JOUR. 

Martyrologes  Romain,  Français,  des  Ordres 

religieux.  Divers 425 

S"  Solange,  vierge  et  martyre 427 

S.  Isidore,  laboureur,  patron  de  la  ville  de 

Madrid  et  des  laboureurs 432 

S.  Antonin,  archevêque  de  Florence 436 

Le  patriarche  Job 440 

S.  Adelphe,  S.  Philadelphe  et  S.  Cyrin, 
martyrs,  Se  Thècle,  S8  Justine,  vier- 
ges, et  Se  Isidora 443 

S.  Gordien  ,   S.   Epimaque ,   S8  Marine , 

S.  Janvier,  martyrs 444 

S.  Mathurin  de  Montchaude 444 

XI"  JOUR. 

Martyrologes  Romain,  Français,  des  Ordres 

religieux.  Divers 445 

S.  Udaut,  prêtre  et  martyr,  apôtre  des 
Huns  du  Danube  et  des  vallées  pyré- 
néennes de  l'Ariége 447 

S.  Mamert,  archevêque  de  Vienne  en  Dau- 

phiné 454 

S.  Gengoul,  martyr 456 

S.  Mayeul,  quatrième  abbé  de  Cluny....     460 

S.Gautier,  chanoine  régulier,  abbé  de 

l'Esterp,  en  Limousin 466 

S.  François  de  Girolamo,  de  la  Compagnie 
de  Jésus , 470 

XII"  JOUR. 

Martyrologes  Romain,  Français,  des  Ordres 

religieux.  Divers 482 

S.  Nérée,  S.  Achillée,  S"  Flavie  Domitille. 


Pages, 
la  jeune,  S"  Euphrosyne  et  S"  Théo- 

dora,  martyrs 484 

S.  Pancrace,  martyr 487 

S.  Epiphane,  évèque  de  Salamine,  en  Chy- 
pre, et  docteur  de  l'Eglise 489 

S"  Rictrude,  épouse  de  S.  Adalbaud,  de 

Douai 493 

S.  Modoald,  évèque  de  Trêves 502 

S.  Dominique  ou  Domingue  de  Calzada..  503 

S"  Jeanne  de  Portugal,  vierge 504 

S.  Hygin,  patron  de  Lectoyre 504 

XIII"  JOUR. 

Martyrologes  Romain,  Français,  des  Ordres 

religieux.  Divers 505 

S.  Servais,  évèque  de  Tongres 506 

S.  Jean  le  Silentiaire,  évèque 510 

S.  Onésime,  évèque  de  Soissons 514 

S"  Agnès  et  S8  Disciole,  vierges  à  Poitiers.  515 

S.  Flavius,  évèque  de  Chalon-sur-Saône..  516 

Le  B.  Albert  d'Ogna,  homme  de  peine...  511 

XIV"  JOUR. 

Martyrologes  Romain,  Français,  des  Ordres 

religieux.  Divers 518 

S.  Boniface,  martyr  à  Tarse 520 

S.  Pacôme,  abbé  dans  la  Thébaïde 524 

S.  Pascal  Ier,  pape 531 

Le  B.  Egidius  ou  Gilles,  de  Portugal 532 

S.  Victor  et  S8  Couronne,  martyrs 537 

S.  Pontius  ou  Pons,  martyr  à  Cimiez.. ..  538 

S.  Ampèle  ou  Apelles,  forgeron 539 

XV"  JOUR. 

Martyrologes  Romain,  Français,  des  Ordres 
religieux.  Divers 539 

S.  Pierre,  S.  André,  S.  Paul  et  S8  Diony- 
sia,  martyrs 541 

S.  Rhétice,  évèque  d'Autun 544 

S8  Dympna,  vierge,  et  S.  Géréberne,  prê- 
tre, martyrs  à  Gheel,  en  Brabant 551 

S.  Torquat,  martyr  à  Cadix,  S.  Ctésiphon 
à  Vierço,  S.  Second  à  Avila,  S.  Inda- 
lèce  à  Portilla,  S.  Cécilius  à  Elvire, 
S.  Hésichius  à  Gibraltar,  et  S.  Eu- 
phrase  à  Andujar 554 

S.  Robert,  confesseur  dans  le  diocèse  de 

Mayence 555 

S.  Franchy,  ermite  en  Nivernais 555 

Le  B.  Jacques  de  Vicoigne 556 

XVI"  JOUR. 

Martyrologes  Romain,  Français,  des  Ordres 

religieux.  Divers 557 

S.  Pèlerin  ou  Pérégrin,  apôtre  des  diocèses 
d'Auxerre  et  de  Nevers,  et  ses  com- 
pagnons, martyrs 560 

S.  Phal  ou  Fidolus,  abbé  d'Isle,  en  Cham- 
pagne      565 

S.  Eman,  martyr  au  pays  Chartrain 568 


r?                                                    ÎABI3  DES  MATIERES. 

Pages.  Pages, 

S.  Germier,  évêque  de  Toulouse 572  S.  Possidius,  évêque  de  Calame,  en  Nu- 

S.  Honoré,  évêque  d'Amiens 575  midie 621 

S.  Ubald  ou  Thiébaut,  évêque  de  Gubbio.    578  S.  Montain  ou  Montan,  ermite  à  La  Fère.    622 

S.  Simon  de  Stock,  général  des  Carmes. .    581      S8  Framechilde  ou  Frameuze 623 

S.  Jean  Népomucène 595      S.  Brunon,  évêque  de  Wurtzbourg 623 

Le  B.  André  Bobola , 602 

S.  Geins,  le  solitaire  de  Bausset...,»...    606  XV11I«  JOUR. 

XVII»  JOUR.  Martyrologes  Romain,  Français,  des  Ordres 

religieux.  Divers G24 

Martyrologes  Romain,  Français,  des  Ordres  S.  Venant  de  Camerino,  martyr 626 

religieux.  Divers 606  S.  Théodote,  cabaretier,  et  sept  vierges, 

Le  V.  Jean  Taulère,  religieux,  de  l'Ordre  martyrs 628 

de  Saint-Dominique 608      S.  Félix  de  Cantalice,  capucin 635 

S.  Pascal  Baylon,  religieux,  de  l'Ordre  de  S.  Quinibert,  patron  de  Salêsches 640 

Saint-François 611      S.  Eric  IX,  roi  de  Suède,  martyr 641 

8.  Tropex,  officier  de  Néron,  martyr. ...    620 


TABLE  ALPHABÉTIQUE 


A  Pages. 

S.  Aclie  et  S.  Acheul,  martyrs,..    1  mai.  233 

S.  Acheul  et  S.  Ache,  martyrs...     1    —    233 

S.  Achillée,  martyr 12    —    484 

S.  Adelpae,  martyr 10    —    443 

S.  Adjuteur,  seigneur  de  Vernon, 

ermite 30  avril.  137 

S.  Afrique,  évèque  de  Comminges  28    —      63 

SS.  Agapius,    Emilien,    Jacques, 

Mariea,  martyrs  en  Numidie.  30    —      94 

S»  Aguès  et  S»  Disciole,  vierges 

a  Poitiers 13  mai.  513 

Le  B.  Albert  d'Ogna,  homme  de 

peine 13    —    517 

La  B*  Aida,  religieuse  humiliée..  26  avril.   41 

S.  Aldebrand ,   évéque  et  patron 

de  fr'ossomûrone 1  mai.  235 

S.  Alexandre,  pape,  martyr.....    3    —    289 

Le  B.  Alexandre,  religieux  cister- 
cien à  Foigny,  dans  le  dio- 
cèse de  Laon 3    —    300 

S.  Amateur  ou  Amatre,  évèque 
d'Auxerre,  et  S*  Marthe,  son 
épouse 1    —    177 

SS.  Amator,    Pierre,   Ludovic  et 

Jean,  martyrs  à  Cordoue.. ..  30  avril.  141 

S.  Amatre  ou  Amateur,  évèque 
d'Auxerre,  et  Se  Marthe,  son 
épouse 1  mai.  177 

S.  Ampèle  ou  Apelles,  forgeron..  14    —    539 

S.  Anastase  1er,  pape 27  avril.    65 

S.  Andéol,  apôtre  des  Helviens, 

martyr 1  mai.  167 

S.  André,  martyr 15    —    541 

Le  B.  André  Bobola 16    —    602 

S.  Ange,  de  l'Ordre  des  Carmes, 

martyr 5    —    34l 

S.  Anthime,  évèque  et  martyr. . .  27  avril.    43 

S.  Antoine  du  Rocher 4  mai.  823 

S8  Antonieet  S' Tertulle,  vierges.  29  avril.    84 

S.  Antonin,  archevêque  de  Flo- 
rence   10  mai.  436 

S.  Apelles  ou  Ampèle,  forgeron..  14    —    539 

|.  Aphrodise,  premier  évèque  de 

Béziers,  martyr 28  avril.    61 

S.  Arthème,  évèque  de  Sens ....  28    —      64 

S.  Athanasc,  patriarche  d'Alexan- 
drie et  docteur  de  l'Eglise . .     2  mai.  238 

S.  Audard  ou  Théodard,  évèque 
de  Narbonne  et  patron  de 
Montauban. 1    —    202 


Pages. 

Le  B.  Augustin  Novello 28  avril.   65 

S»  Ave  de  Denain,  vierge 28    —      84 

S.  Avertin,  chanoine  gilbertin...    5  mai.  356 

Sa  Avoye,  vierge  et  martyre 6    —    361 

S.  Aymon  ou  Hamou,  religieux  dé 
l'abbaye  de  Savigny,  en  Nor- 
mandie  30  avril.  105 

B 

S8  Balbine,  martyre 7.  3  mai.  289 

S.  Barsès,  évèque  d'Edesse 5  —  321 

S.  Béat   ou    Bié,    anachorète    à 

Laon 9  —  407 

S.  Benoit  II,  pape 7  —  383 

La  V»  Benoîte  Rencurel 1  —  216 

Le  B.  Bernard,  dominicain 8  —  405 

S*  Berthe,  épouse  de  S.  Gombert, 

martyrs i  —  196 

S.  Berlin  et  S"  Vaubert  ou  Wal- 

bert,  religieux  de  Sithiu....  2  —  273 
S*  Beuve    et  S*  Bode,    vierges, 
premières  abbesses  de  Saint- 
Pierre  de  Reims 24  avril.  2 

S.  Bié   ou   Béat ,    anachorète   à 

Laon 9  mai.  407 

S.  Blandin i  234 

S.  Boniface,  martyr  à  Tarse 14  —  520 

S.  Brieuc,  évèque  en  Bretagne...  1  —  194 

S.  Britton,  évèque  de  Trêves ...  5  —  355 

S.  Brunon,  évèque  de  Wurtzbourg  17  —  623 

G 

S8  Catherine  de  Sienne,  vierge..  30  avril.  110 

S.  Cécilius,  martyr  à  Elvire 15  mai.  554 

S.  Clet,  pape 26  avril.    28 

S»  Couronne  et  S.  Victor,  mar- 
tyrs   14  mai.  537 

S.  Ctésiphon,  martyr  à  Vierço. . .  15  —  554 
S.  Cyriaque,  évoque  et  martyr...  4  —  322 
S.  Cyrin,  martyr.... 10    —    443 

D 

S.  Désiré,  évèque  de  Bourges ...    8    —    404 

S.  Didyme  et  S*  Théodora,  mar- 
tyrs   28  avril.    58 

S»  Dionysia,  martyre 15  mai.  541 

S°  Disciole  et  S*  Agnès,  vierges 

à  Poitiers 13    —    515 


VI 


TABLE   ALPHABÉTIQUE. 


Pages. 

S»  Dode  et  S*  Beuve,  vierges, 
premières  abbesses  de  Saint- 
Pierre  de  Reims 24  avril.     2 

S»  Domingue  ou    Dominique  de 

Calzada 12  mai.  503 

5e  Dominique    ou    Domingue    de 

Calzada 12    —    503 

S.  Domitien,  évèque  de  Maëstricht    7    —    391 

Se  Dympna,  vierge,  et  S.  Géré- 
berne  ,  prêtre ,  martyrs  à 
Gheel,  en  Brabant 15    —    551 

E 

S.  Edbert,  évêque  de  Lindisfarne    6    —    372 

S.  Egbert,  prêtre 24  avril.   12 

Le  B.  Egidius  ou  Gilles,  de  Por- 
tugal    14  mai.  532 

S.  Eman,  martyr  au  pays  char- 
train 16    —    568 

La  Bs  Emilie  Bicchieri,  du  Tiers 

Ordre  de  Saint-Dominique...     3    —    297 
SS.    Emilien,    Jacques,    Marien, 
Agapius,   martyrs  en  Numi- 

die 30avril.    94 

S.  Epimaque,  martyr 10  mai.  444 

S.  Epiphaue,  évèque  de  Salamine, 
en   Chypre,    et  docteur   de 

l'Eglise 12    —    489 

S.  Eric  IX,  roi  de  Suède,  martyr.  18  —  641 
S.  Erkonwald,  évèque  de  Londres  30  avril.  141 
S.  Ermin,  évèque  régionnaire...  25    —      26 

S.  Euloge,  évèque  d'Edesse 5  mai.  327 

S.  Euphrase,  martyr  à  Andujar. .  15    —    554 

Se  Euphrosyne,  martyre 12    —    484 

Se  Eustelle,  vierge,  et  S.  Eutrope 
ou  Ytrope,  évèque  de  Saintes, 

martyr 30  avril.    88 

S.  Eutrope  ou  Ytrope,  évèque  de 
Saintes,  martyr,  et  S°  Eus- 
telle, vierge 30    — •      88 

S.  Evence,  prêtre,  martyr 3  mai.  2S9 

S.  Evermar,  martyr 1    —    234 

S«  Exupérance,  vierge 26  avril.    39 


S.  Félix  de  Cantalice,  capucin. . .  18  mai.  635 

Fêtes  mobiles  de  mai 1  —    146 

S.  Fiari  ou  Phébade,  évèque  d'A- 

gen 25  avril.   25 

S.  Fidèle,  capucin  et  martyr....  24  —       8 

S.  Fidolus  ou  Phal,  abbé  d'Isle, 

en  Champagne 16  mai.  565 

S.  Firmin,  évêque  de  Verdun....  4  —    322 

S»  Flavie    Domitille ,    la   jeune  , 

martyre 12  —    484 

S.  Flavius,  évèque  de  Chalon-sur- 
Saône 13  —    516 

S.  Florian,  soldat  et  martyr 4  —    321 

Se  Framechilde  ou  Frameuze....  17  —    623 

Se  Frameuze  ou  Framechilde....  17  —    623 

S.  Franchy,  ermite  en  Nivernais.  15  —    555 

3.  François  de  Girolamo,  de  la 

Compagnie  de  Jésus 11  —    470 


G  Pages. 

S.   Gautier,    chanoine    régulier, 

abbé  de  l'Esterp,  en  Limousin  11  mai.  46G 
S.  Geins,  le  solitaire  de  Bausset.  16    —    606 

S.  Gengoul,  martyr 11    —    456 

S.   Géréberne ,    prêtre ,    et    S» 

Dympna,  vierge,   martyrs    à 

Gheel,  en  Brabant 15    —    531 

S.  Germain  d'Ecosse,  évêque  et 

martyr 2    —    259 

Se  Germaine,  vierge  et  martyre  de 

Bar-sur- Aube 1    —    230 

S»  Germaine  et  S»  Probe,  vierges 

martyres 28  avril.    62 

S.  Germier,  évèque  de  Toulouse.  16  mai.  572 
S«  Gertrude  de  Vaux-en-Dieulet.  .1  —  231 
S.  Gibrien,  prêtre  en  Champagne.  8  —  403 
Le  B.  Gilles  ou  Egidius,  de  Por- 
tugal    14    —    532 

S.  Godard  ou  Gothard,  évèque  de 

Hildesheim 4    —    324 

S.  Gombert    et    S*    Berthe,    son 

épouse,  martyrs 1    —    196 

S.  Gordien,  martyr 10    —    444 

S.  Gothard  ou  Godard,  évêque  de 

Hildesheim 4    —    324 

S.  Grégoire  de  Nazianze,  docteur 

de   l'Eglise,   archevêque   de 

Constantinople 9    —    409 

S»  Guiborat  ou  Viborade,  vierge, 

recluse  et  martyre,  et  S0  Ra- 

childe,  sa  compagne 2    —    268 

S.  Guillaume,  et  S.  Pérégrin,  son 

fils 26  avril.    39 


S.  Hamon  ou  Aymon ,   religieux 
de  l'abbaye  de  Savigny,  en 

Normandie 30    —    105 

Le  B.  H  ans  ou  Jean  Wagner,  er- 
mite en  Suisse 9  mai.  422 

Le  B.  Hatta,  abbé  de  Saint-Vaast    6    —    372 
S»  Hélène ,    vierge,    honorée    à 

Troyes 4    —    324 

S.  Hellade,  évèque  d'Auxerre  ....    8    —    403 

S.  Hermès,  martyr 3    —    289 

S.  Hésichius,  martyr  à  Gibraltar..  15  mai   554 
S.  Hilaire,  archevêque  d'Arles...     5    —    330 

S»  Hoilde,  vierge 30  avril  140 

S.  Honoré,  évèque  d'Amiens 16  mai   575 

S»  Honorée,  vierge,  de  Bar-sur- 

Aube 1"  —    230 

S.  Hugues,  abbé  de  Cluny 29  avril    73 

S.  Hygin,  patron  de  Lectoure....  12  mai  504 


S.  Indalèce,  martyr  à  Portilla...  15 

Invention  de  la  sainte  Croix 3 

S.  Isidore,  laboureur,  patron  de  la 
ville  de  Madrid  et  des  labou- 
reurs   10 

Se  Isidora 10 


554 
276 


432 
443 


TABLE  ALPHABÉTIQUE. 


m. 


S»  Isidora  de  Tabennes. 


Pages. 
!•*  mai.  235 


SS.  Jacques,    Marien,    Agapius, 

Emilien,  martyrs  en  Numidie.  30  avril  94 

Le  B.  Jacques  de  Vicoigne 15  mai  556 

S.  Jacques  le  Mineur,  apôtre....  1er  —  158 

S.  Janvier,  martyr 10  —  444 

S.  Jean,  premier  abbé  de  Bonne- 
vaux  et  évêque  de  Valence..  26  avril  40 
SS.   Jean,  Amator,    Ludovic   et 

Pierre,  martyrs  à  Cordoue..  30  —  141 
S.  Jean,  martyr  devant  la  Porte 

latine 6  mai  359 

Le  B.  Jean  ou  Hans  Wagner,  er- 
mite en  Suisse 9  —  422 

S.  Jean  Damascène 6  —  365 

S.  Jean  de  Beverley 7  —  391 

S.  Jean  le  Silentiaire,  évèque...  13  —  510 

S.  Jean  Népomucène 16  —  595 

Se  Jeanne  de  Portugal,  vierge...  12  —  504 
Le  V.  Jean  Taulère ,  religieux  de 

l'Ordre  de  Saint-Dominique..  17  —  608 

S.  Jérémie,  prophète 1"  —  229 

Job  (le  patriarche) 10  —  440 

S»  Justine,  vierge 10  —  443 

L 

S.  Léger,  prêtre 24  avril  11 

Le  B.  Luchèse,  confesseur 28  —  65 

SS.   Ludovic,   Jean,   Amator   et 

Pierre,  martyrs  à  Cordoue.,.  30  —  141 


M 


S.  Mamert,  archevêque  de  Vienne 

en  Dauphiné 11  mai  454 

S.Marc  l'Evangéliste 25  avril    15 

S.  Marcellin,  pape  et  martyr 26    —      30 

S.  Marcoul  ou  Marculphe,  abbé..  1er  mai  189 
S.  Marculphe  ou  Marcoul,  abbé..  1er  —  189 
SS.  Marien,    Jacques,   Agapius, 

Emilien,  martyrs  en  Numidie.  30  avril    94 

S6  Marine,  martyre 10  mai  444 

Se  Marthe,  épouse  de  S.  Amateur 

ou    Amatre ,    évêque    d'Au- 

xerre 1er  —    177 

S8  Mastidie  ou  Mathie,  vierge....  7  —  390 
S6  Matliie  ou  Mastidie,  vierge....    7    —    390 

S.  Mathurin  de  Montchaude 10    —    444 

S.  Maurant  ou  Mauront,  patron  de 

Douai 5    —    334 

S.  Maurèle  et  S.  Ursion  de  Troyes  29  avril  85 
S.  Mauront  ou  Maurant,  patron  de 

Douai 5  mai  334 

S.  Maxime,  marchand  en  Asie, 

martyr 30  avril  139 

&   Mayeul,    quatrième  abbé  de 

Cluny 11  mai  460 

S.    Mellit,    premier    évêque    de 

Londres,  puis  archevêque  de 

Cantorbéry 24  avril    12 

Vies  des  Saints.  —  Tome  V. 


Pages. 

S.  Mesclin  ou  Misselin,  prêtre  de 

Tarbes 1  mai  390 

S.  Michel  (apparition  de),  ar- 
change      8    —    394 

S.  Misselin  ou  Mesclin,  prêtre  de 

Tarbes' 7    —    390 

S.  Modoald,  évèque  de  Trêves...  12    —    &02 

S»  Monique,  veuve 4    —    303 

S.  Montain  ou  Montan,  ermite  à 

La  Fère ...17    —    622 

S.  Montan  ou  Montain,  ermite  ff 

La  Fère 17    —    622 

N 

S.  Nérée,  martyr 12  —  484 

Notre-Dame  d'Erable 1er  _  216 

Notre-Dame  des  Fours 1er  —  216 

Notre-Dame  des  Miracles  à  Mau- 
riac   9  —  423 

Notre-Dame  du  Laus Ie'  —  216 


S.  Onésime,  évèque  de  Soissons. 
S.  Orens,  évêque  d'Auch. ....... 


13 
1« 


514 

179 


Pacome,  abbé  dans  la  Thé- 
baïde 14    —    524 

Pancrace,  martyr 12    —    487 

Pascal  I",  pape 14    —    531 

Pascal  Baylon,  religieux  de 
l'Ordre  de  Saint-François...  17    —    61L 

Paschase  Badbert ,  abbé  de 
Corbie 26  avril    36 

Paul,  martyr 15  mai   541 

Pèlerin  ou  Pérégrin,  apôtre  des 
diocèses  d'Auxerre  et  de  Ne- 
vers,  et  ses  compagnons,  mar- 
tyrs   16    —    560 

Pérégrin  ou  Pèlerin,  apôtre  des 
diocèses  d'Auxerre  et  de  Ne- 
vers,  et  ses  compagnons,  mar- 
tyrs   16    —    560 

Pérégrin  et  S.  Guillaume 26  avril    39 

Phal  ou  Fidolus,  abbé  d'isle, 
en  Champagne 16  mai   565 

Phébade  ou  Fiari,  évêque  d'A- 
gen 25  avril    25 

Philadelphe,  martyr 10  mai   443 

Philippe,  apôtre 1er  —    164 

Pie  V,  pape 5    —    345 

.  Pierre,  Amator,  Ludovic  et 
Jean,  martyrs  à  Cordoue 30  avril  141 

B.  Pierre  Armengol 27    —      53 

Pierre,  martyr 15  mai.   541 

Pierre  II,  archevêque  de  Ta- 
rentaise 8    —    396 

Pierre  de  Vérone,  martyr 29  avril.    79 

Pons  ou  Pontius,  martyr  à  Ci- 

miez 14  mai.   538 

42 


vin 


TABLE  ALPHABÉTIQUE. 


Pages. 
S.  Pontius  ou  Pons,  martyr  à  Ci- 

miez 14  mai.  538 

S.  Possidius,  évèque  de  Calame, 

en  Numidie 17    —    621 

S°  Probe  et  S8  Germaine,  vierges 

et  martyres 28  avril.   62 

S.  Protogène,  évèque  de  Carrhes.  5  mai.  327 
S.  Pulchrone,  évèque  de  Verdun.  30  avril.  101 

Q 

S.  Quinibert,  patron  de  Salesches.  18  mai.  640 
S.  Quirin,  martyr 3    —     289 

R 

S»  Rachilde  et  S«  Guiborat  ou  Vi- 

borade,  vierge,    recluse    et 

martyre 2    —    268 

S.  Raymond  de  Calatrava 30  avril.  142 

S.  Rhétice,  évèque  d'Autun 15  mai.   544 

Se  Rictrude,   épouse  de  S.  Adal- 

baud,  de  Douai 12    — 

S.  Riquier,  abbé  de  Centule 26  avril 

S.  Robert ,    premier  abbé    de  la 

Cbaise-Dieu 24 

S.  Robert,  religieux  de  Montier- 

la-Celle,  abbé  de  Saint-Michel 

de  Tonnerre,  prieur  de  Saint- 

Ayoul ,    fondateur  de  Moles- 

mes  et  de  Citeaux 29     —     67 

S.  Robert,  confesseur  dans  le  dio- 
cèse de  Mayence 15  mai.  555 


493 
33 


—       5 


U 


Ubald  ou  Thiébaut,  évèque  de 
Gubbio 16 

Udaut,  prêtre  et  martyr,  apôtre 
des  Huns  du  Danube  et  des 
vallées  pyrénéennes  de  l'A- 
riége 11    — 

Ursion  et  S.  Maurèle  de  Troyes.  29  avril 


289 
484 

628 

289 


232 


Pages. 

Se  Théodora  et  S.  Didyme,  martyrs  28  avril.   58 

Sa  Théodora,   martyre 3  mai. 

Se  Théodora,  martyre 12    — 

S.  Théodote,  cabaretier,  et  sept 

vierges,  martyrs 18    — 

S.  Théodule,  prêtre,  martyr 3    — 

S.  Théodulphe  ou  Thiou ,  troi- 
sième abbé  du  Mont-d'Hor  ou 
de  Saint-Thierry ,  près  de 
Reims 1er 

S.  Thiébaut  ou  Ubald,  évèque  de 
Gubbio 16 

S.  Thiou  ou  Théodulphe  ,  troi- 
sième abbé  du  Mont-d'Hor  ou 
de  Saint-Thierry,  près  de 
Reims 1"  —    232 

S6  Thorette,  bergère  dans  le  Bour- 
bonnais   1" 

S.  Torquat,  martyr  à  Cadix 15 

S.  Tropez,  officier  de  Néron,  mar- 
tyr   17 


—    578 


—  210 

—  554 

—  620 


—    578 


447 
85 


315 
554 


7     —    374 


S.  Sacerdos,  évèque  de  Limoges, 
patron  de  la  ville  et  du  dio- 
cèse de  Sarlat,  et  S6  Mon- 
dane,  sa  mère 4    — 

S.  Second,  martyr  à  Avila 15     — 

S.  Sérené  et  S.  Sérenic,  son  frère, 
reclus  aux  diocèses  de  Séez 
et  du  Mans 

S.  Sérenic  et  S.  Sérené,  son  frère, 
reclus  aux  diocèses  de  Séez 
et  du  Mans 7 

S.  Servais,  évèque  de  Tongres.. .   13 

S.  Sigismond,  roi  de  Bourgogne..  1er 

S.  Simon  de  Stock,   général   des 

Carmes 16     —   581 

S6  Solange,  vierge  et  martyre. . .  10     —    427 

S.  Stanislas,  évèque  de  Cracovie, 

martyr 7     —  384 


S®  Tertulle  et  S9  Antonie,  vierges.  29  avril.    84 

S6  Thècle,  vierge 10  mai.  443 

S.  Théodard  ou  Audard,  évèque 

de  Narbonne   et    patron   de 

Montaubau.. 1"   —   202 


374 

506 
184 


S®  Valérie  et  S.  Vital,  martyrs..  28    —      62 

S.  Vaubert  ou  Walbert,  religieux 

de  Sithiii  et  S.  Bertin,  son  fils.    2  mai.  273 

S.  Venant  de  Camerino,  martyr. .  18    —    626 

Se  Viborade  ou  Guiborat,  vierge, 
recluse  et  martyre,  et  S°  Ra- 
childe, sa  compagne 2    —    268 

S.  Victor  et  Se  Couronne,  martyrs.  14    —    537 

S.  Vital  et  S°  Valérie,  martyrs.. .  28  avril.    62 

S.  Walbert ,   troisième   abbé    de 

Luzeuil 2  mai.  264 

W 


S.  Walbert  ou  Vaubert,  religieux 

de  Sithiii  et  S.  Bertin,  son  fils.    2  —  273 

Se  Walburge,  abbesse 1"  —  200 

S.  Wiron,  évèque  régionnaire...     8  —  404 


S.  Ytrope  ou  Eutrope,  évèque  de 
Saintes,  martyr,  et  Se  Eus- 
telle,  vierge 30  avril.   88 


Se  Zite,  vierge. 


27    —     49 


TABLE  ALTHASEIIQUE.  K 


SUPPLEMENT 


Pages. 

S.  Philippe  et  S.  Jacques,  apôtres 1er  mai.  C43 

S.  Gildéric  ou  Joudry,  solitaire  au  diocèse  de  Séez 14    —   644 

S.  Annobert  ou  Alnobert,  évêque  de  Séez  et  confesseur 15    —    645 

S.  Alpinien,  prêtre,  disciple  de  saint  Martial 27  avril.  647 

Se  Valdrade  ou  Valdiée,  vierge  et  abbesse 5  mai.  648 


FIN   DES  TABLES   DU  TOME   OIVQUIÈME. 


Bar-le-Duc.  —  Typ.  Schorderet  et  O 


«  • 


&m£ 


i.:*1*'