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Holy Redeemer Collège, Windsor
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St. Michael's Collège, Toronto
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LES PETITS BOLLANDISTES
VIES DES SAINTS
TOME CINQUIÈME
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Cet Ouvrage, aussi bien pour le plan d'après lequel il est conçu que pour
les matières qu'il confient, et qui sont le résultat des recherches de F Auteur, est
la propriété de V Editeur qui, ayant rempli les formalités légales, poursuivra
toute contrefaçon, sous quelque forme quelle se produise. L'Editeur se réserve
également le droit de reproduction et de traduction.
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PETITS BOLLANDISTES
VIES DES SAINTS
de l'Ancien et du Nouveau Testament
des Martyrs, des Pères, des Auteurs sacrés et ecclésiastiques
DES VÉNÉRABLES ET AUTRES PERSONNES MORTES 83 ODEUR DE SAINTETÉ
NOTICES SUR LES CONGRÉGATIONS ET LfiS ORDRES RELIGIEUX
Histoire des Reliques, des Pèlerinages, des Dévolions populaires, des Monuments dus à la piété
depuis le commencement du monde jusqu'aujourd'hui
D'APRÈS LE PÈRE GIRY
dont le travail, pour les Vies qu'il a traitées, forme le fond de cet ou7ragc
LES GRANDS BOT.LANDISTES QUI ONT ÉTÉ DE NOUVEAU INTÉGRALEMENT ANALYSÉS
SB8IUS, RIBADUEIRA, GODESCARD, BAILLET, LES HAGIOLOGIES ET LES PROPRES OF CHAQUE DIOCÈSE
tant de France que de l'Etranger
ET LES TRAVAUX, SOIT ARCHÉOLOGIQUES, SOIT HAGIOGRAPHIQUES, LES PLUS RÉCENTS
Avec l'histoire de Notre-Seigueur Jésus-Christ et delà Sainte Vierge, des Discours sur lesMystèreset les Fêtes
une Année chrétienne
le martyrologe romain, les martyrologes français et les martyrologes de tous les Ordres religieux
une Table alphabétique de tous les Saints connus, une autre selon l'ordre chronologique
une autre de toutes les Matières répandues dans l'Ouvrage, destinés aux Catéchistes, aux Prédicateurs, etc.
Par Msr Paul OTJÉRIIV
CAMÉRTEK i>E SA SAINTETÉ LÉON XIII
SEPTIÈME ÉDITION, REVUE, CORRIGEE ET CONSIDÉRAPLEMENT AUGMENTÉE
(Huitième tirage)
TOME CINQUIÈME
DU 24 AVRIL AU 18 MAI
PARU
BLOUD ET BARRAL, LIBRAIRES-EDITEURS
4, RUE MADAME, ET RUE DE RENNES, 59
1888
s-
HW.YÏEMEMER LlBRARY,j#NDSOR
VIES DES SAINTS
XXIV JOUR D'AVRIL
MARTYROLOGE ROMAIN.
À Sévis, au pays de Grisons, saint Fidèle de Sigmaringen, de l'Ordre des Mineurs Capucins,
qui, envoyé en ce lieu pour prêcher la foi catholique, fut tué par les hérétiques et mérita ainsi
d'être mis au rang des Martyrs par le pape Benoit XIV. 1622. — A Rome, saint Sabas, officier de
l'armée, qui, ayant été accusé de visiter les chrétiens dans les prisons, confessalibrement Jésus-Christ
devant le juge : celui-ci le fit brûler avec des torches ardentes et jeter dans une chaudière pleine
de poix bouillante, d'où, étant sorti sans lésion aucune, il convertit soixante-dix hommes par ce
miracle, lesquels, ayant persévéré dans la confession de la foi, passèrent par le tranchant da
glaive : pour lui, il fut enfin jeté dans le fleuve, où il acheva son martyre. 272. — A Lyon, dans
la Gaule, saint Alexandre, martyr, qui, dans la persécution d'Antoninus-Vérus, après avoir été
longtemps détenu en prison, fut d'abord tellement déchiré par la cruauté de ceux qui le
fouettaient, que les jointures de ses côtés étant rompues, on lui voyait jusqu'aux intestins, et
ensuite fut attaché à une croix sur laquelle il rendit son bienheureux esprit. Avec lui souffrirent
trente-quatre autres chrétiens, dont la mémoire se célèbre en d'autres jours. 178. — Le même jour,
les saints martyrs Eusèbe, Néon, Léonce, Longin et quatre autres, qui, dans la persécution de
Dioclétien, après de cruels supplices, furent frappés du glaive *. Vers 303. — En Angleterre, le
décès de saint Mellit, évèque, qui, envoyé en Angleterre par saint Grégoire, convertit les Saxons
Orientaux avec leur roi. 624. — A Elvire, en Espagne, saint Grégoire, évèque et confesseur 2.
i\e s. — A Brescia, saint Honoré, évèque. 586. — En Irlande, saint Egbert, prêtre et moine,
personnage d'une humilité et d'une continence admirables. 729. — A Reims, les saintes vierges
Beuve et Dode. 673.
MARTYROLOGE DE FRANCE, REVU ET AUGMENTÉ.
A Pignerol, les saints martyrs Maurice, Georges et Tibère, de la glorieuse légion Thébaine.
— A Audi, le décès de saint Cérase, premier évèque d'Eause, qui gouverna saintement soa
diocèse au milieu des plus grands troubles de l'Eglise. Ier s. Sa fête se célèbre à Auch le 27 avril.
— En Auvergne, saint Robert, fondateur et premier abbé de la Chaise-Dieu, de l'Ordre de Saint-
Benoit. 1067. Il est nommé au martyrologe romain le 17 avril. — Au diocèse de Blois, saint Dye 3,
premier anachorète, qui parut dans le pays blésois. La cellule qu'il se bâtit sur le bord de la Loire
1. Eusèbe, Néon, Léonce, Longin et leurs quatre compagnons souffrirent à Nicomédie. Leur conversion
ast attribuée à saint Georges.
2. Saint Grégoire d'Elvire fut fort mêlé à la querelle des Ariens. Il prit parti pour Lucifer de Ca-
gliari dans la condamnation sans merci des évêques qui avaient failli. Lucifer l'entraina dans son
schisme. Sans doute saint Grégoire fut de bonne foi, mais il est curieux de remarquer avec quelle com-
plaisance Baillet s'étend sur ce bon évèque, dont on ne sait presque rien, précisément parce que Rome a
reconnu sa sainteté malgré la participation qu'il prit à un schisme. (Voir la Vie de Lucifer de Cagliari.)
8. Deodatas.
Vies des Saints. — Tome V. i
2 24 AVRIL.
est l'origine de l'église et du bourg qui portent son nom. Tour à tour, ascètes studieux et mission
naires actifs ; prêtres dévoués et laboureurs infatigables; manœuvres et savants, les anachorètes
du moyen âge ont fait, parmi les classes moins privilégiées de la société, ce que les évèques ont
fait parmi les grands; ce qui n'empêchait pas les rois de rechercher les inspirations des déserts
embaumés du parfum de la sainteté : ainsi Clovis et, plus tard, son fils Childebert, marchant contre
les Goths ariens, vinrent s'agenouiller aux pieds de l'ermite de Saint-Dyé et lui recommander le
succès de leurs armes. Les reliques du saint ermite ont été dispersées parles Huguenots en 1518.
Mort après 531. — A Mortain, en Normandie, saint Guillaume Firmat, prêtre et solitaire, dont la
vie a été un modèle de toutes sortes de vertus, mais surtout d'humilité et de charité. On l'invoque
principalement pour les maux de tète '. Vers 1090. — A Perthe, près de Haute-Fontaine, diocèse de
Langres, saint Léger ou Lézer. ier, ine ou vu» s. — A Paris, le vénérable Gaston de Renty, baron de
Landelle, célèbre par sa grande charité envers les pauvres, dont le corps était à Citré, près de
Jouarre, dans l'église de Saint-Pons. 1639. — A Saint-André-de- Villeneuve d'Avignon, sainte Ven-
ture. — Au diocèse d'Arias, saint Benoit-Joseph Labre, illustre par sa pauvreté et sa sainteté,
béatifié par le pape Pie IX *. 1783. — A Fontevrault, la vénérable Pétronille de Chemillé, née
de Craon, veuve et première abbesse de ce célèbre monastère. Elle suivit d'abord le bienheureux
Robert d'Arbrisselles, comme les saintes femmes de l'Evangile suivaient Notre-Seigneur. Son
existence fut traversée de nombreuses contradictions ; mais elle eut le courage de mépriser lei
jugements des hommes et de marcher sans détour dans la voie du ciel. 1149.
MARTYROLOGES DES ORDRES RELIGIEUX.
Martyrologe des Bénédictins. — En Angleterre, saint Mellit.
Martyrologe des Camaldules et de Vallombreuse. — En Angleterre, saint Mellit, etc.
Martyrologe des Mineurs conventuels. — A Septempeda, dans la Marche d'Ancône, le bien-
heureux Bentivoglio, confesseur, de l'Ordre des Mineurs, qui, plein de miracles et de bonnes
œuvres, et, comblé de la grâce d'oraison et de contemplation, monta au ciel le 25 décembre. —
Le samedi, avant le quatrième dimanche après Pâques, à Assise, dans l'Ombrie, la dédicace de la
basilique de Saint-François, qu'Innocent IV consacra solennellement, que Grégoire IX. soumit
immédiatement au Saint-Siège, et qu'il rétablit comme le chef-lieu et la mère de tout l'Ordre des
Franciscains, et enfin que Benoit XIV érigea en basilique patriarcale et en chapelle papale.
Martyrologe des Servîtes. — Le saint Bon Larron, nommé au martyrologe romain le 25 mars.
Martyrologe des Capucins. — A Sévis, dans le canton des Grisons, saint Fidèle...
ADDITIOISS FAITES D'APRÈS LES ROLLANDISTES LT AUTRES HAG10GRAPHES.
A Gironna, en Espagne, saint Daniel, anachorète et martyr. Vers le ixe s. — Chez les Grecs,
sainte Elisabeth, vierge et thaumaturge, qui, absorbée en Dieu, fut trois ans sans lever les yeux
au ciel. Avant le xa s. — En Angleterre, saint Wilfrid, archevêque d'York, premier du nom, qui
convertit les Saxons du sud. Il fut deux fois chassé de son siège, et deux fois rétabli 3. 709. —
Dans le même pays, saint Hechberact, qu'on présume avoir été le maître du savant Alcuin. viii« s.
— A Bomarzo (Polymartium), en Toscane, saint Anselme de Mugnono, confesseur, qui, inconnu
pendant sa vie, fut glorifié après sa mort. Bien que ses reliques soient en très-grande vénération,
et que sa fête soit célébrée avec solennité, on ignore l'époque où il a vécu. — A Guatemala, en
Amérique, le vénérable François Colmenario, regardé comme Saint par les habitants du pays, à
la conversion desquels il avait travaillé en bon ouvrier du père de famille. 1590.
SAINTE BEUVE ET SAINTE DODE, VIERGES,
PREMIÈRES ABRESSES DE SAINT-PIERRE DE REIMS
673. — Pape : Adéodat. — Roi de France : Childéric II.
Vierges,vous êtes le paradis terrestre, prenez garde à Eve.
Ambr., in Cant., rv.
La vertu toujours louable, en quelque sujet qu'elle se rencontre, est
encore plus admirée quand elle est jointe à une naissance illustre, parce
1. Voir au 28 février. — 2. Voir sa vie au 16 avril. — 3. Voir sa vie au 12 octobre.
SAINTE BEUYE ET SAINTE DODE, VIERGES. 3
qu'elle est alors d'un plus grand exemple, ou parce qu'elle suppose un plus
grand effort pour se dégager des charmes et des intérêts du monde. Telle
est celle de sainte Beuve ; d'une naissance royale, et, au rapport de Flodoart,
fille de Sigebert, roi d'Austrasie, cette Princesse s'est appliquée entièrement
aux exercices qui conduisent au plus haut point de la perfection.
Elle fut élevée dans tous les sentiments d'une piété chrétienne; et
comme on remarquait en elle une grande vivacité d'esprit, accompagnée
d'une mémoire excellente , ceux qui avaient soin de son éducation lui
donnèrent de bonne heure la connaissance des saintes lettres. Ce fut par la
lecture de ces livres saints qu'elle apprit la science des Saints, et qu'elle
conçut ce divin feu qui l'embrasa et la consuma toute sa vie. Son esprit
s'étant fortifié par l'âge, Dieu lui fit la grâce de pouvoir reconnaître, au
milieu du luxe et des pompes de la cour, la caducité des choses humaines;
que la gloire du monde échappe; enfin, qu'elle s'évanouit comme un songe,
et qu'après tout il faut un jour paraître devant le tribunal de la justice di-
vine, où les rois mêmes n'auront pas d'autre appui que leur innocence.
Après s'être souvent entretenue de ces salutaires pensées, elle forma la
résolution de se retirer du monde et de renoncer à toutes ses espérances,
pour se revêtir de la qualité glorieuse de très-humble servante de Jésus-
Christ.
Sainte Beuve avait un frère nommé Balderic ou Baudry, homme d'une
grande sainteté et que notre Sainte aimait tendrement ; elle eût cru faire
tort à leur amitié de lui cacher un dessein de cette importance. Balderic,
rebuté du siècle, et songeant à la retraite aussi bien que sa vertueuse sœur,
loua son dessein et l'exhorta à ne pas résister plus longtemps au Saint-
Esprit. Il fut donc convenu que Beuve se retirerait à Reims, dans un mo-
nastère fondé par Clotilde, reine de France, et que son frère l'accompa-
gnerait dans cette ville, pour l'assister de ses conseils; cela ne se put
exécuter sans laisser au roi Sigebert, et à toute la cour, un extrême regret
de leur absence.
Enfin Beuve prit le voile de la sainte religion ; ce fut alors que, délivrée
des embarras de la grandeur, elle se donna à Dieu sans réserve. Il ne se
pouvait rien ajouter à son humilité, à sa douceur et à sa modestie; elle
affligeait son corps par de très-rudes austérités ; elle pleurait et priait les
nuits entières, et observait un jeûne très-rigoureux. Mais comme le monas-
tère était hors des murailles de Reims, et que, durant la guerre, il se trou-
vait exposé à tous les dangers que courent les maisons religieuses bâties à
la campagne, sainte Beuve et saint Balderic, son frère, environ l'an 650,
firent construire dans Reims la magnifique maison de Saint-Pierre, afin que
tant de saintes vierges pussent servir Dieu avec plus de sûreté, et peut-être
avec plus de commodité. Saint Nivard, qui fut bientôt après (600) arche-
vêque de Reims, en dédia l'église sous le nom de la Sainte Vierge et du
prince des Apôtres.
Au même temps et sous le même archevêque, saint Gombert, homme
de haute condition, fonda, en l'honneur de saint Pierre, un autre couvent
de vierges, auprès de la porte Bazé, autrefois Basilicaris, et cette maison
s'appelait le monastère Royal ou Fiscal. Ces deux maisons, portant toutes
deux le même nom de Saint-Pierre, ont souvent été confondues par les
auteurs.
Beuve s'y retira dès qu'elle le put, avec un grand nombre de filles. Il
fallait donner un chef à cette troupe religieuse. La naissance de Beuve, ses
bienfaits récents, mais principalement sa sainteté, ne permirent pas de
4 24 AVRIL.
balancer longtemps sur le choix d'une supérieure. Beuve, d'une commune
voix, fut appelée à la dignité d'abbesse ; mais sa modestie lui fit trouver
cette charge trop pesante pour ses forces; elle considérait combien il fallait
de prudence et d'adresse pour conduire tant de religieuses, combien de
vertu pour leur servir d'exemple ; elle savait qu'il est plus facile de suivre
que de guider, et d'obéir à une seule que de commander à plusieurs. Mais,
comme saint Balderic, qui avait beaucoup de pouvoir sur son esprit, lui
conseilla de déférer à son élection et d'accepter par humilité un honneur
que d'autres eussent recherché par orgueil, l'assurant que, puisque la Pro-
vidence l'appelait à cette dignité, elle lui donnerait des grâces pour s'en
acquitter dignement, Beuve se rendit à ses raisons, et l'on peut dire qu'elle
accepta le commandement par obéissance. La suite fit bien connaître que
le Saint-Esprit avait eu la principale part dans ce choix, tant elle apporta
d'exactitude à l'accomplissement de son devoir. Aussi, comme elle est la
première abbesse de Saint-Pierre, selon l'ordre du temps, elle l'est de
même en mérite, et toutes celles qui sont venues depuis n'ont été que les
copies d'un si excellent original.
Quoiqu'elle donnât beaucoup de temps aux affaires de sa maison, elle
ne négligeait pas pourtant ses exercices de piété ; elle redoubla même
l'austérité de ses jeûnes et l'ardeur de ses oraisons. On croit généralement
qu'elle établit dans son monastère la règle de saint Benoît. Cette sainte
abbesse se distinguait des autres religieuses, non par les insignes de sa
dignité, mais par sa vertu. Les livres sacrés étaient sa principale étude :
c'est là et dans l'oraison qu'elle s'inspirait pour faire à ses compagnes des
exhortations toutes pleines de l'esprit de Dieu. Elle leur conseillait surtout
le travail manuel, pour ne pas donner de prise sur elles au démon : car il
est certain que l'oisiveté est la porte funeste par où Satan se glisse dans les
âmes les plus innocentes.
Tandis que Beuve se traçait glorieusement un chemin à l'éternité, Bal-
deric, qui s'était confiné dans la solitude de Montfaucon, s'acquérait une
merveilleuse réputation de sainteté, gouvernant de son côté une abbaye
dont il était le fondateur; il quittait néanmoins quelquefois son désert
pour visiter sa sœur, et alors ils s'entre-communiquaient leurs lumières et
s'animaient réciproquement à la vertu. Ce fut dans une de ces visites que
Balderic fut attaqué de la maladie dont il mourut. Beuve eut besoin de
toute sa constance pour supporter la perte d'un frère si tendrement aimé.
Cependant, elle se soumit à l'ordre do la Providence, et baisa humblement
la main qui l'avait frappée. Saint Balderic fut enseveli au monastère de
Saint-Pierre, qu'il avait fondé à Reims, comme nous l'avons dit. Transporté
plus tard à Montfaucon, et déposé dans l'église de Saint-Laurent, où le Saint
s'était, de son vivant, préparé un tombeau, et ensuite à Verdun, il fut enfin
ramené à Montfaucon et mis dans l'église de Saint-Germain, qui était celle
de l'abbaye, et Dieu honora son tombeau de plusieurs miracles. Son corps
a depuis été transporté à Montfaucon, dans l'église de Saint-Laurent, où il
avait choisi sa sépulture.
Sainte Beuve ne survécut pas longtemps à son bienheureux frère; ses
jeûnes et ses veilles, avec le nombre des années, l'ayant extrêmement affai-
blie, elle connut bien que Notre-Seigneur voulait mettre un terme à ses
longues et pieuses fatigues. Elle se disposa à la mort avec les sentiments
d'une âme qui n'a vécu que pour Dieu et qui a mis en lui toutes ses espé-
rances, et elle s'endormit enfin du sommeil des justes, pour aller recevoir
au ciel la couronne due à son incomparable vertu.
SAINT ROBERT, PREMIER ABBE DE LA CHAISE-DIEU. 5
Sainte Dode, sa nièce, et fille d'une de ses sœurs, succéda à sa dignité
et à son mérite ; elle avait été formée à la piété par son illustre tante, qui
découvrit en elle d'heureuses dispositions au bien dès ses plus tendres an-
nées; elle ne trouva jamais de difficulté dans la vertu, ni dans les pratiques
de la pénitence ; surtout elle brûlait d'un amour incroyable pour la chas-
teté. Son père et sa mère l'avaient accordée à un des principaux seigneurs
de la cour de Sigebert ; elle rejeta ce parti, et comme le jeune prince la
voulait enlever d'entre les bras de sa chère tante, il tomba de son cheval et
mourut de sa chute. Depuis cette fâcheuse aventure, Dode persévéra tou-
jours dans l'amour du céleste Epoux: on voyait revivre en elle l'humilité, la
modestie et la charité de sainte Beuve ; abbesse, elle était saintement familière
avec ses filles, compatissait à leurs infirmités et supportait leurs faiblesses
avec douceur, sans rien relâcher pourtant de la rigueur de la disciplina
monastique. Elle s'appliquait aussi, autant qu'il était nécessaire, aux affai-
res temporelles de la maison, et obtint du roi Pépin un privilège considé-
rable pour son monastère. Enfin, Dode possédait toutes les bonnes qualités
qui peuvent rendre une supérieure recommandable. Lorsqu'elle eut long-
temps été un modèle accompli de sainteté, Dieu la ravit à la terre et lui fit
part de sa gloire, pour laquelle elle avait renoncé à celle du monde.
Les reliques de ces deux saintes Abbesses, Beuve et Dode, sont conser-
vées dans le monastère de Saint-Pierre, occupé aujourd'hui par les dames
de la Congrégation du bienheureux Pierre Fourier.
Ce récit a été fait d'après les mémoires de l'abbaye même de Saint-Pierre, et d'après les Bollnndistes.
S. ROBERT, PREMIER ABBE DE LA CHAISE -DIEU
1067. — Pape : Alexandre II. — Roi de France : Philippe Ier.
Tends la main an pauvre, si tu veux obtenir de Dieu
grâce et pardon.
Eccli., vu, 36.
Saint Robert, de la noble famille des barons d'Aurillac, chanoine et tré-
sorier de l'église de Saint-Julien de Brioude, puis fondateur de l'abbaye de
la Chaise-Dieu, — la plus célèbre de l'Auvergne — eut pour père Gérard,
et pour mère Reingarde. Cette dernière, sur la fin de sa grossesse, allant à
un château près de sa maison, se sentit si vivement pressée des douleurs
de l'enfantement, qu'elle fut obligée de mettre ce fils au monde dans une
solitude. Il donna, dès sa naissance, des signes de sa sainteté à venir : car
il ne fut pas possible de lui faire prendre le lait d'une femme qui était
dans le désordre, bien qu'il prît sans peine celui des femmes vertueuses ;
mais quand sa mère fut en état de le nourrir elle-même, elle ne s'en dé-
chargea plus sur personne.
Dès qu'il eut l'âge propre aux études, il fut mis chez les ecclésiastiques
de Saint-Julien de Brioude, où il apprit la piété avec la science. Il y reçut
d'abord la tonsure et fut ensuite nommé chanoine de cette église à cause
des belles qualités qui commençaient à éclater en lui : car on le voyait déjà
très-affectionné à la vertu, et ses actions surpassaient celles d'un enfant de
son âge. Toute sa jeunesse fut si innocente, que l'on n'y saurait remarquer
6 24 AVRIL.
une offense un peu notable. Il passait souvent des nuits en prière dans les
églises. Sa charité pour les pauvres qui étaient malades le portait à laver
leurs ulcères et leurs plaies de ses propres mains. Plusieurs furent par là
miraculeusement guéris. Cette tendresse pour ceux qui souffraient s'accrut
avec l'âge; pour leur prodiguer plus facilement ses charitables soins, il
bàlit un hôpital dans Brioude, où il les réunit. Etant prêtre, il disait tous
les jours la messe avec beaucoup de dévotion. Il travaillait avec grand zèle
au salut des fidèles et à la conversion des pécheurs, et cependant il voulait
qu'on le crût fort imparfait et un serviteur entièrement inutile.
Le feu du saint amour s'embrasant de plus en plus en son cœur, il réso-
lut de se retirer à Cluny : ce monastère était alors dans sa première ferveur,
sous la conduite du saint abbé Hugues ; mais lorsqu'il pensait exécuter son
dessein dans le dernier secret, avec un seul associé, le bruit s'en répandit
parmi le peuple ; on s'en émut, et comme s'il eût été question du salut du
pays, on courut après lui et on le ramena à Brioude. Il en demeura si
confus et si saisi, qu'il en tomba malade de douleur. Etant guéri, et voyant
son dessein arrêté par un ordre de la Providence, il voulut essayer s'il ne
pourrait pas pratiquer, dans le monde, les mêmes exercices qu'il eût pu
faire dans un monastère. Mais il vit trop de difficultés : il entreprit donc le
voyage de Rome, afin d'obtenir, par l'intercession des saints Apôtres, de
vivre en quelque solitude hors des embarras du siècle.
Lorsqu'il fut de retour dans son pays, un soldat, nommé Etienne, vint
le consulter sur ce qu'il devait faire pour obtenir la rémission de ses fautes
passées et en faire pénitence. Le saint Prêtre lui conseilla de renoncer en-
tièrement au monde et à ses maximes, de changer de milice et de s'enrôler
dans celle de Jésus-Christ. Le soldat répondit qu'il le ferait volontiers, pourvu
que ce fût en sa compagnie ; également surpris et ravi de cette réponse,
notre Saint découvrit son secret à ce soldat, qu'il regardait comme un ange
que Dieu lui envoyait. Ils délibérèrent donc ensemble sur ce dessein et sur
les moyens de l'exécuter. Etienne, armé de foi et de confiance, alla en la
ville du Puy, en Velay, rendre ses vœux en l'église Notre-Dame, afin qu'elle
leur obtînt la bénédiction de son Fils, pour le succès de leur entreprise.
En revenant, il découvrit, dans les montagnes, une solitude où s'élevaient
les restes d'une église abandonnée, qu'il jugea très-propre pour leurre-
traite : c'était à cinq lieues de Brioude, vers le levant, près de la source de
la Sénoire. Dès que Robert eut entendu la description de ce désert, il lui
plut. Etienne gagna à Dieu, dans le même temps, un autre soldat nommé
Dalmase, que Robert associa avec joie à leur sainte vie.
Après avoir d'abord éprouvé ses deux compagnons pendant quelques
mois, Robert se relira avec eux dans cette solitude. Il n'y avait là nul com-
merce avec le monde, ni presque rien de ce qui est nécessaire pour l'en-
tretien de la vie. De plus, la rusticité et la barbarie des habitants voisins
étaient extrêmes ; et, au lieu d'assister nos solitaires, et de leur fournir les
choses nécessaires, ils les chargeaient d'injures et de menaces. Néanmoins,
ne perdant pas courage, ils mirent aussitôt la main à l'œuvre et se bâtirent,
d'abord près de l'église, une petite cellule avec des branchages ; ensuite, ils
distribuèrent entre eux leurs exercices, de telle sorte qu'Etienne et Dal-
mase devaient travailler des mains pour faire subsister la communauté :
Robert s'appliquait à l'étude et instruisait les autres ; tous se rejoignaient,
pour la prière, dans l'église dont nous avons parlé. Leur vie était parfaite-
ment bien réglée ; ils donnaient une grande partie de leurs provisions aux
pauvres qui se présentaient, sans se rien réserver pour le lendemain. Dieu
SAINT ROBERT, PRETER ABBÉ" DE LA CHATSE-BIEU. 7
fit connaître que cela lui était agréable : car un jour que Robert avait
donné à un pauvre tout le pain qui était resté la veille, comme Dalmase
s'en plaignait, un des deux seigneurs qui avaient cédé ce désert aux trois
ermites (c'étaient deux frères, chanoines du Puy), un de ces seigneurs,
disons-nous, leur envoya trois chevaux chargés de vivres.
Cependant la réputation de ces saints solitaires courut bientôt dans le
pays; plusieurs personnes du clergé et du peuple se joignirent à eux, pour
consacrer toute leur vie au service de Dieu ; les habitants mêmes se défi-
rent de leur humeur farouche, touchés de leurs saintes exhortations, de
leur vie exemplaire et des actions miraculeuses que la main de Dieu opé-
rait par saint Robert. Ce saint homme guérissait les malades et chassait les
esprits des corps des possédés : par modestie, il attribuait ces merveilles
aux mérites des saints martyrs Agricole et Vital, à qui l'église était dédiée.
Enfin, le nombre des ermites devint si considérable, que l'on jugea utile
de bâtir un monastère, afin qu'ils fussent mieux logés et vécussent plus en
communauté. Il y eut alors une sainte émulation parmi les personnes de
piété, pour contribuer à cet ouvrage : les uns donnaient ce qui était néces-
saire à la construction, les autres consacraient des biens considérables à
l'entretien des futurs religieux. Ainsi fut fondée l'abbaye de la Chaise-Dieu
(Casa UeiJ, en 1050 ; l'évêque de Clermont, Rencon, alla lui-même, quoi-
que déjà sur le déclin de l'âge, trouver le pape saint Léon IX, et obtint la
confirmation (avec des privilèges) du nouveau monastère , pendant que
Robert faisait ratifier parle roi de France, Henri Ier, les donations dont nous
avons parlé. Lorsqu'ils furent tous deux de retour, l'évêque fit la dédicace
du monastère, donna l'habit religieux à Robert, et l'établit, malgré lui,
abbé, selon qu'il l'avait décidé avec le Pape.
Robert fit observer la règle de saint Benoît à ses religieux, qui atteigni-
rent bientôt le nombre de trois cents. Il ne renferma pas son zèle dans les
limites de son monastère : il rétablit plus de cinquante églises delà contrée
qui avaient été ruinées par les guerres.
Après avoir travaillé à la sanctification de ses frères et à la sienne, il
mourut de la mort des justes, le 24 avril, vers l'an 1067.
Avant de se mettre au lit, d'où il devait comme d'un marchepied s'en-
voler au ciel, il voulut célébrer la messe une dernière fois, en se faisant
soutenir à l'autel. Au moment où il mourut, un de ses religieux vit la Mère
de Dieu venir le consoler, et un autre aperçut son âme s'élevant dans les
airs sous la forme d'un globe de feu.
Ce que nous avons dit de saint Robert comme fondateur d'abbayes et
restaurateur d'un grand nombre d'églises, peut faire conjecturer les diver-
ses manières dont il a été représenté. Les circonstances de son heureuse
mort et les quelques faits légendaires qui vont suivre ont également inspiré
les artistes.
Saint Robert, prêchant à Avignon, deux jeunes étourdis s'emparèrent de
ses gants et se les renvoyaient comme une balle : or, voilà que dans un des
trajets, lesdits gants s'accrochèrent à un rayon de soleil si haut que les
joueurs ne purent les reprendre. — Etant à Allanche, dans les montagnes de
l'Auvergne, il se disposait à célébrer la messe, lorsque le cuisinier vint lui
dire qu'il n'avait rien trouvé pour dîner. Servez ma messe, répondit le
Saint, et Dieu pourvoira à nos besoins. Il n'était pas à la Préface, qu'un
aigle passant au-dessus de l'église laissa tomber un énorme poisson qui ser-
vit au repas du Saint et de sa suite. Une autre fois il dit au cuisinier de
jeter des anguilles qu'il se préparait à servir sur la table ; on apprit quel-
24 AVRIL.
ques jours après que celui qui les avait vendues avait été mis à mort pour
avoir empoisonné la marchandise, etc.
Voir les Bollandistes et les Annales de Baronius.
SAINT FIDÈLE, CAPUCIN ET MARTYR
J 517-1622. — Papes : Grégoire XIII; Grégoire XV.— Empereurs : Rodolphe II; Ferdinand II.
Roi de France : Louis XIII, le Juste.
Soyez fidèle jusqu'à la mort et je vous donnerai la
couronne de vie.
Paroles du Père gardien de Fribowrg, adressées à
notre Saint le jour où il reçut l'habit de novice.
Marc Rey, — c'était le nom de notre Saint avant son entrée en religion
— naquit en 1577, à Sigmaringen , petite ville de la principauté de
Hohenzollern ; son père, Jean Rey, et sa mère Geneviève de Rosenberg,
nobles et catholiques, lui donnèrent une éducation digne de ces deux titres.
Il fit ses premières études à l'université de Fribourg, en Rrisgau, qu'il édifia
par sa sagesse, si bien qu'il mérita le surnom de philosophe chrétien : il ne
se distingua pas moins dans l'étude de la jurisprudence, et fut reçu docteur
en l'un et l'autre droit. Prié d'accompagner trois jeunes gentilshommes des
premières familles du pays, qui se proposaient de visiter les différents
royaumes de l'Europe, il y consentit et se montra pour eux, dans ce voyage,
le plus tendre des amis, le plus zélé des pères, ne perdant aucune occasion
de former leur esprit par de sages maximes. Ses principales étaient :
« Qu'un jeune homme doit mépriser les vaines parures ; que si l'on s'ajuste
comme une femme, on est indigne de la gloire, qui ne se peut conquérir
qu'en souffrant les peines et en foulant aux pieds les plaisirs... Qu'avant de
commander aux autres il faut se vaincre soi-même; se rappeler que nos
sujets sont nos semblables, que nous devons les soulager, étant d'une na-
ture exposée à la douleur et aux misères comme eux ». Faites au moins une
exception pour les ingrats, lui dit un des jeunes seigneurs; comment se
résoudre à leur faire du bien? — « Comment, répliqua le Saint? Ne devez-
vous pas, d'un côté, vous attendre à trouver plus ou moins d'ingratitude
dans tous les hommes, et d'un autre, ne verrez-vous plus en chacun d'eux la
personne même de Jésus-Christ, à qui s'adresse votre bienfait et qui ne
l'oubliera pas, lui? » En formant les autres à la vertu, il ne se négligeait
point lui-môme. Il s'approchait souvent des saints mystères, exhortait, sou-
lageait les malades dans les hôpitaux, visitait les églises, demeurait des
heures entières au pied des autels dans la douce conversation de Notre-
Seigneur, et le recherchait encore dans les pauvres, auxquels il donnait
tout, jusqu'à ses habits.
Au retour de ce voyage, il se sépara de ses trois disciples, malgré leurs
prières et leurs regrets: son adieu fut qu'ils devaient ne jamais perdre de
vue la crainte du Seigneur, commencement de la sagesse, et ne plus faire
consister leurs titres de noblesse que dans la vertu. Pour lui, s'étant perfec-
tionné dans la science des lois, il exerça à Colmar, en Alsace, la profession
d'avocat, avec beaucoup de distinction et d'intégrité. Il préférait souvent
SAINT FIDÈLE, CAPUCIN ET MARTYR. 9
la cause du pauvre à celle du riche : jamais de médisance dans ses plai-
doyers, jamais rien de ce qui eût pu nuire à l'honneur de la partie adverse;
mais ses raisons étaient si solides, ses conclusions si sages, qu'il avait la plus
grande influence sur la décision des juges. Il vit bientôt pourtant qu'il est
difficile d'être en même temps un riche avocat et un bon chrétien. Cédant
à cette crainte et aux impulsions divines, il quitta le monde et se retira
chez les Capucins de Fribourg, où il prit l'habit en 1612, et reçut le nom de
Fidèle.
Bientôt le nouveau religieux marcha à pas de géant dans la voie de la
perfection. Il ne fut pourtant pas inaccessible a la tentation. Il éprouva que
pour être hors des occasions du monde, on n'est pas à l'abri des suggestions
de l'ennemi du salut, que les solitudes les plus reculées, les antres les plus
horribles, les rochers les plus escarpés ne sont pas toujours de sûrs rem-
parts à la vertu ; que l'homme porte partout avec lui un fond de passions
qu'on ne peut détruire que par une attention continuelle sur soi-même,
une fidèle correspondance à la grâce, avec laquelle on est toujours victo-
rieux, quand on le veut sincèrement. L'ennemi du salut entreprit donc de
s'emparer de son esprit : il lui ût naître des doutes sur le bien qu'il aurait
pu faire en restant dans le monde ; il lui représenta qu'il aurait continué
d'être le zélé défenseur des lois, le protecteur de la veuve et de l'orphelin,
le père des pauvres, et qu'il aurait ainsi donné plus de secours à son pro-
chain qu'il ne pourrait faire en menant une vie privée et cachée dans la so-
litude ; et que son salut aurait été aussi bien assuré dans le siècle que dans
la religion. Cette tentation si habile ne laissa pas d'ébranler un moment la
fermeté du Saint. Ses passions enchaînées depuis longtemps commencèrent
à vouloir se licencier. Ses talents, ses commodités, ses aises, la perte de sa
fortune, sa réputation, tous ces avantages ensevelis sous l'habit religieux le
faisaient pencher tantôt vers la religion et tantôt vers le monde. Il alla
trouver le Père maître des novices, qui lui fit comprendre que ses doutes
venaient de l'esprit de ténèbres, et qu'il fallait s'adresser au Seigneur pour
connaître sa volonté. <t 0 mon adorable Sauveur ! s'écria le zélé novice, ren-
dez-moi cette joie salutaire et cette sérénité d'esprit dont je goûtais les
douceurs dans les heureux commencements de ma vocation; faites, ô mon
Dieu ! en me découvrant votre volonté, que je triomphe de mon ennemi et
de mes passions ». Cette prière fut si agréable à Dieu, qu'il rendit à son ser-
viteur la paix et la force. Il vit clairement la source de ses incertitudes, et
cette vue lui redonna un nouveau courage, une nouvelle ardeur pour ses
exercices spirituels, un nouvel attachement pour Dieu. Il voulut rompre à
jamais avec le monde. Avec la permission du supérieur, il envoya chercher
un notaire, fit de ses biens une fondation au séminaire, en faveur de plu-
sieurs jeunes ecclésiastiques, afin de leur faciliter les moyens de continuer
leurs études ; il leur légua en commun sa bibliothèque, afin qu'ils pussent
en profiter tous ensemble, et ainsi dépouillé, il se disposa à entrer à jamais
dans l'heureuse pauvreté des enfants de saint François.
a Pour me conformer » , dit-il dans l'acte testamentaire qu'il fit
avant sa profession, « à la parfaite résignation, à la charité, par laquelle
Jésus-Christ , notre rédempteur, suant le sang et l'eau dans le Jardin
des Oliviers, et enfin mourant sur l'arbre de la croix, s'est résigné, re-
commandé et offert à son père; de même j'offre et consacre, par cette
mienne dernière volonté et disposition, mon corps et mon âme, comme
un sacrifice vivant éternel, d'un cœur contrit, au service perpétuel de
la divine Majesté et de la Très-Sainte Vierge Immaculée, du séraphiqua
10 24 AVRIL.
père saint François ; et comme je suis sorti tout nu du sein de ma mère, de
même, dépouillé de toutes les choses de la terre, je m'abandonne entre les
bras de mon Sauveur ». Il se félicitait souvent depuis de l'heureux échange
qu'il avait fait avec Dieu : « Il rendait à Dieu les biens de la terre, et Dieu lui
donnait en retour le royaume du ciel ! » Il disait encore que Dieu, ne nous
ayant rendus à la vie qu'en endurant la mort, nous ne pouvions conserver
cette vie que par le môme moyen, en mourant à nous-mêmes; et que, puis-
que notre récompense sera de nous réjouir toujours dans le ciel, il ne faut
pas craindre de toujours souffrir sur la terre. Aussi souffrait-il toujours, ajou-
tant aux mortifications de la règle, toutes les mortifications volontaires que
l'obéissance lui permettait. Les meubles les plus pauvres, les habits les plus
usés étaient un des grands objets de son ambition: leshaires, lescilices,les
ceintures armées de pointes de fer, les disciplines suppléaient au martyre
après lequel il soupirait; l'Àvent, le Carême et les Vigiles, il ne vivait que
de pain, d'eau et de fruits secs : « Quel malheur », disait-il, « si je combattais
mollement, soldat sous un chef couronné d'épines! » Que dirons-nous de
ses prières où on l'eût pris pour un ange parlant à Dieu dans le ciel ; de ses
méditations dans lesquelles détournant tout à fait son regard de la créature,
il contemplait les perfections de Dieu et ses propres misères; de son humi-
lité qui lui faisait disputer aux jeunes religieux les emplois les plus vils; de
sa dévotion envers la sainte Vierge, sa plus ferme espérance après Dieu, et
.; il se croyait redevable de toutes les grâces qu'il obtenait?
Ses supérieurs avaient hâte de rendre tant de vertus utiles au prochain.
Lorsqu'il eut fini son cours de théologie, et qu'il eut été élevé au sacerdoce,
il fut chargé d'annoncer la parole de Dieu et d'entendre les confessions: il
remplit ce ministère avec le plus grand succès, surtout à Weltkirchen, où
on l'envoya en qualité de supérieur du couvent, et où il opéra des conver-
sions qui tenaient du prodige, entre autres celles de plusieurs calvinistes.
Une maladie contagieuse s'étant mise parmi la garnison, et ensuite parmi
les habitants de Weltkirchen, Fidèle se voua tout entier au service des pes-
tiférés : on le trouvait à toute heure et partout, dans les hôpitaux, dans les
maisons et les places, soignant le corps, soignant l'âme, et plus d'une fois
guérissant les deux à la fois par des miracles. Sa réputation devint telle, que
la Congrégation de la Propagande, établie par Grégoire XV, ayant demandé
au provincial des Capucins des missionnaires zélés et redoutables à l'erreur,
pour arrêter le torrent de l'hérésie qui envahissait la Suisse et surtout le
canton des Grisons, on le mit à la tête de cette mission. Il accepta avec
d'autant plus de joie, qu'il espérait avoir beaucoup à souffrir chez ces
peuples grossiers, chez ces hérétiques violents et irrités. Il comptait même
sur le martyre. Chacun de ses pas fut marqué par des conversions ; dans
les premières conférences qu'il eut avec les Calvinistes, il ramena à la vé-
rité deux gentilshommes. Qui n'eût été convaincu en entendant cet Apôtre
défier les ministres protestants , et renverser toutes leurs raisons ; en le
voyant marcher pieds nus, catéchiser les enfants, chercher les brebis égarées
à travers les glaces, les rochers escarpés et les précipices? Ses adversaires
ne trouvant pas d'autre moyen de répondre à la puissance de sa parole et de
ses exemples, résolurent sa mort, sous prétexte qu'ils voulaient affranchir
leur pays du joug de l'Autriche, et que ce moine leur prêchait la servitude ;
il leur prêchait au contraire la liberté des enfants de Dieu, les invitant à
secouer la servitude du démon. Quant à l'Autriche, il leur fit remarquer en
ami qu'elle pourrait réprimer durement les révoltés, envahir la Suisse et la
ruiner par le fer et le feu. Informé qu'on cherchait l'occasion de verser son
SAINT LÉGER, PRÊTRE. 11
sang, il ne prit d'autre précaution que celle de se confesser, et continua ses
travaux apostoliques, voulant mourir les armes à la main. Il signait ses
lettres, à cette époque : Frère Fidèle qui doit bientôt être la pâture des vers. Il
se rendit le 24 avril 1622, de Grusch à Sévis, où il exhorta fortement les
Catholiques à rester inviolablement attachés à la foi . Pendant qu'il prêchait,
un Calviniste lui tira un coup de mousquet qui ne l'atteignit pas ; et comme
on le priait de mettre sa vie en sûreté, il répondit qu'il ne craignait pas la
mort et qu'il était prêt à verser son sang pour la cause de Dieu. Etant parti
le même jour pour retourner à Grusch, il tomba entre les mains d'une
troupe de Calvinistes qui avaient un ministre à leur tête. Il le traitèrent de
séducteur, et voulaient le forcer à embrasser la prétendue réforme : « Je
suis venu pour réfuter vos erreurs, et non pour les embrasser, leur répondit-
il, et je n'ai garde de renoncer à la doctrine catholique, qui est la doctrine
de tous les siècles. Au reste, sachez que je ne crains pas la mort. » Un de la
troupe l'ayant renversé par terre d'un coup d'estramaçon, il se releva sur
les genoux et fit cette prière: « Seigneur Jésus, ayez pitié de moi; sainte
Marie, mère de Dieu, assistez-moi ». Il reçut ensuite un second coup, qui
le renversa -de nouveau par terre, baigné dans son sang ; on le perça ensuite
de plusieurs coups de poignard : c'est ainsi qu'il mourut martyr, à l'âge de
quarante-cinq ans. Quelque temps après, les Calvinistes furent défaits par
les impériaux, comme le Saint le leur avait prédit, et le ministre qui les
commandait fut si frappé de cette prédiction, qu'il se convertit et abjura
publiquement l'hérésie. Le corps de saint Fidèle fut porté à Weltkirchen, à
l'exception de sa tête et de sa jambe gauche qui en avaient été séparées par
ses meurtriers, et qui furent placées dans la cathédrale de Coire. De nom-
breux miracles s'étant opérés par son intercession, Benoît XIII le béatitia en
1729, et Benoît XIV le canonisa en 1745.
Son attribut est la massue ou estramaçon , espèce de lourde épée à
large tranchant, instrument avec lequel il fut assommé. On le représente
avec un crucifix à la main, portant une large blessure à la tête. Saint Fidèle
est le premier martyr d'entre les missionnaires envoyés par la Propagande.
Voir la Vie de saint Fidèle, publiée, en 1745, par Théodore de Paris, Capucin.
SAINT LÉGER, PRÊTRE (ier, rae ou yne siècle).
Léger, prêtre, préposé au clergé de Perthe, mena une vie céleste sur terre. Il avait tant de
douceur et d'humilité, qu'il était le serviteur de ses subordonnés, plus que leur maître. D'un signe
de croix, il délivra un possédé du démon qui était en lui ; par ses prières, il guérit un homme
malade d'une contraction des membres. Il mourut heureusement dans une vieillesse très-avancée :
il fut enseveli dans l'église de Perthe. Cette église, dévastée et incendiée par les barbares, fut
restaurée ensuite par l'évoque de Chàlons. Un aveugle, nommé Haybert, recouvra la vue à son
tombeau, vers l'an 805. Et ce miracle fut cause que le corps du Saint fut levé de terre et placé
honorablement dans une châsse derrière l'autel. Il fut brûlé sur la fin du xvme siècle par les
impies. La dévotion envers le saint prêtre fut ravivée par divers signes de sa puissance. Au
u.» siècle, on conduisit sa châsse en procession dans les campagnes désolées par une longue
sécheresse et le ciel répandit sur les sillons la pluie désirée.
On voit, près de l'église de Perthe, un puits que saint Léger, unissant le travail des mains à
une oraison constante, a creusé lui-même. Les pèlerins, qui affluaient à son tombeau, buvaient de
cette eau regardée comme salutaire contre les maladies : plusieurs personnes ont encore aujouid'hui
la même confiance. Tous les ans, le 23 juin, on fait une procession au puits de saint Léger.
Propre de Langres et Saints de la Haute-Marne.
12 24 AVRIL.
SAINT MELLIT,
PREMIER ÉVÊQUE DE LONDRES, PUIS ARCHEVÊQUE DE GANTORBÉRY (624).
Mellit, moine d'Italie, fut d'abord abbé d'un monastère à Rome. En 601, saint Grégoire le Grand
le mit à la tète d'une seconde colonie de missionnaires qu'il envoyait à saint Augustin, en Angle-
terre. 11 fut le premier évèque de Londres ou des Saxons orientaux. Il baptisa le roi Sébert avec
une grande partie de ses sujets. Ce fut avee le secours des libéralités de ce prince qu'il jeta les
fondements de l'église de Saint-Paul à Londres l, et du monastère de Saint-Pierre à Thorney *,
lequel est aujourd'hui connu sous le nom de Westminster. On assure que saint Pierre lui-même
vint consacrer l'église élevée en l'honneur du grand Apôtre, la veille du jour où Mellit se préparait
à faire cette cérémonie.
Sébert, qui mourut vers l'an 616, laissa ses Etats à ses trois fils, Sexred, Séward et Sigebert.
Ces princes n'avaient jamais renoncé à l'idolâtrie, mais ils avaient caché leurs sentiments du
vivant de leur père. Lorsqu'ils le virent mort, ils professèrent publiquement le paganisme, et
permirent à leurs sujets de retourner au culte des idoles. Cela ne les empêchait pas d'assister
quelquefois à la célébration de nos mystères; ils voulurent même engager le saint évèque a leur
donner de ce beau pain dont leur père avait mangé si souvent. Ils entendaient, par ce pain, la
divine Eucharistie. Mellit leur déclara « qu'il ne pouvait leur accorder ce qu'ils demandaient, à
moins qu'ils ne fussent baptisés ». Ils regardèrent ce refus comme un outrage, et chassèrent le
Saint de sou église et de leurs Etats.
Les trois princes furent tués, après un règne de six ans, dans une bataille qu'ils livrè-
rent aux Saxons occidentaux : mais le culte des idoles ne cessa pas aussitôt dans leurs Etats ;
ce ne fut qu'en 628, selon l'auteur des annales saxonnes, que le peuple reprit la profession du
christianisme.
Saint Mellit, chassé de son église, avait passé en France; mais il revint en Angleterre quelque
temps après. En 619, il succéda à saint Laurent sur le siège de Cantorbéry. Il arrêta, par la vertu
de ses prières, un incendie qui avait déjà réduit en cendres une grande partie de cette ville. Il
mourut le 24 avril 624.
Voyez Bbde, les Fasti de le Kève, Goscelin et Capgrave.
SAINT EGBERT, PRÊTRE (729).
Egbert naquit en Angleterre, vers l'année 639, de parents nobles, et passa de bonne heure en
Irlande, qui était au vne siècle pour les Iles Britanniques l'école générale de la piété et des sciences.
Il entra au couvent 'le Rathmelsige : il y faisait provision de sciences et se formait à la vie
monastique, lorsque, en 664, le pays fut affligé de la peste. Il en fut atteint lui-même, et,
dans cet état, il fut si vivement touché de ses péchés, qu'il promit à Dieu de le servir avec
plus de fidélité qu'auparavant, s'il voulait prolonger ses jours. Non content de cela, il fit le
vœu de renoncer pour toujours à sa patrie, de réciter tous les jours le psautier, indépendamment
du bréviaire ordinaire, et de jeûner toutes les semaines une fois, pendant vingt-quatre heures, à
moins qu'il n'en fût empêché par quelque maladie. Lorsqu'il fut rétabli, il accomplit scrupuleusement
sa promesse, et observa, en outre, trois jeûnes par an, durant lesquels il ne vivait que de pain et
d'un peu de lait : c'était avant Noël, avant Pâques et après la Pentecôte. Ces pratiques lui firent
faire de grands progrès dans la perfection, et le préparèrent dignement à la prêtrise, à laquelle i]
fut élevé quelques années plus tard. Egbert se proposa de porter la lumière de la foi aux Allemands
et aux Frisons ; mais saint Boisil, prieur de Mailros, qui connaissait le besoin de son propre pays,
lui fit dire que Dieu n'exigeait pas qu'il fit de si grands voyages pour développer ses talents, et lui
conseilla de laisser à d'autres le soin de convertir les infidèles, et de se rendre aux îles d'Ecosse
et d'Irlande, afin d'y instruire les moines. Malgré ces conseils, il se disposait à partir pour l'Alle-
1. En 604. — 2. En 609. Ce monastère fut rebâti par les rois Edgar et saint Edouard le Confesseur.
MARTYROLOGES. 13
magne ; mais, quelques jours après son départ, il s'éleva une violente tempête qui , menaçant
d'engloutir le vaisseau, rappela à l'esprit du Saint les avis de Boisil, et le força de retourner et de
faire voile vers les petites îles.
Il débarqua à l'Ile de Hy ou Iona, aujourd'hui Colmkille, nom qu'elle tire de saint Colomb,
située au nord de l'Irlande, du côté de l'Ecosse. Les moines de cette île étaient alors en grande
réputation ; et ce fut celte réputation qui contribua à accréditer l'erreur selon laquelle, de même
que les quartodécimans, ils célébraient avec les Bretons et les Ecossais d'Irlande la fête de Pâques
à la quatorzième lune, erreur condamnée au concile de Nicée ; tandis que les Anglais, convertis
par Augustin et les antres missionnaires de saint Grégoire le Grand, suivaient l'usage de l'Eglise
romaine, et ne la célébraient que le dimanche suivant. Cette divergence occasionna une grande
scission dans les églises britanniques, et causa bien du scandale parmi les fidèles accoutumés à
regarder ce point de discipline comme une des bases de leur religion. L'entêtement avec lequel
ces bons moines tenaient à leur erreur les exposa à perdre les fruits de leur pénitence et le
mérite de leur parfaite obéissance. Egbert, à son arrivée parmi eux, s'attacha principalement à
les convaincre sur ce point. La douceur avec laquelle il s'y prit lui gagna bientôt toute leur con-
fiance, il leur montra la différence qui existe entre les articles essentiels de foi et les choses de
pure discipline, et les amena au point de se conformer à l'usage de Rome, à l'égard de la célé-
brafion de la fête de Pâques et de quelques autres pratiques. Ceci arriva en 716. Egbert vécut
encore treize ans, et mourut le dimanche de Pâques (c'est-à-dire le nouveau dimanche de Pâques,
pour les Irlandais), au moment où il venait de célébrer la sainte messe. Il était âgé de quatre-
vingt-dix ans. Le jour de sa mort fut le 24 avril 7i9 ; il est nommé en ce jour dans plusieurs
martyrologes : le nouveau martyrologe romain fait, en outre, l'éloge de son humilité et de son
abstinence. Les Bénédictins le placent parmi les Saints de leur Ordre, parce qu'ils croient que les
communautés qu'il forma prirent, durant sa vie ou peu de temps après sa mort, la Règle de
saint Benoit.
Tiré de Baillet, sous le 24 avril, d'après divers endroits de l'Histoire ecclésiastique du vénérable Bède,
qui vivait du temps de saint Egbert. Voyez aussi les Acta SS., t. in Aprilis, p. 313-315; Batavia Sacra,
part. 1, p. 32; Rsess et Weis, t. v, p. 311, et les Antiquités de l'Eglise anglo-saxonne, par le docteur John
Lingard, p. 52$, qui prouve que c'est à saint Egbert qu'il faut rapporter l'honneur d'avoir établi les mis-
sions en Allemagne : en effet, ce furent saint Wibert, saint Willibrod, les deux saints Edwald, et autres
disciples de saint Egbert qui répandirent la lumière de l'Evangile dans la Frise et dans le nord de la
Germanie.
XXV* JOUR D'AVRIL
MARTYROLOGE ROMAIN.
A Alexandrie, la naissance au ciel de saint Marc l'Evangéliste. Disciple et interprète de
l'apôtre Pierre, il écrivit l'Evangile à la prière des chrétiens de Rome, et avec son Evangile il se
rendit en Egypte, prêcha le premier Jésus-Christ dans la ville d'Alexandrie et y établit une église.
Ensuite, ayant été arrêté pour la foi chrétienne, il fut lié avec des cordes, et traîné violemment
sur des cailloux dont il fut grièvement blessé. Enfin, il fut resserré en prison, où les anges le
visitèrent et le fortifièrent, et Notre-Seigneur, lui apparaissant aussi, l'appela au royaume des
cieux la huitième année de l'empire de Néron. 68. — A Rome, les Litanies-majeures à Saint-Pierre ».
1. Les grandes litanies sont mentionnées dans tons les martyrologes latins; quelques-uns ajoutent
qu'elles furent instituées par saint Grégoire : ce qu! ne veut pas dire qu'il est l'auteur des litanies elles-
mêmes; mais seulement qu'il les fit célébrer en l'honneur de saint Pierre. Il existe un décret de ce Pon-
tife, relatif a la célébration annuelle des grandes litanies (Regist. liv.ii); il commence ainsi: « La solennité
de cette dévotion annuelle, mes bien-aimés Frères, nous avertit que nous devons célébrer la grande
litanie avec un cœur pieux et zélé, etc. » Le même Pape, a l'occasion de la peste qui sévissait, institua la
litanie appelée Septiforme. La constitution qu'il fit à cette occasion est datée du 27 août; elle est nien-
14 25 AVRIL.
YI8 g. — A Syracuse, les martyrs saint Evode, saint Hermogène et sainte Calliste '. — A
Antioche, saint Etienne, évêque et martyr, qui, ayant beaucoup souffert de la part des hérétique»
qui rejetaient le concile de Chalcédoine, fut précipité dans le fleuve Oronte, sous l'empereur Ze-
non. 479. — Au même lieu, les saints Philon et Agathopode, diacres 2. n» s. — A Alexandrie,
saiut Amen 3, évèque, disciple de saint Marc et son successeur dans l'épiscopat, qui se reposa dans
Notre-Seigneur, illustre par ses vertus. Vers 86. — A Lobes, la naissance au ciel de saint Erliin,
évêque et confesseur. "37.
MARTYROLOGE DE FRANCE, REVU ET AUGMENTÉ.
A Agen, le décès de saint Phébade ou Phiary, évèque. Sa fête se célèbre à Agen, le 26 avril.
— A Lyon, saint Rustique, évèque, qui fut élevé de la magistrature séculière, où il se compor-
tait saintement, à ce siège primatial, qu'il honora beaucoup par ses vertus; il a été loué par saint
Ennodius de Pavie. 500. — Dans la même ville, mémoire de la pieuse et illustre dame Syagrie,
que saint Ennodius de Pavie a appelée le Trésor de l'église de Lyon, et qui, sur l'avis de saint
Rustique, mentionné tout à l'heure, donna l'argent nécessaire pour le rachat de six mille prison-
niers italiens ». v« s. — A Metz, saint Cramace, évèque et confesseur. Vers 545 — A Liège, saint
Florebert, évèque, successeur de saint Hubert. 746. — A Auxerre, le bienheureux Héribald, évèque,
qui avait été abbé de Saint-Germain, où on l'invoquait aux litanies. 11 fut un de ceux qui écri-
virent au clergé de Paris, sur la promotion d'Enée. après la mort d'Ercanrad IL Vers 857. — A
Cluny, le bienheureux Hermann, comte de Seringahen, et très-parfait religieux. 11 avait une dévo»
tion particulière pour les saints Anges qui se plaisaient à converser familièrement avec lui ; il
composa un traité en leur honneur, mais cet ouvrage n'a pas survécu aux désastres du monastère
de Waldsasse, en Allemagne, dont il était abbé. 1222. — A Réome, dans le diocèse de Dijon,
saint Sylvestre, deuxième abbé de ce monastère. Ses reliques furent dispersées par les Calvinistes.
572. — A Cerne, le vénérable Jean de la Barrière, instituteur de la Congrégation des Feuillants,
sous l'Ordre de Citeaux et la règle de saint Benoit, inhumé à Saint-Bernard des Thermes. 1600. —
A Ouimperlé, dans la petite Bretagne, saint Guirloès ou Durlo. premier abbé du monastère de ce
nom. On voit encore son tombeau dans une chapelle basse de l'église Sainte-Croix de 'Juimperlé.
1037. — Au même lieu, mémoire de trois autres abbés, successeurs de saint Guirloès, les saints
Jean, Vital et Viiigomar ou Juugomar. Le dernier fut enterré à iNotre-Dame de Quimper. xi6 s.
— A Argentan, en Normandie, translation solennelle de saint Mansuet, dont les reliques furent
apportées des catacombes de Rome, par le P. Louis François, de l'Ordre des Capucins, et données
en 1G3S à l'église paroissiale d'Argeman, sa ville natale 6. — Aujourd'hui, procession à Notre-
Dame de Courbefosse, près de Fougeroiles, dans le diocèse de Laval. Les habit.mts de Fougerolles
ont toujours eu en Notre-Dame de Courbefosse une dévotion et une confiance entières. Ils affirment
qu'ils ne l'ont jamais priée en vain. Dans le principe, c'était un ermitage dont les deux ermites
s'unirent à l'abbaye de Saviguy en M75. Vendue à la Révolution, menacée d'être revendue à un
étranger en 1860, la chapelle fut rachetée parles cotisations des habitants de Fougerolles.
ADDITIONS FAITES D'APRÈS LES BOLLANDISTES ET AUTRES HAGIOGRAPHES.
Mémoire de saint Anien , cordonnier d'Alexandrie d'Egypte, à qui saint Mare remit un doigt
qu'il s'était coupé avec son trauchet. C'est pourquoi les métiers qui exposent aux coupures ont
tionnée par Grégoire de Tours, dans son Histoire des Francs (liv. x, en. 5), et par Paul, diacre, dans son
Histoire des Lombards (liv. m, ch. 2). Saint Grégoire n'ordonnait pas seulement des prières publiques à
Rome, mais encore dans les autres parties de l'Eglise, quand il se présentait quelque nécessité urgente.
L'usage des litanies est très-ancien dans l'Eglise ; saint Basile (ep. 63), parle des litanies qui avaient lieu
à Néocésarée des le temps de saint Grégoire le Thaumaturge, évêque de cette ville, vers le milieu du
IIIe siècle. C'était un usage très-ancien dans l'Eglise latine de faire des processions ou litanies aux tom-
beaux des Martyrs. (Voir Tertullien, liv. n, a son épouse, et saint Jérôme, ep. 22, a Eustochie.) Chaque
évêque en célébrait dans son église. Les plus célèbres de toutes sont celles que saint Mamert, évèque de
Vienne, institua vers l'an 452 : nous devrions dire qu'il les rétablit, car on pourrait montrer par des textes
de Sidoine Apollinaire (ep. ad Aprum. 14, liv. v), de saint Césaire d'Arles (homél. 33), et de saint Augus-
tin (serm. 173). qu'elles existaient déjà. — Baronius.
1. On ignore l'époque du martyre de saint Evode, de saint Hermogène et de sainte Calliste, leur sœur.
2. Les saints Philon et Agathopode paraissent être les mêmes qui accompagnèrent à Rome saint Phi-
lippe d'Antioche et en ramenèrent ses reliques. Le premier était du clergé de Tarse, et le second de celui
d'Antioche. Saint Ignace fait mention d'eux dans ses lettres aux habitants de Philadelphie, de Tarse,
d'Antioche et de Philippes.
3. La vie de saint Anien est racontée dans celle de saint Marc, passim.
4. Voir la vie de saint Epiphane de Pavie.
5. Plusieurs protestants firent leur abjuration à cette occasion, et il s'opéra un grand nombre de gué-
risons miraculeuses.
SALYT MARC l'ÉVANGÉLISTE. 15
choisi saint Marc pour leur patron. SG. — En Afrique, les saints Noble, Marcie, Hermemphe, For-
tuné, Joconde, martyrs. — Chez les Grecs, sainte Nice ou Victoire, martyre. An 303. — A Nico-
médie, saint Publius, soldat et martyr. Publitis était un favori de l'empereur Licinius. Témoin des
cruautés exercées envers un saint évèque, il jeta ses armes par un mouvement de sainte indigna-
tion. — En Irlande, saint Mackallée et saint Mackalde ou Maccull, évèques l. Ve s. — A Slepe,
dans le comté de Huctingdon, en Angleterre saint Yves, évèque persan, qui passa dans la Grande-
Bretagne où il prêcha la foi, à peu près à la même époque que saint Augustin, au vu» siècle. Ua
laboureur trouva son corps encore entier en 1001. — Chez les Grecs, huit saints anachorètes qui
furent mis à mort en haine de Jésus-Christ. Epoque incertaine. — Encore chez les Grecs, saint
Macédoine, évèque de Constantinople, qui racheta par une confession éclatante des commence-
ments peu honorables. An 516. — A Vienne, en Dauphiné, saint Clarence, évèque *. Avant l'an 625.
— A Hispelli, dans l'Ombrie, saint Fidèle. Sa vie est enveloppée d'obscurité. — A Syracuse, eu
Sicile, saint Robert, abbé. Vers le vin6 s. — A Plaisance, sainte Franque, vierge, abbesse de
l'Ordre de Citeaux 3. An 1218. — Au Mont-Alcin, en Toscane, le bienheureux Philippe ou Phi-
lippin, de l'Ordre des Frères Mineurs. Il fut un des compagnons de saint Antoine de Padoue, et
mourut à quatre-vingt-sept ans, sur la fin du xin6 s.
SAINT MARC L'EVANGELISTE
68. — Papes : Saint Pierre ; saint Lin. — Empereur : Néron.
Je suis la chaire de Marc. Ma règle divine me fat
donnée par Marc : Toujours avec Rome.
Inscription araméenne gravée sur la chaire dé
saint Marc conservée à Venise.
La fondation de l'Eglise d'Alexandrie se rattache à l'activité apostolique
de saint Pierre. Il entrait dans les desseins de la Providence que les plus
illustres sièges de la chrétienté pussent montrer à leur origine le nom de
celui que Jésus-Christ avait établi le fondement de son Eglise, le pasteur
universel des agneaux et des brebis. Dans les Actes des Apôtres, nous le
voyons à la tête de l'assemblée des fidèles à Jérusalem ; c'est lui qui orga-
nise l'Eglise d'Antioche, qu'il gouverne pendant quelques années. De la
métropole' de l'Orient il transporte sa chaire à Rome, capitale de l'Occident
1. Le premier, saint Mackallée, était évèque dans le pays de Hi-Fialgia. C'est là une ancienne déno-
mination. Hi-liaigia serait la Lagénie ou Leinster, dans le comté de Mcath. C'est des mains de saint
Mackallée que sainte Brigitte reçut le voile. D'après les Bollandistes, il mourut en 456.
Le second, saint Mackalde, était d'abord un principicule du pays qui levait ses contributions à la façon des
brigands. Les prédications de saint Patrice lui déplaisaient fort, ainsi qu'à ses gens. La mort de l'Apôtre
fut résolue dans un conseil tenu par la bande, u Voici comment il faut nous y prendre », dit nn de leurs
orateurs : « Que l'un de nous se place vivant dans une bière : nous irons au-devant de l'imposteur et le
supplierons de ressusciter le prétendu mort. Au moment où le faiseur de miracles se mettra a marmotter
ses incantations, le soi-disant mort se lèvera et ce sera le signal des coups de bâton sous lesquels nous
l'accaolerons ». Ce qui fut dit fut fait. On attendit le saint homme au passage. Mais quel ne fut pas l'é-
tonnement, l'épouvante des meurtriers, lorsqu'en découvrant leur camarade, ils trouvèrent réellement
mort celui qui auparavant était plein de vie. A ce spectacle, Mackalde et ses gens se convertirent. Comme
pénitence, saint Patrice imposa au ci-devant chef de brigands de quitter sa patrie, théâtre de tant da
crimes, et de se confier au hasard des flots, Dieu devant charger ceux-ci de le porter vers le lieu qu'il
devrait habiter. Son esquif aborda a l'île de Man, célèbre par les mystères des druides, mais déjà alors
éclairée des lumières de l'Evangile par deux saints Lvêques, sous la conduite desquels Mackalde se plaça
et auxquels il succéda dans les fonctions pastorales quand le dernier d'entre eux fut mort. Les AA. SS*
placent en 403 le commencement de l'épiscopat de saint Mackalde.
Les deux évèques qui évangélisaient l'île de Man, lorsque saint Mackalde y aborda, étaient Conindrius
et Pomulus, envoyés par saint Patrice. Mais ils y avaient été précédés par saint Germain, autre disciple
de saint Patrice, et qui a toujours été considéré comme l'apôtre de l'Ile : la cathédrale de Peel-Castle est
dédiée sous son nom. Pour en revenir a saint Mackalde. on montre encore, dans l'île de Man, une mon-
tagne où il vécut d'abord en solitaire, et qui a été appelée de son nom Saint-Alaughold. Une église port»
aussi son nom, où l'on a conservé ses reliques jusqu'à la prétendue Réforme.
2. Voir au jour suivant. — 3. Voir au 27 avril.
16 23 avril.
et du monde entier. Enfin par Marc, son interprète et son disciple, il fonde
l'Eglise d'Alexandrie. Ce sont les propres paroles d'Eusèbe : « Pierre, dit
l'historien du ive siècle, établit aussi les églises d'Egypte, avec celle d'A-
lexandrie, non pas en personne, mais par Marc, son disciple. Car lui-même
pendant ce temps s'occupait de l'Italie et des nations environnantes ; il
envoya donc Marc, son disciple, destiné à devenir le docteur et le conqué-
rant de l'Egypte • ». Voilà pourquoi les Eglises de Jérusalem, d'Antioche et
d'Alexandrie resteront les premières après l'Eglise mère et maîtresse de
toutes les autres : elles formeront comme autant de rayons de la primauté
apostolique, dont la plénitude se concentre clans le siège de Rome.
Il y a tout lieu de croire qu'avant l'arrivée de saint Marc quelques se-
mences de christianisme avaient déjà été répandues à Alexandrie. Saint Luc
cite parmi les Juifs présents à Jérusalem le jour de la Pentecôte, des habi-
tants de l'Egypte et du territoire de la Libye voisine de Cyrène 2 : en ren-
trant dans leur pays, ces hommes encore tout émus des merveilles de la
prédication apostolique , ne pouvaient manquer de rapporter ce qu'ils
avaient vu et entendu. Malgré le peu de relations qui existaient entre les
juifs de la Palestine et ceux de l'Egypte, on comprendrait difficilement que
les grands événements accomplis à Jérusalem n'eussent pas trouvé de re-
tentissement parmi ces derniers. Mais ce n'étaient là que des pierres d'at-
tente qui demandaient à être réunies et façonnées avec soin pour servir de
fondement à un édifice durable et régulier.
Saint Marc était Hébreu d'origine : son style 3, rempli d'hébraïsmes, ne
permet pas d'en douter. Le vénérable Bède 4, qui le dit d'après la tradition,
ajoute qu'il était de la race sacerdotale d'Aaron. Un ouvrage attribué à
saint Jérôme 5 le dit également. Les Juifs et les Païens d'Alexandrie l'appe-
laient le Galiléen 8 ; ce qui laisserait à entendre qu'il pouvait être de la pro-
vince de Galilée, patrie de saint Pierre, dont il fut l'interprète et le com-
pagnon.
Plusieurs auteurs anciens et modernes 7 disent que saint Marc a été du
nombre illustre des soixante-douze Disciples de Jésus, et qu'il a brillé parmi
eux par sa foi et son ardeur, comme un astre splendide parmi les innom-
brables étoiles de la milice céleste. Toutefois, cette vive lumière se serait un
instant éclipsée, d'après ce que rapporte saint Epiphane ; ce Père dit, en
effet, qu'il fut un des soixante-douze Disciples qui se scandalisèrent avec les
Capharnaïtes de ce que, dans son Discours sur l'Eucharistie, Notre-Seigneur
avait dit : Si vous ne mange: la chair du Fils de l'homme, et si vous ne buvez son
sang, vous n'aurez point la vie en vous; qu'il se retira avec beaucoup d'au-
tres ; mais que saint Pierre le convertit et le ramena à Jésus-Christ après la
Résurrection. C'est là, sans doute, une des raisons qui portèrent saint Marc
à s'attacher ensuite plus particulièrement à saint Pierre. Cet Apôtre l'ap-
pelle son fils dans sa première épître : l'Eglise qui est dans Babylone (c'est-à-
dire dans Rome), dit-il aux Eglises d'Orient, et mon fils Marc vous saluent 8.
Ce Disciple, en suivant saint Pierre dans ses voyages apostoliques, lui ser-
vait à' interprète, comme nous l'apprennent plusieurs saints Pères 9. Ils sont
1. Théophanie d'Eusbbe, ouvrage retrouvé en grande partie par le cardinal Maï, Patrum nova biblio-
theca, t. rv, p. 120.
2. Actes des Ap., n, 10. — 3. Tillemont, Godescard.— 4. Beda, in Marcum, p. 92. — 5. S. Hieron., in
Marc, pr., p. 87. — 6. Acta S. Marci, n. 5, ap. Boll. 25 apr., p. 348.
7. Tillem.; Dom Calmet, Dict. biblique, art. Disciples; Baronius, anno 33, n. 13, Annal. Dans la Chro-
nique d'Alexandrie, p. 62, saint Marc est le cinquante-huitième disciple d'entre les septante-deux.
8. 1 Petr., v, 13; Orig. S. Jérôm.
9. S. Papias, ap. Euseb., 1. m, c. 39; S. Irénée, 1. m, c. 11; Tertull., adv. Marcion., 1. iv, c. *;
S. Jérôm., de viris ill., c. 8, et in chronic; Till., Godesc.
SAINT MARC L'eVANGÉLISTE. 17
néanmoins partagés sur ce titre d 'interprète. Selon les uns. on doit entendre
par là qu'il donnait la l'orme et le style aux épîtres de l'Apôtre. Selon les
autres, cette fonction consistait à rendre en grec ou en latin ce que saint
Pierre disait en sa propre langue. Ou bien encore elle consistait à expliquer
en particulier aux croyants ce que saint Pierre avait enseigné à tous d'une
manière générale, qui demandait différentes explications et interprétations.
C'est, du moins, ce que font entendre les Actes de son apostolat d'A-
quilée, où l'on voit que les disciples et les auditeurs de saint Pierre viennent
trouver saint Marc pour cet effet, comme pour un autre motif dont nous
parlerons ci-après.
Lorsque saint Pierre, délivré de la prison d'Hérode, vers l'an 42, se ren-
dit à Rome, saint Marc l'y accompagna. Il travailla avec le Prince des Apô-
tres à semer la bonne semence de la parole de vérité dans une cité qui,
jusqu'alors, avait été la citadelle de l'erreur. Une immense multitude de
fidèles ne pouvait se rassasier d'entendre la parole de vie ; elle accourait
pour entendre saint Pierre, dont la doctrine inondait de lumière toutes les
intelligences. Il ne lui avait pas suffi de l'entendre avec avidité ; elle vint
trouver son disciple Marc *, qu'elle pria avec instance de lui exposer de
nouveau la prédication de son maître, et de la lui transcrire, même par
écrit, afin qu'elle pût ainsi en faire le perpétuel objet de ses méditations du
jour et de la nuit. Des vœux si justes furent entendus.
Sur ces entrefaites, saint Pierre envoya saint Marc prêcher l'Evangile à
Aquilée, ville alors très-considérable et très-célèbre. Le Disciple s'acquitta
avec un grand zèle et avec un grand succès de son apostolat ; une multitude
innombrable embrassa la foi, et forma dès lors une Eglise très-remarquable
par sa science religieuse comme par la fermeté de sa foi. Ce fut là, comme
il est rapporté dans ses Actes, que, voyant l'heureuse avidité des croyants â
pour la parole de Dieu, il acheva ou transcrivit la rédaction de son Evangile,
où il donna en abrégé les faits contenus dans l'Evangile de saint Matthieu,
mais en y ajoutant quelquefois des choses très-importantes. On dit que
l'amour que témoignait saint Pierre pour le silence, lui avait appris cette
concision et cette brièveté. Selon saint Irénée, Eusèbe et Origène, il mit
par écrit les choses que saint Pierre avait coutume de prêcher ; ce que les
Romains l'avaient prié de rédiger pour leur usage. C'est pour cela que, selon
la remarque de saint Chrysostome, il ne rapporte point ce que le Sauveur
dit à l'avantage du Prince des Apôtres, lorsqu'il l'eut reconnu solennelle-
ment pour le Christ et le Fils de Dieu : il ne parle point de la circonstance
où il marcha sur les eaux. Mais il raconte son renoncement avec beaucoup
d'étendue et de détails. Par humilité, le saint Apôtre supprimait dans sa
prédication tout ce qui lui était avantageux et honorable. Il publiait avec
les sentiments de la plus vive componction le crime qu'il avait commis en
renonçant son divin Maître. Il rapporte aussi des traits dont saint Matthieu
n'avait point parlé, comme l'éloge de cette pauvre veuve qui mit deux pe-
tites pièces de monnaie dans le tronc dutemple, et l'apparition de Jésus aux
deux Disciples qui allaient à Emmaus.
Eusèbe 3 et saint Jérôme * disent que saint Pierre apprit par la révélation
de l'Esprit de Dieu, que saint Marc avait écrit son Evangile, et fut comblé
de joie de voir le zèle que les chrétiens avaient témoigné pour la parole de
vérité. Il approuva cet ouvrage, et, par son autorité, en établit l'usage dans
1. Euseb., 1. h, c. 15 ; S. JéVôm., de viris ill., c. 8 ; S. Clem. Alex., v. 565.
2. Dandolo, in chron. ap. Boll., p. 347.
S. Euseb., 1. h, c. 15. — 4. S. Hier., de vir. ill., c. 8.
Vies des Saints. — Tome V. «>
18 25 AVRIL.
l'Eglise. C'est pour cette raison, dit Baronius, que quelques-uns le lui ont
attribué, comme nous le voyons dans Tertullien l et dans saint Jérôme8;
ou plutôt, selon que l'observe Tertullien même, c'est parce que ce qui est
mis au jour parles Disciples, s'attribue aisément au Maître. On lit même
dans un ouvrage qui porte le nom de saint Athanase, que ce livre ne con-
tient que les paroles de saint Pierre. — Cet Evangile a été généralement
reçu et reconnu comme authentique dans toute l'Eglise catholique, et même
communément parmi les sociétés hérétiques.
L'antique siège patriarcal d'Aquilée a toujours été très-illustre dans l'E-
glise, et considéré comme l'un des plus puissants, des plus étendus et des
plus élevés en dignité, comme remontant aux temps apostoliques, et comme
ayant été fondé par l'Evangéliste saint Marc 3.
André Dandolo, duc de Venise, dans ses Chroniques *, assure que saint
Marc, arrivant dans un des faubourgs d'Aquilée, appelé Murétana, où dans
la suite on construisit une église en mémoire de cet événement, annonça
au peuple la parole de Dieu, la confirma par des prodiges et convertit
ainsi une foule innombrable d'habitants. On en cite un entre plusieurs au-
tres. Un jeune homme nommé Arnulphe, fils d'Ulphus, était couvert de la
lèpre, et demeurait retiré dans le faubourg d'Aquilée ; saint Marc le guérit
et le rétablit dans une parfaite santé. A la vue de ce prodige, Ulphus se
convertit et reçut le baptême avec toute sa famille.
Les Actes cités plus haut rapportent que la ville d'Aquilée se montra si
heureuse et si flattée d'avoir été honorée de la visite et de la prédication
d'un tel Apôtre du Fils de Dieu, qu'elle lui construisit une chaire d'ivoire,
où il siégea durant quelque temps, et particulièrement durant celui où il
écrivait son Evangile. Cette chaire, où aucun des Pontifes, ses successeurs,
n'a osé s'asseoir depuis, a été conservée jusqu'à nos jours, et se montre en-
core aujourd'hui en Italie.
Parmi les fidèles d'Aquilée, il s'en trouva un, nommé Hermagoras, qui,
en peu de temps, parvint à une si grande perfection, que le saint Evangé-
liste, éclairé du Saint-Esprit, prévit aussitôt qu'il serait digne d'occuper le
sommet du sacerdoce. Il le prit pour l'accompagner lor» de son retour à
Rome. Il l'amena ensuite en présence du bienheureux Pierre, prince des
Apôtres. Le premier pasteur de l'Eglise le revêtit du caractère et du pouvoir
sacerdotal, l'élevaàla dignité pontificale et lui confia le gouvernement de
l'Eglise d'Aquilée. Ce fut dans cette ville qu'il reçut la couronne du martyre,
le 12 juillet, avec Fortunatus, son diacre, et qu'il alla jouir auprès de Jé-
sus-Christ, le Prince des Pasteurs, de l'éternelle béatitude du royaume
céleste.
Lorsque saint Marc eut accompli en Italie l'objet de son voyage, il reçut
du Prince des Apôtres le commandement d'aller prêcher en Afrique, et de
là à Alexandrie, capitale de l'Egypte et du Midi, afin d'y ériger une église
principale au nom du Chef de la chrétienté. C'est ce qu'attestent les Actes
de saint Marc, les décrets du papeGélase, de même que toute la tradition
de l'antiquité 5.
Le saint Evangéliste débarqua vers Cyrène, dans la Pentapole. Il annonça
1. Tertull., ado. Marcion., 1. iv, c. 5. — 2. S. Hier., ibid., c. 2.
3. Ughel., t. v, Italix Sacrx; Palladius, de Olivis, 1. v; Thon»., archid. Spalst.. Eist. Spalat., c. 3.
4. Chron., 1. iv, c. 1; et Ordéricus Vitalis, Eist. ecclésiast., 1. Il, c. 20, p. 18?, éd. Migne.
5. Actus Apost. Alex.; Gelasius, in décret, de lib. apoc.; F.useb., Epipli., Hiw., Eutych., t. r, p. 323;
Beda, S. Petrus, episc. Alex.; Sulp. Severus; Elmacin, Abu'.phanige, Enassal el p usieurs autres auteurs
orientaux, tant chrétiens que musulmans; Hist. P. C. Alexandrinorum.
SAINT MARC l'ÉVANGÉLISTE. 19
l'avénement du Christ et son Evangile dans ces vastes régions africaines,
dans la Libye, dans la Marraarique (aujourd'hui royaume de Barca), dans le
pays des Ammonites, dans la Thébaïde, dans la Cyrénaïque, dans la Nubie,
une partie de l'Ethiopie, dans toute l'Egypte, et dans les régions voisines et
limitrophes l. Il y avait apporté son Evangile, il convertit une multitude
innombrable de païens ; ces misérables esclaves des idoles, ou plutôt des
démons, se livraient dans leurs temples profanes à toutes sortes de péchés,
d'impuretés, d'abominations. La puissance ennemie que Notre-Seigneur
Jésus-Christ est venu combattre et détruire à son avènement sur la terre,
les portait à manger des viandes immolées aux idoles, et à commettre toute
espèce de crimes. Saint Marc, arrivant au milieu d'eux, et armé de la divine
parole, guérissait les malades et les infirmes, rendait nets les lépreux,
chassait un grand nombre d'esprits malins. Le spectacle de tant de miracles
que la grâce de Jésus-Christ Notre-Seigneur opérait par son Apôtre, porta
les Africains à croire au Fils de Dieu. En conséquence, ils détruisirent leurs
temples d'idoles. La hache à la main, ils abattirent leurs bois sacrés, et,
ayant ainsi donné une preuve éclatante de leur conversion au vrai Dieu, ils
furent baptisés au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit.
Dès lors, l'Evangile de ce saint disciple de Jésus-Christ se répandit dans
les provinces africaines de Tripoli, de Cyrène, de la Pentapole, de la Thé-
baïde et de l'Egypte, pays alors florissants par le commerce, l'industrie, la
fertilité du sol, par la science et la civilisation romaine. Ces pays continuè-
rent de jouir des bienfaits du Christianisme pendant sept à huit siècles d'in-
violable attachement à la foi du Christ. Enfin ils retombèrent dans la bar-
barie après que l'hérésie et le paganisme eurent repris la domination dans
ces immenses contrées. Aujourd'hui que la foi y est éteinte, on n'y voit
partout que des amas de montagnes nues et abandonnées, que des vallées
stériles et presque désertes. — Manifestement, la vie s'en est retirée avec le
Christianisme.
Après avoir prêché, pendant environ douze ans, dans les diverses parties
de la Libye, dans les régions Pentapolitaines, dans la Marmarique et dans
l'Ammoniaque, il résolut de porter le flambeau de l'Evangile dans la Thé-
baïde et dans l'Egypte 2, selon la révélation qu'il en avait eue du Saint-
Esprit. Semblable à un intrépide athlète, le bienheureux Evangéliste saint
Marc se mit donc en marche avec une grande promptitude pour aller livrer
de nouveaux combats aux dieux du paganisme. Il fit ses adieux aux fidèles
de l'Afrique, et leur dit : — Le Seigneur m'a parlé, et m'a donné le com-
mandement de partir pour Alexandrie. Les fidèles le conduisirent jusqu'au
vaisseau, et, après avoir mangé avec lui le pain (eucharistique), ils le quit-
tèrent, en lui disant : — Que le Seigneur Jésus-Christ rende heureux votre
voyage ! Le saint Evangéliste pria Dieu de conserver ses frères et de les
fortifier dans la foi jusqu'à ce qu'il revînt les visiter. Puis il partit pour
Alexandrie, où il arriva en deux jours, dans la septième année de l'empire
de Néron (commencé l'an 60 au mois d'octobre) 3. Descendu du vais-
seau, il arriva dans un lieu nommé Bennide, à l'entrée de la ville. Au moment
où il y entra, son soulier se rompit. A cette vue, le Saint, éclairé d'en haut,
1. Ibid. et S. Petr. Alex.; Ordericus Vitalis, Eist. eccl., 1. h, c. 20.
2. Eutychius; Acta S. Marci; Bède, 25 apr.; Tillem.; S. Jérôm., de vins ill., c. 8; Chronlcon Orien-
tale, ab Ecchellertsi oersum; Boll., 25 apr.; Ordericus Vitalis, loc. cit.; Dom Ceillier, dans son Histoire des
auteurs ecclésiastiques, t. ier, p. 492, et la plupart des écrivains qui se sont occupés des Actes de S. Mare,
font observer qu'on ne peut douter de leur antiquité, et qu'ils contiennent plusieurs faits véritables de la
vie de snint Marc, consignés dans la tradition de l'église d'Alexandrie.
S. Ghron. Orient, ibid. Tillemont.
20 25 AVRIL.
dit : — Ma marche sera désormais plus libre. Il aperçut à l'instant un
homme, qui s'occupait du métier de cordonnier ; il lui donna sa chaussure
à raccommoder. Pendant que ce dernier s'occupait de cet ouvrage, il se fit
une large blessure à la main et s'écria de douleur : — Unus Deus ! Ha, mon
Dieu ! (Car toute la corruption de l'idolâtrie n'a jamais pu empêcher que, dans
les occasions imprévues où l'on voit mieux paraître les mouvements natu-
rels, l'âme des païens même ne parût chrétienne, dit Tertullien, en recon-
naissant un seul Dieu, et en ne s'adressant qu'à lui seul.) Aussi cette parole
donna-t-elle de la joie à saint Marc, et lui fit-elle espérer que Dieu l'assis-
terait en cette rencontre. — En effet, dit-il, Dieu a rendu heureux mon
voyage. Puis s'adressant à Anianus, le cordonnier, il lui parla de ce Dieu
unique qu'il avait invoqué, ainsi que de Jésus-Christ, par le pouvoir
de qui il lui fit espérer de le guérir. En même temps il fit un peu de
boue avec sa salive, en mit sur la plaie, et invoqua le nom du Sauveur,
en disant : — Au nom de Jésus-Christ, fils de Dieu, que votre main reçoive
la guérison.
Et au même instant la main d' Anianus fut guérie. Le cordonnier, frappé
à la vue du pouvoir de cet homme, et de la prodigieuse efficacité de sa pa-
role, considérant d'ailleurs l'extérieur mortifié du Saint, lui dit : — Je vous
conjure, ô homme de Dieu, de daigner descendre dans la maison de votre
serviteur, pour y prendre votre réfection ; car aujourd'hui vous m'avez fait
éprouver les effets de votre bonté. Le visage du bienheureux Marc parut
joyeux : — Que le Seigneur, lui dit-il, vous donne le pain de vie descendu
du ciel ! En même temps Anianus l'obligea avec une double violence d'en-
trer chez lui.
Lorsque saint Marc entra dans la maison, il dit : — Que la bénédiction
du Seigneur soit ici ! Prions, mes frères. Tous ceux qui l'accompagnaient
se mirent alors en prières. Après qu'ils eurent rendu grâces au Seigneur,
Anianus dit à l'Apôtre : — Je désire connaître d'où vous êtes, et de qui vient
cette puissante parole de vie dont vous nous avez parlé. Marc lui répondit :
— Je suis le serviteur du Seigneur Jésus-Christ, le fils de Dieu. — Je serais
très-désireux de le voir, reprit l'homme d'Alexandrie. — Je vous le ferai
voir, repartit saint Marc. 11 commença aussitôt à lui faire connaître l'Evan-
gile de Jésus-Christ, et à lui montrer comment les oracles des Prophètes
s'étaient accomplis en Jésus. — Quant à moi, reprit l'hôte d'Alexandrie, je
n'ai jamais entendu parler des Ecritures dont vous nous entretenez ; je ne
connais que l'Iliade et l'Odyssée : ces deux poëmes tiennent lieu de toute
science aux yeux des Egyptiens. Alors saint Marc commença à lui annoncer
clairement Jésus-Christ et à lui montrer, de même, que toute cette science,
que toute cette philosophie (homérique et profane) n'est que folie aux yeux
de Dieu.
Après avoir écouté attentivement la doctrine du bienheureux Marc et
avoir considéré les signes miraculeux et les éclatants prodiges qu'il opérait,
l'homme d Alexandrie crut en Dieu, et fut baptisé avec toute sa famille et
avec une grande foule de personnes du même endroit (de la ville).
Dans tout l'univers, il n'y avait point de pays plus livré que l'Egypte
aux superstitions du paganisme. Dans toute l'antiquité, l'Egypte avait été
le siège de l'empire de Satan, le principal centre du culte idolàtrique. Mais
les temps de bénédiction prédits par les prophètes étaient eniin arrivés ; et
saint Marc fut l'instrument dont Dieu se servit pour vérifier les prédictions
de ses serviteurs. En peu de temps, il forma à Alexandrie une Eglise très-
nombreuse ; et bientôt le nombre des chrétiens s'y multiplia d'une manière
SAINT MARC L' EVANGÉLISTE. 21
prodigieuse. Et saint Marc, comme le rapporte Eusèbe1, établit plusieurs
églises dans Alexandrie, c'est-à-dire qu'il divisa la ville en cantons ou en
paroisses, suivant notre manière de parler : ordonnant que les chrétiens de
chaque canton s'assembleraient en un lieu déterminé, sous la direction
d'un prêtre qui en serait chargé, pour y recevoir les sacrements et y enten-
dre la parole de Dieu. Cette distribution des paroisses d'Alexandrie s'était
conservée et s'observait au commencement du ive siècle, comme le rapporte
saint Epiphane 2. Dans la plupart des autres villes, tout le peuple se réunis-
sait en un même lieu, sous la présidence de l'évêque3.
Les progrès du Christianisme dans Alexandrie, dans les villes voisines et
dans toute l'Egypte furent si étonnants ; le nombre des Egyptiens et des
Africains convertis fut si considérable, du temps même de saint Marc, que
l'on peut dire que ce saint Evangéliste accomplit littéralement et presque
complètement les anciens oracles des Prophètes, qui avaient annoncé la
conversion au Messie de ces riches et florissantes contrées *.
Mais les puissances infernales ne supportèrent pas le spectacle de la des-
truction de leur règne en Egypte, sans opposer la plus vive résistance à
celui qui brisait si puissamment leurs forces. Elles excitèrent les âmes de
ceux qui, dans Alexandrie, restèrent attachés à leurs idoles : elles les soule-
vèrent tumultueusement contre l'homme de Dieu. « Les païens de la ville »,
est-il écrit dans les Actes de saint Marc, « à la vue de la multitude de ceux
qui croyaient au vrai Dieu, éclatèrent en murmures contre ce Galiléen qui
était venu à Alexandrie pour ruiner les sacrifices des dieux, pour empêcher
leurs cérémonies et leurs solennités. Ils cherchèrent donc l'occasion et le
moyen de le mettre à mort, et ils lui tendirent quantité de pièges.
Or, le bienheureux Marc, connaissant le dessein de ces païens, crut devoir
se retirer pour un temps. Avant son départ, il ordonna pour évêque d'Alexan-
drie saint Anien, et avec lui trois prêtres, savoir : Melius, Sabinus et Cerdon,
et sept diacres, puis onze autres prêtres pour demeurer avec le patriarche
Anien : de ce nombre on devait prendre un jour celui qui succéderait au
patriarche décédé.
Cela accompli, le saint Evangéliste reprit le chemin de la Pentapole, et
arriva, ajoute Eutychius, à Barca, ville principale de cette province afri-
caine. D'après Eusèbe 5, c'était la huitième année de Néron, et la soixante-
deuxième de Jésus-Christ. Saint Marc demeura encore deux ans dans la
Pentapole ; il y confirma les fidèles qu'il y avait laissés avant d'aller en
Egypte, et il établit des évêques et d'autres ministres dans ces divers pays
d'Afrique. Puis il revint en Egypte.
1. Euseb., 1. n, c. 18. — 2. S. Epiph., i.xix, c. 1.
8. Un grand nombre d'auteurs, après saint Jérôme et Eusèbe, veulent que les Thérapeutes ou moines
Juifs, dont l'historien Philon a décrit la manière de vivre, assez semblable à celle de nos ascètes, fussent
des chrétiens que la parole de suint Marc avait poussés a embrasser la perfection évangélique. MgrFreppel,
dans son Cours d'éloquence sacrée (Clément d'Alexandrie, 2« leçon), démontre que l'ouvrage de Philon
date de sa jeunesse et non de sa vieillesse. Or, lorsque Philon était jeune, le christianisme n'avait pas
encore été prêché à Alexandrie et dans l'Egypte. Philon, né trente ans avant Jésus-Christ, aurait eu
quatre-vingt-dix ans lorsque saint Marc arriva a Alexandrie, vers l'an 60. Or, dès l'année 40, il avait été
envoyé en ambassade auprès de Caligula, pour demander à ce prince sa protection contre les mauvais
traitements dont les juifs étaient l'objet de la part des païens. Il est à supposer que l'ouvTage qu'il avait
composé pour dédire les mœurs pures et la vie contemplative des Thérapeutes ou serviteurs de Dieu,
flgu: ait dans son bagage d'apologiste de la nation et de la religion juive. • S'il m'est impossible n, continue
Mgr Freppel, « de voir des chrétiens dans les Thérapeutes de Philon, je me hâte d'ajouter que le christia-
nisme devait trouver un accès facile auprès d'une classe d'hommes animés de pareilles dispositions *. Ces
bonnes dispositions expliquent en partie le succès prodigieux de la mission de saint Marc.
A. Cf. Isaïe, xix, 18 et suiv.; xi/v, 14 j xlvi, 18.
6. Ordericus Vitalis, Hist. eccl., 1. il, c. 30, p. 182, éd. Migne.
22 25 avril.
A sa rentrée 1 dans Alexandrie, le saint Evangéliste eut la joie de trouver
les fidèles augmentés en foi et en grâce, de même qu'en nombre. Ils avaient
construit une église ou lieu d'assemblée dans un endroit appelé Bucoles,
situé près du rivage de la mer. Ravi de joie à la vue des grands progrès du
Christianisme, il se mit à genoux, et rendit gloire à Dieu. Il encouragea les
chrétiens à persévérer ; il pria pour eux, puis il se retira. L'auteur de la
Chronique Orientale * dit qu'il partit pour Rome, et qu'il y fut présent au
martyre de saint Pierre et de saint Paul.
Il revint de Rome en Egypte et à Alexandrie, où il vit que les églises
se multipliaient de plus en plus et devenaient tous les jours plus floris-
sants.
Mais les païens3 ne pouvaient plus souffrir les grands miracles que Dieu
opérait par lui, ni supporter plus longtemps les railleries que les chrétiens
leur faisaient au sujet de leurs idoles, devenues alors manifestement impuis-
santes devant la vertu miraculeuse du saint Apôtre. Saint Marc chassait ces
fausses divinités des lieux où elles avaient été adorées depuis si longtemps :
il rendait l'ouïe aux sourds, la vue aux aveugles, la santé aux malades. A la
vue de tant de prodiges, les Gentils crièrent que c'était un magicien. Ils
cherchaient à se saisir de sa personne, sans pouvoir trouver le moyen d'exé-
cuter leur désir. Aussi frémissaient-ils d'envie et de rage ; et au milieu de
leurs spectacles publics, des festins et des fêtes de leurs idoles, ils s'é-
criaient : — Qu'elle est grande la puissance de cet homme 4! Dieu voulut
qu'ils ne pussent le découvrir, et que son serviteur administrât encore cette
église durant quelque temps. Mais son heure était enfin arrivée. C'est pour-
quoi un jour de dimanche, où les chrétiens célébraient leur grande fête de
Pâques, et les païens la fête de leur dieu Sérapis, le vingtième jour du mois
Pharmuthi, le huitième d'avant les calendes de mai, c'est-à-dire le 2-4 avril
de l'an G8, les païens se réunirent et envoyèrent quelques gens pour s'em-
parer de la personne de l'Apôtre : ces hommes le trouvèrent au moment
même où il célébrait la prière de l'oblation et du sacrifice. Ils se saisirent
de lui, lui mirent une corde au cou, et le traînèrent en criant : — Traînons
ce buffle à Bucoles ! (C'était un lieu plein de roches et de précipices, situé
sur le littoral et destiné pour nourrir des bœufs.)
Pendant qu'on le traînait ainsi depuis le matin jusqu'au soir, et que l'on
couvrait la terre et les pierres de son sang, et des morceaux de chair qui
s'arrachaient de son corps, saint Marc bénissait Dieu, et lui rendait des
actions de grâces de ce qu'il l'avait jugé digne de souffrir pour son saint
nom. Lorsque le soir fut arrivé, ils le mirent dans une prison, en attendant
qu'il eussent délibéré et arrêté le genre de mort qu'ils lui feraient subir.
Vers le milieu de la nuit, les portes étant fermées, et les gardes étant
endormis devant les portes de la prison, il se fit un grand tremblement de
terre. L'ange du Seigneur venait de descendre du ciel. Il toucha saint Marc,
en lui disant : — Marc, serviteur de Dieu et chef des ministres du Christ,
qui font connaître à l'Egypte les très-saints décrets de Dieu, votre nom est
consigné dans le ciel au livre de vie, et votre mémoire ne périra jamais
dans ce monde. Vous êtes associé aux puissances célestes, elles vont con-
duire votre âme dans les cieux, où vous entrerez en participation du repos
éternel et de la lumière impérissable du royaume de Dieu.
Cette vision consola le bienheureux Marc. Il éleva ses mains vers le ciel
1. Acta B. Marci, apud Boll., ibid., p. 34S; Eutj-ch., p. 335; Pears, in Ign., t. ier, p. 179; Tillero.,
t. 11, p. 104.
2. Clnon. Orient., p. 110. — 8. Ibid. — 4. Magna vishujus viri!
SAINT MARC t'ÉVANGÉLISTE. 23
et dit : — Je vous rends grâces, Seigneur Jésus- Christ, de ce que vous ne
m'avez point abandonné et de ce que vous m'avez compté au nombre de
vos Saints. Je vous conjure, ô Seigneur Jésus-Christ, recevez mon âme dans
votre paix, et ne permettez pas que je sois jamais séparé de vous, ô Sauveur
plein de grâce et de miséricorde.
Quand il eut fini cette prière, le Seigneur Jésus-Christ se présenta à lui
dans la même forme et avec le même extérieur qu'il avait durant sa vie
mortelle, lorsqu'il était avec ses disciples, avant sa Passion. Saint Marc, qui
était du nombre de ses soixante-douze premiers disciples, le reconnut aus-
sitôt. Le Seigneur lui dit : — La paix soit avec vous, Mar", notre Evangé-
liste ! — Mon Seigneur Jésus-Christ ! répondit le Martyr. L Jésus disparut.
Le lendemain matin, les païens se rassemblèrent, le tirèrent de la prison,
lui mirent une seconde fois une corde au cou , et le traînèrent comme le
jour précédent, en disant : — Traînez le buffle à Bucoles ! Saint Marc, pen-
dant qu'on le traînait de la sorte, remerciait Dieu, et en môme temps
implorait sa grande miséricorde : — Seigneur, disait-il, je remets mon
esprit entre vos mains. Et en prononçant ces paroles, le bienheureux Evan-
géliste rendit l'esprit.
Il consomma son martyre le vingt-cinquième jour d'avril de l'an 68 de
Notre-Seigneur Jésus-Christ. C'est en ce jour que l'Eglise latine et l'Eglise
grecque, de même que les Egyptiens et les Syriens, célèbrent sa fête.
Tout le monde sait que l'attribut principal de saint Marc est le lion,
parce qu'il commence son Evangile par le récit de la prédication de saint
Jean dans le désert. Le plus souvent, ce lion est ailé, parce que dans le lan-
gage de l'Ecriture et la pensée de la liturgie, les animaux ne sont que des
symboles mystiques, incorporels. En sa qualité d'écrivain inspiré autant
que de secrétaire de saint Pierre, on place une plume dans la main de saint
Marc et un livre devant lui. Cette qualité de secrétaire de saint Pierre l'a
fait choisir pour patron par les notaires et les greffiers. Les verriers et
vitriers ont fait le môme choix, probablement parce que l'industrie du verre
a surtout fleuri à Venise et dans ses possessions. Or, chacun sait que Venise
était placée sous la protection de cet Evangéliste, et qu'aujourd'hui encore
on dit pour désigner un beau morceau de verre : glace de Venise.
On l'invoque contre Yimpénilence finale et la gale. Le miracle opéré par
saint Marc sur saint Ànien pourrait aussi expliquer pourquoi les professions
qui exposent aux coupures ont choisi l'Evangéliste pour patron.
RELIQUES DE SAINT MARC ; — SON ÉVANGILE ; — SES SUCCESSEURS.
Les païens ne furent pas satisfaits après lui avoir ôté la vie. Ils entreprirent, de plus, de
brûler son corps en un lieu appelé les Messagers, ou les Anges l. Ils le traînèrent donc île Bu-
coles jusqu'à cet eûdroit. Mais, par un merveilleux effet de la Providence de Dieu et de notre
Sauveur Jésus-Christ, il s'éleva 2 un vent violent, suivi d'une grande tempête, qui déroba aux
hommes la lumière du soleil, lit éclater la foudre, et fondre sur le lieu de tels torrents de pluie,
que plusieurs habitations s'écroulèrent et que plusieurs personnes périrent dans l'inondation. Saisis
de crainte, ceux qui gardaient le corps sacré l'abandonnèrent alors et prirent la fuite. D'autres
tournèrent la ebose en dérision et dirent : « Notre dieu Sérapis, au jour de sa fête, a voulu voir
cet homme ».
Alors des hommes religieux recueillirent le corps inanimé du Juste, et le transportèrent au lieu
appelé Bucoles, où ils avaient accoutumé de s'assembler pour prier avec lui, et l'enterrèrent en
1. Ad Angelos.
2. Chron. Orient., p. 110; Boll., 25 apr.; Chron. Alex., p. 594; Combefis, Act., p. 212; Acta S. Pétri
Alex.. OHericus Vitalis, toc. cit.
94 25 AVRIL.
cet endroit, du cité de l'Orient, dans un lieu creusé dans le roc, près d'une vallée où il y avait
plusieurs tombeaux. Il est marqué qu'ils l'y ensevelirent avec les cérémonies du pays, en y joi-
gnant la prière et les autres honneurs funèbres.
Le corps de saint Marc était encore conservé et vénéré à Alexandrie » au vin6 siècle, quoique
la ville fût alors sous la domination des Mahométans. Il y reposait dans la terre sous un tombeau
de marbre, devant l'autel d'une église qu'on trouvait à droite en entrant dans la ville du côté de
la terre, hors de la porte Orientale 2. Il y avait là un monastère, qui subsistait encore avec l'é-
glise en 870. Vers l'an 815, sous l'empire de Léon l'Arménien 3, le corps du Saint en fut enlevé
et transporté à Veii'se. Les Bollandistes nous donnent une histoire de cette translation. On y voit
plusieurs miracles opérés par la puissance de la médiation de saint Marc, les matelots délivrés
d'un naufrage, le corps sacré lançant du milieu du navire des rayons de lumière et se manifestant
ainsi à ceux qui ignoraient le secret de l'équipage, les incrédules punis et les possédés soustraits
lux atteintes des esprits malins.
Le cardinal Baronius , après avoir rapporté la relation de la translation du corps de saint
Marc, ajoute que les Vénitiens l'avaient placé dans un endroit tout à fait secret, afin que les Français,
ou d'autres peuples, ne vinssent point l'enlever de leur ville.
Depuis 1837, il repose sous le maitre-autel de l'église qui porte son nom et qui est la principale
de Venise. Cette ville a choisi saint Marc pour son principal patron; elle a dans ses armes un.
lion avec ces mots : Pax tibi, Marce, Evangelista mil c'est-à-dire, Marc, mon Evangéliste, que la
paix soit avec toi!
On croit généralement que saint Marc a écrit son Evangile en grec. On en conserve, dans le
trésor de la basilique de Saint-Marc, à Venise, une traduction latine, manuscrit très-ancien et
devenu complètement inutile, tant il est détérioré.
On agite une foule de questions touchant ce manuscrit. Est-ce l'original de saint Marc ? Est-il
en grec ou en latin? etc. Au lieu de les résoudre avec Mabillon, Montfaucon, Scipion Maffeî,
nous avons cru plus expéditif de nous adresser directement au conservateur du trésor de saint
Marc. Voici la traduction française de sa réponse écrite en italien :
Renseignements exacts sur l'exemplaire de l'Evangile de saint Marc, consei~vé dans le trésor
de la basilique Saint-Marc, à Venise.
Cet exemplaire existe réellement, et comprend les cinq premiers cahiers de l'Evangile de saint
Marc ; les deux derniers, détachés de cet exemplaire, sont gardés dans la cathédrale de Saint-Vito,
à Prague.
C'est par erreur qu'on croit cet exemplaire écrit de la main de l'évangéliste saint Marc; il n'est
qu'une copie que l'on estime être du vie siècle.
Il est écrit en latin et en lettres onciales.
Il est tellement détérioré par l'humidité, que le papier membraneux sur lequel il est écrit, est
réduit en une espèce de pâte : un seul feuillet, moins endommagé, est conservé entre deux verres.
On n'aperçoit plus que de légères traces d'écritures.
Les premiers renseignements que l'on a sur cet exemplaire remontent à 615. A cette époque,
il était gardé dans le monastère de Saint-Jean de Timave, en Frioul. On sait que plus tard, en
1085, il était dans le monastère de Bélinèse, et qu'à la fin du xin8 siècle, ou au commencement
du xive, il passa à la cathédrale d'Aquilée.
Il faisait partie d'un volume qui renfermait les quatre Evangélistes. Charles IV, empereur,
venu en Italie, eu demanda une portion : on lui fit don, le 3 novembre 1357, des deux derniers
cahiers contenant la fin de l'Evangile de saint Marc. Les cinq autres cahiers, contenant le reste
de ce même Evangile, ont été transportés à Venise, en 1420, de Cividale, où ils étaient depuis
deux ans.
Aujourd'hui donc, la portion de ce volume qui comprend les Evangiles de saint Matthieu, de
saint Luc et de saint Jean, se conserve à Cividale, ville de Frioul; ce qui reste des cinq premiers
cahiers de l'Evangile de saint Marc est à Venise, et Prague possède les deux derniers.
Outre son Evangile et la part qu'il peut avoir eue à la première Epitre de saint Pierre, les
Syriens disent * que c'est saint Marc qui a traduit le Nouveau Testament en leur langue. Nous
avons aussi sous son nom une liturgie dont se servent encore aujourd'hui les Egyptiens. Elle est
intitulée : La Divine liturgie, ou Messe du saint Apôtre et Evangéliste Marc, disciple de
saint Pierre. Elle commence par ces mots : « Nous vous rendons grâces, ô Seigneur, notre Dieu ».
Elle respire une grande piété, une foi vive, et un sentiment profond de la présence de Dieu.
Elle rappelle plusieurs des grands faits du Nouveau Testament, les miracles des Apôtres et la plu-
part de nos dogmes catholiques. En voici un passage :
« Seigneur Jésus-Christ, notre Dieu, qui avez choisi les douze Apôtres, et qui les avez en-
1. BoU. 25 apr., p. 853. et Bed. (an. 815). — 2. Mabil., de Bened., t. in. — 3. Baron., 820, n. 23, 50.
4. Corn, à Lap., in Matth.., p. 41.
SAINT PHÉBADE. ÉVÊQUE D'AGEN. ^5
toyés comme douze astres dans l'univers, pour éclairer les hommes, pour prêcher et enseigner
l'Evangile de votre royaume, pour guérir parmi les peuples toutes les maladies et toutes les in-
firmités; qui avez soufflé sur eux en leur disant : « Recevez le Saint-Esprit consolateur. A qui-
conque vous remettrez les péchés, les péchés seront remis... »; soufflez ainsi sur nous, vos servi-
teurs, à ce moment où nous entrons dans votre sanctuaire, pour accomplir l'œuvre par excellence
du ministère sacré... »
Nicétas le Paphlagonien, et plusieurs autres auteurs, attribuent à saint Marc cette liturgie, bieo
qu'ils reconnaissent que plusieurs choses y ont été ajoutées dans la suite.
Anien, disciple de saint Marc, fut son successeur sur le trône patriarcal d'Alexandrie. Sa fer-
veur et sa capacité déterminèrent saint Marc à l'établir évèque d'Alexandrie, durant son absence.
Il gouverna cette église quatre ans avec saint Marc, et près de dix-neuf ans après sa mort, selon
que le rapporle la Chronique Orientale. Saint Anien mourut l'an 86, le dimanche 26 de novembre.
Le martyrologe romain marque sa fête le 25 d'avril, avec celle de saint Marc. Eusèbe dit l, en
parlant de lui, que « c'était un homme fort aimé de Dieu et admirable en toutes choses ». Saint
Epiphane 2 dit qu'une église fut fondée à Alexandrie sous son invocation. On la voyait au iv» siècle.
Son successeur fut saint Mélien. C'est le premier des trois prêtres que saint Marc avait or-
donnés à Alexandrie. Les Constitutions apostoliques 3 disent qu'il fut consacré évêque par saint Luc.
Ce fut dans le vi» siècle que les patriarches d'Alexandrie donnèrent dans l'erreur d'Eutychès,
qui enseignait qu'il n'y a qu'une nature en Jésus-Christ. Quoiqu'ils fassent profession d'anathéma-
tiser Eutychès et Apollinaire, ils ne reconnaissent néanmoins , dit-on, qu'une seule nature en Jésus-
Christ, et assurent que le Verbe a pris un corps parfait auquel il s'est uni sans altération, sans
mélange et sans division, en une seule nature et une seule personne. Ils n'ont aucune autre erreur
tur les autres points de la religion. L'Eglise des Jacobites est fort étendue. Le patriarcat d'A-
lexandrie comprend dans sa juridiction les églises de Syrie, d'Ethiopie, d'Abyssinie, d'Arménie, de
Mésopotamie.
Les relations d'Ethiopie nous apprennent que l'empereur David envoya des ambassadeurs au pape
Clément VII, pour lui prêter obéissance ; que le pape Pie IV y députa André Oviédo, jésuite , sous
l'empereur Claude, fils de David; et que Gabriel, patriarche d'Alexandrie, envoya en 1595, au pape Clé-
ment VIII, son ambassadeur et deux religieux, pour l'assurer de son obéissance et de la volonté
qu'il avait de réunir toute son église au Saint-Siège, fondé par saint Pierre. Ces députés recon-
nurent l'Eglise romaine pour mère de toutes les églises.
Depuis cette solennelle profession de foi catholique , une grande partie des Jacobites ou
Cophtes est réunie à l'Eglise romaine, et l'autre partie semble demeurer séparée.
Outre la vie du saint Evangéliste que nous avons donnée, il en existait encore une autre que les Bol-
landistes trouvent moins ancienne et moins fidèle. La première existait dès le nie et le ive siècle. Pro-.
cope, diacre, au commencement du vu» siècle, et Nice'tas David, qui vivait au ixe siècle, ont fait 16
panégyrique de saint Marc. Leurs discours sont conservés parmi les écrits des Anciens.
Acta Sanctorum, traduction de M. Maistre, Bist. des soixante-douze disciples; le Père Cahier, Carac-
téristiques; Freppel, Clément d'Alexandrie.
Tous les martyrologes font mémoire de saint Marc, et généralement tous les auteurs de YEistoire
ecclésiastique.
SAINT PHÉBADE, appelé en Gascogne SAINT FIARI, évêque d'agen
(vers la fin du ive siècle).
Ce fut vers le milieu du ive siècle qu'on éleva Phébade sur le siège épiscopal d'Agen, seconde
ville d'Aquitaine. 11 se montra toujours très-zélé pour la défense de la consubstantialité du Verbe,
ce qui parut surtout dans son attachement inviolable à saint Hilaire de Poitiers. Il ne se contenta
pas de rejeter la seconde formule de foi dressée à Sirmium par les Ariens et souscrite par le cé-
lèbre Osius en 358 ; il prit aussi la plume pour en montrer tout le venin, et empêcha par là
qu'elle ne fût reçue dans l'Aquitaine. Nous avons encore son ouvrage. On y remarque beaucoup
de justesse et de solidité dans les raisonnements. Les subtilités et les équivoques des Ariens y
sont dévoilées, et la doctrine catholique y est défendue avec force*.
Dans le concile de Rimini, qui se tint en 359, saint Phébade s'opposa courageusement aux
efforts de l'hérésie avec saint Servais de Tongres. Il est vrai que ces deux évêques se laissèrent à
1. Euseb., 1. il, c. 25. — 2. Epiph., hxres., lxjx, c. 2. — 8. Const. up., 1. vu, c. 46.
4. On trouve cet ouvrago dans la Dibl. des Père*, t. iv, p. 400.
26 25 AVRIL.
la fin tromper par les menées artificieuses d'Ursace et de Valens, et qu'ils admirent une proposi-
tion captieuse à double sens; mais ils n'eurent pas plus tôt découvert le piège qu'on leur avait
tendu, qu'ils réclamèrent hautement, et condamnèrent tout ce qui s'était fait à Rimini ». Le saint
évêque d'Agen répara sa faute par le zèle qu'il montra pour la saine doctrine dans les conciles de
Paris et de Saragosse '.
On ignore l'année précise de sa mort. Il vivait encore en 392, lorsque saint Jérôme écrivait son
Catalogue des hommes illustres, et il était alors extrêmement âgé. L'église d'Agen l'honore le
26 avril.
L'Italie a toujours mis une différence entre les évèques qui souscrivirent les formules de Ri-
mini et ceux qui firent une si courageuse résistance sous l'inspiration de Phébade et de Servais.
En voici un témoignage authentique et flatteur. Spon, dans ses Voyages, raconte que le cardinal
Spada fit dresser une colonne dans un petit village, près du golfe Adriatique, en mémoire de la
protestation des évèques catholiques contre les couciliabules de Rimini. Cette colonne est dressée
devant l'église Saint-Apollinaire, paroisse de ce village, où les évèques fidèles vinrent célébrer les
saints Mystères après la défection du plus grand nombre, resté en possession de l'église de Rimini.
Le village lui-même prit le nom de Catholica.
Les reliques de saint Phébade furent, dans la suite, transportées à Périgueux, puis à Venerques,
dans le diocèse de Toulouse : elles y reposent encore dans l'ancienne église d'une abbaye fondée
par Louis le Débonnaire. Cet édifice est remarquable : il appartient au style roman et parait avoir
été bâti au xn« siècle. 11 y avait autrefois dans Agen une église dédiée sous son invocation : il y
reste, pour tout souvenir de lui, une rue qui porte son nom populaire de saint Fiari. En 1653,
cette ville s'était placée sous sa protection pour être délivrée du fléau de la peste. En mémoire de
ce vœu, les autorités de la ville d'Agen assistent encore toutes les années à la messe solennelle de
saint Phébade qui se célèbre à la cathédrale le 26 avril. À la fin du xvn« siècle, le séminaire
diocésain fut construit hors des murs de la ville et placé sous le patronage de saint Phébade, ce
qui recommande assez, dit le Propre du diocèse, les mérites et la célébrité du patron.
Voir les Annales de Baronins; l'Histoire du diocèse d'Agen, par M. l'abbé Barrère et M. Salvan, Hist.
de l'Eglise de Toulouse.
SAINT ERMIN, ÉVÊQUE RÉGIONNAIRE (737).
Ermin, né a Erclie, au territoire de Laon, de parents honnêtes et vertueux, se fit remarquer
dès l'enfance par sa piété comme par son intelligence. Ses vertus croissant avec ses années, Madal-
gaire, évèque de Laon, l'éleva au sacerdoce. 11 embrassa ensuite la profession monastique sous
la discipline de saint Ursmar, abbé de Lobes, dont il fut le disciple et le compagnon. S'il aspirait
à surpasser ses frères, c'était uniquement par l'humilité du cœur, l'austérité de la vie et l'amour
de la pauvreté évangélique. Lorsque le saint Abbé se vit arrivé à un âge très-avancé, sachant
combien Ermin était apte au gouvernement des âmes, il le désigna pour son successeur, à la sa-
tisfaction de tout le monde. Pendant qu'il soutenait dignement le fardeau de cette fonction, il
reçut le caractère épiscopal , comme Ursmar, et après lui tous les abbés de Lobes ; mais
il n'obtint aucune juridiction précise, et il porta la lumière de l'Evangile aux peuples circonvoi-
sins : il était évèque régionnaire. Après de nombreux travaux entrepris et accomplis pour la gloire
de Dieu, il en alla recevoir la récompense le 25 avril de l'an 737. Sa mémoire est l'objet d'une
vénération spéciale dans le bourg d'Erclie, qui a pris le nom de Saint-Erme, et qui s'honore
beaucoup de son patronage.
Propre de Soisson».
1. Voir saint Hilaire, frag. 11; saint Jérôme, 1. iv in Lucifer, n. 6; Théodoret, Hist., 1. n, c. 17; saint
Sulpice Sévère, Hist., 1. il, n. 16. Dom Rivet, Hist. littér. de la Fr., t. ier, part. 2, attribue à saint Phé-
bade un savant traité contre le concile de Rimini, qui est écrit avec autant d'élégance que de solidité.
On en trouve une traduction grecque parmi les discours de saint Grégoire de Nazianze. C'est le qua-
rante-neuvième discours de ce Père. Henri Etienne imprima le traité de saint Phébade contre les Ariens,
à Paris, en 1570. M. Migne l'a reproduit, d'après Galland, dans le tome Lin de la Patrologie, et y a joint
Un traité de Fide, ainsi que la réfutation du concile de Rimini qu'on lui attribue.
2. Le premier se tint en 360. et le second en 380.
MARTYROLOGES. 27
XXVF JOUR D'AVRIL
MARTYROLOGE ROMAIN.
s. Rome, la naissance au ciel de saint Clet, pape, qui gouverna l'Eglise le second après sain'
Pierre, et fut couronné du martyre dans la persécution de Domitien 1. 77-83. — Au même lieu,
saint Marcellin, pape et martyr, qui, sous Maximien, eut la tête tranchée pour la foi, avec
Claude, Cyrin et Anlonin. En ce temps-là, la persécution fut si violente que, dans l'espace d'un
mois, dix-sept mille chrétiens furent couronnés du martyre. 295-304. — A Amasée, dans le Pont,
saint Basilée, évèque et martyr, qui accomplit un glorieux combat sous l'empereur Licinius, et
dont le corps, ayant été jeté dans la mer, fut retrouvé par Elpidiphore, d'après l'avertissement
d'un ange, et enseveli honorablement. Vers 322. — A Braga, en Portugal, saint Pierre, premier
évèque de cette ville. Ier s. — A Vienne, saint Clarence, évèque et confesseur. Vers 620. — A
Vérone, saint Lucide, évèque. — Au monastère de Ceutule (ou de Saint-Riquier), saint Riquier,
prêtre et confesseur, vu» s. — A Troyes, sainte ExupéraiNCE, vierge. 380.
MARTYROLOGE DE FRANCE, REVU ET AUGMENTÉ.
A Besançon, le triomphe de saint Vital, martyr2. — A Corbie, le décès de saint Paschase
Radbert, abbé, disciple et quatrième successeur de saint Adélard. 865. — Au même lieu, saint
Pracorde, confesseur. — A Soissons, la fête de saint Ermin, nommé hier au martyrologe romain.
— Au diocèse de Meaux, la fête de saint Authaire, père de saint Ouen, décédé à Ussy-sur-Marne.
Ce village de la Brie l'a choisi pour patron et l'honore sous le nom de saint Oys. Vers 544.
— A Agen, la fête de saint Phébade, dont le décès est marqué le 25. — A Dijon, saint Ber-
thilon, abbé Je Saint-Bénigne, auquel les Normands tranchèrent la tête. La piété populaire
l'invoquait autrefois contre la fièvre. IXe s. — A Ajaccio, la fête de l'Apparition de Notre-Dame
1. Succession des premiers Papes. — Voici, d'après le Liber Pontificalis, la succession des Papes du
premier siècle de l'Eglise :
1* Saint Pierre (33-66); 2' Saint Lin (6G-67); 3° Saint Clément 1er (67-76), mort en exil en l'année
100; 4" Saint Clet (77-83) ; 5# Saint Anaclet (83-96); 6° Saint Evariste (96-100); T Saint Alexandre 1er
(100-108), etc.
Le Liber Pontificalis se trouve donc ici en contradiction avec le martyrologe romain, qui dit positivement
que saint Clet est le deuxième, et non point le troisième successeur de saint Pierre, et il semble être
aussi en désaccord avec la liturgie romaine, qui, dans le canon de la Messe, nomme saiut Clet avant saint
Clément, et non après : ce désaccord est facile à expliquer et ne diminue point l'autorité de ces véné-
rables documents.
« Le Bon des Saints qui figurent au canon de la Messe y a été Inséré selon l'ordre chronologique de
leur martyre. Ainsi le diacre saint Etienne y est nommé avant l'apôtre saint Mathias, parce que le mar-
tyre de l'illustre diacre précéda celui de l'Apôtre. Or, il en fut de même pour saint Clet, martyrisé sous
Domitien, en 83, tandis que saint Clément, ayant été envoyé en exil, se déchargea de la dignité papale
sur saint Clet, et ne mourut qu'en l'année 100 de notre ère. Le nom de saint Clet dut nécessairement
précéder celui de saint Clément sur les diptyques sacrés — c'est-a-dire les tableaux des morts — et par
conséquent au Mémento de la Messe. De la une interversion plus apparente que réelle, et qui plus tard,
à une époque où le sens des dates consulaires était oublié, détermina sans doute les rédacteurs des listes
pontificales et des martyrologes à mettre leurs catalogues en harmonie avec le texte des prières litur-
giques ». Nous avons dit qu'il y eut une époque oii le sens des dates consulaires ne fut plus compris, et
nous avons souligné notre pensée. En effet, il n'y a pas un siècle que la chronologie consulaire a été ré-
tablie, qu'on a pu faire la concordance des années consulaires avec les années de l'ère chrétienne. Or,
cette chronologie, qui a été restituée et fixée par la science moderne, sans qu'on songeât à réhabiliter le
Liber Pontificalis, est venue précisément justifier toutes les données de cet auguste et important monu-
ment. — Voir les Origines de l'Eglise romaine, par les Bénédictins de Solesmes; l'Histoire de l'Eglise
par M. l'abbé Darras, t. vi (Pontificat de saint Lin).
3. Les Bollandistes disent que c'est le même qui est mentionné le 28 evrll.
28 26 avril.
de Bon-Conseil. — A Ypres, en Belgique, sainte Valentine, vierge et martyre, dont le corps, ap-
porté de Rome, fut autrefois donné aux Carmélites de cette ville. — A Sens, saint Emmon, évêque,
qui offrit la plus généreuse hospitalité à saint Adrien, envoyé de Rome en Angleterre, pour y ac-
compagner saint Théodore de Canlorbéry. Il fut inhumé dans l'abbaye de Saint-Pierre le Vif, où
Ton célébrait autrefois sa fête en ce jour. 658-675. — A Valence, saint Jean, évêque. 1145.
MARTYROLOGES DES ORDRES RELIGIEUX.
Martyrologe des Camaldules. — La fête de l'Apparition de Notre-Dame de Bon-Conseil.
Martyrologe de Vallombreuse. — Fête de l'Apparition de Notre-Dame de Bon-Conseil.
Martyrologe des Dominicains. — A Besiano, dans le royaume de Castille, les bienheureux
Dominique et Grégoire, de notre Ordre, qui, étant en voyage pour la prédication, furent surpris
par une violente tempête, et, s'étant mis à l'abri sous une roche, furent écrasés par elle dans sa
chute. Les habitants de la contrée, trouvant miraculeusement leurs corps, commencèrent à les vé-
nérer comme Saints.
Martyrologe des Augustins. — Dans la ville de Génestan, diocèse de Préneste, la fête de la
Bainte image de la bienheureuse Vierge Marie, nommée de Bon-Conseil, laquelle apparut miracu-
leusement dans une église de notre Ordre, sous le pontificat de Paul II, et est en grande vénéra-
tion à cause de la grandeur et de l'éclat de ses miracles, qui attirent un grand concours de peuples.
Martyrologe des Servites. — La fête de Notre-Dame de Bon-Conseil.
ADDITIONS FAITES d' APRÈS LES BOLLANDISTES ET AUTRES HAGIOGRAPHES.
Dans le Brisgau (Allemagne), saint Trudpert, martyr et solitaire. Il fut mis à mort par des ou-
vriers qu'il était allé évangéliser l. Après l'an 642. — A Foggia, en Calabre, saint Guillaume, et
saint Pérégrin, son Sis. Ils étaient d'Antioche, et vinrent tous deux, après divers voyages, ins-
truire et affermir dans la foi les habitants de Foggia, où ils moururent et dont ils sont les patrons.
xii° s. — A Sienne, la bienheureuse Alde ou Aldobrandesca, veuve, du Tiers Ordre des Humiliés.
An 1309. — En Toscane, le vénérable Pierre le Teutonique, ermite, de l'Ordre des Camaldules. Il
était dans sa retraite, lorsqu'il vit, emportée au ciel, l'âme du souverain pontife Pie II. 1472.
SAINT CLET, QUATRIÈME PAPE
77-83. — Empereurs : Titus et Domitien.
« Romain d'origine, Clet était fils d'Emilien. Il naquit dans le quartier
de Palricius, qui faisait partie de la région Esquiline, non loin de la
demeure sénatoriale de Pudens, où saint Pierre avait demeuré. Il siéga six
ans, un mois et onze jours, durant les règnes de Vespasien et de Titus,
depuis le huitième consulat de Vespasien et le sixième de Domitien, jus-
qu'au neuvième de Domitien et à celui deRufus, où il reçut la couronne du
martyre.
« Conformément aux règles posées par le bienheureux Pierre, Clet
ordonna, durant le mois de décembre, vingt-cinq prêtres pour la ville de
Rome. Il reçut la sépulture le 6 des calendes de mai, près du corps de saint
Pierre, au Vatican. Après lui, le siège demeura vacant pendant vingt jours ».
Telle est la notice que le Liber Pontificalis consacre à saint Clet.
1. Un seigneur de la Haute-Alsace, nommé Othbert, avait donne a saint Trudpert une partie de la
forêt Noire à défricher. Cela ne faisait probablement pas l'affaire des bûcherons qui le massacrèrent
Apres sa mort, il s'éleva, non loin de Staufen, dans une vallée riante, un couvent de Bénédictins qui de-
vint très-célèbre dans la suite. Il prit le nom de saint Trudpert ou liupert. La chronique le dit originaire
d'Ecosse, proche parent des rois de France, frère de saint Robert, évêque de Salzbourg et de sainta
Irintrude.
SAINT CLET, QUATRIÈME PAPE. 29
Nous pouvons ajouter, en guise de commentaire, que la date de l'élection
de saint Clet en 77 coïncide avec le départ de saint Clément, son prédéces-
seur, pour l'exil1.
Le pontificat de saint Clet fut marqué par l'inauguration du Colysée,
d'où tant de martyrs devaient monter au ciel ; par cette fameuse éruption
du Vésuve qui engloutit les deux villes de Pompéï et d'Herculanum ; par un
incendie formidable qui éclata dans Rome et qui dura trois jours et trois
nuits ; enfin par une peste terrible qui dépeupla plusieurs provinces de
l'Italie.
Cette invasion de la peste rendait d'autant plus opportune l'organisation,
ou tout au moins la réorganisation des vingt-cinq titres paroissiaux qui,
d'après les instructions de saint Pierre, devaient se partager Rome et former
comme autant de diocèses distincts pour l'administration du baptême et
de la pénitence, en faveur des païens convertis à la foi *. Les Papes ont tou-
jours fait marcher de front les secours spirituels et les secours temporels
réclamés par les misères, les infirmités de notre pauvre humanité. Quelques
années, à peine, après la mort de saint Pierre, Clet transforma en église la
maison où il était né et y adjoignit un hospice où étaient reçues les vic-
times de la peste. Telle fut l'origine du premier hôpital chrétien : elle re-
monte haut, comme on le voit.
Cependant, à Titus, les délices du genre humain, et qui ne versa pas une
goutte de sang chrétien, avait succédé Domitien, le second Néron. Il était
digne, dit Eusèbe, de signer l'édit de la seconde persécution générale
contre les chrétiens : saint Clet en fut la première victime. Il fut martyrisé
à Rome, le 26 avril 83, et ses précieux restes, déposés au Vatican, auprès de
ceux de saint Pierre, où ils reposent encore 3.
Le passage de saint Clet sur la chaire pontificale a laissé dans l'histoire
de l'Eglise romaine un lumineux et un profond sillon. Cela n'a pas empêché
les historiens et les hagiographes français de citer à peine son nom et de
laisser ses œuvres dans l'ombre , — ses œuvres qui ont survécu jusqu'au
siècle dernier. En effet, l'église et l'hôpital fondés par lui en l'an 79, après
avoir été ruinés et reconstruits plusieurs fois, ne furent définitivement sup-
primés qu'au xvme siècle. Et le souvenir de sa charité s'était conservé si
fidèlement dans la «mémoire des Romains, que l'Institut des Crucifères ou
Porte-Croix attachés à cet hospice, faisait remonter son origine jusqu'à ce
saint Pontife.
Ce n'est pas tout : les divers Papes qui ont dû reconstituer les paroisses
de Rome ou établissements destinés à l'administration du baptême et de la
pénitence, se sont constamment montrés fidèles à la tradition apostolique
de saint Clet ; ils ont maintenu le nombre de vingt-cinq : ainsi ont fait saint
Marcel en 308, et Pie V, quinze cents ans plus tard. Ce nombre déterminé
par saint Pierre lui-même, n'était-il pas un souvenir des vingt-quatre séries
sacerdotales qui, à Jérusalem, se partageaient, sous la direction du grand
prêtre, le ministère sacré du temple ? N'était-ce pas indiquer que le pontifi-
cat romain succédait au pontificat détruit d'Aaron?
On sait, en outre, que, jusqu'à la destruction du temple, ou l'an 70,
les chrétiens convertis du judaïsme allaient sacrifier à Jérusalem. Saint
Paul lui-même offrit un sacrifice sanglant au temple, dans une de ses
visites à la ville sainte : il en fut ainsi tant que la prophétie de Jésus-
1. Voir le martyrologe de ce jour et la note que nous y avons jointe.
2. Cf. Notice de saint Marcel, d'après le Liber Pontificalis, an 808.
S. Voir le martyrologe de ce jour et la note que nous y avons jointe.
30 26 AVRIL.
Christ ne fut pas accomplie et que Y abomination ne fut pas entrée dans
le Saint des Saints. Or, saint Pierre n'ayant pas vu la destruction du
temple, aura ordonné à ses successeurs de l'attendre et, quand elle
aurait eu lieu, d'adopter pour Rome l'organisation sacerdotale de Jéru-
salem.
C'est ce que semble indiquer le Liber Pontificalis, quand il fait remonter
à saint Pierre lui-môme l'idée de partager Rome en vingt-cinq titres parois-
siaux.
Saint Clet fut, dit-on, le premier qui, dans ses lettres, se servit de ces
mots : « Salut et bénédiction apostolique » ; mais ce détail est contesté et
nous ne l'enregistrons que pour mémoire.
Il est l'un des patrons de Ruvo dans le royaume de Naples. La tradition
de cette localité veut qu'il en ait été le premier évêque: cela pourrait fort
bien se concilier avec ce fait, acquis à l'histoire, que saint Pierre le nomma
son coadjuteur, au dehors de Rome, comme saint Lin l'était au dedans.
Liber Pontificalis et Histoire de l'Eglise, par Darras.
SAINT MARGELLIN, PAPE ET MARTYR
£95-304. — Empereurs : Galère; Maximien; Dioctétien; Constance Chlore.
Jésus-Christ, qui a donné aux Pontifes romains Via-~
failllbilité dogmatique, ne les a pas rendus impec-
cables. Baronius.
Marcellin, romain d'origine, était fils de Projectus. Il siégea huit ans,
onze mois et trois jours, depuis la veille des kalendes de juillet (30 juin),
sous le sixième consulat de Dioclétien et celui de Constance II (293), jus-
qu'au neuvième du même Dioclétien et le huitième de Maximien (304); —
époque où la persécution fut si grande, qu'en un mois, dix-sept mille chré-
tiens de tout âge et de tout sexe furent égorgés dans les diverses provinces1.
— Marcellin fut traîné à l'autel des faux dieux pour y sacrifier et y offrir de
l'encens. Il le fit; mais quelques jours après, touché de repentir, il parut
de nouveau devant Dioclétien, confessa courageusement la foi et eut la tête
tranchée avec Claudius, Cyrinus et Antonin. Pendant qu'on le conduisait
au supplice, le bienheureux Marcellin conjura le prêtre Marcel de ne pas
céder aux instances de l'empereur. Par ordre de Dioclétien, les corps des
saints martyrs demeurèrent trente-six jours sans sépulture, au milieu du
forum, pour etlrayer les chrétiens par ce lugubre spectacle. Enfin le 7 des
kalendes de mai (26 avril 304), le prêtre Marcel vint pendant la nuit, avec
les autres prêtres et les diacres de Rome, recueillir ces précieuses reliques.
Elles furent déposées au chant des hymnes dans la catacombe de Priscille,
sur la voie Salaria, dans le cubiculum que le Pontife, après sa pénitence,
avait désigné lui-même pour le lieu de sa sépulture, à côté de la crypte où
reposait le corps de saint Crescent. Marcellin, en trois ordinations, au mois
de décembre, avait imposé les mains à quatre prêtres, deux diacres et cinq
1. Pour avoir une idée plus complète de cette épouvantable persécution, voir, à notre table chronolo-
gique, les biographies des Saints et des Martyrs, de l'année 295 à l'année 812; la vie de saint Anthime
«i-après, et l'article Lacunce dans cet ouvrage.
SAIOT MARCELLIN, PAPE ET MARTYR. 31
évêques destinés à diverses églises. Après lui, le siège demeura vacant deux
mois1.
Ajoutons quelques mots à c0 uourt récit de la Chronique des Papes, repro-
duite par le Bréviaire romain : L'Eglise n'eut jamais plus à souffrir qu'à cette
époque terrible. L'édifice de l'idolâtrie, ruiné peu à peu par les chrétiens
et détruit dans quelques-unes de ses parties, était prêt à s'écrouler sur ses
fondements; les autels profanes manquaient de fleurs, les hiérophantes, de
victimes, les aruspices ne trouvaient plus dans les entrailles les signes de
l'avenir, les oracles étaient devenus muets, les magiciens, impuissants. Dans
un tel état de choses, il semblait que tous les dieux des ténèbres tentaient
leurs derniers efforts contre le Dieu de la lumière. Dioclétien, Maximien, Ga-
lérius et Maximin furent successivement les quatre chefs de cette entreprise
infernale. Galérius, le plus furieux de tous, avait arraché à Dioclétien la fatale
sentence qui ordonnait cette persécution atroce, universelle, sans trêve, sans
pitié. Les églises furent abattues dans presque toutes les provinces ; les
hommes, les femmes, les vieillards, les enfants, les vierges, furent livrés aux
bourreaux ; le ciel se peupla de martyrs, et la terre, à la vue d'un tel cou-
rage, était embrasée de tendresse pour le catholicisme. On voulait détruire
la religion de Jésus-Christ, et toute cette fureur ne servait qu'à élever le
trône de la foi sur les débris du paganisme.
Les Etats soumis à Rome, arrosés du sang des persécutés, n'en devinrent
que plus féconds en rameaux chrétiens. Les tourments déchirèrent les corps
des martyrs; mais leurs âmes, embrassant fermement la foi, restèrent
invulnérables et invincibles. 11 y eut cependant un grand nombre de fidèles
qui se laissèrent gagner par les menaces et les promesses des païens.
Or, Marcellin était évêque de Rome ■: Urbain, le pontife païen du Capi-
tule, vint le trouver. La discussion s'engagea entre eux sur la question de
savoir si c'était un grand crime de brûler de l'encens en l'honneur des
dieux. Yotre Christ, dit Urbain, celui que vous prétendez le fils de la Vierge
Marie, ne reçut-il point à son berceau, l'or, l'encens et la myrrhe que lui
présentaient les mages?
Ces mages croyaient honorer ainsi celui dont vous avez fait votre Dieu
et dont vous prêchez la résurrection. Le fait de brûler de l'encens est donc,
même d'après votre propre croyance, un hommage légitime rendu à la
divinité. — L'évêque Marcellin lui répondit : Les mages n'offraient point
leur encens à une idole vaine. En le déposant aux pieds de Jésus-Christ, ils
manifestaient clairement qu'ils le reconnaissaient pour le Dieu unique et
véritable. — Voulez-vous, reprit Urbain, venir un de ces jours aux palais de
Dioclétien et Maximien, nos invincibles et très-cléments empereurs? En
leur présence, je répondrai à toutes vos objections sur ce point. — Marcellin
y consentit. Au jour fixé, qui était celui de la fête païenne de Vulcain, le
pontife du Capitole dit à l'évêque : Rédigeons chacun de notre côté nos
raisons par écrit, et nous les remettrons aux empereurs. — Ils le firent, et,
quand ils eurent été admis à l'audience des très-sacrés princes, Marcellin,
l'évêque de Rome, fidèle à sa mission, et confessant généreusement le
Christ avec intrépidité : Pourquoi, disait-il à Dioclétien, semer l'univers de
deuil et de carnage, à propos du culte superstitieux des idoles? Pourquoi
forcer tous les hommes, sous peine de mort, à brûler de l'encens devant des
statues muettes? — Urbain l'interrompit en disant : Adressez-vous à moi,
1. Liber Ponti/icalis.
2. Dans ce récit, nous allons fondre les Actes du concile de Sinuesse avec la Légende du Bréviaire
32 26 avril.
je suis prêt à vous confondre. N'est-il pas vrai que, sous ce terme injurieux
de vaines idoles, vous comprenez le dieu Jupiter et l'invincible Hercule eux-
mêmes? N'est-ce pas ainsi que vous blasphémez la majesté de Jupiter, qui
n'est autre que le ciel uni à la terre et aux mers dans son éternelle alliance
avec Saturne? Vous êtes pontife comme moi, pourquoi donc n'offrez-vous
pas, ainsi que moi, de l'encens à la majesté divine? — Dioclétien prit la
parole : Ne poussez point cet homme à bout, dit-il à Urbain. Rien ne
prouve encore qu'il veuille se mettre en rébellion contre ma puissance et
contre la majesté des dieux immortels. — Or, Dioclétien parlait ainsi, parce
que Romanus et Alexandre, deux de ses confidents, lui avaient dit : Si vous
réussissez par la douceur à gagner l'esprit de Marcellin, toute la population
de Rome obéira à vos édits et consentira à sacrifier aux dieux. — S'adres-
sant donc à l'évêque, Dioclétien lui dit : Je reconnais ta sagesse et ta pru-
dence. Tu es peut-être destiné à changer eq une amitié fidèle la haine que
je portais jusqu'ici au nom chrétien. Viens, et que le peuple soit témoin de
notre réconciliation. — L'empereur se rendit aussitôt au temple de Vesta
et d'Isis ; il y fit entrer l'évêque, lequel était accompagné de trois prêtres,
Urbain, Castorius, Juvénal et de deux diacres, Caïus et Innocent : ceux-ci
ne voulurent pas franchir le seuil de l'édifice idolâtrique. Ils quittèrent sur-
le-champ l'évêque, et par conséquent ne virent rien de ce qui se passa de-
puis dans le temple. Ils coururent au presbytérium, réuni au Vatican, près
de l'ancien palais de Néron, et racontèrent le fait. A cette nouvelle, une
foule de chrétiens, entre autres quatre-vingt-quatre témoins coururent au
temple ; ils virent Marcellin jeter l'encens sur le trépied et recevoir les féli-
citations de l'empereur. Or, ces témoins, après avoir déposé la somme d'ar-
gent exigée par la loi de tout accusateur, affirmèrent avoir vu Marcellin
offrir de l'encens.
Un synode se tint à Sinuesse, en Campanie, dans la crypte deCléopâtre;
pénétré de douleur à la pensée de sa faute, Marcellin s'y présente couvert
d'un cilice. Un grand nombre de témoins furent entendus : à chaque dépo-
sition affirmative, les évêques les conjuraient de songer à la portée de leurs
paroles et ajoutaient : Vous entendez, Pontife, jugez maintenant, car vous
ne pouvez être absous ni condamné que par vous-même. Marcellin siégeait
à la tête des évêques, car il était tenu pour innocent tant qu'il ne se serait
pas condamné lui-même. 11 prit donc la parole et dit d'une voix distincte :
Je n'ai point sacrifié aux dieux; j'ai seulement laissé tomber quelques
grains d'encens sur le trépied. Les évêques, se levant alors, dirent aux
témoins : Nous n'avons plus besoin de vos attestations après celle qui vient
de sortir de la bouche du Pontife. Ils souscrivirent donc le procès-verbal de
la séance, et l'évêque Quirinus dit à Marcellin : Pontife universel, vous avez
blessé tous les membres de l'Eglise. Après dix-huit ans d'un sacerdoce irré-
prochable vous avez cédé à la malice de Satan. A la séance du lendemain,
l'évêque Gyriaque dit à Marcellin : Jugez enfin dans votre propre cause.
Nous attendons votre sentence pontificale. Le Pape, se prosternant alors le
front dans la poussière, s'écria d'une voix entrecoupée de sanglots : J'ai
péché devant Dieu et devant vous ; je ne suis plus digne du rang sacerdotal;
je me suis laissé séduire par les promesses captieuses de l'empereur ! Le
prêtre Helciade dit : Il est justement condamné par sa propre sentence,
c'est lui-même qui a prononcé l'anathème qui le frappe, car nul n'a le droit
de condamner le Pontife. Le premier siège n'est jugé par personne! —
Quand on souscrivit le procès-verbal de cette séance, Marcellin le premier
de tous signa de sa main, souscrivant ainsi sa propre condamnation.
SiJNT RIQUIER, ABBÉ. 33
Gomme saint Pierre, en frappant sa poitrine, il avait aussi obtenu de Dieu
le pardon suprême. Revenu à Rome, il alla trouver l'empereur et lui repro-
cha courageusement de l'avoir entraîné, malgré lui, à un acte si énorme
d'impiété. Pour toute réponse l'empereur le fit décapiter.
La légende dorée ajoute que, pour se punir lui-même, il abdiqua, et qu'il
fut réélu après cet acte de profonde humilité.
On lui donne pour attribut le fouet, symbole de la eensure dont il fut
frappé, et le glaive instrument de son supplice.
Sans parler du Liber Pontificalis, nous avons emprunté ce récit lo au Bréviaire romain ; 2° aux
Actes du concile de Sinuesse, qui se trouvent au tome vi de la Patrologie latine, et qui, au dire du sa-
vant Père Labbe (coll. des Conciles, t. n), sont un des monuments les plus vénérables de l'antiquité,
dont la véracité s'impose à l'esprit par une simple lecture; qui ont été unanimement acceptés par toutes
les églises et insérés dans les plus anciens martyrologes, et que les efforts des érudits modernes ne peuvent
pas suffire à faire regarder comme faux. Godescard, Tillemont, Bossuet, et les Allemands de nos jours,
héritiers des doctrines plus ou moins abandonnées chez nous, rejettent même le fait de la chute de saint
Marcellin, pour se débarrasser du même coup des Actes de ce concile, dont la doctrine les gêne. — Voir
en outre Baronius à l'année 303, n. 100-108, qui, après avoir contesté l'authenticité des Actes de ce con-
cile dans sa première édition, a cru devoir modifier son opinion dans la seconde; la lettre du pape Nicolas
le Grand à l'empereur Michel, dont l'affirmation absolue nous semble devoir trancher la question (Pat.
lat., t. cxix), car si saint Augustin nie d'une manière tout aussi absolue, il le fait faute de renseigne-
ments : lui qui ignorait, à la veille d'être fait évêque, que le concile de Nicée eût formulé des canons,
pouvait bien ignorer l'existence du concile de Sinuesse, dont les Donatistes se faisaient bien à tort une
arme contre l'Eglise (livre d'Aug. contre Pétilien et lettre 110); les premiers Bollandistes, qui affir-
maient la chute, tandis que Papebrock la niait; Sommier qui l'admettait, et Noè'l Alexandre qui la
rejetait; enfin, l'intéressant chapitre consacré par M. l'abbé Darras à cette question dans son Histoire
de l'Eglise, t. vin.
SAINT RIQUIER, ABBE
645. — Pape : Théodore. — Roi de France : Clovis U.
Dieu ne laisse jamais une bonne action san»
récompense.
Saint Riquier était né, sous le règne de Glotaire II, dans un bourg du
Ponthieu dont on croit que son père, Alquier, était comte ou duc. Son en-
fance n'est pas connue : le fait, qui le révèle à nos regards, est la touchante
hospitalité qu'il accorda à deux missionnaires irlandais ou bretons, débar-
qués sur les côtes de Picardie : l'un s'appelait Caïdoc, l'autre Fricor. A
peine avaient-ils commencé à prêcher l'Evangile, qu'ils se virent maltraités
par des habitants du pays, dont un grand nombre étaient encore idolâtres.
Ils auraient été obligés de s'éloigner, si le jeune Riquier, touché de leur
vertu, ne les eût recueillis dans sa demeure et mis à l'abri de l'insolence des
païens. Ce dévouement lui mérita le don de la vocation à l'apostolat. En
effet, les fréquents entretiens qu'il eut avec ces deux missionnaires, les
exemples de leur conduite, leur piété, leur zèle, touchèrent son cœur et le
déterminèrent à consacrer, comme eux, sa vie à la prédication de l'Evangile.
Il commença par faire une confession générale de ses péchés, qu'il pleura
amèrement; puis il se dévoua à Dieu et à l'œuvre de sa sanctification.
Ordonné prêtre plus tard, saint Riquier parcourut tout le pays, répandant
sur son passage, avec les bienfaits de sa charité, la bonne nouvelle du salut.
Puis, rentré dans sa demeure, il priait et se livrait à d'autres exercices de
piété. Sa nourriture consistait en un pain d'orge trempé dans l'eau. Les
Vies des Saints. — Tome y. 3
34 26 avril.
pauvres, les étrangers, les veuves, les orphelins, les pèlerins, tous ressen-
taient les effets de sa libéralité et de son amour pour Dieu.
Un dévouement si actif et si généreux ne pouvait se renfermer dans les
limites d'une province; un sentiment intérieur attirait saint Riquier au-delà
du détroit, comme pour lui faire rendre à l'Angleterre (Bretagne) le bien-
fait qu'il en avait reçu. Il alla donc dans cette île, où il gagna un grand
nombre de pécheurs et d'idolâtres à Jésus-Cbrist. Il y racheta aussi beau-
coup de captifs, chrétiens ou païens, et leur rendit la liberté, comme il
l'avait donnée précédemment à tous les serfs qu'il possédait lui-même dans
ses terres du Ponthieu. De retour en France, saint Riquier prêcha la foi en
diverses contrées; mais le manque de détails ne permet pas de le suivre
dans ses courses apostoliques. On remarque cependant ses relations avec
saint Adalbaud, seigneur de Douai, et sainte Rictrude, son épouse, dont il
baptisa le premier enfant, saint Mauront. Un biographe ancien rapporte
qu'un jour saint Riquier étant venu dans cette religieuse famille, au mo-
ment du départ, tandis qu'il était déjà sur son cheval, sainte Rictrude en-
voya chercher le petit Mauront, afin qu'il reçût une dernière bénédiction
de son père spirituel. Comme le Saint tenait l'enfant dans ses bras, tout à
coup le cheval s'effraie, se cabre , s'emporte sans qu'il soit possible de
le retenir. Rictn de était éperdue, et tous les spectateurs, effrayés; on
croyait à chaque instant que l'enfant allait être écrasé et le Saint, renversé.
En ce moment, saint Riquier adressa du fond du cœur une prière à Dieu,
et aussitôt l'enfant glissa doucement par terre sans le moindre mal, et
l'animal se calma.
En même temps que saint Riquier parcourait les provinces du Nord,
annonçant partout la parole divine, il fondait une église et un monastère
pour y réunir des disciples qui demandaient à vivre sous sa conduite. C'est
à Centule, non loin du lieu de sa naissance, qu'il établit cette commu-
nauté ; c'est là qu'il se reposait des fatigues de ses missions et qu'il recevait
quelquefois la visite des puissants du monde. Un jour que Dagobert était
venu dans le Ponthieu, sur l'invitation pressante d'un seigneur appelé Gis-
lemar, il voulut voir l'homme de Dieu, dont le nom était répandu au loin.
Il se rendit auprès du saint vieillard, qui, après avoir béni le roi, lui donna,
avec une modeste autorité et une liberté toute évangélique, des conseils
trop rarement entendus des princes. « Il lui rappela qu'il ne devait pas s'en-
orgueillir de sa puissance, ni espérer dans des richesses passagères, ni
s'élever en lui-même par les vaines adulations des flatteurs, ni mettre sa
joie dans des honneurs fragiles; mais plutôt craindre la puissance de Dieu
et rendre gloire à sa majesté suprême, réputer un néant cette puissance et
cette gloire des hommes qui passent comme une ombre légère, et s'éva-
nouissent comme l'écume des flots que le vent emporte ». Le Saint disait
encore au monarque « qu'il devait surtout se rappeler ces paroles des di-
vines Ecritures : Les grands du monde sont exposés à endurer de plus
grands supplices, et Dieu exigera plus de celui à qui il a plus donné. Que si
un roi, au jour du jugement, ne pourra qu'avec peine rendre pour lui-
même un compte favorable au Juge suprême, comment pourra-t-il le faire
pour tant de milliers d'hommes qui lui ont été confiés ? Aussi, prince, con-
tinuait saint Riquier, on doit plutôt craindre de commander que d'obéir.
Celui qui obéit ne rend compte à Dieu que pour lui-même; celui, au con-
traire, qui commande, rendra compte pour tous ceux qui lui sont soumis ».
Dagobert reçut bien ces sages leçons de l'abbé de Centule, et, afin de
témoigner l'estime qu'il avait conçue pour lui, il l'invita à prendre part au
SAINT BIQUIER, ABBÉ. 3o
festin que lui avait préparé le comte Gislemar. Le Saint se rendit à ce ban-
quet, où sa présence et ses discours firent une heureuse impression sur tous
les convives.
Cependant l'âge et les fatigues avaient considérablement diminué ses
forces, et il soupirait après une solitude plus profonde, où il pût se préparer
à la mort. Son désir fut connu, et Dagobert envoya l'ordre à Gislemar et à
un autre seigneur du pays de donner à l'homme de Dieu un endroit conve-
nable dans la forêt de Grécy. C'est là qu'il se retira avec son disciple Sigo-
bard, après qu'il eut confié la direction de son monastère à Olciade, reli-
gieux prudent et d'une grande piété. Dès ce moment, saint Riquier se livra
tout entier à la méditation des choses du ciel. Son âme était comme absor-
bée en Dieu, et malgré la faiblesse de son corps, il sentait parfois renaître
en lui la force et la vigueur de ses jeunes années. Mais bientôt sa retraite
fut connue et beaucoup se faisaient transporter auprès de lui pour être gué-
ris de leurs infirmités. Des aveugles, des sourds, des muets, des paralytiques,
se pressaient autour de sa cellule, à côté des grands et des puissants du
siècle qui venaient lui demander des conseils. Ainsi le Seigneur se plaisait
à environner son serviteur, même sur la terre, de respects et d'hommages,
que sa mort allait encore augmenter.
En effet, la fin de saint Riquier approchait, et Dieu lui en donna un se-
cret pressentiment, qu'il communiqua à son disciple Sigobard. « Mon fils »,
lui dit-il un jour, « je sais que ma mort n'est pas éloignée et que bientôt
je verrai mon Seigneur, après lequel je soupire depuis longtemps. Vous
préparerez un cercueil, selon l'usage, pour renfermer ce faible corps. En
même temps, mon fils, préparez-vous vous-même avec le plus grand soin,
afin que, quand le jour qui approche pour moi, arrivera pour vous, il vous
trouve bien disposé. Voilà que j'entre dans la voie de toute chair : puisse le
Sauveur du monde être miséricordieux envers moi î Qu'il me défende au-
jourd'hui de l'ennemi comme il m'en a défendu autrefois, et qu'après avoir
été mon consolateur dans cette vie, il soit mon éternel rémunérateur dans
l'autre ! » En entendant ces paroles, Sigobard fondit en larmes; puis, le
cœur oppressé par les sanglots, il se mit en devoir d'obéir. Il coupa dans la
forêt le tronc d'un arbre et le disposa pour recevoir le corps de son maître
bien-aimé. Le travail achevé, il plaça dans le lieu indiqué ce cercueil arrosé
de ses pleurs. Il ne devait pas tarder à aller le reprendre. La maladie faisait
de rapides progrès, et elle réduisit, en peu de temps, le vieillard à la plus
extrême faiblesse. Au milieu des défaillances de la nature, son âme était
toujours élevée vers Dieu, et ce fut en achevant les actes de sa reconnais-
sance et de son amour, après avoir reçu la sainte Eucharistie, qu'il s'endor-
mit dans le Seigneur, le 26 avril, vers l'an 645.
RELIQUES DE SAINT RIQUIER.
Son corps fut d'abord placé dans sa petite cellule, qui devint plus tard l'abbaye de Foret-Mou-
tier, entre Rue et Crécy; mais les religieux de Centule voulurent avoir auprès d'eux la dépouille
mortelle de leur père, et ils la transportèrent avec honneur dans leur monastère, qui, depuis lors,
a pris le nom de Saint-Riquier. Les nombreuses guérisons qui s'y opéraient attirèrent les peuples
de la contrée, et rendirent le culte du Patron de plus en plus célèbre dans le Ponthieu, dans les
provinces voisines et par toute la France. Charlemagne lui-même visita un jour c.e tombeau, qui
fut ouvert en sa présence. On y trouva les restes du Saint Jans le même état qu'au moment de
sa mort, et l'empereur les fit renfermer dans une châsse magnifique. Plus tard, ce corps pré-
cieux fut transporté en différents endroits à cause des ravages des Normands.
Saint Angilbert, abbé de Centule sous le règne de Chaiîeuiagne, contribua beaucoup à la dé-
coration du lieu où reposait saint Riquier.
36 25 ayuil.
L'église de l'ancienne abbaye de Saint-Riquier, bâtie sur le modèle de la cathédrale d'Amiens,
sert aujourd'hui d'église paroissiale. On y voit, dans le fond du second chœur, un petit tableau
représentant le saint patron. Chique année, au mois d'octobre, on fait en son honneur une pro-
cession à laquelle les habitants de la ville se font un devoir d'assister.
Monsieur l'abbé A. Leroux nous écrivait en 1S63 :
« Les reliques de saint Riquier sont encore à Saint-Riquier ; elles se trouvent dans l'église de
la paroisse, renfermées dans deux châsses, dont l'une, contenant !a tête du saint abbé, est placée
sur l'autel, et l'autre contient le corps. Si vous désiriez d'autres détails, je n'en ai pas d'autres à
vous donner que ceux qui se trouvent dans le Chronicon Centulense d'Hariulfe, lequel fait partie
du spicilége de Dom Luc d'Achéry, tome n ou iv selon l'édition ».
Les bâtiments de l'ancienne et splendide abbaye de Saint-Riquier sont aujourd'hui occupés par
un petit séminaire.
L'Histoire d'Abbeville porte que ce nom ftAbbeville, qui signifie Ville de l'abbé, lui a été
donné parce qu'elle était anciennement du domaine de l'abbé saint Riquier.
Saints de Cambrai et d'Arras ; Notes locales.
SAINT PASCÏÏASE ' RADBERT, ABBÉ DE CORBIE
865. — Pape : Nicolas Ier. — Roi de France : Charles II, le Chauve.
Radbert, à qui l'on donna, ou qui prit lui-même, depuis, le nom de
Paschase, naquit dans le Soissonnais, peut-être même dans la ville de Sois-
sons, sur la fin du vme siècle. Il se trouva abandonné, sans ressource, à la
mort de sa mère, qu'il perdit dès sa naissance, ou du moins étant encore
enfant. Mais les religieuses du monastère de Notre-Dame de Soissons, qui
avaient alors pour abbesse Tbéodrade, cousine germaine de Charlemagne,
se chargèrent de pourvoir à sa subsistance et confièrent son éducation aux
moines de Saint-Pierre: notre Saint se montra plus tard très-reconnaissant
de ces bienfaits, et il dédia plusieurs de ses ouvrages à ses mères adoptives.
Cet enfant fit de très-grands progrès dans les sciences et dans la piété. Dès
qu'il eut l'âge requis, il reçut la tonsure, ou couronne cléricale, devant
l'autel de la sainte Vierge dans l'église du couvent de Notre-Dame, en pré-
sence des religieuses. Mais, au lieu de rester attaché au service de cette
é°li$e il entra dans le monde, on ne sait pour quel motif, ni dans quelles
circonstances, et mena la vie séculière.
Il regarda, depuis, cette conduite comme une grande faute qu'il fallait
expier par les larmes de la pénitence. Radbert reconnut par sa propre
expérience les dangers du siècle : craignant de s'y perdre, et n'y trouvant
pas de quoi satisfaire les désirs de son cœur, il se retira encore jeune dans le
monastère de Corbie, où il fut bien accueilli par le saint abbé Adélard,
frère de l'abbesse de Notre-Dame de Soissons, sa bienfaitrice. Le nouveau
religieux s'appliqua à l'étude avec tant de succès, qu'en peu de temps il fut
jugé digne d'enseigner aux autres les lettres divines et humaines. Il se fit
dès lors une grande réputation par son éloquence, sa science de l'Ecriture
et des Pères, et surtout par sa vertu. Son humilité égalait sa réputation :
1. Pascliasius, Pascharius, Pâquier. — Ce nom, comme Pâquette, Paquot, Pascal, Pacaud, etc., peut
avoir indiqué jadis un enfant venu au monde le jour de Pâques. Nos pères choisissaient souvent le jour
de la naissance comme fête patronale ; mais en suggérant par le nom même du nouveau-né, une inter-
vention de la Providence qui semblait désigner ce patronage à la famille. C'est ainsi que l'on transigeait
entre l'usage païen de fêter l'anniversaire du jour natal et la coutume pieuse de célébrer le patron donné
à l'enfant dans le baptême. P. Cahier, Caractéristiques, page 946.
SAINT PASCHASE RADBERT, ABBÉ DE CORBIE. 37
il ne put refuser l'ordre du diaconat, mais il ne reçut point le sacerdoce
dont il se jugeait indigne. Il signait ses lettres : Paschasius Radbertus,levita,
monachorum omnium peripsema, c'est-à-dire : Paschase Radbert, lévite, le der-
nier (la balayure) de tous les moines.
Un si rare mérite lui gagna l'estime et l'affection d'Adélard et de Wala,
son frère et son successeur dans la dignité d'abbé. Il était de tous leurs
voyages et comme l'âme de leur conseil dans les affaires importantes. En
822, ils le menèrent avec eux en Saxe, pour fonder la nouvelle Corbie. Louis
le Débonnaire ne l'estimait pas moins : il l'employa souvent dans les affaires,
publiques, que Radbert sut toujours conduire avec une grande sagesse.
Wala étant mort en 835, notre Saint écrivit l'histoire de sa vie, qu'il a inti-
tulée : Epitaphe d'Arsène. Il avait déjà raconté la vie de saint Adélard, vers
830; et, en 831, il avait composé son fameux Traité du corps et du sang de
Notre -Seigneur, c'est-à-dire de l'Eucharistie, à la prière de son disciple
Varin, surnommé Placide, qui, après avoir été moine dans l'ancienne Corbie,
était abbé de la nouvelle. C'est un monument précieux de la croyance Ca-
tholique sur l'Eucharistie, non-seulement au ix8 siècle, mais dans tous les
siècles précédents. Paschase Radbert, dans ce traité, enseigne clairement et
fait voir que l'Eglise a toujours enseigné principalement trois choses : Que
l'Eucharistie est le vrai corps et le vrai sang de Jésus-Christ ; que la subs-
tance du pain et du vin n'y demeure plus après la consécration; enfin que,
dans l'Eucharistie, nous recevons le même corps qui est né de la Vierge
Marie, qui a souffert sur la croix, qui est sorti du sépulcre.
Chargé d'expliquer publiquement, selon la coutume, aux religieux de
Corbie, le saint Evangile les dimanches et les fêtes, il s'acquitta de cette
noble fonction avec tant de succès, qu'on le pria de commenter ainsi tout
l'Evangile selon saint Matthieu. Il se rendit à ces vœux et composa le savant
Commentaire qu'il nous a laissé en douze livres. Les quatre premiers furent
écrits avant 844, et les huit autres, après l'an 851. Le Saint y analyse, comme
il le fait toujours, les travaux antérieurs, et principalement ceux de saint
Jean Chrysostome, et combat spécialement les erreurs de son temps. Il eut
grand soin de s'appliquer à lui-même les belles maximes qu'il tirait du texte
sacré, de sorte qu'il fit de grands progrès dans la vie spirituelle : il résistait
aux tentations et se relevait de ses fautes en pratiquant, chose rare, ce qu'il
prêchait aux autres. Il donna, en outre, un exemple non moins utile aux
écrivains qui vivent en communauté : il ne travaillait à ses ouvrages qu'aux
heures qui lui restaient, après avoir assisté à tous les exercices du monas-
tère, parce que l'obéissance est plus méritoire aux yeux de Dieu que l'étude,
et qu'on ne peut, d'ailleurs, se mieux préparer à écrire sur les choses divines
qu'en célébrant, comme les anges, la gloire de Dieu, en la méditant, en se
mettant, pour ainsi parler, en communication avec le ciel. En 844, notre
Saint, quoique simple diacre, fut élu abbé de Corbie, après la mort d'Isaac.
Vers le même temps, il publia son traité de Y Enfantement de la Vierge, dédié
aux religieuses de Notre-Dame de Soissons : il y montre que Marie a enfanté
Notre-Seigneur d'une manière surnaturelle, sans cesser d'être vierge *.
1. Rorhbacher fait très-bien voir que Radbert et Ratramme, autre moine de Corbie et contemporain da
notre Saint, qui écrivirent tous deux à la même époque sur l'Enfantement de la Vierge et sur VEucharistie,
loin de se combattre l'un l'autre, enseignent exactement la même doctrine. Il relève avec beaucoup d'à-
propos, mais avec une rudesse tout à fait germanique, l'erreur dans laquelle Fleury est tombé à cette
occasion. Ce dernier pousse la délicatesse française et moderne un peu trop loin, quand il dit, en par-
lant des sujets traités par Radbert et Ratramme : « 11 eût mieux valu ne point agiter ces questions
inutiles et indécentes », et il fait une bévue historique quand il ajoute : « Ces savants, élevés grossiè-
rement chez les Barbares, n'avaient plus la sagesse et la discrétion des premiers Docteurs de l'Eglise ».
Il y a dans les Pères de l'Eglise, dans saint Jean Chrysostome par exemple, des questions, des images,
38 26 avril.
L'illustre abbé assista, l'an 847, au Concile de Paris, qui combla d'éloges
le monastère de Corbie, pour sa régularité, sa prospérité, et lui accorda de
grands privilèges. Il se trouva aussi à l'Assemblée de Quierzy-sur-Oise (8-49),
où Gotescalc fut condamné pour la seconde fois. Etant allé à Bazoches,
dans le Soissonnais, visiter l'église des saints martyrs Rufin et Valère, il fut
prié, par les habitants du lieu, de repolir l'histoire (les Actes) de ces Saints,
et de la mettre en meilleur style, sans rien changer, ni pour la substance,
ni pour l'ordre des faits. Il le fit très-volontiers, persuadé, disait-il, « que la
vie des Saints ne doit pas nous être moins précieuse que leurs reliques, et
que, si l'on a si grand soin d'envelopper dans de riches étoffes leurs osse-
ments sacrés, on doit aussi raconter leurs actions dans un style noble,
également éloigné de la recherche et de la vulgarité ». Différentes causes,
comme les distractions inséparables de l'administration d'un monastère,
l'opposition de quelques-uns de ses religieux, firent prendre au saint abbé
de Corbie la résolution d'abdiquer. Sa démission ne fut acceptée qu'en 851.
Il avait été puissamment soutenu dans ses peines par les moines de Saint-
Kiquier, chez lesquels il séjourna quelque temps, et par son ami Loup,
abbé de Ferrières, qui l'aida, non-seulement de ses conseils, mais de son
crédit, auprès du roi Charles le Chauve. Rendu à lui-môme et à l'étude,
Radbert reprit ses travaux littéraires, continua ses ouvrages interrompus
et en composa de nouveaux. Il joignait la prière à l'étude, pleurant sans
cesse ses péchés et ceux du prochain. Ce fut pour s'entretenir dans ces sen-
timents de componction, qu'après avoir fini ses commentaires sur saint
Matthieu et sur le psaume XLive, il en composa un sur les lamentations de
Jérémie, dédié à Sévère, son ami, dont le vrai nom était Hildeman. Dans cet
ouvrage, comme dans quelques autres de ceux qu'il a écrits vers la fin de
sa vie, il déplore les désordres de son temps, les vices scandaleux des ecclé-
siastiques et des religieux, la dissolution des mœurs publiques et les mal-
heurs résultant de l'invasion des Normands. Ne respirant plus que pour
l'Eglise et pour la France, il signale, il pleure les calamités qui les menacent,
et met tout en œuvre pour les conjurer. C'était un grand ennemi de l'égoïsme:
il s'oubliait toujours, il s'abîmait dans son humilité, pour ne penser qu'aux
autres. Ainsi, quoiqu'il eût écrit la vie de ses maîtres Adélard et Wala, il
défendit expressément à ses disciples d'écrire la sienne. Ses ordres n'ont été
que trop scrupuleusement exécutés. Nous n'avons guère aujourd'hui, pour
connaître les actions d'un si grand homme, d'autres ressources que ses
propres écrits. Il mourut saintement, vers l'an 865, le jour de la fête de saint
Riquier, pour qui il avait une dévotion toute particulière. Son corps fut
inhumé dans la chapelle de Saint-Jean ; mais, en 1073, il fut transféré dans
la principale église, par l'autorité du Saint-Siège, qui, à cause des miracles
opérés à son tombeau, le mit au rang des Saints que l'Eglise honore dans
le cours de l'année. On possède encore5 à Corbie, les restes presque entiers
de saint Paschase Radbert.
Outre les ouvrages dont il a été parlé dans le cours de ce récit, nous
avons encore de saint Paschase : le Traité de la foi, de l'Espérance et de la
Charité ; quelques Poésies et une Lettre qu'il écrivit au roi Charles le Chauve,
en lui envoyant le Traité du corps et du sang du Seigneur. « Il ne parle, dans
ses ouvrages, que d'aprèe l'Ecriture et les Pères. On y voit qu'il était très-
dès expressions qu'un traducteur ne sait plus sous quelle forme offrir sans scandale aux Français du xix«
Siècle. Autres temps, autres meurs. Ces questions, discutées arec convenance et mesure, sont a leur
place dans an traite théologique; mais a la page i'29 du deuxième tome de la Vie des Saints, par Rohr-
bacher, ell^s nous paraissent, en effet, inutiles et indécentes.
SAINT GUILLAUME ET SAINT PÉRÉGRIN, SON FILS. 39
versé dans les langues grecque et hébraïque. Son style est toujours appro-
prié aux matières qu'il traite.
On représente le bienheureux Paschase avec une monstrance ou osten-
soir à la main, pour rappeler le zèle avec lequel il défendit le dogme de
l'Eucharistie.
Il nous a fallu refaire Intégralement l'histoire de cette Vie, qui, dans le Père Giry, se réduit a un
éloge vague, sans récit. (Voir la biographie qui précède les œuvres du Saint, dans la Patrologie d»
M. Migne; Hngnes Ménard, dans ses notes sur le martyrologe bénédictin; Dom Ceillier; les auteurs de
Yffist. litt. de France; Mabillon, etc.)
SAINTE EXUPÉRANGE, VIERGE (380).
Née à Troyes, Exupérance se distingua de bonne heure par son amour pour la retraite et le si-
lence, et ne tarda pas à concevoir une estime particulière pour la virginité. L'âge ne fit qu'aug-
menter en elle le désir qu'elle avait dje renoncer à toutes les alliances humaines et de consacrer à
Dieu son àme et son corps.
Cependant le tumulte et l'agitation de la ville troublaient sa ferveur; elle résolut de chercher
un lieu solitaire où, loin des distractions mondaines, elle pût vaquer plus librement à l'oraison et
aux bonnes œuvres. Déjà les religieux de Saint-Ursion, établis à Isle (Aumont), répandaient par-
tout la bonne odeur de Jésus-Christ, et il n'y avait qu'une voix pour exalter leur vie sainte et
mortifiée. C'est sous la sagesse de leur direction qu'Exupérance alla placer sa vertu. Une modeste
cellule déroba aux regards profanes le secret d'une vie sainte passée sous l'œil de Dieu et de sa
conscience, jusqu'à ce que la mort, objet de ses désirs, lui ouvrit les portes de l'éternel séjour.
Ce fut vers l'an 380.
Le corps de la vierge troyenne reposa dans l'église dédiée à saint Ursion, et n'en fut enlevé
que longtemps après, pour être transféré à l'abbaye de Monlier-la-Celle. Ses reliques précieuses
(le corps entier), sont aujourd'hui (1872), renfermées dans une chasse de bois doré, exposée à la
vénération des fidèles dans l'église de Sainte-Savine. Un de ses ossements est également honoré
dans l'église paroissiale de Saint-Mards-en-Othe.
Notes locales, Defer.
SAINT GUILLAUME ET SAINT PÉRÉGRIN, SON FILS (xne siècle).
Saint Guillaume était originaire d'Antioche, en Syrie; il naquit de parents très-riclies qui lui
donnèrent une éducation digne de son rang. Il se maria, entra au service de l'Etat, et remplit tous
ses devoirs avec la plus scrupuleuse fidélité, selon le véritable esprit du christianisme, l'esprit de
l'amour et de l'obéissance filiale envers Dieu.
Quand il priait, il avait le recueillement d'un ange; il était plein de respect pour la religion et
ses ministres; tendre et bienfaisant envers les pauvres et les nécessiteux; toujours empressé à
venir au secours de ceux qui étaient l'objet de persécutions ou de vexations injustes. Quant à lui-
même, il s'imposait les plus grandes mortifications, et il était tellement résigné à la volonté de
Dieu, qu'il semblait avoir entièrement renoncé à la sienne.
Guillaume avait un fils nommé Pérégrin, à qui il tâcha d'inspirer, par la plus sévère surveil-
lance, les principes de toutes les vertus : il était persuadé que rien ne serait plus efficace à cet
égard que l'exemple paternel; aussi son fils ne tarda-t-il pas à devenir non-seulement la plus douce
consolation de ses parents, mais aussi un modèle de véritable piété.
Après la mort de son épouse, Guillaume résolut de renoncer à toutes les affaires de ce monde,
et de ne se consacrer qu'au Seigneur et au salut de son àme. Le père et le fils passèrent ainsi
plusieurs années dans une pieuse union, s'édifiant l'un l'autre et ne s'occupant que des moyens de
plaire à Dieu, sans s'inquiéter des choses temporelles.
Lorsque Pérégrin eut atteint l'âge viril, il demanda à son père la permission de faire un pèle-
rinage à Jérusalem et de visiter les Saints Lieux. Après avoir fini ses dévotions, il demeura encore
40 26 AVRIL.
quelque temps dans la Terre-Sainte et prit du service dans un hôpital pour y donner gratuitement
ses soins aux malades. Cependant son père, qui l'aimait tendrement, attendait son retour, et se
voyant toujours trompé dans son attente, il partit lui-même pour Jérusalem, afin de voir encore une
fois son fils. Mais sa santé était tellement affaiblie à la fin de son voyage, qu'il se vit forcé de
demander à être admis dans un hôpital. Dieu voulut que ce fût précisément celui dans lequel
Pérégrin s'acquittait de ses devoirs de charité. Le père ne reconnut pas son fils, et celui-ci ne se fit
connaître que lorsque la maladie prit un caractère sérieux. Quelle fut alors la joie du père lorsque,
dans ce garde-malade si plein de soin et d'attentions, il vit son propre fils. Ils s'embrassèrent avec
une sainte ardeur, et, bientôt après, ils eurent la consolation de pouvoir se remettre en rouie pour
leur patrie. Ils vendirent à Antioche tout ce qu'ils possédaient, firent un second voyage à Jérusa-
lem, donnèrent à l'hôpital, en faveur des pauvres et des malades, le produit de leur vente, et
partirent pour l'Italie, où ils s'établirent dans la partie du royaume de Naples qui a £U appelée la
Capitanate. Là ils exercèrent sur le peuple une influence salutaire par leurs paroles et leur con-
duite, et devinrent, pour un grand nombre, un instrument de salut. Peu de temps après, le vieil-
lard, chargé d'années, tomba malade, et mourut, riche en vertus et en mérites. Ce coup fut si
sensible à Pérégrin qu'il ne tarda pas à suivre son père dans les célestes demeures. Cette mort
arriva dans le xn« siècle, et c'est le 26 avril qu'on les honore publiquement l'un et l'autre à Foggia
dont ils sont les patrons.
Nous avons emprunté cette notice biographique aux continuateurs de Godescard.
SAINT JEAN, PREMIER ABBÉ DE BONNEVAUX,
ET ÉVÉQUE DE VALENCE (1145).
Né à Lyon, il fut d'abord chanoine de la cathédrale de cette ville. Ayant fait vœu à Dieu
d'entrer dans l'Ordre de Citeaux, il s'en laissa quelque temps détourner par ses amis. Effrayé de
sa faiblesse plutôt que des rigueurs de la Règle bénédictine, il crut pouvoir, de son propre chef,
commuer un vœu qui lui semblait impraticable : sur cette fausse persuasion, il résolut d'aller en
pèlerinage au tombeau de saint Jacques de Compostelle. A peine de retour à Lyon, Dieu lui fit
connaître son erreur dans une vision menaçante. Notre-Seigneur se présente à lui, accompagné de
saint Pierre et de saint Jacques. Le premier tenait à la main un livre où, parmi les noms des élus,
il prononça celui de Jean. Mais Notre-Seigneur, se levant en courroux, dit à saint Pierre : « Ef-
facez ce nom du livre des élus ; Jean est un parjure ». Alors saint Jacques se jeta aux pieds du
Sauveur et s'écria : « Grâce, Seigneur, pour l'un de mes plus fervents pèlerins... II est vrai que
Jean n'a point été fidèle à sa promesse ; mais pardonnez-lui. Effrayé de vos menaces et touché de
vos miséricordes, il accomplira le vœu qu'il a fait d'entrer dans l'Ordre de vos enfants de Citeaux ».
A ces mots, Jean se réveille, se jette à genoux et promet de faire pénitence. Sans attendre le
lendemain, au milieu des ténèbres mêmes de la nuit, il se dispose à partir pour Citeaux, ne don-
nant, cette fois, avis à personne de sa détermination.
A quelque temps de là, Jean fut mis à la tête de la colonie que Citeaux envoya à Bonnevaux,
près de Vienne, en Dauphiné (1117). C'est lui qui eut le bonheur de recevoir dans les bras de te
religion saint Pierre de Tarentaise, saint Amédée d'Ilauterives J et, avec ce dernier, dix-sept autres
gentilshommes ; de fonder les abbayes de Tamié, au diocèse de Tarentaise, de Léoncel, au diocèse
de Valence, de Mansiade, au diocèse de Viviers.
Or, en ce temps, le siège épiscopal de Valence était occupé par un prélat nommé Eustache,
dont le faste, les folles dépenses et la dureté envers les pauvres n'étaient pas d'un évoque. En
vain saint Bernard, crai veillait à tout dans l'Eglise de Dieu, lui écrivit une lettre sévère ; en
vain le Pape le frappa d'interdit : six ans s'écoulèrent encore pendant lesquels le prélat prévari-
cateur se maintint par la force dans Valence. A la fin, le peuple se révolta, se saisit de la personne
d'Eustache et le chassa pour toujours de la ville, le lendemain de Pâques (1141). Trois jours après,
Jean, que les évéques de la province de Vienne jugèrent seul capable de guérir tant de maux, fut
arraché des bns de ses religieux et porté ea triomphe sur le siège épiscopal de Valence.
Nous ne suivrons point le boa pasteur allant à travers les villes et les hameaux, chercher la
1. Nous donnons ailleurs la vie de saint Pierre et de saint Amédée.
LA BIENHEUREUSE ALDA. 41
brebis égarée, consoler l'indigent, rendre à chacun la justice. Confoulens vit se multiplier l'argent
de son aumônière à mesure qu'il le distribuait aux pauvres, et les pierres de Livron servirent aux
partisans d'Eustache à le lapider : mais le Saint ne parut pas môme s'apercevoir de cet affront : il
continua sa route en disant : « Seigneur, ne leur imputez pas cela à péché ». — « La maison où
je vous parle », disait-il à ses officiers de justice qui se plaignaient de sa trop grande indulgence, « a
vu assez de rigueurs et de violences : il est temps que nous songions, vous et moi, que nous
sommes hommes, capables, par conséquent, de commettre des crimes aussi grands que ceux que
nous voudrions punir dans les autres avec tant de sévérité ». Il ne faut pas oublier que, au moyen
âge, la plupart des évêques étaient seigneurs temporels.
L'historien de sa vie — un religieux anonyme de Bonnevaux — a résumé en trois mots le but des
efforts du saint évèque de Valence :1a gloire de Dieu, le salut de son âme, le soin de son troupeau.
Jean rendit son âme à son Créateur, un jeudi, 26 avril de l'année 1145. Le tombeau, où il fut
enseveli dans l'église cathédrale, attira bientôt un concours immense de pèlerins. Ce tombeau et
les saintes reliques qu'il renfermait furent profanés, en 1562, par les protestants. Il n'en reste
plus trace aujourd'hui.
Cf. Propre de Valence, 1853, et Histoire hagiologique de ce dioeès», par M. N&dal.
LA BIENHEUREUSE ALDA, RELIGIEUSE HUMILIÉE (1309).
La bienheureuse Aida appartenait à une honorable famille de Sienne. Elle perdit son mari après
une union de sept ans. Elle quitta alors la ville, vendit, au profit des pauvres, tous les biens qu'elle
y possédait, prit l'habit du Tiers Ordre des Humiliés et se retira dans une petite maison de campagne
où elle mena la vie la plus retirée et la plus mortifiée. De cruelles tentations vinrent l'y visiter :
pour les chasser, elle alla jusqu'à s'enfoncer une couronne d'épines dans la tète. Notre-Seigneur
récompensa sa persévérance par d'ineffables faveurs. C'est ainsi qu'il lui fit voir la forme et les
dimensions des clous qui avaient attaché son saint corps à la croix : l'un des trois clous, celui
destiné aux pieds, était plus grand que les deux autres. Elle en grava si bien l'image dans sa
mémoire que, prenant un couteau et une branche d'olivier, elle en tailla un parfaitement sem-
blable : ce clou de bois, confronté plus tard avec le vrai clou conservé dans le trésor des rois de
France, fut trouvé en tout conforme. On le garda pendant plus de trois cents ans dans l'église de
Saint-Thomas à Sienne, occupée par les religieux Humiliés, jusqu'à Pie V, époque à laquelle ils
furent supprimés.
Mais Aida se trouvait encore trop riche, bien qu'elle n'eût qu'une courge vide pour mettre son
eau et une écuelle de bois pour manger, et que tous les revenus de sa modeste propriété fussent
versés dans le sein des pauvres : elle vendit encore ce petit bien et vint demeurer à l'hôpital de
Sienne où elle se livra à toutes les bonnes œuvres que lui inspirait son ardente charité. On lui
avait donné, comme suivante, une certaine Jacomine qui assura avoir vu la Saiute marcher cons-
tamment précédée de deux flambeaux : cette même Jacomine, l'ayant un jour surprise en extase,
appela les gens de l'hospice qui eurent la barbarie de la crucifier. Quand elle revint à e'ie-même,
elle se contenta de leur dire : « Que Dieu vous pardonne ». Elle mourut en 1309. Son culte, très-
célèbre autrefois, fut abandonné lorsque l'église Saint-Thomas, où reposent ses restes, fut donnée
aux Dominicains.
Acta Sanclonat,
42 27 avril.
XXVII' JOUR D'AVRIL
MARTYROLOGE ROMAIN.
A Nicomédie, la naissance au ciel de saint Anthime, évêque et martyr, qui arriva à la gloira
du martyre dans la persécution de Dioclétien, ayant eu la tête tranchée pour la confession de
Jésus-Christ. Il fut suivi de presque toute la multitude de son troupeau, dout le juge tit décapiter
les uus, brûler les autres, et jeter les autres dans la mer en les entassant sur des barques. 303.
A. Tarse, eu Cilicie, les saints martyrs Castor et Etienne. — A Rome, le décès du bienheureux
Anastase, pape, personnage d'une très-riche pauvreté et d'un zèle apostolique, « que Rome a,
comme dit saint Jérôme, « ne mérita pas de posséder longtemps, de peur que la tête du monde ne
tombât sous un tel Pontife »; car, peu de temps après sa mort, Rome fut prise par les Goths et
saccadée. 401. — A Bologne, saint Tertullien, évêque et confesseur. vie s. — A Brescia, saint
Théophile, évêque. v9 s. — A Constantinople, saint Jean, abbé, qui combattit beaucoup sous
Léon l'Isaurien, pour le culte des saintes images l. 813. — A Tarragone, le bienheureux Pierre
Armengol. de l'Ordre de Notre-Dame de la Merci, pour la rédemption des captifs, qui, après
avoir beaucoup soutïert en Afrique, en rachetant les chrétiens, finit saintement ses jours au
monastère de Sainte-Marie des Prés. 1304. — A Lima, en Pérou, saint Tunbe, archevêque, dont
on fait la fête le 23 mars. 1606. — A Lucques, eu Italie, la bienheureuse Zite, vierge, célèbre
par la renommée de ses miracles. Le pape Léou X a fixé sa fête à ce jour. 1278.
.ItTYROLOGE DE FRANCE, REVU ET AUGMENTÉ.
A Limoges, saint Alpinien, prêtre, disciple de saint Martial et son coiiègue dans la prédication
de l'Evangile, lequel, après une vie pleine de saintes œuvres et de miracles, fut invité aux noces
de l'Agneau par le même saint Martial qui l'avait précédé. Son corps a été premièrement à Ruffec,
en Berri, et puis à Castel-Sarrasin, au diocèse de Montauban, où la piété des bons chrétiens du
vie x temps l'avait logé dans un précieux reliquaire d'argent *. Ier s. — Encore à Limoges, la
fête de saint Austriclinien, prêtre, autre compagnon de saint Martial, entré au ciel le 13 octobre3.
Ier s. — A Liège, le vénérable Frédéric, évêque. 1121. — A Amiens, la fête de saint Riquier,
nommé hier au martyrologe romain. — A Coutances, la fête de saint Guillaume Firmat, dont l'entrée
au ciel est marquée le 24 avril. — A Auch, la fête de saint Cérase ou Céré, dont l'entrée au ciel
est le 24 avril. — En Flandre, saint Ebertramne, compagnon de saint Bertin et de saint Mommolin.
— A Cologne, fête de saint Gérard de Toul, qui fit son éducation cléricale dans la première de
ces villes. — Au diocèse du Mans, le bienheureux Alleaume. Né dans !a Flandre d'une famille
illustre, il renonça aux joies du siècle, et se retira dans une forêt du Maine, à l'ermitage de Saint-
Nicolas. Après avoir vécu ensuite quelque temps solitaire dans l'ile de Chaussey, sous la conduite
du bienheureux Bernard de Tyron, il revint fonder la célèbre abbaye de Notre-Dame d'Estival,
pour servir de retraite à la chaste troupe de vierges qui s'était réunie autour de son ermitage de
Saint-Nicolas. Il fonda aussi un monastère d'hommes à Saint-Nicolas même. Le bienheureux
Alleaume mourut le 27 avril 1152, et son corps fut enseveli dans l'église abbatiale d'Estival*. Il
y a dans la vie du bienheureux Alleaume un épisode touchant : c'est l'amitié que lui avait vouée
1. Les Bollandistes disent que c'est sons Le'on l'Arme'uien (813-820), et non sous Léon l'Isaurien (717-
7-11), que souârit satnt Jean Hégumène, du monastère des Cathares.
S. Voir sa Notice au Supplément de ce volume.
3. Voir la Vie de saint Jlartial, où sont racontées la maladie, la mort, la résurrection de saint Aus-
triclinien.
4. Depuis les troubles politiques et religieux de la fin du xvme siècle, l'abbaye de Notre-Dame
d'Estival a été presque entièrement détruite. On a découvert alors dans un caveau, sous la sacristie Ce
•, sept tombeaux en pierre, sur lesquels étaient sculptées les statues en pied des pers nuages dont
ils renfermaient les corps. C'étaient vraisemblablement les sépultures des seigneurs de Beaumont-le-
Vicomte, fondateurs et principaux bienfaiteurs. Ce qui subsiste encore de l'église abbatiale, c'est-à-dire
la partie droite du transept, atteste la magnificence avec laquelle cet édifice fut construit; oa y voit des
SAINT ANTHIME, ÉVÊQUE ET MARTYR. 43
le vieil ermite Albert. Celui-ci habitait l'ermitage de Saint-Nicolas, lorsque Alleaume vint s'y réfu-
gier en quittant les Flandres. La douleur qu'il éprouva de voir son disciple l'abandonner pour
aller habiter l'île de Chaussey, fut telle qu'il ea devint comme insensé. A son retour, Alleaume,
sensiblement touché de la peine de son vieux guide spirituel, se prosterna à ses pieds et lui pro-
testa qu'il ne le quitterait plus désormais.
MARTYROLOGE DES ORDRES RELIGIEUX.
Martyrologe des Bénédictins. — Saint Fidèle de Sigmaringen, martyr, nommé le 24 avril au
martyrologe romain.
Martyrologe des Camaldules et de Vallombreuse. — Saint Fidèle de Sigmaringen, etc.
Martyrologe des Cisterciens. — A Plaisance, en Italie, sainte Franque, vierge, de l'Ordre
Cistercien, qui, célèbre par sa vie, sa sainteté et ses miracles, s'envola vers son Epoux le 25 avril.
Martyrologe des Franciscains. — A Bitecto, en Apulie, le bienheureux Jacques d'Illvrie,
confesseur. 1485.
Martyrologe des Mineurs conventuels. — Saint Georges, martyr, honoré le 23 avril. — A
Equicoli, dans l'Abruzze, la bienheureuse Philippe de Marérie, vierge Clarisse, célèbre par ses
vertus et ses miracles, opérés avant et après sa mort, qui s'envola vers le Seigneur le 19 mars. 1236.
Martyrologe des Augustins. — Suint Clet et saint Marcellin, papes...
Martyrologe des Servites. — Saini Clet et saint Marcellin, papes.
ADDITIONS FAITES D'APRÈS LES BOLLANDISTLS ET AUTRES HAGIOGRAPHES.
A Lucques, en Italie, saint Antoine, prêtre et solitaire, dont le corps fut retrouvé en 1201. H
fut le compagnon du bienheureux Paulin, premier évèque de Lucques et disciple de saint Pierre,
A Castel-Aluvia (lieu aujourd'hui inconnu), les saints martyrs Caper ou Cypnis, Maur, Captus ou
Cassus, diacre ; Husamlus et Prianus. — Chez les Grecs, saint Lolion le Jeune, martyr. — A Altino,
ancienne ville du territoire de Trévise, saint Libéral, qui convertit un grand nombre d'ariens et
le préfet du lieu. Vers l'an 400. — A Coustantinople, saint Euloge, dit l'Hospitalier, qui était
honoré dans l'église de Saint-Mocius de cette ville. Règne de Justiuien probablement.
SAINT ANTHIME, EVEQUE ET MARTYR
303. — Pape : Saint Marcellin. — Empereur : Dioclétiea.
Bienheureux le» morts qui meurent dans le Seigneur.
Apoc, xiv, 13.
La ville de Nicomédie, si souvent arrosée du sang des Martyrs, n'a pas
été seulement le lieu de la naissance de saint Anthime, mais encore la
théâtre de sa gloire et le champ de hataille où, en perdant la vie, il s'est
acquis l'immortalité. La piété et la modestie qu'il faisait paraître dès son
enfance, le distinguaient de tous ceux de son âge. À la fleur de sa jeunesse,
il s'appliqua à la philosophie chrétienne avec tant d'ardeur qu'il devint un
objet d'admiration pour tous ceux qui le connurent, et les porta à l'amour
de cette vraie sagesse. Un mérite si éclatant le fit bientôt ordonner prêtre ;
et, quelque temps après, Cyrille, évêque de Nicomédie, étant décédé, il fut
élu à sa place, du consentement unanime de tous les chrétiens. Il savait que
cette charge était lourde et s'en jugeait indigne. Il fit donc tout son pos-
sible pour l'éviter, mais inutilement ; il fut obligé de l'accepter. C'était au
temps où la persécution de Dioclétien et de Maximien-Galère éclata d'une
fenêtres byzantines avec leurs archivoltes, des colonnes monocylindriques qui n'ont aux chapiteaux, pouf
tout ornement, que de grotesques serpents entrelacés. Les restes du monastère lui-même, qui couvrent
encore un vaste espace, semblent annoncer qu'il fut reconstruit au xvue siècle. D. Piolin.
44 27 AVRIL.
manière si horrible à Nicomédie, d'où elle se répandit dans tout l'empire. Il
fallait donc à cette ville un évêque ferme dans sa foi et capable d'y affermir
les autres; tel fut Anthime: il soutint si bien îe courage de ses diocésains,
qu'un nombre prodigieux, vingt mille, dit-on, endurèrent héroïquement le
martyre. On arrêta bientôt celui qui était le chef et comme l'âme de cette
vaillante armée de Jésus-Christ. Ceux qui furent chargés de cette mission
s'étant adressés à lui, sans le connaître, il leur dit qu'il connaissait Anthime,
promit de le leur livrer, et, en attendant, il les invita à se reposer chez lui :
là il leur ht servir un festin magnifique, à la fin duquel il leur dit : « Je vous
ai promis de vous amener et de vous livrer Anthime, évêque de Nicomédie.
C'est moi : je suis celui que vous cherchez. Réjouissez-vous donc, et me
conduisez à l'empereur ». Ces paroles du vieillard, la joie, l'assurance qui
brillaient sur son visage, remplirent d'admiration les soldats chargés de
l'arrêter. Ils lui conseillèrent la fuite ; mais le saint Pontife leur exposa le
bonheur du martyre, leur expliqua les vérités de la religion chrétienne, les
convertit, les baptisa, puis il marcha devant eux après s'être fait lier les
mains derrière le dos, et alla se présenter à l'empereur. Maximien, s' en-
vironnant de tout l'appareil des supplices, demanda au prisonnier si c'était
lui qui s'appelait Anthime, qui combattait la divinité des dieux avec mé-
pris, et qui corrompait et pervertissait le peuple par ses prédications.
« Votre demande, seigneur, répondit Anthime, ne recevrait point de réponse,
si le divin apôtre saint Paul ne nous avait appris que nous devons toujours
être prêt à rendre raison de notre foi, et si notre souverain Maître Jésus-
Christ ne nous avait assuré qu'il nous donnerait dans ces occasions, des
paroles si puissantes, que nos adversaires n'y pourraient pas résister. Certes,
je déplore infiniment votre misère et votre aveuglement; je vous plains
d'adorer de vains simulacres et de leur donner le titre de dieux; mais
je suis encore plus surpris de ce que vous prétendez m'obliger, par vos
menaces, ou par vos supplices, à en faire de même et à imiter votre folie.
Croyez -vous, ô empereur, avoir assez de pouvoir, soit par la douceur de vos
belles paroles, soit par la terreur de vos tourments, pour me faire renoncer
à la foi et à l'honneur que je dois à Jésus-Christ, mon Sauveur et mon Dieu?
Non, non, vous vous trompez; ce serait être déraisonnable que de préférer
les voluptés passagères de ce monde aux délices célestes et aux biens
éternels du paradis ».
Maximien se moqua de ce discours ; et, s'imaginant que c'était une bra-
vade, qui ne durerait pas, il commanda que l'on meurtrît la tête du saint
Martyr à coups de pierres et de cailloux; mais ce grand homme, bien loin
de se plaindre, ne cessait de crier : « Que les dieux qui n'ont pas fait le ciel
et la terre périssent maintenant ! » Le tyran lui fit ensuite percer les talons
avec de longues alênes de fer embrasé; et, l'ayant fait jeter sur des têts
pointus, il l'y fit fouetter avec une cruauté inouïe; puis il lui fit chausser des
bottes de bronze que l'on avait fait rougir dans le feu, s'efforçant ainsi par
la rigueur de ces tourments de surmonter sa constance. Mais Dieu, qui ne
s'éloigne jamais de ses élus, consola son serviteur au milieu de ses supplices,
lui faisant entendre une voix du ciel qui l'encourageait, et qui lui pro-
mettait la récompense de ses travaux après l'entière victoire : le saint
Martyr, reprenant de nouvelles forces et faisant paraître dans ses yeux les
douces consolations qui abondaient en son âme, dit à l'empereur : « Je vous
ferai bientôt voir que c'est une pure folie et une vaine pensée de religion
qui vous fait adorer ces fausses divinités, et blasphémer le saint nom de Jé-
sus-Christ ».
SAINT ANTHIME, ÉVÊQUB ET MARTYR. 45
C'était mettre de l'huile dans le feu, et irriter de plus en plus la colère
de Maximien ; il commanda donc que le saint Martyr fût attaché sur une
roue ; et que, pendant qu'elle tournerait sans cesse, on lui brûlât peu à peu
tout le corps avec des flambeaux ardents. Les bourreaux étaient habiles à
exécuter ces ordres ; mais lorsqu'ils pensaient réduire son corps en pièces
et en cendres, ils furent eux-mêmes renversés par terre ; et, leurs instru-
ments leur tombant des mains, ils demeurèrent comme paralysés. Maximien
les stimula par des sarcasmes et des menaces ; ils lui répondirent qu'ils ne
manquaient pas de courage pour lui obéir, mais qu'ils ne le pouvaient pas,
parce que trois personnages pleins de majesté, et tout éclatants de lumière,
assistaient le Martyr, et le protégeaient contre leurs violences. Anthime, de
son côlé, tout rempli de joie et de consolation, chantait au milieu de ses
tourments, et rendait mille louanges à Dieu pour les victoires qu'il lui faisait
remporter.
L'empereur, vaincu par la constance du Martyr, fut contraint de le faire
détacher de la roue et de le renvoyer en prison chargé et presqu'accablc de
chaînes. Mais il arriva qu'au milieu du chemin elles se brisèrent miraculeu-
sement, et s'ôtèrent d'elles-mêmes de ses pieds et de ses mains, ce qui
donna une telle épouvante aux archers qui le conduisaient, qu'ils tombè-
rent par terre, tout saisis et tremblants de frayeur. Cependant, ils furent
relevés par Anthime, qui les prit par la main, et leur commanda de conti-
nuer à remplir leur charge. Il rentra donc en prison avec une joie que l'on
ne peut exprimer. Les criminels, qui y étaient en grand nombre, reçurent
tant de consolations de sa présence, et furent si touchés de ses saints entre-
tiens, qu'ils se convertirent tous à la foi catholique, et reçurent le sacre-
ment du Baptême. Maximien, qui se voyait vaincu de quelque côté qu'il se
tournât, fit encore venir le Martyr devant lui ; et, changeant ses moyens
d'attaque, lui promit de grandes faveurs, et même l'office de souverain prê-
tre des dieux, s'il voulait leur offrir de l'encens. Mais Anthime, se moquant
de ses offres, lui dit fort généreusement : « Je suis prêtre du grand et sou-
verain pontife Jésus-Christ, à qui je m'offre moi-même en sacrifice. Pour
ce qui est de vos dieux et de leurs dignités, dont vous me parlez, ce n'est
qu'une moquerie et une pure folie ». L'empereur, ne pouvant plus suppor-
ter ces mépris, commanda enfin qu'il eût la tête tranchée. Anthime acheva
ainsi son glorieux martyre et ne cessa de vaincre qu'en cessant de vivre, le
27 avril, l'an de Notre-Seigneur303.
coup d'ceil sur la dixième et dernière persécution générale.
L'empereur Numérien, fils de Carus, ayant été massacré en 284, l'armée qui était à Chalcé-
doine revêtit Dioclétieu de la pourpre. Dioclétien était un soldat de fortune, né dans la Dalmatie,
de parents d'une basse extraction. 11 avait pris de bonne heure le parti des armes, et s'était élevé
par degrés aux premiers honneurs militaires. L'année suivante, le nouvel empereur défit Carin,
autre fils de Carus, qui régnait en Occident. Cette victoire ne calma pas toutes ses inquiétudes.
D'un côté, il craignait de succomber sous le poids des affaires; de l'autre, il se défiait de la fidé-
lité de ses troupes, et surtout des gardes prétoriennes, qui, depuis près de trois cents ans, étaient
en possession de disposer de l'empire et d'ôter la vie à leurs maîtres. Considérant d'ailleurs qu'il
n'avait point d'enfant mâle, il résolut de se donner un collègue. Son choix tomba sur Maximien-
Hercule, en qui il avait une confiance entière, et en qui il connaissait une grande capacité pour
le métier de la guerre. La famille de Maximien-Hercule était fort obscure. Il naquit dans un
village voisin de Sirmium, en Pannonie. Il était d'un caractère cruel et livré à toutes sortes de
vices. Il dut son élévation à ses talents militaires.
Ces deux princes, alarmés du péril qui menaçait l'empire de toutes parts, et désespérant de
pouvoir faire face à tous leurs ennemis, nommèrent chacun un César qui pût les aider à défendre
leurs états respectifs. Ils voulurent aussi par là se donner chacun un successeur. Dioclétieu nomma
4G 27 avril.
Maximien-Galère pour l'Orient, et Maximien-IIercule nomma Constance-Chlore pour l'Occident.
Maximien-Galère était un paysan de la Dacie, qui entra dans les armées romaines. Tout en lui
annonçait un naturel barbare et féroce. Son regard, sa voix, son maintien avaient quelque chose
d'effrayant. Il était, outre cela, zélé pour l'idolâtrie jusqu'au fanatisme. Constance-Chlore était
d'une famille illustre, et réunissait en sa personne toutes les qualités qui font un grand prince.
Dioclétien n'iuquiéta point les chrétiens pendant les premières années de son règne. Cela
n'empêcha pas qu'il y en eût plusieurs de martyrisés en vertu des anciens édits qui n'araient
point été révoqués. Pour Galère, il leur fit ressentir bientôt dans toutes les provinces de sa dé-
pendance les effets de la haine implacable qu'il leur portait. 11 tâchait en même temps d'engager
Dioclétien à entrer dans ses sentiments. 11 renouvela ses efforts pendant l'hiver de l'année 302,
qu'il passa à Nicomédie.
Cependant Dioclétien ne se laissait point encore gagner : il évitait d'en venir aux extrémités,
de peur que l'effusion du sang chrétien ne troublât le repos de l'empire. Enfin, on consulta l'oracle
d'Apollon à Milet. La réponse, dit Lactance l, fut telle qu'un ennemi de la religion chrétienne
pouvait l'attendre. Le même auteur rapporte dans deux endroits * un autre incident qui ne con-
tribua pas peu à aigrir Dioclétien contre les adorateurs de Jésus-Christ. Ce prince, étant à An-
tioche en 302, immola quantité de victimes pour trouver dans leurs entrailles la connaissance de
l'avenir. Quelques officiers chrétiens qui étaient auprès de sa personne formèrent sur leur front
le signe de la noix. Les aruspices confondus ne trouvant point dans les entrailles des victimes
ce qu'ils y cherchaient, en offrirent de nouvelles, sous prétexte que les dieux n'étaient point en-
core suffisamment apaisés ; mais ils ne réussirent pas plus que la première fois. Celui qui prési-
dait à la cérémoo e s'écria tout-à-coup qu'on ne devait point s'étonner de ce qui arrivait. « Il y a
ici », dit-il, « des profanes qui nous troublent dans nos sacrifices ». Par ces profanes, il enten-
dait les chrétiens. L'empereur irrité ordonna sur-le-champ que tous les chrétiens qui étaient pré-
sents, ainsi que tous ceux qui tenaient à la cour, eussent à sacriGer aux dieux. « Je veux »,
ajouta-t-il. « que ceux qui refuseront d'obéir soient battus de verges ». Il envoya aussi des ordres
aux commandants des troupes pour qu'ils cassassent les soldats qui ne sacrifieraient pas.
Une autre chose confirma Dioclétien dans ses sentiments de haine contre le christianisme,
quoiqu'elle dût naturellement produire nu effet tout contraire : elle est rapportée par Constantin
le Grand dans un édit qu'il adressa à tout l'empire. Voici comment parle ce prince 3 : « On dit
qu'Apollon déclara, par une voix sortie du fond d'une caverne, non de la bouche d'un homme,
que des justes qui vivaient sur la terre l'empêchaient de dire la vérité, et qu'ils étaient cause des
fausses prédictions qu'il faisait. Dioclétien laissa croître ses cheveux pour marquer sa douleur, et
déplora le triste sort des hommes qui n'avaient plus d'oracles. Je vous en prends à témoin, Dieu
du ciel ! Vous savez qu'étant encore jeune, j'entendis ce malheureux empereur demander à un de
ses gardes « qui étaient ces justes qui vivaient sur la terre? » et qu'un prêtre païen qui était
présent lui répondit que c'étaient les chrétiens. Ayant écouté cette réponse avec beaucoup de joie,
il tira contre l'innocence l'épée qui ne devait être employée que contre le crime ; et, si l'on peut
parler ainsi, il écrivit avec la pointe de sou épée des édits sanglants contre les chrétiens, et
ordonna aux juges de se servir de toute l'adresse de leur esprit pour inventer de nouveaux sup-
plices ».
On choisit, pour ouvrir la persécution, le vingt-troisième jour de février, auquel les païens
célébraient la fête de leur dieu Terme *. On ne se tlattait de rien moins que d'anéantir notre sainte
religion. Dès le matin, le préfet, accompagné de plusieurs officiers, se rendit à l'église des chré-
tiens. 11 en força les portes, se saisit des livres de l'Ecriture qu'il y trouva et les fit brûler : tout
le reste fut abandonné au pillage. Dioclétien et Galère voyaient d'un balcon tout ce qui se pas-
sait, car l'église étant placée sur une émineuce, on la voyait du palais. Ils délibérèrent longtemps
s'ils ordonneraient que l'on mit le feu à l'église. Dioclétien, qui craignait que les flammes ne se
communiquassent à d'autres bâtiments de la ville, fut d'avis qu'on se contentât de l'abattre. On y
envoya donc uu corps considérable de prétoriens, qui la démolirent en fort peu de temps.
Le lendemain, on publia un édit par lequel il était ordonné d'abattre toutes les églises et de
brûler nos saintes Ecritures. Il y était dit aussi que l'on ferait subir la question à tous les chrétiens,
de quelque rang qu'ils fussent; qu'ils seraient inhabiles à posséder les charges et les dignités ; que
l'on recevrait toutes les actions intentées contre eux ; qu'eux, au contraire, ne seraieut point receva-
bles à demander justice pour violence, pour adultère, etc.; qu'ils seraient enfin déchus de tous les
droits attachés à la qualité de sujet de l'empire.
Cet édit n'eut pas plus tôt été affiché, qu'un chrétien fort considérable par sa place l'ar-
racha et le mit en pièces. Son zèle, que Lactance condamne comme indiscret, venait, selon
Eusèbe, d'un principe divin. Ce dernier auteur ne cousidérait que l'intention. Le chrétien fut ar-
1. De mort, persecut., c. 11, p. 197. — 2. Ibid., c. 10, et Instit., 1. iv, c. 27.
3. Apud Euseb., in Vit. Constant., 1. n, c. 50, 51, p. 467.
4. Le mois de février était le dernier de l'année romaine, lorsqu'on institua cette fête, et il le fut
Jusqu'à la réformation du calendrier faite par Jules-César.
SAIiNT AKTIIIME, ÉVÊQUE ET MARTYR. 47
rèté et condamné à diverses tortures; on retendit ensuite sur un gril ardent, où il consomma
son sacrifice. Il montra durant son supplice une patience admirable.
Ce premier édit fut bientôt suivi d'un second. 11 y était ordonné d'arrêter les évêques, de les
charger de chaînes et de les obliger, à force de tourments, de sacrifier aux idoles. On croit que
saiut Anthime fut arrêté en cette occasion. Quoi qu'il en soit, la ville de Nicomédie fut alorg
inondée du sang chrétien.
La haine que Galère portait aux disciples de Jésus-Christ n'était point encore satisfaite. Il
s'avisa, pour engager Dioclétien à les traiter avec encore plus de rigueur, d'un moyen qui décèle
toute la barbarie de son caractère. Il fit mettre le feu au palais impérial par ses créatures. Les
idolâtres accusèrent aussitôt les chrétiens d'être les auteurs de l'incendie, et se livrèrent aux plus
violents transports de rage contre eux. C'était ce que Galère avait prévu ; c'était là l'objet de ses
désirs. On disait que les chrétiens, ligués avec quelques eunuques, avaient attenté. à la vie des
deux princes et qu'ils avaient pensé les brûler tout vifs dans leur propre palais. Dioclétien
ajouta foi à ces bruits. Il fit donner en sa présence une cruelle question à tous ceux qui compo-
saient sa maison, pour découvrir les incendiaires ; mais on ne put les connaître, parce qu'on
n'informa point contre les gens de Galère.
Quinze jours après, on mit le feu une seconde fois au palais. On ne découvrit point non plus
l'auteur de l'embrasement, qui était toujours Galère. Ce prince partit le jour même de la ville de
Nicomédie, quoiqu'on fût au milieu de l'hiver. A l'entendre, il n'en agissait de la sorte que pour
n'être pas brûlé par les chrétiens. Le palais fut peu endommagé, parce qu'on en éteignit le feu
presque sur-le-champ. On rendit encore les chrétiens responsables du second incendie.
Dès lors la fureur de Dioclétien ne connut plus de bornes; les malheureux chrétiens en res-
sentirent tout le poids. Les plus affreux supplices étaient le partage de ceux qui refusaient d'adorer
les idoles. Valérie, fille de l'empereur, qui avait épousé Galère, et Prisca, sa femme, toutes deux
chrétiennes, se virent dans l'alternative de souffrir une mort cruelle ou de sacrifier. Elles eurent
l'une et l'autre la lâcheté d'apostasier ; mais Dieu les en punit d'une manière terrible. Leur vie ne
fut plus qu'un tissu de malheurs, après quoi elles eurent publiquement la tète tranchée, par l'ordre
de Licinius, car en 313 il fit périr toute la famille de Dioclétien et toute celle de Maximien-
Galère.
Les plus puissants des eunuques, qui jusqu'alors avaient été les maîtres du palais et les con-
seillers de l'empereur, devinrent les premières victimes de la persécution. Ils aimèrent mieux
périr au milieu des supplices que de trahir leur religion. Les principaux d'entre eux furent saint
Pierre, saint Gorgone, saint Dorothée, saint Inde, saint Migdone, etc.
Du palais, la persécution s'étendit sur l'église de Nicomédie, dont saint Anlhime était évèque.
Ce Saint eut la tète tranchée. Il fut accompagné dans son triomphe par les prêtres et par les
autres ministres de son église, qui moururent pour la foi, avec tous ceux qui appartenaient à la
famille.
Nous avons dit dans les Actes de saint Anthime que le diocèse de Nicomédie fournit vingt
mille victimes à cette affreuse boucherie. Ce chiffre de vingt mille martyrs réparti sur tout le dio-
cèse de Nicomédie n'a rien d'exagéré, si l'on songe que Galère tua huit mille chrétiens dans une
seule ville de Phrygie, dont les magistrats et tous les habitants étaient chrétiens ! Pour aller plus
vite en besogne, il fit mettre le feu aux quatre coins de la ville et la fit cerner par ses soldats.
Nous avons vu de nos jours (1870) les Prussiens et leurs satellites renouveler un semblable pro-
cédé contre les paisibles habitants de villes et de villages, pour lesquels c'était un crime d'être
français, comme c'en était un sous Galère de se dire et d'être chrétien.
Les simples fidèles ne furent pas plus épargnés que les ecclésiastiques. Il y avait des juges
dans les temples pour condamner à mort tous ceux qui refuseraient de sacrifier. On inventait,
pour les tourmenter, de nouveaux genres de supplices. On dressa des autels dans toutes les cours
de justice ; et personne n'était admis à réclamer la protection des lois, qu'il n'eût auparavant ab-
juré la religion chrétienne. On ne souffrait point, dit Eusèbe, que le peuple vendit ou achetât,
qu'il emportât de l'eau dans sa maison, qu'il fit moudre le blé, qu'il traitât aucune sorte d'affaire,
à moins qu'il n'offrit de l'encens à certaines idoles placées aux coins des rues, aux fontaines
publiques, dans les marchés, etc. Mais toutes les tortures Surent inutiles, et l'on chercherait vai-
nement des expressions assez énergiques pour représenter le courage avec lequel une multitude
innombrable de chrétiens sacrifièrent leur vie pour Jésus-Christ. On brûlait par troupes des per-
sonnes de tout âge et de tout sexe. Plusieurs furent décapités, et d'autres précipités dans la mer.
Le Martyrologe romain fait mémoire, sous le 27 avril, de ceux qui souffrirent en cette occasion.
De Nicomédie la persécution passa dans toutes les provinces de l'empire. Les édits se succé-
daient les uns aux autres. Le quatrième parut au commencement de l'année 304 : il ordonnait de
mettre à mort tous les chrétiens, quels qu'ils fussent, s'ils persistaient dans leur religion. Les
gouverneurs, dit Lactance, regardaient comme une grande gloire de triompher de la constance
d'un chrétien ; aussi employaient-ils toutes les tortures que pouvait imaginer la cruauté la plus
raffinée. Le sang des fidèles ruisselait de toutes parts. Cependant on avait dépêché des courriers
k l'empereur Maximien-Hercule et au césar Constance, pour leur porter les nouveaux décrets. Le
vieux Maximien les accueillit avec joie : ils étaient depuis longtemps l'objet de ses désirs. Cous-
48 27 AVRIL.
tance-Chlore, après en avoir pris connaissance, fît appeler tous les officiers chrétiens de son
palais et leur proposa la double alternative, ou de demeurer dans leurs charges s'ils sacrifiaient
aux idoles, ou s'ils refusaient, d'être bannis de sa présence et de perdre ses bonnes grâces. Quel-
ques-uns, préférant les intérêts de ce monde à leur religion, déclarèrent qu'ils étaient prêts à sa-
crifier. Les autres demeurèrent inébranlables dans leur foi. La surprise des uns et des autres fut
au comble, quand ils entendirent Constance leur déclarer qu'il tenait les apostats pour des lâches;
que, n'espérant pas les trouver plus fidèles à leur prince qu'à leur Dieu, il les éloignait pour ja-
mais de son service ! Il retint au contraire les autres près de sa personne, leur confia sa garde
particulière, et les traita comme les plus dévoués de ses serviteurs.
Les Gaules qui relevaient de Constance-Chlore échappèrent à la persécution générale : comme
si Dieu se fût contenté des martyrs que Maximien-Hercule y avait semés sur son passage, seize
ans auparavant (287), pendant que le reste de l'Eglise était en paix. Toutefois Constance, pour
ne pas irriter les autres empereurs en se jouant trop ouvertement de leurs décrets, laissa abattre
dans les Gaules les églises matérielles, « considérant », dit Lactance, « qu'après l'orage elles
pourraient être rebâties ». La persécution s'étendit donc en un moment des bords du Tibre aux
extrémités de l'empire, les Gaules exceptées. Constance Chlore ne put écarter l'orage de la Grande-
Bretagne où il commandait.
C'en était fait de notre religion si son origine eût été humaine ; mais Dieu, qui veillait sur son
Eglise, se servit, pour l'étendre, des moyens mêmes que les hommes employaient pour la détruire.
Ceux qui s'étaieut le plus déchaînés contre elle, subirent la peine que méritaient leur injustice et
leur cruauté.
Les auteurs des premières persécutions générales éprouvèrent aussi visiblement les effets de la
colère du ciel. C'est ce qu'on peut voir dans l'excellent traité de Lactance, intitulé : De la mort
des persécuteurs. Ainsi, tandis que les martyrs gagnaient des couronnes immortelles, leurs enne-
mis souffraient dès cette vie les châtiments dus à leurs crimes.
Il est bien glorieux pour la religion chrétienne, disait autrefois Tertullien, que le premier em-
pereur qui a tiré le glaive contre elle ait été Néron, l'ennemi déclaré de toute vertu. Réduit au
désespoir, quatre ans après qu'il eut commencé à persécuter les chrétiens, c'est-à-dire en 64, il
voulut se donner la mort, mais il n'acheva son crime qu'à l'aide d'Epaphrodite, son secrétaire.
11 mourut détesté de l'empire et de tout le genre humain, à cause de ses cruautés et de ses abo-
minations.
Domitien, qui persécuta l'Eglise en 95, fut massacré l'année suivante par ses propres domes-
tiques. Trajan, Adrien, Tite, Antonin et Marc-Aurèle ne périrent point de mort violente; mais ils
ne donnèrent point d'édits contre les chrétiens, et leur crime consista à ne point empêcher les
persécutions ou à les tolérer.
Sévère, qui devint persécuteur en 202, tomba dans toutes sortes de malheurs. Il mourut de
chagrin, laissant un fils qui avait voulu lui ôter la vie et qui depuis tua son propre frère. Toute
sa famille périt misérablement.
Dèce périt dans un marais en allant combattre les Goths, après un règne fort court. Gallus fut
tué un an après qu'il eut allumé le feu de la persécution. Valérien, Aurélien et Maximien Ier mou-
rurent de mort violente.
Dioclétien devint malheureux en devenant persécuteur des chrétiens. Intimidé par la puis-
sance et les menaces de Galère, il abdiqua l'empire à Nicomédie, le 1er avril 301. Maximien-
Hercule fit la même chose à Milan. Le premier alla mener une vie privée en Dalmatie, près
de Salone (aujourd'hui Spalatro), où l'on montre encore les ruines de son palais. Maximien-
Hercule l'exhortant à reprendre la pourpre, il lui répondit : « Si vous aviez vu les herbes que
j'ai plantées de mes mains à Salone, vous ne me parleriez point de l'empire ». Cette réponse,
en apparence philosophique, ne vernit que d'un fonds de lâcheté et de timidité. Dioclétien
eut la douleur de voir sa femme et sa fille condamnées à mort par Licinius, et la religion
«chrétienne protégée par les lois en 313. Constantin et Licinius lui écrivirent une lettre mena-
çante, dans laquelle ils l'accusaient de favoriser le parti de Maxence et de Maximin. Enfin, ce
malheureux prince, réduit au désespoir, termina par le poison une vie qui lui était à charge.
C'est du moins ainsi qu'Aurélius Victor raconte sa mort. Le récit de Lactance est différent.
Dioclétien, selon cet auteur, fut vivement frappé du mépris général où il était tombé ; il éprou-
vait des agitations continuelles, et ne voulait ni manger ni dormir. On l'entendait gémir et sou-
pirer sans cesse. Ses yeux étaient souvent baignés de larmes ; et de désespoir il se roulait,
tantôt sur son lit, tantôt sur la terre. Il périt ainsi par la faim, la mélancolie et le chagrin. Sa
mort arriva en 318.
Maximien-Hercule voulut par trois fois reprendre la pourpre, et même l'arracher à Maxence, son
propre fils. Tous ses efforts ayant été inutiles, il se pendit de désespoir en 310. Maxence, Galère
et Maximin Dala périrent aussi misérablement.
Maximien-Galère fut attaqué d'une horrible maladie. La pourriture et les vers se mirent à son
corps. Il exhalait une odeur si infecte que ses propres serviteurs ne pouvaient la supporter. Voir
Eusèbe, HisL, 1. 8, c. 16.
Maxence, ayant été défait par Constantin, tomba dans le Tibre et s'y noya. Maximien II, vaincu
SAINTE ZITE, VIERGE. 49
par Licinius, se vit obligé de révoquer les édits qu'il avait portés contre les Chrétiens, et mourut
dans des douleurs affreuses. Voici comment la chose arriva. Pendant que son armée était rangée
en bataille, il se tint lâchement caché dans son palais. La victoire s'étant déclarée pour Licinius,
il s'enfuit à Tarse ; et comme il ne trouvait aucune retraite assurée, il éprouva toutes les agitations
que peut causer une vive crainte de la mort. Une plaie horrible lui couvrit en même temps tout
le corps. Dans les redoublements de la douleur, il se roulait par terre comme un furieux. Epuisé
par de longs jeunes, son corps n'offrait plus que la forme d'un squelette hideux. Il perdit l'usage
de la vue, et les yeux lui sortirent de la tète. Il vivait cependant toujours et faisait l'aveu de ses
crimes. Inutilement il appelait la mort à son secours ; elle ne vint terminer ses maux que quaud
il eut reconnu qu'il méritait tout ce qu'il souffrait pour avoir si cruellement traité Jésus-Christ
dans la personne de ses disciples. Voir Eusèbe, Hist., 1. ix, c. 10. Cet auleur ajoute que les gou-
verneurs des provinces qui avaient servi la rage de Maximin contre les chrétiens furent tous mis à
mort. Il nomme Picence, Culcien, Théoctène, Urbin, Firmilien, etc.
Licinius était un prince aussi cruel qu'ignorant. Il ne savait ni lire, ni écrire son nom; ennemi
déclaré des gens de lettres, il en fit mettre plusieurs à mort. Il favorisa quelque temps le chris-
tianisme pour faire sa cour à Constantin, et l'on a même prétendu qu'il avait eu dessein de
l'embrasser; mais à la fin il leva le masque et persécuta l'Eglise. Constantin l'ayant défait, le
condamna à mort en 323. Voir M. Jortin, t. m, et Tillemont, Hist. des Empereurs.
Le récit du martyre de saint Anthime est tiré d'un manuscrit grec, et reproduit par les Bollandistes.
Le tableau de la dixième persécution est tiré de Lactance, L. de mort, persecut., et d'Eusèbe, Hist., 1.
Vin, c. 4, 6. Voir Tillemont, t. v.
SAINTE ZITE, VIERGE
1278. — Pape : Nicolas III.
La main au travail, le cœur à Dieu.
Devise de sainte Zite,
Sainte Zite eut pour parents de pauvres laboureurs de Bozzanello, vil-
lage situé sur le mont Sagrati, à trois lieues de Lucques. Elle naquit en
1218. Pauvres des biens de la fortune, son père et sa mère étaient riches
des biens de l'âme et fervents serviteurs de Dieu. Avec sainte Zite, ils eurent
deux autres enfants qui embrassèrent la vie religieuse et moururent en
odeur de sainteté. Parvenue à l'âge de douze ans, sainte Zite entra comme
servante chez un seigneur de la ville, Pagano de Fatinelli, dont la maison
était attenante à l'église de Saint-Frigidien. Elle ne vit dans son état qu'une
plus grande facilité de se sanctifier, puisqu'elle était à portée d'y mener
une vie laborieuse, pénitente, mortifiée, et de ne faire jamais sa volonté.
D'un autre côté, elle s'estimait heureuse d'avoir toutes les choses néces-
saires à la vie, sans être exposée à ces troubles, à ces agitations qu'il en
coûte ordinairement pour se les procurer. Aimant Dieu par-dessus toutes
choses, l'humble servante se levait de bon matin pour aller répandre son
cœur devant le Seigneur et assistera la sainte messe. Jésus prit en affection
cette pauvre fille et se plut à orner son cœur de toutes les vertus. Elle fit
de rapides progrès dans la piété et l'on vit bientôt briller en elle toutes les
vertus, l'humilité, la douceur, la modestie, la patience, la charité, le sup-
port des défauts d'autrui. Comme il n'arrive que trop souvent, les autres
serviteurs de la maison la détestaient à cause de sa piété et lui firent subir
toutes sortes d'humiliations que la servante de Dieu supporta avec douceur
et résignation. Dieu inspira à sainte Zite le désir de se vouer tout entière à
lui; elle fit vœu de virginité et mena dès lors une vie pénitente et mortifiée.
Vies des Saints. — Tome V. 4
50 27 AVRIL.
Elle réduisit son corps en servitude pour étouffer ses révoltes ; mais la ver-
tueuse fille sortit triomphante de toutes ces tentations.
Les flammes de la charité que la communion fréquente allumait au
dedans de son âme se répandaient au dehors sur les pauvres. Elle saisissait
toutes les occasions de leur rendre les services qui étaient en son pouvoir,
et Dieu récompensa souvent par des miracles éclatants les actions de sa ser-
vante. Il y eut alors une famine et sainte Zite, touchée de la misère de tous
ceux qui venaient frapper à la porte de son maître, se mit sans réfléchir à
leur distribuer des fèves qu'elle allait puiser dans un grand coffre, puis tout
à coup en pensant qu'elle n'avait pas demandé à son maître la permission
d'agir ainsi, elle fut saisie de crainte et pria Dieu d'écarter d'elle les consé-
quences de son action. Le seigneur Fatinelli voulut en ces jours faire mesu-
rer ce qu'il possédait de fèves. Sainte Zite épouvantée se cachait derrière sa
maîtresse tout en s'étonnant que le maître ne dît rien. Les coffres étaient
pleins comme auparavant. Sainte Zite remercia le Seigneur de sa généro-
sité. Dieu ne pouvait rien refuser à sa servante, il suppléait même à ce
qu'elle oubliait parfois de faire, absorbée qu'elle était par la prière. Un
jour qu'elle était restée longtemps à l'église, elle s'aperçut avec terreur que
le soleil était déjà haut sur l'horizon: or, elle devait pétrir ce jour-là et
faire cuire le pain ; elle s'attendait à des reproches, mais les anges avaient
fait sa besogne, elle trouva le pain prêt à mettre au four, et reconnut à la
suave odeur qu'il exhalait, les ouvriers qui l'avaient fait. Un pèlerin brûlé
de la soif et de la chaleur, lui demanda un jour l'aumône. N'ayant absolu-
ment rien, elle ne savait que faire ; tout à coup elle lui dit d'attendre un
instant, va puiser de l'eau dans un vase, la lui apporte et fait dessus le signe
de la croix. Le pèlerin, en ayant goûté, en but à longs traits : cette eau se
trouvait changée en un vin délicieux. La nourriture qu'on lui assignait à la
maison, elle y touchait rarement, mais réservait le tout pour quelque
pauvre ou pour quelque malade. Elle avait un lit convenable, mais c'était
pour y réchauffer les pauvres ; pour elle, sa couche ordinaire était la terre
ou une planche. Toutes les misères, corporelles ou spirituelles, excitaient
en elle une tendre commisération. C'était l'usage, quand les magistrats
devaient condamner à mort un criminel, de l'annoncer par le son des
cloches. A ce signal la pauvre servante se mettait en prières avec larmes
pendant trois ou quatre jours, quelquefois jusqu'à sept, pour obtenir au
malheureux le salut de son âme. Cette commisération pour les condamnés
à mort, elle la montra encore du haut du ciel. Un paysan du royaume de
Naples, ayant été pendu pour un vol dont il était innocent, elle vint le
dégager après l'exécution.
Douce, humble, soumise envers tout le monde, Zite était d'un courage
intrépide à l'égard des libertins. Un des domestiques ayant voulu attenter à
sa pudeur, elle lui déchira le visage avec ses ongles. Pour conserver ce pré-
cieux trésor, elle joignit une prière presque continuelle au jeûne et à la
mortification. Elle se levait à minuit, assistait à Matines dans l'église voisine
de Saint-Fridien, y priait avec larmes pour elle et pour les autres.
Ces exercices de piété et de charité n'empêchaient point Zite de servir
ses maîtres avec une ponctualité humble et affectueuse. Quand il leur arri-
vait de se fâcher contre elle ou d'autres personnes, elle se jetait à leurs
pieds, quoiqu'il n'y eût pas de sa faute, et leur demandait humblement par-
don. Cette humilité, jointe à ses autres vertus, leur inspira pour elle une
religieuse vénération. Cependant ils ne lui avaient pas toujours rendu jus-
tice : on traita sa modestie de stupidité ; son exactitude à tous ses devoirs
SAINTE ZITE, VIERGE. 51
fut regardée comme le fruit d'un orgueil secret. La signora Fatinelli se
laissa prévenir contre elle par les autres domestiques qui la détestaient :
son maître la honnissait au point qu'il ne pouvait la voir sans entrer dans de
violents transports de fureur. Plus tard, quand ils eurent apprécié le trésor
que possédait leur maison, ils lui confièrent le maniement de leurs affaires.
Un mot de sa bouche suffisait pour calmer le signor Fatinelli dont l'humeur
était fort emportée. Certes, la sainteté n'est pas toujours glorifiée en ce
monde. Zite ne prévoyait pas que la sienne le serait : autrement elle n'eût
pas été sainte. C'est pourquoi elle fut toujours également humble et soumise.
Une nuit de Noël, qu'il faisait extrêmement froid, Zite se disposait à se
rendre à Matines. Son maître lui dit : a Comment cours-tu à l'église par un
temps si froid, que nous pouvons à peine nous en défendre ici avec tous nos
vêtements? toi surtout, épuisée par le jeûne, vêtue si pauvrement, et qui vas
t' asseoir sur un pavé de marbre? Ou bien reste ici pour vaquer à tes saintes
oraisons, ou bien prends sur tes épaules mon manteau à fourrures pour te
garantir du froid ». Zite, ne voulant pas manquer à un office aussi solennel,
s'en allait avec le manteau, lorsque le maître lui dit, comme pressentant ce
qui allait arriver : « Prends garde, Zite, que tu ne laisses le manteau à un
autre, de peur que, s'il est perdu, je n'en souffre du préjudice, et toi, de
grosses fâcheries de ma part ». Elle lui répondit : « Ne craignez pas, mon-
sieur, votre manteau vous sera bien gardé ». Entrée dans l'église, elle aper-
çut un pauvre demi-nu, qui murmurait tout bas, et qui grelottait de froid.
Emue de compassion, Zite s'approche et lui dit : « Qu'avez-vous, mon frère,
et de quoi vous plaignez-vous? » Lui, la regardant d'un visage placide,
étendit la main et toucha le manteau en question. Aussitôt Zite l'ôte de ses
épaules, en revêt le pauvre et lui dit : « Tenez cette pelisse, mon frère, jus-
qu'à la fin de l'office, et vous me la rendrez ; n'allez nulle part, car je vous
mènerai à la maison et vous chaufferai près du feu ». Cela dit, elle alla se
mettre à l'endroit où elle priait d'ordinaire. Après l'office, et quand tout le
monde fut sorti, elle chercha le pauvre partout, au dedans et au dehors de
l'église, mais ne le trouva nulle part. Elle se disait en elle-même : « Où
peut-il être allé ? Je crains que quelqu'un ne lui ait pris le manteau, et que,
de honte, il n'ose se présenter à mes yeux. Il paraissait assez honnête, et je
ne crois pas qu'il ait voulu attraper le manteau et s'enfuir ». C'est ainsi
qu'elle excusait pieusement le pauvre. Mais enfin, ne l'ayant pu trouver,
elle revenait un peu honteuse, espérant toujours néanmoins que Dieu apai-
serait son maître, ou inspirerait au pauvre de rapporter le manteau. Quand
elle fut de retour à la maison, le maître lui dit des paroles très-dures, lui fit
de vifs reproches. Elle ne répondit rien, mais, lui recommandant d'espérer,
elle lui raconta comment la chose s'était passée. Il entrevit bien comment
la chose s'était passée, mais ne laissa pas de murmurer jusqu'au dîner. A la
troisième heure, voilà sur l'escalier de la maison un pauvre qui charmait
tous les spectateurs par sa bonne mine, et qui, portant le manteau dans ses
bras, le rendit à Zite, en la remerciant du bien qu'elle lui avait fait. Le
maître voyait et entendait le pauvre. Il commençait, ainsi que Zite, à lui
adresser la parole, lorsqu'il disparut comme un éclair, laissant dans leurs
cœurs une joie inconnue et ineffable, qui les ravit longtemps d'admiration.
On a cru que ce vieillard était un ange ; c'est pourquoi la porte de
l'église où elle rencontra le pauvre au manteau a été depuis appelée la
porte de l'Ange.
Chaque vendredi elle allait en pèlerinage à San-Angelo in Monte, à deux
lieues de Lucques ; un jour qu'elle avait été retenue par les travaux de la
52 27 avril.
maison plus que d'ordinaire, elle fut surprise par la nuit. Un cavalier qui
suivait le même chemin lui prédit qu'elle périrait dans les précipices si elle
continuait à marcher au milieu des ténèbres : mais quand il arriva, il fut
bien saisi de trouver à la porte de l'église celle qu'il croyait avoir laissé loin
derrière lui. Sainte Zite avait un grand amour pour sainte Marie-Made-
leine et pour saint Jean l'Evangéliste ; une veille de fête de la première, elle
voulut aller faire brûler un cierge devant son autel dans une église assez
éloignée de Lucques. Elle arriva tard et trouva les portes fermées ; elle
alluma son cierge, se mit à genoux et s'endormit. La nuit, un orage terrible
s'éleva, la pluie tomba par torrents, et la Sainte reposait : quand elle se
réveilla, les rues étaient couvertes d'eau, mais elle n'avait pas même été
touchée par une goutte de pluie, et son cierge brûlait encore. Les portes
alors s'ouvrirent devant elle, et quand le curé arriva pour dire la messe, il
trouva la Sainte en prières dans cette église qui n'avait pas été ouverte
depuis la veille au soir. Nous pourrions rapporter beaucoup de faits sem-
blables, ils serviraient à prouver de plus en plus la protection toute parti-
culière dont le ciel entourait sa servante. Ses dernières années se passèrent
dans une prière et une extase presque continuelles. Elle mourut âgée de
soixante ans, le 27 avril 1278, après avoir reçu les derniers Sacrements avec
une ferveur extraordinaire : elle n'avait servi qu'un seul maître. Aussitôt
qu'elle eut rendu le dernier soupir, une étoile brillante parut au-dessus
de la maison où reposait son corps, et les enfants se mirent à crier dans les
rues : la Sainte est morte, allons voir la Sainte dans la maison de Fatinelli.
Toute la ville vint rendre hommage à la vertu de l'honorable servante que
Dieu venait de glorifier en la rappelant à lui.
Les miracles se multiplièrent tellement au tombeau de sainte Zite, que,
quatre ans après sa mort, l'évêque permettait qu'on l'honorât d'un culte
public. Ce culte s'est rapidement répandu et dans sa patrie et dans toute
l'Europe. Le cercueil de sainte Zite fut ouvert par trois fois différentes en
1446, 1581, 1652, et on trouva le corps qu'il renfermait parfaitement intact ;
il était encore en 1841 dans un état parfait de conservation, tel que les Bol-
landistes le décrivaient dans les Acia Sanctorum au xvne siècle : il est en-
châssé et gardé avec beaucoup de respect dans l'église Saint-Fridien. En
1696, Innocent XII a consacré le culte qu'on rendait à sainte Zite et publié
un décret de béatification.
On lui donne pour attributs un trousseau de clefs suspendu à sa ceinture
et une cruche : les clefs rappellent qu'elle fut investie de la confiance de
ses maîtres après avoir été l'objet de leurs mauvais traitements, et la
cruche, le miracle qu'elle fit de changer l'eau en vin au bénéfice des
pauvres. — On montre encore à Lucques le puits où elle prit de l'eau
pour faire ce miracle. — On l'a aussi représentée debout devant les
portes de la ville, et la sainte Vierge venant lui ouvrir le guichet. La miséri-
cordieuse Marie dut rendre ce service à sa servante un soir que celle-ci
s'était attardée à ses bonnes œuvres. Une bonne vieille gravure allemande,
que nous avons sous les yeux, la représente sous les traits d'une jeune fille
accorte, revêtant le vieillard de la pelisse de son maître.
Sainte Zite est la patronne de Lucques ; elle l'était aussi de toute la
république de ce nom, quand elle existait.
Les servantes et les femmes de charge l'invoquent comme leur modèle
et leur particulière protectrice.
De la chaumière du mont Sagrati , qui avait abrité le berceau de
l'humble Sainte, on a fait une chapelle qui lui est dédiée.
LE BIENHEUREUX PIERRE ARMENGOL. 53
On a recueilli plusieurs maximes spirituelles de sainte Zite : en voici deux
qui, tout en exprimant des vérités connues, les mettent parfaitement en
relief : « Une servante paresseuse », disait-elle, « ne doit pas être appelée
pieuse; une personne de notre condition, qui affecte d'être pieuse, sans être
essentiellement laborieuse, n'a qu'une fausse piété ».
« Travailler, c'est prier », disait-elle encore souvent.
Terminons par cet éloge de l'un de ses historiens : « Zite avait la piété
des Saints, qui ne se contente pas de quelques pratiques extérieures, mais
qui pénètre les profondeurs de l'âme. Elle n'était pas de celles qui sont
plus promptes à prier qu'à pardonner; à aller à l'église, qu'à vaquer aux
devoirs de leur état ; à donner une aumône qu'à réprimer leur langue ou à
dompter leurs passions ».
Stolz, Rohrbacher, et autres hagiographes.
LE BIENHEUREUX PIERRE ARMENGOL
1304. — Pape : Saint Benoit XI.
I«a patience, c'est le martyre.
Saint Bonav., Serm. m de saneto Andréa.
Pierre Armengol appartenait à une famille noble et craignant Dieu. Son
père, don Arnaldo Armengol de Moncada, était de la famille des comtes
d'Urgel, alliée à celle des rois de Gastille. Sa jeunesse ne fit pas présager
que plus tard il deviendrait un Saint, car il se fit bandit et chef de bandits.
Les desseins de Dieu sont impénétrables, car on voit, en 1258, ce voleur de
grands chemins se faire moine et entrer à Barcelone dans un couvent de la
Merci. Comprenant la nécessité de réparer sa vie passée, il se livra à de
rudes et austères pénitences et traita son corps en ennemi.
La longue persévérance de Pierre dans le bien, son obéissance ponc-
tuelle, son humilité profonde, sa piété exemplaire et sa rigoureuse péni-
tence, inspirèrent à ses supérieurs tant de confiance en lui, qu'ils le donnè-
rent pour compagnon à d'autres religieux de l'Ordre chargés d'aller parmi
les infidèles traiter de la rédemption des captifs. Il fit ses premiers essais
dans les royaumes de Grenade etdeMurcie, qui gémissaient alors sous la ty-
rannie des Maures. Le Bienheureux montra, en ces négociations délicates,
tant de charité, de prudence et de zèle que ses confrères, les esclaves, et les
infidèles eux-mêmes, conçurent pour lui une haute estime.
Les succès qui avaient couronné les premiers travaux du saint religieux
déterminèrent le général de l'Ordre à lui confier une Rédemption et à l'en-
voyer à Alger. Il s'y rendit, et Dieu bénit tellement ses efforts qu'en moins
de deux mois il racheta trois cent quarante-six captifs, qu'il fit partir aus-
sitôt pour l'Espagne, sous la conduite de quatre de ses confrères. Quant à
lui, il resta parmi les Maures avec le vénérable Guillaume, son compagnon,
parce qu'il voulait aller à Bougie, ville des états d'Alger, pour y délivrer
quelques-uns de ses frères qui y étaient restés en otage, et briser les fers de
cent dix-neuf chrétiens qui, par les cruels traitements qu'ils éprouvaient,
étaient en danger d'apostasier. Pierre fit en effet ce voyage, et procura la
54 27 avril.
liberté à tous. Heureux d'avoir pu réussir dans sa pieuse entreprise, il ne
songeait qu'à retourner en Europe, et il était près de s'embarquer, lorsqu'on
l'avertit que dix-buit enfants chrétiens se trouvaient très-exposés à perdre
en même temps la foi et les mœurs, si on les laissait davantage entre les
mains de patrons impies et corrompus qui, par leurs cruautés envers ces
malheureux enfants, les avaient presque réduits à apostasier et à devenir
les victimes de leurs débauches. A cette triste nouvelle, le cœur charitable
du saint religieux est ému de compassion : il court au lieu où se trouvaient
ces jeunes esclaves ; il les exhorte à résister courageusement à toutes les ten-
tatives de séduction qu'on emploierait pour les perdre; il les embrasse avec
tendresse, et finit par leur promettre de leur procurer la liberté aux dépens de
la sienne, et de sa vie même, s'il le fallait, pourvu qu'ils conservent fidèlement
la foi qu'ils avaient reçue au baptême. En ayant obtenu d'eux l'assurance,
il se rend chez les patrons, et traite avec eux de la rançon des enfants,
moyennant la somme de mille ducats ; mais comme il n'avait plus d'argent,
il propose de rester en otage, et même esclave, jusqu'au moment où le reli-
gieux qui allait conduire les autres chrétiens reviendrait et rapporterait la
somme convenue. Sa proposition ayant été agréée, les enfants sont rendus
à la liberté et embarqués pour l'Espagne avec leurs compatriotes.
La captivité volontaire du serviteur de Dieu à Bougie lui fournit des oc-
casions fréquentes d'exercer la charité dont son cœur était embrasé. Il ne
se contenta pas d'exhorter les esclaves chrétiens à la fidélité envers Dieu, il
instruisit aussi plusieurs Maures des vérités de la religion; et en ayant con-
verti quelques-uns, il leur procura la grâce du baptême. La chose ne put
être si secrète que les zélés sectateurs de Mahomet n'en fussent avertis ; il
n'en fallut pas davantage pour faire arrêter le saint religieux, et le faire
jeter dans une noire prison, où l'on devait le laisser mourir de faim. Mais
les Turcs qui lui avaient vendu les jeunes esclaves, voyant qu'il ne les payait
pas, parce que l'argent, qu'il leur avait promis, éprouvait quelque retard à
arriver, l'accusèrent d'être un espion envoyé par les rois chrétiens pour con-
naître l'état du pays, et le firent condamner à être pendu.
Cette injuste sentence reçut aussitôt son exécution. On conduisit Pierre
hors de la ville, et il fut attaché à une potence. Le bourreau le secoua
longtemps et ne le quitta que lorsqu'il le crut expiré. Les patrons dont il
était le débiteur demandèrent que son cadavre restât suspendu et qu'il ser-
vît de pâture aux oiseaux de proie. Il y était effectivement depuis six jours,
lorsque le P. Guillaume Florentin, son compagnon, arriva d'Espagne à
Bougie, apportant avec lui l'argent pour la rançon. Quelle fut sa douleur,
lorsqu'il apprit que le Saint avait été condamné à mort et exécuté ! Il se
rend au lieu du supplice en versant des larmes abondantes ; mais, ô pro-
dige ! Pierre, que»l'on jugeait mort depuis longtemps, lui adresse ces pa-
roles : « Cher frère, ne pleurez pas ; je vis, soutenu par la sainte Vierge qui
m'a assisté tous ces jours-ci ». Le P. Guillaume, rempli d'une joie difficile à
décrire, détache du gibet le bienheureux Martyr, en présence de toute la
ville, qui était accourue pour voir cette merveille, et de plusieurs matelots
espagnols montant le navire qui venait d'amener ce père. Le divan, au lieu
de laisser remettre l'argent de la rançon aux barbares patrons qui l'avaient
exigé avec tant de rigueur, en acheta vingt-six esclaves, qui furent remis au
Saint et à son compagnon, et tous ensemble partirent aussitôt pour l'Es-
pagne.
Depuis ce temps, le serviteur de Dieu eut le cou de côté, et le visage
d'une pâleur très-grande ; le Seigneur, sans doute, le permettant ainsi pour
SAINT ANASTASE I", PAPE. 55
prouver la vérité du miracle. Plein de reconnaissance envers la sainte Vierge,
à laquelle il devait sa conservation, il voulut se retirer en un couvent soli-
taire qui lui était dédié sous le titre de Notre-Dame des Prés. Il y passa dix
années dans l'exercice continuel de la prière et de la pénitence. Du pain et
de l'eau faisaient sa seule nourriture. La réputation de sa sainteté et le
bruit du miracle dont il avait été l'objet attirèrent bientôt dans sa solitude
un grand nombre de personnes qui venaient le voir et réclamer son secours :
il les recevait avec bonté, les soulageait et les guérissait de leurs infirmités.
On le voyait parfois ravi en extase et goûter dès ici-bas ces consolations sen-
sibles que Dieu réserve aux plus fidèles de ses amis. Lorsqu'il rappelait son
martyre, il avait coutume de dire ces paroles à ses frères : « Croyez-moi ;
je pense n'avoir vécu que le peu de jours beureux que j'ai passés au gibet,
parce que alors je me croyais mort au monde ». Favorisé du don de pro-
phétie, il prédit plusieurs événements qui eurent lieu comme il les avait
annoncés. Il prédit aussi sa mort quelques jours avant qu'elle arrivât. Une
grave maladie l'ayant réduit à l'extrémité, il reçut les Sacrements de l'Eglise,
et rendit ensuite son âme à son Créateur, en disant ces paroles : « Je plai-
rai au Seigneur dans la terre des vivants ». Le 27 avril 1304 fut le jour de
son bienheureux trépas. Plusieurs miracles opérés par son intercession, en
prouvant sa sainteté, contribuèrent à lui faire rendre un culte public. Ce
culte fut approuvé par le pape Innocent XI le 28 mars 1686, et Benoît XIV
a inséré le nom de saint Pierre Armengol dans le Martyrologe romain.
Ses attributs dans les arts, sont la corde et le gibet : une main, celle de
la sainte Vierge, le soutient par les pieds.
AA. SS., sept.
SAINT ANASTASE Ier, PAPE (401).
Anastase, romain d'origine, était fils de Maxime, et fut, après la mort de Sirice, ordonné
évêque de Rome. Pendant qu'il gouvernait avec éclat, l'hérésie, accréditée sous le nom d'Oiigène,
partie des régions de l'Orient, vint fondre sur l'Eglise comme une violente tempête, et menaça de
troubler la pure doctrine et d'ébranler la vrate foi. Mais homme d'une très-riche pauvreté et
d'une sollicitude apostolique, Anastase, ayant vu le monstre de l'erreur lever sa tête funeste, se
hâta de lui porter un coup mortel ; il fit taire tous les sifflements de l'hydre. Les hérétiques eurent
beau se cacher, il sut les faire sortir de leurs retraites obscures ; par ses lettres, il condamna en
Occident ce qui avait été déjà condamné en Orient. Le zèle ne lui lit jamais défaut pour veiller à
la garde de la foi de ses peuples. Aucune province de son empire spirituel, en quelque lieu de la
terre qu'elle fût située, n'échappait à sa surveillance : ses lettres allaient partout prévenir les
fausses doctrines, ou les anéantir.
Un concile de l'église d'Afrique lui envoya, ainsi qu'à Vénérius, évêque de Milan, un évêque
en députation pour obtenir du secours en faveur de cette Eglise alors affligée d'une grave disette
de ministres sacrés, et exposée à voir périr un grand nombre d'âmes au milieu de populations
plongées dans la misère, parmi lesquelles on n'aurait pas trouvé même un diacre ou un homme
lettré. Anastase écrivit à ces mêmes évèques d'Afrique, les exhortant avec la sollicitude et la sin-
cérité d'une charité paternelle et fraternelle tout ensemble, à s'opposer ouvertement et avec
vigueur aux pièges et aux fraudes perverses dont se servaient les Donatistes pour faire la guerre à
l'Eglise catholique. Ce fut par l'autorité de ce Pontife que l'on décida que les évêques donatistes,
et les clercs de tous ordres seraient reçus dans l'unité catholique, pour y exercer les offices ecclé-
siastiques selon qu'il paraîtrait expédient à ceux qui avaient intérêt pour leur salut à l'exercice ou
à la suspension de leur ministère.
Il arrêta que nul homme d'outre-mer ne serait admis à l'honneur de la cléricature sans une
lettre signée par cinq évêques. 11 régla que la lecture des saints évangiles serait faite par les
56 28 avril.
prêtres, non pas assis, mais debout et inclinés. Il construisit, dans la ville de Rome, la basilique
Crescentienne, située dans la deuxième région, sur la voie Mamertine. En deux ordinations faites
au mois de décembre, il créa huit prêtres, cinq diacres et des évêqnes pour divers diocèses ; enfin
il s'endormit en paix, et fut enseveli dans le cimetière de l'Orso Pileato 1, sous les empereurs
Arcadius et Honorius. Saint Jérôme écrit que l'Eglise n'eut pas longtemps le bonheur de le posséder,
de peur que Rome, la tète du monde, ne tombât sous un si grand évèque : il fut ravi et trans-
porté dans l'autre, afin qu'il n'entreprit pas de s'opposer par ses prières à l'exécution d'une sen-
tence irrévocable : car, peu de temps après sa mort, Rome fut prise par les Goths et saccagée.
Propre de Rome.
XXVIII* JOUR D'AVRIL
MARTYROLOGE ROMAIN.
A Ravenne, la naissance au ciel de saint Vital, martyr, père de saint Gervais et de saint Pro-
tais, lequel, ayant enlevé et enseveli avec l'honneur qui lui était dû le corps de saint Ursicin, fut
arrêté par le consulaire Paulinus, et, après le supplice du chevalet, fut jeté dans une fosse pro-
fonde où on l'accabla de terre et de pierres, et, par ce martyre, il passa de ce monde dans le sein
du Christ. 171. — A Milan, sainte Valérie, martyre, épouse de saint Vital, n6 s. — A Àtino,
saint Marc, qui fut ordonné évèque par le bienheureux apôtre Pierre, prêcha le premier l'Evangile
aux Equicoles (habitants de la campagne de Rome), et reçut la couronne du martyre sous le pré-
sident Maxime, dans la persécution de Domitien. 82. — A Alexandrie, le supplice de sainte Théo-
dora, vierge, qui, ayant refusé de sacrifier aux idoles, fut enfermée dans un lieu infâme, d'où
par une admirable faveur de Dieu, un des frères, nommé Didyme, la retira promptement, ayant
changé de vêtements avec elle. Quelque temps après, ils fureut exécutés et couronnés ensemble,
dans la persécution de Dioclétien, sous le président Eustrate. 304. — Le même jour, les saints
martyrs Aphrodise, Caralippe, Agape et Eusèbe. 65. — Dans la Pannonie (Hongrie), saint Pol-
lion, martyr sous l'empereur Dioclétien 2. 304. — A Rruse, en Bithynie, les saints martyrs Patrice,
évèque, Acace, Ménandre et Polyène. me s. — A Tarazona, en Espagne, saint Prudence, évèque
et confesseur. Avant 846. — A Pentina, ville de l'Abruzze, saint Pamphile, évèque de Valva,
illustre par sa charité pour les pauvres et par le don des miracles. Son corps fut enseveli à Sul-
moua. vne s.
MARTYROLOGE DE FRANCE, REVU ET AUGMENTÉ.
A Noyon, saint Emon ou Imon, évèque, massacré par les Danois idolâtres, en haine de la reli-
gion. — Au diocèse de Laon, sainte Probe, vierge et martyre, dont les ossements sacrés ont été
transférés avec ceux de sainte Germaine, vierge, du village de la Capelle, au monastère de Hénin-
Liétard, de l'Ordre de Saint-Augustin, en Hainaut. iva s. — En Poitou, à Géré, près de Passa-
vant, saint Francaire, confesseur, père de saint Hilaire 3. — A Sens, saint Arthème, évèque. 609.
— A Liège, la célèbre translation du chef de saint Lambert. — A Gap, l'octave et la translation
de saint Marcellin. — A Avesnes, près de Reims, saint Gombert4, seigneur champenois et mari
de sainte Berthe, lequel, s'étant retiré près de l'Océan et y ayant bâti un monastère, fut mis à
mort pour la foi par les idolâtres. Son corps a été rapporté à Avesnes, dans le monastère des
religieuses qu'il avait fondé. — A Rodez, la fête de saint Affrique, évèque de Comminges. —
A Clairvaux, le bienheureux Robert, né à Rruges de la noble famille de Gruthuysen, d'abord abbé
1. Ainsi dénommé d'un joueur de paume qui s'appelait Ursus Pileatus et qui avait en cet endroit son
mausolée.
2. Saint Pollion était lecteur de l'église de Cibales, patrie de Valentinien. Il souffrit, à quelques an-
nées de distance, le même jour que saint Eusèbe, son évèque, dont nous citons le nom dans les mentions
diverses ci-après, p. 57. Voir Dora Ruinart.
3. Voyez au 21 septembre. -- 4. Voir la Vie de saint Gombert au l«r mal.
MARTYROLOGES. 57
de Notre-Dame de Dunes et ensuite successeur de saint Bernard dans l'abbaye de Clairvaux. Saint
Bernard, étant sur le point d'aller à Dieu, avait déclaré que Robert était le plus digne de lui
succéder. Samedi saint de l'an 115t. — A Langres, la vénérable Anne de La Vesvre, fondatrice
du monastère des Ursulines de cette ville, morte à l'âge de trente-six ans. Elle eut le don des
miracles. 1616. — A Saint-Laurent-sur-Sevre, départ de ce monde du vénérable Louis-Marie
Grignon de Montfort1. 1716. — En Océanie, le vénérable Louis-Marie Chanel, prêtre de la So-
ciété des Maristes, pro-vicaire apostolique de l'Océanie occidentale et premier martyr de cette
partie du monde 2. 23 avril 1841. — A Cambron, le bienheureux Gérard de Bourgogne, deuxième
abbé de ce monastère et successeur du bienheureux Fastrède. 1172. — A Versailles, fête de saint
Gauthier, abbé de Saint-Martin de Pontoise. 1099.
MARTYROLOGES DES ORDRES RELIGIEUX.
Martyrologe des Camaldules et de Vallombreuse. — Saint Clet et saint Marcellin.
Martyrologe des Dominicains. — La fête du patronage de saint Joseph, époux de la bieo^
heureuse Vierge Marie, Mère de Dieu.
Martyrologe des Franciscains. — A Poggibonzi, en Toscane, le bienheureux Ldce ou Lu-
chési, confesseur, qui, converti à une meilleure vie et revêtu de l'habit du Tiers Ordre par saint
François, fit de dignes fruits de pénitence, et, après sa mort, brilla par la gloire des miracles.
1232!
Martyrologe des Augustins. — A Sienne, en Toscane, le bienheureux Augustin Novello,
confesseur de notre Ordre, qui était d'une si grande humilité que, nommé général de tout l'Ordre
et forcé d'accepter cette fonction par le souverain Pontife, il s'en démit après deux ans, se
retira au désert de Saint-Léonard, où il s'endormit dans le Seigneur, comblé de toutes les vertus.
Martyrologe des Capucins. — A Avila, en Espagne, au couvent des Arènes, la translation de
saint Pierre d'Alcantara, confesseur, de l'Ordre des Mineurs, d'un tombeau privé à un monument
public, construit par l'évèque de cette ville, à ses dépens, en même temps qu'une belle chapelle.
— La fête du patronage de saint Joseph. — Le second jour des Rogations, à Alcara, en Es-
pagne, la translation du corps de saint Didace, confesseur, de l'Ordre des Mineurs, lequel fut
trouvé, deux cents ans après sa mort, entier, non corrompu, souple et exhalant une odeur suave.
ADDITIONS FAITES D'APRÈS LES BOLLANDISTES ET AUTRES HAGIOGRAPHES.
A Corcyre, île de la mer Ionienne, les saints Zenon, Eusèbe, Néon, Vitalius, martyrs convertis
par Jason et Sosipater, apôtres de l'île de Corfou ; ils rendirent l'âme dans la chaufferie d'une
forge. Vers l'an 100. — ACibales3, en Hongrie, avec saint Pollion, mentionné ci-dessus, les
saints Eusèbe, évèque, et Tiballe, tous deux martyrs, sous Dioclétien. — A Alexandrie, saint Vic-
turin, martyr. — Avec les saints Aphrodise, Caralippe, Eusèbe et Agape, sainte Maline et cent
soixante-dix autres. — Et ailleurs, les saints martyrs Cyrille, Aquila, Pierre Domitiana et Rufus.
— En Afrique, les saints Manille, Donat, Maurille, Lucien, Victorin, Nice, vierge, et soixante-
douze autres ; de plus, un autre saint Lucien avec deux cent soixante-dix autres, tous martyrs. —
— A Lésina, ancienne ville d'Apulie, aujourd'hui détruite, les saints Alexandre, Firmien, Primien
et Tellure, martyrs. Leurs corps, levés de terre, partie en 598, partie en 1598, ont été transférés
à Naples, où on les honore dans l'église de l'Annonciade. — Chez les Grecs, saint Memnon, thau-
maturge. — En Irlande, saint Cronan, abbé du monastère de Roscrea, fondé par lui. Il eut le
titre d'évèque. Vers l'an 640. — Fête de saint Paul de la Croix, instituteur des Passionistes. Cette
fête a été étendue, en 1872, à tout l'univers catholique *.
1. Voir sa Vie dans le volume consacré aux Vénérables et personnes contemporaines mortes en odeur
de sainteté.
2. Voir sa vie dans le volume consacré aux Vénérables.
3. Cibales, située entre la Save et la Drave, est détruite depuis longtemps. C'était la patrie de Valen-
tinien.
4. Voir sa vie au 1G novembre.
58 28 avril.
SAINTE THÉODORA ET SAINT DLDYME, MARTYRS
304. — Pape : Saint Marcellin. — Empereur : Dioclétien.
Votre cœur est fort, parce que tous aimez la chastjt*.
Judith, xv, 11.
Eustratius Proculus, préfet augustal d'Alexandrie, se fit amener la vierge
Théodora à son tribunal. Il commença l'interrogatoire par lui demander de
quelle condition elle était. « Je suis chrétienne », répondit Théodora. —
Le Préfet : « Etes-vous esclave ou de condition libre? » — Théodora : « Je suis
chrétienne. Jésus-Christ venant au monde m'a affranchie, et d'ailleurs je
suis née de parents que le monde appelle libres ». — Le Préfet : « Qu'on
fasse venir le curateur de la ville ». — Lorsqu'il fut arrivé, le Préfet lui de-
manda ce qu'il savait de Tbéodora. Il dit qu'il la connaissait pour être libre
et d'une très-bonne famille de la ville. Le Préfet, adressant la parole à
Théodora : « Pourquoi, étant née de parents nobles, n'êtes-vous point ma-
riée ?» — Théodora : a C'est pour plaire à Jésus-Christ. En se faisant homme,
il nous a délivrés de la corruption, et j'espère qu'il m'en préservera, si je suis
fidèle » . — Le Préfet : « Les empereurs ordonnent que les vierges sacrifient aux
dieux ou soient exposées dans un lieu de prostitution». — Théodora : « Je
crois que vous n'ignorez pas que Dieu, dans chaque action, regarde la vo-
lonté ; si donc je persiste dans la résolution de conserver mon âme pure, je
ne serai point coupable de la violence qu'on pourra me faire». — Le Préfet:
« Yotre naissance et votre beauté m'inspirent pour vous des sentiments de
compassion ; mais cette compassion vous sera inutile si vous n'obéissez. Oui,
j'en jure par les dieux, ou vous sacrifierez, ou vous deviendrez l'opprobre
de votre famille et le rebut des honnêtes gens ».
Le Préfet insista encore sur l'ordonnance des empereurs; mais la Sainte
fit toujours la même réponse, puis elle ajouta : « Si vous me faites couper
une main, un bras, la tête, sera-ce moi qui serai coupable ? ne sera-ce pas
plutôt celui qui commettra cette violence ? Je suis unie à Dieu par le vœu
de virginité que je lui ai fait ; mon corps et mon âme lui appartiennent : je
m'abandonne entre ses mains; il saura conserver ma foi et ma chasteté ». —
Le Préfet : « Rappelez-vous votre naissance et ne couvrez pas votre famille
d'un opprobre éternel». — Théodora :« Jésus-Christ est la source du véritable
honneur ; c'est de lui que mon âme tire toute sa beauté : il sera assez puis-
sant pour soustraire sa colombe aux griffes de l'épervier». — Le Préfet: «Que
je plains votre aveuglement ! Pouvez-vous mettre votre confiance dans un
homme crucifié? Y a-t-il de la raison à croire qu'il défendra votre chasteté
dans un lieu infâme? » — Théodora: «Oui, je crois et je crois fermement que
ce Jésus, qui a souffert sous Ponce-Pilate, me délivrera des mains de ceux
qui ont conspiré ma perte, et qu'il me conservera pure et sans tache. Jugez,
après cela, si je puis le renoncer ».
Le Préfet: « Il y a longtemps que je vous écoute avec patience; mais
enfin, si vous persistez dans votre opiniâtreté, je n'aurai pas plus d'égards
pour vous que pour la dernière des esclaves ». — Théodora :« Je vous aban-
donne mon corps, aussi bien en êtes-vous le maître ; mais quant à mon
SAIiNTE THÉODORA ET SAINT DIDYME, MARTYRS. 59
âme, elle est au pouvoir de Dieu seul». — LePréfet :«Qu'on lui donne deux
soufflets pour la guérir de sa folie et pour lui apprendre à sacrifier aux
dieux». — Théodora :« Par Jésus-Christ, qui est mon protecteur, je ne sacri-
fierai point aux démons, et je ne me résoudrai jamais à les adorer ». — Le
Préfet :« Faut-il que vous me forciez à faire publiquement un pareil affront
à une fille de votre qualité 1 Vous en êtes venue au comble de la folie ». —
Théodora :« Cette sainte folie, qui nous fait confesser le Dieu vivant, est une
vraie sagesse, et ce que vous appelez affront sera pour moi le principe d'une
gloire éternelle ». — Le Préfet : « A la tin, je perds patience, et je vais faire
exécuter l'édit. Je me rendrais moi-même coupable de désobéissance envers
les empereurs, si je différais plus longtemps à punir la vôtre». — Théodora:
«Vous craignez de déplaire à un homme; comment me pouvez-vous faire un
crime de ce que je crains de déplaire au souverain Maître du ciel et de la
terre?» — LePréfet :«Vous n'appréhendez pas de témoigner du mépris pour
les ordonnances des empereurs et d'abuser de ma patience? Eh bien! je
vous donne trois jours pour penser mûrement à ce que vous avez à faire ;
mais ce terme expiré, si je ne vous trouve soumise, par les dieux, je vous
ferai exposer dans un lieu de débauche, afin qu'aucune femme ne soit tentée
de vous imiter». — Théodora: «Vous n'avez qu'à supposer les trois jours déjà
expirés, car je ne changerai point de sentiment. Il y a un Dieu qui prendra
soin de moi. Faites donc ce qu'il vous plaira. Si toutefois vous m'accordez
les trois jours, j'ai une grâce à vous demander : c'est qu'on n'attente point
à mon honneur avant que vous ayez rendu votre jugement ». — Le Préfet :
«Cela est juste. Ainsi j'ordonne que Théodora soit gardée pendant trois jours;
je veux qu'on ne lui fasse aucune violence, et qu'on la traite d'une manière
conforme à sa naissance » .
Les trois jours étant passés, le Préfet se fit amener Théodora. Comme il
vit qu'elle persistait toujours dans sa première résolution, il lui dit : « La
crainte d'encourir l'indignation des empereurs m'oblige d'exécuter leurs or-
dres. Prenez donc le parti de sacrifier, ou je vais prononcer la sentence.
Nous verrons si votre Jésus-Christ, pour lequel vous persistez dans le refus
d'obéir, vous délivrera de l'infamie à laquelle vous allez être condamnée ».
— Théodora : « Que cela ne vous inquiète pas. Le Dieu qui a été jusqu'ici le
gardien de ma pureté, s'en rendra le protecteur contre la violence de quel-
ques hommes perdus qui voudront y attenter ».
La sentence ayant été prononcée, Théodora fut conduite dans un lieu
de débauche. En y entrant, elle leva les yeux au ciel, et dit : « Dieu tout-
puissant, Père de Notre-Seigneur Jésus-Christ, secourez votre servante, et
retirez-la de ce lieu infâme. Vous qui délivrâtes saint Pierre de la prison,
sans qu'il eût souffert aucun outrage, daignez être le protecteur et le gar-
dien de ma chasteté, afin que tout le monde reconnaisse que je suis à
vous ».
Cependant une troupe de libertins accoururent à la maison ; ils regar-
daient déjà cette innocente beauté comme une proie qui ne pouvait leur
échapper ; mais Jésus-Christ veillait à la garde de son épouse, et il lui en-
voya un de ses serviteurs pour la délivrer.
Il y avait parmi les chrétiens d'Alexandrie un jeune homme plein de zèle
pour la gloire de Dieu : il se nommait Didyme. Brûlant du désir de tirer la
Sainte du danger, il s'habilla en soldat et entra hardiment dans le lieu où
elle était. Théodora, le voyant approcher, se sentit glacer tout le sang dans
les veines. Elle fuit devant lui et parcourt tous les coins du lieu où elle est
renfermée. Didyme lui dit ; « Ne craignez rien, ma sœur ; je ne suis pas ce
60 28 AVRIL.
que je vous parais, je suis votre frère en Jésus-Christ : j'ai eu recours à ce
déguisement pour vous arracher de ce lieu. Donnez-moi vos habits et pre-
nez les miens. Sauvez-vous ensuite et je resterai en votre place ». Théodora
fait ce que Didyme exige d'elle ; elle s'habille en soldat, enfonce un cha-
peau sur ses yeux et s'en va sans être reconnue de personne. Son libérateur
lui avait recommandé de marcher les yeux baissés, sans s'arrêter, sans par-
ler à qui que ce fût, et d'affecter la contenance honteuse et l'empressement
embarrassé d'un homme qui sort de semblables lieux. Lorsqu'elle se vit hors
de tout danger, son àme prit son essor vers le ciel, elle témoigna sa recon-
naissance au Dieu qui venait de la délivrer.
Quelque temps après, un libertin entra et fut extrêmement surpris de
trouver un homme au lieu d'une femme. Lorsqu'il eut entendu le récit de
ce qui était arrivé, il sortit et alla en instruire ses compagnons. Le juge, in-
formé de l'affaire, envoya chercher le jeune homme, et lui demanda son
nom. Celui-ci répondit qu'il s'appelait Didyme. — Le Préfet : « Qui vous a
engagé à faire ce que vous avez fait? » — Didyrne : « Dieu lui-même me l'a
commandé». — Le Préfet :«Avant que je vous fasse mettre à la question, dé-
clarez où est Théodora». — Didyme:« Je vous jure que je n'en sais rien. Tout
ce que je puis vous en dire, c'est qu'elle est une véritable servante de Dieu
et qu'il l'a conservée pure et chaste pour avoir confessé son Fils, Jésus-
Christ ». — Le Préfet : « De quelle condition êtes-vous ? » — Didyme : « Je suis
chrétien et affranchi de Jésus-Christ». — Le Préfet: «Qu'on lui donne la ques-
tion deux fois plus forte qu'à l'ordinaire, pour punir l'excès de son inso-
lence».— Didyme: «Je vous prie d'exécuter ponctuellement les ordres de vos
maîtres par rapport à moi ». — Le Préfet : « Par les dieux, tu peux t'attendre
à être tourmenté comme tu le mérites, à moins que tu ne sacrifies. L'o-
béissance est l'unique moyen qui te reste d'obtenir grâce pour ton premier
crime». — Didyme: «Je vous ai déjà donné des preuves que je ne crains point
de souffrir pour la cause de Jésus-Christ. En agissant comme j'ai fait, je me
suis proposé deux choses : sauver une vierge de l'infamie, et confesser pu-
bliquement le Dieu que j'adore. J'espère sortir victorieux de tous les tour-
ments auxquels vous pourrez me condamner. La vue de la mort la plus
cruelle ne me déterminera jamais à sacrifier aux démons ». — Le Préfet :
« J'ordonne qu'en punition de son audace, on lui tranche la tête et que
son corps soit brûlé». — Didyme: «Béni soit le Dieu Père de Notre-Seigneur
Jésus-Christ, pour n'avoir point rejeté mes vœux, pour avoir délivré Théo-
dora, sa servante, et pour m'avoir jugé digne d'une double couronne ».
Conformément à la sentence du juge, on coupa la tête à Didyme, et son
corps fut brûlé. Ici finissent les actes des saints Martyrs.
Saint Ambroise, qui raconte l'histoire de Théodora1, dit qu'elle courut
au lieu où on exécutait Didyme, et qu'elle voulut mourir en sa place. Il fait
une belle peinture de la pieuse contestation qu'il y eut entre eux. Théodora
avouait à Didyme qu'elle lui était redevable de la conservation de son hon-
neur ; mais elle ajoutait qu'elle n'avait pas prétendu lui céder sa couronne.
« C'est pour ma chasteté », lui disait-elle, « que vous vous êtes fait ma cau-
tion, ce n'est pas pour ma vie; tant que ma virginité sera en danger, à la
bonne heure que vous ayez répondu pour moi. Il n'en est pas ainsi lors-
qu'on me demande la vie ; je suis en état d'acquitter une pareille dette.
D'ailleurs la sentence n'a été rendue qu'à cause de moi. La fuite a été l'oc-
casion de votre mort. Je n'ai point fui pour ne point mourir, mais pour ne
1. Voir ce Pèie, L. de Yirg, i, u, c. 4. C'est par méprise qu'il appelle The'odora Yierge d'Antioch*.
SAINT APHRODISE, PREMIER ÉVÊQUE DE BÉZIERS, MARTYR. 61
point être déshonorée. Mon honneur ne court plus de risques. Mon corps
est capable de souffrir pour Jésus -Christ ».
Théodora et Didyme obtinrent ce qu'ils désiraient ; ils furent décapités
l'un et l'autre ; mais Didyme remporta le premier la palme du martyre. Il
est compté parmi ceux qui souffrirent sous Dioclétien à Alexandrie, en
304. Les deux Saints sont nommés dans le Martyrologe romain sous le 28
avril.
On peint sainte Théodora voilée, pour exprimer soit sa confusion, soit
le changement d'habits.
Nous avons substitué a la narration du Père Giry les Actes mêmes des saints Martyrs, dont uno
partie a e'te' copiée sur les registres publics et le reste écrit par un témoin oculaire.
S. APHRODISE, PREMIER ÉVÊQUE DE BÉZIERS, MARTYR (ier siècle).
L'église de Béziers, en Languedoc, solennise aujourd'hui le martyre de saint Aphrodise, son
apôtre et son premier évêque. Selon l'auteur du Martyrologe des Saints de France, il était de la
ville d'Hermopolis, en Egypte; il eut le bonheur de loger chez lui les divins fugitifs Jésus, Marie
et Joseph, lorsqu'ils quittèrent Bethléem par un ordre du ciel, pour éviter la fureur d'Hérode.
Eclairé en ce pays de ténèbres, par un rayon de la lumière divine, il vint en Judée au bruit des
merveilles qu'y opérait Jésus-Christ, son ancien hôte; là, s'unissant aux Apôtres, il fut admis au
nombre des disciples de ce maître adorable ; après la résurrection, il s'attacha plus particulière-
ment à saint Pierre, et l'accompagna ensuite en tous ses voyages, et surtout à Rome, lorsqu'il y
vint établir son siège, comme dans la capitale et la maîtresse de l'univers.
Saint Paul y vint aussi : dans une conférence qu'ils eurent sur ce qui était plus expédient pour
la gloire de Dieu et pour la prédication de l'Evangile, il fut résolu que saint Paul passerait dans
les Espagnes, et que saint Pierre demeurerait en Italie; saint Aphrodise fut donné comme auxi-
liaire à saint Paul. Il le suivit donc jusqu'en France, avec Serge-Paul, proconsul, que cet apôtre
des Gentils avait instruit et baptisé en l'île de Chypre, comme il est rapporté dans les Actes des
Apôtres. Il fut sacré évêque de Béziers, par l'un ou l'autre des deux Paul. Aphrodise y trouva
des consciences corrompues par le vice, et le pays infecté par l'idolâtrie. Il ne voyait dans les
villes que les désordres de l'iniquité, les monuments de la superstition. Les esprits étaient ense-
velis dans les plus épaisses ténèbres, et les cœurs étaient plongés dans tous les dérèglements dont
notre nature viciée est capable. Ces obstacles néanmoins ne lui firent point perdre courage; au
contraire, ils enflammèrent d'autant plus son zèle, qu'ils étaient plus difficiles à surmonter : Aphro-
dise commença à prêcher avec une ferveur incroyable le nom de Jésus-Christ, et à reprendre les
mœurs déréglées de ce peuple. Les païens, charmés de ces saints entretiens, faisaient paraître en
même temps de l'étonnement et de la satisfaction, et se pliaient aux principes de la vertu qu'il
leur présentait. Mais un jour que ce bon pasteur, tout embrasé d'un feu céleste, distribuait à ses
ouailles le pain de la parole de Dieu, une troupe d'idolâtres, armés de fureur et de rage, se jetant
au travers de l'assemblée, se saisirent de sa personne, et lui abattirent enfin la tête et à trois de
ses compagnons, Caralippe, Agape et Eusèbe. Ce fut en la rue Ciriaque, dite depuis de Saint-
Jacques, l'an de Notre-Seigneur 65, le 28 avril, la première année de son épiscopat.
Le même auteur du martyrologe des saints de France ajoute que le corps de saint Aphrodise,
se relevant de lui-même, prit entre ses mains sa tète abattue, et que, passant par le milieu de la
ville, il la porta jusqu'à une petite chapelle qu'il avait auparavant consacrée sous le titre de Saint-
Pierre, où il fut enseveli. Dieu l'a rendu depuis illustre par plusieurs miracles ; les fidèles lui ont
bâti une plus grande église, desservie par des chanoines : on y a transféré solennellement ses
saintes reliques. Cette église existe encore, dit le Propre de Carcassonne de 1855, et les reliques
de saint Aphrodise y sont toujours vénérées : c'était la cathédrale de l'ancien évèché de Béziers,
avant la construction de l'église des Saints Nazaire et Celse.
On représente saint Aphrodise monté sur un chameau, sans doute pour rappeler qu'il venait
d'Afrique. Les Biterrois ont conservé, jusqu'au xvme siècle, l'usage de promener un chameau
artificiel, le jour de l'Ascension, en mémoire de leur Apôtre qui était venu de si loin et qui était
censé avoir été témoin de l'Ascension du Sauveur.
62 28 avril.
SAINT VITAL ET SAINTE VALÉRIE, MARTYRS (171).
Durant la persécution de Marc-Aurèle (d'après l'opinion de Baronins), un médecin de Ravenne,
nommé Ursicin, fut condamné à mort comme chrétien : la vue du supplice l'impressionna si vive-
ment qu'il semblait abattu et prêt à apostasier. Vital, père de saint Gervais et de saint Protais,
assistant à cette scène, cria au martyr dont le courage chaucelait : « Qu'est-ce là, Ursicin ? Pour-
quoi hésites-tu? que crains-tu? toi qui, en qualité de médecin, as donué la santé aux malades,
tu te vas laisser blesser sans pouvoir jamais te guérir? Tu as déjà triomphé de taut de tourments,
veux-tu perdre en un moment la gloire de tes trophées, et rendre inutile tout ce que tu as amassé
avec tant de peines? Souviens-toi que, par cette mort qui passera comme le vent, tu acquerras
une vie immortelle dans l'éternité ». Ces paroles ranimèrent Ursicin, qui mourut généreusement
pour Jésus-Christ, le 19 juin ; et Vital, assuré d'avoir donné la vie de l'âme à Ursicin, ensevelit
son corps avec beaucoup de soin et de dévotion.
Le juge, nommé Paulin, sachant ce que Vital avait fait, l'exhorta doucement à quitter la vaine
superstition des chrétiens, et à repreudre l'ancienne religion des Romains : si non, il serait obligé
de le punir. Mais Vital lui répondit qu'il devait plutôt renoncer lui-même aux faux dieux, et adorer
la majesté d'un Dieu vivant, et de son fils Jésus-Christ, par qui le monde a été créé, et en qui il
subsiste. Le juge le fit mettre sur le chevalet, où sa peau fut déchirée, ses membres tirés et ses
os déboités ; mais sa constance étant à l'épreuve de tous ces supplices, Paulin commanda qu'il fût
mené au même lieu où Ursicin avait été exécuté, et que, s'il ne voulait pas adorer les dieux, on
le mit tout vivant dans une fosse profonde, qui serait aussitôt comblée de pierres et de terre, a8a
qu'il y fût étouffé. On fit ainsi mourir saint Vital, à l'instigation d'un prêtre d'Apollon, qui, à
l'instant où le Saint expira, fut possédé du démon et tourmenté avec tant de rage, qu'il ne faisait
que crier : « Tu me brûles, Vital; tu me tourmentes, Vital ; tu me mets tout en feu, Vital ». Il
demeura l'espace de sept jours en cet état; ne pouvant plus souffrir l'ardeur qui le consumait, il se
jeta enfin dans une rivière : châtiment de sa cruauté contre le saint Martyr. Quoique certains au-
teurs placent le martyre de saint Vital sous Néron, en l'année 62, nous l'avons mis, comme Baro-
nins, l'an 171. On voit à Rome, à Ravenne et au mont Saint-Sabin, de magnifiques églises sous
son nom.
Ou célèbre encore aujourd'hui la mémoire de sainte Valérie, son épouse, et on lui donne le
glorieux titre de Martyre ; parce que, en allant à Milan, elle rencontra des sacrificateurs qui lui
ordonnèrent de manger des viandes offertes aux idoles ; et, sur son refus, l'accablèrent de tant de
coups, qu'on la porta demi-morte à Milan, où, deux jours après, elle mourut de ses blessures. Tel
est le récit d'Adon, en son Martyrologe, où il fait mémoire de ces deux saints époux. Ceux de
Bède, d'Usuard et le Romain en parlent aussi.
On donne saint Vital pour militaire et chevalier romain, ce qui explique la cuirasse dont il est
souvent revêtu par les peintres et les sculpteurs. On le peint aussi enfoui dans terre jusqu'à la
ceinture, ou bien formant groupe avec sainte Valérie, sa femme, saint Gervais et saint Protais,
leurs enfants. Saint Vital est le principal Patron de Ravenne. On y garde ses reliques dans la
magnifique église de son nom qui fut bâtie, par l'empereur Justinien, en 547 : il y en a aussi à
Boulogne, en France, et à Lille. Le culte de saint Vital est populaire en Savoie, où il est honoré
cous le nom de saint Viard.
Of. Eagiologium italicum.
Ste PROBE ET Ste GERMAINE, VIERGES ET MARTYRES (ive siècle).
Sainte Probe et sainte Germaine, aussi nommées Preuve et Grimonie, naquirent en Irlande, au
IV» siècle. Pour se soustraire aux sollicitations de parents idolâtres qui voulaient les engager dans
les liens du mariage, elles quittèrent généreusement leur pays et vinrent se fixer dans les Gaules.
Grimonie se retira en un lieu dit plus tard la Capelle, à cause d'une chapelle élevée sur son tom-
beau, et Probe à Tonson, près de Laon, dans le Val-des-Chenizelles. Les émissaires de leurs pa-
rents les y découvrirent quelque temps après et les sommèrent de retourner avec eux. Mais il»
SAINT AFFRIQUE, ÉVÊQUE DE COMMINGES. 63
trouvèrent ces vierges chrétiennes inébranlables dans leur résolution et leur tranchèrent la tète.
Dom Robert Wyard, bénédictin, ajoute, dans son Histoire de l'abbaye de Saint-Vincent de Laon,
que sainte Probe « porta sa tête jusques à l'église de Saint-Pierre-le-Vieil, sur une pierre qui s'y
voit encore. Ses reliques, ajoute-t-il, ont esté longtemps conservées en cette abbaye de Saint- Vin-
cent de Laon, et on y célèbre encore aujourd'hui sa feste, conjointement avec celle de sainte Gri-
monie... »
Une partie des reliques de sainte Probe fut réunie, dès le ixe siècle, aux reliques de sainte
Grimonie, nous disent les annotateurs de Dom Wyard, dans leur édition de 1858 (JIM. les abbés
Cardon et Mathieu). Mais les guerres malheureuses qui désolèrent la France, ayant obligé, quatre
siècles plus tard, les habitants de la Capelle de déposer en un lieu plus sûr leur trésor, ils le con-
fièrent aux moines bénédictins de Saint-Jean de Lesquielles, dont le couvent, situé sur une haute
montagne, était protégé par sa propre position et par la tour du fort de la ville. Au xvie siècle,
l'antique monastère de Saint-Jean de Lesquielles tombait sous la rage des hérétiques, l'église elle-
même n'échappait qu'en partie à leur fureur ; mais Dieu veillait sur les restes de ses servantes.
Grâces aux soins d'Adrien de Crol, comte de Rœux et gouverneur de Flandre et d'Artois, les pré-
cieuses reliques étaient transportées, en 1540, dans l'église des chanoines d'Hénin-Liétard, où elles
furent l'objet d'une grande vénération. En 1748, l'église de Lesquielles obtint des chanoines d'Hé-
nin restitution d'une partie de ces reliques, et elles furent rapportées en grande pompe à Les-
quielles, où se font encore aujourd'hui trois processions annuelles en leur honneur.
Van Drivai, Hagiologie d'Arras.
SAINT AFFRIQUE, ÉVÊQUE DE COMMINGES (vie siècle).
On croit que saint Affrique est originaire de Bourgogne et qu'il tire sa naissance d'une noble
et illustre maison de cette contrée.
Les vertus qui embellirent d'abord sa vie le mirent dans un rang éminent et le désignèrent
comme digne de gouverner, en qualité d'évèque, l'église de Comminges. C'est dans le
VIe siècle que se place l'épiscopat de saint Affrique. Alors l'arianisme déployait encore dans le
midi des Gaules un zèle des plus ardents pour semer le poison perfide de ses doctrines hérétiques.
Les succès que les Goths avaient obtenus par leurs armes les encouragèrent à imposer aux peuples
vaincus les erreurs de l'arianisme dont ils étaient infectés, en même temps que leur domination,
et la pure foi chrétienne subissait de mortelles et nombreuses atteintes. Le pays de Rouergue
était une des provinces du midi de la France où les Goths avaient assis le mieux leur funeste
empire, et où l'arianisme, s'affirmant davantage, était devenu le plus florissant.
Animé d'un saint courage de venger la gloire de Dieu indignement outragé et le nom de Jésus-
Christ blasphémé, et du zèle du salut des âmes, saint Affrique n'hésite pas à se dévouer pour
faire la conquête de ces peuples que l'hérésie a arrachés du sein de l'Eglise. Il quitte donc la ville
de Comminges, et, allant se placer sur les lieux mêmes où l'arianisme se montrait le plus enva-
hisseur et le plus opiniâtre, il appelle au combat ses adversaires, tantôt par de savantes discussions
sur les matières religieuses, tantôt au moyen de conférences éloquentes ; là il expose la doctrine or-
thodoxe, fait ressortir le côté faible, l'erreur, la perfidie des doctrines ariennes, et parvient à ra-
mener aux véritables croyances du catholicisme toutes ces multitudes trompées ou retenues dans
l'erreur par l'influence mauvaise de leurs vainqueurs.
Tant de succès heureux ne devaient pas laisser les Ariens indifférents. Voilà donc qu'ils noir-
cissent la réputation du saint Evèque missionnaire par les plus atroces calomnies : ils lui imputent
toutes sortes de crimes; ils le maltraitent; ils l'accablent de reproches, d'outrages, d'injures.
Semblable à un roc immobile, l'homme de Dieu est impassible et inébranlable : il laisse passer
ces vents et celte tempête se calmer, au fond de sa prison où ils l'ont jeté; et quand l'heure de
la délivrance eut sonné pour lui, plus intrépide encore après qu'avant, il poursuit ses travaux sans
se décourager. C'est alors que Dieu, voulant assurer définitivement la victoire à la campagne que
saint Affrique avait entreprise contre l'arianisme, lui vint en aide d'une manière éclatante par la
force des miracles qu'il posséda dans un degré éminent.
L'un des miracles que nous a transmis une pieuse tradition eut lieu au moment où saint Af-
frique célébrait la sainte Messe. A la communion, une auréole de feu brilla, comme une ravissante
couronne, autour de sa tète; ceux-là qui étaient assez purs pour communier eurent seuls, dit l'his-
64 28 avril.
torien de sa vie, le bonheur de la contempler; quam qui sanctissimse synaxis digni erwtâ,
conspiciebant, indig?iis autem non aspedabilem.
Après une vie toute apostolique, saint Afîrique, comblé de mérites, étant mort, son corps fat
enterré dans une des villes du Rouergue qui porte aujourd'hui son nom, et qui s'est formée à la
suite du grand concours des fidèles que la protection puissante du glorieux serviteur de Dieu atti-
rait à son tombeau. On y gardait en vénération ses reliques dans l'église collégiale établie en
1444 ; la fureur aveugle des Calvinistes les a dispersées, et il n'en reste plus aujourd'hui que
quelques petites parcelles.
Le culte de saint Affrique est célèbre dans plusieurs villes du Midi : à Nimes, Rodez, Castres,
Comminges ', Albi, Toulouse. Ces deux dernières villes possèdent quelques-unes de ses reliques.
On célèbre la fête de saint Affrique, dans le diocèse de Rodez, le 28 avril.
L'antienne du Magnificat des Vêpres est propre :
Affricane, spéculum et nitor Ecclesi», Christi Affrique, miroir et gloire de l'Eglise, Tabernacle
Tabernaculum et supernae gratias; Pastor. rege po- du Christ et de la grâce céleste; ô Pasteur, dirigez
pulum in virga justitise, praebens adminiculum in votre peuple avec la règle de justice; soutenez ce
valle miserias. Alléluia! peuple dans la vallée des larmes. Alléluia.
Vabres l'a choisi pour un de ses patrons, en même temps que Saint-Pierre.
De vieilles tapisseries et un antique bassin de cuivre émaillé, que l'on possédait encore au
xvme siècle, rappelaient quelques-uns des miracles qui avaient rendu saint Affrique populaire.
Ici c'est un imprudent navigateur qui veut traverser la Sorgue pendant qu'elle est débordée et
qui, précipité dans les flots, est transporté par une force invisible sur l'autre rive après avoir
invoqué l'homme de Dieu ; là c'est un misérable qui, ayant contrefait le paralytique pour arracher
une aumône à saint Affrique, est réellement frappé de paralysie et n'est guéri qu'après lui avoir
confessé sa faute. Plus loin, c'est le miracle de l'auréole brillant autour de sa tète pendant la
célébration de la sainte messe 2.
Extrait du Propre de Rodes, par M. le chanoine Bousquet; — Cf. Saints du Rouergue, par M. l'abbé
Servieres ; les Saints de Franche-Comlé, etc.
SAINT ARTHÈME, ÉVÊQUE DE SENS (609).
Issu d'une noble famille du pays, Arthème fut engagé dans les liens du mariage avant d'être
promu aux fonctions épiscopales, et eut au nombre de ses enfants la pieuse Eulosie qui prit le
voile. Le sacre d'Arthème eut lieu le 23 avril 579.
Il reçut à la pénitence publique un Espagnol, nommé Bond (Baldus), et d'un grand criminel
en fit un grand Saint. On voyait encore, il y a quelques années, sur la rive gauche de l'Yonne, au
sommet d'une montagne, les ruines de l'ermitage où vécut et mourut saint Bond, après sept année»
d'effrayantes austérités.
Saint Arthème alla de vie à trépas le 28 avril 609, et fut inhumé dans l'église Saint-Pierre.
Voir France pontificale, e'dit. Repos.
1. Lugduni convenarum.
2. Pour être complet, nous devons ajouter que tout n'est pas absolument certain dans la vie de saint
Affrique telle que nous venons de la donner : en adoptant la légende du Propre de Rodez, qui le fait
évêque de Comminges, nous avons suivi l'opinion la plus probable. Les anciens documents appellent
Lugdunum la ville dont il fut évêque. Or, il y avait, dit M. l'abbé Servieres, « trois villes épiscopales
de ce nom dans les Gaules : Lugdunum Clavatum, Laon ; Lugdunum Secusianorum, Lyon; et Lugdunum
Convenarum, Comminges; et on doute laquelle des trois était le siège de notre Saint. Les plus fortes
probabilités sont cependant pour Comminges ». Théophile Raynaud, s'appuyant sur l'Histoire manuscrite
des Saints du comté de Rourgogne, conservée à la bibliothèque de la rue Richelieu, a Paris, soutient
dans son Uagiologium Lugdunense, que saint Affrique fut évêque de Lyon sur le Rhône en 490. Cependant,
il faut avouer que les autres historiens de la ville de Lyon et tous les hagiographes modernes, Baillet,
Godescard, etc., ne sont ni pour cette date, ni pour cette ville : ils adoptent, sans donner de preuves do
reste, le vi« siècle et la ville de Comminges. Comme les documents concernant saint Affrique ont péri
dans un incendie, on en sera longtemps encore réduit à des probabilités. .
LE BIENHEUREUX AUGUSTIN NOVELLO. 65
LE BIENHEUREUX LUCHÈSE, CONFESSEUR (1232).
Luce on Luchèse était un marchand de Poggibonzi, près de Sienne. La politique et le commerce
l'occupaient plus que le service de Dieu et le salut de son âme. Saint François parcourait alors la
Toscane annonçant la parole de Dieu et appelant les âmes à la pénitence. 11 vint à Poggibonzi;
tout le peuple se pressa pour l'entendre, et au milieu de la foule était le marchand Luchèse. Le
Saint eut le talent, avec la grâce de Dieu, de toucher son cœur, et après le sermon il le vit se
présenter à lui et lui demander ce qu'il fallait faire pour gagner le ciel. Le Saint eut alors une
révélation d'en haut par laquelle il connut que Luchèse était l'homme qui le premier devait
embrasser la règle de Tiers Ordre que, depuis longtemps, il avait l'intention de fonder. Il lui eu
donna l'habit et lui imposa les règles qu'approuva plus tard Nicolas IV. Le commerçant abandonna
dès lors entièrement la politique et le commerce pour ne plus s'occuper que de son salut et des
œuvres de miséricorde. Il lui resta la gloire d'avoir été le premier membre de cet Ordre qui a sauvé
tant d'âmes et qui, aujourd'hui, semble reprendre vie partout. Le bienheureux Luchèse rendit son
âme à Dieu en 1232. Les Frères Mineurs ont obtenu d'Innocent XII, en 1694, la permission de
célébrer le 28 avril la fête du bienheureux Luchèse.
Manuel du Tiers Ordre.
LE BIENHEUREUX AUGUSTIN NOVELLO (1309).
Mathieu de Termini était de la Sicile et appartenait à une noble famille de Catalogne venue
pour s'y établir. Il étudia le droit à Bologne et se fit une réputation comme habile professeur. Plus
tard, revenu en Sicile, il occupa des dignités à la cour de Manfred : il prit part à la bataille de
Bénévent, où périt Manfred, et fut compté parmi les morts, 1266. Mathieu de Termini, se voyant à
deux doigts de la mort, fit un retour sérieux sur lui-même ; il comprit la vanité des choses de la
terre et promit à Dieu, s'il guérissait, de se consacrer tout entier à son service. Il revint en santé
et tint à sa parole. Il entra chez les Ermites de Saint-Augustin, où il prit le nom d'Augustin No-
vello (nouvel Augustin). Cachant sa science et son nom sous l'habit modeste de frère lai, il laissa
ignorer qui il était. Le couvent eut à soutenir un procès qui donna beaucoup d'inquiétude aux frères.
Augustin ne put y résister ; il alla trouver le supérieur, le priant de lui donner ce qu'il fallait pour
écrire. Celui-ci, étonné, et croyant que le frère Augustin savait à peine lire, ne céda qu'à ses ins-
tances réitérées. Augusiin rédigea un mémoire court, mais lumineux et si fort que l'avocat de la
partie adverse ne put s'empêcher de s'écrier : C'est le diable ou un ange, ou Mathieu de Termini,
que l'on a dit mort à la bataille de Bénévent, qui a rédigé ce document. Il voulut voir l'auteur de
l'écrit, le reconnut et l'embrassa avec joie, et annonça aux Augustins qu'ils avaient au milieu d'eux
un trésor. Le général des Augustiniens, Clément d'Osimo, l'emmena quelque temps après à Rome,
où il lui fit recevoir la prêtrise et le chargea de revoir les constitutions de son Ordre. Augustin
fut pendant vingt-deux ans, à son grand regret, confesseur du Pape. On le vénérait à la cour du
Pontife et on le regardait comme un Saint. En 1298, élu général du Tiers Ordre, il n'accepta que
sur l'ordre exprès du Pape, et deux ans après il renonçait à sa dignité pour se retirer aux envi-
rons de Sienne dans l'ermitage de Saint-Léonard. Il consacra les dix dernières années de sa vie à
la prière et à la contemplation, et rendit son âme à Dieu en 1309. Clément XIII approuva soc
culte en 1759.
Tous les hagiograpues modernes.
Vies des Saints. — Tome Y.
66 29 avril.
XXIX* JOUR D'AVRIL
MARTYROLOGE ROMAIN.
À Milan, saint Pierre, martyr, de l'Ordre des Frères Prêcheurs, tué par les hérétiques en
haine de la foi catholique. 1252.— A Paphos, en Chypre, saint Tychique *, disciple du bienheureux
Paul, que cet Apôtre appelle dans ses épitres son frère bien-aimé, un ministre lidèle, et son com-
pagnon en Notre-Seigneur Jésus-Christ. iei s. — A Cirtha, en Numidie, la naissance au ciel des
saints martyrs Agape et Secondin, évèques, qui, après un long exil en cette ville, ajoutèrent à
l'éclat du sacerdoce la gloire du martyre. Ils souffrirent pendant la persécution de Valérien, qui
fut celle où la rage des païens fit les plus grands efforts pour ébranler la foi des justes. En leur
compagnie souffrirent Emilien, soldat, Tertulle et Antonie, vierges consacrées à Dieu, et une
femme avec ses deux enfants jumeaux. 260. — Le même jour, sept bienheureux Larrons, qui,
ayant été convertis à la foi de Jésus-Christ par saint Jason, gagnèrent la vie éternelle par le mar-
tyre2. 100.— A Brescia, saint Paulin, évêque et confesseur3. Vers 428. — Au monastère de Cluny,
saint Hugues, abbé. 1109. — Au monastère de Molesmes, saint Robert, premier abbé de Ci-
teaux. 1110.
MARTYROLOGE DE FRANCE, REVU ET AUGMENTÉ.
A Auxerre, saint Martin, moine du monastère de Saint-Germain. — A Denain, sur l'Escaut,
sainte Ave, vierge et seconde abbesse de ce lieu, iv» s. — A Troyes, saint Ursion et saint Matj-
rèle, confesseurs. — A Soissons, la mémoire de sainte Probe et de saint Eutrope. — Au diocèse
de Nantes, la mémoire de saint Secondel, vulgairement Second, diacre et solitaire, patron de
Besne 4. Vers 560. — A Viviers, saint Aule, évèque de ce siège. Il y avait autrefois à Viviers une
église de son nom. Ses reliques furent brûlées par les Calvinistes 6. — A Merville, entre Lille et
Saint-Omer, le décès de saint Amé, archevêque de Sens, dont le corps, qui avait été porté à
Soissons, est présentement à Douai. Sa fête se fait à Sens le 13 septembre. Vers 689. — A Pise,
le martyre de saint Tropez, honoré le 17 mai au diocèse de Fréjus, où il y a une ville qui porte
son nom. ier s.
MARTYROLOGES DES ORDRES RELIGIEUX.
Martyrologe des Bénédictins, des Camaldules, de Va Nombreuse, des Cisterciens. — An
monastère de Molesmes, saint Robert, premier abbé de Citeaux.
Martyrologe des Dominicains. — A Milan, saint Pierre, martyr, de l'Ordre des Frères Prê-
cheurs, qui conserva jusqu'à son dernier soupir la parure de la chasteté; et qui, combattant contre
1. Saint Tychique était un Hébreu de la province d'Asie : l'Ecriture nous apprend qu'il remplissait
auprès de saint Paul la fonction de messager : il fut porteur, entre autres, des épitres de l'Apôtre aux
Colossiens et aux Ephésiens (Coloss., iv, 7, 8; Eph., vi, 21, 22).
L'Eglise grecque et la tradition le mettent au nombre des soixante-douze disciples de notre bien-aimé
Sauveur Jésus-Christ; ce qui nous amené à croire qu'il n'a pas été converti par saint Paul, mais qu'il lui
fut donné pour être son collaborateur dans la prédication de l'Evangile et son compagnon de voyage. En
e 65, saint Paul eut la pensée de le donner pour successeur à saint Timothée dans le gouvernement
de i'é^lise d'Ephèse.
La tradition ajoute qne saint Tychique fut successivement évêque de Colophon, en Ionie, et de Chal-
CéJcine, en Bithynie.
2. Voici les noms des sept bienheureux Larrons ie Corfou : Saturnin, Jusiscliolus, Fansticn, Janvier,
Marsalius, Euphrasius et Mammius.
3. Les Bollandistes nomment cet évêque de Brescia saint Paul 1", et affirment, sur l'autorité d'un
sav-int archéologue brescian, qu'aucun catalogue épiscopal, aucun Missel, aucun Bréviaire ne nomment
Un évêque de cette ville ayant porté le nom de Paulin.
4. Voir la Vie de saint Second, avec celle de saint Friard, au 1er août. — 5. Voir sa Vie plus haut,
t. iv, p. 51.
SAINT ROBERT, FONDATEUR DE MOLESMES ET DE CÎTEAUX. 67
les hérétiques par la parole et par la science, fut massacré par eux, et scella, de son sang répandu,
la foi catholique, qu'il avait défendue durant sa vie avec une admirable constance; ses mérites
excellents sont attestés par de fréquents miracles.
ADDITIONS FAITES D'APRÈS LES BOLLANDISTES ET AUTRES HAGIOGRAPHES.
A Corcyre, sainte Cercyre, vierge et martyre. Cette Sainte était fille du président Cercilin,
à la fois gouverneur et juge de Corfou. L'admirable patience que montraient les disciples de Jésus-
Christ devant le tribunal de son père, toucha son jeune cœur et la convertit au christianisme.
Dénoncée à Cercilin, ce père dénaturé commit l'infamie de la livrer à un esclave, nommé Ethiops,
pour la déshonorer. Ethiops recula devant une apparition monstrueuse qui servit comme de rem-
part à la jeune fille. Sainte Cercyre fut d'abord percée de flèches, puis lapidée. Ethiops souffrit
aussi le martyre et est compté au nombre des Saints. Vers l'an 100. — Au même lieu, saint Ethiops.
Même époque. — A Ravenne, saint Libère Ier, huitième évèque de cette ville '. Vers l'an 200. —
A Àtina, en Italie, ancien pays des Volsques, aujourd'hui Terre de Labour, saint Cher, évèque et
martyr. Il priait pour un démoniaque lorsque les païens le massacrèrent. Son sang guérit le pos-
sédé en rejaillissant sur lui. An 249. — En Angleterre, saint Senan, confesseur, qui mena la vie
solitaire dans le nord du pays de Galles, sur les terres du père de sainte Vénefride; cette Sainte
allait souvent lui demander des instructions et lui rendit les devoirs de la sépulture s. vu8 s. —
Encore en Angleterre, saint Wilfrid II, archevêque d'York. Vers 744. — A Venise, la translation
de saint Léon, évèque de Vile de Samos.
SAINT ROBERT,
RELIGIEUX DE MONTIER-LA-CELLE, ABBÉ DE SAINT-MICHEL DE TONNERRE,
PRIEUR DE SA1NT-AY0UL,
FOiNDATEUR DE MOLESMES ET DE CITEAUX»
1110. — Pape : Pascal II. — Roi de France : Louis VI, le Gros,
L'âme du juste médite l'obéissance»
Prov., xv, 28.
Le fondateur de Molesmes et de Cîteaux naquit en Champagne, à Troyes
ou aux environs de cette ville (1017). Sa mère avait nom Ermengarde et
son père Théodéric*. Tous deux, également nobles et riches, avaient su
garder dans les voies du siècle une piété sans faiblesse, et méritaient, par
la sainteté de leurs mœurs, l'honneur d'avoir un tel fils. « Economes de la
Providence, ils rachetaient, par d'abondantes aumônes, les fautes de fragi-
lité qui s'attachent aux âmes les plus justes, comme la poussière aux pieds
du voyageur ».
Un signe merveilleux précéda sa naissance et annonça les desseins du
1. Saint Libère le', huitième évèque de Ravenne. était un philosophe grec. Baronius, au 30 décembre,
le confond avec Libérlus III, évèque de la môme ville.
2. Les Bollandistes pensent qu'il s'agit ici du même saint Senan qui est honoré dans la paroisse de
Plousane, ancien diocèse de Léon.
3. Molesmes est aujourd'hui une ville d'environ dix mille habitants, à 17 kilomètres de Châtillon-snr-
Seine 'Côte-'l'Or). — Citeaux est un village de quatre cents habitants dans le nicme département. — De
('elle-lès-Troyes, 11 ne reste que des ruines. On regrette surtout son église, qu» était uae
des plus belles de la Champagne.
4. Quelques auieuri pauiem qu'il
68 29 avril.
ciel : Ermengarde, sur le point d'être mère, vit en songe la très-sainte
Vierge Marie, qui lui offrit une bague d'or, en disant : « Je veux pour fiancé
le fils que tu as conçu ; voici l'anneau du contrat * ».
Le fiancé de Marie fut nommé Robert sur les fonts du baptême ; sa fa-
mille le reçut avec une joie mêlée de respect, et l'éleva pour l'Eglise. A
l'âge de quinze ans, il offrit au Seigneur « la fleur bénie de sa jeunesse», en
entrant chez les Bénédictins de Montier-la-Celle, dans le voisinage de Troyes.
Il y fut le modèle des novices et l'émule des plus saints religieux. « Il affli-
geait sa chair innocente par des jeûnes prolongés, et il ne cessait, ni le jour
ni la nuit, ses entretiens avec Dieu ». L'étude assidue de Jésus crucifié
l'initia rapidement aux secrets de la plus haute perfection. Ame candide et
affectueuse, d'une admirable docilité aux délicates impressions de la grâce,
il était plus enclin aux suavités de la contemplation qu'au travail exté-
rieur ; aussi le verrons-nous pendant toute sa vie obéir et céder pour avoir
la paix.
Les moines, pleins d'estime pour une religion si profonde, le nommè-
rent prieur presque au sortir de son noviciat, et, quelque temps après, ceux
de Saint-Michel de Tonnerre le choisirent pour abbé. C'est dans cette abbaye
que des ermites, établis dans la forêt de Colan, vinrent le trouver et le prier
de se joindre à eux, afin de leur enseigner la règle de Saint-Benoît, qu'ils
avaient résolu d'embrasser. Il eût bien voulu les suivre aussitôt ; car, à Saint-
Michel, ses efforts pour affermir la régularité étaient stériles ; mais, cédant
à l'opposition des moines, il attendit l'heure de Dieu, et resta à Saint-Mi-
chel. Ce ne fut pas pour longtemps, car il retourna bientôt en son pre-
mier monastère de Montier-la-Celle.
Rentré dans la vie de simple religieux, il commença à goûter dans le
calme de la solitude et du silence les délices de la contemplation divine, et
ce fut dans ce céleste commerce, entretenu par la prière continuelle, qu'il
reçut les grâces par lesquelles Dieu le préparait aux grands desseins qu'il
avait sur lui.
Quelque résolution que Robert eût prise de ne plus sortir de ce repos
heureux où son âme, dégagée de toutes les choses de la terre, jouissait de
Dieu même, il ne put, sans manquer à l'obéissance qu'il avait vouée, refuser
de prendre la direction du monastère de Saint-Ayoul ou Aigulphe de Pro-
vins, qui dépendait de Montier-la-Celle.
Cependant les sept ermites de Colan, toujours désireux d'avoir Robert
pour supérieur, présentèrent une requête au pape Alexandre II, qui ordonna
à Robert d'aller les diriger.
Voici l'histoire de cet ermitage, berceau de Molesmes et de Cîteaux : Deux
gentilshommes normands, frères selon la chair, mais non pas selon l'esprit,
impies et libertins, traversaient un jour la forêt de Colan, entre Tonnerre
et Chablis, pour se rendre à un tournoi. Or, chacun d'eux eut l'horrible
pensée d'égorger son frère alin de jouir de ses biens. Cette pensée devint un
désir...; toutefois ils résistèrent et parvinrent à l'étouffer. A leur retour, et
dans le même endroit de la forêt, la même tentation les assaillit plus vio-
lente et plus irrésistible...; mais Dieu retint leurs bras et toucha si forte-
ment leur âme, qu'ils allèrent tous deux accuser leurs fautes à un prêtre
retiré dans cette solitude. Ensuite, chemin faisant, ils se révélèrent l'un à
l'autre le désir abominable qu'ils avaient eu et la lutte qui l'avait suivi...
Cette révélation les frappa d'épouvante et les convertit. Renonçant au
1. Volo filium quem gestas in utero ex isto mini annulo desponsari. (Vita, i.)
SAINT ROBERT, FONDATEUR DE MOLESMES ET DE CÎTEAUX. 69
monde, ils distribuèrent leurs richesses aux pauvres, et vinrent se mettre
sous la direction du pieux ermite de Colan.
L'humble communauté s'accrut, et saint Robert dut chercher un em-
placement plus salubre pour bâtir une abbaye régulière. Remontant la rive
droite de la Laignes, il amena ses religieux, au nombre de treize, dans la
forêt de Molesmes, et là, sur le penchant d'une colline, il construisit, avec
des troncs d'arbres et des branches entrelacées, un oratoire et des cellules
à l'entour. Ce pauvre monastère, image de Bethléem, fut dédié à la Sainte
Vierge, le dimanche 20 décembre 1075, — Raynard de Bar étant évêque de
Langres, et saint Grégoire VII, vicaire de Jésus-Christ.
Robert en eut la conduite avec le titre d'abbé ; il y établit la règle de
Saint-Benoît et s'eflbrça d'y faire germer les vertus religieuses. Par son
exemple, il aidait ses Gis spirituels à supporter le poids du travail et des
austérités, et, par son langage tout céleste, il les encourageait à semer dans
les larmes, afin de moissonner dans la joie. Et ses fils joyeux rivalisaient de
bonne volonté à qui serait le plus doux, le plus humble, le plus obéissant
et le plus silencieux. Dans ces luttes pacifiques, la charité régnait en souve-
raine, car les succès de chacun étaient l'honneur et comme le patrimoine
de tous.
Dans ces commencements, l'évêque de Troyes, passant près de Molesmes,
eut la pensée de visiter l'abbaye ; — c'était l'heure où les moines, fatigués
par le jeûne et le travail, allaient au réfectoire ; — il y entra avec eux. On
ne put lui offrir que des légumes et des fruits, si grande était la pauvreté !
mais la vue de ces religieux fervents, leur modestie et leur paix au sein de
l'indigence, le remplirent d'admiration, et il s'en retourna en bénissant Dieu.
Or, à quelque temps de là, Molesmes manqua de pain ; saint Robert, qui
avait remis 5 la Providence le souci de la vie, prit à la lettre ces paroles du
Prophète: « Vous qui n'avez point d'argent, hâtez-vous d'acheter », et il
envoya deux religieux acheter sans argent des vêtements et des vivres.
Obéissant à leur bienheureux Père, ils se dirigent vers la ville de Troyes.
L'évêque apprend l'arrivée de ces moines, dont les pieds nus et l'extrême
dénûment excitent sa pitié ; il se les fait amener, reconnaît ses hôtes de
Molesmes, les accueille dans sa maison, et, quand ils sont reposés du voyage,
il leur donne un chariot chargé de provisions. Tous les Frères bénirent le
Seigneur, au retour des envoyés, et s'excitèrent à la persévérance.
A partir de ce moment, l'épreuve de l'extrême pauvreté cessa à Molesmes :
les seigneurs du voisinage firent à l'envi des donations au nouveau mo-
nastère.
Mais, hélas ! pourquoi « l'homme ennemi » sema-t-il de l'ivraie dans ce
champ du père de famille?.... La piété des fidèles ayant enrichi Molesmes,
l'abondance détrôna la pauvreté, et il se trouva des esprits superbes qui
méprisèrent le travail des mains, et élevèrent des prétentions sur les églises
voisines, alléguant, pour se justifier, la coutume d'autres abbayes. Saint
Robert, le prieur Albéric, Etienne et plusieurs moines, luttèrent contre ces
innovations déplorables, mais en vain. Ceux qui répudiaient la pauvreté
méconnurent l'obéissance, et notre Bienheureux, se voyant débordé, crut
pouvoir déposer la crosse abbatiale, à l'exemple du patriarche saint Benoît,
et il se retira dans la solitude d'Or, où de pieux cénobites servaient Dieu
dans la pénitence et la ferveur.
Cependant les moines de Molesmes ne tardèrent pas à reconnaître qu'ils
avaient péché grièvement en obligeant leur saint fondateur à s'éloigner
d'eux ; Albéric, Etienne et les meilleurs religieux s'étaient enfuis, la dis-
70 3EJ AYKIL.
corde régnait au sein de la communauté, devenue semblable à un esquif
sans pilote, et Dieu avait détourné les aumônes des fidèles. Honteux d'avoir
outragé leur père, et n'osant pas le prier de revenir, ils écrivirent au Pape
et en obtinrent un bref qui en joignait à Robert de reprendre le gouvernement
de Molesmes; l'évêque de Langres était chargé d'en procurer la prompte
exécution. Robert obéit, sans demander ni excuses du passé ni promesses
pour l'avenir ; l'abandon à la volonté de Dieu lui suffisait ; Albéric et les
autres revinrent eux aussi à Molesmes.
Si « Dieu est de charité », les Saints qui vivent plus abondamment de sa
vie sont remplis de mansuétude. Robert oublia les torts de ses enfants, et
usa de condescendance ; l'abbaye retrouva pour un temps la paix dans la
ferveur, et communiqua même un peu de sève religieuse à des monastères
déchus. Toutefois, le succès ne descendit plus sur elle : en contrariant les
desseins de Dieu, elle avait perdu sa couronne de reine. Le temps qui use
ou consolide, diminua la bonne volonté de plusieurs qui se prirent à re-
gretter les réformes consenties, tandis que d'autres déploraient en secret
les dispenses accordées et soupiraient après l'austérité d'autrefois. En en-
tendant lire au Chapitre la Règle qu'ils voyaient délaissée en plusieurs de ses
prescriptions, ils ne pouvaient se défendre d'une amère tristesse ; pour eux,
la paix de l'âme n'était plus dans ce couvent qu'ils avaient aimé, et ils s'in-
quiétaient du jour béni qui leur rendrait cet inestimable trésor.
Ces tendances opposées ne brisèrent point l'harmonie extérieure, mais
élevèrent jour par jour un mur de séparation entre les Frères ; à la fin,
Etienne découvrit à Albéric les sentiments qui agitaient son âme ; Albéric
répondit à cette confidence par les mêmes aveux, et tous deux conçurent le
projet de bâtir une abbaye où la Règle serait observée à la lettre et sans
dispense générale. Ce projet mûrit, et, au moment de l'exécuter, Etienne
s'en ouvrit à saint Robert, qui entra dans leurs vues et promit son concours.
Cela fait, on résolut de quitter Molesmes, mais cette fois avec la permission
du Siège apostolique, afin de prévenir toutes difficultés. En conséquence,
vers le commencement de l'année 1097, Robert et six de ses moines se pré-
sentèrent à l'archevêque de Lyon, Hugues, légat du Pape en France, et en
obtinrent cette lettre :
« Hugues, archevêque de Lyon et légat du Siège apostolique, à Robert,
abbé de Molesmes, et aux religieux qui désirent avec lui servir Dieu suivant
la règle de Saint-Benoît.
«Que tous ceux qui se réjouissent de l'avancement de l'Eglise, notre sainte
mère, sachent que vous êtes venus à Lyon avec quelques-uns de vos enfants
spirituels du couvent de Molesmes, et Nous avez déclaré vouloir observer,
d'une manière plus stricte et plus parfaite, la règle de Saint-Benoît, gardée
maintenant avec négligence et tiédeur dans ledit monastère ; et puisque
différentes causes s'opposent manifestement à ce que vous puissiez accom-
plir en ce lieu-là votre bon dessein, Nous, consultant votre salut et celui de
vos frères, avons pensé que le meilleur était de vous retirer dans tout autre
couvent que la bonté divine vous accordera, et d'y servir le Seigneur dans
la ferveur et la paix. A vous donc qui avez comparu devant Nous, abbé Ro-
bert, Frères Albéric, Odon, Jean, Etienne, Létalde et Pierre, ainsi qu'à tous
ceux qui sont déterminés à vous suivre, Nous avons permis d'exécuter ce
bon dessein, et Nous vous exhortons à y persévérer, et confirmons par ces
présentes, à perpétuité, cette décision en vertu de l'autorité apostolique et
par l'apposé de notre sceau * ».
1. Exord. Magn. Cist. (Dist. i, c»p. M.î
SAINT ROBERT, FONDATEUR DE MOLESMES ET DE CÏTEAUX. 71
Robert, muni de cette lettre qui résume sa pensée, revint à Molesmes,
déclara son dessein à tous les religieux et les délia de l'obéissance qu'ils lui
avaient vouée ; il sortit ensuite, n'emportant de l'abbaye qu'un livre d'offices
pour le copier, les vêtements et les vases sacrés nécessaires à la célébration
du sacrifice divin. Vingt et un moines le suivaient.
Avant son départ de Molesmes, Robert avait choisi, disent quelques his-
toriens, la forêt de Cîteaux pour y bâtir une abbaye, et obtenu la protection
d'Eudes ou Odon, duc de Bourgogne ; mais une antique légende veut qu'il
se soit avancé vers le Midi, sous la conduite de la Providence, par les chemina
les moins frayés, et qu'arrivé ainsi dans une forêt, à quatre lieues de Dijon,
une voix mystérieuse lui ait dit : « Arrête ici, siste hic », d'où l'appellation
de Cîteaux. — Quoi qu'il en soit, Cîteaux était à ce moment une forêt sau-
vage, « sise au milieu des eaux », dans le diocèse de Chalon-sur-Saône, au
bailliage de Nuits. Raynaud, vicomte de Beaume, en détacha une lande in-
culte et marécageuse où croissaient les glaïeuls et les joncs, et l'accorda au
moine Robert, qui l'accepta au nom de la très-sainte Vierge. Marie agréa
cet hommage, et Cîteaux, succédant à Molesmes, devint le berceau d'une
« famille aussi nombreuse que les étoiles du firmament ».
Robert et ses religieux défrichèrent la lande, bâtirent un oratoire et des
cellules, et le 21 mars 1098, fête de saint Benoît et dimanche des Rameaux,
le nouveau monastère fut béni en l'honneur de la Mère de Dieu, comme
Molesmes l'avait été et comme le seront dans la suite des âges toutes les égli-
ses cisterciennes. Ce même jour Robert fut élu abbé, et après que tous les
religieux eurent renouvelé leurs vœux d'obéissance, il nomma saint Albéric
prieur et saint Etienne sous-prieur.
De ce jour Cîteaux fut un «jardin fermé », un séjour de paix et la cité
des Saints... Mais les moines ne durent pas oublier que la joie parfaite
n'habite pas ici-bas de longs jours avec nous. Tandis que saint Robert tra-
vaillait à établir cette admirable discipline qui sanctifia tant d'âmes, que,
moins de trois siècles après, le Chapitre général de l'Ordre décrétait de ne
plus poursuivre la canonisation d'aucun cistercien, « dans la crainte que le
trop grand nombre ne les rendît moins vénérables * », les moines de
Molesmes recouraient au souverain Pontife pour qu'il obligeât une seconde
fois le saint abbé à revenir parmi eux.
Urbain II remit le soin de cette affaire à son légat, Hugues, archevêque
de Lyon, en lui ordonnant de conseiller à saint Robert de reprendre la con-
duite de l'abbaye de Molesmes, et de pourvoir, en même temps, à ce que les
religieux y gardent la Règle et laissent en paix leurs frères de Cîteaux. Hu-
gues décida notre Bienheureux à faire le sacrifice de ses plus chères affec-
tions et à quitter Cîteaux. Deux moines de cette abbaye, « qui n'aimaient
pas le désert », le suivirent à Molesmes.
Dieu bénit l'obéissance de saint Robert, et les religieux surent enfin
l'apprécier ; mais au milieu de ces consolations tardives, il ne put oublier
ses fils de Cîteaux.
« Je vous affligerais trop », leur écrit-il, «si ma langue pouvait servir
de plume, mes larmes d'encre et mon cœur de papier... Il se dessèche, ce
cœur, depuis qu'on m'a séparé de vous, s'il est vrai toutefois qu'on ait réussi
à m'en séparer ; car la distance n'éloigne pas ceux que la charité réunit
dans le Christ Jésus... Que Molesmes ait mon corps, puisque l'obéissance l'a
voulu ; mais mon âme est à vous, son amour et ses désirs sont à Cîteaux...
Le corps, qui est ici, vous salue ».
1. Ne iuultitudine sancti vilescerent la Ordina.
72 29 avril.
Ces sublimes accents révèlent la tendresse de cœur et le mérite de l'obéis-
sance de Robert. Appelé, de son couvent de Montier, à Saint-Michel de
Tonnerre, il va s'y épuiser en de stériles efforts. — Les ermites de Colan le
demandent, il attend, pour les suivre, que les obstacles suscités par l'envie
soient tombés. — On le rappelle, il y revient. — Quand il a fondé Cîteaux,
Molesmes le réclame, et il y retourne, quittant ses fils bien-aimés pour ses fils
rebelles... Ainsi toute sa vie s'écoule !...
Les regrets du saint abbé durent se changer en allégresse lorsqu'il vit les
religieux de Molesmes accepter la réforme telle qu'il la voulait et embras-
ser l'étroite observance de la règle bénédictine l.
Il sembla, pour employer les expressions d'un vieil hagiographe, que
Cîteaux avait été transporté à Molesmes, ou plutôt que Molesmes était
devenu un autre Cîteaux. Voici un fait éclatant qui fit briller aux yeux des
religieux tout le mérite de leur saint abbé.
Il arriva, disent les Annales, que deux pauvres vinrent demander l'au-
mône à la porte de l'abbaye. Notre Bienheureux les reçut avec respect et
appela aussitôt le frère cellérier, afin qu'il leur donnât de quoi manger. — « Il
n'y a plus de pain dans tout le monastère » , répondit le moine d'un air af-
fligé. — « Que servirez-vous donc », repartit le Bienheureux, « au dîner des
Frères? » — Embarrassé par cette observation, il répondit d'une manière
évasive « qu'il n'en savait rien » ; force fut donc de renvoyer ces pauvres
les mains vides. A l'heure du dîner, Robert aperçoit des pains sur la table,
et, les indiquant du regard au cellérier : « Frère », lui dit-il, a où les avez-
vous eus? » — « Je les avais mis en réserve pour les religieux ». — A cette
réponse, l'homme de Dieu sent la douleur et l'indignation jaillir de son
âme ; il prend une corbeille, ramasse tous les pains et les jette dans la ri-
vière !... Dieu, pour récompenser cette action héroïque, envoya par un sei-
gneur étranger des vivres au monastère. Que ne devait-on pas attendre d'une
communauté enseignée par un tel maître?...
Son dernier jour venu, il le dit aux Frères, recommanda son âme à Dieu,
et passa de l'exil au paradis, le 21 mars 1110. La nuit de sa mort, deux arcs-
en-ciel se développèrent, — l'un de l'Orient à l'Occident, et l'autre du Nord
au Midi, — et à leur point de jonction apparut une croix de lumière nimbée
d'une auréole radieuse. Peu à peu cette croix s'agrandit et fut environnée
de cercles de feu aux couleurs variées. Ce signe, disent les annalistes de
Cîteaux, témoignait de la sainteté de Robert, et présageait la gloire de sa fa-
mille spirituelle.
RELIQUES ET CULTE DE SAINT ROBERT.
On ensevelit son corps au milieu de la nef de l'église abbatiale, « dans un sarcophage en pierre
qu'on entoura de grillages en fer ». Honorius III inscrivit son nom au catalogue des Rienheureux
en 1222, et permit d'en faire l'office. Innocent IV le canonisa en 12i3. Cette même année, le
29 septembre, l'abbé Geoffroy mit le cbef de saint Robert dans un buste, et son corps dans une
chasse « riche d'argenterie et de pierreries a; elle fut vendue en 1430, à Dijon, pour payer la
rançon imposée aux religieux de Molesmes par l'armée d'Archambaud... Une nouvelle châsse en ar-
gent devint la proie des protestants, et le magnifique reliquaire, « exécuté par un artiste lombard »,
1. Il est facile de conclure, par le succès qu'obtint saint Robert auprès des religieux Je Molesmes, que
leurs désordres ne devaient pas être graves. Tout leur relâchement avait consisté à délaisser le travail
4es mains, à recevoir des oblations des mains des fidèles, et a introduire des innovations clans leur vête-
ment, malgré la défense de leur supérieur. Il ne faut pas perdre de vue que saint Robert se posait en ré-
formateur, et que l'observation par à peu près de la règle de Saint-Benoit ne lui suffisait pas : il lui
fallait l'étroite observance. Il finit par l'obtenir; mais il ne serait jto" juste de traiter de relâchés les
moines de Molesmes qui voulaient se contenter des sévérités de la règle ordinaire.
SAINT HTJGTTES, ABBÉ DE CLUNY. 73
en 1781, celle de la Révolution. En suite de la loi du 10 septembre 1792, le maire de Molesmesfit
réunir le chef de saint Robert au reste du corps, eu envoya le buste en argent, du poids de vingt-
deux marcs, au chef-lieu du district. Cette cérémonie, remarque le procès-verbal du 17 février
1793, se fit avec grand respect! On chanta le répons : Erunt Reliquiœ et la collecte de l'office
de la translation, ensuite on enferma les reliques dans une châsse qui fut scellée du sceau de la
municipalité. Le 19 thermidor an II, l'agent national enleva les ossements de la châsse, qui était
déposée dans la salle dite « des Droits de l'Homme », les mit dans une corbeille et les plaça sous
une pierre tombale « avec un petit cercueil » renfermant tous les papiers, — authentiques, procès-
verbaux des translations et des envois de reliques, — les débris de son suaire, uue aube, et
d'autres vêtements.
Le 29 avril 1826, Mgr de Boisville eut le bonheur de reconnaître cet inestimable trésor. L'I-
dentité des reliques lui fut affirmée par plusieurs témoins oculaires, et notamment par le maire
qui avait signé le procès-verbal de 1793. Elles enrichissent aujourd'hui l'église paroissiale de
Molesmes.
Plusieurs églises du diocèse de Troyes, entre autres celle d'Isle-Aumont, possèdent des statues
de saint Robert. 11 est représenté avec les attributs d'abbé fondateur, et, à ses côtés, une petite
église renferme une relique de ce grand Saint. A Avirey-Lingey, saint Robert, crosse et mitre,
tient à la main un plateau chargé de fraises. Voici l'explication que donne la tradition de cet at-
tribut assez peu commun : La comtesse de Bar-sur-Seine étant malade, déclara à son mari qu'elle
mourrait si on ne lui donnait des fraises. Or, une neige épaisse couvrait la terre à cette époque
de l'année. Le comte, embarrassé, courut à Molesmes expliquer à saint Robert le bizarre caprice de
sa femme. Le Saint conduisit le comte dans les jardins de l'abbaye : « Prions », lui dit-il. Puis,
faisant enlever la neige, on vit paraître des fraises d'une saveur et d'un parfum extraordinaires.
Mais son attribut le plus ordinaire est Vanneau qu'il reçoit des mains de la Sainte Vierge. — Il
est le patron des Loges-Margueron.
La Vie de saint Robert, écrite par un moine contemporain, Guy de Molesmes, servit de documenta cella
que l'abbé Adon fit rédiger moins d'un siècle après, et que les Bollandistes ont éditée au 29 avril. Voir
VExordium magn. Cist.; Y Abrégé chron. de 1G77 (aux archives de la Côte-d'Or); les authentiques con-
servés à Molesmes; Saints de Dijon, par Dnplus; Saints de Troyes, par Defer. Nous avons reproduit en
grande partie la rédaction de M. l'abbé Duplus.
SAINT HUGUES, ABBÉ DE GLUNY
1024-1109. — Papes : Jean XIX; Pascal IL — Rois de France : Robert II, le Pieux;
Louis VI, le Gros.
La gloire même mondaine n'exclut pas la sainteté;
elle en est le vêtement, suivant l'expression du
Sage. Comm. sur l'Eccli., l, 12.
Hugues naquit en 1024, à Semur, en Brionnais. Son père, Dalmace,
comte de Semur, et sa mère, Aremberge de Vergy, étaient tous deux de la
première noblesse de Bourgogne. Aremberge, pendant sa grossesse, se re-
commanda aux prières d'un saint prêtre. Celui-ci, en célébrant la messe,
vit dans le calice la figure rayonnante d'un enfant d'une admirable beauté.
Ce fut pour la mère un présage que son fils serait un jour ministre des
autels. Dalmace, au contraire, voulait que son fils devînt l'héritier de son
antique famille. Il chercha de bonne heure à lui inspirer l'amour des che-
vaux, des armes, de la chasse, des faucons, à lui donner une éducation
noble et militaire ; mais le jeune Hugues, comme la pieuse Aremberge l'a-
vait pressenti, préférait à tous ces plaisirs, à tous ces exercices de la jeu-
nesse noble, la conversation des vieillards, les livres et les églises. Enfin, il
obtint d'aller chez son grand oncle, Hugues, évêque d'Auxerre et comte de
Chalon-sur-Saône ; c'est là qu'il fit ses études. A l'âge de quinze ans, il
entra dans le monastère de Cluny, dont il fut nommé prieur au bout de
74 29 avril.
quelques années, puis abbé, à la mort de saint Odilon, et ainsi général de
tout l'Ordre. Il n'avait que vingt-cinq ans; mais son mérite fit oublier sa
jeunesse. Il avait, à la fleur de l'âge, la maturité de la vieillesse. Aussi
jouit-il bientôt d'un rare crédit auprès des puissances civiles et religieuses.
Il avait déjà, étant prieur, rempli une mission difficile en réconciliant
l'empereur Henri le Noir avec les moines de Payerne, qui dépendaient de
Cluny.
Quelques mois après son élection, il assista au concile de Reims, pré-
sidé par Léon IX, et y occupa le second rang entre tous les abbés de la
chrétienté. Le discours qu'il fut chargé d'y prononcer contre la simonie et
le concubinage des clercs, eut beaucoup de retentissement et de succès ;
les conclusions en furent sanctionnées parle concile. « Hugues, abbé de
Cluny, lisons-nous dans les actes du concile, parla le second et dit : Je n'ai
rien donné et je n'ai rien promis pour obtenir la dignité d'abbé. La chair
le voulait bien, mais l'esprit et la raison s'y sont opposés ». On peut remar-
quer ici l'humilité de ce saint abbé qui, en reconnaissant qu'il n'avait rien
donné pour obtenir sa charge, semble avouer qu'il avait été tenté de le faire.
De Reims, Hugues suivit le Pape à Rome, assista, chemin faisant, au concile
de Mayence, où siégèrent quarante évêques ; puis à un autre concile à
Rome, dans lequel il fut pour la première fois question des erreurs de
Bérenger de Tours, le plus ancien des précurseurs de Luther. Dans le con-
cile romain, Hugues, le plus jeune des abbés, eut encore la seconde place.
Peu de temps après, il alla tenir à Cologne, sur les fonts baptismaux, le
fils de l'empereur d'Allemagne. Il célébra la fête de Pâques en cette ville,
où les Allemands ne pouvaient se lasser d'admirer la douceur de sa conver-
sation, les grâces de son visage, et la gravité de ses mœurs dans un âge
si peu avancé, car le saint abbé n'avait pas encore trente ans. A peine de
retour à Cluny, il courut en Hongrie réconcilier le roi André avec l'em-
pereur.
Il se passait rarement des choses importantes, sans que Hugues n'y prît
une grande part. Robert Ier, duc de Bourgogne, irrité de la mort de son
fils, tué par les Auxerrois, s'était déclaré l'ennemi de l'évêque d'Autun, et
ravageait la Bourgogne. Un concile s'assemble à Autun en 1055. Le duc
refuse fièrement d'y comparaître. Hugues le calme, le fléchit, et l'amène
sans résistance dans la sainte assemblée, où l'abbé de Cluny parle avec tant
d'éloquence, que Robert, touché jusqu'au fond du cœur, pardonne aux
meurtriers de son fils et rétablit la paix.
En un autre temps, les évoques de Châlons et de Mâcon doivent à saint
Hugues leur réconciliation. Il préside au concile d'Avignon, comme légat
du pape Nicolas II. Ses lumières éclairaient toutes les assemblées de l'Eglise
de France. A Toulouse, en 1068 ; à Châlons, en 1072 ; à Autun encore, en
1077 ; à Clermont, en 1095 ; partout les synodes catholiques s'honoraient
de sa présence. Sa renommée de vertu était si grande, que le pape
Etienne IX, malade à Florence, voulut l'y retenir pour l'assister au lit de
mort, et recevoir ses derniers soupirs.
Mais Grégoire VII surtout, cet illustre et saint Pape qui fut d'abord
prieur de Cluny, témoigna à l'abbé Hugues la confiance la plus filiale et la
plus affectueuse. Il n'y avait pas un an qu'il était placé sur le Saint-Siège,
que déjà, en 1074, il se plaignait avec tendresse de n'avoir pas encore vu à
Rome son ami, l'abbé de Cluny. Au plus fort de ses disgrâces et des inquié-
tudes de sa vie publique, il ne trouvait pas de plus grande consolation que
de répandre dans le cœur de Hugues toutes les douleurs du sien, et de le
SAINT HUGUES, ABBÉ DE CLUNY. 75
rendre confident intime de ses plaintes éloquentes sur les tristesses de
l'Eglise. Plus d'une fois saint Grégoire le nomma arbitre et juge d'impor-
tantes contestations ecclésiastiques ; par exemple, des causes notables de
l'Eglise d'Auvergne et de l'évoque d'Orléans. Il le regardait comme l'un de
ses légats dans les Gaules.
Pendant la grande et terrible querelle qui partagea Grégoire VII et l'em-
pereur Henri IV, Hugues sut rester fidèle à l'affection qu'il devait à son fils
spirituel, et à la soumission due au souverain Pontife. Il conjura plus d'une
fois la tempête soulevée contre Grégoire; mais il défendit aussi Henri IV
jusqu'à la mort, contre l'ingratitude de son fils, et ménagea, en 1077, par
son crédit auprès de la célèbre comtesse Matbilde, la réconciliation de
l'empereur avec saint Grégoire. C'est à Hugues que l'empereur détrôné et
fugitif écrivait avec douleur les détails de la révolte d'Henri V ; et l'abbé
de Cluny ne méconnut point les bienfaits qu'il avait reçus de la famille im-
périale.
Dans ces temps mémorables, le rôle de l'abbaye de Cluny fut immense.
C'est d'elle que sortirent deux des plus illustres Papes qui aient occupé la
chaire de saint Pierre, et qui, par l'élévation de leur esprit, comme par la
sévérité de leurs mœurs, étaient dignes de continuer l'œuvre de Grégoire :
Urbain II et Pascal II. L'un et l'autre, disciples de Hugues, furent envoyés
à Grégoire VII, par l'abbé de Cluny, et se succédèrent immédiatement au
trône pontifical. Ce fait singulier suffit seul pour faire comprendre la
prépondérance morale du monastère bourguignon dans le xie et le xne
siècle.
Urbain II, dès son avènement, s'empressa de l'annoncer à l'abbé Hugues,
son maître, en des termes de respect et de fraternité, tout pleins encore
des souvenirs de la maison où il avait été élevé. En venant au fameux con-
cile de Clermont,il alla jusqu'à Cluny, y bénit le grand autel de la nouvelle
église qu'on venait de bâtir, et repartit avec Hugues pour l'assemblée ca-
tholique où fut décidée la première croisade. Hugues fut très-honoré et eut
beaucoup d'influence dans ce concile.
Pascal II, devenu pape, vint revoir Cluny; de là il remonta vers
Dijon, où il consacra l'église de Saint-Bénigne. Il fut pour Hugues ce
qu'avait été Urbain II ; et tous deux renouvelèrent et confirmèrent tous les
privilèges que Grégoire VII avait déjà renouvelés, dans une longue bulle,
en faveur de l'abbaye et de l'abbé de Cluny.
Peu s'en fallut que Hugues ne décidât le roi de France, Philippe Ior, par
ses entreliens familiers, à venir, sous l'habit de moine de Cluny, faire péni-
tence de sa vie passée. Le roi pourtant se contenta de soumettre à Hugues
l'abbaye de Saint-Martin des Champs.
Mais rien n'égala l'amitié dévouée qu'Alphonse VI, roi de Castille, porta
à l'abbé de Cluny. Alphonse, retenu prisonnier par Sanche, son frère, avait
dû sa délivrance aux prières et à l'autorité de Hugues. Dans sa reconnais-
sance, il fonda en Espagne deux monastères soumis à Cluny, et il doubla le
cens annuel que Ferdinand, son père, avait promis à l'abbaye. Si Hugues
ne l'eût retenu sur le trône, il se serait fait moine en Bourgogne ; il voulut
du moins, en conservant la royauté, contribuer généreusement à la cons-
truction de la basilique, dont l'abbé de Cluny entreprit l'immense construc-
tion. Hugues vint à Burgos pour voir le roi Alphonse, et, dans ce voyage,
on lui attribue l'honneur d'avoir introduit dans l'église d'Espagne le rit
romain à la place du rit gothique ou mosarabique.
La môme année, l'arbitrage de Hugues fut sollicité par deux princes
76 29 avril.
Raymond de Bourgogne, comte de Galice, et Henri, comte de Portugal,
qui lui envoyèrent un traité de partage sur la succession de leur beau-père,
Alphonse, roi de Castille et de Léon.
Un comte de Mâcon, Wido, entra au monastère de Cluny avec ses fils,
trente chevaliers et un grand nombre de serviteurs. La comtesse, sa femme,
se retira dans le couvent de Marcigny, fondé par saint Hugues. Hugues Ier,
duc de Bourgogne, céda ses Etats à son frère Eudes, et vint finir ses jours à
Cluny, dans les austérités chrétiennes. Guillaume le Conquérant pria notre
saint abbé de venir passer quelque temps en Angleterre, pour prendre la
direction de tous les monastères de cette contrée. Il le conjurait de lui en-
voyer du moins six moines. Hugues refusa, ne voulant avoir aucune part
aux violences de ce conquérant, qui dépouillait, destituait le clergé anglo-
saxon, et le remplaçait par un clergé normand.
Les maisons monastiques et toutes les ressources de l'abbaye de Cluny
s'accroissaient sans relâche. Dans le testament de Guillaume le Bâtard, il y
avait un legs annuel pour Cluny. La première fille de l'abbaye de Cluny,
la Charité-sur-Loire, est fondée. Thibaud III, comte de Troyes, et Adé-
laïde, sa femme, font une donation considérable à Cluny. Le monastère de
Saint-Arnould de Crespy lui est soumis par le comte Simon de Crespy ;
celui de Saint-Bertin, par Robert, comte de Flandre ; celui de Rimesingue,
par l'empereur Henri ; celui de Saint-Wulmar, parle comte de Boulogne;
celui de Nogent-le-Rotrou , par le comte Geoil'roy. L'évêque d'Orléans,
l'évêque de Bâle, les archevêques de Lyon, de Besançon, de Reims, concè-
dent à l'abbé de Cluny les monastères de leurs diocèses. A Auxerre, à
Auch, à Tarbes, à Limoges, dans toute l'Aquitaine, partout des concessions
nouvelles qu'il serait trop long d'énumérer.
Les papes et les rois ne sont pas satisfaits de protéger de leurs chartes
l'agrandissement progressif du monastère de Cluny ; ils lui soumettent eux-
mêmes des établissements monastiques. Urbain II, en plein concile, exalte
et privilégie l'abbaye de Cluny, et fait signer sa bulle par les Pères du con-
cile. Il menace ceux qui troublent Cluny de toutes les peines spirituelles.
Enfin, il donne à Hugues le droit de porter les ornements pontificaux dans
les fêtes solennelles.
Après ce tableau de la vie publique de saint Hugues, voyons rapidement
les merveilles de sa vie privée. Il était austère dans son vivre, prudent en
toutes ses actions, grave et sérieux en ses paroles, modeste en toutes ses
démarches, charitable envers tous, ami du silence, ennemi de l'oisiveté ; il
priait sans cesse, et, s'il prenait quelque repos, ce n'était que pour recom-
mencer son travail avec plus d'ardeur. Il avait grand soin que ses religieux
eussent tout ce qui était nécessaire pour leur entretien, de crainte que le
besoin de ces choses ne préjudiciât à l'observation de la Règle. Les secours
célestes ne lui manquaient pas non plus pour le gouvernement de son
Ordre. Un moine de Cluny, plusieurs disent Hildebrand, qui fut plus tard
Grégoire VII, vit un jour Jésus-Christ s'asseoir dans une stalle du chœur, à
côté de Hugues, et lui dicter les décrets et les règles monastiques. Il con-
naissait par révélation ce qui se passait dans ses monastères. Un jour, à
Saint-Jean-d'Angely, il lui semble, dans une vision, que la foudre tombe sur
Cluny. Il se rend aussitôt dans ce monastère, et n'ayant pu y apprendre
quelle faute s'y est commise pour attirer ainsi la colère de Dieu, il se met
en prière, et le ciel lui révèle qu'un de ses religieux a gravement offensé
Dieu. Au monastère de la Charité-sur-Loire, il donna le baiser de paix à
tous les religieux, excepté à un novice dont Dieu lui fit connaître les fautes
SAINT HUGUES, ABBÉ DE CLUNT. 77
secrètes. Un jour qu'il était avec les évêques de Châlons et de Mâcon, il lut
dans le cœur de quelqu'un qui se trouvait là, et le décida à confesser une
faute qu'il n'avait pas osé avouer. Un messager vint un jour lui dire à Nan-
teuil : « Villeuque est mort ». « Vous vous trompez », repartit le Saint,
« ce n'est pas Villeuque, mais Oric ». Il connut par révélation, comme on
le voit dans la vie de saint Anselme, la mort de son persécuteur Guillaume
le Roux, et lui en fît part.
Il avait souvent averti un de ses religieux, nommé Durand de Bridon,
de s'abstenir de quelques plaisanteries, inconvenantes dans la bouche d'un
ecclésiastique et d'un religieux : il lui avait même prédit un châtiment sé-
vère. En effet, ce religieux étant mort, il apparut à un autre nommé Séguin,
avec une bouche horrible, qui semblait porter le châtiment des paroles
qu'elle avait prononcées, malgré la défense de saint Hugues : ce pauvre
défunt recommanda à Séguin de rendre compte à l'abbé de Cluny des
souffrances qu'il endurait dans le purgatoire. Hugues ordonna à sept de ses
religieux le silence pendant une semaine, et des prières continuelles pour
sa délivrance. Au bout de la semaine, le mort apparut encore, et se plai-
gnit que le silence ayant été rompu par un des frères, son soulagement
avait été différé. On garda donc ce silence sept autres jours : alors Durand
se fit voir une troisième fois, mais tout brillant de lumière, marque du
bonheur éternel dans lequel il venait d'entrer.
Dans le Beauvaisis, Hugues reçut de grands honneurs chez Albert, sei-
gneur de Gornay ; il prédit à sa femme, Ermengarde, que l'enfant qu'elle
portait dans son sein était un fils, et qu'il entrerait un jour dans l'Ordre de
Cluny. L'événement vérifia en tout point cette prédiction. Il prédit aussi à
Hoël, archidiacre du Mans, que l'année suivante il serait évoque du Mans, et
l'exhorta à répondre à une si grande grâce.
Une fois que Hugues traversait les Alpes pour se rendre à Rome, une
pauvre vieille femme, cachée dans le creux d'un rocher, effraya sa mule,
qui tomba avec lui dans un précipice : tout le cortège s'épouvante et le croit
mort ; mais il est retenu par les branches d'un arbre ; on le délivre, et à
peine est-il hors de danger, que l'arbre mystérieux disparaît. Cette protec-
tion miraculeuse, Dieu l'accordait non-seulement au Saint, mais à d'autres,
par ses prières et môme son intercession ; et, dès son vivant, il rendit une
parfaite santé à un jeune garçon qui, tombant du haut d'un clocher, s'était
brisé tous les membres. Un clerc, revenant d'Espagne, était tombé dans un
précipice des monts Pyrénéens ; mais invoquant le nom du saint abbé, il
fut retenu par un rameau qui le préserva. Un autre allait être submergé
dans la Loire, mais il fut délivré en invoquant l'abbé Hugues, en le priant,
bien qu'absent, de le secourir. Un religieux, appelé Guillaume, ne sachant
plus quel remède employer pour un mal qu'il avait à la jambe, s'avisa de
demander sa guérison à Notre-Seigneur Jésus-Christ, par l'intercession de
son saint abbé. S'étant endormi là-dessus, il vit durant le sommeil, deux
hommes vêtus de blanc, qui lui versaient d'une huile céleste sur la jambe;
et, à son réveil, il se trouva parfaitement guéri.
Mais, parmi ces miracles, il ne faut pas omettre celui qu'il fit à Paris,
dans l'église même de Sainte-Geneviève, où il avait célébré la sainte messe.
Il se fit apporter la chasuble de saint Pierre, qui s'y gardait fort religieu-
sement, et, l'appliquant sur un paralytique, appelé Robert, il lui dit les
mêmes paroles que ce Prince des Apôtres avait dites autrefois à Enée de
Lyda : « Le Seigneur Jésus-Christ te guérit, lève-toi et fais ton lit ». Et, à
l'heure même, cet homme fut guéri, ei s'en retourna chez lui, sans l'aide
78 29 avril.
de personne et en bonne santé, rendant grâces à Dieu, à saint Pierre et au
vénérable abbé. Il y eut là une sainte dispute entre les assistants et
saint Hugues : ceux-là lui attribuant le miracle, et lui l'attribuant à saint
Pierre. Il avait, si je puis parler ainsi, acquis une telle estime auprès de Dieu,
que des pèlerins furent avertis, au sépulcre des Apôtres, par une vision
céleste, d'aller à Cluny dont ils n'avaient jamais entendu parler.
Sa cbarité ne se lassait jamais ; toujours entouré de pauvres, il donnait
toujours; il faisait préparer pour eux, d'avance, des vêtements et des vivres,
parce que, disait-il, la miséricorde ne doit pas se faire attendre. Son indul-
gence égalait sa cbarité. Un jour, qu'il revenait d'Espagne, il ramenait avec
lui un jeune maure nouvellement baptisé. Ce jeune homme dont l'âme, dit
la légende, était encore plus noire que le visage, osa voler son maître ; mais
le saint bomme pardonna et ne voulut jamais abandonner sur le chemin le
nouveau converti. Une autre fois qu'il visitait ses monastères dans la Vas-
conie, il aperçut près de la route un pauvre toit de lépreux : c'était un
homme autrefois riche et bien portant, qui était venu se cacher dans
cette solitude. Chacun fuit et s'écarte de la contagion. Hugues seul entre
dans la cabane, parle au lépreux, le touche, le console, lui donne sa tuni-
que et le guérit.
Lui qui pratiquait des mortifications si extraordinaires, modérait celles
de ses enfants spirituels. Le légat, Pierre Damien, visitant l'abbaye de
Cluny, voulait augmenter les sévérités de la Règle; mais Hugues, consul-
tant à la fois son expérience et sa bonté paternelle pour ses moines, lui dit :
a Travaillez avec nous, vivez de notre vie pendant huit jours, et vous déci-
derez après ». Le légat n'insista pas davantage et ne voulut point se sou-
mettre à l'épreuve.
Faut-il s'étonner si, sous un tel abbé, les moines de Cluny devinrent si
nombreux? Dans un seul Chapitre, Hugues sévit entouré de trois mille
moines, et un auteur contemporain, Orderic Vital, assure que dix mille
vivaient sous la conduite de notre Saint. C'est lui qui fit bâtir à Cluny, en
style roman, l'église dont nous avons raconté la ruine au 13 janvier : c'était
la plus grande de tout l'univers à cette époque, et elle ne fut surpassée
depuis, en grandeur, que par Saint-Pierre de Rome. On en peut voir la
description dans l'histoire de l'abbaye de Cluny, par M. Lorain.
Hugues fit aussi plusieurs beaux règlements touchant l'office divin ;
entre autres, qu'en la fête et durant l'octave de la Pentecôte, on chanterait
à Tierce l'hymne propre : Veni Creator, ce qui a depuis été reçu par toute
l'église catholique.
Enfin, le temps de sa mort approchant, Dieu le lit connaître de plusieurs
manières : un laboureur, appelé Bertin, de Varennes, étant au milieu d'un
champ, vit un grand nombre d'hommes qui suivaient une dame d'une ad-
mirable beauté ; un de la compagnie lui ayant demandé à qui était ce
champ, il lui répondit simplement qu'il appartenait à saint Pierre et à
l'abbé Hugues: «C'est donc à moi », repartit celui qui l'avait interrogé,
« parce que je suis Pierre ; et pour ceux-ci que tu vois, ce sont autant de
saints qui marchent à la suite de la Vierge, Mère du Sauveur du monde ;
va donc dire à l'abbé Hugues qu'il mourra bientôt, et qu'il mette ordre à
sa maison ». Berlin lui porta ces nouvelles, les plus agréables qu'il eût re-
çues en toute sa vie. Il se prépara à bien mourir, et, étant tombé malade,
il reçut les Sacrements avec une dévotion merveilleuse. Le prêtre lui donna
le saint Viatique, et lui ayant demandé s'il reconnaissait la chair vivifiante de
son Seigneur, il répondit fermement: « Oui, je la reconnais et je l'adore ».
SAINT PIERRE DE VERONE, MARTYR. 79
Ensuite, s'étant fait porter à l'église de la sainte Vierge, et mettre sur la
cendre et sur le cilice, il sortit de ce monde le 29 avril l'an de Notre-Sei-
gneur H 08, selon Hugues de Cluny, qui a écrit sa vie, et 1109, selon Baro-
nius. âgé de quatre-vingt-cinq ans, après avoir été abbé soixante ans. Saint
Godefroi, évêque d'Amiens, qui était alors à Rome, connut, par une vision,
que ce saint abbé était décédé, parce qu'il lui sembla voir les religieux de
Cluny qui le suppliaient de donner les derniers Sacrements à leur supérieur
Hugues. Une bonne religieuse de Jouarre, appelée Sabine, apprit aussi, par
une vision, cette sainte mort. Elle vit la sainte Vierge, assistée d'un grand
nombre de Saints, au milieu desquels il y avait un siège magnifique, qu'on
lui dit être préparé pour l'abbé Hugues. Il y eut beaucoup d'autres révéla-
tions de son décès et de sa gloire.
Le corps de saint Hugues fut enterré avec pompe derrière l'autel matu-
tinal, dans la grande, église de Cluny. Il fut relevé depuis et déposé sur le
grand autel pour y recevoir les bommages des peuples. Peu de temps après,
il fut mis au nombre des Saints par le pape Calixte II.
Saint Hugues n'a pas laissé beaucoup d'écrits. De toutes les lettres qu'il
a dû adresser à tant d'illustres personnages avec lesquels il fat en relation,
sept seulement nous restent : l'une à Guillaume le Conquérant; une autre
à Pbilippe I6r, roi de France ; une troisième à Urbain II ; trois à saint An-
selme, archevêque de Cantorbéry, et la septième à un de ses disciples,
Anastase. Quelques conseils pieux à ses frères, des recommandations pour
son couvent de Marcigny qu'il chérissait, quelques règlements monastiques
sur les aumônes et les livres de la bibliothèque, une espèce de confession
générale, voilà à peu près tout ce qui reste de ce grand homme ; et, bien
que la latinité en soit assez pure, et le style remarquable pour l'époque,
nous n'en parlons que par respect pour une aussi glorieuse mémoire. Mais
les lettres qui lui ont été adressées par les Papes, les rois, les évoques, et
dont un grand nombre subsiste dans divers recueils, prouvent, si on les
avait su recueillir, toute la variété de la correspondance de Hugues, et de
quel prix elle serait aujourd'hui pour l'histoire générale.
On voyait à Cluny, avant le pillage des protestants, une statue en ver-
meil de saint Hugues. Le Saint portait une mitre et une crosse enrichies de
diamants. Il tenait à la main une église dorée, et dans cette église était ren-
fermée la tête de saint Hugues. Autour de la statue principale étaient figu-
rés plusieurs saints personnages dorés, chacun dans une niche séparée.
Voir Histoire de l'abbaye de Cluny, par M. Lorain.
SAINT PIERRE DE VÉRONE, MARTYR
1206-1252. — Papes : Innocent III; Innocent IV. — Empereurs d'Allemagne : Philippe;
Conrad IV.
Veritas! Telle était la devise des croisés d'Alby, telle
est celle du Dominicain !
Je crois. Seigneur, mais aidez la faiblesse de ma foi.
Marc, ix, 23.
Dieu, qui sait tirer la lumière du milieu des ténèbres, fit paraître saint
Pierre, martyr, comme un bel astre au milieu des erreurs des Cathares,
80 29 AVRIL.
espèces de Manichéens qui s'étaient introduits dans le nord de l'Italie. Il
naquit à Vérone, l'an 1206, de parents infectés de cette pernicieuse hérésie;
Dieu le préserva du danger auquel l'exposait sa naissance. Le père de notre
Saint, voulant qu'il apprît les belles-lettres, ne craignit pas de le mettre
chez un maître catholique. Le jeune Pierre y fut bientôt initié aux principes
de la vraie religion, comme à ceux de la bonne littérature. Un de ses oncles
l'ayant interrogé sur sa leçon, l'écolier lui récita, entre autres choses, le
Symbole des Apôtres, et le lui expliqua dans le sens des catholiques, surtout
ces paroles : Créateur du ciel et de la terre. L'oncle essaya vainement de lui
prouver que ce n'était pas Dieu, mais le démon, ou le mauvais principe qui
avait produit toutes les choses visibles : il eut beau dire qu'il y avait dans le
monde des choses mauvaises de leur nature, et que conséquemment elles
ne pouvaient être l'ouvrage de Dieu ou d'un être infiniment parfait. L'en-
fant tint bon : rien ne put le faire changer. Cette fermeté donna des craintes
à l'oncle ; il les communiqua au père qui fut loin de les partager, soit qu'il
attachât peu d'importance à ces questions religieuses, soit qu'il espérât
ramener plus tard son fils aux idées de sa secte ; il l'envoya à l'université
de Bologne pour y continuer ses études. La Providence y préserva Pierre
des atteintes du vice, comme elle l'avait préservé de l'hérésie : elle lui ins-
pira même le dessein de renoncer entièrement au monde. Il alla se présen-
ter à saint Dominique, qui, après s'être assuré de sa vocation, lui donna
l'habit de son Ordre, quoiqu'il ne fût âgé que de seize ans. Pierre se crut
dès lors obligé d'imiter, et même de surpasser tous les autres dans le che-
min de la perfection. Il dormait peu, jeûnait beaucoup, priait toujours, et,
sans avoir égard à la délicatesse de l'âge où il était, il ne mesurait ses
forces que sur les ardeurs de son amour et de son zèle. Dans l'année de son
noviciat, il tomba en une très-dangereuse maladie, que l'on attribua juste-
ment à l'excès de ses abstinences : il ne pouvait presque plus avaler aucune
nourriture.
Après sa profession, il s'appliqua avec tant de zèle aux études, qu'en
peu de temps il se rendit capable de recevoir les ordres sacrés, de monter
en chaire, d'attaquer les hérétiques, et de paraître dans les plus belles occa-
sions pour la défense et le soutien de l'Eglise. Il s'y comportait avec tant
de ferveur, que, selon les termes de saint Antonin, toutes ses actions parais-
saient animées d'une très-vive foi et d'une très-ardente charité. Quand il
était au chœur, la présence de Jésus-Christ au saint Sacrement de l'autel
l'embrasait comme un séraphin ; mais principalement depuis qu'il se vit
honoré du sacerdoce ; car à la seule pensée qu'il devait célébrer ces augus-
tes mystères, il s'abîmait jusque dans le néant ; et il n'élevait jamais le ca-
lice, dans le très-saint sacrifice, sans demander instamment à Dieu la grâce
de répandre son sang pour sa gloire. Il avait un talent particulier pour tou-
cher les cœurs dans la prédication ; ce qui fit que ses supérieurs l'envoyèrent
prêcher dans la Toscane, la ïtomagne, la Marche d'Ancône, le Bolonais et
le Milanais ; il réussit si admirablement, que les hérétiques détestèrent leurs
erreurs, les pécheurs les plus obstinés dans le vice firent pénitence, et les
gens de bien se confirmèrent en la vertu.
Le démon, irrité, résolut de le traverser par toutes les voies imaginables.
Notre Saint prêchait à Florence : c'était dans le vieux marché, parce que
les églises n'étaient pas assez vastes pour le grand nombre de personnes qui
accouraient pour l'entendre ; ce monstre d'enfer y parut sous la forme d'un
cheval noir courant à toute bride ; il semblait prêt à fendre la foule et
écraser tous ceux qui se rencontreraient sur son passage ; mais le Saint,
SAINT PIERRE DE VÉRONE, MARTYR. 81
faisant le signe de la croix, dissipa ce fantôme, et tout le peuple le vit s'é-
vanouir comme de la fumée. Après la prédication, Pierre se mettait ordi-
nairement au confessionnal pour y recevoir les pénitents : un jour, il s'en
trouva un qui, touché de regret de ses fautes, s'accusa d'avoir donné un
coup de pied à sa mère ; le saint Confesseur lui en fit une sévère répri-
mande ; et, pour l'exciter davantage à la sainte contrition, il lui dit que le
pied qui avait ainsi frappé sa mère mériterait d'être coupé. Le pénitent se
coupa lui-même le pied dès qu'il fut de retour en sa maison. Le Saint, que
le peuple accusait déjà d'imprudence, l'ayant appris, vint trouver le péni-
tent, prit son pied, le réunit à sa jambe et, faisant le signe de la croix, le
remit en son premier état : ce miracle fit concevoir plus d'estime que jamais
pour sa sainteté et sa très-sage conduite.
Cependant Dieu, qui éprouve ordinairement la vertu de ses Saints, vou-
lut éprouver celle de Pierre. Lorsqu'il était au couvent de Saint-Jean-
Baptiste, à Côme, il le favorisa de plusieurs visites du ciel ; ainsi, les saintes
vierges et martyres Catherine, Agnès et Cécile lui apparurent, dans sa cel-
lule, et conférèrent avec lui si familièrement et d'une voix si intelligible,
qu'un religieux, qui passa par le dortoir, entendant cette conférence, s*i-
magina que c était effectivement des femmes qui étaient entrées dans le
monastère et qu'il avait attirées dans sa chambre. Il prit des témoins de ce
qu'il croyait entendre, et tous ensemble s'en plaignirent dans le chapitre
au supérieur : celui-ci, n'examinant pas l'affaire d'assez près, relégua le
P. Pierre au couvent d'Iësi, dans la Marche d'Ancône, pour y mener une
vie retirée, sans paraître davantage en public. Le Saint, qui n'avait pas voulu
se défendre, de crainte de manifester la grâce qu'il avait reçue du ciel, et
afin de souffrir quelque chose pour Dieu, supporta durant quelque temps
cette confusion avec une patience admirable ; mais enfin, il lui échappa de
s'en plaindre amoureusement au crucifix, devant qui seul il déchargeait
son cœur : « Eh quoi ! mon Dieu », lui dit-il, « vous savez mon innocence,
comment soufïrez-vous que je demeure si longtemps plongé dans l'infa-
mie? » Mais Notre-Seigneur lui répondit : « Et moi, Pierre, n'étais-je pas
innocent? Avais-je mérité les opprobres et les douleurs dont j'ai été accablé
dans le cours de ma passion? Apprends donc de moi à souffrir avec joie les
plus grandes peines, sans avoir commis les crimes pour lesquels on te les
impose ». Ces paroles de Jésus-Christ firent une telle impression sur le cœur
de saint Pierre, qu'il mit dès lors toute sa félicité dans les souffrances, tout
son honneur dans l'humiliation et toute sa joie dans la croix de Jésus-Christ.
Mais lorsque sa confusion lui plaisait ainsi, Dieu fit découvrir tout le mys-
tère et connaître l'innocence de son serviteur : ce qui le fit rappeler de ce
bannissement pour paraître avec plus d'éclat qu'auparavant, selon la pra-
tique de Notre-Seigneur, qui est d'élever d'autant plus ses serviteurs qu'ils
se sont davantage humiliés pour son amour.
Dès qu'il fut délivré de sa prison, il reprit les armes delà parole de Dieu
pour combattre l'hérésie. Le pape Grégoire IX, qui connaissait sa science
et son zèle, le nomma inquisiteur général de la foi, en 1232. Mais ce qui
donnait le plus de poids à ses prédications, c'étaient les miracles qu'il faisait
à toute heure, pour prouver la vérité de sa doctrine. Un jour, disputant
contre un hérétique sur une place publique, où tout l'auditoire était brûlé
par les ardeurs du soleil, il obtint de Dieu, en un instant, une nuée qui
couvrit l'assemblée et lui donna un rafraîchissement nécessaire : ce que cet
hérétique l'avait défié de faire. Une autre fois, il rendit muet un autre héré-
tique, qui était un grand parleur et qui avait proposé beaucoup d'argu-
Viks des Saints. — Tome V. e
82 29 avril.
ments contre la vérité de notre religion. Un autre feignit d'être malade
pour surprendre le Saint, et lui demanda sa guérison ; mais il fut bien
trompé dans sa feinte, car il devint tout de bon si malade, qu'il se vit en un
moment à l'extrémité et à deux doigts de la mort. Il reconnut sa faute, la
confessa, et reçut une guérison parfaite tant de l'âme que du corps, par les
prières du serviteur de Dieu.
Ces merveilles se passaient à Milan, où saint Pierre travaillait de toutes
ses forces à la conversion des hérétiques. Un jour, il les trouva si obstinés
dans leurs erreurs, que le découragement s'empara de son âme : il allait
renoncer à cette œuvre : néanmoins il consulta, avant tout, la Sainte Vierge
à ce sujet, en priant à genoux devant une de ses images. Il entendit alors
une voix qui lui dit : « Pierre, j'ai prié pour toi, afin que ta foi ne soit
jamais ébranlée; continue donc et persévère en ton premier travail ». Ces
paroles de la très-sainte Vierge remplirent intérieurement son cœur de tant
de vigueur et de zèle, qu'il résolut de ne plus s'employer à l'avenir qu'à
soutenir et à défendre la foi contre ses ennemis, quand il faudrait perdre
cent fois la vie.
Reprenant donc ses premières fonctions avec plus d'ardeur, il passa de
Milan à Céséna, où on lui amenait les malades par troupes, afin qu'il les
guérît. De Céséna il alla à Ravenne : à son arrivée, qui eut lieu le soir, il
parut sur le clocher de la paroisse de Saint-Jean un flambeau allumé qui ne
s'éteignait point, quoiqu'il fît alors un grand vent et que la neige tombât en
abondance. Il vint aussi à Mantoue et à Venise, où il guérit, par le moyen
de la sainte confession, deux femmes malades à la mort.
Enfin, il arriva au couvent de Côme, dont il avait été nommé prieur : il
avait déjà gouverné, en cette même qualité, les couvents de Plaisance, de
Gênes, d'Aoste et d'Iësi, et partout il avait fait des miracles pour confirmer
ce qu'il prêchait au peuple ; mais il en fit particulièrement dans ce dernier
couvent : car, d'une seule bénédiction, il guérit plusieurs malades et estro-
piés, qui attendaient son retour à la porte de la ville. Par le même signe de
la croix, il rendit l'usage de tous ses membres à une religieuse de l'Ordre
des Humiliés, nommée Thérasie, qui était depuis sept ans percluse de tout
son corps. Deux autres paralytiques reçurent aussi de lui une grâce sem-
blable. Au reste, il opérait ces miracles par le zèle qu'il avait pour la con-
version des hérétiques, et afin qu'à la vue de ces œuvres, qui excèdent sans
doute le pouvoir de l'homme, ils reconnussent la fausseté, les rêveries et les
superstitions de leur secte.
Nous ne voulons pas non plus omettre ce qui arriva à deux fermiers du ter-
ritoire de Côme, dont l'un était hérétique et l'autre catholique. L'hérétique,
lorsqu'il semait ses grains, les recommandait au démon, comme au Sei-
gneur des choses visibles ; le catholique priait Dieu de bénir les siens; le
saint Prieur en étant averti, prédit au fermier hérétique que, s'il ne cessait
de faire une prière si impie, ses terres ne rapporteraient pas un seul épi,
et qu'au contraire celles de son voisin catholique produiraient du blé au
centuple: ce qu'il avait prédit arriva effectivement; mais la stérilité des
terres de l'hérétique fut très-fertile pour lui, puisqu'elle opéra sa conver-
sion et celle de beaucoup d'autres qui apprirent ce miracle. Cependant les
chefs des Manichéens, extrêmement irrités contre le Saint, résolurent enfin
de le faire mourir, et confièrent l'exécution de cet affreux complot à deux
assassins. Pierre connut d'avance, par une lumière surnaturelle, le martyre
qui l'attendait : il en parla du haut de la chaire, et dit que le jour même où
Judas avait vendu le sang de son Maître, c'est-à-dire le mercredi de la se-
SAINT PIERRE DE VÉRONE, MARTYR. 83
maine sainte, les hérétiques avaient aussi agité la question d'acheter le
sien ; que l'argent était déjà entre les mains de celui qui le devait assassiner.
11 leur prédit même ce que ses ennemis ne savaient pas : que le lieu où le
meurtre s'exécuterait, était entre Côme et Milan, et, qu'au reste, il était
préparé à le souffrir joyeusement. Il ajouta que ses ennemis se trompaient
fort, en se persuadant qu'après sa mort il ne combattrait plus pour exter-
miner leur secte ; qu'au contraire ce serait alors qu'il leur ferait une guerre
plus redoutable.
Enfin, le 5 avril, saint Pierre, allant pour les affaires de l'inquisition, de
Côme à Milan, fut rencontré, sur les deux heures après midi, par les assas-
sins, dans un lieu nommé Barlasina, où l'un de ces traîtres, appelé Carino,
lui déchargea sur la tête un coup de hache avec tant de violence, qu'il
tomba à terre demi-mort. Le Saint, s'agenouillant le mieux qu'il lui fut pos-
sible, récita le premier article du Symbole des Apôtres, et, ayant offert en
sacrifice à la majesté de Dieu, le sang qu'il versait pour la défense de la
foi, il y trempa deux de ses doigts et en écrivit ces trois mots sur la terre :
Credo in Deum, Je crois en Dieu ; mais le meurtrier, impatient de ce qu'il
n'était pas encore mort, lui enfonça dans l'épaule gauche un autre coup qui
lui perça le cœur. Ce fut ainsi que l'âme du Saint prit son essor vers le ciel,
pour y recevoir la triple couronne de la virginité, du doctorat et du martyre.
Cet assassinat eut lieu l'an de Notre-Seigneur 1252 : Pierre était âgé de qua-
rante-six ans. Le religieux qui l'assistait, appelé frère Dominique, n'échappa
point non plus à la fureur de ces assassins : ils le percèrent de plusieurs coups
et le laissèrent pour mort sur la place ; et, en effet, il mourut peu après.
Le corps du saint Martyr fut porté solennellement à Milan, et déposé en
l'église de Saint-Eustorge, possédée et desservie par les religieux de son
Ordre. Les miracles continuant à son tombeau vérifièrent sa prophétie,
qu'après sa mort il ferait une plus cruelle guerre aux hérétiques qu'il n'a-
vait fait durant sa vie. La nuit même où il fut porté en cette église, on vit
une grande lumière s'élancer de la terre au ciel. Ces prodiges ouvrirent les
yeux à un grand nombre d'hérétiques. Néanmoins, il s'en trouva un si té-
méraire à Florence, que, voyant l'image de saint Pierre, où il était repré-
senté avec le poignard dans le sein, il proféra ce blasphème : « Oh ! que
n'étais-je présent quand on a assassiné ce traître, je lui eusse bien donné un
autre coup ! » Mais la parole étaità peine sortie de sa bouche, qu'il demeura
muet, sans pouvoir plus dire un seul mot, jusqu'à ce qu'il eût reconnu sa
faute et embrassé la foi catholique. Carino même, son meurtrier, qui s'était
échappé des mains de la justice et réfugié à Forli, reconnaissant son crime,
en demanda pénitence aux Pères de l'Ordre, y prit l'habit de religion et le
porta saintement le reste de sa vie.
Tant de victoires obtenues par les mérites du bienheureux Pierre sur
les ennemis de l'Eglise, et les miracles sans nombre qui se firent à son tom-
beau et à l'invocation de son nom, portèrent le pape Innocent IV à décréter
sa canonisation l'année d'après son martyre, le 25 mars; et il ordonna que
sa fête serait célébrée le 29 avril, parce que le 5, qui fut le jour de sa mort,
peut être occupé par les fêtes de Pâques. Depuis, le pape Sixte V, par une
Bulle expédiée l'an 1586, fit insérer la fête de ce glorieux Martyr dans le
Bréviaire romain.
Depuis sa canonisation, il a fait encore un grand nombre de prodiges,
car il a rendu la santé à toutes sortes de malades, ressuscité des morts, se-
couru des femmes dans leur grossesse ou dans leur enfantement, rendu la
raison à des insensés, guéri des épileptiques et délivré des possédés. Ses re-
84 29 avril.
liques ont été distribuées en plusieurs villes d'Italie. Paris possédait, avant
1793, au grand couvent des Jacobins, le coutelas qui a été consacré par le
sang d'un si illustre Martyr, et les deux doigts , encore couverts de leur cbair
et de leur peau, qu'il y trempa pour écrire, en mourant, sa dernière con-
fession de foi. Les religieux de ce monastère avaient des authentiques de
l'une et de l'autre de ces reliques.
Saint Pierre de Vérone est honoré en Lombardie et à Palma, dans la
Grande-Canarie. Il est particulièrement cher aux Dominicains, dont il a été
le premier martyr : c'est pourquoi ils l'appellent saint Pierre-Martyr.
L'école lombarde et Fra Angelico de Fiésole ont souvent reproduit ce
martyre et les traits de saint Pierre de Vrrone. On le représente : 1° à ge-
noux, écrivant avec son sang sur le sable : Je crois en Dieu ; 2° il porte une
entaille à la tête et un glaive perce sa poitrine ; 3° il est couronné de la tri-
ple couronne de la virginité, de la science et du martyre ; 4° il tient à la
main un crucifix et un lis.
Acta Scmctorum, Thomas Lentino et Ambroise Taeglo, auteurs contemporains.
SAINTE TERTULLE ET SAINTE ANTONIE, VIERGES (260).
La persécution dans laquelle souffrirent les vierges Tertulle et Antonie, sévissait en Afrique et
particulièrement dans la colonie de Cirtha (Constantine), avec une violence inouïe. La rage du démon
et des persécuteurs ne s'exerçait pas seulement sur ceux qui, ayant traversé les persécutions sans
se laisser ébranler, vivaient librement en continuant de servir Dieu ; mais la main de l'enfer insa~
tiable s'étendait encore sur les exilés que la fureur du président avait déjà couronnés martyrs, non.
par l'effusion de leur sang, mais par la manifestation des sentiments de leurs cœurs.
Parmi ceux que l'on amenait au tribunal desjuges.se trouvaient A gapius. évêque. le guide et le
père en Jésus-Christ des vierges Tertulle et Antonie, et son collègue Secondin. Le zèle de la pré-
dication les avait conduits à Mugues; ils y avaient fondé une chrétienté par leur exemple et par
leur enseignement. Ils laissèrent en ce lieu Marien et Jacques, dans la disposition de suivre bientôt
leurs pas pour aller à la gloire. « Tout à coup », raconte un des confesseurs, « une troupe hostile
et une multitude irritée se jeta sur la maison qui nous abritait comme sur un asile de la foi que
l'on voudrait détruire. Alors nous fûmes traînés de Mugues jusqu'à la ville de Cirtha. Nous étions
suivis de ceux que nous aimions et qui nous aimaient, de ceux qui avaient été élus pour recevoir
la palme du martyre, et que l'amour de nous, ainsi que la grâce du Christ, attiraient vers la cou-
ronne glorieuse ». Après qu'on les eut interrogés, leur courage à confesser le nom du Christ fut
récompensé par la prison.
Quand ils eurent subi divers interrogatoires et divers supplices, la prison de Lambèse, qu'ils
avaient déjà appris à connaître, les reçut de nouveau. Cependant chaque jour périssaient de nom-
breux chrétiens. Alors Agapius, prévoyant que son tour serait bientôt venu, se mit à prier le Sei-
gneur pour Tertulle et Antonie, qu'il chérissait comme ses filles, afin qu'il daignât leur procurer le
martyre en même temps qu'à lui-même et qu'ils ne fussent point séparés. Il obtint alors du ciel
la réponse que ce qu'il demandait avec tant d'instance lui avait été accordé dès sa première oraison.
C'est le 16 décembre quel» fàte de ces Martyrs se célèbre à Alger.
Propre d'Alger.
SAINTE AVE DE DENAIN, VIERGE (rv° siècle).
On trouve, dans un très-ancien martyrologe de l'abbaye de Denain, le nom de la bienheureuse
Ave, qui était honorée dans cette communauté. C'était une jeune personne très-favorisée des biens
de la fortune, mais privée de la vue. Elle avait fait déjà plusieurs pèlerinages au tombeau des
MARTYROLOGES. 85
Saints, afin qu'il plût à Dieu de la guérir de son infirmité, et sa prière n'avait pas encore été
exaucée, lorsqu'un jour un ange l'avertit, dit-on, de se transporter au sépulcre de sainte Renfroio
et de demander sa guérison au ciel par les mérites et l'intercession de cette Vierge. La bienheu-
reuse Ave le fit et fut promptement guérie. Pour témoigner à Dieu sa reconnaissance, elle donna
ses biens à cette abbaye, fit restaurer l'église de Samte-Marie, où on transporta les reliques de sa
bienfaitrice. Elle-même prit l'habit religieux dans cette communauté et y vécut saintement auprès
du tombeau de sainte Renfroie. La bienheureuse Ave mourut dans de grands sentiments de piété
et fut enterrée dans l'église de Saint-Martin. Sa mémoire resta toujours en bénédiction dans ce lieu.
II. l'abbé Destombes.
SAINT URSÏON (375) ET SAINT MAURÈLE DE TROYES (545).
Ursion gouverna le monastère et la paroisse d'Isle-Aumont, à quelques kilomètres de Troyes,
On place sa mort vers l'an 375. Une église fut bâtie sous son vocable, près du ruisseau d'Hozain.
Ce qui reste de ses ossements et le suaire précieux qui les enveloppait est aujourd'hui (1872) con-
servé dans la belle église de Saint-André, près de Troyes.
Saint Matirèle fut également religieux du monastère de Saint-Ursion et curé de la paroisse
d'Isle-Aumont. Les détails de sa vie ne sont point parvenus jusqu'à nous. L'histoire n'a conservé
que le souvenir delà tendre amitié qui l'unissait à saint Lyé. 11 mourut vers l'an 545. Ses reliques,
transportées à Montier-la-Celle, lors des incursions des Normands — ainsi que celles de saint
Ursion, de saint Mélain, de saint Phal et de sainte Exupérance — sont aujourd'hui conservées dans
l'église de Saint-André-lès-Troyes : cette église a, du reste, hérité de la plupart des reliques de
Moutier-la-Celle.
La fête de la translation à Montier-la-Celle était autrefois célébrée le 26 avril, comme nous le
voyons par le Propre de Troyes de 1548 ; mais la fête particulière de saint Maurèle était le 21 mai,
et celle de saint Ursion le 29 septembre.
Propre de Troyes da 15-4S ; Saints de Troyes, par M. Defer ; Notices locales.
XXXe JOUR D'AVRIL
MARTYROLOGE ROMAIN.
A Rome, sainte Catherine de Sienne, vierge, de l'Ordre de Saint-Dominique, d'une vie
éclatante eu sainteté et en miracles, que Pie II mit au rang des saintes vierges. 1380. — A Lam-
bèse, en Numidie, la naissance au ciel des saints martyrs Marien, lecteur, Jacques, diacre :
le premier, après avoir déjà surmonté les rigueurs de la persécution de Dèce, en confessant le
Christ, fut de nouveau arrêté avec son très-illustre collègue, et tous deux ensemble ayant été,
après des supplices cruels et recherchés, réconfortés jusqu'à deux fois par des révélations divines,
furent enfin, avec beaucoup d'autres, achevés par le glaive. 260. — A Saintes, le bienheureux
Eutrope, évèque et martyr, que saint Clément dirigea vers la Gaule, après l'avoir sacré évèque,
et qui, ayant prêché longtemps l'Evangile, eut la tête brisée pour le témoignage rendu à Jésus-
Christ, et termina sa vie par cette victoire. — A Cordoue, les saints martyrs Amatob, prêtre,
Pierre, moine, et Ludovic. 855. — A Novare, saint Laurent », prêtre, et plusieurs enfants dont
il faisait l'éducation, martyrisés avec lui. — A Alexandrie, les saints martyrs Aphrodise, prêtre,
et trente autres. — A Ephèse, saint Maxime, martyr, couronné dans la persécution de Dèce. Vers
250. — A Fermo, dans la Marche d'Aucône, sainte Sophie, vierge et martyre. — A Naples, saint
1. Ces martyrs de Novare souffrirent sous l'empereur Valentinien. Ils furent mis a mort sans aucune
formalité légale par la multitude païenne. Voici une petite pièce de vers qui a été anciennement gravée
86 30 AVRIL.
Sévère, évêque, qui, entre autres miracles, rappela, pour un temps, un mort de son sépulcre, afin
de convaincre un imposteur qui tourmentait une veuve et des pupilles pour une fausse dette. Ve s.
— A Euna, dans l'Epire, saint Donat, évêque, qui brilla au temps de l'empereur Théodose par
une sainteté extraordinaire *. 387. — A Londres, en Angleterre, saint Erkonwald, évêque, qui
brilla par beaucoup de miracles. 698.
MARTYROLOGE DE FRANCE, REVU ET AUGMENTÉ.
A Reims, saint Maternien, évêque, frère de saint Materne de Milan ; il décéda le 7 juillet, mais
sa fête se fait principalement en ce jour, auquel l'archevêque Hincmar leva son corps de terre et
l'envoya comme un riche présent à Louis, roi de Germanie. 349-370. — A Maëstricht, saint
Quirille, évêque. Vers 489. — A Chalon-sur-Saône, saint Jean, saint Didier, saint Flavius, et
autres bienheureux évèques de cette ville, dont la fête commune se faisait autrefois en ce jour.
Aujourd'hui, leurs fêtes se célèbrent au diocèse d'Autun : celle de saint Jean, le 15 mai ; celle de
saint Flavius, le 13 du même mois; celle de saint Didier, le 26 juin. — Au même lieu, saint Désiré,
prêtre, qui a part à la solennité de ces saints prélats. Décédé à Gourdon, où il avait vécu dans
la solitude, il fut transféré à Chàlon, en l'église de l'hôpital des Lépreux. Il s'en ât une seconde
translation, à laquelle assista le pape Jean VIII, à son retour du concile de Troyes. Saint Grégoire
de Tours écrit qu'il était invoqué contre le mal de dents. Vers 569. — A Tonnerre, saint Micho-
mer, confesseur, disciple de saint Germain d'Auxerre. 441. — A Vernon-sur-Seine, saint Adjoteub
ou Ajoctre, moine de l'abbaye de Tiron, dont la vie est remplie de prodiges et d'exemple9
admirables de vertus. 1131. — Au même lieu, la bienheureuse Rosemonde, mère de saint Ajoutre.
— Dans le diocèse de Besançon, la fête de saint Sigismond, roi de Bourgogne ». 524. — A
Waulsort, près de Dinant, sur la Meuse, au diocèse de Liège, saint Forannan, qui fut abbé
de ce lieu, après avoir abdiqué l'archevêché d'Armagh, en Irlande. 982. — Au monastère de
Savigny, au diocèse d'Avranches, le bienheureux Aymon ou Amon, de l'Ordre de Citeaux, célèbre
par sa science et la singulière pureté de ses mœurs. — A Jouarre, la bienheureuse Sabine, vierge,
de l'Ordre de Saint-Benoit. 1173. — A l'abbaye d'Afflighem, en Belgique, le bienheureux Baoul,
surnommé le Silencieux, à cause du silence qu'il garda pendant sept ans. Un incendie ayant éclaté,
un jour, à peu de distance du lieu où il se trouvait, Dieu lui inspira de prononcer cette parole :
« Flamme, arrête-toi », et la flamme s'arrêta. Il était contemporain de saint Bernard. — En
Auvergne, saiut Ponce, huitième abbé de la Chaise-Dieu, qui finit ses jours en Terre-Sainte, et fut
enterré dans la vallée de Josaphat, non loin du tombeau de la sainte Mère de Dieu. — Dans le
Perthois, en Champagne, sainte Hoïlde ou sainte Houe, vierge, qui reçut le voile des mains de saint
Alpin, évêque de Chàlons ; son corps, après quelques siècles, fut porté à Saint-Etienne de Troyes ;
un de ses ossements fut transféré à Sainte-Houe, abbaye de Cisterciennes, dans l'ancien duché de Bar,
en Lorraine s, et un autre à Paris, dans l'église des Petites-Cordelières. Ve s. — A Cologne, la
translation de saint Quirin, honoré aussi au diocèse de Troyes le même jour4. — A Verdun, l'entrée
au ciel de saint Pulchrone, évêque de cette ville. 470. — A Autun, saint Placide, abbé du célèbre
monastère de Saint-Symphorien : les traditions donnent le nom d'anges aux religieux de cette
communauté. Qui le mérita mieux que Placide, dont l'histoire oublieuse ne nous a rien conservé,
mais que l'Eglise a voué à l'immortalité en le plaçant sur nos autels ? Saint Placide est le dernier
des religieux de Saint-Symphorien qui ait mérité les honneurs du culte public 5. L'époque n'était
pas éloignée où les Sarrasins allaient coucher l'abbaye dans un linceul de poussière, vins s. — A
Paris, la vénérable Madeleine de Saint-Joseph, religieuse carmélite. Elle était fille d'Antoine Dubois,
seigneur de Fonteines-Marans, que les rois Charles IX et Henri III chargèrent de plusieurs négocia-
tions importantes. A l'âge de quatre ans, elle fut si frappée de ce qu'on lui dit sur les suites de la
mort, à l'occasion d'un enfant qu'on portait en terre, qu'elle conçut un invincible dégoût pour les
vanités du monde. Lorsqu'on mettait un peu plus de soin qu'à l'ordinaire en l'habillant, elle disait :
sur le tombeau qui contenait les ossements des Martyrs, et d'où de'couialt une liqueur salutaire aux
malades :
Aspicis hoc marmor tnmnli de more caratumï Vois-tu ce marbre en forme de tombeau? Il est
Id solidnm est intus, rima nec ulla patet, solide à l'intérieur, nulle fente ne s'y ouvre, d'où
Unde queat tellus occultas mittere lyrnphas : la terre pourrait verser des eaux cachées. C'est de»
Manat ab ingestis ossibus iste liquor. ossements ensevelis en ce lieu que vient cette 11-
Si dubitas, uiedio sudantes toile sepulcro- queur. Si tn doutes, enlève du sépulcre les reliques
Keliquias, dices : Unda salubris ubi est? qui donnent ces gouttes, tu diras alors : Où est
maintenant cette onde salutaire? — Baronius.
1. Les reliques de saint Donat furent apportées par les Vénitiens dans réglise Sainte-Marie de Murano.
2. Voir au 1" mai.
3. Une ferme, près de Bussy-la-Côte, canton de Revigny, arrondissement de Bar-le-Duc, rappells
seule aujourd'hui le nom de sainte Houe et marque l'emplacement de l'ancien monastère, qui était de
l'Ordre de Citeaux.
4. Voir le 30 mars et le 3 mai.
5. Voir l'histoire de la fondation a la vie de saint Euphrone d'Autun et à celle de saint Symphorien.
MARTYROLOGES. 87
« A quoi bon tout ceci puisqu'il faut mourir? » L'intendant de la maison de son père ayant
un jour trouvé mauvais qu'elie fit travailler les pauvres à des ouvrages dont on ne tirait
aucun profit, elle lui répondit : « Si nous perdons de l'argent, nous gagnons des âmes ». Made-
moiselle de Fonteines entra, à l'âge de vingt-six ans, au Carmel de Paris que venait de fonder
Mme Acarie, et mourut en Dieu le 30 avril 1637. Le pape Pie VI a déclaré que la mère Madeleine
de Saint-Joseph avait pratiqué les vertus chrétiennes dans un degré héroïque.
MARTYROLOGES DES ORDRES RELIGIEUX.
Martyrologe des Dominicains. — Sainte Catherine de Sienne...
Martyrologe des Servîtes. — A Forli, saint Pérégrin, confesseur, de l'Ordre des Servîtes, dont
la naissance au ciel est honorée le 1er mai.
Martyrologe de Citeaux. — Le bienheureux Raymond de Calatrava. 11C3.
ADDITIONS FAITES DIAPRÉS LES ROLLANDISTES ET AUTRES HAGIOGRAPHES.
A Urcitana, ville aujourd'hui détruite, à deux lieues d'Almeria, dans l'ancien royaume de Gre-
nade, en Espagne, saint Indalèce, évèque de cette ville, qui fut ordonné à Rome par saint Pierre
et saint Paul, et fut envoyé prêcher l'Evangile dans la Péninsule Ibérique avec Torquat, Second,
Euphrasius, Cécilius, Tésiphont et Eusitius, missionnaires comme lui. Les reliques de saint Inda-
lèce furent transférées, en 1080, au monastère de Saint-Jean de la Penha et glorifiées par de
nombreux miracles. Ier s. — Chez les Grecs, saint Maxime, martyr, qui périt d'un coup d'épée
dans le ventre: il est différent du martyr du même nom mentionné au romain. Epoque incertaine.
— A Rome, saint Quirin, évêque et martyr, enseveli dans la catacombe de Prétextât. Celait peut-
être un évêque d'un pays lointain, mort eu accomplissant sa visite aux seuils des Apôtres. — A
. '. ,/hrodisia ', les saints martyrs Radicianus, diacre; Téreuce, Marin, prêtres; Dagarus avec douze
antres ; Méturns, Clément, Lucinus, Télesphore, Primosus, Saturnin, Emélien, MaTorica, Saturnina,
dont les noms seulement sont parvenus jusqu'à nous. — Et ailleurs, les funérailles de saint Poly-
chrone, évèque, dont le siège est inconnu. — A Forli, dans les Romagnes, saint Mercnrial, évèque
de cette ville. 156 ou 405. — A Trente, sainte Maxence ', veuve. Vers l'an 400. — Chez les
Grecs, saint Clément, confesseur et poète, qui, après avoir charmé la terre par ses chants, alla,
à son tour, entendre dans le ciel les mélodies des anges. Vers le ixe s. — A Kempten, en
Souabe, la bienheureuse Hildegarde, reine, femme de Charleraagne, mère de Charles le Chauve,
de Pépin et de Louis le Pieux, et fondatrice du monastère de Kempten (Campidona), où ses
reliques opérèrent beaucoup de miracles. 783. — A Ferden ou Werden, en Saxe, saint Switbert,
dit le Jeune, évèque 9. 807. — A Vérone et à Augsbourg, saint Gualfard qui, après avoir exercé
la profession de sellier et distribué aux pauvres l'argent qu'il avait amassé par son travail,
fécut vingt ans de la vie des solitaires. 1127. — A Monticiano, en Toscane, le bienheureux
Antoine, de l'Ordre des Ermites de Saint-Augustin, sur le tombeau duquel des lis fleurirent spon-
tanément. Après l'an 800. — A Ravensbourg, dans le Wurtemberg, le bienheureux Louis von
Bruck, jeune écolier de quatorze ans environ, qui fut mutilé et pendu par les Juifs dans une forêt,
près d'Haslach. Un météore, qui échiira plusieurs nuits de suite cette forêt, fit découvrir son corps,
en l'honneur duquel on bâtit une petite chapelle qui devint un lieu de pèlerinage. Un siècle après,
ilfutreportéàRavensbourgdans la chapelle de Saint-Vit. 1429. — A Lucques, le bienheureux Michel de
Barga, de l'Ordre des Frères Mineurs de l'Observance, que l'on voyait parcourir les campagnes pour
faire le catéchisme, exhortera la piété. Plus d'une fois, il lui arriva de prendre la place des ber-
gers, pendant que ceux-ci allaient accomplir leurs devoirs religieux. 1479.
1. Laquelle? Il y avait trois villes de ce nom : l'une en Carie, l'antre en Lycle, et la troisième en
Ttrace.
2. Sainte Maxence. — Cette illustre veuve est la mère de trois Saints : Claudien, Majorien et Vigile.
Ce dernier devint évêque de Trente et fut un des prélats remarquables du ive siècle. Veuve de bonne
heure, sainte Maxence quitta Rome pour échapper aux importunités de ceux qui sollicitaient sa main.
L'église de Trente célèbre sa fête sous le rit double : à quelque distance de cette ville, se trouve un
village nommé de son nom Santa-Masenza. (Voir la vie de saint Vigile.)
3. Nous ne mentionnons cet évêque que pour mémoire, car il est prouvé maintenant qu'on l'a con-
fondu avec saint Switbert dit l'Ancien, évêque de Werden, en Hollande, dont nous avons donné la Vie an
l*r murs. Saint Switbert de Werden, en Saxe, n'a jamais existé.
88 30 AVRIL,
SAINT EUTROPE, VULGAIREMENT YTROPE,
ÉVÊQUE DE SAINTES, MARTYR
ET SAINTE EUSTELLE, VIERGE
Ier siècle.
Ad sanctos cineres, currile, eivitas;
Sunt hxc plena Deo pignora martyrum.
JBic cunx fidei; funeris in sinu
Vitam pleirius hausimus.
Que la cité accoure se prosterner devant ces cendres
vénérées; elles sont vivifiées par le Dieu des mar-
tyrs. Ici fut le berceau de votre foi ; c'est au sein
de la mort que nous avons trouvé la vie.
Santolius, Hymni.
Vers le milieu du Ie* siècle de l'ère chrétienne, un homme couvert
d'une longue robe de lin et s'appuyant sur un bâton noueux, qui lui rendait
moins rudes les fatigues d'une longue et pénible route, s'acheminait, à pas
pressés, à travers les vastes forêts de la Saintonge. Sorti de ces bois touffus
et profonds, qui dérobaient à ses yeux une des plus belles contrées des
Gaules, il ne tarda pas à distinguer à l'horizon, la ville de Mediolanum
(aujourd'hui nommée Saintes). Cette ville, qui était le but de son voyage,
s'annonçait au loin par une longue ceinture de murs, flanqués de hautes
tours. Les coupoles et le sommet des édifices qu'il entrevoyait à peine à tra-
vers les légères vapeurs du matin, indiquaient que la domination romaine,
en la dotant de ces nombreux monuments, l'avait également dotée du droit
de cité. Sur les riants coteaux qui environnaient et dominaient la ville
s'élevaient d'élégantes villas, entourées de bouquets de verdure et de fleurs,
dont la brise embaumée emportait au loin les parfums. Mille ruisseaux
roulant une eau limpide répandaient partout la fraîcheur et la vie, et ser-
pentaient dans des pleines fécondes que doraient de riches moissons.
A la vue de tant de merveilles, Eutrope, c'était le nom du pèlerin, se
prosterna la face contre terre. Après une prière fervente adressée au Sei-
gneur, i! se releva, disant tout haut : Mon Dieu, accordez aux habitants de
cette grande cité qui s'étend à mes pieds de n'être point sourds à la parole
sainte que je leur apporte en votre nom, préparez-les aux saintes vérités
que je vais leur expliquer. Que leurs bouches prononcent bientôt avec
amour votre nom divin, qu'ils brisent leurs idoles, et que désormais ils ne
reconnaissent d'autre Dieu que vous.
Saint Eutrope, que les Saintongeois reconnaissent pour leur Apôtre et
leur premier évêque, était un de ces Bienheureux dont parle Notre-Seigneur,
qui ont eu l'honneur de le voir sur la terre et de converser avec lui : ce que
tant de rois et de prophètes ont désiré si ardemment et qu'ils n'avaient pas
obtenu. C'est ainsi que le porte la tradition des églises, au récit de Baro-
nius. Les Jansénistes et nos évêques gallicans ont fait/t, à qui mieux mieux,
des anciennes légendes léguées par la foi de nos Pères. C'est un tort à nos
yeux, parce que, si ces légendes récitées aux soirées d'hiver, ont pu perdre
SAINT EUTROPE, ÉVÊQUE DE SAINTES, MARTYR. 89
quelque chose de leur naïveté native, en passant de bouche en bouche, et
en revêtant quelque teinte du caractère du narrateur, il n'est pas moins vrai
qu'il y a dans ces récits un fond vrai. Il s'agissait de dégager l'inconnu ;
on a trouvé plus logique de tout nier.
Il existe à Saintes une très-ancienne légende sur saint Eutrope. Le Saint
serait fils d'un roi (grand personnage) de Perse. Dans son enfance il fut
conduit, par son gouverneur, à la cour d'Hérode ; il entendit parler de Jésus
de Nazareth et de ses prodiges ; il voulut le voir, demanda à lui être pré-
senté, reçut sa bénédiction et embrassa sa doctrine. Il retourna cbez son
père qu'il gagna au christianisme, plus tard il revint en Judée et y apprit la
mort du Christ condamné au supplice de la croix ; indigné, il reprit encore
le chemin de la Perse et y ût mettre à mort tous les Juifs qui se trouvaient
dans les Etats de son père. M. l'abbé Lacurie, vicaire-général honoraire de
S. B., le patriarche de Chaldée, a pris des renseignements sur l'origine de
saint Eutrope. L'opinion de l'église Chaldéenne, qui vient confirmer la légende
française, est que le premier évoque de Saintes était Chaldéen et fils d'un
grand personnage. Dégoûté du monde, il revint trouver saint Pierre qui
l'éleva au sacerdoce, et l'envoya à Mediolanum- S antonum.
Eutrope ayant prié, comme nous l'avons dit plus haut, reprit sa marche
vers la ville. Arrivé auprès de la porte principale, il entra dans une hôtellerie
pour se reposer un instant des longues fatigues du voyage et prendre un fru-
gal repas, puis il pénétra au sein de la cité et devint l'objet de la curiosité
publique. La sévérité de son costume, qui offrait un singulier contraste avec
la douceur de sa physionomie, lui attirèrent les regards de tous les passants;
parvenu au centre de Mediolanum, il choisit une place spacieuse. Ayant groupé
autour de lui une foule considérable de citoyens et d'artisans, il tira de son
sein une petite croix de bois grossièrement travaillée, et commença à racon-
ter, avec un enthousiasme sublime, la vie, les miracles et la mort de notre Sau-
veur. En entendant ces récits merveilleux, le peuple, croyant voir un fou ou
un imposteur, s'arma de bâtons et se rua sur le missionnaire. Eutrope,
chassé de la ville aussi cruellement, se réfugia sur une hauteur voisine,
choisit un lieu désert et se construisit une cabane sur les flancs d'un rocher.
Découragé par cet insuccès, Eutrope reprit le chemin de Rome ; saint
Pierre était mort, saint Clément ranima son zèle, l'ordonna évêque et le
mit sous la conduite de saint Denys l'Aréopagite qui, avec une caravane
d'autres missionnaires, venait évangéliser le nord des Gaules *.
Eutrope suivit donc l'Aréopagite jusqu'à la ville d'Arles et de là passa
en Guyenne. Le culte particulier dont saint Eutrope est l'objet, même
de nos jours, dans les montagnes de l'Ariége, porte à croire que cet
Apôtre aura évangélisé certaines contrées du midi de la France avant
de regagner Saintes. Quoi qu'il en soit, revenu dans sa retraite isolée,
Eutrope se livra à la prière et à la mortification. Des racines détrempées
dans l'eau étaient sa nourriture de chaque jour, un peu de paille suffisait
pour reposer son corps épuisé par les veilles. Malgré l'accueil peu favorable
que lui avaient fait les habitants de Mediolanum, souvent il abandonnait sa
chère solitude et, parcourant les campagnes environnantes, il annonçait
partout la parole de Dieu. Il se hasarda même à rentrer dans la ville. La
pureté de ses mœurs, la simplicité de son langage lui concilièrent peu à peu
1. Grégoire de Tours, dont on se plaît à invoquer le témoignage en faveur de l'évangélisation des
Gaules au n:e siècle, — quoique le texte sur lequel on s'appuie soit loin d'être authentique, — Grégoire
tls Tours atteste que saint Eutrope, fondateur de l'Eglise de Saintes, fut au moins envoyé par saint Clément1.
De gloria martyrum, liv. ier, chap. 56.
90 30 AVRIL.
l'estime d'un petit nombre de païens. Quelques-uns, entraînés par son élo-
quence inspirée, s'instruisirent de la vraie religion et reçurent le baptême.
Encouragé par ce premier succès, Eutrope redoubla de persévérance et
de zèle. Dès ce moment, on le vit tous les jours parcourir les rues et les
places de Mediolanum, suivi d'une grande multitude de peuple, qui se plaisait
à lui donner le titre d'envoyé de Dieu.
Un jour, le peuple s'étant, comme de coutume, assemblé autour d'Eu-
trope, une jeune fille, d'une rare beauté et d'une baute naissance, fendit
tout à coup la foule et vint se prosterner aux pieds de l'Apôtre en lui disant:
« Maître, je veux embrasser la religion du Cbrist, instruisez-moi des vérités
qu'elle enseigne». Eutrope ayant remercié le Seigneur, amena la Vierge
dans le lieu où s'assemblaient les nouveaux chrétiens, et l'initia aux princi-
paux mystères de la foi.
Eustelle, c'était le nom de la jeune païenne, fut bientôt baptisée ; la
grâce transforma son âme. Elle voulut partager avec Eutrope les rudes fati-
gues de l'apostolat.
Or, cette conversion causa une grande rumeur dans la ville de Mediola-
num. Eustelle était fille du légat du préteur des Gaules : il y avait tout à
craindre de la part de cet homme, qui, par sa haute dignité, devait, plus que
tout autre, faire respecter les dieux de l'empire. Abusant de sa puissance, il
pouvait envoyer à la mort le téméraire qui avait osé arracher sa fille du
sein de l'idolâtrie. En apprenant que sa fille était chrétienne, le père d'Eus-
telle entra dans une extrême fureur. Il la chassa brutalement de son palais.
Revenu à de meilleurs sentiments, il tenta de ramener sa fille par la dou-
ceur et les séductions. Eustelle répondit toujours avec la plus grande fer-
meté et ne consentit pas à retourner dans la maison paternelle. Elle s'était
construite une étroite cellule non loin de la cabane d'Eutrope. C'est dans
cet humble asile qu'elle voulait passer ses jours. Irrité partant de résistance,
le légat ne chercha plus à dissimuler son ressentiment ; sa fureur ne con-
naissant plus de bornes, il attendit impatiemment le jour de la vengeance.
Il ignorait, ce cruel Romain, qu'en préparant à Eutrope la palme du mar-
tyre, il lui préparait un trône dans le ciel, et que son nom, immortalisé
par son supplice, serait prononcé avec respect par les générations futures.
Le légat fit appeler tous les bouchers de la ville ; il leur distribua une
somme de cent cinquante sous romains, et leur ordonna d'aller mettre à
mort Eutrope, et de ramener Eustelle dans son palais.
La veille des calendes de mai, les bouchers sortirent de la ville de grand
matin, et, suivis d'une foule de païens qui applaudissaient à la cruauté du
légat, armés de bâtons, de haches et de courroies garnies de plomb, ils se
dirigent vers la cabane du solitaire, qui était en ce moment à genoux et en
oraison. Ils l'entraînent hors de son asile, font pleuvoir sur sa tète une grêle
de pierres, le frappent sans pitié à coups de bâtons, et déchirent tout son
corps ; ils consomment leur forfait en lui fendant la tête d'un coup de
hache. Dès qu'Eutiope eut rendu le dernier soupir, ses meurtriers ne son-
geant plus à amener Eustelle auprès de son père, prirent la fuite et rentrè-
rent tumultueusement dans la ville, effrayés du crime qu'ils venaient de
commettre.
Dès que la nuit eut étendu ses premiers voiles, quelques chrétiens,
guidés par Eustelle, ensevelirent le corps du saint missionnaire dans la ca-
bane qui avait abrité sa vie. La mort d'Eustelle suivit de près celle de
l'Apôtre qui l'avait convertie à la vraie foi. Elle fut inhumée, selon ses dé-
sirs, à côté du tombeau du premier martyr de la Saintonge.
SAINT EUTROrE, ÉVÊQUE DE SAINTES, MARTYR. 91
Saint Eutrope est représenté la tête fendue par une hache ou un coupe-
ret. Près de lui se trouve un arbre : la présence de cet arbre dans les monu-
ments relatifs à l'Apôtre de Saintes s'explique de différentes manières, car
on en a perdu depuis longtemps le vrai sens. Les uns disent qu'avant de re-
cevoir le coup de grâce, saint Eutrope fut pendu à un arbre et longuement
tourmenté dans cette gênante position : toujours est-il qu'autrefois saint
Eutrope a passé pour être fort secourableaux gens condamnés à mort. Les
autres prenant la chose de plus haut pensent que cet arbre rappelle une
bonne action du Saint dans sa jeunesse, lors de l'entrée triomphale de
Notre-Seigncur à Jérusalem ; car il aurait été un de ceux qui montèrent
sur les arbres de la route et en arrachèrent des branches pour les jeter sur
les pas du Sauveur. Tel est le fait que rappellerait cet arbre.
L'histoire de saint Eutrope est dit-on, peinte sur les vitraux de la cathé-
drale de Sens.
On l'invoque contre l'hydropisie.
MIRACLES, RELIQUES ET CULTE DE SAINT EUTROPE.
RESTAURATION DE SA CRYPTE.
Ce grand évêque a fait de tous côtés et dans tous les siècles des prodiges fort signalés. Il a
tiré miraculeusement de l'eau et du feu ceux qui devaient y être ou noyés ou consumés. Il a dé-
livré du fond des cachots des captifs et des prisonniers que leurs ennemis y avaient enfermés. Il
en a même transporté un, en un instant, de Babylone à Saintes, avec la cage d'airain où les infi-
dèles l'avaient enfermé. Il a guéri des malades, ressuscité des morts, chassé les démous des corps
des possédés et opéré d'autres semblables merveilles. L'on remarquera aussi dans l'histoire de ces
miracles les châtiments terribles que la justice de Dieu a exercés contre plusieurs personnes qui
ont eu la témérité de profaner la fêle de cet illustre prédicateur de l'Evangile.
Pies de cinq siècles avaient passé sur le tombeau oublié du Martyr; bien des peuples avaient
foulé le sol qui renfermait ses saintes dépouilles, l'Eglise brillait alors plus que jamais, elle était
sortie victorieuse des persécutions romaines, elle avait assisté à la chute de l'empire, elle était
demeurée ferme au milieu des flots de barbares venus du Nord, qui envahirent et dévastèrent une
graude partie de l'Europe méridionale. « Au milieu de cet épouvantable chaos, la civilisation eût
à jamais disparu de la lerre, sans la religion, aidée des lumières et de la vigilance des papes l ».
Plus récemment encore, l'Eglise venait de triompher des schismes qui avaient un instant alarmé
ses enfants les plus fidèles, mais qui n'avaient jamais affaibli ni la puissance de ses dogmes, ni la
force de sa doctrine. Avec la paix dont elle jouissait, se levaient de toutes parts des monastères,
où des hommes éloignés des bruyantes clameurs des cités, savaient allier le culte de la prière aux
rudes labeurs des champs. Us instruisaieut le peuple et lui faisaient partager l'amour de l'agri-
culture; joignant l'exemple à leurs leçons, ils défrichaient eux-mêmes les terres incultes.
Clovis venait d'être baptisé. Dans l'intérêt de la fui qu'il avait embrassée, il marcha, à la tête
des Francs, vers la Gaule méridionale, afin de châtier les Visigoths, qui l'occupaient alors et qui
professaient l'Arianisme. Il les vainquit aux champs de Vauclatle, el les poursuivit jusqu'aux pieds
des Pyrénées. En retournant vers le Nord, le vainqueur s'arrêta à Mediolanum, et y fut reçu
avec acclamation. 11 n'en sortit point sans avoir laissé des sommes considérables, pour y construire
des églises et des monastères, auxquels il accorda de grands privilèges.
Vers cette époque, deux moines occupés à défricher le coteau où Eutrope avait été inhumé,
retrouvèrent les ossements du martyr. Us remarquèrent sur le crâne une fente profonde, qui n'a-
vait pu être faite que par un coup de hache. Pendant la nuit, tandis que les deux religieux étaient
plongés dans un profond sommeil, saint Eutrope leur apparut. « Sachez », leur dit-il, « que la
fracture que vous avez vue à ma tête est la trace du martyre que j'ai supporté ». Pallade (saint
Pallais), évêque de Saintes, averti de cette vision miraculeuse, fit transporter les ossements du saint
Apôtre dans une chapelle de l'église de Saint-Etienne, qu'il venait de faire bâtir dans un des faubourgs
de la ville. Plus tard, un riche couvent de Bénédictins s'éleva autour de la basilique qui prit le
nom de Saint-Eutrope. Les saintes reliques, exposées à la vénération des fidèles, attirèrent d'abord
quelques pèlerins accourus des contrées voisines; mais au bruit des cures miraculeuses opérées
par l'intercesion du Saint, en faveur de ceux qui venaient le visiter avec foi, des populations
entières vinrent avec empressement s'agenouiller aux pieds de ses autels. L'église de Saint-Eu-
trope devint un pèlerinage célèbre.
1. Laeretelle, Introduction à l'histoire.
92 30 AVRIL.
Franchissons tout l'espace qui sépare cette époque du XVIe siècle ; arrivons à l'année 1562.
Alors les guerres de religion désolaient la Saintonge ; les protestants pillaient et renversaient les
maisons du Seigneur. On avait lieu de craindre que déjà le corps de saint Eutrope n'eut été brûlé
par les hérétiques, et l'on redoutait le même sort pour son chef précieux. François Noël, prieur
du couvent de Saint-Eutrope, le transporta secrètement dans la cathédrale de Saint-André, à Bor-
deaux ; mais, en 1602, la sainte relique fut rendue à son église par les soins de Pierre de la
Place, l'un des successeurs de Noël.
Plus tard, quand la tempête politique de 1789 passa sur la France, la religion eut encore
ses jours de deuil ; mais des pièces authentiques prouvent que la relique de saint Eutrope ne dis-
parut pas dans la tourmente révolutionnaire ; et elle a toujours été conservée dans l'église qui
porte son nom.
Les habitants de Saintes n'ignorent pas, et nous apprendrons avec plaisir aux étrangers, entre
les mains de qui pourra tomber notre récit, la restauration de la crypte ou chapelle souterraine
de l'église de Saint-Eutrope. Cette restauration a un double but : d'abord, la conservation d'un
édifice précieux pour l'histoire de l'architecture religieuse, ensuite la restitution au culte d'un monu-
ment dédié à la religion depuis près de douze siècles. Donnons à chacun ce qui l"l est dû : c'est
à la sollicitation de M. l'abbé Lacurie, aumônier du collège de Saintes, que les travaux ont été
entrepris par la Société française instituée pour la conservation des monuments historiques.
!.e vendredi 19 mai 1843, à huit heures du matin, des ouvriers étaient occupés à fouillera l'en-
droit où s'élevait, avant la Révolution, le maître-autel de la crypte. Ils ne tardèrent pas à recon-
naître les traces d'une excavation pratiquée dans le rocher qui tient lieu de pavé à la crypte.
Mise à découvert, l'excavation, dont la forme est celle d'un carré long, a présenté les dimen-
sions suivantes : Longueur : 1 m. 23 c; largeur : 0 m. 85 c. ; profondeur : 1 m. 88 c. Au fond,
l'on voyait une pierre en forme de tombe, taillée à tète de diamant, dans les dimensions suivantes :
Longueur : 1 m. 20 c; largeur : 0 m. 90 c; épaisseur : 0 m. 37 c. Cette pierre était traversée
de part en part, aux quatre coins, par des boulons ou barres rondes de fer, d'environ deux centi-
mètres de diamètre, consolidés dans leurs trous avec du plomb coulé en fusion, et qui la liaient
à un objet sur lequel elle reposait. Sur sa face extrême supérieure, du côté du couchant, on lisait
le nom Eutropius, écrit en caractères carlovingiens de longue dimension, profondément gravés et
parfaitement visibles.
Le coffre, que recouvrait cette pierre, fut enlevé, et les ossements qu'il contenait furent livrés
à deux médecins chargés de les examiner.
Cette opération eut lieu en présence des nombreux assistants, impatients d'en connaître le résultat.
Les docteurs parvinrent, en peu de temps, à reconstituer le squelette à'un homme, moins la
tête et l'os supérieur de l'un des bras. C'est ici le lieu de dire que, depuis des siècles, on
honore, dans l'église de Saint-Eutrope de Saintes, une relique que la tradition, appuyée de titres
importants, a toujours fait considérer comme le chef du bienheureux Martyr. Nous ajouterons
aussi, pour les personnes qui l'ignorent, que l'on expose à la vénération des fidèles, dans lune des
églises de la ville de Béziers, un os que des monuments écrits disent être celui de l'un des bras
du premier prédicateur de la foi chez les Santons.
Nous n'avons pas l'intention de discuter, dit un témoin oculaire, M. l'abbé Briand, aujourd'hui
décédé : nous sommes seulement narrateur. Pourtant nous ne pouvons nous dispenser de faire
cette remarque : on suppose, avec beaucoup de raison, que le squelette découvert est celui de
saint Eutrope ; il manque, à ce squelette, la tête et l'os supérieur d'un bras. Or, deux églises
ont de justes motifs de se croire en possession des parties manquantes. Quelle frappante coïn-
cidence !...
Ajoutons, cependant, que les médecins trouvèrent aussi dans le coffre une tête; mais, après un
scrupuleux examen, ils déclarèrent qu'à en juger par sa forme, par ses proportions, par celles des
dents, dont plusieurs tenaient encore à leurs alvéoles et plusieurs autres étaient répandues dans le
cofirei cette tête n'était pas en rapport de force avec les ossements qu'ils avaient sous les yeux et
que, presque certainement, elle n'appartenait pas au même sujet. Elle leur parut être plutôt celle
d'une jeune femme ou d'un adulte.
Enfin, il y avait eucore dans le coffre une partie notable des ossements d'un enfant presque
naissant. On y remarquait aussi un peu de terre, quelques fragments de ciment et la coquille
ronde et blanche d'un petit limaçon. Ces dernières circonstances ne conduisent-elles pas à l'idée
d'une translation ? Un procès-verbal, constatant les événements de la journée, fut signé par toutes
les ptrsonnes convoquées et par d'autres assistants.
Le 30 avril ramène, chaque année, la double fête de saint Eutrope et de sainte Eustelle, patrons
de la ville de Saintes. Outre les cérémonies que l'Eglise célèbre en l'honneur du saint Martyr et
de la servante du Seigneur, l'autorité civile ordonne des réjouissances publiques qui attirent un
grand concours d'étrangers dans l'antique Mediolanum. Autrefois, des ménétriers parcouraient la
ville en tous sens et s'arrêtaient devant la demeure de ceux qui portaient le nom du Saint ou
de la Sainte, et y exécutaient une courte sérénade. La ville de Saintes, qui demeure plongée
pendant tout le reste de l'année dans le silence et l'isolement le plus complet , revêt le
lendemain une physionomie toute nouvelle. La foule joyeuse inonde le pavé de ses rues. Le
SAINT EUTROPE, ÉVÉQUE DE SAINTES, MARTYR. 93
contentement est universel ; mais, comme pour offrir un singulier contraste aux bruyantes joies de
la ville, un usage traditionnel a consacré un pieux pèlerinage à la grotte de sainte Eustelle, située
sur une des collines qui environnent la ville.
Voici maintenant quelques détails précieux sur le culte de saint Eutrope dans les montagnes
de l'Ariége ; détails que nous devons à l'obligeance de M. l'abbé P. Authier, curé d'Unac (diocèse
de Pamiers). Ce savant ecclésiastique nous écrivait, en novembre 1871 :
« Le saint Eutrope dont il est question aux pages 22 et 23 de ma brochure sur le prieuré
d'Unac, est bien le saint Eutrope, évèque et martyr de Saintes, puisque nous en célébrons la fête
de temps immémorial au 30 avril, et que je ne connais pas d'autre Saint de ce nom fêté ce même
jour.
« Pour vous dire comment son culte s'est établi dans nos contrées, je ne puis fonder mes asser-
tions que sur des conjectures. L'église dans laquelle nous célébrons cette fête, où se fuit le pèle-
rinage le 30 avril, est une église bâtie dans la seconde moitié du xie siècle, soudée à une tour
de clocher plus ancienne, dont l'architecture accuse une construction du vme ou ixe siècle. Les
présomptions les plus fondées donnent à croire que l'église actuelle du XIe siècle a été décorée et
desservie par les Bénédictins de Cluny; mais que la première église, dont la tour de clocher et de
garde existe encore, élait l'église d'une abbaye militaire fondée par Charlemagne ou son fils, Louis
le Débonnaire, roi d'Aquitaine, résidant à Toulouse en son jeune âge. La dévotion du pèlerinage
auprès des reliques de saint Eutrope aura été établie, ou par les abbés militaires, comme les dévo-
tions voisines de pèlerinage aux autels de la Sainte Vierge de Sabart, Montganzy et Celles, que
l'on croit remonter à cette époque, ou par les religieux de Cluny, qui avaient dédié des chapelles
à saint Eutrope dans la basilique de la maison-mère. Les pèlerins à Saint-Eutrope d'Unac font
bénir une petiie bouteille de vin à l'autel anciennement dédié à saint Eutrope et le boivent à jeun
à très-petites doses, soit comme remède, soit comme préservatif de maladies. 11 en est de cette pra-
tique comme de celle qui faisait emporter, par les pèlerins, à titre de remède, l'huile des lampes
qui éclairaient les tombeaux de saint Martin, à Tours, et autres Saints.
« Je ne saurais affirmer que l'église de l'abbaye militaire d'Unac fût dédiée à saint Eutrope;
mais il est constant que l'autel où les habitants et les pèlerins routiniers viennent toujours déposer
tout naturellement leur vin qui doit être sanctifié par la bénédiction solennelle de l'Eglise, se trouve
à six mètres en avaut et en face de la grande ouverture de la vieille tour carlovingienne, c'est-à-
dire, là où était l'autel de la primitive église.
« L'église actuelle du xie siècle a été dédiée à saint Martin, de Tours, patron titulaire, et le*
autels des collatéraux furent dédiées aux patrons secondaires, l'un à saint Maur et l'autre à saint
Eutrope, à la place même de l'autel carlovingien.
« Y avait-il des reliques de saint Eutrope à Unac, à l'époque de l'établissement du pèlerinage?
Je l'ignore. En entrant dans cette paroisse, il y a quarante ans, j'ai trouvé, dans le tombeau d'un
reliquaire du moyen âge, qui avait servi d'ostensoir pour la bénédiction solennelle du saint Sacre-
ment, de tout petits fragments de reliques de saint Eutrope, saint Maur et autres Saints comme
l'indiquaient des fragments de vélin, avec une note disant: « Aquestas reliquias foren trobadas
in claustro de l'nutar de missa de mossum S. Félix, l'an 1565 ». Cette église anciennement pa
roissiale, fut détruite cette année-là par les Huguenots, à Unac. Ces reliques étaient sans autre authen-
tique et sans sceau. Je n'en ai pas entendu mentionner d'autres. Maintenant nous avons reçu d'un
de nos évèques de Pamiers 1° un fragment de trois centimètres des reliques d'un saint Eutrope,
martyr, extrait par lui de la basilique cathédrale de Saint-Lizier, en notre diocèse; et 2° un autre
fragment d'un centimètre obtenu par lui-même à Saintes, en 1845, lors de la translation solennelle
du tombeau de saint Eutrope ».
Nous avons puisé notre récit sur suint Eutrope dans Baronius et le Père Giry ; dans YITistoire de
l'église Santone, par M. l'abbé Briand, aujourd'hui défunt; dans des lettres particulières qu'ont bien
voulu nous adresser M. Lacurie, de Saintes, l'habile restaurateur de la crypte de Saint-Eutrope, vicaire-
général honoraire de S. B.. le patriarche de Clialdé?. M. l'abbé Grasilier, aumônier duCarmel de Saintes,
M. l'abbé Authier, curé d'Unac, au diocèse de Pamiers, M. l'abbé Ant. Ricard, directeur de la Sem. lit»»
gique de Marseille, etc.
04 30 AVRIL.
SAINTS JACQUES, MARIEN, ÀGAPIUS, ÉMILIEN
MARTYRS EN NUMIDIE (ALGÉRIE).
260. — Pape : Saint Denys. — Empereur : Valérien.
Saints de Dieu, souvenez-vous devant Notre-Seig.'.^irr
de ceux dont vous savez bien les noms.
Inscription commémorative du martyre des saints
Jacques et Marien, retrouvée à Constantine.
Toutes les fois que les bienheureux martyrs do Dieu tout-puissant et de
son Christ, dans leur course empressée pour saisir la couronne du royaume
des cieux, font une demande aux frères qu'ils ont le plus aimés, ils n'ou-
blient pas la loi de l'humilité, qui toujours donne à la foi son plus grand
éclat; et plus leur demande est modeste, plus aussi elle est efficace. Or,
deux très-illustres Martyrs du Seigneur nous ont donné la mission de faire
connaître leur gloire au monde : l'un est Marien, qui parmi tous nos frères
nous était spécialement cher, et l'autre Jacques ; tous deux, outre les enga-
gements communs du baptême et la profession d'un môme culte, m'étaient
encore attachés, vous le savez, par les liens de la famille. Sur le point de
soutenir leur glorieux combat contre les cruelles fureurs du siècle et les
attaques des gentils, ils désirèrent que les frères fussent instruits par nous
dans cette lutte où ils entraient sous la conduite de l'Esprit-Saint. Ce n'était
point pour faire célébrer, par une vaine jactance, au milieu du monde, la
gloire de leur couronne, mais pour laisser à la multitude des fidèles, au
peuple de Dieu, un exemple qui les instruisît et fortifiât leur foi. Et ce ne
fut pas sans raison que leur amitié me choisit pour publier ces récits; car
qui pourrait douter que nous n'ayons connu et partagé les secrets de leur
vie ? Nous vivions ensemble dans les liens d'une étroite union, quand le
temps de la persécution est venu nous surprendre.
Nous voyagions en Numidie, et nous avions réuni les gens de notre
suite, comme nous faisions toujours ; mais la route que nous suivions nous
menait remplir le ministère que la religion et la foi nous avaient imposé,
tandis qu'elle conduisait nos compagnons au ciel. Ils arrivèrent en un lieu
appelé Muguas, près des faubourgs de Cirtha f, colonie romaine. Dans cette
ville, en ce moment, l'aveugle fureur des gentils et les ordres des officiers
militaires avaient soulevé une cruelle persécution, comme les flots déchaî-
nés du siècle; la rage du diable, altéré du sang des justes, avait soif d'é-
prouver leur foi. C'est pourquoi nos bienheureux martyrs Marien et Jacques
ne doutèrent point que ce ne fût là un signe certain de la miséricorde di-
vine qui exauçait leurs prières ; car, s'ils se trouvaient ainsi au lieu et au
moment où la persécution sévissait avec le plus de cruauté, ils compre-
naient que c'était la main du Christ qui les avait conduits à la couronne du
martyre. Tous ceux en effet que le Christ chérit étaient l'objet des fureurs
aveugles du préfet, qui les faisait rechercher par ses soldats ; sa cruelle
folie ne s'exerçait pas seulement contre les fidèles qui servaient leur Dieu
1. On sait que Cirtha reçut plus tard le nom de Constantine. en l'honneur de Constantin, qui la retira
de ses ruines après la mort de Maxence.
SAINTS JACQUES, MARIEN, AGAPIUS, ÉMILIEN, MARTYRS EN NUMTDIE. 95
en pleine liberté, après être sortis vainqueurs des persécutions précédentes;
le diable encore étendait son insatiable main sur ceux qui, depuis long-
temps condamnés à l'exil, avaient mérité par leur désir, sinon par l'effusion
de leur sang, la couronne des martyrs.
Or, parmi ceux qu'on rappelait ainsi de l'exil pour les présenter au pré-
fet, étaient Agapius et Secundinus, tous deux évêques, tous deux recom-
mandables par leur tendre charité pour les frères, mais l'un d'eux surtout
par la sainteté de sa continence. Ce n'était point d'un supplice à un autre
supplice qu'on les traînait, ainsi que le pouvaient croire les gentils; bien
plutôt ils allaient d'une gloire à une autre gloire, d'un combat à un autre
combat. Après avoir arraché aux pompes du siècle et soumis au joug du
Christ leurs compagnons de captivité, ils allaient, avec le courage qu'inspire
une foi consommée, fouler aux pieds l'aiguillon de la mort. Et certes, c'eût
été un crime de ne pas courir à la victoire dans ces lottes d'ici-bas qui ne
durent qu'un instant, quand le Seigneur s'empressait au-devant d'eux pour
les avoir auprès de lui. Ainsi Agapius et Secundinus allaient au noble com-
bat que leur avait, il est vrai, préparé une puissance de la terre, mais au-
quel le Christ lui-même les appelait. Nous avons eu le bonheur d'offrir
l'hospitalité à ces deux pontifes, qui devaient unir à la gloire du sacerdoce
la palme du martyre. Tel était l'esprit de grâce qui les animait, que non
contents d'offrir à Dieu le précieux sacrifice de leur sang dans un généreux
et saint témoignage, ils voulaient faire de tous les fidèles autant de martyrs,
en leur inspirant leur courage dans la foi. Il est vrai que le seul spectacle
de leur dévouement et de leur constance aurait suffi pour confirmer la foi
des frères; mais leur charité, leur tendre affection pour nous, voulait
assurer davantage notre persévérance. Ils laissèrent tomber sur nos âmes,
comme une céleste rosée, la parole du salut ; car il leur était donné de
voir celui qui est appelé le Verbe ou la parole de Dieu, et ils ne pouvaient
taire ses merveilles. Je ne m'étonne point si, pendant le peu de jours qu'ils
demeurèrent avec nous, nos âmes ont largement puisé la vie et le courage
dans leurs saintes exhortations ; car déjà le Christ, à la veille de leur pas-
sion, faisait éclater en eux sa grâce.
Enfin, quand ils nous quittèrent, leurs exemples et leurs instructions
avaient disposé Marien et Jacques à suivre la même voie, en marchant sur
leurs traces glorieuses. Il y avait à peine deux jours qu'ils étaient partis,
que déjà la palme du martyre venait d'elle-même trouver ces deux frères
bien-aimés. Ce n'était plus, comme partout ailleurs, un ou deux soldats
slutionnaires, c'était une centurie entière qui recherchait des victimes à la
persécution.
Cette troupe armée par la violence, et avec elle une multitude impie,
étaient accourues en foule à la villa que nous habitions, comme au puissant
boulevard de la foi. Attaque mille fois glorieuse pour nous ! bienheureuse
alerte digne d'être célébrée par les transports de la joie ! On venait à nous pour
que le sang des justes, de Marien et de Jacques, accomplît ici-bas les des-
seins de la miséricorde de Dieu. Nous avons peine ici, frères bien-aimés, à
contenir la joie dont nos cœurs sont remplis. A peine, depuis deux jours,
des saints se sont arrachés à nos embrassements pour aller subir leur glo-
rieuse passion, et nous avons encore avec nous des frères qui vont être
martyrs ! Lorsque approcha l'heure de la divine bonté, elle daigna nous
donner aussi à nous quelque part à la gloire de nos frères ; nous fûmes
traînés de Muguas dans la colonie de Cirtha. Marien et Jacques, nos frères
bien-aimés, nous y suivirent ; destinés à la palme, leur amour pour nous et
96 30 AVRIL.
la miséricorde du Christ les guidaient sur nos pas ; car, par un contraste qui
mérite d'être remarqué, ceux-là suivaient qui cependant allaient ouvrir la
marche à tous les autres. Ils n'attendirent pas longtemps. Ils nous exhor-
taient avec un saint transport de zèle, et proclamaient hautement et sans
crainte qu'eux aussi étaient chrétiens. Aussitôt donc ils furent interrogés ;
comme ils persévéraient à confesser courageusement le nom du Christ, on
les conduisit en prison.
Alors ils furent soumis à des tourments cruels et nombreux par un soldat
stationnaire, le bourreau des hommes justes et pieux. Il avait pris, pour
aider sa cruauté, les magistrats de Centurio et de Cirtha, qui se faisaient
ainsi les prêtres du diable ; comme si la foi se brisait avec les membres dans
celui qui compte pour rien le soin de son corps ! Mais Jacques, qui avait
toujours paru plus fort dans sa foi, parce qu'il avait déjà triomphé de la
persécution de Décius, répétait avec une noble fierté que non-seulement
il était chrétien, mais que de plus il était diacre. De son côté, Marien pro-
voquait les supplices, en confessant qu'il était lecteur : il l'était en effet.
Comment dire les tourments nouveaux qu'inventèrent contre eux les cruels
artifices du diable, toujours trop habile à ébranler la foi ? Marien fut sus-
pendu pour être déchiré ; en sorte que, par une providence spéciale de
Dieu, le supplice même du martyr était vraiment son exaltation. Le nœud
qui le tenait en l'air lui serrait, non les mains, mais l'extrémité des doigts,
afin que la masse du corps, supportée par des membres si faibles, augmentât
la douleur. Même on eut la cruauté de lui attacher aux pieds des poids pe-
sants ; en sorte que, tirée en sens contraire, la charpente entière du corps
se disloquait ; les nerfs étaient brisés, les entrailles déchirées ; mais, ô bar-
bare impiété des gentils, contre le temple de Dieu, contre le cohéritier du
Christ, tu n'as rien fait I tu as suspendu les membres d'un martyr, ouvert
ses flancs, mis à nu ses entrailles ; mais notre Marien a placé sa confiance
en Dieu ; et plus se sont multipliés les tourments de son corps, plus a grandi
son courage. Enfin la fureur des bourreaux fut vaincue, et il fallut le recon-
duire en prison, tout joyeux de son triomphe. Là, avec Jacques et les au-
tres frères, il célébra, par des prières longues et ferventes, la victoire du
Seigneur.
Gentils, maintenant qu'allez-vous faire ? croyez-vous que des chrétiens
sentent les tourments d'une prison, qu'ils seront effrayés des ténèbres de ce
monde, eux qu'attendent les joies de l'éternelle lumière? leur esprit, forti-
fié par l'espérance de la grâce dont il va bientôt jouir, embrasse les cieux
dans ses nobles élans, et il n'est plus aux supplices dont on le veut punir.
Eu vain les hommes chercheront, pour exercer leurs châtiments, une re-
traite profonde, les sombres horreurs d'un antre, un séjour de ténèbres ;
quand on espère en Dieu, aucun lieu n'est affreux, aucun temps ne parait
triste. Les chrétiens consacrés à Dieu, leur père, reçoivent, et !e jour et la
nuit, les consolations du Christ, leur frère. Ainsi en arriva-l-il à Marien.
Après les tourments dont on avait déchiré son corps, il s'endormit d'un
sommeil profond et tranquille ; et, à son réveil, il nous raconta lui-même en
ces termes ce que la divine bonté lui avait fait voir pour soutenir et encou-
ger ses espérances : «Mes frères », nous disait-il, «j'ai vu se dresser devant
moi, à une grande hauteur, un tribunal d'un éclat éblouissant, sur lequel
siégeait un personnage faisant l'office de juge. Il dominait une estrade où
l'on moniait par de nombreux degrés. On faisait approcher les confesseurs
un à un, par ordre, devant le juge, qui les condamnait à être décapités,
quand tout à coup j'entendis une voix claire et puissante qui cria : « Qu'on
SAINTS JACQUES, MAREEN, AGAPIUS, EMILIEN, MARTYRS EN NUMTDIE. 97
amène Mari en !» et aussitôt je montai sur l'estrade. A ce moment, j'aper-
çus, assis à la droite du juge, Cyprien, que je n'avais point encore vu ; il me
présenta la main, m'éleva jusque sur le plus haut degré de l'estrade et me dit
en souriant : « Viens t'asseoir avec moi » . Je m'assis en effet ; et l'interroga-
tion des autres confesseurs continua. A la fin, le juge se leva, et nous le con-
duisîmes jusqu'à son prétoire. Nous marchions à travers des lieux où se dé-
ployaient d'agréables prairies, et qu'embellissait le riant feuillage des bois;
de hauts cyprès et des pins dont la tête s'élevait jusqu'au ciel, étendaient
au loin leur ombrage ; on eût dit que la verdure des forêts environnait ces
lieux comme d'une immense couronne. Au milieu, les eaux pures d'une
source abondante remplissaient à pleins bords un vaste bassin. Mais voilà
que tout à coup le juge disparaît à nos yeux ; alors Cyprien, prenant une
coupe qui par hasard se trouvait au bord de la fontaine, la remplit de nou-
veau, me la présenta et j'en bus moi-même avec bonheur. Enfin, tandis que
je rendais grâces à Dieu, le son de ma voix m'éveilla ».
A ce récit, Jacques se rappela que Dieu avait daigné lui montrer la cou-
ronne qui lui était réservée. En effet, quelques jours auparavant, Marien et
Jacques, et moi avec eux, nous voyagions ensemble sur le même char. Vers
le milieu du jour, à un endroit où la route était rocailleuse et difficile, Jac-
ques avait été saisi d'un sommeil profond ; nous l'appelâmes, et quand il se
fut éveillé : « Mes frères », qous dit-il, je viens d'éprouver une grande émo-
tion; mais c'est la joie qui transportait mon âme; vous aussi, réjouissez-
vous donc avec moi. J'ai vu un jeune homme d'une taille prodigieuse ; il
avait pour vêtement une robe d'une blancheur si éclatante, que les yeux ne
pouvaient la contempler ; ses pieds ne touchaient pas la terre, et son front
se cachait dans les nuages. Gomme il passait rapidement devant nous, il
nous jeta deux ceintures de pourpre, une pour toi, Marien, et une pour
moi, et il nous dit: « Suivez-moi promptement ». Dans un tel sommeil,
quelle force contre l'ennemi ! quelle veille lui peut être comparée ! Qu'il
est heureux le repos de celui qui veille dans la foi ! Les membres terrestres
seuls sont enchaînés, car il n'y a que l'esprit qui puisse voir Dieu. Gomment,
après cela, décrire les transports de joie et les sentiments généreux de nos
martyrs, qui, sur le point de souffrir pour confesser le saint nom de Dieu,
avaient eu le bonheur d'entendre le Christ et de le voir s'offrir à leurs re-
gards. Rien n'avait pu l'arrêter, ni l'agitation bruyante d'un char, ni la
clarté, ni la chaleur du jour, au milieu de sa course. Il n'avait point attendu
l'heure silencieuse de la nuit ; et, par une grâce spéciale et toute nouvelle,
il avait choisi, pour se montrer à son martyr, un temps où il n'a pas l'habi-
tude de se révéler à ses saints.
Au reste, les deux frères ne furent pas les seuls à jouir de cette faveur
céleste. Emilien, qui, dans les rangs de la gentilité, appartenait à l'ordre
équestre, était aussi en prison avec les autres chrétiens. Il était parvenu
jusqu'à l'âge de cinquante ans sans avoir perdu le privilège de la chasteté.
Il avait encore redoublé dans la prison ses longs jeûnes; ses prières plus
multipliées étaient, avec le Sacrement du Seigneur, la seule nourriture qui,
tous les jours, soutenait son âme et la préparait au combat. Or, Emilien
également, au milieu du jour, s'était endormi, et, quand il s'éveilla, il nous
raconta en ces termes les secrets de sa vision : « Je sortais de prison » , nous
dit-il, « quand tout à coup je rencontrai un gentil, mon frère selon la chair.
D'une voix pleine d'insulte il me demanda de nos nouvelles, et m'interrogea
avec curiosité comment nous nous trouvions des ténèbres de la prison et
de ses jeûnes forcés. Je lui répondis que, pour les soldats du Christ, la pa-
Yies des Saints. — Tome V. 7
98 30 AVRIL.
rôle de Dieu était, au milieu des ténèbres, la plus éclatante lumière, et dans
les jeûnes, une nourriture qui comble tous les désirs. A ces paroles, il re-
prit : « Sachez, vous tous qui êtes retenus en prison, que si vous vous obsti-
nez à ne pas changer, la peine de mort vous attend ». Mais moi, qui crai-
gnais que ce ne fût un mensonge inventé à plaisir pour nous tromper, je
voulais la confirmation d'une nouvelle qui comblait tous mes vœux : « Est-
il vrai », lui dis-je, « que nous souffrirons tous? » Il répéta de nouveau ses
premières paroles, et dit : a Bientôt votre sang va couler sous le glaive. Mais
je voudrais savoir si vous tous, qui méprisez ainsi la mort, vous recevrez
au ciel des récompenses égales, ou si vos couronnes seront différentes ». Je
lui répondis : « Je ne suis pas capable de donner un sentiment sur une
question si relevée. Cependant», lui dis-je, « lève un peu les yeux vers le
ciel ; tu y verras resplendir l'innombrable armée des étoiles. Est-ce que
toutes ces étoiles brillent du même éclat ? et la lumière daas toutes est-elle
égale? » A cette réponse, la curiosité du gentil trouva encore une question
à faire : « Si donc » , me dit-il, a il doit y avoir entre vous une différence,
qui sont ceux qui mériteront la préférence dans les bonnes grâces de votre
Dieu? » — « Entre tous les autres, lui répondis-je, il y en a deux surtout
dont je ne dois point te dire les noms, mais que Dieu connaît. Ce sont ceux
dont la victoire est plus difficile et presque sans exemple ; plus rare, par con-
séquent, leur couronne est plus glorieuse. C'est pour eux qu'il a été écrit :
Il est plus facile à un chameau de passer par le trou d'une aiguille, qu'à un
riche d'entrer dans le royaume des cieux ».
Après ces visions, ils demeurèrent encore quelques jours en prison; puis
on les amena de nouveau devant le tribunal, afin que le magistrat de Cirtha,
non content des premiers châtiments par lesquels il avait honoré la géné-
reuse profession de leur foi, les renvoyât encore au préfet. En ce moment,
un de nos frères, qui se trouvait parmi les spectateurs, attira sur lui les yeux
de tous les gentils ; car, ayant eu le bonheur de proclamer sa foi, il sembla
que la splendeur du Christ éclatait sur son visage comme dans ses paroles.
Les impies, dans l'emportement de leur fureur, lui demandaient si, lui aussi,
il était de la religion des martyrs et portait le même doid qu'eux. Aussitôt,
par une prompte confession de sa foi, il mérita de partager leur bonheur.
Ainsi les bienheureux martyrs, pendant qu'on les préparait au supplice, ga-
gnèrent à Dieu de nombreux témoins. Enfin, on les envoya au préfet ; ils
parcoururent avec joie cette route difficile et pénible ; dès leur arrivée, on
les présenta à ce magistrat ; après quoi on les jeta pour la seconde fois dans
les prisons de Lambôse. Car les prisons, c'est la seule hospitalité que les
gentils sachent donner aux justes.
Durant plusieurs jours, le sang fut répandu sans pitié, et grand nombre
de nos frères furent envoyés au Seigneur ; cependant la rage insensée du
préfet ne pouvait arriver jusqu'à Marien et à Jacques, et aux autres victimes
d'entre les clercs : tant étaient nombreux les laïques qui étaient frappés ;
car cet impie cruellement habile avait séparé les différents Ordres de notre
religion, espérant que les laïques, ainsi isolés des clercs, céderaient aux
tentations du siècle et à leurs propres terreurs. C'est pourquoi nos deux
amis, les fidèles soldats du Christ, et, avec eux, le reste des clercs, s'affligeaient
que les laïques les eussent devancés au combat et à la gloire, et qu'on leur
eût réservé à eux une victoire si lente et si tardive.
Durant cette longue attente, Jacques fut consolé par une nouvelle vi-
sion. Agapius, ce saint pontife dont nous avons parlé, avait, depuis long-
temps déjà, consommé son martyre. Deux jeunes filles, Tertulla et Antonia,
SAINTS JACQUES, MARIEN, AGAPIUS, ÊMILIEN, MARTYRS EN NUMTDIE. 99
qu'il aimait d'une tendresse toute paternelle, avaient souffert avec lui. Sou-
vent il avait demandé à Dieu pour elles de les associer à son martyre, et
Dieu avait daigné récompenser sa foi, lui en donnant l'assurance par ces
paroles : « Pourquoi demandes- tu sans cesse ce que tu as mérité depuis
longtemps par une seule prière ? » Or, Agapius apparut à Jacques dans sa
prison, au milieu du sommeil. En effet, sur le point de recevoir le coup de
la mort, pendant qu'on attendait l'arrivée du bourreau, on entendit Jac-
ques qui disait : « Que je suis heureux ! je vais rejoindre Agapius, je vais
m'asseoir avec lui et tous les autres martyrs au banquet céleste. Cette nuit
même, je l'ai vu, notre bienheureux Agapius ; au milieu de tous ceux qui
avaient été enfermés avec nous dans la prison de Girtha, il paraissait le plus
heureux ; un joyeux et solennel banquet les réunissait. Marien et moi, em-
portés par l'esprit de dilection et de charité, nous y courions comme à des
agapes, lorsque tout à coup vint au-devant de nous un jeune enfant, que je
reconnus pour un des deux frères jumeaux qui, trois jours auparavant,
avaient souffert avec leur mère. Un collier de roses était passé à son cou,
et, dans sa main droite, il tenait une palme d'une riante verdure. « Où cou-
rez-vous ? » nous dit-il ; « réjouissez-vous, soyez dans l'allégresse ; demain
vous souperez avec nous ». Oh ! qu'elle est grande, qu'elle est magnifique la
bonté de Dieu envers les siens ! Quelle tendresse paternelle dans le cœur du
Christ Notre-Seigneur, qui donne à ses enfants bien-aimés des récompenses
si belles et leur fait connaître à l'avance les bienfaits que sa clémence leur
réserve !
Cependant le jour a succédé à la nuit dans laquelle cette vision a été
manifestée, et bientôt la sentence du préfet va servir à l'accomplissement des
promesses de Dieu. C'est une condamnation, mais qui affranchit des tribu-
lations du siècle Marien et Jacques avec les autres clercs, pour les rendre
participants de la gloire, dans la société des Patriarches. Ils furent donc
conduits au lieu de leur triomphe ; c'était une vallée profonde, traversée par
un fleuve dont les rivages s'élevaient doucement en colline, et formaient
ainsi, des deux côtés, comme des degrés d'un amphithéâtre. Le sang des
martyrs coulait jusqu'au lit du fleuve ; et cette scène n'était point sans
mystère pour les saints qui, baptisés dans leur sang, allaient encore recevoir
dans les eaux comme une nouvelle purification.
Yous eussiez vu alors l'ingénieux système d'une barbarie qui abrège ses
coups pour les multiplier. Environné de tout un peuple de martyrs dont la
tête est destinée au glaive, le bourreau les a disposés avec art sur de lon-
gues files, en sorte que ses coups sacrilèges semblaient courir d'une tète à
l'autre, emportés par une aveugle fureur. Ainsi rien n'arrêtait son cruel mi-
nistère ; c'était le moyen le plus prompt pour consommer cette barbare
exécution. Si, en effet, il les eût tous frappés à la même place, les cadavres
se seraient entassés en un énorme monceau ; le lit du fleuve lui-même,
bientôt comblé, n'aurait pas suffi à un si épouvantable carnage. Suivant la
coutume, avant de frapper les victimes, on leur banda les yeux ; mais les
ténèbres ne purent obscurcir leurs âmes ; une lumière vaste, immense, les
inondait de ses ineffables splendeurs. Un grand nombre, malgré le voile qui
leur dérobait l'éclat du jour, racontaient à leurs compagnons dans la mort
et aux frères témoins de leur supplice, qu'ils voyaient des scènes d'une
merveilleuse beauté, des coursiers, plus blancs que la neige, montés par des
jeunes gens dont les robes blanches jetaient un vif éclat. D'autres, en même
temps, parmi les martyrs aussi, confirmaient les récits de leurs compagnons,
par le témoignage d'un autre sens ; ils avaient entendu les frémissements
100 30 AVRIL.
des coursiers et le bruit de leurs pas. Quant à Marien, déjà rempli de l'es-
prit de prophétie, il annonçait, avec une assurance pleine de courage, que le
jour était proche où le sang des justes allait être vengé. Il prédisait les
plaies nombreuses dont le monde était menacé, la peste qui allait fondre
du ciel sur la terre, la captivité, la famine, les tremblements de terre, les
déluges d'insectes dont les piqûres seraient mortelles. Par ces prophéties,
non-seulement la foi du Martyr confondait les gentils ; elles étaient encore
un puissant aiguillon, ou plutôt comme le son de la trompette dans les
combats, pour exciter et fortifier le courage des frères, leur rappelant
qu'au milieu des plaies affreuses du monde, les justes de Dieu ne devaient
pas laisser échapper l'occasion si belle d'une mort pieuse et honorable *.
Quand le sacrifice fut achevé, la mère de Marien, transportée d'une joie
digne de la mère des Machabées, et assurée maintenant du sort de son fils
dont le martyre était consommé, le félicita de son bonheur et s'applaudit
elle-même d'avoir donné le jour à un tel fils. Elle embrassait ce corps que
ses entrailles avaient porté et qui faisait aujourd'hui sa gloire. Ses lèvres,
avec une religieuse tendresse, déposaient de nombreux baisers sur la plaie
encore sanglante. 0 Marie, que tu es heureuse ! heureuse d'être la mère
d'un tel fils, heureuse de porter un si beau nom ! Qui ne croirait pas au
bonheur qu'apporte avec lui un nom si grand, en voyant cette nouvelle
Marie recevoir une pareille gloire du fruit de ses entrailles ? Vraiment elle
est ineffable la miséricorde du Dieu tout-puissant et de son Christ, envers
ceux qui ont mis leur confiance en son nom. Non-seulement sa grâce les
prévient et les fortifie, mais encore, en les rachetant de son sang, il leur
donne la vie. Qui pourrait mesurer la grandeur de ses bienfaits ? Sa pater-
nelle miséricorde opère sans cesse et répand sur nous les dons que la foi
nous montre comme le prix du sang de notre Dieu. A lui soient la gloire
et l'empire dans les siècles des siècles ! Amen 2 ».
Saint Jacques et saint Marien sont patrons de Gubbio, dans l'Ombrie :
on garde leurs reliques dans la cathédrale- de cette ville. Leur fête se célèbre
en Algérie, le 30 mars.
Ces Actes font partie de la collection de Dom Ruinart.
1. Ces maux prédits par saint Marien furent la prise de Valérien par les Perses en 260, la fin tragique
de ce prince, la guerre des trente tyrans, la peste, etc. — Lambèse, dont il est question dans ce récit,
se trouvait a douze lieues de la ville actuelle de Constantine.
2. Le Propre d'Alger nous avait appris qu'on avait retrouvé, près du fleuve Roummel, à Constantine,
l'ancienne Cirtna, une inscription, gravée sur le roc, qni rappelle le martyre de saint Jacques, do saint
Marien et de leurs compagnons. Nous avons été assez heureux pour découvrir une des leçons de cette
inscription dans les Souvenirs de l'église d'Afrique, par le Père Cahier. Voici cette leçon que nous accom-
pagnons de la traduction :
PRIDIE. KAL. MAI. PASSIO. XC(?) MARTVRORVM. La veille des calendes de mai, passion de quatre-
NOSTRATIVM (î). MARIANI. ET. vingt-dix Martyrs, nos concitoyens : Marien et
IACOBI. D(iaconi). AGAPU. E(piscopiî). RVSTICI. Jacques, diacres; Agapius, évêque; Rustique, Cris-
CKISPINI (et). ALT(erius?). .EMILIANI. pin, et un autre; Emilien, Zenon ; Silvain, évêque,
ZEONIS. SILBANI. E(t). C(om)PL(uriumî). et plusieurs autres. — Saints de Dieu, souvenez-
SANCTI. DEI. MEMORAMINI. IN. CONSPECTV. vous devant Notre-Seigneur de ceux dont vous
D(o)M(i)N(i). f (Jesu Christi?) savez bien les noms. Que nous faut-il de plus?
QVORVM. NOMINA. SCITIS. SVFECIT (suflncit?).
IND(ictione). XV.
Il y a un barbarisme dans le texte latin : c'est marlurorum. « Or », dit le Père Cahier, « il ne faut
pas reculer devant la constatation d'un barbarisme dans les monuments africains populaires. On en ver-
rait bien d'autres en Italie, où la sève latine pouvait mieux maintenir le purisme. Mais je no sache pas
de formule élégante ou simplement correcte qui pût valoir mieux, en fait d'inscription chrétienne, que
cette clause : Saints de Dieu, souvenez-vous... »
SAINT PULCHRONE, CINQUIÈME ÉVÊQUE DE VERDUN. 101
SAINT PULCHRONE,
CINQUIÈME ÉVÊQUE (CONNU) DE VERDUN
454-470. — Papes : Saint Léon Ier; Hilaire; Simplice. — Empereurs : Maxime; Avit;
Majorien; Sévérus; Anthémius.
Tous les historiens qui ont parlé de saint Pulchrone, ont vu en lui le
second fondateur de l'église de Verdun, le restaurateur de la cité presque
entièrement détruite par les Barbares, le puissant thaumaturge, le modèle
des vertus épiscopales.
La famille de saint Pulchrone était une des plus illustres de la Gaule-
Belgique, non-seulement par le rang, mais encore par la piété. Les bonnes
œuvres de ses parents furent si agréables à Dieu qu'il leur révéla par un
ange la naissance d'un fils qui serait une lumière dans la maison du Sei-
gneur et qui apaiserait le courroux du ciel irrité contre les hommes.
Il naquit à Troyes en Champagne, mais son père et sa mère faisaient
souvent leur résidence à Verdun ; ils moururent quelques années après la
naissance de leur fils qui fut conduit à Toul, chez saint Loup, son parent,
où il fit ses premières études. Saint Loup ayant quitté le monde pour se re-
tirer dans le célèbre monastère de Lérins, il laissa Pulchrone à Toul pour y
continuer ses études. Il l'appela à Troyes, lorsqu'il fut fait évêque de cette
ville, et l'emmena avec lui dans un voyage qu'il fit en Angleterre pour y
combattre l'hérésie pélagienne.
Sous un tel maître, Pulchrone parvint à un très-haut degré de science et
de vertu ; ordonné prêtre, il en remplit toutes les fonctions avec zèle et dis-
crétion.
L'église de Troyes avait alors une si grande réputation que toutes les
villes des Gaules souhaitaient avoir pour évêque un disciple de saint Loup ;
c'est ce qui porta le clergé et les fidèles de Verdun à demander saint Pul-
chrone pour pasteur ; le passage des Huns avait réduit cette ville à un état
pitoyable. Saint Loup vit du bien à faire, il obligea son disciple à se rendre
aux prières d'un diocèse couvert de ruines. Les fidèles étaient dispersés au
loin et vivaient comme ils pouvaient. Le nouveau pasteur rassembla les bre-
bis dispersées par la tempête. Ses premières instructions furent très-tou-
chantes. Il les exhortait à la patience et à la résignation, les engageait à
apaiser par la pratique des bonnes œuvres la colère de Dieu irrité contre les
péchés des hommes. Son exemple plus encore que ses discours inclinait
leurs cœurs vers la contrition. Les païens voyant les chrétiens s'humilier et
faire pénitence se sentaient portés à les imiter.
Après avoir rétabli la célébration des saints mystères et les autres
exercices de la religion interrompus par les ravages des Huns, saint Pul-
chrone, en fils dévoué de l'Eglise, fit le voyage de Rome pour visiter le
tombeau des Apôtres et demander au Saint-Siège la confirmation de son
élection.
A son retour, il publia dans son diocèse les décisions du Concile d'Ephèse
qui déclaraient Marie, Mère de Dieu, et fit bâtir dans les murs de Verdun
une basilique, qu'il dédia sous le titre de la nativité de Notre-Dame. Dans
102 30 AVRIL.
le temple la sainte Vierge fut représentée tenant sous ses pieds un serpent
pour marquer sa victoire sur les hérétiques avec cette inscription :
THÉOTOCOS, MÈRE DE DIEU; CHRISTOTOCOS, MÈRE DU CHRIST.
C'est sur un terrain de son héritage que saint Pulchrone fit bâtir cette
église de la sainte Vierge. Pour agrandir la part du Seigneur, quelques
habitants lui donnèrent leurs jardins, situés sur le penchant de la montagne
où sont encore à présent l'évêché et la cathédrale.
Le christianisme fit de nouveaux progrès en France, après les invasions
des Barbares ; le paganisme disparut presque entièrement sous les ruines
des vieilles cités gauloises ; et ce fut sans doute pour consacrer ce triomphe
de l'Evangile que saint Pulchrone fît construire, sur le point le plus élevé
de la ville, une basilique assez vaste pour contenir les fidèles nouvellement
convertis et qui formèrent dès lors la majorité de la population verdu-
noise. Il transféra dans la nouvelle église le siège épiscopal qui avait été
jusqu'alors dans l'église Saint-Pierre et Saint-Paul hors des murs, et mit la
ville ainsi que tout le diocèse sous la protection de la Sainte Vierge. Les
décrets du Concile d'Ephèse (431) et du Concile de Chalcédoine (451), en
proclamant les divines prérogatives de Marie, avaient puissamment contri-
bué à populariser son culte. C'est à partir de cette époque surtout que l'on
dédia un grand nombre de temples en son honneur, que des fêtes furent
instituées en mémoire de ses mystères et que les évoques la choisirent pour
la protectrice spéciale de leurs diocèses.
On serait tenté de croire que les écoles, les bibliothèques, tous les do-
cuments des sciences disparurent dans le grand cataclysme des invasions
barbares. Certes bien des choses périrent, mais l'amour de l'étude resta,
surtout au sein du clergé. La décadence des lettres commença, il est vrai,
au ve siècle ; mais cette décadence n'empêcha pas les Gaules de produire un
grand nombre de savants, de théologiens, de philosophes, d'historiens, de
poètes et d'orateurs distingués. Leurs ouvrages ne sont pas tous venus jus-
qu'à nous. Mais ceux que nous connaissons prouvent que l'on recevait en-
core dans les écoles publiques une culture intellectuelle peu commune. La
plupart des évêques gaulois du ve et du vie siècle étaient choisis dans les
rangs des lettrés et ils devinrent bientôt, par les écoles qu'ils fondèrent, les
instituteurs des âges qu'on appelle barbares, « dont il ne faut pas nier la
barbarie, mais qu'on aurait cru moins ignorants, si on les avait moins
ignorés ». Ces écoles épiscopales gardèrent les traditions littéraires jusqu'à
la création des écoles monastiques, et à ce seul titre elles mériteraient d'être
mieux connues. Saint Pulchrone en établit une dans sa ville de Verdun.
L'éclat qu'elle répandit rejaillit sur le clergé de tout ce diocèse. De nom-
breux ouvriers évangéliques y furent formés, qui convertirent le reste des
idolâtres : l'office divin y gagna aussi en splendeur et en régularité. L'évê-
que donna de plus tout son riche patrimoine à l'église. Les revenus en
furent employés à l'entretien du sanctuaire et à la construction de loge-
ments pour les prêtres avec lesquels il vivait en commun ; telle fut la pre-
mière origine du Chapitre de Verdun.
Le saint évêque était respecté et aimé des grands et des petits ; il
gagnait à Jésus-Christ les plus obstinés par son affabilité insinuante, par
sa vie exemplaire et par le grand nombre de miracles qui appuyaient
les vérités sorties de sa bouche ; son visage était gai et ses paroles graves. Il
se considérait comme une victime d'expiation pour les péchés de son peuple
qu'il voyait exposé au danger de tomber sous la domination des conque-
SAINT PULCHKONE, CINQUIÈME ÉVÊQUE DE VERDUN. 103
rants venus d'au-delà du Rhin. Les guerres civiles divisaient les villes et les
provinces de la Gaule-Belgique : les unes étant encore soumises aux Romains,
aux mains desquels elles allaient bientôt échapper et qui les chargeaient
d'impôts excessifs, et les autres, aux Francs qui faisaient tous les jours de
nouvelles conquêtes. Childéric, leur roi, avait forcé les généraux romains
d'abandonner Cologne, pris Trêves d'assaut et conquis tout le pays situé
entre le Rhin et la Meuse. Verdun qui, cette fois, ne fut point attaqué, s'en
crut redevable à la protection de son saint Pasteur.
Ses vertus et ses travaux furent couronnés par une mort précieuse le
dernier jour d'avril de l'an 470. Il avait travaillé seize ans comme évêque, à
faire fleurir la science et la piété au milieu de son troupeau. La coutume
romaine d'enterrer les morts le long des grands chemins existait encore en
ce temps-là, à Verdun. Saint Pulchrone fut donc enseveli près d'une voie
publique, non loin de la porte actuelle de la citadelle. On éleva sur son
tombeau un oratoire qui devint dans la suite l'église paroissiale de Saint-
Amant. En 1625, cette église occupait encore l'emplacement où sont creusés
aujourd'hui les fossés de cette même citadelle. Dans la suite des temps, les
reliques de saint Pulchrone furent transférées partie à l'église Saint-Pierre
et Saint-Paul, partie à l'abbaye de Saint-Vannes. Sa fête se célèbre à Ver-
dun, le 30 avril.
MONUMENTS ET TRADITIONS.
La tradition, qui attribue à saint Pulchrone la construction de la cathédrale de Notre-Dame de
Verdun, dans l'intérieur des murs de la cité et sur l'emplacement qu'elle occupe encore aujourd'hui,
est consignée dans les Bréviaires de ce diocèse en ces termes : « Novam ab eo intra urbem ba$i~
licam a fundamentis mdificatam, Deo, sub nascentis Virginis Deiparse nomine, fuisse conse-
cratam.... referunt ».
Roussel, auteur d'une histoire de Verdun publiée en 1745, n'admet pas que saint Pulchrone ait
dédié son église sous le titre de la Nativité de Notre-Dame, et il refuse à Verdun l'honneur d'avoir
célébré, dès le v« siècle, cette fête de la Mère de Dieu. Il oppose à la tradition constante for-
melle de l'église de Verdun, deux raisons dont la première ne prouve rien, puisqu'elle est tirée
du silence d'un historien du IXe siècle, comme si cet historien ou plutôt cet annaliste avait dû ou
pu tout dire. La seconde est basée sur l'interprétation tout à fait arbitraire d'un mot de saint Ful-
bert de Chartres, qui dit, dans une de ses homélies pour Notre-Dame de septembre, « qu'après
l'institution de fêtes pins anciennes et plus solennelles, la dévotion des fidèles a demandé l'adjonc-
tion de la fête de la Nativité célébrée aujourd'hui ». — Non contenta fuit devotio fidelium,
quin Nativitatis solemne superadderet hodieinum. — Le mot hodiernum, dans un sermon
prêché le jour de la fête même, n'indique pas le moins du monde qu'il s'agisse d'une fête instituée
récemment. D'ailleurs le texte de Fulbert, qui mourut en 1029 (voir sa vie ci-dessus au 10 avril),
si on le prenait dans le sens de Roussel, n'exprimerait qu'une erreur manifeste; car il est certain
que sous le pontificat de Sergius Ier, vers l'an 688, on célébrait cette fête à Rome. Les sacramen-
taires de saint Grégoire et de saint Léon le Grand, les martyrologes de Bède, d'Adon etc., la
mentionnent. Si ensuite l'on veut absolument que saint Fulbert ait parlé d'une institution récente,
cela peut être vrai pour l'église de Chartres et non pour les autres. De plus, Du Saussay, dans le
martyrologe gallican au 8 septembre, pense que saint Maurille, disciple de saint Martin et de saint
Ambroise, devenu évêque d'Angers, institua le premier la fête de la Nativité de la sainte Vierge
dans la Gaule : ce qui expliquerait le nom A' Angevine autrefois donné à Notre-Dame de septembre,
de même qu'on appelait la Normande la fête de l'Immaculée-Conception, dont la célébration com-
mença en Normandie et en Angleterre. Peut-on conclure de tout cela que la fête de la Nativité de
Notre-Dame a été réellement établie à Verdun par saint Pulchrone ? Cette conséquence ne serait
pas rigoureuse ; mais ce qui est certain, c'est que rien, absolument rien, n'infirme la tradition
constante de l'église de Verdun, qui s'est toujours attribué l'honneur d'avoir célébré la première
ou l'une des premières, la naissance de Marie. Les cartulaires, les livres de cérémonies, les plus
anciens Bréviaires, appuient cette tradition : or, c'est une bien bonne et bien solide preuve que
celle de la tradition appuyée des monuments ; puisque les monuments et la tradition, les
uns étayant l'autre, attestent que de temps immémorial, Verdun a célébré la Nativité de la
sainte Vierge, comme une solennité qui lui est propre, comme la fête patronale de l'église cathé-
drale, et eela jusqu'à la révolution de 1793 ; puisque, d'autre part, tradition et monuments font
104 30 AVRIL.
à saint Pulchrone l'honneur de cette institution, pourquoi venir, en 1745, lui ravir cet honneur?
A l'occasion des inscriptions grecques que saint Pulchrone aurait fait graver au-dessous d'un
bas-relief représentant la sainte Vierge assise et écrasant le serpent, il est bon de savoir que des
inscriptions du même genre se voient encore aujourd'hui sur un pilier de la cathédrale de Verdun.
Mais c'est l'archidiacre Wassebourg, auteur des Antiquités de la Gaule belgique, qui ht faire au
xvie siècle une représentation de la sainte Vierge écrasant le serpent, et placer au-dessus l'ins-
cription Gsotoxo,- et X/5îaTox<35, continuant ainsi la tradition qui attribuait à saint Pulchrone un
monument de la même façon, conçu dans la même pensée, exécuté d'après les mêmes données.
C'est une chose digne de remarque, en effet, que, depuis bien des siècles, on ne s'est pas contenté
dans l'église de Verdun, des mots latins Mater Dei et Deipara comme expression du dogme catho-
lique, mais qu'on a cru devoir exprimer cette vérité par les paroles grecques du concile d'Ephèse.
C'est ainsi qu'on lit dans un ancien Bréviaire de cette église, qui date de saint Louis : Ave, Theo-
tokos, virgo Maria, qux firmam mundi regentem machinaux Filium protulisti, etc. (troisième
antienne du troisième Nocturne au jour de l'Assomption). Le Bréviaire de 1486 et celui de 1560
conservèrent cet usage dans les offices de l'Assomption, de l'Annonciation, etc. En insérant dans
l'inscription de son monument les mots grec Theotokos, Christotokos, employés fréquemment par
le concile de Chalcédoine, Wassebourg a sans doute voulu faire allusion à l'ancienne liturgie de
Verdun, qui employait très-souvent ces ternies dans les offices de la bienheureuse Vierge.
Le curieux monument élevé par la piété de Wassebourg, se trouve dans la chapelle de la sainte
Vierge, sur le mur qui fait face à l'autel. Les terroristes le mutilèrent en 1793.
Dans la partie supérieure du bas-relief, on lit l'ingénieux distique suivant, où l'on fait dire à
la sainte Vierge :
Sum quod eram, nec eram quod sum; nunc dicor Je suis ce que j'étais; mais je n'étais pas ce que
[utrumqne. Je suis : actuellement je suis l'un et l'autre.
Christiferam pletatis heram cole me, geni tunique. Honorez mon fils; honorez en moi le Porte-
Christ, la Mère de miséricorde.
Au centre du bas-relief, la Vierge est assise et couronnée. De la main droite elle tient un lis,
symbole de la virginité, et de la main gauche elle soutient l'enfant Jésus, qui lui-même porte le
globe du monde surmonté d'une croix. A ses pieds, Marie foule le dragon infernal.
Or, précisément à la hauteur de la tête de la Vierge, on lit ces deux inscriptions caractéris-
tiques :
à droite : à gauche :
XplSTOTOxbç, @£OTOXOSt
Mater Christi. Mater Dei.
Au dessous et à peu près au droit des pieds de la Vierge est agenouillé, les mains jointes
bien dévotement, le pieux archidiacre à qui l'on doit ce monument. Il adresse à Marie cette humble
prière, qui court sur un cartouche trois fois enroulé :
Dignare me laudare te, Virgo sacrata. 0 Vierge sainte, souffrez que Je vous loue.
Au-devant de lui sont ses armoiries à la stoïque devise, dont l'énergique brièveté, empruntée.
du paganisme, résume toute la morale chrétienne :
Abstine et sustine. Abstiens-toi et réslgne-tol.
En face de l'archidiacre et sur le même plan sont six enfants de chœur, qui envoient vers la
ciel les paroles de cette strophe, distribuées sur quatre cartouches :
Monstra te esse matrem : Montrez-vous notre Mère :
Sumat per te preces, Qu'il reçoive par vos mains notre prière,
Qui pro nobis natus, Celui qai, né pour notre salut,
Tulit esse tuus. A bien voulu devenir votre fils.
Au bas, dans toute la largeur de l'encadrement, la signification de cette sculpture se résume
dans cette légende :
Hsec contrivit caput serpentis antiqui, quae sola Voici celle qui a brisé la tête du serpent, qui, à
eunctas haereses interemit et, Virgo permanens, elle seule, a détruit toutes les hérésies, et, tout
Deum et hominem genuit. en demeurant vierge, a mis au monde Jésus-
Christ, Dieu et homme.
Enfin, plus bas encore et en dehors du cadre se trouve cette inscription en lettres gothiques :
Représentation de l'image Nostre-Dame de Verdun, ordonnée par sainct Pulchrone, cinquième euesque
d'icelle Cité, selon le décret du Concilie de Calcedone : Ou il fut présent quant les hérésies contre Ift
SAINT HAMON OU AYMON, RELIGIEUX DE L ABBAYE DE SAYIGNY.
105
Vierge Marie furent confondues. Et décrété que désormais serait appellée Christotokos et Theotokot ;
C'est-à-dire mère de Christ et mûre de Dieu, En l'an de grâce quatre cent cinquante-doux.
Cette image est en bois, et Wassebourg l'a fait graver au commencement de son livre des
Antiquités de la Gaule belgique.
On aura remarqué que la dernière inscription fait assister saint Pulchrone au concile de Chal-
cédoine ; mais ce dire n'est pas soutenable, puisque saint Pulchrone ne fut ordonné évèque qu'en
454, trois ans après la tenue de ce concile. Y a-t-il assisté comme simple prêtre, ou l'aura-t-on
confondu avec deux autres Pulchrone ou Polychrone, l'un évêque d'Antipatride en Palestine, et
l'autre d'Epiphanie en Asie Mineure ? Cette dernière hypothèse explique d'une manière assez plau-
sible l'erreur dans laquelle est tombé à ce sujet l'auteur des Antiquités de la Gaule belgique.
Bien que notre intention ne soit pas de soutenir que l'idée de représenter la sainte Vierge de
la manière que nous venons de dire, remonte à saint Pulchrone lui-même, tout en constatant que
le pieux archidiacre de Verdun, Wassebourg, s'est fait l'écho d'une tradition respectable, nous ne
pouvons nous empêcher de répondre à une dernière objection, qui a été faite au nom de la cri-
tique des deux derniers siècles, de cette critique si prétentieuse et pourtant si ignorante. On a donc
dit, sans le prouver, bien entendu, que la coutume de représenter la Vierge écrasant le serpent sous
ses pieds, ne s'est introduite que depuis les discussions sur V Immaculée-Conception. Ou peut
croire, répondrons-nous, que ce symbole devint alors plus général ; mais il y avait longtemps que l'on
représentait le dragon infernal sous les pieds de saint Michel, de saint Georges, de sainte Margue-
rite, etc. La malédiction prononcée à l'origine contre le séducteur de la première Eve : — Ipsa
conteret caput tuum : Elle t'écrasera la tète, — fit naître de bonne heure l'idée d'introduire le
même emblème dans les images de Celle que les Pères de l'Eglise surnommaient la seconde Eve.
La critique n'avait sans doute pas lu Prudence, poète du ive siècle, qui semble décrire dans ces
beaux vers l'image de Notre-Dame, attribuée à saint Pulchrone :
Hoc odium vêtus illuderat,
Hoc erat aspidis atque hominis
Digladiabile discidium,
Quod modo cernua femineis
Vipera proteritur pedibus.
Edere namque Deum mérita,
Oninia Virgo venena doniat :
Tractibus anguls inexplicitis
Virus inerme piger revomit,
Gramine concolor in viridi.
Hymn. ante eibum, v. 146-155.
L'antique haine du serpent fut la source de la
séduction ; c'est parce qu'il règne entre les enfants
des hommes et lui une éternelle inimitié que la
vipère est humiliée, foulée aux pieds de la femme.
La vierge qui a mérité de mettre un Dieu au
inonde, triomphe de tous les poisons. Sous son
étreinte, le reptile indolent, aux anneaux tortueux
vomit sur le gazon son glauque virus, désormais
inoffensif.
Consulter l'Histoire ecclésiastique et civile de Verdun, augmentée, nouv. éd., Bar-le-Duc, 1863; Oza-
nam, Etudes germaniques, t. n, p. 386.
SAINT HAMON OU AYMON,
RELIGIEUX DE L'ABBAYE DE SAYIGNY EN NORMANDIE
1173. — Pape : Alexandre III. — Roi de France : Louis VII.
Ce Saint vit le jour dans le diocèse de Rennes, vers le commencement
du xue siècle. Le surnom de Landachop, qu'il porta en religion, fait croire
qu'il naquit à Landecob, village de la paroisse de Saint-Etienne -en-Cogles.
Ses parents, qui appartenaient à une bonne famille, et qui étaient très-ver-
tueux, lui inspirèrent, dès son bas âge, la crainte de Dieu. Né avec le plus heu-
reux naturel, il se montra remarquable surtout par sa docilité, sa simplicité
et sa douceur. Le Seigneur ayant accordé à ce vertueux jeune homme une
intelligence peu commune, il fit ses études avec succès, et, pendant qu'il
resta dans le siècle, il donna de sa capacité des preuves non équivoques ;
mais les avantages qu'il pouvait y trouver ne le rassurèrent pas contre les
106 30 AVRIL.
dangers qui y menacent la vertu : aussi prit-il le parti de le fuir et d'em-
brasser l'état religieux. L'abbaye de Savigny, fondée par saint Vital dans le
diocèse d'Avranches, et peu éloignée du lieu de la naissance de Hamon, fut
celle qu'il choisit pour le lieu de sa retraite. Il s'y présenta, et fut reçu avec
bonté par saint Geoffroy, qui gouvernait alors cette maison. A peine le
nouveau postulant était-il entré au noviciat et commençait-il à goûter les
douceurs de la religion, qu'il fut faussement soupçonné d'être lépreux et en
danger d'être renvoyé. Il évita cette disgrâce, qu'il craignait beaucoup, en
demandant à aller servir deux religieux de ce monastère, qui étaient, eux,
réellement atteints de cette horrible maladie, et qui se trouvaient dans un
bâtiment séparé, nommé le Désert. Son abbé ayant favorablement accueilli
sa demande, Hamon s'y rendit, et se fît le serviteur de ces pauvres infirmes.
Pendant que les deux religieux prenaient leur repos, Hamon se dérobait
secrètement, et se retirait dans la chapelle de la maison, où il s'occupait
tantôt à chanter des psaumes, tantôt à prier, le corps prosterné ; il se livrait
à ce saint exercice avec tant d'assiduité, il avait si peu de soin de lui, qu'on
l'a vu plusieurs fois tomber en défaillance. La communauté reconnut enfin
qu'il n'était nullement lépreux, et, après qu'il eut passé un assez long temps
d'épreuves dans le Désert, il fut admis à faire sa profession ; avantage après
lequel il soupirait vivement, et qui contribua encore à augmenter sa ferveur.
Elle parut si remarquable à saint Geoffroy, son abbé, qu'il crut devoir l'ap-
peler aux ordres sacrés, et, plus tard, le faire élever à la prêtrise.
Revêtu de cet auguste caractère, saint Hamon se montra un homme nou-
veau. La sainteté du sacerdoce le pénétrait si vivement, qu'il en était tout
absorbé , et que, souvent, il oubliait de prendre la nourriture corporelle. On sent
assez quelle confiance devait inspirer un prêtre si plein de ferveur : aussi saint
Geoffroy le chargea-t-il bientôt de l'emploi de confesseur de la commu-
nauté. Le serviteur de Dieu ne trompa pas l'espoir que son abbé avait conçu
de son zèle et de sa capacité. Il produisit de grands fruits dans le tribunal
de la pénitence ; et sa réputation se répandit tellement dans divers couvents
de femmes de la province, que, plus d'une fois, il se vit obligé de quitter
son cloître pour les assister dans leurs besoins spirituels. Les plus remar-
quables de ses disciples furent saint Pierre d'Avranches, religieux de Savi-
gny, et la bienheureuse Bergoigne, religieuse de Mortain, tous deux célèbres
par la sainteté de leur vie. Il les dirigea l'un et l'autre jusqu'à leur mort,
et, peu de temps après leur décès, Dieu lui donna la consolation de les voir
dans la gloire. Saint Pierre d'Avranches lui apparut tout éclatant de lumière,
et lui fit connaître l'état heureux dans lequel il se trouvait.
Ce n'était pas seulement aux personnes consacrées à Dieu que Hamon se
rendait utile. Sa vertu si pure et si parfaite lui gagnait la confiance des
grands et des gens du monde, qui lui faisaient l'aveu de leurs faiblesses,
écoutaient avec respect ses sages conseils, et en profitaient, tant pour régler
leurs mœurs que pour se livrer à la pratique des bonnes œuvres. Lorsqu'il
se présentait à lui des personnes dont la conscience était chargée de quel-
ques fautes considérables, il ne se contentait pas d'agir à leur égard en juge
et en médecin, il se rendait aussi leur intercesseur auprès de Dieu, et tâchait,
par les plus ferventes prières, de faire descendre sur eux l'esprit de com-
ponction. Souvent il lui a été révélé, dans cette occupation sainte, que ceux
pour qui il demandait miséricorde, s'en étaient rendus indignes par un
endurcissement volontaire. Les remèdes qu'il appliquait aux péchés des
autres ne le rassuraient pas, et, souvent, il tremblait pour lui-même, et
appréhendait qu'il ne lut pas assez guéri des plaies que le commerce du
SAINT HAMON OU AYMON, RELIGIEUX DE L'ABBAYE DE SAVIGNT. 107
siècle avait faites à son âme, avant son entrée dans la religion. C'est ce qui
était cause qu'il n'approchait de l'autel qu'avec une sainte frayeur. Outre
une pureté de vie où sa conscience délicate ne souffrait la trace d'aucune
tache, il apportait, dans la célébration des saints mystères, une attention si
vive à toutes les cérémonies et à toutes les paroles, qu'il ne lui échappait
rien sur quoi ses réflexions n'agissent d'une manière qui lui rendait le passé
comme présent, et qui a donné lieu de dire qu'il voyait véritablement les
choses mystérieuses qui faisaient la matière de son application. Ainsi quand
il disait, à la consécration : « Le jour qui précéda celui auquel il souffrit, il
prit du pain, etc. », les yeux de son âme voyaient distinctement le divin
Sauveur, dont il parlait, prendre le pain et le bénir. Quand il invitait l'ange
de Dieu à présenter, devant le trône de Sa Majesté, l'offrande sacrée, son
esprit voyait à l'instant l'exécution de ses prières dans le ministère des
anges. S'il priait Dieu d'agréer son offrande comme il avait reçu celles
d'Abraham et de Melchisédec, il voyait de quelle manière son offrande était
accompagnée, aux yeux de Dieu, de celles de ces saintes âmes. Il était heu-
reux d'avoir toujours apporté une attention nouvelle au plus redoutable de
nos mystères, et à celle de toutes nos actions qui mérite le plus toute notre
attention et tout le recueillement de notre esprit, comme les biens que
nous y recevons méritent toute la reconnaissance de notre cœur.
Le Seigneur, qui se plaît à se communiquer aux âmes innocentes, favo-
risa son serviteur de ces grâces précieuses qu'il réserve d'ordinaire pour ses
plus chers amis.' C'était surtout pendant la célébration des saints mystères
que saint Hamon recevait ces marques particulières de la bonté de Dieu qui
remplissaient son âme des plus douces consolations. L'historien de sa vie
assure qu'un jour, pendant le saint sacrifice et au moment de prononcer
les paroles saintes de la consécration, Hamon eut une vision dans laquelle
il vit Jésus-Christ qui était debout, le visage tourné vers l'Orient et qui par
un signe lui exprima sa satisfaction. Il en éprouva une joie si grande que
pendant quelques instants il en perdit l'usage de ses sens. Lorsqu'il fut re-
venu à lui, il conserva de cette vision un souvenir si vif et si constamment
présent, qu'il ne pouvait plus accorder aucune attention aux objets
créés.
Les supérieurs du monastère de Savigny jugèrent à propos de charger
Hamon du soin des frères convers de la maison. C'était un emploi difficile,
parce que la plupart de ces frères étaient des hommes grossiers et ignorants,
qui, après être entrés dans la voie de la perfection, regardaient bientôt en
arrière et faisaient peu de progrès dans la vertu. Quelques-uns même re-
tournaient dans le monde pour pouvoir y vivre à leur fantaisie. Le serviteur
de Dieu s'affligeait beaucoup de leur conduite, et pensait qu'elle pouvait
être causée par quelque négligence ou quelque autre défaut de sa part. Il
attribuait aussi à son incapacité le départ de ces malheureux fugitifs, et
craignait que le Seigneur ne lui demandât un jour compte de leurs âmes.
Un jour qu'il était encore à ce sujet plus accablé qu'à l'ordinaire, il vit, pen-
dant la messe et au moment de la communion, Jésus-Christ attaché à la
croix, mais plein de vie, ayant la tête penchée du côté droit, et qui lui
parla de cette manière : « Si, tout innocent que je suis, j'ai souffert de si
grands maux pour l'amour de vous, n'est-il pas bien juste que vous comp-
tiez pour rien la peine que vous endurez pour moi ? » Au même moment le
cœur du saint religieux fut pénétré d'une si grande consolation et de tant
de douceur, qu'il crut fermement que cette apparition n'avait eu lieu que
pour le tirer de l'anxiété dans laquelle il se trouvait, et pour le délivrer des
108 30 AVRIL.
peines qu'il éprouvait au sujet de ses frères. Cette faveur spirituelle le com-
bla de joie, et il n'en parlait qu'avec transport.
Hamon eut la consolation d'apprendre l'état bienheureux dans lequel se
trouvaient les âmes de son père et de sa mère.
On assure que ce saint religieux connaissait le secret des cœurs, et que
Dieu lui découvrit le triste état dans lequel se trouvait un de ses confrères,
qui, dépositaire infidèle, avait gardé pour lui de l'argent qu'il était chargé
de distribuer en aumônes. Ce saint homme possédait aussi le talent de la
persuasion, et Guillaume de Toulouse, entre autres, en fit l'épreuve. C'était
un célèbre docteur de Caen, qui, étant pénétré pour Hamon delà plus haute
estime, était venu le voir et lui avait témoigné le désir de se consacrer au
service de Dieu à Savigny. Il manifestait en même temps le dessein de re-
tourner à Caen pour arranger ses affaires temporelles, et promettait de re-
venir sans trop de délai. Quelques abbés de l'Ordre de Gîteaux, qui se trou-
vaient sur les lieux, et auxquels il communiqua ses intentions, les combat-
tirent fortement, et voulurent lui faire voir combien il était dangereux pour
sa vocation qu'il rentrât dans le monde. Tous leurs efforts furent inutiles,
et Guillaume n'en resta pas moins dans la résolution de faire ce voyage. Ces
abbés s'étant ensuite retirés, Hamon vint trouver en particulier le docteur,
lui parla avec tant de douceur et d'un ton si persuasif, qu'il eut bientôt à se
réjouir d'un succès que les abbés réunis n'avaient pu obtenir. Il se chargea
d'aller lui-même à Caen mettre en ordre les affaires du docteur, qui, tran-
quille désormais, ne songea plus qu'à se consacrer à Dieu, dans la maison
où il se trouvait alors. Son mérite le fit choisir dans la suite pour gouverner
en qualité d'abbé le célèbre monastère de Cîteaux, où il fut remarquable
par sa tendre compassion envers les pauvres et les affligés. Il y mourut
en H 75.
Comme il n'y avait dans l'abbaye aucun religieux plus saint que Hamon,
ce fut aussi à lui seul que l'on donna le soin de toucher et de distribuer
quelques reliques des Saints, dont la maison avait été enrichie par son
moyen. Il ne portait la main à ces précieux restes des temples vivants du
Saint-Esprit, qu'avec tremblement : et sans les miracles qui accompa-
gnaient souvent ce religieux exercice, il aurait eu peine à se résoudre de le
continuer, tant il avait peur d'être puni, comme téméraire, d'une action
dont personne n'était plus digne que lui. Ce n'était pas seulement aux reli-
ques des Saints qu'il avait une dévotion si vive et si respectueuse; il honorait
aussi leur mémoire, et faisait construire des oratoires sous leur invocation.
Plusieurs chapelles des environs de Savigny ont été pendant longtemps des
preuves subsistantes de son zèle pour le culte des amis de Dieu qui sont en
possession de la gloire éternelle.
On met au nombre de ses miracles ce qui lui arriva à l'égard d'une reli-
gieuse d'une abbaye par où il passa dans un de ses voyages. Cette religieuse
étant à l'extrémité, souhaita que le Saint entendît sa confession. Hamon
ne put lui refuser son ministère dans une occasion si pressante ; mais il se
hâtait aussi de retourner à son monastère où l'obéissance le rappelait. La
religieuse mourante témoigna beaucoup de douleur de son départ, et le
Saint, touché de son affliction, lui dit avec une simplicité pleine de con-
fiance : « Il faut que j'obéisse, et que je m'en retourne; mais attendez pour
mourir que je sois revenu ». Il partit aussitôt, et étant revenu quel-
ques jours après, il trouva que la mort avait, pour ainsi dire, respecté ses
ordres. Il semblait que cette bonne religieuse n'attendait plus que la béné-
diction de Hamon pour aller jouir de la béatitude; aussitôt qu'elle l'eut
SAINT HAMON OU AYMON, RELIGIEUX DE L' ABBAYE DE SAVIGNY. 109
revu, et entendu les discours édifiants dont il était venu la fortifier dans ce
terrible passage, elle rendit tranquillement son esprit à Dieu.
L'abbaye de Savigny n'avait, du temps de saint Hamon, qu'une église
étroite, et qui tombait en ruines. Saint Vital l'avait bâtie ; mais elle n'était
plus en proportion du nombre des religieux que renfermait cette maison.
Le serviteur de Dieu désirait vivement que l'ancienne église fût remplacée
par une autre plus solide et plus spacieuse ; le Seigneur exauça ses désirs ;
une vision qu'il eut lui apprit qu'ils seraient bientôt accomplis. En effet, le
vénérable Joscelin, abbé de Savigny, fit, peu de temps après, démolir cette
église qui s'était déjà écroulée en partie, et fit construire celle qu'on y a vue
jusqu'à la fin du xvm9 siècle. Hélas ! l'impiété révolutionnaire n'a pas plus
respecté ce monument et le reste du monastère que les autres ouvrages des
Saints. L'abbaye de Savigny n'offre plus qu'un monceau de ruines.
Ce saint bomme fut affligé, sur la fin de sa vie, d'une maladie qui ne lui
permettait pas de se tenir coucbé. Il était assis et supportait ses douleurs
avec une patience qui faisait l'admiration et l'édification de tout le monde.
A ces afflictions corporelles se joignaient des terreurs de l'âme, causées par
les approches de la mort qu'il redoutait. Mais le Seigneur mit fin à ces
épreuves qu'il ne permettait que pour rendre plus pure et plus parfaite la
vertu de son serviteur. Hamon fut favorisé de plusieurs visions dans les-
quelles il eut quelque connaissance du bonheur des Saints. Cette connais-
sance, qui remplit son cœur de joie, lui inspira une ferme espérance de par-
venir à la céleste patrie. C'est ainsi qu'il reçut de Dieu des consolations qui
adoucirent les maux du corps, et calmèrent les peines de l'esprit. Il mourut
saintement le 30 avril de l'an 1173. L'auteur anonyme de sa Vie assure qu'il
a connu ceux qui avaient vécu avec ce religieux ; et cette Vie porte en tête
le titre de Vie de saint Hamon, qualité que l'auteur lui donne, comme une
dénomination qui lui était acquise et solidement établie. On assure que cet
auteur est Etienne de Fougères, évêque de Rennes, contemporain de saint
Hamon. Les religieux de l'abbaye de Savigny ne célébraient pas de fête
particulière de leur saint confrère ; mais ils faisaient tous les jours à l'office
mémoire de cinq Saints, parmi lesquels il était nommé. Son corps fut levé
de terre avec solennité par les évêques d'Avranches, de Rennes et du Mans,
dès l'année 11S4. Il s'en fit une seconde translation en 1243. La majeure
partie fut alors déposée dans un tombeau élevé devant un des autels de
l'église, et le reste fut renfermé dans une châsse. Depuis la révolution elles
se trouvent dans l'église de la paroisse de Savigny, où on les vénère. Plu-
sieurs miracles opérés par ce vertueux religieux sont autant de preuves de
sainteté. D.Ménard assure qu'on conservait dans la bibliothèque de Savigny
douze volumes manuscrits des ouvrages de saint Hamon.
Cf. Histoire des saints de Bretagne, par Dom Lobineaa.
110 30 AVRIL.
SAINTE CATHERINE DE SIENNE, VIERGE
1347-1380. — Papes : Clément VI 5 Clément VII. — Empereurs : Charles IV; Wenceslu.
Alléluia, Alléluia.
Sideribus cunctis fulgentior est Catharina,
Et decus sternum est hxc quoque virginibus,
Alléluia.
Alléluia, Alléluia. Catherine l'emporte en éclat snr
tous les astres, et sa gloire rehausse éternellement
celle des vierges. Alléluia.
Missel dominicain.
Il y avait autrefois à Sienne, au cœur de la Toscane, une honnête et
laborieuse famille d'artisans. Elle habitait une humble maison que l'on voit
encore à Sienne dans la rue de dell'Oca, non loin d'un grand monastère de
l'Ordre de Saint-Dominique ; la piété du moyen âge édifia dans la suite, tout
auprès de cette maison devenue célèbre, une chapelle pieuse qui fut l'objet
de fréquents pèlerinages. Le chef de cette famille était un honnête teintu-
rier de la ville de Sienne. Il avait nom Giacomo di Benincasa. C'était un
membre de la noble famille de Benincasa. Comme Joseph, cet humble reje-
ton de la maison de David, il retrempait dans les sueurs du travail le
rameau humilié de sa généalogie méconnue, et il protestait dans sa per-
sonne, en faveur de la loi divine, contre cette orgueilleuse loi des hommes
qui proscrivait encore le travail du sein des races aristocratiques. Sa femme
Lapa était le modèle des vertus du mariage, et elle élevait sagement dans la
crainte de Dieu ses nombreux enfants : elle en eut vingt-cinq. Le travail et la
prière habitaient au milieu d'eux. C'était comme un sanctuaire des grâces
divines : celle qui les réunit toutes, fut Catherine, un des derniers fruits de
cette union, Catherine, l'illustre, la savante, la prédestinée, la gloire de ses
parents et de sa patrie, à laquelle la république de Sienne voulut donner
son nom, comme un surnom de famille. Et cela est si vrai qu'on n'a jamais
connu cette Sainte autrement que sous ce nom : Sainte Catherine de Sienne.
Il n'y a pas de titre au-dessus d'un tel titre parmi les hommes.
Il y a autour de l'enfance de cette Sainte déjà comme une auréole qui
annonce ce qu'elle devait être un jour. Ce n'est que douceur, suavité, pré-
dilections humaines et divines. On la nomma dans sa famille et parmi les
amis de son père Eupkrosyne, c'est-à-dire plaisir du cœur, pour exprimer la
joie et la paix qu'apportait sa douce présence. En elle brillait toute la sainte
innocence, la douceur sans nom de cet âge heureux que le sauveur Jésus,
ce beau lis sans tache, a désigné comme le doux symbole de la prédestina-
tion.
Elevée, suivant l'expression du bienheureux Raymond de Capoue, qui a
écrit sa vie et qui a signé ce beau livre du nom de son confesseur indigne,
élevée comme une enfant qui appartenait à Dieu, elle montra des vertus
inconnues à cet âge. Elle donnait tout ce qu'elle avait, et ne recherchait
déjà que l'imitation du divin modèle, qui fut l'étude de toute sa vie. A cinq
ans, Catherine savait la salutation angélique, et comme elle avait pour sa
mère du ciel une tendresse instinctive, et qu'elle ne pouvait encore l'ho-
norer que de cette manière, elle récitait à chaque instant du jour cette
SAINTE CATHERINE DE SIENNE, VIERGE. 411
douce prière, quelquefois en s'agenouillant à chaque marche de l'église
ou de la maison paternelle. Et alors, hien souvent les Anges venaient
soulever la petite Catherine, qui se trouvait transportée chez son père
sans que ses pieds eussent touché la terre. Cette fraîche dévotion faisait la
joie de son père, et attirait sur elle les regards complaisants de Dieu, qui
destinait à sa gloire cette frêle créature.
Le signe des faveurs célestes ne tarda pas à paraître à l'aurore de cette
vie qui devait être si belle, si remplie. Un jour, Catherine avait alors six ans,
sa mère l'envoya, avec son petit frère Etienne, un peu plus âgé qu'elle,
chez sa sœur Bonaventure, mariée aux environs de la ville. Lorsqu'ils reve-
naient tous les deux, par cette descente qu'on appelle la Valle-Piatta, la petite
Catherine vit tout à coup dans les airs, sur le sommet de l'église de Saint-
Dominique, un trône resplendissant où était assis Notre-Seigneur, revêtu
d'ornements pontificaux, entouré de saint Pierre, de saict Paul, et de saint
Jean l'Evangéliste. L'amour de Jésus-Christ avait déjà envahi l'âme de Cathe-
rine tout entière. Le Sauveur fixa sur elle un regard majestueux et empreint
d'une délicieuse tendresse. Puis il la bénit en souriant. Cette vue jeta la pe-
tite Catherine dans l'extase, et lui fit oublier que son petit frère marchait
toujours. Le petit Etienne, en effet, s'arrêta un peu plus loin, et comme il
ne voyait pas Catherine, il accourt près d'elle, et lui prenant la main,
il lui dit : Que fais-tu là? Pourquoi ne viens-tu pas? — Mais Catherine
demeurait insensible, et elle souriait toujours à sa douce vision. Enfin,
comme si elle s'éveillait d'un long sommeil, elle abaissa ses yeux et dit à
son frère : Si tu voyais les belles choses que je vois, tu ne m'aurais pas ainsi
troublée. — Quand elle releva les yeux pour ressaisir cette apparition cé-
leste, tout avait disparu. L'enfant pleura et se reprocha d'avoir baissé
les yeux.
De ce moment, Catherine ne conserva de l'enfance que sa candeur ; il
n'y avait plus rien en elle qui ne fût parfait. Déjà son cœur était plein de
l'amour de Dieu, et sa volonté complètement soumise à celle d'en haut.
Elle commença à se recueillir dans la prière et l'oraison ; et, signe précoce
de sa vocation, elle réunissait autour d'elle de petites filles auxquelles elle
faisait partager les exercices de sa piété. H y avait déjà des austérités monas-
tiques dans les pratiques de cette piété enfantine.
Comme sainte Thérèse, saint Bruno, et les plus grands Saints, la solitude
avec ses rêveries, son majestueux silence plein d'harmonies, vaste comme
la voix de Dieu lui-même, la solitude, cette école des plus hautes vertus,
tenta cette âme d'élite dès le matin de sa vie. — Un jour, comme sainte
Thérèse, ce dégoût prématuré des choses du monde l'entraîna vers les cam-
pagnes solitaires qui environnent la ville de Sienne. Dans le renfoncement
d'une grotte qui avoisinait les chemins, elle crut trouver le désert. Tout
parlait à sa jeune imagination ; aussitôt elle se mit en prières, et son âme
ardente éleva son corps au-dessus de la terre. Mais Dieu lui fit connaître
qu'elle était trop jeune et trop faible pour ce genre de vie. L'Esprit-Saint la
rappela à la maison paternelle. Elle obéit ; mais en sortant de cette grotte,
ces routes désertes par lesquelles elle devait regagner la ville, lui firent
peur. Et puis il y avait si loin encore pour revenir à la Valle-Piatta. Enfin,
que dirait sa mère, toute sa famille, de cette longue absence? Elle pria et
elle se sentit aussitôt transportée comme par une force surnaturelle à li
porte de la ville. On l'avait crue chez sa sœur Lysa. Elle dit ceci longtemps
après à son confesseur, le bienheureux Raymond.
L'intelligence qu'elle avait des choses divines lui fit comprendre qu'il y
H 2 30 AVUIL.
a dans l'ordre de la perfection un degré supérieur, que c'est cet état d'inno-
cence et d'ignorance complète de la vie des sens, qu'on appelle l'état de
virginité. Elle sentit qu'il y a une exquise pureté que la majorité des
hommes ne connaît point, ou du moins qu'ils n'ont pas le courage de pra-
tiquer au-delà de l'adolescence, et sans laquelle pourtant est impossible cette
union ineffable avec le Créateur qui est le premier besoin ressenti par les
âmes d'élite. Peut-être aussi ses yeux étaient-ils tombés un jour sur cette
page du livre divin où le Sauveur, dans un mot, révèle à ses disciples, encore
aveuglés par la chair, ce grand signe de la prédestination céleste, et peut-
être que son cœur était attaché à cette belle page. Ces mots, vides de sens
pour tant de belles intelligences arrivées à leur maturité, n'avaient pas été
muets pour cette enfant de sept ans. Un jour qu'elle était seule devant Dieu,
et que personne ne pouvait l'entendre, elle se jeta aux genoux de la bien-
heureuse vierge Marie, ce modèle et cette gardienne des vierges, et les yeux
pleins de larmes, prosternée humblement, elle prit à témoin l'Immaculée
Reine de la pureté du vœu solennel qu'elle allait faire pour toute sa vie.
« 0 bienheureuse Vierge » , lui dit-elle, « mère de ce bel amour que
Dieu a mis dans mon cœur, et qui, je le sens, est la plus parfaite des affec-
tions de ce monde, vous qui la première avez conservé pour le Dieu jaloux,
la pureté de votre corps et de votre cœur, daignez ne pas considérer la
profonde indignité de votre servante, et accordez-lui de recevoir pour époux
celui qu'elle désire de toutes les forces de son âme, votre divin fils Jésus.
Et moi, je vous promets ici, à lui et à vous, de conserver mon innocence
pour l'amour de lui, et de ne jamais recevoir d'autre époux ».
Le Seigneur entendit sa promesse, et plus tard il la consacra par une
union mystique devant la cour céleste.
Après ce vœu, Catherine marcha à grands pas dans les voies saintes ;
crucifier son corps, humilier l'amour-propre, ce qui est encore de toutes les
macérations la plus agréable à Dieu, c'était toute son occupation. Elle se
priva de viande, et quand on lui en servait, elle la donnait à son petit frère
Etienne. Avec les vertus saintes, grandirent aussi dans ce cœur l'amour des
âmes et le désir de la gloire de Dieu. Aussi aima-t-elle d'une tendresse
exquise les Saints qui avaient le plus travaillé à ces deux grandes œuvres de
la vie : la conversion des pécheurs et la glorification du nom de Dieu. Saint
Dominique était un de ceux qui en avaient fait le but spécial de leur vie.
Catherine fut prise pour ce Saint et pour son angélique vertu d'une véné-
ration et d'une tendresse particulières, et elle résolut d'entrer un jour ou
l'autre dans un monastère de l'Ordre de Saint-Dominique.
Il y eut même un moment dans son cœur la pensée de se dépayser, de
prendre des habits d'homme et d'entrer dans l'Ordre des Frères Prêcheurs.
On avait vu autrefois une grande Sainte oublier son sexe et le laisser igno-
rer aux autres, mourir dans les saintes solitudes sous l'habit des cénobites ;
mais le projet auquel elle s'arrêta fut d'entrer dans l'Ordre des Sœurs de
Saint-Dominique.
Il y avait alors en Italie un grand nombre de monastères de femmes de
cet Ordre; il y en avait deux à Sienne, et on appelait ces religieuses les
Sœurs ; on les reconnaissait de loin à leur grand manteau noir de la Péni-
tence de Saint-Dominique, et à cause de cela on les nommait les sœurs
Mantelées, Mantellate. Catherine résolut d'aller trouver ces religieuses et les
pria de la recevoir parmi elles, et de lui laisser porter leur habit.
Mais Dieu voulut qu'une grande épreuve vînt encore fortifier sa vo-
cation.
SAINTE CATHERINE DE SIENNE, VIERGE. 113
Cette épreuve, presque toutes les femmes qui ont quitté le monde pour
servir Dieu uniquement et sans réserve l'ont connue ; chez les unes, elle est
née d'elles-mêmes, et de ce levain de vanité que ce sexe délicat et gracieux
tire de sa propre beauté. Chez les autres, elle naît d'un autre genre d'obsta-
cles encore moins aisé à vaincre, des contradictions que leur cœur sent
s'élever autour de lui et qu'il peut rencontrer dans un monde qu'elles esti-
ment encore ou dans une famille dont elles redoutent l'improbation ou la
douleur.
La famille de la petite Catherine avait fait pour elle d'autres projets : sa
mère Lapa voulait la marier. Déjà une des sœurs aînées de Catherine,
Bonaventure, avait fait un mariage qui réjouissait sa mère; et elle-même
s'occupait à trouver à sa jeune sœur un bon établissement. L'amour de
Dieu et son service n'étaient pas incompatibles avec le mariage, on avait
même vu des mères de famille sanctifiées par leurs enfants. Tous ces rai-
sonnements n'affaiblirent pas le dessein encore secret de Catherine, mais
elle se laissa aller aux désirs de sa mère et de sa sœur. Tout en gardant sa
foi pure au dedans d'elle-même, elle se laissa vêtir avec élégance, elle
accepta toutes les parures dont on relevait sa fraîcheur et sa beauté. Elle
soigna son corset, elle se fit jolie et chercha à plaire ; mais elle secoua à
temps cet engourdissement de sa piété. Elle se réveilla de ce sommeil de
son âme et elle s'en punit cruellement.
Quant à sa jeune sœur, elle expia aussi ce crime involontaire d'avoir
voulu enlever à Dieu un cœur fait pour lui seul. Elle mourut prématuré-
ment, et Catherine eut à pleurer pour elle-même et sur cette sœur chérie.
Elle offrit à Dieu larmes et jeûnes pour cette chère âme, et elle eut la con-
solation d'être éclairée d'en haut sur ses destinées éternelles. Dieu lui fit
grâce, mais sa mère n'avait pas renoncé à ses vues sur Catherine ; l'espé-
rance de se voir revivre dans de nombreux petits-enfants flattait son orgueil.
A ses yeux toute la gloire d'une femme étant dans la fécondité de ses en-
trailles, elle la pressa plus que jamais. Un dominicain, ami de cette famille,
fut prié d'user sur Catherine de toute son autorité. Elle fit à ce saint moine
la confession de son cœur, et lui ne chercha pas à ébranler de si beaux des-
seins. Eh bien ! lui dit ce confident de son pieux secret, s'il est vrai que
vous n'ayez plus aucun désir de ce monde, donnez-en à votre famille un
signe extérieur, coupez vos cheveux. C'est ainsi seulement que vous mar-
querez sérieusement votre résolution.
Couper ses beaux cheveux noirs, l'orgueil de sa mère, la parure de sa
jeunesse, le fallait-il?
Catherine n'hésita pas, elle mit les ciseaux dans ses belles tresses, et
elles tombèrent. Elle prit un voile et en couvrit sa tête découronnée pour
cacher à sa mère cette sorte de larcin fait à sa tendresse. Lapa s'en aperçut
enfin, sa douleur lui ôta tout d'abord le sentiment de la colère. Mais ensuite,
ce fut une explosion de récriminations. Penses-tu, dit-elle, échapper à nos
vues sur toi rien que par là ? Tes cheveux croîtront, et quand ton cœur de-
vrait en être déchiré, nous te forcerons bien de prendre un mari.
Alors Lapa, pour détourner Catherine de la direction qu'avaient prise
ses idées, lui donne pour occupation de régler tout l'intérieur du ménage :
elle aidait la servante presque dans les détails les plus grossiers, et il lui
restait à peine le temps de suivre ses plus stricts devoirs religieux. Elle ne
perdit pas patience, et la grâce de Dieu la soutint dans cette nouvelle con-
tradiction. C'est alors qu'elle se fit comme une cellule au dedans d'elle-
même, où elle s'enfermait avec Dieu pendant que son corps était absorbé
Vies des Saints. — To.ue v. 8
H 4 30 AYRIL.
par le travail. En servant son père, elle s'imaginait servir Notre-Seigneur
Jésus-Christ. En servant sa mère, elle croyait servir la sainte Vierge ; ses
frères et ses sœurs lui représentèrent les disciples et les saintes femmes.
Mais son père, homme plus pieux et plus clairvoyant que tout le reste de
sa famille, discerna cette vocation invincible jusque dans cette soumission à
des ordres qui la privaient de ses heures de méditations et de ses œuvres
saintes. Dieu fit un miracle pour venir en aide à sa bonne foi et à sa piété. Il
vit un jour paraître sur sa fille prosternée en prières, loin de tous les yeux,
une colombe blanche comme la neige. C'était un avertissement céleste, et
Giacomo comprit qu'il ne pouvait lutter avec Dieu. Le plus grand obstacle
à la vocation de Catherine se trouva vaincu.
Dans Catherine aussi se trouvèrent rompus au même instant les liens qui
l'attachaient à la terre. Le même jour elle assembla sa famille, déclara à
tous le vœu par lequel son cœur s'était engagé au Seigneur irrévocable-
ment, et le refus absolu qu'elle faisait de toute alliance en ce monde.
Eclairé par l'esprit d'en haut, son père ne résista plus, il ordonna même
qu'on la laissât en toute liberté suivre la vocation qu'elle avait choisie.
L'amour trop sensible de Lapa pour sa fille Catherine céda à l'autorité
de Giacomo, et elle immola bien à regret à ce Dieu contre lequel son déses-
poir luttait encore, toutes les espérances qu'elle avait fait reposer sur cette
chère enfant.
Catherine se fit comme une cellule dans la maison de son père où toutes
les pratiques de la pénitence assuj étirent à son esprit victorieux sa chair si
pure. Alors commença pour elle une vie d'austérités et de privations si
fortes, que les plus grands Saints n'en ont pas connu au-delà de ce degré.
Discipline, châssis de fer, cilice, privation de nourriture, aucun de ces
martyres volontaires de la pénitence ne fut inconnu à sa jeunesse. Une de
ses plus dures austérités fut une lutte journalière contre le sommeil : quel-
quefois il était fort tard que Catherine discourait encore avec son confes-
seur, le bienheureux Raymond de Capoue, sur les choses de Dieu. Son âme
et son corps veillaient, et cependant ce saint homme, vieilli dans le service
de Dieu et la vie la plus sainte, s'affaissait sur lui-même et dormait. Alors
elle l'éveillait doucement et lui disait : Est-ce ainsi que le corps doit l'em-
porter sur les choses de l'esprit, et est-ce à un homme de Dieu que je parle
des choses divines ?
Elle finit par arriver à l'âge de vingt ans, en pouvant vivre uniquement
de pain, d'eau et d'herbes crues.
Mais ce ne fut pas sans une certaine décroissance de sa santé et de ses
forces. Longtemps la tendresse de sa mère lutta contre cette vie pénitente.
Elle l'arrachait le soir à son cilice et aux planches sur lesquelles reposaient
la nuit ses membres délicats et amaigris, pour la mener dormir dans son lit
à elle. Du côté de Catherine c'était aussi une lutte continuelle contre cette
tendresse qui combattait la grâce, et son esprit de pénitence était si ingé-
nieux qu'il parvenait toujours à détruire les soins que sa mère prenait de
son pauvre corps.
Un jour, elle l'emmena aux eaux; les eaux de Sienne étaient fort re-
nommées au moyen âge. C'était par une belle matinée d'été, dans une belle
vallée que bordaient presque les Apennins ; sous l'ombrage odorant des
citronniers et des orangers se trouvait le bassin des baigneurs ; tout en ce
lieu devait parler de repos et de mollesse à cette jeune fille. Catherine
peut-être sentit tout le danger qu'il y avait pour son âme dans cette mysté-
rieuse attraction qui existe entre les harmonies de la nature et la vie de nos
SAINTE CATHERINE DE SIENNE, VIERGE. H 5
sens, et tout de suite elle voulut assujétir en elle une bonne fois à la grâce
tous ses instincts sensuels. Elle témoigna à sa mère le désir de n'entrer dans
l'eau que lorsque tout le monde serait parti. La foule des baigneurs ne tarda
pas à s'écouler, et aussitôt Catherine d'entrer dans l'eau ; mais sous prétexte
de se rendre le bain plus profitable, elle se tint à l'ouverture des canaux
qui amenaient l'eau sulfureuse. Et qu'on juge du supplice qu'elle infligeait
en ce moment à un pauvre corps affaibli, qui se trouva tout brûlé par ces
flots d'eau bouillante.
L'auteur de sa vie raconte qu'elle lui disait plus tard avec sa simplicité
de colombe, et comme pour écarter de cette pénitence tout son mérite
réel : « Je pensais pendant ce temps-là aux tortures de l'enfer et du purga-
toire ; je suppliais mon Créateur que j'ai tant offensé, de changer pour moi
ces tourments mérités en ces douleurs que je souffrais volontiers, et dans
l'espoir de cette miséricorde, j'oubliais tout ».
Savez-vous, vous qui lisez l'imparfaite narration de cette vie d'ange,
quelles étaient ces offenses qu'elle expiait si cruellement? Ces offenses, son
confesseur, un homme véridique, digne de toute créance, n'a pas craint de
nous le dire, c'étaient de légers manquements à l'esprit de la grâce : c'était
peut-être un instant d'un de ses jours dérobé à la constante pensée de Dieu;
c'était, le croirons-nous ! l'oubli de quelque pieuse habitude, ou un quart
d'heure de sommeil que lui reprochait peut-être cette grâce de Dieu, qui
régnait victorieuse et souveraine dans sa chair subtilisée par la force de
l'esprit.
Nous avons souvent entendu blasphémer autour de nous ces saintes ru-
desses, ces héroïques emportements de l'esprit contre la chair. Ce n'est
même pas seulement le vulgaire qui a osé s'élever contre cette vie d'austé-
rité et de pénitence que, seule, la loi de liberté individuelle défendrait
contre ses anathèmes. Des livres écrits par quelques plumes vénérées, élo-
quentes dans les choses humaines, mais inhabiles dans les choses de Dieu,
ont été les organes quelquefois fanatiquement impies de cette réprobation
d'un siècle irréligieux et perverti. Nous qui sommes encore dans le monde,
qui y tenons par tant de liens, osons interpréter cependant la raison de
cette vie ascétique. La foule ne voit dans ces disciplines, ces haires, ces
cilices, que le sang qui les teint. Sur ces corps de Saints, elle ne voit que
les plaies qu'ils se sont faites eux-mêmes dans une sainte barbarie ; et pour-
tant si quelque vertu miraculeuse sort de ces plaies pour notre bien, c'est
parce que c'est la main même qui tient à ce corps qui les y a creusées, qui
les y a nourries. Quelle énergie de corps et d'âme ne révèlent pas tous ces
tourments volontairement soufferts ? Et sans ces emportements de l'esprit
contre la chair, qui sait jusqu'à quel point la chair se fût emportée elle-
même contre l'esprit ?
Tous les droits que le corps abdique, il les cède à l'esprit ; toutes les
forces, toutes les facultés dont il se refuse l'exercice, affluent vers l'âme. Ce
corps exténué, amaigri, épuisé, n'est plus une barrière entre l'âme et son
Créateur, entre l'homme et l'infini ; c'est à peine un voile qui protège
contre l'indiscrète curiosité des indifférents les mystérieux entretiens de
cette âme avec Dieu. Elevée au-dessus d'elle-même, subtilisée, cette âme
voyante ne connaît plus de ténèbres ; une lumière surnaturelle descend au
dedans d'elle-même et la relie aux mystères du royaume de Dieu dont
chaque jour elle appelle l'avènement avec d'ineffables ardeurs. Devenue
plus clairvoyante que tous les savants selon le monde, elle perçoit, elle,
l'immensité de ce Dieu, sa majesté, sa sainteté incomparable si outragée, si
H 6 30 AVRIL.
méconnue par l'humanité coupable. Alors les forfaits des pécheurs lui appa-
raissent dans toute leur horreur ; ses manquements à elle-même prennent
des proportions relatives à la grandeur de cette majesté offensée, de cette
nature impeccable de Dieu, devant qui la plus haute vertu n'est elle-même
que ténèbres et imperfections. Alors cette âme sainte voit avec terreur les
Anges se voiler de leurs ailes devant le Dieu trois fois Saint ; et comme la
justice de ce Dieu lui demande des holocaustes, et qu'il n'en veut point
hors de nous-mêmes, cette créature d'élite s'offre à cette justice. Elle
s'offre elle-même, c'est-à-dire qu'elle offre sa chair innocente pour être
consumée par le feu de l'esprit ; c'est-à-dire qu'elle accomplit, qu'elle réa-
lise dans la loi du Christ les sacrifices de la loi primitive ; c'est-à-dire qu'à
ce feu sacré qui brûle dans le chaste sanctuaire de son âme, toujours sans
se consumer, elle jette l'aliment toujours renouvelé de toutes les passions,
de tous les instincts, de toutes les convoitises de la nature corrompue.
Et voilà pourquoi la douleur est absente de toutes ces douleurs inven-
tées, amoncelées volontairement sur ces corps de Saints et de Saintes. Voilà
pourquoi ils souriaient à la souffrance, et fuyaient le plaisir.
Cependant la mère de Catherine, Lapa, ignorante des mystères de cette
vie intérieure, avait grand'peine à comprendre aussi la raison de cette vie
de pénitence dans sa fille, si pure, si douce, si charitable. Elle se désolait
chaque jour, et ne cessait de se plaindre de ce que sa belle Catherine, au-
trefois si forte, si robuste, qu'elle portait sans fatigue jusqu'au grenier de la
maison la charge d'un âne ou d'un cheval, n'était plus qu'une chétive créa-
ture qui n'avait de force qu'en parlant de Dieu et des choses célestes. Ce
fut aussi une grande douleur pour elle que de voir Catherine prendre
l'habit des Sœurs de la Pénitence. Jusqu'à l'entrée de Catherine parmi ces
sœurs, on n'avait vu là encore que des veuves et des femmes mariées. Ces
sœurs vivaient même au dehors, dans leur famille. C'est de ce moment seu-
lement que ce Tiers Ordre des Sœurs de la Pénitence de Saint-Dominique
prit une forme plus régulière et plus parfaite.
Ce fut un beau jour pour cette jeune fille que celui où elle monta avec
sa mère à l'église de Saint-Dominique et où, devant ses sœurs en religion
rassemblées de bonne heure dans le sanctuaire, elle reçut l'habit symbolique
qu'elle désirait si ardemment depuis son enfance, la tunique blanche, sym-
bole d'innocence, le manteau noir, symbole d'humilité. Innocence et humi-
lité, ce fut là toute sa vie. Car l'illustration à laquelle était appelée cette
simple fille du peuple de Toscane ne devait rien ôter à l'angélique pureté
de ses mœurs, ni à la simplicité de tout son être.
11 y eut encore en elle, dès ce moment, un redoublement de ferveur et
de piété. Elle fut de ce moment trois ans à observer si bien le silence mo-
nastique qu'elle ne parla de tout ce temps que pour se confesser. La pau-
vreté aussi fit partie de sa vie ; elle renonça à tout, au milieu même de
l'abondance qui régnait dans la maison de son père, où elle se regardait
comme une servante, et non comme l'héritière de toute cette aisance.
Quant à la chasteté et à l'obéissance, ces deux autres vœux si sévères de la
vie de religion, c'était depuis longtemps la base de toute sa vie.
Qui pourrait dire ses veilles, ses prières, ses méditations, ses gémisse-
ments ? Celui qu'elle aimait, l'objet ineffable de tous ses soupirs, entendait
ces gémissements de son esprit, souvent il daignait à son appel venir encou-
rager sa servante; et cette vision céleste l'absorbait tellement que l'extase
arrêtait sur ses lèvres les mots commencés. Ces communications si étroites
et si intimes avec l'Esprit de Dieu expliquent comment son âme avait assez
SAINTE CATHERINE DE SIENNE, VIERGE. 117
de forces pour soutenir son corps épuisé par l'abstinence; car elle restait
souvent un espace de temps illimité sans prendre de nourriture. Elles ex-
pliquent aussi comment cette simple fille révéla au moyen âge cette doc-
trine admirable, qui est un miracle inexplicable dans une femme privée de
toute science selon les hommes.
Digne fille de saint Dominique et de saint Thomas d'Aquin, ces deux
dévotions chères à son cœur avec la dévotion à sainte Madeleine que Dieu
lui-même lui donna pour patronne dans une de ses visions, le premier fon-
dement de la doctrine de sainte Catherine de Sienne est le parfait détache-
ment de soi-même jusque dans la pensée du cœur. Dieu lui avait dit dans
une apparition : « Ma fille, ne pense qu'à moi : si tu le fais, je penserai sans
cesse à toi ». Au sujet de sa doctrine, sainte Catherine eut dès lors de nom-
breuses visions. Mais, comme pour l'éclairer sur la nature de ces révéla-
tions, et la rassurer contre le malin esprit à qui cette âme sainte fut tou-
jours une redoutable ennemie, le Sauveur se montra à elle un jour et lui
enseigna la manière de discerner les inspirations de l'Esprit-Saint d'avec
celles du démon. « Mes visions », lui dit-il, « commencent par la terreur et
continuent dans la paix. Leur début fait sentir une certaine amertume qui
se change peu à peu en douceur, tandis que les inspirations du malin esprit
commencent par troubler l'âme par une fausse joie. Mais elles finissent par
la tristesse et les ténèbres; car mes voies sont bien différentes de celles de
l'enfer» Les visions qui viennent de moi procurent aussi l'humilité, et les
autres enflent d'orgueil : car l'orgueil est père du mensonge, et l'humilité
est inséparable de la sainteté » .
Ce ne fut depuis qu'une perpétuelle communion de Catherine avec Dieu.
Parlait-elle à quelqu'un, souvent ses visions célestes la surprenaient au
milieu de cette conversation, nécessaire sans doute, mais humaine. Une âme
qui est à Dieu, pensait-elle, doit lui appartenir non-seulement en vue du
ciel, mais plus encore en vue de l'union par l'amour. « Pourquoi vous oc-
cuper de vous ? » disait-elle souvent dans la suite à ses disciples et à son
confesseur même. « Laissez agir la Providence, au milieu des plus grands
dangers, elle a les yeux fixés sur vous, elle vous sauvera toujours ». Elle a
consacré dans ses œuvres des Chapitres admirables à cette divine Provi-
dence qu'elle exaltait de toute la force de son amour.
Aussi cette Providence de Dieu l'aima-t-elle et la garda- t-elle d'une façon
presque toujours miraculeuse. Elle se trouva ainsi savoir lire et écrire par
un prodige, un jour que, découragée de ses efforts inutiles, elle la conjura
de lui venir en aide.
Un des sublimes enseignements de la doctrine de Catherine est encore
celui-ci : « L'âme unie à Dieu », dit-elle, « l'aime autant qu'elle déteste la
partie sensuelle de son être ». L'amour de Dieu engendre la haine du pé-
ché, et lorsque l'âme voit que le péché prend racine dans les sens, elle les
hait et s'efforce d'anéantir le péché qui est en eux. Cette haine sainte com-
mence dans l'âme par un certain mépris d'elle-même, et ce mépris la pro-
tège contre les séductions des hommes et du démon. Ainsi saint Paul disait
autrefois : « C'est dans ma faiblesse qu'est ma force ». Parole féconde que
les Saints ont développée dans leurs actes sublimes. Il faut voir de là, com-
bien dans ses enseignements Catherine fustige en ses disciples l'amour-
propre, «père de l'orgueil », disait-elle, « et de tous les vices ». Quand
elle disait cela, elle parlait sur les ruines de son propre cœur immolé à
Dieu seul depuis longtemps. Mais avant d'être élevée à ces merveilles de la
sagesse incréée et de l'amour divin, Catherine avait eu à lutter avec, l'esprit
US 30 AVRIL.
des ténèbres. L'antique serpent avait soufflé à ses oreilles de jeune fille des
paroles impures. Il avait jeté le trouble et le désespoir dans l'âme fervente
de la chrétienne. Il le faut dire à la gloire de Catherine, et pour l'éternelle
consolation de toutes les âmes chrétiennes, qui, plus que les âmes mon-
daines, connaissent les angoisses de la tribulation.
Un jour, Catherine tomba dans des doutes mortels, car elle fut tentée
dans son âme avant que de l'être dans ses membres, ainsi qu'il est arrivé
aux plus grands Saints. Ennemi de ses pénitences et de ses macérations,
l'esprit du mal lui insinua que Dieu l'allait abandonner dans les voies ex-
traordinaires où il l'avait conduite ; et que si l'on peut retrouver sa route
dans les chemins battus, on ne le saurait plus jamais, une fois jeté dans ces
chemins mystérieux qui conduisent ou à une perfection presque impossible,
ou à une damnation presque certaine. Quel moment ! quel supplice ! Hé-
las ! tous les tourments de ce monde ne sauraient offrir l'image de cette
affreuse perplexité. Aspirer à Dieu, à la perfection, et voir s'éloigner comme
un mirage menteur ce ciel d'amour et de pureté dont l'âme a fait dès ce
monde sa fin et sa vie ! Tomber de là, non dans les sentiers communs, mais
dans la fange qui les borde ! Oh ! quand les anciens avaient créé cette figure
fantastique et effrayante de leur Tantale au supplice, ils avaient eu la vision
de l'âme chrétienne dévorée de cette soif du ciel que rien ne peut éteindre
que le ciel même, de cette soif aiguillonnée encore par cette épouvantable
tentation.
« Pauvre fille, murmurait à Catherine une voix sardonique et cruelle,
quelle audace, quelle témérité dans ton désir de la perfection ! Penses-tu
t'élever impunément au rang des anges, toi, fragile créature, pétrie du même
limon que tous ces pécheurs ? Oublie ces rêves insensés ! tu es jeune en-
core; pendant que tes yeux ont encore quelque éclat, que ton front a gardé
sa jeunesse, fixe l'un de ces cœurs que tu as dédaignés jusqu'à ce jour. Là
seulement est la sécurité, là seulement est le bonheur. Yois Rachel, vois
Sara, Rébecca. Ne sont-ce pas de saintes femmes ? Et penses-tu t'élever
jamais au-dessus de ces modèles des femmes fortes ? » Et Catherine, chan-
celante de terreur, mais forte de sa 'oi et de sa confiance, répondait : «Je
me confie en celui qui fait ma force, au Christ que j'aime, et non en moi ».
Que les cœurs chrétiens retiennent bien ceci et qu'ils s'arrêtent à ce tableau.
Il y a des moments dans la vie où ce souvenir, ce seul souvenir, peut les
sauver du désespoir. Cette confiance persévérante, cette droiture de son
esprit et de son cœur qui la fixa à cette pensée comme à un point d'appui,
cette confiance sauva Catherine. Le mauvais esprit alors quitta son âme. Il
s'empara de la femme. Il y entra par la pensée, cette messagère du ciel et
de l'enfer. Il l'entoura donc des tableaux les plus honteux, des images les
plus grossièrement sensuelles. Ce supplice dura longtemps. Catherine dé-
tournait les yeux, et la rougeur montait à son front pudique. Mais derrière
elle, les mêmes images reparaissaient. Obsédée, elle fuyait, comme autrefois
saint Jérôme fuyait sa grotte sainte, sa cellule étroite, toute remplie de chas-
teté et de souvenirs de pénitence ; elle allait demander à tous les sanc-
tuaires de Sienne sa délivrance; mais partout elle portait avec elle ces fan-
tômes de l'enfer. Les autels de saint Dominique, céleste protecteur de toutes
les chastetés en péril, étaient les confidents de ses terreurs et de ses an-
goisses. Mais Catherine, éprouvée, n'oubliait pas la prière, ce canal de tout
secours divin. Elle augmentait au contraire ses sacrifices, le nombre d'heures
qu'elle donnait à l'oraison, à la pénitence. Fidèle aux inspirations de la
grâce, elle s'excitait aune haine sainte d'elle-même et profitait de son hu-
SAINTE CATHERINE DE SIENNE, VIERGE. 119
miliation apparente pour offrir au Seigneur un plus parfait sentiment de sa
pauvreté spirituelle. Quelquefois elle restait de longues heures comme
anéantie au pied de la croix. Puis elle se levait pour servir Dieu avec plus
de courage.
C'est par cette humilité, cette soumission constante, que Catherine
triompha d'une épreuve si terrible. Elle avait duré plusieurs jours. Elle
s'éloigna, et pour longtemps. C'est alors que, prosternée, elle sentit l'Esprit-
Saint éclairer son cœur de cette lumière féconde qui lui fit sentir la néces-
sité de ces épreuves dans la carrière de la sainteté. La béatitude est au bout,
mais les épreuves et les douleurs sèment cette route. Hélas ! que de larmes
ont marqué sur cette terre le passage de ces Saints que notre cœur chérit,
que notre culte honore ! Mais Jésus, en les appelant après lui, leur avait
dit, : Que celui qui veut me suivre laisse tout là et qu'il prenne ma croix. Et
eux, généreux jusqu'à une sainte folie, ils ont dit : Seigneur, ce n'est pas
assez de votre croix, nous vous rendrons sang pour sang !
C'est ce que Catherine de Sienne disait, elle aussi, à son Seigneur dans
ses communications avec lui qui n'étaient visibles que pour elle seule. Après
cette épreuve cruelle, la consolation et la joie abondèrent dans son cœur.
Le Sauveur lui-même lui apparut comme dans son sacrifice du Calvaire.
« Où étiez-vous, Seigneur, lui demanda doucement Catherine, pendant
que ma pensée était souillée de toutes ces images ? — J'étais dans ton
cœur, ma fille, lui dit l'Epoux, et j'y étais ravi par la fidélité que tu me gar-
dais pendant ce douloureux combat ».
Au milieu des torrents de félicités qui remplirent sa vie à dater de ce
jour, Catherine revenait encore à ce souvenir avec délices. La pensée de ce
qu'elle avait souffert inondait d'émotion et de reconnaissance son âme déli-
vrée. Comme saint Jérôme, elle se prenait quelquefois à regretter cette
époque militante de sa vie. C'avait été pour elle un pas immense dans la
vertu.
Ici commencent la vie publique de Catherine, ainsi que parle son saint
confesseur, et son action bienfaisante sur toute la chrétienté. Comme dit
encore le bienheureux Raymond de Capoue : Une telle lumière ne pouvait
rester sous le boisseau, et ne fallait-il pas montrer à tous les regards la ville
placée sur la montagne ?
C'est alors aussi qu'eut lieu dans la vie de Catherine cette union mys-
tique entre elle et son Seigneur bien-aimé, vision digne de l'admiration des
anges, qui a saisi l'imagination de nos artistes d'élite, et qu'ils ont repro-
duite tant de fois dans la peinture et dans la légende.
Un jour, — on était à la veille du Carême, et tous, chrétiens et mon-
dains, célébraient par toutes les folies d'usage les dernières allégresses du
carnaval, — Catherine était seule dans sa cellule, et elle adorait de toute
son âme ce Dieu que tout oubliait autour d'elle. « Seigneur», dit-elle dans
son extase sainte, « rendez-moi forte, afin que rien ne puisse jamais me
séparer de votre amour ». Une voix, la voix divine de l'Epoux, lui répon-
dit : « Sois en paix, je t'épouserai dans la foi ».
A ces mots, l'Epoux descendit lui-même, et avec lui parurent devant
Catherine éblouie la resplendissante Vierge Marie, patronne sacrée de toutes
les Vierges du ciel et de la terre, puis saint Jean l'Evangéliste, avec son re-
gard d'aigle et sa pureté de colombe, le victorieux saint Paul, saint Domi-
nique, illustre par ses mœurs d'ange et ses doctes travaux, enfin avec eux
tous, le roi David, cet éternel modèle de l'amour pénitent; en présence de
tout ce cortège de saintetés et de vertus, la Vierge Immaculée, mère du
120 30 AVRIL.
pur amour, prit dans ses mains divines la main droite de Catherine et la
présenta à son Fils en lui demandant pour elle l'anneau mystique. Un an-
neau d'or orné de quatre pierres précieuses qui entouraient un diamant
magnifique, brillait dans la main du Sauveur. Sans doute il y avait là encore
une figure intelligible seulement à la piété de Catherine et des Saints.
Le Sauveur présenta la bague à sa fiancée et la lui mit au doigt en di-
sant : « Moi, ton Créateur avec mon Père céleste, moi ton Rédempteur, je
t'épouse à présent dans la foi, et tu la conserveras pure jusqu'au jour où
nous célébrerons dans le ciel les noces éternelles ».
La vision disparut, mais l'anneau resta au doigt de Catherine. Elle seule
le voyait; pour tous, il était invisible. Il ne la quitta jamais, et elle ne se
lassa jamais de l'admirer.
De ce moment, Dieu voulut que ce zèle, que Catherine nourrissait dans
son cœur pour sa gloire et le salut des hommes, portât son fruit. Déjà, à
cette époque, quelques-uns étaient scandalisés de la grandeur de ses révé-
lations et de l'héroïsme de ses vertus. Car l'onction de la parole divine était
souvent sa seule nourriture, et elle se refusait pendant longtemps les ali-
ments, sans que pourtant elle tombât en défaillance. Un célèbre ascète de
Florence en fut scandalisé comme les autres. Il le lui témoigna, et Cathe-
rine se défendit, dans une lettre modeste et tout empreinte de force et de
grâce, des soupçons que sa conduite avait fait naître dans l'esprit de cet
homme.
Ainsi Catherine eut souvent à subir des contradictions redoutables dans
sa famille, et même dans sa famille spirituelle. Les uns la traitaient d'hypo-
crite, les autres la raillaient. Un religieux de l'Ordre de Saint-Dominique
l'accabla une fois d'outrages cruels, Catherine ne lui répondit que par le
silence, et charitable autant que patiente, elle le défendit contre le Père
Raymond et les religieux de son Ordre qui voulaient traiter avec sévérité un
homme que la grâce trouvait si rebelle.
Le Seigneur lui dit un jour : L'orgueil des hommes est devenu intrai-
table, ma justice les confondra par un équitable jugement. Je veux leur
donner une confusion salutaire, et pour cela, dans ma divine sagesse, je
leur enverrai des femmes ignorantes et faibles par nature, mais sages et
puissantes par ma grâce afin de confondre leur orgueil. Catherine devait
être une de ces femmes privilégiées, la plus illustre peut-être. Dieu lui or-
donna formellement de paraître en public, lui promettant d'être avec elle
par sa grâce, et c'est ce que témoignèrent admirablement plusieurs faits
merveilleux de sa vie de famille. Portée par l'humilité de son esprit et de
son état à remplir, dans ses rapprochements avec sa famille, les offices les
plus dédaignés de tous et des serviteurs eux-mêmes, Catherine reçut cepen-
dant la grâce de n'être jamais troublée dans ses intimes communications
avec Dieu, même au milieu des plus rudes travaux domestiques, et souvent
on la vit soulevée de terre durant ses extases, comme autrefois sainte Ma-
rie-Madeleine : son corps suivait son âme pour montrer la vertu de l'Esprit
qui l'attirait. Un jour qu'elle était assise auprès du feu pour surveiller les
viandes qu'on faisait rôtir, Catherine eut une de ces extases qui l'arra-
chaient à la terre. Sa belle-sœur survint qui, voyant cela, habituée qu'elle
était à voir sa sœur dans cet état de ravissement, continua son ouvrage. Elle
emporta les viandes quand il en fut temps et laissa Catherine livrée à sa
vision; quand elle revint après, elle trouva Catherine sur les charbons ar-
dents. Or, le feu était très-grand. Aussitôt la jeune femme effrayée s'enfuit
en criant : Hélas ! hélas I Catherine est toute brûlée ! Quand on retira la
SAINTE CATHERINE DE SIENNE, VIERGE, {21
jeune fille, son corps et ses vêtements étaient intacts. Il n'y avait pas trace
de brûlure, pas môme de poussière ni de cendre attachée à l'étoffe de sa
robe. « Le feu céleste qui embrasait son âme, dit un de ses confesseurs, avait
arrêté le feu de la terre » . L'Esprit-Saint la préservait aussi des pièges où l'atti-
rait souvent l'esprit malin. On raconte qu'un jour cet ennemi des hommes,
dans sa fureur contre Catherine, la jeta dans un grand feu devant ceux qu'elle
instruisait. Tandis que les assistants poussaient des cris de frayeur et s'effor-
çaient de la retirer du feu, elle se relevait seule en souriant, et ses vêtements
n'étaient pas même endommagés. Catherine regarda tranquillement autour
d'elle, et elle dit toute riante à ceux qui la regardaient, aussi effrayés de ce
miracle qui la sauvait qu'ils l'avaient été de cet accident étrange : « N'y
faites pas attention, c'est la mauvaise bête » .
Cett2 mauvaise bête, sainte Thérèse l'a connue aussi, quand sa sainteté
se perfectionnait dans les combats. Cette mauvaise bête, Dieu le Père, pour
notre rédemption, lui permit bien d'oser transporter sur la montagne la
personne immaculée de notre Sauveur. Pourquoi n'aurait-elle pas son rôle
dans les tourments et le martyre de nos Saints les plus illustres ?
Catherine fut aussi précipitée dans un bourbier par cette puissance de
l'enfer. Elle revenait ce jour-là bien tranquillement à Sienne sur son âne,
et quelques frères de Saint-Dominique l'entouraient. Mais là, comme tou-
jours, la récompense suivit l'épreuve.
Un jour que la Sainte était restée longtemps en prières à l'église Saint-
Dominique, et qu'elle revenait chez elle, elle se trouva environnée d'une
immense lumière. Elle s'arrête, et voit le Sauveur tenant entre ses mains un
cœur resplendissant de vie et de beauté. — Elle, tremblante, s'humilie et
se prosterne devant son céleste Epoux. — Mais le Christ vient à elle avec
bonté, et lui ouvrant le côté, il place dans son sein ce cœur au lieu du sien
même. Depuis longtemps la fidèle Catherine avait dit à son bien-aimé :
Seigneur, ôtez-moi mon cœur. — Ma fille, dit le Sauveur, voici mon cœur
que je vous donne, et par lui vous vivrez toujours. Les compagnes de Ca-
therine affirmèrent qu'elles avaient vu à son côté une cicatrice rouge qui
témoignait de la vérité de ce qu'elle disait. Depuis ce temps Catherine porta
au dedans d'elle, non pas seulement ce feu symbolique de la charité, mais
un feu ardent et véritable, et ce feu renouvela en elle tout son être et toutes
ses vertus.
Dans sa modeste cellule descendaient toutes les poésies, toutes les féli-
cités du ciel. Tantôt c'était la Reine des anges elle-même, tantôt c'était
saint Thomas d'Aquin, saint Jean l'Evangéliste, qui lui prodiguaient leurs
sublimes enseignements. Un autre jour elle reçut pour patronne la bien-
heureuse Marie-Madeleine, et elle connut d'elle en un instant cette suavité
d'amour, cet abandon généreux qui l'avait attirée du sein des délices mon-
daines aux pieds du Christ. — Depuis ce temps, elle ne nomma plus sainte
Madeleine que la douce amoureuse, sa mère.
Ainsi que pour tous les Saints, la vraie nourriture de Catherine était la
viande et le breuvage eucharistiques, et son union avec le Sacrement de
l'autel était si intime, si continuelle, que la seule vue du pain sacré la ras-
sasiait quelquefois.
Son confesseur raconte qu'il semblait que la victime eucharistique,
comme si elle eût été impatiente d'aller résider dans ce tabernacle de pureté
et de sainte adoration, vint un jour se placer d'elle-même sur la patène
au moment où il s'avançait pour donner la communion à son illustre péni-
tente. — Souvent des témoins affirmèrent que la sainte hostie, au moment
422 30 avril.
de la communion, s'élançait des mains du prêtre jusqu'aux lèvres de Ca-
therine. — Ce n'étaient que miracles et faveurs du ciel.
Elle voyait les anges servir la messe, un voile d'or à la main. Elle enten-
dait les chœurs célestes. Elle voyait les Saints, la Vierge elle-même, ravis
d'admiration devant les abaissements du Dieu de l'autel.
Elle communiait tous les jours et elle croyait avec le grand nombre des
Saints que l'homme pécheur, après avoir purifié sa conscience par l'absolu-
tion, ne doit pas, sous le seul prétexte de son indignité, s'éloigner de la
table sainte.
A ce sujet, elle écrivit à un chevalier de la république de Florence une
lettre remarquable dont voici quelques lignes : « Une vous convient pas de
faire comme beaucoup de gens imprudents qui manquent à ce qui est com-
mandé par la sainte Eglise, disant : Je ne suis pas digne ! et ils passent un
long temps dans le péché mortel sans prendre la nourriture de l'âme. — 0
coupable humilité ! Eh ! qui ne voit que vous n'en êtes pas digne ! N'atten-
dez pas, car vous ne serez pas plus digne à la dernière heure qu'à la pre-
mière. — Avec notre propre justice nous ne serons jamais dignes, mais Dieu
est celui qui est digne, et qui nous fait dignes par sa dignité qui est infinie,
qui ne diminue jamais ».
La vie active de Catherine n'est pas moins digne d'admiration, pas moins
semée de merveilles que ne l'est sa vie mystique, et que ne le fut plus tard
sa vie enseignante. — L'aumône était comme une récréation pour son
cœur. Elle aimait surtout à user des biens que son père, homme droit et
juste, lui remettait pour l'aumône en faveur des misères cachées et hono-
rables que la société des villes cache dans son sein. Il y avait à Sienne de
ces nobles et chastes misères qui se voilaient, honteuses de leurs dénûments.
Catherine les allait chercher discrètement. De sa main amie elle rassasiait
ces vénérables affamés, elle substituait un lit au grabat, remplissait la huche
de pain nouveau, apportait le vin, le blé, l'huile, et, en même temps, des
larmes de sympathie, une compassion fraternelle faisaient accepter avec
bonheur des dons qu'on eût rougi de mendier à l'opulence altière. — Elle
allait seule, le matin à la dérobée, chez ces pauvres. Dieu lui ouvrait mira-
culeusement leur porte, qu'elle refermait en se sauvant après avoir laissé là
ses offrandes.
Un jour qu'une maladie cruelle la retenait au lit, elle sut qu'une pauvre
veuve de son voisinage n'avait plus de pain à donnera ses enfants. Son cœur
saigna de compassion, et elle pria, afin que le Seigneur lui donnât assez de
force pour pouvoir s'en aller secourir cette détresse. Le lendemain, elle se
lève avant le jour, glane dans les greniers de la maison paternelle, se charge
de pain, de vin, de blé, d'huile et de tout ce qu'elle trouve d'aliments sous
sa main. Mais comment, faible et malade, emporter seule toutes ces provi-
sions ? il y en avait presque la charge d'une mule. Dieu lui viendra en aide.
Les forces peuvent-elles manquer aux serviteurs fidèles que la Providence
a élus ses trésoriers en ce monde ? Elle met une partie de sa charge sur ses
épaules, une autre à sa ceinture, elle en prend une autre à deux mains, et
soulève tous ces fardeaux en invoquant Dieu. Son espérance n'est pas trom-
pée. Elle se met en marche, légère comme un messager d'en haut; elle ne
sentait seulement pas peser sur elle cette charge, qui était de près de cent
livres. — Elle court; elle arrive. — Mais près de la maison de la veuve, son
pas se ralentit, son fardeau se fait sentir. Elle prie avec ferveur et la force
lui revient. — La porte de la pauvre demeure n'était pas fermée par le haut.
Elle l'ouvre et dépose sa charge à l'intérieur. Mais le poids en était si con-
SAINTE CATHERINE DE SIENNE, YIERGE. 123
sidérable qu'en tombant elle réveille la pauvre veuve. — Déjà Catherine
fuyait et conjurait son divin époux de lui rendre les forces qu'il venait de
lui retirer en lui ôtant son fardeau. — La veuve avait reconnu son habit.
Elle savait que cette bienfaitrice qui se cachait était Catherine, Catherine
dont l'aumône matinale, comme celle de saint Nicolas, venait réjouir le ré-
veil des malheureux, Catherine dont la charité fraternelle donnait au pauvre,
comme saint Martin, la plus grande moitié de son manteau.
Un jour, à l'église des Frères Prêcheurs de Sienne, un pauvre lui de-
manda l'aumône; elle n'avait rien, mais refuser à un pauvre était pour elle
une amère douleur. Elle regarda donc sur elle ce qu'elle pouvait lui don-
ner : la fiancée du Seigneur n'avait ni bagues ni perles, car sa parure, sa
gloire est intérieure. Ses yeux s'arrêtèrent sur une croix d'argent qui était
attachée à un de ces petits cordons garnis de nœuds, sur lesquels on récite
l'Oraison dominicale et qu'on appelle pour cette raison des Pater noster.
Elle détacha cette croix et la donna au pauvre, qui la reçut avec joie et se
retira. La nuit d'ensuite, comme Catherine priait, le Sauveur lui apparut
tenant à la main la même croix tout ornée de pierres précieuses. — Recon-
nais-tu cette croix, ma fille, lui dit-il. — Je la reconnais, dit Catherine,
mais elle n'était pas si belle lorsqu'elle était à moi. — Hier, dit le Seigneur,
tu me l'as donnée avec amour, et moi je te promets qu'au jour du juge-
ment je te la rendrai telle qu'elle est, afin qu'elle devienne ta gloire. — Il
disparut, mais il reparut encore souvent à Catherine sous l'habit des pauvres.
Un jour elle donna à l'un de ces pauvres, dont la figure inconnue cachait à
son cœur celui qu'elle aimait, sa robe> la seule qu'elle s'était gardée. Le Sei-
gneur lui rendit le lendemain une tunique semée d'or et de perles pré-
cieuses. Prémices des récompenses éternelles qui figuraient déjà ce manteau
de gloire dont Dieu revêtira ceux qui auront couvert ses membres glorieux,
dans la triste nudité des pauvres de ce monde ! Un autre jour le Sauveur
renouvelait en sa faveur, dans la maison de son père, ce miracle de l'eau
changée en vin aux noces de Cana. Les souffrances sans remède, les maux
que la science avait renoncé à guérir, attiraient surtout la compassion de
Catherine.
Il y avait à Sienne une malheureuse, nommée Tecca. La lèpre couvrait
son corps, et ses plaies répandaient l'infection autour d'elle : tout l'aban-
donnait. La charité insatiable de Catherine adopta cette infortunée. Elle
l'entourait de soins, se faisait son esclave et ne craignait pas de l'embras-
ser comme une amie. Tous ceux qui souffraient n'étaient-ils pas ses amis ?
Cette malheureuse s'accoutuma à ces soins, à cette tendresse, miracle d'une
religion d'amour et de sacrifice ; elle ne voulut plus permettre à Catherine
de s'absenter le dimanche pour l'office divin. La lépreuse, qui se croyait
dus tous ces soins, blasphémait et calomniait sa bienfaitrice. La mère de
Catherine la conjurait de laisser cette méchante vieille, mais la charité de
Catherine ne se rebutait pas ; elle contracta enfin cette horrible lèpre qu'elle
combattait dans Tecca. Ce malheur ne l'arrêta pas dans sa tâche; mais celui
qui guérit et qui sauve s'était assez réjoui du généreux courage de sa bien-
aimée. Tecca mourut, et elle n'eut pas plus tôt rendu le dernier soupir que
la lèpre de Catherine disparut tout à coup, et que ses mains qui l'avaient
contractée tout d'abord devinrent plus blanches et plus éclatantes de
beauté qu'auparavant.
Une autre exerça aussi cruellement sa patience : c'était une religieuse de
son Ordre, Palmerina. Son orgueil blessé, une sourde envie, avait excité
dans son cœur une haine envenimée contre cet ange de vertus; elle jeta sur
f24 30 aywl.
cette réputation sans tache d'ignobles calomnies. Dieu la punit, elle fut at-
taquée d'une maladie mortelle, et elle se trouva à l'agonie. Pendant ce
temps, Catherine s'accusait de tout ce mal, et elle conjurait son divin Sau-
veur de ne pas laisser cette âme quitter le monde sans lui avoir inspiré des
sentiments de charité et de douceur. C'est alors que, dans une extase, elle
vit par l'esprit de Dieu combien est belle une âme, une de ces âmes que le
Sauveur a aimées jusqu'à descendre du ciel pour les racheter.
La puissante prière de Catherine retardait toujours l'agonie de Palme-
rina, et le dernier combat de cette pauvre femme était quelque chose d'ef-
frayant. Catherine en eut la révélation, et elle versa tant de larmes qu'elle
obtint enfin de Dieu la conversion de ce cœur endurci qu'un rayon de mi-
séricorde vint éclairer à son heure dernière. Elle s'accusa de sa faute et re-
çut le baiser et le pardon de Catherine exaucée.
La paix et la joie la suivaient partout. Ici elle sauvait l'honneur d'une
noble famille, là elle réconciliait des ennemis politiques, ailleurs l'appe-
laient les infirmités les plus rebutantes. Calomniée souvent par ceux qu'elle
secourait, elle vit se renouveler l'ingratitude de Tecca et de Palmerina
dans une autre religieuse de son Ordre, Andréa, dont elle lavait sans dégoût
les ulcères et les plaies. Cette malheureuse atteignit Catherine dans sa ré-
putation. La vierge ne tenait à son honneur devant les hommes que pour
l'honneur de celui dont elle avait à glorifier le nom sans tache. — Mais
l'exquise pudeur de cet honneur même conserva toute sa délicatesse. La
vertu vraie et sincère porte avec elle une dignité, un calme que rien ne sau-
rait ébranler. Andréa fut touchée de la grâce. — Son cœur se rendit à la
douceur qui s'échappait du sourire de cette vierge qu'elle persécutait. Elle
protesta hautement de cette angélique innocence, et Dieu fut glorifié encore
cette fois dans la personne de sa servante.
Mais ce ne fut pas tout, et Catherine devait jeter sur les discordes poli-
tiques, qui divisaient sa patrie, l'onction et la paix divine, aussi est-elle
appelée l'ange pacificateur de Sienne.
En 1368, une révolution terrible avait inauguré le Mont des Réforma-
teurs, car les républiques italiennes furent toujours déchirées par leurs
discordes intestines. — Les républicains de Sienne abattus tombèrent sous
la rude domination des plébéiens dont la tyrannie soupçonneuse épiait les
citoyens jusque dans l'intimité la plus secrète de la famille. Le noble Agnelo
d'Andréa fut arrêté pour n'avoir pas invité un réformateur à une grande
fête qu'il donnait dans sa villa près de Sienne.
De sa paisible cellule Catherine entendit les menaces de l'émeute et les
cris de mort que cette foule en révolte jetait au sénateur Ludovic de Ma-
gliano, et, ange de paix, elle écrivait à la duchesse sa femme des paroles
d'espérance et d'encouragement pour la conjurer de demeurer ferme au
service de Dieu au sein de la tribulation.
Elle avait converti aussi ce jeune chevalier de Pérouse que la république
de Sienne immola à son ombrageuse tyrannie, Nicolas Rulda, accusé de ré-
volte et de complot par le Mont des Réformateurs. Le gouvernement popu-
laire lança contre lui une sentence de mort. — L'âme fière de ce patricien
ne s'abaissa point à demander grâce. Il offrit sa tête à la haine populaire. —
Mais sa jeunesse avait été licencieuse, et l'amitié de Catherine le réconcilia
avec la divine justice. A sa voix le repentir descendit dans son cœur. — Il
mourut en héros.
Il avait exigé de Catherine qu'elle le conduisît au supplice, afin que la
prière de cette vierge l'escortât au pied du trône de Dieu. — Sainte Cathe-
SAINTE CATHERINE DE SIENNE, VIERGE. 125
rine de Sienne, dédaignant les haines que cette bonne œuvre pouvait lui
susciter, le suivit au lieu où il devait être exécuté. Catherine lui sourit à ses
derniers moments, et ce fut le plus sublime tableau que l'on pût voir dans
les épisodes de ces révolutions sinistres, que cette sainte fille auprès de ce
billot, que cette enfant du peuple exhortant ce patricien à mourir en martyr,
et que ce sang de la noble Italie jaillissant sur le manteau virginal d'une
fille d'artisans.
Déjà depuis longtemps Catherine était plus qu'une simple vierge chré-
tienne. — Elle était aussi la femme forte, celle qui répand partout la paix,
l'ordre, le travail. Elle porta surtout l'ordre dans le monde spirituel, et à
cette époque elle commença à poser la première pierre de cette fondation
mystique, de cette école qui fait sa gloire.
On avait vu dans l'antiquité des femmes illustres enseigner quelquefois
des doctrines de philosophie. La célèbre Hypatia avait été l'une des gloires
de son siècle en ce sens *.
L'exemple d'une femme enseignant et parlant en public n'était donc pas
nouveau, surtout dans ces républiques italiennes si voisines des chauds
climats de la Grèce.
Mais l'exemple d'une femme, quelque sainte qu'elle fût, parlant tout
haut théologie et sainteté, voici qui devait assurément attirer l'étonnement
public dans cette catholique Italie du moyen âge. Sainte Brigitte dans ses
révélations, sainte Hildegarde, avaient toutes deux illustré leur sainteté par
de savants écrits qui avaient aidé l'Eglise à cette protestation de notre glo-
rieux moyen âge contre le rationalisme religieux dont le fantôme se dres-
sait menaçant. Sainte Catherine de Sienne fit plus, elle osa prêcher haute-
ment sa doctrine. — Elle la proclama, et jeta aux échos de Sienne, de
Pise, de Rome ses mystiques enseignements. Elle fut l'un des chefs glorieux
de cette école mystique, la seule qui établît l'harmonie entre l'esprit et le
cœur, la seule qui ne séparât pas la puissance de connaître de celle d'aimer.
Catherine se souvint qu'il avait été dit autrefois un mot sublime : Aimer, c'est
savoir, et dédaignant la vérité abstraite, elle ramena instinctivement toutes
les spéculations à l'amour.
Le plus grand miracle de cette vie si belle et si pleine de prodiges est
peut-être ce don miraculeux de science et de force que l'Esprit-Saint lui
envoya et qui fit un philosophe, un théologien illustre de cette fille du peu-
ple qui n'avait jamais rien appris.
Du moment où elle commença à parler en public, elle attira à elle des
multitudes d'hommes et de femmes qui descendaient des montagnes et des
pays environnants pour entendre sa parole d'amour et de consolation. —
Des monastères mêmes sortaient de leur clôture pour l'entendre. — Et c'est
un spectacle étrange, que cette jeune fille inspirée appelant autour d'elle
toute une école composée de parents, d'amis, de prêtres, de chevaliers, de
soldats, de jeunes femmes, de religieux, de laïques tous unis, tous comme
une seule famille dans la même foi, la même doctrine, le même amour, la
même espérance, tous soumis à cette âme supérieure qui les dominait de
toute la grandeur et la force qu'elle avait reçues de Dieu, tous la louant,
1. Hypatia, fille de Théon, mathématicien d'Alexandrie, née à. Alexandrie, l'an 370 de Jésus-Christ,
devint elle-même si habile dans les mathématiques et la philosophie, que les magistrats de cette ville
l'invitèrent à faire des cours publics. Elle obtint les plus brillants succès et acquit un grand crédit sur
Oreste, gouverneur de la ville; mais elle était païenne et peu favorable aux chrétiens. Des furieux,
ameutés contre cette femme, s'emparèrent de sa personne, l'assommèrent, et traînèrent dans les rues ses
membres en lambeaux, l'an 416 de Jésus-Christ. Les écrits d'Hypatia ont péri dans l'incendie de la bi-
bliothèque d'Alexandrie. On la surnomme la Philosophe.
126 30 AVRIL.
invoquant la puissance que sa prière avait acquise sur le cœur de Dieu et
glorifiant ce Dieu dans son humble servante.
Nous regrettons d'avoir donné trop de place à la vie obscure de Cathe-
rine pour pouvoir insister davantage sur ce tableau remarquable où de
grands hommes de son temps, groupés par une admiration sincère autour
d'elle, la proclament, d'une voix unanime et non suspecte, la femme la plus
illustre du moyen âge.
La doctrine mystique qu'enseigne Catherine se résume en deux mots :
amour et patience. C'est là toute sa vie, c'est là aussi sa doctrine. Dans cette
doctrine, sainte Catherine de Sienne ne sépare pas de l'amour silencieux et
extatique, des douceurs de l'oraison, la vie active de la charité qui se ré-
pand sur l'humanité souffrante et pécheresse en flots généreux et féconds.
Ce ne fut pas d'elle-même que cette illustre élève de l'amour du Christ
osa prêcher ses frères et leur révéler les miracles et les lumières surnatu-
relles infuses dans son âme. Son humilité la défendit longtemps de tant
d'honneurs. Mais l'inspiration est un ordre de l'Esprit-Saint. — Ni l'ignorance
de ses élus, ni la barbarie des hommes ne peuvent l'empêcher de se produire
et de sortir du cœur et de l'intelligence des Saints. — Qui a pu l'arrêter
dans les Prophètes? Est-ce que Zacharie, le grand prêtre, frappé par la jus-
tice de Dieu dans l'organe même de sa parole, ne sentit pas se délier les liens
qui retenaient sa langue pour obéir à l'Esprit qui soufflait à son oreille le
nom de Jean lorsqu'il fallut nommer le précurseur du Messie ?
Donc, en face des écoles turbulentes des plus illustres universités de
l'Europe, Catherine ouvrit son école mystique comme un jardin délicieux
où les doux enseignements de l'amour divin attendaient les âmes malades
que le doute ou le rationalisme avait frappées. — Toute la gloire de cette
sainte mission ne venait à Catherine que de son humble obéissance aux
mouvements de la grâce, de cette grâce qui l'avait prise dans les langes de
l'enfance et qui l'avait conduite, docile et victorieuse, aux plus hauts som-
mets de la perfection chrétienne. — C'était toute la philosophie de la croix,
dont elle avait reçu l'insufflation du Sauveur lui-même dans les jours obs-
curs et pénibles de sa vie mortifiée et solitaire !
On a tout dit des enseignements de Catherine quand on a nommé ses
disciples. Le premier, selon la grâce, est le bienheureux Raymond de Ca-
poue. — Le second est un artiste, un artiste dont la foi ardente fit presque
un maître, André Vanni. Raymond de Capoue était de l'Ordre de Saint-Do-
minique. Il fut un des successeurs de Catherine avec le Père Tommaso délia
Fonte et Barthélémy de Sienne, tous les deux aussi de l'Ordre des Frères
Prêcheurs. Maîtres et disciples de leur pénitente, ils venaient, après la con-
fession sacramentale, écouter Catherine, et restaient assis aux pieds de cette
vierge, écoutant l'Esprit parler par sa bouche pure et innocente. Quant au
Père Bartbélemy, c'était un homme éminent. Apôtre de la Toscane, il re-
cueillit le premier les chroniques du Tiers Ordre. — Il fut l'ami de Cathe-
rine ; il l'avait connue jeune, et rien n'est plus doux ni plus pur que le récit
qu'il fit de la naissance de leur sainte amitié. Il l'accompagna plus tard dans
ses voyages à Pise, à Lucques, à Avignon, à Gênes, à Florence et à Rome.
— Catherine, suivant ce don de connaissance parfaite qu'elle avait des
âmes, sentait dans son cœur comme l'écho de toutes les souffrances et de
toutes les impressions que ressentait, à quelque dislance que ce fût, ce
cœur qui lui était si cher. Il en était ainsi pour quelques autres de ses dis-
ciples privilégiés, Etienne Macconi, par exemple.
La conquête de cette âme lui avait été moins facile. Elle l'avait saisie au
SAINTE CATHERINE DE SIENNE, VIERGE. 127
milieu du fougueux emportement des plaisirs. Pressé d'un ardent désir de
délivrance pour sa chère patrie, ce jeune homme plein de passions vives et
généreuses avait résolu de mettre fin aux luttes aristocratiques et aux hai-
nes politiques qui divisaient la république siennoise. Il osa choisir pour ar-
bitre entre sa noble famille et quelques nobles races rivales ennemies, Ca-
therine, dont la sainteté était devenue une autorité. Catherine résolut de
donner à Dieu cette belle âme. Elle y arriva. Dès les premières exhortations
que lui insinua la Sainte sur l'irrégularité de sa vie, les yeux d'Etienne se
mouillèrent de larmes. « Le doigt de Dieu est là », dit-il. Ce jeune homme
était venu là pour le salut des autres, il y trouva le sien.
Catherine ne fut pas longtemps à procurer la paix que sollicitait Etienne
à force de prières. Un jour qu'elle s'était mise en oraison dans l'église de
San-Christophe, attendant en vain le rendez-vous qu'elle avait fixé aux re-
présentants de ces races rivales, voici que la grâce rompt tout à coup cette
naine héréditaire, rivée pour ainsi dire à leurs nobles blasons. Ils entrent
dans cette église où paraît Catherine en extase, environnée déjà comme
d'une auréole. En cet instant la paix et la charité descendent dans l'âme de
ces rudes chevaliers. — Catherine alors se lève, leur parle de Dieu et des
biens que produit la concorde. Elle exige d'eux le mutuel pardon, le mu-
tuel oubli de leur vieille haine. Elle unit leurs mains, elle les confond dans
son baiser de sœur. Tous pleurent, tous demandent cette union, cette fra-
ternité que leur prêche si bien l'ange de la patrie, et Catherine glorifie Dieu
qui seul peut faire de semblables miracles.
Etienne fit de rapides progrès dans la vertu. Il ne quittait presque pas
cette chapelle souterraine de l'hospice de Sainte-Marie délia Scala où Ca-
therine réunissait ses amis et ses disciples pour prier avec elle, et où elle
avait elle-même son petit oratoire. — Plus d'une fois sa douce amie, qu'il
nommait sa mère, et qui avait aussi pour lui toutes les tendresses et les an-
goisses maternelles, le délivra d'un péril, l'arracha au danger d'une conju-
ration. Sa prière sauva aussi d'une fièvre dévorante Néri, un ami d'Etienne,
jeune et brillant chevalier qu'elle forma aussi à l'humble école du Christ.
Ardent, plein de l'orgueil de son sang, le glaive de l'humilité lui parut d'a-
bord cruel et fit saigner son cœur à ses premières blessures. Catherine ac-
coutuma cette âme fiôre à porter docilement le joug de l'Evangile. Mais ce
fut avec l'affection clairvoyante d'une mère, par des soins progressifs et dé-
licats qu'elle la fortifia et qu'elle l'éleva.
Ce fut à la foi encore timide de ce jeune homme qu'elle adressait ce re-
proche : Je veux, mon fils, que tu ouvres l'œil de ton intelligence, que tu
voies l'amour de Dieu pour toi, et que tu perdes la crainte. La crainte est
un oubli de cette doctrine qui t'a été enseignée, elle dessèche l'âme et le
corps et les retient dans une continuelle tristesse.
Ce Néri devint un des plus ardents défenseurs de la foi au moyen âge. —
Plus tard il négocia, par l'ordre de Catherine, la paix de l'Eglise avec la reine
Jeanne de Naples. — Il mourut peu après Catherine dans un ermitage des
montagnes de l'Ombrie.
Après ceux-là venait Vanni, qui peignait dans l'enthousiasme de la foi
ce beau couronnement de la Vierge qu'on admirait dans un des palais de
Sienne. Catherine l'avait connu étant âgée à peine de vingt ans. Ce jeune
artiste, une imagination de poëte, un cœur de héros, avait subi la domi-
nation de cette belle âme si chaste, si élevée, si ardente. — Il avait pour
elle un sentiment exquis où l'admiration, le respect, la tendresse venaient
se fondre en une affection d'élite. Un jour qu'il la surprit ravie en extase
128 30 AVRIL.
dans la chapelle de Saint-Dominique de Sienne, Vanni peignit avec son
cœur ce portrait de Catherine qu'on vit longtemps sur ce mur. Dans la
suite, l'artiste devint capitaine du peuple. Ce jour-là il reçut de Catherine
une lettre admirable qu'on a conservée et qui est tout un traité d'économie
sociale et politique.
Un autre disciple de Catherine fut Matthieu de Cenni, un homme admi-
rable, un cœur de feu, capable des plus héroïques entreprises de la charité.
Il fut un jour à l'extrémité, à l'hôpital de la Miséricorde où il combattait de
tous ses soins les ravages que fit à Sienne la peste terrible de l'an 1374. Ca-
therine l'apprend, elle court à son cher enfant. « Allons », lui dit-elle,
« debout, Matthieu. Il n'est point temps de rester dans le repos ». Et son
cher malade se leva plein de joie. La prière de Catherine, le vœu de sa ten-
dresse l'avait sauvé.
A trois milles de Sienne s'élevait au moyen âge le monastère de Lecceto.
Là vivaient des ermites de l'Ordre de Saint-Augustin. Catherine aimait ce
monastère. Perdu dans les solitudes de cette fertile campagne d'Italie, il
faisait oublier à l'âme fidèle qu'à ses pieds mugissaient les passions et les
convoitises de la terre. Ce fut là que s'établit vraiment le siège de l'école
de Catherine. Tous les souvenirs qui se rattachent à son nom béni sont là.
— Près de l'église est cette chambre devenue célèbre où elle se retirait pour
être seule avec Dieu. — Elle trouva dans ce monastère encore un disciple,
un Anglais venu dans ces solitudes on ne sait comment. Elle y trouva aussi
le frère Antoine de Nice, dont toute la vie fut consacrée à la défense de
l'Eglise, et un autre frère, Jean Tantucci. Celui-là appelait Catherine hum-
blement son maître. Elle y connut aussi le frère Félix da Massa, et ce
bienheureux frère Jérôme, amant passionné des divins mystères de la Ré-
demption.
Après eux venaient des femmes dont les noms se sont illustrés en s'atta-
chant au sien. Il y en eut un grand nombre dans les rangs de ces Mantellate,
religieuses de la Pénitence de Saint-Dominique. Celles qui sont devenues les
plus célèbres sont : la noble Jeanne Pazzi, une ardente Florentine dont Ca-
therine aimait le bon cœur et la belle intelligence. Jeanne de Capa, — con-
solée par Catherine, au milieu de la terrible émeute de Florence qui l'avait
frappée de terreur ; guérie d'une fièvre dangereuse par son intercession, elle
la suivit et l'aima. Il y avait aussi Cecca, dont on voit le tombeau à la Minerve,
Cecca la rieuse, la folle, comme disait doucement Catherine. Enfin, il y
avait l'aimable Alessa ; Alessa, une fille de la race illustre des Sarracini.
Cette charmante jeune femme était demeurée veuve à vingt ans. Comme
Asella, tant louée par saint Jérôme, elle déroba au monde sa jeunesse et
ses illusions flétries, sous le voile des Mantellate. C'est ainsi qu'elle connut
Catherine, et qu'elle s'attacha à elle. Alessa survécut à cette chère amie ; et
quand les saintes reliques de Catherine, portées en triomphe, passèrent dans
les rues de Sienne, c'était sur le bras d'Alessa en deuil que s'appuyait Lapa,
la vieille mère de Catherine, autrefois rendue à la vie par les prières de
cette vierge, pour de longues années. Tous les disciples de Catherine, laïques
et religieux, ont témoigné des prodiges de son éloquence admirable, in-
compréhensible dans une femme élevée comme elle l'avait été. Les savants
de son siècle l'interrogeaient ébahis. « D'où vient tant de science », se di-
saient-ils, à une femme obscure qui n'a jamais rien appris ? » Tout ce qu'elle
savait lui venait directement de Dieu, comme elle le dit assez dans le livre
qu'elle composa durant ses extases. Il lui arrivait souvent de dicter à deux
ou trois secrétaires à la fois sur des sujets divers, et sans aucun embarras.
SAINTE CATHERINE HE SIENNE, VIERGE. 129
Sa parole séduisait tout le monde, et ses détracteurs eux-mêmes avaient la
bouche pleine de louanges quand ils l'avaient vue. De tous côtés on venait
l'entendre.
De là, de cette illustration, de cette sainteté, le poids qu'elle eut dans
les destinées de l'Eglise et de son pays. Tant de travaux pourtant n'arrêtaient
point les pratiques ordinaires de sa piété et de sa charité active. Elle était
l'honneur de son peuple, et cependant les plus humbles d'entre les Saints la
voyaient prosternée dans leurs sanctuaires. Elle affectionnait entre tous le
monastère de Monte-Pulciano, une fondation du treizième siècle où repo-
saient les reliques d'une sainte jeune fille du pays, morte dans la fleur de sa
jeunesse, sous l'habit des servantes de Dieu et dans l'odeur des vertus. C'é-
tait sainte Agnès de Monte-Pulciano. Humble fleur de l'Apennin, son tom-
beau recevait les hommages de toute la catholicité italienne. On prétend
que lorsque Catherine s'avança pour lui baiser les pieds, cette sainte du
ciel, comme si elle tressaillait en reconnaissant une sainte de la terre, sou-
leva doucement l'un de ses pieds et le présenta à Catherine.
Dans ce monastère de Monte-Pulciano, fondé sous la Règle de Saint-Do-
minique, Catherine enferma tout ce qu'elle aimait de sa famille : deux niè-
ces, ses enfants chéries, filles de sa sœur Lysa. Ces doux liens l'attirèrent
quelquefois encore à Monte-Pulciano. La vocation de sa chère Eugénie
fut surtout l'objet de ses soins, et quand elle en était éloignée, elle lui écri-
vait des lettres presque semblables à celles que saint Jérôme adressait de sa
solitude de Bethléem à ces jeunes prêtres qu'il voulait être l'honneur de
l'Eglise et l'édification des fidèles.
A un autre monastère, le vieux couvent de Santa-Bonda, elle avait une
amie, la sœur Constance, avec laquelle elle passait quelquefois de longues
et douces heures d'intimité, comme elle le faisait avec Alessa à Sienne. En
revenant vers sa ville natale, elle s'arrêtait quelquefois avec quelques-uns
de ses frères au château délia Rocca. Un jour, après avoir réconcilié deux
chevaliers du voisinage, ennemis depuis longtemps, elle délivra une pauvre
femme tourmentée par l'esprit malin en lui faisant sur la gorge, où il se te-
nait, le signe de la croix.
Ce château délia Rocca appartenait à de nobles amis de Catherine que la
tyrannie du Populaire épiait de loin, parce que cette illustre famille lui était
suspecte. Au Nord de ce magnifique domaine, se déroulait une des plus
belles vallées de l'Orica. Ce séjour aurait fait les délices de Catherine sur la
terre, si ses rêves du ciel n'eussent fermé d'avance son cœur à tous les dé-
sirs, même les plus purs, de ce monde ; car elle aimait cette nature qui lui
parlait de Dieu si hautement. Elle aimait le chant matinal des oiseaux, les
bruits du soir dans la campagne, les fleurs, toutes ces poésies que la main
de Dieu a semées sur la terre. Au sommet des Apennins elle cherchait à sai-
sir les soupirs des feuilles agitées par le vent, et les harmonies de cette na-
ture majestueuse et sauvage. Elle aussi, elle était poëte ; et tous les Saints
l'ont portée dans leur cœur, dans leur intelligence, la Poésie, que la Fable
elle-même avait faite la fille du ciel.
Catherine tint d'une autre famille le superbe château de Belcaro, où le
Pape l'autorisa à établir une communauté de Mantellate. Là seulement le
Tiers Ordre devint régulier. Elle avait déjà fondé le monastère de Notre-
Dame des Anges.
Au retour d'un de ces pèlerinages, elle trouva à Sienne le deuil et la
douleur. C'était l'année 1374 ; la guerre civile déchirait la république sien-
noise. A ces horreurs se joignait la peste. L'Ange de Sienne ne manqua pas
Vies des Saints. — Tome V. 9
130 30 AVRIL.
à son pays. Catherine ne pouvait lui refuser tous les secours de sa prière et
de sa charité. Elle et ses compagnes y furent sublimes.
Le salut des âmes l'appela ensuite à Pise. Quelques frères et quelques
Mantellate l'accompagnèrent dans ce voyage. Elle était là chez Gérard Buon-
conti, et son arrivée fut une fête. — L'archevêque, des seigneurs, des reli-
gieux, des prêtres, des enfants de familles illustres, firent son cortège. On
y voyait la petite Tora, qui devint plus tard la bienheureuse sainte Claire
Gambacorti. Dans la maison de Gérard elle renouvela, par la force de sa
prière, ce miracle d'un tonneau vide devenu tout à coup plein d'un vin
délicieux et inépuisable.
Cependant, deux grandes pensées agitaient l'âme de Catherine : la paci-
fication de l'Eglise, sa mère chérie, pour laquelle elle se sentait dévorée de
zèle et d'amour, puis cette pensée si féconde du moyen âge: la guerre
sainte des croisades.
Elle avait à Pise de fréquents entretiens avec l'ambassadeur de Chypre,
et elle lui communiquait le pressentiment qu'elle avait des prochains mal-
heurs dont un long schisme allait déchirer l'Eglise. Elle en faisait aussi la
confidence à ce bon Père Raymond qui la suivait partout. Elle voyait cette
croisade, objet de tous ses vœux, reculée bien loin encore par les discordes
qui séparaient les peuples chrétiens. — Ce fut peut-être la douleur qui con-
suma sa vie.
Pérouse venait de se révolter, et Catherine, qui prévoyait tous les maux
à venir, fit tout pour empêcher la révolte à Pise, à Lucques et dans le reste
de la Toscane. — A Lucques, elle avait déjà fondé comme une colonie mys-
tique avec laquelle elle correspondait.
Ce fut à Pise que Catherine demeura morte pendant tout un jour. Ses
sœurs, ses frères pleuraient autour d'elle ; tout à coup revinrent les batte-
ments de son cœur, et on l'entendit s'écrier : « 0 mon âme, que tu es mal-
heureuse ! »
Tous se réjouissaient de voir leur mère, leur bienfaitrice revenue parmi
eux ; seule elle pleurait, parce que son âme, qui avait déjà peut-être entrevu
les splendeurs de Dieu, redescendait sur cette terre d'exil.
Et en effet, Catherine le révéla. — Elle avait entrevu tous les mystères
de l'autre vie, la gloire des justes, la confusion des pécheurs. Elle avait vu
la divinité, et le Père céleste lui avait dit : « Considère toutes ces choses, et
redescends sur la terre pour révéler mes jugements aux hommes, et pour
les convertir et les enseigner. Tu les instruiras de la doctrine spiri-
tuelle, et je te donnerai ma divine sagesse contre laquelle ne peuvent rien
les contradictions du monde ».
Peu de temps après, dans une de ses extases, et comme Catherine, dé-
vorée de cette charité généreuse que connurent tous les Saints, demandait
au Sauveur d'être admise à l'honneur d'avoir part aux souffrances de la
croix, elle reçut sur son corps tous les stigmates de la Passion. Ces douleurs
qu'elle avait tant désirées étaient cruelles. — Elle comprit alors quel était
cet amour immolé qui avait sauvé le monde ; elle comprit combien « ce
cœur avait aimé les hommes ». Ces plaies divines et miraculeuses se voyaient
encore sur elle, même après sa mort.
Les travaux de Catherine pour l'unité de l'Eglise sont l'illustration de la
dernière partie de sa vie.
Le quatorzième siècle finissait dans des convulsions étranges. Ce n'étaient
que discordes dans tous les Etats de l'Europe. Discordes politiques, civiles,
religieuses, l'incendie était partout, et partout terrible. L'Allemagne, la
SAINTE CATHERINE DE SIENNE, VIERGE. 431
France, l'Angleterre, l'Espagne étaient déchirées au dedans, ou menacées
au dehors. Les républiques n'étaient pas plus heureuses. Dans les Pays-Bas
et dans les républiques italiennes, la tyrannie populaire faisait regretter ou
désirer le joug du plus dur despotisme.
Dans la république de Sienne, cette tyrannie populaire n'était pas repré-
sentée par un seul, comme il en est même dans les monarchies les plus ca-
lamiteuses ; — car le gouvernement libéral, cette grande hérésie politique, a
ses sectes comme toutes les hérésies. — Le mont des Réformateurs, le mont
des Neuf, le mont des Douze, donnaient à la république autant de maîtres
qu'ils avaient de membres. Les Visconti ravageaient la Lombardie, — Naples
était frappée de terreur sous la domination de Jeanne, — Rome, abandonnée
par les Papes d'Avignon, était dans un état pire encore, l'anarchie la dé-
chirait.
Et cependant l'Italie, dévorée par tant de fléaux, dominait encore les
nations par son âme et par son esprit. Le Droit et la Poésie y avaient atteint
toute leur splendeur. — Pétrarque et Boccace y représentaient le Génie de
la Poésie. — Et Catherine, offrant dans ses écrits et ses discours la gravité,
la rectitude d'un homme d'Etat à côté de son poétique mysticisme, person-
nifiait en elle seule le Génie du Droit et le Génie de la Poésie. — En ce sens
elle ne fut pas seulement l'honneur de son siècle et de son pays ; elle offre
comme un résumé de leur caractère.
Cependant, les Etats pontificaux, reconquis par Gilles Albornoz, refleu-
rissaient pendant que la lutte des Papes avec cette terrible maison de Vis-
conti recommençait. Il se fit une ligue dans la chrétienté, formée des prin-
cipales puissances de l'Europe. Sur ces entrefaites, les légats qui avaient
succédé au sage gouvernement d'Albornoz avaient, par leur ambition et
leur rapacité, soulevé la république de Florence jusque-là si dévouée au
Saint-Siège. La haine contre le clergé alla chez les Florentins jusqu'à l'abo-
lition des tribunaux canoniques, et jusqu'au massacre des prêtres. — A
Prato la même révolte avait eu lieu. Galéas Visconti profita de ces faits. La
révolte prit encore des proportions plus vastes. Le vieil esprit gibelin orga-
nisa le gouvernement de la terreur. — Pérouse, Bologne et plus de soixante
villes des Etats du Pape firent cause commune avec Florence. C'était plus
que le sentiment de l'indépendance patriotique qui était l'âme de la révolte.
Le digne et excellent Grégoire XI le sentit et en fut frappé. Mais il protesta
contre les événements par son interdit. Il le devait.
Le commerce florentin fut abattu dans cette lutte sanglante. Las des
vexations et du pillage que leur faisaient subir les nations chez lesquelles
tout leur commerce s'était réfugié, les Florentins essayèrent une démarche
de conciliation auprès de Grégoire: elle échoua. Qui allait rétablir l'harmo-
nie entre cette puissance populaire déchaînée et la puissance spirituelle de
l'Eglise romaine ? Les choses étaient dans un état désespéré. Catherine, à
la nouvelle de tous ces maux, était demeurée consternée. — Elle aimait
son pays avec cette énergie qu'elle portait dans ses plus douces affections.
Et l'Eglise, combien plus elle l'aimait! quelle amertume, quels combats
pour son cœur !
Un jour elle se leva, comme un demi-siècle plus tard devait se lever
Jeanne d'Arc l'inspirée, — une fille du peuple aussi. — Elle portait ce jour-
là le salut de la chrétienté dans son cœur. Alors commença entre Catherine
et Grégoire XI une sublime correspondance. Elle nous initie à une politique
nouvelle qui ne parle pas le langage de la diplomatie commune ; c'est la
vraie politique, la seule bonne, celle qui éclaire, qui pacifie. Elle prie, elle
132 30 AVMi;
conjure ce Pontife : — « Hélas ! mon doux Père », lui écrit-elle, (t au nom
de Jésus crucifié, je vous prie d'agir avec bonté et de vaincre la malice et
l'orgueil de vos enfants par la patience, l'humilité et la douceur. Vous
savez, Père, qu'on ne chasse pas le démon par le démon, mais par la seule
vertu. Hélas ! Père ! la paix, la paix pour l'amour de Dieu, afin que vos en-
fants ne perdent pas l'héritage de la vie éternelle. La paix et non plus la
guerre ! marchons sur nos ennemis portant l'étendard sacré de la croix et
armés du glaive de la douce et sainte parole de Dieu. Je ne puis rien de
plus; ayez pitié des doux et amoureux désirs que je vous offre avec mes
larmes pour la sainte Eglise. Pour moi, je donnerai volontiers ma vie pour
la gloire de Dieu et le salut des âmes. — Jésus, amour ». Telle est donc la
politique de Catherine : Prière, larmes, pardon, paix. C'est la politique delà
croix.
Non-seulement c'était sa politique, mais elle n'était pas d'un autre parti
que de celui de la justice. Pendant qu'elle demandait au Pape la paix, pour
que la civilisation chrétienne pût aller au secours des Lieux Saints, et pour
que cessât cette captivité de la papauté d'Avignon, elle cherchait à redres-
ser le vice réel de l'administration des légats, qui avaient été le grand levain
dans ces révoltes. — Elle peignait dans ses lettres, pleines de sens et d'équité,
la source de tant de maux, et elle écrivait aux princes et aux seigneurs
pour ranimer dans leurs cœurs le sentiment patriotique et le respect des
droits populaires.
Les tentatives des Florentins pour la paix échouèrent encore une fois. Il
n'y avait plus que Catherine qui pût la procurer. Elle se leva malade, partit
en envoyant au-devant d'elle Raymond de Capoue ; elle osa aller elle-même
demander la paix à Grégoire. Cette paix, le rétablissement de la papauté à
Rome, c'était tout le rêve de Catherine.
Mais elle acheta chèrement le succès. Il fut cruellement retardé par la
mauvaise foi des Florentins, qui semblèrent longtemps se jouer de la pa-
tience de ce bon Pontife. Les cardinaux eux-mêmes, jaloux de voir les avis
de Catherine toujours prépondérants dans les conseils du Pape, s'attaquè-
rent à la sainteté de cette vierge. Trois d'entre eux surtout, des hommes
éminents par la science, essayèrent de la surprendre dans ses discours. Ca-
therine fut inébranlable, et elle les confondit par l'humilité et la sagesse de
ses réponses ; ils avouèrent au Pape que l'Esprit-Saint parlait par cette
bouche pacifique et inspirée.
Dans ce séjour à Avignon, Catherine accomplit une grande entreprise.
Elle osa proclamer devant le souverain Pontife les vices de la cour romaine.
Elle osa demander au nom de la doctrine immaculée du Christ la réforme
de ces abus.
Elle parlait de toutes ces choses avec une éloquence oratoire et une rec-
titude qui charmaient Grégoire, et qui emportaient sa volonté. — Il la fai-
sait venir souvent et lui ordonnait de parler des choses de Dieu en plein
consistoire; ses discours étaient dignes de l'admiration publique. Quelques-
uns sentaient en elle se remuer l'inspiration divine ; mais d'autres, envieux,
jaloux, affectaient d'être scandalisés. Il s'en fallait peu qu'ils la présen-
tassent au peuple comme sorcière, ainsi que le peuple anglais l'osa faire plus
tard pour Jeanne d'Arc.
La cour d'Avignon lui fut hostile, car on savait que la mission de Cathe-
rine était de ramener à Rome la papauté triomphante. Elle décida enfin
cette grande question. — Sainte Brigitte, une autre sainte illustre, venait
de mourir, et ses prophéties avaient ébranlé aussi le Pape. Enfin l'heure
SAINTE CATHERINE DE SIENNE, VIERGE. 133
de ce départ tant désiré par Catherine arriva. Le Pape quitta solennellement
Avignon, et il alla se rasseoir sur le tombeau de saint Pierre (17 janvier 4377).
Grégoire avait exigé qu'elle partît en même temps que lui. Toulon et les
autres villes qu'elle traversa voulurent voir cette fille que la cour papale
avait en si haute estime et dont la sainteté faisait tant de bruit. Elle fit
encore là du bien.
11 lui fallait maintenant pacifier Florence, où le vent de la révolution
soufflait toujours. Catherine demanda la paix avec la cour romaine. Elle
l'obtint du parti guelfe, qui était la fleur de la nation. Le comité des Huit
ne la voulut pas ; cette querelle engendra de nouvelles discordes.
Dans cette lutte suprême , les Huit furent vainqueurs. La populace
était avec eux, ce fut un horrible carnage. Catherine apparaissait à ces
misérables, comme la plus illustre hostie à sacrifier à la patrie, au bien pu-
blic. Menacée avec tous les siens, entourée de vociférations effrayantes,
poursuivie, Catherine, le sourire aux lèvres, se félicitait en elle-même de
pouvoir donner sa vie et son sang pour l'Eglise. Elle espérait peut-être que
ce sang apaiserait les fureurs populaires, qu'il dissiperait l'ivresse de ces
forcenés et ferait refleurir la paix dans la Toscane. La populace la plus
redoutable de Florence, les Ciompi ou cardeurs de laine, la cherchait de
toutes parts. Elle présenta sa tête à leurs hallebardes levées. — Elle se jette
au milieu de ces furieux et tombe à genoux aux pieds de leur chef : « Tu
cherchés Catherine », leur dit-elle, «la voici. Fais ce que Dieu te permettra,
mais ne fais aucun mal à ceux-ci qui sont à moi » .
Le chef de la conjuration populaire s'arrête à sa vue. Ce courage, ce
mépris de la vie, l'inspiration qui la guidait toujours dans les grandes
heures de sa destinée, donnaient à Catherine un prestige que soutenait sa
sainteté bien connue. « Retirez-vous », lui dit-il. « Fuyez, de grâce »,
comme s'il avait craint qu'un de sa troupe osât porter la main sur cette élue.
Mais Catherine ne se relevait pas. «Non», dit-elle, «je veux mourir
ici, je veux donner mon sang pour ce Dieu dont vous outragez les vicaires,
pour vous, pour votre salut. C'est là mon unique désir ». Cette troupe fut
émue. Et ce chef forcené s'enfuit les yeux pleins de larmes, comme s'il eût
été la victime poursuivie et non le bourreau.
De ce jour la révolution se calma dans Florence, et peu à peu Catherine
vit s'avancer cette paix pour laquelle elle s'était offerte en holocauste.
Les villes des Etats pontificaux étaient près de se rendre ; la République
florentine sentait ses intérêts politiques et commerciaux menacés par cette
révolution même, qui n'avait abouti qu'à des tribunaux de sang. Gré-
goire ne demandait qu'un peu de bonne volonté. Catherine, comme la
colombe de l'arche, porta de l'un à l'autre camp le rameau d'olivier, et la
paix de Sarzana termina sa mission politique. Son nom fut chargé des bé-
nédictions de la république. A Sienne elle fut reçue en triomphe (mars 1378).
Aussitôt, cette femme humble et forte alla cacher sa gloire dans sa cel-
lule solitaire délia contrada dell' Oca. Là elle dicta à ses disciples bien-
aimés ce livre admirable qui résume sa doctrine, et qui est le chef-d'œuvre
de ses travaux, le Dialogue, un des monuments les plus importants de la
théologie mystique.
Catherine n'est pas étrangère à la réforme de l'administration temporelle
du Pontificat qui réparait toute l'odieuse conduite des légats. La consti-
tution de Grégoire XI assura le bonheur et la liberté aux populations des
Etats du Pape.
Au joug débonnaire de Grégoire XI succéda le gouvernement droit,
134 30 AVUTL.
juste, mais sévère d'Urbain VI. Ce noble Pontife voulut établir la réforme
ecclésiastique dans toute sa rigueur. Ses cardinaux s'unirent contre lui. Un
schisme éclata dans l'Eglise. Ce fut encore une nouvelle douleur et de nou-
veaux travaux pour Catherine.
Lorsque Urbain VI n'était encore qu'archevêque de Bari, il avait
connu Catherine à la cour d'Avignon, et il savait sa vertu et son influence
sur l'esprit des peuples. Il l'appela à Rome par un ordre formel, car la Sainte
sentait venir ses derniers jours sur la terre, et elle avait besoin de solitud?.
et de recueillement.
Urbain VI la reçut avec bienveillance et comme une vraie puissance
qu'elle était d'ailleurs, par le mérite et la sainteté. — Elle fit aux cardinaux,
en plein consistoire, un discours si sage, si imposant, sur la Providence
particulière de Dieu dans le gouvernement de son Eglise, qu'elle fortifia le
cœur éprouvé du nouveau chef de l'Eglise, et, à la prière d'Urbain, elle se
dévoua à la défense de l'unité.
Elle appela à l'obéissance au souverain Pontife tous les princes de l'Eu-
rope ; son second soin fut de chercher par des lettres pleines de cœur, et
animées de l'énergique sentiment du devoir, à ramener les trois cardinaux
auteurs du schisme. Ensuite, comme elle craignait que la France, fille aînée
de l'Eglise, ne fortifiât le schisme en donnant son adhésion, elle écrivit au
roi Charles V lui-môme, pour lui demander sa récognition en faveur d'Ur-
bain VI. Ce n'était pas une petite démarche. Le roi Charles V était long à
prendre ses décisions, et se fût-il trompé, il n'y fût pas revenu. De plus,
la France ne cachait pas ses sympathies pour les Papes français d'Avignon.
Ce qu'on avait prévu arriva. Charles V se déclara pour Clément VII qui
siégeait à Avignon.
La France fut excommuniée. En haine de son influence, l'Angleterre
se fit urbaniste. L'Allemagne, la Hongrie avaient déjà offert leur obéissance
à Urbain VI, par les négociations de Catherine.
Mais Clément VII, en démembrant les Etats pontificaux au profit d'un
prince de la maison de France, se rendit impopulaire en Italie1. Catherine
eut donc l'avantage de prêcher pour la patrie commune menacée, en même
temps que pour l'unité de l'Eglise, tandis que la France n'avait pour alliée
que Jeanne de Naples ; toutes les nations chrétiennes s'étaient liguées
contre elle.
On vit alors, au milieu de cette grande querelle de la chrétienté, s'éle-
ver la voix de deux femmes, les plus illustres peut-être de ce temps, toutes
deux sœurs en sainteté, toutes deux éminentes en mérite. Ce fut sainte
Catherine de Sienne, l'arbitre de l'Italie, et une autre Catherine, fille de
sainte Brigitte, à qui Urbain, qui la connaissait, disait : « Ma fille, on voit
bien que vous avez été nourrie du lait de votre mère ». La grande pensée
de la réformation de l'Eglise unit ces deux femmes illustres. Des sympathies
mutuelles de leur pensée politique, naquit cette belle et sainte amitié qui
fait leur gloire. Sainte Catherine de Sienne, la plus éminente des deux,
était dans ces douces relations la plus humble encore des deux, et c'était
elle qui allait chaque jour chercher l'entretien de son amie au Viminal, où
était l'humble monastère des religieuses Clarisses que dirigeait Catherine de
Suède.
Catherine tenta de ramener à la vraie Eglise le cœur endurci de Jeanne
do Naples. Elle entama avec cette reine une longue correspondance. Mais
1. Il ne s'était réservé que Rome et la Sabine et avait érigé tout le reste en un royaume de l'Adriatique
destiné au duc d'Anjou, frère de Charles V.
SAINTE CATHERINE DE SIENNE, VIERGE. 135
l'aveuglement et la cruelle légèreté de Jeanne lassèrent la patience de Ca-
therine. Jeanne, déchue depuis longtemps de son trône par ses crimes, n'y
avait plus qu'un pied en quelque sorte. Catherine s'adressa à Charles
Durazzo.
Ce jeune prince répondit à son appel. Il reconnut publiquement Ur-
bain VI, et vengeur des crimes de la reine de Naples, appelé par les vœux
des Napolitains, il recueillit l'héritage de cette princesse.
La dernière consolation humaine qui attendait Catherine en ce monde,
fut la victoire qu'Urbain VI remporta dans Rome même contre une bande
de Bretons, partisans de l'antipape Clément VII. Catherine se priva de ses
disciples bien-aimés pour offrir leurs bras à la défense de la papauté.
Raymond et Etienne étaient partis. Ils avaient surpris à ses paupières des
armes prophétiques. C'était son dernier adieu.
L'année 1380 fut la dernière de cette glorieuse vie qui s'était donnée,
distribuée à tous. Elle expira le 29 avril. C'était le jour de la fête de
saint Pierre, martyr, ce bienheureux dominicain qui rendit l'âme en écrivant
avec son sang ces mots : Je crois en Dieu.
Les angoisses que lui causaient ses révélations sur l'avenir de l'Eglise
furent pour cette Sainte comme une passion douloureuse. Elle criait au
Seigneur, et demandait grâce pour cette Eglise, épouse de son divin Fils.
«Prenez», criait-elle, « ô mon Créateur, ce corps que j'ai reçu de vos
mains. Ne pardonnez ni à la chair, ni au sang, rompez-le, jetez-le dans des
brasiers ardents ; brisez mes os, pourvu qu'il vous plaise de m'exaucer en
faveur de votre vicaire... »
Elle écrivit avant sa dernière heure au bienheureux Raymond : « Mon
ami, ma vie se distille pour l'Eglise, douce épouse du Christ. Je marche
dans la voie arrosée du sang des martyrs. Je prie Dieu de me laisser voir
bientôt la rédemption de son peuple ».
L'esprit malin, son ennemi, lui suscita un combat terrible à ce moment
suprême, car la mort des Saints du Seigneur est quelquefois pleine de tribu-
lations et d'angoisses. Le spectacle de cette lutte dernière, et des souf-
frances de cette âme qu'au seuil du ciel même l'enfer voulait ravir encore,
fît tressaillir les pieuses femmes et les Saints qui l'entouraient. Cette souf-
france fut longue, mais enfin le tentateur la laissa ; le sourire reparut sur les
lèvres de Catherine, et ses hymnes de reconnaissance au Dieu qui l'attendait
ne finirent plus qu'avec sa vie.
Ses adieux à ceux qu'elle aimait furent sublimes. Son aimable Etienne,
conduit aux pieds de Catherine mourante par une inspiration du Saint-Es-
prit, reçut ses dernières paroles. Il se retira dans l'Ordre des Chartreux,
ainsi que Catherine le lui avait prédit.
Il y avait à Rome une pieuse veuve, Sémia, qu'elle admettait dans sa
familiarité. Elle avait fait un rêve cette nuit même, un rêve prophétique
qui lui montra les miséricordes de Dieu sur Catherine, et la présentation au
ciel de cette nouvelle sœur des vierges.
Plusieurs de ses disciples reçurent aussi l'avertissement du triomphe
éternel de leur mère bien-aimée. Catherine elle-même apparut, à l'heure
de sa mort, au Père Raymond, son directeur spirituel qui était alors à
Gênes, et lui fit connaître son bonheur.
La nouvelle de cette mort fut une calamité dans l'Eglise, un deuil pour
toute l'Italie. Le corps de sainte Catherine, paré de l'habit de Saint-Domi-
nique, avec le voile de laine blanche et le manteau noir, fut porté à la Mi-
nerve et déposé dans une chapelle de Saint-Dominique. Ses funérailles
136 30 AVRIL.
durèrent trois jours. Les miracles abondèrent depuis dans cette chapelle
bénie.
Mais la République de Sienne fut jalouse de Rome, et elle demanda au
Pape une relique de cette fille de ses entrailles. Le Pape lui donna cette
tête qui avait porté tant de hautes, tant de nobles pensées. L'arrivée de
cette relique précieuse à Sienne fut un triomphe encore plus complet que
le premier pour la mémoire vénérée de Catherine. Tous les habitants de
Sienne, laïques et religieux, grands et petits, pauvres et riches, allèrent
saluer le Chef bienheureux de la Sainte.
La République de Sienne honora à l'égal d'un lieu saint la maison de
Giacomo, où Catherine avait grandi en âge et en vertus.
Cette pauvre cellule de la Fullonica, toute pleine des ravissements de
Catherine, des parfums de sa pureté, et de ses soupirs vers le ciel, cette
cellule où elle travaillait avec ses compagnes, où, en vraie italienne, elle
mêlait souvent aux paroles saintes une mélodie musicale sortie de son
cœur de poëte, cette cellule elle-même est aujourd'hui un oratoire magni-
fique. L'art a paré ce sanctuaire, l'opulence l'a enrichi de ses dons. Enfin
le culte de la catholicité l'honore et le consacre.
Avant 93, Paris possédait quelques-uns de ses ossements dans le grand
couvent des religieux de Saint-Dominique. L'église de Mailly (Somme) pos-
sède actuellement de ses reliques.
Le pape Pie II la canonisa en 1461, quatre-vingt et un ans après sa nais-
sance au ciel, et Urbain VIII, dans la réforme du Bréviaire, transféra sa
fête au 30 avril. Par décret du 13 avril 1866, Pie IX a établi sainte Cathe-
rine de Sienne, la seconde patronne de Rome.
Voici comme on représente la sainte patronne de Sienne :
1° Notre-Seigneur lui apparaît, et pour la récompenser de sa charité
envers les malades, lui permet d'appliquer sa bouche sur la plaie de son
côté ; 2° saint Dominique la revêt de l'habit de son Ordre ; 3° on la voit te-
nant un chapelet à la main, agenouillée, avec le même saint Dominique
aux pieds de la sainte Vierge. C'est pour exprimer qu'après le fondateur de
la dévotion du Rosaire, nul n'a plus travaillé aie répandre que sainte Cathe-
rine de Sienne ; 4° sur une ancienne gravure en bois du xve siècle, on la
trouve debout, tenant un crucifix accompagné d'un lis et d'une palme. De
la même main, elle tient encore un livre sur lequel est écrit : Jesu dolce,
Jesu amore; de l'autre, un cœur enflammé avec cette légende sur une bande-
rolle : Cor mundum créa in me, Deus. Au dessus deux Anges volent en suspen-
dant trois couronnes sur sa tête, celle de la science, celle de la virginité et
celle du martyre (par les stigmates sans doute) ; 5° mais la manière la plus
caractéristique de la représenter est assurément la suivante : Figure en pied,
costume des religieuses dominicaines, sur la tête une couronne d'épines, un
crucifix à la main sur lequel s'épanouit un bouquet de lis ; aux pieds, aux
mains, au côté gauche, les stigmates figurées par des étoiles à sept rayons
ou plis; 6° Fra Bartolemeo, de l'Ordre de Saint-Dominique, a peint le
mariage mystique de sainte Catherine.
Outre les lettres et le dialogue, on a de sainte Catherine un traité de
l'Obéissance, un de la Discrétion, un de l'Oraison et un quatrième de la Provi-
dence.Il y a dans tous un grand fond de théologie mystique.
La Vie de sainte Catherine, qui occupe cent-vingt-six pages in-folio dans les Bollandistes, t. m
d'avril, a d'abord été' composée par le Père Kaymond de Capoue, son confesseur : nul mieux que lui ne
connaissait la Sainte; il parle en témoin oculaire. Voir aussi une lettre du Pore Etienne Conrard, prieur
de la Chartreuse de Pavie; la bulle de la canonisation rapportée par Surius et les Bollandistes; les ad-
mirables lettres de la Sainte; son Histoire, par Chavin do Malan, 2 vol. in-8o, Paris, 1844.
SAINT ADJUTEUR, SEIGNEUR DE VERNON, ERMITE. 137
SAINT ADJUTEUR ', SEIGNEUR DE VERNON, ERMITE
1131. — Pape : Innocent II. — Roi de France : Louis VI, le Gros.
Celui qui croit en Dieu observe ses commandement!,
et celui qui met en Dieu sa confiance ne tombera
dans aucun mal. Eccli., xxxn, 33.
Adjuteur était de l'illustre maison des seigneurs de Vernon-sur-Seine ;
un d'eux, noramé Guillaume, est enterré dans l'église principale de ce lieu;
il est appelé, dans son épitaphe, prince de Vernon, et passe pour avoir été
grand-père de notre Saint. Son père s'appelait Jean, et sa mère Rosemonde,
l'un et l'autre fort pieux et remplis de charité pour les pauvres. La sainteté
de Rosemonde fut même si grande, qu'on lui donne le titre de Bienheu-
reuse, et qu'on l'invoque publiquement avec son fils. L'éducation qu'Adju-
teur reçut par leurs soins le rendit bientôt un excellent modèle de vertu. Il
faisait sa principale occupation de la prière ; il domptait son corps par des
jeûnes et des abstinences très-rigoureuses, et ne lui épargnait rien de ce qui
était propre à le rendre entièrement soumis à l'esprit. Son austérité alla
même jusqu'à un tel excès, que, tout jeune qu'il était, il ne paraissait avoir
que la peau et les os.
Dans la fleur de sa jeunesse, il se croisa avec un grand nombre d'autres
seigneurs pour aller faire la guerre en Palestine, et tâcher de délivrer le
sépulcre de Notre-Seigneur des mains des infidèles. Lorsqu'il fut près
d'Antioche, quinze cents ennemis l'attaquèrent, et mirent aisément en fuite
sa troupe, qui n'était que de deux cents hommes. Alors il implora, avec une
ardeur extrême, le secours du ciel, et pria sainte Madeleine, pour laquelle
la ville de Vernon avait alors une grande dévotion, de ne le pas abandonner
en cette occasion.
A peine avait-il achevé sa prière, qu'un ouragan épouvantable éclata
tout à coup, remplit les infidèles de terreur, et les obligea de prendre la
fuite à leur tour. Adjuteur rallia ses gens, leur donna un nouveau cou-
rage, et avec ce peu de monde, poursuivit si vigoureusement les fuyards,
qu'il en demeura mille sur place, et que le reste fut mis entièrement hors
de combat.
Après dix-sept ans de diverses entreprises, où il fit toujours paraître un
courage intrépide pour la cause du christianisme, il tomba entre les mains
des ennemis, fut fait prisonnier, jeté dans un cachot et chargé de chaînes ;
on lui fit même souffrir beaucoup de tourments pour l'obliger à renier sa
foi et à se faire sarrasin. Mais il ne fut pas moins constant dans cette cala-
mité, qu'il avait été courageux dans les combats, et rien ne fut capable
d'ébranler sa foi, pour laquelle il souhaitait même de répandre tout son
sang et de perdre la vie. Un jour, qu'après un traitement fort barbare, il
était seul et abandonné dans sa prison, il leva les yeux au ciel et implora le
secours de sainte Madeleine, pour qui il avait une singulière dévotion,
comme tous ceux de son pays, et de saint Bernard de Tiron, qui était mort
depuis peu et que Dieu rendait éclatant par de grands miracles.
1. Ajoutre, Ustre, Adjuton, Adjudou, Aiatou, eto.
138 30 AVEU.
A la suite de cette prière il s'assoupit, et, pendant cet assoupissement, il
fut transporté avec ses chaînes, du fond de sa prison, qui était en Orient,
en un bois proche de la ville de Vernon, lieu de son domaine. Sainte Made-
leine et saint Bernard, auteurs de ce grand miracle, l'ayant mis doucement
à terre, lui dirent que ce devait être là le heu de son repos jusqu'à la
fin de sa vie. L'archevêque de Rouen , qui était Hugues III, en fit des
informations, et le reconnut véritable par la déposition de cinq ou six sei-
gneurs qui avaient mangé avec lui, en Palestine, la veille de son transport
et de son arrivée en Normandie.
Pour lui, afin de reconnaître cette grâce, il fit bâtir une chapelle à l'hon-
neur de sainte Madeleine, au lieu même où cette sainte amante de Jésus-
Christ l'avait déposé, et y fit dresser trois autels, dont le principal fut dédié
sous le nom de Saint-Sauveur et de Sainte-Marie-Madeleine. Ensuite, il se
fit religieux dans l'abbaye de Tiron, qu'il institua héritière de tous ses biens,
et y vécut avec tant de sainteté qu'il était un sujet d'admiration pour tous
les religieux. Il avait un lit dans sa chambre comme les autres religieux,
mais il couchait sur la terre et ne se servait de ce lit que pour cacher son
austérité. Il assistait aux repas de la communauté, mais il s'y contentait de
pain et d'eau et de quelques herbages sans assaisonnements. Il ne quittait
jamais son cilice, et le plus usé de tous les habits était celui qui lui était
le plus agréable.
Avec la permission de ses supérieurs, il se retira en solitude dans cette
chapelle de Sainte-Madeleine qu'il avait fait bâtir, et qui était accompa-
gnée de quelques maisons, prieuré dépendant de Tiron. Il n'est pas croyable
avec quelle ferveur d'esprit, et avec quelle austérité il vécut en cet ermi-
tage. Son logement était une grotte derrière l'autel. Son exercice continuel
était de prier et d'exercer la charité corporelle et spirituelle envers le pro-
chain. L'archevêque Hugues, qui a le premier écrit sa vie, dit qu'il s'appli-
qua avec un zèle infatigable au secours des religieux qui étaient dans le
besoin, à la réparation des églises, au soulagement des pauvres, à la récon-
ciliation des grands seigneurs et des princes, à la réformation de la jeunesse,
au rétablissement des bonnes mœurs, et à tout ce qui pouvait contribuer à
l'ornement du christianisme ; qu'il était persévérant dans les veilles et dans
la prière, infatigable dans le travail, patient dans les afflictions, zélé pour la
Chasteté, qu'il conserva intacte à la guerre où les dangers sont si nombreux
pour cette vertu; enfin, qu'il se rendit aimable à Dieu, aux Anges et aux
hommes.
Les miracles relevèrent encore ses grandes vertus. Il rendit la vue aux
aveugles, l'ouïe aux sourds, la santé à toutes sortes de malades, et délivra
un homme possédé d'un furieux démon. Ayant appris qu'il y avait dans la
Seine un gouffre très-dangereux, où il se perdait beaucoup d'hommes et de
bateaux, il pria l'évêque de s'y transporter, de faire dessus le signe de la
croix, et d'y jeter de l'eau bénite; et, pour lui, il y jeta une partie de la
chaîne avec laquelle il avait été transporté ; et, au même instant, le gouffre
se remplit, et cessa d'être dangereux.
La fin de la vie de saint Adjuteur étant arrivée, il fit supplier l'évêque
diocésain et l'abbé de Tiron de le venir assister. Ils se transportèrent aussi-
tôt en sa chapelle ; après qu'il eut reçu de leurs mains les derniers Sacre-
ments, il rendit son âme, chargée de mérites, à Notre-Seigneur. Ce fut le
30 avril de l'an 1131. Son corps fut enterré en cette même chapelle, qui
avait été le lieu de ses grandes pénitences. Il s'y fit ensuite un grand nombre
de miracles : un huissier, à qui un seigneur qu'il venait assigner, avait crevé
SAINT MAXIME, MARCHAND EN ASIE, MARTYR. 139
les yeux, y fit une neuvaine, vit la nuit saint Adjuteur qui apportait de
l'huile et sainte Madeleine qui lui oignait les paupières, et, à son réveil, il
se trouva guéri. La ville de Vernon et le pays d'alentour étant continuelle-
ment affligés d'incendies, de grêles, d'inondations et d'autres fléaux de
Dieu, s'obligèrent à une procession à la chapelle de Sainte-Madeleine, et
furent entièrement délivrés. Dix habitants seulement, qui s'étaient moqués
de cette dévotion, périrent misérablement dans l'année avec tous leurs
biens et leurs maisons. Parmi les villages qui eurent part à cette grâce, on
met ceux de Passy, de Gaillon, d'Estrépagny et de Longueville. La même
ville étant assiégée, et souffrant de grands dommages par le feu grégeois
que l'on jetait dedans, fut préservée de ce feu qui rebroussa contre les
assiégeants, aussitôt que l'on eut imploré le secours de saint Adjuteur. Des
fiévreux ont aussi été guéris à son tombeau, et l'on éprouve encore tous les
jours sa puissance auprès de Dieu.
Saint Adjuteur est représenté en costume de guerrier ou de religieux
bénédictin; des chaînes sont à ses pieds. On le voit encore traversant les
airs, soutenu soit par des anges, soit par sainte Madeleine et saint Bernard
de Tiron. — Des oiseaux chantent sur son tombeau dont on avait perdu
la trace : c'est, dit-on, à cette circonstance qu'on en dut la découverte.
On invoque saint Adjuteur pour ne pas se noyer, sans doute par allusion à
son nom qui signifie secourable.
Acta Sanctorum, apr.
SAINT MAXIME, MARCHAND EN ASIE, MARTYR (251).
L'empereur Dèce, ayant résolu d'exterminer notre sainte religion, fit publier par tout l'empire
des édits qui ordonnaient aux chrétiens d'adorer les idoles. Maxime, qui était d'Asie et marchand
de condition, se déclara hautement pour serviteur de Jésus-Christ. On l'arrêta aussitôt, et on le
conduisit devant le proconsul Optime.
Le proconsul, après lui avoir demandé son nom, ajouta : « De quelle profession êtes-vous?
— Maxime : De condition libre, mais serviteur de Jésus-Christ. — Le proconsul : Quelle est votre
profession? — Maxime : Je suis un homme du peuple, et je vis de mon négoce. — Le proconsul :
Etes-vous chrétien? — Maxime : Oui, je le suis, quoique pécheur. — Le proconsul : N'avez-vous
pas connaissance des édits qui ont été publiés depuis peu? — Maxime : Quels édits? et que
portent-ils? — Le proconsul : Que tous les chrétiens aient à renoncer à leur superstition et à
reconnaître le vrai prince à qui tout obéit, et qu'ils adorent ses dieux. — Maxime : Je connais
cet édit impie; et c'est cela même qui m'a porté à confesser publiquement ma religion. — Le
proconsul : Puisque vous êtes informé de la teneur des édits, sacrifiez donc aux dieux. — Maxime:
Je ne sacrifie qu'à un seul Dieu, et je me félicite de lui avoir sacriGé dès ma jeunesse. — Le pro-
consul : Sacrifiez pour sauver votre vie; car je vous déclare que si vous désobéissez, je vous ferai
expirer dans les tourments. — Maxime : C'est ce que j'ai toujours désiré : je ne me suis fait con-
naître que pour avoir l'occasion de quitter promptement cette misérable vie, afin d'en posséder une
qui est éternelle ».
Alors le proconsul lui fit donner plusieurs coups de Mton; il lui disait en même temps : « Sa-
crifiez, Maxime, sacrifiez pour vous délivrer des tourments. — Maxime : Ce qu'on souffre pour le
nom de Jésus-Christ n'est point un tourment, c'est une vraie consolation *; mais si j'avais le
malheur de m'écarter de ce qui est prescrit dans l'Evangile, ce serait alors que je devrais m'at-
tendre à des supplices éternels ». Le proconsul, irrité de sa résistance, ordonna qu'il fût étendu
sur le chevalet; et pendant qu'on le tourmentait, il lui répétait souvent ces paroles : « Renonce,
misérable, à cet entêtement insensé, et sacrifie enfin pour sauver ta vie. — Maxime : Je la perdrais
1. llxc non sunt tormenta, sed unctiones.
440 30 avril.
en sacrifiant; et c'est pour la conserver que je ne sacrifie pas. Vos bâtons, vos ongles de fer,
votre feu, ne me causeront aucune douleur, parce que la grâce de Jésus-Christ est en moi; elle
me délivrera de vos mains, pour me mettre en possession du bonheur dont jouissent tant de Saints
qui, dans le même combat, ont triomphé de votre cruauté; et c'est par la vertu de leurs prières
que j'obtiens cette force et ce courage que vous voyez en moi '.
Le proconsul, désespérant de pouvoir vaincre le soldat de Jésus-Christ, prononça la sentence
suivante : «J'ordonne que Maxime, qui a refusé d'obéir aux édits, soit lapidé pour servir d'exemple
aux chrétiens ». Maxime fut aussitôt enlevé par une troupe de satellites, qui le conduisirent hors
de la ville, où ils l'assommèrent à coups de pierres. Son martyre arriva en 250 ou 251.
Saint Maxime est honoré par les Grecs le 14 mai, qui fut le jour de sa mort. Il est nommé
gous le 30 avril dans le martyrologe romain.
Ces actes sont un modèle de ce qu'on appelle des Actes proconsulaires, c'est-a-dire qu'ils ont été tiré»
mot à mot du greffe du tribunal qui condamna saint Maxime. Cf. Surius, Baronius, Henschenius et Ruinart ;
Tillemont, Fleury, etc.
SAINTE HOILDE, YIERGE (ve siècle).
Hoïlde, vierge illustre, eut pour père Sigmare, et pour mère, Leutrade. Ses parents, d'une
noblesse distinguée, comte et comtesse de Perthes, en Champagne, eurent sept filles aussi pieuses
que nobles. L'aînée se nommait Amée, la plus jeune Manégilde ou Ménehould ; Hoïlde était du
nombre des intermédiaires. Toutes grandirent à l'ombre de la vigilance de leurs parents, le cœur
cultivé et formé par les bonnes mœurs et les sages enseignements. Ayant reçu de leurs parents un
corps sain et de Dieu une âme excellente, elles furent agréables à Dieu et aux hommes, et, comme
il sied à des Vierges bien nées et bien élevées, elles eurent toujours une sagesse supérieure à leur
âge. Eclairées dès leurs tendres années par la grâce de Dieu, et, voyant combien le monde était
assujéti au règne du mal, elles résolurent, d'un consentement unanime, de mépriser ses attraits,
ainsi que les fausses délices de la chair, pour s'unir à Jésus-Christ seul et pour lui garder leur
fleur de virginité. — Amée exhortait ses sœurs, Ménehould appuyait ses exhortations ; Hoïlde
voulait que ce fût un parti pris.
En ce temps, saint Alpin, évèque de Châlon, visitant les églises de son diocèse, se rendit à
Perthes, où il reçut, avec un pieux empressement, les sept jeunes sœurs que leurs dévots parents
lui présentèrent. De leur plein consentement, il les consacra à Dieu, leur fit connaître encore
mieux le prix de la virginité, leur donna une règle de vie et de sages prescriptions, les enrichit
de sa bénédiction, et, en se retirant, les recommanda à leurs parents, non plus simplement comme
leurs filles, mais comme les fiancées de Dieu même. Elles suivirent toute leur vie la règle que leur
avait donnée saint Alpin. Amée, Ménehould et Hoïlde parvinrent à une sainteté plus haute que les
autres ; et, après avoir supporté en cette vie les travaux des bonnes œuvres, elles s'envolèrent
dans le séjour de la gloire.
Plusieurs siècles après, le comte de Champagne, Henri le Libéral, eut une vision, pendant son
sommeil, dans laquelle il lui sembla qu'il était tombé dans un puits, et qu'un terrible malheur
avait frappé sa vie ; mais sainte Hoïlde vint à son aide et le délivra. A son réveil, ayant demandé
et appris qui était sainte Hoïlde, il fit rechercher son corps. Il le découvrit et le fit transférer à
l'église Saint-Etienne de Troyes, qu'il avait construite et dédiée au premier martyr. Cette transla-
tion eut lieu, en 1159, au mois de septembre. Dieu l'approuva par des miracles, et le bruit qu'ils
produisirent fit que la comtesse de Bar demanda et obtint un bras de sainte Hoïlde, pour le déposer
dans un monastère de religieuses, de l'Ordre de Citeaux, lequel prit le nom de Sainte-Hoïlde. Dieu
glorifia une si grande Sainte par des miracles. Pour obtenir de l'eau en un temps d'extrême
sécheresse, les chanoines, ayant porté le corps de sainte Hoïlde en procession, furent inondés
d'une pluie abondante. Un homme, atteint d'une maladie si grave qu'il ne pouvait marcher, ni
porter sa main à sa bouche, fut averti par sa femme, la veille de la fête de sainte Hoïlde, de faire
un vœu à cette Sainte et de se recommander à elle ; le lendemain matin, on le porta auprès de la
1. Omnium sanctorum orationibus qui in hâc colluctatione certantes, vestras superaverunt iusanias,
nobisque virtutum esempla reliquerunt. Ruin., p. 145.
LE3 SAINTS AMATOR, PIERRE, LUDOVIC ET JEAN, MARTYRS A CORDOUE. 141
ehâsse de la Sainte ; quand il eut accompli son vœu et fait sa prière, il se trouva guéri et put
revenir à la maison sans aide. Une femme, récemment accouchée, minée par une fièvre incessante
et étouffée par un dangereux abcès à la gorge, avait été vainement traitée par les médecins qui
désespéraient de sa vie; mais, avertie par son frère, qui était chanoine de Saint-Etienne, d'offrir
un vœu et des prières à sainte Hoïlde, elle suivit ce conseil, et, à l'instant, elle vomit le pus de
son abcès, fut délivrée de la fièvre et rendue pleinement à la santé. Le corps de sainte Hoïlde
reposait dans une châsse dorée et recevait de nombreux hommages.
Ancien Propre de Troyu de 1S48.
SAINT ERKONWALD, ÉVÊQUE DE LONDRES (698).
Saint Erkonwald était fils de l'un des rois de l'Heptarchie, on ne sait duquel. Il sortit des
domaines de son père et alla, avec la part de son héritage, fonder deux monastères : l'un à Chertsey,
dans le comté de Surrey, près de la Tamise; l'autre à Barking, dans le comté d'Essex : ce dernier
était destiné à des religieuses : il en donna le gouvernement à sainte Edilburge, sa sœur. En 665,
le roi Sebba le fit sortir de sa solitude de Chertsey pour l'élever sur le siège épiscopal de Londres
qu'il occupa onze ans. Il augmenta considérablement les revenus et les bâtiments de Saint-Paul.
Cette magnifique église, qui était la gloire de la nation anglaise, fut détruite par la fureur des
schismatiques, au xviB siècle. Avant d'accomplir cette œuvre de destruction, ils tirèrent les morts
de leurs tombeaux, brisèrent les monuments funéraires et jetèrent au vent les cendres qu'ils conte-
naient. Dans cette barbare recherche, on trouva, entre autres, le corps du pieux roi Sebba embaumé
et enveloppé d'étoffes précieuses. On se proposait de découvrir des trésors, et l'infâme avidité des
chercheurs ne trouva que quelques anneaux avec leurs pierres et un calice de peu de valeur. Ce
qui se fit à Londres, se fit dans tout le reste de l'Angleterre.
En 1533, le corps de saint Erkonwald disparut de la cathédrale et il n'en a plus été reparlé
depuis que celle-ci a été reconstruite.
Disons un mot des monastères de Chertsey et de Barking, fondés par saint Erkonwald. Le
premier, brûlé par les Danois qui en massacrèrent l'abbé et les quatre-vingt-dix religieux, fut
rebâti par le roi Edgar. Le second jouissait d'un revenu d'environ deux cent mille francs, lorsque
la main avide d'Henri VIII s'appropria couvent et rentes.
LES SAINTS AMATOR, PIERRE, LUDOVIC ET JEAN,
MARTYRS A CORDOUE (855).
Saint Euloge, évêquc et martyr de Cordoue, en Espagne, nous a conservé le nom de quatre
héroïques confesseurs, dont les Maures versèrent le sang en l'année 855. Le premier et le plus
intrépide était un jeune prêtre, nommé Amator, qui avait quitté sa petite ville de province, —
le bourg de Martos — et s'était rendu, avec sa famille, à Cordoue, pour y faire ses études. Ses
compagnons de martyre furent un moine, nommé Pierre, et Ludovic, tous deux nés à Cordoue, de
familles bourgeoises. Ils s'étaient dévoués, par zèle, à la conversion des Mahométans; mais l'exé-
cution de ce projet mit dans une telle fureur les ennemis de la foi, qu'ils fondirent sur eux et les
égorgèrent. Leurs corps furent jetés dans le Guadalquivir, fleuve qui passe à Cordoue. Les chré-
tiens de diverses localités les recueillirent et leur donnèrent la sépulture. Ils sont honorés d'un
culte public à Cordoue, où ils ont un office particulier du rite semi-double.
Le bienheureux Pierre fut enseveli au monastère de Saint-Sauveur, presque aux portes de
Cordoue, et le bienheureux Ludovic à quelques milles de là, dans la ville de Palma, dont les comtes
prirent souvent le nom de Louis, par dévotion envers ce glorieux Martyr. Quant au bienheureux
Amator, il fut transporté dans sa patrie, qui changea de nom en sa mémoire et prit celui de
Martos, altération d'Amator. On joint a ces trois Martyrs le bienheureux Jean, qui n'est pas
nommé par le martyrologe romain.
142 30 AVBIL.
SAINT RAYMOND DE CALATRAVA (1163).
Sa fête tombe le 30 avril dans le diocèse qui l'a vu naître. Voici une notice succincte de ce
saint fondateur.
« Saint Raymond naquit à Saint-Gaudens, ancien diocèse de Comminges, à la fin du xi6 siècle,
et fut religieux de l'Ordre de Cîteaux, au couvent de l'Escale-Dieu, dans le diocèse de Tarbes.
Envoyé en Espagne avec quelques autres religieux, dans le but d'y étendre l'Ordre, il fonda le
couvent de Hitero, dont il fut le premier abbé, et qu'il rendit très-florissant par ses rares qualités
et sa réputation de sainteté.
« Dans ce temps-là, les Almohades travaillaient à reprendre les places conquises sur eux parle
roi d'Espagne. Ils désiraient surtout reprendre celle de Calatrava. Effrayés des grands préparatifs
des infidèles, les Templiers, qui avaient reçu la garde de cette ville, ne se sentirent pas assez
forts pour résister aux Maures, et ils la rendirent au roi Sanche. Le roi fut embarrassé de cette
restitution peu généreuse. 11 fit publier que, si quelque vaillant homme voulait se charger de la
défense de Calatrava, il lui donnerait cette ville, avec toutes ses dépendances et ses privilèges.
Aucun des chevaliers de Castille n'osant se présenter, le religieux français de l'Escale-Dieu, l'abbé
de Hitero, demanda au roi la défense de la place. Le roi, applaudissant à son généreux projet,
s'empressa de la lui accorder. Raymond, accompagné d'un de ses moines qui avait porté les armes,
fit un énergique appel à tous les cœurs pieux, et, ayant réuni une armée de vingt mille hommes,
auxquels il sut communiquer son ardeur, il parvint, avec l'aide du ciel, sur lequel il comptait
plus que sur les efforts humains, à repousser les inûdèles et à les chasser des positions d'où il»
menaçaient Calatrava.
« Ce fut alors que lui vint la pensée de réunir un certain nombre de ses compagnons d'armes,
des plus nobles et des plus pieux, pour fonder l'Ordre de Calatrava, dans lequel, joignant la vie
militaire à la vie monastique, on s'engageait à défendre la religion contre ses ennemis. Raymond
lui adapta la Règle de Citeaux. Il était déjà avancé en âge quand il chassa les Maures. Il passa la
reste de sa vie dans les soins de son Ordre et l'exercice des vertus religieuses, attaché surtout à
la contemplation des choses divines, jusqu'à ce qu'il mourut, en 1163. Son corps, après avoir
passé trois cents ans à Calatrava, fut transporté au monastère du Mont-de-Sion, à Tolède. Sa fête
se célèbre, dans l'ancien diocèse de Comminges, le 30 avril ».
Fourni par M. Fourcade, professeur au séminaire de Saint-Ptf,
FIN DU MOIS D AVMt.
MARTYROLOGES. 143
MOIS DE MAI
PREMIER JOUR DE MAI
MARTYROLOGE ROMAIN.
La naissance au ciel des bienheureux apôtres Philippe et Jacques. Philippe, après avoir
converti à la foi de Jésus-Christ presque tout le pays des Scythes, vint à Hiérapolis, ville d'Asie,
où il fut crucifié, puis assommé à coups de pierre, et se reposa ainsi dans une fin glorieuse.
Quant à saint Jacques, qui est aussi nommé, dans l'Ecriture, frère du Seigneur, et qui fut le
premier évèque de Jérusalem, ayant été précipité du haut du temple, il eut les jambes rompues,
et fut ensuite achevé à l'aide d'un levier de foulon, avec lequel on lui brisa le crâne ; il fut enterré
au même endroit, non loin du temple. 61. — En Egypte, saint Jérémie, prophète, qui fut lapidé
par la populace, et mis à mort, à Taphnis, où son corps fut aussi mis en terre. Saint Epiphane
dit « que les fidèles avaient coutume d'aller prier à son tombeau, et qu'ils en rapportaient de la
poussière qui leur servait de remède contre la morsure des aspics ». — Dans le Vivarais, saint Andéol,
sous-diacre, que saint Polycarpe envoya de l'Orient dans la Gaule, avec plusieurs autres, pour y
prêcher la parole de Dieu. Ce Saint fut rompu de coups avec des bâtons hérissés d'épines, et eut
la tête fendue en quatre parties, en forme de croix, avec une épée de bois, ce qui consomma son
martyre sous l'empire de Sévère. 208. — A Huesca, en Espagne, les saints martyrs Orens et
Patience. — A Sion, dans le Valais, saint Sigismond, roi des Burgondes ou Bourguignons, qui
fut jeté et noyé dans un puits, et fut eusuite célèbre par ses miracles. 524. — A Auxerre, saint
Amateur, évêque et confesseur. 418. — A Auch, saint Orience ou Orens, évèque. Ve s. — En
Angleterre, saint Asaph *, évèque, et sainte Walburge, vierge. 778. — A Bergame, sainte Grate,
veuve. — A Forli, le bienheureux Pérégrin, de l'Ordre des Servites de la bienheureuse vierge Marie *.
MARTYROLOGE DE FRANCE, REVU ET AUGMENTÉ.
A Amiens, saint Ache et saint Acheul, martyrs, dont les reliques reposent dans une église magni-
fique, bâtie en leur honneur aux portes de la ville. — A Russou, au pays de Tongres, S. Evermar,
martyr, qu'un tyran, nommé Haccon, massacra en haine de sa piété, dans un bois, comme il allait
en pèlerinage à Saint-Gervais de Maëstricht. 700. — A Avenay, au diocèse de Chàlons-sur-Marne,
sainte Berthe, femme de saint Gombert, laquelle, après avoir vécu quelque temps avec lui à
l'ombre du mariage, dans une pureté angélique, s'en sépara de son consentement, et embrassa la
vie religieuse, ce qui ne l'exempta pas de la persécution des impies, qui la mirent cruellement à
mort et en firent une illustre martyre, vu8 s. Leur fête se célèbre à Reims le 28 avril. — En
Auvergne, sainte Florine, vierge et martyre. — A Auch, mémoire de saint Ursinien, dont le culte
a péri en traversant les âges : il précéda saint Orens sur le siège d'Auch. — A Coutances, saint
Cariulphe ou Criou, originaire de Bayeux, et saint Domard, tous deux disciples de saint Marcoul.
La cathédrale de Coutances possède de leurs reliques. — Le vendredi après l'Ascension, fête de
1. Saint Asaph était disciple de saint Kentigern, évêque de Glascow. Ce prélat, chassé de son siège,
fonda un monastère dans le nord du pays de Galles, sur le bord de l'Elwy. Lorsque saint Kentigern fat
rappelé à Glascow, saint Asaph fut placé a la tête du monastère et du siège épiscopal qui était attaché
à ce monastère. Le siège d'Elwy prit le nom de Saint-Asaph.
2. Voir une notice sur sa vie au 30 avril.
144 1er MAI,
sainte Gertrdde, patronne de Vaux-en-Dieu!et, au diocèse de Reims. — A Vabres, en Rouergue,
saint Africain, évèque de Comminges, qui purgea la plus grande partie de cette province de l'in-
fection de l'arianisme. Sa fête se célèbre à Rhodez le 28 avril *. vi« s. — A Montauban, saint
Théodard, archevêque de Narbonne, qui fut, pendant sa vie, un trésor de doctrine, un prodige
d'éloquence et un modèle parfait de sainteté. Vers 893. — Dans la Basse-Bretagne, saint Brieuc,
évèque et confesseur. Sa fête se fait à Quimper le 13 mai. Vers 614. — Près de Cadillac, sur la
Garonne, vis-à-vis d'Alengon, saint Macaire, évèque de Comminges, disciple de saint Martin, qui
convertit à la foi la ville qui porte son nom, ayant saint Cassien et saint Victor pour collègues
dans le ministère de la prédication. Son corps repose maintenant à Bordeaux, où il a été trans-
porté avec une pompe extraordinaire par un des ducs d'Aquitaine, vi8 s. — A Gap, saint Arige
ou Arey, évèque, loué par saint Grégoire le Grand pour son zèle contre les Simoniaques 2. 604.
— Au diocèse de Coulances, saint Marcodl, abbé, qui a mérité à nos rois très-chrétiens la grâce
héréditaire de guérir les écrouelles. 11 y a quelques parcelles de ses reliques dans l'église cathé-
drale de Coutances, ainsi que dans l'église paroissiale de Saint-Marcoul, dans le même diocèse.
558. — A Nanteuil, saint Domard et saint Criou, les fidèles compagnons de saint Marcoul qui
moururent le même jour que lui. 53S. — A Tarbes, saint Juste ou Justin, saint Magne,
saint Isice et saint Photius, prédicateurs apostoliques. Leur fête est à Tarbes le 28 mars,
— A Meaux, saint Blandin, confesseur, dont le corps est au prieuré de la Celle, près de Fare-
montier. Après le milieu du vne s. — A Reims, S. Tni:oDCU>HE, vulgairement saintTHiou,
abbé de Saint-Thierry. Vers 590.— A Savigny, diocèse d'Avranches, les bienheureux Geoffroy,
Guillaume, Pierre et Haymon, religieux de ce monastère, dont les corps ont été levés de terre en
ce jour, pour être exposés à la vénération des fidèles. Les deux premiers ont aussi été abbés. —
A Auxerre, sainte Marthe, vierge, qui conserva dans son mariage avec saint Amateur ou Amatre,
depuis évèque d'Auxerre, la même pureté que la nature lui avait donnée à sa naissance. — A
Troyes, un autre saint Amateur, évèque de cette ville. 340. — A Villefranche, en Bourbonnais
(diocèse de Moulins), pèlerinage de sainte Thorette, bergère. XIIe s. — A Fosse, en Hainaut,
saint Outain ou Ultan, missionnaire irlandais, frère de saint Fursy et de saint Foillan, premier abbé
du Mont-Saint-Quentin, massacré par des brigands idolâtres au moment où il traversait une forêt
avec trois compagnons en chantant les louanges de Dieu. Il fut enseveli dans l'église Sainte-
Agathe de Fosse qu'il avait fait construire sur un fonds à lui donné par sainte Gertrude de
Nivelle 3. Vers 68C. — A Moncel, dans le diocèse de Beauvais, sainte Pétronille, de l'illustre famille
des comtes de Troyes, première abbesse de l'abbaye de ce nom fondée par Philippe le Bel. Jusqu'au
moment de leur dispersion à la fin du xvin6 siècle, les religieuses de Moncel ont toujours vénéré
sainte Pétronille comme leur modèle et l'ont invoquée comme leur protectrice auprès de Dieu *. 1355.
1. Voir ce jour. — 2. Voir sa vie au 1G août.
3. Sa mémoire se trouve dans les martyrologes des Pays-Bas sous le 1er mai, jour de sa mort, arrivée
en 686 ou environ. Ses reliques existaient encore vers la fin du dernier siècle dans l'église de Fosse,
petite ville située a trois lieues de Namur. Ce fut Notger, évèque de Liège, qui en fit une ville qu'il en-
toura de murailles en 974, et changea vers le même temps le monastère, dévasté pendant les irruptions
des Normands, en un chapitre de chanoines. Saint Norbert demeura quelque temps parmi les chanoines
de Fosse, qui lui cédèrent, en 1125, leur oratoire de lïœux, bâti au même endroit où saint Foillan avait
souffert le martyre. C'est cet oratoire qui donna naissance à l'abbaye de Saint-Foillan ou Feuillan-aux-
Hceux, dont les religieux payaient tous les ans au Chapitre de Fosse une pièce d'or ou douze deniers d'ar-
gent, et devaient lui présenter leur abbé après sa bénédiction, afin d'y prendre la crosse abbatiale sur
l'autel de saint Foillan. Ces chanoines ont été des premiers, l'an 1246, à célébrer la Fête-Dieu, à la de-
mande de Robert, évèque de Lidge. (Mgr de Ram.)
4. Nous allons retracer en quelques mots l'origine de la fondation royale de Moncel : Ils rappelleront
un édifiant exemple de foi et de piété donné à ses sujets par un petit-fils de saint Louis.
« Malgré ses tristes démêlés avec le souverain pontife Boniface VIII », dit l'historien du diocèse de
Beauvais. « Philippe le Bel tenait à la religion, et professait une grande estime pour les personnes qui en
remplissaient fidèlement les devoirs, et suivaient la route qu'elle trace pour arriver à la perfection ».
Animé de ces religieux sentiments, il décréta en ces termes, pendant un séjour qu'il fit a Pont-Sainte-
Maxence, la fondation d'un' monastère de l'Ordre de Sainte-Claire : « Nous avons délibéré, en l'honneur
du Tout-Puissant, de la bienheureuse Vierge Marie, des Apôtres saint Pierre et saint Paul, de toute la
cour céleste, et aussi pour la célèbre et spéciale mémoire de saint François et de sainte Claire, de fonder
un couvent de religieuses au lieu dit Le Moncel, proche de notre maison royale... Là, des sœurs dudit
Ordre offriront a Dieu, auteur de tout bien, des prières et des hosties salutaires pour nous, nos succes-
seurs, l'état de notre royaume, et en même temps pour le soulagement des âmes de notre très-chère et
aimée épouse, et de nos parents... » Ce prince jeta lui-même les fondements de cette abbaye, mais elle
ne put être livrée a sa sainte destination que sous le règne de Philippe de Valois. Le 17 juillet 1336, la
reine Jeanne de Bourgogne y mit douze religieuses tirées des couvents de Saint-Marcel de Paris, de
Longchamp et de Sainte-Catherine de Provins. Le monastère du Moncel vit accroître rapidement ses ri-
chesses. Il reçut en don, ou acquit à prix d'argent, la seigneurie de Pontpoint, plnsieurs fermes impor-
tantes, les dîmes de Villeneuve, etc. Pendant la captivité du roi Jean, les religieuses vendirent, pour le
racheter, les pierreries et les vases d'or et d'argent que Philippe de Valois leur avait donnés. Louis XIV
leur fit présent du château de Pont, appelé aussi château de Fécamp... L'église de cette abbaye fut de'-
truite en 1793... Les bâtiments claustraux sont passés dans le domaine particulier. (Graves, Annuaire de
l'Oise, statistique du canton de Pont-Sainte-Maxence, 56-60.)
MARTYROLOGES. 145
— A Amiens, saint Milfort, saint Varloix, saint Luxor, sainte Agrippine, sainte Laurienne, saint
Gratien et plusieurs autres qui ne sont plus connus que par de vagues traditions. Puisse le sou-
venir que nous leur accordons, nous les rendre propices. — En Basse-Bretagne, la translation de
saint Corentin, évêque de Quimper, qui a laissé à cette ville, avec son nom, une mémoire éternelle
de ses vertus. On célèbre son décès le 12 décembre, et sa translation le premier dimanche de
mai. — A Clermont, en Auvergne, fête de Notre-Dame de Grâce, qu'on invoque contre les maladies
contagieuses. — A Solesmes, les saints martyrs Boniface, Maxime, Vital et Julienne, dont les corps,
tirés des catacombes, furent donnés à cette abbaye en 1661 : on les y vénère encore aujourd'hui.
— A Etretat, en Normandie, cérémonie de la bénédiction de la mer. — Au diocèse de Troyes,
sainte Germaine, vierge et martyre, et sainte Honorée. 451.
MARTYROLOGES DES ORDRES RELIGIEUX.
Martyrologe des Chanoines réguliers. — Chez les Prémontrés : Le dimanche dans l'octave
de l'Ascension, au diocèse de Ruremonde, dans la province de Falcobourg, saint Gerlac, confes-
seur, qui, sous l'habit de Prémontré, mena pendant quatorze ans une vie très-austère, enfermé
dans l'intérieur d'un chêne qu'il avait lui-même creusé et, enfin, comblé de vertus et de miracles,
décéda dans le Seigneur le 5 janvier 1.
Martyrologe des Trinitaires déchaussés. — A Madrid, la translation solennelle du corps de
notre Père saint Jean de Matha, lequel, ayant été enfermé dans une châsse d'argent, ornée de
pierres précieuses, fut promené sur les épaules des citoyens les plus notables, dans une procession
très-solennelle, par les rues et par les places de la ville, puis porté dans l'église de l'Ordre des
Trinitaires, où il fut déposé par l'autorité d'Innocent XIII, et où il est visité et honoré avec une
grande dévotion. (La fête de cette translation a lieu le samedi avant le cinquième dimanche après
Pâques.)
Martyrologe des Capucins. — A Assise, en Ombrie, la dédicace de la basilique patriarcale
de saint François, qu'Innocent IV consacra solennellement, et que Grégoire IX soumit directement
au Saint-Siège, et établit dans la dignité de chef-lieu et de métropole.
ADDITIONS FAITES D'APRÈS LES BOLLANDISTES ET AUTRES HAGIOGRAPHES.
A Hierapolis, sainte Marianne et sainte Philippe, filles de l'apôtre saint Philippe. i« s. — A
Catane, en Sicile, saint Comin ou Comice, martyr. 270. — A Gallipoli, en Italie, ville où a long-
temps prédominé la langue grecque et où l'on élisait tour à tour un évêque hellène et un évêque
latin, la déposition de saint Maur de Libye, martyrisé à Rome. Il y avait autrefois, à Gallipoli,
une église et une abbaye du nom de Saint-Maur. Règne de Numérien. 283. — A Avellino et a
Atripalda, dans le royaume de Naples, fête de saint Hypolixte ou Hypolistre, prêtre et martyr,
originaire d'Antioche, qui vint prêcher l'Evangile en Italie, et convertit huit mille hommes dans la
seule ville d'Avellino : il est le principal patron de cette dernière ville et d'Atripalda. 303. —Près
d'Evora, en Portugal, en un lieu dit la Fosse aux Martyrs, sainte Colombe et sa sœur mises à
mort pour Jésus-Christ. Une fontaine jaillit à l'endroit où roulèrent leurs tètes, dont les eaux furent
longtemps salutaires aux malades qu'y amenait une vraie foi. 303. — Encore en Portugal, le
vénérable Gérald, de l'Ordre des Chanoines réguliers à Canseda : on l'invoque contre les maux de
côté. xne s. — En Afrique, les saints Quintien, Eleuthère, Gage, Alexandre et Saturnin, martyrs.
— Et ailleurs, les saints martyrs Apollonius et Euphémius. — Chez les Grecs, saint Sabas,
martyr, qui fut suspendu par les doigts à un figuier. — A Nisibe, en Mésopotamie, saint Bâtas,
martyr, qui avait quitté, à l'âge de trente ans, sa famille, ses richesses et la Perse, sa patrie,
pour venir se faire religieux sur les terres de l'empire romain. Le roi de Perse ayant déclaré la
guerre à ses nouveaux sujets chrétiens, lorsque l'empereur Jovien lui eut cédé Nisibe, Bâtas fui
pris. Dix soldats lui tirèrent les bras et disloquèrent tous ses membres ; après quoi on le garrotta,
on retendit par terre et on lui coupa la tète. Vers 365. — Chez les Grecs, sainte Isidora, vierge,
qui, comme une abeille fatiguée du poids du jour, s'envola, chargée du miel des bonnes œuvres,
vers le céleste rucher. — A Trêves, sur la Moselle, saint Théodulphe, prêtre, qu'il ne faut pas
confondre avec saint Théodulphe de Beims. Ses reliques furent découvertes, en 1240, dans l'ora-
toire du palais de sainte Hélène et déposées au couvent des Dominicains. La tradition, qui n'avait
pas oublié ce Saint, bien que l'on ignorât l'endroit où gisait son corps, le faisait petit-neveu des
empereurs romains. vne s. — A Castel-san-Peregrino (autrefois village de Contro), dans le diocèse
de Nocera, en Ombrie, saint Pèlerin qui, repoussé par les habitants de ce lieu, mourut de froid
et de misère, pendant une nuit d'hiver. Les villageois, ayant trouvé son bâton qui avait fleuri près
de son cadavre, reconnurent leur faute et sa sainteté. Milieu du XIe s. — A Terni, dans l'Ombrie,
les saints Procule, Péleste, Agapit et trente-trois soldats, martyrs. — En Orient, saint Quentin ou
Quintien, martyr. — A Mérida, en Espagne, saint Saturnin, martyr. — En Irlande, saint Kellac,
évêque. Vers l'an 600. — A Pauzano, en Toscane, saint Euphrosin qui parait avoir été un
1. Voyez ce jour.
Vies des Saints. — Tqme V. 10
146 in MAÏ.
évèque missionnaire. Ses actes ont péri. La tradition locale montre une pierre où il a laissé l'empreinte
de son pied et une autre où, s'étant assis, il a laissé celle de ses reins. Il existe, à Panzano, une
église de sou nom. — A Fossombrone, en Ombrie, saint Aldebrand, évèque et patron titulaire de
la cathédrale. Il mourut centenaire. xne s. — A Montaione, en Toscane, le bienheureux Vivald ou
Ubald, ermite, du Tiers Ordre de Saint-François et patron de l'église paroissiale. Il se mit d'abord
au service d'un autre ermite qui était lépreux, et passa le reste de sa vie dans un marronier creux.
Plus tard, il s'éleva, sur son ermitage, une église et un couvent de la stricte Observance qui prit son
nom. xive s. — A Agamio, dans ie diocèse de Novare, en Italie, sainte Panacée, vierge et bergère,
tuée par une indigne belle-mère qui, l'ayant trouvée occupée à prier, lui enfonça des fuseaux dans
la tète. Son tombeau, sur lequel s'est élevée une église, est devenu un but de pèlerinages. On a,
dans le diocèse de Novare, une grande dévotion à sainte Panacée que l'on invoque surtout contre
l'épilepsie. 1383. — A Bergame, sainte Grata ou Gracieuse. Fille de Lupus, gouverneur de la ville,
elle fut mariée à un seigneur germain, bien que, dans son cœur, elle eût désiré n'avoir d'autre époux
que Jésus-Christ. Mais le Seigneur, qui connaissait les secrets désirs de sa servante, permit que son
mari mourût avant la consommation du mariage. Héritière d'un riche patrimoine, elle l'employa tout
entier à de bonnes œuvres : elle fonda trois oratoires et un hôpital où elle allait elle-même soigner
les malades. Ces libéralités firent sans doute fermer les yeux aux autorités locales sur le manque
d'égard que Grata témoignait aux édits impériaux alors si sévères «ontre les chrétiens. Elle put
donner l'hospitalité à Alexandre, un des officiers de la légion thébéenne qui avait échappé par la
fuite au massacre de ses compagnons d'armes, ainsi que quelques soldats de sa suite. Lorsque
Alexandre, devenu de soldat apôtre du Christ, eut été mis à mort pour la cause de la religion,
Grata l'ensevelit de ses propres mains. 307.
FÊTES MOBILES DE MAI.
Le troisième dimanche après la Pentecôte, fête du Très-Saint Cœur de Jésus. — Dans un grand
nombre de diocèses de France, le dimanche dans l'octave de l'Ascension, fête des saintes reliques
dont le diocèse est enrichi. — A Billom, en l'église de Saint-Cerneuf (et pour mémoire), fête
d'une relique du précieux sang de Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui fut apportée de Syrie vers la
fin du XIe siècle à l'époque de la première croisade, par deux chanoines de cette église, Durand
Albanelli, parent de Godefroy de Bouillon, et Pierre Barbasta. Cette inestimable relique, qui a
disparu à la Révolution, consistait en une cuillerée, environ, d'un sang qui conservait sa couleur
naturelle et sa fluidité. Plusieurs authentiques accompagnaient le vase dans lequel était contenu
le précieux sang : l'un datait du temps de l'un des successeurs de Tibère, l'autre de l'empire de
Valens. Des bulles d'Eugène IV (1444) établissant une confrérie en l'honneur du précieux sang de
Billom ; de Paul VI, de Calixte III, de Léon X, de Clément VII, attestent un grand nombre de mi-
racles opérés par la vertu de ce sang divin. Nous lisons dans une brochure intitulée : Discours
historique sur le sang précieux que l'on révère dans l'église collégiale et royale de Saint-
Cerneuf de la ville de Bellom en Auvergne, brochure qui date de 1757 : « On a surtout recours
à la relique du précieux sang dans les pertes de sang, telles que dyssenteries, hémorrhagies, etc.,
et pour les maux d'yeux ' ». — Procession à la chapelle de Notre-Dame de la Croix à Marciac,
diocèse d'Auch. En 1653, lorsque la peste ravageait Marciac et les pays circonvoisins, la Sainte
Vierge apparut dans la campagne, entourée d'une lumière éclatante, à une femme du peuple, et
lui dit que le fléau cesserait si on lui élevait, en ce lieu-là même, une chapelle sous le titre de
Notre-Dame de la Croix. Quand la pauvre femme, à son retour en ville, raconta ce qui lui était
arrivé, on la traita de visionnaire. Cependant le mal augmentant toujours, on se décide à essayer
le moyen qu'elle proposait. On va en procession au lieu désigné par elle ; on le bénit, et à peine
a-t-on posé la première pierre que le fléau diminue d'intensité ; à mesure que les murs s'élèvent,
il diminue encore, jusqu'à ce qu'enfin l'état sanitaire ait repris son cours normal. En 93, la cha-
pelle fut dévastée, les ex-voto enlevés, la voûte abattue, les autels brisés, la statue jetée dans un
puits. On retira plus tard cette sainte image mutilée ; et quand luirent des jours meilleurs, on la
plaça solennellement là où elle est encore aujourd'hui. — Le dimanche dans l'octave de la Tri-
nité, fête de Notre-Dame des Flots, à Sainte-Adresse, près du Havre, chapelle chère aux marins.
L'origine de ce sanctuaire remonte au xiv6 siècle : l'envahissement des flots l'avait fait disparaître
depuis trois cents ans, lorsque le zèle du curé de Sainte-Adresse l'a relevé en 1859. — Le 1er mai
1841, inauguration de la nouvelle chapelle de Montciel, au diocèse de Saint-Claude et translation
de la statue qu'on vénérait dans l'ancien sanctuaire aliéné par la Révolution. Notre-Dame de
Montciel doit sa fondation à un Bénédictin du prieuré de Saint-Désiré, qui, poussé par le désir
d'une vie plus parfaite, vint s'établir sur la montagne où s'élève aujourd'hui la chapelle, près
de Lons-le-Saulnier. — Anniversaire de la découverte d'une statue miraculeuse, vénérée sous le
nom de Notre-Dame du Noyer, à Cuiseaux, dans le diocèse d'Autun. Ce nom lui vient du tronc
1. Cette brochure, devenue presque introuvable, nous a été communiquée par M. Maison, curé de Saint-
Cerneuf de Billom, en août 1871. Nous prenons, ici, occasion de lui en exprimer toute notre gratitude.
MARTYBOLOGES. 147
d'tm noyer, où elle était cachée à l'origine. Un berger seul la connaissait; et tons les jonrs on le
voyait priant à deux genoux, avec une grande ferveur, devaut ce noyer. Interrogé pourquoi il se
mettait à genoux au pied de cet arbre, il en dit la raison ; et aussitôt tous les voisins vinrent prier
avec lui, puis élevèrent une chapelle, dans laquelle ils renfermèrent le noyer et bâtirent autour de
l'arbre un pilier, destiné à porter la statue, pour qu'elle fût en évidence à tous. Dès lors, cette
chapelle devint un lieu de pèlerinage et dura cinq siècles. La Révolution arriva et vendit la
chapelle pour en faire une habitation profane. La statue revint alors à l'église paroissiale, où on
la vénère encore aujourd'hui. 1er mai 1249. — Les jours des Rogations, et pendant le mois de
mai, processions à Notre-Dame de Romay, au diocèse d'Autun. C'est une chapelle où toute la
contrée se plaît tant à aller honorer Marie. Dans cette chapelle, antérieure au xn8 siècle, on
vénère une statue de la Vierge en pierre assez grossièrement travaillée, et que la tradition fait
remonter au x8 siècle. Enfouie dans une prairie voisine, à l'époque des guerres de religion, pour
la soustraire à la fureur des calvinistes, elle fut retrouvée, dit la tradition locale, en fouillant le
sol, là où l'on voyait des bœufs venir chaque jour gratter la terre et comme s'agenouiller devant
la sainte image. Notre-Dame de Romay est au Charolais ce qu'est Fourvières à Lyon, Notre-
Dame de la Garde à Marseille. Le concours des pèlerins étrangers y rivalise avec la piété des
habitants ; et tel qui ne prie plus Dieu ne peut se défendre d'aimer Notre-Dame de Romay, de s'a-
genouiller et quelquefois de verser une larme devant son autel. En 93, la statue miraculeuse fut
soustraite à la profanation par le dévouement d'une jeune fille, qui, aidée de son frère, la cacha
d'abord dans le lit de la rivière voisine, puis dans la fosse d'une tannerie, enfin dans sa propre
demeure, derrière le rideau de son lit ; et les hommes de la Révolution, qui vinrent l'y chercher,
fouillèrent partout, excepté là où elle était. La paix rendue à l'Eglise, la Vierge vint reprendre
sa place dans son sanctuaire ; et depuis lors elle ne cesse d'y recevoir les hommages empressés
des populations. Pie IX a accordé à un sanctuaire si renommé de nombreuses indulgences, dont le
tableau est affiché dans l'église. — Le dimanche de la Pentecôte, commencement des pèlerinages
à Notre-Dame de la Certenne, sur la paroisse de Mesvres, au diocèse d'Autun. C'était, avant l'ère
chrétienne, au sommet le plus élevé de la montagne, un camp dont la muraille d'enceinte est en-
core visible ; et au pied, était une résidence de druides. Les pierres et les fontaines y étaient
estimées sacrées; on y honorait trois déesses qui, correspondant aux trois Parques des Romains, pré-
sidaient à la génération et à la naissance, dispensaient l'abondance et les richesses ; et les femmes
leur offraient des pommes avec des cornes d'abondance, à la fête des Matronales. Comme le vul-
gaire croyait que ces déesses se rendaient visibles aux hommes et entraient en contact avec eux,
leur culte, plus populaire que celui des grandes divinités, s'est conservé sous le nom de dames et
de fées. De là fut donné aux roches de Dettey, qui forment une espèce d'enceinte, le nom de
Roches à la Dame ; de là à Sans, hameau de Sennecey-le-Grand, un quartier où abondent les
vestiges d'antiques constructions, porte le nom de Quart-des-Dames. Une des trois dames de la
Certenne avait son temple sur la montagne ; et elle était censée guérir de la fièvre; la seconde à
la Maison-Dru, et elle passait pour donner du lait aux nourrices ; la troisième à la Commelle, et
on recourait à elle pour la guérison du mai d'yeux. Enfin les jeunes filles allaient demander à ces
trois déesses des époux, et les nourrices, du lait. Tel était l'état où le christianisme trouva la
montagne de la Certenne. Pour déraciner ces grossières superstitions, il substitua à l'oratoire païen
placé à la lisière du camp, sur un tertre entouré jadis d'un fossé, une chapelle de la Vierge dont
le vocable de Notre-Dame remplaça celui de la Dame que portait la déesse; il recommanda aux
peuples de déposer aux pieds de la Vierge l'eau puisée à la fontaine pour la faire bénir par elle ;
enfin il tenta tous les moyens d'élever les esprits d'un culte grossier au spiritualisme chrétien ; et
quoiqu'il soit toujours demeuré quelques restes des vieilles superstitions, qui ont obligé plusieurs
fois les évèques d'Autun à interdire la chapelle, la piété sincère de beaucoup de pèlerins y offre
un spectacle consolant pour la foi. Le pèlerinage commence le jour de la Pentecôte : au soleil
couchant on gravit la montagne ; les groupes de pèlerins se dispersent, les uns vont boire à la
fontaine de la Dame, d'autres vont dans le bois voisin chercher un gite sous la feuillée pour se re-
poser et dormir. Les plus dévots se rendent à la chapelle, y récitent des prières ou y chantent
des cantiques toute la nuit ; le rosaire, les litanies, les lectures se succèdent sans interruption.
Tout ce monde entassé dans cet étroit sanctuaire respire à peine, ses murs suintent sous le souffle
de toutes les haleines, la statue suinte elle-même, et alors on crie au miracle ; la Vierge pleure,
chacun s'approche ; on lui fait toucher les livres, les médailles, les chapelets, les vêtements des
malades ou quelques linges pour les appliquer ensuite sur les membres malades. Rien n'est plus
populaire que ce pèlerinage : chaque année on se fait une fête d'aller, comme on le dit, à la bonne
Notre-Dame de la Certenne '. — Le premier dimanche de mai, fête de Notre-Dame des Malades, à
Ornans, diocèse de Resançon. Le sanctuaire autrefois célèbre de Notre-Dame des malades ayant été
renversé à la Révolution et n'ayant pas été rétabli, l'église Saint-Laurent hérita de la statue qu'on
y vénérait. Le premier dimanche de mai, on la porte processiounellement là où fut autrefois sa
chapelle pour ne pas laisser périr le souvenir d'un passé glorieux. — Le lundi de la Pentecôte,
pèlerinage à Notre-Dame de Ruglose, au diocèse d'Aire, un des pèlerinages les plus fréquentés de
1. Notre-Dame de France, par M. Hamoa.
148 1er MAI.
la Gascogne. Placée sur la paroisse de Pouy, qu'a tant illustrée la naissance de saint Vincent de
Paul, à cinq kilomètres du cliêue qui abrita la première enfance de cet homme de Dieu, au milieu
des sables du désert, cette antique chapelle était, de temps immémorial, l'objet de la vénération
de toute la contrée, ainsi que la statue de Marie, qu'on y conservait, lorsque, le 28 novembre
1569, Jeanne d'Albret rendit une ordonnance portant que les « oratoires champêtres qui servaient,
disait-elle, à de folles superstitions, ensemble les autels et rétables des églises dans les villes
et les villages seraient rasés, démolis et les pierres converties à des besoins utiles ». L'année
suivante, 1570, en vertu de ce décret, le sanctuaire de Buglose fut livré aux flammes ; et la statue,
sauvée de la destruction par quelques catholiques, fut jetée secrètement par eux dans un marais,
aujourd'hui desséché, à trente ou quarante pas de la fontaine miraculeuse qui existe encore. Ils se
proposaient de l'en retirer quand luiraient des jours meilleurs; mais, ces jours n'étant pas venus
de leur vivant, ils emportèrent leur secret dans la tombe. En 1620, Louis XIII venait de rétablir le
culte catholique dans le Béarn, quand un pâtre, qui avait coutume de mener paître son troupeau
près du marais, vit, de dessus un chêne où il était monté, un de ses bœufs entrer dans le marais et
y lécher une statue en poussant des gémissements. 11 descend aussitôt, court avertir le curé de
Pouy; celui-ci arrive, on retire la statue, et l'on reconnaît l'image de la Sainte Vierge. Alors les
traditions à demi effacées dans le souvenir se réveillent : on réunit des pierres éparses, on
dresse à la statue de Marie un piédestal à la place même où est aujourd'hui la chapelle de la
Fontaine ; et depuis lors, la Sainte Vierge ne s'appelle plus que Notre-Dame de Buglose, nom
formé du mot français beugler. Un nouveau sanctuaire fut bientôt élevé. Vers la fin du xvin» siè-
cle, Buglose échappa à la ruine qui enveloppa tant d'églises. Quelques dévastateurs essayèrent,
dit la tradition locale, de porter sur l'autel une main sacrilège ; mais ils s'arrêtèrent effrayés, dès
le début de leur œuvre. Cependant on craignit pour la sainte image, si elle restait dans son sanc-
tuaire ; et des mains pieuses la transportèrent pour un temps à l'oratoire de la Fontaine. Là, bien
des fidèles vinrent la prier pendant ces jours mauvais ; et les révolutionnaires, faisant prévaloir
sur leur haine l'intérêt fiscal, ne les empêchèrent point; ils se bornèrent à mettre en régie les
aumônes que la piété apportait, et à brûler les archives. Quand le culte fut rétabli en France,
les pèlerins reprirent le chemin de la sainte chapelle ; les paroisses voisines recommencèrent à
s'y rendre processionnellement. Malheureusement l'église n'était pas en rapport avec la célébrité
de son pèlerinage. En 1854, on en commença une nouvelle sur les fondements renouvelés et
agrandis de l'ancienne. — Le lundi de la Pentecôte, procession de diverses paroisses à Notre-
Dame de Biran, dans le diocèse d'Auch. La chapelle de Biran dut sa première origine à la décou-
verte d'une petite statue de la Vierge, portant à son cou une croix de pierres blanches, trouvée
sur le tronc d'un grand arbre, dans lequel elle avait été indiquée par une lumière vive rayonnant
d'en haut à travers les branches. Tous les habitants, émerveillés du prodige, abattirent l'arbre, et
élevèrent, à l'endroit même, une petite chapelle où l'on plaça la statue dans une niche construite
avec le bois de cet arbre. — Le même jour, procession à Notre-Dame de Cahuzac, dans le même
diocèse. On raconte que les Calvinistes, ne pouvant supporter le bien qui se faisait dans cette
chapelle, résolurent d'y mettre le feu. Trois fois, en effet, à l'entrée de la nuit, ils partirent de
Mauvesin dans ce dessein, marchèrent tout le temps, et trois fois ils se trouvèrent, au point du
jour, n'ayant encore fait qu'une lieue de chemin, si fatigués, qu'ils ne purent que revenir sur leurs
pas. Le gouverneur de l'Isle-en-Jourdain, mécontent de ces inutiles tentatives, vint en personne,
en plein jour, à la tète des huguenots, jusqu'à Cahuzac; mais à l'entrée de la chapelle, il se
sentit soudainement abattu sous la main de Dieu, et brûlé par un feu intérieur, qui l'obligea à se
retirer en toute hâte. — Le lundi de la Pentecôte, pèlerinage à Notre-Dame de Marsan, située près
de Saint-Lizier, dans l'ancien diocèse de Conserans. Sur le coteau, où l'on admire la gracieuse
chapelle de Notre-Dame, s'élevait, pendant le règne du paganisme, un autel dédié à Mars, que
l'évèque du lieu remplaça, en 670, par un autel consacré à la sainte Vierge. Au Xe siècle, la peste
noire ayant envahi le midi de la France et le nord de l'Espagne, les populations effrayées de se
voir décimées par le fléau, se vouèrent à Notre-Dame de Marsan. A ce vœu général et solennel,
le fléau s'arrêta; et, dans l'élan de leur reconnaissance, les villes de Tarbes, d'Auch, de Saragosse,
du Val-d'Arau, et plus encore toutes les populations voisines, se rendirent, le lundi de la Pente-
côte, à Notre-Dame de Marsan, pour lui offrir leurs hommages. Elles ne s'en tinrent pas là : depuis
cette époque, leurs députés vinrent chaque année renouveler leurs actions de grâces avec leurs
offrandes; et on construisit, pour les recevoir, un magnifique hôtel, appelé l'hôtel des Ambassa-
deurs, dont les chambres, ainsi que le ciel des lits, étaient ornés de tableaux que chacune des
villes délivrées de l'épidémie avait fait peindre en mémoire de cet événement mémorable. Depuis
93, la ville de Saint-Lizier est la seule à venir, le lundi de la Pentecôte, continuer les traditions
du passé ; et les tableaux de l'hôtel des Ambassadeurs ont disparu. — Le 1er mai et le 8 septem-
bre, pèlerinage à Notre-Dame du Caria, située dans le diocèse de Carcassonne, sur le plateau
d'une haute montagne qu'entourent des montagnes plus hautes encore. On raconte qu'autrefois un
grand seigneur, quittant ce monde et ses jouissances, pour consacrer le reste de ses jours à se
préparer à la mort, se retira sur ce plateau qui forme un véritable désert; que d'autres, édifiés de
la vie sainte qu'il y menait, vinrent se joindre à lui, et formèrent une communauté qui se bâtit de
vastes habitations, dont les fondements sont visibles encore ; et, au centre de ces habitations, est
MARTYROLOGES. 449
le sanctuaire actuel de Notre-Dame du Caria. La réputation de Notre-Dame du Caria dans les envi»
rons est telle que ceux-là mêmes qui ne se font pas scrupule de manquer la messe, le dimanche, ne
manquent pas le pèlerinage du 1er mai et du 8 septembre. — Le lundi de la Pentecôte, le 15 août,
le 8 septembre et le 25 mars, procession à Notre-Dame de Brouls, dans le diocèse de Toulouse. La
statue qu'on y vénère fut mise à découvert par une vache en creusant la terre et en poussant de
longs mugissements. — Dans le même diocèse, le lundi de la Pentecôte et le 8 septembre, pèle-
rinage à Notre-Dame du Bout-du-Puy. — Le jour de l'Ascension, anniversaire de la découverte
de la statue de Notre-Dame de Bourisp, au diocèse de Tarbes. Le sanctuaire de Bourisp, perdu au
fond des Pyrénées françaises, doit son origine, comme beaucoup d'autres, à la découverte d'une
statue de la Vierge par un berger, auquel un de ses bœufs l'indiqua en allant souvent, à l'écart
du troupeau, la caresser de sa langue. Plusieurs fois transportée ailleurs, cette statue revenant
toujours là où on l'avait trouvée, on lui éleva, dans ce lieu-là même, d'abord une chapelle, puis
«ne église, dont un architecte inconnu traça le plan, dirigea les travaux et disparut aussitôt après,
et dont, tant la légende est féconde ici en merveilleux, des mains invisibles taillèrent, chaque
nuit, le bois et la pierre, de sorte que le matin tout était prêt à être placé. La piété populaire
entoura aussitôt ce sanctuaire de ses hommages et n'a pas cessé depuis. — Le jour de l'Ascension,
pèlerinage principal à Notre-Dame de Sewen : c'est un des plus anciens de l'Alsace, puisqu'une
tradition de temps immémorial le fait remonter jusqu'au ve siècle, à l'époque de l'invasion des
barbares. Alors, dit-on, les chrétiens persécutés se réfugièrent dans la vallée de Sewen, et y bâ-
tirent une petite chapelle en l'honneur de la Vierge. La piété des populations l'eutbientôt agrandie
et ornée ; des habitations se groupèrent tout autour, et la paroisse de Sewen prit naissance, sous
le titre de grand Ermitage de la Vierge, par opposition au village d'Hoba ou Hubach qui s'appela
Petit Ermitage de la Mère de Dieu, en allemand Klein-Einsiedlen. Plus tard un établissement de
dames chanoinesses ayant été fondé dans cette vallée presque inaccessible, la nouvelle commu-
nauté, dotée de la propriété de toute la vallée, fit défricher une portion des forêts, écouler les
eaux stagnantes, établir des ponts et des chemins, et convertit ainsi un désert sauvage et insalubre
en un pays fertile et agréable, qui bientôt se peupla jusqu'à former quinze communes. Le culte
de Notre-Dame se maintint à Sewen à l'époque de la réforme, durant les horreurs de la guerre de
trente ans ; les étrangers y vinrent peu, mais les femmes et les filles des environs se retirèrent
dans la partie la plus solitaire de la vallée, et s'y retranchèrent pour se dérober, sous la protec-
tion de Marie, à la brutalité des soldats. Aujourd'hui encore, malgré les spoliations et les ravages
qu'y a exercés la Dévolution de 93, le pèlerinage ne cesse pas d'être fréquenté. — Inauguration
solennelle de la chapelle réparée de Marie dans l'église Saint-Martin, à Colmar. Là repose, entre
deux fenêtres, sur une colonne en pierre de taille, une statue de la Mère de Dieu portant l'Enfant
Jésus, chef-d'œuvre de l'école allemande du xvie siècle. Les artistes de tous les pays viennent
encore admirer en ce lieu, au-dessus du rétable de l'autel, le tableau de la Vierge aux Oiseaux,
donné par le peintre lui-même, Martin Schœr, qui voulut ainsi honorer l'église où il avait été
baptisé. Cette sainte chapelle fut le refuge et l'espérance des catholiques de Colmar indignement
persécutés, pendant tout le xvi6 et le xvu8 siècle, par le protestantisme, qui, s'étant emparé du
pouvoir, en abusa, au mépris de toutes les lois de la justice et de l'équité. Plus on souffrait de
vexations, plus on se pressait à l'autel de la Vierge, pour réclamer son assistance. Les autorités
hérétiques en vinrent jusqu'à confisquer tous les ornements dont on décorait l'autel, jusqu'à inter-
dire les cloches qu'on réserva uniquement pour les usages civils. Il serait impossible, disent les
annalistes de Colmar, de raconter les mille prodiges obtenus dans ce sanctuaire, et dont les
richesses qui le décoraient rendaient témoignage. Un des plus remarquables est le maintien de la
foi dans la ville, malgré toutes les violences et les persécutions du protestantisme investi du pou-
voir pendant deux siècles. Aussi cette chapelle était le siège de plusieurs congrégations qui
aimaient à s'y rassembler sous l'œil de Marie. Il y avait, entre autres, la congrégation des jeunes
personnes, qui compte encore aujourd'hui au moins six cents associées, et la congrégation des
hommes, qui, depuis son origine jusqu'à nos jours, n'a cessé d'être regardée comme le boulevard
du catholicisme dans Colmar. — Le samedi d'avant la Trinité, fête de la confrérie de Notre-Dame
de l'Assomption attachée à l'antique et toujours vénéré sanctuaire de Notre-Dame de Monswiller,
à une demi-lieue de Saverne. Le pèlerinage de Monswiller est aujourd'hui le plus fréquenté de
l'Alsace après celui ds Marienthal. La célébrité de Notre-Dame de Monswiller remonte au siège
de Saverne par Mansfeld. Lorsque cet Attila de la chrétienté vint assiéger cette ville, les habitants
implorèrent la Vierge de Monswiller ; et, pleins de confiance dans son secours, ils se jetèrent sur
les troupes assaillantes en criant : « Vive Notre-Dame de Monswiller ! Vive notre protectrice ! » et
ils les repoussèrent. Elles revinrent quelques jours après à l'assaut, mais elles furent réduites à
abandonner le siège. Pour se venger de la protection céleste à laquelle elles attribuaient leur
défaite, elles se précipitèrent sur Monswiller; elles en brisèrent les autels, en lacérèrent les ta-
bleaux; puis, mettant le feu à l'édifice, elles en firent un monceau de cendres; mais, chose mer-
veilleuse, plus tard, au milieu des débris, on retrouva l'image de Marie parfaitement intacte, sans
la moindre détérioration; ce miracle, consigné dans l'histoire, eut pour témoin toute la popu-
lation de Saverne. — A Ligny-en-Barrois, le cinquième dimanche après Pâques, ou le sixième,
lorsque le cinquième n'est pas en mai, fête de Notre-Dame des Vertus. Cette Vierge, parfaite
150 Ie' MM.
ressemblance de celle qui se voit à Bologne et à Sainte-Marie-Majeure de Rome, serait la copie de
l'une des vierges de saint Luc. Elle passa successivement des mains de Clément IV (1265), dans
celles de René d'Anjou, frère de saint Louis, de Jeanne lre, reine de Naples, et des Chartreux de
la ville de Capri. Ceux-ci la donnèrent à Antoine de la Salle, écuyer de René, duc d'Anjou, de
Lorraine et de Bar, prétendant au trône des Deux-Siciles, pour se ménager la protection de celui
qu'ils pensaient devoir être bientôt leur maître. En 1459, Antoine de la Salle, devenu gouverneur
des enfants de Louis de Luxembourg, connétable de France, qui habitaient Ligny, plaça la pré-
cieuse image dans la chapelle du château d'où elle passa dans l'église collégiale de cette ville. En
1544, ce tableau, emporté par un officier de Charles-Quint, passa de Ligny au Bouchon, et sa
vertu merveilleuse se manifesta dans cet exil, comme dans le sanctuaire où on l'honorait précé-
demment. Trente-six ans après, c'est-à-dire en 1580, sur la demande de la comtesse de Ligny,
Marguerite de Savoie, la sainte image fut rendue à Ligny ; et la comtesse, après en avoir bien fait
constater l'authenticité, la plaça provisoirement dans l'église du château. Le bruit de cet heureux
retour se répandit promptement ; et de tous côtés accoururent des pèlerins, désireux de revoir
l'image de leur protectrice et de leur Mère. A la Révolution française, par un sentiment religieux
bien rare à cette époque, l'administration du département la transporta de l'église collégiale à l'é-
glise paroissiale : et son intronisation dans ce nouveau sanctuaire se fit avec une solennité qu'on
n'aurait pas pu espérer dans des jours si malheureux. Après la loi du 30 mai 95, qui autorisait la
réouverture des églises, ils la confièrent à Hubert Mulot, pour la garder jusqu'à ce qu'on lui eût
préparé un lieu convenable. Trois jours furent employés à cette préparation ; et pendant ce temps-là,
la demeure de Mulot fut entourée de milliers d'hommes, de femmes et d'enfants, avides de prier
devant cette précieuse relique. Le 22 juin, tout étant prêt, eut lieu la translation à l'église ; et ce
fut là pour Notre-Dame des Vertus un véritable triomphe : la ville entière s'y trouvait et accom-
pagnait, par les rues, la précieuse image, comme dans les plus beaux jours d'autrefois. Cette fête
n'eut d'égale que celle de l'année suivante, 1796, 1er mai et cinquième dimanche après Pâques;
jour où, de temps immémorial, se célébrait la fête de Notre-Dame des Vertus. Là, non-seulement
tous les habitants de Ligny, mais toutes les paroisses voisines, malgré la difficulté des temps et
les dangers auxquels on s'exposait, semblaient s'être donné rendez-vous ; on porta processionnel-
lement en triomphe l'image miraculeuse ; et chacun vint présenter sa tète sous son pied pour lui
témoigner sa confiance. Ce semblant de liberté religieuse dura peu ; quinze mois plus tard, l'église
ayant été fermée de nouveau, la sainte image fut recelée chez de pieux habitants ; d'où, à la res-
tauration du culte, elle vint reprendre son antique place dans sa chapelle, hélas I horriblement
dégradée par le marteau révolutionnaire. Elle y demeura au milieu des ruines jusqu'en 1814, où
commença la première restauration du sanctuaire, qui ne fut achevée qu'en 1823. Là, les fidèles
viennent toujours la vénérer. On la porte, comme autrefois, en procession par les rues, le cin-
quième dimanche après Pâques ; et avant qu'elle sorte de l'église, deux prêtres la soutiennent en
l'air, pendant que plusieurs milliers de pèlerins satisfont la dévotion qu'ils ont de passer dessous.
Sous le second empire, les magistrats de Ligny ont montré moins de courage que leurs devanciers de
la grande Révolution : ils n'assistaient plus aux processions de la bonne Mère. — A Ploulech, dans
le diocèse de Saiut-Brieuc, célébration pendant tout le mois de mai, des offices paroissiaux à No-
tre-Dame de Kozgéodeck. Kozgéodeck est un mot celtique qui signifiait : vieille ville maritime ou
vieille ville fortifiée, parce que là était autrefois l'ancienne Lexobie, place importante à l'époque
gallo-romaine. C'était, dans le principe, un siège épiscopal fondé par Drennulus, disciple du noble
decurion Joseph d'Arimathie, qui ensevelit Notre-Seigneur, comme l'expose l'auteur des Catalo-
gues historiques et chronologiques des anciens évêchés de Bretagne 1 ; c'est même, selon plu-
sieurs, la première église qui ait été élevée à la Sainte Vierge dans l'Armorique. En 836, Lexobie
ayant été attaqué et détruit par les Danois ou Normands s, les habitants, rentrés dans leurs foyers
ap es le départ de ces cruels ennemis, reconstruisirent une autre église de la Sainte Vierge, qui,
malgré la translation du siège épiscopal à Tréguier en 849, conserva son ancienne renommée
etcmiimua d'attirer la foule des pèlerins3. — Le lundi de la Pentecôte, procession à Notre-Dame
du Roncier, à Josselin, dans le diocèse de Vannes. Vers l'an 808, dit la tradition, longtemps avant
la fondation de la ville de Josselin, un laboureur cultivant la terre au lieu même où l'on a bâti
l'église Notre-Dame, et coupant des ronces avec sa faucille, qu'on voit encore suspendue à la
voûte, y trouva cette statue, et obtint de la placer dans une petite chapelle, qui était alors sous
l'invocation de saint Léger. Bientôt les peuples accoururent au modeste sanctuaire, qu'ils n'appe-
lèrent plus que Notre-Dame du Roncier; et, y ayant obtenu des miracles, ils témoignèrent leur
reconnaissance par leurs offrandes. Les seigneurs de Clissou et de Rohan, aussi bien que les bour-
geois et habitants de Josselin, y firent des dons magnifiques ; Clisson voulut même y être enterré.
Pendant la Révolution, le trésor fut pillé, la grosse cloche mise en pièces et l'église profanée.
Aujourd'hui un certain nombre de pèlerins visitent encore Notre-Dame de Josselin, et y offrent
1. Descriptio utriusque Britannix, 11b. ix, cap. 56.
2. Pierre le Baud, Histoire de Bretagne, c. 14.
3. Mémoires sur l'état des évéchés, chapitres, clergé et monastères de la province, par un Carme qnl
écrivait antérieurement à l'histoire générale de Bretagne, édition de 1675.
MARTYROLOGES. 151
des ex-voto ; la procession se fait le lundi de la Pentecôte, non plus avec la pompe d'autrefois,
mais toujours avec une nombreuse assistance, même des paroisses circonvoisines. On y remarque
surtout plusieurs personnes atteintes de convulsions héréditaires qui les font aboyer comme les
chiens, et dont les accès ne cessent qu'après qu'elles ont baisé la statue. La légende populaire
raconte que cette malédiction attachée à un petit nombre de familles provient de la dureté de
leurs ancêtres, qui lâchèrent leurs chiens contre une pauvre mendiante malade, qui leur deman-
dait seulement un peu d'eau pour étancher sa soif. — Le dimanche de la Trinité, pèlerinage
principal à Notre-Dame de Lotivi, dans la presqu'île de Quiberon, au diocèse de Vannes. Ce pèle-
rinage est très-fréquenté, non-seulement par les marins, mais encore par les malades atteints
d'hydropisie. Ce sanctuaire a autrefois appartenu aux Templiers qui avaient la Trinité pour fête
principale de leur Ordre. — Le premier dimanche de mai, grand pardon ou fête patronale de
Notre-Dame de Guyaudet, dans la paroisse de Bolhoa, au diocèse de Saint-Brieuc. On en raconte
ainsi l'origine : en 1692 vivait, au village du Guyaudet, Claude Alain, homme pauvre, chargé
d'une nombreuse famille qu'il soutenait de son travail et des secours qu'y ajoutait la charité des
fidèles, mais animé d'une grande piété envers la Mère de Dieu. Un matin que les provisions
manquaient au logis, il sort pour aller chercher un peu de farine au moulin, après avoir, selon sa
coutume, bien prié la Sainte Vierge pour lui et sa famille. En passant près de la fontaine du
Guyaudet, il lui semble entendre une voix ; il regarde et voit sur le bord de la fontaine une
petite statue de Marie. Il en conclut que la Mère de Dieu veut qu'on lui bâtisse une chapelle en
ce lieu ; et la Sainte Vierge, pour lui prouver que telle est en effet sa volonté, lui ordonne de dire
à sa femme de ne prendre qu'une cuillerée de farine pour faire des crêpes à toute sa famille. La
femme obéit, et cette petite quantité de farine fournit abondamment de la nourriture à tous pen-
dant plusieurs jours. Claude Alain, ne pouvant résister à l'évidence de ces faits merveilleux, se
rend chez le curé de Bnthoa ; celui-ci le renvoie en lui recommandant de se défier de son imagi-
nation. La Mère de Dieu réitère son avertissement, et Alain ses instances auprès du curé : celui-
ci persiste dans son incrédulité. Enfin la voix se fait de nouveau entendre, et l'assure que de cette
fois il sera écouté. Il se rend donc chez le curé, et le trouve frappé de cécité, priant Marie de lui
rendre la vue, avec promesse de faire ce qu'elle voulait. Le curé, non content de prier et de
promettre, se fait conduire en procession à la fontaine ; et à peine est-il arrivé près de la sainte
image qu'il recouvre la vue. On crie au miracle ; le curé place la petite statue sur une pierre
qu'on voit encore non loin de la chapelle, et sur laquelle les pèlerins vont s'agenouiller. Autour
de cette pierre, il fait construire d'abord un oratoire en planches ; puis, à l'aide des offrandes
qu'on y apporte, la chapelle actuelle. — Le lundi de la Pentecôte, pèlerinage à Notre-Dame de
Lambader, au diocèse de Quimper. Notre-Dame de Lambader, autrefois propriété des Templiers,
est d'architecture arabe. Les bretons invoquent Notre-Dame de Lambader pour toutes les misères
de la vie ; mais les mères l'invoquent spécialement pour leurs enfants tardifs à parler : elles font
offrir pour eux le saint sacrifice, y présentent à bénir du pain qu'elles leur font manger, promet-
tent à la Sainte Vierge que, si elle leur donne l'usage de la langue, le premier mot qu'elles leur
apprendront à prononcer sera son nom béni, et se retirent ensuite pleines de confiance. — Le
dimanche de la Trinité, grand pardon * ou fête patronale de Notre-Dame de Rumengol, au diocèse
de Quimper. Notre-Dame de Rumengol ou de Tout-Remède, selon l'étymologie que quelques-uns
tirent de deux mots celtiques, Remed oll, Remedium omne, est, depuis quinze cents ans, un des
sanctuaires de Marie les plus fréquentés. Dans l'origine, ce n'était qu'une chapelle en bois, bâtie
par Grallon le Grand, premier roi chrétien de la Bretagne, pour opposer un sanctuaire de la Mère
de Dieu au monument druidique qu'on appelait en breton Ru men goulou, mots qui signifient
pierre rouge de la lumière, et que quelques-uns donnent comme l'étymologie de Rumengol. En
1. En Bretagne, on appelle pardon la fête patronale d'une église ou d'une chapelle, parce que lei
pécheurs qui s'y disposent pieusement y obtiennent non-seulement le pardon de leurs fautes, mais en-
core souvent une indulgence plénière qui est la remise ou le pardon des peines temporelles dues aux pé-
chés mêmes dont on a été absous. Ces grandes cérémonies du pardon se reproduisant souvent dans l'his-
toire de la Bretagne, nous croyons devoir les décrire ici : Les grands pardons durent au moins trois jours,
et les paroisses voisines s'y rassemblent avec un empressement où la religion et l'amour du plaisir ont
peut-être une part égale. La veille, on surcharge d'ornements les autels; on revêt les Saints du costumo
du pays, on dépose à leurs pieds les offrandes qu'on veut leur faire et qu'on apporte sur un brancard
entouré de rubans et de fleurs, précédé du tambourin du village, au bruit des cloches sonnées à haute
volée, et des chants de joie de la multitude. Toutes les têtes se découvrent au passage de ces offrandes,
qui sont, tantôt du beurre ou des œufs, tantôt des oiseaux, surtout des poules blanches. A l'issue des
Vêpres, la procession sort de l'église avec ses bannières, ses croix et ses reliques que portent sur des
brancards, après en avoir acheté le droit, des hommes en bonnet blanc, en chemise do même couleur,
ceints d'un ruban de couleur vive, et escortés de gardes costumés. Apres les reliques, viennent les por-
teurs de bâtons coloriés, surmontés de divers Saints sculptés plus ou moins artistement, puis une multi-
tude d'enfants avec des clochettes qu'ils agitent de toutes leurs forces. Quand la procession est arrivée à
la croix du cimetière, le vieillard le plus vénérable du canton prononce, au pied de la croix, la prière
pour les morts et la rénovation des promesses du baptême. Après cette procession, des pauvres accourus
à la fête font, moyennant un prix débattu, le tour de l'église à pied ou à genoux, en récitant le chapelet....
(Voyage dans le Finistère, par Emile Souvestre.)
152 1er MAI.
1536, on éleva l'église actuelle, comme le porte l'inscription gravée sur une pierre de la façade.
— Le jour de l'Ascension, à Nantes, commencement de la station à Notre-Dame de Miséricorde*
ou neuvaine préparatoire à la fête de la Pentecôte. Le sanctuaire célèbre de Notre-Dame de la
Miséricorde, qui, du reste, n'existe plus aujourd'hui, remonte à l'année 1024. La colline du Mar-
troy, alors couverte d'une forêt, recelait un dragon qui ravageait tous les environs et faisait la
terreur de la ville. Après de vains efforts pour le tuer, on eut recours à la Mère de Dieu, et l'on
fit vœu de lui bâtir une chapelle en ce lieu-là même, si l'on était délivré du monstre. Pleins de
confiance dans son secours, trois jeunes gentilshommes se dévouèrent pour le salut de leurs con-
citoyens, et allèrent, avec intrépidité, attaquer le redoutable dragon. La lutte fut horrible : un
des jeunes gens succomba; mais pendant que la bête s'acharnait sur sa victime, les deux
autres la tuèrent. Le clergé et une grande foule de peuple se rendent à la colline sous la
conduite de l'évêque Valtérius II. On pose aussitôt les fondements du nouveau sanctuaire sous le
vocable de Notre-Dame de la Miséricorde ; et, dès qu'il est bâti, il devient un lieu de pèlerinage
des plus fréquentés, et donne son nom à tout le quartier qui s'appelle encore aujourd'hui du nom
de Miséricorde. Lorsqu'en 93 on renversa l'édifice qui attirait les sympathies de toutes les âmes
religieuses, une pieuse fille cacha la statue tant vénérée ; et après la Révolution, elle la remit à
l'église paroissiale de Saint-Similien, où fut transférée l'antique neuvaine avec les indulgences.
.La statue de Notre-Dame de la Miséricorde, placée dans cette même église de Saint-Similien, attire à
elle, comme autrefois, de nombreux pèlerins, qui semblent vouloir lui faire oublier son ancienne cha-
pelle, où l'on venait non-seulement du pays de Nantes, mais de l'Anjou, quelquefois même du
Poitou et des Marches, et où les ex-voto appendus aux murailles disaient les miracles qu'elle y
avait accordés. — Le 1er mai 1855, inauguration de la nouvelle église de Notre-Dame des Ar-
dilliers, près Saumur, dans le diocèse d'Angers. Ce sanctuaire, un des plus célèbres de France
par les grands miracles qui s'y sont opérés, doit son origine à une image en pierre de la Mère
de Dieu, que vénérait, dans sa grotte où il se tenait caché, un fervent religieux de Saint-Florent,
nommé Absalon, chassé de son monastère par les Normands. En 1614, Notre-Dame des Ardilliers
fut donnée à la congrégation de l'Oratoire, que venait de fonder en France le cardinal de Bérulle.
Sous la direction des Oratoriens, le pèlerinage de Notre-Dame des Ardilliers devint de plus en plus
célèbre. M. Olier y vint, en 1641, avec ses associés, M. de Foix et M. du Fenier, pour recommander
à la sainte Vierge le dessein qu'il méditait de fonder le séminaire de Saint-Sulpice. En 1706, le
vénérable Grignon de Montfort y vint prier également pour la double congrégation de prêtres du
Saint-Esprit et de sœurs de la Sagesse, qu'il se proposait d'établir. Après les noms des indivi-
dus dévoués à ce sanctuaire de Marie, viennent les cités diverses, les villes de Poitiers, de Mont-
morillon, de Celles, de Saint-Aignan, s' engageant par vœu à envoyer, tous les ans, une députation
à Notre-Dame des Ardilliers; la ville de Riom, lui déléguant ses principaux habitants pour se
mettre sous sa protection, et faisant déposer, comme témoignage perpétuel de dévouement, uu
tableau, en relief, d'argent, de saint Amable, son patron; la ville de Bourges, se vouant à Notre-
Dame des Ardilliers dans une maladie contagieuse, et lui déléguant deux de ses échevins pour la
remercier de la cessation du mal. L'hérésie elle-même ne pouvait se défendre d'un respect invo-
lontaire pour la statue tant vénérée ; et lorsqu'en 1562 les Huguenots vinrent piller cette église,
enlever son trésor et ses vases sacrés, profaner les corps des Saints et celui de Jésus-Christ même,
ils ne touchèrent pas à l'image de la Vierge. Dieu alors, prenant la défense de sa Mère contre
ses ennemis, redoubla les miracles, à mesure que ceux-ci redoublaient leur fureur. Notre-Dame des
Ardilliers survécut à la tempête de 93, qui renversait tous les anciens souvenirs ; mais ce que les
hommes avaient épargné, le temps, auquel rien ne résiste, ne l'épargna pas : en 1849, il fallut
reconstruire la chapelle de la Vierge, qu'avait élevée le cardinal de Richelieu, et qui menaçait
ruine ; il fallut renouveler même l'édifice entier. Les fidèles, par leurs souscriptions généreuses,
eurent bientôt fait les frais de cette dépense. Les travaux étant terminés, Mgr l'évêque d'Angers
vint, le 1er mai 1855, inaugurer, par une fête splendide, l'antique église rajeunie, que, depuis cette
époque, on visite avec une ardeur toujours nouvelle. — Le lundi de la Pentecôte, fêle principale de
Notre-Dame de la Faigne ou du Hêtre1, dans la paroisse de Pontvallain, au diocèse du Mans. La tradition
du pays fait remonter jusqu'aux premiers siècles du christianisme l'origine de ce sanctuaire. Alors,
dit-on, un seigneur des environs, encore idolâtre, rencontra sur un hêtre, en visitant ses vastes
domaines, l'image de la Viergequelesnouveauxchretiensyavaientplaceepourlavenerer.il essaie
de la briser, mais en vain; il l'emporte alors et la renferme dans son château, pour qu'elle ne serve
plus au culte chrétien qu'il a en horreur. La statue revient se placer sur le hêtre. Le même phéno-
mène se reproduisant plusieurs fois, le seigneur se convertit, reçut le baptême et fit construire, à
la place du hêtre, une chapelle de la Vierge. Les pèlerins aussitôt y accoururent ; et quelle que
soit la situation de ce sanctuaire au milieu d'une campagne déserte, loin de tout centre de popula-
tion, si l'on excepte la grosse ferme qui l'environne, jamais depuis lors ce concours n'a cessé. —
Le premier dimanche de mai, fête patronale de Notre-Dame de l'Aumône, à Rumilly, au diocèse
de Chambéry. En 1240, le sieur Amédée de Gonzié, poursuivant les bêtes fauves sur les rives du
Chéran, s'oublia jusqu'à décocher une flèche contre la statue vénérée qu'on avait placée sur la
1. Nostra P.omina de Fago.
MARTYROLOGES. 153
bord du Chéran qu'il fallait traverser à gué, pour protéger les voyageurs ; le trait, se retournant
aussitôt contre lui, vint le frapper à l'œil et lui ôta la vue. Dans sa douleur il tombe à genoux
et promet à Marie de lui bâtir une chapelle en ce lieu-là même, s'il recouvre l'usage des yeux.
Sa prière fut aussitôt exaucée ; et non content d'élever un sanctuaire, où il transporta la statue
miraculeuse, il fit construire, près de ia nouvelle chapelle, un monastère, qu'il confia aux Reli-
gieux réguliers de Saint-Augustin, en les chargeant d'offrir un asile aux voyageurs que la crue des
eaux empêcherait de passer. On gardait ces étrangers pendant trois jours, et s'ils étaient pauvres,
on leur fournissait l'argent et les provisions nécessaires pour continuer leur voyage. Lorsqu'un
pont eut été jeté en cet endroit, l'argent destiné aux passants fut distribué aux indigents du pays,
qui en conséquence appelèrent le monastère Notre-Dame de l'Aumône. Ce sanctuaire devint un
lieu célèbre de pèlerinage. En 93, cette chapelle fnt vendue avec ses dépendances, et on en con-
fisqua les fondations et les rentes ; mais elle ne fut ni démolie ni profanée ; et quelque temps
après, le comte de Pengon, ayant été jeté dans les prisons de Paris, fit vœu, s'il échappait à la
guillotine, de racheter la sainte chapelle et de la rendre au culte. Ce vœu lui valut sa délivrance.
11 racheta la chapelle de l'Aumône, et en fit donation à la ville de Rurailly le 7 janvier 1806. La
statue qu'on voit aujourd'hui sur le maltre-autel est encore, dit-on, la même qui existait du temps
d'Amédée de Gonzié, celle devant laquelle, depuis six cents ans, tant de tètes se sont inclinées,
tant de larmes ont coulé, tant de prières se sont épanchées, tant de grâces ont été obtenues. —
Le premier dimanche de mai, fête patronale de Notre-Dame du Roc, à Castellane, au diocèse de
Digne. Notre-Dame du Roc est ainsi nommée du rocher pittoresque et majestueux, haut de deux
cents mètres, au sommet duquel elle est placée. Elle date de la tin du vin" siècle. Alors quelques
habitants du pays, s'étant retirés et fortifiés sur cette hauteur pour se mettre à l'abri des incur-
sions des Sarrasins, s'y construisirent une chapelle de la Vierge, secours des chrétiens et conso-
latrice des affligés. Bientôt les peuples du voisinage accoururent se grouper tout autour, et il se
forma une ville qui reçut le titre de Petra caslellana, rocher avec château. Après l'expulsion des
barbares, les habitants transportèrent peu à peu leurs habitations dans la plaine, et y construi-
sirent au pied du roc une nouvelle ville, qui est la ville actuelle ; mais ils ne perdirent rien de
leur affection pour la chapelle de Notre-Dame du Roc, qui avait été, pendant deux siècles, leur
boulevard inexpugnable ; et depuis cette époque jusqu'à nos jours, ils n'ont jamais cessé de l'a-
voir en grande vénération. — Le lundi de la Pentecôte, à Thorame-Haute, diocèse de Digne, fête
patronale de Notre-Dame delà Fleur, dont on raconte ainsi l'origine. Au commencement du siè-
cle dernier, dit-on, la Vierge apparut plusieurs fois à un berger, lui commandant de faire construire
une chapelle en ce lieu. Sur le refus des habitauts d'obtempérer aux paroles du berger, la Vierge
donna de son apparition des preuves si irrécusables, que tout le monde se mit à l'œuvre avec en-
thousiasme ; et pendant la construction, un des ouvriers ayant émis le désir que la rivière près de
laquelle on élevait sa chapelle se portât à la rive opposée, pour laisser à sec la rive près de la-
quelle on travaillait, et mettre ainsi le sable sous la main, la rivière obéit aussitôt au vœu qu'on
venait d'émettre ; et tous, témoins du prodige, criant au miracle, se remirent aussitôt au travail
avec une nouvelle ardeur. On honore Notre-Dame de la Fleur comme la patronne des voyageurs ;
et il est rare qu'un voiturier passe devant ce sanctuaire sans déposer dans le tronc son obole. Les
plus éloignés mêmes des pratiques religieuses conservent encore cette dévotion. — Le dimanche
des Rogations, commencement des quarante jours de fête en l'honneur de Notre-Dame du Château,
à Tarascon, diocèse d'Aix. Notre-Dame du Château, autrement appelée la belle Briançonne, est
une petite statue en bois de vigne, haute d'environ dix-huit pouces. Elle avait été d'abord honorée
dans la paroisse du Bouchier, arrondissement de Briançon ; mais, vers le milieu du xiv8 siècle
pour la soustraire aux Vaudois qui brisaient toutes les statues et toutes les images, l'ermite Im-
bert, qui en avait la garde, l'emporta à Tarascon. Les habitants offrirent avec bonheur un asile à
la Vierge bannie, dont ils connaissaient la célébrité, et la déposèrent dans une petite chapelle
en face du château. Là, chaque jour, dès les premiers rayons du soleil, l'ermite, parcourant les
rues, convoquait tous les fidèles à venir saluer celle que l'Eglise appelle l'Etoile du malin ; une
foule immense se rendait à son invitation, et faisait retentir l'air de pieux cantiques en l'honneur
de Marie. Cependant les juifs établis dans ce quartier, se trouvant iucommodés surtout le samedi,
jour de leur sabbat, par l'affluence des pèlerins à la chapelle du château, demandèrent de faire
placer ailleurs la belle Briançonne, en ofl'rant de lui bâtir une élégante chapelle là où l'on vou-
drait. Ou accepta leur offre, à la condition qu'ils construiraient en même temps un ermitage pour
l'ermite chargé de garder la chapelle, et creuseraient un puits à son usage. Les juifs se soumi-
rent à cet engagement, et taillèrent dans le roc de la montagne Saint-Gabriel, à cinq kilomètres
de la ville, un ermitage qui servit tout à la fois de chapelle à la statue, et d'habitation à l'ermite.
Les fidèles de Tarascon ne tardèrent pas à s'affliger de n'avoir plus au milieu d'eux la sainte sta-
tue ; et comme c'était la coutume alors de porter à la procession des Rogations toutes les statues
des Saints, celles surtout qui appartenaient à des confréries, ils demandèrent qu'on allât la pren-
dre, tous les ans, le dimanche avant les Rogations, pour la porter en procession, et qu'on la gar-
dât, au moins quelque temps après, pour en jouir. Ce fut d'abord pendant une semaine, et succes-
sivement on prolongea le temps jusqu'à quarante jours. Cette translation fut une grande fête pour
tout le pays; et cette fête s'est perpétuée jusqu'à nos jours, où elle attire chaque année un con-
154 1er MAI.
cours de peuple extraordinaire. Elle a en effet une physionomie spéciale, qui contraste avec nos
mœurs modernes, et l'on se croirait en plein moyen âge. Ce jour-là, dès trois heures du matin,
précédés de leur antique oriflamme, qu'ornent des pampres de vigne mêlés à des feuilles d'orties,
les prieurs de la confrérie de Saint-Roch vont, au son du tambourin et de la cornemuse, annon-
cer la fête dans les campagnes voisines. Pendant ce temps, la grosse cloche donne le signal du
départ, les rues se remplissent de pèlerins ; tous se rassemblent à l'église pour entendre la messe
qui se dit à quatre heures. Le saint sacrifice terminé, la procession s'organise, se met en marche,
à la suite d'un grand crucifix que porte quelquefois un frère pieds nus, et fait retentir les rues
du chant des litanies. Tarascon devient presque complètement désert ; hommes, femmes, enfants,
tous se rendent à Notre-Dame du Château. A la chapelle, les messes se succèdent depuis six heu-
res. Après la dernière messe, tous s'approchent de l'autel et viennent respectueusement baiser les
pieds de la statue, puis se retirent pour prendre sur la mousse et le gazon leur modeste repas. A
dix heures, la cloche de la chapelle annonce le départ ; et aussitôt, au son de la flûte et du tam-
bourin, tous se rangent en file en chantant Y Ave, maris stella. La statue, en toilette champêtre,
est placée sur un brancard, orné de fleurs fraîchement cueillies à la montagne. Au bas de la colline,
l'officiant bénit avec la croix tout le pays, pour y appeler la fécondité ; et l'on continua la marcha
jusqu'à l'église rurale de Saint-Elienne des Grés, où la Vierge demeure jusqu'à quatre heures du
soir exposée à la vénération publique. Après quelque temps de repos, on chante les Vêpres solen-
nelles, et, à quatre heures, on reprend la marche. A l'entrée de Tarascon s'offre un spectacle frappant,
qui fait toujours éprouver, à ceux-là mêmes qui y sont accoutumés, des émotions dont on ne peut
se défendre. L'empressement de la multitude, le bruit des boites et des décharges continuelles de
mousqueterie, les acclamations d'un peuple immense, la rencontre de la monstrueuse tarasque qui
bondit trois fois, comme épouvantée par la présence de Marie, donnent à cette fête un cachet de
piété joyeuse, unique en son genre. Le clergé et les autorités de la ville reçoivent la statue à la
porte Saint-Jean. Là, on la dépouille de sa toilette du matin, dont les pieuses femmes se dispu-
tent les épingles, pour en attacher les premiers langes d'un enfant nouveau-né, et on la revêt de
ses plus belles robes. A sept heures et demie, la procession entre dans l'église Sainte-Marthe, au
son des cloches et des orgues, au roulement des tambours, au bruit de la trompette, aux cris per-
çants de la cornemuse, à la détonation des boites, et aux accents saintement passionnés de toutes
les voix qui chantent à cris redoublés : Sancta Maria, ora pro nobis. On dépose ensuite la statue
sur le trône qui lui a été préparé ; pendant les quarante jours qu'elle y demeure, elle y reçoit les
hommages constants des fidèles, et chaque jour un héritier de la famille Dusseau la revêt d'une
robe nouvelle. Cet honneur a été dévolu à perpétuité à cette estimable famille, en reconnaissance
de ce que, pendant la grande Révolution, le sieur Dusseau déroba la statue à la fureur des révo-
lutionnaires, et la tint cachée jusqu'à la réouverture des églises. Au bout de quarante jours, on
reporte à sa montagne la sainte image, mais sans éclat, tant on est affligé de s'en séparer; souvent
la douleur va jusqu'à faire couler les larmes. — Le lundi de la Pentecôte et le 15 août, pèle-
rinage à Notre-Dame de la Couture, au diocèse d'Evreux. Entre les sanctuaires de ce diocèse
brille, comme le soleil au milieu des astres, l'antique et splendide église de Notre-Dame de la Cou-
ture, à Rernay, Beats Maris de Cultura, ainsi appelée de la terre où elle fut bâtie, et qu'il
fallut défricher. Ce beau monument dut son origine, selon la tradition, à une statue de la Vierge,
enfouie en terre au sommet d'une colline, dans un bois près de Bernay, et découverte par des
bergers vers la fin du Xe siècle, sur l'indication d'une de leurs brebis, qui grattait continuellement
la terre en cet endroit. Les pèlerins et les processions y affluaient non-seulement de Lisieux,
d'Orbec, de Lieurey et de SaintrGeorges, mais encore de Rouen, de Caen, de Pontaudemer, de
l'Aigle, de Paris même. Encore aujourd'hui on y vient de douze à quinze lieues, et les pèlerins
s'y comptent par milliers. Les paroisses de Broglie, de Drucourt, de Landepereuse, de Saint-Aubin,
de Saint-Clair, des Jonquerets, de Couibepine, de Malouy, de Saint-Martin-du-Tilleul et autres
lieux y viennent en procession, sous la conduite de leurs curés respectifs, avec les frères de
la charité qui agitent leurs clochettes, les confrères de Saint-Michel, qui battent le tambour, les
musiciens qui font résonner leurs instruments, le commun des fidèles qui chantent les louanges de
Marie ; et, quand on est arrivé, les prêtres, souvent, ne suffisent pas au pieux empressement de
cette foule, avide de recevoir les Sacrements. Tel est le spectacle qui s'offre, chaque année, à
Notre-Dame de la Couture, soit le lundi de la Pentecôte, soit le 15 août l. — Le lundi de la
1. C'est surtout dans la cérémonie des bâtons de la Sainte Vierge que se manifeste la grande dévotion
du diocèse d'Evreux envers elle. Pour comprendre ceci, il faut se rappeler qu'au moyen â?e le bâton
était le symbole de la royauté ou du moins de l'autorité; de telle sorte que l'échevin, chef d'un ville,
aussi bien que le chef des avocats ou d'une corporation quelconque, portait un bâton comme signe de sa
dignité. Par cette raison, la statue de la Vierge, dans presque toutes les paroisses, est placée au-dessus
du bâton, sous une espbce de dais surmonté d'une couronne et enrichi de dorures. Aux principales fêtes
de la Vierge, on courre ce bâton de rubans, de fleurs, de dentelles; et, au milieu de détonations d'armes
à feu, on le porte à l'église en grande pompe, escorté de nombreuses jeunes filles, toutes vêtues et voilées
de blanc; on fait alors de grandes réjouissances et un repas solennel de famille. Toute jeune fille tient
à grand honneur d'être la reine du bâton au moins une fois dans la vie ; et elle y attache l'idée d'un»
protection toute spéciale de la Sainte Vierge pour son heureux établissement; idée sans doute irrépro-
MARTYROLOGES. 155
Pentecôte, le 8 septembre et le lundi de Pâques, pèlerinage à Notre-Dame de Nazareth, diocèse de
Montpellier. La chapelle remplace sur une montagne, où se voit encore un dolmen, un ancien
temple de druides. « La sainte Vierge », dit-on, « apparut en ce lieu, demandant qu'on substituât
son autel au culte impie qui avait souillé ces monts, et laissa, sur le rocher, l'empreinte de son pied
qu'on montre encore aujourd'hui». — Le 1er mai, commencement des pèlerinages au célèbre sanc-
tuaire de Notre-Dame de Grâce, à Rochefort, au diocèse de Nimes. Ce sanctuaire réunit le prestige
de la plus haute antiquité avec l'éclat des plus étonnants miracles. L'historien Bories, dans son livre
intitulé : La royale couronne des rois d'Arks, attribue à Charlemagne la fondation de ce sanc-
tuaire. L'injure du temps ou des hommes détruisit, on ne sait à quelle époque, l'œuvre de Char-
lemagne ; et on lui substitua une petite chapelle, où les peuples ne cessèrent d'honorer sur ce
rocher une statue de la Vierge, connue, à raison de sa couleur, sous le nom de Sainte- Brune.
Cette image, qui existe encore dans le nouveau sanctuaire, fut, selon la tradition, découverte par
un berger sur le versant occidental de la montagne, dans un enfoncement, où se voit une niche
très-visitée des pèlerins. Au xvi» siècle, les Calvinistes saccagèrent et détruisirent la chapelle ;
mais on eut le bonheur de soustraire à la destruction la statue vénérée. L'Eglise actuelle, qui ne
fut terminée qu'en 1778, est due aux enfants de saint Denoit chargés de la desservir. Non moins
attentifs aux besoins du corps qu'aux intérêts de l'âme, les Bénédictins firent creuser dans le roc
deux immenses citernes destinées à recevoir les eaux pluviales, afin de fournir de l'eau à la troupe
des pèlerins. Tant de zèle, joint au bel ordre qu'ils mirent dans le service de la chapelle, jeta le
pius grand éclat sur ce pèleriuage. Les multitudes y accoururent non-seulement des pays voisins,
mais de tout le Languedoc, du Vivarais , du Gévaudan , du Dauphiné et autres provinces.
Chaque année y comptait plus de cinquante mille personnes. 93 survint sur cet illustre sanc-
tuaire : on en chassa les Bénédictins, on en pilla toutes les richesses et toutes les reliques.
On abattit la tête de la statue, on la porta à la pointe d'un sabre sur le penchant de la colline,
d'où on la fit rouler jusqu'au bas. Mais Dieu punit promptement ces profanateurs. Deux furent
frappés de cécité ; deux périrent de mort violente ; et deux autres, qui avaient proféré d'horribles
blasphèmes contre la sainte Vierge, furent écrasés le même jour sous les débris d'une muraille
nouvellement construite. Des exemples si frappants de la vengeance du ciel arrêtèrent les destruc-
teurs dans leur œuvre sacrilège ; ils respectèrent un certain nombre û'ex-voto, qui restaient encore
appendus aux murs, et laissèrent la chapelle telle qu'elle était ; de sorte que, pendant la tour-
mente révolutionnaire, les prêtres fidèles purent y exercer leur saint ministère. Devenue propriété
nationale et cédée à l'hospice d'Uzès, elle fut laissée, par l'administration de l'hospice, à la dis-
position de plusieurs ecclésiastiques, qui y dispensèrent aux peuples les secours et les consolation»
de la religion. En 1836, elle passa aux mains de l'évêque de Nimes, qui, voyant l'importance
toujours croissante que prenait ce pèlerinage, la coufia, en 1846, aux religieux Maristes. Ceux-ci
firent aussitôt restaurer le monastère et construire de vastes asiles pour loger les pèlerins. Ce
nouvel état de choses accrut considérablement l'affluence, surtout dans les mois de mai, d'août,
de septembre, et à l'époque des retraites spirituelles, que les Pères Maristes donnent successivement
tantôt aux hommes, tantôt aux femmes. Parmi ces pieux pèlerins, on distingue les élèves du petit
séminaire de Beaucaire, qui, chaque année, le 29 avril, franchissent une distance de six heures de
marche, arrivent le soir à la maison des Maristes, communient le lendemain et déposent sur l'autel
une offrande au nom du petit séminaire. L'après-midi, ils reprennent le bâton de voyage et cal-
culent la marche de manière à arriver à Beaucaire pour le premier exercice du mois de mai.
Toute la communauté vient en procession à leur rencontre ; on leur donne le rang d'honneur, et
on se rend ainsi, au chant des cantiques, à la chapelle du séminaire, où commence aussitôt l'exer-
cice du mois, que ces pieux voyageurs viennent de placer sous la protection de Notre-Dame de
Grâce. — Au diocèse de Limoges, procession à Notre-Dame de Sauvagnac, le lundi de la Pente-
côte. La tradition fait remonter l'origine de cette chapelle au xue siècle. Le seigneur de Mérignac,
se voyant, dit la légende, près de faire naufrage en revenant de la croisade, fit vœu d'élever une
chapelle à la sainte Vierge, s'il échappait à la mort. 11 échappa en effet; et, pour acquitter son
vœu, il fonda cette chapelle sur un pic, au milieu des montagnes de Grandmont ; il y fit don d'une
lampe d'argent en forme de vaisseau, et appela ce sanctuaire du nom de Sauvagnac, c'est-à-dire
sauvé des eaux, salvus ab aqua. Vers ces derniers temps, le pieux sanctuaire étant tombé dans un
état de dégradation, tout le diocèse fut invité à souscrire pour le restaurer ; et, avec douze mille
francs, fruit de la souscription, on l'agrandit et on y ajouta une abside semi-circulaire. L'inaugu-
ration de la chapelle ainsi restaurée témoigna de la dévotion de tout le pays pour ce lieu de
pèlerinage. — Le dernier dimanche de mai, pèlerinage à Notre-Dame de Cardonnay, au diocèse de
Rouen, canton d'Aumale : son nom lui vient du chardon sous lequel fut trouvé la statue qu'on y
vénère : la chapelle remonte, au moins, au xn« siècle. Vendue en 93, cette chapelle est heureu-
sement tombée entre les mains d'un acquéreur religieux, qui tient à la conserver, et qui l'a même
enrichie de plusieurs indulgences que Pie IX a accordées à ceux qui viendraient visiter ce béait
ehable, sauf les abus ou la superstition qui peuvent s'y mêler quelquefois, puisque le mariage étant l'acte
le plus important de la vie, il n'est rien de plus chrétien que de le placer sous la protection do la Sainte
Vierge.
156 Ie* MAI.
sanctuaire. La paroisse d'Aumale conservant, pour Notre-Dame de Cardonnay, les pieux sentiments
de ses ancêtres, s'y rend encore aujourd'hui en procession le dernier dimanche de mai et le len-
demain de la première communion des enfants. Le collège y va de son côté le dernier jeudi du
mois de mai ; enfin, plusieurs paroisses de Picardie, entre autres Gauville et Morvilliers, s'y ren-
dent en pèlerinage vers la même époque. Cette chapelle, du reste, est entretenue avec soin ; elle
possède, outre le tabernacle et les ornements de celle de Rueil, de nombreux tableaux qui attes-
tent la confiance et la piété du peuple. — Le lundi de la Pentecôte, pèlerinage à Notre-Dame de
Bethléem, au diocèse d'Orléans. — Le lundi de la Pentecôte, fête de Notre-Dame de Nanteuil,
au diocèse de Blois. Le culte de la sainte Vierge en ce lieu, s'il en faut croire la tradition répandue
dans le pays, remonte jusqu'aux premiers temps de l'établissement du christianisme dans ces
contrées. Alors une statue de Marie ayant été découverte parmi le feuillage d'un grand chêne, on
la retira pour la placer sur le bord d'une fontaine voisine où l'on pouvait plus facilement la voir
et l'honorer ; « mais », dit la légende, « la statue étant revenue d'elle-même au lieu où on l'avait
trouvée, on lui éleva une chapelle à double étage dans l'emplacement même du chêne ». Au
Xiie siècle, l'église et le prieuré de Nanteuil relevaient de l'abbaye de Pontlevoy. On attribue la
construction du sanctuaire actuel à la munificence de Philippe-Auguste, qui voulut par là témoi-
gner sa reconnaissance à Marie pour un double bienfait : le premier, c'était qu'elle lui avait obtenu
une pluie abondante pour désaltérer son armée qui se mourait de soif; le second, ce fut la vic-
toire sur le roi d'Angleterre et la prise de Montrichard. La dévotion des rois et des seigneurs pour
la Vierge de Nanteuil était partagée par les fidèles ; de toutes parts on y venait en pèlerinage,
surtout le lundi de la Pentecôte ; ce qui donna naissance à une foire renommée qui s'y établit ce
jour-là dès avant le xive siècle, et au nom historique de Pré des Pèlerins, que porte encore
aujourd'hui la vaste prairie voisine de l'église, ainsi appelée parce que les pieux voyageurs avaient
droit d'y faire paître leurs montures. Les habitants de Tours se distinguaient entre tous par leur
dévotion pour ce sanctuaire. Les guerres de religion et les troubles de la Ligue, qui désolèrent le
xvi« siècle, n'empêchèrent point les pèlerins du Blésois, de la Touraine et du Berri de se rendre
à Nanteuil. Malgré les bouleversements politiques, l'affluence ne discontinua pas, et, souvent même,
dans les calamités publiques, les paroisses entières s'y rendaient et faisaient le vœu d'y revenir
tous les ans. Au xvn8 siècle, même affiuence ; et, parmi les nombreux pèlerins, on compte un
des plus saints prêtres de cette époque, M. Olier, curé de Saint-Sulpice. Enfin, au xviii» siècle, le
bienheureux Joseph Labre vint y passer quinze jours, et la haute idée qu'il y laissa de sa sainteté
est encore vivante dans le pays. L'époque désastreuse de la Révolution fut annoncée par les traits
attristés de la figure de Notre-Dame de Nanteuil et par les larmes qui coulèrent de ses paupières.
Plusieurs, qui refusèrent d'y croire, vinrent examiner le fait de leurs propres yeux, et furent
obligés d'en convenir. Les révolutionnaires n'en tirèrent d'autre conséquence qu'une haine plus
passionnée contre la Vierge miraculeuse ; ils dévastèrent entièrement son église, brisant les autels
et les tabernacles, lacérant les tableaux, pillant tout ce qu'ils espéraient vendre à leur profit et
brûlant tout le reste. Après ces exploits de Vandales, ils passèrent une corde au cou de la statue
vénérée et la firent tomber violemment à leurs pieds, où elle se brisa. La tète, séparée du tronc,
roula dans la poussière; et une femme, l'ayant outrageusement repoussée du pied, en fut bientôt
punie par une mort accompagnée des plus cruelles souffrances. Une autre femme, plus digne de
son sexe, recueillit religieusement ce pieux débris; et, à la réouverture des églises, un artiste y
ayant adapté un corps en place de celui qui avait été brisé, on remit la nouvelle statue au lieu
où était l'ancienne. Les pèlerinages alors recommencèrent comme autrefois. Chàteauvieux et Saint-
Aiguan reprirent l'usage de leur procession annuelle, et des guérisons miraculeuses furent souvent
la récompense de la foi des populations. L'église de Nanteuil est un des beaux monuments que
nous a légués le moyeu âge. — A Aubervilliers ', dans le diocèse de Paris, le deuxième dimanche
de mai, fête de Notre-Dame des Vertus. En 1338, il n'y avait là qu'une petite chapelle, avec un
autel et une statue de la sainte Vierge ; mais, cette même année, le deuxième mardi de Pâques,
une jeune fille, voulant parer l'autel, pria un jeune homme de venir l'aider dans ce pieux office.
Pendant qu'ils s'occupaient de ce soin, voilà que, tout à coup, la statue se couvre de sueur et l'eau
coule sur sa face ; phénomène d'autant plus extraordinaire que le temps était très-sec et la chaleur
extraordinaire. Dans leur surprise, ils appellent d'abord des témoins et convoquent ensuite tous les
habitants au son de la cloche. Bientôt le bruit du prodige se répandit et les pèlerinages commen-
cèrent. Les nombreux miracles, opérés à Aubervilliers, firent appeler la statue Notre-Dame des
Vertus, c'est-à-dire des miracles. Le concours devint si nombreux au xvne et au xviii» siècle, que
huit prêtres, constamment attachés au sanctuaire, ne suffisaient pas à la dévotion des pèlerins.
Cette dévotion a fort diminué, mais n'a point entièrement disparu : les mères y viennent apporter
les enfants, et les populations s'y pressent le second mardi de mai. — A Tourcoing, les familles
chrétiennes se consacrent, pendant le mois de mai, à Notre-Dame de la Marlière. La statue, qu'on
y vénérait autrefois, fut trouvée dans le tronc d'un arbre séculaire : emportée, en 1562, par un
eoldat calviniste, elle fut échangée par un pieux bûcheron contre deux fagots ; mais la Révolution
de 93 la fit disparaître. La piété envers ce sanctuaire n'en est pas moins vive. — Le lundi de
1. Aubervilliers n'était autrefois que la maison de campagne d'un nommé Albert — Alberti villa.
MARTYROLOGES. 157
la Pentecôte, fête patronale de Notre-Dame de Quarte, entre Bavay et Reims, n y vient, ce jour-
là, jusqu'à trente mille pèlerins; ils arrivent dès l'aurore, font le tour de l'église, prient devant la
sainte image de Marie, lui font toucher divers objets, des rosaires, des rameaux verts, etc., qu'ils
emportent ensuite avec eux. A l'époque de la Révolution, les femmes de Pont-sur-Sambre s'ar-
mèrent de pierres et chassèrent les démolisseurs qui venaient dans l'intention de renverser le
sanctuaire. — Le lundi de Pâques et le lundi de la Pentecôte, pèlerinage à Notre-Dame de Verti-
gneul, non loin de Cambrai. Ce pèlerinage célèbre, déjà très-fréquenté dès l'an 1428, est plus
fréquenté encore de nos jours, surtout par les mères qui y apportent leurs enfants en bas âge, pour
les mettre sous la protection de la Reine du ciel. — Le jour de l'Ascension, pèlerinage principal
à Notre-Dame d'Orcival *, dans le diocèse de Clermont. Ce pèlerinage est parmi tous ceux qui
existent dans le monde un des plus fréquentés et des mieux conservés. La Vierge, qu'on y honore,
est atribuée à saint Luc. — Le mardi de la Pentecôte, pèlerinage principal à Notre-Dame de Pitié,
Vierge célèbre, à un quart de lieue d'Aigurande, dans le diocèse de Bourges. On dit que, en 93, on
voulait scier, par le milieu, la statue de la Vierge, mais que la scie rebelle se refusa à cette
profanation. Alors un des démagogues démolisseurs saisit une hache, frappa à coups redoublés et
parvint à séparer la tête du tronc : en tombant, cette tète alla rouler aux pieds d'une jeune fille
qui la ramassa religieusement et la porta à sa mère. Celle-ci la reçut avec respect et la déposa
dans un lieu secret, où les fidèles purent venir prier Marie de faire lever sur la France des jours
meilleurs. — Le dimanche de la Trinité, pèlerinage à Notre-Dame de Cluis-Dessous, au diocèse de
Bourges. L'origine de ce sanctuaire est due à deux solitaires qui vinrent se retirer dans les lieux
où il s'élève, alors couverts de broussailles, pour y mener la vie érémitique. Les Bénédictins en
prirent le service et y furent remplacés, au xve siècle, par les Franciscains : ces derniers élevèrent
la chapelle actuelle qui, grâce à la religion et malgré sa pauvreté, jouit d'une gloire immortelle,
tandis que, tout à côté, l'orgueilleux château des Montpensier git dans la poussière. La Vierge de
Cluis porte le nom de Notre-Dame de la Trinité. Cette Vierge, remarquablement belle, fut sous-
traite à l'impiété pendant la Révolution : le calme revenu, on la rendit à son sanctuaire. Pendant
tout le cours de l'année, des pèlerins viennent souvent prier Notre-Dame de Cluis, surtout pour
les maladies qui les affligent, eux ou leurs proches. Si la personne malade est une jeune fille, ce
sont trois jeunes filles qui font le pèlerinage; si c'est une femme mariée, ce sont trois femmes
mariées ; si c'est un jeune homme, ce sont trois jeunes gens; et ainsi se traduit en action, d'une
manière saisissante, le dogme de la fraternité évangélique. Mais rien n'est beau comme la proces-
sion du jour de la Trinité : les pèlerins y sont au nombre de dix à douze mille. Pendant les trois
semaines qui précèdent, ils jeûnent le vendredi, et font quelque aumône à des pauvres encore plus
pauvres qu'eux. Un grand nombre se rend dès la veille ; et, à minuit, au moment précis où les
anciens Bénédictins commençaient à chanter Matines, commencent les processions particulières ;
les pèlerins s'en vont par bandes de trois en l'honneur du mystère du jour, le front découvert,
souvent les pieds nus, toujours le chapelet à la main et dans le plus profond silence. Ils parcou-
rent les quatorze stations du chemin de la croix disposées par les Franciscains sur un espace
d'environ deux lieues, dans les rues de Cluis, sur les places publiques. Telle est la dévotion à Notre-
Dame de Cluis-Dessous ; et elle s'est toujours maintenue, à ce point, que même dans les plus
mauvais jours de la Révolution, on ne cessa pas de faire la procession nocturne. — Le lundi delà
Pentecôte, procession solennelle à Notre-Dame du Puis. Notre-Dame du Puis, à Gargilesse, dans
le diocèse de Bourges, est une gracieuse église fondée par Hugues II, seigneur de Naillac en 1236,
sur le modèle de la magnifique église abbatiale de Déols. Le religieux seigneur de Naillac établit
le droit d'asile dans les terres qui environnent le sanctuaire ; et par des croix plantées de sa propre
main, il détermina l'enceinte où devait s'exercer ce droit sacré. Le chemin, que parcourent encore,
de nos jours, les processions, est celui limité par les croix de Hugues de Naillac. L'église est
byzantine, parfaitement homogène de style, et un petit chef-d'œuvre. Le gouvernement français
l'a fait, à ce titre, complètement restaurer dans ces dernières années. — Le jour et le lundi de la
Pentecôte, pèlerinage principal à Notre-Dame du Laus, diocèse de Gap. — Le lendemain de la
Pentecôte, pèlerinage à Notre-Dame du Hamel, entre Crevecœur et Grandvilliers, dans le diocèse
de Beauvais. A ce sanctuaire se rattache le souvenir de la délivrance miraculeuse du sire de Créqui,
lequel s'était croisé sous Louis VII et demeura captif des mahométans, dix ans, pendant lesquels
on tenta tous les moyens de lui faire renier sa foi, le frappant souvent jusqu'à le mettre tout en
sang. Son maître, désespérant d'y réussir, lui signifia un jour que le lendemain il le ferait étran-
gler. Raoul, sur cet avis, passe une partie de la nuit en prières, se recommande à Notre-Dame du
Hamel ; puis, cédant à la lassitude, il s'étend par terre et s'endort. Chose merveilleuse, dit la
légende : le lendemain matin il se réveille ; il se retrouve au Hamel, et apprend d'un berger que
la dame de Créqui, sa femme, qui se croyait veuve, se marie ce jour-là même au sire de Renty. Aus-
sitôt il se rend au château de son père, et essaie, mais en vain, de se faire reconnaître, tant il
était maigre, décharné et mal vêtu. Alors il va attendre la mariée sur le chemin par où elle doit
se rendre à l'église ; il l'aborde à son passage, lui présente la moitié de l'anneau nuptial, ainsi
que le bracelet qu'elle lui avait donné à son départ, et lui dit à l'oreille quelques secrets que lui
1. Ursi vallis ou vallée des Ours; Orci vallis, vallée d'Enfer : elle est en effet très- étroite.
158 1er MAI.
seul connaissait. La dame, convaincue, tombe dans ses bras, l'emmène à l'église de Notre-Dame du
Hamel célébrer, non plus des noces, mais le retour de l'époux retrouvé ; et l'on suspendit ses
chaines au mur du sanctuaire, en signe de reconnaissance éternelle. — A Nantes, neuvaine de
l'Ascension, à la Pentecôte, à Notre-Dame de Bonne-Garde dont l'origine est due à une statue
miraculeuse qui apparut une nuit au sein d'une vive lumière. La chapelle, démolie naguère pour
faire place à une nouvelle rue, vient d'être reconstruite, en style ogival , au confluent de la Loire
et de la Sèvre. — Le dimanche dans l'octave de l'Ascension, à Saint-Léonard de Rubempré, au
diocèse d'Amiens, fête solennelle de la translation des reliques de saint Victoria, enfant martyr,
cité aux martyrologes des 27 mars et 14 mai1.
SAINT JACQUES LE MINEUR, APOTRE
61. — Pape : Saint Pierre. — Empereur : Néron.
Priez avec foi et sans défiance, car celui qui est dans
la défiance est semblable au flot de la mer qui est
agité et emporté ça et là par le vent.
Ep. Jae., i, 6.
Saint Jacques, de la tribu royale de Juda, naquit à Cana, onze ou douze
ans avant Notre-Seigneur Jésus-Christ. Il était communément appelé le
Juste, à cause de la haute réputation de vertu qu'il s'était acquise parmi le
peuple, et aussi parce qu'il appartenait à la secte des Esséniens, qui étaient
les religieux ou les Justes de ce temps-là. Bien qu'il ne fût pas de la tribu
sacerdotale, on lui permettait néanmoins d'entrer dans le lieu du temple
où les prêtres seuls avaient droit d'entrer, et qui s'appelait Sancta. Quel-
ques auteurs disent qu'il entrait aussi, pour faire ses prières, dans le sanc-
tuaire appelé Sancta sanctorum, bien que cela n'eût jamais été permis qu'au
grand prêtre, et seulement une fois l'année.
Secondement, il était appelé Oblias, c'est-à-dire le Rempart du peuple.
Aussi, comme nous l'apprend Eusèbe, d'après Hégésippe et Clément d'Alexan-
drie, les plus sages des Juifs se persuadaient que la prise et le pillage de
1. Le corps de saint Victorin, jeune enfant d'environ douze ans, fut trouvé dans les catacombes, près
la voie de Tiburce, le 27 mars 1842. Dans son tombeau étaient une fiole teinte de sang et cette inscription :
dep. bitorini. in p., c'est-à-dire, Depositio S. Victorini in pace. Ses ossements furent enchâssés dans
une composition de cire représentant un corps humain, revêtu de précieux vêtements de soie et d'or.
C'est ainsi qu'arrivé à Amiens, en 1846, il fut présenté avec l'authentique qui l'accompagnait, le
23 avril 1846, à Mgr Mioland, qui reconnut la relique et permit de l'exposer à la vénération des fidèles,
comme il appert de son visa apposé sur l'authentique. Le jour de la translation fut fixé, par Mgr l'évêque
d'Amiens, au 14 mai 1846. Il voulut présider lui-même cette cérémonie. La paroisse de Rubempré, à qui
était destinée cette insigne relique, don précieux du R. P. Lartigue, de la Compagnie de Jésus, qui l'avait
obtenue de S. E. le cardinal Patiizi, vicaire général de N. S. P. le pape Grégoire XVI, se prépara à la
recevoir par une retraite de dix jours. Le jour de la translation arrivé, le Prélat, précédé d'un nombreux
clergé et de plus de quinze mille fidèles, se rendit processionnellement à l'église paroissiale de Pierregot,
pour y prendre le saint corps qui y avait été déposé. Il fut transporté de là à l'église de Rubempré et
déposé sur une magnifique estrade surmontée d'un riche baldaquin, pour y rester, pendant un Triduum,
exposé à la vénération des fidèles et ensuite placé sous le maître-autel, restauré à neuf, mis à jour et
fermé de glaces.
A partir du jour de la translation, et tous les jours de l'octave, le Pape avait accordé une indulgence
plénière stationnelle. Il a également donné la permission de faire, tous les ans, à perpétuité, la fête de
saint Victorin, qui a été fixée par Mgr Mioland, évêque d'Amiens, au dimanche dans l'octave de l'Ascen-
sion, avec une indulgence de sept ans et de sept quarantaines à perpétuité.
Depuis la translation des reliques de saint Victorin, en 1846, jusqu'aujourd'hui (1874), la fête de ce
saint Martyr se célèbre tous les ans avec la plus grande pompe. Un grand concours de peuple des pays
environnants afliue à Rubempré. Le saint corps est porté par les jeunes geus dans toutes les rues de co
bourg. Enfin, ce Saint est devenu si populaire que le pays l'a adopté pour son second patron. — Hagio-
graphie du diocèse d'Amiens, par M. l'abbé Corblet.
SAINT JACQUES LE MINEUR, APÔTRE. 159
cette grande ville, et le nombre infini de maux dont la nation juive fut alors
accablée, étaient la punition du crime commis contre la personne de saint
Jacques, en le faisant mourir.
Troisièmement, les fidèles le nommaient ordinairement le Frère du Sei-
gneur : l'apôtre saint Paul, écrivant aux Galates, leur dit : « Qu'étant allé à
Jérusalem voir saint Pierre, il n'avait point vu d'autre apôtre que Jacques,
frère du Seigneur ». Ce n'est pas qu'il fût fils de la Sainte Vierge, comme
l'impie Helvidius a eu l'effronterie de le dire : car cette Mère adorable étant
demeurée perpétuellement vierge, selon la foi de l'Eglise, elle n'a pu avoir
d'autre fils que celui qu'elle a conçu par la seule opération du Saint-Esprit.
Ce n'est pas non plus qu'il fût fils de saint Joseph, par une autre femme,
comme quelques autres auteurs l'ont écrit : car c'est le sentiment commun
des fidèles que saint Joseph était vierge lorsqu'il épousa Notre-Dame, et
qu'il a conservé la fleur de sa virginité jusqu'à sa mort. D'ailleurs, les Evan-
gélistes nous apprennent que saint Jacques était fils d'une Marie qui suivait
Notre-Seigneur, et qui assista sur le Calvaire à son crucifiement : vivant en
même temps que la Sainte Vierge, elle ne pouvait pas être épouse de saint
Joseph. Saint Jacques est donc appelé Frère du Seigneur, selon la manière
de parler des Hébreux, parce qu'il était son proche parent et son cousin, sa
mère étant nièce de saint Joachim et de sainte Anne, et cousine germaine
de la Sainte Vierge.
Il avait trois frères, dont l'Evangile fait mention et qui sont aussi appe-
lés Frères de Jésus-Christ, à savoir : Joseph, Simon et Jude, dont le dernier
est du nombre des douze Apôtres, et, dans son Epître canonique, se nomme
lui-même frère de Jacques, s'estimant plus honoré de cette qualité que les
personnes du monde ne le sont de leurs plus grandes alliances ; quant à
Joseph, frère de Jacques, c'est probablement ce Joseph, autrement dit Bar-
sabas, et surnommé aussi le Juste, qui fut proposé, avec saint Mathias, pour
remplir la place du traître Judas. Cependant il semble que le nom de Frère
du Seigneur ait surtout appartenu à saint Jacques, et que ce soit le nom par
lequel on le distinguait des autres Apôtres, comme on le peut voir dans les
plus anciens auteurs, et même dans l'historien Josèphe, cité par Eusèbe ;
peut-être parce qu'il était l'aîné de ses cousins ; que son insigne piété le
rendait plus conforme à la vie et à la sainteté du Sauveur ; ou enfin, qu'il
lui ressemblait, dit-on, parfaitement de visage ; en effet, les fidèles allaient
exprès à Jérusalem pour le voir : en le regardant, ils croyaient encore voir
Celui qui était monté dans le ciel, et qui n'était plus visible parmi les
hommes.
Hégésippe, auteur fort ancien, dont nous avons déjà parlé, dit que cet
apôtre fut sanctifié dès le sein de sa mère. Cest un privilège que l'Ecriture
sainte attribue à Jérémie et à saint Jean-Baptiste, et Dieu a pu aussi l'accor-
der à saint Jacques ; et il est probable que cet auteur, qui vivait immédia-
tement après les Apôtres, et que le Martyrologe romain loue pour sa sain-
teté et pour la sincérité avec laquelle il a écrit Y Histoire de V Eglise, n'eût
pas avancé ce fait, si ce n'eût été la croyance commune des fidèles. D'après
ce même auteur, Jacques ne mangea jamais rien qui eût eu vie. Une buvait
que de l'eau, il n'usait ni de parfums, ni de bains, quoique cela fût fort or-
dinaire de son temps ; il priait si assidûment, qu'il s'était fait des calosités
aux genoux. Saint Epiphane assure qu'il est demeuré vierge toute sa vie, et
saint Jérôme, avec plusieurs autres écrivains ecclésiastiques, le propose
comme un modèle d'innocence, de sainteté et de pénitence, qui donnait de
l'admiration aux anges et aux hommes.
160 Ier MAI.
Le Texte saint ne nous dit rien de lui en particulier, depuis que Notre-
Seigneur l'eut appelé ensa compagnie. Seulement, d'après un certain livre
d'Evangiles, dont usaient les Nazaréens, et que saint Jérôme, qui l'a traduit
du grec en latin, appelle, selon les Hébreux, au soir de la Cène, après avoir bu
le calice du Seigneur, saint Jacques déclara qu'il ne mangerait point avant
que le Fils de l'Homme fût ressuscité ; c'est pourquoi Notre-Seigneur lui ap-
parut le jour même de sa résurrection, et, lui ayant demandé du pain, il le
bénit, le rompit et le lui présenta, lui disant : « Ne fais plus, mon frère,
difficulté de manger, parce que le Fils de l'homme est ressuscité ». Mais
cette apparition ne peut être celle dont parle saint Paul, écrivant aux Co-
rinthiens, puisqu'il ne la met qu'après l'apparition à plus de cinq cents dis-
ciples, laquelle n'arriva pas le jour même de la Résurrection, mais plusieurs
jours après.
Après la descente du Saint-Esprit, lorsque le nombre des fidèles se fût
multiplié à Jérusalem, saint Pierre, de son autorité et de l'avis des autres
apôtres, établit saint Jacques évêque de cette ville, où sa vertu l'avait rendu
l'objet du respect universel, comme nous l'apprennent Hégésippe, Eusèbe
et saint Jérôme. La lettre attribuée au pape saint Anaclet dit que la céré-
monie de l'ordination se fit par saint Pierre, assisté de saint Jacques le Ma-
jeur et de saint Jean, son frère ; c'est pourquoi, dans la suite, l'Eglise a
ordonné qu'un évêque ne serait sacré que par trois évêques. Les Papes, néan-
moins, peuvent dispenser de cette loi, et ils l'ont souvent fait lorsqu'ils ont
envoyé des évêques porter la foi dans des pays éloignés. Il semble même
assez manifeste que, lorsque les Apôtres ont ordonné des évêques, dans le
cours de leurs prédications, ils n'étaient pas toujours assistés de deux au-
tres évêques.
Saint Epiphane rapporte que saint Jacques portait sur sa tête une lame
ou plaque d'or. C'était apparemment une marque distinctive de la dignité
épiscopale. Polycrate, cité par Eusèbe, rapporte la même chose de saint
Jean, et quelques auteurs le disent aussi de saint Marc. Il est probable que
cela se fit à l'imitation du grand prêtre des Juifs.
C'est la seule marque extérieure que l'histoire ecclésiastique nous ap-
prenne avoir été portée par les évêques dans les premiers siècles ; encore ne
paraît-elle pas avoir été fort usitée. La raison en est que les ministres de
l'Evangile, étant recherchés par les païens avec une sorte de fureur, se
donnaient de garde de se distinguer au dehors du reste des chrétiens.
Cette ordination de saint Jacques lui donna un nouveau crédit, non-
seulement parmi les fidèles, mais aussi dans la compagnie des autres Apô-
tres. Aussi, saint Pierre ayant été délivré par un ange des prisons d'Hérode,
envoya aussitôt lui en donner avis. Aussi, dans le concile que tinrent les
Apôtres, touchant l'observation des cérémonies légales, à laquelle les Juifs,
nouvellement baptisés, voulaient qu'on obligeât les Gentils qui se conver-
tissaient, il opina le second, et immédiatement après saint Pierre ; et son
avis eut tant de poids, qu'aussitôt, sans délibérer davantage, on résolut de
faire un décret conformément à ce qu'il avait dit. Saint Paul parle de lui
avec beaucoup d'honneur dans l'Epître aux Galates, surtout dans le chapi-
tre second, où, le joignant à saint Pierre et à saint Jean, il les appelle tous
trois les colonnes de l'Eglise.
Ce saint Apôtre, vivant ainsi dans Jérusalem et y exerçant l'office d'évê-
que et de pasteur du peuple de Dieu, y obtenait des résultats merveilleux
et attirait tous les jours, par les exemples de sa sainte vie et par l'éclat de
ses prédications, plusieurs juifs à la connaissance de Jésus-Christ. Ananus,
SAINT JACQUES LE MINEUR, APÔTRE. 161
qui était alors grand prêtre, homme fier, turbulent et cruel, et de la secte
des Sadducéens, ne put souffrir plus longtemps ces conquêtes que Jacques
faisait sans cesse à Jésus-Christ. Il profita de l'intervalle qui s'écoula entre
la mort du procurateur romain Festus et l'arrivée de son successeur Albin
pour satisfaire sa haine contre Jacques et quelques autres chrétiens de con-
sidération. Il viola audacieusement les droits de la suprématie romaine et
le fit comparaître devant le sanhédrin. Après lui avoir donné beaucoup de
louanges, lui avoir rappelé de la manière la plus flatteuse l'estime que tout
le peuple avait pour lui, il lui exposa : « que tout le monde embrassant la
secte des chrétiens, le temple et le culte de Dieu allaient être entièrement
abandonnés. Un israélite aussi zélé que Jacques, pour la gloire de Dieu, de-
vait empêcher un si grand mal ; persuadé de sa justice et de sa sainteté, il
ne doutait nullement qu'il ne le fît avec beaucoup de courage. Il le priait
donc, lorsqu'une foule de juifs se seraient assemblés dans Jérusalem, pour
la fête de Pâques, de monter dans le lieu le plus éminent du Temple, et là,
de déclarer sincèrement, devant tous les assistants, ce qu'il pensait de Jésus
qui avait été crucifié. C'était lui mettre l'honneur de la synagogue entre les
mains et abandonner les intérêts de la loi de Moïse ; mais il ne doutait
point qu'il n'agît en cette affaire en homme de conscience ». Saint Jacques
voyant là une belle occasion de prêcher Jésus-Christ, accepta volontiers
cette offre, et, un jour qu'un grand nombre d'habitants et d'étrangers s'é-
taient assemblés, il monta sur le pinacle du temple, qui était comme un
perron qui regardait sur le parvis ou sur la grande nef. Alors les prêtres lui
crièrent: «Juste, dont nous honorons tous les sentiments, dites-nous ce
que vous pensez de Jésus qui a été crucifié ». Ils croyaient qu'il n'aurait pas
la hardiesse de le déclarer le Christ et le Messie ; mais cet Apôtre, plein de
courage, s'écria: «Pourquoi me demandez-vous mon avis touchant Jésus, Fils
de l'Homme ? nel'ai-jepas déjà déclaré une infinité de fois devant tous ceux
qui ont voulu avoir part à la lumière de l'Evangile ? Sachez qu'il est assis à
la droite de Dieu, son Père, et qu'un jour il viendra de là juger les vivants
et les morts ». Cette confession remplit les fidèles de joie ; une espèce d'ap-
plaudissement s'éleva parmi eux ; mais les prêtres et leurs partisans, se
voyant trompés, furent remplis de fureur ; ils s'écrièrent dans l'assemblée
que le Juste avait lui-même erré et qu'il ne fallait pas le croire ; puis, mon-
tant précipitamment au lieu où il était, ils le jetèrent en bas pour lui briser
la tête. Il ne mourut pas néanmoins de cette chute ; mais, se mettant à
genoux, il commença à prier Dieu pour ses persécuteurs, en disant : « Sei-
gneur, pardonnez-leur cette faute, parce qu'ils ne savent ce qu'ils font ».
Un prêtre, des descendants de Récham, fils de Réchabim, entendant cette
prière, en fut si touché, qu'il dit à ces barbares : « Que faites-vous ? N'en-
tendez-vous pas le Juste qui prie pour vous? » Mais cela ne les empêcha
pas de lui jeter des pierres pour le lapider ; un teinturier lui déchargea sur
la tête un coup du levier dont il se servait pour fouler les étoffes. Ainsi
mourut saint Jacques, le jour de Pâques, qui était le 10 avril de l'an 61 de
Jésus-Christ.
Les Juifs attribuèrent à sa mort injuste la destruction de Jérusalem.
Ananus fit périr plusieurs autres chrétiens. Le gouverneur romain le désap-
prouva hautement. Le roi Agrippa fit plus, il le dépouilla de la souveraine
sacrificature.
Vies des Saints. — Tome V. 1 1
162 1er MAI.
RELIQUES, ÉCRITS, LITURGIE DE SAINT JACQUES LE MINEUR;
— LES TROIS SAINTS JACQUES.
Son saint corps fut enseveli auprès du temple, au lieu même de son martyre ; depuis, ses
ossements ont été apportés, pour la plus grande partie, à Rome, avec ceux de saint Philippe, et,
de là, les principaux ont été transférés à Toulouse, par le zèle de l'empereur saint Charlemagne,
et déposés en l'église Saint-Sernin. Il y a d'autres églises qui prétendent en posséder des parties
considérables : comme celle de Saint-Zoile, à Compostelle, un morceau du chef; celle des Jésuites,
à Anvers, un autre morceau ; celle de Saint-Etienne, à Forli, une mâchoire ; la cathédrale de
Langres, un bras, que l'on dit y être depuis sept cents ans ; Saint-Corneille, de Compiègne, une
grande partie de son crâne, où s'est conservée la trace du coup de levier qui fut déchargé sur la
tète du Saint ; l'église de Saint-Jacques-du-Haut-Pas, à Paris, dédiée sous les noms de Saint-Jac-
ques et de Saint-Philippe, quelques ossements, qui disparurent pendant la Révolution française.
La chaire épiscopale de saint Jacques se voyait encore à Jérusalem an ive siècle.
Mais la plus avantageuse relique, qui nous reste de lui, est, sans doute, l'excellente épitre qu'il
a écrite, et qui est la première des sept canoniques ; il y donne des leçons admirables à tous les
fidèles ; il leur apprend surtout à recevoir les afflictions avec joie, et à considérer la croix comme
le plus puissant instrument de leur salut; à prier avec foi et avec persévérance ; à mépriser les
richesses et la gloire du monde, comme des choses qui passent en un moment ; à se défier de leur
convoitise, qui est la source de toutes leurs tentations; à ne se pas contenter d'entendre la parole
de Dieu, mais à la mettre fidèlement en pratique en joignant les œuvres avec la foi ; à réprimer
leur langue, dont la trop grande liberté produit une infinité de maux, et à ne point faire acception,
des personnes, mais à estimer les pauvres autant que les riches. Il y prescrit aussi la forme d'ad-
xinistrer le sacrement de l'Extrême-Onction, ce que, sans son épitre, nous n'aurions su que par
la tradition non écrite. Dans la rédaction du symbole, on lui attiibue l'article : « Je crois au Saint-
Esprit ». Son attribut constant est le battoir de foulon avec lequel il fut assommé, qu'il tient à
la main.
On croit généralement que saint Jacques adressa son épitre aux Judéo-Chrétiens du nord de
l'Afrique, qui faisaient consister tout leur christianisme dans une foi théorique au Messie sans
pratiquer les préceptes et les conseils de Jésus-Christ : saint Jacques leur fait voir que la foi sans
les œuvres est une foi morte, qui ne suffira pas pour les justifier. Il n'y a donc pas opposition
véritable entre lui et saint Paul qui fait dépendre la justification de la foi et non des œuvres de
la loi mosaïque. Tous deux combattent chez les Judéo-Chrétiens le pharisaïsme qui faisait con-
sister la perfection dans des pratiques extérieures, dans les œuvres légales : tous deux enseignent
la foi et les œuvres chrétiennes, animées par cette foi.
Il y a aussi une liturgie orientale qui porte le nom de saint Jacques, et dont parle saint Proclus,
patriarche de Constautinople, ainsi que le concile in Trullo. Quel qu'en soit l'auteur, elle est, au
moins, d'une très-haute antiquité. (Voir le Père Le Brun.) Peut-être saint Jacques aura-t-il donné
seulement la direction générale de cette liturgie ; on aura ensuite travaillé sur le même plan, et
on y aura fait des additions. Clément d'Alexandrie, ap. Euseb., 1. il, c. 1, et saint Jérôme, /.
contra J»vin., louent la grande habileté du même Apôtre dans les matières qui ont la religion
pour objet.
Durant les premiers temps, on n'écrivait que quelques parties de la liturgie. Jusqu'au IVe siècle,
on ne sut que par tradition les paroles de l'invocation sacrée ou de la consécration du pain et
du vin, et l'on en agissait de la sorte par un motif de respect. Voir saint Basile, /. de Spir.
Sancto, c. 27. Saint Justin dit « qu'on priait dans la liturgie pour les empereurs, pour les diffé-
rents Etats, etc. » Saint Cyrille a donné une explication assez étendue de celle que l'on suivait en
son église.
Les monuments les plus authentiques prouvent que, dès la naissance du christianisme, il y avait
nne liturgie, et que les premières formules de prières dont elle était composée furent établies par
les Apôtres. C'est ainsi que saint Jacques fnt le premier auteur de celle de Jérusalem. On y ajouta,
depuis, quelques nouvelles prières, mais on ne toucha point au point essentiel ; de là vient que
les liturgies des églises fondées par les Apôtres ont toujours porté leurs noms. Encore, de nos
jours, les chrétiens de Syrie suivent, comme venant de saint Jacques, la liturgie qui porte son nom.
Les continuateurs de Bollandus ont renouvelé l'opinion rejetée depuis si longtemps des trois
saints Jacques, et distingué saint Jacques, fils d'Alphée, l'un des douze Apôtres, de saint Jacques,
frère du Seigneur, dont nous venons de parler, qu'ils tiennent n'avoir pas été de ce nombre ; ils
disent que saint Jacques, fils d'Alphée, était de Galilée, de la tribu de Zabulon ou de Nephtali, et
frère de saint Matthieu ; dans la division des royaumes, il alla prêcher la foi à Gaza et à Tyr, et
fut ainsi martyrisé à Ostrasine. Mais quelques efforts qu'ils fassent pour établir cette opinion, que
plusieurs savants auteurs ont réfutée, lorsqu'elle a été proposée par Erasme, je ne crois pas qu'elle
soit vue de bon œil par ceux qui ont quelque déférence pour les sentiments de l'Eglise romaine,
SALNT JACQUES LE MINEUR, APÔTRE. 163
laquelle ne reconnaît que deux saints Jacques dans le nombre des Disciples, et tient, dans son
office ecclésiastique et dans son martyrologe, que celui qui est appelé frère du Seigneur, qui a
écrit une épître canonique, et qui fut ordonné évèque de Jérusalem, est un des apôtres que Notre-
Seigneur choisit, étant encore sur la terre, pour composer sou collège, et le môme que saint
Jacques, fils d'Alphée. Ces nouveaux auteurs citent pour eux un très-petit nombre d'écrivains; il
y en a un grand nombre, sui tout parmi 1 s Latins, qui leur sont contraires : les autorités et les raisons
dont ils s'appuient ont plus d'apparence que de solidité, et quelques-unes même favorisent [lus
l'opinion commune que la leur. Saint Jérôme, bien loin d'entrer dans leur sentiment, leur est
directement contraire, non-seulement dans son Traité contre Helvidius, qu'il a fait étant jeune
nais aussi dans son Commentaire sur le cJiapitre 17 d'haie. Car il ne reconnaît en ce lieu que
quatorze Apôtres, à savoir : les onze que Notre-Seigneur avait choisis, saint Mathias, qui remplit
le lieu de Judas, et saint Paul et saint Barnabe, qui leur furent ajoutés par l'ordre exprès da
Saint-Esprit. Or, cela ne serait pas véritable si saint Jacques le Mineur, que saint Paul appelle si
solennellement Apôtre, n'avait pas été du nombre des douze, puisqu'alors il y en aurait eu quinze.
C'est donc le sentiment de saint Jérôme, que saint Jacques le Mineur, frère du Seigneur, est le
même que l'apôtre saint Jacques. Les auteurs dont nous parlons, qui citent pour eux le même
saint Docteur sur ce chapitre, n'ont pas considéré qu'il l'a interprété deux fois de suite ; dans le
premier commentaire, il met, il est vrai, saint Jacques, frère du Seigneur, hors du nombre des
douze Apôtres, selon l'opinion de quelques interprètes qu'il ne suit pas ; mais, dans le second, où
il parle selon son sentiment, il dit ce que nous venons de rapporter. Au livre des Ecrivains
ecclésiastiques, il suppose encore, comme véritable, que saint Jacques a bu, dans la dernière cène,
le calice du Seigneur : or, il n'y a que les douze Apôtres qui aient participé à ce grand bonheur.
Il a donc reconnu que saint Jacques était de ce nombre, et n'en a pas reconnu trois.
Ajoutons quelques considérations à ce qui précède :
1° Il est vrai que saint Jacques le Mineur et frère du Seigneur, était fils de Marie, femme de
Cléophas ; mais cela n'empêche pas qu'il ne fût fils d'Alphée, soit qu'Alphée et Cléophas lussent
une même personne, soit qu'Alphée étant mort, Marie ait épousé Cléophas. Telle était la manière
dont le Père Giry résolvait la difficulté généalogique. Aujourd'hui, grâce aux progrès de la philo-
logie, il n'y a plus de difficulté de ce chef; car les deux noms Cléophas et Alphée, ne sont qu'au
seul et même nom, sont de la même forme ; la prononciation seule est différente C>2brî). La mère
de saint Jacques le Mineur se nommait bien Marie (Matth., xxvn, 56 ; Marc, xv, 40 ; saint Jean,
six, 23). Ce dernier nous montre en elle la femme de Cléophas et la sœur, ou la cousine de la Mère de
Jésus-Christ; Jacques était, par conséquent, le cousin — Consobrinus — de Jésus : c'est pourquoi il
est, en cette qualité, appelé le frère du Seigneur àicïyis roû kupi^u (Galat., i, 19). Quelque éton-
nant que cela puisse paraître à un Occidental moderne, il est constant qu'en hébreu l'oncle nomme
le neveu et le neveu nomme l'oncle Ï1N, àoù^àt, frère, et qu'ainsi ce mot désigne ea général un
cousin-germain. Le latin germanus lui-même ne désigne-t-il pas également le cousin et le frère,
mais plutôt le cousi?i que le frère ? Ainsi donc Jacques le Mineur, l'Apôtre, et Jacques, le frère du
Seigneur, ne sont qu'une même personne, et les efforts des savants protestants ou autres pour
démontrer que les deux désignations supposent deux personnes échouent devant ce fait que le
Nouveau Testament ne connaît pas trois Jacques, qu'il n'en cite que deux, qu'il les distingue l'un
de l'autre tant qu'ils vivent tous deux, tandis que, après la mort de Jacques le Majeur, il n'est plus
question que de Jacques, fils d'Alphée (Marc, xv, 40 ; Act., i, 13 ; xiï, 2 ; xn, 17 ; xv, 13 ; xxî»
18; Gai., n, 12; I Cor., xv, 7).
2° 11 est encore vrai que saint Jacques le Mineur fut ordonné évêque ; mais il ne faut p»
conclure de là qu'il ne soit pas Apôtre ; car, bien que les Apôtres eussent reçu, le jour de la cène,
le caractère sacerdotal, ou même la puissance épiscopale, on pouvait néanmoins exercer encore
sur eux les cérémonies de l'Ordination; ce que fit saint Pierre, à l'égard de saint Jacques, pour le
préposer au gouvernement de l'église de Jérusalem.
Telle est encore la réponse du Père Giry : on peut y ajouter que rien ne prouve une consé-
cration directe de saint Jacques par les Apôtres. La seule chose certaine, c'est que, jusqu'à la
dispersion, ils gouvernèrent en commun l'église de Jérusalem, et qu'à leur départ, alors qu'ils se
partagèrent le monde, cette même église de Jérusalem échut en partage à Jacques, fils d'Alphée.
Pour nous résumer : il n'y a eu que deux saints Jacques : saint Jacques le Majeur, fils de
Zébédée, et saint Jacques le Mineur, fils d'Alphée, tous deux apôtres du Seigneur. Si on nous
demande pourquoi le Saint dont nous venons de donner la vie fut appelé Mineur, nous répondrons
que ce nom paraît lui avoir été donné ou parce qu'il fut appelé à l'apostolat après saint Jacques
le Majeur, ou parce qu'il était de petite taille.
Cf. Acta Sanctorum; Maistre, les Soixante-douze disciples; Goschler, Dictionnaire de théologie. —
Voir au Saj plément&e ce volume quelques détails sur l'Invention des corps des apôtres saint Philip] a et
caint Jacques, en 1873.
164 1er MAI.
SAINT PHILIPPE, APOTRE
ier siècle.
Cet Apôtre, après avoir reçu le Saint-Esprit, se ren-
dit dans la Scythie qui lui était échue en partage,,
et convertit presque toute cette nation à la fol
Chrétienne. Bréu. romain, 1er mai.
Bethsaïde, village situé le long de la mer Tibériade, en Galilée, a eu
l'honneur de donner trois Apôtres à Jésus-Christ : saint Pierre, saint André
et notre saint Philippe. Il s'appliqua, dès sa jeunesse, à l'étude des saintes
lettres, et particulièrement des livres de Moïse, où il découvrit, comme sous
des ombres, les belles vérités qu'il a reconnues depuis en la personne de
son maître, le Sauveur du monde. Cela le disposa beaucoup à ouvrir les
yeux à la lumière de l'Evangile, lorsque Notre-Seigneur l'appela à sa suite.
Clément d'Alexandrie rapporte, comme un fait avéré, que saint Philippe
était celui qui, ayant été appelé à la suite de Jésus-Christ, demanda la per-
mission de retourner auparavant dans sa maison pour ensevelir son père, et
auquel le Sauveur répondit : « Suivez-moi, et laissez aux morts le soin d'en-
sevelir leurs morts ». Jésus-Christ, par cette réponse, ne prétendait pas con-
damner ceux qui rendent aux morts les derniers devoirs; il voulait seule-
ment faire entendre à son nouveau disciple, qu'étant appelé aux fonctions
sublimes d'un ministère tout spirituel, elles devaient avoir la préférence sur
les œuvres corporelles de miséricorde. Il commença aussitôt à exercer les
fonctions apostoliques : car, ayant rencontré Nathanaël, il lui annonça qu'il
avait eu le bonheur de trouver le Messie, et l'amena vers lui.
« Nous avons trouvé », lui dit-il, « celui dont il est parlé dans la loi de
Moïse et dans les écrits des Prophètes, Jésus de Nazareth, fils de Joseph ».
Ces paroles ne firent pas d'abord beaucoup d'impression sur Nathanaël : il
ne croyait pas que le Messie attendu pût sortir de Nazareth; mais Philippe
lui dit de le suivre, de venir voir par lui-même ce qui en était. Il était per-
suadé qu'il n'aurait pas plus tôt vu Jésus, qu'il le reconnaîtrait sur-le-champ
pour le Fils de Dieu. Nathanaël fit ce que son ami exigeait de lui. Jésus le
voyant approcher, dit : a Voilà un vrai Israélite, dans lequel il n'y a ni dé-
guisement ni artifice ». Nathanaël, surpris de ce que Jésus l'appelait par
son nom, lui demanda comment il pouvait le connaître. Jésus lui répondit :
« Je vous ai vu avant que Philippe vous appelât, lorsque vous étiez sous le
figuier ». Nathanaël, ainsi que l'expliquent les Pères, se rappelant alors qu'il
avait été dans un lieu si retiré qu'aucun homme n'avait pu le voir, confessa
que Jésus était le Fils de Dieu, le Roi d'Israël, ou, ce qui revient au même,
le Messie prédit par Moïse et par les Prophètes.
Trois jours après cet événement, Philippe se trouva aux noces de Cana,
où Jésus avait été invité avec ses disciples. L'année suivante, il fut mis au
nombre des Apôtres par le Sauveur, lorsqu'il forma le sacré collège.
Nous lisons encore dans l'Evangile que, quand Notre-Seigneur voulut
faire le grand miracle de la multiplication de cinq pains et de deux pois-
sons, il s'adressa à saint Philippe, et lui demanda où l'on pourrait acheter
des vivres pour toute cette multitude. C'était afin de lui faire mieux con-
SAINT PHILIPPE, APÔTRE. 165
naître l'excellence du prodige qu'il allait opérer, et de donner une nouvelle
vigueur à sa foi. Quelques Gentils, venus de Jérusalem, pour y adorer Dieu
à la fête de Pâques, entendant parler des merveilles que faisait Jésus-Christ,
et désirant le voir, s'adressèrent aussi à saint Philippe, comme à celui qu'ils
jugeaient le plus propre pour leur procurer cette grâce. Enfin, lorsque le
Sauveur, le soir de sa passion, eut entretenu ses Apôtres de sa génération
éternelle, de sa venue au monde et de son retour à son Père, saint Phi-
lippe lui fit cette demande : « Seigneur, montrez-nous votre Père, et ce
nous sera assez ». A quoi ce divin Maître répondit : « Il y a si longtemps que
je suis avec vous, et vous ne me connaissez pas encore ? Philippe, celui qui
me voit, voit aussi mon Père ». Doctrine admirable, et qui nous découvre
de grands secrets sur le mystère de la très-sainte Trinité.
Après l'ascension du Fils de Dieu et la descente du Saint-Esprit, les
Apôtres se partageant les diverses provinces du monde, l'Asie supérieure
fut le lot de saint Philippe. Il alla porter la doctrine de l'Evangile, qu'il
confirma par la force de plusieurs miracles : guérissant les malades et chas-
sant les démons des corps des possédés par l'imposition de ses mains. Il
passa ensuite en Scythie, où il employa plusieurs années à convertir les ido-
lâtres. Saint Isidore a dit qu'il a aussi prêché aux Gaulois; mais on prétend
à faux, selon nous, qu'il veut dire aux Galates, colonie de Gaulois, qui s'était
établie dans cette partie de la Phrygie, appelée Galatie l. Lorsqu'il eut passé
quelques années en Scythie, il vint à Hiérapolis, ville considérable de Phrygie,
afin d'y annoncer les vérités du Christianisme. Etant entré dans un temple
de cette ville, comme l'écrit Métaphraste, il y trouva une monstrueuse vipère *
que le peuple adorait, et à laquelle on offrait de l'encens et des sacrifices;
ayant compassion de ce peuple, le saint Apôtre se jeta par terre et pria Dieu
de lui ouvrir les yeux et de le délivrer de cette tyrannie de Satan. Sa prière
fut exaucée, le serpent mourut aussitôt, et le peuple se trouva tout disposé
à recevoir la lumière de l'Evangile; mais les prêtres et les magistrats ne le
pouvant souffrir, se saisirent de Philippe, et, après l'avoir tenu quelques
jours en prison, le fouettèrent cruellement, le crucifièrent, et enfin l'assom-
mèrent à coups de pierres, pendant que, de son côté, il remerciait Jésus-
Christ de ce qu'il lui faisait part de sa croix.
Néanmoins, avant qu'il expirât, Dieu, le vengeur des injures que l'on
fait à ses Saints, suscita un si épouvantable tremblement de terre, que plu-
sieurs grands édifices tombèrent et que les abîmes, ouvrant leur sein, en-
gloutirent les auteurs de cette impiété. Les idolâtres, étonnés de ce pro-
1. Le fait de la venue de saint Philippe dans la partie des Gaules bordée par l'Océan est certain,
d'après saint Isidore de Se'ville, dans son livre De la naissance, de la vie et de la mort des Saints; d'après
l'ancien Bréviaire de Tolède; d'après Fréculphe, 1. u, c. 4; d'après saint Julien, évêque de Tolède, au
vue siècle, in comment, in proph. Nahum; « Philippus Galllam (J.-C. pertulit) » apud Boll. 25 julii, p. 86;
d'après saint Beatus, prêtre, au vme siècle, ibid., p. 89; d'après la Chronique de Lucius Dester, ami de
saint Jérôme, qui dit, ad ann. 34 J.-C. : « Philippo (contigit) Scythia et Gallia »; d'après Bède, in Collec-
taneis; et Florus, in Martyrologio ; d'après le livre qui traite de festis Apostolorum et qui se trouve dans
l'ancien martyrologe A/S. de saint Jérôme ; d'après Guillaume de Malmesburg, dans son livre de antiqui-
tate Glastoniensis Ecclesix, inséré dans le recueil publié par Gale : Historié Anglicie Scriptores quin-
decim, Oxford, 1691, in-fol., t. Ier, p. 292. Jusqu'à présent, les adversaires de cette tradition n'ont donné
que des preuves négatives qui ne prouvent rien.
2. Ce récit se trouve également dans les Actes de saint Philippe, édités en latin par Papebrocb,
1er mai, et dans Nicétas, orat. in Philippum, édita a Combefisio, t. i, Auctar.; dans les Menées, dans
Jacq., archev. de Gênes; Ribadeneira, etc. On sait qu'avant la venue de Jésus-Christ, les démons se fai-
saient très-souvent adorer sous la forme du serpent ou dragon, ou sous l'image de quelque homme fa-
meux. Les temples des païens étaient appelés par Strabon, 1. xiv, Draconia, parce que les démons y
étaient adorés sous des formes do dragons et de serpents. Bollandus parle avec estime des Actes de saint
Philippe, oh sont rapportés ces faits (1er mal, p. 12; Till., mém., n. 3). Stilting prouve que chez les
païens on adorait assez communément un serpent. Les Epidauriens, les Romains eux-niêines, et plusieurs
Autres nations, ont adoré un dragon.
166 1" MAI.
dige, reconnurent la vérité et laissèrent aux fidèles la liberté de détacher le
saint Apôtre. Mais lui, qui se sentait blessé à mort, et qui ne voulait pas
perdre l'honneur de mourir sur la croix, comme son maître, les empêcha
de le faire; et, après avoir prié pour toute l'assistance, il demanda à Dieu
de recevoir son âme entre ses mains : Saint Philippe avait travaillé vingt
ans parmi les Gentils.
Le corps de saint Philippe fut enlevé par les chrétiens, qui lui donnèrent
la sépulture telle que le temps et le lieu le purent permettre à leur dévo-
tion; et, depuis, une partie ayant été réservée pour Constantinople, le reste
fut apporté à Rome et déposé en l'église des Douze-Apôtres, bâtie par les
papes Pelage Ier et Jean III, son successeur, laquelle s'appelle vulgairement
les Saints-Apôtres, qui est maintenant un couvent de religieux de Saint-
François. Une partie de ses ossements fut transférée, du temps de Gharle-
magne, en la ville de Toulouse; et même en la ville de Paris on voyait, tous
les ans, le 1er de mai, en la grande église de Notre-Dame, le chef de saint
Philippe, qui lui fut donné, enchâssé en or, par Jean III, duc de Berry, fils
du roi Jean. La ville de Florence, en Italie, fut aussi enrichie d'un de ses
bras; et la ville de Troyes, en France, d'une partie de son crâne, qui y fut
apportée de Constantinople par l'évêque Garnier, lorsque les Français se
fui' nt rendus maîtres de cette grande ville.
De nos jours, la cathédrale d'Autun se glorifie de posséder la tête de
saint Philippe qui avait appartenu aux religieux de Cluny. Cette prétention
serait en contradiction avec ce que nous venons de dire au sujet de Notre-
Dame de Paris ; on peut concilier les deux assertions en disant que, dans l'un
et l'autre cas, il s'agit d'une partie seulement du chef de l'Apôtre.
A l'est de Jérusalem, sur le flanc de la colline des Oliviers, non loin du
lieu où Jésus, montant au ciel, laissa la dernière empreinte de ses pas sur le
sol terrestre, on montre encore aujourd'hui (1871), une grotte taillée dans
le rocher, où douze pécheurs se réunirent pour formuler, en un symbole
immortel, la foi qui devait conquérir le monde.
Saint Philippe prononça l'article : Est descendu aux enfers. — On le re-
présente crucifié la tête en bas, attaché parles talons à une branche d'arbre,
et les deux bras cloués à un mur. Il va de soi qu'on l'a souvent associé à
saint Jacques, leur fête se célébrant le même jour. — Saint Philippe est
patron de la cathédrale d'Alger.
Notre saint Apôtre s'était engagé dans l'état du mariage : il était père de
plusieurs filles. Quelques-unes d'entre elles, dit Clément d'Alexandrie i, em-
brassèrent l'état du mariage. Deux vécurent dans le célibat, moururent fort
âgées, et furent enterrées à Hiérapolis, comme nous l'apprenons de Poly-
crate cité par Eusèbe 2. On lit dans Sozomène 3, qu'une de ces saintes
vierges ressuscita un mort. Papias, qu'Eusèbe cite dans son histoire *, parle
aussi de cette résurrection; mais il ne dit point qu'elle ait été opérée par
aucune des saintes vierges; il dit seulement qu'il avait appris le miracle de
leur propre bouche. Polycrate fait mention d'une autre fille de saint Phi-
lippe, que la sainteté éminente de sa vie rendit fort célèbre à Ephèse, où
elle fut enterrée. Il appelle ces trois sœurs les lumières de l'Asie.
On croit que la dernière est sainte Hermione ou Hermine que les Grecs
honorent le 4 de septembre. Ils disent qu'elle était fille de saint Philippe,
apôtre; que, après avoir beaucoup souffert, sous Trajan, lorsqu'il vint à
Ephèse, elle consomma son martyre sous Adrien. Son tombeau est marqué
1. Strom., liv. m, p. 428. — 2. Bist., liv. vi, c. 32. — 3. LIv. vu, C. 27. — 4. Liv. in, C. 39.
SAINT ANDÉOL. 1G7
entre les plus saints monuments de la ville d'Ephèse, où on le voyait sur
une montagne.
Les Grecs disent dans l'histoire de saint Hermione, qu'Eutychia, l'une
de ses sœurs, vint avec elle à Ephèse, et qu'elles gagnèrent à Jésus-Christ
un grand nombre de personnes.
Ils donnent aussi à saint Philippe, apôtre, une sœur vierge, nommée
Marianne ou Marie, qui, après avoir participé à ses travaux apostoliques jus-
qu'à sa mort, se retira en Lycaonie, où elle mourut en paix. Ils mettent sa
îête au 17 de février.
Acta Sanctorum, U. l'abbé Maist.e, etc. — Voir, au Supplément de ce volume, une Notice sur Ylnven-
tion des corps des Apôtres saint Philippe et saint Jacques, en 1873.
SAINT ANDEOL
208. — Pape : Saint ZépMrin. — Empereur romain : Septime Sévère.
A tous ceux qui aiment à étudier à contempler dans
les saints « les plus belles âmes de la terre, les
meilleures, les plus nobles, les plus pures, les
plus fortes que l'humanité ait produites, . . »
Mgr Dupanlovjp,
La jeunesse d'Andéol nous est presque inconnue. De bonne heure, il
fréquenta la célèbre école de Smyrne, véritable pépinière d'Apôtres et
de Martyrs, qui avait eu pour fondateur saint Jean FEvangéliste et qui avait
pour continuateur l'admirable Polycarpe.
Gomme à Antioche, l'Esprit-Saint avait dit : « Séparez-moi Saul et Barnabe
pour l'œuvre à laquelle je les ai appelés * », il fut révélé à saint Polycarpe
que Bénigne, Andoche, Thyrse et Andéol iraient travailler au salut des peu-
ples des Gaules. Les deux premiers étaient prêtres, Thyrse, diacre, et le
bienheureux Andéol, sous-diacre 2.
Cependant, on touchait au moment suprême ; le vaisseau allait mettre à
la voile. « Frères, faites-nous vos adieux », dit Polycarpe ; et des larmes
coulaient de ses yeux 3. Ce noble et saint vieillard, âgé de plus de quatre-
vingts ans, ne pouvait quitter sans une profonde émotion des fils qu'il ai-
mait tendrement 4.
1. Actes des Apôtres, xm, 2.
2. Tous les Actes, tous les martyrologes, toutes les liturgies sont d'accord sur ce point.
3. Actes et ancien office du Saint.
4. Le souvenir de la mission de saint Andéol et des rapports de filiation qu'elle avait établis entre l'é-
glise d'j Viviers et l'église de Smyrne, s'est perpétué de siècle en siècle au sein de cette illustre métro-
pole de l'Asie-Mineure.
De nos jours, le dernier successeur de saint Polycarpe, Mer Mussabini, voulant rendre plus étroite
encore cette union cimentée par le sang du bienheureux Martyr, qui fut le glorieux enfant de l'église de
Smyrne, avant d'être l'apôtre de l'Helvie, écrivait nagueres à Mer Guibert, alors évêque de Viviers, la
lettre suivante, monument trop intéressant pour notre histoire, trop précieux à la piété et à la foi catho-
lique, pour n'être pas conservé :
« Archevêché de Smyrne.
■ Smyrne, le 2C mai 1852.
■ Monseigneur,
« Je viens prier Votre Grandeur de vouloir bien nous procurer une copie de l'office particulier de
saint Andéol, qu'on est en usage de réciter dans le Vivarai-s, où il a versé son sang pour la foi. Ayant
obtenu dernièrement du Saint-Siège l'Induit pour mon clergé de faire la fête de ce saint Martyr, qui fut
notre compatriote, sous-diacre de l'église de Smyrne et disciple de mon processeur, saint Polycarpe,
168 1er mai.
Le navire qui portait saint Andéol et ses compagnons fut obligé, à ce
que l'on croit, de relâcher à l'île de Corse l. Les légendaires racontent
qu'une furieuse tempête s'étant élevée, telle que les matelots ne se souve-
naient pas d'en avoir jamais vu la pareille, on fut forcé de séjourner, pen-
dant quelques jours, dans celte île, dont saint Paul avait évangélisé les ha-
bitants2. Le calme s'étant rétabli, on remit à la voile et les missionnaires
saluèrent bientôt la nouvelle patrie où les envoyait la Providence.
Ayant pris terre à Marseille, ils s'acheminèrent directement sur Lyon,
où ils furent accueillis par saint Pothin et par saint Irénée.
Quoiqu'il soit impossible de fixer la date de son départ, il paraît plus
certain qu'Andéol ne prolongea pas beaucoup son séjour à Lyon. Il reçut
pour mission de porter l'Evangile à Carpentras 3 et dans les régions méri-
dionales que fertilise le Rhône (166).
Dieu laissa saint Polycarpe plus de quatre-vingts ans sur la terre, pour
rendre témoignage aux vérités qu'il avait apprises des Apôtres. Cette longue
vie, toute dépensée au service de l'Eglise et à la gloire de Dieu, fut couron-
née par un glorieux martyre, en la sixième année de l'empire de Marc-Au-
rèle, qui est la cent soixante-sixième après Jésus-Christ*.
Cette date est très-importante pour nous. D'abord, elle fixe, d'une ma-
nière certaine, l'époque de l'arrivée de saint Andéol dans les Gaules. En effet,
qu'onfasse suivre le martyre de l'évêque de Smyrne, d'aussi près que l'on
voudra, de l'envoi des quatre missionnaires, on ne pourra placer cet envoi
plus tard qu'en l'année 166. En rapprochant de cette date celle de la mort
de saint Andéol (208), par la différence, on obtient, d'une manière précise,
le minimum de la durée de son séjour dans les Gaules, c'est-à-dire qua-
rante-deux ans. Si l'on borne à quelques mois, comme il est probable, le
temps qu'il passa à Lyon, il restera quarante ans environ pour la vie apos-
tolique de notre Saint. Ce calcul a reçu la plus haute sanction dans les litur-
gies romaine et viennoise, où on le lit, chaque année, dans l'office divin, au
jour de la fête de saint Andéol 5.
Nous avons vu que saint Andéol, en quittant Lyon, se dirigea vers Car-
pentras.
En effet, dans le canton de Carpentras, on trouve des lieux où le souve-
nir de ses prédications a survécu, malgré tous les obstacles, dans la mémoire
reconnaissante des peuples. Nous voulons parler du bourg de Mazan. Dans
cette commune, il y a un quartier dit de saint Andéol, où il existait, avant
la révolution de 89, une chapelle très-ancienne, dédiée à notre Saint. Elle
était bâtie sur une colline au pied de laquelle on voyait des restes de monu-
ments antiques. Une tradition immémoriale en ce pays veut que saint
Andéol s'y soit arrêté pour l'évangéliser.
Un peu plus haut, non loin d'Orange, à Camaret, on retrouve les mêmes
traditions et les mêmes hommages. On assure même que l'Apôtre de Jésus-
Christ y fut battu de verges et l'on montre encore le lieu où s'accomplit
par lequel il a été' envoyé en France pour prêcher l'Evangile, ainsi qu'il est dit dans le martyrologe ro-
main et attesté par saint Jérôme, Eusèbe, etc.. nous adopterions rolontiers, Monseigneur, l'office parti-
culier que vous récitez le jour de sa fête, car nous aurions ainsi le bonheur d'unir ce jour-la nos prière»
aux vôtres, et de resserrer ainsi les liens de la charité entre l'église de Smyrne, une des sept de l'Apo-
calypse, et la respectable église de Viviers.
« Veuillez agréer, Monseigneur, l'assurance, etc.
• f Astoise, archevêque de Snvjrnt ».
Extrait de VEistoire du Yiuarais, t. i, p. 179.
1. Actes de saint Andéol.— 2. Bollandistes, 1 mail, p. 36, not. H.
3. Actes de saint Andéol. — 4. Tillemont, t. n, p. 336; Pagi, an. 169.
5. Bréviaire vieanol» et Propre du diocèse de Viviers.
SAINT ANDË0L, 169
cette cruelle exécution. Saint Andéol possède dans cette paroisse un antique
sanctuaire bâti par Louis le Débonnaire.
Dans l'accomplissement de l'œuvre du salut des âmes, le courageux
sous-diacre, comme un autre saint Jean-Baptiste, remplissait le rôle de pré-
curseur. Partout où il allait, il invitait à faire pénitence et annonçait la
venue du royaume de Dieu. Lorsque ceux qui ont des yeux pour voir et des
oreilles pour entendre avaient formé le désir d'embrasser la vie nouvelle, il
les catéchisait et leur conférait le baptême. Puis, content d'avoir accompli
sa mission dans ce lieu, il se retirait, cédant la place, sans doute, aux vrais
Pasteurs des âmes, à ceux que Jésus-Christ a revêtus des pouvoirs plus éten-
dus du sacerdoce. Suivant toutes les probabilités, il parcourut de cette
manière une partie de la Provence, le Dauphiné et la Franche-Comté
qu'évangélisaient en même temps les disciples de saint Irénée, saintFerréol
et saint Ferrution, apôtres de Besançon; saint Félix, apôtre de Valence.
La tradition semble assez explicite sur ce point : elle rapporte que saint
Félix et ses compagnons ont aussi évangélisé le Vivarais * ; d'un autre côté,
les nombreuses paroisses ou chapelles du diocèse de Valence qui conservent
encore le nom de saint Andéol donnent à penser qu'il avait précédé les dis-
ciples de saint Irénée dans ces parages : sa marche le conduisait naturelle-
ment vers ces contrées. Mais il est temps de le suivre dans le Vivarais,
l'Helvie de César, le département de l'Ardèche actuel *.
Ceux qui ont étudié les origines du christianisme savent que les premiers
missionnaires de la foi avaient une prédilection bien connue pour les grands
centres de population.
Il semble naturel de voir saint Andéol rester fidèle à cette discipline, et
venir, en entreprenant la conversion des Helviens, établir son séjour à Aps,
leur cité principale.
Cependant, il lui préféra une ville, certainement moins populeuse, mais
qui ne laissait pas d'être considérable, Bergoïate, appelée aujourd'hui Bourg-
Saint-Andéol. Dans cette dernière ville, la plus méridionale du Vivarais,
il se trouvait plus rapproché des pays qu'il avait parcourus d'abord. Dieu,
d'ailleurs, dont la Providence dispose toute chose pour le bien des âmes et
pour la gloire des Saints, voulait, en conduisant son serviteur dans cette
cité, donner pou^ théâtre à ses derniers travaux et à ses luttes suprêmes un
lieu plus durable qu'Aps, que les Vandales détruisirent entièrement deux
siècles après l'époque dont nous parlons.
Avant de pousser plus loin notre récit, il est nécessaire, pour l'intelli-
gence des faits, de prendre une exacte connaissance de la cité, objet des
prédilections de saint Andéol.
La ville se composait de deux agglomérations bien distinctes, séparées
par le fleuve, mais portant le même nom et régies par la même administra-
tion urbaine : Bergoïate de la rive droite et Bergoïate de la rive gauche,
qu'on désignait par ces mots : Haut ou Bas- Bergoïate. Le Bas-Bergoïate ou
Gentibe occupait l'emplacement de la ville actuelle de Bourg-Saint-Andéol.
De ces deux agglomérations, Bergoïate-le-Haut nous paraît avoir été la
plus considérable à l'origine : c'était le centre de l'activité, du commerce
et de l'industrie, la cité des travailleurs et du petit peuple, circonstance qui
nous explique les prédilections de l'Apôtre, qui en avait fait sa résidence et
le siège de sa prédication. L'autre, au contraire, placée par sa situation un
1. Les montagnes qui regardent Valence et qui ont longtemps relevé de ce diocèse ; 11 y a les pa-
roisses de Saint-Félix, de Salnt-Fortunat.
2. Les Helviens avaient pour capitale Alba-Augusta (aujourd'hui Aps).
170 I" MJ&
peu en dehors du tumulte et du mouvement des affaires, moins peuplée, tou-
jours calme et silencieuse, était le séjour préféré des nobles Gallo-Romains
dont les fastueuses villas s'étalaient au front des coteaux d'alentour, et des
prêtres voués au service des dieux du paganisme. La première conserva jus-
qu'au milieu du moyen âge la prépondérance dont elle jouissait sous les em-
pereurs romains ; la seconde dut à la découverte du tombeau de notre saint
Martyr, d'être tirée tout à coup de son obscurité, et de conquérir en peu
de temps la célébrité et la prééminence que ses dieux jadis n'avaient pu lui
assurer; à partir du douzième siècle, les accroissements successifs de ce
simple petit bourg lui donnèrent bientôt l'aspect et les proportions d'une
ville importante, tandis que le Bergoïate de la rive gauche, désolé par les
ravages des guerres et des inondations, s'acheminait avec une égale rapidité
vers son déclin et vers sa ruine. Abandonné chaque jour de quelques-uns de
ses habitants, qui allaient chercher un refuge dans la ville de saint Andéol, il
n'était plus, à la fin du treizième siècle, qu'un lieu complètement désert :
la fille avait dévoré la mère.
C'est donc à Bergoïate-le-Haut qu'Àndéol était descendu en arrivant;
c'est là qu'il prêchait l'évangile de Jésus avec un succès merveilleux. Sur
ces entrefaites, l'empereur Sévère, qui traversait les Gaules pour se rendre
en Bretagne, où il allait soumettre les tribus sauvages de la Calédonie, vint
aussi à Bergoïate, en se dirigeant sur Valence, et y campa avec une partie
de ses troupes. Or, au moment de l'arrivée de ce prince, il y avait en ce lieu
un concours extraordinaire de peuple. La foule se pressait autour d'un
personnage qui discourait en public : tout entière sous le charme de cette
parole inconnue, elle jetait à peine un regard distrait sur le spectacle im-
posant des légions romaines marchant, enseignes déployées, sous les ordres
de leur empereur. Piqué dans sa curiosité et peut-être aussi dans son or-
gueil, Sévère demanda la cause du rassemblement. Terrible fut la colère du
césar, en apprenant que le personnage qui attirait ainsi l'attention et les
sympathies du peuple, n'était autre qu'un chef de chrétiens, propageant en
plein jour les erreurs de sa secte. Il ordonna qu'on se saisît sur-le-champ
d'Andéol et qu'on l'amenât devant lui.
Un tribunal est dressé à la hâte ; auprès sont étalés tous les instruments
ordinaires de la torture, et au milieu de ce funèbre appareil, siège Sévère
en personne. C'est lui -même qui, d'un ton de menace, interroge Andéol sur
son nom, son pays, l'objet de la mission qu'il se donne. — « L'Orient est
ma patrie », répond l'Apôtre avec calme, a et je viens de Smyrne, envoyé
par l'évêque de cette ville avec plusieurs autres qui sont mes pères et mes
maîtres, pour annoncer le Sauveur Jésus-Christ et prêcher sa doctrine aux
peuples qui l'ignorent : si vous voulez savoir mon nom, César, je m'appelle
Andéol ». — « Tu es donc venu », s'écrie le tyran, « pour déshonorer nos
dieux et fouler aux pieds les édite des empereurs ! songes-tu bien à la sévé-
rité des châtiments qui t'attendent, toi et les malheureux Helviens que tu
séduis ? »
Prenant ensuite un air et un ton de douceur affectée, il exhorte l'Apôtre
à renoncer à ses chimériques idées plutôt que d'exposer sa personne à la
rigueur des tourments : qu'il abandonne une secte impie, qu'il consente à
offrir de l'encens aux dieux, il pourra vivre heureux au sein d'un doux
repos, gratifié de l'une des fonctions les plus honorables du palais, comblé
de distinctions et de richesses, que lui assure la munificence des empereurs.
— « Prête donc l'oreille à mes conseils », ajoute-t-il, « laisse là cette reli-
gion que tu professes, laquelle & été inventée depuis peu par un certain
SAIKT ANDÉOL. 171
Christ que j'ignore et qui a été crucifié, dit-on, en la prêchant. Maudis ce
Christ, et rends hommage aux dieux immortels ». — « Je n'adore qu'un
Dieu », réplique Andéol, « le Dieu unique et véritable, qui a créé le ciel et
la terre. Pour vos stupides divinités, César, je les méprise ; ce ne sont
qu'idoles sourdes et muettes, fabriquées par la main des hommes, que le
démon vous persuade d'adorer » .
Irrité de la sainte hardiesse de ce langage, l'empereur Sévère ordonne
qu' Andéol soit livré à la torture. Alors se renouvelle l'une des scènes accou-
tumées de la sanglante tragédie à laquelle le monde païen ne cessait d'assis-
ter depuis la naissance du christianisme. Lorsque les paroles de séduction,
les promesses comme les menaces étaient venues échouer devant la foi
ferme et généreuse du chrétien, le tyran polythéiste appelait à son aide les
bourreaux : il fallait alors épuiser sur des enfants, des vierges délicates, de
faibles vieillards, toutes les ressources de la cruauté et toute la science des
tortures, sans pouvoir venir à bout d'ébranler leur constance. Ainsi, au
signal donné pour commencer le supplice, Andéol est couché à terre, lié
par les pieds et les mains à des cordes qu'on tend et qu'on détend ensuite
avec de violentes secousses au moyen d'arcs et de poulies : et, au milieu de
cette affreuse tension, qui rend tous les nerfs du corps humain semblables
aux cordes d'un instrument de musique, le saint Confesseur est rudement
battu de verges armées de piquants et de pointes de fer ; puis on lui déchire
la chair avec des ongles rougis au feu ; puis ce corps tout meurtri et san-
glant est attaché à une roue élevée au-dessus d'un brasier dans lequel on
verse l'huile à flots pour activer l'ardeur des flammes *..
Du haut de cette roue embrasée, comme sur un lit de repos, Andéol
tranquille, le visage radieux et serein, levait les yeux au ciel et priait :
« Soyez béni, mon Dieu », disait-il, « je vous rends grâces, Seigneur Jésus,
qui m'accordez de souffrir pour votre nom. Ne m'abandonnez point dans
ce suprême combat ; faites, au contraire, qu'y persévérant avec une cons-
tance inébranlable, je mérite de me présenter devant votre majesté avec la
palme du vainqueur ». On l'entendit aussi faisant cette belle et touchante
invocation : « 0 saint Polycarpe, mon bienheureux maître, vous l'ami du
Christ, qui brillez au ciel comme une pierre précieuse, priez pour votre ser-
viteur, afin qu'il soit muni de patience et de courage, et que vous puissiez
triompher avec joie de votre doctrine et de ma victoire dans le Seigneur ».
En effet, le courage du saint Martyr semblait renaître à mesure qu'on mul-
tipliait les tourments. Les bourreaux étaient lassés, la fureur de Sévère,
désespérée, mais non vaincue : voulant réserver Andéol à de nouveaux
supplices pour le lendemain, il ordonne qu'on le conduise en prison. Alors
Céricius, tribun d'une des légions de l'armée, propose à l'empereur de ren-
fermer le chrétien dans un caveau du temple dédié au dieu Mars, sur l'au-
tre rive du Rhône : amener ainsi, chargé de chaînes, l'ennemi des dieux
jusque dans leur sanctuaire était une sorte de réparation qui toucherait le
cœur des immortels et les rendrait propices. Le superstitieux césar applau-
dit à cette idée ; le fleuve lui semble d'ailleurs une excellente barrière à
interposer entre l'Apôtre, dont il redoute l'influence, et ce peuple, coupable
de trop de sympathie pour le chrétien. Andéol est donc enfermé dans le ca-
veau souterrain du temple de Mars.
Or, vers le milieu de la nuit, les gardes d'Andéol virent tout à coup des
rayons de lumière briller à travers les portes de sa prison : tout l'intérieur
du souterrain en était illuminé. Puis des voix d'une douceur ravissante se
1. Bollaud., Act. S. Andéol, maii, i, 38.
172 1er MAI.
firent entendre ; un colloque mystérieux s'établit entre Andéol et d'invisi-
bles personnages ; ils parlaient des combats du saint Martyr et de la gloire
qui l'attendait : « Bon courage, frère chéri », disaient ces voix, « demain
vous recevrez la couronne du martyre. Parcourez jusqu'au bout la san-
glante carrière , et le Christ vous recevra lui-même en triomphe, décoré de
la palme du martyre, aans la gloire du paradis ». Andéol, de son côté,
exprimait à ses célestes visiteurs toute la joie qui inondait son âme; il les
remerciait du baume qu'ils avaient répandu sur ses souffrances, et les priait
pour que l'exemple de sa patience dans la lutte suprême achevât la con-
version des gentils à la foi. — Un concert d'une délicieuse harmonie succéda
à ces discours : les voix semblaient monter dans les airs, s'affaiblir graduel-
lement et se perdre dans le lointain. Le silence et l'obscurité se firent de
nouveau dans la prison ; la vision céleste avait disparu.
Lorsqu'on vint, par l'ordre de Sévère, tirer l'Apôtre de la prison, toutes
les plaies qui, la veille, couvraient son corps étaient cicatrisées et entière-
ment guéries : Andéol semblait avoir recouvré les forces et l'énergie de sa
jeunesse. Le farouche empereur, ayant appris de l'un des gardes les détails
de la vision nocturne, jura, par le dieu Mars et par ses victoires, qu'il sau-
rait empêcher le magicien de séduire plus longtemps les peuples et de rui-
ner la puissance de ses dieux. Il se hâta de prononcer la sentence de mort,
et ordonna qu'elle fût exécutée en sa présence. A l'instant, un soldat s'arme
de l'une de ces épées de bois très-dur, dont les gladiateurs se servaient
pour s'escrimer, et, tandis qu' Andéol adresse au ciel une dernière prière
dans un dernier regard, le bourreau de Sévère lui partage la tête en forme
de croix.
Ainsi consomma son martyre, le 1er mai de l'an 208, selon l'opinion la
plus commune , le bienheureux Andéol , premier apôtre des Helviens.
Sévère, dont la haine fanatique trouvait encore à s'exercer jusque sur les
membres inanimés du saint Martyr, fit lier le corps avec une chaîne de fer
à laquelle était suspendue une énorme pierre, et jeter ce lourd fardeau dans
le Rhône, afin que, ensevelis sous les flots, les restes vénérés d'Andéol
échappassent aux honneurs que leur réservait la piété des fidèles. Mais la
Providence, qui veille sur les ossements de ses Saints, poussa la précieuse
dépouille vers la rive occidentale du fleuve. Il est dit que l'Apôtre, avant de
quitter sa prison, avait prié le Seigneur de permettre qu'il reposât, après sa
mort, dans ce lieu où la gloire de Dieu et de ses Anges l'avait visité. Et
Dieu, pour exaucer ce dernier vœu de son serviteur, sembla s'être plu à
multiplier les prodiges. Ainsi la lourde chaîne enroulée autour du corps
mutilé du Martyr, et qui devait par son poids l'entraîner au fond du fleuve,
se rompit d'elle-même, comme l'un de ces liens fragiles qu'une main d'en-
fant brise en se jouant, et disparut seule sous les eaux. Le saint corps, au
contraire, soutenu et dirigé par un bras invisible, prit sa route à travers les
flots rapides, coupant le courant du fleuve en ligne droite : arrivé au bord,
il fut soulevé par une vague et porté mollement à une distance d'environ
deux toises sur le rivage. Depuis cinq jours, il était là exposé aux injures de
l'air, sans montrer la plus légère trace de corruption, protégé par une vertu
mystérieuse qui commandait le respect aux bêtes et aux oiseaux de proie.
Chaque nuit, assurait-on, des chants et des sons, doux et harmonieux
comme ceux d'une mélodie céleste, s'étaient fait entendre, et l'on avait vu
briller une lumière qui entourait le saint corps d'une auréole éclatante1. Le
récit de ces merveilles, porté au loin de bouche en bouche, parvint aux
1. Bolland., Act. S. Andéol, mali, i, 39.
SAINT ANDEEOL.
173
oreilles d'une dame riche et de noble condition, nommée Tullie. Elle se
rendait, ce jour-là même, à une de ses villas située aux environs de Ber-
goïate. En suivant la voie romaine, elle rencontra, près du lieu où gisait le
corps de saint Andéol, un groupe nombreux de païens que la nouveauté du
spectacle y avait attirés. Faisant arrêter son char, elle interrogea quelques-
uns des assistants et recueillit de leur bouche tous les détails que nous ve-
nons de raconter : détails bien consolants pour sa foi et pour sa piété, car
elle était chrétienne. Elle résolut aussitôt de donner une sépulture hono-
rable aux restes vénérés du saint Martyr. Mais, n'osant confier à personne
l'exécution de son pieux dessein, elle vint elle-même, accompagnée de ses
esclaves les plus fidèles et les plus sûrs, et, profitant du silence et de l'obs-
curité de la nuit, elle enleva le corps secrètement, et le déposa dans un sar-
cophage païen qu'elle fit enterrer au même endroit, à une grande profon-
deur, afin de soustraire la précieuse dépouille à la fureur sacrilège des
persécuteurs.
On représente saint Andéol debout, en costume de sous-diacre, tenant
à la main une palme et un livre, le catéchisme sans doute. Un couteau de
bois est enfoncé horizontalement sur le haut de la tête du saint martyr.
CULTE ET RELIQUES DE SAINT ANDÉOL.
Les reliques du bienheureux Andéol demeurèrent ainsi cachées pendant six cents ans, jus-
qu'au jour de leur première invention, qui eut lieu en 858 sous le règne de Charles le Chauve et
l'épiscopat de Bernoin, évèque de Viviers.
Tout en laissant le sarcophage dans le môme lieu et à la même profondeur où elle l'avait placé,
Tullie ût faire par dessus une petite crypte qui a conservé son nom. Ce précieux monument existe
encore, sous l'église Saint-Polycarpe, tel qu'il fut reconstruit au IXe siècle. Il a toujours été
connu sous le nom de crypte de la bienheureuse Tullie. Le peuple l'appelait la grotte ou crypte
de la sainte Romaine. Le nom de Sainte Roumelle, que l'on trouve dans quelques documents,
est évidemment une corruption de Sainte Roumaine ou Sainte Romaine.
C'est dans ce modeste sanctuaire que les premiers chrétiens de Bergoïate venaient s'agenouiller,
auprès de la tombe vénérée de leur Apôtre.
Quelque vénérable que fût la crypte de la bienheureuse Tullie nouvellement rendue à la lu-
mière avec le saint dépôt qu'elle avait si fidèlement conservé, c'était un lieu trop étroit et trop
pauvre pour y laisser plus longtemps le tombeau de saint Andéol. L'église de Saint-Polycarpe elle-
même était désormais insuffisante. Il fallait un édifice à la fois plus vaste et plus magnifique,
digne de la gloire du saint Martyr et de l'affluence des fidèles. D'après des notices faites dans le
xviie et le xviii6 siècle, Charles le Chauve contribua par ses largesses à l'érection de cet édiûce.
C'est à partir de la construction de cette église que Bergoïate prit le nom de Bourg-Saint -Andéol.
Malgré les restaurations du xne siècle et quelques mutilations d'une date postérieure, l'œuvre de
Bernoin est parvenue jusqu'à nous. Quoique restée vide depuis la translation des reliques de saint
Andéol, la crypte de la bienheureuse Tullie fut conservée avec le plus grand soin et entourée d'un
profond respect. Jusqu'à la fin du dernier siècle, on y venait prier et offrir le saint sacrifice de la
messe comme dans un lieu très-saint. M. l'abbé Paradis, ancien élève de l'Ecole des Chartes, a
acheté l'église Saint-Polycarpe et la crypte, pour les rendre au culte.
Lorsque la victoire et l'édit du grand Constantin eurent assuré la paix de l'Eglise et permis au
culte chrétien de prendre sa place au soleil, les fidèles s'empressèrent de perpétuer par des mo-
numents le souvenir des scènes que nous venons de décrire. Sur les ruines du temple de Mars,
au-dessus de la crypte souterraine qui avait servi de prison pour Andéol, ils bâtirent une église
dédiée au saint Sauveur et une autre au-dessus du tombeau de saint Andéol, placée sous l'invo-
cation de saint Polycarpe ; cette antiquité chrétienne, qui possédait au plus haut degré le senti-
ment des choses religieuses, consacrait ainsi, en les associant l'une à l'autre, la gloire du disciple
par la mémoire vénérée du maître. Sur le lieu même du martyre, ils ne firent que dresser un tron-
çon de colonne antique, et ce monument si simple, entouré pour tout ornement d'une agreste vé-
gétation, a traversé les siècles, connu jusqu'en ces derniers temps sous le nom de saint Pilon.
Chaque année, au jour de la fête de saint Andéol, on voyait accourir des populations entières qui
venaient raviver leur foi au contact de cette terre arrosée par le sang du premier apôtre de la
contrée. La partie supérieure du Pilon se couvrait, au printemps, d'une effervescence rougeûtre,
que le peuple, dans sa foi simple et naïve, prenait pour les taches mêmes du sang de saint Andéol,
174 ï9* MAï.
qui réapparaissaient à chaque anniversaire de son martyre. Ce précieux monument avait disparu
à la suite de la grande Révolution. On le croyait détruit. 11 avait été, en effet, scié en plusieurs
morceaux, et ses débris étaient entrés comme vils matériaux dans la construction des bâtiments
d'une ferme. Mais on a eu le bonheur d'en retrouver un des fragments les plus considérables.
Le nom sous lequel on désignait ce monument, la vénération dont il était l'objet, portent à
penser que le choix n'en fut pas abandonné à l'arbitraire ni au hasard ; mais que ce Pilon était
une borne ou un poteau d'amarrage, que les bourreaux rencontrèrent sur le lieu du supplice, et
dont ils profitèrent pour la sanglante exécution. La croyance populaire veut qu'il en ait été ainsi.
Au commencement du xue siècle, l'église de Sainl-Andéol se trouva, par le fait des guerres
féodales, réduite à un état d'extrême détresse. Pour la relever, Léger, évoque de Viviers, la céda
aux chanoines de Saint-Ruf, qui la desservirent jusqu'en 1774, époque de leur suppression. Léger
ne se contenta pas de réparer les ruines spirituelles du sanctuaire : l'église de Saint-Andéol me-
naçait ruine, il la fit réparer et embellir en respectant scrupuleusement le plan de Bernoin : puis
il obtint que le pape Calixte II vînt en personne la consacrer (27 février 1119). Le souvenir de
cette consécration a été célébré par une fête spéciale jusqu'à la Révolution.
La gloire de saint Andéol ne resta pas enfermée dans les étroites limites du théâtre de son
martyre. En 544, à la suite d'une guerre contre ïheudis, roi des Visigoths, Childebert, fils de
Clovis. ayant apporté d'Espagne et de la Septimanie un grand nombre de reliques, ce prince, de
concert avec saint Germain, évêque de Paris, résolut de placer ces restes vénérables dans une ba-
silique qui fût pour les âges futurs une preuve de sa munificence et de son respect envers les
Saints. 11 fit construire, dans ce but, l'abbaye de Saint-Vincent, à laquelle saint Germain devait
plus tard donner son nom. Cet illustre et saint évêque engagea aussi Childebert à élever en l'hon-
neur de saint Andéol une chapelle ou oratoire qui dépendit de l'abbaye. En traversant la portion
de la Septimanie qui était encore soumise aux Visigoths, Childebert, entre autres reliques, avait
pu s'emparer de quelque ossement de saint Andéol : ce qui expliquerait la dévotion extraordinaire
de Childebert et de saint Germain pour l'Apôtre du Vivarais. Le célèbre évêque de Paris, ayant
passé la première partie de sa vie à Aulun, dans les contrées évangélisées par saint Bénigne, saint
Andoche et saint Thyrse, trouvait aussi dans sa dévotion envers ces Saints, un motif tout naturel
d'honorer celui dont le nom fut toujours inséparable du nom des Apôtres de la Bourgogne. L'ora-
toire finit par devenir une église paroissiale, sous le nom de Saint-André-des-Arcs, qui a toujours
reconnu saint Andéol pour son principal patron. L'église Saint-André des Arcs ou des Arts, à Paris,
n'existe plus, quoi qu'en disent les continuateurs de Godescard : le nom de la rue seule rappelle
son existence : l'emplacement en était au coin de cette rue et de la place actuelle de Saint-Michel.
Si nous descendons jusqu'à l'extrémité septentrionale de l'Espagne, dans le comté de Bésalu,
qui, sous Charlemagne et ses premiers successeurs, releva de la France, nous trouvons un mo-
nastère fort ancien, placé sous le vocable de saint Andéol et de saint Laurent. Autour du
monastère, aujourd'hui détruit, se forma le village de Saint-Andéol-de-Guya, où le culte de notre
Saint est encore très-populaire.
En 793, Louis le Débonnaire, se rendant en province, fit construire à Camaret, bourg de la
principauté d'Orange, une église pour honorer une relique de saint Andéol que possédait déjà cette
localité. L'antique sanctuaire de Louis le Pieux existe encore. Il a été refait en partie ; mais ce
qui est primitif se reconnaît aisément.
Pour achever d'esquisser le tableau du développement de son culte, pendant le moyen âge, en
dehors du Vivarais, il n'y a qu'à placer ici l'énumération des lieux où il est encore en honneur.
Dans le diocèse de Dijon, non loin de la ville de Saulieu, se trouve la paroisse de Saint-An-
deux ou de Saint-Andéol. L'église paroissiale est assez grande et paraît fort ancienne. Outre le
maître-autel, il y a, dans la nef latérale de droite, une chapelle dédiée à saint Andéol. Sur l'autel
de cette chapelle, on voit une antique statue en pierre peinte, représentant le Martyr vêtu en sous»
diacre et la tète rasée, sauf la couronne, qui est très-apparente. Au diocèse de Lyon, nous trou-
vons l'église de Saint-Andéol-de-Monccaux, que Leutade, comte de Mâcon, par une charte de l'an
943, donna à l'abbaye de Cluny ; celles de Saint-Andéol-la-Valla, archiprètré de Saint-Etienne, et
de Saint-Andéol-le-Château, archiprètré de Mornant, mentionnées toutes deux dans les pouillés du
Xiii6 et du xiv» siècle, mais dont l'origine doit remonter beaucoup plus haut. Au diocèse [de
Grenoble, l'église et paroisse de Saint-Andéol, canton de Monestier-de-Clermont. Au diocèse du
Puy, il y avait autrefois le prieuré de Saint-Andéol-de-Poliguac, qui relevait de l'abbaye de Pé-
brac et qui reçut de grands dons, en 10G0, d'Armand, vicomte de Polignac, et d'Humbert, évêque
du Puy. Au diocèse de Mende, il y a l'église de Saint-Andéol-de-Clerguemort, canton de Fraissi-
net-en-Lozère, arrondissement de Florac. Dans le diocèse de Valence, où, suivant toute probabi-
lité, saint Andéol précéda les disciples de saint Irénée, saint Félix et ses compagnons, les lieux
qui s'honorent de l'avoir pour Patron se multiplient. Il y avait autrefois Saint-Andéol-en-Trièves,
archiprètré du Bas-Triève. Ou y trouve actuellement Saint-Andéol-en-Quint, archiprètré de Die ;
Saiut-Andéol-de-Chadeuil ; Saint-Andéol, canton de Saint- Vallier. Il existe, dans cette dernière
paroisse, un pèlerinage en son honneur, où de nombreux pèlerins venaient l'invoquer. On y vé-
nérait une relique et une statue du Martyr. Par une singularité historique, destinée à rappeler son
genre de mort, il est représenté n'ayant eue la moitié de sa tête. Il y a quelques années, Mgr
sal\t a:;hlol. 175
Chatrousse, évèque de Valence, condamna l'exposilion et le coite public de b> relique, parce
qu'elle n'était pas accompagnée de lettres authentiquer Dans la même diocèse, il y a encore un
hameau, commune de la Bastie-Rolland,. qui porte le nom de Saink-Andéol et qui possède, en
l'honneur du saint Martyr, une chapelle fort ancienne et vénérée. Au commencement du mois de
mai, on y vient en pèlerinage de tontes les contrées voisines. La tradition des lieux veut que
saint Andéol y ait apporté la foi. Au diocèse de Gap, encore une église de Saint-Andéol. Dans
le diocèse d'Avignon, non loin de Carpeulras, sur la paroisse de Mazan, il y avait, avant 1793, une
chapelle dédire à saint Andéol avec le titre de prieuré. Les habitants de la campagne, l'invoquaient
comme leur i'atron particulier et comme l'apôtre du pays. Lorsque le printemps commençait à
étaler ses richesses, ils allaient en procession, des rameaux verdoyants à la main, dans l'oratoire
du Saint, pour demander à Dieu par sa puissante intercession la conservation des fruits de leurs
travaux. La chapelle avait été réparée en 1679, et on y avait ajouté un petit ermitage destiné à
loger celui qui prenait soin du vénéré sanctuaire. Dans l'assemblée, où ces réparations furent dé-
crétées, et dont le compte rendu se conserve dans le Livre des conseils de la communauté de
Mazan, le premier consul expose que ladite communauté « doit faire mettre en état la fontaine
qui coule auprès de la chapelle, afin de s'attirer davantage les grâces particulières que le grand
saint Andéol se trouve faire dans les ville et terroir de Mazan, ainsi que plusieurs merveilles en
faveur des persounes atteintes de fièvres et autres maladies, lesquelles sont guéries, principalement
le jour de la fête du Saint, au 1er mai, eu se servant, après l'avoir invoqué à la sainte messe, de
l'eau de ladite fontaine1». Sur les bords de la Durance, au diocèse d'Aix, on trouve, près d'Or-
gon et antérieurement à l'an 1000, une chapelle de Saint-Andéol, que Pons, évêque de Marseille,
céda, en 1003, à la célèbre abbaye de Saint-Victor. C'est à l'ombre tutélaire de cet oratoire, que
se forma, plus tard, le village de Saint-Andéol. L'antique chapelle n'est autre que celle qu'on voit
encore au milieu du cimetière.
En 1562, le trop fameux baron des Adrets, après avoir semé le meurtre et l'incendie dans le
Daupbiné, vint attaquer Bourg-Saint-Andéo!, qui ne put tenir contre des forces trop supérieures
en nombre. A peines des bandes prosteslantes y furent-elles entrées, qu'elles coururent aux églises.
:Les portes de celle de Saint-Andéol furent brûlées, les autels renversés, le tombeau du saint Martyr
ouvert : tout fut horriblement saccagé et profané. Le farouche baron livra la ville au pillage. Les
consuls se virent contraints de livrer l'argenterie des églises. La châsse de saint Andéol, les autres
reliquaires et les vases sacrés furent fondus et servirent à payer le salaire des fanatiques. Eu se
retirant, le baron des Adrets laissa une garnison, sous les ordres du seigneur de Saiut-iiémési.
Dans ces temps de dévastation et d'acharnement contre les reliques des Saints, que devinrent
celles de saint Andéol? Elles furent heureusement sauvées de la fureur des protestants. Lorsqu'on
confia la châsse en argent à la garde des consuls, le chef du Martyr en avait été retiré préalable-
ment et placé dans une petite caisse en bois, avec quelques autres fragments. Après l'apaisement
des troubles, le chef de saint Andéol fut retiré de la caisse en bois pour être placé dans uu reli-
quaire nouveau d'une magnificence en rapport avec sa destination. Il était d'argent, comme l'an-
cien, et surmonté pareillement d'un buste en argent, à l'efiigie du glorieux Martyr. Le protestan-
tisme passa dans la ville de Bourg comme un torrent dévastateur; il ne put y prendre racine.
Grâce à sa confiance en saint Audéol, c-tte cité devint, au contraire, jusqu'à la du des troubles
religieux, le boulevard du catholicisme en Vivarais.
Les armoiries de la ville de Bourg-Saint-Andéol nous fournissent le parfait symbole de cette
confiance de ses habitants envers leur saint Patron. Elles sont de gueules à trois bourdons d'ar-
gent, au chef cousu d'azur chargé d'un bagdelaire d'argent garni d'or. Dans le couteau on
reconnaît sans peine le signe traditionnel du genre de mort qui a terminé le martyre de saint
Andéol. Les bourdons représentent l'affluence des pèlerins à son tombeau et la dévotion envers
lui. 11 y a en trois, peut-être à cause des trois quartiers de la ville, qui formaient auiant de pa-
roisses. La devise achève d'éclaircir ce symbolisme : « His fulta manebit unitas, Appuyée sur ces
choses l'unité nous restera », c'est-à-dire, tant que fleurira dans nos murs la dévotion envers notre
illustre et saint Patron, nous sommes assurés qu'il étendra sur nous sa protection et qu'il ne per-
mettra pas à l'erreur de briser parmi nous l'unité de la foi. Ce caractère remarquable de la pro-
tection de saint Andéol sur la cité qui lui est particulièrement consacrée, a été reconnu et accepté
par l'autorité la plus compétente. 11 se trouve, en effet, consigné dans la légende de l'office du
saint Martyr. On y attribue à son puissant patronage le privilège que la ville de Bourg-Saint-
Andéol possède, seule parmi les villes circonvoisines, d'être restée toujours vierge dans sa foi.
Les quelques vieillards qui ont vu la lin du xvni0 siècle et qui survivent encore, se souvien-
nent des marques non équivoques de vénération dont on environnait alors non-seulement les osse-
ments sacrés du saint Martyr, mais tous les monuments illustrés et sanctifiés par son souvenir. Ils
racontent qu'au jour de la fête de saint Andéol, ou voyait des populations entières venir rendre
hommage au Saint qui avait évangélisé leurs pères. On accourait, non-seulement des lieux cir-
convoisius, mais de Grenoble, de Carpentras, de Vaison, d'Orange et du fond de la Provence. Un
de ces vieillards a affirmé à M. l'abbé Mirabel, auteur d'une vie de saint Andéol, que l'Espagne elle-
1. Extrait des archives de Mazan.
176 1" MAI.
même avait envoyé des députations, qu'il en était venu plusieurs fois de Catalogne. Cet état de
choses persévéra jusqu'aux jours néfastes de la grande Révolution.
Comme tant d'autres cultes que les siècles avaient environnés de leur respect, celui de saint
Andéol sombra, pour un temps, dans l'immense cataclysme qui vint fondre sur la France, après
1789. En 1791, le curé et les vicaires de Saint-Andéol ayant prêté serment à la constitution civile
du clergé, le service religieux en souffrit beaucoup. Les offices furent désertés par les paroissiens
les plus instruits et les plus fervents. A partir du 1er février 1794, les portes de Saint-Andéol fu-
rent fermées. Cinquante citoyens eurent le courage de demander à la municipalité la faculté de
rouvrir cette église et d'y entretenir des ministres du culte à leurs frais ; mais leurs plaintes ne
furent pas écoutées. Le vénéré sanctuaire ne s'ouvrit que devant les commissaires du gouvernement.
Au nom de la souveraineté populaire, ces derniers vinrent enlever l'argenterie et livrer le monu-
ment à la dévastation. Le maitre-autel, remarquable par sa beauté, fut détruit. Le tombeau de
saint Andéol, profané et jeté à la rue. Les statues des Saints, les bannières, les reliquaires en bois,
mis en pièces et jetés dans les flammes d'un bûcher allumé sur la place publique. 11 faut rendre
justice au malheureux prêtre qui avait donné l'exemple de la défection à ses paroissiens : dans
ces conjonctures, il fit tous ses efforts pour sauver de la destruction les ossements de saint Andéol.
Il demanda qu'ils fussent déposés aux archives de la commune, avec les documents annexés, pour
y être conservés à titre d'antiquités. On dit aussi qu'il avait essayé de les cacher. Mais tous ses
efforts furent inutiles ; le saint corps fut jeté dans les flammes, sous ses yeux. Les révolutionnaires
de Paris, persuadés qu'il faut un culte au peuple, lui avaient donné celui de la déesse Raison.
La nouvelle divinité fut établie dans le sanctuaire de Saint-Andéol, sur le frontispice duquel on
mit cette inscription : Temple de la Raison. En 1866, on mit la main à l'œuvre pour réparer
l'église paroissiale, dédiée à saint Andéol, qui menaçait ruine. La restauration intérieure et exté-
rieure de l'édifice fut bientôt complète. Mais il manquait à ce sanctuaire dont la jeunesse venait
d'être redoublée ; il lui manquait, au moins quelque parcelle des restes vénérables de son illustre
Patron. Assez longtemps on aima à croire qu'une partie du saint corps, cachée par des mains
pieuses, en 1793, avait échappé aux flammes. Dans cette espérance, de nombreuses recherches
avaient été faites, mais inutilement, le vandalisme sacrilège des révolutionnaires n'ayant rien
épargné. Toutefois, Dieu voulait ne pas rester sourd à des désirs si conformes à ses desseins. En effet,
à peine les travaux de restauration étaient-ils achevés, que des reliques arrivaient de deux côtés k
la fois. Les premières ont été tirées de deux reliquaires en bois conservés à l'hospice de Bourg-
Saint-Andéol et munis des lettres et du sceau de Mgr de Savines, évêque de Viviers. L'un de ces
reliquaires, envoyé à Rome par les soins de Monsieur l'archiprètre de Bourg-SaintrAndéol, fut
présenté à l'examen de la Congrégation des Saintes-Reliques, qui, le trouvant muni de toutes les
marques d'authenticité désirables, permit, par lettres signées du cardinal-vicaire, de l'exposer
publiquement à la vénération des fidèles. L'autre reliquaire, en tout semblable au précédent, a été
reconnu et déclaré authentique par Mgr Delcusy, évêque de Viviers. Une parcelle de ces reliques
a été placée dans le nouvel autel de saint Andéol ; une autre, dans un reliquaire, à part, pour être
plus facilement présentée à la vénération des fidèles. Des reliques plus considérables se conser-
vaient, à Valence, dans l'ancien prieuré de Saint-Félix, qui appartint longtemps à l'Ordre de Saint-
Ruf, et où sont actuellement des religieuses de Saint- Vincent de Paul. Elles étaient renfermées
dans un coffret, que l'on trouva, en 1850, dans le maitre-autel de la chapelle du prieuré, eu
faisant quelques réparations. Grâce à l'initiative de M. Paradis, l'église de Bourg-Saint-Andéol
vient de recouvrer intégralement cette insigne relique. Pour achever sa bonne œuvre, le donataire
a renfermé ces restes vénérables dans un beau reliquaire. La translation de ces fragments du chef
de l'illustre Martyr a été faite le dimanche 3 mai 1868.
Cf. Histoire de l'Eglise de Viviers, par M. l'abbé Bousiller, et Vie de saint Andéol, par M, l'abbé.
Mlrabel.
SAINT AMATEUR OU AMATRE, ÉVÊQUE D'AUXERRE. Ml
SAINT AMATEUR l OU AMATRE, ÉVÊQUE D'AUXERRE
ET SAINTE MARTHE, SON ÉPOUSE
418. — Pape : Saint Zozime. — Empereur d'Occident : Honorais,
Amator, dont le nom a été si parfaitement justifié
par la charité qui remplissait son cœur
Boll., Vie du Saint, 1er mai.
Saint Amatre naquit à Auxerre, dans le cours du rve siècle, de Procli-
dius, riche habitant de cette ville, et de Isiciole, dame d'Autun. Zélé dès sa
jeunesse pour le service de Dieu, il étudia les saintes lettres, sous la con-
duite de Valérien, son évêque. Quand il fut arrivé à l'âge de s'établir, son
père voulut le marier à une riche héritière de la ville de Langres, nommée
Marthe; le jour du mariage, il avait prié saint Valérien, évêque d'Auxerre,
de vouloir bien venir lui-même bénir le lit nuptial ; mais Valérien, sans
doute par la permission de Dieu, au lieu de réciter les prières en usage dans
cette circonstance, lut la bénédiction qu'on prononçait sur les personnes
qui se consacrent à Dieu. Amatre et Marthe, qui seuls s'en étaient aperçus,
se promirent de vivre comme frère et sœur ; plus tard, après la mort de
saint Valérien, ils allèrent trouver saint Elade, son successeur, pour obtenir
d'être reçus, l'un parmi les clercs, et l'autre parmi les religieuses ; Elade les
bénit et coupa les cheveux au jeune homme, avant de l'admettre au nombre
des clercs.
Amatre n'était encore que diacre, lorsqu'il fit sentir sa fermeté à Palladie,
dame autunoise, qui, passant les fêtes de Pâques au faubourg d'Auxerre où
elle avait un riche domaine, était venue à l'église revêtue d'habits trop
somptueux. Il la guérit ensuite miraculeusement d'une maladie, convertit
et baptisa son mari.
Un autre prodige vint le signaler à l'attention publique : une légion de
démons chassée de l'île Gallinaria, par saint Martin de Tours, vint hanter
le Mont-Artre, près d'Auxerre ; il l'en chassa par la vertu du nom de Notre-
Seigneur Jésus-Christ.
Elevé à l'épiscopat l'an 386, il s'employa tout entier à la sanctification
de son troupeau. Il conquit à Jésus-Christ une si grande multitude de
fidèles, que l'ancienne et unique basilique d'Auxerre étant devenue trop
étroite pour les contenir, il en construisit une plus vaste dans l'enceinte des
murs de la ville. Il la dédia en l'honneur de saint Etienne, premier martyr.
Animé par son zèle pour la vraie religion, il ne craignit pas d'exciter la
colère de Germain, gouverneur du pays, en faisant couper, malgré lui, un
arbre qui entretenait dans le pays de vaines superstitions. Il se serait volon-
1. On confond assez généralement saint Amateur d'Auxerre avec saint Amateur de Troyes. Parce que
Troyes a honoré un Saint du même nom que celui du célèbre évêque d'Auxerre, ce n'est pas une raison
pour faire des deux un seul personnage. Il sera facile de se convaincre qu'Amateur ou Amatre d'Auxerre
et Amateur ou Amadour de Troyes sont distincts, si l'on considère que l'évêque de Troyes a occupé le
siège épiscopal de l'an 340 à 346, tandis que celui d'Auxerre gouverna cette église de 385 a 418. De plus,
les Actes de saint Amateur d'Auxerre sont parfaitement connus, tandis qu'on ignore absolument ceux de
saint Amateur de Troyes.
Vies des Saints. — Tome V. 12
178 Ie* MAI.
tiers exposé au martyre en affrontant la colère de Germain, s'il n'eût appris
par révélation divine que ce même Germain serait son successeur et un
très-grand serviteur de Dieu.
Il s'éloigna pour quelque temps de sa ville épiscopale et se dirigea vers
Autun, soit pour donner au courroux de Germain le temps de s'apaiser,
soit pour demander au préfet des Gaules, Julius, l'autorisation de conférer
les Ordres au gouverneur d'Autun, qui était loin, en ce moment, de soup-
çonner ce que la miséricorde de Dieu voulait faire de lui.
Son historien particulier, Etienne Africain, nous apprend quelques cir-
constances de ce voyage. Saint Amateur, traversant la forêt de Goulou, les
paysans qui le reconnurent pour un évêque au petit reliquaire qu'il portait
au cou, lui frayèrent un chemin. Le Saint bénit leur nourriture et guérit un
malade par le signe de la croix. Ce miracle lui attira les acclamations de toute
la contrée. Non loin de là, il rencontra un riche habitant de la ville d'Alise,
nommé Suffronius, qui faisait la recherche d'une certaine quantité d'argen-
terie qu'on lui avait enlevée. Ce seigneur se joignit au saint évêque qui le
consola, et lui donna l'espoir d'une prompte restitution. Les voleurs furent
en effet rencontrés à trois milles de là, et la restitution fut faite comme le
Saint l'avait prédit. Il détermina Suffronius à leur pardonner, et à leur faire
seulement promettre sur le tombeau de saint Andoche et de saint Thyrse,
qu'ils changeraient de vie. Cette circonstance nous apprend que la rencontre
se fit dans le voisinage de Saulieu où était ce tombeau de nos saints Apôtres.
Saint Amateur, approchant d'Autun, y fut reçu avec une grande pompe ;
l'évêque, saint Simplice, alla au-devant de lui avec son clergé, et le préfet
Jules, avec ses officiers. Le lendemain, saint Amateur ayant fait demander
audience au préfet, ce religieux magistrat s'avança pour le recevoir, et
commença par lui demander sa bénédiction. Le saint évêque, après la lui
avoir donnée, lui parla ainsi : « Dieu m'a fait la grâce de m'apprendre le jour
de ma mort, et comme personne n'est plus propre à gouverner mon Eglise
que l'illustrissime Germain, selon que le Seigneur a daigné me le révéler, je
prie votre Celsitude de m'accorder la permission de le tonsurer ». Le préfet
lui répondit : « Quoiqu'il soit utile et même nécessaire à notre république,
cependant puisque le Seigneur se l'est choisi, ainsi que votre béatitude me
l'assure, je vous déclare que je ne puis aller contre l'ordre de Dieu ».
Ayant donc obtenu sa demande, saint Amateur se disposait à revenir à
Auxerre, mais l'évêque d'Autun le retint encore un peu de temps, pour la
dédicace d'un oratoire élevé anciennement sur le tombeau de saint Sym-
phorien. Les deux évêques revenant de la cérémonie de la dédicace, ren-
contrèrent trois lépreux qu'ils guérirent par des onctions d'huile bénite, et
en leur faisant boire de l'eau du Jourdain que l'on disait avoir été apportée
de la Palestine par le saint évêque Rhétice. Saint Amateur emporta quel-
ques reliques du saint martyr et les déposa près d'Auxerre, dans un ora-
toire du Mont-Artre, qui prit le nom de Saint-Symphorien.
Ayant appris la mort de Marthe, qui, depuis leur séparation, s'était reti-
rée à Airy, terre de sa famille, il fit transporter son corps à Auxerre, et
l'inhuma sur le Mont-Artre, proche la ville.
Le saint évêque fit un voyage en Orient, d'où il rapporta des reliques
considérables de saint Cyr et de sainte Julitte *. Ce fut à la suite de ce
voyage que le culte de ces saints martyrs s'établit en Occident.
De retour à Auxerre, il rassembla ses clercs et les avertit de songer à lui
donner un successeur. Les voyant tristes et silencieux, il se dirige vers
1 Voir au 16 juin, vie de saint Cyr.
SAINT ORENS, ÉVÊQUE d'aïïCH. 179
l'église, où il avait convoqué tout le peuple, et y trouve Germain en prière
avec les autres ; il le dépouille de l'habit séculier, l'enrôle dans la milice
de l'Eglise et le déclare son successeur, en lui recommandant de garder sans
tache l'honneur qu'il venait de recevoir. Après cela, ce père pieux étant
tombé malade, il se fit porter dans l'église sur son siège épiscopal. Ce fut là
qu'il s'éteignit entre les mains de ceux qui le soutenaient.
On vit aussitôt un chœur de bienheureux descendre dans l'église, chan-
tant des hymnes et des cantiques, et conduire son âme au ciel. Le clergé et
les fidèles qui étaient réunis autour du saint évêque, entonnèrent à leur
tour le chant des psaumes. C'était un mercredi, le 1er mai de l'an 418. Son
corps fut inhumé sur le Mont-Artre, dans l'oratoire où reposait déjà sainte
Marthe. — L'église que saint Amateur avait élevée sur le Mont-Artre pour
y recevoir les reliques de saint Symphorien, prit plus tard le nom de son
fondateur. Le culte de notre Saint, établi en France dès le vie siècle, se ré-
pandit jusqu'en Catalogne, à l'occasion d'une de ses reliques que Charle-
magne avait donnée à cette contrée.
On représente saint Amatre avec une hache à la main : devant lui est un
arbre qu'il s'apprête à frapper. La vie du Saint explique le pourquoi de ces
attributs.
Acta Sanetorum, X" mai, et en fait d'auteurs modernes : Légendaire d'Autun, Hagiologie de Never*.
Culte de saint Symphorien, divers propres, etc.
SAINT ORENS, EVEQUE D'AUGH
?• siècle.
Voulez-vous recevoir avec respect, publier et obser-
ver les traditions des saints Pères, et les constitu-
tions du Sie'ge apostolique ? — Je le veux.
Pontifical romain, consécration des évêques.
Saint Orens succéda à saint Ursinien, un de ces Pontifes dont les vertus
ne sont point parvenues jusqu'à nous, et dont le culte a péri en traversant
le cours des âges. A sa mort, on songea à donner à l'église d'Auch un pas-
teur, qui fît revivre celui qu'elle pleurait. Or, dans ces temps de foi simple
et naïve, les hommes, comprenant leur impuissance, tournaient leurs vœux
et leurs espérances vers le ciel, et souvent se reposaient uniquement sur lui
du soin de choisir. On ordonna à cet effet un jeûne public et des prières so-
lennelles, et Dieu se plut à les exaucer d'une manière sensible. Quand le
clergé et le peuple furent réunis pour l'élection, une voix d'en Haut pro*
nonça le nom d'Orens.
Il était né à Huesca, sur la frontière d'Aragon, d'un père que les légen-
daires font comte ou gouverneur d'Urgel, ce qui a porté plusieurs biogra-
phes à lui donner cette ville pour patrie. Son éducation répondit à la no-
blesse et à la piété des auteurs de ses jours, qui sont honorés l'un et l'autre
d'un culte public sous le nom de saint Orens et de sainte Patience l. Il fit en
peu de temps de grands progrès dans les lettres et de plus grands encore
1. Quelques auteurs le disent frère des saints diacres Laurent et Vincent: d'autres lui refusent l'hon-
neur d'avoir eu pour père un autre saint Orens, et pour mère sainte Patience.
180 1" MAI.
dans les voies du salut. Le Seigneur, qui le destinait à devenir un des orne-
ments de son sacerdoce, l'arracha du sein de sa famille, au moment où tous
les biens et tous les honneurs de sa maison passaient sur sa tête par la mort
de son frère aîné. Un ange l'avertit et le conduisit comme par la main dans
la vallée de Lavedan, à quelques heures de Tarbes.
Tandis que le pieux jeune homme mettait tous ses soins à se cacher au
monde, Dieu sembla se plaire à le glorifier. La réputation de sa sainteté et
le bruit des miracles qui la signalaient, se répandirent bientôt de toutes
parts : on vit les peuples accourir en foule vers le lieu de sa retraite. Ils ne
venaient y chercher qu'un remède à leurs infirmités, et ils trouvaient dans
les prières et les avis charitables du serviteur de Dieu la santé de leur âme
avec celle de leur corps.
Cependant le vertueux solitaire s'alarma de ce concours. Il craignit les
séductions d'un amour-propre que tout éveillait, et afin de se dérober à
tant d'empressement, il quitta la vallée de Lavedan et gravit le sommet
d'une roche escarpée, qui, à son approche, se partageant en deux, parut ou-
vrir son sein pour lui prêter un asile ignoré et presque invisible. Dans cette
roche profonde, caché aux regards des hommes, mais sous l'œil de Dieu, il
se livra aux veilles, aux jeûnes, aux macérations, à toutes les rigueurs de la
plus austère pénitence. « Là », nous dit un de ses anciens biographes, « les
herbes étaient sa viande, l'eau sa boisson, sa maison un antre, le ciel son
toit, la terre son lit et un rude cilice son vêlement ». Cet esprit de mortifi-
cation le suivait jusque dans ses prières. Tous les jours il récitait le psau-
tier, les reins ceins d'une chaîne de fer et plongé jusqu'à mi-corps dans un
bassin d'eau froide.
Les heures que lui laissaient ses exercices religieux, il les consacrait à la
composition d'un poëme remarquable pour l'époque, et dont quelques écri-
vains ont voulu faire honneur à des Orens qui n'existèrent jamais. Partagé
en deux livres et composé de vers élégiaques, il a pour titre cummoniioire ou
avertissement : c'est une peinture des divers obstacles qui s'opposent à notre
salut et une sorte de guide vers le ciel. Il respire une douce et sainte mé-
lancolie, comme les malheurs de l'empire et l'aspect d'une nature abrupte
et sauvage devaient facilement l'inspirer. En y travaillant, l'auteur chan-
tait encore les louanges de Dieu et s'occupait à procurer sa gloire '.
Nous trouvons très-beaux ces vers sur la brièveté de la vie :
Omnis paulatim letho nos applicat hora, Chaque heure qui s'écoule nous rapproche
Hoc quoque quo loquimur tempore praemo- du trépas ; l'instant où je parle est déjà du
[riuiur ; domaine de la mort.
Et per fallentes tacito molimine cursus Par une marche qui nous dérobe ses progrès
Urget supiemos ultima vita dies. insensibles, la dernière des heures presse le pas
du dernier de nos jours.
Quum cibus et somnus, dura verba et pocula Pendant que tu manges et pendant que tu
[mulceut, dors; pendant que tu t'enivres de vin et de
S:ve àcsïû sedeas, seu peregrina petas, paroles ; alors que tu es assis dans ton logis et
lorsque tu marches au dehors ;
1. Le ton du poëto est toujours noble et élevé; son style est plein d'onction et de simplicité-; la net-
teté de l'expression fait déjà entrevoir cette langue latine du moyen âge que les saint Bernard et les
saint Thomas d'Aquin ont su rendre si claire, et qui, sous leur plume, nous semble si bien appropriée à
l'expression des vérités du christianisme. Il y a peu d'ouvrages qui soient aussi dignes que ce poëme
d'être mis entre les mains de la jeunesse, tant à cause de son mérite littéraire, qu'à cause des conseils
qu'il renferme. Le Commonitorium n'a été publié dans son entier qu'en 1717. A ce propos nous ne pou-
vons nous empêcher de faire remarquer que sans les Bénédictins et les autres Ordres religieux, beaucoup
de poètes chrétiens seraient peut-être perdus aujourd'hui. Les philologues, entraînés par le mauvais es-
prit de la Renaissance, ont complètement négligé ces poètes, taudis qu'ils nous ont inondés d'un déluge
de note3 et de commentaires sur les poètes profane».
SAINT ORENS, ÉVÊQUE D'AUCH. 18!
Dumque geris quodcumque geris, vel non geris Pendant chacune de tes actions volontaires
[ultro, ou involontaires, la mort, que rien n'arrête,
Mors movet alternum nil remorata pedem. avance, avance toujours.
Cereus ut caecae positus sub tempore noctis De même que le flambeau que nous allumons,
Compensare diem luminis officio, pour tromper les ténèbres de la nuit et rem-
placer la lumière du jour,
Dum non sentimus, lento consumitur igné : Se consume lentement sans que nous nous
Semper et ad finem flamma vorax properat; en apercevions et que la flamme se hâte de
ronger la matière soumise, à son activité ;
Sic hominum res est, pereunt qnaecumque ge- Ainsi en est-il de l'homme et de sa destinée :
[runtur, tout périt ; ce qui a le plus brillé passe, et la
Proficit et moritur quod sibi vita trahit. vie elle-même se résout dans la mort.
Ainsi s'écoulaient ses jours, lorsque les députés de l'église d'Auch vin-
rent lui apprendre les ordres du ciel et le conjurer de ne point se refuser
aux vœux empressés d'un peuple qui l'attendait. L'humilité est le sceau de
la sainteté, et même de tout vrai mérite. Orens, se jugeant complètement
indigne de la haute dignité qu'on lui déférait, refusa de croire à ce que ce
récit avait de flatteur, et sans en entendre davantage, il prit aussitôt le
bâton de voyageur, et déjà il se préparait à fuir; mais arrêté par les dépu-
tés et craignant, sur leurs assurances redoublées, de résister à Dieu, il pria
le Maître suprême de lui faire connaître plus spécialement sa volonté. Sa
prière était à peine finie, que le bâton qu'il tenait à la main prend racine,
étend ses rameaux, et se couvre d'un vert feuillage. A la vue de ce miracle,
Orens courbe la tête et se dirige vers Auch. Quand il fut près d'entrer dans
ses murs, tous les malades qui y étaient renfermés se trouvèrent subite-
ment guéris. Ce second miracle acheva de lui gagner les cœurs. Les habi-
tants s'empressèrent de sortir à sa rencontre pour lui témoigner leur joie et
leur reconnaissance.
Le nouveau pasteur se dévoua au salut de ses ouailles. Quoique la croix
brillât depuis longtemps sur le front des Césars, le paganisme comptait en-
core, surtout dans les provinces reculées, des sectateurs nombreux. Orens
s'attacha d'abord à l'extirper de son diocèse. Dans ce but, non-seulement il
combattit les rites idolâtriques, mais encore il abattit tous les monuments
qui, en rappelant le souvenir des fausses divinités, en perpétuaient le culte.
Là, où l'ami des arts est tenté de gémir, l'homme doué d'un sens pratique
ne peut refuser son assentiment. Avant tout, il fallait ramener la société
égarée dans les voies de l'erreur.
Aux portes de sa ville épiscopale, sur une montagne appelée alors Ner-
vica ou Nerveia, s'élevait un temple célèbre consacré à Apollon. Orens s'y
transporte, le détruit, et sur ses ruines il élève une église en l'honneur du
jeune enfant Cyr et de sa mère, sainte Julitte, martyrisés ensemble sous
Dioclétien. Du nom légèrement altéré de cette tendre et innocente victime,
le mont s'appela depuis Saint-Cric.
Un zèle aussi actif contre le paganisme ne pouvait rester muet et indif-
férent devant les vices qui souillaient la religion. Mais ici, la résistance fut
singulièrement opiniâtre ; on triomphe quelquefois plus facilement des in-
fidèles et des hétérodoxes que des indignes enfants de l'Eglise. Vainement
le pieux évêque fit-il tour à tour entendre les accents de la plus douce et
de la plus tolérante charité, ou gronder les foudres de la parole évangéli-
que, sa voix fut complètement méconnue et toutes ses exhortations dédai-
gnées. Tant d'efforts infructueux amenèrent dans son cœur le décourage-
ment. D'ailleurs, son ancien attrait pour la solitude le poursuivait sans cesse
182 i" mai.
au milieu de la vie publique. Enfin, sa profonde humilité lui montrait tou-
jours comme trop lourd le fardeau imposé à ses épaules. De là, la résolution
qu'il forma d'abandonner un peuple qu'il ne pouvait réformer. Il reprit la
cuculle et le bourdon de l'ermite , et retourna pauvre et content à la
grotte, ancien témoin de ses austérités et depuis l'objet de tous ses regrets.
Ce départ consterna ses ouailles. Elles avaient pu se montrer indociles
et rebelles, mais elles n'en avaient pas moins chéri leur pasteur et vénéré
ses hautes vertus. On courut après lui en lui promettant une vie nouvelle.
Le Saint se laissa toucher à ces sentiments, et sacrifiant son amour pour la
retraite à l'espoir de sauver les âmes, il retourna vers le troupeau qui le
redemandait, et au milieu duquel son ministère porta désormais les fruits
les plus abondants. Ses succès, ses talents, sa piété et les miracles nombreux
dont Dieu se plaisait à relever les vertus de son serviteur, le plaçaient à la
tête des évêques d'Aquitaine. Ainsi son nom se présenta naturellement à
Théodoric I", roi des Visigoths ariens, lorsque ce prince, assiégé dans Tou-
louse par Lictorius, lieutenant du célèbre Aétius, lui envoya en députation
quelques prélats orthodoxes de ses Etats pour demander la paix ; mais Lic-
torius reçut les prélats avec hauteur et presque avec mépris ; et trompé par
les vaines promesses des aruspices et des devins, qui lui assuraient qu'il en-
trerait en triomphe dans Toulouse et qu'il prendrait le chef des ennemis, il
repoussa toutes les propositions d'accommodement.
Pendant que le général romain repaissait son orgueil de la pensée d'une
victoire certaine, Théodoric, nous dit Salvien, s'humiliait devant le Dieu des
armées, et couvert d'un cilice, il se prosternait souvent en prières. Il se releva
enfin avec confiance pour marcher au combat. L'amour de la gloire d'un
côté, la nécessité de l'autre, rendirent longtemps l'action sanglante et dou-
teuse. Peut-être l'avantage fût-il resté aux Romains, si Lictorius, se jetant
trop en avant dans la mêlée, n'eût été fait prisonnier. Cette prise, en déci-
dant le succès, termina le combat et commença les ignominies du lieute-
nant d' Aétius.
Conduit à Toulouse, il dut y subir un triomphe bien différent de celui
que se promettait sa présomption, et que lui avaient prédit ses imprudents
conseillers. On lui prodigua tous les outrages dont peut se souiller un vain-
queur en délire. Placé à reculons sur un âne, on le promena dans toutes les
rues, les mains liées derrière le dos et le corps chargé de chaînes pesantes.
On le confina ensuite dans un cachot ténébreux, où durant cinq ou six mois
on lui jeta un pain noir destiné à irriter sa faim sans le satisfaire, et après
qu'une si longue et si cruelle maladie l'eût rendu méconnaissable à tous les
regards, on finit par faire tomber sa tête sous la hache du bourreau. Dans
un sort aussi tragique, les anciennes légendes ne manquent pas de voir la
punition de l'outrage fait à saint Orens et à ses vénérables collègues.
Du reste, cette ambassade, d'autant plus honorable que notre Saint la
devait à un prince hérétique, couronna sa vie. Dès qu'il fut revenu à Auch,
Dieu lui apparut et lui fit connaître que sa dernière heure approchait. Ici
nous laisserons parler un de ses anciens biographes l : « Dès lors, sentant
approcher son désiré trespas, il fut merveilleusement resjouy et consolé en
son âme, et quoique toute sa vie eust esté une continuelle préparation à la
mort, il s'arma des Saints-Sacrements pour combattre de nouveau ce dragon
infernal, que tant de fois il avait vaincu. Suppliant Nostre-Seigneur de re-
cevoir son âme entre ses mains et que ceux qui, après son décès, auraient
1. La Vie du glorieux saint Orens, évesque d'Auch, composée, sur les mémoires tirez des ancienne»
légendes et des plus fidèles historiens a Tolose chez Arnaud Colomiez, sans date.
SAINT ORENS, ÉVÊQUE D'ATTGtf. 183
recours à lui en leurs ennuis et fascheries spirituelles, eussent la grâce par-
ticulière de chasser l'ennemy d'enfer qui leur causerait ce trouble. Inconti-
nent une voix céleste fut entendue par deux ecclésiastiques témoins de la
vision : « Orens, je t'accorde tout ce que tu me demandes en faveur de ceux
qui se recommanderont à toy, lesquels invoquants ton secours en toutes les
infirmités, tribulations d'esprit, nécessitez et angoisses en seront délivrez
et ne manqueront jamais de biens temporels en leur besoin ».
« Ainsi, ce saint prélat, dont la mémoire est en bénédiction, finit sa car-
rière mortelle comme les lampes aromatiques avec une suave odeur, comme
les cygnes en chantant mélodieusement ses propres funérailles et comme le
phœnix en se consumant dans le feu de sa charité et poussant sa belle âme
par un souspir d'amour, mourut dans le baiser du Seigneurie premier may
qui est le jour où l'Eglise célèbre sa feste ».
RELIQUES ET CULTE DE SAINT ORENS.
Son corps fut inhumé, à Auch, dans l'église de Saint-Jeau-Baptiste qui ne tarda pas a s'appeler
tantôt de son premier nom et tantôt du nom. de l'illustre et saint prélat, dont les dépouilles
Tenaient de lui être confiées, et insensiblement ce dernier prévalut.
Ce changement nous révèle la haute opinion qu'avait de ses vertus son ancien troupeau et la
confiance qu'on conservait en sa protection auprès de Dieu. La ville le choisit pour son second
patron : bientôt plusieurs paroisses du diocèse se placèrent sous son vocable. Le concours était
grand près de ses restes sacrés, et l'église qui les renfermait, devenait, chaque année, plu*
insuffisante.
Bernard le Louche, comte d'Armagnac, témoin de cette insuffisance, l'agrandit, ou plutôt, sur
Bon emplacement, il bâtit la superbe basilique a trois nefs qu'on admirait près des rives du Gers,
et qui, fermée et mulilco en 1793, fut vendue peu après et acheva de disparaître de 1800 à 1804;
car la chapelle de la Conception, qui existe encore et qui en faisait autrefois partie, n'appartient
nullement aux constructions élevées par ordre de Bernard le Louche, et ne remonte qu'auxiv8 ou au
xv« siècle. Là ne s'arrêta pas la dévotion du comte. A côté de la basilique, il construisit une vaste
abbaye et y plaça des religieux qu'il chargea de veiller sur les cendres de saint Oreas, et de prier
près de sa tombe, et qu'il dota généreusement.
L'archevêque d'Auch voulut s'associer à ces libéralités. Il scinda la paroisse de la ville, que ses
prédécesseurs avaient jusqu'alors administrée seuls, à l'aide du clergé placé sous leur discipline immé-
diate, et en attribua uue portion à la nouvelle église, en la constituant en paroisse propre et
distincte. L'abbaye ne tarda pas à changer de mailre ; elle passa aux Bénédictins de Cluny sous
l'épiscopat de saint Austinde, et fut réduite en prieuré. Bernard de Sédirac ou de Sérillac, le troi-
sième prieur qui gouverna la maison, releva le corps de saint Orens et le plaça dans un endroit
plus apparent et plus honorable. Cette translation eut heu le G août. Les anciens martyrologes du
diocèse mentionnent le jour, mais ne désignent pas l'année, qu'il faut placer entre 1075, époque
où le prédécesseur de Bernard de Sérillac vivait encore, et 1080, époque où Bernard était devenu
archevêque de Tolède, en Espagne.
Le nom et les vertus de saint Orens ne restèrent pas moins populaires dans la Bigorre que dans
le diocèse d'Auch. Deux monastères y furent bâtis en son honneur : l'un, à quelques pas de son
ancienne retraite et presque sur le théâtre de sesaustérités, et l'autre, dans le vicomte de Montaner
et le voisinage de la ville de Maubourguet ; pour les distinguer, on surnomma celui-ci de la Règle
ou de la Reoule, et on l'appela l'abbaye de Saint-Orens de la Règle ou de la Reoule, ou simplement
la Reoule.
On gardait dan8 le premier, outre quelques reliques du Saint encore conservées de nos jours,
une partie de la chaîne dont il se ceignait quand il récitait le psautier, et nombreux furent le»
miracles opérés à l'aide et par la vertu de cette chaîne.
Le reste de cette chaîne fut envoyé à Toulouse dans le couvent de Sainte-Croix. Outre cette
chaîne, les religieux de ce couvent obtinrent, du prieur et des moines d'Auch, quelques reliques
qu'ils reçurent le 12 juillet 1354, et qu'ils firent enchâsser dans un chef et un bras d'argent. « On
ne saurait », ajoute l'écrivain 4 auquel nous empruntons ces détails, « assez dire la dévotion des
Toulousains et des peuples circonvoisins envers ce Saint; car leurs enfants ont à peine reçu le
1. L'auteur de sa Vie, publiée à Tholoze, chez Arnaud Colomiez, invoqué plus haut. Cette grande
dévotion des Toulousains envers saint Orc-ns, que divers autres monuments attestent, ne tendrait-ella
pas à confirmer la part que saint Orens prit à la délivrance de la ville sous Théodoric 1er? Néanmoins,
comme cette délivrance remonte a un date si éloignée, nous n'oserions rien affirmer à ce sujet.
481 1M MAI.
saint baptême, qo*il3 vont à l'église de Saint-Orens les mettre Bons la protection de ce grand Saint
pour les enrôler dans sa confrérie, établie dans ledit couvent, une des plus belles et des plus
anciennes de la ville, enrichie d'indulgences par notre Saint-Père le pape Paul V ».
Le bruit des miracles opérés près du tombeau de saint Orens, ou de ses restes vénérés, franchit
les Pyrénées et se répandit sur les frontières d'Espagne. La ville d'Huesca s'honorait, avec raison,
de lui avoir donné le jour. L'évêque du lieu et ses magistrats invoquèrent ce titre pour obtenir,
eux aussi, quelques-unes de ses reliques. Ils s'adressèrent d'abord à Rome et à Paris, et, après
avoir obtenu, non sans de longues supplications, l'autorisation du Pape et l'assentiment du roi de
France, ils envoyèrent à Auch une députation composée de l'écolâtre de la cathédrale et de trois
notables auxquels se joignit Dom Manuel Lopez, noble espagnol réfugié à Coarrase, en Béarn.
Mgr Léonard Destrappes ', un prélat digne lui-même des honneurs publics de la sainteté, que
Rome, nous l'espérons, lui décernera un jour, occupait alors le siège métropolitain. Il accueillit les
députés avec joie, et leur octroya volontiers leur demande.
Depuis cette translation, on fit encore quelques emprunts à la châsse de saint Orens pour enri-
chir de ses reliques quelques sanctuaires du diocèse d'Auch ou des diocèses voisins, comme l'église
paroissiale de Miradoux qui a pris le Saint pour patron, ou la chapelle du collège d'Auch, dirigé
alors par les jésuites. Mais le reste du corps resta dans ia basilique où il avait été d'abord ense-
veli, et malheureusement, hélas ! il n'en partagea que trop le sort. Le chef était renfermé dans
un magnifique buste d'argent, œuvre du moyen âge, pour laquelle Jean Ier, comte d'Armagnac,
légua cent livres par son testament de l'an 1373. On gardait les ossements dans le coffre de bois
doré garni de fer dont nous parlions naguère. Près d'eux, une communauté de Bénédictins sécu-
larisés, en 1721, et transformés en Chapitre, célébrait, tous les jours, les offices publics de l'Eglise.
Tout, dans cette enceinte, annonçait que sous ces voûtes reposait le second Patron de la ville
d'Auch. Aujourd'hui tout a disparu : le Propre seul du diocèse garde le souvenir de l'évêque poète
du Ve siècle.
Cf. Histoire de Gascogne, par Monlezun.
SAINT SIGISMOND, ROI DE BOURGOGNE
524. — Pape : Saint Jean I«r. — Roi de France : Childebert I»'.
Rien de plus sublime qu'un roi qui, les mains éten-
dues sur le peuple, adore le Souverain commun
des rois et des peuples.
Sidoine Ap., Epist. ad Serranum.
Une des plus belles œuvres du christianisme, c'est la conversion de ces
peuples barbares qui envahirent l'Occident au cinquième siècle, et que la
religion arracha, par tant d'efforts, à des mœurs sanguinaires, pour leur faire
comprendre et pratiquer les vertus évangéliques. Il était difficile que cette
œuvre de régénération s'opérât d'une manière complète dans ces âmes
farouches. Aussi, malgré l'influence de la religion, la nature barbare repre-
nait quelquefois le dessus. De là vient ce mélange de vertus et de vices, de
cruauté et de douceur, qu'on retrouve dans les caractères de cette époque,
où le mal se montre souvent dans ce qu'il a de plus odieux, et le bien, dans
ce qu'il a de plus sublime. Cependant, la foi finissait presque toujours par
l'emporter sur les instincts de la barbarie, et si les âmes se laissaient aller
à quelque crime, le repentir venait bientôt en demander et en obtenir
l'expiation, comme nous le voyons dans la vie de saint Sigismond.
Sigismond était fils de Gondebaud, roi de Bourgogne 2, qui s'en était rendu
1. On doit écrire Destrappes et non de Trappes : c'est l'orthographe que porte son extrait de nais-
lance, du 3 octobre 1558. — Semaine religieuse de Nevers, 30 mars 1872.
2. Les Bourguignons ou Burgondes étaient une des principales tribus des Vandales, suivant Pline
•t Zozime. Co point d'histoire a été fort bien éclairci par Mille.
SAINT SIGISMOND, ROI DE BOURGOGNE. 185
entièrement maître en faisant mourir son frère Chilpéric, père de sainte
Clotilde de France. Grégoire de Tours a loué la piété de Carétènes, sa mère.
C'est cette princesse qui fit bâtir à Lyon l'église de Saint-Michel, où elle fut
inhumée (506). Elle avait mis le plus grand soin à élever son fils Sigismond
dans la religion catholique. Mais son zèle n'obtint pas tout le succès qu'elle
avait cherché. Le roi Gondebaud était arien, et l'exemple du père fut fatal
à la foi du fils, qui embrassa aussi l'arianisme.
Cependant, un saint prélat, qui était alors l'oracle des Eglises de la
Gaule, Avitus, évêque de Vienne, travaillait avec ardeur à ramener Gonde-
baud dans le sein de l'Eglise. Si ses efforts ne furent pas couronnés de succès,
ils eurent au moins pour résultat d'éclairer Sigismond, qui, plus fidèle à la
grâce et plus docile a la voix d'Avitus, abjura l'erreur et revint à la vraie foi.
Celte conversion eut lieu longtemps avant la mort de Gondebaud, qui ne
paraît pas l'avoir contrariée ; car il estimait Avitus, et reconnut même plu-
sieurs fois secrètement la vérité du dogme catholique, sans oser le professer
en public.
L'exemple de Sigismond fut suivi par ses enfants, qui avaient été élevés,
comme lui, dans le sein de l'arianisme. Sa fille, nommée Suavegothe, et son
fils Sigéric, se convertirent à la voix d'Avitus. Ce saint évêque eut ainsi la
joie de voir l'erreur disparaître presque entièrement de cette famille puis-
sante, qui pesait alors d'un si grand poids sur les destinées de la Gaule. Il
prononça, à cette occasion, une homélie dont il ne nous reste que le titre
et qui était, dit Agobard, aussi admirable par la beauté des pensées que par
l'harmonie des expressions.
Sigismond, avant d'être élevé au trône, fut nommé, comme son père,
patrice de l'empire dans les Gaules. Les princes bourguignons se tenaient
très-honorés de cette dignité, que leur conféraient les empereurs d'Orient,
dont ils se glorifiaient d'être les mandataires. Sigismond avait épousé, dès
l'an 493 ou 494, Ostrogotho, fille de Théodoric, roi d'Italie. Son père, en
lui faisant contracter cette union, avait voulu s'assurer dans Théodoric un
puissant allié contre les entreprises de Clovis, roi des Francs, dont le voisi-
nage l'inquiétait. Enol3, Gondebaud associa son fils au trône, et le fit cou-
ronner à Genève. Dès ce jour, Sigismond eut à gouverner spécialement cette
Les Bourguignons s'établirent d'abord le long de la Vlstule, dans la Prusse. En 407, Ils passbrent la
Rhin, et entrèrent dans les Gaules. En 413, Gondicaire, leur premier roi, conquit le pays situe' entre la
Haut-Rhin, le lîhône et la Saône. Peu après, il étendit sa domination; et l'Etat qu'il forma comprenait
ce qu'on appela depuis le duché de Bourgogne, la Franche-Comté, la Provence, le Lyonnais, le Dauphiné,
la Savoie, etc. Il régna jusqu'en 463, comme on le voit par sa lettre au pape Hilaire, et par la réponse
de ce Pape, qui l'appelle son fils, etc.
Chilpéric, son fils et son successeur, fut zélé catholique. Après un règne de vingt-huit ans, il fut as-
sassiné avec sa femme, ses fils et son frère Godomar, par Gondebaud, son autre frère, qui avait embrassé
l'arianisme. Celui-ci mourut en 516, et laissa deux fils, Sigismond et Godomar. Il réforma le code des
lois bourguignonnes, appelé de son nom loi Gombette. Il fit venir à Genève, où était sa cour, les deux
filles de son frère Chilpéric. Chrone, l'aînée, prit le voile ; Clotilde, la cadette, épousa Clovis, roi des
Francs. Celui-ci déclara la guerre à Gondebaud, pour venger la mort de Chilpéric; mais il fit depuis la
paix avec lui. Clodomir, roi d'Orléans, et ses frères, attaquèrent saint Sigismond, qui fut fait prisonnier
et mis à mort en 524. Dix ans après, les rois de France partagèrent entre eux le royaume de Bourgogne.
Gontran, fils de Clotaire 1er, prit le titre de roi de Bourgogne, et régna à Chalon-sur-Saône, quoique
SIgebert, son frère, possédât une grande partie de ce pays. Childebert, fils de Sigebert, et Thierry II, fils
de Childebert, prirent le même titre. Il fut éteint en 613; mais Charles, le dernier des fils de l'empereur
Lothaire, le fit revivre avec celui de roi de Provence, puis do roi d'Arles. La Haute-Bourgogne fut appe-
lée Franche-Comté, parce qu'elle ne devait que le service militaire.
Nous voyons les Bourguignons chrétiens et catholiques, peu de temps après qu'ils eurent passé le
Rhin et qu'ils se furent établis en France. Sozomène met leur conversion vers l'an 317. Il n'est donc pas
vrai qu'ils tombèrent dans l'arianisme presque aussitôt après avoir embrassé le christianisme. Suivant
Socrate, Nicéphore, Orose, etc., ils furent zélés catholiques jusqu'à la fin dn \e siècle; ils ne persistèrent
même dans l'arianisme que durant le règne de Gondebaud, qui fut le troisième de leurs rois. (Voir Mille,
Abr. chron. de l'Eist. eccl., civ. et littér. de Bourg., an 1771.)
186 Ie* MAI.
partie des Etats de Bourgogne, qui comprenait l'Helvétie occidentale et la
Séquanie, avec Genève pour capitale.
Sigismond, élevé à la dignité royale et éclairé de la lumière de la foi,
s'appliqua à réparer par ses bonnes œuvres le tort qu'il avait fait à la reli-
gion par ses erreurs. C'est dans cette vue qu'il commença, dès l'an 515, à
relever et à agrandir le célèbre monastère d'Agaune1. Ce monastère avait
été fondé, à une époque antérieure, par les religieux de Condat. Mais il
était, depuis, tombé en décadence, et, à ce moment, des prêtres et des
laïques y habitaient confusément. Alors, nous dit un chroniqueur du temps,
saint Maxime, évêque de Genève, exhorta le roi Sigismond à remettre en
honneur ce lieu, sanctifié autrefois par le martyre de la légion thébaine, et
à en écarter cette foule de gens de tout sexe et de toute condition, qui y
avaient établi leur demeure. Il était juste qu'un lieu illustré par le courage
de généreux athlètes de la foi, ne fût habité que par des hommes consacrés
à la prière, et dont les vœux appelleraient sur le prince les bénédictions du
Ciel. Le roi assembla donc un conseil à ce sujet. On y décida que toutes les
femmes et les séculiers établis à Agaune en seraient exclus, et qu'on y éta-
blirait une communauté de moines occupés à célébrer nuit et jour les
louanges de Dieu.
Grâce à la munificence du prince, le monastère et l'église furent rebâtis
dans de vastes proportions. Saint Avitus, évêque de Vienne, saint Maxime,
de Genève, et saint Viventiole, de Lyon, avaient à cœur de relever la vie
monastique dans ces lieux, et furent les principaux moteurs dans cette en-
treprise. Sur ces entrefaites le roi Gondebaud mourut (516), et Sigismond,
élevé sur le trône de son père, brisa les entraves qui pesaient encore sur les
Eglises de la Gaule, et rendit aux évêques toute la liberté dont ils avaient
besoin pour assembler des conciles et accomplir de grandes œuvres. Les
bâtiments du monastère d'Agaune étant terminés, le roi y convoqua, le 1"
mai 516, une assemblée d'évêques et de seigneurs. On remplaça l'ancienne
règle par une constitution nouvelle, suivant laquelle les religieux seraient
exempts du travail des mains et tenus de chanter au chœur sans interrup-
tion, auprès des reliques vénérées des martyrs thébains. C'est ce qu'on ap-
pela le laus perennis ou psalmodie perpétuelle.
Pour remplir cet office, le nombre des religieux devait être considérable.
On en fit venir de Lérins, de Grigny, de l'Ile-Barbe et de Condat, et on leur
donna saint Hymnemode pour abbé. Sigismond pourvut à leur subsistance
avec une libéralité vraiment royale. Il fit rédiger un acte authentique des
donations qu'il faisait aux moines d'Agaune.
L'année qui suivit cette donation (517), vingt-quatre évêques, qui appar-
tenaient aux huit provinces ecclésiastiques de la Bourgogne, se réunirent,
le 6 septembre, en concile national à Epaone, pour s'entendre sur les ré-
formes à introduire dans les Eglises de la Gaule. Ce fut après ce concile
qu'eut lieu la dédicace de la basilique d'Agaune, le 22 septembre, jour de
la fête des martyrs thébains, et saint Avitus prononça dans cette circons-
tance un discours dont il ne nous reste que le titre.
L'Eglise des Gaules reflorissait, grâce au zèle éclairé de ses évêques et à
la liberté que leur avait rendue Sigismond. Ce prince, depuis sa conversion,
s'appliquait à faire disparaître l'hérésie de ses Etats, et à y mettre en hon-
neur le culte du vrai Dieu. C'est le témoignage que lui rendait saint Avitus,
dans les lettres qu'il lui écrivait souvent. Cependant, cette heureuse harmo-
nie qui régnait entre le roi Sigismond et les évêques des Gaules, fut un
U Aujourd'hui S»int-JIaurice-en-Valais.
SAINT SIGISMOND, ROI DE BOURGOGNE. 187
instant troublée. Un concile, tenu à Lyon en 518, ayant frappé d'anathème
un seigneur de la cour, qui avait contracté un mariage incestueux, Sigis-
mond, trompé par des conseillers perfides, prit la défense de ce courtisan
et exila les courageux évêques à Sardines. Mais il comprit bientôt que le
rôle de persécuteur est toujours odieux, et, plein d'admiration pour la
constance des saints prélats, qui avaient mieux aimé plaire à Dieu qu'aux
hommes, il les rappela dans leurs diocèses.
Sigismond gouvernait son peuple avec justice, et tout semblait annoncer
la prospérité de son règne, lorsqu'un événement tragique vint jeter sur lui
la honte et le malheur. Ici nous laissons parler Grégoire de Tours : « Sigis-
mond », dit-il, « ayant perdu sa première femme, Ostrogothe, fille de
Théodoric, roi d'Italie, dont il avait eu un fils nommé Sigéric, en épousa
une seconde. Mais celle-ci, selon la coutume des belles-mères, se mit à mal-
traiter le fils de son mari et à lui susciter des querelles. Or, un jour de fête,
le jeune homme, reconnaissant sur elle les vêtements de sa mère, lui dit,
le cœur plein de courroux : Tu n'étais pas digne de porter sur tes
épaules ces vêtements, qu'on sait avoir appartenu à ta maîtresse, c'est-à-
dire à ma mère. Transportée de fureur, elle excite alors Sigismond par
des paroles insidieuses : Ce fils pervers, dit-elle, aspire à s'emparer de
ion royaume, et se propose, après t'avoir fait périr, d'étendre ses Etats jus-
qu'en Italie, en se rendant maître du royaume que possédait dans ce pays
son aïeul Théodoric. Il sait bien que tant que tu vivras, il ne peut accom-
plir son dessein, et qu'il ne s'élèvera que par ta ruine. Sigismond, excité
par ces accusations perfides et se laissant aller aux conseils de sa méchante
femme, devint un cruel parricide. Un jour, sur l'après-midi, comme son
fils était appesanti par le vin, il lui ordonne d'aller dormir, et, pendant son
sommeil, on lui passe autour du cou un mouchoir noué sous le menton;
puis deux serviteurs, tirant chacun un bout de ce mouchoir, l'étranglent
(522). Aussitôt que cela fut fait, le père, se repentant, mais trop tard, se
précipita sur le cadavre de son fils, et se mit à pleurer amèrement. On rap-
porte qu'un vieillard lui dit alors : — C'est sur toi que tu dois pleurer
maintenant, toi qui, par suite d'un perfide conseil , es devenu un cruel
parricide ; celui que tu as fait périr innocent n'a pas besoin qu'on le pleure.
Cependant le roi se rendit au monastère de Saint-Maurice, et y passa un
grand nombre de jours dans les larmes et dans les jeûnes pour y implorer
son pardon ».
Le crime de Sigismond était grand sans doute. Mais ce qui semble en
diminuer l'horreur, c'est que ce prince, persuadé que son fils était coupa-
ble, se crut obligé de mettre la raison d'Etat au-dessus des sentiments de
la nature. Du reste, les remords dont il fut déchiré, les larmes qu'il répan-
dit, la pénitence à laquelle il se condamna, lui obtinrent grâce devant le
ciel. Car si Dieu punit son crime par la révolte de ses sujets, il glorifia son
repentir en illustrant son tombeau par des miracles, et la religion l'honora
plus tard du titre de saint, comme elle en avait honoré David pénitent et
Madeleine repentante.
Sigismond s'humiliait à Agaune, sous la cendre et le cilice, conjurant
le ciel de tirer vengeance en ce monde du mal qu'il avait fait, et de n'en
pas réserver la punition après cette vie. Dieu exauça le roi pénitent, et lui
envoya des disgrâces pour le sauver éternellement. Les princes francs,
moins touchés de son repentir que frappés de son parricide, crurent l'oc-
casion favorable pour s'emparer de ses Etats. Ils espéraient que les grands
du royaume de Bourgogne, irrités contre leur roi, ne prendraient point sa
188 i" MAI.
défense, et que Théodoric, saisi d'horreur en apprenant la mort de son
petit-fils, abandonnerait Sigismond à la vengeance des princes et à la jus-
tice de Dieu. La reine Clotilde elle-même excitait ses enfants à venger
contre les Bourguignons la mort de son père Chilpéric, que Gondebaud
avait fait mourir. Sigismond, réveillé par ces bruits de guerre, sort de sa
retraite et vient à Lyon. Pour intéresser à sa cause le plus puissant des fils
de Clovis, Thierry, roi d'Austrasie, il lui avait donné en mariage sa fille
Suavegothe. En conséquence, Thierry resta neutre dans cette guerre. Mais
les fils de Clotilde, Glodomir, Glotaire et Ghildebert, étaient déjà en cam-
pagne avec une puissante armée. Ils présentèrent la bataille à Sigismond
et à son frère Gondemar. Ces deux princes, trop faibles pour soutenir l'at-
taque des Francs, furent aussitôt mis en déroute. Gondemar parvint à se
sauver. Mais Sigismond, ayant essayé de fuir vers Agaune pour y chercher
un asile, fut poursuivi par ses propres sujets, qui se joignirent aux Francs.
Découvert dans un lieu nommé Versallis l, où il s'était revêtu d'un habit de
moine, il fut pris et livré à Glodomir, qui fit emmener à Orléans ce roi in-
fortuné, avec sa femme et ses deux jeunes fils (523).
Cependant, la plupart des soldats bourguignons étaient restés fidèles à
la cause de leur prince. Gondemar les rallie, et veut encore une fois tenter
la fortune à la tête de cette armée. Il attaque les Francs, les refoule sur
leurs terres, leur reprend leur conquête et se fait proclamer roi de Bour-
gogne. Mais cette victoire fut aussi peu durable qu'elle avait été rapide.
« Clodomir », dit Grégoire de Tours, a se disposant à marcher de nouveau
contre les Bourguignons, résolut de faire mourir Sigismond. Le bienheu-
reux Avitus, abbé de Saint-Mesmin de Micy, à deux lieues environ d'Or-
léans, prêtre fameux dans ce temps-là, lui dit à cette occasion : — Si, tour-
nant tes regards vers Dieu, tu changes de dessein, et si tu ne souffres pas
qu'on tue ces gens-là, Dieu sera avec toi, et tu obtiendras la victoire ; mais
si tu les fais mourir, tu seras livré toi-mêmo aux mains de tes ennemis, et
tu subiras leur sort : il arrivera à toi, à ta femme et à tes fils ce que tu
auras fait à Sigismond, à sa femme et à ses enfants. Mais Clodomir, mépri-
sant cet avis, répondit à Avitus : — Ce serait une grande sottise de laisser
un ennemi chez moi quand je marche contre un autre : car l'un m'attaque-
rait par derrière, et l'autre de front, et je me trouverais jeté entre deux
armées. La victoire sera plus sûre et plus facile si je les sépare l'un de
l'autre. Le premier une fois mort, il sera aisé aussi de se défaire du se-
cond ». Il livra donc au glaive Sigismond, avec sa femme et ses deux fils,
et les fit jeter dans un puiLs, près de Coulmiers, village du territoire d'Or-,
léans (524).
Telle fut la fin tragique de ce prince, dont la mort fut bientôt suivie de
la ruine définitive de son royaume.- En effet, Clodomir, après le meurtre de
Sigismond, se dirigea contre les Bourguignons, qu'il attaqua près du village
de Véséronce, entre Vienne et Belley. Il fut tué dans la mêlée. Mais ce
1. Les Bollandistes ont pensé que Versallis, l'endroit oîi saint Sigismond se réfugia, était dans le voi-
sinage de Lyon. Mais, d'après une histoire manuscrite de l'abbaye d'Agaune, ce lieu est situé au-dessus
du rocher qui couvrait ce monastère, et s'appelle encore Verossa. C'est là que Sigismond se retira après
sa défaite. Il y vécut quelque temps en ermite, se fit couper les cheveux et prit l'habit religieux. Quelques
Bourguignons vinrent l'y trouver, et, feignant d'être touchés de son malheur, lui conseill rent de se re-
tirer au monastère. Sigismond écouta leur conseil ; mais quand il arriva aux portes d'Agaune, il fut in-
vesti par ses ennemis et conduit à Clodomir, qui tenait déjà la reine de Bourgogne et ses deux fils pri-
sonniers à Orléans.
L'ermitage de Verossa continue à être habité, même de nos jours, par un solitaire : il n'est pas un
pèlerin ni un touriste qui ne fasse l'ascension du rocher. Près de l'ermitage est une chapelle très-propietto
où l'on se sent élevé entre ciel et terre et où il fait bon prier.
SAINT MARCULPHE OU MARG0UL, ABBÉ. 189
malheur, loin d'abattre les Francs, exaspéra leur courage, et, selon Gré-
goire de Tours, ils mirent en fuite Gondemar, écrasèrent les Bourguignons,
et soumirent tout le pays à leur pouvoir.
CULTE ET RELIQUES DE SAINT SIGISMOND.
La mort violente de Sigismond parut une expiation suffisante de ses fautes, et les peuples que
sa chute avait révoltés ne songèrent plus qu'à la pénitence qu'il en avait faite. Peut-être, dit un
historien, si tout son règne eût été sans tache, il n'aurait servi le Seigneur ni avec assez d'humi-
lité, ni avec assez de crainte. On lui donna, selon la coutume de ce temps, le titre de Martyr,
qu'on attribuait aux saints immolés pour une cause quelconque. Son corps, ceux de sa femme et
de ses enfants, restèrent trois ans dans le puits de Couturiers, et pendant ce temps, disent ses
Actes, on y vit souvent une lampe miraculeusement allumée. Les peuples accoururent à ce lieu
pour y vénérer le saint roi ; et il plut à Dieu d'y opérer des miracles par l'intercession de saint
Sigismond. On y bâtit, dans la suite, une chapelle, et les maisons qui s'élevèrent peu à peu autour
de ce sanctuaire, formèrent un village qui, dès le temps de Charles le Chauve, s'appelait le Puits
de saint Sigismond, ou simplement Saint-Sigismond. On y construisit également un prieuré de
l'Ordre de Saint-Benoit, dont la collation appartenait à l'abbé de Saint-Mesmin.
Mais c'est surtout à Agaune que le culte de saint Sigismond fut en honneur. Ambroise, abbé
de ce monastère, avec l'aide d'Ansémonde, seigneur bourguignon, qui avait toujours été fidèle au
roi, obtint du roi Thierry la permission de retirer son corps du puits de Coulmiers. 11 le fit trans-
porter à Agaune, où on l'ensevelit honorablement dans l'église de Saint-Jean-1'Evangéliste. C'est
là que les fidèles vinrent implorer la protection du roi pénitent, et les grâces qu'on y obtient,
écrivait Grégoire de Tours, sont une preuve qu'il est mis au nombre des Saints. On y célébrait
une messe spéciale en son honneur, et on l'invoquait particulièrement pour être délivré des atteintes
de la fièvre. Le culte de saint Sigismond est très-répandu dans la Savoie, qui avait fait partie de son
royaume de Bourgogne. Saint-Sigismond-sur-Aime, Saint-Sigismond, près d'Albertville (diocèse de
Tarentaise), Saint-Sigismond près d'Aix-les-Bains (Chambéry), Saint-Sigismond, près de Cluses
(Annecy), passent pour être contemporains de l'époque burgonde ; on y trouve une assez grande
quantité d'antiquités romaines.
Quelques reliques de saint Sigismond furent successivement transportées à Notre-Dame des
Ermites, en Suisse, et à Prague, en Bohème, où l'on célébrait sa fête le 11 mai, sous le rite
double de seconde classe. Ce fut l'empereur Charles IV qui, l'an 1366, fit transporter à Prague le
chef de saint Sigismond. A Agaune, elles étaient conservées dans une châsse d'argent, avec celles
des fils du saint roi, Giscalde et Gondebaud. Une de ses reliques est au Carmel d'Amiens.
Le nom de Sigismond est inscrit dans les plus anciens Martyrologes, et en particulier dans le
Martyrologe romain. Sa fête, célébrée dans un grand nombre d'églises de Bohême, d'Allemagne,
d'Italie (Crémone), d'Espagne, de Suisse, etc., l'est aussi depuis longtemps dans le diocèse de
Besançon, sous le rite double (30 avril). — Les attributs de saint Sigismond dans les arts sont une
église qu'il porte sur la main, et la figure d'un puits. Son genre de mort explique ce dernier sym-
bole, et la fondation de l'abbaye de Saint-Maurice, le premier.
Voir l'épitaphe de la mère de saint Sigismond, dans Ducliesne, t. i,r ; consulter en outre, sur les di-
vers événements qui se rapportent à la vie de saint Sigismond : Grég. de Tours, De miraculis S. Juliani,
c. 7 et 8 ; Ilist. des Francs, 1. m, c. 5 ; De gloria Martyr., 1. Ier, c. 75 ; Epitome, c. 34 ; les œuvres de
saint Agobard, de Lyon, et de saint Avite, de Vienne ; Frodoard, Ilist. de Reims, 1. n ; Dom Plancher,
Eist. de Bourgogne, passim ; la Chronique de Sigebert et V Histoire de France d'Aimoin ; Ch. de Saussaye,
Annales de l'église d'Orléans ; le Sacramentaire gallican, édité par Mabillon, qui donne la Messe propre
de saint Sigismond; le Missel de Trague du sve siècle, où l'on trouve une belle prose en son honneur; les
Bollandistes au 22 septembre, et enfin la Vie des Saints de Franche-Comté, Besançon, 1856.
SAINT MARCULPHE,
PREMIER ABBÉ DE NANTEUIL , AU DIOCÈSE DE CODTANCES
558. — Pape : Pelage Ie». — Roi de France : Clotaire I".
Saint Marculphe, appelé aussi Marcou ou Marcoul, naquit à Bayeux, de
parents considérables par leur noblesse, mais plus illustres encore par
190 1" MAI.
ieur piété. Aussitôt qu'il se vit en état de disposer de ses biens, il en fît si
bonne part aux pauvres et aux orphelins, que, pratiquant à la lettre le con-
seil de l'Evangile, il ne se réserva rien que la Providence. Il quitta même le
pays de sa naissanee pour aller étudier la vertu dans l'école de saint Posses-
seur, évêque de Coutances.
Il travailla à la perfection sous un si bon maître, jusqu'à l'âge de trente
ans, à l'imitation de Notre-Seigneur, qui mena autant de temps une vie
cachée avant de prêcher. Mais lorsqu'il eut cet âge, saint Possesseur l'or-
donna prêtre et l'établit missionnaire de son diocèse. Marcoul s'en acquitta
avec tant de zèle et d'édification, qu'on le regardait comme un ange des-
cendu du ciel, pour enseigner la science des Saints. Il autorisait sa doctrine
par la sainteté de sa vie, qui n'était qu'un jeûne continuel, car il ne man-
geait que du pain d'orge avec des herbes crues. Son habit était un rude
cilice couvert de peaux de mouton. On eût pu le prendre pour un nouveau
saint Jean-Baptiste : aussi se retirait-il, à son exemple, dans les déserts, où
il passait des quarantaines entières avec deux autres serviteurs de Dieu,
nommés Domard et Griou, qu'il s'était associés : ils se rendirent si parfaits
imitateurs de ses vertus, qu'ils méritèrent d'entrer dans le ciel le même
jour que leur maître.
Tandis que le Saint vivait ainsi dans sa solitude, Dieu lui envoya un ange
qui lui dit d'aller vers Childebert Ier, roi de France et fils du grand Clovis,
pour lui demander un petit lieu appelé Nanteuil, près de la ville de Cou-
tances, sur le bord de la mer, afin d'y bâtir un monastère en faveur de ceux
qui voudraient mener une vie plus parfaite, et se consacrer au service de
Dieu le reste de leurs jours. Saint Marcoul, obéissant à cette voix, se rendit
aussitôt à Paris ; il y arriva lorsque le roi entendait la messe en sa chapelle,
avec la reine Ultrogothe, son épouse. N'osant paraître avec ses pauvres
habits devant la majesté royale, il se retira dans un coin de la chapelle, en
attendant qu'il plût à Dieu de découvrir sa venue ; ce qui se fit par un mi-
racle : quelques démoniaques assistaient à la messe ; les démons, qui les
possédaient, s'écrièrent effroyablement: a Marcoul, serviteur de Jésus-
Christ, aie pitié de nous, parce que ta présence nous tourmente ». Ces cris
surprirent extrêmement toute la cour : le roi fit chercher parmi tous les
assistants celui qui s'appelait Marcoul. Le Saint, ainsi découvert, rendit
compte à Childebert de son voyage, et lui en dit le sujet. Le roi l'approuva
et lui promit aide et protection ; mais il le pria aussi de chasser les démons
des corps de ces possédés. Alors le Saint, se confiant en la bonté de Dieu,
et ne doutant point qu'il ne l'assistât en une occasion où il s'agissait de sa
gloire, se prosterna à terre et, levant les mains et les yeux au ciel, il implora
tout haut sa miséricorde pour ces pauvres affligés. Ensuite, faisant le signe
de la croix sur eux, il commanda aux esprits malins d'en sortir ; ils en sor-
tirent aussitôt, les laissant à demi morts. Mais, peu de temps après cette
heureuse délivrance, ils se relevèrent en parfaite santé.
Cette merveille ravit toute la cour ; chacun admirait la puissance de
Dieu et les mérites de son serviteur. Le roi, très-content d'avoir fait une si
heureuse rencontre dans son royaume, et trouvé, parmi ses sujets, un si
saint personnage, lui fit délivrer le brevet de la donation qu'il lui faisait de
la terre de Nanteuil ; il le conjura même de venir souvent à la cour, et de
lui demander hardiment tout ce dont il aurait besoin pour l'établissement
de sa maison, et pour la subsistance de ses religieux. Enfin, il le fit conduire
par un seigneur illustre, appelé Léonce, auquel il donna l'intendance des
bâtiments de ce nouveau monastère.
SAINT MARCULPHE OU MARCOUL, ABBÉ. 191
Marcoul se contenta de construire d'abord un oratoire avec quelques
cellules. Il s'y renferma aussitôt avec ses disciples, dont le nombre augmen-
tait de jour en jour. Il leur apprit à ne rien posséder qu'en commun, cha-
cun ne s'attribuant en propre que ses défauts et ses péchés ; à fuir l'oisiveté,
à s'occuper sans relâche à la prière, à la lecture, au travail des mains. Il
s'appliqua surtout à faire revivre en eux l'esprit des premiers chrétiens,
unis si étroitement, qu'ils n'avaient qu'un cœur et qu'une âme. Pour lui, les
austérités communes ne suffisaient pas : il allait passer le Carême dans une
île voisine de Nanteuil ; il avait pour demeure une espèce de hutte qu'il
avait construite lui-même. Il restait plusieurs jours sans manger; il cou-
chait sur la terre nue ; une pierre était son chevet.
Il permit aux plus fervents de ses disciples de l'imiter ; ils passèrent dans
l'île de Jersey pour y mener la vie anachorétique : Marcoul vint les y re-
joindre. Pendant qu'il séjournait dans cette île, des pirates anglo-saxons y
firent une descente pour la ravager. Les habitants, qui n'étaient que trente,
désespérant de résister à cette invasion, vinrent se jeter aux pieds de
l'homme de Dieu, et le prièrent de les défendre. Il leur promit le secours
de Dieu, leur rendit le courage et les exhorta à courir en armes sur les
ennemis. Ils obéissent, attaquent les pirates, les enfoncent et les extermi-
nent tous jusqu'au dernier. En reconnaissance de ce service, le seigneur de
l'île en donna la moitié à Marcoul, qui y fonda un monastère. Il fit encore
d'autres établissements semblables, avec le secours du roi Ghildebert et de
la reine Ultrogothe : Dieu l'aidait encore plus par des miracles.
Nous n'en ferons point le détail : nous nous contenterons d'en rapporter
deux. Un seigneur, nommé Gênais, le vint trouver à Nanteuil avec un de ses
enfants qui avait été mordu par un loup enragé ; il était déchiré par tout le
corps, et Ton n'attendait plus que l'heure de sa mort. Le Saint, touché de la
douleur du père et des plaies du fils, le guérit parfaitement par le signe de la
croix. Faisant un second voyage à la cour, pour obtenir la confirmation des
donations faites à ses monastères, il se reposa sur le bord de l'Oise : un lièvre,
pressé des chiens, se réfugia sous son habit ; mais les chasseurs ayant obligé
le Saint de le lâcher, ce pauvre animal se sauva, tandis que les chiens et les
chevaux demeurèrent immobiles. Un de ces cavaliers voulut pousser le
sien à force d'éperons ; mais il fut renversé par terre et dangereusement
blessé. Marcoul, malgré les injures qu'il en avait reçues, s'approcha de lui,
et, faisant le signe de la croix sur ses plaies, le guérit aussitôt entièrement.
Le roi, alors à Gompiègne, sachant, par le bruit de ce miracle qui s'é-
tait répandu à la cour, que le Saint venait, alla au-devant de lui pour le
recevoir, le fit loger dans son palais, confirma, par de nouvelles lettres-pa-
tentes, les donations qu'il lui avait faites à son premier voyage ; et, après
avoir recommandé à ses prières sa personne, son épouse, la reine Ultrogothe,
et les princesses, ses filles, et tous ses Etats, il reçut sa bénédiction, et enfin
lui permit de s'en retourner à son abbaye de Nanteuil. Le Saint n'y fut pas
plus tôt arrivé que, se trouvant dans une extrême faiblesse, il fut contraint
de se mettre au lit. Il fut visité par toutes les personnes considérables de la
province, et particulièrement par saint Lô, évêque de Goutances, qui re-
grettait toujours la perte que son diocèse allait faire par la mort d'un si
saint homme, dont il recevait tant de secours ; il lui administra les derniers
sacrements et l'assista jusqu'à sa dernière heure, qui arriva le 1" mai, vers
le milieu du vi° siècle.
Saint Domard et saint Criou, ses deux fidèles compagnons, moururent
aussi le même jour et à la même heure que lui. Et, comme ils s'étaient
192 1" MAI.
tous trois parfaitement aimés durant leur vie, ils furent mis dans un même
tombeau, à Nanteuil, afin qu'ils ne fussent pas séparés après leur mort.
Quelques années après, saint Ouen, archevêque de Rouen, faisant la
visite des diocèses suffragants de sa métropole, fut supplié parHervin, abbé
de Nanteuil, de transférer le corps de saint Marcoul en un lieu plus hono-
rable, à cause de la quantité de miracles qui se faisaient par son interces-
sion. Comme le saint archevêque voulait par dévotion en prendre quelques
reliques, on entendit distinctement dans l'église une voix du ciel qui disait :
« Prends de toutes les parties du corps du bienheureux Marcoul celle que tu
voudras, mais garde-toi bien de toucher à sa tête ».
C'est à ce Saint que nos rois très-chrétiens se reconnaissaient redevables
du pouvoir qu'ils avaient de guérir les écrouelles ; de là vient qu'après avoir
été sacrés à Reims, ils allaient faire une neuvaine à Gorbeny, au diocèse de
Laon, dans l'église qui lui est dédiée, et où l'on conserve encore une partie
de ses reliques. Le chef fut volé vers 1637.
Des parcelles des reliques de saint Marcoul avaient aussi été transportées
pendant les guerres des Normands de l'abbaye de Nanteuil en la ville de
Mantes, au diocèse de Chartres, avec les corps de saint Domard et de saint
Criou, et déposées dans la principale église dédiée à la Sainte Vierge, où les
miracles continuaient à s'opérer plus particulièrement pour la guérison des
écrouelles : ce que l'on peut voir en sa vie que Simon Faroul, doyen et
officiai de Mantes, a composée.
On représente saint Marcoul : 1° touchant le menton ou le cou d'un sup-
pliant à genoux devant lui, pour indiquer qu'on l'invoque contre les
écrouelles ; 2° bénissant un pain et le donnant à une pauvresse ; or, comme
cette pauvresse était le diable déguisé sous les traits d'une femme, la béné-
diction du saint homme mit en fuite le tentateur ; 3° confirmant à Louis XIV
le pouvoir de guérir les scrofuleux: ce prince les touchait lesjoursoùil avait
communié; 4° à Paris, sur la place Maubert (Maître Albert), on invoquait
autrefois saint Marcoul conjointement avec saint Cloud, contre les maladies
de la peau en général, dartres, scrofules, etc. C'est pourquoi ces deux Saints
se trouvent quelquefois réunis dans les vieilles estampes.
Le plantain qui est recommandé pour le pansement des plaies scrofu-
leuses est vulgairement nommé Herbe de saint Marcoul.
Le martyrologe d'Usuard et celui des Saints de France par Du Saussay
marquent sa fête le 1er mai.
PÈLERINAGE DE SAINT-MARCOUL, A CORBENY (aisne).
Le pèlerinage de Saint-Marconi, à Corbeny, a été une des illustrations du diocèse de Laon,
maintenant réuni au diocèse de Soissons (Aisne).
Ce pèlerinage a pour objet le culte de saint Marcoul, abbé de Nanteuil, au diocèse de Cou-
tances : il avait vécu dans le cours du vi« siècle, et sa sainteté et son crédit près de Dieu lui
avaient concilié la vénération de Childebert Ier. Les courses perpétuelles des Normands, qui infes-
taient souvent l'ancienne Neustrie, avant la cession perpétuelle qui leur fut faite de cette pro-
vince, avaient obligé les moines de Nanteuil à chercher un asile plus sur pour eux-mêmes et pour
les reliques du saint abbé, qu'ils emportèrent avec eux comme leur plus précieux trésor. Ils furent
accueillis dans la maison royale de Corbeny par Charles le Simple, et ils s'y fixèrent avec leur
précieux trésor.
Dix ans après, la nouvelle fondation, enrichie par les dons de Frédérune, épouse de Charles le
Simple, fut réunie à l'abbaye de Saint-Remi de Reims, à laquelle elle appartint comme prieuré
jusqu'à la Révolution française.
Les miracles multipliés obtenus par l'intercession de saint Marcoul attirèrent à Corbeny le
concours des peuples. Une des circonstances dans lesquelles éclata le plus la confiance des fidèles
SAINT MARCULPHE OU MARCOUL, ABLÉ. 193
envers saint Marcoul fut le transport des saintes reliques dans les principales villes de la contrée,
l'an H 02. Corbeny ayant été pillé et réduit à une grande misère par les vexations du fameux
Thomas de Marie, les moines prirent, selon l'usage de ce siècle, la résolution de porter de ville en
ville le corps de leur saint Patron, et de recueillir des aumônes qui leur permissent de relever le
monastère et de se procurer à eux-mêmes la subsistance nécessaire. Après avoir été reçus avec
un grand empressement à Reims et à Châlons, ils allèrent à Soissons en passant par Braine. Leur
séjour à Péronne fut marqué par des grâces nombreuses accordées à la piété des fidèles. « Nous
ne pouvons pas », dit l'auteur contemporain à qui nous devons le récit de ce voyage, « énumérer
toutes les guérisons du Saint. On plaça, hors de la ville, une croix dans un lieu où les moines de
Corbeny s'étaient arrêtés, et présentement encore, le Seigneur y accorde des faveurs multipliées
aux malades qui recourent à l'intercession de son serviteur ». Ils revinrent par Vermand, Ribemont,
Franqueville (Francorum Curtis), Vaux-sous-Laon, etc. Cette narration, insérée par Mabillon dans
les Actes des Saints de l'Ordre de Saint-BenoîL sect. iv, part. 4, a été suivie par les auteurs
du Gallia christiana, t. IX, p. 242.
Mais ce qui rendit surtout ce lieu célèbre, ce fut la grâce singulière attribuée aux rois de
France de guérir les écrouelles, par une vertu qu'on croit plus généralement leur avoir été com-
muniquée par le pouvoir du saint abbé. Car, quoique quelques auteurs aient voulu attribuer ce
don à la vertu du saint chrême, dont les rois étaient oints dans la cérémonie de leur sacre, des
preuves nombreuses, et la conduite des rois eux-mêmes portent a l'attribuer à l'intercession de
saint Marcoul. Le savant pape Benoit XIV, après avoir montré qu'il y a des grâces miraculeuses
qui ne sont pas accordées à raison de la sainteté de celui qui en est l'instrument, donne pour
exemple le privilège qu'ont les rois de France de guérir les écrouelles, non par une « vertu qui
leur est innée, mais par une grâce qui leur a été donnée gratuitement (c'est-à-dire indépendam-
ment de leurs vertus), soit lorsque Clovis embrassa la foi, soit lorsque saint Marcoul l'obtint de
Dieu pour tous les rois de France ». (Bened. XIV, de Canoniz. sanct., lib. iv, c. 3 , n° 21.) Dans
ces circonstances donc, c'est plutôt la foi, la confiance et l'humilité du malade qui est exaucée de
Dieu, que le désir de celui qui est l'instrument de sa miséricorde. Quoi qu'il en soit, il est
démontré, par les registres mêmes de la Cour des comptes, que tous les rois de France, au moins
depuis saint Louis jusqu'à Louis XIII inclusivement, firent ce pèlerinage avant de toucher les
malades, et tout porte à penser que saint Louis n'a fait en cela que suivre l'exemple de ses pré-
décesseurs. Ainsi, selon l'ancienne coutume, après que le roi avait été sacré à Reims, il se ren-
dait en pèlerinage à Corbeny; les moines allaient à sa rencontre, et lui remettaient entre les mains
la tête de saint Marcoul, que. le prince portait lui-même jusqu'à l'église et replaçait sur l'autel. Le
lendemain, le roi, après avoir entendu la messe et avoir prié, touchait le visage des malades, en
faisant sur eux le signe de la croix et en prononçant ces paroles : « Le roi te touche, Dieu te
guérit ». Les malades devaient faire une neuvaine, pendant laquelle ils devaient jeûner. « C'est
la vérité », dit un très-ancien auteur qui donne ces détails, « que c'est de cette manière que
d'innombrables malades ont été guéris par les rois de France ».
Nous croyons devoir ajouter ici quelques témoignages, choisis entre un grand nombre d'autres,
qui feront voir comment cette croyance ancienne s'est conservée à travers les âges. Guilbert, abbé
de Nogent, qui mourut en 1124, parle ainsi, dans un livre qu'il a composé sur les Gages des
Saints : « Nous voyons notre seigneur le roi Louis (le Gros) opérer le prodige accoutumé. Oui,
étant moi-même à côté du roi, j'ai vu ceux qui souffraient des écrouelles au cou, ou dans d'autres
parties du corps, accourir en foule (catervatim), pour qu'il les touchât ou fit sur eux le signe de
la croix, ce que le prince faisait avec humilité et bonté. Son père, Philippe, avait obtenu la gloire
du même miracle, mais il l'avait perdue par je ne sais quelles fautes ». Philippe était monté sur
le trône en 1060.
Non-seulement on sait, par les registres de la Cour des comptes, que saint Louis a accompli le
pèlerinage de Corbeny ; mais Guillaume de Nangis, auteur contemporain de sa Vie, ajoute « que
le pieux roi avait coutume, lorsqu'il touchait les malades scrofuleux, pour la guérison desquels
Dieu a accordé aux rois de France une grâce singulière, d'ajouter aux paroles usitées le signe
de la croix, qu'avaient omis plusieurs de ses prédécesseurs, parce qu'il désirait que la guérison fût
attribuée à ce signe salutaire ».
« Philippe le Bel, approchant de la mort, fit appeler Louis le Hutin, son fils aîné, lui apprit la
manière de toucher les malades, en lui montrant que, selon l'Ecriture, Dieu n'exauce pas les vicieux...
(Dutillet, Recueil des rois de France.)
« Louis XII, ce roi dévot sans hypocrisie, qui se réconciliait à Dieu par la confession sept à
huit fois par an, usait, en ces rencontres, de la grâce de guérir les écrouelles ». (Histoire de
Louis XII, par Cl. de Seyssel.)
Voici ce que porte une ordonnance donnée par François I", en 1542 : « Au retour de notre
sacre de Reims, en allant à l'église de M. Saint-Marcoul de Corbeny, où nous et nos prédécesseurs
avons coutume d'aller faire nos oblations, et révérer le précieux corps dudit saint Marcoul, pour
le très-excellent privilège de la guérison des écrouelles, qu'il a plu au Créateur miraculeusement
impartir à nous et nos prédécesseurs par le toucher et le signe victorieux de la croix, par le moyen
duquel survient ladite guérison, etc. »
Vibs des Saints. — Tome V. 13
194 1" MAI.
André Laurent, médecin et conseiller du roi, dans un livre sur cette prérogative de nos rois,
qu'il publia, en 1609, du vivant de Henri IV, assure que ce prince touchait et guérissait plus de
quinze cents malades par an.
Louis XIV fut le premier, depuis saint Louis, qui n'ait pas fait le voyage de Corbeny. La guerre
désolait la Picardie en 1654, année de son sacre, et l'on craignit d'exposer la personne du monar-
que. On apporta les reliques de saint Marconi à l'abbaye de Saint-Remi de Reims ; on commença la
neuvaine, et, après avoir communié, le jeune roi toucha les malades, réunis au nombre de plus de
deux mille dans le jardin de l'abbaye. La chose se passa de même au sacre de Louis XV.
Voici comment Louis XVI s'exprima en 1772 : « Chers et bien-aimés, nous avions espéré nous
rendre à Saint-Marcoul, après la cérémonie de notre sacre, et remplir, en ce pèlerinage, à l'exemple
de nos prédécesseurs, les œuvres de piété chrétienne ; mais l'intendant de la province de Cham-
pagne s'est rendu près de nous, pour nous représenter que les chemins étaient impraticables et le
passage des rivières peu sûr (par le lac de Berry). Nous avons voulu nous rendre aux remontrances
de la province sur les inconvénients de ce voyage. Cependant, ne voulant manquer à aucune des
dévotions qui s'observent en pareille occasion, nous ordonnons que la châsse de saint Marcoul soit
apportée dans l'église de Saint-Remi ; vous donnant avis que nous nous y rendrons le 14 de ce
mois, pour remplir toutes les pratiques de piété et de charité pratiquées par les rois nos prédé-
cesseurs, etc. »
Quand Charles X fut sacré, en 1825, les reliques furent encore apportées et déposées à l'hos-
pice de Saint-Marcoul, à Reims ; la neuvaine s'y fit, et le roi toucha les malades qui lui furent
présentés *, Le respectable abbé Desgenettes, qui est mort curé de Notre-Dame des Victoires, à
Paris, se donnait comme témoin des guérisons alors opérées sous ses yeux.
On ne s'étonnera pas, sans doute, que, après tant de preuves de leur confiance en saint Marcoul,
les rois de France aient comblé de dons et de privilèges le pays et le prieuré de Corbeny, ainsi
que les confréries dont il était le centre.
Du reste, ce n'est pas seulement pour la guérison des éerouelles qu'a été fréquenté de torit
temps le pèlerinage de Corbeny, mais aussi pour celles des autres maladies, « guérison que, selon
le témoignage des auteurs du Gallia christiana, les suffrages de saint Marcoul obtiennent souvent,
lors surtout que la prière est accompagnée d'une vive foi et de la confession sincère d'un cœur
pénitent ». — Antiquités religieuses du diocèse de Soissons et Laon,par M. Lequeux, chanoine
de Paris, ancien supérieur du séminaire et vicaire-général, t. Ier, p. 183 et suivantes.
Voiries Actes de saint Marconi, avec les notes du Père Papebroch; Mabillon, Sasc. 4, Ben. part. 2; la
Gallia christ, nova, t. ix, p. 919; et Trigan, Eist. ecclés. de Normandie, p. 87, 88, 89, 90, 92, 123, 263. —
Voir aussi Histoire du pèlerinage de Corbeny, par M. l'abbé Blatt.
SAINT BRIEUG, EVEQUE EN BRETAGNE
vie ou vu» siècle.
Saint Brieuc était originaire de la Grande-Bretagne, dans le pays nommé
alors Regio Coritiniana, et qui est, d'après le docteur Jean Lingard, le même
que nous appelons aujourd'hui Cardigan. Il naquit comme une rose entre
les épines, de parents qui n'étaient pas encore chrétiens. Mais un ange leur
apparut, comme autrefois au père et à la mère de Samson, et les avertit de
quitter le culte des faux dieux, afin d'être les dignes parents du fils que le
vrai Dieu leur voulait donner. Il leur dit aussi qu'ils le devaient appeler
Brieuc ; nom qui, selon les racines de la langue hébraïque, signifie béni de
Dieu. Comme ils virent en lui de grandes inclinations pour le bien, sachant
que saint Germain, abbé de Saint-Symphorien, hors les portes d'Autun, en
France, avait assemblé une belle école, où il instruisait les enfants avec un
merveilleux succès, ils le lui envoyèrent, selon l'ordre qu'ils en reçurent
du ciel, par le ministère du même ange.
1. On trouvera dans l'Ami de la religion, t. xiv, le précis de ce qui se passa à l'hospice de Saint- Liar-
eoul, et le procès-verbal relatif à la guérison de plusieurs malades.
SAINT BRIEUC, ÉVÈQUE EN BRETAGNE. 195
Cet enfant étant à une si bonne école, paraissait, entre ses compagnons,
comme un soleil au milieu des étoiles, tant par l'éclat de ses vertus, que
par les grands miracles que Dieu opérait par son moyen. A peine âgé de dix
ans, il rencontra des lépreux en allant chercher de l'eau à une fontaine ;
n'ayant rien pour leur faire l'aumône, il leur donna sa cruche ; mais en
ayant été repris, comme d'une chose contraire à l'obéissance, il eut recours
à la prière ; Dieu lui envoya miraculeusement un autre vase, beaucoup plus
beau que celui qu'il avait donné. Ainsi son saint Abbé fut confirmé dans la
pensée qu'il avait déjà que ce jeune enfant serait un jour un grand serviteur
de Dieu ; du reste, quand on le lui avait présenté pour la première fois, il
avait aperçu une colombe, blanche comme la neige, qui se vint reposer sur
sa tête, pour marquer la pureté et la sainteté de son âme. Il fit encore d'au-
tres merveilles à cet âge ; on rapporte qu'il délivra, par sa prière, un homme
possédé du démon.
Saint Germain étant invité par le roi Childebert Ie* à venir à Paris, y
amena avec lui cet illustre disciple, dont les vertus lui étaient parfaitement
connues. Et, depuis, étant évêque de Paris, il l'ordonna prêtre et le fit son
aumônier1.
Ce zélé serviteur de Dieu, méditant toujours de plus hauts desseins, et
ne voulant point mettre de bornes à ses vertus, eut la pensée de retourner
au pays de sa naissance, afin d'y éclairer ceux qui croupissaient encore dans
les ombres de la mort, et de donner la vie de l'âme à ceux dont il avait reçu
celle du corps. Il communiqua cette résolution à saint Germain, qui l'ap-
prouva et lui donna d'autres religieux pour l'accompagner et l'assister dans
une si belle entreprise. Il partit donc de Paris, après avoir reçu sa bénédic-
tion épiscopale, et s'en alla arborer la croix de Jésus-Christ et l'état monas-
tique dans la Grande-Bretagne, et particulièrement dans la province de
Coritanie, où il arriva heureusement, après avoir essuyé une furieuse tem-
pête, qu'il calma par la force de ses prières. Il y prêcha la doctrine de l'E-
vangile et baptisa ses parents et la plupart de ses compatriotes. Notre-Sei-
gneur confirma encore sa parole par une infinité de miracles ; car if délivra
le pays de la famine et de la peste, guérit plusieurs malades désespérés,
préserva de la rage une personne qui, mordue par un chien enragé, com-
mençait à ressentir les atteintes de ce mal ; remit une cuisse rompue, rejoi-
gnit le pouce à un charpentier qui se l'était coupé, rendit la vue à un aveugle
et opéra une foule d'autres merveilles. Il planta aussi des croix par toute la
province, bâtit des églises, érigea des monastères et les peupla de religieux,
auxquels il donna la règle qu'il avait pratiquée en France sous saint Ger-
main ; enfin, il n'omit rien de ce qu'il jugea nécessaire pour la gloire do
Dieu et pour le salut des âmes.
Les affaires de la religion étant bien établies en Angleterre, le Saint,
inspiré de Dieu, repassa la mer et s'en vint en la Basse-Bretagne, dite autre-
ment Armorique. Il prêcha d'abord dans le paysdeTréguier, dont il convertit
le comte nommé Conan ; avec le secours de ce prince, il bâtit le monastère de
Landebaëron. Plus tard, laissant le gouvernement de cette maison à l'un de
ses disciples, il vint par mer, avec quatre-vingts religieux, suivant la côte
de l'occident à l'orient, au port que forme l'embouchure de la rivière de
Gouet : ayant été bien accueilli par le comte Rigual, il s'établit dans la
1. La chronologie de saint Brieuc est très-contestable; il y a aussi partage d'opinions touchant la
saint Germain auquel fut confie saint Brieuc dans sa jeunesse. D'après les uns, ce fut à saint Germain
d'Auxerre, qui passa dans la Grande-Bretagne, en 4-'9; selon les autres, ce fut a saint Germain, chèque
de Paris. Nous ne pouvons entrer dans ces interminables discussions, qui n'ont point encore amené un
résultat unanimement accepté.
196 1" mai.
vallée qui, à cause de lui, s'est depuis nommée Saint-Brieuc-des-Vaux,
parce qu'il y a plusieurs vallées. L'église du monastère qu'il y fonda fut
bientôt érigée en cathédrale, et notre Saint fut nommé évêque de ce lieu.
Comme il avait une singulière dévotion à la Sainte Vierge, il fit dresser,
sur le bord d'une fontaiile, assez près de sa cathédrale, un oratoire en son
honneur, qu'il appelait, pour ce sujet, Notre-Dame-de-la-Fontaine, et où il
allait souvent faire ses prières.
Enfin, Dieu voulant couronner sa vie par une précieuse mort, lui révéla
que le temps en était proche. Le Saint en donna avis à ses religieux huit
jours auparavant ; il se munit de toutes les armes spirituelles et surtout des
derniers Sacrements ; après quoi il expira paisiblement en leur présence,
en proférant le saint nom de Jésus. Il était âgé de plus de quatre-vingt-dix
ans. On ne s'accorde pas sur l'époque de sa mort : les uns la mettent en 502,
d'autres en 614. La chambre où il expira fut remplie d'une odeur délicieuse ;
un de ses religieux, nommé Marcan, vit son âme s'envoler au ciel, en forme
de colombe ; un autre, nommé Siviau, ou Sieu, vit aussi le saint Evêque
monter au ciel sur une échelle brillante de lumière et avec un cortège
d'anges.
Son corps fut inhumé dans sa cathédrale : mais, lors de l'invasion des
Normands, pour le sauver, on le mit dans un sac de cuir de cerf, et Erispoë,
duc de Bretagne, le transporta à l'abbaye de Saint-Serge d'Angers, où il y
eut encore une célèbre translation en 4166. Depuis, l'an 1210, Pierre, évê-
que de Samt-Brieuc, se rendit lui-même à Angers pour obtenir quelque
chose de ces saintes reliques. On lui donna deux côtes, un bras et une ver-
tèbre du cou, qu'il transporta lui-même en grande pompe. Ces saints osse-
ments, lorsqu'ils entrèrent dans la cathédrale qui leur était si chère, tres-
saillirent de joie : on remarqua qu'ils s'agitaient d'eux-mêmes. Ils ont
heureusement échappé aux profanations de 1793 ; ils reposent dans un beau
reliquaire de bronze doré, donné en 1820 par Mgr Hyacinthe de Quélen,
alors coadjuteur de l'évêque de Saint-Brieuc, et depuis archevêque de Paris.
L'église de Saint-Benoît-sur-Loire possède aussi un petit fragment des reli-
ques de saint Brieuc, mais celles qui se trouvaient à Angers, ainsi que celles
de Paris, ont disparu. Depuis 1804, la fête de saint Brieuc est fixée au second
dimanche après Pâques.
L'attribut de saint Brieucj est une bourse ou aumônière. Il était autre-
fois le patron des boursiers ou fabricants d'aumônières, probablement parce
que cette industrie a autrefois fleuri dans la ville de Saint-Brieuc.
Voir les Vies des Saints de Bretagne, par Dom Lobineau, et la Vie du Saint par le chanoine La Devl-
•ion, Saint-Brieuc, 1627, in-12.
SAINT GOMBERT ET SAINTE BERTHE,
SON ÉPOUSE, MARTYRS
vne siècle.
Saint Gombert était d'une naissance fort illustre, puisque sa maison
avait l'honneur d'être alliée à celle des rois de France et descendait, parles
SAINT GOMBERT ET SAINTE BERTHE, SON ÉPOUSE, MARTYRS. 107
femmes, de Chilpéric ou Clotaire II. Il fut élevé, dès sa jeunesse, avec son
frère saint Nivard, depuis archevêque de Reims, dans toutes les délices de
la cour. Mais Dieu s'empara de bonne heure de son cœur et en prit posses-
sion avant que le monde y exerçât son empire et sa tyrannie. Bien qu'il
vécût au milieu de la cour, ses plus chères délices étaient de lire la sainte
Ecriture et d'y méditer jour et nuit la loi de son Dieu, pour se rendre capa-
ble de recevoir son esprit et l'abondance de ses grâces.
Quand ses parents le virent en âge de se marier, ils lui firent prendre
une épouse, nommée Berthe, également illustre par sa naissance et par ses
vertus. Le jeune prince avait d'abord hésité ; mais il entendit une voix du
ciel qui lui dit : « Gombert, ne craignez pas de consentir à votre mariage
avec Berthe, parce que Dieu en veut tirer un bien considérable ». En effet,
Berthe fut l'illustre compagne de sa piété. Comme ils avaient résolu tous
deux de vivre dans une virginité perpétuelle, ils demeurèrent ensemble
comme le frère et la sœur : bien qu'à l'extérieur, et pour ce qui regarde le
ménage et le règlement de leur famille, ils se rendissent réciproquement
tous les devoirs de deux fidèles époux.
Notre Saint eut un démêlé avec saint Réole, le successeur de son frère à
l'archevêché de Reims. Nivard avait légué tous ses biens à sa cathédrale et
aux abbayes de Haut-Villiers et de Verzy ; ces biens consistaient dans sa
part de patrimoine, qui n'avait point encore été partagée entre lui et Gom-
bert. Mais, après quelques conférences, l'affaire fut heureusement terminée,
les biens dont il était question ayant été partagés entre saint Gombert, qui
en eut la moitié, et les églises légataires qui eurent l'autre moitié ; et il ne
fut pas nécessaire de rétablir la bonne intelligence entre ces deux serviteurs
de Dieu, parce que leur procès avait été sans aigreur et sans nulle altération
de la charité.
Saint Gombert et sainte Berthe étant ainsi paisibles possesseurs de leurs
patrimoines, résolurent de les employer entièrement au service de Jésus-
Christ et en firent de tous côtés de grandes aumônes. Mais leur ferveur
s'augmentant de plus en plus, ils se séparèrent l'un de l'autre, afin que,
n'ayant plus de commerce avec les créatures, ils se donnassent entièrement
à Dieu. Le Saint fit d'abord bâtir à Reims, auprès de la porte Basée, autre-
fois Basilicaire, un célèbre monastère en l'honneur du grand apôtre saint
Pierre, et le dota de grands revenus pour y entretenir un bon nombre de
saintes filles, qui y ont longtemps servi Dieu avec beaucoup d'édification *.
Mais, comme il brûlait de zèle pour la gloire de son Maître, il croyait n'avoir
rien fait si, avec ses biens, il ne donnait son sang et sa vie pour le nom de
Jésus-Christ. Il se joignit donc à quelques religieux qui allaient en Irlande
et y visita les célèbres monastères de cette île, d'où sortaient tant de prédi-
cateurs de l'Evangile ; lui-même en construisit un pour y enseigner la pra-
1. Voici, sur les monastères de Saint-Pierre, des renseignements qui rectifieront ce qne nons avons
pn dire d'inexact à ce snjet dans la sixième édition :
Il y avait autrefois, à Reims, deux monastères de femmes placés sons l'invocation de saint Pierro,
lesquels tiraient leur nom de leur situation topographique : l'un Saint-Pierre le Haut ou Saint-Pierre
les Dames, et l'autre Saint-Pierre le Bas : le premier fondé par saint Baudry et sainte Bove, le second
fondé par saint Gombert :
lo Saint-Pierre le Bas, qui reconnaissait pour son fondateur saint Gombert, était situé près de la
porte Basée, ainsi nommée soit parce qu'elle conduisait aux basiliques du faubourg Saint-Remi, soit,
plus probablement, parce qu'elle avait été érigée lors de l'entrée triomphale de César a Reims, car la
voie qui conduisait à cette porte s'appelant rue César, la porte a pn s'appeler, par la même considération,
porte Basilicaire ou Royale. Le monastère de Saint-Pierre le Bas a été détruit de bonne heure. Au
x8 siècle, il était encore occupé par des religieuses ; mais il ne tarda pas à être détruit, et sur son em-
placement s'éleva l'église Saint-Patrice.
8o Saint-Pierre le Haut ou Saint-Pierre les Dames, qui existe encore en partie aujourd'hui, fait re-
198 5" mai.
tique de la Règle de Saint-Benoît, laquelle n'avait pas encore remplacé celle
de saint Patrice et de saint Colomban. 11 n'y alla pas les mains vides ; il y
porta beaucoup d'argent, et il fît bientôt bâtir une belle église et un magni-
fique monastère, auquel il donna presque tous les biens qu'il avait hérités
de sa mère. De sorte qu'en peu de temps l'on vit dans ce pays, où jus-
qu'alors on n'avait vu que des adorateurs du démon, une très-florissante
communauté de serviteurs de Dieu, qui, malgré les puissances de l'enfer, y
plantèrent la croix de Jésus-Christ et la religion chrétienne.
Les prêtres païens, irrités de voir ces étrangers abolir le culte de leurs
dieux, ranimèrent le zèle de leurs partisans, et allèrent, à la tête d'une
troupe de furieux, attaquer le nouveau monastère. Saint Gombert, après
avoir exhorté ses religieux et les fidèles à donner généreusement leur vie
pour Jésus-Christ, se retira dans l'église, et là, prosterné devant le saint
Sacrement, il remercia Dieu du martyre qui l'attendait. Les idolâtres entrent
pleins de rage, saisissent Gombert, le chargent de chaînes et le traînent au
lieu du supplice : là, l'ayant dépouillé, ils le frappent à coups de corde, de
bâton et de fouet Enfin, l'un d'eux lui tranche la tête. C'était le 29 avril,
vers la fin du vne siècle.
Revenons maintenant à Berthe, épouse du saint Martyr. Elle désirait,
elle aussi, fonder quelque pieux monastère dans une solitude. Comme elle
ne savait quel emplacement choisir, un Ange de lumière lui apparut et lui
fit voir, au pied d'une colline et à l'entrée d'un bois, une plaine agréable et
qui semblait être faite exprès pour son dessein ; il dressa même le plan du
monastère et marqua toutes les largeurs et les hauteurs de cet édifice. La
Sainte, consolée par cette vision, s'en alla en ce lieu, nommé Val-d'Or, près
d'Avenay, et elle y bâtit une abbaye, selon le plan que l'Ange lui avait
donné, et lui assigna un revenu considérable pour l'entretien des religieuses
qu'elle y amena de Reims ; elle se mit du nombre, et en entreprit la con-
duite par un ordre céleste : la très-sainte Vierge lui commanda d'acquiescer
au désir de ses filles qui l'avaient choisie, malgré elle, pour leur abbesse.
Son élection fut approuvée par des miracles qu'elle faisait presqu'à
chaque moment : son histoire dit qu'elle a donné la vue aux aveugles, l'ouïe
aux sourds et la parole aux muets ; et que souvent, par ses prières, elle a
fait trembler la mort et l'enfer. Voici ce que l'abbé Flodoard rapporte avec
des détails particuliers : « La ville d'Avenay, étant extrêmement incommo-
dée par une disette d'eau, les religieuses de l'abbaye du Val-d'Or sollicitè-
rent leur sainte Mère de pourvoir à cette nécessité par la vertu de ses
prières ; et comme elle était en oraison pour cet effet, saint Pierre, patron
de ce monastère, lui apparut sous la forme d'un vénérable vieillard, qui
tenait deux clefs d'or en ses mains, l'avertissant d'acheter, à une petite
lieue de l'abbaye, un terrain où il y avait une fontaine, qu'elle pourrait ai-
sément faire conduire dans la ville pour le besoin des habitants. La Sainte
se sentant fortifiée par cette vision, acheta ce terrain une livre d'argent,
qui reviendrait maintenant au prix de cinquante-cinq à soixante francs ;
monter son origine à sainte Bove et a saint Baudry, son frère. Il était hors de la ville; mais les guerres
qui désolèrent la France, obligèrent les religieuses à se retirer dans l'intérieur : elles s'établirent dans ua
lieu où, dit-on, il avait existé, dès le temps de saint Rémi, une communauté de femmes.
Les corps saints qu'il renfermait furent transportés de l'ancien couvent dans le nouveau.
L'abbaye de Saint-Pierre les Dames est située près des remparts, au nord.
Il ne reste des bâtiments anciens que les jardins, deux ailes du logement de l'abbesse. L'église, vrai
monument, est détruite.
Les restes sont occupés par les Dames de la Congrégation de Notre-Dame, de la règle de Saint-Au-
gustin, mais révisée par le bienheureux Pierre Fourrier. S'il est vrai qu'il ait existé là des religieuses
dès le temps de saint Rémi, on voit q,ue c'est une terre véritablement bénie. — Cerf, chanoine honoraire*
SAINT GOMBERT ET 3AINTE BERTHE, SON ÉPOUSE, MARTYRS. 199
mais la difficulté fut de conduire cette eau dans Avenay et de changer le lit
ordinaire de son ruisseau, qui prenait un autre cours. Néanmoins, la
Sainte, se confiant en la bonté de Dieu, traça sur la terre avec une baguette,
comme un petit canal, par où les eaux commencèrent à couler vers la ville
d'Avenay, se frayant ainsi un passage et un nouveau lit qu'elles n'ont jamais
quitté depuis. Elle donna dès lors à cette petite rivière le nom de Livre t
parce qu'elle avait acheté sa source une livre d'argent».
La sainte abbesse y vivait avec ses filles comme des anges sur la terre
et comme ces vierges de l'Evangile, qui attendaient avec impatience l'arri-
vée de l'Epoux ; elle, en particulier, était la plus humble de toute l'abbaye ;
ses mains commandaient plutôt que sa bouche, et elle n'établissait les lois
de son monastère que par l'exemple de ses actions. Il ne lui manquait plus
que l'occasion du martyre, pour remplir les désirs de son cœur. Enfin,
Notre-Seigneur, qui prévient les désirs de ses élus, lui accorda cette faveur
par un accident qui semble bien tragique. Quelques neveux de son mari,
fâchés de ce qu'elle employait tout son patrimoine en des œuvres de charité,
conspirèrent avec Moncie, leur sœur ou leur cousine, pour la faire mourir.
Etant entrés dans son monastère en un temps de silence, lorsque toutes les
religieuses étaient retirées, et s'étant secrètement glissés dans la cellule de
Berthe, ils l'y massacrèrent cruellement sans que personne de la maison
s'en aperçût. Ainsi elle eut l'accomplissement de ses souhaits, et elle fut vé-
ritablement martyre ; car elle fut tuée en haine de la vertu et parce qu'elle
donnait tout son bien à Dieu.
Dieu ne laissa pas ce crime impuni. Ceux qui en avaient été les auteurs
furent possédés du démon, et périrent misérablement. Il n'en fut pas ainsi
de la pauvre Moncie : Dieu la traitant avec plus de miséricorde, permit que
sainte Berthe lui apparût quelques jours après. Lui rendant le bien pour le
mal, elle l'avertit que, pour obtenir la rémission de son crime, elle devait
avoir soin que le corps de saint Gombert, son mari, fût transporté dans sa
province natale, et déposé auprès du sien dans le monastère du Val-d'Or
d'Avenay. Elle accepta cette commission avec beaucoup de zèle, dans le
désir que son péché lui fût pardonné. Lorsque le corps de saint Gombert
fut proche de celui de sainte Berthe, cette meurtrière jeta quantité de sang
par la bouche et par le nez ; mais cela ne la surprit pas, parce que la Sainte
l'en avait avertie dans la vision qu'elle avait eue, et lui avait donné cet ac-
cident pour un signe de l'entière rémission de ses fautes, en récompense de
l'honneur qu'elle rendrait à son mari et à elle, après avoir commis un si
grand attentat contre eux. Plusieurs miracles se sont faits au tombeau de
ces deux saints Epoux : des possédés, des désespérés, des malades et toutes
sortes de personnes affligées, qui sont venues le visiter, y ont reçu le soula-
gement qu'elles désiraient. Cent ans après leur mort, on ouvrit encore leur
sépulcre, et le corps de sainte Berthe fut trouvé aussi beau et aussi entier,
et ses plaies aussi fraîches que le jour de son martyre. Il en sortit même du
sang, lorsque celui de saint Gombert en fut approché.
D. Morlot, Histoire du diocèse de Reims; notes locales.
MAI.
SAINTE WALBURGE, ABBESSE
778. — Pape : Adrien Ie».
Cette illustre Vierge était anglaise de nation, fille d'un saint roi nommé
Richard, et de Unne, ou Unnoheide, sœur de saint Boniface, évêque de
Mayence et apôtre d'Allemagne. Elle conçut, dès sa jeunesse, un si grand
mépris pour toutes les choses de la terre, que, sans avoir égard ni à la no-
blesse de sa naissance, ni à son âge, ni même à la qualité de son sexe, elle
résolut de quitter son pays, de suivre ses deux frères, Guillebaud et Gom-
baud, qui avaient passé la mer, et de se rendre avec eux auprès de leur
saint oocle, pour travailler, sous sa conduite, à la gloire de Jésus-Christ. Afin
de mieux réussir dans une si généreuse entreprise, elle se joignit à cinq re-
ligieuses envoyées par l'abbesse Tetta à ce saint prélat, qui les lui avait de-
mandées ; car les peuples étaient plus attirés à la foi catholique et à la pra-
tique de la vertu par la vie exemplaire des religieux et des religieuses, que
par tout autre chose. Ces compagnes furent Cunigilde, tante de saint Lulle;
Béragite, fille de la précédente ; Cunitudre, sainte Thècle et sainte Liobe,
illustres vierges que l'on a toujours regardées en Allemagne comme les
principales fondatrices des monastères de religieuses.
Dieu fit connaître par un miracle qu'il approuvait cette admirable réso-
lution : une horrible tempête étant survenue aussitôt après qu'elles se
furent embarquées sur l'Océan, Walburge la fit cesser tout à coup par ses
prières, lorsque chacun se croyait perdu ; de sorte que cette troupe aposto-
lique arriva heureusement en Allemagne. On ne peut pas exprimer la joie
de saint Boniface quand il vit tant d'illustres personnes se venir consacrer
au service du Sauveur du monde, dans un pays où les mystères de la foi
étaient presque inconnus. Notre Sainte n'y fut pas plus tôt arrivée, qu'elle
se retira en Thuringe, auprès de son frère Gombaud, supérieur de sept mo-
nastères de religieux. Ce Saint, ravi d'avoir auprès de lui une si excellente
ouvrière, fit bâtir une maison religieuse, où elle s'enferma avec d'autres
filles, qui voulurent avoir part à un si grand bien, et commença à donner
d'éclatantes marques de sa vertu, et plus particulièrement de sa ferveur et
de son détachement de toutes les choses de la terre. Mais, quelque temps
après, saint Gombaud ne pouvant souffrir les honneurs qu'on lui rendait en
Thuringe, à cause de son éminente sainteté, résolut de se retirer ailleurs,
où il pût vivre plus caché. Il alla donc en Bavière, pour consulter son frère
Guillebaud, évêque d'Eischtœdt; et, par le conseil de ce saint prélat, et les
libéralités du prince Utilon, il fonda, à Heidenheim, deux célèbres monas-
tères : l'un pour les hommes et l'autre pour les filles; il fit venir dans ce
dernier sainte Walburge, afin d'en être la supérieure.
Ce fut alors que sa sainteté parut dans son plus beau lustre : obligée de
se rendre elle-même un modèle de perfection aux yeux de ses religieuses,
elle fit admirer, dans toute sa conduite, une charité ardente, une sagesse
consommée, une humilité profonde, une douceur extrême, une oraison
continuelle, une mortification sans relâche et un véritable zèle pour la
gloire de Dieu et pour la religion. C'est ainsi qu'après avoir saintement gou-
verné cette maison, il plut à l'Epoux des vierges de l'appeler en sa gloire
SAINTE WALBURGE, ABBESSE. 201
le 25 février 778, selon l'opinion la plus probable. On l'honore le 1er mai, à
cause d'une translation de ses reliques.
Son corps fut inhumé, par son frère Guillebaud, dans le môme monas-
tère d'Heidenheim ; il fut transféré, près de cent ans après, à Eichstœdt,par
la piété d'Ocharius, évoque de la même ville, qui l'avait fait canoniser, un
peu auparavant, par le pape Adrien II. Mais, dans la suite des temps, ses
saintes reliques furent transportées à Furnes, avec celles des saints Guille-
baud et Gombaud, par les soins de Gertrude, comtesse de Flandre ; il s'en
trouve néanmoins quelques parties dans plusieurs autres églises, qui en ont
été enrichies par la piété des princes et par la dévotion des fidèles.
On raconte quelques miracles que la Sainte a faits durant sa vie. Elle
guérit la fille d'un seigneur, presque mourante ; toutes les religieuses aper-
çurent une lumière céleste, que Dieu avait formée pour lui servir de flam-
beau lorsqu'elle s'en retournait de l'église en son couvent. Elle eut le pou-
voir d'empêcher des chiens furieux, non-seulement de l'approcher, mais
même de japper après elle; ce qui a donné occasion de l'invoquer contre la
rage de ces animaux. Quant aux nombreux miracles opérés après sa mort,
on peut les voir dans les Bollandistes : il en est un qui continue aujourd'hui
et qui est d'autant plus remarquable : de son tombeau à Eichstœdt,il dé-
coule une liqueur embaumée que l'on recueille avec respect et qui sert aux
guérisons. Ce fait est exprimé dans ses images par une fiole qu'on met dans
sa main ou près d'elle ; à ses pieds est une couronne qui indique son origine
royale. Fille d'un saint, sœur de deux autres saints, elle leur est souvent
associée dans les vieilles estampes1.
La mémoire de sainte Walburge est très-célèbre en France, en Allema-
gne, en Angleterre et en Flandre, comme on le peut juger par les églises,
les monastères et les autres lieux publics qui sont dans tous ces pays-là
consacrés à son honneur. Mais il ne faut point la confondre avec sainte
Wéréburge, fille d'un roi des Merciens, de laquelle le Martyrologe d'Angle-
terre parle le 3 de ce mois, ni avec d'autres saintes Walburge, qui étaient
du nombre des onze mille vierges, compagnes de sainte Ursule.
Acta Sanctorum ; Caractéristiques des Saints.
1. Ce groupe est aussi exprime' dans un hymne du moyen âge de l'Allemagne catholique t
... Prœsens festum dum dévote debemus persolvere,
Quod dicavit sacer suo Willebaldus transitu.
Duxit una fratrem suum Winebaldum dominum
Nec non patrem ac sororem Waldburgam sanctis-
[simam, etc.
SS. Mone, Hymni latini medii «ut, m, 561, cité par le Père Cahier, 1. 1", p. 403.
202 ier mai.
SAINT THÉODARD OU SAINT AUDARD,
ÊVÊQUE DE NARBONNE ET PATRON DE MONTAUBAN
893. — Pape : Formose. — Roi de France : Eudes.
Voulez-vous enseigner par vos paroles et par vos
exemples au peuple pour lequel vous allez être or-
donne', les choses que vous savez être contenues
dans les Ecritures? — Je le veux.
Pontifical romain, consécration des e'vêques.
Saint Théodard est la première et la plus belle illustration de la ville de
Montauban '. Il parut dans ces jours de troubles, d'orages, de guerres civiles
et d'invasions des Sarrasins, qui suivirent le règne de l'immortel Charle-
magne, de ce héros chrétien surnommé, ajuste titre, le Trismégiste moderne,
et qui a si puissamment contribué à la propagation de la vraie foi, à l'indé-
pendance temporelle du Saint-Siège et aux progrès de la civilisation dans
l'Europe entière *.
La patrie de saint Théodard fut la petite ville de Montauriol. Elle était
bâtie sur un riant et fertile coteau qui s'élève aux confins du Toulousain et
du Qucrcy, et au pied duquel serpente le Tescou, au moment même où il
va se jeter dans le Tarn 3 . Son emplacement se trouvait donc tout à fait
contigu à celui qu'occupe aujourd'hui la nouvelle ville de Montauban. Les
divers auteurs qui ont parlé de saint Théodard, paraissent n'avoir pu décou-
vrir l'année précise de sa naissance ; mais il nous semble qu'il n'est guère
possible de la mettre plus tard qu'en 840, c'est-à-dire à l'époque de la mort
de l'empereur Louis le Débonnaire. L'histoire garde le silence sur les noms
et les titres des parents de notre Saint; mais elle nous apprend qu'ils étaient
riches, puissants, et aussi distingués par leur piété que par la noblesse et
l'ancienneté de leur race. Ils avaient consacré une partie de leur fortune à
fonder, conjointement avec le roi d'Aquitaine, Pépin I6r, une magnifique
abbaye très-près de l'enceinte de Montauriol, et dans une position vraiment
ravissante.
A Toulouse, où il avait été placé pour terminer ses études, Théodard
s'empressa de s'enrôler dans la cléricature. Tous ses goûts le portaient vers
le service des autels. Sigebode, archevêque de Narbonne et primat d'Aqui-
taine, étant venu à Toulouse pour régler d'importantes affaires ecclésias-
tiques, remarqua bientôt le jeune Théodard. Touché de la piété et du sa-
voir du fervent lévite, le zélé prélat résolut de l'attacher à sa personne et à
son Eglise. Ainsi la Providence disposait tout pour faire briller, sur un plus
grand théâtre, les vertus du digne descendant des seigneurs de Montauriol.
1. La ville actuelle de Montauban est d'assez récente origine. Elle fut fondée en 1144, par Alphonse
Jourdain, comte de Toulouse. Elle doit son existence à l'antique bourg de Montauriol, et à la célèbre
abbaye de Saint-Martin ou de Saint-Théodard, établie, selon le sentiment le plus probable, dès le com-
mencement du ix« siècle. L'œuvre du comte de Toulouse ne fut en réalité que le prolongement, ou pour
mieux dire le déplacement de la vieille ville et son rétablissement dans une position plus avantageuse.
Mais l'exécution de cette entreprise compromit gravement la sécurité des moines de Saint-Martin et
leurs droits incontestables sur le district de Montauriol.
2. Charlemagne, dans son testament, légua à ses fils la tutelle de l'Eglise romaine. — Du Pape.
S. Vita S. Theodardi, cap. 6 ; Histoire générale du Languedoc, t. n, p. 31.
SAINT THÉODAED, ÉVÊQUE DE NARBONNE. 203
« L'auteur de sa vie rapporte que les juifs s'étant présentés au roi Carloman,
pour le supplier de les mettre à l'abri de quelques avanies que leur faisait
tous les ans l'évêque de Toulouse, nommé Bernard, avec le clergé et le
peuple de cette ville, ce prince ordonna à Sigebode, archevêque de Nar-
bonne, d'assembler sur ce sujet un concile à Toulouse pour y écouter leurs
plaintes et leur rendre justice. Il ajoute que Théodard, s'étant présentée
l'assemblée, justifia pleinement les Toulousains, et confondit les Juifs sur
tous leurs prétendus griefs».
Le Concile terminé, Sigebode reprit le chemin de son diocèse; mais il
eut grand soin d'adjoindre à sa suite le lévite qui avait si fortement fixé son
attention. Théodard se trouva donc transporté à Narbonne et établi dans le
palais archiépiscopal. Sur ces entrefaites, l'archidiacre de Narbonne étant
mort, le clergé et les fidèles s'empressèrent de désigner Théodard pour
remplir la place vacante. Sigebode acquiesça avec bonheur à ce désir, et
comme Théodard n'était encore que sous-diacre, il se hâta de lui imposer
les mains et de lui conférer le diaconat. Revêtu de sa nouvelle dignité, le
saint jeune homme justifia pleinement le choix qu'on avait fait de lui. Il
surpassa même ce que le peuple, le pontife et le clergé attendaient de sa
prudence, de son zèle et de son dévouement. Il se multipliait et savait se
faire tout à tous, dans la rigueur de l'expression. Chacun bénissait sa bonté,
et trouvait en lui un soutien, un défenseur, un ami. « Il fut, dit la légende
du bréviaire, l'œil de l'aveugle, le pied du boiteux, le père des indigents et
le consolateur des affligés * ». Appliqué à la prière, à l'oraison et aux saintes
veilles, il passait la plus grande partie de ses nuits sans dormir, et, à l'imi-
tation du prophète royal, il ne manquait jamais de louer le Seigneur sept
fois par jour, en récitant séparément chacune des heures canoniales de
l'office divin.
En 878, Sigebode se trouvant retenu à Narbonne pour une grave mala-
die, Théodard fut député, en sa qualité d'archidiacre, pour aller à Nîmes
assister à la recherche des reliques de saint Baudile 2. Ce fut vraisembla-
blement au retour de cette importante mission que Théodard, déjà con-
sommé en vertu, fut ordonné prêtre, malgré ses craintes, ses résistances et
ses réclamations. Il se regardait comme tout à fait indigne d'exercer les su-
blimes fonctions du sacerdoce, et il fallut l'ordre formel et réitéré de son
évêquepour qu'il acceptât le nouveau fardeau que l'Eglise allait lui imposer.
Cependant, l'heure choisie par la Providence allait sonner. Sigebode,
après avoir gouverné son Eglise pendant quinze ans, avec le plus grand zèle
et la plus grande vigueur s, se trouva au terme de ses travaux et au jour de
la récompense. Aussitôt après sa mort, les évêques de Carcassonne et de
Béziers se rendirent à Narbonne pour célébrer ses funérailles, dresser l'in-
ventaire des livres, ornements et vases sacrés de cette métropole, et surtout
afin de présider à l'élection d'un nouvel archevêque. Ils se hâtèrent donc de
convoquer les fidèles et le clergé dans l'église des saints ma; lyrs, Just et
Pasteur. Les clercs, les abbés, les nobles et le peuple n'eurent qu'une seule
et même voix pour proclamer le nom de Théodard. Ainsi Théodard fut élu
archevêque de la belle et puissante ville de Narbonne *.
1. Oculus fuit cœco, et pas claudo; pater pauperum, et mœrentium consolator merito conclamatm.
(Proprium SS. dicscesis Montis-Albani, die 1 maii.
2. Voir la vie de saint Bautlile au 20 mal. — 3. Histoire du Languedoc, t. n, Preuves, p. 2.
4. Saint Sidoine-Apollinaire, évêque de Clermont, et qui vivait au ve siècle, a compose' les vers sui-
vants ù la louante de l'antique capitale de la Gaule-Narbonnaise :
Salve Narbo, potens salubritate. Salut Narbonne, dont le climat est si salubre;
Urbe et rure simul bonus vider!, cité en qui se réunissent tous les biens de la ville
204 ier mai.
Comme tous les élus de Dieu, comme tous les grands Saints, Théodard
avait la plus tendre dévotion à l'auguste Vierge qu'il appelait sa mère, et à
laquelle il recourait à chaque instant. Il voulut donc donner à son peuple
une preuve éclatante de son zèle pour le culte de Marie, et montrer qu'il
mettait son épiscopat tout entier sous la puissante protection de la Reine
du ciel. Il choisit, pour le lieu de sa consécration, une église dédiée à la
Mère de Dieu, et il voulut que cette cérémonie se fît le jour même de la
belle solennité de l'Assomption (15 août 885).
Théodard, qui avait sans cesse à l'esprit ces paroles du Sauveur : « Tu
es Pierre, et sur cette pierre j'établirai mon Eglise », tenait au Saint-Siège
apostolique du fond de ses entrailles. C'était vers ce point lumineux que ses
yeux étaient constamment fixés; c'était à cette source qu'il puisait toutes
ses règles de conduite. Pour lui, le Pape et l'Eglise n'étaient qu'une seule
et même chose *. Aussi sa première pensée, dès qu'il eut été sacré évêque,
fut-elle de faire le voyage de Rome, de la ville sainte, de la mère et maîtresse
de toutes les autres Eglises, et d'aller déposer aux pieds du vicaire de Jésus-
Christ l'hommage de sa soumission, de son attachement inaltérable et du
dévouement le plus complet. Celui qui occupait alors la chaire de saint
Pierre était Etienne V, un des plus grands papes du moyen âge *. Etienne V,
qui veillait avec tant de sollicitude sur les intérêts de l'Eglise catholique,
fut heureux d'écouter le récit que Théodard lui fit de l'état de la religion
dans son diocèse, dans sa province, dans la Gaule et dans les Espagnes. Il
le retint auprès de lui aussi longtemps qu'il put, et, avant de le laisser re-
prendre le chemin de Narbonne, il lui conféra le pallium, confirma de nou-
veau tous ses pouvoirs et droits de métropolitain, et lui donna une ample
bénédiction apostolique pour lui-même, son clergé, sa noblesse, son peuple
et tous les fidèles de la Septimanie.
Cette même année (886), saint Théodard eut la consolation de rétablir
un évêché qui était vacant et délaissé depuis le commencement du vin8
siècle. C'est celui d'Ausonne, dans la Marche d'Espagne. Les Sarrasins s'é-
tant emparés de ce pays, l'avaient dévasté et y avaient opprimé la religion
catholique.
Saint Théodard assista, en 887, à la translation solennelle qui fut faite à
Pamiers, des reliques de saint Antonin, prêtre et martyr dans la Gaule, au ter-
ritoire de Cahors, selon les expressions du martyrologe de Saint-Riquier 8.
Rien ne pouvait lasser le zèle de Théodard, et il savait l'étendre à tout.
Aucun détail de l'administration temporelle et spirituelle n'échappait à sa
vigilante sollicitude. Quand il prit en main les rênes du diocèse de Nar-
iluris, civitms, ambitn, tabernis, et des champs. Chez toi tout est remarquable : tes
Portis, porticibus, foro, theatro, murs, tes habitants, ta vaste enceinte, tes maisons,
Delubris, capitoliis, monetis, tes portiques, ton forum, ton théâtre, tes temples,
Termis, arcubus, horreis, macellis, tes capitules, tes hôtels de la monnaie, tes thermes,
Pratis, fontibus, insulis, salinis, tes arcs de triomphe, tes greniers, tes abattoirs,
Stagnis, flumine, merce, ponte, ponto... tes gazons, tes fontaines, tes îles, tes salines, tes
étangs, ton fleuve, tou commerce, ton pont, ta
mer...
Carminé ssin, ad Consentium Narbonensem. — Gallia ckristiana, t. vi, p. 2.
1. « Le Pape et l'Eglise, c'est tout un •, disait saint François de Sales dans son inimitable langage.—
Du reste, ce mot célèbre n'est que l'écho fidèle de la tradition catholique depuis le temps des Apôtrei
jusqu'à nos jours.
2. Dom Vaissette et les Pères Bénédictins, auteurs de la Nouvelle Gaule chrétienne, disent que le Pon-
tife régnant était Etienne VI ; mais c'est évidemment une erreur, car Etienne VI, à qui les détracteurs
du Saint-Siège attribuent la prétendue sentence contre Formose, ne fut élu Pape qu'en 896, c'est-a-dire
trois ans après la mort de saint Théodard. (Voyez Rohrbacher, Histoire de l'Eglise, t. su, p. 457 et suiv.)
J. Voir la vie de saint Antonin au 2 septembre.
SAINT THÉODARD, ÉVÊQUE DE NARBONNE. 205
bonne, il trouva son église cathédrale dans le plus triste état. Depuis l'époque
funeste où, sous la féroce domination des Sarrasins, elle avait été dévastée
à l'intérieur et même à l'extérieur, les ressources nécessaires pour la répa-
rer convenablement n'avaient pu être réunies. La longueur et la difficulté
de l'entreprise ne furent point capables d'effrayer le pieux pontife. Dès les
premiers jours de son épiscopat, il se mit résolument à l'œuvre. Il dirigeait
lui-même tous les travaux, encourageait les ouvriers et les payait généreu-
sement de ses propres deniers. 11 se privait avec bonheur d'une foule de
choses très-utiles à sa maison pour restaurer et embellir celle du Seigneur.
Après plus de quatre années de soins continuels, d'efforts multipliés et de
grands sacrifices, il eut enfin la consolation de voir ses vœux accomplis.
L'antique église s'était relevée de ses ruines, toute trace de profanation
avait disparu de son enceinte, et elle brillait d'une jeunesse nouvelle.
La charité de Théodard envers les malheureux était inépuisable. Il était
réellement leur providence de la terre. Les Sarrasins, ces ennemis déclarés du
nom chrétien et de la civilisation, se mirent à exercer de fréquents actes de
piraterie durant l'épiscopat de saint Théodard. Souvent ils débarquaient en
force dans les environs de Narbonne, et là ils commettaient toutes les atro-
cités imaginables. Tout ce qu'il avait chez lui était chaque jour distribué aux
infortunées victimes des brigandages des Infidèles, et il s'appliquait surtout à
retirer de leurs mains les captifs réduits en servitude et exposés au danger
de perdre leur foi. Il employa à cette œuvre de miséricorde tout l'argent
qu'il put se procurer. Pour surcroît d'épreuves, une effrayante famine de
trois années consécutives vint désoler le diocèse, à la suite des incursions
des Sarrasins. Le moment arriva où le saint pontife vit, avec une indicible
angoisse, qu'il ne lui restait absolument rien, et cependant la disette étalait
encore une partie de ses horreurs. A quel expédient recourir ?... Il n'en
connaissait plus qu'un seul, bien extrême et bien pénible. Mais il s'agissait
des membres souffrants de Jésus-Christ; il crut donc ne devoir pas hésiter à
faire le dernier sacrifice. Il employa les revenus de son église métropolitaine,
et il aliéna même les biens qu'elle possédait, pour subvenir aux plus pres-
santes nécessités du moment. Il fit plus; il vendit les vases sacrés et les
autres choses précieuses du trésor de sa cathédrale, afin de pouvoir conti-
nuer ses immenses aumônes. Il ne voulut réserver que ce qui était indis-
pensable pour la célébration des saints mystères et la conservation de la
divine Eucharistie. Voulant indemniser son église, il lui donna une grande
et belle croix garnie d'or et d'argent, et contenant une notable parcelle de
la vraie croix de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Il lui fit aussi présent de deux
châsses très-bien sculptées et qui renfermaient d'insignes reliques.
Tant de soins, de fatigues, de travaux, de mortifications volontaires, de
peines de tout genre, devaient altérer le tempérament le plus robuste et dé-
truire la santé la plus florissante. Théodard, quoique peu avancé en âge,
avait vieilli avant le temps. Ses forces physiques diminuaient sensiblement,
et bientôt de tristes symptômes vinrent alarmer tous ses diocésains, tous
ses enfants. Une fièvre continue, et qui devenait de jour en jour plus ar-
dente, avait saisi le pieux pontife, l'empêchait de goûter le sommeil, et le
dévorait à vue d'œil. Néanmoins, il ne voulut rien changer d'abord à son
régime, à ses pénitences et à son travail. La lecture et l'étude des saintes
Ecritures avaient pour lui un attrait irrésistible. Il continua donc à les feuil-
leter et à les méditer et le jour et la nuit; et il affirmait que c'était à cette
source qu'il avait puisé toute sa science et tout son amour delà perfection.
Il persévéra aussi dans ses jeûnes, ses longues oraisons, ses visites des
206 Ie* mai.
pauvres et ses courses apostoliques. En 891, il se rendit encore, sur l'invi-
tation de l'archevêque de Sens, à un concile que le roi Eudes avait fait con-
voquer, et qui se tint dans la petite ville de Mehun-sur-Loire.
Tel est le dernier acte connu du ministère épiscopal de saint Théodard.
Dès lors, sa vie ne fut plus que souffrances, langueurs et amertumes. Les
médecins et toutes les personnes qui l'approchaient, ne cessant de lui ré-
péter qu'il devait se soigner et consentir à prendre les médicaments récla-
més par son état, il répondit avec calme et fermeté : « Que la volonté du
Seigneur se fasse. C'est lui qui est l'arbitre souverain de la santé et de la
maladie, de la vie et de la mort; rien n'arrive que par son ordre ou sa per-
mission... Tous les remèdes que je veux employer, se réduiront à un seul :
je vais retourner dans ma patrie, dans la région Toulousaine, dans le pays
de mes pères et de mon enfance, dans ces lieux que je laissai pour venir
ici, où la vocation divine m'appelait... Là, je pourrai à l'aise respirer la
douceur de l'air natal, me nourrir des mets salutaires de cette fertile con-
trée, réjouir mes yeux par la vue de ses sites charmants, et faire de déli-
cieuses promenades dans ses belles campagnes ' ».
Ayant mis ordre à ses affaires domestiques et pourvu à l'administration
de son diocèse, le pieux pontife vint à Toulouse, où il avait achevé le cours
de ses études et où il comptait beaucoup d'amis dévoués *. Mais il comprit
bientôt, soit par l'aggravation de son mal, soit par un avertissement du ciel,
que sa fin approchait, qu'il touchait au terme de sa carrière mortelle. Sur-
le-champ sa résolution est prise; il déclare à ceux qui l'entourent qu'il
veut être conduit sans retard à Montauriol, au lieu où il a reçu le jour, dans
ce monastère que ses ancêtres ont dédié à saint Martin de Tours, et où il a
appris les premiers éléments des sciences sacrées et profanes. Son plus vif
désir est de rendre le dernier soupir à l'endroit même où l'eau du saint
baptême l'a fait enfant de Dieu et de l'Eglise. Les bons moines de Montau-
riol accueillirent le vénérable évêque comme un bienfaiteur, comme un
père et comme un Saint. Heureux de posséder un pareil hôte, ils l'envi-
ronnèrent des soins les plus assidus, les plus intelligents et les plus affec-
tueux. Mais tous les secours humains étaient devenus impuissants, et l'au-
guste malade le savait mieux que personne. Aussi, toute son occupation
consistait à se préparer à la mort par des prières, de pieuses lectures et de
fréquentes aspirations vers le ciel. Quand il sentit que le jour de sa déli-
vrance était sur le point de paraître, il appela dans son appartement le père
abbé et tous les religieux prêtres du monastère. Alors il fit, en poussant de
profonds soupirs et en répandant beaucoup de larmes, une accusation pu-
blique de tous les péchés de sa vie, péchés qu'il regardait comme très-con-
sidérables, et qui, réellement, n'étaient que des manquements bien légers.
On lui apporta la divine Eucharistie, le saint Viatique. Il serait impossible
de redire avec quelle ferveur, quelle foi, quelle espérance et quel tendre
amour il adora et reçut le Dieu fait homme, le corps et le sang de l'Agneau
sans tache, de Jésus-Christ, le Pasteur des pasteurs. Dès qu'il eut commu-
nié, il adressa à son divin maître cette belle et touchante prière, qui fut re-
ligieusement suivie par tous les assistants : « Seigneur, Dieu tout-puissant,
vous dont la bonté et la miséricorde sont infinies, vous qui, par une seule
parole et par un seul acte de votre volonté, avez tiré l'univers du néant et
établi l'ordre merveilleux qui y règne; vous qui avez bien voulu former
l'homme à votre image, en lui donnant une âme active, immortelle, et un
corps qui, après être tombé en dissolution et en poussière, reprendra, un
1. Vita S. Theodardi, cap. 6. — 2. Voyez Baillet et les Bollandistes.
SAINT TrTÉODARD, ÉVÊQUE DE NARBONNE. 207
jour, une jeunesse toute nouvelle, ayez compassion de votre pauvre et in-
digne serviteur; ne détournez pas vos regards de lui, et, puisqu'il n'a de
confiance qu'en vous, daignez, ô père clément, l'admettre au céleste baiser
de paix ! Je sais que devant vous personne ne peut se vanter d'être juste, et
que vous trouvez des taches même dans vos Saints : je suis donc perdu sans
ressource si vous considérez mes fautes, mes nombreuses iniquités. Mais ce
qui me rassure, c'est qu'il est écrit que vous êtes plein de douceur et de bonté,
et que vous faites miséricorde à tous ceux qui recourent sincèrement à vous. Je
vous en supplie donc, éloignez de moi le prince des ténèbres et la troupe
odieuse de ses satellites; daignez me pardonner toutes mes infractions à
votre sainte loi, toutes mes misères, toutes mes imperfections, et confondez
les ennemis de mon âme et de mon salut. Recevez mon âme à sa sortie de
ce monde et placez-la dans les rangs des justes, dans l'assemblée des saints
pontifes, afin qu'au jugement général je me trouve à votre droite, que j'en-
tende la sentence de bénédiction, et que je vous accompagne dans les splen-
deurs du royaume éternel ». En achevant ces derniers mots, le bienheureux
prélat éleva les yeux et les mains vers le ciel, et son visage devint radieux
d'espérance et d'amour. Bientôt après, il parut entrer dans un doux som-
meil...., et son âme, brisant ses liens mortels, s'envola dans la société
des anges.
CULTE ET RELIQUES DE SAINT THÉODARD.
Saint Théodard quitta cette terre le premier jour de mai de l'an 893, sous le règne du roi
Eudes. Sa mort plongea dans le deuil son diocèse, les moines et les habitants de Montauriol, qu'il
avait comblés de &e9 bienfaits, et la province entière de la Septimanie, dont il était le soutien, la
gloire et l'ornement. Aussi, une multitude immense de fidèles accourut de toutes parts pour con-
templer encore une fois ses traits vénérés, et pour assister à ses funérailles qui furent célébrées
par plusieurs évèques, entourés d'un grand nombre de prêtres et de tous les religieux du monas-
tère de Saint-Martin.
« Les miracles continuels, dit Dom Vaissette, que Dieu opéra à son tombeau, ne contribuèrent
pas peu à accélérer sa canonisation; et il était déjà reconnu pour Saint au milieu du x» siècle.
Le monastère de Saint-Martin, ou il était inhumé, avait déjà pris son nom ou celui de Saint-Au-
dard, qui est le même K
Jean d'Auriole, qui occupa le siège épiscopal de Montauban depuis le 13 avril 1492 jusqu'au
21 octobre 1519, était un prélat très-zélé pour le culte divin et pour l'embellissement de sa ca-
thédrale. Il donna deux cloches d'une grosseur extraordinaire, ferma toutes les chapelles par des
grilles de cuivre ou de fer ouvragé, et fit orner splendidement le chœur. Mais un de ses dons les
plus remarquables fut la magnifique châsse dans laquelle il plaça les précieuses reliques de saint
Théodard. Elle était en vermeil, du poids de trente marcs, et au dessus se trouvait la statue du
saint Patron tenant à la main le bâton pastoral. Ce superbe reliquaire était exposé à la véné-
ration des fidèles le jour de la fête de saint Théodard ; et on le conservait soigneusement dans le
trésor de la sacristie de la cathédrale, selon la recommandation du donateur. Il fut là comme
une arche sainte et tutélaire, jusqu'à l'époque à jamais regrettable de la domination protestante à
Montauban.
Les calvinistes, déjà puissants et redoutables dans plusieurs villes de France, vinrent à bout,
moitié par ruse et moitié par force, de s'emparer de la cité Montalbanaise, et d'y commander en
maîtres. Leur joug fut dur et pesant. Ils employèrent les menaces, la violence, la prison, l'exil et
les vexations de tout genre pour entraîner les catholiques à l'apostasie ; et, afin de détruire tout
vestige du vrai culte, ils ne reculèrent devant aucun excès *.
1. Histoire générale du Languedoc, 1. 11, p. 31. — On remarque dans le testament de Raymond, pre-
mier du nom, comte de Rouergue, etc., les dispositions suivantes, écrites en 961, en faveur du monastère
de Saint-Théodard :
■ ... Illa qnarta parte de illa ecclesia Sancti-Cirlct, et illo alode qnod ego acquisivl in Deumpentala,
Sanoti-Audardi remaneat. Illo alode de mongio Sancti-Audardi remaneat. Illa ecclesia Ricario fllio Isarno
remaneat ad alode; post suum discessum Sancti-Audardi remaneat cum alio alode ». (Hist. du Languedoc,
t. ii, Preuves, p. 109.
Dans le» archives de Montauban on trouve les titres de plusieurs donations faites an monastère de
Saint-Tudodard, sous les dates de septembre 949, janvier 951 et février 955.
*. « Nous déflora », dit le savant Bergier, « les calomniateur» do clergé do citer un seul pays, une
208 1er mai.
Ecoutons les estimables auteurs de l'Histoire du Languedoc : a Les désordres que les reli-
gionnaires commirent à Montauban et à Castres, à la fin de l'année 1561, furent aussi extrêmes
que ceux qu'ils exercèrent à Montpellier et à Nimes. Les huguenots de Montauban, après s'être
saisis, dès le mois de juillet, des églises des Cordeliers et de Saint-Louis, se rendirent entièrement
maîtres de cette ville, d'où ils chassèrent tous les catholiques le 21 d'octobre. Ils pillèrent leurs
maisons et ravagèrent toutes les églises, excepté celle du Moustier ou de la cathédrale, qui était
située dans le faubourg, parce qu'elle était extrêmement forte. Ils la forcèrent cependant le 20 de
décembre, la pillèrent et la brûlèrent.
« Ils maltraitèrent surtout les religieuses de Sainte-Claire, après avoir pris, pillé et brûlé leur
couvent. Ils les enlevèrent, et, les ayant exposées à demi nues aux risées du peuple, ils leur pro-
posèrent de se marier. Sur leur refus, on leur fit porter la hotte, comme à des manœuvres, pour
servir aux fortifications de la ville; enfin on les chassa. Les chanoines de la cathédrale se transfé-
rèrent à Villemur, et ceux de la collégiale à Montech, au mois de mars suivant * ».
Cette église du Moustier, qui fut dévastée et incendiée en 1561 par les protestants, était une
grande et belle basilique, digne de la piété et de la richesse de ses fondateurs, et surtout de la
sainteté du pontife qui avait choisi sa sépulture dans son enceinte. Le Bret nous la représente
comme une des plus magnifiques cathédrales du royaume, et effectivement la description qu'il en
donne, et le plan qui en a été retrouvé dans les archives de la ville de Montauban, nous montrent
combien cet antique édifice était remarquable par son heureuse situation, sa masse imposante, sa
tour élancée, la beauté de son portail, la majesté de sa vaste nef, le fini de son architecture, ses
nombreuses chapelles et ses décorations intérieures.
C'était l'œuvre patiente, religieuse et artistique de huit siècles ; c'était le berceau de la nou-
velle cité, son premier titre de gloire, tout le grand et le beau de son histoire ; là se trouvaient
groupés les souvenirs les plus saisissants ; là, les ancêtres des Montalbanais avaient été consacrés
à Dieu et instruits de leurs devoirs ; là, ils avaient prié, et chanté les cantiques du Seigneur ; là,
reposaient leurs cendres vénérées ; là, étaient les reliques d'un grand Saint, d'un apôtre, d'un
bienfaiteur de toute la province, d'un prélat dont le nom était cher à l'Eglise, et qui avait tout
fait pour sa patrie... Ce merveilleux passé a été méconnu, oublié, compté pour rien !... La fureur
des nouveaux iconoclastes est montée à son comble, et, comme une trombe dévastatrice, elle a
tout emporté, tout anéanti!...
Une seule église, aujourd'hui, se glorifie d'avoir les restes de saint Théodard : c'est celle de
Villebrumier, chef-lieu de canton, située à peu de distance de Montauban.
La croyance unanime et inébranlable des fidèles de cette paroisse a pour base une vénérable
tradition, qui remonte, sans interruption, à plus de deux cents ans.
Il résulte des informations prises dernièrement par M. Guyard, vieaire général de Montauban à
Narbonne, que les églises Saint-Just et Saint-Paul ne possèdent plus aucune relique de saint
Théodard. La cathédrale de Montauban en conserve une ; mais elle sort de Villebrumier. C'est
Mgr Dubourg qui la fit tirer de la châsse en 1833.
La ville de Montech, qui a été pendant de longues années la résidence de l'évêque et du cha-
pitre expulsés par les huguenots, a dû certainement avoir autrefois quelques reliques de saint
Théoisrd. Malheureusement elles ont disparu ; seulement on a trouvé, il y a une trentaine d'an-
nées, dans la sacristie de l'église de Montech, un ancien reliquaire renfermant une portion d'os
assez considérable, mais sans authentique. Il est à présumer que ce fragment provient de la châsse
de saint Théodard. Le reliquaire, dont le travail est remarquable, appartient aujourd'hui à Madame
la marquise de Pérignon, qui l'a déposé, avec la relique, dans la chapelle de son château de
Finhan.
Les habitants de Villebrumier ont toujours été heureux et fiers de posséder les restes de saint
Théodard. Ils les regardent avec raison comme leur bien le plus précieux et comme une sauve-
garde pour le pays. Dans les peines, les souffrances, les maladies invétérées, surtout dans les
fièvres pernicieuses et les calamités publiques ou privées, on tourne les yeux vers saint Théodard,
on réclame son assistance, on s'empresse d'aller prier devant la châsse qui contient ses ossements
bénis, et toujours on ressent les effets de sa puissante protection. Une foule de faits prouvent la
confiance entière des fidèles en leur saint Patron, et montrent les grâces nombreuses obtenues par
ceux qui l'invoquent avec foi et persévérance.
A l'imitation de ce qui se pratiquait autrefois dans l'antique cathédrale de Montauban, les reli-
ques du grand archevêque de Narbonne sont exposées chaque année à la vénération publique, le
1er mai, jour où l'Eglise célèbre sa fête. De plus, on les porte en triomphe dans une procession
seule ville, oîi les calvinistes, devenus les maîtres, aient souffert l'exercice de la religion catholique. En
Suisse, en Hollande, en Suède, en Angleterre, ils l'ont proscrite, souvent contre la foi des traités. L'ont-
ils jamais permise en France dans leurs villes de sûreté?... Une maxime sacrée de nos adversaires, est
qu'il ne faut pas tolérer les intolérants : or, jamais religion ne fut plus intolérante que le calvinisme ;
vingt auteurs, même protestants, ont été forcés d'en convenir ». (Dictionnaire de Théologie, art. Calvi-*
nistes.J
1. Histoire générale du Languedoc, t. v, p. 212; Gallia christiana vêtus, t. n, p. 766.
SAINT THÉODARD, ÉVÊQUE DE NARBONNE. 209
générale qui a lieu av«ec beaucoup de pompe, durant cette même solennité. Tous les paroissiens
se font un honneur et un devoir d'assister à cette cérémonie; aucun n'oserait s'en dispenser; les
plus indifférents pour la religion sortent alors de leur apathie et s'empressent de se joindre à la
multitude, qui chante les louanges de l'illustre et généreux protecteur de la contrée.
En 1652, Mgr Pierre de Berthier, dont les vertus ont brillé d'un si vif éclat sur le siège épis-
copal de Montauban, se rendit à Villebrumier pour visiter les reliques de saint Théodard '. Voici
la copie de l'acte de vérification qu'il dressa lui-même avec un soin tout particulier :
Inventaire des ossements, qu'on croit de saint Théodard, trouvés dans l'église de Ville-
brumier, et que j'ai mis dans ce coffre, en la visite que j'en ai faite le 30 décembre
1652.
« Un paquet couvert de taffetas blanc, fermé et cacheté de mes armes, sur lequel est écrit :
Oi fémur, n° 1 ;
« Autre paquet, comme dessus, où est écrit : Os fémur, n° 2;
« Autre paquet cù est écrit : Les deux os des jambes, avec cinq sommités ou apophyses, n° 3 ;
« Autre paquet, comme dessus, où est écrit : « Les fociles en plusieurs pièces, n° 4 ;
« Autre paquet, comme dessus, où est écrit : « Douze vertèbres avec leurs fragments, n° 5 ;
a Autre paquet, où est écrit : Grand nombre de fragments des côtes, n° 6 ;
c Autre, où est écrit : « Les fragments des omoplates et l'os sternum, n° 7 ;
a Autre, où est écrit : Les astragales ou articles des pieds et des mains, en grand nombre, n° 8 ;
« Autre, comme dessus, où est écrit : Un tronçon de l'ischion et autre fragment de l'os
sacrum, n° 9 ;
« Autre, où est écrit : Morceaux d'os inconnus, n° 10.
« Fait à Villebrumier, ce 30 décembre 1652.
« Pierre,
« Evêque de Montauban ».
Les reliques de saint Théodard demeurèrent, jusqu'en 1833, dans le coffre où les plaça Mgr de
Berthier. Alors l'ancienne châsse tombant de vétusté, le curé et les habitants de Villebrumier en
firent travailler une autre, et les restes du Saint y furent solennellement déposés.
Les dix paquets inventoriés par Mgr de Berthier et scellés du sceau de ses armes, sont encore
aujourd'hui dans l'état où il les a décrits : seulement un des sachets de soie se trouve déchiré en
partie, mais c'est par suite de l'ouverture qui dut y être pratiquée lorsque Mgr Dubourg voulut
avoir pour sa cathédrale une relique de saint Théodard.
Nous avons abrégé la vie de saint Théodard, par M. J.-A. Gnyard, vicaire général de Montauban,
in-12, Paris et Montauban, 185G. L'auteur a pnisé lui-même dans la Gallia christiana et dans deux Vies
du Saint que l'on possède : l'une donnée par les Bollandistes, l'autre qui avait été extraite des archives
de Saint-Etienne, à Toulouse, et qui fut conservée dans les Mémoires de l'Histoire du Languedoc, par
Catel.
1. Mgr de Berthier fut très-zélé pour les intérêts spirituels et matériels de la cité Montalbanaise. Il
s'appliqua de toutes ses forces à consolider ses diocésains dans la foi, à les prémunir contre les séduc-
tions de l'erreur, et à réparer autant que possible les ravages de l'hérésie. Il fit bâtir le grand séminaire,
dont il confia la direction a son vénérable ami Vincent de Paul et à la Congrégation fondée par lui. Il
obtint que la cour des aides fût transférée de Cahors à Montauban; qu'il y eût un bureau des finances,
et que tous les consuls fussent choisis parmi les catholiques. Le gouvernement lui accorda d'assez fortes
sommes pour la restauration de la place Royale, pour l'embellissement du lieu qu'avait occupé l'église
Saint-Martin, et pour la construction d'un palais épiscopal sur l'emplacement du château des comtes de
Toulouse.
Immédiatement après la mort de saint Vincent de Paul, Mgr de Berthier écrivait les lignes suivantes,
qu'on lira avec intérêt : ■ Dieu m'avait donné tant de respect et d'affection pour M. Vincent, que je crois
en vérité qu'aucun de ses enfants n'a senti mieux que moi la douleur de sa mort; mais, comme je pense
qu'elle était nécessaire pour qu'il reçût les couronnes que la grâce de Jésus-Christ avait préparées à s-es
mérites, je me soumets à la volonté du Maitre de la vie et de la mort ; et j'espère que M. Vincent, dans le
ciel, ne pourvoira pas moins aux besoins dont il était chargé sur la terre; et que la consommation glo-
rieuse de sa charité aidera d'une manière plus forte à la perfection de tant d'oeuvres chrétiennes qu'i'
avait commencées parmi nous... » (Collet, \ie de saint Vincent de Paul, t. n, p. 89, Nancy, 1748.)
Vies des Saints. — Tome V. 14
210 f" MAT.
S,c THORETTE, BERGÈRE DANS LE BOURBONNAIS
xne siècle.
Serviteurs, nous disent les Saints Livres, obéissez
dans le Seigneur, entourez vos maîtres d"honneurs
et de respects. Soyez soumis non-seulement à
ceux qui sont bons et modestes, mais encore à
ceux qui sont remplis de défauts.
C'est dans une métairie de l'ancien diocèse de Bourges, appelée Nouzil-
Iers, au pied de l'antique collégiale de Montcenoux, autrefois desservie par
treize chanoines de Saint-Ursin, de Bourges, à quelques pas de la belle
église de Villefranche, que sainte Thorette a fait éclater les plus touchants
exemples de douceur et de piété, d'obéissance et de mortification, d'angé-
lique pureté et de patience à toute épreuve.
Tout prouve que la métairie où vécut sainte Thorette était autrefois un
village plus important. L'on n'y compte aujourd'hui que cinq chaumines dé-
labrées. La plus apparente, en face de Montcenoux, montre au linçoir de
sa fenêtre des ornements religieux : un calice, une hostie et un prie-Dieu.
Un écu se voit à l'une des portes voisines.
Dieu qui dédaigne l'éclat du rang et les vaines distinctions après les-
quelles on court si avidement aujourd'hui, a voulu nous laisser ignorer tout
ce qui concerne l'origine et les premières années de sainte Thorette, le
nom de ses parents, le lieu et l'époque de sa naissance. Il nous la fait voir
immédiatement dans l'exercice plein et entier de sa vie domestique et
champêtre de bergère aux gages d'un fermier. Tout porte à croire, néan-
moins, qu'elle existait avant le xme siècle.
Les moments d'un serviteur ne sont point à lui, mais appartiennent ex-
clusivement au maître qui l'occupe. Jamais notre Sainte ne perdit une
seule minute. L'esprit intérieur, qui accompagnait tous ses actes, bien loin
de la distraire, la soutenait, l'encourageait au milieu de ses fatigues.
Un jour cependant, la pieuse fille s'était oubliée, pour ainsi dire, dans
un colloque avec l'objet de ses pures affections. Les heures qu'elle devait à
son emploi s'étaient passées dans une sorte de ravissement, tant la prière a
de charmes pour un cœur épris de son Dieu I A son insu donc, le fuseau
s'était échappé de ses doigts ; le soir arriva et sa tâche n'était point faite.
Le maître du ciel ne voulut pas que le maître de la terre fût privé du
bénéfice qui lui appartenait ; il ne voulut point surtout que sa religieuse
amante perdît la récompense que méritait son dévouement. Durant l'intem-
pestive oraison, une main céleste avait filé la quenouille involontairement
délaissée, en sorte que la besogne se trouva finie elle-même, juste au mo-
ment où s'achevait l'extatique prière. A cette vue, Thorette lève au ciel des
}-eux mouillés par la reconnaissance. Elle ne put exprimer autrement la
joie intérieure qui la dominait.
Noble et généreuse fille, ah! soyez imitée par toutes celles qui partagent
votre condition. Que jamais, sous prétexte de dévotion, on ne les voie négli-
ger leur travail ; Dieu ne le veut point, il le défend même.
Mais le ciel ne s'en tint pas à ce fait merveilleux, raconté par tous ; la
SAINTE THORETTE, BERGÈRE DANS LE BOURBONNAIS. 211
tradition affirme que, pour faciliter à notre Sainte son amour de l'oraison,
son bon ange, tandis qu'elle priait, travaillait à sa place, et ainsi l'ouvrage
de Thorette ne resta jamais incomplet.
Celui qui anéantit les superbes et se plaît à exalter les humbles lui
accorda maintes fois des marques visibles de sa bienveillance. Un jour
qu'elle était bien loin dans les champs, occupée à chercher à ses brebis les
meilleures herbes, voici qu'un sombre et menaçant orage paraît à l'horizon.
— Ne craignez point, vertueuse enfant, tandis qu'une pluie torrentielle
bouleversera toute la contrée, une atmosphère calme vous enveloppera ;
autour de vous et de vos chères brebis, il se fera comme un jour de beau
soleil. Nouvelle toison de Gédéon, vous serez seule respectée. Encore une
fois, ne craignez point : quelle tempête saurait être fâcheuse pour vous qui
vous fiez au Seigneur ?
Autrefois Dieu bénit la maison de Laban à cause de son serviteur Jacob.
La sage Thorette portait bonheur au domaine qu'elle habitait. Les trou-
peaux confiés à sa garde prospérèrent toujours, dit la tradition, et beau-
coup mieux que ceux des métairies environnantes.
On eût dit que ces animaux avaient l'intelligence du mérite de leur
maîtresse. Voulait-elle abandonner son âme à l'une de ces méditations qui
la ravissaient aux sens, toutes ses brebis, groupées autour d'elle, broutaient
tranquillement les herbes, sans songer à nuire aux héritages voisins. Au
contraire, emportée par sa ferveur, la jeune vierge désirait-elle aller rem-
plir quelques-unes de ses dévotions à l'église, il suffisait qu'elle plantât sa
houiette au milieu de la troupe bêlante, et ses dociles agneaux se gardaient
d'eux-mêmes, et jamais, pendant son absence, aucun de ces féroces ani-
maux, si communs autrefois dans ces régions boisées, ne s'avisa d'attaquer
ses fidèles brebis. Sa vertu était comme un charme auquel ne pouvaient
échapper les natures même les plus ingrates et les plus rebelles.
Un jour, le ruisseau qui coule au bas de Nouzillers était gonflé outre
mesure, et la bergère, placée sur la rive opposée, ne pouvait ramener ses
moutons au bercail. Dans sa religion naïve, elle se rappelle que la foi a le
privilège de transporter les montagnes, et que si nous avions de cette foi
céleste gros seulement comme un grain de sénevé, la nature obéirait à nos
moindres volontés ; elle fait le signe de la croix sur le torrent débordé, en
frappe les eaux avec sa houlette, et soudain une voie miraculeuse s'ouvre
devant elle.
Une autre fois, c'étaient des étrangers, des ouvriers maçons se rendant
du Bourbonnais dans la Marche, leur pays, qui se trouvaient arrêtés par la
même difficulté. Dans leur impatience, ces hommes grossiers se laissaient
aller au murmure, au blasphème. La jeune vierge les invite doucement à la
résignation, les engage à faire la sainte volonté de Dieu, puis, dans la cha-
rité qui la presse, elle demande hardiment un miracle. Au tact de sa hou-
lette, nouveau Jourdain, le ruisseau retourne en arrière et laisse passer
à pied sec ces hommes qui publient hautement les louanges et le pouvoir
de la thaumaturge.
Rentrée le soir au logis, plus modeste encore que d'habitude, on ne
voulut plus lui permettre de remplir les ouvrages humiliants et pénibles
dont cependant elle s'acquittait avec tant de bonheur, a — Non, ma fille,
non», lui dit son vieux maître en refusant certains services qu'elle avait
coutume de lui rendre ainsi qu'à sa famille, « vous êtes une sainte. Nous
devons tous, dorénavant, vous mieux respecter ».
Son humilité ne put tenir à cette épreuve. Elle quitte brusquement la
212 *6r MAT.
chaumière où, par anticipation, une sorte de culte lui était rendu, et va
dans la solitude cacher les grâces que Dieu lui accordait avec tant de géné-
rosité.
C'est dans ce Champ des Combes, voisin du monastère inspirateur, qu'elle
se retirera ; elle aura soin de descendre bien bas dans la vallée. La cavité
d'un chêne séculaire lui servira d'asile. Quelques herbes, quelques fruits
sauvages pour apaiser sa faim, l'eau du torrent pour étancher sa soif, une
prière ardente, interrompue par de courts instants donnés à la nature, telles
seront désormais sa préoccupation, sa vie. Aussi, d'elle comme du divin
précurseur, on pourra dire qu'elle ne mangeait ni ne buvait ; Dieu seul suf-
fisait à ses besoins, Deus meus et omnia *.
Déjà elle était mûre pour le ciel. Bien que les austérités eussent affaibli
ses forces, elle n'en continuait pas moins ses pieux exercices de chaque
jour. Comme le soldat qui tient à mourir les armes à la main, ce sera du
milieu de cette campagne embaumée par ses vertus et de l'intérieur de ce
vieil arbre, témoin de sa ferveur, que son âme ardente et pure s'envolera
vers son Dieu. Elle a entendu la voix du Bien-Aimé qui lui disait : Viens du
Liban, ma colombe, mon épouse, ma toute belle ; viens, tu seras couronnée. Elle
n'a pu résister à une invitation si pressante, et ses liens se sont à l'instant
brisés.
En ce moment, ô prodige ! toutes les cloches des églises environnantes,
à Murât, à Villefranche, à Montcenoux, s'ébranlent d'elles-mêmes pour
annoncer qu'une créature privilégiée venait de quitter la terre.
Longtemps retentit l'airain, c'étaient des vibrations inaccoutumées,
quelque chose de triomphal qui émouvait au loin la contrée.
En un clin d'œil accourut un peuple immense ; tous s'étaient instincti-
vement rendus dans la solitude vénérée.
Au-dessus de l'arbre, tombeau de la Sainte, se dessinait une grande croix
lumineuse, sorte de labarum, qui signalait au loin sa victoire.
Au milieu des cantiques et des chants d'allégresse, on porte en triomphe
ce précieux trésor au lieu tout naturellement désigné pour sa sépulture.
C'est dans la basilique des bons moines, où elle avait si souvent prié, tout
près du maître-autel, où elle avait si fréquemment reçu son Dieu, que ce
glorieux corps fut déposé.
Dès ce jour, les hommages des peuples lui furent spontanément décer-
nés, et, suivant l'usage de ces temps, l'autorité locale diocésaine en régla,
en consacra la manifestation. Chaque année, au 1er mai, avait lieu la com-
mémoration publique ; un pèlerinage, tout de foi et de piété, attirait à Ville-
franche et dans l'enceinte de Montcenoux un concours extraordinaire de
personnes de tous les rangs et de toutes les conditions.
Montmarault et Saint-Priest, Chavenon et Murât, Chappes, Cosne, Doyet,
Monvicq, etc., envoyaient de pieuses députations à ce tombeau renommé.
Que de grâces furent accordées ! Que de bienfaits advinrent à toutes ces
âmes fermement dévouées au culte de sainte Thorette !
Tant de splendeurs se maintinrent jusqu'en 1698 2, époque où fut sup-
primée la collégiale de Saint-Ursin, établie depuis des siècles sur ce coteau
du Bourbonnais. Par ordre du cardinal de Gesvres, cent sixième archevêque
de Bourges, les reliques de sainte Thorette furent portées de l'église de
Montcenoux dans celle de Villefranche.
Depuis cette translation, sauf quelques jours d'une interruption néfaste,
1. Maxime de saint François d'Assise. — 2. Dictionnaire hagiographique, ait. sainte Tlioietto.
NOTRE-DAME DE BETHLÉEM A FERRIÈRES. 213
ces ossements précieux sont toujours restés là exposés à la vénération des
fidèles.
En 1841, par les ordres de Msr de Pons, évêque de Moulins, fut entre-
prise une minutieuse information sur l'authenticité des reliques et sur la
légitimité du culte de sainte Thorette.
On reconnut que, lors de la révolution de 93, ce corps avait été profané
et jeté sur les dalles du temple. Recueillis et conservés par des mains
pieuses, tous les débris en avaient été successivement rendus à l'église où
était auparavant le dépôt général.
Tous les ans, la solennité extérieure s'observe le premier dimanche de
mai. Le pèlerinage en est moins fréquenté qu'autrefois, il est vrai ; néan-
moins, c'est toujours avec confiance que l'on vient invoquer la douce et
pieuse bergère qui s'est autrefois sanctifiée sur ces bords.
La dévotion à cette autre Geneviève ne se limite pas au Bourbonnais ; il
existe dans le Berri une localité à la fois commune et paroisse, qui est dési-
gnée sous le nom de Sainte- Thorette.
La fondation du village remonte à une époque reculée, l'église est du
xne siècle. Notre sainte étant titulaire du monument et patronne du lieu,
cette double circonstance nous permet d'assigner une sorte de date au
temps où elle a vécu. Sa fête, là, se célèbre le dernier dimanche d'avril.
Extrait de la Légende de sainte Thorette, par M. l'abbé Boudant, curé de Cbantelle.
NOTRE-DAME DE BETHLEEM A FERRIÈRES
La ville de Ferrières est pleine des plus glorieux souvenirs. Elle possède
des titres de haute noblesse et des droits sacrés à la vénération des peuples.
Son premier sanctuaire est celui de Notre-Dame de Bethléem. Ce lieu de pèle-
rinage, un des plus fréquentés du diocèse d'Orléans, en est peut-être en même
temps le plus ancien. Plusieurs historiens l en font remonter l'origine jus-
qu'aux temps apostoliques, à l'époque où saint Savinien et saint Potentien
évangélisèrent le Sénonais. Saint Savinien, disent-ils, éleva un petit oratoire
à la Mère de Dieu, convoqua pour sa consécration tous ceux qu'il avait
gagnés à l'Evangile ; et, à cette occasion, un prodige insigne vint confirmer
dans la foi ces nouveaux chrétiens. C'était la nuit de Noël, et on allait
commencer le saint sacrifice, lorsque tout à coup une vive lumière remplit
le sanctuaire ; la sainte Vierge apparaît, portant l'enfant Jésus dans ses
bras, accompagnée de saint Joseph ; et les anges, s'associant à cette glo-
rieuse apparition, entonnent comme autrefois le Gloria in excelsis. Saisi
d'un saint enthousiasme, Savinien s'écrie : « C'est vraiment ici Bethléem ».
Et depuis lors jusqu'à nos jours ce nom est toujours resté au sanctuaire *.
La tradition de ce fait miraculeux s'est conservée à travers les siècles. Il
est raconté par Loup, abbé de Ferrières, qui écrivait en 850, et par plu-
sieurs autres historiens. Il est mentionné formellement dans une bulle de
Grégoire XV, et cité dans une charte de Clovis que rapporte dom Morin.
On comprend tout le retentissement que dut avoir un pareil prodige. De
toutes les parties de la Gaule devenue chrétienne, les peuples accoururent
1. Dom Morin, Histoire du Gâtinais; Dom Ranessant, prieur de Ferrières, 1635; Gallia chrisliana.
t. Quod nomen ad n»ç usque tempora locus ille retinet; Bréviaire de Ferrières, fête de Noël, 6« leçon.
214 1* MAI-
pour prier dans le sanctuaire de Bethléem. Lorsque, vers l'an 434, Attila
pénétra dans le pays avec ses hordes barbares, il livra aux flammes ce lieu
vénéré, et plus de trois cent soixante personnes y périrent, ou ensevelies
sous les débris de l'édifice, ou massacrées par le fer. Mais la piété des peu-
ples releva bientôt de ses ruines le religieux sanctuaire, imparfaitement
d'abord, parce qu'elle ne pouvait mieux faire, plus magnifiquement en-
suite, dès qu'elle le put; et en 481, Notre-Dame de Bethléem entra dans
une ère nouvelle de prospérité. Glovis, quoique encore païen, entendant
raconter tant de merveilles de ce sanctuaire, eut la curiosité de le visiter.
Les ermites qui en étaient les gardiens le reçurent avec le plus grand
honneur; et le prince, touché de ce bon accueil, se montra bienveillant
envers eux jusqu'à contribuer de sa royale munificence à la reconstruc-
tion et à l'embellissement du religieux édifice. D'un autre côté, Clotilde,
jeune encore, y venait chaque année en pèlerinage f, et les ermites,
admirant sa foi et sa piété, osèrent parler à Glovis de la vertueuse et belle
chrétienne ; ils lui en firent un si grand éloge que le roi païen voulut la
connaître ; le regard du fier Sicambre eut bientôt découvert sous le
voile de sa modestie le trésor des douces vertus qui la distinguaient. Il
résolut de l'épouser, et bientôt la sainteté de Clotilde vint embellir le
trône de France. Clotilde voua à la sainte Vierge son second fils Clodo-
mir, vint prier pour lui h Notre-Dame de Bethléem lorsqu'elle le vit
dangereusement malade ; et sa guérison obtenue, elle l'y fit baptiser au
pied de l'autel avec la permission de Clovis, encore païen. La reconnais-
sance de la reine et du roi, lorsqu'il fut devenu chrétien, se traduisit bien-
tôt en nombreux bienfaits, et entre autres par la construction d'une vaste
église tout près du sanctuaire de Bethléem, laquelle, sous le vocable de
saint Pierre et de saint Paul, devint l'église des religieux. Ce n'est pas sans
doute l'église qu'on voit aujourd'hui ; le temps et les guerres l'ont plusieurs
fois ruinée ; mais la religion l'a autant de fois relevée.
Sous Clotaire II, Notre-Dame de Bethléem ne fut pas moins favorisée.
Le prince y vint lui-même en pèlerinage. Adalbert, seigneur d'Etampes,
restaura l'église ainsi que le monastère des ermites , endommagé sur
plusieurs points par les guerres. Enfin à cette époque fut fondée définitive-
ment l'abbaye de Ferrières, cette abbaye fameuse qu'illustrèrent dans les
âges suivants tant de vertus et de talents, qui compta dans ses écoles des
milliers d'élèves, qui fut longtemps une pépinière d'évêques, qui n'eut de
rivale que la grande école de Tours, qui enfin, aussi riche en durée qu'en
illustrations, subsista jusqu'en 1793.
Sous Dagobert, même protection fut continuée au pieux sanctuaire. Ce
monarque y fonda une messe qui devait être dite à perpétuité sur l'autel
de Notre-Dame, et qui fut appelée la messe royale. De plus, sur sa de-
mande, le pape Grégoire II accorda à l'abbaye le privilège de porter les
armes de Saint-Pierre de Rome et plusieurs autres faveurs signalées, qui
furent dans la suite confirmées par Paul Ier, Eugène II, Alexandre III et
Urbain III.
Charlemagne, qui avait eu pour précepteur le célèbre Alcuin, abbé de
Ferrières, se montra également généreux pour Notre-Dame de Bethléem,
et ses successeurs sur le trône imitèrent son exemple.
A la fin du xne siècle, les religieux, aidés par de si puissants protecteurs,
firent reconstruire leur église ainsi que la belle flèche octogone, haute de
cent cinquante pieds, qui la surmontait, et qui tomba en 1837. Ce magni-
1, Dom Morin, p. 766.
NOTRE-DAME DE BETHLEEM A FERRIÈRES. 215
fîque monument terminé, ils invitèrent Alexandre III à venir le consacrer
lui-même. Ce Pape, une des plus grandes figures historiques du xne siècle,
estimant qu'un sanctuaire si célèbre dans le monde chrétien était digne
d'un tel honneur, se rendit de sa personne à Ferrières. Il fit la cérémonie
le 29 septembre 4163, et il puisa dans ce saint asile un adoucissement aux
maux dont fut traversé son pontificat.
Après trois siècles de prospérité et de gloire, Notre-Dame de Bethléem
vit encore arriver de nouveaux jours de deuil. Sous le règne de Charles VII,
les Anglais, maîtres de tout le pays, vinrent ravager Ferrières, brûlèrent
l'église, dont ils ne laissèrent debout que la flèche. Mais le ciel ne laissa pas
ce crime impuni. Selon une légende traditionnelle, le soldat anglais qui
avait mis le feu au lieu saint se sentit tout à coup dévoré jusqu'au fond des
entrailles comme par un feu mystérieux dont rien ne pouvait éteindre les
ardeurs ; et dans l'excès de sa douleur, il alla se précipiter dans un puits
voisin. En 1607, un prieur du monastère, voulant constater le fait, fit son-
der le fond de ce puits, et on y trouva des ossements humains.
L'église de Notre-Dame de Bethléem, tant de fois renversée et tant de
fois reconstruite, sortit de nouveau de ses ruines en 1460, grâce à la piété
généreuse de dom Blamchefort, abbé de Ferrières. Ce saint religieux, que
ses éminentes vertus et surtout sa charité pour les pauvres rendaient véné-
rable dans toute la contrée, aimait tant la sainte Vierge, que, quand il se
sentit près de mourir, il se fit porter au pied de son autel et y rendit le der-
nier soupir. On l'y enterra, et on lui éleva un tombeau richement sculpté.
Les pierres de ce tombeau vénéré ayant été conservées, on l'a rétabli dans
l'église principale de Ferrières, au milieu du chœur, où il est l'objet de la
vénération des peuples de la contrée, qui regardent comme un saint ce
pieux serviteur de Marie. Mais l'église et le tombeau furent pillés, profanés
par les protestants au xviB siècle ; et les révolutionnaires de 93 en achevè-
rent la dégradation jusqu'à ne laisser debout que les murs de l'église;
encore même les mirent-ils dans un état de délabrement qui en compro-
mettait la solidité.
Après la révolution, cette église fut conservée comme annexe de l'église
paroissiale de Saint-Pierre ; mais elle n'en demeura pas moins pour les
fidèles l'église de prédilection; et, lorsqu'en 1837 sa belle flèche s'affaissa
tout à coup sur ses bases dégradées et écrasa l'église de son énorme poids,
toute la ville demanda avec instance, non la reconstruction de ce gigan-
tesque et monumental clocher qui s'élevait à cent cinquante pieds au-des-
sus des combles de l'église ; hélas ! les ressources du pays n'y eussent pas
suffi, mais au moins la restauration du sanctuaire où tant de générations
étaient venues prier. Le digne pasteur, M. l'abbé Champion, partageant le
religieux enthousiasme de ses paroissiens, ouvrit une souscription volon*
taire. Prompts à répondre à cet appel, les riches donnèrent de leur argent,
les fermiers offrirent leurs chevaux et leurs voitures pour tous les charrois
nécessaires ; le pauvre, qui n'avait que ses bras, donna de son temps, et l'on
vit dans un même jour jusqu'à soixante-dix ouvriers, tous animés du même
zèle, du même sublime désintéressement, travailler avec ardeur à cette
œuvre de restauration. En moins d'une année, Notre-Dame de Bethléem
sortit de ses ruines; et les fidèles, réunis de nouveau dans son enceinte,
purent y continuer les prières et les chants des anciens âges.
On y admire, à gauche du grand autel, le tombeau de dom Morin, qui
fut l'architecte des deux chapelles latérales, ainsi que le rétable du grand
autel et les décorations du sanctuaire, qui sont attribués à la munificence
216 1er MAI.
de Marie de Médicis. Mais ce qui mérite bien plus l'attention et le respect,
c'est la Vierge noire, échappée aux dévastations des Anglais, aux profana-
tions des protestants, à l'impiété des révolutionnaires, placée maintenant
dans la chapelle latérale, à gauche du sanctuaire ; Vierge séculaire et mira-
culeuse, aux pieds de laquelle de nombreux pèlerins, entre autres les habi-
tants de Montargis, viennent prier encore aujourd'hui avec une confiance
que justifie et encourage le souvenir des grâces obtenues dans la succession
des siècles.
La dévotion à ce religieux sanctuaire inspira dès le temps des rois mé-
rovingiens une institution pieuse, connue sous le nom de Confrérie royale
de Notre-Dame, qui dura des siècles. Cependant le temps, qui use tout, la
mina peu à peu, elle tomba ; et elle n'existait plus qu'à l'état de souvenir,
lorsque Louis XIII, informé par dom Morin, religieux de Ferrières, de
l'existence de l'antique confrérie, ordonna qu'elle fût rétablie et en fit
approuver les règlements par Grégoire XV.
Ce n'était pas seulement cette pieuse association qui attirait les fidèles
à Notre-Dame de Bethléem ; c'était encore les nombreuses indulgences
qu'y avait accordées Grégoire XV, à cinq époques principales de l'année,
savoir : au dimanche avant l'Ascension, aux fêtes de Pâques, de la Pente-
côte, de saint Paul et de saint Michel. On ne pouvait compter les pèlerins
qu'amenait ces jours-là à Ferrières le désir de gagner les indulgences. Mais,
hélas ! de toutes ces pieuses pratiques, de toutes ces antiques fondations, il
ne reste plus que le pèlerinage du lundi de la Pentecôte ; alors on fait une
procession solennelle ; on porte en grande pompe les saintes reliques
échappées aux diirérentes dévastations de Notre-Dame de Bethléem et de
l'église de l'abbaye de Ferrières, et les pèlerins y sont nombreux. Fasse le
ciel que la ville de Ferrières, n'étant plus aujourd'hui, grâce au chemin de
fer, qu'à quelques heures de la capitale, voie bientôt un meilleur avenir,
et que ces antiquités si glorieuses, ces ruines heureusement devenues la
propriété de Msr Dupanloup, évoque d'Orléans, soient consolées et voient
briller encore quelques rayons de la beauté de leurs anciens jours !
Notre-Dame de France.
NOTRE-DAME DU LAUS ',
ET LA V. BENOITE RENCUREL,
NOTRE-DAME D'ÉRABLE, NOTRE-DAME DES FOURS, ETC.
J'ai demandé le Laus à mon divin Fils pour la con-
version des pécheurs et il me l'a octroyé J'ai
destiné cette église à la conversion des pécheurs.
La très-sainte Vierge à sœur Benoîte en 1664 et 16G9.
Notre-Dame du Laus, située à huit kilomètres de Gap, a été fondée il y
a deux siècles par une simple bergère nommée Benoîte Rencurel, et plus
1. Un lac desséché depuis des siècles occupait le fond de la vallée et lui a laissé son nom : Laus; ce
mot, prononcé suivant l'idiome des montagnes (Laous), veut dire un lac. Un ancien auteur a voulu voir
NOTRE-DAME LU LAUS, ET LA VÉNÉRABLE BENOITE RENCUREL. 217
tard appelée communément sœur Benoîte, parce qu'elle s'était associée au
Tiers Ordre de Saint-Dominique.
Cette âme d'élite, ayant entendu un prédicateur dire en chaire que la
sainte Vierge est toute bonne et toute miséricordieuse, conçut un violent
désir de la voir et demanda à Marie, avec les plus ardentes prières, de se
montrer à elle. Marie le lui accorda, et lui apparut, non pas une fois, mais
fréquemment, et cela pendant cinquante-six ans entiers.
Ce fut sans nul doute par une secrète disposition de la Providence que
l'enfant qui, du berceau à la tombe, devait être en butte aux plus mauvais
traitements des esprits infernaux et leur résister si courageusement, na-
quit le jour où l'Eglise célèbre la fête du noble Archange, vainqueur de
Lucifer.
En effet, le 29 septembre 1647, dans le petit village de Saint-Etienne,
séparé du Laus par une étroite prairie, naissait, dans une famille de pauvres
paysans restés inconnus au monde, une petite fille, à la naissance de laquelle
personne ne prit garde. On ignorait que dans peu d'années les anges l'ap-
pelleraient « ma sœur », et qu'elle serait l'élève et la fille chérie de la Reine
des anges et des hommes1. Au sein d'une pauvreté laborieuse, acceptée
avec piété, la première enfance de Benoîte Rencurel s'écoula sous le toit de
chaume que bientôt elle devait quitter pour voir sa pauvreté héréditaire
s'accroître encore et son humble condition s'abaisser de plus en plus. Toute
l'éducation et l'instruction données par la mère Rencurel à sa fille se bor-
nèrent à lui recommander d'être toujours sage et de bien prier Dieu, et,
pour bien prier Dieu, elle ne lui enseigna que le Pater et Y Ave Maria ; mais
avec ces prières, tombées des lèvres divines et angéliques, on peut réciter
le Rosaire : c'en était assez pour apprendre toute la science du salut à notre
jeune enfant ; le Rosaire devint vite sa dévotion de prédilection, et souvent
les saints anges vinrent le réciter visiblement avec elle. Benoîte n'avait que
sept années lorsque Dieu appela à lui son père Rencurel, et l'année suivante
un indigne parent dépouillait la veuve et les trois orphelins de leur toit de
chaume et de leurs petits champs. Le pain manqua, et Benoîte, à huit ans,
entra comme bergère au service de deux maîtres à la fois, car un seul n'au-
rait pu la nourrir pendant la famine qui régnait alors dans le pays ; elle
gardait donc en môme temps, chaque jour, deux troupeaux pour un mor-
ceau de pain noir, que ces deux maîtres lui servaient à tour de rôle pendant
huit jours. En quittant sa mère, Benoîte ne lui avait demandé pour tout
don qu'un chapelet.
Les deux maîtres de Benoîte ne se lassaient pas d'admirer sa piété,
sa douceur, sa docilité, et s'étonnaient fort de ne voir en elle aucun de
ces petits défauts inhérents à l'enfance. Contente du morceau de pain
dur et grossier qu'elle recevait chaque matin au départ, elle ne déroba ja-
mais rien à ses maîtres ; jamais sa main ne s'étendit même pour cueillir en
passant le long des vergers sans clôture une pomme ou un grain de raisin.
Son morceau de pain trempé dans l'eau du torrent composait tout son repas.
Son jeune cœur était déjà si embrasé de l'amour divin, que p^u lui impor-
tait la nourriture matérielle ; mais comme on ne peut aimer Dieu sans aimer
les hommes, qu'il a tant aimés, elle les aima en Dieu et pour Dieu. Aussi
son unique morceau de pain ne lui appartenait même plus dès qu'elle ren-
contrait un enfant qui avait faim, et elle le partageait avec lui. Bientôt sa
dans Laus le mot latin qui signifie louange, et 11 l'applique au désir que Marie avait d'être honorée sa
ca lieu.
1. Son père se nommait Guillaume Rencurel, et sa mère Catherine Matheron.
218 *er mai.
charité la porte à tout donner, et voici à quelle occasion : Jean Rolland,
un de ses maîtres, pouvait sans peine, malgré la disette croissante, ôteràsa
table sept morceaux de pain en quinze jours; mais il n'en était pas de
même chez son autre maître, Louis Astier, dont elle gardait le petit trou-
peau en même temps que celui du riche fermier Rolland. Cependant, comme
la femme Astier aimait sa douce bergère, elle préférait lui donner, aux dé-
pens de son appétit, la même quantité de pain qu'en des jours meilleurs.
Benoîte, après avoir reçu sans mot dire ce pain si rare, le distribuait secrè-
tement aux six petits enfants Astier, qui le mangeaient sans comprendre
que ces fragments de pain étaient comme des morceaux de la vie de la
pieuse enfant. Quant à elle, Benoîte se disait pour se fortifier : « Ah ! c'est
bien assez que je mange la semaine prochaine chez mon autre maître ».
Elle partait donc à jeun pour conduire ses troupeaux dans la montagne ;
elle revenait à jeun et se couchait de même, et cela pendant sept fois vingt
quatre heures consécutives ! Elle souffrait tant de la faim, que le sang lui
jaillissait de la bouche et des narines : mais les anges des Alpes recueillaient
chaque goutte de ce sang si pur, pour le faire retomber plus tard en torrent
de grâces sur les pécheurs.
Avec son pain, son cœur et ses rosaires, Benoîte donnait sa compassion à
tous les malheurs qui arrivaient à sa connaissance. Un jour, elle apprend
qu'une femme vient de perdre connaissance et que son état est grave ; aus-
sitôt elle court vers l'église en entraînant après elle toutes les petites filles
qu'elle rencontre sur son chemin, et, de concert avec elles, récite le rosaire
avec une grande ferveur. Avant de s'éloigner de son troupeau, elle lui avait
dit avec cette foi qui transporte les montagnes : « Tu ne toucheras point à
ce pré, ni à celui-ci, ni à celui-là », et le troupeau, pendant son absence,
resta à brouter paisiblement dans le lieu qu'elle lui avait désigné.
Après le Rosaire, la troupe enfantine vint voir la malade, toute prête à
retourner à l'église s'il en était besoin. Mais Dieu l'avait exaucée : la malade
avait recouvré la connaissance et la parole, et le premier usage qu'elle en
fit, fut pour remercier et bénir ces enfants et surtout Benoîte. Aux prières,
la jeune et sainte bergère savait à l'occasion joindre les exhortations. Elle
parlait avec tant d'éloquence de Dieu, du ciel, de l'enfer, qu'elle trouvait
le chemin des cœurs les plus endurcis. C'est ainsi que Jean Rolland, l'un des
deux maîtres qu'elle servait à la fois, homme brutal, colère et blasphéma-
teur, vaincu par l'éloquence de sa douce bergère , donna à tout le pays
l'exemple d'une conversion aussi inattendue qu'éclatante. C'était donc par
l'exercice des plus sublimes vertus que Benoîte se préparait, sans le savoir,
pour la plus grande mission à laquelle elle était prédestinée.
Benoîte comptait dix-sept printemps; son angélique pureté qui réjouis-
sait le regard des anges et impressionnait même les gens grossiers au milieu
desquels elle vivait, l'avait rendue particulièrement chère à la Reine des
Yierges.
Un beau jour du mois de mai 1664, elle avait conduit ses troupeaux sur
la montagne de Saint-Maurice, et elle était entrée dans la chapelle en ruine *
dédiée à l'illustre chef de la légion thébaine, pour y réciter son chapelet,
lorsque ce saint lui apparut et l'engagea à conduire désormais son troupeau
dans la vallée de Saint-Etienne, parce que ce serait là que, selon son désir,
elle verrait la sainte Vierge.
Le lendemain, dès l'aurore, le troupeau prenait de lui-même le chemin
de la vallée, et Benoîte le suivait d'un air joyeux, sans se rendre compte de
1. Cette chapelle a depuis été restaurée.
NOTEE-DAME DU LAUS, ET LA VÉNÉRABLE BENOÎTE RENCUBEL. 219
ses pensées. Il y avait au fond du vallon et à l'entrée du bois une petite
grotte où elle avait l'habitude de se retirer pour dire son Rosaire.
A peine arrivée en face de la grotte, Benoîte y vit une dame d'une
beauté incomparable tenant entre ses bras un enfant d'une beauté non
moins admirable. Malgré la prédiction du Saint, la sainte et naïve bergère
ne pouvait croire que la sainte Vierge fût descendue du ciel pour exaucer
l'immense désir qu'elle avait de la contempler ; elle croyait donc n'avoir
devant les yeux qu'une simple mortelle, et elle lui offre ingénument un
morceau de son pain noir. La dame sourit de cette simplicité enfantine et
ne lui répond rien.
Le jour suivant et pendant tout près de quatre mois, Benoîte contempla
dans ce lieu celle qui fait la joie des anges et l'ornement du ciel. Dès le
premier jour, la figure de la jeune bergère parut aux yeux de tous transfi-
gurée comme son âme, sa beauté avait pris un cachet tout céleste, et ses
paroles avaient acquis une vertu irrésistible. Elle faisait part de son bonheur
à tout le monde avec une simplicité joyeuse, et chacun, en voyant le chan-
gement qui s'était opéré en elle, se disait : « Si c'était la sainte Vierge
qu'elle voit ! » Quant à l'humble bergère, elle ne le savait point encore et
ne songeait même point à demander à celle qui lui donnait toute cette joie
qui elle était.
Avant de faire de Benoîte son amie et la dispensatrice de ses grâces, la
sainte Vierge daigna en faire son élève, et lorsqu'elle se fut étroitement at-
taché l'âme de la jeune bergère par l'attrait irrésistible de sa beauté, elle
commença à lui parler, et ce fut pour l'instruire, l'éprouver, l'encourager.
Pour se mettre à la portée de l'intelligence peu cultivée de l'enfant des
montagnes, elle descendit à des familiarités qui nous étonneraient, si nous
ne savions que la bonté de Marie est sans borne. Elle ne dédaigna même
pas de lui apprendre à prier, comme le font les mères, en répétant mot à
mot une prière à leurs enfants ; c'est ainsi qu'elle lui apprit ses litanies,
encore inconnues dans le pays, et en lui enjoignant de les apprendre à son
tour à ses compagnes et de les répéter chaque soir avec elles. Les jeunes
filles d'Avançon et de Valserre se mirent promptement comme celles de
Saint-Etienne à réciter chaque soir les litanies de la divine Vierge ; toutes
les processions qui arrivent au Laus les chantent en gravissant la monta-
gne ; toute messe célébrée à l'autel de Marie est suivie de ses litanies, qu'on
redit encore tous les samedis et tous les dimanches sur un air qui ne s'en-
tend qu'au Laus et qui remue toutes les fibres de l'âme1. Si presque tous
les habitants de la vallée croyaient que c'était vraiment la très-sainte Vierge
qui apparaissait à Benoîte, quelques-uns doutaient encore ; mais lorsque
deux impies, qui avaient blasphémé publiquement contre la belle dame de
Benoîte, eurent reçu un châtiment rigoureux et exemplaire, tout le monde
crut qu'en effet l'Etoile de la mer s'était levée sur cette heureuse val-
lée. Le bruit de ces choses traversa les montagnes et arriva à Gap, tandis
que M. Grimaud, homme capable et intègre, juge de la vallée, ordonna à
Benoîte de demander à celle qui lui apparaissait si elle ne serait point la
Mère de Dieu, et si elle ne voulait point qu'on lui élevât en ce lieu une
chapelle ?
Benoîte adressa donc à la belle dame la demande que le pieux juge lui
avait suggérée ; la sainte Vierge lui répondit :
« Je suis Marie, Mère de Jésus », puis elle ajouta : « Mon Fils veut être
1. Les titanes apprises par la très-sainte Vierge a sœur Benoîte sont celles connues clans toute l'EgliM
«ous le nom de Litanies de Lorette. Elles n'ont de local que Tair sur lequel on les chante au Laus.
220 1er mai.
honoré dans cette paroisse, mais non dans ce lieu... » La sainte Vierge, vou-
lant autoriser publiquement la croyance à la révélation qu'elle venait de
faire, commanda ensuite à Benoîte d'amener les filles de Saint-Etienne en
procession à la grotte ; celle-ci répondit à cet ordre avec sa profonde ingé-
nuité : « Possible qu'elles ne voudront pas croire : écrivez-le ». — « Cela
n'est pas nécessaire », répondit la Mère des miséricordes en disparaissant.
Non-seulement les filles de Saint-Etienne se rendirent avec empresse-
ment à la procession ordonnée par Marie, qui eut lieu le 30 août ; mais
M. Fraisse, curé de la paroisse, et le juge de paix, y vinrent aussi pour ob-
server attentivement ce qui se passerait, et ils en dressèrent procès-verbal.
La très-sainte Vierge apparut à Benoîte devant tous, et comme, lorsque
tout le monde fut retiré, elle était restée à prier dans le vallon, Marie lui
apparut de nouveau et lui dit : « Vous ne me verrez plus dans ce lieu * ».
Cette vallée était en effet trop peu étendue pour qu'on pût y élever une
église.
Pendant un mois entier, Benoîte ne vit plus sa divine maîtresse ; elle en
éprouvait une si vive douleur que, encore un peu de temps, elle n'aurait pu
y survivre. Elle dirigeait de préférence son troupeau dans un pâturage d'où
son œil explorait sans cesse les deux versants de la montagne, tandis qu'elle,
demandait en gémissant aux nuages qui passaient sur sa tête, aux oiseaux
qui voltigeaient aux quatre vents du ciel, s'ils ne lui apporteraient pas
bientôt des nouvelles de sa bien-aimée.
Un jour béni, de l'autre côté du torrent et à mi-côte de la colline der-
rière laquelle s'abrite le Laus, elle reconnaît, malgré l'éclat extraordinaire
qui l'environne, la divine Vierge ; elle s'écrie : « Oh ! ma bonne mère,
pourquoi m'avez-vous si longtemps privée du bonheur de vous voir ? » puis
elle traverse, avec le secours d'une de ses chèvres, le torrent grossi, et se
jette aux pieds de la Reine du ciel.
Tout ce que Benoîte révéla de cette apparition, c'est que la sainte Vierge
lui dit : a Vous ne me reverrez plus que dans la chapelle du Laus, cher-
chez-la, vous la reconnaîtrez aux suaves odeurs qui s'en exhaleront dès la
porte * » .
Dans la solitude si profonde alors du Laus, quelques pieux montagnards
avaient, en 1640, élevé une petite chapelle dédiée à Notre-Dame de Bon-
Rencontre. Cet humble édifice, couvert en chaume, ne renfermait qu'un
espace d'un peu plus de deux mètres, un autel en maçonnerie qui, pour
tout ornement, avait deux flambeaux de bois et un saint ciboire en étain.
C'était là que la Reine du ciel attendait la jeune bergère, comme dans re-
table de Bethléem elle avait reçu les bergers de la Judée. Benoîte ne con-
naissait pas cette chapelle, elle la cherchait en pleurant, lorsque attirée par
l'odeur des parfums annoncés, elle la découvre enfin ; elle entre, et en
voyant la radieuse Vierge sur l'autel, elle tombe à genoux, muette de bon-
heur. La Mère de Jésus lui fait entendre sa voix céleste, mais c'est pour lui
reprocher doucement les larmes qu'elle a versées et l'exhorter à la résigna-
tion. Benoîte répond humblement à sa bonne Mère : ce n'est plus qu'ainsi
qu'elle parlera de Marie, et cette appellation, nouvelle dans l'église, est
restée dans toute la vallée où la très-sainte Vierge est toujours invoquée
sous le nom de la Bonne-Mère.
1. Sur l'emplacement de la grotte oh Marie se montra si souvent à Benoîte, on a élevé une petite cha-
pelle sous le vocable de Notre-Dame des Fours.
2. Un petit monument commémora tif de cette apparition a été élevé sur le chemin de Saint-Etienne
au Laus ; eut endroit se nomme Pindrau.
NOTRE-DAME DU IATJS, ET LA VÉNÉRABLE BENOÎTE RENCUREL. 221
Benoîte, en se relevant, voit l'autel déjà si pauvre par lui-même, et où
la Reine du ciel ne dédaigne pas de poser ses pieds tout couverts de pous-
sière; elle s'écrie : « Ma bonne Mère, agréez que je détache mon tablier
pour le mettre sous vos pieds, il est tout blanc. — Non, répond la sainte
Vierge, gardez-le ; dans peu, rien ne manquera ici, ni nappes, ni orne-
ments ; je veux y faire bâtir une église en l'honneur de mon très-cher Fils
et au mien, où beaucoup de pécheurs et de pécheresses viendront se con-
vertir ; elle sera grande comme je la veux ; et c'est là que je vous apparaî-
trai souvent. — Où prendra-t-on de l'argent pour bâtir cette église? de-
manda la jeune fille qui connaissait la grande misère du pays. — Soyez sans
inquiétude, l'argent ne manquera pas, et je veux que ce soit celui des
pauvres » .
On était alors à la fin de septembre 1664 ; après un long entretien, Marie
congédia la bergère pour qu'elle fût rentrée chez ses maîtres avant la nuit.
Chaque jour, jusqu'au printemps suivant, Benoîte revint passer de longues
heures aux pieds de sa céleste maîtresse, autant que la neige et ses devoirs
le lui permettaient.
Marie, qui la préparait à entrer dans le Tiers Ordre de Saint-Dominique,
lui apprenait dès lors à unir la vie active à la vie contemplative, et l'aver-
tissait toujours, afin qu'elle la quittât assez à temps pour que son devoir
n'en souffrît pas et qu'elle continuât à travailler et à obéir dans son humble
condition de bergère. Elle voulait lui apprendre à mépriser les vaines paru-
res du monde et à ne s'occuper que de l'ornement de son âme ; elle lui dé-
fendit donc de porter une belle robe que le gouverneur de Gap, M. du Saix,
lui avait envoyée. Elle la formait peu à peu, avec une douceur et une pa-
tience de mère, pour la mission à laquelle elle la destinait, et elle lui recom-
mandait sans cesse de bien prier pour les pécheurs. Elle lui en fit si bien
sentir l'importance, que déjà la jeune bergère se montrait animée du plus
grand zèle de remplir sa tâche sublime. On ne la rencontrait plus que les
yeux empreints d'une douce gravité et son rosaire à la main. Dans ses appa-
ritions, la sainte Vierge lui avait appris que nulle offrande ne lui était plus
agréable que celle de la couronne mystique du Rosaire, que nulle prière
n'était plus efficace pour arracher les pécheurs de l'abîme du mal et les
âmes souffrantes de l'abîme du purgatoire : aussi prit-elle depuis lors la ré-
solution à laquelle elle ne faillit jamais, de réciter chaque jour, en outre de
plusieurs autres prières, quinze rosaires et quinze chapelets pour honorer
doublement le nombre sacré des mystères du Rosaire, et comme le jour ne
lui suffisait pas pour tant de prières, pendant le sommeil de ses maîtres, elle
quittait sans bruit la maison, et, malgré les ténèbres, le froid et la pluie,
elle allait s'agenouiller sur le seuil de l'église du village, où les premiers
rayons du jour la trouvaient souvent encore. Quelquefois, ainsi que cela
arriva au glorieux saint Dominique, un ange lui ouvrait la porte de l'é-
glise, et depuis les anges l'assistèrent dans plusieurs circonstances de sa vie.
Un jour de ce même automne 1664, ses maîtres l'avaient envoyée couper de
l'herbe, non loin de l'église de Valserre ; elle entra dans le lieu saint avec
l'intention de n'y faire qu'une courte prière ; mais bientôt son âme quitta
la terre et s'éleva vers les régions célestes. Lorsqu'elle revint de son extase,
le soleil avait déjà disparu derrière les montagnes, et la nuit arrivait rapi-
dement; elle sort avec inquiétude de l'église et trouve, avec une joyeuse
surprise, que pendant qu'elle faisait l'office des anges, un esprit céleste avait
fait le sien, coupé et lié un gros paquet d'herbes avec la corde qu'elle avait
laissée à la porte de l'église.
222 1" MAI.
Pendant ce temps, le public attendait avec une religieuse impatience,
pressentant que de grandes choses se préparaient dans ce lieu, et pendant
tout l'hiver, les filles d'Avançon bravèrent les glaces et les neiges pour aller
chaque jour chanter au Laus les litanies et les cantiques de la divine
Marie.
Le nombre des visiteurs devint bientôt si grand, qu'il fallut, pour en-
tendre leurs aveux et leur donner la communion, dresser des confession-
naux et des autels dans la campagne. Le 25 mars 1665, en particulier, moins
d'un an après la première apparition, des flots de peuples envahirent la
chapelle, autrefois déserte; et le 3 mai suivant, il s'y rencontra trente-cinq
paroisses à la fois, marchant chacune sous sa bannière. Marie récompensa
tant de zèle pour sa chapelle par des guérisons miraculeuses, des conver-
sions inattendues , des prodiges divers dont le récit est consigné dans les
volumineux manuscrits qu'on conserve au Laus. Un des plus remarquables
fut obtenu par le juge même du lieu : il avait une fille muette de nais-
sance ; il en demanda la guérison dans la sainte chapelle, et elle lui fut aus-
sitôt accordée.
Le 14 septembre de la même année, arriva au Laus le vicaire général
du diocèse, accompagné de plusieurs hommes de grand mérite; il venait
faire une enquête juridique sur les faits dont tout le monde parlait. A l'an-
nonce de cette enquête, l'humble bergère s'enfuit effrayée dans le bois, pour
prier et consulter la sainte Vierge, et revint bientôt rassurée par elle. Be-
noîte répondit à tout avec beaucoup de calme et d'à-propos; et sur l'obser-
vation qu'on lui fit que, s'il ne se faisait plus de miracles, on l'éloignerait
du Laus, et qu'on démolirait la chapelle : « Après tout ce que j'ai vu et
entendu », dit-elle, « je ne doute pas qu'il ne s'en fasse encore plus à l'ave-
nir que par le passé ». L'enquête terminée, le vicaire général tenta deux
fois de partir; et deux fois il en fut empêché par une pluie violente, qui
commençait au moment où il montait à cheval. Ce ne fut pas sans un des-
sein de Dieu. Car le lendemain même, il fut témoin d'un miracle éclatant
qui s'opéra dans la chapelle du Laus. Catherine Yial, privée de l'usage de
ses jambes desséchées, et tellement repliées en arrière qu'elles paraissaient
collées sur son corps, fut subitement guérie, le dernier jour de sa neuvaine.
Le grand vicaire dressa procès-verbal du fait; les témoins le signèrent, et
la guérison fut si complète, qu'un mois après, sa paroisse étant venue en
procession remercier la sainte Vierge, c'était Catherine Vial elle-même qui
portait la bannière.
Nonobstant ces faits, il y eut des hommes qui accusèrent Benoîte de
tromper le peuple par ses rêveries; on voulut l'arrêter et la mettre en pri-
son; et trois fois la sainte Vierge la déroba aux poursuites de ses persécu-
teurs. Des personnes pieuses même se liguèrent contre elle, soutenant
qu'elle n'avait aucune vertu, et essayèrent de la faire chasser du Laus par
les supérieurs ecclésiastiques. En réponse à ces accusations, Dieu, vers ce
même temps, opéra au Laus un nouveau miracle. Un des premiers officiers
de la cour de Savoie, orgueilleux et impudique, violent et emporté, entre
dans la chapelle la tête haute, les yeux égarés, sans donner aucune marque
de respect. Tout à coup, il se sent saisi d'horreur de lui-même; et immo-
bile pendant plus d'une heure, il repasse dcns sa conscience les crimes de
sa vie, en conçoit une douleur profonde, va se confesser et sort converti,
pleinement réconcilié avec Dieu.
Cette chapelle où s'opéraient tant de prodiges, pouvait à peine contenir
dix à douze personnes; et la foule, qui se pressait tout autour, avait à subir
NOTRE-DAME DU LAUS, ET LA VÉNÉRABLE BENOÎTE RENCUREL. 223
les intempéries des saisons. Il était donc indispensable de la remplacer par
une église plus vaste. En 1665, Benoîte, sans ressource aucune que sa con-
fiance en Marie, entreprend l'œuvre. Elle en trace les fondations, de ma-
nière à établir le chœur et le maître-autel de la nouvelle église dans l'em-
placement môme de la chapelle de Bon-Rencontre; puis elle appelle à son
aide toutes les âmes qui aiment la sainte Vierge, et leur communique sa
sainte ardeur. Une pauvre femme, qui vivait d'aumônes, se présente la pre-
mière, et offre une pièce d'or; les habitants des environs apportent chacun
son offrande, les uns en nature, les autres en argent; tous ceux qui montent
au Laus prennent une ou plusieurs pierres dans le torrent qui coule au bas
du vallon, et les apportent sur la hauteur. Un an fut ainsi employé à pré-
parer les matériaux; et quand tout fut prêt, on se mit à l'œuvre. Benoîte,
de son côté, présidait elle-même aux travaux, les activait et les dirigeait.
Elle préparait les repas des ouvriers, faisait la prière avec eux, et leur di-
sait de temps en temps des paroles de salut; d'autres fois elle y entremêlait
des avis utiles pour prévenir les accidents, de sorte que, pendant toute la
durée des constructions, pas un seul blasphème ne fut entendu, pas un seul
accident n'arriva. En quatre ans, cette église fut achevée. Ce grand édifice
avait commencé avec rien ; les mains des pauvres en avaient assemblé les
matériaux, les aumônes des fidèles en avaient creusé les fondements, la Pro-
vidence en éleva les murs, et la confiance en Dieu l'acheva. Le portail seul
restait à faire, mais l'archevêque d'Embrun, ambassadeur de France en Es-
pagne, étant tombé à Madrid gravement malade, se souvint des prodiges
qu'opérait Notre-Dame du Laus. Il l'invoqua, et fit vœu de bâtir le portail
s'il revenait à la santé. Promptement guéri, il exécuta promptement son
vœu; et ainsi il ne manqua plus rien au saint édifice.
Benoîte était dans sa vingtième année lorsqu'on posa la première pierre
de l'église qui, quatre années après, fut achevée et reçut le nom de Notre-
Dame du Laus. Le 25 décembre, après la messe de minuit, un grand nombre
d'esprits célestes célébrèrent l'inauguration de la nouvelle église, en faisant
trois fois le tour de l'édifice sacré au chant du Gloria in excelsis. Sœur Be-
noîte, qui était restée, selon sa coutume, à prier dans le lieu saint, suivait
la procession angélique. Les personnes qui se trouvaient à l'extérieur étaient
pour ainsi dire éblouies par la vive clarté qui brillait par les fenêtres et
enivrées par les suaves parfums qui s'exhalaient de l'église, quoique les
portes en fussent fermées. Les premiers historiens de Notre-Dame du Laus
sont unanimes pour parler des suaves et célestes parfums du Laus, et ils en
parlent comme d'un fait public dont une infinité de personnes peuvent
rendre témoignage. Ces parfums étaient quelquefois si intenses, qu'ils se
répandaient de la chapelle dans toute la vallée. Le vicaire général de Gap
s'exprime ainsi à ce sujet : « Les odeurs de Marie sont si suaves, si déli-
cieuses, et donnent une si grande consolation que celui qui les sent croit
déjà jouir par avant-goût du ciel. A mesure qu'elles frappent l'odorat, elles
élèvent l'âme et toutes ses puissances, et remplissent le cœur de joie; les
parfums des fleurs ne sont rien en comparaison de ceux-ci, parce qu'ils sont
des écoulements de la divinité ».
Sœur Benoîte, qui respirait ces parfums à leur source et dont tous les
sens étaient épurés par la sainteté, en était toute pénétrée. Lorsqu'elle reve-
nait d'avec sa bonne Mère, son visage, comme celui de Moïse descendant du
Sinaï, paraissait tout lumineux, ses vêtements restaient longtemps et pro-
fondément imprégnés de la céleste odeur, et son âme était tellement enivrée
de consolations, que pendant plusieurs jours elle ne pouvait ni boire, ni
224 1er mai.
manger, ni dormir. Les suaves parfums étaient donc pour la foule qui ne
voyait pas la sainte Mère de Dieu, une preuve sensible de sa présence, puis-
qu'ils étaient moins une grâce particulière qu'un attribut de la nature cé-
leste de Marie.
D'après les observations de Benoîte, les hiérarchies angéliques se distin-
gueraient par des parfums que Dieu répand en abondance sur toute l'étendue
des cieux comme un élément de bonheur, aussi bien que par la clarté, l'agi-
lité et les autres éléments plus ou moins connus de la céleste félicité. Ainsi
la jeune bergère avait remarqué que, si tous les anges exhalent de doux
parfums, tel ange embaumait plus fortement ou différemment de tel autre,
mais toujours d'une manière bien inférieure à la Reine des anges et des
hommes. Pour les parfums qui s'exhalaient de la sacrée et adorable per-
sonne de Notre-Seigneur Jésus-Christ qu'elle eut le bonheur de contempler
plusieurs fois, ils surpassaient d'une manière infinie tout ce qu'elle avait
éprouvé en ce genre. Nous ne pouvons nous étonner qu'il en soit ainsi des
âmes bienheureuses, puisque notre Père Saint-Dominique et sœur Benoîte
sa digne fille ont donné, étant encore sur la terre, des marques de ce privi-
lège, ainsi que plusieurs autres Saints. Tout ce qui appartenait à la sainte
bergère était parfumé; son haleine, tout ce qu'elle touchait et l'air qu'elle
traversait. Elle n'avait point encore parlé que le souffle de ses lèvres préve-
nait délicieusement l'odorat avant d'aller remuer le cœur, et ce parfum
était d'autant plus suave et plus pénétrant, que les transports de son amour
actuel pour Dieu étaient plus grands. Lorsque son cœur s'était encore ré-
chauffé au foyer de l'amour par une fervente communion, une extase, une
vision, elle enivrait alors de ses parfums tous ceux qui l'approchaient.
Les parfums de Notre-Seigneur Jésus-Christ, de la sainte Vierge, des
anges et de notre sœur Benoîte, composent ce que la tradition a nommé les
bonnes odeurs du Laus : le charme si pieux de ce mot dure encore, et de
loin en loin des âmes privilégiées perçoivent les célestes parfums du Laus.
Au moment où Benoîte jouissait du succès de son œuvre, il s'éleva contre
elle des contradictions inouïes, surtout dans les rangs du clergé alors infecté
du venin janséniste. La haine alla jusqu'à fabriquer et afficher, aux portes
de la cathédrale d'Embrun, un interdit contre cette sainte fille, avec me-
nace d'excommunication contre tout prêtre qui célébrerait dans la chapelle
du Laus. On mit en jeu la jalousie et l'intérêt, en représentant que la dévo-
tion nouvelle à Notre-Dame du Laus détruirait l'antique dévotion à Notre-
Dame d'Embrun, qui était en possession de recevoir de nombreux pèlerins
apportant de riches offrandes. L'ancien grand vicaire, protecteur du Laus,
était mort; celui qui le remplaçait ne connaissait point l'état des choses.
Mais, dans cet abandon général, Benoîte ne désespéra point. « La dévotion
du Laus, lui dit son bon ange, le 18 mars 1700, est l'œuvre de Dieu, que ni
l'homme ni le démon ne sauraient détruire, et qui subsistera jusqu'à la fin
du monde, fleurissant toujours plus, et faisant de grands fruits partout ».
En effet, le nouveau grand vicaire mande Benoîte à Embrun, la soumet à
un sérieux examen, en conclut que la dévotion à la chapelle du Laus vient
de Dieu, et que la vertu de l'humble bergère est non-seulement incontes-
table, mais éminente. Chose remarquable, pendant quatorze jours que Be-
noîte resta à Embrun pour cette affaire, elle ne prit aucune nourriture; et
ni sa santé ni ses forces n'en furent altérées. La veille de son départ, passant
la journée en prières à la métropole, elle reçut pendant la grand'messe une
visite de la sainte Vierge, laquelle l'exhorta à la patience contre les persé-
cutions qui pourraient lui survenir encore. Le lendemain, au moment d'ar-
NOTRE-DAME DU LAUS, ET LA VÉNÉRABLE BENOÎTE RENCUREL. 225
river au Laus, elle vit en vision Jésus crucifié, tout couvert de sang; et cette
vue lui déchira le cœur, au point qu'elle en perdit la parole pendant deux
jours. Marie vint la consoler, en lui recommandant de prier pour les pé-
cheurs, pour qui Jésus-Christ a tant souffert. Le nouvel archevêque d'Em-
brun, Mgr de Genlis, fut pour elle un second consolateur. Ce prélat, venu
au Laus, fut tellement ému en entrant dans l'église, qu'il s'écria : Vere Do-
minus est in loco isto ; vraiment Dieu est ici. Il interrogea ensuite Benoîte;
et ses réponses, qu'il écrivit de sa propre main, lui inspirèrent tant de vé-
nération pour sa personne, qu'il déclara n'avoir jamais rencontré ni vertu
plus solide ni fille plus simple.
Néanmoins, sans cesser d'admirer Benoîte, Mgr de Genlis la laissa
persécuter. A la pitoyable rivalité de la métropole, le Jansénisme, fort
puissant alors, vint prêter son concours et livra à notre héroïque ber-
gère une guerre longue, perfide et ténébreuse. On attribue aussi aux
Jansénistes le dessein de la faire passer pour sorcière et condamner comme
telle. Il fut encore question d'enlever, en même temps que Benoîte, le pieux
ermite de Notre-Dame de l'Erable, voisin du Laus, pour publier ensuite
qu'ils s'étaient sauvés ensemble
Cependant les populations, toujours entraînées par la grande voix des
miracles, continuaient à affuer au Laus, lorsqu'on trouva moyen de ralentir
leur zèle en remplaçant les saints prêtres qui, dès l'origine, s'étaient consa-
crés au nouveau pèlerinage, par des directeurs Jansénistes qui firent péné-
trer avec eux le désespoir et le découragement dans le sanctuaire de Marie.
L'ennemi était donc au cœur de la place; le refuge des pécheurs était
fermé, Benoîte elle-même n'avait plus de confesseur ! Il y eut alors dans
l'élan des populations vers le Laus un temps d'arrêt forcé que ses historiens
ont appelé : Eclipse du Laus.... Mais bientôt à l'éclipsé devait succéder un
radieux soleil.
L'image de Marie, qui faisait la gloire d'Embrun, disparut sans qu'on
pût la retrouver, et un demi-siècle plus tard, non-seulement le Laus, mais
Embrun, était donné au diocèse de Gap, qui, dès l'origine, s'était montré
dévoué au nouveau sanctuaire de Marie.
Benoîte, de son côté, reçut des consolations proportionnées à ses terribles
épreuves. Outre les fréquentes apparitions des anges et de quelques Saints,
notre sœur jouit à six reprises différentes de la vision du chaste Joseph, l'époux
de Marie et le père nourricier de l'Enfant Jésus, qu'elle eut le bonheur de
contempler plusieurs fois sous la forme d'un gracieux enfant, dans la sainte
Eucharistie, avant que, devenue plus avancée encore dans les voies de la
perfection, elle le contemplât dans les douleurs de sa passion. De toutes ces
apparitions, celle qui la charmait le plus était la douce présence de sa bonne
Mère qui la comblait de mille faveurs. Un jour, quelques bons ouvriers
ayant offert, par charité, à la pauvre mère de Benoîte de donner à sa petite
vigne la culture dont elle avait besoin, elle chargea sa fille de les y conduire
et de leur servir leur modeste repas. En attendant, Benoîte entre dans
l'église ' qui était tout près de la vigne. A peine y était-elle entrée, que la
divine Vierge lui apparaît, et qu'elle tombe dans une extase qui dura le reste
de la journée et toute la nuit suivante, de sorte que les ouvriers durent pour-
voir eux-mêmes à leurs besoins. Leur charité ne s'en était pas formalisée,
et le lendemain matin on les vit continuer leur travail dans la petite vigne
de la pauvre veuve. Benoîte ne savait avec quelle excuse elle pourrait abor-
der ces braves gens, lorsque la Reine du ciel, avant de la laisser sortir de la
1. L'antique église de Valserres est toujours debout au milieu des vignes.
Vies des Saints. — Tome V. 15
Ie* MAI.
chapelle le matin, remplit son tablier de roses fraîches et d'un parfum
exquis pour qu'elle les distribue aux ouvriers, qui les reçurent comme un
précieux don du ciel, car on n'était qu'au 15 mars, et aucune végétation ne
paraissait encore sous l'âpre climat alpestre.
Plus tard, dans sa cinquante-deuxième année, Marie accorda, le jour de
l'Assomption 1698, une grâce plus signalée encore à notre pieuse sœur, en
l'emmenant après elle au ciel, où bientôt, sans qu'avec saint Paul elle pût
dire si c'était avec ou sans son corps, elle nagea dans des flots de lumière,
d'harmonie et de parfums, en traversant les diverses phalanges des bienheu-
reux : « Au rang le plus élevé », lui dit sa divine conductrice, « sont les
martyrs vêtus de rouge ; viennent ensuite les vierges vêtues de blanc, et les
couleurs variées distinguent au rang inférieur les autres bienheureux ».
Parmi ceux-ci, Benoîte reconnut ses deux directeurs, morts depuis plusieurs
années, et sa pieuse mère qui la regardait avec une tendresse ineffable. Elle
eût voulu leur parler, mais Marie l'entraîna plus loin, et elle vit encore
beaucoup de choses si admirables qu'elle ne pouvait pas les rendre. Au mo-
ment où la nuit touchait à son terme, le même cortège angélique, qui avait
emmené la sainte bergère, la rapportait dans sa cellule, tellement enivrée
de consolations qu'elle passa quinze jours sans prendre aucune nourriture.
Ce ne fut que par obéissance qu'elle confia à son directeur cette vision si
remarquable. Un soir de la Toussaint, notre sœur resta fort tard au pied de
la croix d'Avançon à prier pour les âmes du purgatoire, lorsque, selon son
expression, elle aperçut sortir de la vallée une nuée d'un quart de lieue, et
composée d'une multitude d'âmes sous formes humaines, ayant à leur tête
la sainte Vierge et deux anges. Une âme, se détachant de l'immense
cohorte, vint à elle et lui dit : « Nous sommes des âmes qui sortons du pur-
gatoire. Pendant notre vie, nous sommes venues ici prier avec confiance la
Mère de Dieu, qui nous délivre dans ce beau jour; ses mérites, ainsi que
vos prières et vos souffrances, chère sœur, ont abrégé le temps de notre
expiation. Avant de nous introduire dans la céleste patrie, la divine Vierge
nous conduit rendre grâces à Dieu dans son sanctuaire » . Lorsque cette
multitude eut remercié, dans l'église du Laus, Jésus et Marie de sa déli-
vrance, elle monta au ciel, où Benoîte la suivit du regard et de ses désirs.
La familiarité des anges et de notre pieuse sœur était comme celle qui
existe sur la terre entre des frères et sœurs bien unis, tant sa pureté sans
tache la rapprochait des esprits angéliques. Lorsque le démon l'avait dépo-
sée sur quelque roche inaccessible, son ange venait l'en retirer, il lui frayait
le passage à travers les rocs, les glaces et les broussailles chargées de neiges ;
il la ramenait des lieux inconnus où elle se trouvait perdue, il l'aidait à
franchir le torrent impétueux qui lui barrait le passage, et, dans les nuits
obscures, il devenait lumineux pour éclairer son chemin. Plus de vingt fois,
lorsqu'elle fut laissée par le démon sur le toit de la chapelle de Notre-Dame
de l'Erable 2, un ange l'aidait à en descendre, lui ouvrait la porte delà cha-
pelle et y récitait le rosaire avec elle. Sans doute, pour la soutenir dans ses
cruelles épreuves, l'esprit céleste lui énumérait toutes les grâces qu'elle
avait obtenues, tous les maux qu'elle avait détournés, tous les pécheurs
qu'elle avait convertis. Lorsque les persécutions que le démon lui faisait
endurer eurent atteint leur apogée, les anges, sous la forme nouvelle de petits
oiseaux qui chantaient, priaient et parfumaient l'air, venaient assister à son
sacrifice, non pour la soulager, mais pour la vénérer. Gomme ils étaient
1. Mgr Depéry, qui ne recalait devant aucun sacrifies pour sauver quelque souvenir de Benoîte, 9
acheté la chapelle de l'Erable, l'a agrandie et ornée.
NOTRE-DAME DU LAUS, ET LA VÉNÉRABLE BENOÎTE RENGUREL. 227
lumineux, elle les regardait de temps à autre : un jour, elle les voyait
blancs ; le lendemain, rouges ; un autre jour, les deux couleurs s'alternaient
dans la couronne qu'ils formaient en volant au-dessus de sa tête. Rien ne
convenait mieux, en effet, autour d'une victime si pure et si éprouvée, que
la couleur de la virginité unie à celle du martyre ; et, afin qu'elle n'oubliât
pas les mystiques rapports qu'avaient ses douleurs avec la passion du Christ,
les célestes oiseaux chantaient le plus habituellement, en l'accompagnant à
son retour dans sa cellule, les litanies de la Passion. Cependant une fois,
afin qu'elle éprouvât, comme son Sauveur, la douleur d'un complet isole-
ment, elle resta deux jours, sans aucun secours, sur le roc où l'aigle niche,
où Satan l'avait rudement laissée tomber.
Pendant que les Jansénistes étaient les maîtres au Laus, un ange offrit à
Benoîte de lui donner son Bien-Aimé ; le tabernacle s'ouvrit de lui-même,
l'ange prit le ciboire et bientôt Jésus entrait dans le cœur de la sainte ber-
gère, pendant qu'un autre ange assistait à la pieuse cérémonie. Les deux
directeurs, qui l'avaient quittée pour aller recevoir au ciel la récompense
de leur foi et de leur zèle, venaient, comme les anges, la visiter, l'encoura-
ger et la consoler. Un jour, au moment où la vision s'éloignait, Benoîte té-
moigna de son désir de quitter la terre pour la suivre au ciel : « Pas encore,
répondit l'âme bienheureuse de son directeur, patience ; il faut encore
souffrir ».
Cependant les hommes hostiles qui desservaient le pèlerinage furent
éloignés, et l'autorité diocésaine leur substitua les prêtres de Sainte-Garde,
vrais hommes de Dieu, qui firent refleurir la solitude du Laus *. Benoîte,
voyant ainsi toutes choses en bon état, comprit que sa mission était finie, et
qu'elle n'avait plus qu'à se préparer à la mort. Un ange vint le lui annon-
cer; et ce fut pour elle le sujet d'une grande joie. Elle mourut en odeur de
sainteté, le jour des saints Innocents 1718, âgée de soixante et onze ans et
trois mois; et, depuis ce moment, sa mémoire est de plus en plus vénérée;
la voix publique demande sa canonisation, et cédant à tant de vœux autant
qu'à ses convictions personnelles, Mgr Bernadou, évêque de Gap, instruit
en ce moment le procès, recueille les informations pour les transmettre au
Saint-Siège, auquel seul il appartient de prononcer.
Sœur Benoîte fut ensevelie près du maître-autel et de cette balustrade de
la communion, dont si souvent pendant sa vie mortelle elle avait éloigné les
âmes indignes d'y participer. Quoiqu'une neige épaisse fût tombée les jours
précédents et eût rendu les chemins impraticables, le concours du peuple qui
assista à ses funérailles fut si considérable que l'acte mortuaire de notre
sœur crut devoir en faire mention. La foule en larmes se pressait autour du
cercueil découvert pour voir encore une fois les traits de celle qu'elle ap-
pelait sa mère et sa bienfaitrice, et faire toucher à son corps ou à ses vête-
ments des croix, des chapelets, des médailles, etc.; enfin une grosse pierre
fut scellée sur le sépulcre et déroba, aux yeux de tous, ce corps saint, et le
don des miracles, promis par la sainte Vierge, continua à faire connaître
aux générations suivantes la puissance auprès de Dieu de l'intercession de
sa servante. Cette pierre se voit toujours dans l'église du Laus, à fleur de
sol, avec son inscription, gravée par une main inhabile, et ainsi conçue :
Tombeau de la sœur Benoîte, morte en odeur de sainteté, le 28 décembre 1718.
Un tableau de 1688, qui se voit encore dans l'église du Laus, nous donne
une idée des traits de notre sainte bergère. Elle était grande et belle, tous
1. La Congrégation des prêtres de Sainte-Garde fnt fondée, en 1699, par M. Berthet. prêtre d'Avignon,
pour l'œuvre des missions et in retraites et pour l'éducation de la jeunesse ecclésiastique.
228 1er mai.
ses membres étaient dans une parfaite harmonie avec sa taille. Les lignes
de son visage sont si pures et si suaves, qu'en les considérant on est plutôt
frappé de l'aspect d'une âme que de celui d'un corps. Sa petite bouche
semble créée exclusivement pour prier. Ses cheveux sont noirs ainsi que ses
yeux, qui ont quelque chose de voilé; sa figure pâle est brunie et dorée par
le soleil, quoique la peau en soit restée fine et un peu brillante; un mélange
de foi, de douce gravité et de résignation donne à tout son être une expres-
sion de religieuse mélancolie. Elle est vêtue d'une serge grossière, filée et
tissée au village, et quia pris la forme du costume habituel des montagnes.
Depuis la mort de sœur Benoîte, les étrangers comme les habitants du
pays vénéraient la pauvre chaumière où elle était née à Saint-Etienne, comme
un lieu sacré ; Mgr Depéry l'avait acquise et l'avait restaurée lorsque, le 28
janvier 1850, un violent incendie dévora presque tout le village de Saint-
Etienne. Les flammes, qui auraient dû dévorer des premières et en entier
la pauvre chaumière, s'arrêtèrent comme repoussées par une main puis-
sante et invisible, lorsqu'elles furent entrées à l'endroit où était l'alcôve,
berceau de Benoîte. Les débris que le feu avait respectés furent recueillis
comme des reliques, et entrèrent dans la nouvelle construction. Sur une
plaque de marbre noir, placée au front de la maison, on lit l'inscription
suivante :
ICI EST NÉE
LE 29 SEPTEMBRE 1647,
BENOÎTE RENCUREL,
FONDATRICE DU LAOS.
CETTE MAISON A ÉTÉ ACHETÉE ET RESTAURÉS
EN 1850
PAR M«r JEAN-IRÉNÉE DEPÉRY,
ÉVÈQUE DE GAP.
L'endroit où naquit notre sœur, et où la très-sainte Vierge daigna si
souvent converser avec elle, a été converti en une gracieuse chapelle, pla-
cée sous le vocable de Notre-Dame de l'Enfance. Dans cette maison de
sœur Benoîte, Mgr Depéry a fondé une école pour les petites filles de Saint-
Etienne; la religieuse, chargée de la diriger, devra toujours ajouter à son
nom celui de Benoîte; elle aura aussi toujours un petit jardin, une chèvre
et des brebis, pour ressembler à la sainte bergère du Laus.
Les prêtres de Sainte-Garde continuèrent avec grandes bénédictions leur
ministère à Notre-Dame du Laus jusqu'en 1791. Alors ils furent brutalement
chassés : leur maison, leur mobilier, l'église, et ce qu'elle contenait, les
tableaux, les ex-voto, les riches ornements de la statue, tout fut vendu à
vil prix ou livré aux flammes; ce qui n'empêcha pas les habitants de Réa-
lon, paroisse à quelque distance d'Embrun, de venir processionnellement
au Laus prier pour la cessation de la sécheresse qui désolait le pays. Sous
le règne même de la Terreur, les pèlerins venaient prier à genoux devant
la porte de la chapelle fermée. Au retour de l'ordre, Mgr Miollis, qui, comme
évèque de Digne, avait le Laus sous sa juridiction, en vertu du concordat,
racheta la sainte chapelle avec le presbytère, obtint, quelques années après,
le couvent avec les biens qui en dépendaient, et y établit les Oblats de
Marie, fondés à Marseille par Mgr de Mazenod. Ceux-ci y demeurèrent jus-
qu'en 1841, où ils cédèrent la place à la société des missionnaires du dio-
cèse de Gap, qui y exercent encore et y exerceront longtemps leur saint
ministère.
iAINT JÉRÉMIE, PROPHÈTE. 229
Le pèlerinage, ainsi pourvu de bons ouvriers, reçut de Pie IX, quelques
années après, le plus grand honneur que puisse accorder le Saint-Siège. Le
souverain Pontife envoya, par deux protonotaires apostoliques, deux magni-
fiques couronnes, l'une destinée à la Vierge, l'autre à l'Enfant Jésus; et le
23 mai 1855, eut lieu, pour la cérémonie du couronnement, une des plus
magnifiques fêtes qui se puissent voir sur la terre. Le Cardinal de Bordeaux
la présidait, entouré des archevêques d'Aix, d'Avignon, de Turin, des
évêques de Digne, de Grenoble, de Gap, de six cents prêtres et de quarante
mille fidèles. C'était plus qu'il n'en fallait pour réveiller la dévotion au
pèlerinage et rehausser sa célébrité. Aussi, depuis cette époque, la foule y
est prodigieuse; on y compte, chaque année, jusqu'à quatre-vingt mille
pèlerins. Les uns choisissent, pour ce pieux voyage, le jour de la Nativité,
qui en est la fête patronale; les autres, la Fête-Dieu, la Saint-Jean, la
Saint-Pierre ou le Rosaire; d'autres le 23 mai, anniversaire du couronne-
ment; mais le plus grand nombre viennent aux fêtes de la Pentecôte.
Année dominicaine et Notre-Dame de France.
SAINT JÉRÉMIE, PROPHÈTE (590 av. J.-C).
Jérémie, le second des quatre grands prophètes, sortait d'une famille sacerdotale , et naquit à
Anatlroth, petit bourg près de Jérusalem, vers l'an 645 avant Jésus-Christ. Il fut sanctifié dans le
sein de sa mère, et destiné dès lors à la mission qu'il devait bientôt remplir ; car il commença à
prophétiser, étant à peine sorti de l'enfance, vers l'an 629 avant Jésus-Christ, sous le règne de
Josias, roi de Juda, et il continua sous ses ssficessîBn, Les malheurs qu'il prédisait aux Juifs de
la part de Dieu, tels que la prise de Jérusalem, la captivité de ses habitants, la peste et les autres
fléaux, indisposèrent contre lui les principaux de la nation ; mais ce qui mit le comble à leur
colère, c'est la sainte liberté avec laquelle il les reprenait de leurs désordres. Lorsque Jérusalem
fut prise, l'an 606 avant Jésus-Christ, par Nabazardin, général des Babyloniens, le vainqueur lui
laissa la liberté de rester en Judée. Jérémie en profita pour consoler et encourager ceux de ses
compatriotes qui avaient échappé à la mort et à la captivité. Mais, comme il continuait à leur
prédire des calamités, en punition de leurs crimes, ils le jetèrent dans une fosse remplie de boue,
et il y aurait péri sans un ministre du roi Sédécias, qui l'en fit retirer à temps. Lorsque les Baby-
loniens vinrent de nouveau assiéger Jérusalem, l'an 598 avant Jésus-Christ, le saint Prophète était
plongé dans un cachot, et la prise de la ville le rendit à la liberté. Ce fut contre son gré, et en
foulant aux pieds ses menaces prophétiques, que les Juifs, pour se soustraire à la tyrannie de
Nabuchodunosor, émigrèrent en Egypte, et il fut contraint de les y accompagner avec Baruch, son
disciple et son secrétaire. Comme il ne cessait de leur annoncer de la part de Dieu les maux qui
allaient fondre sur eux, ils résolurent de se débarrasser d'un homme qui ne leur faisait que de
sinistres prédictions, et ils le lapidèrent à Taphné ou Tanès, l'an 590 avant Jésus-Christ. « Les
chrétiens », dit saint Epiphane, « avaient coutume d'aller prier sur son tombeau, et la poussière
qu'ils en détachaient leur servait d'autidote contre la morsure des aspics ». Il est honoré par les
Grecs et par les Latins; chez ces derniers, sa fête n'est célébrée nulle part avec plus de pompe
qu'à Venise, qui se glorifie de posséder une portion de ses ossements. Ses Prophéties, en cin-
quante-deux chapitres, sont suivies de ses Lamentations. « Jérémie », dit saint Jérôme, « a une
diction moius relevée qu'Isaïe et d'autres prophètes, mais sa simplicité est quelquefois sublime.
Dans son langage typique, on rencontre des expressions pleines d'énergie. Rien de plus touchant
et qui exhale une douleur plus profonde et mieux sentie que ses Lamentations ».
Dans les arts, on caractérise Jérémie par un texte quelconque de ses prophéties, tracé sur sa
Cartouche, et par des pierres — instrument de sa mort — qu'il tient dans les plis de sa robe. Voir
les œuvres de Michel-Ange, de Martin de Vos, de Jean Leclerc, etc.
230 1er mai.
Ste GERMAINE ET Ste HONORÉE, DE BAR-SUR-AUBE (451).
La montagne qui domine Ta gracieuse ville de Bar-sur-Aube n'a pas toujours été déserte el
solitaire comme nous la voyons aujourd'hui. Au v» siècle, une bourgade du nom de Florentia
couvrait son sommet escarpé. C'est là que vivait une jeune fille appelée Germaine, d'une exquise
beauté, mais d'une foi et d'une vertu plus grandes encore. Seule avec son vieux père, déjà veut
depuis longtemps, la jeune enfant n'avait jamais connu les tendresses maternelles, mais elle en
cherchait le dédommagement dans les chastes embrassements du Sauveur.
Le détail de la plupart de ses actions n'est pas venu jusqu'à nous. On sait toutefois que, lorsque
ses occupations habituelles lui en laissaient le loisir, elle allait visiter, dans les environs de la
ville, une de ses parentes, vierge comme elle, et son émule dans la pratique des préceptes et de»
conseils de l'Evangile. C'était sainte Honorée, dont les reliques ont été conservées jusqu'à la Révo-
lution dans l'église de l'hôpital Saint-Nicolas.
« Chaque matin aussi », disent ses Actes, a Germaine se plaisait à aller puiser à la fontaine, qui,
depuis, a reçu son nom, une onde pure pour l'usage des autels ; et quand, plus tard, la piété
publique érigea sur la montagne une basilique à saint Etienne, premier martyr, Germaine y con-
tribua selon ses faibles forces, en fournissant aux travailleurs, autant qu'elle le pouvait, l'eau qui
leur était nécessaire ».
Malgré son zèle et sa vertu, la jeune vierge ne fut point à l'abri de la malveillance. Quelques-
uns de ces hommes, pour qui la simplicité du juste est un objet de dérision 1, jetant un regard
de mépris sur les humbles fonctions auxquelles elle se dévouait, ne virent en elle qu'une personne
vile dont ils pouvaient se jouer impunément. Hardis contre la douceur et la piété, parce qu'elles
sont sans défense, ils se firent un passe-temps de briser dans ses mains le vase fragile qu'elle
portait, et, lui jetant un vieux crible, l'engagèrent, avec un rire moqueur, à continuer son noble
service. Germaine, sans proférer une parole, mais pleine de foi dans la toute-puissance de son Dieu,
relève le crible, va, sans hésiter, le remplir à la fontaine, et l'apporte aux travailleurs, sans qu'une
seule goutte d'eau s'en soit échappée. C'est, en souvenir de ce miracle, comme aussi du soin
constant avec lequel Germaine pourvoyait aux besoins des autels, qu'on ne la représente jamais
sans placer en ses mains ou sans déposer à ses pieds les deux vases, emblème de la fonction qu'elle
s'était imposée.
Ce n'est pas tout : on prétend, aujourd'hui encore, reconnaître le chemin que Germaine suivait
le long de la colline pour venir à la fontaine qui coule au pied : les habitants de Bar-sur-Aube ne
manquent jamais de le montrer aux voyageurs ou de le signaler, lorsque la conversation tombe
sur sainte Germaine. L'herbe, dit-on, y croit plus verte et plus vivace ; le blé, plus vigoureux.
Mais la voix de l'Epoux, l'appelant au banquet éternel, ne devait pas tarder à se faire entendre.
Attila avait passé le Rhin. Bientôt ses farouches soldats sont sous les murs de Bar. Germaine,
sans déliance, était descendue de la montagne, selon sa coutume, pour aller puiser à la fontaine.
Elle est aperçue par les soldats ; ils courent à elle, l'arrêtent et l'amènent à leur général. Le
barbare la voit : elle attire son attention et captive ses regards. Il prétend en faire sa compagne,
mais Germaine résiste. Promesses, menaces, tout est employé pour la séduire ou la vaincre : tout
est inutile.
La vierge lui apprend qu'elle est chrétienne : c'en est assez. Furieux contre le Dieu dont il sent
malgré lui la force irrésistible, le tyran livre Germaine au bourreau, et ordonne de lui trancher la
tête. Les dignes satellites de ce maître farouche entraînent la jeune héroïne ; mais elle loue et
bénit le Seigneur, qui, non-seulement lui conserve la fleur de son innocence, mais daigne encore
la faire triompher d'un tyran barbare. Enfin, le glaive est tiré ; la tête de Germaine tombe, et son
âme prend son essor vers les cieux.
A la nouvelle de cette glorieuse mort, les fidèles de la montagne, tout en larmes, coururent
vers le corps précieux de leur chère concitoyenne ; ils le recueillirent avec amour et l'ensevelirent
religieusement dans la basilique de Saint-Etienne, aux lieux mêmes sanctifiés par les vertus, le
zèle et les prières de l'humble vierge.
Dans les mauvais jours de 1793, le corps de sainte Germaine ne fut pas plus épargné que celui
d'un grand nombre d'autres serviteurs de Dieu. Quelques ossements échappèrent à la fureur des
1. Deridetur justi simplicité». (S. Grégoire, pape.)
SAINTE GERTRUDE DE VAUX-EN-DIEULET. 231
patriotes, et sont aujourd'hui vénérés dans les deux églises de Bar-sur-Anbe et dans l'humble
oratoire élevé en 1076, détruit depuis, rebâti plus tard au sommet de la montagne, sur les ruines
de l'ancienne basilique.
A quelque distance de la chapelle est le lieu où Germaine reçut la couronne du martyre. Une
croix de fer y fut posée en 1840, et sur sa base en pierre une inscription commémorative.
Souvent dans l'année, mais surtout au jour anniversaire de son triomphe (19 janvier) et
durant le mois que la foi de nos pères lui a consacré (mois de mai), on voit les pèlerins gravir la
montagne qui porte le nom de la vierge-martyre ou visiter les autels dédiés sous son vocable dans
les deux églises de Bar-sur-Aube, et qui couservent quelques-unes de ses précieuses reliques.
La pieuse vierge Honorée n'est pas oubliée des fidèles de Bar-sur-Aube. Après avoir vénéré les
reliques de sainte Germaine dans la chapelle de la montagne, ils vont s'agenouiller devant celles
de sa glorieuse parente, et hii adressent leurs prières avec la plus grande confiance. Autrefois, le
corps de cette Sainte reposait, en grande partie, dans l'église du prieuré Saint-Nicolas (aujourd'hui
l'hôpital), et sa fête se célébrait le lundi de la Pentecôte. Le souvenir s'en est perpétué jusqu'à
ces derniers temps dans l'église de l'hôpital. Il y a vingt ans environ, on y célébrait, en ce même
jour, en l'honneur de sainte Honorée, une grand'messe, des vêpres solennelles, suivies du Salut
du très-saint Sacrement. Enfin, naguère encore, il existait, à Bar-sur-Aube, une confrérie sous
son vocable.
Vie de sainte Germaine, par il. l'abbé Blainpignon et M. Defer.
SAINTE GERTRUDE DE VAUX-EN-DIEULET (fin du ve siècle).
La paroisse de Vaux-en-Dieulet, vulgairement Dieulet *, est ainsi nommée, parce qu'elle est
située dans la principale vallée d'une petite contrée, appelée anciennement le Dieulet, entre
Beaumont, au nord, et Buzancy, au midi; à trois moyennes lieues, ou quinze kilomètres de
Mouzon, ci-devant province de Champagne, et diocèse de Reims, maintenant département des Ardennes.
La Sainte, révérée à Vaux-Dieulet, était originaire du diocèse de Châlons-sur-Marne, et y vivait
dans le mêue temps que sainte Houe, sainte Ménehould, sainte Manne, sainte Ame, sainte Susanne^etc.
On rapporte le martyre de sainte Gertrude au temps que les Francs, encore païens, établissaient
leur monarchie dans les Gaules, avant la conversion du roi Clovis au christianisme, c'est-à-dire,
avant l'an 480. Quoique née d'un père attaché opiniâtrement aux erreurs du paganisme, elle eut le
bonheur de croire en Jésus-Christ et de renaître spirituellement dans les eaux du baptême.
Arrivée à l'âge de choisir un état, elle préféra celui de la virginité. Elle suivit l'avis de saint
Paul, en refusant de s'allier par le mariage à un époux qui, n'étant pas chrétien, l'eût gênée dans
les exercices de sa religion, ou ne lui eût pas permis d'élever ses enfants chrétiennement. Sa
fermeté dans cette sainte résolution, lui attira des mauvais traitements de la part de son père
barbare ; ses propres frères furent ses persécuteurs.
Gertrude, pour se soustraire aux traitements inhumains et au danger de perdre la foi, s'éloigna
de sa famille : Dieu la conduisit dans le Dieulet, à dix-huit lieues de Chàlonsv dans le diocèse de Reims.
Elle se retira d'abord dans une vallée, dite de la Vuamelle, où l'abbaye de Belval fut
fondée vers l'an 1130 par les disciples de saint Norbert. Elle passa ensuite à l'autre extrémité
du Dieulet, vers le couchant, dans un autre vallon (que les anciens titres nomment le Bos ou le
bois de Noé), appelé aujourd'hui le bout de Noé;où coule une source d'eau, qui a toujours été
appelée la sainte fontaine, ou la fontaine de sainte Gertrude. On prétend que, en arrivant dans
ce vallon de l'Argonne qui est maintenant cultivé et qui termine le territoire de Vaux vers celui
de Saint-Pierremont, la Sainte se trouvait fort altérée et qu'il n'y avait point d'eau pour étancher
sa soif. A sa prière, une source abondante jaillit, qui, aujourd'hui encore, perpétue le nom et les
bienfaits de sainte Gertrude.
Ses deux frères, qui l'avaient suivie dans la fuite, ayant découvert le lieu de sa retraite, la
poursuivirent, comme elle fuyait encore devant eux, jusque sur le sommet de la côte, entre le
village de Vaux-Dieulet et celui de Sommauthe, et là ils la percèrent des flèches dont ils étaient
armés. Elle couronna ainsi sa pure vie par une sainte et glorieuse mort.
Son corps fut inhumé au même lieu sur la montagne ; les fidèles accoururent à son tombeau, il
1. Purochia vallium in dio Ixto, vallée sous ua ciel riant.
232 1er mai.
8'y opéra des guérisons ; ses ossements furent, dans la suite, recueillis et transportés avec solen-
nité dans l'Eglise paroissiale qui fut dédiée sous son invocation; et le nom de sainte Gertrude fut
inséré depuis dans les litanies qui se chantent à la bénédiction des fonts baptismaux, dans tout le
diocèse de Reims.
La translation des reliques de sainte Gertrude a été faite le jour de l'Ascension de Notre-Sei-
gneur Jésus-Christ ; et la fête de cette Sainte a été fixée dès lors au vendredi suivant. On en
rapporte l'époque au temps de Charles Martel. On se fonde sur un extrait du manuscrit de l'abbaye
de Belval, dont l'historien de Reims fait mention : et, en effet, la vieille église, bâtie alors, dont
l'emplacement se voit hors du village, et qui a subsisté jusqu'en 1774, était dans la forme et le
goût de celles du pays bâties dans le siècle de Charlemagne.
Le grand concours des fidèles, qui s'est renouvelé chaque année, a donné lieu à une foire, qui
continue de se tenir, à Vaux-Mieulet, le jour même de l'Ascension.
Le curé et les paroissiens de Vaux ont déployé le zèle le plus louable pour soustraire les reli-
ques de sainte Gertrude à la dévastation de leur église, en 1794. Ils ont eu soin de les tirer delà
châsse, et les ont tenu cachées pendant cinq ans et demi dans l'intérieur du mur de l'église, et
ne les en ont retirées qu'en 1799, pour les exposer de nouveau à la vénération des fidèles.
Le chef de sainte Gertrude est enfermé dans un globe de cuivre, séparément du reste des
reliques. Les autres ossements sont contenus dans un coffre de fer, très-ancien et tout rouillé,
lequel est fermé de deux serrures, dont les clefs ont été portées sans doute à Reims ; ce coffre
est renfermé dans une châsse très-ancienne, en bois de chêne, ornée de sculptures et de peinture,
qui rappellent les principales circonstances du martyre de sainte Gertrude.
Dans le premier tableau, Gertrude touche, de son bâton, la source de la sainte fontaine. Dans
le deuxième, ses deux frères ont leurs arcs tendus, pour la percer de leurs flèches. Dans le troi-
sième, les deux assassins comparaissent devant un juge assis sur son tribunal. Dans le quatrième,
sainte Gertrude a la couronne du martyre sur la tète, et la palme en main ; et à côté d'elle sont
des pèlerins à genoux, et le curé de la paroisse, en costume très-ancien de Chanoine régulier
prémontré. Ces peintures ont été renouvelées, en 1671, et en 1783, en y faisant repasser le
pinceau du peintre, sans rien changer aux figures.
Les pèlerins, qui vont vénérer sainte Gertrude a Vaux-en-Dieulet, ont coutume de faire trois
stations dans l'église, l'une devant le grand autel, l'autre à la chapelle de la sainte Vierge, la
troisième à la chapelle de Sainte-Gertrude. Quelques-uns vont faire une quatrième station à la
Sainte-Fontaine, et une cinquième à la tombe de sainte Gertrude, sur la montagne.
Ceux des pèlerins, qui ne vont point à la sainte fontaine et à la tombe, font leur procession
dans l'église, ou, à l'entour, dans le cimetière.
La tradition du pays, sur la vie et le martyre de notre sainte Gertrude, est appuyée sur des
monuments certains, propres à en perpétuer la mémoire jusqu'à la fin des siècles. Le vallon qui a
donné retraite à cette sainte fille, la fontaine qui porte son nom, son tombeau sur la montagne,
la possession de ses reliques, la vieille église dédiée (ainsi que la nouvelle) sous son invocation,
sa fête solennisée à jour fixe, son nom invoqué dans les litanies du diocèse, les très-anciennes
peintures sur la châsse de ses reliques, le manuscrit de l'abbaye de Belval, cité dans l'histoire de
l'église de Reims, le procès-verbal de l'insertion d'une parcelle de ses reliques dans l'autel
de Sommauthe (1649) ; enfin le concours annuel et toujours nombreux des fidèles du pays,
au jour de sa fête, sont les preuves justificatives de son histoire et de son culte.
Notice sur sainte Gertrude, vierge et martyre, patronne de la paroisse de Vaux-en-Dieulet, au dépar-
tement des Ardennes, diocèse de lîeims, à nous communiquée par M. l'abbé Titeux, curé de Vaux-en-
Dieulet. — Cf. Dom Calmet, Hist. de Lorraine, liv. v, et Dom Marlot, Hist. du diocèse de Reims.
SAINT THÉODULPHE OU THIOU,
TROISIÈME ABBÉ DU MONT-D'HOR OU DE SAINT-THIERRY, PRÈS DE REIMS (590).
Saint Théodulphe, vulgairement appelé saint Thiou, était d'une illustre famille de la seconde
Aquitaine. Il quitta le monde à la fleur de son âge, et se retira au Mont-d'Hor, afin d'y vivre parmi
les disciples du saint abbé Thierry. On l'y occupa vingt-deux ans aux plus pénibles travaux de la
campagne. Après la mort du successeur de saint Thierry, l'archevêque de Reims l'établit abbé, à
la prière des moines, et l'éleva aussi au sacerdoce.
SAINT ACHE ET SAINT ACHEUL. 233
Le Saint marcha sur les traces de son bienheureux père. Il pratiqua de grandes austérités, con-
duisit ses religieux avec une fermeté mêlée de douceur, supporta patiemment les travers qu'il eut
à essuyer, et bâtit l'église de Saint-Hilaire dans l'enceinte de son abbaye, afin de doubler son of-
fice et ses travaux. Il mourut dans un âge fort avancé, vers l'an 590, et fut enterré en son mo-
aastère. Ses reliques se gardaient précieusement dans l'abbaye de Saint-Thierry. Lors de la sup-
pression de cette abbaye, en 1776, elles furent transférées à l'abbaye de Saint-Remi à Reims, à
l'exception du chef, richement enchâssé, qu'obtinrent les habitants de Saint-Thierry, paroisse sur le
territoire de laquelle l'abbaye du Mont-d'Hor était située. Ce chef est encore conservé dans l'é-
glise de cette paroisse. Quant au reste du corps, porté à Saint-Remi, il a été profané et perdu
pendant la Révolution.
Voir Flodoard, ffist. eccl. rom., 1. i", c. 25 ; Mabillon, Act. sanct. Ben., t. i", p. 346 ; les Bollan-
distes, sous le 1er mai, t. ier, p. 94, et la Gallia christ, nova, t. ix, p. 183 ; Godescard, éd. de Lille.
SAINT ACHE ET SAINT ACHEUL (époque inconnue).
Le diacre saint Ache et le sous-diacre saint Acheul, tous deux originaires de l'Amiénois, reçu-
rent un jour de 1er mai la palme du martyre. Au milieu des tourments, ils se bornaient à dire à
leurs persécuteurs : « Si Dieu est pour nous, qui sera contre nous ? » Voilà tout ce que nous ap-
prend la tradition au sujet de ces glorieux martyrs.
Saint Ache et saint Acheul furent inhumés dans un lieu alors nommé Abdalène, là où devait
8'élever plus tard une église qui prendrait leur nom après avoir quitté celui de Notre-Dame et de
Saint-Firmin. C'est de là que leurs corps furent transférés par saint Salve, évêque d'Amiens au
commencement du vne siècle, dans la nouvelle église érigée par cet Evêque dans l'enceinte de la
ville, sous le vocable des Princes des Apôtres, et qui, plus tard, prit le nom de Saint-Firmin le
confesseur.
Une partie des reliques des deux Saints est actuellement conservée à Notre-Dame, dans la
châsse de saint Honoré. La tète de saint Acheul se trouve à la maison des Jésuites de Saint-
Acheul ; le reliquaire est placé sous l'autel de la chapelle domestique. Autant qu'on peut en juger,
les os sont à peu près réduits en poussière. Une famille pieuse avait sauvé le crâne de saint
Acheul pendant la Révolution et en fit don aux Jésuites en 1827.
Saint Firmin le confesseur fit ériger une église à Abdalène sur les tombeaux où reposaient les
corps vénérés de saint Firmin le martyr, de saint Ache et de saint Acheul, à côté des ruines d'un
temple romain. Ce sanctuaire fut d'abord dédié à Notre-Dame et à saint Firmin, martyr. Dans le
cours du moyen âge, on le désigna simultanément tantôt sous le nom de Saint-Ache et Saint-
Acheul, tantôt sous le nom de Notre-Dame-des-Martyrs. Depuis longtemps il n'est guère connu
que sous celui de Saint-Acheul.
Un prieuré de clercs réguliers fut institué dans cette église en 1055. Ce prieuré embrassa la
Règle de Saint-Augustin en 1109, et fut érigé en abbaye en 1145. En 1291, le pape Nicolas IV
accorda un an et quarante jours d'indulgences aux personnes qui visiteraient l'église de Saint-
Àcheul, le jour de la fête de ce saint Martyr.
Au dernier siècle, l'abbaye de Saint-Acheul était possédée par des chanoines réguliers de la Con-
grégation de Sainte-Geneviève : elle existait encore au moment de la Révolution de 1793. Saint-
Acheul-lez-Amiens est aujourd'hui un petit village, le même que l'ancien Abdalène. Ce dernier
nom était celui d'un héritage appartenant au fameux Faustin, et dans lequel ce pieux personnage
avait fait enterrer honorablement le corps de saint Firmin, apôtre de la contrée '.
Les bâtiments de l'abbaye Saint-Acheul n'ont point été détruits pendant la Révolution. Les
Jésuites y avaient formé, en 1814, un vaste établissement justement célèbre, où près de deux
mille jeunes gens recevaient le bienfait d'une éducation chrétienne : l'établissement d'éducation
fut supprimé en 1828, et cette célèbre maison n'est plus aujourd'hui qu'un noviciat de l'Ordre.
L'église Saint-Acheul est la première et la plus ancienne église d'Amiens : elle servit de cathé-
drale jusqu'au vu» siècle, époque à laquelle saint Salve transféra le siège épiscopal et la métro-
pole dans l'intérieur même d'Amiens. Il parait que cette église est aujourd'hui dans un état de
délabrement dont souffrent beaucoup les amis de l'antiquité chrétienne et des saines traditions de
1. Voir sa vit.
234 1er mai.
l'architecture religieuse. Ils font des vœux pour rendre Notre-Dame de Saint-Acheul digne de pro-
téger et de conserver les souvenirs les plus antiques et les plus saints de la foi dans la Picardie.
Une côte de saint Acheul est conservée à la cathédrale d'Amiens, dans un petit reliquaire.
Les noms de saint Ache et de saint Acheul sont inscrits dans des Litanies d'Amiens qui datent
du xme siècle, dans le martyrologe attribué à saint Jérôme et dans tous ceux de l'église de
France. Le second de ces martyrs est patron de Saint-Acheul, dans le canton de Bernaville, et
d'Ecouen (Seine-et-Oise). La rue actuelle d'Amiens à Noyon portait auxme siècle le nom de Saint-
Acheul. La fête qui tombe le 1er mai est renvoyée au 11, à cause de l'occurrence de saint Phi-
lippe et de saint Jacques. Elle a toujours figuré dans les Bréviaires amiénois sous le rit simple ou
semi-double.
Consulter l'Hagiographie d'Amiens, par M. Corblet, dont nous avons analysé le savant travail.
SAINT BLANDIN (vn° siècle).
Blandin, époux de sainte Salaberge et père de saint Baudoin, ainsi que de sainte Austrude,
était digne d'être le chef d'une telle famille. Il consentit à ce que son épouse entrât en religion,
et lui-même ne pensa plus qu'à travailler à sa propre sanctification. Il mourut après le milieu du
vu6 siècle. On conservait, dans le monastère que sainte Salaberge avait fondé à Laon, une partie
de ses reliques avec celles de sa sainte famille. Saint Blandin est surtout honoré dans un village
du diocèse de Meaux qui porte son nom l.
SAINT ÉVERMAR, MARTYR (vers 700).
Evermar naquit en Frise d'une des plus nobles familles de ce pays, et florissait du temps de
Pépin, fils d'Anségise et de sainte Beggue. Dès sa plus tendre jeunesse il fat un modèle de toutes
les vertus. Il désirait avec ardeur de s'élever à la véritable perfection, et d'offrir même au Sei-
gneur le sacrifice de son sang. On rapporte qu'il fit d'abord un pèlerinage à Saint-Jacques en Ga-
lice, et qu'il revint ensuite dans la Gaule-Belgique, où il visita les tombeaux de quelques Saints
morts depuis peu et célèbres par leurs miracles, tels que saint Foillan, saint Ultan, saint Fursy,
saint Remacle, sainte Gertrude de Nivelles et saint Trou.
Evermar, ayant satisfait à ses vœux près des tombeaux de ces Saints, alla à Maëstricht pour
visiter celui de saint Servais. Arrivé à l'entrée d'une forêt, nommée Ruthe, il ne la traversa pas,
de crainte de s'égarer pendant l'obscurité de la nuit qui commençait à tomber. Il s'arrêta dans le
village d'ITerstapel, situé dans le voisinage. Ce village était alors occupé par un certain Hacco et
sa bande qui dépouillaient et assassinaient tous ceux qui passaient par les bois et sur les voies
publiques. Afin que personne ne lui échappât, Hacco avait bâti, sur le bord de la Meuse, une mai-
son, que, d'après lui, on nomma Hactelet. Evermar, qui ignorait tout cela, alla droit à cette maison
pour passer la nuit. La femme de Hacco, qui craignait Dieu et qui aimait à servir les étrangers,
reçut notre Saint et ses compagnons avec beaucoup d'amitié, et, après les avoir bien traités, leur
ïouseilla de partir le lendemain avant le lever de l'aurore, afin d'échapper aux mains de son mari.
Ils suivirent le conseil de cette pieuse femme, et, étant partis le lendemain matin de bonne heure,
ils entrèrent dans la forêt de Ruthe. Cependant Hacco, ayant appris que des étrangers avaient
passé la nuit dans sa maison, en devint furieux, car il pensait qu'il allait passer pour un lâche, si
ces étrangers traversaient le pays sans obstacle. Il courut au bois avec sa troupe pour les chercher,
et arriva à l' improviste à un endroit où il les trouva endormis, flacco se jette sur eux et les accuse
de fourberie, pour être venus dans ses domaines sans payer le droit de passage : et puisque main-
tenant ils se sauvent comme des voleurs, il décerne contre eux la peine de mort. A ces mots, il
tombe sur Evermar et lui ôte la vie ; après cela il fait subir le même sort à ses compagnons. Les
assassins, après avoir dépouillé les corps, les laissèrent sans sépulture. Ils furent truuvés par
1. Voir la vie de sainte Salaberge. sa femme, an 22 septembre; celle de saint Baudouin, son fils, an
18 octobre, et celle de saiate Austrude, sa fille, an 17 octobre.
SAINTE ISIDORA DE TABENNES. 235
quelques personnes de la suite de Pépin, qui se livrait de ce côté au plaisir de la chasse. Ces
personnes les enterrèrent, et, ayant remarqué dans le corps d'Evermar un éclat et une beauté qui
le distinguaient des autres, ils lui donnèrent une sépulture plus honorable.
Le bois ayant été essarté dans la suite, il s'éleva à cet endroit un village appelé Ruthe ou
Rotthem, aujourd'hui Rûsson, et une église sous l'invocation de saint Martin, desservie par un
prêtre nommé Ruzelin, qui menait une vie très-sainte. Ce prêtre découvrit d'une manière extraor-
dinaire la sépulture d'Evermar, et en fit son rapport à îairacle, évêque de Liège, qui ordonna de
déterrer le corps, qu'il transféra dans l'église de Saint-Martin à Rûsson, où il se fit beaucoup de
miracles qui confirmèrent la sainteté d'Evermar. La cérémonie de cette translation se fit vers l'an
968. Une autre translation de ces reliques eut lieu sous l'épiscopat de Théoduin, qui gouverna
l'église de Liège depuis 1048 jusqu'en 1075.
Les Bollandistes ont publié (t. i maii), la vie de saint Evermar et l'histoire de ses translations et di
ses miracles. Voyez AA. SS. Belgii selecla, t. v, p. 275-287.
SAINT ALDEBRAND, ÉVÊQUE ET PATRON DE FOSSOMBRONE
(xne siècle).
Saint Aldebrand, ayant fait construire sa cathédrale, on comprend jusqu'à un ceriain point
qu'elle l'ait choisi pour Patron, et que dans ses images on place uu clocher pour rappeler ce fait.
Mais les beaux miracles qu'on lui attribue furent sans doute tout-puissants pour le rendre popu-
laire : on en raconte trois qui peignent le Saint sous des couleurs on ne peut plus pittoresques,
on ne peut plus gracieuses.
Il s'était abstenu de viande toute sa vie : or, voilà que sur ses vieux jours on s'avisa de lui
servir une perdrix rôtie, pour restaurer un peu son estomac délabré. Sans rien dire, il bénit
l'oiseau et lui ordonna de reprendre sa volée dans les airs ; ce que l'oiseau s'empressa de faire.
Une autre fois qu'il prêchait, le caquet des hirondelles couvrait sa voix : il leur intima l'ordre de
se taire, et elles se turent. Enfin, après sa mort, les habitants de Fano ayant vaincu ceux de Fos-
sombrone dans une lutte civile, ils enlevèrent deux cloches au campanile de la cathédrale. Saint
Aldebrand, qui les avait fait mettre là pour le service de son peuple, et non pour celui de leurs
ennemis, les rendit muettes. Stupéfaits de ce miracle, les habitants de Fano s'empressèrent de
rendre les cloches, qui, dès leur arrivée sur le pont du Métaure, près de Fossombrone, se mirent
à sonner d'elles-mêmes.
Acta Sanctorum, t. ier de mai, p. 162 et 163, nouv. édit.
SAINTE ISIDORA DE TABENNES (époque incertaine).
Il y avait dans un monastère de femmes, à Tabennes, en Egypte, raconte saint Basile, une sœur
qui se faisait passer pour folle et possédée du démon : les autres sœurs la crurent si bien que
nulle d'elle ne voulait même manger à ses côtés. Elle en agissait ainsi pour qu'on ne l'ôtàt jamais
de la cuisine, dont les humbles fonctions lui avaient paru si propres à la sanctifier.
Tandis que les autres religieuses couvraient leur tête d'une coule, elle enveloppait la sienne
d'une espèce de turban confectionné avec d'infimes morceaux d'étoffes : d'où il paraît assez que
l'uniformité du costume n'était pas exigée à cette époque dans les monastères.
Nulle des quatre cents religieuses dont se composait celui-là, ne la vit jamais manger ; jamais
elle ne prit place à table : elle faisait son repas en lavant la vaisselle, et encore ce repas
était-il composé des débris restés sur les tables. Jamais on ne la vit entamer un morceau de
pain. Maltraitée par tout le monde, jamais un murmure ne sortit de sa bouche : elle ne parlait
que par nécessité et le plus souvent pas du tout.
Or, à quelque distance de là, vivait un saint homme nommé Pyotère. Un ange du ciel lui
apparut et lui dit : « Va au monastère des femmes de Tabennes : là ta trouveras une des reli-
236 2 mai.
gieuses ayant une espèce de couronne autour de la tête ; tu apprendras qu'elle vaut mieux que loi.
Malgré les tribulations du jour et de la nuit qui la visitent, jamais son cœur ne s'est détourné de
Dieu. Elle lutte contre toute une multitude et n'est jamais troublée, tandis que toi, qui vis seul
ici, dans le coin du désert, tu promènes ta pensée à travers mille distractions ».
Pyotère se mit aussitôt en marche pour ce monastère : y étant arrivé, il pria les maîtres des
Frères de l'introduire dans l'habitation des femmes. C'était un Saint et de plus un vieillard ; la
permission lui fut donc facilement accordée. Il demanda alors à voir toutes les sœurs: or, celle-là
seule qu'il voulait voir ne se trouvait pas dans les rangs de la communauté. « Mes sœurs », leur
dit-il, « vous n'êtes pas toutes ici !» — « Mon père », lui dit-on, « il reste une folle à la cuisine;
c'est ainsi que nous appelons les possédées du démon ». — « Permettez que je la voie ». — On
alla donc chercher la prétendue folle. Or, celle-ci se refusait a cette exhibition. Mais lorsqu'on
lui eut nommé saint Pyotère, elle céda.
Le Saint l'ayant reconnue à son lurban, se jeta à ses genoux et s'écria : « Bénissez-moi ». A
son tour elle se prosterna à terre et dit : « Que votre main s'étende sur moi ».
On peut s'imaginer l'ébahissement de toutes les sœurs qui se mirent toutes à la fois à dire :
« Mon père, ne vous humiliez pas à ce point, vous avez affaire à une folle ».
« Vous toutes, vous êtes folles », reprit saint Pyotère : « Celle-ci est votre Amma (votre
mère) et la mienne. Je prie Dieu d'être trouvé aussi méritant qu'elle, an jour du jugement ».
A ces paroles, les religieuses tombèrent aux pieds de l'humble laveuse de vaisselle comme
frappées d'un coup électrique, et chacune lui fit la confession de ses torts envers elle.
Saint Pyotère les réconcilia avec Dieu et leur sœur, puis se retira.
Quelques jours après, l'humble aide-cuisinière ne pouvant supporter d'avoir été ainsi glorifiée,
rougissant d'ailleurs des excuses que lui avaient faites les religieuses, quitta secrètement le cou-
vent et alla terminer sa vie dans la plus complète obscurité.
« Si quelqu'un d'entre vous se croit sage en ce monde, qu'il devienne fou, pour être véri-
tablement sage l ».
Rosweide, Vies des Pères.
IF JOUR DE MAI
MARTYROLOGE ROMAIN.
A Alexandrie, le bienheureux décès de saint Athanase, évêque de la même ville, très-célèbre
par sa sainteté et sa doctrine. L'univers presque entier semblait s'être conjuré pour le persécuter.
Néanmoins, il défendit courageusement la foi catholique, depuis Constantin jusqu'à Valens, contre
les empereurs, les gouverneurs de province et les nombreux évèques partisans d Arius ; il essuya,
de la part de ses ennemis, des perfidies sans nombre ; il fut poursuivi d'exil en exil par toute la
terre, au point qu'il ne lui resta presque aucun lieu sûr pour se cacher. De retour, à la fin, dans
son église, après beaucoup de combats et autant de victoires dues à sa constance, il rendit son
âme au Seigneur, la quarante-sixième année de son épiscopat, au temps des empereurs Valenti-
nien et Valens. 373. — A Rome, les saints martyrs Saturnin, Néopole, Germain et Célestin, qui
furent d'abord diversement tourmentés, puis jetés en prison, où ils s'endormirent en Notre-Sei-
gneur *. — De plus, les martyrs Exupère et Zoé, sa femme, Cyriaque et Théodule, leurs enfants,
1. I Cor., ni.
2. Les plus anciens martyrologes portent Alexandrie ou ne citent aucun lieu. Baronius a donc cm
trop facilement à l'autorité de Galesini. qui le premier a placé à Rome le théâtre de ce» martyres. AÂ.
SS„ t. l«r et vu de mai, pages 182 et 533.
MARTYROLOGES. 237
qui souffrirent sous l'empereur Adrien '. — A Séville, saint Félix, diacre et martyr. — Le même
jour, saint Vindemial, évêque et martyr, qui combattit les Ariens par sa doctrine et par ses mira-
cies, avec les évêques Eugène et Longin, et fut, pour cela, décapité par le commandement du roi
Hunéric *. 489. — A Avila, en Espagne, saint Second, évêque, dont il est encore parlé avec d'au-
tres, le 15 de ce mois. Ier s. — A Florence, saint Antonin, évêque, de l'Ordre des Frères Prêcheur»,
illustre par sa sainteté et par sa doctrine. Sa fête se célèbre le 10 de mai. 1459.
MARTYROLOGE DE FRANCE, REVU ET AUGMENTÉ.
A Saint-Pierre de Brantôme, en Périgord, saint Sicaire, enfant martyr, que l'on tient être ua
des saints innocents massacrés par Hérode, à cause de Jésus-Christ 3. — Au diocèse d'Amiens,
saint Germain, évêque et martyr, lequel, après avoir prêché avec un zèle incomparable en France,
en Espagne, en Angleterre et aux Pays-Bas, et converti de nombreux idolâtres, eut la tète abattue
d'un coup d'épée, par le tyran Hubault, sur les confins de la Normandie et de la Picardie. v° s.
— En Auvergne, sainte Flamine, vierge et martyre, exécutée à Nicomédie, sous les empereurs
Dioclétien et Maximien ; ses reliques ont été apportées en cette province, dans un lieu nommé
Davajac, et elle était honorée à Clermont, dans l'église de Saint-Allyre. On l'invoque pour le mal
des yeux et l'on en reçoit souvent de grands secours. Ve s. — Dans les Vosges, saint Valbert ou
Gaubert, successeur de saint Eustase et troisième abbé de Luxeuil. 665. — A Saint-Omer, saint
Vaubert ou Walbert, comte d'Arc et religieux du monastère de Saint-Bertin. — Au diocèse
d'Angers, la célèbre translation du corps de saint Florent, prêtre et confesseur, dans une abbaye
de son nom, à Saumur *. — A Beauvais, sainte Pétronille 5, vierge. — A Châlons-sur-Marne, la
translation de saint Alpin, évêque de cette ville. — A Sens, saint Amateur ou Amatre, évêque
d'Auxerre. (Nommé hier au martyrologe romain.) — A Tours, la translation des reliques de saint
Gratien. — A Tarbes, la fête de l'apparition de saint Bertrand, évêque de Comminges à un seigneur
de Bigorre, nommé Sanche de Pâma, qu'il délivra miraculeusement des fers des Sarrasins. En
mémoire de cet événement, le pape Clément V, qui avait été évêque de Comminges, accorda, pour
le 2 mai, une indulgence en forme de jubilé, toutes les fois que la fête de l'invention de la Croix
tomberait un vendredi. — A Saint-Biquier, dans le diocèse d'Amiens, sainte Elévare et sainte Spon-
sare, vierges et martyres, m6 s. — A Paris, sainte Avoie, vierge et martyre, que l'on a confondue
à tort avec sainte Aurée. Epoque inconnue.
ADDITIONS FAITES D' APRÈS LES ROLLANDISTES ET AUTRES BAGIOGRAPHES.
A Mélitène, en Arménie, les saints Helpide, Hermogène, Eupolite et Loup, martyrs, indiqués
dans le martyrologe de saint Jérôme. — Et ailleurs, les saints martyrs Germain, Célestin 6, Félix,
1. Saint Hespère (et non saint Exupère, comme l'e'crlt Baronius), sainte Zoé, sa femme, et saint Cyriague
et saint Théodule, leurs enfants. — Cette famille était originaire d'Italie : les membres qui la composaient,
vendus comme esclaves à un riche habitant de la ville d'Attalia, en Pamphylie, furent Jetés dans une
fournaise ardente pour avoir refusé de manger des viandes offertes aux idoles, que leurs maîtres leur
présentèrent un jour qu'un fils leur était né. Sainte Zoé a surtout été honsrée dans l'Orient; il y avait
une église de son nom à Constantinople. Ses vertus, ses bons exemples, son courage la signalèrent en
effet à l'admiration des hommes. On n'était pas tendre, dans le paganisme, pour les pauvres : la porto
des riches était gardée par d'énormes dogues que l'on avait dressés à se jeter sur les mendiants lorsqu'il
en venait à passer : la charitable Zoé, dont le christianisme avait relevé les pensées, prenait le plus
souvent qu'elle le pouvait la place du portier : alors elle faisait en sorte que les chiens ne déchirassent
point les membres souffrants de Jésus-Christ, et se privait de tout ce qu'on lui donnait de nourriture et
de vêtements pour le leur distribuer.
2. Saint Vindemial était évêque de Capse, en Afrique. Voir quelques détails le concernant dans la Vie
de saint Eug'eue, au 13 juillet.
3. En ce temps-la, Charlemagne fondait l'abbaye de Brantôme. On lit dans les fragments de Réginon
cités par Pithou le passage suivant, que nous empruntons à l'intéressante monographie de l'église de
Saint-Front, à Périgueux, par M. l'abbé Caries : « L'an du Seigneur 769, Charles le Grand, venant
pour la seconde fois à Périgueux, fonda sur les rives de la Dordogne une basilique en l'honneur du bien-
heureux Pierre, prince des Apôtres, dans laquelle il fit, peu de temps après, placer l'un des Innocents,
qui avait été donné à sou père par le seigneur Pape de Rome, et aux mérites ainsi qu'à la protection
duquel il se disait redevable d'un grand nombre de victoires; le lieu où fut fondée cette basilique s'ap-
pelle Brantosme ». En 1463, l'authenticité des reliques de saint Sicaire fut reconnue. L'ancien Bréviaire
de l'abbaye de Brantôme racontait, dans une légende, qu'un ange avait révélé à Charlemagne l'endroit
où il devait laisser le corps de ce petit enfant. Ce n'est pas en Périgord seulement que des reliques des
saints Innocents ont été apportées. Il y en avait aussi en Provence. La Sainte-Chapelle de Bourges on
possédait trois au siècle dernier.
4. Voir au 22 septembre. — 5. Voir au 1er mai.
6. Les deux premiers sont mentionnés au martyrologe romain. Les Bollandistes pensent que ce ne
sont pas les mêmes et qu'ils n'ont pas souffert à Rome.
238 2 mai.
Cétinns, Urbain, Bellicus et Privata. — A Alexandrie d'Egypte, un autre saint Germain, et nn autre
saint Célestin avec sainte Santina, martyrs. — En Corse, saint Vindémial, différent de celui men-
tionné au romain, et saint Florent, tous deux évèques africains. Exilés en Corse par le roi arien,
Hunéric, et condamnés à y couper du bois pour les vaisseaux, ils périrent de misère. Leurs corps
ont été transportés à Trevise, en Italie. — En Catalogne, les saints Simplice et Ambroise, mar-
tyrs. — A Gênes, saint Valentin, cinquième évêque de cette ville. 325. Son corps fut retrouvé en 985.
— • A Daphnusa, dans l'Archipel, saint Sabas, évêque. — A Saint-Gall, en Suisse, sainte Vilborade
ou Vivrède, vierge et martyre, et la bienheureuse Rachilde, vierges recluses. 925.— A Unterwald,
en Suisse, le bienheureux Conrad, martyr, fondateur du monastère du Mont-des-Anges, de l'Ordre
de Saint-Benoit. 1125. — En Portugal, la bienheureuse Mafalda, fille de Sanche Ier et épouse de
Henri Ier, roi de Castille. Répudiée par son mari, elle se retira dans le monastère des Cisterciennes
d'Arouca où elle se rendit illustre par son esprit de prière, son amour du silence, ses mortifications
et les miracles qui, après sa mort, s'opérèrent à son tombeau. Elle avait une dévotion singulière
envers le Docteur de l'Eglise, saint Jérôme, dont le nom lui rappelait la trompette épouvantable
qui, au dernier jour, doit appeler tous les hommes au jugement de Dieu. 1252.
SAINT ATHANASE,
PATRIARCHE D'ALEXANDRIE ET DOCTEUR DE L'ÉGLISE
S73. — Papes : Saint Marcellin; saint Damase. — Empereurs : Dioclétien; Valens.
« En louant saint Athanase, c'est la vertu même que
Je lone. N'est-ce pas en effet louer la vertu que de
faire l'éloge de celui qui réunissait toutes les ver-
tus dans sa personne? Athanase fut la colonne de
l'Eglise. Il devint, par sa conduite, le modèle des
évêques. On n'était orthodoxe qu'autant que l'on
professait la même doctrine que lui p.
Saint Grégoire de Nazianze, panégyrique du Saint.
Une lutte perpétuelle est l'inévitable condition du bien dans l'humanité
déchue. Dieu le fit voir à son Eglise, lorsque, après avoir si glorieusement
vaincu la persécution, elle eut à repousser les attaques non moins formida-
bles de l'hérésie. Celle-ci, il est vrai, dès l'apparition du christianisme,
avait cherché à troubler les conquêtes de la foi ; mais, devant le glaive des
tyrans et la gloire des martyrs, elle avait fait peu de bruit et obtenu peu
de succès.
Le lecteur, pour comprendre la vie d' Athanase, a besoin de connaître le
schisme Mêlécien et l'hérésie arienne. Saint Pierre, prédécesseur d'Achillas
sur le siège d'Alexandrie, par son indulgence envers les chrétiens qui
avaient offert de l'encens aux idoles pour éviter la mort, et qui s'en repen-
taient, avait déplu à Mélèce, évêque de Lycopolis ; ce dernier se sépara de
la communion de Pierre et forma un schisme ; ses partisans prirent le nom
de Méléciens. Arius, qui des sables de la Libye était venu chercher fortune
dans la capitale de l'Egypte, se joignit à ces schismatiques.
Néanmoins, il parvint à gagner, par un faux repentir, les bonnes grâces
d'Achillas, patriarche d'Alexandrie, qui l'éleva au sacerdoce et lui confia le
gouvernement d'une des paroisses, nommée Baucolis.
Ce n'était pas assez pour son ambition : il aspirait au patriarcat ; mais
saint Alexandre lui fut justement préféré, pour sa piété, sa charité envers
les pauvres, sa science sacrée et son éloquence. Blessé dans son orgueil
et voulant à toute fin jouer un rôle dans le monde, il se fit le chef d'une
SAINT ATHANASE, DOCTEUR DE L'ÉGLISE. 239
nouvelle doctrine, qui fut bientôt déclarée hérétique. Il enseignait que
Jésus-Christ n'est point Dieu, mais une simple créature, plus parfaite à la
vérité que les autres, et formée avant elles, non pas cependant de toute
éternité. Or, si Jésus-Christ n'est pas Dieu, à quoi aboutissent les espérances
des chrétiens ? Il ne négligea rien pour répandre ces erreurs dans le peu-
ple ; il les mit en chansons pour les ouvriers, les meuniers, les matelots, les
voyageurs. Alexandre, n'ayant pu ramener cet hérésiarque par les voies de
la douceur, le fit condamner par un concile tenu à Alexandrie, et écrivit
aux évêques qui n'avaient pu y assister, pour leur en faire connaître les
décisions.
Jamais, peut-être, aucun chef d'hérésie ne posséda à un plus haut degré
qu'Arius les qualités propres à ce maudit et funeste rôle. Instruit dans les
lettres et dans la philosophie des Grecs, doué d'une rare souplesse de dia-
lectique et de langage, il excellait à donner à l'erreur les traits et le charme
de la vérité. Son extérieur aidait à la séduction. D'un âge déjà avancé, il
joignait à l'avantage d'une haute taille la dignité du vieillard. Son orgueil
se dérobait sous un vêtement simple, sous un visage modeste, recueilli,
mortifié, qui lui donnait un faux air de sainteté, et avec lequel il savait
allier un abord gracieux, un ton doux et insinuant.
Banni du sanctuaire, il quitte Alexandrie, où il s'est déjà fait de nom-
breux partisans, et va demander asile à Eusèbe,évêque de Césarée, métropole
de la Palestine. Celui-ci était l'un des plus savants hommes de son siècle, et
auteur d'excellents ouvrages, pour lesquels la postérité a partagé l'admira-
tion de ses contemporains. Arius sut lui faire goûter sa doctrine et l'inté-
resser à sa cause avec plusieurs autres évêques. Parmi eux se signala un
second Eusèbe, parent, dit-on, de la famille impériale, qui, de sa propre
autorité, avait osé abandonner le siège dédaigné de Béryte, en Judée, pour
celui de Nicomédie, séjour ordinaire des empereurs d'Orient. Sa naissance,
sa position, ses talents, ses qualités extérieures lui donnaient un crédit et
un ascendant dont ses sentiments le rendaient indigne. Il avait apostasie
dans la persécution. Condisciple d'Arius, on l'a soupçonné d'avoir été son
secret conseiller, avant de se faire son protecteur déclaré. Quoi qu'il en soit,
bravant encore une fois les règles de la discipline et de l'ordre hiérarchi-
que, il prit hautement le parti du sectaire contre le digne patriarche, dont
la réputation et le rang offusquaient son orgueil. Ayant fait venir Arius à
Nicomédie, il se concerta avec lui, et écrivit en sa faveur aux évêques pour
obtenir son rétablissement. Alexandre fut inébranlable dans sa décision,
comme il l'était dans sa foi.
Cette scission scandaleuse agita et troubla l'église d'Orient. Constantin
en fut sensiblement affligé. Mais l'évêque courtisan de Nicomédie lui fit
entendre qu'il ne s'agissait entre Alexandre et Arius que d'une vaine dis-
pute de mots, dont le tort devait être surtout attribué au zèle amer et in-
flexible du premier. Ce fut dans ces préjugés que l'empereur écrivit à l'un
et à l'autre, par Osius, évêque de Cordoue, qu'il députa en Egypte pour
régler ce différend. Osius était le prélat le plus vénéré de cette époque. II
avait souffert courageusement pour la foi, avait initié Constantin à la connais-
sance des vérités du christianisme, et l'on croit qu'il était venu alors en
Orient de la part de l'évêque de Rome, traiter avec l'empereur des affaires
de l'Eglise. La lettre du prince se terminait par de touchantes exhortations,
qui attestent son zèle sincère pour la foi ainsi que la bonté de son cœur :
a Rendez-moi des jours sereins et des nuits tranquilles. Si vos divisions con-
tinuent, je serai réduit à gémir, à verser des larmes; il n'y aura plus pour
240 2 mai.
moi de repos. Où en trouverais-je, si ceux qui servent avec moi le vrai Dieu
se déchirent si opiniâtrement ? Je voulais vous aller visiter, mon cœur était
déjà avec vous; vos discordes m'ont fermé le chemin de l'Orient. Réunissez-
vous pour me le rouvrir, donnez-moi la joie de vous voir heureux, comme
tous les peuples de mon empire ».
Ces accents d'un père ne furent point écoutés. Le désordre augmentait
de jour en jour. L'hérésie, comme partout et toujours, se montra violente
et rebelle. Il y eut des émeutes. Constantin prononça, à cette occasion, un
mot justement célèbre. Dans une ville, les Ariens s'étaient emportés jusqu'à
jeter des pierres à la face d'une de ses statues. Comme ses ministres l'exci-
taient à tirer vengeance de cet affront, lui, portant la main à son visage,
leur répondit en souriant : « Je ne me sens pas blessé ».
La mission de l'évoque de Cordoue ne fut pas néanmoins sans résultat.
Il comprit, d'un côté, toute la gravité de la controverse; de l'autre, l'erreur
et la mauvaise foi d'Arius ; et, en les faisant connaître à l'empereur, il lui
inspira une grande pensée : celle de convoquer les évoques de toute la chré-
tienté, pour donner à la vérité attaquée l'autorité d'une irrécusable déci-
sion. Les Apôtres n'avaient-ils pas agi ainsi pour terminer la contestation
sur les observances mosaïques?
Au reste, c'était la première fois, depuis l'extension de l'Evangile, que
les circonstances permettaient de recourir à ce moyen extraordinaire. On
se trouvait à la fin de 324, l'année même de la défaite et de la mort de Li-
cinius, indigne beau-frère de Constantin, le dernier des survivants de cette
funeste ligue de pâtres parvenus, de monstres débauchés et cruels, qui,
pendant près d'un demi-siècle, s'enivrèrent à l'envi du sang chrétien et dé-
vorèrent la substance des peuples. Maintenant, sous le doux et glorieux
sceptre de Constantin, l'empire se réjouissait d'une liberté, d'une prospérité
inaccoutumées, et s'étonnait de voir réunis autour de ce prince les ambas-
sadeurs de toutes les nations de l'univers, qui admiraient ses vertus et re-
doutaient ses armes, auxquelles la victoire ne fut jamais infidèle. Dans un
de ces moments trop rares et trop courts pour le bonheur de l'humanité,
le monde entier était en paix.
Dès le printemps de l'année 325, sur l'invitation et avec l'aide du puis-
sant empereur, qui s'était concerté avec le chef de l'Eglise, les évêques de
toutes les parties du monde se rendirent en Asie, dans la ville de Nicée,
voisine de Nicomédie. Le peuple fidèle, ému par la nouveauté et l'impor-
tance du débat qu'ils allaient terminer, et la réputation de leurs vertus,
accourait sur leur passage, se prosternait devant eux et les accompagnait
de ses vœux et de ses espérances. Constantin, qui les avait précédés à Nicée,
les y accueillit avec la dignité qui le caractérisait, et, en même temps, avec
les plus touchants témoignages de foi, de déférence et d'affection. Combien
ils méritaient cet empressement, ces hommages des populations et du pre-
mier empereur chrétien, des hommes dont la plupart, outre leur caractère
sacré, commandaient le respect et l'admiration par leur âge, leur coura-
geuse fidélité dans la persécution, leur science et leur sainteté ! Celui-ci,
ancien solitaire, avait été arraché malgré lui au désert, dont il conservait,
dans les dignités, les habitudes simples et austères; celui-là était célèbre
par ses miracles ; plusieurs portaient encore sur leurs membres ou sur leur
visage les stigmates du martyre. Quels plus dignes interprètes du grand
mystère de la sainte Trinité !
Ces prélats, sans compter les prêtres, les diacres et les laïques éclairés
qui les assistaient, se trouvèrent réunis au nombre de trois cent dix-huit,
SAINT ATHANASE, DOCTEUR DE L'ÉGLISE. 241
parmi lesquels on n'en compta que dix-sept infectés d'arianisme. Pendant
deux mois, depuis le 19 juin jusqu'au 25 août, ils tinrent, sur différentes
questions de dogme et de discipline, de nombreuses et longues conféren-
ces. Arius exposa sa doctrine. En l'entendant proférer ces nouveautés im-
pies, les Pères du concile se bouchaient les oreilles. Il leur fallut un grand
effort de raison et de prudence pour consentir à les examiner. Enfin, la
question fut approfondie et discutée des deux côtés avec toute la science
et toute l'habileté que chacun pouvait désirer. On en remit la décision à
une séance solennelle, qui eut lieu, en présence de l'empereur, dans la
plus vaste salle de son palais. Les évoques étaient rangés sur des sièges
disposés autour de cette enceinte. Un trône s'élevait au milieu : on y dé-
posa le livre des Evangiles. Osius présidait l'assemblée au nom du Pape,
que son âge, ses infirmités et les exigences de son rang avaient retenu à
Rome. Dans le fond de la salle, un siège vide, moins élevé que les autres,
mais tout resplendissant d'or, était destiné à l'empereur. A neuf heures du
matin, il se présente sans armes, sans soldats, accompagné seulement de
quelques dignitaires qui professaient le christianisme. A sa vue, les Pères
du concile, qui l'attendaient en silence, se lèvent et se tiennent debout.
Tout, dans le maintien, l'air et la taille de Constantin, montrait l'homme
supérieur aux autres hommes par les heureux dons de la nature, comme il
l'était par l'éminence de sa dignité. A cinquante ans, il avait encore l'éclat
et les grâces de la jeunesse. La franchise de son caractère et la pureté de
ses mœurs reluisaient sur son front serein. Il s'avance au milieu de cette
assemblée la plus sainte et la plus auguste qu'on eût jamais vue sous le
ciel, avec une magnificence de vêtement qui annonce le maître de l'em-
pire, avec un respect et une modestie qui révèlent le chrétien. Arrivé
devant son siège, il attendit, pour y prendre place, d'y être invité par les
évoques, qui s'assirent après lui. Alors s'engagea entre les Pères du concile
une discussion d'où sortit la foudre qui terrassa l'hérésie. Les blasphèmes
d'Arius ne tinrent plus devant le terme de consubstantiel, expression aussi
concise qu'énergique de l'unité de nature dans les trois personnes divines.
L'univers répéta avec transport le symbole de Nicée, magnifique dévelop-
pement du symbole des Apôtres, hymne sublime de foi, d'amour et de re-
connaissance. Les évêques ariens le souscrivirent, après plus ou moins de
résistance, avec plus au moins de bonne foi, à l'exception de deux, qui
furent déposés par le concile, et, avec Arius, condamnés, par l'empereur,
au bannissement : châtiment dû aux téméraires violateurs des lois de la
plus haute société qui ait paru sur la terre.
Dans ce débat solennel, au milieu de ces vénérables et savants prélats,
de ces glorieux athlètes de la foi, on vit se lever, par leur conseil et à leur
grande joie, un jeune lévite, qui lutta corps à corps avec Arius. Par la su-
périorité de sa raison, par la connaissance approfondie et l'intelligence des
livres saints, par la lucidité et la force de l'argumentation, par la chaleur
d'une éloquence simple, vraie et naturelle, il repoussa les audacieuses atta-
ques de ce redoutable adversaire, déjoua toutes ses ruses, le poursuivit
dans tous ses détours, ei le confondit, en éclairant de la plus vive lumière
ses plus ténébreux retranchements. Il ne charma pas moins le concile par
sa modestie, par la sincérité de sa foi et de son dévouement que par l'éclat
de sa victoire ; car ce jeune homme aimait l'Eglise plus que le plus tendre
fils n'aime sa mère, plus que jamais ni Grec ni Romain n'aima sa patrie :
nous avons nommé Athanase.
Enfant d'une famille distinguée et chrétienne d'Alexandrie, il s'était
Vies des Saints. — Tome V. 16
242 2 mai.
attaché de bonne heure à saint Alexandre, qui l'avait élevé et le chérissait
comme un fils.
La première rencontre de saint Athanase avec saint Alexandre eut un
caractère tout providentiel. Dans les premiers temps de son pontificat, dit
Rufin, le saint patriarche Alexandre avait convié tous les clercs de son
église, un dimanche soir, à un repas qu'il voulait leur donner dans sa mai-
son, située sur le bord de la mer. Après les solennités du jour, Alexandre,
en attendant ses hôtes, avait les yeux fixés sur le rivage, lorsqu'il aperçut
un groupe d'enfants qui se livraient aux jeux de leur âge. Ils avaient élu
un évoque ; ils le firent asseoir au milieu d'eux et écoutèrent gravement ses
paroles ; puis ils s'inclinèrent sous sa main bénissante, et le pontife-enfant
imita sur quelques-uns de ses compagnons toutes les cérémonies du bap-
tême. A cette vue, Alexandre craignit une profanation ; il envoya son
diacre, avec ordre de lui amener les enfants. En présence du véritable
évoque, ceux-ci eurent peur et ne répondirent qu'en balbutiant à toutes
ses interrogations. Enfin, rassurés par l'air de douceur et de bonté qui se
peignait sur son visage, ils lui dirent qu'ils avaient élu un d'entre eux,
Athanase, pour évêque ; que celui-ci avait des catéchumènes instruits par
ses soins, auxquels il venait de conférer le baptême. L'enfant qui répondait
au nom d'Athanase parut alors, mais avec une confusion facile à deviner.
Le patriarche lui demanda s'il avait réellement administré le baptême
selon les rites de l'Eglise et avec l'intention de conférer un sacrement.
La réponse d'Athanase fut affirmative ; il répéta devant le patriarche les
formules qu'il avait employées. Saint Alexandre donna l'ordre à ses prêtres
de suppléer aux néophytes ainsi baptisés les autres cérémonies de l'Eglise,
mais sans renouveler le baptême, « parce qu'il avait été validement con-
féré * ». A partir de ce jour, Athanase et ceux de ses compagnons qui rem-
plissaient près de sa personne les fonctions de prêtres et de diacre, furent
élevés, du consentement de leurs parents, dans l'école ecclésiastique
d'Alexandrie. Athanase y fit de rapides progrès.
Athanase s'occupa de bonne heure à bien écrire. Il n'accorda que peu
de temps aux lettres profanes, assez cependant pour ne pas y rester com-
plètement étranger, et pour que l'on ne pût attribuer à l'ignorance le rang
subalterne où elles étaient reléguées dans son estime. Ce noble et mâle génie
répugnait à consumer ses efforts dans des études vaines.
Les études qui se rapportaient à la religion employaient la plus grande
partie de son temps. La suite de sa vie et la lecture de ses écrits feront voir
jusqu'à quel point il y excellait. Il cite si souvent et si à propos les livres
saints qu'on croirait qu'il les savait par cœur : au moins conviendra-t-on que
la méditation les lui avait rendus très-familiers. C'était là qu'il avait puisé
cette rare piété et cette profonde intelligence des mystères de la foi. Quant
au vrai sens des oracles divins, il le cherchait dans, la tradition de l'Eglise,
et il nous apprend lui-même 2 qu'il lisait avec soin les commentaires des
anciens Pères. Il dit dans un autre endroit 3, qu'il apprenait la tradition des
saints maîtres inspirés et des martyrs de la divinité de Jésus-Christ. Comme
1. Des auteurs regardent ce fait comme une fable : 1° parce qu'il n'est raconté que par Rufin, histo-
rien (disent-ils) peu exact; 2* parce qu'il ne s'accorde pas avec la chronologie de l'histoire de saint
Athanase, car lorsque ce Saint, né en 296 au plus tard, avait douze ans, Alexandre n'était pas encore
patriarche d'Alexandrie. Alexandre succéda, selon ces auteurs, à Achillas, mort en 313. — Admettons,
disent les Bollandistes, que Rufin se soit trompé, à distance, sur les circonstances de nom et de temps ;
ce n'est pas une raison suffisante pour rejeter le fait lui-même, qui peut subsister et subsiste en effet
dans la tradition, Indépendamment de ces circonstances. D'ailleurs, Rufin n'est pas le seul qui ait rap-
porté ce fait.
2. Orat. contra Gentei, p. 1? — 3. L. de Incarn., p. 69.
SAINT ATHANASE, DOCTEUR DE L'ÉGLISE. 243
il avait beaucoup de zèle pour la discipline de l'Eglise, il acquit aussi une
grande connaissance du droit canonique. On voit encore par ses ouvrages
qu'il savait le droit civil, et c'est ce qui lui a fait donner par Sulpice-Sévère
le titre de jurisconsulte.
Pour aliment de sa pensée, il choisit l'Ancien et le Nouveau Testament.
A ces habitudes de contemplation se joignirent des trésors de vertu,
chaque jour augmentés. La science et les mœurs brillant chez Athanase
d'un éclat pareil et se fortifiant mutuellement, formèrent cette chaîne
d'or, dont si peu d'hommes réussirent à ourdir le double et précieux fil. La
pratique du bien l'initiait à la contemplation, et la contemplation à son
tour le guidait dans la pratique du bien.
Quand il eut achevé ses études littéraires, le désir d'avancer dans les
voies de la perfection le conduisit aux pieds du fameux solitaire saint Antoine.
Il resta quelques années sous sa direction, et revint près du patriarche
Alexandre, qui l'éleva au diaconat et l'employa comme secrétaire. C'est
ainsi, ajoute Rufin, qu'Athanase, nouveau Samuel, fut attaché à la personne
du grand prêtre, jusqu'à ce qu'il fut plus tard appelé à l'honneur de revêtir
lui-même l'éphod pontifical.
Athanase n'était encore que diacre, lorsque le patriarche l'amena avec
lui au concile de Nicée. Mais, aussitôt après, il fut ordonné prêtre, et, l'an-
née suivante, l'auguste vieillard, se sentant près de mourir, le désigna pour
son successeur. Athanase se cacha, pour se dérober, lui si jeune, à une
telle dignité. « Tu fuis », dit le saint avant d'expirer, « tu fuis, Athanase,
mais tu n'échapperas pas » . Ces paroles furent un oracle. Le peuple demanda
instamment et obtint des évêques assemblés que le jeune prêtre fût nommé
évêque d'Alexandrie. Il avait à peine trente ans ; mais, dans les circons-
tances où se trouvait cette église, le génie, la science et la sainteté n'a-
vaient pas besoin du nombre des années. Ce choix fit frémir l'hérésie, qui,
pour être vaincue, n'avait pas renoncé à ses espérances. Le jour n'est pas
loin, où, par de cauteleuses démarches, par d'artificieuses professions de
foi, elle saura gagner la faveur du prince : et, une fois armée de l'autorité
publique, jusqu'où n'iront pas son audace et ses excès? Athanase, quels
combats, quelles épreuves vous attendent !
Athanase signala les commencements de son épiscopat par son attention
à pourvoir aux besoins spirituels des Ethiopiens. Il sacra Frumence évêque,
et le leur envoya, afin qu'il pût achever l'œuvre de leur conversion, qu'il
avait si heureusement commencée ; et lorsqu'il eut établi un bon ordre
dans l'intérieur de la ville, il entreprit la visite générale des églises de sa
dépendance.
Les Méléciens donnèrent beaucoup d'exercice à son zèle. Ils continuè-
rent, après la mort de Méloce, leur chef, de tenir des assemblées et d'or-
donner des évêques de leur propre autorité. Partout ils soufllaient le feu de
la discorde, et par là ils entretenaient le peuple dans l'esprit de révolte.
Athanase essaya tous les moyens possibles pour les ramener à l'unité ; mais
il n'y en eut aucun qui lui réussit. Austères dans leur morale, ils s'étaient
fait un grand nombre de partisans, surtout parmi les gens simples, aux-
quels ils en avaient imposé. Les Ariens résolurent de profiter des disposi-
tions où ils les voyaient : ils s'empressèrent donc de rechercher leur amitié.
Les Méléciens n'avaient d'abord erré dans aucun article de la foi ; ils
avaient même été des premiers et des plus ardents à combattre la doctrine
d'Arius ; mais bientôt après ils s'unirent aux partisans de cet hérésiarque
pour calomnier et persécuter Athanase. Il se forma entre eux une ligue
244 2 MM.
solennelle, afin que les coups qu'ils lui porteraient fussent plus efficaces.
Saint Àthanase fait observer à ce sujet, que comme Hérode et Pilate ou-
blièrent la haine qu'ils se portaient mutuellement pour se réunir contre le
Sauveur, de même les Méléciens et les Ariens dissimulèrent leur animosité
réciproque afin de former une espèce de confédération contre la vérité. Au
reste, voilà l'esprit de tous les sectaires ; ils font cesser leurs divisions lors-
qu'il s'agit de déchirer le sein de l'Eglise et de déclarer la guerre à ceux
qui tiennent pour la doctrine catholique.
Constantin donna bientôt de nouvelles preuves de son attachement à la
foi de Nicée. Trois mois après la conclusion du concile, il exila avec indi-
gnation Eusèbe de Nicomédie, qui osait en attaquer les décisions et com-
muniquait ouvertement avec ceux qui s'y montraient rebelles.
Mais quels sombres nuages ont voilé tout à coup la gloire jusque-là si
pure et si brillante du grand Constantin ! Quoi 1 d'un prince ordinairement
si doux et si prudent, l'histoire raconte des actes irréfléchis et barbares, des
meurtres domestiques! Et puis, sous ce même prince, qui, jusqu'à son
dernier soupir, ne cessa d'avoir horreur de l'hérésie, les hérétiques sont
honorés, triomphants et les catholiques repoussés, persécutés ! Quelle est
donc la triste condition de l'humanité déchue ? Quel impur alliage est venu
souiller tout à coup en lui l'or pur de la charité chrétienne?
Pour comble de malheur, il perdit sa mère, la glorieuse sainte Hélène,
lorsque, à la veille des plus astucieuses machinations de l'erreur, les con-
seils et l'influence de cette mère plus éclairée que lui dans la foi, eussent
été si nécessaires et auraient prévenu sans doute de nouvelles fautes !
Lorsque sainte Hélène ne fut plus, toute la tendresse de famille et la
confiance de l'empereur se concentrèrent sur sa sœur Constancie, veuve de
Licinius. Celle-ci d'ailleurs, femme de mérite et de vertu, s'était depuis
longtemps laissé entêter de l'arianisme par Eusèbe de Nicomédie, qui avait
été le partisan de Licinius, et par un prêtre dont l'histoire a dédaigné le
nom. Près de rendre le dernier soupir, un an environ après la mort de
sainte Hélène, elle signala à Constantin ce prêtre obscur comme le plus
propre à le diriger dans les affaires de la religion. « Suivez ses avis », dit-
elle, « je meurs, aucun intérêt ne m'attache plus à la terre, mais je crains
pour vous la colère de Dieu, je crains qu'il ne vous punisse de l'exil auquel
vous avez condamné des hommes justes et vertueux ». Ces conseils d'une
sœur chérie et mourante ne furent que trop écoutés. Arius est rappelé avec
les évêques exilés pour sa cause, moyennant quelque équivoque ou men-
songère profession de foi. Rétabli sur son siège de Nicomédie, et dans tout
son crédit, Eusèbe ne sera satisfait qu'autant qu' Arius aura reparu et repris
ses fonctions dans l'église d'Alexandrie. Pour l'obtenir, il emploie inutile-
ment auprès d'Athanase et les sollicitations et les menaces. Inutilement il
lui fait écrire par l'empereur. Le patriarche est alors en butte à toutes les
les calomnies. Mandé à la cour, il se justifie avec une telle évidence, que
Constantin, en le congédiant, lui remet une lettre adressée au peuple
d'Alexandrie, où, après avoir déploré la malice de ceux qui troublent et
divisent l'Eglise pour satisfaire leur jalousie et leur ambition, il ajoute que
les méchants n'ont rien pu contre leur évêque, dont il a reconnu l'innocence
et la sainteté.
Il fallut donc se taire et dissimuler pendant quelque temps. Mais bientôt
les calomnies recommencent avec un acharnement effronté. La cabale que
dirige Eusèbe est en même temps la plus fourbe et la plus audacieuse qui
fût jamais. Protestant de son adhésion à la foi catholique, ce n'est plus la
SAINT ATHANASE, DOCTEUR DE L'ÉGLISE. 245
doctrine, mais le caractère et la conduite d'Athanase qu'elle attaque ; c'est
de crimes qu'elle l'accuse. Et de quels crimes? De meurtres, d'opérations
magiques, d'impures violences.
Alhanase a beau se justifier encore devant l'empereur, qui, après infor-
mations prises auprès des magistrats d'Egypte, s'irrite de ces odieuses in-
ventions, et menace, si elles se renouvellent, d'en chercher les auteurs.
L'intrigant Eusèbe obtient la convocation d'un concile particulier à Césarée,
résidence du second Eusèbe, sous prétexte de mettre fin aux divisions,
mais au fond pour y faire condamner le patriarche d'Alexandrie, et il a
soin d'y faire appeler en majorité ses partisans. Aussi Athanase refuse-t-il
pendant ^rois ans de comparaître devant des juges qui sont ses ennemis;
mais en 344, sur les ordres formels de l'empereur, à qui on l'a dépeint
comme un homme superbe et un sujet rebelle, il est obligé de se rendre à
Tyr, où le synode a été transféré.
Parmi les imputations déjà détruites, on osa, comme Athanase l'avait
prévu, reproduire celles-là mômes dont l'invraisemblance seule aurait dû
montrer la fausseté.
Une femme fut entendue, qui déclara qu'elle s'était consacrée à Dieu
par vœu de virginité; mais que, ayant logé dans sa maison l'évêque Atha-
nase, celui-ci n'avait pas rougi d'outrager les droits sacrés de l'hospitalité
et les droits plus saints encore de la pudeur. Athanase innocent était aussi
trop habile pour se laisser confondre par cette facile et banale accusation.
L'ayant ouïe, il demeura immobile à sa place, tandis que Timothée, un de
ses prêtres, et son confident, se lève, et, s'avançant vers l'impudente :
« Quoi », lui dit-il, « c'est moi qui ai commis un tel crime ? — Oui, c'est
vous », s'écrie-t-elle avec force, « s'agitant, tout en pleurs, et les cheveux
épars, c'est vous-même, je vous reconnais ». Et elle indiquait avec assurance
toutes les circonstances de l'attentat imaginé. Cette flagrante imposture fut
accueillie par un rire général, et la misérable ignominieusement éconduite,
malgré les instances d'Athanase, pour qu'on la retînt, afin de lui faire révé-
ler les auteurs de cette trame malencontreuse.
Mais voici un autre prétendu forfait.
Arsène, évêque d'une ville delaThébaïde et l'un des sectateurs deMélêce,
cet évêque schismatique dont Arius avait embrassé le parti avant de se faire
lui-même chef d'hérésie, avait disparu tout à coup. Les Méléciens, que les
Ariens avaient su gagner à leur cause, accusèrent Athanase de l'avoir fait
mourir. Pour preuve, ils portaient et montraient de ville en ville une main
droite d'homme, prétendant que c'était celle d'Arsène, dont le patriarche
avait voulu se servir pour des opérations magiques. A la vue de cette main
desséchée, les membres du concile furent saisis, les uns d'horreur, vraie ou
feinte, pour l'attentat, les autres d'indignation contre les machinateurs de
l'affreuse calomnie. Athanase, qui s'était préparé à y donner un éclatant
démenti, seul ne fut point ému. Aussitôt, il envoie prendre un homme qui
attendait à la porte, et qui entre, couvert d'un manteau. C'était Arsène lui-
même, dont Athanase était parvenu à découvrir la retraite au fond de
quelque désert, et qu'il avait fait amener secrètement à Tyr. Plusieurs des
assistants connaissaient parfaitement Arsène : sa présence fut un coup de
foudre. Athanase s'étant approché de lui et soulevant peu à peu son man-
teau, découvre d'abord la main gauche, puis la main droite. « Voilà »,
dit-il, « Arsène avec ses deux mains, le Créateur ne nous en a pas donné
davantage. Que mon adversaire montre où l'on a pris la troisième ».
C'était trop de confusion pour les accusateurs d'Athanase; à cette fois,
248 2 mai.
ils ne lui pardonnèrent ni leur supercherie et leur sottise, ni son habileté et
son innocence. Cette confusion se change tout à coup en aveugles transports
de colère, et la délibération en un affreux tumulte. Si cette main n'est pas
la main d'Arsène, si Arsène est vivant, c'est l'effet de quelque sortilège, c'est
un nouveau coup de magie, un nouveau grief contre Athanase. Leur fu-
reur est telle qu'ils se seraient portés contre lui aux dernières violences,
sans le gouverneur de la Palestine qui l'arracha de leurs mains, et, pour le
mettre en sûreté, l'engagea à s'embarquer la nuit suivante. Athanase fait
voile vers Constantinople et va demander justice à l'empereur.
Les autres chefs d'accusation ne furent pas mieux établis. Qu'importe ?
la décision fut telle qu'on la devait attendre d'une assemblée délibérant
sous la pression des Eusébiens et des Méléciens réunis, et de la force armée
que l'empereur avait mise à leur disposition. Des troupes stationnaient au-
tour de l'enceinte sacrée : ce n'étaient plus des diacres, mais des soldats ou
des geôliers qui en ouvraient les portes. Athanase fut condamné et déposé
par des juges malintentionnés, intimidés ou trompés. Dans la crainte que
l'empereur ne voulût pas croire aux crimes qu'on lui imputait, on eut soin
de donner pour dernier motif de cette condamnation qu'Athanase, par son
orgueil et l'inflexibilité de son caractère, était une cause de division et de
troubles dans l'Eglise d'Alexandrie. Toutefois, de nombreuses et coura-
geuses voix vengèrent Athanase de l'injustice dont il était victime. Le con-
cile se composait de cent neuf évêques; quarante-neuf rendirent témoi-
gnage de son innocence et de ses vertus, et protestèrent contre l'iniquité
de ce jugement.
Dès l'ouverture du concile, le vertueux Potamon, évêque d'Héraclée sur
le Nil, voyant Athanase debout devant les autres évêques assis, dans l'atti-
tude d'un accusé devant ses juges, ne put retenir ses larmes et son indigna-
tion : « Quoi, Eusèbe », dit-il à l'évêque de Césarée, « vous êtes assis, vous,
pour juger Athanase qui est innocent! Dites-moi, n'étions-nous pas tous
deux en prison pendant la persécution ? J'y perdis un œil, vous voilà avec
tous vos membres : comment en êtes-vous sorti ? » Ainsi, cet Eusèbe, aussi
bien que le premier, avait apostasie pendant les dernières épreuves.
L'illustre confesseur, saint Paphnuce, ancien disciple de saint Antoine
et alors évêque dans la haute Thébaïde, celui auquel Constantin rendit tant
d'honneurs au concile de Nicée, prenant par la main saint Maxime de Jéru-
salem, son compagnon de martyre, l'entraîna hors du concile en lui disant
qu'après avoir souffert ensemble pour Jésus-Christ, ils ne devaient pas sié-
ger dans l'assemblée des méchants. Il l'instruisit ensuite de toute la cons-
piration qu'on lui avait dissimulée et l'attacha pour toujours à la cause
d'Athanase.
Il restait à lever l'anathème dont le concile œcuménique avait frappé
Arius et à le rétablir dans F église d'Alexandrie. Mais un ordre de l'empe-
reur ayant appelé tout à coup les évêques à Jérusalem pour la dédicace de
l'église du Saint-Sépulcre, qui venait d'être terminée, ils reprirent dans cette
ville la suite de leurs délibérations. Arius présenta une profession de foi ac-
compagnée de lettres de recommandation de l'empereur, à qui cette pro-
fession avait paru orthodoxe. Le concile se hâta de l'approuver et de pro-
noncer la réunion à l'Eglise d'Arius et de tous ceux qui avaient suivi
son parti.
Cependant Athanase, réfugié à Constantinople, ne pouvait arriver jus-
qu'à l'empereur. Les Eusébiens lui fermaient également les avenues du pa-
lais et le cœur du prince. Mais Athanase, par une démarche hardie, déjoua
SAINT ATHANASE, DOCTEUR DE i/ÉGLISE. 247
l'opposition de ses ennemis. L'empereur entrait un jour à cheval dans la
ville. Athanase s'approche de lui, et comme l'empereur, déjà prévenu par
les décisions du concile de Tyr, avait peine à l'écouter : « Prince », lui dit-il,
«Dieu jugera entre vous et moi, puisque, prenant parti pour mes calom-
niateurs, vous refusez de m'entendre. Je ne sollicite aucune faveur. Qu'on
me confronte seulement devant vous avec ceux qui m'ont condamné ».
Cette réclamation était trop conforme aux principes d'équité et de modé-
ration de l'empereur pour n'être pas accueillie. L'invitation de se rendre
aussitôt à Constantinople pour y exposer les motifs de la condamnation du
patriarche d'Alexandrie, consterna les évêques qui l'avaient prononcée et
qui se trouvaient encore réunis à Jérusalem. Mais les chefs du parti furent
assez habiles pour les engager à rentrer dans leurs églises après s'être fait
déléguer eux-mêmes pour représenter leurs collègues auprès de l'empereur.
Là, les fourbes eurent-ils le front de répéter les accusations auxquelles
Athanase avait déjà donné de si foudroyants démentis ? Non; ils en impro-
visèrent une nouvelle dont le succès était infaillible. Athanase, dirent-ils à
l'empereur, a menacé d'arrêter en Egypte le blé destiné à l'approvisionne-
ment de Constantinople. C'était attaquer Constantin par l'endroit le plus
sensible, lui que rien ne préoccupait, en ce moment, comme la prospérité
de la ville dont il avait jeté les fondements, en 328, sur les rives enchantées
du Bosphore, et dont il voulait faire la première ville du monde.
Malgré les dénégations formelles d'Athanase, l'empereur, qui connais-
sait l'ascendant du patriarche dans toute l'Egypte, crut à une calomnie
qu'Eusèbe accompagnait de serments et l'exila à Trêves, alors la capitale
des Gaules. Injustement accusé, Athanase s'était défendu sans crainte; in-
justement condamné, il obéit sans murmure.
La terre de l'exil fut douce et hospitalière. La vénération des peuples,
l'affection de saint Maximin, évêque de cette ville, la bienveillance et les
égards du jeune Constantin, qui commandait pour son père dans l'Occi-
dent, consolèrent le glorieux athlète de la vérité, de la disgrâce du prince
et de l'acharnement de ses ennemis.
La nouvelle de la condamnation et du bannissement d'Athanase répandit
parmi l'ardente et fidèle population d'Alexandrie une irritation qui put à
peine se contenir. Les villes et les campagnes de l'Egypte, les solitudes
mêmes de la Thébaïde en furent émues. Mille voix s'élevèrent de toutes
parts, et parmi ces voix, la plus vénérée de ce temps, celle de saint Antoine,
pour demander le rappel de l'illustre patriarche; mais rien ne pat faire re-
venir Constantin d'une mesure qui, justifiée par l'autorité d'un concile, lui
était d'ailleurs inspirée par son aversion pour les divisions entre les chré-
tiens. Il espérait que l'absence momentanée d'Athanase calmerait les esprits
et finirait par ramener l'union et la paix dans l'église d'Orient. Au reste,
Athanase lui-même s'est plu à reconnaître sur ce point la rectitude d'in-
tention de Constantin. Ce prince refusa d'ailleurs de le remplacer par un
évêque du choix des Eusébiens avec une résolution et des menaces qui les
firent renoncer à leur entreprise.
Les décisions du concile de Jérusalem ne devaient pas longtemps porter
bonheur au superbe Arius : Alexandrie le repoussa avec horreur. Rappelé
par l'empereur à Constantinople, les Eusébiens se flattèrent de donner plus
d'éclat à son triomphe en le faisant rétablir dans l'église même de la rési-
dence impériale. Mais là se rencontra, pour s'opposer à son intrusion, un
autre Alexandre qui honorait son nom par les mêmes vertus, la même pu-
reté et la même fermeté de foi que le patriarche d'Egypte, qui le premier
248 2 mai.
bannit de l'Eglise le prêtre indocile. Ni prières ni menaces ne purent déter-
miner l'évêque de Constantinople à ouvrir à l'hérésiarque les portes du
sanctuaire. Nécessité fut alors aux sectaires de recourir à l'autorité de l'em-
pereur, qui, avant d'intervenir, voulut s'assurer lui-même des véritables
sentiments d'Arius. Celui-ci renouvelle devant le prince ses équivoques pro-
fessions de foi. « Jurez, lui dit Constantin, que votre croyance est conforme
aux décrets de Nicée ». Ariusjura. «S'il en est ainsi, reprit l'empereur,
allez en toute assurance; mais si votre foi trahit votre serment, que Dieu
vous juge ». Il fait appeler aussitôt saint Alexandre, lui communique les
protestations d'orthodoxie qu'Arius vient de réitérer sous la foi du serment,
et ajoute qu'il faut tendre la main à un homme qui demande à se sauver.
L'évêque représente que l'hérésiarque, n'ayant rétracté aucune de ses er-
reurs, le recevoir dans l'Eglise ce serait y introduire l'hérésie elle-même.
L'empereur s'irrite, le Saint garde un silence tout à la fois digne et respec-
tueux, et se retire, abandonnant de plus en plus dans son cœur sa cause
à Dieu.
Déjà, depuis sept jours, par son conseil et celui de l'illustre évêque da
Nisibe, saint Jacques, doué du don de prophétie et de miracles, qui se trou-
vait en ce moment à Constantinople, les catholiques imploraient, dans le
jeûne et dans les larmes, la protection du ciel contre l'audacieuse entre-
prise de l'erreur. Sorti du palais impérial dans une profonde affliction,
l'évêque va se jeter au pied des autels et demande instamment à Dieu d'é-
pargner à son Eglise un tel scandale. C'était un samedi. Eusèbe, à la tête de
ses partisans, voulut préluder par une ovation publique à l'installation so-
lennelle de l'intrus, fixée au lendemain. La multitude des Ariens grossissait
de rue en rue, tandis qu'Arius excitait leur enthousiasme par de vains et
insolents discours. Parvenu à l'entrée de la place de Constantin, d'où l'on
apercevait le temple où devait se consommer son triomphe, il pâlit tout à
coup, et saisi de violentes douleurs d'entrailles, il est obligé de s'écarter de
la foule. On le trouve bientôt expirant dans le lieu secret où il s'était re-
tiré : digne fin d'une vie d'orgueil et de sacrilège hypocrisie. La justice et
la patience de Dieu n'attendent pas toujours l'éternité pour punir.
Plusieurs Ariens se convertirent; Constantin vit dans ce tragique évé-
nement le châtiment du parjure et s'attacha de plus en plus à la foi de
Nicée. Le lendemain, les catholiques célébraient en paix et pleins de joie
les divins mystères et leur délivrance miraculeuse. Le bannissement de saint
Athanase fut la dernière faute de Constantin; et l'ordre de le rappeler, qu'il
donna un an après, le dernier acte de sa vie.
11 laissa trois fils : Constantin, Constance et Constant. Au premier
échurent la Grande-Bretagne, les Gaules et l'Espagne; au second, l'Asie et
l'Egypte; au troisième l'illyrie, la Grèce, l'Italie et l'Afrique.
Constantin le Jeune se hâta de remplir les intentions de son père, et de
rendre la liberté à saint Athanase, qui remonta sur son siège, l'an 338, aux
acclamations du peuple d'Alexandrie et de l'Egypte entière.
Le rétablissement d'Athanase mortifia sensiblement les Ariens; aussi
firent- ils jouer de nouveaux ressorts pour le perdre. Ils mirent dans leurs
intérêts Constance, qui avait eu l'Orient en partage, et lui représentèrent
Athanase comme un esprit inquiet et turbulent qui depuis son retour avait
excité des séditions et commis des violences et des meurtres. Ils l'accusèrent
encore d'avoir vendu à son profit les grains destinés à la nourriture des
veuves et des ecclésiastiques qui habitaient les contrées où il ne venait point
de blé. Ils formèrent les mêmes accusations auprès de Constantin et de
SAINT ATHANASE, DOCTEUR DE i/ÉGLISE. -49
Constant; mais leurs députés, loin de réussir à persuader ces deux princes,
furent renvoyés avec mépris. Pour Constance, il se laissa séduire et ajouta
foi au dernier chef d'accusation. Il ne fut pas difficile au patriarche d'en
démontrer la fausseté, et il n'eut autre chose à faire pour cela que de pro-
duire les attestations des évoques de Libye, où il était marqué qu'ils avaient
reçu la quantité ordinaire de froment. La calomnie découverte ne dissipa
point les préjugés de Constance. Ce malheureux prince était gouverné par
Eusèbe de Nicomédie et par d'autres ariens, qui lui inspiraient leurs propres
sentiments, et qui l'amenèrent au point de leur permettre d'élire un nou-
veau patriarche d'Alexandrie.
La permission étant accordée, les hérétiques s'assemblèrent à Antioche
sans délai; ils déposèrent Athanase, et élurent en sa place un prêtre égyp-
tien de leur secte, nommé Piste. Ce mauvais prêtre, ainsi que 1 évoque qui
le sacra, avait été précédemment condamné par saint Alexandre et par le
concile de Nicée. Le pape Jules refusa de communiquer avec cet intrus, et
toutes les églises catholiques lui dirent anathème; aussi ne put-il jamais
prendre possession d'une dignité qu'il avait usurpée.
Athanase, de son côté, tint à Alexandrie un concile où se trouvèrent
cent évêques. On y prit la défense de la foi, et l'on y reconnut l'innocence
du patriarche. Les Pères écrivirent ensuite une lettre circulaire à tous les
évêques, et l'envoyèrent nommément au pape Jules. Le Saint alla lui-même
à Rome en 341; mais le long séjour que les circonstances l'obligèrent de
faire dans cette ville, donna aux Ariens le temps de tout bouleverser en Orient.
Dans la même année 341 , il y eut un synode à Antioche, à l'occasion de
la dédicace de la grande église. On fit dans ce synode, composé d'évêques
orthodoxes et hérétiques, vingt-cinq canons de discipline; mais les prélats
orthodoxes ne furent pas plus tôt partis, que les hérétiques y en ajoutèrent
un vingt-sixième, qui regardait évidemment saint Athanase. Il portait que
si un évêque déposé justement ou injustement dans un concile retournait
à son église sans avoir été réhabilité par un concile plus nombreux que
celui qui avait prononcé la déposition, il ne pourrait plus espérer d'être
rétabli ni même d'être admis à se justifier. Ils élurent ensuite un certain
Grégoire, sorti de la Cappadoce, qui combla la mesure de son indignité par
sa monstrueuse ingratitude pour les bienfaits d'Athanase.
Le prétendu patriarche, escorté de soldats que commande Philagre,
gouverneur de l'Egypte, fait son entrée dans Alexandrie comme dans une
ville prise d'assaut. Le peuple réclama contre cette nomination et ces vio-
lences, si contraires aux traditions et à la discipline de l'Eglise. Le gouver-
neur fit à ces justes plaintes l'accueil qu'on devait attendre d'un apostat
décrié pour le désordre de ses mœurs et la dureté de son caractère. Il ap-
pelle à son aide les Juifs, les païens, la plus vile populace, qu'il joint à ses
cohortes. Cette troupe hideuse se rue sur les fidèles assemblés dans les
églises et s'y livre aux plus indécents et aux plus cruels excès. Il y eut du
sang répandu, les femmes furent outragées, les païens offrirent à leurs
divinités des sacrifices sur la table sainte. C'est ainsi que les erreurs les plus
opposées se tolèrent et s'associent pour combattre la vérité.
Le Saint-Siège, lui, s'émut de tendresse et d'admiration à l'arrivée d'un
fils si dévoué, d'un si glorieux défenseur de la foi et des traditions aposto-
liques. Les Eusébiens, pendant que Constance était occupé à la guerre
contre les Perses, avaient accusé Athanase devant le chef de l'Eglise, dont ils
proclamaient ainsi eux-mêmes la suprématie; et Athanase, pour répondre à
leurs calomnies, lui avait adressé par écrit une complète justification de sa
250 2 MAI.
conduite, confirmée par les suffrages des évêques d'Egypte, témoins oculaires
des faits. Jules Ier accueillit doue Athanase avec les égards, l'affection et
l'honneur dus à son innocence, à son zèle, à son génie et à ses malheurs.
Le patriarche prit rang au concile convoqué par le Pape, pour instruire
pleinement ce grand procès qui divisait l'Orient. >a présence, la bienveil-
lance méritée dont il était l'objet, déconcertèrent ses accusateurs. Ils n'o-
sèrent pas lui tenir tête devant un tribunal purement ecclésiastique, où
l'absence de la force armée et des ordres du prince laisserait la vérité et
l'innocence se produire en toute liberté, et ils refusèrent de paraître au
concile, afin d'échapper au jugement qu'ils avaient provoqué les premiers.
Ce jugement eut lieu malgré leur abstention, et saint Jules le proclama,
dans une lettre adressée aux Eusébiens, avec ce ton d'autorité calme et de
fermeté affectueuse qui caractérise le suprême gardien de la foi, le père
commun des fidèles. Les condamnations prononcées contre Athanase dans
les conciles de Tyr et d'Antioche, la nomination et l'installation de Grégoire
furent reconnues entachées de passion et de violence, irrégulières clans la
forme, injustes au fond. On invoqua en même temps l'autorité irréfragable
du concile œcuménique de Nicée, l'anathème fulminé par ce concile contre
Arius et ses partisans, et enfin les prérogatives de l'Eglise de Rome, son
droit traditionnel et incontestable d'intervenir dans toutes les affaires ma-
jeures qui intéressent le dogme et la discipline.
Les orgueilleux sectaires ne se rendent point à ces arrêts, et, sous l'égide
de Constance, ils continuent à exclure des principaux sièges les évêques or-
thodoxes, jusqu'à ce que, en 347, à la demande du Pape et des illustres
évêques de Trêves et de Cordoue, Constant obtient de son frère le consen-
tement à une réunion des évêques d'Orient et d'Occident, dans la ville de
Sardique, située en Illyrie, sur les confins des deux empires.
Dans ce concile, où le Pape envoya ses légats, auquel présida le grand
Osius, l'Eglise, indépendante et unie à son chef, prononça les mêmes oracles
qu'à Rome, et prit, dès le premier jour, pour principe et pour règle de ses
délibérations, le symbole de Nicée. Le droit d'appel et de recours au Saint-
Siège contre les décisions des conciles particuliers fut de nouveau proclamé,
Athanase déclaré seul évêque légitime d'Alexandrie, et l'intrus Grégoire
exclu de la communion de l'Eglise. Deux évêques eusébiens, abandonnant
leur parti, vinrent en dévoiler toute la mauvaise foi et les trames coupables.
Ici encore, les ennemis d'Athanase, n'osant affronter la discussion, s'obs-
tinèrent à n'y prendre aucune part, renouvelèrent leurs protestations, et,
rentrés en Orient, le troublèrent par leur audace toujours croissante. Dans
la ville d'Andrinople, dix catholiques, qui avaient refusé de communiquer
avec eux, furent mis à mort par ordre des magistrats. Partout les évêques
catholiques étaient bannis, maltraités, odieusement calomniés.
Le puissant empereur d'Occident, instruit et indigné de ces excès, en
écrivit à son frère sur un ton qui annonçait qu'il serait dangereux de lui
résister. Les emportements des Eusébiens ouvrirent d'ailleurs un instant les
yeux à Constance, et lui-même se sentit saisi tout à coup d'admiration pour
le grand évêque d'Alexandrie.
Il lui écrivit de sa main à plusieurs reprises, non-seulement pour l'inviter
à rentrer dans son église, mais encore pour lui exprimer combien il serait
heureux de le voir, et le presser, le conjurer de venir à la cour. Athanase se
délia d'abord d'une bienveillance si imprévue et si subite, mais il dut céder
à ces instances réitérées, qu'accompagnaient d'ailleurs les mesures les plus
décisives. La persécution avait cessé dans toutes les provinces ; les prêtres
SAINT ATHANASE, DOCTEUR DE L'ÉGLISE. 251
d'Alexandrie, bannis pour leur fidélité à leur évêque, étaient rappelés. Ayant
pris congé, à Milan, de l'empereur Constant, et à Rome, du pape Jules,
Athanase reprend le chemin de l'Orient et voit Constance dans Antioche.
Cet empereur l'accueillit avec bonté, l'entoura, pendant son séjour, de
considération et de respect, et à son départ, lui promit avec serment de ne
plus ouvrir l'oreille aux calomnies, de ne plus souffrir qu'on le troublât dans
son ministère.
Alexandrie le reçut avec les mêmes transports de joie qui avaient éclaté
à son premier retour ; le souvenir des cruautés de l'intrus en doublait la
vivacité. Sa présence eut des effets plus importants. Elle refoula autour de
lui les mauvaises passions, excita la passion du bien et de toutes les vertus
évangéliques. Les œuvres de miséricorde se multiplièrent et s'étendirent
à tous les infortunés. Que de jeunes hommes, que de jeunes filles, sous l'in-
fluence de ses exemples, embrassèrent une vie de sacrifices et d'héroïque
dévouement !
Malheureusement, les bienveillantes dispositions de Constance ne furent
pas de longue durée. Le principal appui des catholiques, l'infortuné Cons-
tant, perdit le trône et la vie, en 330, à l'âge de vingt-sept ans, victime d'une
conspiration ourdie par Magnence, un de ses généraux. Délivré de la crainte
des Perses par leur déroute sous les murs de Nisibe, qu'il dut moins à ses
armes qu'aux conseils et aux miracles de saint Jacques, illustre évêque de
cette ville, Constance vengea bientôt la mort de son frère. La victoire qu'il
remporta sur l'usurpateur, dans les champs de la Pannonie, mit le monde
à ses pieds. La prospérité est funeste aux âmes vaines et faibles. Il rougit
d'avoir cédé aux remontrances de son frère en faveur d'Athanase. Il oublia
ses serments. Les orthodoxes sont en butte, sur tous les points de l'empire,
à une violente persécution, qui, sous le fils de Constantin, rappelle l'ère
sanglante des martyrs.
Dans la capitale de l'Egypte, un chef militaire à la tête de cinq mille
soldats, envahit, la nuit, l'église où priait Athanase avec une multitude
considérable de peuple. L'épée est tirée, des flèches sont lancées contre
cette foule agenouillée. A cette subite et farouche attaque, le peuple se
presse autour de son évêque, qu'on veut lui enlever, ou plutcH qu'on veut
immoler au pied des autels. Dans cet affreux tumulte, le patriarche élève
sa voix toujours obéie, il ordonne aux fidèles de se retirer et de se mettre
en sûreté eux-mêmes. Pour lui, il ne sortit que des derniers, enveloppé,
emporté par un groupe dévoué, qui vint à bout de le dérober aux traits de
la troupe homicide.
Proscrit et fugitif, Athanase ne peut croire que Constance ait commandé
ces sacrilèges violences; il compte d'ailleurs encore sur ses anciennes pro-
testations et sur sa bonne foi. Pour l'éclairer, il lui adresse une grande
apologie où il réfute un à un tous les griefs des Ariens. Ecoutons-le ré-
pondre à l'accusation d'une prétendue correspondance avec l'usurpateur
Magnence : a Le reproche d'avoir voulu irriter contre vous votre frère,
d'heureuse mémoire, avait du moins quelque prétexte aux yeux des calom-
niateurs. En effet, j'avais le privilège de le voir librement, et il me défendait
contre vous. Présent, il m'honorait, absent, il m'a souvent appelé. Mais cet
infernal Magnence, Dieu m'est témoin que je ne le connais pas. Quelle fami-
liarité pouvait donc s'établir d'un inconnu à un inconnu ? Par où pouvais-je
commencer une lettre à lui ? Etait-ce ainsi : Tu as bien fait de tuer celui
qui me comblait d'honneurs et dont je n'oublierai jamais l'amitié ? Je t'aime
d'avoir égorgé ceux qui, dans Rome, m'ont accueilli avec tant de faveur ? »
252 2 mai.
Cette justification, étincelan te d'éloquence et de vérité, n'eut pas de
prise sur l'âme prévenue de Constance. Il n'en devint que plus obstiné, et
son fanatisme, plus violent. Un nouvel intrus du nom de Georges, autrefois
chargé de fournir la viande de porc à l'armée, et pire que Grégoire, désho-
nora, fit frémir d'indignation par sa grossièreté, par son ignorance, par son
avarice et sa cruauté, l'illustre siège d'Alexandrie que réjouissaient naguères
les nobles qualités, le génie et les vertus d'Athanase. Constance assemble
conciles sur conciles, auxquels il impose, avec d'astucieuses formules de
foi, plus ou moins favorables à l'hérésie, l'inévitable condition de la con-
damnation du patriarche. Il en fut ainsi à Sirmich en Hongrie, à Rimini en
Italie, à Arles en France. Les évoques qui refusent de les souscrire sont en-
voyés dans de lointains et rigoureux exils.
Athanase lui-même errait de déserts en déserts, toujours recherché et
souvent poursuivi de près par les soldats et les espions des gouverneurs ro-
mains. Quelquefois, pour leur échapper, il rentrait dans les populeuses cités
de l'Egypte, où la foule ne le cachait pas moins que la solitude. Mais sa
retraite préférée était dans les monastères et les ermitages de la Thébaïde,
dont il aimait à partager les études, le silence et les austérités. Là une nom-
breuse et ardente milice, prête à mourir pour lui, savait le soustraire aux
perquisitions, remplissait ses messages, copiait et propageait ses écrits dans
les sociétés chrétiennes de l'Orient. « C'est de là, dit M. Villemain, qu'A-
thanase encourageait les évêques d'Egypte zélés pour sa cause; qu'il adres-
sait des lettres apostoliques à son église d'Alexandrie; qu'il répondait
savamment aux hérétiques ; qu'il lançait des anathèmes contre ses persé-
cuteurs. Du fond de sa cellule, il était le patriarche invisible de l'Egypte ».
On ne lui permit pas de jouir longtemps de la compagnie des solitaires.
Ses ennemis mirent sa tête à prix. Des soldats furent chargés de faire par-
tout des perquisitions pour le découvrir. On eut beau maltraiter les moines,
ils furent fermes et donnèrent à entendre qu'ils souffriraient plutôt la mort
que de déceler le lieu où Athanase était caché. Quelque agréable que fût
au patriarche la compagnie de ces saints hôtes, il résolut de les quitter, afin
de ne pas les exposer à de plus rudes souffrances. Il se retira donc dans une
citerne, où il pouvait à peine respirer. La seule personne qu'il vît était un
fidèle qui lui apportait ses lettres et les choses dont il avait besoin pour
subsister; encore ce fidèle courait-il de grands dangers, tant les recherches
des Ariens étaient opiniâtres.
La mort de Constance suspendit seule la persécution. Ce prince fut em-
porté par une maladie subite, lorsque des extrémités de l'Orient il courait
dans les Gaules, pour réprimer la révolte du César Julien, que les troupes
venaient de proclamer Auguste, et qui lui succéda.
Vers le même temps, l'intrus d'Alexandrie devenait odieux à tous les
partis, aux païens eux-mêmes, qu'enhardissait l'avènement de Julien l'A-
postat. Ceux-ci le tuèrent dans une sédition populaire; puis chargeant son
corps sur un chameau, ils le traînèrent par toute la ville, le brûlèrent avec
cet animal qui leur semblait impur pour avoir touché le cadavre de ce sa-
crilège, et enfin jetèrent ses cendres à la mer. D'un autre côté, le prince
philosophe , par ostentation de tolérance, rappela d'abord les évêques exilés
par la faction arienne. Le retour d'Athanase, dont l'absence avait été plus
que jamais regrettée, excita dans l'Egypte un tressaillement d'allégresse et
d'enthousiasme populaire dont l'histoire offre peu d'exemples. Ce fut, pour
Alexandrie surtout, une fête telle que l'empire romain n'en connaissait plus
depuis l'abolition des anciens triomphes. Il ne manqua à celui-ci que les
SAINT ATHANASE, DOCTEUR DE L'ÉGLISE. 253
spectacles des vaincus enchaînés et l'orgueil du vainqueur. Les populations
de l'Egypte étaient accourues pour joindre leurs transports à ceux des ha-
bitants et des étrangers de toutes les nations, qui affluaient dans ce port,
centre du commerce du monde. Les catholiques révéraient en lui un Saint,
le plus illustre défenseur de leur foi; tous, un grand homme, un bienfai-
teur, un père. Au premier bruit de son arrivée, un peuple immense se
précipita hors des murs. Les rivages du Nil étaient couverts de spectateurs.
On était content de le voir seulement de loin, d'entendre le son de sa voix.
Plus heureux ceux qui pouvaient toucher sa robe, ou du moins rencontrer
son ombre. Dans la pompe triomphale, le peuple était groupé par rang
d'âge, de sexe, de classe, de nation. Les applaudissements, les acclama-
tions, les chants joyeux, qui se succèdent ou se confondent, retentissent de
toutes parts. Le soir venu, mille flambeaux inondent la ville de flots de lu-
mière, tandis que la mer est éclairée au loin des feux resplendissants des
hautes tours du Musée. Des festins et d'innocents plaisirs prolongent jus-
qu'au sein de la nuit le bruit et le mouvement du jour. Depuis, quand on
voulait dire qu'un gouverneur avait été bien reçu dans la capitale de
l'Egypte, on disait, par manière de proverbe, qu'on lui avait fait autant
d'honneur qu'au grand Athanase. L'hérésie était vaincue dans Alexandrie.
Les catholiques rentrèrent dans toutes les églises, les Ariens furent réduits
à tenir leurs assemblées dans des maisons particulières.
Quelque temps après, Athanase se vit exposé à de nouvelles épreuves
de la part de Julien. Ce prince avait enfin levé le masque, et ne déguisait
plus ses sentiments par rapport au paganisme. Les prêtres des idoles d'A-
lexandrie se plaignirent à lui de l'efficacité des moyens que le patriarche
employait contre leurs superstitions, et ils ajoutèrent que s'il restait plus
longtemps dans la ville, on y verrait bientôt les dieux sans aucun adora-
teur. Leurs plaintes furent écoutées favorablement. L'empereur répondit
qu'en permettant aux chrétiens, qu'il appelait Galiléens, par dérision, de
revenir dans leur pays, il ne leur avait point accordé le droit de rentrer
dans leurs églises; qu' Athanase en particulier n'aurait pas dû porter la té-
mérité si loin que les autres, lui qui avait été exilé par plusieurs empereurs.
Il lui fit donc signifier de sortir de la ville aussitôt l'ordre reçu, et cela sous
peine d'être sévèrement puni. Il arrêta même sa mort, et un de ses officiers
fut chargé de l'exécution de cet arrêt.
Lorsque les ordres du prince furent arrivés à Alexandrie, la douleur et
la consternation s'emparèrent de tous les fidèles. Athanase les consola et
leur dit de mettre en Dieu leur confiance, les assurant que l'orage passerait
bientôt. Ayant ensuite recommandé son troupeau à ses amis, il s'embarqua
sur le Nil pour aller dans la Thébaïde.
L'officier qui avait ordre de le mettre à mort n'eut pas plus tôt été in-
formé de sa fuite, qu'il le poursuivit avec ardeur. Le Saint fut averti à temps
du danger. Ceux qui l'accompagnaient lui conseillèrent de s'enfoncer dans les
déserts; mais il n'en voulut rien faire; il ordonna même qu'on le ramenât
vers Alexandrie, en disant : « Montrons que celui qui nous protège est plus
puissant que celui qui nous persécute ». L'officier, les ayant joints sans les
connaître, leur demanda s'ils n'avaient point vu Athanase. « Vous êtes pré-
cisément sur ses traces; il ne s'en faut de rien que vous lui mettiez la main
dessus ». L'officier continua sa route, pendant qu' Athanase se rendit à
Alexandrie, où il demeura quelque temps caché.
Julien ayant donné de nouveaux ordres pour qu'on le mît à mort, il se
retira dans les déserts de la Thébaïde. Il s'y voyait souvent obligé de changer
254 2 mai.
de demeure pour échapper aux perquisitions de ses ennemis. Il était à An-
tinoé, lorsque saint Théodore de Thabenne et saint Pamraon, tous deux
abbés solitaires, vinrent lui rendre visite. Ils le consolèrent en lui assurant
que ses peines allaient finir. Ils lui racontèrent ensuite comment Dieu leur
avait révélé la mort de Julien. Ils ajoutèrent encore qu'ils avaient appris
par la même voie, que Julien aurait pour successeur un prince religieux,
mais que son règne serait fort court.
Ce prince était Jovien. Il refusa d'accepter l'empire qu'on lui offrait,
jusqu'à ce que l'armée se fût déclarée pour la religion chrétienne. A peine
eut-il été placé sur le trône impérial, qu'il révoqua la sentence de bannis-
sement portée contre Athanase. Il lui écrivit en môme temps une lettre,
où, après avoir donné de justes louanges à sa fermeté et à ses autres vertus,
il le priait instamment de venir reprendre le gouvernement de son église.
Athanase n'avait point attendu les ordres de l'empereur pour quitter sa
retraite : il en était sorti immédiatement après la mort de Julien, et il était
revenu à Alexandrie. Son arrivée imprévue avait causé autant de joie que
de surprise. Son premier soin, quand il se vit rendu à son troupeau, fut de
reprendre ses fonctions ordinaires. L'empereur, le connaissant pour un des
plus zélés défenseurs de l'orthodoxie, lui écrivit une seconde lettre, dans
laquelle il le priait de lui envoyer une exposition de la vraie foi, et de lui
tracer le plan de conduite qu'il devait suivre par rapport aux affaires de
l'Eglise. Athanase ne voulut répondre qu'après avoir conféré avec de sa-
vants évoques qu'il fit assembler pour cet effet. Sa réponse portait qu'il fal-
lait s'attacher à la foi de Nicée, qui était celle des Apôtres, qui avait été
prêchée dans les siècles suivants, et qui était encore la foi de tout le monde
chrétien, « à l'exception d'un petit nombre de personnes qui avaient em-
brassé les sentiments d'Arius ».
Les Ariens firent d'inutiles efforts pour noircir Athanase dans l'esprit de
l'empereur : ils ne retirèrent que de la confusion de leurs calomnies. Jo-
vien eut envie de voir le saint patriarche, dont il avait conçu une haute
idée; il le manda donc à Antioche, où la cour était alors, et il lui donna
mille marques d'estime et d'amitié. Athanase, ayant satisfait au désir et aux
consultations du prince , partit d'Antioche et se hâta de retourner à
Alexandrie.
Jovien étant mort le 17 février 364, après un règne de huit mois, Valen-
tinien lui succéda à l'empire. Comme il voulait faire sa résidence dans l'Oc-
cident, il partagea ses états avec son frère Valens et lui donna l'Orient à
gouverner. Ce dernier, qui avait toujours eu du penchant pour l'arianisme,
ne tarda pas à manifester ses sentiments. Ayant reçu le baptême en 367, des
mains d'Eudoxe, évêque des Ariens de Constantinopîe, il publia un éditpar
lequel il bannissait tous les évoques que Constance avait privés de leurs
sièges.
A la nouvelle de l'édit, le peuple d'Alexandrie s'assembla en tumulte
pour demander au gouverneur de la province qu'on lui laissât son évêque.
Le gouverneur promit d'en écrire à Valens, et les esprits se calmèrent.
Athanase, voyant la sédition apaisée, s'enfuit secrètement de la ville pour
se retirer à la campagne, et il s'y cacha durant quatre mois dans le caveau
où son père avait été enterré. La nuit suivante, le gouverneur et le général
des troupes s'emparèrent de l'église où il faisait ordinairement ses fonc-
tions. Ils l'y cherchèrent inutilement, sa retraite l'avait dérobé à leur pour-
suite. C'était la cinquième fois qu'on l'obligeait à quitter son siège.
Dès que le peuple sut le départ du saint patriarche, il en témoigna sa
SAEST ATHANASE, DOCTEUR DE L EGLISE. 2o5
douleur par ses cris et par ses larmes. Tous s'adressèrent au gouverneur et
le prièrent de ménager le retour de leur évêque. Valens, informé de tout
ce qui se passait, craignit qu'il ne s'élevât quelque sédition; il prit donc le
parti d'accorder aux habitants d'Alexandrie ce qu'ils lui demandaient avec
tant de chaleur. En conséquence, il manda qu' Athanase pouvait demeurer
en paix à Alexandrie et qu'on ne le troublerait point dans la possession des
églises.
On est surpris et effrayé de toutes les scènes horribles que présente
l'histoire de l'arianisme. L'impiété, l'hypocrisie, la dissimulation, la ma-
lice, la perfidie des Ariens paraîtraient incroyables, si elles n'étaient ap-
puyées sur le témoignage de tous les historiens du temps, et de saint Atha-
nase lui-même. Les faits dont il s'agit étaient notoires; ils se passaient à la
face de tout l'univers; ils étaient consignés dans les synodes des Ariens;
aussi saint Athanase les inséra-t-il dans son apologie, faite pour devenir
publique, avec toutes les circonstances odieuses qui les accompagnaient,
sans craindre que l'on s'inscrivît en faux contre tout ce qu'il avançait.
Mais ce serait peu connaître le saint patriarche d'Alexandrie, que de
s'en tenir à ces traits éclatants qui ont fait de lui un des principaux héros
du christianisme. Sa vie privée doit aussi fixer notre admiration. « Il était,
dit saint Grégoire de Nazianze l, d'une humilité si profonde que nul ne
portait cette vertu plus loin que lui. Doux et affable, il n'y avait personne
qui n'eût auprès de lui un accès facile. Il joignait à une bonté inaltérable,
une tendre compassion pour les malheureux. Ses discours avaient je ne sais
quoi d'aimable qui captivait tous les cœurs; mais ils faisaient encore moins
d'impression que sa manière de vivre. Ses réprimandes étaient sans amer-
tume, et ses louanges servaient de leçon; il savait si bien mesurer les unes
et les autres, qu'il reprenait avec la tendresse d'un père et louait avec la
gravité d'un maître. Il était tout à la fois indulgent sans faiblesse et ferme
sans dureté. Tous lisaient leur devoir dans sa conduite; et quand il parlait,
ses discours avaient tant d'efficacité qu'il n'était presque jamais obligé de
recourir aux voies de rigueur. Les personnes de tout état trouvaient en lui
de quoi admirer et de quoi imiter. Il était fervent et assidu à la prière, aus-
tère dans les jeûnes, infatigable dans les veilles et dans le chant des psaumes,
plein de charité pour les pauvres, condescendant pour les petits, intrépide
lorsqu'il s'agissait de s'opposer aux injustices des grands ». Il avait, selon le
même auteur, le talent de persuader ceux qui étaient d'un sentiment con-
traire au sien, à moins qu'ils ne fussent endurcis dans le mal; et alors ceux
qui ne se laissaient pas gagner ressentaient une vénération secrète pour sa
personne. Quant à ses persécuteurs, ils trouvaient en lui une âme inflexible
et supérieure à toutes les considérations humaines. Semblable à un roc, rien
n'était capable de le faire fléchir en faveur de l'injustice.
Athanase, après avoir soutenu de rudes combats et remporté de glo-
rieuses victoires sur les ennemis de la foi, passa à une meilleure vie le 18
janvier 373 2. Il mourut dans son lit, dit la légende du Bréviaire romain. Il
trouvait enfin dans la mort un repos qu'il avait longtemps demandé vai-
nement aux grottes des montagnes et aux profondeurs des déserts. Il avait
gouverné quarante-six ans l'église d'Alexandrie 3.
1. Or. 21.
2. Cette date est appuyée sur l'autorité' de la Chronique orientale des Cophtes, ainsi que sur celle do
■aint Profère et de saint Jérôme. Socrate s'est donc trompé en Hiettant la mort de saint Athanase en 37L.
3. Les Grecs honorent saint Athanase le 2 de mai, jour auquel ses reliques furent déposées dans l*é-
gl:s2 de Sainte-Sophie, à Constantinople, lors de la translation qui s'en fit d'Alexandrie en cette ville.
(Voir leurs éphémérides dans leurs synaxaires.) Ils en font encore mémoire le 18 de janvier, que M. A»-
256 2 mai.
Voici de quelle manière sa mort est décrite par saint Grégoire de Na-
zianze : « Il termina sa vie dans un âge fort avancé, pour aller se réunir à
ses pères, aux patriarches, aux prophètes, aux apôtres, aux martyrs, à
l'exemple desquels il avait généreusement combattu pour la vérité. Je dirai,
pour renfermer son épitaphe en peu de mots, qu'il sortit de cette vie mor-
telle avec beaucoup plus d'honneur et de gloire qu'il n'en avait reçu à
Alexandrie, lorsqu'après ses différents exils, il y rentra de la manière la
plus triomphante. Qui ne sait en effet que tous les gens de bien pleurèrent
amèrement sa mort, et que la mémoire de son nom est restée profondé-
ment gravée dans leurs cœurs ?.... Puisse-t-il du haut du ciel abaisser sur
moi ses regards, me favoriser, m'assister dans le gouvernement de mon
troupeau, conserver dans mon église le dépôt de la vraie foi 1 Et si, pour
les péchés du monde, nous devons éprouver les ravages de l'hérésie, puisse-
t-il nous délivrer de ces maux, et nous obtenir, par son intercession, la
grâce de jouir avec lui de la vue de Dieu ! »
On peut représenter saint Athanase dans une barque remontant le Nil
et s'enfuyant; assis, tenant une plume et écrivant. On l'invoque contre les
maux de tête, probablement en sa qualité d'homme d'esprit.
RELIQUES ET ÉCRITS DE SAINT ATHANASE.
Le corps de saint Athanase, déposé un 2 mai, on ne sait en quelle année , dans l'église de
Sainte-Sophie, à Constantinople, fut. transféré, en 1454, à Venise. La tête, néanmoins, manque.
Les Espagnols ont prétendu qu'elle était au monastère de Valvanère, dans le diocèse de Cala-
horra ; mais cette prétention n'est nullement fondée. Le Père Papebroch parlant, au 2 mai des
Acta Sanctorum, de la tradition des moines de Valvanère, dit : « Ils ne peuvent la prouver.
C'est pourquoi je me range plus volontiers à l'opinion d'Antoine Yepès, qui affirme que cette tète
n'est autre que celle d'un religieux nommé Athanase qui fut cuisinier en ce couvent et y mourut
en odeur de sainteté. C'est ce qui donna naissance à la fable d'Athanase le Grand se réfugiant à
Valvanère. Tamayus Salazar, dans son martyrologe d'Espagne, partage l'avis d'Yepès.... » L'opi-
nion de ces deux auteurs est d'un poids d'autant plus grand, qu'ils ont la manie de naturaliser
Espagnols un grand nombre de saints et de reliques qui n'ont jamais appartenu à la péninsule
ibérique. La tète de saint Athanase n'est donc pas en Espagne : elle est en France, à Semblançay,
dans le diocèse de Tours, où on la vénère encore aujourd'hui. Nous lisons ce qui suit dans une
lettre pastorale que Mgr Guibert, archevêque de Tours, a donnée, le 13 décembre 1861, à l'occasion
de la translation du chef de saint Athanase le Grand : « L'ancienne paroisse de Serrain pos-
sédait, avant la Révolution, le chef de saint Athanase le Grand. C'est ce que nous apprend une
tradition respectable consignée dans nos livres liturgiques ». {Brév. de Tours de 1685.)
« Mais d'où venait cette précieuse relique ? Nous n'avons aucun document écrit qui puisse nous
éclairer sur sa provenance. Si jamais quelques titres écrits ont existé, il faut croire qu'au milieu
de toutes les vicissitudes du temps, dans les guerres de religion, pendant la Révolution, ces titres
ont disparu, comme tant d'autres. Nous sommes donc obligés d'avoir recours à la tradition.
« De tout temps on a cru et dit que le chef de saint Athanase le Grand avait été apporté des
croisades par un comte de Semblançay. 11 est certain, en effet, que plusieurs de ces seigneurs
visitèrent la Terre Sainte.
« Nous citons ces faits uniquement pour montrer que la tradition populaire n'est point dénuée
de fondement. Assurément nous ne saurions établir, sur ces simples conjectures, l'origine de la
relique du Serrain. Pour le moment, il nous suffit de mentionner la tradition et d'attester que sa
vraisemblance est historiquement prouvée.
« Si nous manquons de documents positifs et certains sur l'époque de la translation au Serrain
de la relique de saint Athanase, nous ne sommes pas dans la même incertitude en ce qui touche
la légitimité et la nature du culte qu'on lui rendait.
semani, in Calend. univ., t. vi, p. 299, prouve, contre les Bollandistes, avoir été le jour de sa mort,
comme les menées le disent expressément. Ils honorent le même Jour avec lui saint Cyrille, parce qu'il a
été évêque de la même ville, quoiqu'il ne »oit mort qu'en juin. On trouve une autre fête de saint Atha-
nase marquée au 9 de juin dans les menées, et au 27 du même mois dans le ménologe de l'empereur
Basile. (Voir la réfutation de Bollandus at de Papebroch, dans M. Assemani, ad 2 mua, t. vi, p. SOI,
302, 303.
SAINT ATHANASE, DOCTEUR DE L'ÉGLISE. 257
« En effet, en 1676, le 18 avril, Mgr Amelot de Gournay, alors archevêque de Tours, adressait à
tous les fidèles de son diocèse, un mandement qui nous apprend que ce culte n'était pas nouveau,
puisque le prélat déplore avec amertume que, malgré une relique aussi précieuse, on ait laissé
l'église tomber en ruine. De plus, il nous autorise à supposer que Mgr Amelot avait des documents
positifs et certains, pour reconnaître et affirmer l'authenticité de cette relique. Il y est fait men-
tion d'indulgences plénières accordées, intiiitu capitis sancti Athanasii magni, cujus caput Ma
(ecclesia) integrum possidet. Car le souverain Pontife peut seul accorder des indulgences plé-
nières, et l'on ne saurait admettre, sans témérité, qu'il les ait accordées sans preuves suffisantes
de l'authenticité de la relique.
« Il est à remarquer, en effet, que l'archevêque ne dit pas que ces indulgences sont accordées à
cause de la dévotion des habitants du Serrain pour saint Athanase, mais bien en vue de son chef,
que l'église possède en entier. Il ne nous reste plus qu'à constater l'identité de la relique conser-
vée sous ce nom, dans l'église de Semblançay.
« La relique que possède aujourd'hui l'église de Semblançay est certainement la même qui était
honorée au Serrain avant la Révolution. A cette époque de profanations sacrilèges, le chef de
saint Athanase aurait sans doute éprouvé le même sort que tant de reliques et d'objets précieux
qui ont disparu, si la paroisse du Serrain n'eût compté dans son sein quelques hommes de foi. En
effet, la relique de saint Athanase et les autres reliques furent recueillies par trois officiers muni-
cipaux, enfermées, scellées et confiées à l'un d'eux, comme l'atteste le procès-verbal suivant :
« Aujourd'hui, sixième jour de la première décade du troisième mois de l'an second de la
République, nous, officiers municipaux, avons enveloppé et cacheté les reliques connues dans le
pays sous le nom de chef de saint Athanase, le bras de saint Etienne et trois ossements de saint
Jean et de sainte Marguerite, et avons fait le présent procès-verbal pour en constater la transla-
tion et le dépôt qui a été fait chez le père Antoine Aubry, habitant de cette commune ».
« Ce procès- verbal est signé : Durand, maire; Aubry et Pottier, greffier. On voit encore très-
distinctement le cachet de cire rouge posé sur cet authentique d'un nouveau genre.
« Le père Aubry garda soigneusement et avec mystère, ce précieux dépôt. Ce ne fut qu'en 1821,
peu de temps avant sa mort, qu'il se décida à le remettre à M. Rutault, alors desservant de la
paroisse de Semblançay, dont le hameau du Serrain fait partie. Peut-être le vieillard espérait-il
voir un jour l'égiise du Serrain se relever de ses ruines, et cet espoir fut probablement le motif
qui l'engagea à différer la remise de ce dépôt sacré. Quoi qu'il en soit, la relique ne fut remise à
M. le curé de Semblançay qu'à cette époque. Le 11 janvier 1821, M. Rutault ouvrit le reliquaire
en présence de Antoine Aubry, et de Pierre Hutour père, marguiller. Il trouva le procès-verbal
cité plus haut, les cachets intacts, tels qu'ils avaient été apposés lors du dépôt chez Antoine Au-
bry. Le curé fit un rapport à Mgr l'archevêque. Mgr du Chilleau délégua M. Desnoux, curé de
Luynes, pour constater officiellement l'identité de la relique. Elle fut constatée dans un procès-
verbal qui fut déposé au secrétariat de l'archevêché. Mgr du Chilleau autorisa M. le curé de Sam-
blançay à exposer cette relique insigne à la vénération des fidèles, et à célébrer, chaque année,
la fête de saint Athanase, du rit solennel majeur. Le chef du saint docteur fut alors placé dans
un reliquaire, sur lequel le commissaire délégué apposa ses cachets. On dressa un procès-verbal
de la translation, qui eut lieu le 7 mai 1822. Huit prêtres, présents à la cérémonie, le signèrent.
« Quelques années plus tard, le 17 mai 1829, une nouvelle cérémonie eut lieu pour substituer à
l'ancien reliquaire un autre plus convenable. Le procès-verbal de cette seconde translation fut
dressé par M. Naveau, curé-doyen de Neuillé-Pont-Pierre, qui la présida, et cinq prêtres présents
y apposèrent leur signature.
« Les autres reliques consignées dans le procès-verbal des officiers municipaux ont toujours été
placées avec le chef de saint Athanase ».
Voici la liste des écrits de saint Athanase :
1° Le Discours contre les païens, écrit vers l'an 318. C'est le premier ouvrage de saint
Athanase. On y remarque une grande connaissance de la littérature profane. Le saint Docteur y
fait voir l'origine, le progrès et l'extravagance de l'idolâtrie; il se sert ensuite de deux voies pour
conduire les hommes à la connaissance du vrai Dieu : l'une est la nature de notre âme, et l'autre
l'existence des choses visibles.
2° Le Discours sur l'Incarnation, écrit vers le même temps, n'est qu'une suite du précédent.
Saint Athanase y prouve : 1° que le monde doit avoir été créé; 2° qu'il n'y a que le Fils de Dieu
qui, par son incarnation, ait pu délivrer l'homme de la mort dont le péché l'avait rendu digne.
3° L'Exposition de la foi. C'est une explication des mystères de la Trinité et de l'Incarnation
contre les Ariens.
4° Le traité sur ces paroles : Toutes choses m'ont été données par mon Père. Le but du
saint Docteur est de combattre les fausses interprétations que les Ariens donnaient à ces mêmes
paroles.
5° La Lettre aux évêques orthodoxes, contre l'intrusion de Grégoire sur le siège d'Alexandrie,
en 341.
Vies des Saints. — Tome V. 17
258 2 mai.
6° h' Apologie contre les Ariens, composée après le second exil du Saint, en 351. C'est un
recueil de pièces authentiques qui anéantissaient toutes les accusations des Ariens et qui les con-
vainquaient de calomnie.
7° Le Traité des décrets de Nicée contre les Eusébiens. On y trouve l'histoire de ce qui s'est
passé au concile de Nicée contre les partisans d'Arius.
8° L'Apologie de la doctrine de saint Denys d' Alexandrie, dont les Ariens citaient des té-
moignages pour auloriser leurs erreurs.
9° La Lettre à Draconce. Ce Draconce était abbé d'un monastère. Ayant été élu évêque
d'Hermopole, il prit la fuite et se cacha. Saint Athanase lui écrivit, vers l'an 355, la lettre dont il
s'agit, pour l'engager à revenir.
10° La Lettre-circulaire aux évêques d'Egypte et de Libye, où les mauvais desseins des
Ariens sont manifestés. Elle fut écrite en 357, lorsque George de Cappadoce était sur le point d'u-
surper le siège d'Alexandrie.
11° L'Apologie adressée à l'empereur Constance en 355. C'est un des plus finis et des plus
éloquents de tous les ouvrages de saint Athanase. 11 le composa lorsqu'il était dans le désert. 11
donna aussi, l'année suivante, un autre écrit sous le titre à' Apologie pour sa fuite, afin de justi-
fier sa retraite. Cette pièce n'est guère moins estimable que la précédente.
12° La Lettre à Sérapion touchant la mort d'Arius. On y trouve des choses importantes sur
l'histoire de l'arianisme. Il paraît qu'elle fut écrite en 358. Le Sérapion auquel elle fut adressée,
est, à ce que l'on croit, le célèbre évêque de Thmuis.
13° La Lettre aux solitaires, écrite vers le même temps. Il y est parlé des persécutions de
saint Àlhatiase. L'arianisme y est aussi réfuté.
14° Les quatre discours contre les Ariens, écrits encore vers le même temps, lorsque le saint
Docteur était caché parmi les anachorètes. Photius admire, dans ces discours, une force et une so-
lidilé de raisonnement qui écrasent les Ariens. C'est là, dit-il, que saint Grégoire de Nazianze et
saint Basile le Grand ont puisé cette éloquence mâle et rapide avec laquelle ils ont si glorieuse-
ment défendu la foi catholique. Saint Athanase y fait un usage admirable de la dialectique pour
presser ses adversaires; mais il insiste principalement sur l'autorité de l'Ecriture, dont il tire ses
armes les plus redoutables.
15° Les quatre Lettres à Sérapion de Thmuis, écrites vers l'an 360. La divinité du Saint-
Esprit y est prouvée.
16° Le Traité des Synodes, écrit l'année précédente. Il contient l'histoire de ce qui s'est passé
dans les conciles de Séleucie et de Rimini.
17° Le Tome ou la Lettre à l'Eglise d'Antioche, en 362. Le saint Docteur y exhorte tous les
catholiques à l'union,' et à recevoir tous les Ariens convertis, pourvu qu'ils déclarent professer la
foi de Nicée et la divinité du Saint-Esprit. Le nom de tome que porte cette lettre se donnait com-
munément aux lettres synodales dans le iv6 et le Ve siècles.
18° La Lettre à l'empereur Jovinien, en 3G3. Nous en avons parlé dans la vie du Saint
19° La Vie de saint Antoine fut écrite en 365.
20° Les deux Lettres à Orsise, abbé de Thabenne.
21° Le Livre de l'Incarnation du Verbe, et contre les Ariens. Il est divisé en trois parties.
La première contient la réfutation de ce que les Anoméens objectaient contre la divinité de Jésus-
Chiist. La divinité du Saint-Esprit est établie dans la seconde. Saint Athanase emploie la troisième
à prouver, par l'Ecriture, la consubstantialité du Verbe.
22° La Lettre aux évêques d'Afrique, vers l'an 369. Nous en avons parlé dans la vie du
Saint.
23° Les Lettres à Epictète, à Adelphius et à Maxime, contre les hérétiques qui attaquaient
la consubstantialité du Verbe et la divinité du Saint-Esprit.
24° Les deux Livres contre Apollinaire, vers l'an 372.
25° Le Livre de la Trinité et du Saint-Esprit, dont nous n'avons plus qu'une traduction
latine.
26° Outre les lettres de saint Athanase, dont nous avons parlé, il en a écrit encore plusieurs
autres sur divers sujets.
27° Un Commentaire imparfait sur les Psaumes, qui montre que le saint Docteur avait beau-
coup de talent pour ce genre d'écrire. Nous avons aussi des fragments d'un Commentaire sur
saint Matthieu, qui porte le nom de saint Athanase. D. de Montfaucon, in Collect. Patr., sou-
tient qu'ils sont véritablement de ce Père. Tournély et d'autres savants les mettent au nombre de3
ouvrages douteux de saint Athanase.
28° On met dans la même classe les livres de Y Incarnation du Verbe de Dieu, de la consubs-
tantialité des trois Personnes divines, de la Virginité, la Synopse de l'Ecriture, etc. Ces diffé-
rents ouvrages sont fort bien écrits; l'on estime surtout le Livre de la Virginité. L'Histoire de ce
crucifix de Béryte, dont il sortit du sang lorsque les Juifs l'eurent percé en dérision du Sauveur,
est indigne de saint Athanase.
29° Le symbole qui porte le nom du saint Docteur ne lui est attribué que parce qu'il renferme
une explication du mystère de la Trinité, sur lequel saint Athanase a si bien écrit et pour la dé-
SAINT GERMAIN D'ECOSSE, ÉVÊQUE ET MARTYR. 259
fense duquel il a montré tant de zèle. Il fut rédigé en latin dans le ve siècle. Waterland a publié
une bonne dissertation sur ce symbole. Il a recueilli tout ce qui avait été dit de plus intéressant
sur le même sujet par plusieurs habiles critiques.
30° On a retrouvé une version syriaque des Lettres pastorales de saint Athanase, un opuscule
Bur les Azymes et un traité sur le Titre des psaumes.
Photius observe, cod. 140, que le style de saint Athanase est clair, nerveux, plein de sens et
de vivacité, sans avoir rien de superflu. Ce Père parait digne d'être placé, pour le mérite de l'élo-
quence, immédiatement après saint Basile, saint Grégoire de Nazianze et saint Chrysostome.
Erasme était grand admirateur du style de saint Athanase, et il le préférait a celui de tous les
autres Pères. « Il est partout », dit-il, « facile, élégant, orné, fleuri, et admirablement adapté aux
différents sujets que traite le saint Docteur; et si quelquefois il n'a pas toute la politesse que l'on
pourrait désirer, il faut s'en prendre aux embarras des affaires et aux persécutions qui ne permet-
taient pas à saint Athanase de mettre la dernière main à tous ses ouvrages ». Un ancien moine,
nommé Côme, avait coutume de dire, touchant les écrits de notre Saint : « Quand vous trouverez
quelque chose de saint Athanase, si vous n'avez pas de papier, écrivez-le sur vos habits ». Prat.
Spirit., c. 40.
La meilleure édition des œuvres de saint Athanase est celle du savant Père de Montfaucon,
laquelle parut à Paris en 1698. Elle est dédiée au pape Innocent XII, et en trois volumes in-fol.,
qui ne font néanmoins que deux tomes. Le deuxième tome de la Collection des Pères, que le
Père de Montfaucon donna à Paris en 1706, est comme un supplément à son édition des oeuvres de
saint Athanase.
L'édition donnée par !e Père de Montfaucon a été réimprimée à Padoue en 1777, 4 vol. in-fol.,
et quoiqu'on y ait inséré les pièces renfermées dans le second tome de la Nouvelle Collection
des Pb-es, on lui préfère celle de Paris, à cause de la beauté de l'exécution.
M. Migne a publié une nouvelle édition des œuvres de saint Athanase dans la Patrologie
grecque ; c'est la plus complète. Elle reproduit, avec de nombreuses additions, celle de Padoue de
1777, mais dans un ordre plus rationnel. Le premier et le deuxième volumes (tomes xxv et xxvi
de la Patrologie grecque), contiennent, avec les prolégomènes, les œuvres historiques et dogma-
tiques; le troisième (tome xxvn) contient les exégétiques, et le quatrième (tome xxvm), les
œuvres douteuses et supposées. Arnaud d'Andilly a donné, en français, la vie de saint Antoine.
On trouvera dans les Chefs-d'œuvre des Pères (vol. ni), avec la version latine en regard, la
traduction française de Y Apologie à Constance, les deux Livres contre Apollinaire, etc.
Voir 1» les conciles généraux et particuliers tenus de l'an 313 à l'an 373, dans les Conciles gén. et part,
de Mgr Guérin, 4 vol. in-8», Bar-le-Duc, 1869-71 ; 2o le panégyrique de saint Athanase par saint Grégoire
de Nazianze; 3o l'Histoire de l'Eglise; io Godescard, à qui nous avons emprunté la rédaction de quelques
détails biographiques, laissant de côté une suite sans fin de discussions secondaires qui appartiennent à
l'histoire générale, et non à la vie de saint Athanase; 4« un recueil intitulé: les Chrétiens illustres des
quatre premiers siècles de l'Eglise, par M. Marty, Paris, Albanel, 1868, in- 12 : cet excellent livre, plein
de chaleur et de conviction, est un De viris chrétien écrit en fort bon français; 5° AA. SS., t. ie* de mal;
Dom Ceillier ; 6<> Mandement de Mgr l'archevêque de Tours, en date du 13 décembre 1867. Ce dernier do-
cument nous a été communiqué par M. l'abbé Rolland, aura, du pcns. des Frères à Tours.
SAINT GERMAIN D'ECOSSE, EVEQUE ET MARTYR
Sur la fin du v« siècle.
Exaucez-nous, Seigneur ; soyez notre salut, puisque
vous êtes notre unique espoir sur la terre et sur
les flots.
Aspiration tirée du Ps. lxiv, 6, familière à saint
Germain.
Entre les agréables fruits que saint Germain, évêque d'Auxerre, recueillit
en l'île de la Grande-Bretagne, lorsqu'il y fut envoyé comme légat aposto-
lique, pour exterminer l'hérésie de Pelage, on peut compter avec justice un
autre saint Germain, dont je vais rapporter les plus belles actions. Ce saint
prélat, étant en cette île, fît connaissance avec un seigneur écossais, appelé
Audin, qui y était passé avec Aquila, sa femme. Il avaient un fils parfaitement
260 2 mai.
beau et qui charmait toutes les personnes qui le voyaient. Saint Germain fut
si touché de compassion de les voir ensevelis dans les ténèbres de l'idolâtrie,
qu'il demanda à Notre-Seigneur leur conversion pour la récompense de ses
travaux. Sa prière eut son effet ; car ce seigneur, pénétré des lumières de
l'Evangile que ce saint évoque prêchait, se fit chrétien avec sa femme, son
fils et toute sa famille. Comme saint Germain avait une tendresse particu-
lière pour leur fils , il voulut , à son baptême , lui servir lui-même de
parrain et lui donner son nom. Ce fut par une providence du ciel que ce
jeune néophyte fut effectivement, par son zèle et son courage, un autre
saint Germain.
Après son baptême, ses parents le firent élever avec tant de soin dans
la piété et dans les sciences, qu'il fut comme le prodige de son siècle.
Personne, de quelque condition et qualité qu'il fût, ne l'approchait sans en
être parfaitement satisfait : ses paroles portaient une certaine onction qui
ravissait tout le monde ; néanmoins, les pauvres et les malheureux y étaient
les mieux venus ; il ne les pouvait voir sans découvrir, sous leurs misères, la
majesté de son Rédempteur, qui s'est caché en leurs personnes. Quand il se
vit en âge de faire le choix d'un genre de vie, il renonça généreusement à
tous les avantages que le droit de sa naissance lui pouvait faire espérer dans
le monde, pour se mettre dans les Ordres sacrés.
Etant prêtre, il voulut faire un voyage en France, pour y voir son père
en la foi, saint Germain, évêque d'Auxerre ; c'est pourquoi il résolut, comme
Abraham, de quitter sa patrie, ses parents et tous ses biens, pour se donner
entièrement à la vie apostolique et porter partout la gloire et le nom de
Jésus-Christ. Mais, étant arrivé sur le bord de la Manche, où l'Océan sépare
l'Angleterre de la France, il n'y trouva pas de vaisseau pour traverser ce
bras de mer : n'en pouvant pas espérer de sitôt, il s'adressa au souverain
Maître des eaux, et le pria de lui donner de quoi faire ce trajet, si le dessein
qu'il avait formé venait de l'Esprit-Saint. Chose étonnante ! sa prière ne fut
pas plus tôt achevée, qu'il vit paraître sur les eaux un chariot qui vint à lui,
l'enleva de terre et le transporta en un moment de la côte d'Angleterre à
celle de France, aux environs de Flammenville, près de Dieppe. Les habitants
de cette contrée, qui vivaient encore dans les ténèbres du paganisme, le
voyant arriver sur cette nouvelle barque, le prirent, les uns pour Neptune,
dieu des eaux, les autres pour un magicien qui faisait paraître ce fantôme à
leurs yeux. Mais ils changèrent bien de sentiment à la mort tragique du
juge de ce lieu, qui expira dans d'horribles douleurs pour avoir blasphémé
contre la doctrine de saint Germain. Sa sainteté fut encore reconnue par un
autre miracle. Un serpent, d'une prodigieuse grandeur, ravageait tout le
pays et avait nouvellement étouffé un enfant. Le Saint ressuscita d'abord
cet innocent ; puis, se faisant conduire à l'entrée de la caverne, où ce monstre
se retirait, il lui jeta son étole sur le cou, et, en cet état, il le mena fort paisi-
blement jusqu'à une citerne très-profonde, l'y précipita etfitensuite combler
le trou : ce qui étonna tellement ces idolâtres que cinq cents se convertirent.
L'histoire ne dit point si notre Saint rencontra saint Germain d'Auxerre;
mais elle dit qu'il passa jusqu'à Trêves, où il trouva l'évêque saint Sévère,
qui l'avait accompagné dans son second voyage d'outre-mer, et qui avait
aussi connu celui dont nous parlons, dans sa jeunesse. Ce prélat, voyant les
talents que Dieu lui avait donnés, lui conféra, en vertu de pouvoirs spéciaux,
le caractère épiscopal, mais sans lui assigner de siège, afin qu'il pût donner
un plus large essor à son zèle. Etant autorisé par cette nouvelle dignité, il
alla prêcher l'Evangile en Frise, et généralement dans toutes les provinces
SAINT GERMAIN D'ECOSSE, ÉVÊQÏÏE ET MARTYR. 261
de la Basse-Allemagne, confirmant sa doctrine par beaucoup de miracles.
Il était si afiable dans sa conversation, etsi charitable à secourir les malades,
que les idolâtres mêmes le chérissaient et couraient après lui comme après
un souverain médecin. Voilà, en substance, tout ce que nous avons pu
recueillir des fruits de la prédication de saint Germain dans les Allemagnes.
Il alla ensuite à Rome visiter les sépulcres des bienheureux apôtres saint
Pierre et saint Paul ; et, priant une nuit dans l'église de Saint-Pierre, il
reçut lui-même la visite de cet Apôtre qui, approuvant ses travaux pour la
prédication de l'Evangile, l'exhorta à continuer, avec promesse expresse
que, pour sa récompense, il recevrait enfin la couronne du martyre.
Saint Germain, ravi de ces bonnes nouvelles, et fortifié par cette voix du
ciel, n'eut plus de repos dans son cœur qu'il n'eût trouvé l'occasion de
recevoir cette palme qu'on lui faisait espérer. Il passa d'abord d'Italie en
Espagne, pour voir si, parmi les idolâtres qui y étaient encore, ou parmi
les Ariens qui persécutaient les catholiques, il ne trouverait pas de quoi
satisfaire ses désirs. Il y prêcha partout l'Evangile, baptisa plusieurs per-
sonnes, renversa les temples, fit bâtir de nouvelles églises au vrai Dieu ;
enfin, il y fit tant de miracles, que la ville de Tolosa en a conservé longtemps
le souvenir.
Mais ce zélé prédicateur, voyant que, au lieu de la persécution qu'il
cherchait dans les pays étrangers, il trouvait de l'honneur et des applaudis-
sements, crut qu'il serait plus heureux dans sa patrie. C'est pourquoi il
passa en Ecosse, et se mit à y prêcher sans se faire connaître, afin que ses
parents et ses amis n'empêchassent point qu'il ne fût persécuté. Mais le
moyen de cacher celui que le ciel voulait faire connaître à tout le monde?
L'amour divin embrasait tellement son cœur, qu'il faisait rejaillir l'éclat de
ses saintes flammes jusque sur son visage, de sorte que les prêtres mêmes
des idoles lui portaient du respect. Cependant, comme il ne désirait rien de
plus que la dissolution de son corps pour vivre avec Jésus-Christ, il passa
une seconde fois en France, pour y chercherl'accomplissementdes promesses
du ciel. Lorsqu'il fut sur mer, le démon, qui ne lui avait pu nuire sur la
terre, essaya de le perdre dans les eaux : pendant que le Saint dormait sur
le tillac, il monta sur la poupe, et appesantit tellement le vaisseau, que les
matelots n'attendaient plus que de faire naufrage. Mais le Saint s'étant
éveillé, aperçut bientôt l'auteur de ce désordre, et, faisant le signe de la
croix, le renvoya lui-même dans les abîmes de l'enfer.
Cette tempête ainsi apaisée, le vaisseau arriva heureusement au port de
la Hougue, entre Barfleur et Carentan, dans le Cotentin, partie de la Basse-
Normandie. Dieu rendit son entrée célèbre ; car la fille du gouverneur de
Montebourg, paralytique et aveugle de naissance, ayant appris, par révéla-
tion, la venue de saint Germain, n'eut point de repos qu'on ne l'eût portée
devant lui ; elle lui demanda le baptême et il le lui administra, la nomma
Pétronille, en l'honneur de saint Pierre, et, en même temps, lui donna la
vue et le parfait usage de ses membres. Un miracle si éclatant, en une
personne si considérable dans le pays, fut cause de la conversion générale
de toute la province. Il s'avança ensuite vers la ville de Bayeux : et, comme
il en approchait, il fit supplier le gouverneur de lui envoyer quelques rafraî-
chissements pour ses gens, qui en avaient un extrême besoin ; mais cet
homme incivil, lui ayant refusé cette grâce, reçut bientôt la punition de
son avarice : à l'instant même, tous ses tonneaux se trouvèrent épuisés
jusqu'à la dernière goutte. Le contraire arriva à un honorable habitant de
la ville, appelé Gantius : ayant fait cette charité au serviteur de Dieu, il
262 2 mai.
reçut, pour sa récompense, une abondante bénédiction sur toute sa famille.
Saint Germain, entrant dans Bayeux, pria pour la délivrance de certains pri-
sonniers ; mais, ayant essuyé un refus, il en sortit aussitôt, et, dans une sainte
colère, frappant du pied contre les murs du rempart, il en Dt tomber une
partie notable dans le fossé : son histoire dit que l'on s'en souvient encore
dans le pays. Néanmoins, voulant faire paraître à ce peuple que sa colère
était de la nature de celles des colombes qui n'ont point de fiel, il ressuscita
un mort que l'on portait en terre, et qu'il rencontra aux portes de la ville :
cela obligea le magistrat de lui donner les prisonniers qu'il avait demandés,
et qui se trouvèrent au nombre de vingt-quatre.
Saint Germain, au sortir de Bayeux, prêcha partout le nom de Jésus-
Christ, le long de la côte jusqu'à Mortemer, village au pays de Caux, sur la
rivière d'Eaulne. Près de Dieppe, il eut révélation que le lendemain serait
le dernier jour de sa vie, et qu'il y recevrait la couronne du martyre, qu'il
avait cherchée avec tant d'empressement. Il fit part de ces agréables nou-
velles à ses chers compagnons, qu'il éveilla exprès ; et, s'étant mis en chemin
dès la pointe du jour, il passa près de la commune des Essarls, et y fit désal-
térer sa monture (c'était un âne que Gantius lui avait donné pour ses courses
apostoliques). Il baptisa ensuite des néophytes dans un étang qui porte encore
aujourd'hui (1871) le nom de M are- Saint-Germain, et reprit sa route. Il se
trouva vers le soir sur la pente d'une montagne, appelée le Vieux-Bouen,
entre Aumale etSenarpont ; là demeurait un tyran, nommé Hubault, grand
fauteur des idoles. Ce barbare, sach int l'arrivée du serviteur de Dieu, par le
bruit que sa renommée faisait de tout côté, vint au-devant de lui, armé de
rage et de fureur, et, l'ayant trouvé près d'une petite chapelle de Notre-
Dame, sur le bord de la Bresle, autrement dit la rivière d'Eu, qui sépare la
Normandie de la Picardie, lui déchargea un coup de cimeterre sur le cou
avec tant de violence, qu'il lui trancha la tête. Son âme, laissant son corps,
parut visiblement s'envoler au ciel, sous la forme d'une colombe plus blan-
che que la neige. Ce fut le second jour de mai. Les auteurs ne s'accordent
point touchant l'année ; néanmoins, puisqu'il a été baptisé par saint Ger-
main d'Auxerre, qui mourut vers le ve siècle, l'on peut conclure qu'il a
souffert le martyre vers l'année 480.
Son corps demeura en pleine campagne, sans que personne osât lui
donner sépulture, parce que le tyran, extrêmement redouté dans le pays,
l'avait défendu ; mais, le lendemain, une jeune fille allant faire sa prière
dans cette chapelle de Notre-Dame, entendit distinctement la voix du Saint,
qui lui commandait d'avertir le seigneur de Senarpont de lui faire rendre
les derniers devoirs, comme à celui dont il avait reçu plusieurs faveurs
durant qu'il était en vie.
Senard, prévenu aussitôt par la jeune fille, s'empressa d'accourir avec
des clercs de tous les Ordres pour procéder aux funérailles. Il ne trouva
plus le corps au lieu même où il avait été martyrisé, mais un peu plus loin,
là où il avait été transporté par des anges. Senard l'enveloppa d'aromates
et l'ensevelit dans un beau sarcophage à l'endroit où il l'avait rencontré '.
Plus tard il érigea une église sur ce tombeau où s'accomplirent divers mira-
cles : ce fut l'origine du village de Saint-Germain-sur-Bresle.
1. M. Semichon (Histoire d 'Aumale, t. r ■ , p. 239), commet donc une légère inexactitude en disant :
• Le tyran Hubault avait abattu avec son glaive la tête dn Saint, au lieu même où s'élève aujourd'hui l'é-
glise de Saint-Germain-sur-Bresle ».
SAINT GERMAIN D'ECOSSE, ÉVÊQUE ET MARTYR. 2G3
RELIQUES ET CULTE DE SAINT GERMAIN.
Le corps de saint Germain resta jnsqu'au rx6 siècle dans son tombeau de Saint-Germain-sur-
Bresle, sous la garde des Bénédictins qui avaient établi là un prieuré. Les ravages des Danois les
déterminèrent à mettra ce précieux trésor en lieu de sûreté. En 850 l, deux religieux, chargés de
ces reliques, se dirigèrent vers le Vermaudois et arrivèrent le soir du 13 novembre à Ribemont»,
où ils virent s'ouvrir subitement devant eux les portes de la chapelle de Sainte-Anne, située daDs
le faubourg de Suzencourt, et qui devait plus tard prendre le vocable de notre Saint. Ils y passè-
rent la nuit; le lendemain, faisint de vains efforts pour lever le corps du Saint, ils comprirent
qu'il était fixé à tout jamais dans cet asile par la volonté de Dieu 3.
Peu de temps après, un comte de Ribemont lit ériger une église collégiale dans son château-
fort, en l'honneur du Saint dont les reliques y furent bientôt transférées.
En 1650, au moment du siège de cette viile par l'armée de Turenne, la châsse d'argent fut
brisée par des soldats maraudeurs qui, frappés d'une soudaine épouvante, n'osèrent rien emporter.
Un marguillier transporta les reliques à La Fère, d'où elles furent, quelques années plus tard,
ramenées à Ribemont *.
C'est en 1659 que Jean Cauchie 5, curé de Saint-Germain d'Amiens, qui était parvenu à savoir
où étaient conservées les reliques du Patron de son église, obtint du curé de Ribemont le don de
quelques-unes des reliques qui étaient alors en dépôt à la Fère '. Ces restes précieux, qui sont
encore aujourd'hui à Saint-Germain d'Amiens, furent vérifiés par l'évêque François Faure, le 3
avril 1660.
Outre les reliques importantes du saint Martyr qu'on vénère aujourd'hui à Ribemont et à Saint-
Germain d'Amiens, on en conserve quelques fragments à Senarpont, et, dans deux reliquaires, à
Saint-Germain-sur-Bresle.
Le culte de saint Germain n'est célébré aujourd'hui qu'à Amiens, à Ribemont (Aisne), à Saint-
Germain-sur-BresIe, à Senarpont et dans les quelques églises de Normandie et de Picardie qui lui
sont consacrées.
La chapelle qu'avait bâtie Senard, sur le tombeau de saint Germain, devint au moyen âge un
pèlerinage très-fréqueuté des riverains de la Bresle. Ce sanctuaire fut desservi par des religieux
bénédictins de l'abbaye de Saint-Fuscien-au-Bois, peu de temps après la fondation de ce monas-
tère. Lorsque Enguerraud de Boves, comte d'Amiens, releva de ses ruines l'abbaye de Saint-Fuscien,
il y réunit le prieuré de Saint-Germain-sur-Bresle.
En mémoire de Senard qui rendit à Germain les devoirs de la sépulture, le clergé de Saint-
Germain-sur-Bresle va processionnellement, avec les reliques du Patron, le dimanche qui suit
le 2 mai, au-devant des habitants de Senarpont qu'il ramène dans son église. C'est pour le même
motif que l'officiant, au moment de l'offrande, prononce ces paroles : « S'il y a ici quelque habi-
tant de Senarpont, quels que soient son âge, son sexe et sa condition, qu'il approche le premier,
quand même le seigneur du lieu serait présent ».
A Ribemont, où l'on invoque saint Germain contre la fièvre, on fait chaque année une proces-
sion solennelle le dimanche qui suit la fête du saint Martyr.
Guy, comte d'Amiens, et sa femme Mathilde avaient d'autant plus en vénération le culte de
saint Germain, qu'ils possédaient en domaine la terre où le missionnaire écossais avait versé son
sang. Ils voulurent propager leur dévotion an Saint dans la ville d'Amiens et lui érigèrent une
église non loin de l'emplacement de l'ancien château. Ce ne fut d'abord qu'une simple chapelle.
H est le Patron titulaire des églises de Saint-Germain d'Amiens, de Saint-Germain-sur-Bresle,
d'Argoules (Somme), d'une chapelle de Ribeniout (Aisne), de Flamanville et de Carteret (diocèse
de Coutances) et de Mesnil-David (canton d'Aumale).
Les Bréviaires d'Amiens, de 1746 et de 1840, font une simple mémoire de saint Germain, la-
quelle a été supprimée dans le Propre actuel.
A Ribemont, on fête non-seulement la glorieuse mort du Martyr, mais aussi la translation de
ses reliques dans cette localité, le 13 novembre.
Près du cap de la Hougue, se trouvent la pointe et l'anse de Saint-Germain. Il est probable
que c'est là que le saint Evêque débarqua pour la seconde fois dans les Gaules.
1. En S60, ou même 882, selon d'antres.
2. Arrondissement de Saint-Quentin.
3. Une tradition locale raconte qu'ils reprirent leur route le lendemain, mais qu'après avoir marché
tout le jour ils se retrouvèrent devant l'église qu'ils avaient quittée le matin. (Pape, Op. cit., p. 12.)
4. Une partie des reliques aurait été, dit-on, portée à Saint-Quentin. (Tillemont, Mémoires, etc.
XV, 23.)
5. Le Père Daire se trompe en disant 1650. (Histoire d'Amiens, ir, 214.)
6. Elles sont ainsi énamérées dan3 l'acte de donation : os d'une cunsse, une coste, un os des vertèbres,
un morceau de la mâchoire dans laquelle il y avoit une dent. (Archives de la paroisse Saint-Germain
d A miens.)
26J 2 mai.
On sait que trois rues d'Amiens et un de ses ilôts portent le nom de Saint-Germain.
Le cercueil antique de saint Germain subsiste encore sous l'autel de l'église de Saint-Germain»
snr-Bresle. Le couvercle en dos d'âne est percé latéralement de deux trous circulaires, par où les
pèlerins passent leurs bras et prennent de la terre qu'ils appliquent sur le corps des malades
atteints de la fièvre. Au-dessus, une large pierre, exhaussée sur six piliers, offre l'effigie du saint
Pontife : c'est une œuvre 'lu xme siècle. Germain est couché sur le dos, revêtu de ses insignes
épiscopaux, foulant aux j/ieds un dragon. Ce tombeau, classé au nombre des monuments histori-
ques, a été lithographie dans le Voyage pittoresque du baron Taylor.
Cette tombe, d'après l'inspection du savant abbé Cochet, inspecteur des monuments historiques
du département de la Sei'ie-Inférieure, mériterait, vu l'excellence de sa sculpture, d'être renfermée
sous verre ; pour la préserver de toute mutilation à l'avenir, on a pris le parti de l'isoler de
l'autel et de l'abriter sous une chapelle voûtée et fermée, formant crypte ou confession. On a eu
l'idée heureuse de placer sur le haut de cette crypte un riche autel en pierre, fait aux dépens de
la fabrique. Le rétable et le tabernacle, en forme de forteresse, rappellent le château Hubault. Ce
repaire du brigandage et de la tyrannie est censé avoir été conquis par le Christianisme civilisateur
qui a élevé sur son donjon le trône du vrai Dieu. L'exposition, au-dessous du tabernacle, a été
taillée dans un seul morceau de pierre, avec ses colonnes et sa voûte.
Saint Germain est ordinairement représenté revêtu des insignes épiscopaux, tenant en laisse,
avec son étole, l'hydre aux sept tètes.
Sa statue se trouve au portail de Saint-Vulfran d'Abbeville et de Saint-Germain d'Amiens ;
dans l'intérieur des églises de Saint-Germain d'Amiens (œuvre de M. Duthoit) et de Saint-Germain-
sur-Bresle (xv« siècle).
Une verrière de Saint-Germain d'Amiens figurait la légende du Patron. Simon Martin écrivait
en 1649 (Nouvelles vies des Saints) qu'on l'estimait mille écus. Il n'en existe plus qu'un pan-
neau qu'on conserve au musée, et qui représente le saint Apôtre domptant la chimère aux sept
têtes. — Une autre verrière, représentant le même personnage, se voit à une chapelle du couvent
de Saint-Germain.
Voir Y Hagiographie d'Amiens, par M. Corblet.
SAINT WALBERT, TROISIEME ABBE DE LUXEUIL
665. — Pape : Vitalien. — Roi des Francs Austrasiens : Childéric II.
Dieu veut que par votre vie vous fermiez la boucha
aux ignorants et aux insensés. I Pet., n, 15.
Saint Walbert succéda à saint Eustase, qui lui-même avait succédé à
saint Colomban, le fondateur de la célèbre maison de Luxeuil : il avait été
son compagnon et son élève. Né de race sicambre, d'une famille noble et
très-riche, il s'était fait remarquer par sa bonne conduite à la guerre avant
de s'enrôler dans la milice du missionnaire irlandais. Mais l'attrait du cloître
l'emporta sur la passion belliqueuse du Franc. Quand son parti fut pris, il
vint à Luxeuil, et y apporta non-seulement la donation de tous ses vastes
domaines, mais aussi l'habit militaire, dont il ne voulut se dépouiller que
dans le monastère même. Il offrit en même temps les armes qui lui
avaient conquis une si belle renommée et qu'il suspendit à la voûte de l'é-
glise, où on les conserva pendant le cours des siècles, comme un monument
de la plus noble victoire qu'il soit donné à l'homme de remporter ici-bas.
Il avait obtenu la liberté de vivre seul dans le creux d'un rocher, près d'une
source d'eau vive, au milieu des bois, à trois milles de l'abbaye. Ce fut là
que, à la mort d'Eustase, premier successeur de Colomban, et sur le refus
de Gall, les moines de Luxeuil allèrent chercher Walbert pour en faire leur
troisième abbé. Il les gouverna quarante ans avec éclat et succès. Son nom
est resté, dans les contrées environnantes, le plus populaire de tous ceux
SAINT WALBERT, TROISIÈME ABBÉ DE LUXEUIL. 265
qui ont honoré la grande abbaye séquanaise. Il y maintint la discipline et
le zèle des fortes études, tout en augmentant les domaines de la commu-
nauté, par ses propres donations d'abord, puis par celles que la bonne re-
nommée de la maison attirait de toutes parts.
A l'indépendance temporelle ainsi assurée Tint s'adjoindre une sorte
d'indépendance spirituelle, vivement recherchée dès lors par tous les grands
monastères, et qu'ils s'empressaient de solliciter soit des Papes, soit des
conciles provinciaux. Il s'agissait de les mettre à l'abri, par un privilège so-
lennel, des abus d'autorité et des vexations que l'évêque diocésain, à la fa-
veur de sa juridiction spirituelle, pouvait leur faire subir, soit en allant loger
chez eux malgré eux, avec un nombreux cortège, soit en leur faisant payer
fort cher le saint Chrême et l'ordination de leurs frères, soit surtout en
gênant la liberté de leurs élections intérieures. Lérins avait obtenu ce pri-
vilège du concile d'Arles, en 451, et Agaune du concile de Châlon, en 579.
Luxeuil ne pouvait manquer de faire valoir les mêmes droits et les mêmes
besoins.
Sous l'abbatiat de Walbert, et sur la prière faite au nom du roi mineur
Clovis II, le pape Jean IV accorda le privilège de l'exemption de l'autorité
épiscopale « au monastère de Saint-Pierre, fondé », dit le diplôme ponti-
fical, « parle vénérable Colomban, Ecossais, venu comme étranger, mais
tout fervent de zèle et de sainteté, dans le royaume des Francs... Si, ce qu'à
Dieu ne plaise, les moines dudit monastère s'attiédissent dans l'amour de
Dieu et l'observance des instituts de leurs Pères, qu'ils soient corrigés par
l'abbé, c'est-à-dire par le Père du monastère; et si c'est lui-même qui tombe
dans la torpeur et le mépris de la règle paternelle, le Saint-Siège y pour-
voira ».
Six cents moines formaient, sous la crosse de Walbert, la garnison per-
manente de cette citadelle monastique, d'où sortaient journellement des
missionnaires isolés ou réunis en bandes pour aller fonder au loin de nou-
velles colonies religieuses. Il vint un moment où la multitude des religieux
qui se pressaient en foule pour y entrer sembla embarrasser l'abbé Walbert,
et où il chercha les moyens de les placer ailleurs et au loin. Car sous lui,
plus encore que sous ses prédécesseurs, la fécondité de Luxeuil devint pro-
digieuse. « C'est surtout à son époque que l'on vit », nous dit un contem-
porain, « pulluler à travers les Gaules, dans les châteaux et dans les villes,
au sein des campagnes comme dans les déserts, des armées de moines et
des essaims de religieuses qui portaient partout la gloire et les lois de Benoît
et de Colomban.»
Ce serait une rude tâche que de vouloir retracer le tableau fidèle de
cette colonisation monastique de la Gaule franque, dont Luxeuil fut le foyer
pendant tout le vne siècle.
L'administration de Walbert n'était pas moins sage au dedans que féconde
au dehors. Il conseillait l'étude à ses religieux comme le plus puissant moyen
d'oublier le monde. On faisait donc marcher, à Luxeuil, le travail de l'intel-
ligence de pair avec le travail des mains : les religieux y lisaient les Pères
grecs et latins. On avait eu soin de leur ménager une vaste bibliothèque, et,
afin de l'augmenter, ces bons frères, encouragés par saint Walbert, co-
piaient assidûment. « La fonction de copiste », dit Cassiodore, « donne le
secret de prêcher de la main, de parler des doigts, d'annoncer le salut aux
hommes en gardant le silence ; et il est très-vrai que Satan est percé d'au-
tant de coups qu'un copiste transcrit de paroles du Seigneur». Nous ne
parlerons pas ici de l'école de laïques, qui se tenait en dehors du monastère
26G 2 mai.
sans y porter le moindre dérangement ; si saint Walbert n'en fut pas le fon-
dateur, il est certain du moins qu'il contribua à son développement, soit en
y attirant par son mérite et sa réputation un plus grand nombre d'élèves,
soit en multipliant les objets de l'enseignement : on y apprenait les diffé-
rents sens de la Bible, avec d'autres branches de la science ecclésiastique,
le chant, la musique et tout ce que l'on comprend sous le nom d'arts libé-
raux et d'humanités.
Il n'est pas possible de considérer l'œuvre de saint Walbert sans recon-
naître en lui l'homme de Dieu, le bras de la Providence, le prodige de son siècle.
Aussi, pendant les quarante années qu'il gouverna le monastère de Luxeuil,
nous voyons cette maison environnée d'une considération universelle.
Au milieu de toutes les sollicitudes du dedans et du dehors, Walbert
savait encore trouver du temps pour ses amis.
Les liens d'une pieuse amitié l'unissaient en particulier à saint Miget,
évêque de Besançon, et cette union leur était si douce à tous deux, qu'ils
voulurent la prolonger au-delà du tombeau. Dans ce but, ils convinrent
entre eux que celui qui survivrait rendrait à son ami les derniers devoirs,
et il est permis de penser que ces termes n'indiquaient pas seulement la
déposition du mort au lieu de sa sépulture, mais encore ce deuil quel' Esprit-
Saint recommande de faire dans l'amertume de son âme, et principalement
les prières et les sacrifices, qui consolent le défunt au jour de son départ l.
Ce fut saint Miget qui demeura chargé de ce soin, tout à la fois si doux
et si plein d'amertume. Walbert touchait à la quarantième année de son
gouvernement : cette année fut pour lui la dernière ; soutenu par la pré-
sence de l'évêque, et plus encore par le souvenir de ses propres œuvres, il
rendit doucement le dernier soupir, le sixième jour de mai 665. A la nou-
velle de sa mort, les populations environnantes accoururent de toutes parts.
Elles venaient mêler leurs larmes à celles de tous les religieux du mo-
nastère, et respirer encore, sur le tombeau du Saint, la bonne odeur des
vertus dont il avait été le modèle. Ce tombeau, magnifiquement travaillé
aux frais de saint Miget, fut déposé dans l'église de Saint-Martin. C'était un
gage d'amour et de protection. En effet, plusieurs auteurs ont remarqué
que, durant nombre d'années que son corps reposa dans ce lieu, les enne-
mis de la foi furent impuissants à pénétrer dans la ville, et qu'après le trans-
port de ce précieux dépôt, on assista à la scène de désolation causée par les
Sarrasins, sous le gouvernement de l'abbé Mellin.
Quoi qu'il en soit de celte conjecture, il est certain que de nombreux
miracles s'opérèrent dans la suite, par la vertu des reliques de saint Walbert.
Adson, qui les raconte, nous dit en général que l'œil fut rendu aux aveugles,
le pied aux boiteux, la santé aux malades, la vigueur aux infirmes, la con-
solation aux cœurs affligés. Il signale ensuite plusieurs prodiges en parti-
culier. Ainsi, lors de l'invasion des Normands, en 888, la châsse du saint
Abbé, qui, déjà, n'était plus à l'église de Luxeuil, fut transportée au village
de Herly, dont les Barbares s'étaient emparés : aussitôt ces mêmes Barbares,
entraînés comme par une force secrète, abandonnent le pays, et un jeune
libertin, qui s'avise d'insulter les moines, est subitement frappé d'idiotisme.
Dans une autre bourgade, qui pourrait bien être la ville de Provins, se trou-
vait un personnage assez considérable qui en revendiquait la possession au
préjudice du monastère : on y transféra également les saintes reliques, et,
quelques jours après, ce téméraire expiait sa faute par une chute mortelle.
En Alsace, où les religieux passèrent chargés de leur trésor, la guérison de
1. Eccli., xxxvni, 17, 24.
SAINT "WALBERT, TROISIÈME ABBÉ DE LUXEUIL. 267
deux aveugles et de deux hommes perclus de tous leurs membres amena
sur les confins du comté de Montbéliard une foule innombrable de curieux,
sinon de gens dévots à l'égard de notre Saint. Chez les Varasques, deux
nouvelles guérisons, plus éclatantes encore, achevèrent d'attacher au joug
de la foi ces populations nouvellement converties par saint Eustase. Il n'y
eut pas jusqu'aux objets dont saint Walbert s'était servi, auxquels Dieu ne
voulût attacher une vertu surnaturelle : et nous en avons acquis la preuve
certaine dans des temps plus rapprochés de nous. Un vase qui lui a appar-
tenu, et qui nous a été transmis par une constante tradition, a été, dans
plusieurs circonstances, le moyen dont Dieu s'est servi pour récompenser
la piété des fidèles : « Ce vase, de simple racine », dit un historien du siècle
dernier1, « a été l'instrument d'une infinité de guérisons : les fébricitants
s'empressent encore d'y boire, et d'imiter à ce sujet la pieuse antiquité, et,
comme elle, ils y éprouvent le pouvoir du saint abbé de Luxeuil : j'en ai vu
des effets qui tiennent du prodige ; j'en dois rendre ici un témoignage so-
lennel ». C'est ainsi que les amis de Dieu sont honorés et glorifiés. Tandis que
les os de l'impie, remplis des vices de sa jeunesse, dorment dans le tombeau, les
dépouilles de ceux qui ont vécu saintement tressaillent, et leur corps inanimé
prophétise encore 2.
Le nom de saint Walbert a toujours été en vénération dans la Bourgogne,
dans la Suisse, et surtout dans le diocèse de Besançon. Aucun des Saints
qui ont honoré le monastère de Luxeuil n'a obtenu, en Franche-Comté, un
culte aussi populaire. Un grand nombre de paroisses l'invoquent encore au-
jourd'hui comme patron, et, pendant longtemps les populations accoururent
à l'église de l'abbaye pour se prosterner devant sa châsse et invoquer, auprès
de son tombeau, celui qu'on avait admiré pendant sa vie. Au dixième siècle,
un savant moine de Luxeuil, Adson, écrivit le récit des miracles nombreux
qui s'opérèrent par l'intercession du saint abbé.
Au douzième siècle, nous voyons un monastère placé sous le vocable de
notre Saint. C'est le prieuré de Saint-Walbert-lez-Héricourt, qui dépendait
de l'abbaye de Luxeuil. Mais un lieu encore plus rempli de son souvenir,
o'est l'ermitage de saint Walbert, situé à une lieue de Luxeuil, dans un vallon
qu'entoure une ceinture de bois et de rochers. C'est là qu'on voit encore la
grotte, enfoncée dans le sol, où l'illustre solitaire vécut longtemps seul
avec Dieu, après avoir renoncé au monde et à ses illusions. Là, tout parle
de lui : son nom inscrit sur les murs, la statue où il est représenté dans
l'attitude de la prière, et cette solitude où, délivré du tumulte du monde,
il se promenait par la pensée, au milieu des splendeurs du paradis, jouissant
ainsi dans le désert de la société des anges 3.
En 1570, une chapelle en l'honneur de saint Walbert fut élevée et con-
sacrée dans ces lieux par les soins de Guillaume, sacriste de l'abbaye. Cet
oratoire, qui appartient aujourd'hui au séminaire de Luxeuil, a été res-
tauré en 1846. Il y a peu d'années, une fête populaire, qui se célébrait le
lendemain du jour de Pâques, attirait encore à l'ermitage de saint Walbert
les populations voisines. Les reliques de notre Saint ont été souvent trans-
portées en Alsace, en Champagne, et jusque dans la Picardie, dans les terres
qu'il avait données à son monastère. Mais on les rapportait toujours à
Luxeuil, où elles étaient conservées dans une châsse en vermeil, à l'excep-
1. Dom Grappin, Mémoire adressé à l'académie de Besançon, en 1770.
2. Job, xx, 2 ; Eccli., xlix, 18.
3. Tu paradisum mente déambula. Quotiescumque illuc cogitatione conscenderis, toties in ereino non
«ris. (Saint Jérôme, Epitt. ad Heliodor.)
268 2 mai.
tion de sa tête, renfermée dans un buste d'argent. Un de ses ossements est
encore aujourd'hui déposé dans une châsse convenable, et exposé à la vé-
nération des fidèles dans la chapelle du séminaire de Luxeuil. Son Eminence
Mgr le cardinal Matthieu, archevêque de Besançon, en a constaté l'authen-
ticité, le 17 février 1852. Le séminaire de Luxeuil possède aussi l'écuelle
dont ce Saint se servait au monastère. C'est dans ce vase que buvaient les
malades qui espéraient obtenir leur guérison par l'intercession du saint abbé,
Le nom de saint Walbert est inscrit an 2 mai dans plusieurs martyrologes, et dans quelques calen-
driers dresse's dès la fin du vme siècle, du temps de Charlemagne. Trithemius, Bucelin. H. Menard, du
Saussay. VTion. Molanus et Châtelain, en font également me'moire. — Cf. Baillet4 2 mai ; Moines d'Occident.
t. h; Saints de Franche-Comte', t. n.
SAINTE GUIBORAT OU VIBORADE, VIERGE,
RECLUSE ET MARTYRE EN SUISSE,
ET SA COMPAGNE SAINTE RACHILDE
925. — Pape : Jean X. — Empereur d'Allemagne : Henri l'Oiseleur,
Demandez toujours conseil aux sages. Tob., iv, 19.
Viborade, appelée parmi nous Guiborat1, et chez les Allemands Weib-Ralk,
était née d'une famille noble et ancienne dans la Souabe, en haute Allema-
gne. Elle fut élevée dès sa plus tendre enfance dans les sentiments et les
exercices de la piété chrétienne : et le désir qu'elle avait de se consacrer
uniquement à Dieu se fortifiant toujours avec son âge et sa raison, lui fit
préférer inviolablement la conservation de la pureté de son corps et de son
esprit, à celle même de sa santé et de sa vie. Dès le sortir du berceau elle
avait paru prévenue d'une grâce particulière, qui l'avait mise au-dessus des
faiblesses et des affections puériles, qui l'avait portée à se sevrer volontaire-
ment de tous les plaisirs et passe-temps dont on a coutume d'amuser les
enfants, et qui lui avait inspiré un air de modestie et de gravité, qui fit re-
marquer dans toute sa conduite une sagesse qu'on trouvait difficilement
dans les personnes les plus consommées en vertu et en expérience. Elle ap-
portait dans ses occupations spirituelles un tempérament si judicieux entre
l'action et la contemplation, qu'il semblait qu'elle eût réuni en elle seule
tout le mérite des deux saintes sœurs Marthe et Marie, qui se trouvèrent
dignes d'être les hôtesses de Jésus-Christ. Elle joignait le travail des mains
et les pratiques les plus pénibles de la pénitence, à la mortification inté-
rieure de son cœur et de ses passions. De la maison de son père où elle vivait
aussi régulièrement que dans un monastère, elle allait tous les matins, le
plus souvent nu-pieds à l'église, qui en était éloignée de près d'une demi-
lieue. A son retour elle se renfermait pour s'appliquer seule en la présence
de Dieu à la lecture, au travail et à la prière, fuyant non-seulement la
compagnie des personnes du dehors, mais même les entretiens trop fré-
quents de ses frères, de ses propres sœurs, et de tous ceux de la maison ; ce
qui ne l'empêchait pas d'être fort exacte à rendre à ses parents toute la sou-
L Ou encore Vmede, Vilborade.
SAINTE GUIBORAT OU VIBORADE, VIERGE. 269
mission et la déférence qu'elle leur devait, de les soulager dans leur vieil-
lesse, et de les servir dans leurs maladies avec une assiduité et un zèle qu'ils
ne pouvaient eux-mêmes assez admirer. Aussi de leur côté eurent-ils pour
elle toute l'indulgence qu'elle pouvait souhaiter pour le repos de sa retraite
et la liberté de ses exercices, depuis qu'elle eut obtenu d'eux qu'ils ne l'as-
sujétiraienl plus aux modes du siècle, et qu'ils ne la presseraient plus sur le
mariage auquel elle avait renoncé pour Jésus-Christ.
La joie qu'elle eut de voir son frère Hitton entré dans l'état ecclésias-
tique, et dévoué pour le reste de ses jours au service de Dieu, lui fit conver-
tir le travail de ses mains à son usage, s'estimant heureuse de pouvoir servir
les ministres de l'autel. Elle lui faisait elle-même ses habits, son linge, ses
meubles qu'elle lui envoyait dans l'abbaye de Saint-Gall où il s'était retiré
pour étudier l'Ecriture sainte et la théologie. Elle travaillait en même temps
pour les religieux de ce célèbre monastère, et s'appliquait principalement à
faire les couvertures de leurs livres. Dès que son frère fut prêtre, elle se retira
avec lui, non seulement pour l'assister dans les soins de son temporel, mais
aussi dans l'espérance de trouver chez lui des facilités plus grandes de ser-
vir Dieu et le prochain. Elle n'y fut point trompée, et continuant les exer-
cices de charité qu'elle faisait auparavant chez son père et sa mère, elle se
vit secondée par ce digne frère, qui non content de lui abandonner tout
son revenu et sa maison même, pour en faire un hôpital, allait encore lui
chercher des malades qu'il lui amenait tantôt sur sa jument, et tantôt sur
ses propres épaules. Ils en partageaient tous les soins entre eux, et Guiborat
se chargeait toujours de ce qu'il y avait de plus humiliant et de plus péni-
ble. Ses assiduités à traiter les malades et à nourrir les pauvres qui abor-
daient chez elle de toutes parts, ne diminuaient rien de son application à la
prière, ni de l'esprit de retraite qu'elle conservait toujours au milieu de ces
distractions apparentes. Elle apprit les psaumes sous son frère, disait l'office
avec lui, et le servait même au chœur et à l'autel. Elle fit avec lui le pèle-
rinage de Rome, pour visiter par dévotion le tombeau des saints Apôtres,
et les autres lieux consacrés par le sang des martyrs. La curiosité n'eut au-
cune part à ce grand voyage, qu'elle avait elle-même sollicité longtemps
auparavant auprès de son frère : elle joignit à la fatigue des chemins des
abstinences et des austérités volontaires, distribuant aux pauvres ce qu'elle
retranchait de la dépense : et tout le séjour qu'elle fit dans la ville, fut em-
ployé à faire des prières, et à répandre des larmes aux pieds des autels et sur
les tombeaux des Saints dont elle réclamait l'intercession.
Au retour de Rome elle représenta si vivement à son frère les difficultés
qu'il y avait de bien travailler à son salut dans le monde, qu'elle lui per-
suada de l'abandonner entièrement, et de se retirer dans l'abbaye de Saint-
Gall. Après qu'il y eut fait profession de la vie religieuse, il semblait qu'elle
dût suivre son exemple, ce qu'elle ne put faire néanmoins de plus de six ans
après. Mais elle vivait dans le siècle comme une étrangère, qui n'en suivait
ni les lois, ni les usages. Elle s'y regardait comme dans un lieu d'exil, où
elle ne pouvait goûter aucune satisfaction que celle que lui pouvait procu-
rer l'espérance d'en sortir. Elle y vivait comme si elle eût toujours été prête
à partir et à aller rendre compte à Dieu. Elle s'y macérait le corps par les
veilles et les jeûnes. Elle ne mangeait point de viande et ne buvait point de
vin, quoiqu'on en servît toujours sur la table ; ce qui ne pouvait contri-
buer qu'à augmenter encore sa mortification. Elle faisait encore beaucoup
d'autres austérités secrètes, dont elle n'avait pour témoin que deux filles
qui la servaient, à qui elle avait appris la discrétion avec la piété, et qui
270 2 mai.
avaient soin de distribuer aux pauvres et aux malades ce qu'on croyait qui
était préparé pour elle. Elle avait un lit fort propre, et ne couchait jamais
que sur la terre, couverte d'un simple cilice, n'ayant qu'une pierre pour
chevet. Aussi n'y prenait-elle que fort peu de repos, interrompant son pre-
mier sommeil pour se relever, tandis que tout le monde dormait, et pour
passer le reste de la nuit en prières. Une action si sainte ne laissa point
d'être décriée par une autre de ses servantes qui n'avait point sa confidence.
Dieu voulant éprouver la fidélité de Guiborat, et purifier sa vertu de plus en
plus, permit que la calomnie l'attaquât par le côté le plus sensible, qui
était celui de l'honneur. Cette misérable servante alla publier partout que
sa maîtresse se relevait toutes les nuits, mais que c'était pour faire toute
autre chose que pour prier Dieu ; qu'après avoir vécu longtemps dans un
commerce incestueux avec son propre frère, elle s'était abandonnée aux
crimes les plus honteux qu'elle couvrait du voile de la nuit, parce que la
lumière du jour ne les pourrait souffrir. Ceux qui connaissaient la Sainte
n'eurent que de l'indignation pour des calomnies si noires : mais il n'y eut
que trop de gens parmi les autres, qui suivant la pente naturelle que l'on a
ordinairement pour la médisance, la jugèrent capable d'être tombée dans
ces excès, et crurent lui faire grâce de plaindre en elle la fragilité humaine.
Guiborat, sans se laisser abattre sous les traits d'une si cruelle diffamation,
mit toute sa confiance dans le divin protecteur de son innocence, qui l'était
aussi de sa virginité. Elle ne fit point difficulté d'aller se présenter au tribu-
nal de l'évêque de Constance, Salomon, pour répondre à ces accusations, et
de justifier devant lui son innocence par les épreuves périlleuses qu'on ap-
pelait le jugement de Dieu, et qui étaient alors de grand usage.
L'évêque, qui estimait et honorait auparavant la vertu de Guiborat, se
confirma davantage dans la haute opinion qu'il en avait, lorsqu'il vit que
Dieu se déclarait si visiblement en sa faveur. Il rechercha avec soin l'occa-
sion de profiter souvent de sa compagnie. Un jour qu'il allait à l'abbaye de
Saint-Gall qui estait de son diocèse, il lui proposa d'en faire le voyage avec
lui, et elle y consentit avec joie. Elle en trouva la solitude si fort a son gré,
que renonçant au lieu de son ancienne demeure, sous prétexte de vouloir
céder à la malignité des médisants et des calomniateurs, elle s'arrêta sur
une montagne voisine de l'abbaye, s'y fit bâtir une cellule proche de l'église
de Saint-Georges, et y resta près de quarante ans à continuer ses austérités.
Elle passait les jours et les nuits dans cette église à prier, y demeurant
quelquefois trois jours de suite sans manger, et ne rentrait dans sa cellule
que pour accorder à son corps un peu de repos ou de nourriture, lorsqu'elle
le voyait réduit aux dernières extrémités. Les peuples d'alentour, considé-
rant qu'elle s'était dépouillée de tout pour Jésus-Christ, et qu'elle s'était
appauvrie pour soulager les pauvres, lui portaient à l'envi des aumônes
pour la faire subsister : ce qui la remit dans quelque sorte d'abondance
dont elle ne voulut profiter néanmoins que pour secourir ceux qui étaient
dans le besoin. La distribution de ces charités dont elle était occupée
souvent pendant toute la journée, et les visites fréquentes de ceux qui
lui apportaient de quoi y fournir ou qui la venaient consulter sur les
affaires de leur salut, faisaient une si grande diversion au silence qu'elle
voulait garder dans sa retraite et à la contemplation dans laquelle elle
souhaitait de n'être remplie que de Dieu , qu'elle résolut enfin d'em-
brasser l'Institut des recluses qui menaient la vie des anachorètes dans une
clôture perpétuelle. L'évêque de Constance lui bénit une cellule près de
l'église de Saint-Magne, à quelque distance de Saint-Gall, et fit la cérémonie
SAINTE GUIBORAT OU VI30RADE, VIERGE. 271
de la renfermer. La vie qu'elle mena dans cette retraite pendant l'espace
de trente-quatre ans, eut beaucoup moins de rapport à celle des hommes
qu'à l'état de ces esprits bienheureux qui subsistent sans corps, et qui ne
sont employés qu'à louer Dieu, et à jouir de sa présence. Elle y fut si
cachée qu'elle serait demeurée entièrement inconnue aux hommes, si ses
miracles et ses prédictions n'y eussent fait obstacle.
Il y avait dans le voisinage une fille de qualité nommée Rachilde, sujette
à beaucoup d'infirmités corporelles qui l'avaient réduite à une maladie
qu'on jugeait incurable. Ses parents, après avoir employé inutilement les
remèdes humains, se disposaient à la faire transporter à Rome pour deman-
der à Dieu sa guérison par l'intercession des saints Apôtres. Guiborat ayant
appris cette résolution, et connaissant ce que Dieu voulait faire de cette fille,
se la fit amener dans sa cellule. Après l'avoir embrassée, elle l'adopta pour
sa fille spirituelle, et lui déclara que pour obéir à Dieu elle voulait prendre
soin de son âme et de son corps le reste de ses jours. Rachilde se trouva
fort consolée dans ses disgrâces, parles témoignages d'une si grande bonté;
et Dieu, pour ne la point gratifier à demi, lui rendit une santé parfaite, tant
par les prières que par les services de Guiborat. Les parents de Rachilde,
fort joyeux d'une guérison si peu espérée, consentirent d'abord que la
Sainte retînt leur fille près d'elle. Mais la guerre étant survenue entre Henri
de Saxe, dit l'Oiseleur, nouvellement élu roi de Germanie, et Burchard, duc
d'Allemagne, c'est-à-dire, de la Souabe, ils appréhendèrent de la voir
exposée aux insultes des soldats, ou aux misères de la faim, et voulurent la
ramener chez eux. Guiborat s'y opposa, et leur ayant déclaré la volonté de
Dieu sur leur fille, elle les renvoya en paix, et peu do temps après elle ren-
ferma Rachilde, et la fit recluse comme elle, nonobstant les maladies qui
revenaient par intervalle, et dont elle guérissait de même par les prières et
les soins de sa mère spirituelle. Notre Sainte fut souvent sollicitée de pren-
dre encore d'autres disciples, que son humilité et son amour pour la re-
traite lui firent refuser. Elle ne put néanmoins se dispenser de recevoir une
jeune dame qui se croyait veuve, et qui cherchait à servir Dieu sous sa con-
duite. C'était Wendiigarde, petite-fille de Henri, roi de Germanie, qui avait
épousé le comte Udalric, pris par les Hongrois dans un combat, peu de
temps après son mariage. La persuasion où l'on était de la mort de son
mari, la fit rechercher aussitôt pour des partis fort avantageux ; mais ayant
refusé de passer à de secondes noces, elle vint demander à l'abbé de Saint-
Gall ' qu'il lui fût permis de se bâtir une cellule auprès de celle de sainte
Guiborat, qu'elle avait choisie pour sa directrice. Elle obtint aisément sa
demande, et n'ayant retenu que ce qui lui était nécessaire pour sa subsis-
tance, elle fit de grandes aumônes du reste de son bien aux pauvres et aux
religieux de l'abbaye, pour le repos de l'âme de son mari. Comme elle avait
toujours été élevée fort délicatement, elle eut beaucoup à souffrir pour
s'accoutumer aux abstinences et aux autres austérités de la vie qu'elle vou-
lait embrasser. Elle aimait la diversité des viandes et la douceur des fruits;
et quoique Guiborat l'en reprît avec beaucoup de sévérité, et lui représentât
que cet appétit pour la variété des nourritures n'était pas une marque de
pudicité dans une femme, elle avait des peines inconcevables à réprimer ses
désirs sur ce sujet. Un jour qu'elle était dans la cellule de sa maîtresse, elle
la pria de lui donner quelques pommes douces, si elle en avait. La Sainte
lui dit qu'elle en avait gardé de fort belles pour les pauvres, et lui donna
un de ces fruits sauvages, qu'on appelle des pommes de bois. Wendiigarde
1. Salomon, qui fut depuis évêque de Constance, troisième de ce nom.
272 2 mai.
se jeta dessus avec une avidité qui semblait tenir quelque chose de la
fureur. Mais à peine y eut-elle mis la dent, qu'elle la rejeta, et dit à la
Sainte : « Ah ! que vos pommes sont aigres, et que vous êtes dure vous-
même ! Plût à Dieu qu'il n'y en eût jamais d'autres dans le Paradis terrestre.
Eve n'aurait eu garde d'y toucher ; et nous ne serions pas réduites à tant
de misères. Puisque vous parlez d'Eve (répondit Guiborat), vous devez
savoir que c'est sa convoitise pour un fruit délicieux, qui a causé sa chute
et notre malheur ; et vous pouvez juger par cet exemple, si la vôtre peut
être innocente ». Cette remontrance porta coup au cœur de Wendilgarde,
qui se retira toute confuse pour aller pleurer ses faiblesses dans le secret.
Depuis ce moment elle travailla si fortement à se corriger, qu'avec la grâce
de Dieu et les conseils de sainte Guiborat, elle vint à bout de mortifier
entièrement ses appétits, et de pratiquer une parfaite abstinence. Elle fit
ensuite tant de progrès dans les autres vertus, que l'évêque de Constance,
de l'avis de son synode, crut devoir lui donner le voile sacré qu'elle lui de-
mandait. Son zèle alla si loin, que s'accoutumant insensiblement à la vie la
plus austère des recluses, elle conjura notre Sainte de lui accorder la survi-
vance de Rachilde, dont on attendait la mort de jour à autre, parce que
tout son corps s'en allait en pourriture par la multitude des ulcères qui s'y
formaient. Mais Dieu en disposa autrement. Rachilde fut réservée pour un
long martyre, et pour laisser à la postérité chrétienne un modèle achevé de
la patience que Dieu nous demande dans les maux qu'il nous envoie.
Quatre ans après la retraite de Wendilgarde, on apporta la nouvelle de
l'heureux retour de son mari, le comte Udalric, qu'on croyait mort, et qui
était demeuré en captivité durant tout ce temps, sous la puissance des Hon-
grois ou Esclavons. Il fallut lui rendre sa femme qu'il redemandait : et les
évêques assemblés dans leur synode, jugèrent que la profession religieuse
ne pouvait empêcher qu'on ne la lui restituât. Wendilgarde, ainsi obligée
de retourner dans le monde, promit de reprendre ses vœux si elle survivait
à son mari, et voua dès lors à Dieu, sous la protection de saint Gall, le pre-
mier enfant qu'elle en aurait. Le comte Udalric fut le fidèle exécuteur de
cette promesse : ayant perdu sa femme lorsqu'elle était en travail, et sauvé
par l'incision césarienne, l'enfant qui fut depuis abbé de Saint-Gall.
Cependant les Hongrois ayant recommencé leurs courses, vinrent fon-
dre avec fureur dans la Souabe et les pays voisins. Chacun se réfugia dans
des lieux fortifiés pour pourvoir à sa sûreté : et l'abbé de Saint-Gall pressa
instamment sainte Guiborat de vouloir prendre une retraite dans une forte-
resse qui dépendait de son abbaye, et qui était en état de faire résistance
aux Barbares. Mais la Sainte, qui avait prédit cette irruption, et qui était
avertie intérieurement de ce qui devait lui arriver à elle-même, remercia
l'abbé, et renvoya ses députés qui étaient venus la quérir, témoignant
qu'elle ne voulait point s'opposer à ce que Dieu avait ordonné d'elle. Elle
fit sauver les ecclésiastiques qui servaient l'église de Saint-Magne, dont son
frère Hitton était le premier, et les autres personnes qui demeuraient au-
tour d'elle, hors sa chère fille Rachilde, qui était toujours sur la paille, et
de la conservation de laquelle elle assura ses parents qui étaient venus pour
l'enlever. Cependant les Barbares se répandirent dans la contrée, détruisant
avec le fer et le feu ce qu'ils ne pouvaient piller. Ils brûlèrent l'église de
Saint-Magne, et n'en ayant pu faire autant à la cellule de la Sainte, qui était
bien bouchée, ils montèrent sur le toit qu'ils découvrirent, et la trouvèrent
à genoux, qui priait dans son petit oratoire. Ils la dépouillèrent de tous ses
habits, ne lui laissant que son cilice ; et irrités de ne point trouver d'argent
SAINT VAUBERT OU WALBERT, RELIGIEUX DE SITHIU. 273
chez elle, ils lui déchargèrent sur la tête trois coups de hache, dont elle
tomba par terre. Ils la laissèrent à demi morte au milieu de son sang, qui
coula jusqu'aux murs de sa cellule en si grande abondance, qu'ils en paru-
rent imbibés durant plusieurs années. Elle vécut ainsi épuisée jusqu'au
lendemain matin, qu'elle rendit son âme à son Créateur. C'était le second
jour de mai, l'an 925. Son frère Hitton étant revenu peu d'heures après de la
retraite où elle l'avait envoyé se cacher, voulut enterrer le corps sur-le-
champ, parce qu'il craignait que les Barbares ne le brûlassent à leur retour.
Mais la bienheureuse Rachilde, que ces furieux avaient épargnée, s'y op-
posa, et l'abbé de Saint-Gall vint l'enlever avec ses religieux en grande cé-
rémonie, pour le tenir en dépôt, premièrement, dans cette forteresse
dépendante de son abbaye, qui en était à une demi-lieue, jusqu'à ce qu'on
fût délivré de la terreur des Barbares ; et de là dans son église, où il de-
meura jusqu'à la mort de sa chère fille sainte Rachilde, qui lui survécut
pendant vingt et un ans, dans des infirmités et des langueurs continuelles,
que Dieu fit servir à sa sanctification. Cependant Dieu faisait éclater la
gloire dont il avait couronné sainte Guiborat par divers miracles qu'il opé-
rait à son tombeau. Son corps fut transporté quelques années après dans
l'oratoire de sa cellule, et de là dans l'église de Saint-Magne qu'on avait ré-
tablie. On y déposa aussi celui de sainte Rachilde, dont on crut devoir ho-
norer la mémoire, avec celle de sainte Guiborat, sur les indices qu'on eut
de sa sainteté. Les honneurs publics qu'on rendit à sainte Guiborat dans
l'abbaye de Saint-Gall, se changèrent en un culte religieux dès le jour de son
anniversaire, de sorte que la première célébration de sa fête se fit le second
jour de mai de l'an 926, comme d'une sainte vierge et martyre. Cependant
elle ne fut canoniquement mise au nombre des Saints que l'an 1047, par le
pape Clément II. Les Martyrologes d'Allemagne, et ceux de l'Ordre de Saint-
Benoît en font mention en ce jour ; mais le Romain moderne n'en parle
nulle part.
On représente sainte Viborade ou Guiborat debout à la grille de sa cellule
murée, distribuant le pain des bons conseils à ses visiteurs; car, sans jeu
de mots, le nom allemand de sainte Yiborade, Weib-Rath, signifie conseil
des femmes.
SAINT VAUBERT OU WALBERT, RELIGIEUX DE SITHIU,
ET SAINT BERTIN, SON FILS.
Des auteurs ont supposé que le noble leude Walbert, dont il est parlé dans la vie de saint
Bertin, et qui eut avec lui des rapports si intimes ainsi que son fils Bertin, est le même que le
personnage de ce nom qui fut, à cette époque, abbé du monastère de Luxeuil. C'est une erreur
que les Bollandistes réfutent très-bien dans l'article qu'ils ont ajouté à leur travail sur le saint abbé
de Sithiii.
On ne connaît presque rien de la vie de saint Walbert. Il serait difficile de dire s'il était déjà
converti quand saint Bertin arriva dans le pays des Morins, ou si ce sont les instructions et les
exemples de ce digne collaborateur de saint Orner qui l'amenèrent à la foi avec toute sa famille.
Quoi qu'il en soit, il figure parmi ces hommes puissants et religieux qui rendirent, dans ce
temps, de grands services à la religion par leurs vertus personnelles et par le concours qu'ils
apportèrent dans l'œuvre sainte de la propagation de l'Evangile. Son épouse Régentrude rivalisait
d'ardeur et de piété avec lui, et un fils que le ciel leur donna et qui fut baptisé par saint Berlin
lui-même, a été mis au nombre des saints Religieux que compte l'abbaye de Sithiù.
Vies des Saints. — Tome V. 18
274 3 mai.
Quelques auteurs pensent que Walbert se retira aussi dans cette communauté vers la fin de sa
vie; mais cette opinion que rien ne confirme doit être rejetée, ce semble, comme celle qui le fait
passer ensuite de ce monastère dans celui de Luxeuil. Voilà tout ce que l'on peut dire sur ce véné-
rable personnage. Son fils, à qui saint Bertin donna son nom, vécut saintement et mourut dans
l'abbaye de Sithiû. L'on conserva longtemps ses reliques, avec celles de plusieurs autres Saints,
sous le maitre-autel de l'église de SaintrOmer.
Vies des Saints de Ca?nbrai et d'Arras, par M. l'abbé Destombes.
ïir JOUR DE MAI
MARTYROLOGE ROMAIN.
A Jérusalem, I'Invention de la sainte Croix, de Notre-Seigneur, sous l'empereur Cons-
tantin. 326. — A Rome, sur la voie Nomentane, le supplice des saints martyrs Alexandre, pape,
Evence et Théodole, prêtres. Saint Alexandre, après avoir été mis aux fers, sous l'empereur
Adrien et le juge Aurélien ; après avoir enduré la prison, le chevalet, les ongles de fer et le feu,
a fut percé par tout le corps d'une infinité de coups de poinçon > », et expira dans ce supplice ;
Evence et Théodule, après une longue prison, subirent l'épreuve du feu, et furent enfin décapités.
Vers 117. — A Narni, saint Juvénal, évèque et confesseur. 376. — A Constantinople, les saints
Alexandre, soldat, et Antonine, vierge. Celle-ci ayant été condamnée, dans la persécution de
Maximien, sous le président Festus, à être prostituée dans un lieu infâme, en fut secrètement délivrée
par ce bienheureux soldat, qui changea d'habits avec elle et y demeura en sa place. Ils furent ensuite
tourmentés ensemble, eurent, tous les deux, les mains coupées, furent jetés dans le feu pour Jésus-
Christ, et, après avoir soutenu un glorieux combat, furent enfin couronnés ensemble. 313. — Dans
la Thébaïde, saint Timothée et sainte Maure, sa femme, martyrs, qu'un préfet, nommé Arien, après
plusieurs autres tourments, fit attacher à une croix : ils y restèrent suspendus vivants, durant
neuf jours entiers, se fortifiant l'un l'autre dans la foi, et enfin consommèrent leur martyre. Vers
286. — A Aphrodisiade, en Carie, les saints martyrs Diodore et Rodopien, qui furent lapidés par
leurs concitoyens dans la persécution de Dioclétien. ive s. — Au Mont-Senario, près de Florence,
les bienheureux Sostegno et Uguccione, confesseurs, qui, ayant reçu un avertissement du ciel, quit-
tèrent cette vie le même jour et à la même heure, en récitant la Salutation angélique. xme s.
MARTYROLOGE DE FRANCE, REVU ET AUGMENTÉ.
En plusieurs églises de France, l'adoration de quelques parties de la vraie croix et du titre qui
fut mis au-dessus de la tète de Notre-Seigneur. — A Bruges, la mémoire du sang miraculeux qui
coula de l'image de Notre-Seigneur, dans la ville de Béryte, en Syrie. — A Clermont, en Auvergne,
saint Alexandre, moine, et sainte Galla, vierge, dont Grégoire de Tours fait l'éloge au chapitre 36
de son livre De la gloire des Confesseurs. — A Utrecht, saint Aufroi, évêque de ce siège, qu'il
tint pendant quatorze ans, fondateur des chanoinesses de Thorn, près de Maseich, au pays de
Liège, qui avait été comte d'Huy et de Louvain, et avoué de Nivelle et de Gemblours. 1008. —
Encore à Bruges, saint Isdebauld, abbé de Dunes, dont les reliques ont été transférées en ce jour.
1. Ce supplice, employé autrefois pour faire souffrir, l'était depuis Caïus Caligula pour donner la
mort. Suétone s'explique ainsi à ce sujet (Vie de Caligula, ch. 30) : Il ne voulait pas que, dans les sup-
plices, on procédât autrement qu'à petits coups répétés, afin que les patients se sentissent mourir. Le
même auteur rapporte encore que Galba lui-même fut assassiné à tout petits coups. Ce supplice-la différait
donc de celui qu'on appelait Stimuleum, lequel servait à faire souffrir seulement et non à faire mourir, et
s'appliquait aux esclaves voleurs. Plaute parle souvent de celui-ci : Neque nisi supplicium Stimuleum de
te datur. (Soldat fanfaron.) Utinam Stimulus in manu mihi sit. (Asinaria.) At ego te pendentem fodiam
Stimulis triginta dies. (Menechmes.) Ce supplice fut fréquemment employé dans les tortures des Martyrs,
comme on le voit par leurs Actes.
Iliaque infestis perfciiunt stimulis, dit Prudence, hymne de saint Hippolyte.
MARTYROLOGES. 275
— À Lectonre, en Gascogne, saint Hygin ou Gène, confesseur, apôtre et protecteur de cette ville,
et trente soldats, martyrs, qu'il avait convertis par ses miracles. iv« s. — A Auxerre, saint Eusèbe,
prêtre, et saint Avit, diacre. — En Touraine, saint Flovié, honoré comme martyr en I'égiise de
son nom, près de Châtillou-sur-Indre. — A Celle, entre Bingen et Creuznach, dans le palatinat du
Rhin, saint Philippe d'Ostin, prêtre, vme s. — A Thorn, sur la Meuse, la bienheureuse Hilsinde
et la bienheureuse Benoîte, l'une femme, l'autre fille de saint Aufroi, et fondatrices de l'ancienne
abbaye de Thorn. xie s. — En Anjou, le vénérable Didon, abbé de Saint-Florent du Mont-Glonne,
sous le gouvernement duquel saint Florent fut brûlé une première fois par Nominoé, duc de Breta-
gne. 849. — A Foigny, en France, le bienheureux Alexandre, frère convers de l'Ordre de Citeaux,
du sang des rois d'Ecosse, xin8 s. — A Lyon, anniversaire de la fondation de l'œuvre de la Pro-
pagation de la Foi, œuvre admirable qui, avec un sou par semaine, a soutenu tant de mission-
naires, fait bâtir tant d'églises, procuré à tant d'âmes le bienfait du salut I 1822.
MARTYROLOGES DES ORDRES RELIGIEUX.
Martyrologe des Cisterciens. — A Jérusalem, l'invention de la sainte Croix...
Martyrologe des Servîtes. — Au Mont-Senario, près de Florence, les bienheureux Sostegno et
Uguccione, confesseurs, qui, ayant reçu un avertissement du ciel, moururent le même jour et à la
même heure, en récitant la Salutation angélique ; saint Philippe Beniti eut une vision dans
laquelle ils lui apparurent sous la figure de deux lis que les anges, après les avoir coupés sur la
terre, présentaient à la sainte Vierge dans le ciel.
ADDITIONS FAITES D'APRÈS LES BOLLANDISTES ET AUTRES HAGIOGRAPHES.
En Asie, saint Hermogène, martyr. Ie* s. — Et ailleurs, saint Arbon, martyr. — A Vérone,
sainte Viola ou Violette, vierge et martyre. — A Rome, sainte Sévérina, dame romaine, celle-là
même qui rendit au pape saint Alexandre Ier les devoirs de la sépulture *. — A Fossano, en
Piémont, saint Juvénal, confesseur, dont le corps, conservé dans cette ville, a été pris pendant
quatre siècles pour celui de saint Juvénal, évèque de Narni, fêté le même jour. — A Vicence, en
Italie, saint Ours, confesseur. — A Argos, dans le Péloponèse, saint Pierre le Thaumaturge, évêque
de cette ville, x9 s. — A Ispelli, en Ombrie, le bienheureux Ventura, de l'Ordre des Crucifères,
qui fonda, dans cette ville, un couvent et un hôpital. Vers le ix« s. — A Mayence, le vénérable
Hildebert, archevêque de ce siège, qui fut d'abord moine de Fulde. Les évèques de Trêves et de
Cologne lui cédèrent d'un commun accord, à cause de ses mérites, l'honneur de sacrer empereur
d'Allemagne, Othon, fils de Henri l'Oiseleur. 936. — En Angleterre, le vénérable Henri Carnet,
célèbre professeur de mathématiques, et surnommé le grand Jésuite par les protestants eux-mêmes,
qui fut mis à mort pour n'avoir pas voulu révéler le secret de la confession. Une goutte de son
6ang étant tombé sur un épi, la ligure du Père Henri Garnet s'y trouva peinte avec une ressem-
blance parfaite. 1606. — A Verceil, en Piémont, la bienheureuse Emilie Biccoieri de l'Ordre
de la Pénitence de Saint-Dominique, fondatrice du monastère de Sainte-Marguerite, hors les murs
de cette ville. 1314. — A Allanquera, en Portugal, le bienheureux Zacharie, de l'Ordre des Frères
Mineurs, un des six premiers religieux que saint François envoya en Portugal pour se consacrer à
la conversion des Maures. N'ayant pu convaincre un de ses pénitents de la vérité de la présence
réelle, le bienheureux Zacharie le fit assister à sa messe et lui montra l'hostie changée en vraie
chair jusqu'au moment de la communion où elle reprit les apparences du pain. Après l'année 1226.
— A Nocera, en Ombrie, le bienheureux Alexandre Vinciolo, de l'Ordre des Frères Mineurs et
évêque de cette ville qu'il délivra autrefois du fléau de la peste. 11 avait été pénitencier de Jean XXII.
1363. — A Casimira, près de Cracovie, en Pologne, le bienheureux Stanislas Soltys, chanoine
régulier de Latran et vice-prieur du couvent du très-saint Corps de Notre-Seigneur Jésus-Christ *.
Cent soixaute-lreize miracles publiés furent opérés à son tombeau dans la seule année qui suivit
sa mort. 1489. — En Orient, saint Sophrone, ermite et solitaire, qui a traduit, du latin en grec,
le livre des Ecriuains ecclésiastiques de saint Jérôme et la Vie de saint Hilarion, par le même.
1. Voir les Actes de saint Alexandre, ci-après.
2. Ce couvent du Corps de Notre-Seignenr avait été fondé, en 1347, par Casimir H, roi de Pologne, a
l'occasion de l'invention d'une hostie que des profanateurs avaient jetée dans la rivière.
276 3 mai.
INVENTION DE LA SAINTE CROIX
326. — Pape : Saint Silvestre Ier. — Empereur : Constantin.
Le signe de la croix apparaîtra dans le ciel, lorsqne
le Seigneur v'cndra juger. Alors seront re've'le's le»
secrets des cœurs.
Brév. rom., 3 mai, 3a resp. du 2e nocturne.
L'Eglise a consacré le 3 mai à honorer la Croix de notre Sauveur, parce
que c'est le jour où elle fut trouvée, après avoir été cachée très-longtemps.
Voici, en peu de mots, l'histoire de cette invention ou découverte :
L'empereur Constantin avait vu paraître au ciel une croix plus éclatante
que le soleil, et sur laquelle ces paroles étaient écrites : Tu vaincras par ce
signe l ; et, ayant effectivement vaincu le tyran Maxence, par la vertu de ce
signe, il en conçut une si grande estime, qu'il prit d'abord un soin particu-
lier d'en faire connaître la grandeur et le mérite dans toute l'étendue de son
empire. Pour cet effet, il fit peindre des croix sur les bannières impériales,
au lieu des aigles qui y étaient auparavant ; il en fit marquer la monnaie
publique de l'empire, et se fit lui-même représenter tenant dans sa main
droite un globe d'or, sur lequel était une croix, pour faire entendre que
c'était par elle que le monde avait été racheté. Sainte Hélène, mère de cet
empereur, eut une dévotion encore plus particulière à ce mystère de notre
salut : par un mouvement divin, dès que le concile de Nicée fut terminé,
elle résolut d'aller en personne à Jérusalem, pour y visiter les Saints-Lieux
et y chercher ce bois salutaire , où le Rédempteur du monde avait été
attaché.
Mais elle ne le trouva pas sans difficulté : il n'y avait plus personne qui
sût l'endroit où on l'avait mis après que ce divin crucifié en avait été déta-
ché ; tout l'espace du Calvaire avait été tellement rempli de décombres,
qu'il était malaisé de reconnaître le lieu de son crucifiement et de sa sépul-
ture. Elle surmonta néanmoins tous ces obstacles par le secours du ciel :
elle apprit, par révélation, que la croix avait été enfouie dans un des ca-
veaux du sépulcre de Notre-Seigneur, et les anciens de la ville, qu'elle con-
sulta avec grand soin, lui marquèrent le lieu où ils croyaient, selon la tra-
dition de leurs pères, qu'était ce précieux monument ; elle fit creuser en ce
lieu avec tant d'ardeur et de diligence, qu'elle découvrit enfin ce trésor,
que la divine Providence avait caché dans les entrailles de la terre durant
tout le temps des persécutions, afin qu'il ne fût point brûlé par les idolâ-
1. « Je ne puis résister », nous écrivait, le 15 février 1870, M. l'abbé Crévot, directeur-aumônier des
sœurs de Saint-François d'Assise de Lyon, « à la tentation de faire quelques réflexions sur ce qui a
rapport, dans Giry (3 mai) à l'apparition miraculeuse de l'étendard de Constantin. On n'a pas assez dis-
tingué les deux événements dont le Seigneur a favorisé ce premier empereur chrétien ; et je vois avec peine
que la plupart des historiens sont en faute sur cette circonstance qui est cependant une des plus impor-
tâmes de l'histoire de l'Eglise. Il faut distinguer deux grands événements : le premier est l'apparition de
l'étendard In hocsigno vinces. qui a eu lieu à deux journées de chemin des Alpes, au moment oh Constantin
partait pour aller prendre possession de l'empire ; le second n'est pas une apparition, c'est un songe oïl
Notre-Seigneur recommande a cet empereur de mettre une croix sur le bouclier de chacun de ses soldats,
événement arrivé la veille du jour ou s'est livré le grand combat avec Maxence, au passage du Tibre.
Je vois avec peine que les historiens, ou confondent ces deux événements, ou n'en rapportent qu'un qu'ils
ne placent pas à son lieu. Cependant des faits pareils, soit en eux-mêmes, soit dans leurs résultats, de-
vraient être caractérisés avec soin».
INVENTION DE LA SAINTE CROIX. 277
très, et que le monde, étant devenu chrétien, lui pût rendre ses adorations.
Dieu récompensa cette sainte impératrice beaucoup plus qu'elle n'eût osé
l'espérer : car, outre la croix, elle trouva encore les autres instruments de
la Passion, à savoir : les clous dont Notre-Seigneur avait été attaché, et le
titre qui avait été mis au-dessus de sa tête. Cependant une chose la mit
extrêmement en peine : les croix des deux larrons, crucifiés avec lui, étaient
aussi avec la sienne, et l'impératrice n'avait aucune marque pour distinguer
l'une des autres. Mais saint Macaire, alors patriarche de Jérusalem, qui
l'assistait dans cette action, leva bientôt cette nouvelle difficulté : ayant
fait mettre tout le peuple en prières, et demandé à Dieu qu'il lui plût de
découvrir à son Eglise quel était le véritable instrument de sa Rédemption,
il le reconnut par le miracle suivant : Une femme, prête à mourir, ayant
été amenée sur le lieu, on lui fit toucher inutilement les deux croix des
larrons ; mais dès qu'elle approcha de celle du Sauveur du monde, elle se
sentit entièrement guérie, quoique son mal eût résisté jusqu'alors à tous
les remèdes humains, et qu'elle fût entièrement désespérée des médecins.
Le même jour, saint Macaire rencontra un mort qu'une grande foule
accompagnait au cimetière. Il fit arrêter ceux qui le portaient et toucha
inutilement le cadavre avec deux des croix ; aussitôt qu'on eut approché
celle du Sauveur, le mort ressuscita.
Sainte Hélène, ravie d'avoir trouvé le trésor qu'elle avait tant désiré,
remercia Dieu d'une si grande faveur, et fit bâtir au même lieu une église
magnifique ; elle y laissa une bonne partie de la croix, qu'elle fit richement
orner ; une autre partie fut donnée à Constantinople ; enfin le reste fut en-
voyé à Rome, pour l'église que Constantin et sa mère avaient fondée dans
le palais de Sertorius, et qui a toujours retenu depuis le nom de Sainte-
Croix-de- Jérusalem .
L'empereur, signalant de nouveau son respect pour l'instrument sacré
de notre salut, dans la vingtième année de son règne, défendit de crucifier
désormais les malfaiteurs, ce qui s'est toujours observé depuis dans les pays
chrétiens. Ainsi, ce qui avait été une marque d'ignominie, devint un titre
d'honneur, et fut élevé sur la* couronne des rois, et sur le sceptre des plus
grands monarques de la terre.
Ces merveilles nous font assez connaître que Dieu agrée les respects que
nous rendons à la croix, et que l'Eglise a été inspirée de son esprit, lors-
qu'elle a institué cette fête pour en honorer Y Invention. On ne peut rien
ajouter aux éloges que les saints Docteurs lui ont donnés. Nous en rappor-
terons quelques-uns, pour la consolation des âmes dévotes, et pour confon-
dre les hérétiques qui en profanent le signe salutaire. Saint Jean Chrysos-
tome, dans un sermon de la croix, en parle en ces termes : « La croix est
l'espérance des chrétiens, la résurrection des morts, le bâton des aveugles,
l'appui des boiteux, la consolation des pauvres, le frein des riches, la con-
fusion des orgueilleux, le tourment des méchants, le trophée contre l'enfer,
l'instruction des jeunes, le gouvernail des pilotes, le port de ceux qui font
naufrage et le mur des assiégés. Elle est la mère des orphelins, la défense
des veuves, le conseil des justes, le repos des affligés, la garde des petits, la
lumière de ceux qui habitent dans les ténèbres, la magnificence des rois, le
secours de ceux qui sont dans l'indigence, la sagesse des simples, la liberté
des esclaves et la philosophie des empereurs. La croix est la prédiction des
Prophètes, la prédication des Apôtres, la gloire des Martyrs, l'abstinence
des Religieux, la chasteté des Vierges et la joie des Prêtres. Elle est le fon-
dement de l'Eglise, la destruction des idoles, le scandale des Juifs, la ruine
27 3 MAI.
des impies, la force des faibles, la médecine des malades, le pain de ceu*
qui ont faim, la fontaine de ceux qui sont altérés et le refuge de ceux qui
sont dépouillés ». — « Gravons», dit saint Ephrem, « au-dessus de nos
portes, sur le front, sur la bouche, sur la poitrine et sur toutes les autres
parties de notre corps le signe vivifiant de la croix ; revêtons-nous de cette
impénétrable armure des chrétiens : car la croix est la victoire de la mort,
l'espérance des fidèles, la lumière du monde, la clef du paradis, le glaive
qui extermine les hérésies, le secours des âmes religieuses, le soutien de la
foi, la défense, la garde et la gloire des catholiques. Porte toujours avec
toi, ô chrétien ! cette arme de jour et de nuit, en tous lieux et à toutes les
heures ; n'entreprends jamais rien sans faire le signe de la croix. Quand tu
dors, quand tu veilles, quand tu marches, quand tu travailles, quand tu
manges, quand tu bois et que tu es sur mer, que tu traverses les rivières,
prends cette armure de la sainte Croix : car, tant que tu en seras armé, les
esprits malins s'éloigneront de toi et n'oseront en approcher. — La croix,
dit saint Damascène, est notre bouclier, notre défense et notre trophée
contre le prince des ténèbres. Elle est le signe dont nous sommes marqués,
afin que l'ange exterminateur ne nous frappe point, et de crainte que nous
ne tombions dans des filets où nous trouverions notre perte. Elle relève
ceux qui sont tombés, elle soutient ceux qui sont debout, elle fortifie les
faibles, elle gouverne les pasteurs ; elle est le guide de ceux qui commen-
cent, et la perfection de ceux qui achèvent ; la santé de l'âme et le salut du
corps, la destruction de tous les maux, la cause et l'origine de tous les
biens, la mort du péché, l'arbre de la vie et la source de notre félicité ».
Tertullien, auteur très-ancien, et que saint Cyprien appelle son maître, nous
apprend quel était l'usage des chrétiens touchant le signe de la croix :« A tous
les pas que nous faisons », dit-il, « en entrant, en sortant, quand nous nous
habillons, quand nous nous levons, quand nous nous mettons à table, quand
nous nous asseyons, quand on nous apporte de la lumière, quand nous nous
couchons, et généralement dans toutes nos actions, nous faisons le signe de
la croix sur le front » . Cet exemple des chrétiens des premiers siècles de-
vrait faire impression sur nos esprits, et nous devrions, à leur imitation,
faire continuellement le signe sacré de la croix, puisque nous apprenons
qu'il n'est point de remède plus prompt ni plus assuré contre les traverses
et les tentations de la vie.
Afin que les Gentils reçussent plus facilement la lumière de l'Evangile,
et crussent avec moins de peine que Dieu s'était fait homme pour mourir
sur une croix, une des sybilles (qui étaient des prophétesses parmi les païens)
prédit, plusieurs années auparavant, par une providence particulière, les
merveilles de ce mystère par ces paroles : 0 bois heureux, où Dieu sera sus-
pendu/ et les Egyptiens, dans leurs hiéroglyphes, signifiaient par la croix la
santé et la vie éternelle. Socrate, auteur d'une histoire de l'Eglise, écrit
que les chrétiens, en ruinant le temple de Eérapis, trouvèrent des croix gra-
vées sur les pierres dont il était bâti, et que plusieurs Gentils se firent chré-
tiens à la vue de cette merveille.
Les miracles que Notre-Seigneur a faits par le moyen de la sainte Croix
sont en si grand nombre, qu'il ne serait pas possible de les rapporter tous,
d'autant plus qu'il ne s'en est jamais fait qui n'aient tiré d'elle leur origine
et que l'on ne puisse attribuer à sa vertu toute-puissante.
L'invention de la sainte Croix arriva l'an 326, ou, selon la chronique
d'Eusèbe, en 328.
INTENTION DE LA SAINTE CROIX. 279
LES INSTRUMENTS ET LES RELIQUES DE LA PASSION.
La vraie Croix. — Le récit de l'Invention de la vraie Croix a été donné par Eusèbe, saint
Cyrille, saint Ambroise, Théophane, Rufin, Paulus, Nicéphore, Callixte, etc. On ne peut donc rien
objecter contre cette authenticité, on peut dire de premier ordre. Nous avons le nombre et la
qualité des historiens ; ils étaient la plupart contemporains. Ils sont parfaitement d'accord ; ils
ont écrit dans des langues et des pays différents. Dira-t-on qu'il est impossible que le bois de
la vraie Croix se soit conservé si longtemps sous terre et depuis tant de siècles après l'in-
vention ? Nous répondrons qu'on trouve à Herculanum et à Pompéï du bois ancien très-bien con-
servé. M. Rohault de Fleury, dans son important mémoire sur les Instruments de la Passion, p. 53,
rapporte que des bois, certainement antiques, ont été trouvés dans la construction de Carthage.
Un morceau de ce bois fut soumis à l'examen de l'Académie, et M. Pelligot, dans son mémoire,
déclara qu'il appartenait à une portion d'aqueduc ancien où il était engagé dans le pisé et néan-
moins d'une conservation parfaite.
Sous le règne d'Héraclius, Kosroës II s'empara de la ville sainte, pilla les églises et emporta ce
qui restait de la Croix de Jésus-Christ. Après dix ans de revers, Héraclius battit le roi de Perse,
délivra les chrétiens emmenés en captivité et obligea le successeur de Kosroës à rendre la vraie
Croix que l'empereur ramena à Jérusalem comme le plus beau trophée de ses victoires. Il la porta
lui-même sur ses épaules jusque sur le Calvaire, à travers les rues de Jérusalem, ayant les pieds
nus, suivi de ses soldats et d'un peuple immense qui répandait des larmes de joie. Ce fut là l'ori-
gine de la fête de l'Exaltation de la sainte Croix, que l'Eglise célèbre le 14 septembre. Peu de
temps après, la sainte Croix fut envoyée à Constantinople à l'archevêque Sergius, et fut reportée
à Jérusalem.
L'année 1099, lorsque les croisés entrèrent dans la ville sainte, un de leurs premiers soins fut
de s'enquérir du bois sacré. Les chrétiens, enfermés dans la ville, l'avaient dérobé aux regards
des musulmans (Cédrénus, 1. Ier, p. 171) ; mais il n'y en avait plus qu'une faible partie, puisque,
selon l'expression d'Albert d'Aix, elle n'avait qu'une demi-aune de longueur. Sou aspect inspire
les plus vifs transports parmi les pèlerins. « De cette chose, dit une vieille chronique citée par
Michaud, furent les chrétiens si joyeux comme s'ils eussent vu le corps de Jésus-Christ pendu
dessus icelle ».
Peu après nous voyons les guerriers chrétiens sortir de Jérusalem, ayant à leur tète le patriarche
Arnould, qui portait la sainte Croix ; ce fut ainsi qu'ils marchèrent contre le calife du Caire, qui
s'avançait vers Ascalon. Ils la portèrent depuis dans un grand nombre de batailles. A la désas-
treuse journée d'Hiltin, la sainte Croix tomba au pouvoir de Saladin. Elle était portée par l'évèque
de Ptoléma'is, qui, blessé mortellement, la laissa à l'évèque de Lydda. Celui-ci fut pris, ainsi que le
roi et tous ceux qui la défendaient. « La grande Croix fut prise », dit Amad-Eddin, auteur musul-
man, a la grande Croix fut prise avant le roi, et beaucoup d'impies (de chrétiens) se firent tuer
autour d'elle. Quand on la tenait levée, les infidèles fléchissaient le genou et inclinaient la tète.
Ils disent que c'est le véritable bois où fut attaché le Dieu qu'ils adorent. Ils l'avaient enrichie
d'or fin et de pierres brillantes. Ils la portaient les jours de grandes solennités ; et lorsque leurs
prêtres et leurs évèques la montraient au peuple, tous s'inclinaient avec respect. Ils regardaient
comme leur premier devoir de la défendre; la prise de cette Croix leur fut plus douloureuse que
la captivité de leur roi ; rien ne put les consoler de cette perte. {Bibliothèque des croisades, t. IV,
p. 195) ».
Lorsque l'évèque de Salisbury visita la ville sainte au nom du roi, Richard, Saladin lui montra
le bois de la vraie Croix. Les historiens arabes racontent que les Francs et les Grecs voulurent
racheter la vraie Croix, et que Saladin leur répondit que le roi des Géorgiens en avait fort inuti-
lement offert deux cents pièces d'or... (Road., de vita Salad., c. 164). Elle ne fut rendue aux
chrétiens que trente-deux ans après la prise de Damiette. Déjà plusieurs fragments en avaient été
détachés, et depuis ce moment, elle a été divisée à l'infini, en sorte qu'on en trouve aujourd'hui
des parcelles dans tous les pays du monde.
Indépendamment du fragment qui est à Rome, dont nous avons déjà parlé, et de celui de Cons-
tantin, nous voyons dans l'histoire de la Norwége par Torpheus, que le roi Sigur demanda et
obtint pour prix du service qu'il rendit aux Croisés au siège de Sidon, avec ses dix mille Norvé-
giens, un morceau de la vraie Croix, qu'à son retour dans sa patrie il déposa dans la ville de
Konghell. Waldemar III, roi de Danemark, eu obtint aussi un fragment du pape Urbain V, à con-
dition qu'il marcherait à la délivrance des Saints-Lieux.
Forme de la croix, support et dimension. — - M. Rohault (page 66) cite un passage de saint
Justin et un autre de saint Augustin, pour prouver que la forme de la croix, qui a prévalu dans
l'art catholique, est vraiment celle qui était en usage au moment de la mort de Notre-Seigneur.
Innocent confirme cette opinion en disant : Fuerunt autem in cruce dominica ligna quatuor:
stipes eiutus, et lignum transversale troncus suppositus et titulus superpositus.
La croix de Jésus-Christ n'était donc pas un simple tau T, ni la croix grecque -J-, ni la croix
280 3 mai.
de saint André X» mais *^a cr01x tn missa> où la traverse se trouve à peu près aux deux tiers de
la hauteur f .
L'auteur du mémoire que nous venons de citer, s'appuie sur Plaute, saint Justin, saint Jérémie
et Grégoire de Tours pour établir que le crucifié avait, un marche-pied, et celte opinion est con-
firmée par les peintures du vin8 siècle, dans les souterrains de Saiut-Clément. Le même auteur,
après diverses considérations très-judicieuses, soit sur ce que peut porter un homme valide pen-
dant un trajet de huit à neuf cents mètres, soit sur l'état où se trouvait Notre-Seigneur, est arrivé
à conclure que la croix devait avoir cent soixante-dix-huit millions de millimètres cubes et peser
environ quatre-vingt-dix kilogrammes.
D'après une ancienne tradition rapportée par Gretzer, la Croix se composait d'un montant dont
la hauteur était de quinze pieds (quatre mètres quatre-vingt centimètres), et d'une traverse da
sept ou huit pieds (deux mètres trente centimètres à deux mètres soixante centimètres). Par l'ins-
pection de la croix du bon larron, qui est encore à Sainte-Croix de Jérusalem, à Rome, on voit
que ce grand morceau correspond à la longueur d'une traverse de deux mètres vingt-cinq centi- *
mètres ou cinq coudées. La pièce a cent cinquante-cinq millimètres de longueur, mais l'épaisseur
n'a pu être déterminée ; il est probable que ce morceau de bois était carré, et que s'il ne l'est
plus aujourd'hui, c'est que, pour multiplier cette relique, ou l'aura sciée. Ce morceau de la croix
du bon larron a précisément une échancrure au milieu avec un trou pour la cheville, ce qui con-
firme que cet instrument était une croix in missa, c'est-à-dire que la tige perpendiculaire dépas-
sait la forme du tau.
M. Rohault, après l'examen de l'essence du bois de la vraie Croix, avait établi que c'est une
essence résineuse. Après l'examen de la croix du bon larron, Dixmas, il ne peut rester aucun
doute ; comme ce morceau est plus considérable, la vérification a été plus facile. Il est évident
que ce bois est une espèce de sapin; même avant tout examen il devait paraître probable que la
croix de Notre-Seigneur et celle des deux larrons, ayant été préparées le même jour et pour la
même fin, devaient être de la même essence.
D'après une tradition rappelée par la table qui se trouve dans le cloître de Saint-Jean de La-
tran, Jésus-Christ était d'une très-haute stature (un mètre quatre vingt-quatre centimètres). Simon
le Cyrénéen devait être plus petit, et saint Luc est rigoureusement exact lorsqu'il le place derrière
Jésus-Christ, post Jesum ; la pente du bois sacré le mettant à la hauteur de son épaule. La litur-
gie romaine suit donc la tradition et la raison la plus sévère, en admettant que le poids était
partagé entre Jésus-Christ et Simon.
Recherches des reliques. — Nous citons en entier le § V de M. Rohault :
« J'ai essayé de constater tout ce que l'on connaît de reliques existantes, ou dont on a con-
servé le souvenir. J'en ai calculé le volume par millimètres cubes. Or, tout ce que j'ai pu recueillir
est bien loin d'égaler le dixième du volume de la vraie Croix. Les neuf dixièmes, qui ne se re-
trouvent plus, ont dû suffire pour former des myriades de reliques inconnues ou détruites ».
Anseau, par sa correspondance avec Galon, évèque de Paris, dont je reparlerai à l'occasion des
reliques de Notre-Dame de Paris, donne quelque idée de ce qu'étaient devenues, au vus siècle,
les reliques de la Passion. Il raconte qu'après la mort d'Héraclius, en 636, l'église du Saint-Sé-
pulcre fut brûlée en partie par les infidèles, et que, pour sauver la croix, les chrétiens se décidè-
rent à la diviser en dix-neuf parties, dont ils firent des croix qu'ils donnèrent, savoir :
A Constantinople, 3 ; à l'île de Chypre, 2; à l'île de Crète, 1 ; à Antioche, 3; à Edesse, 1 ; à
Alexandrie, 1 ; à Ascalon, 1 ; à Damas, 1 ; à Jérusalem, 4 ; à la Géorgie, 2.
Il est assez difficile de savoir quelle était la dimension de ces reliques. Anseau mentionne seu-
lement la mesure d'une des quatre qui avaient été déposées à Jérusalem et que l'on conservait
dans l'église du Saint-Sépulcre. Elle avait une palme et demie de long sur un pouce de large et
autant d'épaisseur ; il ne parle pas de la traverse que je supposerai, comme dans la vraie Croix,
égale à la moitié du montant. D'après cela, le volume de cette Croix serait d'environ cinq cent
mille millimètres cubes ; et en la considérant comme une moyenne, on trouverait pour les dix-
neuf croix, ou plutôt pour le morceau de Jérusalem, que l'on divisa, neuf millions et demi de
millimètres pouvant représenter un morceau deux ou trois fois moins gros que la relique de la
croix du bon larron de Sainte-Croix de Jérusalem.
Tel fut le commencement de la grande dispersion des reliques de la vraie Croix ; elle aug-
menta rapidement dans les siècles suivants. Villani rapporte un document fort curieux, au com-
mencement du ixe siècle, indiquant les villes où l'on devait trouver le plus grand nombre de reli-
ques. C'est un testament de Charlemagne, qui laissa en mourant le tiers de son riche trésor à tous
les pauvres de la chrétienté, et les deux tiers aux archevêques et évèques de son empire. Dans ces
trésors se trouvaient sans doute une grande quantité de reliques. Voici quelques dates qui intéres-
sent l'histoire des reliques de la vraie Croix.
En 1187, à la journée de Tibériade, les Musulmans vainqueurs prirent la croix de Saint-Jean-
d'Acre, portée par l'évèque. (Morand, Histoire de la sainte chapelle, p. 9. Paris, 1790). En 1191,
Philippe-Auguste et Richard s'étant croisés, se firent remettre cette croix après la prise de Saint-
Jean-d'Acre, et trente jours de siège. En 1204, au sac de Constantinople par les Latins, des abo-
minations furent commises, les reliquaires volés ; mais des âmes pieuses recueillirent les reliques
INVENTION DE LA SAINTE CROIX.
281
que les spoliateurs dédaignaient, et de là les répandirent dans le monde. Le doge de Venise, Dan-
dolo, eut une portion de la vraie Croix, qu'on disait avoir été portée par Constantin à la guerre.
L'empereur Baudouin prit la couronne d'épines. En 1217, Raoul, patriarche de Jérusalem, p.irtit
d'Acre, portant avec lui une portion de la vraie Croix. En 1239, Baudouin II, pressé par les Bul-
gares, vint en France solliciter la piété de saint Louis, et lui offrit la couronne d'épines pour prix
de ses services.
Les siècles vinrent successivement réduire notre précieux trésor, dissipé au vent des révolu-
tions et au souffle de l'impiété. Il en reste bien peu, et cette indigence, rendant chacune de ces
reliques plus précieuse, j'ai pris la liberté de faire un appel au monde catholique, et les rensei-
gnements que j'ai reçus m'ont permis de décrire celles qui existent encore, et d'en former un ta-
bleau que l'on trouvera ci-après.
Il résulte de ce tableau que le volume total des reliques qui nous sont parvenues, est de cinq
millions de millimètres environ, y compris des reliques peut-être détruites, comme celles d'A-
miens, d'Onawert, Schira, Grammont, Jaucourt, etc. ; mais relevées d'après des descriptions qui
m'ont paru exactes. Si l'on songe à la petitesse des parcelles qui peuvent se trouver dans dei
églises et des couvents, et chez des particuliers, nous serons bien au-delà de la vérité. En tri-
plant, pour l'inconnu, le volume connu, on arrive ainsi à quinze millions de millimètres cubes,
qui ne font pas le dixième des cent quatre-vingt millions de millimètres que nous trouvons pour
le volume de la Croix de Notre-Seigneur Jésus-Christ.
Tableau des volumes connus de la vraie Croix exprimés en cubes de un millimètre.
104.
1
15.
47.
3.
20
22
Aix-la-Chapelle
Amiens 4
Angers 2
Angleterre 30
Arles 8
Arras 10
Athos (Mont-) 878
Autun
Avignon
Baugé
Bernay
Besançon
Bologne
Bonifacio
Bordeaux
Bourbon Larchambault
Bourges
Bruxelles 516
Chalinargues »
Chalons
Chamirey
Châtiilon »
Cheffes (Anjou)
Chelles »
Compiègne 1
Conques
Cortone 3
Courtrai
Dijon
Donawert
Faphine
Fiume
Florence
Gand ,..
Gênes
Grammont
Jaucourt
Jérusalem
Laugres '..
33.
12.
»
5.
37.
436.
26.
5.
3.
5.
150
.500
.640
.516
.000
.314
.360
50
220
000
375
000
.000
.960
.420
.275
.275
.090
»
200
605
»
100
»
.896
108
.000
200
.091
.000
»
.250
.640
.450
.458
000
500
045
200
Laon
Libourne
Lille
Limbourg
Lougpont
Lorris
Lyon
Mâcon
Maestricht
Marseille
Milan
Montepulciano. .
Naples
Nevers
Nuremberg
Padoue
Paris
Pise
Poitiers
Pontigny
Raguse
Riel-les-Eaux. .
Rome
Royaumont... .,
Saint-Dié
Saint-Florent. . .
Saint-Quentin. .
Saint-Sepulchre.
Sens
Sienne
Tournay
Trêves
Troyes
Turin
Venise
Venloo
Valcourt
Yambach ,
» »
3.000
15.112
133.768
1.136
» »
1.696
2.000
10.000
150
1.920
500
10.000
876
» »
64
237.731
8.175
870
12.000
169.324
671
537.587
» »
99
460
5.000
200
69.545
1.680
2.000
18.000
201
6.500
445.582
» »
2.000
Total 3.941.957
En vue de ces faits et des observations qui précèdent, on se demande comment Calvin a pu
dire que cinquante hommes ne porteraient pas le bois de la vraie Croix, que la crédulité du ca-
tholique adore par tout l'univers ; et Luther, qu'avec les relique» de la vraie Croix, admises par la
282 3 mai.
même superstition, on ferait la charpente d'un immense bâtiment. Lorsqu'en effet il ne reste pas
dans le monde la dixième partie d'une seule croix, que penser des millions de dissidents à qui on
laisse croire ces singulières exagérations, que penser de la haute critique de nos célèbres penseurs
qui partagent ces préjugés et nous reprochent la légèreté de notre croyance? Voilà les humilia-
tions que l'on se prépare quand on prétend trouver Jésus-Christ en défaut. Quant à nous, après
cette étude, nous présentons l'histoire de la Croix de Jésus-Christ comme un témoignage irrécu-
sable de sa passion.
Les saints clous. — La première question qui se présente est celle du nombre de clous.
M. Rohault de Fleury cite plus de vingt auteurs et différents monuments pour prouver que Jésus-
Christ fut attaché à la croix avec quatre clous, et cela par les témoignages profanes comme par
celui des saints Pères, et des archéologues, des catacombes. (V. p. 166.) Les médecins qu'on a
consultés disent que le crucifiement des deux pieds par un seul clou ne serait guère praticable.
Les clous devaient être très-grands, pour que Notre-Seigneur invitât saint Thomas à y mettre son
doigt. Or, les clous de la passion conservés répondent à ces conditions.
En enlevant Notre-Seigneur, les clous ont dû être arrachés avant la déposition, car la tète des
clous n'aurait pu passer à travers les chairs. Les clous furent certainement jetés à terre a mesure
de l'avancement de la déposition, ainsi que la couronne et le titre. Or, tout ce qui venait de No-
tre-Seigneur était tellement précieux que ceux qui le déposèrent durent recueillir ces reliques
faciles à emporter, auxquelles ils joignirent plus tard les saints suaires et les linges innombrables
qui avaient du servir à l'ensevelissement de la victime divine. On peut, sur ce point, s'en rap-
porter au zèle attentif et si amoureux de l'auguste Mère de Dieu et des saintes femmes. Ce sont
ces objets que sainte Hélène recueillit, soit chez les pieuses fidèles, qui les avaient reçus de leurs
pères, soit dans le sépulcre.
Calvin- compte quatorze ou quinze saints clous, qu'il prétend que les catholiques reconnaissent
pour véritables; mais il en nomme plusieurs dont on n'avait point entendu parler avant lui; tels
sont : celui de l'église de Sainte-Hélène à Rome (cette église est la même que celle de la Sainte-
Croix) ; ceux de Sienne, de Venise, des Carmélites de Paris, de la Sainte-Chapelle, de Draguigoan,
du village de Tenaille (ce village est imaginaire).
Le vrai clou qui est à Rome, dans l'église de la Sainte-Croix, a été limé et n'a plus de pointe
aujourd'hui. On a renfermé cette limaille dans d'autres clous faits de la même manière que le
véritable, et, par ce moyen, on l'a en quelque sorte multiplié. On a trouvé encore un autre moyen
de le multiplier : c'a été d'y faire toucher des clous semblables, que l'on distribuait ensuite.
Saint Charles Borromée, prélat très-éclairé, et de la plus scrupuleuse exactitude en fait de reli-
ques, avait plusieurs clous faits comme celui que l'on garde à Milan, et les distribuait après qu'ils
y avaient touché. Il en donna un au roi Philippe 11, comme une relique précieuse. Il y a des
traces d'une pareille dévotion dans des siècles fort éloignés du nôtre. Saint Grégoire le Grand et
d'autres anciens Papes donnaient comme une relique un peu de limaille des chaînes de saint
Pierre ; ils eu mettaient aussi dans d'autres chaînes faites de la même manière. On lit dans le
P. Honoré de Sainte-Marie, un fait qui confirme encore ce que nous venons de dire. Il s'agit d'un
miracle authentique opéré par le moyen d'un cœur de taffetas fait à la ressemblance du cœur de
sainte Thérèse. L'auteur cité n'était point homme à tout croire indifféremment ; il occupe une
place distinguée parmi les critiques les piu> ju iicieux.
Revenons aux vrais clous que sainte Heid.ie avait trouvés avec la croix du Sauveur. Cette
pieuse princesse, étant en danger de périr sur la mer Adriatique, agitée par une violente tempête,
y jeta un des clous, qui calma les Dots sur-le-champ, Gregor. Turon., 1. i, glor. mari. c. 6. On
lit dans saint Ambroise, de obit. Theod. n. 47, et dans d'autres auteurs, que Constantin le Grand
en mit un au riche diadème qu'il portait aux jours les plus solennels, et un autre à une bride
magnifique de son cheval, le regardant comme un rempart assuré dans les périls de la guerre. H
y avait, au rapport de saint Grégoire de Tours, loc. cit. deux clous à la bride du cheval de
l'empereur. L'église métropolitaine de Paris possède deux morceaux de ces clous, l'un provenant
du trésor de l'abbaye de Saint-Denis, et l'autre de l'abbaye de Saint-Germain-des-Pres. Au moment
où le premier lui était rendu, Mgr de Quélen, archevêque de Paris, remarqua un petit morceau de
bois qui était adhérent. En examinant ce bois avec une loupe, on reconnut qu'il était de même
nature que celui du grand morceau de la vraie Croix, dont nous venons de parler et qui est main-
tenant à l'église de Notre-Dame.
M. Rohault, dans sa conclusion, nous assure que l'histoire n'a pas perdu de vue ces reliques.
Le cercle de fer de Mouza, où il y avait du vrai clou, le clou de Trêves complété par celui de
Toul, lui paraissent d'une authenticité incontestable. (V. p. 181.)
Le titre de la Croix. — Avec la vraie Croix, le titre de la Croix est une des reliques les plus
incontestables de la passion de Jésus-Christ. Ce titre nous a été conservé, au moins en partie no-
table ; et c'est un grand bonheur pour les chrétiens de pouvoir encore lire cette inscription, qui est
comme le sceau de notre histoire sacrée, dit M. Rohault de Fleury.
On lit dans Niquet (chap. 24, p. 152), cité par le mémoire où nous puisons si heureusement,
que l'opinion générale est que sainte Hélène avait envoyé ce titre, avec les autres reliques de la
passion, à Rome, avec une quantité suffisante de terre prise sur le calvaire pour couvrir l'empla-
INVENTION DE LA SAINTE CROIX.
283
cément où est aujourd'hui Sainte-Croix de Jérusalem à Rome, et que c'est de là que cette église
a pris son nom.
Un siècle après, Placidius Valentinius III, fils de Constance-César, neveu des empereurs Arca-
dius et Honorius, par leur sœur Galla-Placida, fille du grand Théodose, orna de mosaïque le lieu
OÙ sainte Hélène l'avait mis. Heureusement il avait été placé sous le sommet de l'arc de cette
église, où il resta pendant l'invasion des barbares sans attirer leur regard ; et même après cette
tempête, et pendant plusieurs siècles de tourmente, on le perdit de vue. Mais en 1492, le cardi-
nal de Sainte-Croix, faisant réparer cet édifice, les ouvriers découvrirent le riche trésor : ce fut
une joie universelle, et on vint le voir pendant trois jours. Il y a deux choses dans cette insigne
relique, l'enveloppe et la relique elle-même. L'enveloppe est un carré de brique en terre cuite de
trois cent vingt millimètres sur deux cent dix millimètres plus grande que le titre et pouvant par
conséquent bien cacher la niche où fut enfermée, pendant mille ans, la boite de plomb qui la
contenait. Sur cette brique on lit ces mots gravés au ciseau : Titulus crucis ; les lettres antique»
de cinquante millimètres de hauteur sont d'une belle époque.
11 faut remarquer qu'on ne possède à Rome qu'un fragment du titre qui représente le centre
de l'inscription en trois sortes de caractères, allant tous de droite à gauche : la ligne inférieure
laisse lire distinctement en latin :NAZARINVS RE. La seconde ligne en grec : nazapiînots; enfin, la
ligne supérieure ne laisse apercevoir que l'extrémité inférieure des lettres de la ligne superposée,
qui accusent des lettres hébraïques, qu'on ne peut plus lire. Il faut maintenant répoudre à des
difficultés que l'on a faites et qui réclament de sérieuses explications.
Le père Durand, qui vivait peu de temps après saint Louis, dit qu'il a vu à Paris une tablette
portant l'inscription tout entière : Jésus nazarenus Rex Judseorum. (Rationale, div. off., 1. VI,
p. 354.) Le moine Antonin, voyageant à Jérusalem avant l'invasion des barbares, dit aussi avoir
tenu de ses mains, dans l'église du Saint-Sépulcre, le titre de la Croix.
M. Rohault de Fleury répond par une explication qui me parait aplanir ces difficultés. C'est
que sainte Hélène a traité le titre comme elle avait fait de la Croix ; elle l'a divisé en plusieurs
morceaux, dont le centre a été offert à Rome, et les deux extrémités ont eu une autre destination.
L'une des extrémités est restée à Jérusalem, l'autre est venue à Paris. Et on peut ajouter que,
pour aider à la lecture de ce titre, on aura ajouté un morceau de bois en harmonie avec le mor-
ceau restant du vrai titre, et ainsi on aura pu dire qu'on avait lu le titre entier. Quant au mor-
ceau de Rome, il est resté dans son état incomplet, tel qu'il était dans son premier état de divi-
sion, et la lecture du titre entier ne se trouve que sur une plaque séparée, en terre cuite, et ces
lettres sont nécessairement antiques, et n'appartiennent pas au moyen âge.
Cette portion du titre de la vraie inscription qu'on voit à Rome porte avec elle un cachet de
son antiquité ; et tout ce qui l'accompagne nous dit que c'est une portion du titre qui fut placé
sur la croix de Jésus-Christ. Et disons avec M. Rohault de Fleury : Donc nous possédons, dans
son intégrité primitive, la relique donnée à Rome par sainte Hélène. Les objections de détail
auxquelles nous allons répondre avec le même auteur, augmentent, au lieu de diminuer, la mesure
d'authenticité et de véracité, car elles montrent les difficultés invincibles qu'aurait eu à sur-
monter un faussaire.
On a dit : A cette époque on ne mettait pas encore s pour i) en grec, ni la terminaison owç
pour os ; or, Gretzer et Montfaucon en ont montré plusieurs exemples. (Voir Mém., p. 193). On a
objecté qu'on ne trouvait plus d'écriture Boustrophédone dans la langue grecque et romaine, c'est-
à-dire de caractère allant de droite à gauche, et voilà que dans Pausanias et dans plusieurs ins-
criptions d'Italie, on en trouve des exemples. Qui oserait dire qu'un faussaire aurait eu la pensée
de se conformer à ces exceptions ? Il n'aurait eu garde de se donner cette apparence d'invraisem-
blance. On voit par là que l'écrivain du titre a été amené naturellement à suivre ce mode excep-
tionnel pour les deux dernières longueurs, parce qu'ayant commencé par écrire l'hébreu, il a mis
les deui dernières lignes en harmonie avec la première, parce que ce système n'était pas inconnu.
J'appelle cela prendre la sincérité sur le fait.
Il y a, au point de vue de la grammaire, diverses anomalies, dans cette écriture, qui nous con-
duisent également à conclure que ce titre est l'œuvre d'un soldat romain, qui a voulu par exemple
faire prononcer le u latin, ou en grec, dans Nazarenous. De quelque côté donc qu'on envisage ce
titre, c'est un titre certaiu et un témoin irrécusable de la passion de Jésus-Christ.
La couronne d'épines. — Cette insigne relique, peut-être la plus remarquable de celles que
possèdent les chrétiens, à cause de son intégrité relative, nous vient sans conteste de saint Louis
et est conservée dans le trésor de la cathédrale de Paris ; ici nous allons seulement un peu abré-
ger M. Rohault de Fleury. (P. 293.)
Comme les autres reliques de la passion, elle demeura cachée pendant les trois premiers siè-
cles sous les empereurs païens, aux yeux desquels on dérobait tout ce qui était saint pour les
Chrétiens. En 409, saint Paulin, évèque de Noie, en admettait l'existence comme un fait notoire;
saint Grégoire de Tours parait être le premier qui en ait parlé explicitement; le patriarche de
Jérusalem, vers l'an 800, envoya à Charlemagne un clou, des épines et un morceau considérable
de la Croix. Charles le Chauve donna ces reliques à l'abbaye de Saint-Denis. Une inscription du
xn« siècle, placée sur son tombeau, rappelle cette donation.
284 3 mai.
Au temps de la première croisade, pour engager les Latins à s'emparer de Constantinople,
Alexis Comnène écrivit, en 1100, à Robert, comte de Flandre, que l'on conservait beaucoup de
reliques insignes à Constantinople ; voici les reliques auxquelles il faisait allusion :
La colonne à laquelle Notre-Seigneur a été attaché ; le fouet dont il a été flagellé ; la robe de
pourpre dont il a été revêtu ; la couronne d'épines ; le roseau qu'on lui a donné pour sceptre ; les
habits dont ou l'a dépouillé ; une partie considérable de sa croix; les clous qui ont servi à son
crucifiement ; les linges trouvés dans son tombeau.
En 1228, l'empereur de Constantinople. Baudouin II, avait emprunté aux Vénitiens une somme
de 13,075 hyperberes correspondant à 156,900 livres de notre monnaie. Ne pouvant se libérer, il
s'adressa au roi de France qui paya la dette et devint possesseur des reliques que l'empereur avait
consignées comme gage entre les mains de ses prêteurs (1239).
Quelques années après, saint Louis ayant reçu de l'empereur Baudoin une portion considérable
de la vraie Croix avec d'autres reliques, fit bâtir sur l'emplacement de l'ancienne chapelle du
Palais celle qu'on voit aujourd'hui. Cet édifice, commencé vers 1241, et fini en 1248, coûta au
pieux monarque environ 40,000 livres de son temps, évaluées communément à 800,000 livres de
noire monnaie.
C'est dans le même temps que, par un singulier rapprochement, les Pisans consacrèrent un
reliquaire du même genre à une autre portion de la sainte couronne d'épines. Et la Santa-Maria
délia Spina de Pise est, comme la sainte chapelle de Paris, une merveille d'architecture ; c'est la
qu'ont été conservées deux parties de la couronne, suffisantes pour nous bien faire connaître cet
horrible instrument de supplice de Notre-Seigneur, et par une autre coïncidence, qui marque bien
l'instabilité des choses humaines, ni l'une ni l'autre châsse de marbre ou pierre n'a gardé jusqu'à
présent sa relique ; mais ces deux reliques sont entières, et les châsses restaurées pourraient en-
core les recevoir. (Rohault, p. 204.)
La châsse de Notre-Dame de Paris rappelle la mémorable histoire de la relique dont saint Louis
avait enrichi la fille aînée de l'Eglise. On lit sur la première face : « La sainte couronne de Jésus-
Christ, conquise par Baudoin à la prise de Constantinople, en 1204, engagée aux Vénitiens, en
12z8, fut rec,ue avec grande piété par saint Louis à Villeneuve, près Sens, le 10 août 1239 ». Sur
la seconde face : « Transférée de la Sainte-Chapelle à l'abbaye de Saint-Denis, en France, par
ordre de Louis XVI, en 1791, rapportée à Paris, en 1793, dépouillée à l'Hôtel des Monnaies et
portée à la Bibliothèque nationale en 1794, elle fut enfin restituée à l'église Notre-Dame, par
ordre du gouvernement, le 26 octobre 1804 ». Sur la troisième face : « Reconnue le 5 octobre
1805 par P. Dienzé et Ch.-N. Warin-Flot, vicaire général de Coutances, chargés en 1791 d'en
prendre une parcelle pour Port-Royal, elle a été transportée solennellement à l'église Notre-Dame,
par J.-B., cardinal de Belloy, archevêque de Paris, le 10 août 1806 ». Elle est renfermée dans un
anneau de cristal relié par du bronze doré et des fils de soie rouge.
La couronne elle-même se compose de petits joncs réunis en faisceaux. Le diamètre intérieur
de l'anneau est de deux cent dix millimètres ; la section a quinze millimètres de diamètre ; les
joncs sont reliés par quinze ou seize attaches de joncs semblables. Un fil d'or court au milieu des
attaches pour consolider ces pieux débris. Le diamètre des joncs, qui sont très-fins, varie de un
millimètre à un millimètre et demi, quelques-uns sont plies et font voir que la plante est creuse;
leur surface, examinée à la loupe, est sillonnée de petites côtes.
Voici maintenant une bien judicieuse réflexion de M. Rohault de Fleury. Indépendamment de
l'authenticité que l'histoire assure à la relique de Notre-Dame, l'espèce d'invraisemblance qui
l'environne au premier aspect et qui cesse bientôt après un examen attentif, prouve qu'elle était
vraiment la couronne de Notre-Seigneur. Si on eût voulu composer une couronne d'après l'idée
toute naturelle qu'on devait s'en faire, et que les peintures ont suivie sans réflexion, on n'au-
rait pas simulé un anneau de joncs au lieu d'épines, et on ne l'aurait pas fait d'ailleurs trop grand
pour la tète.
Pour bien comprendre la valeur de ce cachet d'authenticité, il faut que le lecteur sache que,
d'après les observations scientifiquement spéciales de M. Rohaut, il est constaté que la sainte
couronne de Paris n'est pas une couronne d'épines, mais un cercle en jonc, Juncus balticus, ori-
ginaire des pays chauds, et ce cercle trop large d'ailleurs pour être adapté seul à la tête de Notre-
Seigneur ne servit à la passion que de support pour y ajouter et superposer une couronne pleine
d'épines qui couvraient toute la tète et se rattachaient à ce cercle. Les épines étaient une espèce
de rhamnus.
D'après cette heureuse découverte, on comprend l'usage exact de la couronne de Notre-Dame ;
pourquoi elle est de nature différente des autres branches d'épines qui sont conservées dans di-
verses églises et qui furent la couronne proprement dite, et le vrai instrument du supplice ; on
n'est plus étouné de voir une couronne en apparence entière à Paris, et de plus, diverses petites
branches et des épines isolées et détachées en cent trois villes de la chrétienté ; mais la plus
notable partie se trouve à Pise, à Trêves et à Bruges. Celles de Trêves, venues de sainte Hélène,
ont un grand caractère d'authenticité, et ressemblent parfaitement à celles de Pise.
J'ajoute que j'ai été bien frappé en lisant le verset 14 du chap. ix des Juges, qui dit : Dixe-
runt omnia ligna ad rhamnum : Veni, et impera super nos. Est-il possible de ne pas y voir
INVENTION DE LA SAINTE CROIX. 285
le rôle que cet arbrisseau devait jouer dans la grande scène du calvaire ? Le rhamnus devient
le signe et l'illustration de la royauté de Jésus-Christ ; et cette royauté, le rhamnus l'a écrite avec
ua sang divin.
Les saintes robes de Trêves et d'Argenteuil. — Arrivons maintenant aux vêtements du Sau-
veur. Il est question, dans le récit de la pission, de sa robe tirée au sort, et c'était l'accomplisse-
ment d'une prophétie. Or, cette robe, nous la possédons encore comme une pièce à conviction ;
nous possédons avec elle plusieurs autres vêtements qui ont eu l'honneur de couvrir la sainte
humanité de Jésus-Christ.
Jésus-Christ devait avoir, selon la coutume des Juifs, une tunique, espèce de chemise sans
couture, une robe par dessus, semblable à la soutane des ecclésiastiques, et enfin un manteau,
vêtement extérieur qui s'enlevait aisément et ne se conservait pas dans l'intérieur des apparte-
ments. On regarde comme certain que Jésus-Christ, dans sa passion, n'avait conservé qu'un seul
de ses vêtements habituels, et dans deux circonstances il fut revêtu de robes de dérision, de la
robe blanche devant Hérode, et de la robe d'écarlate devant Pilate et le peuple juif.
Les villes de Trêves et d'Argenteuil possédaient chacune une tunique que l'on dit avoir appar-
tenu à Notre-Seigneur, et chacune croyait autrefois posséder la robe sans couture ; ce qui mettait
dans les esprits une confusion regrettable. Mais des études récentes ont démontré que les deux
peuvent être véritables, il est certain que la longue robe, conservée et honorée à Trêves, est
différente de celle d'Argenteuil. C'est la première qui est arrivée d'abord en Europe, parce que ce
fut sainte Hélène elle-même qui l'envoya à Ayvilius, évêque de Trêves.
On ne doit pas être surpris que la ville de Trêves ne puisse montrer de documents écrits cons-
tatant l'authenticité, qu'à partir du xne siècle. Qui ne conuait les malheurs de cette cité pendant
l'invasion des Barbares, particulièrement au Ve siècle ? Cent fois la possession de cette ville a été
disputée entre les Gaulois, les Francs, les Suèves, etc., et toujours elle a été victime de la part
des vaincus comme des vainqueurs. Comment chercher des monuments écrits sous ces décom-
bres ? Mais les traditions ont survécu, et toutes, dit M. Rohault, elles sont d'accord sur l'authen-
ticité des reliques.
Cependant l'église de Trêves a un monument écrit : c'est un diptyque en ivoire, ouvrage romain
de la décadence, qui représente l'introduction des reliques de Trêves dans cette ville et leur ré-
ception par sainte Hélène. En 1196, l'archevêque Jean, faisant travailler à la cathédrale, trouva la
cassette qui soutenait la sainte robe. A partir de ce moment jusqu'en 1512, elle resta sous le
maitre-autel sans être exposée ; et après bien des vicissitudes, de 1512 à 1810, elle revint à Trê-
ves d'où elle avait été éloignée pendant un siècle. La caisse contenant la sainte robe fut déposée
dans la chambre aux reliques et ouverte.
La haute antiquité du vêtement est évidente. La sainte robe est plus brune à l'intérieur qu'à
l'extérieur, blanchâtre en quelques places, grisâtre dans le reste. On crut n'y trouver aucune es-
pèce de couture ; mais le dos avait été couvert de gaze, parce que le tissu se défaisait ec beau-
coup de places, et que les fils pendaient. Les fils sont si fins qu'on les distingue à peine à l'œil
nu. La matière semble être des filaments d'orties. Longueur, un mètre cinquante-cinq centimètres ;
manche, soixante-treize centimètres ; largeur, au bas, un mètre seize centimètres. Lorsque cette
relique fut exposée en 1810, plus de deux cent mille pèlerins y affluèrent.
Les titres d'authenticité de la robe d'Argenteuil sont parfaitement établis et distribués de siècle
en siècle, de manière qu'on ne la perd pas de vue depuis Grégoire de Tours qui en fait l'historique
depuis l'origine. 11 dit que cette tunique, achetée par les fidèles, fut portée à une ville de Galatie,
province de l'Asie-Mineure, à cent cinquante milles de Constantinople. La reiique y était conser-
vée dans une basilique consacrée aux saints archanges, et dans un caveau secret, dans un coffre de
bois ; de là elle fut transportée à Jaffa pour être à l'abri des attaques du roi de Perse, marchant
sur l'Arménie et l'Asie Mineure, en 590, où il détruisait toutes les églises. L'an 594, cette robe
fut solennellement transportée à Jérusalem par trois patriarches, Grégoire d'Antioche, Thomas de
Jérusalem et Jean de Constantinople, et une foule de peuple. (Gretzer, 1. Ier, c. 97.) Vingt ans
après, Chosroès la prit et l'emporta eu Perse. Héraclius la reprit en 627, et la transporta à Cons-
tantinople, puis à Jérusalem, pour la rapporter enfin à Constantinople où elle était plus en sûreté.
L'impératrice Irène, envoyant de riches présents à Charlemagne, y comprit la tunique sans cou-
ture de Notre-Seigneur. Charlemagne avait une sœur nommée Gisèle, qui habitait depuis quelque
temps un monastère à Argenteuil, près de Paris, et dépendant de Saint-Denis. Théodrade, fille de
Charlemagne, se consacra à Dieu dans le même monastère, et l'empereur demanda qu'elle y fût
abbesse. Comme il aimait beaucoup cette princesse, il fit, en sa faveur, la translation solennelle
dans celte abbaye de la précieuse relique, le 13 août 800.
Le curé d'Argenteuil a eu la pensée malheureuse de diviser la sainte tunique en plusieurs par-
ties pour mieux la soustraire aux profanations, en sorte qu'il est aujourd'hui difficile de la resti-
tuer daos sa première forme. Mais les anciennes descriptions sont là qui nous disent ce qu'elle
était, c'est-à-dire la même forme que celle de Trêves, seulement un peu plus courte. Selon M. Da-
vin, le tissu est en poil de chameau assez lâche, et ressemble à du canevas dont les fils seraient
très-tors. Les fiis sont distribués à deux millimètres pour trois fils. Elle est faite à l'aiguille, tissée
de haut en bas dans toute son éteudue, sur le plus simple des métiers, telle qu'une tablette rece-
286 3 mm.
vant sur les deux faces la chaîne et la trame. Les bras n'étaient couverts qu'à moitié, et le vête-
ment pouvait descendre jusqu'au bas du genou.
Il semble démontré, dit M. Rohault, que Trêves possède la robe longue de dessus, tissée en
lin fin, ornée de dessins, etc., et Argenteuil, la tunique plus courte, sans couture, grossièrement
tissée d'un seul fil en poil de chameau. Toutes les deux ont été portées par Notre-Seigneur ; mais
c'est la dernière qu'il avait sur le Calvaire. Moscou croit posséder une robe de Jésus-Christ. Il
pourrait se faire que ce fût une partie du manteau, d'après ce que M. Prilejaëf a communiqué à
M. Rohault à ce sujet. Rien n'empêche qu'il y ait dans plusieurs autres lieux de3 reliques des
vêtements de Jésus-Christ ; car, en ajoutant les morceaux qui se trouvent à Saint-Praxède, à Saint-
Roch, à Rome, le vestiaire connu de Jésus-Christ n'est pas fort considérable, et assurément tout
ne nous est pas parvenu. A Venise, il y a un morceau de la robe blanche de dérision portée devant
Hérode. On montre à Saint-François de Philipo-Anagni, en Italie, à Saint-Jean de Latran et à
Samle-Marie-Majeure, des morceaux de la robe de pourpre, dont Notre-Seigneur fut revêtu dans
le palais de Pilate.
Les saints suaires. — Que n'a-t-on pas dit d'insultant contre la piété des fidèles et contre la
dignité de l'Eglise sur la facilité qu'on lui reproche de laisser exposer à la vénération des chré-
tiens un grand nombre de suaires, de robes et de voiles, comme instruments de la passion ? Ici,
eomme sur tant d'autres points de la croyance religieuse, des études plus approfondies apprendront
aux téméraires frondeurs qu'il est dangereux de condamner l'Eglise. Quand doue notre siècle
\oudra-t-il se résigner à ne prononcer des condamnations, que lorsqu'il aura bien connu les pièces
du procès?
oue nous dit l'histoire sur la manière d'embaumer chez les Juifs, du temps de Notre-Seigneur?
On aurait déjà pu savoir par saint Jean (chap. xx), que, dans l'embaumement des morts, on se
servait de plusieurs enveloppes ; on parle de linteamina au pluriel, et rie sudarium, autre objet
mis à part dans le sépulcre après la résurrection. Il faut donc se défaire d'une idée puisée dans
les usages modernes, qui ne représentent qu'un seul suaire pour un seul mort. Au chapitre XI,
44, saint Jean nous montre Lazare sortant du tombeau; mais il avait les pieds et les mains liés
avec des linges et des bandelettes. M. Rohault pense avec Langellé et bien d'autres savants, et
cela est incontestable, que la manière d'ensevelir les morts chez les Egyptiens fut pratiquée aussi
par les Hébreux et se conserva jusqu'au temps de Notre-Seigneur. Il y avait trois manières d'em-
baumer chez les Egyptiens. Selon Diodore, l'une coûtait un talent, cinq mille cinq cent francs ;
l'autre deux mines, mille huit cent cinquante-trois francs ; et la troisième, très-peu. Sans doute,
les momies égyptiennes, qui nous sont parvenues, avaient été l'objet d'un embaumement très-
soigné. On en peut voir le détail dans le même historien. (Liv. i", ch. 91.) Hérodote dit les mêmes
choses. Veut-on savoir quelle quantité de toile entrait dans ces somptueuses sépultures ? L'arabe
Abdallatif vous le dira. Il y en a, dit-il, où il entre plus de mille aunes de toile de chanvre. On
peut comprendre par là qu'on en faisait encore une dépense considérable, même dans les enseve-
lissements de deuxième classe. En 1867, tout Paris fut témoin, à l'exposition, du dépouillement
de momies qui donna une quantité prodigieuse de linges. Avant d'aller plus loin, insistons encore,
pour établir que, sur ce point, les usages des deux peuples étaient semblables. On peut dire qu'en
tout ce qui n'était pas défendu par la loi, les Hébreux avaient emprunté beaucoup au peuple chez
lequel ils avaient vécu plusieurs siècles, dont Moïse avait connu la science, dont la langue était
encore connue au temps d'Abraham, puisqu'il parlait au roi sans truchement. Voici ce que dit la
Genèse, et c'est un fait important (Genèse, cb. l, v. 2) : Joseph commanda à ses serviteurs et aux
médecins d'embaumer le corps de son père, et il fallut quarante jours pour terminer cet embau-
mement. C'était évidemment la méthode égyptienne, décrite par les historiens dont nous venons
de parler. La similitude des usages est donc bien établie. M. le chevaiier de Rossi a montré à
M. Rohault, dans le cimetière de Saint-Callixte, un corps embaumé et enveloppé tout à fait à la
façon égyptienne, et on sait que les inhumations des catacombes sont des premiers siècles de l'ère
chrétienne.
Peut-on croire maintenant qu'un homme riche, comme Joseph d'Arimathie, et les saintes femmes
n'ont pas prodigué ce qu'ils avaient de plus précieux chez eux, en bijoux, en aromates, en linges,
pour en faire honneur au Maître vénéré ?
Malgré le soin que prirent le bienheureux Joseph et les saintes femmes d'étancher le sang,
comme l'ensevelissement eut lieu immédiatement après la mort, il est très-vraisemblable de dire
que le sang a pu traverser plusieurs plis des linceuls et donner lieu à l'existence de plusieurs
suaires portant des empreintes, que l'on a vénérées dans différentes villes de la chrétienté, et on
peut affirmer que tous les linceuls ne sont pas parvenus jusqu'à nous. Si donc il est une chose qui
doit causer de l'étonnement, ce n'est pas qu'il y ait eu des saints suaires à Besançon, à Turin, à
Cahors, à Cadouin, à Carcassonne et à Rome ; mais qu'il n'en soit pas resté davantage, et cela
prouve la sincérité et la bonne foi des chrétiens, à qui il répugne naturellement d'employer la
fourberie dans une matière si grave. Sans doute la sainteté des choses n'en empêche pas l'abus ;
mais il faut qu'il y ait un intérêt humain considérable. Ici où serait-il ? L'excommunication menace
ceux qui en font trafic.
La santa scala, le roseau, l'éponge, la lance.— L'escalier du palais de Pilate fut transporté
INVENTION DE Là SAINTE CROIX. 287
k Rome par sainte Hélène, en 326, et déposé à Saint-Jean de Latran. En 850, saint Léon IV éta-
blit la dévotion de le monter à genoux. Comme on ne pouvait monter ces escaliers qu'à genoux,
les marches en étaient tellement usées qu'il a fallu les recouvrir de doublures de bois de noyer ,
ces doublures sont évidées par devant, de manière à laisser voir la relique, qui se compose de
vingt-huit marches en marbre blanc, dont les veines, légèrement grises, sont dans le sens de la
longueur des marches. Il n'y a pas de moulures sur le devant; elles ont, les huit premières, 3 m. 30 c.
de longueur ; et les autres, 2 m. 50 c.
Le dôme de Florence possède un petit fragment du roseau de la royauté dérisoire de Jésus-
Christ; un autre plus considérable, cent dix millimètres, est au couvent d'Andeschs, en Bavière,
et un autre de cent quatre-vingts millimètres au couveut de Watoped, du Mont-Athos. En réunis-
sant tous ces fragments, nous ne passons guère trois cent millimètres : le roseau devait dépasser
de beaucoup cette longueur. Ici encore, comme pour la plupart des saintes reliques, il y a eu
déperdition, au lieu de fausse multiplication.
A la prise de Jérusalem par les Perses, en 614, la sainte éponge fut portée à Constantinople
le 14 septembre de la même année. Saint Grégoire de Tours, quelques années auparavant, en parle
comme d'une relique que l'on vénérait publiquement à Jérusalem avec la lance et le roseau, la
couronne d'épines et la colonne, sans marquer le lieu où on les gardait. Le vénérable Bède l'a vue
à Jérusalem dans le calice de Notre-Seigneur, calice d'argent qu'on croyait avoir servi à la cène.
Un fragment de la sainte éponge est venu en France avec les reliques offertes à saint Louis ;
Saiut-Jacques de Compiègne en a eu une petite parcelle. On en voit aussi des fragments à Rome
dans les églises de Saint-Sylvestre, de Saint-Jean de Latran, de Sainte-Marie-Majeure, Sainte-
Marie in Transtevère, Saint-Marc et Sainte-Marie in Compitelli. Toutes réunies ne formeraient,
selon toute apparence, qu'une éponge assez médiocre de grandeur.
Du temps du vénérable Bède, la sainte lance était renfermée dans une croix de bois sous le
portique du Martyr, église construite par Constantin. L'évêque François-Adolphe l'a vue également.
Selon Grégoire de Tours, elle fut transportée de Jérusalem à Constantinople, au temps d'Héraclius.
En 1092, les croisés la trouvèrent à Antioche ; en 1243, Beaudouin en céda la pointe à saint Louis.
Une partie de la lance fut envoyée par Bajazet, en 1492, à Innocent VIII, qui la plaça à Saint-
Pierre de Rome, où elle est en grande vénération. Bajazet fit dire que la pointe était en France.
Benoît XIV fit venir de Paris la pointe de la sainte lance, afin de la rapprocher de la lance elle-
même, déposée dans la basilique de Saint-Pierre, et il constata que l'adaptation était satisfaisante.
La pierre où fut posée la croix ; — la pierre de l'onction. — Mgr Mislin a dénoncé une super-
cherie des Grecs. La cavité, qui est au sommet du calvaire, n'est pas celle où la croix fut plantée.
Dans le bouleversement arrivé dans l'incendie de 1808, ils enlevèrent la pierre dans laquelle avait
été enfoncée la vraie croix, pour la transporter à Constantinople, et mirent une autre pierre à la
place, et la véritable fut perdue dans un naufrage. Mais, si le zèle jaloux des chrétiens enlève
les pierres, on ne peut enlever les lieux.
En descendant du calvaire, on trouve immédiatement la pierre de l'onction sur laquelle Joseph
d'Arimathie embauma le co'-ps de Jésus. Longue de huit pieds, large de deux, elle est aujourd'hui
revêtue d'une table de marbre rouge qui n'a que quelques pouces d'épaisseur. Elle est entourée
de grands candélabres et de dix lampes en argent.
La colonne de la flagellation ; — le saint sang. — La colonne, à laquelle Jésus-Christ fut lié
pendant sa flagellation, se gardait anciennement à Jérusalem sur le Mont-Sion avec d'autres saintes
reliques. C'est ce que nous apprenons de saint Grégoire de Nazianze, or. i, in Julian., de saint
Paulin, ep. 34 ; de saint Grégoire de Tours, L i«, de glor. mort., c. 7 ; du vénérable Bède, de
locis sanctis, c. 3 ; de saint Prudence; de saint Jérôme, etc. Cette colonne se voit présentement à
Rome, à travers un grillage de fer, dans une petite chapelle de l'église de Sainte-Praxède. Suivant
une inscription placée au-dessus de la chapelle, elle y fut apportée, en 1223, par le cardinal Jean
Colonne, légat du Saint-Siège en Orient, sous le pape Honorius III. Elle est de marbre gris, et
longue d'un pied et demi. Elle a, dans sa base, un pied de diamètre et huit pouces seulement par
le haut. Le socle de la colonne est conservé dans le riche trésor de Saint-Marc, à Venise. On y
voit encore un anneau de fer auquel on attachait les criminels. Quelques-uns pensent qu'elle n'est
que la partie supérieure de la colonne dont parle saint Jérôme : mais on n'y aperçoit aucune
marque de fracture. Les Juifs fouettaient les criminels, premièrement sur le dos, ensuite (au moins
souvent) sur le ventre, puis sur les deux côtés. Il parait que la même chose s'observait chez les
Romains.
Le sangàe Jésus-Christ, que l'on garde en quelques endroits, et dont le plus fameux est celui
de Mantoue, provient de ce qui a quelquefois découlé miraculeusement des crucifix que des Juifs ou
des païens ont percés en haine du Sauveur. Ces miracles si touchants sont racontés et établis
d'une manière péremptoire dans des histoires fort authentiques. Voir saint Thomas, 1. m, p. 54,
a. 2, ad 5 ; et quod, l. V, a. 5 i.
Le saint bandeau.— M. Baras, curé de Saint-Ceré (Lot), a signalé à notre attention l'existence
1. Voir au martyrologe du 1er majt page u6 d9 ce volume, ce que nous disons du précieux sang de
Billom.
288 3 mai.
d'une précieuse relique de Notre-Seignenr Jésus-Christ, oubliée depuis longtemps, et que possède
une petite église de campagne, au diocèse de Cahors. Cette relique se rattache à la vie de saint
Namphase dont le tombeau est dans l'église de Caniac '. Saint Namphase fut le restaurateur de
l'abbaye de Marcillac à laquelle fut donnée, par Charlemagne, la précieuse relique dont nous par-
lons. C'est le saint bandeau dont furent couverts les yeux de Notre-Seigneur, dans la maison de
Caïphe, lors de la cène décrite par l'Evangile : « On commença à lui voiler la face, à le souffleter
et à lui demander qui le frappait ». La petite église de Saint-Julien de Lunegarde a le bonheur de
posséder cette insigne relique depuis plusieurs siècles.
Ce bandeau est un morceau de toile de lin assez long pour faire le tour de la tète, et large
d'environ dix centimètres; il présente de nombreuses taches de sang.
L'historien Dominicy, dans son ouvrage de Sudario capitis Christi, imprimé a Cahors en 1640,
dit : Asservatur in ecclesia S. Juliani de Lunegarde (cujus prœsentatio ad abbatem Marci-
liocensem pertinet), tenue vélum ex lino xgyptio ; idemque illud esse dicunt quo Christi
faciem milites obduxere, dùm per ludibrium colaphis cœderetur. Est et in eadem Ecclesia,
frusturn arundinis, ei in signum regni affectati, pro sceptro traditse, p. 47... Hanc porro
cœnobio Marciliacensi, cum vélo quo Christus eadem in cena obductus fuit, a Carolo Magno
illius monasterii restauratore olim vêtus affirmât traditio, eamque postmodum ecclesiœ de
Lunegarde, ab illius cœnobii abbatibus traditam, et locus ille (qui ab hoc monasterio ad hoc
pendet), vasta superioris Cadurcinii solitadi?ie et sylva horrenda obsitus, tantorum pignorum
gratia, a populis devotionis ergo adeuntibus in posterum frequentaretur... Sacras quamplures
reliquias in multis Galliarum ecclesiis (Carolum Magnum) deposuisse nemo potest inficiari,
illosque maxime ab oriente quxsitas, p. 50.
Ces textes si précis de l'historien du Quercy, acquièrent, à nos yeux, une nouvelle autorité d'un
monument qui m'a été communiqué par M. l'abbé Ayrales retiré à Saint-Chignes, paroisse de Saigros,
canton de Saint-Ceré. C'est un acte notorié sur parchemin dans lequel est rapporté : 1° la présenta-
tion faite par l'abbé de Marcillac d'un nommé Jeanny de Podio de Cardailhac en remplacement
d'un certain Valette, démissionnaire à la cure de Saint-Julien de Lunegarde ; 2° la nomination faite
de ce même de Podio (Dupuy probablement) à ladite cure, pour le frère et vicaire général de
Mgr Antoine d'Alamand, évêque de Cahors. Cet acte est de l'année 1468. — Cet acte suppose que
le droit de présentation, exercé par l'abbé de Marcillac, existait avant cette époque. Ne peut-on pas
conclure raisonnablement que le saint bandeau avait déjà été déposé à Lunegarde à une époque
antérieure à l'année 1468?
Je crois que Dominicy commet une erreur en parlant d'un fragment du roseau. Je suis con-
vaincu, comme le porte l'inscription attachée à la relique, que c'est de la vraie croix de Notre-
Seigneur Jésus-Christ qui fut déposée dans l'église de Saint-Julien de Lunegarde en même temps
que le saint bandeau.
Le titre authentique de ces reliques n'existe plus. M. Pons, curé de Lunegarde avant 1789, et
mort, je crois, en 1834, a dit, à plusieurs personnes qui me l'ont rapporté, « qu'il avait eu ce titre
en sa possession, mais qu'il l'avait perdu à l'époque de son émigration ». Ceci nous a été attesté par
feue Mme Pons de Reilhac, mère de M. Antoine Pons, notaire; par Mme feue Claretty, mère
de Mme Pégourié du Grand-Domaine, et par M. Laveyfflères, curé de Saint-Martin-le-Désarnat, ancien
curé de Lunegarde, précédemment vicaire de M. Pons.
Il est certain que de temps immémorial il y a eu des pèlerins se rendant, par dévotion, à
Lunegarde. 1° La fontaine, où les pèlerins vont encore puiser de l'eau, en est une preuve. Son
nom Font-Roumive veut dire fontaine des pèlerins, Font des Roumious. Au moyen âge, on
avait donné, dans le langage du pays, le nom de Roumious, qui va à Rome, à ceux qui entrepre-
naient un pèlerinage quelconque, parce que le pèlerinage de Rome étant le plus célèbre, on appe-
lait Roumious ceux qui s'y rendaient. Il existe, à Rocamadour, un chemin qu'on appelle lou Comi
dey Roumious. 2° Les vieillards, que j'ai connus à Lunegarde, m'ont affirmé que, de tout temps,
le pèlerinage avait été fréquenté, surtout avant la grande Révolution. On s'y rendait même de
l'Auvergne, comme l'a attesté un marchand colporteur de ce pays-là qui me disait « avoir entendu
dire à son grand-père, mort nonagénaire, alors qu'il était lui-même petit enfant, qu'on allait d'Au-
vergne en pèlerinage à Lunegarde ». Ce marchand s'appelait Andrieu et était âgé de plus de
soixante ans. Ce témoignage est antérieur à 1850. J'atteste, dit en terminant M. l'abbé Raras, la
vérité des témoignages ci-dessus.
Cf. La Bible sans la Bible, 2 gr.v. in-8o, 2e éd., Bar-le-Duc, 1871-72.
1. Caniacum et non Camiacum, comme on l'a imprimé par erreur dans la légende du Propre de
Cahors.
SAINT ALEXANDRE, PAPE, ETC.
SAINT ALEXANDRE, PAPE,
S. ÉVENCE, S. THÉODULE, PRETEES, StB BALBINE, S. QUIRIN,
St8 THÉODORA, S. HERMÈS, MARTYRS
108-117. — Empereurs : Trajan; Adrien,
Votre tristesse sera changée en Joie. — Le monde se ré-
jouira pendant que vous vous serez attristés, mais
votre tristesse sera changée en joie.
Comm. des Martyrs au temps pascal.
Saint Alexandre avait trente ans lorsque l'élection le porta sur le Saint-
Siège pour gouverner l'empire des âmes. Il était né à Rome dans la
région palatine, au quartier dit la Tête de Taureau *, ainsi nommée d'un
taureau de bronze érigé pour perpétuer le souvenir de la victoire de Marius
sur les Teutons ; son père s'appelait comme lui, Alexandre.
Les conversions merveilleuses qu'il opéra, surtout dans les rangs élevés
de la société, attirèrent sur lui l'attention des persécuteurs ; mais laissons
parler les Actes :
« Alexandre, qui siégea le sixième sur la chaire du bienheureux Pierre,
apôtre, était un homme d'une sainteté incomparable ; jeune d'années, il
était vieux par la foi. La grâce divine lui concilia tellement l'affection de la
ville de Rome, qu'il convertit à Jésus-Christ un grand nombre de sénateurs.
Une de ses premières conquêtes fut le préfet de Rome, Hermès, qu'il bap-
tisa avec sa femme, sa sœur, sainte Théodora et ses fils, et douze cent cin-
quante esclaves qui leur appartenaient, en un seul jour de Pâques. Avant
de recevoir l'eau régénératrice, Hermès leur rendit à tous la liberté ; ils
continuèrent à servir libres celui qu'ils avaient servi esclaves ; Hermès leur
distribua tous ses biens. Cependant l'empereur Trajan venait d'envoyer à
Rome le chef de sa milice, Aurélianus, avec ordre de mettre à mort tous
les chrétiens. Dès son arrivée, les prêtres païens vinrent lui dénoncer le fait ;
Hermès et le pape Alexandre furent jetés dans un cachot. Sur leur passage,
la foule, soulevée par les pontifes idolâtres, poussait des cris de mort :
Qu'on les brûle vifs ! disait-elle. Ce sont eux qui rendent nos temples dé-
serts et qui ont détourné des millions d'hommes du culte des dieux ! — Le
préfet de la ville, Hermès, fut remis à la garde du tribun Quirinus. Com-
ment, lui disait ce soldat, un patricien tel que vous, un lieutenant de l'em-
pereur, avez-vous pu perdre à plaisir un poste éminent, pour l'échanger
contre des chaînes réservées aux plus vils criminels ? — Hermès lui répon-
dit : Je n'ai pas perdu ma préfecture, je n'ai fait que la déplacer. Une di-
gnité terrestre est soumise à toutes les vicissitudes de la terre ; une dignité
céleste est éternelle comme Dieu même. — Quoi ! s'écria le tribun, avec
la sagesse que nous admirons en vous, vous avez pu vous laisser séduire par
une doctrine si insensée ! Vous croyez qu'il reste quelque chose de nous
l. Capnt Tanri.
Vies des Saints. — Tome V. 19
290 3 mai.
après cette vie, quand notre corps est réduit en cendres qu'il suffit d'un
souffle pour disperser? — Moi aussi, dit Hermès, il y a quelques années, je
riais d'une telle espérance et n'estimais que cette vie mortelle. — Mais, re-
prit Quirinus, qui donc a pu vous faire changer de sentiment? quelles
preuves avez-vous eues pour croire? faites-les-moi connaître ; je croirai
peut-être à mon tour. — Hermès répondit : Tu as en ce moment sous ta
garde le prisonnier qui m'a convaincu ; c'est Alexandre. — A ces mots,
Quirinus éclata en malédictions contre Alexandre, et s'écria : Mon cher
maître, illustre Hermès, je vous en conjure, rentrez dans votre grade ; re-
venez à vous-même; votre patrimoine, votre famille, toute votre maison
vous seront rendus. Alexandre n'est qu'un imposteur ; Aurélianus m'a
chargé de vous dire que, si vous consentiez à sacrifier aux dieux, rien n'est
perdu pour vous. Je vous demandais quelles preuves avaient déterminé votre
résolution, et vous me nommez un misérable magicien, un scélérat que j'ai
fait jeter dans une basse fosse ! Est-il bien vrai que vous ayez pu être séduit
par cet artisan de crimes ? Mais un paysan serait à peine le jouet d'un pareil
Samardachus l qui bientôt sera brûlé vif 1 S'il était si puissant, que ne se
délivre-t-il lui-même, et vous avec lui ? — Les Juifs, reprit Hermès, ont dit
la même parole à Jésus-Christ, mon maître, quand il fut sur la croix : Qu'il
descende, disaient-ils, et nous croirons en lui ! Or, si Jésus-Christ n'avait
pas eu horreur de leur perfidie et s'il n'avait pas connu clairement leur
mauvaise foi, il serait réellement descendu de la croix en leur présence, et
leur serait apparu dans toute sa majesté. — Eh bien ! dit Quirinus, s'il en
est ainsi, je vais à votre Alexandre, je lui dirai : Veux-tu que je croie à ton
Dieu ? Je vais faire tripler le nombre de tes chaînes ; trouve-toi alors à
l'heure du souper dans la cellule d'Hermès. Si je vois un tel miracle, je
croirai. — Le tribun se rendit dans le cachot d'Alexandre, lui fit cette pro-
position, et, après avoir doublé les gardes à sa porte, le laissa. Alexandre se
mit en prières : Mon Seigneup et mon Dieu ! vous qui m'avez fait asseoir
sur le siège de Pierre, votre apôtre, vous m'êtes témoin que je ne veux
point me soustraire à la passion et à la mort qui m'attendent. Accordez-
moi seulement de me conduire ce soir à votre serviteur Hermès, et faites
que demain matin je sois de retour dans ce cachot. — Or, à l'entrée de la
nuit, un enfant, tenant une torche allumée, apparut au prisonnier, le prit
par la main, ouvrit la fenêtre scellée et le conduisit à la cellule d'Hermès ;
les deux Martyrs, miraculeusement réunis, se mirent en prières, et Quiri-
nus, apportant le repas du soir, les trouva dans cette attitude. Sa stupeur,
son effroi, ne lui permirent pas d'articuler une parole ; il paraissait fou-
droyé. Tu as voulu un miracle pour croire, lui dirent-ils ; tu vois le mira-
cle. Crois donc à Jésus-Christ, Fils de Dieu, qui exauce ses serviteurs, et
qui a promis de leur accorder tout ce qu'ils lui demandent. Quirinus avait
eu le temps de reprendre ses esprits. C'est peut-être là, répondit-il, un des
prestiges de votre magie ? — Quoi ! dit Hermès, est-ce donc par notre vo-
lonté que nous aurions pu briser, sans laisser de traces, les portes de ton
cachot? Tu as triplé tes gardes, et cependant nous voici ensemble. Crois
donc enfin ; il n'y a pas d'autre magie que la puissance de Jésus-Christ, ce
Dieu qui rendait la vue aux aveugles, guérissait les lépreux et ressuscitait
les morts ! — Le tribun se sentait ému : J'ai, dit-il, Balbina, ma fille, que je
comptais marier bientôt. Il lui est survenu un goitre au cou ; guérissez-la
et je croirai en Jésus-Christ. — Alexandre lui dit : Détache cette chaîne de
1. Ce terme de mépris, usité dans le langage vulgaire de cette époque, représente assez bien notre
expression de charlatan.
SAINT ALEXANDRE, PAPE, ETC. 291
fer qui lie mon cou, fais-la toucher à ta fille, et elle sera guérie. — Quiri-
nus hésitait, il ne savait s'il voulait laisser les deux captifs réunis. Referme
la porte de la cellule, à la manière accoutumée, lui dit le Pontife ; demain
matin je serai dans mon cachot. — En effet, le lendemain, à la première
heure du jour, Quirinus ouvrit la porte du cachot d'Alexandre. Le geôlier
n'était pas seul, Balbina, sa fille, miraculeusement guérie, l'accompagnait ;
il se prosterna aux pieds du saint Martyr, et, fondant en larmes, il dit :
Seigneur, je vous en conjure, intercédez pour moi le Dieu dont vous êtes
l'évêque, afin qu'il me pardonne mon incrédulité passée ; voici ma fille,
votre servante, j'ai fait ce que vous m'avez dit, elle est guérie \ ».
Quirinus était converti. Alexandre lui demanda : Combien y a-t-il de
captifs dans cette prison ? — Environ une vingtaine, répondit le tribun. —
Informe-toi s'il en est quelques-uns, parmi eux, qui aient été incarcérés
pour le nom du Christ. — Quirinus fit cette enquête et revint bientôt dire
au Pontife : Il y a un prêtre âgé nommé Eventius, et un autre venu d'Orient,
nommé Théodulus. — Va, lui dit Alexandre, et amène-les-moi. — Le tri-
bun ne se contenta pas d'amener à Alexandre les deux prêtres ; il réunit
autour du saint Pontife tous les autres prisonniers : Ceux-ci, dit-il, sont des
voleurs, des adultères, des assassins, tous chargés de crimes. — Cest pour
les pécheurs, dit Alexandre, que Jésus-Christ, Notre-Seigneur, est descendu
du ciel, il nous appelle tous à la pénitence et au pardon. — Commençant
alors à les instruire, il leur parla avec tant de force et d'efficacité, que, tou-
chés de ses paroles, ils demandèrent le baptême. Alexandre chargea les
prêtres Eventius et Théodulus de les recevoir au nombre des catéchumènes
et de continuer leur instruction. Bientôt Quirinus, Balbina, sa fille, tous les
membres de sa maison et tous les captifs, reçurent le baptême ; la prison
fut changée en une église. Le greffier, commentariensis, dénonça à Aurélia-
nus tout ce qui venait de se passer. Ce lieutenant impérial fit appeler Qui-
rinus : Je te voulais du bien, lui dit-il, tu m'as indignement trompé ; te
voilà la dupe de cet Alexandre ! — Je suis chrétien, répondit Quirinus. Vous
pouvez me flageller, me trancher la tête, me jeter aux flammes, je ne serai
jamais autre chose ! Tous les prisonniers qui étaient sous ma garde sont
chrétiens comme moi. J'ai supplié le pontife Alexandre et le patricien Her-
mès de quitter leur cachot, je leur en ai ouvert les portes, ils s'y sont refu-
sés ; ils aspirent à la mort comme un affamé à un festin ; maintenant, faites
de moi ce que vous voudrez. — Insolent ! dit le magistrat romain, je vais te
faire couper la langue et t'appliquer à la torture. — Quirinus eut en effet la
langue coupée, et fut étendu sur le chevalet ; après ce supplice, on lui
coupa successivement les mains et les pieds ; enfin Aurélianus donna l'ordre
de le décapiter et fit jeter son corps aux chiens. Durant la nuit, les frères
enlevèrent secrètement ces précieux restes et les ensevelirent dans le cime-
tière de Prétextât, sur la voie Appienne. Balbina, fille de Quirinus, consacra
sa virginité au Seigneur. Un jour, Alexandre la vit baiser respectueusement
la chaîne de fer qui l'avait miraculeusement guérie : Cessez, lui dit-il, de
baiser cette chaîne. Cherchez plutôt les fers que le bienheureux Pierre a
portés, vous pourrez leur prodiguer vos hommages. — La vierge n'oublia
pas cette recommandation du Martyr. Après de longues et pénibles recher-
ches, elle découvrit enfin les chaînes de l'Apôtre et les légua depuis à la pa-
tricienne Théodora, sœur d'Hermès. Celui-ci eut la tête tranchée par ordre
d' Aurélianus. Théodora recueillit ses restes et les ensevelit dans la cata-
1. Bolland., Acta Sanct,, Alexandri, papce, c. 1-3.
292 3 MAI.
combe de l'ancienne voie Salaria1, près de Rome, le 5 des calendes de sep-
tembre. Aurélianus fit saisir tous les prisonniers baptisés par Alexandre ; on
les embarqua sur un navire désemparé, qui fut coulé en pleine mer1».
Aurélianus s'était réservé Alexandre, et les deux prêtres Eventius et
Théodulus, pour les interroger avec plus de soin. « Je veux », dit-il au pon-
tife, « apprendre de ta boucbe tout le mystère de votre secte. Explique-moi
comment, au nom de je ne sais quel Christ, vous courez au-devant des chaî-
nes et de la mort. — Ce que vous me demandez, répondit Alexandre, est le
secret des Saints. Et il nous a été dit : « Ne livrez pas les saints mystères
aux chiens ». — Je suis donc un chien 1 s'écria Aurélianus. — Hélas ! reprit
Alexandre, le chien meurt tout entier ; il n'a point de compte à rendre
après la vie ; il n'a point d'âme immortelle qui puisse être condamnée à une
éternité de souffrances. Mais l'homme, formé à l'image de Dieu, se doit aux
obligations qu'un tel privilège lui impose ; des supplices éternels sont ré-
servés à ses crimes. Dignitaire de l'empire, vous puniriez un audacieux qui
aurait outragé, dans une de vos statues, la majesté du fonctionnaire public.
Cependant, mortel vous-même, les châtiments que vous infligez ne sauraient
dépasser la mort temporelle. Mais Dieu est éternel, ses sentences ont l'é-
ternité pour sanction et pour durée. — Ce n'est point là répondre, dit Au-
rélianus. Je t'ai nettement interrogé. Parle, ou je vais te livrer aux fouets
des licteurs. — Quoi ! dit Alexandre, vous prétendez m'arracher, par des
menaces, la révélation de nos mystères ! C'est à moi que vous tenez un pa-
reil langage ! Mais, en dehors de mon Roi qui est aux cieux, nulle puissance
ne saurait me faire trembler. Sachez que les chrétiens subissent toutes les
tortures, sans prononcer une seule parole qui puisse trahir le secret de leur
foi. Ils le livrent pourtant tout entier à la docilité des humbles disciples. —
Aurélianus crut devoir faire intervenir la toute-puissance impériale, dont il
était le représentant. Trêve de subterfuges ! dit-il. Tu n'es point devant un
juge ordinaire. Je suis le délégué de Trajan, le maître du monde. — Prenez
garde, dit Alexandre. La toute-puissance, dont vous vous faites gloire, sera
bientôt réduite à néant». — La prophétie du saint Pape devait se réaliser
bientôt par la mort imprévue d' Aurélianus et de l'empereur lui-même ; mais
en ce moment elle exaspéra le fonctionnaire. « Misérable 1 s'écria-t-il. J'ai
trop tardé à sévir. Tu vas expirer dans les tourments. — Qu'importe ! ré-
pondit Alexandre. Ne sait-on pas que tel est le sort que vous réservez à l'in-
nocence? Vous n'accordez la vie qu'à ceux qui abjurent le nom de Jésus-
Christ, mon Dieu. Or, je n'aurai point cette lâcheté. Il me faut donc périr
par vos mains. Je mourrai, comme Hermès, ce patricien que le martyre a
mis véritablement au rang des clarissimes. Je mourrai, comme Quirinus, ce
vrai tribun du Christ, et comme ces glorieux régénérés qui viennent de
monter aux cieux ! — Voilà précisément ce que je te demande, dit Aurélia-
nus. Pourquoi, vous autres chrétiens, préférez-vous la mort à toutes les
offres que je puis vous faire ? — J'ai déjà répondu, dit Alexandre : Non licet
sanctum dare canibus. — Encore cette injure ! s'écria Aurélianus. Assez
de vaines paroles ! Licteurs, faites votre office ! — Alexandre fut étendu sur
le chevalet ; on lui déchira les flancs avec des ongles de fer, et on avivait
les plaies saignantes avec des torches enflammées. Le Martyr souriait, en
priant. — Insensé, lui dit le magistrat. Tu n'as pas quarante ans I Pourquoi
1. On sait qu'il y avait deux voies Salaria, distinguées l'une de l'autre par les expressions vêtus et
no>m. (Voir la savante nomenclature des catacombes, dressée selon l'ordre des voies romaines, par M. Edni.
de l'Hervilliers : A travers les catacombes de Rome, p. 5-7.)
2. kct. S. Alex., cap, 3.
SAINT ALEXANDRE, PAPE, ETC. 293
perdre à plaisir ton existence ? — Plût à Dieu, dit le Martyr, que vous ne
perdiez pas vous-même votre âme immortelle ! — En ce moment la femme
d'Aurélianuslui envoya dire : Mettez Alexandre en liberté. C'est un Saint. Si
vous persistez à le torturer, la vengeance divine éclatera sur vous, et j'aurai le
malheur de vous perdre. — Alexandre est jeune ! répondit Aurélianus. De-
mandez à ma femme si telle n'est pas la raison du tendre intérêt qu'elle lui
porte ». — En réalité, la femme d'Aurélianus était chrétienne, et son mari
l'ignorait. « Quand le Pontife, épuisé par la perte de son sang, fut descendu
du chevalet, on amena Eventius et Théodulus. Aurélianus s'adressa à
Alexandre : Dis-moi, lui demanda-t-il, qui sont ceux-ci ? — Ce sont deux
Saints, deux prêtres, répondit Alexandre. — Comment te nommes-tu, dit
le magistrat à Eventius ? — Mon nom parmi les hommes est Eventius, re-
prit le prêtre. Mais je suis chrétien, et tel est mon nom spirituel. — Depuis
quand es-tu chrétien ? ajouta Aurélianus. — Depuis soixante-dix ans. J'ai
été baptisé à l'âge de onze ans ; à vingt ans je fus ordonné prêtre. J'ai main-
tenant quatre-vingt-un ans. Cette dernière année de ma vie a été la plus
heureuse pour moi, car je l'ai passée dans un cachot, pour le nom de mon
Dieu ! — Prends pitié de ta vieillesse, dit Aurélianus. Abjure le Christ ; j'ho-
norerai tes cheveux blancs, tu seras l'ami de l'empereur, et je te comblerai
de richesses. — Eventius répondit : Je vous croyais quelque sagesse, mais
votre cœur est aveuglé ; il refuse de s'ouvrir à la lumière divine. Cependant
il est temps encore ; embrassez la foi véritable ; croyez en Jésus-Christ, fils
du Dieu vivant, et il vous sera fait miséricorde. — Le magistrat fit éloigner
Eventius, sans lui répondre. Théodulus reçut l'ordre d'approcher du tribu-
nal. Et toi aussi, dit-il, voudras-tu compter pour rien les ordres que je te
donne au nom de l'empereur ? — Ni vous, ni vos ordres, ne sauriez m'ef-
frayer ! s'écria Théodulus. Qui êtes-vous, vous qui torturez les Saints de
Dieu ? Qu'a fait Alexandre, le saint pontife, pour mériter les supplices que
vous lui avez infligés ? — Espères-tu donc y échapper toi-même ? demanda
Aurélianus. — A Dieu ne plaise, s'écria Théodulus. Jésus-Christ ne me refu-
sera pas la grâce d'être associé à ses martyrs ! » — Cette parole fit naître
dans l'âme d'Aurélianus une pensée qu'il crut merveilleuse. Il donna l'ordre
d'attacher dos à dos Alexandre et Eventius, et les fit jeter tous deux dans
une fournaise ardente. Quant à Théodulus, il voulut qu'on le tînt près du
four embrasé, pour y être témoin de leur supplice, mais sans le partager.
Cependant le miracle des compagnons de Daniel se renouvela en ce mo-
ment. « Du milieu des flammes, Alexandre s'écria : Théodulus, mon frère,
viens à nous ! L'ange qui apparut aux trois jeunes Hébreux est ici à nos cô-
tés, il te garde une place ! — A ces mots, Théodulus, échappant aux soldats,
se précipita dans la fournaise. On entendait les trois Martyrs, libres dans les
flammes, chanter la parole du Psaume : « Seigneur, vous nous avez éprou-
vés par le feu, et il ne s'est trouvé en nous aucune iniquité ! » — Aurélianus,
furieux de ce prodige qu'il attribuait à un pouvoir magique, les fit retirer
de la fournaise. Eventius et Théodulus eurent la tête tranchée. Alexandre,
réservé à un supplice plus douloureux, eut tout le corps percé lentement
par des pointes d'acier, jusqu'à ce qu'il rendît l'âme. Aurélianus insultait à
leurs cadavres, quand il entendit une voix du ciel qui lui disait : Ces morts,
que tu outrages, sont maintenant dans un lieu d'éternelles délices, mais toi
tu vas descendre en enfer ! — Saisi d'horreur, le magistrat rentra dans son
palais, tremblant de tous ses membres. Il appela Severina, sa femme. J'ai
cru voir, lui dit-il, un jeune homme au visage étincelant; il a jeté à mes
pieds comme une épée flamboyante, et m'a dit : Aurélianus, tu vas mainte-
294 3 mai.
nant recevoir ta récompense ! — Un tremblement nerveux s'est emparé de
moi. La fièvre me dévore. Que faire ? Invoque ton Dieu pour moi ; prie-le
de me faire miséricorde. — Severina répondit : J'irai moi-même ensevelir
les saints Martyrs, ils intercéderont pour nous. — Elle alla donc, et dans
un de ses domaines, au septième milliaire de Rome, sur la via Nomentana ;
elle déposa de ses mains Eventius et Alexandre dans le même tombeau.
Théodulus fut enseveli seul, dans un sépulcre à part. Les prêtres de Rome
et tous les fidèles avaient accompagné les corps des Martyrs. Ils demeurè-
rent réunis, pendant que Severina revint en toute hâte près de son époux.
Aurélianus était en proie au plus violent délire ; une fièvre ardente le con-
sumait ; des paroles incohérentes sortaient de ses lèvres ; parfois cependant
il lui échappait des imprécations contre lui-même; il se reprochait son
crime. — Infortuné, dit Severina, vous avez méprisé mes conseils ! La main
de Dieu s'appesantit sur vous ! — Bientôt Aurélianus expira dans des con-
vulsions atroces. Severina se revêtit d'un cilice ; elle vint se prosterner sur
la tombe des Martyrs, et ne voulut plus quitter ce lieu. Plus tard, lorsque
le pontife Sixte fut arrivé d'Orient, elle obtint qu'un évêque y célébrerait
chaque jour les saints mystères. Voilà pourquoi un prêtre est demeuré jus-
qu'à ce jour attaché à cet oratoire. Or, le martyre des saints Alexandre,
Eventius et Théodulus , eut lieu le cinq des nones de mai (3 mai 117).
Gloire à Dieu dans les siècles des siècles. Amen 1 ! »
Tels sont les Actes de saint Alexandre qui ont été retrouvés au xvra6 siè-
cle dans un manuscrit de la bibliothèque du Vatican : ce sont les premiers
d'un Pape qui aient échappé à l'incendie des archives chrétiennes ordonné
par Dèce et Dioclétien. Les détails qu'ils renferment sont merveilleusement
confirmés par la découverte du tombeau de saint Alexandre et de saint
Evence, qui a été faite à Rome, sur la même voie de Nomente, en 1844, 1860
et 1864 2.
On représente saint Alexandre Ier percé d'aleines ou de clous qui sont
enfoncés dans la poitrine.
Suivons maintenant jusqu'au terme de leur carrière glorieuse les autres
personnages que nous avons vu figurer dans le drame émouvant des Actes
du saint Pontife.
Sainte Balbine, la fille spirituelle d'Alexandre, après avoir passé le reste
de sa vie comme un ange, employant ses biens à la nourriture des pauvres
chrétiens, remit son âme à l'Epoux des vierges en l'année 169, le 31 mars,
jour auquel le Martyrologe romain lui fait l'honneur de la mentionner.
Son corps virgisal fut enseveli près des restes du Martyr, son père, sur
la voie Appienne.
On représente sainte Balbine : prenant en main les chaînes du pape
saint Alexandre ; ou bien, le Pape lui met ses chaînes sur le cou, à côté
de saint Quirin, son père. On l'invoque contre les écrouelles, dont saint
Alexandre la guérit miraculeusement.
On représente saint Quirin avec un bras coupé ; — on lui donne quelque-
fois un cheval et une armure, sans doute pour rappeler sa qualité de chevalier
romain ou de tribun militaire ; — un faucon refuse de toucher à sa langue,
qu'on lui jette en aliment ; et des chiens, à ses membres, qu'on leur donne à
dévorer. Un ancien tableau qui se trouvait autrefois dans le chœur des chanoi-
nesses nobles de saint Quirin à Nuyss rappelait l'épisode de la langue offerte
au faucon. Un auteur ajoute mpme le curieux détail que voici : On recou-
1. Act. S. Alex., cap. 4; Bolland., 3 maii.
t. Cf. Darras, Histoire de l'Eglise, vu.
SAINT ALEXANDRE, PAPE, ETC. 295
rait à saint Quirin pour la guérison des fistules, scrofules, appelées grâces de
saint Quirin. Les maîtres de saint Quirin, c'est-à-dire les infirmiers chargés
de soigner les malades qui venaient à Nuyss chercher leur guérison, ne pou-
vaient manger des œufs et de la volaille tant que durait le traitement. Un
autre tableau représentait le martyr traîné au supplice par dix chevaux : ces
animaux gagnèrent à cela d'être souvent délivrés de la morve par « le be-
noît saint ».
Saint Quirin est particulièrement honoré à Cologne où il y avait de ses
reliques dans l'église de Saint-Pantaléon, dans celle de Saint-Alban et dans
cinq autres ; à Zulpich, à Mayence, à Paris, près de Louvain, à Lille, à
Tongres, à Floresse, à Bruxelles, à Nuyss, à Corregio et dans la Lorraine,
etc. On l'invoque, en outre, contre la paralysie, les maux de jambes, et en
Brabant, contre les maux d'oreilles.
Dans un abrégé de la vie et du martyre de saint Quirin, publiée en
1847 *, on trouve sur les reliques de ce bienheureux et sur celles de sainte
Balbine, sa fille, d'intéressants détails, dont voici un résumé succinct. Lg
saint pape Léon IX, Brunon de Dachsbourg, auparavant évêque de Toul,
vivement sollicité par Pépa, sa sœur ou sa mère, qui l'était venue visiter à
Rome, consentit à lui donner les corps de saint Quirin et de sainte Balbine,
dont elle souhaitait enrichir le couvent de Nuyss, non loin de Cologne, dont
elle était abbesse. Lors de son retour, arrivée un soir à quelque distance de
Dachsbourg, aujourd'hui Dabo, le mulet qui portait les châsses s'arrêta
sans plus vouloir avancer ; force fut de déposer avec toute la décence pos-
sible le vénérable fardeau, que le lendemain on ne put soulever, malgré de
vigoureux et persévérants efforts. Pépa, reconnaissant à tel signe que Dieu
avait des vues de miséricorde pour le pajrs où elle se trouvait, fit élever une
chapelle au lieu même du dépôt et y laissa les corps du père et de la fille,
dont néanmoins elle emporta les chefs à Nuyss. La pieuse abbesse confia la
garde de la chapelle et des saintes châsses à une personne dévouée à l'en-
tretien du nouveau sanctuaire. Après la mort de la fidèle gardienne, l'abbé de
Marmoutiers, en Alsace, la remplaça par un de ses religieux, puis ensuite fit
transporter les reliques dans son abbaye. Mais les populations de la contrée,
attribuant à cet enlèvement les calamités qui vinrent les affliger, adressè-
rent de vives réclamations au comte de Dachsbourg qui, les ayant trans-
mises en y joignant les siennes, à l'abbé de Marmoutiers, obtint la restitu-
tion des châsses protectrices. De son côté, l'abbé représenta au comte qu'il
serait plus convenable d'en confier la garde à deux ou trois religieux qui
serviraient le Seigneur auprès de ces insignes reliques. Le comte souscrivit
au désir de l'abbé ; il bâtit le prieuré de Saint-Quirin où elles furent hono-
rablement placées et autour duquel s'éleva le beau village qui porte son
nom*. Les grâces nombreuses et signalées, obtenues par l'intercession des
deux Martyrs, ont fait de cette localité le but d'un pèlerinage considérable
qui n'a pas discontinué.
Une parcelle des reliques de saint Quirin a été replacée dans la chapelle
primitive, nommée la Chapelle haute, dans laquelle les pèlerins ne manquent
pas d'aller prier. Il en existe une autre dans l'église champêtre de Saint'
Hilaire, au canton de Saint-Nicolas-de-Port 8.
1. Conversion et martyre de saint Quirin et de sainte Balbine, sa fille, etc., par M. Vagner, ln-12 de
60 pages, Nancy, 1847.
2. Arrondissement de Sarrebourg (Jleurthe).
3. Ces détails sur le culte de saint Quirin, en Lorraine, nous ont été fournis par M. l'abbé Guillaume,
aumônier de la Chapelle ducale, à Nuncy.
296 3 mai.
Nous avons déjà vu sainte Théodora rendre les devoirs de la sépulture
chrétienne à son frère, Hermès, le préfet de Rome, converti. Le lieu où elle
l'ensevelit s'appelait la Rue du Sel. Le pape Pelage II y fit ouvrir plus tard
un cimetière qui porta le nom de Saint-Hermès. On n'a pas de détails au-
thentiques sur le reste de la vie de sainte Théodora. On sait seulement
qu'après avoir été régénérée dans les eaux du baptême, elle renonça aux
plaisirs et disposa de tous ses biens en faveur des pauvres. Elle fut égale-
ment mise à mort pour la foi, les uns disent en 117, les autres en 133;
mais si c'est en 133, elle ne peut avoir été condamnée par le préfet Auré-
lien, comme le disent quelques auteurs, puisque ce bourreau des chrétiens
alla rendre compte à Dieu , peu après avoir envoyé au supplice saint
Alexandre et l'illustre phalange de ses disciples.
Le culte de sainte Théodora est mieux établi que sa vie. Vers le milieu
du xvne siècle, les religieuses Ursulines de Caen, désirant enrichir leur cha-
pelle de quelques reliques, supplièrent le pape Alexandre VII, de leur accor-
der le corps d'un martyr et d'une vierge martyre. On venait précisément de
découvrir les cendres sacrées de saint Marin, jeune sénateur romain, de
sainte Théodora et de saint Hermès, son frère. Sa Sainteté, condescendant aux
vœux des pieuses filles de Sainte-Ursule, leur envoya les corps des deux pre-
miers : la réception solennelle en fut faite à Caen, le 10 septembre 1656.
Echappées aux recherches des révolutionnaires de 93, ces saintes reliques
reçoivent encore de nos jours les hommages des chrétiens, dans la chapelle
des religieuses Ursulines de Caen. Ce saint dépôt ne saurait être nulle part
mieux placé que chez ces épouses du Christ, dont tous les efforts tendent à se
sanctifier elles-mêmes et à sanctifier les autres en formant des jeunes filles
pour Dieu et la famille.
Les Ursulines de Caen célèbrent, par une permission spéciale, la fête de
sainte Théodora le premier dimanche non empêché après Pâques, et le pre-
mier dimanche de septembre, elles solennisent la fête de la double transla-
tion des reliques de saint Marin et de sainte Théodora.
ÉPITRES ET RÈGLEMENTS DISCIPLINAIRES DE SAINT ALEXANDRE.
1° Saint Alexandre eut à combattre deux sortes d'hérétiques, les Doeètes et les Héracléonites.
Les premiers niaient la réalité de la passion du Sauveur : c'est contre eux qu'est dirigé son
premier règlement écrit, ordonnant de faire mention de la passion, dans le saint sacrifice, par ces
mots : Qui pridie quam pateretur jusqu'à la consécration. Comme il le dit lui-même, c'était la
simple confirmation d'un usage traditionnel, — a patribus accepimus, — mais de peur que les
hérétiques n'arguassent d'ignorance, il coupa court à leurs innovations par le glaive de la pa-
role écrite.
« Dans l'oblation des Sacrements », dit-il, « qui se fait à la solennité de la messe, il convient
de faire mémoire de la passion du Seigneur... L'oblation du sacrifice doit consister uniquement
dans le pain et le vin mêlé d'eau. Les Pères nous ont appris que le calice du Seigneur ne doit
point être rempli de vin seul, ni d'eau seule, mais du mélange de l'un et de l'autre. La raisoa
en est facile à comprendre : c'est que du cœur ouvert de Jésus-Christ s'échappèrent à la fois d>
sang et de l'eau... »
2° Héracléon dogmatisait en Sicile. C'était, en moins d'un siècle, le dix-huitième hérésiarque
qui s'en prenait à l'œuvre divine de Jésus-Christ. Il enseignait que le baptême conférait une grâce
inamissible : on voit que le quiétisme date de loin. Les évèques de Sicile en référèrent au Pape
qui eomposa un traité contre Héracléon, et envoya un saint prêtre nommé Sabinianus le leur porter.
Sabinianus eut, avec l'hérésiarque, une conférence publique dans lequel il le réduisit au silence.
Cet important fait historique a été mis en lumière par l'érudition non suspecte d'un savant français,
le Père Sirmoud *.
3° Décrétale relative à l'eau bénite, instituant l'usage de la conserver dans les maisons
chrétiennes.
1. Cf. Baluzii, Nov. col. conc, t. ier, p. 3, et Mansi, Conc. collect., t. ie».
LA BIENHEUREUSE EMILIE BICCHIERI. 297
On a fait des dissertations à perte de vue sur l'origine de l'eau bénite : on a voulu y voir
l'intention de sanctiâer l'usage païen de l'eau lustrale : c'est de l'érudition inutile, car si l'on avait
lu, en France, les lettres de saint Alexandre, — ses décrétales si l'on veut, — on y aurait vu que
le paganisme n'a rien à voir dans cette question, et que l'origine de l'eau bénite procède directe-
ment du cérémonial hébreu transformé par les Apôtres, adapté à la liturgie de ceux qui croient
en esprit et en vérité. « Je ne suis pas venu détruire la loi », disait le Maître, « mais la compléter ».
Ses disciples se ressouvenant de ce précepte du Lévitique (n, 13) : « Dans toute oblation au Sei-
gneur, tu mêleras du sel », en ont mêlé à l'eau. Le sel, qui était chez les Juifs le symbole de la
sagesse, devenait, pour les chrétiens, le symbole de Jésus-Christ lui-même, la sagesse incréée. De
plus, les premiers chrétiens n'avaient-ils pas appris de saint Paul à étendre les mains en forme de
croix, pour prier, et à les purifier par une ablution préalable ; ce que nous faisons encore aujour-
d'hui en entrant dans nos églises : or, où est-il question d'eau lustrale dans les épitres de saint
Paul (I Tim., n, 8 ; Tertullien, de orat., cap. 2), et surtout les doctes Annales de Baronius;
Y Histoire de l'Eglise, par M. l'abbé Darras, t. vu ; Acta Sanctorum, 1. 1", de mai ? Le Père Giry
avait dit, en peu de mots, la même chose que nous : preuve que la prétendue critique moderne n'avait
pas entraîné toutes les convictions en attaquant, de parti pris, les documents primitifs.
Les décrétales de saint Alexandre Ier se trouvent au tome v de la Patrologie grecque de
M. Migne,
Acta Sanctorum, 3 mai; Darras, Eist. de l'Eglise, t. vu; notes locales.
LA BIENHEUREUSE EMILIE BICCHIERI,
DU TIERS ORDRE DE SAINT -DOMINIQUE
1314. — Pape : Clément V. — Duc de Milan: Matthieu Ier, Visconti.
O charmante fleur de virginité, qui dès vos tendres
années ayez Drille dans le jardin de Dieu à l'égal
d'un lis; vous dont l'âme habitait déjà le ciel,
pendant que votre corps était encore enchaîné a
la terre, faites-moi la grâce de marcher sur vos
saintes traces.
Vie de la bienheureuse, par la soeur Mathilde.
Apud Boll.
Emilie naquit le 3 mai 1238, à Verceil, de Pierre Bicchieri et de Alésia
Borromée, aussi distingués par leur naissance que par leur fortune. Elle
était la quatrième de sept sœurs que Dieu donna à ses parents. Toutes se
marièrent avantageusement : seule Emilie devait suivre une voie qui est
d'ailleurs celle de l'exception. Dès ses jeunes années elle se montra douée
d'heureuses qualités que développa une éducation chrétienne. Elle se dis-
tingua de bonne heure par une tendre dévotion à l'égard de la sainte
Vierge, et sa mère étant morte, elle pria Marie de lui servir de mère. On la
vit s'appliquer dès son enfance à la pratique de la mortification et du
silence. Elle parlait peu afin d'avoir plus de temps à consacrer avec Dieu. A
des oraisons fréquentes elle joignait le jeûne et la pratique du renoncement
et de la charité. Elle aimait ardemment les pauvres et mettait en œuvre,
afin de les soulager, tous les moyens qui étaient en son pouvoir. Bicchieri
était fier de sa fille, et cherchait à lui procurer un établissement avanta-
geux, mais cela n'entrait pas dans les desseins d'Emilie qui voulait se con-
sacrer à Dieu. Agée seulement de quatorze ans, elle va trouver son père, se
jette à ses pieds et le conjure de la laisser entrer en religion. Le père sur-
pris refuse d'abord son consentement, et puis vaincu par ses sollicitations,
lui accorde ce qu'elle demande.
298 3 mai.
Dès lors se regardant comme séparée du monde et consacrée à Dieu,
elle se mit à mener dans la maison de son père la vie d'une véritable reli-
gieuse. Son choix n'était pas encore fixé. Elle se décida plus tard pour
l'Ordre de Saint-Dominique, et son père lui ayant fait bâtir un monastère,
elle y entra avec plusieurs compagnes qui étaient venues se ranger sous sa
conduite. Après un an de noviciat, elle prenait l'habit du Tiers Ordre de Saint-
Dominique et cessait toute relation avec le dehors, ne voulant plus recevoir
que son père : malheureusement elle le perdit peu de temps après, et malgré
sa douleur profonde, montra une grande résignation à la volonté de Dieu.
Ses compagnes la choisirent pour leur supérieure et n'eurent pas à s'en
repentir, tant elle leur montra de tendresse et d'affection. Remplie d'une
profonde humilité, elle partageait avec ses filles les travaux les plus vils et
les plus abjects de la maison. Elle tenait beaucoup à l'exacte observance de
la règle et au respect envers les supérieurs ecclésiastiques : elle regardait
son confesseur comme l'interprète des volontés de Dieu sur elle et ses filles.
Connaissant à fond chacune de ses sœurs, elle les traitait d'après le degré
de perfection auquel elles étaient parvenues. Mais il est une chose qu'elle
demandait à toutes indistinctement : la pureté d'intention. Elle voulait
aussi qu'elles eussent pour but en toutes leurs actions la gloire de Dieu.
Elle mettait tous ses soins à entretenir en elles une parfaite charité. Elle
avait pour cela établi une coutume touchante au milieu de sa commu-
nauté : la veille des fêtes, chaque religieuse se mettait à genoux devant ses
compagnes, et leur demandait pardon des mauvais exemples qu'elle leur
avait donnés et des peines qu'elle leur avait causées.
Les constitutions du monastère de Sainte-Marguerite (tel était le nom
de cette nouvelle fondation), portaient que les jours de jeûne on ne pou-
vait pas même boire de l'eau en dehors des repas, sans la permission de la
supérieure. Celle-ci, qui était fort versée dans la connaissance des voies spi-
rituelles, quelquefois la refusait, quelquefois l'accordait. Elle ne man-
quait jamais de dire qu'une mortification, une abstinence qu'on s'impose
par pure obéissance est du plus grand profit pour la vie éternelle. Elle en-
seignait aussi à offrir cette mortification à Jésus-Christ, en mémoire de la
soif qu'il éprouva sur la croix. Elle allait jusqu'à supplier ses religieuses de
vouloir bien réserver ce soulagement pour l'autre monde, de le déposer
entre les mains de leur ange gardien, afin qu'il l'appliquât au rafraîchisse-
ment de leurs âmes lorsqu'elles seraient en purgatoire. Un exemple vint
prouver l'efficacité, le mérite de cette excellente pratique. Sœur Cécile Mar-
guerite Avogadro de Quinto se montra à mère Emilie trois jours après sa
mort. Or, la mère Emilie avait quelquefois refusé à cette sœur la permis-
sion de boire : quelque pénible que fût ce refus, selon les instructions de
la supérieure, sœur Cécile offrait sa mortification à Jésus crucifié. Mais à
peine était-elle morte, que son ange gardien se montrant à elle au travers
des flammes du purgatoire, il les éteignit presqu'entièrement à l'aide de
l'eau dont elle s'était privée sur la terre. Elle resta trois jours seulement
dans le lieu d'expiation, à cause de l'affection trop charnelle qu'elle avait
eue pour sa propre mère : cette tache effacée, elle en fut aussitôt tirée à
cause des mortifications qu'elle avait pratiquées par obéissance.
Ses filles n'étaient pas seules l'objet de sa charité ; elle s'occupait égale-
ment des pauvres et des affligés. Mais autant elle était douce et charitable
envers les autres, autant elle était sévère envers elle-même, ne vivant que
de privations. Dieu récompensait tant de vertus par des faveurs extraordi-
naires. Un jour de fête que sa charité l'avait retenue près d'une sœur ma-
LA BIENHEUREUSE EMILIE BICCHIERI. 299
laile, pendant que toutes ses sœurs participaient nu banquet de l'Agneau,
elle s'affligea fort d'être privée de la communion. S'étant rendue à l'église
avant que l'office fût terminé, elle se prosterna devant le crucifix et se plai-
gnit avec amour d'être ainsi privée de la nourriture céleste, qui fait ger-
mer et soutient la virginité. Aussitôt un ange descendit du ciel, lui donna
la communion de ses propres mains; ce dont toutes les sœurs furent té-
moins. La mère Emilie fit alors entonner l'hymne d'actions de grâces, per-
suadée que ses religieuses devaient être bien agréables à Notre-Seigneur,
pour que ce bon Maître les rendît ainsi témoins de ses aimables privautés
envers elle. Comment raconter toutes les faveurs dont Dieu la combla, soit
pour son profit, soit pour celui du prochain ? C'est ainsi qu'elle guérit subi-
tement plusieurs'de ses sœurs en leur donnant sa bénédiction, et arrêta un
incendie en faisant le signe de la croix sur les flammes.
Mais le don des miracles ne fut pas la seule grâce spéciale que Notre-
Seigneur accorda à sa servante. Elle goûtait dans la prière tant de douceurs,
qu'elle se fût jour et nuit adonnée à ce pieux exercice, sans les obliga-
tions de sa charge et les devoirs de la vie commune. Elle suppléait la nuit
à ce qu'elle n'avait pu faire le jour, et souvent sa prière était une extase
continuelle. Or, il arriva, dans le temps que le ciel se communiquait ainsi
à son âme, que le pays de Verceil était désolé par des pluies incessantes. On
avait fait des prières spéciales, institué des neuvaines, le tout sans résultat.
Une nuit que la bienheureuse Emilie suppliait la sainte Vierge de venir au
secours de ses compatriotes, cette bonne Mère lui apparut au milieu d'un
ciel pur et serein, la consola et lui enseigna une formule, une suite de
prières auxquelles elle attacha une efficacité certaine pour elle et pour tous
ceux qui les réciteraient contre les orages. Nous donnerons cette formule
à la suite de la vie de la bienheureuse Emilie. Une autre fois qu'elle était
en prières dans sa cellule, et qu'elle demandait avec supplication à la sainte
Vierge de lui apprendre la manière de prier, la Reine des anges lui apparut
encore et lui dit : « Ma fille bien-aimée, la douceur de tes paroles m'attire
vers toi. Tu veux savoir quelle serait la prière la plus agréable à mon Fils.
Eh bien 1 apprends que tu lui plairas beaucoup, si, rappelant à ton souvenir
ses trois longues oraisons de Gethsemani, tu récites trois Pater et trois Ave;
si tu lui rends grâce pour les souffrances qu'il a endurées, son agonie, la
sueur du sang, et si tu pries pour ceux qui, luttant contre les dernières
étreintes de la mort, sont sur le point de rendre l'âme ». A partir de ce mo-
ment, elle ne manqua pas un seul jour à cette pratique, et en retira de
grandes consolations.
Elle voulut aussi savoir de Notre-Seigneur, quelle était celle des dou-
leurs de sa passion qui avait été le plus aiguë. Ce bon Maître lui assura qu'il
avait enduré la plus vive de ses souffrances, pendant les trois heures qu'il
était resté suspendu à la croix. Il promit en même temps d'accorder le
don des trois vertus théologales aux personnes qui, à trois heures du soir,
réciteraient trois Pater et trois Ave en mémoire de sa crucifixion.
Un autre jour que la bienheureuse Emilie méditait le mystère du cou-
ronnement d'épines, elle demanda à Notre-Seigneur de lui faire éprouver
ce qu'il avait enduré lui-même dans cette circonstance. Le Sauveur lui ré-
pondit par la bouche d'un crucifix, qu'elle était exaucée. Lorsqu'elle quitta
la prière, elle sentit un si violent mal de tête, qu'elle fut obligée de se
mettre au lit et d'y rester trois jours, au bout desquels sainte Madeleine et
sainte Catherine lui apparurent et lui donnèrent à boire d'une eau qui dis-
sipa le mal de tête et la soif ardente qui l'accompagnait.
300 3 mai.
La bienheureuse Emilie tomba malade à l'âge de soixante-seize ans. Elle
comprit que sa fin approchait, elle redoubla de ferveur dans la pratique de
toutes les vertus et se montra un modèle accompli de résignation chré-
tienne. Après avoir reçu les derniers Sacrements, après avoir adressé
quelques paroles à ses sœurs, les avoir toutes embrassées l'une après l'autre,
elle rendit son âme à Dieu en 1314. Son corps resta huit jours exposé à la
vénération des fidèles, et plusieurs infirmes qui s'en approchèrent recou-
vrèrent aussitôt la santé. Clément XIV approuva son culte en 1769.
Formule de prières, enseignée par la sainte Vierge à la Mère Emilie, contre la tempête et
les trop grandes pluies :
1° Faire une procession dans laquelle on portera le cierge pascal, avec la croix et l'eau bénite;
bénir les quatre coins du ciel et dire à chaque bénédiction :
Credo in Deum patrem, etc.
Et verbum caro factum est et habitavit in nobis.
Per signum Crucis, de inimicls nostris libéra nos Par le signe de la Croix, ô notre Dieu, de'livrez-
Deus noster. f In nomine Patrls et fllii et Spiritus nons de nos ennemis. Au nom du Père, etc.
Sancti. Amen.
2° Au retour de la procession, réciter les litanies de la sainte Vierge, et l'hymne :
Maria, Mater gratiae, Marie, Mère de grâce,
Mater misericordiœ. Mire de miséricorde,
Tu nos ab hoste protège, Protégez-nous contre l'ennemi,
Et ruortis hora suscipe. Amen. Et à l'heure de la mort, recevez-nous entre vos
[bras. Ainsi soit-il.
Cf. Acta Sanctorum, t. ni de mai, nonv. édit.
LE BIENHEUREUX ALEXANDRE, RELIGIEUX CISTERCIEN,
A FOIGNY DANS LE DIOCÈSE DE LAON (XIIIe siècle).
Le bienheureux Alexandre était Bis d'un roi d'Ecosse, et le plus jeune de trois frères qui avaienl
fléià embrassé la vie religieuse. Sainte Mathilde, leur sœur, qui, elle aussi, courait dans les voiea
in Seigneur, tint au jeune Alexandre le discours suivant : « Eh quoi ! mon frère, pendant que
tous nous avons échangé la terre pour le ciel, serez-vous le seul de notre famille à vous attacher
aux biens périssables d'ici-bas ?» — Le jeune homme se mit à pleurer : la lutte entre la chair et
l'esprit était pénible. A la fin, il dit à sa soeur « de faire de lui ce qu'elle voudrait ». La pieuse
princesse le prit par la main et le conduisit à une ferme où elle lui fit apprendre à traire le lait,
ï obtenir le beurre et à faire le fromage. Quand l'apprentissage fut fini, tous deux passèrent la
mer et s'en vinrent à Foigny, en France. Le jeune homme entra chez les Cisterciens en qualité de
berger et se donna comme très-expert dans l'art de faire le fromage. Il fut accepté pour tel, vécut
et mourut dans cette humble fonction. Sainte Mathilde, en quittant son frère, lui avait dit un
éternel adieu, en lui faisant observer que leur sacrifice serait bien plus agréable à Dieu, s'ils ne
se revoyaient jamais sur la terre.
Or, il arriva, après la mort du bienheureux Alexandre, qu'un religieux, atteint d'une maladie
de poitrine, eut la pensée d'aller prier à son tombeau. La foi du poitrinaire fut récompensée : le
bienheureux Alexandre lui apparut éclatant comme un soleil, portant deux couronnes, l'une sur la tète,
l'autre à la main. Comme le religieux avait l'air de demander du regard ce que signifiait ce double
symbole, le Bienheureux lui dit : a La couronne que je porte à la main est la couronne terrestre
que j'ai abandonnée pour l'amour de Jésus-Christ; l'autre est celle des élus; elle m'est commune
avec tous les Saints. Pour te donner confiance en cette vision, sois guéri ». Il guérit en effet,
mais ne révéla qu'au lit de la mort l'apparition dont il avait été favorisé. On se rappela alors une
prouesse cynégétique du berger du monastère ; car un jour qu'un énorme sanglier s'était jeté à la
traverse dans son troupeau de vaches, il demanda son coutelas au chasseur essoufflé qui le pour-
suivait et, d'un coup adroitement porté, abattit l'animal. En rapprochant ce fait de la vision du
religieux, on arrivait à une presque certitude. Sainte Mathilde, du reste, n'était pas loin : elle s'était
retirée dans les environs en uu endroit nommé Lapion et d'elle on apprit toute la vérité.
Acta Sanctorum, 3 maii.
MARTYROLOGES. 301
IV JOUR DE MAI
MARTYROLOGE ROMAIN.
A Ostie, le bienheureux décès de sainte Monique, mère de saint Augustin, qui a laissé, dans
le neuvième livre des Confessions, le témoignage irrécusable de la sainteté de sa vie. 387. —
Aux mines de Phenno, en Palestine, la naissance au ciel du bienheureux Sylvain, évêque de Gaza,
qui reçut la couronne du martyre, avec plusieurs membres de son clergé, dans la persécution de
Dioclétien, par l'ordre du César Maximien-Galère. 311. — De plus, trente-neuf bienheureux Martyrs,
condamnés aux mines en ce même lieu, qui, après avoir souffert les rigueurs du fer chaud et
d'autres tourments, furent décapités avec lui. — A Jérusalem, saint Cyriaque, évoque, qui, étant
allé visiter les Saints-Lieux, fut tué sous Julien l'Apostat. — Dans l'Ombrie, saint Porphyre,
martyr '. Règne de Dèce. — A Nicomédie, la fête de sainte Antonie, martyre, qui souffrit une
question excessivement dure, et, entre autres supplices, fut suspendue par un bras pendant trois
heures, puis détenue dans un cachot l'espace de deux ans; et enfin, par l'ordre du gouverneur
Priscillien, fut consumée par les flammes pour sa persévérance à confesser le Seigneur. — A
Lorck, en Autriche, saint Florian, martyr, qui, sous Dioclétien, et par l'ordre du gouverneur
Aquilin, fut précipité dans l'Ens, avec une pierre au cou. — A Tarse, sainte Pélagie, vierge,
qui fut enfermée dans un bœuf d'airain ardent, et accomplit ainsi son martyre. IVe s. — A Colo-
gne, saint Paulin, martyr 2. — A Milan, saint Vénère, évêque, dont saint Jean Chrysostome a fait
connaître les vertus dans une lettre qu'il lui écrivit. 408. — En Périgord, saint Sacerdos ou
Serdon, évêque de Limoges. — A Hildesheim, en Saxe, saint Godard ou Gothard, évêque
et confesseur, mis au nombre des Saints par Innocent IL 1038. — A Auxerre, saint Curcodème,
diacre ». me s.
MARTYROLOGE DE FRANCE, REVU ET AUGMENTÉ.
A Turin, la fête de l'adoration du saint Suaire. — A Bordeaux, fête de saint Macaire, évêque
régionnaire, disciple et ami de saint Martin de Tours, envoyé par lui en Aquitaine pour y prêcher
Jésus-Christ. Ses reliques sont conservées dans la cathédrale de Bordeaux *. Il avait d'abord été
enseveli dans l'église Saint-Laurent de Lengon d'où le comte Guillaume le Bon le fit, plus tard,
transférer à Bordeaux : la légende rapporte que, pendant cette translation, les cierges restèrent
allumés en dépit des vents et de la pluie 5. — Dans tout l'Ordre des Minimes, la canonisation de
saint François de Paule, faite par le pape Léon X, le premier jour de mai, l'an de grâce 1519, et
le douzième après sa mort. — En Palestine, plusieurs Religieux français, massacrés sur le Mont-
Thabor. 1113. — A Verdun, les saints évèques Pulchrone, Possesseur et Firmin. C'est aujourd'hui
le jour de leur translation 6. — A Auxerre, saint Marse, saint Alexandre, S. Jovinien, et autres
clercs, compagnons de saint Curcodème, dont il est parlé dans la vie de saint Pèlerin. — A Tours,
saint Antoine, abbé et confesseur, qui, après avoir passé plusieurs années au monastère de Saint-
Julien de Tours, alla vivre en reclus en un lieu nommé plus tard de son nom Saint-Anloine-
du-Rocher. vie s. — A Senlis, saint Malulfe ou Malou, évêque de cette ville, qui donna un bel
exemple du pardon des injures en allant ensevelir de ses propres mains le roi Chilpéric,
assassiné à Chelles et abandonné de tout le monde, bien que ce prince eut, de son vivant, refusé
1. Ses Actes disent qu'il évangélisa la ville de Camerino et convertit entre autres saint Venant, dont
tl est fait mention au 18 mai. Aussi le représente-t-on accompagné de ce jeune Saint.
2. On le tient pour diacre et disciple de saint Materne. Au xnie siècle, une église fut élevée à Co-.
logne en son honneur et en l'honneur de sainte Cécile.
3. Voir la Vie de saint Pèlerin, au 16 de co mois.
4. M. Cirot de la Ville, lettre du 7 avril 1870. — 5. Propre de Bordeaux, 1855. — Saint Macaire,
dont on fait la fête le 4 mai a Bordeaux, ami et disciple de saint Martin de Tours, fut envoyé par lui en
Aquitaine. Il mourut à Langon, sur la Garonne. Une ville s'éleva sur l'autre rive du fleuve qui prit la
nom de Saint-Macaire. On l'honore comme Pontifo.
«. Voir, aa 30 avril, la Vie de saint Pulchrone.
302 4 mai.
nne simple audience au saint évêque. Fin du vie s. — Au même lieu, saint Candide, successeur
du précédent et autrefois honoré le même jour que lui. — Dans l'abbaye de Foigny, au diocèse de
Laon, saint Alexandre, prince d'Ecosse et convers de l'Ordre de Citeaux. — A Carcassonne, sainf
Lupin, chanoine et confesseur, dont le corps se voit dans la cathédrale dédiée sous le nom de
Saint-Nazaire. On en fait la fôte l'avant-veille de l'Ascension. ix« s. — Au Parc, monastère près
de Louvain, sainte Catherine, vierge, qui, ayant été convertie du judaïsme à la foi chrétienne, par
une assistance particulière de la Mère de Dieu, vécut très-saintement dans cette retraite, et y devint
illustre par beaucoup de miracles. — A Troyes, sainte Hélène, vierge, dont les reliques furent
apportées à Constantinople en 1209. — A Liessies, le bienheureux Guntrand, premier abbé de la
célèbre abbaye de ce nom. Elle avait été fondée en sa faveur par ses propres parents. Après l'année
764. — Au même lieu, sainte Hiltrude, sœur du précédent, qui renonça, de son côté, au monde
et se retira dans une cellule où, à l'exemple de saint Benoît visitant sainte Scholastique, son frère
allait quelquefois s'entretenir avec elle des choses du ciel, vin» s. — A Saint-Wandrille, arrondis-
sement d'ivetot, saint Gervol, quinzième abbé de Fontenelle ; il fit construire un grand nombre
d'églises dans la vallée où se trouvait l'abbaye. Fin du vin8 s. — Au monastère de l'Arivoir
fondé par saint Bernard, près de la même ville, sainte Jeanne, recluse, dont les reliques y furent
apportées en 1246. — A Avignon, la translation des reliques de sainte Anne. — A Angers, saint
Godebert et saint Aglibert, évêques, dont on a fait la fête, dans l'église Saint-Serge, jusqu'à la
Révolution. Fin du vn« s.
MARTYROLOGES DES ORDRES RELIGIEUX.
Martyrologe des Basiliens. — A Païenne, la translation des reliques de saint Jean Thériste,
de l'Ordre de Saint-Basile, dont la mémoire est honorée dans notre Ordre le 25 juin.
Martyrologe des Chanoines réguliers. — A Ostie, sainte Monique.
Martyrologe des Augustins. — A Ostie, sainte Monique, qui fut deux fois la mère de saint
Augustin, puisqu'elle l'enfanta au monde et au ciel...
ADDITIONS FAITES D'APRÈS LES BOLLANDISTES ET AUTRES HAGIOGRAPHES.
Fête de l'Enfant Jésus, retrouvé au temple. — Fête de la couronne d'épines de Notre-Seigneur
Jésus-Christ. — A Bologne, sainte Trifiné, martyre, dont le corps y fut transporté de Rome en
1650. — Au même lieu, la fête des saints martyrs Paulin, Fulgence, Innocent, Fortunat, Erasme,
"Valentin, Pacifique dont les reliques y furent portées de Rome en 1662. — A Foligno, en Orobrie,
les saints martyrs Héraclée, Juste et Maur, soldats et martyrs, qui furent convertis par l'évèque de
cette ville, saint Félicien, sous le règne de l'empereur Dèce. — A Enée, en Carie, saint Ulpien,
évêque de cette ville, qui eut le corps percé de broches rougies au feu. — A Scythopolis, ancienne
ville de Palestine, les saints Aphrodise, Melde, Macrobe, Valérien, Léonce, Antonin et soixante de
leurs compagnons, martyrs. — A Lucques, saint Synèse, martyr, dont les reliques sont déposées
dans un coiïre de bois de cyprès avec celles de saint Avertan et de saint Roméo. Les Actes de
saint Synèse sont complètement ignorés. — A Bergame, saint Jacques, diacre et martyr. Les
Ariens l'attaquèrent un jour qu'il prêchait du haut de la chaire de vérité, le blessèrent à la tête
d'un coup de flèche, puis le précipitant, ils l'achevèrent à coups de bâton : ces frénétiques avaient
déjà immolé quarante membres du clergé de Bergame, lorsqu'ils résolurent de perdre notre Saint
que ses grandes vertus avaient un instant protégé. 380. — A Isernia, en Italie, saint Benoit, évêque
de cette ville, « qui fut », dit-on, « assisté à son lit de mort par saint Paulin de Noie, son
contemporain et son ami ». Bien qu'on ignore les Actes de son épiscopat, le culte qu'on lui rend
atteste sa haute sainteté et son crédit auprès de Dieu. Une lampe brûle constamment devant ses
reliques conservées sous un autel de la grande église. — A Forli, en Italie, saint Valérien mis à
mort par les Ariens qu'il avait vivement combattus. Les catholiques durent à son intercession de
reprendre possession de la ville ; aussi le choisirent-ils pour un de leurs patrons et élevèrent-ils une
église en son honneur. Ve s. — A Lodi, saint Titien, évêque. 477. — En Angleterre, saint Ethel-
red, roi des Merciens, qui, après un règne de trente ans, alla s'enfermer dans un monastère et y
vécut saintement treize autres années. 726. — A Sinigaglia, en Italie, saint Paulin, évêque et
patron de cette ville. Epoque inconnue. — En Bithynie, saint Nicéphore Hégumène, d'un monas-
tère fondé par lui près de Brousse et qui, ayant été jeté en prison pour la défense des saintes
images, y rendit son âme à Dieu. 814. — A Padoue, saint Crescent, prêtre, qui construisit les
églises de Sainte-Cécile et de Sainte-Lucie et qui était autrefois honoré chez les religieuses de
Sainte-Agathe. 1090. — A Verucchio, dans le duché d'Urbin, le bienheureux Grégoire, de l'Ordre
des Ermites de Saint-Augustin, que des parents avides chassèrent du couvent élevé par les soins
de sa mère et qui mourut chez les Franciscains de Rieti à l'âge de cent dix-huit ans. 1343. — A
Sulmona, en Italie, le bienheureux Philippe d'Aquila, de l'Ordre de l'Observance des Réguliers de
Saint-François, qui, ayant consulté saint Jean de Capistran sur les moyens de remédier à un
SAINTE MONIQUE, VEUVE. 303
penchant presque irrésistible pour le sommeil et sur les mesures à prendre pour être délivré des
imaginations qui l'y poursuivaient, en reçut pour réponse : « Soyez patient et soyez homme : toute
affliction est faite pour augmenter nos mérites ». 1456. — A Cracovie, en Pologne, le bienheureux
Michel Gédroc, de l'Ordre des Chanoines réguliers de Notre-Dame de Métro, qui, né difforme, privé
d'un œil et d'une jambe, avec une taille au-dessous de la moyenne, vécut,au milieu des autres religieux,
du travail de ses mains, comme l'apôtre saint Paul, et qui, arrivé au moment de sa sainte mort,
prédit à ses frères de grands malheurs temporels et spirituels à cause de leur conduite peu édi-
fiante. 1485. — A Varsovie, le bienheureux Ladislas Gielnow, de l'Ordre des Frères Mineurs de
l'Observance l. 1505. — En Angleterre, Jean Houthon, homme de bienheureuse mémoire, prieur
de la Grande-Chartreuse de Londres, qui, pour avoir refusé de reconnaître la suprématie d'Henri VIII
dans les choses spirituelles, fut cruellement mis à mort avec dix-huit autres de ses religieux. Après
avoir été traîné par des chevaux fougueux, l'espace de plusieurs milles, il fut suspendu au gibet.
Là le bourreau le mutila, lui arracha le cœur et les entrailles qu'il jeta dans le feu. — Avec lui souf-
frirent Robert Laurens, prieur de Bellevaux ; Augustin Webster, prieur de la Visitation Sainte-
Marie; et Reginald, de l'Ordre de Sainte-Brigitte : en tout vingt-deux victimes dont les membres
sanglants furent promenés en diverses localités. 1535.
SAINTE MONIQUE, VEUVE
332-387. — Papes : Saint Sylvestre; saint Sirice. — Empereurs : Constantin H;
Théodose le Grand.
Qui seminant in lacrymis, in exultatione metent.
Cens qui sèment dans les larmes, moissonneront
dans l'allégresse. Ps. cxxv, 6.
Il y avait dix-huit ans que le pape saint Sylvestre tenait le gouvernail de
la barque de saint Pierre, et vingt ans que l'empereur Constantin avait fait
asseoir sur le trône la religion chrétienne, lorsque, en 332, à Tagaste, sim-
ple village que les Arabes nomment aujourd'hui Souk-Arras 2, apparut au
sein d'une famille chrétienne, dans un foyer de paix, d'honneur et d'anti-
ques vertus, une enfant qui reçut en naissant le nom de Monique, nom
dont elle allait faire un symbole si touchant de consolation et d'espérance.
Son père et sa mère, qui étaient chrétiens et même très-pieux, s'effor-
cèrent de tremper vigoureusement l'àme de leur enfant. Son enfance fut
confiée à une vieille servante. Zélée, prudente, austère, un peu dure et gron-
deuse, mais dévouée à sa jeune maîtresse, elle environnait de sa vigilance
la plus active ce berceau qui contenait de si saintes et si glorieuses des-
tinées.
Préservée ainsi de tout péril, cultivée avec tant de soin, jamais plante ne
se vit plus tôt couronnée de fleurs et de fruits que notre sainte enfant. Elle
était encore toute petite que déjà, guettant le moment où on ne la voyait
pas, elle s'en allait seule à l'église, et là, debout, les mains jointes, les yeux
modestement baissés, elle trouvait tant de charme à s'entretenir avec Dieu,
qu'elle oubliait le moment de rentrer à la maison. Quelquefois aussi, en
jouant avec ses compagnes, elle disparaissait tout à coup, et on la retrou-
vait immobile, recueillie, au pied d'un arbre, ayant oublié le jeu dans la
prière. Souvent môme elle se levait la nuit en secret, s'agenouillait par
terre, et récitait avec un recueillement et une ferveur précoces les prières
que lui avait apprises sa bonne mère. Elle se familiarisait ainsi, dès son en-
1. Voir au 23 octobre.
t. Su U route de Cartbage a Blppone, non Iota du champ de bataille de Zoma.
304 4 MAI.
fance, avec cet art divin de la prière dont elle devait faire plus tard un si
merveilleux usage ; elle s'exerçait de bonne heure à manier cette arme
puissante avec laquelle elle devait frapper de si grands coups.
Un autre attrait s'éveillait en même temps dans le cœur de sainte
Monique : l'amour des pauvres. Souvent, quand elle était à table, elle
cachait dans son sein une partie du pain qu'on lui servait, et quand on ne
la voyait pas, elle se tenait sur le seuil de la porte, cherchant un pauvre à
qui elle le pût donner. A ces dons qui venaient d' en-haut se joignaient
d'autres vertus que lui faisait acquérir l'active et austère surveillance de sa
nourrice, qui, pour la préserver de tout péril dans l'avenir, l'habituait à la
sobriété, à la pénitence, à la force d'âme et à l'esprit de sacrifice, sans les-
quels il n'y a ni chrétienne, ni épouse, ni mère, ni sainte.
Au milieu de ce doux éclat de vertu naissante, on vit cependant appa-
raître en sainte Monique une de ces ombres légères que Dieu permet quel-
quefois pour rendre ses Saints plus vigilants et plus humbles. On l'avait
chargée d'aller chaque jour au cellier faire la provision de vin. Or, il arri-
vait quelquefois qu'après avoir baissé le vase pour le remplir, elle l'appro-
chait de ses lèvres, non par amour du vin, car il lui inspirait même une
certaine répugnance, mais par cette espièglerie et cette gaîté de la jeunesse
qui se plaît aux choses défendues. Mais, comme en méprisant les petites
choses on tombe peu à peu dans de plus grandes, il advint que la quantité
de vin qu'elle prenait augmentait tous les jours, et que son aversion pour
cette liqueur diminuait à proportion. Dieu cependant veillait sur Monique,
et se servit, pour la corriger, d'une servante qui était le témoin journalier
et complaisant de sa faute. Un jour qu'elle se disputait avec sa jeune maî-
tresse, elle lui reprocha ce défaut et l'appela : « Buveuse de vin pur ».
Percée de ce trait, Monique rougit, et reconnaissant la laideur de son péché,
elle se condamna sévèrement et s'en corrigea pour toujours. Cette faute
eut pour la pieuse jeune fille les plus heureux résultats : elle mit une pre-
mière larme de repentir dans ses yeux, lui inspira le goût de la mortifica-
tion, la rendit humble et défiante d'elle-même.
Avec les dons surnaturels se développaient en sainte Monique les dons
naturels. Son esprit était juste, élevé, pénétrant; elle avait une soif insa-
tiable d'apprendre. A ces dons de l'intelligence s'enjoignaient de meilleurs
encore : une douceur inépuisable avec une rare fermeté ; une paix que rien
n'altérait jamais, avec infiniment de feu dans l'âme et de décision dans la
volonté. Son caractère était à la fois constant et hardi ; son cœur, d'une sen-
sibilité extrême, était porté à la tendresse, et cependant plein d'énergie dans
l'amour et dans l'action.
Quant aux dons extérieurs, Monique en augmentait encore le charme
par la plus aimable modestie. Gomme elle connaissait déjà le prix de la simpli-
cité, et la difficulté de conserver sous des vêtements de luxe un cœur mor-
tifié et prêt au sacrifice, elle refusait avec une douce fermeté les tissus
précieux et parfumés dont on aurait voulu la voir revêtue.
Ainsi se passa la première enfance de sainte Monique, comme une belle
aube qui annonce un plus beau jour. Déjà elle sortait de l'adolescence, et
elle entrait dans la jeunesse, lorsqu'elle fut demandée en mariage. Ses pa-
rents l'accordèrent, et, par un incompréhensible dessein deDieu, cette jeune
vierge, cette sainte et aimable enfant qui, du moins, semblait prédestinée
à des noces heureuses, fut donnée à un homme qui paraissait bien peu
digne d'aspirer à l'honneur d'une telle alliance. Patrice était de Tagaste où
il exerçait la charge de curiale. Il était païen de religion, indifférent, sans
SAINTE MONIQUE, VEUVE. 305
principes ; il était violent, colère et de mœurs légères. Patrice cependant
avait le cœur plus grand que la fortune, et nous verrons peu à peu ces qua-
lités se développer sous la main délicate de l'ange que Dieu lui donnait pour
compagne.
La foi et l'amour de Dieu soutenaient sainte Monique. Jusqu'ici elle
n'avait habité que la paix d'un foyer chrétien. Elle ne soupçonnait pas ce
que sont ces intérieurs de famille où Dieu ne préside pas et où les passions,
non enchaînées, font de la vie un orage. Sa belle-mère vivait encore;
païenne comme Patrice, elle lui ressemblait aussi pour l'humeur et le
caractère : c'était une femme impérieuse, violente, acariâtre et jalouse. Les
servantes étaient dignes de l'un et de l'autre : elles se livraient à la calom-
nie envers leur jeune maîtresse.
Chaque jour révélait à Monique les abîmes qui la séparaient de Patrice.
Celui-ci ne comprenait rien à la vie de sa sainte compagne. Ses prières le
fatiguaient ; ses aumônes lui paraissaient excessives. Il trouvait bizarre
qu'elle voulût visiter les pauvres, les malades, qu'elle aimât les esclaves.
C'était là pour sainte Monique sa vie ou plutôt sa souffrance de chaque jour.
Elle s'y serait résignée, si du moins la pureté de son cœur n'eût rencontré
aucun péril. Dès les premiers jours, si jeune encore, si innocente surtout,
elle entrevit avec étonnement tout ce qu'il y a de faiblesses dans un cœur
d'homme que la grâce de Jésus-Christ n'a pas touché. Mais cette vue ne fit
pas défaillir son courage. Au lieu de s'abattre comme font tant de chré-
tiennes, et surtout au lieu de s'éloigner du toit conjugal, élevant son cœur
plus haut, Monique comprit que Dieu ne lui avait pas envoyé cette pauvre
âme pour qu'elle l'abandonnât ; mais qu'au contraire, il la lui avait confiée
pour qu'elle essayât de la guérir, de la convertir et de l'illuminer.
Pour gagner son mari a Dieu, elle n'employa ni la parole, ni la discus-
sion, ni les reproches. Au lieu de prêcher la vertu, elle la pratiqua. Elle
s'efforça d'être douce, humble, patiente, modeste, dévouée; sûre que si,
au lieu de mettre la vérité sur ses lèvres, elle parvenait à la mettre dans sa
vie, il viendrait un jour où Patrice n'y résisterait pas et se rendrait à une
lumière si douce, si discrète et si vraie. Elle voyait bien les faiblesses et les
infidélités de son mari ; mais jamais elle ne lui en dit un seul mot. Elle
soutirait en silence. Elle pleurait quand il était absent ; elle sollicitait ar-
demment pour lui la foi et l'amour divin, seuls capables de rendre les
hommes chastes.
Elle observait le même silence de douceur, d'humilité, de discrétion, de
vrai amour quand il entrait dans ses emportements. Elle attendait que cette
fureur fût passée ; et alors, profitant du retour de la raison, et de ces mo-
ments de tendresse où les hommes, violents, mais affectueux comme l'était
Patrice, cherchent à faire oublier leurs emportements à ceux qui en ont
souffert; elle lui disait confidemment, avec une grande délicatesse, et
quand elle était seule avec lui, quelques mots d'explication et même de
tendre reproche, qui presque toujours étaient bien reçus.
Cette méthode de douceur, ce secret de silence et d'abnégation, elle
le conseillait à toutes ses amies; et quand celles-ci, meurtries au visage
et déshonorées par la violence de leurs jeunes maris, venaient se plaindre à
elle : « Prenez-vous-en à votre langue », leur disait-elle agréablement. Et
l'on sentait bien qu'elle avait raison ; car bien que son mari fût plus violent
que personne, jamais il ne la frappa. Elle put le voir quelquefois bondir de
colère et menacer ; il n'alla jamais plus loin ; de son doux regard elle le
contint toujours. Cette douceur, cette délicatesse, ce dévouement creusè-
Vies des Saints. — Tome V. 20
306 4 Mi-
rent dans l'âme de Patrice, à son insu, un sillon dont il ne sut que plus tard
la profondeur. Son amour, car même au milieu de ses emportements et de
ses faiblesses il aimait Monique, se transformait insensiblement. Il acqué-
rait de l'élévation et de la noblesse, et un sentiment de respect dont il
n'avait jamais eu l'idée.
Sans doute il y avait loin de là à un changement de mœurs, à une con-
version complète. Mais Monique apprenait tous les jours, dans la prière,
comment se rachètent les âmes ; elle avait une confiance absolue en Dieu,
une espérance indomptable en son secours, avec une telle certitude de l'ob-
tenir, que rien n'était capable de la décourager jamais.
C'est au milieu de ces tristes, de ces premières et encore bien vagues et
bien lointaines espérances, que, pour consoler Monique, pour l'attacher à
Patrice malgré ses infidélités, et lui rendre supportable et même cher ce
foyer où elle avait tant à souffrir, Dieu lui fit goûter pour la première fois
le plus grand bonheur qui soit peut-être ici-bas, après celui de se consacrer
entièrement à lui : elle fut mère, et, encore à la fleur de son âge, elle vit
successivement trois petits enfants se suspendre à son cou et commencer à
sourire à ses larmes.
Le premier qu'elle reçut des mains de Dieu fut ce fils à jamais célèbre
sous le nom de saint Augustin. On dit que, pendant qu'elle le portait, elle
eut la révélation des merveilles dont il serait un jour l'instrument, si elle
savait le rendre fidèle à Dieu.
Le second se nommait Navigius. Doux et pieux enfant, il fut jusqu'à la
fin, et surtout pendant les tristes écarts d'Augustin, le tendre consolateur et
le gardien fidèle de sa mère. Elle eut aussi une fille, à laquelle on croit
qu'elle donna le nom d'une des Saintes les plus populaires de l'Afrique,
sainte Perpétue, la célèbre martyre de Carthage1.
Monique eût été, sinon heureuse, du moins consolée en recevant de
Dieu cette petite famille, si une douleur, plus amère que tout ce qu'elle
connaissait encore, ne fût venue se mêler à ses joies et n'eût achevé d'em-
poisonner sa vie. Patrice était de plus en plus dominé par ses tristes
faiblesses. Ni la beauté de l'esprit et du cœur de sa sainte épouse, ni la ten-
dresse et la force de l'affection qu'elle lui avait vouées, ni la naissance suc-
cessive de trois petits enfants, n'avaient pu enchaîner cette âme légère, et,
malgré les supplications et les larmes de Monique, il commençait à afficher
ses désordres. Comment peindre ce que souffre alors une femme chrétienne,
une épouse, une mère? C'est là ce martyre de l'âme dont a parlé saint Am-
broise, qui, pour s'accomplir dans le secret du foyer domestique, n'est ni
moins affreux ni moins déchirant que le martyre du corps.
Abandonnée à la fleur de l'âge, trahie par le père de ses enfants, Moni-
que, qui voyait, après quatre à cinq ans de mariage, s'évanouir les espé-
rances dont elle s'était bercée dès les premiers jours, redoubla de ferveur et
de confiance en Dieu, et, sans rien changer à ses habitudes de silence, de
discrétion, de douce et patiente attente vis-à-vis de son mari, les perfection-
nant même, elle se tourna tout entière du côté de ses enfants.
Mais, si tendres que fussent les soins donnés par sainte Monique à ses
enfants, ce n'était là que le prélude de la grande œuvre dont elle se sentait
chargée par Dieu. Ce qu'il fallait avant tout et au plus vite, c'était de former
la conscience d'Augustin. L'heure allait bientôt venir où, des leçons de sa
mère, il passerait aux exemples de son père ; où, du cœur et du sein de Mo-
nique, il allait tomber dans une société profondément corrompue et habi-
1. Navigius et Perpétue ont eu des autels et un culte à Rome.
SAINTE MONIQUE, VEUVE. 307
lement corruptrice. Aussi, pour former cette conscience, Monique mettait
sans cesse devant les yeux de son enfant les grands principes de la foi, les
vives et pures lumières de l'Evangile. Et dans ces vives et pures lumières, il
y en a une qu'elle aimait à lui transmettre comme un trésor qu'elle avait
reçu de ses ancêtres : c'était le mépris de la terre, le dégoût pour ce qui est
fini, limité, périssable. Elle lui parlait sans cesse de l'amour de Dieu, de la
crèche où il était descendu, et où il s'était fait pauvre et esclave pour nous ;
de la croix où il était monté tout sanglant, afin de nous donner la mesure
de son amour. Pour mettre le dernier trait à la conscience de son fils, Mo-
nique s'efforçait de lui inspirer l'horreur du mal, la haine de tout ce qui
souille le cœur et le dégrade. Et, avec cette abnégation des mères qui ne
craignent pas de s'humilier pour préserver leurs enfants, elle lui avouait
jusqu'à ses propres fautes.
C'est ainsi qu'elle forma peu à peu l'âme d'Augustin, qu'elle y mit la
profondeur, la tendresse, la délicatesse, la droiture; qu'elle lui fit enfin
cette conscience dont il ne put jamais se débarrasser.
Augustin n'était encore que catéchumène quand une maladie vint tout
à coup le mener jusqu'au bord de la tombe. Sa mère courait inquiète, se
précipitait, demandant à grands cris le baptême pour son enfant qui, pressé
d'horribles souffrances, ne pensait cependant qu'à Dieu, à son âme, à son
éternité. Patrice laissait faire sainte Monique, parce qu'il était trop homme
d'honneur et en même temps trop généreux, pour gêner, sur le bord de la
tombe, la liberté de conscience de son enfant, et pour ajouter dans le cœur
de Monique, à l'amère douleur de perdre son Augustin, la douleur, plus
amère mille fois, de voir son éternité exposée et son salut compromis.
Mais aussitôt que le danger eut cessé, l'indifférent et le païen repa-
rurent en Patrice, et il signifia sa volonté que le baptême fût renvoyé à
plus tard.
Monique n'insista pas ; car, avec Patrice, elle ne le savait que trop, il
n'y avait pas à insister. Seulement elle sentit qu'elle contractait une obliga-
tion encore plus stricte que par le passé, de veiller sur l'âme de son fils.
Avertie par le danger qu'il venait de courir, elle résolut de ne pas le perdre
un instant de vue, et, sacrifiant de plus en plus les tristes plaisirs du monde,
elle se constitua son ange gardien et sa providence visible. Afin que rien ne
vînt la contrarier dans ce travail important, elle s'appliqua avec plus de
zèle que jamais à employer vis-à-vis de son mari, de sa belle-mère, de ses
parents, de ses domestiques même, cette méthode de douceur et de patience
dont nous avons déjà parlé, avec laquelle elle espérait bien les désarmer
tous. En effet, la paix rayonna bientôt autour d'elle, et sa maison ressembla
à ces sanctuaires dont le silence garde les entrées, et qui remplissent de
leur calme tous ceux qui y apportent leurs agitations et leurs douleurs.
Mais c'est surtout vis-à-vis de son mari qu'elle déploya les industries de sa
belle âme et les richesses de son admirable méthode. 11 était païen, elle
voulut le ramener à Dieu ; il était père, elle voulut, à son insu, l'associer à
son œuvre ; elle voulut au moins obtenir qu'il ne la contrariât pas.
Monique, qui savait que plus tard peut-être les passions viendraient et
emporteraient d'autant plus rapidement le jeune homme qu'il aurait pour
excuse l'exemple de son père ; Monique, disons-nous, qui savait combien
ces premiers temps sont propices pour former le cœur d'un enfant, ne per-
dait pas un seul jour. Comme on jette au printemps de belles semences
dans un jardin, elle jetait chaque matin quelque vérité dans l'âme de son
fils. Elle réussissait si bien, que toutes les objections et toutes les résistances
308 4 *^r-
de Patrice tombaient impuissantes devant ce doux empire qu'elle avait pris
sur son fils et qui croissait chaque jour.
Libre ainsi, ne trouvant plus d'obstacles, ou en trouvant chaque jour de
moins grands, elle se hâtait d'achever la conscience d'Augustin. Sa vie se
résumait de plus en plus en deux mots : Dieu et son enfant.
L'inquiétude allait bientôt se mêlera ces premières joies d'une mère.
Augustin sortait à peine de l'enfance, et déjà il fallait songer à lui faire
commencer ses études. Sainte Monique, qui craignait qu'en voulant former
son esprit on ne déformât sa conscience ou son cœur, ne se hâta pas de
l'éloigner. Elle le confia à des maîtres qui habitaient Tagaste. Mais Augus-
tin montra une paresse insurmontable, un dégoût pour l'étude que rien ne
pouvait vaincre.
Alarmée de cette première apparition du mal dans l'âme de son enfant,
et sentant qu'à cette noble nature il fallait un autre aiguillon que la crainte,
Monique conduisit son fils à « des serviteurs de Dieu », à « des hommes de
prière», afin qu'ils l'aidassent à surmonter son aversion pour l'étude par
des motifs plus élevés. A ce défaut, Augustin joignait un orgueil, une pas-
sion désordonnée pour le succès et les louanges, et un amour singulier pour
le jeu et le plaisir.
n'est au milieu de ces inquiétudes que notre Sainte se vit obligée de se
séparer de son fils. Augustin commençait à grandir, et Tagaste n'offrait pas
assez de ressources pour l'éducation d'un jeune homme. On résolut de l'en-
voyer à Madaure, la patrie d'Apulée. Monique y conduisit et y laissa son
fils, après avoir versé dans son cœur tous les conseils avec toutes les larmes
que verse une mère en pareille circonstance.
bur ces entrefaites, Dieu réservait à Monique une consolation : Patrice
fit vers la religion et l'Eglise un premier pas. La vérité l'avait emporté, et
Patrice venait de déclarer à sa pieuse épouse qu'il était résolu à abjurer le
paganisme. Avec quelle joie Monique avait accueilli cette nouvelle ! Tres-
saillant de bonheur, elle l'accompagna à l'église pour y abjurer publique-
ment le paganisme et y faire profession de la foi chrétienne. Augustin, de
retour à Tagaste, les suivit.
Mais au moment où sainte Monique commençait à gagner son mari, son
fils achevait de lui échapper. Elle vint donc trouver Augustin, et com-
mença à lui montrer, par son émotion et par ses larmes, ce qu'elle pensait
du triste état de son âme. Souvent elle le prenait à part, et, en se prome-
nant avec lui, elle lui disait quelque chose de Dieu, de la foi de son enfance,
de la paix et de l'honneur des cœurs purs, de la laideur du mal, et de
l'horreur qu'il doit nous inspirer. Mais Augustin ne comprenait déjà plus
ce langage.
Monique, remplie d'inquiétude, allait de nouveau être obligée de se sépa-
rer de son fils. Les vacances étant terminées, elle le conduisit à Garthage
pour y continuer ses études. Dans une ville aussi profondément corrompue,
Augustin ne devait pas tarder à tomber dans les plus grands excès. Quand
Monique apprit les désordres de son fils, sa douleur fut si profonde, qu'on
put craindre qu'elle n'y succombât. Ses larmes coulaient jour et nuit. Elle
ne savait môme plus les contenir en public. Il y avait des jours où, quand
elle revenait du saint sacrifice, la place qu'elle avait occupée en était toute
baignée.
L'Eglise a institué, le A mai, en l'honneur de sainte Monique, une fête
qu'on pourrait appeler la fête des larmes d'une mère chrétienne. Voici sur
quel ton et de quelle manière :
SAINTE MONIQUE, VEUVE. 309
Ànt. I*\ — Elle pleurait et elle priait assidûment, cette mère, afin d'ob-
tenir la conversion de son Augustin.
Ant. 2. — 0 bienheureuse mère, qui deviez un jour être exaucée selon
l'immensité de vos désirs ! En attendant, elle pleurait jour et nuit, cette
mère affligée, et elle priait ardemment pour son fils.
Ant. 3. — La voilà, cette veuve qui sait pleurer ; elle qui versa de si
constantes et de si amères larmes pour son fils.
Ant. 4. — Ils ont élevé leurs voix, Seigneur ; ils ont élevé leurs voix, ces
fleuves de larmes qui tombaient des yeux de cette sainte mère.
Ant. 5. — Elle pleurait sans mesure, cette mère inconsolable
Tout l'office continue sur ce ton, et nous révèle dans cette mère admi-
rable une douleur comme il n'y en a pas un second exemple dans l'histoire
de l'Eglise.
Une chose cependant soutenait ici notre Sainte ; c'est qu'elle ne pleurait
plus seule. Patrice, en s'associant à sa foi, commençait à s'associer à ses
larmes. Bientôt il tomba malade, demanda et reçut le baptême avec une
grande ferveur. Après quoi il s'endormit chrétiennement et en paix, assisté
par l'ange que Dieu lui avait donné pour épouse, et qui, à force de dou-
ceur, de patience, de tendre dévouement, de courageux sacrifices, l'avait
ramené de si loin et rendu à Dieu.
Après la mort de Patrice, les belles aspirations de l'âme de sainte Moni-
que, gênées et comprimées pendant son mariage, ne trouvant plus d'obsta-
cles, on la vit rapidement s'élever à ce que la vertu à de plus héroïque. Par
un sentiment de touchante fidélité à la mémoire de son mari, elle jura dans
son cœur qu'elle n'aurait pas d'autre époux mortel. Au deuil de Patrice
qu'elle porta toute sa vie, se joignait le deuil de la mère qui voit périr l'âme
de son fils et qui, pour la sauver, ne peut que prier et s'immoler pour lui.
Pour que ses larmes devinssent plus puissantes et ses prières égales au
besoin qu'Augustin en avait, elle s'enferma dans la solitude et se voua plus
entièrement que jamais au silence, à la vie cachée, au dévouement, à toutes
les misères, et avant tout au pur et généreux amour de Dieu. Dès lors ses
jeûnes furent fréquents et rigoureux. Son temps était consacré au service
des pauvres qu'elle nourrissait et pansait de ses mains. Elle visitait les hôpi-
taux, passait de longues heures au chevet du lit des infirmes et ensevelissait
les morts. Elle tenait lieu de mère aux petits orphelins, les élevait comme
ses propres enfants, les recueillait quelquefois dans sa propre maison et les
nourrissait à sa table.
Mais la plus belle de toutes ses œuvres, celle à laquelle elle donnait tout
son cœur, c'était de consoler les veuves et les femmes mariées. Aussi elle
employait à ces œuvres difficiles toute sa douceur, sa délicatesse exquise,
son profond et lumineux esprit. C'est à la source toujours vive et intaris-
sable de l'amour et du sacrifice, à Notre-Seigneur Jésus-Christ présent au
saint autel, qu'elle venait sans cesse se rafraîchir et se retremper. Chaque matin
elle assistait à la sainte messe, et, soit à la sainte table, soit dans ses oraisons,
Dieu la comblait des grâces les plus privilégiées. Elle avait le don des larmes.
Pendant ce temps, avec la vertu, la foi elle-même avait baissé dans l'âme
d'Augustin. Monique suivait avec épouvante tous les progrès du mal, mais
sans se décourager. Elle avait foi en Dieu. Cependant Augustin, séduit par
les Manichéens, venait de se faire l'apôtre de leurs erreurs. Qui pourrait
peindre l'étonnement et la douleur de sainte Monique à cette nouvelle im-
prévue ? Les vacances approchaient et Augustin allait revenir à Tagaste.
Sainte Monique résolut de l'attendre.
310 4 MAI.
Quand Augustin rentra à la maison paternelle, au premier mot qu'il
laissa échapper de son hérésie, sainte Monique se redressa indignée. Elle se
sentait atteinte dans ce qu'il y avait en elle de plus délicat et de plus pro-
fond. L'amour qu'elle avait pour Dieu, l'attachement à la sainte Eglise, sa
tendresse pour un fils égaré, la crainte de le voir perdu à jamais, l'horreur
du mal, s'unissantà la fois dans son âme, lui inspirèrent un des plus beaux
actes d'énergie chrétienne dont l'histoire des Saints ait gardé le souvenir.
Elle chassa Augustin de chez elle, lui déclara qu'elle ne le souffrirait plus
ni à sa table ni à son toit ; et, détestant les blasphèmes dont il faisait pro-
fession, pleine de cette colère auguste qui investit une mère d'une si irré-
sistible autorité, elle lui ordonna de sortir de sa maison et de n'y plus ren-
trer. Augustin baissa la tête et sortit. Après son départ, Monique, se
retrouvant mère, tomba à genoux, laissa couler ses larmes, et appela Dieu
à son aide.
Dieu l'écouta, car elle eut un songe qui lui rendit un peu de calme en
lui rendant l'espérance. « Il lui semblait », dit saint Augustin, « être debout
sur une règle de bois, triste et accablée, lorsqu'elle vit venir à elle un jeune
homme rayonnant de lumière, gai de visage et qui souriait à sa douleur.
En l'abordant, il l'interrogea sur la cause de ses larmes ; mais on voyait à
son air qu'il la savait, et qu'il ne l'interrogeait que pour la consoler. Monique
avait répondu qu'elle pleurait la perte de son fils : — Oh ! reprit le jeune
homme, ne vous inquiétez pas ainsi. Et, montrant du doigt la règle de bois
sur laquelle elle était, il ajouta : Voyez votre enfant. Il est là où vous êtes.
— Elle regarda alors plus attentivement, et elle m'aperçut en effet, auprès
d'elle, debout sur la môme règle ».
Tout émue, Monique courut trouver son fils, et lui raconta le songe
qu'elle venait d'avoir. Augustin essaya de l'interpréter à son avantage.
« Non, non » , reprit la Sainte, « il n'a pas dit : Où il est, tu seras ; mais :
Il sera où tu es ». Pleine d'espérance, Monique permit à son fils de reprendre
sa place à la maison et à la table paternelle.
Sainte Monique évitait avec son fils toute discussion, mais cherchait
partout des hommes qui eussent assez d'autorité et de talent pour se faire
écouter par lui. Un jour, elle apprit l'arrivée à Tagaste d'un vénérable et
savant évêque. Monique y court tressaillant d'espérance, fermement per-
suadée que sa vision allait se réaliser. Mais le saint évêque lui dit en
secouant la tête que le moment n'était pas encore venu. « Laissez-le »,
ajouta-t-il ; « seulement priez beaucoup ». Comme sainte Monique, fondant
en larmes, le pressait de voir son fils : « Allez, allez », lui dit l'évêque atten-
dri, « il est impossible que le fils de tant de larmes périsse ».
Ce mot perça au vif le cœur de sainte Monique. Il lui sembla qu'il des-
cendait du ciel. Monique rentra chez elle en le méditant ; car ce simple mot
d'un vieillard, joint à la vision qu'elle avait eue, commença à l'apaiser un
peu, en lui rendant l'espérance.
Ce calme ne fut pas de longue durée : sur ces entrefaites, elle reçut une lettre
d'Augustin qui lui annonçait qu'il venait de se décider à quitter Carthage pour
aller s'établir à Rome. A cette nouvelle, sainte Monique éprouva un affreux
sorrement de cœur ; car le voir partir pour Rome avec une foi éteinte, un
esprit flottant à tout vent de doctrine, une âme consumée par les passions,
c'était comme si elle l'eût vu se jeter dans les abîmes. Prenant aussitôt son
parti, elle décida qu'Augustin ne partirait pas pour Rome, ou qu'elle parti-
rait avec lui, et que, dans le péril où était son âme, elle ne l'abandonnerait
pas. Elle se rendit aussitôt à Carthage, se jeta au cou de son fils, le serra
SAINTE MONIQUE, VEUVE. 311
violemment dans ses bras, et le conjura avec des flots de larmes de ne pas
partir, ou du moins de l'emmener avec lui. Dès lors elle ne voulut pas le
quitter; mais pendant que, accablée de fatigue et d'émotion, elle passait la
nuit dans les larmes, retirée dans une petite chapelle dédiée à saint Cyprien,
l'illustre évoque de Carthage, Augustin montait sur un vaisseau et s'éloi-
gnait du rivage, malgré la promesse faite à sa mère. Quand, le matin venu,
sortant de la chapelle, elle trouva la rive déserte et le vaisseau disparu, elle
devint « folle de douleur ». Elle errait sur le bord de la mer, et le remplis-
sait de ses cris. Elle accusait son fils. Elle se plaignait à Dieu. Enfin, épuisée
de larmes, abattue, à bout de forces, après avoir mille fois accusé son fils de
cruauté et de mensonge, n'ayant aucun moyen de le suivre sur les flots,
elle revint à Tagaste.
Sainte Monique, n'y tenant plus, résolut d'aller rejoindre son fils. Elle
arrive à Rome ; mais elle ne l'y trouve plus. Il était déjà parti pour Milan.
Elle repartit donc aussitôt, pleine de la môme ardeur, et soutenue, à travers
les fatigues de ce second voyage, par cette même foi indomptable qu'elle
reverrait son fils et qu'elle le convertirait.
A peine arrivée à Milan, elle alla trouver saint Ambroise qui la reçut
avec une joie attendrie. Il ne pouvait se lasser de contempler cette mère,
sur le visage de laquelle l'amour de Dieu et la tendresse pour un fils égaré
avaient creusé de si vénérables sillons. Leurs rapports furent fréquents et
intimes. Monique, qui avait appris de saint Ambroise à ne pas entrer en
discussion avec son fils, et qui était décidée à abandonner à un homme si
sage le soin de le sauver, continuait à prier, à se taire, et à verser au pied
des saints autels ses larmes toutes-puissantes.
Enfin Monique vit arriver le moment après lequel elle soupirait depuis
si longtemps. Augustin, après dix-sept années de résistance, se rendit.
Sainte Monique ne contenait plus sa joie ; elle couvrait son fils de son
regard heureux ; elle l'arrosait de ses larmes. 0 moment heureux, où une
mère retrouve son enfant qu'elle croyait mort, ou qu'elle voyait mourir !
Mais, ô moment plus heureux encore, où une mère chrétienne voit renaître
dans l'âme de son fils la foi, la pureté, le courage, la vertu ; et où, chré-
tienne affligée des douleurs de l'Eglise, elle prévoit que ce fils dégénéré eu
va devenir la lumière, la gloire et le vengeur 1
Dès que les vacances furent ouvertes, sainte Monique amena Augustin à
la campagne. C'est là que l'un et l'autre vinrent cacher leur joie et prépa-
rer leurs âmes au grand jour du saint baptême. Quelques amis s'étaient
joints à eux. Sainte Monique était l'apôtre de ce petit cénacle. "îout son es-
prit, tout son génie, tout son cœur, toute sa foi, toutes les ardeurs de son
zèle, toutes les industries de sa charité, elle les employait à secocd^ en eux
l'action de Dieu. Sainte Monique assistait à toutes les conférences de son
fils avec ses jeunes amis ; elle y prenait quelquefois la parole, et comme
Dieu donne à la pureté et à l'amour un singulier don de lumière, elle lais-
sait tomber, au milieu des entretiens, des mots qu'Augustin faisait transcrire
aussitôt sur ses tablettes, et que nous allons recueillir à notre tour pour
achever de connaître par eux la mère du Platon chrétien.
« L'âme n'a qu'un seul aliment, c'est de connaître et d'aimer la vérité ».
— <• « Celui qui désire le bien et le possède, est heureux. Mais s'il veut le
mal, quand même il l'obtiendrait, combien il est malheureux !» — « Celui
qui aime et possède des choses périssables ne peut jamais être heureux :
fùt-il même sûr de ne jamais les perdre, je l'estimerais encore malheureux,
parce que tout ce qui est passager, est sans rapport avec l'âme de l'homme.
312
Et plus il le recherchera, plus il sera misérable et indigent; car toutes les
choses de la terre ne rendraient jamais une âme heureuse 1 ».
Après six mois passés dans cette intime et délicieuse vie de Cassiacum ',
sainte Monique et son fils retournèrent à Milan. Le moment du baptême
étant arrivé, Augustin se rendit à l'église de Saint-Jean-Baptiste, accompa-
gné de sa mère et de ses amis. Monique, vêtue de la robe blanche bordée
de pourpre des veuves, enveloppée de longs voiles, s'efforçait en vain de
cacher à tous les regards la joie qui inondait son âme. Un rayon de paix,
de sécurité toute divine, apparaissait sur son front et achevait de donner
à sa physionomie quelque chose de céleste.
Ce qui avait grandi le plus en sainte Monique, c'était l'amour, car son
amour pour Jésus-Christ et son amour pour Augustin ne faisaient qu'un. Ils
avaient crû ensemble. Elle avait déjà eu quelques extases dans la prière ;
mais depuis le baptême elles devinrent plus fréquentes. Quelquefois elle était
si enivrée de son bonheur qu'elle demeurait un jour entier absorbée, sans
parole, sans préoccupation de ce qui l'entourait, jouissant intérieurement
et seule avec Dieu. D'autres fois, elle perdait jusqu'à l'usage de ses sens.
Depuis la conversion de son fils, elle ne pensait plus qu'au ciel, et il était
facile d'entrevoir qu'on ne la retiendrait pas longtemps ici-bas. Un
jour elle parut comme s'élever de terre, et, ravie hors d'elle-même, elle se
mit à crier : «Volons au ciel, volons au ciel ». Son visage resplendissait
d'une joie toute divine. Depuis lors, cette idée du ciel ne la quitta plus.
Maintenant qu'elle voyait son fils converti, pieux, n'ayant plus besoin dêtre
couvert de la protection de sa mère, l'idée du ciel reprenait sans cesse le
dessus.
Comme Augustin et ses amis ne songeaient plus qu'à retourner en
Afrique, sainte Monique partit avec eux. On arriva à Civita-Vecchia, puis à
Rome et enfin à Ostie où on espérait rencontrer un navire qui les transpor-
terait tous en Afrique ; mais il fallut attendre quelques jours. Sur ces entre-
faites, elle dit à son fils : « Plus rien maintenant ne me retient sur la terre.
Je ne sais plus ce que j'ai à y faire, ni pourquoi j'y suis encore, puisque j'ai
réalisé toutes mes espérances ». Cinq jours après cet entretien, elle fut prise
d'un accès de fièvre qui l'obligea à se mettre au lit. Elle comprit que l'Epoux
l'appelait, et elle ne pensa plus qu'à se préparer à sa venue. Etant au lit,
recueillie et priant, elle eut un ravissement, une de ces douces et fortes
extases qui enlèvent l'âme à elle-même, en laissant le corps immobile et
évanoui. On la crut morte. On s'empressa autour d'elle. On s'agitait et on
cherchait des remèdes pour la rappeler à la vie, lorsqu'elle ouvrit douce-
ment les yeux, a Où étais-je ? » dit-elle étonnée ; et pour révéler en un mot
de quelles hautes régions elle descendait, et ce qu'elle y avait appris :
« Vous enterrerez ici votre mère ! » dit-elle.
A ce mot, Augustin sentit les larmes monter à flots de son cœur ; mais
il eut la force de les retenir. « Vous enterrerez mon corps où vous voudrez,
reprit-elle. Ne vous en mettez pas en peine. Peu m'importe. Ce que je vous
demande seulement, c'est de vous souvenir de moi à l'autel du Seigneur,
et en quelque lieu que vous soyez ».
A partir de ce moment , Monique se tut, uniquement occupée de
recueillir son âme pour la préparer à la venue de l'Epoux. Elle souffrait de
cruelles douleurs ; mais la douleur n'est pas un obstacle à la transfiguration
1. De beat. Vita, n. 8, 10, 11.
2. Villa que Verecundus, un des collègues de saint Augustin dans l'enseignement, avait mise à 1»
fars i% 'as.i ùe sainte Monique.
SAINTE MONIQUE, VEUVE. 313
des âmes. Augustin assistait silencieux à cette transfiguration de sa mère.
Il ne la quittait pas un instant ; tour à tour ravi et brisé, il suivait des yeux,
il aidait même de sa prière, du vif élan de son cœur, ce merveilleux et dur
travail qui allait dégager sainte Monique de son enveloppe terrestre.
Celle-ci l'encourageait du regard : souffrant beaucoup, mais sentant
qu'elle arrivait enfin, qu'il ne fallait plus qu'un effort, elle le remerciait de
l'appui qu'il lui prêtait. Neuf jours s'écoulèrent ainsi, au bout desquels
sonna enfin l'heure de la délivrance. Elle priait en silence, pleine de foi,
détachée de tout, heureuse, sentant qu'elle allait la première en un lieu où
Augustin viendrait la rejoindre, et laissant sur son visage un reflet de lu-
mière, de joie et de paix.
On dit qu'au dernier moment, comme elle demandait avec de plus vives
instances la sainte Eucharistie qu'on croyait toujours devoir lui refuser à
cause de ses cruelles souffrances de l'estomac, on vit entrer dans sa cham-
bre un petit enfant qui s'approcha de son lit, la baisa sur la poitrine, et
aussitôt, comme s'il l'eût appelée, elle inclina la tête et rendit le dernier
soupir. C'était en Tannée 387, le neuvième jour de sa maladie, la cinquante-
sixième année de son âge.
Aussitôt que Monique eut expiré , Augustin n'y put tenir. Sentant
s'amonceler dans son âme les flots d'une douleur immense, arrêtant à force
d'énergie des ruisseaux de larmes prêts à déborder, il se lève, s'approche
du lit, regarde longuement une dernière fois le visage de sa mère, et après
avoir fermé, d'un doigt reconnaissant, ces yeux qui avaient tant pleuré sur
lui, il s'enfuit à la hâte ; car il ne voulait pas attrister par ses gémissements
une scène où son cœur de chrétien lui disait que tout devait respirer l'allé-
gresse. « Je sentais », dit-il, « affluer dans mon cœur une douleur immense,
prête à déborder en torrents de pleurs ; mais mes yeux, sur l'impérieux
commandement de mon âme, ravalaient leur courant jusqu'à demeurer
secs, et cette lutte me déchirait ». — Le corps de sainte Monique fut porté
à l'église, où l'on offrit pour elle le sacrifice avant de la descendre au tom-
beau, comme cela se pratiquait parmi les fidèles.
Dans l'église de Saint-Augustin, à Rome, la chapelle dédiée à sainte Mo-
nique est ornée de peintures à fresque qui représentent sa vie, ou plutôt
toutes ses espérances et toutes ses joies. On la voit d'abord les yeux mouillés
de pleurs, avec un rayon de bonheur sur le front, écoutant un vieil évêque
qui lui annonce la conversion future du fils de tant de larmes. Plus loin, on
revoit la même figure, noyée dans la même douleur ; mais le rayon de joie
est plus vif : elle écoute un ange qui lui dit : Ubi tu et ille, « où tu es il
viendra » , et qui lui montre dans le lointain les deux ombres unies et heu-
reuses de la mère et du fils. Plus loin encore, on voit les larmes s'arrêter
tout à fait sur la figure de la Sainte, et une douce et pure joie briller dans
ses yeux : c'est le moment où saint Augustin lui annonce sa conversion.
Puis sainte Monique apparaît sur son lit de mort, radieuse, entourée de ses
enfants, serrant la main d'Augustin converti, et expirant les yeux au ciel, le
sourire sur les lèvres. — On la représente quelquefois : 1° portant une
tablette marquée du nom de Jésus, pour exprimer que c'était elle qui avait
inspiré ou mérité à son fils l'amour de Notre-Seigneur ; — 2° ayant près
d'elle ou dans sa main une écharpe ou ceinture ; allusion à une coutume
des Ermites de Saint-Augustin qui distribuent des ceintures bénites sous
l'invocation de sainte Monique.
814 4 Mil.
CULTE ET RELIQUES DE SAINTE MONIQUE.
Sainte Monique demeura de longs siècles dans le sarcophage en pierre qu'elle devait à la piété
de son fils. Son nom était vénéré à Ostie, où son corps reposait, et, après la publication des
Confessions, il le fut dans le monde entier. Mais on ne voit pas qu'on lui rendit de culte. Sa fête
n'est marquée ni dans les martyrologes universels d'Usuard, d'Adon, du vénérable Bède, ni dans
les calendriers spéciaux de l'église d'Afrique.
Vers le viB ou le vu6 siècle, son corps fut transporté sans bruit, sans cérémonie, dans l'église
de Sainte-Aurée, à Ostie, et enfin sous l'autel, au fond d'un caveau dont les prêtres de cette église
avaient seuls le secret. Dès le XIIe et le xni8 siècle, sainte Monique commençait à sortir de l'ombre
Sa fête s'établissait sur plusieurs points à la fois, et partout on la plaçait le 4 mai. Des autels se dres-
saient en son honneur dans les vieilles cathédrales du moyen âge ; des hymnes étaient composées à sa
louange; et, sur les fresques et les vitraux des églises, on commençait à voir rayonner sa belle
figure. Déjà Benozzo Gozzoli avait peint quelques-unes des plus belles scènes de sa vie, et, en
particulier, sa mort, dans le chœur de l'église de San-Gimignano,
Le pape Martin V chargea Pierre Assalbizi, religieux de l'Ordre des Ermites de Saint-Augustin,
de chercher les reliques de sainte Monique, et de les apporter à Rome. Il se rendit en toute hâte
à Ostie, accompagné du bienheureux Augustin Favorini, prieur général du même Ordre, et d'un
grand nombre de prêtres et de religieux. Le sarcophage, qui renfermait les restes vénérables de
notre Sainte, fut ouvert et les ossements qu'il renfermait furent mis dans une châsse en bois.
Quand les reliques arrivèrent à Rome, un peuple considérable fit cortège à l'humble char qui
les portait. Tout le monde voulait voir la châsse, la toucher, la baiser, et les commissaires apos-
toliques, les religieux et les prêtres d'Ostie, qui entouraient le char et lui faisaient une escorte
d'honneur, ne pouvaient plus avancer. Un miracle vint augmenter l'enthousiasme qui ne connut
plus de bornes. Une femme, s'approchant du char, appliqua son enfant malade contre la châsse,
avec un regard où se peignait toute sa foi. Et, tout à coup, un immense frémissement courut dans
la foule : l'enfant était guéri.
Le lendemain, on retourna à Ostie et on rapporta, en triomphe, le sarcophage dans lequel avait
reposé son corps. Plusieurs miracles, plus éclatants encore, accompagnèrent cette translation qui
ge fit au milieu d'une foule qui s'était accrue et que rien ne pouvait contenir.
Martin V procéda à la translation des restes précieux de sainte Monique dans un tombeau de
marbre blanc, orné de sculptures d'un grand prix, dû à la piété de Matteo Veggio de Lodi. Le
chef de la Sainte fut enfermé dans un reliquaire d'or garni de cristal. Comme l'église de Saint-
Trophonius était trop petite pour contenir le grani nombre de pèlerins qui venaient implorer la
Sainte, Matteo Veggio de Lodi fit construire une chapelle dans laquelle il fit transporter son saint
corps. Le pape Eugène IV institua une confrérie des Mères chrétiennes sous le patronage de sainte
Monique.
Le cardinal d'Estouville, archevêque de Rouen, fit bâtir à Rome une église qu'il dédia à saint
Augustin. Le corps de sainte Monique fut placé dans une chapelle à gauche du grand autel, avec
cette inscription :
HIC. JAC. CORPVS. S. MATRÏ3. MONIC/E.
Au bas du tombeau on lit l'inscription suivante :
ic a xc
SEPVTXRVM. VBI. B. MONIOE. CORPVS.
APVD. OSTIA. TIBKRINA. ANNIS, M. XL!
JACVIT. OB. IN. EO. EDITA. IN EJVS
TRANSLATIONE. MIRACVLA. EX
OBSCVRO. LOCO. IN ILLVSTRIOREM
ÏRANSPONENDVU. FILII. PIENTISS,
CYRARVNT. ANNO. SALVTIS.
MDLXVI.
Au xvi« siècle, la dévotion h sainte Monique ne cessa de croître ) son nom fut alors inscrit
dans tous les Martyrologes. Sa tète commença à se célébrer partout, et son oftice fut inséré au
bréviaire romain. En 1576, le pape Grégoire XIII envoya un fragment de son chef à Bologne. Une
parcelle fut accordée à la confrérie de Sainte-Monique, à Rome. Une cote fut envoyée à Pavie, et
quelques ossements aux Pères jésuites de Munster et aux Ermites de Saint-Augustin de Trêves.
Au xixe siècle, le culte de sainte Monique s'épanouit. Le 1er mai 1850, pu vit naître à Paris,
dans la chapelle de Notre-Dame de Sion, une pieuse association dite des Mères chrétiennes, qui
réunissent leurs prières pour la conversion de leurs fils ou de leurs maris égarés. En 1854, elle
était établie à Lille, à Amiens, à Nantes, à Versailles, à Cambrai, à Valenciennes, puis à Belley,
SAINT SACEMOS, W SAINTE MONDANE, SA MEBE. 315
a Fréjus, à Toulon, à Bordeaux, à Tours, à Coutances, à Rouen, à Bayeux, à Lyon, à Orléans,
à Londres, à Dublin, à Liverpool, à Stockholm, à Saint-Pétersbourg, à Odessa, à Vienne, à Stutt-
gard, à Fribourg, à la Haye, à Bologne, à Turin, à Madrid, à Chambéry, à Florence, etc. En 1855,
elle étendit ses branches à Constantinople, à Jérusalem, à Pondichéry, à l'Ile Maurice, en
Afrique, à la Martinique, à Sidney, dans l'Océanie, à Alger, à Genève, à Santiago, à Buenos-Ayrei
et dans les Indes.
Cette association des Mères chrétiennes fut élevée à la dignité d'archiconfrérie par un bref apos-
tolique en date du 11 mars 1856.
Mgr de Las-Cases, évèque de Constantine, à peine assis sur le siège restauré de saint Augustin,
ouvrit, aux Mères chrétiennes, deui sanctuaires nouveaux, l'un à Tagaste et l'autre à Hippone.
Le i mai 1872 eut lieu, à Notre-Dame d'Afrique, la translation solennellp d'une relique de sainte
Monique, que Mgr Lavigerie, archevêque d'Alger, avait récemment obtenue de Rome : c'était l'os
du bras de la Sainte. Cette relique insigne et une autre de saint Augustin étaient placées dans deux
grands reliquaires d'or ; aprèâ avoir été exposées à la vénération de tous sur deux espèces de trônes,
étincelants de lumière, elles furent portées triomphalement, puis rapportées chacune à son autel.
Celui de sainte Monique est à droite sous la grande coupole.
Cette Vie a été entièrement refaite d'après la belle Histoire de sainte Monique, par M. l'abbé Bou-
gaud, vicaire général d'Orle'ans. — Cf. Confessions de saint Augustin, Bollandistes, et Bréviaire des Cha-
noines réguliers de l'Ordre de Saint-Augustin.
SAINT SACERDOS,
ÉVÊQUE DE LIMOGES, PATRON DE LA VILLE ET DU DIOCÈSE DE SARLAT,
ET SAINTE MONDANE, SA MÈRE
120. — Pape : Saint Grégoire II. — Roi de France : Chilpériq JJ,
H a été grand selon le nom qu'il portait, et trts-
grand pour sauver les élus de Dieu.
Office de saint Sacerdos.
Saint Sacerdos naquit en l'an 670, sur les bords de la Dordogne, en un
lieu appelé Calviac, et désigné sous le nom de Calabre dans les anciennes
chroniques, à quelques lieues seulement de la ville de Sarlat, Laban, son
père, et Mondane, sa mère, étaient originaires de Bordeaux et occupaient
un rang distingué entre les familles les plus éminentes de cette ville. A cette
époque, l'Aquitaine avait pour duc ou gouverneur Anticius ou Anicius.
Celui-ci avait de grandes possessions dans la province des Pétrocoriens ; il
voulut les visiter; Laban et Mondane l'y accompagnèrent. Ayant donc re-
monté le cours de la Dordogne, Anicius s'arrêta avec ses illustres amis dans
le village de Calabre, sur les frontières des Pétrocoriens et des Cadurques.
Dieu avait résolu d'honorer ce pays par la naissance d'un grand saint. En
effet, peu de temps après, Mondane mit au monde son premier-né. L'heu^-
reux Laban, se rendant auprès du gouverneur, lui dit : « Seigneur, s'il vous
était agréable d'honorer votre serviteur d'une faveur insigne, j'03erais voua
prier de retirer de la fontaine sacrée du baptême le fils que Dieu vient da
m'accorder ». Et Anicius, heureux de s'associer au bonheur d'une famille
qu'il aimait, dit à Laban : « Si vous me présentez votre fils, je ferai ce que
vous me demandez ». Et Laban ne tarda pas à présenter son fils à Anicius,
et il lui dit : « Seigneur, voilà le fils que Dieu m'a donné et que vous avez
promis de retirer de la fontaine sacrée du baptême », Et le fils de Laban et
316 £ MAI.
de Mondane fut baptisé, et il reçut le nom de Sacerdos, en prévision, dit le
légendaire, de ce qu'il serait un jour, dans l'Eglise, un prêtre éminent et
un saint évêque l. Anicius se montra généreux envers l'enfant dont il était
devenu le père spirituel. Il lui donna en propriété le village de Calabre,
avec les terres qui en dépendaient, pour qu'il pût en jouir, les gouverner et
les transmettre à ses successeurs.
Cependant le jeune Sacerdos avait grandi ; il fallut songer à lui donner
un maître qui perfectionnât l'œuvre de son éducation, commencée sous le
toit paternel. Laban et Mondane crurent avoir trouvé le maître qu'ils dési-
raient, dans la personne de saint Capuan, qui occupait alors le siège épis-
copal de Cahors. Le saint évêque ne tarda pas à comprendre que Dieu avait
fait choix de son disciple pour l'élever à la dignité du sacerdoce. Il fut con-
firmé dans son jugement par un ange qui lui apparut et lui ordonna, de la
part de Dieu, de conférer au jeune Sacerdos l'ordre de diacre. Après son
ordination, Sacerdos dut se séparer de Capuan, son maître, et revenir au
village de Calabre, que Laban et Mondane avaient toujours habité depuis
la naissance de leur fils. Dieu avait ses desseins ; nous en verrons l'accom-
plissement. Il destinait le jeune lévite à la plénitude du sacerdoce, à la
gloire de l'épiscopat ; il voulut l'y préparer par le recueillement de la soli-
tude. Il y avait dans le village de Calabre un monastère qui pouvait avoir
été fondé en ce lieu, dans le vie siècle, par Canalis, abbé du monastère de
Genouillac 2, ou par quelqu'un de ses trois illustres disciples, Sour, Amand
et Cyprien. Avant d'être moine du monastère de Calabre, Sacerdos en fut
le bienfaiteur. L'église et la demeure des moines tombaient en ruines;
Sacerdos les fît rebâtir de ses propres deniers, et, voulant que les préoccu-
pations des nécessités temporelles ne pussent jamais nuire à la ferveur du
service de Dieu, il donna aux moines le village de Calabre avec toutes ses
dépendances, tels qu'il les avait reçus lui-même de la générosité d'Anicius.
Après s'être ainsi dépouillé de tout ce qu'il possédait, il pouvait librement
suivre le Seigneur et se livrer à tout son attrait pour la solitude. Il prit
bientôt l'habit monastique et passa sept années avant d'être promu au sa-
cerdoce, dans les austérités de la pénitence, se faisant surtout remarquer
par les actes de l'humilité la plus parfaite.
La vie si austère de Sacerdos, tant d'actes de vertus, qu'il s'efforçait de
cacher, mais dont le vase trop plein débordait de toutes parts, lui eurent
bientôt gagné l'affection, l'estime, la vénération des religieux. Aussi, l'abbé
étant venu à mourir, tous, d'une commune voix, acclamèrent Sacerdos
pour lui succéder.
Dieu voulut honorer son fidèle serviteur et manifester par le don des
miracles sa grande sainteté. Il y avait, à cette époque, dans le village de
Calabre, un homme lépreux depuis plusieurs années et séparé de la société
de ses frères. Et un ange apparut à saint Sacerdos, et lui dit : « Allez visiter
le malheureux lépreux, lavez soigneusement vos mains et touchez toutes
les parties du corps où vous trouverez des traces de la maladie ». Et saint
Sacerdos s'empressa d'obéir au commandement de l'ange : il alla visiter le
lépreux, et, adressant à Dieu une fermente prière, il lava ses mains et toucha
le corps du lépreux ; et la lèpre disparut à l'instant, et le malheureux fut
guéri. Et les habitants du lieu et ceux de toute la contrée, en apprenant ce
miracle, rendirent gloire à Dieu dans des transports de reconnaissance, et
exaltèrent les vertus et les mérites du Saint.
1. Quelques auteurs ont écrit Sardos, Serdou, Sardon, Seidon, Sardot, Savdont et même Sadroc.
2. Dans le diocèse de Cahors, non loin des frontières du Férigord.
SAINT SACERDOS ET SAINTE MONDANE, SA MÈRE. 317
Mondane avait résolu de marcher sur les traces de son fils, mais les
liens qui l'unissaient à Laban ne pouvaient être rompus. Aussi fidèle épouse
que mère chrétienne, son bonheur eût été imparfait si, en s'engageant dans
la voie de la perfection, dans la voie du ciel, elle eût laissé derrière elle son
époux, engagé dans la voie du monde. Un jour donc, Mondane, s'étant
jetée aux genoux de Laban, les mains jointes et les yeux baignés de larmes,
lui dit : « Je vous en conjure, cherchons tous deux à acheter le ciel par le
sacrifice des biens terrestres » , et Laban dont la grâce avait vivement pénétré
le cœur, acquiesça aux désirs de Mondane. Bientôt ils se dépouillèrent de
tous leurs biens dont ils firent deux parts, l'une pour l'Eglise de Jésus-Christ
et l'autre pour les pauvres et les étrangers. Il est probable que Laban se
retira dans le même monastère de Calviac, avec Sacerdos son fils. Quant à
Mondane, elle se retira sur la rive gauche de la Dordogne, en face du mo-
nastère, et fixa sa demeure dans une grotte.
Dieu ménageait à son serviteur Sacerdos une épreuve propre tout à la fois
à augmenter ses mérites et à mettre plus en évidence sa vertu. Laban avait
complété les années de sa vie, il était arrivé au terme de son pèlerinage, et
Dieu lui devait la récompense promise à ceux qui ont tout quitté pour le sui-
vre. Un jour que le Saint vaquait à la prière avec ses religieux, à la seconde
heure du j our, on vint lui dire que son père se mourait. Mais il était si profon-
dément ravi en Dieu qu'il ne vit point le messager ni n'entendit ce qu'il lui
disait. Il fallut attendre qu'il fût revenu de son extase. Il courut alors, en toute
hâte, auprès de son père, qui déjà, depuis quelques instants, avait rendu le
dernier soupir. Sacerdos en éprouva une vive douleur, qui fut augmentée
lorsqu'il sut que le mal avait fait des progrès si rapides que le mourant n'avait
pu recevoir le viatique pour le passage de la vie présente à la vie future, du
temps à l'éternité. Mais, si sa douleur fut grande, sa foi fut vive à trans-
porter les montagnes. En présence des religieux et des habitants du lieu,
qui étaient accourus à la première nouvelle de la mort de Laban, il se pros-
terne, la face contre terre, et reste là longtemps à prier. Enfin, il se relève
plein de confiance et le visage comme rayonnant d'une lumière céleste.
Puis il s'approche du très-cher défunt et, lui prenant la main, il l'appelle à
deux fois par son nom. Et, à la voix de son fils, le vieux Laban relève la
tête et apparaît comme sortant d'un profond sommeil : et, promenant ses
regards étonnés sur les assistants qui l'entourent, il leur dit : « J'avais
quitté ce monde à la seconde heure de ce jour, mais je dois aux mérites de
mon fils d'avoir été rendu à la vie ». Et tous les assistants, étonnés et saisis
d'un saint enthousiasme à la vue de ce miracle, poussent des cris de joie
vers le ciel, et rendent grâces à Dieu. Et le Saint se hâte de donner le via-
tique à son père ; puis, se prosternant, à l'exemple du patriarche Jacob,
« Mon père », dit-il, « donnez-moi votre bénédiction ». Et le vieux Laban
bénit son fils, et de nouveau il rend son âme à Dieu. Touchant exemple du
zèle sacerdotal qui doit entourer le chrétien à sa dernière heure ! Touchant
exemple aussi du prix qu'on attachait autrefois à la bénédiction paternelle !
On comprenait que « la bénédiction du père affermit la maison des en-
fants l ». On semble l'avoir oublié aujourd'hui.
Sur ces entrefaites, la ville de Limoges se voit privée de son premier
pasteur par la mort d'Aggéric, et, telle est la réputation de Sacerdos, tel
l'ascendant de ses vertus, que, d'un commun accord, le clergé et le peuple
le désignent pour occuper le siège vacant. Nous ne connaissons pas les actes
de son épiscopat, qui dut être fructueux en bonnes œuvres. Notre Saint
1. Eecli., m, 11.
318 4 mai.
avait noblement rempli la tâche que Dieu lui avait imposée et comblé la
mesure de ses mérites. Epuisé par les austérités de la pénitence et les fati-
gues d'un laborieux épiscopat plus que par les années, il pressentait que sa
fin était prochaine. Elevé sur la chaire épiscopale, il n'avait pas oublié, au
milieu des splendeurs de sa dignité, la chère solitude de Calviac, et il s'était
bien promis de revenir dans cet asile fortuné, pour rendre le dernier soupir
dans le lieu où il avait pris naissance à la vie monastique : sa mort devant
y être plus douce, plus agréable à Dieu. Il fait toutes ses dispositions, règle
toutes ses affaires, l'ait ses adieux à son clergé et à son peuple, et va déposer
son bâton de pasteur sur le tombeau de saint Martial. Puis, il prend le bâton
du pèlerin et sort de sa ville épiscopale, laissant après lui les regrets les plus
vifs. C'était un bien touchant spectacle qu'offrait ce vénérable et saint évo-
que, s'acheminant vers le lieu où il devait consommer sa course, après avoir
bien combattu les combats du Seigneur ; apportant lui-même sa dépouille
mortelle dans les lieux où fut son berceau, et allant en confier la garde à
ces moines qui furent ses frères, qu'il avait si longtemps édifiés, avec les-
quels il avait marché avec tant d'unanimité dans la maison de Dieu 1 Anges
du ciel, gardiens des voyageurs, veillez sur le saint évoque et dirigez sa
marche chancelante dans sa longue voie 1 Le Saint était arrivé à un petit
bourg du Bas-Limousin, placé sur la rive de la Dordogne, aujourd'hui la
petite ville d'Argentat. Et c'est là que Dieu avait fixé le terme du pèlerinage
de son serviteur. Il y fut bientôt atteint d'une violente fièvre dont les accès
renouvelés lui firent comprendre que sa fin approchait. Il demanda qu'on
lui donnât le Viatique des élus et qu'on orgnît son corps de l'huile sainte
des mourants, et, recommandant à ceux qui l'accompagnaient de porter
son corps au monastère de Calviac, il rendit doucement son âme à Dieu, le
5 du mois de mai de l'année 720 de Notre-Seigneur. Le souvenir de cette
mort s'est conservé dans la petite ville d'Argentat, et l'on montre encore le
lieu où se retira le saint évêque et où il rendit le dernier soupir. Une pieuse
et naïve légende accompagne le récit de cette maladie et de cette mort.
Nous ne pouvons lui refuser une bienveillante hospitalité dans ces pages.
Nous la racontons telle que la racontent tous les historiens de la vie du
saint évêque. « Accablé par l'âcreté de la fièvre et épuisé de forces, le Saint
demanda des œufs pour se rafraîchir et se soulager. Ses disciples ayant
couru par tout le village, n'en trouvèrent pas un seul, parce que les milan3
et autres oiseaux de proie étaient si communs dans ce lieu et aux environs,
qu'ils dévoraient toutes les poules qu'on essayait d'y élever. Ayant appris
cela, le saint évêque voulut être, avant de mourir, le bienfaiteur du village
qui lui donnait l'hospitalité au terme de sa course, et il prononça cet arrêt :
qu'à l'avenir aucun oiseau de proie n'ose inquiéter les poules de ce village
et des environs. Et, ajoute le légendaire, cet arrêt a été inviolable jusqu'à
ce jour ».
A peine saint Sacerdos eut-il rendu le dernier soupir, que ses disciples
se disposèrent à exécuter la dernière volonté de leur maître. Après avoir
honorablement enseveli son corps, ils le placèrent dans une barque pour le
conduire sur les eaux de la Dordogne jusqu'au monastère de Calviac, où,
la nouvelle de sa mort y étant déjà parvenue, on se préparait à faire au
saint évêque de dignes funérailles. Mondane, la mère du bienheureux Sa-
cerdos, vivait encore, toujours retirée dans la grotte qu'elle avait choisie
pour sa demeure. Depuis quelques années, Dieu, qui se plaît à éprouver les
saints, avait permis qu'elle devînt aveugle. Apprenant que le corps de son
fils approchait du rivage, Mondane s'y fit conduire, désolée, mais confiante
SAINT SACERDOS ET SAINTE MONDANE, SA MERE. 319
en Dieu. Là devait se terminer son épreuve, Dieu voulant glorifier en ce
moment le corps de son fidèle serviteur, en rendant la vue à sa fidèle ser-
vante. Sur la terre, le Saint avait obtenu la résurrection de son père ; au
ciel, il obtient que la vue soit rendue à sa mère. Heureux le père, heureuse
la mère d'un tel fils! Cependant les moines de Galviac étaient descendus
avec un grand concours de fidèles sur la rive du fleuve, pour y recevoir le
corps de celui qui avait été leur frère et leur père, et qui ne s'était éloigné
d'eux que pour leur revenir, sept ans plus tard, avec l'auréole des saints
pontifes. Ils retirèrent de la barque la sainte relique, la mirent sur leurs
épaules et la portèrent ainsi jusqu'à leur église.
L'humble Mondane s'était de nouveau retirée dans sa grotte, où elle
méditait les années éternelles, dans le silence et le recueillement. Sa con-
solation était d'aller prier sur le tombeau de son fils. Dieu réservait à Mon-
dane la plus belle couronne : celle du martyre. Deux ans après la mort de
saint Sacerdos, l'Aquitaine fut ravagée par l'armée des barbares, connus
sous le nom de Sarrasins, et venus du fond de l'Espagne sous la conduite de
Zama, leur chef. Avant d'assiéger Toulouse, où ils furent battus par Eudes,
comte d'Aquitaine, ils se répandirent dans le Périgord, ravageant et pil-
lant tout ce qu'ils trouvaient sur leur passage. Ils arrivèrent sur les bords
de la Dordogne, et c'est alors que Mondane, qui leur reprochait leurs bar-
bares excès et leurs impiétés, fut massacrée sur le tombeau de son fils, en
confessant la foi de Jésus-Christ. Après le départ de ces barbares, les fidèles
recueillirent le corps de la Sainte et lui donnèrent la sépulture auprès du
tombeau de saint Sacerdos ; et Dieu daigna glorifier le tombeau de la mère
comme il avait glorifié le tombeau du fils. Plusieurs miracles s'y opérèrent
en faveur des malheureux qui vinrent s'y recommander à l'illustre servante
du Seigneur. La mémoire de la Sainte est restée précieuse dans cette pieuse
contrée. Une église lui fut dédiée vers la fin du xin8 siècle, non loin de la
grotte qui lui servit d'asile pendant le temps de son veuvage et de sa péni-
tence. On montre encore dans cette grotte, que le pèlerin se plaît à visiter,
le tas de cailloux pris dans le lit de la Dordogne, sur lesquels la Sainte repo-
sait son corps affaibli par les jeûnes et les macérations ; et, au bas du ro-
cher, coule encore la source où elle allait se désaltérer, dont les eaux vives,
sanctifiées par le contact de sa main et de ses lèvres, furent longtemps
aimées des malades, de ceux-là surtout qu'affligeaient de violents maux de
tête. Heureuse terre de l'antique Calabre, vraiment aimée de Dieu et privi-
légiée entre toutes. Heureux ceux qui habitent tes demeures ! Voyageur,
qui suivez le cours majestueux de la Dordogne, arrêtez-vous ici ; vous êtes
sur la terre des Saints. A votre droite, vous avez Calviac avec quelques tra-
ces de son monastère ; Calviac où furent le berceau et le tombeau de saint
Sacerdos ; à votre gauche, l'église, la grotte et la fontaine de sainte Mon-
dane, qui rappellent de si pieux souvenirs. Et, là haut, sur la montagne,
saluez l'antique château, bien placé dans le voisinage des Saints. Il porte
un nom doux à prononcer dans notre langue, le nom de Fénelon, et
rappelle un des plus aimables génies dont se glorifie la France, et que le
Périgord est fier d'appeler son enfant1.
Les milans, les éperviers et autres oiseaux de proie, éconduits d'Ar-
gentat par saint Sacerdos, peuvent lui servir d'attribut caractéristique dans
les arts.
1. Le château de Fénelon, sorti de la famille des marquis de Fénelon peu d'années avant la Révolution
de 1789, et passé depuis en diverses mains, vient d'être acheté par il. le comte Eraest de Maleville, qui
en répare les ruines ayeo autant de zèle <jue d'intelligence.
320 4 maî.
CULTE ET RELIQUES DE SAINT SACERDOS.
Le culte de saint Sacerdos commença le jour de ses funérailles, sur son tombeau, qui devint
le but des pieux pèlerinages de tous les habitants de la contrée. Ces pèlerinages devinrent plus
fréquents et plus nombreux dès le jour que le corps de sainte Mondane reposa à côté du corps de
son fils : saintes reliques, que les moines de Calviac conservèrent comme un précieux trésor, sur
lesquelles reposait la vertu de Dieu, jusqu'au jour où leur monastère étant devenu une solitude,
les religieux de Saint-Sauveur de Sarlat se les approprièrent et les transportèrent dans leur
église.
Ceci se passait sous le règne de Charlemagne, c'est-à-dire avant l'année 814. L'église de Sar-
lat célébrait la fête de cette translation le 3 du mois de juillet. Dès ce moment, saint Sacerdos
fut le Patron de l'abbaye et de la ville de Sarlat, et lorsque, en 1317, cette Abbaye fut érigée en
évèché par le pape Jean XXII, saint Sacerdos fut le Patron du nouveau diocèse.
Nous ne pouvons adopter l'opinion du chanoine Tarde, qui fixe à l'année 1140 la translation
du corps de saint Sacerdos ; car le monastère de Calviac fut détruit par les Normands, vers l'an-
née 848, et il ne se releva jamais de ses ruines.
Le corps de saint Sacerdos fut conservé intact dans l'église du monastère de Sarlat jusqu'en 1574.
Mais, à cette époque de désastreuse mémoire, le deuil se fit sur ces saintes reliques; elles furent
profanées, comme toutes celles que possédait l'église de Sarlat. Le 22 février de cette année
1574, les protestants s'emparèrent de la ville, conduits par le capitaine Vivans. « Ils pillèrent les
églises », dit le chanoine Tarde ; « les reliques dont Charlemagne avait honoré l'église cathé-
drale de cette ville, et qui y avaient été religieusement conservées depuis cet empereur, furent
brûlées et jetées au vent, ainsi que le corps du grand et vénérable saint Sacerdos ».
Cependant Dieu ne permit pas que le corps de saint Sacerdos devint tout entier la proie des
flammes. Les fidèles purent en conserver quelques parties (le tibia entre autres), dont il est fait
mention dans des documents des années 1695 et 1719.
A l'époque désastreuse de notre Révolution de 1793, la relique de saint Sacerdos fut sauvée
par M. Gamat, curé de Sarlat, et confiée à une dame Faujanet, qui, malheureusement, après le
retour du calme, nia le dépôt qu'elle avait reçu.
Ce ne fut qu'après sa mort, que la famille en fit la remise à M. de Larouverade, curé de
Sarlat.
Mais il était nécessaire de constater que ces reliques remises par la famille Faujanet étaient
bien les mêmes que celles qui se trouvaient avant 1793 dans la châsse de saint Sacerdos, et
étaient attribuées à ce Saint et honorées comme telles. C'est ce que fit M. le curé de Sarlat,
après en avoir reçu la commission officielle de Monseigneur l'évèque d'Angouième, qui avait sous
sa juridiction le diocèse de Périgueux et de Sarlat. La constatation eut lieu à Sarlat le 10 sep-
tembre 1819.
Une parcelle de cette relique est honorée dans la cathédrale de Périgueux. Elle y fut déposée
en 1826 par Monseigneur de Lostanges, après s'être assuré lui-même de son authenticité par
l'examen qu'il fit du procès-verbal d'enquête, approuvé par Monseigneur l'évèque d'Angouième.
C'est tout ce qui reste du corps de saint Sacerdos.
L'abbaye de Sarlat, dont les reliques de saint Sacerdos ont fait la célébrité, fut, avons-nous
dit, érigée en évêché le 13 janvier 1317. de siège, supprimé en 1790 par la constitution
civile du clergé, ne fut point rétabli par le concordai de 1801. Et l'église, abbatiale d'abord, puis
cathédrale, ne fut plus que l'église d'une cure de première classe, gouvernée par un curé ayant
le titre d'archiprêtre.
En 1854, l'église de Sarlat recouvra son titre d'EGLiSE Cathédrale. Sa Sainteté Pie IX re-
connut l'existence canonique du diocèse de Sarlat, sous la juridiction et l'autorité des évêques de
Périgueux, et autorisa Mgr George et ses successeurs à ajouter au titre d'évèque de Périgueux
celui d'EvÈQUE de Sarlat.
Cf. Vie de saint Sacerdos, évêque de Limoges et patron de l'ancien diocèse de Sarlat, dédiée à Mgr N.-J.
Dabert, évêque de Périgueux et de Sarlat, par A.-B. Pergot, cnré de Terrasson. Périgueux, Lenteigne,
libraire; Bouuet, libraire, et à Terrasson, chez l'auteur; in-8*, 1365.
SAINT FLORIAN. SOLDAT ET MAB.TTO. 321
SAINT FLORIAN, SOLDAT ET MARTYR (204 ou 297).
De même que Jérusalem a son Etienne et Rome son
Laurent, de même la Pologne a son Florian.
Proverbe polonais.
Florian était né et demeurait au bourg de Zeiselmaur, dans la Basse-Autriche. On ne con-
naît de sa vie que la fin, c'est-à-dire le martyre. Il servait dans les armées impériales et était
chrétien en secret : il avait le grade de chef des emplois, ce qui équivaut probablement à officier
d'administration, lorsque l'édit de persécution fut publié. Grand nombre de chrétiens prirent la
fuite. Dieu suscita alors son serviteur Florian pour faire renaitre, par son héroïsme, le courage
dans l'âme des fidèles. Ayant appris que le gouverneur du pays, Aquilin, venait de verser le sang
de quarante confesseurs de la foi à Lorch, où était le siège du gouvernement, il se leva et s'y
rendit de lui-même. En route, il rencontra des soldats envoyés à la recherche des chrétiens. « Ne
vous donnez pas tant de peine », leur dit-il, « en voici un chrétien : prenez-moi et laissez-en
d'autres en paix ».
Amené au tribunal d'Aquilin, celui-ci lui dit : « Ce qu'on rapporte de toi est-il vrai ? sacrifie
et tu seras des nôtres ». — « Je ne le ferai point ».
Le gouverneur entra dans une grande colère et le menaça de l'y forcer par les tourments. Le
Saint ne répondit pas, mais, levant les yeux au ciel, il pria son Seigneur et son Dieu de le fortifier
dans le combat.
« Que signifie cette attitude », reprit le gouverneur, « as-tu la prétention d'insulter les em-
pereurs ?» — Le martyr ne répondit que par le silence.
Ne pouvant rien obtenir, le gouverneur lui fit donner deux fois la bastonnade et arracher la chair
des épaules, puis le condamna à être noyé dans l'Ens, rivière qui passe près de Lorch.
Les soldats le menèrent sur le pont : ils eurent l'humanité de lui donner le temps de recom-
mander son âme à Dieu; après quoi, ils le précipitèrent dans les flots, la tète la première : on
lui avait attaché une lourde pierre au cou.
Une pieuse femme, nommée Valérie, enterra le corps de saint Florian à sa campagne. Dans la
suite, on érigea sur son tombeau une église à laquelle on ajouta un couvent de Bénédictins. Ce
dernier ayant été détruit par les incursions des barbares, Angelbert, évêque de Passau, le fit relever
et le donna aux chanoines de Saiut-Augustin qui le possèdent encore. Cette belle abbaye est située
dans la Basse-Autriche, près d'Ens et non loin de Lintz.
Plus tard, on ne sait à quelle époque, ses reliques furent transportées à Rome. Les Tartares
et les Prussiens ayant ravagé la Pologne dans le xie siècle, le roi Casimir et Gédéon, évèque de
Cracovie, demandèrent au pape Lucius III quelques reliques de saints martyrs et obtinrent entre
autres celles de saint Florian (1183). Depuis cette époque, il est le patron de la Pologne. Son
culte est aussi très-répandu en Autriche. Il a un office propre à Passau, qui a remplacé comme
importance, au point de vue civil et ecclésiastique, l'ancienne ville de Lorch, devenue un village.
On l'invoque surtout contre l'incendie : cela remonte à un charbonnier qui, étant tombé au milieu
d'un eniDrasement, fut sauvé en invoquant saint Florian. Ce fait et les autres circonstances de sa
vie sont représentés dans une série de quinze tableaux qui décorent l'église de son nom, située
entre Lintz et Stira. Un autre de ces tableaux rappelle le miracle de l'aigle que Dieu envoya pour
défendre contre les attaques des animaux de proie, le corps du Martyr, échoué sur le rivage. Un
troisième montre l'attelage qui enlève le corps, épuisé de fatigue et de soif et ne pouvant plus
avancer. Aux pieds des bœufs jaillit une fontaine dans laquelle ils se désaltèrent et dont les eaux
devinrent célèbres par leur efficacité dans diverses maladies. — Plus loin, on voit des soldats invo-
quer saint Florian. Ce patronage est on ne peut mieux justifié. Son principal attribut est une
espèce de seau des montagnes avec lequel il verse de l'eau sur les maisons embrasées l.
AA. SS., t. ier de mai.
1. Pour être impartial, nous devons ajouter que les Allemands ont la prétention d'avoir gardé leur
saint Florian, et que, par conséquent, celui qui est honoré a Cracovie est différent de celui honoré en
Autriche, en Bavière et autres pays teutoniques. Tant d'autres villes et pays prétendent posséder le saint
Florian des Germains et lui rendent comme tel un culte qui confond des Saints du même nom avec le
leur, que nous inclinons a donner gain de cause aux Allemands. Voici comment on distingue les divers
Vies ces Saints. — Tome V. 21
322 ■* mai.
SAINT CYRIAQUE, ÉVÊQUE ET MARTYR.
Le triomphe de saint Cyriaque, martyrisé en Palestine, où il était allé visiter les Saints-Lieux, se
répandit promptement en Gaule. Il fut honoré d'un culte particulier dans la ville de Provins. Une
église avait déjà été érigée anciennement en son honneur, lorsque Henri Ier, comte de Champagne,
apporta de l'Orient son chef vénéré, et construisit une nouvelle église aussi vaste que splendide.
Cette église, maintenant paroissiale, était autrefois desservie par un collège de prêtres et jouissait
de nombreux privilèges et immunités. On y garde encore aujourd'hui une certaine partie de son
chef, dont la translation est honorée le 29 juillet.
Saint Cyriaque était, selon Baronius, un évèque de la ville d'Ancône. Il accomplît son martyre
sous Julien l'Apostat, après avoir enduré beaucoup d'affreux tourments.
Propre de Meaux.
SAINT FIRMIN, ÉVÊQUE DE VERDUN (486).
Ce saint prélat naquit à Toul. La terre de Flavigny, sur Moselle, faisait partie du domaine de
sa famille. Il devint évèque de Verdun et gouvernait cette ville lorsque Clovis revint en vainqueur
de Tolbiac. Les Verdunois essayèrent de se révolter contre les Francs auxquels ils obéissaient
depuis quelque temps. Ils choisirent, pour exécuter leur complot, le moment où saint Firmin,
atteint de la maladie dont il mourut, était hors d'état de s'opposer à une entreprise insensée. Il
rendait le dernier soupir lorsque les Francs vainqueurs étaient sur le point de forcer les portes de
la cité. Sa mort jeta la consternation dans la ville qui, privée tout à coup de son plus puissant
défenseur, confia au prêtre saint Euspiee la délicate mission d'aller implorer la clémence du roi.
Saint Firmin qui, du haut du ciel,veillaitsur son troupeau, inspira au vainqueur de pardonner : Clovis
entra pacifiquement dans la ville.
De son vivant, saint Firmin avait, pendant une grande famine, nourri son troupeau du blé que,
par une sage prévoyance, il avait accumulé dans les greniers de l'église. Un noble bourguignon
lui en envoya même acheter une quantité suffisante pour faire subsister quatre mille personnes.
Le corps du saint évèque, d'abord inhumé dans l'église des saints apôtres Pierre et Paul, resta
ignoré de longues années. Enfin il fut révélé en 964, époque à laquelle il fut transféré dans l'ancien
domicile de sa famille, à Flavigny, sur Moselle, où on le vénère encore aujourd'hui dans l'église
paroissiale.
Roussel, Histoire de Verdun, notes locales.
Saints du nom de Florian :
Saint Florian, guerrier romain, martyrisé et honoré en Autriche, etc.;
Saint Florian, martyr romain : c'est probablement celui dont le pape Lucius III donna les reliques k
la Pologne ;
Saint Florian dont les reliques furent apportées a Vicence en 1290;
Saint Florian dont le corps fat découvert, en 1411, sur le bord de la rivière d'Esino, dans le Picenum
(Marche d'Ancône);
Saint Florian et ses quarante compagnons, honorés à Bologne, et dont les corps furent apportés de
Palestine;
Saint Florian honoré à Venise;
Saint Florian dont les reliques furent apportées à Munster avec celles de saint Victorin et brûlées par
les Anabaptistes. Il serait un peu fort, disent les Bollandistes se corrigeant eux-mêmes dans leur sup-
ple'ment, de supposer que les reliques entières d'un seul Florian se trouvent en tant d'endroits à la
fois. La célébrité du plus ancien d'entre eux aura amené les Polonais, les Italiens, les "Westphaliens à
croire que leurs reliques respectives ne devaient pas provenir d'un autre que de celui qui avait souffert
en Autriche (t. vil de mai, p. 565).
Quant à la légende du saint Florian de Rome, qui est en réalité celui que les Polonais honorent en le
prenant pour celui d'Autriche, nous en rapporterons le trait suivant : elle raconte qu'en entrant dans la
crypte oh reposaient plusieurs corps saints, le pape Lucius III demanda quel était celui d'entre eux
qui désirait aller en Pologne; que saint Florian, soulevant le couvercle de son tombeau, étendit son
bras au dehors, comme pour dire : « C'est moi ». Ecce ego adsum. — Cf. Père Cahier.
SAINT ANTOINE DU ROCHER. 323
SAINT ANTOINE DU ROCHER (vi6 siècle).
Saint Antoine appartient au diocèse de Tours par sa vie et par sa mort. Il vint en France vers
l'an 542, et fut probablement l'un des cinq Apôtres de la vie monastique, que saint Benoit avait
envoyés dans notre patrie, sous la conduite de saint Maur ». Antoine et trois de ses compagnons,
Constantinien, Simple et Fauste, se rendirent d'abord au Mans, où l'évêque de cette ville, saint
Innocent, les avait appelés. Ils établirent à Glanfeuil un monastère qu'ils dédièrent à saint Martin.
Antoine ne s'y arrêta que très-peu de temps ; il était désigné pour Tours, et il vint y fonder la
célèbre abbaye de Saint-Julien.
Pendant plusieurs années, il en fut le premier abbé et il lui donna son nom qu'elle porta pen-
dant longtemps, comme nous le voyons par des lettres datées de 940, dans lesquelles on appelle
ce monastère le monastère de Saint-Julien ou de Saint-Antoine. Il y fut un modèle de toutes les
vertus. Ce qu'il enseignait, il le pratiquait 2, dit une chronique du monastère de Saint-Julien;
mais, attiré invinciblement par l'attrait de la solitude, il méprisa les joies du monde, il aima d'un
grand amour la pauvreté et il fut le possesseur de nombreuses richesses sans jamais y attacher son
cœur. Il se retira à quelques kilomètres de Tours, dans un lieu charmant et paisible et entouré de
tous côtés par des forêts. Caché dans la caverne d'un rocher, qni n'avait guère plus de quatre
pieds en largeur, en profondeur et en élévation s, le pieux serviteur de Dieu y servait Dieu assi-
dûment : Deo ibi Dei servus servieàat assiduus. Seul avec Dieu seul, Antoine se sanctifia dans
cette solitude, lutta contre le démon et contre lui-même, puis il s'endormit dans le Seigneur plein
de mérites et de vertus.
Peu de temps après sa mort, ses restes furent transportés par les moines de Saint-Julien dans
leur abbaye, et plus tard ils furent exposés à la vénération des fidèles sur le maître-autel de cette
église, où ils demeurèrent jusqu'en 1562, époque où les calvinistes dépouillèrent toutes nos églises
et brûlèrent les reliques de tous nos Saints. Quand des jours plus paisibles furent rendus à l'église
de Tours, les moines de Saint-Julien réclamèrent et obtinrent du curé de Saint-Antoine du Rocher
une partie des reliques de leur saint Abbé, qu'il possédait encore; ils les reçurent avec un grand
respect et les renfermèrent dans une boite d'argent qui fut placée entre les bras d'une statue du
Saint également en argent.
L'église de Saint-Julien conserva ces reliques jusqu'à la grande tourmente de 93, où l'esprit du
mal, déchaîné sur le monde, fit aux Saints de Dieu une guerre telle que l'Eglise n'en avait point
connue depuis les grandes persécutions païennes. Aujourd'hui l'église de Saint-Julien ne possède
plus que le souvenir de ce grand Saint, fondateur de son monastère.
Mais la grotte où le Bienheureux mourut est toujours l'objet d'un pieux et touchant pèlerinage.
Sur la ligne du chemin de fer qui conduit au Mans, arrêtez-vous à Saint-Antoine du Rocher et
rendez-vous pieusement à cette grotte où vécut et mourut saint Antoine. Peu de temps après la
mort du Saint, deux autels y furent élevés : on voit encore une fontaine près de laquelle, dit
une chronique du XIe siècle, jamais aucune femme n'approcha : une d'elles ayant voulu braver
la défense, fut frappée de mort. A la Révolution de 93, cette grotte fut pillée, profanée et elle
devint l'asile des bêtes immondes. En 1842, le pieux et bon prêtre, M. l'abbé Gervais, qui desser-
vait cette paroisse, fut assez heureux pour arracher à la profanation cette grotte, témoin de tant
de vertus. Il la fit restaurer, et, à sa prière, Mgr Morlot, alors archevêque de Tours, vint la bénir
solennellement. A l'endroit où la tradition veut que le Saint ait rendu le dernier soupir, il fit placer
une belle statue, œuvre d'Avisseau père, et représentant le Saint étendu sur une natte, tenant la
croix dans ses mains et les yeux levés vers le ciel qui va bientôt devenir sa récompense. Le pèle-
rinage, qui n'avait jamais été complètement interrompu, a reçu un nouvel essor, et l'on vient sou-
vent de bien loin implorer la protection du saint Solitaire.
L'archéologue et le curieux vont sur cette paroisse de Saint-Antoine du Rocher admirer un
monument druidique, qui peut exercer leur imagination et aiguiser leur curiosité, mais qui ne dit
rien à leur cœur ; nous les engageons à faire quelques pas de plus et à visiter le rocher de Saint-
Antoine : ils ne regretteront pas leur course.
L'abbé Rolland, chan. honoraire, aumônier du Pensionnat des Frères des Ecoles chrétiennes de Tours.
1. Cette tradition est acceptée par le Bréviaire do Tours.
2. Kam quod ore prsedicabat opère perficiebat.
8. Bolland., Acta Sanclorum, 4 maii.
324 4 mai.
SAINT GOTHARD OU GODARD », ÉYÊQUE DE HILDESHEIM (1038).
Saint Gothard, né en Bavière sur la fin du x8 siècle, fut élevé avec soin, et, après d'excel-
lentes études où il fit de grands progrès dans les sciences et dans la vertu, il quitta le monde
pour se faire moine dans l'abbaye d'Altaich. Il en devint successivement prieur et abbé, et sut y
maintenir la plus édifiante régularité. Il fut ensuite chargé de renfermer les abbayes de Hesfeld
en Hesse, de Tergensée au diocèse de Freisingen et de Chremsmunster au diocèse de Passaw, mis-
sion difficile dont il s'acquitta avec succès. Il fut élu pour succéder à saint Bernward, évêque
de Hildesheim, mort en 1020; mais il fallut tout l'ascendant de l'empereur saint Henri pour le
faire acquiescer à son élection.
Il parut bientôt que la grâce de l'ordination lui avait donné de nouvelles forces pour remplir
les fonctions de son nouveau ministère, dont il s'acquitta avec le plus grand zèle, la prudence la
plus éclairée et une rare confiance dans le secours de Dieu. Il établit une discipline très-régn-
lière dans le Chapitre de sa cathédrale, au point qu'il en forma un véritable monastère. Il insti-
tua des écoles pour former la jeunesse dans la vertu comme dans les lettres, et veilla par lui-
même sur ceux qu'il avait choisis parmi les autres, et qu'il élevait dans son séminaire pour le
ministère des autels. Il ne négligea point non plus le culte extérieur de Dieu, il répara les églises,
en bâtit de nouvelles, eut soin des fabriques, des revenus ecclésiastiques et des ornements des
temples. Il fit démolir l'église qu'Otowin, dixième évêque de Hildesheim, avait élevée en l'hon-
neur de sainte Marie et de saint Epiphane, et qui était entièrement tombée en ruines; il fit bâtir
au même endroit un couvent, qui fut achevé la troisième année de son gouvernement. Il y avait
à l'extrémité de sa ville épiscopale, un marais que la terreur populaire disait être hanté par les
mauvais esprits et les revenants. Notre Saint le fit dessécher et alla y planter sa tente : ce fut là
aussi qu'il éleva un vaste hôpital où toutes les misères, toutes les nécessités trouvaient un soula-
gement : les étrangers y étaient accueillis comme les gens du pays.
En 1023, l'archevêque de Mayence convoqua un synode national auquel notre Saint aussi fut
appelé. En s'y rendant, il délivra, dans les environs du château de Gruona, un possédé qui
était généralement réputé pour tel. Ce miracle, que les témoins oculaires, malgré sa défense, ré-
pandirent partout, donna un nouveau lustre à sa sain'eté.
Mais ce fut là le moindre de ses miracles : il en fit d'innombrables avant et après sa mort.
Un entre autres frappa plus vivement l'imagination des masses et servit à le caractériser dans
les estampes et les bas-reliefs. Il avait excommunié certains de ses diocésains : or, un jour qu'il
se préparait à célébrer les saints mystères, il les vit entrer dans l'église, en dépit de l'excommu-
nication. Invoquant le pouvoir de Dieu, il ordonna aux morts de se lever de leurs tombeaux et de
donner l'exemple de l'obéissance aux transgresseurs de ses ordonnances : ceux-ci soulevant le
couvercle de leurs sépulcres, organisèrent une procession et sortirent de l'église.
Il mourut le 4 mai 1038, et fut canonisé en 1131 par Innocent II. Plusieurs églises d'Alle-
magne l'honorent comme leur patron. Il a laissé des lettres qui respirent la piété et qui prouvent
qu'il était un des hommes les plus instruits de son siècle.
En l'année 1132 qui suivit sa canonisation et la translation de ses reliques, on commença à
bâtir un monastère de l'Ordre de Saint-Benoit, sous l'invocation de saint Gothard, et deux autels
lui furent consacrés dans la cathédrale. Au xvi8 siècle, on conservait dans cette dernière une
chasuble lui ayant appartenu et plusieurs autres reliques qui attiraient encore la vénération non-
seulement des catholiques, mais encore des protestants : les femmes enceintes surtout y avaient
recours au Saint.
SAINTE HÉLÈNE, VIERGE HONORÉE A TROYES.
L'évêque de Troyes, Garnier de Traîne], suivit la quatrième croisade comme aumônier de
l'armée latine. Quand les croisés se furent rendus maître de Constantinople, la ville opulente eu
richesses de toutes sortes fut livrée au pillage ; les églises possédaient de précieuses reliques que
1. Et encore Godehard, Godehardus.
MARTYROLOGES. 325
les seigneurs se réservèrent afin de les transporter avec eux en Occident. Garnier avait été chargé
de la garde de ces reliques, et pour cela il en eut une large part. Parmi celles qui lui furent attri-
buées, se trouvait un corps saint et entier, celui de sainte Hélène, vierge, qui, depuis, est devenue
patronne du diocèse de Troyes. La joie fut grande à Troyes quand les saintes reliques arrivèrent;
cependant cette joie ne tarda pas à être troublée. Quelle était cette sainte Hélène ? Garnier était
mort emportant avec lui les détails qu'il avait pu recueillir sur les lieux. Le nouvel évêque envoya
en Orient pour prendre des informations, mais cette démarche n'amena pas grande lumière, car les
faits que rapporta l'envoyé étaient tellement entachés d'anachronisme qu'on ne pouvait ajouter
grande foi à son récit. Hélène, d'après ce récit, était née dans la petite ville de Naturas, non
loin de la mer de Constantinople. Le roi de Corinthe était son père ; l'évêque du lieu lui avait
donné au baptême le nom d'Hélène. Elle s'adonna de bonne heure à la piété, et Dieu la récompensa
de son amour et de sa ferveur par le don des miracles. Elle en opéra de très-nombreux pendant sa
vie, et ses reliques en opérèrent de fort remarquables après leur arrivée à Troyes. La jeune fille
fit son premier miracle à douze ans. Un jour, une mendiante l'aborda près d'une fontaine et lui
demanda l'aumône. Hélène la pria de lui offrir à boire dans le vase de bois qu'elle tenait à la main
et, quand après avoir bu, elle le lui rendit, ce vase était devenu un vase d'argent Plusieurs fois,
le simple attouchement de son voile guérit les malades et procura aux pécheurs une contrition
profonde de leurs fautes. On ne connaît pas l'année de sa mort. C'est en 1211 que le culte de
sainte Hélène fut autorisé dans le diocèse de Troyes. Il est des auteurs qui ont prétendu que cette
sainte Hélène était la même que l'impératrice Hélène, mère du grand Constantin, mais rien n'est
moins probable. La châsse magnifique, dans laquelle était enfermé le corps de sainte Hélène, fut
brisée à la Révolution et les reliques livrées aux flammes. Il en a été sauvé quelques restes qui
ont été placés dans la châsse de sainte Màthie, patronne aussi du diocèse, et les deux fêtes se font
maintenant le même jour. Au xiv» siècle, il était défendu de travailler aux champs le jour de la
fête de sainte Hélène. A la même époque, l'évêque devait entretenir jour et nuit un cierge allumé
devant le tombeau de la vierge venue des rivages aimés du soleil.
Le 4 mai 1530, la présence du corps de la Sainte suffit pour arrêter soudain les ravages d'un
incendie formidable qui menaçait de détruire toute la ville de Troyes.
Les reliques de la vierge sainte Hélène furent reconnues à la cathédrale de Troyes le 24 avril
1821 : il y en a des parcelles dans plusieurs paroisses du diocèse.
L'église d'Auxerre a fait sa fête de 1600 à 1728.
Cf. Saints du diocèse de Troyes, par M. l'abbé Defer ; Propre, etc.
V JOUR DE MAI
MARTYROLOGE ROMAIN.
A Rome, saint Pie V, pape, de l'Ordre des Frères Prêcheurs, qui s'appliqua avec autant de
succès que de courage à relever la discipline ecclésiastique, à déraciner les hérésies, à réduire
les ennemis du nom chrétien, et gouverna l'Eglise catholique par sa vie sainte autant que p.ir ses
saintes lois. 1572. — Encore à Rome, sainte Crescentieune, martyre1. — Au même lieu, saint
Sylvain, martyr. — A Alexandrie, saint EutJiyme, diacre : mis en prison pour Jésus-Christ, il s'y
endormit paisiblement dans le Seigneur. — A Thessalonique, la fête des saints martyrs Irénée,
Pérégnn et Irène, consumés dans les flammes. — A Auxerre, le martyre de saint Jovinien, lecteur*.
— A Alicate, en Sicile, saint Ange, prêtre, de l'Ordre des Carmes, qui fut massacré par les héré-
tiques pour la défense de la foi catholique. Vers 1223. — A Jérusalem, saint Maxime, évèqne et
confesseur, que Maximien-Galère César avait condamné aux mines, après lui avoir fait arracher
1. Les Ursulines d'Amiens possèdent une de ses reliques.
2. Saint Jovinien était un des compagnons de saint Pèlerin. On pense que sa mort suivit de près celle
du saint Apôtre d'Auxerre (304;.
326 5 mai.
un œil et brûler un pied avec un fer chaud '. 350. — A Edesse, en Syrie, saint Euloge, évèque
et confesseur. Après 381. — A Arles, en Gaule, saint Hilaire, évèque, illus're par sa science et
par sa sainteté. 449. — A Vienne, saint Nicet ou Nizier, évèque, personnage vénéré pour sa grande
sainteté. 392-395. — A Bologne, saint Théodore, évèque, d'un mérite éclatant. Vers 540. — Le
même jour, saint Sacerdos ou Serdon, évèque de Sagonte, aujourd'hui Murviedro. Vers 530. — A
Milan, saint Géronce !, évèque. 470. — Au même lieu, la conversion de saint Augustin, évèque et
docteur de l'Eglise, à qui saint Ambroise fit connaître la vérité catholique, et qu'il baptisa en ce
jour. 387.
MARTYROLOGE DE FRANCE, REVU ET AUGMENTÉ.
A Vienne, saint Nectaire, treizième évèque de cette ville. 361-375. — Au même lieu, saint Flo-
rent H, successeur du précédent. 375-392. — A Trêves, saint Britton, évèque, qui souscrivit au
premier concile de Valence, et eut pour successeur Félix, au sacre duquel assista saint Martin. 386.
— A Tours, saint Avertin , chanoine régulier de la Congrégation de Saint-Gilbert d'Angleterre,
patron de Bougival, au diocèse de Paris. 1180. Sa fête est le 15 mai à Tours. —A Sarlat, sainte
Mondane, veuve et martyre, mère de saint Sacerdos, évèque de Limoges, fêté le même jour.
Vers 530. — A Chinon, au diocèse de Tours, saint Jean, solitaire, qui fut visité par sainte Bade-
gondc. vie s. — A Douai, saint Mauraàt ou Mauront, abbé de Breuil, sur la Lys, fils de sainte Bic-
trude. 702. — A Melz, sainte Valdrade ou Valdrée, vierge et abbesse de Sainl-Pierre-aux-Non-
nains. (Voir sa vie au Supplément de ce volume.) — A Gap, fête de saint Arige ou Arey, évèque.
— A Saint-Maximin, l'invention du corps de sainte Madeleine ». — A Mayence, saint Gothard,
évèque de ce siège. — Dans le diocèse de Chàlons-sur-llarne, saint Pétran, solitaire. Il était irlau-
dais d'origine et passa dans les Gaules avec saint Gibrien, saint Hélain et trois autres de ses frères,
ainsi que sainte Franche et ses deux autres sœurs. Tous sont honorés d'un culte public. vie s. —
A Nivelle, en Flandre, la bienheureuse Ide, épouse de saint Pépin de Landen et mère de sainte
1. On croit que saint Maxime fut un des confesseurs de la foi qui parurent avec leurs glorieuses cica-
trices au concile de Nicée (325). C'est à lui que saint Paphnuce adressa ces énergiques paroles au concile,
on plutôt au conciliabule de Tyr (335), tenu par les Ariens pour y condamner saint Athanase : «Une
convient pas à des confesseurs de la foi qui ont perdu leurs membres au service de Jésus-Christ, de
s'asseoir au milieu des fourbes et des impies ». A partir de ce moment, saint Maxime prit envers et
coBt' e tous la défense du grand Athanase. En 349 il tint un concile à Jérusalem pour y désapprouver
l'expulsion de l'illustre patriarche qui venait, pour la troisième ou quatrième fois, de quitter Alexandrie.
Les Ariens, irrités de la sainte liberté de Maxime, le chassèrent lui-même de son siège : il mourut l'an-
née suivante.
2. Saint Géronce eut à consoler son peuple des maux effroyables causés par la guerre d'Odoacre.
Milan, sa ville natale, fut presque entièrement ruinée. Jamais, dit le Bréviaire de Milan, il ne se laissa
accabler par le malheur des temps ou intimider par la perversité des hommes. Il fut enterré dans l'église
de Saint-Simplicien (AA. SS. à ce jour).
3. En l'an 1281, le prince Charles d'Anjou, inspiré par son zèle religieux, réunit un concile à Saint-
Maximin, pour procéder à la recherche du corps de sainte Marie-Madeleine, qui avait disparu à l'époque
des invasions des Barbares. Ce concile était présidé par Gnillaume de Longis, cardinal de la sainte Eglise
romaine et chancelier du roi. Il se composait de quatre archevêques, cinq évêques, dix abbés, un grand
nombre de docteurs en théologie et de personnes pieuses. Les divers témoignages, les écrits, les monuments
relatifs à la cause, furent attentivement examinés, discutés, et enfin le concile porta un décret solennel, qui
désignait et reconnaissait comme vraies et authentiques les reliques de sainte Madeleine. Ce décret fut
confirmé par Boniface Vin et accueilli par les fidèles avec un pieux enthousiasme. C'est ainsi que Made-
leine, qui jadis avait cherché avec tant de sollicitude le corps du Sauveur ressuscité, eut la gloire, après
sa mort, de voir son corps recherché avec le même soin. La Provence entière se réjouit d'avoir retrouvé
ce corps autrefois immolé à une si longue pénitence, et qui avait vécu de la vie du Sauveur bien-aimé,
bien plus que du souffle qui l'animait encore. Le Christ nous la rendit et illumina l'horreur du tombeau
de l'éclat de la gloire, afin que nous allions vers Jésus, attirés par les parfums de Madeleine, et que nous
retrouvions l'esprit de pénitence avec le corps de Madeleine pénitente. En vain célébrerions-nous l'in-
vention du corps de Madeleine, si nous n'imitions son repentir. Nous devons nous réjouir d'avoir retrouvé
Madeleine, mais il faut nous retrouver aussi, nous que le péché a perdus, et en célébrant cette fête, ne
pas négliger d'en retirer des fruits de salut. Puisque la perle des reliques a été retrouvée, examinons de
plus près le chef de la bienheureuse Madeleine. L'aspect de cette tête, conservée entière, inspire la péni-
tence. N'excitant point l'horreur qu'inspire d'ordinaire la vue des restes humains, elle n'inspire que l'a-
mour et la vénération. Sur cette tête de Madeleine, éclate un merveilleux prodige : comme si Madeleine
avait répété à la mort les paroles que le Christ lui avait adressées à elle-même : « Ne me touchez point»,
la mort n'a osé toucher la partie du doigt que le Sauveur avait consacrée. Elle semble garder encore les
signes de la vie, ce qui suffirait pour prouver l'authenticité de ses reliques. De plus, on trouve entiers,
et l'on conserve dans une châsse, ces bienheureux cheveux que la sainte amante de Jésus, inspirée par
une pieuse audace, jeta comme un lien ou un filet autour des pieds de son Juge et de son Sauveur. Aussi,
peut-ou regarder ces reliques de Madeleine comme une relique du Sauveur lui-même, à caus-; du contact
qui les a consacrées. Puisse chacun de nous imiter le sincère repentir de Madeleine, et le Sauveur dire
de nous, comme d'elle : « Beaucoup de péchés lui sont remis, parce qu'il a beaucoup aimé • . (Propre du
diocèse de Marseille.)
SAINT BAKSÉS, SAINT EULOGE ET SAINT PROTOGÈNE. 327
Gertrude. 652. — Dans le diocèse ds Nevers et d'Auxerre, saint Jovinien, lévite et martyr, l'un
des compagnons de saint Pèlerin, évêque d'Auxerre : sa tête et un de ses bras furent donnés, en
1071, au monastère delà Charité-sur-Loire *.
MARTYROLOGES DES ORDRES RELIGIEUX.
Martyrologe des Chanoines réguliers. — A Milan, la conversion de saint Augustin, notre'
Père...
Martyrologe des Frères Prêcheurs. — A Rome, saint Pie V...
Martyrologe des Carmes. — A Alicate, en Sicile, saint Ange, prêtre, de l'Ordre des Carmes,
qui fut tué par les hérétiques pour la défense de la foi. 1225. — A Rome, saiut Pie V. . .
Martyrologe des Augustins, — A Milan, la conversion de saint Augustin, notre Père...
Martyrologe des Hiéronymites . — A Milan, la conversion de saint Augustin, évêque. — Le
deuxième dimanche de mai. — La fête de la bienheureuse Marie, Vierge des Grâces, accordée à
notre Congrégation par le pape Pie VI.
ADDITIONS FAITES D'APRÈS LES BOLLANDISTES ET AUTRES HAGIOGRAPHES.
A Constantinople, la mémoire de sainte Irène, martyre, fille d'un petit roi du nom de Licinius,
« Elle fut », dit-on, « convertie par saint Timothée, disciple de saint Paul ». Ses Actes sont très-
obscurs, mais sa mémoire est illustre dans tout l'Orient, et les temples que Constantin le Grand et
après lui Justinien firent élever eu son honneur, témoignent assez de la célébrité de son culte. La
basilique de Sainte-Irène, élevée par ce dernier, a élé comparée aux diamants dont on orne un
bracelet: le bracelet, c'était Constantinople 2. Ier s. — En Afrique, les saints Grégoire, Archélaùs,
Félicissima, martyrs. — A Vérone, sainte Teuthérie et sainte Tusque, vierges, dont les corps
furent retrouvés, en 1161, dans une église qui leur avait été dédiée dès l'année 750. — A Bova,
en Calabre, saint Léon, moine, de l'Ordre de Saint-Basile. — A Orto, dans les Etats de l'Eglise,
saint Lande, martyr. Vers le vie s. — A Coriuthe, saint Athanase, archevêque. Xe s. — A Culuiz,
en Prusse, sainte Otta ou Jutta, veuve, qui embrassa la pauvreté volontaire et se consacra au
service des lépreux. Quand son indigence et la leur les privaient de lumière la nuit, Dieu permettait
que le corps de sa servante en éclairât les ténèbres comme un soleil éclatant. 1204. — Dans le
territoire d'Otrante, sainte Hérine, vierge, qui a donné son nom à une église de Lecce, où elle
est honorée en ce jour. — Au même lieu, sainte Vénère ou Yeuérande, vierge, suivante de sainte
Hérine. — A Constantinople, saint Gaïen et saint Gains, martyrs, qui étaient autrefois honorés
dans l'église de Saint-Côme. — A Tortone, saint Aribert, évêque de cette ville.
S. BARSBS, S. EULOGE ET S. PROTOGENE
ive siècle.
Cette parole de l'Apôtre contient un grand sens : Les
Saints sont les premiers en ce monde.
Comrn. sur la Ire aux Cor., vi, 2.
Saint Barsès, dont le Martyrologe romain fait mention au 30 janvier,
saint Euloge qui est cité aujourd'hui, et saint Protogène qui lésera demain,
furent tous trois évêques, les deux premiers d'Edesse, et le troisième de
Carrhes au ive siècle, à une époque où les Ariens rendaient la vie dure aux
évêques catholiques.
2. Voir la vie de saint Pèlerin au 16 mai.
2. Nous ne connaissons pas aujourd'hui l'état du culte de sainte Irène parmi les Ofrecs. Mais autrefois
sa protection était réputée toute-puissante. Un grand nombre de lieux changèrent de nom pour prendre
le sien. Ainsi en fut-il, au vme siècle, de l'île de Tharasia, dans l'archipel, qui s'appelle encore aujour-
d'hui Santorin. Les habitants se croyaient redevables à sa protection de n'avoir pas été engloutis par
un volcan sous-marin qui éclata en 72S. Los deux villes de San-Reino et de Sant-Arino, en Chypre ;
Nérodiade, en Asie-Mineure, qui s'est appelée Irénopolis ; Sant-Arem, en Portugal, sont autant do cités
qui doivent probablement leur nom à la célèbre Martyre.
328 5 mai.
Barsès et Euloge avaient d'abord été solitaires. Lorsque le premier fut
porté sur le siège épiscopal d'Edesse, le second vint dans la même ville
exercer les fonctions du ministère pastoral. Et lorsque saint Barsès fut re-
légué aux extrémités de la Mésopotamie, où il mourut, loin de son trou-
peau, saint Euloge en prit soin, comme étant le bras du saint évêque, et
le maintint dans le droit sentier de l'orthodoxie catholique.
Comme on avait choisi un loup, selon l'expression deThéodoret, c'est-à-
dire un évêque arien, pour occuper le siège de saint Barsès, le peuple, à
qui on avait aussi ôté les églises, ne voulut point communiquer avec lui,
et tint ses assemblées à la campagne. Il se produisit dans cette occasion un
fait qui honore trop la mémoire de ce saint pasteur et la foi de ses ouailles,
pour n'être pas détaillé ici. C'est d'après Socrate, Rufin, Sozomène et Théo-
doret que nous Talions rapporter.
L'empereur Valens étant venu à Edesse pour voir la célèbre église où
reposaient les reliques de saint Thomas, apôtre, fut extrêmement irrité de
trouver les catholiques assemblés en grand nombre, et, dans le feu de sa
colère, il frappa du poing le visage du préfet, appelé Modeste, qui était
à son côté, lui reprochant de ne pas les avoir chassés comme il le lui avait
commandé. Il lui ordonna en même temps de rassembler tous les archers
de la ville et les gens de guerre qui se trouvaient sur le lieu, pour disperser
ce peuple à coups de bâton et de massue, et même de se servir de traits et
d'épées s'il en était besoin.
Quoique Modeste fût tout dévoué aux volontés de l'empereur, il ne laissa
pas d'avoir horreur de cet ordre, dont il remit l'exécution au lendemain;
de plus il en fit avertir secrètement les catholiques, afin qu'il ne trouvât
personne qu'il pût maltraiter. Il sortit donc dès le matin avec beaucoup de
bruit et de tumulte, faisant de grandes menaces par ses gens pour sauver
les apparences; mais il fut fort surpris lorsqu'il s'aperçut que les catholiques,
bien loin de se cacher, accouraient en foule au lieu de l'assemblée. Dans
son étonnement il hésitait sur ce qu'il avait à faire, et cependant il s'avan-
çait vers l'endroit, quand il vit tout à coup sortir d'une maison une pauvre
femme avec son enfant entre les bras, qui n'avait pas même pensé à se cou-
vrir la tête, ni à fermer sa porte, et qui fendant la presse des officiers, dont
il était précédé, courait pour joindre les autres.
Il se douta bien de son dessein, et pour mieux s'en assurer, il se la fit
amener, et lui dit : — « Malheureuse femme, où courez-vous sans voile et
avec tant de précipitation ?» — « Je me hâte », lui répondit-elle, « de me
rendre où les autres vont ». — « Mais ne savez-vous pas », lui dit Modeste,
« que le préfet a ordre de l'empereur de massacrer tous ceux qu'il y trou-
vera ?» — « Je le sais », répondit la femme, « et c'est afin qu'il m'y trouve
aussi que j'y cours ». — « Et pourquoi portez-vous aussi cet enfant », ré-
pliqua Modeste ? — « C'est », dit-elle, « afin qu'il ait le bonheur de souffrir
le martyre avec moi ».
Le préfet comprit par le courage intrépide de cette femme, qu'il n'en
devait pas moins attendre des autres catholiques, et étant retourné sur-le-
champ vers l'empereur, il lui raconta ce qu'il avait vu, et lui représenta qu'il
fallait ou laisser les catholiques en repos, ou se déterminer à les faire tous
périr, ce qui ne pouvait que lui attirer la honte d'avoir exercé une cruauté
sans exemple.
L'empereur se rendit en partie à ses persuasions, et commanda néan-
moins de faire appeler ceux qui tenaient le premier rang entre les fidèles,
c'est-à-dire les prêtres et les diacres, et de leur ordonner de sa part de
SAINT BARSÈS, SAINT EULOGE ET SAINT PROTOGÈNE. 329
communiquer avec l'évêque arien qu'il avait mis à la place de saint Barsès,
ou de les reléguer bien loin, s'ils refusaient d'obéir. Saint Euloge était le
chef de ce respectable clergé, et Protogène était le premier après lui. Eu-
loge avait pratiqué, comme nous l'avons dit, la vie solitaire près de Garrhes.
Modeste les ayant donc assemblés, leur représenta, en montrant beaucoup
de modération, que c'était une témérité de leur part de s'opposer aux vo-
lontés d'un prince qui commandait à tant de peuples, eus qui n'étaient
qu'une poignée de gens sans pouvoir, et les exhorta à lui obéir.
Ils l'écoutèrent en silence, et le préfet voulant avoir quelque réponse
s'adressa à saint Euloge, et lui demanda pourquoi il ne disait rien. « Je ne
croyais pas devoir répondre, lui dit le Saint, puisque vous ne m'interrogiez
pas ». — « Il y a pourtant longtemps que je parle, dit le préfet, et que je
vous exhorte à choisir le parti qui vous est le plus avantageux ». — « J'ai
cru, répliqua Euloge, qu'ayant parlé à tous en général, je ne devais répondre
qu'avec tous les autres; mais si vous voulez savoir mon sentiment en parti-
culier, je ne vous le cacherai pas ». — « Communiquez donc avec l'empe-
reur », répondit le préfet. A quoi Euloge répondit par une fine raillerie : —
« L'empereur voudrait-il ajouter la dignité d'évêque à la puissance impé-
riale ? »
Le préfet sentit la raillerie, et y répondit par des injures en homme vi-
vement piqué; ensuite il ajouta : « Je ne vous ai pas dit cela, rustre et
stupide que vous êtes, j'ai voulu seulement vous porter à communiquer
avec ceux qui sont de sa communion » . Mais Euloge lui ayant dit qu'ils
étaient déjà soumis à un pasteur, le préfet fit arrêter quatre-vingts ecclé-
siastiques et les relégua tous en Thrace.
Le bruit s'en répandit bientôt, et il y eut presse dans leur route pour
les voir, les habitants des villes et des bourgs accourant au-devant d'eux
pour les combler d'honneur, et les féliciter de leur constance et des vic-
toires qu'ils remportaient sur l'hérésie. Leurs ennemis en furent jaloux, et
firent entendre à l'empereur qu'ayant voulu les déshonorer par cet exil, ils
en avaient acquis plus de gloire ; ce qui détermina ce prince à les séparer
et à les envoyer deux à deux, les uns en Thrace, les autres en Arabie et
d'autres dans la Thébaïde. On porta même la cruauté jusqu'à séparer ceux
d'entre eux qui étaient unis par les liens du sang, et d'emmener les frères,
l'un d'un côté et l'autre de l'autre.
Mais Dieu, qui fait servir la malice des hommes à ses fins, et qui en tire
sa gloire, permit que saint Euloge et Protogène son second, fussent relé-
gués à Antinoé pour le salut de plusieurs. Ils y trouvèrent à la vérité un
évêque catholique, et assistèrent aux assemblées ecclésiastiques. Mais voyant
que le nombre des fidèles était petit, et ayant appris avec douleur qu'il res-
tait encore beaucoup de païens, ils ne se contentèrent pas d'en gémir devant
Dieu, et résolurent de travailler à leur conversion. Saint Euloge s'enferma
dans une cellule, où il priait jour et nuit, afin que Dieu bénît son entre-
prise; et Protogène, qui possédait les belles-lettres, et était en même temps
un habile sténographe, ouvrit un école où il montrait à écrire aux enfants,
et les instruisait des saintes Ecritures, leur dictant surtout les psaumes et
les endroits des écrits des Apôtres qui leur étaient plus convenables.
Un miracle qu'il fit dans ce temps-là donna du crédit à sa sainte doc-
trine et hâta la conversion de plusieurs. Un de ses écoliers tomba malade.
Il alla le visiter, et le prenant par la main il le guérit par la force de sa
prière. Le bruit s'en répandit aussitôt : de sorte que, quand il y avait quelque
enfant malade, les parents l'appelaient pour le guérir; mais comme il leur
330 5 mai.
disait qu'il ne pouvait prier Dieu pour eux qu'ils n'eussent reçu auparavant
le baptême, ils y consentaient sans difficulté, et ainsi il leur donnait la santé
de l'âme et du corps.
Théodoret dit aussi que, quand il avait converti quelque païen, il le
conduisait à saint Euloge pour recevoir de lui le sceau du Seigneur. Et
comme le Saint se plaignait de ce qu'il venait interrompre sa prière, il lui
répondait que le salut de ceux qui sortaient de l'erreur pressait davantage.
Du reste, ajoute cet historien, tout le monde admirait Protogène qui, ayant
reçu de Dieu le don de miracles et de lumière pour faire connaître la vé-
rité à tant de gens, se regardait pourtant comme inférieur à Euloge, et lui
amenait ceux qu'il avait gagnés au Seigneur, ce qui donnait une très-haute
idée de sa grande vertu.
Enfin, le calme ayant été rendu à l'Eglise, ces deux Saints retournèrent
dans leur patrie; mais ce ne fut pas sans regret de la part de ceux qu'ils
quittèrent, car ils les accompagnèrent avec beaucoup de gémissements et
de larmes, et surtout l'évêque du lieu, qui se voyait privé par leur départ
des secours qu'il en retirait pour le bien de son diocèse. A leur retour, saint
Euloge fut mis en la place de saint Barsès, qui avait passé de cette vie à une
meilleure. Et quant à Protogène, on le chargea du gouvernement de l'église
de Carrhes *, où il y avait beaucoup à travailler, à cause du grand nombre
de personnes qui y étaient encore engagées dans les erreurs du paganisme :
aussi ne pouvait-on mieux confier qu'à lui un champ si hérissé, pour ainsi
dire, de ronces et d'épines. Saint Euloge fut placé sur la chaire d'Edesse
par saint Eusèbe, évêque de Samosate. Ce fut avant le concile d'Antioche,
auquel il assista en 370, ainsi qu'à celui de Constantinople en 381.
Vies des Pères des déserts d'Orient.
SAINT ÏÏILAIRE, ARCHEVÊQUE D'ARLES
401-449. — Papes : Saint Anastase ; saint Léon le Grand. — Empereurs d'Occident : Honorais :
Valentinien III.
Voulez-vous montrer en tout, comme l'ordonnent
les saints Canons, fidélité', soumission et obéis-
sance au bienheureux apôtre Pierre, qui a reçu de
Dieu le pouvoir de lier et de de'lier, a son vicaire
notre Saint-Père le Pape, et aux pontifes romains»
ses sucessseurs ? — Je le veux.
Pontif. rom., sacre des évêques.
Le Saint dont nous allons parler a lui-même écrit sa vie, sans y penser,
en faisant celle d'un autre Saint. Il nous apprend dans l'oraison funèbre
qu'il a faite de saint Honoré, ou Honorât, son prédécesseur, que ce grand
homme sortait quelquefois de sa solitude de Lérins, pour gagner des âmes
à Dieu. Un jour, étant venu dans le pays d'Hilaire, qui était ou la Bourgo-
gne ou la Lorraine, et peut-être la ville de Toul, et le voyant déjà fort em-
barrassé dans le monde, il entreprit de l'en détacher, lai exposant, d'un
côté, la vanité du siècle, les périls de cette vie et les difficultés de s'y sauver,
et, de l'autre, l'excellence de la vie religieuse et les avantages que l'on y
1. Aujourd'hui Harran, au sud-ouest d"Kdesse.
SAINT HILAIRE, ARCHEVÊQUE D' ARLES. 331
trouve pour aller sûrement au ciel. Mais comme il vit que tous ses discours,
quoique fort pressants, ne faisaient aucune impression sur son cœur, et que
le jeune homme protestait toujours, et môme par serment, qu'il ne chan-
gerait jamais la vie séculière pour s'enfermer dans un cloître, il lui dit,
dans un esprit prophétique : «Dieu m'accordera, avec le temps, ce que vous
me refusez aujourd'hui ». En effet, après que le saint abbé eut prié pour la
conversion d'Hilaire, son cœur changea tout à coup, et il conçut autant de
dégoût des vanités du monde, qu'il les avait aimées avec passion auparavant ;
de sorte que, rompant enfin toutes les chaînes qui le tenaient attaché au
siècle, il s'enfuit en la solitude de Lérins, pour y travailler à la perfection,
sous la sage conduite d'un si saint abbé.
Hilaire ne se fit pas religieux à demi, car il se rendit si accompli dans
toutes les vertus, que saint Honorât, se voyant élevé à l'archevêché d'Arles,
le substitua en sa place, et le fit le second abbé du célèbre monastère de Lérins,
Peu de temps après, sentant le grand poids de sa charge épiscopale, il vou-
lut l'avoir auprès de lui pour se servir de ses conseils et décharger ses épaules
d'une partie de son fardeau; mais l'amour de la solitude, dont le saint Abbé
était charmé, lui fit bientôt abandonner la ville pour retourner à son ab-
baye, et il s'y rendit avec plus d'ardeur qu'il n'y était allé la première fois,
lorsqu'il s'était fait religieux, ainsi que saint Eucher, évêque de Lyon, le
remarque expressément dans une de ses épîlres à saint Honorât.
Le saint Archevêque, sentant ses forces beaucoup diminuer, fit encore
revenir son saint disciple, afin qu'il l'assistât à la mort et qu'il lui rendît les
derniers devoirs de la sépulture. Hilaire le fit avec l'amour et la tendresse que
l'on voit dans l'oraison funèbre qu'il prononça sur son saint ami. Craignant
d'être élu en la place du défunt qui avait manifesté ce désir, Hilaire partit aussi-
tôt pour sa chère solitude; mais Castus, gouverneur de la ville, ayant décou-
vert son dessein, le fit arrêter; le Saint se vit bientôt environné de la milice,
du peuple et du clergé ; chacun l'exhortait à se rendre : tout ce qu'il put
faire, ce fut de protester qu'il n'accepterait la prélature que si Dieu lui ma-
nifestait sa volonté par quelque signe. A l'heure même, une colombe parut,
blanche comme la neige, et vint se poser au milieu de cette nombreuse as-
semblée, sur la tête d'Hilaire, et on ne put la faire partir avant que le Saint
n'eût acquiescé à son élection. Il n'avait que vingt-neuf ans; mais sa jeu-
nesse ne servit qu'à rendre ses vertus plus aimables et plus éclatantes.
Il ne faut pas s'imaginer que ce saint religieux relâchât rien des rigueurs
du cloître, pour se voir élevé à la dignité d'archevêque ; il pratiqua toujours
les mêmes austérités, et sut très-bien allier la vie monastique à la prélature.
Son vivre, son vêtir et son coucher furent les mêmes qu'auparavant; et,
pour être devenu plus grand prélat, il n'en fut pas moins religieux, ni moins
mortifié. Les revenus de son église ne le rendaient pas plus riche : car il les
distribuait avec tant de libéralité, qu'il se vit bientôt réduit à se servir de
calices et de patènes de verre. Sa charité pour les pauvres alla même jus-
qu'à travailler de ses propres mains, pour avoir de quoi leur donner, quoi-
qu'il fût d'une naissance illustre et que les fonctions éminentes de sa charge
semblassent l'en exempter.
Les Saints eux-mêmes commettent des fautes; et la sainteté n'est-elle
pas le plus souvent l'innocence recouvrée par la pénitence? Un excès de
zèle porta saint Hilaire à sortir des bornes des convenances vis-à-vis du sou-
verain Pontife saint Léon le Grand ; mais il reconnut sa faute, s'en repentit
et donna satisfaction au souverain Pontife. Il envoya, à cet effet, à Home,
les trois prêtres les plus considérables de son clergé, Ravenne, Nectaire et
332 5 mai.
Constance; et il vécut, depuis, avec saint Léon, dans la meilleure intelli-
gence; ce grand Pape, dans une lettre qu'il écrivit quelque temps après la
mort de l'archevêque d'Arles, l'appelle Hilaire de sainte mémoire.
Le talent que saint Hilaire avait pour la prédication était singulièrement
remarquable. Lorsqu'il parlait aux savants du monde, il s'exprimait avec
cette grâce, cette élégance et ce ton de noblesse qui caractérisent les grands
orateurs; mais s'il avait à instruire des gens sans lettres, il changeait sa
manière et proportionnait ses discours à la capacité des plus ignorants. Ce
qu'il y avait de plus admirable, c'est que, dans les instructions les plus fa-
milières, il savait allier un style simple et naïf avec la majesté de l'Evangile.
Il prêchait la vérité sans déguisement et sans jamais flatter les grands. Nous
en citerons un exemple. Il avait souvent averti en particulier un juge de la
province, qui administrait la justice avec une criminelle partialité : ses
avertissements n'avaient produit aucun effet. Un jour qu'il prêchait, le ma-
gistrat, suivi de ses officiers, entra dans l'église. A peine l'eut-il aperçu, qu'il
interrompit son discours. Son auditoire paraissant étonné, il dit qu'un
homme qui avait si souvent négligé les avis qu'on lui avait donnés pour le
salut de son âme, ne méritait pas d'être nourri de la parole divine avec le
peuple fidèle. Le juge, frappé de cette réflexion, rougit et rentra en lui-
même. Le Saint reprit ensuite le fil de son discours. Ayant remarqué, un
autre jour, que plusieurs personnes sortaient de l'église après la lecture de
l'Evangile et précisément dans le moment où il prêchait, il les fit revenir,
en leur disant : « Il ne vous sera pas si facile de sortir des cachots ténébreux
de l'enfer, si vous avez le malheur d'y tomber ».
Son éloquence était rehaussée par l'éclat de ses miracles et de ses vertus.
Par la seule imposition de ses mains, il rendit la vue à un aveugle; il déli-
vra un énergumène ; il obtint du ciel la guérison d'un de ses diacres qui
avait eu un pied écrasé par un bloc de marbre.
Il avait la plus grande tendresse pour les pécheurs, lorsqu'il administrait
la pénitence, ce qui se faisait ordinairement le dimanche après l'office et
les instructions publiques ; beaucoup venaient recevoir de lui le remède aux
maladies de leur âme. Il excitait par ses larmes celles des pénitents. On ne
pouvait l'entendre ni même le regarder, sans avoir le cœur brisé de com-
ponction, et l'esprit effrayé par les jugements de Dieu, par le jour terrible
de sa colère et par la damnation éternelle ; on était dégoûté de la vie pré-
sente et l'on prenait la résolution de ne plus vivre que pour le ciel. Le Saint
inspirait facilement ces sentiments aux autres, les ayant lui-même. Sa
grande maxime étant de rapporter tout à Dieu, il le considérait comme son
juge souverain, et examinait chaque jour, en sa présence, l'état de son âme:
aussi veillait-il avec une grande attention à tout ce qu'il pensait, à tout ce
qu'il faisait, à tout ce qu'il disait.
Il présida à plusieurs conciles, entre autres à ceux de Riez, en 439 ;
d'Orange, en 441; de Vaison, en 442; d'Arles, en 443; il combattit les héré-
sies, surtout le pélagianisme, rétablit la discipline ecclésiastique, fonda des
monastères, où il fit régner la plus parfaite régularité. Il en donnait lui-
même l'exemple. Car le premier acte de son épiscopat avaii été de se réunir
au clergé de sa cathédrale pour vivre en communauté : le dernier membre
de cette Congrégation lui était plus cher que lui-même ; le plus petit acci-
dent qui leur arrivait l'affligeait; leur mort lui arrachait des larmes. Ils vi-
vaient du revenu de leur travail : Hilaire lui-même, l'archevêque d'Arles,
le vicaire du Saint-Siège, travaillait sans cesse : pendant qu'on lui parlait,
qu'on lui lisait, qu'on lui récitait des prières, il faisait des nattes. Il allait
SAINT HILAIRE, ARCHEVÊQUE D'ARLES. 333
toujours nu-pieds, même en hiver, même pendant ses fréquents voyages :
c'est ainsi qu'il alla à Rome, sous son modeste vêtement, il portait un ci-
lice. Rien ne lui coûtait quand il s'agissait du salut de son peuple ; on l'a
vu, les jours déjeune, prêcher trois heures de suite. Il vendait tout, jus-
qu'aux vases sacrés, comme je l'ai déjà dit, pour racheter les pauvres Gau-
lois tombés au pouvoir des tribus germaniques qui envahissaient la Gaule.
Il avait d'illustres amis, comme saint Germain, évêque d'Auxerre, un des
apôtres de la Grande-Rretagne, et destructeur du Pélagianisme ; il se con-
sultaient souvent l'un l'autre sur les affaires de leurs diocèses. Enfin, con-
sumé de zèle et d'austérité, Hilaire tomba malade ; et, comme un jour il
croyait être à l'extrémité, il lui sembla voir devant lui tous les vêtements
d'Aaron, de la manière qu'ils sont décrits dans l'Ecriture : lorsqu'il se dis-
posait à les mettre, croyant qu'ils étaient préparés pour lui, son prêtre, Ra-
venne, fut appelé pour s'en revêtir et célébrer les saints Mystères : il recon-
nut bien, par là, que son heure était arrivée, et que Dieu lui faisait voir son
successeur. Il en donna avis à ses enfants spirituels, leur prédisant qu'à onze
heures du soir il partirait de ce monde : ce qui arriva le 5 mai, l'an de
Notre-Seigneur 449, de son âge le quarante-huitième et la dix-neuvième
année de son épiscopat.
Toute la ville d'Arles pleura sa perte prématurée ; chacun voulut toucher
le Saint avant qu'il fût enseveli : les juifs mêmes assistèrent aux funérailles.
Pendant le service funèbre, on n'entendait guère chanter les psaumes et
faire l'éloge du Saint qu'en hébreu ; car les juifs seuls pouvaient parler : la
voix des chrétiens, accoutumés à prier en latin et en grec, était étouffée
par la douleur. Tel est le récit d'un témoin oculaire. Son corps, inhumé
dans l'église de Sainte-Etienne, fut transféré ensuite dans celle de Saint-
Geniez, et de là enfin dans celle de Saint-Honorat. Au milieu du xne siècle,
ces saintes reliques furent transférées dans l'église de Sainte-Croix.
Son attribut est la colombe, qui est le symbole de l'élection par inspira-
tion ou à l'unanimité.
ÉCRITS DE SAINT HILAIRE.
Nous n'avons aujourd'hui qu'un seul ouvrage authentique de saint Hilaire, c'est la Vie de saint
Honorât, son prédécesseur sur le siège d'Arles (tome L de la Patrologie de M. Migne). Son bio-
graphe cite encore Homélies sur les fêtes de l'année ; explication dû-Symbole ; lettres en grand
nombre ; des vers. On a aussi attribué à saint Hilaire d'Arles, un poëme sur la Providence divine,
et on en a conclu qu'il était semi-pélogien. Pour arriver à cette conclusion, il resle à prouver:
1° que ce livre est réellement de saint Hilaire; tous les savants admettent aujourd'hui que notie
Saint n'en est point l'auteur; 2° que le sémi-pélagianisme est contenu dans ce livre. Or, on con-
vient généralement qu'il n'y est que pour ceux qui veulent l'y voir. Quant à la lettre de saint
Prosper à saint Augustin, qu'on invoque aussi contre Hilaire, que nous apprend-elle? qu'Hihiire
pensait en tout comme Augustin, excepté sur la prédestination : chose très-permise. Accuse-t-on
saint Augustin de faire partie des hérétiques connus sous le nom de prédestinatiens, parce qu'il
enseigue que le décret de la prédestination à la gloire est absolu antécédent ? Pourquoi traiter de
semi-pélagien saint Hilaire pour avoir rejeté ce système? Est-on pélagien parce qu'on trous e
plus raisonnable de croire que la prédestination des élus à la gloire est conditionnelle, consé-
quente, c'est-à-dire fondée sur la prévision de leurs mérites naturels?
Il ne faut pas confondre saint Hilaire d'Ailes avec : 1° l'évèque Hilaire, ami de saint Jean Chry-
soslôme, qui, en cette qualité, fut exilé dans le Pont; 2° Hilaire, évèque de Narbonne; 3° Hilaire,
diacre et envoyé du pape Libère au concile de Milan (335), maltraité par les Ariens, et exilé par
l'empereur Constance ; 4° Hilaire, jeune laïque de Syracuse, disciple ardent de saint Augustin.
On possède encore son épitaphe, dans une chapelle souterraine, sous le maitre-autel de
Saint-Honorat-lès-Arles. Elle est gravée sur une grande table de marbre enchâssée dans la muraille,
et rompue en plusieurs morceaux. Cette inscription est en beaux caractères romains; la voici:
334 5 mai.
Antistes Domini qui paupertatis amorem Rustica quia etiam pro XPO munia sumens
Proponens auro rapuit celestia regaa. Servile obsequium non dedignatus adiré
Hilarius cui palma obitus et vivere XPS Officio vixit minimus et culmine summus
Contemnens fragilem terreni corporis usum Nec mirum si post haec meruit tua limina XPE
Hic carnis spolium liquit ad astra volans. Angelicasque domos intravit et aurea régna
Sprevit opes dum querit opes mortalia mutans Divitias Paradise tuas fragrantia semper
Perpetuis cœlurn donis terrestribus émit. Gramina et halantes divinis floribus hortos
Gemma sacerdotum plebis orbisque magister Suijectasque videt nubes et sidéra cœli.
La Vie de saint Hilaire a été vraisemblablement écrite par un de ses nombreux disciples, l'évêque
Honorât, de Marseille, prédicateur et auteur de plusieurs écrits, que Gennade vante beaucoup {De Vir.
illustr., c. 99). Voir Surius, les Bollandistes, et dans cet ouvrage la Vie de saint Léon au 11 avril.
SAINT MAURONT OU MAURANT, PATRON DE DOUAI
634-702. — Papes : Honorius Ier; Jean VI. — Rois de France : Dagobert I";
Childebert III.
Saint Maurant ou Mauront naquit dans la Flandre française vers l'an 634,
probablement à Merville, sur la rivière de la Lys, autrefois diocèse de Thé-
rouanne, aux confins de la Flandre et de l'Artois, entre Aire et Armentières *.
Il eut pour père le bienheureux Adalbaud, duc de Douai, petit-fils de
Clotaire, roi de France, seigneur riche et puissant, mais plus illustre encore
par ses vertus que par ses richesses, et qui mérita que l'Eglise honorât sa
mémoire le second jour de février ; et pour mère sainte Rictrude, née à
Toulouse, en Aquitaine, de sang royal comme son noble époux.
Il eut l'honneur d'être baptisé par un Saint, nommé Riquier, si célèbre
lui-même par son zèle apostolique, par sa vie pénitente, et surtout par la
fondation de la fameuse abbaye qui porta son nom, près d'Abbeville, dans
le Ponthieu, aujourd'hui département de la Somme.
Saint Maurant était l'aîné de quatre enfants. Clotsende, Eusébie et Adal-
sende, ses sœurs, qui sont également honorées d'un culte public par l'Eglise,
savoir : la bienheureureuse Clotsende, abbesse de Marchiennes après sainte
Rictrude, sa mère, le 30 juin ; sainte Eusébie, abbesse de Hamage, le 16
mars ; et la bienheureuse Adalsende, religieuse sous sainte Eusébie, le 24
décembre. C'était donc toute une famille de Saints.
Les enfants, après Dieu, durent leur sainteté aux soins de leurs pieux pa-
rents, mais surtout aux leçons, aux larmes, aux prières, aux jeûnes et aux
aumônes de leur sainte mère. Que ne peut une éducation solidement chré-
tienne pour l'innocence et le bonheur des enfants !
Il reste peu de souvenirs de l'enfance de saint Maurant. Voici seulement
un trait, dans lequel ceux qui ne croient point au hasard, ne manqueront
pas de voir une providence particulière de la part de Dieu.
Nous venons de dire qu'il avait reçu le baptême des mains de saint Riquier.
Or, il arriva qu'unjour ce vénérable et saint prêtre, autant pour le profit de
son âme que pour les consolations de l'amitié, vint faire visite à la bienheu-
reuse Rictrude. Après les entretiens de piété, dont ils avaientnourri leurs âmes
comme d'un pain délicieux et tout céleste, l'homme de Dieu, déjà remonté
1. Meurivilla, Mauranville (villa de Maurand), Merville est aujourd'hui une petite ville ouverte du.
Nord, dans les environs de laquelle se trouvait l'abbaye de Breuil, complètement détruite, ainsi que
l'abbaye de Marchiennes. (Lettre de M. l'abbé Brunet.. vicaire à Douai.)
SAINT MAUR0NT OU MAURANT, PATRON DE DOUAI. 335
sur son cheval, se disposait à partir. De son côté, la bienheureuse servante
du Seigneur, par honneur et par amitié, comme il se pratique d'ordinaire,
s'était avancée de quelques pas hors de la maison ; elle prit dans ses bras
et éleva son petit Maurant, et pria saint Riquier de donner à son filleul sa
bénédiction paternelle. L'homme de Dieu, sans descendre de cheval, prend
l'enfant entre ses bras, soit pour l'embrasser, soit en effet pour le bénir. Mais,
voici tout à coup, dit celui qui raconte le fait, que l'ennemi de tout bien,
dans sa rage jalouse, inspire à l'animal une sorte de furie qui ne lui
était nullement ordinaire. Il s'agitait à la manière d'un démoniaque ,
grinçait des dents, s'emportait et courait çà et là avec une étrange im-
pétuosité. Saint Riquier se voyait en grand danger de périr ; mais il crai-
gnait surtout pour l'enfant ; la pauvre mère ne craignait pas moins. Elle
ne savait plus comment faire. Déjà presque défaillante, comme si elle eût
vu de ses yeux la mort, le bras levé contre des objets si chers, elle détour-
nait son visage tout baigné de larmes, pour n'être pas témoin de leur chute
lamentable. Toute la maison était accourue au bruit du péril. Cependant le
serviteur de Dieu, qui tenait toujours l'enfant, adresse une prière au Sei-
gneur. A peine l'avait-il achevée, que voilà l'enfant à terre, sans aucun mal,
comme un petit oiseau qui s'abat en volant ; et le cheval, de son côté, a re-
pris sa première douceur, comme un paisible agneau. La mère, de saisir
avec joie son cher enfant, et de le presser tendrement sur son cœur. L'en-
fant souriait à sa mère, et aux plus vives angoisses succédait partout l'i-
vresse du bonheur. On ne peut douter qu'un si heureux dénouement ne fût
dû aux mérites de ces deux saintes âmes. Et comme souvent, par la toute-
puissante bonté de Dieu, les efforts de l'enfer pour perdre les justes ne font
que contribuer davantage à leur progrès dans la vertu, ainsi arriva-t-il que
cette épreuve ne fit qu'ajouter à la perfection de saint Riquier. Car faisant
réflexion que le Seigneur, son Dieu, lorsqu'il vint pour racheter le monde,
voulant nous donner un exemple d'humilité, avait paru monté, non sur un
cheval superbement enharnaché, mais sur une simple ânesse que lui avaient
disposée ses Apôtres, lui-même, dans la suite, toutes les fois qu'il y avait
nécessité pressante de voyager, à l'exemple de son divin Maître,;ne voulut
jamais avoir d'autre monture.
Sa première éducation terminée, le jeune Maurant fut envoyé à la cour
de France, sous le roi Clovis II et la reine sainte Bathilde. Il y demeura plu-
sieurs années, et, en considération de ses vertus et de son mérite, autant
que de sa naissance et de sa noblesse, le roi l'honora du titre de secrétaire
et de chancelier du royaume.
Ce fut dans cet intervalle qu'il eut la douleur de perdre son bienheu-
reux père, cruellement assassiné par des scélérats, dans un voyage que ce-
lui-ci fit de Flandre en Gascogne, pour y voir les parents et les biens de
sainte Rictrude, son épouse.
Sainte Rictrude, après la mort de son mari, résolut de consacrer à Dieu
sa viduité. Ayant refusé des secondes noces, que le roi Clovis II lui propo-
sait avec un des plus grands seigneurs de sa cour, elle tourna toutes ses
pensées et toutes ses affections vers le ciel ; et, par le conseil de saint
Amand, auparavant évoque de Maëstricht, elle quitta entièrement le monde,
prit le voile et se retira dans l'abbaye de Marchiennes, dont elle devint ab-
besse quelques années plus tard, et qu'elle édifia autant qu'elle l'illustra
par quarante années des plus austères pénitences et des plus solides vertus.
Elle-même, avec le bienheureux Adalbaud, avait donné à saint Amand cette
terre de Marchiennes, pour y fonder une abbaye d'hommes, qui prit le nom
336 5 mai.
d'Elnone. C'est depuis, qu'en ayant augmenté les bâtiments et les ayant sé-
parés de ceux des religieux, elle y établit une communauté de femmes,
sous le nom d'abbaye de Marchiennes. Au nombre des religieuses furent
d'abord ses trois filles, dont il a été parlé plus haut.
Cependant le jeune Maurant était retourné dans son pays pour un ma-
riage qu'il se proposait de contracter. Déjà il en avait arrêté toutes les con-
ditions, et même célébré les fiançailles, lorsque, touché des exhortations de
saint Amand, il se dégoûta lui-même entièrement du monde et résolut de
se consacrer pleinement à Dieu dans l'état de virginité. Il est à croire que
la mort de son bienheureux père, le souvenir de ses grandes vertus, l'exem-
ple de sa sainte mère et de ses trois sœurs, joints à leurs ferventes prières,
ne contribuèrent pas peu à cette généreuse détermination, en lui faisant
mieux sentir toute la frivolité des biens d'ici-bas, et tout le bonheur qu'il y
a de se donner à Dieu sans réserve.
Il communiqua donc à sa sainte mère le désir qu'il avait de renoncer
pour toujours au mariage. Celle-ci craignit d'abord que Maurant ne voulût
prendre le parti du célibat, que pour se livrer à la débauche avec plus de
liberté, comme font tant d'infortunés jeunes gens qui se précipitent ainsi
aveuglément dans les abîmes éternels. Dans cette pensée, elle fait prier
saint Amand, ce charitable médecin des âmes, de la venir trouver, et lui
confie ses vives inquiétudes de mère sur le salut de son fils. Il ne fut pas
difficile à saint Amand de la consoler et de rendre la paix à son cœur affligé.
Peu après, comme ce saint évêque célébrait solennellement la messe en
présence du jeune Maurant, il arriva qu'une abeille voltigeant fit trois fois
le tour de la tête de celui-ci. Saint Amand, qui avait remarqué cette cir-
constance, croit y voir un présage du ciel, fait appeler le jeune Maurant et
l'exhorte à exécuter au plus tôt le dessein qu'il avait conçu, et qu'une révé-
lation secrète venait de lui faire connaître comme agréée d'en haute
Saint Maurant ne différa plus ; il commence par se remettre entre les
mains de saint Amand et s'abandonne pleinement à sa direction. Ce saint
Pontife, selon les règles de l'Eglise, le bénit et lui donne la tonsure cléri-
cale en forme de couronne. Il lui apprend en même temps la signification
mystérieuse de cette sainte cérémonie. La tonsure, lui dit- il, en mettant à
nu le haut de la tête, nous rappelle que rien n'est caché aux yeux du Sei-
gneur, pas même les pensées les plus intimes ; et par le retranchement des
cheveux, souvent renouvelé ensuite, elle nous apprend qu'il faut retrancher
de même sans relâche les désirs superflus et criminels. Cette forme de cou-
ronne, ajoute-t-il, nous exprime et la tiare du souverain prêtre et le diadème
du grand Roi ; elle nous dit que nous appartenons désormais à un sacerdoce
royal, et qu'après les combats et les épreuves de cette vie, endurés avec
patience, Dieu réserve dans l'autre, à ceux qui l'aiment, une couronne de
gloire immortelle et infinie... Ces leçons symboliques recueillies de la bouche
du saint évêque et de la sainte Ecriture elle-même, le bienheureux Mau-
rant les grava profondément dans sa mémoire et travailla surtout avec un
soin extrême à les réaliser dans la pratique.
Elevé plus tard à l'ordre de diacre, toute son application fut de mener
de plus en plus une conduite digne du nom qu'il portait et du caractère
sacré dont il était revêtu.
Le Seigneur, de son côté, lui ménagea un moyen d'avancement dans la
vertu, en lui procurant la société de saint Amé, évêque de Sens. Voici
comme la chose arriva : ce saint avait été élevé, malgré lui, sur le siège
épiscopal de Sens. Cinq ans après, calomnié par des envieux auprès du roi,
SAINT MAUR0NT OU MAURANT, PATRON DE DOUAI. 337
qui était alors Thierry III, il fut relégué d'abord à Péronne, dans un monas-
tère, sous la garde de saint Oultain, qui en était abbé. Après la mort du
bienheureux Oultain, Thierry remit saint Amé entre les mains de saint Mau-
rant, avec charge de le garder à son tour. Saint Maurant était alors devenu
abbé d'un monastère appelé Breuil, qu'il venait de faire bâtir lui-même
dans sa terre de Merville, dont il a été parlé plus haut. Il connut bientôt le
riche trésor que le ciel venait de lui confier en la personne de saint Amé; il
le traita, non pas comme un banni, ni un prisonnier, mais comme un saint
et un homme de Dieu ; il se trouvait honoré de s'en faire le très-humble
serviteur ; et toute son application, à lui et à ses religieux, était d'étudier
sa sainte vie comme un parfait miroir des plus excellentes vertus. Il voulut
même qu'il fût supérieur de son monastère en sa place, et se soumit à sa
direction comme le plus simple des religieux. Après sa mort, en 690, il le
fit ensevelir avec beaucoup d'honneur et garda ses précieuses dépouilles
dans son monastère de Breuil, jusqu'à ce que, trois ans après, il les fît
transporter dans une nouvelle église, qu'il avait fait bâtir en l'honneur de la
sainte Vierge.
Saint Maurant reprit alors la direction de son monastère, qu'il avait été
si heureux d'abord de céder à saint Amé. On ne peut dire avec quelle appli-
cation il travailla, jusqu'à son dernier soupir, à se sanctifier lui-même et à
sanctifier aussi les religieux qui étaient venus se ranger sous sa conduite.
On vit fleurir, au monastère de Breuil, dans toute la perfection évangélique,
toutes les vertus qui honorent les plus saintes communautés, l'esprit de re-
traite, de recueillement, de silence et de prière, une humilité profonde,
une mortification universelle, une douceur inaltérable, une patience invin-
cible, un détachement admirable de toutes les choses d'ici-bas, un saint
zèle pour les plus austères pratiques de la pénitence, pour les jeûnes, les
Teilles, les cilices, etc.
Saint Maurant gouvernait en même temps l'abbaye de Marchiennes, de-
puis la mort de sainte Rictrude sa mère, arrivée deux ans avant celle de
saint Amé, en 688. Il n'avait pu refuser cette consolation à sa sainte mère,
qui l'en avait prié avant de rendre le dernier soupir. Il dirigea donc l'abbaye
de Marchiennes tant qu'il vécut, c'est-à-dire durant l'espace d'environ qua-
torze ans. Nous n'avons aucun détail sur ces dernières années de sa vie.
Enfin, le moment était arrivé où Dieu devait couronner dans le ciel une
vie si pleine de vertus et de mérites. Saint Maurant était venu visiter l'ab-
baye de Marchiennes dont il s'était chargé, comme nous venons de le dire,
à la prière de sa mère expirante. Cette visite n'eut lieu, sans doute, que par
un dessein particulier de la divine providence. Dieu voulait que des cœurs,
que les liens de la charité, bien plus encore que ceux du sang, avaient si
étroitement unis pendant la vie, ne fussent pas séparés, même après la
mort, et qu'ils reposassent en paix au même endroit. Il permit donc que,
surpris tout à coup par la maladie dont il devait mourir dans l'abbaye de
Marchiennes, saint Maurant, après avoir rempli une dernière fois les pieux
devoirs de son saint ministère et reçu les consolations de la religion, s'y
endormît du sommeil des justes dans les bras du Seigneur, à côté de sa
mère et de ses trois bienheureuses sœurs. Sa mort arriva le 5 mai de l'an 702,
dans la soixante-huitième année de son âge ; selon d'autres, le 5 mai 706,
dans sa soixante- douzième année.
Vies des Saints. — Tome V. 22
338 5 mai.
CULTE ET RELIQUES DE SAINT MAURANT.
Son corps demeura longtemps dans l'église de Marchiennes, où il avait été inhumé d'abord. Oa
lit dans les Chroniques de Marchiennes qu'il fut déposé dans l'église, du côté de l'orient, près
d'un puits qu'il avait fait creuser pour le service de l'autel, et qui porte encore aujourd'hui
son nom.
Il en fut exhumé depuis, on ne sait pas bien à quelle occasion, et la plus grande partie de ses
ossements furent transportés à Douai. Là se trouvaient aussi, depuis le ixe siècle, ceux de saint Amé.
On les y avait apportés du monastère de Breuil, pour les soustraire aux ravages des Normands.
Ainsi reposèrent ensemble, quelque temps après leur mort, dans une même église, les restes vénérés
de ces deux grands Saints, qui, pendant leur vie, avaient été liés d'une amitié si étroite et si pure.
L'église de Saint-Amé, où les précieux restes de saint Maurant furent conservés jusqu'en 93,
dans une chapelle de cette grande, riche et magnifique collégiale, est aujourd'hui détruite et il
n'en reste plus aucun vestige.
On voyait dans cette église une grande et magnifique chapelle, avec un autel dédié sous le
triple vocable de saint Maurant, de sa mère, sainte Rictrude, et de son bienheureux père, Adalbaud.
On y voyait également leurs trois statues. Celle de saint Maurant était au milieu ; elle portait un,
vêtement de distinction en forme de manteau royal, fleurdelisé, de la main droite un sceptre,
et de la gauche un édifice surmonté d'un clocher. Les fleurs de lis indiquaient sa haute lignée, et
l'édicule, ses fondations religieuses. De ces trois statues, il ne reste plus aujourd'hui que celle de
saint Maurant.
L'abbaye de Saint-Ghislin, en Hainaut, se vante aussi de posséder le crâne de saint Maurant
dans une belle tête de vermeil, et la moitié d'un de ses bras daus un autre reliquaire.
On raconte plusieurs miracles opérés depuis sa mort. Le premier se trouve dans la vie de sainte
Rictrude, écrite vers la fin du xn» siècle par un religieux anonyme de l'abbaye de Marchiennes.
Nous avons dit que les reliques de saint Maurant avaient été transportées plus tard à Douai. En
conséquence de cette translation, et avec le consentement du clergé et du peuple de la ville, il
avait été statué que, tous les ans, le 5 mai, on célébrerait la fête de saint Maurant avec une
grande solennité. Elle devait être annoncée publiquement dans toutes les églises, le dimanche qui
précède; toute œuvre servile était interdite ce jour-là, et chacun s'empressait d'assister aux saints
offices avec grande dévotion, ainsi que cela se voit encore aujourd'hui, ajoute l'historien. Mais on
alla plus loin encore. Par vénération pour ce grand Saint, on en vint, une année, jusqu'à interdire
le travail, dès la venue de sa fête, à compter de trois heures de l'après-midi. Or, il arriva qu'un
cordonnier s'obstina de rester à son travail après l'heure prescrite, sans respect pour le Saint,
sans égard même pour les remontrances que lui faisaient de charitables voisins. « Comment donc ! »
lui disaient-ils, « et quelle témérité ! Ne voyez-vous pas que c'est Dieu même que vous méprisez
en méprisant ses saints et en désobéissant aux commandements de l'Eglise, notre mère? Avez-vous
donc oublié que le Seigneur a dit : Ceux qui vous écoutent, c'est moi qu'ils écoutent, et ceux
qui vous méprisent, c'est moi qu'ils méprisent ? Or, vous savez très-bien que cette fête est
d'usage et d'obligation chaque année. Et vous, esclave de l'avarice et d'un vil intérêt, vous ne
craignez pas de transgresser le précepte du Seigneur ». A quoi ce malheureux prévaricateur répon-
dait (ce que d'ailleurs l'on répond si souvent encore aujourd'hui) : « Eh ! les prêtres nous impo-
sent ce qu'ils veulent, au gré de leurs caprices. Et qu'est-ce donc que Maurant, qu'est-ce que Ric-
trude, sa mère? des hommes comme nous, rien de plus. Ils étaient nés dans la richesse, voilà
tout; mais ils n'étaient pas d'une autre nature que nous; et, à la mort, ils sont allés rejoindre
leurs pères tout comme les autres. Je ne les honore ni ne les crains; ils ne peuvent rien ni pour
ni contre moi ; ils sont bien morts ».
A peine avait-il achevé ces blasphèmes, continue l'historien, que, se remettant de nouveau à
son ouvrage, tout à coup, je ne sais comment, le tranchant qu'il tenait d'une main, va transpercer
Vautre comme s'il eût voulu découper un morceau de cuir. Il n'en put jamais être pleinement guéri
et demeura estropié tout le reste de sa vie, en sorte que, ne pouvant plus travailler, il se vit peu
à peu, de riche qu'il était d'abord, réduit à l'indigence, accablé de dettes, et contraint, pour échap-
per à ses créanciers, de s'enfuir secrètement du pays, n'ayant plus rien.
Les voisins ne manquèrent pas alors de se rappeler les blasphèmes qu'ils lui avaient entendu
proférer, et de voir dans son malheur un juste châtiment de son impiété. On le sut bientôt dans
toute la ville, et la dévotion pour le culte des Saints reprit, dès ce moment, une nouvelle ferveur.
Dans un autre Recueil de la vie et des miracles de sainte Rictrude, composé par un autre
religieux, nommé Vualbert ou Gualbert, et qui se trouve également parmi les manuscrits de Mar-
chiennes, il est parlé d'un puits, dont nous avons dit un mot plus haut, appelé puits de saint
Maurant, que lui-même, par respect, avait fait creuser pour qu'il pût servir exclusivement à laver
et à purifier les vases sacrés et les linges de l'autel ; on ajoute que l'on y voyait venir un grand
nombre de malades, attaqués d'écrouelles ou de scrofules, et que, continuellement ils éprouvaient
par la vertu de Notre-seigneur Jésus-Christ, combien était puissante l'intercession de sainte Rie*
SAINT MAURONT OU MAURANT, PATRON DE DOUAI. 339
trude et de son bienheureux fils saint Maurant ; car, après avoir bu de cette eau salutaire, s'en
être lavés le visage et le corps, ils s'en retournaient parfaitement guéris et pour toujours.
Jean Buzelin, jésuite, dans son Histoire de la Belgique, imprimée à Douai, partie sous le titre
de Annales Gallo-Flandriœ, en 1624, et partie sous le titre de Gallo-Flandra sacra et profana,
en 1625, a recueilli beaucoup de choses sur saint Maurant. Il raconte, entre autres, comme l'ayant
tiré d'un livre précieux appartenant à l'église de Saint-Amé de Douai, que, lors d'une translation
des ossements de saint Maurant dans une nouvelle châsse, translation faite à Douai, en l'année 1139,
par Alvis, évêque d'Arras, en présence de plusieurs personnages importants, et entre autres de
Goswin, abbé du monastère d'Anchin, dans le Hainaut, et archimandrite de la Chaise-Dieu, en Au-
vergne, il parut une sorte de prodige, qui contribua singulièrement à faire éclater de nouveau
la gloire de saint Maurant, et à justifier les honneurs que la piété des fidèles s'empresse de lui
rendre. On vit, et tout le monde en fut témoin, un cercle tout à fait extraordinaire, nuancé de
diverses couleurs, environner en forme de couronne tous ceux qui maniaient alors les sacrés osse-
ments, et cela jusqu'à ce qu'ils achevèrent de les déposer dans la nouvelle châsse.
Nous terminerons le récit de ces quelques miracles par un fait beaucoup plus récent et non
moins signalé peut-être.
C'était en 1556, la veille des Rois, pendant la nuit. Gaspard de Coligny, grand-amiral de
France, assiégeait la ville de Douai. Il voulut profiter de la circonstance ; et sachant qne, pen-
dant cette nuit, le peuple de Flandre avait coutume de célébrer les Rois par des festins, il espéra
les surprendre à la faveur de l'ivresse et du sommeil qui en est la suite; il fit donc donner Tas-
saut. Mais saint Maurant veillait à la sûreté delà ville. Il apparaît en songe au gardien de l'église
de Saint-Aîné, où nous avons dit que reposaient ses précieuses reliques; il lui ordonne par trois
fois de sonner Matines. Le gardien ne reconnaissant point saint Maurant, s'y refuse d'abord, allé-
guant qu'il n'était pas encore l'heure; mais, forcé enfin, il le fait et voilà qu'au lieu des coups de
Matines, c'est le tocsin d'alarme qui retentit. Dans toute la ville, on s'éveille, on court aux armes,
on vole aux remparts; mais quelle ne fut pas la surprise des assiégés, lorsqu'ils virent de leurs
propres yeux le Saint lui-même, allant çà et là sur la muraille, tel que sa statue nous le repré-
sente, avec son vêtement tout étincelant de pierreries et parsemé de lis d'or, et le sceptre royal
en la main droite. On ne douta point que ce ne fût lui-même qui eût défendu la ville, en attendant
que les habitants fussent éveillés. Le peuple et le sénat de Douai en furent si persuadés que,
par reconnaissance, on institua une procession annuelle dans laquelle on porte solennellement les
reliques vénérées du Saint; ce sont les chanoines eux-mêmes qui ont cet honneur, et il s'y fait
un immense concours de peuple.
Le bruit de ce prodige se répandit jusque dans les pays étrangers, car on le trouve rnestionné
dans un calendrier des Bénédictins édité à Mâcon l'an 1622.
Arnold Wion, qui nous a transmis la mémoire de cette délivrance miraculeuse, ajoute, dans une
note marginale, que son propre père, Aimé Wion, alors procureur-général de la ville, était arrivé
le premier de tous en armes sur la muraille et qu'il y avait été témoin lui-même de cette scène
miraculeuse.
Jean Buzelin, que nous avons déjà cité, au deuxième livre de ses Annales, rapporte ce même
fait et à peu près dans les mêmes termes, sous la date de 1557. Un trait si éclatant pourra ren-
contrer des incrédules. L'auteur que nous venons de citer raconte que, déjà de son temps, quel-
ques-uns cherchaient à lui donner une explication naturelle. A les entendre, le sénat aurait reçu
avis du péril par quelques paysans entrés la veille au soir dans la ville ; sur cet avis, les postes
des remparts auraient été doublés, et enfin, au signal donné par la sentinelle du haut de la tour
prétorienne, on aurait prévenu à temps le succès des embûches. Mais telle n'est point la croyance
commune, ajoute Jean Buzelin, et tous les autres, avec plus de raison, attribuent cette délivrance
à la seule protection de saint Maurant. Nous disons à notre tour : pourquoi donc n'aimerions-
nous pas à y croire nous-mêmes ? Un miracle doit-il tant coûter à la toute-puissance de Dieu ?
elle est infinie ; à sa bonté pour les hommes ? elle est sans bornes ; à son amour pour les Saints
eux-mêmes ? il se fait un plaisir de faire éclater leur gloire aux yeux d'un monde dédaigneux et
incrédule.
L'église actuelle de Saint-Jacques, à Douai, possède encore quelques reliques de saint Maurant.
On trouve aussi près de la Scarpe, et non loin de l'endroit où était l'ancienne collégiale de Saint-
Amé, une fontaine qui porte son nom. Il n'est pas rare de voir des personnes puiser de l'eau à
cette fontaine, ou y tremper des linges pour des malades. Une guérison prompte ou inespérée a
récompensé souvent la pieuse confiance des fidèles.
A Merville, le culte de saint Maurant, comme celui de saint Amé, s'est aussi fidèlement con-
servé jusqu'à ce jour. Il y a quelques années à peine qu'une famille pieuse fit élever, sur la
route qui conduit de cette ville au village de Vieux-Berquin, une chapelle sous le patronage de
ces deux protecteurs de la contrée. Le 5 mai, jour de la fête de saint Maurant, on y commence
une neuvaine, durant laquelle le saint sacrifice est célébré, chaque matin, au milieu d'une foule
d'habitants qui viennent réclamer avec confiance, pour eux et pour leurs parents, les grâces et les
bénédictions du ciel.
Les armoiries de Merville représentaient autrefois saint Maurant et saint Amé.
340 5 MAI-
Deux paroisses du diocèse de Soissons, Margival et Levergies honorent saint Maurant d'un
culte particulier.
Margival est un petit village au nord-est de Soissons (Aisne), à dix kilomètres de cette
ville, au fond d'une petite vallée. Si l'on se demandait d'où vient que l'église et la paroisse de
Margival se trouvent sous le patronage de saint Maurant, et ce qui a pu donner lieu de choisir
parmi tant d'autres Saints, plus connus du pays, un Saint qui parait l'être beaucoup moins, nous
pourrions répondre d'abord que, quoique assez peu connu aujourd'hui, saint Maurant a pu l'être
beaucoup plus autrefois. Nous pourrions répondre encore qu'il parait, par l'histoire, que les re-
liques de saint Amé ayant été apportées d'abord de Breuil à Douai, comme nous l'avons vu, pour
les sauver de la fureur des Normands, on ne les y crut pas encore assez en sûreté, et qu'on les
apporta ensuite de Douai à Soissons qui était une ville beaucoup plus forte. Or, qui sait si on
n'y apporta pas en même temps celles de saint Maurant?... Ce qui est certain, c'est que la présence
de saint Amé dut réveiller naturellement dans Soissons et aux alentours la pensée et la véné-
ration du saint abbé qui lui avait donné un gracieux asile dans son monastère, et avec lequel il
avait eu des rapports si intimes et si dignes de l'un et de l'autre.
Mais voici une réponse beaucoup plus vraisemblable et qui nous peut aisément dispenser de
toute autre explication. Il est raconté dans le Recueil des miracles de sainte Rictrude, par le
religieux anonyme que nous avons déjà cité plus haut, que, près de Soissons, la bienheureuse
vierge Eusébie, sœur de saint Maurant, possédait avec sa mère, sainte Rictrude, une terre nom-
mée Vregny; que cette terre lui avait été donnée par Dagobert, roi de France, et parla reine
Nanthilde, son épouse, parce que tous deux l'avaient tenue sur les fonts de baptême en qualité
de parrain et de marraine; que, plus tard, sainte Eusébie ayant pris le voile, à l'exemple de sa
mère, dans l'abbaye de Marchiennes, elle avait donné à perpétuité, à l'église de cette abbaye, la
terre de Vregny avec toutes ses dépendances; et que c'est pour cela que, chaque année, le vil-
lage de Vregny envoie à l'abbaye de Marchiennes une certaine quantité de vin, tant pour le ser-
vice de l'autel que pour les infirmes et les hôtes. Et, en effet, nous trouvons dans YEtat du dio-
cèse de Soissons, imprimé en 1783, que, alors encore, il y avait dans cette paroisse une maison
appartenant à l'abbaye de Marchiennes, et que le seigneur censier était l'abbé de Marchiennes.
Aujourd'hui même, cette maison existe encore et l'on voit, sur le terroir de Vregny, un lieu dit la
Couture de Marchiennes. En faut-il davantage pour expliquer l'origine de la dévotion, qui fit
dédier l'église de Margival sous le titre de saint Maurant et placer toute la paroisse sous son
puissant patronage ; surtout, si l'on considère que les deux terroirs se touchent, et que la terre de
Vregny pouvait alors s'étendre jusqu'à Margival et l'embrasser dans ses dépendances ? Nous irions
volontiers plus loin et nous dirions que c'est même de là que le village a pris son nom de Mar-
gival ; soit qu'on le tire du nom de saint Maurant lui-même, Mauronti vallis, c'est-à-dire vallée
de saint Maurant : soit plus probablement du nom de l'abbaye où vivaient sa mère et sa sœur, et
qu'il gouverna lui-même quelque temps, Marchiana ou Marciana vallis, vallée de Marchiennes.
Nous laissons le jugement à de plus habiles que nous; mais il n'y a pas loin, ce nous semble, de
Marchienneval à Marchival, puis à Margival. Le Propre Soissonnais, en 1852, dans la légende de
Matines, a adopté cette étymologie.
Mais pourquoi, à quelque distance de Margival, la fontaine de saint Maurant ? pourquoi l'usage
de la procession qui s'y fait le jour de sa fête ? pourquoi la coutume d'y venir en pèlerinage et
d'y prier spécialement pour les petits enfants ?
On pourrait répondre que la terre de Vregny ayant appartenu à sainte Eusébie et à sainte
Rictrude, il a pu très-bien se faire que saint Maurant, dans un de ses voyages à Vregny, soit
venu à Margival, qu'il se soit arrêté près de cette fontaine, ait bu même de son eau, et que la
tradition, depuis, en ait conservé le pieux souvenir jusqu'à nos jours.
Mais nous aimons mieux dire que cette fontaine est destinée simplement à rappeler le puits
que saint Maurant avait fait creuser lui-même, près de l'église de l'abbaye de Marchiennes, pour
le service de l'autel, et près duquel il fut inhumé d'abord, ainsi qu'il a été dit plus haut.
Alors s'explique aisément l'usage de la procession annuelle et du pèlerinage : car nous avons
vu la vénération des peuples pour le puits de Saint-Maurant et les miracles qui s'y opéraient.
Pourquoi y prier spécialement pour les petits enfants ? Nous en verrions volontiers la raison
dans la manière merveilleuse dont fut sauvé saint Maurant, encore petit enfant, lorsqu'il courut un
si grand danger entre les mains de saint Riquier. On a pensé que, dans le ciel, il s'intéresserait,
à son tour, d'une manière toute spéciale à tous les dangers que peut courir cet âge.
Levergies est un village de douze cents habitants, situé à deux lieues nord de Saint-Quentin,
à peu près en ligne droite de cette dernière ville à Marchiennes. C'est un lieu de pèlerinage à
saint Maurant.
A un kilomètre du village s'élevait, avant la Révolution, une statue de six pieds représen-
tant saint Maurant, posée sur un piédestal en pierres. Cette statue, par sa position, dominait tous
les environs. A l'entour, la piété de nos pères avait planté quatre ormes pour donner ombrage aux
pèlerins qui venaient en grand nombre des environs, souvent même des pays lointains. Tout fut
SAINT ANGE, DE L'ORDRE DES CARMES, MARTYR. 341
détruit en 93. Il ne reste plus aujourd'hui que quelques pierres éparses. Un débris de la statue,
que l'on replaça sur une pierre, se conserva longtemps; mais les outrages que l'impiété ou l'hé-
résie lui ont fait souffrir depuis, à mille reprises, l'ont rendu aujourd'hui méconnaissable. L'appât
du gain y fut aussi souvent pour quelque chose : car les pèlerins déposaient parfois leur pieuse
offrande sous ces débris, qui leur rappelaient la douce pensée du Saint, et, pour recueillir l'of-
frande qui était souvent le droit du premier venu, la statue devait en souffrir, surtout quand elle
avait affaire à quelque main ennemie ou sans religion; elle était alors renversée sans pitié. La
tète grossièrement travaillée que l'on y voit maintenant, est l'œuvre toute récente de quelque ci-
seau rustique, mais n'a d'autre mérite que d'appeler une autre statue plus conforme à l'art et
qui puisse être bénie par l'Eglise.
Quant à l'origine du pèlerinage, en vain on interroge les traditions et les anciens ; on se perd
dans la nuit des temps sans rien découvrir. Peut-être le devons-nous à quelque faveur particu-
lière, en reconnaissance de laquelle une chapelle aurait été élevée en l'honneur du Saint par un
habitant du pays; quoi qu'il en soit, nous espérons que les enfants ne le céderont pas à leurs
pères en respect et en dévotion pour leur glorieux et puissant protecteur, et que leurs mains
dévouées se hâteront bientôt de relever les ruines, au pied desquelles leurs pères ont prié avec
tant de foi et puisé si souvent les consolations chrétiennes.
Malgré le triste état des lieux, le pèlerinage s'y continue toujours. Les habitants du pays
aiment à le faire la nuit ou avant le soleil. On ne peut en donner la raison. Les pèlerins étran-
gers y sont encore assez nombreux, et quelquefois on les y rencontre par petites caravanes.
Comme à Douai et à Margival, c'est surtout pour les enfants que saint Maurant est invoqué à
Levergies. Les jeunes gens du pays l'invoquent aussi pour être exemptés de la milice, et d'autres
pour d'autres faveurs; trop peu peut-être pour leur salut.
Un nouveau motif de dévotion attirera désormais les pieux pèlerins à saint Maurant : l'église
de Levergies vient de s'enrichir avec reconnaissance d'une relique du Saint, petite, il est vrai,
mais néanmoins chère et précieuse. Cette sainte relique est venue de Douai même, par l'évêché
de Soissons.
Cette vie a été écrite par M. l'abbé Gobaille, archiprêtre de Saint-Quentin. — M. l'abbé Bvunet, vi-
caire à Douai; M. l'abbé Destombes, auteur de la Vie des saints d'Arras, et M. l'abbé Julliait, curé da
Levergies (1860), ont bien voulu nous fournir quelques renseignements particuliers. — Cf. aussi lea
Bollandistes aux 5 et 12 mai.
SAINT ANGE, DE L'ORDRE DES CARMES, MARTYR
1223. — Pape : Honoré III. — Roi de France : Louis VIII.
Ce ne sont pas les Martyrs qui font l'Evangile; c'est
l'Evangile qui fait les Martyrs.
S. Cyprien, Ep. vin Martyr, et Conf.
Deux époux, Jessé et Marie, tous deux juifs, qui avaient la crainte de
Dieu, souhaitaient ardemment de connaître la vérité. Un jour, la sainte
Vierge leur apparut et leur déclara que le Messie était venu, que c'était son
fils, et elle les exhorta à croire en lui. Touchés de cette apparilion, ils
s'adressèrent au patriarche de Jérusalem qui les mit d'abord parmi les ca-
téchumènes, et, après le temps requis, leur conféra le baptême.
Marie, devenue chrétienne, mit au monde deux jumeaux, dont l'un,
dans le baptême, fut appelé Ange, et l'autre, Jean.
Ces deux enfants avaient quatre ans, d'autres disent sept ans, lorsqu'ils
perdirent leurs parents, qui les laissèrent sous la tutelle et la protection du
patriarche qui les avait baptisés. L'homme de Dieu les reçut en sa maison
comme ses propres enfants, et les éleva dans la vertu et dans les sciences
avec la même affection que s'il en eût eu la commission du ciel. Lorsqu'ils
342 S m.\i.
eurent dix-huit ans, prévoyant que sa mort n'était pas éloignée, il leur pro-
posa de se faire religieux de l'Ordre du Mont-Carmel ; c'était ce qu'ils dési-
raient avec ardeur, et ils ne pouvaient pas entendre une proposition qui
leur fût plus agréable. Aussi, sans différer, ils entrèrent dans le couvent de
cet Ordre, à Jérusalem, et y prirent l'habit de religion. Ils passèrent leur
noviciat avec une si grande ferveur et une sainteté si édifiante, qu'ils n'eu-
rent aucune peine à être reçus à la profession. Pour la faire, ils demandè-
rent d'aller au Mont-Carmel, et ils furent accueillis de tous les Pères avec
une joie et une bienveillance extraordinaires.
Après leurs vœux, comme ils avaient devant les yeux la vie de ces grands
Prophètes, qui avaient sanctifié cette montagne par leurs larmes, leurs
prières et leurs pénitences, ils voulurent joindre les exercices les plus ri-
goureux de la mortification à une oraison continuelle. Outre leur Règle,
qu'ils observaient au pied de la lettre, ils entreprirent, par la permission de
leurs supérieurs, beaucoup d'autres austérités. Quatre jours de la semaine,
depuis la sainte Croix de septembre jusqu'à Pâques, ils ne prenaient que
du pain et de l'eau, et les autres jours, ils n'y ajoutaient que des fèves crues,
ne mangeant jamais de chair, ni rien de ce qui en provient, et ne buvant
jamais de vin. Ils avaient, au lieu de chemise, des cottes de mailles qu'ils
n'ôtaient jamais, et ne couchaient que sur des planches. Telles furent les
mortifications corporelles qu'ils continuèrent jusqu'à la fin de leur vie.
Pour leurs prières vocales, ils récitaient tous les jours les cent cinquante
psaumes de David.
Ces deux frères firent plusieurs miracles, que l'on peut voir dans la
Chronique de leur Ordre ; nous n'en rapporterons qu'un ici, pour faire voir
le mérite de l'obéissance. Le bienheureux Ange, étant âgé de vingt-six ans,
fut envoyé, par ses supérieurs, à Jérusalem, pour y être ordonné prêtre. Il
fit de grandes résistances pour n'être point promu à cette dignité, qu'il re-
gardait comme un ministère infiniment élevé au-dessus de ses mérites; mais
il fallut que son humilité cédât à la volonté de ceux qui tenaient à son
égard la place de Jésus-Christ. Dans ce voyage, arrivé sur les bords du Jour-
dain, il le trouva débordé contre l'ordinaire, sans aucun moyen de le passer.
Cela ne fat point capable de l'arrêter dans un voyage entrepris par pure
obéissance : il pria Dieu pendant une demi-heure, invitant les soixante per-
sonnes qui l'accompagnaient, à en faire autant. Ensuite, il commanda aux
eaux de lui faire passage, au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, par
les mérites des saints patriarches Elie et Elisée, et en considération de la
sain'e obéissance qui l'envoyait. Aussitôt le fleuve obéit à sa voix ; et, arrê-
tant d'un côté le cours de ses eaux, et coulant de l'autre vers la mer, il
laissa le passage libre à toute l'assemblée : Dieu renouvelant ainsi les an-
ciennes merveilles qu'il avait faites au temps de Moïse, de Josué et du pro-
phète Elisée.
Le bruit de ce miracle se répandit bientôt dans tout le pays, et particu-
lièrement dans Jérusalem, dont les habitants vinrent au-devant de saint
Ange ; comme il était leur compatriote, ils supplièrent le prieur du couvent
de le retenir, ce qu'il fit. Le Saint dit donc sa première messe dans cette
maison. Il obtint ensuite permission de passer les fêtes de Noël dans la crè-
ehe de Bethléem ; et, pendant qu'il y était, une femme apporta, à ses pieds,
son fils qui était mort, le suppliant de le ressusciter. Ange se trouva tout
interdit à cette demande, ne se croyant pas digne de faire des miracles;
mais, vaincu enfin par les larmes d'une mère affligée, il étendit sa chape
sur l'enfant; et comme il priait, les yeux élevés vers le ciel, le mort revint
SAINT ANGE, DE L'ORDRE DES CARMES, MARTYR. 343
en vie, publiant la gloire du Tout-Puissant et le mérite de son serviteur.
Ces miracles, faisant connaître le bienheureux Ange plus qu'il ne vou-
lait, il résolut de mettre son humilité hors de ces périls, en fuyant le
monde. Dès le lendemain de cette résurrection, il se retira secrètement,
avec permission de son prieur, en un désert de la Palestine, appelé le désert
de la Quarantaine, à cause du jeûne de quarante jours que Notre-Seigneur
y a fait. Il y passa cinquante ans dans une si grande solitude, qu'il n'y était
visité que par des esprits célestes.
Durant ce temps, Jean, son frère, qu'il avait laissé sur le Mont-Carmel,
et qui s'y était rendu illustre par toutes sortes de vertus, fut élu patriarche
de Jérusalem. Ce nouveau prélat, ne pouvant plus souffrir l'absence de son
saint frère, ne négligea rien pour découvrir où il était. Dieu fit en même
temps connaître à saint Ange qu'il voulait se servir de lui pour la conver-
sion des âmes dans un pays éloigné, et qu'il devait, pour cela, quitter la vie
solitaire et érémitique. Ainsi il retourna à Jérusalem, s'adressa à son frère,
et lui déclara l'ordre qu'il avait reçu du ciel de passer en Italie, et de là en
Sicile. En attendant le moyen de s'embarquer, il fit quelques prédications
dans cette sainte ville, avec tant de zèle, que dans une seule il ne convertit
pas moins de quatre-vingts juifs. Après avoir donné cette consolation à sa
patrie, il prit avec lui trois de ses confrères, dont l'un s'appelait Enoch ;
c'est celui qui a écrit sa vie, comme l'a remarqué le cardinal Baronius dans
ses Annotations sur le Martyrologe romain.
En passant par Alexandrie, selon Tordre qu'il en avait reçu du ciel, il
salua le patriarche, qui lui donna des reliques pour porter à Rome ; après
une première descente en Sicile, où il fut tiré miraculeusement des mains
des pirates, il alla à Rome offrir les reliques dont il était porteur, au pape
Honorius III, et lui exposer que Dieu le destinait à évangéliser la Sicile. Le
Pape lui fit très-bon accueil et lui donna pouvoir de remplir la mission à
laquelle Dieu l'avait appelé. Avant de partir, Ange visita les églises de cette
sainte cité, et rencontra, dans Saint-Jean-de-Latran, saint Dominique et
saint François, qui s'entretenaient ensemble.
Saint François, le voyant, dit à saint Dominique : a Voilà un Ange de
Jérusalem ; son nom est déjà marqué dans le ciel, comme celui d'un mar-
tyr ». Et, en disant cela, il s'avança vers lui, et se jeta à ses pieds ; mais
Ange, qui fut éclairé d'une semblable lumière, le releva et lui dit : « Quel
bonheur, mon cher Père François, de vous rencontrer, vous qui êtes un
homme véritablement humble, et qui méritez de porter les marques sacrées
de notre Rédemption ! » Au sortir de l'église, il guérit un lépreux, ce qui
fut, en quelque façon, le sceau de sa mission apostolique.
Ensuite, il se rendit une seconde fois en Sicile, où son arrivée fut signalée
par plusieurs miracles; et à peine eut-il mis pied à terre dans l'île, qu'il
commença à prêcher les vérités de l'Evangile : ce qu'il fit avec tant de
succès, qu'il convertit en peu de temps quatre cents juifs, qui reçurent le
saint Baptême. On vit, dit-on, tomber des roses et des lis de sa bouche,
pendant qu'il parlait. Il guérit aussi plusieurs malades, entre autres l'ar-
chevêque de Palerme. Le Saint, après lui avoir rendu la santé, se fit con-
naître à lui et lui demanda son agrément pour exercer sa mission dans toute
l'étendue de son diocèse.
Il y avait dans cette île un comte, appelé Bérenger, qui était de grande
autorité par tout le pays, mais d'une vie très-scandaleuse ; il entretenait
publiquement sa propre sœur. Le Saint, à qui Dieu avait fait connaître ce
désordre dès la Palestine, vint à la ville d'Alicata, où cet incestueux faisait
344 5 mai.
sa résidence. Il lui parla d'abord en particulier ; mais n'ayant rien gagné
sur lui, il lui remontra en public l'abomination et l'borreur de son crime,
et le menaça des châtiments de Dieu et des rigueurs de sa justice ; il le fit
avec tant d'énergie, que les plus intimes confidents du comte l'abandonnè-
rent, et sa sœur, cédant enfin aux reproches de sa conscience, reconnut sa
faute, confessa son crime et l'effaça par un torrent de larmes, déclarant
hautement que, depuis douze ans, sa vie avait été pleine d'infamie devant
Dieu et devant les anges, quoique les hommes n'en eussent peut-être pas vu
toute l'horreur et toute l'abomination.
Mais le comte endurci, et grinçant des dents comme un frénétique
contre son médecin, jura que la liberté de ses discours lui coûterait la vie.
En effet, tandis que le serviteur de Dieu continuait ses prédications, saint
Jean-Baptiste, par l'ordre duquel il avait entrepris cette mission, lui apparut
le premier jour de mai, et l'assura que le cinquième jour suivant serait le
jour de son triomphe et de sa gloire. Ange s'y disposa comme pour une
bonne fête, et ce jour heureux pour lui étant arrivé, il monta en chaire
pour achever de dire tout ce que l'Esprit de Dieu lui inspirerait pour l'ac-
complissement de sa mission. Ensuite il alla dire la messe dans l'église de
Saint-Jacques, au sortir de laquelle des assassins se jetèrent sur lui et le
percèrent de cinq coups d'épée. Le peuple commençait à s'émouvoir ; mais
le saint Martyr l'apaisa, et, avec une parfaite présence d'esprit, il récita
tout haut le premier psaume : « Bienheureux l'homme qui n'est point allé
en l'assemblée des impies »; et le trentième : « Seigneur, j'ai espéré en
vous » , jusqu'au verset : « Seigneur, je remets mon esprit entre vos mains ».
Et, en disant ces paroles, il expira le 5 mai de l'année 1225, ou environ;
c'était deux ans après la rencontre de saint Dominique et de saint François.
Toute l'assistance aperçut un rayon de lumière qui, sortant de sa bouche,
s'élevait jusqu'au ciel, et une espèce de colombe qui semblait prendre son
vol le long de cette clarté ; il apparut aussi en même temps à l'archevêque
de Palerme, lui faisant savoir qu'il s'en allait au ciel, et le priant de faire
enterrer son corps à l'endroit où il avait répandu son sang pour la gloire de
son Maître. L'archevêque lui fit faire des funérailles conformes à sa grande
réputation de sainteté.
On le représente : 1° tenant à la main une palme dans laquelle sont
enfilées les trois couronnes de la virginité, de la prédication et du martyre;
2° avec un glaive qui lui perce la poitrine et lui fend la tête.
Le Martyrologe romain dit qu'il mourut par les mains des hérétiques,
d'où l'on infère que le comte avait ajouté l'hérésie à son inceste. Pour les
saintes reliques qu'il apporta d'Alexandrie à Rome, le catalogue en est écrit
bien au long dans les Annales de l'Eglise, sous l'année 1220; c'était une
image de la très-sainte Vierge Marie, les os d'un bras et d'une jambe de
saint Jean-Baptiste, le chef du prophète Jérémie, un bras de sainte Cathe-
rine, vierge et martyre, et l'os d'une jambe de saint Georges, martyr dô
Cappadoce.
Le diocèse d'Amiens possède quelques reliques du Saint : une omoplate
est conservée dans une châsse à Assevillers ; un os de l'avant -bras à
Chaulnes.
Cette Vie a été tirée des Annales ecclésiastiques de Baronius et d'un manuscrit qui est au Vatican,
n 3813 concernant les affaires de l'Ordre du Mont-Carmel. Le pape Honorius III a mis saint Ange au
nombre des saints Martyrs, peu de temps après sa mort, ainsi que l'a remarqué le R. P. François Victor,
minime, en sou Traité de la canonisation des Saints.
SAINT PIE Y, PAPE. 345
SAINT PIE Y, PAPE
1504-1572. — Pape : Jules II, jusqu'en 1566. — Empereurs : Maximilien I"; Maximilien II.
Rois de France : Louis XII ; Charles IX.
Et les Philistins furent saisis d'épouvante, disant :
Dieu est venu dans le camp d'Israël.
I Reg., rv, 7.
Le bourg de Bosco, dans le territoire d'Alexandrie , en Piémont, est
devenu célèbre par la naissance de Pie V. Ce grand Pape y vint au monde le
17 janvier 1504, et fut nommé Michel sur les fonts de baptême ; des auteurs
disent cependant qu'il fut appelé Antoine, et que le nom de Michel ne lui
fut donné qu'à son entrée en religion. Son père s'appelait Paul, et était de
la famille de Ghislieri, noble et patricienne, de Bologne, mais qui en avait
été bannie longtemps auparavant par une sédition populaire. Sa mère se
nommait Domenica Augeria. Tous deux pauvres, mais vertueux, ils eurent
grand soin d'élever cet enfant dans la crainte du Seigneur, persuadés que la
bonne éducation valait mieux que tous les trésors de la terre. Lorsqu'il fut
âgé de douze ans, il entra, avec l'agrément de ses parents, chez les Domi-
nicains de Voghera, à sept lieues de Bosco. Chaque matin, il servait la messe
et consacrait le reste du jour à l'étude. Il passa ensuite au couvent de
Vigevano, où il fit son noviciat, puis sa profession en 1519. A peine eut-il
appris la philosophie et la théologie qu'on le jugea capable de les enseigner.
Il reçut la prêtrise à Gênes, âgé de vingt-quatre ans. Dans un Chapitre de
son Ordre, à Parme, en 1543, il soutint des thèses publiques où il réfuta
admirablementles erreurs des luthériens et des calvinistes,qui commençaient
à se répandre.
Ses études, néanmoins, ne l'empêchaient pas d'assister assidûment au
chœur et à l'oraison, ni de satisfaire à ses autres exercices de piété. Cette
grande capacité, jointe à une solide vertu, fit jeter les yeux sur lui pour
l'élever aux charges de son Ordre ; il gouverna ses frères avec tant de pru-
dence, de douceur et de charité, que chacun s'estimait heureux de vivre
sous sa conduite : il avait un merveilleux empire sur les esprits les plus
difficiles et les moins traitables. On raconte une chose remarquable qui lui
arriva lorsqu'il était prieur en Lombardie. La guerre et la famine affligeant
cette province et les autres voisines, trois cents soldats vinrent à son cou-
vent pour le piller : notre Saint se présente à eux sans crainte, les accueille
comme des hôtes, et leur inspire tant de vénération, que ces gens de guerre
séjournent un mois dans la communauté, non-seulement sans commettre
aucun dégât, mais même sans en troubler l'ordre : ils observaient eux-
mêmes la Règle, se trouvant à l'office, mangeant au réfectoire avec les
autres religieux, et entendant, avec un profond silence, la lecture qui s'y
faisait. Nommé inquisiteur * de Côme et de Bergame, le saint religieux fit
1. Prononçons ce titre sans affectation, mais sans détours. Si la fausse tolérance qui domine dans nos
mœurs s'offense des mesures qu'a dû prendre un délégué fidèle du Saint-Siège, gard en zélé de la foi et
ferme dans l'action, ce n'est pas nous qui devons rougir de voir un héros de l'Eglise, un Saint, inaugurer
sa carrière en montant sur ce tribunal dont on ne saurait nier l'utilité et les services, le seul de tous les
tribunaux humains qui ait eu la mission d'absoudre le coupable dès que le coupable avait dit : « Je me
rétracte ».
346 5 MM-
paraître dans cette charge le zèle qu'il avait pour la foi. Il y courut souvent
de °rands dangers, qui ne purent ébranler sa constance. On décria même
sa conduite auprès des princes : il fut obligé d'aller se justifier à Rome. Il
s'acquit en cette ville l'estime des plus grands personnages, entre autres de
Jean-Pierre Carafa, cardinal Tbéatin, qui fut depuis Paul IV, et de Rodolphe
Pio, cardinal de Carpi; et, à leur recommandation, il fut établi par Jules III
commissaire général de l'inquisition à Rome ; et, après la mort de ce Pape
et celle de Marcel II, qui ne fut que vingt et un jours sur le Siège aposto-
lique, le même cardinal Théatin étant parvenu au pontificat, il le fit pre-
mier, souverain et perpétuel inquisiteur, avec une autorité si étendue, qu'il
avait le pouvoir de juger par lui-même toutes sortes de causes, et d'absou-
dre ou de condamner en dernier ressort les accusés, ce que les souverains
Pontifes n'avaient pas encore accordé, et ce qu'ils n'ont pas même, depuis,
accordé à personne, s'étant toujours réservé le jugement en dernier res-
sort. Ce Pape l'avait auparavant fait, malgré lui, évoque de Népi et de
Sutri, et, deux ans après, l'avait créé cardinal-prêtre du titre de la Minerve ;
mais il s'appela cardinal Alexandrin, surnom qu'il portait déjà depuis long-
temps, à cause de la ville d'Alexandrie, qui était peu éloignée du lieu de sa
naissance.
Ces honneurs, qui auraient été capables de faire quelque changement
dans les autres, ne firent aucune impression sur son cœur, et il en était si
peu touché, que quand Paul IV lui parla de la pourpre, il lui dit ces pa-
roles : « Hé quoi ! Saint-Père, voulez-vous me tirer du purgatoire pour me
précipiter dans l'enfer ? » Sa modestie lui faisant regarder cette éminente
dignité comme beaucoup au-dessus de ses forces et de ses mérites, il crai-
gnait de n'en pas assez bien remplir toutes les obligations. Il ne quitta
point la robe dominicaine, observa ses jeûnes et ses austérités habituels, et
ne voulut pas que ses parents attachassent à son crédit la moindre espé-
rance temporelle. Sa maison ne fut composée que des personnes dont il ne
pouvait se passer avec bienséance, et dont la vie était irréprochable. Quand
il recevait quelqu'un au nombre de ses domestiques, il l'avertissait que ce
n'était point tant dans un palais qu'il entrait que dans un monastère où il
fallait vivre en religieux. Il avait soin qu'on s'approchât souvent des Sacre-
ments, et prenait quelquefois certains jours pour donner lui-même la com-
munion à tous ceux de sa maison. Il était plein de bonté pour eux, respec-
tant leur sommeil, leurs repas, ne les accablant jamais de fatigues, ayant
soin d'eux dans leurs maladies.
Pie IV, qui avait succédé à Paul IV, ne fut pas plus tôt élu souverain Pon-
tife, qu'il transféra le cardinal Alexandrin des évêchés de Népi et de Sutri à
celui de Mondovi, dans le Piémont; car cette église était tellement désolée,
soit par la négligence des évoques précédents, soit par le voisinage des
hérétiques, qu'il fallait un pasteur qui eût autant de zèle que notre Saint
pour y rétablir la foi dans son ancienne pureté. Dès qu'il fut de retour à
Rome, après la visite de son diocèse, le Pape, qui lui avait ordonné de re-
venir, le mit d'une congrégation qu'il avait établie pour terminer les diffi-
cultés touchant le Concile de Trente, qui se tenait alors. Le cardinal
Alexandrin se montra en toutes ses fonctions le défenseur des lois et de la
discipline ecclésiastiques. Ainsi il s'opposa vigoureusement à la promotion
au cardinalat de Ferdinand de Médicis et de Frédéric de Gonzague, à cause
de leur grande jeunesse, et parce que c'était le temps où l'on travaillait
activement à réformer la discipline ecclésiastique; quand il s'agissait de
l'honneur et de l'intérêt de l'Eglise, il faisait au Pape les remontrances
SAINT PIE V, PAPE, 347
les plus hardies. Lorsqu on lui représentait que cette trop grande liberté
pourrait lui attirer quelque disgrâce, il répondait que dès qu'on ne vou-
drait plus souffrir qu'il dît la vérité, il retournerait de grand cœur dans son
cloître.
Après la mort de Pie IV, arrivée le 9 décembre 1565, saint Charles
Borromée, résolu d'éviter pour lui-même une succession qui entraînait une
si grave responsabilité, réunit tous les suffrages en faveur du cardinal
Alexandrin. Ce choix fut universellement approuvé. Mais l'élu était désolé :
il eut recours aux prières et aux larmes pour qu'on ne lui imposât pas un
fardeau au-dessus de ses forces. Enfin, la crainte de résister à la volonté de
Dieu lui fit donner son consentement le 7 janvier 1566.
Il prit le nom de Pie V, pour montrer au peuple, qui appréhendait sa
sévérité, qu'il voulait gouverner avec douceur. C'est pourquoi il disait de-
puis « qu'il se comporterait d'une telle manière, qu'on aurait plus de regret
de sa mort qu'on n'avait eu de crainte de son élection ». En effet, il com-
mença son pontificat par des actions d'une débonnaireté singulière ; il ne
fut pas plus tôt assis sur le Siège apostolique, qu'il se fit apporter la liste de
tous les pauvres de la ville, afin de leur donner à chacun une aumône par
semaine; et, au lieu de jeter de l'or et de l'argent au peuple, ou de l'em-
ployer en des festins et en d'autres dépenses superflues, ainsi qu'on faisait
ordinairement à l'élection des Papes, il fit distribuer toutes ces sommes aux
hôpitaux et aux pauvres honteux. Il établit aussi des personnes qui eussent
soin des orphelins et des jeunes filles, jusqu'à ce qu'elles fussent en âge de
se marier ; alors, il les pourvoyait libéralement de dot. Enfin, le jour même
de son couronnement, il fit donner cinq cents ducats à un laboureur qu'il
reconnut au milieu de la foule, et qui l'avait reçu autrefois charitablement
chez lui, lorsqu'il s'était égaré de son chemin en se sauvant la nuit de Ber-
game, à cause de la persécution des hérétiques. Ces libéralités dissipèrent
les vaines craintes que l'on avait conçues de son gouvernement, et firent
espérer aux Romains d'être heureux sous le pontificat d'un si saint homme;
mais ce ne furent là encore que des préludes des profusions qu'il devait
faire dans la suite pour le repos de l'Eglise. La France n'oubliera jamais les
secours d'hommes et d'argent qu'il envoya à Charles IX contre les calvi-
nistes, qui avaient pris les armes contre lui ; et nous ne lui sommes pas
peu redevables, comme ce roi ordonna à son ambassadeur à Rome de le
déclarer en plein consistoire, des célèbres victoires de Jarnac et de Mont-
contour, où les troupes italiennes, qu'il avait envoyées sous la conduite du
comte de Sainte-Flore, aidèrent infiniment le duc d'Anjou, qui fut depuis
Henri III, à défaire ces rebelles; aussi le roi, en reconnaissance de cette
assistance, lui envoya, après ces victoires, plusieurs enseignes des ennemis,
dont les premières furent mises en l'église de Saint-Pierre et les autres en
celle de Saint-Jean-de-Latran K
1. La joie causée par les victoires de Jarnac et de Moncontour dura peu. Catherine de Me'dicis, incapable
d'élever son regard au-dessns des embarras présents, et de poursuivre un grand dessein, reprit les négociations.
Des bruits de paix vinrent jusqu'à Rome. « Si Votre Majesté, écrit aussitôt le Pape, veut faire fleurir son
royaume, elle doit travailler à extirper l'hérésie, et ne souffrir dans ses Etats que l'exercice de la reli-
gion catholique, née, pour ainsi dire, avec la monarchie, et maintenue avec tant de zèle par vos prédé-
cesseurs ». Mais les pourparlers continuaient, et Pie V, inquiet, écrit de nouveau : « Si nous voyions
qu'il pût jamais exister entre Votre Majesté et ses ennemis une paix qui dût on relever la cause de la
religion ou procurer la tranquillité du royaume, nous ne méconnaîtrions pas notre mission au point de
ne pas interposer notre autorité pour faire conclure un accommodement. Mais nous savons, ainsi que
Votre Majesté en a fait mille fols l'expérience, qu'il n'y a de composition possible qu'une composition
feinte et pleine de pièges ». Il suppliait Charles IX d'oublier toute pensée et toute volupté terrestres, et
de prendre pour but les intérêts de Dieu et l'avenir do son propre royaume. Mais Catherine ne voyait ni
ai haut ni si loin ; et le roi, maintenu sous sa tutelle par ses ombrageuses réserves, ne pouvait suivre les
348 5 mai.
L'île de Malte serait peut-être entre les mains des Turcs, si ce saint
Pape, lorsque tout était désespéré, n'eût secouru ces généreux chevaliers,
leur envoyant trois mille hommes avec quinze mille écus d'or, et s'il n'eût
continué de leur en donner cinq mille par mois pendant les sept que dura
encore le siège l.
On se souviendra éternellement de la mémorable bataille de Lépante,
où la foi triompha de l'infidélité, et les armes chrétiennes des armes otto-
manes ; le grand Pie V en sera toujours regardé comme le principal au-
teur. Il sollicita les princes chrétiens de faire une sainte ligue contre
Sélim II, qui, enflé des succès qu'il avait eus en plusieurs entreprises, et
s'imaginant que rien ne pourrait arrêter le cours de ses conquêtes, avait
résolu la ruine de l'Italie. Le Pape engagea particulièrement dans l'union
le roi d'Espagne, la seigneurie de Venise et les autres princes dont les Etats
étaient plus voisins des Turcs ; et ce fut par ses pressantes instances que le
traité en fut conclu dans Rome, et signé au Consistoire le 20 mai 1571. Il
fournit, de son côté, douze galères équipées et armées, avec trois mille
hommes de pied et deux cent soixante-dix chevaux, sous la conduite de
Marc-Antoine Colonna. Enfin, le Saint-Père n'épargna rien pour l'exécu-
tion d'un si grand dessein, et le ciel, dont il avait imploré le secours par
des jeûnes, des prières et des aumônes extraordinaires, le favorisa telle-
ment, que la prodigieuse armée des infidèles fut entièrement défaite, et
qu'en l'espace de quatre heures (7 octobre 1571), il y eut trente mille Turcs
tués et dix mille faits prisonniers ; trente-quatre des principaux capitaines
et cent vingt chefs de galères y périrent ; quinze mille chrétiens furent mis
en liberté ; les confédérés prirent cent quatre-vingt-dix navires, en brûlè-
rent ou coulèrent à fond quatre-vingts, et ne perdirent qu'environ sept
mille cinq cents hommes.
Ce fut un étrange spectacle de voir la mer teinte de sang, couverte de
bras, de jambes, de têtes, de cadavres et de moribonds, et remplie de voiles
déchirées, de mâts rompus, de rames brisées et d'une quantité innombrable
d'armes de toutes sortes flottant sur les eaux. C'est néanmoins ce qui nous
fait connaître la grandeur de cette victoire, et quelles sont les obligations
que les fidèles ont à saint Pie V, qui l'a procurée à l'Eglise par ses soins et
inspirations du courage dont il était doué naturellement. Pie V revint à la charge : « Nous vous avertis-
sons », dit-il, o que cette paix sera la source des plus grandes calamités. S'il est auprès de vous des per-
sonnes qui pensent autrement, ceux-là se trompent par ambition, ou bien, oubliant ce qu'exige l'honneur
de la religion et de Votre Majesté, ils ne respectent ni Dieu ni le roi. Ils devraient considérer que par la
conclusion de cette paix. Votre Majesté tire ses ennemis les plus acharnés du poste où ils exercent ou-
vertement le brigandage, pour les recevoir dans sa propre maison et tomber dans leurs pièges ». Puis,
s'élevant à la contemplation des justices divines, il ajoute : « Vous dire combien il est horrible de tom-
ber entre les mains du Dieu vivant qui, a. cause des péchés des peuples et des rois, a coutume d'affliger
les royaumes et de les transporter de leurs anciens maîtres à d'autres, vous dire cela, c'est répéter une
chose évidente, et dont la Grèce seule ferait foi de nos jours ». Cette lettre est du 23 avril 1570. Le 8 août
de la même année, la paix était conclue. On sent des larmes dans les paroles adressées alors par Pie V
au cardinal de Bourbon : « Votre prudence vous fera comprendre l'amertume que nous avons ressentie à
la nouvelle de cette pacification. Plût à Dieu que le roi eût pu reconnaître que les menées sourdes de ses
ennemis vont maintenant l'exposer à de plus grands dangers qu'autrefois durant la guerre.... Le coeur
toutefois ne nous faillit point, nous souvenant que nous tenons sur la terre la place de Celui qui garda
la vérité éternellement, a travers les siècles, et qui ne confond pas ceux qui espèrent en lui ».
Ces appréhensions douloureuses furent promptement justifiées. Les réformés, croissant chaque jour en
audace, firent regrettera Catherine de Médicis les concessions qu'elle leur avait faites; ce fut alors
que son astucieux génie lui offrit le remède aussi odieux que le mal. Pie V, en poussant à la guerre,
la voulait franche et déclarée; Catherine répondit à ses ennemis par les embûches de la Saint-Barthé-
lemy. Pour n'avoir pas suivi les conseils du souverain Pontife, la royauté, non contente d'avoir fortifié
la réforme par sa faiblesse, la rendait populaire par d'horribles massacres.
1. On sait que Bonaparte s'empara de cette lie en 1798, avant de se rendre en Egypte, et qu'il mit
ainsi fin à l'Ordre de Malte comme Etat. Les Anglais enlevèrent l'ile de Malte aux Français en 1800, et
ta possèdent encore aujourd'hui.
SAINT PIE V, PAPE. 349
l'a obtenue par la ferveur de ses prières. Ayant eu révélation du temps ofi
la bataille se devait livrer, il passa, comme un autre Moïse, le jour et la
nuit précédente en oraison ; et on remarqua qu'au moment où les armées
en vinrent aux mains, le vent, qui avait été jusqu'alors contraire aux chré-
tiens, changea tout à coup, et, poussant la fumée des canons contre les
Turcs, les mit presque hors d'état de combattre. Les prisonniers ennemis
avouèrent aussi que, durant la bataille, ils avaient vu en l'air Jésus-Christ
et les apôtres saint Pierre et saint Paul, suivis d'une multitude d'anges
l'épée à la main, qui les menaçaient de les faire mourir ; ce qui leur avait
donné une telle épouvante, qu'ils ne savaient plus ce qu'ils faisaient. On
n'a pas omis cette circonstance miraculeuse dans la description que l'on a
faite de cette signalée victoire, sur un tableau qui se voit encore au Vatican.
Pie V eut aussi révélation du gain de la bataille, à la même heure que les
chrétiens triomphèrent des infidèles.
Outre ces illustres trophées que le saint Pape a remportés par les armes
matérielles sur les ennemis de l'Eglise, nous rapporterons, en peu de mots,
les glorieuses victoires qu'il a gagnées par les armes spirituelles sur l'hé-
résie et sur les vices. Bien que l'Eglise soit toujours sainte, pure et incor-
ruptible en sa doctrine, le dérèglement néanmoins ne se glisse que trop
souvent dans les membres particuliers qui la composent. Il était extrême
au temps de notre Saint, et les mœurs étaient si corrompues, et la disci-
pline ecclésiastique si relâchée, qu'il fallait un aussi grand courage que le
sien pour entreprendre une réformation générale sur le modèle des décrets
du saint Concile de Trente. Pour cet effet, il envoya partout des légats, des
nonces, savoir : en Angleterre, en Ecosse, en Irlande, en Hongrie, en Po-
logne, en Flandre, en Allemagne et en France, afin de s'opposer aux pro-
grès de l'hérésie qui s'était déjà emparée d'une partie de ces royaumes et
menaçait l'autre d'une funeste ruine ; d'y fortifier les fidèles contre les nou-
velles erreurs, et d'y assister les pauvres catholiques que la persécution
avait réduits à l'extrémité. Il eut grand soin de consoler les personnes
affligées pour la religion, soit par des envoyés, soit par ses propres lettres.
lien écrivit plusieurs à Marie Stuart, reine d'Ecosse, qui était cruellement
persécutée par Elisabeth, reine d'Angleterre. Sachant qu'elle était privée
de l'usage des Sacrements, particulièrement de celui de l'Eucharistie, par
l'impitoyable geôlier, il lui donna permission de se communier elle-même,
quand on lui ferait parvenir des hosties consacrées. Il envoya aussi des
missionnaires aux Indes, pour y cultiver la vigne du Seigneur qu'on y avait
nouvellement plantée, et pour éclairer les idolâtres qui étaient encore dans
les ténèbres du paganisme. Cependant il travaillait continuellement à Rome
à la réformation des mœurs du clergé et du peuple, pour tâcher de rendre
à l'Eglise son ancienne splendeur. Il exhortait souvent les cardinaux à être
la lumière du monde, selon les paroles de Jésus-Christ, et à briller plus par
leur vertu et par l'innocence de leur vie, que par la pourpre et l'éclat de
leur dignité. Il protestait hautement qu'il n'accorderait ni ne souffrirait
jamais rien qui fût contraire aux décrets du concile de Trente. Il ordonna
à tous les évoques de résider dans leur diocèse, disant que les pasteurs qui
voulaient paître leurs brebis n'en devaient pas être éloignés. Il défendit aux
juges, sous de graves peines, de prolonger les procès, de favoriser qui que
ce fût dans leurs jugements, pas même ceux de la maison pontificale. Il
voulut que la justice fût rendue gratuitement aux pauvres. Il fit un édit
contre les courtisanes : elles furent reléguées dans un quartier obscur, et
menacées de peines sévères si elles se montraient ailleurs. Il réprima un
350 5 mai.
autre fléau de Rome : c'était l'usure des Juifs. Il favorisa à cet effet les
monts-de-piété, dont l'institution est due à Paul III (1559). Il délivra les
Etats pontificaux des assassinats et des brigandages qui désolaient alors
l'Italie. Cependant le chef des bandits, le plus redoutable, Mariano d'Ascoli,
avait échappé à toutes les poursuites. Un homme de la campagne vint
offrir au Pape de le lui livrer : Comment ferez-vous ? demanda Pie V. — Il
a l'habitude de se fier à moi, répondit le montagnard, je l'attirerai facile-
ment dans ma maison. — Jamais nous n'autoriserons une semblable per-
fidie, s'écria le Pape ; Dieu fera naître quelque occasion de châtier ce
brigand, sans qu'on abuse ainsi de la bonne foi et de l'amitié. Mariano
d'Ascoli ayant appris cette noble réponse de Pie V, se retira aussitôt de ses
Etats et n'y reparut plus.
Ce saint réformateur proscrivit les combats d'animaux, comme contrai-
res à l'humanité ; les jeux que réprouve la justice, les excès des cabarets et
des assemblées publiques. Il s'appliqua aussi particulièrement à rétablir ce
qui regardait le culte divin; il fit faire la correction du Bréviaire, du Missel
et du petit office de la sainte Vierge, aux litanies de laquelle, après la ba-
taille de Lépante, il fit ajouter ces mots : Auxilium Christianoywm, orapro
nobis ; c'est-à-dire : « Vierge sainte, qui êtes le secours des chrétiens, priez
pour nous ».
Il ne faut pas oublier dans cet ordre d'idées sa réformation de la mu-
sique religieuse. Au commencement du xvi9 siècle, cette musique s'était
laissée envahir par un style tellement fleuri et profane, que le pape Mar-
cel II avait été sur le point de bannir de l'Eglise toute autre mélodie que
celle du plain- chant. L'exécution d'un décret si rigoureux ne fut conjurée
que par la patiente condescendance de saint Charles Borromée et par le
génie de Palestrina. Ce grand artiste, jadis simple enfant de chœur sous
le nom de Pierre-Louis, dans une obscure église de Palestrina, son lieu
natal, s'était élevé au rang de maître de chapelle de la basilique de Saint-
Jean-de-Latran. Saint Charles, agissant en qualité de membre d'une com-
mission instituée par Pie IV pour décider la question de la musique reli-
gieuse, envoya chercher Palestrina, et lui donnant clairement à entendra
que le sort de l'art était entre ses mains, lui commanda d'écrire une messe
suivant les principes sévères tracés par le concile. Trois mois après, Pales-
trina présentait au cardinal Borromée trois messes, dont l'une, communé-
ment appelée messe du pape Marcel l, porte cette devise : Deus m adjuto-
rium meum intende, tracée par la main tremblante du compositeur et encore
lisible aujourd'hui sur le manuscrit. Ce fut un succès complet pour la cause
de la musique sacrée, et Pie V, dont l'élévation eut lieu presque im média -
ment après, nomma Palestrina son maître de chapelle, sanctionnant par
cette élection même l'usage de la musique, dans tous les temples de la ca-
tholicité.
Pie V ordonna que la fête de saint Thomas d'Aquin se célébrerait à
l'avenir comme celles des quatre Docteurs de l'Eglise 2. Il retrancha plu-
sieurs abus qui s'étaient introduits dans les matières bénéficiales, et spécia-
lement dans les résignations par lesquelles on les rendait héréditaires dans
les familles ; comme on lui remontra que ces lois allaient ruiner la cour ro-
maine, le Saint fit cette admirable réponse : « Il vaut mieux que la cour
soit ruinée, que de renverser la religion de l'Eglise catholique ». C'est par ses
1. On l'exécute encore chaque année dans la chapelle Sixtine, à l'office du samedi saint.
2. C'est à lui qu'on est redevable de l'excellente édition des Œuvres du saint Docteur, qui parut en
1570.
SAINT PIE V, PAPE. 351
soins que fut achevé et publié le savant catéchisme du concile de Trente,
qui renferme aussi nettement que solidement tous les mystères de la foi,
toutes les beautés de la théologie; l'Eglise a voulu que les pasteurs eussent,
en un seul petit livre, de quoi nourrir leurs esprits et de quoi repaître les
peuples qui leur sont confiés. Il érigea la Congrégation des Frères de la Cha-
rité, dont le bienheureux Jean de Dieu avait jeté les premiers fondements,
et leur donna la Règle de Saint-Augustin. Il fit faire trois voeux de religion
aux clercs réguliers, dits de Somasque, institués par le pieux Jérôme Emi-
lien, sénateur de Venise. Il réforma l'ordre de Cîteaux en Sicile, où il était
presque déchu. Il réunit les Servites qui s'étaient divisés en deux corps. Il
supprima l'Ordre des Humiliés, autrefois si florissant en Italie, à cause d'un
attentat qu'un religieux de cet institut avait commis contre la personne de
saint Charles Borromée, qui avait entrepris de les réformer. Enfin, il fit
plusieurs réformes monastiques, comme on peut le voir dans Gabutius. Il
envoya aux Minimes de France, pour visiteur, le R. P. Mathurin Aubert,
qui avait été son confesseur depuis sa promotion au cardinalat, avec le
R. P. Le Tellier, tous deux religieux du même Ordre.
Grâce à ses soins, les religieux Minimes déployèrent une grande cons-
tance en face de l'hérésie : pas un ne fut du nombre des apostats, à ime
époque où il y en eut tant.
Il nous reste à dire quelques mots de la vie privée et des vertus de notre
saint Pape. Il ne manquait point de dire tous les jours la messe, à moins
qu'une maladie ne le mît hors d'état de le faire. Il avait une singulière dé-
votion envers la Passion de Notre-Seigneur, sur laquelle il méditait souvent.
Il faisait assidûment l'oraison tous les matins, et il y était si appliqué que,
quand ses domestiques avaient à lui parler, ils étaient obligés de le tirer par
la robe pour le faire revenir à lui ; et elle était accompagnée d'une telle
ferveur, qu'il obtenait de Dieu tout ce qu'il demandait; le Sultan, comme
il l'a confessé plusieurs fois, appréhendait plus les prières du saint Pape que
les armes de tous les princes chrétiens. Il célébrait les divins mystères avec
une telle révérence, que plusieurs juifs et hérétique» se convertirent pour
l'avoir vu officier pontificalement. Il étudiait sans cesse l'Ecriture sainte, et
lisait tous les jours quelque endroit de la vie de saint Dominique ou de
quelque autre saint de son Ordre, afin de se former sur leur conduite. Tous
les soirs, il faisait assembler ses domestiques pour se trouver aux litanies et
aux autres prières qu'il voulait qu'on récitât en sa présence. Les grandes
occupations qu'il avait ne l'empêchaient point de dire tous les jours le cha-
pelet à l'honneur de la sainte Vierge. Il priait souvent pour les morts, et il
a avoué qu'il avait reçu de merveilleux secours de cette dévotion dans les
plus grands périls. Tous les ans, pendant les jours de fêtes et de divertisse-
ments qui précèdent le Carême, il visitait les sept églises de Rome, suivi de
toute la maison pontificale. Il ne jeûnait pas seulement le Carême, quoi-
qu'il eût plus de soixante ans et fût très-infirme, mais encore l'A vent ; dans
les autres temps, il ne mangeait de la viande que trois fois la semaine, ce
qu'il observa toute sa vie, même dans ses plus grandes maladies; et, comme
un de ces jours d'abstinence, étant malade à mort, on lui présenta, par
ordre du médecin, une composition d'amandes pilées avec de la viande,
dès qu'il s'en aperçut, il n'en voulut point manger, et, se plaignant de cette
tromperie : « Voulez-vous », dit-il, r que, pour deux jours que j'ai encore à
vivre, je viole une coutume que j'observe depuis soixante ans? » Il garda
sa chasteté inviolable ; ses confesseurs ont attesté, dans le procès de sa ca-
nonisation, qu'ils n'avaient point remarqué qu'il eût fait aucune faute
352 5 mai.
notable contre cette vertu. Il visitait lui-même les hôpitaux et s'informait
diligemment auprès des malades s'ils étaient bien assistés, tant pour leur
corps que pour leur âme. On ne peut raconter les charités qu'il fit durant
une maladie contagieuse et une cruelle peste qui affligèrent Rome sous
son pontificat : il pourvut soigneusement aux besoins des personnes qui en
étaient atteintes. Il avait une grande horreur de l'avarice ; quoique l'argent
lui manquât dans la guerre contre les Turcs, bien loin d'établir des impôts
pour cela, il jeta au feu des cahiers qu'on lui avait présentés, qui conte-
naient des moyens, même légitimes, de lever quelques deniers. Des prmces,
lui demandant une dispense de mariage, lui offrirent quinze mille écus d'or
pour l'obtenir ; mais le Saint, après avoir examiné la chose, et trouvé qu'il
la pouvait accorder sans préjudice des saints Canons, l'accorda, et refusa
l'argent qu'on lui présentait : son dataire lui remontrait qu'on pouvait,
sans péché, recevoir cette somme et l'employer à des usages pieux ; le
Saint cita pour réponse ces paroles du concile de Trente : Haro, ex causa, et
gratis, c'est-à-dire rarement, pour des motifs réels, et gratuitement. Un
criminel, condamné à la mort, lui ayant fait offrir dix mille ducats pour
racheter sa vie, Pie V répondit que la justice était faite pour les riches
comme pour les pauvres, et ne voulut point lui faire de grâce. Quoiqu'il
fût naturellement prompt, il modérait néanmoins tellement son humeur,
qu'il ne paraissait rien d'austère dans ses paroles. Il donnait volontiers au-
dience à toutes sortes de personnes, mais particulièrement aux pauvres,
qu'il écoutait avec une patience admirable, jusqu'à ce qu'ils lui eussent
tout dit ; et, quand il ne pouvait leur accorder ce qu'ils demandaient, il ne
les refusait qu'avec une peine extrême. 11 s'efforçait d'obliger ceux qui lui
avaient rendu quelque mauvais office, et jamais il ne garda le souvenir
d'une injure. Il pardonna à un libertin, qui avait fait quelque pasquinade
contre lui, en lui disant : « Mon ami, je vous ferais punir sévèrement si vous
aviez outragé le souverain Pontife; mais parce que vous n'avez offensé que
Michel Ghislieri, allez-vous-en en paix » . Il ne voulut pas non plusqu'on pour-
suivît une autre personne de noble condition, qui avait conspiré contre sa vie.
Que dirai-je de l'humilité et de la modestie de notre saint Pape? Bien
que la dignité pontificale l'obligeât à recevoir des honneurs, ils n'étaient
néanmoins pour lui que des supplices : il regardait cet éclat extérieur
comme des épines très-piquantes, qui l'avertissaient du péril où il était
exposé. En effet, il avoua qu'il n'avait pas eu un moment de repos depuis
qu'il était sur le Siège apostolique ; que sa condition était digne de com-
passion, et qu'il se repentait bien d'avoir accepté une charge qui était au-
dessus de ses forces. Aussi délibéra-t-il plusieurs fois s'il n'abdiquerait pas
pour jouir de la tranquillité religieuse qu'il avait goûtée avec tant de plai-
sir dans son cloître. Il ne put souffrir d'ameublements précieux ni de tapis-
series rares dans son palais; on n'y voyait point de peintures profanes, mais
des crucifix et d'autres tableaux de piété. Il défendit qu'on lui fît un habit
neuf quand il fut élu pape, se contentant de ceux que son prédécesseur
avait laissés. Il porta toujours une tunique de grosse laine au lieu de che-
mise, et il fut impossible de lui en faire mettre d'autre plus fine, ni de lui
persuader de se servir d'un habit de drap de Cuença, parce qu'il le trouvait
trop beau. Il ne voulut pas permettre que l'on mît, dans le Capitule, une
statue que le peuple romain avait érigée en sa mémoire : « J'aimerais
mieux », disait-il, « être gravé dans le cœur des gens de bien et vivre dans
la postérité par des exemples de vertu, que d'être en marbre ou en airain
sur une place publique ».
SAINT PIE V, PAPE. 353
Il tint la même conduite pour ses neveux, ses nièces et ses proches : il
leur donnait ce qui était nécessaire pour les instruire, les marier, les faire
vivre honnêtement : mais il refusa de leur ouvrir la voie des honneurs et
de l'opulence. Il croyait, avec raison, que les revenus ecclésiastiques ne
doivent avoir qu'une destination sainte. Il ne pouvait supporter que, dans
le gouvernement soit spirituel, soit temporel, on eût en vue autre chose
que la gloire de Dieu et l'honneur de l'Eglise ; d'après lui, ce qu'on ap-
pelle raison d 'Etat est une invention du démon, de l'ambition, et des autres
passions.
Ce saint Pape souffrait depuis longtemps les douleurs de la pierre, sans
permettre qu'on lui fît l'opération, qui seule pouvait le guérir. Au mois de
janvier 1572, les médecins déclarèrent que sa vie était en danger. Au milieu
des souffrances les plus aiguës, il ne laissa pas échapper la moindre plainte ;
il se contentait de soupirer devant le crucifix, qu'il regardait, qu'il baisait
tendrement ; il disait alors à Notre-Seigneur : a Seigneur, augmentez le
mal, mais aussi augmentez la patience ». Tant que ses forces lui permirent
de se tenir debout, il célébra lui-même le saint sacrifice de la messe ; quand
il n'en fut plus capable, il y assistait chaque matin dans sa chambre et y
communiait. Le 4 avril, jour du vendredi saint, il fit apporter une grande
croix dans son oratoire, se leva et alla nu-pieds l'adorer, arrosant de ses
larmes les cinq plaies du Sauveur. Le bruit de sa mort s'étant répandu dans
Rome, il put entendre les gémissements de son peuple, qui le pleurait.
Touché de ces marques d'amour, il voulut encore une fois bénir les Romains.
Le jour de Pâques il se fît transporter, revêtu de ses habits pontificaux, dans
la loge au-dessus de la grande porte de Saint-Pierre : la vie reparut un
instant sur son visage ; sa voix se trouva fortifiée, de sorte que sa bénédiction
fut entendue distinctement jusque dans les rangs les plus reculés de cette
immense multitude agenouillée sur la place de Saint-Pierre. Le 21 avril, il
entreprit un pieux exercice que tout le monde croyait au-dessus de ses for-
ces, c'était de faire les stations des sept églises : il se mit en marche, malgré
son médecin, soutenu par-dessous les bras. Sa pâleur était si livide qu'on
crut le voir expirer pendant le trajet. Dans la basilique de Saint-Jean-de-
Latran, il monta l'escalier saint à genoux, baisa trois fois la dernière marche
et ne pouvait se résoudre à quitter ce lieu sacré. Lorsqu'on l'eut ramené au
Vatican, on tâcha d'écarter de son lit toute préoccupation extérieure ; mais
on ne put lui cacher l'arrivée de catholiques anglais, qui fuyaient les persé-
cutions d'Elisabeth. Il voulut les voir, les combla de gages d'affection, leur
fit raconter tout ce qui intéressait l'Eglise en Angleterre, et recommanda
particulièrement au cardinal Alexandrin de pourvoir aux besoins de ces
hôtes, qui se trouvaient dans un parfait dénûment. Quand on les eut con-
gédiés, on l'entendit s'écrier en joignant les mains : « Mon Dieu, vous savez
si j'ai toujours été prêt à répandre mon sang pour le salut de cette nation ».
Plus il approchait de sa fin, plus il était tranquille : une sainte joie brillait
sur son visage, tandis que le spectacle de ses souffrances et de sa patience
arrachait d'involontaires sanglots autour de lui. Parmi les prières qu'on li-
sait à son chevet, une grande partie du jour et de la nuit, il affectionnait
surtout les sept Psaumes de la Pénitence ; il faisait arrêter le lecteur à cha-
que verset, afin de produire des actes de contrition, conformes à ceux du
roi pénitent. Plusieurs fois on lui lut la Passion de Notre-Seigneur Jésus-
Christ, et à chaque fois qu'on prononçait ce nom sacré, il se découvrait.
Quand ses mains déjà raides et glacées lui refusèrent leur service, il s'ac-
quitta de ce devoir respectueux avec l'aide d'une personne placée près de
Vies des Saints. — Tome V. 23
354 5 mai.
lui. Le 30 avril il reç jt l' Extrême-Onction. Il voulut encore une fois s'age-
nouiller, et, dans la plus humble attitude, il invoqua Dieu pour les nécessi-
tés de son Eglise qui, objet de ses soins pendant sa vie, occupa ses pensées
jusque dans la mort. Il fit venir quelques membres du Sacré- Collège pour
leur donner ses dernières instructions : a II ne me reste », leur dit-il, « qu'à
vous recommander, de toute mon âme, cette même Eglise que Dieu avait
commise à ma garde. Faites vos efforts pour m'élire un successeur plein du
zèle de la gloire de Dieu ; qu'il ne soit attaché à aucun autre intérêt en ce
monde, et ne cherche que le bien de la chrétienté ». La chaleur avec la-
quelle il prononça ces paroles, en agitant ses bras défaillants, épuisa ce qui
lui restait de force. A partir de ce moment, les regards attachés sur la croix,
il ne laissa plus échapper de ses lèvres que des textes, à peine articulés, de
la sainte Ecriture. Il expira le premier jour de mai 1572, à cinq heures et
demie du soir, âgé de soixante-huit ans : son règne avait duré six ans, trois
mois et vingt-trois jours. Les médecins, pour se rendre compte de son cou-
rage, firent l'autopsie de la partie qui avait été malade et y trouvèrent trois
pierres noires : ils déclarèrent que sa patience, dans une situation si dou-
loureuse, avait été surhumaine. La mort du saint Pontife fut pleurée dans
tout l'univers catholique. En Espagne, sainte Thérèse en eut révélation et
s'écria toute éplorée, devant ses carmélites : « Ne vous étonnez pas, mes
sœurs, et pleurez plutôt avec moi, car l'Eglise est veuve de son très-saint
Pasteur».
Parmi les miracles que Dieu opéra en faveur de Pie V, le suivant est ra-
conté par tous les historiens contemporains : Un jour qu'il voulut baiser,
selon sa coutume, un crucifix devant lequel il faisait sa prière, le pied du
Christ se retira de lui-même ; c'est que des pervers avaient enduit de poison
ce crucifix, comme on le vit en l'essuyant avec de la mie de pain qui, pré-
sentée ensuite à des chiens, les fit périr sur-le-champ. Le Saint ne voulut
pas même qu'on recherchât ces assassins. Les arts ont souvent reproduit
l'événement du crucifix.
11 prédit plusieurs événements longtemps avant qu'ils arrivassent. Un
jurisconsulte étant monté en chaire dans le dessein d'invectiver contre sa
conduite, il perdit la parole à l'heure même, et mourut misérablement
quelques jours après. Il a chassé les démons des corpsde plusieurs possédés,
et beaucoup de pécheresses se sont converties à la vue de son saint corps
exposé après sa mort. Dans un incendie de la chapelle du duc de Sessa, le
feu, qui avait fondu jusqu'aux vases d'argent, ne fit aucun dommage à deux
images de Pie V, dont l'une était de toile et l'autre de carton. Anne-Marie
Martinozzi, femme du prince de Conti, a été guérie de grandes douleurs de
tête, et est accouchée heureusement après plusieurs fausses couches, en
vénérant comme une précieuse relique le chapeau de ce saint Pape. Enfin,
on a expérimenté que les Agnus Dei consacrés de sa main avaient une vertu
particulière pour préserver de l'eau, des flammes et des armes : un débor-
dement du Tibre fut arrêté en un moment par une de ces saintes images
de cire qu'il y fit jeter, et des soldats devinrent presque invulnérables, en
portant sur eux de ces précieuses reliques.
Dès qu'il fut décédé, chacun fit ses efforts pour avoir quelque morceau
de ses vêtements, et on fut obligé, pour arrêter la dévotion du peuple qui
avait été trop loin en cela, d'enfermer son corps dans une chapelle où on
pouvait seulement lui baiser les pieds à travers des barreaux. Le général de
l'Ordre de Saint-Dominique obtint, à force de prières, une tunique de laine
qu'il avait portée, et en fit ensuite présent à Sébastien, roi de Portugal.
SAINT BRITTON, ÉVÊQUB. 355
Plusieurs princes demandèrent, avec empressement, quelqu'une de ses ca-
lottes ou ses souliers, ou quelque autre chose qui lui avait servi, tant on
avait de vénération pour lui. Les Turcs mêmes firent en sorte d'avoir son
portrait, comme d'un des plus grands hommes du monde.
Les pèlerins qui se rendent à Rome ne manquent pas de visiter, au cou-
vent de Sainte-Sabine, la chapelle dite de saint Pie V. Cette chapelle n'est
pas autre chose que la cellule qu'occupa saint Pie V, alors qu'il s'appelait
simplement frère Michel Ghislieri. Elle est en tête d'un long couloir, à
l'entrée duquel on lit en gros caractères : Silence.
Le tableau du maître-autel représente le miracle du crucifix. Sur le mur
de gauche, un tableau représente saint Philippe de Néri prédisant la tiare à.
notre saint religieux ; sur celui de droite, le saint Pontife ramasse un peu
de poussière du Vatican et la donne à des ambassadeurs polonais, qui dési-
raient des reliques, en leur disant : Voici ce que vous désirez, cette pous-
sière fut baignée, il y a quinze siècles, du sang des martyrs. Vis-à-vis l'au-
tel, au-dessus de la porte, Pie V est peint à genoux, regardant avec anxiété
par une des fenêtres de son palais. Un ange à ses côtés lui annonce la ba-
taille de Lépante, et lui décrit avec enthousiasme les détails de cette grande
victoire navale qui fut son œuvre, et dont il attribue le succès à la vierge
du Rosaire. Enfin, sur l'autel, s'offre à votre vénération un très-beau cru-
cifix d'ivoire. C'est celui même de saint Pie V. Jusque-là on l'avait conservé
avec un religieux respect au Vatican ; mais Pie IX, notre bon Pontife, dans
une de ses visites à Sainte-Sabine, l'a offert aux religieux du couvent, leur
disant, avec sa gracieuseté accoutumée, que c'était à eux, mieux qu'à tout
autre, que devait appartenir cette précieuse relique.
On représente encore saint Pie V avec un rosaire, car il avait une grande
confiance en cette dévotion. On place aussi à ses côtés une flotte, pour rap-
peler la victoire de Lépante et l'institution de la fête de Notre-Dame de la
Victoire.
Le corps de saint Pie V, qui se conserva sans corruption, fut inhumé
dans l'église des religieux de son Ordre, qu'il avait fondée à Bosco, lieu de
sa naissance, où il avait choisi sa sépulture ; mais quinze ans après, à sa-
voir, l'an 1588, Sixte V le fit transporter en la basilique de Sainte-Marie-
Majeure, où il lui avait fait dresser un superbe mausolée au côté droit de
l'autel. Les miracles qui se firent à son tombeau engagèrent la sainte Con-
grégation des Rites à ordonner que, le jour de l'anniversaire de son décès,
on ne dirait plus une messe des trépassés, mais une messe de la très-sainte
Trinité, en actions de grâces de ce que Dieu avait reçu son âme en la com-
pagnie des Saints; ce qu'Urbain VIII confirma l'an 1615; et le 1" mai de
l'an 1672, Clément X a fait le décret de sa béatification. Mais enfin, le 22 mai
1712, le pape Clément XI le déclara Saint, après avoir observé toutes les for-
malités ordinaires pour ce sujet.
Nous nous sommes beaucoup serri, pour compléter le Père Giry, de YEistoire de saint Pie V, par
M. le comte de Falloux, 2 vol. in-12, chez Sagnier et Bray; Paris, 2". édition, 1851.
SAINT BRITTON, ÉVÊQUE DE TREVES (rv8 siècle).
Britton succéda à saint Bonose sur le siège de Trêves. Appelé à Rome pour la confirmation
des actes du concile de Nicée, il occupa, parmi les évêquas d'Occident, la troisième place après
le pape Damase et saint Ambroise, en qualité de primat et d'évêque métropolitain des Gaules :
lthacius, un évêque d'Espagne, était venu à Trêves pour des démêlés avec les Priscillianistes ;
356 5 mai.
poursuivi par les calomnies de ces hérétiques, il était sur le point d'être chassé de la ville par
les magistrats : Britton le soutint et le justifia. Pendant son épiscopat, saint Àmbroise et saint
Martin vinrent à Trêves, où ils opérèrent des miracles et ne craignirent point de reprendre l'em-
pereur Maxime et les évêques courtisans. Britton sut défendre son église contre l'hérésie priscil-
lienne ; et, orné de vertus dignes de l'épiscopat, il s'endormit dans le Seigneur le 3 de mai.
Propre de Trêves.
SAINT AVERTIN, CHANOINE GILBERTIN (1180).
Saint Avertin naquit en Angleterre vers le milieu du xne siècle. Disciple de saint Thomas de
Cantorbéry, chanoine de Saint-Gilbert, il fut élevé au diaconat et se distingua par de nombreuses
et brillantes vertus. Il avait une tendresse particulière pour les pauvres, et Dieu récompensa ses
vertus par le don des miracles.
Lorsque le grand et illustre martyr des droits de l'Eglise, saint Thomas, vint à Tours pour
assister au concile de 1163 tenu dans cette ville par le pape Alexandre III pour déposer l'antipape
Victor, il se fit accompagner de son pieux archidiacre. Avertin visita tous les lieux qui rappelaient
le souvenir de saint Martin ; il désira, sans doute à l'exemple de tant de Saints, fixer sa demeure
près de la tombe du grand thaumaturge ; mais il ne voulut pas abandonner son saint évêque, et
tant que dura son exil, il en partagea les amertumes et les tristesses. Il rentra avec lui dans sa
patrie, mais ce ne fut pas pour longtemps. Après le glorieux martyre de saint Thomas, il quitta
l'Angleterre et revint en Touraine. 11 se retira dans le bois de Cangé, à quelques kilomètres de la
ville de Tours, près du bourg de Saint-Pierre de Vençay. Il avait résolu d'y vivre dans la solitude,
comme le disciple de saint Martin et les solitaires des grottes de Marmoutier. Touché de son
mérite et de sa sainteté, les habitants du village de Vençay ne lui permirent pas de réaliser
son pieux dessein : ils l'entourèrent de vénération, lui confièrent le soin de leurs âmes, écoutè-
rent sa parole avec avidité, eurent recours à ses prières et à ses conseils ; et Dieu, par son
entremise, les favorisa de grâces extraordinaires. Le pieux solitaire mourut en 1180. Il fut enseveli
dans l'église de Saint-Pierre de Vençay, où il opéra de nombreux miracles. Les pèlerins vinrent
en foule prier sur sa tombe, et le village changea son premier nom contre celui de Saint-Avertin.
Son corps fut brûlé par les Huguenots en 1562. Dans les commencements du xvne siècle,
le Père Guillaume Guérin 1, visitant l'église de Saint-Avertin, n'y trouva aucune relique du
Saint; mais il y vit une statue très-vénérée et entourée de nombreux ex-voto, parmi lesquels
on voyait surtout des tètes de cire, car le Bienheureux avait reçu du ciel le don de guérir
toutes les douleurs de tète. La dévotion envers ce Saint était si grande qu'autrefois toutes les
maisons du bourg étaient transformées en hôtelleries pour y recevoir les pèlerins. Les grands
pèlerinages avaient lieu le mardi de Pâques et le 5 mai, jour de sa fête. Cette dévotion a sensi-
blement diminué avec le temps, cependant quelques rares pèlerins se rendent encore aujourd'hui à
Saint-Avertin pour y prier le saint confesseur. — Il est également le patron de Bougival, au dio-
cèse de Versailles 2.
M. l'abbé Rolland, chan. honoraire, aumônier du Pensionnat des Frères des Ecoles chrétiennes de Tours.
1. Acta Sanctorum, 5 maii.
2. Sa statue le représente vêtu en diacre, disent les Bollandistes ; d'où l'on conclut qu'il n'était pas
prêtre. D'après le propre de Tours, « il enseignait la religion aux gens de la campagne ; — ut christiania
moribus agrestes imbueret ». — Ce qu'il pouvait faire sans être revêtu de la plénitude du sacerdoce, D'ail-
leurs tous les martyrologes sont unanimes à le qualifier diacre.
MARTYROLOGES. 357
VI' JOUR DE MAI
MARTYROLOGE ROMAIN.
A Rome, la fête de saint Jean, devant la Porte Latine ; ce bienheureux Apôtre amené d'Ephèse
à Rome, chargé de fers, par l'ordre de Domitien, fut condamné par jugement du sénat à être jeté
dans une chaudière d'huile bouillante, devant la porte de ce nom, et en sortit plus frai3 et plus
fort qu'il n'y était entré. Vers l'an 95. — A Antioche, saint Evode, qui, comme l'écrit saint
Ignace au peuple d'Antioche, fut ordonné premier évêque de cette ville par l'apôtre saint Pierre et finit
sa vie par un glorieux martyre *. 62. — A Cyrène *, saint Lucius, évêque, dont saint Luc fait
mention dans les Actes des Apôtres. Ier s. — En Afrique, les saints martyrs Héliodore et Vénuste,
avec soixante-quinze autres. — En Chypre, saint Théodote, évêque de Cérines, qui, ayant enduré
des souffrances très-dures sous l'empereur Licinius, rendit enfin son âme à Dieu pendant la paix
de l'Eglise. IVe s. — A Damas, la fête de saint Jean Damascène, célèbre par sa sainteté, autant
que par sa doctrine, qui combattit avec courage, par ses discours et ses écrits, pour le culte des
saintes images, contre Léon l'Isaurien. Ayant eu la main droite coupée par l'ordre de ce prince,
il la recouvra tout à coup saine et entière, pendant qu'il se recommandait à l'image de la bien-
heureuse Vierge qu'il avait défendue. — A Carrhes, en Mésopotamie, saint Protogène 3, évêque.
— En Angleterre, saint Edbert, évêque de Lindisfarne, célèbre par son érudition et sa piété.
718. — A Rome, sainte Bénédicte ou Benoîte, vierge *. — A Salerne, la translation de saint
Mathieu, apôtre, dont le corps sacré, apporté autrefois d'Ethiopie en divers endroits, et enfin dans
cette ville, fut enseveli avec de grands honneurs dans une église dédiée sous son nom.
MARTYROLOGE DE FRANCE, REVU ET AUGMENTÉ.
A Auxerre, le triomphe des saints évêques Valère et Valérien : celui-ci, au conciie de Cologne,
souscrivit à la condamnation d'un évêque qui niait la divinité de Jésus-Christ 5. 324 et 364. -—
Sur les confins de la Gascogne, saint Justin, disciple des prédicateurs de l'Evangile, et glorieux
martyr du Fils de Dieu. — A Vienne, en Dauphiné, saint Just, évêque et martyr, auquel le pape
1. Saint Evode est du nombre des soixante-doaze disciples primitifs de Notre-Seigneur Jésus-Christ.
2. Il s'agit de Cyrène en Libye, patriarcat d'Alexandrie (aujourd'hui Cairoon, dans la province de Baca).
— Saint Lucius est compté parmi les soixante-douze disciples de Jésus-Christ.
3. Théodoret parle de saint Protogène, liv. iv, ch. 16; ainsi que Nicéphore, liv. n, ch. 23, et liv. xin,
eh. 5. Il florissait du temps de l'empereur Valens, et défendit énergiquement contre lui la fol de l'Eglise
catholique. Il parvint jusqu'an règne de Théodose, sous lequel il mourut; il eut pour successem Vitus,
qui assista au concile œcuménique de Constantinople. Baronlus. (Voir, au jour précédent, sa vie et celle
de saint F.uloge.)
4. Saint Grégoire raconte, dans ses Dialogues (iv, 13), que sainte Galla était malade de la maladie
qui devait la conduire à la mort. Or, une nuit, saint Pierre lui apparut entre deux candélabres qu'elle
avait fait placer au pied de son lit, car, dit l'illustre biographe, elle n'aimait pas les ténèb>es qui sont
l'image du péché, a Eh quoi, Seigneur », dernanda-t-elle, « mes péchés me seraient-ils remis"' » — « Oui »,
répondit saint Pierre, « prépare-toi a me suivre ». — « Dans ce cas, Seigneur, faites que ma sœur Benoîte
m'accompagne ». — « Non pas maintenant, mais dans trente jours ». Et il en fut ainsi. Aa. SS.
5. De saint Valère on ne sait rien, sinon qu'il siégea dix-sept ans et qu'il fut enseveli sur le mont
Artre, a côté de son prédécesseur, saint Marcellin. Si gaint Marcellin était son prédéce-seur médiat ou
Immédiat, c'est ce que nous ne pourrions décider, la chronologie des évêques d'Auxerre étant, comme
Celle de la plupart des églises, très-embrouillée (324).
Quant à saint Valérien, qui aurait succédé à saint Valère, et qui siégea trente ans, il aurait assisté,
en 346, au concile contesté de Cologne et signé une lettre-circulaire notifiant les actes du concile de
Sardique, car on y lit la signature d'un évêque Gaulois, nommé lioàepuuç : or, on ne connaît pas d'é-
Têque contemporain du même nom.
On pourra faire observer que l'on n'a pas le nom de tous les évêques de France an ive siècle, et noua
n'irons point à rencontre.
C'est saint Valérien qui forma à la piété saint Amatre. Nous avons raconté ci-dessus, dans la Vie de
358 6 mai.
saint Pie Ier écrivit une lettre de consolation pleine de l'esprit de Jésus-Christ. Vers 168. — Dans
l'Ordre de Citeaux, la mémoire de plus de cent martyrs du même Ordre, exécutés pour la foi, en
divers temps et en divers lieux. — Au monastère de Cambron, près de Mons, en Hainaut, le
bienheureux Henri, qui, épouvanté d'une vision céleste, quitta son évêché et se fit pauvre et
humble religieux en cette abbaye, où il persévéra jusqu'à sa mort, qui fut précieuse devant Dieu
et devant les hommes. — A Aire-sur-1'Adour, saint Gérons ou Géronce, confesseur, et saint Edence.
— A Paris, la translation du chef de saint Louis, du monastère de Saint-Denis à la Sainte-Cha-
pelle du Palais, où l'on en fait la fête dans l'octave de l'Ascension. — A Soissons, la fête de saint
Victrice, évêque de Rouen, nommé au Martyrologe romain le 7 août l. — Dans le Limbourg, le
lundi avant la Pentecôte, la fête de saint Gerlac, pénitent, dont le décès est marqué le 5 janvier*.
— A Paris, sainte Atoye, vierge et martyre. — A Arras, le bienheureux Hatta, premier abbé
de Saint- Waast d'Arras. 699.
ADDITIONS FAITES D'APRES LES BOLLANDISTES ET AUTRES HAGIOGRAPHES.
En Afrique, saint Secondien, évêque, et avec lui les saints Jacques, Marien, Concorde, Marine,
Héliodore, Saturnin, Silvain, tous martyrs. — A Milan, en Italie, les saints martyrs Victor, Félix,
un autre Victor, Carisie, Auûdia, Judith, Emeria, un troisième Victor, Acuta, Faustina, Hilarianus,
Victoriana, Saturnina, Gavina, Hedentus, Furtuna, Victoria, Prima, Galanus, Valentina, Fortunata,
Postumus, Faustin, Majorique, Venustus, Massunus, Processa, Secundianus, Importuna, Quintien,
Pierre, Tasso, Casseric, Mapparic, Veneria, Bonefacia, Quintus, Floriana, Victorine, Demorus,
Gaudola, une autre Victorine, Crispin, Possinus, un autre Félix, Donat, Laborus, Massilus, Gaïeu,
Farerus, Quintus, Rogatus, Maxence, Ninna, Virtutus, Valérie, Tironius, Matrona, Citinus, Florian,
Hirenée, Fortunat, Faustin, Gavinus, Hernius, Pappalique, Prime, Cassus, Second, Célérin, Hié-
remia, Flavius, Macrobe, Marcellin, Maxime, Bafrodite, Augustien, Viticus et soixante-cinq autres;
on autre Gaïanus et ses vingt compagnons, avec un grand nombre d'autres. C'est sans doute en
faisant allusion à ces Martyrs que saint Ambroise dit dans son sermon pour la fête de saint Nazaire
et de saint Celse : « D'autres villes sont Gères de posséder les reliques d'un seul martyr : et
toi, terre de Milan, nourrice de célestes combattants, mère féconde d'innombrables vertus, réjouis-
toi : tu possèdes des peuples entiers de Martyrs ». Règne de Maximien. — A Tarente, en Calabre,
les saints Mathieu et Prime, martyrs. — Chez les Grecs, saint Pacôme, saint Hilarion, saint Marnas
et saint Patrice. — A Imola, dans les Romagnes, saint Maurel ou Maurélius, évêque. Bon citoyen et
bon évêque, il aima à la fois son Eglise et sa patrie. Après l'année 524. — Au Mont-Cassin, en Italie,
saint Pétronax, abbé et restaurateur du célèbre monastère de ce lieu. 752. — Au même lieu, mé-
moire des saints Paldon, Tason et Taton qui aidèrent saint Pétronax à relever les ruines amoncelées
sur le sol par les Lombards, cent trente ans auparavant. — A Trequenda, au diocèse de Sienne, la
bienheureuse Bonizella, veuve illustre par sa charité envers les membres déshérités de Jésus-Christ,
et le bienheureux Guy, son neveu, dont les cendres reposaient à ses pieds dans l'église paroissiale.
On raconte que, après le décès de la bienheureuse Bonizella, des abeilles — malgré la répulsion de ces
nobles insectes pour ce qui est mort — vinrent se poser sur sa main comme pour honorer l'instrument
de tant de libéralités versées dans le sein des pauvres. 1300. — A Thosa, près de Bruch, en Suisse, la
bienheureuse Elisabeth, de Bude ou de Hongrie, vierge, appelée aussi sainte Reine, nom qu'elle avait
refusé de porter durant sa vie. Elle était fille du roi de Hongrie, André IH, et embrassa l'Ordre de Saint-
Dominique. Il ne faut pas la confondre avec son homonyme et parente, la veuve du landgrave de
Thuringe. Elle mourut en 1338 à l'âge de quarante et un ans : sa vie avait été semée de maladies
et d'afflictions presque continuelles. Les unes et les autres sont les arrhes que Jésus-Christ donne
à ses fiancées. — A Côme, dans le Milanais, au monastère de Saint-Mare, la bienheureuse Pru-
dence, vierge, de l'Ordre des Ermites de Saint-Augustin, qui, après sa mort, se leva de sa bière
pour adorer une dernière fois le très-saint Sacrement. 1492.
ce dernier, comment, par une méprise qui devait avoir des conséquences heureuses, saint Valérien récita
une bénédiction pour une autre. *
Il fut enterré au mont Artre.
Il y avait jutrefois, dans le diocèse d'Anxerre, une église importante dédiée à saint Valérien. Sou»
l'épiscopat de saint Aunaire (573-603), elle fut mise au rang des églises principales. Selon toute appa-
rence, elle éta't située à Chitry, à trois lieues d'Auierre.
Une église a été élevéu sous son invocation à Chateaudun, diocèse de Chartres, et l'on y garde depui»
longtemps une partie de ses reliques. Cf. AA. SS. au 6 mai, et la France Pontificale, éd. Eepos.
1. Voir à ce jour. — 2. Voyez ce Jour.
SAINT JEAN, MARTYR DEVANT LA PORTE LATINE. 359
SAINT JEAN, MARTYR DEVANT LA PORTE LATINE
Vers 95. — Pape : Saint Anaclet. — Empereur : Domitien.
Sic eum volo manere, donec veniam.
Je veux qu'il survive au martyre jusqu'à ce qu'il
meure de sa mort naturelle et que je vienne la
chercher. Joan., rxi, 22.
Les fils de Zébédée, Jacques et Jean, ne connaissaient encore ni le mys-
tère de la croix ni la nature du royaume de Jésus-Christ, lorsque, par l'organe
de leur mère, ils le priaient de les faire asseoir l'un à sa droite^ et l'autre à sa
gauche, c'est-à-dire de leur donner les deux premières places de son royaume.
« Pouvez-vous », leur dit le Sauveur, « boire le calice que je dois boire?
pouvez-vous participer à mes opprobres et à mes souffrances ? » Les deux
disciples répondirent affirmativement et protestèrent à leur divin Maître
qu'ils étaient dans la résolution de tout endurer pour lui. Alors Jésus leur
prédit qu'ils boiraient son calice et qu'ils auraient beaucoup à souffrir pour
la vérité de son Evangile. Cette prédiction fut littéralement accomplie dans
saint Jacques , lorsque Hérode le fit mourir à cause de la religion qu'il
professait.
Quant à saint Jean, qui aimait si tendrement son divin Maître et qui en
était si tendrement aimé, on peut dire, sans faire violence au texte sacré,
qu'il but le calice du Sauveur et qu'il en partagea l'amertume lorsqu'il
assista à son crucifiement. En effet, son cœur était déchiré par le sentiment
des douleurs qu'il lui voyait souffrir ; mais ce n'était encore là qu'un prélude
de ses peines. Après la descente du Saint-Esprit, il se vit condamné, avec les
autres Apôtres, à la prison, aux fouets, aux opprobres. Enfin la prédiction
de Jésus-Christ eut son entier accomplissement lorsqu'il mérita, sous Domi-
tien, la couronne du martyre.
L'empereur Domitien, auteur de la seconde persécution générale suscitée
à l'Eglise, était universellement haï pour sa cruauté, son orgueil et ses
impudicités. Il fut, au rapport de Tacite, encore plus cruel que Néron, et
il prenait plaisir à repaître ses yeux du spectacle des exécutions barbares
dont l'autre, au moins, se dérobait ordinairement la vue. Sous son règne,
Rome fut inondée du sang de ses plus illustres habitants. Ennemi de tout
bien, il bannit ceux qui avaient la réputation d'hommes vertueux, entre
autres Dion Chrysostome et le philosophe Epictète * ; mais ce fut sur les
chrétiens que tombèrent ses principaux coups. Outre qu'il ne pouvait souf-
frir la sainteté de leur doctrine et de leur vie, qui lui était un reproche tacite
de ses crimes, il était encore animé contre eux par cette haine que leur
portaient tous les païens.
1. L'auteur de VEncInridion, le plus parfait abrégé de morale qui soit sorti de la plume d'un païen.
C'est avec raison que les Stoïciens ont Tegardé Epictète comme le plus grand philosophe de leu'- secte.
L'empereur Marc-Antonin ne pouvait se rassasier de liro ses ouvrages. Saint Augustin et saint Charles
Borroiuée les lisaient aussi avec beaucoup de plaisir. L'édition la plus complète et la meilleure que nous
en ayons, eBt celle qui parut à Londres en 1741, 2 vol. in-4*, par les soins et avec les notes de Jean Up~
ton. Il vient de paraître une excellente traduction dn Manuel d'Epîctete, avec de savantes notes et des
réflexions tres-chrétiennes : elle a pour auteur M. Louis Cordier, curé de Pouilly-les-Chery (Aisne). Il
faut Joindre a ce livre un autre ouvrage du même auteur qui y sert de commentaire et dont voici le titre :
Du stoïcisme et du Christianisme, rapports et différence*.
360 6 mai.
Saint Jean l'Evangéliste vivait encore. Il était chargé du gouvernement de
toutes les églises d'Asie, et jouissait d'une grande réputation, tant à cause
de cette éminente dignité que de ses vertus et de ses miracles. Ayant été
arrêté à Ephèse, il fut conduit à Rome l'an 95 de Jésus-Christ. Il parut devant
l'empereur, qui, loin de se laisser attendrir par la vue de ce vénérable vieil-
lard, eut la barbarie d'ordonner qu'on le jetât dans une chaudière remplie
d'huile bouillante. Il y a toute apparence que le saint Apôtre souffrit d'abord
une cruelle flagellation, conformément à ce qui se pratiquait à l'égard des
criminels qui n'avaient point le droit de bourgeoisie romaine. Quoi qu'il en
soit, on ne peut au moins douter qu'il n'ait été jeté dans l'huile bouillante :
Tertullien, Eusèbe et saint Jérôme le disent expressément.
Nous ne craignons point d'assurer que le Saint fit éclater une grande joie
lorsqu'il entendit prononcer sa sentence ; il brûlait d'un ardent désir d'aller
rejoindre son divin Maître, de lui rendre amour pour amour, et de se sacri-
fier pour Celui qui nous avait tous sauvés par l'effusion de son sang. Mais
Dieu se contenta de ses dispositions, en lui accordant toutefois le mérite et
l'honneur du martyre : il suspendit l'activité du feu, et lui conserva la vie,
comme il l'avait conservée aux trois enfants qui furent jetés dans la fournaise
de Babylone. L'huile bouillante se changea pour lui en un bain rafraîchis-
sant, et il en sortit plus fort et plus vigoureux qu'il n'y était entré.
L'empereur fut très-frappé, ainsi que la plupart des païens, de cet évé-
nement; mais il l'attribua au pouvoir de la magie. Ce que l'on publiait des
prétendus prodiges opérés par le fameux Apollonius de Tyane, qu'il avait
fait venir à Rome, ne contribua pas peu à le confirmer dans cette opinion.
La délivrance miraculeuse de l'Apôtre ne fit donc sur lui aucune impression,
ou plutôt elle ne servit qu'à augmenter son endurcissement dans le crime.
Il se contenta toutefois de bannir le Saint dans l'île de Pathmos l. C'est là
qu'il composa son apocalypse dont chaque mot, disent les Pères, est un
mystère. Désormais la parole de Jésus-Christ : Eumvolo manere donec venia?n,
— « Je veux qu'il vive jusqu'à ce que je vienne », était accomplie. L'appari-
tion du Sauveur à saint Jean exilé dans Pathmos réalisait précisément sa
promesse de le faire échapper à une mort violente et de le laisser mourir
tranquillement lorsqu'il serait venu le visiter ; car telle est l'interprétation
de ces mots : Je veux qu'il vive jusqu'à ce que je vienne, que les autres Apô-
tres avaient pris pour un brevet d'immortalité accordé à saint Jean.
Domitien * ayant été assassiné l'année suivante, Nerva, rempli de bonnes
qualités et d'un caractère naturellement pacifique, fut élevé à l'empire.
Saint Jean eut la liberté de sortir du lieu de son exil et de retourner à
Ephèse.
Ce fut auprès de la porte appelée Latine parce qu'elle conduisait dans le
Latium, qu'il remporta ce glorieux triomphe. Pour conserver la mémoire
du miracle, on consacra une église en cet endroit sous les premiers empe-
reurs chrétiens. On dit qu'il y avait un temple de Diane, dont on changea
la destination pour le faire servir au culte du vrai Dieu. Cette église fut
rebâtie, en 772, par le pape Adrien Ier. On visite, encore aujourd'hui, la
1. Une des îles Sporades, situées dans la mer Egée ou l'Archipel, oîi se trouve, dans le couvent de
Saint-Jean nommé l'Apocalypse, un séminaire grec, avec une école, une bibliothèque et une collection
de médailles.
'J. Domitien régna depuis l'an 81 jusqu'à l'an 96. Nous apprenons de Suétone et d'Eus'ebe, qu'il porta
l'impiété jnsqu'à se faire donner le titre de Seigneur et de Dieu. C'était lui qui, renfermé dans son ca-
binet, employait une partie de son temps à prendre des mouches qu'il enfilait ensuite avec un poinçon.
On vit surtout après sa mort combien il était détesté. On abattit ses statues, on ôta son nom des édifices
publics, et ses décrets furent annulés par le sénat.
SAINTE AVOYE, VIERGE ET MARTYRE. 361
chapelle Saint -Giovanni- in -oleo sur l'emplacement même du supplice.
La fête de saint Jean, devant la Porte Latine, a été longtemps chômée en
plusieurs églises. Elle a été d'obligation en Angleterre, au moins depuis le
xn8 siècle jusqu'à la prétendue réforme; mais on la mettait seulement au
nombre des fêtes du second rang , auxquelles toute œuvre servile était
défendue, excepté le labour des terres. Les Saxons, qui s'établirent dans la
Grande-Bretagne, avaient une dévotion singulière à saint Pierre et à saint
Jean l'Evangéliste. En plusieurs lieux, les imprimeurs honorent saint Jean,
devant la Porte Latine, comme leur patron ; en d'autres, ce sont les vigne-
rons et les tonneliers, à cause delà cuve; ailleurs, ce sont les chandeliers et
lampistes, à cause de l'huile et des matières graisseuses. En mémoire de son
supplice, on l'invoque contre les brûlures. Quant au choix des imprimeurs,
nous ne saurions l'expliquer. Serait-ce parce qu'ils ont commencé par impri-
mer du latin??? — Les mots Porte Latine doivent probablement avoir dé-
terminé ce choix. Il va de soi que les lithographes, relieurs, régleurs et
papetiers ont adopté le même patronage que les imprimeurs.
Tiré de Tertullien, Prxscript., c. 86; de saint Jérôme, in Jovin., t. ier, p. 14, et de Tillemont, Jlist.
eccies., t. ier, p. 338, et de Ylstoria délia Chiesa di S. Giovanni avanti Porta Latina scritta, da Gio Maris
Crescembini, Roma, 1716, in— 1°.
SAINTE AYOYE, VIERGE ET MARTYRE
m6 siècle.
Sainte Avoye, qui s'appela d'abord Aurée, naquit en Sicile vers le com-
mencement du me siècle. Son père, qui se nommait Quintien, était du nom-
bre de ces petits rois que les Romains toléraient dans le pays de leurs con-
quêtes, à condition qu'ils reçussent d'eux la couronne royale, et qu'ils dé-
pendissent absolument de leur empire. Il persécutait cruellement les chré-
tiens pour plaire aux empereurs romains, et parce qu'il était fortement
attaché au culte des idoles. La mère de notre Sainte, qui s'appelait Gérasine,
et qui était de la Grande-Bretagne, où les Siciliens, selon Athénée, ont fait
de toute antiquité grand trafic, avait des sentiments tout contraires : car,
non-seulement elle favorisait les chrétiens, mais elle était elle-même une
très-fidèle servante de Jésus- Christ. Gela fit naître d'abord un peu de désu-
nion entre elle et son mari ; mais Dieu lui donna tant de pouvoir sur l'es-
prit de cet idolâtre, qu'après beaucoup de sages remontrances, qu'elle for-
tifiait par l'exemple d'une vie innocente et irrépréhensible, elle le convertit
enfin et lui fit embrasser, avant sa mort, la religion dont il avait été le fléau
et le plus terrible persécuteur. On dit qu'elle eut neuf enfants de lui :
trois garçons et six filles ; elle les éleva dans une telle innocence, qu'on les
eût pris pour un chœur d'anges et non pour des descendants de l'homme
déchu. Aurée, qui semble avoir été la dernière des filles, surpassait les au-
tres par sa grande ferveur et par son amour sincère et très-ardent pour
Jésus-Christ.
Un jeune homme, épris de sa beauté, l'attendit un jour à la porte de
l'église où les chrétiens étaient assemblés, et quand elle sortit, il lui déclara
sa passion ; mais la jeune Aurée, qui avait déjà choisi Notre-Seigneur pour
362 6 mai.
son Epoux, se détourna, aux premières paroles, sans vouloir en entendre
davantage ni répondre. Rentrée chez elle, ses larmes coulèrent en abon-
dance, elle gémit du danger qu'elle venait de courir ; de peur que la beauté
de son corps, qui devait passer comme une fleur, ne lui fît perdre celle de
son âme, qui pouvait être immortelle, elle pria son Epoux, avec de grands
soupirs, de la rendre aussi laide et aussi désagréable aux yeux des hommes,
qu'elle avait été jusqu'alors capable de leur plaire et de leur inspirer, par sa
seule vue, un amour criminel. 0 Dieu ! qu'elles sont rares les jeunes filles
qui craignent les dangers de la beauté et de la vanité ! combien, hélas ! ai-
ment mieux être belles que chastes, et plaire à un homme qui ne sera de-
main que pourriture, que de se conserver l'amour de Jésus-Christ qui est
éternel et qui fait part à ses amantes des trésors de son éternité ! Aurée ne
se contenta pas de faire la demande dont nous venons de parler : afin de
n'être plus aimée que de Dieu seul, elle entreprit de détruire les grâces de
son visage par les veilles, les jeûnes, les fatigues de longues prières qu'elle
faisait prosternée contre terre, et par d'autres austérités. Vains efforts ! plus
elle cherchait à devenir livide, exténuée, défaite, plus son Epoux céleste
répandait d'agréments et de charmes sur toute sa personne, voulant qu'elle
fût en tout, à l'extérieur comme à l'intérieur, digne de lui.
Aurée, comprenant l'intention divine, résolut de se tenir cachée dans le
secret de son oratoire, afin de n'être vue que de Celui qui était l'unique ob-
jet de ses désirs. Ce fut là que, lui parlant cœur à cœur, elle fut souvent
inondée du torrent de ses consolations, et qu'elle goû-ta, dans une grande
paix, combien il est doux en lui-même, et combien il est libéral et magni-
fique à l'endroit de ceux qui le craignent. Elle fut aussi visitée par un ange
revêtu d'un habit plus blanc que la neige et plus éclatant que le soleil, qui
l'assura que Jésus-Christ, son souverain Seigneur, l'avait reçue pour son
épouse, et que cette alliance serait si ferme et si inébranlable, que ni les
embûches du démon, ni les poursuites des créatures, ne seraient jamais ca-
pables de la rompre. On ne saurait exprimer la joie avec laquelle Avoye
reçut un si glorieux message, ni les effets d'amour qu'elle fit pour en témoi-
gner sa reconnaissance à son Sauveur. L'ange, par un surcroît de grâce, lui
donna un nouveau nom, comme autrefois il en avait été donné un nouveau
à Abraham, à Sara, à Jacob, à saint Pierre et aux enfants de Zébédée ; le
nom <X Aurée1, qu'elle avait porté jusque-là, était comme un présage qu'elle
brillerait un jour, dans le ciel, de l'or de la charité. L'ange la nomma Avoye*,
pour signifier qu'elle était destinée à ramener, dans les voies du salut, une
infinité de personnes qui s'en trouveraient éloignées. Elle lui demanda com-
ment elle pourrait correspondre à tant de bontés de son Epoux envers elle.
Il lui répondit que c'était en suivant sa mère dans la Grande-Bretagne,
pour y tenir compagnie à sa cousine Ursule, par laquelle Dieu voulait
faire de grandes choses, et qui allait se rendre illustre dans toute l'Eglise par
les glorieux combats qu'elle soutiendrait pour la foi et pour la chasteté.
Cependant Quintien, son père, vint à mourir, et laissa, par sa mort, Gé-
rasine, sa femme, tutrice de ses enfants et régente de son petit royaume.
Peu de temps après, c'est-à-dire vers l'année 234, Dionet, roi de Cornouail-
1. Aurea, dorée. — Les Bollandistes, t. vu de mai, nouv. éd., disent que sainte Aurée et sainte Avoye
sont différentes l'une de l'autre. Nous ne les suivrons pas dans leurs raisonnements qui ne mènent du
reste à rien de concluant : l'histoire de cette sainte ou de ces saintes est embarrassée de trop de difficul-
tés et couverte de trop d'obscurités pour que nous puissions, même au prix de longs efforts, résoudre les
unes, dissiper les autres. Ceci est une question d'hagiographie parement locale que quelque savant des
diocèses de Vannes ou de Paris élucidera peut-être un Jour.
3. A via, loin de la voie.
SAINTE AYOYE, VIERGE ET MARTYRE. 363
les, qui avait épousé Darie, sœur de la même Gérasine, et qui en avait eu
une fille unique , qui est la grande sainte Ursule , commença à faire
des préparatifs pour le mariage de cette excellente vierge, avec Holo-
pherne, fils d'un roi de la Grande-Bretagne. Il convia à cette solennité la
mère de notre Sainte : cette pressante invitation, l'inspiration divine et la
révélation qu'avait eue sa fille, déterminèrent la princesse à entreprendre
ce pénible vojrage.
Après avoir mis bon ordre à toutes les affaires de sa maison et de sa pe-
tite communauté, dont elle confia le gouvernement à l'un de ses fils, elle
s'embarqua pour la Grande-Bretagne : elle mena avec elle sa chère Avoye et
trois autres de ses filles, que sainte Elisabeth de Sconange et le bienheureux
Herman de Steinfeld, en leurs révélations, appellent Babile, Julienne et Vic-
toire, et le dernier de ses fils, âgé seulement de dix ans, qu'on nomme Adrien.
Après une heureuse traversée, nos saints voyageurs arrivèrent dans la
Grande-Bretagne où ils furent reçus avec des témoignages d'honneur et de
joie extraordinaires.
Sainte Ursule, qui reconnut la prudence et la vertu de Gérasine, sa tante,
lui découvrit le dessein auquel elle se sentait portée par une inspiration cé-
leste : c'était d'éviter les noces qu'on lui préparait avec tant de pompe, en
quittant le lieu de sa naissance et en s'enfuyant en un autre pays, où la di-
vine ProvidencB lui préparait un auguste triomphe et la couronne du mar-
tyre. Non-seulement Gérasine approuva ce projet, qui venait de Dieu, mais
elle voulut y avoir part : ses quatre filles l'imitèrent, surtout notre sainte
Avoye, qui désirait tant verser son sang pour Jésus-Christ. Onze mille vier-
ges, assemblées pour les noces d'Ursule, s'associèrent aussi à sa résolution.
Elles s'embarquèrent et s'abandonnèrent au souffle de la Providence. Nous
raconterons, au 21 octobre, leurs longues pérégrinations. Il suffit de dire ici
qu'à Cologne elles tombèrent entre les mains d'une armée de Huns, qui en
firent un horrible massacre. 11 n'y en eut que trois dont le martyre fut dif-
féré. De ce nombre était sainte Avoye. Un chef de ces barbares la fit cap-
tive, dans l'espoir que la rigueur de la prison ou des supplices la forcerait
de renoncer à sa foi et à son vœu de virginité.
C'était sans doute une chose bien digne de compassion de voir cette
tendre vierge, après avoir perdu sa mère, ses sœurs et toutes ses compa-
gnes, égorgées en sa présence, se trouver seule, en un pays inconnu, sous
la puissance d'un barbare qui n'avait rien d'humain que le visage, et qui, à
l'idolâtrie et à l'impiété, joignait une humeur farouche et une brutalité
semblable à celle des animaux les plus lascifs, se trouver sous la garde d'une
troupe de soldats qu'elle pouvait appeler, comme saint Ignace le martyr,
une troupe de tigres. Mais Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui l'avait choisie
pour son épouse, ne l'abandonna pas dans cette nécessité. Il éclaira son
cachot d'une lumière céleste , pour lui montrer qu'il était auprès d'elle et
qu'il la prenait sous sa divine protection. Il lui envoya un ange, qui la con-
sola et lui fit savoir que son martyre n'avait été différé que pour le rendre
plus glorieux, et qu'en souffrant plus de tourments, elle gagnait une cou-
ronne plus éclatante. Il voulut même que la sainte Vierge fût sa nourricière
durant sa prison : cette divine Mère lui apportait chaque semaine trois pains
pétris par la main des anges, et dont la blancheur et le goût surpassaient
tout ce qu'elle avait mangé d'agréable et de délicieux en la maison du roi
son père. C'est ainsi que les peintres représentent ordinairement notre
Sainte. On la voit en prison, recevant des pains de la main d'une vierge, à
travers une grille de fer. Ces faveurs extraordinaires, jointes à la grâce in-
364 6 mai.
térieure dont l'Epoux céleste remplissait l'âme de la Martyre, la fortifièrent
si puissamment, que ni les promesses, ni les menaces, ni les sollicitations
les plus pressantes, ni même les tourments les plus aigus, ne purent jamais
ébranler sa constance. On dit qu'on fit entrer des lions dans son cachot
pour la dévorer ; mais Celui qui avait conservé Daniel, dans la fosse aux
lions, préserva aussi cette innocente brebis de la gueule de ces bêtes, et elle
n'en reçut que des caresses.
On ignore en quel pays Avoye était ainsi captive. Si nous en croyons une
tradition, la Sainte fut amenée par mer sur le territoire de Boulogne, en
France (Pas-de-Calais), et là, se voyant rendue à la liberté, elle se retira
dans un bois, auprès d'un bourg appelé Divernie, où elle vécut quelque
temps en solitude. Un oratoire a été bâti en ce lieu et occupé, pendant
plusieurs siècles, par des ermites.
Le Boulonnais aurait donc été le théâtre du triomphe de sainte Avoye, après
ses longs et rudes combats. Des barbares firent irruption en ce pays. Comme
elle ne chercha point à se cacher, ni à se mettre en sûreté dans quelque
place forte, elle tomba entre les mains de ces infidèles, qui lui arrachèrent
les yeux, lui tranchèrent la tête, et la firent ainsi, selon son désir, une glo-
rieuse martyre de Jésus-Christ. D'après son histoire, rimée envieux français,
que l'on conservait encore, au xvin8 siècle, dans la paroisse d'Imbleville,
au diocèse de Rouen, les bourreaux de la Sainte la fouettèrent si cruelle-
ment avec des verges et des scorpions, que son corps, étant tout déchiré,
on eût pu facilement lui compter les os ; ils frottèrent ses plaies avec une
haire piquante et les aspergèrent de sel fondu et bouillant ; ils lui coupè-
rent aussi les mamelles avec des couteaux émoussés ; enfin, ils lui firent
souffrir tous les supplices que la cruauté peut inventer. Aussi, dans certains
tableaux représentant cette illustre martyre, on voit, au bas de la tour où
elle est prisonnière, un ange qui lui présente un calice, comme pour lui
dire qu'elle boira dans le calice amer du Fils de Dieu, et qu'elle aura part
aux plus grandes rigueurs de sa Passion.
Une tradition nous apprend que sainte Avoye est apparue dans la pa-
roisse de Pleumélée, près de la ville d'Auray, au diocèse de Vannes, en
Bretagne, et qu'elle a sanctifié, par son attouchement et sa bénédiction,
une pierre et une fontaine, sur le bord de la mer. Depuis, par son interces-
sion, les enfants que l'on met sur cette pierre, qui est creusée par le milieu,
ou que l'on plonge dans cette fontaine, y obtiennent le pouvoir de mar-
cher ; c'est pourquoi les habitants et les pèlerins y ont fait bâtir un fort bel
oratoire, qui porte le nom de cette illustre vierge. C'est sans doute pour
quelques faveurs semblables que la ville de Meulan-sur-Seine a pris sainte
Avoye pour la patronne et la titulaire de sa paroisse ; qu'on lui a érigé des
chapelles à Imbleville, au diocèse de Rouen ; à Belleville, au diocèse de
Reims ; et que, du temps de Philippe-Auguste, grand aïeul de saint Louis,
on consacra en son honneur, à Paris, l'église qui porta son nom ; la rue dans
laquelle se trouvait cette église était aussi nommée Sainte-Avoye. Du temps
du Père Giry, l'église Sainte-Avoye appartenait aux Ursulines ; elles lui four-
nirent les documents dont il composa cette biographie.
On invoque principalement sainte Avoye pour les enfants qui tardent
trop à marcher et pour les pécheurs endurcis. Ses reliques étaient conser-
vées, avant la Révolution de 1793, à Paris, dans l'église Sainte-Avoye, et
dans l'abbaye de Saint-Antoine-des-Champs.
Voir Du Breuil, Antiquités de Paris; Jacques Malbraquc, Histoire des Morinois, liv. n; Arthns du
Moustier, Martyrologe des saintes Femmes, et la Vie de saiute Uisule.
SAINT JEAN DAMASGÈNE. 365
SAINT JEAN DAMASGENE, DOCTEUR DE L'EGLISE
780. — Pape : Adrien Ier. — Empereur d'Orient : Constantin V.
Le bien n'est pas même bien s'il n'est bien fait.
Maxime favorite de saint Jean Damascène.
Jean Damascène, nommé aussi Mansour ou Chrysorroas1, est le dernier
des Pères grecs et l'écrivain le plus remarquable du vme siècle. Il naquit dans
les dernières années du vne siècle, en Syrie, à Damas, ce qui lui a fait donner
le nom de Damascène. Cette ville était au pouvoir des Sarrasins depuis l'an
633. Le père de notre Saint, quoique zélé chrétien, était très-estimé parmi
ces infidèles, à cause de la noblesse de sa naissance, de sa probité et de ses
talents. Il plut au chef des Sarrasins, au kalife, qui en fit son ministre. Dans
cette haute position, il employait sa fortune et son influence à protéger les
chrétiens opprimés, à racheter ceux qui étaient captifs. Ces bonnes œuvres
furent récompensées par la divine Providence. Un jour, dans une troupe de
ces malheureux exposés sur la place publique, on vit ceux qui étaient des-
tinés à la mort se jeter aux pieds de l'un d'entre eux et se recommander
humblement à ses prières. C'était un religieux italien, nommé Cosme, pris
sur mer avec les autres. Les barbares, ayant remarqué le respect que
lui témoignaient ses compagnons de malheur, lui demandèrent de quelle
dignité il avait été revêtu parmi les chrétiens. Il répondit qu'il n'en avait
point d'autre que celle de prêtre. « Je suis », ajouta-t-il, « un inutile moine
qui a étudié non-seulement la philosophie chrétienne, mais encore la philo-
sophie étrangère » ; et, en disant ces mots, ses yeux se remplirent de larmes.
Le père de Jean étant survenu, lui demanda la cause de sa tristesse. Cosme lui
confessa naïvement qu'il s'affligeait de mourir avant d'avoir pu communi-
quer à d'autres les sciences qu'il avait acquises. Or, depuis longtemps le
père cherchait pour son fils un homme qui pût lui donner une éducation
convenable. Ravi de trouver ce trésor dans un captif qu'on allait égorger,
il courut le demander au Kalife, qui le lui accorda sans peine. Cosme non-
seulement reçut la liberté, il devint l'ami du père, le maître du fils, qui,
sous sa direction, apprit avec un succès prodigieux la grammaire, la dialec-
tique, l'arithmétique de Diophante ou l'algèbre, la géométrie, la musique,
la poésie, l'astronomie, mais surtout la théologie ou la science de la reli-
gion. Ses progrès ne furent pas moindres dans la vertu que dans les sciences.
Il avait pour compagnon d'étude un orphelin de Jérusalem, que son père
avait adopté. Quand son éducation fut achevée, Cosme se retira en Pales-
tine, dans la laure de saint Sabas, d'où il fut tiré pour être fait évêque de
Majume. Le mérite de Jean fut bientôt connu du prince des Sarra^ns, qui
le fit chef de son conseil, après la mort de son père.
Circonstance bien remarquable ! C'est un pauvre moine d'Italie, captif,
voué à la mort, qui introduit les sciences de Grèce et de Rome à la cour des
Kalifes de Damas, qui les enseigne au fils du grand visir ; et ce fils, devenu
grand vizir lui-même, puis moine, sous le nom de saint Jean Damascène,
parvient à naturaliser, pour un temps, ces sciences étrangères parmi ces
1. Chrysorroas : brillant comme l'or. — Mansour : Rachite, nom patronymique.
366 6 mai.
mêmes musulmans, parmi ces mêmes Arabes, qui les avaient proscrites et
brûlées avec la bibliothèque d'Alexandrie. D'après ces faits, qui viennent
d'être constatés par des savants de France, ce ne sont pas les chrétiens qui
ont appris ces sciences humaines des musulmans, comme certains hommes
se plaisent à dire, mais les musulmans qui les ont apprises des chrétiens.
On avait vu plus d'un empereur grec de Gonstantinople protéger l'héré-
sie ; il y en eut un qui inventa lui-même une hérésie nouvelle : ce fut de
condamner et de briser les images des Saints comme une idolâtrie. C'était
l'empereur Léon, surnommé l'Isaurien, parce qu'il était natif d'Isaurie, pays
et peuple pour le moins aussi barbares que l'étaient alors les Huns et les Van-
dales (730). Comme il était très-ignorant, il se mit en tête qu'en honorant
les saintes images, les catholiques honoraient non pas les saints qu'elles
représentent, mais la matière et la couleur dont ces images sont faites. Il
entreprit de les abolir, les fit ôter des églises et brûler sur les places publi-
ques. Les catholiques qui s'y opposaient furent tourmentés et mis à mort.
Son fils, Constantin Copronyme, se montra encore plus furieux. Constanti-
nople devint un théâtre de supplices : on crevait les yeux, on coupait les
narines aux catholiques ; on les déchirait à coups de fouet, on les jetait
dans la mer.
L'empereur en voulait surtout aux moines : il n'y avait tourments
et outrages qu'il ne leur fît souffrir. On leur brûlait la barbe enduite de
poix ; on leur brisait sur la tête les images des Saints, peintes sur bois.
Son plus grand plaisir était de présider à ces supplices.
Les chrétiens, fidèles à leur foi, combattirent l'hérésie, selon la cou-
tume, par la prière, le jeûne et par le martyre enduré avec une constance
héroïque. Quelques-uns défendirent la vérité par d'éloquents écrits ; de ce
nombre furent surtout saint Germain, évêque de Constantinople, et Jean
Damascène, gouverneur de Damas et ministre du kalife. L'empereur, irrité,
put facilement exercer sa vengeance sur saint Germain ; mais comment
atteindre saint Jean Damascène dans un empire étranger? S'étant procuré
un autographe de Jean, il ordonna à un habile copiste de s'exercer à imiter
cette écriture, et il parvint, par ce moyen, à fabriquer une lettre que Jean
lui adressait, et dans laquelle il lui offrait de lui livrer Damas par trahison.
L'empereur envoya cette fausse lettre au kalife, l'avertissant, en bon voisin,
qu'il avait un traître pour ministre. Cette lâche et vile imposture eut un
plein succès. Malgré les dénégations les plus énergiques de Jean, le kalife
lui fit couper la main droite, et ordonna qu'elle fût attachée à un poteau
dans une place publique. La victime, ayant obtenu qu'on lui rendît sa main
coupée, se retira dans son oratoire, et là, ce vaillant défenseur des saintes
images> agenouillé devant une image de la vierge Marie, pria ainsi :
« Très-pure Vierge, qui avez enfanté mon Dieu, vous savez pourquoi on
m'a coupé la main droite ; vous pouvez, s'il vous plaît, me la rendre et la
rejoindre à mon bras ; je vous le demande avec instance, afin que je l'em-
ploie désormais à écrire les louanges de votre Fils et les vôtres ». Ayant dit
cela, il s'endormit, et la sainte Vierge lui apparut et lui dit : « Vous êtes
maintenant guéri ; composez des hymnes, écrivez mes louanges et accom-
plissez votre promesse ». Le Saint étant réveillé, trouva sa main parfaite-
ment réimie à son bras; rien n'indiquait qu'elle en eût jamais été séparée,
si ce n'est une petite ligne rouge qui l'entourait en forme de bracelet,
comme marque de ce miracle. Le prince des Sarrasins, reconnaissant par
ce prodige l'innocence de Jean, lui rendit son ancienne fonction. Mais Jean
ne demeura pas longtemps au service des hommes : la guérison de sa main
SAINT JEAN DAMASCÈNE. 367
lui avait sans doute paru une approbation par le ciel de ses travaux théolo-
giques. Désirant dès lors se livrer uniquement au service de Dieu, il affran-
chit ses esclaves, distribua ses biens à ses parents, aux églises et aux pau-
vres, et se retira, avec son frère adoptif, qui s'appelait Cosme comme son
précepteur, près de Jérusalem, dans la laure de saint Sabas. Cet abbé lui
donna pour directeur, un ancien moine, fort expérimenté dans la conduite
des âmes. Notre Saint en reçut les leçons suivantes, qu'il pratiqua comme si
Jésus-Christ les lui avait données de sa propre bouche : « Ne faites jamais votre
propre volonté ; — exercez-vous à mourir à vous-même en toutes choses, afin
de bannir tout attachement aux créatures ; — offrez à Dieu vos actions, vos
peines, vos prières ; — pleurez sans cesse les fautes de votre vie passée ; —
ne vous enorgueillissez point de votre savoir ni de quelque avantage que ce
soit, mais convainquez-vous fortement que, de votre propre fonds, vous
n'êtes qu'ignorance et faiblesse ; — renoncez à toute vanité, défiez-vous de
vos lumières et ne désirez jamais d'avoir des visions et des faveurs extraor-
dinaires; — éloignez de votre esprit tout ce qui pourrait vous rappeler
l'idée du monde, gardez exactement le silence et souvenez-vous que l'on
peut pécher, même en disant de bonnes choses, lorsqu'il n'y a point de né-
cessité ; — prenez conseil d'autrui dans les choses difficiles ; — tournez tous
vos désirs vers Dieu ; — n'écrivez point de lettres sans permission de vos
supérieurs ; — ne contredisez personne; —ne murmurez point; — ne crai-
gnez pas de vous égarer, hors de la voie de la perfection, en suivant les
ordres de vos supérieurs ». Jean suivit, comme je l'ai dit, ponctuellement
ces leçons, et avançait à grands pas dans la voie de la perfection. Son direc-
teur mettait sans cesse l'obéissance de l'illustre et pieux novice à de nou-
velles épreuves. Un jour, il lui ordonna d'aller vendre des corbeilles de pal-
mier à Damas, et lui défendit de les donner au-dessous d'un certain nrix
qu'il marqua et qui était exorbitant. Le Saint obéit sans dire un seul mot. Il
se rendit, sous un habit pauvre, dans cette même ville dont il avait été le
gouverneur. Quant il eut exposé sa marchandise et dit le prix, il fut traité
d'extravagant et accablé d'injures, qu'il souffrit en silence. A la fin, un de
ses anciens serviteurs, l'ayant reconnu, eut pitié de lui et acheta toutes ses
corbeilles le prix qu'il voulait les vendre.
Nous raconterons encore deux victoires que son humilité lui fit remporter.
Un moine était inconsolable de la mort de son frère : Jean, pour arrêter le
cours de ses larmes, lui cita un vers grec, dont le sens était qu'il faut s'at-
tendre à voir périr tout ce qui est terrestre et mortel. Là-dessus, son directeur
lui reprocha de faire parade de sa science : u Vous avez », lui dit-il, « violé
la défense que je vous avais faite de parler sans nécessité ». Puis il le con-
damna à rester enfermé dans sa cellule. Le Saint s'avoua humblement cou-
pable de désobéissance, et, au lieu d'alléguer la pureté de son intention, il
pria les autres moines d'intercéder pour lui et de lui obtenir le pardon de la
faute qu'il avait commise : sa grâce lui fut accordée, mais à condition qu'il
ferait une action, qui, chez les anciens, était considérée comme un supplice
auquel on condamnait les criminels, et qui, dans les communautés, était
ce qu'il y avait de plus humiliant, je veux dire la vidange des fosses d'ai-
sance. L'ancien ministre du kalife s'acquitta de cet emploi avec un empres-
sement et une humilité qui remplirent d'admiration les plus anciens de la
communauté, les plus avancés dans l'obéissance.
Une si grande vertu réunie à des talents si remarquables firent juger
notre Saint digne d'être élevé au sacerdoce. Cette dignité augmenta sa fer-
veur. On crut alors qu'il était assez solidement vertueux et assez humble
368 6 mai.
pour écrire en faveur de la foi. Nous donnons ci-dessous la liste de ses ou-
vrages. Il s'y trouve trois discours contre l'hérésie des Iconoclastes, intitulés:
Discours sur les images. Il y déclare que le prince doit se contenter du gouver-
nement de l'Etat, et ne point se mêler de faire des décisions sur la doctrine.
Cette autorité-là appartient à l'Eglise; l'Eglise ne peut errer : elle ne peut
donc tomber dans l'idolâtrie.
Il démontre très-bien que l'Eglise catholique n'adore que Dieu, quoi-
qu'elle vénè?*e\es Saints. Quant aux images, elles servent à nous instruire, à
réveiller notre dévotion, parce que, notre nature étant double, sensible et
intellectuelle, il nous faut des choses visibles pour nous rappeler les invi-
sibles. Dieu s'est rendu lui-môme visible en s'incarnant. Est-on idolâtre
parce qu'on a du respect pour Y Ecriture sainte? C'est pourtant une chose
matérielle comme les images, et les images nous rappellent, comme l'Ecri-
ture sainte, Dieu et les choses invisibles. Jean ne se contenta pas d'écrire
contre les Iconoclastes ; il parcourut la Syrie, la Palestine, pour raffermir
les chrétiens persécutés; il alla même, dans l'espoir du martyre, à Constan-
tinople, dont l'empereur Constantin-Copronyme avait fait la capitale de
l'erreur et de la persécution. Mais Dieu en avait ordonné autrement. Notre
Saint put revenir dans sa laure, où il continua ses savants écrits, Il y mourut
vers l'an 780 : il avait vécu cent quatre ans. Au xne siècle, on montrait en-
core son tombeau, près du portail de l'église de la laure.
On représente saint Jean Damascène prosterné aux pieds de la sainte
Vierge qui rapproche sa main coupée de son poignet ; vendant des
corbeilles, etc.
ÉCRITS DE SAINT JEAN DAMASCÈNE.
1° Le Livre de la Dialectique. Quoique la philosophie de Platon fût en vogue du temps de
saint Jean Damascène, il adopta celle d'Aristote, comme Boèce avait fait parmi les Latins. 11 fit
disparaître l'obscurité qui enveloppait la physique de ce philosophe, et en montra le3 principes
dans tout leur jour. Il réduisit sa logique à un corps de règles, sans tomber dans une prolixité
fastidieuse ; par ce moyen l'art du raisonnement devint facile à apprendre. On a souvent abusé de
la logique, en y traitant des questions inutiles et même ridicules ; grâce au bon sens, la plupart
de ces questions ont été proscrites des écoles. On ne perd plus un temps précieux à étudier les
futilités ; mais il ne faut pas réfléchir pour mépriser la logique lorsqu'elle se renferme en ses justes
bornes. Elle étend l'esprit et lui donne de la précision et de la justesse ; elle met de l'ordre et de
la clarté dans les idées ; elle apprend à juger des choses en elles-mêmes fit selon les vrais prin-
cipes; enfin, elle dispose à l'étude des autres sciences, dont elle est, en quelque sorte, la clef.
Sous le terme général de sciences, nous comprenons aussi la théologie, qui ne peut absolument se
passer du secours de la logique. Ce furent toutes ces considérations qui déterminèrent saint Jean
Damascène à donner un abrégé de la logique et de la physique d'Aristote.
2° Le Livre des Hérésies, où il en compte cent quatre, est un abrégé de saint Epiphane. Quant
aux hérésies qui ne sont venues que depuis ce Père, saint Jean Damascène puise ce qu'il en dit
dans les écrits de Théodoret, de Timolhée de Constantinople, etc. Il y parle cependant de plu-
sieurs hérétiques dont aucun autre auteur ne fait mention ; il y réfute surtout le mahométisme et
l'iconomachie.
3° Les quatre Livres de la Foi orthodoxe, en cent chapitres. C'est un corps de doctrine qui
renferme tout ce que l'on doit croire, ainsi que les principaux articles de la discipline de l'Eglise.
Le saint docteur traite, dans le premier, de Dieu et de ses attributs ; dans le second, de la création
des anges, de l'homme, de la liberté et de la prédestination ; dans le troisième, du mystère de
l'Incarnation ; dans le quatrième, des Sacrements, etc.
Les trois ouvrages ci-dessus peuvent être considérés comme les parties d'un tout ; comme n'en
faisant qu'un. C'est, en effet, un ensemble de doctrine qui, sous le nom de Source de la Science,
embrasse depuis les premiers éléments du langage et du raisonnement scientifique jusqu'aux plus
hautes élévations de la foi chrétienne. Le saint docteur adressa ces trois traités à son ancien
précepteur qui l'avait comme obligé à les faire.
« La science », dit-il, « est la connaissance vraie de ce qui est. Notre esprit, ne l'ayant pas
en lui-même, non plus que l'œil la lumière, a besoin d'un maître. Ce maître est la vérité même,
SAINT JEAN DAMA5CÈNE. 369
le Christ, qui est la sagesse et la vérité en personne, et en qui sont cachés tous les trésors de la
science. On peut tout apprendre par l'application et le travail, mais avant tout et après tout, parla
grâce de Dieu. Comme l'Apôtre nous avertit d'éprouver toutes choses et de retenir ce qui est
bon, nous consulterons les écrits des sages de la gentilité ; peut-être y trouverons-nous quelque
chose d'utile à notre âme. Un artisan quelconque, pour faire son ouvrage, a besoin d'instruments;
il convient d'ailleurs que la reine soit servie par quelques suivantes. Les sciences purement humaines
sont les servantes de la vérité, des instruments et des armes pour la défendre.
« La philosophie est la science naturelle de ce qui est, en tant que cela est ; la science des
choses divines et humaines ; la méditation de la mort; l'imitation de Dieu ; l'art des arts, la science
des sciences; enfin l'amour de la sagesse. Or, la vraie sagesse, c'est Dieu ; donc l'amour de Dieu
est la vraie philosophie. La philosophie se divise en spéculative et en pratique ; la spéculative se
subdivise en théologie, physiologie et mathématique ; la pratique, en morale, économie et poli-
tique. Le propre de la théologie est de considérer les êtres immatériels, Dieu, les anges et les
âmes. La physiologie est la science des choses matérielles, telles que les animaux, les plantes, les
pierres ; tout ce qu'on appelle aujourd'hui histoire naturelle. La science mathématique considère
les choses qui, quoique sans corps par elles-mêmes, sont néanmoins considérées dans les corps ;
tels que les nombres, les accords, les figures, les mouvements des astres. La théorie des nombres
constitue l'arithmétique ; la théorie des sons, la musique ; la théorie des figures, la géométrie ; la
théorie des astres, l'astronomie. La philosophie pratique traite des vertus, règle les mœurs et la
conduite; si elle donne des règles à l'individu, elle s'appelle morale; à une maison tout entière,
elle s'appelle économie ; à des villes et à des pays, elle s'appelle politique.
« Comme la philosophie est la science de ce qui est, nous parlerons de l'être. Nous commen-
cerons par la logique ou l'art de raisonner, qui est moins une partie de la philosophie que l'ins-
trument dont elle se sert pour toutes les démonstrations. Nous traiterons d'abord des mots simples
qui expriment des idées simples, et nous viendrons ensuite aux raisonnements. L'être est un nom
commun à tout ce qui est ; et il se divise en substance et en accident. La substance est ce qui
existe en soi-même, et non dans un autre, par exemple, un corps ; l'accident est ce qui ne peut
exister en soi-même, mais que l'on considère dans un autre, par exemple, une couleur ».
C'est avec cette justesse et cetle clarté que saint Jean Damascène précise les mots et les idées
qui constituent le langage et la raison scientifiques. Quand on fait attention que les discordances
philosophiques parmi les païens, que les grandes hérésies parmi les chrétiens, venaient toutes
d'une obscurité et d'une confusion plus ou moins volontaires touchant les mots et les idées d'être,
de substance, de nature, de forme, d'hypostase, de personne, on voit que saint Jean Damascène
ne pouvait mieux commencer que par les bien définir, et que quiconque cherche la vérité en
conscience, ou veut la défendre sincèrement, doit faire de misme.
4° Les trois Discours sur les Images. Nous en avons parlé en traitant de la vie du Saint.
5° Le Livre de la sainte Doctrine. Ce n'est, à proprement parler, qu'une profession de foi
raisonnée. Le Saint y distingue en Jésus-Christ deux volonté.» et deux opérations naturelles.
6° Le Livre contre les Monophysites, c'est-à-dire centre ceux qui n'admettaient qu'une
nature en Jésus-Christ après l'union hypostatique. Cet ouvrage est écrit avec beaucoup de force et
de solidité.
7° Le Livre ou le Dialogue contre les Manichéens. Les erreurs de ces hérétiques y sont fort
bien réfutées. Le cardinal Mal en a publié un second différent du premier.
8° La Dispute contre un Sarrasin, qui n'est qu'en lati.i dans les anciennes éditions. On l'a
donnée pour la plus grande partie en grec avec les dialogui s de Théodore Abucaras, évêque de
Carame, en Syrie.
9° Les Opuscules sur les dragons et les sorcières, dont nous n'avons plus qu'un fragment. Le
but de ces ouvrages était de montrer le ridicule de certaines histoires fabuleuses qui avaient courg
parmi les Sarrasins.
10° Le Livre de la Trinité, par demandes et par réponses. S'il n'a pas saint Jean Damascène
pour auteur, il est, au moins, une compilation de ses ouvrages.
11° La Lettre à Jourdain sur le Trùagion, où il est prouvé que la triple répétition du mot
Saint s'adresse à la divinité subsistante en trois personnes, et non au Fils seul. Le Saint rejette
les additions des Syriens monophysites, en montrant que, par rapport à ces sortes de rits, on doit
s'en tenir à ce qui se pratique dans l'Eglise.
12° La Lettre sur le jeûne du Carême. Saint Jean Damascène y loue la discipline qui s'obser-
vait dans l'église de Jérusalem. Le jeune durait sept semaines dans cette Eglise, et l'on ne mangeait
tous les jours qu'après le coucher du soleil, excepté les samedis et les dimanches. Pendant la
première semaine, on s'abstenait seulement de viande : mais on ne laissa pas de jeûner jusqu'au
soir : c'est ce qu'on appelait la préparation au Carême. Les six autres semaines, outre la viande,
on s'abstenait encore d'œufs, de fromage et de laitage. La semaine de la Passion, on ne se nour-
rissait que de xérophagie ou d'aliments secs. Le Saint ne condamnait point ceux qui ajoutaient au
Carême une huitième semaine ; mais il donnait la préférence, dans son estime, à ceux qui suivaient
l'usage commun ; et il avait coutume de répéter à ce sujet sa maxime favorite : o Le bien n'est
pas même bien, s'il n'est bien fait ».
Vies des Saints. — Tome V. 24
370 6 mai.
13° Le Livre des huit vices capitaux. Le saint docteur comptait huit vices capitaux, parce
qu'il distinguait la vaine gloire de l'orgueil, avec les anciens auteurs ascétiques. Après avoir montré
en quoi ils consistent, il donne le moyen de les combattre et de les détruire, ce qu'il fait avec
beaucoup plus de précision que Cassien et saint Nil, qui avaient traité le même sujet.
14° Le Livre de la vertu et duvice. On y trouve une courte description des vertus et des vices.
15° Le Traité de la nature composée, contre les Acéphales ou Monopbysites ; le Traité des
deux volontés, contre les Monothélites ; le Livre contre les Nestoriens. Ce sont des réfutations
des erreurs de ces différents hérétiques sur le mystère de l'Incarnation.
1G° Le Discours sur ceux qui sont morts dans la foi n'est point de saint Jean Damascène,
non plus que plusieurs autres opuscules qui sont dans le second tome de l'édition du Père
Le Quien.
11° Une Profession de foi, que quelques auteurs contestent au Saint.
18° Un Commentaire sur les épîtres de saint Paul.
19° Plusieurs Proses, odes et hymnes pour Noël, l'Epiphanie, Pâques, la Pentecôte, l'Ascension,
la Transfiguration, l'Annonciation. Il n'est pas sûr, d'après Dom Ceillier, qu'elles soient toutes de
saint Jean Damascène : on les croit mêlées avec celles d'Anatolius et de Métaphraste. Les Bollan-
distes inclinent à croire qu'il fut le premier auteur du Synaxaire des Grecs, recueil de vies des
Saints, qui correspond a nos Bréviaires. Gilles Romain cite le Martyrologe de saint Jean Damas~
cène, et il a été remarqué que, jamais avant lui, il n'avait été question en Orient d'abréviation
et d'abréviateur des vies des Saints.
20° Des Homélies, dont une sur la Transfiguration prononcée dans l'église du Mont-Thabor
même ; une sur la Parabole du Figuier ; une sur la Passion de Jésus-Christ ; deux sur Y Annon-
ciation ; deux sur la Nativité de la sainte Vierge ; et trois sur la mort de la sainte Vierge : on
sait que saint Jean Damascène ne laissait échapper aucune occasion de témoigner à Marie sa ten-
dresse et sa dévotion; une en l'honneur de saint Jean Chrysostome; la dernière esta la louange
de sainte Carbe.
21° La passion de saint Arthémius, Y Histoire de Barlaam, ermite, et de Josaphat, roi des
Indes. L'école de Baillet a mis en doute la véracité de cette histoire. Les plus modérés n'osent pas
en rejeter le fond, mais soupçonnent saint Jean Damascène de l'avoir revêtu d'une forme qui en
aurait affaibli l'authenticité. Quoi qu'il en soit, Baronius, Surius, l'abbé de Billy, d'autres hagio-
graphes et d'autres historiens font mention de ce récit et n'élèvent aucun doute sur sa véracité.
Nous reproduisons le jugement qu'en porte Huet, tout en protestant contre le mot de roman :
« C'est un roman », dit-il, « mais spirituel ; il traite de l'amour, mais c'est de l'amour divin ; l'on
y voit beaucoup de sang répandu, mais c'est du sang des martyrs. Non pas que je veuille soutenir
que tout en soit supposé : il y aurait de la témérité à désavouer qu'il y ait jamais eu de Barlaam
ni de Josaphat. Le témoignage du Martyrologe romain qui les met au nombre des Saints, ne permet
pas d'en douter... Cet ouvrage, soit pour la manière dont il est écrit, soit pour l'agrément de son
invention, soit pour sa piété, a été si fort au goût des chrétiens d'Egypte, qu'ils l'ont traduit en
langue cophte, et qu'il est aujourd'hui assez commun dans leurs bibliothèques ». De l'origine des
Romans, p. 87 ; Paris, 1685.
22° Un Etymologicon, qui fournit des corrections importantes pour les dictionnaires d'Hésychius
et de Suidas.
23° Pour compléter cette encyclopédie de saint Jean Damascène, il faut y joindre son grand
ouvrage des Parallèles. C'est une comparaison des sentences des Pères avec celles de l'Ecriture,
sur presque toutes les vérités morales. Elles sont rangées par matière et avec beaucoup de soin,
suivant l'ordre de l'alphabet grec. Le saint docteur les avait d'abord distribuées en trois livres,
dont le preroier traitait de Dieu et des choses divines; le second, de l'état et de la condition des
choses humaines ; le troisième, des vertus et des vices ; mais il jugea depuis que son ouvrage
serait plus commode aux lecteurs s'il en divisait les titres par ordre alphabétique. Ce qu'il y a
d'avantageux dans ce recueil, c'est que saint Jean Damascène nous y a conservé bien des fragments
d'anciens auteurs, dont nous n'avons plus de connaissance que par lui.
24' Le cardinal Mai a retrouvé, de saint Jean Damascène, plusieurs hymnes ou odes en l'hon-
neur de saint Basile, de saint Chrysostome, de saint Nicolas de Myre, de saint Georges et de saint
Biaise. Ces hymnes sont en prose poétique. 11 y en a huit en Thonneur de saint Basile, sept en
l'honneur de saint Chrysostome : on y voit célébrées les vertus et les actions que nous connaissons
de l'un et de l'autre. Dans les neuf odes en l'honneur de saint Nicolas, mais dont les deux pre-
mières manquent, le poète de Damas résume la tradition commune des Grecs et des Latins sur
l'illustre pontife de Myre : o Ni le sable qui est sur le bord de la mer a, lui dit-il, « ni la multitude
des flots, ni les perles de la rosée et les flocons de la neige, ni le chœur des astres, ni les gouttes
de la pluie et les courants des fleuves, ni les bouillonnements des fontaines, n'égaleront, ô Père! le
nombre de vos miracles '. Tout l'univers a en vous un prompt secours dans les afflictions, un
encouragement dans les tristesses, une consolation dans les calamités, un défenseur dans les ten-
tations, un remède salutaire dans les maladies ». Damascène célèbre particulièrement sa puissance
1. AA. SS., 3 februar; saint Blas.. Comment. prX.» n. 9. CVoir an 6 décembre, où nous donnons la
Vie de saint &icolas de Mi're, d'après saint J. D.)
SAINT JEAN DAMASCÈNE. 37i
à délivrer les prisonniers qui l'invoquent dans les fers ; son apparition à l'empereur Constantin au
milieu de la nuit pour sauver trois généraux de la mort injuste à laquelle on les avait condamnés;
son zèle à confesser la foi dans la persécution, à combattre l'hérésie d'Aiius pour en préserver son
troupeau ; sa charité incomparable, qui dérobe à la connaissance du malheureux la main qui le
soulage, qui sauve ainsi du déshonneur un père et ses trois lllles que l'excès de la misère allait
livrer au crime. Dans les sept ou huit hymnes en l'honneur de saint Georges, Damascène chante
les mêmes tourments et les mêmes miracles que nous voyons célébrer par son compatriote André,
archevêque de Crète : la roue, les feux, les brodequins de fer, le breuvage empoisonné, la résur-
rection du mort, la conversion du magicien Athanase, les démons contraints à confesser leur
impuissance et la divinité de Jésus-Christ.
Dans les neuf hymnes en l'honneur de saint Biaise, mais qui présentent quelques lacunes, il
rappelle tous les faits principaux que nous lisons dans les quatre ou cinq vies du même Saint.
Espérons que cet accord ne laissera plus lieu à aucun doute. — Comment donc Godescard a-t-il
pu dire : « L'histoire de la vie de ce saint évèque nous est ineonnue ?» On a eu bien tort de le
croire sur parole ; car s'il est. vrai de dire que la publication des hymnes de saint Jean Damascène,
par le cardinal Mai, est relativement récente, il n'est pas moins vrai qu'il existait quatre autres
biographies de saint Biaise auxquelles ces hymnes n'ajoutent rien comme détails *.
Quant aux hymues de saint Jean Damascène sur saint Pierre, qu'il appelle le coryphée, il ne
nous en reste que quatre avec une partie de la cinquième. On lit ces paroles au Prince des Apô-
tres : « Ayant reçu du Christ l'Eglise, que le Seigneur lui-même a formée, et non pas l'homme,
vous l'avez gouvernée comme un navire. Gardien de Rome, trésorier du royaume céleste, pierre
de la foi, fondement inébranlable de la foi catholique, soyez célébré dans les saints cantiques ».
Dans la première strophe de la seconde hymne, saint Damascène parle du voyage instantané de
saint Pierre, de Rome à la montagne de Sion, pour assister aux funérailles de la sainte Vierge,
qu'il appelle la nuée vivante de Dieu. Dans h première strophe de la cinquième, il parle du
triomphe de l'apôtre sur Simon le Magicien.
Mais ce qu'il y a surtout de pieusement remarquable, c'est que la dernière strophe de chaque
hymne est une louange et une invocation à la maternité divine de la sainte Vierge Marie. Il lui
dit, par exemple, dans les deux dernières hymnes à saint Basile : « Celui qui n'a point de corps
est sorti avec un corps de vos entrailles; lui qui, par la parole, a formé la nature incorporelle, lui
qui a donné l'essence à toute essence créée, raisonnable et irraisonnable, lui la parole de Dieu le
Père : c'est pourquoi, Mère de la vie, faites mourir en moi les passions du corps, qui font mourir
mon esprit. C'est vous, toute sainte Vierge, que je présente, avocate irrécusable et bienveillante
médiatrice, à celui qui est né de vous ; et je vous supplie d'effacer entièrement, par votre mater-
nelle intercession, la multitude de mes fautes ». — Dans la première et la seconde à saint Pierre :
« C'est par votre enfantement immaculé qu'a été rouvert l'antique paradis, fermé par notre pre-
mière mère, et qu'a été rendue au genre humain l'ancienne patrie. — C'est vous, auguste Souve-
raine, puissant refuge, Patronne toujours prête à sauver, que j'implore et supplie ardemment :
protégez mon âme, quand elle sortira de cette tente et qu'elle s'éloignera de la terre pour un autre
monde ». — Dans la première, la seconde et la quatrième à saint Georges : « La langue traînante
et à la voix grêle, la bouche au son désagréable, craignent de vous entonner des hymnes, ô Dame
souveraine ! car vous êtes chantée par les langues des anges, langues de feu et de flamme, et par
la bouche de ceux qui n'ont point de corps. — La tempête des péchés, les vagues de l'iniquité,
les fréquents écueils de la malice, me poussent ensemble dans le gouffre béant du désespoir :
donnez-moi la main, ô Vierge I de peur que les flots ne m'ensevelissent tout vivant. — Le lion
rugissant tourne autour, cherchant à me dévorer : ne m'abandonnez pas en proie à ses dents, ô
vous Immaculée, qui avez enfanté Celui qui, de sa main divinement puissante, a brisé les dents
molaires des lions ».
C'est surtout dans ses écrits dogmatiques que saint Jean fait paraître l'étendue de son génie.
Son style y est plein de force et de clarté; ses raisonnements sont solides et concluants. L'auteur
y montre partout une singulière pénétration d'esprit et une sagacité merveilleuse à expliquer les
mystères de la foi. Dans son Livre de la foi ortliodoxe,\\ a tellement lié toutes les vérités, qu'il
en résulte un corps complet de théologie. On le regarde comme l'inventeur de la méthode que l'on
a depuis adoptée dans les écoles théologiques, et que saint Anselme introduisit depuis parmi les
Latins. Cave refuse le titre d'homme judicieux à quiconque n'admire pas, dans les écrits de saint
Jean Damascène, une érudition extraordinaire, une grande justesse et une grande précision dans
les idées, une force non commune dans les raisonnements. Jean IV, patriarche de Jérusalem, loue
la profonde connaissance que le saint docteur avait des mathématiques. Selon Baronius, saint Jean
Damascène s'est trompé quelquefois par rapport aux faits historiques ; mais cela ne venait que de
l'infidélité de sa mémoire.
Le Père Le Quien, dominicain, a donné une bonne édition des œuvres de saint Jean Damascène,
avec des notes et des dissertations. Paris, 1712, 2 vol. in-fol. Cette édition a reparu à Vérone,
eu 1748, avec des améliorations.
I. Voir au 3 février, ou nous donnons la Vie de saint Biaise, d'après saint Jean Damascène.
372 6 mai.
Cette noble entreprise fut commencée par Jean Aubert, continuée par Combéfis, achevée par
Le Quien. Elle se fit par ordre des assemblées du clergé de France (1635-1636). Jusque-là on
n'avait que des parties des œuvres de saint Jean Damascène, la plupart en latin, non dans le
texte original.
On trouvera les œuvres complètes de saint Jean Damascène dans la Patrologie grecque de
M. Migne, tomes xciv, xcv, xcvi.
Cf. A A. SS., t. il de mai, et l'Itinéraire des Lieux-Saints, de Jean Phocas, qui se trouve au commen-
cement de ce tome (nouv. éd.); D. Ceillier (nouv. éd.); Rohrbacher.
LE BIENHEUREUX HATTA, ABBÉ DE SAINT- VAAST (699).
On voit, dans la vie de saint Aubert, que ce pontife avait commencé la construction de l'ab-
baye de Saint-Vaast d'Arras sur l'emplacement de l'oratoire, où cet apôtre des Atrébates avait
coutume de se retirer pour prier, et où son corps fut dans la suite transporté. Ce fut saint Vindi-
cien, son successeur, qui le gouverna pendant quelques années ; mais en 685, ce prélat, de con-
cert avec Thierry III, roi des Francs, appela le bienheureux Hatta, dont ils avaient entendu louer
la vertu et la sagesse, pour lui confier la direction de cette importante abbaye.
Hatta vivait alors dans le monastère de Blandinberg, près de Gand, bâti par saint Àmand ; ce
saint missionnaire fondait sur lui de grandes espérances et l'estimait beaucoup à cause de la sa-
gesse de sa conduite. Le fervent disciple s'efforçait de marcher sur les traces de son maître, et les
auteurs disent à sa louange qu'il reproduisait fidèlement toutes les vertus qu'il avait remarquées
et étudiées en lui.
On ne connait rien en détail sur les œuvres du bienheureux Hatta pendant son administration
de l'abbaye de Saint-Vaast ; mais l'excellente direction imprimée à cette communauté et l'esprit de
discipline et de ferveur qui y régna longtemps, font suffisamment l'éloge de ce saint abbé.
En 686, il accompagna à Hamage saint Vindicien, qui avait été invité par Gertrude II, abbesse
de ce monastère, à consacrer une nouvelle église, élevée à la gloire de Dieu, sous le vocable de
sainte Marie.
Les auteurs du Gallia Christiana, t. m, p. 374, parlent aussi d'un privilège qui aurait été
accordé par ce saint évèque au bienheureux Hatta, et dans lequel étaient garanties l'entière liberté
de ses religieux et la permission de suivre la Règle de saint Benoit.
Quelques auteurs lui donnent dans leurs écrits le titre de Saint, quoique d'ordinaire on ne lui
applique que celui de bienheureux ; son nom a toujours été en vénération dans l'abbaye de Saint-
Vaast. On croit qu'il mourut vers l'an 699.
M. l'abbé Destombes.
SAINT EDBERT, ÉVÈQUE DE LINDISFARNE (718).
Edbert était un saint homme qui excellait dans la connaissance des divines Ecritures, et qui
donnait chaque année aux pauvres la dixième partie de ses biens. Il succéda, en 687, à saint
Cuthbert, sur le siège épiscopal de Lindisfarne, et gouverna onze ans son diocèse avec beaucoup
d'édification. Il s'était fait une loi de passer le Carême et les quarante jours qui précèdent la fête
de NoCl, dans un lieu solitaire où son prédécesseur avait servi Dieu avant de venir dans l'île de
Farne. Eloigné pendant ce temps-là de la compagnie des hommes, il gardait une abstinence rigou-
reuse, et ne s'occupait que des exercices de la prière et de la contemplation.
Onze ans après la mort de saint Cuthbert, les moines de Lindisfarne, ayant trouvé son corps
entier et sans aucune marque de corruption, ainsi que les vêtements dont il était enveloppé, de-
mandèrent à leur évèque la permission de transférer ses précieuses reliques. Ils le portèrent dans
ta solitude où était alors une partie des vêtements qui avaient enveloppé le saint corps. Edbert
les baisa respectueusement, puis ordonna que les reliques de son saint prédécesseur, renfermées
dans un coffre tout neuf, fussent mises dans le sanctuaire, au-dessus du niveau du pavé, a Le
MARTYROLOGES. 373
tombeau », ajoute-t-il, « sanctifié par un tel miracle, ne restera pas longtemps vide ». Par là il
désignait sa mort prochaine. En effet, il tomba dangereusement malade, et mourut le 6 mai sui-
vant. Il fut enterré dans le tombeau de saint Cuthbert, et il s'opéra plusieurs miracles par son
intercession. 11 est nommé en ce jour dans le Martyrologe romain.
Voyez Bède, Hist., 1. ni, c. 25 ; 1. rv, c. 29, o. 30, et in vita sancti Cuthberti.
Yir JOUR DE MAI
MARTYROLOGE ROMAIN.
A Cracovie, en Pologne, la fête de saint Stanislas, évèque et martyr, mis à mort par l'impie
roi Boleslas. 1079. — A Terracine, dans la Campanie, la fête de la bienheureuse Flavie Domitille,
vierge et martyre. Fille de la sœur du consul Flavius Clémens, elle se consacra à Dieu et reçut le
voile sacré des mains de saint Clément, et, pendant la persécution de Domitien, ayant été dé-
portée avec beaucoup d'autres dans l'île Ponza pour la confession de Jésus-Christ, elle y continua
un long martyre : conduite enfin à Terracine, comme elle y opérait de nombreuses conversions
par ses enseignements et ses miracles, le juge fit mettre le feu à la chambre où elle était avec
deux Vierges, ses compagnes, Euphrosine et Théodora, et termina ainsi le cours d'un glorieux
martyre. On célèbre encore sa mémoire, avec celle des saints martyrs Nérée et Achillée, le 12 du
mois de mai. 99. — Le même jour, saint Juvénal, martyr *. — A Nicomédie, les saints martyrs
Flavius, Auguste et Augustin, frères. — Au même lieu, saint Quadrat, martyr, qui fut tourmenté
à plusieurs reprises dans la persécution de Dèce, et eut enfin la tête tranchée. me s. — A Rome,
saint Benoît, pape et confesseur. 685. — A York, en Angleterre, saint Jean, évèque, célèbre
par sa sainteté et ses miracles. 721. — À Pavie, saint Pierre, évèque. 738. — A Rome, la trans-
lation du corps de saint Etienne, premier martyr, lequel, apporté de Constantinople à Rome, sous
le pontificat du pape Pelage, fut déposé au Campo-Verano, dans le sépulcre de saint Laurent, mar-
tyr, où il est honoré par les fidèles avec une grande dévotion.
MARTYROLOGE DE FRANCE, REVD ET AUGMENTÉ.
A Agen, fête de la translation des reliques de saint Etienne. — A Troyes, en Champagne, sainte
Mastidie ou Mathie, dont le corps fut trouvé sans corruption plusieurs années après son décès.
— A Maëstricht, saint Domitien, évèque. 560. — A Autun, saint Placide, prêtre et abbé de la
basilique de Saint-Symphorien *. 680. — A Auxerre, saint Valérien, évèque de ce siège s. — A
Château-Thierry, saint Sérénic, abbé, dont les reliques y furent apportées avec celles de saint
Sérené, son frère, à l'époque où les Normands désolaient la France, sous la conduite de leur
chef Hasting. vu» s. — A Laon, saint Bason, confesseur, dont les reliques se conservent en l'é-
glise Saint-Jean de cette ville, vu» s. — A Séez, saint Milheart, évèque, qui acheva et consacra
la basilique de Saint-Martin, commencée par saint Sérénic. 670. — Près de Dourdan, au diocèse
de Chartres, sainte Même, honorée comme vierge et martyre dans le lieu qui porte son nom, à
une journée de Paris. — A Locarn, dans la paroisse de Duault, près de Montafilan, en Bretagne,
saint Hernin, solitaire. — A Faremoutier, en Brie, sainte Sessétrude, vierge, celléiière de ce mo-
nastère sous sainte Fare, dont Jonas, moine de Bobio, sous la règle de saint Colomban, décrit la
mort miraculeuse, arrivée avant celle de sainte Fare '. vu8 s. — A Tarbes, saint Misselin, con-
fesseur. — Au diocèse de Meaux, saint Blandin 5. — A Evreux, sainte Marie, mère de Jacques et
de Salomé, dont la cathédrale possédait autrefois les reliques et à laquelle le diocèse rend un culte
particulier. i« g.
1. Les Bollandistes pensent que saint Juvénal, nommé aujourd'hui par le martyrologe romain, est
celui qui est honoré à Bénévent avec la qnalité d'évêque et martyr. Baronius croit que c'est celui honoré
il Narni ; mais il suffit de faire remarquer que ce dernier n'a que le titre de confesseur.
2. Voir, au 22 août, une note à saint Symphorien. — 3. Voir au 6 maL
4. Voir à la Vie de sainte Fare, au 7 décembre. — 5. Voir au !•« mai.
374 7 mai.
MARTYROLOGES DES ORDRES RELIGIEUX.
Martyrologe des Basiliens. — A Damas, la fête de saint Jean Damascène, de l'Ordre de
Saint-Basile.
Martyrologe des Chanoines réguliers. — A Rome, saint Benoit II, qui fut d'abord chanoine
de Latran, avant d'être élevé sur le siège de saint Pierre, rétablit l'antique liberté de l'Eglise, et
s'endormit dans le Seigneur, illustre par ses vertus et ses miracles.
Martyrologe des Frères Prêcheurs. — La mémoire de la sainte Couronne d'épines du Sauveur.
ADDITIONS FAITES D'APRÈS LES BOLLANDISTES ET AUTRES HAGIOGRAPHES.
A Cordoue et en d'autres villes d'Espagne, fête de saint Raphaël, archange. — A Cologne, fête
des cinq Joies de la bienheureuse Vierge Marie. — A Girone, en Espagne, les saints Evoald
et Sixte, martyrs, mis à mort sous le proconsul Dacien. En langue vulgaire, saint Evoald est
nommé saint Hou III. — Aux saints Flavius, Augustin et Auguste, frères, que les Bollandistes
disent avoir été évêques, il faut joindre les saints Marcellin, Macrobe et Euthée ou Eutychès. —
A Gaëte, dans le royaume de Naples, saint Innocent, évêque d'Afrique, qui fut enseveli dans cette
ville. ive s. — A Ferrare, en Italie, saint Maureille, évêque et martyr, patron de cette ville. vne s.
— Au territoire de Bergame, saint Albert le Laboureur, né à Ogna et mort à Crémone, où il fut
enseveli dans l'église Saint -Matthieu. Saint Albert est le patron des garçons de cave et de
ceux qui travaillent au transport des vins, car sur la fin de sa vie il s'établit à Crémone et por*
tait en ville, comme on dit. 1190. — A Gubbio, en Italie, le bienheureux Villain, évêque de cette
ville. An 1220. — Dans les Calabres, les saints Reginald et Franc, solitaires, et cinq autres
ermites, qui renouvelèrent les prodiges de pénitence et de concorde fraternelle des premiers moines
de l'Egypte. Pontificat d'Eugène IV. — En Angleterre, sainte Alix ou Adélaïde *.
SAINT SERENIC * ET SAINT SERENE, SON FRÈRE
HECLUS AUX DIOCÈSES D£ SÉEZ ET DU MANS
Vers 669. — Pape : Vitalien. — Roi de France : Clotaire III.
En appelant ses serviteurs Mêles à jouir du bonheur
du ciel, Dieu leur donne un protectorat spécial à
exercer sur certaines contrées on sur certaine»
classes d'hommes.
Vie de saint Sérenë, par D. Piolin.
Saint Sérenic et saint Sérené naquirent à Spolète, à quinze lieues de
Rome, dans les premières années du vu0 siècle. Ils étaient frères selon la
chair ît selon l'esprit. Ils sortaient d'une famille patricienne puissante dans
toute l'Ombrie. Leurs parents leur procurèrent dès l'enfance des maîtres
habiles et capables de graver dans leurs jeunes cœurs les sentiments chré-
tiens. Sérenic était l'aîné; il aima tout d'abord son frère d'une affection
très-tendre, mais toute surnaturelle. Il n'usait de l'avantage de son âge que
pour exhorter Sérené à la vertu et aux pratiques de la perfection, dont il
lui donnait l'exemple. Bientôt les deux frères rivalisèrent d'ardeur pour la
piété; l'étude, la mortification, l'aumône faisaient l'objet de toute leur at-
tention. Doués de facultés heureuses et bien secondés par les maîtres habiles
1. Alix des Français, disent les Bollandistes, est peut-être la m5ma qu'Adélaïde ou Ezeilide des Anglais.
2. Ou Sénéric, Selering, Selerin, Senéré. Sénéry, ou encore Sérenic et Séiéué. Et encore Céncric,
Cenéré, suifaat les pays.
SAINT SÉRENIC ET SAINT SÉRENÉ, SON FRÈRE. 375
et dévoués qu'on leur avait donnés, Sérenic et Sérené firent des progrès re-
marquables en toutes les connaissances auxquelles ils s'appliquèrent; mais
ils réservèrent leurs plus grands efforts pour l'étude des vérités contenues
dans la sainte Ecriture, les enseignements de l'Eglise et du Siège apostolique.
Lorsque nos deux saints frères furent parvenus à l'âge viril, ils com-
prirent de plus en plus la nécessité de se donner sans réserve à Dieu. Ces
paroles de l'Evangile firent sur eux la plus vive impression : « Celui qui
aime son père et sa mère plus que moi, n'est pas digne de moi ' ». Un ange
apparut à chacun des deux frères durant une nuit consacrée à la prière, et
vint les confirmer dans leurs projets de renoncement. Il leur déclara que
la volonté de Dieu les appelait d'abord à Rome; qu'ils devaient dire un éter-
nel adieu à leurs proches et à leur patrie; que leur sacrifice devait être
complet et absolu; qu'ils auraient quelque temps à passer dans la basilique
de Saint-Pierre, uniquement occupés du service divin, des jeûnes, des
veilles, des psalmodies et des autres exercices pratiqués par les religieux
qui desservaient ce sanctuaire. A cette époque, la basilique du Prince des
Apôtres, ainsi que plusieurs des principales églises de Rome, étaient desser-
vies par les enfants de saint Benoît. Sérenic et Sérené comprirent tout aus-
sitôt que le ciel les appelait à marcher par la voie que le grand patriarche
du Mont-Cassin a tracée à ses disciples. Aussitôt qu'ils connurent d'une
manière certaine les desseins de Dieu sur eux, ils se hâtèrent d'y corres-
pondre, quittèrent tout et se rendirent promptement à Rome. A leur arri-
vée dans la ville sainte, ils furent bien accueillis du Pape et de la commu-
nauté des moines du Vatican. Ils reçurent avec bonheur l'humble habit de
Saint-Benoît, et se portèrent avec ferveur à la pratique de toutes les obser-
vances. Loin de se ralentir avec le temps, leur zèle prit toujours de nou-
veaux accroissements. Durant plusieurs années, ils rivalisèrent constamment
avec les moines les plus saints de la communauté dans la pratique des
jeûnes, des veilles et des oraisons; en un mot, c'étaient de parfaits disciples
de saint Benoît. Touchés des efforts que Sérenic et Sérené, encore si jeunes,
faisaient avec tant de générosité pour s'avancer dans la voie étroite qui
conduit à la vie, de leur patience, de leur humilité, de leur sobriété et de
leurs autres vertus, tous les moines du Vatican les regardaient comme leurs
modèles. Ne se contentant pas d'une vaine admiration, ils s'efforçaient de
les imiter, et proclamaient hautement leurs mérites. Instruit des qualités
de ces deux frères, le souverain Pontife voulut se les associer dans les soins
pénibles de son ministère, et les créa diacres-cardinaux. Quoique les hon-
neurs extérieurs attachés au cardinalat aient reçu des développements no-
tables depuis le vu6 siècle, il est certain néanmoins que dès lors celui qui
était élevé à cette dignité tenait le premier rang dans le clergé de l'Eglise
romaine, et par conséquent dans tout l'univers chrétien.
Saint Sérenic et saint Sérené ne jouirent pas longtemps de la haute di-
gnité que leurs vertus leur avaient méritée, sans comprendre les périls
nouveaux auxquels elle les exposait. Quoiqu'ils fissent tous leurs efforts
pour se soustraire aux marques de respect qu'on leur donnait de toutes
parts, ils craignaient que la vaine gloire ne se glissât insensiblement dans
leur cœur. La présence du danger éveilla en eux une plus grande vigilance,
et leur fit redoubler leurs prières. Enfin un ange apparut à Sérenic la nuit,
et lui dit : « Pourquoi te livres-tu à l'inquiétude, Sérenic ? Poursuis l'ac-
complissement du dessein qui t'a fait abandonner ton père, ta mère et tes
biens. Le Seigneur ne veut pas que tu restes plus longtemps en ce lieu;
1. Mattli., x, »7.
376 7 mai.
mais il t'ordonne de gagner un pays plus éloigné » . Après donc avoir reçu
l'avertissement de l'ange, Sérenic et Sérené se disposèrent promptement à
quitter Rome. Ils traversèrent presque toute l'Italie, coururent de grands
dangers en passant les Alpes, et parvinrent dans les provinces méridionales
de la Gaule. Comme ils étaient incertains du lieu où ils devaient se fixer, ils
parcoururent plusieurs régions de ce vaste territoire. Les contrées de l'ouest
de la Gaule étaient célèbres entre toutes par les tombeaux de saint Martin,
à Tours, et de saint Julien, au Mans. D'autres sanctuaires privilégiés atti-
raient encore la foule des pèlerins : ainsi, dans le seul diocèse du Mans,
l'église cathédrale, dédiée depuis plus de cent ans à saint Gervais et à saint
Protais, était devenue le lieu où la puissance miraculeuse de ces deux athlètes
du Christ éclatait avec le plus de splendeur en-deçà des Alpes. Depuis plus
d'un siècle, d'ailleurs, et surtout depuis l'épiscopat de saint Innocent (532-
543), le diocèse du Mans était devenu comme la Thébaïde de la Gaule.
Ce fut dans la solitude de la Charnie que l'ange du Seigneur conduisit
Sérené et Sérenic. Il est certain que vers le milieu du vne siècle, lorsque
nos deux saints moines vinrent habiter le diocèse du Mans, la forêt de
Charnie offrait de profondes solitudes, où de nombreux anachorètes vi-
vaient dans le silence et la retraite, pratiquant toutes les œuvres de l'ascé-
tisme le plus rigoureux. C'était ce que saint Sérené et son frère recher-
chaient. Il paraît cependant, d'après des traditions assez plausibles, qu'ils
habitèrent d'abord pendant quelque temps le lieu où est maintenant la ville
de Château-Gontier. C'était alors une terre importante qui appartenait aux
moines de Bazouges. Nos deux frères auraient pu y vivre en paix, si pour
un motif qui nous est inconnu, ils n'avaient bientôt quitté le diocèse d'An-
gers pour venir habiter celui du Mans. Ils fixèrent leur demeure près du
bourg de Saulges. La cabane qui leur avait servi d'asile dans la ferme des
moines de Bazouges resta en vénération; plus tard elle fut convertie en une
chapelle où la piété des chrétiens implora le secours de saint Sérené jusque
dans les premières années du xrxe siècle. Le voisinage de ce bourg attira à
nos deux moines de fréquentes visites. Ce concours fatiguait singulièrement
Sérenic, dont l'âme était éprise d'amour pour la contemplation. Dieu se
servit de cet attrait pour conduire le saint anachorète dans un diocèse voi-
sin; car il ne voulait pas que ces deux flambeaux fussent exclusivement ré-
servés à éclairer le Maine. Sérenic commença donc à prendre en dégoût un
lieu qui lui semblait trop pourvu de toutes les commodités de la vie, et
surtout trop fréquenté; et il ne tarda pas à s'en ouvrir à son frère, lui ma-
nifestant le désir qu'il éprouvait de s'avancer plus profondément dans le
désert. Jamais jusqu'à ce jour ces deux frères ne s'étaient séparés l'un de
l'autre. Mais la volonté de Dieu exigeait un nouveau sacrifice; ils l'offrirent
généreusement et sans aucun retard. Ce ne fut pas toutefois sans verser
beaucoup de larmes que Sérenic et Sérené se quittèrent. Après cette sépa-
ration, saint Sérenic s'avança du côté du pays d'Hyesmes, et choisit pour
séjour un lieu très-désert, situé sur le bord de la rivière de Sarthe, envi-
ronné de rochers, et que l'on ne pouvait aborder que par un sentier étroit.
Dans cette retraite, il ne fut suivi que par un jeune enfant nommé Flavart,
qu'il avait adopté sur les fonts du baptême, et qui s'était attaché à lui avec
un entier dévouement. Il salua l'ange de cette solitude, et bénit mille fois
son guide céleste, qui l'avait invisiblement amené en un désert où rien ne
le troublerait plus dans son commerce avec Dieu. Après avoir prié long-
temps le front contre terre, au moment où il levait la tête, il aperçut près
de lui une fontaine qui venait de jaillir miraculeusement du sol auparavant
SAINT SÉRENIC ET SAINT SÉRENÉ, SON FRÈRE. 377
aride, et qui, depuis ce jour, n'a cessé de couler. Le prodige ne s'arrêta
pas à cette première marque de la protection divine; car, afin de prouver
déplus en plus les mérites de son serviteur, Dieu donna à cette eau le pou-
voir de guérir les malades. Quelque temps après, Sérenic voulant traverser
la rivière, et n'ayant pas de nacelle, se trouva fort embarrassé; il recourut
à la prière, puis il fit le signe de la croix sur l'eau, qui se divisa en deux et
laissa un libre passage. Le jeune Flavart, qui suivait son maître, surpris et
comme hors de lui-même d'un tel prodige, laissa tomber dans le lit de la
rivière le livre qu'il portait. Sa stupéfaction était telle, qu'il n'eut aucune
conscience de l'accident qui venait de lui arriver; mais lorsqu'il fut remis
de sa première émotion, il reconnut la perte qu'il avait faite, et se prit à
regarder Sérenic d'un visage pâle et décomposé. Le Saint lui demanda d'où
venait cette altération dans ses traits; Flavart, tombant à ses pieds, lui
avoua en tremblant la faute qu'il avait commise. Son maître le releva avec
bonté, et le rassura pleinement en lui disant qu'un jour ce livre lui serait
rendu. En effet, six ans après, ce livre fut retiré de la rivière aussi sain que
si l'eau ne l'avait pas touché. Ce manuscrit se conservait encore au neu-
vième siècle dans la basilique construite par Sérenic; et l'auteur de sa vie
affirme l'avoir vu ne portant aucune tache. Sa prière était si fervente, qu'il
ne se contentait pas de réciter l'office de chaque jour prescrit par saint Be-
noît et saint Colomban; mais il y ajoutait encore l'office selon le rite de
l'Eglise romaine. Cependant une aussi grande lumière ne pouvait rester ca-
chée aux yeux de tout le monde durant longtemps ; le bruit de la sainte
vie de Sérenic émut les populations du voisinage; il se répandit ensuite plus
loin encore, et l'on vint en foule visiter le saint ermite et se recommander
à ses prières.
Parmi ceux qui fréquentaient le plus assidûment la cellule de Sé-
renic, il se trouva des âmes douées d'une plus forte aspiration vers les
choses du ciel; elles se proposèrent de suivre de si beaux exemples, et sup-
plièrent l'homme de Dieu de les prendre sous sa conduite. En peu de temps
le nombre des disciples qui se réunirent pour vivre sous sa direction s'ac-
crut prodigieusement; et l'on compta bientôt jusqu'à cent quarante moines
rangés sous sa discipline. Il mit un soin particulier à régler et à faire exécu-
ter pieusement ces longues psalmodies qui sont le premier devoir et la plus
grande joie de la vie monastique, et qui, au sentiment des Saints, arrêtent
les fléaux et font descendre sur la terre des grâces abondantes. Sérenic n'a-
vait pas voulu être élevé au sacerdoce; mais il remplissait chaque jour ses
fonctions de diacre dans l'église de son monastère. Notre saint abbé avait
commencé à construire une vaste basilique qu'il se proposait de dédier sous
le patronage de saint Martin; mais il fut prévenu par la mort, qui l'enleva
de ce monde le 7 mai. Il était dans un âge très-avancé, et avait annoncé à
ses moines l'époque et les circonstances de son trépas.
Revenons à saint Sérené que nous avons laissé à Saulges. Ce n'est or-
dinairement qu'après les exercices laborieux d'une longue pénitence, que
l'âme purifiée reçoit les dons surnaturels qui achèvent son union intime
avec Dieu. Il en arriva ainsi pour Sérené : après les rudes travaux de la vie
active, et les expiations de la vie purgative, il commença à jouir des faveurs
célestes les plus extraordinaires. Son commerce avec Dieu devint plus in-
time; des ravissements et des extases fréquents relevaient au-dessus des
sens; des inspirations parties du ciel lui apportaient des connaissances su-
périeures aux lumières qui s'acquièrent par l'étude et par la pénétration
naturelle de l'esprit. Souvent, lorsqu'après des jeûnes prolongés et d'aus-
378 7 mai.
tères pénitences il demeurait comme privé de forces, les anges venaient le
visiter ; ils lui apparaissaient sous des formes sensibles et s'entretenaient
avec lui. Le Sauveur lui-même ne dédaignait pas de faire goûter à l'âme de
son fidèle serviteur les charmes de sa présence, et lui donnait à ressentir
un avant-goût du bonheur céleste. Sérené reçut aussi le don de pénétrer
le secret des cœurs et de découvrir l'état de la conscience de ceux qui l'ap-
prochaient. Souvent il révéla aux personnes qui le consultaient des fautes
qu'elles avaient commises depuis un grand nombre d'années, et qui s'étaient
même effacées de leur mémoire : aussi l'esprit le plus audacieux n'eût osé
proférer un mensonge en sa présence. Des vertus si éminentes ne pouvaient
rester longtemps cachées aux fidèles du voisinage, qui furent les premiers
à visiter Sérené dans sa solitude; mais bientôt après il en vint de contrées
plus éloignées. Beaucoup de ceux qui le visitaient ainsi lui offraient des
présents; il les recevait pour ne pas affliger par ses refus et ne pas priver
ces personnes du mérite de l'aumône; mais il distribuait le tout aux pauvres
qui venaient aussi à sa cellule et y étaient toujours bien accueillis. Il lui
venait souvent des pécheurs qui s'étaient plongés dans le crime, dont le
cœur était bourrelé de remords et l'âme livrée au désespoir : Sérené les
recevait avec une affabilité particulière, les comblait de tant de consola-
tions, et leur offrait des motifs d'espérance si puissants, qu'ils ne sJen re-
tournaient qu'après avoir purifié leur conscience, et après que la joie d'un
esprit en repos avait pris la place des agitations et de la tristesse, suites
funestes du péché. Plusieurs fois aussi il vit des personnes divisées par des
haines violentes, et il avait une grâce particulière pour les réconcilier; il
ne les laissait jamais partir d'auprès de lui avant qu'elles ne se fussent juré
réciproquement une amitié inviolable. Ainsi brillait le pieux solitaire des
bords de l'Erve, semblable à une lumineuse étoile du matin, astre de paix
et d'amour pour conduire le peuple chrétien dans le sentier du salut. Celui
qui avait abandonné père, mère, frères, sœurs, et tout espoir ici-bas, devint
bientôt le chef d'une nombreuse famille, c'est-à-dire de tous les pauvres et
de tous les affligés. Cette paternité sainte se manifesta d'une manière écla-
tante dans une circonstance lugubre pour le Maine et toute la France.
Sainte Bathilde, qui gouverna durant quelques années le royaume de
France, au nom de ses enfants mineurs, et avec les conseils de saint Léger,
évêque d'Autun, fit goûter à l'Eglise et aux populations des jours de bon-
heur et de prospérité. Mais une faction de seigneurs mécontents abreuva
d'amertume la reine régente. Bathilde, en butte à la haine des grands et
dégoûtée de l'inertie du peuple, descendit du trône et se renferma dans
l'abbaye de Chelles. Là, sous l'humble habit de Saint-Benoît, qu'elle avait
toujours chéri, elle vécut moins puissante, mais plus heureuse; une lâche
envie lui enleva le sceptre ; une reconnaissance tardive consacra sa gloire.
Ebroïn, maire du palais, s'était placé à la tête des seigneurs ennemis de
Bathilde et de saint Léger. Il usa de son pouvoir avec la cruauté d'un tyran;
et tout fut livré à l'inquiétude et au trouble dans l'Etat. Son audace à mé-
priser toutes les lois réveilla le courroux des seigneurs; il fut renversé et
renfermé dans l'abbaye de Luxeuil. Mais trois ans après, une nouvelle ré-
volution procura à Ebroïn le moyen de ressaisir l'autorité et de recommen-
cer ses violences. Childéric II (670-673), oubliant les saints exemples dont
son enfance avait été environnée, s'abandonna à des passions honteuses, et
s'attira la haine et le mépris de tout le monde. Les barons formèrent une
conspiration contre lui; ils le surprirent dans une forêt où il chassait, et le
massacrèrent. De retour à Paris, ils cernèrent le palais, enfoncèrent les
SAINT SÉRÉNIC ET SAINT SÉRENÉ, SON FRÈRE. 379
portes, et mirent à mort la reine qui était enceinte, avec l'aîné de ses en-
fants. Lorsque la nouvelle de la mort du roi fut connue, disent les chroni-
queurs du temps, les hommes qui avaient été bannis par son ordre, re-
vinrent sans crainte; leurs vengeances produisirent des discordes si grandes
dans le royaume, qu'on crut que l'Antéchrist allait paraître. Dans la pro-
vince du Maine, ces factions ensanglantèrent les villes, les châteaux, les cam-
pagnes; et le peuple, réduit au désespoir, ne connaissait plus aucun frein.
Aux maux que causaient les rivalités armées vinrent se joindre d'autres
douleurs. Les champs abandonnés ne produisirent rien au temps de la
moisson; les milices avaient détruit même les espérances; d'ailleurs, Dieu
qui voulait châtier son peuple pour les crimes qu'il avait commis, avait re-
fusé aux champs la pluie qui les féconde : la disette fut extrême. Les pri-
vations de tout genre firent naître une de ces maladies fréquentes à cette
époque, et que les annalistes comme le peuple désignent sous le nom de
peste. La contagion était si maligne, qu'on prenait le mal en parlant, en
respirant; non-seulement l'homme communiquait la peste à son semblable,
mais elle atteignait même les animaux. Tous les travaux étaient suspen-
dus; chacun marchait isolé, et voyait dans tout passant un pestiféré, par
conséquent un ennemi mortel. Souvent ceux qui portaient un cadavre au
tombeau ne regagnaient pas leur demeure, et l'on vit plus d'une fois le fos-
soyeur tomber mort et occuper la place qu'il préparait pour un autre. Ac-
cablées par le présent, menacées pour l'avenir, lésâmes les plusfortes étaient
saisies par le trépas ou le désespoir. Les cadavres des défunts n'étaient pas
toujours recouverts de terre, et les émanations morbides qui s'en exhalaient
auraient suffi à elles seules pour dépeupler les villes et les campagnes.
Le clergé et le peuple allèrent se jeter aux pieds de Févêque du Mans,
saint Béraire, et le supplièrent de chercher un -remède à leurs maux.
Le prélat ordonna un jeûne de trois jours, avec des processions et des
messes solennelles d'expiation. Le troisième jour, il fut révélé à un moine,
homme d'une éminente piété, que le pays serait délivré des malheurs sous
lesquels il gémissait, par les mérites et les prières de saint Sérené. Ce reli-
gieux s'empressa de faire connaître à l'évêque ce que le ciel lui avait ré-
vélé. Béraire prit avec lui les hommes les plus vénérables de son clergé, et
se rendit en toute hâte dans le désert de Saulges. L'homme de Dieu reçut
le saint évêque avec un profond respect; ils s'embrassèrent avec une tendre
affection, et le prélat demanda au solitaire à lui parler en secret. Lorsque
tout le monde se fut retiré, saint Béraire exposa à Sérené le motif qui l'avait
conduit dans son ermitage; il lui fit voir qu'il n'avait agi que par l'ordre
de Dieu, et le conjura de s'employer au plus tôt pour faire cesser les maux
qui accablaient le peuple. L'humilité de Sérené refusa de croire qu'une
œuvre aussi importante lui fût réservée; et il protesta qu'il était indigne de
l'entreprendre. Béraire insista, lui affirma que Dieu avait fait connaître sa
volonté à ce sujet, et que s'il n'obéissait pas, il se rendrait coupable et
répondrait de la perte du peuple. Tout aussitôt saint Sérené se mit en
prière : il jeûna, veilla, répandit un torrent de larmes; le ciel enfin se laissa
fléchir : car « la prière assidue du juste est toute-puissante ». Des pluies
subites chassèrent de l'air les influences pestilentielles; elles disposèrent en
même temps la terre pour la récolte prochaine, en sorte que l'abondance
succédant à la disette passée fit oublier les privations et les misères précé-
dentes. Un prodige aussi éclatant donna à Sérené une haute influence; il en
usa pour porter les chefs des différentes factions à la concorde. Les animo-
sités les plus invétérées tombèrent à la parole de l'homme de Dieu; et le
380 7 mai.
pays lui fut redevable de la paix dont il était privé depuis si longtemps.
Touché des merveilles que Sérené venait d'opérer, saint Béraire voulut
l'obliger à accepter la dignité d'archidiacre du Mans. Cette dignité était
très-considérable, et la première du diocèse après l'épiscopat. Sérené dé-
clina ces fonctions, et fit voir à l'évêque qu'ayant l'honneur d'être diacre-
cardinal de l'Eglise romaine, il ne devait pas dégénérer en acceptant une
dignité dans une Eglise inférieure. Le pouvoir miraculeux du solitaire de
l'Erve se manifestait chaque jour par de nouveaux prodiges. La séquence
que l'on chantait le jour de sa fête, affirme qu'il guérit un homme d'un
virus mortel par le signe de la croix. Par le même moyen, il guérit plusieurs
aveugles; et de nos jours encore beaucoup l'invoquent avec efficacité dans
les infirmités qui affectent la vue. Depuis longues années, Sérené travaillait
avec un courage infatigable pour s'enrichir chaque jour de nouveaux mé-
rites devant Dieu. Sous les glaces de l'âge, on remarquait en lui la même
ardeur pour les austérités de la pénitence et les travaux de son ministère.
Mais l'heure du repos était arrivée : il le comprit aussitôt qu'il fut atteint
de la maladie. Après avoir donné ses dernières instructions à ses disciples,
Sérené reçut avec une ferveur extraordinaire le corps du Sauveur; et son
âme, ornée d'innocence et de mérites, s'envola au ciel. C'était le 21 de juil-
let, vers l'an 680. Au moment même où son âme se détacha de son corps, la
foule qui s'était réunie autour de lui entendit dans les airs les chants des
anges et les suaves accords d'une mélodie céleste. Plusieurs aussi ressen-
tirent l'impression d'un parfum supérieur à tous ceux que les hommes
peuvent composer. Aux funérailles, la multitude fut si considérable, que
l'on eût dit que toute la province y était accourue; et tous le pleuraient
comme le père de la patrie, dit son vieil historien. Il fut enseveli dans une
église, et son tombeau devint aussitôt un lieu de pèlerinage très-fréquenté
et le théâtre d'innombrables miracles.
CULTE DE SAINT SÉRENÉ ET DE SAINT SÉRÉNIC.
Saint Milehart, évèque de Séez, acheva la construction de l'église, que saint Séienic avait
«ommencée, et en fit la consécration. Le corps de saint Sérenic y fut transféré et enseveli sous
l'autel majeur. Moins de deux siècles après son heureux trépas, le nombre des miracles opérés
par notre saint abbé était si grand, et la dévotion des peuples pour le thaumaturge si fervente,
que la basilique avait cessé de porter le nom de Saint-Martin, et n'était plus connue que sous le
nom de Saiut-Sérenic. La paroisse du diocèse de Séez, sur laquelle était situé le monastère fondé
par saint Sérenic, le reconnaît depuis plus de huit siècles pour son patron. De même la paroisse
de Saint-Clérin, près de Bonnétable, nommée souvent dans les titres anciens Saint-Cénerin et
Saint-Céneric, l'honore de tout temps comme son protecteur auprès de Dieu. Une tradition an-
cienne veut que le bienheureux anachorète ait vécu quelque temps sur son territoire,- et que les
moines qu'il y avait implantés, aient donné origine au prieuré qui y fleurit pendant'plusieurs
siècles. A l'époque des invasions normandes, vers l'an 910, les reliques de saint Sérenic furent
transportées à Château-Thierry, en Champagne. Elles y furent conservées longtemps dans l'église
du Château-Fort ; mais cette église ayant été détruite, les reliques du Saint furent transportées
dans l'église de Saint-Crépin, principale paroisse de la ville. On venait surtout à Château-Thierry
invoquer saint Sérenic contre la fièvre. C'était la dévotion de la ville et de tout le pays, comme
celle de sainte Geneviève était la dévotion de Paris. « Malheureusement », nous écrivait le 13 no-
vembre 1858, M. Husson, curé archiprêtre de Château-Thierry, « à l'époque de la Révolution de
1793, la magnifique châsse qui renfermait ces reliques fut brisée, les ossements jetés çà et là
dans l'église, alors théâtre affreux de profanation et de destruction. De pieux fidèles recueillirent
quelques fragments de ces précieuses reliques, tels qu'un os du bras, une côte, etc. Un acte au-
thentique fut dressé à ce sujet, et ces reliques sont conservées maintenant dans notre église parois-
siale, dans une petite châsse. La fête du Saint n'est plus célébrée ; seulement, le jour de la fête,
le 8 mai, on expose, sans aucune cérémonie, les reliques au milieu de l'église, pour répondre à la
dévotion des fidèles des campagnes voisines, qui viennent les vénérer, et on les laisse exposéei
pendant huit jours ».
SAINT SÉRÉNIC ET SAINT SÉRENÉ, SON FRÈRE. 381
On tient par tradition que la sépulture première de saint Sérené eut lieu dans la chapelle qui
porte encore son nom, dans le bourg de Saulges. Il y rassemblait, dit-on, le peuple et ses dis-
ciples pour leur donner ses instructions. Ces souvenirs recommandent à la piété des fidèles cet édi-
fice qui ne conserve néanmoins aucun caractère architectonique capable d'en déterminer l'âge ;
la partie supérieure du bâtiment parait même avoir été reconstruite à une époque qui ne doit pas
être très-reculée.
Après la mort de saint Sérené, ses vénérables dépouilles reposèrent donc, durant quelque
temps, dans l'église où ses disciples les avaient ensevelies. Mais, vers les premières années du
XIIIe siècle, la seigneurie de la paroisse de Saulges fut donnée à l'évêque d'Angers. Ce prélat
proposa à l'évêque du Mans de faire un échange avec une terre que celui-ci possédait dans le dio-
cèse d'Angers et qui se nommait Vicus epùcopi, Ville-l'Evèque, à quatre lieues de la capitale de
l'Anjou. Avant la conclusion du traité, l'évêque d'Angers fit transporter les reliques de saint Sé-
rené dans sa ville épiscopale. Au ix« siècle, le moine qui écrivit le récit des actions de saint Sé-
rené, affirmait que l'on voyait encore les restes de soii tombeau dans l'église où il avait été ense-
veli. Ainsi, dès le vme siècle, le bourg de Saulges fut privé des reliques de son saint protecteur ;
mais la vénération pour l'illustre solitaire n'en fut pas diminuée : tout le pays était rempli du
souvenir de ses prodiges. Il est vraisemblable que les disciples de Sérené formèrent aussitôt un
monastère pour y pratiquer les règles qu'il leur avait données. Dès le vne siècle, le bienheureux
Mérole établit sa demeure dans le monastère dit de Saint-Pierre, à Saulges. Ce monastère suc-
comba, avec un grand nombre d'autres sanctuaires, durant les tempêtes du ixe siècle, par les ra-
vages des Normands, ou par les guerres intestines. Toutefois, l'église de Saint-Pierre, à Saulges,
subsistait encore au temps de l'évêque du Mans Vulgrin (1055-1064). Ce fut alors que Guy de
Saulges, avec l'assentiment de Hugues, seigneur de Sillé-le-Guiîlaume, son suzerain, rétablit le
monastère. Depuis les fatales guerres du xve siècle, il n'y a plus à Saulges ni prieuré ni religieux
pour accueillir les pèlerins : et toutefois ils visitent encore en grand nombre, chaque année, ce
sanctuaire, dans lequel la puissance de saint Sérené ne cesse d'éclater. Le lieu du pèlerinage est
à une certaine distance du bourg de Saulges, au fond d'un vallon des plus gracieux, sur la rive
gauche de l'Erve, qui coule à pleins bords, et est assez large en cet endroit, étant retenue par la
chaussée d'un moulin, à quelques pas au dessous. Il y a quelques années, la statue du Saint, qui
n'est qu'une modeste figure en bois, reposait sous un simple toit menaçant ruine. En 1849, la pa-
roisse de Saulges et M. le marquis Henri de la Rochelambert firent réparer ce sanctuaire avec goût
et solidité. Un peu plus tard, en 1858, M. le marquis de la Rochelambert, Mme la marquise de la
Rochelambert, M. Adrien de Monfrand et M"1 de Monfrand donnèrent la propriété de ce sanctuaire
et du terrain environnant à la fabrique de Saulges. La statue de saint Sérené repose dans une
niche pratiquée dans le mur. On lit au dessous une inscription qui rappelle les principales actions
du bienheureux. Sous les pieds du thaumaturge jaillit une source d'eau vive qui va se perdre dans
l'Erve. Il est d'usage pour les pèlerins, après avoir fait leurs prières, de s'approcher de cette
source et d'y boire quelques gouttes d'eau. Beaucoup, venus pour demander la guérison de quelque
maladie, lavent avec l'eau de la source la partie de leur corps où siège la douleur, et dans les der-
nières années (1850-1868) on a vu plusieurs cures dues à cet acte de piété. Enfin, un grand nombre
de pieux visiteurs ont coutume de remporter une bouteille de cette eau comme un souvenir et un
gage de la protection du saint tutélaire de la contrée.
Aussitôt que la ville d'Angers se fut enrichie des précieuses reliques de saint Sérené, elle
les vénéra tout particulièrement. Une prébende de la cathédrale portait le nom de saint Sé-
rené ; et on érigea de bonne heure un autel en son honneur. Dès le ix» siècle, on célé-
brait la fête de ce Saint ; et c'est son premier historien qui l'affirme de la façon la plus
positive. Cette même fête est indiquée dans le missel d'Angers, imprimé en 1498 : elle y
est double à cinq chapes ; il y a une messe propre avec séquence ; ce qui ne s'accordait,
dans les usages du temps, qu'aux patrons et aux saints principaux. Dans les litanies du rituel,
publié par Henri Arnaud, réimprimé sous Jean de Vaugiraud, et en usage jusqu'en 1828, on
invoque saint Sérené avec saint Antoine, saint Benoit, saint Bernard et saint Dominique. Saint
Sérené, ou Cérené, est du rit double, avec une oraison et leçons propres, depuis l'adoption
du Romain (1er dim. d'Avent, 1858), en vertu de l'approbation de la S.-C. des Rites, en date
du il juin 1851. On ne fait plus mémoire de saint Sérenic (ou Cérenic, vulgairement Célérin,
au pays du Maine), ainsi qu'on le faisait autrefois de temps immémorial. — L'autel de saint Sé-
neré n'existe plus. — Il n'y a plus de pèlerinage, en son honneur, à la cathédrale.
La confiance que les Angevins plaçaient en saint Sérené paraît surtout pour le culte qu'ils ren-
daient a ses reliques. Sa châsse était solennellement portée aux processions des Rameaux, de saint
Marc, des Rogations, le jour de l'Ascension et le 21 juillet, fête de notre Saint. Ces processions
étaient très-solennelles; on y déployait une grande pompe, et elles faisaient tout le tour de la cité.
Les curés de Sainte-Croix, Saint-Evroult et Saint-Aignan, et l'un des chapelains du Chapitre chargé
de la garde des reliques, jouissaient du privilège de porter la châsse sur leurs épaules. Si quelque
procession solennelle était extraordinairement indiquée, c'était encore la châsse de saint Sérené
que l'on portait. Lorsqu'une maladie contagieuse affligeait le pays, on descendait la châsse de
jaint Sérené, et on la transportait dans l'une des églises de la ville. Cette châsse, mentionnée dans
382 7 MAI.
tous les inventaires, notamment dans celui du 18 mars 1421, (propriété de M. Joubert, chan. bon.,
custode) a disparu pendant la Révolution, et ses ossements mêlés avec ceux trouvés dans les tom-
beaux violés, ont été enfouis pêle-mêle dans un lieu maintenant ignoré de la cathédrale. En 1681,
1782 et 1786, l'évèque d'Angers, le doyen et les chanoines ouvrirent la châsse pour donner des
reliques aux paroisses de Saulges, de Sablé et du Plessis-Grammoire, qui en avaient sollicité avec
instance.
La paroisse de Chemiré-sur-Sarthe honore saint Sérené d'un culte particulier. Lorsque le
corps du serviteur de Dieu fut transféré de Saulges à Angers, dit la tradition, le cortège qui le
portait fit une station dans le village, au lieu appelé aujourd'hui la chapelle de Saint-Sérené ou
des Grenouilles. Peu après cet événement, on construisit cette chapelle en l'honneur du saint car-
dinal; les personnes atteintes de la goutte s'y rendaient fréquemment pour y être soulagées de
leur mal, jusqu'à la fin du xvu° siècle. Nous lisons, dit D. Piolin, dans les Mémoires de Joseph
Grandet : « Il y a à Château-Gontier un cimetière nommé le Martray, où est une petite chapelle de
saint Sérené, que l'on prétend avoir été autrefois le lieu où le Saint s'était retiré en solitude, et
où il se fait tous les ans une espèce de miracle dans une fontaine dont les eaux commencent à
couler la veille de la fête (du saint patron), quelque sécheresse qui soit dans le pays, et continue
de couler pendant quinze jours ». Depuis les mauvais jours de la Révolution, la chapelle de Saint-
Sérené, sur le monticule du Martray, n'existe plus ; mais on en voit encore plusieurs pans de mu-
raille, et à côté, on distingue encore le lieu où était l'habitation du saint cardinal. Beaucoup de
personnes dans le pays ont oublié son nom, mais n'ont pas cessé de l'honorer sous le vocable
générique du Saint solitaire ; d'autres l'appellent saint Cénerin. La chapelle était autrefois très-
vénérée et le but de nombreux pèlerinages ; mais, dès avant 1792, cependant, on n'y disait plus
la messe et l'on ne s'y rendait plus en procession. On y voyait deux statues : l'une de la sainte
Vierge, et l'autre de saint Sérené en costume de cardinal. La foule des pèlerins s'y trouvait tou-
jours plus considérable le 21 juillet de chaque année. Les funestes doctrines préconisées par le
xvine siècle ne purent ralentir la piété des habitants de Chàteau-Gontier et de la contrée voisine
pour le saint solitaire qui avait sanctifié ces lieux; de nos jours encore, il ne se passe pas de se-
maine où de pieux chrétiens ne viennent puiser de l'eau à la fontaine ; et ces fervents pèlerins
viennent souvent de parages éloignés. C'est surtout en faveur des personnes atteintes de maladies
d'yeux ou de faiblesse de vue que saint Sérené raauifeste sa puissance à l'aide de cette eau. Il e6t
sans doute à regretter que l'édilité de Château-Gontier, peu de temps après 1830, ait cru devoir
détourner le coui-s de cotte fontaine, qui se trouvait jusqu'alors près de la chapelle ; mais on doit
lui savoir gré d'avoir conservé au boulevard voisin le nom de Saint-Sérené.
La ville de Sablé professe pour saint Sérené une vénération traditionnelle, qui assurément remonte
aune haute antiquité. En 1782, elle pria le Chapitre d'Angers, le siège épiscopal vacant, de lui ac-
corder des reliques de ce Saint. Les chanoines accueillirent favorablement sa requête. Le 12 juillet
de l'année suivante, Henri Hanuche, docteur en théologie, curé de Notre-Dame de Sablé et doyen rural,
obtint de François-Gaspard de Jouffroy-Gonssanst évêque du Mans, la permission de faire une réception
solennelle aux reliques de saint Sérené ; de célébrer la fête annuelle de ce Saint du rite solennel ma-
jeur le dimanche le plus voisin du 21 juillet, et d'accomplir en ce jour une procession solennelle par les
rues de la ville, en portant les saintes reliques ; enfin d'honorer saint Sérené comme patron secon-
daire de la paroisse. Malgré les ravages de la Révolution, l'église de Sablé possède encore deux
fragments des os de saint Sérené, qui ont été reconnus authentiquement le 22 juillet 1839 par
Mgr Jean-Baptiste Bouvier, évèque du Mans. Grâce au zèle pieux de M. Louis Couret, ancien curé
de Sablé, ces saintes reliques reposent dans uue belle châsse, acquise en 1856. A cette occasion,
la paroisse de Saulges, qui ne possédait plus aucune relique du serviteur de Dieu son protecteur,
fut assez heureuse pour obtenir un petit fragment de l'un de ses os.
Dès l'an 16S5, Robert Dodard, bachelier en théologie et curé de la paroisse de Saint-Sérené
(Céneré), près de Montsûrs, obtint du Chapitre d'Angers et de l'évèque Henri Arnaud, une côte
du saint anachorète. La requête de Robert Dodard constate que de nombreux pèlerins se rendaient
chaque année dans l'église de Saint-Sérené pour implorer le bienheureux patron. La translation
se fit avec la plus grande pompe. Quoique profanée par l'impiété révolutionnaire, la précieuse
relique fut recueillie parle curé Michel-François Leduc, un confesseur de la foi durant la persécution.
i. commue par l'autorité diocésaine, cette relique est encore exposée à la vénération des fidèles.
On vient de construire une nouvelle église en l'honneur de saint Sérené, et notre Saint-Père le
( ape Pie IX, autrefois archevêque de Spolète, patrie de nos Saints, a daigné bénir lui-même la
première pierre.
Par suite de l'une ou l'autre de ces donations, la cathédrale d'Angers est rentrée en possession
de quelques parcelles des reliques de saint Sérené, et même de saint Séneric, et par une ordon-
nance de Mgr Augebaut, 27 septembre 1859, ces reliques, suivant l'ancien usage, sont portées aux
processions de saint Marc et des Rogations. M. l'abbé Barbier, alors garde-reliques, en soumettant
à Sa Grandeur l'ordonnance qu'elle signa à ce sujet, oublia sans doute de faire la même demande
pour le jour de l'Ascension de Notre-Seigneur, en sorte que l'ancien usage n'est rétabli qu'à demi.
On ne célébrait pas la fête de saint Sérené dans tout le diocèse du Mans avant l'année 1748;
Charles de Froullay, qui introduisit alors une nouvelle liturgie, l'y fit entrer en simple mémoire.
SAINT BENOÎT II, PAPE. 383
Dans le nouveau propre du diocèse du Mans, on n'a pas jugé à propos de conserver la fête de cet
illustre solitaire ; mais l'église de Laval a été heureusement inspirée en lui consacrant une fête
double. Enfin, l'église de Séez, qui, de temps immémorial, célèbre la fête de saint Séreuic, le
il mai, ainsi qu'on peut le voir par les missel et bréviaire de 1496 et années suivantes, fait men-
tion du solitaire de l'Erve. comme d'un puissant et glorieux ami de Dieu, dans les leçons de
l'office consacré à son illustre frère saint Sérenic1.
17e de saint Sérené et le Pèlerinage de Saulges, par le R. P. Dom Paul Piolin, bénédictin de la Con-
grégation de France, 2e édition; Angers, in-32, 1868. — ÂA. SS. au 7 mai; Dora Piolin, Histoire du
diocèse du Mans, t. rer. — M. Husson, chanoine honoraire et cuïé-archipiitre de Château-Thierry, par sa
lettre en date du 13 novembre 185S, a bien voulu nous fournir des renseignements sur le culte et les
reliques de saint Sérenic.
SAINT BENOIT II, PAPE
685. — Empereur d'Orient : Constantin Pogonat.
Laus divina mihi semper fuit unica cura ;
Post obilum sit laus divina mihi unica merces.
Chanter les louanges de Dieu a été sur la terre mon
unique occupation : Que ce soit après ma mort
mon unique récompense.
Epitaphe du pieux Ouvrard, maître de musique à
la cathédrale de Tours.
Benoît II était Romain de naissance, et fut attaché au service de l'Eglise
dès son jeune âge. Il étudia l'Ecriture sainte avec beaucoup d'application,
et se rendit fort habile dans la science du chant ecclésiastique. Il prenait un
singulier plaisir à chanter les louanges du Seigneur, et regardait cette fonc-
tion comme un apprentissage de ce que font les bienheureux dans le ciel.
Sa tendre piété et ses autres vertus le firent élever au sacerdoce : il eut une
grande part au gouvernement de l'Eglise sous les papes Agathon et Léon II.
Après la mort de ce dernier, arrivée en 683, il fut élu pour lui succéder ;
mais son intronisation n'eut lieu que l'année suivante, parce qu'il fallut
1. Nous ajoutons ici quelques renseignements qu'on a bien voulu nous transmettre d'Angers sur les
reliques de la cathédrale de cette ville :
1' Saint Maurille. La nouvelle châsse de 1471 (tome i«r de nos manuscrits), pesant 245 marcs 1 once
1/2 gros d'argent, et 14 marcs 7 onces 2 gros en or, ornée de pierreries, a disparu avec les reliques dans
la tourmente révolutionnaire.
L'église de Notre-Dame de Chalonnes a donné à la cathédrale une parcelle des ossements de notre
saint Maurille, 12 septembre 1860.
2° Saint Mainbœuf. Trois ossements provenant de l'ancienne collégiale de Saint-Mainbœuf, maintenant
détruite. Il y a un fragment notable d'une de ses eûtes.
3° Saint René. Un os du pied, donné a la cathédrale par l'église de Notre-Dame de Chalonnes (Anjou).
4* Saint Maurice. Quatre ossements avec un os d'un de ses compagnons martyrs. Consulter le registre
des actes épiscopaux, pages 210-211, à l'évêché, pour une belle parcelle des ossements de saint Martin,
donnée par Mgr Morlot.
5° Saint Loup, évêque d'Angers. Sept ossements, savoir : partie inférieure du fémur droit, fragment
de la diaphyse d'un fémur, deuxième vraie côte droite, douze vertèbres dorsales, extrémité antérieure
d'une vraie côte, extrémité inférieure du tibia, fragment d'un pariétal. Ces reliques proviennent de l'an-
cienne église Saint-Martin (non rendue au culte!!!), comme il est constaté par les authentiques du vi-
caire général, de M. Henri Arnaud, 1692, et de M. Mortault, 14 juillet 1S03.
6" Saint Eutrope. L'extrémité postérieure du troisième métatarsien, donnée le 9 novembre 1860, par
Mgr de La Rochelle. Cette belle parcelle a été demandée et obtenue en e'change d'une parcelle de saint
Mainbœuf, évêque d'Angers, et en mémoire de l'ancienne confraternité des Chapitres d'Angers et de la
Rochelle.
7" Une très-petite parcelle de saint André, apôtre, dont, en 1495, la cathédrale possédait un bras.
(Inventaire du 2 février, t. ier.) Cette petite parcelle a été donnée à la cathédrale depuis peu de temps
avec beaucoup d'autres : apôtres, martyrs, etc. Quelques-unes sont très-belles.
384 7 mai.
attendre le retour des envoyés qui étaient allés à Constantinople prier l'em-
pereur Constantin Pogonat de confirmer son élection, selon l'usage qui se
pratiquait alors. Benoît, secondé par ce prince, mit beaucoup de zèle à
faire recevoir partout les décrets du Concile général de Constantinople
contre les Monothélites. Les évêques d'Espagne s'assemblèrent à Tolède
pour souscrire à la décision de foi faite à Constantinople, et ils envoyèrent
une copie de leur décret avec un exposé de leurs sentiments sur le point
controversé. Quoiqu'ils reconnussent deux volontés en Jésus-Christ, Benoît
trouva cependant que les expressions dont ils se servaient n'étaient point
assez claires, et il les pria de s'expliquer de manière à ne laisser aucun
doute sur leur orthodoxie, ce qu'ils firent dans le quinzième concile de
Tolède. Il travailla aussi de tout son pouvoir à ramener à de meilleurs sen-
timents Macaire, patriarche d'Antioche, qui avait été déposé pour cause
d'hérésie.
Comme l'usage de demander à l'empereur, qui résidait à Constantino-
ple, la confirmation de l'élection d'un nouveau pape, entraînait de longs
délais qui étaient préjudiciables à l'Eglise, le Saint pria Constantin d'y
apporter remède, et le prince donna une loi adressée au clergé, au peuple
et à l'armée de Rome, par laquelle il permettait de procéder sur-le-champ
à l'intronisation de celui qu'ils auraient élu pour pape. Cet empereur avait
beaucoup de vénération pour Benoît : il lui en donna une preuve en lui
envoyant à Rome une boucle des cheveux de ses deux fils, Justinien et Hé-
raclius. C'était une espèce d'adoption usitée dans ce temps-là : celui qui
recevait des cheveux d'un jeune homme était en quelque sorte regardé
comme son père. Benoît II travailla beaucoup à la conversion des héréti
ques ; il s'appliqua aussi à réparer et à orner les églises. Il illustra par une
multitude de bonnes œuvres son trop court pontificat, qui fut de dix mois
seulement. L'humilité, la douceur, la patience, la mortification et l'amour
des pauvres, telles étaient les principales vertus qui brillaient dans ce
saint Pape. Il mourut le 7 mai 685, et fut enterré dans l'église de Saint-
Pierre. Sa mort fut un deuil pour les pauvres. On peut représenter saint
Benoît II faisant l'aumône.
Cf. Liber Pontificalis ; Artaud de Montor, Hist. des Papes, et les Hist. de l'Eglise.
S. STANISLAS, ÉVÊQUE DE CRACOYIE, MARTYR
1030-1079. — Papes : Jean XIX ; Grégoire VII. — Souverains de Pologne : Miécillas II ; Boleslas II,
le Farouche. — Rois de France : Robert II, le Pieux; Philippe Ier.
Si je dis au pécheur : Tu périras ! et si tu n'ouvres
pas la bouche pour l'avertir et le faire revenir de son
égarement, le pécheur périra à cause de son péché,
mais je te redemanderai son sang à toi-même. Si, au
contraire, tu as averti le pécheur pour le faire re-
venir de son égarement, et s'il n'a pas voulu
t'écouter, alors il sera seul cause de sa perte, et
ton âme sera sauvée.
Ezéchiel, sxxm, 8 et 9.
Ce saint évêque naquit à Sézépanow, petit bourg de Pologne, éloigné
seulement de deux lieues de la ville de Bochnie, et de sept de la ville de
SAINT STANISLAS, ÉVÊQUE DE CRAGOVIE, MARTYR. 385
Cracovie, capitale du royaume. Son père, nommé Wielislas, était l'un des
principaux seigneurs du pays, et avait acquis beaucoup de réputation dans
les armes ; et sa mère, nommée Bogna, était aussi d'une maison très-illus-
tre. Mais leur vertu et leur rare piété les élevaient encore au-dessus de leur
naissance. Ils étaient le refuge des pauvres, les protecteurs des veuves, les
parents des orphelins, et exerçaient avec joie, envers les étrangers, la vertu
d'hospitalité. Mais autant ils étaient doux et charitables envers les autres,
autant ils étaient sévères envers eux-mêmes, pratiquant des jeûnes, des
veilles et autres austérités, pour purifier leurs âmes et les orner de toutes
les vertus chrétiennes que pouvait demander leur condition. Leur zèle les
porta même à bâtir, d'un commun accord, dans l'une de leurs terres, une
belle église ; ils la dédièrent à sainte Marie-Madeleine, pour laquelle ils
avaient une dévotion particulière. Ils y donnèrent beaucoup de revenus et
quantité d'ornements et de vases d'or et d'argent; ils y allaient le jour et
la nuit faire leurs prières.
Une seule chose manquait à leur bonheur : après trente ans de mariage,
ils n'avaient pas d'enfants et ne pouvaient plus concevoir humainement
l'espérance d'en avoir. Mais comme ils mettaient tout leur espoir en Dieu,
et qu'ils le priaient avec ferveur de leur donner un fils, non pour perpétuer
leur nom et leur illustre race, mais pour être consacré au service des autels,
leurs vœux furent exaucés. Ce présent du ciel naquit le 26 juillet 1030. Il
fut baptisé dans l'église de Sainte-Madeleine, et nommé Stanislas. Les
leçons, les vertus de parents si éclairés et si vertueux, enseignèrent de
bonne heure la piété au jeune Stanislas. Dans un âge où d'ordinaire on n'a
de goût que pour les amusements, il aimait la prière et la mortification. Il
gardait dans ses repas la plus exacte sobriété. Il lui arrivait souvent de cou-
cher sur la terre nue, de souffrir volontairement le froid et plusieurs autres
incommodités. Il ne se permettait de récréation qu'autant qu'il en fallait
pour ne pas altérer sa santé. Il distribuait aux pauvres l'argent qu'il rece-
vait de ses parents pour des plaisirs légitimes. Lorsqu'il eut fait avec succès
ses premières études, on l'envoya d'abord à Gnesne, qui était alors la plus
célèbre université de Pologne, et ensuite à Paris, où il s'appliqua, pendant
sept ans, à la science du droit canonique et de la théologie. Quoiqu'il fût
étranger en cette ville, il ne laissa pas de s'y faire estimer et aimer de tout
le monde, pour la beauté de son esprit et un certain air de sagesse et d'hon-
nêteté qui reluisait en toutes ses actions. On voulait le faire docteur ; mais
il le refusa par humilité.
De retour en Pologne, et devenu, parla mort de ses parents, possesseur
d'une fortune considérable, Stanislas disposa de tout ce qu'il avait en faveur
des pauvres, afin de servir Dieu avec plus de liberté. L'évêque de Cracovie,
Lampert Zula, qui connaissait la capacité et la vertu de notre Saint, l'or-
donna prêtre et le fit chanoine de sa cathédrale. Stanislas fut le modèle du
Chapitre : il affligeait son corps par l'abstinence, lisait et méditait conti-
nuellement l'Ecriture sainte, veillait beaucoup, et était assidu aux divins
offices. Chargé du soin d'annoncer la parole de Dieu, il s'en acquitta avec
un admirable succès. Sa réputation devint si grande, que plusieurs ecclé-
siastiques et laïques venaient à lui de toutes les provinces de la Pologne,
lui proposer leurs doutes et le consulter sur ce qui regardait leur cons-
cience.
Qui n'eût été ravi de ses réponses ? Elles étaient dictées par la foi, la
prudence, l'érudition, la sincérité et la charité la plus tendre. Après la mort
de Lampert, le désir du vénérable défunt, les vœux réunis du roi, du clergé
Vies des Saints. — Tome V. 25
386 1 mai.
et du peuple, appelèrent Stanislas à lui succéder : il refusa énergiquement ;
mais il lui fallut obéir aux ordres formels du pape Alexandre II. Il fut sacré
en 1072. Obligé de remplir les fonctions des Apôtres, il tâcha d'en pratiquer
toutes les vertus. Il se revêtit d'un cilice qu'il porta toujours jusqu'à la
mort, afin de fortifier son esprit en mortifiant sa chair. Il ne refusa jamais
son conseil et son assistance à personne, et son plaisir était de faire du bien
à tous ceux qui s'adressaient à lui, pour les gagnera Jésus-Christ. Sa maison
devint le refuge des pauvres : il se fit donner une liste exacte des veuves et
de tous ceux qui étaient dans le besoin, afin de les secourir. Tous les ans, il
visitait son diocèse, et apportait un prompt remède aux désordres. Il exi-
geait surtout que les prêtres menassent une vie édifiante et agréable à Dieu,
pour servir de modèles aux autres, et offrir, avec des mains pures, le sacri-
fice de notre réconciliation. Il s'appliquait à ne rien dire que de grave, de
sérieux et de digne d'un Pontife de Jésus-Christ.
Il n'avait nulle peine à oublier les injures, et vivait avec tout le monde
avec la douceur et la bonté d'un père. Il n'avait de prédilection que pour les
faibles et les délaissés : il protégeait, avec une invincible fermeté, les oppri-
més, et ce fut là l'origine des persécutions qui lui firent remporter la palme
du martyre.
La Pologne avait alors pour roi Boleslas II. Ce prince avait montré de la
valeur dans la guerre contre les Russes ; mais il se plongea dans tous les
excès de la débauche et de la tyrannie, au point qu'on l'appela Boleslas le
Cruel. Le rapt et le viol étaient les crimes journaliers d'un souverain qui
devait faire observer les lois et la morale dans son royaume : il n'avait
même plus ce reste de pudeur qui cherche les ténèbres pour y cacher le
crime.
Personne n'osait lui faire la moindre remontrance sur ses désordres.
Stanislas, plus hardi que les autres, ne craignit pas de l'aller trouver : il lui
représenta l'énormité de ses crimes et les conséquences funestes de ses scan-
dales. Le prince chercha d'abord à s'excuser par de vaines raisons ; vivement
pressé par les justes exhortations du Saint, il parut enfin se repentir et pro-
mit de se corriger.
Mais ces résolutions, si elles étaient sincères, ne furent point durables.
Boleslas continua sa vie scandaleuse. Ainsi, il fit enlever de force dans la
province de Siradie, la femme du seigneur Miécislas, appelée Christine, et
aussi remarquable par sa vertu que par sa beauté. Cet acte immoral et
tyrannique fit frémir d'indignation toute la noblesse polonaise. Elle pria
l'archevêque de Gnesne, primat du royaume, et les évêques qui allaient à la
cour, de parler fortement au roi ; mais ces prières furent inutiles. Les pré-
lats ne dirent rien pour ne pas déplaire à leur souverain. La noblesse se
vengea d'eux en publiant partout qu'ils étaient des âmes mercenaires et
qu'ils avaient bien moins égard à la cause de Dieu qu'à leur fortune et à
leur ambition. Stanislas seul osa une seconde fois se charger de la dange-
reuse mission d'affronter le roi. Après s'y être préparé par de ferventes
prières, il alla, escorté de quelques seigneurs et de quelques ecclésiastiques,
trouver Boleslas : d'une voix modeste et respectueuse, il l'exhorta à cesser
ses désordres, et lui dit même, en terminant, que, s'il ne se corrigeait pas,
il s'exposait aux censures de l'Eglise. Cette menace d'excommunication jeta
le roi dans une grande fureur. Il injuria grossièrement le courageux pré-
lat, et lui dit : « Quand on sait parler si peu convenablement à un roi, on
devrait être porcher et non évêque ».
Stanislas, sans se laisser intimider, renouvela ses instances, et comme le
SAINT STANISLAS, ÉVÊQUE DE CRACOVIE, MARTYR. 387
roi lui avait reproché de manquer de respect à la majesté royale, il lui dit
ces paroles, dignes d'être méditées : « N'établissez aucune comparaison
entre la dignité royale et la dignité épiscopale ; car en ce cas je vous dirais
que la première est à la seconde, ce que la lune est au soleil, ou le plomb à
l'or ». Le roi, ne sachant que répondre à des paroles aussi sages et aussi
vraies, se retira brusquement sans congédier l'évêque. Le monarque résolut
dès lors de se venger. Comme la conduite de l'évêque de Cracovie était
irréprochable, Boleslas n'y trouva pas le moindre prétexte à ses persécu-
tions. Il eut recours à la calomnie. Stanislas avait acheté, d'un seigneur
nommé Pierre, la terre de Piotrawin, en avait payé le prix en présence de
témoins, et l'avait donnée et unie à l'église de Cracovie. Aucune formalité
n'avait manqué à cette vente. Néanmoins, Stanislas n'avait pas exigé une
quittance du vendeur, ayant pleine confiance en la bonne foi des témoins
devant lesquels il l'avait payé. Pierre était mort. Le roi fit venir ses neveux,
les exhorta à redemander cet héritage comme un bien usurpé par l'évêque,
et les assura qu'il intimiderait si bien les témoins, qu'ils n'oseraient jamais
ouvrir la bouche ni déposer la vérité. Ces héritiers suivirent les instructions
de Boleslas, intentèrent le procès, et citèrent l'évêque devant le roi.
Notre Saint comparut devant une assemblée nombreuse de juges que le
roi présidait, comme cela se pratiquait pour certaines causes. Ses adver-
saires se plaignirent de ce qu'il avait usurpé leur bien, et lui soutint, au
contraire, qu'il l'avait acheté et bien payé. Ils le nièrent ; alors le Saint
allégua des témoins : on les fit venir ; mais ils étaient si fort effrayés par les
menaces qu'on leur avait faites, qu'ils n'eurent pas le courage de parler.
Stanislas allait être condamné comme usurpateur du bien d'autrui.
Alors, ayant élevé son cœur à Dieu, il en reçut une inspiration soudaine :
il demanda à ses juges trois jours de délai, promettant de faire comparaître,
en personne, Pierre son vendeur, mort depuis trois ans. On le lui accorda par
moquerie. Le Saint jeûna, veilla, pria Notre-Seigneur de défendre sa cause,
et, le troisième jour, après avoir dévotement célébré la sainte messe, il s'en
alla, revêtu de ses habits pontificaux, escorté de ses clercs et de beaucoup
de fidèles, à l'endroit où Pierre était enterré, fit ôter la tombe, creuser la
terre, et, quand le cadavre fut découvert, il le toucha de son bâton pastoral
en lui ordonnant de se lever, au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit.
Le mort obéit aussitôt à la voix du Saint, se leva et le suivit : Stanislas le
mena au tribunal où le roi, sa cour et une foule immense étaient dans une
vive attente ; il dit : « Voici Pierre, qui m'a vendu sa terre de Piotrawin : il
est ressuscité pour rendre témoignage devant vous ! demandez-lui s'il n'est
pas vrai que je lui ai payé le prix de cette terre. C'est un homme connu, son
tombeau est ouvert, Dieu vient de le ressusciter pour rendre témoignage à
la vérité : sa parole vaut mieux que celle des témoins ». Il n'est pas possible
de peindre la stupéfaction du roi, des juges, des témoins, et des deman-
deurs. Le ressuscité parla à son tour, pour déclarer que l'évêque lui avait
payé sa terre devant les deux témoins, qui trahissaient la vérité : puis se
tournant vers ses neveux, il leur fit de vifs reproches d'avoir poursuivi le
saint évêque contre tout droit et toute justice, et les exhorta à faire péni-
tence d'un si grave péché. Stanislas offrit à Pierre, s'il voulait encore vivre
quelques années, de le lui obtenir de Notre-Seigneur; mais Pierre répondit
qu'il était en purgatoire et que, cependant, il aimait mieu:: y retourner
tout de suite, et en souffrir les peines, que de s'exposer au danger de se
perdre dans cette vie terrestre. Il conjura seulement le saint évêque de
prier Notre-Seigneur, afin que les peines du purgatoire fussent abrégées en
388 7 mai.
sa faveur, et qu'il pût bientôt entrer dans le séjour des Bienheureux. Après
cela Pierre s'en retourna à son tombeau accompagné de l'évêque et d'une
grande multitude de peuple; il se coucha dans sa fosse, priant toute l'assis-
tance de le recommander à Dieu, et mourut une seconde fois pour \ Ivre
éternellement. Ce miracle fit une vive impression sur Boleslas. Il réprima
quelque temps ses débauches et ses cruautés. Il fit même une expédition
glorieuse contre les Russes et se rendit maître deKiow, leur capitale ; mais
là, au milieu de l'enivrement de la victoire, il s'abandonna de nouveau à
ses passions déréglées. Non content de ses excès ordinaires, il en vint
jusqu'à commettre publiquement les abominations de Sodome et de
Gomorrhe. Le farouche conquérant, pour faire diversion à ses voluptés,
envoyait par centaines les malheureux vaincus à l'échafaud, non-seulement
les hommes, mais encore les femmes enceintes et les nourrices.
A son retour de cette expédition, il traita ses sujets de la manière la plus
indigne. Saint Stanislas, comme un autre Jean-Baptiste, résolut enfin d'ar-
rêter à tout prix la licence effrénée de ce nouvel Hérode, se dévouant au
martyre, s'il le fallait, pour la gloire de Dieu et le salut de la Pologne. Il
demanda à Dieu par des jeûnes, des larmes et des prières, la conversion de
son roi : il lui fit plusieurs visites dans lesquelles il ne négligea rien pour lui
ouvrir les yeux et le tirer de l'abîme ; mais Boleslas s'y enfonçait de plus en
plus. Semblable à ces malades frénétiques qui regardent leurs médecins
comme des ennemis, il s'emporta contre le Saint, le chargea d'injures et le
menaça même de la mort, s'il continuait à censurer sa conduite.
L'évêque de Cracovie, après ces avertissements si nombreux donnés au
coupable, voyant son impénitence et ses scandales s'accroître de jour en
jour, consulta d'autres évêques, et, sur leur avis, et à la prière de tous les
gens de bien, il excommunia publiquement Boleslas et lui interdit l'entrée
de l'Eglise. Boleslas n'en continua pas moins d'assister aux prières publi-
ques : l'évêque ordonna alors qu'on cesserait l'office divin dès que le prince
excommunié entrerait dans l'église. Néanmoins, afin de n'être point troublé
par la présence de Boleslas, le Saint alla célébrer les saints mystères dans
une église de Saint-Michel, hors de la ville. Boleslas l'y suivit et ordonna à
quelques-uns de ses gardes d'entrer dans cette église et d'y massacrer
l'évêque : ils entrèrent ; mais, quand ils voulurent mettre les mains sur le
Saint qui célébrait la messe, une lumière céleste les épouvanta et les ren-
versa par terre.
Le roi, se moquant de leur lâcheté, en envoya d'autres : ce prodige se
renouvela trois fois ; enfin Boleslas vint lui-même, l'épée nue à la main, et
frappa sur la tête du saint évêque un coup si violent, qu'il fit rejaillir la
cervelle contre la muraille ; ensuite, savourant à loisir son atroce ven-
geance, il mutila le visage du saint Martyr, lui coupant de ses propres
mains, le nez et les lèvres. Puis, par son ordre, ce corps sacré fut traîné
hors de l'église et mis en lambeaux, qu'on dispersa dans les champs, pour
servir de proie aux oiseaux et aux bêtes sauvages ; mais Notre-Seigneur
envoya quatre grands aigles qui défendirent, deux jours entiers, les saintes
reliques ; et la nuit, chaque lambeau du corps du Martyr reluisait d'une
lumière céleste. Quelques prêtres et quelques personnes pieuses, enhardies
par ces prodiges, osèrent, malgré la défense du roi, recueillir ces membres
épars qui, par un miracle surprenant, se réunirent parfaitement. On eût
dit qu'ils n'avaient jamais été séparés. On n'y voyait même aucune cica-
trice. Il en sortait des parfums qui embaumaient l'air d'une manière déli-
cieuse. Le corps du saint Martyr fut d'abord enterré à la porte de l'église
SAINT STANISLAS, ÉVÊQUE DE CRACOVIE, MARTYR. 389
de Saint-Michel ; dix ans plus tard on le transféra à Cracovie, et on l'ense-
velit au milieu de l'église de la forteresse, avec une grande magnificence.
Le pape saint Grégoire VII ne pouvait laisser impuni un crime semblable. Il
mit en interdit le royaume de Pologne, anathématisa Boleslas et le déclara
déchu de la royauté. Ce prince, poursuivi à l'extérieur par la réprobation
universelle de ses sujets, à l'intérieur par la pensée de ses crimes et surtout
de l'odieux assassinat qu'il avait commis, se sauva en Hongrie. Le roi
Ladislas l'accueillit avec bonté. Le repentir était enfin entré dans son âme :
toujours poursuivi par les remords de sa conscience, il entreprit le pèleri-
nage de Rome, pour implorer l'absolution du Pape. Il se mit donc en route,
accompagné d'un seul domestique, et vêtu en pèlerin. Arrivé dans la Carin-
thie, devant la porte du couvent des Bénédictins d'Ossiach, il s'y arrêta pour
demander l'aumône. Alors, inspiré d'en haut, il résolut de passer le reste de
ses jours dans ce saint asile, en y menant une vie pénitente. Il y fut admis,
en effet, comme frère lai, et, en cette qualité, il rendit aux moines les plus
humbles services, comme aurait fait un valet ou un domestique. Etant peu
habitué à ce genre de travail, il s'y prenait assez maladroitement, et, comme
personne ne connaissait au couvent sa haute origine, il lui arrivait parfois
d'être mené rudement par les moines ou par les autres gens de service de la
maison. Boleslas souffrait tout en esprit de pénitence, avec une patience
inaltérable ; il poussa même la résignation et l'humilité jusqu'à observer un
silence perpétuel, comme s'il eût été muet. Le vieux chroniqueur dit naïve-
ment à ce sujet : « C'est ainsi qu'il était devant Dieu plus grand dans la
cuisine, qu'il n'avait été sur le trône ». Il vécut ainsi sept ans, lorsqu'enfin
il plut à Dieu de mettre un terme à ses peines et à sa pénitence. Alors seu-
lement, sur son lit de mort, il fit de nouveau usage de la parole, et il pria
l'abbé de venir le visiter. Il lui révéla l'histoire de sa vie passée, son nom,
son origine, ses crimes, et particulièrement le meurtre qu'il avait commis
sur la personne de saint Stanislas. Il lui fit cette confession avec les
marques de la plus sincère contrition ; puis, après avoir reçu les Sacre-
ments, il remit à l'abbé l'anneau royal, qu'il avait tenu caché jusque-là,
et il mourut.
On avait remarqué que, souvent, pendant la nuit, Boleslas passait des
heures entières en prières ferventes devant une image de la sainte Vierge,
d'où l'on peut conclure que c'est la Mère de Dieu qui lui obtint la grâce
de la conversion et d'une sainte mort. Son corps repose, encore aujourd'hui,
dans l'église du monastère d'Ossiach l.
Le martyre de saint Stanislas eut lieu le 8 mai 1079 ; il fut canonisé en
1253, par Innocent IV. Le pape Clément VIII a fait insérer sa fête dans le
Missel et le Bréviaire romain, pour être célébrée par toute l'Eglise, selon le
rite double, le 7 mai, parce que le 8 est occupé par la fête de l'apparition
de saint Michel. Beaucoup de miracles ont été opérés au tombeau du Saint.
Il a ressuscité six morts, rendu la vue à des aveugles et guéri toutes sortes
de maladies.
Le corps de saint Stanislas fut transféré dans la cathédrale de Cracovie
1. Tel est le récit que donne de la fin de Boleslas M. A. Stolz, auteur d'une Vie des Saints imprimée
à Fribourg en Brisgau, en 1867. Dans sa première édition, en 1854, cet hagiographe avait suivi l'opinion
communément adoptée jusqu'ici, d'après laquelle Boleslas erra sans repos, sans asile, suivi seulement da
quelques chiens; tomba en démence, et un jour, épuisé de lassitude, s'assit au coin d'une borne, ou il fut
dévoré par ses propres chiens. M. A. Stolz a modifié son opinion, depuis qu'il a eu communication d'un
très-vieil ouvrage imprimé en Carinthle, d'après lequel Boleslas II fit une fin plus conforme aux miséri-
cordes de Dieu. D'un autre côté, la tradition du monastère d'Ossiach, qui existe encore, le tombeau de
Boleslas qu'on y montre, sont assurément des témoignages qui peuvent contribuer à modifier l'histoire
sur ce point.
390 7 mai.
en 1088. L'assassinat de saint Stanislas, revêtu de sa chasuble, au pied de l'autel
par Boleslas lui-même ; les aigles qui gardent son corps dans les champs, la
résurrection du mort qu'il amène pour témoigner en sa faveur, servent à
caractériser saint Stanislas dans les représentations qu'on a faites de lui.
Il est l'un des patrons de la Pologne et est surtout honoré à Gracovie, à
Schweidnitz, etc.
Voir Callot, S. Leclerc, Estampes, Paris, etc. Voir les Bollacdistes, Longin, Dugloss, les Vies choisies
d'Andilly, etc.
SAINTE MASTIDIE OU MATHIE, VIERGE.
« Mastidie, de Troyes, était une vierge d'une vertu extraordinaire. Ses Actes ont péri; on en
conclut qu'elle florissait dans les premiers siècles de la foi chrétienne. Mais le peu de monuments
qui nous restent de sa vie suffisent pour faire entrevoir du moins l'éclat de sa sainteté. En l'an
843 de notre salut, elle reposait sous l'autel, selon que cela se pratiquait pour les anciens Martyrs.
Les habitants de la ville de Troyes, et en particulier sainte Maure, vierge, l'honoraient très-dévo-
tement et très-pieusement. Or, la cité de Troyes ayant été saccagée et brûlée avec toutes ses
églises, en 892, par les Normands, les reliques de notre Sainte disparurent pour longtemps sous
les ruines amoncelées. Environ un siècle après, en 992, Milon, évèque de Troyes, trouva le corps
de sainte Mastidie, en faisant fouiller le sol de la cathédrale; il était tout entier et enveloppé
d'un suaire de pourpre. Déposé dans l'église avec honneur, il brilla par de nombreux miracles,
surtout en l'an 1007, où il fut porté, pour une station, dans l'église suburbaine de Saint-Remy,
pour le temps pascal, et rendit la santé à un très-grand nombre de malades, selon ce qu'on lit
dans l'histoire de son invention. Dans la suite, comme une grande multitude de peuple affluait à
Troyes pour honorer les saintes reliques, on désigna le 8 mai pour la célébration de la fête.
«Voici quelques-uns des miracles opérés par la Sainte, en l'an 1007 : Elle guérit une femme de
la ville de Tonnerre, dont la main gauche était desséchée; elle guérit un enfant de trois ans, de
la ville de Sens, malade et débile des jambes. Elle rendit la lumière à un aveugle. Elle redressa,
une femme qui était cul-de-jatte; elle rendit sain et dispos un paralytique, malade depuis déj;'i
trente ans; elle rendit l'ouïe à une femme de Sens, et la vue à une autre femme. Elle fit marcher
droit uu enfant qui se traînait à la manière des bètes; elle guérit deux petites filles âgées de cinq
ans; un homme de Toul, d'une contraction du visage; un jeune homme dont le côté gauche du
corps était paralysé. Ces miracles rendirent sainte Mastidie très-célèbre et très-chère à toutes les
populations voisines. L'auteur qui composa la relation de son invention, l'appelle vierge royale,
incomparable, vouée à Dieu ».
Il y a des reliques de sainte Mathie, à la cathédrale de Troyes, qui ont été reconnues le
25 avril 1821. Saint-Remy de Troyes, Le Chêne, Maizières-la-Grande-Paroisse, Jully-sur-Sarce, La
Maison-des-Champs en possèdent des fragments qui sont partout l'objet d'une grande vénération.
Les anciennes constitutions du diocèse de Troyes, renouvelées en 1371, défendaient les tra-
vaux des champs le jour de la fête de sainte Mathie.
Ancien propre de Troyes, notes locales.
SAINT MISSELIN OU MESCLIN, PRÊTRE DE TARBES.
Misselin était un prêtre de Tarbes. Saint Grégoire de Tours fait en quelques mots un grand
éloge de lui, en comparant ses vertus et ses mérites à ceux de saint Justin. On lit dans un vieux
manuscrit, que ce saint prêtre se mit à la tête des Bigorrais pour chasser de Tarbes les Gotns
ariens, qui s'en étaient emparés et y exerçaient des cruautés inouïes. Pendant plusieurs siècles,
on célébra la délivrance de Tarbes le 25 mai, jour auquel on faisait aussi la fête de Misselin.
Depuis longtemps, la fête de saint Misselin se célèbre le 7 mai. H est patron d'une paroisse des
environs de Tarbes, où une tradition porte qu'il était né.
Fourni par M. Forcade,
SAINT JEAN DE BEVERLEY. 391
SAINT DOMITIEN, ÉVÊQUE DE MAESTRICHT (vers 560).
Saint Domitien est né en France sur la fin du ve siècle. 11 fut d'abord élevé sur le siège épis-
copal de Tongres ; celui de Maêstricht étant devenu vacant, le peuple et le clergé de cette ville,
qui connaissaient son mérite et la réputation dont il jouissait, l'élurent pour évêque de leur ville.
Domitien accepta malgré lui cette nouvelle dignité, mais il remplit avec un zèle infatigable les
devoirs qu'elle lui imposait. Par sa science et sa sainteté il fut, à la lettre, la lumière du monde
et le sel de la terre : c'est ce qti'on eut lieu de remarquer au cinquième concile d'Orléans, tenu
en 541. Dans une disette extraordinaire qui désola son troupeau, comme les riches cessaient leurs
aumônes, dans la crainte de manquer eux-mêmes du nécessaire, Domitien leur reprocha vivement
leur dureté et leur peu de foi, les conjurant de ne pas laisser mourir de faim leurs frères ; et pour
qu'ils n'eussent rien à appréhender pour eux-mêmes, il les assura que la récolte prochaine, mal-
gré les apparences contraires, suffirait à tous les besoins ; ce qui arriva.
Il délivra par ses prières les habitants de Huy d'un animal extraordinaire qui avait causé de
grands ravages, et passa quelque temps dans cette ville, où il convertit plusieurs de ceux qui
étaient encore idolâtres. Domitien connut par révélation l'époque de sa mort, et, sur la fin de sa
vie, il visita par dévotion les tombeaux de plusieurs saints, entre autres celui de saint Servais,
évêque de Tongres. Il mourut le 7 mai 560, et son corps fut enterré è Huy, dont il est patron.
Il s'opéra un grand nombre de miracles à son tombeau, et son corps ayant été levé de terre sous
Charlemagne, fut trouvé entier et bien conservé.
On fait encore tous les ans une procession à la fontaine près de laquelle saint Domitien est
censé avoir tué le monstre, le dragon, comme disaient nos pères. Cette fontaine est probablement
celle où le Saint baptisait, et dès lors rien d'étonnant qu'on ait figuré sous les traits d'un dragon
le démon dont la fonction est de détourner les hommes du baptême d'abord, et de tout bien en-
suite. — On représente donc saint Domitien avec ce dragon allégorique ou réel à ses pieds et on
l'invoque contre les fièvres.
SAINT JEAN DE BEVERLEY (721).
Saint Jean de Bever'ey, évêque d'York, né au milieu du vu» siècle, au village de Harphan,
dans le pays des Deïrois, alla étudier les sciences humaines et divines dans la célèbre école fon-
dée par saint Théodore de Cantorbéry. 11 étudia aussi à Oxford et aurait été le premier qui, en
récompense de son savoir, reçut les marques de distinction, appelées dans la suite maîtrise et
doctorat, et eut pour maître l'abbé saint Adrien. Ensuite il prit l'habit monastique dans le monas-
tère de Withby, alors gouverné par saint Hilde. 11 fut tiré de sa solitude vers l'an 685, pour être
placé sur le siège épiscopal d'Hexam ; mais il continua la vie qu'il menait dans le cloître, et il
consacrait à la contemplation tous les moments qui n'étaient pas absorbés par ses fonctions épis-
copales. Pour vaquer plus librement à ce saint exercice, il se retirait souvent dans une cellule,
qui était auprès de l'église de Saint-Michel, au-delà de la Tyne, et il y passait ordinairement le
Carême. Au commencement d'un Carême, il emmena avec lui dans sa retraite un jeune homme
muet de naissance et dont la tête était couverte d'une dartre hideuse. Quelques jours après, il lui
rendit l'usage de la parole en formant le signe de la croix sur sa langue, ensuite il lui apprit à
lire. Un médecin s'étant chargé de soigner le mal que ce jeune homme avait à la tète, Jean donna
sa bénédiction aux remèdes qui opérèrent une entière guérison. Lorsque saint Wilfrid, dont on
avait démembré le diocèse pour ériger plusieurs sièges nouveaux, parmi lesquels était celui
d'Hexam, fut rétabli, en 705, dans l'intégrité des possessions dont on l'avait dépouillé, Jean quitta
son siège, qui fut supprimé ; mais peu de temps après, il fut obligé d'accepter l'évêché d'York,
que le même Wilfrid lui céda. Saint Bède, qui reçut de lui le diaconat et la prêtrise, lorsqu'il
était eucore évêque d'Hexam, rapporte de lui plusieurs miracles, entre autres la guérison de la
femme d'un seigneur du voisinage, à laquelle il rendit la santé avec de l'eau qu'il avait bénite.
Le saint Evêque fonda à sept milles d'York le monastère de Beverley, où il se rendait souvent
pour se renouveler dans l'esprit intérieur; il s'y fixa définitivement en 712, après avoir gouverné
392 8 mai.
pendant sept ans l'église d'York, qu'il résigna à saint Wilfrid le Jeune, et passa le reste de sa vie
dans les exercices de la vie monastique. Il mourut le 7 mai 721. Son monastère ayant été détruit
par les Danois, le roi Athelstan, qui avait remporté sur les Ecossais une victoire complète, de la-
quelle il se croyait redevable à l'intercession de saint Jean, bâtit sur l'emplacement de l'ancien
monastère une collégiale qui fut dédiée sous son invocation. Quatre siècles plus tard, Henri V
ayant gagné sur les Français la fameuse bataille d'Azincourt, après avoir invoqué la protection de
saint Jean de Beverley, voulut, par reconnaissance, que sa fête fût cbômée dans toute l'Angle-
terre. En 1037, Alfric, archevêque de Cantorbéry, transféra solennellement dans l'église les reli-
ques de saint Jean, et en 1664, on retrouva, en creusant une fosse dans cette église, une boite de
plomb qui renfermait plusieurs fragments d'os avec un peu de poussière, ainsi que des inscrip-
tions qui indiquaient que c'étaient les précieuses reliques du Saint, qu'on avait cachées au com-
mencement du règne d'Edouard VI.
Les évêques schismatiques s'empressèrent de faire enfouir ces précieux restes. Car au bruit de
leur découverte, protestants et catholiques étaient accourus. Mais la reine ayant témoigné le désir
d'avoir des reliques d'un Saint qui avait été si souvent le bouclier de la nation anglaise, ou les
enleva sans bruit pendant la nuit : les Jésuites d'Angleterre en apportèrent une partie à Anvers.
Cf. Acta Sanctorum, tomes n et vu de mai.
VIIF JOUR DE MAI
MARTYROLOGE ROMAIN.
Au Mont-Gargnan, I'Apparition de saint Michel, archange. — A Milan, le bienheureux
décès de saint Victor, martyr, maure de nation, et chrétien dès son enfance, qui, étant soldat dans
la garde prétorienne, et persévérant courageusement dans la confession du Seigneur, nonobstant
les instances très-vives que lui faisait Maximien lui-même de sacrifier aux idoles, fut d'abord
meurtri de coups de bâtons sans qu'il en ressantit aucune douleur, par la protection spéciale de
Dieu ; fut ensuite arrosé de plomb fondu sans en éprouver aucune douleur, et consomma enfin son
glorieux martyre ayant eu la tète tranchée *. 303. — A Constantinople, saint Acathe, centurion, qui,
ayant été dénoncé comme chrétien par le tribun Firmus, dans la persécution de Dioclétien et
Maximien, et cruellement torturé à Périnthe par le juge Bibien, fut enfin condamné à avoir la tête
tranchée à Byzance, par le proconsul Flaccin. Son corps est honorablement conservé à Squillacio,
où il aborda miraculeusement2. 303. — A Vienne, saint Denis, évêque et confesseur. — A
Auxerre, saint Hellade, évêque. 387. — Au diocèse de Besançon, saint Pierre, évêque et
confesseur. 1174. — En Ecosse, saint Wiron ou Guiron, évêque. Vers 700.
1. Les chrétiens de la ville de Milan eurent grand soin d'aller lever le corps du saint Martyr, et leur
évêque, saint Materne, l'ensevelit près d'un petit bois, où l'on bâtit longtemps après une église en sou
honneur.
On en a encore, depuis, dédié d'autres dans la ville sous son nom, et son culte est devenu célèbre,
non-seulement dans le Milanais, mais en plusieurs autres endroits.
Saint Ambroise parle de notre Martyr comme de l'un des principaux patrons de son diocèse, et le
place a côté des saints martyrs Nabor et Félix. Saint Grégoire de Tours dit que le Tout-Puissant honora
son tombeau de beaucoup de miracles. L'église de Milan, qui portait son nom, appartenait aux religieux
Olivétans, qui la relevèrent depuis avec beaucoup de magnificence. Lorsque saint Charles Borromée la
dédia, il y transféra solennellement, le 20 juillet 1576, les reliques du saint Martyr, auxquelles il joignit
le corps de saint Satyre, frère de saint Ambroise. Les martyrologes anciens, qui portent le nom de saint
Jérôme, marquent sa fête au 8 et au 15 mai, et d'autres au 7 et au 14. Le martyrologe romain en fait
l'éloge au 8.
2. Saint Acathe était originaire de Cappadoce. Périnthe ou Héraclée, qui fut témoin de sa première
torture, était une ville de Thrace, devenue plus tard archiépiscopale avec un port sur la Propontide (au-
jourd'hui mer Noire), à soixante milles de Byzance (environ quinze lieues). — Squillacio, où abordèrent
ses glorieuses reliques, et dont il est le patron, est une ville de la Calabre citérieure, dans le royaume de
MARTYROLOGES. 393
MARTYROLOGE DE FRANCE, REVU ET AUGMENTÉ.
A Limoges, saint Aurélien, second évêque de ce siège et successeur de saint Martial, qui l'avait
ressuscité et converti. Il est honoré à Limoges le 10 de ce mois. — A Bourges, saint Désiré,
frère de saint Dieudonné, moine et martyr, lequel, après avoir très-dignement exercé l'office de
garde-des-sceaux de France, étant appelé à l'épiscopat, y brilla par toutes sortes de vertus et
par une infinité de miracles. Il souscrivit au cinquième concile d'Orléans. 550. — A Chalon-sur-
Saône, saint Jean, évêque de cette ville, qui nous est connu par une lettre élogieuse de saint
Sidoine Apollinaire, son consécrateur l. Vers 473. — A Ruremonde, dans la Gueldre et autres
provinces, soit du Rhin, soit de la Meuse, mémoire de saint Plelchera, prêtre, et de saint Otger,
diacre, compagnons de saint Wiron, nommé au Romain. — A Metz, saint Godon, évêque, à l'insti-
gation duquel saint Sigebert, roi des Francs-Austrasiens, fonda un célèbre monastère au pays de
Luxembourg. 650. — A Reims, saint Gibrien, prêtre, qui, venu d'Irlande en France, se retira
près de Chàlons, en Champagne, et y mena une vie céleste, sur les bords de la Marne. Son corps
fut transporté à Reims. vie s. Mémoire de saint Hélain, de saint Trésain, de saint Veran, de saint
Abran, de saint Pétran, de sainte Franche, de sainte Prompcie ou Piomce et de sainte Possenne,
frères et sœurs de saint Gibrien. — A Sens, saint Martin, dit le voyageur, confesseur. — En Lor-
raine, le bienheureux Scheir, confesseur, fondateur de l'abbaye de Chaumozey. 1120-1127. — A
Nivelle, en Brabant, la bienheureuse Itte, femme du duc Pépin, maire du palais des rois d'Aus-
trasie, religieuse sous sainte Gertrude, sa fille. 652. — A Douai, le bienheureux Raymare, prévôt
de l'église collégiale de Saint-Amé, dans laquelle il fut enseveli. Règne de Philippe Ier. 1060-1108.
ADDITIONS FAITES D'APRÈS LES BOLLAKDISTES ET AUTRES HAGIOGRAPHES.
A Constantinople, avec saint Acathe ou Acace, mentionné ci-dessus, les saints Maxime, prêtre,
Anthes, diacre, Arestin, Marin, Tampus, Stercita, Rogata, Victuria, Florida, une autre Florida,
Lucius, Donata, Victor, Fluvia, Jean, Nina, Castus, Gaïus, Furius, Maxime, un autre Victor, Julia,
Félix, Marcien, Famosa, Honesta, Nègre, Baptisius, Rustique, Processus, Secunda, Militus, Félicie,
Maxima, Dativa, Tunianus, Eutidius, Secundola, Datica, Gundinus, Tertule, Célestin, Faustin,
Cénerius, Barach, Siddin, une autre Nina, Tidus, Mittunus, Sirique, Rogatus, Baccorus, Gadderus,
Béreuse, Donata, Spicus, un autre Rogat, Saturnina, Gaudiosa, Vital, Cécile, Januaria, Galla,
Sénéré, un autre Rogat, Matrona, Augustine, un autre Saturnin, Rufus, Victor, Faustin, Cithinus,
Zadère, Antiquus, une autre Nina, Sature, Vicoma, tous martyrs. An 303. — En Afrique, les saints
Eutique, Fortuné, Saturnin et Marcie, martyrs. — En Egypte, les saints Victor, Etienne et Janvier,
martyrs, mentionnés, ainsi que les précédents, dans le martyrologe de saint Jérôme. Et ailleurs,
une cohorte entière de soldats, qui se laissèrent égorger comme des agneaux. — En Licaonie,
saint Taraise, thaumaturge. — Chez les Grecs, saint Mêle, auteur d'hymnes sacrés. — A Vérone,
en Italie, saint Métrone, prêtre, qui est honoré dans l'église Saint-Vital, où l'on montre encore la
chaîne et la pierre retenant cette chaîne, qui fut l'instrument de sa pénitence. — A Saludez, près
de Rimini, en Italie, le bienheureux Aimé ou Amat, confesseur. An 1200. — A Santarem, en Por-
tugal, le bienheureux Bernard, de l'Ordre des Frères Prêcheurs, et deux saints enfants. Vers 1265.
— A Massaccio, en Italie, le bienheureux Ange, martyr, de l'Ordre des Caraaldules, enseveli dans
une église qui porte son nom. An 1458. — A Vigevano, en Piémont, le vénérable serviteur de
Dieu, Pierre-Georges Odescalc, dont voici l'épitaphe : a A Pierre-Georges Odescalc, patricien de
Côme, fils de Thomas, sénateur du royaume ; lumière de l'Eglise, de sa patrie et de sa famille ;
référendaire des deux signatures, protonotaire ad instar participantium ; correcteur des lettres
apostoliques; gouverneur de Fermo, légat en Suisse; évêque d'Alexandrie et ensuite de Vige-
vano. De nombreux autels érigés par ses mains, ses écrits, des établissements religieux sont autant
de glorieux monuments de sa piété envers Dieu, la sainte Vierge et les Saints. Pasteur et père
toujours vigilant et toujours plein de tendresse, il a quitté trop tôt la terre, au milieu des pleurs
de gens de bien pour aller, lui qu'on ne pleurera jamais assez, vivre éternellement dans les cieux.
Le 9 des nones de mai 1620. Son père Raymond ». Et au dessus du tombeau : « La vierge Ma-
rie que, vivant, Pierre-Georges, évêque, a toujours honorée d'un culte particulier, reçoit encore des
hommages de ses ossements ici déposés ».— Pour mémoire, saint Aurèle, évêque arménien, dont les
Naples. Enfin, Constantinople, d'où 11 s'envola an ciel, l'honora de bonne heure d'un culte particulier.
Constantin le Grand fit ériger en son honneur une église que le peuple appela la Noix, en mémoire de
ce qu'on avait enfermé dans les constructions le noyer auquel le Saint avait été suspendu pour être fla-
gellé. Cette église étant tombée en ruines, Justinien la releva et en fit un des sanctuaires les plus riches
de Constantinople. Le marbre blanc y avait été prodigué à telle profusion que l'on aurait cru entrer dans
un temple de neige, disent les écrivains grecs : le soleil d'Orient devait contribuer beaucoup a produire
cet effet d'éblouissement.
1. Sid. Ap. Ep. lib. iv. Ep. 35.
394 8 biai.
reliques furent apportées à Hirschau, en Bavière1. — Encore en Bavière, le vénérable Frédéric,
d'abord religieux d'Einsielden et ensuite abbé d'Hirschau, qui fut atrocement calomnié par trois de ses
moines et cruellement persécuté par le comte Adalbert, proche parent du saint pape Léon IX. Adal-
bert, impressionné par le châtiment qui, dès cette vie, atteignit les moines coupables, se réfugia,
à son tour, dans la solitude du cloître, où il mourut repentant 2. 1070.
L'APPARITION DE SAINT MICHEL, ARCHANGE
Dieu, ayant donné l'archange saint Michel à son Eglise, pour en être le
protecteur, comme il était autrefois celui de la Synagogue, a voulu faire
paraître, en divers temps et en divers lieux, quelque merveille par son in-
tercession et par son ministère, afin que les fidèles ne pussent pas douter
de sa bienveillance à leur endroit ; qu'ils lui rendissent leurs respects et
qu'ils eussent recours à lui dans leurs besoins. Nous trouvons dans les His-
toires ecclésiastiques diverses apparitions de cet Archange, et nous y re-
marquons plusieurs églises consacrées en son honneur, tant en Orient qu'en
Occident.
Siméon Métaphraste rapporte une de ces apparitions faite dès le pre-
mier ou le second siècle de l'Eglise, près de la ville de Chone, en Phrygie,
à un homme de Laodicée ; elle fut cause de sa conversion et de celle de sa
fille, ainsi que de la guérison de cette même fille qui était muette. Elle fut
aussi suivie de la construction d'un temple en l'honneur de ce glorieux
protecteur, tel que la persécution et le malheur des temps le pouvaient
permettre. Florus de Trapani, le plus ancien des poètes chrétiens, assure
qu'avant son temps saint Michel était apparu à Rome, et qu'on y faisait une
fête solennelle en son honneur ; ce qui ne peut être que fort ancien. Ses
vers sont rapportés par le cardinal Baronius, en ses Commentaires sur le
martyrologe romain. Sozomène et Nicéphore, en leurs histoires, font men-
tion d'une autre apparition de saint Michel à Constantin le Grand, dans les
premières années de son empire; elle le porta à bâtir, dans Constantinople,
une église magnifique qui fut appelée Sosthène. Procope témoigne que
l'empereur Justinien, qui régnait dans le vie siècle, fit dédier six églises en
1. Voir la note suivante.
2. Hirschau (Allemagne) était un monastère de l'Ordre de Saint-Benoit, situé dans la forêt Noire, dit
le Gallia chrisliana, qui le place dans le diocèse de Spire (Bavière). Son historien, le savant chroniqueur
Tritheme, l'a rendu célèbre. Voyez Chronique d'Hirschau, continuée jusqu'en 1503; Saint-Gall, 1690,
3 vol. in-fo.
Son origine est ainsi racontée : « Notinge, évêque de Verceil, en Italie, voulant repasser en Allemagne
pour voir son père, le comte Erlafroy, et désirant lui faire présent du corps de saint Aurèle, évêque ar-
ménien, qui était en sa disposition, avait cependant quelque scrupule de tirer ces reliques de son diocèse,
lorsque le Saint lui révéla que son dessein lui était agréable, et qu'il souhaitait vcir bâtir un monastère
dans le lieu oh Dieu rendrait la vue a un aveugle. Notinge alla donc visiter ses parents en Allemagne, et
y transféra les reliques du Saint. Non loin du château d'Erlafroy, était une chapelle dédiée à saint Na-
saire, où il jugea devoir mettre ce précieux dépôt. Comme il l'y portait, survint un aveugle qui recouvra
subitement la vue, en présence de tous les assistants. Ce miracle accrut singulièrement la vénération
qu'on avait pour le Saint ; et bientôt, à la persuasion de Notinge, le comte Erlafroy fonda un monastère
dans ce même lieu. On en posa les fondements l'an S30, et il fut achevé sept ans après. Erlafroy pria
Raban, alors abbé de Fuldo, où il gouvernait huit cent soixante-dix religieux, de lui donner seize de ses
disciples, pour peupler son monastère ; il obtint facilement cette faveur, et quinze religieux de Fulde,
sous la conduite du vénérable Llmbert, vinrent prendre possession du nouveau monastère, qui fut appelé
Hirschau. Otgar, archevêque de Mayence, dédia l'église l'an 838, et y transféra solennellement les reliques
de saint Aurèle. Cette église était sous l'invocation de saint Pierre. Bntard, disciple de Raban-Maur, l'un
des seize religieux venus de Fnlde, enseigna les lettres dans l'abbaye d'Hirschau, avec une grande répu-
tation de savoir et de piété. Il refusa l'évêché d'Halberstadt, qui lui fut offert après la mort du savant
Haimon. — Voyez, Gallia christ., t. v, col. 764, la série des quarante-huit abbés.
L'APPARITION DE SAINT MICHEL, ARCHANGE. 395
mémoire du même prince du ciel, et qu'il les orna de riches présents. La
peste désolant la ville de Rome, en l'année 590, saint Grégoire le Grand vit,
au-dessus d'un fort, le môle d'Adrien, un ange qui remettait son épée dans
son fourreau, pour marquer que la colère de Dieu était apaisée par les
prières du peuple, et que ce mal allait cesser ; et en mémoire de ce miracle,
vingt ans après ou environ, le pape Benoît III ou IV fît construire au même
lieu une église de Saint-Michel, qui fît changer de nom à ce fort, et le fit
appeler le château Saint-Ange. Cette église fut bientôt accompagnée d'une
autre du même nom dans le marché appelé de la Pêcherie. Enfin, nous ap-
prenons, par une ancienne inscription que l'on voit à Rome, gravée sur du
marbre, que le pape Léon IV, après avoir remporté une insigne victoire sur
les Sarrasins, et les avoir chassés du port de Rome, fit bâtir un nouveau
temple au Vatican, sous le nom de ce chef des armées de Dieu : ce fut vers
l'année 849.
La France n'a pas non plus manqué de témoignages de la protection et de
l'assistance de saint Michel. Nos historiens remarquent que, vers l'année 709,
il honora saint Aubert, dixième évêque d'Avranches, d'une apparition très-
Temarquable, et lui déclara que la volonté de Dieu était qu'il lui fît bâtir une
église dans la mer, sur le haut d'un rocher appelé La Tombe. Le Saint, qui
voulait s'assurer de la vérité de cette vision, n'obéit pas aussitôt; mais l'Ar-
change lui apparut deux autres fois, et, à la troisième, il lui pressa le front
avec son doigt, et y laissa une forte empreinte, que l'on voit encore à son
crâne l. Ainsi il fut obligé de se rendre; et, ayant fait bâtir l'église à l'en-
droit qui lui avait été marqué, il y mit des chanoines réguliers. Elle fut en-
suite donnée aux religieux de l'Ordre de Saint-Benoît. C'est ce que nous
appelons le mont Saint-Michel, dont le pèlerinage fut si célèbre, et que
Dieu a rendu illustre par une infinité de miracles et de secours surnaturels.
Mais la plus insigne et la plus remarquable apparition de saint Michel, est
celle que l'Eglise célèbre aujourd'hui, et qui se fit au mont Gargan, que
l'on nomme maintenant le mont Saint-Ange, près de la ville de Siponto,
dite aujourd'hui Manfredonia, en la province de la Pouille et au royaume
de Naples.
En voici l'histoire en abrégé. Au temps du pape Géïase Ier, l'an 492, un
homme riche, nommé Gargan, ayant de grands troupeaux à la campagne,
un de ses taureaux s'éloigna des autres, et s'enfuit dans les montagnes. On
le chercha quelques jours inutilement; mais, l'ayant enfin trouvé dans une
caverne, on lui tira une flèche, qui, rejaillissant contre celui qui l'avait
tirée, le blessa. Ses compagnons, étonnés de cet accident, et jugeant qu'il y
avait quelque chose de mystérieux là-dessous, eurent recours à l' évêque
de Siponto pour apprendre de lui ce que ce pouvait être. Ce prélat or-
donna un jeûne de trois jours, et exhorta les fidèles à se mettre en prières
pour obtenir du ciel la grâce de découvrir ce que signifiait ce miracle. Au
bout de trois jours, saint Michel lui apparut, et lui déclara que cette ca-
verne, où le taureau s'était retiré, était sous sa protection, et que Dieu
voulait qu'elle fût consacrée sous son nom en l'honneur de tous les anges.
L'évêque, accompagné de tout son clergé et de son peuple, fut la recon-
naître, et la trouva déjà toute disposée en forme d'église : on commença d'y
célébrer les divins offices, et l'on y bâtit aussi un temple plus magnifique,
où la puissance divine a opéré plusieurs grands miracles, qui font bien voir
la vérité de la révélation. Saint Romuald, fondateur de l'Ordre des Camal-
1. Voir, au 1S avril, dan* la Vie de saint Paterne, la lettre que nons a écrite sur ce sujet M. le curé dn
mont Saint-Michel.
396 8 mai.
dules, ordonna à l'empereur Othon d'y aller nu-pieds depuis Rome,
pour pénitence de ce qu'il avait fait mourir le sénateur Grescence, ou
du moins de ce qu'il avait consenti à sa mort. C'est une marque de la
vénération que l'on a toujours eue pour ce saint temple, et une preuve
que c'était un lieu de dévotion, où les pèlerins allaient pour implorer sa
miséricorde.
Comme nous devons traiter plus amplement, au jour de la dédicace de
saint Michel, de ce qui touche cet admirable Archange, et parler en même
temps des perfections, des propriétés et des ministères des autres anges,
nous ne nous y arrêterons pas davantage en ce lieu ; nous remarquerons
seulement que le docteur Michel Navé, chanoine et archidiacre de Tour-
nay, a composé une chronique de toutes les apparitions de Saint-Michel,
et de toutes les faveurs extraordinaires que l'on a reçues publiquement
de lui tant dans l'Ancien que dans le Nouveau Testament. Ceux qui sou-
haiteront avoir plus d'instruction sur ce sujet, pourront aisément lo
consulter.
SAINT PIERRE II, ARCHEYÈQUE DE TARENTAISE ■
1103-1174. — Papes : Pascal II; Alexandre III. — Souverains de Savoie : Humbert II;
Humbert m. — Rois de France : Philippe Ier; Louis VII le Jeune.
Comme au sein du vallon croît l'humble violette,
0 Pierre, tu grandis, faible enfant du hameau.
Pour unique héritage, il t'échut la houlette,
Mais le Christ te nomma pasteur de son troupeau.
Ode à saint Pierre, dans Chevray.
Pierre de Tarentaise fut une des plus éclatantes lumières de l'Ordre de
Gteaux ; on l'a appelé, de son temps, le grand ornement de l'Eglise * ; le
miracle du monde3 ; l'unique consolation de la foi dans les maux dont elle
était accablée * ; enfin un génie brillant et admirable en toutes choses s. Il
naquit vers l'an 1102, près de Vienne en Dauphiné6. Ses parents, d'une
condition médiocre, mais d'une vertu éminente, ont laissé dans l'Eglise une
mémoire bénie, à cause de leur propre sainteté et de celle de leurs enfants.
Son père, du même nom que lui, est appelé dans les annales de Cîteaux,
le Bienheureux Pierre; sa mère, devenue veuve, embrassa la vie religieuse et
fut abbesse de Betton ; de ses deux frères, l'un, Lambert, abbé de Chézery,
1. Nous allons Ici compléter ce que nous avons dit (t. ier, p. 391 et suiv.) sur les origines de l'église de
Tarentaise : « La tradition attribue aux compagnons de voyage de saint Pierre, l'introduction du chris-
tianisme dans la Darantasia par les flancs du Petit-Saint-Bernard : ce seraient eux qui auraient établi le
culte de Saint-Pierre à Séez, et celui de l'Assomption à la chapelle des glaciers. Ce serait encore en sou-
venir de l'évangélisation primitive que saint Pierre serait resté le patron du diocèse, d'abord au château
de Jacquême-sur-Moûtiers, puis à la cathédrale de Moûtiers même ». — M. l'abbé Ducis, archiviste de la
Haute-Savoie, 29 février 1872.
2. Gallia christ., t. ier, p. 674. — 3. Ann. Cist., i, p. 97, n. 10. — 4. Jbid., p. 351, n. 5. — 5. Bar. ad
Annal., 1160.
6. Nous n'avons pu découvrir d'une manière certaine le nom du village ou naquit saint Pierre n de
Tarentaise. Serait-ce Saint-Maurice de Chuzelle, hameau de 50 habitants, près de Vienne (Isère)? On
pourrait le croire, si l'on fait attention que, par dévotion pour l'illustre chef de la Légion thébaine, patron
de Vienne, la famille de saint Pierre donna le nom de Saint-Maurice à son petit patrimoine, et que Bon-
nevaux, où entra d'abord saint Pierre, n'est qu'à trois lieues de Saint-Maurice.
SAINT PIERRE II, ARCHEVÊQUE DE TARENTAISE. 397
porte le titre de Saint ; l'autre, André, fut religieux dans l'abbaye de Bon-
nevaux : sa sœur fut religieuse au monastère de Betton l dont sa mère était
abbesse.
La maison paternelle fut donc, pour le jeune Pierre, comme un sanc-
tuaire où l'on ne respirait que la prière et l'odeur de Jésus-Christ. C'était
aussi un hospice pour les étrangers et pour les pauvres, qu'on recevait dans
de bons lits, tandis que les maîtres de la maison se contentaient d'un peu
de paille. On était heureux surtout quand on pouvait loger quelque bon re-
ligieux qui payait largement son hospitalité par de saintes instructions et
l'exemple d'une vie édifiante. Pierre profitait beaucoup en science et en
piété à cette précieuse école.
Cependant, veiller à la garde des troupeaux de son père, comme autre-
fois les enfants de Jacob ; cultiver la terre ou continuer un petit négoce,
c'est tout ce qui lui était réservé ; il ne devait pas avoir une plus grande
part aux affaires d'ici-bas. Loin du tumulte des passions, il eût coulé paisi-
blement ses jours en faisant le bien dans le lieu retiré qui l'avait vu naître.
Mais Dieu a d'autres desseins sur lui, sa voix se fera bientôt entendre.
Près de son frère Lambert qui étudie, Pierre étudie aussi, sans que l'on
s'en doute. Il est son maître à lui-même. Il saisit facilement et apprend des
choses difficiles que personne ne lui a expliquées. Doué d'ailleurs d'une
mémoire prodigieuse, il retient ce qu'il lit et ce qu'il voit. Un peu plus tard,
il donne la preuve bien inattendue de sa grande mémoire, lorsqu'un jour il
se met à réciter tout le Psautier, qu'il avait lu souvent par dévotion. Le
père, étonné de ce qui se passe dans cet enfant, malgré ses projets arrêtés et
ce que l'on appelle les convenances de famille, ne veut pas comprimer plus
longtemps l'ardeur du jeunePierre.il lui permet d'étudier le latin; dès
qu'il put comprendre le beau commentaire de saint Augustin sur les Psau-
mes, il le transcrivit de sa main pour mieux le graver dans son esprit.
Lorsqu'il eut atteint l'âge de vingt ans, il obtint de son père la permis-
sion d'entrer dans l'abbaye de Bonnevaux, qui venait d'être fondée dans le
Dauphiné, sous la règle austère de saint Bernard. Pendant les dix ans qu'il
y passa, il édifia toute la communauté et y attira, par la réputation de sa
sainteté, son père, ses deux frères et dix-sept seigneurs. Comme il avait
parfaitement rempli les principaux emplois du cloître, qu'on lui avait con-
fiés, et qu'il savait bien obéir, on le jugea digne de commander. On le
chargea de la fondation du monastère de Tamié *, dans le diocèse de Taren-
taise, entre les montagnes qui séparaient la province du Genevois de la Sa-
voie propre : cet endroit était, au xie siècle, le principal passage de Suisse
en Italie : c'était un désert regardé comme inhabitable, où l'on pouvait,
par conséquent, rendre de grands services aux voyageurs. Pierre vint s'y
établir en 1132 ', avec quelques religieux, ou plutôt il y établit la charité en
personne. Les moines de Tamié n'avaient pour nourriture qu'un peu de
pain et d'eau, avec des herbes mal apprêtées, dans lesquelles on jetait quel-
1. Le couvent de Betton (Ordre de Citeaux, diocèse de Chambéry) était de la filiation de Tamié. Saint
Pierre avait sans doute concouru a son érection. Il a été vendu, ainsi que ses dépendances, à la grande
Révolution, et a été racheté la même année que Tamié (1827). Ses bâtiments ont été convertis dès lors
en ui,e maison de santé dirigée par les Sœurs-Grises et dotée par M. le général comte de Boigne. Ceux de
Tamié, d*abord résidence des missionnaires diocésains de Moûtiers, puis pensionnat tenu par des frères,
sont aujourd'hui (1872) de nouveau habités par des enfants de saint Bernard (colonie du val Sainte-Marie,
diocèse de Besançon).
2. Mons qui stat médius.
3. L'an 1132, la 14 des calendes de mars, les frères Pierre, Vlllelme et Aynard de Chevron-Villette,
de cette même famille qui avait déjà donné un grand Pape à l'Eglise et qui a fourni dans la suite quatra
abbés à Tamié, un évêque d'Aoste, trois archevêques de Tarentalse, dont un (Benoit Théophile) est dit
398 8 mai.
ques grains de sel ; mais quel soin pour les pauvres, les pèlerins, les voya-
geurs ! Pierre les servait lui-même à table, leur donnait des vêtements, et
accompagnait tout cela de quelques pieuses réflexions pour le salut des
âmes. Aussi la réputation du Saint volait de tous côtés ; on venait le con-
sulter sur les affaires difficiles : le comte de Savoie, Amédée III, se rendait
quelquefois lui-même à Tamié, pour recevoir ses avis. Le don des miracles
lui fit surtout une grande célébrité : il guérit publiquement un paralytique ;
quand sa communauté manquait de pain, il n'avait qu'à prier Dieu pour
en obtenir.
L'archevêché de Tarentaise étant venu à vaquer (1138) par la déposition
d'Isdraël, qui l'avait aussi mal gouverné qu'il l'avait injustement usurpé,
l'abbé de Tamié fut unanimement élu par tout le clergé de cette église. Une
charge si pesante, surtout en un siècle aussi corrompu que celui-là, était
bien contraire aux inclinations et à l'humilité de Pierre : on ne put la lui
faire accepter que dans le Chapitre général de Gîteaux, où tous les Pères et
les abbés de l'Ordre, et particulièrement saint Bernard, abbé de Glairvaux,
lui ordonnèrent de se soumettre à la volonté de Dieu.
Le nouvel archevêque trouva son diocèse dans le plus triste état : il en
entreprit la réforme avec autant de zèle que de prudence.
Le clergé de sa cathédrale est peu réglé et négligent : Pierre y substitue
des chanoines réguliers de Saint-Augustin, qu'il instruit et gouverne comme
un père ferait de ses enfants, assistant avec eux à tous les pieux exercices.
Il retire les biens des ecclésiastiques des mains qui les avaient usurpés ; il
pourvoit les églises de tout ce qui est nécessaire au culte divin, de sorte
que, dans ce pays pourtant si pauvre, il ne laissa pas, en mourant, une
seule chapelle qui n'eût un calice d'argent. Les pauvres et les malades sont
le principal objet de sa sollicitude ; il fonde un hospice à Moutiers, rétablit
et dote celui du Petit-Saint-Bernard, et, étendant sa charité au-delà de son
diocèse, bâtit deux autres refuges, l'un sur le Mont de la Lésion, l'autre sur
le Mont-Jura, lieux presque inhabitables. Sa maison est un asile, où l'on
reçoit à toute heure les indigents, les étrangers, les malades. Quand il visite
son diocèse, il porte de modestes provisions pour sa subsistance, et n'en
use jamais avant d'en avoir fait part aux pauvres. Si bon pour les autres, il
est très-rude pour lui-même : vêtu en moine, malgré sa dignité épiscopale,
il mène la vie du cloître ; il dort peu, il ne mange que des herbes et du pain
bis. Il fait de longues oraisons pendant la nuit et il afflige son corps par des
mortifications extraordinaires.
Nous ne dirons point tout ce que la charité de Pierre lui fait entre-
prendre et nous ne répéterons même pas tout ce qu'en disent les historiens,
mais nous ne saurions taire une institution de bienfaisance qui porte un
caractère particulier, et du Saint et de la localité; laquelle, sans être une
fondation véritable, en a toutes les conséquences, et a donné lieu à des
actes qui l'ont rendue historique.
Les mois qui précèdent la moisson étant ceux où les peuples éprouvent
le plus de besoin, le Saint y pourvoit par une distribution générale en soupe
et en pain qu'il fait faire chaque jour. Ce sont, dit Geoffroy, son historien,
des espèces d'agapes, auxquelles l'archevêque admet indistinctement ceux
qui se présentent l. Il assiste, par ce moyen, un grand nombre de pauvres,
Bienheureux : ces trois frères et pieux seigneurs cèdent, à titre de fondation, la proprie'te' de Tamié et ses
dépendances a l'abbé de Bonnevaux, Jean le Bienheureux, en présence de l'abbé d'Hautecombe (suint
Amédée d'Hauterive), de notre saint Pierre, jeune religieux, et en l'assistance de saint Pierre Ie', qui
occupait alors le siège de Tarentaise. (Besson, Preuves, p. 231.)
1. Bollandus, die S maii.
SAINT PIERRE II, ARCHEVÊQUE DE TARENTAISE. 399
non-seulement durant un mois et pendant sa vie, mais pendant des siècles ;
car ses successeurs imitent son exemple et continuent à faire, dans les
cloîtres bâtis par saint Pierre, une pareille distribution, principalement
pendant le mois de mai. Cette aumône, connue sous le nom de pain de mai,
devient de plus en plus un objet de vénération à cause de son antiquité et
surtout à cause de son origine : l'enfant du pauvre s'y trouvait à côté de
l'enfant du riche ; celui-ci donnait généreusement d'une main ce qu'il rece-
vait pieusement de l'autre.
Il n'a fallu rien moins que la grande révolution pour détruire une cou-
tume dont le premier anneau remontait à saint Pierre IL II est plus d'un
vieillard qui en parle encore comme d'un souvenir pieux de l'enfance, qui
laisse dans l'âme je ne sais quoi de traditionnel, de respectable et de saint.
Comme celle de tant d'autres choses précieuses qui ont péri alors, la mé-
moire de cette tradition se perd de jour en jour à mesure que les hommes
qui ont vécu dans les deux siècles disparaissent.
En traversant les Alpes, pendant un hiver très-rigoureux, il rencontre
une pauvre femme fort âgée, malade, transie de froid et baignée de larmes ;
il se dépouille, pour la revêtir, de sa robe de religieux, ne se réservant que
le manteau appelé coule; il s'expose ainsi à mourir de froid lui-même, et
il arrive, en effet, très-malade à l'hospice du Petit-Saint-Bernard. Sa charité
est récompensée, dès cette vie, par d'innombrables miracles qu'il opère en
Italie, en Savoie, en Bourgogne. A Saint-Claude, la foule qui se presse au-
tour de lui pour obtenir les grâces du ciel, dont il est le distributeur, est si
grande, qu'il faut prendre des mesures pour éviter les accidents : Pierre se
retire dans la tour de l'église, où conduisent deux escaliers : par l'un mon-
tent les pèlerins, les malades, et quand ils ont reçu la bénédiction du Saint,
ils descendent par l'autre. Pendant ce séjour, trois étrangers viennent le
remercier de leur délivrance : « Ils étaient », lui disent-ils, « enfermés dans
les prisons de Lausanne ; le récit de ses vertus et de ses miracles les a con-
vertis ; ils l'ont invoqué, comme on invoque un saint qui règne dans le ciel ;
il leur est apparu dans la prison, a rompu leurs chaînes, et, leur donnant
la main, les a fait miraculeusement sortir, en passant sans être vus, au mi-
lieu des gardes, qui jouaient aux dés ».
Se voyant accablé de tant de gloire, Pierre s'en effraie et résout de ren-
trer dans l'obscurité du cloître (1155). Ayant échangé ses habits contre les
haillons d'un pauvre, il s'enfuit, accompagné d'un seul domestique, et va au
fond de l'Allemagne, se faire recevoir dans un couvent de son Ordre. A la
nouvelle de cette fuite, la désolation fut universelle. Un de ses jeunes dio-
césains, élevé dans son palais, entreprit de le chercher jusqu'à ce qu'il l'eût
trouvé. En effet, après avoir pendant un an visité beaucoup de monastères,
il arriva enfin dans celui où était son archevêque ; il se tint sur le passage
des religieux pendant qu'ils allaient au travail, il reconnut Pierre, et se jeta
à ses genoux en le priant de revenir dans son diocèse. Les autres religieux
furent bien surpris : ils se jetèrent aussi aux pieds du prélat, s'excusant de
de ne l'avoir pas traité selon sa dignité et ses mérites. Son retour fut un
véritable triomphe : il retrouva plus d'honneurs qu'il n'en avait fui (1157).
Dieu le rappelait, parce qu'il avait, si nous pouvons parler ainsi, besoin de
lui pour défendre son Eglise et réconcilier les princes. Un rôle immense at-
tendait notre Saint. L'Eglise était alors déchirée par le schisme. L'empereur
Frédéric Barberousse, qui prétendait mettre sous sa domination absolue le
monde entier, ne trouvant plus d'obstacle à ce dessein, que le Pape légi-
time, ordinaire défenseur des droits des peuples et de l'Eglise, établit un
400 8 mai.
antipape, Victor III. L'archevêque de Tarentaise fut presque le seul sujet de
l'empire qui osât se déclarer ouvertement pour le Pape légitime, Alexan-
dre III : il prit son parti dans plusieurs conciles, il parcourut plusieurs con-
trées pour y faire reconnaître son autorité, entre autres l'Alsace, la Bour-
gogne, la Lorraine, l'Italie : tout l'Ordre de Cîteaux suivit ce noble exemple;
or, il comptait alors plusieurs évêques, sept cents abbés et une multitude
presque innombrable de moines : ces milliers de voix, qui proclamèrent en
même temps le même Pape, en toutes les contrées de l'Europe, ne contribuè-
rent pas peu au triomphe de la vérité. Pierre ne craignit pas de parler en fa-
veur d'Alexandre III à Frédéric lui-même : « Cessez » , lui dit-il, « de persécuter
l'Eglise et son chef, les prêtres et les religieux, les peuples et les cités qui
se montrent favorables au Pape légitime. Il est un roi qui gouverne les rois
eux-mêmes et à qui vous rendrez un compte rigoureux de votre conduite ».
L'empereur, qui avait exilé plusieurs partisans d'Alexandre, ne s'offensa
point des remontrances du saint prélat, tant il respectait ses vertus ou crai-
gnait son influence sur les peuples. Un de ses courtisans lui en ayant
exprimé sa surprise, et essayant d'exciter son indignation contre Pierre,
Frédéric répondit : « Je m'oppose aux hommes, il est vrai, parce qu'ils le
méritent, mais voulez-vous que je me déclare ouvertement contre Dieu ? »
Alexandre III désirait voir celui qui défendait la papauté avec tant de
succès ; il le manda à Rome : ce voyage de Pierre fut une prédication, une
procession, un triomphe, une suite de miracles. Il évangélisa et édifia la
Toscane ; à Yerceil, il réconcilia les deux partis qui divisaient la ville ; à
Bologne, il rendit la santé à l'évêque, en lui imposant les mains, et la vue
à un aveugle en faisant le signe de la croix sur ses yeux. Partout où il passa,
on le priait de prêcher et de consacrer des autels. Le Pape et la ville de
Rome le reçurent avec les plus grands témoignages d'estime et de vénération.
En 1170, le Pape chargea notre Saint de réconcilier Henri II, roi d'An-
gleterre, et Louis VII, roi de France, qui étaient en guerre. Malgré son
grand âge, Pierre se mit aussitôt en route pour remplir cette mission : il
prêchait et opérait de nombreux miracles dans tous les lieux qu'il traver-
sait. Au monastère cistercien de Prully, dans le diocèse de Sens, il renou-
vela le prodige de la multiplication des pains, pour nourrir les étrangers
que sa réputation y attirait en foule.
Dès qu'il approchait d'une ville ou d'un village, la nouvelle s'en répan-
dait : Voici le Saint qui arrive, disait-on de toute part ; aussitôt la population
s'ébranlait, la route se couvrait de feuillages, on se précipitait au-devant
du thaumaturge, on lui baisait les pieds et les mains ; il était obligé de
s'arrêter pour écouter les plaintes de tous ceux qui souffraient et de les
consoler, de les guérir, de faire entendre au peuple la parole de Dieu.
Les rois de France et d'Angleterre avaient envoyé bien loin, au-devant
de lui, des seigneurs de leurs cours ; Louis VII et Henri, héritier présomptif
de la couronne d'Angleterre, et le comte de Flandre, l'attendaient à Chau-
mont, dans le Vexin, sur les confins de la France et de la Normandie. Dès
que Henri l'aperçut, il descendit de cheval et courut au-devant de lui.
Après avoir baisé le manteau du prélat, il le pria de le lui céder : ce vête-
ment était lacéré et presque tout en pièces, tant on en avait détache de
morceaux par vénération. L'abbé de Clairvaux, qui accompagnait le saint
pontife, ayant demandé à Henri de quel usage lui serait ce vieil habit :
« Vous ne parleriez pas ainsi », dit le prince, « si vous saviez quels effets
merveilleux a produits, sur les malades, la ceinture que j'ai obtenue du
Saint, il y a quelques années ». Le roi de France et sa suite arrivèrent pen-
SAINT PIERRE II, ARCHEVÊQUE DE TARENTAISE. 401
dant ce temps ; mais les princes disparaissent dans cette foule et devant le
Saint : on ne voyait que lui, on se pressait autour de lui. Une femme, con-
duisant par la main son fils aveugle, s'efforçait en vain d'arriver jusqu'au
prélat ; il s'en aperçut et lui fit faire un passage. La mère demanda la gué-
rison de son fils ; le Saint, mouillant ses doigts avec de la salive, en frotte
les yeux et la tête de l'enfant, fait le signe de la croix et se met en prières.
Les princes et les autres témoins de cette scène se demandaient quelle en
serait l'issue ; tout à coup, l'enfant regarde et s'écrie, joyeux et surpris :
« Je vois ma mère, je vois des arbres, des hommes et tout ce qui est ici ».
Tout le monde est ravi. La mère, hors d'elle-même, se jette aux pieds du
Saint en versant des larmes de joie, sans avoir la force de parler. Le roi de
France se prosterne devant l'enfant pour adorer la puissance divine, qui
vient d'éclater en lui, baise avec respect son front et ses yeux, et lui fait
une généreuse offrande.
Après de tels prodiges, pouvait-on ne pas voir, dans le saint archevêque,
l'envoyé de Dieu même? Le roi d'Angleterre, Henri II, se rendit à l'entre-
vue qui lui avait été proposée par le prélat ; elle eut lieu entre Trie et Gi-
sors, et le 29 septembre de la même année, Henri II se réconcilia, à Am-
boise, avec ses fils et avec le roi de France ; mais, à cette date, saint Pierr®
était déjà dans le ciel. Après l'entrevue de Gisors, il s'était dirigé vers l'ab-
baye de Mortemer, dans le diocèse de Rouen, où il distribua solennellement
les Cendres, le 6 février, à Louis VII et à son gendre, Henri d'Angleterre. Il
sentit qu'il n'avait plus que peu de temps à vivre ; ce fut pour lui un motif
de redoubler de zèle ; aussi, ces derniers jours de sa vie sont remplis de
bonnes œuvres et de miracles accomplis en France. Il va d'abord, sur la
demande de la reine de France, au monastère de Haute-Bruyère, de l'Ordre
de Fontevrault, y consacre un autel et y rend la vue à une jeune fille
aveugle, en faisant sur elle le signe de la croix. Dans l'abbaye de Lière, où
il passe quelques jours, il guérit deux sourds et un paralytique. La charité
qui l'anime semble lui donner des ailes. On le voit en quelques semaines au
couvent de la Chassagne, où il termine plusieurs affaires du plus haut inté-
rêt; dans celui de la Bussière, dont il consacre l'église et où il guérit, par
la seule imposition des mains, un sourd-muet et deux aveugles ; au château
de Montmorency, où il inaugure la chapelle ; à Longuet, où, sur la prière de
l'évêque de Langres, il dédie un autel à saint Bernard, qui venait d'être
canonisé ; à Besançon, où, après avoir entretenu l'archevêque Ebrard des
affaires de l'Eglise, il achève de l'éclairer sur le schisme que Frédéric avait
suscité, le confirme et l'affermit dans l'obéissance envers le Pape légitime.
On attendait saint Pierre dans l'abbaye de Bellevaux avec une vive et pieuse
impatience. Il part en effet pour ce monastère, et se propose d'y paraître
avec la simplicité d'un religieux. Avant d'arriver au couvent, ses forces
l'abandonnent ; une indisposition l'oblige à prendre un peu de repos ; il
s'arrête au bord de la route, près d'une source qui descend d'un coteau
voisin. Ce lieu, connu dans le pays sous le nom de Saint-Justin, sera désor-
mais consacré par l'agonie de l'illustre légat ; on plantera une croix aux
bords de la fontaine ; l'eau pure qui a ranimé le Saint dans sa défaillance,
la terre qu'il a arrosée de ses dernières sueurs, seront de siècle en siècle
l'objet de la vénération des habitants. Saint Pierre avait soixante-treize ans.
Transporté au couvent de Bellevaux, notre Saint s'y endormit dans le
Seigneur, le 8 mai 1174. Son corps demeura trois jours exposé à la vénéra-
tion du peuple, puis déposé sous un autel dédié à la sainte Vierge ; Ebrard,
archevêque de Besançon (Bellevaux est tout près de cette ville), présida à
Vies des Saints. — Tome V. 26
402 8 mai.
ses obsèques. Bientôt, le tombeau de saint Pierre de Tarentaise devint, par
de nombreux miracles, un lieu de pèlerinage. Il fut canonisé en 1191, par
le pape Célestin III.
On le représente parlant aux rois de France et d'Angleterre pour les
réconcilier ; à l'empereur Frédéric Barberousse pour le ramener du
schisme, etc.
RELIQUES DE SAINT PIERRE DE TARENTAISE.
Les reliques du Saint, que la Savoie et la France se disputaient, furent partagées par le Pape :
l'église de Tarentaise obtint la tête ; l'abbaye de Tamié, le bras gauche ; celle de Citeaux, le bras
droit. Ces précieuses reliques furent perdues en partie pendant les troubles de la Révolution fran-
çaise et les guerres qui la suivirent; mais le reste, qui était demeuré a Bellevaux, fut sauvé; les
habitants de Cirey achetèrent pour quatre cents livres l'autel du Sainl, son tombeau et les osse-
ments qui y étaient renfermés, et transportèrent le tout dans leur église, le 24 juin 1791 ; mais,
en 1793, un administrateur du district de Vesoul enleva violemment ce trésor : les os du Saint
furent emportés avec mépris, au fond d'une hotte, à Vesoul, pour y être brûlés ; mais le peuple
de Vesoul montra tant de respect pour ces reliques sacrées, qu'on n'osa pas les profaner : ces
démagogues, répandant le bruit qu'on les avait enlevées, les reléguèrent dans les bureaux du
district, où on les recueillit précieusement, lorsque la liberté du culte catholique fut rendue à la
France, et on les plaça dans une des chapelles de l'église paroissiale de Vesoul.
En 1812, Claude Lecoz, archevêque de Besançon, en accorda deux parcelles considérables aux
habitants de Cirey. Une colonie de trappistes, vivant selon l'étroite Observance de Sept-Fonds,
s'établirent à BelJevaux, en 181G, et obtinrent, en 1819, la moitié des reliques qui avaient été
déposées à Vesoul, c'est-à-dire la cuisse, la jambe et le pied gauche du Saint : on constate, dans
le procès-verbal dressé à cette occasion, que les restes précieux de saint Pierre étaient dans leur
état naturel, sans corruption, couverts de peau, mais seulement desséchés par l'effet du temps.
Chassés par la Révolution de 1830, les trappistes de Bellevaux se réfugièrent en Suisse, empor-
tant, comme consolation dans leur exil, les reliques de saint Pierre ; ils les rapportèrent, en 1834,
lorsqu'ils vinrent s'établir, encore en Franche-Comté, au Val-Sainte-Marie : depuis, le siège
principal de la communauté ayant été transféré à l'abbaye de la Gràce-Dieu, nne chapelle, dans la
magnifique église de cette abbaye, fut dédiée à saint Pierre de Tarentaise. C'est là que reposent
aujourd'hui ses reliques dans une belle châsse : on y voit, outre les ossements dont nous avons
parlé, une portion du manteau du Saint, sa mitre et sou calice. L'abbaye de la Gràce-Bieu ayant
fondé naguère une colonie à Tamié même, la mère a cédé à la fille une partie des reliques de celui qui
l'avait autrefois gouvernée. Quant à dire que les reliques, autrefois données par le Pape à la
Savoie, furent toutes perdues, cela n'est pas complètement exact. Voici ce que nous écrit M. Bérard,
thanoine, archidiacre et vicaire-général de Moûtiers :
« Cela n'est malheureusement que trop vrai pour ce qui concerne la relique insigne adjugée à
l'église alors métropolitaine de Moûtiers. Mais je suis heureux de pouvoir aflirmer que nous pos-
sédons en la même église, notre cathédrale actuelle, le bras gauche qui était autrefois à l'abbaye de
Tamié. L'authenticité de cette relique avait été reconnue, en 1805, par Mgr Irénée-Ives de Solles,
évêque de Chambéry et de toute la Savoie, lors de la visite pastorale qu'il fit en cette ville et dans
les principales paroisses de Tarentaise, assisté de M. le doyen de Maistre, son vicaire-général, pré-
cédemment doyen de la métropole de Tarentaise, et vicaire-général de cet archidiocèse sur le
territoire duquel était située l'abbaye de Tamié. Il nous serait difficile de dire comment cette pré-
cieuse relique est arrivée à Moûtiers, et depuis Tamié, enfermée dans son grand reliquaire surmonté
d'une statue du saint évêque, durant les troubles de la Révolution, ni comment elle a été préservée.
Mais il est certain :
« 1° Que Mgr de Maistre, qui portait toujours le plus vif intérêt à ce qui restait de l'ancien
diocèse de Tarentaise, était plus à même que qui que ce fût de s'assurer de l'authenticité de
cette relique ;
« 2° Qu'il a fait apposer le sceau de Mgr de Solles sur ce reliquaire ;
<x 3° Que dans le procès-verbal de cette visite pastorale du 22 septembre 1805, on lit : « Nom-
avons fait apposer notre sceau sur toutes les reliques dont l'authenticité nous a été garantie ».
« 4° Que les sceaux de Mgr de Solles ont été trouvés intacts lors de l'ouverture qu'a fait faire
tout récemment Mgr Turinaz, évêque de Tarentaise, de ce même reliquaire pour y puiser, si
possible, de plus amples renseignements sur l'authenticité de cette relique ;
« 5° Qu'examen fait de cette relique en ma présence par MM. les docteurs chirurgiens-méde-
cins, Laissus père et lils, il a été bien reconnu que cet os, encore revêtu de filaments nerveux
desséchés, et même déportions de chair prodigieusement conservée, malgré leurs huit cents ans, et
sur lequel il est écrit en vieux style : ex brachio sancti Pétri H, archiepiscop. Tarentasiensisf
il a été reconnu, dis-je, que c'était bien l'humérus du bras gauche.
SAINT GIRRIEN, PRÊTRE ET CONFESSEUR. 403
« Dans le même reliquaire se trouve encore une paire de gants de soie blanche, façon moyen
âge, bordés en leur partie supérieure d'un large galon fil d'or, que, pour ce motif, noas croyons
être les gants du même Saint.
« Nous possédons aussi :
« 1° La parcelle que M. le chanoine Chevray déclare, à la page 215 de son Histoire de saint
Pierre, avoir cédée à notre cathédrale sur celle assez considérable qu'il avait obtenue en Franche-
Comté par l'entremise de M. le chanoine Thiébaud, secrétaire-général de l'archevêque de Besançon;
« 2° La crosse de ce Saint religieusement conservée d'abord en l'abbaye de Tamié, puis trans-
portée, en 1819, en celle de Novalaise (après la grande Révolution française), d'où elle nous
est venue, en 1S56, par la bienveillante médiation de Mgr "Vibert, évèque de Maurienne ».
Les autres reliques, le lecteur se le rappelle, sont à Vesoul et à Cirey. Dans l'église paroissiale
de ce village, où les pèlerins viennent encore déposer leurs prières et leurs offrandes, on voit le
mausolée en marbre qui était derrière le maître-autel de l'abbaye de Bellevaux; les débris d'une
grille en fer battu, qui fermait le mausolée, et qui porte le chilfredu Saint ; sept petites châsses,
soustraites aux perquisitions des révolutionnaires, dans lesquelles on remarque des gants, une
clef et dilférents autres objets qui ont appartenu au saint archevêque de Tarentaise.
Nous avons refait l'histoire de cette Vie, trop incomplète dans le Père Giry, en nous servant, sur-
tout, de la Vie des Saints de Franche-Comté, et de la Vie du Saint, par 51. le chanoine Chevray, in-8»
qui a paru à Baume en 1841.
SAINT HELLADE, ÉVÊQUE D'AUXERRE (387).
Elade ou Hellade, évêque d'Auxerre, tint ce siège après saint Valérien, vers le temps de Valen-
tinien l'Ancien. Commis à la garde du troupeau du Seigneur, il convertit un grand nombre d'âmes
à la foi, par sa parole et par son exemple. Il alla recevoir de son maître céleste la récompense
de ses travaux, la vingt-troisième année de son épissopat, le 8 de mai, vers l'an 385, et fut en-
seveli sur le Mont-Artre, à côté de ses prédécesseurs.
Propre de Sens et Godescard.
SAINT GIBRIEN, PRÊTRE EN CHAMPAGNE (vie siècle).
Gibrien, prêtre, né en Friande, passa en France sur la fin du Ve siècle, afin de servir Dieu avec
pins de liberté. Il eut pour compagnons de son voyage et de son dessein, Hélain, Trésain, Véran,
Abran et Pétran, ses frères, ainsi que ses trois sœurs, Franche, Promptie et Possenne. Ils s'arrê-
tèrent tous sur le territoire de Châlons-sur-Marne. Ils se dispersèrent dans des lieux solitaires,
mais assez voisins les uns des autres pour qu'ils pussent se visiter mutuellement. Gibrien fixa sa
demeure à l'endroit où le ruisseau, nommé Côle alors comme aujourd'hui, se jette dans la
Marne.
Ses frères et ses sœurs venaient souvent le visiter comme un maître de sainteté. Ils avaient
d'ailleurs un grand respect pour lui, et parce qu'il était l'aîné, et parce qu'il était revêtu du sacer-
doce. Mais ce qui lui donnait encore plus d'autorité, c'était son amour extraordinaire pour l'oraison
et pour le travail ; son abstinence admirable dans le manger, et son infatigable activité dans
l'exercice de toutes les vertus. Lorsqu'une heureuse mort eut couronné sa sainte vie, son corps
fut enseveli dans le lieu de sa solitude. Bientôt Dieu fit éclater la gloire de son serviteur par
divers miracles : on construisit un petit oratoire sur soq tombeau; un grand concours s'y faisait,
surtout le jour anniversaire de la célébration de ses obsèques.
Cet oratoire ayant été détruit durant les ravages des Normands, le religieux comte Haderic
obtint de Rodoald, évèque de Châlons, la permission d'emporter où il voudrait le corps de saint
Gibrien. Il le transféra à Reims, et le déposa dans la basilique de Saint-Remy, sous l'épiscopat de
Foulques. Il y est demeuré jusqu'à la Révolution française. Il n'eu reste plus rien. Il y a, dans le
diocèse de Châlons, un village du nom de Saint-Gibrien ; il est situé non loin de l'ancien tombeau.
Ses frères et ses sœurs sont aussi honorés d'un culte public. On compte, dans les diocèses de
Reims et de Châlons, plusieurs églises dédiées sous l'invocation de saint Véran, de saint Hélain,
4e saint Trésain et de sainte Possenne.
404 8 mai.
Il est plus que probable que ces saints voyageurs ont séjourné en Bretagne avant de se rendre
dans le Chàlonais, car il s'y trouve encore plusieurs localités rappelant leurs noms : on connaît,
en Bretagne, une paroisse de Saint-Hélen ; une paroisse de Saint-Vran ; une paroisse et plusieurs
lieux consacrés à saint Abraham (le même probablement qu'Abran) ; la grève de saint Pétranj la
grotte du même Saint en Trézilide.
Propres de Châlons et de Reims, et notes locales.
SAINT DÉSIRÉ, ÉVÊQUE DE BOURGES (550).
Ce Saint était né dans le territoire de Soissons, vers le commencement du vie siècle ; il fut
élevé dans la piété chrétienne et dans l'étude des lettres, avec deux de ses frères, par le soin de
ses parents, que l'on distinguait dans le pays par leur vertu. Il fut fait évêque de Bourges, après
la mort de saint Arcade ; il assista au cinquième concile d'Orléans, assemblé l'an 549, et au second
d'Auvergne, qui se tint au plus tard, au commencement de l'année suivante. Ces conciles condam-
nèrent les erreurs de Nestorius et d'Eutychès, et firent de sages règlements pour la conservation
ou le rétablissement de la discipline ecclésiastique. Après avoir travaillé pendant neuf ans d'épis-
copat à déraciner les erreurs et les vices dans son diocèse, et à rétablir ou à maintenir la bonne
discipline dans toute l'étendue de sa métropole, il mourut le dimanche, 8 mai 550, selon l'opinion
la plus probable.
Gallia christiana.
SAINT WIRON, ÉVÊQUE RÉGIONNAIRE (vers 700).
Ruremonde est une ville du Limbourg hollandais située au confluent de la Roër et de la
Meuse1. Or, à une lieue en amont de Ruremonde, sur la rive gauche de la Roër, se trouve un vil-
lage appelé autrefois Mont-Saint-Pierre, et aujourd'hui Mont-Sainte-Odille. C'est ce lieu alors soli-
taire, où ne parvenaient point les bruits du monde, que Pépin d'Héristal, maire du palais des rois
de France, céda à saint Wiron, pour y faire croître des fruits célestes. Saint Wiron y dédia d'a-
bord un oratoire à la Vierge Marie, afin que cette divine Mère prit comme possession du terri-
toire. Plus tard il y éleva le moutier Saint-Pierre, lequel était solidement construit, dit le chroni-
queur. C'est là aussi qu'avec ses deux compagnons, saint Pléchelm, prêtre, et saint Otger, diacre,
il passa les dernières années de sa vie.
Autant que possible, remontons aux commencements de saint Wiron. Il naquit en Ecosse dans
les premières années du vne siècle. Il reçut dans son enfance une éducation fort chrétienne, et
joignit avec beaucoup de succès l'étude des lettres aux exercices de la piété. Le désir qu'il eut
de s'avancer dans la vertu lui fit choisir pour ses modèles saint Patrice et saint Cuthbert, évêques,
et saint Colomb, abbé, trois Saints des plus célèbres des Iles-Britanniques. Il fut ensuite élevé à
l'épiscopat, sans être apparemment attaché à aucune église particulière, selon un usage qui était
devenu fort commun dans ces iles, où l'on voyait grand nombre de ces évêques régionnaires.
Avant de se laisser ordonner, saint Wiron entreprit le voyage à Rome, qu'il méditait depuis
longtemps, et il le fit, accompagné de saint Pléchelm, prêtre, et de saint Otger, qui était diacre.
Le Pape qui, selon quelques-uns, était saint Serge Ier, les reçut très-bien. Il sacra lui-même saint
Wiron et saint Pléchelm évêques, et tous trois s'en retournèrent dans leur pays, où ils travaillè-
rent chacun dans leurs fonctions, soulageant les évêques qui avaient des diocèses trop vastes.
Quelques années après ils repassèrent tous trois en France, et saint Wiron obtint pour lui
et pour ses deux compagnons le mont de Sainte-Odille, à une lieue de Ruremonde, de la libéralité
de Pépin, dit de Herstal, que la mairie du palais rendait maître d'une partie considérable des
Gaules. Ils s'y retirèrent dans la résolution d'y mener une vie pénitente, entièrement dégagée du
1. Le flamand mond, l'anglais mouth, l'allemand rnund signifient également bonche, embouchure. Les
noms de villes terminés par ce monosyllabe sont donc placés à l'embouchure ou au confluent d'un cours
4'eiu.
LE BIENHEUREUX BERNARD, DOMINICAIN. 405
commerce du monde. Ils y bâtirent une petite église sous l'invocation de la Sainte Vierge, et en
s'y dressant quelques cellules, ils jetèrent les fondements du monastère que l'on y construisit
dans le siècle suivant sous le nom de Saint-Pierre. On prétend que Pépin fut si rempli d'estime
pour la sagesse et la sainteté de Wiron, qu'il voulut l'avoir pour directeur de son âme dans les
voies du salut, et même pour le conseiller de ses desseins dans ses principales entreprises.
Cet emploi ne l'empêcha pas de mener dans la solitude une vie cachée aux hommes, sauf le
temps qu'il donnait à la conversion des peuples. Dieu le retira enfin à lui, pour le récompenser
de sa fidélité et de son zèle. On ne connaît pas au juste l'année, non plus que le jour de sa mort :
on pense que c'est vers l'année 700; on sait seulement qu'il fut enterré dans l'église de la Vierge
sur sa montagne, vers le commencement de la mairie de Charles Martel. Ses compagnons, saint
Pléchelm et saint Otger, ayant aussi heureusement achevé leur carrière, y eurent pareillement leur
sépulture. Leurs corps y furent conservés dans le monastère de Saint-Pierre, jusqu'à ce qu'en
1361 on les transportât à Ruremonde, lorsque s'y fit la transmigration des chanoines de la mon-
tagne de Sainte-Odille. Mais longtemps auparavant, les chanoines d'Utrecht en avaient enlevé une
partie considérable durant les incursions des Normands, ce qui étendit leur culte jusqu'au fond de
la Hollande et dans la Frise. Ce qu'on avait transporté à Ruremonde demeura longtemps caché
sous le grand autel de l'église, qui devint depuis cathédrale, lorsque la ville fut érigée en évê-
ché. C'est ce qui contribua à les garantir, en 1572, de la fureur des Calvinistes. Ces reliques furent
retrouvées l'an 1594, et levées de terre avec honneur, et l'on célèbre encore la fête de cette trans-
lation tous les ans, le mardi après la Trinité, sous le titre de leur élévation. Après la paix de
Nimègue, l'évêque de Ruremonde et le curé du mont Sainte-Odille, l'ancienne demeure de saint
Wiron et de ses compagnons, entreprirent de rebâtir son église ruinée par les guerres. L'ouvrage
fut achevé l'an 1686, et dédié le 10 mai sous le nom de saint Wiron, comme principal patron.
Mais la fête de cette dédicace fut remise au premier dimanche de septembre, pour ne point être
confondue avec celle de la mort du Saint et de ses deux compagnons, qui se célèbre le 10 mai à
Ruremonde, quoique partout ailleurs elle se fasse le 8, jour auquel elle est marquée dans les mar-
tyrologes, et en particulier dans le romain moderne. Deux jours après la consécration de cette église,
l'évêque Reginald Cools y transporta en grande cérémonie la moitié des reliques de saint Wiron, de
saint Pléchelm et de saint Otger, qui étaient dans l'église cathédrale de Ruremonde.
Voyez un ouvrage intitulé Pépin de Landen, par Thyll Lorrain, Baillet, et dans les Bollandistes, t. n
de mai, l'ancienne Vie de saint Wiron.
LE B. BERNARD, DOMINICAIN (après l'année 4265).
Le bienheureux Bernard remplissait au couvent des Dominicains de Santarem, en Portugal,
les fonctions de prêtre-sacristain. Après sa messe, il réunissait les petits enfants qui lui servaient
d'acolytes à lui et aux autres Pères, puis il leur faisait le catéchisme. Ces enfants apportaient
leur déjeuner de chez leurs parents, et quand ils avaient servi quelques messes, ils se réunissaient
dans une espèce de chapelle pour s'y récréer et manger. Or, il y avait dans cet endroit écarté une
statue de la sainte Vierge, tenant sur ses bras l'enfant Jésus ; — Jésus à qui plaisent tant l'inno-
cence et la simplicité des enfants. Il quittait les bras de sa mère et venait partager leur repas.
Cela se renouvela plusieurs fois, après quoi, les servants de messe, peu contents que l'enfant
Jésus n'apportât rien pour le déjeuner, s'en plaignirent à leur maître. Le pieux catéchiste leur
conseilla, dans le cas où leur convive reviendrait les mains vides, de lui tenir le discours suivant :
« Voilà, Seigneur, que vous mangez toujours avec nous et vous ne fournissez rien : en retour,
invitez-nous, ainsi que notre maître, dans la maison de votre Père ». L'enfant Jésus, s'étant pré-
senté de nouveau, ils lui transmirent fidèlement le message. Il leur répondit que l'invitation aurait
lieu et qu'ils se tinssent prêt pour le jour de l'Ascension. Or, l'Ascension était peu éloignée.
Ayant rapporté cela à leur maître, il se prépara à paraître au céleste banquet. Le jour de l'Ascen-
sion, il alla de bonne heure dire sa messe, qui fut servie par ses deux accolytes ordinaires. Le
saint sacrifice achevé, tous trois cessèrent de vivre : le même tombeau les réunit. Quelque tempi
après, leurs corps furent levés de terre et placés dans la chapelle dite des Rois, où un tableau
raconta longtemps la merveille aux générations pieuses.
Acta Sanctorum, tome n de mai.
406 9 mai.
LT JOUR DE MAI
MARTYROLOGE ROMAIN.
A Nazianze, le bienheureux décès de saint Grégoire, évêque, surnommé le Théologien, à
cause de la grande science qu'il avait des choses divines. Il releva à Constantinople la foi catho-
lique qui y était, fort déchue, et réprima les hérésies qui s'élevèrent de son temps. 389. — A
Rome, saint Hermas, dont l'apôtre saint Paul fait mention dans son épitre aux Romains. S'étant
généreusement sacrifié lui-même, il devint une hostie agréable à Dieu, et illustre par ses vertus,
il entra dans le royaume céleste L Vers 95. — En Perse, trois cent dix bienheureux martyrs. — A
Cagli, sur la voie Flaminienne, saint Géronce 2, évêque de Cervia. — A Vendôme, le décès de
saint Dié, coufesseur.in6 s.— A Constantinople, la translation des corps de saint André, apôtre, et
de saint Luc, évangéliste, apportés d'Acnaïe, et de celui de saint Timothée, disciple de l'apôtre
saiut Paul, apporté d'Ephèse. iv« s. Longtemps après, le corps de saint André fut transféré à Amalfi,
où il est honoré par un pieux concours de fidèles : de son tombeau il coule sans cesse une liqueur
pour la guérison des malades. 1208. — A Rome aussi, la translation du corps de saint Jérôme,
prêtre et docteur de l'Eglise, apporté de Bethléem de Juda dans la basilique de Sainte-Marie à la
Crèche. — A Bari, dans la Pouille, encore la translation du corps de saint Nicolas, évêque, ap-
porté de Myre, ville de Lycie. 1087.
MARTYROLOGE DE FRANCE, REVU ET AUGMENTÉ.
A Vienne, en Dauphiné, saint Denys, sixième évêque de cette ville. — A Quimper, en Basse-
Bretagne, saint Tudin ou Tudy, abbé, compagnon des travaux de saint Coreutin; on fait sa fête
le 11 de ce mois. — A Lierneux, près de Staveloo, en Belgique, la translation du corps de saint
Simitre, prêtre romain, mis à mort avec deux autres. On fait sa fête le 26 de ce mois. Règne
d'Antonin. 159. — A Tournay, sainte Languida ou Langoureuse, compagne de sainte Ursule. iue s.
— A Mauriac et dans tout le diocèse de Saint-Flour, fête de Notre-Dame des Miracles.
1. Il s'agit ici de l'auteur du célèbre ouvrage connu sous le nom de Pasteur, dont un manuscrit ap-
porté ces dernières années du mont Sinaï, nous a enfin restitué le texte grec. Hermas semble être un
Helléniste converti par saint Paul (Roin. xyi, 4). On n'a d'autres renseignements biographiques sur cet
écrivain que ceux qu'il a laissés lui-même. Né dans l'esclavage, affranchi plus tard et devenu père de
famille, il s'accuse d'avoir, comme jadis le grand prêtre Héli, trop négligé l'éducation de ses enfants. On
ne sait si dans la suite Hermas embrassa le sacerdoce; il était laïque au moment où il écrivait, et sa
femme n'avait point jusque-là fait profession de continence; c'est du moins ce qu'il est permis de con-
clure d'un passage où il exprime l'espérance de pouvoir un Jour lui donner le nom de sœur. Hermas avait
été riche. Vraisemblablement il avait dû sa fortune au négoce lucratif qui établissait, entre l'Asie et
Rome, des relations d'affaires et des échanges si considérables. Il s'accuse d'avoir, dans ce trafic, multiplié
les dissimulations et le mensonge. Sa prospérité temporelle ne dura point. En lui ôtant les biens de ce
monde, Oieu lui ouvrit le trésor des richesses immortelles. L'Ange de la pénitence lui apparut sous la
forme d'un pasteur vêtu d'un manteau blanc, une panetière sur l'épaule, une houlette à la main. Cet Ange
devait conduire Hermas à Jésus-Christ, et ses instructions, recueillies par l'heureux pénitent, forment le livre
du Pasteur. Toute l'antiquité chrétienne, depuis saint Irénée jusqu'à saint Jérôme, a louange cet ouvrage.
Le Pasteur d'Hermas était lu dans les assemblées des fidèles, non point comme une écriture canonique,
mais comme un traité de théologie morale, une sorte d'Apoealypse pratique, où les vertus de l'Evangile
se présentaient tour à tour en un gracieux tableau, sous forme de vision, de préceptes et de similitudes.
Le nom du pontife Clément (67-76), à qui Hermas remit un des exemplaires de son ouvrage, ■ pour
que la doctrine eu fût communiquée aux nations étrangères », nous donne la date des visions d'Hermas.
Cf. Freppel, les Pères apostoliques ; Darras, Bist. de l'Eglise; Dom Ceillier, nouv. éd.
2. Saint Géronce de Cervia passe pour être celui qui assista le pape Symmaque au quatrième concile
de Rome, célébré en 502. Un autre, du même nom, évêque de Camerino, vécut dans le même siècle et
assista au concile de Rome, sous le pape Hilaire. On en trouve uu troisième parmi les évoques de la
Gaule, auxquels le pape saint Léon adressa son épitre cinquante-deuxième.
SAINT BÉAT OU BIÉ, ANACHORÈTE A LAON. 407
MARTYROLOGES DES ORDRES RELIGIEUX.
Martyrologe des Basiliens. — A Nazianze, le décès de saint Grégoire l'Ancien, évêque, père
de saint Grégoire le Théologien.
Martyrologe des Hiéronymites. — A Rome, la translation de saint Jérôme, notre père.
ADDITIONS FAITES D'APRÈS LES BOLLANDISTES ET AUTRES HAGIOGRAPHES.
A Nocera, en Campanie, çaînt Prisque, évêque, patron de cette ville. — A Nicomédie et aux
environs, les saints Cadrât ou Qoadrat, Saturnin, Rufin et leurs compagnons, martyrs. Sous le
règne de Valérien. — A Axiopolie, en Bulgarie, les saints Quirille, Quindée ou Gindée et Zenon,
martyrs. — A Tarse, en Cilicie, les saints Aphrodise, Joconde et Ferme, martyrs, indiqués par
le Martyrologe de saint Jérôme. — A Milan, les saints Ephénique, Caste et Polyme, diacre, mar-
tyrs, mentionnés à la même source. — A Pavie, sainte Honorée, sainte Lumineuse ou Lumiuose,
sainte Libérate, sainte Spécieuse ou Spéciose, toutes les quatre sœurs de saint Epiphane, qui leur
donna lui-même le voile des vierges. Honorée et Lumineuse, ayant été emmenées en captivité
par Odoacre, chef des Hérules, le barbare les traita cependant honorablement, par considération,
pour leur saint frère, qui les racheta bientôt et les ramena à leur couvent. Honorée, la plus jeune,
iécéda le H janvier, vers 500 ; Lumineuse, le 9 mai, en 496, Libérale, le 16 janvier, vers 495,
et Spéciose, le 16 juin 510. C'est à Lumineuse que saint Epiphane avait confié la tutelle de leur
plus jeune sœur, Honorée, qui était née d'une seconde épouse de leur père, nommée Focarie. —
En Espagne, le vénérable Jean d'Avila, que quelques-uns qualifient de bienheureux. Nous avons
donné sa vie à la suite de celle de saint Jean de Dieu. — A Avella, en Italie, le bienheureux Fort
Gabrielli, qui vécut d'abord solitaire, dans les Apennins, et que le désir de pratiquer l'obéissance
porta à embrasser la vie de communauté dans le monastère de Font-Avellana, fondé depuis peu
par le bienheureux Robert. 11 est surtout honoré à Gubio, sa patrie. En 1756, Benoit XIV a
approuvé son culte. 104t). — A Bologne, le bienheureux Nicolas Albergati, patron et protecteur
de la Confrérie de la Persévérance, composée de trente-trois membres, en l'honneur des trente-
trois ans que Notre-Seigneur Jésus-Christ a passés sur la terre *. — Au mont Pilate, en Suisse,
le bienheureux Jeajj ou Hans Wagner, ermite. 1516. — A Pinave, entre Viane et Logrono, en
Espagne, fête de saint Giégoire, évèque d'Ostie et légat du Pape, qui mourut à Berruegno, en
Navarre. L'église Sain'-Sauveur de Pinave, où l'on trouva son corps, en 1260, a pris, à cause
oe lui, le nom de Saint-Grégoire. On l'invoque contre les sauterelles. On l'honore aussi à Ostie,
en Italie. 1044.
SAINT BEAT OU BIE, ANACHOEETE A LAON
IIIe siècle.
Saint Béat est né en Italie, de parents nobles et riches, au commence-
ment du m8 siècle. De bonne heure il se sentit touché de la grâce ; et, vou-
lant vivre dans l'humilité et la pénitence, il quitta la maison paternelle et
passa dans les Gaules en habits de mendiant. Il était accompagné d'un jeune
homme nommé Isle qu'il formait à la piété et à qui il rendait les services
les plus humiliants. Béat se dirigea d'abord vers la source de la Ga-
ronne pour y annoncer l'Evangile. Il se trouve, en effet, environ à deux
lieues de Bagnères-de-Luchon, une petite ville du nom de Saint-Béat ; elle
ne se compose que de deux rues qui communiquent par un beau pont en
pierre. C'est un souvenir du fruit des prédications de ce pieux missionnaire.
Animé d'un saint zèle pour étendre le royaume de Jésus-Christ, il parcourut
ensuite plusieurs provinces, alla à Nantes, à Vendôme, et en beaucoup
d'autres lieux, convertissant partout un grand nombre d'infidèles par des
1. Voir «on éloge dans le martyrologe romain de demain, et sa vie au 3 mars.
408 9 "Ai-
instructions touchantes, soutenues par une vie irréprochable et par le don
des miracles. Enfin il vint à Laon et choisit pour retraite une grotte dite de
Chevreson ou Chevresson, laquelle était située à la pointe orientale de la
montagne ; aujourd'hui elle se trouve ensevelie sous l'un des bastions de la
citadelle actuelle. Là, Béat menait la vie la plus sainte et la plus austère. Il
passait ordinairement trois jours de suite sans manger, prenait peu de repos
et se livrait à la prière et à un travail continuel. Son occupation était de
faire des paniers et des nattes de joncs. Il les vendait pour subvenir à sa
subsistance et avoir la facilité de faire des aumônes. Il enseignait la voie
du salut à ceux qui venaient le trouver. De temps en temps aussi il allait
à Laon et y annonçait Jésus-Christ vrai Dieu et vrai homme. Il cherchait à
toucher les cœurs en racontant les circonstances douloureuses de la passion
du Sauveur, mort pour le salut du genre humain. La vie mortifiée qu'il
menait, les vertus qu'il pratiquait, étaient pour ses auditeurs une preuve de
la vérité des dogmes qu'il enseignait. Béat eut le bonheur d'implanter la
foi dans le pays Laonnois, et il en est regardé comme l'Apôtre. A son arrivée,
il avait trouvé dans toute la contrée environnante un nombre considérable
de païens. Souvent il se trouva obligé, pour éviter les persécutions, de réunir
ses néophytes dans les grottes qui se prolongeaient fort loin dans les flancs
delà montagne, particulièrement au-dessus du faubourg de Vaux, et jusque
sous l'emplacement actuel de la cathédrale.
Le Seigneur l'aida à triompher de tous les obstacles, et lorsqu'il mourut,
à la fin du 111e siècle, dans un âge très-avancé, il bénissait Dieu en voyant
qu'il laissait après lui des adorateurs en esprit et en vérité du Christ qu'il
leur avait si souvent prêché. — Ces fidèles déposèrent avec respect son corps
dans la caverne qui avait été son séjour habituel. De nombreux miracles
s'opérèrent à son tombeau et augmentèrent la confiance en sa puissante
intercession. Son pèlerinage devint célèbre dans toute la contrée où il était
spécialement invoqué pour la guérison du cancer.
Au bout de quelque temps son corps fut levé de terre et exposé à la
vénération des fidèles. En 1228, l'évêque Anselme fit faire une magnifique
châsse en vermeil et y déposa les reliques de saint Béat, en y ajoutant quel-
ques côtes de saint Gennebaud, un bras de saint Montain, et la tête de sainte
Preuve. On portait solennellement cette châsse en procession jusqu'à la
caverne du Saint, le 9 mai de chaque année ; depuis la disparition de cette
caverne, la châsse était portée en triomphe dans les rues de Laon. En 1564,
Gautier de Mortagne, évêque de Laon, céda un os du bras de saint Béat à
Gérard, abbé de la Trinité de Vendôme, à la condition expresse que, chaque
année, ledit fabbé et ses successeurs feraient célébrer un service pour les
chanoines de Laon décédés.
L'église de Nizy-le-Comte *, bâtie en 1751, fut consacrée sous le vocable
de saint Béat; elle obtint, en 1772, un doigt du Saint et quelques reliques
de saint Gennebaud, de saint Maurice, de saint Guillaume et de sainte Preuve.
Ces précieux restes ont été, en 1858, renfermés dans une même châsse. La
fête du 9 mai se célèbre dans cette paroisse avec la plus grande solennité, et
toute œuvre servile y est interrompue.
La châsse de saint Béat, qui est exposée tous les ans dans la cathédrale
de Laon, renferme un os du fémur et un morceau du crâne. Ces reliques
ont été réconnues authentiques par Mgr de Simony, évêque de Soissons et
de Laon 2.
L'église de la Sainte-Trinité de Vendôme possède encore les reliques de
1. Minaticum ou Ninnaticum. — 2. Henri Congnet, doyen du Chapitre de Soissons.
SAINT GRÉGOIRE DE NAZIANZE, DOCTEUR DE L'ÉGLISE. 409
saint Béat. L'église paroissiale de son nom, qui se trouvait dans cette ville,
a été détruite sur la fin du xvnr3 siècle.
Enfin, il y a, dans le diocèse du Mans, une paroisse qui s'appelle de son
nom Saint-Bié ou Belin.
On le représente appuyé sur un bâton et étendant à ses pieds un dragon,
celui de l'idolâtrie sans doute, quoi qu'en racontent les habitants de Château-
sur-Loir '.
Ce qui précède est tiré en grande partie de l'Histoire du diocèse de Laon, par Dom Lelong, religieux
bénédictin; in-4», 1783. Nous y avons ajouté ce qui concerne ses reliques.
S. GREGOIRE DE NAZIANZE, DOCTEUR DE L'EGLISE,
ARCHEVÊQUE DE CONSTANTINOPLE
312-389. — Papes : Saint Melchiade; saint Sirice. — Empereurs : Constantin; Théodose.
Il aima les livres, il aima les savants, mais les livres
et les savants qui parlaient de Dieu.
Rohrbacher.
Grégoire, surnommé le Théologien, à cause de la connaissance profonde
qu'il avait de la religion, naquit au village d'Azianze, sur le territoire de
Nazianze, petite ville voisine de Gésarée en Cappadoce. Grégoire, son père,
et Nonne, sa mère, sont honorés dans l'Eglise d'un culte public ; l'un le
premier janvier, et l'autre le cinq août.
Nonne, par d'abondantes aumônes, attira sur sa famille les bénédictions
du ciel. Sa charité pour les pauvres ne l'empêchait cependant pas de rem-
plir les devoirs de la justice à l'égard de ses enfants ; elle savait, par une
sage économie, conserver et même augmenter leur bien. Les exercices de
piété emportaient une grande partie de son temps ; mais elle avait une
attention extrême à remplir les devoirs de son état.
Grégoire, son mari, suivait, dès l'enfance, les superstitions du paga-
nisme. Il était de la secte des Hipsistaires, ainsi nommés, parce qu'ils fai-
saient profession d'adorer le Dieu très-haut. Ils adoraient en même temps
le feu, comme les Perses, et observaient avec les Juifs le sabbat et la distinc-
tion des viandes.
Grégoire était le premier magistrat de la ville de Nazianze, et remplissait
les devoirs de sa charge avec beaucoup d'intégrité. Il avait aussi toutes les
vertus morales qui font un honnête homme selon le monde ; il ne lui man-
quait que d'être chrétien. Nonne employait les larmes et les prières auprès
de Dieu pour obtenir sa conversion. Elle fut à la fin exaucée. Son mari ab-
jura le paganisme, et fut baptisé à Nazianze vers le temps où se tint le pre-
mier Concile général de Nicée. Autant il avait apporté de bonnes dispositions
au baptême, autant il prit de soin pour en conserver la grâce. Son mérite le fit
élever peu de temps après sur le siège épiscopal de Nazianze, qu'il gouverna
environ quarante-cinq ans. Il mourut à l'âge de près de quatre-vingt-dix ans.
1. C'est le cas de dire ici : Chacun prêche pour son Saint. Le Propre de Blois et de Chartres disent
que saint Béat mourut dans sa solitude, près de Vendôme. Dom Piolin, Histoire du Mans, dit que ce fut à
Château-sur-Loir, au diocèse du Mans. Enfin, la tradition et les monuments de Laon, dont nous avons
adopté la donnée, affirment que ce fut auprès de cette ville que saint Bié termina sa vie. — Kous nous
contentons de rapporter le différend sans vouloir nom charger de l'arranger.
410 9 mai.
On lit dans les ouvrages de son fils le détail fort édifiant de ses vertus, sur-
tout de son zèle et de son humilité 1. 11 avait eu, avant d'être évêque, trois
enfants : une fille nommée Gorgonie, et deux garçons, qui étaient Grégoire
et Césaire. Nonne, leur pieuse mère, les éleva elle-même dans la piété et
leur apprit à lire dans les livres saints.
Grégoire fut regardé comme le fruit des prières de sa mère; aussi fut-il
consacré au Seigneur dès le moment de sa naissance. Il répondit parfaite-
ment aux soins que prirent ses parents de le former à la vertu. La connais-
sance de Dieu était le principal objet de son étude et, pour croître de plus
en plus dans cette connaissance, il se fit une sainte habitude de lire assidû-
ment les livres de piété. Il eut en sa jeunesse un songe mystérieux, qu'il
rapporte de la manière suivante : « Il me sembla voir deux femmes d'une
rare beauté, qui représentaient, l'une la chasteté, et l'autre la tempérance;
elles me caressaient comme leur enfant et m'invitaient à les suivre. Venez
avec nous », me disaient-elles, « et nous vous élèverons jusqu'à la lumière
de la Trinité immortelle». Dès ce moment, le jeune Grégoire conçut un
ardent désir de vivre dans le célibat. On voit par ses écrits qu'il avait une
estime singulière pour ce saint état ; il en a représenté fort au long l'excel-
lence et les avantages 2. Il est aussi très-énergique lorsqu'il parle de l'obli-
gation de garder le vœu de chasteté ; il donne à la violation d'un pareil
vœu les noms de mort, de sacrilège, de perfidie 3.
Quand il eut appris tout ce qu'il pouvait apprendre dans son pays natal,
il se rendit à Césarée de Palestine, et son frère Césaire à Alexandrie. A
Césarée se trouvait l'école fondée par Origène, et la fameuse bibliothèque
de son disciple, le martyr saint Pamphiie, augmentée par le savant Eusèbe.
De Palestine, il alla rejoindre à Alexandrie son frère Césaire, et passa quel-
que temps avec lui ; après quoi il s'embarqua pour Athènes, qui était tou-
jours regardée comme la métropole des sciences et des lettres. La saison
n'était pus favorable. Il y eut une furieuse tempête de vingt jours. Un mo-
ment, le navire se trouva plein d'eau : alors tout le monde, marins et pilote,
ceux-là mômes qui peu avant ne reconnaissaient aucun dieu, invoquèrent à
haute voix Jésus-Christ, et le navire fut sauvé. Mais on manqua d'eau
douce ; les vases qui en contenaient avaient été précipités à la mer par une
secousse plus violente de la tempête. Un navire marchand de Phénicie,
qu'ils rencontrèrent, eut l'humanité et le courage de leur en passer. Cepen-
dant la tempête ne diminuait point; l'équipage perdait toute espérance. Ce
qui désolait surtout Grégoire, c'est qu'il n'avait pas encore reçu le baptême.
Sa douleur était si grande, que les matelots mêmes en avaient pitié. Il priait
Dieu avec larmes, et lui consacrait de nouveau sa vie entière s'il daignait
le sauver de ce péril. Sa prière fut exaucée : la tempête se calma. Il y eut
plus : tous ceux qui étaient avec lui dans le même navire embrassèrent avec
beaucoup de piété la foi du Christ, et arrivèrent heureusement à Athènes.
Grégoire parle de cette ville avec enthousiasme. On y voyait alors les
maîtres les plus distingués, entre autres l'orateur Anatolius, que Constance fit
préfet du prétoire; le célèbre Diophante, inventeur de l'algèbre, et Prohé-
résius, professeur d'éloquence. L'empereur Constant l'avait appelé dans les
Gaules. En repassant par Rome, Prohérésius s'y fit tellement admirer, que le
sénat lui érigea une statue avec cette inscription : « Rome, la reine de
l'univers, au roi de l'éloquence ».
Ce qui mit le comble au bonheur de Grégoire, ce fut l'arrivée de son
ami saint Basile. Ils se connaissaient déjà ; mais alors leur amitié devint in-
1. Orat. 19, carm. — 2. Carm. 8, etc. — 3. Carm. ».
SAINT GRÉGOIRE DE NAZIANZE, DOCTEUR DE L'ÉGLISE. 411
time. Ils demeurèrent ensemble, eurent une table commune, ne fréquen-
taient de leurs compagnons que les plus chastes et les plus paisibles. Deux
rues seulement leur étaient connues dans la ville : celle qui conduisait à
l'église et aux docteurs qui y enseignaient la foi ; l'autre, qui conduisait aux
écoles publiques et aux maîtres qui enseignaient les sciences humaines. Ils
laissaient aux autres les rues par lesquelles on allait au théâtre, aux specta-
cles et aux divertissements profanes. Leur sanctification faisait leur grande
affaire ; leur unique ambition était d'être de vrais chrétiens. C'était en cela
qu'ils faisaient consister toute leur gloire. Leur vie était fort austère; ils ne
prenaient sur l'argent que leur envoyait leur famille, que ce qui était né-
cessaire pour fournir aux plus indispensables besoins de la nature ; le reste
était distribué aux pauvres. L'envie ne troublait point la tranquillité de leur
âme : ce qui arrivait d'heureux à l'un, causait la joie et le bonheur de l'au-
tre. Ils s'excitaient mutuellement à faire de bonnes œuvres ; et, par une
sainte émulation, ils s'efforçaient de l'emporter l'un sur l'autre dans la pra-
tique du jeune, de la prière et des différents exercices de piété.
Les premiers pour la piété, ils n'en furent pas moins les premiers pour
les sciences et les lettres. Tant de sciences et de vertus excitèrent l'admira-
tion à tel point, que partout où l'on parlait d'Athènes et de ses maîtres ha-
biles, on parlait du merveilleux couple d'amis, Basile et Grégoire, Grégoire
et Basile.
A tant de connaissances précieuses, ils en joignaient une bien nécessaire,
la connaissance des hommes.
Julien, qui fut depuis empereur, vint à Athènes en 355. Saint Basile et
saint Grégoire l'y connurent, parce qu'ils étudièrent quelque temps avec lui
l'Ecriture et les belles-lettres. Quelque déguisé qu'il fût, les personnes
clairvoyantes démêlaient à travers son extérieur le dérèglement de son
esprit. Saint Grégoire présagea dès lors que l'empire nourrissait un monstre
dans son sein ; et ce présage, il le fondait sur je ne sais quoi d'extraordi-
naire qu'on remarquait en ce prince. En effet, Julien avait la démarche peu
assurée, des épaules qui se haussaient et se baissaient tour à tour, la tête
toujours en mouvement, des yeux égarés et inquiets. Il parlait et riait avec
excès. Sa langue, quoique rapide, ne pouvait pas toujours suivre ses pen-
sées ; son discours était quelquefois entrecoupé, et sa voix hésitante ; sou-
vent il faisait des questions et des réponses hors de propos ou qui man-
quaient de justesse *.
Eafwi, arriva un moment pénible. Après trente années consacrées aux
études, Basile et Grégoire allaient quitter Athènes et se quitter l'un l'autre.
Toute la ville s'en émut. Professeurs et élèves entourent les deux amis et
les conjurent de rester. Basile développe si éloquemment les motifs qu'il
avait de retourner dans sa patrie, que, malgré soi, on le laisse partir ; mais
on reLient Grégoire et on le force d'accepter une chaire d'éloquence. Ce ne
fut pas pour longtemps, car peu après il se déroba sans bruit pour aller re-
joindre son ami en Cappadoce. Il arrivait à pied à Constantinople, dans le
même temps que son frère, le médecin, y débarquait d'Alexandrie. Césaire
avait dès lors une telle réputation, que les magistrats de Constantinople,
pour le retenir dans cette ville, lui offrirent un traitement avantageux, une
alliance distinguée et la dignité de sénateur*. A leur demande, l'empereur
Constance lui donna des lettres de citoyen et le nomma son premier méde-
cin. Cependant Grégoire sut persuader à son frère de revenir avec lui dans
leur pays natal, et de lui consacrer les prémices de son art. ïelles étaient
1. Or. 4. 121. — 2. Voir lu Vie de saint Ce'suire. au 25 de février.
412 9 mai.
les études et les mœurs de ce que nous appelons les Pères de l'Eglise.
Mais, pour revenir à Grégoire, plusieurs personnes avaient voulu l'enga-
ger à se fixer à Constantinople. Vous pourrez, lui disait-on, suivre le barreau
ou enseigner la rhétorique ; vous aurez par là occasion de faire briller vos
talents, et de vous avancer promptement dans le monde. Ces discours ne
furent point capables d'éblouir le Saint ; il répondit qu'il portait ses vues
plus loin, et que son dessein était de ne vivre que pour Dieu.
La première chose qu'il fit en arrivant à Nazianze, fut de recevoir le
baptême des mains de son père. Il se dévoua pour lors entièrement au ser-
vice de Dieu. « J'ai donné », dit-il *, « tout ce que j'ai à celui de qui je l'ai
reçu, et je l'ai pris lui seul pour mon partage. Je lui ai consacré mes biens,
ma gloire, ma santé, ma langue et mes talents. Tout le fruit que j'ai retiré
de ces avantages a été le bonheur de les mépriser pour l'amour de Jésus-
Christ » . Mort au monde et à tous ses charmes, il n'avait plus d'ardeur que
pour les choses de Dieu. Du pain, du sel et de l'eau faisaient sa nourriture 2.
Ses habits étaient grossiers, et la terre nue lui servait de lit. Il s'occupait le
jour à des travaux pénibles, et passait une grande partie de la nuit à prier
ou à contempler les perfections divines3. L'éloquence profane qu'il avait
étudiée si longtemps, lui parut, ainsi que les richesses, un objet digne de
mépris. Il n'eut plus de commerce avec ses livres classiques ni avec ceux
qui traitaient de l'art oratoire ; il les abandonna, comme il le dit lui-même *,
aux vers et aux teignes. Les honneurs n'étaient à ses yeux que de vains songes
dont l'illusion séduit les hommes ; il craignait les précipices que l'ambition
creuse sous les pieds de ses esclaves. On ne voyait rien en lui qui annonçât
de l'attachement à la terre ; il était pour ainsi dire hors du monde, et il
n'avait de conversation qu'avec le ciel 5. Cela ne l'empêcha cependant pas
de se charger pour quelque temps du gouvernement de la maison de son
père et de l'administration de ses affaires.
Sa patience fut éprouvée par de cruelles maladies. Le dérangement de
sa santé venait de ses austérités et des larmes qu'il versait avec tant d'abon-
dance et de continuité, qu'elles l'empêchaient quelquefois de dormir 6. Il se
réjouissait dans ses infirmités, qui lui fournissaient l'occasion de pratiquer la
mortification et le renoncement à lui-même 7. Il déplorait avec amertume
les ris immodérés de sa jeunesse qui avaient eu leur principe dans un carac-
tère extrêmement gai. A force de combats, il vint à bout de réprimer jus-
qu'aux mouvements indélibérés de la colère, et de se rendre tellement
maître de lui-même, qu'il n'avait plus que de l'indifférence pour toutes les
choses qui lui étaient auparavant les plus chères. Ses aumônes le rendaient
toujours le plus indigent des hommes ; ses biens étaient à tous ceux qui se
trouvaient dans le besoin, comme un port est à tous ceux qui sont sur mer 8.
Personne n'aima jamais plus que lui la retraite et le silence. Il gémissait
sur les dérèglements qu'entraîne la démangeaison de parler, et sur cette
manie pitoyable qu'ont certaines gens de vouloir s'ériger en maîtres du
genre humain 9.
Depuis longtemps Grégoire désirait rompre tout commerce avec les
hommes, afin de vaquer plus librement au service de Dieu. Ce fut pour
satisfaire à ce désir, qu'en 358, il alla rejoindre saint Basile qui vivait dans
la solitude, près de la rivière d'Iris, dans la province du Pont. Les veilles,
les jeûnes et la prière faisaient les délices de ces deux grands hommes; ils
y joignaient le travail des mains, le chant des psaumes et l'étude de l'Ecri-
l. Or. l, p. 32. — 2. Carm. 2, p. 31. — 3. Carm. 55. — 4. Carm. 1. — *. Or. 29. — 6. Carm. 55. —
7. Ep. 69. — 8. Carm. 4». — 9. Or. », 2.
SAINT GRÉGOIRE DE NAZIANZE, DOCTEUR DE i/ÉGLISE. 413
ture sainte. Ils suivaient pour l'explication des divins oracles, non leurs
propres lumières ni leur esprit particulier, mais la doctrine des anciens
Pères et des Docteurs de l'Eglise '.
Grégoire ne resta dans la solitude qu'autant de temps qu'il lui en fallut
pour connaître les douceurs que l'on y goûte. Son père, âgé de plus de
quatre-vingts ans, le rappela, afin qu'il l'assistât dans le gouvernement de
son diocèse. Pour en tirer plus de secours, il l'ordonna prêtre de force, et
lorsqu'il s'y attendait le moins. Il en usa de la sorte parce qu'il connaissait
les sentiments de son fils à l'égard du sacerdoce, et la difficulté qu'il aurait
de le faire consentir à recevoir l'imposition des mains. On met communé-
ment cette ordination au jour de Noël de l'année 361.
Le Saint se plaignit hautement de la violence qu'on lui avait faite. Il
était inconsolable de son ordination ; il prit la fuite, et alla trouver son ami
Basile pour déposer dans son sein la douleur dont il était accablé. Plusieurs
personnes improuvèrent sa manière d'agir. On disait que sa fuite venait
d'orgueil, d'opiniâtreté ou de quelqu'autre motif semblable. Bientôt Gré-
goire se condamna lui-même. Le châtiment de Jonas, puni pour avoir
désobéi aux ordres de Dieu, lui inspira d'autres sentiments. Il revint à
Nazianze, d'où il était absent depuis dix semaines, et y prêcha son premier
sermon le jour de Pâques.
Ce discours fut bientôt suivi d'un second qui porte le titre d'Apologie,
parce que le Saint y justifie sa fuite. La matière qui en fait le sujet est très-
importante. Grégoire y traite de la dignité et des dangers du sacerdoce,
des devoirs des prêtres, de la sainteté requise pour approcher de l'autel et
pour paraître devant un Dieu qui est la pureté même ; de la difficulté de
gouverner les consciences, et d'appliquer les remèdes convenables aux dif-
férentes maladies des âmes : de la science nécessaire aux ministres sacrés,
afin qu'ils puissent éclaircir les doutes des fidèles et réfuter les erreurs. De
tout ce détail, il conclut qu'il a eu raison de trembler à la vue du fardeau
dont on voulait le charger, et qu'il a dû au moins se préparer quelque
temps au sacerdoce par la prière, la pénitence et la méditation. Il est vrai,
ajoute-t-il, que la crainte du compte terrible que Dieu demandera de la
conduite des âmes m'a fait quelque temps refuser le travail ; mais, comme
un autre Jonas, je suis revenu pour accomplir les devoirs de l'état auquel
j'ai été appelé. J'espère que l'obéissance me soutiendra au milieu des dan-
gers et qu'elle m'obtiendra de Dieu les grâces dont j'ai besoin.
Dans le discours dont nous venons de parler, saint Grégoire loue l'église
de Nazianze pour l'union de ses membres et leur attachement à la vraie foi.
Malheureusement cette unanimité fut troublée sur la fin du règne de Ju-
lien 2. L'évêque de Nazianze signa un écrit dressé par les partisans secrets de
l'arianisme, et conçu en termes équivoques et captieux. Il s'y était prêté
par complaisance pour quelques personnes qu'il espérait faire rentrer dans
le sein de l'Eglise : mais cette démarche imprudente scandalisa ses diocé-
sains ; les plus zélés, surtout les moines, refusèrent de communiquer avec
lui. Son fils, prévoyant les suites funestes de cette division, mit tout en
œuvre pour l'étouffer dès sa naissance, et il sut si bien manier les esprits,
qu'il réconcilia parfaitement le troupeau avec le pasteur. Dans cet accom-
modement, il joignait la fermeté à la douceur, en sorte qu'il n'accorda rien
à l'erreur de ceux qui avaient séduit son père, et qui, en lui arrachant une
souscription, avaient fait douter de la pureté de sa foi. Il prononça un beau
discours à l'occasion du rétablissement de la paix dans l'église de Nazianze 3,
1. Ruiin, Eist., 1. ii, c. 9, p. 254. — 2. (V. 3, p. 53. — 3. Or. 12.
414 9 MAI.
Quelque temps après la mort de Julien, il composa ses deux discours
contre ce prince apostat. Il y parle avec cette force qu'employaient les
Prophètes lorsque, par l'ordre de Dieu, ils reprenaient les crimes des rois
impies. Son unique but était de défendre l'Eglise contre les païens, en
démasquant l'injustice, l'impiété et l'hypocrisie de son plus dangereux per-
sécuteur.
Saint Grégoire eut enfin la consolation de voir son frère Césaire renon-
cer au monde, afin de ne vivre plus que pour Dieu ; mais la mort le lui en-
leva au commencement de l'année 368. Césaire fut enterré à Nazianze, et
l'Eglise l'honore d'un culte public. Saint Grégoire prononça son oraison
funèbre. Dans le détail qu'il donne de ses vertus, il fait remarquer qu'au
milieu des honneurs, il regarda toujours l'avantage d'être chrétien comme la
première des dignités et le plus glorieux de tous les titres. Il prononça aussi
l'oraison funèbre de sainte Gorgonie, sa sœur, qui mourut peu de temps
après. Il y relève sa ferveur dans la prière, son humilité, sa résignation,
son respect pour les ministres sacrés et les choses saintes, sa libéralité
envers les pauvres, ses mortifications, son zèle pour l'éducation de ses en-
fants , etc. Il regarde comme miraculeuse la guérison d'une paralysie
qu'elle obtint en priant devant l'autel, ainsi que la conservation de sa vie
après les meurtrissures dangereuses qu'elle s'était faites en tombant de
son char.
En 372, la Gappadoce fut divisée, par l'ordre de l'empereur, en deux
provinces. Celle qu'on appelait la seconde eut la ville de Tyane pour capi-
tale. Cette division causa du trouble dans l'Eglise. Anthime, évêque de
Tyane, prétendait avoir une juridiction archiépiscopale sur la seconde Cap-
padoce. Saint Basile s'opposa à cette prétention ; il réclama son droit comme
archevêque de Césarée, et soutint qu'une division purement civile ne lui
ôtait point la qualité de métropolitain de la Cappadoce. L'amour de la paix
lui fit cependant relâcher quelque chose dans la suite : il consentit que le
siège de Tyane fût regardé comme la métropole de la seconde Cappadoce.
Durant la contestation, saint Basile élut Grégoire, son ami, évêque de
la ville de Sasimes, qui était de la petite division qu'on lui disputait. Gré-
goire s'opposa à son élection. Il se soumit pourtant à la fin par un effet de
l'autorité réunie de son père et de son ami. Il fut sacré par saint Basile à
Césarée, vers le milieu de l'année 372. Après la cérémonie, il revint à Na-
zianze, en attendant, pour prendre possession de son Eglise, une occasion
favorable qui ne se présenta jamais. En effet, Anthime, qui avait mis le
nouveau gouverneur dans ses intérêts, et qui était maître de tous les che-
mins, l'empêcha de pénétrer jusqu'à Sasimes. Saint Basile ayant accusé Gré-
goire de manquer de courage, celui-ci lui répondit qu'il n'était point dis-
posé à combattre pour un siège épiscopal 1. Il gouverna cependant celle de
Nazianze, sous son père, qui était fort âgé, et qui mourut l'année suivante.
Il se chargea lui-même de l'oraison funèbre de ce vénérable vieillard, et il
la prononça en présence de saint Basile et de sainte Nonne, sa mère, qui ne
survécut pas de beaucoup à son mari.
Son dessein, après la mort de son père, était de vivre dans la solitude,
qui avait toujours été l'objet de ses plus ardents désirs ; mais on le pressa
si vivement de ne point abandonner l'église de Nazianze, qu'il consentit à
en prendre soin jusqu'à ce que les évêques de la province lui eussent donné
un pasteur.
Comme cette affaire traînait en longueur, et que d'ailleurs sa santé était
1. L. vu, c. 5.
SAINT GRÉGOIRE DE NA.ZÏANZE, DOCTEUR DE L'ÉGLISE. 415
considérablement dérangée, il se retira, en 375 à Séleucie, métropole de
l'Isaurie. Il passa cinq ans dans cette ville. La mort de saint Basile, arrivée
en 378, fut pour lui un coup très-sensible. Il composa, en l'honneur de son
ami, douze épigrammes ou épitaphes. Il prononça son panégyrique à Césa-
rée quelques années après, c'est-à-dire en 381 ou 382.
La persécution ayant cessé par la mort de l'empereur Valens, qui périt
misérablement en 378, la paix fut enfin rendue à l'Eglise. Les évoques ca-
tholiques cherchèrent les moyens de réparer les ravages que l'hérésie avait
faits ; ils tinrent, -pour cet effet, plusieurs assemblées, et résolurent d'en-
voyer des hommes aussi savants que zélés dans les provinces où la sainte
doctrine avait le plus souffert. De toutes les Eglises, il n'y en avait point
qui fût dans un état aussi déplorable que celle de Gonstantinople. Elle gé-
missait depuis quarante ans sous la tyrannie des Ariens. Le peu de catho-
liques qui y restaient, avaient été longtemps sans pasteur et même sans
église. Ils s'adressèrent à Grégoire, dont ils connaissaient le savoir, l'élo-
quence et la piété, et le conjurèrent instamment de venir à leur secours. Ils
engagèrent plusieurs évoques à se joindre à eux, afin d'obtenir plus sûre-
ment l'effet de leurs prières. Tant de sollicitations réunies furent quelque
temps inutiles, rien ne pouvant tirer Grégoire de sa retraite de Séleucie, où
il vivait dans un parfait détachement du monde. A la fin, cependant, il fut
forcé de se rendre.
Il vint donc à Constantinople, en 379, pour se mettre à la tête de ce dio-
cèse, sans toutefois en être. Il fut d'abord assez mal reçu. Les habitants de
cette ville, amateurs du faste, méprisèrent un homme déjà cassé par l'âge,
ayant la tête chauve, et le visage exténué de larmes et d'austérités, revêtu
d'habits grossiers, montrant en tout les marques d'une extrême pauvreté.
Les Ariens en firent le sujet de leurs railleries : ils l'accablèrent d'injures et
noircirent même sa réputation par leurs calomnies. La persécution devint
générale ; les grands, comme le peuple, traitaient l'homme de Dieu de la
manière la plus indigne : mais ils ne faisaient que lui procurer par là l'oc-
casion d'acquérir le glorieux titre de confesseur.
Grégoire logea chez des parents qu'il avait à Constantinople, et c'était
dans leur maison que les orthodoxes s'assemblaient pour l'entendre. Quel-
que temps après, il changea celte maison en une église à laquelle il donna
le nom d'Anastasie ou de résurrection, parce que ce fut là où ressuscita,
pour ainsi dire, la foi catholique, qui, jusqu'alors, avait été si fortement
opprimée dans cette ville. On lit dans Sozomône ', que le nom d'Anastasie
fut confirmé à cette église par un miracle. Une femme enceinte, dit cet au-
teur, s'y étant tuée en tombant du haut d'une galerie, recouvra la vie par
les prières des fidèles assemblés. On y déposa depuis le corps de sainte Anas-
tasie, vierge et martyre, qui fut apporté de Sirmich à Constantinople, vers
l'an 460 2. Il ne faut pas confondre cette église avec une autre du même
nom, qui était entre les mains des Novatiens, sous les règnes de Constance
et de Julien l'Apostat3.
Le Saint faisait assidûment des instructions dans sa petite église, et il
voyait avec joie que le nombre de ses auditeurs augmentait tous les jours.
Les Ariens et les Apollinaristes, réunis avec divers autres hérétiques, tâ-
chaient d'empêcher l'effet de ses discours, en le diffamant par des calom-
nies atroces; ils avaient même recours à la violence. Us le poursuivaient à
coups de pierres dans les rues; ils le traînaient devant le magistrat comme
un brouillon qui ameutait le peuple. Le Saint souffrait avec patience tous
1. Ep. 32. — 2. Théod., Lect., 1. h, p. 19, I. — 3. Socrate, t. h. c. 38.
416 9 mai.
ces mauvais traitements. «Il est vrai », se disait-il à lui-même, « que le
parti des hérétiques est le plus fort; mais je combats pour la bonne cause.
S'ils possèdent les églises, j'ai Dieu dans mes intérêts. Qu'ils ne se glorifient
pas d'avoir le peuple de leur côté; j'ai avec moi les anges qui me protègent
et me défendent » .
Le saint pasteur menait une vie fort retirée; jamais il ne faisait de vi-
sites, à moins que la nécessité ne l'y obligeât. Le temps qu'il n'employait
point aux fonctions du ministère était consacré à la méditation. Il ne se
nourrissait que de pain et d'herbes assaisonnées d'un peu de sel. On voyait
sur ses j oues les traces des larmes qu'il versait presque continuellement. Nuit
et jour il implorait la miséricorde divine sur son troupeau. Tous ceux qui
l'entendaient ne pouvaient s'empêcher d'admirer son profond savoir, ainsi
que le rare talent qu'il avait de rendre sensibles les vérités les plus abstraites
et de s'exprimer avec autant de clarté que d'élégance. Les hérétiques et les
païens, s'étant humanisés peu à peu, eurent la curiosité d'aller l'entendre,
et, malgré leurs préventions, ils furent forcés de reconnaître la supériorité
de son mérite. Chaque jour le fruit de ses discours devenait plus sensible.
Le nombre des catholiques s'augmentait de plus en plus. Les partisans de
l'erreur ouvraient les yeux et s'empressaient de rentrer dans le sein de
l'Eglise. Il n'y avait qu'une chose qui affligeât le Saint : c'étaient les ap-
plaudissements avec lesquels on écoutait ses sermons; il craignait que son
cœur ne fût infesté par le poison de la vaine gloire ; et cette crainte faisait
qu'il ne parlait en public, qu'avec une sorte de timidité et d'embarras. On
ne lui reprocha jamais de flatter les grands. L'unique but de ses discours
était d'expliquer et d'affermir la foi catholique et de réformer le désordre
de ses mœurs. Il s'élevait fortement contre la manie de disputer sur les ma-
tières de religion, abus qui était alors fort commun à Constantinople. La
voie du salut est fermée, selon lui, à tous ceux que possède l'esprit de dis-
pute. On ne peut aller au ciel que par l'observation des commandements
du Seigneur l. Il faut donc avoir soin de faire l'aumône, d'exercer l'hospita-
lité, de visiter et de servir les malades, de prier, de gémir sur ses péchés, de
mortifier ses sens, de réprimer les saillies de la colère, de veiller sur sa
langue, d'assujétir la concupiscence.
Les vertus et les talents de Grégoire attiraient auprès de lui un grand
nombre de personnes. Saint Jérôme quitta les déserts de la Syrie pour venir
à Constantinople. Il se rangea parmi les disciples du Saint; il étudia sous
lui l'Ecriture, et il se glorifia toujours d'avoir eu un tel maître, comme
nous le voyons par ses écrits.
Le merveilleux succès des travaux de saint Grégoire excita l'envie du
démon et de ses ministres. Du nombre de ces derniers fut un faux chré-
tien qui faisait profession de la philosophie cynique : c'était le fameux
Maxime, né dans la ville d'Alexandrie. Ce fourbe, tout rempli de l'impu-
dence et de l'orgueil de sa secte, se rendit à Constantinople, où il sut dé-
guiser, sous un extérieur hypocrite, l'ambition qui le dévorait, ainsi que
ses autres vices. Il en imposa d'abord à plusieurs personnes. Saint Grégoire
tomba lui-même dans le piège, et prononça, en 379, l'éloge de Maxime â.
Ce loup, caché sous la forme d'une brebis, gagna quelques laïques et un
mauvais prêtre ; après quoi il se fit ordonner clandestinement évêque de
Constantinople. Il reçut l'imposition des mains de quelques évêques
1. Carm. 1.
2. Nous l'ayons encore sous le titre d'Eloge du philosophe Héron. Saint Jérôme pense qu'il faut subs-
tituer le nom de Maxime à celui de Héron.
SAINT GBÉGOIRE DE NAZIANZE, DOCTEUR DE i/ÈGLISE. 417
d'Egypte, qui étaient arrivés depuis peu pour cet effet. Une ordination aussi
irrégulière souleva tout le monde. Le pape Damase écrivit une lettre où il
témoigna la douleur que lui causait un tel crime, et où il déclarait que
l'élection de Maxime devait être regardée comme nulle. L'empereur Théo-
dose le Grand, qui était pour lors à Thessalonique, montra aussi beaucoup
d'indignation contre l'intrus.
Lorsque ce prince fut arrivé à Constantinople, il proposa à Démophile,
évêque arien, ou de recevoir la doctrine du concile de Nicée, ou de sortir
de la ville. Celui-ci se décida pour le dernier parti. Théodose, ayant vu
Grégoire, lui donna de grandes marques de son estime et de son affection.
Les catholiques, lui dit-il en l'embrassant, vous demandent pour évêque,
et je vous assure que leur choix est très-conforme à mes désirs. Quelques
jours après son arrivée, il ôta les églises aux Ariens, et mit Grégoire en pos-
session de celle de Sainte-Sophie, dont toutes les autres dépendaient.
Durant la cérémonie, le peuple demanda tout d'une voix que Grégoire
fût évêque de Constantinople. Les cris que l'on entendait de toutes parts
causèrent une espèce de confusion. Le Saint cependant la fit cesser, en di-
sant que pour le moment on ne devait penser à autre chose qu'à remercier
le Seigneur d'avoir rétabli la vraie foi. La modestie qu'il montra en cette
occasion reçut de grands éloges de la part de l'empereur.
Il y avait de la difficulté par rapport au siège de Constantinople. On ne
pouvait le remplir qu'après qu'un concile l'aurait déclaré vacant, et qu'il
aurait annulé l'ordination de Démophile, ainsi que celle de Maxime le Cy-
nique. Heureusement les évêques de tout l'Orient étaient alors assemblés à
Constantinople. C'était saint Mélèce, patriarche d'Antioche, qui présidait
au concile. Les Pères, à sa sollicitation, prirent le parti de Grégoire de Na-
zianze, et l'établirent canoniquement évêque de Constantinople, sans avoir
égard aux larmes que son humilité lui faisait verser.
Saint Mélèce étant mort durant la tenue du concile, Grégoire y présida
dans les dernières sessions. Il mit tout en œuvre pour rétablir la paix dans
l'église d'Antioche, troublée parle schisme; cela augmenta ses ennemis:
ils tentèrent de lui enlever, non-seulement sa dignité, mais la vie. Une fois,
entre autres, ils chargèrent un assassin de les défaire d'unhomnesi odieux.
Le ciel permit que leur fureur ne fût pas servie comme ils le désiraient.
L'assassin, touché de remords, s'approcha du Saint, les yeux baignés de
larmes, frappant sa poitrine et avouant son crime. Grégoire lui répondit :
« Que Dieu vous le pardonne; sa bonté qui m'a conservé demande que je
vous accorde votre grâce. Vous êtes présentement à moi par votre crime :
mais je ne vous demande qu'une chose, c'est de renoncer à l'hérésie et de
vous donner sincèrement à Dieu ». Cette douceur fit beaucoup de partisans
au saint évêque, même parmi les Ariens. La bonté avec laquelle il traita
ses plus ardents persécuteurs, ne fut désapprouvée que de certains catho-
liques qui se laissaient conduire par les saillies d'un zèle indiscret.
Sur ces entrefaites, les évêques d'Egypte et de Macédoine arrivèrent au
concile. Ils s'opposèrent à l'élection de notre Saint, alléguant qu'elle était
contraire aux canons, qui défendaient de transférer un évêque d'un siège à
un autre. Le Saint répondit avec tranquillité que les canons allégués avaient
perdu leur force en Orient par le non-usage, ce qui était de la plus grande
notoriété; il ajouta que d'ailleurs ils ne pouvaient le regarder, puisqu'il
n'avait point pris possession du siège de Sasimes et qu'il n'avait jamais gou-
verné le diocèse de Nazianze en qualité d'évêque titulaire. Voyant que ses
raisons ne produisaient aucun effet, et qu'il y avait beaucoup de fermenta-
Vies des Saints. — Tome V. 27
418 9 MAI.
tion dans les esprits, il s'écria au milieu de l'assemblée : « Si mon élection
cause tant de troubles, je consens à subir le sort de Jonas; qu'on me jette
dans la mer pour apaiser la tempête, quoique je ne l'aie point excitée. Si
tous veulent suivre mon exemple, l'Eglise jouira bientôt d'une paix pro-
fonde. Je n'ai jamais désiré d'être évêque, et si je le suis, c'est contre ma
volonté. S'il vous paraît expédient que je me relire, je suis prêt à retourner
dans ma solitude, afin que l'Eglise de Dieu puisse enfin devenir tranquille.
Je vous prie seulement de réunir vos efforts pour que le siège de Constanti-
nople soit rempli par une personne de vertu et qui ait du zèle pour la dé-
fense de la foi ». Après avoir ainsi parlé, il sortit de l'assemblée, fort con-
tent de s'être déchargé d'un fardeau si pesant *. Les évoques furent
extrêmement surpris de sa démarche; mais ils eurent la faiblesse d'accepter
sur-le-champ sa démission.
Au sortir du concile, Grégoire se rendit au palais. S'étant prosterné aux
pieds de l'empereur et lui ayant baisé la main, il lui dit : « Je viens, Sei-
gneur, non dans le dessein de demander des richesses et des honneurs pour
moi ou pour mes amis, ni pour solliciter votre libéralité envers les églises;
je viens demander la permission de me retirer. Vous savez que j'ai été placé
malgré moi sur le siège de cette ville. Je suis devenu odieux, même à mes
amis, parce que j'envisage uniquement les intérêts du ciol. Je vous conjure
d'agréer ma démission. Ajoutez à la gloire de vos triomphes celle de
rétablir dans l'Eglise l'unité et la concorde ». L'empereur fut singulière-
ment frappé d'une telle grandeur d'àme; et ce ne fut qu'avec beaucoup de
peine qu'il accorda au saint évêque ce qu'il demandait avec tant d'ardeur.
Grégoire fit ses adieux par un beau discours qu'il prononça dans la grande
église en présence des Pères du concile et d'une multitude innombrable de
peuple 2. Il y compare l'état où il avait trouvé l'Eglise de Constantinople, à
son arrivée, avec l'état où il la laisse en se retirant. 11 y rend grâces à Dieu
du rétablissement de la foi catholique; il y proteste qu'il s'est conduit avec
le plus parfait désintéressement depuis son élection, et qu'il ne s'est rien
approprié des revenus du siège épiscopal : il y reproche à la ville son amour
pour les spectacles, le luxe et la magnificence : et comme on l'accusait de
porter trop loin la simplicité de son extérieur et de ne pas soutenir l'éclat
de sa dignité, il fait ainsi son apologie : « Je ne savais pas qu'il fût de mon
»ir de le disputer en faste aux consuls, aux gouverneurs, aux généraux
d'armée, qui ne savent employer leurs richesses qu'à une pompe mon-
daine. J'ignorais qu'on pût se servir du bien des pauvres pour se nourrir
délicatement, pour monter un beau cheval, pour se faire traîner dans un
char pompeux, pour entretenir une foule de domestiques. Si, en agissant
d'une autre manière, je vous ai offensés, la faute est faite, et j'espère que
vous me la pardonnerez » . Il finit son discours en prenant congé de sa
chère Anastasïe, qu'il appelle sa gloire et sa cowonne, des autres églises de
la ville, des saints apôtres qui y étaient honorés; de son trône épiscopal, de
son clergé, des moines et de tous les serviteurs de Dieu, de l'empereur et
de toute la cour, de l'Orient et de l'Occident, des anges tutélaires de son
église, et de la sainte Trinité qu'on y honorait. « Mes chers enfants », ajou-
ta-t-il, « gardez le dépôt de la foi, et souvenez-vous des pierres qu'on m'a
jetées, parce que je travaillais à mettre la vraie doctrine dans vos cœurs ».
Cependant les fidèles, ceux surtout qu'il avait d'abord gagnés à Jésus-
Christ, étaient inconsolables. Ils lui avaient déjà donné des preuves de l'at-
tachement le plus tendre, en souffrant diverses persécutions pour l'amour
1. Carm. 1. — 2. Or. 32.
SAINT GRÉGOIRE DE NAZIAJS'ZE, DOCTEUR DE i/ÉGLISE. 419
de lui. Ils le suivirent en pleurant et le conjurant de rester avec eux. Gré-
goire fut attendri par leurs larmes; mais des motifs supérieurs l'obligèrent
à exécuter son dessein. Rendu à lui-même, il en ressentit une grande joie,
comme il le manda depuis à l'un de ses amis. « Je ne puis assez estimer »,
disait-il, « les avantages que mes ennemis m'ont procurés par leur jalou-
sie; ils m'ont délivré du feu de Sodome en me délivrant des dangers de
l'épiseopat 1 ».
Avant de donner sa démission, il avait fait son testament que nous avons
encore. Il est signé par six évoques et par un prêtre, et les formalités pres-
crites par le droit romain y sont observées. Le Saint y confirme la donation
de tous ses biens réels et personnels à l'église et aux pauvres de Nazianze.
Le peu qu'il se réservait pour vivre, il le léguait à quelques-uns de ses amis
et de ses serviteurs qui étaient dans le besoin.
On est étonné de la conduite qui fut tenue à l'égard de saint Grégoire,
quand on se rappelle tout ce qu'il fit à Gonstantinople. Par son zèle, il avait
retiré de l'arianisme la plus grande partie des habitants de cette ville. Sa
douceur et sa patience avaient triomphé de l'opiniâtreté des hérétiques.
Jamais il ne voulut user du pouvoir qu'il avait de les faire punir de toutes
les persécutions qu'ils lui suscitèrent 2 ; il engagea les catholiques à les trai-
ter avec la même modération. La vengeance, leur disait-il, est défendue
aux disciples de Jésus-Christ. Ils doivent souffrir patiemment, et rendre
toujours le bien pour le mal 3.
Le rétablissement de la foi devait être suivi de la réformation des
mœurs. Déjà le Saint avait travaillé efficacement à ce dernier objet; mais
on ne lui donna pas le temps d'achever ce qu'il avait si heureusement com-
mencé. Les vrais fidèles se seraient au moins consolés, si on ne lui eût pas
donné Nectaire pour successeur.
Nectaire était sénateur romain et en même temps préteur ou gouver-
neur de Constantinople. Non-seulement il était laïque, mais il n'était pas
même baptisé lorsqu'on procéda à son élection ; il avait vécu dans l'incon-
tinence et montré peu de sagesse en plusieurs occasions; toutes ces cir-
constances doivent faire rabattre beaucoup des louanges que lui a données
l'historien Socrate. Il paraît aussi qu'il ne possédait point le talent de la
parole 4.
Saint Grégoire était parti de Constantinople avant l'élection de Nectaire.
Nazianze fut le lieu qu'il choisit pour sa demeure. Il y composa le poëme de
sa vie, où il insistait particulièrement sur la conduite qu'il avait tenue à
Constantinople. Son but était en cela de détruire diverses calomnies que
l'on publiait contre lui. Il travailla de toutes ses forces à faire donner un
évêque à la ville de Nazianze ; mais il n'y put réussir, à cause des opposi-
tions d'une partie du clergé.
Le mauvais état de sa santé l'obligea bientôt de se retirer à Arianze. On
croit que ce fut avant la fin de l'année 381. Il ne regrettait dans sa solitude
que l'absence de ses amis 5. Quoiqu'il eût toujours été fort circonspect en
ses discours, il ne laissait pas de s'accuser d'avoir trop peu veillé sur sa
langue. Pour se punir de toutes les paroles inutiles qu'il avait proférées, il
garda un silence absolu pendant les quarante jours du Carême de l'an-
née 382. Malgré sa vie retirée, il ne refusait point de se communiquer aux
1. Ep. 73. — 2. Or. 32. — 3. Or. 24.
4. Cette observation est de Tillemont. Pallade en fait une toute semblable sur Arsace, frère de Nec-
taire, que l'on mit sur le siège archiépiscopal de Constantinople au prdjudiee de saint Chrysostonie.
5. Carm. 147 et Ep. 173.
420 9 mai.
personnes qui avaient besoin de ses lumières : il donnait d'excellents avis à
tous ceux qui le consultaient. Rien n'est plus sage que les règles de con-
duite qu'il trace pour les femmes mariées, dans son poëme panérétique à
sainte Olympiade. Entre autres choses, il lui dit : « Premièrement, honorez
Dieu; respectez ensuite votre mari comme l'œil de votre vie, car il doit
diriger vos actions et toute votre conduite. N'aimez que lui; qu'il soit votre
joie et votre consolation. Ne lui donnez jamais l'occasion de se fâcher contre
vous. Cédez-lui lorsqu'il est en colère; assistez-le, consolez-le dans ses
peines et dans ses afflictions. Parlez-lui avec beaucoup de douceur et avec
tendresse : soyez modeste dans les remontrances que vous lui ferez, et pre-
nez pour cela un moment favorable. Imitez ceux qui veulent apprivoiser les
lions; au lieu d'user de violence à leur égard, ils les flattent et les caressent.
Compatissez aux faiblesses de votre mari, et ne les lui reprochez jamais
avec amertume. Il ne vous est pas permis d'en agir de la sorte envers celui
que vous devez préférer à tout ce qu'il y a dans le monde ». Le Saint fait
des vœux pour qu'Olympiade devienne mère de plusieurs enfants, et cela
afin qu'il y ait plus d'âmes qui chantent les louanges de Jésus-Christ *.
« Une des maximes qu'il inculquait fortement, était qu'il faut commencer
et finir chaque action en offrant à Dieu, par une courte prière, son cœur et
tout ce que l'on fait 2. Nous devons à Dieu tout ce que nous sommes et tout
ce que nous avons. Il accepte et récompense nos plus petites actions, lors-
qu'il en est le principe; il a égard pour lors, non au peu que nous faisons,
mais aux sentiments dont nous sommes animés. Il ne rejette point un cœur
qui, dans la pauvreté, donne ce qu'il a et ce qu'il est capable de donner
pour reconnaître, autant qu'il est en lui, les bienfaits et le souverain do-
maine de son Seigneur ».
Cependant le siège de Nazianze était toujours vacant. Saint Grégoire,
comme nous l'avons dit, avait été obligé d'en prendre le gouvernement
après la mort de son père, et il l'avait confié à Clédonius durant son ab-
sence. Il voyait avec douleur différents abus auxquels un évêque seul pou-
vait remédier. Il s'était déjà donné des mouvements pour en faire élire
un : mais ils ne lui avaient pas réussi. Il redoubla ses efforts en 382, et
l'église de Nazianze eut enfin un pasteur. Le choix tomba sur un vertueux
prêtre nommé Eulalius.
Le Saint résolut de passer le reste de ses jours dans la retraite, auprès
d'Arianze. Il était alors fort âgé et très-infirme; mais cela ne l'empêchait
pas de rendre encore service à l'Eglise, et surtout à celle de Nazianze. Il y
avait dans sa solitude un jardin, une fontaine et un petit bois, qui lui fai-
saient goûter les plaisirs innocents de la campagne, les seuls qu'il se permît.
Là, il pratiquait toutes sortes de mortifications corporelles; il jeûnait et
veillait souvent; il priait beaucoup à genoux. Ecoutons-le lui-même : « Je
vis au milieu des rochers et des bêtes sauvages. Je ne vois jamais de feu, et
je ne me sers point de chaussure. Une simple tunique fait tout mon vête-
ment 3. Je couche sur la paille, et je n'ai qu'un sac pour couverture. Mon
plancher est toujours arrosé par des larmes que je répands 4 ».
Sur la fin de sa vie, il se mit à composer des poèmes sur des sujets de
piété, afin de contribuer à l'édification de ceux des fidèles qui aimaient la
musique et la poésie. D'ailleurs, les Apollinaristes avaient fait des poëmes
pour répandre leurs erreurs; le plus sûr moyen de les discréditer était de
1. Quo plures célèbrent magni prxcania Régis, t. il, page 144. — 2. Or. 1, p. 1; Or. 9, pages 152, 153,
154, etc. — 3. Carm. 5 et GO. — 4. Carm. 147.
SAINT GRÉGOIRE DE NAZIANZE, DOCTEUR DE L'ÉGLISE. 42i
leur en opposer d'autres qui fussent orthodoxes, et dont la lecture pût ins-
truire et édifier en même temps qu'elle délasserait l'esprit.
Dans ses poèmes, saint Grégoire raconte l'histoire de sa vie et de ses
souffrances; il y publie ses tentations, ses faiblesses, ses fautes, et entre, à
cet égard, dans un bien plus grand détail que lorsqu'il est question des
choses qui pourraient lui faire honneur. Il s'y plaint, malgré sa vieillesse
et ses austérités, d'éprouver toujours les révoltes d'une chair corrompue;
mais il reconnaît en même temps que la grâce a conservé en lui le trésor
précieux de la virginité. Ces tentations lui arrivaient par un effet de la mi-
séricorde divine : elles le prémunissaient contre les pièges de l'orgueil et
l'entretenaient dans la vigilance, en l'avertissant sans cesse de la nécessité
de combattre. Ses poésies sont encore remplies d'aspirations enflammées par
lesquelles il sollicite le secours de Jésus-Christ. Il y déclare que nous sommes
dans une dépendance absolue du Sauveur. « Sans sa grâce », dit-il, « nous
ne sommes que des esclaves qui exhalent une odeur de péché; il nous est
aussi impossible d'opérer le bien, qu'il l'est à un oiseau de voler sans ailes,
et à un poisson de nager sans eau. C'est lui qui nous fait voir, agir et cou-
rir 1 ». Le Saint, non content de veiller et de prier, s'éloignait de tout ce
qui pouvait avoir quelque rapport au péché, s'efforçant de réduire son
corps en servitude par des mortifications continuelles 2.
Dans ses lettres, il donnait d'excellents avis et ne prescrivait rien qu'il
ne pratiquât lui-même. Nous en citerons un exemple. Un saint prêtre étant
injustement persécuté en conséquence d'une calomnie, il lui écrivit trois
lettres pour le consoler. Il lui parlait ainsi dans la troisième : « Que peut-il,
après tout, nous arriver de mal ? Nous n'avons qu'une chose à craindre,
c'est de nous mettre, par notre faute, dans le cas de perdre Dieu et la vertu.
Laissons aller les autres choses comme il plaira au Seigneur : il est le maître
de notre vie, et il sait la raison de tout ce qui nous arrive; craignons seu-
lement d'agir d'une manière indigne de notre piété. Nous avons nourri les
pauvres, nous avons servi nos frères, nous avons chanté des psaumes à la
louange de Dieu; s'il ne nous est plus permis de continuer les mêmes exer-
cices, employons-nous à quelque autre chose. La grâce n'est pas stérile ; elle
ouvre différentes voies qui toutes conduisent au ciel. Vivons dans la re-
traite, vaquons à la contemplation, purifions nos âmes par la lumière de
Dieu : cela n'est peut-être pas moins relevé que tout ce que nous pour-
rions faire ».
Telles furent les occupations de saint Grégoire dans sa dernière retraite,
jusqu'à sa bienheureuse mort qui arriva vers 389. Il était âgé de soixante-
dix-huit ans, lorsqu'il termina sa vie de docteur, d'évêque, de moine et
de poète.
En 930, l'empereur Constantin Porphyrogenète fit transporter ses re-
liques de Nazianze à Constantinople et ordonna qu'on les déposât dans
l'église des Apôtres. Elles furent apportées à Rome du temps des croisades,
et elles sont encore sous un autel de l'église du Vatican. Les latins honorent
saint Grégoire de Nazianze le 9 mai.
ÉCRITS DE SAINT GRÉGOIRE DE NAZIANZE.
La seule édition grecque-latine complète des œuvres de saint Grégoire de Nazianze, est celle
de M. l'abbé vigne, tomes xxxvàxxxvm de la Patrologie. Ces œuvres sont :
1° Des Discours au nombre de quarante-cinq. Les plus fameux sont les cinq discourt' dits
1. Carm. 59. — 2. Ep. 19G, p. 891.
422 9 mai.
Théologiques contre les Eunomiens et les Macédoniens, en faveur de la divinité du Fils de Dieu
et l'Esprit-Saint.
2° Deux cent douze Lettres très-intéressantes.
3° Son Testament, dont il a été parlé dans sa vie.
4° Des Poèmes, les uns théologiques, à savoir : trente-huit pièces dogmatico-bibliques et
quarante pièces morales : les autres historiques, dont quatre-vingt-dix-sept se rapportent à saint
Grégoire lui-même, deux cent trente et une à d'autres personnages, cent vingt-neuf épitaphes et
quatre-vingt-dix-neuf épigrammes.
Dans le 'poème 131, le saint docteur reconnaît qu'il fut redevable de sa naissance aux prières
de sa mère, et que, étant tombé dangereusement malade, il recouvra la santé par la sainte tabley
c'est-à-dire par le sacrifice de l'autel.
Il enseigne et pratique, en plusieurs endroits de ses ouvrages, l'invocation des Saints. 11 rap-
porte, or. 18, que sainte Justine demanda, par l'intercession de la Mère de Dieu, d'être délivrée
du danger auquel sa pureté était exposée. Selon lui, les âmes des Saints connaissent dans le sein
de la gloire ce qui nous concerne, ép. 201. 11 dit, en parlant de saint Athanase, or. 24, « qu'il voit
nos besoins du haut du ciel, qu'il tend les bras à ceux qui combattent encore pour la vertu, et
qu'il s'intéresse d'autant plus en leur faveur, qu'il est affranchi des liens du corps ». Il conjure
saint Basile, or. 20, d'intercéder dans le ciel pour ceux qu'il avait gouvernés et aimés sur la terre.
Ailleurs, or. 18, il prie saint Cyprien de l'assister. Il reproche à Julien son aversion pour les
martyrs dont on célébrait les fêtes, et le refus qu'il faisait d'honorer leurs corps, qui chassaient
les démons et guérissaient les malades. On voit que, de son temps, il s'opérait plusieurs miracles
par la vertu des cendres de saint Cyprien. « Ceux », dit-il, or. 1S, « qui l'ont éprouvé, l'attestent
hautement ». De là, ce zèle avec lequel il s'éleva contre les païens, qui, sous Julien l'Apostat,
brûlaient les tombeaux des martyrs et jetaient leurs reliques au vent, afin de les priver de l'hon-
neur qu'on leur rendait, or. 4. Julien lui-même, Misopog., reproche aux chrétiens de n'avoir
employé, durant la persécution de sept mois qu'ils souffrirent à Antioche, d'autres moyens pour se
défendre, que la dévotion des vieilles femmes qu'ils envoyaient prier assidûment devant les tom-
beaux des martyrs. Odiosam istam severitatem septimum jam mensem perpessi, vota quidem
et preces, quo tantis malis eriperemur, ad vetulas dimisimus qux circum sepulcra mortuorum
assidue versantur. Tous les passages de saint Grégoire, que nous venons de rapporter, ont fait
dire au ministre Laillée, de cultu relig., que ce saint docteur avait contribué par ses paroles et
ses exemples à accréditer et à étendre !e culte des Saints.
Si le style de saint Grégoire de Nazianze a moins de douceur et de facilité que celui de saint
Basile, il est certainement plus fleuri et plus majestueux. Ce Père conçoit toujours les choses no-
blement, et il les exprime avec une délicatesse et une élégance inimitables.
Selon quelques auteurs, saint Grégoire est le plus grand des orateurs tant sacrés que profanes.
Saint Basile partage cette gloire avec lui, au jugement de Dupin et de plusieurs autres savants.
Le seul défaut qu'on puisse lui reprocher, c'est de présenter à ses lecteurs trop de beautés, et de
faire peut-être un usage excessif des fleurs et des ligures.
Ses vers sont dignes d'Homère, pleins de douceur et de facilité ; on y trouve une sublimité qui
leur assure la préférence sur toutes les productions du même genre qui sont sorties de la plume
des écrivains ecclésiastiques. Ils mériteraient bien d'être lus dans les écoles publiques.
Le cardinal Mai a retrouvé sur les poésies de saint Grégoire de précieux commentaires, par
Cosme, précepteur de saint Jean Damascène, et plus tard évèque de Mazume ou Athédon, dans le
patriarcat d'Alexandrie.
Godescard et Rohrbacher.
LE B. JEAN OU HANS WAGNER, ERMITE EN SUISSE (loi G).
Il y mit, vers la fin du xv8 siècle, à Ittingen, près de Schaffliouse, en Suisse, une abbnye
placée sous le vocable de saint Laurent, que les Augustins venaient de céder aux Chartreux. Peu
de temps .-'près ce changement, un jeune homme de Riedlingen, en Souabe, nommé Jean Waguer,
vint se présenter k la porte du couvent. Sa bonne mine le fit accepter tout de suite. En 1476, il
prononça ses vœux de frère lai et garda le nom de Jean, Hans en allemaud vulgaire.
Quelque temps après, l'humble frère lai écrivit au souverain Pontife. La réponse toute pater-
nelle d'Innocent VIII va nous apprendre quelles étaient les peines d'esprit du pieux chartreux et
quel remède le vicaire de Jésus-Christ y appliqua. Voici cette réponse :
« Nous, pape Innocent VIII, à notre bien-aimé fils Jean Wagner, frère lai de l'Ordre des
Chai',
« Mon fils bien-aimé, reçois avant tout notre salut et notre bénédiction apostolique ! Tu nous as
NOTRE-DAME DES MIRACLES A MAURIAC. 423
fait savoir que, pour te rendre plus parfait et pour servir Dieu d'autant plus librement, tu es entré
dans l'abbaye d'Ittingen, de l'Ordre des Chartreux, située dans le diocèse de Constance, et que tu
y as prononcé les vœux exigés des frères lais de cet Ordre ; tu ajoutes que tu y as vécu sans
reproches pendant un certain temps. Mais comme tu ne prévois plus pouvoir, dans cette abbaye,
cultiver lu piété comme ci-devant, à cause des constructions et des réparations nombreuses qui
s'y font, et qui occupent principalement les frères lais, tu as demandé, afin de pouvoir mieux
servir le Très-Haut, de pouvoir te retirer dans une solitude, et tu nous as humblement prié de
t'accorder ta demande dans notre paternelle bienveillance. Nous accédons avec plaisir à tes vœux
et nous te permettons, en vertu de cette lettre, après que tu en auras demandé la permission à tes
supérieurs, d'aller passer tout le reste de ta vie dans une solitude, que tu choisiras à ton gré, pour
y servir le Très-Haut, soit seul, soit avec un compagnon, vêtu d'un habit grossier de drap gris,
conformément aux trois vœux de ton Ordre, sans manger de viande et portant le cilice.
« Donné à Rome, le 6 mai 1489, la cinquième année de notre pontificat ».
Par suite de cette lettre apostolique, le frère Jean reçut de ses supérieurs la permission qu'il
désirait, et la même année il quitta la Chartreuse dans le dessein de chercher quelque solitude dans
les montagnes. Après un long voyage, il arriva dans les montagnes du Mont-Pilate, cette haute et
fameuse montagne de la Suisse. Cette contrée s'appelle aujourd'hui la Forêt du bon Dieu (Herrgots-
wald), et appartient a la paroisse de Kriens, à deux lieues de Lucerne. Il trouva sous les ro-
chers élevés et très-saillants une caverne, entourée de sapins et de buissons sauvages. De l'autre
côté, vers l'orient, le rocher descend par une pente escarpée et effrayante, jusque dans la rivière
appelée Kienbach, qui roule avec fracas ses flots impétueux à travers la forêt. C'est là que s'éta-
blit le frère Jean, et qu'il observa avec ferveur et dévotion la règle austère des Chartreux. Le peu
qu'il lui fallait pour vivre, il le réclamait de la çhaçité des paysans d'alentour et quelquefois aussi
des bourgeois de Lucerne. Il ne buvait que de l'eau, son lit était un rocher et son oreiller une
pierre ou un morceau de bois. Il ne sortait de sa caverne que lorsque sa paroisse, celle de Kriens,
l'appelait au service divin, ou que l'on célébrait quelque grande fête dans les environs ; ou bien,
lorsqu'une extrême pauvreté l'y forçait. Vis-à-vis des hommes, il était d'une excessive modestie ;
il ne parlait que peu et ne voulait révéler à personne ni son origine, ni sa patrie, ni sa condition
antérieure : quoiqu'il ne fût rien moins que sombre, cependant son visage et toute sa personne
respiraient toujours la sérénité et la paix ; c'est ce qui le rendait aimable à chacun.
La contrée qu'il habitait appartenait à l'ancienne famille de Weyl de Lucerne. Jacques de
Weyl, qui exerçait alors la magistrature, et Anne Feer, sa pieuse épouse, ayant reconnu les vertus
sublimes de l'ermite, lui bâtirent une chapelle, qui fut consacrée au mois d'août 1504. Le frère
Jean, ayant passé vingt-six ans dans la solitude, fut atteint, en 1516, pendant les fêtes de la Pen-
tecôte, d'une maladie grave, dont il mourut le 9 mai de la même année, muni des Sacrements
de la sainte Eglise.
Ce ne fut qu'après sa mort qu'on trouva la lettre apostolique citée plus haut, qui donna tous
les éclaircissements que l'on désirait sur sa vie antérieure. On enterra son corps dans la chapelle,
d'après son propre vœu. Il y en eut qui virent sortir de la tombe une lumière ; ce qui fit naître
le culte qu'on rendit au bienheureux ermite. En 1G13 son tombeau fut ouvert, et lorsque le curé
de Kriens, en présence de Louis de Weyl, découvrit le cercueil, tous les assistants furent agréa-
blement surpris de la bonne odeur qui en sortit. En 1G21 s'éleva à l'endroit où avait été la cha-
pelle, une belle église, sous l'invocation de la très-sainte Vierge.
Les reliques du frère Jean furent placées dans un nouveau tombeau, sur lequel on voit son
image avec cette épitaphe : « Ci-gisent les reliques du bienheureux frère Jean Wagner, de l'Ordre
des Chartreux, ermite en ces lieux, qui a fidèlement servi Jésus-Christ jusqu'à sa dernière heure.
Il est entré dans cette solitude en 1489. Il est mort le 9 mai 1516 ».
Cf. Legenden-Sammlung , Lucerne, 1S15.
NOTRE-DAME DES MIRACLES A MAURIAC.
Le plus célèbre de tous les sanctuaires de Marie dans la Haute-Auvergne est celui de Notre-
Dame des Miracles, à Mauriac. Une tradition, consignée dans un très-ancien manuscrit, le fait
remonter jusqu'à Théodechilde, fille de Clovis, ou sa petite-fille d'après Mabillon, qui lui donne
pour père Thierry, roi d'Austrasie. Vers l'an 507, Théodechilde était à Montsélis, appelé autre-
424 9 mai.
ment Château-Vieux, qui lui appartenait avec ses dépendances. Par une sombre nuit, elle aperçut
dans la forêt, qu'a remplacée depuis la ville de Mauriac, une lumière extraordinaire. Etonnée de
cette clarté, qui se reproduisit encore la nuit suivante, elle se rendit sur les lieux ; et là, quel ne
fut pas son étonnement, lorsqu'elle aperçut au centre de la lumière une statue en bois très-noir?
c'était la Vierge portant l'enfant Jésus dans ses bras. Elle commande aussitôt l'érection d'une cha-
pelle sur le lieu même, et y place la statue. Bientôt de nombreux miracles s'opérèrent dans le nou-
veau sanctuaire. D'après l'office de la fête », la vue est rendue aux aveugles, l'ouïe aux sourds,
l'usage de leurs membres aux paralytiques, les possédés sont délivrés, et les malades atteints du
feu des ardents, si commun au moyen âge, sont guéris. Bientôt on accourt à Mauriac des pro-
vinces étrangères ; et la Vierge de la forêt est connue au loin sous le nom de Notre-Dame des
Miracles. Bientôt aussi de modestes habitations s'élèvent autour de son sanctuaire, les uns voulant
passer le reste de leurs jours près de leur bienfaitrice, les autres y établissant des hôtelleries
pour recevoir les pèlerins qui affluaient de toutes parts. En peu de temps, la forêt est défrichée,
une ville s'élève, et Notre-Dame des Miracles est la véritable fondatrice de Mauriac.
Un matin, raconte la tradition, on trouva aux portes de la chapelle deux hommes en costume
étranger, chargés de chaînes et plongés dans un profond sommeil. On les réveille, on les ques-
tionne ; et ces deux hommes, non moins étonnés que ceux qui les interrogeaient, racontent que,
réduits en esclavage par les infidèles dans un pays lointain (en Espagne, dit-on), ils avaient
imploré la Vierge de Mauriac : la veille encore, ils s'endormaient dans leur cachot, et ils se ré-
veillent maintenant à la porte du sanctuaire de Marie. Aussitôt on les détache de leurs fers, et on
va chanter dans l'église l'hymne d'actions de grâces a Notre-Dame des Miracles. Tel est le fait
raconté dans l'office même, et que confirment les chaînes encore subsistantes qu'on porte en pro-
cession devant la statue miraculeuse.
La chapelle ne tarda pas à se trouver insuffisante pour contenir soit les pèlerins chaque jour
plus nombreux, soit les habitants de la ville, qui grandissait dans la même proportion. Pour en
bâtir une plus vaste, on voulut acheter un jardin et une maison attenant à la chapelle. Le pro-
priétaire, loin de se prêter à la vente, ayant pris trois ouvriers pour agrandir la maison même
qu'on voulait acheter, fut trouvé mort dans son lit, le jour où devait commencer la construction
projetée. Deux des ouvriers entrés dans son appartement pour prendre ses ordres, et ne rencon-
trant qu'un cadavre, tombèrent eux-mêmes morts subitement, et le troisième, resté dehors, s'éva-
nouit de frayeur.
A la nouvelle de ces coups terribles, on n'hésite plus, on se met à l'œuvre ; depuis le xn«
jusqu'au xve siècle, on ne cesse de travailler ; et l'on fait l'église la plus belle sans contredit de
la Haute-Auvergne, le modèle le plus achevé du style romano-byzantin.
Un prodige signala la dédicace de ce saint temple. Une lumière surnaturelle éclaira l'intérieur
de l'église les trois jours et les trois nuits qui suivirent la cérémonie.
C'est surtout à la fête patronale, le dimanche qui suit le 9 mai et le jour de l'octave, que le
concours est plus remarquable. Alors des pèlerins venus de tous les points du département du
Cantal et des départements limitrophes encombrent la petite ville, sans toutefois y porter le trou-
ble et la confusion ; car chez eux tout est calme et modeste, comme la piété qui les anime.
« J'ai beaucoup voyagé, dit un illustre témoin 2, j'ai assisté à de brillantes cérémonies, à de
magnifiques processions en divers lieux, dans plusieurs capitales; je puis affirmer que je n'en ai
pas vu qui eût un caractère plus imposant, plus solennellement religieux que la procession de
Notre-Dame des Miracles à Mauriac ».
Une statue si célèbre méritait bien l'honneur du couronnement. En effet, le 13 mai 1855, au
milieu d'une foule immense accourue à la fête, en présence de plusieurs évèques réunis pour eu
relever ia solennité, Notre-Dame des Miracles fut couronnée d'un diadème d'or enrichi de pierre-
ries, et donné par Pie IX lui-même.
1. Cf. Propre de Saint-Flour, approuvé à Rome, 4 vol. ia-12, 186G ; et Notre-Dame de Franct.
S. M. le baron de Sartiges d'Angle».
MARTYROLOGES. 425
Xe JOUR DE MAI
MARTYROLOGE ROMAIN.
Saint Antonin, confesseur et archevêque de Florence, dont la naissance au ciel est marquée
le 2 mai. — A Rome, sur la voie Latine, le triomphe des bienheureux martyrs Gordien et Epi-
MAQUE, dont le premier, après avoir été, au temps de Julien l'Apostat, fouetté longtemps avec des
cordes plombées, et ensuite décapité, fut enseveli pendant la nuit par les chrétiens, sur la même
voie, dans une crypte, dans laquelle, peu auparavant, l'on avait transporté les reliques du bien-
heureux Epimaque, qui avait accompli son martyre pour la foi du Christ, dans la ville d'Alexandrie.
362. — Dans la terre de Hus, le saint prophète Job, dont la patience a été si admirable. — A
Rome, le bienheureux Calépode, prêtre et martyr, que l'empereur Alexandre fit mourir par le
glaive : son corps fut ensuite traîné par la ville et jeté dans le Tibre; mais le pape Calliste l'ayant
découvert, lui donna la sépulture. Dans les mêmes circonstances furent aussi décapités le consul
Palmace avec son épouse, ses enfants et quarante-deux personnes de sa maison, tant hommes que
femmes ; Simplice, sénateur, avec sa femme et scixante-huii chrétiens de sa maison ; Félix avec
Blanda, sa femme : leurs tètes furent attachées au-dessus de diverses portes de la ville pour inti-
mider les chrétiens '. 222. — Encore à Rome, sur la voie Latine, en un lieu nommé Centum-
Aulœ ou les Cent-Salles, la fête des saints martyrs Quartus et Quintus, dont les corps ont été trans-
portés à Capoue. — A Lentini, en Sicile, les saints martyrs Alphius ou Adelphe, Philadelphe
et Cyrin. Vers 260. — A Smyrne, saint Dioscoride, martyr. — A Bologne, le bienheureux Nicolas
Albergati, chartreux, évêque de cette ville et cardinal de la sainte Eglise romaine, illustre par sa
sainteté et par les légations dont le Saint-Siège le chargea. Son corps a été inhumé à la Chartreuse
de Florence. — A Tarente, saint Catalde, évêque, renommé pour ses miracles 2. — A Milan, l'in-
vention des saints martyrs Nazaire et Celse ; ce fut saint Ambroise, évêque, qui découvrit le corps
de saint Nazaire couvert d'un sang qui paraissait encore tout frais, et le transporta dans l'église
des Apôtres, avec celui de saint Celse, enfant, que ce bienheureux Martyr avait élevé et nourri ;
l'un et l'autre avaient été frappés du glaive dans la persécution de Néron, par l'ordre d'Anolinus,
le 28 de juillet, jour auquel on célèbre la fête de leur martyre. — A Madrid, saint Isidore le
Laboureur, illustre par ses miracles, que Grégoire XV canonisa en même temps que saint Ignace,
fiaint François, sainte Thérèse et saint Philippe. 1170.
MARTYROLOGE DE FRANCE, REVU ET AUGMENTÉ.
A Montchaude, dans le canton de Barbezieux, saint Mathorin, dont le tombeau est encore, de
nos jours, visité par les pieux pèlerins. Son histoire est complètement inconnue. — Au diocèse
de Bourges, sainte Solange, vierge, martyrisée pour la chasteté. Vers 880. — A Besançon, saint
Sylvestre, évêque, qui, ayant gardé la virginité dans le mariage, garda aussi l'humilité dans l'épis-
copat, et, joignant une sainteté parfaite à un grand nombre de miracles, acheva de détruire, dans
son diocèse, les restes de l'idolâtrie et de l'arianisme. Il fit construire, à Besançon, une quatrième
église paroissiale : elle était dédiée à saint Maurice d'Agaune. Il fut enseveli à Saint-Ferjeux.
396. — Au même lieu, saint Fronime, successeur du précédent. Il fit construire l'église Saint-
Etienne qui n'existe plus depuis la conquête de la Franche-Comté par les Français et y fut ense-
veli. v9 s. — A Bourges, saint Pallais, premier du nom, neuvième évêque de cette ville : il fut
enseveli dans une église, située à quatre lieues de Bourges, qui prit son nom. 384. — A l'abbaye de
Marsillac, au diocèse de Cahors, le pieux trépas de saint Pallais, deuxième du nom et treizième
évêque de Bourges. On lui attribue la fondation de l'église de Saint-Etienne à Bourges, dont
Grégoire de Tours a célébré la magnificence 3. 460. — A Pontoise, saint Guillaume, encore
1. Voir, pour plus de détails, les Actes de saint Calliste, pape, au 14 octobre.
2. Saint Catalde est le patron de Tarente, où il a de'trôné saint Pierre et saint Marc. Son culte data
de l'invention de ses reliques, qui eut lieu vers le milieu du xie siècle, lors de la reconstruction de la
cathédrale. Il était honoré autrefois à Gênes, à Mondovi, et dans le diocèse de Sens, où la paroisse de
Çaint-Cai'taud a évidemment emprunté son nom à saint Catalde.
3. Le» notices que nous donnons Ici sur les deux Saints du nom de Pallais, évêques de Bourges, sont
426 10 mai.
nommé par corruption de langage Guillemen et Anthilmen, prêtre. Il était anglais de nation
et jouissait de la vénération de Philippe-Auguste, roi de France, dans le palais duquel il termina
sa carrière terrestre. 1193. — Encore à Bourges, la bienheureuse Stadiole, fondatrice et pre-
mière abbesse de Moyen-Moutier. 624. — A Tarbes, sainte Confesse, vierge. — Dans le Limbourg,
saint Wiron, nommé le 8 de ce mois au martyrologe romain. — A Saint-Flour, la fête des
miracles de la sainte Vierge Marie, Mère de Dieu, établie, en 1855, a Mauriac, par la per-
mission de Pie IX, pape, sur la demande de l'évêque de Saint-Flour *. — A Troyes, la translation
de saint Loup, évèque. — Le même jour, saint Mondry, évêque de Larzat, en Auvergne. —
A Saint-Léonard, en Beauce, la fête de saint Léonard, anachorète. Il s'était retiré aux environs
de la forêt de Marchenoir, après avoir été le disciple de saint Mesmin, à Micy. Il fut d'abord inhumé
dans une chapelle de Saint-Etienne qu'il avait bâtie auprès du bourg actuel. Son corps y demeura
jusqu'au 10 mai 1226, où l'église paroissiale, dédiée sous son nom, le reçut en garde : ce dépôt
sacré, que l'on possède encore, donna lieu, jusqu'à la fin du xvui° siècle, à un pèlerinage célèbre
dans le pays dunois. A l'occasion des calamités publiques, on portait au loin les restes vénérés du
saint patmn : c'est ainsi que, le 12 mai 1772, on les amena processionnellement jusqu'à Blois pour
obtenir la cessation d'une sécheresse désastreuse et prolongée : le ciel exauça instantanément les
vœux des bons habitants de Saint-Léonard, vi8 s. — Au diocèse de Belley, la fête de saint Ville-
baud 2, patron de la paroisse de Saint- Vulbas à laquelle il a donné son nom et qui possède ses
reliques. Villcbaud était patrice ou gouverneur de la Bourgogne transjurane (Franche-Comté, Dau-
phiué, Gex, Bresse, Bugey) sous Dagobert et Clovis IL II fut mis à mort pour la justice par Flaocat,
maire du palais de Bourgogne, dont il avait contrarié l'élection. Le tombeau de saint Villebaud est
encore, de nos jours, le but d'un pèlerinage très-fréquenté 3. 660. — A Remiremont, dans les
Vosges, le dimanche le plus rapproché du 10 mai, procession votive de Notre-Dame du Trésor,
ainsi appelée parce que les Chanoinesses de Remiremont conservaient cette statue de Notre-Dame
dans le trésor de leur église avec les autres reliques qui étaient en leur possession. Cetle statue
en bois de cèdre, renfermant des cheveux de la sainte Vierge, fut donnée, dit-on, aux Chanoinesses
par Charlemagne et fut toujours depuis l'objet d'une vénération spéciale. On se souvient encore
des merveilleux effets de sa protection, en 1682, alors qu'un tremblement de terre avait renversé
Remiremont : on porta la statue en procession le 10 mai et le tremblement cessa ce jour-là même.
Depuis la Révolution, la statue vénérée est dans l'église paroissiale de Remiremont. On lui fait
des neuvaines pour obtenir un temps favorable. Presque tous les jours arrivent à son autel des
montagnards qui ont marché toute la nuit pour venir y faire brûler un cierge et obtenir soit la
guérison de quelque maladie, soit l'adoucissement de quelque peine.
MARTYROLOGES DES ORDRES RELIGIEUX.
Martyrologe des Chanoines réguliers. — A Fossombrone, dans l'Emilie, saint Aldobrand,
confesseur, qui gouverna le monas'sre des Clercs réguliers de Rimini avec une infatigable vigi-
lance, qui, devenu évêque de Fossombrone, fut le modèle de son troupeau, et enfiu, après avoir
donné de grands exemples de vertus et opéré de grands miracles, s'envola au ciel le 1er de mai.
Xiie s. — Le même jour, les saints martyrs Gordien et Epimaque, dont les corps reposent et sont
honorés dans la basilique de Latran.
Martyrologe des Frères Prêcheurs. — A Florence, saint Antonin, archevêque de cette ville,
de l'Ordre des Frères Prêcheurs.
ADDITIONS FAITES D'APRÈS LES BOLLANDISTES ET AUTRES HAGIOGRAPIIES.
A Tergeste, en Istrie, les saints Prime, prêtre, Marc, diacre, Jason, Célien et quatre-vingt-deux
autres, martyrs, sous le règne de l'empereur Adrien. — A Luxembourg, les saints Tertullien et
Chrysanthe, martyrs romains, transférés en cette ville en 1625. — A Castelnuovo, sur le Tage, les
saints Sabin et Certèse, martyrs romains, dont les reliques furent données aux Carmes du désert
de Bolarque, en 1647. — En Irlande, saint Comgall *, abbé de Banchor. Il fonda, comme l'avait
extraites des Acta Sanctorum. Dom Piolin, bénédictin de Solesmes, h qui nons devons plusieurs notes
rectificatives qui ont pris place dans cet ouvrage, nous fait observer que le premier de ces Saints e'tait
le onzième, et non le neuvième évêque de Bourges, et qu'il mourut vers 450, au lieu de 3S4; que le se-
cond ne fut pas évêque de Bourges. Comme le docte religieux ne prouve pas ses assertions, nous nous
contentons de rapporter son opinion pour montrer au moins avec quelle déférence nous accueillons tout
ee qui nous vient de lui.
1. Voir au'9 mai.
2. On l'appelle encore Vnlbaud et Bourbas, en latin Vulbandus et Vibaldus.
3. Cf. Hist. hagiol. du diocèse de Belley.
4. La légende irlandaise raconte que saint Comgall ayant de nombreux hôtes à recevoir et ne trouvant
pas de quoi les traiter convenablement, il fut secouru par des Anges qui poussèrent une grande quantité
SAINTE SOLANGE, VIERGE ET MARTYRE. 427
prédit saint Patrice, ce monastère illustre, d'où sortirent une foule de Saints, entre autres saint
Colomban. 601. — A Padoue, la bienheureuse Béatrix Atestina de la famille d'Est, vierge, de
l'Ordre de Saint-Benoit. Elle mourut à vingt ans. 1226. — A Sorigo, sur le lac de Côme, le bien-
heureux Mire, solitaire, dont le corps fut retrouvé dans l'église de Saint-Michel de cette ville, l'an
1452. On l'invoque pour obtenir de la pluie. — A Borne, la sainte mort du vénérable Père Nicolas
Launoy, d'abord chanoine de Fumes et ensuite l'un des premiers disciples de saint Ignace. La
peste ayant éclaté à Vienne, en Autriche, où il dirigeait le collège des jésuites, il opéra des gué-
risons miraculeuses par le signe de la croix ou un simple attouchement. 1583. — En Italie, le
bienheureux Jacques, ermite, de l'Ordre de la Croix de Funt-Avellane. Cet Ordre, qu'a illustré saint
Pierre Damien, a produit soixante-quatorze Saints. 1300.
SAINTE SOLANGE, VIERGE ET MARTYRE
880. — Pape : Jean VIII. — Roi de France : Louis III.
Festa venerunt annua
Quibus virgo perinclyta
Honoratur Solangia
Alléluia.
A sainte Solange
Offrons en ce jour
Un chant de louange,
Un tribut d'amour.
Ancienne prose en l'honneur de sainte Solange qu'on
chante encore aujourd'hui sur l'air 0 Filii et Filix.
La très-illustre vierge Solange * est la patronne, et, pour ainsi dire, la
sainte Geneviève du Berry. Elle naquit au bourg de Villemont, à deux ou
trois lieues de la ville de Bourges. Son père était un pauvre vigneron qui
menait une vie très-chrétienne ; Dieu récompensa sa piété en bénissant son
mariage. Il eut une fille qui fut nommée Solange. Chez cette admirable
enfant, la beauté du corps et celle de l'âme se rehaussaient réciproquement,
de sorte qu'elle faisait les délices de Dieu et des hommes. Son père lui ins-
pira, dès ses plus tendres années, une grande haine pour le péché mortel,
et elle conçut, en même temps, un amour si tendre pour son Dieu, qu'elle
avait aussi de l'horreur pour les plus petites fautes qui pouvaient blesser
les yeux de la divine Majesté. Elle avait tant d'estime et de respect pour les
leçons salutaires qu'elle recevait de ses parents, qu'elle les préférait à tous
les vains discours et à tous les jeux qui font ordinairement le plaisir et la
joie des enfants de son âge.
Cette éducation si sainte, cette docilité à y correspondre disposèrent le
cœur de la jeune Solange à recevoir les célestes communications : elle
commença, dès l'âge de sept ans, à se sentir brûler des flammes du plus pur
amour. Elle avait un attrait particulier pour tout ce qui avait rapport à la
vie de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Elle ne se lassait point de bénir son saint
nom et de le prononcer partout avec un sentiment de piété qui faisait con-
de poissons vers son abbaye. On'rapporte aussi qu'il porta dans la main une pierre chauffée a blanc sans en
éprouver aucune lésion, et qu'une autre fois, ayant jeûné inutilement — qu'on remarque la force de ces
expressions — contre un roi insensible à ses prédications, il divisa un caillou en quatre par le seul con-
tact de sa salive. A la suite de ce miracle, le roi se convertit : ces faits peuvent servir à caractériser le
Saint dans les arts.
1. De vieilles chroniques l'appellent Solange ou Soulange; son lieu natal n'existe plus; on voit au
milieu du Pré-Verdier les ruines d'une maison qu'habitait, dit-on, sainte Solange. Cette prairie est à une
demi-lieue du bourg appelé du nom de la Sainte depuis sa mort, et auparavant Saint-Martin du Cros.
{Vie de sainte Solange, par M. l'abbé Oudoul, p. 6.)
428 10 mai.
naître qu'elle l'avait profondément imprimé dans le secret de son cœur. Ces
transports du céleste amour ne lui permirent pas d'attendre plus longtemps
pour choisir son parti ; et, comme elle avait déjà méprisé le monde avant
même d'en connaître les faux attraits, elle n'hésita pas à prendre pour son
unique époux, Jésus-Christ qu'elle aimait si ardemment : elle lui promit de
bon cœur de garder une virginité perpétuelle. Il est vrai qu'elle avait tou-
jours vécu dans une grande innocence, mais elle ne se fiait pas, pour cela, à
ses propres forces ; il n'y avait point de jour, ni de nuit qu'elle ne priât Dieu
de la conserver dans cette pureté angélique qu'il demande des âmes qui lui
sont fidèles. Elle se plaisait à répéter souvent ces belles paroles de la vierge
sainte Agnès : « J'aime Jésus-Christ qui a eu une vierge pour mère ; j'aime
Jésus, puisqu'en l'aimant je demeure chaste, en le touchant je demeure
pure, et en l'embrassant je demeure vierge ».
Cette chaste colombe sortait souvent du lieu de sa demeure ordinaire, je
veux dire du bourg de Villemont, pour aller gémir plus librement et à loisir
dans un lieu solitaire et écarté, qu'on appelle encore aujourd'hui, pour cela,
le Champ de sainte Solange. On a élevé depuis, au milieu de ce champ, une
croix de bois, qu'il faut souvent renouveler, car les pèlerins en coupent de
petits morceaux qu'ils emportent par dévotion. Son père l'avait chargée de
la garde d'un petit troupeau : aucune occupation ne convenait mieux aux
goûts de Solange ; tout en veillant sur ses moutons, elle pouvait contempler
son céleste Epoux, qui invite les âmes à venir le trouver dans la solitude;
elle aimait surtout à se le figurer, mourant pour elle sur la croix. Elle se
consacrait mille fois à lui, elle lui protestait qu'elle était prête à l'imiter, à
souffrir les plus horribles tourments pour son amour. Nous verrons ses vœux
exaucés. En attendant, Jésus-Christ, qui ne se laisse jamais vaincre en géné-
rosité, combla Solange de ses faveurs : de sorte que, comme une autre
Geneviève, elle se rendit très-utile à toutes les populations voisines. Cette
jeune bergère sut, comme Geneviève, faire la guerre aux démons, les chasser
des lieux dont ils s'étaient emparés, arrêter et dissiper les vents et les tem-
pêtes qui nuisaient aux pays d'alentour. La seule présence de cette chaste
vierge faisait sortir les esprits impurs des corps des possédés. Il suffisait aux
malades d'avoir le bonheur d'être aperçus dans les chemins par la Sainte,
et d'en attendre du secours pour se trouver guéris de leurs infirmités. Ce
don de faire si facilement des miracles, qui a été le privilège des plus grands
Saints, lui a été communiqué abondamment. Son histoire assure qu'elle
arrêtait et faisait disparaître par un seul acte de sa volonté, les animaux
qui gâtaient et détruisaient les fruits qui étaient sur la terre ; et que, s'il
arrivait que quelqu'une de ses brebis s'écartât et se jetât dans les prairies
voisines qui n'étaient pas de son ressort, elle ne se servait ni de chien ni de
bâton pour la faire revenir : il lui suffisait d'élever son cœur vers son Epoux
céleste, et de désavouer intérieurement le dégât que pouvaient causer ces
animaux : ils revenaient aussitôt rejoindre le troupeau avec une docilité qui
jetait dans l'admiration ceux qui en étaient les témoins.
Voici un autre prodige, qui indique de quelles lumières Dieu éclairait
son âme. Si l'on en croit les leçons de l'office que l'Eglise lui a consacré, il
paraissait le jour et la nuit, au-dessus desatête, une étoile qui la conduisait
en ses démarches, et qui lui servait de règle en tout ce qu'elle devait faire ;
cette étoile lui servait spécialement de guide et d'avertissement, lorsque le
temps qu'elle avait destiné à l'oraison ou à la psalmodie s'approchait; comme
si cette lumière, qui invitait autrefois les saints rois Mages à aller recon-
naître et adorer Jésus-Christ, eût été reproduite pour favoriser cette sainte
SAINTE SOLANGE, VIERGE ET MARTYRE. 429
épouse du même Sauveur, et lui indiquer les précieux moments auxquels
le divin Epoux demandait ses adorations.
La sainteté de la jeune bergère, ses vertus, sa beauté, la rendirent célèbre.
Cette renommée inspira un vif désir de la voir, à Bernard de la Gothie, fils de
Bernard, comte de Poitiers, de Bourges et d'Auvergne. Il monte à cheval,
et, sous prétexte d'aller à la chasse, il se rend sur les terres de Villemont, où
Solange gardait son troupeau. A peine l'a-t-il vue, qu'une passion violente
s'empare de son cœur1. Il descend aussitôt de cheval, aborde la jeune vierge;
et ayant soin de ne laisser échapper aucune parole qui puisse alarmer son
innocence, il lui offre de devenir son épouse. « Par ce mariage », lui dit-ilf
« vous serez princesse du vaste pays où je règne, vous ferez le bonheur de
vos parents aussi bien que le vôtre ».
Solange lui répond que, dès l'âge le plus tendre, elle appartient à Dieu,
qu'elle lui a voué son cœur, qu'ainsi elle ne peut plus en disposer en faveur
d'aucun homme. Ce refus ne fait qu'irriter le désir du jeune prince ; il résolut
d'obtenir par la force ce qu'on refuse à ses prières, à ses promesses. N'écou-
tant donc que sa passion, il s'élance pour saisir Solange : elle lui échappe,
elle fuit : il la poursuit, l'atteint, l'enlève, la met devant lui sur son cheval
et l'emporte, faisant, pendant le chemin, de nouveaux efforts pour triompher
de ses refus. Mais Solange, fortifiée par la grâce, et préférant la mort à la
perte de sa virginité, s'arrache tout à coup des bras de son ravisseur et se
jette à terre, auprès d'un petit ruisseau qui coulait en cet endroit. L'amour
méprisé se change vite en haine, surtout chez les personnes violentes et
brutales. Bernard, plein de honte et de fureur de se voir dédaigné, vaincu
par une bergère, se précipite sur elle, l'épée à la main, et lui tranche la tête.
Cette chaste et fidèle épouse était trop chère au Sauveur pour qu'il ne
marquât pas sur l'heure, et par quelque signe miraculeux, combien ce sacri-
fice lui avait été agréable. Solange donc, qui avait courageusement reçu le
coup delà mort, étant debout, ne perdit point cette position, quoique sa
tête fût séparée de son corps ; mais, comme si elle eût reçu une nouvelle vie
par le mérite du martyre, elle ouvrit paisiblement ses mains pour recevoir
sa belle tête ; sa bouche prononça encore par trois fois le saint nom de Jésus,
qui lui avait été si familier pendant sa vie. Elle alla ainsi jusqu'à Saint-
Martin-du-Cros ; elle fut ensevelie dans le cimetière de cette église, à l'en-
droit où, en 1281, on éleva, en son honneur, un petit monument en forme
d'autel.
On la représente gardant ses moutons, avec une étoile au-dessus de sa
tête; d'autres fois, elle est agenouillée au pied d'une croix, et entourée de
son troupeau ; on aperçoit dans le lointain le comte Bernard, accompagné
d'un écuyer. Enfin, on la voit, le plus communément, portant sa tête entre
ses mains. Nous lisons, dans une Vie de sainte Solange, par M. Oudoul, curé
danslediocèse de Bourges2, la description des anciennes tapisseries de l'église
de Sainte-Solange; c'est l'histoire iconographique de cette Sainte. Nous nous
empressons de la reproduire ici : «On voit», dit-il, «dans le chœur de Sainte-
Solange, six tableaux en tapisserie, d'un fort bon goût et bien exécutés, qui
représentent l'histoire de la Sainte, d'après la tradition. Le premier repré-
sente sainte Solange entourée de ses brebis, au pied de la croix qui était,
dit-on, au milieu du pacage commun. On voit, dans la nef de la même église
et dans celle de Saint-Etienne de Bourges, un tableau qui offre le même
sujet. Le deuxième représente la pieuse bergère auprès de ses moutons, et
le comte, à pied, la sollicitant; l'écuyer du prince est dans le fond, à cheval.
1. Ut vidit, ut perilt. — 2. 1828.
430 10 mai.
Le troisième représente le comte à cheval, voulant, aidé de son écuyer,
enlever Solange ; dans le fond, on voit le cheval de l'écuyer. Le quatrième
représente le prince levant le fer sur Solange qui, inclinée avec résignation,
se prépare au martyre ; l'écuyer est derrière le comte : on voit, au haut du
tahleau, un ange, une couronne à la main. Au bas, on lit cette inscription
en laine rouge : Cette histoire, en tapisserie, de sainte Solange, a été faite, en
470i, des deniers de la confrérie. Le cinquième représente sainte Solange
debout, sa tôte entre ses mains, allant à l'église de Saint-Martin, qui est dans
le fond, figurée comme avant l'incendie de la flèche de la tour ; derrière la
Sainte, on voit le comte et l'écuyer courant à toute bride. Il est bon d'ob-
server que ce trait merveilleux était gravé sur la châsse de cuivre doré, dont
il fut fait présent en 1511, qui, comme l'a judicieusement remarqué quel-
qu'un, était sur le modèle de la première ; et que, sur la châsse d'argent
comme sur celle d'aujourd'hui, on fut soigneux de respecter la tradition en
ce point » . Le Père Cahier, dans ses Caractéristiques, donne un croquis très-
gracieux représentant sainte Solange après sa mort. La jeune fille est affaissée
au pied d'un tertre surmonté d'une croix rustique. De sa main droite, elle
ramasse les plis de sa robe sur sa poitrine, et de sa main gauche, qui embrasse
la croix, elle tient une palme entrelacée de roses et de lis. Une dague est
enfoncée dans son thorax. A côté, un agneau qui bêle ; à terre, la quenouille
et le fuseau. La décollation paraît assez peu probable au Père Cahier, dans
une lutte comme celle qui a dû s'engager entre la Sainte et son ravisseur.
D'ailleurs rien n'empêche de supposer que la victime, percée d'une dague,
ait ensuite été achevée par la décapitation.
RELIQUES ET CULTE DE SAINTE SOLANGE.
On exhuma bientôt ses restes précieux, à cause des miracles qu'ils opéraient; on les transféra du
cimetière dans l'église de Saint-Martin, qui prit alors le nom de Sainte-Solange. Ils furent renfermés
d'abord dans une châsse en bois, artistement travaillée ; et, plus tard, dans une châsse en cuivre
doré. La dernière translation eut lieu le lundi de la Pentecôte, 8 juin 1511. La cérémonie fut
présidée par Mgr Denis de Bar, ancien évêque de Saint-Papoul, qui, avec l'autorisation des vicaires-
généraux capitulaires, consacra solennellement, dans cette circonstance, l'églis-e de Sainte-Solange.
Au xvne siècle, cette châsse fut renfermée dans une aulre d'argent.
En 1793, la châsse de sainte Solange fut enlevée de la paroisse du diocèse de Courges, qui
porte son nom, et ses reliques furent dissipées. Mais « en faisant ma visite d'archidiacre à Méry-
ès-Bois, le 5 avril 1843, nous écrit M. Caillaud, vicaire-général, j'y trouvai des reliques de sainte
Solange : un os du crâne, la mâchoire supérieure et une dent de la Sainte. Ces reliques apparte-
naient, avant la Révolution, à l'abbaye des Bernardins de Lorois et avaient été transférées avec
grande pompe à Méry-ès-Bois, en 1791, lorsque les moines quittèrent le couvent; je divisai ces
reliques en deux portions à peu près égales, dont l'une resta à Méry-ès-Bois, et l'autre fut donnée
à la paroisse de Sainte-Solange ».
Le diocèse de Nevers, plus heureux que celui de Bourges, a pu sauver tout ce qu'il possédait
des reliques de sainte Solange ; la petite boite qui les renferme porte cette inscription : Fragmenta
reliquiarum sanctse Solangise, V. M., 1612.
Nous ne pouvons raconter les nombreux miracles qui se sont opérés et s'opèrent eneore par
l'intercession de la vierge de Villemont : les muets recouvrent la parole; les aveugles, la vue ; les
sourds, l'ouïe ; les paralytiques, le mouvement ; les boiteux, le pouvoir de marcher ; des malades
de toute espèce, leur guérison ; des possédés, leur délivrance. M. l'abbé Caillaud nous écrit encore:
« Les miracles continuent de s'opérer à Sainte-Solange. En 1834, une personne de la paroisse du Lys-
Saint-Georges (Indre), Marie Moulin, âgée de vingt-six ans, y recouvra la parole qu'elle avait perdue
depuis quatorze ans. Le 28 mai 1850, une religieuse du Bon-Pasteur, Pauline Barbery, eu religion
sœur Saint-Alexis, atteinte, depuis trente-huit jours, d'une inflammation de poitrine qui l'avait
réduite à un état de faiblesse tel que ses compagnes et le médecin la regardaient comme mou-
rante, fut instantanément guérie, après une neuvaine à sainte Solange ».
Les habitants de Bourges ont toujours eu recours à sainte Solange, dans les calamités publiques,
et leur confiance n'a jamais été trompée. Dans ces circonstances, ils demandent qu'on porte pro-
cessionnellement, dans leurs murs, la châsse qui renferme les reliques de leur sainte patronne.
SAINTE SOLANGE, VIERGE ET MARTYRE. 431
n Le 31 mai 1637, Henri de Bourbon, prince de Condé, se rendit en pèlerinage à Sainte-Solange
et voulut conduire lui-même, à la métropole, les saintes reliques que la population entière récla-
mait. Ce fut pour Bourges un jour de fête ; on jonchait de fleurs les rues par lesquelles la chasse
devait passer ; le devant des maisons était tapissé ; de toutes parts on n'entendait que de pieux
cantiques ».
Ces processions avaient lieu principalement dans les temps de sécheresse ; on a le procès-
verbal de la dernière qui eut lieu : c'était au mois de juin 1730.
C'étaient toujours des habitants du lieu qui, dans ces processions, portaient la châsse de sainte
Solange; ils devaient être à jeun, en état de grâce, la tête et les pieds nus, couverts de couronnes
et de fleurs, et communier à la messe solennelle, dans l'église Saint-Etienne. « On sait », dit le
Père Giry, « que deux hommes, qui menaient une vie déréglée, s'étant présentés pour porter la
châsse, il leur fut impossible, quelques efforts qu'ils fissent, et quelques secours qu'on leur donnât,
de la remuer de la place où elle était. L'an 1631, la procession qui revenait, étant proche le bourg
de Paracy, un des porteurs de la châsse s'étant laissé emporter à jurer avec scandale pour quelque
chose qui lui déplaisait, fut puni sur-le-champ d'une manière miraculeuse et très-particulière. Un
des bras du brancard, sur lequel la châsse était posée, s'appesantit si rudement et si fortement
6ur son épaule (l'autre bras du même brancard demeurant en l'air), que ce malheureux semblait en
devoir être écrasé : ni lui, ni le peuple ne comprirent pas d'abord le mystère ; « mais le criminel »,
dit l'histoire, « ayant connu, par un autre miracle de la divine bonté, la faute qu'il venait de
commettre, en jurant, en demanda aussitôt pardon à Dieu, à la Sainte et au peuple ; et, l'ayant
obtenu par de véritables larmes qui marquaient le regret sincère de son cœur, il eut la joie de se
voir admis pour continuer à porter ce précieux trésor pendant le reste du chemin : ce qu'il fit sans
aucune peine ».
« Une tendre vénération », dit M. Baynal, historien du Berry, « semblable à celle qu'inspira
sainte Geneviève dans le diocèse de Paris, s'est attachée au souvenir de la bergère de Villemont.
On montre encore l'emplacement de la chaumière où elle est née, le sentier qu'elle suivait pour
se rendre au pâturage et qui, dit-on, se couvre, chaque année, d'une récolte plus abondante, le
champ où elle allait prier, la fontaine sur les bords de laquelle elle fut décapitée, le lieu où ses
restes furent d'abord ensevelis. Le 10 mai, anniversaire de sa mort, le lundi de la Penteeôte, anni-
versaire de la translation de ses reliques et de la dédicace de son Eglise, une foule immense de
pèlerins, de malades, de mères, tenant leurs enfants dans leurs bras, viennent invoquer son inter-
cession et chercher autour de son église sinon la santé, au moins l'espérance ; sa châsse est portée
proeessionnellement par des hommes revêtus d'aubes et couronnés de fleurs. Cette châsse en bois
argenté, aujourd'hui vide des reliques de la Sainte, a remplacé une châsse en argent détruite
pendant la Révolution et que la ville de Bourges avait offerte à la modeste église de village en
1657. Jadis, en effet, toutes les fois que régnaient de longues sécheresses, on apportait solennelle-
ment, à Bourges, les reliques de sainte Solange, et on a conservé la mémoire de plusieurs de ces
processions que des pluies abondantes avaient suivies de bien près. Le pape Alexandre VIII, par
une bulle du 19 mars 1658, approuva la pieuse Confrérie qui, depuis longtemps, existait sous le
nom de Sainte-Solange, et lui accorda de nombreuses indulgences qui ont été renouvelées jusqu'à
nos jours par divers actes du Saint-Siège. Le 8 mai 1693, kgr Phelippeaux de la Vrillière, alors
archevêque de Bourges, sur la demande des habitants de la ville, décida que dorénavant la fête de
la sainte bergère serait célébrée dans la ville et la septaine le 10 mai de chaque année ; seulement,
pour la première fois, cette fête était remise au 18; et, pour la rendre plus solennelle, on devait
apporter, en l'église cathédrale, la châsse où reposaient les précieuses reliques. Il y a quelques
années, on voyait encore, dans les vastes appartements du château de Bréey, plusieurs tableaux à
fresque qui représentaient le martyre de Solange ; et cette dévotion toute populaire a même dépassé
les limites de la province ; ses fêtes attirent beaucoup d'habitants des provinces voisines, surtout
du Morvan, et sa mémoire flst honorée dans la cathédrale de Nevers ».
Les mefflb:vs Je la Confrérie, ?es pèlerins, qui viennent aux fêtes annuelles, reçoivent le nom
pop;!!a::\; 'le Cousins de sainte Solange. Il y a, à Bourges (autrefois à Saint-Pierre le Puellier,
aujourd'hui à la cathédrale), à Issoudun (église de Saint-Cyr), à Châteauroux (église de Saint-
"hristyphe), à Nevers (cathédrale), des Confréries uDies à la Confrérie principale. Les souverains
Pciitifes ont accordé à cette Confrérie de nombreuses indulgences que Benoit XIV ratifia et confirma
en 1751.
Pieuses légendes du Berry, par M. Veillât ; Hist. du Berry, par M. Raynal, t. i«, p. 313. — On trouve
encore dans la Vie de sainte Solange, par le R. P. J. Alet (p. 1S et suiv.), d'intéressants détails sur la
culte rendu à la patronne du Berry depuis sa mort jusqu'à nos jours, ainsi qu'un grand nombre d'hymne»
et de prières écrites en son honneur.
432 10 mai.
SAINT ISIDORE, LABOUREUR
PATRON DE LA VILLE DE MADRID ET DES LABOUREURS
1170. — Pape : Alexandre III.
Le vrai agriculteur n'oublie point Dieu au milieu d«
son travail, car il attend plus de Dieu que de son
travail, suivant cette parole de l'Ecriture : « Plan-
ter n'est rien, arroser n'est rien : le tout est de
faire pousser, et c'est Dieu seul qui en a le pou-
voir ». Saint Basile, hom. in Ps. xxxil.
Isidore naquit à Madrid, en Espagne, de parents très-pauvres, qui, par
leurs instructions et leurs exemples, lui inspirèrent l'horreur du péché et
l'amour de Dieu : mais ils ne purent lui faire faire aucune étude. L'Esprit-
Saint y suppléa et lui apprit, sans livres, la science du salut. Isidore se mit,
dans sa jeunesse, au service d'un riche habitant de Madrid, nommé Jean de
Vergas, pour labourer sa terre. Quand il fut en âge de se marier, il épousa
une femme appelée Marie Torribia, aussi pauvre que lui, s'il s'agit des biens
extérieurs que le monde estime, mais très-riche en vertus : c'était une de
ces femmes fortes dont parle le Sage, qui surpassent beaucoup de Vierges
en mérite et en belles actions. Dieu bénit leur mariage par la naissance d'un
fils qu'ils élevèrent dans sa crainte, et auquel ils inspirèrent de bonne heure
les véritables sentiments de la piété. On dit que cet enfant étant tombé dans
un puits, que l'on montre encore à Madrid, dans une maison appartenant
aux descendants et héritiers de Jean de Vergas, s'y noya ; mais ses parents
ayant demandé, par une fervente prière, qu'il leur fût rendu, leurs vœux
furent aussitôt exaucés : l'eau du puits s'éleva miraculeusement jusqu'au
bord, et y apporta l'enfant plein de vie et de santé. Ce fut peut-être cette
insigne faveur qui les engagea, par reconnaissance, à se séparer l'un de
l'autre et à promettre à Dieu une continence perpétuelle.
La vie de ce saint laboureur était admirable. Son exercice ordinaire, qui
était de mener la charrue, ne l'empêchait pas d'être parfaitement pieux et
d'avoir toutes ses heures réglées pour des exercices spirituels. Il consacrait
entièrement les jours de fêtes à prier, à entendre la parole de Dieu, à
assister aux offices que l'on chante dans l'église, et surtout à entendre la
messe avec une dévotion extrême. Les jours ouvrables il se levait de grand
matin, quoiqu'il eût passé une grande partie de la nuit en prières, et visitait
les principales églises de Madrid, qu'il arrosait souvent d'un torrent de
larmes. Il prenait ainsi sur le temps de son sommeil, pour satisfaire sa dé-
votion, et se rendait exactement à ses travaux. Néanmoins, ses compagnons
l'accusèrent, auprès de leur maître, de faire passer une dévotion superflue
avant les devoirs de son état. Jean de Vergas, pour vérifier par lui-même la
valeur de ces accusations, examina de très-près comment Isidore travaillait.
0 prodige! il vit un jour deux personnages mystérieux, à l'air tout céleste,
qui aidaient le saint laboureur à conduire sa charrue. Il apprit de la bouche
même d'Isidore que c'étaient des anges, et il fut persuadé, dès lors, que la
piété est utile à tout, quand on sait l'allier avec ses autres obligations. Il ne
regarda plus Isidore que comme un homme extraordinaire et qui attirerait
SAIXT ISIDORE, LABOUREUR. 433
sur ses biens et sur toute sa famille les bénédictions du ciel. En effet, le Saint fit
beaucoup de miracles en sa faveur. Il fit revivre un de ses chevaux qui était
mort et dont il avait un extrême besoin. Sa fille étant décédée après une
longue et douloureuse maladie, il la ressuscita : grande joie pour un père
inconsolable. Un jour, Jean de Vergas l'étant venu voir dans la campagne
où il labourait, il fit sourdre miraculeusement une fontaine pour soulager
sa soif, en frappant seulement la terre : cette fontaine n'a point cessé depuis
ce temps-là de couler, et sert même à la guérison des malades. Un loup
emportait un de ses bestiaux : au lieu de courir après, il se mit en prières,
et son oraison fut si efficace, qu'elle fit mourir subitement le loup et déli-
vra l'animal qu'il était près d'égorger et de dévorer. Aussi ce maître, qui
connaissait combien un serviteur si fidèle lui était nécessaire, se déchargea
entièrement sur lui de l'exploitation de sa terre : c'était, dit-on, le domaine
de Caramancha le bas, situé auprès de l'ermitage de Sainte-Marie-Madeleine.
Quoique peu riche, Isidore était libéral envers les pauvres ; il partagea
souvent avec eux son dîner, ou plutôt il se contentait de leurs restes. Un
jour qu'il avait tout donné, un nouveau pauvre s'étant présenté, Isidore
pria sa femme de voir s'il n'y avait pas encore quelque nourriture; quoi-
qu'elle sût qu'il n'y avait plus rien, elle y alla, par obéissance, et trouva le
plat, qu'elle croyait vide, aussi plein que s'ils n'y eussent point encore tou-
ché. Dieu avait l'ait un miracle pour récompenser et seconder leur charité.
Une autre fois, ayant été invité à un festin de confrérie, il s'occupa si
longtemps à la prière et à la visite des églises, qu'il n'arriva qu'à la fin du
repas. En entrant, il fut suivi de quantité de pauvres, qui s'étaient amassés
autour du logis, dans l'espérance d'avoir quelques restes par aumône. Les
confrères lui dirent que c'était une chose étrange qu'il vînt si tard et qu'il
traînât encore avec lui un si grand nombre de pauvres ; ils ajoutèrent qu'on
lui avait conservé sa part, mais non pas celle des mendiants. Il répondit :
« C'est assez ; elle suffira pour moi et pour les pauvres de Jésus-Christ ;>. En
effet, ceux qui allèrent chercher cette part trouvèrent un repas entier, et,
par ce grand prodige de la libéralité de Dieu, il y eut de quoi faire un se-
cond banquet; Isidore fit entrer tous les pauvres, et mangea avec eux plus
agréablement qu'il n'eût fait avec les confrères qui l'avaient invité.
La bonté de cœur d'Isidore s'étendait jusque sur les animaux. Un jour
d'hiver que la terre était couverte de neige, étant parti de chez lui, avec un
sac de blé sur le dos, pour le porter au moulin, il vint à un endroit où de
nombreuses familles d'oiseaux étaient perchées sur les arbres, exposées aux
tourments du froid et de la faim. A celte vue, ému de pitié, il déblaie la
neige avec ses mains et ses pieds, dépose son sac à terre, l'ouvre et répand
une bonne partie des grains, que les pauvres petits affamés vinrent aussitôt
becqueter. Son compagnon, moins compatissant, se moqua de lui, de ce
qu'il prodiguait ainsi son blé; mais Dieu fit voir que cette action charitable
lui avait plu. Arrivé au moulin, Isidore vit son sac plein, comme si per-
sonne n'y avait touché, et sous la meule on trouva une quantité de farine
égale au rendement ordinaire de deux sacs de blé. Qu'il y a loin de cette
conduite de saint Isidore à celle de beaucoup de campagnards qui traitent
avec dureté, quelquefois avec une barbarie révoltante, non-seulement les
petits oiseaux, si utiles à leurs champs, mais les animaux qui sont les com-
pagnons dociles et indispensables de leurs travaux !
Il n'y avait point de lieu de dévotion autour de Madrid qu'il ne vi-
sitât fort assidûment. Il allait surtout très-souvent à la chapelle Notre-
Dame de Torrelaguna, à celle de Notre-Dame de YAtocha, et à celle de
Vies des Saints. — Tome V. 28
434 10 mai.
Sainte- Marie- Madeleine. Sa femme, qui était une parfaite imitatrice de
sa vertu, lui tint toujours fidèle compagnie dans ces pèlerinages, jusqu'à
ce qu'elle se retirât entièrement dans un petit héritage, auprès de l'ermi-
tage de Garaquiz. Comme elle allait de là à une église de la Sainte Yierge,
ayant trouvé la rivière Xamara débordée par une crue d'eau inopinée, elle
étendit son tablier sur la rivière et la passa sur cette barque improvisée
avec la même confiance qu'elle eût marché sur la terre ferme. Elle a fait
encore d'autres miracles qui lui ont mérité, après sa mort, le nom et les
honneurs de Sainte. On l'appelle, en Espagne, Sancta Maria de la Cabeza;
elle fut, dit-on, ainsi appelée, à cause de son saint chef qui, mis dans un
reliquaire à part, est souvent porté en procession pour obtenir de Dieu de
la pluie : car de la Cabeza signifie, en notre langue, du chef ou de la tête.
Elle fut d'abord enterrée au petit ermitage de Caraquiz, au milieu de la
sacristie; depuis, ses os ayant été levés de terre, on les cacha dans un lieu
plus secret, et son crâne fut mis dans le reliquaire dont nous venons de par-
ier. Enfin, l'an 1615, tout le corps a été transféré à Torrelaguna, où il est
honoré de toute l'Espagne par beaucoup de vœux, de pèlerinages et de
processions.
Saint Isidore mourut quelque temps avant elle, d'une manière aussi
sainte et aussi édifiante que sa vie avait été pure, le 15 mai 1170. On l'en-
terra dans le cimetière de Saint-André, à Madrid, où il demeura quarante
ans oublié. Après ce temps, il apparut en songe à un de ses anciens amis, et
le pressa de procurer l'élévation et la translation de son corps ; mais cet
homme négligea de le faire : ce qui lui attira une maladie violente. Le Saint
apparut une seconde fois à une dame fort vertueuse, et lui dit, de la part
de Dieu, qu'elle ne différât point de lui procurer cet honneur. Elle en parla
au clergé de Madrid ; on fut au lieu de sa sépulture, on ouvrit son tombeau
et on le trouva aussi entier et aussi frais que s'il fût mort le môme jour,
quoiqu'on l'eût mis sous une gouttière, dont les eaux seules étaient capables
de le corrompre en peu de temps. Il fut donc levé de terre avec beaucoup
de dévotion et porté dans l'église de Saint-André. Deux prodiges augmen-
tèrent la vénération pour ce Saint. Il sortait de ses membres et de ses
suaires une odeur si agréable, qu'elle embaumait l'air d'une manière déli-
cieuse ; et comme cette cérémonie se fit la nuit, toutes les cloches de la
ville sonnèrent d'elles-mêmes. Une chose si extraordinaire attira sur-le-
champ à son cercueil une grande partie de la ville. Plusieurs malades qui
se trouvèrent dans la foule furent guéris. Des paralytiques, des boiteux,
des aveugles que l'on avait vus demander l'aumône dans les rues et les
places publiques, recouvrèrent l'usage de leurs membres et de leurs or-
ganes, et s'en retournèrent guéris en leurs maisons. Les villages voisins
voulurent aussi avoir part à une si grande fête, et la protection de saint Isi-
dore se répandit également sur eux. On exposa dès lors son image vénérable
en public, et comme beaucoup de personnes l'avaient vu et savaient les cir-
constances particulières de sa vie, on en fit des peintures sacrées qui en ont
conservé la mémoire.
La musique céleste que l'on entendit souvent à son tombeau anima en-
core davantage à honorer ce grand serviteur de Dieu. La voix de tout le
peuple, avec le consentement des prélats et des supérieurs ecclésiastiques,
l'ayant déjà comme canonisé, on commença à porter son corps en proces-
sion, pour détourner les fléaux de Dieu et pour attirer ses bénédictions. Un
jour qu'on le portait à cause d'une sécheresse extrême qui désolait tout le
pays, un astrologue maure et mahométan se moqua de cette dévotion, et,
SAINT ISIDORE, LAEOUREUR. 435
se fiant aux calculs de son art, dit tout haut que, s'il pleuvait avant vingt-
quatre heures, il voulait être poignardé. Cependant Dieu exauça les prières
du peuple, qui avait un si puissant intercesseur auprès de lui. Le ciel se
couvrit de nues, et il plut en si grande abondance, que toute la terre en fut
abreuvée. Le Maure vit le miracle, mais il ne laissa pas de demeurer dans
son infidélité : il fut puni de cette résistance à la grâce ; il mourut peu de
temps après de la manière dont il avait parlé dans son serment.
L'an 1211, don Alphonse, roi de Gastille, faisant la guerre aux Maures,
dans le défilé appelé las Navas de Tolosa, cherchait vainement un sentier
par lequel il pût aller attaquer les ennemis ; mais saint Isidore lui apparut
et lui montra un chemin aisé et inconnu. Par ce moyen, le roi remporta
une insigne victoire sur les infidèles. Une si grande faveur, obtenue par les
mérites de ce saint laboureur, engagea les rois d'Espagne à poursuivre sa
canonisation. Un nombre innombrable de miracles qui furent faits dans la
suite par son intercession, et qui sont rapportés bien au long par les conti-
nuateurs de Bollandus, stimulèrent le zèle de ceux qui travaillaient à cette
canonisation; mais ce qui porta le roi d'Espagne, Philippe III, à faire les
derniers efforts pour l'obtenir, ce fut la guérison miraculeuse qu'il reçut le
16 novembre 1619, après qu'il se fut fait apporter, dans sa chambre, le
corps de ce bienheureux Confesseur, qui fut trouvé encore entier. Par un
décret du pape Grégoire XV, le 22 mars 1622, saint Isidore fut canonisé
avec saint Ignace, saint François-Xavier, sainte Thérèse et saint Philippe
de Néri : on les appela les cinq Saints.
On a représenté saint Isidore : tenant une bêche i ; faisant sortir une
source de terre avec le fer d'une espèce de lance ou instrument de jardi-
nier 2 : nous avons dit plus haut en quelle circonstance saint Isidore fit
sourdre cette fontaine : ce peut être un des motifs pour lesquels il est invo-
qué contre la sécheresse; tenant une gerbe3; sur un même plan, avec
sainte Marie de la Cabeza, sa femme ; priant pendant que son maître, caché
derrière des arbres, le surveille, et que les Anges labourent son champ 4 ; à
genoux : près de lui, son âne venant de tuer un loup qui voulait le manger 3 ;
dirigeant une charrue dans un sillon : cette manière indique encore sa pro-
fession 6; porté en terre : un ange sonne la cloche d'une église pendant la
marche funèbre 7.
Cette Vie a été écrite par Jean, diacre, vers l'année 1261. Beaucoup d'autres auteurs y ont travaillé
depuis et y ont ajouté les miracles récents : comme Jacques Bléda, de l'Ordre de Saint-Dominique, et
Jérôme Quintana, notaire du Saint-Office à Madrid. Quant au culte de la femme de saint Isidore, il fut
approuvé par Innocent XII, en 1697.
1. Cabinet des Estampes, h, Paris, t. ix, f. 103. — 2. Ibid.
3. Frise de saint Vincent de Paul, a Paris, par Hippolyte Flandrin. C'est une innovation, et !e Pire
Cahier est d'avis qu'il ne faut point sortir de la caractéristique populaire quand celle-ci existe.
4. Cabinet des Estampes, à Paris, t. îx, f. 103. — 5. Ibid. — 6. Ibid., t. in, f. 20. — 7. Ibid.
436 10 mai.
SAINT ANTONIN, ARCHEVÊQUE DE FLORENCE
1389-1439. — Papes : Clément VII; Pie II. — Empereurs d'Allemagne: Wenceslas;
Frédéric III.
Saint Antonin appliquait à la dévotion envers la
sainte Vierge, ce que Saloraon a dit de ia Sagesse :
« Toutes sortes de biens me sont venus avec elle,
et j'ai reçu par ses mains des honneurs et da
grâces sans fin ».
Saiut Antonin, ainsi appelé au lieu d'Antoine, parce qu'il était de petit*
taille, naquit à Florence en 1389, Son père était notaire, et se nommait
Nicolas Pierrozi, et sa mère Thomassine ; ils prirent un grand soin de l'éle-
ver dans la crainte de Dieu. Ils n'eurent pas beaucoup de peine, parce qu'il
était d'un si bon naturel que l'on eût dit que la vertu était née avec lui. A
l'âge de dix ans, il ne manquait pas d'aller tous les jours dans une église de
Saint-Michel pour y faire ses prières au pied du Crucifix et à l'autel de la
Sainte Vierge, à l'honneur de laquelle il disait ce répons : Sancta et imma-
culata Virginitas. Ce fut là que, quelques années après, il conçut le dessein
de se faire religieux de l'Ordre des Frères Prêcheurs : il en demanda
l'habit au Père Dominici, qui fut depuis cardinal-archevêque de Raguse, et
légat du Saint-Siège en Hongrie. Ce pieux et savant Dominicain faisait alors
bâtir un couvent de son Ordre à Fiésoli, à deux milles de Florence. Voyant
le petit Antoine de si faible complexion en apparence, qu'il ne semblait pas
qu'il pût supporter les rigueurs de la Règle, il lui demanda à quelles études
il s'appliquait ; l'enfant répondit qu'il étudiait le droit-canon. « Eh bien ! »
lui dit Dominici pour l'ajourner, « je vous recevrai dans notre Ordre quand
vous saurez votre droit par cœur ». Cette réponse fut loin d'étonner le pos-
tulant; redoublant de courage, il étudia avec tant d'ardeur, qu'en peu de
temps il apprit par cœur les règles et le texte du droit : c'est pourquoi le
Père, reconnaissant évidemment l'opération de la main de Dieu sur ce
jeune homme, lui donna le saint habit, l'an 1407, la seizième année de
son âge.
Nous ne nous arrêterons point ici à décrire avec quelle ferveur il passa son
noviciat, et prononça ses vœux au couvent de Cortone, où les supérieurs
l'avaient envoyé. Le pape Nicolas V le jugeait digne d'être canonisé dès le
temps de sa vie ; preuve convaincante qu'il avait fait de grands progrès en
la perfection. Son zèle et son courage surpassaient ses forces, et les rigueurs
de la Règle lui semblaient si légères, que, ne s'en contentant point, il cou-
chait encore sur la dure, ne quittait point le cilice, et prenait la discipline
toutes les nuits : il ajoutait aussi à l'office du chœur celui de la Vierge et
celui des morts, avec les sept Psaumes de la Pénitence, et quelquefois le
Psautier tout entier. Son recueillement était si grand pendant ses prières,
et particulièrement pendant l'oraison mentale, qu'on l'a vu plusieurs fois
élevé de terre.
Il eût bien voulu toujours continuer ce genre de vie ; mais l'obéissance
l'appliqua bientôt au secours du prochain : car il fut élu supérieur des cou-
SAINT ANTONIN, ARCIIEVÊOUE DE FLORENCE. 437
vents de Fiésoli, de Cortone, de Gaëte, de Florence, de Sienne, de Pistoie,
de Naples et de Rome, et les gouverna l'un après l'autre : et partout il
maintint l'observance de la Règle, non-seulement par ses pressantes exhor-
tations, mais encore par ses exemples. Il était le premier à tout; et quoi-
qu'il fût ensuite vicaire- général de la Congrégation de Naples et de Tos-
cane, et provincial de la province romaine, il s'abaissait néanmoins jus-
qu'aux ministères les plus humbles de la communauté où il résidait. 11
disait tous les jours la sainte messe, et en servait une autre ; il prêchait fort
souvent et avec beaucoup de succès, et il écoutait, avec une patience et
une assiduité merveilleuses, les confessions de ceux dont il avait touché les
cœurs par la force de ses paroles.
Cependant l'archevêché de Florence vint à vaquer, par la mort du car-
dinal Barthélémy Zarabella, et il y avait neuf mois entiers que l'on était en
contestation sur l'élection d'un successeur, lorsque le pape Eugène IV,
jetant les yeux sur le Père Antonin, vicaire-général de la Congrégation
réformée de Naples, le nomma archevêque de cette grande ville ; et voyant
qu'il refusait obstinément, il lui fit commandement, « en vertu du Saint-
Esprit et de la sainte obéissance » , sous peine de péché mortel et même
d'excommunication, d'accepter cette charge. Ne pouvant plus s'opposer à
des ordres si précis, il leva les yeux et les mains au ciel ; puis, se tournant
vers quelques personnes doctes qu'il avait assemblées pour savoir si, vu son
incapacité, il était obligé d'obéir à ce commandement : « Vous savez »,
dit-il, « mon Dieu, que j'accepte cette charge contre mavolonté,pourne pas
résister à celle de votre vicaire ; assistez-moi donc, Seigneur, ainsi que vous
savez que j'en ai besoin ». Il fit ensuite son entrée à Florence, les pieds
nus et les yeux baignés de larmes, tandis que toute la ville retentissait de
joie de posséder un si digne pasteur, le considérant comme un Saint ; et,
en effet, il l'était devant Dieu, qui pénètre le secret des cœurs.
Cette nouvelle dignité ne lui fit rien changer dans sa vie privée : car il
garda toujours jusqu'aux moindres observances de son Ordre ; de sorte que
ceux qui n'eussent pas été informés de son nouveau caractère, l'eussent
plutôt pris pour un simple religieux que pour l'archevêque de Florence. Sa
table, son lit, sa chambre et généralement tous les meubles de son palais
archiépiscopal, ne ressentaient que la pauvreté religieuse. Son train n'était
composé que de six personnes, à qui il donnait de bons gages, afin de les
empêcher de rien recevoir de ceux qui avaient quelque affaire à l'archevê-
ché. Il prenait lui-même connaissance des causes qui devaient se juger à
son tribunal, ne se contentant pas des soins de son officiai, auquel, néan-
moins, il donnait tous les ans cent ducats d'or, afin qu'il rendît la justice
sans nul salaire. Tout le monde se trouvait si bien de ses jugements, de ses
avis et de ses conseils, qu'on lui donna le titre d'Antonin-des-Conseils,
avant même qu'il fût archevêque.
Quoique d'un accès si facile pour toutes les personnes qui demandaient
son assistance, il se montrait néanmoins extrêmement réservé à l'égard
des femmes ; il ne leur parlait que par nécessité, et ses yeux pudiques n'o-
saient les regarder. Il prêchait ordinairement les dimanches et les fêtes en
quelque église de la ville, il faisait même des instructions familières et des
catéchismes. Il tenait exactement ses synodes, visitait son diocèse, et enfin
n'omettait rien de ce que doit faire un bon prélat. Il récitait d'abord ses
Matines avec ses clercs domestiques, suivant la pratique de son Ordre ;
mais, apprenant qu'on ne les chantait pas avec assez de respect dans la
cathédrale, il voulut y assister, pour remédier à ce désordre.
438 10 mm.
Voilà quelle était la vigilance de ce saint Prélat ; mais ce qui est mer-
veilleux, c'est que, parmi tant de différentes fonctions, il ne perdit jamais
la solitude, la paix ni la sérénité de son cœur, parce que, comme il l'avoua
lui-même à un de ses chanoines appelé François de Chastillon, il s'y était
formé de bonne heure un oratoire, où il se retirait souvent. Il remit l'état
ecclésiastique dans sa splendeur, et en retrancha plusieurs désordres que
les guerres civiles y avaient causés. C'est pourquoi le Pape, qui connaissait la
pureté de son zèle et la justice de ses jugements, défendit d'appeler des
sentences qu'il aurait données. Il sut très-bien user de cette faveur à l'avan-
tage de l'église de Florence. Il la délivra des pratiques impies, immorales
et funestes de la magie ; de la plaie non moins déplorable de l'usure ; des
charlatans et des comédiens. Certains joueurs avaient inventé un nouveau
brelan, où la jeunesse de Florence perdait tous les jours de grosses sommes
d'argent, au grand préjudice des familles; le saint Archevêque défendit
d'abord ce jeu, sous peine d'excommunication ; ensuite il allait lui-même
sur les lieux et en chassait honteusement ceux qu'il y rencontrait, renver-
sant les tables, les dés, l'argent et les jetons. Son zèle le porta encore à
purger les églises de ces causeurs insolents, qui en profanent la sainteté
par leurs entretiens sacrilèges ; il les en chassait tous.
Il ne craignit pas même de s'opposer aux magistrats et au bras séculier,
lorsque, passant les bornes de leur puissance, ils entreprenaient sur les
droits et les immunités de l'Eglise. Il réprimait leurs violences par les cen-
sures ecclésiastiques, sans appréhender les menaces qu'on lui faisait. Un
jour, quelqu'un l'ayant menacé de le jeter parlafenêtre et de le faire priver
de son évêehé, il répondit avec calme qu'il ne se jugeait pas digne du mar-
tyre, et qu'il avait toujours désiré être déchargé de l'épiscopat ; que, dans
cet espoir, il avait toujours gardé la clé de sa chambre du couvent de Saint-
Marc, pour s'y retirer. Voilà quel a été le zèle de ce grand archevêque ;
disons maintenant quelque chose de sa douceur et de sa compassion pour
les pauvres et pour toutes sortes de malheureux.
Il divisait le revenu de son bénéfice en trois parties : la première, fort
médiocre, était pour l'entretien de sa maison ; la seconde, pour la répara-
tion du palais archiépiscopal qui tombait en ruine ; et la troisième, pour
le soulagement des pauvres, et celle-ci était la pins grosse et devint enfin
presque le total, parce que le palais étant réparé, il ne pensa plus qu'aux
pauvres. Il faisait tous les jours de grandes aumônes à sa porte, sans la re-
fuser à personne ; et c'était avec tant de profusion, que quelquefois il ne
restait plus rien pour sa maison. Aux grandes fêtes de l'année, il distribuait
deux cents ducats d'or en diverses œuvres de piété ; il vendait même ses
meubles, ses livres et ses habits pour assister les nécessiteux avec plus de
libéralité. Aussi était-il l'asile de tous ceux qui étaient dans la misère. En
voici un bel exemple : Un habitant de Florence vint le supplier de l'aider
à doter trois de ses filles : le charitable Prélat n'ayant rien alors à lui donner,
lui conseilla de visiter chaque jour l'église de l'Annonciade, lui assurant
que Notre-Dame elle-même doterait ses filles. Comme il s'y en allait un
matin, il trouva deux aveugles qui, croyant n'être entendus de personne,
se racontaient l'un à l'autre leur bonne fortune : l'un disait qu'il avait deux
cents ducats cousus dans son bonnet, et l'autre qu'il en avait trois cents
dans son pourpoint. Il avertit le saint Archevêque qui fit venir ces aveugles;
et, après leur avoir reproché leur malice, de frustrer les véritables pauvres,
en recevant des aumônes dont ils n'avaient pas besoin, il les condamna à
payer une amende de quatre cent cinquante ducats, qui servirent à doter les
SAINT ANTONIN, ARCHEVÊQUE DE FLORENCE. 439
trois jeunes filles. Ce fut là un trait de prudence et de cette justice que l'on
appelle distributive.
En voici un autre de charité qui n'est pas moins considérable. Le
Saint, passant une fois par la rue Saint-Ambroise, aperçut, sur la maison
d'une bonne veuve, des anges qui paraissaient se réjouir; il voulut savoir
qui étaient ceux qui y demeuraient, et il y trouva trois jeunes personnes
qui, pour gagner leur pain et celui de leur mère, travaillaient jour et nuit,
sans même excepter les fêtes; il en eut compassion, et leur assigna une
rente annuelle pour vivre, afin qu'elles ne fussent plus obligées de travailler
les fêtes. La piété et la bonne conduite disparurent avec la nécessité du
travail. Saint Antonin, passant une autre fois par le même endroit, n'y vit
plus les anges, mais un démon si horrible, qu'il l'effraya de son regard : il
en donna avis à la mère et aux jeunes filles, et leur retrancha une par-
tie de son aumône, de crainte que l'oisiveté ne leur causât un plus grand
malheur.
C'était encore trop peu, pour saint Antonin, de donner ses biens, s'il ne
consacrait aussi sa personne et sa vie pour le salut de ses ouailles : dans un
temps de contagion, tous les riches abandonnaient Florence, pour éviter le
mauvais air ; le Saint y demeura généreusement pour assister les pestifé-
rés, et ne craignit point de les visiter et de leur administrer lui-même les
Sacrements. C'est cette charité du prochain, et ce grand zèle à le servir,
qui lui ont fait mettre la main à la plume au milieu de ses fonctions
épiscopales, et composer tant de beaux et excellents traités pour la con-
solation des âmes, pour l'instruction des peuples et pour la satisfaction des
savants.
C'est aussi cette charité qui lui a fait opérer tant de miracles, guérir des
malades désespérés des médecins, ressusciter des morts et multiplier du
pain et de l'huile. Ses paroles avaient aussi une vertu admirable : car un
habitant de Florence lui ayant fait présent, le premier jour de l'année,
d'un panier de fruits, dans l'espérance d'en recevoir quelque bonne récom-
pense, et voyant que le Saint, pour toute reconnaissance, ne lui disait que
ce mot :« Dieu vous le rende », il s'en alla tout mécontent. L'Archevêque le
sachant le fit rappeler, et mit en sa présence le panier de fruits dans le bas-
sin d'une balance, et dans l'autre un billet contenant ces paroles : « Dieu
vous le rende », et ce billet se trouva peser plus que le panier ; le pauvre
homme, tout confus, lui demanda pardon. Il fit encore paraître la force de
ses paroles lorsque, pour donner de la terreur à quelques personnes qui le
pressaient de fulminer une sentence d'excommunication pour un sujet qui
ne le méritait pas, il prit un pain blanc, sur lequel il prononça quelque
anathème, et aussitôt ce pain devint plus noir que des charbons.
Etant âgé de soixante-dix ans, il tomba malade d'une petite fièvre ; il
prévit qu'il allait bientôt mourir, quoiqu'on lui promît une prompte guéri-
son ; c'est pourquoi il reçut promptement les Sacrements, et rendit ainsi
sa belle âme à Dieu avec ces paroles : « Mes yeux sont toujours élevés vers
mon Seigneur, parce que c'est lui qui dégagera mes pieds des filets». Ce
fut le 2 mai, veille de l'Ascension, l'an 1459, la treizième année de son
épiscopat. Un religieux de l'Ordre de Cîteaux, qui faisait son oraison, vit
monter son âme au ciel sous la forme d'un petit enfant environné d'une
nuée.
Son corps, conformément à son testament, fut porté en l'église du cou-
vent de Saint-Marc. Le pape Pie II, qui était alors à Florence, donna sept
ans et autant de quarantaines d'indulgences à tous ceux qui le visiteraient
440 10 mai.
et lui baiseraient les pieds. Il demeura huit jours ainsi exposé, exhalant une
Irès-agréable odeur. Il s'est fait plusieurs miracles à son tombeau, d'après
lesquels le pape Adrien VI fit le décret de sa canonisation, l'an 1523. La
bulle de canonisation n'a été publiée que par Clément VII, successeur
d'Adrien VI.
On représente saint Antonin tenant de la main gauche sa crosse épisco-
pale, et dans la main droite une balance où est placé, d'un côté le panier de
fruits que lui apporte un paysan, et de l'autre un bout de papier avec ces
mots : « Que Dieu vous le rende ». Nous avons raconté ce trait. On prétend
que le Saint se servit de la môme comparaison vis-à-vis d'un hôtelier qui lui
avait fourni un frugal repas dans un voyage : alors l'écrit porte ces mots,
qu'on récite aux grâces : Iietribuere dignare, Domine, omnibus nobis bona fa-
cientibus, vitam œlernam : « Récompensez, Seigneur, parle don de la vie
éternelle, tous ceux qui nous font du bien ». On place près de lui le titre
de ses ouvrages : Summa theologica ; opus Chronicorum, etc. On lui attribue
aussi le lis de la virginité ; mais l'attribut principal du Saint est évidem-
ment la balance.
ÉCRITS DE SAINT ANTONIN.
Nous avons plusieurs écrits de saint Antonin :
1° Une Somme théologique, divisée en quatre parties. On y trouve une explication des vertus
et des vices, avec les motifs qui portent à la pratique des unes et à la fuite des autres.
2° Un Abrégé d'histoire, appelé aussi Chronique tripartite, depuis la création du monde
jusqu'à l'an 145S. L'auteur montre de la sincérité et de la bonne foi; mais il manque souvent
d'exactitude lorsqu'il raconte des faits éloignés de son temps.
3° Une Petite Somme où sont renfermées les instructions nécessaires aux confesseurs.
4° Quelques Sermons et quelques Traités particuliers sur les vertus et les vices. Voir le
Père Echard, de Script. Ord. Prœdicat., t. Ier, p. 818, et les Ballerini, dans la vie de saint
Antonin, qu'ils ont mise à la tète de leur édition des œuvres du saint archevêque. Le Père Mamachi
a donné aussi une édition de la Somme théologique de saint Antonin, avec des notes très-prolixes.
Elle parut à Florence en 1741.
Le pape Clément VII fit aussi e'crire sa Vie par le Père Vincent Mainard de Géminien, procureur
général de l'Ordre de Saint-Dominique. C'est celle qui est rapportée au troisième tome de Surius, et que
nous avons suivie en ce recueil, avec d'autres documents que les continuateurs de Bollaadus ont donnés an
public.
LE PATRIARCHE JOB (1500 ans av. J.-C).
Le patriarche Job naquit dans la terre de Hus, pays situé entre l'Idumée et l'Arabie, vers l'an
1700 avant Jésus-Christ. 11 était un modèle de vertus, craignant Dieu, élevant ses enfants dans la
piété. Le Seigneur, qui se plaisait lui-même à rendre témoignage de la sainteté de son serviteur,
permit au démon de lui faire subir les épreuves les plus terribles, à condition qu'il lui laisserait la
vie sauve. Aussitôt toute sa fortune, qui était considérable, disparaît; ses enfants périssent écrasés
sous les ruines d'une maison, et ces tristes nouvelles lui sont apportées l'une après l'autre, sans
le moindre intervalle. A chacune, Job se contente de répondre : Dieu me les avait donnés, Dieu
me les a ôtés, il n'est arrivé que ce qui lui a plu ; que son saint nom soit béni. Le démon, vaincu
par cette patience héroïque, l'affligea dans son corps en lui envoyant une lèpre hideuse, qui l'in-
fecta de la tète aux pieds. Job, repoussé de la société de ses semblables, se vit réduit à se con-
finer sur un fumier, et à racler avec un morceau de pot cassé le pus qui sortait de ses plaies. Sa
femme, la seule personne de sa famille que le démon lui avait laissée, vint ajouter à ses maux
en lui reprochant sa piété, qui ne lui avait servi de rien, et en insultant à son infortune. Job,
pour toute réponse, lui dit : Puisque nous avons reçu des biens de la main de Dieu, pourquoi
n'en recevrions-nous pas aussi des maux?
LE PATRIARCHE JOB. 441
Trois de ses amis vinrent le visiter et furent pour lui des consolateurs d'autant plus importuns,
qu'ils confondaient les maux que le Seigneur envoie aux justes pour les éprouver avec ceux qu'il
inflige aux méchants pour les punir, et ils s'efforcèrent de lui prouver que s'il souffrait, c'est qu'il
l'avait mérité. Job se justifie avec calme et modération, et Dieu lui-même prend en main la cause
de son serviteur, fait éclater son innocence, lui rend d'autres enfants, des biens plus qu'il n'eu
avait perdus, et le guérit de sa lèpre. Après une longue carrière, il mourut vers l'an 1500 avant
Jésus-Christ, âgé de plus de deux siècles. Quelques auteurs ont prétendu que Job était un per-
sonnage imaginaire, et que le livre qui porte son nom était moins une histoire qu'une fiction ;
mais cette opinion est contredite par l'autorité d'Ezéchiel et de Tobie, qui parlent de lui comme
d'un personnage qui a réellement existé ; l'apôtre saint Jacques, qui le propose comme un mo-
dèle de patience, combat aussi ce sentiment qui a contre lui toute la tradition, tant celle des
Juifs que des Chrétiens. Le livre de Job est écrit en vers dans l'original ; aussi est-il étincelant
de beautés poétiques du premier ordre.
Personne (hors ceux qui ont voulu prendre Job pour un personnage parabolique) n'a douté
qu'il n'eût été enterré dans son pays; mais tout le monde n'a point été d'accord touchant ce qui
est arrivé à son corps. Entre ceux qui estiment que jamais il ne fut remué du lieu de la sépul-
ture, quelques-uns prétendent que son tombeau s'est conservé jusqu'en ces derniers siècles aux
extrémités de l'idumée, où ils mettent la terre de Hus, près de Bosra, ville de l'Arabie Pétrée, et
où s'étendait autrefois le partage de la tribu de Manassès. L'on montre encore aux voyageurs et
aux pèlerins de notre temps une pyramide que l'on dit avoir été érigée près de ce tombeau, pour
y servir de monument à la postérité, selon que les anciens avaient coutume d'en user. D'autres
ont prétendu que l'on avait transporté son corps à Constantinople. Il est vrai que l'on voyait en cette
ville, dans le vie siècle, une église et un monastère du nom de Job, dont les archimandrites ou
abbés le faisaient considérer par leur mérite ; mais l'histoire ne dit pas que les reliques de Job
aient donné lieu à la construction de ces édifices. Aussi cette opinion de la translation du corps
de Job à Constantinople semble être fondée sur une erreur qui, dans les siècles postérieurs, a
fait prendre pour le saint homme Job un sarrasin ou arabe de ce nom, mahométan de religion,
qui fut tué au siège de Constantinople l'an 672, et qui fut enterré au pied des murailles de la
ville. C'est du tombeau de ce dernier qu'est venu le nom d'un faubourg de Constantinople, appelé
Job, plutôt que du monastère du saint homme Job, quoique les Turcs aussi bien que les Chrétiens
du quartier se soient laissé persuader du contraire.
Les prétentions de ceux de l'Occident sur les reliques de Job ne paraissent pas avoir plus de
fondement. Ceux qui veulent qu'elles fussent à Rome dès le vne siècle, ont négligé de nous dire
quand et comment elles y étaient venues. Ils n'ont avancé cela que pour avoir le plaisir de feindre
que Rotharis, roi des Lombards, qui régna depuis 638 jusqu'en 653, fit transporter de Rome*à
Pavie les corps de Job, des deux Tobies, de la jeune Sara et de beaucoup d'autres Martyrs de la
loi nouvelle. On les déposa, dit-on, dans l'église de Saint-Jean-Baptiste, et elles furent exposées
à la vénération publique dans la chapelle de Saint-Raphaël, archange, où elles demeurèrent jus-
qu'à ce qu'elles furent furtivement enlevées, sans que l'on eût pu savoir dans la suite ce qu'en
firent les voleurs. Leur intention était de dérober de véritables reliques et de nuire à ceux qui les
croyaient telles, et qui les honoraient de bonne foi. De sorte que ce ne serait rien diminuer de
l'énormité de leur sacrilège de nous apprendre que c'étaient toutes fausses reliques, que jamais
on ne vit à Rome les os ni de Job ni des deux Tobies. et que de plus, il est faux que le roi Ro-
tharis ait jamais rapporté des reliques de Rome, qu'on lui aurait données par reconnaissance,
comme on le dit, pour avoir secouru et délivré la ville des Barbares ; ce qui est une autre fiction,
capable de faire rire ceux qui savent que les rois lombards n'ont jamais fait que du mal à la ville
de Rome.
Outre le tombeau de Job qu'Alfonse Tostat, évèque d'Avila, disait subsister encore de son
temps près du Jourdain, être toujours visité avec une grande dévotion par les peuples, il semble
que son fumier fut respecté aussi comme les reliques, au moins du temps de saint Chrysostome.
S'il faut prendre littéralement et sans figure ce que ce Père a dit au peuple d'Antioihe, on sera
obligé de reconnaître que ce fumier, tout autrement précieux que le trône des rois et le lit des
reines, attirait en Arabie une infinité de pèlerins d'au-delà des mers et des extrémités de la terre,
pour voir ce théâtre des combats et de la patience victorieuse du saint homme, et en tirer des
instructions.
Entre les saints personnages qui ont paru devant et après Jésus-Christ, l'Eglise n'en connaît
guère qui ait mérité plus de culte et de vénération que Job, qui a eu l'avantage d'être Saint dans
tous les états de sa vie, dans le repos et la prospérité, de même que dans les calamités et les dou-
4:42 10 mai.
leurs, selon le témoignage de Dieu même qui voulut le faire éprouver par Satan, c'est-à-dire pat
l'ennemi du genre humain, le seul qui osât contester cette sainteté dans l'Ecriture. 11 est repré-
senté dans Ezéchiel comme un ami de Dieu, capable d'intercéder pour les autres, jusqu'à faire de
lui comme de Noé et de Daniel une espèce de proverbe, pour dire que quand il se trouverait
parmi les pécheurs et les impies des justes aussi saints que ces trois, ils n'empêcheraient pas
que Dieu punit le péché des autres dans sa colère, mais que leur justice leur servirait à se sauver
eux-mêmes. Job avait déjà été reçu intercesseur de son vivant auprès de Dieu pour ses trots amis.
Outre qu'il est proposé dans le livre de Tobie comme un modèle de la patience sanctifiante, il semble
que l'apôtre saint Jacques ait voulu le canoniser encore dans son Epitre : « Vous voyez ». dit-il,
« que nous appelons les prophètes Bienheureux de ce qu'ils ont tant souffert ; vous avez appris
quelle a été la patience de Job, et vous avez vu la fin dont le Seigneur l'a couronnée ».
L'Eglise fait profession d'honorer Job comme un prophète, comme un Martyr,'et comme le type
ou la figure de Jésus-Christ, d'autant plus parfaite qu'il a joint les souffrances avec l'innocence.
C'est ce que l'on trouve expliqué par les saints Pères, avec autant d'étendue et de variété que
pouvait le demander l'importance du sujet, pour former des modèles à tous les fidèles. Les Grecs
t les Orientaux ont choisi le sixième jour de mai pour faire la fête de Job dans leurs églises : ce
qui se pratique aussi chez les chrétiens d'Arabie, d'Egypte et d'Ethiopie, chez les Russes ou les
Moscovites et les autres peuples qui se gouvernent sur le rit des Grecs. Les Latins ont mieux
aimé assigner son culte au dix du même mois. C'est le premier des Saints de l'Ancien Testament,
après les frères Macchabées, martyrs, à qui l'Eglise d'Occident ait entrepris de décerner publique-
ment ces honneurs religieux. Les anciens martyrologes du nom de saint Jérôme se servent des
termes de jour natal et de déposition, mais qui ne signifient rien ici. Ils donnent à Job la qualité
de prophète ; ce qui a été observé dans les suivants, depuis ceux d'Adon et d'Usuard jusqu'au
romain moderne. Saint C.hrysostome lui avait déjà attribué celle de Martyr, comme ont fait d'au-
tres encore depuis. Quelques autres martyrologes ne le marquent qu'au onze du même mois. Un
calendrier Julien le met au neuf. Et il est remarquable que toutes les églises de la terre se sont
accordées à le mettre dans le même mois, et dans l'espace de six jours; ce qui ne se trouve guère
en ceux qui ont un culte étendu en Orient et en Occident.
Nous ne connaissons point de Saints parmi les Prophètes et les autres justes qui ont précédé
Jésus-Christ en l'honneur de qui on ait dressé des églises et des chapelles en plus grand nombre.
On en voit en Italie plus qu'en aucun autre pays des Latins. Son office est de rit semi-double à
Venise et par tout le diocèse, de même que celui du prophète Jérémie. On solennise sa fête
comme celle des plus célèbres d'entre les saints venus depuis Jésus-Christ, dans plusieurs villes de
Lombardie, de Toscane, de l'Etat ecclésiastique de Rome. Il y est devenu le patron d'un nombre
prodigieux d'hôpitaux. Les malades de diverses espèces, principalement ceux qui étaient attaqués
de la lèpre, de la ladrerie, de la galle et de la vérole en Italie, se sont mis sous sa protection
particulière pour obtenir ou leur guérison, ou le don de la patience qui leur est nécessaire, par son
intercession. Outre son office public reçu et approuvé de l'Eglise, il y avait une messe votive du
bienheureux Job contre le mal de Naples, que les Italiens ont mieux aimé appeler mal français.
Quoiqu'elle se trouvât dans les missels, principalement dans le romain, le bienheureux pape Pie V
ne laissa point de la supprimer et de l'interdire, mais sans nuire au culte du bienheureux Job
dans les lieux où il se trouvait établi. Cette messe propre fut rétablie néanmoins dans le siècle
suivant pour les églises d'Espagne, où l'on est travaillé plus qu'ailleurs du mal des écrouelles,
qui sont comprises parmi les espèces contre lesquelles on réclame l'intercession de Job. C'est
ce qui se fit par l'autorité du Saint-Siège, et qui se renouvela en dernier lieu sous le pape Clé-
ment IX. La contestation survenue à Rome sous Innocent XI, en 1680, à l'occasion de la chapelle
d'un hôpital que l'on voulait dédier sous le nom du bienheureux Job, dans la ville d'Albano, n'a
servi qu'à autoriser davantage son culte.
La France et les Pays-Bas ont admis aussi le culte public de Job, quoiqu'avec moins d'étendue
et moins d'éclat peut-être que l'Italie et l'Espagne. On y voit des tableaux consacrés sur une
infinité d'autels, surtout dans les hôpitaux. Le cardinal de Bérulle ayant dressé un calendrier et
un bréviaire pour la Congrégation de l'Oratoire, qu'il avait fondée en France, fit composer un
office de rit semi-double avec la messe pour le jour de la fête de Job, au dix de mai. 11 le publia
et le fit observer par l'autorité du Siège apostolique, et la permission expresse des évèques du
royaume, après que l'affaire eut été longtemps examinée, débattue, et confirmée en diverses
assemblées et chapitres généraux.
On représente naturellement le saint homme Job couché sur son fumier et- couvert d'ulcères ;
son image se multiplia surtout au svie siècle, où l'usage de l'invoquer contre le mal vénérien
S. ADELPHE, S. PHILADELPHE ET S. CYRLN, MARTYRS, ETC. 443
fut peut-être répandu par le souvenir de ces paroles de l'Ecriture : « Le diable le frappa d'un
ulcère malin ». (Job, n, 7.)
Outre les lépreux et les syphilitiques, le saint homme Job a pour clients les gens mélancoli-
ques et accablés de chagrin ; sans doute à cause du peu de consolation que sa femme et ses amis
apportèrent à ses peines.
Cf. Baillct, Petin, le Père Cahier.
S. ADELPHE, S. PHILADELPHE ET S. GYRIN, MARTYRS,
Ste THÈCLE, Ste JUSTINE, VIERGES *, ET Ste ISIDORA (vers 255-260).
La ville de Lentini, en Sicile (Leontium), vit naître Thècle et Justine : elles étaient cou-
sines-germaines et appartenaient à des familles aussi nobles que pieuses. La mère de Thècle,
Isidora, qui a mérité par sa vie pure d'être honorée comme Sainte, les éleva toutes deux ensemble
dans la crainte et l'amour de Dieu. Cette femme, supérieure aux faiblesses trop communes des
mères même chrétiennes, sut inspirer à ces deux jeunes filles un amour sincère de la virginité. Thècle
perdit de boune heure cette tendre more ; maie les deux cousines étaient prêtes au grand combat
de la vie. Demeurées héritières de grands biens, elles vécurent dans un strict esprit de pauvreté,
usèrent de leurs revenus pour le soulagement des pauvres et notamment des chrétiens persécutés
pour la foi, les soignant dans les prisons, rachetant leurs corps après le supplice et leur procurant
une sépulture digne des membres de Jésus-Christ.
Le Seigneur, qui mesure les épreuves au degré de sainteté auxquelles il veut élever les âmes
qu'a choisies sa droite, permit que Thècle tombât dans une paralysie qui dura six ans et que
Justine perdit un œil par accident ; mais Dieu, qui ne châtie que pour récompenser, devait, dès ce
inonde, manifester sa puissance en leur faveur. — Les intrépides confesseurs de la foi, Adelphe,
Philadelphe et Cyrin étant venus, en un moment où la persécution s'était ralentie, visiter et con-
soler les deux vierges, se mirent pour elles en prières, et, armés de la confiance en Dieu, les
marquèrent du signe de la croix. Par une de ces merveilles auxquelles la prière des martyrs avait
accoutumé les chrétiens, les yeux de Justine s'ouvrirent et les membres de Thècle revinrent à la vie.
Les deux vierges reprirent dès lors, avec une ardeur nouvelle, le cours de leurs bonnes œuvres :
elles eurent à soulager en particulier leurs bienfaiteurs qui passèrent deux années entières en
prison avant de subir le glorieux supplice qui devait les envoyer au ciel. L'un mourut par le glaive
et les deux autres par le feu. Justine et Thècle recueillirent pieusement leurs corps qui avaient
été jetés à l'eau et les ensevelirent avec vénération. Dénoncée pour ce fait même à Tertulle, ce
féroce gouverneur qui fit tant de victimes en Sicile, Thècle comparut devant lui : mais Dieu ne
voulait pas encore priver la terre de cet appui des chrétiens et des pauvres. Tertulle mourut et
Thècle fut remise en liberté. Toujours de moitié dans ses bonnes œuvres avec sa sainte coopéra-
trice Justine, elle travailla à l'œuvre de Dieu par tous les moyens dont peut disposer une femme ;
elle fournissait à la subsistance des ministres de l'autel, élevait des églises et des oratoires,
propageait le culte de la Mère de Dieu : elle obtint même l'érection d'un évèché à Lentini et
pourvut à sa dotation. Justine et Thècle, parvenues toutes deux au terme de leur carrière et de
leurs bienfaits, reçurent, de la part des trois frères martyrs, l'avertissement de se préparer : un
mois après, elles étaient dans le ciel du nombre des épouses de l'Agneau sans tache.
Les saints Adelphe, Philadelphe et Cyrin sont, après Notre-Dame, les patrons de Lentini. Les
Italiens appellent saint Adelphe saint Alûo.
Nous n'avons trouvé nulle part des traces du culte de sainte Isidora, de sainte Justine et de sainte
Thècle 2.
1. Nous avons mentionne' sainte Thècle et sainte Justine an 10 janvier; mais, comme leur vie se rat-
tache a celle des trois martyrs Adelphe, Philadelphe et Cyrin, nous avons renvoyé leur notice à ce jour.
'2. Apres avoir lu les 46 pages in-fu que les Bollandistes consacrent à ces Martyrs, notre conviction est celle
de ces savants hagio_jraphes : c'est-à-dire que les Actes qui les concernent ont été interpolés et qu'on ne sait
rien de certain a leur égard : une seule chose est hors de doute, c'est la célébrité de leur culte chez les
Siciliens et les Grecs. 11 fut un temps où les Actes des Martyrs étaieut un thème à romans : ceux des
saints Adelphe, Philadelphe et Cyrin ont eu la mauvaise fortune de servir de trame a des broderies. De
l'a, la difficulté de distinguer le vrai du faux. Nous l'avons essayé, et nous pensons qu'on peut s'en tenir à
notre récit abrégé.
44 i 10 MAL
S. GORDIEN, S. ÉPIMAQUE, Ste MARINE, S. JANVIER, MARTYRS
(362).
Julien, surnommé l'Apostat, ne voulant pas, à son avènement à l'empire, se priver entièrement
de la réputation de prince débonnaire, dissimula quelque temps la haine qu'il avait contre les
chrétiens. Mais, quoiqu'il ne se déclarât pas ouvertement leur ennemi, il faisait cependant exécuter
contre eus toutes sortes de cruautés par ses lieutenants, envoyant pour cela, dans les provinces,
ceux qu'il savait être les plus grands ennemis de la foi, afin que les excès qu'ils commettraient
fussent plutôt imputés à leur haine particulière qu'aux ordres qu'il aurait pu leur donner. Gordien
fut un de ces juges, et Julien lui donna le vicariat de la ville de Rome, sous le préfet Apronien,
afin qu'il put contenter la haine qu'il avait contre les fidèles. Il y avait alors dans les prisons un
vénérable prêtre, nommé Janvier, avec qui ce juge lia souvent des entretiens. Dieu lui toucha enfin le
cœur par son ministère : il ouvrit les yeux aux rayons de la lumière divine et résolut de se faire
chrétien ; il fut baptisé par Janvier, avec Marine, sa femme, et cinquante-deux personnes de sa
famille. Clémentien, tribun du peuple, l'ayant su, en informa aussitôt l'empereur, qui cassa Gordien
et donna sa charge au dénonciateur. Celui-ci, étant devenu juge de Gordien, le fit amener devant
lui, lui reprocha son ingratitude envers l'empereur et lui fit de grandes menaces s'il ne consentait
à sacrifier aux idoles. Gordien demeura ferme ej. inébranlable dans sa foi, se moquant de Julien
et de ses faux dieux. Clémentien le fit fouetter avec une cruauté indigne, non-seulement d'un
citoyen romain, mais même d'un barbare et d'un scythe; il lui fit briser les os avec des cordes
plombées, et, lui ayant fait trancher la tète, il ordonna que son corps fût exposé sur les grauds
chemins, avec défense de lui rendre les devoirs de la sépulture. Cependant la Providence divine
permit qu'il fût gardé par les chiens. Il fut cinq jours en cet état, au bout desquels un domestique
de Gordien, assisté de quelques chrétiens, l'enleva la nuit et l'enterra dans le même caveau où l'on
avait déposé celui de saint Epimaque.
Saint Epimaque avait souffert le martyre à Alexandrie, vers 250, avec un autre chrétien nommé
Alexandre. On les jeta d'abord tous deux dans une affreuse prison : on les en retira ensuite pour
les fustiger et leur déchirer les côtés. Enfin ils furent brûlés dans la chaux vive. Les reliques de
saint Epimaque furent apportées d'Alexandrie à Rome. Elles sont aujourd'hui avec celles de saint
Gordien, au diocèse d'Augsbourg, dans l'abbaye de Kempten, qui fait partie du royaume de Bavière.
L'Eglise joignant dans son office cet autre Bienheureux à saint Gordien , nous croyons
devoir ajouter un mot en passant. Plusieurs martyrologes le font natif de Rome, et met-
tent son supplice en cette capitale du monde, de même que celui de saint Gordien. Mais le
Bréviaire et le martyrologe romain portent qu'il endura la mort à Alexandrie, ainsi que nous
venons de le dire, et qu'y ayant été consumé par le feu, ses cendres furent apportées à Borne par
les chrétiens et déposées dans la grotte où le corps de saint Gordien fut depuis enseveli.
Pour ce qui est de Marine, femme de saint Gordien, elle fut condamnée par ignominie à
labourer la terre dans un lieu appelé autrefois Aquas Salvis,el aujourd'hui les fontaines de saint
Paul, elle y finit ses jours en la confession de Jésus-Christ. Quant à saint Janvier, il fut marqué
au visage par infamie; le reste de ses supplices et le genre de sa mort nous sont inconnus.
Voilà tout ce que l'on sait du martyre de saint Gordien, dont il est fait me'moire dans tous les mar-
tyrologes, avec saint Epimaque, le 10 mai. Le cardinal Baronius en parle en cet endroit et dans le qua-
trième tome de ses Annales, où il ne manque pas de remarquer l'erreur de plusieurs auteurs qui décrivent
ce martyre comme s'il se fût passé en la présence de Julien, quoique cet empereur n'ait jamais été à
Rome durant son règne.
SAINT MATHURIN DE MONTCHAUDE.
Le 21 février 1872, M. Gayraud, curé de Montchaude, canton de Barbézieux (diocèse d'Angou-
lême), a eu la bonté de nous adresser sur saint Mathurin les renseignements qu'on va lire :
« Saint Mathurin, honoré à Montchaude, est l'objet d'un pèlerinage immémorial. Tous les ans,
le 10 mai, on voit arriver, dès les premières heures du jour, de nombreux étrangers, dont plusieurs
MARTYROLOGES. 445
ont fait quelquefois, à pied, plus de dix lieues, dans l'espoir d'obtenir, pour eux-mêmes ou pour
ceux qui leur sont chers, des faveurs spirituelles ou corporelles. Depuis neuf ans que j'exerce le
saint ministère dans cette paroisse, j'ai toujours vu une grande affluence en ce jour. Jamais l'église
n'a pu contenir la foule. Je ne puis évaluer a moins de quatre mille, le nombre des personnes
qui, en 1866, se rendirent à cette cérémonie. Cette année-là, la fête de notre Saint coïncidait avec
la fête de l'Ascension. Dès six ou sept heures du matin, des pèlerins se rendent à l'église pour
faire bénir soit des objets de piété, soit de petits pains, du vin, des gâteaux, etc., etc., ou pour
faire dire sur eux des Evangiles. A neuf heures, la procession s'organise et se dirige en chantant
les Litanies des Saints, vers le tombeau du Saint, qui s'élève eu forme d'autel, surmonté d'une
croix de pierre, au milieu d'un petit bois, à une distance d'un kilomètre environ de l'église. Là, on
chante l'antienne Hic vu-..., tirée de l'office d'un confesseur non pontife, suivie du verset et de
l'Oraison. Après la bénédiction des divers objets déposés sur le tombeau et l'offrande, pendant
laquelle on offre à baiser, à tous ceux qui y prennent part, un tableau représentant un religieux
solitaire, la procession reprend le chemin de l'église, où l'on célèbre immédiatement la messe
Os Justi, d'un confesseur non pontife, autorisée par l'Ordinaire. La messe chantée, il y a bénédic-
tion des objets qui sont présentés, lectures d'Evangiles et la cérémonie est terminée.
« Ce n'est pas seulement le 10 mai que le tombeau de saint Mathurin attire des pèlerins, il
est encore visité dans le cours de l'année ; on y trouve quelquefois des ex-voto et on y voit des
cierges allumés pendant la nuit. La tradition ne dit pas si le tombeau a jamais été ouvert pour
examiner l'état des reliques du Saint.
« Malgré mes recherches, je n'ai pu rien trouver d'écrit sur la vie de saint Mathurin de Mont-
chaude, ni sur l'origine de son culte. La tradition ne dit rien de précis, non plus, ni sur sa vie,
ni sur l'époque de sa vie. On prétend qu'il habitait un village, voisin de son tombeau, qui existe
encore aujourd'hui et qu'on nomme Chez Maran. Après une vie sainte et solitaire, son corps aurait
été déposé à l'endroit où s'élève le pauvre monument dont j'ai parlé. Son culte ne peut s'expliquer
sans l'existence de faits merveilleux qui auront éclaté pendant sa vie et surtout après sa mort et
qui se renouvellent encore de temps en temps. J'ai été témoin moi-même de quelques guérisons
étonnantes, à l'occasion des neuvaines faites à saint Mathurin. Monsieur le curé de Saiute-Lheu-
rinne (Charente-Inférieure), m'a raconté qu'une de ses paroissiennes, que ses parents avaient été
obligés de monter et de conduire sur une charrette, avait été subitement guérie le jour de la Saint-
Mathurin, et qu'elle avait pu s'en retourner à pied. J'ai vu cette personne deux ou trois fois à
Montchaude, le 10 mai. Elle venait communier et visiter le tombeau de saint Mathurin en actions
de grâces ».
Notes locale*.
XIe JOUR DE MAI
MARTYROLOGE ROMAIN.
A Rome, sur la voie Salaria, la fête de saint Anthime, prêtre, qui, après une vie pleine de
vertus et de prédications merveilleuses, fut précipité dans le Tibre, pendant la persécution de
Dioclétien, et en fut retiré par le secours d'un ange qui le rapporta dans son oratoire; il eut ensuite
la tête tranchée, et s'envola victorieux dans le ciel. ive s. — Le même jour, saint Evelle, martyr,
de la maison de Néron, qui, voyant la constance de saint Torpés ' dans ses tourments, crut en Jésus-
Christ, pour lequel il fut aussi lui-même décapité. — A Rome encore, les saints martyrs Maxime,
Bassus et Fabius, exécutés sous Dioclétien sur la voie Salaria. 304. — A Camerino, les saints
martyrs Anastase et ses compagnons, qui furent mis à mort dans la persécutiou de Dèce, sous le
gouverneur Antiochu3. — A Osirao, dans la Marche d'Ancône, les saints martyrs Sisinnius, diacre,
Dioclès et Florent, disciples de saint Anthime, prêtre, qui furent lapidés, et accomplirent ainsi
leur martyre sous Dioclétien. — A Varennes, saint Gengoul, martyr. 760. — A Vienne, saint
1. Le même que saint Tropez, honoré en Provence, dont nous donnons la Yie ailleurs.
4i<3 11 MAI.
Mamert, archevêque, qui, pour détourner un fléau qui menaçait son peuple, institua dans sa ville
trois jours de litanies solennelles avant la fête de l'Asceusiou de Notre-Seigneur, que l'Eglise
universelle a depuis reçues et approuvées. Vers 477. — A Souvigny, saint Mayeul, abbé de Cluny,
dont la vie fut illustrée par de saintes actions. 994. — A San-Severino, dans la Marche d'Ancône.
saint Illuminé, confesseur. — A Grotaglia, bourg du diocèse de Tarente, saint François de
Girolamo, confesseur, de la Compagnie de Jésus, homme d'une charité et d'une patience merveil-
leuses pour procurer le salut des âmes, que Grégoire XVI a mis au nombre des Saints ; sa fête se
célèbre à Naples avec un grand concours de peuple, daus l'église de la maison professe de la
Compagnie où son corps repose *. 1716.
MARTYROLOGE DE FRANCE, REVU ET AUGMENTÉ.
A Agen, fête de saint Eutrope, évêque de Saintes. Le Propre d'Agen place la mission de saint
Eutrope au Ier siècle. — A Ax, dans le diocèse de Pamiers, saint Udaut, piètre et martyr, dont
le corps a été tranféré a Ripoll, en Catalogne. 452. — A Sens, sainte Lissière ou Léthère, vierge
et martyre, dont les reliques reposaient dans l'église de Saint-Pierre-le-Vif. — A Metz, les saints
évèques Ruf et Agatombre. Ruf fut le neuvième et Agatombre le vingtième évèque de Metz. Ori-
ginaire de la Grèce, Agatombre passa d'abord en Italie d'où la persécution du roi goth, Théodoric,
le chassa. S'étant retiré à Metz, ses vertus le firent donner pour successeur à l'évèque Gramatius.
11 travailla à orner sa cathédrale et mourut saintement. Ses restes allèrent dormir dans la crypte
de baiut-Clément (530). Quant à saint Ruf, il est mentionné au Martyrologe romain le 7 novembre.
— A Séez, saint Milehard, évèque 2. — Au monastère de l'Esterp, dans le diocèse de Limoges,
saint Gautier, chanoine régulier et abbé, qui brilla par ses vertus et ses miracles. 1070. — En
Haiuaut, saint Waubert et sainte Bertilie. père et mère de sainte YValtrude et de sainte Aldegonde.
H60. — En Dauphiné, la translation du corps de saint Antoine le Grand, de Constantinople, au
bourg qui porte sou nom, où fut bâtie en son honneur une célèbre commanderie, chef-lieu de
toutes les maisons de son Ordre. — A Pontigny, le bienheureux Guy, frère aine de saint Bernard,
qui le vit à sa mort allant jouir de l'éternité bienheureuse. — A Tours, la fête de la Protection
de cette ville par saint Martin. — A Amiens, la fête de saint Ache et saint Acueul, dont l'entrée
au ciel est marquée le 1er mai. — A Blois, la fête de saint Béat ou Bié, nommé au Martyrologe
romain le 9 de ce mois. — A Montpellier, la fête de saint Ponce de Thomières, nommé au Marty-
rologe romain le 14. — A Reims, la fôte de saint Gibrien, déjà nommé le 8 de ee mois. — A
Verdun, la fête de saint Possesseur 3, qui succéda à saint Pulchrone. Contemporain des invasions
franques, vandales et hunniques, il consola son peuple dans ces jours de la colère céleste, en
mêlant ses larmes aux siennes, en l'entraînant aux pieds des autels et en versaut l'aumône dans le
sein des pauvres. Son corps, d'abord déposé dans l'église de Saint-Pierre et de Saiut-Paul, est
aujourd'hui vénéré dans sa cathédrale. Fin du v° s. — A Croix-Gente ou Gentille, près de Mon-
tendre, dans le diocèse de la Rochelle, bénédiction, en 1S62, du nouveau sanctuaire destiné à
recevoir la statue de Notre-Dame de Pitié. Ce sanctuaire, ruiné à l'époque des guerres de religion,
fut entièrement rasé à l'époque de la Révolution. Suivant les récits populaires, la fondation de la
chapelle est due à un fait touchant. Un père, qui avait eu la douleur de perdre son enfant, fit
vœu de bâtir une chapelle à l'endroit même où l'enfant serait retrouvé. La Mère divine eut pitié
de ce pauvre père et lui rendit son fils dans l'endroit où vient d'être rebâtie la chapelle de
Croix-Gente.
MARTYROLOGES DES ORDRES RELIGIEUX.
Martyrologe des Chanoines réguliers. — Chez ceux de Latran, saint Gautier, abbé du
monastère de l'Esterp...
Martyrologe des Bénédictins. — Saint Pierre, martyr, mentionné le 29 avril.
Maiiijrologe des Cisterciens. — Au monastère de Bellevaux, au diocèse de Besançon, saint
Pierre, de l'Ordre de Citeaux, qui, d'abbé du monastère de Tamié, en Savoie, devint archevêque
de Tarentaise, et qui, comblé de toute espèce de mérites, s'en alla au ciel le 14 septembre 1174.
Martyrologe des Dominicains. — A Cracovie, eu Pologne, saint Stanislas.
Martyrologe des Franciscains. — Saint Georges, martyr, dont l'Eglise célèbre la fête le
23 avril.
1. Quelques Ordres religieux célèbrent aujourd'hui la fête de saint Alexandre 1er, pape. Voir sa Vie
au 3 mai.
2. Voir la Vie de saint Sérené et Sérénic ci-dessus.
3. Tout ce que l'on sait de saint Possesseur se réduit a dire qu'il occupait un rang distingué dans la
magistrature de Verdun, qu'il engagea fortement ses concitoyens a choisir saint Pulchroue pour leur
évêque, et qu'après la mort de celui-ci, il lui succéda sur le sié0'e épiscopal (470-486). Voir la Vie de
saint Pulchrone au 30 avril.
SAINT UDAUT, PRÊTRE ET MARTYR. 447
Martyrologe des Mineurs conventuels. — A Recanati, dans la Marche d'Ancône, le bienheureux
Bienvenu Marene, confesseur, de l'Ordre des Mineurs, remarquable par son admirable piété et par
l'éclat de ses miracles. Le pape Pie VII confirma le culte immémorial de ce saint homme, et
permit de célébrer sa fête avec l'office de la messe : sa bienheureuse mort arriva le 5 de ce mois.
Martyrologe des Carmes. — A Randazio, en Sicile, la fête du bienheureux Aloysius Rabata,
de l'Ordre des Carmes, admirable par sa régularité, sa charité et l'amour de ses ennemis *. 1490.
ADDITIONS FAITES D 'APRÈS LES BOLLANDISTES ET AUTRES HAGIOGRAPHES.
Au monastère de Saint-Lambert, en Styrie, la translation des saints martyrs romains Cyrille,
Eleuthère, Marcien et Dorothée, qui eut lieu en 1650. — A Constantinople, saint Mucius, prêtre
et martyr, qui fut mis à mort de la façon la plus cruelle pour avoir renversé une idole de Baccbus
en faisant le signe de la croix. Constantin le Grand fit élever une église qui lui était dédiée. C'est
dans cette église que fut lue la condamnation de Nestorius. — A Altino, en Italie, saint Népotien,
prêtre, dont l'éloge a été écrit par saint Jérôme, qui lui était très-attaché. Vers 396. — En Angle-
terre, saint Frémond, roi d'une portion, de cette contrée et martyr. Vers le vine s. — A Naples,
le bienheureux Nicolas, ermite, qui fut tué dans cette ville par un des serviteurs de Marie, reine
de Jérusalem, de Sicile et de Hongrie, que la princesse chargeait du soin de porter ses aumônes
au saint ermite. 1310. — A Zell, près de Worms, dans le Palatinat, saint Philippe, ermite. Anglais
de naissance, il quitta sa patrie et fit un pèlerinage à Rome. Il vint ensuite s'établir, près de Worms,
en un village qui, après sa mort, s'appela Zell ou Celulle. Ses restes mortels ont été conservés,
dans l'église de Zell, jusqu'en 1531 ; sa fête se célébrait le 11 mai dans l'ancien évèché de Worms,
comme elle se fait encore aujourd'hui dans le nouveau diocèse de Spire. L'ermitage de Zell fut,
au xne siècle, changé en un prieuré dépendant de la riche abbaye de Hornbach, près de Deux-
Ponts. Au xme siècle, le prieuré fut érigé en collégiale, et, au xiv°, il se forma une Confrérie
en l'honneur de saint Philippe, dont les riches revenus furent, à l'époque de la Réforme, incor-
porés par Jules II à l'Université d'Heidelberg. Saint Philippe de Zell vivait au vin6 siècle.
SAINT UDAUT, PRETRE ET MARTYR,
APOTRE DES HUNS DU DANUBE ET DES VALLÉES PYRÉNÉENNES DE L'ARIÉGE
452. — Pape : Saint Léon le Grand. — Empereurs d'Occident : Honorius ; Valentinien III.
Que ceux qui ont la charge des âmes ne calculent
point les dangers de leur mission ; qu'ils se disent
comme l'Apôtre : Malheur à moi, si je garde le
silence. / Cor., is, 17.
Au centre de la vallée de la haute Ariége, sillonnée par la limpide ri-
vière que les généraux romains avaient nommée Aurigera, que les Vvisi-
goths et les Francs, qui y dominèrent après eux, appelèrent Arrega 2, d'où
vient, par corruption, le nom d' Ariége, à sept kilomètres en aval d'Ax, on
voit se détacher, du flanc de la montagne, une tour massive, quadrangu-
laire, percée de plusieurs rangs de baies géminées dont la construction,
sans ornements et d'un style assez primitif, annonce seule l'antiquité. C'est
là le clocher du vieux prieuré d'inac. Cette tour, encore solide et pleine de
vie, devint, il y a déjà presque huit cents ans, le clocher d'une nouvelle
église qui lui fut accolée après la destruction de la première. Cette nou-
velle église, nonobstant ses petites dimensions, attire, plus que la vieille
tour de son clocher, l'attention des touristes, par ses proportions et ses or-
1. Le culte du bienheureux Prieur de Randazio a été approuvé par Grégoire XVI. Ses Reliquts sont
dans l'église des Carmes de cette ville.
2. D'Ar-rieg, « rivière d'en haut », dit-on.
448 ** mai.
nementations architecturales, et a mérité d'être classée parmi les monu-
ments dont le gouvernement français protège la conservation l.
Ce vieux monument de deux époques apparaît entouré d'une agglomé-
ration de pauvres habitations, qu'on nomme le village d'Unac.
C'est pendant les conquêtes de Charlemagne sur les Sarrasins, pendant
l'organisation des Marches, par lui-même ou par ses lieutenants, complétée
sous le gouvernement de son fils Louis le Débonnaire, régnant à Toulouse
sous le titre de roi d'Aquitaine, c'est-à-dire depuis 778 jusqu'à 812, que fut
fondé le prieuré d'Unac.
Unac se trouve à quelque distance d'Ax, la ville aux trente-neuf sources
thermales, dont le martyre de saint Udaut illustra les murs.
Saint Udaut, lisons-nous dans les vieilles Chroniques résumées par le
pieux abbé Authier, curé d'Unac *, vint au monde l'année 405. Il mourut
martyrisé pour la foi de Jésus-Christ le 11 du mois de mai 452, à Ax-sur-
l'Ariége, aujourd'hui ville de France au diocèse de Pamiers, et alors ville
du diocèse de Toulouse, dans l'ancienne province romaine de la Septima-
nie Narbonnaise, royaume des "Wisigoths, sous le règne de Thorismon.
Revêtu du caractère sacerdotal, saint Udaut exerça le ministère aposto-
lique principalement dans cette partie des Pyrénées qui s'élèvent dans les
diocèses d'Elne, (aujourd'hui de Perpignan), du Vic-d'Ausonne, (aujourd'hui
de Vich), d'Urgel et de Toulouse, travaillant avec zèle à la conversion des
païens qui existaient en grand nombre dans ces contrées, encourageant les
fidèles catholiques, persécutés par les Wisigoths ariens, maîtres de ce pays;
et il y souffrit le martyre dans l'accomplissement de ces saints devoirs, par
la main des rois ostrogoths de l'armée d'Attila, qu'il avait déjà évangélisés
avec les Huns dans leurs campements des provinces romaines sur les bords
du Danube.
Saint Udaut naquit en Italie, d'une de ces nobles familles païennes des
barbares, qui, combattant depuis longtemps sous les généraux de l'empire
romain, y avaient obtenu des terres, et avaient servi à l'empereur Hono-
rius, pour arrêter, sous le commandement de Stilicon, Vandale dont il
avait épousé la fille, une armée de deux cent mille Goths, dans les mon-
tagnes de la haute Italie. Pendant qu'Udaut se formait, dans son adoles-
cence, à la vie dure des camps par les exercices de la chasse, il fut conduit
un jour auprès d'un saint ermite du nom de Pancrace, par une biche qu'il
voulait percer de ses traits. La bête des bois, vivement pourchassée, était
venue se blottir aux pieds du Saint, comme le chien du chasseur lorsqu'il
est surpris et poursuivi par le loup altéré de son sang. A la vue du saint
ermite, qui l'accueillit avec bonté, Udaut, bien loin de tuer la biche, fut
frappé comme d'une vision miraculeuse. Tout ce qu'il avait appris de la
religion chrétienne avec les enfants de son âge dans leurs temples, lui re-
vient à l'esprit : c'est Dieu qui l'appelle à lui. Fidèle à la grâce prévenante,
il était disposé à faire la volonté du ciel. Il demande donc au saint ermite la
permission de demeurer dans son ermitage, pour mieux s'instruire des vé-
rités religieuses, et peu de temps après il reçut le baptême.
Devenu enfant de Dieu et de son Eglise, Udaut se consacra tout entier
au service de l'un et de l'autre, mais il avait à faire son apprentissage. Il se
faisait durement alors. Saint Pancrace eut le soin d'en avertir son disciple.
Cependant cet ermitage dans l'Italie, si proche de la maison des parents
idolâtres d'Udaut, ne parut pas au saint directeur un lieu sûr, pour proté-
1. Le classement de cette église romane date de l'année I
■ . Brochure in-8", imprimés en 1870 chez Chauvin, à Toulouse.
SALNT UDAUT, PRÊTRE ET MARTYR. 449
ger son néophyte d'un jour. Il voulut le mettre à l'abri de la chair et du
sang et des tentations de découragement. Les deux compagnons quittèrent
leur solitude d'Italie, et étant arrivés sur le bord de la mer, saint Pancrace,
montrant à Udaut une galère prête à mettre à la voile, lui demanda s'il
persévérait dans ses promesses du baptême. Sur sa réponse affirmative, ils
demandèrent passage dans ce navire et vinrent débarquer à sa destination,
à Port-Vendres, non loin de l'ancienne ville épiscopale d'Elne.
C'était vers l'an 423. Les Wisigoths ariens, gouvernés alors par leur roi
Théodoric Ier qui défendit si vaillamment Toulouse, sa capitale, contre le
général romain Littorius, et fut tué plus tard dans la célèbre bataille des
champs Catalauniques, en combattant contre Attila, étaient les maîtres de
toute la partie orientale et centrale de la chaîne des Pyrénées. C'est là
qu'Udaut passa les plus belles années de sa vie, ce fut là le théâtre de ses
rudes pénitences et de ses premiers travaux dans la vie apostolique.
A peine les deux ermites furent arrivés dans les premières cavernes de
ces montagnes, que les sentiments naturels du barbare commencèrent à se
réveiller en Udaut : déjà il prenait en dégoût la vie contemplative ; il se re-
pentait aussi d'avoir abandonné ses parents. Sans chercher trop longtemps
à se faire violence, il avait même ouvert la cellule de saint Pancrace pour
lui faire ses adieux, lorsqu'il trouva son directeur, averti dans l'oraison de
ses découragements, adressant à Dieu de ferventes prières, pour lui obtenir
la grâce de la persévérance. En même temps un coup de tonnerre se faisait
entendre, une lumière brillante comme une étoile vint éclairer pendant
longtemps la tête vénérable du vieil ermite. Terrifié par ce nouveau pro-
dige, comme il avait été impressionné par la rencontre de la biche, le jeune
homme fut incontinent guéri de ses illusions. Il se prosterna le visage contre
terre pour demander pardon à Dieu et à son serviteur de son ingratitude
et de la défaillance de sa foi. Ils s'enfoncèrent ensuite plus profondément
dans le pays désert des montagnes, afin de s'y livrer à de plus intimes prières
et à de plus rudes macérations.
Saint Pancrace, si rempli de l'esprit de charité, ne put habiter longtemps
dans le voisinage des chaumières qui abritaient encore des indigènes païens
sans travailler à leur conversion. Lorsqu'il fut plus connu avec son disciple,
ce furent les habitants des viiles qui accoururent en foule vers les solitaires
des rochers. Eux-mêmes durent aussi leur porter les lumières et les conso-
lations de la foi chrétienne, comme l'avait fait, parmi leurs ancêtres, saint
Saturnin, premier évêque de Toulouse, qui avait évangélisé cette contrée
immédiatement après les Apôtres. Depuis, la foi ne s'était jamais éteinte
dans ces montagnes, mais elle y avait peu d'adeptes. Udaut, de son côté,
avec sa connaissance des idiomes barbares des Goths envahisseurs, s'em-
ployait activement auprès de ceux de cette nation pour le bien général.
Il est permis de croire que c'est pendant le cours de ces travaux que le
saint directeur d'Udaut présenta son disciple à l'ordination sacerdotale.
Est-ce àLampius, évêque de Barcelone, qui avait déjà imposé les mains
pour le sacerdoce à saint Paulin, évêque de Noie, ou à quelque autre évêque
de la contrée ? le vieil historien du Saint ne nous l'apprend pas. Mais Sa-
lazar ', un des écrivains de sa vie au dix-septième siècle, ne craint pas d'af-
firmer que notre Saint est mort prêtre et martyr, et c'est l'opinion de toutes
les églises qui le vénèrent, puisqu'elles l'ont toujours représenté sur leurs
autels revêtu des insignes de ce caractère sacré 2. Les fatigues apostoliques,
1. En el Martirologio espagnol, al dia 11 de mayo, tome ni, page 138.
2 La famille Gomma d'Ax, dont nous voyous ua membre figurer sur le catalogue des consuls de cetw
Vies des Saints. — Tome V. 29
450 ** MAI.
jointes à ses macérations, épuisèrent les forces de saint Pancrace. Tout
plein de mérites, il s'endormit dans la paix du Seigneur.
Dès ce moment, l'esprit de foi qui enfante les prodiges passa du vieil
ermite dans le cœur de son disciple, de même que l'esprit d'Elie passa dans
le cœur du prophète Elisée, lorsqu'ils se séparèrent pour toujours sur les
bords du Jourdain. Sous cette direction divine, saint Udaut voulut se pré-
parer à de plus grands travaux, par un pèlerinage au tombeau de saint Sa-
turnin dont il avait bien souvent invoqué la protection dans ses missions.
Il avait aussi l'intention d'en obtenir des reliques des habitants de Toulouse,
pour les offrir à la vénération reconnaissante des descendants des Espa-
gnols qu'il avait enfantés à Jésus-Christ.
En arrivant à Toulouse, le prêtre missionnaire y apprit que les fidèles
de cette Eglise, ayant perdu leur premier pasteur, saint Exupère, étaient
toujours depuis empêchés par leurs rois vvisigoths de lui désigner un suc-
cesseur, quoiqu'ils n'eussent pas trop à souffrir, de leur part, de flagrantes
persécutions, dans la crainte qu'avaient ces rois ariens de s'aliéner le cœur
de leurs sujets catholiques. Il y fut reçu par le prêtre Jean et par ses com-
pagnons dans le ministère sacré, Raymond et Vincent, qui dirigeaient les
fidèles toulousains. Ces saints prêtres étaient venus à sa rencontre d'après
un avertissement surnaturel. De son côté, saint Udaut reçut de Dieu le pou-
voir de révéler aux fidèles de Toulouse combien il jouissait des faveurs cé-
lestes, en ressuscitant parmi eux un de leurs enfants mort, du nom de
Profane.
Saint Udaut resta peu de temps dans la ville de Toulouse. Plusieurs de
ses plus fervents chrétiens étaient à la veille d'aller visiter les Saints-Lieux
de Rome; ils lui exprimèrent le bonheur qu'ils éprouveraient, s'il voulait
se décider lui-même à les guider à travers les barbares qu'ils seraient expo-
sés à rencontrer partout sur leur route. Leurs instances, jointes au désir
qu'il avait souvent éprouvé de visiter les tombeaux de saint Pierre et de
saint Paul, lui firent comprendre qu'il ferait la volonté de Dieu, en leur
donnant cette satisfaction. Il partit de Toulouse et arriva dans la capitale
du monde chrétien l'année 444.
La grande nouvelle du moment, la plus effrayante, c'était les progrès
d'Attila avec une armée des plus formidables, dans la Mœsie et la Pannonie,
aux environs du Danube, marchant sur Constantinople et bientôt sur Rome.
« Parmi les rois qui le suivaient comme des esclaves, il y en avait deux
qu'Attila distinguait sur tous; c'étaient : Ardaric, roi des Gépides; l'autre,
Valamir, roi des Ostrogoths, accompagné de ses deux frères Théodémir
et Vidémir. Ces trois derniers princes, plus nobles que celui qu'ils recon-
naissaient pour maître, étaient de la race des Amales, la plus illustre
de la nation gothique. Valamir se rendait recommandable par sa discré-
tion, par sa douceur et par une franchise qui, jointe à la bravoure, forme
le vrai caractère des héros ' ». Par cette citation nous faisons con-
naître les trois rois qui martyrisèrent saint Udaut à Ax, quelques années
plus tard.
ville à la fin dn xve siècle, conserve précieusement un ancien autel dont lô rétable offre en bas-relief une
petite statuette de ce Saint peinte et dorée, et désignée par son nom d'Udaut. Elle est revêtue de la chape,
de l'êtole et d'une barrette noire. Cet autel est trop décoré pour avoir été fait pendant la Terreur de 1793.
Il appartenait à quelque chapelle ou publique ou privée d'Ax, puisqu'on y voit aussi les deux statuettes
des Apûtres fils de Zébédée, saint Jacques et saint Jean, vénérés l'un dans son antique église de Saint-
Jean-d'Ause, et l'autre dans sa vieille ladrerie. Les .anciens habitants d'Ax vénéraient donc aussi saint
Udaut comme prêtre en même temps que comme patron secondaire.
I. Le Beau, Histoire du Bas-Empire, liv. ssxiu, paragr. 20.
SAINT UDAUT, PRÊTRE ET MARTYR. 451
Il n'en fallait pas tant pour enflammer le zèle apostolique de saint Udaut.
Il se sépara donc des Toulousains, ses compagnons de pèlerinage à
Rome, pour obéir à ses inspirations, en se dirigeant vers l'armée d'Attila.
Ceux des habitants d'en-deçà du Danube, qui avaient été épargnés par l'ar-
mée envahissante, y étaient traités comme des esclaves. A tous les maux
dont ils étaient accablés déjà, Dieu avait ajouté une plaie de reptiles ou
d'insectes venimeux qui les faisaient périr en grand nombre. Saint Udaut
s'appliqua à consoler et à encourager ces chrétiens, en les délivrant, par
ses prières, de ce surcroît de malheurs. La reconnaissance et l'admiration
des chrétiens pour le saint missionnaire ne manquèrent pas d'attirer l'at-
tention des chefs barbares. Ils s'aperçurent que le Saint, par ses prédica-
tions et ses guérisons miraculeuses, se faisait des prosélytes dans les familles
mêmes de leurs sujets.
Le roi Wuillielm, frère aîné d'Attila, subissant, comme bien d'autres
rois secondaires, l'ascendant de son puîné, fut chargé le premier de châtier
cet ennemi des jongleurs du camp, qui avait plus de crédit à lui seul qu'eux
tous par ses prestiges. Il le condamna au supplice du fouet cro-heté de fer.
Cet instrument de supplice appelé aujourd'hui le knout, est resté en usage
chez les Russes, d'où il est à espérer que la civilisation chrétienne finira par
le faire disparaître. Il a encore été appliqué, avec beaucoup de cruauté, en
plein dix-neuvième siècle, aux Polonais restés fidèles à leur patrie et à leur
religion. « Le knout l est une longue et étroite lanière, recuite dans une
espèce d'essence, et fortement enduite de limaille métallique. Ainsi préparée,
la lanière acquiert une dureté et une pesanteur extrêmes. Mais avant qu'elle
ne se durcisse, on a le soin de replier sur eux-mêmes les bords, amincis à
dessein, et qui forment de cette façon une rainure dans toute la longueur
de la courroie, terminée par un petit crochet de fer. Si le bourreau sait son
métier, le supplicié perd connaissance au troisième coup, et expire après
le cinquième ». Saint Udaut fut attaché sur la planche appelée kobila, le
dos nu, la tête appuyée sur le bord supérieur, les pieds fixés à la partie
inférieure, et les mains liées, embrassant la planche. Dans cette position,
la pesante lanière, cinglée avec vigueur par le bourreau sur les flancs du
Martyr, de son côté concave, coupe les chairs comme un couteau, et,
retirée horizontalement par le même exécuteur, ramène, au moyen du
crochet et par longues bandelettes, les parties détachées des chairs sai-
gnantes. Les coups se répétèrent jusqu'à ce que Wuillielm, voyant les flancs
de saint Udaut décharnés et supposant qu'il était mort, donna le signal de
la fin du spectacle.
Détaché de la kobila, le saint Martyr fut laissé comme cadavre sur le
théâtre de l'exécution. Il n'était qu'évanoui. Après une guérison miracu-
leuse, saint Udaut dirigea ses pas et ses travaux apostoliques vers la division
des Ostrogoths. Ce fut le tour de Valamir d'y mettre ordre. Conduit devant
le tribunal pour les mêmes motifs qui l'avaient fait comparaître devant
celui de Wuillielm, le second juge, informé de la récidive, le condamna au
même supplice national, en accusant la trop grande indulgence du roi des
Huns, qui n'avait point fait exécuter la loi réglementaire du nombre pres-
crit de coups de knout. Voulant même rendre le spectacle plus attrayant,
Valamir condamna l'impie à boire, à la santé des dieux, une coupe pleine
de plomb fondu, s'il ne succombait pas dans le supplice du fouet.
Au jour fixé pour l'exécution de ce jugement, saint Udaut endura avec
1. Martyrs de la Sibérie, ch. 12, par A. de Laniotlit.
452 il mai.
le même appareil et la même cruauté, dans le camp des Ostrogoths, le
chiffre légal de cent et un coups de knout sans rendre le dernier soupir; mais
se relevant sur ses pieds comme un squelette sanglant, après avoir été dé-
taché de la kobila, il bénit, avec sa foi d'apôtre en la vertu du signe de la
croix, la coupe brûlante du plomb fondu que lui offrait un second bour-
reau, et l'avala comme une confortable liqueur. La peine infligée par le
jugement était subie. Le juste Valamir ne s'irrita point. Tout ému de ce
qui venait de se passer d'horrible et de merveilleux sous ses yeux aussi bien
que sous ceux de son armée, il ne lui fit point trancher la tête. S'il l'avait
fait, sa réputation d'équité aurait perdu quelque chose de son prestige de-
vant ses sujets. Il se contenta de le faire chasser bien loin de l'armée
d'Attila.
En quittant le camp d'Attila, saint Udaut retourna vers les Pyrénées,
dans ces diocèses auxquels il avait été destiné et attaché par son ordina-
tion. Il lui restait là beaucoup à faire.
Nous avons dit qu'en entreprenant un pèlerinage hors de ce pays où
étaient les plus vives affections de son cœur, saint Udaut avait eu l'intention
de le doter de quelques reliques du corps de saint Saturnin, premier évêque
de Toulouse, pour les déposer sous les autels que les sueurs apostoliques du
saint évêque y avaient fait lever. Aussi il s'empressa, en arrivant dans la
capitale des Wisigoths, de demander une perle de ce précieux écrin que
les fidèles toulousains conservaient avec tant de vigilance. Ces fidèles chré-
tiens qu'il avait édifiés à son premier passage, ceux surtout qu'il avait ac-
compagnés dans leur pèlerinage à Rome, et l'avaient vu partir vers l'armée
d'Attila, le revoyant échappé aux dents de ce lion, tout couvert des traces
de ses cruelles morsures, n'eurent rien à lui refuser; sa demande d'ailleurs
était si juste !
Le diocèse de Toulouse, en remontant le cours de l'Ariége, était alors
limitrophe avec celui d'Urgel, par le val d'Andorre. C'est par ce chemin, le
plus direct et le plus facile, que saint Udaut franchit les sommets des Py-
rénées, portant la précieuse relique de saint Saturnin. Un de ses premiers
soins, en arrivant dans le pays d'Urgel, fut d'y bâtir une église au lieu de
Tavernolas, qu'il dédia au saint premier évêque de Toulouse, et où il dé-
posa sa relique. C'est en ce lieu et auprès de cette église, que s'éleva, bien-
tôt après, un monastère fort célèbre, au commencement du neuvième
siècle, sous le nom de Saint-Saturnin de Tavernolas, auquel on en unissait
plusieurs autres au commencement du dixième siècle.
Rentré dans sa mission des Pyrénées, saint Udaut s'y occupa exclusive-
ment d'y gagner des âmes à Dieu. Ces travaux apostoliques durèrent sept
ans jusqu'à sa mort.
Au printemps de l'année 452, après avoir réparé les pertes qu'il avait
essuyées dans les plaines de Châlons, Attila parut en Italie. Il s'était chargé
de châtier les Romains avec son homme d'exécution Ardaric, roi des Gé-
pides, et le gros de son armée. Là, Yalamir, avec sa division ostrogothe,
se séparait de lui et, suivant le cours de Rhône, venait combattre les Wisi-
goths dans leurs propres Etats. Valamir et tous les siens avaient juré
depuis longtemps une haine irréconciliable aux Wisigoths de France et
d'Espagne.
Le 11 mai 452, l'armée ostrogothe d'Attila commandée par trois de ses
lieutenants, que la légende de saint Udaut appelle rois, campait à Ax, au
centre des Pyrénées, prête à en franchir les plus hauts sommets, limites entre
les Gaules et l'Espagne à une distance de vingt kilomètres du col de Puy-
SAINT UDAUT, PRÊTRE ET MARTYR. 453
morenc le plus praticable, à cinq kilomètres des défilés étroits de Mérens,
gardés par les Wisigoths. C'était pour elle un jour critique. Valamir vou-
lut offrir des sacrifices au dieu Mars, pour stimuler l'avidité de ses guer-
riers et leur animosité contre les Wisigoths. Saint Udaut, se trouvant sur les
lieux, ne manqua pas de détourner de ces sacrifices sacrilèges les prosé-
lytes qu'il avait faits à la foi chrétienne dans l'armée de Valamir, avant son
martyre dans les provinces danubiennes, comme saint Maurice en détour-
nait la légion Thébaine, dans une semblable occasion. Averti d'un schisme
dans son armée pour l'offrande des sacrifices, le roi ostrogoth ne fit point
éclater sa sévérité en décimant ni en massacrant en bloc les chrétiens ré-
fractaires : il était trop intéressé à les ménager; mais il déchargea sa colère
sur saint Udaut, que ses officiers avaient conduit devant son tribunal au
pied des autels, comme l'instigateur de ce désordre. L'œil perçant du roi
barbare reconnut à l'instant l'apôtre chrétien qui à Faste, capitale des
Huns sur le Danube, était allé annoncer l'Evangile aux sujets d'Attila. Il
en fut troublé. Mais il se hâta de lui adresser la parole en l'interpelant avec
vivacité. « N'es-tu pas », lui dit-il, « cet Udaut dont le fouet a déjà déchiré
le corps; l'homme flétri par mon ordre ? Tu as pu, par tes sortilèges, ava-
ler sans mourir ma coupe de plomb fondu ! Faut-il encore que je te re-
trouve ici semant l'indiscipline parmi mes enfants, pour nous attirer la
colère de notre grand dieu protecteur ! Répare tes impiétés et tes trahi-
sons en offrant de l'encens au dieu de la guerre, ou disparais à jamais de ce
monde ! » Saint Udaut lui répond avec calme : « Je n'ai jamais détourné
vos soldats de leurs devoirs, prince; mais je ne crains pas plus vos sévérités
que dans les temps passés, et je ne sacrifierai pas aujourd'hui à votre idole
impuissante... » Il allait parler encore, lorsque Valamir ordonne qu'il soit
immédiatement enfermé dans un tonneau où avait été contenu le vin des
sacrifices. Il fait ensuite enfoncer des clous dans cet instrument de sup-
plice improvisé, et ordonne qu'il soit roulé du haut des prairies où se trou-
vait son tribunal, auprès des murs de la vieille ville d'Ax. C'est ainsi qu'il
fait ruisseler le sang du saint Martyr devant les étendards portant l'image
de l'épée de Mars échelonnés dans les rangs de ses cavaliers, jusqu'au lieu
où, retiré tout sanglant de son tonneau, on lui plonge un poignard dans
le cœur.
La tradition orale des habitants d'Ax sur le martyre de saint Udaut,
opéré dans leur ville par trois rois, qui le firent rouler dans un tonneau
hérissé de clous, est incontestable. Le lieu de sa sépulture après le martyre
a toujours porté le nom de Saint-Udaut et est encore aujourd'hui orné
d'une croix de fer scellée dans la pierre. Le rétable d'un ancien autel dé-
coré d'une statuette en bas-relief désignée par son nom est un témoignage
irrécusable du culte que lui ont rendu les habitants de cette ville.
Ce lieu est situé entre les deux rivières d'Ause et d'Ariége et entre deux
rochers, en dehors de la ville. Cent vingt-neuf ans plus tard, lorsque les
premiers rois de France eurent renversé à Toulouse le trône des Wisigoths,
l'année 581, sous le règne de Chilpéric et Childebert, pendant que le duc
Didier gouvernait la contrée, les habitants d'Ax obtinrent la permission de
leur évêque saint Germier ou Magnulphe, son successeur, d'exhumer le
corps du saint Martyr, pour le déposer honorablement dans leur église pa-
roissiale, et l'y vénérèrent comme un patron secondaire. Dans le supplé-
ment de son Martyrologe gallican, Du Saussay, évêque de Toul, dit qu'il y
devint célèbre par des prodiges divins. Il fut la sauvegarde de cette ville,
dans cette vallée si exposée aux déprédations, comme chemin stratégique,
454 H MAI.
particulièrement dans les guerres de Charlemagne et de Louis le Pieus
contre les Sarrasins.
En 978, des religieux de l'abbaye de Ripoll furent envoyés à Ax pous
faire la translation solennelle des reliques de saint Udaut, d'Ax à Ripoll;
cette dernière localité se trouvait plus au centre du pays qi>e le Saint avait
évangélisé avec tant de zèle.
C'est là que repose encore aujourd'hui le prêtre martyr que le Seigneur
a couronné. Ses reliques y sont déposées dans une magnifique urne d'ar-
gent, sur laquelle sont retracés en bas-relief plusieurs de ses miracles.
La dévotion à saint Udaut devint populaire au moyen âge dans les
Marches d'Espagne, et elle ne s'y est point affaiblie encore de nos jours.
Elle s'est étendue dans le reste de l'Espagne et elle a été importée par les
Catalans jusque dans le Mexique. Nous en trouvons la preuve la plus au-
thentique dans ce que dit l'auteur d'un abrégé de sa vie, imprimé à Vich
en 1863, en tête d'une petite brochure renfermant, avec les prières et can-
tiques à saint Udaut, l'ordre d'une neuvaine enrichie d'indulgences par
l'évêque diocésain de Vich, par son métropolitain de Tarragone, et par
d'autres évêques d'Espagne et du Mexique. « On célèbre », nous dit cet
écrivain, « à Ripoll la fête du martyre de saint Udaut le 11 mai, avec la
plus grande solennité et avec un grand concours des populations du voisi-
nage, qui toutes le regardent comme leur bienfaiteur et leur protecteur,
parce qu'en toute occasion Dieu a accordé par ses mérites une infinité de
miracles. Toutes les fois qu'on découvre ses reliques, ses dévots serviteurs
respirent une odeur délicieuse qu'aucun parfum ne saurait produire. Son
assistance est manifeste toutes les fois qu'on l'invoque dans les fièvres ou
autres maladies. (Que celui qui comme moi-même en aura fait l'expérience,
ne manque pas de le proclamer !) Dans les temps de sécheresse, lorsqu'on
porte processionnellement son corps saint au dehors du temple, Dieu ne
manque pas d'exaucer son serviteur. Mais la protection la plus manifeste
du saint Martyr s'éprouve dans les accouchements difficiles. Il n'est pas
alors de femme qui ne le trouve propice, si elle l'invoque avec ferveur ».
Etudes historiques et religieuses sur le pays de la haute vallée de l'Ariége, par M. l'abbé Authier, curé
d'Unac ; Toulouse, imprimerie A. Chauvin et fils, 1S70.
g. MAMERT, ARCHEVÊQUE DE VIENNE EN DAUPHINE
417. — i'ape : Saint Simplice. — Invasion des Gaules par les Francs.
Si les fléaux sont entre les mains de Dieu la verge qui
Châtie les hommes, la prière est entre les mains de
l'homme la force qui peut apaiser Dieu et faire des-
cendre ses bienfaits sur la terre.
L'antiquité nous a laissé peu de détails sur la vie de saint Mamert. Mais
il s'est rendu fort célèbre par l'établissement des Rogations. Ce n'est pas
qu'il soit le premier auteur de ces processions saintes, que l'on fait pour
attirer les bénédictions de Dieu sur les fruits de la terre; mais, de son
temps, elles étaient presque tombées en désuétude, ou bien se faisaient sans
dévotion. Mamert les rétablit, et, y ajoutant le jeûne à la prière, il ordonna
SAINT MAMERT, ARCHEVÊQUE DE VIENNE EN DAUPHINÉ. 455
qu'on les ferait les trois jours qui précèdent l'Ascension. Cette pieuse ré-
forme fut d'abord reçue de toutes les Eglises de France, suivant le décret du
premier Concile d'Orléans, tenu sous Clovis le Grand, et le fut ensuite de
l'Eglise de Rome, par l'autorité de Léon III.
Yoici à quelle occasion saint Mamert eut cette pieuse pensée : il occupait
dignement le siège archiépiscopal de Vienne, dans lequel il avait succédé
à saint Simpiicius, dans le milieu du ve siècle. Outre les calamités publiques
de toutes les Gaules, qui étaient alors exposées aux irruptions des nations
barbares, spécialement des Huns et des Goths, la ville et le pays de Vienne
se virent affligés par des malheurs particuliers qui les menaçaient d'une
désolation universelle : cette ville était souvent ébranlée par de si effroyables
tremblements de terre, que ses habitants étaient contraints de l'abandon-
ner, de peur d'être accablés sous ses ruines ; d'ailleurs, certains feux s'em-
brasaient sous terre, et, faisant fumer les montagnes et les forêts, en chas-
saient les cerfs, les ours, les sangliers et les autres bêtes sauvages, qui se
sauvaient tout épouvantés dans les bourgs et dans les villes, où leur pré-
sence répandait la terreur. Le vigilant pasteur consola, encouragea son
peuple par d'éloquents discours : il fit voir dans ces malheurs autant de
coups de verges d'un père courroucé, dont il fallait implorer la clémence
par la soumission et par des prières ferventes et continuelles.
Il arriva de plus que, la nuit de Pâques, le feu prit à un édifice public
de Vienne, et y continua avec tant de violence, que chacun s'attendait à un
embrasement général. Mamert, qui avait déjà opéré des prodiges sembla-
bles, se prosterna devant l'autel, et ses larmes, ses prières, arrêtèrent l'in-
cendie. Saint Avite dit expressément que les flammes s'éteignirent d'une
manière miraculeuse *,
Ce fut dans cette nuit épouvantable que Mamert conçut, devant Dieu, le
projet des Bogations, en régla les psaumes et les prières; il y ajouta le
jeûne, la confession des péchés, les larmes, la componction du cœur. Quant
au but de ces processions salutaires, le voici, d'après une homélie que l'on
croit être de saint Mamert, et qui se trouve parmi les sermons attribués à
Eusèbe d'Emèse : « Nous y prierons », dit-il, « le Seigneur, de nous déli-
vrer de nos infirmités, de détourne* ses fléaux de dessus nous, de nous pré-
server de tout malheur, de nous garantir de la peste, de la grêle, de la
sécheresse et de la fureur de nos ennemis; de nous donner un temps favo-
rable pour la santé des corps et pour la fertilité de la terre, de nous faire
jouir de la paix et du calme, et de nous pardonner nos péchés ». Tel est à
peu près tout ce que l'on sait de saint Mamert. Saint Avite le nomme son
parrain : spiritualem a baptismo patrera*. 11 bâtit à Vienne une nouvelle
église en l'honneur de saint Ferréol, martyr, dont il avait transféré le corps,
après l'avoir découvert. On voit un évêque Mamert au concile d"Arles de
475. C'est vraisemblablement notre Saint. Il mourut, dit-on, en 477. Son
corps, inhumé à Vienne, fut ensuite, par l'ordre du pape Jean III et du roi
Gontran, transporté à Orléans et déposé en la cathédrale de cette ville, où
il était en grande vénération. Les protestants le brûlèrent dans le xvic siècle.
LE MOINE MAMERT CLAUDIEN.
Saint Mamert avait un frère plus jeune que lui. Ce fut Mamert Claudien, moine, puis prêtre
et coopérateur fidèle de l'évêque de Vienne. Il vivait au milieu du v6 siècle et mourut entre 470
et 474. Sidoine Apollinaire le regardait comme le plus beau génie de son siècle. Il était a la fois
l. 3om. de Rogat. — 2. Ibid.
456 11 mai.
poëte, philosophe et théologien : il pouvait répondre à toutes sortes de questions et combattre
toutes les erreurs ; mais sa modestie et sa vertu le rendaient bien plus recommandable encore que
son savoir. Il enseigna au clergé de son frère les saintes Ecritures, le chant ecclésiastique et la
liturgie, qu'il enrichit de plusieurs hymnes, entre autres de celle du dimanche de la Passion :
Pange, Hngua, gloriosi Kedis, S ma langue,
Lauream certaminis. Du Christ souffrant le combat glorieux.
Son ouvrage le plus important est son traité en trois livres sur la Nature de l'âme i. Le but
de Mamert Claudien est de réfuter Faust de Riez, en Provence, qui niait l'incorporéité des anges
et des âmes humaines et n'admettait que l'incorporéité de Dieu. 11 dédie son écrit à Sidoine
Apollinaire, encore laïque. On n'avait point encore si bien raisonné sur !a nature du corps, sur
celle de l'âme et sur la distinction de ces deux substances. L'auteur y enseigne clairement Vani-
misme : « L'âme est la vie du corps en cette vie ; elle est également dans tout le corps et dans
chacune de ses parties; elle n'est point locale, elle est autant dans chaque partie du corps que
dans le tout ». Il prouve, par dix syllogismes excellents, que l'âme est incorporelle. On ne parle
guère plus solidement ni plus clairement aujourd'hui que la science psychologique a fait d'incon-
testables progrès.
SAINT GENGOUL \ MARTYR
160. — Pape : Paul Ier. — Roi de France : Pépin le Rref.
Ce qui est agréable a Dieu, c'est que l'on endure en
vue de lui plaire les peines que l'on souffre injus-
tement. I Ep. de saint Pierre, n, 19.
Une mauvaise femme est plus amère que la mort.
Saint Gengoul peut servir -de modèle k ceux dont lo
ménage est troublé paT l'infidélité.
Saint Gengoul était d'une maison très-illustre de Bourgogne ; ses pa-
rents, qui n'avaient pas moins de vertus que de richesses, eurent grand
soin de son éducation. Il passa son enfance et les premières années de sa
jeunesse dans une parfaite innocence, joignant à l'étude des lettres, où il
réussit extrêmement, les exercices de la piété chrétienne. Il n'y avait rien
de si honnête ni de si pudique que lui : il fuyait la compagnie des libertins
et la vue de tous les objets qui pouvaient ternir la fleur de sa chasteté. Son
plaisir était de visiter les églises, d'entendre la parole de Dieu, de la médi-
ter dans le secret de son cœur, et de lire des livres spirituels et capables
de l'instruire des pures maximes de l'Evangile. On n'entendait jamais
sortir de sa bouche des paroles indiscrètes, ni même inutiles. Son visage,
par sa modestie, inspirait de la dévotion à ceux qui avaient le bonheur de
l'entretenir.
Ses parents étant morts, il se vit maître de beaucoup de terres et de
seigneuries ; mais, bien loin de dissiper ces biens par des dépenses crimi-
nelles ou superflues, il les administra avec autant de prudence et de sagesse
que s'il eût été un vieillard consommé dans l'art de l'économie et du gou-
vernement domestique. Les églises et les pauvres y eurent beaucoup de
part, et il crut qu'il ne pouvait témoigner sa reconnaissance envers Dieu,
qui lui avait donné ces richesses, qu'en lui en rendant une partie par l'as-
sistance de ses ministres et de ceux dont il veut que nous considérions
1. T. un de la Patrologie de M. Migne.
3. Gengou, Gengoux, Gigou, Genf, Gandoul, Gingolph, Gangulfus, et en Allemagne, Golf.
SAINT GENGOUL, MARTYR. 457
l'indigence comme semblable à la sienne propre. Etant en âge de se ma-
rier, il prit une femme qui était aussi d'une maison noble et riche, mais
elle lui convenait peu d'ailleurs pour les qualités de l'esprit et du cœur :
elle n'avait point la piété de notre Saint ; elle était vaniteuse, mondaine,
légère. Dieu permit une société si inégale pour éprouver la vertu dô son
serviteur et le purifier dans le creuset des afflictions.
Gengoul, qui était un des principaux seigneurs de Bourgogne, et qui
avait beaucoup de bravoure, prit une grande part aux guerres nombreuses
que fit le roi Pépin le Bref; il passa pour avoir prêté le secours du bras
séculier à la prédication de l'Evangile dans la Frise ; ce qui expliquerait la
dévotion dont il a été et est encore l'objet en Hollande.
Pépin l'estimait singulièrement, à cause de ses beaux faits d'armes et de
sa sainteté, qu'il vit éclater même par des prodiges. Il l'aimait tant, qu'il le
faisait coucher dans sa tente. Un soir, quand ils furent tous deux au lit, la
lampe, qu'on avait éteinte, se ralluma. Le roi, s'étant réveillé, fut surpris
de cette lumière ; il se leva et souffla la lampe, qui se ralluma encore ; le
prodige se renouvela trois fois, et convainquit Pépin qu'un saint reposait
dans sa tente. L'histoire de Gengoul raconte une merveille bien plus extra-
ordinaire : il s'en retournait en Bourgogne, pour s'y reposer des fatigues de
la guerre ; en passant par le Bassigny, il s'arrêta dans un endroit délicieux,
pour y prendre sa réfection : c'était sur le bord d'une fontaine, dont les
eaux étaient très-belles et excellentes. Il l'acheta et la paya à celui qui en
était le possesseur. Dieu voulut punir l'avarice de ce dernier : car il croyait
bien avoir à la fois la fontaine et son prix, ne voyant pas comment le Saint
pourrait la transporter dans ses terres. Gengoul, arrivé à Varennes, sa rési-
dence habituelle, ficha son bâton dans la terre et en fit jaillir une magni-
fique fontaine : c'était celle qu'il avait achetée, car elle cessa d'exister dans
la terre du vendeur avare.
Nous l'avons déjà dit, Notre-Seigneur destinait Gengoul à être un grand
modèle de patience, un autre Tobie, un autre Job. Sa femme se moquait de
sa piété, insultait à ses vertus; à la fin, elle lui devint infidèle. Le Saint,
s'en étant aperçu, fut plongé dans une vive douleur et une grande per-
plexité, trouvant également pénible et funeste de punir ce crime et de le
laisser impuni. Il était toujours dans cet embarras, lorsqu'un jour, se pro-
menant seul avec la coupable, il lui dit : « Il y a longtemps qu'il court des
bruits contre votre honneur. Je n'ai pas voulu vous en parler avant de sa-
voir s'ils étaient fondés; mais aujourd'hui, il ne m'est plus permis de
garder le silence : je vous rappelle donc qu'une femme n'a rien de plus
cher au monde que son honneur ; elle doit tout faire pour le conserver ou
le recouvrer ».
Cette misérable épouse lui répondit avec impudence « qu'il n'y avait
rien de plus injuste que les bruits qu'on faisait courir contre elle ; elle lui
avait gardé sa foi jusqu'alors et elle la lui garderait toujours ; il était mal-
heureux pour elle d'être victime de telles calomnies ». — a S'il en est ainsi,
réplique le Saint, voici une eau limpide et qui n'est ni assez chaude ni
assez froide pour nuire (ils étaient alors sur le bord d'une fontaine}. Plon-
gez-y votre bras : si vous n'en éprouvez aucun mal, vous serez innocente à
mes yeux ». La coupable, considérant cette épreuve comme un trait de la
simplicité de son mari, s'empressa de fournir un témoignage si facile de
son innocence, et plongea son bras dans l'eau jusqu'au coude. Elle fut bien
surprise quand, à mesure qu'elle l'en retira, la peau, se détachant comme
si on l'eût écorchée, vint pendre jusqu'au bout de ses doigts d'une manière
458 il mai.
horrible : elle ressentit des douleurs excessives. Confuse, interdite, elle
n'osait plus lever les yeux sur son mari ; et néanmoins, l'orgueil l'empê-
chant encore de s'avouer coupable et de demander pardon, elle demeura
dans un honteux silence, à l'exception des cris que la douleur lui arrachait.
Alors Gengoul lui dit : « Je pourrais vous livrer à toute la sévérité de la
loi ; mais j'aime mieux vous laisser la liberté d'expier vous-même, dans la
pénitence et les larmes, l'adultère dont le ciel vient de vous convaincre.
Cependant je ne demeurerai pas plus longtemps avec vous ; retirez-vous
dans la terre que je vous ai affectée pour votre douaire, tâchez d'y apaiser
la colère de Dieu justement irrité contre vous, compensez par des bonnes
œuvres les iniquités que vous avez commises ; et, pour moi, je me retirerai
aussi, afin que la compagnie d'une adultère ne me fasse pas participant de
son crime » .
Ainsi saint Gengoul mit sa femme dans une de ses seigneuries, et lui
assigna un certain revenu pour sa subsistance ; lui, de son ,côté, se retira
dans un château qu'il avait auprès d'Avallon, ville de Bourgogne, sur le
Cussin, entre Auxerre et Autun. De là, il continua de veiller sur la conduite
de celle que son infidélité avait rendue indigne de ses soins : il l'exhortait
souvent, par lettres, à rentrer en elle-même et à expier ses fautes passées
par une meilleure vie. Mais ses remontrances furent fort inutiles. Cette
femme libertine, se voyant séparée de son mari, en profita pour continuer
ses désordres. Elle ne se contenta pas de vivre publiquement dans l'adul-
tère ; mais, craignant que son mari ne donnât tous ses biens aux pauvres,
à qui il faisait déjà de grandes aumônes, ou même ne la punît selon toute
la rigueur des lois, elle résolut sa mort, avec le complice de ses désordres,
qui se chargea de l'exécution. Cet assassin se rend donc secrètement à la
résidence de Gengoul, et, ayant trouvé le moyen d'entrer dans sa chambre
lorsqu'il était seul et encore couché, prend l'épée qui était pendue près de
son chevet et lève le bras pour lui en décharger un grand coup sur la tête.
Mais Gengoul, s'étant réveillé en ce moment, pare le coup, qui le frappe
seulement sur la cuisse. La blessure était néanmoins mortelle. Le Martyr
de la justice et de la chasteté eut le temps de recevoir les derniers Sacre-
ments avant de s'endormir dans le Seigneur, le 11 mai 760.
Il avait deux tantes d'une insigne vertu, qu'il avait laissées à Varennes :
l'une s'appelait Villetrude et l'autre Villegose. Ces saintes femmes, ayant
appris la mort de leur neveu, souhaitèrent que son corps fût enterré en
l'église de leur bourg : c'était d'autant plus juste, qu'il en était le fondateur
et qu'il avait donné de grands revenus pour l'entretien des clercs qui la
desservaient. Elles prirent avec elles tout le clergé, et, encore suivies d'une
partie des habitants, elles se transportèrent en diligence au lieu où il était
décédé. On ne put pas leur refuser son corps : il fut donc conduit à Va-
rennes avec beaucoup de solennité et au milieu des flambeaux et des chants
ecclésiastiques, qui ne discontinuèrent presque point durant tout ce che-
min, qui est de plusieurs lieues. Ce qui rendit cette pompe funèbre fort
éclatante, ce fut que saint Gengoul lit paraître, par plusieurs miracles, la
gloire dont son âme jouissait déjà dans le ciel.
Dieu continua à manifester par de nombreux miracles la vertu et la
sainteté du Martyr. La France, les Pays-Pas, l'Allemagne lui élevèrent des
autels. La Suisse plaça sous son invocation plusieurs de ses églises; et au pied
des Alpes, sur le bord du lac de Genève, dans le diocèse d'Annecy, un village
qui porte le nom de saint Gingolph est dédié à saint Gengoul. La tradition
rapporte qu'il y séjourna quelque temps retiré parmi les rochers, comme
SAINT GENGOUL, MARTYR. 459
un anachorète, et se livrant à la contemplation, à la prière et à la péni-
tence.
Au reste, le meurtre de saint Gengoul ne demeura pas impuni : l'adul-
tère qui l'avait assassiné, étant retourné vers son infâme maîtresse pour lui
donner avis de son homicide, fut saisi sur-le-champ de violentes coliques
et mourut dans un lieu digne de lui, au milieu des plus atroces douleuvs.
La femme du Saint, qui ajouta à ses crimes celui de se moquer de ses mi-
racles, fut châtiée par une incommodité honteuse qui lui dura toute la vie.
On représente saint Gengoul en costume de baron, armé de toutes
pièces, avec une croix sur son écu, la main posée sur la garde de son épée,
dont la pointe fait sortir de terre une source l. Saint Gengoul est l'un des
patrons de Harlem, en Hollande, de Florennes, dans la province dt Jtfamur,
de Toul, de Varennes, en Champagne, de Montreuil-sur-Mer, stc. Il est
spécialement invoqué par les mal mariés.
RELIQUES DE SAINT GENGOUL.
Ses saintes reliques furent dans la suite transférées à Langres, où une église des Carmélites a
porté son nom. Beaucoup d'autres lieux se glorifient d'en posséder ou d'en avoir autrefois possédé
quelque partie, surtout la ville de Florennes, près de Philippeville, 00. Gérard, chanoine de Reims
et depuis évèque de Cambrai, fit bâtir une célèbre maison en l'honneur de cet illustre Martyr.
Elle fut d'abord occupée par des chanoines et puis par des religieux. Les miracles qui s'y firent
ont été décrits par Gouzon, qui en a été le quatrième abbé.
M. Henriot, curé de Varennes, nous écrivait le 23 décembre 1858 : « L'église de Varennes n'a
qu'une parcelle d'ossements de saint Gengoul. M. l'abbé Carré en possède une plus grande,
mais qu'on ne peut considérer comme insigne. L'évèché de Langres a un fragment considérable de
la cotte de mailles du Saint. M. le curé des Loges possède aussi un fragment de cette cotte de
mailles. Voilà tout ce que je sais des reliques.
« La fontaine de saint Gengoul est dans la crypte d'une chapelle autrefois bien fréquentée des
pèlerins. Bon nombre de personnes encore existantes ont vu, appendus aux murs de la crypte, des
béquilles et des ex-voto du siècle précédent. Malheureusement la chapelle a été convertie en ha-
bitation et la crypte en cave. La fontaine a été recouverte de maçonnerie., et l'eau en a été déri-
vée par un conduit ou drainage. La dévotion n'a plus d'objet dans cette chapelle.
« Cette chapelle tient au village. Elle est du xv° siècle. Sa hauteur est divisée en étages;
mais aucune dégradation n'a altéré son caractère. Il faudrait peu pour la restaurer, et, si je n'avais
dû relever l'église paroissiale de ses ruine?, j'aurais déjà fait cette restauration ».
Et M. l'abbé J.-L. de Blaye, curé d'Imling, le 19 décembre 1862 : « Saint Gérard, évèque de
Toul, obtint* pour l'église collégiale qu'il avait fondée en l'honneur de saint Gengoul, des reliques
de ce saint Martyr, qui furent conservées jusqu'à la Révolution. Cette église, maintenant parois-
siale, ne possède plus, sous ce titre, qu'un fragment de crâne dont la certitude est loin d'être
complète : en effet, il est dans un état de détérioration assez avancé pour qu'il soit permis de
douter qu'il appartienne au même squelette que le chef et les nombreux ossements conservés à
la cathédrale de Langres. Ceux-ci, dont la provenance est d'une notoriété incontestable, accusent
un fort développement, sont d'une conservation presque éburnée, et ont une teinte d'un biun rou-
geâtre.
Les fidèles de Montreuil se rendaient autrefois en pèlerinage à la chapelle de Saint-Gengoul,
située sur la paroisse Saint-Josse (Pas-de-Calais). Cette dévotion a été transférée depuis dans une
église du faubourg, en même temps que sa statue équestre. Le culte de ce Saint a persisté à Ber-
nay. Il y a de ses' reliques à Saint-Vulfran d'Abbeville. La relique (nuque), obtenue du chapitre de
Toul, en '071, et conservée à Montreuil-sur-Mer, fut brûlée en 1793; elle a été remplacée depuis
par une autre que Mgr Parisis donna à la chapelle actuelle.
La célèbre Hroswitha a composé, au xe siècle, un poëme latin, extrêmement curieux, sur la passion
de saint Gengoul. On en trouvera l'analyse dans la Reçue de l'art chrétien, t. xm, p. 136.
Plusieurs auteurs parlent honorablement do saint Gengoul : le martyrologe romain lui donne la qua-
lité de Martyr ; Surius et Bollandus rapportent ses Actes, tirés de divers manuscrits..
I. Voir les œuvres de Callot, au Cabinet des Estampes de Paris, tome vin, f. 20.
460 H mai.
SAINT MAYEUL ', QUATRIÈME ABBÉ DE CLUNY
906-994. — Papes : Sergius III; Jean XVI. — Rois de France : Charles III, dit le Simple;
Hugues Capet.
On s'aime trop pour vouloir être damne ; mais on ne
vit pas assez chrétiennement pour ne pas l'être. Il
est étrange qu'il se trouve des gens qui ne crai-
gnent point ce qu'ils croient.
P. Croiset au 11 mai.
Saint Mayeul naquit vers l'an 906, d'une noble et opulente famille de
Valensolle, petite ville du diocèse de Riez. Il perdit ses parents fort jeune.
Foucher, son père, avait donné à l'abbaye de Cluny vingt terres, avec les
églises qui en dépendaient. Il restait encore à notre Saint d'immenses pos-
sessions, qui furent ravagées par les Hongrois et les Sarrasins. Mayeul, à
cause des incursions de ces barbares, quitta la Provence et se retira en
Bourgogne, àMâcon, cbez un ricbe seigneur, son parent. Bernon, évêque
de cette ville, l'ayant déterminé à entrer dans l'état ecclésiastique, le fit
chanoine de sa cathédrale, et l'envoya étudier la philosophie à Lyon, cé-
lèbre école, sous un maître habile, nommé Antoine, abbé du monastère de
l'Ile-Barbe.
A son retour à Mâcon, Mayeul fut promu, par tous les degrés, jusqu'au
diaconat, par l'évêque, qui le fit même archidiacre. Il s'acquitta de cette
charge, sous Bernon et son successeur Maimbeu, avec la piété et la charité
d'un nouvel Etienne : il n'avait pas moins soin des pauvres que des autels ;
il ne se contentait pas de leur distribuer les aumônes des fidèles, comme le
voulait son emploi; il y joignait les siennes, c'est-à-dire qu'il y consacrait
tous ses revenus, ne se réservant que le strict nécessaire pour sa subsistance
de chaque jour. Son économe lui reprocha ce qu'il appelait son impré-
voyance. Pendant une famine, Mayeul ne pouvait plus ni donner ni em-
prunter, ni presque se nourrir, lui et ses gens ; ses ressources étaient épui-
sées. Il tint ferme néanmoins contre les murmures et le découragement de
ceux qui n'avaient pas en Dieu la même confiance que lui. Il implora la
Providence ; sa foi fut récompensée : il trouva près de sa chambre, une
bourse où il y avait sept pièces d'argent. Un scrupule semblable à celui du
saint homme Tobie lui fit craindre que cette bourse n'appartînt à quelque
autre personne et ne lui fût pas destinée. Il fit annoncer, dans toute la ville,
par un crieur public, qu'il était prêt à remettre cette somme à celui qui
l'avait perdue : personne ne vint la réclamer. Il la distribua aux pauvres
tout entière, quoiqu'il fût réduit lui-même en ce moment à la dernière indi-
gence. Le lendemain, il lui vint, d'un endroit d'où il n'attendait rien, des
voitures pleines de provisions, qui firent enfin cesser les plaintes de son
économe et de ses domestiques.
Quelque temps après, il fut chargé d'enseigner la philosophie et la théo-
logie aux clercs de l'église de Mâcon et aux autres qui viendraient suivre ses
leçons. Il s'en acquitta avec un grand succès et gratuitement : ce qu'on
n'avait point encore fait avant lui. Il ne lui fut pas aussi facile d'éviter les
1. Maïeul, Majolus.
SAINT MAYEUL, QUATRIÈME ABBÉ DE CLUNY. 461
applaudissements que les honoraires ; mais il ne donna pas plus de place en
son cœur à la vaine gloire qu'à l'avarice. N'attendant sa récompense que de
Dieu, il eût voulu n'être connu que de Dieu. Mais il ne put empêcher sa
réputation de s'étendre au loin. L'archevêché de Besançon étant devenu
vacant par la mort de Guifred, le clergé, le peuple et le prince nommèrent
Mayeul pour occuper ce siège. Mais notre Saint refusa d'acquiescer à cette
élection, et, pour se mettre à l'abri des dangers de l'ambition et des illu-
sions du siècle, il entra dans l'abbaye de Cluny, qui était très-florissante
sous le gouvernement d'Aymard, son troisième abbé (943). Vertueux comme
il l'était, Mayeul n'avait guère que l'habit à changer pour mener la vie mo-
nastique. Il y fit des progrès qui attirèrent sur lui tous les regards, comme
sur un modèle.
L'abbé le fit bibliothécaire et apocrisiaire. Il s'acquitta de la première
charge en remplissant la bibliothèque du monastère de bons livres ; il en
exclut les poètes profanes, et ne laissait pas même lire Virgile aux religieux.
L'office d'apocrisiaire renfermait tout à la fois les fonctions de secrétaire
de l'Ordre, de procureur et de trésorier. Il fut par là obligé de faire de nom-
breux voyages, dans lesquels il n'agissait que par obéissance et demeurait
toujours recueilli. En allant à Rome, lorsqu'il se trouvait à Ivrée, il guérit
par l'onction de l'huile sainte, le moine Heldric (ancien courtisan du roi
d'Italie), qui l'accompagnait.
En 948, l'abbé Aymard, se sentant vieux et aveugle, fit nommer abbé,
en sa place, Mayeul, qui fut obligé d'accepter cette charge, pour ne pas
désobéir à son supérieur, au Chapitre de l'Ordre et à quelques évêques as-
semblés à cet effet.
Obligé de signer, comme abbé de Cluny, les actes où il dut mettre son
nom, il ne se regarda néanmoins que comme le vicaire de l'ancien abbé, ou
plutôt comme le serviteur de tous les religieux de la maison. Jamais on ne
le vit plus humble, plus officieux, plus exact, plus régulier à faire ce qu'il
était obligé de commander aux autres.
Cependant il ne se faisait presque plus rien que sous son autorité : l'an-
cien abbé, ayant entièrement perdu la vue, se jugea tout à fait inutile au
gouvernement, et se retira dans l'infirmerie, où, en lui conservant son titre,
on le laissa jouir du repos que demandaient ses infirmités et son grand âge.
Quoiqu'il fût humble dans ses sentiments, patient dans ses afflictions et fort
soumis aux ordres de Dieu, il ne parut pas insensible au chagrin et à la ja-
lousie, lorsqu'il remarqua qu'on s'accoutumait à l'oublier, et qu'il s'ima-
gina qu'on le méprisait. Un jour qu'il envoya demander du fromage pour
son repas, le cellérier, embarrassé de plusieurs choses à la fois, refusa d'en
donner au frère qui le servait, et répondit assez aigrement que c'était trop
de deux maîtres dans la maison, et qu'on ne pouvait obéir à la fois à tant
d'abbés qui se mêlaient de commander. Le vieillard, à qui le frère servant
eut l'indiscrétion de rapporter cette dureté, se mit en colère tout sérieuse-
ment. Le lendemain, il se fit conduire au Chapitre par le frère; et, s'adres-
sant à Mayeul, il lui dit que, s'il l'avait élevé au-dessus de lui, ce n'était
pas pour en être persécuté ; qu'il ne lui avait donné son autorité que comme
un père peut la donner à son fils ; qu'il ne la lui avait pas vendue, et qu'il
ne prétendait pas qu'il s'en servît pour le traiter en esclave. « Etes-vous
mon maître ou mon religieux? » ajouta-t-il. L'abbé Mayeul répondit, avec
la douceur qui lui était naturelle, qu'il était toujours son religieux, et qu'il
ne se regarderait jamais autrement, faisant profession de lui obéir jusqu'à
la fin. « Si cela est », repartit le vieillard aveugle, « quittez le rang d'abbé
462 H mai.
et reprenez votre ancienne place parmi les frères ». Mayeul obéit sur
l'heure ; et Aymard, se déclarant seul abbé, se comporta comme le juge et
le président du Chapitre. Il accusa aussitôt le cellérier qui l'avait offensé, le
fit prosterner contre terre, lui fit une sévère correction, et lui imposa une
pénitence aussi rude qu'il jugea à propos. Après avoir fait ainsi l'office de
juge pendant une demi-heure, il descendit du siège et ordonna à Mayeul
d'y remonter. Notre Saint obéit avec la même facilité et la même indiffé-
rence qu'il avait fait paraître lorsqu'il en était descendu, et donna, par cette
conduite, des preuves bien solides de son humilité et du peu d'attache
qu'il avait pour un poste qu'il n'occupait que contre son gré. Depuis ce
temps, auquel l'ancien abbé Aymard ne survécut guère, Mayeul gouverna
sa maison et son Ordre avec la réputation du plus saint homme de son siè-
cle, et Dieu contribua à confirmer cette opinion par diverses grâces surna-
turelles, dont il prit plaisir de le combler, pour récompenser, ou plutôt
pour augmenter sa vertu. Sans cesse appliqué aux besoins de ses religieux,
il n'en pourvoyait pas avec moins de zèle à ceux des pauvres et des étran-
gers, et il avait encore plus d'ardeur pour le salut des âmes que pour la
conservation des corps. Sans cesse, ou il instruisait de vive voix, ou il
exhortait par lettres, ou il faisait des règlements de discipline religieuse, ou
il répondait à des consultations de conscience, ou il priait, ou il lisait : car
il était si ennemi de l'oisiveté et de la perte du temps, qu'il avait toujours
le livre à la main, lors même qu'il était à cheval pour faire ses voyages.
Cette assiduité à l'étude le rendit très-versé dans la science des saintes Ecri-
tures et des Canons. Il s'était aussi rendu fort habile dans le droit civil et la
philosophie, et il ne croyait pas faire injure à sa profession, ni perdre le
temps qu'il devait à ses religieux, en revoyant encore quelquefois les livres
des anciens philosophes : il regardait ces connaissances comme des captives,
à qui il suffisait d'ôter ce qu'elles avaient d'étranger ou de nuisible, pour
les faire servir à la vérité de notre religion ou au règlement de nos mœurs.
Il jouissait d'une grande considération auprès des papes, des empereurs
et des rois de son temps, dont plusieurs eurent occasion de connaître son
rare mérite, lorsque les affaires de l'Eglise et de son Ordre, et quelquefois
même la charité, l'obligeaient d'aller à leur cour. OthonI" et l'impératrice
Alix ou Adélaïde, sa femme, le chargèrent de réformer les monastères d'Al-
lemagne et les autres qui se trouvaient dans les terres de l'empire. Il y tra-
vailla avec beaucoup de succès à Ravenne, à Pavie, et en d'autres endroits
de la Lombardie ; dans le pays des Suisses, dans la Souabe, puis en quel-
ques autres monastères d'Allemagne, où il rétablit ou fit recevoir de nou-
veau l'institut de Cluny. Il en réforma aussi un grand nombre en France,
entre autres Marmoutier en Touraine, Saint-Germain d'Auxerre, Saint-
Jean de Réomé ou Moûtier-Saint-Jean, Saint-Bénigne de Dijon, Saint-Maur
des Fossés, près de Paris. Quelques années après, le pape Benoît, VII lui fit
remettre celui de Lérins ou de Saint-Honorat entre les mains, pour y éta-
blir cette même réforme. Les auteurs de sa Vie, qui, au jugement deBaillet,
méritent d'être écoutés comme des témoins recevables, les uns parce qu'ils
vivaient avec lui, les autres à cause de leur savoir et de leur probité, rap-
portent diverses merveilles que Dieu opéra par son moyen pour autoriser
les choses qu'il faisait à sa gloire, ou à l'avantage de l'Eglise, ou pour sa
propre sanctification. Une de ses dévotions favorites était d'aller en pèleri-
nage aux lieux où l'on publiait que Dieu accordait des grâces extraordi-
naires sous l'invocation de ses Saints. Il satisfaisait sa piété et sa charité, le
long des chemins, en priant et en répandant les aumônes dont il faisait
SAINT MATEUL, QUATRIÈME ABBÉ DE CLUNT. 463
bonne provision avant de sortir de son abbaye. Un jour qu'il visitait par dé-
votion Notre-Dame du Puy-en-Velay, un aveugle lui dit avoir eu révélation
de saint Pierre qu'il recouvrerait la vue en lavant ses yeux avec l'eau dans
laquelle l'abbé Mayeul aurait lavé ses mains. L'humble abbé le renvoya avec
une forte réprimande, et, sachant qu'il avait demandé de cette eau à ses
domestiques, il leur défendit, avec menaces, de lui en donner. L'aveugle ne
se découragea point : après avoir été rebuté plusieurs fois, il attendit l'abbé
à son retour du Puy, sur le chemin, dans une montagne voisine, nommée
le Mont- Joie, prit son cheval par la bride et jura qu'il ne le quitterait pas
avant d'avoir obtenu ce qu'il demandait ; pour qu'il n'y eût point d'excuse,
il portait de l'eau dans un vase pendu à son cou. Mayeul, touché d'une foi
si vive, mit pied à terre, et, ayant béni l'eau, il en fit le signe de la croix
sur les yeux de l'aveugle ; puis, s'étant prosterné avec toute sa suite, il pria
avec larmes la Mère de Miséricorde. Sa prière n'était pas achevée, que
l'aveugle s'écria : « Je suis guéri ». — « Retournez donc en paix chez vous,
répliqua le saint abbé, et racontez le miracle que la puissance de la sainte
Vierge a opéré en votre faveur » . Il paraît que c'est à cause de ce miracle
qu'on célèbre dans l'église du Puy la fête de saint Mayeul.
Passant un jour, en allant à Rome, par la ville de Coire, au pays des
Grisons, l'évêque Alpert, malade à l'extrémité, le pria de le visiter. Mayeul
vint donc le voir et l'exhorta à la patience et à la soumission aux ordres de
Dieu. L'évêque souhaita de lui confesser ses péchés. Mayeul l'entendit, et
prescrivit les remèdes qu'il jugeait les plus propres pour guérir les plaies
de son âme. L'évêque en conçut quelque espérance aussi pour la guérison
de son corps, et conjura ce grand serviteur de Dieu de demander, par ses
prières, qu'il fût en état de faire le saint Chrême pour le jour de Pâques,
qui approchait. La foi de l'un et de l'autre fut exaucée : l'évêque fut guéri.
Pendant ce voyage, un religieux qui l'accompagnait, lui ayant gravement
désobéi, lui demanda pardon de sa désobéissance, et se soumit à telle péni-
tence qu'il lui plairait de lui imposer pour l'expier. « Est-ce tout sérieuse-
ment », dit le Saint, « que vous demandez la pénitence? » — « Oui, répondit
le frère ». Il y avait là un lépreux qui demandait l'aumône : « Approchez-
vous donc de ce lépreux », reprit le Saint, « et baisez-le ». A cet ordre, le
religieux embrassa le lépreux qui faisait horreur à voir. Il le baisa sans
marquer aucune répugnance ; et Dieu, pour faire connaître combien cette
obéissance lui était agréable, rendit la santé au lépreux par ce baiser.
Au retour de Rome, saint Mayeul fut rencontré par une troupe de
Sarrasins qui exerçaient leurs brigandages dans les Alpes, et qui occupaient
tous les passages de l'Italie. Il fut pris avec toute sa suite, qui était nom-
breuse, au pied de la montagne que nous appelons communément le grand
Saint-Bernard, entre la Savoie et le Valais; et, après avoir été volé et battu,
il fut retenu prisonnier dans le village de Pont-Oursier (sur la Dranse, qui
va se décharger dans le Rhône à Martigny). Il consola ses compagnons, et
les excita par ses exhortations et son exemple à soutenir généreusement
cette disgrâce. Ayant aperçu l'un des barbares qui levait le sabre pour
fendre la tête à un de ses serviteurs, il courut pour lui retenir le bras, et
sauva la vie à ce malheureux ; mais il fut lui-même blessé à la main, et la
cicatrice lui en demeura le reste de ses jours. Il refusa de manger de la
viande, et il garda son institut aussi régulièrement que dans son cloître. Il
fit un lieu d'oraison de la caverne affreuse où les Barbares le jetèrent chargé
de chaînes, et il porta ceux qui étaient retenus avec lui à sanctifier tout ce
temps de leur captivité par la prière et les autres exercices de piété que
H MAI*
pouvait leur permettre l'état où ils se trouvaient. Les Barbares lui avaient
laissé, par mégarde, un livre, le Traité sur F Assomption de la Vierge, attribué
dès lors à saint Jérôme. Ce fut pour Mayeul une grande consolation. Il pria
la Mère de Dieu d'obtenir sa délivrance avant la fête de son Assomption,
qui était encore éloignée de vingt-quatre jours. S'étant endormi après cette
prière, il trouva, à son réveil, ses fers rompus. On lui permit d'envoyer un
de ses compagnons à Cluny chercher sa rançon, qui devait être de mille
livres pesant d'argent. Cette somme fut bientôt fournie par le monastère de
Cluny et les pays d'alentour, où la nouvelle de la captivité de Mayeul avait
excité la plus vive douleur et fait couler les larmes. Le Saint fut délivré
avant l'Assomption. On lui restitua les livres qu'il rapportait de Rome. Mais
le fruit le plus important de sa captivité fut la conversion de plusieurs
Sarrasins qu'il instruisit dans ses fers, et qui furent si touchés par la vue de
sa sainteté, qu'ils demandèrent le baptême. Sa délivrance causa beaucoup
de joie, non-seulement aux religieux de son Ordre, mais encore aux grands
du siècle : car ils avaient pour lui une rare vénération ; mais personne ne
l'honorait, ne l'aimait plus que l'empereur Othon II, qui semblait avoir
hérité des sentiments de son père. Le Saint profita de son influence sur ce
prince, pour le réconcilier avec l'impératrice Adélaïde, sa mère. En 974, le
Saint-Siège étant devenu vacant, l'empereur fît tous ses efforts pour décider
Mayeul à accepter la tiare : personne n'en était plus digne que lui; il refusa
néanmoins constamment, et, ce qui n'est pas moins admirable, il ne tira
jamais vanité d'un refus qui semblait devoir lui être si glorieux ; il continua
de s'humilier sans cesse devant Dieu, à la gloire duquel il rapportait toutes
ses pensées et toutes ses actions. C'était pour la gloire de Dieu qu'il travail-
lait à accroître et à affermir son Ordre : il espérait que Dieu s'y ferait servir
et honorer de la manière qu'il veut et qu'il doit l'être par ceux qu'il se
choisirait, en les retirant de la corruption du siècle. Il fit dresser jusqu'à
neuf cent cinquante-neuf chartes ou titres, en faveur de sa maison et de
son Ordre, pendant tout le temps de son gouvernement jusqu'à l'an 991 : ce
qui l'a fait considérer comme le second fondateur de Cluny.
En cette année (991), se sentant de plus en plus baisser sous le poids de
la vieillesse, et peu éloigné de sa fin, il fit choix de saint Odilon, son disci-
ple, pour être son successeur. Il suivit en cela les traces de ses prédéces-
seurs : ainsi le bienheureux Bernon, le premier fondateur de Cluny, avait
fait mettre saint Odon en sa place de son vivant: et nous avons vu que
l'abbé Aymard en avait usé de même à l'égard de notre Saint. Odilon, après
avoir été élu par ses soins, du consentement général de la congrégation,
béni par les évoques, agréé par les princes et les seigneurs, demeura son
coadjuteur avec la qualité d'abbé, comme Mayeul l'avait été du vivant d' Ay-
mard. Ces premiers abbés de Cluny ne se choisissaient ainsi eux-mêmes leurs
successeurs que pour mieux assurer l'avenir de cet institut, en le confiant
à des supérieurs capables et pieux. C'est pour le même motif qu'ils s'atta-
chaient aussi à faire approuver leur élection par les rois et les grands du
pays et par les prélats. Le gouvernement de ce grand Ordre devait rencon-
trer beaucoup moins d'obstacles, ayant l'agrément, la protection des puis-
sances ecclésiastiques et séculières : on évitait par là les troubles et les di-
visions. Au reste, saint Odilon ne tarda guère à justifier, parla sagesse de
sa conduite, le choix de saint Mayeul, qui vécut encore trois ans. Il conti-
nua d'exercer ses fonctions d'abbé durant ce temps, et de travailler encore
avec une vigueur que la caducité de son âge ne pouvait faire attribuer qu'à
une assistance toute particulière du ciel. Les forces corporelles lui ayant
SAINT MAYEUL, QUATRIÈME ABBÉ DE CLUNY. 465
entièrement manqué l'an 992, il s'abstint de sortir davantage et ne voulut
plus paraître en public. Le roi de France Hugues Gapet, qui ignorait son
état, le fit prier instamment de venir à Paris pour mettre la réforme dans
l'abbaye de Saint-Denis et y faire revivre l'esprit de saint Benoît. Le Saint
n'avait encore rien perdu de son zèle, quoiqu'il eût perdu ses forces : voyant
que le prince réitérait ses instances de jour en jour, il se mit en chemin, et
dit adieu à ses frères, persuadé qu'il ne les reverrait plus. Etant arrivé à
Souvigay en Bourbonnais, l'un des cinq premiers prieurés de l'Ordre, à
quatorze lieues de Gluny, dans le diocèse de Glermont en Auvergne, il y fut
retenu par la maladie dont la fin fut celle de ses travaux et le commence-
ment de son repos éternel. Il y mourut de la mort des justes entre les bras
de ses frères, le onzième jour de mai de l'an 994, le vendredi, lendemain
de l'Ascension, âgé d'environ quatre-vingt-huit ans.
On peut représenter saint Mayeul, recevant d'une main divine, d'un
ange probablement, sept pièces d'or pour le récompenser de n'en avoir pas
ramassé sept autres qu'il avait trouvées, de peur de faire tort à celui qui
îes avait perdues : cet acte de vertu était, comme nous l'avons dit, d'au-
tant plus méritoire que le monastère du saint abbé était dans le besoin ;
reçu par l'empereur Othon II et sainte Adélaïde qui veulent le faire élire
Pape *.
Saint Mayeul est le patron de Souvigny en Bourbonnais et de plusieurs
localités de la Lombardie.
RELIQUES ET CULTE DE SAINT MAYEUL.
Mayeul, abbé de Cluny, mourut à Souvigny eu 994. Les moines, venus avec lui de la maison
mère, voulurent remporter son corps. Cette nouvelle, connue bientôt dans la cité, excita une
pieuse émeute. « Qu'on nous laisse notre Saint ! » criait-on de toutes parts, « qu'on nous laisse notre
Saint ! » Mille bras des environs se réunirent et formèrent un faisceau inexpugnable. On veille, on.
fait la garde à toutes les issues du monastère : force fut donc de laisser le vénérable défunt, qui
fut enterré à Souvigny, dans la vieille basilique de Saint-Pierre.
Les peuples accoururent en foule devant ces restes précieux. Des miracles éclatèrent, des mira-
cles tellement évidents, que Beggon, évêque de Clermont, n'hésita pas à ériger un autel sur ce
tombeau, que le ciel couvrait de tant de faveurs. C'était, comme on le sait, la manière de cano-
niser à cette époque. Cent ans après, en 1093, Urbain II leva de terre le corps du Bénédictin
vénéré : il voulait par là l'exposer plus solennellement au culte des fidèles.
Mayeul fut un des Saints auxquels on s'adressait avec le plus de confiance : les merveilles opé-
rées à son tombeau nous en expliquent la cause. Pierre le Vénérable n'a pas craint de dire « que,
après la sainte Vierge, il n'y avait aucun Saint dans l'Europe qui eût fait plus de miracles que
saint Mayeul ». Cette confiance a survécu à la perte des reliques du thaumaturge. Il y a quelques
années, un chrétien de Souvigny, à la suite d'une neuvaine à saint Mayeul, obtint une guérison
qui fut regardée partout comme miraculeuse.
Le culte de saint Mayeul a commencé à sa mort et s'est perpétué de siècle en siècle jusqu'à
nos jours. Déjà, du temps de Pierre le Vénérable, on accourait de toutes les parties de l'Europe 8
près de ce tombeau, qui devint le but d'un pèlerinage des plus célèbres. On vit, pendant des siècles,
une foule de visiteurs, Papes, rois, princes, seigneurs, gens de toutes les classes et de toutes les
professions.
Les habitants de Souvigny regardaient avant tout saint Mayeul comme leur Patron et leur
Protecteur.
L'Université de la cathédrale du Puy en Velay lui rendait le même honneur en 1210 : les
grands-vicaires écrivirent aux religieux de Souvigny pour demander quelques reliques de ce per-
sonnage, auquel le diocèse du Puy avait tant de confiance. On leur envoya une partie du srapu-
laire qui avait appartenu à l'humble abbé. On garde, aux archives de Souvigny, les lettres et
1. Saint Mayeul est représenté sur le frontispice du livre intitulé : Bibliotheca Cluniacensis et Cata-
logus abbatum, in-f», 1614. On trouve sur le même titre, les portraits de plusieurs hommes et femmes
illustres de l'Ordre de Cluny : saint Odon, saint Odilon, saint Hugues, etc.
3. Ancien Bourbonnais, p. 116 du Voyage pittoresque.
Vies des Saints. — Tome V. lmi
466 11 mai.
procès-verbaux qui furent, dans cette circonstance, échangés entre le Chapitre du Puy et le prieuré
de Souvigny *. On y voit quelles précautions on prenait alors pour conserver aux reliques leur
authenticité. Non-seulement le Bourbonnais et la France, mais les peuples d'Italie avaient une
particulière vénération pour l'illustre fils de saint Benoit. En 1682, le grand-duc de Florence
remercie le prieur de Souvigny de la précieuse relique qu'il en a reçue '. Les clercs réguliers de
la Congrégation de Somasque, en Italie, honorent saint Mayeul comme un Saint de leur Ordre, ou
plutôt comme un de leurs Patrons, depuis qu'on leur a donné l'église et le monastère de son nom
à P;ivie, en Lombardie.
Quatre corps saints ont reposé dans la belle église de Souvigny : saint Léger, saint Principin,
saint Odilon et saint Mayeul. Leurs images figurent au frontispice de l'ouvrage de Dom Marcaille.
Saint Léger a été transféré à Ebreuil ; saint Principin à Hérisson, où était le lieu de son œïrtyre
(Chateloi) ; les deux autres sont restés dans l'église qui en avait reçu le dépôt. Mais vint la Révo-
lution de 93. Le chef de saint Mayeul et son corps, de même que ce qui appartenait à saint
Odilon, en un mot tout ce que renfermait de précieux le trésor de l'église prieurale, tout alors fut
sacrilégement brûlé. Quelques personnes croient posséder des fragments de la tunique ou scapu-
laire du Saint ; mais nous avons le regret de dire que rien n'est authentique à cet égard. De tous
ces objets précieux, la châsse est seule aujourd'hui conservée dans l'église de Souvigny. On voit,
dans un meuble de la sacristie, un instrument de forme rudimentaire, auquel on n'attache pas
assez d'attentiou : c'est le peigne de saint Mayeul. Les peignes liturgiques étaient encore employés
au moyen âgé ; les prêtres devaient s'en servir immédiatement avant de monter à l'autel 3. A l'une
des extrémités de la ville de Souvigny, on voyait naguère l'arbre légendaire de saint Mayeul ; il
est tombé de vétusté. Une croix de fort bon goût a remplacé celle qu'ombrageait l'ormeau sécu-
laire, et chaque année, aux Rogations, une procession se fait à la croix de saint Mayeul. Elle a
le privilège d'attirer une foule recueillie et nombreuse, tant le souvenir du Saint est vivace encore
dans le pays. D'anciens procès-verbaux, déposés aux archives du même monastère, parlent d«
quelques processions où étaient portés les chefs de saint Odilon et de saint Mayeul. Quelle foi,
quel enthousiasme dans toutes ces fêtes ! Qui ne connaît l'église de Souvigny, la gloire et la mer-
veille du Bourbonnais ? A ceux qui s'étonneront de la vaste étendue de ce monument, nous
répondrons : « Ce n'est point là l'oratoire de trente ou quarante moines, c'est la basilique de Saint-
Mayeul ». Le culte de ce grand Saint demandait un vaisseau en harmonie avec l'immense quantité
de fidèles qui se rendaient là pour prier. Ce lieu était, en outre, le Saint-Denis de nos ducs de
Bourbon. Nobles et princes venaient y fléchir le genou pendant leur vie ; et, après leur mort,
ils voulaient reposer sous ces voûtes majestueuses, près de celui qui possédait tant de puissance
au ciel.
Pour l'état actuel de l'abbaye de Souvigny et de ses reliques, voir, au 1er janvier, la fin de la
Vie de saint Odilon.
Notes fournies par M. Boudant, curé de Chantelle (Allier).
SAINT GAUTIER, CHANOINE REGULIER
ABBÉ DE L'ESTERP, EN LIMOUSIN
^90-1070. — Papes : Jean XVI ; Alexandre II. — Rois de France : Hugues-Capet; Philippe le».
Tout le monde ne peut pas quitter pour toujours ses
affaires et sa maison ; mais... nul qui ne doive se
soustraire quelque temps à ses affaires temporelles
pour s'occuper uniquement de l'affaire du salut.
Père Croiset au 11 mai.
Saint Gautier naquit vers l'an 990, de l'une des meilleures familles de
l'Aquitaine ; plusieurs de ses ancêtres avaient été honorés de la dignité
consulaire; son père, Raymond, et sa mère, Galburge, jouissaient l'un et
l'autre d'une grande considération. Ils habitaient le château de Gonfolens,
1. Pièces inédites. — 2. Manuscrit de l'ancien prieuré de Souvigny. Piàçs inédite.
3. Bulletin monumental, rédigé par SI. de Caumont, année 1SC1.
SAINT GAUTIER, CHANOINE RÉGULIER. 467
au confluent de la Vienne et du Goire. Son bisaïeul maternel, issu d'une noble
famille franque, avait eu sous son commandement trois villes importantes
de l'Aquitaine,
La jeunesse, l'enfance même du jeune Gautier, furent si bien inspirées
par la sagesse que, dès l'âge le plus tendre, il pouvait servir d'exemple même
aux vieillards. Après qu'il eut reçu de sa pieuse mère les soins et l'éducation
de la première enfance, vint le moment de l'envoyer dans un monastère pour
qu'il y étudiât les lettres, ainsi que le faisaient la plupart des enfants de
familles nobles : c'est à l'abbaye du Dorât qu'il fut confié, grâce à la répu-
tation de saint Israël. A peine au milieu des chanoines du Dorât, le jeune
Gautier brilla entre tous leurs élèves par sa vivacité d'esprit, par la douceur
de ses mœurs et par l'élégance de ses manières. Saisissant avec facilité les
sentences obscures, il les retenait avec une grande sûreté de mémoire. Ce
n'était point assez pour son esprit que les assertions qui ne reposaient que
sur la seule autorité du maître ; mais, dans toute question, il recherchait
l'évidence, il consultait les lumières de sa raison. Par cette méthode, il
dépassa, avec une rapidité extraordinaire, les limites des premiers éléments
qui lui étaient enseignés et celles même de son âge. Faisant, à l'exemple de
ses condisciples, de nombreuses questions sur les matières analogues à celles
de l'enseignement, il apprit, pour ainsi dire, plus qu'on ne lui enseignait.
« Jamais », dit son biographe, « il n'eut besoin, comme la plupart des autres
enfants, d'être contraint au travail par le fouet » ; car son amour volontaire
pour la science augmentait chaque jour son ardeur pour l'étude : ni les
jeux ni la légèreté de l'enfance ne diminuèrent jamais son empressement
pour ses livres et pour ses tablettes.
Simple écolier, déjà il était, par sa conduite, un exemple vivant : il
regardait comme une honte pour celui qui étudie les lois du langage d'être
ignorant des règles beaucoup plus utiles qui doivent diriger la conduite, et
il évitait avec soin tout ce dont on devrait rougir non-seulement dans ses
actions, mais encore dans ses paroles ; sa conversation ne roulait que sur
des choses utiles. Il avait en horreur la colère et l'envie, ainsi que l'orgueil,
qui est le père de l'une et de l'autre. Jamais il ne prêta la langue à la moindre
médisance. Il cédait volontiers à ceux qui lui étaient inférieurs soit par la
naissance, soit par le savoir, et il se conciliait l'amitié de ses rivaux. Toutes
ses démarches portaient en elles-mêmes un tel caractère de perfection qu'on
y sentait bien moins l'œuvre de la nature que celle de la grâce.
Un jour la communauté du Dorât fut mise en émoi par l'arrivée d'un
grand personnage qui venait, en passant, lui demander l'hospitalité : c'était
Hervée *, trésorier du monastère de Saint-Martin de Tours, dont il rebâtissait
la célèbre basilique. Tous les entretiens des chanoines et de leurs élèves
roulèrent naturellement sur les qualités éminentes de Hervée, et principa-
lement sur sa ferveur si connue que de toutes parts on se recommandait à
ses prières, comme nous pouvons le voir encore aujourd'hui par plusieurs
lettres de ses contemporains. Ces conversations enflammèrent l'ardeur et la
curiosité du petit Gautier, qui, voulant devenir puissant lui aussi par ses
prières auprès de Dieu, résolut de dérober à Hervée le secret de les rendre
plus efficaces.
Au moment où ce personnage entrait dans l'église pour se prosterner
devant le saint Sacrement, le petit Gautier se glissa furtivement dans l'inté-
rieur du prie-Dieu qu'on lui avait préparé dans le chœur, et de là il prêta
une oreille attentive pour surprendre les paroles et les formules de prières
1. Nous avons donné en avril la vie du Bienheureux Hervéo.
468 il mai.
que Hervée adresserait à Dieu. Mais le saint homme, pénétré d'émotion et
de bonheur en se retrouvant dans le sanctuaire après plusieurs jours de
voyage, versait d'abondantes larmes sans faire entendre aucune parole, sans
émettre aucun son articulé. Gautier comprit par là que les soupirs et les
larmes valaient mieux devant le Seigneur que les plus savantes paroles, et
c'est ce genre de prières qu'il pratiqua dans la suite.
Cette pieuse espièglerie ne pouvait demeurer secrète : Hervée, en ayant
eu connaissance, admira dans un âge si tendre ce désir ardent du progrès
spirituel ; puis il montra à sa suite et à ceux des chanoines qui l'entouraient
qu'un modèle de perfection se cachait sous l'extérieur modeste de ce jeune
enfant, et il annonça de lui les plus grandes choses. « Combien n'est pas
remarquable en effet chez un enfant une telle intention ! Pendant que la
légèreté et la dissipation des autres écoliers abusaient, pour se livrer aux
jeux, de la présence d'un hôte vénérable, Gautier seul, grâce à la maturité
de son jugement, ne voulut pas que le passage, même rapide, d'un homme
pieux fût inutile à son âme ».
Gautier devint, plus tard, chanoine du Dorât. Soit qu'il fût au chœur,
soit qu'il fût chez lui, il était toujours occupé de la présence de Dieu dans
la prière. 11 mortifiait continuellement sa chair par les jeûnes, le cilice, les
veilles, et par le retranchement de tout ce qui aurait été capable de flatter
les sens. Il perdit bientôt son maître, le bienheureux Israël, mais il marchait
déjà d'un pas si ferme dans les voies étroites de la perfection évangélique,
que, avec la grâce de Dieu, il ne s'en écarta jamais, et ne recula point en
arrière. Quoiqu'il fût regardé par ses confrères comme leur modèle, il ne
laissait pas de les observer pour étudier leurs vertus et les imiter ; il savait
même profiter de leurs défauts pour corriger les siens, et pour veiller sur
lui-même avec une précaution continuelle.
Ayant encouru l'indignation de l'abbé ou du prieur de son église, pour
avoir essayé d'adoucir l'humeur féroce avec laquelle il traitait les cha-
noines, et voyant que tout ce qu'il faisait pour lui gagner le cœur, ne servait
qu'à l'aigrir contre lui, il se retira dans le bourg de Conflans ou Confolens,
dont les principaux habitants étaient de ses parents. La réputation que sa
vertu lui avait acquise le fit bientôt connaître aux Chanoines réguliers de
l'Esterp, abbaye du diocèse de Limoges, à huit lieues de cette ville, à onze
d'Angoulême, à quatorze de Poitiers. Ces religieux n'oublièrent rien pour
l'attirer dans leur communauté, et ils n'eurent point de peine à y réussir.
Il n'y fut pas plus tôt entré, qu'il devint l'objet de leur admiration dans
toute sa conduite ; et ils conçurent le dessein de le choisir pour leur supé-
rieur, dès que leur abbé viendrait à manquer. Un pèlerinage de dévotion,
qu'il fit ensuite en Terre Sainte, ne leur fit point perdre cette résolution, et
Dieu, pour la leur faire exécuter, permit que le retour de Gautier et la mort
de l'abbé arrivassent dans le même temps. Notre Saint refusa d'abord cette
charge : sa résistance fut longue, mais elle fut surmontée à la fin par la
violence qu'ils lui firent, et par l'autorité d'Aymard, seigneur du pays. Il
avait alors environ quarante-deux ans ; il s'appliqua à gouverner sa com-
munauté, moins par son autorité que par les exemples de sa vie, les lumières
de ses instructions et les secours célestes que sa prière continuelle attirait
Bur lui et sur les autres. Il ne se considérait que comme le dernier d'entre
eux ; il voyait dans son rang de supérieur l'obligation démarcher le premier
dans le chemin pénible et étroit de la perfection religieuse, et de se faire
suivre par les autres. Il veillait sur tous aussi exactement que s'il n'en eût
eu qu'un à conduire; il étudiait leur tempérament, leurs forces, leurs
SAINT GAUTIER, CHANOINE RÉGULIER. 469
inclinations, et se faisait tout à tous ; il modifiait ou changeait quelquefois
les règlements généraux en faveur des particuliers, persuadé que ce qui est
utile à l'un peut devenir nuisible à l'autre. Il savait si heureusement discerner
ce qui était vice d'avec ce qui était de nature, qu'il déracinait l'un en épar-
gnant l'autre, avec plus d'adresse et d'assurance que les médecins les plus
habiles n'en ont pour enlever la chair morte et corrompue, sans endommager
celle qui est vive et saine.
Malgré le soin continuel de son monastère, il ne négligeait pas les popu-
lations d'alentour. Il faisait, en toutes saisons, de grandes distributions d'au-
mônes ; il jeûnait pour avoir de quoi apaiser la faim des pauvres, et souffrait
le froid pour pouvoir couvrir leur nudité et les garantir de la rigueur des
hivers ; n'étant sévère qu'à lui-môme, il se refusait tout pour donner tout
aux autres. Il ne se contentait point de maltraiter son corps par les austé-
rités ordinaires de la pénitence, il se levait la nuit, et se déchirait à coups
de fouet dans l'obscurité et sans témoin. Ce tourment n'était pas pour punir,
de quelque révolte, sa chair qui lui était fort soumise depuis longtemps,
mais pour la mettre hors d'état de se révolter jamais. Quand il s'aperçut
que cette rude discipline ne le faisait plus souffrir assez, à cause de l'habi-
tude, et aussi parce que son bras manquait de force pour la lui donner, il
fit un marché secret avec un homme robuste pour lui prêter le sien. Le
pape Victor II apprit ce que la renommée publiait des grands talents que
Dieu avait donnés à notre Saint pour travailler au salut des autres ; afin que
ses services pussent être plus utiles à l'Eglise, il lui envoya le pouvoir d'écouter
les confessions de tous ceux qui voudraient se présenter à lui, de lier et délier
selon sa prudence, et même d'exclure de l'Eglise par l'excommunication, et
d'y faire rentrer les pécheurs par l'absolution. Gautier donna lieu de croire
que Dieu avait attaché le salut de plusieurs personnes à l'usage qu'il fit de
ce pouvoir : il s'en servit pour faire rentrer une infinité de pécheurs dans
les voies de la pénitence, pour garantir les uns du désespoir et les autres de
la présomption. Au milieu de toutes ses occupations, Dieu purifia de temps
en temps sa vertu par le feu des adversités et des tribulations. Il exerça, en
dernier lieu, sa patience, par la privation de la vue, qu'il perdit sept ans
avant sa mort. Après l'avoir longtemps éprouvé de la sorte, et l'avoir trouvé
toujours égal dans sa constance et sa fidélité, il l'appela à la récompense
éternelle le 11 mai de l'an 1070. Il avait alors quatre-vingts ans, et, pendant
ses derniers jours, ni l'âge ni la maladie ne purent ôter à cette âme intrépide
sa vigueur. La mort ne fut pour lui qu'une fonction dont il s'acquitta comme
de toutes les autres, en chrétien calme et fervent. Il commença par un grand
discours de consolation à ses frères, se fit donner le sacrement del'Extrême-
Onction et celui de la sainte Eucharistie. Ensuite il se fit porter à l'église,
et là, couché sur la cendre, devant l'autel de la Mère de Dieu, pendant qu'on
lui lisait quelques versets de la sainte Ecriture, pour exciter l'essor de son
âme, elle s'envola vers Dieu. Son corps fut enterré dans la même église, au
milieu d'une foule immense, accourue à la nouvelle de sa mort. Dieu honora
son tombeau de divers miracles qui servirent à confirmer l'opinion qu'on
avait de sa sainteté. Gautier en avait fait aussi quelques-uns de son vivant
pour la guérison des corps. Mais, selon la remarque de l'auteur de sa vie,
ils doivent être de fort petite considération auprès de ceux qu'il avait
obtenus de Dieu pour guérir les âmes de leurs vices. Sa fête était établie
dès l'an 1091 ; mais, quoique son culte ait toujours été public depuis le
commencement du xme siècle, il paraît néanmoins qu'il n'a été guère en
usage que chez les Chanoines réguliers.
470 H mai.
Voir Baillet et les Bollandistes, mai, tome n, page 701 et suiy.
Vies de saint Israël et de saint The'obald, chanoines de l'église collégiale du Dorât; Histoire de leurs
reliques et de leur culte, par M. l'abbé Rougerie, professeur de théologie au petit Séminaire du Dorât :
1 roi. in-8"; Le Dorât. Suréneau, libraire-éditeur, 1871.
SAINT FRANÇOIS DE GIROLAMO \
DE LÀ COMPAGNIE DE JÉSUS
1642-1716. — Papes : Urbain VIII; Clément XI. — Empereurs d'Allemagne : Ferdinand III;
Charles VI.
Si Dieu est pour nous, répétait souvent le Bienheu-
reux François, qui sera contre nous?
Si les saints sont des astres dont Motre-Seigneur orne le firmament de
l'Eglise, pour nous éclairer dans notre dangereuse navigation, sur une
mer pleine d'écueils, il nous semble que leur lumière nous est plus utile,
lorsqu'ils ont brillé dans des temps plus rapprochés de nous. C'est ce qui
nous engage à écrire l'histoire de saint François de Girolamo, qui a vécu dans
le xvme siècle et qui a été canonisé de nos jours. Un petit village, voisin de
Tarente, en Italie, et qui porte le nom de Grotailles, sera à jamais célèbre
pour avoir vu naître notre Saint, le 17 septembre 1642. Ses parents, Jean
Léonard de Girolamo et Gentilesca Gravina, étaient encore moins distin-
gués par le rang honorable qu'ils occupaient dans leur pays que par la
vertu et l'excellente éducation qu'ils donnaient à leurs enfants, au nombre
de onze : François était l'aîné ; on pouvait, dès l'enfance, entrevoir, dans
cette plante bénie du ciel, toutes les vertus, comme des fleurs à travers
leurs boutons naissants ; on admirait surtout un jugement qui devançait
les années, une douce soumission, une entière obéissance à ses parents,
une modestie virginale, un ardent amour pour la prière et la retraite ; sa
charité pour les pauvres était sans bornes ; il n'avait pas le courage de ren-
voyer un mendiant sans le soulager ; il répandait à pleines mains de l'ar-
gent, des vivres et tout ce qu'il pouvait se procurer : ce que Dieu montra
lui être agréable par un grand prodige; car sa mère le surprit un jour dans
un pieux larcin, au moment où il emportait, pour le distribuer aux pau-
vres, du pain qu'il avait pris à la maison ; elle lui reprocha de dépouiller sa
famille pour des étrangers, lui défendant d'en user ainsi à l'avenir ; l'enfant
répondit, la rougeur sur les joues, mais avec des yeux rayonnants de con-
fiance en Dieu : « Pensez-vous, ma mère, que l'aumône nous laisse jamais
sans pain ? regardez le buffet, satisfaites-vous et voyez ». Elle y regarde
aussitôt et voit qu'il n'y manque pas un pain ; elle se jette alors à son cou,
les yeux baignés de larmes, retire la défense qu'elle lui a faite, et lui donne
toute liberté de disposer à son gré de tout ce qui était dans la maison.
Ses dispositions ne brillèrent pas moins pour l'étude que pour la piété :
il saisissait principalement les vérités de la religion avec une facilité admi-
rable ; tout cela porta ses parents à le consacrer au Seigneur comme un
autre Samuel. Il y avait, dans le village, une société d'ecclésiastiques, qui
1. Ou encore de Geronimo et de Hyeronimo : Girolamo est la traduction italienne de Hyeronimu»,
Géronimus.
SAINT FRANÇOIS DE GIR0LAM0, LE LA COMPAGNIE DE JÉSUS. 471
vivaient saintement, sans être liés par des vœux, sous la protection de saint
Cajétan : François fut reçu dans cette sainte communauté où sa piété fit
bientôt l'admiration de tout le monde et le sujet de tous les entretiens. Le
supérieur, charmé de ses excellentes qualités, le chargea de faire le caté-
chisme aux enfants et de tenir l'église en ordre ; il remplit si admirable-
ment cette tâche, que l'archevêque de Tarente lui donna la tonsure i l'âge
de seize ans. Comme il avait achevé ses humanités, ses parents l'envoyèrent
à Tarente suivre le cours de philosophie et de théologie; il y reçut les
ordres mineurs , le sous-diaconat et le diaconat. Ensuite, il se rendit à
Naples pour y apprendre le droit canonique et le droit civil, en compagnie
d'un de ses frères, nommé Joseph, qui, montrant pour la peinture un goût
merveilleux, venait étudier cet art sous un maître éminent. Mais ce qui
occupait le plus les pensées de notre Saint était d'achever le sacrifice qu'il
voulait faire de lui-même à Dieu. S'étant donc procuré une dispense du
Pape à cause de son âge, il reçut, le 18 mars 1666, avec des transports de
joie impossibles à décrire, l'ordre de la prêtrise, des mains de don Sanchez
de Herrera, évêque de Pouzzoles.
Quoiqu'il vécût dans le monde comme n'étant pas du monde, il aspirait
dès lors à s'arracher à sa dissipation, à son air empesté, et à chercher la
science et la perfection dans la solitude ; le ciel condescendit à son désir.
Une place de préfet étant devenue vacante au collège des nobles de la
compagnie de Jésus, il l'obtint, et il lui fut même permis de conserver son
frère avec lui. Les jeunes gens confiés à ses soins ne tardèrent pas à s'aper-
cevoir que c'était un Saint qui avait été placé à leur tête : ils le virent à
son air, à son maintien, à ses manières aimables, à sa conversation pleine de
douceur et de piété, aux austérités et aux mortifications qu'il ne réussissait
pas à cacher entièrement, et surtout à sa patience, dont nous devons donner
ici un exemple : un écolier irrité, après avoir vomi contre lui un torrent
d'injures, en vint jusqu'à le frapper au visage. Quoique pris à l'improviste,
il ne manifesta pas la moindre émotion, ne proféra pas une plainte ; mais,
tombant à genoux, il présenta humblement l'autre joue à celui qui l'avait
frappé. Depuis, on ne l'appela jamais autrement que le Saint Prêtre. Après
cinq ans de résidence en ce lieu, dans le poste de préfet, notre Saint, alors
âgé de vingt-huit ans, suivant la volonté de Dieu qui l'appelait dans la
compagnie de Jésus, triompha, à force de prières, de la résistance de son
père, qui s'opposait à ce pieux dessein. On n'avait jamais eu de novice plus
humble, plus fervent, plus mortifié, plus obéissant : pour éprouver l'or de
de ses vertus dans le creuset des afflictions et des croix, ses supérieurs le
soumirent aux plus rudes épreuves, jusqu'à lui défendre, pour ses préten-
dus péchés, de dire la messe plus de trois fois la semaine : ce coup, le plus
rude pour son cœur, dont toute la joie était de s'unir à son Sauveur, ne
put lui arracher le moindre murmure. Mais Notre-Seigneur sut bien le dé-
dommager de ce sacrifice qu'il s'imposait par obéissance : il le visitait en
personne, et de sa divine main lui distribuait le pain des anges.
De si rudes exercices anéantirent tellement en lui le vieil homme, et
l'homme nouveau grandit de telle sorte, qu'au bout d'un an il put s'élancer
comme un géant dans la carrière apostolique ; ses supérieurs l'envoyèrent
en mission avec le fameux Père Agnello Bruno. Pendant trois ans, ces saints
missionnaires parcoururent tous les villages de la Pouille et de la terre
d'Otrante, convertissant les pécheurs et fortifiant les justes, de sorte qu'on
avait coutume de dire d'eux : le Père Bruno et le Père Girolamo semblent
être, non de simples mortels, mais des anges envoyés exprès pour sauver
472 11 mai.
les âmes. Rappelé à Naples en 1674, pour achever ses études de théologie,
ce savant directeur des âmes, cet éloquent prédicateur se remit sur les
bans avec la joie et la docilité d'un enfant, protestant qu'il ne savait rien,
qu'il avait besoin d'apprendre, bien que ses Cahiers de théologie fussent
grandement recherchés et estimés ; il consultait ses compagnons d'étude
et ne perdait aucune occasion de se faire passer pour ignorant. Afin d'en-
tretenir son zèle, ses supérieurs lui permirent de prêcher le dimanche et
les fêtes sur les places publiques : ce qu'il faisait avec des succès merveil-
leux. Ses études terminées, il fut, par une disposition particulière de la
divine Providence, nommé prédicateur à l'église appelée le Gésu-Nuovo,
en 4675, où il commença les travaux de cette carrière apostolique qu'il
continua pendant quarante ans, sans interruption, jusqu'à la fin de son
pèlerinage terrestre. Pendant les trois premières années, il est vrai, il n'eut
point d'autre charge que de faire l'invitation ou exhortation à la commu-
nion, comme cela se pratiquait en cette église, le troisième dimanche de
chaque mois. Cette œuvre et une foule d'autres, auxquelles il se livrait tout
entier, ne pouvaient étancher sa soif du salut des âmes. A la nouvelle que
la mission du Japon allait s'ouvrir de nouveau, il demanda d'aller verser
son sang pour Jésus-Christ ; mais Jésus-Christ lui répondit par la bouche de
ses supérieurs, qu'il devait considérer Naples comme « ses Indes et son
Japon », et se contenter des épines du martyre par un renoncement absolu
à ses inclinations, sans en cueillir la rose. Dès lors il regarda le royaume de
Naples comme la portion de la vigne du Seigneur où il devait dépenser ses
sueurs. Yoici à quelle occasion il en commença la culture :
Pour délivrer le royaume de Naples des calamités qui le désolaient, on
avait ordonné des prières publiques pendant huit jours, et chaque jour une
procession de pénitence devait se rendre, à travers les rues de la ville, à la
cathédrale, pour y entendre la parole de Dieu. Le Père Sambrosi, le plus
grand prédicateur de l'époque, fut chargé un jour de faire le sermon, et le
Père François de diriger la procession, et de lui adresser de temps en temps
des paroles de pénitence. Quand la procession fut entrée dans l'église, le
tendre pasteur de Jésus-Christ, voyant une partie du troupeau en dehors,
exclue du divin pâturage, parce qu'il lui était impossible de pénétrer, fut
inspiré du Saint-Esprit de rassasier leur faim : il monte sur une éminence
qui dominait la foule, puis, élevant la voix, il tonne contre le vice avec une
énergie si pleine de feu et de terreur, en même temps que le zèle et la ma-
jesté d'un prophète brillaient dans ses yeux, qu'il s'élève un cri général
d'effroi parmi ses auditeurs, comme s'ils voyaient l'enfer s'ouvrir pour les
dévorer : ils tombent la face contre terre, ils versent des torrents de larmes,
ils font retentir l'air de leurs gémissements, ils poussent des cris de douleur
vers le trône de la miséricorde : ainsi il fut difficile de dire lequel, du dis-
cours prononcé dans l'église ou de celui qui l'avait été en dehors, produisit
le plus de bien. Cet heureux incident détermina les supérieurs, en 1678, à
confier à François toute la mission ; elle comprenait trois devoirs :
Le premier était d'entretenir le zèle d'une confrérie dont les membres
assistant à toutes les processions étaient comme le bras droit du mission-
naire ; il établit parmi eux la coutume de fréquenter les Sacrements tous
les dimanches et toutes les fêtes de la sainte Yierge ; la pratique de l'orai-
son mentale aussi bien que la prière vocale ; celle aussi de la pénitence et
de l'humiliation publiques ; l'exercice des stations ou Chemin de la Croix,
où il versait ordinairement lui-même des torrents de larmes; enfin, la visite
en procession de sept églises, en mémoire des sept voyages de notre divin
SAINT FRANÇOIS DE GIROLAMO, DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS. 473
Rédempteur. A chaque église, le Saint faisait une exhortation, et la pieuse
cérémonie se terminait par une consécration que chacun faisait de lui-
même à Notre-Seigneur Jésus-Christ et à sa sainte Mère, avec des vœux de
fidélité perpétuelle.
Le second devoir était de prêcher en public. Voici de quelle manière
notre Saint s'y comportait : chaque dimanche il passait d'abord deux heures
en oraison, après quoi il se frappait longtemps et rudement avec la disci-
pline (pratique qu'il observait tous les jours à son lever); puis il disait la
messe, récitait ensuite les heures canoniales, la tête nue et à genoux,
quelquefois devant le saint Sacrement ; il passait le reste de la matinée au
confessionnal, ou avec sa congrégation. Après le dîner, il employait la ré-
création en grande partie en entretiens spirituels avec ses bien-aimés, et ne
la quittait que pour discourir et méditer pendant une heure sur la Passion
de Notre-Seigneur. A l'heure marquée, le Saint et ses compagnons sor-
taient dans les rues, marchant en procession ; puis se dirigeant de divers
côtés, se mettaient à prêcher au peuple. François montait ordinairement
sur une estrade, près ou vis-à-vis des baladins et des charlatans, qui s'en-
fuyaient à son approche. Après le discours, il tombait à genoux au pied
de la croix et se frappait les épaules avec la discipline ; puis il retournait
au confessionnal, où il demeurait jusqu'au moment où l'on fermait les
portes de l'église.
Le troisième devoir attaché à sa charge était l'invitation à la commu-
nion : pendant les neuf jours qui précédaient le troisième dimanche de
chaque mois, il parcourait les rues de la ville, agitant une sonnette et répé-
tant d'une voix forte quelques sentences tirées de l'Ecriture, pour inviter
les âmes à se nourrir du pain qui donne la vie éternelle. On ne saurait ima-
giner ses peines et ses privations, lorsqu'il parcourait ainsi les environs de
Naples : souvent sous un soleil dévorant ou une pluie battante, à travers
des marais, sur des rochers, souvent au péril de sa vie et de ses membres. Il
voj'ageait toujours à pied, jusqu'au dernier temps de sa vie, qu'il fut obligé
d'aller à cheval ; mais il était bien récompensé de ses fatigues, lorsque, le
jour venu, il pouvait introduire dans la salle du festin, pour mangei
l'Agneau qui sauve de l'extermination éternelle, jusqu'à vingt mille conviés.
Mais, avant d'entrer dans de nouveaux détails sur la carrière aposto-
lique de notre Saint, il est bon de dire quelque chose de la qualité qui lui
fit opérer tant de merveilles, c'est-à-dire de sa rare éloquence ; sa voix était
forte et sonore, son style simple, abondant et impressionnable : quelquefois
il s'insinuait dans le cœur de son auditoire par des manières gracieuses et
attrayantes ; quelquefois il accablait les esprits sous le poids des plus forts
arguments. Il avait coutume de parler avec tant de véhémence, que le sang
lui venait parfois sur les lèvres. Sa méthode ordinaire était de peindre
d'abord l'énormité du péché et les terreurs des jugements divins sous des
couleurs si frappantes, qu'il excitait dans les pécheurs des alarmes et de
l'indignation contre eux-mêmes ; puis, changeant de ton avec une habileté
de maître, il parlait sur la douceur et la bonté de Jésus-Christ, de manière
à faire succéder l'espérance au désespoir et à porter la conviction dans les
cœurs les plus endurcis. C'était là le moment qu'il choisissait pour leur
adresser un appel si tendre et si entraînant, qu'on les voyait tomber à ge-
noux devant leur Sauveur crucifié, et solliciter par les précieux canaux de
la grâce, c'est-à-dire par ses plaies encore saignantes, en versant des larmes
et en poussant des sanglots, leur pardon et leur réconciliation. Il était dans
l'usage d'ajouter à la fin quelque exemple frappant des châtiments ou des
474 H MAI.
grâces de Dieu, pour laisser dans les âmes une impression plus profonde.
Avant de parler aux hommes, il avait soin de s'entretenir avec Dieu aux
pieds du crucifix ; comme un autre Moïse, il sortait tout en feu de ce col-
loque sacré. Le ciel lui inspira, en diverses circonstances, des paroles d'un
effet surnaturel : en 1707, une éruption du Vésuve obscurcit l'air, le peuple
tremblant se rassemble sur la place, le Saint y paraît et s'écrie d'un ton
lugubre : « Naples, dans quel temps es-tu ? Naples, dans quel temps
es-tu? » En 1688, dans un tremblement de terre, il cria aussi au peuple
effrayé : « Cessez de pécher ! si vous voulez que le châtiment cesse » . Beau-
coup de pécheurs confessèrent leurs péchés et menèrent depuis une vie
religieuse. Ses sermons étaient ordinairement suivis du repentir et de la
conversion de cinq ou de 'six et même de dix femmes perdues de mœurs,
qui venaient, en s'arrachant les cheveux et versant des larmes amères,
solliciter la permission d'aller expier leurs fautes dans quelque couvent.
Un jour, une misérable de cette espèce, devant la maison de laquelle le
serviteur de Dieu prêchait, fit ce qu'elle put pour l'interrompre, en profé-
rant toutes sortes de sons discordants : notre Saint n'y fit pas même atten-
tion et continua son discours jusqu'au bout. Quelque temps après, passant
devant cette maison et la voyant fermée : « Ah ! dit-il à un de ceux qui
étaient à ses côtes, qu'est devenue Catherine ?» — « Elle est morte subite-
ment hier », répondit-on. — « Morte ! ajouta François, entrons et voyons-
la ». Puis entrant, en effet, dans la maison, il monta l'escalier et trouva le
cadavre déposé, selon l'usage. Alors, au milieu du silence de l'assemblée :
« Catherine ! » s'écria-t-il, « dites-moi où vous êtes? » et deux fois il répéta
les mêmes paroles. Mais, quand une troisième fois il eut parlé d'un ton
d'autorité, les yeux du cadavre s'ouvrirent, ses lèvres s'agitèrent à la vue
de tout le monde, et une faible voix, qui semblait venir d'une grande pro-
fondeur, répondit : « En enfer ! en enfer ! ! ! » Aussitôt, tous ceux qui
étaient présents, saisis de terreur, s'enfuirent de la chambre, et le saint
homme, lui, en se retirant, répéta plusieurs fois : a En enfer ! en enfer !
Dieu tout-puissant, Dieu terrible! en enfer! » Cette circonstance et ces
paroles produisirent tant d'effet que plusieurs n'osèrent rentrer chez eux
sans s'être confessés. Ainsi, il profitait de toutes les circonstances pour
amollir les âmes endurcies. Une autre fois il peignit en termes si forts l'ou-
trage fait à Dieu par le péché, qu'un enfant se mit à pleurer amèrement :
le Saint le fait venir auprès de lui, l'embrasse avec tendresse et s'écrie :
a Cet enfant innocent verse des larmes, tandis que tant de pécheurs restent
insensibles ». Puis, éclairé d'une lumière surnaturelle, il dit à l'enfant :
<t Mais ton père, que fait-il ? » Or, ce père était un grand pécheur, et,
comme il se trouvait présent, il fut tellement touché des larmes de son fils,
des reproches du Saint et surtout de la grâce, qu'il accourut se jeter au
pied du crucifix en criant miséricorde pour ses péchés. Son repentir sem-
bla se communiquer à la foule, et plusieurs pécheurs se convertirent.
Une femme, qui avait pendant bien des années mené une vie de désordre,
s'était enfin convertie après un sermon ; François lui dit en public : — a Ma
pauvre fille, qu'avez-vous gagné par le péché ? quels biens, quel plaisir ? »
— « Hieni rien, répondit-elle toute en pleurs ; les vêtements mêmes que je
porte ne sont pas les miens ! Ils sont de loyer ». — « Dieu, l'entend ez-vo us?
s'écria le Saint, tel est le sort de tout pécheur! » Un jour qu'il prêchait
devant une maison mal famée, on en vit, au milieu même de son discours,
une voiture se préparer à sortir ; on pria ceux qui y étaient d'attendre
quelques instants et de ne pas interrompre le serviteur de Dieu ; mais, ces
SAINT FRANÇOIS DE GIROLAMO, DE LA COMPAGNIE DE JESUS. 475
personnes n'en faisant aucun cas, crièrent au cocher de pousser en avant :
« Divin Jésus », s'écria notre Saint en tenant le crucifix à la main devant
les chevaux, « puisque ces déesses n'ont point de respect pour vous, ces
bêtes sans raison du moins vous rendront hommage ». A l'instant môme,
ces animaux tombèrent à genoux et ne voulurent point remuer que le dis-
cours ne fût fini. On ne peut expliquer, sans miracle, comment saint Fran-
çois pouvait suffire à des travaux qui auraient occupé la vie de plusieurs
apôtres : on le voyait continuellement dans les hôpitaux, les prisons et les
galères, et, en outre, il allait dans les maisons visiter les malades ; il pour-
voyait aux nécessités spirituelles des monastères, des asiles ou maisons de
refuge, des confréries et des écoles ; il allait prêcher la nuit même dans les
repaires du vice. Une fois, au moment où il était en prières dans sa cham-
bre, il se sentit tout à coup inspiré d'aller prêcher : il le fait dans les ténè-
bres, à l'angle d'une rue, prenant pour sujet la correspondance immédiate
à la grâce divine, et s'en retourne sans savoir dans quel dessein et avec
quel fruit le Saint-Esprit l'a fait parler. Le lendemain, une jeune femme
vint se confesser à lui ; elle avait été effrayée, lorsqu'il avait fait retentir
dans la nuit la menace des vengeances divines et le danger de différer sa
conversion au moment même et au lieu où elle était disposée à pécher ;
son complice, qui se moquait de ses craintes, était mort tout à coup, son
âme s'étant déjà envolée au tribunal de Dieu, lorsque les paroles de blas-
phème étaient encore sur ses. lèvres. Rien ne pouvait arrêter un zèle si
ardent. Il fut souvent maltraité par ceux qu'il voulait retirer de l'enfer,
mais il ne recula jamais, pas même devant la mort, et Dieu le protégea
toujours.
Nous regrettons de ne pouvoir raconter toutes les conversions admi-
rables qui sont rapportées dans la vie de ce saint missionnaire ; mais nous ne
pouvons nous défendre de citer celle-ci, qui intéresse en quelque sorte notre
pays. Il y avait à Paris un protestant qui s'appelait François Cassier. Cet
homme avait épousé une bonne catholique, nommée Magdeleine Olivier,
de laquelle il eut deux filles. Il aurait bien voulu les amener au protestan-
tisme, mais la mère les avait toujours préservées de cette apostasie : aussi,
les accablait-il de mauvais traitements et les avait-il prises en une haine
terrible. Après la mort de sa femme, il résolut de conduire ses enfants à
Genève pour en avoir plus facilement raison. Il les force à prendre des
habits d'homme et se met en route avec elles. Un jour qu'elles étaient fati-
guées de la marche, elles prient leur père de leur permettre de se reposer
un peu. Le père y consent, se sentant las aussi : il se couche sur l'herbe et
s'endort. C'était dans un lieu solitaire ; les malheureuses filles, égarées par
les mauvais traitements qu'elles enduraient depuis longtemps, profitent de
son sommeil, prennent doucement ses pistolets, le tuent et cachent son ca-
davre sous des buissons. Après cet horrible crime, elles sortent de France,
gardant toujours leurs habits d'hommes et vont s'engager à Milan, au ser-
vice de Charles II, roi d'Espagne, à qui ce duché appartenait. Leur compa-
gnie, dont le capitaine était don Emmanuel de Arriéta, fut envoyée en gar-
nison à Messine, puis à Naples, d'où elle partit pour une expédition contre
les bandits qui s'étaient retirés dans les Abruzzes. Les deux sœurs se bat-
tirent vaillamment : mais l'une, ayant été tuée dans une rencontre, l'autre
eut soin d'enterrer son cadavre, de peur qu'en le dépouillant on en reconnût
le sexe, ce qui aurait fait découvrir la fraude. Celle qui restait avait pris le
nom de Charles Pimentel. Après l'extermination des bandes de brigands,
elle revint à Naples, où la grâce de Dieu l'attendait.
476 il mai.
Un jour que Charles Pimentel était de garde avec sa compagnie, sur la
place du Château-Neuf, le Saint l'aperçut, et après le sermon, il lui fit signe
de venir lui parler. — « Que peut me vouloir cet homme », se disait le sol-
dat ? Je ne le connais pas et n'ai rien à faire avec lui ». Cependant le Saint
l'ayant appelé de nouveau, il y alla, et celui-ci lui dit en le prenant à l'écart :
— « Je voudrais bien que tu allasses te confesser ». — « Me confesser! »
répondit le soldat, « et pourquoi? Est-ce que j'ai commis quelque grand
crime qui ait mérité la corde ? En bonne conscience, je ne me connais pas
de péchés ». Et en disant cela, il lui tourna brusquement les épaules. Le
saint l'arrêta. — « Mais comment peux-tu dire que tu n'as pas commis de
péché » , reprit-il ? « N'es-tu pas une femme qui se cache sous ces habits
d'homme? n'es-tu pas Marie Cassier, née à Paris, d'où tu es venue en Italie ?
ne te fais-tu pas appeler Charles Pimentel ? Il ne te sert à rien de le nier,
car celui qui me l'a dit, c'est ce Seigneur Jésus que tu vois là sur la croix.
Veux-tu que je t'en dise davantage? N'est-ce pas toi qui, d'accord avec ta
sœur, as tué cruellement ton père ?» A ces paroles si nettes, le soldat, tout
étourdi, pâlit et se mit à trembler des pieds à la tête. Il ne voulut point
avouer cependant : — « Mais, Père » , reprit-il après un moment de silence,
«je ne sais qui a pu vous faire un pareil conte ». Puis, réfléchissant qu'il
fallait empêcher le Père de parler, il lui promit de l'aller trouver le lende-
main pour se confesser. Le Saint attendit deux jours, mais inutilement; il
se mit à sa recherche, et l'ayant rencontré, il lui dit : « Est-ce ainsi que tu
tiens la parole que tu m'avais donnée ?» — « Père, croyez-moi », reprit le
soldat, « je ne l'ai pas pu ; du reste, il est impossible que j'aille vous trouver
maintenant, car, par ordre du vice-roi, nous allons nous embarquer sur-le-
champ ; nous partons pour la Toscane ». Le Saint réfléchit quelque temps.
« Non, vous ne partirez pas », reprit-il ; «jure-moi donc sur ce Christ que
tu viendras demain matin me trouver. Ne crains rien, car j'ai grand espoir
que Dieu veut te sauver ». En effet, l'ordre de départ fut révoqué le jour
même, comme il l'avait prédit, et le soldat se rendit aussitôt à l'église du
Gesh-Nuovo pour accomplir sa promesse. Quand le Père l'aperçut, il tres-
saillit d'une sainte allégresse. «Eh quoi ! » lui dit-il, « tu voulais t'échapper
des mains de Dieu ! Mais c'est un père qui t'aime et qui te voulait pour lui ».
Le Saint entendit ensuite sa confession ; il le disposa à recevoir l'absolution
ce matin-là même et le fit approcher de la Table sainte. Le soldat passa
cette heureuse journée à l'église, en exercices de dévotion. Le soir, le Saint
le fit conduire chez la marquise de Santo-Stéfano. Cette dame, qui était
fort pieuse, l'accueillit à merveille. Elle fit reprendre à Marie Cassier les
habits de son sexe, la garda pendant quatre mois et l'établit ensuite dans
une petite maison où elle vécut d'une rente de six ducats par mois, que le
Saint lui avait obtenue sur la caisse militaire, et qui était la retraite des
soldats invalides.
Cette conversion si extraordinaire eut lieu en l'année 1688. Marie Cas-
sier ne mourut qu'en 1727, et elle en confirma les détails sous la foi du ser-
ment pour le procès de canonisation. Elle resta toujours dans les sentiments
les plus humbles et les plus repentants, pleurant sa faute et en faisant cha-
que jour pénitence. Le Saint avait placé auprès d'elle un de ses frères,
nommé Cataldo. C'était un homme tout occupé de son salut, de bon conseil
et d'une vie exemplaire Marie Cassier le servait et le soignait dans ses ma-
ladies, qui étaient fort fréquentes. Un jour, il fut surpris d'une fièvre si ar-
dente que l'on connut bientôt qu'il n'y pourrait résister. Cataldo comprit le
danger où il était : il fit volontiers à Dieu le sacrifice de sa vie ; il ne regret-
SAINT FRANÇOIS DE GIROLAMO, DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS. 477
tait qu'une chose, c'est que son frère bien-aimé ne fût pas là pour l'aider
dans ce terrible passage. Saint François de Girolamo était, lui aussi, malade
en ce moment-là, et ses supérieurs l'avaient envoyé à cinq lieues de Naples,
dans le bourg de Récalé, renommé pour la salubrité de l'air. Or, deux jours
avant que Cataldo ne mourût, Marie Cassier, étant dans une chambre voi-
sine, l'entendit pousser un fort gémissement. Elle accourut pour lui porter
secours, mais elle s'arrêta tout effrayée à l'entrée de la chambre, en voyant
saint François de Girolamo qui embrassait tendrement le malade et qui lui
disait : « Mon frère, allez plein de courage et avec confiance là où Dieu,
votre bon père, vous appelle, et où les Saints vous attendent. Souvenez-vous
qu'il rend au centuple ce qu'on lui a donné, et sachez que je ne tarderai
guère à vous suivre ». Il prit ensuite Marie Cassier à part. « Ma fille », lui
dit-il, « Cataldo marche à grands pas vers l'éternité : aie soin de l'assister
fidèlement. Il mourra vendredi prochain, à la quatrième heure de nuit. Il
faut que je le quitte maintenant ; mais j'espère le revoir avant sa mort » . On
croit qu'il le revit, en effet, car le malade, un peu avant sa mort, donna
tant de signes d'une joie extraordinaire, que Marie Cassier était persuadée
qu'il avait eu le bonheur de mourir dans les bras du Saint, encore que
celui-ci fût resté invisible pour elle. Du reste, le jour où il était venu, il
entra et sortit, quoique les portes de la maison fussent closes, et deux frères
qui étaient avec lui au bourg de Récalé affirmèrent qu'il ne les avait pas
quittés d'une minute, qu'il n'était pas même en état de le faire à cause de sa
grande faiblesse.
Parmi les hardiesses où l'Esprit-Saint l'a poussé, nous en citerons encore
une des plus merveilleuses : dans une procession, il s'arrêta devant la porte
d'une maison ; mû par une inspiration soudaine, il frappe fortement en
criant : « Ouvre, femme infernale, maîtresse d'école d'enfer, ouvre ! » Quel-
ques instants après, on vit paraître une méchante femme flétrie, hideuse,
défigurée, dans l'intérieur de la maison, on aperçut une demi-douzaine de
jeunes gens et un pareil nombre de jeunes personnes que cette misérable
avait réunis pour le crime et qui étaient près de sacrifier leur vertu. « Voilà
bien », s'écria le Saint, « l'école de Satan, l'antichambre de l'enfer. Com-
ment osez-vous », dit-il à ces jeunes gens, « attenter à la vertu de ces âmes
innocentes, pour lesquelles Dieu a versé son sang ? Sortez d'ici ! » Il retira
ainsi ces malheureuses filles de l'abîme, et leur procura une place dans un
asile où elles purent sauver leur âme. Plusieurs fois il arrêta des jeunes gens
à la porte de ces repaires du vice, ou les en retira en y entrant lui-même le
crucifix à la main. Nous ne finirions jamais s'il nous fallait raconter les con-
versions merveilleuses où notre Saint fut l'instrument de la grâce. Un
homme ne fréquentait plus les Sacrements depuis vingt-cinq ans, lorsque,
averti en songe, à plusieurs reprises, d'avoir recours à notre Saint, il prit
enfin courage et obéit, à son grand bonheur et pour la gloire de Notre-Dame,
à la protection de laquelle il était redevable de cet avertissement. Un autre,
à qui le Saint, au commencement de sa confession, demanda combien il y
avait de temps qu'il ne s'était pas confessé, se mit à fondre en larmes et à
supplier le Saint de ne pas le renvoyer parce qu'il était un grand pécheur ;
et le Saint, lui recommandant de ne pas se décourager, lui demanda s'il y
avait dix, vingt ou cinquante ans : « Précisément, mon père », dit-il, « il y
a cinquante ans que je suis éloigné de Dieu. — Eloigné de Dieu ! » reprit
François, « pourquoi avez-vous abandonné un si tendre Père, un Sauveur
qui a versé son sang pour vous, jusqu'à la dernière goutte ? Ah ! plutôt con-
vertissez-vous à lui, et allez au-devant de celui qui a couru si longtemps
478 11 mai.
après vous ». Un assassin, qui avait été payé pour tuer quelques personnes,
traversant un groupe d'auditeurs, devant lequel le Saint prêchait, s'arrêta
en se disant à lui-même : « Celui que je cherche ne serait-il point parmi
tette multitude ? » Il se tint donc là pour observer et ne put s'empêcher
d'entendre le discours de notre saint prédicateur, et, en l'entendant, il ne
put se défendre de rester pour l'écouter, comme s'il eût été retenu dans ce
lieu par enchantement, quand tout à coup ces paroles retentissent à ses
oreilles :« Des milliers de pénitents pleurent leurs fautes passées, et toi, mi-
sérable pécheur, tu médites de nouveaux crimes ! Malheureux, que ni le
bras de Dieu levé pour lancer ses foudres, ni l'enfer ouvert sous tes pieds
pour t'engloutir, ne sauraient détourner du crime ! » Sa conscience fut dé-
chirée de remords, son cœur se détourna du mal, il confessa ses iniquités,
et 'e meurtrier, il devint un Saint. Naples ne fut pas le seul théâtre du zèle
de notre saint apôtre ; il parcourut toutes les provinces du royaume, à
l'exception delà Calabre, et donna plus de cent missions; partout où il
allait, le clergé et le peuple venaient à sa rencontre, il commençait aussitôt
par un discours d'ouverture et une invocation au saint patron et aux anges
gardiens du lieu. A la fin, avant de partir, lorsqu'il exhortait les fidèles à la
persévérance, tous, d'une seule voix, promettaient de garder inviolablement
leurs engagements, et quand il leur donnait sa dernière bénédiction et leur
faisait son adieu ordinaire, qui était de les retrouver dans le ciel, les paroles
ne peuvent exprimer, ni l'imagination se représenter les émotions de la
multitude. Le démon, il est vrai, furieux de voir tant d'âmes arrachées des
filets de l'enfer, ne négligeait rien pour molester François et le faire échouer
en suscitant contre lui des nuées d'ennemis qui décriaient sa conduite ;
mais sa conduite, mieux connue, réfutait toutes les calomnies, et sa pa-
tience décourageait les outrages.
Il eut quelquefois à lutter contre les obstacles d'une autre nature : l'é-
vêque de Chiéti, capitale des Abruzzes, auquel il demanda la permission de
prêcher, lui dit : « Vraiment oui ; mais, Père François, je dois vous préve-
nir que le peuple de notre ville est un peuple spirituel et cultivé, accou-
tumé à peser à son juste poids la force des raisons et capable de le faire ;
vous sentirez donc tout d'abord que certaines pratiques propres à parler
aux sens, telles que l'exposition de la Croix ou des images de la Sainte
Vierge et des autres Saints, choses admirables en elles-mêmes, seraient ici
tout à fait hors de place et de nature à faire plus de mal que de bien ». —
« On aura certainement égard aux désirs de Votre Grandeur », dit l'humble
Saint, «au moins jusqu'à ce que vous jugiez convenable d'y déroger ».Peu
après, le prélat ressentit une peine aiguë dont il ne pouvait se rendre
compte. Cédant aux remords de sa conscience, il envoya dire au Saint qu'à
l'égard de ce qui avait fait le sujet de leur conversation, il s'en rapportait à
sa discrétion, et il eut plus d'une fois occasion de constater les fruits de ces
pratiques qu'il avait d'abord condamnées.
Nous n'entreprendrons pas de traiter en particulier chacune des vertus
de notre Saint. Toutefois, nous ne pouvons passer sous silence son fervent
amour pour Jésus-Christ : il l'honorait et l'adorait plus particulièrement
dans les mystères de sa sainte enfance, de sa sainte passion et de son ado-
rable Sacrement. Lorsqu'il méditait sur ces mystères, il était toujours ab-
sorbé et pénétré d'amour, et quand il approchait du Sacrement de l'autel,
son visage était enflammé comme s'il eût été devant le feu; il ne pouvait
souffrir les irrévérences envers la divine Eucharistie ; il réprimanda une
dame de qualité qui était demeurée assise pendant la consécration. Il avait
SAINT FRANÇOIS DE G1R0LAM0, DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS. 479
aussi une tendre dévotion pour la Sainte Vierge : pendant vingt-deux ans,
il eut l'habitude de prêcher un sermon en son honneur et à sa louange,
toutes les semaines. C'était à la jeunesse surtout qu'il avait soin de recom-
mander cette dévotion comme le préservatif le plus assuré de l'innocence
et le meilleur remède du péché, disant qu'il était difficile de se sauver, si
on ne se sentait pas de dévotion envers la Mère de Dieu. Marie était son
conseil dans le doute, sa consolation dans ses peines, sa force dans toutes
ses entreprises, son refuge dans le danger; il éprouvait des délices inexpri-
mables toutes les fois qu'il récitait le rosaire de notre tendre Mère. Il avait
également une dévotion toute particulière pour son Ange gardien, pour
saint François-Xavier, pour saint Janvier et surtout pour saint Cyr; il pla-
çait toutes les missions 'qu'il faisait sous son patronage : ce fut un débat
perpétuel entre le Martyr et le Saint à qui procurerait le plus d'honneur à
l'autre ; François recourait à saint Cyr dans toutes ses entreprises ; saint Cyr
favorisait, de son côté, toutes les entreprises de François; il ne visitait ja-
mais un malade qu'il ne le bénît avec les reliques du saint Martyr, et les re-
liques du saint Martyr obtenaient toujours la santé du corps ou de l'âme ',
selon son désir. Il ne fut point content qu'il n'eût obtenu les permissions
nécessaires pour établir une fête en l'honneur de ce saint Patron, afin qu'il
lui fût rendu un honneur public. Le troisième dimanche de mai fut le jour
fixé pour cela.
La charité, l'humilité, l'obéissance de notre Saint n'étaient pas moins ad-
mirables : Dieu ne lui refusa pas non plus les dons précieux dont il se plaît
quelquefois à favoriser ses serviteurs. En voici quelques exemples : il éprou-
vait de fréquentes extases, souvent en présence de plusieurs témoins ; un
jour surtout, qu'il faisait une exhortation à la communion, son visage bril-
lait, par moments, d'un si radieux éclat, que, comme celui de Moïse, il
éblouissait les yeux de ceux qui le voyaient. Ce n'était pas non plus par des
moyens naturels que sa voix, lorsqu'elle était enrouée et faible, se faisait
entendre distinctement à des distances immenses; il avait le don de se
rendre présent en plusieurs lieux à la fois et en même temps; pour celui de
prophétie, il l'exerçait tantôt sérieusement et ouvertement, tantôt comme
en plaisantant et d'une manière énigmatique, comme si l'on n'eût pas dû
croire qu'il avait cette faveur. Une jeune fille, étant dans le doute si elle de-
vait se marier ou bien entrer dans l'état religieux, consulta le Saint : « Vous
courrez de plus grands dangers en restant dans le monde », lui dit-il, « et
ne vous laissez pas épouvanter par la pensée que vous aurez à mener une
vie longue et laborieuse. Quel âge avez-vous? » — « Dix-sept ans », répon-
dit-elle. — « Encore juste autant d'années, et vous serez à la fin de votre
pèlerinage». Ce que l'événement montra être véritable; car cette jeune
personne, retirée dans un couvent, y mourut en odeur de sainteté au bout
de dix-sept ans.
Une pauvre femme perdit un enfant d'un an, et n'ayant pas le moyen de
le faire enterrer, elle le porta à l'église et le plaça dans le confessionnal du
Père François. En entrant dans l'église, le saint homme, qui avait tout vu
par une lumière surnaturelle, s'adressant à la célèbre pénitente Marie-Louise
Cassier, lui dit : « Voyez dans mon confessionnal, vous y trouverez un en-
fant abandonné ; chargez-vous-en, jusqu'à ce que je trouve à le placer con-
venablement ». Elle obéit à l'instant; mais, levant la couverture qui l'enve-
loppait, elle se tourna vers le Saint et lui dit : « Mon père, il est mort! » —
« Non, non », répondit-il, « il est endormi »; et en même temps il lui fit un
l. Saint Cyr souffrit le martyre le 31 Janvier, l'an 288 de Jésus-Christ ; TOir sa notice a ce Jour.
480 H mai.
signe de croix sur le front et lui appliqua de l'eau bénite sur les lèvres, et
voilà que l'enfant ouvre les yeux et commence à respirer. « Allons », ajouta
le Saint, « appelez la mère, qui est au bas de l'église ». La pauvre femme
tout d'abord refusa de venir, et, à la vue de l'enfant, elle ne pouvait croire
que ce fût le sien; mais lorsqu'il allongea ses petits bras et témoigna la re-
connaître, elle le colla sur son sein avec des ravissements de joie; et, après
avoir reçu de saint François une aumône abondante, elle retourna chez
elle. Une jeune religieuse s'étant présentée devant notre Saint pour faire sa
confession : «Allez », lui dit-il sèchement, « je ne puis ni ne veux vous en-
tendre ». — « Comment ! » s'écria-t-elle avec étonnement, « vous volez à la
recherche des femmes de mauvaise vie et vous rejetteriez une épouse de
Jésus-Christ? » — « Venez-vous pour vous confesser », reprit François, «sans
examen, sans contrition, sans ferme propos de changer de vie et sans la
moindre étincelle de dévotion? » Cette réponse fit rentrer la religieuse en
elle-même, et, reconnaissant ses désordres, elle changea de vie.
Il faisait honneur à saint Cyr de tous les miracles que le ciel lui accor-
dait. Il y avait, dans un monastère, une religieuse affligée d'horribles con-
vulsions; on envoya, à la fin, chercher le Père François : « Je vous apporte
de bonnes nouvelles », dit-il en entrant, « un médecin qui guérit tous les
maux »; puis il lui donna la relique de saint Cyr à baiser, en disant : « Avez-
vous confiance en ce médecin? voulez-vous l'invoquer et avoir dorénavant
de la dévotion pour lui ? » Et comme elle répondit affirmativement : « Vous
voilà déjà guérie », dit-il, « levez-vous et allez à l'instant même au chœur,
rendre grâces à Dieu ». Et aussitôt, à son grand étonnement et à sa grande
consolation, comme de tous ceux qui étaient présents, elle fit ce qu'il avait
commandé.
Mais il est temps de raconter la fin d'une si belle vie : notre Saint en fut
averti par une inspiration divine. A la mort de son frère, il fit entendre ces
paroles : « Dans un an d'ici, nous nous trouverons réunis ». Et lorsqu'il
était encore en pleine santé, il dit en prenant congé des religieuses de
Sainte-Marie-du-Divin-Amour : « Mes chères filles, c'est pour la dernière
fois que je vous parle aujourd'hui; ne m'oubliez pas dans vos prières. Adieu,
jusqu'à ce que nous nous revoyions dans le paradis ». Pendant sa maladie,
il dit, à l'approche de la fête de saint Cyr : « Je ne serai pas en vie pour la
voir ». Enfin, lorsque le médecin qui le soignait lui fit sa dernière visite, il
le remercia de ses attentions et ajouta : « Nous ne nous reverrons plus dé-
sormais de ce côté de la tombe : car lundi sera le dernier jour de ma vie ».
On ne saurait exprimer les cruelles souffrances que Notre-Seigneur lui en-
voya pour achever de le purifier, afin que son âme entrât plus brillante dans
la gloire, et cependant il ne lui échappa jamais un murmure; il répétait
seulement : « Béni soit Dieu, le père de Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui
nous console dans toutes nos tribulations! » Quand quelqu'un s'approchait
pour compatir à ses souffrances, lui, qui ne trouvait pas le calice assez plein
auprès de celui de son Sauveur, joignait les mains sur sa poitrine en s'é-
criant : Crescant in mille millia : « Qu'elles s'accroissent à l'infini ! » On lui
parlait du bien qu'il avait fait : « Rien, rien », répondait-il, « la faute que
j'ai le plus à appréhender, c'est ma paresse ». Comme on l'exhortait à invo-
quer saint Cyr pour obtenir le rétablissement de sa santé et obtenir quelques
années de vie à consacrer encore au service de Dieu : « Ah! non », dit-il,
« le Saint et moi nous nous sommes entendus sur ce point ; l'affaire est
maintenant consommée ». La faveur qu'il demandait était de voir achever
la statue qu'il avait entreprise en l'honneur de son saint Patron ; elle lui fut
SAINT FRANÇOIS DE GIROLA.MO, DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS. 481
accordée : « Maintenant », dit-il, « je meurs content ». Le jour de la fête
de l'Exaltation de la Sainte-Croix, après avoir fait une confession générale,
il reçut le saint Viatique, et, six jours après, l'Extrême-Onction. Tout le long
de la nuit, il laissa son cœur s'épancher en toute liberté, et voici quelles
étaient les paroles qu'on lui entendait répéter : « Bénissons le Père, le Fils
et le Saint-Esprit; louons-le et exaltons-le à tout jamais! Le Seigneur est
grand et infiniment digne de louanges, dans la cité de notre Dieu sur la
sainte montagne ! » Puis, baisant les plaies du Crucifix en pleurant, il s'é-
criait : « Souvenez-vous, divin Jésus, que cette àme vous a coûté pour sa
rançon jusqu'à la dernière goutte de votre sang! » L'infirmier, l'engageant
à prier du cœur plutôt que des lèvres, à cause de la peine qu'il avait à par-
ler : « Ah ! mon cher frère », lui répondit-il, « quoi que nous puissions pen-
ser ou dire d'un Dieu si grand, sa grandeur est au-delà de toute pensée et
de toute expression ! » Puis, les yeux fixés sur la pieuse image de la Sainte
Vierge, il lui parlait en ces termes si humbles : « Ah ! Marie, ma très-chère
mère, vous m'avez toujours chéri comme une tendre mère, quoique je ne
fusse pour vous qu'un enfant trop indigne. Comblez maintenant la mesure
de vos bontés à mon égard, en m'obtenant l'amour de votre divin Fils! »
Ensuite, comme s'il se fût déjà trouvé sur la porte du paradis, il exhalait
ainsi ses ardents désirs d'y entrer : « Que la maison du Seigneur est grande !
bienheureux ceux qui habitent dans votre maison, Seigneur; ils vous loue-
ront dans les siècles des siècles. Anges saints, que tardez-vous? ouvrez les
portes de la justice, j'y entrerai et je louerai le Seigneur! »
Malgré le désir que notre Saint avait tant de fois exprimé qu'on le lais-
sât seul, il fut impossible d'arrêter la foule qui se pressait pour le voir une
dernière fois, lui baiser les mains et recevoir sa dernière bénédiction. Il les
bénissait tous avec une aimable douceur, et, voyant couler leurs larmes :
« Ne pleurez pas », disait-il, « je vais au ciel, où je me souviendrai de vous
et serai plus à portée de vous être utile ». Le démon fit un dernier effort
pour arracher, au moment décisif, la victoire des mains de celui qui l'avait
terrassé si souvent. Dieu le permit pour ajouter à la honte du malin esprit
et à la gloire du Bienheureux. Dans la rigueur de la lutte, on vit toute sa
personne s'agiter violemment : poussant un cri, il appelait à son secours
Notre-Seigneur, Notre-Dame et tous les Saints ; il répondit à ceux qui lui
demandèrent la cause de cette horrible convulsion : « Je combats, je com-
bats! Au nom de Dieu, priez pour moi que je ne succombe pas! » Puis,
comme s'il repoussait son ennemi, il disait : « Non, jamais; retire-toi, je
n'ai rien à démêler avec toi ! » Son visage, enfin, reprit son éclat, et il ré-
péta avec douceur ces paroles : « C'est bien, c'est bien! » et ausslôtil se
mit à chanter le Magnificat et le Te Deum, pour remercier Dieu de sa vic-
toire; enfin, il alla en recevoir la couronne éternelle le 11 mai 1716, dans
la soixante-quatorzième année de son âge et la quarante-sixième de sa vie
religieuse.
L'infirmier, voulant garder quelques reliques d'un si saint homme, osa,
avant de le revêtir des habits sacerdotaux, lui couper un morceau de la
peau qui couvrait la plante de ses pieds, si souvent sanctifiés en courant
après les brebis égarées; mais, malgré ses précautions, le pieux larcin fut
bientôt découvert ; car le sang se mit à couler si abondamment de la plaie,
que non-seulement les linges en furent empreints, mais qu'on en remplit
une fiole contenant trois ou quatre onces. De nombreux miracles honorant
ses précieuses reliques, indiquèrent la gloire dont son âme jouissait dans le
ciel; il fut béatifié par Pie VII, en 1806, et canonisé par Grégoire XVI, en
Vies des Saints. — Tome V. 31
482 12 mai.
1839, en même temps que saint Alphonse de Liguori, saint Jean-Joseph de
la Croix, saint Pacifique de San-Severino et sainte Véronique Giulani. Cette
circonstance a fait qu'on a représenté ces Saints réunis dans un même ta-
bleau. En sa qualité de missionnaire, on met dans la main de saint Fran-
çois un Crucifix; dans le lointain on place le Vésuve, pour rappeler que
Naples fut le théâtre principal de ses travaux apostoliques. Saint François
est l'un des nombreux patrons de Naples.
Son corps est conservé sous un autel latéral qui lui est dédié, dans la
belle église de la maison professe des Jésuites, à Naples, nommée le Gesù-
Nuovo. Au-dessus de l'autel, on voit, dans une niche, sa statue de grandeur
naturelle.
Nous avons tiré sa vie du récit que nous en a donné le cardinal Wiseman.
XIIe JOUR DE MAI
MARTYROLOGE ROMAIN.
A Rome, sur la voie d'Ardée, les saints martyrs Nérée et Achillée, frères, qui furent pre-
mièrement relégués pour Jésus-Christ dans l'île de Ponza avec Flavie Domitille, dont ils étaient
eunuques ; puis ensuite fouettés très-cruellement ; enfin, comme Minucius Rufus, consulaire, les
voulait forcer à sacrifier aux idoles, par le supplice du chevalet et par celui du feu, et qu'ils
disaient « que, ayant été baptisés par l'apôtre saint Pierre, il leur était impossible de sacrifier »,
ils eurent la tète tranchée. Leurs saintes reliques, en même temps que celles de Flavie Domitille,
furent transférées solennellement, par l'ordre du pape Clément VIII, la veille de ce jour, de la
diaconie ou sacristie de Saint-Adrien, dans leur propre et ancien titre, maintenant restauré, où
elles avaient été autrefois déposées et conservées. Ier s. — Au même lieu, sur la voie Aurélienne,
saint Pancrace, martyr, qui fut décapité à l'âge de quatorze ans, sous l'empire de Dioclétien.
304. — A Rome encore, saint Denys, oncle paternel du même saint Pancrace. — En Sicile, saint
Philippe d'Agiro, qui fut envoyé en cette île par le Pontife romain, et en convertit une grande
partie à Jésus-Christ. Sa sainteté paraît surtout par le pouvoir qu'il a de délivrer les possédés.
Epoque incertaine 1. — A Salamine, en Chypre, saint Epiphane, évêque, illustre par son érudition
étendue et par sa science des saintes lettres, en même temps qu'il était admirable par sa sain-
teté, son zèle pour la foi catholique, sa libéralité envers les pauvres et le pouvoir qu'il avait de
faire des miracles. 403. — A Constantinople, saint Germain, évèque, que ses vertus et sa doctrine
ont rendu célèbre, et qui reprit généreusement Léon l'Isaurien, lorsqu'il publia son édit contre les
saintes images 2. Vers 732. — A Trêves, saint Modoald, évêque. 640. — A Calzada, en Castilie,
saint Dominique ou Domingoe, confesseur. 1109.
MARTYROLOGE DE FRANCE, REVU ET AUGMENTÉ.
A Meaux, saint Vaubert, évêque. — Au diocèse de Dax, en Guyenne, saint Macaire, abbé. —
A Marehienues, en Flandre, sainte Rictrude, veuve et abbesse de ce monastère. 683. — A
Anderlecht, près de Rruxelles, le décès de saint Guidon, sacristain de Notre-Dame de Laeken, puis
pèlerin. 1012. — A Tours, la réception des reliques de saint Maurice et de ses compagnons.'— A
1. On le représente portant le livre des exoreismes ou recevant la bénédiction du Pape : la légende
apporte que Philippe, qui ne savait que le grec, se mit à parler latin aussitôt qu'il ©ut reçu cette béné-
Sction. — Acta Sanctorum.
2. Voir une notice sur saint Germain, dans la Vie de saint Grégoire II, au 13 février, et la question
«es saintes Images, dans les Conciles généraux et particuliers, par Mgr Guérin, t. n, p. 39.
MARTYROLOGES. 483
Tarbes, saint Htgin, confesseur. — A Comminges, le trépas de Garsias de Horto, vingt-sixième
évèque connu de ce siège, qui mourut en odeur de sainteté. Avant la bataille de Muret, livrée par
Simon de Montfort aux Albigeois et dont le succès sauva le catholicisme dans le midi de la France
(13 septembre 1213), le serviteur de Dieu, Garsias de Horto, prenant, des mains de l'évèque de
Toulouse, une relique de la vraie Croix, bénit les soldats catholiques avec le bois rédempteur, et
leur promit le ciel s'ils tombaient en cette bataille où ils exposaient leur vie pour la foi. 1218.
— A Celettes, dans le diocèse de Blois, fête de saint Mondry qui fonda, à deux lieues de cette
ville, au bord du Beuvron, une église et un village appelés Celettes en mémoire de sa cellule primi-
tive '. Le Bienheureux y mourut et reposa dans l'humble sanctuaire qu'il avait érigé. Son culte et
ses reliques ont subsisté jusqu'à ce jour. vie s. — A Entrains, dans le diocèse de Nevers, saint
Vibius, homme apostolique, qui fut enterré vivant pour avoir prêché la foi en Jésus-Christ 9.
Epoque incertaine. — A Lincoln, en Angle! erre, saint Rémi, religieux de l'abbaye de Fécamp, qui
conseilla la fondation du monastère de Saint-Etienne de Caen. 1091.
MARTYROLOGES DES ORDRES RELIGIEUX.
Martyrologe des Basiliens. — A Salamine, en Chypre, saint Epiphane, évêque, de l'Ordre da
Saint-Basile.
Martyrologe des Chanoines réguliers. — A Rome, sur la voie d'Ardée, saint Pancrace,
martyr, dont le chef est conservé dans la basilique de Latran.
Martyrologe des Dominicains. — Au monastère d'Aveiro, de l'Ordre des Frères Prêcheurs, la
naissance au ciel de la bienheureuse Jeanne, vierge, infante de Portugal, fille du roi Alphonse V.
A cause de ses grandes vertus, le pape Innocent XII, de l'avis des vénérables cardinaux de la
Congrégation des Rites, permit d'houorer sa mémoire dans tout le royaume de Portugal et dans
tout l'Ordre des Frères Prêcheurs, par la célébration de la messe et de l'office du commun d'une
vierge non martyre.
ADDITIONS FAITES D'APRÈS LES BOLLANDISTES ET AUTRES HAGIOGRAi'i^ ...
A Bettona, en Italie, les saints Chryspolite, évêque, Barontius, bouvier de profession, Tutéla,
sœur du précédent, et douze autres femmes, ainsi qu'un espion converti par eux, tous martyrs. Le
premier aurait été envoyé dans ce pays par saint Pierre, selon une biographie postérieure; mais ils parais-
sent plutôt avoir souffert sous le règne de Maximien.— A Rome (probablement), les saints Cyriaque,
Maxime, Grade, Sothère, vierge, Rothère, Jean, Achille, Moïsée, Aphrodite et cinq cent quatre
autres, ainsi que les saints Alexandre, Moïsète et Lucius, tous martyrs, mentionnés dans le Mar-
tyrologe de saint Jérôme. — A Palma, en Sicile, translation des reliques de saint Félix, enfant
martyr, dont le corps fut trouvé à Rome dans la catacombe de Saint-Callixte en 1675. — En Thrace
€t en Macédoine, saint Germain Hégumène, fondateur du monastère de Cosinitre, et distinct de
saint Germain, patriarche de Constantinople, fêté le même jour. Avant le IXe s. — A Bologne,
saint DaiAo, prêtre, qui vécut solitaire dans une petite chapelle sise sur la paroisse de Sainte-
Marie d'Amola. On l'invoque contre l'épilepsie et surtout les hernies. Les Bolonais le représentent
en habits sacerdotaux, entouré de malades qui lui présentent des ceintures à bénir 3. 1184. —
Dans la même ville, la bienheureuse Imelda Lambertini, vierge. Voici son épitaphe : « Au Dieu
très-bon et très-grand. La bienheureuse Imelda Lambertini, vierge, née d'une famille illustre, fut
plus illustre encore par la sainteté précoce de sa vie. Enflammée de dévotion envers la sainte
Eucharistie, elle eut scrupule de s'approcher de la sainte table à cause de sa jeunesse : elle avait
à peine atteint sa onzième année. Comme elle se répandait en larmes et en prières, la miséricorde
divine daigna la consoler : une hostie lui fut envoyée du ciel : elle expira aussitôt après l'avoir
prise, l'an 1333 du Seigneur4 ». — A Sulmona, en Italie, la bienheureuse Gemma, vierge recluse. Fille
de pauvres paysans, elle gardait les quelques brebis qui formaient tout l'avoir de sa famille, lors-
qu'elle fut enlevée par les serviteurs d'un certain Roger, comte de Celano. Gemma essaya de fléchir
6on ravisseur. Difu donna tant d'éloquence à ses prières et à ses larmes que le comte, non content
de respecter sa victime, fit élever, pour réparer sa faute, une église en l'honneur de saint Jean-
Baptiste et, tout à côté, une réclusion où sainte Gemma passa les quarante-deux dernières années
de sa vie. L'église de Saint-Jean-Baptiste prit, dans la suite, le nom de Sainte-Gemma. 1429. — •
En Espagne, la bienheureuse Catherine de Cardone, vierge, qui étonna le monde par sa vie péni-
1. Cella Si Munderici.
2. Une pierre sépulcrale, placée sur le Heu oh reposait son corps, portait cette laconique inscription :
Vibius hic effossus est quia prxdicavit.
S. AA. SS.
4. La bienheureuse Imelda est la patronne des premiers communiant*. Nous donnerons sa vie le 16
septembre, jour auquel les dominicains célèbrent sa fête.
484 *2 mai.
tente. Née à Naples, elle fut d'abord gouvernante de Charles, infant d'Espagne. La corruption de
la cour l'obligea à se démettre de ses fonctions. Saint Pierre d'Alcantara, qu'elle consulta sur ses
projets, lui permit de se retirer dans une solitude où elle revêtit l'habit des Ermites : elle resta
trois ans dans le désert sous l'œil de Dieu, inconnue aux hommes. Affligée de diverses maladies,
elle se réfugia dans une grotte, près d'un monastère de Carmélites déchaussés où elle passa les
sept dernières années de sa vie. Sainte Thérèse l'a proclamée une grande Sainte. 1577. — Le
12 mai 1850, a Rimini (Italie), dans la vénérable maison des missions, une image de la sainte
Vierge représentant Notre-Dame de Miséricorde, peinte sur toile, ouvre et ferme alternativement
les yeux. Plus de trente mille personnes accourent et sont témoins du prodige. La sainte Vierge
est représentée sur la toile les yeux fermés; on la voit, par intervalles, les lever au ciel, les
tourner à droite et à gauche, les fixer sur les assistants avec l'expression de la compassion la plus
douce. Beaucoup de personnes, qui ne croyaient pas aux miracles, y croient désormais. Dans
Rimini l'émotion est générale, les blasphèmes cessent, des conversions éclatantes s'opèrent.
LES SAINTS NEREE, AGHILLEE,
FLAVIE DOMITILLE, LA JEUNE, EUPHROSYNE ET THÉODORA,
MARTYRS
Premier siècle.
Les justes s'élèveront arec une grande hardiesso
contre ceux qui les auront accablés d'afflictions,
et qui leur auront ravi le fruit de leurs travaux.
Les méchants seront saisis de trouble et d'une
horrible frayeur; ils seront surpris d'étonnement,
en voyant tout d'un coup, contre leur attente,
les justes sauvés. Sagesse, v, 1, 2.
La mémoire de saint Nérée et de saint Achillée est fort célèbre dans
l'Eglise, et leur culte est très-ancien. Ils étaient frères ; mis au service de
la princesse Domitille, nièce de l'empereur Domitien, encore fort jeunes,
ils eurent le bonheur d'être instruits à la foi, et d'être baptisés, par saint
Pierre même, avec cette sainte et illustre famille, qui toute donna son sang
pour Jésus-Christ.
La piété de Nérée et d'Achillée gagna l'estime et l'affection de leur maî-
tresse qui, charmée de leur exacte probité et de leur zèle pour la religion,
les fit ses chambellans, et leur donna toute sa confiance.
Les actes les plus anciens de la vie de ces deux Saints disent que voyant
un jour avec quel soin et quelle étude leur maîtresse se parait pour se pré-
senter chez le comte Aurélien à qui elle venait d'être fiancée, ils en furent
vivement peines ; et animés d'un saint zèle pour son salut, ils prirent la
liberté de lui représenter fort respectueusement combien ce désir de plaire
à un homme mortel était indigne d'une âme qu'ils avaient toujours cru
destinée à être épouse de Jésus-Christ. Cette remontrance respectueuse,
qui n'était que l'effet d'un zèle sage et désintéressé, fit impression sur le
cœur et sur l'esprit de la princesse. Les deux Saints profitèrent d'une si
heureuse disposition ; ils lui représentèrent que sa religion et sa vertu lui
promettaient une plus grande fortune ; ils lui parlèrent avec tant d'énergie
de la vanité des honneurs et des biens de ce monde, du vide qui se trouve
dans tous les plaisirs, de la brièveté de nos jours, et surtout des amertumes
et des durs assujétissements de l'état du mariage ; ils lui peignirent d'une
LES SAINTS NÉRÉE, ACfflLLÉE, ETC. 485
manière si vive et si pathétique le prix et le mérite de la virginité, que
Domitille protesta qu'elle n'aurait jamais d'autre époux que Jésus-Christ, à
qui seul désormais elle voulait plaire ; et s'adressant à ces deux héros chré-
tiens : Puisque Dieu s'est servi de vous, leur dit-elle, pour m'inspirer le
désir d'être son épouse, hâtez-vous de m'obtenir l'honneur d'en porter les
marques, et d'en recevoir la grâce. Elle parlait de la bénédiction que rece-
vaient dès lors les vierges, et du voile que l'évêque leur donnait comme un
signe de leur consécration à Jésus-Christ.
Saint Nérée et saint Achillée tressaillant de joie, et charmés de la béné-
diction que Dieu avait donnée à leur zèle, courent vers saint Clément, qui
avait succédé à saint Pierre, et lui déclarent la résolution où était la prin-
cesse Domitille de ne jamais perdre le précieux trésor de sa virginité. Le
vénérable Pontife, bénissant le Seigneur, se rend auprès de la Sainte, et la
trouvant déterminée à ne plus vouloir d'autre époux que Jésus-Christ : —
« Avez-vous bien pensé, ma tille, lui dit le saint Pape, au rude combat que
vous aurez à soutenir? et aurez-vous assez de courage pour remporter la
victoire ? Aurélien, irrité du refus que vous faites de son alliance, ne man-
quera pas de vous accuser d'être chrétienne auprès de l'empereur : à quelles
furieuses tentations n'exposera-t-on pas votre foi ; et vous et nous pour-
rons-nous éviter le martyre? » — « Et n'est-ce pas», répond la Sainte, «le
plus grand bonheur qui puisse nous arriver ? Je compte peu sur mes pro-
pres forces, mais j'attends tout delà grâce toute-puissante de mon divin
Epoux, et la persécution ne fera qu'avancer notre bonheur et notre gloire.»
Saint Clément, attendri par cette généreuse réponse, et encore plus édifié
de l'empressement que la Sainte témoignait d'être consacrée au Seigneur,
la bénit avec solennité et lui mit le voile sur la tête.
Ce que le saint Pape avait prévu ne fut pas longtemps à se réaliser.
Aurélien, informé du parti qu'avait pris Domitille, devint furieux ; et,
après avoir employé inutilement et les promesses et les menaces pour la
déterminer à changer sa résolution, il fit saisir tous ceux qu'il soupçonna
l'avoir aidée de leurs conseils, les déféra aux tribunaux comme chrétiens,
et employa tout son crédit pour les faire condamner au dernier supplice.
Saint Nérée et saint Achillée, confidents de la princesse, furent les
premiers arrêtés. Le comte crut que, s'il pouvait les gagner, il viendrait
bientôt à bout de la Princesse. Tout fut mis en œuvre pour surprendre leur
religion et pour tenter leur fidélité : caresses, espérances, promesses, solli-
citations, rien ne fut oublié, mais rien ne put ébranler la foi des serviteurs
de Dieu ; leur constance irrita son dépit. Il obtint qu'ils fussent dépouillés
et déchirés à coups de fouet de la manière la plus cruelle. La joie qu'ils
firent paraître dans cet horrible tourment fit perdre espérance au tyran de
les pervertir. Ils furent déclarés chrétiens, et par là même ennemis de
l'empereur et de l'Etat. La crainte qu'on eut que leur fermeté dans la foi
ne rendit plus inébranlable la constance de Domitille, fit qu'on les envoya
à Terracine, afin que le consul Minutius-Rufus instruisît leur procès.
Les formalités furent bientôt remplies ; on leur ordonna de renoncer à
Jésus-Christ et d'offrir de l'encens aux idoles. Ils répondirent, avec une
hardiesse qui étonna le tyran, qu'ayant été baptisés par l'apôtre saint
Pierre, et éclairés des lumières de la foi, ils ne reconnaissaient point
d'autre dieu que le Dieu des chrétiens ; qu'ils déploraient le malheur et
l'aveuglement des païens qui se forgeaient presque autant de divinités qu'il
y avait d'hommes, et qui n'adoraient, dans tous ces faux dieux, que leurs
propres passions.
4.SG 12 mai.
Une réponse si précise et si frappante irrita le consul ; il les fît mettre
sur le chevalet, et, après leur avoir fait déchirer les côtés, il commanda
qu'on hrûlât leurs plaies avec des torches. La violence de la douleur ne
servit qu'à faire éclater leur joie et leur ardent amour pour Dieu. Mais le
tyran, craignant que ce spectacle ne produisît une impression trop favo-
rable sur l'esprit et sur le cœur des païens, leur fit couper la tête. Ce glo-
rieux martyre arriva le 12 mai de l'an 98 ; les corps des Saints furent
enlevés par Auspice, leur disciple, et enterrés sur le chemin d'Ardée, à une
demi-lieue de Rome, où l'on bâtit depuis une église, monument éternel du
triomphe de ces glorieux Martyrs.
Saint Grégoire le Grand y prononça une homélie qui est la vingt-hui-
tième sur les Evangiles ; il y exhorte les fidèles à imiter ces grands saints,
dont les corps étaient présents, et à mépriser, à leur exemple, le monde
et les vanités trompeuses de cette vie.
La foi de l'illustre vierge Domitille ne fut pas ébranlée par la mort de
ces deux généreux chrétiens ; sa naissance, son nom, sa beauté, son mérite,
portèrent l'empereur à l'épargner ; il se contenta de la reléguer dans l'île
de Ponza, près de Terracine. Mais Aurélien, ne désespérant point de la
gagner, la fit rappeler quelque temps après. Il trouva le moyen de mettre
auprès d'elle deux jeunes demoiselles, ses sœurs de lait, nommées Euphro-
sine et Théodora, sages à la vérité, mais remplies de l'esprit du monde et
du désir de s'établir. La promesse de leur trouver un parti avantageux, si
elles déterminaient la princesse à épouser le comte, leur fit employer tout
ce que l'art et l'esprit peuvent trouver de plus séduisant : tantôt elles lui
demandaient si elles pouvaient être chrétiennes, et si, pour être sauvées
dans sa religion, il fallait nécessairement être vierges ; tantôt elles lui di-
saient : Si le mariage est licite, pourquoi refusez-vous un établissement
qui, ne vous empêchant point d'être chrétienne, vous donne le moyen de
convertir un jour votre époux, sa famille et ses domestiques ?
Sainte Domitille découvrit aisément l'esprit qui les faisait parler, et>
ayant répondu à leurs questions d'une manière à ne point souffrir de répli-
que, elle leur demanda à son tour si, ayant été promises à deux riches
seigneurs, elles seraient d'humeur d'écouter la proposition que leur feraient
de vils esclaves? Non certainement, répondent-elles, à moins d'avoir perdu
l'esprit. Et pourquoi, reprit alors la Sainte, vous récriez-vous si je suis
aussi sage ? En consacrant à Dieu ma virginité, je suis devenue l'épouse de
son Fils unique Jésus-Christ ; cette auguste alliance doit durer pendant
toute l'éternité ; les avantages de cet heureux état sont infinis. Que vous en
semble? honorée de cette heureuse qualité, dois-je préférer au Fils unique
du Dieu vivant l'alliance d'un homme mortel ? Elle parla avec tant de grâce
et de force, qu'Euphrosine et Théodora, touchées et convaincues par ses
raisons, parurent ébranlées ; cependant elles hésitaient encore. Si ce que
vous dites est vrai, répliqua Théodora, j'ai un frère qui a perdu les yeux,
faites que votre divin Epoux lui rende la vue. Votre frère est absent, répond
la Sainte, le miracle viendrait trop tard : mais vous avez une jeune muette
qui vous sert, faites-la venir, la puissance de Jésus-Christ éclatera plus
promptement, et vous en serez plus tôt convaincue. La jeune fille se pré-
sente ; sainte Domitille prie, la muette recouvre la parole, et le premier
usage qu'elle en fait, est de publier qu'il n'y avait point d'autre dieu que le
Dieu des chrétiens. A ce prodige, Euphrosine et Théodora se jettent aux
pieds de sainte Domitille, publient qu'elles sont chrétiennes, et déclarent
qu'elles ne veulent point d'autre époux que Jésus- Christ.
SAINT PANCRACE, MARTYR. 487
Aurélien, ayant appris ce qui était arrivé, ne garda plus de mesure ; il
gagna le consul, homme cruel et ennemi mortel des chrétiens, qui fit
mettre le feu à la maison où était renfermée sainte Domitille avec ses deux
servantes. Immolées comme de pures victimes au Dieu vivant, elles con-
sommèrent ainsi leur glorieux martyre. Le diacre saint Césaire vint le jour
suivant pour ramasser leurs cendres, et les trouva prosternées contre terre
sur leurs visages, comme si elles eussent été en prières; le feu leur avait
ôté la vie sans les brûler, ni toucher à un seul cheveu de leur tête.
Dans les arts, on donne souvent une couronne à sainte Flavie Domitille
à cause de sa parenté avec Domitien.
CULTE ET RELIQUES.
M. de Rossi vient de découvrir (1874), dans le cimetière de Domitille, à Rome, le tombeau
primitif et l'inscription tumnlaire des saints martyrs Nérée et Achillée.
Quant à leurs reliques, le pape Grégoire IX les retira des catacombes (xm* siècle), ainsi que
celles de sainte Flavie Domitille, et les transporta dans la diaconie de Saint-Adrien. Elles y rece-
vaient depuis plusieurs siècles les bommages empressés des fidèles, lorsque l'immortel Baronius»
titulaire de l'église urbaine des saints Nérée et Achillée, fit restaurer cette basilique et obtint du
pape Clément VIII la permission d'y transporter les corps des saints martyrs.
Il y a néanmoins beaucoup d'autres églises, tant de France que d'Espagne et des Pays-Bas,
qui se glorifient d'avoir quelques parties de ces saintes reliques. De ce nombre est l'église parois-
siale de Satilieu (diocèse de Viviers).
Sainte Flavie Domitille, vierge et martyre, ne doit pas être confondue avec sa tante, Flavie
Domitille, surnommée l'ancienne. Celle-ci était fille de Domitille, sœur de l'empereur Domitien.
Ce prince la maria à saint Flavius démens, son cousin-germain, qui était fils d'un frère de "Ves-
pasien. Flavius Clémens, ayant été mis à mort pour la foi, Domitille fut accusée du même crime
par les païens, effrayés de voir le christianisme envahir si vite la famille impériale; mais comme
ou la croyait assez punie par la mort de son mari, Domitien lui ordonna seulement, au bout de
trois ou quatre jours, d'en épouser un autre. Sur son refus, il la bannit dans l'île de Pannataria
(aujourd'hui de Sainte-Marie), près de Pouzzoles. Il est probable qu'elle retourna à Rome, ou du
moins sur le continent, lorsque Domitien eut été assassiné. Elle avait eu de saint Flavius Clémens
deux fils. Comme Domitien les destinait à lui succéder, il leur avait fait prendre les noms de
Domitien et de Vespasien, et avait confié le soin de leur éducation au célèbre rhéteur Quintilien.
On ignore le reste de leur histoire. On croit que Flavie Domitille, l'ancienne, avait eu aussi une
fille qui porta le même nom, et fut mariée à Flavius Onésimus.
P. Croiset; Baillet; Godescard, et JJartigny : Bulletin d'Archéologie chrétienne.
SAINT PANCRACE, MARTYR
804. — Pape : Saint Marcel. — Empereur romain : Dioctétien.
La mort du jnste est la condamnation de la vie des
impies, et la sagesse du jeune âge, celle d'une
longévité criminelle. Sap., iv, 16.
Le 12 mai est encore célèbre par le martyre de saint Pancrace. C'était
un enfant d'une illustre naissance, de Synnade,en Phrygie; ayant perdu de
bonne heure son père, il était demeure sous la tutelle de Denis, un de ses
oncles, dont le Martyrologe romain fait aussi mémoire aujourd'hui comme
d'un saint confesseur. Cet excellent tuteur considéra toujours notre jeune
Saint comme son fils et prit un grand soin de son éducation. Lorsqu'il le
vit âgé de quatorze ans et en état de supporter les fatigues d'un voyage, il
488 12 mai.
l'amena à Rome avec lui ; là, s'étant adressés au pape saint Caïus, ils lui
demandèrent instamment de recevoir le saint Baptême, et d'être pleine-
ment instruits des mystères de la religion chrétienne. Ce saint Pape leur
accorda avec joie ce qu'ils demandaient. Ils conçurent alors un grand désir
de verser leur sang pour Jésus-Christ ; mais Denis mourut avant d'avoir pu
obtenir ce bonheur. Pancrace fut pris et amené à l'empereur Dioclétien,
qui fit tous ses efforts pour lui persuader de sacrifier aux idoles : il le traita
d'abord avec bonté, parce qu'il avait été l'ami de son père, et qu'il était
charmé de sa beauté. Le saint enfant lui répondit : « Qu'il s'étonnait com-
ment un empereur si éclairé lui commandait d'avoir de l'estime pour des
dieux qui n'étaient que des hommes dont la vie avait été si corrompue,
que si ses esclaves ne vivaient pas mieux, il les ferait punir exemplaire-
ment ». L'empereur, irrité de cette réponse, ordonna qu'il eût la tête tran-
chée : ce qui fut exécuté sur la voie Aurélienne. Une sainte femme,
nommée Octavie, emporta secrètement son corps la nuit, l'embauma et
l'ensevelit dans un sépulcre nouveau, le 12 mai 304, selon le cardinal Ba-
ronius.
L'attribut de saint Pancrace est l'épée ; c'est aussi celui des saints Nérée
et Achillée.
RELIQUES ET CULTE DE SAINT PANCRACE ; — SES DIVERS NOMS.
Il y a à Rome une église de son nom, et la porte anciennement appelée Aurélia, se nomme
aujourd'hui de Saint-Pancrace. Saint Grégoire, pape, parle de sa tombe et de ses reliques dans
l'Homélie 27 sur saint Jean et dans le troisième livre de son Registre, épilre 18. Saint Grégoire
de Tours, qui vivait avant lui, raconte un miracle perpétuel que Dieu y faisait par les mérites de
ce saint Martyr : ceux qui allaient faire quelque serment solennel en l'église qui lui est dédiée,
étaient visiblement punis de Dieu, quand ils ne disaient pas la vérité : ou ils tombaient morts sm
la place, ou ils étaient possédés du démon, qui les tourmentait par mille sortes de supplices à la
vue de tout le monde.
« Il s'est fait », dit Baillet, « une grande distraction des reliques de saint Pancrace en diverses
églises de l'Europe : et comme il est assez ordinaire de voir que lorsqu'on a quelque ossement
considérable d'un Saint, on se vante d'avoir son corps, on doit être moins surpris d'entendre dire
que le corps de saint Paucrace se trouve en quinze ou vingt endroits différents, sans être obligé
de recourir au mystère de la reproduction. Outre ce qui est resté de ses reliques dans l'église de
son nom, à Rome, on voit son chef dans celle de Latran où son office se fait double en remettant
celui des saints Nérée et Achillée au premier jour libre qui suit. On trouve aussi quelques parties
de ses reliques dans celle de saint Clément et dans d'autres églises de la ville. On en montre pa-
reillement k Albano, ville de la campagne de Rome ; dans trois églises différentes de la ville de
Bologne, où il n'est pas possible que l'on n'ait pas donné son nom à quelque corps étranger,
puisque l'on produit, parmi ces reliques, une tète de saint Paucrace, outre celle qui est dans la
basilique de Latran. On aurait peut-être sujet de penser la même chose de celles que l'on garde
so^is le même nom à Venise, chez les religieuses de saint Zaeharie ; dans le Milanais, quoiqu'il
soit vrai que saint Grégoire le Grand en ait envoyé du tombeau de notre Saint à Fortunat, évêque
de Milan; à Lauiosca, en Piémont, dans le comtat de Nice; dans plusieurs autres villes d'Italie,
où on l'appelle saint Brancas ou Brancaccio ; en divers eudroits de la Sicile : à Avignon, dans
deux églises différentes; en France, où en envoyèrent de Ronu les papes Pelage, pour Marseille
et Tours ; saint Grégoire le Grand pour Pallade, évêque de Saintes ; d'autres à Saint-Riquier, à
Saiut-Malo et ailleurs. On ne peut nombrer tous les lieux du royaume qui se vantent d'en avoir,
mais la plupart sans titre. La célébrité de son culte y est si grande, qu'il n'y a presque point de
province qui ne s'en soit formé un Saint particulier en diversifiant son nom par la corruption de
leur langage. Car c'est lui que l'on trouve appelé saint Blancat, saint Planchas ou Planchais,
saint Plancari, saint Crampas ou Cranpace, par mélathèse, saint Brachs, saint Branchais,
saint Blancliars, saint Blansé, et peut-être encore autrement.
Saint Pancrace est appelé Planchers en Normandie. Le pape Vitalien envoya de ses reliques à
saint Wandrille, abbé de Fontenelle, qui construisit une église sous son invocation : cette double
circonstance répandit son culte dans le diocèse de Coutances et les diocèses voisins.
Les Pays-Bas ne sont guère moins pourvus de reliques qui portent le nom de saint Pancrace. On
en voit à Gaud, à Douai et à Maliues ; on en vovait aussi à IHrecnt et à Leyde, avant le change-
SAINT EPIPHANE, ÉVÊQUE DE S AL AMINE. 481)
ment de religion dans les Pays-Bas unis. On en montre à Cologne dans plusieurs églises, à Dus-
seldorf sur le Rhin, au duché de Berg, à Trêves et même à Prague, en Bohème. On en a vu aussi
en Angleterre, où la première église consacrée à Bieu depuis la conversion des Anglais par le
moine saint Augustin, missionnaire de saint Grégoire le Grand, fut dédiée sous le nom et l'invoca-
tion de saint Pancrace, dans la ville de Cantorbéry. 11 ne vint néanmoins des reliques de ce saint
Martyr dans cette île que plus de cinquante ans après. Ce fut le pape Vitalien qui en envoya, vers
l'an 656, à Osvvi, roi de Northumbeiland, pour augmenter encore le culte que les missionnaires
romains y avaient établi, ou plutôt pour reconnaître et récompenser les services que ce prince ren-
dait à l'église du pays. La plupart des églises qui gardent des reliques sous le nom de saint Pan-
crace, ont quelque fête particulière en différents jours de l'année, pour célébrer leur réception ou
leur translation : mais elles se réunissent à solenniser celle de son martyre au 12 de mai, quoi-
qu'elles ne soient pas toutes persuadées que ce qu'elles ont soit véritablement de lui. Le 12 de
mai, où sa fête est marquée dans les Martyrologes du nom de saint Jérôme, dans celui de Bède,
ceux du IXe siècle et les suivants, est le jour de sa sépulture plutôt que celui de sa mort. Le
Calendrier romain du ive siècle n'en fait point mention, mais il est dans celui du vme siècle et
dans les suivants et dans les anciens Sacramentaires depuis le vi" siècle ».
P. Croiset, Baillet, Godescard et tous les hagiographes.
SAINT ÉPIPHANE,
ÉVÊQUE DE SALAMINE, EN CHYPRE, ET DOCTEUR DE L'ÉGLISE
310-403. — Papes : Saint Eusèbe; saint Innocent I". — Empereurs : Constantin; Arcadius.
La sainte Eglise catholique est le pivot de l'univers.
Panarium, liv. i«r, ch. 5.
Saint Epiphane naquit dans un petit village de Palestine appelé Besanduc,
aux environs d'Eleutbiropolis, de parents si pauvres, que son père gagnait
sa vie à labourer la terre, et sa mère à filer du lin. Cette dernière demeura
chargée de lui et d'une fille nommée Callitrope, par le décès de son mari,
qui mourut lorsqu'Epiphane était encore fort jeune. Mais Dieu est surtout
le Père de ceux qui n'en ont plus : par un effet de sa Providence, un juif
appelé Tryphon, extrêmement riche, demanda le petit Epiphane à sa mère,
et s'en chargea, assurant qu'il lui ferait épouser quelque jour sa fille unique.
Il le traita comme il l'avait promis ; la mort de sa fille ne changea point les
dispositions de Tryphon pour Epiphane : il continua de le regarder comme
son fils adoptif et le laissa, à sa mort, héritier de tous ses biens.
Instruit des vérités chrétiennes (on ignore à quelle époque et comment),
Epiphane reçut le baptême avec sa sœur ; puis, ayant résolu de suivre Jésus-
Christ et de travailler sérieusement à sa perfection, il se déchargea de la
conduite de cette sœur sur une de ses tantes, appelée "Véronique, leur don-
nant, pour leur entretien, une partie des biens qu'il avait hérités du juif;
ayant vendu tout le reste, il en distribua l'argent aux pauvres, sans se rien
réserver qu'une somme fort modique, pour acheter les livres nécessaires à
ses études. Elles furent très-étendues; il connaissait diverses langues, sur-
tout l'hébreu, l'égj'ptien, le syriaque et le grec. Il se rendit, par là, facile
l'intelligence des Ecritures. Il ne s'appliqua pas moins à s'instruire dans la
piété; à cet effet, il visitait souvent les solitaires de Palestine et d'Egypte,
dont il mena la vie de bonne heure. Des Gnostiques, avec lesquels il se
490 42 mai.
trouva en relation, essayèrent de le séduire par des femmes qui étaient de
leur secte ; mais ce nouveau Joseph évita le danger par la fuite. Lorsqu'il
fut formé à la vie monastique, il revint dans sa patrie, fut ordonné prêtre
et fonda un couvent auquel il présida longtemps en qualité d'abbé.
Ayant appris, en Egypte, dans une conférence avec un saint religieux,
qu'il serait un jour évêque de Chypre, il s'embarqua secrètement pour se
retirer en un autre lieu, afin d'éviter cet honneur, qu'il regardait comme
un malheur pour lui. Cependant, un vent contraire le jeta malgré lui en
cette île ; il y trouva les prélats assemblés pour faire élection d'un évoque
de Salamine, capitale de tout le royaume, et il fut élevé à cette dignité par
une disposition du ciel. C'était vers l'an 367. Salamine se nommait alors
Gonstantia. Le soin de cette Eglise ne lui fit point abandonner celui de son
monastère d'Eleuthéropolis ; il y revenait de temps en temps. Il continua de
vivre en solitaire et d'en porter l'habit. Il préférait la pratique des vertus
aux austérités corporelles, la charité à l'abstinence : dans sa vieillesse, il
buvait un peu de vin. Un jour qu'Epiphane recevait à sa table l'illustre
cénobite Hilarion, son ami, celui-ci ayant dit : « Depuis que je porte l'habit
de solitaire, je n'ai jamais mangé quelque chose qui ait eu vie». — a Et moi»,
répliqua l'évêque de Salamine, « depuis que je porte le même habit, je n'ai
jamais souffert que personne s'endormît le soir, ayant dans son cœur quelque
chose contre moi, et je ne me suis jamais endormi moi-même ayant dans le
cœur quelque chose contre mon prochain ». Hilarion avoua que la pratique
d'Epiphane était meilleure que la sienne. Le plus grand plaisir de notre
Saint était de soulager ceux qui étaient dans le besoin : beaucoup de per-
sonnes riches et charitables faisaient passer leurs aumônes par ses mains ;
de ce nombre était sainte Olympiade. Un diacre ayant murmuré contre le
saint évêque, parce qu'il employait les revenus ecclésiastiques au soulage-
ment des pauvres, en fut sévèrement puni par Dieu même.
Notre Saint jouissait d'une considération universelle. Dès qu'il paraissait
en public, le peuple se pressait autour de lui, arrachait les fils de ses vête-
ments, pour les conserver comme des reliques, et lui baisait les mains et
les pieds. Les mères le priaient de bénir leurs enfants. Il avait le don des
miracles. Il fut le seul évêque orthodoxe que le Ariens n'osèrent attaquer,
lorsque, soutenus par l'empereur Yalens, en 371, ils entreprirent une
cruelle persécution contre les catholiques; et pourtant jamais les hérésies
n'eurent d'ennemi plus implacable : il les recherchait, en étudiait les
caractères, les dénonçait aux autres évoques, et il écrivit contre elles son
principal ouvrage dont nous parlerons plus loin.
Il fit le voyage de Rome en 382, pour assister à un concile convoqué
par le pape Damase : il logea chez sainte Paule, et il eut, en 385, la con-
solation de lui offrir, à son tour, l'hospitalité pendant dix jours, à Salamine,
lorsqu'elle se rendait en Palestine.
On a reproché à saint Epiphane certains actes où il aurait montré plus
de zèle que de prudence, comme d'avoir fait des ordinations et des prédi-
cations en dehors de son diocèse. Il se justifie lui-même sur ce sujet :
« C'est la crainte de Dieu qui m'a fait agir de la sorte ; je ne me suis pro-
posé que l'utilité de l'Eglise. Je ne me plains point quand un évêque
étranger travaille ainsi à la gloire de Dieu dans mon diocèse ' ». On voit
par ces paroles que son intention fut toujours pure et sainte. Quant aux
actes eux-mêmes, ce n'est pas ici le lieu d'en exposer les circonstances, ni
de les juger : nous n'écrivons pas une histoire ecclésiastique.
1. Epist. ad Joau. Hieros.
SAINT EPIPHANE, ÉVÊQDE DE SALAMINE. 491
Nous ne rapporterons qu'un fait de ce genre qui eut lieu en 401. Epi-
phane, excité, circonvenu par Théophile d'Alexandrie, alla à Constantinople
pour y faire condamner les ouvrages d'Origène ; il traita d'abord comme
origéniste saint Jean Chrysostome, évêque de Constantinople, qui étant plus
modéré que lui dans cette question, offrit l'hospitalité à Epiphane ; celui-ci
la refusa et rejeta toute communication avec lui. Mais ayant reconnu qu'il
avait eu de sa part dans cette conduite excès de zèle et de précipitation,
qu'il s'était laissé tromper par les ennemis de saint Jean Chrysostome, il
résolut de quitter aussitôt cette ville ; il dit, avant de s'embarquer, aux
évêques courtisans : « Je vous laisse la ville, le palais, le spectacle : pour
moi, je pars, je n'ai pas de temps à perdre ». En parlant ainsi, il pensait à
sa mort, que saint Jean Chrysostome lui avait prédite. Il mourut, en effet,
pendant la traversée (403). Ses disciples bâtirent, en Chypre, sous son nom,
une église, où ils mirent son image avec beaucoup d'autres. Les anciens
ont accordé beaucoup de louanges à saint Epiphane. Bien instruit de la
doctrine catholique, il la suivit dans toute son intégrité i. C'était un homme
admirable 2, plein de Dieu 3. Les plus grands saints s'autorisaient de son
exemple pour justifier1 leur conduite 4.
On représente saint Epiphane faisant l'aumône, par allusion au fait
suivant : Un escroc s'entendit avec un autre pour contrefaire le mort et
obtenir du Saint de quoi faire face aux frais des funérailles. L'évêque accorda
ce qu'on lui demandait, mais il arriva que le faux mort mourut réellement.
Le survivant courut après saint Epiphane, et demanda la résurrection de
son camarade. Le Saint répondit qu'ayant fait son devoir, il n'avait plus
à intervenir. Dans ce cas, un cadavre est étendu aux pieds du pontife ;
mais cela ne signifie pas qu'il lui rend les devoirs de la sépulture, comme
l'ont dit quelques auteurs. — Son costume est le plus souvent celui des
ermites. « Il semble, dit le Père Cahier, qu'on doive le peindre les pieds
nus », s'il est vrai, comme le rapporte Métaphraste, qu'ayant perdu une
de ses sandales dans le baptistère, il résolut de ne plus se chausser. Saint
Epiphane partage avec saint Barnabe le patronage de l'île de Chypre.
ÉCRITS DE SAINT EPIPHANE.
1° Le Panarwm ou Livre des antidotes contre toutes les hérésies, qui parut en 374. Le
Saint y expose et y réfute toutes les hérésies qui avaient précédé la naissance de Jésus-Christ, et
celles qui s'étaieDt élevées depuis la promulgation de l'Evangile. Il n'est pas toujours exact en par-
lant de l'arianisme; mais on sait combien il est difficile de découvrir la vérité dans des points où
l'esprit de révolte avait tant d'intérêt à l'embrouiller. Saint Epiphane réfute les hérésies par l'Ecri-
ture et la tradition. « On doit », dit-il, « admettre nécessairement la tradition; on ne peut tout
apprendre par l'Ecriture : c'est pourquoi les Apôtres nous ont transmis quelques vérités par écrit,
et d'autres par la voie de la tradition, Hœr. 60, c. 6, p. 511 ». C'est par la tradition qu'il justifie
la pratique et qu'il prouve l'obligation de prier pour les morts, Hxr. 76, c. 7, 8, p. 911. Il ajoute
qu'il ne peut assez s'étonner comment Arius a l'audace d'abolir le jeûne du mercredi et du ven-
dredi « qui s'observe par toute la terre et qui est appuyé sur' l'autorité des Apôtres, ibid. »
Saint Epiphane compte quatre-vingts hérésies jusqu'à son temps, à partir de l'origine du
inonde; vingt avant Jésus-Christ, et soixante après. L'idée qui lui sert de base, c'est que l'Eglise
catholique est de l'éternité ou du commencement des siècles. Adam ne fut pas créé circoncis, il
n'adora pas non plus d'idole; mais, étant prophète, il connut Dieu, Père, Fils et Saint-Esprit. Il
n'était donc ni juif ni idolâtre, mais montrait dès lors le caractère du christianisme; autant faut-il
dire d'Abel, de Seth, d'Énos, d'Hénoch, de Mathusalem, de Noé, d'Héber, jusqu'à Abraham. Jus-
qu'alors il n'y avait de principe d'action que la piété et l'impiété, la foi et l'incrédulité : la foi
avec l'image du christianisme, l'incrédulité avec le caractère de l'impiété et du crime; la foi sans
1. August. Epist. 3S. — 2. Ephrem. apud Phot. cod. 228. — 3. Damasc. de imag. — 4. Jean l'Aumôn.
Bolland., 23 janr., p. 505.
492 12 mai.
aucune hérésie, sans aucune diversité de sentiments, sans aucune dénomination particulière, tous
s'appelant hommes, ainsi que le premier; la même foi que professe encore aujourd'hui la sainte et
catholique Eglise de Dieu, laquelle existant dès l'origine, s'est révélée de nouveau dans la suite.
Du premier homme au déluge, l'impiété s'est produite en crimes violents et barbares : première
phase que saint Epiphane appelle barbarisme; du déluge au temps d'Abraham, elle se produisit en
mœurs sauvages et farouches, comme celles des Scythes : seconde phase, qu'il appelle scythisme,
usant de cette distinction de saint Paul : En Jésus-Christ il n'y a ni Barbare, ni Scythe, ni Hel-
lène, ni Juif. L'hellénisme ou l'idolâtrie commença vers le temps de Sarug, bisaïeul d'Abraham,
et le judaïsme à la circoncision de ce patriarche. Abraham fut d'abord appelé avec le caractère de
l'Eglise catholique et apostolique, sans être circoncis. De l'hellénisme naquirent les hérésies ou
systèmes de philosophie grecque; de l'union de l'hellénisme et du judaïsme, l'hérésie des Samari-
tains, avec ses diverses branches; du judaïsme, les hérésies des Sadducéens, des Scribes, des Pha-
risiens et autres; du christianisme, il en était sorti jusqu'alors soixante, parmi lesquelles il
compte et réfute ceux qui niaient la divinité du Saint-Esprit, et les Apollinaristes : prouvant,
contre les premiers, que le Saint-Esprit est coéternel et consubstantiel au Père et au Fils, et qu'il
procède de l'un et de l'autre; et contre les seconds, que le Fils de Dieu, en s'incaruant, a pris
réellement un corps et une âme semblable aux nôtres. Quant à la sainte Vierge, il y avait des
hérétiques qui en niaient la perpétuelle virginité; d'autres, au contraire, l'adoraient comme une
divinité : il établit contre ceux-là qu'elle est demeurée toujours vierge, et contre ceux-ci, qu'il
faut l'honorer, mais adorer Dieu seul. Il termine tout l'ouvrage par la pensée première : que
l'Eglise catholique, formée avec Adam, annoncée dans les patriarches, accréditée en Abraham, ré-
vélée par Moïse, prophétisée par Isaïe, manifestée dans le Christ et unie à lui comme son unique
épouse, existe à la fois et avant et après toutes les erreurs.
Dans cet ouvrage, ainsi que dans son Anchorat, il dit que Pierre, le prince des Apôtres, malgré
son reniement, est la pierre solide et immuable sur laquelle le Seigneur a bâti son Eglise dans
tous les sens, et contre laquelle les portes de l'enfer, autrement les hérésies et les hérésiarques ne
prévaudront point. C'est à lui que le Seigneur, en disant : Pais mes brebis, a confié la garde du
troupeau, troupeau qu'il gouverne comme il se doit par la vertu de son maître. T. i, p. 500;
t. ii, p. 14 et 15.
Après avoir exposé la foi de l'Eglise, il ajoute sa discipline générale. Le fondement en est la
virginité que gardaient un grand nombre de fidèles, puis la vie solitaire, ensuite la continence,
après quoi la viduité, enfin un mariage honnête, surtout s'il est unique. La couronne de cet en-
semble est le sacerdoce, qui se recrute le plus souvent parmi les vierges, ou du moins parmi les
moines, ou, à leur défaut, parmi ceux qui s'abstiennent de leurs femmes, ou qui sont veufs après
un seul mariage. Celui qui s'est remarié ne peut être reçu dans le sacerdoce, soit dans l'ordre
d'évêque, de prêtre, de diacre ou de sous-diacre. Les assemblées ordonnées par les apôtres se
tenaient généralement le dimanche, le mercredi et le vendredi ; ces deux derniers jours on jeûnait
jusqu'à None, excepté dans le temps pascal. Il n'était pas permis de jeûner les dimanches ni la
fête de Noël, quelque jour qu'elle tombât. Excepté les dimanches, on jeûnait les quarante jours
avant Pâques ; les six derniers on ne prenait que du pain, du sel et de l'eau, et vers le soir. Les
plus fervents en passaient plusieurs, ou même tous les six sans manger. On faisait nominative-
ment mémoire des morts dans les prières et le sacrifice. Plusieurs avaient la dévotion particulière
de s'abstenir de plus ou moins de choses permises d'ailleurs. L'Eglise défendait, en général, tout
ce qui était mauvais, superstitieux, inhumain, et recommandait à tous l'hospitalité, l'aumône et
toutes les o-uvres de charité envers tout le monde. Telle est la substance du grand ouvrage de
saint Epiphane. Il l'envoya, d'après leur prière, à des prêtres et des abbés de Syrie, avec une
lettre qui en contient le sommaire et qu'on a mal à propos partagée en deux.
Le style du Panarium est peu poli, selon Godeau, Eloges des Ev. illustr. c. 37, p. 228;
mais la doctrine qu'il contient est pure et excellente. On peut la comparer à ces diamants qui,
sans être taillés, brillent par leur beauté naturelle. Nous avons de grandes obligations à saint Epi-
phane de nous avoir laissé l'histoire et la réfutation des anciennes hérésies. Il est vrai qu'on ne les
connaît plus que de nom; mais d'autres leur ont succédé, et leur succéderont jusqu'à la fin des
siècles. L'esprit des hérétiques est toujours le même; il traîne toujours à sa suite l'orgueil, l'opi-
niâtreté et l'attachement à ses propres pensées.
2° V Anchorat, ainsi appelé parce qu'il est comme une espèce d'ancre qui doit fixer les es-
prits dans la vraie foi, de peur qu'ils ne flottent et ne soient entraînés à tout vent de doc-
trine. Le saint docteur y établit et y donne des preuves abrégées des principaux articles de la foi
catholique.
3° L'Anacéphaléose, ou récapitulation abrégée du Panarium, et non de l'Anchorat, comme l'a
cru Godescard, ainsi que beaucoup d'autres auteurs.
4° Le Traité des poids et des mesures. L'auteur y fait paraître beaucoup d'érudition; il y
parle des poids, des mesures et des coutumes des Juifs, afin de faciliter aux fidèles l'intelligence
de la Bible.
5° Le Physiologue, ou recueil des propriétés des animaux, avec des réflexions mystiques et
morales. Il n'y a que les réflexions que l'on puisse attribuer à saint Epiphane.
SAINTE RICTRUDE. 493
6° Le Traité des pierres précieuses. Le saint docteur tâche d'y expliquer les qualités des
douze pierres précieuses qui étaient sur le rational du grand prêtre des juifs.
7° Deux Lettres adressées, l'une à Jean, évèque de Jérusalem, et l'autre à saint Jérôme. Dans
la première, le Saint répond aux différentes plaintes que Jean faisait de lui. Il y dit qu'ayant vu
dans l'église d'Anablate, au diocèse de Jérusalem, un voile qui pendait à la porte, et sur lequel
était peinte une image de Jésus-Christ ou de quelque saint (il ne se souvenait plus de qui elle
était), il déchira ce voile et en envoya un autre. On aurait tort de conclure de ce passage que
saint Epiphane ne voulait point qu'on honorât les images, et que !e culte qu'on leur rend est de
nouvelle date ; le contraire est attesté par les monuments les plus authentiques. Eusèbe parle des
miracles opérés à la célèbre statue de la femme guérie par Jésus-Christ d'un flux de sang, et qui
était à Panée en Palestine. On voit aussi par saint Grégoire de Nysse, par saint Prudence, par
saint Paulin, par saint Ephrem, etc., qui vivaient dans le même temps, que l'usage des images
était alors universellement reçu dans l'Eglise. Le Clerc en convient lui-même. La conduite de
saint Epiphane prouvs donc seulement qu'il avait découvert des abus, ou du moins qu'il craignait
que les peintures dont il s'agit ne fussent une occasion de chute, soit pour les juifs, soit pour les
païens nouvellement convertis. On sait qu'en pareille circonstance, il est quelquefois prudent de
défendre en certains lieux une pratique de discipline. Cette remarque est de Salméron, in i Joan.,
C. 5, disp. 32.
Dans sa lettre à saint Jérôme, saint Epiphane lui donne avis de la condamnation d'Origène
par Théophile d'Alexandrie. Il y a encore quelques œuvres de saint Epiphane douteuses ou suppo-
sées. (Voir la Patrologie grecque de M. Migne, t. xli, xlii, xliii.)
Nous avons remarqué plus haut que saint Epiphane avait négligé la politesse du style. Son
but était de se mettre à la portée des moins intelligents. Au reste, ce défaut et les autres que l'on
reprend dans ses écrits n'ont point empêché qu'on ne l'ait regardé comme un des principaux
Docteurs de l'Eglise.
A A. S S. et Patrologie.
SAINTE RIGTRUDE,
ÉPOUSE DE SAINT ADALBÀUD, DE DOUAI
Vers l'an 688. — Pape : Sergius Ier. — Roi de France : Thierry ni,
0 Dieu, qui avez enrichi la bienheureuse veuvo
Rictrude d'un tel tre'sor de grâce qu'elle a sanc-
tifié, en se sanctifiant elle-même, son époux et ses
enfants, faites qu'au souvenir d'une si grande
vertu, nous marchions d'un pas droit dans le sen-
tier de la justice. Ainsi soit-il,
Propre d'Auch, 1753.
La vie de cette Sainte nous offre toutes les vertus qui distinguent la
jeune vierge, la vertueuse épouse et la mère chrétienne; et comme si Dieu
avait voulu donner en sa personne un modèle accompli pour toutes les
conditions, il permit que, devenue veuve, elle entrât peu après dans un
monastère pour y donner encore l'exemple de la perfection religieuse. C'est
un précieux trésor qu'une femme chrétienne dans la famille; ses vertus,
quoique moins éclatantes pour l'ordinaire que celles de l'homme, ne
manquent jamais d'exercer une influence considérable sur toute la société,
et il serait facile, en développant cette pensée, de reconnaître que souvent
les résultats les plus étonnants et les plus merveilleux eurent pour premier
principe, la sainteté d'une femme, d'une épouse et d'une mère.
Sainte Rictrude naquit au pays basque , d'une famille opulente et
illustre ; elle appartenait à cette race vive et guerrière des Gascons ou Vas-
cons qui lutta si longtemps contre les Francs du Nord, et dont les haines
494 12 mai.
et les antipathies nationales se poursuivent si loin dans notre histoire. A
l'époque dont nous parlons, ces peuples étaient encore en partie idolâtres;
on en trouve la preuve dans les vies de plusieurs Saints du septième siècle,
et en particulier dans celle de saint Amand. Rictrude, par une faveur spé-
ciale de la divine Providence, reçut le jour de parents chrétiens et ver-
tueux, et elle s'éleva, dit le biographe, au milieu de sa nation comme une
rose qui s' élance du milieu des buissons. Elle eut pour père le noble et puis-
sant Ernold, sa mère s'appelait Lichia l. (605 environ).
Dès ses premières années, cette enfant donna des marques de grande
sainteté, il semblait que Dieu se plût à développer en elle, avec les grâces
et les charmes de son âge, toutes les vertus et les belles qualités qui de-
vaient en former une femme accomplie. « Douce et modeste dans sa con-
duite, portant empreinte sur son front l'innocence de son âme, remplie de
charité et de prévenance pour tous, la jeune Rictrude croissait en âge et en
grâce devant le Seigneur, et à peine à l'aurore de sa vie, elle brillait déjà
comme un astre éclatant de justice et de sagesse ».
Elle était encore dans l'adolescence lorsque Dieu permit que saint
Amand allât prêcher la foi dans cette contrée. Ce saint missionnaire, en
effet, n'ayant pas craint de représenter au roi Dagobert que les désordres
de sa conduite étaient un grand scandale pour tousses sujets, qu'ils attire-
raient infailliblement sur lui et sur son royaume la colère de Dieu, cette
sainte liberté lui avait valu l'exil : il se dirigea alors vers la Gascogne, et
la Providence le conduisit bientôt dans la famille de sainte Rictrude, jeune
et bel astre qui prit encore un nouvel éclat par la splendeur de l'astre nouveau
qui se présentait à elle.
Des études récentes ayant fixé le pays d'origine de sainte Rictrude
parmi les Basques 2, il ne sera pas inutile à la clarté de notre récit de faire
voir quel était l'état politique de ce pays au vne siècle, et par suite de
quelles circonstances cette princesse a épousé un leude du nord de la
France.
Saint Grégoire de Tours rapporte qu'en 581, sous le règne de Chilpé-
ric II, les Vascons ayant commencé à faire des incursions dans la Novem-
populanie, le duc Bladastes alla les attaquer, dans leur propre pays, de
l'autre côté des Pyrénées, mais qu'il y perdit la majeure partie de son ar-
mée, avec tout son bagage. Quelques années après, vers 588, ces mêmes
"Vascons, dit le même historien, « se précipitant du haut de leurs mon-
tagnes, descendirent dans les plaines, ravageant les vignes et les champs,
livrant les maisons aux flammes et amenant de nombreux captifs, avec tous
1. Ernold, Arnaud; Lichia, Lucie.
2. M. Garât (Origines des Basques. Paris, 1839) distingue les Vascons des Basques et des Gascons.
Selon lui, les Vascons sont les Béarnais, les alliés des Basques dans toutes leurs guerres; les Basques sont
les continuateurs des Cantabres, colonie sémitique amenée dans les Basses-Pyrénées sur les vaisseaux des
Phéniciens : les Vascons ou Béarnais auraient donné lcnr nom à leurs amis les Cantabres, qui dès
lors s'appellent Basques, et à leurs ennemis les Aquitains, qui prirent le nom de Gascons.
M. Menjoulet, lui (Saint Amand, apôtre des Basques, 1S69), ne fait qu'un seul peuple des Vascons «t
des Basques. Mais le résultat indiqué par les deux auteurs est le même, à savoir que les habitants des
Pyrénées, Vascons, Basques ou Cantabres, imposèrent leur suzeraineté et leur nom à la partie de l'Aqui-
taine comprise sous le nom de Novempopulanie et aujourd'hui de Gascogne.
Nous n'avons aucune raison pour combattre une théorie d'après laquelle les Cantabres sont les an-
cêtres des Basques en ligne directe, sans déplacement des populations ; les Béarnais sont les Vascons
vaincus par Crassus et ennemis de Clovis, et enfin les Gascons sont les mêmes que les Aquitains, sauf
qu'ils ont pris le nom des Vascons et des Basques alliés qui les soumirent à leur suzeraineté. Encore
une fois, nous n'avons aucune envie de contredire à cette théorie; mais nous voudrions des preuves, et
M. Garât n'en donne pas.
M. Menjoulet nous parait plus serré dans son argumentation; mais alors que deviennent les Cantabres 1
11 ne faut pourtant pas les effacer de l'histoire.
SAINTE RICTRUDE. 495
les troupeaux. Le duc Àustrovalde les poursuivit, mais n'en tira qu'une
faible vengeance ' ».
Saint Grégoire de Tours, qui mourut en 595, ne dit plus rien des Vas-
cons *. Mais l'histoire de ce petit peuple est continuée par Frédegaire,
chroniqueur du vn8 siècle, lequel nous apprend qu'en 602, Théodebert et
Thierry, rois des Francs, dirigèrent leurs armées « contre les Yascons et que
les ayant défaits, Dieu aidant, ils les soumirent à leur empire, les rendirent
tributaires et mirent à leur tête un duc, nommé Génialis, qui les gouverna
heureusement s » .
Génialis mourut, après une administration assez longue et toujours
tranquille. Sous le gouvernement de son successeur, Aighinan, les Vascons
se révoltèrent, d'accord avec Sénoc, évêque d'Eauze et métropolitain de la
Novempopulanie. C'est alors qu'ils reconnurent pour leur duc Amand, l'un
des grands hommes de l'époque, mais dont l'origine est restée inconnue.
Amand franchit l'Adour et parvint, malgré les rois de France, à faire ac-
cepter son autorité sur tout le pays qui s'étend jusqu'au fleuve de la Ga-
ronne.
Cependant, Dagobert monta sur le trône, en 628, et fit à son frère
Caribert un petit royaume d'Aquitaine, avec la ville de Toulouse pour ca-
pitale. Ce royaume borné, d'un côté, par la Loire, de l'autre, par la Ga-
ronne, enveloppait, au sud, la contrée où les Vascons venaient d'établir
leur domination. Mais, Amand, ayant donné en mariage sa fille Gisèle au
jeune roi d'Aquitaine, celui-ci acquit alors, ou par un simple arrangement
de famille, ou même par la force des armes, la souveraineté du duché des
Vascons K
Les Vascons eurent à subir une grande guerre en 637. Caribert n'était
plus, Dagobert se hâta de reprendre le royaume d'Aquitaine, au préjudice
de deux orphelins, Boggis et Bertrand, fils de Caribert et petits-fils du duc
des Vascons par Gisèle, leur mère. Il y a lieu de croire que, les Vascons
ayant accepté, comme on l'a vu, la suzeraineté de Caribert, roi d'Aquitaine,
Dagobert voulut à son tour les placer sous son sceptre et que le duc Amand
s'y refusa, ne fût-ce que pour conserver ce reste d'héritage à ses jeunes
pupilles. Le fait est qu'au rapport de Frédegaire, les Vascons se révoltèrent
et firent des ravages dans « l'ancien royaume de Caribert », c'est-à-dire
dans la seconde Aquitaine. Pour mettre un terme à ces déprédations, le
roi des Français envoya, sous les ordres du référendaire Cnadoind, une
grande armée composée de dix corps, ayant chacun un duc à sa tête, sans
parler de plusieurs comtes, aussi puissants que des ducs. Aux approches de
cette armée qui déjà, dit Frédegaire, « remplissait toute la Vasconie, les
Vascons, sortant du haut des rochers et du fond des vallées, coururent aux
combats.... s »
Après la mort de Caribert et la conquête de la Vasconie par la grande
armée de Chadoind, les officiers de Dagobert arrivaient en nombre dans
1. Greg. Tur., Hist. Franc, liv. vi, cap. 12; 1. ix, cap. 7.
2. Il mentionne la Vasconie dans une de ses lettres {Patrol., t. lxxi, col. 1463) et il écrit alors ca
mot avec un double W : Wasconia. C'est l'orthographe qui a prévalu depuis chez les chroniqueurs.
3. Anno vu Mgai Theuderici... Theudebertus et Theudericus exercitum contra Wascones dirigunt
ipsosque, Deo auxiliante, deject«s suœ domination! redigunt et tributarios faciunt. Ducem super ipsos,
nomine Genialem, instituunt, qui eos féliciter dominarit. (Frédeg., Chronic; Patrol., t. lxxi, col. 617,
no 21.)
4. Frédeg., cap. 57; Hist. du Languedoc, liv. vti.
5. On voit la distinction précédemment indiquée entre le territoire qui constitue le duché d'Amand,
et le peuple qui a donné son nom a ce territoire : la Vasconie est couverte en entier par l'armée fran-
çaise et les Vascons sont encore renfermés dans les défilés de la montagne.
496 12 mai.
les vallées pyrénéennes, qui ne leur présentaient plus aucun danger. Or, un
de ces jeunes seigneurs, du nom d'Adalbaud, duc de Douai, en Flandre, eut
occasion de voir Rictrude et la demanda en mariage. Quelques proches pa-
rents de la jeune fille s'opposèrent à ce projet, par un sentiment de haine
pour le sang français, peut-être aussi parce qu'Adalbaud était chrétien;
mais Ernold et Lichia donnèrent volontiers leur acquiescement.
Rictrude était alors à la fleur de l'âge, et elle passait pour un modèle
de candeur, de sagesse et d'innocence; rien de plus aimable que sa con-
duite, rien de plus suave que ses paroles, rien de plus réservé que toutes
ses démarches; aussi jamais alliance plus belle et plus agréable à Dieu ne
fut contractée à la face des autels, ni sous d'aussi heureux auspices.
Les cérémonies saintes du mariage s'accomplirent dans le recueillement
le plus parfait. « Adalbaud offrait à sa jeune épouse des vertus héréditaires,
un sang illustre, une mâle beauté, une sagesse et une prudence qui avaient
devancé les années. Rictrude lui apportait en retour des charmes modestes
et pudiques, une noble naissance, de grands biens, et par-dessus tout, une
vie pure et sans tache ». Belle et sainte union de deux cœurs que Dieu avait
destinés l'un à l'autre, et que, malgré la distance des lieux, il sut réunir
pour l'accomplissement de ses desseins providentiels. Ainsi, Adalbaud, par
l'innocence de sa jeunesse, méritait de trouver une épouse vertueuse.
« Pleine de sainteté et de pudeur, elle a une grâce qui surpasse toute beauté,
elle sera le partage et le précieux trésor de ceux qui craignent le Seigneur.
Aussi son mari met en elle toute sa confiance. Elle ouvre sa bouche à la
sagesse, et des paroles de clémence reposent sur ses lèvres ' » .
A quelque temps de là, sainte Rictrude venait avec son époux dans le
pays d'Ostrevent où il avait de très-vastes possessions et où habitait sa fa-
mille : c'est là aussi que saint Amand, de retour de son exil, venait parfois
se reposer de ses courses apostoliques et donner de sages instructions qui
inspiraient à tous la piété.
Déjà la bénédiction du Seigneur avait comblé les désirs des deux époux :
quatre enfants croissaient sous leurs yeux et venaient ajouter dans la famille
un charme nouveau par leurs jeux innocents, leur naïve docilité et leurs
vertus naissantes. Maurant, l'aîné, fut tenu sur les fonts de baptême par le
saint apôtre Riquier, qui prêchait la parole de Dieu dans des contrées assez
rapprochées. Nanthilde, épouse de Dagobert, avait servi de marraine à
Eusébie, l'aînée des trois filles. Saint Amand avait baptisé la seconde, Clot-
sende, qui remplaça plus tard sa mère dans le monastère de Marchiennes;
la plus jeune, Adalsende, était encore au berceau.
Sainte Rictrude, comme son vertueux époux, avait bien compris toute
la sainteté et la gravité des devoirs du mariage; elle savait que désormais
sa principale occupation devait être de former ses enfants à la sagesse et
qu'elle répondrait un jour devant Dieu de ce dépôt précieux qui lui était
confié. Aussi s'empressèrent-ils l'un et l'autre « de choisir des hommes sin-
cèrement religieux pour donner à leur jeune famille les leçons qui forment
à la science et surtout à la vertu ». Eux-mêmes y apportèrent tout leur
temps et leur sollicitude : ils n'ignoraient pas que la première et la plus
importante instruction que les parents doivent à leurs enfants, c'est l'ins-
truction de l'exemple : ils prirent donc soin de confirmer par toute leur
conduite les paroles qui sortaient de leur bouche, et de pratiquer, en pré-
sence de leurs enfants, les devoirs de la religion, et quelquefois aussi par
(eurs mains, les œuvres de charité chrétienne.
1. Prov. xs.xi.
SAINTE RICTRUDE. 497
Ainsi, la demeure de Rictrude et d'Adalbaud devenait véritablement
comme une école de piété, de vertus et de bonnes œuvres : elle était en
quelque sorte le rendez-vous de toutes les infortunes « et de toutes les né-
cessités. Là, ils assistent l'indigent, et adoucissent ses travaux et ses fa-
tigues; celui que pressent la faim et la soif trouve toujours auprès d'eux le
soulagement; ils donnent au pauvre de quoi couvrir sa nudité, et ne re-
fusent jamais à l'étranger le pain et l'hospitalité qu'il demande. Quelquefois
aussi on les voit sortir de leur tranquille habitation, environnés de leurs
jeunes enfants qui se livrent à leurs côtés aux jeux innocents de leur âge;
avec eux ils pénètrent dans la maison du malade et de l'infirme, pour y
porter la consolation et le secours. Leurs mains ne se refusent pas à ren-
fermer dans le linceul funèbre la dépouille du chrétien, et on pourrait
même les surprendre parfois cherchant à rappeler le repentir et la paix dans
des cœurs endurcis par le crime ou ulcérés par la haine ».
Au loin et à l'entour se répandait la bonne odeur des vertus chrétiennes
pratiquées dans cette religieuse famille, et leur douce influence s'étendait
sur tous ceux qui l'approchaient : riche ou pauvre, faible ou puissant,
l'homme qui était dans la joie comme celui qui pleurait, tous n'avaient
qu'une voix pour exalter et bénir la charité et la bienfaisance de sainte Ric-
trude et de son époux.
Telle fut la conduite de la noble dame dans les jours de sa prospérité et
de son bonheur ; mais Dieu voulut l'éprouver par l'adversité, et épurer da-
vantage encore cette âme déjà si sainte et si agréable à ses yeux. A cette
époque, Adalbaud, son époux, fit un voyage dans la Gascogne, où l'appelait
peut-être quelque expédition militaire, ou bien un ordre pressant du roi,
qui avait en lui une grande confiance.
Ce fut alors que des hommes, qui appartenaient vraisemblablement à la
famille de sainte Rictrude elle-même, voulurent se défaire de lui. Déjà, à
l'époque de son mariage, ils avaient témoigné un vif mécontentement, et
leur colère n'avait fait que s'accroître en voyant se consommer cette alliance
d'un Franc du Nord avec une illustre princesse de leur sang et de leur con-
trée. Cette fureur se réveilla tout à coup, quand ils le virent reparaître au
milieu d'eux. Les aimables et brillantes qualités d'Adalbaud, la douleur
dans laquelle ils allaient plonger sainte Rictrude, son épouse et leur pa-
rente, ne purent étouffer le désir de la vengeance dans ces âmes ardentes.
Ayant donc assailli à l'improviste le noble Leude, dans les solitudes du Pé-
rigord, ils le mirent cruellement à mort.
Sainte Piictrude, qui, au moment du départ d'Adalbaud, avait l'esprit
tellement rempli de tristes pressentiments, qu'elle ne pouvait s'arracher de
ses bras, apprit bientôt cette lamentable nouvelle, qui la plongea, elle, ses
enfants, ses serviteurs et tous les habitants du pays, dans la plus profonde
consternation. Elle Qt rendre à son digne époux les honneurs de la sépulture
avec une grande magnificence, prit le deuil ainsi que toute sa maison, et
commença à mener la vie d'une veuve chrétienne, uniquement occupée du
soin de ses enfants et de ses serviteurs, et de la pratique des bonnes œuvres.
Ce fut alors aussi qu'elle manifesta le projet, qu'elle nourrissait déjà
dans son âme, de se retirer du monde, pour se consacrer entièrement à
Dieu dans la vie religieuse. Aussi prudente que pieuse, elle ne manqua point
de consulter quelques vénérables personnages, et particulièrement saint
Amand, qui était devenu le tuteur de la famille, depuis la mort d'Adalbaud.
D'après son conseil, Rictrude se détermina à différer son départ jusqu'à ce
que son fils Maurant fût parvenu à l'âge robuste, requis pour être admis à
Vies des Saints. — Tome V. 32
498 12 mai.
la cour du roi des Francs. En attendant cette époque, elle se livra avec
ardeur à toutes les œuvres de piété, au milieu de sa famille, où saint
Amand venait souvent donner des avis et des consolations. « C'était bien le
plus grand plaisir de ce sage pasteur des âmes, de faire leçon à cette sainte
famille, y laissant couler ses enseignements très-doux comme miel, pen-
dant que la veuve trouvait une mer de délices en la méditation des mystères
divins, pour s'y baigner à loisir, et vivait de larmes de dévotion, comme
l'abeille de la rosée. Tous, ils donnaient leurs cœurs à manier au saint pon-
tife, tout ainsi que la cire, dont l'artiste main les pliait en hommes saints
et vierges sages : les petits Maurant et Eusébie prenaient déjà leur essor à
la vie religieuse sous les ailes de leur mère. Elle était l'aigle généreuse qui
les guidait en l'air, faisant qu'ils regardassent le beau soleil de justice, sans
éblouissement des yeux * ».
Lorsque, quelque temps plus tard, sainte Rictrude vit son fils à la cour,
estimé et chéri de tous, encore plus pour sa sagesse et ses brillantes qualités
que pour le beau nom de sa famille, elle pensa que le moment était venu
de se retirer au monastère de Marchiennes avec ses filles. Déjà, l'aînée des
trois, Eusébie, était à Hamage auprès de sa vénérable aïeule sainte Ger-
trude ; les deux plus jeunes, Clotsende et Adalsende, brûlaient aussi de se
consacrer à Dieu. Leur mère se réjouissait dans le secret de son cœur, en
voyant cet innocent empressement de ses enfants, et elle soupirait après le
jour où leurs communs désirs seraient enfin remplis. Mais Dieu voulut
mettre encore sa vocation à la plus délicate et la plus difficile épreuve.
En effet, le roi, qui était rempli d'affection et de bienveillance pour
Adalbaud et sa famille, avait ressenti une vive douleur quand il apprit sa
mort cruelle et inopinée, et il continua d en donner des marques par tous
les ,gards dont il environnait le jeune Maurant. Par respect pour l'afflic-
tion d'une veuve éplorée, il cacha quelque temps à Rictrude ses intentions ;
mais, un jour, il lui fit connaître que son désir était de la voir prendre pour
époux quelqu'un des nobles Leudes de sa cour. On comprend tout ce qu'a-
vait de pénible et d'embarrassant une telle proposition, faite par le roi lui-
même, dont les volontés, en pareille circonstance, étaient d'autant plus
inflexibles, que presque toujours c'était la politique ou l'intérêt de la puis-
sance royale qui les déterminait.
Rientôt même, soit que le monarque eût communiqué ses pensées à
quelques seigneurs du palais, soit que ses paroles fussent parvenues à leurs
oreilles, plusieurs se présentèrent à l'illustre veuve d'Adalbaud, la sollici-
tant de se rendre aux intentions du roi, et de choisir un époux capable de
défendre sa famille et de la rendre heureuse. Rictrude répondit avec beau-
coup de sagesse et déclara qu'une démarche de cette importance demandait
de sa part du temps et de la réflexion : ainsi elle écarta momentanément
toutes les sollicitations importunes.
Dès la première déclaration du roi, elle s'était empressée d'instruire
saint Amand de cet obstacle inattendu que rencontrait encore sa vocation,
et de lui demander le secours de ses lumières et de ses conseils. Avec sa
prudence accoutumée, le saint missionnaire l'engagea à attendre un temps
plus favorable pour exécuter son dessein d'embrasser la vie religieuse. La
Providence amena bientôt cette occasion, et sainte Rictrude la saisit et en
profita avec habileté.
Un jour donc que le roi, parcourant diverses parties du royaume, était
1. Les Saints de la province de Lille, Douai, Orchies, par Martin l'Hennite.p. 96.
SAINTE RICTRUDE. 499
arrivé dans le pays d'Arras, où elle avait de vastes possessions1, Rictrude
l'invita, avec toute sa suite, à un grand festin. Elle n'épargna rien pour
donner à cette réception toute la magnificence et la somptuosité convena-
bles, de sorte que Clovis II put la regarder comme un témoignage de la dis-
position où était la noble veuve de se conformer à ses volontés.
Au milieu du repas, qui avait été animé par la gaîté la plus franche et la
plus cordiale, sainte Rictrude, se levant de table, demanda au roi, avec
beaucoup de dignité et de respect, si dans sa propre maison il lui était ac-
cordé de faire ce qu'elle désirait. Le monarque, qui croyait sans doute que,
pour célébrer sa bienvenue et celle des principaux seigneurs du royaume,
elle voulait offrir la coupe et présenter un nouveau vin plus généreux, lui
répondit gracieusement que tout lui était permis dans sa maison. Cette pa-
role prononcée, Rictrude tire de son sein un voile noir, qui avait été béni
par saint Amand lui-même, le met sur sa tête et conjure à haute voix le
Seigneur de l'aider à le conserver jusqu'à la fin de sa vie. A cette vue, le roi
entre dans une grande colère, sort brusquement de la salle du festin, puis,
accompagné de ses gens, il quitte le château, indigné contre lui-même du
consentement involontaire qu'il vient de donner à un acte qui contrarie ses
projets. Pendant ce temps, la pieuse famille, sans se laisser troubler, re-
mettait son sort entre les mains de Dieu et espérait que bientôt ses vœux
seraient exaucés.
Dans ces graves circonstances, sainte Rictrude s'empressa d'appeler au-
près d'elle son sage et prudent conseiller, saint Amand : lui seul pouvait
amener une réconciliation désirable entre le monarque et la noble veuve.
Celui-ci vint en toute hâte, et se rendit aussitôt à la cour, pendant que la
charitable dame, pour attirer les bénédictions du ciel, distribuait une partie
de ses biens aux pauvres, et se livrait avec ferveur à toutes sortes de bonnes
œuvres.
Arrivé au palais, saint Amand représenta au monarque, avec beaucoup
de modération et de prudence, que la vénérable Rictrude avait conçu de-
puis longtemps le désir de vivre loin du monde, qu'elle n'avait agi en toutes
choses qu'avec sagesse, que c'était Dieu véritablement qui l'appelait à ce
nouveau genre de vie, et qu'il était juste que les désirs des rois de la terre
cédassent devant la volonté du Roi des cieux. Le prince se rendit à ces pa-
roles si religieuses et si sages, et la réconciliation fut opérée. Sainte Ric-
trude pouvait enfin voler vers la solitude après laquelle elle soupirait depuis
si longtemps.
Quelques jours après, les habitants du Castrum de Douai voyaient, pour
la dernière fois, la sainte épouse d'Adalbaud se diriger avec ses enfants vers
le temple consacré à la Mère de Dieu s, et prendre ensuite avec joie le che-
min de Marchiennes. C'est là que sainte Rictrude se livre en toute liberté
aux inspirations de son âme religieuse, et qu'elle se console de la perte
d'un époux chéri par les espérances de la foi. Sous la conduite de saint
Jonat, l'un des plus dignes disciples de saint Amand, elle y coule des jours
tranquilles, au milieu des saintes filles qui l'ont suivie dans sa retraite. Sans
cesse son âme s'élève vers Dieu, par la prière et les pieuses méditations, et
elle puise dans les livres sacrés les lumières qui éclairent son esprit et les
1. Bolî. su îlaii. — Le lieu dont il est question s'appelle aujourd'hui Boiri-Sainte-Rictrude, canton de
Beaumetz, arrondissement d'Arras. Un prieuré de'pendant de Marchiennes et desservi par des religieux de
ce monastère, fut établi dans ce lieu. — Dans les Acta Sanctorum Belgii, t. iv, p. 487, il est prouvé que
ce fait a dû arriver sous Clovis II.
2. Buzel., Gallo-Fland., lib. i, cap. 31, 41, passim. — Cette église arait été réparée autrefois pat
les soins d'Adalbaud et d'Erchinoald, sou frère.
500 12 mai.
sentiments qui fortifient son cœur. Le temps n'était pas éloigné où elle au-
rait encore besoin de ce courage inspiré par la religion, pour supporter une
nouvelle perte bien sensible à son cœur maternel.
Sainte Rictrude était entrée dans la solitude de Marcbiennes, accompa-
gnée de ses deux petites filles, qui grandissaient à ses côtés, et qui remplis-
saient son cœur d'une joie ineffable. Tout à coup, une maladie violente et
opiniâtre emporte sous ses yeux la jeune et innocente Adalsende, au mo-
ment où, sur la terre, tout était dans l'allégresse. De toutes parts retentis-
sait le cri triomphal des anges : « Gloire à Dieu au plus haut des deux, et
paix sur la terre aux hommes de bonne volonté ». C'était la Nativité du
Sauveur, la touchante solennité de Noël.
Pendant trois jours, sainte Rictrude sut retenir ses larmes et sa douleur
pour ne point troubler la fête, mais, quand au jour des Innocents les mères
éplorées de Rama firent entendre leurs lamentations, elle ne put comprimer
davantage les siennes. Les sacrés mystères accomplis, et l'heure de prendre
le premier repas étant venu : « Allez, mes sœurs bien-aimées », dit Ric-
trude, « allez prendre, avec actions de grâces, la nourriture de vos corps;
pour moi, à l'exemple des mères désolées de Bethléem, je vais pleurer mon
innocente petite fille Adalsende, que la mort m'a ravie dans un âge si ten-
dre » . A ces mots la parole expire sur ses lèvres, et, se dirigeant aussitôt vers
un lieu écarté, elle donne un libre cours à ses sanglots, à ses gémissements
et à ses pleurs. Tribut touchant de la nature, qu'adoucit seul dans les âmes
chrétiennes le sentiment de la foi et des espérances célestes.
Une nouvelle et dernière épreuve était encore réservée à la vénérable
Rictrude ; mais cette fois, elle devait se changer promptement en joie : ce
fut la détermination que prit tout à coup son fils de se consacrer au service
de Dieu, et de bâtir, loin de la cour, un monastère, où il se retirerait avec
d'autres héros chrétiens, animés des mêmes dispositions. Cette nouvelle,
que Maurant communiqua aussitôt à sa sainte mère, la remplit d'abord d'in-
quiétude et de perplexité ; elle craignait que ce fils bien-aimé, qui avait,
par ses soins, conservé son innocence et la pureté de ses mœurs, ne se fît
illusion à lui-même, et no s'exposât par ces engagements irrévocables à
d'amers regrets, et peut-être à de coupables égarements.
Sainte Rictrude appela donc auprès d'elle le vénérable saint Amand,
« son conseiller et le médecin des âmes inquiètes et troublées ». Le saint
évêque se transporta en toute hâte au monastère de Marchiennes et calma
facilement les appréhensions de cette vertueuse mère, en lui représentant
tout ce qui s'était passé au palais entre Maurant et lui, et avec quelle pru-
dence et quelle discrétion ce jeune homme avait agi en toutes choses.
La joie la plus vive succéda alors à la tristesse, et elle fut complète
quand Maurant arriva à l'abbaye de Marchiennes, auprès de sa mère, pour
lui exposer lui-même les motifs de sa conduite. Là, dans la chapelle même
du monastère, saint Amand célébra les divins mystères et donna au jeune
Leude, qui se dépouillait volontairement de tous les insignes des guerriers,
la tonsure des clercs. Saint Maurant se retira ensuite au monastère de
Bruël (Merville), bâti par ses soins dans des terres qui appartenaient à sa
famille.
Après la retraite de son fils chéri, sainte Rictrude, désormais libre de
toute inquiétude, ne fut plus occupée que de Dieu seul ; elle avançait à
grands pas dans les voies du salut, pratiquant avec fidélité toutes les vertus
de la vie religieuse. Rien ne pouvait l'arrêter dans son ardeur pour l'accom-
plissement des devoirs de sa charge d'abbesse ; elle était véritablement pour
SAINTE RICTRUDE. 501
ses religieuses une mère pleine de bonté, cherchant tous les moyens de leur
être agréable et de les faire avancer dans la perfection de leur état.
Ce fut au milieu de ces pieux exercices qu'elle s'endormit paisiblement
dans le Seigneur, vers l'an G88, à l'âge d'environ soixante-seize ans, lais-
sant Clotsende pour la remplacer dans la direction du monastère de Mar-
chiennes.
CULTE ET RELIQUES DE SAINTE RICTRUDE.
La mémoire de sainte Rictrude a toujours été en grande vénération dans toute la contrée
où elle passa la dernière partie de sa vie : la haute opinion qu'on avait de sa vertu, les belles
actions qui ont signalé sa vie, les doux souvenirs qu'elle a laissés dans le monde où elle avait
vécu, tout contribua à lui concilier après sa mort les respects et les hommages que des miracles,
opérés auprès de son tombeau, ont encore augmentés de jour en jour. Plusieurs paroisses dans les
diocèses de Cambrai et d'Arras sont placées sous son invocation. Dans l'église de Marchiennes,
on voit une très-belle chapelle latérale qui lui est consacrée et qui a été presque entièrement
restaurée depuis quelques années. Outre une statue de la sainte Patronne, il y a encore un
monument en pierre polie qui paraît avoir appartenu à l'ancienne abbaye de Marchiennes. Cette
pièce de deux mètres environ de longueur sur soixante-quinze centimètres de largeur est élevée
de trois pieds au-dessus du sol : elle représente sainte Rictrude couchée et les bras croisés sur la
poitrine.
u La riche châsse qui renfermait le corps de sainte Rictrude, rapporte M. le chanoine Parenty,
dans son Histoire de sainte Berthe, p. 17, à la note, fut envoyée de Marchiennes à l'Hôtel des
Monnaies de Paris, en 1793 '. Un employé de cet établissement, M. Desrotours, déposa plus tard
ces reliques avec celles de plusieurs autres saints à l'archevêché de Paris. Elles y restèrent jus-
qu'au 29 juillet 1830, époque à laquelle elles fuient dispersées pendant le pillage du palais de
Mgr de Quélen. On n'en trouve plus qu'un petit fragment conservé dans l'église de Notre-Dame ».
« Sainte Rictrude, dit M. Menjoulet, est, dans le Nord de la France, l'une des Saintes les plus
connues et les plus invoquées.
« Comment donc se fait-il qu'elle le soit si peu dans son propre pays ? Comment les Basques
ont-ils pu oublier cette illustration nationale, et comment, pour la plupart d'entre eux, le glo-
rieux apôtre de leurs ancêtres, saint Amand, est-il en quelque sorte un étranger? Une telle indif-
férence, si peu conforme à la constance habituelle des traditions populaires, semblerait devoir
infirmer la vérité des récits qui précèdent, si la situation toute particulière de nos Basques, au
milieu des populations environnantes, n'en donnait une explication très-plausible. Observons, en
effet, que pendant qu'ils conservèrent, par la langue et par les mœurs, le sceau toujours distinct
d'une origine commune, les Basques furent séparés les uns des autres dans l'ordre ecclésiastique
et dans l'ordre civil. Sous ce dernier rapport, les Labourdins et les Souletins appartinrent à la
Guyenne, qui continua le duché de Vasconie, tandis que la Basse-Navarre fut l'une des Mérindés
(ou districts) du Royaume de Navarre, en Espagne. Dans l'ordre ecclésiastique, le fractionnement
fut plus sensible encore ; la Soûle fit partie du diocèse béarnais d'Oloron ; le Labourd forma la
majeure partie du diocèse de Bayonne ; quant à la Basse-Navarre, elle se trouve scindée en deux
parts : le Sud (Baïgorry et Saint-Jean-Pied-de-Port) relevant de la cathédrale de Bayonne, et le
Nord (Iholdy et Saint-Palais) dépendant du diocèse de Dax.
« C'est à ce morcellement de la population basquaise qu'on doit attribuer son oubli de saint
Amand. Les catholiques de la Soûle avaient trouvé dans le diocèse d'Oloron un patron déjà en
possession de la vénération publique, saint Grat, né sur les confins de leur belle vallée ; et chaque
année, le 19 octobre, ils allaient en foule vénérer ses reliques à Oloron même. Les Labourdins
eurent pour protecteur bien-aimé saint Léon, qui versa son sang aux portes de Bayonne. Restait
la Basse-Navarre qui, soumise à deux églises différentes, subit naturellement les prescriptions de
leurs liturgies spéciales. Ah! si les Basques avaient formé un seul et même diocèse, ils auraient
été plus fidèles à leurs souvenirs; mais séparés, comme ils le furent, ils ne pouvaient échapper
à l'influence des traditions qui dominaient dans les sphères différentes, où ils étaient comme
englobés.
« Ajoutons que les Basques n'ont jamais eu ni histoire, ni littérature nationales. Les évêqnes
des trois diocèses dont ils dépendirent, ignorèrent eux-mêmes les origines religieuses de ces quar-
tiers, privés de monuments historiques, et il a fallu attendre jusqu'au xvn» siècle, l'exhumation
des vieilles chroniques du nord de la France pour réveiller, dans le Midi, la mémoire de l'apôtre
1. Il existe encore d'anciennes élevés pensionnaires de l'al.baye : elles se rappellent d'avoir vu enlever,
au milieu des larmes et des gémissements de toute la communauté, les deux châsses qui renfermaient les
reliques de sainte Kictrude et de sainte Eusél)ie.
502 *2 mai.
des Basques. Mais, disons-le avec joie, aussitôt que nos prélats furent éclairés par les découverte»
de la science hagiographique, ils songèrent à réparer l'oubli de leurs prédécesseurs ; les nouveaux
bréviaires de la province d'Auch, et notamment celui que Mgr d'Arche crut pouvoir publier, en
1753, à l'usage du clergé de Bayonne, portèrent un office en l'honneur de saint Arnaud, le 6 jan-
vier, et un autre en l'honneur de sainte Bictrude, le 10 mai. Ne nous plaignons point de ce que
les légendes des deux offices ne respectent pas suffisamment la nationalité des Casques, qu'elles
confondent aussi avec les Gascons ; il suffit d'y trouver un hommage important, quoique tardif,
rendu par la postérité reconnaissante à deux saints qui méritent d'être honorés comme les vrais
patrons d'une partie au moins de nos chères montagnes.
« Le pays basque appartient aujourd'hui tout entier an diocèse de Bayonne, dont il est, sans
contredit, la portion la plus profondément catholique ; témoignage d'un béarnais qui veut être
équitable avant tout. Eh bien ! sera-l-il permis à l'auteur de cette dissertation d'exprimer le désir
que le culte de saint Amand et de sainte Bictrude se répande dans notre beau diocèse ? Pourquoi
leur fête ne serait-elle pas célébrée de ne uveau parmi nous, avec la même solennité que celles de
saint Julien, de saint Galactoire, de saint Grat et de saint Léon ? Pourquoi ne verrait-on pas, sur-
tout dans la Basse-Navarre, privée de toute dévotion à un saint national, s'élevei, sinon quelque
église, du moins quelque chapelle sous le vocable de saint Amand et de sainte Rictrude? Pourquoi
ces ueux Saints ne deviendraient ils pas populaires, l'un comme patron spécial des hommes de
zèle et de dévouement, l'autre comme protectrice assurée des mères et des veuves chrétiennes ?
« 11 a été fait, tout récemment, une première réparation à ces saintes mémoires. C'est une
œuvre d'art, exécutée par l'habile et sympathique pinceau de M. Romain Cazes, dans l'église
Sainte-Croix d'Oloron, monument du XIe siècle. Au bas du sanctuaire splendidement décoré, dans
l'arcature, à sept baies aveugles, qui termine l'abside et entoure l'autel, on voit, sous le nom de
Galerie des Saints du pays, à côté de saint Julien, de saint Grat, de saint Galactoire et de
saint Léon, saint Amand, apôtre des Basques, sainte Bictrude. dame vasconne et abbesse, avec
saint Adalbaud lui-même. .Mais Oloron est dans le Béarn ; le pays basque ne voudra pas rester
déshérité de ses gloires les plus pures.
« Depuis quelques années, le diocèse de Bayonne a eu le bonheur de recouvrer la liturgie de
Rome, qui ne célèbre pas la fête de nos deux Saints. Souhaitons que la sagesse épiscopale trouve
opportun d'y introduire, suivant toutes les règles canoniques, l'office de saint Amand et celui de
sainte Rictrude ».
Nous avons emprunté cette Vie ans Vies des Saints de Cambrai et d'Arras, par M. l'abbé Destombes :
nous l'avons toutefois modifiée en ce qui concerne la topoàTaphie et l'histoire des événements politiques
contemporains, à l'aide de la brochure plusieurs fois citée de il. MeDjoulet.
SAINT MODOALD, ÉVÊQUE DE TRÊVES (640).
Modoatd était originaire de la province d'Aquitaine. Il était allié à Pépin, maire du palais à la
cour de Dagobert, roi de France. Pépin avait épousé Itte, sœur de Modoald, et de leur mariage
naqcit Gertrude, vierge d'une haute sainteté, honorée à Nivelle. Modoald reçut de ses parents une
excellente éducation, sous le rapport de la science, comme sous celui de la piété. 11 fut reçu à la
cour de Dagobert, où il rencontra plusieurs personnages d'une grande vertu, comme Arnault, de Metz,
et Cuuibei t, de Cologne. La licence qui régnait à la cour ne lui fit rien perdre de sa piété, c'est
pourquoi Dagobert le choisit pour l'élever sur le siège archiépiscopal de Trêves. Lorsque, après
la fête de saint Arnoult, le roi se fut laissé aller à la vie la plus dissolue, notre Saint, tout en
veillant soigneusement sur son troupeau, ne cessa pas d'avertir le roi et de le rappeler au respect
de lui-même et à l'observation de la loi de Dieu. Ses conseils portèrent enfin leurs fruits, Dieu
ayant louché et changé le cœur du prince, au grand avantage de la foi catholique et de la religion.
A partir de cet heureux changement, Dagobert, pleurant les fautes de sa vie passée, regarda
toujours Modoald comme son père, et il l'appelait de ce nom, ajoutant, à ses marques d'affection,
de riches dons destinés à l'ornement et à l'amplification de l'Eglise de Dieu. C'est avec ces libé-
ralités que Modoald érigea de nombreux monastères en l'honneur du Christ et de sa sainte Mère,
et qu'il eu dota d'autres richement. Il fonda aussi plusieurs Congrégations de religieuses, toujours
avec les largesses de Dagobert, d'autant mieux disposé pour ce genre d'institution que lui-même
avait deux filles d'une très-grande piété, et très-zélées pour la vie solitaire et religieuse. L'une
d'elles, irmine, fonda un monastère à Horren ', près de Trêves, et y vécut avec d'autres vierges
SAINT DOMINIQUE Oïï DOMINGUE DE CALZADA. 503
sous la direction de Modoald. L'antre, nommée Adèle, après la mort de son époux, suivit l'exemple
de sa sœur, et se renferma à Polotiolum, autre monastère de femmes.
Modoald ne s'en tint pas à ces fondations ; il bâtit, sur les bords de la Moselle, un troisième mo-
nastère de filles qu'il plaça sous l'invocation de saint Symphorien d'Autun. Le saint évoque pouvait-il
mieux confier la garde des chastes épouses de Jésus-Christ qu'au jeune martyr qui avait réuni
tant de courage à tant d'innocence ? Il établit pour première abbesse de la communauté Sévéra,
6a sœur : et cette pieuse vierge s'y sanctifia en prenant pour modèle le saint patron de son
monastère. Là, sans verser son sang pour Jésus-Christ, elle aussi cependant fut une victime volon-
taires, non pas de sa foi, mais de son amour : car, chaque jour, n'immola-t-elle pas sur l'autel de
la charité, par le glaive de la mortification, son corps, sa volonté, son cœur? La fervente abbaye
qu'elle gouvernait, en suivant les conseils de son frère, avec une fermeté que tempérait la plus
aimable mansuétude, était simple et modeste. Au lieu de l'or et de l'argent on y voyait briller
comme des pierreries, dit l'hagiographe, toutes les vertus religieuses sur lesquelles la blanche
perle de la pureté virginale irradiait son doux éclat. Quel délicieux parterre aux yeux des anges
que cette sainte maison où, au milieu de toutes les autres, l'admirable abbesse s'élevait comme
un beau lis et s'épanouissait sous les regards de Dieu et de saint Symphorien, en exhalant son
céleste parfum I Sainte Sévéra est honorée le 20 août, et son frère, saint Modoald, le 12 mai. Tous
deux voulurent reposer après leur mort à côté l'un de l'autre dans l'église de Saint-Symphorien,
après s'être aimés, ajoute l'historien, comme saint Benoit et sainte Scholastique. Ce monastère fut
détruit pendant l'invasion des Normands.
Saint Modoald parvint à une haute perfection : sa modestie, sa simplicité, sa patience, sa charité
pour Dieu et le prochain étaient égales à celles des plus grands Saints. Quand il eut ainsi non-seule-
ment pratiqué la piété pour sa part, mais qu'il eut fait faire de grands progrès à la religion dans
tout son diocèse pendant plus de vingt ans qu'il le gouverna, il sortit de ce monde pour aller à
Dieu.
Modoald a été de tout temps honoré comme le père des pauvres et le refuge des malheu-
reux. Son chef était autrefois gardé avec une grande vénération dans la chapelle archiépiscopale
de Trêves.
On représente saint Modoald avec une église sur la main, pour rappeler la fondation du mo-
nastère de Saint-Symphorien.
Propre de Trêve» ; Culte de saint Symphorien, etc.
SAINT DOMINIQUE OU DOMINGUE DE CALZADA (1109)-
Ce Saint doit son nom à la Chaussée ' qu'il fit établir à travers le pays où se trouve la ville
actuelle de San-Domingo de la Calzada, dans la vieille Castille, sur la route de Saint-Jacques de
Compcstelle.
Né chez les Basques d'Espagne, il quitta son pays natal et alla frapper à la porte de plu-
sieurs monastères, mais en vain. Son extérieur peu avantageux et son ignorance le firent rejeter
de partout.
Le Saint prit alors le parti de se faire ermite. Les pèlerins de Saint-Jacques avaient à traverser
la solitude de la Rioja infectée par les voleurs. Dominique entreprit de la rendre praticable aux
voyageurs. Il se construisit d'abord une cabane, bâtit auprès une chapelle en l'honneur de la très-
sainte Mère de Dieu, se mit à défricher la forêt, aplanit la route, la pava de ses propres mains et
fît construire un hospice pour recevoir les pèlerins. La facilité du chemin, en multipliant les voya-
geurs, amena la population dans cette région alors à peu près déserte. Telle est l'origine de la
petite ville de San-Domingo de la Calzada ou Saint-Dominique de la Chaussée, autrefois siège d'un
évêché qui a été transféré à Calahorra et dont l'église principale est encore dédiée à noire Saint.
Saint Dominique mourut vers l'an 1109.
Ses attributs dans l'art populaire sont un coq et une poule qu'il tient d'une main et une corde
de pendu qu'il tient de l'autre. Ceci mérite explication : on raconte donc qu'une famille française,
composée du père, de la mère et d'un jeune homme, se rendant à Saint-Jacques de Compostelle,
s'arrêta dans une hôtellerie à San-Domingo de la Calzada. La fille de la maison s'éprit du jouas
1. Calzada.
504 12 MAT.
français et lui fit des propositions qui furent rejetées. L'ardente espagnole résolut de se venger :
elle fit cacher, dans le capuce du jeune homme, une coupe en argent. Lorsque les pèlerins furent
partis, la jeune fille cria au voleur et déclara que le vol ne pouvait avoir été commis que par les
Français hébergés la veille. On courut après, et de fait on trouva la coupe. Le jeune homme fut
ramené à la ville et pendu haut et court. Ses parents, désolés, continuèrent leur pèlerinage. Mais
quelle ne fut pas leur joie à leur retour de retrouver leur fils pendu au gibet encore vivant et
d'apprendre de sa bouche que saint Dominique l'avait préservé de la mort : ils allèrent trouver le
juge et le supplièrent de prendre cette faveur céleste en considération pour faire dépendre l'inno-
cent. L'homme de loi était sur le point de se mettre à table. Ne croyant point à un miracle, il dit
aux parents : « Votre fils est aussi vivant que le coq et la poule que voilà et dont je vais faire mon
repas ».A peine ces mots étaient-ils prononcés quelesvolaillesbondirent sur le plat et se remplumèrent
d'un blanc plumage, symbole de l'innocence. On alla donc vérifier le fait et la sentence première
fut réformée. Cette histoire a été racontée par un grand nombre d'auteurs ; les peintres-verriers
du moyen âge l'ont souvent reproduite. On frappa des médailles eommémeatives de l'événement :
une de ces médailles a été retrouvée, de nos jours, dans la Seine, à Paris, où elle avait sans doute
été apportée par un pèlerin de Saint-Jacques. Enfin les armoiries de Calzada en ont conservé la
trace et fixent le théâtre de l'événement. Dans les armoiries en question, un pont et une ville
fermée de murailles, placées sous les pieds du Saint, rappellent la fondation de la cité. Le soia
que saint Dominique prit des pèlerins lui a encore fait attribuer le bourdon.
Acta Sanctorum, trad. nouv.; Caractéristiques du Père Cahier.
SAINTE JEANNE DE PORTUGAL, VIERGE (1490).
Jeanne était fille d'Alphonse V, roi de Portugal. Dès ses plus jeunes années, le souvenir de la
Passion de Notre-Seigneur lui faisait verser des larmes d'attendrissement. De bonne heure, elle
jeûna au pain et à l'eau chaque vendredi et tous les jours de la semaine sainte. Parvenue à l'ado-
lescence, elle redouble d'austérités ; mais Dieu seul les connaissait. Jeanne s'appliquait à paraître
au dehors telle que devait paraître une fille de roi. Le ciel voulut récompenser tant de sainteté
unie à tant de prudence : chaque jour, sa beauté acquérait de nouvelles grâces.
Demandée en mariage par plusieurs princes, elle leur refusa constamment sa main. En ua
temps où le roi, son père, et l'infant Jean, son frère, faisaient auprès d'elle des instances plus
vives, Dieu lui révéla qu'elle serait délivrée de ces importunités par la mort de celui auquel ou
voulait la donner pour épouse. Victorieuse de la chair et du sang, elle entra au monastère d'Âveiro
de l'Ordre de Saint-Dominique : là, elle fit oublier, par son humilité et son obéissance, qu'elle était
fille de rois. Elle immolait son corps pour la conversion des pécheurs; mais l'œuvre principale de
son zèle fut la rédemption des captifs d'Afrique : souvent on la vit distribuer le pain de l'instruc-
tion religieuse à ces infortunés.
Elle rendit sa sainte âme à Dieu, le 4 des ides de mai 1490, emportée par une maladie cruelle,
dont elle supporta les douleurs avec une patience invincible.
Innocent XII, sur le rapport qui lui fut fait des miracles et de la réputation de sainteté de la
bienheureuse Jeanne, permit aux églises de Portugal et aux Frères Prêcheurs de célébrer, chaque
année, l'anniversaire de son entrée dans le repos éternel.
Sainte Jeanne est la patronne d'Aveiro. Les Bollandistes donnent sa vie et reproduisent son
portrait authentique dans leur Appendice, au 12 mai. On la représente soit en habit séculier, soit
en habit religieux ; dans ce dernier cas, une couronne d'épines est placée sur sa tête et un cru-
cifix dans sa main.
Propre de Portugal et A A. S S., trad. nouv.
SAINT HYGIN, PATRON DE LEGTOURE (Epoque incertaine).
Génie ou Hygin est honoré solennellement à Lectoure comme un des principaux Patrons de
cette ville. D'après sa vie, écrite par son auteur ancien à la vérité, mais non contemporain, et que
MARTYROLOGES. 505
Bernard de la Guionie a recueillie, il parait qu'il était né d'une illustre famille, qu'il était orné de
toutes les vertus chrétiennes, et doué d'une éloquence merveilleuse, que ses travaux apostoliques
amenèrent à la foi un grand nombre d'idolâtres ; que, pour cela, il fut en butte aux persécutions,
mais qu'il se sauva par un miracle en suite duquel trente soldats, envoyés pour le prendre, em-
brassèrent eux-mêmes la foi de Jésus-Christ. Il y avait, anciennement à Lectoure, une église et un
monastère de Saint-Génie. L'emplacement en fut donné, en 1076, à saint Hugues, abbé de Cluny.
Propre de Tarbes.
Xffl" JOUR DE MAI
MARTYROLOGE ROMAIN.
A Rome, la dédicace de l'église de Sainte-Marie-aux-Martyrs (Notre-Dame de la Rotonde), que
le bienheureux pape Goniface IV, après avoir purifié ce vieux temple dédié à tous les dieux qu'on
appelait le Panthéon, consacra en l'honneur de la bienheureuse Marie, toujours Vierge, et de tous
les martyrs, du temps de l'empereur Phocas. Vers 611. — A Constantinople, le bienheureux Mucius,
prêtre et martyr, qui, sous l'empereur Dioclétien et le proconsul Laodice, endura d'abord, à
Amphipolis, beaucoup de peines et de tourments pour la confession de Jésus-Christ, fut ensuite
conduit à Byzance où il eut la tète tranchée. 211. — A Héraclée, sainte Glycère, martyre, native
de Rome, qui fut exécutée sous l'empereur Antonio et le président Sabin J0 162. — A Alexandrie,
plusieurs saints Martyrs, que les Ariens massacrèrent en haine de la foi catholique, dans l'église
de Saiut-Théonas. 372. — A Maëstricht, saint Servais, évêque de l'église de Tongres, dont la
Providence divine fit voir le mérite à tout le monde, en ce que la neige, qui couvrait en hiver tout
le pays d'alentour, ne tomba jamais sur son tombeau, jusqu'à ce que le zèle des habitants eut
construit dessus une basilique. — En Palestine, saint Jean le Silenciaire. — A Valladolid, saint
Pierre Régalati, confesseur, de l'Ordre des Frères Mineurs, restaurateur de la discipline régulière
dans les couvents d'Espagne, et mis au rang des Saints par le pape Benoit XIV 2. 1456.
MARTYROLOGE DE FRANCE, REVU ET AUGMENTÉ.
A Auxerre, saint Marcellien, évêque et confesseur, successeur de saint Pérégrin. Vers 314. —
A Soissons, saint Onésime, évêque, qui compensa en sa personne le défaut du martyre par les
rigueurs d'une incroyable pénitence. Son corps a été transféré à Douai avec celui de sainte Gurdi-
nelle. Fin du ive s. — A Poitiers, sainte Agnès, abbesse de Sainte-Croix, et sainte Disciole,
religieuse du même monastère, qui l'ont honoré l'une et l'autre par leur innocence, leur pureté
virginale et leur sainteté exemplaire. vi» s. — A Coincy, en Tardenois, dans le diocèse de Sois-
sons, sainte Rastragène, vierge et martyre, dont on ne connaît que le culte qui était autrefois
rendu à ses reliques dans l'église du prieuré de ce lieu. — A Villiers-la-Poterie, entre Fosses et
Marchienne-au-Pont, dans le doyenné de Bouvines, près de Namur, sainte Rollande, Dolende ou
Rolleinde, fille d'un prince français nommé Didier, qui, a estimant toutes choses comme balayure
en dehors de l'amour de Jésus-Christ », résolut d'aller se cacher dans le monastère de Sainte-
Ursule, à Cologne, pour ne pas épouser un prince d'Ecosse. Elle mourut en route dans la chau-
mière d'un charitable paysan. On invoque la sainte Patronne de Villiers contre la gravelle et la
colique. VIIe s. — Dans l'Ordre de Saint-Dominique, la mémoire du vénérable Thomas, dit de
Cantipré, premièrement chanoine régulier dans l'abbaye de ce nom, puis religieux dominicain et
évêque suffragant de Cambrai, célèbre par sa piété et ses écrits. — A Bayeux, la fête de saint
1. Les Grecs, chez lesquels le culte de sainte Glycère est très-célèbre, lui adjoignent Laodice, son
geôlier, qu'elle convertit.
2. On le peint présentant du pain aux pauvres et montrant le crucifix, parce que l'aumône lui était
une occasion de prêcher Jésus-Christ.
50G 53 mai.
Marcoul ». — A Séez, la fête de saint Sérénic, dont le décès est marqué le 7. — A Antun, la fêle
de saint Flavien ou Flavius, évêque de Châlons-sur-Saôue. 595. — A Auch, la fête de saint
Génie, dont le décès est marqué le 3 mai. On le nomme aussi Hygin 2. — A Viviers, la fête de
saint Andéol, dont le décès est marqué le 1er de ce mois. — A Auxerre, la fêle de saint Ilellade,
mentionné le 8 de ce mois au martyrologe romain. — A Orléans, la fête de saint Sigisuiond,
nommé le 1er de ce mois au martyrologe romain.
MARTYROLOGES DES ORDRES RELIGIEUX.
Martyrologe des Basiliens. — A Constantinople, saint Germain, évèque, de l'Ordre de
Saint-Basile.
Martyrologe des Cisterciens. — Saint Pierre, martyr, dont la naissauce au ciel est le 29 avril.
Martyrologe des Dominicains. — A Crémone, le bienheureux Albert de la ville d'Ogna, au
territoire de Bergame, du Tiers Ordre de Saint-Dominique, illustre par ses miracles, dont l'inhu-
mation eut lieu le 7 de mai.
Martyrologe des Franciscains. — A Valladolid, saint Pierre Bégalati, confesseur, restaurateur
de la discipline régulière dans les couvents d'Espagne et mis au rang des Saints par Benoit XIV.
Martyrologe des Carmes. — Saint Kérée, saint Achillée, sainte Domitille, vierge, et saint
Pancrace, dont l'Eglise fait mémoire la veille de ce jour.
Martyrologe des Augustins. — La fête de la bienheureuse Vierge Marie du Secours.
Martyrologe des Servîtes. — Sainte Catherine de Sienne, dont la naissance au ciel est le
30 avril.
Martyrologe des Hiéronymites. — Saint Pie V, inscrit au martyrologe le 5 mais ; mais sa fête
se célèbre aujourd'hui dans notre Ordre.
ADDITIONS FAITES D'APRÈS LES BOLLANDISTES ET AUTRES HAGIOGIUPHES.
A Drizipare, en Thrace, saint Alexandre, soldat romain, martyr sous le règne de Maximien. —
A Ascoli, d'ans la Marche d'Ancône, en Italie, saint Christantien, martyr, qu'on invoque contre la
grêle et les tempêtes. — A Côme, en Italie, sainte Dominique, vierge, sœur de saint Agrippin,
évêque de cette ville, avec qui elle fut ensevelie. vi° s. — A Synnadare, en Phrygie, saint Pausi
caque, évèque. vu' s. — A Milan, saint Natalis ou Noël, archevêque. 751. — A Constantinople,
saint Serge, confesseur, mort en exil, durant la persécution des Iconoclastes. — En Irlande, saint
: Moëldod, abbé. — A Villamagna, près de Florence, le bienheureux Gérard, solitaire, du Tiers
Ordre de Saint-François s. — A Foligno, en Italie, le bienheureux Antoine le Hongrois, du Tiers
Ordre de Saint-François. 139S. —A Côme, la bienheureuse Madeleine Albriquc, abbesse de Brunat,
de l'Ordre des Ermites de Saint-Augustin. 1465.
SAINT SERVAIS, ÉVÈQUE DE TONGRES
384. — Pape : Saint Damase. — Empereur d'Occident : Valentinien II.
Ma profession est de croire, aimer et servir Dieu
Réponse de saint Servais aux Huns.
On ignore l'origine de saint Servais. Haribert, abbé de Lobbes, qui a fait
l'abrégé de sa vie, dit seulement qu'il était de grande naissance, qu'il fut
élevé avec beaucoup de soin, et que sa conduite se sentit toujours de la
noblesse et de la générosité de son sang. D'autres auteurs, rapportés par
Chapeau ville, disent qu'il naquit, sur les frontières de Perse, d'une famille
juive apparentée à sainte Anne, mère de la sainte Vierge ; qu'il fut amené à
Tongres par un Ange ; que, ne parlant qu'une langue, il était entendu de
toutes sortes de nations; que son abstinence était si admirable, que sou-
I. Voyez le 1er mai. — 2. Voyez le 12 de ce mois- — »• > u«* »- joui auiwuit.
SAINT SERVAIS, ÉVÊQUE DE TONGRES. 507
vent il ne vivait que de la sainte Eucharistie ; qu'il posséda aussi îa grâce des
guérisons ; les malades qui pouvaient ou le toucher, ou avoir des restes de
sa table, ou même boire de l'eau dont il s'était lavé les mains, étaient as-
surés de leur guérison.
Son zèle pour la foi catholique parut principalement en trois conciles.
Le premier fut celui de Cologne, célébré l'an 346, où il fit condamner et
déposer l'évoque de la môme ville, coupable de l'hérésie des Ariens : il est
vraisemblable que cet évoque, condamné pour hérésie, fut, non pas Eu-
phratas, comme l'ont cru quelques auteurs , mais son prédécesseur. Les
termes dont usa saint Servais, en opinant dans le concile, sont si importants,
qu'ils méritent bien d'être rapportés :« Je sais certainement», dit-il, « ce que
ce faux évêque a enseigné ; je n'en parle pas par ouï-dire, mais pour l'avoir
moi-même entendu. Comme nos églises étaient voisines, je me suis souvent
opposé à sa fausse doctrine lorsqu'il niait la divinité de Jésus-Christ. Je l'ai
fait non-seulement en particulier, mais aussi en public, en présence d'Atha-
nase, évêque d'Alexandrie, et de plusieurs prêtres et diacres; mon avis est
qu'il ne peut être évêque des chrétiens, et que ceux qui auront des commu-
nications avec lui ne pourront porter le nom de chrétiens ». Dans ces pa-
roles, il parle de saint Athanase comme d'un témoin fidèle des blasphèmes
de cet évêque, parce que ce saint Patriarche, ayant été exilé à Trêves, de-
puis 336 jusqu'à 338, avait pu aisément l'entendre à Cologne ou en quelque
autre lieu voisin.
Le second concile, où saint Servais fit éclater sa foi et son zèle pour la
vérité orthodoxe, fut celui de Sardique : on y confirma la consubstantialité
du Verbe éternel avec son Père, que le concile de Nicée avait définie, et
saint Athanase, le plus généreux défenseur de cette consubstantialité, y fut
absous de toutes les calomnies que les Ariens avaient forgées contre lui. Ce
concile fut tenu l'an 347. Enfin, le troisième concile fut celui de Rimini,
célébré l'an 359, où notre Servais, assisté de saint Phœbade, évêque d'Agen,
résista, avec un courage intrépide et une force merveilleuse, à la puissance
et à la malice des ennemis de la foi, sans craindre ni l'exil, ni la faim et la
soif, ni la prison, ni même la mort dont il était menacé. Il est vrai qu'après
une longue résistance, il fut enfin trompé par les Ariens, qui lui firent si-
gner une formule qui, paraissant tout à fait orthodoxe, avait néanmoins un
sens hérétique dont ils se prévalurent ensuite; mais cette surprise ne fit que
l'animer davantage contre eux; et, lorsqu'il fut revenu en France, il tra-
vailla avec un zèle infatigable à en bannir leur hérésie et à y faire régner la
foi orthodoxe, que Saturnin, évêque d'Arles, et Paterne, évêque de Péri-
gueux, avaient entrepris de ruiner.
Dans l'intervalle qui sépara ces deux conciles, le tyran Magnence, qui
avait eu part au meurtre de l'empereur Constant, et s'était fait proclamer
empereur en sa place, connaissant le mérite incomparable de saint Servais,
et combien il avait de force et d'éloquence pour persuader ce qu'il voulait,
l'envoya, avec un autre évêque, nommé Maxime, vers l'empereur Cons-
tance, frère du défunt, pour ménager un accommodement avec lui et lui
faire agréer qu'il conservât la pourpre et qu'il fût associé à l'empire ; mais l'é-
vénement nous fait voir qu'ils n'obtinrent pas ce que Magnence souhaitait;
ils n'avaient d'ailleurs entrepris ce voyage que par force, et pour empêcher
que ce tyran ne tourmentât les églises s'ils lui refusaient ce bon office.
Pendant que saint Servais, après le concile de Rimini, travaillait à main-
tenir la foi catholique dans son diocèse et à en bannir le vice, qui attire
l'hérésie, Dieu lui fit connaître que les Huns, peuple barbare et cruel, en-
503 13 mai.
treraient bientôt dans les Gaules et que, parmi beaucoup d'autres villes, ils
saccageraient et détruiraient celle de Tongres. Celte révélation le remplit
d'une extrême douleur; néanmoins, la prenant d'abord plutôt comme une
menace qu'on pouvait détourner par les prières et par les larmes, que
comme une prédiction absolue et inévitable, il monta en chaire, exhorta
son peuple à la pénitence, afin d'arracher les verges de la main du Tout-
Puissant. Il s'offrit aussi lui-même en sacrifice pour ses enfants, et, par des
austérités et des gémissements continuels, il tâcha de rendre Dieu propice à
un peuple pour qui il avait la tendresse d'une mère. Mais, voyant que le ciel
était inflexible et que tous ses soupirs ne l'attendrissaient point, il résolut
de faire un voyage à Itome pour intéresser plus efficacement les apôtres
saint Pierre et saint Paul à la protection de sa ville. Il y alla donc, et passa
plusieurs jours en jeûne et en oraison auprès de leurs tombeaux. Il pria
aussi pour la ville de Metz, parce que saint Auteur, qui en était évêque, et
qui ne put pas l'accompagner dans ce voyage, l'avait conjuré, dans son
passage par sa ville épiscopale, d'intercéder pour elle aussi bien que pour
celle de Tongres. Saint Pierre apparut à Servais et lui dit « que l'arrêt
irrévocable était donné contre le pays des Gaules; les Huns y descendraient
et y saccageraient les villes et les provinces ; celle de Tongres serait enve-
loppée pour ses crimes dans cette inondation ; mais saint Etienne avait si
puissamment intercédé pour celle de Metz, dont Auteur était évêque, qu'on
lui avait encore pardonné pour cette fois; pour lui, il ne verrait poinL les
maux dont son pays était menacé : il devait s'en retourner promptenient,
préparer les choses nécessaires à sa sépulture, se retirer à Maastricht et y
attendre la volonté de Dieu ». On dit que le prince des Apôtres lui donna
aussi pour gage de son affection, et pour assurance de ce qu'il lui disait, une
clef d'argent, faite de la main des Anges, qui a depuis opéré beaucoup de
miracles. Mais il y a des auteurs qui croient que la clef que l'on appelle de
saint Servais, lui fut donnée par le Pape, et que c'est une de ces clefs où
Ton mettait un peu de limaille des chaînes de saint Pierre, et que les Papes
donnaient par dévotion aux pèlerins illustres qui venaient à Rome. C'est
une conjecture qui a quelque vraisemblance; mais, n'étant appuyée de
nulle preuve, elle ne peut être aussi forte que la tradition des églises de
Maëstricht et de Liège, qui porte que cette clef est un présent de saint
Pierre. En revenant de Rome, il tomba entre les mains des Huns qui rava-
geaient déjà l'Italie. Ils le jetèrent d'abord dans une basse fosse, pendant
qu'ils délibérèrent entre eux sur ce qu'ils en feraient; mais Dieu, qui n'a-
bandonne jamais ses serviteurs et qui descend avec eux dans les cachots les
plus obscurs, fit paraître au milieu de la nuit, dans cette prison, une si
grande lumière, que ces barbares, étant épouvantés, se crurent trop heu-
reux de délivrer leur prisonnier et de le mettre en liberté. Il en convertit
même quelques-uns, parce qu'une splendeur merveilleuse qui parut sur son
visage, et un aigle qui le couvrit d'une de ses ailes durant son sommeil et
le rafraîchit du mouvement de l'autre, leur fit connaître que le Dieu qu'il
adorait était le Maître et le souverain Seigneur de toutes choses.
Lorsqu'il fut en liberté, il se remit en chemin et traversa l'Italie et les
montagnes de la Savoie. Dans les Vosges il fit sourdre miraculeusement une
fontaine, dont il étancha sa soif, et qui servit depuis à la guérison de plu-
sieurs malades. Saint Auteur, évêque de Metz, l'étant venu joindre à.
Worms, il se transporta dans sa ville pour y annoncer au clergé et au
peuple ce qu'il avait appris à Rome par l'apparition de saint Pierre. Il leur
déclara donc que leur punition était différée; mais qu'ils devaient mériter
SAINT SERVAIS, ÉVÊQUE DE TON'GRES. 509
cette grâce et éloigner de plus en plus de leurs murs l'indignation de Dieu
et la rigueur de ses châtiments par la pénitence et par le changement de
leurs mœurs.
Quand il arriva à Tongres, ses diocésains l'y reçurent avec une joie in-
croyable. Mais cette joie se changea bientôt en un torrent de larmes lors-
qu'il leur fit connaître l'arrêt irrévocable que Dieu avait porté contre eux.
Leur douleur augmenta beaucoup lorsqu'il leur dit qu'il était obligé de les
quitter et de passer en une autre ville pour y trouver la paix du tombeau.
Ils l'environnèrent, comme autrefois les fidèles d'Ephèse et de Milet avaient
environné saint Paul, pour le conjurer de ne les point laisser orphelins. Mais
quoique son cœur fût attendri par les pleurs de ses enfants, il ne put pas se
dispenser d'obéir à l'ordre de Dieu. Il sortit donc de Tongres, emportant
avec lui ce qui était nécessaire pour sa sépulture. On dit qu'il emporta
aussi les ossements sacrés de ses prédécesseurs et de quelques autres saints
personnages, honorés d'un culte public dans son diocèse, afin qu'ils ne
fussent pas exposés à la profanation des barbares, et que les diocésains qui
se réfugieraient à Maëstricht, après la ruine d? Tongres, y trouvassent par
leur moyen une longue et continuelle protection. Ces Saints, qui l'avaient
précédé, sont : saint Valentin, saint Navite, saint Marcel, saint Métropole,
saint Séverin, saint Florence et saint Martin. Avant de partir, il avait guéri
une partie des malades de la ville ; les autres furent réservés pour recevoir
la santé après sa mort par l'attouchement de son corps.
Il ne fut pas longtemps à Maëstricht sans voir l'effet de la prédiction de
saint Pierre. A peine eut-il placé décemment les saintes reliques qu'il avait
apportées de Tongres, marqué le lieu de sa sépulture et fait ses dernières
dispositions, qu'étant à l'autel, où il célébrait les divins Mystères, il fut
averti par un Ange du jour et de l'heure de son décès. Une fièvre le saisit
aussitôt, et, au bout de trois jours, après avoir reçu les derniers Sacrements,
exhorté son peuple à la crainte de Dieu et prié instamment pour son salut,
il mourut paisiblement, au milieu d'une grande splendeur qui l'environna.
Ce fut sur les trois heures de l'après-midi, qui est l'heure de None, le 13 mai
de l'année 384.
Son décès fut accompagné de plusieurs miracles : un Ange descendit du
ciel et apporta un voile de soie dont il le couvrit. On entendit dans l'air une
musique céleste, célébrant les victoires qu'il avait remportées sur les puis-
sances de l'enfer. Tous les malades de Maëstricht et ceux de Tongres, qui
assistèrent à son convoi, furent guéris. Enfin, il fit de si grands miracles, que
sa mémoire fut rendue célèbre dans toutes les Gaules. Il fut enterré près du
pont de la Digue publique, et l'on remarqua que la neige ne couvrit jamais
sa pierre tumulaire, quoiqu'elle tombât en abondance partout alentour. Le
martyrologe romain n'oublie pas ce prodige, rapporté par saint Grégoire
de Tours.
La même année, les Huns firent irruption dans les Gaules et saccagèrent
la ville de Tongres, qui ne put jamais se relever entièrement de ce désastre.
Notre Saint n'eut de successeur que cent ans après, lorsque saint Itemi,
après le baptême de Clovis, rétablit les églises de Flandre et les pourvut de
pasteurs. Celui qu'il donna à Maëstricht et à Tongres fut saint Agricole,
qui, par un respect singulier pour saint Servais, fit bâtir une église sur son
sépulcre. En 581, saint Monulphe en fit bâtir une autre bien plus magni-
fique, en son honneur, dans laquelle il transporta son corps, comme le dit
saint Grégoire de Tours, dans le livre de la Gloire des confesseurs. Saint
Hubert, après la célèbre victoire de Charles-Martel sur les Sarrasins (732),
510 13 mai.
le jour de saint Servais, fit une nouvelle translation de ses précieuses dé-
pouilles. On trouva son corps entier ; le visage étant découvert, parut si
resplendissant, qu'il remplit de lumière tout le caveau. On trouva aussi la
clef qu'il avait apportée de Rome, avec le voile que les anges avaient mis
sur lui après son décès. On le transféra dans une châsse d'argent doré, et
on le plaça au-dessus du grand autel. Depuis, l'empereur Othon l'avait fait
transférer à Quedlimbourg, dans une église dédiée sous son nom ; mais il
fut bientôt rapporté dans la ville de Maëstricht, on il a fait de très-grandes
merveilles.
L aigle qui employa ses ailes en guise d'éventail pour rafraîchir le Saint
pendant son sommeil ; l'ange qui le conduit d'Arménie ou de Perse dans
la Gaule Belgique ; la clef que lui remit saint Pierre, ou que lui aurait sim-
plement donnée le Pape ; un dragon qui expire près de lui, symbole de
ses luttes contre l'arianisme ; une fontaine qu'il fait jaillir sous son bâton
pastoral ; la mitre qu'il reçoit de la main d'un ange ; la neige qui respecte
son tombeau, tandis qu'elle en recouvre les alentours, sont autant d'attri-
buts qui ont servi à caractériser saint Servais dans l'art populaire.
Saint Servais est l'un des trois Saints de neige : les deux autres sont saint
Mamert, 11 mai, et saint Pancrace, 42 mai. L'expérience a constaté que
quelle que soit la température antérieure, elle s'abaisse en l'un de ces trois
jours : on n'a pas encore expliqué scientifiquement ce phénomène; mais
les jardiniers au courant de leur métier se gardent bien de sortir les plantes
de serre chaude, par exemple, avant la fête de saint Servais.
En plusieurs endroits, on invoque saint Servais contre le mal de jambes
(même des animaux), pour le bon succès des entreprises ; contre les rats et
les souris.
Tons les martyrologes latins font une honorable mémoire de saint Servais. Sa Vie a été écrite, comme
nous l'avons dit, par Haribert, abbé de Lobbes. Gilles, moine d'Orval, y a fait quelques additions. Jean
Chapenuville, chanoine de Liège, les a insérées dans son premier tome des Gestes des évèques de Tongres,
de Maastricht et de Liège. Le Père Gilles Buchère. jésuite, a fait une dissertation sur l'histoire des mêmes
évêques, où, dans le chapitre 4, il examine la chronologie de saint Servais, et les autres difficultés qui
se trouvent dans ses Actes. Elle est a la fin du même tome de Chapeauville.
SAINT JEAN LE SILENCIAIRB, ÉVÈQUE
454-558. — Papes : Saint Léon le Grand; Félage Ier. — Empereurs d'Orient : Marcien;
Justinien 1er.
Celui qui sait garder sa bouche et sa langue, épargne
à son âme bien des angoisses.
Prov. xki. 23.
Saint Jean naquit àNicopolis, en Arménie, le 8 janvier de l'an 454, sous
l'empire de Marcien, prince très-religieux. Encrace, son père, et Euphé-
mie, sa mère, comptaient parmi leurs aïeux des généraux d'armées et des
gouverneurs de provinces. N'étant pas moins pieux qu'illustres, ils élevèrent
Jean dans la crainte de Dieu. Ils moururent lorsqu'il n'avait encore que
dix-huit ans. Devenu possesseur d'une fortune considérable, notre Saint la
consacra à de pieux usages; il bâtit à Nicopolis une église en l'honneur
de la sainte Vierge, et un monastère dans lequel il se renferma avec dix
SAINT JEAN LE SILENCIAIRE, ÉVÊQUE. 511
personnes animées de la même ferveur, qui se consacrèrent entièrement à
Dieu sous sa conduite.
Ses premiers soins furent de mortifier son corps par la tempérance et
d'abaisser son esprit par une véritable humilité, sachant que c'était par elle
que l'on pouvait conserver la pureté du corps et de l'esprit, sans quoi on
ne peut rien faire dans les exercices de la vie spirituelle. Il s'appliqua aussi
fort exactement à bien régler sa langue, ayant appris de saint Jacques que
« celui qui croit être pieux, et néanmoins ne retient pas sa langue, n'a
qu'une piété vaine et imaginaire ». Il gouverna vingt ans cette petite com-
munauté de serviteurs de Dieu avec tant de prudence, que, sans les charger
de beaucoup d'austérités, il avait soin de donner à leur corps et à leur es-
prit des occupations qui les rendissent dignes d'une si sainte vocation.
Cette sage conduite fit bientôt connaître le mérite et la sainteté de Jean;
c'est pourquoi après la mort de l'évêque de Colonie, dans le patriarcat de
Constantinople, les habitants de ce diocèse supplièrent l'archevêque de
Sébaste, leur métropolitain, de leur donner pour pasteur ce saint abbé, qui
était déjà prêtre. Ce prélat, qui connaissait sa vertu, le fit venir sous un
autre prétexte, et le sacra évêque, quelque résistance qu'il apportât. Cette
nouvelle dignité ne changea rien à sa manière de vivre, et il continua de
pratiquer, dans Tépiscopat, ce qu'il avait pratiqué dans son monastère. Il
y fit toujours les mêmes prières et les mêmes mortifications, afin de con-
server inviolablement la chasteté de son corps et la pureté de son cœur. On
remarque qu'il ne voulut jamais se servir de bains, si ordinaires en ce
temps-là, mais qui auraient alarmé ses yeux pudiques, pour ne point se
voir lui-même. L'exemple de sa vertu toucha Pergame, un de ses frères, et
Théodore, un de ses cousins, qui tous deux avaient des emplois honorables
à la cour de l'empereur. Ils menèrent une vie sainte au sein des honneurs
et des richesses. Mais Jean ne reçut pas la même consolation de son beau-
frère Pasinique, gouverneur d'Arménie. Cet homme, quand sa femme fut
morte, n'eut plus aucun égard pour le saint prélat : il mettait même le
trouble dans son diocèse, empêchait les ecclésiastiques de s'acquitter de
leur ministère, et violait le droit d'asile dont jouissaient les églises. Jean
employa d'abord, pour désarmer son oppresseur, les prières et les remon-
trances, qui furent inutiles. Il alla alors à Constantinople porter ses plaintes
l'empereur Zenon, dont il obtint justice. Mais craignant pour l'avenir de
nouveaux embarras, il résolut de renoncer à son évêché : il s'embarqua à
ïinsu des prêtres et des autres personnes qui composaient sa suite, et passa
à Jérusalem pour y vivre inconnu. Il se logea d'abord dans l'hôpital de
Saint-Georges, martyr, pour y servir les pauvres vieillards qui y étaient en-
tretenus, et que, pour ce sujet, on appelait Géronocomion, et par abrévia-
tion Gérocomium.
Saint Jean demeura là quelque temps, priant sans cesse Notre-Sei-
gneur, avec larmes, qu'il daignât lui faire connaître sa volonté, et lui
découvrir un lieu propre pour ne s'occuper qu'à l'ouvrage de son salut.
Comme il passait une nuit en oraison et levait les yeux au ciel, il aperçut
une étoile d'une admirable clarté, en forme de croix, entendit une voix qui lui
dit : Si tu veux le sauver, suis cette lumière. Il obéit à ces paroles, et, sortant à
l'heure même, il suivit cette étoile qui le conduisit en Palestine, au monastère
de Saint-Sabas, appelé la Grande-Laure : ce lieu était rempli de cellules sépa-
rées où vivaient cent cinquante solitaires. Leur chef, saint Sabas, reçut le
bienheureux Jean, sans connaître ses mérites, ni sa dignité, et dit à l'éco-
nome de lui donner une des charges qui dépandaient de la sienne. Le nou-
512 13 mai.
vel ermite s'en acquitta dignement, rendant à cet économe et à tous les
autres Pères une parfaite obéissance, exécutant tout ce qu'on lui comman-
dait avec humilité, avec promptitude et avec joie; il allait chercher de l'eau
dans le torrent; il faisait cuire les provisions nécessaires pour les ouvriers
qui bâtissaient; il travaillait lui-même comme un manœuvre. Il eut ensuite
la charge de recevoir les hôtes; le Saint les servait comme il eût servi Jé-
sus-Christ lui-même. Dans cette place si dangereuse, même pour les plus
parfaits, son âme demeura toujours dans le recueillement : tout le monde
admira sa modestie, sa douceur, sa charité. Ensuite, Sabas lui fournit les
moyens d'avancer dans les exercices de la contemplation en lui permettant
de vivre dans une cellule séparée des autres. Il y demeura trois ans sans
être vu de personne durant les cinq premiers jours de chaque semaine. Le
samedi et le dimanche, il allait à l'église, où il entrait toujours le premier
et n'en sortait que le dernier : là, avec une crainte respectueuse, une mo-
deste gravité et une piété fervente, il chantait les psaumes selon la Règle.
Sa componction était si grande, que lorsqu'on offrait le divin Sacrifice, il
répandait une grande abondance de larmes; les Pères ne pouvaient assez
admirer ce don qu'il avait reçu de Dieu. Au bout de trois ans, il fut établi
économe de laLaure; il s'acquitta si bien de cette charge, que l'on voyait
sensiblement que Dieu versait ses bénédictions sur cette communauté par
son ministère.
Enfin, saint Sabas trouvant dans le bienheureux Jean un religieux par-
fait et d'une vertu éminente, voulut le faire ordonner prêtre, ne sachant
pas qu'il le fût. Il le mena pour ce sujet à Jérusalem, au saint patriarche
Elie ; lorsqu'on fut arrivé à l'église du Mont-Calvaire, où Jean devait rece-
voir les ordres, il demanda au patriarche un entretien secret : l'ayant ob-
tenu, il lui dit. qu'il était évêque, et qu'il s'était retiré dans la solitude pour
y faire pénitence de ses péchés et y attendre la miséricorde de Dieu. Le
patriarche, admirant la vertu de Jean, lui promit le secret, et, appelant
saint Sabas, il lui dit que ce solitaire lui avait déclaré des choses qui l'em-
pêchaient de l'ordonner; les deux solitaires retournèrent, Jean, dans sa cel-
lule, et l'abbé, dans une caverne éloignée de trente stades ! de la Laure où,
pleurant amèrement devant Dieu, il lui dit : « Pourquoi, Seigneur, avez-
vous permis que je me sois trompé en la personne de Jean, îejugeant digne
de la prêtrise, tandis qu'il ne mérite pas de servir vos autels? » II passa la
nuit à gémir ainsi. Un ange lui apparut le matin et lui dit: « Sabas, con-
sole-toi, Jean n'est pas un vase inutile : c'est, au contraire, un vase d'élec-
tion; mais celui qui est déjà évêque ne peut pas être ordonné prêtre ». Il
serait difficile de décrire quelle fut la joie de saint Sabas quand il apprit ce
secret, et avec quel respect il alla aussitôt trouver son bienheureux disciple
dans sa cellule. Notre Saint le supplia de ne rien dire à personne de ce que
Dieu lui avait découvert, parce qu'autrement il le contraindrait de se reti-
rer : et le saint abbé le lui promit.
Notre bienheureux demeura ensuite quatre ans renfermé dans sa cel-
lule, sans parler à personne, excepté une fois que le patriarche Elie, étant
venu faire la dédicace de l'église du nouveau monastère de la Laure, sous
le nom de la très-sainte Vierge, voulut le voir et l'entretint quelque temps
avec une extrême satisfaction. La sédition de quelques moines ayant obligé
saint Sabas à quitter sa Laure en 503, notre Saint, qui ne voulait pas rester
avec ces rebelles, s'enfuit dans le désert de Rube. Il y passa neuf ans dans
1. 5 kilomètres 548 mètres 66 centimètres, s'il s'agit du stade olympique; 6 kilomètres 390 mètres, s'il
s'agit du stade oriental basé sur le pied philéte'rien.
SAINT JEAN LE SILENCIAIRE, ÉVEQUE. 513
le silence, ne conversant qu'avec Dieu et ne vivant que de fruits et de ra-
cines sauvages. Rien ne put le décider à retourner dans sa Laure révoltée :
ni les prières des solitaires, ni la disette, ni le retour annuel de la fête de
Pâques, ni les invasions des Sarrasins dans son désert. Dieu récompensa sa
foi et sa constance : des inconnus lui apportèrent des vivres. Un lion, qui
rôdait autour de la caverne habitée par Jean, le préservait de l'approche
des Barbares.
Sabas fut rappelé pour gouverner la Laure, en 510; il alla aussitôt cher-
cher le Saint dans sa solitude et le ramena dans la communauté. Jean ren-
tra donc dans son ancienne cellule, où il continua, pendant quarante ans,
sa vie silencieuse et angélique.
Néanmoins, il ne refusait pas ses instructions aux personnes qui venaient
le consulter : de ce nombre était son biographe Cyrille, qui commença à
écrire la vie du Saint dès son vivant, lorsqu'il était âgé de cent quatre ans.
Il avait encore l'esprit très-vif et le visage gai. Dieu lui avait accordé le don
de prophétie et celui des miracles. En voici trois exemples rapportés par
Cyrille : « J'avais environ seize ans », dit cet auteur aussi savant que judi-
cieux, « lorsque j'allais consulter saint Jean, qui en avait alors quatre-
vingt-dix, sur l'état que je devais embrasser. Il me conseilla de me consa-
crer à Dieu dans le monastère de Saint- Euthy me. J'en choisis un autre
parmi ceux qui étaient situés sur le bord du Jourdain; mais je n'y fus pas
plus tôt arrivé, que j'y tombai malade. Mon état devenant plus dangereux,
je commençai à me repentir de n'avoir pas suivi exactement le conseil du
serviteur de Dieu. Il m'apparut pendant la nuit, et après m'avoir repris
avec douceur de mon attachement à mon propre sens, il me dit que si je
me rendais au monastère de Saint-Euthyme, j'y recouvrerais la santé. Je
me lève, je participe aux saints Mystères, je prends de la nourriture, je me
sens fort, je me mets en route à pied vers le monastère de Saint-Euthyme,
au grand étonnement de tous ceux qui savaient que j'étais malade ». A
partir de cette époque, Cyrille se conduisit toujours par les conseils de
Jean. Laissons-le nous raconter encore un miracle opéré par le Saint. « Un
jour que le serviteur de Dieu me communiquait, par la fenêtre de sa cel-
lule, la céleste doctrine, un homme, appelé George, lui amena son fils qui
était possédé du démon, et l'ayant mis devant sa fenêtre, se retira. L'en-
fant était là gisant et pleurant. Jean vit son état malheureux et fut touché
de compassion. Il pria pour lui, l'oignit d'huile bénite, et le délivra du
malin esprit ». Un seigneur, infecté d'hérésie, ayant été présenté à notre
Saint par un fervent chrétien, nommé Théodore, qui dit : « Mon Père, bé-
nissez-nous » ; Jean répondit : « Vous, Théodore, je vous bénis de grand
cœur; mais je ne puis bénir votre compagnon, tant qu'il ne renoncera pas
à l'hérésie ». Le seigneur, surpris et persuadé que ces circonstances ne pou-
vaient être connues de Jean que par révélation, se convertit. Le Saint le
réconcilia avec l'Eglise et lui donna la sainte Eucharistie.
Une cousine du converti, nommée Basiline, désirait ardemment conver-
ser avec le bienheureux solitaire; mais comme il ne recevait point les
femmes, elle cherchait par quel moyen elle pourrait obtenir cette faveur.
Le Saint l'ayant su par révélation, lui apparut pendant son sommeil, et lui
dit : « Me voici de la part de Dieu : si vous avez quelques conseils à me
demander, faites-le » . Il répondit, en effet, à toutes les questions que lui
fit Basiline; de quoi elle rendit de grandes grâces à Dieu.
Saint Jean mourut en S58.il avait passé soixante-seize ans dans le désert :
sa vie solitaire ne fut interrompue que par la courte durée de son épiscopat.
Vies des Saints. — Tome V. 33
814 13 mai.
Les attributs iconographiques de saint Jean le Silenciaire, sont le doigt
posé sur les lèvres pour indiquer son amour du silence; le lion et le crucifix
lumineux. Nous avons vu dans sa vie, qu'une étoile en forme de crucifix lui
apparut pour lui indiquer sa route. Quant au lion, on a vu également que
le roi des déserts s'était donné la mission de protéger le Saint contre les
Sarrasins.
Tiré de sa Vie écrite par le moine Cyrille. Cf. Godeau, Eloges des évéques illustres.
SAINT ONÉSIME, ÉVÊQUE DE SOISSONS (fin du rve siècle).
Onésime, contemporain de saint Hilaire de Poitiers et de saint Martin de Tours, ces illustres
pontifes qui jetèrent tant de gloire sur l'église des Gaules, imita leur zèle en travaillant à extir-
per de son diocèse les restes de l'idolâtrie qui avaient survécu aux efforts apostoliques des pre-
miers évèques, surtout dans les campagnes, dans les forêts et sur le bord des rivières où le culte
druidique conserva longtemps quelque empire. On peut même dire qu'il ne put jamais être telle-
ment aboli qu'il n'en restât quelque réminiscence dans les superstitions dont cerlaines fontaines et
pierres extraordinaires sont encore aujourd'hui l'objet. Du reste, pour transformer le culte idolà-
trique rendu aux arbres antiques, aux rochers par les anciens Gaulois, en un culte moins supersti-
tieux, les évêques y placèrent des reliques, y figurèrent des croix, ou y attachèrent la mémoire de
quelque Saint qui aura remplacé la divinité à laquelle ils étaient primitivement dédiés. Mais les
croyances druidiques, transportées dans les usages religieux et naïfs du peuple, lors de la diffusion
du christianisme, n'en demeurèrent pas moins fort entachées de superstition. On a vénéré de tout
temps ces grès énormes, ces pierres sacrées, qu'on voit près des églises, à Brétigny, à Neuilly-
Saint-Front, à Bitry, à Caisue. Ce sont, il est vrai, selon la croyance populaire, des saints qui y
ont touché, qui s'y sont reposés, qui y ont laissé l'empreinte de leurs pas comme sur la pierre
Saint-Martin, à Autrèches ; mais la confiance que l'on a en leur vertu, plus que problématique, ne
rappelle que trop les erreurs grossières de nos pères avant leur conversion à la foi. « Oncsime
s'appliqua donc à soumettre au joug léger de l'Evangile le pays soissonnais où dominait encore la
puissance du démon. Partout les autels des faux dieux sont renversés, et les temples païens dé-
truits ». Il administre le baptême à de nombreux néophytes et il fait, dans la vallée soisson-
naise, beaucoup de miracles nécessaires à la tendre enfance de cette Eglise naissante. Il
s'efforça aussi de la préserver de l'hérésie arienne qui avait gagné les Gaules. Les évèques gallo-
romains réussissaient d'autant plus dans leurs entreprises pour l'avancement du christianisme,
qu'ils étaieut mieux secondés par le pouvoir impérial. Julien l'Apostat avait bien essayé quelques
efforts pour la restauration du paganisme, mais, outre que ce culte absurde ne pouvait tenir aux
lumières de la foi, Théodose eut bientôt fait oublier ces tentatives passagères en décrétant la fe'
meture des temples et la proscription définitive du vieux culte agonisant (393-395.)
Onésime, comme son collègue Martin de Tours, joignait à la parole ardente d'un apôtre une
piété exemplaire, l'amour ou plutôt la passion des souffrances, le mépris des richesses et l'aver-
sion des plaisirs. D'une constitution faible et maladive, il savait dominer par la puissance de son
âme les infirmités d'un corps travaillé par la douleur. Il s'était voué à lui-même une haine qui fai-
sait de sa vie un martyre continuel. Sa mort fut si édifiante et si pleine de mérites que les fidèles
qui l'avaient regardé comme un Saint pendant sa vie, le canonisèrent d'une voix unanime après
son décès arrivé dans une extrême vieillesse, le 3 des ides de mai (13 mai), vers la fin du qua-
trième siècle. Il fut inhumé dans la chapelle de Saint-Georges située au cimetière de ce nom, dans
le fisc de Crouy. Selon l'historien de la métropole de Reims, le corps de saint Onésime fut, dans
la suite, transféré dans l'église du monastère qui s'éleva sur l'emplacement du domaine impérial
de Crouy et il y resta quatre-vingt-dix ans, après lesquels il fut conduit dans l'église de Saint-
Amand, de Douai, dont les moines, au Xe siècle, en donnèrent une partie au prieuré de Donchery,
près de Sedan, dépendant de l'abbaye de Saint-Médard.
En l'absence de tout monument historique, on peut conjecturer que ce fut saint Onésime qui
construisit, à la fin du ive siècle, vers 388, sur l'emplacement de l'ancien oratoire dédié à la
sainte Vierge, la basilique de Saint-Gervais et Saint-Protais, lorsque saint Ambroise ayant fait la
découverte de leurs précieuses reliques, en distribua, selon Grégoire de Tours, une partie eutre
plusieurs villes des Gaules et de l'Italie.
SAINTE AGNÈS ET SAINTE DISCIOLE, VIERGES A POITIERS. 515
Selon toutes les probabilités, cette basilique dédiée de temps immémorial à la sainte Vierge et
à ces deux Saints fut dès lors h Mère Eglise {Matrix Ecclesia),\e chef de la ville et de tout le
diocèse, celle où siégeait l'évèque dans sa chaire (cathedra), entouré de l'élite de son clergé,
la cathédrale, en un mot, dont il n'est fait une mention authentique qu'en 646 et qui parait avoir
toujours existé à travers toutes ses transformations architecturales, à l'endroit qu'elle occupe
aujourd'hui, dans la pure splendeur du grand style du moyen âge.
Extrait des Annales de l'Eglise de Soissons.
SAINTE AGNÈS ET SAINTE DISCIOLE, VIERGES A POITIERS (588).
Sainte A<rnès, la très chère fille, en Jésus-Christ, de sainte Radegonde, fut é!ev<^ auprès de
cette reine dès sa plus tendre enfance. Lorsque Radegonde se retira de la cour avec la permission
du roi, et se consacra à Dieu dans le monastère qu'elle fonda à Poitiers, Agnès la suivit dans cette
retraite. Ses progrès dans la perfection chrétienne furent tels que la reine, admirant ses vertus, la
vénérait comme sa maîtresse et comme sa mère, et qu'elle voulut se mettre sous sa direction avec
toutes les vierges des plus grandes familles qui affluaient au monastère. C'est pourquoi, avec le
consentement des sœurs et de tous les prélats de la province, Agnès reçut la bénédiction abbatiale
de l'évèque de Paris, saint Germain, que Clotaire avait amené avec lui à Tours et présenté à la
pieuse reine. Elle fit le voyage d'Arles avec sainte Radegonde, et adopta, pour le nouveau monas-
tère de Poitiers, la Règle dressée par saint Césaire pour une Congrégation de vierges que dirigeait sa
sœur Césane.
Agnès montra dans son gouvernement autant de prudence que de zèle, autant de fermeté que
de douceur. Elle eut bientôt deux cents religieuses sous sa conduite. Cédant enfin à ses instantes
prières, Mérovée, évêque de Poitiers, accepta la haute direction du monastère. Saint Fortunat,
qui monta depuis sur le siège de Poitiers, et qui exerça dans l'abbaye le ministère sacerdotal du
vivant d'Agnès et de sainte Radegonde, nous a laissé dans ses poésies de précieux témoignages
des vertus de la sainte abbesse. 11 la représente comme le modèle des vierges par sa fidélité au
céleste Epoux, comme l'exemple des abbesses par le zèle de ses devoirs, et ne parle d'elle que
dans les termes d'une pieuse vénération. Sainte Agnès s'envola dans le sein de la céleste béati-
tude le 13 de mai, l'an 588, neuf mois après sainte Radegonde ; elle fut ensevelie dans l'église
de Sainte-Marie, hors des murs, aujourd'hui de Sainte-Radegonde.
Parmi les religieuses que l'exemple et les entretiens de sainte Radegonde attiraient en grand
nombre dans le monastère gouverné par sainte Agnès, il y en eut une qui brilla d'une manière par-
ticulière par 60n humilité, sa modestie, la simplicité de ses mœurs, par l'observance attentive de
la Règle : ce fut la bienheureuse Disciole, nièce de saint Sauve, évêque d'Albi. Se sentant près
de mourir, elle dit à ses sœurs rassemblées auprès d'elle et qu'attristait l'attente de son dernier
soupir : « Retirez-vous un peu afin que je puisse reposer ». Elles la quittèrent donc, tout en ne
s'éloignant pas de sa cellule, et purent s'apercevoir des ardents désirs du ciel qu'elle exprimait
par ses ferventes aspirations. Après sa mort précieuse devant Dieu , son corps brilla d'un éclat
extraordinaire.
Les restes de sainte Agnès et de sainte Disciole furent déposés près du tombeau de leur mère,
déjà vénérée alors comme une Sainte, et qui les avait précédées de peu de temps dans la bien-
heureuse éternité. Placées, l'une à droite à cause de sa dignité d'abbesse ; l'autre à gauche de
l'illustre reine, elles semblaient consacrer ensemble, dans la crypte de l'église bâtie par elle, le
pieux souvenir de leur religieuse intimité. Là, toutes deux furent et sont encore l'objet des prières
et de la vénération des populations du Poitou, auxquelles viennent se joindre, chaque année, celles
de toutes- les provinces limitrophes, attirées vers elles par une confiance que d'éclatants miracles
ont justifiée mille fois. Souvent, sans doute, on puisa, dans ces deux tombes, de nombreuses
portions de ces reliques précieuses ; car, lors des réparations de la crypte et de son pourtour,
rendus, en 1854, à leur état primitif par les ordres de Mgr Pie ; quand il fut donné à celui qui
trace ces lignes de tirer de leur obscurité quatorze fois séculaire les deux cercueils de pierre qui
avaient renfermé les corps sacrés des saintes filles, on n'y trouva que d'assez rares fragments
mêlés à des débris d'étoffes de soie et d'or. Ce qu'il y avait d'insigne avait donc disparu par
quelques causes dont on n'a aucun souvenir; mais les derniers débris, dont l'authenticité fut alors
canoniquement reconnue, ne cessent pas de sanctifier par leur présence l'église souterraine, où
516 13 mai.
sainte Radegonde n'a plus aussi qu'une portion d'elle-même. A l'autel principal de la sainte reine,
fixé dans l'abside orientale de la crypte, deux autres ont été annexés et occupent chacun l'un des
deux autres bras de la croix : celui du nord, à droite de sainte Radegonde, consacré sous le vocable
de sainte Agnès ; celui du sud, sous celui de sainte Disciole. Ils recouvrent les sarcophages, et,
comme dans la primitive église, le saint sacrifice y peut être offert sur les restes vénérables des
amies de Dieu.
Propre de Poitiers, et M. l'abbé Anbert, chanoine, historiographe de Poitiers.
SAINT FLAVIUS, ÉVÊQUE DE CHALON-SUR-SAONE (vers 595).
Saint Flavius n'était pas moins distingué par ses vertus que par sa naissance '. La haute con-
sidération dont il jouissait, détermina saint Gontran, roi de Bourgogne, à le choisir pour son réfé-
rendaire ou chancelier. Il lui confia donc le sceau royal, et le soin de distribuer les aumônes. Cette
charge honorable demandait un homme juste, zélé, vigilant, ferme et charitable. Flavius réu-
nissait toutes ces qualités, et le choix de Gontran fit autant d'honneur au roi qu'à son ministre.
Après la mort de saint Agricole, en 580, le clergé et le peuple de Châlon élurent pour évèque
le pieux chancelier. On pensait que ses talents pour l'administration, et l'habitude de traiter
d'importantes affaires, lui faciliteraient l'exercice de la charge pastorale. Le roi de Bourgogne y
consentit, heureux de voir choisir un évêque parmi ses principaux officiers. Les historiens du
temps vantent l'éloquence de Flavius, forte et douce, également puissante à foudroyer le vice, et
à charmer les cœurs par les attraits de la vertu. Ce pieux évèque assista aux deux premiers con-
ciles de Màcon, en 581 et 585, au troisième de Lyon, en 583, et au second de Valence, en 584.
On le voit encore assister à Nemours, Nemptodurum, au baptême du jeune Clotaire, fils de Fré-
dégonde, avec jEtherius de Lyon et saint Syagre d'Autun.
Saint Flavius fonda ou du moins restaura l'abbaye de Saint-Pierre, en 584. Comme ce monas-
tère tient une grande place dans les annales de Châlon, il coaviant d'en retracer brièvement l'his-
toire. L'abbaye de Saint-Pierre était placée sur une éminence, au nord de la ville, dans un lieu
où un saint ermite avait élevé un oratoire près du cimetière public -. Détruite par les Sarrasins,
l'évèque Gilbold la rétablit en 887, sous la Règle de Saint-Benoît, et y choisit sa sépulture et
celle des chanoines. Elle fut fort endommagée par le feu du ciel, le 29 août 965. Riche et superbe
en ses bâtiments, elle était comme une forteresse entourée de murs et de fossés. L'abbé de Saint-
Pierre avait reçu de Clément V le droit de porter la crosse et la mitre. Les évèques de Châlon, à
leur première entrée, étaient défrayés à l'abbaye pendant un jour et une nuit; mais l'abbé les
obligeait à jurer la conservation des privilèges et exemptions du monastère.
Pillée par les Calvinistes, en 1562, elle fut, l'année suivante, changée en citadelle, par ordre
de Charles IX. Les moines dispersés, ayant refusé le château de Germoles, dans la crainte d'y
être insultés par les Huguenots, se réunirent en la commanderie de Saint-Antoine, dont la maison
leur fut adjugée par le roi. Mais sur l'opposition des Antonins, ils se retirèrent chez les Carmes.
Après avoir tenté en vain de s'unir au Chapitre de Saint- Vincent, ils bâtirent une église qui fut
consacrée par Poutus de Thyard.
Cette abbaye fut unie à la congrégation de Saint-Maur, en 1C62, sous l'abbé Claude Espiard.
Tous les religieux étaient nobles; ils avaient leur noviciat à Chapèze. Les Bénédictins, en 1G92,
jetèrent les fondements d'une nouvelle basilique, dédiée le 29 août 1713, par Mgr François Madot.
Elle sert aujourd'hui d'église paroissiale.
Saint Flavius mourut avant la fin du vi» siècle, et fut inhumé dans l'église de Saint-Pierre.
Relevé de terre par l'évèque Gilbold, il fut canonisé par Jean VIII, en 879. Son chef, que l'on
conservait à l'abbaye dans un reliquaire d'argent, fut profané et pillé par les Huguenots. Ces mal-
heureux iconoclastes enlevèrent aussi le chef de saint Loup, que l'on a retrouvé depuis, dix châsses
magnifiques où étaient les corps saints, les statues de Notre-Dame, de saint Jean-Baptiste, de saint
Jacques et de saint Loup, placées aux piliers qui soutenaient la voûte du chœur, et toutes cou-
vertes d'or fin et d'azur.
On trouve dans plusieurs anciens missels de France, et dans quelques missels autunois manus-
crits ou imprimés, antérieurs au xvn8 siècle, une hymne composée par saint Flavius de Châlon,
pour le lavement des pieds, le jeudi saint. Un coutumier très-ancien de l'église de Cluny affirme
1 Bréviaire et hist. de Châlon. — 2. Courtépée, t. iv, p. 473.
LE BIENHEUREUX ALBERT D'OGNA, HOMME DE PEINE. 517
que saint Flavius est réellement l'auteur de cette pièce intéressante qui commence par ces mots :
Tellus et œthra jubilant La Cène du grand Roi remplit d'allégresse les
In magni ccena principis. cieux et la terre...
Cette hymne entoure le fait évangélique de quelques embellissements poétiques, que la foi et
la piété expliquent facilement. — Sur un des chapiteaux de Saint-Lazare, comme dans cette hymne,
Jésus-Christ, lavant les pieds de saiut Pierre, est représenté assisté par des anges.
Note de SI. Devoucoux ; Légendaire d'Autun.
LE BIENHEUREUX ALBERT D'OGNA, HOMME DE PEINE (1279).
Ce saint homme naquit dans le treizième siècle, à Ville-d'Ogna, lieu du territoire de Bergame,
de parents qui étaient laboureurs et qui relevèrent très-chrétiennement Fidèle à correspondre aux
grâces qu'il recevait, Albert montra, dès sa première jeunesse, beaucoup d'attrait pour la piété.
N'ayant encore que sept ans, il jeûnait trois fois la semaine et distribuait aux pauvres les aliments
dont il se privait. Lorsqu'il fut capable de travailler, ses parents l'occupèrent au labourage ; il s'y
livra avee ardeur ; mais, tandis que ses mains cultivaient la terre, son esprit se nourrissait de la
méditation des vérités du salut, unissant ainsi dans sa personne, par un heureux accord, les fonc-
tions de Marthe et le repos de Marie. Fils respectueux et soumis, il s'engagea dans le mariage
par le conseil des auteurs de ses jours. Plus libre alors, il ne mit presque plus de bornes à sa
charité pour les pauvres, qu'il assistait généreusement en toute rencontre. Son épouse, moins par-
faite que lui, trouvait mauvais que ses aumônes fussent si abondantes, et plus d'une fois lui en fît
de vifs reproches; mais Albert supporta ce contre-temps avec patience et justifia sa conduite par
des prodiges. Un jour, entre autres, qu'il avait donné à des indigents le diner qui était apprêté
pour lui et sa famille, il le retrouva miraculeusement sur sa table.
Le serviteur de Dieu était propriétaire de quelques champs qui provenaient de l'héritage pa-
ternel. Des hommes riches et puissants lui en disputèrent la possession et finirent par l'en dé-
pouiller. Réduit à l'indigence, il fut obligé de renoncer au labourage et alla se fixer à Crémone,
où il gagnait sa vie par son travail. Quoique son nouvel état lui offrît à peine de quoi suffire à
ses besoins, il partageait encore avec les pauvres le peu qu'il gagnait à porter du vin, ce qui fai-
sait son occupation la plus ordinaire. Il continua aussi ses diverses pratiques de piété, prouvant
ainsi, par son exemple, que les devoirs de la religion peuvent aisément s'allier avec les travaux les
plus assidus et les plus fatigants, lorsque l'on cherche Dieu dans la sincérité de son cœur. Sa
dévotion le conduisit à Rome et à Saint-Jacques de Compostelle. Dans ces pèlerinages, il se livrait
au travail : lorsque les ressources lui manquaient et dès qu'il avait reçu son salaire, il se hâtait
d'en distribuer une partie aux indigents. Non content de les assister corporellement, il devenait
pour eux un apôtre, par le zèle avec lequel il les exhortait à la patience, à la confession de leurs
péchés et à une sincère conversion. C'était aux pauvres des hôpitaux qu'il s'adressait surtout, et
il essayait de les porter à la pratique de la vertu par ses exhortations charitables.
Le bienheureux Albert mourut à Crémone le 7 mai 1279 ', et fut enterré dans une des églises
de celte ville, où on lui rendit bientôt un culte public, qui a été approuvé par le pape Benoit XIV,
le 9 mai 1748. Il est honoré dans plusieurs villes d'Italie et chez les Dominicains, pafce qu'il en
avait embrassé le Tiers Ordre.
Entre autres merveilles que l'on raconte du bienheureux paysan Bergamasque et qui ont servi
à le caractériser dans les arts, on raconte qu'un prêtre, tardant à lui apporter le Viatique, une
colombe vola vers lui, tenant dans son bec une hostie pour le communier. On lui donne encore
pour attribut la faux : s'étant mis en route pour Rome, il vint à manquer d'argent et loua ses
bras pour la moisson. Ses compagnons de travail, jaloux de ce qu'il allait plus vite en besogne
qu'eux, placèrent une enclume dans l'herbe qu'il devait faucher ; mais il arriva que l'enclume fut
coupée comme une tige d'herbe, sans ébrécher la faux du saint homme. Enfin, on le représente
encore traversant d'une rive a l'autre du Pô, sur son manteau, parce que les bateliers lui avaient
refusé le passage.
Le bienheureux Albert est le patron des hommes de peine.
Voyez les Bollandistes, t. n de mai, et le Bréviaire dominicain, imprimé à Eome en 1771; Godescard
(édition de Bruxelles).
1. Les Bollandistes le font mourir en 1190, prétendant qu'il était contemporain et ami de saint Hom-
mebon ; mais, suivant l'opinion de Benoît XIV, la date de 11' 79 est la plus certaine.
518 14 MAI.
XIV JOUR DE MAI
MARTYROLOGE ROMAIN.
Le triomphe de saint Boniface, martyr, qui ayant souffert la mort sous Dioclétien et Maxi-
mien, à Tarse, en Cilicie, fut ensuite transporté à Rome et enterré sur la voie Latine. i\* s. —
En Gaule, saint Pontios, martyr, qui par sa prédication et son zèle convertit les deux césars
Philippe, à la foi, et remporta sous Valérien et Gallien la palme du martyre. 257. — En Syrie, les
martyrs saint Victor et sainte Codronne, exécutés sous l'empereur Antonin. Victor fut d'abord
tourmenté de plusieurs manières également horribles par le juge Sébastien. Couronne, femme d'un
soldat, admirant sa constance, se mit à le louer et à le proclamer bienheureux ; et en même
temps elle vit deux couronnes descendre du ciel, l'une pour Victor et l'autre pour elle, ce qu'elle
déclara hautement en présence de tout le monde : aussi le juge la fit démembrer entre deux
arbres, et fit couper la tète à Victor, n» s. — En Sardaigne, les saintes Justa, Justine et Héné-
dine l. n« s. — A Rome, saint Pascal, pape, qui tira des cryptes plusieurs corps des saints
Martyrs et les plaça honorablement dans différentes églises. 824. — A Ferentino, en Toscai.e, saint
Boniface, évèque, qui, au rapport de saint Grégoire, pape, commença dès son enfance à briller
par sa sainteté et par ses miracles. vie siècle. — A Naples, saint Pomponne, évèque*. Vers 536.
— En Egypte, saint Pacome, abbé, qui fonda plusieurs monastères en ce pays, et écrivit pour ses
moines une Règle qu'un auge lui dicta. 348.
MARTYROLOGE DE FRANCE, REVU ET AUGMENTÉ.
A Apt, en Provence, sainte Augie. vierge et martyre, dont on ne sait rien sinon que ses relique»
étaient autrefois en grande vénération à Apt et à Aix. Elle souffrit probablement sous les empereurs
païens. — A Clermont, en Auvergne, saint Aproncule, évêque, qui remplit dignement ce siège, que
saiut Sidoine Apollinaire venait de laisser vacant par sa mort. Né à Autun, il avait été aupara-
vant évêque de Langres, mais il en avait été chassé par une injuste persécution, que lui suscita
Gondebaud, roi arien des Burgondes. Gondebaud, soupçonnant le saint évèque de comploter un
soulèvement en faveur de Clovis, avait donné ordre à ses sicaires de l'assassiner. Aproncule se fit
descendre pendant la nuit du haut des murs de Dijon et s'enfuit à Clermont où Sidoine Apolli-
naire, mourant, le désigna pour son successeur. Il avait marché devant le Seigneur dans la paix
et la justice ; il avait détourné bien des âmes de l'iniquité, car les lèvres du pontife sont les
dépositaires de la science, et c'est de sa bouche que l'on doit entendre l'explication de la loi s.
488. — A Fonlcnclle, en Normandie, saint Erembert, évèque de Toulouse, qui mourut en ce
monastère, où il avait été longtemps religieux ; il était natif du village de Pecq, près de Saint-
Germain en Laye. 678. — Aux diocèses de Séez, de Chartres et de Blois, saint Gildéric ou
Joudry, solitaire4. — Au monastère de Saint-Bertin, le vénérable Godescalc, abbé de cette maison,
qui accueillit, avec de grandes marques de respect et de charité, saint Thomas de Cantorbéry, qui
abordait en France comme exilé. 1176. — En 1620, 1720, 1820, fête séculaire de Notre-Dame de
Gray, établie en mémoire du premier prodige opéré par la statue miraculeuse que possède cette
ville. La statue de Notre-Dame de Gray est faite avec du bois du célèbre chêne de Montaigu, en
Belgique. De 1620 à 1624, on compte plus de deux mille cinq cents miracles opérés à Gray : Marie
continue à se montrer favorable aux nombreux pèlerins et aux pieux fidèles qui vont encore la
visiter de nos jours. En 1849, le cardinal Matthieu consacra tout le diocèse de Besançon à Notre-
Dame de Gray, et le choléra cessa. La statue qui était, avant la Révolution, confiée à la garde de3
Capucins, est aujourd'hui dans l'église paroissiale. — A Saint-Léonard de Rubempré, au diocèse
d'Amiens, translation des reliques de saint Victorin, enfant martyr à Rome 5. 1846.
1. Sainte Justine et sainte Hénédine passent pour avoir été les suivantes de sainte Justa. Celle-ci
donna son nom à une ville autrefois épiseopale de l'île de Sardaigne oîi son culte était très-répandu.
2. Il fonda l'église de Sainte-Mavie Majeure, qui est encore de nos jours l'une des plus fréquentées do
Naples, et y fut enseveli,
3. Exode, ii. — 4. Voir sa Vie au Supplément. — 5. Voir au l" ma» note 1, page 158.
MARTYROLOGES. 319
MARTYROLOGES DES ORDRES RELIGIEUX.
Martyrologe des Basiliens. — Dans la ville de Saint-Laurent, en Calabre, saint Gérasime,
moine de notre Ordre.
Martyrologe des Chanoines réguliers. — A Cantorbéry, en Angleterre, le supplice de plu-
sieurs martyrs de l'Ordre des Chanoines réguliers, qui répandirent leur sang pour la foi de
Jésus-Christ.
Martyrologe des Franciscains. — A Favriano, dans la Marche d'Ancône, le bienheureux
François de Favriano, confesseur, de l'Ordre des Mineurs, prédicateur excellent, illustre par la
gloire de ses vertus et de ses miracles, qui s'envola au ciel le 22 avril : le pape Pie VI approuva
le culte qu'on lui rendait de temps immémorial.
Martyrologe des Mineurs conventuels. — Le bienheureux Gérard de Yillamagna, chevalier
de Jérusalem, du Tiers Ordre de Saint-François, illustre par son amour de la contemplation et de
la pénitence. 1267.
Martyrologe des Augustins. — A Florence, saint Antonin, évèque, de l'Ordre des Frères
Prêcheurs.
Martyrologe des Servîtes. — Saint Stanislas.
» Martyrologe des Hiéronymites. — Saint Pascal, pape.
Martyrologe des Frères Prêcheurs. — Le bienheureux Gilles de Saint-Irène ou Santarem.
ADDITIONS FAITES D'APRÈS LES BOLLANDISTES ET AUTRES HAGIOGRAPHES.
A Venise, la translation de saint Barbaro, martyr, apporté de Modon, en Grèce, dans cette
ville. Il souffrit sous Julien l'Apostat. — A Anvers, la translation de saint Claude, martyr, dont le
corps fut envoyé de Rome en cette ville, l'an 1656. — A Gênes, saint Ampèle, solitaire. Ve s.
— A Pérouse, saint Bevignat, moine et anachorète. Saint Bevignat est un de ces Saints si nom-
breux ignorés pendant leur vie et que Dieu s'est plu à glorifier après leur mort : un temple s'éleva
pour recevoir ses reliques, et la cathédrale s'honora d'en abriter une partie. Vers l'an 500. — A
Salerne, saint Bonose, évèque. — A Lismoria, en Irlande, saint Cartag. Disciple de saint Comgall,
il fonda, dans le West-Meath, le grand monastère de Ruithin qui devint la plus célèbre école de
Bciences et de piété qu'il y eût en Mande au vne siècle. Les persécutions d'un roi du voisinage
l'ayant obligé à prendre la fuite, il se retira après avoir gouverné quarante ans le monastère de
Ruithin, dans la province de Leinster, où il fonda un autre monastère à Lismoria dont il est regardé
comme le premier évèque. 637. — En Norwége, saint Halward, qui fut mis à mort dans un voyage
qu'il faisait en Gothland pour affaires commerciales, parce qu'il avait pris la défense d'une femme
injustement accusée de vol. La légende le dit cousin du roi de Norwége, saint Olaf. Il aurait donc
vécu vers l'an 1000. — A Santarem, en Portugal, le bienheureux Gilles, de l'Ordre des Frères
Prêcheurs. 1265. — En Angleterre, sainte Julienne de Norwich. Il est probable qu'on ne saurait
plus rien d'elle, s'il n'existait un livre où elle rend compte des révélations dont Dieu l'a favorisée.
Julienne dit, dans sa préface, « qu'elle n'était qu'une jeune fille ingénue, sans instruction et sans
expérience ». Dans ses prières, elle demandait surtout trois grâces : « D'éprouver une véritable
douleur de la passion de Jésus-Christ ; d'être atteinte d'une maladie corporelle, afin qu'elle pût
souffrir pour la gloire de Dieu ; de ressentir un désir de plus en plus intense d'être unie à Dieu ».
A l'âge de trente ans, elle tomba gravement malade. Tout le reste de sa vie se passa dans une
espèce d'agonie ou de léthargie, sans qu'elle reprit jamais ses sens. 1342. — A Ratisbonne, le
bienheureux Tuton, d'abord moine au couvent de Saint-Emméram, secrétaire de l'empereur Arnoul
et évèque de Ratisbonne. Conrad, qui succéda à Arnoul, étant venu à Ratisbonne, voulut enlever
le livre d'évangiles, orné de pierres précieuses, dont ses prédécesseurs avaient fait présent à l'église
épiscopale. Tuton dut céder devant la violence ; mais, en plaçant le livre sur l'autel, il dit : « Que
saint Emméram accuse, au jour de la justice, l'auteur de cette soustraction ». Le châtiment suivit
de près le crime. Dès que Conrad fut monté à cheval, il sentit de violentes douleurs dans le bas
ventre. Il fit aussitôt rendre le livre ; mais il emporta son mal jusque dans le pays des Francs où
il mourut. Quant à Tuton, il perdit, plus tard, la vue et fit tourner cette affliction à sou avantage
spirituel. 931.
520 14 mai.
SAINT BONIFACE, MAETYB,
IY« siècle. — Pape : Marcel. — Empereurs : Galère; Maximien.
Que cette histoire du martyr Boniface est profonde !
Comme on y sent cette divine nostalgie de l'âme qui
a exilé et qui veut revenir !
Ecoutez l'humble et forte réponse d'un pécheur. Par
faiblesse, transgressant la loi de Dieu, dans ses œu-
vres, il ne voulait pas du moins l'abjurer. On lui di-
sait : « Vous, et la plupart des vôtres, vous êtes
vaincus. Cette loi austère du Christ, elle est trop
dure aussi pour vous, et vous ne l'observez pas ». —
« Oui », dit-ii, « mais nous en gémissons, et nous
nous condamnons et nous obtiendrons de Dieu cette
grâce de ne point nous laisser ignorer que nous
avons besoin du martyre ».
Parfums de Rome, n, p. 271, éd. de 1867.
Au temps où Dioclétien, proclamé consul pour la quatrième fois, et
Maximien pour la troisième, gouvernaient le monde, il s'éleva une grande
sédition parmi les Gentils, à l'occasion de la persécution qui sévissait contre
les chrétiens. Il s'agissait de contraindre tous les vrais adorateurs du Christ
à courber la tête devant d'infâmes idoles. Les tyrans, de leur côté, avaient
choisi un des officiers attachés à leurs personnes, et l'avaient investi de tous
les pouvoirs ; c'était un juge cruel, astucieux et perfide, nommé Simplicius.
Ils l'envoyèrent en Orient, dans la ville de Tarse, métropole de la province
de Cilicie, avec la mission de faire subir un interrogatoire, en audience pu-
blique, sans distinction de sexe ni d'âge, à tous ceux qui confessaient le
nom du Christ. Il devait, en même temps, employer tous les supplices, pour
les faire promptement céder aux folles impiétés des empereurs.
11 y avait à Rome une femme opulente, nommée Aglaé. Elle était fille
d'Acace, personnage d'une illustre famille et qui, lui-même, avait été pro-
consul. Trois fois elle avait donné les jeux publics à Rome, et joui des hon-
neurs réservés au préfet de la ville. Elle avait sous sa main soixante-treize
intendants pour ses domaines, avec un chef au-dessus de cette armée, pour
la commander. Il se nommait Boniface ; c'était le complice de tous les dé-
sordres de sa maîtresse. Adonné au vin et à la débauche, il aimait tout ce
que Dieu déteste. Cependant il avait trois qualités excellentes : il était hos-
pitalier, généreux et accessible à la compassion. Si, par hasard, il rencon-
trait un étranger ou un voyageur, il l'invitait avec empressement et affec-
tion, et le servait lui-même. La nuit, il parcourait les places publiques et
les rues, distribuant des secours à tous ceux qui étaient dans le besoin.
Enfin, après de longues années, la dame romaine, touchée de la grâce
de Dieu, fit venir son intendant, et lui dit : « Boniface, mon frère, tu sais
en combien de crimes nous nous sommes plongés, sans avoir jamais réfléchi
qu'il faudra nous présenter devant Dieu, et lui rendre compte de tout le
mal que nous aurons fait en ce monde. Mais, aujourd'hui, j'ai entendu dire
à des chrétiens que, si quelqu'un assiste les Saints qui combattent et meu-
rent pour la gloire du Christ, il aura part à leur récompense, au jour ter-
rible des justes jugements du Seigneur. En même temps, j'ai appris que des
SAINT BONIFACE, MARTYR. 521
serviteurs du Christ combattent en Orient contre le démon et livrent leurs
corps aux tourments, pour ne point renier leur maître. Va donc, et apporte-
nous des reliques des saints Martyrs, afin qu'en les honorant et en leur
bâtissant des oratoires dignes de leurs combats, nous soyons sauvés par leur
intercession, nous et un grand nombre d'autres ».
Le serviteur prit aussitôt avec lui une grande quantité d'or pour acheter
des reliques de saints Martyrs, pour le distribuer aux pauvres en même
temps, et aussi pour honorer les saints martyrs : il se choisit douze chevaux,
trois litières et des parfums de toute sorte. Sur le point de partir, il dit
agréablement à Aglaé : « Maîtresse, si je trouve des reliques de saints Mar-
tyrs, je les apporterai ; mais si mes propres reliques vous arrivent, recevez-
les comme celles d'un Martyr ». Aglaé lui répondit : « Laisse là ton ivresse
et tes extravagances ; pars et n'oublie point que tu as à porter les reliques
des saints Martyrs ; et moi, malheureuse pécheresse, je t'attends bientôt.
Que le Seigneur, le Dieu de l'univers, qui a daigné prendre pour nous la
forme d'esclave et verser son sang pour le salut du genre humain, envoie
son ange devant toi, qu'il dirige tes pas dans sa miséricordieuse bonté et
qu'il accomplisse mon désir, sans égard à mes crimes ».
Boniface partit donc, et, sur la route, il se disait à lui-même : « Il est
juste que je ne goûte pas même aux viandes et que je ne boive pas de vin,
puisque, malgré mon indignité et mes crimes, je dois porter les reliques
des saints Martyrs ». Puis, levant les yeux au ciel, il priait ainsi : « Sei-
gneur Dieu tout-puissant, Père de votre Fils unique, venez au secours de
votre serviteur ; dirigez la voie par laquelle je dois marcher, afin que votre
saint nom soit glorifié dans les siècles des siècles. Amen » . Cette prière ter-
minée, il continuait sa route.
Après quelques jours de chemin, Boniface arriva dans la ville de Tarse :
il apprit qu'à ce moment-là même les saints athlètes du Christ combattaient
les glorieux combats du martyre, et il dit aux serviteurs qui l'avaient suivi :
« Mes frères, allez chercher une hôtellerie, et faites-y reposer les bêtes.
Moi, je m'en vais visiter ceux que mon cœur aime et désire surtout ren-
contrer » .
Il alla donc au stade où combattaient les saints Martyrs ; il les vit dans
les tortures. L'un était pendu la tête en bas, au-dessus d'un grand feu ;
l'autre avait les quatre membres attachés à des pieux qui les tenaient vio-
lemment écartés ; celui-ci était écrasé par des bourreaux qui l'étouffaient ;
on promenait sur celui-là un fer tranchant qui le déchirait ; à un autre on
avait coupé les mains ; un autre encore avait la gorge traversée par un
pieu qui était fiché en terre ; un dernier enfin, les pieds et les mains atta-
chés derrière le dos, était frappé à coups de bâton par les bourreaux. Tous
les spectateurs, à la vue de ces tourments, étaient glacés d'effroi. Que
dis-je ! l'enfer était vaincu, car les serviteurs du Christ combattaient géné-
reusement.
Boniface s'étant approché des saints Martyrs, leur donna à tous le bai-
ser ; ils étaient au nombre de vingt ; puis, élevant la voix : « Il est grand »,
s'écria-t-il, « le Dieu des chrétiens ; il est grand le Dieu des saints Martyrs!
Je vous en conjure, serviteurs du Christ, priez pour moi, afin que j'aie le
bonheur de devenir le compagnon de votre gloire, en combattant avec vous
contre le démon ». Puis, s'asseyant aux pieds des saints Martyrs, il embras-
sait leurs chaînes et les baisait en disant : a Courage, ô vous, les athlètes
du Christ et ses Martyrs ; combattez, foulez aux pieds le démon; encore un
peu de patience, la peine ne sera pas longue, et le repos est sans fin. Les
522 14 mai.
tortures sont peu de chose, quand la récompense est éternelle. Ici-bas votre
corps est déchiré par les bourreaux, mais au siècle à venir il sera servi par
les anges ».
Cependant le gouverneur, promenant ses regards sur la foule, aperçut
Boniface, et dit aussitôt : « Quel est cet homme qui ose parler ainsi, et
nous vouer au mépris, les dieux et moi? » Il le fit amener devant son tri-
bunal, et s'adressant à lui : « Dis-moi qui tu es, pour insulter à la sainteté
de mes jugements ». Boniface répondit : « Je suis chrétien, le Christ est
mon maître, et je te méprise, toi et ton tribunal ». Le gouverneur dit :
« Quel est ton nom? » Boniface répondit : « Je l'ai déjà dit : je suis chré-
tien ; mais si tu veux connaître le nom que le vulgaire me donne, je m'ap-
pelle Boniface ». Le gouverneur dit : « Avant que la torture te déchire les
flancs, approche et sacrifie ». Boniface répondit : «Je te l'ai déjà répété
plusieurs fois : je suis chrétien, et je ne sacrifie pas aux démons. Si tu veux
me punir, frappe ; mon corps est dans tes mains ».
A ce discours, le gouverneur, enflammé de colère, le fit suspendre, la
tête en bas, et fit promener sur tout son corps les ongles de fer; on le fit
avec tant de violence que toutes les chairs furent enlevées et les os mis à
nu. Mais le Bienheureux ne laissait pas échapper une parole ; ses regards
étaient fixés immobiles sur les saints Martyrs. Le gouverneur, enfin, le fit
détacher et remettre sur ses pieds : et après lui avoir laissé une heure de
relâche, il lui dit de nouveau : « Sacrifie, misérable, et prends pitié de ton
âme ». Le Bienheureux répondit : « Et toi-même, trois fois misérable, tu ne
rougis pas de me répéter sans cesse : Sacrifie ! Ne vois-tu pas que le nom
seul de tes vaines idoles m'est un supplice que je ne puis tolérer ? » Le gou-
verneur, furieux, ordonna d'aiguiser des roseaux et de les lui enfoncer sous
les ongles des mains ; mais le Saint regarda le ciel et souffrit en silence. Le
gouverneur, indigné de le voir insensible à ces tourments, commanda qu'on
lui ouvrît la bouche et qu'on lui versât du plomb fondu. Alors le bienheu-
reux athlète du Christ, levant les yeux au ciel, fit cette prière : « Je vous
rends grâces, Seigneur Jésus-Christ, Fils de Dieu; venez au secours de votre
serviteur et allégez mes souffrances ; ne permettez pas que je sois vaincu
par ce gouverneur sacrilège; vous savez que c'est pour votre nom que j'en-
dure ces tourments ». Et quand il eut fini sa prière, il cria aux saints Mar-
tyrs : « Je vous en conjure, serviteurs du Christ, priez pour votre serviteur ».
Les Saints lui répondirent tous d'une voix : « Notre-Seigneur Jésus-
Christ enverra son ange ; il te délivrera des mains de ce juge sacrilège et
dans peu il achèvera ta course, pour inscrire ton nom au rang des premiers-
nés ». Après qu'ils eurent ainsi prié et dit Amen, on entendit dans la foule
un long gémissement ; tous répétaient en pleurant : « Il est grand, le Dieu
des chrétiens ! il est grand, le Dieu des saints Martyrs! Christ, Fils de Dieu,
sauvez-nous ; nous croyons tous en vous ; c'est en vous que nous cherchons
notre refuge : anathème aux idoles des Gentils ». En même temps, le peuple
entier courait à l'autel, le renversait et voulait lapider le gouverneur. Celui-ci
se leva, effrayé du tumulte, et s'enfuit devant l'orage qui le menaçait.
Mais le jour suivant, dès le matin, il était assis d-e nouveau sur son tri-
bunal, et se faisait amener le Saint devant lui : « Misérable », lui dit- il,
« d'où te vient cette folie de vouloir mettre ton espérance dans un homme,
et un homme crucifié comme malfaiteur ? » Le Martyr lui répondit : « Tais-
toi, et n'ouvre pas tes lèvres impies pour nommer Notre-Seigneur Jésus-
Christ. Serpent cruel, tu enveloppes ton âme d'un voile ténébreux, tu as
vieilli dans les mauvais jours : anathème à toi ! Si Jésus-Christ, mon maître,
SAINT BONIFACE, MARTYR. 523
a supporté tous les tourments, c'est qu'il roulait sauver le genre humain ».
Le gouverneur, irrité, ordonna qu'on emplît de poix une chaudière, et,
quand elle serait bouillante, qu'on y jetât le Saint, la tête la première. Le
saint Martyr du Christ y fut en effet jeté ; mais il avait fait auparavant le
signe de la croix. Un ange du Seigneur descendit du ciel et toucha la chau-
dière. Elle se fondit aussitôt comme de la cire, à la première impression
du feu. Le Saint n'eut aucun mal, mais plusieurs des bourreaux furent
brûlés.
Le gouverneur, épouvanté de la puissance du Christ, et s'étonnant de la
patience du saint Martyr, le condamna à avoir la tête tranchée par l'épée.
La sentence était conçue en ces termes : « Il n'a point obéi aux lois des
empereurs; en vertu de notre pouvoir, nous voulons qu'il subisse la peine
capitale ». Aussitôt les gardes s'empressèrent de l'arracher du prétoire.
Le saint Martyr ayant fait de nouveau le signe de la croix, supplia les
bourreaux de lui donner quelques instants pour prier. Puis, se tenant de-
bout vers l'Orient : a Seigneur Dieu tout-puissant », disait-il, « Père de
Notre-Seigneur Jésus-Christ, venez au secours de votre serviteur ; envoyez
votre ange, et recevez mon âme dans la paix, afin que le cruel et homicide
serpent, dans sa rage, ne m'empêche pas d'aller à vous ; que je ne sois point
le jouet de ses séductions. Donnez-moi le repos dans le chœur des saints
Martyrs, et délivrez, Seigneur, votre peuple des tribulations dont l'acca-
blent les impies ; car à vous appartiennent la gloire et la puissance, avec
votre Fils unique et l'Esprit-Saint, dans les siècles des siècles. Amen ».
Quand il eut achevé cette prière, le bourreau lui trancha la tête ; à
ce moment, la terre fut ébranlée par une si violente secousse, que tout le
monde s'écriait : « Il est grand le Dieu des chrétiens ! » Et plusieurs crurent
au Seigneur Jésus-Christ.
Cependant les compagnons de Boniface le cherchaient partout : et ne
l'ayant point trouvé, ils commencèrent à se dire les uns aux autres : « Il est
maintenant dans un lieu de débauche ou dans un cabaret, à mener joyeuse
vie, tandis que nous nous tourmentons à le chercher ». Or, pendant qu'ils
raisonnaient ainsi, ils rencontrèrent par hasard le frère du geôlier, et lui
dirent : « N'avez-vous pas vu un étranger venant de Rome? » Il leur dit :
« Hier, un étranger a été martyrisé ; on lui a coupé la tête. — Et où est-il ? »
reprirent les autres. Il répondit : « Dans le stade ; c'est là qu'il a souffert.
Mais quel aspect avait-il ? » Ils dirent : « C'était un homme d'une forte sta-
ture, aux larges épaules, à la chevelure bien fournie ; il portait un manteau
d'écarlate ». Le frère du geôlier reprit: «L'homme que vous cherchez a
subi le martyre sous nos yeux ». Ceux-ci répondirent : « Non, l'homme que
nous cherchons est adonné au vin et à la débauche, et il ne fait rien qui
puisse lui mériter le martyre». L'autre dit : « Qu'avez-vous à craindre?
Venez jusqu'au stade ; vous le reconnaîtrez ».
Ils le suivirent donc jusqu'au stade, où il leur montra la dépouille mor-
telle de Boniface, étendu sans vie. Et ils lui dirent : « Nous t'en conjurons,
montre-nous sa tête ». Il les quitta aussitôt et leur rapporta la tête du Mar-
tyr. Cette tête fixa un regard sur ses anciens compagnons, et, par la vertu
de l'Esprit-Saint, dans ses traits se peignit un sourire. A cette vue, ses com-
pagnons l'ont reconnu, ils pleurent amèrement, et disent : a Ne vous sou-
venez pas de notre péché et du mal que nous avons dit contre vous, servi-
teur du Christ »; puis à l'officier : « C'est bien celui que nous cherchions ;
nous vous prions de nous le donner ». L'officier leur répondit : « Je ne puis
vous délivrer gratuitement ce cadavre ». Les compagnons de Boniface
524 *2 MAI.
payèrent à l'officier cinq cents pièces d'argent et reçurent, à cette condi-
tion, le corps du Martyr. Ils l'embaumèrent avec de riches parfums, et
l'enveloppèrent de linceuls d'un grand prix ; puis ils le mirent sur une
litière, et reprirent leur route avec joie, bénissant Dieu de l'heureuse fin du
saint Martyr.
Cependant un ange du Seigneur avait apparu à Aglaé, et lui avait dit :
« Celui qui était ton esclave est à présent notre frère ; reçois-le comme ton
maître, et donne-lui un lieu de repos digne de sa gloire. Par lui, tous tes
péchés te seront pardonnes ». Aussitôt Aglaé s'était levée : elle avait pris
avec elle des clercs pieux, et, tous ensemble, chantant des prières et por-
tant des cierges et des parfums, étaient venus au-devant des saintes reliques.
Elles furent déposées à cinquante stades de Rome, en un lieu où Aglaé fit
bâtir un oratoire digne des combats et du glorieux triomphe du Martyr.
Par la suite, les reliques de saint Boniface furent transportées au mont
Aventin, dans l'église qui porte le nom de Saint-Alexis. Les deux Saints sont
placés sous le même autel, le héros de la virginité angélique à côté du
héros de la pénitence, redevenu ange par le baptême du sang, angelicatus
homo.
Cependant Aglaé renonça au monde, elle distribua tout son bien aux
pauvres, aux monastères et aux hôpitaux, affranchit tous ses esclaves ; puis,
avec quelques-unes de ses filles qui, comme elle, voulaient renoncer au
siècle, elle se consacra au service du Christ. Le ciel honora son sacrifice;
elle reçut du Seigneur le pouvoir de chasser les démons et de guérir, par
ses prières, toute espèce d'infirmités. Elle vécut ainsi dans les exercices
de la vie chrétienne pendant treize ans, au bout desquels elle s'endormit
en paix.
Tels sont les actes des combats qui ont mérité la couronne de la victoire
à l'illustre martyr Boniface, pour la gloire du Père et du Fils et de l'Esprit-
Saint, dans les siècles des siècles. Amen.
Le Ménologe grec représente la décapitation de saint Boniface. L'attribut
de sainte Aglaé pourrait être un collier de perles qu'elle foule aux pieds.
Acta Sanctorum, 14 mal.
SAINT PACOME, ABBE
292-348. — Papes : Saint Caïus; saint Jules Ier. — Empereurs : Dioctétien et Maximien;
Constantin II, Constance II, Constant.
L'obéissance est le premier degré de l'humilité.
Règle de saint Benoit.
Pacôme naquit en 292, dans la Haute-Thébaïde, au sein de l'idolâtrie,
comme une rose au milieu des épines : car ses parents eurent beau l'élever
dans les superstitions du paganisme, il en eut comme une horreur instinc-
tive. Son estomac ne pouvait supporter le vin offert aux idoles. Un jour,
que ses parents l'avaient conduit aux sacrifices que l'on faisait pour obtenir
des oracles, sa présence empêcha les démons de parler.
A l'âge de vingt ans il fut enrôlé dans les troupes impériales. On l'em-
SAINT PACÔME, ABBÉ. 525
barqua, avec d'autres soldats, sur un vaisseau qui descendait le Nil. Le soir,
ils arrivèrent à Thèbes ou Diospolis, capitale de la Thébaïde. Il y avait dans
cette ville un grand nombre de chrétiens. Ces vrais disciples de Jésus-Christ,
qui cherchaient toutes les occasions de consoler et d'assister ceux qui
étaient dans la misère, eurent pitié des nouveaux soldats que l'on tenait
étroitement enfermés, et que, d'ailleurs, on traitait fort mal : ils leur pro-
diguèrent les mêmes soins qu'ils eussent prodigués à leurs propres enfants ;
ils leur distribuèrent tous les secours qui dépendirent d'eux. Pacôme ne
comprit rien à une pareille charité : il demanda quels étaient ces gens si
hospitaliers, et qui les poussait à être si bons envers des étrangers. On lui
dit que c'étaient des chrétiens, c'est-à-dire des personnes qui croyaient en
Jésus-Christ, fils unique de Dieu, et s'appliquaient à faire tout le bien pos-
sible aux autres, surtout aux étrangers, pour en être récompensés dans une
autre vie. Le jeune soldat sentit naître dans son cœur de l'amour pour une
religion si sainte ; la grâce l'éclairant, le touchant, son âme se dégagea peu
à peu des pensées terrestres ; il fit cette prière : « 0 mon Dieu, créateur
du ciel et de la terre, jetez sur moi un regard de pitié ; délivrez-moi de mes
misères ; enseignez-moi le moyen de me rendre agréable à vos yeux : tout
mon désir et toute mon étude seront de vous servir et d'accomplir votre
sainte volonté». A partir de ce jour, lorsqu'il se sentait attiré par les
attraits de la volupté, il résistait à cette tentation, en se souvenant qu'il
avait promis à Dieu de se consacrer à son service. La guerre finie, et les
soldats égyptiens congédiés, Pacôme retourna en son pays. Il se retira dans
un bourg de la Thébaïde, où les chrétiens avaient une église. Là, il se mit
au nombre des catéchumènes, et peu de temps après reçut la grâce du
baptême. Une vision, où il lui sembla qu'une rosée céleste tombait sur lui,
lui montra les effets de ce sacrement et lui inspira le plus vif désir de se
consacrer à Dieu. Ayant appris qu'un vieillard, nommé Palémon, servait
Dieu dans le fond du désert, il alla aussitôt le trouver et le pria de le rece-
voir comme son disciple.
Le solitaire lui représenta que la vie qu'il menait était dure et pénible,
et que plusieurs avaient déjà tenté inutilement de la suivre. Il lui conseilla
ensuite de faire l'essai de ses forces et de sa ferveur dans quelque monas-
tère ; et pour lui montrer qu'il n'était pas capable actuellement de vivre
avec lui, il lui dit : « Considérez, mon fils, que du pain et du sel font toute
ma nourriture ; l'usage du vin et de l'huile m'est inconnu. Je passe la moitié
de la nuit à chanter des psaumes ou à méditer les saintes Ecritures. Quel-
quefois il m'arrive d'être la nuit entière sans dormir ». Pacôme fut étonné,
mais non pas découragé. Il répondit qu'il se sentait assez de force pour
entreprendre tout ce qui pourrait contribuer à sa sanctification, et en même
temps il promit au vieillard de faire ce qu'il lui ordonnerait. Palémon,
charmé de cette réponse, ne balança plus ; il le reçut et lui donna l'habit
de solitaire. Ils menèrent ensemble la vie érémitique, c'est-à-dire une vie
de pénitence et de prière ; ils y joignaient le travail des mains, afin de ga-
gner de quoi vivre et assister les pauvres.
Pacôme, dans son oraison, qui était continuelle, demandait surtout une
parfaite pureté de cœur, afin qu'étant entièrement détaché des créatures,
il aimât Dieu de toutes ses affections. Pour étouffer jusqu'au germe des
passions, il se forma, avant tout, à la pratique de l'humilité, de la patience
et de la douceur. Souvent il priait les bras placés l'un sur l'autre en forme
de croix, posture qui était alors fort en usage dans l'Eglise. Au commen-
cement, il était sujet à s'assoupir pendant l'office de la nuit. Palémon
526 14 MAT.
le réveillait par ces paroles : « Veillez et priez, mon cher Pacôme, de peur
que l'ennemi ne triomphe de vous et ne vous enlève tout le fruit de vos
travaux ». Il lui ordonnait encore quelquefois de transporter du sable d'un
lieu à un autre, jusqu'à ce que l'envie de dormir fut entièrement passée.
C'était ainsi que le jeune novice se fortifiait dans l'habitude de veiller. Il
avait soin encore de s'appliquer tout ce qu'il lisait ou entendait lire d'édi-
fiant, et d'en faire la règle de sa conduite.
Palémon lui dit un jour de Pâques de préparer à dîner. Pacôme, ayant
égard à la grandeur de la solennité, assaisonna d'un peu d'huile et de sel les
herbes sauvages qu'ils devaient manger avec leur pain. Palémon fit sa
prière et se mit à table ; mais à la vue de l'huile, il se frappa le front, en.
disant avec larmes : « Mon sauveur a été crucifié, et je me flatterais au
point de manger de l'huile ? » Il ne put jamais se résoudre à en goûter.
Pacôme allait quelquefois dans un vaste désert nommé Tabenne, et
situé sur les bords du Nil1. Un jour qu'il y faisait son oraison, il enten-
dit une voix qui lui ordonnait de bâtir, à l'endroit où il était, un monas-
tère destiné à recevoir tous ceux qui y seraient envoyés de Dieu pour le
servir fidèlement. Vers le même temps, un ange lui donna, les uns disent
de vive voix, les autres par écrit, la Règle que devaient suivre ses religieux,
appelés depuis Tabennites. Etant retourné vers Palémon, il lui fit part de
ce qui lui était arrivé. Ils se rendirent l'un et l'autre à Tabenne, et y bâti-
tirent une petite cellule, vers l'an 325, environ vingt ans après que saint
Antoine eut fondé son premier monastère. Au bout de quelque temps,
Palémon retourna dans sa solitude et promit à son disciple de venir le voir
chaque année ; mais il y mourut peu de temps après. Il est nommé au Mar-
tyrologe romain sous le 14 janvier.
Le premier disciple qu'eut saint Pacôme, fut Jean, son frère aîné. Celui-
là étant mort, il lui en vint beaucoup d'autres, de sorte qu'il fut obligé
d'agrandir son monastère. Il se vit en peu de temps à la tête de cent
moines. Il portait presque toujours un cilice. Il fut quinze ans sans se cou-
cher, s'asseyant sur une pierre pour prendre le peu de repos qu'il accordait
à la nature ; encore se reprochait-il le court espace que lui emportait le
sommeil. Il eût voulu vaquer sans interruption aux saints exercices de
l'amour divin. Depuis sa conversion, il n'avait jamais fait un repas entier.
Par la Règle qu'il donna à ses disciples, le jeûne et le travail étaient pro-
portionnés aux forces de chacun. Ils mangeaient en commun et en silence,
ayant au réfectoire la tête couverte de leur capuchon, afin qu'ils ne pus-
sent se voir. Ce capuchon était fait de grosse toile, ainsi que leur tunique
qui n'avait point de manches. Ils se couvraient les épaules d'une peau de
chèvre blanche, à laquelle ils donnaient le nom de mélote. Ils communiaient
régulièrement le premier et le dernier jour de la semaine. Les novices
étaient sévèrement éprouvés avant de prendre l'habit, cérémonie qu'on re-
gardait alors comme profession monastique et qui était suivie de l'émission
des vœux. Saint Pacôme n'envoyait aux ordres aucun de ses religieux ; et
ses monastères étaient souvent desservis par des prêtres du dehors. Il rece-
vait toutefois les prêtres qui demandaient l'habit, et leur faisait exercer les
fonctions du ministère. Tous travaillaient ; mais il y avait diverses espèces
de travaux. Il n'y avait pas un seul instant qui ne fût occupé. On pre-
nait un grand soin des malades ; saint Pacôme les consolait et les ser-
vait lui-même. La loi du silence était si rigoureuse, que quand un moine
avait besoin de quelque chose, il ne pouvait le demander que par signes.
1. Au diocèse do Teatyrs ou Deaderaa, ville située entre la grande et la petite Uiospolis.
SAINT PACÔME, ABBÉ. 527
Lorsqu'on allait d'un lieu à un autre, on méditait sur quelque passage de
l'Ecriture, et on psalmodiait même en travaillant. Quand la mort enlevait
un des frères, tous les autres sollicitaient la miséricorde divine en sa fa-
veur ; on offrait aussi le saint sacrifice de la messe pour le repos de son
âme. Les personnes d'une santé faible n'étaient point exclues du monastère ;
le saint abbé recevait tous ceux qui donnaient de vraies marques de voca-
tion et qui montraient un grand désir de marcher dans la voie des conseils
évangéliques *.
Pacôme bâtit six autres monastères dans la Thébaïde, mais à peu de
distance les uns des autres. En 338, il choisit pour le lieu de sa résidence
celui de Pabau, situé dans la province de Diospolis et sur le territoire de la
ville de Thèbes. Ce monastère devint encore plus nombreux et plus célèbre
que celui de Tabenne. Le Saint, par le conseil de Sérapion, évoque de
Tentyre, bâtit aussi une église dans un village voisin, en faveur des pauvres
occupés à la garde des troupeaux. Il y fit quelque temps l'office de catéchiste.
Rien n'était plus admirable que la piété avec laquelle il lisait au peuple la
parole de Dieu. La conversion de plusieurs infidèles fut le fruit de son zèle.
Son évêque voulut inutilement l'ordonner prêtre ; son humilité lui fit tou-
jours refuser l'honneur du sacerdoce.
Saint Athanase avait un grand respect pour saint Pacôme, et il vint le
visiter à Tabenne, en 333. Pacôme, de son côté, révérait singulièrement
cet évêque, non-seulement à cause de ses éminentes vertus, mais encore à
cause de son attachement à la foi. Il avait, comme lui, beaucoup d'horreur
pour les hérésies, et il s'opposa dans toutes les occasions aux progrès de
ï'Arianisme.
Pacôme avait une sœur qui, aspirant aussi à la perfection, était venue
le voir en ce monastère : il lui envoya dire à la porte que les femmes ne
pouvaient entrer et qu'il devait lui suffire de savoir qu'il vivait encore. Ce-
pendant, lorsqu'il eut appris qu'elle désirait se consacrer à Dieu, il lui fit
bâtir, de l'autre côté du Nil, un monastère qui fut bientôt rempli de vierges
zélées pour la pratique de toutes les vertus. Rien de plus grave, de plus
saint, de plus touchant à la fois que les relations entre ces religieux et ces
religieuses. Personne n'allait visiter ces dernières sans permission, excepté
le prêtre et le diacre destinés à les servir, et qui n'y allaient que les di-
manches. Les religieux qui avale** quelques parents dans cette commu-
nauté, obtenaient la permission de les visiter, accompagnés d'un autre re-
ligieux des plus anciens et des plus saints. Ils voyaient d'abord la supérieure,
et ensuite leurs parentes en présence de la supérieure et des principales
religieuses, sans lui faire ni en recevoir aucun présent, et sans manger en
ce lieu. Quand il y avait quelque construction à faire chez les religieuses,
ou quelque autre service à leur rendre, les religieux y venaient, conduits
par quelqu'un des plus sages et des plus graves ; mais jamais ils ne man-
geaient ni ne buvaient chez elles, revenant toujours à leur monastère à
l'heure du repas. L'abbé envoyait aux religieuses du lin et de la laine, dont
elles faisaient les étoffes nécessaires pour elles et pour les religieux. Quand
une religieuse mourait, ses sœurs apportaient le corps jusqu'à un certain
endroit, où les religieux, en chantant, venaient le prendre, puis ils allaient
l'enterrer sur la montagne où était leur cimetière.
L'obéissance était la vertu que Pacôme conseillait le plus à ses religieux. Il
déposa deux procureurs de leur office, l'un parce qu'ayant trouvé du blé à
bon marché, il en avait acheté plus qu'il ne lui avait commandé ; l'autre
1. Saint Jérôme donua une traduction latine de la règle de saint Pacôme, que nous «Tons encore.
528 14 mai.
parce qu'il avait vendu des nattes plus cher qu'il n'en avait reçu l'ordre.
Dieu fît des miracles pour justifier cette conduite du Saint. Ayant remarqué
qu'un figuier tentait les religieux par ses beaux fruits, Pacôme ordonna de
le détruire ; néanmoins le jardinier, à force de supplications, obtint la
révocation de cet ordre ; mais un jour le figuier fut trouvé mort.
Il s'efforça aussi de maintenir dans sa communauté la pratique de la
patience et de l'humilité. Théodore, l'un de ses plus chers disciples, qui
lui succéda après sa mort dans le gouvernement de ses monastères, était
tourmenté d'un mal de tête continuel. Quelques frères ayant sollicité
Pacôme de demander à Dieu sa guérison, il répondit : « Il est vrai que
l'abstinence et la prière sont bien méritoires, mais la patience dans les
maladies l'est infiniment davantage ».
Un moine fit un jour le double de son ouvrage ordinaire, deux nattes
au lieu d'une, et les mit dans un lieu où il savait qu'elles seraient aperçues
par l'abbé. Pacôme les aperçut en effet, et devinant le motif du frère :
« Voilà », dit-il, « bien du travail et des peines pour le démon ». Il réprima
ensuite cette vanité par des humiliations salutaires. Le religieux fut encore
condamné à garder sa cellule pendant cinq mois, sans autre nourriture
qu'un peu de pain, de sel et d'eau.
Excepté cet article d'obéissance, pour lequel saint Pacôme était inexo-
rable, parce que c'est le soutien de l'état religieux, il avait en toute autre
chose beaucoup de douceur et de condescendance à supporter les faiblesses
et les défauts de ses frères. Un religieux, appelé Sylvain, ayant repris, peu
de temps après son entrée dans le monastère, les manières, le langage et
les goûts du monde, scandalisait toute la communauté; les plus anciens
supplièrent le saint abbé de lui ôter l'habit religieux et de le faire sortir du
monastère. Mais saint Pacôme fit tant par ses prières auprès de Dieu et par
ses douces et charitables remontrances, que ce religieux devint le meilleur
de la communauté, car il eut le don des larmes l'espace de huit ans, et
mourut comme un Saint. Pacôme protesta à tous les religieux qu'il avait
vu son âme monter au ciel, accompagnée d'une multitude innombrable
d'esprits bienheureux.
La mère d'un jeune novice, appelé Théodore, étant venue au monastère
pour en faire sortir son fils, en vertu de certaines lettres qu'elle avait
obtenues de quelques évoques, saint Pacôme dit simplement à ce religieux
qu'il allât trouver sa mère, puisque ica prélats l'ordonnaient ainsi. Théo-
dore lui repartit : a Assurez-moi donc, mon père, que je ne serai pas
repris au jugement de Dieu de cette visite que j'irai faire à ma mère ». Le
saint abbé, satisfait de ces paroles, ne pressa pas davantage son novice, et
cette résolution du fils profita si bien à la mère, qu'elle se fit elle-même
religieuse. Théodore mena une vie si fervente et si sainte, qu'il a mérité
d'être mis, après sa mort, au nombre des saints, dans le Ménologe des
Grecs, le 15 de ce mois.
Un autre religieux, brûlant d'un zèle indiscret de souffrir le martyre,
pria saint Pacôme de lui en procurer l'occasion. L'abbé fit ce qu'il put pour
lui ôter cette pensée ; il lui exposa que c'était une pure tentation, puisque
l'Eglise, jouissant alors de la paix, il ne fallait pas souhaiter qu'elle fût
troublée par les persécutions; néanmoins, voyant que ce religieux con-
tinuait à lui faire les mêmes instances, il lui dit enfin qu'il le satisferait,
pourvu qu'il eût le courage du martyre quand l'occasion s'en présenterait.
Deux jours après, il l'envoya chercher du bois dans la forêt, après lui avoir
réitéré ses avertissements. Ce téméraire y alla, plein d'une présomption qui
SAINT PACÔME, ABBÉ. 529
se changea bientôt en une lâche infidélité ; car des sauvages, qui demeu-
raient sur des montagnes voisines et sacrifiaient encore aux idoles, l'ayant fait
prisonnier, il fit bien paraître d'abord quelque résolution de vouloir souffrir
et mourir pour Jésus-Christ ; mais quand il les vit prendre les armes et l'en
menacer, il se rendit aussitôt et mangea de ce qui avait été immolé aux
idoles. Il échappa, par ce moyen, de leurs mains : mais il fut saisi d'un si
grand trouble de conscience, qu'il était près de tomber dans le désespoir,
si la douceur paternelle du saint abbé n'eût arrêté ses larmes et n'eût relevé
son courage par l'imposition d'une salutaire pénitence.
Les esprits des ténèbres attaquèrent et tourmentèrent saint Pacôme par
tous les artifices qu'ils emploient contre les grands saints. Ils entreprirent
d'abord de lui inspirer de la vanité : lorsqu'il sortait de la prière, ils venaient
en troupe, sous des figures humaines, au-devant de lui, et, faisant semblant
de l'applaudir, ils se disaient l'un à l'autre : « Place, place à l'homme de
Dieu ! » D'autres fois, pendant son oraison, ils se présentaient à lui en des
postures ridicules, afin de le distraire et de l'exciter à rire, et, quand il
prenait sa réfection, ils lui apparaissaient sous la forme de jeunes personnes
immodestes qui le priaient de les recevoir à sa table. Mais quoi que pussent
faire les démons, ils ne gagnèrent jamais rien contre ce serviteur de Jésus-
Christ; il conserva toujours la même gravité, le même calme, le même
recueillement, également insensible à leurs louanges, à leurs singeries, à
leurs séductions. Ils l'attaquèrent alors ouvertement, et souvent ils le fouet-
tèrent avec tant de cruauté, qu'ils laissèrent son corps tout couvert de
plaies. Un bon religieux, nommé Apollo, qui le venait voir, fut témoin de
ces sanglantes exécutions ; mais il l'encouragea et l'excita à la persévérance,
l'assurant, de la part de Dieu, que l'orage cesserait bientôt, ainsi qu'il
arriva. Dieu lui donna même un grand pouvoir sur les démons, ainsi que
sur les maladies. Un pauvre père lui amena une de ses filles, cruellement
tourmentée par un des esprits infernaux ; mais, comme il n'était point
permis aux femmes d'entrer dans le couvent, saint Pacôme demanda quel-
qu'un des habits de la possédée pour le bénir ; puis ayant su, par révélation,
que sa conscience était en mauvais état, il l'en fit avertir, et, après lui avoir
fait promettre de se corriger, il la guérit avec un peu d'huile bénite qu'il
lui envoya. Il délivra aussi un jeune possédé en lui faisant manger un
morceau de pain bénit. Une femme, affligée d'un flux de sang, supplia un
bon prêtre, nommé Denis, d'attirer, par occasion, le saint abbé dans son
église. Pacôme y alla, et cette malade s'étant approchée doucement de lui,
et ayant touché avec une grande foi le bord de sa robe, à l'exemple de
l'hémorrhoïsse de l'Evangile, elle se trouva aussitôt guérie. Un de ses reli-
gieux ayant été piqué d'un scorpion durant sa prière, sans néanmoins l'in-
terrompre, fut semblablement guéri, dès qu'il eut demandé la santé au saint
abbé.
La grâce de guérir les malades n'a pas été la seule dont Dieu ait favorisé
saint Pacôme ; il avait encore le don de prophétie, et celui de pénétrer les
secrets du cœur. S'entretenant un jour avec l'abbé Théodore, il l'avertit
que les frères chargés de la boulangerie, qui étaient obligés de garder le
silence, et de s'entretenir de saintes pensées pendant qu'ils faisaient les
pains destinés au saint sacrifice de la messe, s'amusaient néanmoins à cau-
ser : on vérifia cette infraction, qui était réelle, et elle ne demeura pas sans
punition. Une autre fois, il donna avis au Père Vicaire qu'un religieux, qui
dormait en sa cellule pendant l'exhortation, éprouvait une violente tenta-
tion ; en effet, il y succomba, et quitta aussitôt l'habit et la profession reli-
Vies des Saints. — Tome V. 34
530 M mai;
gieuse. Dieu lui fit connaître, dans une vision, l'état à venir de son Ordre :
que plusieurs s'y relâcheraient de l'étroite observance ; les imparfaits s'y
étant rendus les maîtres, on ne remplirait plus les charges que par politique
et par respect humain, et non par la considération des mérites et de la
capacité des personnes ; les meilleurs religieux et les plus dignes en étant
exclus, tout irait en décadence et tomberait dans un grand désordre.
Comme le saint homme s'affligeait extrêmement de tant de malheurs,
Notre-Seigneur lui apparut avec une couronne d'épines sur la tête, et le
consola. Pacôme en fit part depuis à ses religieux, dans une longue et
pathétique exhortation qu'il leur fit à ce sujet.
On pourrait ajouter à ces deux grâces gratuites, celle du don des lan-
gues : un religieux d'Italie l'étant allé trouver pour lui découvrir l'état de
sa conscience, le saint abbé ne le pouvait entendre, parce qu'il ne savait
que sa langue maternelle, qui était celle d'Egypte ; il eut recours à Dieu,
et lui fit cette prière : « Seigneur, si, faute de savoir les langues, je ne puis
aider les étrangers, pourquoi me les envoyez-vous ? Et s'il vous plaît que je
les serve, donnez-moi ce qui m'est nécessaire pour exécuter votre volonté ».
Il continua cette oraison l'espace de trois heures ; et à la fin, il reçut du
ciel une pleine intelligence et un parfait usage de la langue grecque et de
la langue latine.
Ainsi, Pacôme obtenait des miracles, non-seulement pour les autres,
mais encore pour lui-même. Il marchait sur les serpents et foulait aux
pieds les scorpions, sans en recevoir aucun mal ; et lorsqu'il lui fallait tra-
verser quelque bras du Nil, pour visiter ses monastères, les crocodiles se
présentaient à lui et le passaient sur leur dos. Enfin, toute sa vie n'a été
qu'un miracle continuel. En effet, n'est-ce pas une chose merveilleuse
d'avoir vécu si longtemps, presque sans manger, et absolument sans dor-
mir ; car, durant les tentations dont nous avons parlé, il demanda la grâce
à Notre-Seigneur de n'être point sujet au sommeil, afin d'être incessamment
sous les armes pour combattre l'ennemi. Ce qui n'est pas moins merveilleux,
c'est l'humilité avec laquelle ce vénérable vieillard recevait les remon-
trances des moindres novices. Un jour qu'il visitait ses monastères et tra-
vaillait aux nattes avec les autres, un jeune frère, s'aperce vant que saint
Pacôme ne les tressait pas selon la méthode ordinaire, lui dit librement :
« Mon père, vous ne faites pas bien ; l'abbé Théodore le veut d'une autre
façon. — Eh bien donc ! mon enfant, lui repartit doucement le Saint, mon-
trez-moi comment il faut le faire ». Et, l'ayant appris, il changea sa manière
de travailler.
L'an 348, la peste ravagea les monastères de saint Pacôme, et lui enleva
cent religieux. Il tomba lui-même malade après la fête de Pâques ; il était
extrêmement exténué et affaibli ; mais son visage demeura toujours gai et
comme brillant d'une sainte joie, qui faisait assez connaître la candeur et
la pureté de son âme. Deux jours avant son décès, il exhorta ses religieux à
la persévérance et à la pratique de ce qu'il leur avait enseigné. Il les avertit
surtout de fuir les hérétiques, particulièrement les Ariens, les Méléciens et
les Origénistes, et de ne converser qu'avec des personnes dont l'entretien
les pût édifier et porter à la perfection. Enfin, il les exhorta aussi à élire
pour leur supérieur, en sa place, un saint religieux appelé Pétronius, à qui
il recommanda, bien qu'il fût absent, toute la compagnie; ensuite il
aperçut son ange gardien auprès de lui, et, après l'avoir contemplé d'un
œil tout rempli d'allégresse, il fit le signe de la croix et rendit sa belle âme
à Dieu le 14 mai de l'an 348. Ses disciples passèrent la nuit dans le chant
SAINT PASCAL i", PAPE. 531
continuel des psaumes et des hymnes, et l'enterrèrent le jour suivant sur la
montagne, comme il l'avait ordonné.
On représente saint Pacôme sous un costume d'Ermite, recevant des
mains d'un ange le livre de sa Règle ; traversant le Nil sur le dos des cro-
codiles, etc.
Quant à saint Palémon, on le trouve dévidant des écheveaux ; ce qui se
fonde peut-être sur cette circonstance qu'il appliquait ses religieux à tisser
des cilices.
L'Ordre de Saint-Pacôme a subsisté en Orient jusqu'au xi" siècle.
La Vie de saint Pacôme a été écrite peu de temps après sa mort par un moine de Tabenne. Voir Ros—
weide, 1. 1<", p. 114; Papebroch, t. m, mal, p. 287; Tillemont, t. vu; Cellller, t. iv, édit. Vives; Hélyot,
t. I", édit. Migne.
SAINT PASCAL Ier, PAPE
824. — Roi de France : Louis le Débonnaira,
Pascal Ier fut élevé au souverain pontificat, malgré lui et malgré ses
résistances, deux jours à peine après la mort d'Etienne V, son prédéces-
seur, par les vœux unanimes du clergé, l'an de Notre-Seigneur Jésus-
Christ 817. C'était un homme d'une érudition universelle, mais surtout très-
versé dans les sciences sacrées ; il était d'une sainteté éminente, d'une rare
éloquence, d'une piété si tendre envers Dieu, et d'une charité si grande pour
le prochain, que son visage s'éclairait d'une sainte joie toutes les fois qu'il
distribuait aux pauvres les biens matériels de ce monde ; tandis qu'il em-
ployait les veilles, le jeûne, la prière à acquérir les biens spirituels de la
vie future.
Dès son enfance il avait été élevé dans le patriarcat de l'église de Latran,
sous les yeux des souverains Pontifes. Il fit de si grands progrès dans toutes
les vertus, dans les lettres et dans la discipline ecclésiastique, qu'après
avoir reçu les ordres sacrés, Léon III le mit à la tête du monastère de
Saint-Etienne. Là, il devint un modèle pour les religieux à la tête desquels
il avait été placé ; il recevait les pèlerins qui venaient en foule visiter les
tombeaux des Apôtres avec une bonté incomparable, leur fournissait tout
ce qui leur était nécessaire, et, à l'exemple du Sauveur, il leur rendait les
services les plus humbles. Ces preuves non équivoques de piété et de charité
le firent donc juger comme l'homme le plus digne de présider aux destinées
du troupeau de Jésus-Christ, et à celles de l'Eglise tout entière. Il ne lui
manquait rien de ce qui est nécessaire pour gouverner parfaitement la
barque de Pierre. Il sut conserver dans toute son intégrité, en Occident, la
discipline de l'Eglise, qui y était alors florissante. Quant à l'Eglise d'Orient,
que l'empereur Léon l'arménien et le patriarche intrus Théodore tenaient
dans un état continuel d'agitation par la propagation de l'hérésie des Ico-
noclastes, il la consola au moyen de ses lettres et des légats qu'il lui envoya.
Il donna aussi aux Grecs qui se réfugiaient à Rome le monastère de Saint-
Praxède qu'il avait fait bâtir, et le dota de riches revenus. Théodore, vou-
lant consolider son usurpation, envoya des députés au Pape pour l'engager
à le reconnaître ; mais Pascal ne se laissa pas surprendre par les ruses ni
532 ** mai.
intimider par les menaces ; il déclara qu'il ne reconnaissait pas d'autre
patriarche de Constantinople que le pasteur légitime saint Nicéphore, et il
condamna d'une manière solennelle les persécutions suscitées contre les
orthodoxes.
Le zèle que Pascal montra dans cette occasion et les embarras conti-
nuels que les hérétiques lui suscitèrent ne l'empêchèrent pas de songer à
étendre le règne de Jésus-Christ dans les contrées qui n'avaient pas encore
été éclairées des lumières de l'Evangile. Ebdon, archevêque de Reims,
ayant appris, à la cour de l'empereur Louis le Débonnaire, des députés du
Danemark, les rapports que Pascal avait eus avec les Danois, éprouva un
vif désir d'aller évangéliser ces peuples encore plongés dans l'idolâtrie. 11
se rendit à Rome, où le saint Pape le fortifia dans sa généreuse résolution
et lui donna des pleins pouvoirs pour la mission qu'il voulait entreprendre.
Voici un extrait remarquable des pouvoirs que Pascal lui donna. « Le
Pape, qui est chargé de veiller au salut de tous les hommes, a appris
que quelques peuples du Nord, privés du baptême et de toute connais-
sance du vrai Dieu, sont encore plongés dans les ombres de la mort. C'est
pourquoi il envoie son frère et collègue pour prêcher ces peuples et les faire
passer des ténèbres à la lumière. Si, durant l'accomplissement de ses fonc-
tions, il s'élevait quelque doute dans son esprit, qu'il s'adresse à Rome,
pour le voir lever (comme saint Boniface), et qu'il vienne puiser à cette
source pure de toutes les lumières *...»
Il transporta dans la ville un grand nombre de corps saints, qu'il retira
des cimetières, à l'exemple de Paul Ier, et d'après les révélations de sainte
Cécile qui lui indiquait le lieu où on les avait placés, il fit construire de
nouvelles églises, et il restaura et orna avec une grande magnificence les
anciennes. Il augmenta les biens assignés aux hôpitaux et aux monastères
de religieuses. Enfin, après avoir éteint une incendie par un miracle écla-
tant, il alla se reposer dans le sein de Dieu, la huitième année de son Pon-
tificat (824), et fut enterré dans la basilique Vaticane.
On s'accorde à reconnaître que les principaux du clergé de Rome, qui
s'appelaient cardinaux longtemps avant le pontificat de Pascal Ier, furent
publiquement décorés de ce titre sous son règne.
Voir Anastase le bibl., les Bollandistes, Baillet et Baroniui.
LE B. ÉGLDIUS OU GILLES, DE PORTUGAL
1190-1265. — Pape : Clément IV. — Rois de Portugal : Sanche II ; Alphonse III.
Seigneur, si vous tenez un compte exact de nos ini-
quités, qui pourra paraître devant vous.
Ps. CXXIS, 3.
Vers la fin du xn9 siècle, sous le règne de Sanche Ier, roi de Portugal,
vivait à la cour un seigneur du plus haut rang, conseiller de Sa Majesté,
gouverneur de Coïmbre, nommé don Rodrigue de Vagliaditos. Egidius, son
troisième fils, fut, selon l'usage de cette époque, destiné à l'état ecclésias-
tique dès son enfance, et ses parents l'envoyèrent étudier à l'université de
1. Voir Kruse, saiut Auschaire, page 2i5 et suir.
LE C. ÉËIDIUS OU GILLES, DE PORTUGAL. 533
Coïmbre ; il s'y distingua tellement par ses talents et son aptitude précoce
pour les sciences, que sa réputation parvint jusqu'aux oreilles du roi qui
dès lors lui donna de gros bénéfices, car Egidius se préparait à entrer dans
les ordres. Mais lorsqu'il fut dans sa riche abbaye, il profita de ses loisirs,
bien moins pour se livrer à l'étude des livres saints, que pour pénétrer de
plus en plus dans les sciences profanes. Tout le temps que les moines pas-
saient à chanter au choeur les louanges du Seigneur, s'écoulait pour lui
dans la bibliothèque où il avait entassé tout ce qui devait servir à ses plai-
sirs et à son désir d'apprendre. Mais voyant qu'il ne pouvait dans son pays
pénétrer dans les sciences humaines autant que son ambition l'y poussait,
il résolut d'aller à Paris pour étudier la médecine, car c'était là que se
trouvait la Faculté la plus renommée de toute l'Europe. Trompant donc la
confiance de son souverain et les désirs de ses parents, il partit de son
abbaye, dont il avait confié l'administration à un prieur, et se mit en route.
Depuis plusieurs jours il était en chemin, lorsqu'un matin, pendant que les
rênes flottaient sur le cou de son beau destrier et que son esprit caressait
de brillants rêves d'avenir, il fut accosté par un homme à la grande et
osseuse stature, aux lèvres qui ricanaient d'une façon sinistre, et dont les
yeux le considéraient avec l'expression de l'oiseau de proie qui fond sur sa
victime.
Le nouveau venu entama ainsi la conversation : « Je vois, don voya-
geur, que vous avez une longue route à faire? — Oui, répondit Egidius, je
me rends à Paris. — Et pour y étudier la médecine, si je ne me trompe?
— Egidius, surpris de voir cet inconnu au fait de ses secrets projets, s'écria :
Comment le savez-vous, je n'en ai parlé à personne. — Non, dit Satan, car
nos lecteurs ont déjà deviné que cet inconnu était le démon décidé à ten-
ter un dernier et décisif effort pour précipiter cette âme chancelante dans
l'abîme infernal, — non, mais je connais une science qui pénètre tous les
secrets, qui apprend à lire dans la pensée des autres et à cacher les siennes.
— Quelle est cette science? dit Egidius d'une voix ardente de désirs;
dites-le-moi, la savez-vous? pouvez-vous me l'enseigner, je veux l'appren-
dre! — Satan, voyant que le jeune homme allait succomber à la tentation,
laissa échapper un rire sardonique et dit : Cette science que je puis vous
apprendre, c'est l'alchimie. — Egidius trembla, un frisson parcourut ses
veines ; il se souvint des enseignements religieux de son enfance et de sa
jeunesse ; la pensée de renoncer au Christ lui faisait horreur. Mais Satan
voyant son hésitation ajouta d'une voix insinuante : Cette science vous
rendra l'homme le plus savant de toute la terre ; votre réputation deviendra
universelle et vous jouirez de plaisirs et d'honneurs dont vous ne pouvez
avoir la moindre idée — C'en est fait ! dit Egidius sucombant à cette ten-
tation d'orgueil, je suis prêt à devenir votre élève! »
A l'instant Satan le prit et l'emporta à travers les airs comme une paille,
puis il redescendit au milieu d'arides montagnes semées de précipices
béants. A l'approche de Satan un roc s'entr'ouvrit, et tous les deux entrèrent
dans une vaste caverne où gémissaient depuis bien des années une foule de
victimes de l'esprit infernal. Satan lui présenta alors, pour qu'il la signât
de son sang, une cédule sur laquelle étaient écrits ces terribles mots : Je
renonce au titre d'enfant de Dieu et je me soustrais à ses lois ; je renonce à
ma foi et je renie les vœux de mon baptême pour devenir l'esclave dévoué
de Satan qui, en retour, me fera avoir les plaisirs et les honneurs terres-
tres... Le malheureux Egidius ne recula pas à la vue de ces paroles impies,
il ne prit pas la fuite... il s'ouvrit une veine et les signa de son propre
534 44 MAI.
sang !... 11 commença dès lors son rude apprentissage sous le cruel maître
qu'il s'était donné. Pendant sept longues années, il resta renfermé dans l'af-
freuse caverne, occupé, nuit et jour, à apprendre, à la sueur de son front,
les secrets diaboliques. Il éprouva alors par lui-même combien le service
du Seigneur est plus doux que celui du démon ; mais l'endurcissement de
son cœur et le désespoir auquel il était en même temps en proie l'empê-
chaient de chercher à sortir de l'inique esclavage auquel il était livré.
Enfin, à l'expiration des sept années, il sortit de la caverne possédant plus
de science naturelle et surnaturelle que qui que ce soit ; toutes les forces
occultes de la nature lui étaient connues ; il savait des secrets et des en-
chantements que nul homme n'avait possédés avant lui et il s'en servait
pour assouvir ses inclinations perverses et ses coupables désirs.
Arrivé à Paris, il s'y distingua dans la Faculté de médecine bien plus
encore qu'il n'avait fait à Coïmbre ; et les cures merveilleuses qu'il opérait,
grâce à sa science diabolique, le faisaient passer à juste titre pour le plus
illustre docteur qui eût paru sur la terre. Mais il était devenu semblable à
ces sépulcres blanchis dont parle Notre-Seigneur, qui au dedans ne sont
que poussière et corruption : la science mondaine avait tué la foi en lui,
tout était vide et tristesse dans son âme et il eût pu dire avec Salomon :
« Vanité des vanités et tout n'est que vanité, hors aimer Dieu et le servir
seul ! » Au milieu de l'entraînement et de la fougue de ses passions, malgré
le tumulte du monde qui l'entourait et malgré les démons qui faisaient sa
société, il avait conservé, comme une précieuse épave dans un complet
naufrage, la dévotion à la sainte Vierge ; il la priait en secret, chaque jour
quelques Ave Maria montaient de son cœur sur ses lèvres, et il avait comme
un intime pressentiment que Marie le délivrerait. Car, au milieu de toute
cette pompe, de toutes ces richesses, des honneurs et de la gloire humaine
qui l'entouraient, Egidius était loin d'être heureux ; son front était sou-
cieux, une tristesse invincible pesait sur lui ; il éprouvait par lui-même
combien sont pesantes les chaînes que Satan forge pour ses serviteurs, et il
se rappelait souvent dans l'amertume de son cœur et pour les regretter ces
jeunes et pures années où il jouissait de la douce et sainte liberté des en-
fants de Dieu. Son âme, déviée de sa voie, se tordait dans d'inexprimables
angoisses, et tandis que beaucoup admiraient et peut-être enviaient la
splendeur attachée à son nom et sa vie luxueuse, on aurait pu l'entendre
s'écrier souvent sur sa riche couche sans sommeil : De profundis clamavi ad
te, Maria : Maria, exaudi vocem meam, fiant aures tuœ intendentes in vocem
deprecationis meœ... Du fond de l'abîme, j'ai crié vers vous, ô Marie : enten-
dez la voix de mes supplications, ô Marie !... Mais Satan, jaloux de sa proie,
suggérait au malheureux quelque nouvelle pensée d'orgueilleuse science,
et il le poussait à essayer de nouveaux et plus puissants enchantements,
et le trop docile Egidius retournait à ses cornues et à ses alambics avec
une activité fiévreuse.
Une nuit qu'il avait travaillé à ses fourneaux plus longtemps encore que
de coutume, la fatigue finit par le vaincre, et il tomba endormi sur un
siège placé dans un angle de la pièce où il se trouvait. Pendant son som-
meil il lui sembla être transporté dans le cimetière de son abbaye qu'éclai-
raient les pâles rayons de la lune. Il en regardait les ombres fantastiques,
lorsque la cloche sonore s'ébranla dans le clocher, et elle frappa douze
coups au milieu du profond et solennel silence de la nuit. Elle vibrait en-
core, lorsqu'il lui sembla voir un spectre décharné sortir de son tombeau ;
il était vêtu d'un blanc linceul, le vêtement de la tombe ; sa main droite
LE B. ÉGIDÏUS 00 GILLES, DE PORTUGAL. 835
tenait une faux au tranchant affilé, et sa main gauche tenait un sablier dans
ses doigts osseux ; il marchait impassible dans les allées du cimetière, pas-
sant devant quelques tombeaux sans interrompre sa marche, mais tout à
coup il s'arrêta devant une tombe et s'écria d'une voix rauque et dure :
« Lève-toi, moine infidèle, toi qui as violé tes vœux, lève-toi 1 » Aussitôt un
spectre se lève de cette tombe et suit celui qui semblait être le chef de ce
domaine de la mort. Il va à un autre tombeau et s'écrie : Moine infidèle,
lève-toi !... Et il parla de même à tous ceux des moines défunts qui avaient
grièvement péché. Lorsqu'il fut arrivé dans le lieu désigné pour la sépul-
ture des abbés et à l'endroit oti devait être placée la tombe d'Egidius, il
s'écria d'une voix plus stridente : « Abbé Egidius, moine infidèle, moine
indigne, toi qui as renoncé à ton Dieu, toi qui as violé tous tes vœux,
lève-toi ! »
Mais rien ne sortit de ce tombeau encore sans hôte. — Où donc est-il ?
dit le chef des spectres. Moine Egidius, ton heure n'a donc pas sonné ? —
Il regarda son sablier : quelques grains de sable restaient encore... A bien-
tôt ! dit-il, et les spectres quittant leurs linceuls commencèrent leur ronde
infernale ; une place était vide dans leurs rangs ou plutôt était occupée par
un être invisible aux yeux d'Egidius. Tout à coup les spectres rompent leur
ronde, se dispersent en courant sans toucher la terre ni même faire pen-
cher les tiges de l'herbe verdoyante du cimetière ; ils viennent vers lui,
l'entourent et s'arrêtent. Le chef s'écrie avec un accent horrible : « Mal-
heur à toi, misérable, si tu ne changes de vie 1 » et tous les autres spectres
répètent en chœur : « Change de vie, misérable ! » Egidius, au comble de
l'effroi, n'espère plus qu'en Marie ; le chef s'approche encore et lui donne
un coup de faux dans le cœur. Le froid du tranchant acier réveille Egidius
qui s'écrie : « Marie !» A ce nom tous les spectres, comme une troupe de
hiboux devant le premier rayon de l'aurore, disparaissent en criant : « Tu
es sauvé ! »
Egidius tombe à genoux, remercie la divine protectrice qui vient de
briser ses liens ; il prend tous les livres de science profane qui avaient été
la cause première de sa chute, il brise les fioles qui contenaient ses philtres;
puis abandonnant toutes ses richesses iniques, il quitte furtivement, dénué
de tout, son somptueux hôtel, pendant que ses nombreux serviteurs repo-
sent encore ; il sort de Paris et prend à pied la route de Portugal.
Son voyage fut triste et pénible. Poursuivi par les remords, par le sou-
venir de cette cédule signée de son sang et restée au pouvoir de son infer-
nal ennemi, il passait ses nuits sans sommeil, absorbé dans ses pénibles
réflexions. Les peines, la faim, la soif, la fatigue, les privations de toutes
sortes, les maladies qui en furent la suite, tout lui paraissait une première
et juste expiation de ses crimes ; son repentir égalait seul le désir qu'il
avait de faire pénitence, et rien ne l'arrêta dans sa course.
Après être entré en Espagne, il arriva à Valence où un couvent de
Frères Prêcheurs venait d'être fondé ; et les frères, alors dans toute la
ferveur primitive, s'occupaient activement et de leurs propres mains à
construire leur couvent. Egidius succombant sous le poids de ses chagrins
et sous celui de ses fatigues corporelles, s'assit sur une pierre et contempla
mélancoliquement les bons religieux ; ils allaient et venaient avec activité ;
chargés de pierres, de bois, de mortier, avec des regards où régnaient à la
fois la modestie, la patience et la sainte allégresse que donne une cons-
cience pure, ils travaillaient à élever les murs et les cloîtres de leur bien-
heureuse retraite. Il éprouvait une profonde émotion en les voyant se
536 44 MAI.
livrer avec tant de joie à des travaux si au-dessous d'eux; ce spectacle avait
pour lui un charme qu'il ne pouvait définir et qu'il trouvait bien grand en
le comparant avec les travaux infernaux qu'il avait accomplis pendant sa
coupable vie. Marie sans doute lui parla au cœur, car tout à coup il se dit :
« C'est là que je dois passer le reste de mes jours, dans l'obscurité, l'humi-
lité et la pénitence ! » Puis, se levant aussitôt, il alla trouver le prieur des
Dominicains. Le prieur l'accueillit avec bienveillance et charité, écouta sa
longue confession et n'hésita pas à lui accorder l'absolution, car la sincérité
de son accent et l'abondance de ses larmes faisaient voir que son repentir
était véritable. De quel poids son âme fut soulagée, lorsqu'elle fut délivrée
du fardeau d'une vie souillée de crimes, que les chaînes qu'il portait de-
puis si longtemps furent brisées par l'efficacité du sang précieux de Jésus-
Christ, et qu'il comprit le bonheur qu'il y a à se donner à Dieu corps et
âme ! Le lendemain, il revint trouver le prieur et se jeta à ses pieds en lui
disant : « Mon père, je viens vers vous comme l'enfant prodigue revint vers
son père ; je reviens vers la maison de Dieu, mon père céleste ; comme l'en-
fant coupable, je viens vous conjurer de me recevoir dans ce couvent au
nombre de vos plus humbles serviteurs ; je vous supplie de me donner
pour partage les travaux les plus grossiers, les plus pénibles et les plus vils;
je les trouverai bien honorables et bien doux lorsque je les comparerai,
pour ma juste confusion, au travail infernal auquel je me suis livré pendant
tant d'années I Je n'aspire plus qu'à boire dans le calice de la pénitence et
du repentir avec autant d'avidité qu'un homme altéré qui trouve une fraî-
che fontaine dans le désert. Trop longtemps j'ai péché ! Trop longtemps
j'ai bu à la coupe de l'iniquité ! Trop longtemps j'ai pactisé avec Satan et
j'ai vécu avec le mammon infernal. C'est ici le lieu que j'ai choisi pour
faire pénitence, si vous daignez me le permettre, et vous me montrerez la
route qu'il faut suivre pour aller au ciel ! » Le prieur, ému, l'embrassa en
le relevant : « Oui », lui dit-il, « venez avec nous, c'est ici que vous trouve-
rez le repos de votre âme ». Egidius alla se prosterner devant l'autel de la
Vierge miséricordieuse qui l'avait conduit comme par la main à ce port
de salut pour y exhaler les transports de sa joie et de sa reconnaissance
Dès ce moment, on put voir parmi les pieux travailleurs un moine qui
surpassait ses frères par son ardeur pour le travail : c'était Egidius qui dès
lors mena la vie des Frères Prêcheurs. Une prompte obéissance, un silence
rigoureux, la charité, la paix de l'âme, tels étaient les éléments de la nou-
velle vie qu'Egidius avait embrassée. Sa conversion était sincère et il expiait
par une rude pénitence tous les péchés qu'il avait commis. Ayant fait sa
profession en 1221, il fut bientôt après envoyé au couvent de Santarem, en
Portugal, son pajfs natal.
Mais il ne faut pas croire que le grand tentateur des hommes le laissa
en repos ; il lui suscitait les plus violentes tentations et cherchait à le pous-
ser au désespoir en lui rappelant sans cesse la terrible donation qu'il avait
faite par écrit de son âme. Egidius adressait sans relâche ses ferventes
prières à Marie pour lui demander son secours contre son cruel ennemi ;
enfin, après sept ans d'austères pénitences, d'ardentes prières, sa confiance
en Marie fut récompensée : une nuit qu'après l'avoir longuement priée, il
s'était assoupi au chœur, il trouva sur l'appui de sa stalle l'impie donation
qu'il avait signée de son sang et que la puissance de Marie venait d'arracher
au démon.
Depuis lors, il goûta sans mélange les ineffables consolations spirituelles
dont le Seigneur comble souvent ses serviteurs de prédilection ; et son
SAINT VICTOR ET SAINTE COURONNE. 537
chroniqueur, en racontant plusieurs de ses extases et de ses miracles, le
ravissement tout divin dans lequel il entrait lorsqu'il entendait prononcer
les doux noms de Jésus et de Marie, noms sacrés par lesquels il dominait
tout l'enfer, observe qu'il y avait là une bien plus puissante magie que dans
celle qu'Egidius avait apprise de Satan.
Notre Bienheureux fut employé avec succès par ses supérieurs au minis-
tère des âmes, car il était doué merveilleusement pour toucher par ses pré-
dications les pécheurs les plus endurcis. Il exerça à plusieurs reprises les
fonctions de provincial dont il s'acquittait avec un talent particulier. Enfin,
après avoir édifié par ses vertus plus encore qu'il n'avait autrefois scanda-
lisé par ses désordres ; après avoir été généralement regardé comme le plus
grand homme de son Ordre, pendant sa vie ; après avoir acquis, en recher-
chant l'obscurité, une bien plus haute réputation qu'en recherchant la
gloire terrestre, il mourut de la mort du juste en 1265, pour aller chanter
au ciel les miséricordes du Seigneur.
Bcnott XIV a approuvé le culte du bienheureux Egidius le 9 mars 1748, et sa fête se célèbre le
14 mai. Un ancien journal des rois de Portugal, cité daus les Actes des Saints, fait ainsi qu'il suit men-
tion de la mort du bienheureux Egidius ou Gilles : « Saint Gilles, de l'Ordre des Frères Prêcheurs, alla à
Dieu le quatorzième jour de mal, jour do l'Ascension de Notre-Seigneur Jésus-Christ, l'an de notre salut
douze cent soixante-cinq ». — Ann. Dom., mai 1872, Acta Sanctorum et la plupart des hagiographes.
SAINT VICTOR ET SAINTE COURONNE (ne siècle).
Victor de Damas, en Syrie, suivait la carrière des armes sous l'empereur Antoniû. Comme il se
comportait ouvertement en chrétien, il fut sommé par Sébastien, son chef, conformément aux
édils des empereurs, d'abjurer le Christ, et de brûler de l'encens aux dieux, avec menace, s'il ne
le faisait, d'être sévèrement traité. A cela, Victor répondit qu'il était non-seulement décidé à
affronter tous les tourments plutôt que de renoncer à sa religion, mais qu'il tiendrait encore
comme une grâce de souffrir tout ce qu'on voudrait pour le nom de Jésus-Christ. Irrité de cette
réponse, Sébastien commande qu'on lui brise les doigts, et que les articulations d'abord mises à
nu soient ensuite arrachées de la peau ; et enfin il le fait jeter dans une fournaise ardente, d'où
Victor, après y être demeuré trois jours, sortit sans le moindre mal.
Ensuite, ayant été forcé, à plusieurs reprises, de manger des mets empoisonnés, il les prit
impunément, et convertit même à la foi du Christ celui qui avait composé le poison. Mais là ne
s'arrêta pas la fureur des bourreaux. Par un nouveau genre de cruauté, ils lui arrachent les nerfs
du corps, lui arrosent les membres d'huile bouillante ; ils approchent des torches enflammées de
son corps suspendu ; il lui versent dans la bouche un mélange de vinaigre et de chaux ; ils lui
crèvent les yeux ; ils le laissent suspendu par les pieds et la tète en bas pendant trois jours : et,
comme loin d'être ébranlé par tant de supplices, le Martyr ne paraissait pas même les sentir, il
est écorché vif et abandonné ainsi tout sanglant, véritablement Victor, c'est-à-dire vainqueur,
puisqu'il avait triomphé, par la vertu de Dieu, et de la faiblesse de la nature, et de la rage des
démons, et de la cruauté des impies.
Une jeune femme de seize ans, nommée Couronne, et mariée à un soldat, ayant admiré la cons-
tance de Victor, ne put s'empêcher de le louer hautement, poussée par l'esprit de Dieu : en même
temps, elle déclara publiquement qu'elle était chrétienne, affirmant qu'elle voyait deux couronnes
descendre du ciel, une pour Victor et l'autre pour elle-même, el qu'elle était toute prête à la
mériter par une belle mort. C'est pourquoi, ayant été arrêtée et sommée de sacrifier aux dieux,
comme elle ne voulut pas y consentir, elle fut attachée avec des cordes aux branches de deux
arbres inclinés l'un vers l'autre avec effort, et ces arbres étant relâchés tout à coup, et revenant
à leur première situation, le corps de la jeune femme fut partagé en deux parties. Pour Victor,
il fut enfin frappé de la hache, après avoir fait plusieurs prédictions qui s'accomplirent. Les chefs
de ces deux illustres Martyrs étaient pieusement conservés dans la cathédrale de Dijon avant la
Révolution. L'an 1286, un dimanche, le lendemain de la fête de saint Mathieu, apôtre, Guillaume,
évêque de Chalon-sur-Saône, fit, dans ladite église, la levée du chef de sainte Couronne et de
S38 14 MAI.
plusieurs autres reliques. Les chefs de nos deux Martyrs étaient portés l'un après l'autre aux pro-
cessions des Rogations, le mardi et le mercredi, pour conjurer le mauvais temps.
Ancien Propre de Dijon.
SAINT PONTIUS, VULGAIREMENT PONS
MARTYR A CIMIEZ (257).
Pontius était fils d'un sénateur de la ville de Rome. Il étudia les belles-lettres et la philoso-
phie comme les jeunes hommes de sa condition, et il le fit avec succès. Une fois, s'étant levé dès
l'aube du jour, il se promenait marchant à l'aventure de côté et d'autre, lorsqu'il entendit les
chrétiens qui psalmodiaient à Matines. Cette chose, nouvelle pour lui, excita sa curiosité, et, tout
ému des saintes mélodies qu'il avait entendues, il se présenta à celui qui présidait l'assemblée :
c'était le pontife saint Pontien (230-235). Il reçut le jeune homme avec aménité, lui fit connaître
la religion, l'admit d'abord parmi les catéchumènes, et peu après le plongea dans les eaux salu-
taires du baptême. Pontius, devenu chrétien, eut le bonheur de donner la foi à celui qui lui avait
donné le jour; il convertit son père avec toute sa maison. Après la mort du sénateur son père,
Ponlius, qui était appelé à lui succéder et qui jouissait déjà de l'affection du prince et de l'es-
time de tous ses collègues, dédaigna tous ces avantages, et donnant au pape saint Fabien tous
ses biens pour être distribués aux pauvres, il prit la résolution de consacrer sa vie à la prédica-
tion de l'Evangile.
Il quitta Rome après le meurtre de Philippe, au moment où éclatait la persécution de Valérien
et de Galien. Il se rendit à Cimiez, ville située au pied des Alpes-Maritimes, qui fut plus tard
détruite par les Lombards, et près des ruines de laquelle s'est élevée la ville de Nice. Le prési-
dent Claudius, qui connaissait Pontius, étant venu à Cimiez pour exécuter les ordres qu'avaient
donnés les empereurs de détruire le nom chrétien jusqu'à ses dernières racines, le fit venir
devant lui pour le forcer à sacrifier aux dieux. Pontius répondit qu'étant chrétien il lui était
impossible de faire cette sorte de sacrifice. Il fut donc suspendu au chevalet, exposé aux ours,
placé sur un bûcher ; mais, n'en ayant pas été blessé, il accomplit son martyre par le tranchant
du glaive.
Le sépulcre du Martyr était fréquenté par un grand concours de peuple, ainsi que l'atteste
saint Valérien, évêque de Cimiez, qui florissait au temps du pape 6aint Léon, et qui prononça
trois homélies à la louange de saint Pontius, patron de 60n église. Plus tard, Charlemagne fit
élever une abbaye de Bénédictins sur son tombeau, près de Nice : l'emplacement en est occupé
aujourd'hui par un couvent des Oblats de Marie. L'église actuelle a été bâtie par les moines béné-
dictins et achevée vers 1730 : on rebâtit, à peu près à la même époque, la petite chapelle qui,
sur un rocher éloigné de cent mètres du monastère, indiquait le lieu précis où saint Pontius avait
souffert le martyre. Cette chapelle, détruite par la Révolution, n'a pas été relevée. L'église de
Saint-Pons, dans le diocèse de Nice, ne possède plus que des fragments insignifiants des reliques
de son Patron.
En 936, Raymond Pons, comte de Toulouse, bâtit en l'honneur de son patron, envers lequel
il avait une grande dévotion, un monastère à Thomières, au diocèse de Narbonne, lequel fut
érigé en siège épiscopal par le pape Jean XXII. La plus grande partie du corps de saint Pontius
fut transférée dans celte église, mais ces reliques furent détruites par les hérétiques au xvie siècle.
Le Propre de Nîmes, auquel nous empruntons la légende de saint Pontius, ne fait pas mention
de la conversion des deux Césars Philippe, dont notre Saint fut l'instrument d'après les auteurs les
plus autorisés : l'Eglise elle-même admet ce fait dans son Martyrologe : nous pouvons donc, nous
aussi, l'admettre, sans craindre de blesser une critique raisonnable.
Propre de Nîmes et Notes locales fournies par le B. P. Pierre Caries, Oblat de Marie à Saint-Pons-Nic».
MARTYROLOGES. 539
SAINT AMPÈLE OU APELLES, FORGERON (V siècle).
Ce Saint naquit dans le v« siècle, en Egypte, de parents honnêtes et aisés, qui lui firent donner de
l'instruction, tout en lui faisant apprendre un métier. La semence de la parole divine ne tomba
pas sur un sol ingrat, mais fit germer dans son cœur les fruits les plus heureux. Le métier de
forgeron, qu'il avait appris dans sa première jeunesse, lui procura une fortune honnête, dont il
n'usa pas cependant uniquement pour lui, mais qu'il employa à de bonnes œuvres. Il en fit trois
parts : de la plus considérable, il fit don aux vieillards infirmes ou malades ; la seconde devait
servir à son propre entretien, et il réserva la troisième, tant pour faire face à des besoins impré-
vus, que pour venir au secours de son prochain, dans des cas de détresse.
Ampèle donna l'exemple de toutes les vertus chrétiennes et civiles : il était officieux, paci-
fique, modéré dans ses désirs, zélé et actif; il ne commençait et ne terminait jamais sa besogne
sans prier, et pendant qu'il travaillait même, il savait élever son âme vers Dieu, observant ainsi
ce que saint Paul nous recommande si vivement, de prier sans interruption.
Afin de préserver son âme des impressions du vice, il évitait tous les dangers qui auraient pu
en exposer le salut. Un jour cependant, il fut inopinément surpris par la tentation, en voyant
entrer dans son atelier une courtisane effrontée, mais il la poursuivit à l'instant avec un fer ar-
dent, et la força à la retraite.
Ses forces physiques ayant insensiblement diminué, et ne pouvant plus lui-même diriger se»
affaires, il résolut de se séparer entièrement des hommes, et de ne plus s'occuper que de Dieu et
de l'éternité. Pour accomplir son dessein plus librement, il traversa la mer et vint en Italie, dans
les environs de Gènes, où il mena dans la solitude une vie partagée entre la mortification et la
contemplation, jusqu'à ce que le Seigneur l'appela à lui.
Il est le patron des forgerons, à Gênes, qui lui ont dédié une chapelle dans l'église de Saint-
Etienne. L'enclume, le marteau, etc., attributs de sa profession, le fer rouge dont il poursuit la
courtisane, peuvent servir à caractériser notre Saint.
Tiré de Rœss et Weiss, t. vi, p. 439. Voyez les Bollandistes au 14 mai, et Lauber au même jour.
XV JOUR DE MAI
MARTYROLOGE ROMAIN.
En Espagne, les saints évèques Torquat, Ctésiphon, Second, Indalèce, Cécilius, Hési-
chius et Euphrase, qui furent ordonnés à Rome par les saints Apôtres, et envoyés pour prêcher
la parole de Dieu en Espagne ; après qu'ils eurent annoncé l'Evangile en diverses villes, et mis
sous le joug de la foi d'innombrables multitudes, ils moururent paisiblement en différents lieux de
ce pays : Torquat à Cadix, Ctésiphon à Vierço, Second à Avila, Indalèce à Portilla, Cécilius à
Elvire, Hésichius à Gibraltar et Euphrase à Andujar. — A Evora, en Portugal, saint Mancius ou
Manços, martyr. vi« s. — En l'île de Chio, la naissance au ciel de saint Isidore, martyr, dans
l'église duquel il y a un puits, où l'on dit qu'il fut jeté, et dont l'eau guérit souvent les malades
qui en boivent1. 251. — A Lampsaque, dans l'Hellespont, les saints martyrs Pierre, André,
Paul et Dionysia. 250. — A Fausine, en Sardaigne, saint Simplice, évêque et martyr, qui, du
temps de Dioclétien, fut percé d'un coup de lance sous le président Barbare, et acheva ainsi son
martyre, iv8 s. — A Clermont, en Auvergne, les saints martyrs Cassius, Victorin, Maxime et leurs
1. Nous donnons sa Vie ailleurs.
540 15 ai ai.
compagnons *. — En Brabant, sainte Dymp.na, vierge et martyre, fille d'un roi d'Irlande, qui fut
décapitée par l'ordre de son père, pour la conservation de sa foi et de sa virginité 2. vit» s.
MARTYROLOGE DE FRANCE, REVU ET AUGMENTÉ.
Au duché de Clèves, saint Géréberne, prêtre et martyr, lequel, ayant instruit, assisté et fortifié
sainte Dympne, eut aussi le bonheur de participer à son martyre. Ce fut dans un bourg de Brabant,
nommé Gheel, près de Tilmont, d'où son corps a été enlevé et porté à Sousbeeck dans ce duché.
— A Clermont, saint Anatolien ou Antolien, saint Austremoine et six mille deux cent soixante-
trois autres, martyrs, dont les noms ne sont connus que du ciel, qui furent les généreux compa-
gnons de saint Cassius. Ils furent enterrés partie dans l'église du même Saint, partie dans l'église
de Saint-Vénérand. Saint Prix a composé leur histoire. On fait encore, en d'autres jours, la fête
particulière de saint Anatolien et de saint Austremoine 3. — Encore à Clermont, saint Eufraise,
qui succéda à saint Aproncule et accorda une généreuse hospitalité à saint Quintien, évêque de
Rodez, chassé par son peuple. 514. — A Bingen, dans le diocèse de Mayence, saint Ru-
Peiit ou Robert, prince d'une éminente sainteté, dont la vie, quoique fort courte, a été
signalée par quantité de grandes actions. Sainte Hildegarde l'a écrite. ixe s. — Au même lieu,
la bienheureuse Berthe, mère de saint Rupert, qui a mérité d'être louée par la même Sainte. —
A Rouen, la fête de saint Remy, évêque de ce siège. — A Autun, le décès de saint Rhétice,
évèque de cette ville, mentionné par l'empereur Constantiu dans sa lettre au pape Melchiade, et
loué par saint Jérôme, par saint Augustin et par Optât de Milève. Vers 334. — A Quimper, saint
Primaël, prêtre et solitaire. Ve s. Saint Primaël était un prêtre que les révolutions politiques de
la Grande-Bretagne chassèrent de son pays. Il se réfugia dans la Cornouaille française. 11 existait,
près de Quimper, avant notre grande Révolution, une chapelle placée sous son vocable. Deux
paroisses du diocèse de Quimper le reconnaissent encore pour leur Patron. — A Tours, saint
Avertin, confesseur. — A Autun, la fête de saint Jean 4, évêque de Chalon-sur-Saône. — A
Carcassonne, saint Guimer ou Germier, évêque. 11 fut enseveli dans l'église de Saint-Nazaire. On
a construit, dans le faubourg de Carcassonne, une chapelle qui lui est dédiée ; on croit qu'elle
occupe l'emplacement de la maison où il es*, né. 931. — A Vicoigne, le bienheureux Jacques,
novice dans l'Ordre des Prémontrés. — A Troyes, saint Phal, abbé 5. 549. — A Aix, en Provence,
le bienheureux André Abellon. Né à Saint-Maximin vers 1308, il entra dans l'Ordre des Frères
Prêcheurs qui, alors comme aujourd'hui, avaient la garde des reliques de sainte Marie-Madeleine.
Le bienheureux André, contemporain de saint Vincent Ferrier, fut, comme lui, un grand prédica-
teur. On connaît peu ses actions : il remplit plusieurs fonctions importantes dans son Ordre et
occupait ses loisirs à la peinture. Il mourut au couvent d'Aix le 15 avril 1540. Le culte qu'on lui
rendit date du jour de son trépas. La poussière de son tombeau passait pour être miraculeuse,
et des témoins oculaires ont pu certifier que, en 1789, une lampe brûlait encore continuelle-
ment devant son tombeau. Les Dominicains sont en instance pour obtenir l'approbation du culte
immémorial qui lui est rendu. Ses reliques ont été retrouvées en 1845. — Au diocèse de Dijon,
saint Waldalène, premier abbé de Bèze. Celle abbaye fut fondée par la munificence d'Amalgaire,
gouverneur de Lyon et de son territoire, et père de saint Waldalène. Vers 680. — Saint Adal-
sinde, sœur du précédent, religieuse. Vers 650. — Au diocèse de Nevers, saint Francuy. — Le
vénérable Thomas de Cantimpré, de l'Ordre de Saint-Dominique, condisciple de saint Thomas
i d'Aquin, à Cologne. Il mérita de voir des yeux du corps les traits de Notre-Seigneur Jésus-Christ
: à l'état d'homme fait. 1280.
MARTYROLOGES DES ORDRES RELIGIEUX.
Martyrologe des Franciscains. — A Recanali, dans la Marche d'Ancône, le bienheureux Bien-
venu, confesseur.
Martyrologe des Augustins. — Saint Pie V.
1. La date du martyre de saint Cassius ou Cassi, comme on dit en Auvergne, et de ses compagnons
est sujette à discussion. Nous donnerons notre opinion au 1er novembre, jour auquel nous traiterons de
tous les Apôtres de l'Auvergne.
2. On célèbre aujourd'hui à Rome la fête de saint Isidore, laboureur. Voir sa Vie au 10 mai.
3. Voir au 1er novembre.
4. Ce Saint succéda à Paul le Jeune, sur le siège de Chalon-sur-Saône. Sidoine Apollinaire raconte
que son exaltation eut lieu à la honte des méchants et aux acclamations des gens de bien, mais sans
nulle opposition. Il fut sacré par saint Patient, archevêque de Lyon, assisté d'Euphrone, évûque d'Autun
et des autres suffragants. Son peuple trouva en lui un père tendre et son clergé un modèle de vertus. Il
fut mis au rang des Saints par le pape Jean VIII, dans le court séjour qu'il fit à Châlon, l'an 879. (Tiré
du Propre d'Autun.)
6. Voir au 16 mai.
SS. PIERRE, ANDRÉ ET PAUL, ET Sle DIONYSIA, MARTYRS. 541
Martyrologe des Servîtes. — Saint Isidore, le laboureur.
Martyrologe des Capucins. — A Aquila, dans le royaume de Naples, la translation de saint
Bernardin de tienne, laquelle eut lieu le 18 mai au temps de Sixte IV.
Martyrologe des Hiérony mites. — Saint Emygde, évêque et martyr, dont la fête a lieu la
5 du mois d'août, mais nous la célébrons aujourd'hui par privilège.
Martyrologe des Carmes déchaussés. — Saint Pie V.
ADDITIONS FAITES D' APRÈS LES BOLLANDISTES ET AUTRES HAGIOGRAPHES.
A Pavie, les saints Cbrysanthe et Fortunat, prêtres, ordonnés par saint Syrus, premier evfique
de Pavie. Ie* s. — A Vérone, saint Dimidrien, évêque de cette ville, m8 s. — A Sirmich, en
Pannonie, saint Timothée, et sept vierges, martyrs. — En Sardaigne, sainte Rosula, martyre, que
plusieurs martyrologes joignent à saint Simplice, fêté le même jour. — Encore à Pavie, les saints
Bonin, Sotère et Paulin, martyrs. Leurs reliques étaient conservées dans l'église de Saint-Gervais
et Saint-Protais, enfermées dans la même urne que celle qui contenait les restes des saints For-
tunat et Cbrysanthe. — A Soriano, en Toscane, saint Eutice, prêtre et martyr, patron de Soriano
et d'Orta. Règne de Maximien. — A Rome, les saintes Quirille et Sophie, vierges et martyres,
dont les corps sont conservés dans cette ville. — A Bénévent, saint Libérateur, évêque et martyr.
Ses actes ont péri : ses reliques sont en si grande vénération que l'on chôme le jour de sa fête à Béné-
vent, à Sulmona, à Mantiana où on lui a élevé des églises. — A Larisse, en Thessalie, saint Achille,
évêque de cette ville. Vers l'an 330. — En Italie, saint Ilar, fondateur de la célèbre abbaye de
Golliata située dans les Apennins, sur les confins de la Romagne. 496. Cette abbaye fut donnée
aux Camaldules en 1498. — En Perse, les saints Siméon, Isaac et Bactisoë, martyrs, qui furent
laissés sept jours en prison sans nourriture, et périrent par le feu. Persécution de Sapor. iv« s.
— A Plaisance, saint Domninus, diacre. 443. — A Castro, en Calabre, sainte Césarie, dont l'his-
toire ressemble beaucoup à celle de sainte Dympna, avec cette différence que son père ne put
devenir son meurtrier. Césarie s'etant dérobée par la fuite, termina les jours de son exil dans une
grotte. Epoque incertaine. — A Fano, en Italie, saint Ours, évêque. vu» s. — A Coustautinople,
saint Nicolas le Mystique, patriarche de cette ville, qui fut envoyé en exil pour s'être opposé,
conformément aux canons, aux quatrièmes noces de l'empereur Léon le Grammairien. 925. — A
Lucques, en Italie, le bienheureux Dorothée, ermite. On raconte que la solitude choisie par lui
n'avait ni ombrages, ni fontaine. Il y planta son bâton qui se transforma en un arbre touffu, et
au pied de cet arbre jaillit une fontaine abondante et limpide. Cet ermitage fut longtemps le
but d'un pieux pèlerinage. Epoque non désignée.
SS. PIERRE, ANDRÉ ET PAUL, ET S'9 DIONYSIA,
MARTYRS
250, — Pape : Saint Fabien. — Empereur : Dèce.
Notre ange à nous, est toujours aussi avec nous et
près de nous, quoique invisible, ne l'oublions pas.
Au temps de l'iniquité, lorsqu'on faisait la guerre aux serviteurs de
Dieu, et que la terre, arrosée du bienheureux sang des martyrs, partout se
couvrait des fleurs de la sainteté, sur le territoire de Lampsaque fut arrêté
un jeune chrétien nommé Pierre. C'était un cœur généreux dans la foi, et
il réunissait aux charmes de la vertu un extérieur plein de grâces. On le
présenta au proconsul Optimus, qui lui dit : « Quel est ton nom ? » Il ré-
pondit : « Pierre ». Le proconsul lui dit : « Es-tu chrétien ? » Pierre ré-
pondit : « Oui, je suis chrétien ». Le proconsul dit : « Tu as ici sous tes
yeux les décrets de nos invincibles princes; sacrifie donc à la grande déesse
Vénus «.Pierre répondit : « Proconsul Optimus, je m'étonne que tu veuilles
me persuader de sacrifier à une femme impudique et infâme, dont les ac-
542 15 mai.
tions sont tellement honteuses, qu'on ne pourrait les raconter sans rougir.
Vos histoires elles-mêmes accusent ses désordres; et vous punissez dans les
hommes de débauche les abominations qui composent sa vie. Si donc vous
la nommez courtisane et femme sans pudeur, comment osez-vous me for-
cer à honorer par l'adoration et les sacrifices une vile prostituée ? Il est
donc plus nécessaire et plus glorieux pour moi d'offrir le sacrifice de l'ado-
ration et de la prière, de la componction et de la louange, au Dieu vivant
et véritable, au roi de tous les siècles, au Christ ». A ces paroles, le pro-
consul fit étendre sur la roue et attacher avec des chaînes de fer les mem-
hres délicats du jeune Martyr. En même temps, des pièces de bois furent
disposées tout autour, de telle manière que, dans le mouvement de la roue,
elles devaient heurter le corps et briser les os en mille pièces. Mais plus la
torture était cruelle, plus le serviteur de Dieu se montrait courageux et
fort. Sur ses lèvres était un sourire de pitié pour son persécuteur, et ses
yeux étaient fixés au ciel par un regard d'espérance. Il disait : « Je vous
rends grâces, Seigneur Jésus, qui avez daigné donner à ma faiblesse assez
de patience pour vaincre ce tyran cruel ». Le proconsul, témoin de cette
merveilleuse constance, et voyant ses tortures inutiles, lui fit trancher la
tête d'un coup d'épée.
Vers le même temps, le proconsul faisait le voyage de Troade, accom-
pagné d'un nombreux et brillant cortège. On lui amena trois chrétiens,
André, Paul et Nicomaque. Il leur demanda d'où ils étaient et quelle était
leur religion. Nicomaque, trop impatient, prévient ses frères, et s'écrie :
«Je suis chrétien ». Le proconsul dit à André et à Paul : « Et vous, qui
êtes- vous ? » Ils répondirent: « Nous sommes chrétiens ». Le proconsul
dit à Nicomaque : «Sacrifie aux dieux, selon les ordres de l'empereur».
Nicomaque répondit : « Tu sais qu'un chrétien ne doit pas sacrifier aux dé-
mons ». Le proconsul aussitôt le fit suspendre et appliquer à la torture.
Mais, vaincu par la violence de la douleur et sur le point d'expirer, le
malheureux, élevant la voix, s'écria : « Je n'ai jamais été chrétien; je sa-
crifie aux dieux ». Le proconsul aussitôt le fit détacher. Mais, à peine a-t-il
sacrifié, que le démon s'empare de lui; il se roule à terre, se coupe la
langue avec les dents, et expire.
Dans la foule des spectateurs était une jeune vierge nommée Dionysia,
âgée de seize ans, qui s'écria : « Ah ! misérable, le plus infortuné de tous
les hommes, comment pour une heure de vie as-tu pu acheter des peines
éternelles et que la parole humaine ne saurait décrire ? » Le proconsul,
entendant ces paroles, fit amener la vierge devant son tribunal, et lui de-
manda si elle était chrétienne. Dionysia répondit : « Oui, je suis chrétienne;
c'est pourquoi je plains cet infortuné de n'avoir pas pu souffrir quelques
instants de plus, qui allaient lui assurer un repos sans fin ». Le proconsul
dit : « Il a vraiment trouvé le repos dont tu parles, en accomplissant par
un sacrifice la volonté des dieux et celle de nos invincibles princes; car Vé-
nus et la grande Diane ont daigné l'enlever pour le soustraire aux reproches
dont l'auraient accablé ceux qui professent vos vaines superstitions. Sacrifie
donc comme lui, et ne sois pas plus longtemps dans ces illusions honteuses
qui me forceraient à te brûler vive ». Dionysia répondit : a Mon Dieu est
plus grand que toi. C'est pourquoi je ne crains pas tes menaces; il est assez
puissant pour me donner la patience dans tous les supplices dont tu vou-
dras m'accabler ». Le proconsul la livra aux mains infâmes de deux jeunes
débauchés. Pour André et Paul, il les fit jeter en prison. Cependant les
jeunes gens avaient conduit dans leur demeure la vierge, chaste épouse de
SS. PIERRE, ANDRÉ ET PAUL, ET Sle DIONYSIA, MARTYRS. 543
son Dieu. Jusqu'au milieu de la nuit, ils s'épuisèrent en vains efforts pour
triompher de sa pudeur. Déjà s'apaisaient les emportements de leur brutale
passion, quand tout à coup leur apparut un jeune homme, revêtu d'une
éclatante lumière qui illumina toute la maison, A cette vue, comme ter-
rassés par la crainte, ils tombèrent aux pieds de la jeune fille. Dionysia les
releva, et leur dit : « Ne craignez point ; c'est le défenseur et le gardien que
Dieu m'a donné, parce que j'ai été livrée entre vos mains par un juge im-
pie ». Les jeunes gens lui demandèrent d'intercéder pour eux, afin qu'il ne
leur arrivât aucun mal.
Dès que le jour parut, le peuple se porta en foule au palais du procon-
sul, demanda à grands cris qu'on lui livrât André et Paul. Ce tumulte sédi-
tieux était excité par deux prêtres de Diane, Onésicrates et Macédon. Le
proconsul, ayant donc fait venir les deux confesseurs, leur dit : « André et
Paul, sacrifiez à la grande Diane ». André et Paul répondirent : <c Nous ne
connaissons ni Diane ni les autres démons que vous adorez. Nous n'avons
jamais adoré que le Dieu unique ». Le peuple, entendant ces paroles, criait
plus haut encore qu'on les lui livrât pour qu'il les fît mourir. Enfin le pro-
consul, voyant qu'il ne pouvait triompher de la persévérance des saints
Martyrs, les fit battre de verges, et les livra au peuple pour qu'il les lapidât.
Mais, pendant qu'on les lapidait, la vierge du Seigneur, Dionysia, en fut
avertie par le tumulte; aussitôt elle pousse un grand cri, accompagné de
sanglots et de larmes, s'échappe de sa prison et court au lieu du supplice.
Là, elle se jette sur les corps expirants des Martyrs, en disant : « Afin de
pouvoir vivre avec vous dans le ciel, je veux mourir avec vous sur la terre » .
A cette vue, on s'empressa d'aller exposer au proconsul comment cette
vierge, dont il avait abandonné la vertu à la passion de deux jeunes dé-
bauchés, avait été miraculeusement sauvée par un jeune homme tout écla-
tant de lumière, et comment, s'échappant de la prison, elle était venue se
jeter sur les corps de Paul et d'André, demandant à être lapidée avec eux.
Le proconsul, pour ne point exaucer sa prière, ordonna de l'enlever et de
la décapiter dans un autre lieu ; ce qui fut exécuté.
Ainsi ces illustres Martyrs, après avoir soutenu ensemble les mêmes
combats contre le siècle, le démon et le proconsul Optimus, ont mérité, par
la grâce du Christ, les honneurs de la victoire, chacun, il est vrai, dans des
supplices différents ; Pierre après mille tortures, André et Paul sous les
coups des pierres, et Dionysia par le glaive. Cela se passa à Lampsaque, le
jour des ides de mai, sous l'empire de Dèce et le proconsulat d'Optimus,
Notre -Seigneur Jésus-Christ régnant sur le monde ; à lui soit la gloire,
l'honneur et la puissance ».
Tiré des Actes de Dom Buinart, traduits par Drouet de Maupertuy, revus et publiés par les E. P.
Bénédictins de la Congrégation de France.
1. Le culte de ces Martyrs est ancien chez les Latins comme chez les Grecs. Leur nom se trouve dans
les martyrologes qui portent le nom de saint Jérôme ; or l'on sait que ces martyrologes sont du iv« ou
v» siècle.
544 15 mai.
SAINT RHÉTICE, ÉVÊQUE D'AUTUN
Vers l'aa 334. — Pape : Saint Sylvestre I<«. — Empereur : Constantin le Grand.
Personne n'ignore que le baptême ne soit la première
indulgence dont l'Eglise use envers nous. C'est là
que nous nous déchargeons de tout le poids da
notre ancien crime. C'est là que nous nous lavons
des anciennes souillures de notre ignorance crimi-
nelle. C'est là, enfin, que nous nous dépouillons du
vieil homme avec ce qu'il apporte de criminel en
naissant.
Seule sentence qui nous reste des écrits de saint
Rhétice, citée par saint Augustin, in Jul.,\iv. rer, n.7.
Constance Chlore ayant restauré Autun y avait fait refleurir l'étude de
l'éloquence, en chargeant le fameux Eumène d'en donner des leçons à la
jeunesse, et avait engagé la principale noblesse des Gaules à s'établir dans
cette ville. Rhétice était issu d'une de ces illustres familles 1.
Le jeune patricien, destiné par la Providence à être un grand évoque,
fut élevé avec soin dès l'âge le plus tendre par de pieux parents, plus dis-
tingués encore par leur foi que par leur noblesse, dans la doctrine chrétienne
et dans toutes les vertus évangéliques. Il reçut en même temps une éduca-
tion libérale, conforme à sa naissance et à son rang 2 ; et ses talents naturels,
cultivés par le travail, protégés par l'innocence du cœur, attirèrent bientôt
tous les regards. Mais le noble et brillant écolier ne sépara jamais l'étude
des saintes lettres de l'étude des lettres profanes, et ses progrès dans la
piété surpassaient encore ses progrès dans les sciences. Egalement remar-
quable par les qualités du cœur et par celles de l'esprit, qui s'unissaient
harmonieusement en lui pour former un ensemble parfait, embelli et sur-
naturalisé par la foi, il faisait la joie de ses parents, l'édification des fidèles,
l'admiration de tout le monde.
Cependant le temps vint où sa famille, dont il était l'espérance, voulut
l'établir. Un jeune homme si accompli et distingué par son mérite person-
nel autant que par sa position sociale, ne pouvait manquer d'avoir à choisir
entre bien des partis séduisants et avantageux selon le monde ; mais il se
garda bien de se laisser éblouir par un vain éclat. Appelant par la prière
l'assistance divine, si nécessaire en pareille circonstance ; cherchant avant
tout la vertu, il méritait de trouver une compagne vraiment digne de lui,
et il la trouva. Son choix, dirigé par la Providence, s'arrêta sur une jeune
personne disposée à être moins une épouse qu'une sœur capable de le com-
prendre, de s'associer à sa piété, de partager ses goûts, de vivre de sa vie.
Aussi un pur et céleste amour présida-t-il à leurs noces : ce fut comme le
mariage de deux anges, car leurs cœurs s'unirent pour aimer Dieu davan-
tage et se soutenir, en s'appuyant l'un sur l'autre pendant le voyage d'ici-
bas. Les deux jeunes époux passaient ensemble de longues veilles en prières ;
ensemble il concertaient, ensemble ils accomplissaient des œuvres de
charité, visitant les malades, consolant les affligés et versant dans le sein
des pauvres d'abondantes aumônes 3. Le couple pieux passa ainsi plusieurs
années pleines et heureuses à faire le bien dans un calme modeste, béni de
Dieu et des hommes. Mais la position et les vertus d'un simple particulier
1. Eist. de l'Egl. gall. — 2. Greg. Turon., De gl. Conf., c. 75. — 3. Ibid.; Bolland., 19 Jul.
SATCT RHÉTICE, ÉVÊQUE D'aUTUN. 545
n'étaient pas à la hauteur de l'âme de Rhétice. La Providence, qui le des-
tinait à de plus grandes choses et voulait lui donner, pour le bien de l'Eglise,
un théâtre digne de son mérite, semble vouloir commencer par déblayer la
voie. Les douceurs de la vie domestique lui sont soudainement ravies. Des
liens aussi étroits, aussi doux que sacrés se rompent inopinément ; et le
même coup qui les brise, en le frappant au cœur, prépare son entrée dans
la carrière nouvelle où le pousse la volonté divine. Son épouse, la déposi-
taire de ses pensées, l'associée de ses vertus, la douce compagne de sa vie,
la pieuse sœur de son âme, lui est enlevée. Comme il était à la dernière
heure penché sur la couche de la malade chérie, pleurant et tenant fixé
tantôt sur elle, tantôt sur l'image de Jésus en croix un regard triste mais
résigné, il l'entendit qui lui disait d'une voix expirante et pleine de larmes * :
« Bon et bien-aimé frère, je vais mourir. Nous allons donc nous quitter
pour un moment ; mais quand vous aurez aussi achevé votre course, ayez
soin que nous soyons alors réunis dans le sépulcre , comme nous l'avons
été sur la terre, comme nous le serons au ciel. Un chaste amour nous avait
rapprochés ; que la mort ne nous sépare pas. Nous avons vécu dans le
même lit, comme deux lis sur la même tige ; reposons encore ensemble
dans notre dernière demeure. Je vous en prie, promettez de venir m'y
rejoindre ». Ce furent presque ses dernières paroles, et Rhétice fut heureux
de faire une promesse que lui inspirait déjà son cœur. Bientôt après,
l'épouse qui avait été un ange dans un corps mortel alla se réunir aux
anges, en attendant dans le sommeil de la tombe la partie matérielle, et
dans le séjour de la gloire, l'âme de celui qui avait été son époux et que
plus justement encore elle appelait son frère.
Le pieux chrétien avait à peine séché ses larmes, que l'estime et la véné-
ration universelles, qui depuis longtemps s'étaient portées sur lui, allèrent
l'arracher à sa douleur et à son solitaire veuvage pour le mettre à la tête
de l'Eglise d'Autun. Son mérite éminent l'avait trahi à son insu dans sa vie
privée. Obligé de céder et de monter plus haut ; reconnaissant la voix de
Dieu dans l'acclamation unanime et spontanée du peuple fidèle, il renonça
généreusement, pour assumer sur lui les travaux de l'épiscopat, aux jours
calmes et tranquilles qu'il pouvait couler. Il sacrifia son repos, se sacrifia
lui-même, se donna tout entier; et bientôt l'on vit ce que peut un évêque,
quand à la piété et au zèle vient se joindre en lui cette haute influence que
donnent la naissance, les talents et une vertu depuis longtemps reconnue
et proclamée. Aussi bien, après la perte de sa vertueuse épouse, y en avait-
il une autre qui fût digne de lui, hormis l'Eglise elle-même ? Le choix ne
pouvait être meilleur : l'élévation de Rhétice à l'épiscopat parut même
tout à fait providentielle dans les circonstances où se trouvait alors l'Eglise.
Constantin venait de succéder à Constance Chlore. Ce prince, il est vrai,
marcha sur les traces de son père et montra même pour la cité éduenne et
pour les chrétiens une bienveillance plus grande encore. Mais l'idolâtrie
comptait encore à Autun de zélés défenseurs, parmi lesquels se distinguait
surtout Eumène. Le rhéteur ne laissait passer aucune occasion d'éclat sans
étaler dans de pompeux discours, au milieu de ses déclamations officielles
et de ses plates adulations pour les Césars, tout le luxe de son érudition
mythologique s. Il fallait donc que les chrétiens pussent lui opposer un
homme d'une haute valeur, estimé et considéré de tout le monde, distingué
par sa position sociale, son mérite et ses talents oratoires, qui pût contre-
1. Greg. Tur., loc. cit. — 2. Orat. pro rest. schol. et Paneg. passlm.
Vies des Saints. — Tomf. V. •*■'
546 15 mai.
balancer auprès de ses concitoyens et auprès du prince l'influence du direc-
teur des écoles Méniennes. Rhétice était cet homme.
Appelé par les vœux des Eduens que leur avait transmis Eumène, Cons-
tantin vint à Autun en 311. Il reçut avec attendrissement une députation des
principaux citoyens et agréa avec bonté leurs hommages. Profondément ému
au récit de leurs maux, il versa des larmes et s'empressa de les consoler en
leur accordant de grandes faveurs, remit les taxes arriérées, diminua les
impôts, accorda de nouveaux secours pour la restauration des édifices
publics et pour l'embellissement de la ville, continuant ainsi l'oeuvre déjà
commencée par son père. De sorte qu' Augustodunum, vaste construction
gallo-romaine commencée probablement sous Auguste, continuée sous
Yespasien, restaurée sous Alexandre-Sévère, fut presque entièrement ré-
tablie sous Constance Chlore et Constantin 1. Mais ce prince, bien qu'on fût
allé à sa rencontre avec les images des dieux, ne parut pas aux temples et
s'occupa fort peu de les relever de leurs ruines.
Constantin, après avoir quitté Autun, s'était rendu à Trêves. Là, s étant
mis à la tête de son armée, il revint avec elle à Châlon où il la fit rafraîchir
et prit le chemin de l'Italie. L'empereur suivait donc la voie impériale % se
dirigeant vers les Alpes pour aller délivrer Rome et le monde de l'infâme
et cruel Maxence, lorsque tout à coup, après avoir adressé une fervente
prière au Dieu qui était encore pour lui le Dieu inconnu, une croix lumi-
neuse apparut dans le ciel, un peu au-dessous du soleil, avec ces mots en
caractères de feu : Par ce signe tu vaincras. C'en est fait : bientôt le prince
se déclare chrétien. Il veut même que la croix et le monogramme du Christ
ornent désormais son casque et sa couronne, brillent sur les écus de ses
soldats et servent d'étendard à son armée. Ainsi fut inauguré le quatrième
siècle, cette grande époque qui se levait sur le monde avec la plus belle
génération de génies que la terre eût encore vue.
Après trois siècles de combats et de victoires, le christianisme avait
donc enfin son jour de triomphe solennel. Il s'assit avec Constantin sur ce
même trône des Césars d'où étaient partis tant d'édits sanglants ; et Rhé-
tice, pour le bien de l'Eglise catholique, pour l'éternel honneur de l'Eglise
éduenne, fut mêlé à cette grande œuvre, à ce prodige de transformation
providentielle : Hœc mutatio dexterx Excelsi. Après avoir sans doute préparé,
à Autun, l'esprit du prince à sa conversion3, il fut encore choisi pour
l'instruire des vérités de la foi *, et mérita d'être appelé le premier caté-
chiste de Constantin, pratocatechista Constantini. Miraculeusement converti
par l'apparition de la croix, non loin, selon toute probabilité, de notre
pays 5, et s'entourant aussitôt des lumières de l'épiscopat, Constantin voulut
1. Mémoires de la Société éduenne, année 1845.
2. Courtépée dit qu'il embarqua ses troupes sur la Saône.
S Car ce fut après son séjour a Autun que Constantin est dit avoir prié le vrai Dieu de se faire con—
naître a lui et de le protéger. (Fleury, Histoire ecclés.)
4. Gagnare, p. 10.
h. Plusieurs historiens placent dans nos contrées, dit M. Dinet d'Autun, le lieu où la croix miraculeuse
aprarnt a Constantin et à toute son armée. Le Père Longueval (Hist. de l'Egl. gall., t. I", p. 167, édit.
in— io, 1730) s'exprime ainsi : « On ne convient pas du lieu où le prince eut cette vision miraculeuse. Il paraît
seulement, par la relation d'Eusèbe, que ce fut dans les Gaules et avant le passage des Alpes ». Un ancien
panégyriste de Constantin suppose évidemment la même chose. De plus, une foule de médailles frappées à
Autun et portant le monogramme du Christ, la croix grecque qui de temps immémorial figure dans les armes
du Chapitre, l'autorité des Pères Perry, Marin, Thomassin, induiraient à placer non loin de nos contrées
l'apparition du prodige qui détermina la conversion de Constantin. — u Quelques auteurs tiennent », dit
Sauinier, « que saint Rhétice imprima dans le cœur de Constantin les sentiments de la foi, et que l'éten-
dard appelé Labarum, et dont il fit porter la figure dans toutes les batailles qu'il livra, lui apparut dans
le territoire de l'église d'Autun. Les meilleurs auteurs distinguent l'apparition de la croix du songe
SALNT RHÉTICE, ÉVÊQUE d'aUTUN. 547
certainement avoir auprès de sa personne celui qui figurait alors au pre-
mier rang parmi les pontifes des Gaules, le prélat si savant, si distingué,
dont il avait pu apprécier le mérite supérieur pendant son séjour à Autun.
Un tel prince devait être initié par un tel maître à la connaissance de nos
dogmes et de nos saints mystères. Ces deux hommes semblaient faits l'un
pour l'autre : ils surent se comprendre dès qu'ils se connurent ; et dès lors
le grand évoque d' Autun jouit toujours auprès du grand empereur de la
plus haute considération. Eumène ne paraît plus : il s'efface et pâlit comme
sa rhétorique. C'est maintenant la voix éloquente de Rhétice qui domine.
Elle se fait entendre dans les conciles, et toutes les paroles qu'elle pro-
nonce sont recueillies avec un soin respectueux *. L'éminent prélat usa du
crédit qu'il avait auprès du prince pour exercer sur lui la plus salutaire
influence. La loi par laquelle Constantin défendit de marquer les criminels
au front, de peur de souiller limage de Dieu, ayant été rendue à Châlon vers
cette époque, on doit penser que l'évêque d'Autun ne fut pas étranger à la
publication de ce sage édit, inspiré par le christianisme et annonçant déjà
toute une révolution 2. L'empereur montra son estime pour Rhétice par
une mention spéciale qu'il fit de lui, au rapport d'Eusèbe, dans une de ses
lettres par laquelle peu de temps après sa conversion, c'est-à-dire le 2 oc-
tobre 313, il se hâta de l'appeler au concile de Rome. L'illustre prélat,
précédé dans cette ville par sa réputation de science et de vertu, reçut
l'insigne honneur d'être placé auprès du pape saint Melchiade, dans cette
auguste assemblée réunie pour juger la cause des Donatistes.
On sait que pendant la dernière persécution, les chrétiens, en Afrique
spécialement, étaient forcés de livrer les saintes Ecritures ; or, plusieurs
cédant à la crainte ou à la violence des tourments eurent la criminelle
lâcheté de se soumettre à l'exigence des persécuteurs. Cécilien, évêque de
Carthage, fut accusé d'avoir été ordonné par des évêques traditeurs. C'est
ainsi qu'on appelait ceux qui avaient livré les saintes Ecritures. Des esprits
mécontents , orgueilleux et brouillons, à la tête desquels était Donat,
mirent en avant ce prétexte aussi faux que frivole, l'exploitèrent avec tout
l'acharnement qu'inspire une jalousie haineuse jointe à une coupable am-
bition, et parvirent à former un puissant parti contre Cécilien. Us se sépa-
rèrent de sa communion, mirent à sa place Majorin sur le siège de Carthage,
et jetèrent ainsi le trouble dans toute l'Eglise d'Afrique. Les schismatiques
ayant refusé de se rendre aux pacifiques exhortations que leur fit de la part
de l'empereur, Ancelin, proconsul de la province, voulurent s'adresser à
Constantin lui-même et lui écrivirent une lettre conçue en ces termes :
« Très-puissant prince, vous qui êtes d'une race juste, vous dont le père
n'a point pris part à la persécution, nous vous prions, puisque la Gaule est
étrangère à nos affaires, de nous donner pour juges des évêques gaulois....»
L'empereur, dans l'espoir de faire cesser le schisme, crut devoir se rendre
à leur demande. Il en écrivit au pape saint Melchiade ; et c'est alors que de
concert avec lui il convoqua ce concile de Rome, où il ne manqua pas d'ap-
qu'eut Constantin aux portes de Rome. Toutefois, cette question est restée un problème historique qui n'a
jamais été parfaitement résolu. Mais ce qui parait certain, c'est la haute estime do Constantin pour saint
Rhétice, l'influence heureuse que cet illustre évêque exerça sur ce prince et la part qu'il eut dans sa
conversion et dans son instruction ». {Annal, de philos, chrét., t. xx; Mgr Devoucoux, Hist. inéd. de
l'église d'Autun.) — D'autres auteurs placent à Arles l'apparition du Labarum.
1. Audi fideliter quod ait homo Dei Rheticius, ah Augustoduno episcopus. (S. Augustinus, lib. I,
Oper. imperf., n. 55.) Rheticium ab Augustoduno magnce fuisse auctoritatis in Ecclesia, etc.. (Id., lib. i,
Cont. Jul. Pelag., c. 3.)
2. Datum XI kal. april. Cêbelluno, Constantino quartum et Licinio quartum coss. Cod. Theod., \. n,
de Fceni3.
548 15 mai.
peler nominativement et en première ligne Rhétice d'Autun, puis Materne
de Cologne et Marin d'Arles, les trois plus saints et plus savants prélats des
Gaules, auxquels furent adjoints quinze évoques d'Italie et vingt d'Afrique,
dix de chaque parti '.
L'auguste assemblée se réunit dans le palais de l'impératrice Fausta,
nommé la maison de Lateran, examina dans trois sessions la cause qui lui
était soumise et prononça contre les Donatistes une sentence dictée par une
sagesse admirable. Ceux-ci, montrant alors tout ce fond d'orgueil et de
mauvaise foi qu'on retrouve dans tous les sectaires, refusèrent de se sou-
mettre à la décision du concile, calomnièrent même leurs juges et en
exigèrent de nouveaux, bien qu'on leur eût donné ceux qu'ils avaient de-
mandés. Constantin, désireux de pacifier l'Eglise d'Afrique et poussant la
condescendance plus loin que ne le méritaient les obstinés et perfides
schismatiques, assembla pour la même cause, l'année suivante 314, un con-
cile à Arles 2. La nouvelle assemblée se composa de trente-trois évêques,
dont treize des Gaules. L'éloquent évêque d'Autun était du nombre. 11 s'y
rendit accompagné du prêtre Amandus et du diacre Philomathius. Invité
des premiers à y porter, comme à Rome l'année précédente, le poids de
sa sagesse, de sa science et de son autorité universellement reconnues, il
fit paraître encore dans cette circonstance importante et solennelle, dit un
de nos historiens % une profonde doctrine, unie à la force de l'éloquence,
laissant une grande admiration de son mérite dans l'esprit de tous les assis-
tants. Les évêques réunis maintinrent et confirmèrent le jugement porté
précédemment contre les Donatistes et firent en outre vingt- deux canons
disciplinaires \
Rhétice, le plus illustre des pontifes assemblés à Arles, dit un historien,
gouvernait l'Eglise d'Autun avec la réputation et l'autorité que sa naissance,
ses talents et sa vertu lui avaient acquises 5. Grand par l'importance de son
siège, — car Autun était sous Constantin une des premières, sinon la pre-
mière ville des Gaules 6 ; — grand par l'estime du Pape et de l'empereur ;
grand dans les sénats d'évêques dont il était la lumière ; grand par son élo-
quence, son mérite et sa célébrité presque universelle comme l'Eglise, il
semble encore grandir à nos yeux par les éloges que lui ont prodigués deux
des plus illustres docteurs de son siècle, saint Augustin et saint Jérôme. Le
premier l'appelle un homme de Dieu.
Le glorieux et saint prélat, qui était la lumière non moins que l'admi-
ration de son siècle, fut encore celle de la postérité par les éloquents écrits
qu'il publia et laissa après lui, à savoir, d'après saint Jérôme, un traité
considérable contre les Novatiens et des commentaires sur le Cantique des
cantiques. Il ne nous reste du premier ouvrage qu'un passage relatif au
péché originel et au baptême, fragment précieux qui fait vivement regretter
la perte d'un tel trésor. Saint Augustin le cite deux fois avec admiration,
avec confiance et comme une autorité prépondérante.
Quant aux commentaires de saint Rhétice sur le sublime épithalame
appelé Cantique des cantiques, ils sont également perdus. Tout ce qu'on en
a conservé se réduit à un seul passage relatif à l'Eucharistie, mentionné par
Sirmond et ensuite par D. Ceillier et D. Rivet. Les ouvrages de saint Rhé-
1. On a encore la lettre de Constantin à Melchiade. (Voir t. ier, Concil. Lab., p. 1405.) Constantin dit
qu'il a choisi ces trois évêques des Gaules comme les plus capables de terminer cette affaire et ceux
dont la vie était aussi sainte que le caractère.
2. L'empereur subvenait aux frais du voyage des e'vèques. — 3. Saulnier. — 4. Concil. Lab., t ief,
p. 1425.
5. Le Père Longueval, t. I", liv. II. — 6. Id.
SAINT RHÉTICE, ÉVÊQUE d'AUTUN. 549
tice existaient encore auxr9 siècle, et il est fort possible qu'ils portent au-
jourd'hui le nom d'un autre auteur.
Rhétice qui, par ses remarquables écrits et par toute sa vie plus remar-
quable encore, avait déployé tant de zèle pour la diffusion de l'Evangile et
la conversion de son peuple, pour l'instruction du premier empereur chré-
tien et les intérêts de l'Eglise universelle, pour la défense de la vérité et de
la sainte hiérarchie, pour le maintien de la discipline ecclésiastique et pour
l'explication des divines Ecritures dont il nourrissait son âme et ensuite son
troupeau, n'en montra pas moins pour le culte et pour les sacrements, ces
canaux mystérieux par lesquels la foi, la piété, la grâce se répandent dans
les cœurs. Il ne se contenta point d'avoir parlé admirablement du baptême;
il voulut rendre plus vénérable encore aux yeux des fidèles ce grand acte
de l'initiation chrétienne et de l'adoption divine, en faisant venir de l'eau
du Jourdain pour la mêler à celle du baptistère de son église qui s'élevait
au milieu des tombeaux de la Via strata l. C'était une sainte et utile pensée.
Car quelle foi vive la vue et le contact de cette eau prise dans le fleuve où
le Sauveur lui-même avait voulu être baptisé pour donner l'exemple aux
hommes, devaient inspirer aux catéchumènes ! Comme les exhortations que
leur adressait le saint évêque au moment de leur immersion dans la fon-
taine baptismale doublement sacrée devaient être frappantes ! Ne croyaient-
ils pas être, ces nouveaux nés en Jésus-Christ, sur cette même rive que
l'Homme-Dieu avait sanctifiée par sa présence? voir, eux aussi, le ciel
s'ouvrir, l'Esprit-Saint descendre sur eux comme il descendit autrefois sur
Notre-Seigneur et entendre ces paroles : « Ce sont là mes enfants bien-aimés ? »
Cette même eau prise dans le lit du Jourdain, par ordre de Rhétice, pour le
baptistère d'Autun, ne produisit pas seulement l'invisible prodige de la jus-
tification, elle servit aussi à opérer des miracles frappants. On la vit plus
tard entre les mains de saint Amateur, évêque d Auxerre, guérir trois
lépreux.
Enfin, après avoir rendu les plus grands services à l'Eglise d'Autun qu'il
illustra et éleva déjà bien haut, à l'Eglise des Gaules, à l'Eglise catholique,
qu'il éclaira par sa doctrine, qu'il édifia par l'éminente sainteté de sa vie ;
après s'être montré l'infatigable promoteur de la piété, le vengeur de la
foi, le marteau des hérésies ; après avoir brillé comme un astre dans le
monde chrétien, pratiqué toutes les vertus avec une perfection égale à la
hauteur de la dignité épiscopale et parcouru une longue carrière de
sainteté et de bonnes œuvres, plein de jours et de mérites, il rendit son
âme à Dieu, vers l'an 334, et alla recevoir du Prince des pasteurs la récom-
pense éternelle, en laissant sur la terre une mémoire bénie, un nom entouré
de la vénération publique, d'une célébrité sans limites et d'une autorité
universellement reconnue.
Au moment des obsèques, le ciel se chargea lui-même de canoniser par
un miracle le grand évêque et celle qui avait été autrefois la compagne de
sa vie, l'associée de ses vertus. Le corps avait été lavé et paré par des mains
pieuses, et on venait de le placer sur le brancard funèbre. Quand tout fut
prêt, les porteurs se mirent en devoir de le transporter dans le lieu saint
destiné à la célébration des funérailles et à l'inhumation. Mais tous leurs
efforts furent inutiles : impossible de lui imprimer le moindre mouvement.
Tous les assistants, frappés de stupeur, se regardaient en silence, muets de
crainte et de respect, ne sachant que faire et que penser, lorsqu'un vieillard
1. Peut-être a l'eau d'un autre baptistère, celui de Sainte-Marie (Saint-Jean le Grand), ou celui do
Saint-Pierre (Saint-Andoche). On ne sait s'ils existaient déjà.
550 15 mai.
rappela la promesse que Rhétice avait faite à son épouse mourante d'aller
la rejoindre dans le tombeau. Aussitôt on se disposa à remplir cet engage-
ment sacré, et alors seulement le Saint permit qu'on emportât son corps.
Ouand il fut près de la tombe chérie, il se ranima et l'on entendit ces mots: ■
« Souviens-toi, tendre épouse, de la demande que tu m'adressas à ton lit de
mort : je viens en ce moment accomplir tes vœux et ma promesse. Fais
place à un frère que tu attendais depuis longtemps. Comme je reposais
autrefois auprès de toi ; ainsi je vais reposer encore. Pour nous le lit des
noces, tu t'en souviens, ne fut pas moins vierge que ne l'est aujourd'hui le
lit du tombeau ». La foule éperdue, frémissante, tombe à genoux ; et pen-
dant qu'elle adore la puissance et la bonté de Dieu à l'égard de ses Saints,
la laveur éclatante dont il récompense même sur la terre l'angélique vertu,
un nouveau prodige vient augmenter la religieuse terreur dont elle est
saisie. On ouvre le tombeau ; et voilà que l'épouse de Rhétice, ranimant
ses membres déjà depuis longtemps glacés par la mort, et rompant les ban-
delettes qui fixaient ses mains le long de son corps, fait un geste approba-
teur, un signe d'invitation affectueuse à celui qui fut son époux, son ami,
son frère 2. On se hâte d'obéir à ce merveilleux appel, on rapproche les
chastes époux qui s'attendaient ; et au moment du contact le tombeau
commun s'agite : il semble s'associer par un tressaillement de joie au
bonheur de la réunion promise et tant désirée. Maintenant que ce vœu d'un
pur amour est rempli, tout rentre aussitôt dans le calme mystérieux, dans
l'immobilité solennelle de la tombe : les deux Saints n'avaient plus qu'à
reprendre, à côté l'un de l'autre, leur doux sommeil un moment interrompu,
en attendant dans la paix du Seigneur le réveil de la résurrection.
Alors le miraculeux sépulcre fut refermé avec un pieux respect et en-
touré toujours depuis d'une religieuse vénération. La mémoire chère et
bénie d'un homme de Dieu, et la mémoire d'un prodige y restèrent atta-
chées pendant tous les siècles. C'est encore ce même champ, lieu déjà si
saint, déjà consacré par des reliques bien précieuses et voisin de la tombe
de saint Symphorien, c'est le cimetière de la Via strata qui eut l'honneur de
recevoir le tombeau de marbre où furent déposés, à l'ombre de l'église de
Saint-Etienne1, les restes de celui qui avait été une des plus grandes
figures de son siècle et une des plus brillantes gloires de l'Eglise d'Autun.
Là le pieux et naïf historien Grégoire de Tours vint prier et recueillir ce
merveilleux récit. Là, au siècle dernier, on voyait encore le tombeau de
notre grand évêque, élevé de terre sous une arcade creusée dans le mur
méridional de l'église de Saint-Pierre-l'Etrier où il avait été transporté et
où se lisait une inscription relativement récente.
Un poëte espagnol, Juvencus, qui florissait dans le même siècle, inspiré
par les merveilles de la vie et de la mort de saint Rhétice, lui consacra
aussitôt le début d'un poëme où, après avoir chanté notre grand évoque, il
célèbre la gloire de Jésus-Christ et finit par la louange de Constantin.
Cf. Saint Symphorien et son culte, par M. l'abbé Dinet.
1. Si le tombeau de saint Rhétice n'était pas d'abord dans l'église de Saint-Etienne au moins il y fut
placé pins tard.
2. Immensum dictu
Deprensa est lasvam protendens fœtnina palmam,
Invitans socium gestu viventis amoris.
Appendix ad opéra Juveiici, PaUol. de Migne, t. xix, p. 381.
SAINTE DYMPNA, VIERGE, ET SAINT GÉRÉBERNE, PRÊTRE. 551
Su DYMPNA1, VIERGE ET S. GEREBERNE, PRETRE,
MARTYRISÉS A GHEEL, EN BRABANT
vu* siècle.
La virginité, inconnue aux idolâtres, a toujours jeté un très-vif éclat au
milieu des peuples barbares, dès les premiers moments de leur conversion à
la foi : elle n'a pas peu contribué à leur faire comprendre toute la sainteté et
la sublimité du christianisme, et en même temps adoucir leurs mœurs dures
et farouches. La vie de sainte Dympna, en particulier, offre un exemple
extraordinaire, mais qui s'est renouvelé plus d'une fois chez ces nations
dont saint Jérôme disait qu'elles ne connaissaient aucune loi dans leurs
alliances, et suivaient avec une aveugle brutalité tous les instincts de leurs
passions grossières.
Dympna était fille d'un roi ou prince de Bretagne : peut-être faut-il
entendre sous ce nom le successeur d'un chef des Angles ou Saxons,
qui vinrent faire invasion dans cette île, aux ve et vr9 siècles. Son père était
païen ; sa mère, dont les actes ne disent que ce seul mot, était chrétienne
comme sa fille. Un saint prêtre nommé Géréberne, qui vivait dans les en-
virons de leur demeure, les avait baptisées l'une et l'autre, et les entrete-
nait dans la pratique de la religion. De bonne heure la jeune Dympna donna
les plus belles espérances, et sa vertu qui se développait en elle avec les
années, annonçait déjà qu'elle saurait dans l'occasion faire preuve d'un
grand courage. Elle était douce, modeste, pleine de retenue, de pudeur, et
ne cherchait à plaire en toutes choses qu'à Dieu et aux auteurs de ses jours.
Dympna perdit sa mère dans un âge peu avancé encore, et cette perte,
déjà si triste pour son cœur, devint encore pour elle l'occasion d'une
grande et pénible tentation.
En effet, son père, que la mort de son épouse avait rempli d'une pro-
fonde douleur, ayant dans la suite formé le projet de se remarier, ordonna
à ses officiers de lui faire connaître une personne dont les traits pussent lui
rappeler celle qui lui avait été si chère. Après de longues et inutiles re-
cherches dans la contrée, ils vinrent le trouver, et par un inconcevable
oubli de toute pudeur, ils lui conseillèrent d'épouser sa fille Dympna, dont
les traits de ressemblance avec sa mère étaient frappants.
Malgré l'horreur qu'inspire la nature pour de semblables alliances, la
corruption et la grossièreté de ces peuples ne les repoussaient point tou-
jours : aussi n'est-on qu'à demi étonné en voyant le roi barbare accepter la
proposition de ses officiers 2. La jeune vierge frémit à cette parole, et mal-
gré toutes les instances et toutes les promesses qu'on lui faisait, elle dé-
clara qu'elle n'y consentirait jamais. Comme ses refus ne faisaient qu'irriter
les désirs de son père, elle demanda quarante jours pour réfléchir. Le roi y
consentit, ne doutant pas que, cet intervalle écoulé, elle se rendrait à ses
1. Et encore Dympfcue.
2. On peufc voir dans saint Jérôme (lîv. u, contre Jovinien), ce qu'il rapporte des mœurs des Barbares
et des alliances qu'ils contractaient. Apres de pareils exemples, il n'y a rien qui doive nous étonner dans
celui que nous avons ici sous les yeux. Certains auteurs, avant de crier à l'invraisemblance, devraient du
moins examiner ces choses.
552 15 MAI.
sollicitations ; mais la pieuse Dympna avait dans le cœur une pensée bien
différente.
Elle visita aussitôt le saint prêtre Géréberne, qui continuait de la diri-
ger dans la vertu et la pratique de ses devoirs : là, elle exposa à ce véné-
rable vieillard la situation critique dans laquelle on la plaçait. Géréberne,
hors de lui-môme en l'entendant ainsi parler, leva les yeux au ciel, et con-
jura le Seigneur de lui faire connaître sa volonté dans un si pressant danger.
Dieu exauça cette fervente prière de son serviteur, et lui déclara qu'il fal-
lait réaliser au plus tôt le projet conçu par la jeune vierge, et fuir dans un
pays étranger où elle pourrait le servir sans obstacle. Dès ce moment,
Dympna fît, avec des précautions extrêmes, tous les préparatifs de son dé-
part : elle gagna un serviteur de son père et son épouse, qui promirent de
l'accompagner avec le saint prêtre Géréberne. Tout étant disposé, ils profi-
tèrent d'un moment favorable et se mirent en mer, s'abandonnant au mi-
lieu des flots à la Providence qui leur avait inspiré cette résolution. Elle no
les abandonna pas ; après une heureuse traversée, ils abordèrent non loin
dps embouchures de l'Escaut, près des lieux où se trouve aujourd'hui la
ville d'Anvers. S'étant mis aussitôt à chercher une retraite où ils pussent se
reposer de leurs fatigues, ils s'arrêtèrent à Gheel.
Ce pays était alors peu habité : on ne voyait presque partout que des
broussailles ou des bois, au milieu desquels ils rencontrèrent une petite
église dédiée à saint Martin. Ce lieu leur parut convenable : ils s'y arrêtè-
rent, et c'est là que, dès ce moment, le saint prêtre Géréberne célébra les
divins mystères. A quelque distance, ils construisirent, dans le lieu appelé
Zemmale, une petite habitation, où ils vécurent l'espace de trois mois dans
les prières, les jeûnes et la pratique de toutes les vertus.
Cependant le père de Dympna fut bientôt averti de la fuite précipitée de
sa fille, et il en fut pénétré de douleur : aussitôt il envoie de toutes parts
des gens pour chercher à connaître où elle s'est cachée ; lui-même, accom-
pagné d'un grand nombre de gens armés, se met à sa poursuite, et, s'embar-
quant sur ses vaisseaux, il arrive auprès des embouchures de l'Escaut où
quelques indices semblaient lui faire espérer de trouver la fugitive. Il
ordonne alors à une partie des siens de se disperser dans le pays, comme
ils avaient fait précédemment en Bretagne, et de s'informer partout si sa fille
a paru dans la contrée. Quelques-uns d'entre eux étant arrivés dans un
village appelé Westerloo, assez proche de Zemmale, passèrent la nuit dans
une auberge, puis le matin, au moment de partir, ils payèrent l'hôte qui les
avait traités. Celui-ci, en recevant de leurs mains des pièces d'argent, les
regarda avec attention et observa qu'elles étaient tout à fait semblables à
d'autres pièces qu'il possédait : cette réflexion frappa les envoyés qui lui
demandèrent de qui il avait pu recevoir une monnaie étrangère comme
celle-là. C'est, dit l'hôte, d'une jeune fille de Bretagne qui mène une vie
solitaire et retirée non loin d'ici, et qui achète avec ces pièces les choses
nécessaires à la vie. Ces paroles ne firent qu'augmenter les soupçons des
officiers du roi : ils l'interrogèrent de nouveau sur l'extérieur de cette per-
sonne, son âge et ses traits; l'hôte répondit encore à ces questions; il
ajouta qu'elle était accompagnée d'un vénérable vieillard, prêtre, et de
plusieurs autres personnes ; que du reste, s'ils le désiraient, il pourrait les
conduire en peu de temps au lieu qu'elle habitait. Les envoyés acceptèrent
cette proposition avec joie, et ayant accompagné leur guide, ils arrivèrent
dans un lieu désert, inculte, sauvage, où, au milieu d'autres personnes, ils
aperçurent Dympna qu'ils connaissaient très-bien. Aussitôt ils s'empresse-
SAINTE DYJIPNA, VIERGE, ET SAINT GÉRÉBERNE, PRÊTRE. 553
rent de venir annoncer cette nouvelle au roi, qui se mit en chemin avec les
gens de sa suite, et se rendit à l'endroit indiqué. Arrivé près de sa fille, il lui
adresse tour à tour des paroles flatteuses, des reproches et des promesses.
« Qu'avez-vous pensé, en fuyant ainsi votre père, et comment avez-vous pu
abandonner son palais, pour venir habiter cette solitude affreuse ? Ne savez-
vous donc pas quelle place vous est destinée dans mon roj'aume ? Est-ce
que les paroles d'un vieillard décrépit et sans force auraient troublé votre
esprit au point de vous faire perdre de vue les honneurs qui vous attendent
près de moi ? »
Le vénérable prêtre Géréberne, qui était présent quand le roi parlait
ainsi, ne put s'empêcher de prendre alors la parole : « 0 roi », lui dit-il,
« comment la passion a-t-elle pu ainsi pervertir vos pensées? comment pou-
vez-vous concevoir des projets si contraires à votre gloire et à la vertu de
votre fille? Ignorez-vous donc que la pureté est le plus précieux de tous les
trésors, qu'elle donne la sagesse aux jeunes gens, et aux vieillards la sain-
teté? Cessez de tenir un pareil langage, indigne de vous, ne sollicitez pas
davantage votre fille, elle persiste et persistera toujours dans son généreux
dessein ». Puis, se tournant vers Dympna, il l'exhorta de nouveau à ne
point écouter les propositions criminelles qui lui avaient été faites.
Plein de fureur en entendant ce discours, le roi fait saisir le vénérable
Géréberne par ses gens qui l'accablent d'injures et de coups; et voyant
qu'il continue de protester à haute voix contre une telle violence, il donne
un signe, et les soldats le renversent sans vie. Après de nouvelles instances
qui provoquent de nouveaux et plus énergiques refus de la part de Dympna,
le roi s'irrite, menace et déclare à sa fille que si elle ne renonce à suivre
les folles pensées que lui a suggérées ce misérable vieillard, qui vient de
payer de sa tète son audace et son insolence, elle ressentira elle-même les
effets de sa colère. « Mon Père », répond Dympna, a n'espérez pas d'obtenir
mon consentement, jamais je ne le donnerai ».
A ces mots, le roi furieux commande à ses gens de la tuer ; mais ils
n'osent obéir à un pareil ordre donné dans la colère. Voyant leur hésitation,
il saisit lui-même son glaive, et, d'un seul coup, il abat la tête de sa fille,
qui tombe à ses pieds baignée dans son sang. Le corps de Dympna et celui
du vénérable Géréberne restèrent quelques jours exposés aux animaux et
aux oiseaux de proie qui les respectèrent ; puis, de pieux habitants du pays
les déposèrent dans la terre. Plus tard, à cause des miracles qui s'opéraient
en ce lieu, le clergé et le peuple cherchèrent les restes des deux martyrs,
et les trouvèrent renfermés dans deux tombeaux d'une pierre extrêmement
blanche : ce qui parut d'autant plus étonnant que toutes les pierres dans
ce pays sont noires. Peut-être Dieu voulut-il manifester de cette manière
combien lui avait été agicable le sacrifice de ces deux martyrs de la chasteté.
Il se fit depuis un grand nombre de guérisons extraordinaires au tom-
beau des deux Saints. De toutes parts on y accourait pour implorer leur
protection. C'est alors que les habitants de Xantes sur le Rhin cherchèrent
à s'emparer de ces reliques, afin de les conserver au milieu de leur ville ;
mais ayant été surpris au moment où ils venaient de les enlever, ils furent
forcés de les rendre. Les principaux habitants de Gheel pensèrent alors à
agrandir l'église dans laquelle était renfermé le tombeau, et à placer les
reliques de sainte Dympna dans une châsse plus belle. On en prépara une
qui était très-riche, et dans laquelle l'évêque de Cambrai transporta ces
vénérables dépouilles.
L'époque précise de la mort de sainte Dympna n'est pas connue. Les
554 15 mai.
auteurs varient sur l'année qui peut être placée vers le milieu de la seconde
partie du vne siècle. Pour le jour, le manuscrit d'Utrecht, qui rapporte la
vie de la sainte, le fixe au 30 mai ; mais c'est le 15 que sa fête est célébrée.
Le village de Gheel prit beaucoup d'accroissement par le culte et les
miracles de sainte Dympna. On y trouve dans la suite une baronie, un hôpi-
tal, et une église qui fut érigée en collégiale.
On représente sainte Dympna tenant un démon enchaîné ; c'est qu'elle
est renommée pour la délivrance des possédés et la guérison de la folie et
de l'épilepsie ; car ce qui était possession chez les anciens est regardé comme
folie ou épilepsie chez les modernes. A ce titre, on a établi à Gheel, sous
son patronage, une maison d'aliénés, aussi célèbre en Belgique que Bicêtre
chez nous : cette maison existe de temps immémorial.
Si Ton nous demande pourquoi l'on invoque sainte Dympna pour les
possédés, aliénés ou épileptiques, nous trouvons facilement le motif de ce
patronage dans l'acte insensé de son père qui, à son projet d'inceste, ajouta
le meurtre : par un rapprochement facile à concevoir, il est naturellement
venu à l'esprit du peuple d'invoquer contre la folie celle qui avait été vic-
time de la fureur et de la démence de son père.
Nous avons emprunté cette Vie aux Mes des Saints de Cambrai et d'Arras, par M. l'abbd Destonfbe».
LES APOTRES DE L'ESPAGNE
SAINT TORQUAT A CADIX, SAINT CTÉSIPHON A VIERÇO, SAINT SECOND A AVTLA,
SAINT INDALÈCE A PORTILLA, SAINT CÉCILIUS A ELVIRE.
SAINT HÉSICmUS A GIBRALTAR ET SAINT EUPHRASE A ANDUJAR (ler siècle).
D'après le Martyrologe romain, le témoignage de Grégoire VII et une lettre adressée au roi
Alphonse, les apôtres saint Pierre et saint Paul envoyèrent sept missionnaires destinés à évangé-
liser l'Espagne. Ils étaient âgés déjà et, après être débarqués à Cadix, fatigués de leur voyage, ils
s'arrêtèrent en une campagne agréable d'où ils envoyèrent à la ville afin d'acheter les provisions
dont ils avaient besoin pour vivre. Il y avait, à Cadix, fête en l'honneur des faux dieux. En voyant
ces hommes, qui paraissaient étrangers, les idolâtres craignirent que leurs cérémonies ne fussent
troublées, ils voulurent outrager ces inconnus, qui se retirèrent afin d'éviter le péril qui les me-
naçait. Les idolâtres revinrent à leur poursuite, mais le ciel intervint. Un pont de pierres se pré-
sente, les chrétiens passent, mais, à peine les gentils se sont-ils engagés sur ce pont qu'il s'écroule
et s'engloutit ('ans les eaux avec ceux qu'il portait. Les idolâtres sont frappés de ce dont ils vien-
nent d'être témoins et ils commencent à regarder les chrétiens avec crainte et avec respect. Les
conversions commencèrent et se multiplièrent dans Cadix. Saint Torquat devint évêque de la ville,
et ses compagnons se dispersèrent dans différentes parties de l'Espagne, qu'ils éclairèrent des
lumières de la foi. On ne sait rien du martyre de ces apôtres.
On raconte qu'un olivier, planté de la main de saint Torquat, devant l'église qui lui est dédiée,
à Cadix, fleurissait miraculeusement chaque année, le jour de la fête de l'apôtre, au giand étonne-
ment des idolâtres. Son corps se voyait autrefois et se voit peut-être encore aujourd'hui en un
monastère de Saint-Benoit, près de la ville d'Orense, en Galice. Avila possède une église de saint
Second, et se croit en possession de ses reliques, transférées dans une chapelle magnifique, bâtie
par les soins de l'évêque Jérôme-Marie. Saint Cécilius est le patron d'une paroisse de Grenade.
Les Aragonais ont une grande dévotion à saint Indalèce, dont ils possèdent les reliques. Le corps
de saint Euphrase est en Galice, où se voit une église qui lui est dédiée, sur la montagne du Val
d'Emmaùs, près d'un couvent de saint Benoit. La fè'.efle ces martyrs se célèbre le 15 mai.
Propre d'Espagne.
SALNT FRANCHY, ERAtITE EN NIVERNAIS. 555
S. ROBERT, CONFESSEUR DANS LE DIOCÈSE DE MAYENCE (ix« s.).
L'aïeul maternel de saint Robert • était originaire de la Lorraine, et avait de riches possessions
près de Bingen, là où la Nahe se jette dans le Rhin, au-dessous de Mayence. Il vivait du temps
de Cbarlemagne, il était considéré parmi les princes de ce temps, et il maria sa fille Berthe, la
mère de noire Saint, à un duc païen, nommé Robolaùs, homme d'un caractère grossier et d'une
mauvaise conduite. Berthe reçut en dot les biens que son père possédait sur le Rhin. Robert
n'avait que trois ans, lorsque son père mourut dans un combat contre les chrétiens. Berthe passa
le reste de ses jours dans une continence parfaite, et consacra tous ses soins maternels à son
jeune fils, qui avait reçu beaucoup de dons de la grâce, et qui, à l'âge de sept ans, demanda de
son propre mouvement à être instruit dans les sciences.
Depuis ce temps, on remarqua en lui la plus tendre charité envers les pauvres : quand il ren-
contrait des enfants indigents, il les amenait à sa mère, en disant : « Ma mère, voilà tes enfants ! »
et alors Berthe, les accueillant avec bonté, répliquait : « Mon fils, voilà tes frères ». Un autre
trait de la vie du pieux enfant mérite aussi que nous le citions. Il n'avait que douze ans, lorsque
Berthe lui fit part du projet qu'elle avait de faire bâtir une église en l'honneur de Dieu. « Ne faites
pas cela, ma mère », repartit Robert, c observons d'abord les paroles du Saint-Esprit ; car le Pro-
phète 2 dit : Faites part de votre pain à celui qui a faim, et faites entrer dans votre maison
les pauvres et ceux qui ne savent où se retirer. Lorsque vous verrez un homme nu, revêtez-le;
et ne méprisez point votre propre chair ». La mère, touchée par ces paroles, éleva quelques
maisons pour les pauvres et les infirmes.
Il se voua pendant trois ans au service des malheureux et des malades ; il lavait les pieds aux
pauvres et s'acquittait avec joie des emplois les plus bas. Après cela, il prit la résolution de
quitter la maison paternelle, de renoncer à tous les biens temporels et de se consacrer, à l'exemple
de saint Alexis, au service du Seigneur, dans des pays étrangers. Sa mère, qui l'aimait tendre-
ment, craignant que son fils, dans un âge aussi tendre encore, ne tombât dans les pièges du monde
et de l'ennemi des hommes, employa les prières et les larmes pour le détourner de son projet, et
le pria de faire à Dieu le sacrifice de son cœur, sans se séparer d'elle. Elle lui accorda cependant
la permission de faire un pèlerinage aux tombeaux des saints Apôtres, où il s'arrêta, en effet, pen-
dant quelque temps, se livrant à de ferventes prières et à d'austères pénitences.
Après son retour auprès de sa pieuse mère, il passa encore quelques années dans l'exercice de
toutes les vertus; il bâtit plusieurs églises et mourut saintement à l'âge de vingt ans, sous le
règne de Louis le Débonnaire. Son corps reposait à côté de celui de sa mère, dans le couvent de
femmes élevé en son honneur sur le Mont-Robert [Ruperts-berge), près de Bingen, sur la rive
gauche de la Nahe.
Tiré de Raess et Weiss, p. vi, p. 459. Voyez la Vie du Saint, écrite par sainte Hildegarde. Cette Vie
fut publiée par le jésuite Busée, d'après un manuscrit de la bibliothèque de Mayence, par Nicolas Sera-
rius, 1. i Rerum Mogunt., c. 35 ; traduite en allemand, par Jacques Kobel, secrétaire de la ville- d'Op-
penheim, sur le Rhin, à quatre lieues au-dessus de Mayence, en 1524. Voyez Trithème, de scriptor. eccl.
in Chron. Spanheim, ad ann. 1148, et in Chron. Hirsaugiensi, ad ann. 1150; Henschenius, t. m maii,
p. 503; Johannis, Rerum Mogunt., t. I, p. 186, c. 35, et le Proprùtm Mogunt., ad 15 maii. — Godescard,
édition du Bruxelles.
SAINT FRANCHY, ERMITE EN NIVERNAIS (vu8 siècle).
Né dans les Amagnes — ou Terres aux Moines, ainsi dénommées parce que les moines les avaient
défrichées — Franchy se retira de bonne heure au monastère de Saint-Martin de la Bretonnière.
Dieu permit autrefois au démon de la jalousie d'entrer dans le paradis terrestre, il ne faut pas
nous étonner si quelquefois le même démon exerce ses ravages jusque dans les maisons les plus
parfaites : c'est ce qui arriva à l'égard de saint Franchy. Sa vie toute sainte, son amour de la
1. Autrement Ropert et Rupert.
2. Busée et Serrarius se trompent en disant : dicit enim Christus ; car les paroles qui suivent «ont
d'Isaïe, lviii, 7.
556 15 mai.
discipline et toutes ses vertus étaient la condamnation de la vie tiède et relâchée de quelques-uns
de ses frères, et ils ne tardèrent pas à lui tendre des pièges. Comme il savait se plier à tous les
besoins de la maison et se rendre propre à toutes les fonctions, il fut chargé un jour de faire le
pain nécessaire au monastère ; mais ses envieux, désirant le mettre en défaut, cachèrent tous les
instruments de la boulangerie. Franchy, ne les trouvant pas, mit sa confiance en Dieu : cette con-
fiance ne fut pas trompée ; il fît le signe de la croix, commença son travail, quoiqu'il n'eût
pas ce qui était nécessaire, et le pain fut prêt à l'heure et parfaitement conditionné.
Dans ces temps de guerres continuelles, les monastères n'étaient pas épargnés ; celui de Saint-
Martin de la Dretonnière fut dévasté et consumé par les flammes.
Franchy prit la résolution de se retirer dans une solitude : c'est ce qu'il fit avec un des frères
nommé Antoine. Là, ils menèrent la vie la plus mortifiée, vivant d'herbes et de racines. Arrivé à
un âge avancé, saint Franchy résolut de revenir sur le sol natal ; il se mit donc en route avec
frère Antoine, mais ses forces l'abandonnèrent et il était sur le point de rester en route. Cepen-
dant Dieu voulait qu'il fût après sa mort le protecteur des lieux qu'il avait édifiés dans son en-
fance et pendant sa vie ; deux taureaux indomptés, dit la légende, se présentèrent : Antoine leur
prépara un joug et une espèce de véhicule, sur lequel il plaça le saint vieillard, qui put de cette
manière regagner son pays natal, où il mourut plein de vertus et de mérites, vers le milieu du
vne siècle. On construisit, sous la protection du Saint, un monastère au lieu même où il avait
passé son enfance. Au ixe siècle, l'église de ce monastère avait un titre abbatial ; elle fut brûlée
peu de temps après; et, en 1031, Hugues II, évèque de Nevers, abandonna aux chanoines de son
église toutes les dépendances de l'abbaye de Saint-Franehy. On y fit reconstruire une église, qui
devint paroissiale. Plusieurs autres églises du diocèse de Nevers sont sous son invocation, entre
autres celle d'Amazy. L'ancienne paroisse de Poussignol, maintenant réunie à Blismes, l'honorait
aussi comme son patron. Nous n'avons aucun détail sur les reliques de saint Franchy. Nous lisons
dans le Légendaire d'Autun qu'elles furent transportées dans l'abbaye de Saint-Symphorien de
cette ville. L'époque de cette translation n'est pas indiquée.
La fête de saint Franchy se célébrait autrefois le 16 mai ; on l'a avancée d'un jour à cause de
eon occurrence avec celle de saint Pèlerin.
Hagiologie de Nevers.
LE BIENHEUREUX JACQUES DE VICOIGNE (1279).
Une âme pure et innocente, que Dieu combla des plus abondantes bénédictions, à qui il inspira
de bonne heure l'amour de la retraite et du recueillement et qu'il se hâta d'appeler à lui dans les
cieux, tel est, en peu de mots, l'exposé de la vie du bienheureux Jacques, religieux de Yicoigne.
Il était encore dans les années du noviciat et se préparait avec une admirable ferveur à faire
ses vœux de religion, lorsqu'il fut attaqué d'une maladie mortelle. Quelques jours avant son trépas,
il fut tout à coup ravi en extase ; puis, au moment où il revint à lui, on remarqua sur ses traits
des signes d'une joie extraordinaire. Le maître des novices et d'autres personnes qui étaient pré-
sentes, lui en ayant demandé la cause, il leur répondit qu'il avait vu dans le ciel sa place préparée
au milieu des chœurs de vierges. En même temps, il les pria de chanter avec lui cette invocation
qu'il avait si souvent répétée avec ses frères : « Salut Marie; espérance du monde ». Presque au
même moment, le pieux jeune homme remettait paisiblement son âme à Dieu, l'an 1279. Trois ans
plus tard, en travaillant aux fondations d'une nouvelle église, au monastère de Vicoigne, ou trouva
le corps virginal du saint religieux encore frais et sans corruption, quoique les linges dans les-
quels on l'avait enveloppé fussent gâtés. Son visage était si bien conservé qu'on aurait cru qu'il
respirait encore. Dieu, sans doute, voulut manifester ainsi la grande pureté de son serviteur et
combien il chérit les âmes chastes. Les religieux levèrent respectueusement le corps de leur jeune
et vertueux confrère, le renfermèrent dans un beau sépulcre et le déposèrent dans leur nouvelle
église, où il reçut depuis lors les hommages de leur respect et de leur amour.
M, l'abbé Destombes.
MARTYROLOGES. 557
XVI' JOUR DE MAI
MARTYROLOGE ROMAIN.
A Gubbio, en Italie, saint Ubald, évêque, illustre par ses miracles. 1160. — En Isaurie, le
triomphe des saints martyrs Aquilin et Victorien. — A Auxerre, la passion de saint Pébégrin,
premier évêque de cette ville, qui, ayant été envoyé dans les Gaules avec d'autres clercs par le
pape saint Sixte II, y accomplit le devoir de la prédication évangélique, et, ayant été condamné
à avoir la tète tranchée, mérita la couronne de la vie éternelle. — A Uzale, en Afrique, les saints
martyrs Félix et Gennade. me s. — En Palestine, le martyre des saints moines tués par les Sar-
rasins dans la laure de saint Sabas l. 614. — En Perse, les saints martyrs Abdas, évêque, sept
prêtres, neuf diacres et sept vierges, qui furent tourmentés de divers supplices sous le roi Isde-
gerde, et accomplirent un glorieux martyre -. 351. — A Prague, en Bohème, saint Jean Népo-
mucène, chanoine de l'église métropolitaine, qui, pour avoir refusé constamment de violer le
secret de la confession, fut jeté dans la rivière de Moldau, et mérita la palme du martyre. — A
Amiens, en France, saint Honoré, évêque. Vers 600. — Au Mans, saint Domnole, évêque l. 581.
— A la Mirandole, dans l'Emilie, saint Possidius, évêque de Calâmes, disciple de saint Augustin,
et l'historien de sa vie. — A Troyes, saint Fidole ou Phal, confesseur. 540.— En Irlande, saint
Brandan, abbé *. 577. — A Fréjus, sainte Maxime, vierge, qui reposa en paix, illustre par beaucoup
de vertus 3.
1. A trois lieues de Bethle'em. Ce massacre eut lieu sous le règne malheureux d'Héraclius, a l'époque
où Chosroës, roi de Perse, prit Jérusalem et emmena en captivité saint Zacharie, évêque de Jérusalem, et
un grand nombre de chrétiens de la Palestine. Les Arabes ou Sarrasins profitèrent des désastres de la
Palestine pour l'envahir à leur tour et piller tout ce qui n'était pas tombé sous la main des Perses. Les
Martyrs de la Laure de Saint-Sabas furent au nombre de quarante-quatre : c'étaient de vieux moines qui
n'avaisnt pu ou n'avaient pas voulu prendre la fuite. 614. AA. SS.
2. L'énumération de ces Martyrs est incomplète dans Baronius, disent les Bollandistes : la voici d'a-
près le synaxaire des Grecs : « ... Combat des saints martyrs Abdas et Abdiésu, évêques; de seize prêtres,
de neuf diacres, de six moines et de sept vierges, tous originaires de Caschar (en Chaldée). Saint Abdiésu
était évêque de Beth-Chascar : il fut dénoncé par son propre cousin paternel... » Ce sont, toujours d'après
les Bollandistes, les compagnons de saint Abdiésu qui viennent d'être énumérés : ils étaient trente-neuf.
Ceux de saint Abdas étaient au nombre de trente-huit : ce qui modifie notablement, on le voit, le test©
de Baronius. Ajoutons que saint Abdiésu souffrit sous le roi Isdegerde et saint Abdas sous Sapor.
3. Franc d'origine et ami particulier de Clotaire, roi de Soissons, il fut d'abord abbé du monastère de
Saint-Laurent de Paris. Il refusa l'évêché d'Avignon, où la population, encore toute romaine de mœurs et
de langage, eût vu d'un mauvais œil un fils de leude; mais il accepta celui du Mans, qui l'éloignait moins
du roi. son protecteur. L'œuvre principale de son épiscopat fut la fondation de l'abbaye de Saint-Vincent
au Mans. Nous avons raconté, à la Vie de saint Prétextât de Rouen, la prévarication des évêques qui con-
damnèrent ce prélat. Domnole fut un de ces évêques pusillanimes; ce qui prouve que la sainteté ne va
pas sans les défauts inhérents à notre pauvre nature humaine et nous doit être un encouragement dans
nos chutes et nos faiblesses (560—581). — D. Piolin.
4. Saint Brendan l'Ancien, célèbre moine irlandais, — encore nommé Broladre en Normandie, — fut
précepteur de saint Malo, qui habita l'île de Jersey, dépendante du diocèse de Coutances au moins jus-
qu'au xve siècle. On trouve encore dans cette île une église paroissiale sous le nom de ce saint Abbé qui
mourut en Irlande entre 577 et 578. — Notes locales.
5. Le culte de sainte Maxime est célèbre en Provence; sa mémoire est en vénération surtout dans le
diocèse de Fréjus, mais on ne connait point sa vie. Les martyrologes la nomment dès le ix* siècle. Cal-
lian, petit bourg de 2,000 habitants, dans l'arrondissement de Draguignan, fut pendant plusieurs siècles
on possession de ses reliques; on l'en déposséda pour les porter à Fréjus; mais, en 1510, on les rendit.
En 1G77, Callian céda une des côtes de la Sainte à l'évêque de Fréjus, qui la déposa dans sa cathédrale
oh on la vénère encore aujourd'hui. Les seigneurs de Grasse se disaient de la famille de sainte Maxime.
Une tradition locale veut qu'elle ait été sœur de saint ïropez. Plusieurs bourgs et villages de la Provence
portent le nom de Sainte-Maxime. Les monuments et documents concernant la Sainte ont sans doute péri
dans les invasions des Sarrasins. — Acta Sanct. et Propre de Fréjus.
558 16 mai.
martyrologe de france, revu et augmenté.
A Bordeaux, saint Fort, évèque et martyr, dont la mémoire se renouvelle tous les ans ec cette
ville par des offices publics ce même jour *. — Aux environs de Bourges, saint Victorin, martyr. —
Au diocèse de Chartres, saint Eman, martyr, qui fut tué pour sa piété, avec saint Maurille et saint
Almaire. vie s. — A Muret, en Gascogne, saint Germier, évèque de Toulouse, et ses clercs, saint
Dulcide et saint Précieux, dont les corps ont été transférés dans l'église de Saint-Jacques de ladite
ville de Muret. Vers 561. — A Séez, S. Axnobert. évèque et confesseur. Né dans le pays bessin,
1. Ce saint Martyr, aussi populaire chez les Latins que chez les Grecs, très-populaire dans plusieurs
paroisses du diocèse de Bordeaux, aurait été' décapité avec deux enfants et après plusieurs tourments. Il
est presque toujours représenté attaché à un chevalet ou tenant un peigne de fer.
L'histoir- se tait sur saint Fort et n'a rien qui puisse fixer avec certitude le sens des monuments oh
l'on croit le voir soit à l'église de Saint-Seurin de Bordeaux, dont la crypte lui est consacrée tout entière,
soit dans plusieurs églises du diocèse. Mais ce silence de l'histoire n'est-il pas une preuve de l'éloigne-
ment considérable de l'époque à laquelle il appartient? En général, plus les Martyrs se rapprochent du
berceau du christianisme, plus leurs Actes ont été brefs, rares et difficiles a conserver. C'est leur carac-
tère de n'avoir laissé de leur vie que la gloire de leur martyre.
Nous sommes porté à croire que saint Fort fut institué évèque de Bordeaux par saint Martial, an
iet siècle: qu'il fut le premier évèque de cette ville, et qu'il est le même que Sigebert dont 11 est parlé
dans la légende de saint Martial, de sainte Véronique et de s:int Amadour.
Sigebert, nom d'origine germanique, introduit dans une scène qui se passe au i" siècle, dans une pro-
vince romaine, offre une difficulté. Mais si l'on admet — et la chose a été prouvée — que la légende de
saint Martial a été rédigée au vi* siècle, on admettra aussi que l'auteur n'a fait que traduire le nom latin
de saint Fort par le mot qui lui correspond dans la langue des Francs venus d'outre-Rhin, car Sigebert
signifie « homme fort par la puissance ». Sigebert se compose du tudesqne Sieg (sige en anglo-saxon),
■victoire, et de beorth, célèbre, illustre. Selon d'autres, il se formerait de sige, sieg ou sighe, victoire, et
de werth, digne; ou bien de sieg, victoire, et de barde, chantre, vainqueur, ou enfin Sigebert signifierait
barbe victorieuse. Ces variantes ne modifient pas sa signification, que renferme tout entière le latin Fortis
ou le franc lis Fort fûict. de Trévoux).
Notons encore que le nom de Sigebert ou Sigisbert était si fréquemment porté au vie siècle, qu'il est
très-probable que le chroniqueur aura voulu faire sa cour à quelque seigneur ou évèque en traduisant
Fort par Sigebert; ce en quoi il ne manquait point a la vérité historique. N'en faisons-nous pas autant
tous les jours en traduisant William ou Wilhem par Guillaume, Sant Yago par saint Jacques et Céphas
par Pierre ? Du reste, il faut reconnaître que les écrivains du vie et du vu» siècle ^âge d'or de la légende)
poussaient trop loin la manie de la traduction, de l'interprétation et du commentaire. Ce sont les sur-
charges qu'ils ont ajoutées aux écrits de sair.t Martial, rie saint Denis l'Aréopacite. de saint Clément, etc.,
par exemple, qui ont longtemps fait rejeter des ouvrages parfaitement authentiques.
A ceux auxquels ne sourirait pas cette étymologie, nous dirons : il vuus en reste une autre. Le pre-
mier évèque de Bordeaux, quel qu'ait été son nom primitif, aura conservé dans la suite le nom de Fort,
c'est-a-dire le Martyr premier, le Martyr par excellence de la contrée. Le sens est le même et nous re-
porte également à l'époque de la naissance du christianisme. Ainsi, dans l'église souterraine de la cathé-
drale de Chartres, il y a. près de l'autel de la Sainte-Vierge, un puits appelé le Puits des Saints-Forts.
La tradition reconnaît les traits de saint Fort de Bordeaux dans une statue qui occupait autrefois la
place d'honneur, sous un dais, au centre de la façade occidentale de Saint-Seurin.
Le personnage de cette statue porte le pallium et la chasuble; la main droite bénit; la gauche tient
la crosse. L'évêque que représente cette statue est remarquable par son air de jeunesse, et ne peut en
tout cas représenter que saint Fort ou saint Seurin. La voix publique lui a toujours donné le nom de
saint Fort: son air de jeunesse le lui confirme. Saint Seurin, venu de Cologne, chargé d'années, n'appa-
raît jamais que comme un vieillard. Saint Fort, au contraire, est jeune dans la peinture, jeune dans la
sculpture: il n"a pas eu le temps de vieillir à une époque où les bourreaux se pressaient plus que les
ans. La tradition et l'art s'accordent donc pour lui attribuer cette statue.
Quand on voit saint Fort donner, en 17S3, son nom a la rue Putoye, on peut accuser cette preuve d'un
cnlte populaire d'être bien moderne; mais lorsqu'on le voit se poser, dès le xrv* siècle, à l'entrée principale
d'une basilique qui porte le nom de Saint-Seurin, on ne peut nier qu'il ne fasse acte de concurrence
avec ce dernier Saint ; on dirait même qu'il l'emporte sur lui. A saint Seurin appartient l'é,!ise supé-
rieure ; mais la crypte est demeurée le domaine de saint Fort. Enfin, le culte de saint Fort est plus cé-
lèbre, plus populaire, plus général que celui de saint Seurin lui-même.
Il ne suffit pas, pour expliquer cette différence, de recourir à l'hypothèse de l'influence exercée sur le
peuple par le nom lnï-même. Ce serait déjà une consécration très-importante de ce nom. Si l'on consi-
dère, en effet, qu'on ne sait rien d'historique de la vie de saint Fort, — pas même un fait qui autorise "a
trouver une raison de sa protection sur les enfants pour lesquels on lui demande la force et l'accroisse-
ment, — on peut être tenté de croire que cette confiance n'a été inspirée aux populations rurales que
par un de ces calembours qui, en bien d'autres occasions, ont fait tirer du nom d'un Saint tel patronage
qu'aucune tradition ne consacre.
Mais ce fait, cette raison historique de sa protection sur les enfants, ne se tronve-t-elle pas dans sa qua-
lité de premier évèque et de premier martyr ? Le peuple ne professe-t-il pas partout cette même confiance
envers ceux qui lui ont apporté la foi et l'ont signée de leur sang ? Saint Eutrope. saint Fiacre, dont le
nom ne se prête pas à une interprétation semblable, ne sont-ils pas invoqués en faveur d?s enfants dans
la Saiittonge, le Poitou, la Guienne. l'Artois, la Brie. l'Auvergne, etc., etc.?
La crypte garde son tombeau, l'église supérieure sa châsse; le tombeau et la châsse se partagent son
MARTYROLOGES. 559
saint Annobert fut élevé sur le siège épiscopal de Séez par ordre du roi Thierry 111. C'est lui qui
consacra saint Evermond, abbé de Fontenai. Au commencement du xne siècle, l'église qui possé-
dait les reliques de saint Annobert étant tombée dans l'indigence, les prêtres qui la desservaient
prirent le corps et le transportèrent de province en province, recueillant d'abondantes aumônes.
Arrivés à l'abbaye de femmes de Marienval, au diocèse de Soissons, ils y reçurent l'hospitalité,
mais on retint le corps du Saint. C'en fut assez pour tirer le monastère de son obscurité et faire
accourir les pèlerins. Cette translation eut lieu en 1122. Saint Annobert mourut vers 706 i. — A.
Dayeux, saint Regnobert, évêque et confesseur, et saint Zenon, son diacre. Saint Regnohert est
honoré, à Cayeiix, le premier dimanche de septembre» Vers 650. — A Nevers, saint Francovée ou
Franchy, solitaire, qui a donné son nom au lieu de sa naissance, à deux lieues de Saint-Sauge.
— Sur le Mont-Joux, en Savoie, saint Bernard de Menthon, ermite, personnage d'une vertu
extraordinaire, et qui, par son extrême austérité, son détachement de toutes les choses du monde,
et ses grandes victoires sur les démons, a mérité qu'on l'appelât le nouvel Antoine de son siècle s.
— A Lérins, la translation du corps de saint Aigulfe, vulgairement Août, saint abbé, et se»
compagnons, martyrisés le 3 septembre dans l'île d'Amarautume 3. — A Avignon, saint Geins,
ermite et confesseur.
MARTYROLOGES DES ORDRES RELIGIEUX.
Martyrologe des Chanoines réguliers. — A Gubbio, saint Ubald...
Martyrologe des Dominicains. — A Prague, saint Jean Népomucène...
Martyrologe des Carmes. — A Cordeaux, le décès du bienheureux Simon de Stock, confes-
seur, de l'Ordre des Carmes, qui, pour sa singulière dévotion envers la Vierge Mère de Dieu, mérita
corps. A ce corps vénérable tient l'authentique sur parchemin du cardinal de Sourdis. Mgr Charles-
François d'Aviau du Bois de Sanzai, en 1S27, et Mgr Donnet, en 1847, ont confirmé la croyance du passé.
« C'est de l'inscription que portaient ces reliques ■>, disait Mgr d'Aviau, « d'une antique tradition et du té-
moignage des anciens et des grands de cette ville que nous les avons reconnues comme vraies reliques da
ce saint Martyr » .
On célèbre la fête de saint Fort avec procession, avec office en musique et panégyrique; sa confrérie
Ile laisse passer aucune année sans solliciter du Chapitre la même pompe.
Autrefois, les maires, clercs, procureurs et prévôts de Bordeaux venaient, selon les statuts, « jurer
sur les reliques de saint Fort que bien et loyaument ils se porteraient en leur office et exercice d'icelui ».
Montesquieu a vu plusieurs fois pratiquer cette cérémonie religieuse sans se permettre la moindre
observation sur la réalité du corps de saint Fort, que quelques-uns ont rejetée en doute. Michel Montaigne,
en sa qualité de maire de Bordeaux, a prêté serment sur le bras de saint Fort sans protestation aucune.
Un grand nombre d'églises sont dédiées à saiut Fort dans le Bordelais, le Poitou, la Saintonge et
jusques dans le Quercy et l'Anjou. D'autres ont une chapelle ou un autel. Dans quelques-unes, on so-
lennise sa fête; dans beaucoup d'entre elles, le 16 mai est marqué par un concours d'enfants que l'on
apporte a la messe et aux Evangiles.
La célébrité resplendissante de ce nom et de ce personnage se retrouve jusque dans les foires nom-
breuses dites de Saint-Fort et qui se tiennent non-seulement à Bordeaux, mais dans une foule de lieux
éloignés les uns des autres.
Les noms assez peu académiques, mais tr'es-populaires, de Kermesse, de Ducasse, de Benichon, de
Foire (féria, férié, fête), qui désignent dans diverses provinces la grande fête de chaque village, ne té-
moignent-ils pas que toutes les grandes joies ont eu leur point de départ au jour où la Messe a été pour
la première fois célébrée solennellement en chacun de ces lieux? En sorte que l'Allemagne luthérienne,
dans le nom de ses grandes foires commerciales, proclame encore, sans y songer, que, pour les fonda-
teurs de ces rendez-vous, la célébration du saint Sacrifice catholique était le vrai signal et comme l'ou-
verture légale d'une fête. — Nous ferons remarquer que la plupart des anciennes foires ne sont pas d'ins-
titution administrative, mais d'origine ecclésiastique. Les édits de nos rois ne faisaient guère que régle-
menter des réunions commerciales qui devaient leur origine à la célébration d'une solennité religieuse.
L'anniversaire de la dédicace des églises, les fêtes patronales amenaient une grande affluence. Les mar-
chands y étaient attirés par l'espérance d'un débit facile, et les fêtes de l'Eglise devenaient bientôt les
fêtes du commerce. Cf. Mélanges archéol. des Pères Cahier et Martin, t. il, p. 75; Bévue de l'art chrétien
de M. Corblet, t. i", p. 237; saint Basile, Ascet., en. iv, qui a dit : <■ Nundinas et publicum emporium ex
martyrum tempore et ioco facientes ».
C'est le concours des pèlerins attirés par le culte des reliques qui a donné naissance à. la foire de
Saint-Saturnin à Toulouse, de Saint-lïomain a llouen, de Saint-Laurent a Laon, de Saint-Remi à Keims,
de Saint-Florent à Iîoye, de Saint-Fort a Bordeaux et a Uzeste, de Saint-Michel à Marseille, de Saint-
Jean-Baptiste à Saint-Jean de Maurienne, etc. Le mot foire confirme cette origine. C'est une transfor-
mation non pas de forum, marché, mais de farta, fête, conservé plus intégralement dans le vieux français
feyre, dans l'espagnol feria et l'italien fiera. — Cf. l'excellent livre de M. l'abbé Cirot de la Ville, professeur
a la Faculté de théologie de Bordeaux, intitulé : Les Origines chrétiennes de Bordeaux. Nous n'avons fait
qu'abréger le chapitre v de ce remarquable ouvrage.
1. Voir sa Vie au Supplément de ce volume.
2. Le martyrologe romain nomme saint Bernard de Menthon le 15 juin. Voir à ce jour. — 3. Voir au
8 septembre.
560 16 mai.
d'obtenir d'elle le scapulaire de son Ordre, et, après beaucoup de travaux, de s'envoler au ciel,
illustre par beaucoup de miracles.
Martyrologe des Servîtes. — A Prague, saint Jean Népotnucène...
ADDITIONS FAITES D'APRÈS LES BOLLANDISTES ET AUTRES HAGIOGRAPHES.
Le bienheureux André Bobola, jésuite. 1657. Béatifié par Pie IX, le 31 octobre 1853. —
A Ancône, les saints Pérégrin, diacre, Herculan et Flavien, martyrs sous Dioclétien. Ces deux
derniers avaient été convertis par saint Pérégrin. On invoque saint Pérégrin d'Aucune contre la
peste. — A Gaëte, sainte Eupurie, vierge et martyre. On dit qu'autrefois, le jour de sa fête, l'eau
de la mer se changeait en eau douce. — A Pavie, saint Pilaire., évêque de cette ville. 376.
— En Campanie, au diocèse de Suessa, saint Rose ou Rossius, évêque d'un siège inconnu, en
Afrique, et confesseur. Il était du nombre de ces illustres confesseurs de la foi que les Van-
dales jetèrent dans des barques vermoulues, v s. — En Irlande et dans le pays de Galles, saint
Carentoe ou Cernathe, évêque et abbé. On dît « qu'il passa >n Irlande avec saint Patrice «.Vers 445.
- \ '"onstantinople, dans le quartier des Blaquernes, célèbre par une église qui fut élevée pour
recevoir des vêtements de la sainte Vierge, saint Pierre, martyr. — A Fermo, dans l'ancien Picé-
num, en Italie, saint Adam, abbé. 1209. — A Sienne, en Toscane, le bienheureux François de
Sienne, de l'Ordre des Servîtes. Comme il dirigeait dans les voies du salut un certain nombre de
filles spirituelles, le monde jaloux et méchant lui reprochait une trop grande familiarité avec les
femmes. Pour mettre fin aux calomnies, il demanda à Dieu de le rendre sourd ; ce qui lui fut ac-
cordé si pleinement, qu'il lui était impossible d'échanger une seule parole. Une de ses tilles spi-
rituelles était la bienheureuse Barthélemie de Sienne dont nous dirons un mot au 19 mai. On dit
« qu'aussitôt après la mort de ce dévot serviteur de Marie, un lis sortit de sa bouche, dont cha-
cune des pétales portait ces mots : Ave, Maria. On ajoute qu'autrefois les voyageurs et les
pèlerins français ne manquaient jamais de visiter le tombeau d'un Saint qui avait pour blason la
fleur royale de France. Nos rois auraient obtenu du sénat de Sienne que le lis miraculeux leur fût
donné. 1325.
SAINT PELERIN OU PEREGRIN,
APOTRE DES DIOCÈSES D'AUXERRE ET DE NEVERS
ET SES COMPAGNONS, MARTYRS
303 ou 304. — Pape : Saint Marcellin. — Empereur romain : Dioclétien.
Quiconque veut avoir le monde pour ami, se rend
ennemi de Dieu. Jacques, iv, 4.
Dès les premiers siècles de l'Eglise, l'Evangile avait été annoncé dans
l A uxerrois et dans le Donziais, qui formait la majeure partie de l'ancien
diocèse d Auxerre. Lebœuf prétend que saint Savinien, apôtre du Sénonais
avait étendu son zèle apostolique jusque dans le Nivernais, en y députant
des missionnaires ; les deux diacres Sérotinus et OEoaldus seraient venus y
prêcher, et saint Austremoine se serait arrêté à Nevers avant d'aller se fixer
wSJÏÏ1!? i ^ les persécutions, la foi se propageait donc en secret,' et
bieruôt les chrétiens de 1 Auxerrois firent parvenir jusqu'à Rome leurs vœux
aï cents pour avoir au milieu d'eux un évêque et des prêtres. Saint Sixte II
occupait alors la chaire de saint Pierre ; il ne put se refuser aux désirs trop
légitimes des peuples de l'Auxerrois, et il jeta les veux sur Pèlerin ou Pé-
régrin, compagnon de saint Laurent, pour remplir cette importante mis-
SAINT PELERIN OU PÉRÉGRIN, ET SES COMPAGNONS, MARTYRS. 5G1
sion ' . Après lui avoir imposé les mains, il lui ordonna de partir pour les
Gaules. Le cardinal Baronius fait remarquer qu'il fut un des quatre que
consacra ce saint pontife, au mois de décembre, selon l'usage adopté dans
l'Eglise.
Ce fut vers l'an 258 ou 259 que Pèlerin se mit en route, ayant pour
compagnons Marse, prêtre; Corcodome diacre; Jovinien et Alexandre,
sous-diacres, et un autre Jovinien, lecteur. Ils débarquèrent à Marseille,
puis se rendirent à Lyon, laissant partout sur leur passage des marques non
équivoques de leur zèle et de leur sainteté. De là ils pénétrèrent jusque sur
les rives de l'Yonne, c'est-à-dire dans le pays des Gaules, où l'idolâtrie avait
jeté de plus profondes racines. L'Yonne, source de l'abondance et de la
prospérité du pays, était adorée comme une déesse, sous le nom d'Icauna,
et on lui avait dressé des autels * ; Apollon, Jupiter, Mercure, toutes les
divinités romaines et celles de l'Orient, recevaient l'encens que leur of-
fraient nos aïeux. Tel était le champ que la Providence avait réservé au
zèle de Pèlerin et de ses disciples. Dieu bénit leurs premiers efforts. L'élo-
quence, la sainteté et les miracles de Pèlerin convertirent les principaux
habitants d'Auxerre ; bientôt il put construire une petite église sur les
bords de l'Yonne, à la source de quelques fontaines, et il eut le bonheur
de procurer à un grand nombre d'habitants de ce pays la grâce du bap-
tême. La croix de Jésus-Christ ne tarda pas à briller sur les collines voisines,
lieux auparavant consacrés aux pratiques superstitieuses.
Ce ne fut point assez pour notre saint Apôtre d'avoir établi dans Auxerre
le règne de Jésus-Christ. Son zèle avait besoin de s'étendre 3. 11 savait que
l'esprit d'erreur continuait à répandre les ténèbres sur le reste de la con-
trée. Il y avait, à dix lieues d'Auxerre, un pays montagneux, couvert de
bois qui environnaient les lacs formés dans les vallées; la position de ce pays
favorisait le culte des païens ; c'était la Puisaye, dont une partie forma le
Donziais. Entrains, Interanum 4, était la capitale de ce pays, ville puissante,
au milieu de laquelle s'élevait le palais du préfet romain, qui ne craignait
pas de prendre le titre de césar. Elle renfermait plusieurs temples dans ses
murs, et, à l'exemple de Rome, elle avait admis les divinités grecques et
romaines, auxquelles elle avait associé les monstrueuses idoles de l'Orient 5.
Un grand nombre de routes venaient aboutir à cette ville des différents
points des pays voisins. Ce fut là que saint Pèlerin dirigea ses pas.
1. Les Savelli de Rome se font gloire d'appartenir à la famille de saint Pèlerin. MM. de Rosemont
prétendent au même honneur par leur mère, Mlle de Villenault, dont la trisaïeule était une demoiselle
de Savelli.
2. Lebœuf, dans son Histoire d'Auxerre, t. n, p. 6, fait mention d'un autel élevé a cette divinité par
Tétricius l'Africain :
AUG. SACR. DEAE
ICAVNI
T. TETIUCIVS AFRICAN.
D S DD.
3. D'après une tradition conservée à Corvol-l'Orgueilleux, saint Pèlerin aurait évangélisé cette contrée;
on prétend que le prieuré de Saint-Marc de Fontonay fut construit sur le lieu même ou le saint Apôtre
avait prêché.
4. Nièvre, arrondissement de Clamecy. — Une pierre géographique, trouvée il y a quelques années à
Autun, et qui marquait la distance de cette cité aux villes principales des environs, nomme Entrains
trois fois sous le nom d' Interanum.
5. Il suffit de visiter le curieux cabinet de M. Regnault, à Entrains, pour se convaincre que cette ville
était comme un vaste panthéon. Outre des statuettes de Jupiter, de Vénus et de Mercure; outre les dé-
goûtants symboles du dieu Priape, et mille autres objets de ce genre trouvés sur son territoire, on y re-
marque de petites idoles évidemment orientales, une, entre autres, avec quatre bras et une tête d'élé-
phant. Des monnaies et des médailles de tous les pays du monde connu, trouvées a Entrains, prouvent
l'importance de cette ville.
Vies des Saints. — Tome V. 36
562 16 mai.
Un Aulerque ' venait d'élever un nouveau temple en l'honneur de Jupi-
ter hospitalier ; il n'avait rien négligé dans la construction de ce temple, et
la richesse des décors égalait la beauté de l'architecture. On accourait de
toutes parts pour le visiter. Pèlerin crut que la circonstance était favora-
ble, et qu'il devait en profiter pour déployer tout son zèle ; il s'avança donc
avec courage au milieu de ce peuple, et entreprit de le détourner de ses
erreurs. Mais à peine eut-il commencé à parler, qu'on se jeta sur lui avec
fureur pour le conduire devant le juge, qui le fît provisoirement mettre en
prison.
Le lieu où il fut renfermé était un souterrain proche Bouhy, à sept
kilomètres d'Entrains; il y resta enchaîné jusqu'au moment où on l'en re-
tira, pour le faire paraître devant le préfet romain. La prison ne put ralen-
tir son zèle ; il semblait dire, avec l'apôtre saint Paul, qu'on peut bien jeter
dans les fers un disciple du Christ, mais qu'il n'est point de force humaine
qui puisse enchaîner la parole de Dieu ; il prêchait le vrai Dieu à ses
geôliers et à tous ceux qui l'approchaient. Quand on l'eut conduit en pré-
sence du préfet , il ne parut aucunement épouvanté par ses menaces,
comme il ne se laissa pas gagner par ses promesses. La tradition nous a
conservé les belles paroles qu'il prononça devant son tribunal : « Vos hon-
neurs sont la perte de l'âme, et les dons que vous pouvez faire sont de con-
tinuels supplices. Pour moi », ajouta-t-il,« j'invoque Jésus-Christ qui est le
rédempteur de tous ; je le confesserai sans crainte jusqu'à la mort; je sais
que les promesses de ce grand roi ne sont point mensongères ; je mets en
lui toute ma confiance » .
Le juge, irrité, ordonna à ses soldats de le livrer entre les mains des
bourreaux, et aussitôt les soldats l'entraînèrent en le chargeant de coups.
Epuisé par les mauvais traitements et par les rigueurs auxquelles il
avait été auparavant soumis dans la prison, notre Saint était sur le point
de succomber, quand un des soldats, voyant que les forces, allaient l'aban-
donner, lui trancha la tête de son épée. Son martyre eut lieu le 16 mai 303
ou 304, sous la grande persécution de Dioclétien.
On représente ordinairement saint Pèlerin avec le costume épiscopal ; il
tient en main la palme du martyre, un serpent est à ses pieds. Nous avons
vu , écrivait en 1860 Mgr Crosnier , l'estimable auteur de l'Hagiologie
Nivernaise, saint Pèlerin peint avec le serpent, dans une des absidioles
septentrionales de l'église de La Charité-sur-Loire. Cette peinture et d'au-
tres, qui se trouvent dans la même chapelle, nous ont paru remonter au
XVe siècle. On les a recouvertes il y a une douzaine d'années d'une couche
de badigeon qu'il serait facile d'enlever.
C'est ici le lieu de reproduire la réponse de M. le curé de Bouhy à une
lettre que le même Mgr Crosnier, vicaire général de Nevers, lui adressait
au mois d'août 1857, en lui demandant des renseignements sur l'attribut
du serpent donné à saint Pèlerin.
«Bouhy, 12 août 1857. Monsieur le vicaire général, vous désirez de
moi une réponse aux questions suivantes. J'ai hâte de vous satisfaire, en
suivant l'ordre dans lequel vous avez bien voulu me les poser :
« Quelle est la légende du serpent de saint Pèlerin?
« Nous n'avons rien d'écrit touchant cette question, mais une tradition
bien établie rapporte que saint Pèlerin, chassé d'Entrains par les idolâtres,
s'était réfugié sur le territoire de Bouhy, au fond d'un vallon très-étroit
1. Les Aulerques sont nommés dans le septième livre de César, comme dépendants des Eduens, Aulerci
Bratmovkes ; il y avait aussi les Aulerci Cenomani et les Aulerci Eburouka.
SAINT PÈLERIN OU PÉRÉGRIN, ET SES COMPAGNONS, MARTYRS. 563
et qui ressemble plus à un ravin très-profond qu'à une vallée. Là coule une
source d'eau assez abondante et très-limpide qui porte le nom de notre
glorieux patron, et qui, à l'époque de son martyre, devait être peu connue,
cachée comme elle l'était de toutes parts par le bois touffu qui ombrageait
cette gorge. C'est cependant au bord de cette fontaine que le vénérable
pontife fut découvert par les Intaraniens, qui le sommèrent de les suivre, et
comme il ne se hâtait pas assez, du moins à leur gré, un d'entre eux eut le
brutal courage de cingler du fouet dont il était armé le saint apôtre de Jé-
sus-Christ. Mais, ô prodige ! on vit au même instant le fouet, détaché de
son manche, prendre la forme d'un serpent, s'élancer dans le bassin de la
fontaine, et disparaître dans les fissures du rocher par lesquelles on voit
l'eau sourdre.
« Quoi qu'il en soit, il est un fait constant et avéré qui ne doit laisser
aucun doute sur la vérité du fouet transformé en serpent. Il y a à Entrains
une famille portant le nom de N..., et qui, d'après la tradition, descend de
celui qui eut la barbarie de se servir de son fouet contre saint Pèlerin ; or,
de tout temps, depuis l'époque où fut martyrisé cet apôtre de notre contrée,
il y a eu dans cette famille des membres portant sur leur corps le stig-
mate du crime de leur ancêtre, c'est-à-dire un serpent qui les enlace. Le
nommé N..., d'Entrains, est une preuve vivante de ce fait ou plutôt de ce
miracle.
« Il n'est pas étonnant, d'après cela, qu'on ait donné à saint Pèlerin le
serpent pour attribut. C'est le moyen dont il a plu au Seigneur de se ser-
vir pour manifester d'une manière éclatante la sainteté de son serviteur et
perpétuer son culte.
« Vous me demandez aussi s'il est vrai qu'on ne trouve pas de serpents
à Bouhy. Je n'y en ai jamais vu depuis que j'y suis, et je ne connais per-
sonne qui puisse affirmer en avoir vu, non-seulement sur le plateau de
Bouhy, mais dans les environs, dans un rayon de deux kilomètres ; s'il en
existe, ce ne peut être que dans les bois qui forment la limite de ma pa-
roisse et celles d'Entrains, de Ciez et de Sainpuis. C'est là seulement qu'on
prétend en avoir vu, mais si rarement qu'il est permis de douter de l'exac-
titude de cette assertion.
« On est tellement persuadé dans notre contrée que la tei^re de saint Pèle-
rin, c'est-à-dire de Bouhy, est mortelle aux serpents, que nous voyons
chaque jour des fidèles, étrangers à notre paroisse, venir de loin prendre
dans un trou ménagé exprès dans la chapelle de notre église, dédiée à saint
Pèlerin, de la terre pour préserver leurs habitations de ces reptiles, et s'en
servir au besoin contre leur morsure. Plusieurs personnes dignes de foi
assurent qu'elles ont employé ce moyen avec succès. F. Meyniel, curé de
Bouhy ».
Outre le stigmate du serpent, que personne ne met en doute dans le
pays, il est un autre signe aussi bien constaté que le premier ; c'est une
masse de terre qui se remarque dans la main d'un des membres de cer-
taines familles, et à laquelle on attribue la même origine : plusieurs des
persécuteurs de saint Pèlerin l'auraient poursuivi, en lui jetant des mottes
de terre ; et depuis cette époque, leurs descendants auraient conservé ce
stigmate de générations en générations. Les personnes qui le portent, soit
à Entrains, soit dans le voisinage, sont connues.
564 16 mai.
RELIQUES DE SAINT PELERIN.
Après le martyre de saint Pèlerin-, quelques chrétiens inhumèrent avec respect ses restes pré-
cieux à Bouhy, lieu de son supplice. Son corps y reposait encore au temps de saint Germain, et
bientôt on éleva une église sur son tombeau. Plus tard, le corps du saint apôtre de l'Auxerrois
fut transporté à Saint-Denis, proche Paris, et il ne resta à Bouhy que sa tète et les vertèbres. On
dit que ce fut le roi Dagobert Ier qui obtint pour le monastère de Saint-Denis le corps du saint
évèque d'Auxerre, et qui l'y fit transporter. En 1144, lorsque l'abbé Suger fit construire la partie
de l'église de Saint-Denis qui regarde l'orient, un des autels fut mis sous l'invocation de saint
Pèlerin, et consacré par Hugues de Montaigu, évêque d'Auxerre.
Dans le siècle suivant, il se fit plusieurs distractions des ossements renfermés dans la châsse
de saint Pèlerin. Jeanne d'Evreux, veuve de Charles le Bel, en obtint, en 1340, de Guy, abbé de
Saint-Denis, et les remit en 1342 aux Jacobins d'Auxerre, après les avoir faù renfermer dans une
châsse d'argent. L'empereur Charles IV en avait aussi obtenu une partie ; ce fut celle qu'on trans-
porta à Prague en 1373. La paroisse de la Roche-en-Bregny, à deux lieues de Saulieu, prétendait
aussi posséder un bras du Saint. L'église de Sens avait un reliquaire renfermant un morceau des
vêtements de saint Pèlerin, imbibé de son sang ; et la cathédrale d'Auxerre possédait, dans une
croix d'argent, un des bras de son premier évèque, avant le pillage de son trésor par les Calvi-
nistes. Le reste du corps, déposé à Saint-Denis, échappa à une semblable profanation par les soins
que prirent alors les religieux de transporter à Paris tous leurs reliquaires. Ce fut en 1570 que
Charles de Lorraine, abbé de Saint-Denis, le fit rapporter dans le monastère ; il plaça dans une
nouvelle châsse le corps de saint Pèlerin. Dom Georges Viole, parlant de la Chartreuse de Basse-
ville, auprès de Clamecy, rapporte qu'on y conservait de son temps un morceau del'étole de saint
Pèlerin. Plusieurs églises des environs de Paris obtinrent de l'abbaye de Saint-Denis quelques par-
celles des précieuses reliques du saint Martyr.
Dominique Séguier, évèque d'Auxerre, désirait réparer la perte que son église avait éprouvée,,
lors du pillage des Calvinistes, en lui procurant d'autres reliques du saint apôtre de l'Auxerrois ;
il s'adressa donc au monastère de Saint-Denis pour obtenir ce qu'il désirait, et on consentit, en
1634, à lui donner la moitié d'un des os fémur du Saint; il le fit enchâsser dans un reliquaire
d'argent doré de la valeur de 2,000 livres, et en fit don à son église en 1636. Ce fut neuf ans
plus tard, en 1645, que les habitants de Bouhy, reconstruisant leur autel, trouvèrent, en creusant
les fondations, un débris de sépulcre qui renfermait la tète et les vertèbres d'un grand corps
humain et le corps d'un petit enfant. Le curé, pour s'assurer que c'étaient des restes de saint
Pèlerin, écrivit aux religieux de Saint-Denis, qui ouvrirent leur châsse et reconnurent qu'ils pos-
sédaient le corps du Saint, mais sans la tête et les vertèbres.
Pierre de Broc, alors évêque d'Auxerre, transporta lui-même ces restes à Saint-Denis, pour les
confronter avec ceux que possédait ce monastère. Pierre de Broc s'était contenté de renvoyer à
Bouhy la tète et les vertèbres, sans rendre aucune ordonnance au sujet de la supplique des habi-
tants. Soixante-neuf ans après, les fidèles de la paroisse de Bouhy firent de nouvelles démarenes
augrès de Mgr de Caylus, et le prièrent de rendre une ordonnance définitive, après avoir consulté
tous les procès-verbaux.
Mgr de Caylus acquiesça à leur juste demande ; il se rendit à Bouhy, examina de nouveau les
reliques, en présence d'une foule considérable, accourue des pays voisins, et rendit une ordon-
nance par laquelle il déclara la relique authentique et digne de la vénération des fidèles, et sur-le-
champ il la vénéra lui-même, le 1er mai 1715. Dans cette translation, Mgr de Caylus retira une
portion de la relique, qu'il donna à son église cathédrale, et une autre portion à l'église parois-
siale de Saint-Pélerin, d'Auxerre.
Le curé de Bouhy était à cette époque le sieur Deschez, qui depuis devint chanoine de la col-
légiale de Sainte-Eugénie, de Varzy ; dans la cérémonie de la translation de 1715, il eut soin
d'extraire pour lui une portion des reliques de saint Pèlerin, qu'il conserva avec soin jusqu'en
1733. A cette époque, il en fit don au chapitre de Sainte-Eugénie, et Mgr Nicolas Colbert, faisant
alors la visite de la collégiale, renferma cette relique, avec d'autres, dans une châsse d'ébène et
la munit de son sceau. Celte châsse fut une de celles qu'on transporta le 9 octobre 1792 de la
collégiale à l'église paroissiale de Saint-Pierre, de Varzy, dans le trésor de laquelle elle est en-
core déposée.
Le 4 mai 1854, M. l'abbé Crosnier, vicaire général de Nevers, passant à Varzy, vérifia les
reliques de saint Pèlerin, reconnut le sceau de Mgr de Caylus, appliqué, en cire rouge sur l'ouver-
ture du reliquaire ; et, comme ce sceau était en partie brisé, il le remplaça par celui de Mgr Du-
fètre, évèque de Nevers. Quant à la partie du chef de saint Pèlerin que l'église de Bouhy avait
conservée, Jean-Loup Rimbault, habitant da bourg, fut assez heureux pour la soustraire aux pro-
fanations des agents révolutionnaires de 1793 ; il en donna quelques morceaux à ses amis, alla
qu'en cas d'accident on ne fût pas exposé à tout perdre. En 1817, M. Gaudri, curé de Bouhy,
ayant appris que plusieurs personnes possédaient des reliques de saint Pèlerin, les engagea à
SAINT PHAL OU FIDOLUS, ABBÉ fl'lSLE, EN CnAMTAGNE. 565
venir les lui remettre, et un procès-verbal, daté du 12 mai de la même année, constate que la
plus grande partie de ces reliques furent déposées entre ses mains. M. Ilurlault, son successeur,
s'occupa activement à découvrir le reste de ces reliques, de concert avec M. Vée, curé de Dam-
pierre-sous-Bouliy (1828).
Le sieur Rimbault étant décédé à Entrains, sa ytwvz rapperfa à M. Vée, curé d'Entrains, un.
morceau du temporal gauche qui avait été gardé par le défunt. Outre ce morceau du chef de
saint Pèlerin, l'église d'Entrains possède une partie du tibia provenant de la cathédrale d'Auxerre.
Dans la reconnaissance qui eut lieu le 18 mars 1828, M. Hurlault avait conservé pour lui un frag-
ment du chef de saint Pèlerin ; transféré plus tard à Courcelles, il en fit don à l'église de sa
nouvelle paroisse.
ffagiologie nivernaise par Mgr Crosnier.
SAINT PHAL l, OU FIDOLUS,
ABBÉ D'ISLE, EN CHAMPAGNE
541). — Pape : Vigile. — Rois des Francs : Théodebert et Childebert.
Le Seigneur s'est présenté à moi et m'a fortifié... et
m'a délivré de tout mal et me gardera pour son
royaume céleste. II Tim-, rv, 18.
Saint Phal était d'Auvergne, et probablement de Clermont, où son père
exerçait la charge de sénateur, ce qui revenait au titre de gouverneur de la
province. Jeune encore, il s'était consacré au service des autels, pour lequel
il fallait du courage et de la constance dans un pays occupé par les Visi-
goths et infecté d'arianisme : car c'était vers le commencement du vie siècle,
au temps où Alaric II, dont Poitiers était le séjour habituel, régnait sur la
première et la deuxième Aquitaine. Ce prince ayant été tué par Clovis en
507, dans les champs de Voulon, le vainqueur n'eut rien de plus pressé que
d'envoyer son fils Théodoric s'emparer du Quercy, du Rouergue et de l'Au-
vergne, pendant que lui-môme s'affermissait dans le Poitou. La conquête de
ces trois provinces ne se lit pas sans résistance : elle fut signalée par de
cruels incendies et de vastes ruines. Beaucoup de prisonniers furent pris
indistinctement dans toutes les classes, et parmi eux se trouva le fils, jeune
encore, du gouverneur des Arverni 2.
La Providence a des voies miraculeuses pour les hommes qu'elle destine
à de grandes choses, et ce n'en était pas une petite de travailler alors à
former les sociétés modernes, à implanter le christianisme chez elles
comme l'infaillible germe de leur civilisation. Dieu se plut donc une fois
encore à manifester ses desseins sur un coin du monde en révélant à un de
ses serviteurs la captivité du jeune patricien.
1. Le nom de ce Saint est un de ceux qui ont été le plus défigurés en passant d'une province à l'autre.
Le nom latin est Fidolus : on l'orthographie Phèle ou Fêle en Poitou; Fale en Auvergne; Phal ou Fal en
Champagne, etc.
2. Lecointe, Ann. ord. S. B., rapporte ces ravages et la captivité de saint Fidolus a l'an 525, où une
seconde expédition fut dirigée contre les Auvergnats révoltés sous la conduite de leur gouverneur Arca-
dius, et il s'appuie de saint Grégoire de Tours. Mais les Bollandist-js tiennent pour la première expédi-
tion, comme s'accordant mieux avec plusjjwirs points de chronologie, et particulièrement avec la jeunesse
de saint Phal.
566 16 mai.
Un vieux solitaire, nommé Aventin, après avoir été cellérier de Camélius,
évêque de Troyes, s'était caché à deux lieues au sud de cette ville, dans une
île formée par les sinuosités de la Seine et de l'Oze. Entouré de nombreux
disciples, dont il dirigeait la vie religieuse, il y avait fondé un monastère,
célèbre plus tard sous le nom d'Isles-Aumont, et s'y appliquait à la pratique
des plus austères vertus. Un jour qu'il était en prières, il fut averti dans une
vision que bientôt arriverait près du couvent un jeune homme nommé
Fidolus, emmené captif de son pays ; qu'il eût à le racheter, et le reçût
parmi ses frères pour y embrasser la vie commune. Aventin était en-
core absorbé dans ces pensées lorsque tout à coup vint à passer devant la
porte de sa cellule une troupe déjeunes prisonniers. C'était l'élite de la jeu-
nesse auvergnate, victime de la guerre, et qu'on dirigeait, par la Cham-
pagne, selon le caprice de ceux qui les avaient achetés. L'abbé s'empressa
de savoir s'il n'y avait point parmi eux quelqu'un qui se nommât Fidolus,
et, sur l'assurance qu'on ne lui refuserait pas le jeune clerc s'il voulait le
racheter à ce titre, Aventin donna pour lui douze pièces d'or, et le pauvre
esclave devint son fils spirituel. Celui-ci ne tarda pas à laisser voir quel tré-
sor de sainteté recelait son âme déjà expérimentée dans les cnoses de Dieu.
Aussi Aventin le regardait moins comme un disciple que comme un maître;
si bien que, l'ayant fait honorer du caractère sacerdotal, il lui confia la
charge de prévôt ou prieur, l'élevant par là à la première dignité du mo-
nastère après la sienne. Le Saint ne fit que se perfectionner en s'acquittant
de ces graves obligations, et donna de plus en plus l'exemple de la régula-
rité dans un égal amour du travail et de la pénitence. Une telle conduite
ne put qu'augmenter le respect et la confiance de ses frères, et ils lui en
donnèrent un témoignage non moins éclatant qu'unanime.
Aventin s'était fait vieux. Craintif devant l'approche des jugements de
Dieu et la responsabilité de sa conscience, il souhaitait de s'en décharger en
quittant les soins de la vigilance pastorale, et quand il annonça à la com-
munauté cette détermination bien arrêtée, il n'y trouva qu'une voix pour
appeler au gouvernement qu'il abandonnait le saint homme sur lequel il
avait lui-même fixé son choix. Ce ne fut pas sans de longues résistances que
Phal consentit à prendre le fardeau; mais cette humilité même devenait
une garantie que Dieu l'aiderait à le porter. Il en fit durer la preuve autant
que sa vie; et pendant que son père spirituel achevait la sienne dans une
plus étroite solitude, où s'éleva bientôt après le village de Saint-Aventin *,
saint Phal, continuant sa propre sanctification dans celle des autres, ar-
riva au terme de sa carrière, qu'il acheva le 16 mai, vers l'an 540, après
plus de trente ans passés dans la vie monastique. D'après les dates qui
semblent préférables, il devait avoir atteint à peine à sa soixantième année.
Sa vie sainte, humble et mortifiée lui avait mérité le don des miracles en
ce monde et le ciel en l'autre. Des miracles, il en fit sans nombre : il rendit
la vue à deux aveugles en faisant sur eux le signe de la croix ; par une orai-
son de trois jours, il guérit un enfant débile du nom d'Octavien; il rendit
aussi la santé à un homme malade de la rage et qui se déchirait lui-même
avec ses dents.
1. C'est aujourd'hui un hameau de deux cents habitants, dans la commune de Verrières, à quelque
distance de Troyes. On y découvrit, en 1S49, un cimetière mérovingien. Une église du xir sibcle y est
remarquable: mais elle fut remaniée au xvie, et possède encore un vitrail daté de 1557. (Voir le Réper-
toire arcàiolouiqut du département de l'Aube, par M. d'Aibois de Jubainville, col. 118.
SAINT PHAL OU FIDOLUS, ABBÉ D'iSLE, EN CHAMPAGNE. 567
xMONASTÈRE DE SAINT-PHAL ; — SES RELIQUES.
C'est sans doute après sa mort que son monastère prit le nom de Saint-Phal, lorsque beaucoup
de miracles, succédant à ceux qu'il avait faits pendaut sa longue retraite, firent briller d'autant
plus sa réputation de sainteté. Cent ans après cet événement, ses reliques furent transportées au
monastère de la Celle, qui venait d'être construit dans le suburbium de Troyes. C'était, peut-être,
par suite de la ruine du sien, que les troubles de ces temps difficiles durent exposer, comme tant
d'autres, à de fréquentes et décisives invasions. Après ce revers, l'importance de l'établissement
diminua, mais il traversa les siècles eu dépit de son amoindrissement, et, en 1770, Saint-Phal
était encore un prieuré de l'abbaye de Molesme, Ordre%de Saint-Benoit, au diocèse de Langres '.
Aujourd'hui la mémoire de la pieuse demeure continue de vivre sur le sol qu'elle avait béni.
Devenu le chef-lieu d'une paroisse, le village de Saint-Phal a multiplié son vocable pour d'autres
églises de la Champagne et de la Bourgogne. Nous ne savons comment ce nom vénéré est allé
s'établir au voisinage de la Gartempe, dans le Poitou, si ce n'est qu'à une époque incertaine,
mais fort reculée, la possession de quelque relique du Saint, ou un acte de pieuse reconnaissance
pour quelque faveur du ciel obtenue par lui, y ait fait construire l'église qui porte son nom.
Cette église existe encore en partie dans une rue du bourg, dont l'issue au couchant ramène
■vers la rivière. C'était un charmant édifice de la transition, abandonné et vendu nationulement
en 1792, et racheté, en 1811, pour faire la chapelle d'une école de jeunes filles, dirigée par les
humbles filles de la Croix. La nef a été divisée en classes et autres annexes convenables à ce but;
l'élévation, coupée par un plancher, a permis de conserver comme lieu sacré l'ancien sanctuaire,
dont la voûte élégante laisse retomber ses nervures légères sur des chapiteaux à feuillages parfai-
tement traités et qui couronnent de sveltes colouues gothiques.
Saint-Phèle de Maillé était, en 1789, un bénéfice-cure à la collation de l'évèque de Poitiers j
un assez gros revenu s'y rattachait, et le presbytère y attenait avec son jardin et quelques autres
dépendances, dont les sœurs institutrices n'ont qu'une très-petite part. L'une de ces dépendances,
fort vaste et encore existante, est toujours désignée sous le nom de la Grange d'Ecêque.
Enfin deux chapellenies, l'une de Notre-Dame, l'autre de Saint-Roch, étaient desservies dans
Saint-Phèle de Maillé. Elles étaient aussi à la collation du curé de Saint-Pierre. Cette dernière
valait vingt-cinq livres de rente, sur lesquelles une messe était due par le chapelain.
Les reliques de saint Pliai furent, pendant de longs siècles, conservées dans l'abbaye de Mou-
tier-la-Celle.
Le 5 janvier 1640, sa tète fut donnée à la paroisse qui porte son nom, dans le diocèse
de Troyes : cette relique fut visitée le 23 mai 1842 et replacée dans une châsse neuve.
Le 24 août 1791, le distric révolutionnaire accorda sa chasse à l'église Saint-André-lès-Troyes :
le 11 mai 1802, cette châsse ayant été ouverte, on y trouva les authentiques. En 1828, elles furent
de nouveau reconnues par l'autorité épiscopale.
En 1S03, Mgr de la Tour-du-Pin avait enrichi sa cathédrale d'un ossement extrait de la châsse
de l'église Saint-André.
Quelques auteurs veulent que saint Phal ait été coadjuteur de saint Vincent, évoque de Troyes.
Cf. l'Ancien Propre de Troyes; Probationes cultus Sanctorum diœccsis Trecensis : il y a dans ce mé-
moire, présenté 'a lîoœe par Mgr Ravinet, toute une mine Ue précieux renseignements; Saincts et Sainctes
d'Auvergne, par J. Branche; Notes d'un voyage archéologique à Saint-Pierre de Maillé (Vienne), par
M. l'abuc Anlier, etc.
1. Saint-Phal appartient maintenant au diocèse de Troyes, dont il avoisine la ville épiscopale. 11 sô
trouve sur l'ancienne voie romaine de Troyes à Tonnerre. L'église paroissiale fut rtcontruite au xn1' siècle,
mais resta inachevée; an château de la même époque y a été détruit depuis peu de temps, grâce a l'esprit
de la Uando noire, qui survit a la défaite du corps. (Voir AI. d'Aruois, ub. sup., col. 110.)
56S 10 MAI.
SAINT EMAN, MARTYR AU PAYS CHARTRAIN
5G0. — Pape : Jean III. — Roi des Francs Neustriens : Clotaire Ier.
Ceux qui, par leurs leçons et leurs exemples, enseignent
aux autres les voies de la justice, luiront comme des
étoiles dans toute l'éternité'. Daniel, xn.
Saint Nectaire, évêque d'Autun, ayant fait un voyage à Milan pour en
rapporter des reliques des saints Nazaire et Gelse, rencontra à leur tom-
beau un homme de Dieu comme lui, et comme lui pieux pèlerin : il se
nommait Eman et venait d'une contrée lointaine du fond de la Cappadoce.
Dès sa plus tendre enfance, nourrie de foi et de piété, sa belle âme, forte et
généreuse autant que pure et candide, vraie sœur des anges, se tourna
vers Dieu; et plus tard, ni les premiers feux de l'adolescence, ni les
ardeurs trop souvent orageuses de la jeunesse ne purent en troubler le
calme, en ternir la fraîcheur. Encore dans la fleur de la jeunesse, il entend,
nouvel Abraham, une inspiration secrète qui lui dit de quitter la terre de
la patrie et de marcher vers l'Occident, pour aller vénérer les tombeaux
des Martyrs, y puiser de saintes et grandes inspirations pour travailler à la
gloire de Dieu, et gagner des âmes par son exemple et par sa parole.
Le jeune pèlerin dirigea d'abord ses pas vers Itome. Avec quelle vénéra-
tion et quel amour il toucha le sol de la ville sainte! Le souverain Pontife
voulut le voir, le reçut et l'entretint avec une paternelle bonté. Trouvant
en lui dès cette première entrevue l'âme d'un Saint, d'un prêtre, d'un
apôtre, il désira l'enrôler dans la milice cléricale et lui fit commencer les
études nécessaires. Le jeune Cappadocien obéit à la voix du vicaire de
Jésus-Christ comme à Jésus-Christ môme. Il se mit au travail et fit des pro-
grès si rapides, si merveilleux, que bientôt on ne parla dans Rome que de
sa science, comme on ne parlait déjà que de sa vertu.
Après un séjour de sept ans à Rome, Eman, qui avait entendu parler
des nombreux prodiges que Dieu opérait à Milan par l'intercession de saint
Nazaire, conçut un vif désir d'aller prier au miraculeux tombeau. Il arriva
bientôt dans la ville, objet de tous ses vœux. Il n'y choisit point d'autre de-
meure que l'église où reposait le corps du glorieux Martyr. C'est là qu'il
passa deux ans, menant une vie qui tenait plus de l'ange que de l'homme ;
là que, dans ses communications intimes avec Dieu, il eut une vision céleste
et fut inspiré d'aller à Autun prier aussi sur le tombeau de saint Sympho-
rien où, pour répandre de plus en plus et confirmer la foi naissante des
peuples barbares récemment établis dans les Gaules, le divin Maître voulait
bien, comme à celui de saint Nazaire, opérer de nombreux miracles.
La Providence ménagea des rapports entre lui et saint Nectaire qui
allait revenir à Autun. Les deux pèlerins en se voyant au tombeau du mar-
tyr de Milan avaient su bientôt se comprendre et s'apprécier : ils furent
donc enchantés de pouvoir faire route ensemble.
En retrouvant à Autun des disciples, des enfants de l'évêque de Césarée,
il crut y retrouver sa patrie absente. Saint Eman apprit avec un tressaille-
ment de joie que les religieux qui desservaient l'abbaye de Saint-Sympho-
rien suivaient la règle de saint Basile, son compatriote.
SAINT EMAN, MARTYR. 569
Peut-être auosi que le jeune pèlerin trouvait un intérêt tout particulier
à visiter la Gaule. Cette contrée n'aurait-elle pas été le berceau de ses an-
cêtres ? Car il pouvait fort bien être Galate d'origine, puisqu'il portait le
même nom que ce chef gaulois, l'Allobroge Eman, qui, selon Justin,
faisait partie de la grande expédition de Bellovèse. Et les Ombriens, peuple
du Milanais, conduits à cette même expédition en Asie, n'étaient-ils point
frères des Eduens? Le vif intérêt avec lequel Eman visitait Milan et Autun
était donc peut-être à la fois religieux et patriotique. Ne retrouvait-il
pas dans ces deux villes le souvenir et la terre des aïeux ? La mémoire des
Saints et la mémoire de la patrie ne parlaient-elles pas toutes deux à son
cœur ' ?
Dieu ne laissa pas son serviteur jouir bien longtemps du bonheur de la
pieuse retraite d'Autun où sa main l'avait conduit. L'époque à laquelle il
devait l'appeler à de nouvelles pérégrinations et mettre son courage à de
nouvelles épreuves était arrivée. Yoila en effet que dans une vision, pendant
le sommeil de la nuit, Eman entendit une voix qui lui disait : « Pars
pour Chartres et va prêcher la divine parole aux populations de ces con-
trées. C'est là que le ciel t'appelle : pars à l'instant et ne crains rien ». Aus-
sitôt il se leva, se mit en route et arriva bientôt, non plus en pèlerin, mais
plutôt en apôtre, au lieu désigné.
A peine était-il arrivé dans le pays chartrain, qu'il se mit à prêcher pour
obéir aux ordres du ciel et à l'impulsion de son zèle. Dieu seconda ses
efforts et les récompensa en lui donnant la consolation, bien chère à un
apôtre, d'opérer des conversions nombreuses. C'était la seule qu'il ambi-
tionnât, parce qu'elle se confondait avec la gloire du divin Maître. « Ceci »,
dit le biographe 2, « se passait sous le grand roi Théodebert, à qui les in-
térêts de la religion n'étaient pas moins chers que ceux du rovaume »
(534-548).
Eman passa deux ans à Chartres, et son séjour dans cette ville fut
marqué par plusieurs faits merveilleux.
Cependant la grande fête de saint Symphorien approchait. Eman voulut
aller au moins une fois encore prier à ce tombeau chéri que nos pères en-
touraient d'une vénération, d'un amour et d'une confiance dont nous nous
faisons à peine une idée dans ce siècle à demi chrétien.
Il partit donc pour Autun et revit avec bonheur cette ville, cette abbaye,
cette basilique où l'appelaient d'affectueux souvenirs, où il avait laissé la
plus grande partie de son âme. Là, comme à l'époque de son premier pèle-
rinage, il passait les nuits en prière dans l'église du Martyr et attirait l'ad-
miration universelle. Dieu manifesta de nouveau la sainteté de son servi-
teur, en lui donnant le pouvoir de chasser les démons du corps des possédés;
mais en même temps, pour faire éclater et épurer de plus en plus sa
vertu, il le mit à une bien rude épreuve. Quelque vil calomniateur, poussé
sans doute par une odieuse jalousie, le noircit, à ce qu'il paraît, auprès de
Nectaire; il vint même à bout de prévenir contre lui le saint évoque au point
de le faire jeter dans un cachot noir et infect. Le. pieux pèlerin se laissa
conduire, sans ouvrir la bouche pour se plaindre, dans ce lieu d'horreur.
Là il se mit à genoux, adora les desseins de Dieu et pria comme le Sauveur
du monde pour ses aveugles ennemis. Mais voilà que tout à coup l'affreuse
prison fut inondée d'une éclatante lumière et embaumée de la plus suave
1. Mémoires de la Société éduenne.
2. La Vie de saint Eman, écrite par un contemporain, est tirée d'un manuscrit découvert dans l'ab-
baye de Vendôme, par André Duchêne. Bolland., 16 maii, p. 595.
570 16 mai.
odeur. En même temps la porte s'ouvrit d'elle-même; mais l'archidiacre
Euphrone, qui attribuait probablement ce prodige à quelque pouvoir ma-
gique, la referma aussitôt. Elle s'ouvrit de nouveau jusqu'à trois fois. Ce-
pendant le vénérable évêque, instruit de ce qui se passait, reconnut le doigt
de Dieu; et voyant qu'Eman avait été indignement calomnié, il alla se
jeter à ses pieds, lui demanda pardon, l'honora dès lors d'une estime et
l'entoura d'une vénération plus grande que jamais. Bien plus, afin de lui
témoigner tout le cas qu'il faisait de son mérite, il le pressa vivement de
vouloir bien consentir à entrer dans le clergé. L'humble serviteur de Dieu,
qui jusque-là n'avait pas osé accepter le saint ministère des autels, y con-
sentit enfin dans la crainte d'aller contre la volonté divine en résistant aux
instances du pontife. Il pensait aussi que l'éminente qualité de ministre de
Jésus-Christ serait pour lui un motif de plus d'exercer son zèle, en même
temps qu'un moyen nouveau de faire le bien. Prosterné devant le saint
évêque d'Autun, il reçut donc de lui la couronne des clercs et une affec-
tueuse bénédiction.
Nectaire espérait sans doute pouvoir le conserver dans son diocèse; mais
Dieu en avait disposé autrement et ne tarda pas à manifester son intention.
Soudain, au milieu du silence et des ténèbres de la nuit, apparaît à Eman,
qui prenait quelques instants de sommeil, un vénérable évêque paré
d'ornements plus blancs que la neige et accompagné d'un adolescent à l'an-
gélique visage. «Levez-vous », lui dit-il, a et retournez à Chartres. De là
vous vous rendrez au village appelé Sibernie \ et je vous montrerai l'em-
placement où vous devez bâtir une église. C'est là que vous annoncerez la
parole de Dieu, que vous exercerez le ministère apostolique et que désor-
mais vous fixerez votre résidence jusqu'au jour où Dieu couronnera votre
vie par un glorieux martyre ». — « Quel est votre nom, demanda Eman,
ô vous qui m'annoncez une si belle destinée, depuis longtemps l'objet de
tous mes vœux ?» — « Je suis, répondit le mystérieux personnage, Eusôbe,
autrefois évêque de Verceil ». Et à ces mots, la vision disparut. Eman s'é-
veilla aussitôt, rendit grâces à Dieu et, après avoir fait une dernière prière
au tombeau de saint Symphorien, se hâta de partir pour le pays où le ciel
le rappelait : heureux d'emporter avec lui l'assurance d'aller bientôt revoir
au ciel le vénérable pontife et l'aimable adolescent, probablement saint
Symphorien, qui lui avaient apparu 2.
Arrivé à Orléans, notre saint lévite, persuadé que le sacerdoce lui était
indispensable pour travailler plus efficacement au salut des âmes, alla trou-
ver l'évèque de cette ville pour lui communiquer son projet. Celui-ci,
frappé de l'air de sainteté qui se remarquait dans Eman, l'accueillit avec
une bienveillance mêlée de respect, l'apprécia de plus en plus à mesure
qu'il le connut davantage; et voyant que c'était un apôtre que le ciel lui
adressait, il acquiesça bientôt à sa demande. L'homme de Dieu, fortifié
encore par la grâce du sacerdoce, plein d'un nouveau zèle pour le salut
des âmes et d'une nouvelle ardeur pour le martyre, se rendit incontinent
à Chartres et de là dans le lieu où la vision nocturne l'avait appelé, y bâtit
une église, s'y livra avec une infatigable activité à tous les travaux du mi-
1. Peut-être Illiers.
2. L'histoire ne nomme pas cet adolescent, mais il est à croire que c'était saint Symphorien. — On
est peut-être étonné qu'Eusèbe de Verceil apparaisse à Eman. Le pieux pèlerin avait fans doute une
dévotion toute particulière a ce saint Evêque et était allé probablement vénérer ses reliques pendant son
sejcir ii Milaa. D'ailleurs. Eusèbe pouvait être cher à Eman, parce qu'il avait introduit en Occident
une rôçle analogue a ceUb ûe saint Basile, suivie par les clercs de Saint-Symphorien et par Eman lui-
même.
SAINT EMAN, MARTYR. 571
nistère pastoral et de l'apostolat, en attendant la palme qui lui avait été
promise. C'est alors qu'il lui arriva plusieurs aventures qui montrent à la fois
sa charité, son inaltérable douceur et la protection dont Dieu l'environnait.
— Un jour, ayant été invité chez Bladiste, un grand seigneur de la contrée,
il crut devoir accepter, sacrifiant, bien qu'à regret, son amour pour l'hu-
milité, la mortification et la retraite, à un devoir plus impérieux. Comme
la route était longue, il fut obligé de s'arrêter, en revenant, dans une maison
pour y passer la nuit. Ne sachant où mettre son cheval, il fit un signe de
croix sur lui et le laissa paître en liberté et à la garde de Dieu sur la pelouse
voisine. Or, un des convives de Bladiste, nommé Abbon, vil parasite, cupide
autant que pauvre, s'empara de l'animal, monta dessus, mais ne put s'éloi-
gner. Eman feignit de croire que le voleur avait besoin de son cheval, le
pria très-poliment de s'en servir et finit même par lui donner de quoi
acheter une chaussure neuve, afin qu'il fût moins tenté de voler des chevaux.
Dieu, en consacrant par de nombreux prodiges que nous ne rapportons
pas, l'éminente sainteté de son serviteur, achevait d'implanter la foi dans
les populations des campagnes, car il ne fallait rien moins que le spectacle
de vertus et de faits extraordinaires pour frapper ces esprits grossiers.
Cependant il soupirait sans cesse après la palme du martyre qui lui avait
été promise, comme le terme et la récompense de ses travaux; mais tou-
jours humblement soumis à la volonté du divin Maître, il attendait cette
faveur, objet de ses désirs, avec une patience résignée et de plus en plus
active, ne songeant qu'à travailler à s'en rendre digne. Enfin arriva le mo-
ment marqué par la Providence. Un jour il alla se promener avec ses deux
compagnons, les dignes coopérateurs de son apostolat, dans un bois voisin
de son humble demeure. Or, il y avait en ces lieux une troupe de brigands
qui depuis longtemps désiraient attenter à la vie de l'homme de Dieu. Cette
bouche qui prêchait la foi et la morale évangéliques leur était odieuse.
Ces misérables ayant aperçu Eman au sein de la forêt sombre et dé-
serte, crurent l'occasion favorable pour exécuter leur affreux projet. Ils
sortirent donc aussitôt de leur repaire et coururent à lui en brandissant
leurs épées. A cette vue, le Saint s'avança d'un air digne et calme au-devant
d'eux et les invita avec douceur à quitter la voie du crime pour embrasser
la loi de Jésus-Christ. Mais ces paroles de paix et de salut, loin de désarmer
les brigands, sectateurs barbares de l'ancien druidisme, ne firent qu'en-
flammer davantage leur fureur homicide, a II y a trop longtemps que tu
prêches : meurs ». Et à ces mots, ils le massacrèrent avec ses collabora-
teurs, le 17 des calendes de juin (16 mai), vers l'an 5G0. Les anges vinrent
recueillir les âmes des martyrs et les accompagnèrent au ciel.
C'est ainsi que pour les soldats de Jésus-Christ le jour de la mort de-
vient le jour du triomphe. Avec quel bonheur Eman prit place au milieu
de ces martyrs de Rome et de ces martyrs de Milan dont il était allé véné-
rer les reliques; à côté de saint Symphorien sur le tombeau duquel il avait
si souvent passé les jours et les nuits, demandant à Dieu le même courage,
le même sort, la même récompense ! Sa prière était exaucée : il possédait
la couronne éternelle. Son corps et celui de ses deux compagnons, Mau-
rille et Almaire, martyrisés avec lui, furent inhumés à Islaris-Cella (Illiers),
par des religieux; et jusqu'à ce jour, dit le biographe, le Dieu tout-puis-
sant n'a pas cessé d'opérer des miracles sur le tombeau de ces trois fidèles
serviteurs morts pour sa cause. Bien des années après, les précieux restes
de saint Eman furent transportés à Chartres dans l'église de Saint-Maurice
fiors des murs, où ils devinrent l'objet de la vénération publique. « A l'époque
572 16 mai.
des grandes perturbations qui marquèrent la fin du xvme siècle, dit le
Propre de Chartres, les cendres sacrées de saint Eman furent violées et je-
tées au vent. La chapelle que lui avait élevée la foi de nos pères est consa-
crée à des usages profanes ».
Acta Sanctorum ; Culte de saint Symphorien, par M. Dinet. Propre de Chartres.
SAINT GERMIER, EYEQUE DE TOULOUSE
S61. — Pape : Jean III. — Roi des Francs Austrasiens : Childebert II.
Germier avait trente ans quand il fut initié au sacerdoce. Comme il tra-
versait le royaume des Francs, la renommée de sa vertu arriva jusqu'à Clo-
vis. Ce prince envoya des officiers pour le chercher et le conduire avec
honneur auprès de lui l. Germier parut devant Clovis et le salua profondé-
ment. Le roi, en le voyant, fut tout réjoui de pouvoir connaître un person-
nage aussi saint, dont il avait entendu parler avec tant d'avantage. Le roi
l'interrogea : Qui êtes-vous ? d'où venez- vous ? comment vous appel az-
vous ? On m'appelle Germier : je suis né à Angoulême; j'ai été envoyé dès
mon enfance à Toulouse pour y apprendre les lettres humaines. J'ai été fait
sous-diacre à Saintes, diacre à Jonsac - et évèque àArsat, quoique indigne.
Je mets en Dieu ma contlance. Le roi lui dit : Celui qui s'exalte sera humi-
lié, et celui qui s'humilie sera exalté.
Clovis invita Germier à s'asseoir à sa table; les convives prirent place,
après que les mets eurent été bénis par l'évêque. Quand tous furent assis, il
donna au roi et aux princes les eulogies, et chacun rendait grâces à Dieu
et au roi de ce qu'il avait appelé le serviteur de Dieu. Confiimés dans la foi
et conduits par l'Esprit-Saint, ils confessaient à Germier leurs péchés. Il
disait à tous ceux qui croyaient : Mes enfants, faites pénitence, et accom-
plissez ce que vous avez promis à Dieu afin que vous ne périssiez pas au
dernier jugement. Le roi connut alors qu'il était saint, et le conjura de
prier pour son âme; puis il lui dit : Demandez-moi ce que vous voudrez de
tous mes biens; mes serviteurs exécuteront vos ordres. Germier répondit :
0 roi, je ne vous demande rien de vos domaines; accordez-moi seulement
dans le territoire de Toulouse autant de terre que pourra en couvrir ma
clamyde à côté du bienheureux Saturnin mon maître, à l'ombre duquel je
désire que mon corps repose : car, après le Seigneur, je désire l'avoir à
Toulouse pour défenseur et pour appui. Clovis lui dit : Je vous donne, au-
tour du lieu qui s'appelle Doz (Ox), six mille mesures de terre, et pour en-
terrer vos morts autant de terrain que sept paires de bœufs peuvent en
labourer dans un jour.
Germier demeura avec le roi vingt-deux jours, et Clovis lui donna une
somme considérable d'or et cinq cents sicles d'argent, des croix d'or, des
calices d'argent avec leurs patènes, trois crosses ou bâtons d'argent doré,
trois couronnes dorées et autant de manteaux de tin lin. Il lui remit un
1. Touchant le palais de Clovis où Germier fut appelé, on croit communément qu'il était situé au
confluent du Tarn et de la Garonne, non loin de la ville de Moissuc. Dans cette opinion, ce palais aurait
été situé sur la voie qui conduisait d"Arsat à Toulouse.
2. A 6 lieues de Saintes.
SAINT GERMIER, ÉVÉQUE DE TOULOUSE. 573
acte scellé de son anneau et de celui des officiers de sa cour, par lequel il
confirmait toutes les donations et les déclarait libres de toutes redevances.
Le roi dit ensuite à ceux qui l'entouraient : Faites ce que vous me verrez
faire; il s'approcha et se recommanda à Germier par les cheveux de sa tête,
ce que tous tirent après lui. Clovis l'embrassa et lui dit adieu. Germier,
après avoir béni le roi, se disposa à continuer sa route. Une multitude in-
nombrable de peuple l'accompagna jusqu'à quatre milles. Le Saint, versant
des larmes, leur dit : Que la paix soit avec vous, mes frères !... Persévérez
dans la foi que vous avez embrassée, et retournez chez vous. Que le Sei-
gneur soit toujours avec vous !... Et ils partirent.
Saint Germier revint à Toulouse pour y remplir son ministère. Le peuple
le reçut et l'accompagna dans toutes les visites des églises; il se rendit à
l'église de Saint-Saturnin, parcourut tous les lieux qui étaient commis à sa
garde, et rentra dans sa maison, où il trouva ce qu'il avait laissé. Ses ser-
viteurs lui dirent : Il y a longtemps que vous nous avez laissés; il nous tar-
dait beaucoup de vous revoir. Germier leur lit part des biens qu'il avait
apportés. Dulcidius et Pretiosus, ses deux fidèles disciples, lui montrèrent
tous les trésors et les meubles qu'il leur avait confiés; et après qu'il les eut
examinés, on reporta toutes ces choses en leur lieu. Le peuple se réjouit de
l'arrivée de Germier, qui l'exhortait à confesser ses péchés et guérissait les
malades. Il alla prendre possession de la terre de Doz (Ox), que le roi lui
avait donnée ; il y construisit une église en l'honneur de saint Saturnin avec
trois autels, et il la consacra. Dans la cérémonie de la dédicace, on alluma
trois cents flambeaux de cire. En cette nuit, saint Germier guérit plusieurs
aveugles, des boiteux, des paralytiques, et en particulier sept lépreux. La
renommée de sa sainteté croissait toujours dans sa ville de Toulouse.
Il bâtit ensuite un monastère à Doz et y consacra un autel en l'honneur
de saint Martin, réunit en ce lieu ses serviteurs et sa famille, plaça à Doz
tout ce qu'il avait réuni de divers lieux, et établit en sa maison des aumô-
niers pour les pauvres.
N'étant encore que diacre, il opéra plusieurs miracles : à sa prière, Dieu
fit jaillir une source d'eau vive et reverdir un laurier desséché; il guérit
deux lépreux, délivra trois possédés par le signe de la croix, et éteignit un
vaste incendie.
Le pontife passa sa vie au milieu des jeûnes, des prières et des aumônes
pendant trente-six ans, ayant de nombreux serviteurs. Le démon envoya la
peste sur ses troupeaux; ils périrent tous en une nuit. Les bergers vinrent
lui annoncer cette perte tout en pleurs. Mais il leur dit : Est-ce vos péchés
que vous pleurez ? Qu'est-ce qui vous attriste ? Ignorez-vous que nous ne
sommes pas de ce monde, et que celui qui a la vie ne peut goûter la mort ?
Pourquoi posséder les richesses du siècle ? Celui qui hait le monde, aime
Dieu. C'est lui qui a dit : « N'aimez ni le monde, ni ce qui est dans le
monde ». Cette tentation vient du démon; ces troupeaux ont péri à cause
de nos péchés. Le Seigneur les avait donnés, il les a repris : que son saint
nom soit béni ! Ce même fléau vint atteindre ses serviteurs, et ils périrent
tous. Leur mort causa à Germier la plus profonde douleur. Il dit alors à
Précieux et à Dulcide : Mes frères, allons à l'église du prêtre saint Poly-
carpe, et prions Dieu qu'il se montre miséricordieux envers nous. Etant
entré dans l'église, il se revêtit d'un cilice, se couvrit de cendres, et pen-
dant trois jours, sans boire ni manger, il persévéra dans la prière, versant
d'abondantes larmes, suppliant le Seigneur de le délivrer de la tribulation
qui l'accablait. Il offrit ensuite le sacrifice pour les morts. Pendant qu'il
574 16 mai.
priait, l'ange du Seigneur lui apparut et lui dit : Sachez que tous les vôtres
ont été conduits en Paradis. Il rendit grâces alors à Dieu qui avait daigné
ainsi le consoler. — Je vous supplie, dit-il, Seigneur, de me placer au
nombre de vos Saints. — Maître, lui dirent alors ses disciples en larmes,
pourquoi ne prenez-vous aucune nourriture ? pourquoi vous abandonnez-
vous à la douleur ? Nous vous apporterons quelques aliments. Il leur ré-
pondit : Je n'ai ni faim ni soif; nous devons, à cause du démon tentateur,
persévérer dans la prière et le jeûne; Dieu l'écrasera sous nos pieds et tout
nous deviendra prospère. En effet, après quelques années, il rentra dans
tous les biens qu'il avait perdus, et sept ans après il mourut très-sainte-
ment '.
Des monuments encore existants attestent qu'il mourut à Ox, hameau
situé près de Muret; que c'est en ce lieu qu'il fut d'abord enterré; qu'en-
suite, ses ossements, ainsi que ceux de ses deux disciples, furent portés
dans l'église paroissiale de Saint-Jacques de Muret, où ils se trouvent encore
dans une crypte située sous le sanctuaire.
CULTE ET RELIQUES DE SAINT GERMIER.
Le culte de saint Germier remonte à la plus haute antiquité : il est fait mention de lui, sous
le 16 avril, dans un ancien Martyrologe manuscrit de l'abbaye de Saint-Savin au diocèse de Tarbes,
ainsi que dans un autre manuscrit très-ancien de la ville de Prague. Quant à ses deux disciples
Dulcidius et Pretiosus, on n'en célèbre point la fête, quoique leurs reliques soient placées à côté
de celles de saint Germier, et exposées comme elles à la vénération des fidèles. On donne vul-
gairement à saint Germier cinquante ans d'épiscopat. Il est bien difficile d'admettre une si longue
durée, surtout lorsque dans ce long espace de temps aucun monument historique ne vient révéler
quelque fait relatif à cet épiscopat.
« Nous croyons », dit H. Salvan dans son Histoire générale de l'église de Toulouse, « avoir
retrouvé les deux oratoires que saint Germier éleva en l'honneur de saint Saturnin et de saint
Martin. Le premier était situé au confluent de la Garonne et de la Louge, non loin du château de
Muret occupé par les seigneurs de Comminges. Il est aujourd'hui complètement détruit. Le second
se trouvait au lieu où, depuis, a été bâtie l'église paroissiale d'Ox, qui est encore dédiée à saint
Martin. Quant au monastère construit par saint Germier, et dans lequel il mourut au milieu de ses
nombreux disciples, il était situé à peu de distance de la ville de Muret, vers le couchant, à l'en-
droit où se trouvent ré unies les trois routes qui conduisent, l'une à La Masquère, l'autre à Seysses,
et la dernière à Ox. On a élevé une croix sur l'emplacement de ce monastère, et ce quartier
porte encore le nom de Saint-Germier le Vieux. Ce fut sans doute en ce lieu que le saint évêque
resta enseveli jusqu'à la translation de son corps dans l'église paroissiale de Saint-Jacques. Le
monastère de Saint-Germier prit, plus tard, le titre de prieuré, et fut cédé à l'abbaye de Lézat ».
Le corps de saint Germier était autrefois renfermé dans un tombeau creusé dans le mur, et
dont l'entrée était fermée par une grille en fer. L'humidité, qui régnait dans la crypte, nécessita
la translation du corps dans une nouvelle châsse, qui se trouve aujourd'hui dans une armoire en
saillie placée vis-à-vis de l'ancien tombeau. L'église de la Dalbade, à Toulouse, et la chapelle du
grand séminaire possèdent quelques fragments des reliques de ce pontife. Il est le Patron titulaire
de plusieurs paroisses dans le diocèse de Toulouse, et, en particulier, de celle de Frouzins, village
situé entre Toulouse et Seysses-Tolosanes. Une tradition du pays rapporte que saint Germier, se
rendant de sa ville épiscopale à Ox, passait à Frouzins par un chemin près du cimetière, et que
les fleurs naissaient sous ses pas : c'est ce qui a fait donner à cette voie le nom de Monramet ou
des Rameaux. 11 existait autrefois une chapelle dédiée à saint Germier au milieu du cimetière de
Frouzins ; on en voit encore les ruines. La piété des habitants de Muret éleva aussi un temple à
ce saint évoque ; cet oratoire devint, plus tard, une église paroissiale dont M. Moutjouzieu fut le
dernier titulaire. L'église de Saint-Germier à Muret, qui existait encore il y a peu d'années, avait
été construite par M. Boutirac, curé de cette paroisse.
Catel rapporte que saint Rémi, archevêque de Reims, fit hommage à saint Germier d'une mitre,
d'une paire de gants et d'un anneau. Après la mort de saint Rémi, Germier fit construire un
oratoire à Toulouse en son honneur, dans la rue qui porte le nom de Saint-Remésy ou Rémi. Ces
1. Ici se termine la Vie de saint Germier, que les Bollandistes ont produite d'après un ancien ma-
nuscrit de Toulouse.
SAINT HONORÉ, ÉVÊQUE D'AMIENS, PATRON DES BOULANGERS. 575
objets précieux furent placés par saint Germier dans cet oratoire, et transportés de là dans l'église
de Saint-Jean de Malte, où ils étaient exposés à la vénération des fidèles, à côté de l'autel.
Recueillis par la piété des habitants de Toulouse pendant la Révolution, la mitre et les gants se
trouvent aujourd'hui dans la basilique de Saint-Saturnin.
Nous avons abrégé la Vie du Saint que donnent les Bollandistes, et y avons ajouté quelques renseigne-
ments locaux que nous a fournis l'Histoire générale de l'église de Toulouse, par M. Salvan.
SAINT HONORE, EVÈQUE D'AMIENS
PATRON DES BOULANGERS
Vers l'an 600. — Pape : Saint Grégoire le Grand. — Roi des Francs : Clotairell.
Quem genuil Portus secessit ubi fuit ortus :
Is suns est hortus, iste est occasus et ortus.
Le village de Port fut pour lui le port oh il aborda
à l'existence, et le port d'où il s'embarqua pour
l'éternité.
Vers gravés au moyen âge sur les 7nurs de l'église du
pays natal de saint Honoré.
Saint Honoré, septième successeur connu de saint Firmin , naquit à
Port-le-Grand, en Ponthieu, dans le diocèse d'Amiens. Il appartenait pro-
bablement à l'une des principales familles du pays : la tradition désigne
encore actuellement l'endroit où s'élevait jadis le château de son père, et
d'après le témoignage d'un historien du xvne siècle l, on en voyait de son
temps subsister quelques ruines. Dès qu'il eut l'âge de raison, il aima et
pratiqua la vertu. Les jeûnes, les veilles et la prière étaient toutes ses déli-
ces, et on pouvait dire de lui ce que l'Ecriture dit de Tobie : « Que n'étant
encore qu'un enfant, il n'avait toutefois rien de l'enfance » . Saint Béat fut
son maître et son guide dans son éducation cléricale. Après la mort de ce
prélat, il fut choisi pour le remplacer, malgré sa résistance. Dieu le ras-
sura par un prodige arrivé à son sacre. Toute l'assistance vit descendre sur
sa tête un rayon divin et une huile mystérieuse.
Il plut à Notre-Seigneur d'honorer encore son épiscopat par l'invention
miraculeuse des corps des saints Martyrs Fuscien, Victoric et Gentien, qui
étaient demeurés cachés aux fidèles plus de trois cents ans. Un saint prêtre
d'Amiens, appelé Lupicin, ayant été averti par un ange de retirer ces trois
corps saints d'un certain endroit, y alla, et, après avoir creusé assez avant,
il trouva enfin ce qu'il cherchait ; alors, ne pouvant arrêter la joie de son
cœur, il chanta une antienne en leur honneur. On dit que saint Honoré
l'entendit, quoiqu'il fût éloigné de deux lieues ; il se rendit aussitôt en cet
endroit, assisté de son clergé et suivi de tout le peuple : ces saintes reliques
attiraient tout le monde par l'agréable odeur qu'elles répandaient. Elles
furent l'objet d'une seconde merveille : le roi Ghildebert II ayant envoyé
des commissaires à Amiens pour enlever ce trésor et l'apporter à Paris, ils
en furent empêchés par une vertu divine, qui rendit les corps saints immo-
biles ; ils furent donc obligés de laisser à la ville d'Amiens ses martyrs, ses
apôtres, qui faisaient sa gloire et sa consolation. Le roi, en étant averti,
1. P. Ignace, Histoire ecclésiastique d'Abbeville.
576 16 mai.
eut regret du dessein qu'ii avait formé, ordonna de laisser ces saintes re-
liques dans la cathédrale d'Amiens, à laquelle il fit de très-beaux présents,
soit en meubles et en ornements pour le service divin, soit en argent et en
fonds de terre pour le service du clergé.
Un jour que notre pieux Pontife disait la messe dans la chapelle de la
Sainte-Vierge, à Saint-Acheul, à laquelle assistait le prêtre qui fut depuis
son successeur, Notre-Seigneur lui apparut visiblement à la consécration,
et lorsqu'il fut temps de consommer les saintes espèces, il les prit lui-même
et Je communia de ses propres mains, lui accordant ainsi la même grâce
qu'il avait faite aux Apôtres, le soir de sa Passion l. Ce ne fut pas le seul trait
de ressemblance qu'Honoré eut avec les Apôtres : il a imité leur zèle pour
la conversion des âmes, leur charité dans la pratique des œuvres de piété et
de miséricorde, et, enfin, leur mortification en crucifiant sa chair avec ses
passions, par les jeûnes et les veilles qu'il continua tout le temps qu'il
vécut. Son historien ne nous apprend rien de plus, sinon qu'il acheva heu-
reusement sa vie en visitant son diocèse, dans le lieu même où il l'avait
reçue de Dieu en la maison de son père. De sorte que le bourg de Port, en
Ponthieu, a été le berceau et le tombeau de cet illustre prélat.
Son corps y fut enterré avec honneur, et, depuis, on lui fit bâtir une
très-belle église; ses précieuses reliques y reposèrent sous le maître-autel
jusqu'aux irruptions des Danois et des Normands : elles furent alors trans-
férées à Amiens, dans son église épiscopale. Comme on faisait cette céré-
monie, il arriva cette merveille : on avait posé le corps en l'église des apôtres
saint Pierre et saint Paul, dite autrement de Saint-Firmin le Confesseur;
lorsqu'on l'enleva pour le porter à la cathédrale, le crucifix tourna visi-
blement la tête vers la porte par où sortait le corps saint, comme le con-
duisant des yeux ; les assistants, ravis d'admiration, glorifièrent Dieu de ce
qu'il honorait ainsi son serviteur. On voit encore aujourd'hui ce crucifix
dans la cathédrale d'Amiens 2.
Le saint évêque a fait plusieurs autres merveilles durant sa vie et après
sa mort ; mais il ne nous en reste aucun détail authentique. Nous savons
seulement ce qu'il fit plusieurs siècles après, pour subvenir aux nécessités
du peuple pendant une très-grande sécheresse : l'évêque Guy, fils de Gau-
thier, comte d'Amiens, ordonna une procession générale, dans laquelle on
porta la châsse de saint Honoré autour des murs de la ville ; on obtint la
pluie que l'on demandait à cette occasion. Il se fit encore plusieurs autres
miracles : des paralytiques furent guéris, des sourds recouvrèrent l'usage
de l'ouïe, des muets celui de la parole, des boiteux purent marcher, des
prisonniers virent tomber leurs fers et s'ouvrir les portes de leur cachot. Ce
grand événement est marqué en Tannée 1060, qui est celle où Philippe Ier
commença à régner.
Depuis, la dévotion à saint Honoré s'étendit merveilleusement; car,
non-seulement la ville d'Amiens et tout le diocèse, mais aussi toute la
France, et principalement la ville de Paris, y voulurent avoir part. En effet,
l'an 120-i, un des riches habitants de cette capitale du royaume, appelé
Renold Chérins, et sa femme, nommée Sibille, firent bâtir une église en
l'honneur du saint Prélat, dans la rue qui porte son nom, et y fondèrent
plusieurs canonicats ; et Richard de Gerberoi, alors évêque d'Amiens, l'en-
richit d'une partie des reliques du même saint évêque ; elles s'y conservaient
avec respect, avant 93, dans une châsse d'argent d'une forme fort ancienne.
1. L'abbaye de Saint- Acheul avait, en me'moire de ce fait, placé une main divine dans ses armoiries.
2. C'est le crucifix archaïque qui porte le nom de Saint-Sauf.
SAINT HONORÉ, ÉVÊQUE D'AMIENS, PATRON DES BOULANGERS. 577
L'an 1301, Guillaume de Mâcon, quarante-neuvième évêque d'Amiens,
ayant fondé la chartreuse d'Abbeville, lui assigna des revenus sur le bourg
et le village de Port, ancien domaine de saint Honoré, et la mit sous la pro-
tection de ce Saint, dont il lui donna la tête. Un doigt du même Saint fut
aussi offert avec d'autres reliques, par un évêque d'Amiens, à l'abbaye de
Saint-Riquier en Ponthieu.
Saint Honoré, on le sait, est presque l partout le patron des boulangers,
et par extension des pâtissiers, des oublieurs, des fleuristes, des marchands
de farineux et de diverses autres professions qui ont quelque rapport avec
la fabrication du pain : c'est pourquoi on le représente avec une pelle à
four chargée de trois pains, qu'il tient dans sa main gauche. Cette pelle est
si inséparable du personnage que Santeul lui a donné place dans son célè-
bre et irrévérencieux quatrain :
Saint Honoré
Dans sa chapelle
Avec sa pelle,
Est honoré.
On n'est pas d'accord sur l'origine de ce patronage liturgique, et sur le
motif qui a fait attribuer à saint Honoré les instruments professionnels de
la boulangerie. Toutefois, on croira être dans le vrai en adoptant l'opi-
nion du très-compétent M. Gorblet, chanoine, historiographe du diocèse
d'Amiens.
« Ce qui déterminait les choix populaires des patronages » ,dit cet écrivain,
« ce n'étaient point des rapprochements forcés, des comparaisons subtiles,
mais les faits extraordinaires qui frappaient vivement l'imagination. Or, nous
trouvons dans la légende de saint Honoré un événement de cette nature,
qui nous paraît avoir déterminé le choix des boulangers. Lorsqu'on apprit
à Port qu'Honoré était promu à l'épiscopat, sa nourrice, qui s'occupait alors
de la cuisson du pain au château paternel, accueillit cette nouvelle par une
complète incrédulité, et s'écria qu'elle croirait plus volontiers que le four-
gon ardent qu'elle tenait entre les mains prendrait racine et se changerait
en arbre. Joignant l'acte aux paroles, elle planta dans la cour où elle se
trouvait, sa pelle embrasée, emmanchée d'un long bâton qui se métamor-
phosa soudain en mûrier, et qui bientôt après produisit des fleurs et des
fruits, que l'on considéra comme un emblème prophétique des fruits de
salut que devait porter l'épiscopat d'Honoré 8. Au xvie siècle, on montrait
encore ce mûrier dans l'ancien logis paternel du saint évêque. Le souvenir
du fourgon miraculeux s'est tellement conservé à Port que, chaque année,
la veille de la Saint-Honoré, on allume un feu de joie pour perpétuer la
mémoire de cet événement. N'est-il point plus que probable que c'est ce
fourgon, cet instrument de boulangerie servant de matière à un prodige si
extraordinaire, qui a déterminé les boulangers à prendre saint Honoré pour
patron? A l'occasion de son élévation à l'épiscopat, leur pelle profession-
nelle avait été glorifiée ; ils voulurent à leur tour glorifier par un culte spé-
cial celui à qui ils attribuaient ce prodige. Telle est, croyons-nous, l'origine
1. Nous disons presque partout, car dans le Solssonnais c'est saint Lndard qui, au xm» siècle, exerça
la profession de boulanger ; a Saint-Denis, c'était saint Isses, parce que son nom signifie blé en grec ; en
Flandre et dans diverses églises de la Belgique, c'est saint Aubert, évêque de Cambrai, parce qu'un bou-
langer fut guéri par son intercession.
2. La légende primitive est souvent dénaturée dans les récits populaires. Nous en avons entendu plus
d'une variante, et entre autres celle-ci : Ce serait après la mort d'Honoré que l'incrédule nourrice se se-
lait écriée : « Si celui-là est Saint, je veux que mon fourgon reverdisse! »
Vies des Saints. — Tome V. 37
578 16 mai.
de ce patronage, répandu aujourd'hui dans presque toute la France et qui,
par cela même qu'il avait pris naissance en Picardie, y demeura plus cé-
lèbre que partout ailleurs. Les boulangers d'Amiens se considéraient comme
la première confrérie de la cité, parce qu'ils avaient le privilège de porter
aux processions générales la châsse de leur patron.
Voir l'office de saint Honoré dans les Bréviaires d'Amiens et de Paris; les Antiquités d'Amiens, par la
Morlière : Richard de Gerberoi, etc.; Origine du patronage liturgique des boulangers, par M. l'abbé
J. Corblet, chanoine honoraire et historiographe du diocèse d'Amiens.
SAINT UBALD ' OU THIÉBAUT, ÉVÊQUE DE GUBBIO
1084-1160. — Papes : Grégoire VII; Alexandre III. — Empereurs d'Allemagne : Henri IV;
Frédéric I« surnommé Barberousse. — Rois de France: Philippe Ier; Louis VII, le Jeune.
Il lui a confié le sacerdoce pour en exercer les fonc-
tions, pour chanter les louanges du Seigneur, pour
annoncer, en son nom, sa gloire à son peuple et
offrir sans cesse à Dieu un encens digne de lui et
dont l'odeur lui fût agréable.
Eccli., xlv, 19, 20.
Saint Ubald, issu d'une famille noble, naquit à Gubbio, ville de l'état
ecclésiastique. Ayant perdu son père dès le berceau, il eut pour tuteur un
oncle qui le fit étudier parmi les jeunes clercs de l'église cathédrale de Saint-
Marien et Saint-Jacques. Lorsqu'il eut l'âge de se marier, on lui proposa des
partis avantageux ; mais il refusa, disant qu'il avait consacré sa virginité à
son Sauveur Jésus.
Jean, surnommé le Grammairien, évêque de Gubbio, voyant la capacité
et la vertu d'Ubald, le fit, malgré sa jeunesse, prieur du Chapitre de sa
cathédrale, où, comme nous l'avons dit, notre Saint avait fait ses pre-
mières études. Ces Chanoines vivaient dans les plus grands désordres. Le
nouveau prieur en entreprit la Réforme avec courage et prudence ; il en
gagna d'abord trois, mieux disposés que les autres, et leur persuada de vivre
avec lui en communauté ; ensuite il alla visiter les Chanoines réguliers, ins-
titués par Pierre de Honestis, sur le territoire de Ravenne. Il passa trois mois
avec ces serviteurs de Dieu pour bien connaître leur Règle ; elle lui plut : il
la prit pour la porter à Gubbio. Nous ne devons pas omettre ici une faveur
du ciel qu'il reçut en revenant. S'étant endormi sous un arbre, avec son
compagnon, il y laissa, à son réveil, le livre de sa Règle, qui demeura ainsi
exposé à une grosse pluie dont tout cet endroit fut abreuvé. S'en étant aperçu
en chemin, il en fut fort affligé ; il craignait que le livre ne fût gâté, ou qu'il
n'eût été pris par quelque passant ; mais, étant retourné sur ses pas, il le
trouva au même endroit où il l'avait perdu, sans qu'il y eût apparence qu'une
seule goutte d'eau fût tombée dessus. Gela ne servit pas peu à gagner le
cœur de ses Chanoines ; reconnaissant si sensiblement l'esprit de Dieu en la
personne de leur père et supérieur, ils se soumirent absolument à tout ce
qu'il voulut leur prescrire pour l'entière observance de leur Règle.
L'évêque de Pérouse étant mort, en 1126, le clergé élut Ubald pour son
successeur ; il n'eut pas plus tôt appris cette nouvelle, qu'il alla se cacher
1. Hubaldus, Ugobaldo, Guibout, Hubaud.
SAINT UBALD OU THIÉBAUT, ÉVÊQUE DE GDBBIO. 579
dans un désert. Il échappa ainsi aux députés dePérouse. Après leur départ,
il se rendit à Rome, et, à force de larmes et de prières, il obtint du pape
Honorius II d'être exempt de l'épiscopat. Mais, en 1128, ce Pape le fit élire
évêque de Gubbio, et le sacra l'année suivante.
Le genre de vie d'Ubald ne changea point avec sa dignité : sa nourriture
et ses habits furent aussi simples qu'auparavant. Il continua de prendre son
repos sur une paillasse, avec une pauvre couverture : un lit était un meuble
inutile pour un homme qui passait la plus grande partie de ses nuits dans
la prière et la contemplation.
Mais, parmi ses vertus, nous n'en voyons pas de plus admirable que la
patience avec laquelle il supportait les injures et les affronts. Pendant qu'on
réparait les murailles de Gubbio, il arriva que les ouvriers empiétèrent sur
la vigne du Saint. Il leur représenta doucement le tort qu'ils lui faisaient,
et les pria de cesser. L'inspecteur des travaux ne lui répondit que par des
insultes ; puis, le poussant avec brutalité, il le fit tomber sur un monceau
de mortier. Le bon évoque se releva en silence, et se retira sans faire la
moindre plainte ; mais le peuple demanda qu'on lui fît justice en bannissant
le coupable et en confisquant ses biens. Il était si animé qu'Ubald, pour tirer
l'inspecteur des mains des magistrats, fut obligé de dire que la connaissance
de cette affaire lui appartenait et que lui seul devait en être le juge. Les
esprits se calmèrent alors un peu. Le coupable, touché de repentir, déclara
lui-même qu'il se soumettrait à toutes les peines qu'on lui infligerait, dût-
il lui en coûter la vie. Toute la vengeance du Saint se borna à lui donner un
baiser de paix, et à prier Dieu de lui pardonner la faute dont il s'agissait,
ainsi que toutes celles qu'il pouvait avoir commises.
Une autre fois, il arriva une sédition dans la ville ; les habitants ayant
pris les armes, il y en avait déjà quelques-uns sur le carreau : le Saint y
courut aussitôt pour y faire l'office du bon pasteur offrant sa vie pour le salut
de ses ouailles qui s'entr'égorgeaient; mais, voyant que ni sa voix ni ses
prières ne faisaient rien, il se jeta au travers des épées nues et d'une grêle
de cailloux qui tombaient de toutes parts ; puis, feignant adroitement qu'il
était blessé, il se laissa tomber comme s'il eût été mort. Le peuple en fut si
surpris, que chacun mit les armes bas pour lever les mains au ciel et crier
miséricorde. Alors, le saint évêque, se relevant doucement, fit savoir qu'il
n'avait aucun mal ; il rendit ainsi la joie à toute la ville, après lui avoir
rendu la paix.
Il ne montra pas moins de courage contre les guerres extérieures que
contre la guerre civile. Sept villes voisines s'étaient liguées ensemble contre
Gubbio, et leur armée s'était tellement grossie, qu'à peine les Gubbiens
pouvaient opposer un homme à quarante ennemis. Notre Saint ordonna un
jeûne de trois jours et fit faire des processions et des pénitences publiques,
pour implorer l'assistance du ciel. Cependant, il allait de rue en rue, comme
un généreux capitaine, exhorter ses diocésains à ne point perdre courage,
mais à se confier en Dieu ; et, le jour du combat, il se tint à la porte de la
ville, afin de donner sa bénédiction à tous les soldats, leur promettant la
victoire ; ensuite il monta sur le rempart où, comme un autre Moïse, il pria
pour le succès des armes de son peuple. L'ennemi fut repoussé et mis dans
une complète déroute.
En 1155, l'empereur Frédéric Barberousse, qui venait de prendre et de
saccager Spolète, menaça la ville de Gubbio d'un traitement semblable.
Ubald alla au-devant du prince irrité et désarma sa colère. Frédéric lui donna
de grands témoignages de vénération, comme à un Saint ; il se prosterna à
580 16 mai.
ses pieds, lui demanda sa bénédiction, lui fit des présents et offrit de lui
rendre les otages qu'il avait reçus des Gubbiens.
Il ne faut pas s'étonner si tant de grâces et de vertus furent accompagnées
du don des miracles. Nous lisons que saint Ubald, étant encore vivant,
apparut une nuit à un ecclésiastique, qui, ayant un pouce extraordinairement
enflé, souffrait une extrême douleur; lorsqu'il eut fait le signe de la croix
sur la partie blessée, le malade se trouva à l'heure même entièrement guéri.
Il alla le matin remercier le saint évêque, qui lui défendit, avec menaces,
d'en parler.
Un religieux, qui était chargé de donner les ornements au saint prélat,
pour le très-auguste sacrifice de l'autel, étant à l'extrémité, se fit recom-
mander à ses prières. Le Saint pria pour lui durant la messe, et il ne l'eut
pas plus tôt achevée que le religieux se trouva en parfaite santé.
Une personne, qui avait perdu la vue depuis quatre ans, la recouvra en
baisant avec respect les mains d'Ubald. Une autre, aveugle depuis dix ans,
fut guérie par la seule invocation de son nom. Il défendit à l'un et à l'autre
d'en jamais rien déclarer : ils firent comme ces malades de l'Evangile, qui
ne cessaient de publier les merveilles du Fils de Dieu, quoiqu'il leur fît
défense d'en rien dire. Un troisième aveugle s'étant présenté à lui pour
obtenir la même grâce, le saint évêque, connaissant, par une lumière sur-
naturelle, que cela n'était pas expédient pour le salut de son âme, le lui
expliqua : l'aveugle, persuadé, préféra ne point recouvrer la vue, qui l'ex-
posait à perdre la lumière éternelle.
La leçon du Bréviaire romain, pour la fête de notre Saint, remarque qu'il
avait un grand pouvoir pour chasser les démons hors du corps des énergu-
mènes ; mais ce que nous admirons encore en lui, c'est une excessive patience
dans ses souffrances et ses maladies, qui ne furent pas petites : car il se
rompit deux fois la cuisse et une fois le bras ; il avait de tous côtés des
ulcères, ce qui ne l'empêchait pas de faire ses fonctions épiscopales. Deux
ans avant sa mort, il fut presque toujours très-malade et en danger ; néan-
moins, le jour de Pâques, son peuple désirant recevoir encore une fois les
Sacrements de sa main, il obtint de Dieu des forces pour se lever du lit,
célébrer la sainte messe, et faire une exhortation en public ; puis, ayant
donné sa bénédiction à ses ouailles, il se remit au lit d'où il ne se leva plus.
Le samedi et le dimanche de la Pentecôte, ce bon prélat, qui ne savait
rien refuser à son peuple, permit l'entrée de sa chambre à tous ceux qui y
voudraient venir : il n'y eut personne en toute la ville qui ne se procurât le
bonheur de lui baiser les mains ou les pieds. Pour éviter la confusion, on y
allait par ordre. En entrant dans sa chambre, on se mettait à genoux pour
recevoir sa bénédiction et se recommander à ses prières ; ceux qui l'avaient
autrefois offensé lui en demandèrent humblement pardon, et il le leur accorda
de très-bon cœur. Ensuite, chacun se retirait en l'église, où les hommes et
les enfants mêmes, tenant des flambeaux allumés, attendaient en prières
l'issue de la maladie de leur pasteur. Sur le soir, le mal étant augmenté, il
se fit apporter les derniers Sacrements de l'Eglise, qu'il reçut fort dévote-
ment ; après quoi, récitant des psaumes, il rendit enfin paisiblement son
âme à Celui qui l'avait créé pour sa gloire, le 16 mai 1160.
On représente saint Ubald tenant à la main une bannière marquée d'une
croix et l'opposant aux ennemis qui assiègent sa ville épiscopale; — embras-
sant le maçon qui l'avait jeté dans une fosse. Nous avons raconté le fait avec
détails ; — guérissant un possédé. On l'invoque encore aujourd'hui pour la
guérison des énergumènes.
SAINT SIMON DE STOCK, GÉNÉRAL DES CARMES. 581
RELIQUES DE SAINT UBALD.
Le corps du saint prélat fut porté en l'église des saints martyrs Jacques et Marien, où il
demeura exposé quatre jours, tant pour contenter la dévotion du peuple, qu'à cause de la multi-
tude des- malades et des énergumèues que l'on y amenait de tous côtés et qui étaient aussitôt déli-
vrés ; mais le plus grand de tous les miracles qui se firent alors, fut la paix et la réconciliation
des Gubbiens avec les autres villes du duché : ils terminèrent leurs différends en considération du
saint défunt, que chacun voulait honorer. Saint Ubald fut canonisé par Célestin III, en 1192. Son
corps fut transporté, en 1196, sur une montagne appelée depuis Mont-Saint-Ubald, où l'on a bâti
une église de son nom et établi des Chanoines réguliers.
L'origine de la ville de Thann, en Alsace, se rattache à une relique de saint Ubald qui y fut
apportée d'une manière merveilleuse. On dit donc qu'étant sur le point de mourir et n'ayant pas de
quoi reconnaître les bons offices de son fidèle domestique, saint Ubald dit à ce dernier de prendre
après sa mort, l'anneau d'or qu'il portait au pouce. Le domestique exécute l'ordre de son maître,
mais le pouce du saint évêque suit l'anneau qu'il s'efforce d'enlever. Le domestique, inquiet, s'en-
fuit avec son trésor, et, de crainte de perdre cet objet si précieux, il l'enferme dans le pommeau
de sa canne, et prend le chemin des Pays-Bas, sa patrie. A la fin de juin de l'an 1161, il traverse
l'Alsace, s'arrête au Vieux-Thann, et de là se prépare à passer les Vosges par la vallée de Saint-
Amarin ; mais, obligé de se reposer sous un sapin à cause des fortes chaleurs, il place son bâton
contre un arbre et s'endort. Bientôt après, voulant continuer sa route, il reprend son bâton; mais
tous ses efforts sont inutiles, le bâton ne peut être enlevé et oppose la résistance la plus opiniâtre.
Le voyageur, stupéfait, réclame le secours de la multitude ; mais c'est en vain : alors il prend le
parti de passer la nuit sous le sapin et de différer son départ jusqu'au lendemain. Cependant les
miracles continuent, car le comte Frédéric de Ferrette voit, du haut de son château d'Engelbourg,
au pied duquel s'élèvera la ville de Thann, au milieu des ombres de la nuit, trois flammes s'élancer
de la cime de l'arbre contre lequel est appuyé le bâton en question. Le lendemain, ce seigneur,
accompagné d'une suite nombreuse, se rend à l'endroit indiqué pour vérifier la merveille qu'il
avait vue pendant la nuit. Il apprend de la bouche même du domestique tout ce qui s'était passé
au sujet du bâton, et l'ait vœu de construire une chapelle à l'endroit où s'était opéré le miracle de
la veille. Cette chapelle est aussitôt visitée par de nombreux pèlerins, on construit des auberges
dans le voisinage, et c'est là l'origine de Thann.
Pour perpétuer le souvenir de ce fait, on place encore tous les ans, le jour de la fête de saint
Ubald, trois troncs d'arbres devant l'église, et le curé, après les avoir bénits, y met le feu. Cei
troncs représentent les trois flammes sorties du sapin que le comte de Ferrette aperçut.
La chapelle de l'Hôtel-Dieu d'Abbeville possède une de ses reliques.
Acta Sanctornm ; les Saints d'Alsace, pur l'abbé Hunckler.
SAINT SIMON DE STOCK, GENERAL DES CARMES
1265. — Pape : Clément IV. — Roi d'Angleterre : Henri III.
Que chacun de vous rende service aux autres, selon
le don qu'il a reçu, comme de fidèles dispensateurs
des grâces que Dieu vous a accordées de tant de
manières. I Pet., iv, 10.
Saint Simon de Stock * naquit d'une des plus illustres familles des ba-
rons d'Angleterre. Ses parents, non moins distingués par leur piété que par
la noblesse de leur origine, obtinrent du ciel, par le mérite de leurs prières,
la naissance d'un enfant de bénédiction. La Providence sembla, au reste,
vouloir annoncer sa future grandeur en lui donnant dans le sein de sa mère
1. Ce n'est pas à raison de l'analogie dit nom de Stock, qui en anglais signifie bois ou tronc d'arbre,
avec celui qui servit de retraite à saint Simon de Stock durant sa vie solitaire, qu'il a été' ainsi appelé,
comme plusieurs l'ont écrit : mais le nom de de Stock est son vrai nom de famille, ainsi que le prouvent
clairement tous les monuments de l'histoire d'Angleterre, ou il est constaté que plusieurs avant lui et
après lui, dans sa famille, ont porté le nom de de Stock. — Cf. Acta Sanctorum.
582 16 mai.
un corps dont les proportions étaient telles, qu'il ne pouvait naturellement
venir au monde sans faire perdre la vie à celle qui devait lui donner le jour.
Cette pieuse femme, pleine de confiance dans la protection de la très-sainte
Vierge, objet ordinaire de sa tendre dévotion et sa ressource dans ses peines,
se sentit inspirée de se vouer, elle et son enfant, à la Reine des Anges,
pour obtenir par son intercession une heureuse délivrance l. Bientôt le ciel
fut propice aux vœux si ardents de cette mère désolée ; notre Saint, par le
bienfait spécial d'une protection miraculeuse de la divine Marie, vint au
monde sans aucun danger pour sa mère. Il naquit l'an 1164, en Angleterre,
dans le comté de Kent, au château d'Harford, dont son père était gouver-
neur, et reçut sur les fonts de baptême le nom de Simon.
Dès le berceau, Simon eut pour la Mère de Dieu la plus tendre dévotion. Il
l'exprimait à sa manière, par des signes et des impressions qui, dans un enfant
encore à la mamelle, ne pouvaient avoir d'autre principe qu'un mouvement
extraordinaire de l'Esprit de Dieu. Sa pieuse mère voulut elle-même lui servir
de nourrice ; elle avait coutume, avant de l'allaiter, de réciter chaque fois à
genoux la Salutation angélique, par sentiment de reconnaissance envers la
très-sainte Vierge, à qui elle ne cessait d'offrir cet enfant chéri, comme
l'ayant reçu du ciel par sa protection. Lorsque, par distraction, il lui arri-
vait d'oublier de s'acquitter de cette pratique de piété, elle trouvait une
résistance invincible dans le jeune Simon, qui refusait constamment la
mamelle de sa mère, jusqu'à ce qu'elle eût rendu à Marie son hommage
accoutumé. Par un prodige semblable à celui qui est rapporté dans la vie
du célèbre évêque de Myrrhe, saint Nicolas, on dit que ce saint enfant s'abs-
tenait de la mamelle de sa mère les jours du samedi et les veilles des fêtes
de la très-sainte Vierge ; tout ce qui pouvait lui rappeler le souvenir de la
Mère de Dieu, excitait en lui les saints transports de la joie la plus sensible.
On le voyait souvent tressaillir entre les bras de sa mère, lorsqu'elle pro-
nonçait le doux nom de Marie ; il suffisait de lui présenter une image de la
très-sainte Vierge, pour apaiser aussitôt en lui les cris et les mouvements
qui agitent ordinairement les enfants de cet âge, lorsqu'ils souffrent quel-
que douleur. 11 n'avait pas encore un an, qu'on l'entendit articuler plusieurs
l'ois distinctement la Salutation angélique avant d'être en état de l'apprendre.
Comme la grâce prévenait en tout, dans cet enfant de bénédiction,
l'ordre et le développement de la nature, on eut peu de chose à faire pour
son éducation. Il sut lire aussitôt qu'il sut parler, et dès lors, à l'exemple
1. L'usage de vouer les enfants à la très-sainte Vierge avant leur naissance, est très-ancien dans
l'Eglise. L'exemple de saint Simon de Stock et de plusieurs autres Saints qui ont appartenu à l'Ordre du
Carmel.. dont Dieu a béni par ce moyen la naissance et sanctifié la vie, nous prouve combien cet acte de
piété lui est agréable.
Cet usage consiste à les consacrer a la très-sainte Vierge en les revêtant de ses livrées, c'est-à-dire
de vêtements exclusivement blancs et bleus, qui sont les couleurs traditionnellement adoptées, et cet
usage de porter les livrées de Marie se prolonge d'ordinaire jusqu'à l'âge de sept ans. Non-seulement
cette coutume n'est point une superstition; l'Eglise, loin de la condamner, ne peut que l'encourager. Un
pieux écrivain disait, en parlant de cet usage : • Ne craignez point, parents chrétiens, malgré tout ce
que le monde incrédule ou impie vous dira, de vouer au blanc les petits anges que Dieu vous envoie.
C'est la livrée de Marie dont vous les revêtez. Tous ces petits serviteurs blancs composent ici-bas la
maison de cette Impératrice du ciel. Si elle descendait sur la terre, elle s'entourerait de cette cour char-
mante. Vouez-les au blanc, et cette couleur de la virginité passera jusqu'à leurs âmes. Ce vœu porte
bonheur; la Vierge Marie est comme intéressée à ne pas laisser périr ceux qui ont pris ses couleurs. De
certains droits au ciel restent toujours à ceux qui ont revêtu, dans leur enfance, des vêtements blancs
comme la chasteté et bleus comme le ciel ».
Cet acte de piété, durant longtemps dans l'oubli et presque méconnu, s'est renouvelé de nos jours par
la piété de quelques mères chrétiennes qui, ayant tout à craindre dans leur état pour elles et le fruit
qu'elles portent, depuis qu'elles ont été instruites des avantages de cette pieuse pratique, s'empressent
de se vouer, elles et leurs enfants, à la Mère de Dieu, pour obtenir par son intercession une heureuse dé-
livrance.
SAINT SIMON DE STOCK, GÉNÉRAL DES CARMES. 583
de ses pieux parents, il commença à réciter le Petit Office de la sainte Vierge,
ce qu'il continua tout le reste de sa vie. S'apercevant que son père lisait
avec assiduité le Psautier, il lui fit de vives instances jusqu'à ce qu'il en eût
obtenu un exemplaire pour son usage journalier. L'empressement avec
lequel il lisait ce saint livre, prouva que ce n'était pas le fruit d'une curio-
sité enfantine, mais plutôt une inspiration du ciel. Notre Saint était si pé-
nétré de ce qu'il lisait, quoiqu'il ne connût pas encore la langue latine, son
cœur était tellement embrasé du feu de l'amour sacré que respire de toutes
parts ce livre inspiré, qu'on le voyait, après chaque lecture, comme
ravi en extase. Il le lisait tous les jours et plusieurs fois le jour, mais à
genoux, par respect pour la parole de Dieu, toujours avec un nouveau goût
et avec des dehors de piété qui exprimaient ce que son cœur sentait, et par
suite ravissait d'admiration les assistants. Ce prodige de grâce et de lu-
mière, dans un enfant de six ans, devint un sujet d'étonnement et de res-
pect pour tous ceux qui le connaissaient ; et chacun, à la vue de ces mer-
veilles dont ils étaient témoins , se demandait mutuellement , comme
aitrefois les habitants de la Judée en voyant saint Jean-Baptiste : Que pen-
sez-vous que sera cet enfant ?
Le père de Simon de Stock voulut diriger TUT-même les premières études
de son fils. Mais l'enfant, par sa pénétration^ se montra bientôt capable de
suivre des cours plus élevés; on crut devoir lui faire continuer ses études au
co.lége d'Oxford. Simon de Stock avait à peine atteint l'âge de sept ans : il
s'appliqua d'abord à l'étude des belles-lettres avec un tel succès qu'il étonna
tous ceux qui en furent témoins. Notre Saint fut savant à un âge où les en-
faits commencent à étudier. Malgré tous ses succès, la science des saints
fut toujours beaucoup plus du goût de Simon de Stock que la science des
hommes. Ses directeurs crurent devoir l'admettre à la participation des
Sacrements, dans un âge où le commun des enfants discerne à peine le bien
d'avec le mal. A mesure qu'il avançait dans la connaissance de l'amour de
Dieu, sa tendre dévotion envers la très-sainte Vierge se perfectionnait et
prenait de nouveaux accroissements. Un jour, lisant un traité de l'Imma-
culée-Gonception de la très-sainte Vierge, il conçut tant d'estime, tant
d'anour pour cette parfaite pureté que l'Eglise honore dans Marie,
que poussé par une sainte inspiration du ciel et pressé d'un ardent
désir d'avoir quelque ressemblance avec la plus pure des vierges, qu'il re-
garda toujours comme sa mère, il consacra à Dieu sa virginité. La crainte
de souiller la pureté de son âme et de son corps lui faisait éviter avec le
plus grand soin les moindres occasions, et même jusqu'aux apparences du
péché. Non-seulement il veillait exactement sur tous ses sens, faisant sans
cesse comme Job, un pacte avec ses yeux, pour ne jamais fixer ses regards sur
in objet dangereux; mais encore il portait la délicatesse de conscience
jusqu'à s'interdire toute familiarité même avec les enfants de son âge. Lors-
que, dans ses repas, il pouvait échapper à la vigilance de ses parents, des
herbes crues, des salades sans apprêt, des légumes, des fruits les plus gros-
siers avec le pain et l'eau, pris avec mesure, faisaient le plus souvent toute
sa nourriture. Si quelquefois il était surpris dans ces pratiques austères, il
couvrait sa pénitence du prétexte spécieux que cette sorte de nourriture
était plus analogue à son goût et à son tempérament.
Notre Saint ne tarda point toutefois à éprouver, comme un nouveau
Joseph, les funestes effets de la jalousie de son frère aîné, qui, épris de
l'amour du monde et peu docile aux sages conseils de ses parents, ne
voyait qu'avec peine et chagrin l'estime particulière qu'ils avaient pour
584 16 mai.
Simon ; il n'entendait qu'avec dépit les éloges que l'on prodiguait de toutes
parts à cet enfant de bénédiction. Le contraste frappant de la vie mondaine
et dissipée du jeune seigneur, avec la vie retirée et la pureté de mœurs de
son frère, attirait souvent au premier de durs reproches : la vertu, la
sainteté du jeune Simon devenait la censure muette et la condamnation de
ses désordres ; il résolut sa perte. D'abord tout fut mis en œuvre pour cor-
rompre l'innocence de cet ange incarné. Mais s'apercevant bientôt qu'il ne
gagnerait rien ni sur l'esprit ni sur le cœur de son frère, par les pièges qu'il
tendait à son innocence, il eut recours aux efforts de la malice la plus in-
fernale, et suscita une espèce de persécution qui mit sa fidélité à Dieu aux
plus rudes épreuves. Tantôt il s'étudiait à le tracasser durant ses exercices
de piété, tantôt il affectait de jeter du ridicule sur sa manière de pratiquer
la vertu, s'efforçant quelquefois de la rendre suspecte à ses parents, osant
même taxer de singularité et d'illusion les grâces et les faveurs qu'il recevait
du ciel. Il passa enfin des reproches et des calomnies au mépris, à des ou-
trages ; il alla même jusqu'à le maltraiter. Dieu le permettait ainsi pour
faire éclater davantage la vertu extraordinaire de cette jeune plante qui
devait fleurir plus tard dans le jardin du Carmel. Redoutant les pièges qie
tendait déjà à son innocence le monde séducteur, Simon de Stock se sentit
fortement inspiré d'abandonner la maison paternelle, pour chercher sm
salut dans quelque solitude écartée. Encouragé, confirmé dans sa résolution
par une voix intérieure, qui lui rendait témoignage que désormais Mme
lui servirait de mère et de guide dans ce nouveau genre de vie auquel le
ciel l'appelait, Simon de Stock quitta sans regret tous les avantages aux-
quels il pouvait prétendre dans le monde pour se retirer dans une affreuse
solitude où Dieu lui avait préparé une demeure.
Lorsque Simon de Stock dirigea ses pas vers cette solitude projetée, il ^tait
à peine âgé de douze ans. Ce fut dans une vaste forêt appartenant aux seigraurs
de Toubersville, située dans le comté de Kent, au voisinage d'Oxford, ju'il
choisit le lieu de sa retraite. Ayant rencontré dans son chemin un arbre d'une
grosseur prodigieuse, dont la cavité lui offrait un asile, il y chercha Se de-
meure ordinaire, et s'en servit pour se mettre à l'abri des injures de l'air ît de
la rigueur des saisons. Le creux de cet arbre fut son oratoire ; il l'orna d'un
crucifix et d'une image de la très-sainte Vierge, seuls objets qu'il eût apportés
de la maison paternelle avec le Psautier, son livre favori, qui lui servit à
chanter dans son désert les louanges du Seigneur et à réciter chaque jour,
selon son habitude, le Petit Office en l'honneur de Marie. Enfoncé dans le
secret de son désert, le plus souvent caché et comme enseveli dans le creux
de l'arbre qui lui servait de retraite, Simon de Stock semblait avoir oublié
qu'il était revêtu d'un corps mortel et sujet, comme le reste des hommes,
aux besoins de la vie. Des herbes crues, des racines amères, des fruits sau-
vages que produisait son désert, et l'eau qui y coulait, le tout pris avec
mesure après un jeûne des plus rigoureux, voilà quelle était toute sa nourri-
ture. Mais le ciel, attentif aux besoins de son serviteur, tempéra dans la suite
cette austérité par le secours de quelques morceaux de pain, qu'un chien,
conduit par un instinct miraculeux, lui apportait de temps en temps dans
sa retraite, comme faisait autrefois le corbeau que Dieu envoya au saint
prophète Elie, pour le nourrir dans sa solitude. Mais le bonheur de cet ange
du désert excita bientôt la jalousie de Satan. L'orage de la tentation éclata
de toute part; sa conscience alarmée reprochait sans cesse à Simon son
départ, comme une imprudence qui pourrait donner lieu à des soupçons
injurieux, peut-être même à des accusations funestes contre son frère à qui
SAINT SIMON DE STOCK, GÉNÉRAL DES CARMES. 585
on ne manquerait pas d'imputer d'avoir attenté à sa vie, à raison de la
cruelle jalousie qu'il avait conçue contre lui. Il se croyait déjà responsable
des rigueurs dont serait capable le courroux de ses parents contre un fils
dénaturé, qu'ils regarderaient désormais dan? la famille comme un nouveau
Caïn et contre tous ceux qui seraient soupçonnés d'être ses complices.
Notre saint triompha de ces premiers artifices de l'ennemi du salut.
Satan a recours à de nouveaux stratagèmes : il ajoute à des réflexions
artificieuses les prestiges les plus frappants. Il affecte pour ainsi dire de telle
sorte l'imagination de Simon de Stock, et. tous ses sens, qu'il lui semble
voir et entendre dans son désert sa mère éplorée, lui tenant des propos
analogues aux pensées qui agitent son esprit. Ce second artifice fit d'abord
la plus vive impression sur l'esprit de Simon de Stock. Son cœur fut telle-
ment attendri, qu'il se vit sur le point de succomber à la tentation, trompé
qu'il était par les prestiges du tentateur ; c'est ainsi qu'il l'a déclaré lui-
même, dans la suite, à quelques-uns des religieux Carmes ; il les assurait
que, dans cette rencontre, il n'avait échappé à la séduction que par une
assistance spéciale de la très-sainte Vierge, qui lui découvrit les pièges que
le démon tendait à sa faiblesse et l'en délivra par sa puissante protection.
L'esprit superbe redoubla ses efforts : il se transforma encore en ange de
lumière : Simon est livré par l'ennemi du salut à des peines d'esprit, de
violents scrupules, de cruels remords, sur les dangers de cette voie extraor-
dinaire dans laquelle il marche, privé qu'il est de la grâce des sacrements,
dépourvu de tous les moyens que l'Eglise prodigue sans cesse aux fidèles,
tous les jours exposé à mourir dans cette affreuse solitude, sans secours et
sans consolations. L'exemple de tant de saints solitaires que Dieu a conduits
par la même voie, ranime sa confiance ; le souvenir des grâces dont le ciel
l'a favorisé, pour le confirmer dans sa résolution, le rassure.
Tant de fois vaincu, confus de sa défaite, Satan l'attaque de front.
Le souvenir des conversations libres qu'il avait entendues dans la maison
paternelle, de la bouche de son frère jaloux de sa vertu ; l'idée dangereuse
des manœuvres dont ce jeune libertin s'était servi pour le séduire ; les
mauvaises pensées, les images infâmes de la volupté criminelle qu'il avait
voulu lui inspirer, tout se retrace, tout se présente à son esprit, et tout ce
que l'impureté a de plus attrayant attaque son cœur. Ces pensées impor-
tunes le suivent partout, son imagination s'échauffe, ses sens sont émus,
son âme est troublée. En proie à de violentes tentations, malgré les hor-
reurs de son désert et les saintes rigueurs de la vie la plus austère, Simon de
Stock se croit déjà coupable. Saintement effrayé des apparences du mal
dont il se voit comme environné, il s'empresse de venger sur son corps
innocent un péché dont Dieu ne vit jamais en lui la moindre tache. Il dé-
chire sa chair virginale avec de piquantes épines ; il revêt son corps d'un
tissu de ronces et d'orties, pour émousser l'aiguillon de la chair et se
défendre, par cette espèce d'armure, des traits enflammés de l'esprit impur.
Dans cet état, victime de l'amour de la pureté, Simon de Stock ne cesse
d'invoquer le saint nom de Marie ; c'est par la vertu toute puissante de ce
nom redoutable à tout l'enfer, qu'il fut, nous dit-il lui-même, délivré de ces
horribles tentations ; c'est par ce moyen qu'il sortit victorieux des combats
que le démon lui livra dans son désert. Etranger sur la terre, notre saint
vivait avec Dieu seul, dans le détachement le plus universel, le plus parfait
et même dans l'oubli de toute créature. Quelques auteurs nous disent que
les anges se plaisaient en sa compagnie, et charmaient par leur présence
les horreurs de son désert. Il y jouissait, nous dit la Légende de son Office,
586 16 mai.
avec d'autant plus d'abondance, des délices de l'esprit et des douceurs de
la grâce, parmi ses fréquentes communications avec Dieu et les esprits
célestes, qu'il était entièrement mort à toutes les consolations de la terre et
séparé de tout commerce avec le reste des mortels.
Cest dans le moment où Simon de Stock recevait le plus de grâces et de
faveurs célestes que la sainte Vierge le favorisa, dans son désert, d'une
apparition -et dans une révélation expresse lui apprit, de sa bouche sacrée,
que Dieu, content des pénitences de sa solitude, voulait qu'il achevât l'ou-
vrage de sa sanctification en s'unissant aux religieux Carmes et en embras-
sant leur règle, lorsqu'ils passeraient de la Palestine en Angleterre, pour y
fonder des monastères. Mais cette bonne Mère lui dit également qu'il aurait
à supporter toutes les contradictions auquelles l'Ordre des Carmes serait en
butte sous sa conduite.
Vingt ans s'étaient écoulés parmi les consolations et les rigueurs du
désert, lorsque Simon de Stock reçut du ciel, par l'entremise de la divine
Marie, des ordres pour ainsi dire formels de quitter sa solitude, pour se
mettre en état de remplir les vues de la Providence sur lui, selon le plan
que lui en avait tracé la très-sainte Vierge elle-même. Malgré son grand
attrait pour la retraite, il obéit à la voix du ciel et revint à Oxford, chez ses
parents, reprendre le cours de ses études. Il étudia la théologie avec un
soin tout particulier, afin d'être un jour en état de remplir le ministère
auquel Dieu le destinait. Aussitôt après son ordination, à laquelle il consen-
tit pour se conformer aux ordres du ciel, il revint de nouveau dans son
désert ; il ne le quitta entièrement qu'en l'année 1212, c'est-à-dire quinze
ans après la révélation que lui fit la très-sainte Vierge, au sujet de l'arrivée
des Carmes de la Palestine en Angleterre, pour y fonder des monastères de
leur Ordre.
Pendant ce temps, il paraissait quelquefois aux environs d'Oxford, pour
instruire les ignorants, réprimer le vice par la force de ses prédications,
éclairant les uns par les lumières de sa doctrine toute céleste, animant les
autres à l'amour de la vertu par l'exemple de sa vie, travaillant efficace-
ment à la conversion de tous les pécheurs et préparant les voies du Seigneur
par les premiers efforts de son zèle. Le différend qui s'éleva, l'an 1207, entre
le pape Innocent III et le roi d'Angleterre, dit Jean sans Terre, à l'occasion
de l'élection de l'archevêque de Cantorbéry, devint la source funeste des
plus" grands maux pour l'Eglise et pour ce royaume. Les mécontentements
que le Pape reçut du roi à ce sujet l'ayant obligé de jeter un interdit géné-
ral sur toute l'Angleterre, les suites de cet événement portant de toute part
le trouble et la désolation, excitèrent le zèle de Simon de Stock. Pour
donner plus d'efficacité aux prières qu'il adressait au ciel pour la con-
version du roi d'Angleterre, notre Saint intéresse la très-sainte Vierge, sa
médiatrice, son refuge ordinaire dans les calamités de la vie ; il lui adresse
les vœux de tous ceux qui sont l'objet de sa charité, par une prière courte,
mais énergique, qui commence par ces mots : Aima Redemptoris Mater, que
quelques auteurs lui attribuent et qu'il paraît avoir composée à cette occa-
sion. Cette prière, dictée par l'esprit de componction, soutenue de la plus
vive confiance dans la puissante protection de la Mère de Dieu, eut tout
l'effet désiré, récitée qu'elle était avec ferveur par notre Saint et par ceux
qu'il avait engagés à se joindre à lui. La colère du ciel se laissant fléchir
par les gémissements de l'ardente charité du serviteur de Dieu et par les
sentiments de pénitence de ce peuple affligé ; lorsque toutes choses étaient
dans la confusion et dans l'agitation la plus violente, à la cour et parmi le
SAINT SIMON LE STOCK, GÉNÉRAL DES CARMES. 587
peuple ; lorsque tout semblait désespéré et qu'il ne paraissait aucune voie
d'accommodement, les parties intéressées par des injures réciproques y met-
tant les plus grands obstacles, lorsqu'on y pensait le moins et que le feu de
la guerre s'allumait de toute part, on vit arriver en Angleterre le Légat
Pandolfe, envoyé par le Pape Innocent III, pour négocier avec le roi Jean
la paix si ardemment désirée. Celui qui tient en main les cœurs des rois,
changea tout à coup celui de ce malheureux prince ; il se convertit et
accepte sans délai toutes les conditions de paix qu'on lui propose.
Tandis que Simon de Stock s'occupait pendant l'interdit à l'œuvre
de Dieu, il apprend l'arrivée de deux seigneurs anglais qui, revenant
de la croisade, amenèrent avec eux quelques ermites du Mont-Carmel,
avec l'intention de leur bâtir un monastère en Angleterre et commencer
ainsi leur première fondation dans ce royaume. A cette heureuse
nouvelle, notre Saint, qui, d'après l'avertissement de la très-sainte Vierge,
les attendait dans un esprit prophétique depuis quinze ans, se hâta
d'obéir aux ordres du ciel, en entrant dans l'Ordre des Carmes. Mais, les
divisions entre le roi et les seigneurs du royaume, les troubles qui agitèrent
encore longtemps l'Angleterre après la levée de l'interdit, empêchèrent
alors la fondation projetée (1212) '. En attendant un temps plus favorable,
un de ces pieux solitaires du Mont-Carmel, nommé Raoul Fresburn, Anglais
de nation, qui avait encore à sa disposition de grands biens en Angleterre,
en employa une partie, de l'avis de Simon de Stock, à former une Solitude
dans une forêt de Aylesford au comté de Kent. C'est dans ce lieu que notre
Saint se retira, aussitôt que les cellules furent bâties ; c'est là qu'il reçut
l'habit de l'Ordre des mains du bienheureux Alain, alors Prieur de cette
solitude. A peine eut-on appris à Oxford l'engagement religieux de notre
Saint, que l'Université de cette ville, parfaitement instruite des talents
et du rare mérite de Simon de Stock, fit de vives instances auprès des supé-
rieurs de notre Religieux, afin de vaincre la répugnance extrême qu'il avait
de paraître au milieu des docteurs ; mais il se vit obligé de sacrifier l'humi-
lité à l'obéissance. Simon parut de nouveau au collège d'Oxford, et aussitôt
on lui décerna le titre de docteur en théologie ; son humilité, toujours
ingénieuse à se cacher, toujours attentive à se dérober à l'éclat des hon-
neurs, obtint par des instances auprès de son supérieur qu'il lui fût permis
de se borner au grade de bachelier en théologie, et aussitôt après il se retira
dans sa solitude. Dans l'appréhension qu'on ne fît encore violence à son
humilité, et, son attrait pour la vie solitaire le portant sans cesse à s'éloi-
gner de tout ce qui pouvait l'en distraire, il profita d'une occasion favorable
que lui présenta la fondation d'une nouvelle solitude au désert de Norwich,
dans le pays de Northumberland, par les soins et le zèle du R. P. Raoul
1. Quelques écrivains ont confondu, faute d'exainen, les différentes époques de l'établissement de l'Ordre
des Carmes, en Angleterre. Il est clairement démontré, par des documents très-authentiques, que les
Carmes se sont établis, en Angleterre, à deux époques différentes. La première fondation des religieux
Carmes eut lieu, en 1212, dans une foret appartenant au Révérend Père Raoul de Fresburn, qui revenait dan»
«a patrie en compagnie de deux seigneurs qu'il ava.it connus dans la Terre-Sainte. La seconde fondation eut lieu
en 1249, époque à laquelle les Carmes furent appe es, eu Angleterre, par les mêmes seigneurs anglais qui,
une première fois, les y avaient amen :s, mais n'avaient pu d'abord leur faire construire de monastères,
par suite des troubles qui agitaient alors l'Angleterre. Le premier de ces seigneurs, Jean lord Vesey, fonda
l'ermitage de Holme, prèsd'Alnewich, dans le Xorthumberland ; et, le second, Richard lord Gray de Codnor,
fonda celui d'Aylesford, près de Kochester, dans le comté de Kent : ces deux ermitages devinrent fort
Célèbres et répandirent au loin l'odeur de la vertu.
Quelques historiens ont prétendu que les Carmes n'avaient paru en Europe qu'à l'époque où saint Louis,
revenant de la Palestine, les établit a Paris, ce qui n'arriva qu'en 1253, saint Simon de Stock étant alors
général de l'Ordre. De là, grand nombre d'erreurs, au préjudice de la vérité du saint Scapulaire et tle
l'époque où saint Simon le reçut de la très-sainte Vierge. C'est le 16 juillet 1251, et non en 1245, comme
quelques écrivains le prétendent, que saint Simon de Stock regut, des mains de Mûrie, le saint Scapulaire.
588 16 mai.
Fresburn, qui en fut élu prieur. Aussitôt que cette solitude fut en état de
recevoir quelques religieux, Simon de Stock, du consentement de son
supérieur, s'y retira avec deux ou trois autres solitaires venus du Mont-
Carmel.
Saint Brocard , second général latin de l'Ordre des Carmes *, étant
informé des merveilles que la grâce opérait parmi les solitaires de Norwich,
et surtout de la ferveur de Simon de Stock, voulut l'avoir pour coadjuteur
dans le gouvernement de l'Ordre (an 1215). En conséquence, saint Brocard,
de l'avis du Chapitre général, nomma Simon de Stock son vicaire, dans
toute l'Europe, pour y tenir sa place dans le gouvernement des religieux ;
mais les maisons des Carmes s'étant multipliées en très-peu de temps, don-
nèrent de l'ombrage au clergé et occasionnèrent bientôt une persécution
ouverte qui faillit tout renverser. Satan, jaloux de la piété des Carmes et
redoutant les grands avantages que l'Eglise pouvait retirer dans la suite de
ces nouveaux établissements, pour le salut et l'éducation de ses enfants, sus-
cita de toute part, contre le Carmel, des hommes animés d'un zèle indiscret
qui, faute d'examen, et sous prétexte d'attachement aux lois de l'Eglise,
prétendirent que l'on devait supprimer, comme contraire aux décrets du
quatrième concile de Latran et attaquer jusque dans ses racines, soit en
Orient, soit en Occident, l'Ordre des Carmes, comme un Ordre nouvelle-
ment institué et sans règle approuvée par l'Eglise, quoique ces prétentions
fussent démenties par des couvents, déjà très-anciens, même en Europe2.
En pasteur sage, vigilant et fidèle, Simon s'empresse de mettre les enfants
de Marie à l'abri des entreprises injustes de ceux qui les persécutent. Le
Carmel, par son ordre, réuni dans un même esprit, offre d'abord à Dieu,
avant toutes choses, de ferventes prières, pour implorer dans la détresse
le secours du ciel ; et bientôt le ciel se laisse toucher par les larmes et les
gémissements de ses enfants ; Marie elle-même prend leur défense. Simon
de Stock envoie des messagers au Pape Honoré III, afin de l'instruire de
l'injuste persécution qu'éprouve l'Ordre des Carmes; ce souverain Pontife,
après un accueil des plus favorables, évoque à son tribunal la querelle sus-
citée par leurs adversaires. Il remet aussitôt cette affaire à l'examen de
deux commissaires, qui, d'abord séduits par les artifices du démon, inté-
ressés par les manœuvres de quelques membres du clergé, donnèrent occa-
sion, par des délais affectés, à de nouvelles attaques. Mais Honoré III, éclairé
d'en haut par une vision miraculeuse, déclare avoir reçu l'ordre de la très-
sainte Yierge d'approuver la Règle des Carmes, de confirmer leur Ordre et
de les protéger contre les entreprises de leurs adversaires. Convaincu par
lui-même de la bonté d'une cause que la Mère de Dieu favorise d'une ma-
nière aussi visible, il se hâte d'exécuter les ordres du ciel, par une bulle
expresse, dans laquelle il déclare légitime et conforme aux décrets du con-
cile de Latran, l'existence légale, dans l'Eglise, de l'Ordre des Carmes, et les
autorise à continuer leurs fondations en Europe. A la réception de cette
bulle, les chefs du parti furent humiliés et, selon une ancienne tradition,
punis du ciel par un événement tragique. Après une victoire aussi miracu-
1. Voir la vie de saint Berthold.
2. 11 résulte de témoignages certains, de documents authentiques et des titres de fondations — rap-
portés par Lezapa au tome m des Annales de l'Ordre, — que des le vine siècle, époque de la première
fondation d'un couvent de Carmes à Florence, jusqu'à la fin du xme siècle, date de la fondation du cou-
vent des Carmes à Bordeaux, il résulte, dis-je, que plusieurs monastères ainsi que diverses solitudes ont
été fondés en Europe, en faveur des religieux Carmes; « car », dit saint Cyrille, général de l'Ordre,
dans son livre De processu et variis Regulis Carmelitarum, a il fallait aux enfants du Carmel un asile
contre la persécution des Sarrasins, qui avait commencé dès le vue siècle.
SAINT SIMON DE STOCK, GÉNÉRAL DES CARMES. 589
leuse, remportée par le zèle de Simon de Stock sur ses ennemis ligués
contre le Carmel, notre saint général, voulant transmettre à la postérité ce
miracle authentique de la protection de la très-sainte Vierge en faveur des
Carmes, et perpétuer la reconnaissance de ses enfants, établit alors la fête
de la Cummémoraison solennelle de la très-sainte Vierge, que tout l'Ordre
célèbre chaque année, le 16 juillet, jour auquel a été fixée plus tard, par
l'Eglise, la fête de la Confrérie du Saint-Scapulaire.
Cependant le moment semblait arrivé où l'Ordre des Carmes, confor-
mément à la révélation de la sainte Vierge, faite à saint Cyrille, quelques
années auparavant, allait être entièrement arraché de la Terre-Sainte, pour
être transporté dans des contrées plus favorables. En conséquence, notre
Saint reçut l'ordre du bienheureux Alain, alors général des Carmes, de se
rendre sur le Mont-Carmel pour y assister au Chapitre général convoqué à
l'effet de remédier aux dommages que l'Ordre avait soufferts dans tout
l'Orient, par le massacre de ceux qui avaient été immolés par le glaive des
infidèles. Après une heureuse navigation, il arrive au pied du Mont-Carmel;
il envisage avec la joie la plus vive cette sainte montagne où le transpor-
taient depuis longtemps ses vœux et ses désirs.
Le Chapitre général de l'Ordre se réunit, et là on mit en délibération
l'affaire de l'émigration générale des Frères en Europe. Quelques-uns sou-
tenaient que dans les circonstances présentes, aucun d'eux ne pouvait en
conscience quitter la Terre-Sainte, et qu'on ne pouvait même, sans faire
tort àlareligioD, leur permettre de se retirer ailleurs et y fixer leur de-
meure, enfin qu'ils ne devaient pas éviter la persécution à laquelle le reste
des chrétiens qui habitaient la Palestine étaient exposés. Simon de Stock fait
sentir tous les inconvénients de l'avis proposé et la nécessité indispensable
de suivre le sentiment contraire, fondé sur les règles de la prudence chré-
tienne. Il déclare que c'est une conduite louable de fuir la persécution, de peur
de perdre la foi, et un très-grand mal d'exposer sa foi au danger de la persécu-
tion, sans un ordre exprès du ciel, selon cette maxime de l'Evangile : « Lors-
qu'on vous persécutera dans une ville, fu)rez dans l'autre ». La dispersion
générale fut décidée. Bientôt il n'y eut plus de sûreté ni sur terre ni sur
mer; les Sarrasins jetèrent partout la terreur et l'effroi, par les cruautés
qu'ils exerçaient contre les chrétiens. Plusieurs religieux, sur le Carmel et
ailleurs, périrent sous le glaive pour le nom de Jésus-Christ ; ceux qui
échappèrent à la cruauté de ces barbares se réfugièrent dans la ville de Ptolé-
maïde où l'armée chrétienne avait réuni toutes ses forces1. Simon de Stock,
par une conduite particulière de la divine Providence qui le destinait à un
1. Dès l'an 1244, les Sarrasins avaient enlevé à l'Ordre du Carmel les monastères de Jérusalem, du
désert de la Sainte-Quarantaine et de Valin, les solitudes du Jourdain et de la mer de Galilée. La per-
sécution ne s'arrêta pas l'a, car en 1267, l'Ordre perdit le couvent d'Antioche et les autres monastères
avec les grottes de la Syrie, et lorsqu'en 1289, Melec-Messor, Soudan de Babylone, forma le siège de
Tripoli, qu'il emporta d'assaut, le monastère fut aussi enveloppé dans ses ruines. Les couvents de Beau-
lieu et de Sarepta eurent le même sort. Mais ce fut en 1291, que la prophétie d'Isaïe semblait devoir se
renouveler, et que la réjouissance et l'allégresse allaient être bannies encore une fois du Mont-Carmel.
Guillaume Sanvic, ou Sannic, religieux Carme et témoin oculaire, rapporte ainsi la fin glorieuse de
son Ordre en Palestine :
« Au mois de mai 1291 (vingt-six ans après la mort de Simon de Stock), les Sarrasins se rendirent
maîtres de la ville de Saint-Jeau-d'Acre, où plus de trente mille chrétiens furent tués et pris, sans
compter ceux qui échappèrent au carnage, parmi lesquels je me trouvais, car beaucoup de chrétiens
d'Acre, de Tyr et de Tripoli se sauvèrent par mer. L'ennemi dévasta tellement la ville d'Acre avec le
célèbre monastère dus Carmes, qui y était établi, qu'elle devint inhabitable. De la, il se rendit a la mon-
tagne sainte du Carmel, qui n'est pas tr'es-éloignée. mit le feu au monastère des Frères de Notre-Dame,
lequel j'avais quitté peu de temps auparavant pour me rendre a Acre, et massacra tous les religieux qui
s'y trouvaient, pendant qu'ils chantaient le Salve Hegina : ce couvent avait été ravagé fréquemment,
mais jamais il n'avait été détruit. C'est ainsi que la religion entière du Carmel fut exterminée dans la
Pûénicie, et, par une suite naturelle, dans toute U Terre-Sainte ».
590 16 mai.
autre genre de martyre, se trouva heureusement du nombre des réfugiés.
Peu de temps après, les sources d'eaux de Ptolémaïde ayant été empoi-
sonnées par la malice des infidèles, l'armée chrétienne, avec les habitants
de cette ville et tous ceux qui s'y étaient réfugiés se virent sur le point de
périr ; mais le ciel veillant partout a la conservation du nom chrétien,
inspira aux chefs de l'armée de donner à Simon de Stock et à ses religieux
un corps de troupes pour les ramener et les protéger sur le Mont-Carmel,
dans l'espérance de trouver une ressource efficace dans les eaux de la fon-
taine d'Elie, qui, selon une ancienne tradition du pays, tarissait, par un
miracle du ciel, toutes les fois que les religieux étaient forcés, par la vio-
lence des infidèles, de quitter cette sainte montagne, et, par un nouveau
miracle, laissait couler ses eaux en abondance à leur retour, aussitôt qu'ils
s'étaient mis en prières. Le miracle eut lieu en effet, au grand contente-
ment de l'armée chrétienne, qui par ce secours tout divin reprit ses forces
et se vit bientôt en état de résister à ses ennemis. Après cette merveille,
dont Simon de Stock fut le témoin et le coopérateur, par la ferveur de ses
prières, le Carmel, protégé qu'il était par l'armée chrétienne, recouvra
aussitôt sa tranquillité, et notre saint en profita pour y prolonger son séjour ;
car il ne pouvait alors s'exposer en mer, à cause de la persécution des infi-
dèles. En attendant un temps plus favorable pour s'embarquer, il se livra
entièrement selon son attrait aux douceurs de la contemplation. Attiré par
un mouvement de l'Esprit de Dieu, il se renferma seul dans un grotte du
Mont-Carmel, où, selon une constante tradition, rapportée par plusieurs
auteurs, il mena, durant l'espace de six ans, une vie toute angélique, sans
aucune espèce de communication avec le reste des mortels, n'ayant de
conversation qu avec Dieu, et souvent favorisé des apparitions de la très-
sainte Vierge, qui chaque jour le nourrissait dune manne miraculeuse
apportée du ciel.
Le temps marqué par les décrets de la divine Providence touchait à son
terme, et Dieu voulait accomplir, par le ministère de Simon de Stock, le
grand ouvrage de la propagation de l'Ordre des Carmes en Europe. Il y
avait six ans que notre Saint menait une vie d'anachorète sur le Carmel,
lorsqu'il apprit que quelques seigneurs anglais, après avoir accompli le vœu
de ser ;r en Terre-Sainte, se disposaient à faire voile pour l'Angleterre.
Conduits par la main de Dieu, ils vinrent lui proposer de le recevoir sur
leur bord avec tous les religieux qui voudraient le suivre ; il accepta leur
offre. Alors le Bienheureux Alain, général de l'Ordre, ne voyant presque
plus de ressource pour se maintenir dans la Terre-Sainte et sans espérance
de pouvoir rétablir la plupart des monastères, déjà ravagés par les infidèles,
dans la Palestine, donna un libre cours à l'émigration des religieux déjà
commencée. Après avoir pourvu à la sûreté et à la tranquillité de ceux
qui voulurent demeurer en Palestine, en leur laissant le Père Hilarion
comme vicaire, il s'embarqua avec un grand nombre de religieux parmi
lesquels se trouvait Simon de Stock. Malgré les dangers d'une mer pleine
d'écueils et les continuelles attaques des infidèles ils abordèrent heureuse-
ment en Angleterre, d'où cette religieuse colonie venue du Carmel se dis-
persa dans les différentes solitudes et monastères déjà fondés dans ce pays.
Le général, suivi de Simon de Stock, se retira au monastère de Aylesford,
l'un des plus grands des deux monastères nouvellement bâtis par les pieuses
libéralités de quelques anglais. Instruit des progrès de l'Ordre en Europe,
depuis l'émigration générale des religieux, le Bienheureux Alain, après
avoir examiné l'état actuel des affaires de l'Ordre, forma dès lors le dessein
SAINT SIMON DE STOCK, GÉNÉRAL DES CAHMES. 891
de laisser à Simon de Stock le soin de terminer une entreprise dont les heu-
reux commencements et le progrès pour ainsi dire miraculeux annonçaient
de toutes parts son habileté pour le gouvernement. Il convoqua , en
conséquence, le Chapitre général de son Ordre, l'année suivante (1245) ;
c'est le premier qui ait été tenu en Europe. Cette assemblée respectable,
composée de tous les supérieurs de l'Ordre, ayant appris le dessein du gé-
néral, l'adopta sans peine, et après avoir reçu sa démission, élurent d'une
voix unanime Simon de Stock général de l'Ordre. Notre Saint avait alors
quatre-vingts ans. Sous le gouvernement de Simon de Stock, l'Ordre reçut
un accroissement considérable, et un grand nombre de fondations eurent
lieu en France. Elles s'y multipliaient, grâce surtout à l'estime que le roi
saint Louis témoignait aux religieux depuis qu'il les avait connus en Terre-
Sainte. Le pieux monarque avait été si frappé de la vie angélique que les
solitaires menaient au Carmel, où il les visita, qu'il s'empressa de faire un
riche présent à la France en y propageant les religieux Carmes qu'il y avait
amenés *.
La paix dont jouissait le Carmel ne fut pas d'abord universelle, pro-
tégé qu'il était par le Saint-Siège, et malgré le zèle de Simon de Stock.
Depuis deux ans, l'Ordre des Carmes avait été solennellement reconnu
Ordre- Mendiant, mais cette reconnaissance n'avait nullement arrêté la fou-
gue de ses ennemis. Aux religieux des autres Ordres s'étaient joints les
prêtres séculiers *, et à tout prix on réclamait la suppression de ces Orien-
taux, aux usages inconnus jusqu'alors, aux prétentions trop belles pour
qu'on ne leur en fît pas un crime. Malgré son abandon filial aux décrets de
la Providence, Simon ne cessait de répandre sa douleur aux pieds de Marie.
A cet effet, il composa l'antienne Flos Carmeli, qu'il récitait tous les jours,
et dont voici un extrait :
Fleur du Carmel, Vigne odoriférante,
Splendeur des cieux, Vierge-Mère étonnante,
Douce Etoile des mers ;
0 lis sans tache et plus pur que la neige,
Donne au Carmel un nouveau privilège ;
Calme les flots amers.
Après quelques années de supplications et de prières, de soupirs et de
larmes, il a la consolation d'être exaucé d'une manière surprenante ; sa
prière, comme celle du Prophète Elie, ouvre les cieux et en fait descendre
la Reine des anges. Marie signale, dans une célèbre vision, sa bonté et sa
puissance en faveur de Simon de Stock ; elle vient à son secours par le
bienfait singulier d'un scapulaire miraculeux qu'elle lui donne comme un
signe de sa protection ; signe précieux qui, depuis plusieurs siècles a été
jusqu'à nous une source des plus grandes merveilles et de toutes sortes
de bénédictions, soit en faveur du Carmel, soit en faveur de ceux qui
1. Le monastère fondé par saint Louis à Paris, porta longtemps le nom de Couvent des Barrés. C'est a
cause de leur vêtement barré de diverses couleurs, qu'on appela, en France, les religieux du Carmel, les
Barrés : Barrati ou Birrali, Ra.dia.ti, Stragulati, et, en Germanie, Strepetitii. A Valenciennes, on donna
même le nom déporte des Barrés a celle qui séparait la ville du faubourg dans lequel ils s'étaient établis. Les
ermites du Carmel avaient eu d'abord le manteau blanc ; mais ils furent contraints de quitter cette cou-
leur, réservée uniquement aux princes mahométans, et de prendre un manteau de sept pièces ou barres,
dont quatre étaient de couleur blanche et trois couleur tannée. Après la mort de saint Louis, les Carmes
de Paris reçurent son manteau royal, qui fut conservé jusqu'à la Révolution, au couvent de la place
Maubert, où il était révéré comme une des plus précieuses reliques de ce grand monarque.
2. On peut consulter à cet égard une bulle d'Innocent IV, adressée en 1254 à l'évêque de Londres
(Angleterre).
592 16 mai.
en sont revêtus. Laissons parler le Père Pierre Swayngton, compagnon,
secrétaire et confesseur du Saint : « Le Bienheureux Simon », dit-il,
« cassé de vieillesse, affaibli par l'austérité de sa vie pénitente, passait
très-souvent les nuits en prières, gémissant dans son cœur des maux dont
ses frères étaient affligés. Il arriva qu'un jour étant en prières, il fut comblé
d'une consolation céleste, dont il nous fit part, en communauté, comme il
suit : « Mes très-chers frères, Béni s'oit Dieu, qui n'a pas abandonné ceux
qui mettent en lui leur confiance et qui n'a pas méprisé les prières de ses
serviteurs. Bénie soit la très-sainte Mère de Notre-Seigneur Jésus-Christ,
qui, se ressouvenant des anciens jours et des tribulations dont le poids a
paru trop lourd et trop accablant à quelques-uns d'entre vous (ne faisant
pas assez d'attention que ceux qui veulent vivre avec piété en Jésus-Christ,
doivent s'attendre à souffrir la persécution), vous adresse aujourd'hui, par
mon ministère, des paroles de consolation, que vous devez recevoir dans
la joie du Saint-Esprit. Je prie cet Esprit de vérité qu'il dirige ma langue,
afin que je parle convenablement, et que je manifeste avec la plus exacte
fidélité l'œuvre de Dieu, et la faveur que nous avons reçue du ciel. Lors-
que j'épanchais mon âme en la présence du Seigneur, moi qui ne suis que
cendre et poussière, et que je priais avec toute confiance la Vierge sainte,
ma Souveraine, que puisqu'elle avait daigné nous honorer du titre spécial
de Frères de la bienheureuse Vierge Marie elle voulût aussi se montrer notre
mère, notre protectrice, en nous délivrant de nos calamités, et en nous
procurant de la considération et de l'estime, par quelque marque sensible
de sa bienveillance, auprès de ceux qui nous persécutaient, lorsque je lui
disais avec de tendres soupirs : « Fleur du Carmel, Vigne fleurie, splendeur
du Ciel, ô Mère-Vierge incomparable ! ô Mère aimable et toujours Vierge,
donnez aux Carmes des privilèges de protection, Astre des mers M » la bien-
heureuse Vierge m'apparut en grand cortège, et tenant en main l'habit de
l'Ordre, elle me dit : « Reçois, mon cher fils, ce scapulaire de ton Ordre,
comme le signe distinctif et la marque du privilège que j'ai obtenu pour
toi et les enfants du Carmel ; c'est un signe de salut, une sauvegarde dans
les périls et le gage d'une paix et d'une protection spéciale jusqu'à la fin
des siècles. Ecce Signum salutis, salus in periculis. Celui qui mourra revêtu
de cet habit sera préservé des feux éternels ». Et comme la glorieuse pré-
sence de la Vierge sainte me réjouissait au-delà de tout ce qu'on peut se
figurer, et que je ne pouvais, misérable que je suis, soutenir la vue de sa
majesté, elle me dit, en disparaissant, que je n'avais qu'à envoyer une dé-
putation au pape Innocent, le vicaire de son Fils, et qu'il ne manquerait
pas d'apporter des remèdes à nos maux ». (16 juillet 1251.)
Quelque magnifique que fût la première promesse, ce n'était encore là
qu'une partie de ce que saint Simon avait demandé. Pour l'exaucer pleine-
ment, la sainte Vierge fit une seconde promesse en faveur des religieux
Carmes, et des confrères du Scapulaire, et ce fut cette fois au pape Jean XXII.
Ce souverain Pontife, voyant que l'empereur Louis V de Bavière travaillait
de longue main à introduire le schisme dans ses Etats, en fut très-affligé ; il
adressa, avec plus de ferveur que jamais, des prières au Seigneur, pour
qu'il voulût détourner les maux dont l'Eglise était menacée. Un jour,
1. Flos Carmeli, Vitis frugifera,
Splendor Cœli, Virgo puerpera,
Singularis ;
Mater mitis, ô viri nescia,
Carmelitis da privilégia,
Stella maris t
SAINT SIMON DE STOCK, GÉNÉRAL DES CARMES. 593
s'étant levé de grand matin pour faire oraison, selon sa coutume, et se
trouvant à genoux dans une sorte d'extase, la Reine des cieux, consolatrice
des affligés, lui apparut, entourée de lumière, portant l'habit des Carmes,
et lui ordonna de confirmer l'Ordre du Carmel, d'accepter et de ratifier,
sur la terre, les grâces et les privilèges que son Fils lui avait accordés dans
le ciel. Le Pape, obéissant aux ordres de la sainte Vierge, expédia, le
3 mars 1322, la bulle, dite Sabbatine, aux termes de laquelle la sainte
Vierge s'engage à délivrer du purgatoire les enfants du Carmel le samedi
qui suivra leur mort.
Reprenons notre récit : L'apparition de la sainte Vierge à Simon de
Stock fut bientôt publiée partout où les Carmes étaient déjà établis. Elle
devint authentique par une foule de merveilles qui s'opérèrent de toute
part, et ainsi imposa silence aux adversaires du Carmel. Ils commencèrent
peu à peu à regarder d'un œil plus favorable des religieux aussi privilégiés ;
plusieurs même, dans la suite, s'empressèrent de participer à cet insigne
privilège, dont Marie avait favorisé son Ordre.
L'Ordre des Carmes se multiplia si prodigieusement sous la conduite de
notre saint, que peu d'années après sa mort, vers la fin du xrne siècle, selon
la remarque de Guillaume, archevêque de Tyr, cet Ordre comptait déjà
jusqu'à sept mille cinq cents monastères ou solitudes, remplis d'un très-
grand nombre de religieux, que le même auteur porte au nombre de cent
quatre-vingt mille .
Ne voulant plus vivre que pour consommer l'œuvre de Dieu qui
lui a été confiée, Simon prend la généreuse résolution de consacrer le
peu de forces qui lui restent à faire la visite générale des monastères de
son Ordre, désirant voir de ses propres yeux, avant sa mort, les merveilles
que Dieu avait opérées en faveur du Carmel. L'Europe vit avec admiration
ce saint vieillard, déjà parvenu à une extrême vieillesse, courbé sous le
poids des années, exténué par les rigueurs de la vie la plus austère, et n'en
diminuant rien, même durant le cours de ses voyages, parcourir avec un
courage infatigable les monastères de son Ordre. Ce fut durant le cours
de cette visite générale , que Simon de Stock dota grand nombre de
villes de ferventes communautés de Carmes, telles que Bruxelles, Liège,
Malines, Gand, Utrecht, Anvers, en Belgique ; Perth, en Ecosse ; Kildare, en
Irlande, etc. C'est aussi dans ce voyage qu'il établit en divers endroits (à
Bordeaux en particulier) la Confrérie du Saint- Scapulaire. Le saint général
eut cela de particulièrement admirable, qu'il conserva toute sa vigueur
morale jusqu'à sa bienheureuse mort, et l'on ne se doute peut-être pas que
les œuvres dont nous venons de parler, sont celles d'un homme qui avait
dépassé sa quatre-vingt-dixième année. Simon de Stock arriva à Bordeaux
au commencement de l'an 1265 ; c'est là qu'il termina ses visites et finit ses
jours par une mort précieuse aux yeux de Dieu, en prononçant ces paroles
que l'Eglise a ajoutées à la Salutation angélique : Sancta Maria, Mater Dei,
orapro nobis peccatoribus, nunc et in kora mortis nostrœ. Amen, — se mon-
trant, par cet hommage, jusqu'à son dernier soupir, un digne frère et enfant
de la bienheureuse Vierge Marie. (16 mai 1265.)
Les épisodes suivants de la vie de saint Simon ont servi de thème aux
artistes dans les représentations qu'ils en ont données : 1° La nature, docile
aux ordres de Simon, renverse ses lois. Pour confondre la calomnie, à sa
prière, des poissons cuits, qu'on lui présente pour surprendre sa frugalité,
reprennent la vie et le mouvement, rendant témoignage, par cette merveille,
à l'esprit de pénitence qui anime le serviteur de Dieu. 2° Afin de rendre
Vies des Saints. — Tome V. 38
594 16 mai.
gloire à Dieu et confondre l'enfer, et comme pour glorifier la sainte Eucha-
ristie, il fait le signe de la croix sur l'eau, qui, par un artifice diabolique,
avait été substituée au vin préparé pour le saint sacrifice de la messe, et
aussitôt l'eau est changée en vin. 3° La sainte Vierge lui apparaît et lui remet
le scapulaire ; près de lui sont des âmes du purgatoire au milieu des flammes.
RELIQUES ET CULTE DE SAINT SIMON DE STOCK.
Simon de Stock fut enterré, selon la recommandation expresse qu'il en avait faite, à la porte
de l'église du couvent des Carmes de Bordeaux, situé dans la rue et près les anciens fossés de ce
nom. Mais Dieu, pour récompenser l'humilité de son serviteur, rendit aussitôt son tombeau glorieux
par divers prodiges, et en particulier, par une lumière miraculeuse que l'on vit, durant plusieurs
jours, rejaillir de ce tombeau. La chambre qu'avait habitée notre Saint, durant son séjour à Bor-
deaux, fut érigée en chapelle l'année suivante ; par ordre de l'archevêque, Pierre de Roncevaux,
on y transporta ses précieuses reliques, avec solennité, et, en vertu de cette cérémonie, selon
l'usage du temps, sans autre formalité, on lui déféra les honneurs de la canonisation ; il fui per-
mis, dès lors, de l'honorer d'un culte public, dans la ville de Bordeaux et dans toute l'étendue du
diocèse.
Vers l'an 1276, le culte de saint Simon de Stock fut confirmé par l'autorité du Saint-Siège.
Depuis la mort de saint Simon de Stock, il s'est fait, à différentes époques, une ample distribu-
tion de ses reliques aux diverses églises de l'Ordre, soit en France, en Espagne, en Allemagne,
en Flandre, etc. Le R. P. Guillaume Costallo, prieur des Carmes de Bordeaux, donna, en 1423, un,
bras de saint Simon de Stock aux Carmes de Gand; mais, dans les troubles excités par les héré-
tiques, en 1578, cette précieuse relique disparut avec tous les autres trésors de l'église. A la même
époque, d'autres reliques du Saint, conservées jusqu'alors dans les églises de Cologne et de Bruges,
en Flandre, eurent le même sort. On conservait cependant avec vénération, dans l'église des
Carmes, à Valenciennes, un doigt de la main droite de saint Simon ; cette précieuse relique, échap-
pée à la fureur des hérétiques, a été, depuis 1506 jusqu'en 1578, l'instrument de plusieurs mi-
racles, et dans ce même lieu, on bénissait aussi des pains, sous l'invocation de saint Simon de
Stock, lesquels, souvent, ont été l'occasion de plusieurs guérisons miraculeuses.
Jusqu'en 1595, on vit fréquemment des pèlerinages au tombeau de saint Simon de Stock, sur-
tout des différentes contrées de la France et de l'Espagne, soit pour honorer ses reliques, soit
pour implorer le secours de sa puissante protection auprès de Dieu. Parmi ces pèlerins, il s'est
trouvé quelquefois des hommes d'un grand mérite, remarquables par leur piété et leur doctrine ;
Dieu aussi a souvent exaucé leurs vœux et récompensé leur foi par des guérisons miraculeuses.
Ces pèlerinages cessèrent insensiblement lorsqu'on commença à distribuer dans les différents en-
droits de ces deux royaumes, quelques portions de ces précieuses reliques.
Le tombeau de Simon de Stoch fut ouvert en l'année 1595, à l'occasion du voyage d'un célèbre
docteur de Salamanque, religieux Carme, d'Espagne, qui était venu à Bordeaux visiter les reliques
du saint. Il demanda aux supérieurs et en obtint une relique très-précieuse ; savoir, l'os d'une
jambe, pour l'église du couvent des Carmes de Salamanque, et une des côtes pour l'église des
Carmes de Valence ; ces deux reliques ont toujours été en grande vénération en Espagne. En
France, l'église du couvent des Carmes d'Orléans fut enrichie, vers le même temps, d'une des
côtes de saint Simon de Stock ; on la conservait dans un précieux reliquaire, que l'on portait pro-
cessionnellement tous les ans dans la ville, la seconde fête de la Pentecôte. En 1617, les reli-
gieuses Carmélites du monastère de Paris obtinrent aussi quelque portion des reliques de notre
Saint, à la sollicitation de M. Marc-Antoine de Gourgues, premier président du Parlement de
Bordeaux.
Après ces distributions, on renferma tout ce qui restait à Bordeaux du corps de saint Simon de
Stock dans une châsse en bois de cyprès, pour la placer sur l'autel, dans sa chapelle.
Aux jours néfastes de 93, des personnes sûres cachèrent les vénérables reliques, «t lorsque
Mgr d'Aviau ordonna que la confrérie du Saint-Scapulaire serait transférée à la métropole Saint-
André de Bordeaux, on y porta les ossements du Saint religieux, dont l'authenticité fut soigneuse-
ment constatée. Puis, le même prélat obtint de Pie VII, en 1820, que la fête de saint Simon de
Stock, déjà autorisée par Nicolas III (1277-1280), serait élevée au rite double et de précepte poui
le diocèse de Bordeaux.
Nous n'avons pas l'intention de raconter ici le rétablissement des Carmes en France ; disons
seulement que cinq ans après leur apparition dans la ville de Bordeaux (1846), M. l'abbé Du-
double, archiprètre de la Primatiale, remit au R. P. Louis de Gonzague, du très-saint Sacrement,
ancien Provincial de l'Ordre, pour le Noviciat du couvent des Carmes, une relique extraite de la
châsse de saint Simon de Stock. Le couvent des Carmes, à Londres, possède aujourd'hui la plus
SAINT JEAN NÉPOMUCÈNE. 595
grande relique qui existe de saint Simon de Stock, un os du tibia, ce qui est parfaitement juste,
puisque cet illustre Carme était Anglais. La translation de cette relique eut lieu le 16 mai 1864,
jour de la fête du Saint, patron de l'église et du couvent. Le cardinal-archevêque de Westminster
présida en personne la cérémonie.
Voir sa Vie, écrite peu de temps après sa mort. Voir Stevens, Monast. Anglic., t. n, p. 159, 160;
Léland, de Script. Brit., t. n, p. 227; Papebroch, t. m, maii, p. 553 ; Newcourt, Repertor., vol. ier, p. 566 ;
Weaver, p. 139 ; Fuller, 1. vi, p. 271; Dugdale, sous le comté de Warwich, p. 186, éd. 1730 ; le Père
Cosme de Villiers de Saint-Philippe, Bibl. Carrn., t. il, p. 740, et la Vie récente du Saint, par Alfred de
Monbrun, in-12, Condom, 1870.
SAINT JEAN NEPOMUCENE
1330-1383. — Papes : Jean XXII; Clément VIL — Souverains de Bohême : Jean; Wenceslas VI.
— Rois de Erance : Philippe VI de Valois; Charles VI.
Qux per confessionem scio, minus seio quant qux
nestio.
Ce que je connais par la confession, je le connais
moins que ce que je ne connais pas.
Saint Augustin, Serm. x.
Jean Népomucène fut à la fois fervent anachorète, apôtre zélé et martyr
de Jésus-Christ. Ce dernier titre lui est d'autant plus glorieux, que le se-
cret de la confession, auquel il en fut redevable, n'ayant jamais excité la
fureur des tyrans, n'avait point encore eu de victimes. Le village de Népo-
muck, en Bohême, se glorifie de l'avoir vu naître en 1330 et de lui avoir
donné son nom. Ses parents n'étaient point illustres par la naissance, mais
on voyait briller en eux toutes les vertus dont l'éclat lui est préférable. Sa
mère, déjà avancée en âge, ne l'avait obtenu de Dieu que par l'intercession
de la sainte Vierge, en qui elle avait une grande confiance. Lorsqu'il vint au
monde, des flammes merveilleuses s'allumèrent au-dessus de son berceau,
présage de la lumière de grâce qui brillerait en lui dans ce monde, et de la
lumière de gloire qui l'attendait dans l'autre. A peine eut-il vu le jour,
qu'on désespéra de sa vie; mais il fut arraché des bras de la mort par la
protection de la Mère de Dieu, que ses parents implorèrent encore dans
l'église d'un monastère de Cîteaux qui était dans le voisinage. Pénétrés
d'une vive reconnaissance, ils consacrèrent leur fils à Dieu, à qui ils le de-
vaient deux fois, et n'épargnèrent rien, malgré leur pauvreté, pour lui don-
ner une excellente éducation. Jamais enfant ne fit concevoir de plus belles
espérances : il joignait à beaucoup d'esprit et d'application un grand fonds
de douceur, de docilité, de candeur et de piété; tous les matins, il allait
entendre plusieurs messes dans l'église des Cisterciens, et tous ceux qui l'y
voyaient ne pouvaient s'empêcher d'admirer sa modestie et sa ferveur. Lors-
qu'il eut appris les premiers éléments des lettres dans la maison paternelle,
on l'envoya étudier la langue latine à Staab, ville considérable du pays. H
fit ses humanités et surtout sa rhétorique, avec la plus grande distinction;
il acheva ses études à Prague, où il devint docteur en théologie et en droit
canon. Il y reçut une dignité bien plus précieuse, qui fut celle du sacer-
doce, à laquelle il s'était préparé depuis l'âge de raison par une vie pure,
recueillie et pénitente, Il ne se présenta à son évêque, pour recevoir l'onc-
tion sacerdotale, qu'après avoir passé un mois dans la retraite et purifié son
596 16 mai.
âme par le jeûne, la prière et la mortification. On lui ordonna aussitôt de
faire valoir le rare talent qu'il avait reçu pour la prédication : son évoque
lui confia la chaire de la paroisse de Notre-Dame de Tein. Les premiers tra-
vaux de son zèle produisirent des fruits admirables. Toute la ville s'em-
pressait d'aller l'entendre annoncer la parole de Dieu, et l'on y vit, en peu
de temps, une réforme générale. Les étudiants, alors au nombre de quatre
mille, couraient aussi en foule à ses sermons; les plus libertins ne pouvaient
l'écouter sans être touchés, et ils s'en retournaient chez eux pénétrés des
sentiments d'une vive componction. L'archevêque et le Chapitre de Prague,
voulant s'attacher un homme si rempli de l'esprit de Dieu, lui donnèrent
un canonicat qui vint à vaquer, et notre Saint, tout en se montrant très-
exact à assister au service, trouva encore du temps pour travailler au salut
des âmes, en exerçant ses premières fonctions.
Wenceslas, fils et successeur de Charles IV, faisant sa résidence à Prague,
entendit parler avec éloge du serviteur de Dieu ; il désira le connaître et le
nomma pour prêcher l'Avent à la cour. Bien que cette commission fût dif-
ficile et périlleuse, auprès d'un jeune prince, enivré du pouvoir suprême,
livré aux passions les plus honteuses, corrompu parla flatterie, et qui porta
depuis le surnom de fainéant et d'ivrogne, Jean accepta; et son zèle eut tant
de succès, que Wenceslas arrêta un instant le cours de ses inclinations dé-
réglées, et, pour marquer son estime, il lui offrit l'évêché du Leitmeritz,
qui venait d'être vacant; mais il ne fut pas possible de le lui faire accepter.
Comme on s'imagina que son refus était peut-être fondé sur les dangers et
les travaux inséparables de l'épiscopat, on lui offrit la prévôté de Wische-
radt, qui, après les évêchés, était la première dignité ecclésiastique de la
Bohême, un revenu de cent mille francs y étant attaché avec le titre hono-
rable de chancelier-né du royaume. Mais ce n'est guère connaître les Saints
que de leur faire des offres semblables; s'ils refusent les grandes places, lors
même qu'elles présentent des travaux à leur zèle et des croix à leur vertu,
que doivent-ils penser de celles qui, pour tout attrait, ne leur montrent
que des trésors à recueillir et des honneurs à recevoir ? Ce vertueux cha-
noine fut aussi inébranlable dans cette occasion qu'il l'avait été dans la
précédente. Si, dans la suite, il accepta la place d'aumônier de l'empereur,
il ne le fit que pour se mettre à portée d'instruire la cour avec plus d'auto-
rité et conséquemment avec plus de fruit : il se voyait aussi, par là, mieux
en état de satisfaire sa tendresse pour les pauvres. Cette place, d'ailleurs,
ne l'exposait point aux distractions, et elle ne lui offrait ni ces richesses, ni
ces honneurs qui l'avaient si fort effrayé dans les prélatures; ainsi ce fut
l'humilité qui le fixa à la cour, où l'ambition conduit presque tous les
hommes. Il y eut la même compagnie qu'il savait avoir partout : Notre-
Seigneur et les pauvres. Son appartement devint bientôt leur rendez-vous,
et lui-même leur avocat et leur père. La paix et la charité débordaient de
son cœur, et lui faisaient concilier les différends qui s'élevaient à la cour et
dans la ville, assoupir les querelles, arrêter les procès, de quoi nous avons
encore des monuments authentiques. Si l'on s'étonne qu'il pût trouver du
temps pour toutes ces œuvres, qu'on se rappelle que les Saints, s'oubliant
eux-mêmes, ont beaucoup plus de temps à consacrer aux intérêts du
prochain.
Mais il est temps d'arriver à ce qui fera surtout, la gloire immortelle de
Dotre Saint. L'impératrice Jeanne, fille d'Albert de Bavière et femme de
Wenceslas, laquelle était une princesse ornée de toutes les vertus, touchée
de l'onction qui accompagnait les discours de Jean Népomucène, le choisit
SAINT JEAN NÉPOMUCÈNE. 597
pour le directeur de sa conscience. Le ciel, pour sanctifier cette vertueuse
femme, en la détachant de tout ce qui pouvait partager son cœur, permit
que son mari, qui l'aimait avec passion, devînt jaloux, soupçonneux, et
usât envers elle de toutes sortes de brutalités; elle avait donc grand besoin
de notre Saint pour la consoler et la conduire. Toutes les personnes ver-
tueuses de la cour, suivant cet exemple, se mirent sous la conduite d'un
homme si versé dans les voies intérieures. On admirait en lui le talent de
former des Saints sur le trône, des heureux dans les souffrances, et de faire
aimer la vertu au milieu du grand monde, où on la méconnaît si souvent
comme étrangère. On l'obligea encore de diriger les religieuses du château
de Prague, et il les conduisit si bien dans les exercices de la vie spirituelle,
que leur maison devint un modèle de la perfection ascétique.
Mais les conseils de notre Saint portèrent surtout un grand fruit dans la
personne de l'impératrice : elle n'habitait presque plus que les églises, où
elle se tenait à genoux et dans un recueillement qui faisait l'admiration de
tout le monde. Ses prières n'étaient interrompues que par le temps qu'elle
employait au soulagement des pauvres, et elle tenait à honneur de les ser-
vir de ses propres mains. Ses entretiens avec les dames de la cour, qui
étaient le seul relâchement qu'elle se permît, ne roulaient que sur les véri-
tés éternelles, et elle y versait une onction qui ne pouvait venir que d'une
âme toute remplie de l'amour de Dieu. Elle entretenait ce feu sacré par la
fréquentation des sacrements, par de grandes austérités et des mortifica-
tions de tout genre.
La crainte de déplaire à son bien-aimé Jésus lui faisait fuir jusqu'à
l'ombre du péché, et, s'il lui échappait de ces fautes dont les plus saints ne
sont pas exempts, elle lavait bien vite, dans les eaux de la pénitence, une
tache qui aurait pu diminuer les délices que l'Epoux céleste trouve dans
les âmes toutes pures. Jamais elle ne sortait de cette piscine sacrée, que le
cœur brisé de componction et les yeux baignés de larmes; aussi elle pleu-
rait, comme ses propres péchés, les égarements de l'empereur; elle deman-
dait à Dieu de le ramener à lui; elle essaya elle-même de le gagner par
toutes les marques de tendresse et de soumission : ce cruel n'y répondit
que par les soupçons les plus outrageants ; il faisait épier ses actions les
plus saintes pour y découvrir quelques apparences coupables. Enfin, le dé-
mon qui l'obsédait le poursuivant sans cesse, il forma le projet, aussi nou-
veau qu'extravagant, de se faire révéler par Jean Népomucène tout ce que
l'impératrice lui avait dit dans le tribunal de la confession. Il lui fit d'abord
des questions indiscrètes, puis levant le masque, il s'expliqua plus claire-
ment. Notre Saint, saisi d'horreur, lui représenta de la manière la plus res-
pectueuse combien un tel projet choquait le bon sens et blessait la religion ;
mais ce méchant prince, accoutumé à voir tous ses caprices respectés
comme des lois, fut outré de cette résistance, à laquelle il devait cependant
s'attendre; toutefois, dissimulant son ressentiment, il congédia le Saint
avec un morne silence qui ne lui permit pas de douter que sa perte ne fût
résolue.
Quelque temps après, on servit sur la table du prince un rôti qui était
manqué : par un trait digne des Caligula et des Héliogabale, il ordonne de
mettre à la broche le malheureux cuisinier et de le faire rôtir à petit feu.
Les courtisans pâlissent d'horreur; mais comme ils connaissent leur maître,
ils gardent un honteux silence. Notre Saint, en étant informé, accourt
comme un nouveau Jean-Baptiste pour arrêter le crime de cet autre Hérode,
qui, pour toute réponse, le fait saisir et jeter dans un cachot, où il le laissa
S98 16 mai.
quelques jours, sans permettre qu'on lui donne de la nourriture. Mais la
faim fut aussi impuissante sur le courage du serviteur de Dieu que les pro-
messes : on eut beau lui dire qu'il ne recouvrerait sa liberté qu'en décla-
rant ce qu'il savait de l'impératrice ; il se montra toujours prêt à préférer
mille morts à ce sacrilège. Cependant, au bout de quelques jours, l'empe-
reur le fit élargir, le pria d'oublier le passé et l'invita même à venir dîner
le lendemain avec lui, comme témoignage public de son estime et de son
amitié. Jean s'étant donc rendu le lendemain au palais, y fut très-bien reçu,
et, après le repas, Wenceslas ayant congédié tout le monde, le retint tout
seul : il s'entretint d'abord avec lui de choses indifférentes ; il s'ouvrit en-
suite et employa tous les moyens possibles pour l'engager à découvrir la
confession de l'impératrice : « Vous pouvez », lui disait-il, « compter sur
un secret inviolable ; si vous déférez à mon désir, je vous comblerai de
richesses et d'honneurs; mais si vous vous y refusez, vous devez vous attendre
à tout, même à la mort ». — « Je n'y consentirai jamais », répondit le saint
Martyr ; « et vous-même, sire, souvenez-vous que vous empiétez sur les
droits de Dieu, à qui seul appartient le discernement des consciences. En
toute autre chose, commandez, je vous obéirai ; mais en ceci, j'ose dire à
Votre Majesté ce que répondit saint Pierre aux princes des prêtres : « Il
vaut mieux obéir à Dieu qu'aux hommes ».
L'empereur, voyant l'inutilité de tous les ressorts qu'il avait fait jouer,
ne contient plus les élans de sa fureur : il ordonne que le Saint soit recon-
duit en prison et qu'on l'y traite avec la dernière inhumanité. Les bourreaux
retendent sur une espèce de chevalet ; ils lui appliquent des torches ardentes
aux côtés et aux parties du corps les plus sensibles ; ils le brûlent à petit
feu et le tourmentent avec la plus horrible barbarie. Au milieu de ce sup-
plice, Jean Népomucène ne prononce d'autres paroles que les noms sacrés
de Jésus et de Marie, les armes avec lesquelles le chrétien est toujours vain-
queur dans les luttes les plus pénibles. A la fin, on le retira de dessus le
chevalet , mais il était presque expirant. Le Seigneur, qui n'abandonne
jamais ses enfants lorsqu'ils souffrent pour sa gloire, visita son bien-aimé
Martyr dans la prison et remplit son âme des plus douces consolations.
Cependant l'impératrice, informée de ce qui se passait, alla se jeter aux
pieds de Wenceslas, qu'elle parvint à fléchir par ses larmes et ses prières ;
elle obtint l'élargissement de son pieux directeur. Il reparut à la cour en Saint
persécuté, nous voulons dire avec cette sérénité et cet air de contentement
qui montraient que ses souffrances lui semblaient une faveur du ciel ; mais,
prévoyant bien que le calme ne serait pas de longue durée, et, ayant su par
révélation qu'il mourrait bientôt, il se prépara à recevoir la couronne du
martyre. Il recommença à prêcher avec plus de zèle que jamais, pour que
les derniers instants de sa vie se consumassent en holocauste pour la
gloire de Dieu, dans le feu de l'amour céleste. Ayant un jour pris pour texte
de son discours ces paroles : a Encore un peu de temps et vous ne me ver-
rez plus », il répéta si souvent ces autres paroles : « Je n'ai plus guère de
temps à m'entretenir avec vous», que l'auditoire comprit aisément que
son but était de leur apprendre qu'il touchait à sa dernière heure ; il ajouta
même, dit son historien : « Je finis ma carrière, ma fin approche, je mourrai
pour les lois de Jésus-Christ et de son Eglise ». Puis, jetant un regard plein
de larmes dans l'avenir, que Dieu lui découvrit, il prédit, en sanglotant,
les maux que l'enfer vomirait sur la Bohême avec l'hérésie : les autels pro-
fanés, le sanctuaire anéanti, l'usage des sacrements aboli, les conseils évan-
géliques méprisés, les monastères réduits en cendres, les religieux égorgés,
SAINT JEAN NÉPOMUCÈNE. 599
les loups entrant dans la bergerie pour dévorer le troupeau de Jésus-Christ,
les lois divines et humaines foulées aux pieds.
Trente ans après, ces paroles ne furent que trop accomplies ; Jean Huss
et ses sectateurs infectèrent du poison de leur hérésie les sources de la doc-
trine et de la morale, les sources du bonheur ; les païens, faisant irruption
dans l'Europe, poussèrent leur fureur jusqu'à Prague ; enfin, plus tard, la
face de l'Allemagne fut changée par Luther ; jamais l'enfer n'avait répandu
plus de ténèbres que par sa bouche. Notre Saint, avant de descendre de
chaire, dit un dernier adieu à son auditoire; il demanda pardon aux cha-
noines et aux clercs de tous les mauvais exemples qu'il pouvait leur avoir
donnés. A partir de ce jour, il ne songea plus qu'à obtenir la grâce d'une
bonne mort ; persuadé que cette grâce-là, surtout, s'obtient par Marie, qui
est le canal de toutes les grâces, il alla à Bruntzel visiter la célèbre image
de cette divine Mère, que saint Cyrille et saint Méthode avaient apportée
avec la foi chrétienne en Bohême ; il lui demanda qu'ayant obtenu de Dieu
sa naissance, ayant veillé sur son berceau, et l'ayant conduit comme par la
main dans les sentiers si difficiles de sa vie mortelle, elle voulût bien le sou-
tenir encore à cette heure, l'aider à traverser la mort et l'emmener avec
elle dans le sein de Jésus, son Sauveur, son amour, sa félicité immortelle.
Comme il rentrait dans Prague, sur le soir, le cruel empereur, qui était
à sa fenêtre, aperçut cette sainte victime, et, le feu de la jalousie se rallu-
mant dans son âme, il le fit amener devant lui. Sans lui donner le temps
de se reconnaître, il lui dit brusquement qu'il n'avait qu'à opter entre mou-
rir ou révéler les confessions de l'impératrice. Le Saint regarda son bour-
reau avec un visage calme et sévère, sans daigner lui répondre, attendant
avec intrépidité la couronne qu'on lui préparait.
"Wenceslas, outré de dépit, et ne gardant plus de mesure, s'écria : « Qu'on
m'ôte cet homme de devant les yeux et qu'on le jette dans la rivière aussitôt
que les ténèbres seront assez épaisses pour dérober au peuple la connais-
sance de l'exécution ». Le saint Martyr employa le peu d'heures qui lui
restaient à se préparer à son sacrifice. On le précipita, pieds et mains liés,
dans la Moldaw, de dessus le pont qui joint la grande et la petite Prague.
Ce pont existe toujours : on ne le traverse qu'avec grande vénération, et
les habitants de Prague conservent encore aujourd'hui la pieuse coutume
de se découvrir devant le lieu où fut consommé le glorieux martyre, la
veille de l'Ascension, qui était le 16 mai de l'année 4383. Aussitôt, des feux
parurent sur la rivière ; on voyait une infinité d'étoiles, d'une clarté mer-
veilleuse, surgir comme du milieu des flots, reflets de la gloire dont l'âme
de notre Saint brillait dans le ciel. Cependant, son corps sacré descendait
doucement le cours de l'eau, accompagné de nouvelles clartés encore plus
étonnantes ; il semblait que des flambeaux lumineux le suivissent et le pré-
cédassent, rangés dans un ordre admirable, comme dans une pompe funèbre.
Toute la ville accourut pour être témoin de ce prodige ; l'impératrice s'em-
pressa d'aller demander à Wenceslas ce que cela signifiait : le prince, frappé
de terreur, ne sut que répondre ; il alla cacher sa honte dans une cam-
pagne, avec défense à qui que ce fût de l'y suivre ; il lui semblait avoir sans
cesse devant les yeux le corps de sa victime, éclairé par les feux du ciel.
Quelques années après, la colère divine s'appesantit sur lui; il fut privé
du trône et de la couronne impériale, et mourut d'apoplexie au milieu de
ses désordres, sans avoir eu le temps de rentrer en grâce avec Dieu. L'im-
pératrice, inconsolable d'un crime dont elle était la cause involontaire,
pleura le Saint jusqu'à sa mort, qui arriva en 1387.
000 46 MAI.
Cependant, on avait recueilli les précieux restes que les eaux avaient ap-
portés respectueusement sur la plage; ils furent d'abord déposés dans
l'église Sainte-Croix des religieux de la Pénitence, puis transportés en
grande pompe à la cathédrale, au milieu d'un concours prodigieux. On fut
obligé de rouvrir le cercueil, pour satisfaire à la pieuse tendresse du peuple,
qui voulait contempler une dernière fois les traits du Martyr. Plusieurs
malades, dont la guérison était désespérée, recouvrèrent la santé par son
intercession ; tous ceux qui se recommandèrent à lui avec foi obtinrent la
faveur qu'ils demandaient. Une odeur admirable, qui sortait du cercueil,
faisait assez voir la sainteté du précieux dépôt qu'il renfermait : quand on
ouvrit la terre pour lui confier ce trésor céleste, elle offrit elle-même un
trésor en échange, comme si le ciel, qui avait commencé les funérailles
de son nouvel habitant, eût voulu en faire la dépense jusqu'au bout. On
grava sur son tombeau cette épitaphe, qui s'y lit encore aujourd'hui :
Ici est enseveli le très-vénérable Jean Népomucène, docteur, chanoine de cette
église, confesseur de la reine, illustre en miracles, qui, pour avoir gardé le sceau
sacré de la confession, fut cruellement tourmenté et précipité du pont de Prague
dans la rivière de Moldaw, par les ordres de Wenceslas IV, l'an 1383.
Il serait trop long de raconter tous les miracles dont Dieu s'est plu à
honorer la mémoire de son serviteur. Nous n'en citerons que quelques-uns :
Une femme, appelée Catherine Frolenta, étant tombée, la nuit, dans un
puits très-profond, se sentit soulevée hors de l'eau jusqu'à la poitrine, par
notre Saint, qu'elle invoqua, et vit le bord du puits tout illuminé ; à la fa-
veur de cette lumière, elle aperçut une poutre qui lui servit d'appui, jus-
qu'à ce que ses cris la fissent délivrer. Voici un autre prodige non moins
admirable : une dame d'un rang distingué, condamnée injustement dans
un procès, se fait écrire un mémoire pour l'empereur Léopold, et, avant
de l'envoyer à Vienne, elle le place sur l'autel de saint Jean Népomucène,
en l'honneur duquel elle faisait célébrer une messe. Mais, au moment de le
reprendre, elle s'aperçoit qu'il a disparu. Quatre jours après, elle met un
second billet sur l'autel, et lorsqu'elle vint le reprendre, elle trouva le pre-
mier signé de la main propre et muni du sceau de Sa Majesté impériale,
qui ordonnait qu'on rendît justice à la suppliante et que toutes les pièces
du procès fussent aussi envoyées à Vienne. Les juges qu'elle alla trouver,
ne croyant pas possible qu'on pût aller à Vienne et en revenir en si peu de
temps, prirent des informations, et ils apprirent que le billet avait été pré-
senté et la cause de la dame plaidée à Vienne devant l'empereur par un
vénérable ecclésiastique, qui n'était autre que saint Jean Népomucène. Les
plus illustres familles d'Allemagne furent redevables à notre Saint d'une
foule de grâces : par son intercession un incendie fut éteint dans le châ-
teau du comte Wratislaw ; par son intercession Charles d'Althan, arche-
vêque de Bari, fut préservé de tout mal dans l'écroulement d'un balcon du
palais Colonna ; le cardinal Frédéric d'Althan, vice-roi de Naples, lui fut
redevable de sa guérison.
Les empereurs d'Allemagne, de la maison d'Autriche, le regardaient
comme leur protecteur; Ferdinand Ier n'entrait jamais dans la métropole
sans s'agenouiller devant son tombeau et sans y prier avec ferveur. Cette
illustre maison se montra longtemps reconnaissante à son saint Patron de
la victoire qu'il lui obtint, en 1620, sous les murs de Prague, victoire qui
lui fit recouvrer le royaume de Bohême. La nuit qui précéda la bataille,
saint Jean Népomucène et les autres patrons du pays apparurent dans la
cathédrale tout rayonnants de lumière ; l'armée impériale, soutenue par
SAINT JEAN NÉPOMUCÈNE. 601
cet heureux présage et par la protection du saint Martyr, gagna la bataille
et reconquit la Bohême. En reconnaissance, les princes de la maison d'Au-
triche obtinrent enfin la canonisation de saint Jean Népomucène : Benoît XIII
en publia la Bulle en 1729.
Le tombeau, qui couvrait des restes si précieux, fut sauvé, par une pro-
tection spéciale de la Providence, des profanations des Hussites; il le fut
encore, en 1618, de celles des Luthériens, qui se sont toujours attaqués aux
Saints comme à leurs plus grands ennemis. Ayant entrepris de le démolir,
ils ne purent jamais exécuter leur dessein sacrilège ; il y en eut même
plusieurs qui moururent subitement sur la place, entre autres un gen-
tilhomme anglais. On ouvrit ce tombeau en 1719 ; le saint corps était
dégarni de ses chairs ; mais les os étaient encore entiers et parfaitement
joints les uns aux autres ; sa langue, que Dieu voulut honorer particulière-
ment pour avoir si fidèlement gardé le sceau de la confession, se trouva
sans aucune corruption, aussi fraîche, aussi vermeille, aussi souple que la
langue d'un homme vivant. On la vénère encore dans le même état aujour-
d'hui, renfermée dans un riche reliquaire. Elle est comme un monument
du soin particulier que Dieu a toujours pris d'empêcher que les confesseurs
ne révèlent les secrets du saint tribunal ; il le permet ainsi afin que les
pécheurs ne soient pas détournés et privés de l'unique espérance de salut
qui leur reste ; car nous ne serions plus tenus d'accuser nos péchés si nous
n'étions moralement sûrs que celui à qui nous les accusons ne les révélera
pas. Que les ministres du sacrement de Pénitence prennent donc pour eux
cette maxime d'un Père : « Ce que je sais par la confession, je le sais moins
que ce que je ne sais point du tout ' ».
La vénération de ses compatriotes pour ce grand Saint leur a fait élever
une église à la place de sa maison paternelle, et un autel marque le lieu de
son berceau.
A la cathédrale de Strasbourg, un autel est dédié à saint Jean Népomu-
cène. Au-dessus de l'autel est placé un très-beau tableau représentant la
mort du Saint, et à la place du tabernacle est un reliquaire qui contient de
ses ossements. En outre, sur beaucoup de ponts en Allemagne, et en Alsace,
se trouve sa statue que les passants saluent, comme à Prague, avec beau-
coup de respect.
On l'invoque contre les inondations, pour le passage des ponts et des
rivières, pour la bonne confession, contre les indiscrétions et la calomnie.
Les attributs du Martyr de la confession sont : 1° un cadenas et une
lettre fermée que l'on donne comme les symboles du secret à garder ; 2° le
crucifix, qui se place généralement dans la main des prédicateurs ; 3° un
pont. Dans nombre de gravures allemandes, on voit au plan supérieur le
magnifique pont de la Moldaw, dont les arches majestueuses, surmontées
d'une toiture élégante, forment un des ornements de l'antique cité de Pra-
gue. Au dessous, le Saint est étendu, doucement porté sur les eaux. Des
étoiles environnent sa tête ; des nénuphars sont tressés en guirlande autour
de son corr j ; 4° enfin, un dernier attribut est celui d'une langue que tan-
tôt il tient à la main, qui tantôt est placée près de lui dans une auréole :
cet attribut signifie et que le Saint a gardé le silence lorsqu'il l'a dû, et que
cet organe a été préservé de la décomposition.
Acta Sanctorum et surtout les hagiographes allemands : Rœss et Weiss, A. Stolz, eto,
1. Saint Augustin.
602 16 mai.
LE BIENHEUREUX ANDRÉ B0B0LA
1657. — Pape : Alexandre VII. — Roi de Pologne : Jean Casimir.
Ego enim attendant Mi quanta oporteat eum pro
nomine meo pati.
Je lui montrerai combien il doit souffrir pour mon
nom. Act. Ap. ix, 16.
Les Cosaques de l'Ukraine, qui tant de fois avaient ravagé la Lithuanie
méridionale, venaient de l'envahir encore. Le collège de Pinsk, où souvent
les Pères de la Compagnie de Jésus avaient éprouvé les maux de la guerre,
était de nouveau menacé d'une ruine prochaine. Il n'y avait rien à attendre
des hommes : le secours de Dieu n'en était donc que plus assuré à ceux qui
mettaient généreusement leur confiance en lui. Le supérieur priait avec
plus de ferveur et plus d'instances. Il se demandait en lui-même à quel
Saint il devait abandonner sa cause. Tout à coup, c'était la nuit du
19 avril 1702, un religieux revêtu de l'habit de la Compagnie lui apparaît :
« Vous avez besoin d'un protecteur auprès de Dieu », lui dit-il ; « pourquoi ne
vous adressez-vous pas à moi? Je suis le Père André Bobola, mis à mort
en haine de la foi par les Cosaques. Cherchez mon corps, je serai le défen-
seur de votre collège » .
Le recteur de Pinsk fit visiter les caveaux du collège ; mais, pendant
deux jours, toutes les fouilles furent inutiles. Alors le Bienheureux se mon-
tra de nouveau et désigna lui-même l'endroit où gisait son corps. C'était
dans un coin de l'église, sous terre, du côté droit du grand autel. Les
fouilles recommencèrent donc, et bientôt un tombeau fut découvert qui
portait cette inscription :
LE PÈRE ANDRÉ BOBOLA, DE LA COMPAGNIE DE JÉSOS,
MIS A MORT PAR LES COSAQUES, A JANOFF.
Les autres corps déposés dans le même caveau avaient subi toutes les
humiliations de la mort. La chasuble et l'aube qui enveloppaient le Bien-
heureux tombaient elles-mêmes en poussière. Mais Dieu n'avait pas permis
à la corruption d'atteindre le martyr. Bien mieux que tous les préservatifs
de la science humaine, la main divine l'avait défendu ; et quarante-cinq
ans déjà s'étaient écoulés depuis qu'il avait cessé de vivre.
Le corps était là, devant ceux qui l'avaient découvert, conservé dans
son entier, sillonné de mille blessures dans lesquelles on voyait un sang
frais encore ; les chairs étaient restées molles et flexibles; et l'odeur la plus
suave se répandait autour de ce cadavre glorifié déjà dans la mort même.
Ce fut ainsi que Dieu, par les plus éclatants miracles, préserva lui-même
à jamais de l'oubli la mémoire de son serviteur. Ce fut ainsi que Dieu,
parmi tant de victimes des persécutions du schisme en Pologne au xvir3 siècle,
choisit lui-même André Bobola pour l'élever sur les autels, et le proposer
comme un nouveau protecteur, non-seulement aux fidèles de Pinsk, mais
à la nation polonaise, mais à la grande unité catholique, si souvent aux
prises avec le schisme et l'hérésie. « Le Tout-Puissant, comme on l'a dit si
LE BIEN HEUREUX ANDRÉ BOBOIA. 603
justement dans le procès de la béatification, fut lui-même le vrai postula-
teur de cette cause ».
André Bobola naquit en 1592 en Pologne, dans le Palatinat de Sandomir.
Sa famille était illustre et chrétienne. L'enfant fut élevé dans la piété, et de
bonne heure envoyé au collège des jésuites à Sandomir. Dans cette maison
ses vertus grandirent avec ses talents et il ne tarda pas à manifester l'inten-
tion qu'il avait de se consacrer à Dieu en entrant dans l'Ordre de ses maîtres.
La famille Bobola avait de tous les temps protégé les jésuites qui avaient
été, dans de nombreuses circonstances, les objets de ses libéralités. Dieu la
récompensait de sa charité en choisissant dans son sein le Bienheureux
Bobola pour en faire un martyr qui perpétuerait sa gloire. Le 13 juillet 1611,
André entrait au noviciat dans la ville de Wilna. Pendant les deux ans qui
s'écoulèrent jusqu'à 1613, il se montra constamment un modèle pour tous
ses compagnons. Pendant trois ans il étudia la philosophie sous la direc-
tion du Père Marquât qui, en voyant la piété de son élève et ses remar-
quables talents, en conçut de grandes espérances. Au sortir de sa philosophie,
il professe successivement dans la ville de Brunsberg, et au collège de
Pultava où il gagne l'affection de tous ses élèves en même temps qu'il les
porte à la vertu par sa vie pleine d'admirables exemples de piété. En 1621,
il reçoit le sous-diaconat et le diaconat, puis l'année suivante la prêtrise,
après avoir suivi un cours de théologie où il eut pour maître le Père Mar-
quât qui lui avait enseigné la philosophie.
André Bobola est âgé de 32 ans, alors que nous le voyons pour la pre-
mière fois adonné au ministère de la prédication dans l'église de Saint-
Casimir de Wilna. Le bien qu'il fit dans cette ville et l'influence qu'il y
acquit furent immenses. Le 2 juin 1630, il fait profession solennelle des
quatre vœux et devient supérieur de la résidence de Bobruisk. Il passa là
cinq années dans la pratique des vertus les plus humbles, ses vertus de pré-
dilection. Il eut l'occasion aussi pendant ce temps de montrer son ardente
charité dans une contagion qui ravagea la Lithuanie. Il se livra sans réserve
et sans aucune précaution au soulagement des malades, et par une permis-
sion toute particulière de la Providence qui le destinait à un autre martyre,
il échappa au fléau et à la fatigue. En 1636 il se démit de ses fonctions de
supérieur et obtint de se livrer entièrement aux missions. Pendant vingt-un
ans, on le trouve sur toutes les routes de la Lithuanie qu'il évangélise.
Les Cosaques, les Russes et les Tartares ravageaient déjà la Pologne des-
tinée à un martyre qui, aujourd'hui, n'a pas encore son terme. Les jésuites
eurent beaucoup à souffrir des envahisseurs qui ne les aimaient pas : ils se
virent dépouillés, chassés de leurs maisons et emmenés en captivité. Les
peuples eurent à endurer des misères atroces : ils avaient pour les soutenir
et les aider le Père André Bobola, qui en même temps combattait l'erreur
partout où il la rencontrait. Sa science faisait un tel mal aux Popes grecs
et diminuait tellement le nombre de leurs partisans qu'ils résolurent de
réunir leurs forces dans un coin de la Lithuanie et d'en faire pour ainsi dire
leur citadelle. Ils choisirent la province de Polésie qu'entourent partout des
lacs et des marais ; mais ils rencontrèrent là un adversaire redoutable, le
prince Radziwil, fervent catholique, qui appela les jésuites à son aide en
leur offrant une maison princière à Pinsk. Le Père André Bobola s'y rendit
avec la conviction qu'il allait au martyre.
Il devint en effet l'objet de toutes les attaques des schismatiques qui le
redoutaient.
(Jue d'outrages il avait déjà reçus I que de fois déjà des mains sacrilèges
604 46 mai.
avaient osé se lever sur lui ! Les prêtres du schisme payaient des misérables
pour l'accabler de coups et d'injures. Cependant ils imaginèrent une autre
persécution qui devait aller plus avant dans le cœur de l'apôtre ; ils ras-
semblaient les enfants schismatiques les plus grossiers et les plus mauvais,
et les envoyaient à la porte du collège. Là, quand le missionnaire se pré-
sentait pour sortir, les clameurs les plus insultantes retentissaient aussitôt,
les projectiles les plus honteux volaient sur lui. Cependant il s'avançait;
mais ces enfants lui faisaient cortège. Ils l'attendaient devant la maison des
pauvres, des malades que sa charité visitait, et le ramenaient ensuite au
milieu des huées de leurs jeux infâmes. Et cela dura plusieurs années;
presque chaque jour c'était la même scène. L'homme de Dieu ne reculait
jamais ; jamais il n'omettait, il ne différait pas même ses courses aposto-
liques, afin d'éviter ce concert abominable d'outrages. Que dis-je? pour ce
grand cœur, avide des humiliations du Calvaire, c'était comme une perpé-
tuelle ovation. Non-seulement il ne trahissait aucun trouble, aucune émo-
tion de la nature, mais la bonté, la paix, la joie surnaturelle éclairait son
visage.
« Chien de jésuite, chien de papiste!» criaient ces petits bourreaux;
« Lach, Lach ! Polonais, Polonais ! Prêtre catholique ! Dutzochwat ! » criaient-
ils encore ; « Ravisseur des âmes ! ravisseur des âmes ! » Oui, c'était bien le
titre que méritait le zèle triomphant d'André. Ses ennemis eux-mêmes pu-
bliaient ainsi sa gloire à leur manière, et nous ne savons s'il n'est pas encore
plus glorieux pour lui d'avoir été nommé le ravisseur des âmes par les
schismatiques, que d'avoir été proclamé par les catholiques l'apôtre de
Pinsk. Cependant ses persécuteurs, en criant Dutzochwat, prétendaient lui
faire la plus cruelle injure ; ils le comparaient au démon lui-même, comme
auparavant le bienheureux Josaphat, cet évêque martyr de Vitebsk, qu'ils re-
présentaient armé d'un croc et tirant les âmes en enfer et appelaient aussi
Dutzochwat. « Ah ! plût à Dieu », répondait Josaphat, « que je pusse en effet
ravir vos âmes et les conduire en paradis » .
Tel était aussi le cri du bienheureux André. Qu'il eût voulu gagner à
Dieu ces pauvres enfants ! Quelquefois il les entraînait sur ses pas en des
lieux solitaires, et promenant sur eux ce regard d'une bénignité paternelle,
auquel les enfants d'ordinaire ne savent point résister, eux qui s'appro-
chaient autrefois avec une familiarité si touchante du Sauveur Jésus, il
essayait de leur parler Mais la leçon leur était faite. Leurs parents et leurs
prêtres les avaient prémunis contre la séduisante douceur d'André. « Sor-
cier ! sorcier ! » s'écriaient-ils, et se bouchant les oreilles, ils fuyaient avec
épouvante. Que le visage contristé de l'apôtre devait ardemment respirer
alors cette charité profonde, cette tendre affection pour l'enfance qu'il avait
puisée dans le cœur du bon Maître ! Quels touchants efforts il faisait pour
retenir ces bourreaux chéris ! Ah ! sans doute ce généreux ravisseur des
âmes eut alors plus d'une fois le bonheur d'arracher au démon quelqu'une
de ces victimes pour les rendre à son Dieu.
Se9 ennemis voyant qu'ils ne gagnaient rien et que la conduite d'André
Bobola servait sa cause au lieu de la perdre, prirent la résolution de se dé-
barrasser de lui ; ils appelèrent les Cosaques à leur aide. Deux chefs de
bande s'attachèrent à la poursuite du Bienheureux. Un jour qu'il venait de
dire la messe et faisait son action de grâces, on l'avertit que les Cosaques
arrivaient : on lui fournit les moyens de fuir, mais il est bientôt atteint et
pris par ses ennemis qui le dépouillent, l'attachent à un arbre et l'accablent
de coups ; ils lui passent ensuite une corde au cou et l'attachent derrière
LE BIENHEUREUX AJNTORÉ BOBOLA. 605
leurs chevaux, le conduisent à leur chef, à Ianow. Les réponses calmes
que le martyr fait à ces barbares l'irritent, et il reçoit pour punition un
grand coup de sabre sur la tête. La main qu'il avait instinctivement levée
en l'air fut presque détachée du bras, mais le préserva d'une mort infail-
lible. Alors les soldats se mirent de la partie. L'un lui arracha un œil, les
autres le conduisirent chez un boucher où ils allumèrent des torches et lui
brûlèrent différentes parties du corps en lui demandant de renoncer à sa
foi. Sur son refus, on l'étrangla à demi avec de jeunes branches vertes tor-
dues à l'avance, on lui fit une tonsure en lui enlevant la peau de la tête, on
le frappa au visage de façon à lui casser les dents ; sous l'horrible et déri-
soire prétexte de lui faire une chasuble, on lui arrache la peau du dos. On
essuie avec une torche de paille le sang qui coule à flots de cette plaie
atroce, et pour achever de faire un monstre de cet homme dont l'aspect
épouvante même ses bourreaux, on lui enfonce des roseaux sous les ongles,
afin de leur donner l'apparence de grilfes. Après lui avoir ensuite coupé le
nez et les lèvres, on le jette sur un tas de fumier. Le Bienheureux n'était
plus qu'une masse de chair informe et repoussante. Deux heures après, le
capitaine, passant par là, l'acheva d'un coup de sabre. (16 mai 1657).
Aussitôt la mort du martyr une lumière brillante parut sur Ianow et
épouvanta les Cosaques qui montèrent sur leurs chevaux et disparurent.
Les catholiques transportèrent son cadavre au collège des jésuites à Pinsk,
où il reçut la sépulture. La nouvelle de cette mort affreuse se répandit
rapidement, et les Polonais se mirent dès lors à invoquer Bobola comme un
Saint. Quarante-cinq ans après sa mort, on trouva son corps sans corruption:
cette nouvelle ranima la confiance des Polonais, et le tombeau de Bobola
devint un lieu de pèlerinage où s'opérèrent de nombreux miracles. Plusieurs
fois dans le cours du xviii6 siècle, son sépulcre a été ouvert et le corps a tou-
jours été trouvé dans un état parfait de conservation. En 1808, on le trans-
porta à Polosk dans le collège delà Compagnie de Jésus. Mais, en 1820, les Jé-
suites furent chassés de Russie par un décret d'Alexandre, ou plutôt par un
décret de Dieu : ils étaient envoyés de nouveau sur tous les points du monde
à l'apostolat. Ils n'eurent pas la consolation d'emporter le sacré dépôt : ils
le confièrent à la piété des religieux de Saint-Dominique. Mais, depuis, les
schismatiques s'en sont emparés. Toutefois, c'est une justice à leur rendre :
à Polosk, comme autrefois à Pinsk, ils honorent eux-mêmes les restes de
celui que le schisme a frappé ; réparation touchante, qui sans doute fait
descendre sur eux aussi bien des grâces, par l'intercession de celui qui si
longtemps les évangélisa, qui répandit son sang pour eux en leur pardonnant.
Le Bienheureux était d'une forte corpulence et d'une taille peu élevée ;
mais dans tout son extérieur il portait quelque chose de noble, de simple
et de pieux qui disposait en sa faveur. Les fatigues avaient de bonne heure
dépouillé son front ; il ne lui restait qu'une couronne de cheveux blonds
qui blanchirent avant l'âge ; il gardait la barbe assez longue. La vivacité de
son regard n'ôtait rien à sa modestie. Sur son visage un peu coloré se ren-
contraient la majesté et la candeur. On aimait à le voir ; on aimait à l'en-
tendre. Il possédait, avec un excellent esprit, une mémoire heureuse, une
expression toujours facile. Sa prononciation était agréable; sa voix sonore
et pénétrante. Il s'appliquait à donner une instruction solide; mais en
même temps sa douceur insinuante allait aux cœurs ; sa conviction pro-
fonde les touchait en vibrant en eux. Quelquefois sa parole s'élançait comme
la foudre, et les pécheurs les plus endurcis ne pouvaient plus résister.
C'est Pie IX qui, en 1853, a béatifié André Bobola.
606 17 MAI.
Notice historique sur le bienheureux André Bobola de la Compagnie de Jésus, par le E. P. Olivaint.
Paris, Julien, Lanier et C8, éditeurs, 1854, et tous les hagiographes modernes.
SAINT GEINS *, LE SOLITAIRE DE BAUSSET.
Geins naquit à Moteux, près de Carpentras, sur le territoire de l'archidiocèse actuel d'Avignon.
Ses parents étaient gens peu aisés, mais distingués par leur piété. Il se retira de bonne heure,
dit-on, dans la solitude de Bausset et là se sanctifia par la prière et le travail des mains. Un jour
que ses proches l'étaient venus visiter, il se trouva n'avoir ni vin ni eau à leur offrir pour réparer
leurs forces épuisées : nouveau Moïse, il appliqua ses deux doigts sur la paroi d'un rocher, et
aussitôt il en coula non-seulement de l'eau, mais du vin. On montre encore aujourd'hui la fontaine
d'eau : elle coule toujours n abondance, et ses ondes sont employées pour combattre les fièvres.
En 1630, Alexandre Bichi de Sienne fut créé évêque de Carpentras. Faisant la visite de son dio-
cèse, il voulut que le corps de saint Geins fût placé dans une châsse plus convenable et trans-
porté processionnellement de la chapelle de l'ermitage dans l'église paroissiale de Bausset, qui en
est distante d'un quart d'heure. Il y est encore aujourd'hui. Saint Geins est le patron de cette
paroisse. Il y a près de Mont-de-Marsan une église qui porte le nom de Saint-Gein, et près de
Limoges une autre qui s'appelle Saint-Gence.
On le représente conduisaut une charrue attelée d'une vache et d'un loup, parce que ce der-
nier ayant dévoré une des deux vaches nourries par saint Geins, notre Saint aurait forcé l'animal
ravisseur à compléter sa charrue. On l'invoque contre la sécheresse.
L'époque de sa vie n'est pas facile à déterminer. Les Franciscains le réclament comme mem-
bre de leur Tiers Ordre. Les uns le placent au xn° siècle, les autres au xme. D'autres veulent
qu'il appartienne au xvB siècle.
Propre d'Avignon et Fetln dans Mlgne.
XVII' JOUR DE MAI
MARTYROLOGE ROMAIN.
À Villa-Réal, dans le royaume de Valence, saint Pascal, de l'Ordre des Mineurs, personnage
d'une innocence et d'une pénitence admirables. 1592. — A Pise, en Toscane, saint Torpès ou
Tropez, martyr, qui occupait un rang distingué parmi les officiers de Néron; il est un de ceux
dont l'apôtre saint Paul parle, dans sa lettre adressée de Rome aux Philippiens : « Tous les Saints
vous saluent, et, en particulier, ceux qui sont de la maison de César ». Arrêté comme chrétien, il
fut souffleté, déchiré cruellement à coups de fouets, exposé aux bêtes pour en être dévoré, mais
sans en recevoir aucun dommage, et acheva enfin son martyre par la décollation, le 29 d'avril :
on fait aujourd'hui sa fête à cause de la translation de son corps. — Ce même jour, sainte Resti-
tute, vierge et martyre, qui, sous l'empire de Valérien, fut diversement torturée par le juge Pro»
culus, en Afrique, et placée dans une nacelle pleine d'étoupes et de poix, pour être brûlée en
pleine mer ; mais, dès qu'on y mit le feu, la flamme se tourna contre ceux qui venaient de l'allu-
mer, et elle, se mettant en oraison, rendit ainsi son esprit à Dieu. Son corps, avec la nacelle, vint
aborder, par la volonté de Dieu, à l'ile d'Ischia, près de Naples, où les chrétiens le reçurent avec
une grande vénération. Constantin le Grand ht depuis bâtir une église eu son honneur, dans la
1, Allas, Gens, Gène», Gtntiut, Gel*.
MARTYROLOGES. 607
ville de Naples K — A Noyon , les saints martyrs Hérade, Paul et Aquilin, avec deux autres.
Règne de Dioctétien*. — A Chalcédoine, saint Solocane et ses compagnons, soldats et martyrs,
sous l'empereur Maximien 3. iv« s. —A Alexandrie, les saints martyrs Adrion, "Victor et Basilla. —
A Wurtzbourg, saint Brunon, évoque et confesseur. 1045.
MARTYROLOGE DE FRANCE, REVO ET AUGMENTÉ.
A Agen, fête de saint Jean Népomucène. — A Tournay, saint Célestin, martyr, dont le peuple
ressent souvent le secours et la protection. — A Laon, saint Montan, reclus, qui est resté plu-
sieurs années en une solitude qui a retenu son nom, près de Juvigny, entre Montmédy et Marville,
au pays de Luxembourg ; il prédit la naissance de saint Rémi, apôtre des Francs, et recouvra la
vue en se lavant les yeux avec le lait que ce Saint suçait des mamelles de sa mère. C'est aujour-
d'hui le jour de sa translation. v» s. — A Saint-Amand, en Flandre, trois compagnes de sainte
Ursule, dout les corps y ont été apportés, et y reçoivent la vénération des fidèles. — En ce même
jour, le vénérable Laurent, de l'Ordre de Citeaux, que saint Bernard établit premier abbé de Vil-
liers, en Brabant. —A Marconne, proche d'Hesdin, en Artois, sainte Framedze ou Framechilde,
épouse de Baufroy ou Badefroy, comte du palais du roi Dagobert II, et mère de sainte Austre-
berte. Vers 685. — Au Puy, la translation de saint Julien. — A Fréjus, fête de saint Tropez. —
A Strasbourg, le vénérable Jean Tadlère.
MARTYROLOGES DES ORDRES RELIGIEUX.
Martyrologe des Chanoines réguliers et Augustins. — A Mirandole, saint Possidids, évêque
de Calâmes, disciple de saint Augustin, et historien de son illustre vie, qui mourut saintement le
16 mai.
Martyrologe de Vallombreuse et des Franciscains. — A Yilla-Réal, saint Pascal, de l'Ordre
des Mineurs...
Martyrologe des Carmes. — Saint Jean Népomucène... *.
ADDITIONS FAITES D'APRÈS LES BOLLANDISTES ET AUTRES HAGIOGRAPHES.
En Orient, saint Andronique et saint Junias, du nombre des soixante-douze disciples de Jésus*
Christ, et dont saint Paul a fait l'éloge dans son épître aux Romains (xvi, 7) : « Saluez »,
leur dit-il, « Andronique et Junias, mes parents, les compagnons de mes liens, qui sont considé-
rables entre les Apôtres, et qui ont embrassé la foi de Jésus-Christ avant moi ». Ces deux disciples
de Notre-Seigneur ont évangélisé, en particulier, Apamée, en Syrie, Comanes, dans le Pont, l'Jlly-
rie, etc. Ier s. — A Constantinople, saint Etienne, patriarche. 893. — A Sigeberg, dans le
Holstein, le bienheureux Thetmar, prêtre, qui fut doyen de Brème et embrassa la Règle de Saint-
Augustin, dans le monastère de Newmuoster, fondé par le bienheureux Vicelin, évêque d'Olden-
bourg-Lubeck. 1152. — A Oria, entre Brindisi et Tarente, dans la terre d'Otrante, en Italie, le
bienheureux François de Durazzo 5, de l'Ordre des Frères Mineurs. xive s. — En Toscane, saint
Fabius, martyr; son identité n'est pas bien établie. — A Cagliari, en Sardaigne, une autre sainte
Restitute, que l'on croit mère de saint Eusèbe de Verceil, et dont ies reliques furent retrouvées,
eu 1607, dans une crypte du faubourg d'Estampache, qui porte son nom, près d'une église dédiée
à sainte Anne.
1. Sainte Restitute ne fut pas oubliée a Carthage : on pense que c'est à cette sainte Martyre qu'était
consacrée la grande basilique connue sous son nom, dans laquelle furent tenus quelques conciles et où
saint Augustin prononça plusieurs discours. Elle était née a Ponizara, d'après le Propre de Naples.
2. On n'est pas d'accord sur le lieu où ont souffert ces Martyrs. Le Père Labbe opine pour Nyon, sur
le lac de Genève; d'autres pour Nouiodunon, eu Bulgarie. Il est impossible de trancher la question,
disent les Bollandistes.
3. lis étaient originaires de l'Egypte.
4. Voir sa Vie au jour précédent, le 16.
t. Ville d'Illyrie, patrie du Bienheureux, appelée Dyrracuium par les anciens.
608 17 mai.
LE VÉNÉRABLE JEAN TAULÈRE,
RELIGIEUX CONTEMPLATIF DE L'ORDRE DE SAINT - DOMINIQUE
1361. — Pape : Innocent VI. — Roi de France: Jean le Bon.
Prenez de bon cœur les pénitences qu'on vous donnera
et la peine due à vos péchés, de quelque part qu'elle»
viennent, soit de Dieu ou de ses créatures.
Quand quelqu'un vous aura offensé en quelque façon
que ce soit, pardonnez-lui incontinent et de bon cœur.
Alphabet doré de Jean Taulère.
Il existait, au xive siècle, dans la ville de Cologne, un célèbre prédica-
teur nommé Taulère, lequel était fameux par sa science et par sa charité.
Un jour, il se trouvait à l'église, priant Dieu de tout son cœur de lui faire
connaître le meilleur moyen de le servir. Sa prière achevée, il sort et voit
accroupi sur une des marches de la porte un pauvre à peine couvert de
quelques haillons, et si défiguré que sa vue seule excitait la pitié. Il avait la
tête à moitié rongée par un ulcère, il avait perdu un bras et une jambe, et
tout son corps était couvert d'horribles plaies. Saisi de compassion, Taulère
s'approche de ce malheureux, tire une pièce d'argent et le saluant : Bon-
jour, mon ami. — Merci, Monsieur, répondit le pauvre ; mais je n'ai jamais
eu de mauvais jours. Taulère crut que le malheureux ne l'avait pas com-
pris et lui répéta : — Je vous souhaite un bon jour; je vous souhaite
d'être heureux et d'avoir tout ce que vous pouvez désirer. — Je vous ai
très-bien entendu, Monsieur, répliqua le mendiant, et je vous remercie
de votre charité ; mais je vous dis qu'il y a longtemps que votre souhait est
accompli. Taulère se disait en lui-même : Ce bon homme a perdu la tête,
ou peut-être est-il sourd. C'est pourquoi, haussant le ton, il lui cria : —
Yous ne m'avez pas entendu : je souhaite que vous soyez heureux. — Pour
Dieu, Monsieur, ne vous fâchez pas ; je vous ai déjà dit que je vous entends
très-bien, et je vous répète que je suis très-heureux et que je n'ai jamais eu
de mauvais jours.
Un instant Taulère le tint pour fou ; mais il remarqua dans les paroles
de cet homme un certain air qui appela son attention. Il s'approcha de lui,
s'assit à ses côtés et le pria avec candeur de lui mieux exprimer ce qu'il lui
avait dit. — Monsieur, lui répondit ce pauvre homme, c'est très-clair.
Depuis mon enfance, je sais que Dieu est sage, juste et bon; depuis mon
enfance, je souffre de la cruelle maladie qui m'a dévoré une grande partie
du corps ; j'ai toujours été pauvre... Je me suis dit : Rien n'arrive sans la
volonté ou la permission de Dieu. Le Seigneur sait mieux que moi ce qui
me convient, parce que le Seigneur m'aime comme un père aime son fils...
Je suis par conséquent bien sûr que ces souffrances sont pour mon plus
grand bien. Ainsi, je me suis accoutumé à ne vouloir jamais que ce que
veut mon aimé et bon Seigneur ; et s'il m'envoie des maladies, je les reçois
avec joie, comme si elles étaient mes sœurs ; s'il me donne la santé, je
l'accepte avec plaisir ; s'il ne me donne pas à manger, je suis content de
jeûner pour expier mes péchés et ceux d'autrui ; si je n'ai pas de quoi me
LE VÉNÉRABLE JEAN TAULÈRE. 609
vêtir, je me rappelle mon Sauveur nu dans la crèche et sur la croix, et je
me trouve beaucoup plus riche que lui ; si je souffre sur la terre, je com-
prends que je serai beaucoup plus heureux dans le ciel. — Que vous dirai-je
de plus ? Je suis toujours content : et si je pleure d'un œil, je ris de l'autre,
parce que je veux tout ce que Dieu veut, je ne désire que l'accomplisse-
ment de sa sainte volonté. Vous voyez donc, Monsieur, que je suis très-
heureux, que je n'ai jamais eu de mauvais jours et que j'ai tout ce que je
puis désirer.
Taulère pleurait en silence... Il n'avait jamais entendu un sermon aussi
édifiant. Il donna au pauvre son manteau, l'unique pièce de monnaie qui
restait dans sa bourse, et, malgré la plaie de la tête, il embrassa l'homme
avec effusion. Il rentra dans l'église pour remercier Dieu de lui avoir en-
seigné le moyen le plus parfait de le servir. Il imita dans la suite, autant
qu'il le put, ce saint pauvre, et il avait coutume de dire, en rappelant cette
touchante aventure : « Le bonheur est possible dans toutes les conditions,
aussi bien pour le pauvre que pour le riche, pour le malade que pour
l'homme bien portant. Le bonheur est dans le cœur, et non ailleurs ; il est
dans la disposition, et non dans la situation. Faisons la volonté de Dieu,
aimons Dieu, et nous serons heureux dans quelque situation que nous nous
trouvions ».
Si les vertus et les prédications de Jean Taulère le rendirent célèbre dans
le xive siècle , dit Touron ', les écrits pleins de lumière et d'onction
qu'il a laissés, ont fait passer son nom avec gloire à la postérité. Bossuet,
sainte Thérèse, Louis de Blois, le comptent avec raison au nombre des plus
grands maîtres de la vie spirituelle. Il naquit en Allemagne, l'an 1294, et
embrassa l'institut des Frères Prêcheurs dans le couvent de Strasbourg,
vers le commencement du pontificat de Jean XXII.
Taulère brilla dans la chaire, à Cologne surtout, et à Strasbourg. Il
combattit les Quiélistes et les Béghards ou faux spirituels, qui commençaient
à se glisser dans les rangs de l'Eglise. Ses prédications étaient suivies par-
tout des effets les plus prodigieux. Son éminente piété, sa profonde érudi-
tion, l'austérité de sa vie, l'éloquence la plus incisive et la plus entraînante
forçaient les pécheurs les plus endurcis à se rendre à la voix qui les appelait.
Mais autant était mâle et pressante son éloquence, autant était douce, onc-
tueuse et persuasive sa direction spirituelle. Aussi portait-il les âmes qu'il
conduisait dans les difficiles sentiers de la vie, à la plus grande perfec-
tion.
Quant à sa doctrine, voici comment en parle Bossuet. Il dit, « qu'à son
avis, Taulère n'était pas seulement un zélé prédicateur, mais un des plus
solides et des plus corrects des mystiques ■ ». Il dit aussi, « que son livre
des Institutions est parmi les livres mystiques un des plus estimés3. Si l'on
remarque », ajoute-t-il, « dans certains de ses écrits quelques exagérations,
elles sont plutôt dues à la manière de parler de son temps qu'à l'imperfec-
tion de sa doctrine ». D'ailleurs, comme le fait observer Suarez *, cet au-
teur ne parlait pas, dans ces circonstances, avec la précision et la subtilité
scolastiques, mais avec des phrases mystiques. Et Bossuet a dit encore, que,
« sans vouloir diminuer de la réputation de Taulère, on ne doit pas prendre
au pied de la lettre tout ce qui est échappé à ce saint homme ». Il est im-
possible, du reste, comme le remarque Feller à son tour, « de rappeler aux
1. Histoire des hommes illustres de Saint- Dominique, t. n, p. 034.
2. Bossuet, t. x, Inst. sur les états d'Uraison, liv. Ier, J». 11 et suiy. — 3. Ibid.
4. De Bel, c. 2, lib. h; de Oral. M., c. 12.
Vies des Saints. — Tome V. 39
610 17 mai.
règles communes tout ce qui a été écrit sur cette matière1; la morale»,
dit-il, « a ses mystères comme le dogme, ses profondeurs comme tout ce
qui tient à la divinité, ses exceptions et ses contradictions apparentes
comme toutes les sciences, même la géométrie. Vouloir la réduire à une
exactitude parfaitement générale, l'affranchir des modifications dont toutes
les notions divines et humaines sont essentiellement susceptibles , c'est
en faire un être de raison ». Gerson lui-même a dit, « qu'il ne faut pas
toujours exiger dans ces sortes d'ouvrages la précision rigoureuse du
langage, ni même des notions communes de la morale. Car », ajoute-t-il,
« ceux qui n'ont pas l'expérience de la vie mystique n'en peuvent non plus
juger qu'un aveugle des couleurs * ».
Taulère n'a écrit qu'en allemand. Surius a rassemblé ses ouvrages et
donné une traduction latine imprimée à Cologne en 1552. Ceux qu'on
tient pour plus authentiques, sont : 1° Quelques sermons du Temps et des
Saints; 2° Une Vie de Jésus-Christ; 3° Les Institutions, de tous le plus célèbre;
4° Des E "pitres ; 5° h' Alphabet doré ; 6° Un Dialogue entre un théologien et un
mendiant. Touron lui en attribue quelques autres, mais sur lesquels on
conserve des doutes s. Nous avons une traduction récente de ses sermons,
par M. Charles de Sainte-Foi.
Terminons enfin cette notice par la mort édifiante de ce saint religioux.
Après une vie entière écoulée dans l'exercice de la contemplation, dans
l'accomplissement de l'apostolat le plus fructueux, dans la pratique des
plus belles vertus évangéliques, accablé de fatigues, d'années, de croix et
d'une paralysie, son corps succomba, et son âme bénie s'envola radieuse
vers les montagnes éternelles, le 16 des calendes de juin de l'an 1361. C'est
dans le couvent de Strasbourg qu'il rendit son âme à Dieu, c'est là que
repose encore aujourd'hui sa dépouille mortelle*.
1. Il parle des voles secrètes par lesquelles Dieu conduit quelquefois les âmes privilégiée!.
2. Feller, art. Rusbroch, Taulère, Armelle, Jean de la Croix.
8. Voyez Touron, Hist. des hommes illusl. de Saint-Domin., t. II, p. 3o0 etsuiv., et l'Esprit des Saints,
de M. l'abbé Grimes.
4. Le monument funéraire qu'on lui érigea se voit encore le long d'un des côtés du temple neuf de
cette ville, là où était autrefois le cloître des Dominicains, si toutefois le boulet et la bombe incendiaire
des Badois ont laissé subsister quelque chose en 1870. Ce n'est qu'une simple pierre tombale sur laquelle
est grossièrement tracé son portrait de grandeur naturelle. On sait qu'à cette époque ce genre était uni-
Tersellement adopté, dans les cloîtres surtout.
Jean Taulère est représenté tenant dans sa main gauche un Agnus Dei qu'il Indique de la main droite.
Une auréole entoure sa tête, et on y lit ces mots : In Jesu Christo. Tel est ce simple monument. Mais il
couvre la cendre d'un de ces hommes éminents qui ont marqué leur place sur la terre en faisant faire un
pas de plus à la civilisation et en donnant l'exemple des plus hautes vertus : c'en est assez pour que
toutes les générations le bénissent en passant.
Voici la seule inscription qu'on y voit. Les religieux voulaient être humbles même après leur mort.
Anno Domini MCCCLXI. XVI Kal. junii
Die Cirici et Julittae
Obiit frater Tauleru».
SAINT PASCAL BAYLON, RELIGIEUX DE i/ORDRE DE SAINT-FRANÇOIS. 611
SAINT PASCAL BAYLON,
RELIGIEUX DE L'ORDRE DE SAINT - FRANÇOIS
1540-1592. — Papes : Paul III; Clément VIII. — Rois de France : François I"; Henri IV.
On doit avoir pour Dieu le cœur d'un enfant, pour
le prochain, le cœur d'une mère, pour soi-même
le cœur d'un juge.
Maxime de saint Pascal.
Pascal Baylon naquit en 1540, à Torre-Hermosa (Belle-Tour), petit
bourg du royaume d'Aragon, en Espagne ; son père se nommait Martin
Baylon, et sa mère Isabelle Joubert, ou Jubera. Notre Saint vint au monde le
jour de Pâques, et c'est ce qui lui fit donner le nom de Pascal ; ses parents,
qui gagnaient leur vie à cultiver la terre, l'occupèrent dès son enfance à
garder des troupeaux et ne purent lui apprendre autre chose que la vertu
et les éléments de la religion. Mais le désir de savoir lire lui fit porter un
livre aux champs, et il priait tous ceux qu'il rencontrait de lui enseigner à
lire et à écrire ; on dit que les anges furent de ce nombre. Il ne se servit de
cet avantage que pour le salut de son âme ; fuyant les livres futiles, il ne
lisait que ceux qui lui rappelaient les maximes du christianisme, les exem-
ples de Jésus-Christ et de ses Saints.
Une de ses prières les plu3 ordinaires était l'Oraison dominicale. Il se
faisait un plaisir singulier de se prosterner fréquemment devant la majesté
de Dieu. Il faisait ce qu'il pouvait pour aller souvent dans les églises, et il y
demeurait si longtemps, que ses parents étaient obligés de l'aller chercher
pour lui faire prendre de la nourriture.
Tout jeune encore, il fut obligé de se louer en qualité de berger. Il ne
perdit aucun des moyens que cette profession lui offrait pour se sanctifier.
Il avait, à l'égard de son maître Martin Garcia, une docilité, une soumis-
sion parfaite, exécutant avec joie et à la lettre tout ce qui lui était ordonné.
Lorsqu'il était dans les champs, il méditait sur les merveilles de la création,
ou faisait de pieuses lectures. On le voyait souvent prier à genoux, sous
quelque arbre à l'écart, sans négliger son troupeau. Il eut plus d'une fois
des ravissements, et il ne put pas toujours cacher aux yeux des hommes
l'amour de Dieu qui embrasait son cœur. Quoique pauvre, il trouvait le
moyen de faire l'aumône, partageant sa nourriture avec ceux qui en man-
quaient. Plusieurs bergers, appelés comme témoins après sa mort, lorsqu'on
s'occupa de sa canonisation, déposèrent qu'il leur parlait souvent de Dieu,
des moyens de le servir et de l'aimer, avec une éloquence surhumaine ;
qu'il était insensible aux plaisirs, ennemi du jeu et des divertissements, dis-
cret en ses paroles et en ses démarches, charitable envers son prochain,
toujours prêt à rendre service à tout le monde pour gagner tout le monde
à Jésus-Christ.
Son maître, ravi de cette conduite si sage et si sainte, lui exprima sou-
vent son contentement ; comme il n'avait pas d'enfant, il lui proposa de
l'adopter pour son fils et son héritier. Mais Pascal craignit que les biens de
la terre ne fussent un obstacle à l'acquisition de ceux du ciel ; il refusa les
612 17 mai.
offres de son maître, se rendant par là plus conforme au Sauveur qui est
venu sur la terre non pour être servi, mais pour servir.
A l'âge de vingt ans, Dieu lui inspira la résolution de quitter son maître,
son pays, sa profession, pour embrasser l'état religieux. Un des bergers, ses
compagnons, qui l'aimait tendrement, essaya de lui faire abandonner ce
projet; le jeune Pascal lui fît connaître, par un assez long discours, que ce
n'était que pour obéir aux ordres de Dieu qu'il voulait se retirer ; mais son
ami persistant à combattre sa résolution, Pascal, animé d'un saint zèle, et
inspiré de Dieu, lui dit : «Puisque" vous doutez de la vérité de mes paroles,
vous en serez persuadé par l'effet surprenant que vous allez voir » ; il frappa
en même temps par trois fois, avec sa boulette, la terre sèche et aride où
ils étaient, et il en sortit aussitôt trois belles fontaines qui coulent encore à
présent.
Pascal se rendit dans le royaume de Valence, où il y avait un couvent
de Franciscains déchaussés, que l'on appelait Soccolans. Ce couvent était
situé dans un désert, à quelque distance de la ville de Montfort. Notre
Saint y vint consulter ces saints religieux. Sans doute d'après leur conseil,
ou par défiance de lui-même, avant de se renfermer dans ce cloître, il entra
au service des fermiers du voisinage, et garda leurs troupeaux. Il venait les
dimanches et les jours de fête entendre la messe, recevoir les sacrements et
prendre peu à peu l'esprit de Saint-François, chez les Soccolans. Ses vertus
l'eurent bientôt fait connaître dans toute la contrée : on l'appelait le saint
berger.
Dans cet humble emploi, il poussa le scrupule jusqu'à tenir note des
moindres dégâts que les bêtes confiées à sa garde faisaient aux champs, ou
le long des chemins, pour ensuite indemniser les intéressés de ses propres
deniers. Quand on se moquait de lui à ce sujet, il répondait : « Beaucoup
de petits péchés véniels mènent en enfer aussi sûrement qu'un seul péché
mortel ' ». Une fois qu'on ne voulut pas de son argent, il aida à couper
les blés de l'intéressé, jusqu'à concurrence du dommage causé par ses
bêtes.
Enfin il entra au couvent des Franciscains, l'an 1564. On lui offrit inuti-
lement de faire partie des religieux engagés dans les Ordres sacrés : il ne
voulut être que frère lai, afin de remplir les offices les plus bas et les plus
pénibles, et de se sanctifier dans les humiliations.
Il pratiqua la règle de Saint-François dans toute la rigueur de la lettre et
de lesprit, et il s'avança dans la perfection religieuse de manière à étonner
les plus anciens et les plus saints de la communauté. Il ne souffrait aucun
vide entre la prière et le travail, dans lequel même on peut dire qu'il conti-
nuait ia prière. Jamais on ne l'entendait parler de personne ou pour s'en
plaindre, ou pour blâmer sa conduite ou pour donner atteinte à sa réputa-
tion. Tous ses mouvements, tous ses discours et toutes ses actions respi-
raient, dès le commencement, cet air de sainteté à laquelle on le vit arriver
dam ia suite. Quant à ses austérités, à ses pénitences, il ne se renfermait
pas toujours dans les bornes de la règle, ni même dans celles de la pru-
dence humaine. Mais s'il tombait dans l'excès de ce côté-là, c'était sans
affectation : et ce qu'on aurait pu y trouver à redire se trouvait suffisam-
ment rectifié par son humilité et le peu d'attache qu'il avait à son sens. Il
s'était réduit pour toute sa vie au pain et à l'eau, ou à quelques herbes ; il
portait toujours un cilice fait de soies de porc, avec une triple chaîne de
1. Le péché véniel par lui-même et directement ne conduit pas en eafer, mais il y conduit indirectt~
ineni en nous entraînant dans le péché mortel.
SAINT PASCAL BATLON, RELIGIEUX DE i/ORDRE DE SAINT -FRANÇOIS. 613
fer très-pesante dont il se serrait la peau nue, outre deux fers à cheval qu'il
avait sous le cilice, l'un sur l'estomac, et l'autre sur le dos. Il n'avait pour
tout lit que la terre, ou quelquefois des ais, et pour chevet une bûche.
Souvent môme, pour se priver du plaisir qu'il pouvait trouver à se coucher,
il dormait assis ou courbé dans une posture très-gênante ; souvent il passait
les nuits dans une cellule sans toit et sans porte. Il n'usait jamais de la
liberté, nécessaire sous le ciel d'Espagne, de faire la méridienne durant l'été ;
il travaillait tête nue au jardin dans les plus grandes chaleurs. Il ne prenait
que deux ou trois heures de repos la nuit, le reste était pour la prière dans
sa cellule ; il se trouvait toujours le premier à Matines. Ceux qui le voyaient
composé d'un corps comme le leur, et qui étaient les témoins de ses austé-
rités, ne trouvaient plus rien d'incroyable dans tout ce qu'on rapporte de
plus inouï, touchant les anciens solitaires de l'Egypte et de l'Orient. Mais
comme ils se sentaient en même temps incapables d'atteindre au même
point, ils reconnaissaient dans Pascal, comme dans ces anciens, une grâce
extraordinaire de Dieu, qui rélevait au-dessus des faiblesses attachées à la
condition humaine.
Après le temps ordinaire du noviciat, il fit ses vœux solennels le jour de
la Purification de la sainte Vierge de l'an 1565, n'ayant pas encore vingt-
cinq ans accomplis. Depuis ce temps on le fit passer de couvent en couvent,
et on lui fit faire divers voyages : il y trouva une excellente occasion de se
regarder comme un étranger sur la terre, et sa vie comme un continuel
pèlerinage. Partout où il alla, il porta ses vertus et sa régularité.
On le chargeait ordinairement, dans les différents couvents où on le fit
séjourner, de la porte et du réfectoire, parce qu'on le connaissait affable,
discret, vigilant, actif, fidèle.
Une fois il vint quelques femmes qui demandèrent à se confesser au
supérieur de la maison. Celui-ci ordonna à Pascal de leur dire qu'il n'était
pas chez lui. — « Je leur dirai », répliqua le portier, « que vous ne pouvez
pas venir, étant occupé ». — « Non », reprit le supérieur, « vous direz que
je ne suis pas à la maison ». — « Pardon », repartit alors Pascal, qui d'ail-
leurs était extrêmement timide et soumis ; « je ne puis pas dire cela, car ce
serait un mensonge, et par conséquent un péché ».
En sa qualité de portier, il avait coutume de distribuer aux pauvres les
restes de la table des religieux ; et pour que cette aumône fût profitable à leur
âme, en même temps qu'à leur corps, il adopta l'usage de prier avec eux à
genoux, avant et après chaque repas. Durant plusieurs années, il mit jour-
nellement en réserve sa portion de nourriture pour la donner à un pauvre
vieillard. Quand il arrivait qu'il n'eût rien à donner aux malheureux, pour
ne pas les renvoyer les mains vides, il allait au jardin, y cueillait des fleurs,
et puis il les leur distribuait en les priant doucement de lui pardonner de
n'avoir que cela à leur offrir. On peut croire que cette sorte d'aumône,
donnée d'un si bon cœur, avait à leurs yeux plus de prix, que si un riche
arrogant leur avait jeté à chacun une pièce de monnaie. Un jour le supé-
rieur du couvent lui dit de mieux gérer les intérêts de la communauté, et
de ne pas faire l'aumône à tous ceux qui se présentaient. — «Mais », répon-
dit naïvement Pascal, « s'il se présente douze pauvres, et que je ne donne
qu'à dix, il est à craindre que précisément parmi les deux que je renvoie se
trouve Jésus- Christ ».
Pour l'amour des pauvres, il poussait l'économie à l'excès : il disait à ses
confrères de ne pas répandre inutilement même une goutte d'huile, pour
ne pas diminuer d'autant la sainte aumône.
614 17 mai.
La simplicité est fille de l'humilité et mère de la patience. Le supérieur
du couvent était un vieillard morose, qui avait toujours quelque chose à
reprendre dans les actes de son portier, et qui un jour, à la coulpe ', repro-
cha même publiquement à Pascal d'être orgueilleux de ses vertus. Pascal,
sans répondre un seul mot, et sans changer de physionomie, s'en retourna
à son poste. Alors, un des religieux alla le trouver pour le consoler, lui di-
sant, entre autres, de porter cette humiliation avec patience. Mais Pascal
lui répondit : « Sachez », mon frère, « que c'est le Saint-Esprit qui a parlé
par la bouche de notre Père supérieur ». C'est la réponse qu'il donnait
habituellement, quand on voulait le consoler de l'espèce de persécution
que le rigide supérieur exerçait à son égard.
L'âme de saint Pascal était un paradis, ou, si l'on veut, un temple du
Saint-Esprit, où jour et nuit retentissaient des hymnes et des actions de
grâces. La joie qui sans cesse remplissait son cœur était telle qu'elle débor-
dait par ses yeux, par ses traits, et même par ses lèvres : toute la journée
il fredonnait des cantiques et des psaumes. Comme un enfant qui vient de
recevoir un joujou, et qui ne peut cacher sa joie, Pascal ne pouvait s'em-
pêcher de parler de Dieu à tous ceux qu'il rencontrait. Maintes fois on l'a
vu courir à l'un ou à l'autre, et lui dire à l'oreille : Tout ce qui vient de
Dieu est bon; ou encore : Loué soit Jésus-Christ; ou encore : Mon amour
est crucifié, etc. Au-dessus de la porte d'entrée du réfectoire se trouvait
une image de la sainte Yierge. Or, un jour le bon Pascal, se croyant seul
dans la salle, se mit à danser devant cette image, en chantant un cantique
en l'honneur de la Vierge, mu par cette sainte joie qui fit danser David
devant l'Arche du Seigneur.
La naïveté de Pascal était une sainte simplicité, fruit de l'innocence de
son âme et de sa profonde piété, et non du manque d'intelligence. Deux
faits le prouvent : le premier, c'est qu'il avait une connaissance extraordi-
naire des choses divines ; le second, c'est que souvent il obtenait ce qu'il
voulait plus sûrement que d'autres, qui eussent été plus rusés. Un jour le
supérieur chargea l'orateur de la maison d'aller trouver un bourgeois de
l'endroit, qui avait été offensé par un autre, pour tâcher de le réconcilier
avec son ennemi. Pascal devait l'accompagner. Mais cette pieuse et chari-
table mission eut si peu d'effet, que le bourgeois voulut même exercer des
violences sur le religieux. Alors Pascal dit simplement ces mots : Mon frère,
pardonnez-lui pour l'amour de Dieu ! Aussitôt l'autre, se retournant vers le
religieux, lui dit : « Mon père, je consens â tout ce que vous voudrez; je
lui pardonne pour l'amour de Dieu ». Une autre fois, un meurtre ayant été
commis, des hommes influents et savants cherchèrent en vain à décider le
fils de la victime à pardonner au meurtrier. Pascal, doué d'une éloquence
qu'on ne saurait appeler naturelle, mais suj-naturelle, parvint sans beaucoup
de peine à convaincre le jeune homme qu'il devait se désister de toute
action judiciaire, et même pardonner de bon cœur au meurtrier de son
père.
Il n'entreprenait aucune affaire tant soit peu importante, sans avoir
d'abord consulté Dieu par la prière. Un jour, le supérieur lui remit une
feuille de papier, avec ordre d'écrire une lettre au gouverneur de la pro-
vince, ami de Pascal, pour lui recommander une affaire importante con-
cernant le couvent. Au bout de quelques moments, le supérieur, voulant
savoir si la lettre était achevée, alla trouver Pascal dans sa cellule : il le
1. On appelle coulpe, dans quelques ordres religieux, une sorte de confession publique, qui a lieu à
des époques déterminées.
SAINT PASCAL BAYLON, RELIGIEUX DE L'ORDRE DE SAINT-FRANÇOIS. 615
trouva à genoux par terre, ayant la feuille de papier entre les mains jointes,
et priant Dieu de lui dicter ce qu'il devait écrire.
Saint Pascal, en parlant de la prière, avait des expressions à la fois sim-
ples et profondes. Il disait, par exemple : h Dieu étant prêt à nous donner
tout ce qu'il nous faut, nous devons toujours le prier avec une entière con-
fiance. Dieu attend que nous lui demandions et même il nous excite à im-
plorer son secours. Sachant donc que Dieu se fait un plaisir de donner,
nous devons ne point nous lasser de lui demander. Quand vous priez, figu-
rez-vous être seul au monde avec Dieu et pensez qu'il n'a que' vous à
écouter et à exaucer ; demandez- lui ses grâces avec amour, avec instance,
avec importunité ».
Saint Pascal, en parlant des scrupules, nous fait comprendre clairement
la différence qui existe entre la vraie et la fausse piété. Il appelait naïvement
les scrupules les puces de la conscience. Ce qui manque à beaucoup d'âmes
dévotes, c'est une confiance sans bornes en Dieu et un véritable amour. En
Pascal ces deux sentiments étaient devenus, en quelque sorte, une seconde
nature. C'est ce qui se voyait surtout quand il s'approchait de la sainte
table : en recevant la sainte communion, il n'exprimait pas sa ferveur par
des gestes, des soupirs et des contorsions, comme font certaines gens; mais
il y allait simplement, paisiblement, comme un ami qui va voir et embras-
ser son ami.
Son emploi de portier et de réfectorier ne l'empêchait pas de travail-
ler aussi au jardin, à l'infirmerie, à la salle des hôtes, et à la cuisine même
quand il en trouvait l'occasion. Il s'appliquait à chacune de ces fonctions
comme s'il n'avait eu qu'elle seule. Souvent aussi on l'employait à scier
du bois, et l'on était surpris qu'un corps aussi macéré que le sien pût résis-
ter à des fatigues sous lesquelles on voyait tous les jours succomber ceux
qui se nourrissaient le mieux.
L'Ordre de Saint-François avait alors pour général Christophe de
Gheffon, breton de naissance, qui était à Paris. Il était difficile aux cou-
vents étrangers d'avoir des communications avec lui ; à cette époque, pour
un religieux espagnol, aller en France c'était à peu près aller à la mort,
parce que le royaume de France était presque partout sous la vexation des
Huguenots, qui ne faisaient quartier nulle part aux moines ni aux mendiants
qui leur tombaient sous la main. Personne ne voulait entreprendre un
voyage si dangereux : cependant le provincial de Valence, se trouvant
indispensablement obligé d'écrire au général, ne vit que le frère Pascal à
qui on pût proposer de porter cette lettre à Paris. En effet, notre Saint ac-
cepta la commission avec beaucoup de joie, sans raisonnement, sans objec-
tion, sans s'inquiéter des moyens de faire un si long voyage. Il partit pieds
nus, sans sandales, selon sa coutume. Lorsqu'il eut passé les Pyrénées, il
entra dans un couvent de France où il y avait un grand nombre de religieux
savants, ce qui nous fait juger que c'était à Toulouse. Les périls de sa mis-
sion inspirèrent une telle pitié, qu'avant de le laisser aller plus loin on
examina en plein chapitre s'il est permis de s'exposer à un péril évident de
mort en vertu de l'obéissance que l'on a vouée à son supérieur. On conclut
enfin que la chose était permise, et on laissa aller le frère Pascal. Joyeux de
cette décision, et ne désirant rien tant que d'être martyr de l'obéissance, il
ne se fit plus scrupule de marcher en plein jour à travers les villes, même
où les Huguenots semblaient être les maîtres. On cria souvent au papiste
sur lui ; souvent il fut poursuivi d'un village à l'autre par la populace à
coups de nierres et de bâtons. Il reçut même à l'épaule gauche une blessure
616 17 mai.
dont il demeura estropié le reste de sa vie. Etant près d'Orléans, il se vit
environné d'une troupe de gens qui le mirent sur la religion, et lui deman-
dèrent s'il croyait que le corps de Jésus-Christ était dans le sacrement de
l'Eucharistie. Sur la réponse qu'il leur fit, ils voulurent entrer en contro-
verse avec lui, pour se donner le plaisir de l'embarrasser par leurs subti-
lités. Mais quoiqu'il n'eût de la science théologique qu'autant qu'il avait
plu à Dieu de lui en communiquer par infusion, et qu'il ne sût point d'autre
langue que celle de son pays, il les confondit de telle sorte, qu'ils ne purent
lui répliquer qu'à coups de pierres. Il en fut quitte pour quelques bles-
sures; étant heureusement sorti de leurs mains, il passa devant la porte
d'un château, où il demanda par aumône un morceau de pain, comme il
avait coutume de faire lorsqu'il était pressé par la faim. Le maître du lieu
était un gentilhomme huguenot, grand ennemi des catholiques, et il était
à table lorsqu'on lui dit qu'il y avait à la porte une espèce de moine en fort
mauvais équipage qui demandait l'aumône. Il le fit entrer ; et après avoir
longtemps considéré son habit déchiré, et son visage basané, il jura que
c'était un espion espagnol, et il se préparait à le faire mourir, si sa femme,
qui en eut compassion, ne l'eût fait secrètement mettre à la porte, mais sans
songer à lui donner un morceau de pain. Une pauvre femme catholique du
village voisin lui fit cette charité ; et, lorsqu'après avoir repris ses forces, il
se ci oyait en quelque sûreté, il pensa être sacrifié de nouveau à la fureur
de la populace que son habit avait attirée. Un de la bande le saisit, sans
s'expliquer sur ce qu'ii voulait faire, et le jeta dans une étable qu'il ferma
à la clef. Pascal se prépara toute la nuit à mourir le lendemain ; mais au
lieu de la mort qu'il attendait, celui qui l'avait renfermé vint lui apporter
l'aumône, et le fit sortir deux heures après le soleil levé. Il arriva enfin à
Paris après avoir essuyé mille dangers, et en partit pour retourner en Espa-
gne dès qu'il se fut acquitté de la commission qui l'avait fait venir en France.
En chemin, il vit venir à lui un cavalier qui, sans le saluer, lui mit la pointe
de la lance contre la poitrine, et lui demanda : Ou est Dieu? Pascal, sans
s'effrayer, mais aussi sans avoir le temps de réfléchir, lui répondit : II est
dans le ciel. Le cavalier retira aussitôt sa lance, et s'en retourna sans rien
dire de plus. Notre Saint, d'abord étonné de cette conduite, la comprit en y
réfléchissant davantage; le soldat l'avait épargné, parce qu'il s'était con-
tenté de dire que Dieu est dans le ciel ; s'il avait ajouté qu'il est aussi dans
la sainte Eucharistie, il l'aurait percé de sa lance. Pascal s'affligea d'avoir
ainsi perdu la couronne du martyre, et il crut que Dieu l'en jugeait indi-
gne, puisqu'il ne lui avait pas mis cette réponse dans la pensée. Mais il
remporta la couronne de l'obéissance, pour laquelle il avait à toute heure
exposé sa vie dans le cours d'un si long voyage.
A son retour en Espagne, il continua de donner à ses frères les exemples
de toutes les vertus monastiques. Plus il devenait méprisable à ses propres
yeux, plus il s'attirait l'estime et le respect des autres. Ils avaient une si
haute opinion de sa sagesse et de sa pénétration dans les choses de Dieu,
qu'ils le consultaient plus volontiers que leurs docteurs les plus habiles. Les
gardiens des couvents lui confiaient l'inspection de la maison en leur
absence, au préjudice des prêtres et des anciens de la communauté. Les
maîtres des novices en usaient de même ; ils se déchargeaient quelquefois
de leurs emplois sur lui, sachant combien ses instructions étaient capables
de faire impression sur l'esprit de leurs élèves. Le Père Ximenès, célèbre
professeur de théologie, et le premier biographe de notre Saint, assure qu'il
trouvait dans ses entretiens, sur les points les plus difficiles de la science
SATNT PASCAL LAYLON, RELIGIEUX DE L ORDRE DE SAINT -FRANC 01 S. 617
sacrée, des lumières qu'il n'avait point vues dans les livres des plus fameux
docteurs.
Le Père Emmanuel Rodriguez, savant renommé, dit avoir éprouvé la
même chose. Deux théologiens de la Compagnie de Jésus, ayant causé avec
lui sans le connaître, le prirent pour un savant. Ils furent bien étonnés
quand ils surent que ce n'était qu'un simple Frère, qui n'avait jamais ap-
pris la théologie ailleurs que dans l'oraison et devant le crucifix ; ils com-
prirent que Notre-Seigneur communique quelquefois à ses fidèles disciples
plus de science que les études les plus longues.
Pascal Baylon a composé de petits, mais admirables traités sur la na-
ture et les perfections de Dieu, sur le mystère de la sainte Trinité et sur
celui de l'Incarnation du "Verbe ; il en a aussi écrit d'autres sur la ma-
nière de faire l'oraison, sur les trois degrés de la perfection chrétienne,
sur la grâce, sur les anges, et sur plusieurs autres semblables matières de
piété ; ce fut la lecture de ces ouvrages qui fit dire à l'illustre Dom Jean de
Ribera, archevêque de Valence et patriarche d'Antioche, parlant au Provin-
cial des Frères Mineurs : « Ah 1 mon père, à quoi nous servent nos études
si pénibles, puisque les simples deviennent bien plus savants par l'exercice
de l'humilité et de l'oraison, que nous en consumant nos yeux et notre vie
sur les livres ; ils s'élèvent au ciel pendant que nous rampons sur la terre,
et ils en ravissent la possession par leur simplicité, pendant que notre
science, enflée d'orgueil, nous donne un juste sujet de craindre d'en être
bannis éternellement ».
Le don des miracles accompagnait, chez notre Saint, celui de la science.
Ayant appris, dans un voyage, que la peste désolait une ville située sur
son chemin, loin de s'en détourner, il se hâta d'y aller, exhorta les habitants
à se repentir de leurs péchés, pria pour eux, et le fléau disparut aussitôt.
Par une prière, il obtint de Dieu la guérison d'un asthmatique qui ne pou-
vait plus respirer.
Son supérieur lui commanda de faire le signe de la croix sur un reli-
gieux qui avait une hémorrhagie si dangereuse, que les médecins désespé-
raient de sa vie : le Saint n'eut pas plus tôt obéi, que le sang cessa de
couler et que le malade recouvra toutes ses forces. Le procès-verbal qui fut
fait peu de temps après sa mort, par autorité de l'Eglise, fait mention d'une
infinité de personnes qui déclarèrent avec serment qu'elles avaient été
guéries de diverses maladies par la vertu du signe de la croix que ce reli-
gieux avait fait sur elles.
Dieu accorda encore à notre Saint le don de prévoir les choses à venir.
Etant un jour avec un prédicateur qu'il accompagnait dans la maison d'un
homme riche qui était du Tiers Ordre de Saint-François, il pria cet homme,
avant de souper, de mettre ordre au plus tôt à sa conscience et à ses af-
faires domestiques, lui disant qu'il n'avait plus que très-peu de temps à
vivre. L'événement vérifia la prédiction du Saint, car l'hôte, après s'être
confessé et avoir mis ordre aux affaires de sa maison, fut frappé d'apoplexie,
et mourut peu ce temps après. Il donna un semblable avertissement à un
chanoine de ses amis, qu'il fit confesser et auquel il fit recevoir l'Extrême-
Onction et le saint Viatique ; cet ecclésiastique mourut une heure après. Il
en usait de même avec tous les malades qu'il visitait, leur prédisant infailli-
blement l'issue de la maladie, ou pour la santé ou pour la mort, les exhor-
tant toujours à se confesser et à se mettre bien avec Dieu.
Ces faveurs célestes, ces vertus, le bien que Pascal faisait, rendaient les
démons furieux. Iîs lui livrèrent les plus rudes combats ; quelquefois, ils
618 17 mai.
s'élançaient sur lui en forme de lions et de tigres, comme pour le dévorer ;
quelquefois ils tâchaient de l'épouvanter par des figures horribles ; ils le
frappaient avec tant de rage que son corps en devenait tout livide; ces com-
bats et les coups qu'il y recevait étaient si réels, que les religieux, qui en
entendaient le bruit, étaient souvent obligés d'accourir à son secours; mais
le Saint, parfaitement aguerri contre ces ennemis du salut et de la perfec-
tion des nommes, ne s'effrayait plus de leurs attaques. Changeant alors de
tactique, les démons se contentèrent de lui suggérer intérieurement des
sentimenls de vanité ; ou bien ils lui apparaissaient sous des figures célestes,
tantôt de son ange gardien, tantôt de saint François d'Assise, et môme de
la sainte Vierge, dans le dessein de réveiller son amour-propre, en lui fai-
sant croire qu'il était un grand saint, étant honoré de la visite des bien-
heureux esprits. Quand Pascal eut découvert cet artifice, l'ennemi de nos
âmes eut recours à un autre : il s'offrait à lui les bras étendus en forme de
croix, versant beaucoup de sang de toutes les parties du corps, disant au
Saint qu'il venait lui donner des marques de son amour et de son estime,
de ce qu'il était le seul au monde qui prenait part à ses souffrances et aux
opprobres qu'il avait supportés dans sa passion ; mais le Saint, divinement
éclairé, découvrant cette nouvelle ruse, dit à cet ange de ténèbres, dont il
méprisait les fausses lumières : « Quoi ! loup ravissant, oses-tu paraître sous
la peau de cet agneau divin qui t'a vaincu par sa mort, et qui t'a banni du
monde par le triomphe de sa croix? Retire-toi d'ici, misérable orgueilleux,
et sache que ceux qui tâchent de devenir les véritables disciples de sa croix
De craignent pas plus tes ruses et tes artifices que les vains efforts extérieurs
de ta malice ». A ces puissantes paroles, prononcées dans l'esprit d'une foi
vive et d'une parfaite confiance en Dieu, le démon se retira tout confus,
faisant un bruit si terrible, que tous les religieux du couvent de Villa -
Real, où était alors le bienheureux Pascal, en furent épouvantés. Ce ne fut
pas lu, néanmoins, la dernière attaque que Satan livra au saint Religieux.
Il y avait en la ville de Valence, où notre Saint demeurait alors, une
jeune demoiselle, très-bien faite, en laquelle tout le monde admirait une
haute vertu jointe à. une grande beauté ; comme elle savait que le bienheu-
reux Pascal vivait en odeur de sainteté, elle le voyait quelquefois pour lui
demander des avis spirituels, et il les lui donnait par charité, comme à
tous les autres qui le consultaient sur l'affaire de leur salut; cette jeune
fille fut charmée des excellentes instructions qu'elle recevait de ce saint reli-
gieux, et, comme il était portier, elle forma le dessein de le venir voir plus
souvent, ayant une grande facilité pour le trouver quand elle voudrait. Les
entrevues furent d'abord toutes spirituelles, comme dit saint Paul : mais
le démon en profita pour tendre au Saint un piège très-dangereux. Il
excita peu à peu dans le cœur de la jeune fille de la passion pour Pascal.
Elle lui rendit des visites plus assidues, et, un jour qu'elle savait que tous
les religieux étaient retirés, elle vint sonner à la porte pour parler au frère
Pascal, qui était alors devant le Saint-Sacrement ; il vint, et sa modestie
ordinaire jointe à un discours rempli de piété, rendit d'abord la jeune fille
tout interdite ; mais soutenue qu'elle était par le malin esprit, qui la gou-
vernait en ce moment, elle commença à lui parler d'une manière plus
humaine et plus obligeante qu'à l'ordinaire; c'en fut assez pour faire con-
naître à ce religieux très -éclairé qu'elle servait d'organe au démon dans ce
moment pour le tenter; il lui fit aussitôt une très-sévère réprimande, et, la
chassant sur-le-champ avec indignation, il retourna en diligence aux pieds
des autels, d'où il venait, et il y rendit grâces à Dieu de l'avoir préservé
SAINT PASCAL BAYL0N, RELIGIEUX DE L'ORDRE DE SAINT-FRANÇOIS. 619
de ce danger, et le pria d'éclairer l'esprit de cette jeune fille, qui s'était lais-
sée surprendre par le démon : c'est ainsi que les vrais amis de la pauvreté
triomphent des plus fines adresses de tout l'enfer.
Une de ses plus ordinaires occupations était de donner des avis salu-
taires à ceux qu'il savait être trompés par les illusions du démon, sous de
faux prétextes de piété. Un jeune religieux de Valence se chargeait de très-
rudes mortifications, et ne manquait point de se discipliner tous les jours
avec une extrême sévérité, quoiqu'il ne laissât pas d'ailleurs d'être fort im-
parfait et très-négligent dans tous ses devoirs ; le Saint, qui le surprit un
jour dans le temps qu'il se maltraitait ainsi dans l'église, en ayant com-
passion, lui découvrit charitablement l'illusion dans laquelle le démon l'en-
tretenait ; à peine eut-il éclairé cet aveugle, que le prince des ténèbres, qui
en faisait auparavant son jouet, se retira.
Un prédicateur, qui avait une manière de prêcher toute mondaine, et
qui ne s'étudiait qu'à la politesse du discours, changea cette manière, sui-
vant les avis du frère Pascal, fit dans la suite des conversions très-admi-
rables et fut infiniment plus estimé qu'auparavant. Il exhortait d'ordinaire
tous les prédicateurs à étudier l'Evangile au pied du crucifix, plutôt que
de chercher des pensées dans les livres, et il leur conseillait de méditer, en.
la présence de Dieu, ce qu'ils désiraient annoncer au peuple, afin d'être
eux-mêmes persuadés des vérités qu'ils voulaient enseigner aux autres;
car, disait-il, il est certain que la langue ne parle jamais qu'aux oreilles,
et qu'il n'y a que le cœur du prédicateur qui parle au cœur des auditeurs.
Pascal avait une tendre dévotion pour la divine Eucharistie. Il passait
des heures entières prosterné devant le tabernacle où résidait Notre-Sei-
gneur, et plus d'une fois alors son esprit était ravi en Dieu ; le corps le sui-
vait même, de sorte qu'on le voyait suspendu en l'air par l'effet de l'amour
divin.
Lorsqu'il ne pouvait se rendre dans l'église pour contenter sa dévotion
envers Jésus-Christ, il s'y transportait en esprit, se prosternant plusieurs
fois le jour contre terre pour adorer son Sauveur, avec la même ferveur
que s'il avait été au pied de ses autels. Il était merveilleusement soutenu
dans cette dévotion par le souvenir d'une grâce singulière qu'il avait reçue
autrefois, n'étant encore que berger : gardant un jour son troupeau, il
avait entendu une cloche qui lui faisait connaître qu'on élevait la sainte
hostie pendant la messe, dans une église voisine ; s'étant prosterné au mi-
lieu des champs pour l'adorer, il arriva que cette hostie lui apparut dans le
lieu où il était, soutenue par la main des anges, qui l'offraient à ses adora-
tions. Cette faveur extraordinaire le remplit toute sa vie d'une si douce
consolation, qu'il n'y pensait jamais sans de grands transports de joie et de
très-humbles actions de grâces.
Il honorait aussi et aimait singulièrement la Mère de Dieu, lui deman-
dant sans cesse, par son intercession, d'éviter le péché et de faire une sainte
mort. Un jour, comme il se trouvait à l'église du couvent de Villa-Réal, au
royaume de Valence, assistant à la sainte messe, Dieu lui révéla qu'il mour-
rait bientôt; il se mit alors à pousser des cris d'allégresse. Etant sorti de
l'église pour rentrer chez lui, il embrassa les personnes de sa connaissance
qu'il rencontra dans la rue, leur faisant ses adieux et leur annonçant cette
heureuse nouvelle. Peu de temps après, il tomba sérieusement malade.
Jusque-là il n'avait jamais permis qu'on lui lavât les pieds, quoique cette
pratique fût dans les usages monastiques ; mais la veille de sa mort il pria
lui-même un frère du nom d'Alphonse de lui laver les pieds avec de l'eau
620 17 mai.
chaude. Le frère lui ayant demandé la raison de cette prière insolite, Pas-
cal répondit : « Je recevrai aujourd'hui l'Extrême-Onction ; il faut donc
que mes pieds soient propres ». En effet, le supérieur ayant vu que le saint
était très-dangereusement malade, le fit transporter à l'infirmerie, où, le
lendemain, on l'administra. Il reçut les sacrements avec une tendre piété,
puis s'endormit doucement dans le Seigneur, après avoir remercié Dieu
de tous les bienfaits qu'il en avait reçus pendant sa vie, et après avoir
invoqué trois fois le saint nom de Jésus, l'an 1592, le dimanche de la
Pentecôte, au moment de l'élévation de la sainte hostie. Il avait cinquante-
deux ans.
Le grand concours de peuple qui venait implorer le secours du Saint
contraignit de ne faire ses obsèques que trois jours après sa mort; une
infinité de miracles, vérifiés juridiquement, se firent alors à son tom-
beau. On voit encore, disait le Père Giry au xvne siècle, son corps sans
marque de corruption, témoignage éclatant de la sainteté de sa vie. Ce
qu'il y a de plus admirable et de plus surprenant, c'est de voir que
le corps de ce grand serviteur de Dieu a toujours les yeux ouverts, aussi
vifs et aussi brillants que s'il était en vie. Des personnes de grand mérite
ont assuré avec serment, dans le procès-verbal dressé par l'évoque dio-
césain et par les autres commissaires, députés du souverain Pontife, qu'ils
lui ont vu plusieurs fois fermer les yeux dans le temps de l'élévation de la
sainte hostie, à la messe conventuelle, comme si son cœur était encore
vivant et animé du même amour, et touché du même respect qu'il avait
pour l'adorable sacrement de l'autel pendant sa vie.
Tn miracle particulier à saint Pascal Baylon, et qui l'a surtout rendu
célèbre après sa mort, ce sont les petits coups frappés sur sa châsse, ses
reliques, ses images : ces coups annoncent à ses dévots le succès de la
prière qu'ils lui ont adressée.
Un donne pour attributs, dans les arts, à saint Pascal Baylon:!0 un calice
surmonté d'une hostie : sa vie et sa tendre dévotion à l'Eucharistie donnent
l'intelligence de ce symbole ; 2° un troupeau, près duquel ii est à genoux
récitant son rosaire.
Le pape Paul V, ayant fait faire toutes les informations requises, permit d'abord aux se'culiers et régu-
liers du royaume de Valence de faire l'office de ce grand serviteur de Dieu comme d'un Bienheureux,
par un bref donné a Rome l'an 1618, le 29 octobre; il étendit, deux ans après, cette permission à ceux
du royaume de Castille et d'Aragon, et Grégoire XV accorda la même grâce h tous les religieux de Saint-
François d'Assise, en l'année 1621. Enfin, Alexandre VIII, d'heureuse mémoire, a procédé dans toutes
les formes à la solennité de sa canonisation, par une bulle du 1er novembre de l'an 1680, l'inscrivant au
Catalogue des Saints, avec saint Jean de Capistran, aussi du même Ordre, et saint Jean de Sahagnn,
•aint Jean de Dieu et saint Laurent Justinien. Voir les Bollaudistes, mai, t. iv, et A. Stolz.
SAINT TROPEZ, OFFICIER DE NÉRON, MARTYR (ier siècle).
Saint Tropez était un noble romain qui faisait partie des officiers de la maison de Néron. Il
dut être converti de bonne heure, puisque saint Paul parle de lui dans la lettre qu'il écrivit de
Rome aux Philippiens.
Or, il arriva que Néron fit élever un temple et une statue à Diane, dans la ville de Pise: il alla en
personne assister à la dédicace de ce temple et ordonna à tous ses serviteurs d'adorer la déesse.
Tropez s'y refusa et prit même la liberté de démontrer à l'empereur l'inanité du culte des idoles. Le
courageux chrétien n'ignorait pas comment un Néron traitait ceux qui lui déplaisaient : il résolut
donc de se préparer à la lutte suprême et alla demander le baptême à un saint prêtre nommé
Antoine qui se tenait caché dans une grotte des environs de Pise. Là un ange lui apparut et for-
tifia son âme. De retour à Pise, Néron le fit sommer d'obéir ; mais l'énergique chrétien resta iné-
SAINT POSSIDIUS, ÉVÊQUB DE CALAME. 621
branlable : il fut remis entre les mains de Sattelicus, un de ses proches, qui avait reçu la mission
de le faire mourir.
Satlelicus le jeta en prison et l'y laissa deux jours sans nourriture : ce terme expiré, il le fit
attacher à une colonne où les exécuteurs le flagellèrent si inhumainement que bientôt tout son
corps ne fut plus qu'une plaie sanglante. Mais voilà que, pendant l'exécution, la colonne chancela
sur sa base et écrasa dans sa chute le juge et cinquante des assesseurs ou spectateurs. Sylvin, le
fils de Satlelicus, condamna ensuite le Martyr à la roue, puis au supplice des bêtes : le lion
auquel on l'exposa vint mourir à ses pieds, et le léopard qu'on lâcha sur lui vint le caresser. A
ce spectacle, Evellius,un des conseillers de l'empereur, se convertit et eut le bonheur, plus tard, de
couronner sa vie par le martyre à Rome.
Sylvin, transporté de colère, fit conduire Tropez hors des portes de Pise où on lui trancha la
tête : c'était le 3 des calendes de mai ; toutefois on célèbre sa fête aujourd'hui à cause de la
merveilleuse translation de son corps. Ce dépôt sacré ayant en effet été jeté dans une barque
avariée sans voiles et sans rameurs, au lieu de sombrer dans les flots, arriva sur le3 côtes de
Fréjus, et s'échoua dans le golfe de Grimaud. Il fut recueilli par les chrétiens de la contrée.
Lorsque l'ère des persécutions païennes fut passée, on éleva une église à l'endroit où étaient les
reliques de saint Tropez. Le golfe, où avait abordé la barque, prit le nom du Saint : il en fut de
même de la ville et du prieuré qu'on bâtit plus tard au même lieu. Les religieux de Saint-
Victor de Marseille ont possédé l'église de ce Saint dès l'aunée 1056 ; le prieuré, qu'ils y avaient
établi, fut plus tard mis en commende.
Quant aux reliques du Saint, on les a vainement cherchées à deux reprises différentes dans le
cours du xvne siècle.
Les attributs de saint Tropez dans les arts sont la nacelle conduite par un ange de Pise, en
Provence, le lion et le léopard.
AA. SS.; Propre de Fréjus; Histoire de saint Paul, par M. l'abbé Vidal; notes locales fournie» par
M. le curé de Saint-Tropez.
SAINT POSSIDIUS,
ÉVÊQUE DE CALAME, EN NUMID1E, BIOGRAPHE DE SAINT AUGUSTIN.
Possidius, un des plus célèbres disciples de saint Augustin, fut élu, en 397, évèque de Ca-
lame, ville de Numidie. Les Donatistes et les païens donnèrent beaucoup d'exercice à son zèle. Les
premiers, s'étant ligués contre lui en 404, le chassèrent de sa maison, le traitèrent cruellement,
et en vinrent presque jusqu'à lui ôter la vie. Il ne se vengea d'eux qu'en demandant leur grâce à
l'empereur.
Quatre ans après, les païens, ayant célébré leur fête sacrilège du premier jour de juin, eurent
l'insolence de danser autour de l'église, d'y jeter des pierres et d'y mettre le feu. Ils blessèrent
plusieurs ecclésiastiques, en tuèrent un, et auraient traité les autres de la même manière s'ils
n'eussent pris la fuite. Ceux des païens qui n'avaient point eu de part à ces excès craignirent
qu'on ne les enveloppât dans la punition des coupables. Nectaire, leur chef, écrivit à saint Augus-
tin, pour le prier de prévenir les effets de la justice de l'empereur. Il se fondait principalement,
dans sa lettre, sur l'obligation où étaient les pasteurs chrétiens de se consacrer aux œuvres de
miséricorde, et de montrer qu'ils sont des anges de paix. Possidius s'intéressa aussi pour les cou-
pables ; en sorte que les ordres de l'empereur portèrent seulement que l'on briserait les idoles
des païens, et qu'à l'avenir il ne leur serait plus permis ni d'offrir de sacrifices, ni de célébrer
leurs fêtes superstitieuses.
Lorsqu'on apporta les reliques de saint Etienne en Afrique, vers l'an 410, Possidius en obtint
nne portion dont il enrichit l'église de Calame. Nous apprenons de saint Augustin J qu'il s'opéra
alors plusieurs miracles par la vertu de ces reliques.
On ne peut douter que Possidius n'ait été du nombre des évèques qui établirent parmi les
clercs de leur cathédrale la règle monastique instituée par saint Augustin. Ce Saint parle lui-
même des pauvres religieux de Calame.
1. L. xxii, de Ciuit., c. 8.
622 i7 sai.
L'invasion des Vandales mit à de rudes épreuves la patience et le zèle de saint Possidius. Ces
barbares, accoutumés depuis longtemps au carnage, passèrent d'Espagne en Afrique au nombre
de quatre-vingt mille, lis se furent !> entôt rendus maîtres de la Mauritanie, de la Numidie et de la
province proconsulaire; il n'y eut que trois places qui leur résistèrent : Cartilage, Cirte et Hip-
pone. ils pillèrent tout le pays et toutes les villes qui se trouvèrent sur leur passage. Calame fut
entièrement ruinée, et il ne parait pas qu'elle se soit jamais relevée de sa chute.
Durant la fureur de la guerre, Possidius se retira à flippone. 11 y ferma les yeux à saint Augus-
tin, qui mourut en 430 pendant le siège de la ville, laquelle bientôt après tomba entre les mains
des barbares. Il écrivit la vie de son cher maître, à laquelle il joignit le catalogue de ses ou-
vrages. Depuis ce temps-là il vécut toujours séparé de son troupeau. On ignore le lieu et l'année
de sa mort.
Les Italiens prétendent que saint Possidius passa d'Afrique en Italie, et qu'il mourut à la
Mirandole. Celte ville, ainsi que celle de Reggio, l'honorent comme leur patron. Les Chanoines
réguliers font sa fête le 17 mai, et le comptent parmi les plus illustres Pères de leur Ordre.
Voyez la Vie et les écrits de saint Augustin. Voyez aussi le Père Papebroch, t. iv, maii, et Dora Ceil-
lier. Le savant je'suite montre que l'on ne doit point confondre saint Possidius avec Possidonius, évêque
en Afrique, qui est quelquefois nommé dans les mêmes eonciles.
SAINT MONTAIN OU MONTAN, ERMITE A LA PÈRE (ve siècle).
Tandis que les Gaules, au v« siècle, étaient le théâtre des guerres, des concussions et des rapines,
un solitaire, nommé Montain ou Montan l, vivait sur la Cher, près de Juvigny, dans le Luxembourg.
Formé à la vertu dès l'enfance, il vivait séparé du monde pour n'avoir de commerce qu'avec Dieu
et se livrer tout entier aux exercices de la pénitence. Inquiété dans sa retraite par les courses
des Barbares, il la quitta et alla chercher une solitude plus profonde à La Fère (Aisne), lieu alors
rempli de bois, environné de précipices et de marais. Là. Montan, tout occupé des besoins de l'Eglise
troublée par les guerres et par l'hérésie de Nestorius que le concile général d'Ephèse ('421) venait de
condamner, ne cessait d'implorer le secours du ciel. Ses prières ne furent pas sans effet 2. Un jour
que Montan reposait d'un léger sommeil, il fut par trois fois averti de prédire àCélinie, noble dame
de la contrée, qu'elle aurait un fils, et de lui en déclarer en même temps le nom et les mériies. Tout
à coup il lui semble que, par une grâce divine, il est transporté au milieu du chœur des anges et
de l'assemblée des saintes âmes, tenant ensemble conseil et conférant de la subversion ou de la
restauration de l'église des Gaules : tous déclarent que le temps est venu d'avoir pitié d'elle ; et,
en même temps, une voix qui retentit avec douceur se fait entendre d'un lieu plus élevé et plus
secret : « Le Seigneur a regardé du Saint des Saints, et du ciel en la terre, pour entendre les
gémissements de ceux qui sont enchaînés, et pour briser les fers des 61s de ceux qui ont péri,
afin que son nom soit annoncé parmi les nations, et que les peuples et les rois se réunissent
ensemble pour le servir ». — La voix disait « que Célinie concevrait un fils, nommé Rémi, auquel
le peuple serait confié pour être sauvé 3 ».
Après avoir reçu une si grande et si douce consolation, le saint personnage, trois fois averti
d'accomplir sa mission, vint annoncer à Célinie l'oracle de la céleste vision. Or, cette mère bien-
heureuse avait eu longtemps auparavant, dans ia fleur de sa jeunesse, de son seul et unique mari,
Emile, un fils nommé Principe (ou Prince), depuis évèque de Soissons, et père de saint Loup, son
successeur à l'épiscopat de la rsème ville : la bienheureuse Célinie s'étonne ; elle ne peut com-
prendre comment, déjà vieille, elle enfantera un fils et le nourrira de sou lait, d'autant que son
rnan et elle-même, grandement avancés en âge, épuisés et stériles, n'avaient plus ni espoir ai
désir d'avoir désormais des enfants. Mais le bienheureux Montan, devenu aveugle pour un temps,
afin que les mérites de la patience abondassent en lui, déclare à Célinie que ses yeux doivent être
arrosés de son lait et qu'aussitôt il recouvrera la vue. Cependant les bieuheureux parents se livrent
à la joie d'une si grande consolation, et, quand le moment est arrivé, le futur pontife de Jésus-
Christ vient au monde heureusement et reçoit, sur les saints fonts de baptême, le nom de Rémi.
L'heureuse promesse faite au saint Prophète est aussi fidèlement accomplie : car, pendant l'allai-
tement, ses yeux sont arrosés du lait de la bienheureuse mère Célinie, et il recouvre la vue par
les mérites de l'enfant *. — Dom Lelong dit « que c'est à Cerny, où était le château de Célinie,
1. Montanus. — 2. D. Lelong. — 3. Flodoard. — 4. Id., liv. i«r.
SAINT BRUNON, ÉVÊQUE DE ^TJRTZBOURG. 623
que la scène précédente se serait passée ». — Si Montan vécut encore quelques années après avoir
recouvré la vue, il retourna dans sa solitude de La Fère, au lieu dit la Fosse de Saint-Montan ;
il y mourut le 17 mai. La ville de La Fère et sa collégiale ont pris pour patron saint Montan. On
conserve, encore aujourd'hui, une petite portion de ses reliques à l'église paroissiale et à !a cha-
pelle de l'Hôtel-Dieu ; elles ont été reconnues authentiques par Mgr Leblanc de Beaulieu. La fête
du Saint se célèbre à La Fère avec une grande solennité le 17 mai; et, pendant les neuf jours
suivants, les fidèles continuent de venir vénérer ses reliques. — La cathédrale de Laon possédait
autrefois le chef et un bras du saint solitaire ; l'abbaye de Juvigny avait la principale partie de
ton corps.
Henri Congnet, doyen du Chapitre. — Soissous, le 17 août 186S.
G. Flodoart, Histoire de l'église de Reims, liv. i« ; D. Lelong, Histoire du diocèse de Laon, p. SI.
SAINTE FRAMECHILDE OU FRAMEUZE (685).
Sainte Framechilde, mère de sainte Austreberte, était issue d'une famille puissante du pays des
Allemands, et elle épousa Badefroy, noble seigneur de la cour de Dagobert II.
Les anciens hagiographes unissent ces deux noms et disent que Badefroy et sainte Framechilde
étaient « l'un et l'autre d'une très-haute vertu et d'une grande sagesse de conduite, fermes dans
la foi, remarquables par leur charité et leur amour de la justice, nourrissant leurs âmes des
saintes espérances de la religion, et se faisant un devoir et un bonheur de secourir les pauvres
de Jésus-Christ ».
La vie de sainte Austreberte, leur fille, nous apprend l'opposition momentanée qu'elle rencontra
à son projet de consacrer à Dieu sa virginité : Badefroy dut en être le principal et peut-être
l'unique auteur. Pour la bienheureuse Framechilde, elle pouvait reconnaître, dans ces instances de
sa fille, la vérité d'une vision qu'elle avait eue, dit-on, avant sa naissance, et dans laquelle on lui
apprenait que l'enfant qu'elle portait dans son sein, attirerait beaucoup d'âmes à Jésus-Christ. Cette
parole eut, en effet, son entier accomplissement, à commencer du jour où Austreberte se retira
au monastère de Port, près d'Abbeville.
On ne connaît rien de plus de la vie de sainte Framechilde, qui mourut le dix-septième jour
de mai, vers l'an 685 : on l'enterra dans l'église de Marconne, qu'elle avait fait bâtir elle-même.
Son corps fut levé de terre en 1030, par Bauduin, évêque de Thérouanne. Ses reliques reposaient
dans l'abbaye de Moutreuil-sur-Mer, fondée par sainte Austreberte : on en gardait aussi une partie
dans l'église collégiale et paroissiale d'Hesdin. La châsse de Moutreuil fut détruite le 29 vendé-
miaire, an II : on en avait retiré quelques ossements qui sont encore vénérés aujourd'hui à l'église
paroissiale de cette ville, et qui ont été authentiqués en 1803 et 1S05 par Mgr de la Tour d'Au-
vergne, évêque d'Amiens. Sainte Framechilde est honorée le 17 mai. Dans le diocèse d'Amiens,
dont dépendait autrefois Marconne, qui fait actuellement partie du diocèse d'Arras, ou invoquait
spécialement sainte Frameuze pour les maux de tète.
M. l'abbé Destombes et M. Corblet.
SAINT BRUNON, ÉVÊQUE DE WURTZBOURG (1045).
Ce Saint était fils de Conrad, duc de Carinthie, et de Mathilde, de la maison des comtes dfe
Querfurt et de Mansfeld, nièce de saint Brunon, évêque et apôtre de la Prusse, qui fut martyrisé
en 1008.
Brunon fut élevé avec beaucoup de soin dans la piété et dans les sciences, et il donna de
grandes preuves des progrès qu'il avait faits dans l'une et dans l'autre étude, par divers ouvrages
remarquables que nous avons de lui sur les psaumes et les cantiques de l'Eglise.
On ne connaît pas en détail l'histoire de sa vie ; on sait seulement que son mérite extraordi-
naire le fit élire en 1033 évêque de Wurtzbourg, et qu'il donna à son troupeau tous les soins
d'un pasteur vigilant, éclairé et charitable. 11 employa son bien à nourrir les pauvres, à bâtir de
nouvelles églises et à rétablir les anciennes. La cathédrale de Saint-Kilien, à Wurtzbourg, est en-
core aujourd'hui l'uu des principaux monuments de sa magnificence et de sa piété.
624 18 mai.
Vers l'an 1037, il atcompagna à Milan l'empereur Comid le Saîïque, son proche parent, qui
fit diverses expéditions dans cette partie de l'Italie, pour la nmener sous son obéissance. On dit
que saint Ambroise apparut à cette occasion à notre Saint, qu'il menaça l'empereur de grandes
calamités, s'il ne se désistait de son dessein de faire sentir à cett? ville les effets de sa colère,
et que Conrad, cédant aux représentations de Brunon, ût grâce aux révoltés.
En 1045, il se trouva engagé à faire le voyage de Hongrie avec l'ernpereur Henri III, dit le
Noir, et plusieurs princes d'Allemagne, qui allaient rétablir le roi Pierre sur son trône. L'empe-
reur et toute sa cour, au sortir d'Autriche, allèrent loger au château de Rosenbour, près de la
ville d'Ips sur le Danube, à l'entrée de la Haute-Hongrie. Comme on se mettait à table, le plancher
de la salle s'effondra tout à coup, et fit tomber avec lui sous les ruines tous les convives. La plu-
part y furent écrasés ou estropiés, plusieurs y moururent sur-le-champ. L'empereur, qui s'était
heureusement accroché à une fenêtre, fut le seul qui ne fut pas blessé ou qui ne le fut que légè-
rement. Le saint évêque de Wurtzbourg eut le corps tellement brisé, qu'on ne put pas même le
transporter hors du château. Il mourut le septième jour après ce funeste accident, qui était
arrivé la nuit du 20 mai. On rapporta son corps à Wurtzbourg, où il fut mis avec grande so-
lennité dans la crypte de son église cathédrale, dont il fut qualifié le fondateur dans son épi-
taphe.
Aventin, dit Baronius, a écrit dans ses Annales de Bavière de nombreux mensonges sur le
compte de saint Brunon, évêque de Wurtzbourg. Aux impudentes inventions de ce calomniateur,
on peut opposer les registres de Grégoire IX et d'Innocent IV. On y trouve des lettres de ces
deux pontifes qui attestent les miracles du saint évêque. Voici un passage de la lettre de Gré-
goire IX : « Selon ce que notre vénérable frère, l'évêque Herman, notre cher fils, le doyen du
chapitre, le chapitre lui-même et le peuple de Wurtzbourg, nous ont fait savoir par leurs let-
tres et leurs envoyés, le Seigneur accorde une belle gloire à la pieuse mémoire de Brunon, évêque
de Wurtzbourg ; il fait éclater tant de miracles à son tombeau, qu'il nous parait convenable de
l'invoquer avec les autres Saints ».
Tiré de Ha»ss et Weis, t. vi, p. 514. Voyez les Bollandistes, t. iv, maii; Tritheme, de Script, eccles.;
Ignace Gropp, bénédictin de Saint-Etienne à Wurtzbourg, Collectio novissima scriptorum et rerum Wirce-
burgensium, t. i, p. 83; t. n, p. 103 usque ad 113, 60G et 681; et le Propnum Herbipolense. — Godescard,
édition de Bruxelles ; Baronius, notes au martyrologe.
XVIIIe JOUR DE MAI
MARTYROLOGE ROMAIN.
A Camerino, saint Venant, martyr, qui, à l'âge de quinze ans, acheva le cours de son glo-
rieux martyre par la décollation, sous l'empereur Dèce et le président Antiochus, avec dix autres
chrétiens. — En Egypte, saint Dioscore, lecteur, sur qui le juge exerça toutes sortes de cruautés,
jusqu'à lui brûler les côtés avec des torches; mais une lumière céleste, éclatant tout à coup,
effraya les bourreaux qui tombèrent par terre : en dernier lieu, il fut brûlé avec des lames
ardentes i, et consomma ainsi son martyre. — A Spolète, saint Félix, évêque, qui cueillit la
palme du martyre sous l'empereur Maximien s. — En Egypte, saint Potamon, évêque, qui confessa
1. Le supplice des lames ardentes est ancien; Plaute le mentionne dans son t Asinaria » : Stimulas,
laminse, cruces (act. 3); et Cicéron dans son « De Suppliciis » : Quid, cum ardentes laminx, ceterique cru-
ciatus admouebantur. Saint Cyprien, de la « Louange du Martyre » , s'exprime ainsi : Corpus extentum
candentes stridet ad laminas. Le corps étendu frémit au contact des lames incandescentes. Ce genre de
torture remplit les Actes des Martyrs. Les lois pénales de liome le reconnaissaient. (Baronius.)
2. Saint Félix était évêque de Spello et non de Spolète : ces deux villes ne sont, du reste, pas éloi-
gnées l'une de l'autre, et le siège épiscopal de la première fut îaCms, dan» la suite, transféré à la se-
MARTYROLOGES. 625
d'abord la foi sous Maximien-Galère, et fut ensuite couronné du martyre sous l'empereur Constance
et le président Philagrius, arien *. 341. — A Àncyre, en Galatie, saint Théodote, martyr, et les
saintes Thécuse, sa tante, Alexandra, Claudia, Faine, Euphrasie, Matrone et Julitte, vierges, les-
quelles furent d'abord exposées dans un lieu infâme par le juge, mais la puissance de Dieu les
garda, et alors on les jeta dans un marais avec une pierre au cou. Théodote ayant recueilli leurs
reliques, et leur ayant donné une honorable sépulture, le juge le fit arrêter, déchirer très-cruelle-
ment, et enfin achever d'un coup d'épée, ce qui lui valut la couronne du martyre. Vers 304. — A
Upsal, en Suède, saint Eric, roi et martyr. 1151. — A Rome, saint Félix, confesseur, de l'Ordre
des Mineurs Capucins, illustre par sa charité évangélique et sa simplicité, que le pape Clément XI
mit au rang des Saints. 1587.
MARTYROLOGE DB FRANCE, REVU ET AUGMENTÉ.
A Reims, saint MérolilaiQ, prêtre écossais, que des voleurs massacrèrent sur les bords de la
rivière d'Aisne, comme il allait en pèlerinage à Saint-Pierre de Rome. Son corps, ayant été enterré
secrètement, fut, depuis, découvert par des révélations célestes, qui firent connaître son mérite.
Ses reliques étaient dans l'église de Saint-Symphorien, à Reims, vin6 s. — A Toulouse, le bienheureux
Guillaume de Naurose, de l'Ordre des Ermites dits de Saint-Augustin. 1369. — A Salesches, en
Hainaut, saint Quinibert, curé de ce lieu, dont la mémoire était célèbre dans les abbayes de
Liesse, du Quesnoy et de Maroilles. IXe s. — En Auxerrois, le décès de saint Corcodème, diacre,
disciple de saint Pérégrin 2. iveg. — A Varzy, dans le diocèse de Nevers, fête de la translation
des reliques de sainte Eugénie, martyre, qui eut lieu le 18 mai 923 '.
MARTYROLOGES DES ORDRES RELIGIEUX.
Martyrologe des Basiliens. — A Reggio, dans le Brutium, saint Arsène le Jeune, abbé, de
l'Ordre de Saint-Basile.
Martyrologe des Franciscains. — A Rome, saint Félix.
ADDITIONS FAITES D'APRÈS LES BOLLANDISTES ET AUTRES HAGIOGRAPHES.
A Constantinople, les saints Urbain, Théodore, Ménédème, et soixante-dix-sept autres, prêtres,
clercs et laïques, martyrs. Les Ariens les embarquèrent sur un navire désemparé auquel ils mirent
le feu en pleine mer. 370. — En Perse, sainte Sira, vierge et martyre. Elle était belle-sœur de
sainte Golinducha dont le culte était célèbre à Constantinople dans l'église de Saint-Tryphon.
Golinducha vivait en concubinage lorsque la grâce parla à son cœur et fit d'une pécheresse une
Sainte. Quant à sainte Sira, c'était une jeune fille appartenant à une riche famille païenne : un
prêtre chrétien eu fit une héroïne de la chasteté et de la foi. 558. — A Glascow, en Ecosse, saint
Convall, archidiacre, disciple de saint Kentigern. Ses travaux apostoliques lui méritèrent l'hon-
neur d'avoir un office propre dans le Bréviaire d'Aberdeen. vu» s. — A San-Severino, dans la
Marche d'Ancône, la bienheureuse Camille Geutilli, de la famille des comtes de Novellaua; victime
des guerres civiles et intestines qui désolèrent l'Italie au xiv8 siècle, la bienheureuse Camille fut
mise à mort par son mari pour avoir continué d'entretenir des relations avec sa mère à laquelle le
seigneur Gentilli avait voué une haine aussi implacable qu'injuste. Le pape Grégoire XVI a ap-
prouvé, en 1841, le culte qui était rendu à la bienheureuse Camille de temps immémorial. — A
Shaftesbury *, dans le comté de Dorset, en Angleterre, sainte ifilgife ou Elgive, épouse du roi
Edmond, mère des rois Edwy et Edgard le Pieux. Edwy, abandonné aux caprices d'une courti-
sane, fit une fin prématurée : on dit que sa sainte mère lui obtint la grâce d'une conver-
sion tardive. Sainte Elvige fut ensevelie dans un monastère qu'elle avait fondé à Shaftesbury.
Vers 921.
conde. Une image du Saint, qu'on voyait autrefois à la cathédrale de Spolète, portait : S. Félix, epis-
copus de Hispello : ce pre'lat assista au célèbre concile de Sinuesse. (Voir la Vie de saint Marcellin, pape.)
Il est le patron de Spello. On l'invoque dans les maladies des enfants.
1. Voir la Vie de saint Athanase au 2 mai. — 2. Voir la Vie de ce dernier.— 3. Voir la Vie de sa in ta
Bugénie au 11 septembre.
4. Ville fondée en 8S0, par Alfred le Grand, grand-oncle du roi Edmond, mari de sainte Elglre.
Vies des Saints. — Tome V.
40
626 18 MAI.
SAINT VENANT DE CAMERINO, MARTYR
250. — Pape : Saint Fabien. — Empereur : Dèce.
La ville de Camerino, en Italie, a été le lieu de la naissance et le théâtre
du martyre du glorieux saint Venant. Il commença, dès l'âge de quinze ans,
à donner des marques éclatantes de son zèle pour la publication de l'Evan-
gile et à annoncer partout Jésus-Christ. Comme il faisait beaucoup de con-
versions, il fut bientôt déféré à Antiochus, gouverneur de Camerino, par
l'empereur Dèce , cruel persécuteur des chrétiens. Ayant appris que ce
préfet avait donné ordre de l'arrêter, il le prévint ; et, s'étant présenté devant
lui à la porte de la ville, il lui dit avec une fermeté vraiment apostolique :
« Les dieux que vous adorez, Antiochus, ne sont que des inventions du
démon. Ils ont été des hommes ou des femmes, et leur vie a été remplie de
toutes sortes de crimes; ces défauts ne sont-ils pas incompatibles avec la
véritable divinité? Reconnaissez donc un seul Dieu, Créateur du ciel et de
la terre, dont le Fils unique s'est fait homme, et est mort sur la croix pour
nous délivrer de la tyrannie du péché ». La fureur du gouverneur empêcha
le généreux confesseur de Jésus-Christ d'en dire davantage : ne pouvant
souffrir le mépris qu'il faisait de ses dieux, il le fit prendre par ses soldats et
leur commanda de lui faire endurer tous les supplices imaginables; ce qui
fut fait de la manière la plus cruelle.
En effet, ces barbares attachèrent le jeune Venant à un poteau et le
fouettèrent avec tant d'inhumanité, qu'il eût expiré dans la rigueur de ce
tourment, si un ange, descendu du ciel, n'eût brisé ses chaînes, écarté ses
bourreaux. Mais ces misérables, au lieu de se laisser toucher par cette mer-
veille, revinrent ù la charge et, l'attachant les pieds en haut et la tête en
bas, lui brûlèrent le corps avec des torches ardentes; ils lui ouvrirent aussi
la bouche et firent ce qu'ils purent pour le suffoquer par la fumée. Venant
souffrait ces supplices avec tant de constance, que plusieurs se convertirent
à la foi, entre autres Anastase le Corniculaire ' : ayant aperçu un ange,
revêtu d'une robe blanche, qui déliait une seconde fois le Saint, il crut en
Jésus-Christ et se fit baptiser avec toute sa famille par le bienheureux Por-
phyre, prêtre, et versa, depuis, son sang pour la foi.
Antiochus croyait Venant déjà mort : il fut extrêmement surpris d'ap-
prendre la manière dont il avait été délivré, et, espérant toujours le fléchir,
à cause de son âge, il le fit amener en sa présence, et tâcha de le gagner par
la douceur et par des promesses ; mais, voyant que le cœur du saint jeune
homme était insensible, il le fit jeter dans une obscure prison, où, quelque
temps après, il lui envoya un soldat nommé Attale, pour le séduire par
artifice : Attale devait feindre que lui-même avait autrefois été chrétien;
mais que, ayant reconnu la folie des chrétiens, qui se privent des plaisirs de
la vie pour une vaine espérance des biens à venir, il avait renoncé à leur
religion pour embrasser l'adoration des dieux. Le Saint, découvrant le piège
que le démon lui tendait, méprisa les remontrances de cet impie et demeura
ferme dans la foi. Alors, le tyran, irrité plus que jamais, commanda que
Venant fût amené devant lui ; et, lui ayant fait cruellement casser les dents
1. Le Corniculaire était un sous-officier attaché à la personne d'un tribun.
SALNT TENANT DE CAMEREN'O, MARTYR. 627
et déchirer les gencives en sa présence, il le fit jeter en cet état dans un
cloaque, croyant qu'il y serait suffoqué ; mais il n'y demeura pas longtemps :
car un ange l'en tira aussitôt pour le disposer à de plus grands combats et à
un triomphe plus glorieux. Le préfet, eu étant averti, l'envoya au magistrat
de la ville pour recevoir sa condamnation. Ce juge lui parla avec beaucoup
d'emportement et de fureur ; mais, comme le serviteur de Dieu continuait
de publier la vanité des idoles et la vérité de notre sainte religion que ce
juge ne voulait pas reconnaître, il tomba de son siège et expira en disant :
« Le Dieu de Venant est le vrai Dieu, vous devez l'adorer et détruire nos
fausses divinités » . Cet accident ayant été rapporté à Antiocbus, il commanda
que le Saint fût à l'heure même exposé aux lions, pour en être déchiré. Ces
cruels animaux coururent aussitôt à lui ; mais, au lieu de le dévorer, ils se
mirent à ses pieds comme des agneaux et lui laissèrent la liberté de prêcher
encore au peuple la foi de Jésus-Christ. Les bourreaux furent donc contraints
de le ramener en prison.
Le lendemain, Porphyre, ce saint prêtre dont nous avons parlé, vint
trouver le gouverneur, et lui raconta une vision qu'il avait eue la nuit pré-
cédente, dans laquelle tous ceux qui avaient été baptisés par saint Venant
lui avaient apparu tout éclatants de lumière ; et lui, au contraire, environné
de très-épaisses ténèbres. Antiochus, transporté de colère, lui fit sur-le-champ
trancher la tête, et commanda qu'on tramât Venant, le reste du jour, sur des
ronces et des épines ; ce qui fut exécuté avec une telle cruauté, qu'il demeura
demi-mort. Cependant, ayant été miraculeusement guéri, il se présenta,
dès le lendemain, devant le tyran. Celui-ci le fit aussitôt précipiter du haut
d'un rocher ; mais ce supplice n'eut pas plus de succès que les autres, et le
Saint ne reçut aucun dommage de sa chute ; le gouverneur, de plus en plus
furieux, le fit traîner mille pas hors de la ville, sur des chemins semés de
pierres et de cailloux. Les bourreaux s'étaient si fort échauffés en cette exé-
cution, qu'ils n'en pouvaient plus de soif. Alors Venant, animé de cet amour
céleste, qui fait que l'on chérit ses plus grands ennemis, ayant pitié d'eux,
se mit en prière, et, faisant le signe de la croix sur une pierre, il en fit sortir
une source d'eau vive, qui leur servit de rafraîchissement. Cette pierre, sur
laquelle, en mémoire du miracle, les genoux du Saint demeurèrent impri-
més, se voit encore maintenant à Camerino, dans une église dédiée sous son
nom. Plusieurs personnes se convertirent à la vue de cette merveille, et,
persistant en la confession de Jésus-Christ, furent condamnées à avoir la
tête tranchée. Venant les accompagna dans ce supplice, et finit glorieu-
sement ses combats , en donnant la dernière goutte de son sang pour
Jésus- Christ.
La mort de tant d'innocents fut suivie de tremblements de terre et de
tonnerres si épouvantables, qu' Antiochus, tout effrayé, fut contraint de
prendre la fuite ; mais il ne put éviter la vengeance divine : quelques jours
après, il mourut misérablement en punition de sa cruauté. Le corps de saint
Venant et ceux de ses compagnons furent enlevés par les chrétiens, qui
eurent soin de les ensevelir honorablement, et ils reposent dans l'église dont
nous venons de parler.
Saint Venant étant mort à quinze ans, on a tout lieu de croire que l'équi-
pement militaire et le drapeau, avec lesquels les habitants de Camerino aiment
à représenter leur Patron, désignent un soldat de Jésus-Christ plutôt qu'un
soldat desempereurs, à moins que saint Venant ne fût un enfant de troupe,
comme on dit. On pourrait encore dire, pour expliquer ces attributs, « que,
au moyen âge, les patrons des villes étaient considérés comme chevaliers ».
628 18 mai.
Sur les monnaies et médailles que Camerino a fait frapper en l'honneur de
son Patron, le Saint tient, dans la main opposée à celle qui porte l'éten-
dard, un plan en relief de la ville qu'il protège. La fontaine, qu'il fit sourdre,
peut encore servir à caractériser saint Venant.
Le martyrologe romain fait mémoire de saint Venant le 18 mai, auquel jour se célèbre sa fête, par nn
décret de Clément X, avec un office propre. C'est de la que nous avons tiré cette Vie; et cet office doit
sans doute passer pour authentique, quelque extraordinaires que soient les merveilles que nous y avons
rapportées. Le cardinal Baronius avoue, il est vrai, dans ses Remarques, que les Actes de ce saint Mar-
tyr, qu'il a vus à Camerino, sont remplis de choses apocryphes; mais l'Eglise en a retranché les men-
songes, et ne nous en a donné que ce qu'elle a jugé être conforme à la vérité. Nous avons emprunté la
Caractéristique au P. Cahier.
SAINT THEODOTE, CABARETIER,
ET SEPT VIERGES, MARTYRS
303. — Pape : Saint Marcellio. — Empereurs romains : Dioclétien et Maximien.
Il prit pour son bouclier, dans les tentations, la tem-
pérance, qu'il appelait le principe de tous les biena.
Actes de saint Théodote.
Théodote était de la ville d'Ancyre, capitale de la Galatie. Dès son en-
fance, il fut élevé dans les maximes d'une piété solide, par les soins d'une
pieuse vierge nommée Técuse. S'étant marié, il prit une hôtellerie et se mit
a vendre du vin. Malgré les dangers que l'on trouve dans cette profession,
il se montra toujours juste, tempérant et zélé pour la pratique de tous les
devoirs du christianisme. Quoique à la fleur de l'âge, il méprisait tous les
biens du monde; le jeûne, la prière et l'aumône faisaient ses délices. Non-
seulement il soulageait les pauvres dans leurs besoins, mais il portait encore
les pécheurs à la pénitence; il avail aussi encouragé plusieurs fidèles à souf-
frir le martyre. Sa maxime était, qu'il est plus glorieux à un chrétien de
vivre dans la pauvreté, que de posséder des richesses, qui ne peuvent être
utiles, quand on ne les emploie pas à secourir les indigents, ceux surtout
qui sont persécutés pour la foi. Il condamnait une vie molle et oisive, en
disant qu'elle énerve un soldat de Jésus-Christ, et qu'un homme livré au
plaisir ne peut aspirer à la couronne du martyre. Ses exhortations étaient
si efficaces, qu'elles retirèrent plusieurs personnes du désordre. Dieu l'ho-
nora du don des miracles. On lit dans ses actes qu'il guérit plusieurs ma-
lades en priant sur eux ou en les touchant avec sa main. Il ne s'effraya point
de la persécution allumée par Dioclétien, parce qu'il avait vécu toute sa
vie comme un homme qui se dispose à verser son sang pour Jésus-Christ.
L'édit publié à Isicomédie en 303 arriva bientôt dans la Galatie, qui avait
Théoctène pour gouverneur. C'était un homme cruel qui, pour faire sa
cour au prince, lui avait promis d'exterminer en peu de temps le nom chré-
tien dans l'étendue de sa province. A peine le bruit de l'arrivée de l'édit se
fut-il répandu à Ancyre, que la plupart des fidèles prirent la fuite. Plusieurs
se cachèrent dans les déserts et sur les montagnes. Ce n'était parmi les
païens que festins et réjouissances. Ils couraient aux maisons des chrétiens,
et emportaient tout ce qui leur convenait, sans éprouver d'opposition. Il
SAINT THÉODOTE, CABARETIER, ET SEPT VIERGES, MARTYRS. 620
eût été dangereux de faire entendre la moindre plainte. Si quelque chré-
tien se montrait en public, il fallait qu'il optât entre souffrir pour sa reli-
gion ou apostasier. On dépouillait de leurs biens les plus considérables,
après quoi on les menait en prison, où ils étaient chargés de fers. On traî-
nait ignominieusement dans les rues leurs femmes et leurs filles : on
n'épargnait pas même les petits enfants, dont tout le crime était d'avoir
reçu le jour de parents chrétiens.
Tandis que la persécution faisait ainsi sentir ses ravages dans la ville
d'Ancyre, Théodote assistait les confesseurs prisonniers, et enterrait les
corps des martyrs, quoiqu'il fût défendu, sous peine de mort, de leur
rendre ce devoir. Le gouverneur avait ordonné d'offrir aux idoles toutes les
denrées nécessaires à la nourriture de l'homme, avant de les exposer en
vente : par là les chrétiens se voyaient réduits ou à mourir de faim, ou à
participer à l'idolâtrie; ils se trouvaient même dans l'impossibilité de faire
leur offrande à l'autel. Théodote s'était heureusement pourvu d'une ample
provision de blé et de vin qui n'avaient point été souillés par les cérémo-
nies sacrilèges des païens. Il les vendait au prix qu'ils lui avaient coûté; ce
qui mettait les fidèles en état de fournir à l'autel des oblations pures, et de
se procurer des vivres dont ils pouvaient se servir sans blesser leur cons-
cience, et sans porter ombrage aux idolâtres. C'était ainsi qu'à la faveur
d'une profession autorisée par les lois, le cabaret de Théodote s'était changé
en un asile pour tous les chrétiens de la ville ; que sa maison était devenue
un lieu de prières où l'on s'assemblait pour adorer le vrai Dieu ; que les
malades trouvaient chez lui une infirmerie, et les étrangers un hospice as-
suré. La crainte d'être découvert ne l'empêchait point de saisir toutes les
occasions de faire éclater son zèle pour la gloire de Dieu.
Victor, un de ses amis, fut arrêté vers le même temps. Les prêtres de
Diane l'accusèrent d'avoir dit d'Apollon qu'il avait corrompu sa propre
sœur, et que c'était une honte pour les Grecs d'honorer comme dieu celui
qui était coupable d'un crime que les plus effrontés libertins n'osaient com-
mettre. Le juge lui offrit sa grâce s'il voulait se conformer à l'édit des em-
pereurs. « Obéissez », lui disait-il, « et votre soumission sera récompensée
par des charges honorables. Sachez qu'en cas d'opiniâtreté, vous devez
vous attendre à de cruels supplices, et à la mort la plus douloureuse. Vos
biens seront confisqués, toute votre famille périra, et votre corps, après
avoir essuyé toutes sortes de tortures, sera dévoré par des chiens furieux ».
Théodote, instruit du danger que courait son ami, courut à la prison où il
était renfermé ; il l'exhorta fortement à s'élever au-dessus des menaces des
persécuteurs, et à mépriser toutes les promesses que l'on employait pour
lui ravir la couronne due à la persévérance. Victor, fortifié par cette exhor-
tation, se sentit animé d'un nouveau courage, et il souffrit patiemment les
supplices, tant qu'il se souvint des instructions que Théodote lui avait don-
nées. Déjà il touchait au bout de sa carrière, mais sa fermeté l'abandonna
tout à coup; il demanda du temps pour délibérer sur les propositions qu'on
lui avait faites. On le reconduisit en prison, où il mourut de ses plaies, sans
s'être expliqué autrement. Il laissa par là les fidèles dans l'incertitude par
rapport à son salut. C'est ce qui a rendu sa réputation douteuse dans
l'Eglise, et ce qui l'a privé de l'honneur que l'on y rend à la mémoire des
martyrs.
Il y avait à quelques milles d'Ancyre un bourg nommé Malos. Théodote,
par une disposition particulière de la Providence, y arriva précisément au
moment où l'on allait jeter dans la rivière d'Halys les restes du corps du
630 18 mai.
saint martyr Valens, qui, après diverses tortures, avait été condamné à être
brûlé vif. Il eut le bonheur de se procurer ces précieuses reliques; il les
emporta donc avec lui pour les déposer en lieu de sûreté. Lorsqu'il était à
quelque dislance du bourg, il rencontra plusieurs personnes de sa connais-
sance. C'étaient des chrétiens que leurs propres parents avaient livrés aux
persécuteurs, pour avoir renversé un autel de Diane, et auxquels le Saint
avait depuis peu fait recouvrer la liberté; ils furent charmés de le voir, et
ils lui rendirent grâces comme au bienfaiteur commun de tous les affligés.
Théodote, de son côté, montra une grande joie à la vue des confesseurs de
Jésus-Christ; il les pria d'accepter quelque rafraîchissement avant de pas-
ser outre. S'étant tous assis sur l'herbe, il envoya inviter le prêtre du bourg
à venir manger avec eux, afin qu'il récitât les prières qui se disaient avant
le repas \ 4 celles où l'on implorait le secours du ciel pour les voyageurs.
Ceux qui avaient été envoyés rencontrèrent le prêtre qui sortait de
l'église après Sexte, ou la prière de la sixième heure â ; mais ils ne le con-
nurent pas d'abord. Il leur raconta un songe qu'il avait eu, puis les suivit
au lieu où étaient les fidèles. Il leur offrit à tous de venir prendre leur re-
pas dans sa maison. Théodote s'en excusa en disant que sa présence était
nécessaire à Ancyre, et que les confesseurs de cette ville avaient un pres-
sant besoin de son secours. On dîna donc sur l'herbe. Le repas fini, Théo-
dote dit au prêtre, nommé Fronton : « Ce lieu me paraît bien propre à
mettre des reliques. Pourquoi différez-vous d'y bâtir une chapelle ? Il fau-
drait avant tout ». répondit le prêtre, a que nous eussions des reliques. Dieu
vous en procurera, reprit Théodote, ayez soin seulement de préparer l'édi-
fice pour les recevoir; je vous assure qu'elles ne tarderont pas à venir ». Il
tire en même temps son anneau de son doigt, et le donne à Fronton, comme
un gage de la promesse qu'il lui avait faite, après quoi il reprend la route
d'Ancyre. La persécution y avait causé un bouleversement semblable à celui
que produit un tremblement de terre.
Parmi ceux que l'on avait arrêtés pour la foi étaient sept vierges qui,
dès l'enfance, s'étaient exercées à la pratique de la vertu. Le gouverneur,
les trouvant inébranlables dans la foi, les livra à de jeunes libertins pour les
outrager, en mépris de leur religion, et pour leur ravir cette chasteté dont
elles avaient toujours été si jalouses. Elles n'avaient pour se défendre que
les prières et les larmes qu'elles offraient à Jésus-Christ; elles protestaient
aussi contre la violence qu'on pourrait leur faire. Un de la troupe des liber-
tins, qui surpassait les autres en impudence, saisit Técuse, la plus âgée des
vierges, et la tira à part. Celle-ci, fondant en pleurs, se jette à ses pieds, et
lui parle ainsi : « Mon fils, que prétendez-vous faire ? Considérez que nous
sommes consumées de vieillesse, déjeunes, de maladies et de tourments.
J'ai plus de soixante-dix ans, et mes compagnes ne sont guères moins
âgées II vous serait bien honteux d'approcher des personnes dont les corps,
semblables à des cadavres, seront bientôt la proie des bêtes et des oiseaux;
car le gouverneur a ordonné qu'on nous privât de la sépulture ». Ayant
ensuite ôté son voile pour lui montrer ses cheveux blancs, elle ajouta :
« Laissez-vous attendrir par ce que vous voyez; peut-être avez-vous une
mère de mon âge. Si cela est, qu'elle devienne notre avocate auprès de
vous. Nous ne demandons que la permission de verser librement des larmes.
Puisse Jésus-Christ vous récompenser, si, comme je l'espère, vous nous
1. Nec enim cibum snmere consueverat sauctus, nisi benedicente presbytère Act.
2. Ou de midi. Tierce, chez les anciens, correspondait à notre neuvième heure du matin, et none à
notre troisième heure d'après-midi, à peu de dLdiirence pre#.
SAINT THÉODOTE, CABABETÏER, ET SEPT VIERGES, MARTYRS. 631
épargnez ! » Un discours si touchant éteignit le feu impur dans le cœur
des jeunes libertins; ils mêlèrent môme leurs larmes à celles des sept
vierges, et se retirèrent en détestant l'inhumanité du juge.
Théoctène, ayant appris qu'elles avaient conservé leur pureté, se servit
d'un autre moyen pour vaincre leur constance. Il se proposa de les faire
initier aux mystères de Diane et de Minerve, et de les établir prêtresses de
ces prétendues divinités. Les païens d'Ancyre avaient coutume d'aller tous
les ans laver dans un étang voisin les images de leurs déesses. Le jour de
la cérémonie étant alors arrivé, le gouverneur força les vierges à être de la
fête. On devait porter les idoles en pompe, chacune dans un chariot séparé.
Les sept vierges furent aussi placées dans des chariots découverts, et con-
duites à l'étang, afin d'y être lavées de la même manière que les statues de
Diane et de Minerve. Elles étaient debout, sans vêtements, et par là exposées
à l'insolence de la populace. Elles étaient à la tête de cette fête impie; ve-
naient ensuite les chariots qui portaient les idoles, et que suivait un grand
concours de peuple. Théoctène, accompagné de ses gardes, fermait la
marche.
Cependant Théodote était dans de vives inquiétudes au sujet des sept
vierges, et priait Jésus- Christ de les rendre victorieuses de toutes les
épreuves auxquelles elles étaient exposées; il attendait l'événement dans
une maison voisine de l'église des patriarches, où il s'était renfermé avec
quelques autres chrétiens. Tous restèrent prosternés et en oraison depuis
la pointe du jour jusqu'à midi, qu'ils apprirent que Técuse et ses six com-
pagnes avaient été noyées dans l'étang. Alors Théodote, transporté de joie,
se redressa sur ses genoux; puis, les yeux baignés de larmes, il leva les
mains au ciel, et remercia le Seigneur à haute voix d'avoir exaucé ses
prières. Il demanda ensuite comment la chose s'était passée. Il lui fut ré-
pondu par un témoin oculaire que les vierges avaient été insensibles aux
flatteries et aux promesses du gouverneur; qu'elles avaient repoussé avec
indignation les anciennes prêtresses de Diane et de Minerve, qui leur pré-
sentaient la couronne et la robe blanche, comme une marque du sacerdoce
qu'on leur conférait; que le gouverneur avait ordonné qu'on leur attachât
de grosses pierres au cou, et qu'on les jetât à l'endroit où l'étang avait le
plus de profondeur; que l'ordre ayant été exécuté, elles avaient perdu la
vie sous les eaux.
Théodote délibéra avec Polychrone, maître de la maison où il était, sur
les moyens qu'on pourrait prendre pour tirer de l'étang les corps des saintes
martyres; mais on apprit sur le soir que la difficulté était devenue encore
plus grande, parce que le gouverneur avait posté des gardes auprès de
l'étang. Cette nouvelle causa une vive douleur à Théodote : il quitta aussi-
tôt sa compagnie pour aller à l'église des patriarches. Il n'y put entrer; les
païens en avaient muré la porte. S'étant prosterné en dehors près de la
conque où était l'autel, il pria quelque temps; de là il se rendit à l'église
des Pères, dont la porte était aussi murée : mais tandis que, prosterné
contre terre, il répandait son âme en la présence de Dieu, un grand bruit
vint frapper ses oreilles. Il s'imagina qu'on le poursuivait; il s'enfuit, et re-
tourna dans la maison de Polychrone, où il passa la nuit. Pendant qu'il
dormait, Técuse lui apparut, et lui parla ainsi : « Vous dormez, mon fils,
sans penser à nous. Auriez-vous oublié les instructions que je vous ai don-
nées pendant votre jeunesse, et les soins que j'ai pris pour vous conduire à
la vertu, contre l'attente de vos parents ? Lorsque je vivais sur la terre,
vous m'honoriez comme votre mère; mais vous me négligez après ma mort,
632 18 mai.
et vous ne me rendez pas les derniers devoirs. Voudriez-vous que nos corps
devinssent la proie des poissons ? Vous devez vous hâter, parce qu'un grand
combat vous attend dans deux jours. Levez-vous donc, et allez à l'étang;
mais gardez-vous d'un traître ».
Théodote à son réveil se leva, et raconta la vision qu'il avait eue à ceux
qui étaient dans la maison. Lorsque le jour fut venu, deux chrétiens s'ap-
prochèrent de l'étang pour reconnaître la garde. On espérait que les soldats
se seraient retirés à cause de la fête de Diane; mais on s'était trompé. Les
fidèles redoublèrent leurs prières, et furent jusqu'au soir sans manger; alors
ils sortirent, portant des faux aiguisées pour couper les cordes qui tenaient
les corps saints attachés aux pierres. La nuit était fort obscure, la lune et
les étoiles ne donnaient aucune lumière. Etant arrivés au lieu où se fai-
saient les exécutions, et où personne n'osait aller après le coucher du soleil,
ils furent saisis d'horreur à la rencontre des têtes coupées que l'on avait
fichées sur des pieux, ainsi que des restes hideux de corps brûlés; mais ils
entendirent une voix qui appelait Tbéodote par son nom, et qui lui disait
d'avancer sans rien craindre. Effrayés de nouveau, ils formèrent le signe de
la croix sur leur front \ et ils virent à l'instant une croix lumineuse du
côté de l'orient. S'étant mis à genoux, ils adorèrent Dieu et continuèrent
leur route. L'obscurité était si grande, qu'ils ne s'entrevoyaient pas. Il
tombait en même temps une grosse pluie qui gâtait tellement le chemin,
qu'ils pouvaient à peine se soutenir.
Au milieu de tant de difficultés, ils eurent encore recours à la prière, et
ils furent exaucés. Ils virent tout à coup un flambeau qui leur montrait la
route qu'ils devaient tenir. Dans le même instant deux hommes vêtus d'ha-
bits éclatants leur apparurent, et dirent : « Prenez courage, Théodote, le
Seigneur Jésus a écrit votre nom parmi ceux des martyrs; il nous envoie
pour vous recevoir. C'est nous que l'on appelle Pères. Vous trouverez près
de l'étang saint Sosandre armé, dont la vue épouvante les gardes : mais
vous n'auriez pas dû mener un traître avec vous ».
Cependant l'orage continuait, et le tonnerre grondait horriblement. La
tempête, accompagnée d'un vent furieux, incommodait beaucoup les
gardes, qui, malgré cela, restaient toujours à leur poste : mais lorsqu'ils
virent un homme armé de toutes pièces et environné de flammes, ils furent
tellement effrayés qu'ils s'enfuirent dans des cabanes du voisinage. Les
fidèles, à la faveur de leur guide, vinrent sur le bord de l'étang. Le vent
soufflait avec tant de violence, que, poussant l'eau vers les bords, il décou-
vrait le fond où étaient les corps des vierges. Théodote et ses compagnons
les ayant retirés, les emportèrent et les enterrèrent près de l'église des pa-
triarches. Les noms des sept vierges étaient Técuse, Alexandrie, Claudie,
Eufhrasie, Matrone, Julitte et Phaine.
Le lendemain toute la ville fut en rumeur à l'occasion du bruit qui se
répandit qu'on avait enlevé les corps des sept vierges. Dès qu'un chrétien
paraissait, on l'arrêtait aussitôt pour l'appliquer à la question. Théodote,
apprenant qu'on en avait déjà saisi un grand nombre, voulait aller se livrer
lui-même, et avouer le fait; mais il en fut empêché par les frères. Cepen-
dant Polychrone, déguisé en paysan, se rendit a, la place publique, pour
mieux s'assurer de tout ce qui se passait dans la ville. Il fut reconnu mal-
gré son déguisement, et conduit devant le gouverneur, qui le fit appliquer
à la question. Il souffrit d'abord avec patience; mais il ne put tenir contre
l'idée de la mort dont on le menaçait. Il dit que Théodote avait enlevé les
1. Perterrefacti, crucis wgnuj» suœ quisque impressit fionti. Act.
SAINT THÉODOTE, CABARETIER, ET SErT VIERGES, MARTYRS. 633
corps des sept vierges, et indiqua le lieu où ils avaient été enterrés. Le gou-
verneur ordonna sur-le-champ qu'on allât les exhumer, et qu'on les brû-
lât. Les chrétiens reconnurent alors que Polychrone était le traître dont ils
avaient été avertis de se garder.
Théodote, informé de la trahison du malheureux Polychrone, vit bien
que son heure était venue. Il dit adieu aux frères, leur demanda le secours
de leurs prières, et ne pensa plus qu'à se préparer au combat. Il pria lui-
même longtemps avec eux, afin d'obtenir de Dieu la fin de la persécution
et la paix de l'Eglise; on s'embrassa ensuite de part et d'autre avec beau-
coup de larmes. Théodote, ayant fait le signe de la croix sur tout son corps l,
marcha d'un pas intrépide au lieu du combat. Il rencontra deux bourgeois
de ses amis qui l'exhortèrent à pourvoir à sa sûreté pendant qu'il en était
temps encore. « Les prêtresses de Diane et de Minerve », lui dirent-ils,
« sont présentement avec le gouverneur, auprès duquel elles vous accusent
de détourner le peuple d'adorer leurs déesses ! Polychrone est là aussi pour
soutenir ce qu'il a avancé touchant l'enlèvement des corps saints. Si vous
m'aimez toujours, répondit Théodote, ne faites point d'efforts pour me dé-
tourner de mon dessein; allez plutôt dire au gouverneur que celui qu'on
accuse d'impiété est à la porte, et qu'il demande audience ».
Ayant ainsi parlé, il prit les devants, et parut tout à coup en la présence
de ses accusateurs. Lorsqu'il fut entré, il regarda en souriant le feu, les
roues, les chevalets et les autres instruments de supplice que l'on avait pré-
parés. Théoctène lui dit qu'il était en son pouvoir de ne pas souffrir les
tortures dont il était menacé; il lui offrit son amitié, l'assura de la bien-
veillance de l'empereur, et lui promit de le faire gouverneur de la ville et
prêtre d'Apollon, s'il voulait travailler à détromper les chrétiens, et à les
faire renoncer au culte de ce Jésus qui avait été crucifié sous Pilate. Théo-
dote, dans sa réponse, releva la grandeur, la sainteté, les miracles de Jé-
sus-Christ; en même temps il montra l'impiété et l'extravagance de l'ido-
lâtrie, surtout par le détail des crimes infâmes qui étaient attribués aux
dieux par les poètes et les historiens. Son discours jeta les païens dans une
étrange fureur. Les prêtresses de Diane et de Minerve était tellement trans-
portées de rage, qu'elles s'arrachaient les cheveux, déchiraient leurs habits
et mettaient en pièces les couronnes qu'elles portaient sur la tête. Ce n'é-
taient que cris confus parmi la populace, qui demandait justice contre l'en-
nemi des dieux.
Théodote fut donc étendu sur le chevalet. Chaeun des païens s'empressa
de le tourmenter, afin de signaler son zèle pour ses prétendues divinités.
Plusieurs bourreaux, qui se relevaient tour à tour, lui déchiraient le corps
avec des ongles de fer. On versa ensuite du vinaigre sur ses plaies, et on y
appliqua des torches ardentes. Le martyr, sentant l'odeur de sa chair brû-
lée, tourna un peu la tête. Le gouverneur à ce mouvement crut qu'il cédait
à la violence des tortures. « Vous ne souffrez », lui dit- il, « que pour avoir
manqué de respect à l'empereur et méprisé les dieux. Vous vous trompez »,
lui répondit Théodote, «si vous attribuez à la lâcheté le mouvement de tête
que j'ai fait. Je ne me plains que du peu de courage des ministres de vos
ordres. Paites-vous donc obéir; inventez de nouveaux supplices pour voir
quelle force Jésus-Christ inspire à ceux qui souffrent pour lui. Connaissez
enfin que quiconque est soutenu par la grâce du Sauveur, est supérieur à
toute la puissance des hommes ». Le gouverneur, qui ne se possédait pas de
rage, lui fit frapper les mâchoires et casser les dents avec des pierres.
1> TotuiiKiue corcus suum crucis *i«tiu> muniens, in itadium processif animo imperterrito. Act.
634 18 mai.
« Vous pouvez », lui disait le martyr, « me faire encore couper la langue;
Dieu entend jusqu'au silence de ses serviteurs ».
Les bourreaux étaient épuisés de forces, tandis que Théodote paraissait
insensible aux souffrances. Le gouverneur le renvoya en prison, le réser-
vant toutefois à de nouvelles tortures. Le martyr, en passant par la place,
montrait son corps tout déchiré, comme une marque de la puissance de
Jésus-Christ et de la force qu'il communique à ceux qui lui demeurent
fidèles, de quelque condition qu'ils soient. « Il est juste », disait-il en fai-
sant remarquer ses plaies, « d'offrir de semblables sacrifices à celui qui
nous a donné l'exemple, et qui a daigné s'immoler pour nous ».
Cinq jours après, le gouverneur le fit reparaître devant son tribunal. On
l'étendit de nouveau sur le chevalet, et l'on rouvrit toutes ses plaies; on le
coucha ensuite sur la terre couverte de morceaux de tuile tout rouges de
feu. Cette horrible torture ne pouvant ébranler sa constance, il souffrit une
troisième fois celle du chevalet. Enfin le gouverneur le condamna à perdre
la tête ; il ordonna en même temps de brûler son corps, de peur que les
chrétiens ne lui donnassent la sépulture.
Quand Théodote fut arrivé au lieu de l'exécution, il remercia Jésus-
Christ de l'avoir soutenu par sa grâce au milieu de ses tourments, et de
l'avoir choisi pour être un des citoyens de la Jérusalem céleste; il le pria
aussi de mettre fin à la persécution, d'avoir pitié de son Eglise affligée, de
lui rendre enfin la paix. S'étant ensuite tourné vers les chrétiens qui l'ac-
compagnaient, il dit : « Ne pleurez pas ma mort; mais bénissez plutôt
Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui m'a fait terminer heureusement ma course,
et remporter la victoire sur l'ennemi. Lorsque je serai dans le ciel, je m'a-
dresserai à Dieu avec confiance, et je le prierai pour vous ' ». Après avoir
parlé ainsi, il reçut avec joie le coup qui consomma son sacrifice. Le bûcher
sur lequel on mit son corps parut environné d'une lumière si éclatante,
que personne n'osait en approcher pour l'allumer. Le gouverneur, l'ayant
appris,, commanda des soldats pour garder la tête et le tronc du martyr
en cet endroit.
Ce jour-la même, Fronton, prêtre de Malos, vint à Ancyre pour cher-
cher les reliques que Théodote lui avait promises; il apportait aussi l'an-
neau que le Saint lui avait laissé comme un gage de sa promesse. Il était
venu avec une ânesse chargée de vin, provenant d'une vigne qu'il cultivait
de ses propres mains. Il n'arriva qu'au commencement de la nuit. Son
ânesse, épuisée de fatigues, s'abattit auprès du bûcher, par un effet de la
Providence. Les gardes invitèrent Fronton à demeurer avec eux, l'assurant
qu'il serait mieux que dans toute autre hôtellerie. Us avaient fait une hutte
avec des branches de saules et de roseaux, et avaient allumé du feu auprès.
Comme leur souper était prêt, ils proposèrent à Fronton de manger avec
eux. Celui-ci accepta la proposition, et leur fit goûter de son vin, qu'ils
trouvèrent excellent, et dont quelques-uns burent jusqu'à s'échauffer
un peu.
Dans la conversation, ils racontèrent ce qu'ils avaient souffert au sujet
de l'enlèvement des sept vierges, qu'ils disaient avoir été fait par un homme
de bronze; ils ajoutèrent qu'ils gardaient alors le corps de cet homme. Le
prêtre les pria de s'expliquer et de le mettre au fait de cette aventure. Un
de la troupe lui rapporta en détail ce qui était arrivé aux sept vierges, et
de quelle manière leurs corps avaient été tirés de l'étang. 11 dit ensuite
qu'un nommé Théodote, bourgeois d'Ancyre, avait souffert les plus affreux
1. Deinceps enim in cœlis cuui fiducia Deum pro vobis deprecabor. Act.
SAINT FÉLIX DE CANTALICE, CAPUCIN. 635
tourments avec une insensibilité qui les portait à lui donner le titre d'homme
de bronze; que le gouverneur l'avait condamné à mort; qu'ils étaient char-
gés de garder son corps, et qu'ils devaient s'attendre à une rigoureuse pu-
nition, s'il leur était enlevé.
Fronton remercia Dieu de cette découverte, et le pria de l'assister dans
la circonstance où il se trouvait. Après le souper, il épia le moment où les
gardes seraient profondément endormis. N'ayant plus rien à craindre de
leur part, il prit le corps du martyr, lui remit son anneau au doigt, et le
chargea avec la tête sur le dos de son ânesse. Lorsqu'elle fut dans le che-
min, il la laissa aller seule, et elle retourna d'elle-même au bourg de Malos,
où l'on bâtit depuis une église sous l'invocation de saint Théodote. Ce fut
ainsi que s'accomplit la promesse que le saint martyr avait faite à Fronton
de lui fournir des reliques.
On donne comme attributs à saint Théodote le comptoir qui rappelle sa
profession, la torche et l'épée qui furent les instruments de sa mort.
Tiré des Actes sinccres, publiés par Dom Ruinard. Ils ont pour auteur Nilus, qui, emprisonné avec
The'odote, avait été témoin oculaire de tout ce qu'il rapporte. Voyez Tillemont, etc.
SAINT FÉLIX DE CANTALICE, CAPUCIN
1513-1587. — Papes : Léon X; Sixte V.
Gardons-nous bien de confirmer, par notre indolence,
cette proposition de saint Bernard: « Il y en a plus
qui se convertissent du vice à la vertu qu'il n'y en
a dont la ferveur prenne sans cesse de nouveaux
accroissements.
Ce bon religieux naquit à Cantalice, au pied du mont Apennin, sur les
confins de l'Ombrie ou du duché de Spolète, l'an de grâce 4513. Ses parents
étaient pauvres et laboureurs de profession, mais ils avaient beaucoup de
piété ; et, comme le père s'appelait Saint et la mère Sainte, ils ne démen-
taient pas par leur vie et leurs actions l'excellence de leur nom. Saint en
donna un beau témoignage, lorsque, voyant expirer une fille de son fils
aîné, il lui dit avec larmes, mais d'un esprit prophétique : « Allez en paix,
ma petite Sainte, avec la bénédiction de Dieu et la mienne, je vous suivrai
de près : samedi prochain j'espère vous voir ». Ce qu'il avait prédit arriva
effectivement, bien que, lorsqu'il proféra ces paroles, il fût en pleine santé.
Félix fut le troisième de quatre enfants qu'il eut de son mariage. Elevé
fort soigneusement dans cette école domestique, il fît d'abord de si grands
progrès dans la vertu, qu'on le considérait déjà comme un Suint. Les en-
fants, lorsqu'ils le voyaient approcher, se disaient l'un à l'autre, par res-
pect : « Voici Félix, voici le Saint ». Dès qu'il fut en état ùc rendre quel-
que service à la famille, son père l'employa à garder les bestiaux à la
campagne; et là, tandis que ses compagnons dormaient la nuit, ou que le
jour ils prenaient quelque divertissement, il se retirait secrètement, et se
jetant à genoux au pied d'un chêne, devant une croix qu'il y avait gravée,
il faisait ses prières et méditait les douleurs de Notre-Seigneur en sa Pas-
sion ; outre cela, il récitait, le plus souvent qu'il pouvait, le Pater et l'Ave,
Maria.
636 18 mai.
A l'âge de douze ans, il se loua en qualité de berger à un seigneur
nommé Marc Tulle Pichi ou Picarelli. Alors, il ajouta à ses dévotions ordi-
naires la sainte communion et l'assistance plus fréquente au saint sacrifice
de la messe. Pour l'entendre, il abandonnait quelquefois ses troupeaux à
la Providence, qui envoyait un gardien mystérieux : beaucoup de personnes
ont assuré avoir vu ce berger inconnu et extraordinaire. Lorsque Félix fut
plus âgé et plus fort pour en avoir soin, il fut appliqué par son maître à la
charrue et aux autres travaux de la vie rustique : il donna partout des
preuves de sa vertu. Il était extrêmement sobre, fort exact à observer les
jeûnes commandés par l'Eglise; et bien qu'il travaillât toute la journée,
néanmoins, ces jours-là, il ne mangeait qu'une seule fois vers le soir. Il
était l'ennemi déclaré du mensonge, des murmures et des mauvais dis-
cours, et, pour les mieux éviter, il parlait peu. Il était toujours humble,
patient et si plein de douceur, que quand quelqu'un l'offensait, il ne se
vengeait point autrement qu'en lui disant : « Allez, puissiez-vous devenir
Saint ! » Il se plaisait à entendre faire la lecture des bons livres. Comme un
jour il écoutait attentivement la vie des saints anachorètes d'Egypte, il
conçut un si grand désir de les imiter, qu'il se proposait déjà de se faire
ermite ; mais, rentrant en lui-même et considérant les périls de la vie soli-
taire, il résolut de prendre plutôt l'habit des Frères Mineurs avec la réforme
des Capucins ; un de ses cousins l'en voulant détourner, à cause de la
rigueur de leur vie qui est si austère, il lui dit en deux mots : « Qu'il vou-
lait ê4re religieux tout de bon, ou ne s'en pas mêler ». Dieu le fortifia dans
cette résolution par un accident assez étrange.
Comme il était fort bon laboureur, on lui donna un jour commission de
dompter et de dresser au joug deux jeunes taureaux. A peine étaient-ils
attelés, que le seigneur Tulle, son maître, s'étant présenté à l'improviste,
vêtu de noir, ces animaux s'épouvantèrent ; furieux, ils se mirent à courir
impétueusement. Comme Félix les voulut arrêter, ils le jetèrent par terre,
le foulèrent aux pieds et lui passèrent la charrue sur le corps ; il devait
mourir mille fois de cet accident ; néanmoins, par une singulière provi-
dence de Dieu, il n'en reçut aucun mal, quoique tous ses habits fussent en
pièces. Le serviteur et le maître reconnurent le doigt du Très-Haut, qui
n'aime pas qu'on diffère l'exécution des promesses qu'on lui a faites ; Félix
n'eut donc pas de peine à obtenir son congé pour se consacrer au service
d'un plus grand Maître, dans l'Ordre des Capucins : il vint trouver le gar-
dien du couvent de Civita-Ducale, peu éloigné de Cantalice, pour lui de-
mander l'habit de son Ordre. En vain ce Père lui exposa combien la vie
d'un capucin est dure et pénible, il ne fit qu'enflammer les désirs de Félix.
Il le conduisit alors dans l'église, et, lui montrant sur une croix noire Sei-
gneur tout sanglant, tout livide, il dit : « Voici, jeune homme, ce que Jé-
sus-Christ a souffert pour nous ». A cette vue, et au ton pathétique du
religieux, Félix sentit son cœur ému et versa d'abondantes larmes. Ces
pieux sentiments semblèrent au Père gardien une nouvelle marque de voca-
tion : il envoya donc le jeune postulant, avec une lettre de recommanda-
tion, à Rome, vers le Provincial. Il avait alors près de trente ans ; on lui fit
faire son noviciat au couvent d'Ascoli. Il y parut, dès le premier jour, tout
pénétré de l'esprit de son Ordre. Souvent il se jetait aux pieds du maître
des novices, le priant de doubler ses mortifications et de le traiter avec
plus de rigueur que les autres, qui étaient, à l'entendre, plus dociles que
lui, et plus portés à la vertu.
Il fit ses vœux en 1545. Quatre ans après, ses supérieurs l'envoyèrent
SAINT FÉLIX DE CANTALICE, CAPUCIN. 637
à Rome ; là il exerça pendant quarante ans l'office de quêteur, de la
manière la plus édifiante. Pendant ses quêtes, il disait de temps en temps
à son compagnon : « Allons mon frère, le chapelet à la main, les yeux
en terre et l'esprit au ciel ». Il observait un silence fort rigoureux, car
il ne parlait presque point; et, quand il le faisait, c'était toujours avec
une grande simplicité et une extrême douceur. Et ce qui est admirable,
quoiqu'en sa jeunesse il eût été élevé dans la rusticité des gens de la
campagne, il avait néanmoins des manières très-polies, qui le faisaient
aimer autant que sa sainteté le faisait admirer. Sa démarche, son maintien
seuls suffisaient pour inspirer de la piété. Comme son office l'empêchait de
visiter les malades pendant le jour, il ne manquait pas, la nuit, de les voir
l'un après l'autre, et de les soulager en tout ce qui lui était possible. Il ne
se contentait pas de ceux du couvent : il en cherchait par toute la ville de
Rome, autant que l'obéissance et sa charge le lui pouvaient permettre, et
ceux qu'il voyait le plus volontiers, c'étaient les plus nécessiteux et ceux
dont les maladies pouvaient donner le plus de répugnance. Il employait les
dimanches et les fêtes à la visite des hôpitaux publics, pour y servir les
pauvres. Sa charité s'étendait sur tous les affligés, à qui il distribuait non-
seulement des consolations, mais des soulagements. Quand il apercevait
quelques pauvres honteux, il les secourait aussitôt ; il quêtait pour leurs
nécessités avec plus d'affection que si elles eussent été les siennes propres :
c'est ainsi qu'il a sauvé plusieurs personnes du déshonneur et du désespoir.
Il était si zélé pour la gloire de Dieu, qu'il faisait indifféremment la cor-
rection fraternelle aux grands et aux petits ; et quand il rencontrait quel-
que jeune débauché dans la rue, il l'arrêtait tout court pour lui faire une
remontrance salutaire. Deux gentilshommes avaient mis l'épée à la main
pour vider leur querelle : ils étaient dans la plus grande chaleur du duel :
frère Félix survint fort à propos, et, du plus loin qu'il les vit, il leur cria de
toutes ses forces : Deo gratias, mes frères ; Deo gratias ; dites tous deux : Deo
gratias ! Ils n'étaient guère alors en état d'écouter personne; cependant la
parole de Félix eut tant de force sur eux, qu'ils s'arrêtèrent tout court, et
dirent tous deux : Deo gratias/ Ensuite, ils prirent pour arbitre de leur
différend, le saint frère, qui les réconcilia et les rendit excellents amis. Il
n'avait pas moins de sagesse que de zèle dans les corrections qu'il faisait.
Un jour, qu'il était chez un juge de la ville que l'on nommait Bernardin
Biscia, on apporta à ce juge un jeune veau avec une lettre pleine de com-
pliments pour lui recommander un procès. Il en fit la lecture, et, pendant
ce temps, cet animal fit entendre des mugissements. Le bienheureux Félix
en profita pour lui dire : « Seigneur Bernardin, entendez-vous bien le lan-
gage de cet animal ? Il vous prie de donner gain de cause à ceux qui vous
l'envoient ; mais, prenez garde de ne rien faire contre votre conscience, de
crainte qu'au jour du jugement ces dons ne soient à votre confusion ». Il
avait la répartie si prompte et si adroite, qu'il tournait tout à la gloire de
Dieu et à l'édification du prochain. Ayant une fois promis quelques petites
croix à la princesse Colona, il arriva par hasard qu'il fut obligé de les dis-
tribuer à d'autres personnes. La princesse s'en plaignit, et lui dit agréable-
ment : « Voilà qui est beau, mon frère, de promettre et de ne pas tenir. —
Mais combien de choses, lui repartit frère Félix, promettons-nous à Dieu,
que nous ne lui tenons pas ? »
Il contracta une étroite amitié avec saint Philippe de Néri, qui était
alors à Rome ; et, toutes les fois qu'ils se rencontraient ensemble, ils se sa-
luaient avec affection, mais d'une façon bien nouvelle : car ils se souhai-
638 18 mai.
taient l'un à l'autre les supplices du fouet, de la roue, du chevalet et de
toutes sortes d'autres tourments pour Jésus-Christ, et souvent ils demeu-
raient tous deux hien du temps sans parler, comme saisis et tout transpor-
tés de joie.
Que dirions-nous après cela des autres vertus de notre bienheureux? Il
avait tant d'estime de l'obéissance, qu'il demeura avec joie toute sa vie dans
l'office le plus humiliant. Le cardinal de Sainte-Séverine, protecteur de
l'Ordre, lui ayant demandé, dans sa vieillesse, s'il ne voudrait pas bien être
déchargé de sa quête, il lui repartit avec humilité : « Monseigneur, un
bon soldat doit mourir l'épée à la main, et un âne sous sa charge ».
Il rendait encore plus rigoureuse la pauvreté extrême de ce saint Ordre.
Jamais il ne porta de tunique ni en hiver ni en été, mais seulement un
pauvre habit extrêmement court et étroit et tout garni de pièces. Il évitait
de voir -es parents, comme une chose indigne d'un bon religieux, et un
jour qu il approcha de Gantalice, il n'y entra pas; mais comme il fut obligé
de loger dehors, chez une de ses cousines, voyant qu'elle lui préparait une
paillasse et une couverture, il s'en alla passer la nuit sous un arbre. Il ne
pouvait rien souffrir qui fût contre l'honnêteté ; non-seulement il avait hor-
reur des paroles libres, mais il ne pouvait même écouter celles qui étaient
suspectes.
Quant à ses abstinences et à ses mortifications corporelles, il semble
qu'il ait entrepris de renouveler toutes les austérités des anciens Pères de
la Thébaïde. Il observait exactement tous les Carêmes de l'Ordre et jeûnait
au pain et à l'eau tout le temps qui avait été sanctifié par le jeûne de son
saint patriarche. Il avait tant de haine de lui-même, qu'il ne pouvait se
traiter assez mal à son gré. Il couchait sur des planches qu'il couvrait d'une
vieille natte et n'avait qu'un tronc de bois, ou tout au plus un fagot de
sarment pour chevet. Il ne dormait ordinairement que deux heures, et
trois quand il était incommodé. Il passait le reste de la nuit en prières,
pendant lesquelles il prenait trois fois la discipline, et souvent autant de
l'ois pendant le jour. Il portait, outre cela, une chemise de mailles sous
son habit, particulièrement quand il visitait les sept églises de Rome.
11 fut sujet, sur la tin de sa vie, à une irritation d'entrailles qui lui cau-
sait d'extrêmes douleurs ; mais il les souffrait de si bon cœur, qu'il les ap-
pelait des faveurs du ciel et des roses du paradis; et, quand elles étaient
plus aiguës, il les charmait par quelque cantique spirituel qui ravissait
même ceux qui le voyaient souffrir. Ces saints transports de joie, au milieu
des douleurs les plus cuisantes, font assez voir l'excellence de sa patience.
Il fut toujours si éloigné de toute sorte de vanité et de complaisance de lui-
même, qu'il se croyait indigne de converser avec les autres frères : c'est
pourquoi, lorsqu'il se trouvait avec eux, il parlait peu ou ne parlait point
du tout. Jamais il ne permettait aux séculiers de lui baiser les mains (comme
c'est la coutume en Italie de le faire par respect envers les ecclésiastiques
et les religieux), à moins qu'il ne fût surpris. Et quand il prévoyait que cela
devait arriver, il faisait rendre cet honneur à son compagnon. Il avait beau-
coup de vénération pour les prêtres, et ne leur parlait jamais qu'avec un
très-grand respect. Il a toujours fait son possible pour ne paraître qu'un
homme fort simple, afin de mieux cacher les grâces particulières qu'il re-
cevait de Dieu. Il ne s'est servi de sandales qu'en son extrême vieillesse, et
quand on lui demandait pourquoi il allait nu-pieds : « Parce que », disait-
il, « je marche plus à mon aise ». Il ne pouvait souffrir qu'on dit rien à sa
louange, et quand on le faisait il prenait aussitôt la fuite.
SAINT FÉLIX DE CANTALICE, CAPUCIN. G39
Il avait une dévotion singulière à la très-sainte Vierge ; il jeûnait au
pain et à l'eau toutes les veilles de ses fêtes, avec le Carême entier que saint
François faisait en son honneur, depuis l'Octave des apôtres saint Pierre et
saint Paul jusqu'à son Assomption. Il récitait son rosaire tous les samedis,
et tous les jours le chapelet, mais avec tant de tendresse qu'il était souvent
obligé de l'interrompre par l'excès des douceurs qu'il sentait en son âme.
Il avait tant d'amour et de respect pour le nom de Jésus, qu'il le proférait
en tout lieu et dans toutes les occasions. Lorsqu'il rencontrait des enfants,
il leur criait : « Dites : Jésus, mes enfants ; dites tous : Jésus ! » D'autres
fois, il leur faisait dire : Deo grattas ! Aussi, les petits enfants, qui savaient
sa dévotion, n'attendaient pas qu'il le leur commandât; mais dès qu'ils le
Voyaient de loin, ils criaient : Deo gratias, frère Félix ; Deo gratiasl Et lui,
ravi et pleurant de joie, leur répondait le plus haut qu'il pouvait : Deo gra-
tias, mes enfants ; Dieu vous bénisse, Deo gratias ! Quand il servait la messe, il
n'y pouvait presque pas répondre à cause des larmes qu'il versait en abon-
dance, et des douceurs qui inondaient son cœur. Sa dévotion était aussi
fort sensible envers la passion de Notre-Seigneur ; et lorsqu'il en entendait
faire la lecture, principalement dans la semaine sainte, il pleurait si amère-
ment, qu'il arrosait le pavé de ses larmes. Ses méditations continuelles lui
acquirent une union habituelle et si intime avec Dieu, qu'il était toujours
en contemplation et si fort éloigné de lui-même, que souvent il ne con-
naissait pas ceux avec qui il conversait, quoique son office de quêteur l'obli-
geât de traiter avec toutes sortes de personnes. On rapporte qu'un religieux
lui demandant un jour comment, parmi l'embarras du monde et une infi-
nité d'objets si différents, il pouvait se tenir toujours en la présence de
Dieu, il lui répondit : « Toutes les créatures de la terre sont capables de
nous élever à Dieu si nous savons les regarder d'un œil droit ' ».
Il ne dormait qu'environ deux heures; ensuite il allait à l'Eglise et y
demeurait en prières jusqu'à Prime; puis il servait la première messe, à
laquelle ordinairement il communiait tous les jours. Pour les fêtes et les
dimanches, il en entendait plusieurs, outre celle qu'il servait. Enfin, le soir,
en revenant de sa quête, il no manquait jamais de rentrer dans l'église, où,
après une profonde révérence, il baisait la terre devant le très-saint Sacre-
ment.
Ce fut durant ces visites à Notre-Seigneur dans l'Eucharistie qu'un reli-
gieux-prêtre, épiant secrètement ce qu'il faisait, l'aperçut debout, au
milieu de l'église, les bras ouverts et comme en extase, qui s'écriait et di-
sait avec de grands soupirs : « Seigneur, je vous recommande ce pauvre
peuple ; je vous recommande nos bienfaiteurs. Miséricorde, grand Dieu,
faites-leur miséricorde ! » Après avoir fait cette prière pendant un quart
d'heure, il s'arrêta tout court, et demeura deux ou troix heures les bras
étendus en croix et immobile, comme s'il eût été mort. Une autre fois, il
eut un si violent transport d'amour pour son Sauveur, que, courant au
maître-autel, il pria et conjura la sainte Vierge de lui donner pendant ce
temps son petit Jésus; en effet, cette bonne Mère lui apparut, et, pour le
contenter, elle lui mit son cher Fils entre les mains.
Toutes ces grâces et ces grandes faveurs du ciel, qui ne purent être ca-
chées, le firent si fort considérer dans Rome, que, durant sa vie même,
chacun le regardait comme un Saint. Etant âgé de soixante-douze ans,
Dieu lui fit savoir, par révélation, qu'il mourrait bientôt. En effet, quelque
1. N'est-il pas dit quelque part, dans l'Evangile : « Si votre œil est droit, tout sera droit en vous ».
ttfttth», VI, 22; Luc, xi, 31.)
640 18 mai.
temps après, il tomba dangereusement malade. Durant sa maladie, il se
dérobait souvent à l'infirmier pour aller dans l'église, bien qu'il fût si faible,
qu'on était obligé de le rapporter évanoui et demi-mort en sa cellule.
C'était pour lui une croix d'être coucbé sur un matelas qu'on lui avait
donné malgré lui, et il croyait que ce n'était pas là mourir assez pauvre-
ment, ni comme un religieux de Saint-François devait mourir. Lorsqu'il
eut reçu les derniers Sacrements, la sainte Vierge lui apparut suivie d'une
belle troupe d'anges, pour le fortifier dans ce dernier passage.
Il en fut si ravi de joie, qu'il s'écria de toutes ses forces : Oh ! oh ! oh l et
demeura ensuite près d'un demi-quart d'heure les bras étendus et levés vers
le ciel. L'ennemi de tout bien le voulut tenter de désespoir et d'infidélité ;
mais l'bomme de Dieu l'arrêta tout court, lui disant : « Que c'était son Sau-
veur qui le devait juger, et qu'il ne pouvait se défier de sa miséricorde ; qu'au
reste, il croyait tout ce que la sainte Eglise catholique croit et enseigne ».
Enfin il rendit paisiblement son âme à son Créateur, dans les louanges de son
saint nom et dans celles de sa sainte Mère, les finissant en ce monde le 18 mai,
pour les aller continuer durant toute l'éternité dans le ciel.
Sa sainteté a paru, après sa mort, par quatre choses bien remarquables:
1° par le changement de son corps, qui, de brun qu'il était, devint aussi
tendre et aussi blanc que celui d'un enfant; 2° par la célèbre translation
que l'on en fit du cimetière commun des religieux, où il avait été enterré,
en un tombeau dans l'église, soutenu par des piliers de marbre qu'il avait
lui-même demandés au seigneur Alexandre Poggi, en l'assurant qu'ils se-
raient employés pour lui ; 3° par une liqueur qui distille continuellement
de son cercueil, et qui est souvent l'instrument de plusieurs merveilles;
4° enfin, par une vertu miraculeuse que Dieu a communiquée à l'huile de la
lampe qui brûle jour et nuit devant son sépulcre.
Saint Félix fut béatifié par Urbain VIII en 1625; canonisé par Clément XI
en 1712 ; mais la Bulle de sa canonisation ne fut publiée qu'en 1724, par
Benoît XIII. Son corps est dans l'église des Capucins de Rome. Il y a indul-
gence plénière pour ceux qui, ayant rempli les conditions ordinaires, visi-
tent le jour de sa fête une église de son Ordre.
On représente saint Félix de Cantalice avec une besace, un baril ou une
dame-jeanne sur l'épaule; un panier ou cabas au bras. Parfois il est ac-
compagné d'un âne qui l'aidait dans ses tournées de quêteur. On trace
sur sa besace vide ou gonflée, les mots Deo grattas qu'il prononçait avec
la même piété, soit qu'il fût bien reçu, soit qu'il essuyât des refus. On le
peint aussi quelquefois rencontrant saint Philippe de Néri dans la rue,
et lui donnant à boire à même sa gourde ou bouteille recouverte d'osier.
On sait que le Saint récitait volontiers son chapelet en parcourant les
rues de Rome ; c'est pourquoi il pend souvent de sa main droite un grand
chapelet qu'il égrène dévotement. Les Bollandistes donnent son portrait
authentique dans leur appendice au mois de mai.
Voir les Bollandistes, mai, t. iv et t. tu de la nouv. éd., p. 793.
SAINT QUINIBERT, PATRON DE SALESCHES (ixe siècle).
La vie de saint Quinibert, patron de Salesches, près du Quesnoy, n'est presque point connue.
Les religieux de Maroilles, consultés par le docte Molanus, n'ont pu constater que son existence,
sa sainteté, et le culte qu'on lui rendait dans ce lieu. Il est vraisemblable qu'il appartenait à la
SAINT ÉRIC IX. ROI DE SUÈDE, MARTYR. 641
communauté de Maroilles, qu'il obtint de ses supérieurs de mener la vie solitaire dans un petit
ermitage élevé à Salesches, et que telle fut l'origine du prieuré qui, dans la suite, y fut érigé.
C'est là qu'il vécut dans la pratique de toutes les vertus chrétiennes, et qu'il remit son âme à
Dieu. Les religieux ajoutaient dans leur déposition que beaucoup de guérisons miraculeuses avaient
été opérées dans ce lieu, à l'époque même où ils écrivaient, par l'intercession du pieux solitaire,
et qu'une multitude de personnes du pays pouvaient en rendre témoignage.
Il y avait autrefois, dans l'église de Salesches, un grand nombre de bâtons, de béquilles, et
même quelques chars que l'on conservait comme preuves et souvenirs des guérisons opérées sur
des infirmes. Tout fut brûlé dans les guerres qui désolèrent le nord de la France à la fin du
xvi° siècle. L'abbaye de Maroilles avait inscrit le nom de saint Quinibert dans son Calendrier, et
on y célébrait solennellement sa fête le 18 mai. Aujourd'hui encore les reliques du Saint sont
conservées précieusement dans le village de Salesches, et exposées à la vénération des fidèles
qui ont hérité, pour leur digne Patron, des sentiments de piété dont les ancêtres leur ont donné
l'exemple.
Vies des Saints de Cambrai et d'Arras, par M. l'abbé Destombes.
SAINT ÉRIC IX, ROI DE SUÈDE, MARTYR (1151).
Gratulemur dulci prosa,
Laus Erici gloriosa
Prodeat in médium.
Ex radiée generosa
Transplantatur vernans rosa.
D'un vieux Missel, apud Boll.
Eric l sortait d'une des plus illustres familles de Suède. Le puissant seigneur Iward était son
père. Il s'appliqua dans sa jeunesse à cultiver son esprit par l'étude des sciences, et à former son
cœur à toutes les vertus chrétiennes. Quand il fut en âge d'être marié, il épousa Christine, fille
d'Ingon IV, roi de Suède.
Après la mort de Smercher II, les Suédois, touchés des vertus et des belles qualités d'Eric,
jetèrent les yeux sur lui pour qu'il les gouvernât ; ils le placèrent donc sur le trône, en vertu de
l'élection des Etats, qui s'était faite conformément aux anciennes lois du pays. Le premier soin
du nouveau roi fut de veiller sur son âme avec une extrême attention. Il assujétissait la chair à
l'esprit par le jeûne et les autres mortifications de la pénitence ; il vaquait assidûment aux exer-
cices de la prière et de la contemplation, qui faisaient ses principales délices.
Ses peuples trouvaient un père en lui, ou plutôt il était le serviteur de tous ses sujets. Il tra-
vaillait avec une application infatigable à leur rendre la justice. Les malheureux étaient sûrs de
sa protection ; ils pouvaient en tout temps lui porter leurs plaintes, et ils ne tardaient pas à être
délivrés de l'oppression. Souvent il visitait en personne les pauvres malades, et les soulageait par
d'abondantes aumônes. Content de son patrimoine, il ' ne levait aucune taxe sur ses sujets. Plu-
sieurs églises furent bâties par ses soins. Il porta de sages lois pour réprimer les abus et pour
assurer la tranquillité publique.
Quoiqu'il fût naturellement pacifique, il ne put se dispenser de faire la guerre. Il marcha
contre les Finlandais, peuple livré aux superstitions du paganisme, et qui venait souvent piller les
terres de son obéissance. Il remporta sur eux une victoire complète ; mais il ne put retenir ses
larmes a la vue des corps morts étendus sur le champ de bataille. Il est bien triste, disait-il, que
tant de malheureux aient péri sans avoir reçu la grâce du baptême ! Lorsqu'il eut entièrement
soumis la Finlande, il chargea saint Henri, évèque d'Upsal, d'y aller prêcher la foi, et il y fit
bâtir un grand nombre d'églises.
La piété d'Eric devint l'objet des railleries de quelques Suédois opiniâtrement attachés au pa-
ganisme. La haine succéda bientôt aux railleries. Magnus, fils du roi de Danemark, qui avait des
vues ambitieuses sur la couronne de Suède, se mit à la tète des mécontents, et les engagea à
conjurer contre les jours de leur souverain. Le saint roi entendait la messe le lendemain de l'As-
1. Les mots Eric, Erric ou Henri, teutoniques d'origine, ont une même signification chez les peuples
du nord, et veulent dire riche seigneur. Saint Eric fut le neuvième roi de Suède de ce nom.
Vies des Saints. — Tome V. 41
642 18 mai.
cension, lorsqu'on vint lui apprendre que les rebelles avaient pris les armes et qu'ils s'avançaient
pour l'attaquer. 11 répondit avec tranquillité : « Achevons au moins le sacrifice ; le reste de la fête
se passera ailleurs ».
La messe finie, il se recommande à Dieu, fait le signe de la croix, et afin d'épargner le sang
de ses fidèles sujets, qui étaient dans la disposition de sacrifier leur vie pour sa défense, il marche
6eul devant ses gardes. Les conjurés, l'ayant joint, se jettent sur lui avec fureur, le renversent de
son cheval, lui font souffrir mille indignités, et lui coupent la tête en haine de la religion chré-
tienne. Une fontaine jaillit du lieu où son sang fut répandu, et devint célèbre par la guérison des
malades qui s'y abreuvaient.
Son martyre arriva le 18 mai 1151 '. Dieu glorifia son tombeau par plusieurs miracles. Son
corps est encore tout entier à Upsal. La Suède honorait saint Eric comme son principal patron,
avant qu'elle eût embrassé le luthéranisme a.
Dans les anciens calendriers Scandinaves, le 18 mai était marqué par une tête du saint roi
environnée d'épis, sans doute parce qu'on mettait sous sa protection l'espoir de la moisson. —
La bannière de saint Eric a joué un grand rôle dans l'histoire de la Suède, à peu près comme
l'oriflamme de saint Denis dans la nôtre. Elle était regardée comme un gage de la victoire dans
les combats, et plus d'une fois elle vit les Suédois repousser avec succès les Russes de la Fin-
lande.
On représente le saint roi de Suède à genoux devant un autel, voulant entendre la messe jus-
qu'au bout, bien qu'il fût averti de l'approche des assassins; la tête environnée d'épis.
Les religieuses Carmélites d'Amiens possèdent une relique du saint roi.
Voyez l'ouvrage intitulé : Israelis Erlandis liber de vita et miraculis sancti Erici régis, ex editione et
cum notis Joannis Schefferi. Holmias, 1675, in-8°. Voyez aussi Henschenius, t. IV maii, p. 186; Godescard,
éd. de Bruxelles, et les Caractéristiques du P. Cahier.
1. En 1160, suivant les auteurs de l\Arf de vérifier les dates.
2. Saint Eric fit recueillir les anciennes lois et constitutions de Suéde en un volume qui porte le titre
de Loi du roi Eric. Ce recueil fut confirmé, dans le xni8 sièclo, par le savant roi Magnus Ladulas, qui
compila et publia, en 1385, un autre code sous la tjîta de Garasrette.
SUPPLÉMENT
PREMIER JOUR DE MAI
SAINT PHILIPPE ET SAINT JACQUES.
Quand nous écrivions, en 1872, les vies de saint Philippe et de saint Jacques le Mineur, apô-
tres, nous ne pouvions, pour traiter la question des reliques, que nous servir des documents fournis
par les Bollandistes et tous les anciens hagiographes. Or, il s'est fait, le 15 janvier 1873, une dé-
couverte précieuse dont nous sommes heureux aujourd'hui de pouvoir entretenir nos lecteurs : nous
voulons parler de l'invention des corps dés deux Apôtres.
Extrayons quelques lignes du décret publié à cette occasion par Son Eminence le cardinal
Patrizi, doyen du Sacré Collège, archiprètre de l'église de Latran, vicaire général de notre Saint-
Père le pape Pie IX :
«r La basilique des douze Apôtres, fondée, croit-on, au milieu de Rome, dès le temps de Cons-
tantin le Grand; ensuite reprise dès ses fondements et sur un plan plus vaste par le pape Pelage I«',
et achevée par le pape Jean III, qui la consacra le premier jour de mai de l'an du Seigneur 560 à
Dieu et à l'honneur de ses douze Apôtres, mais principalement à Philippe et à Jacques le Mineur,
se glorifiait de posséder, outre un très-grand nombre de reliques insignes de Saints, les corp3
sacrés des Apôtres susmentionnés, Philippe et Jacques le Mineur, ensevelis sous le maitre-autel.
« Et en effet, bien qu'à cause d'incendies, de dommages et de son état menaçant ruine, cette
basilique eût été restaurée et remise à neuf par plusieurs Souverains Pontifes, et qu'en'dernier
lieu, du temps de Clément XI et de Benoit XIII qui la consacra, les religieux mineurs conven-
tuels de Saint-François, à la garde desquels elle avait été confiée par le pape Pie II, la rebâtissent
de fond en comble avec un art, une grandeur et une majesté vraiment merveilleux, la tradition
d'après laquelle les dépouilles sacrées des apôtres Philippe et Jacques le Mineur reposaient sous
le maitre-autel de ladite basilique, demeura toujours constante, confirmée qu'elle était par le con-
sentement des écrivains, et par une antique inscription existant toujours dans le portique de la
même basilique.
« Or, il est arrivé en ces jours, non sans un conseil de la divine Providence, que dans les res-
taurations qui sont faites à la basilique par les soins et la piété des mêmes religieux mineurs con-
ventuels qui la décorent de nouvelles peintures et de dorures, aux parois aussi bien qu'à la voûte;
qui y font un pavé tout de marbre et y construisent un nouvel hypogée sacré afin d'y conserver
avec plus de pompe les reliques des Saints; ce sacré trésor des corps de3 saints apôtres Philippe
et Jacques le Mineur ont été retrouvés.
« En effet, le 15 janvier de l'année courante, il nous fut donné de les découvrir sous le maitre-
autel qu'on voulait exhausser et rendre plus splendide, tout à fait au-dessous de la mense de l'au-
tel, à l'intérieur du Loculus, revêtu en son entier de magnifiques plaques de marbre phrygien et
de construction du via siècle, dans lequel, selon la tradition ancienne et reçue, étaient déposés les
restes sacrés des deux Apôtres.
« Comme l'exigeait un si grand événement, une inspection longue et très-minutieuse fut en-
suite faite par les experts dans l'art de la physique, et en même temps ils comparèrent les saintes
reliques qu'on tenait pour celles de saint Jacques le Mineur avec la tête sacrée de ce même
Apôtre, qu'on conserve et vénère dans l'église cathédrale d'Ancône; de plus, ceux qui sont atta-
chés à la commission d'archéologie sacrée en firent plusieurs fois en notre présence un sérieux et
644 SUPPLÉMENT. — 14 MAI.
mûr examen ; en présence des seigneurs cardinaux de la sainte Eglise romaine, Antoine-Marie Pane-
bianco, prêtre du titre de la basilique, et Antonin Deluca, protecteur de l'Ordre des Mineurs Con-
ventuels; ouï notre promoteur fiscal, nous ne pouvions goûter une plus grande jouissance qu'en
prononçant et en déclarant, comme pour la gloire de Dieu tout-puissant et en Ténération de ses
Saints, nous prononçons et déclarons, en vertu de notre autorité ordinaire : « Qu'il conste de la
vérité des corps récemment découverts sous le maître-autel de la basilique des saints Apôtres de
Rome ; et que, selon la tradition constante, on doit retenir que ces corps sont ceux des bienheu-
reux apôtres Philippe et Jacques le Mineur, frère du Seigneur, et que par conséquent ils doivent
être, comme il est juste, vénérés comme tels par tous les fidèles ».
« Nous voulons d'ailleurs que ces précieux gages de l'Eglise catholique soient renfermés dans
une urne de marbre et déposés dans l'hypogée récemment construit directement sous ledit maltre-
autel, pour le culte et la vénération toujours croissante des fidèles.
« Nous voulons en outre qu'un exemplaire de ce décret en parchemin, avec l'indication du no-
taire dans les minutes duquel est conservé le procès-verbal de reconnaissance des saints corps de
Philippe et de Jacques le Mineur, soit placé dans l'urne de marbre.
« Donné de notre résidence, le 19 avril 1873.
a Le cardinal-vicaire,
« P. chan. Petacci, secrétaire ».
XIV JOUR DE MAI
SAINT GILDÉRIG OU JOUDRY, SOLITAIRE AU DIOCESE DE SÉEZ
(vu* siècle).
Saint Gildéric naquit en Ecosse, vers le commencement du vu» siècle. Issu de parents pauvres,
il mena de bonne heure une vie dure et laborieuse, qui le prépara aux grandes austérités qu'il
pratiqua dans la suite. En effet, lorsqu'il fut parvenu à l'âge mûr, le désir d'arriver promptement
à la perfection évangélique embrasa tellement son cœur, qu'il résolut d'abandonner entièrement
le monde. 11 fit part de ce dessein à un saint personnage, qui lui conseilla, pour rendre son sacri-
fice plus méritoire, d'abandonner sa patrie et de passer en France, où il pourrait mener plus faci-
lement une vie solitaire et inconnue au monde. Ayant donc dit adieu pour toujours à ses parents,
il s'embarqua sur un vaisseau qui partait pour la France, et qui le déposa sur les côtes de la
Neustrie, dans le diocèse de Coutances.
Après avoir sanctifié par sa présence plusieurs solitudes, il se retira dans une épaisse forêt,
qui était proche de la ville d'Exmes. C'est dans la prière et la méditation des vérités éternelles
qu'il avait trouvé la force nécessaire pour accomplir ces grands sacrifices. C'est la prière qui lui
adoucit les austérités effrayantes qu'il pratiqua dans cette profonde solitude, sous les yeux de Dieu
et des anges. En effet, après s'être bâti une petite cellule avec des branches d'arbres, il réduisit
tellement sa chair sous l'obéissance de l'esprit, qu'il n'avait pour tout vêtement qu'un cilice, pour
toute nourriture qu'un peu d'orge mêlé avec des écorces d'arbres. Souvent, au plus fort de l'hiver,
et au milieu de la nuit, il se plongeait jusqu'aux épaules dans la rivière voisine, et restait dans
cette eau glacée jusqu'à ce qu'il eût récité tout le psautier. Ayant déclaré la guerre à son corps
comme à son ennemi le plus mortel, il prenait tous les moyens de l'immoler chaque jour à la
gloire de Dieu.
Mais quelques efforts qu'il fit pour cacher ses austérités, elles furent découvertes, et la renom-
mée de sa sainteté, volant de bouche en bouche, attira bientôt une foule de personnes qui venaient
le visiter et se recommander à ses prières. Parmi ses pieux visiteurs, on remarqua surtout le
comte d'Exmes, qui non content de lui témoigner sa vénération, lui donna quelques arpents de
SAINT ANNOBERT OM ALNOBERT, ÉVÊQUE DE SÉEZ. 6-45
terre pour y bâtir un oratoire. Le Saint ayant élevé de ses mains un petit sanctuaire, y fit placer
deux autels, dont l'un fut dédié à la Mère de Dieu et l'autre à sainte Marie-Madeleine, modèle des
âmes pénitentes. Il cultiva le reste du terrain qu'on lui avait donné, et par ses prières il éloigna
de cette contrée les animaux nuisibles, qui venaient ravager non-seulement son petit enclos, mais
encore les campagnes voisines. Un autre visiteur, qui se plaisait à combler saint Gildéric des mar-
ques de sa bienveillance, fut saint Annobert, évêque de Séez. Il le soutenait dans le chemin de la
perfection, par ses exhortations paternelles, et il lui procura jusqu'à la fin de sa vie tons les
secours spirituels et temporels qui furent en son pouvoir.
Saint Gildéric parvint à une grande vieillesse, tout en pratiquant ces austérités. Comblé de
jours et de mérites, il quitta ce monde pour aller goûter auprès de Dieu les joies de l'éternité,
après lesquelles il soupirait depuis longtemps.
Il fut enseveli dans l'oratoire qu'il avait lui-même bâti, par saint Annobert, qui voulut ainsi
donner à son ami cette dernière marque de son affection sur la terre. Après avoir reposé quelque
temps daDs cette chapelle, son corps, objet de la vénération des fidèles, fut transféré à l'ab-
baye d'Almenèches. C'est de là qu'il fut enlevé, vers l'année 1137, par Geoffroy, comte de Ven-
dôme, et déposé dans une église située entre Chauvigny et la Ville-aux-Clercs. La vénération
universelle qu'inspiraient ces saintes reliques, fit bientôt donner à cette église le nom de Saint-
Joudry ; mais elle resta peu de temps en possession de son précieux trésor qui fut transféré dans l'é-
glise collégiale de Vendôme où il fut exposé à la vénération des religieux et des fidèles jusqu'en
1792. A cette époque, les reliques disparurent sans qu'on ait pu découvrir ce qu'elles étaient
devenues. On continua cependant de rendre un culte public au Saint dans les diocèses de Blois
et de Séez. Aujourd'hui, il est vrai, on ne récite plus d'office en son honneur, mais sa mémoire
demeure en bénédiction dans les diocèses de Séez, de Chartres et de Blois.
Ruinée par les incursions des gens de guerre, l'ancienne église élevée sous son vocable fut
reconstruite vers 1648. L'impiété révolutionnaire vint ravager à son tour cette église, en 1793.
Mais elle fut rebâtie en 1835, et bénite solennellement, le 16 mai 1836, sous l'épiscopat de
Mgr Pierre-François de Saussin, évêque de Blois. Elle est aujourd'hui annexée à la paroisse de
Chauvigny. La statue qu'on y vénère, est grossièrement travaillée. Elle représente saint Gildéric
revêtu d'une robe brune à capuchon, un chapelet pendant à sa ceinture de cuir. Il a un bréviaire
ouvert entre les mains et s'appuie sur une canne à traverse *. Chaque deuxième vendredi du mois,
le curé de Chauvigny y vient célébrer la messe, à laquelle assiste un certain nombre de pèlerins 2.
Les habitants de ces contrées ont une très-grande vénération pour le Saint. On vient l'invoquer
de dix lieues à la ronde; moins connu vers Châteaudun, il est plus célèbre dans le Vendômois et
le pays de Montdoubleau. La fête du Saint, que l'on célébrait le 14 mai, a été reportée au lundi
de la Pentecôte. Les pèlerins vont en grand nombre à cette fête d'où plusieurs s'en sont déjà
retournés guéris de la fièvre.
Extrait des Vies des Saints des diocèses de Séez, par M. l'abb<5 Blin, curé de Durcet.
XVIe JOUR DE MAI
SAINT ANNOBERT OU ALNOBERT, ÉVÊQUE DE SÉEZ (706).
Saint Annobert, un des plus grands évêques de l'Eglise de Séez, était d'une famille noble et
alliée aux personnages les plus puissants du royaume. Dès l'âge le plus tendre, il fut confié à
saint Hadoin, évêque du Mans, qui prit soin de le former à la science, et surtout à l'amour de
1. C'est la forme ordinaire des crosses portées par les moines des premiers siècles.
2. Cette église ou chapelle est située dans un vallon ombragé, rempli de sources. L'une d'elles 8 une
réputation d'efficacité miraculeuse contre les fièvres.
646 SUPPLÉMExNT. — 16 MAI.
Notre-Seigneur Jésus-Christ. Dieu répandit tant de bénédictions sur le cœur de cet enfant, qu'il ne
tarda pas à faire la joie du saint Evêque par la manière dont il profita de ses enseignements.
Appelé à la cour, à cause de la noblesse de sa naissance, et plus encore à cause des talents qu'on
admirait en lui, il fut bientôt dégoûté des vanités du monde, et revint avec joie auprès de saint
Hadoin, pour ue plus servir d'autre maître que Jésus-Christ. Quand il fut arrivé à l'âge prescrit
par les saints canons, saint Hadoin l'éleva au sacerdoce et le combla des marques de son affection.
Après la mort de cet évèque, saint Annobert, qui désirait depuis longtemps mener une vie plus
retirée, dit adieu à sa famille, et se rendit dans un monastère situé à Evrecy, dans le diocèse de
Bayeux.
L'abbé de ce monastère, nommé Chodulfe, remarqua bientôt la science et la ferveur de son
nouveau disciple. Il conçut pour lui beaucoup d'estime et lui donna une grande part dans le gou-
vernement de son monastère. Appelé bientôt à prendre le gouvernement de la communauté, saint
Annobert se montra vigilant dans la conduite du troupeau de Jésus-Christ et s'appliqua à faire
régner la ferveur dans son monastère. Il passa trente et un ans à Evrecy, après quoi, voulant
pousser encore plus loin l'amour qu'il avait voué à l'humilité, il prit le parti de se dépouiller de
tout pour Jésus-Christ. Il résolut même d'abandonner la charge d'abbé, et de quitter la compagnie
de ses religieux, qui le chérissaient comme leur père. Ayant donc recommandé ces bien-aimés
disciples à la miséricorde du Seigneur, il sortit du monastère avec un seul religieux nommé Turpin,
et se retira dans une solitude, près de la ville de Séez. C'était la Providence elle-même qui le
conduisait, car, quelque temps après son arrivée, le siège épiscopal de Séez étant venu à vaquer,
il fut choisi pour évèque par le clergé et le peuple. Entraîné à l'église cathédrale, malgré sa résis-
tance, il fut obligé de recevoir la consécration épiscopale, pour obéir aux ordres de Thierry III,
roi de Neustrie. Ceci se passait vers l'année 686.
On vit bientôt quelle grâce le Seigneur avait faite au diocèse de Séez en lui donnant un si saint
évèque. Il déploya, pour la sanctification des fidèles, tout le zèle qu'il avait montré pour celle de
ses religieux. Ennemi du vice et toujours occupé à le combattre, il se montrait d'une bonté iné-
puisable pour tous les pécheurs, afin de les gagner à Jésus-Christ. Il n'avait pas de plus grand
bonheur que de prêcher à son peuple la parole de Dieu, de lui expliquer le saint Evangile, et de
lui rappeler les miséricordes infinies de Jésus-Christ. Il avait un visage angélique et parlait avec
une telle éloquence, que ses auditeurs étaient touchés jusqu'aux larmes de ses prédications. Il joi-
gnait constamment la prière à la prédication, afin de lui faire porter plus de fruits. Que d'austérités,
que de mortifications ne s'imposait-il pas pour obtenir de Dieu la conversion des pécheurs? Ses
jeûnes prolongés avaient desséché jusqu'à ses os; mais peu lui importait qu'ils épuisassent son
corps, pourvu qu'ils attirassent les bénédictions de Dieu sur son troupeau. Quand il s'agissait de
la gloire de son bon maitre, ce grand serviteur de Dieu n'avait pour le repos que du mépris, pour
les douceurs de la vie que de l'éloignement; il ne soupirait qu'après le travail, les souffrances et
les humiliations. Aussi, quoique pauvre des biens de ce monde, était-il véritablement riche aux
yeux de Dieu, parce qu'il possédait le trésor des trésors : la charité.
Insensible à ses propres besoins, il était très-attentif à ceux des fidèles confiés à sa charge. Sa
sollicitude pour les pauvres, qu'il appelait ses enfants, éclata surtout dans une grande famine qui
vint désoler son diocèse. Il ne recula devant aucune peine, aucune fatigue, pour sauver la vie à
son peuple. Il fit tout pour provoquer la charité des fidèles et faire répandre d'abondantes aumônes
dans le sein des malheureux. II donna le premier l'exemple de la générosité, en distribuant aux
nécessiteux le peu qui lui restait de biens, et tous ceux de son Eglise dont il put disposer.
Saint Annobert témoignait aux religieux une bonté toute particulière. Il les visitait souvent, et
les encourageait à marcher d'un pas ferme dans la voie du ciel. Il ne bornait pas son amour pour
les religieux aux limites de son diocèse. Plusieurs abbayes, appartenant à des diocèses voisins,
éprouvèrent les effets de sa bienveillance. C'est ainsi qu'en 689 il se rendit à Rouen pour confir-
mer les privilèges accordés par saint Ansbert, archevêque de cette ville, aux moines de Fontenelle.
Il attira dans son diocèse plusieurs personnages d'une sainteté éminente. Citons, entre autres,
saint Gildéric ou Joudry, anachorète, d'origine écossaise, aux besoins duquel il pourvut généreuse-
ment; saint Evremond et saint Evroult. Après une vie employée en bonnes œuvres et à faire
aimer Jésus-Christ, il alla recevoir la récompense promise par le Sauveur aux bons et fidèles ser-
viteurs. C'était le 17 des calendes de juin, vers l'année 706.
La vénération que les fidèles conservèrent pour saint Annobert après sa mort, et les miracles
qui s'opéraient à son tombeau, portèrent les évêques de la province à le mettre au nombre
des Saints. Son corps fut alors levé de terre et exposé sur les autels. Plus tard, l'église où
il reposait étant tombée dans le plus grand appauvrissement, les prêtres qui la desservaient prirent
SAINT ALPINIEN, PRÊTRE, DISCIPLE DE SAINT MARTIAL. 647
les reliques du Saint et les portèrent de province en province, afin d'exciter plus vivement la cha-
rité des fidèles. Arrivés dans la paroisse de Morienval, ils déposèrent la châsse dans l'abbaye de
religieuses bénédictines de ce lieu. Le lendemain ils se disposèrent à continuer leur route ; mais
quand ils voulurent enlever la châsse, ils la trouvèrent si pesante qu'il leur fut impossible de la
changer de place. Reconnaissant en cela la volonté de Dieu, ils durent laisser à l'église du monas-
tère le corps de leur bien-aimé Pontife.
La présence de ces glorieuses reliques attira bientôt dans l'église de l'abbaye un grand concours
de pèlerins, qui répandirent dans toutes les contrées voisines la dévotion envers saint Annobert. De
la paroisse de Morienval, qui le choisit pour second patron, elle pénétra jusque dans la ville de
Soissons, où l'on célébrait le 16 mai la fête du saint Evêque. C'était aussi le 16 mai que l'abbaye
et la paroisse de Morienval célébraient la principale fête du Saint, sous le rite double majeur.
Telle était la vénération dont on environnait depuis des siècles ses reliques dans l'abbaye de
Morienval, lorsqu'en 1745 un décret royal obligea les religieuses à se disperser en différentes
maisons du voisinage. Ce précieux dépôt fut déposé dans l'église de Morienval par le vicaire
général de Mgr Fitz-James, évèque de Soissons. Un os de la mandibule et un autre de la jambe furent
remis plus tard à l'abbesse du Parc-aux-Dames. La translation en fut faite le 25 septembre 1752,
par Mgr Firmin de Trudaiues, évèque de Senlis, qui permit aux religieuses d'en célébrer la fête
chaque année, à pareil jour, dans leur église. Il y établit aussi une confrérie en l'honneur de ce
grand Saint, et le pape Benoit XIV l'enrichit de nombreuses indulgences, le 1er août 1754.
Une relique du Saint, consistant en un ossement entier du bras, fut donnée à l'abbaye béné-
dictine de Royal-Lieu; mais elle disparut à la Révolution, sans qu'on ait pu savoir ce qu'elle était
devenue. — Les reliques conservées à Morienval furent soustraites au vandalisme révolutionnaire.
Comme l'ancienne châsse était en mauvais état, on résolut de les mettre dans une châsse neuve.
Cette translation eut lieu le 7 mai 1843. La reconnaissance de ces restes sacrés par l'évêque de
Beauvais donna un nouvel élan à la dévotion des fidèles pour saint Annobert.
La cathédrale de Séez, où l'on n'a cessé depuis onze siècles de vénérer ce grand Saint, reçut,
le 6 novembre 1864, une de ses précieuses reliques, qui repose dans un beau reliquaire en cuivre
doré. On possède aussi au grand séminaire de cette ville une partie du même ossement. Diverses
parcelles ont été distribuées dans ce diocèse et contribuent à augmenter la dévotion à saint
Annobert.
Extrait des Vies des Saints du diocèse de Se'ez, par M. l'abbé Blin, curé de Durcet.
XXVIIe JOUR D'AVRIL
SAINT ALPINIEN PRÊTRE, DISCIPLE DE SAINT MARTIAL (i" siècle):
Saint Alpinien, disciple de saint Martial, vers l'an 43, était grec et infidèle d'abord ; il fut
converti à la foi et baptisé par saint Pierre, à Antioche, sa patrie.
Il vint dans les Gaules avec saint Martial, et il prêcha avec lui l'Evangile dans tous les pays
contenus entre le Rhône et la Garonne; ils visitèrent Toulouse, Agen, Périgueux, Cahors et Rodez.
Saint Martial, à sa mort, lui laissa son mouchoir en souvenir, comme Elie avait laissé son
manteau au prophète Elisée. Alpinien l'accepta comme une riche succession et s'en servit dans la
suite pour opérer de nombreux miracles.
Saint Alpinien était particulièrement chéri de saint Martial, à cause des admirables vertus qui
resplendissaient en lui. Dieu lui accorda plusieurs fois le don des miracles : il ressuscita un petit
enfant qu'il rendit à sa mère ; il guérit des aveugles, des paralytiques et des possédés du démon.
Après sa mort, les miracles continuèrent à son tombeau. Il mourut l'an 79, le 26 ou 27 avril.
Son corps, conservé à Limoges jusqu'au ixe siècle, fut ensuite transporté à Ruffec en 848,
ti'iB btrPPLÉMENT. — tf MAI.
lorsque Raymond, comte ^e Limoges, y fit élever un monastère. Ses reliques furent ensuite trans-
portées à Castel-Sarrasin (avant le xive siècle). Plusieurs évèques de Montauban et deux archevêques
de Toulouse les visitèrent, et le pape Clément VIII reconnut leur authenticité par une bulle adressée
à l'église de Saint-Sauveur. Elles étaient conservées autrefois dans un grand et beau reliquaire en
argent, qui a disparu à la Révolution.
Saint Alpinien est particulièrement invoqué dans les temps de calamité et pour la guérison des
maladies mentales. Mais la grande manifestation religieuse en faveur de saint Alpinien a lieu surtout
à l'occasion de la solennité qui se célèbre à Castel-Sarrasin, le dimanche après le 26 avril. Dès la
veille, la ville prend un air de fête ; de nombreux pèlerins venus de loin stationnent aux alentours
de l'église. A l'entrée de la nuit, le clergé et le peuple vont à l'église Saint-Jean. Là, après une
antienne chantée en l'honneur du saint Précurseur, les prêtres reçoivent chacun un cierge allumé,
et le chant des hymnes commence. Les reliques sont transportées solennellement vers l'église Saint-
Sauveur, où les Compiles sont célébrées avec pompe. Le lendemain, toute la cité prend part à la
grande procession, où les saintes reliques sont portées triomphalement dans les principales rues
Le peuple tout entier est là pour rendre témoignage des nombreux bienfaits reçus par l'intercession
du Saint et pour proclamer la confiance qu'il lui accorde toujours.
La ville d'Aixe, à deux lieues de Limoges, reconnaît aussi saint Alpinien pour son patron.
Nous devons cette notice à l'obligeance du R. P. Caries, missionnaire du Calvaire de Touloiue.
Ve JOUR DE MAI
SAINTE VALDRADE OU VALDRÉE , VIERGE,
PREMIÈRE ABBESSE DE SAïlNT-PIERRE-AUX-NONNAINS, A METZ (vie siècle).
Illustre par sa piété et par la noblesse de son origine, puisqu'elle était alliée aux rois d'Aus-
trasie, sainte Vald rade quitta le monde pour embrasser la vie religieuse. Eleuthère, duc des Francs
et proche parent de la Sainte, fonda au vie siècle, sous les murs de Metz, l'abbaye de Saint-Pierre-
aux-Nonnains, qu'il dota de revenus suffisants pour l'entretien de trois cents religieuses. Au nombre
des biens donnés par ce duc figuraient les domaines de Jarville et de Laneuveville que, pour prix
de son dévouement, il avait reçu de Théodoric, roi de Bourgogne. Valdrade, dont Eleuthère avait
encouragé la vocation, fut la première abbesse du nouveau monastère, auquel elle fit l'abandon
spontané de toute sa fortune, la deuxième année du règne de Théodoric ou Thierry, c'est-à-dire
en l'an 513. Papole, évêque de Metz, et Théodebert, roi d'Austrasie, confirmèrent en 596, la dona-
tion de Valdrade. Dès lors les territoires de Jarville et de Laneuveville entrèrent dans les domaines
de l'abbaye qui les faisait administrer pour son compte et en touchait les revenus.
Sainte Valdrade mourut après avoir gouverné, pendant environ cinquante ans, le monastère fondé
par son proche parent et qu'elle avait enrichi. Elle reçut la sépulture dans l'église de son abbaye
où l'on voyait une chapelle et un tombeau monumental construits en son honneur. Quelques siècles
plus tard, le relâchement s'étant introduit dans la communauté, les religieuses qui la composaient
négligèrent l'entretien des bâtiments au point qu'ils tombaient en ruine. Adalbéron II, évêque de
Metz, entreprit de les relever, et surtout le temple divin dont à peine on voyait la place. Le corps
de Valdrade fut retrouvé, mis dans une châsse d'argent et placé d'une manière honorable dans la
nouvelle église.
En l'année 1201, Clémence, abbesse de Saint-Pierre de Metz, fit donation à l'abbaye de Clair-
lieu de tout ce qu'elle possédait au village d'Arrentières (aujourd'hui détruit), entre Jarville et
Laneuveville, et tout près duquel s'élevait une chapelle de Sainte-Valdrée. Chaque année, un
religieux de Clairlieu venait y célébrer la messe le 5 mai, fête de l' Abbesse, et aussi le second
SAINTE VALDRADE OU VALDRÉE, VIERGE ET ABBESSE. 649
jour des Rogations. Ce petit édifice est orienté et présente, à l'intérieur, un carré de 4 mètres 50
sur chaque côté. L'autel est en bois peint. Le principal et le plus curieux ornement conservé dans
le vieil oratoire est une statue de la Sainte. En costume d'abbesse, Valdrade tient de la main
droite la crosse abbatiale, et de la gauche les statuts de son monastère. La création de cette
antique chapelle est attribuée aux abbesses de Saint-Pierre-aux-Nonnains, qui la consacrèrent à leur
première et sainte mère, Valdrade, dans le but de détruire les coutumes superstitieuses des habitants
des villages voisins, qui persistaient à attribuer à la fausse déesse Hygie, l'effet salutaire des eaux
de la source voisine. Pourquoi faut-il ajouter qu' a après avoir subi deui expropriations à Metz,
pour cause d'utilité publique, la pauvre Valdrade est menacée d'expulsion hors des murs de son
humble refuge, non loin de Nancy, et que son nom serait peut-être bientôt oublié sans les pros-
pectus de la nouvelle compagnie des mines de sel et les factures de la future usine qu'elle est
appelée à décorer? »
Nous devons cette notice à l'obligeance de M. l'abbé Guillaume, chanoine de Nancy et aumOnier dî la
chapelle dacale de Lorraine.
K3 DO TOME CINQUIÈME-
TABLE DES MATIÈRES
AVRIL
XXIV» JOUR. P«g<».
Martyrologes Romain, Français, des Ordres
religieux. Divers i
S8 Beuve et S8 Dode, vierges, premières
abbesses de Saint-Pierre de Reims,, g
S. Robert, premier abbé de la Chaise-
Dieu , , 5
S. Fidèle, capucin et martyr . . , , 8
S. Léger, prêtre , . , , %i
S. Mellit, premier évêque de Londres,
puis archevêque de Cantorbéry 12
S. Egbert, prêtre 12
XXV8 JOUR.
Martyrologes Romain, Français, des Ordres
religieux. Divers 13
S. Marc ïEvangéliste 15
S. Phébade ou Fiari, évêque d'Agen...., 25
S. Ermin, évêque régionnaire 2 G
XXVI» JOUR.
Martyrologes Romain, Français, des Ordres
religieux. Divers ,..,..,., 27
S. Clet, pape 28
S. Marcellin, pape et martyr ,, 30
S. Riquier, abbé de Centule ■ 33
S. Paschase Radbert, abbé de Corbie.... 36
S8 Exupérance, vierge 39
S. Guillaume et S, Pérégrin, son fils,.,, 39
S. Jean, premier abbé de Bopnevaux et
évêque de Valence , 40
La B° Aida, religieuse humiliée , , , 41
XXVII8 JOUR.
Martyrologes Romain, Français, des Ordres
religieux. Divers ....,, 42
S. Anthime, évêque et martyr 43
S8 Zite, vierge ,„„„„„„ 49
Le B. Pierre Armengol. ..,,,, ,,.,,„,,,, 53
S. Anastase I", pape,., ,.,,,, 55
XXVIII* JOUR,
Martyrologes Romain, Français, des Ordres
Pftg«.
religieux. Divers , , 56
S8 Théodora et S. Didyme, martyrs 58
S. Aphrodise, premier évêque de Béziers,
martyr , , . . , , fil
S. Vital et S8 Valérie, martyrs . , 62
S8 Probe et S8 Germaine, vierges et mar»
tyres , . , , f , 62
S. Affrique, évêque de Gomminges 63
S, Arthème, évêque de Sens ,,..,,.,,,, 64
Le B. Luchèse, confesseur ,.,,...,...,, 65
Le B. Augustin Novello limilH 66
XXIX» JOUR,
Martyrologes Romain, Français, des Ordres
religieux. Divers. . , 66
S. Robert, religieux de Montier-la-Celle,
abbé de Saint-Michel de Tonnerre,
prieur de Saint-Ayoul, fondateur de
Molesmes et de Citeaux ,,,,..,,,,., 67
S. Hugues, abbé de Gluny , ,„.,., , 75
S. Pierre de Vérone, martyr , , , , 70
S8 Tertulle et S8 Antonie, vierges. ,.,., 84
S8 Ave de Denain, vierge., , 84
S, Ursion et S. Maurèle de Troyej,,MM 85
XXX» JOUR.
Martyrologes Romain, Français, des Ordre?
religieux. Divers 85
S. Eutrope, on Ytrope, évêque de Saintes,
martyr, et S8 Eustelle, vierge 88
SS, Jacques, Marien, Agapius, Emilien,
martyrs en Numidie (Algérie) 94
S. Pulchrone, évêque de Verdun lût
S. Hamon ou Aymon, religieux de l'abbaye
de Savigny en Normandie. ,,,,,,,,, 105
S8 Catherine de Sienne( vierge, , . np
S. Adjuteur, seigneur de Vernon, ermite. 137
S. Maxime, marchand en Asie, martyr... 139
S8 Hoilde, vierge .,.,,..,,, 140
S. Erkonwald, évêque de Londres 141
SS. Amator, Pierre, Ludovic et Jean, mar-
tyrs à Cordoue 141
S. Raymond de Calatrava ,,,..,., 142
TABLE DES MATIÈRES.
MAI
PREMIER JOUR.
Pages.
Martyrologes Romain, Français, des Ordres
religieux. Divers 143
Fêtes mobiles de mai 146
S. Jacques le Mineur, apôtre 158
S. Philippe, apôtre 164
S. Andéol, premier apôtre des Helviens,
martyr 167
S. Amateur ou Amatre, évoque d'Auxerre,
et Se Marthe, son épouse 177
S. Orens, évèque d'Auch 179
S. Sigismond, roi de Bourgogne 184
S. Marculphe ou Marcoul, abbé 189
S. Brieuc, évêque en Bretagne 194
S. Gombert et Se Berthe, son épouse,
martyrs 196
Se Walburge, abbesse 200
S. Théodard ou Audard, évêque de Nar-
bonne et patron de Montauban 202
S9 Thorette, bergère dans le Bourbonnais. 210
Wotre-Dame de Bethléem à Ferrières 213
Notre-Dame du Laus, et la V. Benoîte
Rencurel, Notre-Dame d'Erable, Notre-
•• Dame des Fours, etc 216
S. Jérémie, prophète 229
S» Germaine, vierge et martyre, et S9 Ho-
norée, vierge, de Bar-sur-Aube 230
S9 Gertrude de Vaux-en-Dieulet 231
S. Théodulphe ou Thiou, troisième abbé
du Mont-d'Hor ou de Saint-Thierry,
près de Reims 232
S. Ache et S. Acheul, martyrs 233
S. Blandin 234
S. Evermar, martyr 234
S. Aldebrand, évêque et patron de Fos-
sombrone 235
S6 Isidora de Tabennes 235
Pages.
S. Alexandre, pape, S. Evenee et S. Théo-
dule, prêtres, Se Balbine, S. Quiiin,
S» Théodora et S. Hermès, tous mar-
tyrs 219
La B. Emilie Bicchieri, du Tiers Ordre de
Saint-Dominique 297
Le B. Alexandre, religieux cistercien, à
Foigny, dans le diocèse de Laon.... 300
IVa JOUR.
Martyrologes Romain, Français, des Ordres
religieux. Divers 301
Se iVonique, veuve 303
S. Sacerdos, évêque de Limoges, patron
de la ville et du diocèse de Sarlat,
et S9 Mondane, sa mère 315
S. Florian, soldat et martyr 321
S. Cyriaque, évêque et martyr 322
S. Firmin, évèque de Verdun 322
S. Antoine du Rocher 323
S. Gothard ou Godard, évèque de Hildes-
heim 324
S» Hélène, vierge honorée à Troyes 324
V° JOUR.
Martyrologes Romain, Français, des Ordres
religieux. Divers 325
S. Barsès et S. Euloge, évèques d'Edesse,
S. Protogène, évèque de Carrhes.... 327
S. Hilaire, archevêque d'Arles 330
S. Mauront ou Maurant, patron de Douai. 334
S. Ange, de l'Ordre des Carmes, martyr.. 341
S. Pie V, pape 345
S. Britton, évêque de Trêves 355
S. Avertin, chanoine gilbertin 356
H» JOUR.
Martyrologes Romain, Français, des Ordres
religieux. Divers 236
S. Athanase, patriarche d'Alexandrie et
docteur de l'Eglise 238
S. Germain d'Ecosse, évêque et martyr. . 259
S. Walbert, troisième abbé de Luxeuil... 264
S8 Guiborat ou Viborade, vierge, recluse
et martyre en Suisse, et S9 Rachilde,
sa compagne 268
S. Yaubert ou Walbert, religieux de Sithiû,
et S. Bertin, son fils 273
UI« JOUR.
Martyrologes Romain, Français, des Ordres
religieux. Divers 274
Invention de la sainte Croix 276
VI9 JOUR.
Martyrologes Romain, Français, des Ordres
religieux. Divers 357
S. Jean, martyr devant la Porte latine... 359
Se Avoye, vierge et martyre 361
S. Jean Damascène 365
Le B. Hatta, abbé de Saint- Vaast 372
S. Edbert, évêque de Lindisfarne........ 372
VII» JOUR.
Martyrologes Romain, Français, des Ordres
religieux. Divers 373
S. Sérenic et S. Sérené, son frère, reclus
aux diocèses de Séez et du Mans. . . 374
S. Benoit II, pape 383
S. Stanislas, évèque de Cracovie, martyr. 384
S9 Mastidie ou Mathie, vierge , . 390
TABLE DES MATIERES.
ni
Pages.
S. Misselin ou Mesclin, prêtre de Tarbes. 390
S. Domitien, évèque de Maëstricht 391
S. Jeau de Beverley 391
VIII» JOUR.
Martyrologes Romain, Français, des Ordres
religieux. Divers 392
S. Michel (apparition de), archange 394
S. Pierre II, archevêque de Tarentaise. .. 396
S. Hellade, évèque d'Auxerre 403
S. Gibrien, prêtre en Champagne 403
S. Désiré, évèque de Bourges 404
S. Wiron, évèque régionnaire 404
Le 8. Bernard, dominicain 405
IX» JOUR.
Martyrologes Romain, Français, des Ordres
religieux. Divers 406
S. Béat ou Bié, anachorète à Laon 407
S. Grégoire de Nazianze, docteur de l'E-
glise, archevêque de Constantinople. 409
Le B. Jean ou Hans Wagner, ermite en
Suisse 422
Notre-Dame des Miracles à Mauriac 423
X" JOUR.
Martyrologes Romain, Français, des Ordres
religieux. Divers 425
S" Solange, vierge et martyre 427
S. Isidore, laboureur, patron de la ville de
Madrid et des laboureurs 432
S. Antonin, archevêque de Florence 436
Le patriarche Job 440
S. Adelphe, S. Philadelphe et S. Cyrin,
martyrs, Se Thècle, S8 Justine, vier-
ges, et Se Isidora 443
S. Gordien , S. Epimaque , S8 Marine ,
S. Janvier, martyrs 444
S. Mathurin de Montchaude 444
XI" JOUR.
Martyrologes Romain, Français, des Ordres
religieux. Divers 445
S. Udaut, prêtre et martyr, apôtre des
Huns du Danube et des vallées pyré-
néennes de l'Ariége 447
S. Mamert, archevêque de Vienne en Dau-
phiné 454
S. Gengoul, martyr 456
S. Mayeul, quatrième abbé de Cluny.... 460
S.Gautier, chanoine régulier, abbé de
l'Esterp, en Limousin 466
S. François de Girolamo, de la Compagnie
de Jésus , 470
XII" JOUR.
Martyrologes Romain, Français, des Ordres
religieux. Divers 482
S. Nérée, S. Achillée, S" Flavie Domitille.
Pages,
la jeune, S" Euphrosyne et S" Théo-
dora, martyrs 484
S. Pancrace, martyr 487
S. Epiphane, évèque de Salamine, en Chy-
pre, et docteur de l'Eglise 489
S" Rictrude, épouse de S. Adalbaud, de
Douai 493
S. Modoald, évèque de Trêves 502
S. Dominique ou Domingue de Calzada.. 503
S" Jeanne de Portugal, vierge 504
S. Hygin, patron de Lectoyre 504
XIII" JOUR.
Martyrologes Romain, Français, des Ordres
religieux. Divers 505
S. Servais, évèque de Tongres 506
S. Jean le Silentiaire, évèque 510
S. Onésime, évèque de Soissons 514
S" Agnès et S8 Disciole, vierges à Poitiers. 515
S. Flavius, évèque de Chalon-sur-Saône.. 516
Le B. Albert d'Ogna, homme de peine... 511
XIV" JOUR.
Martyrologes Romain, Français, des Ordres
religieux. Divers 518
S. Boniface, martyr à Tarse 520
S. Pacôme, abbé dans la Thébaïde 524
S. Pascal Ier, pape 531
Le B. Egidius ou Gilles, de Portugal 532
S. Victor et S8 Couronne, martyrs 537
S. Pontius ou Pons, martyr à Cimiez.. .. 538
S. Ampèle ou Apelles, forgeron 539
XV" JOUR.
Martyrologes Romain, Français, des Ordres
religieux. Divers 539
S. Pierre, S. André, S. Paul et S8 Diony-
sia, martyrs 541
S. Rhétice, évèque d'Autun 544
S8 Dympna, vierge, et S. Géréberne, prê-
tre, martyrs à Gheel, en Brabant 551
S. Torquat, martyr à Cadix, S. Ctésiphon
à Vierço, S. Second à Avila, S. Inda-
lèce à Portilla, S. Cécilius à Elvire,
S. Hésichius à Gibraltar, et S. Eu-
phrase à Andujar 554
S. Robert, confesseur dans le diocèse de
Mayence 555
S. Franchy, ermite en Nivernais 555
Le B. Jacques de Vicoigne 556
XVI" JOUR.
Martyrologes Romain, Français, des Ordres
religieux. Divers 557
S. Pèlerin ou Pérégrin, apôtre des diocèses
d'Auxerre et de Nevers, et ses com-
pagnons, martyrs 560
S. Phal ou Fidolus, abbé d'Isle, en Cham-
pagne 565
S. Eman, martyr au pays Chartrain 568
r? ÎABI3 DES MATIERES.
Pages. Pages,
S. Germier, évêque de Toulouse 572 S. Possidius, évêque de Calame, en Nu-
S. Honoré, évêque d'Amiens 575 midie 621
S. Ubald ou Thiébaut, évêque de Gubbio. 578 S. Montain ou Montan, ermite à La Fère. 622
S. Simon de Stock, général des Carmes. . 581 S8 Framechilde ou Frameuze 623
S. Jean Népomucène 595 S. Brunon, évêque de Wurtzbourg 623
Le B. André Bobola , 602
S. Geins, le solitaire de Bausset...,»... 606 XV11I« JOUR.
XVII» JOUR. Martyrologes Romain, Français, des Ordres
religieux. Divers G24
Martyrologes Romain, Français, des Ordres S. Venant de Camerino, martyr 626
religieux. Divers 606 S. Théodote, cabaretier, et sept vierges,
Le V. Jean Taulère, religieux, de l'Ordre martyrs 628
de Saint-Dominique 608 S. Félix de Cantalice, capucin 635
S. Pascal Baylon, religieux, de l'Ordre de S. Quinibert, patron de Salêsches 640
Saint-François 611 S. Eric IX, roi de Suède, martyr 641
8. Tropex, officier de Néron, martyr. ... 620
TABLE ALPHABÉTIQUE
A Pages.
S. Aclie et S. Acheul, martyrs,.. 1 mai. 233
S. Acheul et S. Ache, martyrs... 1 — 233
S. Achillée, martyr 12 — 484
S. Adelpae, martyr 10 — 443
S. Adjuteur, seigneur de Vernon,
ermite 30 avril. 137
S. Afrique, évèque de Comminges 28 — 63
SS. Agapius, Emilien, Jacques,
Mariea, martyrs en Numidie. 30 — 94
S» Aguès et S» Disciole, vierges
a Poitiers 13 mai. 513
Le B. Albert d'Ogna, homme de
peine 13 — 517
La B* Aida, religieuse humiliée.. 26 avril. 41
S. Aldebrand , évéque et patron
de fr'ossomûrone 1 mai. 235
S. Alexandre, pape, martyr..... 3 — 289
Le B. Alexandre, religieux cister-
cien à Foigny, dans le dio-
cèse de Laon 3 — 300
S. Amateur ou Amatre, évèque
d'Auxerre, et S* Marthe, son
épouse 1 — 177
SS. Amator, Pierre, Ludovic et
Jean, martyrs à Cordoue.. .. 30 avril. 141
S. Amatre ou Amateur, évèque
d'Auxerre, et Se Marthe, son
épouse 1 mai. 177
S. Ampèle ou Apelles, forgeron.. 14 — 539
S. Anastase 1er, pape 27 avril. 65
S. Andéol, apôtre des Helviens,
martyr 1 mai. 167
S. André, martyr 15 — 541
Le B. André Bobola 16 — 602
S. Ange, de l'Ordre des Carmes,
martyr 5 — 34l
S. Anthime, évèque et martyr. . . 27 avril. 43
S. Antoine du Rocher 4 mai. 823
S8 Antonieet S' Tertulle, vierges. 29 avril. 84
S. Antonin, archevêque de Flo-
rence 10 mai. 436
S. Apelles ou Ampèle, forgeron.. 14 — 539
|. Aphrodise, premier évèque de
Béziers, martyr 28 avril. 61
S. Arthème, évèque de Sens .... 28 — 64
S. Athanasc, patriarche d'Alexan-
drie et docteur de l'Eglise . . 2 mai. 238
S. Audard ou Théodard, évèque
de Narbonne et patron de
Montauban. 1 — 202
Pages.
Le B. Augustin Novello 28 avril. 65
S» Ave de Denain, vierge 28 — 84
S. Avertin, chanoine gilbertin... 5 mai. 356
Sa Avoye, vierge et martyre 6 — 361
S. Aymon ou Hamou, religieux dé
l'abbaye de Savigny, en Nor-
mandie 30 avril. 105
B
S8 Balbine, martyre 7. 3 mai. 289
S. Barsès, évèque d'Edesse 5 — 321
S. Béat ou Bié, anachorète à
Laon 9 — 407
S. Benoit II, pape 7 — 383
La V» Benoîte Rencurel 1 — 216
Le B. Bernard, dominicain 8 — 405
S* Berthe, épouse de S. Gombert,
martyrs i — 196
S. Berlin et S" Vaubert ou Wal-
bert, religieux de Sithiu.... 2 — 273
S* Beuve et S* Bode, vierges,
premières abbesses de Saint-
Pierre de Reims 24 avril. 2
S. Bié ou Béat , anachorète à
Laon 9 mai. 407
S. Blandin i 234
S. Boniface, martyr à Tarse 14 — 520
S. Brieuc, évèque en Bretagne... 1 — 194
S. Britton, évèque de Trêves ... 5 — 355
S. Brunon, évèque de Wurtzbourg 17 — 623
G
S8 Catherine de Sienne, vierge.. 30 avril. 110
S. Cécilius, martyr à Elvire 15 mai. 554
S. Clet, pape 26 avril. 28
S» Couronne et S. Victor, mar-
tyrs 14 mai. 537
S. Ctésiphon, martyr à Vierço. . . 15 — 554
S. Cyriaque, évoque et martyr... 4 — 322
S. Cyrin, martyr.... 10 — 443
D
S. Désiré, évèque de Bourges ... 8 — 404
S. Didyme et S* Théodora, mar-
tyrs 28 avril. 58
S» Dionysia, martyre 15 mai. 541
S° Disciole et S* Agnès, vierges
à Poitiers 13 — 515
VI
TABLE ALPHABÉTIQUE.
Pages.
S» Dode et S* Beuve, vierges,
premières abbesses de Saint-
Pierre de Reims 24 avril. 2
S» Domingue ou Dominique de
Calzada 12 mai. 503
5e Dominique ou Domingue de
Calzada 12 — 503
S. Domitien, évèque de Maëstricht 7 — 391
Se Dympna, vierge, et S. Géré-
berne , prêtre , martyrs à
Gheel, en Brabant 15 — 551
E
S. Edbert, évêque de Lindisfarne 6 — 372
S. Egbert, prêtre 24 avril. 12
Le B. Egidius ou Gilles, de Por-
tugal 14 mai. 532
S. Eman, martyr au pays char-
train 16 — 568
La Bs Emilie Bicchieri, du Tiers
Ordre de Saint-Dominique... 3 — 297
SS. Emilien, Jacques, Marien,
Agapius, martyrs en Numi-
die 30avril. 94
S. Epimaque, martyr 10 mai. 444
S. Epiphaue, évèque de Salamine,
en Chypre, et docteur de
l'Eglise 12 — 489
S. Eric IX, roi de Suède, martyr. 18 — 641
S. Erkonwald, évèque de Londres 30 avril. 141
S. Ermin, évèque régionnaire... 25 — 26
S. Euloge, évèque d'Edesse 5 mai. 327
S. Euphrase, martyr à Andujar. . 15 — 554
Se Euphrosyne, martyre 12 — 484
Se Eustelle, vierge, et S. Eutrope
ou Ytrope, évèque de Saintes,
martyr 30 avril. 88
S. Eutrope ou Ytrope, évèque de
Saintes, martyr, et S° Eus-
telle, vierge 30 — • 88
S. Evence, prêtre, martyr 3 mai. 2S9
S. Evermar, martyr 1 — 234
S« Exupérance, vierge 26 avril. 39
S. Félix de Cantalice, capucin. . . 18 mai. 635
Fêtes mobiles de mai 1 — 146
S. Fiari ou Phébade, évèque d'A-
gen 25 avril. 25
S. Fidèle, capucin et martyr.... 24 — 8
S. Fidolus ou Phal, abbé d'Isle,
en Champagne 16 mai. 565
S. Firmin, évêque de Verdun.... 4 — 322
S» Flavie Domitille , la jeune ,
martyre 12 — 484
S. Flavius, évèque de Chalon-sur-
Saône 13 — 516
S. Florian, soldat et martyr 4 — 321
Se Framechilde ou Frameuze.... 17 — 623
Se Frameuze ou Framechilde.... 17 — 623
S. Franchy, ermite en Nivernais. 15 — 555
3. François de Girolamo, de la
Compagnie de Jésus 11 — 470
G Pages.
S. Gautier, chanoine régulier,
abbé de l'Esterp, en Limousin 11 mai. 46G
S. Geins, le solitaire de Bausset. 16 — 606
S. Gengoul, martyr 11 — 456
S. Géréberne , prêtre , et S»
Dympna, vierge, martyrs à
Gheel, en Brabant 15 — 531
S. Germain d'Ecosse, évêque et
martyr 2 — 259
Se Germaine, vierge et martyre de
Bar-sur- Aube 1 — 230
S» Germaine et S» Probe, vierges
martyres 28 avril. 62
S. Germier, évèque de Toulouse. 16 mai. 572
S« Gertrude de Vaux-en-Dieulet. .1 — 231
S. Gibrien, prêtre en Champagne. 8 — 403
Le B. Gilles ou Egidius, de Por-
tugal 14 — 532
S. Godard ou Gothard, évèque de
Hildesheim 4 — 324
S. Gombert et S* Berthe, son
épouse, martyrs 1 — 196
S. Gordien, martyr 10 — 444
S. Gothard ou Godard, évêque de
Hildesheim 4 — 324
S. Grégoire de Nazianze, docteur
de l'Eglise, archevêque de
Constantinople 9 — 409
S» Guiborat ou Viborade, vierge,
recluse et martyre, et S0 Ra-
childe, sa compagne 2 — 268
S. Guillaume, et S. Pérégrin, son
fils 26 avril. 39
S. Hamon ou Aymon , religieux
de l'abbaye de Savigny, en
Normandie 30 — 105
Le B. H ans ou Jean Wagner, er-
mite en Suisse 9 mai. 422
Le B. Hatta, abbé de Saint-Vaast 6 — 372
S» Hélène , vierge, honorée à
Troyes 4 — 324
S. Hellade, évèque d'Auxerre .... 8 — 403
S. Hermès, martyr 3 — 289
S. Hésichius, martyr à Gibraltar.. 15 mai 554
S. Hilaire, archevêque d'Arles... 5 — 330
S» Hoilde, vierge 30 avril 140
S. Honoré, évèque d'Amiens 16 mai 575
S» Honorée, vierge, de Bar-sur-
Aube 1" — 230
S. Hugues, abbé de Cluny 29 avril 73
S. Hygin, patron de Lectoure.... 12 mai 504
S. Indalèce, martyr à Portilla... 15
Invention de la sainte Croix 3
S. Isidore, laboureur, patron de la
ville de Madrid et des labou-
reurs 10
Se Isidora 10
554
276
432
443
TABLE ALPHABÉTIQUE.
m.
S» Isidora de Tabennes.
Pages.
!•* mai. 235
SS. Jacques, Marien, Agapius,
Emilien, martyrs en Numidie. 30 avril 94
Le B. Jacques de Vicoigne 15 mai 556
S. Jacques le Mineur, apôtre.... 1er — 158
S. Janvier, martyr 10 — 444
S. Jean, premier abbé de Bonne-
vaux et évêque de Valence.. 26 avril 40
SS. Jean, Amator, Ludovic et
Pierre, martyrs à Cordoue.. 30 — 141
S. Jean, martyr devant la Porte
latine 6 mai 359
Le B. Jean ou Hans Wagner, er-
mite en Suisse 9 — 422
S. Jean Damascène 6 — 365
S. Jean de Beverley 7 — 391
S. Jean le Silentiaire, évèque... 13 — 510
S. Jean Népomucène 16 — 595
Se Jeanne de Portugal, vierge... 12 — 504
Le V. Jean Taulère , religieux de
l'Ordre de Saint-Dominique.. 17 — 608
S. Jérémie, prophète 1" — 229
Job (le patriarche) 10 — 440
S» Justine, vierge 10 — 443
L
S. Léger, prêtre 24 avril 11
Le B. Luchèse, confesseur 28 — 65
SS. Ludovic, Jean, Amator et
Pierre, martyrs à Cordoue.,. 30 — 141
M
S. Mamert, archevêque de Vienne
en Dauphiné 11 mai 454
S.Marc l'Evangéliste 25 avril 15
S. Marcellin, pape et martyr 26 — 30
S. Marcoul ou Marculphe, abbé.. 1er mai 189
S. Marculphe ou Marcoul, abbé.. 1er — 189
SS. Marien, Jacques, Agapius,
Emilien, martyrs en Numidie. 30 avril 94
S6 Marine, martyre 10 mai 444
Se Marthe, épouse de S. Amateur
ou Amatre , évêque d'Au-
xerre 1er — 177
S8 Mastidie ou Mathie, vierge.... 7 — 390
S6 Matliie ou Mastidie, vierge.... 7 — 390
S. Mathurin de Montchaude 10 — 444
S. Maurant ou Mauront, patron de
Douai 5 — 334
S. Maurèle et S. Ursion de Troyes 29 avril 85
S. Mauront ou Maurant, patron de
Douai 5 mai 334
S. Maxime, marchand en Asie,
martyr 30 avril 139
& Mayeul, quatrième abbé de
Cluny 11 mai 460
S. Mellit, premier évêque de
Londres, puis archevêque de
Cantorbéry 24 avril 12
Vies des Saints. — Tome V.
Pages.
S. Mesclin ou Misselin, prêtre de
Tarbes 1 mai 390
S. Michel (apparition de), ar-
change 8 — 394
S. Misselin ou Mesclin, prêtre de
Tarbes' 7 — 390
S. Modoald, évèque de Trêves... 12 — &02
S» Monique, veuve 4 — 303
S. Montain ou Montan, ermite à
La Fère ...17 — 622
S. Montan ou Montain, ermite ff
La Fère 17 — 622
N
S. Nérée, martyr 12 — 484
Notre-Dame d'Erable 1er _ 216
Notre-Dame des Fours 1er — 216
Notre-Dame des Miracles à Mau-
riac 9 — 423
Notre-Dame du Laus Ie' — 216
S. Onésime, évèque de Soissons.
S. Orens, évêque d'Auch. .......
13
1«
514
179
Pacome, abbé dans la Thé-
baïde 14 — 524
Pancrace, martyr 12 — 487
Pascal I", pape 14 — 531
Pascal Baylon, religieux de
l'Ordre de Saint-François... 17 — 61L
Paschase Badbert , abbé de
Corbie 26 avril 36
Paul, martyr 15 mai 541
Pèlerin ou Pérégrin, apôtre des
diocèses d'Auxerre et de Ne-
vers, et ses compagnons, mar-
tyrs 16 — 560
Pérégrin ou Pèlerin, apôtre des
diocèses d'Auxerre et de Ne-
vers, et ses compagnons, mar-
tyrs 16 — 560
Pérégrin et S. Guillaume 26 avril 39
Phal ou Fidolus, abbé d'isle,
en Champagne 16 mai 565
Phébade ou Fiari, évêque d'A-
gen 25 avril 25
Philadelphe, martyr 10 mai 443
Philippe, apôtre 1er — 164
Pie V, pape 5 — 345
. Pierre, Amator, Ludovic et
Jean, martyrs à Cordoue 30 avril 141
B. Pierre Armengol 27 — 53
Pierre, martyr 15 mai. 541
Pierre II, archevêque de Ta-
rentaise 8 — 396
Pierre de Vérone, martyr 29 avril. 79
Pons ou Pontius, martyr à Ci-
miez 14 mai. 538
42
vin
TABLE ALPHABÉTIQUE.
Pages.
S. Pontius ou Pons, martyr à Ci-
miez 14 mai. 538
S. Possidius, évèque de Calame,
en Numidie 17 — 621
S° Probe et S8 Germaine, vierges
et martyres 28 avril. 62
S. Protogène, évèque de Carrhes. 5 mai. 327
S. Pulchrone, évèque de Verdun. 30 avril. 101
Q
S. Quinibert, patron de Salesches. 18 mai. 640
S. Quirin, martyr 3 — 289
R
S» Rachilde et S« Guiborat ou Vi-
borade, vierge, recluse et
martyre 2 — 268
S. Raymond de Calatrava 30 avril. 142
S. Rhétice, évèque d'Autun 15 mai. 544
Se Rictrude, épouse de S. Adal-
baud, de Douai 12 —
S. Riquier, abbé de Centule 26 avril
S. Robert , premier abbé de la
Cbaise-Dieu 24
S. Robert, religieux de Montier-
la-Celle, abbé de Saint-Michel
de Tonnerre, prieur de Saint-
Ayoul , fondateur de Moles-
mes et de Citeaux 29 — 67
S. Robert, confesseur dans le dio-
cèse de Mayence 15 mai. 555
493
33
— 5
U
Ubald ou Thiébaut, évèque de
Gubbio 16
Udaut, prêtre et martyr, apôtre
des Huns du Danube et des
vallées pyrénéennes de l'A-
riége 11 —
Ursion et S. Maurèle de Troyes. 29 avril
289
484
628
289
232
Pages.
Se Théodora et S. Didyme, martyrs 28 avril. 58
Sa Théodora, martyre 3 mai.
Se Théodora, martyre 12 —
S. Théodote, cabaretier, et sept
vierges, martyrs 18 —
S. Théodule, prêtre, martyr 3 —
S. Théodulphe ou Thiou , troi-
sième abbé du Mont-d'Hor ou
de Saint-Thierry , près de
Reims 1er
S. Thiébaut ou Ubald, évèque de
Gubbio 16
S. Thiou ou Théodulphe , troi-
sième abbé du Mont-d'Hor ou
de Saint-Thierry, près de
Reims 1" — 232
S6 Thorette, bergère dans le Bour-
bonnais 1"
S. Torquat, martyr à Cadix 15
S. Tropez, officier de Néron, mar-
tyr 17
— 578
— 210
— 554
— 620
— 578
447
85
315
554
7 — 374
S. Sacerdos, évèque de Limoges,
patron de la ville et du dio-
cèse de Sarlat, et S6 Mon-
dane, sa mère 4 —
S. Second, martyr à Avila 15 —
S. Sérené et S. Sérenic, son frère,
reclus aux diocèses de Séez
et du Mans
S. Sérenic et S. Sérené, son frère,
reclus aux diocèses de Séez
et du Mans 7
S. Servais, évèque de Tongres.. . 13
S. Sigismond, roi de Bourgogne.. 1er
S. Simon de Stock, général des
Carmes 16 — 581
S6 Solange, vierge et martyre. . . 10 — 427
S. Stanislas, évèque de Cracovie,
martyr 7 — 384
S® Tertulle et S9 Antonie, vierges. 29 avril. 84
S6 Thècle, vierge 10 mai. 443
S. Théodard ou Audard, évèque
de Narbonne et patron de
Montaubau.. 1" — 202
374
506
184
S® Valérie et S. Vital, martyrs.. 28 — 62
S. Vaubert ou Walbert, religieux
de Sithiii et S. Bertin, son fils. 2 mai. 273
S. Venant de Camerino, martyr. . 18 — 626
Se Viborade ou Guiborat, vierge,
recluse et martyre, et S° Ra-
childe, sa compagne 2 — 268
S. Victor et Se Couronne, martyrs. 14 — 537
S. Vital et S° Valérie, martyrs.. . 28 avril. 62
S. Walbert , troisième abbé de
Luzeuil 2 mai. 264
W
S. Walbert ou Vaubert, religieux
de Sithiii et S. Bertin, son fils. 2 — 273
Se Walburge, abbesse 1" — 200
S. Wiron, évèque régionnaire... 8 — 404
S. Ytrope ou Eutrope, évèque de
Saintes, martyr, et Se Eus-
telle, vierge 30 avril. 88
Se Zite, vierge.
27 — 49
TABLE ALTHASEIIQUE. K
SUPPLEMENT
Pages.
S. Philippe et S. Jacques, apôtres 1er mai. C43
S. Gildéric ou Joudry, solitaire au diocèse de Séez 14 — 644
S. Annobert ou Alnobert, évêque de Séez et confesseur 15 — 645
S. Alpinien, prêtre, disciple de saint Martial 27 avril. 647
Se Valdrade ou Valdiée, vierge et abbesse 5 mai. 648
FIN DES TABLES DU TOME OIVQUIÈME.
Bar-le-Duc. — Typ. Schorderet et O
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