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Full text of "Les petits Bollandistes : vies des saints de l'Ancien et du Nouveau Testament, des martyrs, des pères, des auteurs sacrés et ecclésiastiques ..., notices sur les congrégations et les ordres religieux, histoire des reliques, des pèlerinages, des dévotions polulaires, ..."

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Donated  by 
The  Redemptorists  of 
the  Toronto  Province 

from  the  Library  Collection  of 
Holy  Redeemer  Collège,  Windsor 


University  of 
St.  Michael's  Collège,  Toronto 


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mYHEDEEMER  LIBRA^^INDSOR 


LES  PETITS  BOLLANDISTES 


VIES  DES  SAINTS 


TOME  DEUXIEME 


Cet  Ouvrage,  aussi  bien  pour  le  pla»  d'après  lequel  il  est  conçu  que  pour 
les  matières  qu'il  contient,  et  gui  sont  le  repliât  des  recherches  de  F  Auteur,  est 
la  propriété  de  l'Editeur  qui,  ayant  rempli  les  formalités  légales,  poursuivra 
toute  contrefaçon,  sous  quelque  forme  qu'elle  se  produise.  L'Editeur  se  réserve 
également  le  droit  de  reproduction  et  dp  traduction. 


LES  G.«f 

PETITS  BOLLANDISTES  ' ''^ 

VIES  DES  SAINTS 

de  l'Ancien  et  du  Nouveau  Testament 

des  Martyrs,  des  Pères,  des  Auteurs  sacrés  et  ecclésiastiques 

DES  VÉNÉRABLES  ET  AUTRES  PERSONNES  MORTES   EN  ODEUR   DE   SAINTETÉ 

NOTICES  SUR  LES  CONGRÉGATIO^NS  ET  LES  ORDRES  RELIGIEUX 

INiloire  des  Reliques,  des  Pclerinag'es,  des  DcvolioDS  populaires,  des  Monuments  dus  à  la  piété 
depuis  le  cominenceraeDt  du  monde  jusqu'aujourd'hui 

D'APRÈS  LE  PÈRE  GIRY 

dont  le  travail,  poar  les  Vies  qu'il  a  traitées,  forme  le  fond  de  cet  oarrage 
LES   GRANDS  BOLLANDISTES   QUI   ONT   ÉTÉ   DE   NOUVEAU   INTÉGRALEMENT  ANALYSÉS 

SURIUS.   R1BADEH£IRA,   GOD€SCARD,   BAILLET.  LES   HAGIOLOGIES   ET  LES  PROPRES  DE   CHAQUE   DIOCÈSE 

tant  de  France  que  de  l'Etranger 
ET  LES  TRAVAUX,   SOIT  ARCHÉOLOGIQUES,   SOIT   HAGlOGRAPHlQtlES,   LES   PLUS   RÉCENTS 

Arec  rbistoire  de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  et  delà  Sainte  Vierge,  des  DiscQtirs  sur  les  Mystères  et  les  Fctcs 

une  Année  clue'tienne 

le  martyrologe  romain,  les  martyrologes  frtinç;iis  et  les  martyrologes  do  tous  les  Ordres  religieux 

une  Table  alphabétique  de  tous  les  Saints  connus,  une  autre  selon  l'ordre  clironolou'ique 

une  autre  de  toutes  les  Matières  répandues  dans  l'Ouvrage,  destinée  aux  Catéchistes,  aux  Prédicateurs,  etc. 

F»ar*    IMsr    r>aul    OXJÉRIIV 

GAïiSZER  DB  SA  SAINTETÉ  LÉON  XHI 


SEPTIÈME  ÉDITION,  REVUE,  CORRIGÉE  ET  CONSIDÉRABLEMENT  AUGilENTÉE 

(Huitième  tirage) 


TOME   DEUXIEME 

DU  37  JANVIER  AU    23   FÉVRIEB 


PARIS 

BLOUD     ET     BARRAL,     LIBRAIRES-ÉDITEURS 

4,  RUB  MADAME,  ET  KUE  DB  KBNNSS,  59 

1SS8  O^y 

HôLY  REDEEUER  LIBRAf^WINDSOR 


Digiti^étl,  Dy  thë  IrTtçrnet  Archive 
in  20'^T  vvrth  funding  from 

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http://www.archive.org/details/lespetitsbolland02gu 


VIES  DES   SAINTS 


XXVir  JODR  DE  JANYIER 


MARTYROLOGE  ROMAIN. 

A  Constantinople,  saint  Jean,  évêque,  à  qui  son  admirable  éloquence  fit  donner  le  snrnom  de 
Cbhysostome.  Ce  grand  Saint  soutint  beaucoup  la  religion  chrétienne  par  sa  parole  et  ses 
exemples  ;  et,  après  de  grands  travaui,  finit  sa  vie  dans  l'exil.  Son  saint  corps,  transféré  en  ce 
jour,  sous  Théodose  le  Jeune,  à  Constantinople,  et  plus  tard  de  cette  ville  à  K/tne,  a  été  déposé 
dans  la  basilique  du  Prince  des  Apôtres.  407.  —  A  Sora,  saint  Julien,  martyr,  qui,  ayant  été  arrêté 
dans  la  persécution  d'Antonin,  eut  la  tète  tranchée,  parce  qu'un  temple  d'idoles  était  tombé  pen- 
dant qu'on  lui  donnait  la  question,  et  remporta  ainsi  la  couronne  du  martjTe.  n»  s.  —  En  Afrique, 
saint  Avite,  martyr,  m"  s.  —  Encore  en  Afrique,  les  saints  martyrs  Dace,  Réâtre  et  leurs  compa- 
gnons, qui  souffrirent  dans  la  persécution  des  Vandales.  —  De  plus,  saint  Datif,  saint  Julien,  saint 
Vincent  et  vingt-sept  autres  martyrs.  —  A  Rome,  saint  Vitalien,  pape.  671.  —  Au  Mans,  la 
sépulture  de  saint  Jclien,  premier  évêque  de  cette  ville,  que  saint  Pierre  y  envoya  prêcher  l'Evan- 
gile. —  Au  monastère  de  La  Val-Benois,  saint  Maure  ou  Maire,  abbé.  Vers  535.  —  A  Brescia, 
sainte  Angèle  de  Mérici,  vierge,  institutrice  de  l'Ordre  des  Ursulines,  dont  le  principal  emploi 
est  de  diriger  les  jeunes  filles  dans  les  voies  du  Seigneur.  Pie  VU  a  permis  de  célébrer  sa  fête 
le  31  mail.  1540, 

MARTYROLOGB  DE  FRANCE,   REVO  ET  ACGMENTÉ. 

De  plus,  au  diocèse  de  Nice,  sainte  Dévote,  vierge  et  martyre,  qui  souffrit  sons  Dioctétien  ; 
elle  est  patronne  de  l'ile  de  Corse,  sa  patrie,  et  de  Monaco,  où  son  corps  fut  enterré.  —  A  Bor- 
deaux, le  dernier  dimanche  de  janvier,  la  fête  du  très-doux  sainl  Véry,  dont  le  corps  fut  extrait 
du  cimetière  de  Saint-Cyriaque  à  Rome,  le  27  janvier  1833,  et  dont  la  translation  solennelle  dans 
l'église  collégiale  de  Saint-Seurin  de  Bordeaux  eut  lieu  le  5  novembre  1S40.  —  A  Thérouanne, 
saint  Jean  de  Varneton,  évêque  de  ce  siège.  1130.  —  A  Chalon-sur-Saône,  saint  Len  -,  évêque 
et  confesseur.  Vers  610.  —  A  Saint-Michel,  près  de  Tonnerre,  saint  Thierrt  II,  évêque  d'Or- 
léans. 11  mourut  en  ce  lieu  pendant  qu'il  allait  à  Rome.  1022.  —  A  Chartres,  saint  Gilduin,  cba- 
nome  de  Dol  en  Bretagne,  qui,  ayant  été  élu  évêque,  refusa  constamment  cette  dignité  et  obtint 
enfin  du  Pape  de  n'être  pas  consacré.  1077.  —  Au  monastère  de  Bagnoles,  près  de  Girone,  en 
Catalogne,  saint  Eméré,  confesseur,  qui  passa  de  France  en  ce  lieu,  et  fonda  ce  monastère.  Son 
corps  est  en  l'église  paroissiale  de  Saint-Estève  de  Guialbes.  viii»  s.  —  En  un  village  voisin, 
sainte  Candide,  sa  mère.  798.  —  En  Basse-Normandie,  saint  Sulpice  de  Baye,  solitaire,  dont  le 
corps  est  honoré  à  Saint-Ghislain,  en  Hainaut,  où  l'abbé  Simon  l'apporta  au  retour  d'un  pèlerinage 
qu'il  avait  fait  au  mont  Saint-Michel.  —  A  Auray,  en  Bretagne,  saint  Gulstan  ou  Goustan,  frère  \n 
de  l'abbaye  de  Rhuys.  Ses  reliques  sont  à  Rhuys  et  à  Saint-Gildas-d'Auray.  xi»  s. 

1.  Voir  aa  31  mai.  —  2.  Voyez  la  Légende  dt  laint  Lev,  le  19  tirAet. 

Vies  des  Saints.  —  Tome  II.  1 


27lAimEB. 


MARTYROLOGES   DES  ORDRES  RELIGIEUX. 

Mnrtyrologe  de  VOrdie  de  Saint-Basile.  —  A  Constantinople,  saint  Jean,  évêqne  et  docteur 
d«  l'Eglise  ',  de  l'Ordre  de  Saint-Basile,  etc.,  comme  ci-dessus  au  Martyrologe  romain. 

ADDITIONS  FAITES  d'aPRÈS  LES  BOLUVNDISTES  ET  AUTRES  HAGIOGRAPHES. 

En  Afrique,  outre  les  saints  martyrs  mentionnés  d'après  le  Martyrologe  romain,  les  saints  Donat, 
Missnrien,  Publie,  Victor,  Quinctille,  Publien,  Feste,  Félix,  Bonose,  Processe,  Vénerie,  Marine, 
Fortunée,  Técusse,  Coddite,  Seconde,  Epictule,  Rogat,  Prime,  Aurèle,  lîilaire,  Perpétue,  Julienne, 
Lnce,  Honoré,  Matrose,  Célien,  Sature,  Second,  Fortuné,  et  cinquante-sis  autres,  martyrs  ;  la  pins 
grande  partie  au  m»  siècle.  —  En  Syrie,  saint  Pierre  l'Egyptien,  anachorète  ;  il  liabila  la  montagne 
qui  dominait  la  ville  d'Anlioclie.  Vers  l'an  400.  —  En  Judée,  saint  Domitien,  moine  et  diacre; 
disciple  et  compagnon  de  saint  Euttayme  dans  la  solitude,  il  instruisit  à  son  tour  saint  Sabas  dans 
la  science  de  la  vie  ascétique.  473. —  Eu  Bavière,  saint  Gameleebt,  qui  fut  curé  de  la  paroisse  de 
Michelsbuch,  sa  patrie.  Fin  du  vm'  siècle. 


SAINT  JEM  GHUYSOSTOME, 

PATRIAECHE  DE  CONSTAiYTINOPLE  ET  DOCTEUR  DE  L'ÉGLISE 


344-407.  —  Papes  :  saint  Joies  1°';  saint  Innocent  1°'.  —  Empereurs  :  Constance  II  et  Constant; 

Arcadius. 


D  avait  pris  pour  devise  ces  paroles  de  saint  Paul  : 
Soit  que  vons  mandez,  soit  que  vous  buviez,  on 
que  vous  fassiez  autre  cbose,  faites  tout  pour  la 
gloire  de  Dieu. 

Et  encore  :  Ce  qui  ne  peut  être  fait  pour  Dieu,  il  us 
faut  pas  le  faire. 

Dans  la  Joie  comme  dans  la  douleur,  il  répétait  :  Dieu 
soit  loué  pour  toutes  choses  !  que  le  nom  du  Sei- 
gneur soit  béni  h  Jamais  I 

Saint  Jean,  surnommé  Guysostome  ',  c'est-à-dire  Bouche  d'or,  à  cause 
de  la  force  et  de  la  beauté  de  son  éloquence,  naquit  à  Antioche  vers  l'an 
344.  Son  père,  nommé  Second,  d'une  naissance  illustre,  était  maître  de  la 
cavalerie  ou  premier  commandant  des  troupes  de  l'empire  en  Orient.  Sa 
mère,  Anthuse,  ne  le  cédait  en  rien  à  son  mari,  ni  pour  la  grandeur  de  la 
naissance,  ni  pour  la  piété  et  la  vertu.  Devenue  veuve  à  vingt  ans,  elle  ne 
voulut  point  passer  à  de  secondes  noces;  elle  se  chargea  elle-même  de  faire 
l'éducation  chrétienne  de  ses  deux  enfants  '.  Jamais  femme  ne  fut  plus 

1.  iwctenr  de  l'Eglise  est  un  titre  que  l'Eglise  seule  confère  ;  les  conditions  pour  l'obtenir  sont  :  la 
salntcK:,  la  science,  l'importance  des  écrits  et  la  parfaite  pureté  do  la  doctrine.  Ce  titre  est  d'autant  plus 
honorable,  qu'il  est  jusqu'ici  réservé  au  petit  nombre  de  dix-huit  personnaj  ^s,  qui  sont  :  saint  Athanasc, 
saint  Basile,  saint  Clirysostome,  saint  Gré^-oirc  de  Xnzianze,  pour  les  PÈrcs  grecs  ;  pour  les  Latins  anciens, 
saint  Ambrolse,  saint  Augustin,  saint  On'goire  et  saint  JérOrae  ;  et  pour  les  modernes,  saint  Tlion.as 
d  Aquin,  saint  Donaventure,  saint  Anselme,  saint  Isidore  de  Scvillc,  saint  ricne  Chrysoloïue  saint  Léon 
le  Grand,  saint  Pierre  bamien,  saint  Bernard,  saint  Ililaire  de  Poitiers  et  saint  Alphonse  de  Lignorl. 

2.  Ce  surnom  lui  fut  donné  peu  de  temps  après  sa  mort,  puisque  no'js  le  trouvons  dans  les  écrits  d« 
•aint  Ephrem  dAntloche,  de  Théodorct  et  de  Cas.siodorc. 

3.  Saint  Cbrj-sostome  avait  une  sœur  aînée  dont  on  ne  sait  pas  le  nom. 


SAINT  JEAN   CHRYSOSTOME,   DOCTEUR  DE  L  EGLISE.  3 

digne  du  nom  de  mère.  Les  païens  eux-mêmes  ne  pouvaient  se  lasser  d'ad- 
mirer ses  vertus;  et  l'on  entendit  un  sophiste  célèbre  s'écrier  en  parlant 
d'elle  :  «  Quelles  merveilleuses  femmes  se  trouvent  parmi  ces  chrétiens  I  » 
Sorti  de  l'enfance,  Jean  étudia  les  belles-lettres  et  l'éloquence  sous  les 
maîtres  les  plus  illustres  de  ce  temps;  il  unit  par  les  égaler  et  les  surpasser 
bientôt.  Libanius,  le  plus  célèbre  orateur  de  son  siècle,  voulant  un  jour 
donner  une  idée  de  la  merveilleuse  capacité  de  son  disciple,  lut  dans  une 
assemblée  de  connaisseurs  une  déclamation  que  Jean  avait  composée  à  la 
louange  des  empereurs  lors  de  son  début  dans  le  barreau  (369).  Cette  lec- 
ture fut  écoutée  avec  les  plus  grands  applaudissements  et  avec  ces  transports 
qui  sont  le  langage  de  l'admiration.  «  Heureux  l'orateur  tel  que  toi,  qui 
sait  louer  ainsi  » ,  disait  Libanius.  «  Heureux  les  princes  qui  trouvent  de  tels 
orateurs  pour  panégyristes  !  »  Le  sophiste  païen  avait  rendu  à  notre  Saint 
ce  glorieux  témoignage  qu'il  surpassait  tous  les  orateurs  de  son  temps.  En 
effet,  à  son  lit  de  mort,  Libanius,  interrogé  par  ses  disciples  qui  lui  deman- 
daient :  «  Quel  sera  votre  successeur  ?  n  avait  répondu  :  «  Je  vous  propo- 
serais Jean  si  les  chrétiens  ne  nous  l'eussent  ravi  ».  Notre  Saint  étudia  la 
philosophie  avec  le  même  succès  que  l'éloquence  sous  Andragathius.  Il  ne 
quitta  l'école  que  pour  entrer  au  barreau  qui  était  l'indispensable  prépara- 
tion à  toutes  les  fonctions  publiques. 

Absorbé  par  les  occupations  de  sa  nouvelle  position  et  livré  avec  ardeur 
à  la  poursuite  de  la  gloire  et  des  plaisirs,  comme  il  le  dit  lui-même,  Jean 
Chrysostome,  arrivé  à  sa  vingt-cinquième  année,  n'était  encore  ni  catéchu- 
mène, ni  chrétien.  Jouissant  de  ses  premiers  succès,  il  songeait  à  s'en  pré- 
parer de  nouveaux  dans  la  carrière  qui  s'ouvrait  devant  lui  sous  d'heureux 
auspices.  Il  délaissait  Basile,  un  fidèle  ami  de  sa  jeunesse,  devenu  chrétien 
fervent.  Mais  celui-ci  ne  l'abandonnait  pas.  De  condition  égale,  ils  avaient 
suivi  les  mêmes  cours,  avaient  eu  les  mêmes  maîtres,  la  même  passion  pour 
les  belles-lettres  et  l'étude,  la  même  soif  d'avancement  et  de  progrès,  le 
même  amour  pour  une  profession  brillante  et  un  noble  état  de  vie.  «  Mais», 
dit  notre  Saint,  «vint  un  jour  où  Basile,  ce  bienheureux  serviteur  de  Jésus- 
Christ,  résolut  d'embrasser  la  vraie  philosophie  de  l'Evangile,  la  vie  monas- 
tique. Alors  l'équilibre  fut  complètement  rompu  entre  nous  deux.  Le  pla- 
teau de  sa  balance  s'élevait  léger  vers  le  ciel,  le  plateau  de  la  mienne,  tout 
chargé  des  passions  mondaines  et  des  ardeurs  de  la  jeunesse,  retombait 
lourdement  vers  la  terre.  Cependant,  comme  Basile  était  bon  par  excellence 
et  que  son  affection  pour  moi  ne  connaissait  pas  de  bornes,  il  s'obstina  à 
rester  mon  ami  ».  Telle  était  la  lutte  entre  les  attraits  de  la  grâce  et  les 
charmes  de  la  gloire"  mondaine.  Peu  à  peu  néanmoins,  le  plateau  supérieur 
de  la  balance  attira  celui  qui  s'inclinait  vers  la  terre.  Jean  Chrysostome 
subit  l'influence  de  son  vertueux  ami  ;  il  prêta  l'oreille  à  ses  tendres  exhor- 
tations ;  il  commença  à  goûter  les  charmes  de  la  doctrine  évangélique;  il 
l'étudia  et  se  fit  chrétien.  Ce  fut  le  saint  pontife  Mélèce,  évêque  d'Antioche, 
qui  lui  conféra  le  sacrement  de  baptême  (370).  «  Depuis  ce  jour  »,  ditPalla- 
dius,  «je  défie  qui  que  ce  soit  de  prouver  que  Jean  Chrysostome  ait  prononcé 
une  parole  de  blasphème,  de  médisance  ou  de  mensonge,  se  soit  livré  à  un 
seul  mouvement  de  colère,  ou  ait  souffert  qu'on  tînt  devant  lui,  même  sous 
forme  de  plaisanterie ,  des  propos  injurieux  contre  le  prochain  ». 

«  Quand  Basile  me  vit  chrétien  n ,  'dit  saint  Jean,  «  ses  vœux  parurent  satis- 
faits, comme  après  un  long  et  laborieux  enfantement.  Il  ne  me  quittait  plus 
un  seul  instant.  H  m'exhortait  à  quitter  la  maison  paternelle,  résolu  de  son 
côté  à  en  faire  autant,  afin  de  vivre  ensemble  de  la  vie  commune  sous  la 


4  27  JANVIER. 

même  toit.  Il  finit  par  me  persuader.  Notre  projet  allait  aboutir;  mais  les 
touchantes  instances  de  ma  mère  m'empêchèrent  de  donner  cette  joie  à  mon 
ami,  ou  plutôt  me  privèrent  du  bonheur  qu'il  voulait  me  procurer.  Ma 
mère  avait  soupçonné  quelque  chose  de  noire  résolution.  Elle  me  prit  par 
la  main,  me  conduisit  dans  son  appartement,  ot  m'ayant  fait  asseoir  près 
du  lit  où  elle  m'avait  donné  le  jour,  elle  se  mit  à  pleurer.  Puis,  en  sanglo- 
tant, elle  me  dit  des  choses  plus  attendrissantes  encore  que  ses  larmes.  Mon 
fils,  disait-elle,  je  n'ai  joui  que  bien  peu  de  temps  de  l'appui  que  me  don- 
nait votre  père.  Dieu  me  l'a  enlevé  au  moment  où  je  vous  mettais  au  monde. 
Sa  mort  prématurée  vous  laissait  orphelin,  et  moi  veuve.  J'avais  à  peine  vingt 
ans.  Ce  qu'une  jeune  femme  de  cet  âge,  sans  expérience  des  allaires,  sans 
appui  dans  le  monde,  livrée  à  elle-même  et  à  la  faiblesse  de  son  sexe,  doit 
aQ'ronter  de  tempêtes  et  dévorer  de  chagrins,  celles-là  seules  peuvent  le 
comprendre  qui  en  ont  fait  la  triste  expérience.  Ma  seule  consolation  parmi 
ces  misères  inexprimables  était,  ô  mon  fils,  de  vous  voir  sans  cesse  et  de 
contempler  dans  vos  traits  l'image  de  votre  père  qui  n'est  plus.  J'ai  pris 
peine  à  conserver  le  bien  qu'il  m'a  laissé,  je  l'ai  même  augmenté  de  beau- 
coup, pour  vous  élever  en  l'état  où  je  vous  vois  aujourd'hui  par  la  grâce  de 
Dieu.  Ce  que  je  ne  vous  dis  point,  mon  fils,  pour  vous  reprocher  les  obliga- 
tions que  vous  avez  envers  moi,  mais  seulement  afin  de  vous  persuader  de 
ne  pas  me  laisser  veuve  une  seconde  fois;  c'est  la  seule  grâce  que  je  vous 
demande;  ne  ranimez  pas  une  douleur  assoupie;  attendez  au  moins  le  jour 
de  ma  mort.  Peut-être  ne  tardera-t-il  guère  !  Ceux  qui  sont  jeunes  peuvent 
espérer  de  vieillir;  mais,  à  mon  âge,  on  n'attend  que  la  mort.  Quand  vous 
m'aurez  fermé  les  yeux,  quand  vous  m'aurez  rendu  les  devoirs  d'un  bon 
fils,  vous  pourrez  choisir  alors  telle  façon  de  vivre  qu'il  vous  plaira,  personne 
ne  vous  en  empêchera.  Mais  pendant  que  je  respire  encore,  supportez  ma 
présence  et  ne  vous  ennuyez  pas  de  vivre  avec  moi  ;  ne  causez  point  une 
douleur  si  sensible  à  votre  mère,  à  une  mère  qui  ne  l'a  point  mérité  et  qui 
ne  vous  a  jamais  donné  le  moindre  déplaisir  ».  — Jean,  vaincu  par  les 
larmes  et  les  supplications  de  sa  mère,  ne  quitta  point  sa  ville  natale  ;  il  resta 
sous  le  toit  maternel  et  accepta  du  bienheureux  pontife  Mélèce  l'ordre  de 
lecteur  qui  l'attachait  au  clergé  séculier  d'Anlioche.  Son  ami  Basile  lui 
reprochait  de  s'éloigner  plus  que  jamais  par  là  de  la  vie  monastique;  Chry- 
sostome  lui  répondait  que  dans  le  monde  il  avait  plus  souvent  l'occasion  de 
s'exercer  à  la  vertu  que  dans  la  solitude,  et  que  s'il  avait  à  choisir  entre 
l'administration  d'une  église  et  la  vie  monastique,  par  goût,  par  volonté  et 
non  par  orgueil,  il  préférerait  la  première.  Le  prêtre  a  l'occasion  de  prati- 
quer à  chaque  instant  la  douceur,  l'humilité,  la  circonspection,  au  milieu 
des  difficultés  de  son  ministère;  mais  le  solitaire  n'a  personne  pour  l'applau- 
dir ou  pour  l'outrager,  il  n'a  ni  homme,  ni  choses  à  administrer,  et  par 
conséquent,  il  n'a  jamais  l'occasion  de  mettre  à  l'épreuve  sa  modestie,  sa 
mansuétude,  sa  prudence. 

Devenu  clerc  de  l'église  d'Antioche,  Chrysostome  renonça  complètement 
aux  vanités  du  siècle  et  à  cette  gloire  mondaine  qu'il  avait  poursuivie  jus- 
qu'alors. On  ne  le  voyait  plus  paraître  qu'avec  une  tunique  fort  pauvre.  Il 
employait  la  plus  grande  partie  de  son  temps  à  la  prière,  à  la  méditation  et 
à  l'étude  de  l'Ecriture  sainte.  Il  jeûnait  tous  les  jours  et  prenait  sur  le  plan- 
cher de  sa  chambre  le  peu  de  sommeil  qu'il  accordait  à  son  corps  après  de 
longues  veilles.  Enfin,  il  employa  tous  les  exercices  propres  à  détruire  l'em- 
pire des  passions.  La  vaine  gloire  lui  suscita  bien  des  combats;  mais  il  ter- 
rassa cet  ennemi  par  la  pratique  des  liumihations  volontaires.  Vivant  dans 


SAKT  JE.VN   CHRTSOSTOME,    DOCTEUB   DE   L'ÉGLISE.  Ç 

la  société  de  l'évêque ,  il  l'aidait  dans  ses  travaux  et  lui  servait  de  secrétaire 
comme  ceux  de  son  ordre.  La  fonction  des  lecteurs  ne  consistait  pas  seule- 
ment à  lire  en  public,  pendant  l'ofDce  divin,  le  texte  sacré;  on  leur  confiait 
aussi  la  garde  des  saints  livres,  qui,  dans  les  temps  de  persécution,  ouvrait 
aux  lecteurs  le  glorieux  chemin  du  mart5Te,  comme  aussi  l'école  des  caté- 
chumènes souvent  dirigée  par  des  hommes  éminents.  Jean  s'acquitta  de  ces 
fonctions  en  vrai  serviteur  de  Jésus-Christ  et  de  son  Eglise.  A  une  grande 
douceur  il  joignait  une  aimable  modestie,  une  tendre  et  compatissante  cha- 
rité pour  le  prochain,  et  une  conduite  si  pleine  de  sagesse,  qu'on  ne  pouvait 
le  connaître  sans  l'aimer.  Il  demeura  trois  ans  (S'O-STS)  dans  la  société 
assidue  du  bienheureux  confesseur  Mélèce,  lequel,  épris  d'amour  pour  la 
beauté  d'un  tel  génie  et  d'un  si  grand  cœur,  prévoyait  dans  un  esprit  pro- 
phétique les  glorieuses  et  saintes  destinées  de  ce  pieux  lévite,  et  formait 
avec  une  tendresse  particulière  et  un  sentiment  de  prédilection  la  jeunesse 
de  Chrysostome. 

L'empereur  Valens,  attaché  à  l'hérésie  d'Arius,  persécutait  les  catholi- 
ques ;  l'évêque  Mélèce  fut  traîné  en  exil  et  les  fidèles  conduits  au  martyre 
ou  contraints  d'aller  chaque  dim.anche  assister  aux  saints  mystères  dans  les 
campagnes  isolées  (372).  Jean  Chrysostome  demeura  avec  le  prêtre  Flavien 
qui  remplaçait  le  pasteur  près  des  ouailles  abandonnées,  consolant  les 
affligés,  encourageant  ceux  qui  marchaient  dans  la  vérité,  employant  son 
ardeur,  sa  charité  et  son  zèle  à  préserver  de  l'erreur  les  fidèles  confiés  à  ses 
soins.  Toujours  en  relation  avec  son  saint  ami  Basile,  il  gagna  à  Jésus-Christ 
de  nouveaux  disciples,  qui  avaient  été  comme  lui  élèves  de  Libanius,  tels 
que  Maxime,  devenu  depuis  évêque  de  Séleucie,  et  Théodore,  évêque  de 
Mopsueste.  Ce  dernier,  après  y  avoir  réUéchi  longtemps,  se  détermina  à 
embrasser  la  vie  monastique.  Mais  il  ne  persévéra  point  dans  sa  première 
ferveur  et  rentra  peu  de  temps  après  dans  le  siècle.  Jean  lui  adressa  alors 
une  lettre  qu'on  eût  pu  croire  dictée  par  un  ange.  En  la  lisant,  Théodore 
sentit  son  âme  comme  percée  par  les  flèches  du  repentir.  11  abandonna  sou- 
dain sa  fortune  et  ses  espérances  terrestres,  et  courut  se  jeter  dans  les  bras 
de  notre  Saint. 

Jean  avait  passé  plus  de  quatre  années  dans  l'église  d'.\ntioche  et  il  en 
avait  trente  (370-374).  Tout  à  coup,  dit-il,  le  bruit  se  répandit  dans  la  ville 
qu'on  nous  cherchait,  Basile  et  moi,  pour  nous  élever  tous  deux  à  la  dignité 
épiscopale.  Effrayé  et  tremblant  à  cette  nouvelle,  il  ne  pouvait  s'expliquer 
que  les  regards  du  clergé  et  du  peuple  se  fussent  tournés  vers  lui  ;  plus  il  se 
considérait,  plus  il  se  trouvait  indigne  d'un  tel  honneur.  Il  décida  avec  son 
ami  qu'ils  ne  feraient  rien  l'un  sans  l'autre.  «  Basile  » ,  dit  Chrysostome,  «  était 
prêt  à  suivre  le  parti  que  je  prendrais  moi-même,  c'est-à-dire  à  fuir  ou  à 
céder  selon  que  je  le  jugerais  à  propos.  De  mon  côté,  je  réfléchissais  sérieu- 
sement aux  qualités  éminentes  de  Basile,  je  considérais  devant  Dieu  que 
j'allais  faire  un  tort  immense  à  l'Eglise,  en  privant  le  troupeau  de  Jésus- 
Christ  d'un  pasteur  si  admirable  et  si  bien  fait  pour  le  gouverner.  Alors, 
pour  la  première  fois  de  ma  vie,  je  dissimulai  ma  pensée  à  ce  saint  ami, 
habitué  depuis  si  longtemps  à  lire  jusqu'au  fond  de  mon  cœur.  Je  lui 
répondis  que  rien  ne  pressait  encore,  que  nous  aurions  le  temps  d'y  réfléchir 
et  de  nous  déterminer  au  moment  opportun.  Enfin,  je  lui  fis  entendre  que, 
le  cas  échéant,  je  serais  absolument  du  même  avis  que  lui.  Quelques  jours 
après,  l'évêque  qui  nous  devait  imposer  les  mains  arriva  à  Antioche,  et  je 
me  cachai  si  bien  qu'on  ne  me  trouva  pas.  Basile,  ignorant  ma  fuite,  demeu- 
rait en  repos.  On  vint  l'appeler  dans  sa  maison,  sous  prétexte  d'une  affaire 


6  27  JANYIEK. 

quelconque  à  traiter.  Il  sortit  sans  défiance  :  on  s'empara  de  lui,  on  l'en- 
traîna à  l'église  et  on  le  conduisit  aux  genoux  du  pontife  consécrateur.  Il 
résistait,  il  voulait  protester.  Les  assistants  lui  dirent  :  Eh  quoi  !  vous  vous 
montrez  si  opiniâtre  et  si  rebelle,  quand  votre  ami,  Chrysostome,  dont  la 
répugnance  pour  l'épiscopat  était  si  connue,  s'est  soumis  avec  une  docilité 
parfaite  au  jugement  des  Pères?  —  Ces  paroles  désarmèrent  Basile.  11  courba 
les  épaules  et  se  laissa  imposer  le  fardeau  redoutable,  persuadé  que  j'en  avais 
déjà  fait  autant.  Mais,  après  sa  consécration,  quand  il  sut  que  j'avais  pris  la 
fuite,  il  me  vint  trouver  dans  ma  retraite.  Son  visage  reflétait  l'abattement 
et  la  consternation  de  ton  ûme.  Il  s'assit  à  mes  côtés,  et  essaya  de  me  racon- 
ter la  violence  dont  il  venait  d'être  l'objet.  Les  larmes  éloufTaient  sa  voix,  la 
parole  expirait  sur  ses  lèvres,  sa  poitrine  éclatait  en  sanglots.  Quant  à  moi, 
triomphant  du  succès  de  mon  stratagème,  je  me  mis  franchement  à  rire,  et 
l'entourant  de  mes  deux  bras,  je  voulus  l'embrasser.  Mon  éclat  de  rire  lui  fit 
comprendre  que  je  l'avais  trompé;  il  me  repoussa,  et,  du  ton  le  plus  indi- 
gné, m'adressa  d'amers  reproches'  ».  Ce  fut  alors  que  s'établit  entre  les 
deux  amis  ce  dialogue  immortel  qui  forme  le  traité  //'<?  Sacerdodo,  le  plus 
beau  peut-être  des  ouvrages  de  Chrysostome  qui  a  laissé  tant  d'autres  chefs- 
d'œuvre.  Nulle  part  tant  d'élévation  ne  fut  unie  à  tant  de  charme  et  de 
grâce  *.  Sous  l'influence  de  cette  éloquence  pleine  de  douceur  et  d'onction, 
le  courroux  de  Basile  se  dissipa  peu  à  peu,  sans  que  son  émotion  fût  moins 
vive.  Car,  à  la  fin  de  cette  conversation,  il  fondit  de  nouveau  en  pleurs. 
«  Par  la  charité  de  Jésus-Christ  notre  Dieu  » ,  dit-il  à  Chrysostome,  «  s'il  te  reste 
encore  quelque  vestige  de  la  tendresse  d'autrefois,  par  pitié  pour  l'état  où 
je  suis,  je  t'en  conjure,  tends-moi  la  main,  aide-moi  de  ta  parole  et  de  ton 
exemple.  Jure-moi  de  ne  plus  me  quitter  ;  vivons  ensemble  plus  étroitement 
nnis  que  jamais  ».  —  Jean  lui  répondit  avec  un  aireclueux  sourire  :  «  De 
quel  secours  te  serai-je,  parmi  cette  foule  immense  d'occupations  et  de 
devoirs  qui  vont  t'absorber  désormais  ?  Cependant ,  ô  mon  bien-aimé, 
puisque  tu  attaches  quelque  prix  à  mon  dévouement,  prends  courage.  Tous 
les  instants  dont  tu  pourras  disposer,  après  les  travaux  d'un  grand  ministère, 
je  les  passerai  près  de  toi  :  je  te  soutiendrai  de  mes  consolations.  Ma  ten- 
dresse ne  te  fera  jamais  défaut». —  oA  ces  mots»,  poursuit  Chrysostome,  «il 
se  leva,  le  visage  inondé  de  pleurs.  Je  le  serrai  sur  ma  poitrine  et  le  baisai  au 
front.  Puis  l'accompagnant,  je  l'exhortai  à  porter  avec  courage  la  dignité 
qui  lui  était  imposée.  Oui,  lui  dis-jc,  j'ai  pleine  confiance  en  la  miséricorde 
de  Jésus-Christ.  C'est  lui-môme  qui  t'a  appelé  à  la  conduite  de  son  troupeau. 
En  récompense  de  ton  saint  ministère,  tu  jouiras  d'un  assez  grand  crédit 
auprès  de  lui  pour  me  sauver  moi-môme,  m'obtenir  une  sentence  favorable 
au  jour  solennel  de  sa  justice,  et  ra'introduire  avec  toi  dans  les  tabernacles 
éternels  '  ». 

Basile  était  donc  devenu  évoque  de  Raphanée,  petite  ville  située  à  quel- 
ques lieues  d'Antioche.  On  ne  sait  pas  le  nom  de  la  cité  qui  avait  élu  Chry- 
sostome pour  son  premier  pasteur.  Le  fugitif,  craignant  de  se  voir  à  son  tour 
enlevé  de  vive  force  comme  Basile,  alla  se  réfugier  dans  l'asile  inviolable 
d'un  monastère.  Sa  mère,  la  pieuse  Anthuse,  venait  de  mourir.  Rien  ne  le 
retenait  plus  à  Antioche.  Le  vénérable  Mélèce  était  toujours  en  exil.  Cepen- 
dant Chrysostome  éprouvait  une  immense  angoisse  à  la  pensée  d'aller  se 
confiner  dans  la  solitude.  D'une  santé,  d'une  complexion  assez  délicate,  il 
se  demandait  comment  il  pourrait  se  procurer  tout  ce  qui  lui  était  néces- 

1.  Chrysostora.,  De  Sacerdol.,  llb.  i,  cap.  6.  —  2.  M.  Martin  d'Agde,  Hist.  de  S.  Joan.  ChrysOil.,  p.  M. 
a.  Z/c  Sacerdol.,  lit),  ti. 


SADîT  JEiN   CERYSOSTOME,   DOCTEUR  DE   L  EGLISE.  7 

saire,  et  se  réduire  au  pain  et  aux  légumes  que  mangeaient  les  moines,  et 
aux  humiliantes  fonctions  dont  ils  s'occupaient.  Enfin,  quand,  pour  se  déro- 
ber à  l'épiscopat,  il  eut  pris  cette  grande  détermination,  il  quitta  la  ville 
qui  l'avait  vu  naître,  où  il  avait  enseveli  sa  pieuse  mère  et  où  il  laissait  tant 
d'amis,  et  alla  frapper  à  la  porte  d'un  des  monastères  du  mont  Casius  *.  Il  y 
fut  admis  en  qualité  de  cénobite.  Dès  le  premier  soir,  à  la  fin  du  repas  pris 
en  commun,  son  âme  nageait  dans  l'allégresse,  quand  il  entendit  les  frères 
réciter  ladmirable  prière  d'actions  de  grâces  qu'il  nous  a  conservée  dans 
ses  œuvres  ^.  S'élevant  bientôt  au-dessus  des  cris  de  la  nature,  il  méprisa  sa 
délicatesse  et  ses  répugnances,  et  alla  se  ranger  sous  la  conduite  d'un  vieil- 
lard syrien  qui  pratiquait  de  grandes  austérités.  Il  lui  fut  soumis  comme  un 
disciple  parfaitement  docile  et  se  rendit  son  imitateur  en  pratiquant  toutes 
sortes  de  vertus.  Il  apprit  alors  par  une  heureuse  expérience,  que  les  idées 
que  l'on  se  forme  quelquefois  de  la  vie  pénitente,  ne  sont  rien  moins  que 
justes.  Il  trouvait,  dans  la  société  des  hôtes  illustres  du  mont  Casius,  un 
charme  et  une  douceur  qui  le  ravissaient.  Chrysostome  en  vint  à  aimer  de 
toute  la  puissance  de  son  grand  cœur  cette  vie  cénobitique  qui  l'avait  d'abord 
eflxayé  et  dont  il  goûta  pour  la  première  fois  les  charmes  à  Tâge  de  trente 

1.  Le  Liban  et  l'anti-Lîbaa,  dit  H.  Martin  d'Â^e;  rAmanns,  qui  sépare  la  Syrie  de  la  Cîlîcie;  le 
Casius,  qui  domine  Antioche  du  côîë  da  Midi  et  que  les  anciens  appellent  aussi  le  mont  du  Soleil,  parce 
le  grand  astre,  d'après  eux,  y  était  visible  trois  heures  avant  de  se  montrer  à  l'iiorizoa  de  la  plaine;  le 
Teîmissus.  dont  les  bras  allongés,  couverts  de  lauriers,  de  myi-tes,  de  terébînthes.  encei^naient  de  lear 
vaste  croissant  une  plaine  superbe  où  de  nombreuses  villas  et  une  admirable  végétation  rivalisaient  de 
spicadeur  et  de  luxe:  tout  cela  était  couvert  de  monastl-i'es  et  de  cellales,  et,  suivant  Texpression  de 
Théotioret,  émaillé,  comme  une  prairie,  de  fieurs  célestes  {Sist.  de  saint  Jean  Chrysostome,  p.  53,  54).  Ce 
point  de  la  Syrie  était  devenu  une  seconde  Thébaïde. 

2.  Voici  cette  prière  :  «  Béni  soie  le  Diea  qui  a  pris  soin  de  moi  dbs  ma  jeunesse,  et  qui  donne  à  tonte 
chair  sa  nourriture  !  Seigneur,  abreuvez-nous  au  torrent  de  vos  délices,  et  qn'aînsi  fortîÊés  par  votre 
grâce,  nous  abondions  en  œuvres  de  sainteté,  en  Jésus-Christ  Notre-Seigneur.  A  lui  la  gloire,  llionnear 
et  l'empire  dans  les  siècles  des  siècles.  Gloire  à  vous,  ô  Tout-Puissant  \  Gloire  à  vous,  ô  Saint  !  Gloire  à 
TOUS,  Roi  des  rois,  qui  nous  donnez  notre  pain  de  chaque  jour  dans  une  joie  pure!  Donnez-nous  anssl 
votre  Esprit  vivifiant,  afin  que  nous  soyons  agréables  a  vos  yens,  et  que  nous  n'ayons  imint  à  rougir  devant 
le  tribunal  où  vous  viendrez  rendre  à  chacun  selon  ses  œuvres  ».  Cet  hymne  d'actions  de  grâces  avait  £ait 
une  si  profonde  impression  sur  l'âme  de  Chrysostome,  que  plus  tard  il  l'apprenait  à  ses  auditeurs  de 
ConstOQtinople,  et  leur  recommaadait  de  le  réciter  eux-mêmes,  dans  leurs  demeures,  après  le  repas. 

Les  solitaires  dn  mont  Casius  se  levaient  au  premier  chant  du  coq  ou  a  minuit;  c'était  leur  supérieur 
qni  se  chargeait  du  soin  de  les  éveiller  a  cette  heare.  Après  la  récitation  des  hymnes  et  des  psaumes,  ou 
de  Matines  e:  de  Laudes,  chacun  s'occupait  dans  sa  cellule  à  lire  l'Ecriture  sainte  et  quelquefois  a  copier 
des  livres.  Ils  allaient  tous  ensemble  dire  à  l'église  Tierce,  Seste,  None  et  Vêpres,  puis  ils  retournaient  en 
silence  a  leurs  cellules.  Jamais  U  ne  leur  était  permis  de  parler  entre  eus,  même  sous  prétexte  de  délas- 
sement :  toute  leur  conversation  était  avec  Diea.  avec  les  prophètes  et  les  apôti-es,  dont  ils  méditaient  les 
divins  écrits.  Leur  nourriture  consistait  en  un  peu  de  pain  et  de  sel;  quelques-uns  y  ajoutaient  de  l*huile, 
et  les  infirmes  un  peu  d'herbes  et  de  légumes.  Le  repas  fini,  ils  prenaient  quelques  moments  de  repos, 
selon  la  coutume  des  Orientaux,  et  retournaient  ensuite  "a  leurs  exercices  ordinaires.  Le  travail  des  mains 
emportait  une  partie  considérable  de  leur  temps;  mais  ils  avaient  soin  de  s'attacher  a  celui  où.  la  vanité 
ne  pouvait  se  glisser  et  qui  était  le  plus  propre  à  les  entretenir  dans  l'humilité.  Ils  faisaient  des  paniers 
et  des  cUices.  la'i;our3icnt  la  terre,  coupaient  le  bois,  apprêtaient  a  manger,  et  lavaient  les  pieds  des 
hôtes,  qu'ils  servaient  ensuite  avec  une  grande  charité,  sans  examiner  s'ils  étaient  riches  ou  pauvres.  Ds 
n'avaient  d'autre  lit  qu'une  natte  étendue  sur  la  terre.  Leurs  vêtements  étaient  faits  de  poil  de  chèvre  et 
de  chameau,  ou  de  peaux  si  grossièrement  travaillées  que  les  plus  misérables  mendiants  n'auraient  pas 
voulu  s'en  couvrir.  On  eo  trouvait  pourtant  parmi  eux  qui  étaient  nés  au  sein  de  l'opulence  et  qui  avaient 
^té  délicatement  élevés.  Ils  ne  portaient  point  de  chaussure,  ne  possédaient  rien  en  propre,  et  mettaient 
6n  commun  ce  qui  était  destiné  aux  besoins  indispensables  de  la  nature.  Il  est  vrai  qu'ils  recueillaient  la 
■accession  de  leurs  parents  :  mais  ce  n'était  que  pour  la  distribuer  aux  pauvres.  Tout  ce  qu'Us  pouvaient 
épargner  du  produit  de  leur  travail  était  encore  employé  au  même  usage^  Us  n'avaient  tous  qu'on  cœur  et 
qu'une  âme.  On  n'entendait  jamais  parmi  eux  les  termes  de  mien  et  de  tien,  qui  brisent  si  souvent  les 
liens  de  la  charité,  n  régnait  dans  leurs  cellules  une  paix  inaltérable  et  une  joie  pure  que  l'on  cherche- 
rait en  vain  dans  la  plus  grande  fortune  du  monde.  Ces  anachorètes  terminaient  la  prière  du  soir  par  de 
sérieuses  rédexions  su  le  jui^ement  dernier,  afin  de  s'exciter  à  la  vigilance  chrétienne  et  de  se  préparer 
de  plus  en  plus  au  compte  rigoureux  que  nous  rendrons  tous  au  Seigneur.  Saint  Chrj'sostome  retint  tou- 
]otus  cette  pratique,  dont  l'expérience  lui  avait  démontré  l'utilité;  et  U  la  recommande  fortement  dans 
•es  ouvrages,  ainsi  que  celle  de  l'examen  du  soir.  Outre  les  solitaires  dont  nous  venons  de  parler,  il  y  en 
avait  encore  d'antres,  sur  les  montagnes,  qui  menaient  la  vie  érémitique.  Ils  couchaient  sur  la  cendre, 
portaient  de  rades  cilices.  et  s'eafenaaJeiit  dans  des  cavernes  profondes,  où  ils  pratiquaient  tout  ce  que  U 
pénitence  a  de  plas  aoat^o. 


s  27  JANVIER. 

et  un  ans.  Obligé  de  la  défendre  contre  les  lois  tyranniques  de  l'empereur 
Valens,  il  le  fit  avec  ce  zèle  et  ce  talent  que  nous  avons  à  admirer  dans 
toutes  ses  œuvres.  Mais  bientôt  la  paix  fut  rendue  à  l'Eglise  par  la  mort  du 
persécuteur  (378),  et  l'avènement  de  Théodose.  Les  cénobites  choisirent 
alors  Chrysoslome  pour  leur  supérieur  ;  mais  celui-ci  ne  voulait  pas  plus 
des  honneurs  du  monastère  que  de  ceux  de  l'épiscopat  ;  il  résolut  d'entrer 
plus  avant  dans  le  désert,  afin  de  vivre  dans  une  plus  complote  solitude  et 
de  n'être  connu  que  des  Anges  <ît  de  Dieu,  auquel  seul  il  voulait  plaire;  il 
se  retira  cette  fois  dans  une  caverne  du  mont  Casius  et  y  vécut  comme 
vivaient  Arsène,  Macaire  ou  Sérapion  dans  les  Thébaïdes.  Chaque  jour,  un 
frère  du  couvent  voisin  lui  apportait  un  pain  pour  sa  nourriture.  Chaque 
dimanche,  le  reclus  venait  avec  les  autres  cénobites  s'asseoir  à  la  table 
eucharistique.  C'était  là  le  seul  commerce  qu'il  eût  avec  les  hommes.  Ce  fut 
dans  cette  grotte  qu'il  apprit  par  cœur  le  texte  entier  des  Ecritures.  La 
plupart  du  temps,  il  ne  s'accordait  môme  pas  une  minute  de  sommeil.  Mais, 
incapable  de  supporter  ce  genre  de  vie  et  ces  veilles  ininterrompues,  il  fut 
pris  d'une  maladie  d'estomac,  et  le  froid  lui  causa  un  rhumatisme  sur  les 
reins;  il  fut  obligé,  après  deux  ans  de  sa  vie  d'ermite,  de  retournera 
Antioche.  C'était  un  effet  de  la  providence  du  Sauveur  qui,  pour  le  bien  de 
l'Eglise,  ménageait  dans  son  serviteur  cette  faiblesse  organique  et  cette 
impuissance  à  supporter  les  rudes  privations  des  ascètes.  Dieu  le  forçait 
ainsi  à  renoncer  à  la  solitude  des  cellules. 

De  retour  à  Antioche,  il  fut  ordonné  diacre  par  Mélèce  et  servit  en  cette 
qualité  le  pieux  évoque  pendant  cinq  ans  (380-383).  Son  éloquence  et  ses 
hautes  vertus  jetèrent  un  éclat  incomparable  durant  cette  période.  Les 
multitudes  se  pressaient  pour  l'entendre,  et,  charmées  de  la  douceur  de  sa 
parole,  le  voulaient  voir  élever  au  sacerdoce.  L'évêque  Flavien  lui  imposa 
donc  les  mains  et  l'ordonna  prêtre  (386). 

Antioche  était  une  ville  de  plaisir  et  de  dissolution  ;  on  le  voit  en  parti- 
culier par  les  discours  de  saint  Chrysostome.  Sur  une  population  de  deux 
cent  mille  âmes,  les  chrétiens  formaient  un  peu  plus  de  la  moitié.  Ils 
applaudissaient  à  l'éloquence  de  Chrysostome,  mais  n'en  devenaient  pas 
beaucoup  meilleurs.  Plusieurs  n'avaient  jamais  vu  l'église;  d'autres  quit- 
taient les  assemblées  saintes  pour  aller  au  théâtre  voir  des  prostituées,  don- 
nant les  représentations  les  plus  obscènes.  Le  26  février  387  changea  la  ville 
tout  d'un  coup.  A  l'annonce  d'unnouvel  impôt,  il  y  eut  une  sédition  terrible 
parmi  le  peuple.  On  insulta  le  nom  de  l'empereur  Théodose,  on  déchira  ses 
portraits,  on  renversa  ses  statues,  celle  de  son  père,  de  sa  femme,  de  ses 
enfants,  on  les  mit  en  pièces  et  on  en  traîna  les  débris  par  les  rues.  Tout  cela 
fut  l'affaire  d'une  matinée.  L'émeute  avait  commencé  au  point  du  jour,  à 
midi  tout  était  calme.  Mais  ce  calme  n'avait  rien  que  de  sombre  et  de  lugu- 
bre. L'empereur  Théodose  était  bon,  mais  terrible  dans  ses  premiers  mou- 
vements ;  on  trembla  bientôt  qu'il  ne  ruinât  la  ville  de  fond  en  comble.  On 
pouvait  reprocher  aux  magistrats  de  n'avoir  rien  fait  pour  empêcher  le 
crime  ;  ils  se  montrèrent  d'autant  plus  implacables.  Antioche  n'était  plus  la 
même  ville;  on  ne  voyait  plusdejeux,  plus  de  festins,  de  débauches,  de 
chansons  et  de  danses  lascives,  de  divertissements  tumultueux  ;  on  n'y 
entendait  plus  que  des  prières  et  le  chant  des  psaumes.  Le  théâtre  était 
abandonné  :  on  passait  les  journées  entières  dans  l'église,  où  les  cœurs  les 
plus  agités  se  reposent  dans  le  sein  de  Dieu  même.  Toute  la  ville  semblait 
devenue  un  monastère. 

Le  peuple  s'adressa  à  l'évêque  Flavien,  afin  qu'il  intercédât  pour  lui.  11 


SADÎT  JE.\^   CHETSOSTOJIE,   DOCTEtm  DE   l'ÉGLISE.  9 

partit  en  effet  pour  Constantinople,  afin  de  fléchir  la  colère  de  l'empereur  et 
obtenir  le  pardon  d'Antioche.  En  attendant,  le  prêtre  Qirysostome  continua 
de  prôchcr  au  peuple,  dont  il  sut  calmer  les  craintes  et  essuj-er  les  larmes, 
et  c'est  i\  lui  principalement  qu'on  dut  la  tranquillité  où  la  ville  se  maintint 
au  milieu  des  diverses  alarmes  qui  survinrent.  11  prononça  dans  cet  inter- 
valle vingt  discours,  comparables  à  tout  ce  qu'Athènes  et  Rome  ont  produit 
de  plus  éloquent.  L'art  en  est  merveilleux.  Incertain  du  parti  que  voudra 
prendre  Théodose,  il  mêle  ensemble  l'espérance  du  pardon  et  le  mépris  de 
la  mort,  et  dispose  ses  auditeurs  à  recevoir  avec  soumission  et  sans  trouble 
les  ordres  de  la  Providence.  Il  entre  toujours  avec  tendresse  dans  les  senti- 
ments de  ses  concitoyens  ;  mais  il  les  relève  et  les  fortifie.  Jamais  il  ne  les 
arrête  trop  longtemps  sur  la  vue  de  leurs  malheurs  ;  bientôt  il  les  transporte 
de  la  terre  au  ciel.  Pour  les  distraire  de  la  crainte  présente,  il  leur  en 
inspire  une  autre  plus  vive  ;  il  les  occupe  du  souvenir  de  leurs  vices,  les 
presse  de  s'en  corriger,  en  particulier  du  blasphème,  et  leur  montre  le  bras 
de  Dieu  levé  sur  leurs  têtes,  et  infiniment  plus  redoutable  que  celui  du 
prince. 

Dans  cette  calamité,  le  peuple  d'Antioche  vit  arriver  des  consolateurs 
inattendus.  Ce  n'étaient  pas  les  philosophes  païens  ;  ils  s'étaient  enfuis  dès 
le  premier  moment,  pour  n'être  pas  enveloppés  dans  la  ruine  commune. 
C'étaient  les  anachorètes  des  montagnes  voisines  ;  ils  entrèrent  alors  dans  la 
ville,  afin  d'obtenir  le  pardon  du  peuple,  ou  bien  de  mourir  avec  lui.  Ils 
intercédèrent  auprès  des  magistrats,  et,  avec  les  prêtres  et  les  évoques, 
s'opposèrent  aux  exécutions,  jusqu'à  ce  qu'on  eût  reçu  la  réponse  de  l'em- 
pereur. Cette  réponse  arriva  enfin  :  Théodose,  pour  l'amour  de  Dieu  et  à  la 
prière  de  l'évêque,  pardonnait  à  la  ville  entière. 

Jean  passa  douze  années  à  Antioche  (386-398)  :  il  s'y  montra  le  modèle 
des  vrais  serviteurs  de  Dieu  et  la  règle  vivante  du  clergé.  Toutes  les  âmes 
s'élançaient  à  sa  suite  dans  la  pratique  de  la  vertu  et  dans  la  route  de  la  foi. 
Lui-même  il  donnait  l'exemple  d'une  vie  divine  dans  un  corps  mortel,  et  sa 
vue  seule  enflammait  d'ardeur  pour  la  perfection.  On  eût  dit  que  sa  parole, 
qui  ravissait  pourtant  tous  les  cœurs,  était  sans  apprêt  et  sans  art.  Il  exposait 
les  saintes  Ecritures  avec  une  simplicité  touchante,  uniquement  préoccupé 
de  la  vérité,  jamais  de  l'effet.  Il  reprenait,  avec  une  indépendance  et  une 
vigueur  intrépides,  les  pécheurs  publics.  Une  injustice  faite  à  autrui  semblait 
devenir  la  sienne  propre.  Par  ce  côté,  Jean  avait  mérité  toutes  les  sympa- 
thies de  la  multitude.  Mais  il  se  faisait  aussi  des  inimitiés  terribles  parmi  des 
personnes  riches  et  puissantes  dont  il  flétrissait  l'oppression  et  les  désordres. 
Cependant  la  renommée  de  son  éloquence  et  de  ses  vertus  avait  dépassé  les 
bornes  de  sa  patrie.  11  n'était  pas  une  contrée  de  l'empire  romain  qui  ne 
retentit  de  la  gloire  de  Jean  Ghrysostome.  Lors  donc  qu'à  Constantinople, 
le  chambellan  impérial  Eutrope  eût  prononcé  son  nom  dans  l'assemblée 
réunie  pour  choisir  un  successeur  au  patriarche  Nectaire,  mort  le  27  sep- 
tembre 397,  clergé  et  peuple,  d'une  seule  voix,  l'acclamèrent.  L'empereur 
Arcadius  approuva  ce  choix  et  envoya  chercher  le  nouvel  élu.  Les  messa- 
gers impériaux  s'adressèrent  d'abord  au  comte  d'Orient,  Astérius,  et  lui 
confièrent  l'objet  de  leur  mission.  Celui-ci  usa  de  surprise  ;  il  invita  Chry- 
sostome  à  l'accompagner  comme  pour  une  promenade  ;  l'homme  de  Dieu 
y  consentit.  Bientôt  on  arriva  à  Parga,  où  attendaient  les  officiers  impériaux 
qui  emmenèrent  le  Saint  à  Constantinople.  Ces  précautions  n'étaient  pas 
inutiles;  car  jamais,  sans  cela,  le  peuple  d'Antioche  n'eût  consenti  au  dé- 
part de  Chrysostome,  que  tous  regardaient  comme  la  gloire,  le  trésor  et  le 


10  27  JAIfYIER. 

bonheur  de  leur  église.  Cependant  cette  élection  déplaisait  au  patriarche 
d'Alexandrie,  Théophile,  qui  aurait  voulu,  on  ne  sait  trop  pour  quel  motif, 
metiie  sui-  le  siège  vacant  un  de  ses  prùtres,  nommé  Isidore,  liais  il  céda 
devant  l'influence  d'Eutrope,  qui  lui  signifia  d'avoir  à  se  ranger  de  l'avis  de 
ses  collègues,  ou  à  faire  connaître  publiquement  les  griefs  qu'il  pouvait 
avoir  contre  l'élu  du  clergé,  du  peuple  et  de  l'Orient  tout  entier.  Théophile 
n'insista  pas  davantage  :  accompagné  d'un  grand  nombre  d'évêques,  il  sacra 
lui-môme  Jean  Chrysostome  au  milieu  de  l'allégresse  universelle  (26  fé- 
vrier 398). 

Dos  la  première  entrevue  qu'il  eut  avec  l'empereur  et  l'impératrice, 
Jean  Chrysostome  leur  parla  de  péniteuce  ;  il  leur  donna  des  avis  sérieux 
sur  les  désordres  qui  régnaient  dans  une  cour  où  les  femmes  et  les  eunu- 
ques semblaient  être  les  maîtres.  «  A  peine  assis  sur  la  chaire  épiscopale», 
dit  Sozoméne,  «  il  consacra  tousses  soins  à  la  réforme  du  clergé  de  Byzance. 

11  s'informait  de  la  conduite  de  chacun  de  ses  prêtres,  les  reprenant,  les 
corrigeant,  quelquefois  même  les  chassant  de  l'église.  Le  zèle  qu'il  avait 
toujours  montré  contre  les  désordres  et  le  vice  s'accrut  encore,  depuis  sa 
promotion  à  l'épiscopat.  Son  ardeur  pour  le  bien,  l'indépendance  de  son 
langage,  l'indignation  qu'excitait  dans  son  âme  le  spectacle  des  mœurs 
dégénérées  de  son  temps,  parurent  plus  vives  à  Constantinople  qu'elles  ne 
l'avaient  été  à  Antioche.  Il  convertissait  des  multitudes  de  païens  et  d'héré- 
tiques. On  affluait  autour  de  lui  sans  vouloir  le  quitter  :  les  fidèles,  pour 
profiter  de  ses  instructions  ;  les  autres,  dans  l'espoir  de  le  prendre  en  dé- 
faut. Mais  Chrysostome  les  séduisait  les  uns  et  les  autres  par  le  charme  de 
ses  mœurs  et  de  sa  parole  ;  il  les  conquérait  tous  à  la  foi  véritable.  Le  peu- 
ple était  avide  de  ses  instructions  et  ne  pouvait  s'en  rassasier.  L'empresse- 
ment était  tel  qu'on  s'étouffait  au  pied  de  la  chaire  épiscopale,  se  portant 
les  uns  sur  les  autres  au  risque  de  s'écraser  pour  mieux  l'entendre.  Jean 
Chrysostome  fut  obligé  de  renoncer  à  un  usage  suivi  jusque-là  par  ses  pré- 
décesseurs de  parler  du  haut  de  leur  trône.  Il  se  plaçait  sur  l'ambon  destiné 
aux  lecteurs,  et  de  là,  dominant  la  foule,  ses  discours  arrivaient  plus  faci- 
lement à  ses  milliers  d'auditeurs.  La  chrétienté  de  Constantinople  était  donc 
dans  l'état  le  plus  florissant  :  elle  croissait  chaque  jour  en  fruits  de  grâce 
et  de  salut.  La  cité  tout  entière  était  devenue  un  vaste  théâtre  de  piété  et 
de  vertus.  Les  âmes  s'élevaient  dans  la  chasteté  au  chant  des  hymnes  sain- 
tes. On  voyait  de  jeunes  hommes,  déjeunes  femmes  jusque-là  passionnés 
pour  l'hippodrome  et  les  spectacles,  se  presser  au  bercail  de  Jésus-Christ, 
séduits  comme  irrésistiblement  par  la  voix  du  bon  pasteur. 

Dès  que  le  nouvel  évoque  eut  parlé  dans  son  église,  il  s'établit  entre  lui 
et  son  peuple  une  aU'ection  réciproque.  «  Je  ne  vous  ai  parlé  qu'une  fois 
encore  »,  dit-il  dans  son  deuxième  discours,  «  et  déjà  je  vous  aime  comme  si 
j'avais  été  élevé  au  milieu  de  vous  depuis  mon  enfance  ;  déjà  je  vous  suis  uni 
par  les  liens  de  la  charité  comme  s'il  m'avait  été  donné  depuis  longtemps 
de  jouir  des  douceurs  de  votre  intimité  ;  non  que  j'aie  un  cœur  trop  prompt 
aux  affections,  mais  c'est  que  vous  êtes  aimables  au-dessus  de  tout.  Car  qui 
n'admirerait  votre  zèle  de  feu,  votre  charité  sans  feinte,  votre  attachement 
pour  vos  maîtres  dans  la  doctrine,  l'union  qui  règne  entre  vous,  choses  qui 
suffiraient  pour  vous  concilier  une  âme  de  pierre?  C'est  pourquoi  nous  ne 
vous  aimons  pas  moins  que  cette  église  où  nous  sommes  né,  où  nous  avons 
été  élevé  et  instruit.  Celle-ci  est  la  sœur  de  celle-là,  et  vous  prouvez  leur 
parenté  par  vos  œuvres.  Si  l'autre  est  plus  ancienne  pour  le  temps,  celle-ci 
est  plus  fervente  dans  la  foi;  là  il  y  a  une  assemblée  plus  nombreuse,  un 


SAE<T  JEAN   CHRYSOSTOHE,   DOCTEUR  DE  L'ÉGUSE.  H 

théâtre  plus  célèbre  ;  mais  on  aperçoit  ici  plus  de  constance  et  de  courage. 
Je  vois  ici  les  loups  rôder  autour  des  brebis;  mais  le  bercail  ne  diminue 
pas  ».  Ces  loups  étaient  les  diverses  espèces  d'hérétiques  et  surtout  les 
Ariens  et  les  Novatiens  encore  en  grand  nombre  à  Gonstantinople  ;  il  y  avait 
aussi  beaucoup  de  païens. 

Ce  qui  formait  entre  l'évêque  et  son  peuple  ces  liens  d'une  union  en 
quelque  sorte  indissoluble,  c'est  que  Chrysostome  portait  dans  son  cœur, 
en  faveur  des  âmes  confiées  à  ses  soins,  d'inépuisables  trésors  d'aifection.  Il 
n'eût  pas  reçu  du  ciel  le  génie  de  la  parole,  que  la  sienne  n'eût  pas  été 
moins  puissante.  Il  était  éloquent,  parce  qu'il  était  saint  et  qu'il  aimait 
comme  savent  aimer  les  saints.  Quelquefois,  pour  rendre  l'auditoire  plus 
attentif,  il  l'interrogeait  ou  menaçait  de  l'interroger.  Selon  ses  propres 
paroles,  son  troupeau  était  sa  famille  ;  il  lui  tenait  lieu  de  tout  ici-bas,  et 
jamais  père  ne  fut  absorbé  par  l'intérêt  et  l'affection  de  ses  enfants,  autant 
qu'il  l'était  par  l'intérêt  et  le  salut  de  ces  âmes  aimées  et  bénies  qu'il  avait  à 
gouverner  dans  les  voies  de  Dieu.  Sa  pensée,  ses  sollicitudes,  son  cœur,  tout 
était  là.  Constatait-il  un  progrès  moral,  la  défaite  d'un  vice  et  d'un  préjugé, 
avait-il  réussi  à  ramener  une  âme,  une  seule,  au  devoir  et  à  Dieu,  sa  joie 
s'épanchait  publiquement  en  douces  effusions  dans  le  sein  de  son  auditoire, 
il  était  heureux.  «L'empereur»,  disait-il,  «est  moins  satisfait  de  sa  puis- 
sance que  moi  de  vos  vertus.  Il  reviendrait  de  l'armée  vainqueur  de  ses 
ennemis,  portant  au-dessus  de  son  diadème  les  couronnes  symboliques  de  la 
victoire,  il  aurait  moins  de  joie  de  ses  triomphes  que  j'en  ai  de  vos  progrès». 
Mais  rien  n'égalait  la  tristesse  du  pasteur  quand  il  apprenait  la  chute  d'une 
brebis.  Il  croyait  son  salut  attaché  à  celui  des  autres,  et  se  reprochait  leurs 
égarements  comme  sa  propre  faute,  comme  s'il  eût  été  coupable  des  péchés 
de  tous.  «  Je  voudrais  qu'il  me  fût  possible  »,  disait-il,  «  de  vous  mettre  mon 
cœur  sous  les  yeux...  Rien  ne  m'est  plus  cher  que  vous,  pas  môme  la 
lumière,  car  je  voudrais  devenir  aveugle,  si  je  pouvais,  à  ce  prix,  convertir 
vos  âmes.  Oui,  votre  salut  m'est  plus  précieux  que  la  vue  du  jour.  A  quoi  me 
serviraient,  en  effet,  les  rayons  du  soleil,  si  la  douleur  que  vous  me  causez 
couvre  mes  yeux  de  ténèbres?  La  lumière  plaît  quand  elle  vient  en  compa- 
gnie de  la  joie;  à  l'âme  affligée  elle  est  importune...  Or,  si  quelqu'un  de 
vous  vient  à  pécher,  c'est  une  douleur  qui  me  poursuit  jusque  dans  le  som- 
meil. Quelle  espérance  puis-je  nourrir  en  vous  voyant  ne  pas  faire  un  pas 
dans  la  vertu  ?  Mais  quel  chagrin  pourrais-je  éprouver  si  vous  vous  condui- 
siez dignement?  Je  me  sens  soulevé  comme  sur  des  ailes  quand  on  me  dit 
quelque  bien  de  vous.  Comblez  ma  joie.  Je  n'ai  qu'un  désir,  votre  avance- 
ment. Ce  en  quoi  je  l'emporte  sur  tout  le  monde,  c'est  que  je  vous  aime  et 
que  je  vous  tiens  tous  embrassés  dans  mon  cœur.  Vous  êtes  tout  pour  moi  : 
père,  mère,  frères,  enfants.  Ne  croyez  pas  que  les  paroles  sévères  que  je 
vous  adresse  quelquefois  partent  d'un  sentiment  de  courroux  :  je  ne  vous 
avertis,  je  ne  vous  gronde  que  pour  vous  rendre  meilleurs...  Ainsi  ne  m'en 
veuillez  pas  et  faisons  tout  pour  la  gloire  de  Dieu  ». 

Jamais  l'amour  des  âmes  ne  s'est  plus  tendrement  révélé  ;  jamais  la 
charité  n'a  tenu  un  plus  noble  langage.  Ce  que  ce  grand  apôtre  enseignait 
si  bien,  aux  applaudissements  de  tout  son  peuple,  il  ne  pouvait  oublier  de  le 
pratiquer  lui-même.  Il  pensait  avec  raison  que  sa  dignité  d'évêque  n'était 
qu'un  engagement  plus  étroit  d'être  saint  ;  que  le  talent  le  plus  nécessaire 
au  gouvernement  des  âmes  est  la  sainteté  ;  que  l'être  privilégié,  qui  a  reçu 
d'en  haut  la  sublime  mission  de  conduire  ses  frères  au  bonheur  éternel,  doit 
expliquer  l'Evangile  bien  plus  par  ses  œuvres  que  par  sa  parole,  en  offrir 


12  27    JAKTIER. 

dans  sa  personne  le  vivant  résumé,  en  reproduire  si  bien  l'esprit  que  sa  seule 
apparition  au  milieu  des  hommes  soit  une  révélation  aux  yeux  et  aux  cœurs 
de  la  présence  intime  et  permanente  de  Jésus-Christ  dans  son  Eglise.  Quand 
il  avait  employé  le  jour  aux  œuvres  de  charité,  il  passait  une  grande  partie 
de  la  nuit  à  l'élude  des  saints  livres  qu'il  avait  déjà  profondément  médités 
dans  les  six  années  de  sa  solitude.  Il  aimait  surtout  à  lire  saint  Paul.  Il 
exprimait  si  souvent  et  si  haut  son  admiration  pour  lui,  il  l'expliquait  si 
parfaitement,  que  l'opinion  s'était  accréditée  dans  le  peuple  que  Paul  visitait 
souvent  sous  une  forme  visible  son  éloquent  commentateur  et  lui  découvrait 
le  sens  caché  de  ses  écrits,  l'un  dictant,  l'autre  écrivant.  Le  prêtre  Proclus, 
qui  fut  le  secrétaire  de  Jean  et  plus  tard  son  successeur,  prétendait  l'avoir 
vu  plusieurs  fois  prêtant  l'oreille  à  un  personnage  mystérieux  qu'il  reconnut 
pour  saint  Paul. 

Une  vie  si  occupée ,  si  remplie,  semblait  demander  une  santé  robuste  ; 
mais  Jean  n'était  point  d'un  tempérament  à  toute  épreuve.  D'un  état  ma- 
ladif permanent,  il  n'en  avait  pas  plus  d'indulgence  pour  lui-môme  et  trai- 
tait son  corps  sans  trop  de  ménagement.  Son  sommeil  était  court,  de  trois 
ou  quatre  heures  chaque  nuit.  11  ne  mangeait  qu'une  fois  par  jour  vers  le 
soir  ;  encore  regrettait-il  les  quelques  minutes  accordées  à  cet  unique  repas 
qu'il  oubliait  parfois  de  y  'endre.  Tout  mets  un  peu  soigné  était  proscrit  de 
sa  table.  11  ne  buvait  que  de  l'eau,  à  laquelle,  pendant  les  grandes  chaleurs, 
il  ajoutait  quelques  gouttes  d'un  vin  médicinal  où  l'on  avait  macéré  des 
roses.  On  eût  dit  que  le  besoin  de  manger  l'humiliait  ;  il  eût  voulu  s'y  sous- 
traire, comme  si  l'invisible  aliment  de  la  contemplation  eût  suffi  à  nourrir 
son  corps  aussi  bien  que  son  âme.  Cette  aversion  de  la  table,  effet  de  sa 
constitution  délicate  et  d'une  extrême  frugalité,  l'avait  déterminé  à  manger 
toujours  seul  et  à  ne  se  trouver  jamais  aux  festins  auxquels  il  était  prié.  II 
garda  toujours  cette  manière  de  vivre,  sans  avoir  égard  aux  calomnies  des 
personnes  qui  s'en  scandalisaient,  et  conserva  toute  sa  vie  cette  sainte  avarice 
de  son  temps  et  du  bien  des  pauvres,  sans  néanmoins  méconnaître  les  de- 
voirs de  l'hospitalité  vis-à-vis  de  ceux  qui  le  venaient  voir. 

Persuadé  que  les  biens  de  l'Eglise  sont  le  patrimoine  de  ceux  qui  s? 
trouvent  dans  la  nécessité,  il  retrancha  tout  le  luxe  et  les  dépenses  dont  ses 
prédécesseurs  avaient  cru  devoir  parer  la  maison  du  pontife  pour  aug- 
menter le  revenu  des  hôpitaux.  11  n'eut  dans  son  cabinet  qu'un  seul  tableau, 
le  portrait  de  saint  Paul  devant  lequel  il  travaillait.  L'esprit  élevé  de  Chry- 
sostome,  son  cœur  aux  nobles  dévouements  répugnaient  aux  détails  maté- 
riels de  l'administration  ;  ses  autres  occupations  l'en  détournaient  aussi.  Il 
s'en  remit  à  un  économe  du  temporel  de  son  diocèse.  Tout  fut  soumis  à  une 
active  surveillance  et  à  de  sévères  réformes.  Constantinople  n'avait  consacré 
que  trois  édifices  à  la  pitié  publique  :  un  pour  les  malades,  un  autre  pour  les 
pauvres  passants  et  un  troisième  pour  les  orphelins.  Mais  ces  trois  hôpitaux 
ne  suffisaient  pas  pour  une  ville  où  l'on  comptait  au  moins  cinquante  mille 
indigents. 

Chrysostome  multiplia  les  asiles  du  malheur,  asiles  qui  se  firent  remar- 
quer entre  les  autres  par  une  organisation  plus  parfaite  et  une  charité  plus 
délicate.  Non  content  de  ces  maisons  destinées  à  la  charité  publique,  le  saint 
évoque  engageait  à  former  dans  chaque  maison  riche  un  petit  hospice,  c'est- 
à-dire  une  chambre  consacrée  aux  malheureux,  asile  voilé,  où  la  pauvreté 
timide  et  honteuse  pourrait  s'abriter  sans  être  obligée  de  déclarer  son  abais- 
sement et  son  désespoir  devant  la  cité  tout  entière.  Mais  celte  divine  vertu 
de  la  charité  lui  fit  encore  porter  ses  vues  beaucoup  plus  loin  ;  il  voulait 


SAIKT   JEAN  CHRYSOSTOME,  DOCTEUR  DE  t'ÉGLISE.  13 

refaire  à  Constantinople  ce  que  les  Apôtres  avaient  fait  à  Jérusalem  ;  et  si 
son  épiscopat  eût  été  plus  paisible  et  de  plus  longue  durée,  le  projet  qu'il 
avait  formé  de  nourrir  tous  les  pauvres  en  commun  eût  été  quelque  chose 
de  plus  qu'une  belle  et  noble  idée.  Les  persécutions  et  l'exil  emportèrent 
les  pensées  et  la  vie  de  Chrysostome. 

A  l'époque  où  ce  saint  évoque  arriva  à  Constantinople,  la  ville  était  par- 
tagée en  plusieurs  partis  religieux,  dont  les  principaux  étaient:  celui  des 
païens  qui  tentèrent  alors  les  plus  grands  efforts  pour  relever  l'idolâtrie  ; 
celui  des  Novaliens,  dont  l'évêque  titulaire,  Sisinnius,  trônait  sur  sa  chaire 
pontificale  et  se  prétendait  le  seul  évoque  légitime  de  Byzance  ;  celui  des 
Ariens  qui  n'avaient  plusd'évôque,  il  est  vrai,  mais  dont  la  puissance  et  le 
nombre  s'étaient  accrus  par  l'invasion  des  Goths  dans  toutes  les  charges  et 
les  principales  dignités  de  l'empire.  Jean  Chrysostome  avait  à  porter,  d'une 
main  ferme  et  intrépide,  le  drapeau  de  la  vraie  foi.  Il  fallait  prêcher  le  nom 
de  Jésus-Christ  aux  païens,  la  vérita'ole  doctrine  aux  hérétiques,  résister  aux 
attaques  des  uns  et  des  autres,  et  enfin  préserver  le  troupeau  fidèle  du 
double  danger  de  la  séduction  et  de  l'erreur.  Dans  cette  œuvre,  Chrysostome 
n'était  pas  aidé  autant  qu'il  pouvait  l'attendre  de  la  part  de  son  clergé  dont 
beaucoup  des  membres  étaient  aussi  déréglés  que  certains  personnages  de 
la  cour  et  du  peuple.  Le  relâchement  et  la  mondanité  avaient  pénétré  dans 
le  sanctuaire.  Beaucoup  des  prêtres  ne  travaillaient  que  pour  s'enrichir 
dans  le  ministère  sacré  ;  d'autres  aimaient  la  bonne  chère  et  fréquentaient 
trop  la  table  des  grands.  Mais  l'abus  qui  le  révoltait  le  plus  et  qu'il  eut  plus 
de  peine  à  déraciner  fut  celui  des  sœurs  adoptivcs,  contre  lequel  les  conciles 
eux-mêmes  furent  plusieurs  fois  impuissants.  Sous  prétexte  d'assister  les 
vierges  chrétiennes  et  de  les  défendre  contre  la  violence  ou  la  rapacité  des 
hommes  puissants,  les  prêtres  les  logeaient  avec  eux  sous  le  môme  toit  et 
recevaient  d'elles  ces  mille  soins  qui  leur  assuraient,  disaient-ils,  une  plus 
grande  liberté  de  servir  Dieu.  Notre  Saint  composa,  contre  ce  désordre, 
deux  livres  qui  nous  restent  encore  aujourd'hui  ;  il  y  reprend  avec  beaucoup 
de  piété  et  d'éloquence  ces  amitiés  indiscrètes  et  scandaleuses  même  pour 
les  païens. 

11  y  avait  à  Constantinople  un  collège  de  vierges  et  de  veuves  dont  Chry- 
sostome entreprit  aussi  la  réforme  avec  ce  mélange  de  prudence  et  de  force 
qui  caractérisa  toujours  son  ministère.  Un  grand  nombre  de  ces  pieuses 
femmes,  issues  des  plus  nobles  familles,  consolèrent  la  vie  et  ajoutèrent  à  la 
gloire  de  notre  Saint.  Une  d'entre  elles  surtout,  sainte  Olympiade,  occupa 
toujours  et  mérita  le  premier  rang.  Nièce  de  la  femme  d'Arsace,  roi  d'Ar- 
ménie, célèbre  pour  sa  beauté  et  sa  vertu,  elle  avait  été  élevée  par  la  sœur 
de  saint  Amphiloque,  et  saint  Grégoire  do  Nazianze  avait  complété  son 
instruction.  Ayant  perdu,  h  l'âge  de  vingt  ans,  son  mari,  Nébridius,  préfet 
de  Byzance,  elle  garda  la  viduité  chrétienne.  Maîtresse  d'une  immense  for- 
tune, elle  l'administra  en  qualité  d'économe  des  pauvres.  Quand  saint 
Chrysostome  succéda  à  Nectaire,  Olympiade  avait  cinquante  ans  ;  il  y 
en  avait  trente  qu'elle  vivait  de  pain,  de  légumes  et  d'eau,  passant  les  jour- 
nées à  soulager  toutes  les  douleurs  et  toutes  les  misères  spirituelles  et  corpo- 
relles. Le  fleuve  de  sa  charité,  dit  saint  Jean,  avait  répandu  ses  flots  sur  tous 
les  rivages  de  l'univers.  Ce  fut  Olympiade  qui  pourvut  aux  frais  des  missions 
envoyées  par  Chrysostome  en  Phénicie,  en  Syrie,  chez  les  Goths  et  chez  les 
Scythes.  Par  elle,  l'évêque  de  Constantinople  rétablit  dans  l'ordre  des  diaco- 
nesses la  régularité  de  vie  et  la  sainteté  primitive  de  l'institution  ;  par  elle 
aussi,  il  fonda  dans  sa  ville  épiscopale  beaucoup  d'établissements  de  bienfai- 


14  27   JANVIER. 

sance  pour  les  malades,  les  vieillards  et  les  orphelins.  «  Telle  fut  »,  ajoute 
Pallade,  «  cette  héroïne  de  la  foi  chrétienne.  C'est  ajuste  titre  que  son  nom 
est  inscrit  parmi  ceux  des  confesseurs  et  des  martyrs.  Elle  est  morte  dans 
les  souffrances,  mais  elle  triomphe  avec  les  élus  dansun  bonheur  innllérable'». 

Le  pieux  pontife  profila  de  l'amour  de  son  peuple  pour  recommander  et 
populariser  le  chant  sacré.  Voici  à  quelle  occasion.  Les  Arien.s,  auxquels 
Théodose  avait  enlevé  les  églises  de  la  ville,  tenaient  leurs  assemblées  hors 
des  murs.  Gaïnas,  golh  d'origine,  de  simple  soldat  parvenu  par  sa  bravoure 
à  la  tête  des  armées  d'Orient,  était  arien  comme  ceux  de  sa  nation  ;  il  favo- 
risait donc  le  parti  de  cette  hérésie.  Dans  un  but  plutôt  politique  que  reli- 
gieux, il  osa  demandera  l'empereur  Arcadius  une  église  dans  Gonstantinople, 
où  ses  coreligionnaires  pussent  s'assembler  librement.  Arcadius  n'osant 
prendre  sur  lui  de  le  refuser,  promit  à  Gaïnas  de  réfléchir  à  sa  demande  ;  il 
consulta  le  saint  patriarche  qui  se  chargea  de  faire  la  réponse  dans  une 
assemblée  convoquée  à  cet  effet.  Après  avoir  dit  à  Gainas  que  les  temples 
catholiques  étaient  ouverts  à  tous  ceux  qui  voulaient  y  venir  prier,  il  lui 
représenta  que  ses  services  avaient  été  assez  récompensés  par  les  honneurs 
dont  on  l'avait  comblé  et  par  tout  ce  que  l'empire  avait  fait  pour  lui.  L'ar- 
chevêque lut  alors  l'édit  de  Théodose  qui  prohibait  l'exercice  public  de 
l'Arianisme  dans  l'intérieur  des  villes.  Puis  se  tournant  vers  Arcadius,  il 
ajouta  :  «  Prince,  vous  êtes  le  dépositaire  des  lois.  Dieu  vous  a  constitué 
pour  veiller  à  leur  exécution.  Il  vaudrait  mieux  descendre  du  trône  que  de 
livrer  la  maison  de  Dieu  à  ses  ennemis  et  de  trahir  la  justice,  la  religion  et 
la  vérité  ». 

La  cour  applaudit  et  donna  raison  à  l'archevêque.  Gainasse  retira,  l'âme 
ulcérée,  bien  résolu  à  prendre  sa  revanche  ;  les  Ariens  lui  promirent  leur 
concours.  La  veille  des  dimanches  et  fêtes,  ils  s'attroupaient  au  milieu  de 
la  nuit  sous  les  portiques  des  palais,  et,  se  groupant  en  chœur,  chantaient 
les  hymnes  de  leur  secte  en  y  ajoutant  des  expressions  injurieuses  pour  les 
catholiques.  A  l'aube  du  jour,  ils  se  mettaient  en  marche,  parcourant  les 
rues  de  la  ville  et  répétant  ce  refrain  d'un  de  leurs  cantiques  :  Oh  sonl-ils 
ceux  qui  pré  tendent  que  trois  ne  [ont  qu'un  ?  Chrysostome,  craignant  l'impres- 
sion que  pouvaient  faire,  sur  l'esprit  mobile  des  Byzantins,  ces  chants  héré- 
tiques, dont  la  mélodie  simple  et  gracieuse  devint  bientôt  populaire,  essaya 
de  leur  opposer  des  hymnes  catholiques  au  Verbe  incréé.  Il  y  réussit.  Le 
matin  des  dimanches  et  des  fûtes,  les  orthodoxes  se  rendaient  procession- 
nellement  à  la  basilique  où  la  station  (office  solennel)  devait  avoir  lieu. 
Chemin  faisant,  ils  chantaient  les  hymnes  composées  par  Chrysostome.  L'im- 
pératrice et  toute  la  cour,  en  haine  de  Gaïnas,  favorisèrent  ces  manifestations 
imposantes.  On  portait  des  croix  d'argent  précédées  de  torches  allumées. 
Un  chambellan  de  l'impératrice  dirigeait  les  chœurs.  Dans  cette  lutte  de 
psalmodie,  la  victoire  demeura  aux  catholiques.  Mais  les  Ariens,  vaincus  sur 
ce  terrain  pacifique,  eurent  recours  à  leurs  violences  habituelles.  Ils  se 
jetèrent  un  jour  sur  la  procession  des  orthodoxes  et  tuèrent  plusieurs  per- 
sonnes. Arcadius  crut  devoir  intervenir  et  supprima  les  processions  des 
hérétiques.  Les  orthodoxes,  restés  en  possession  de  leur  liberté,  conti- 
nuèrent à  cultiver,  avec  un  -zèle  heureux,  le  chant  sacré  popularisé  par 
Chrysostome  et  devenu  pour  lui  un  auxiliaire  précieux  de  son  apostolat. 

Avec  l'amour  du  chant  sacré,  le  pieux  pontife  inspira  à  son  peuple  celui 
de  la  prière  ;  on  vit  revivre  à  Gonstantinople  les  veilles  saintes  de  la  primitive 
Eglise.  La  prière  est  le  canal  des  grâces,  c'est  un  moyen  efficace  de  purifier 

1.  L'^slUc  c(nibre  la  mémoire  de  sainte  0}ym^l»ôe  le  17  décembre. 


SAINT  JEAN  CHIITS0ST05IE,    DOCTEFR  DE  L'ÉGUSE.  15 

les  alTections  de  l'âme  et  de  mener  une  vie  angélique  dans  un  corps  mortel. 
L'évèque  insistait  sur  la  nécessité  de  ce  saint  exercice  et  sur  la  manière  de 
s'en  acquitter  dignement.  Il  exhortait  les  laïques  mêmes  à  se  lever  durant  la 
nuit,  afm  d'assister  à  l'office  avec  le  clergé.  «  La  nuit  »,  dit-il,  n  n'est  pas 
faite  pour  la  passer  tout  entière  dans  le  sommeil  et  le  repos  ;  les  artisans,  les 
négociants,  les  marchands  en  sont  une  preuve.  L'Eglise  de  Dieu  se  lève  au 
milieu  de  la  nuit.  Lève-toi  aussi  et  contemple  le  chœur  des  astres,  ce  silence 
profond,  ce  calme  immense  ;  la  distraction,  la  frivolité  ne  s'emparent  plus 
alors  de  ton  âme,  car  tant  de  choses  imposantes  la  saisissent  et  la  tiennent 
attentive,  .\dmire  la  providence  de  ton  Maître.  Pendant  la  nuit  l'âme  est 
plus  pure,  plus  légère,  elle  s'élève  plus  haut  avec  moins  d'efforts;  les 
ténèbres  mêmes  et  ce  grand  silence  la  disposent  à  la  componction.  Si  tu 
contemples  le  ciel  parsemé  d'étoiles  qui  ressemblent  à  des  yeux  ouverts  sur 
nous,  la  pensée  du  Créateur  te  viendra  de  suite  à  l'esprit  et  te  pénétrera 
d'une  joie  parfaite.  Si  tu  songes  à  tous  ces  hommes  qui  pendant  le  jour 
crient,  s'amusent,  dansent,  s'abandonnent  à  la  colère,  à  l'injustice,  à  la 
cupidité,  commettent  mille  péchés,  et  qui  maintenant  endormis  sont  absolu- 
ment semblables  à  des  morts,  tu  condamneras  l'arrogance  humaine.  Le 
sommeil  est  venu  et  il  a  démontré  ce  que  nous  sommes  ;  le  sommeil 
est  l'image  de  la  mort,  l'image  du  néant.  Regarde  dans  les  rues  :  tu  n'en- 
tends pas  une  voix.  Regarde  dans  la  maison,  tu  les  vois  tous  gisants  comme 
dans  le  sépulcre.  Est-ce  que  tout  cela  n'est  pas  propre  à  éveiller  l'âme,  à 
nous  faire  songer  à  l'heure  suprême  ?  Je  m'adresse  aux  femmes  et  aux 
hommes.  Fléchissez  le  genou,  gémissez  devant  Dieu,  demandez-lui  qu'il 
vous  soit  propice.  Il  se  laisse  toucher  plutôt  par  les  prières  de  la  nuit,  quand 
vous  donnez  à  la  pénitence  le  temps  du  repos  ». 

Quant  aux  femmes  qui  ne  pouvaient  aisément  aller  à  l'église  pendant  la 
nuit,  il  leur  recommandait  d'interrompre  pour  quelques  moments  le  som- 
meil de  leurs  enfants,  afin  qu'ils  élevassent  leur  cœur  à  Dieu  par  une  courte 
prière,  qu'ils  contractassent  insensiblement  l'habitude  de  veiller,  et  que  les 
maisons  de  chrétiens  devinssent  autant  d'églises.  Mais  Chrysostome  ne  s'ex- 
prime jamais  avec  plus  de  force  et  d'onction  que  quand  il  parle  de  l'amour 
infini  que  Jésus-C3irist  nous  témoigne  dans  l'Eucharistie  et  qu'il  exhorte  les 
fidèles  à  s'approcher  fréquemment  de  cet  auguste  Sacrement.  Au  reste,  on 
ne  doit  point  être  surpris  de  cette  effusion  de  cœur  pour  la  divine  Eucha- 
ristie ;  une  foi  vive  en  était  le  principe.  Nous  apprenons  de  saint  Nil  que 
notre  Bienheureux  eut  plusieurs  fois  le  bonheur  de  voir  une  multitude 
d'anges  environner  l'autel  pendant  la  célébration  des  saints  mystères  et  à  la 
communion  du  peuple.  Le  Saint  lui-même  donne  comme  un  fait  certain  la 
présence  des  esprits  célestes  dans  ces  précieux  moments  ;  ce  qu'il  confirme 
par  les  visions  de  plusieurs  solitaires. 

Un  prodige  que  nous  allons  raconter  ne  servit  pas  peu  à  confirmer  les 
catholiques  dans  leur  foi.  Deux  époux  attachés  à  la  secte  des  Macédoniens, 
vivaient  alors  à  Gonstantinople.  Le  mari,  ayant  entendu  exposer  par  Chry- 
sostome la  doctrine  catholique,  se  convertit  et  abjura  son  erreur.  Dès  lors 
il  entreprit  de  ramener  l'esprit  de  sa  femme  à  la  vraie  foi  ;  mais  toutes  ses 
exhortations  furent  inutiles.  Un  jour  enfin  il  lui  dit  :  Consens  à  ma  prière,  ou 
bien  je  cesserai  tous  rapports  avec  toi.  —  Cette  menace  fit  son  effet.  La 
femme  se  prêta  en  apparence  à  ce  qu'on  demandait  d'elle  et,  le  jour  où  elle 
devait  communier,  elle  se  rendit  à  l'église  avec  les  catholiques.  Au  lieu  de 
porter  à  sa  bouche  le  pain  eucharistique,  elle  inclina  profondément  la  tête 
sous  son  voile  comme  pour  adorer  Kotre-Seigneur  et  glissa  le  sacrement  à 


J6  27  JANVIER. 

une  servante  qu'elle  avait  avertie  et  qui  se  tenait  aux  côtés  de  sa  maîtresse. 
Rien  ne  fut  remarqué  par  les  assistants.  De  retour  dans  sa  maison,  la  femme 
voulut  consommer  son  crime  et  manger  les  espèces  sacramentelles  comme 
un  pain  ordinaire.  Elle  les  porta  à  sa  bouche  et  y  imprima  ses  dents.  Ce 
n'était  plus  du  pain,  mais  une  véritable  pétrification  dure  et  résistante 
comme  la  pierre.  Epouvantée  de  ce  prodige,  la  femme  courut  au  bienheu- 
reux évoque,  se  frappant  la  poitrine,  confessant  sa  faute  au  milieu  d'un 
torrent  de  larmes  et  implorant  son  pardon.  En  même  temps  elle  montrait 
le  pain  pétrifié  où  l'empreinte  de  ses  dents  était  marquée.  Chrysostome 
l'admit  à  la  pénitence.  Depuis  lors  cette  femme  est  restée  une  catholique 
fervente.  C'est  un  historien  contemporain  et  vivant  à  Constantinople  qui 
nous  raconte  ce  miracle,  en  ajoutant  que  l'on  conservait  dans  l'église  de 
cette  ville  le  pain  eucharistique  pétriQé. 

Vers  l'an  400,  un  tremblement  de  terre  épouvantable  renversa  un  tiers 
de  la  capitale  de  l'Orient.  La  mer  violemment  soulevée  inonda  le  faubourg 
dit  de  Chalcédoine  et  les  quartiers  bas  de  la  cité,  pendant  que  la  flamme 
dévorait  les  édifices  bâtis  sur  les  hauteurs.  Des  misérables,  comme  il  s'en 
trouve  toujours  dans  les  calamités  publiques,  profitèrent  de  la  désolation 
universelle  pour  s'enrichir  de  la  ruine  de  tous.  La  ville  entière  avait  fui. 
Seul,  dans  la  panique  universelle,  le  pasteur  était  resté  debout  à  son  poste. 
11  rétablit  l'ordre  et  força  les  ravisseurs  à  rougir  de  leur  lâcheté  et  à  rendre 
les  trésors  qu'ils  avaient  volés.  Le  grand  évêque  se  constitua  le  gardien  de 
ces  dépouilles  et  les  rendit  avec  ses  consolations  au  peuple  de  Constan- 
tinople, quand  il  revint  prendre  possession  de  la  ville.  Un  mois  après  ce 
désastre,  un  nouveau  cirque  était  inauguré  au  milieu  d'un  concours 
immense  et  aux  applaudissements  frénétiques  d'un  peuple  inconstant  et 
léger,  trop  tôt  oublieux  de  ses  maux.  Le  Pontife  en  eut  l'âme  percée  de 
douleur.»  Trente  jours  sont  à  peine  écoulés  depuis  nos  malheurs  k,  s'é- 
criait-il, <i  depuis  cette  épouvantable  catastrophe,  et  vous  voilà  revenus  à  vos 
folies!  Comment  vous  excuser?  Gomment  vous  pardonner?...  Je  suis 
désolé  que  rien  ne  vous  corrige,  ni  l'expérience  du  présent,  ni  la  crainte 
de  l'avenir...  »  Chrysostome  préparait  d'autres  fêtes  plus  dignes  de  sa  foi 
et  de  sa  piété.  Les  saints  martyrs  Sisinniiis,  Alexandre  et  Martyrius,  mis  à 
mort  en  Italie  (29  mai  397)  par  les  païens  de  Trente,  étaient  tous  trois  origi- 
naires de  Cappadoce.  Chrysostome  avait  réclame  pour  l'Asie  les  reliques  de 
ces  héroïques  enfants  de  l'Asie.  Saint  Vigile,  évêque  de  Trente,  écrivit  au 
grand  docteur  qu'il  partagerait  ce  trésor  avec  lui.  On  déploya  pour  la  trans- 
lation solennelle  de  ces  reliques  une  magnificence  incroyable.  A  leur  débar- 
quement elles  furent  déposées  dans  un  oratoire  de  Saint-Thomas,  au  bourg 
de  Drypia  sur  la  Propontide,  à  neuf  milles  de  Constantinople.  La  nuit  sui- 
vante, une  procession  aux  flambeaux  sortit  de  Byzance,  en  chantant  des 
hymnes  sacrées.  A  gauche  de  l'archevêque,  l'impératrice  Eudoxie  sans 
escorte,  sans  diadème,  marchait  modestement,  suivie  de  tout  un  peuple. 
Chrj-sostome,  prenant  la  parole,  fit  éclater  sa  joie  et  ses  espérances,  tour  à 
tour  glorifiant  l'Eglise  et  les  Saints,  et  remerciant  le  peuple  et  l'impératrice 
du  zèle  qu'ils  avaient  montré.  Quelques  jours  après,  une  solennité  du  môme 
genre  avait  lieu  pour  la  translation  des  reliques  de  saint  Phocas,  humble 
jardinier  de  Sinope,  qui  pendant  soixante  ans  avait  renouvelé  les  merveilles 
de  charité,  de  dévouement  et  de  mortification  des  plus  illustres  solitaires. 

11  était  tombé  depuis  plusieurs  jours  une  si  grande  pluie,  que  l'on  com- 
mençait à  désespérer  pour  la  moisson  prochaine.  On  était  au  mercredi  de  la 
semaine,  6  avril  399.  Le  peuple  consterné  se  voyait  déjà  en  proie  aux  hor- 


SAINT  JEAN  CnRYSOSTOME,    DOCTEUR   DE   l'ÉGUSE.  17 

reurs  de  la  famine.  Le  saint  archevêque  ordonna  une  procession  à  l'église 
de  Saint-Pierre  et  Saint-Paul  de  l'autre  côté  du  Bosphore  pour  remercier 
Dieu  de  la  cessation  du  fléau.  Il  semblait  au  pasteur  indulgent  que  ce 
peuple,  si  pieusement  ému,  était  revenu  pour  longtemps  aux  choses 
sérieuses  et  à  ses  devoirs.  Mais,  dès  le  lendemain,  jour  du  Vendredi  Saint, 
des  courses  avaient  lieu  à  l'hippodrome ,  sans  que  l'on  s'inquiétât  du  deuil 
de  l'Eglise  ni  du  grand  anniversaire  qui  l'occupait.  Pour  comble  de  scan- 
dale, le  samedi,  la  foule  encourageait  de  ses  frénétiques  applaudissements 
les  représentations  les  plus  obscènes.  L'indignation  du  saint  archevêque 
éclata  le  jour  de  Pâques.  «  Après  tant  de  discours»,  s'écria-t-il,  «  après  de  si 
graves  enseignements,  plusieurs  nous  ont  quittés  pour  aller  voir  courir  des 
chevaux.  Ils  ont  fait  rire,  ou  plutôt  ils  ont  attristé  la  cité  tout  entière  par 
leur  dissipation  et  leurs  cris.  Je  les  ai  entendus  du  fond  de  ma  demeure,  et 
j'en  étais  humilié...  Ils  n'ont  pas  même  respecté  le  jour  oti  furent 
accomplis  les  mystères  de  notre  salut...  Comment  désormais  apaiser  le 
courroux  céleste?  Il  n'y  a  pas  encore  trois  jours,  quand  cette  grande  pluie, 
entraînant  tout,  enlevait  le  pain  de  la  bouche  du  laboureur,  vous  avez 
recouru  aux  supplications,  aux  processions  ;  la  ville  s'est  portée  au  temple 
des  Apôtres,  elle  a  traversé  les  flots,  cherchant  partout  des  médiateurs 
auprès  de  Dieu.  Et  à  peine  quelques  heures  se  sont  écoulées,  vous  oubliez 
votre  terreur,  votre  reconnaissance,  vous  poussez  des  cris  indignes,  vous 
déshonorez  votre  âme...  Ce  n'était  point  assez  d'avoir  agi  de  la  sorte  un 
jour  ;  le  lendemain,  sans  donner  de  relâche  à  votre  malice,  vous  courez  au 
théâtre,  c'est-à-dire  à  un  abîme  plus  affreux  !  Là,  les  jeunes  gens  viennent 
perdre  leur  jeunesse,  les  vieillards  déshonorer  leurs  cheveux  blancs.  Là,  des 
fils  sont  conduits  par  leurs  pères,  bourreaux  plutôt  que  pères.  —  Quel  mal 
y  a-t-il  ?  dites-vous.  —  Voilà  ce  qui  m'afflige  le  plus  :  c'est  que  malades 
comme  vous  l'êtes,  vous  ne  vous  doutez  pas  de  votre  état  !  Vous  sortez  de 
là  pleins  d'adultères,  et  vous  demandez  quel  mal  il  y  a...  »  Puis  Chrysos- 
tome  retrace  avec  sa  sainte  éloquence  l'immoralité  du  théâtre  et  les  funestes 
ravages  qu'il  exerce  dans  les  familles.  Il  déplore  la  perte  des  âmes,  et  fait  à 
son  peuple  de  salutaires  menaces.  «  Ainsi,  je  le  proclame  à  haute  voix,  si 
quelqu'un,  après  ce  que  je  viens  de  dire,  retourne  à  cette  peste  du  théâtre, 
je  lui  interdirai  l'enceinte  sacrée,  je  lui  refuserai  les  saints  mystères...  » 
Les  paroles  si  pleines  de  charité  du  saint  orateur  firent  impression  sur  ce 
peuple  frivole,  mais  bon,  qui  ne  voulait  ni  l'affliger,  ni  être  privé  de  l'en- 
tendre. 

Ce  que  nous  avons  à  dire  delà  conduite  du  saint  archevêque  touchant  la 
chute  d'Eutrope,  exige  que  nous  reprenions  les  choses  d'un  peu  plus  haut. 
Le  vieil  eunuque  Eutrope,  quoique  esclave  d'origine,  avait  réussi,  par  son 
audace  et  son  hypocrisie,  à  s'insinuer  dans  les  bonnes  grâces  de  Théodose 
le  Grand  et  d'Arcadius  ;  le  premier  le  fit  grand  chambellan.  En  393,  il  suc- 
céda au  traître  Rulin  dans  la  charge  de  premier  ministre  et  fut  même, 
quelque  temps  après,  élevé  à  la  dignité  de  consul.  Il  devint  si  puissant  qu'on 
lui  éleva  des  statues  d'or  dans  plusieurs  endroits  de  Constantinople.  Mais 
son  orgueil,  son  ambition,  son  avarice,  le  rendirent  bientôt  plus  odieux  que 
son  prédécesseur.  Fermant  l'oreille  aux  avis  de  saint  Jean  Chrysostome,  il 
n'écoutait  que  ses  flatteurs.  Quoique  l'empire  retentît  partout  de  cris 
d'indignation  contre  lui,  il  ne  les  entendit  point  ;  mais  parmi  ses  nombreux 
ennemis,  deux  étaient  redoutables  :  Gainas,  commandant  des  Goths  attachés 
au  service  de  l'empire,  et  l'impératrice  Eudoxie.  Cette  princesse,  ayant  reçu 
de  l'insolent  ministre  un  nouvel  outrage,  ne  put  retenir  sa  haine  :  elle  court 
Vies  des  Saints.  —  Tome  D,  S 


18  27  JANVIER. 

chez  l'empereur  avec  ses  deux  enfants  dans  les  bras,  et  demande  justice 
contre  Eutrope.  Arcadlus,  qui  ne  savait  pas  mieux  garder  ses  ministres  que 
les  choisir,  donna  des  ordres  pour  l'exil  d'Eutrope  et  pour  la  conQscation  de 
tous  ses  biens.  Ce  malheureux  vit  en  un  instant  s'éloigner  tous  ses  faux 
amis  avec  sa  fortune.  .\handonné,  sans  ressources,  il  se  réfugia  dans  une 
église,  cherchant  auprès  des  autels  un  asile  qu'il  avait  si  souvent  violé. 
Cependant  toute  la  ville,  toute  l'armée  demandaient  sa  mort.  L'église  fut 
investie  par  des  soldats  dont  les  yeux  élincelaient  de  fureur  ;  l'autorité  de 
l'empereur  n'eût  pas  sufû  pour  les  arrêter  sans  les  remontrances  du  saint 
archevêque.  Le  lendemain,  le  peuple  accourut  en  foule  à  l'église  pour 
contempler  à  son  tour  avec  des  yeux  terribles  celui  qui,  deux  jours  aupara- 
vant, faisait  de  son  regard  trembler  l'univers  ;  il  tenait  l'autel  embrassé,  il 
grinçait  des  dents  ;  tous  ses  membres  tremblaient  agités  par  l'effroi.  C'était 
le  jour  du  dimanche.  Jean  Chrysostome  parut  à  l'ambon  pour  y  faire  l'ho- 
mélie, selon  sa  coutume.  Commençant  par  ces  paroles:  Vanité  des  vanités, 
tout  n'est  que  vanité,  il  peignit,  de  la  manière  la  plus  touchante  et  la  plus 
vive,  le  faux  éclat,  le  vide,  le  néant  des  honneurs  du  monde  ;  il  sut  repro- 
cher au  peuple  ses  basses  adulations  et  sa  déplorable  mobilité,  tout  en 
désarmant  sa  colère.  Bientôt  la  pitié  succéda  à  l'ardeur  de  la  vengeance  ;  le 
saint  orateur  avait  attendri  les  cœurs  et  calmé  les  transports  de  l'indigna- 
tion ;  les  larmes  coulaient  des  yeux.  En  sortant  de  la  basilique  des  Apôtres, 
évêque  et  peuple  se  rendirent  au  palais  et  obtinrent  d'Arcadius  la  grâce  du 
ministre  déchu  qui  resta  néanmoins  dans  son  asile  sacré.  Mais  s'ennuyant  de 
cette  espèce  de  captivité,  il  voulut  s'enfuir,  et  Eudoxie  lui  fit  trancher  la 
tête  (17  janvier  399). 

Après  la  mort  d'Eutrope,  ce  fut  l'impératrice  Eudoxie  qui  succéda  au 
pouvoir  tyrannique  de  l'ennuque.  Gainas  en  fut  jaloux.  Rassemblant  ses  bar- 
bares, il  marcha  sur  Constantinople,  prêt  à  la  traiter  en  ennemi  si  on  ne  lui 
livrait  le  comte  Jean,  favori  de  l'impératrice,  Saturninus, homme  consulaire 
et  sénateur  et  le  consul  Aurélien.  Un  seul  homme  parut  propre  à  lutter 
contre  la  barbarie  de  Gainas,  c'était  l'archevêque.  L'impératrice  le  supplia 
d'aller  trouver  le  chef  des  Goths.  «  Votre  éloquence  triomphera  de  ce  cœur 
farouche»,  lui  dit-elle.  «lia  beau  Être  arien,  vous  êtes  unsaint  et  nul  ne  résiste 
à  l'accent  de  votre  vertu  ».  Jean  Chrysostome  se  dévoua  et  partit  avec  les 
trois  victimes  désignées  à  la  mort.  Quand  ils  se  présentèrent  à  Gainas,  celui- 
ci,  à  cheval,  passait  une  revue  de  ses  troupes.  Jetant  un  regard  irrité  sur  les 
trois  proscrits,  il  donna  l'ordre  de  les  décapiter  sur-le-champ.  Mais  Chry- 
sostome prit  la  parole.  Il  s'exprima  avec  une  telle  véhémence  que  le  barbare 
se  sentit  ému.  Gainas  commua  la  peine  de  mort  en  un  exil  perpétuel.  Les 
trois  sénateurs  ne  rentrèrent  à  Constantinople  qu'après  la  fin  tragique  de 
Gainas.  La  cour  sut  presque  mauvais  gré  à  Chrysostome  du  service  qu'il 
venait  de  lui  rendre.  Il  ne  s'en  émut  pas  plus  que  de  raison.  Le  dimanche 
suivant,  rendant  compte  à  son  peuple  de  l'absence  qu'il  venait  de  faire,  il 
'lisait  :  »  J'ai  dû  me  séparer  de  vous  pour  quelques  jours.  Je  suis  allé  con- 
jurer des  orages  et  tendre  la  main  à  des  naufragés  sur  le  bord  de  l'abîme.  Je 
suis  le  père  commun  de  tous  ;  il  me  faut  veiller  au  salut  non-seulement  de 
ceux  qui  soc'  encore  debout,  mais  de  ceux  qui  tombent;  suivre  de  l'œil  tous 
les  navirt^b  mncés  sur  l'océan  du  monde,  pour  aider  ceux  que  pousse  un  vent 
favorable,  pour  arracher  aux  écueils  ceux  que  bat  la  tempête.  C'est  pour 
cela  que  je  vous  ai  quittés,  ces  jours  derniers.  J'ai  multiplié  les  prières,  les 
remontrances,  les  supplications,  afin  d'arracher  d'illustres  victimes  à  la  mort. 
Et  maintenant,  me  voici  au  milieu  de  vous,  dans  cette  paisible  enceinte.  Ici 


SADJT  JEiN   CHRYSOSTOME,   DOCTEUR  DE  l'ÉGLISE.  19 

tout  est  calme,  et  votre  barque  semble  glisser  sur  une  mer  tranquille.  Son- 
gez-y pourtant.  Rien  n'est  stable  pour  personne  dans  les  choses  humaines. 
Pas  d'odilice  si  solide  qui  ne  puisse  à  son  tour  être  ébranlé.  Ai-je  besoin  de 
TOUS  rappeler  ces  choses  ?  Jetez  un  regard  sur  le  monde.  Partout  confusion 
et  tumulte,  partout  écueils  et  précipices,  récifs  cachés  sous  la  vague  ;  par- 
tout la  terreur,  les  périls,  les  soupçons,  les  terreurs,  les  angoisses.  La  guerre 
civile  est  partout,  non  pas  ouverte,  mais  voilée.  Sous  la  peau  des  brebis  se 
cachent  des  loups  cruels.  Les  ennemis  déclarés  sont  moins  à  craindre  que 
les  amis.  Ceux  qui  vous  adulaient  hier  et  vous  baisaient  la  main  sont  aujour- 
d'hui vos  adversaires  les  plus  terribles.  Hier,  ils  vous  remerciaient  d'un  bien- 
fait, aujourd'hui  ils  vous  en  font  un  crime  '  !  » 

Cependant  Gainas,  enhardi  par  la  faiblesse  de  l'empereur,  devenait  de 
jour  en  jour  plus  insolent.  Ses  prétentions  ne  connaissaient  plus  de  bornes. 
Il  demanda  pour  ses  troupes  des  sommes  exorbitantes.  Ghrysostome  fut 
obligé  de  donner  les  vases  d'or  et  d'argent  des  églises  de  Constantinople,  dans 
l'espoir,  par  ce  moj'en,  de  sauver  la  ville  des  horreurs  du  pillage.  Gainas  vou- 
lut encore  pour  lui  lestitresdeconsuletdegénéralissimedel'empire  d'Orient. 
Le  barbare,  comme  tous  les  Goths  convertis  au  christianisme,  était  arien;  ce 
l'ut  alors  qu'il  demanda  une  église  pour  ses  coreligionnaires,  comme  nous 
l'avons  raconté  plus  haut.  Ghrysostome  osa  la  lui  refuser.  Le  tyran  jeta  le 
uasque  et  fixa  un  jour  à  ses  légions  de  Goths  pour  le  pillage  de  Constanti- 
nople. Ses  ordres  furent  mal  exécutés,  on  s'aperçut  de  son  dessein  pendant 
qu'il  était  sorti  de  la  ville  avec  une  partie  de  son  armée.  Plus  de  sept  mille 
barbares  furent  massacrés  par  les  habitants  (12  juillet  -400).  Gainas  ne  déses- 
péra point.  Il  alla  réunir  une  nouvelle  armée  et  revint  vers  Constantinople. 
La  terreur  qu'il  inspirait  était  telle  que  nul  ne  voulut  se  charger  d'une  mis- 
sion près  de  lui.  L'impératrice  ne  rencontrant  partout  que  des  cœurs  lâches 
et  tremblants,  manda  l'archevêque  et  lui  proposa  cette  ambassade.  Ghry- 
sostome, oubliant  qu'il  y  avait  plus  de  danger  pour  lui  que  pour  tout  autre 
à  cause  de  sa  lutte  précédente  contre  Gainas,  accepta  héroïquement  et  par- 
tit aussitôt  pour  la  Thrace.  On  vit  alors  une  fois  de  plus,  dit  Théodoret,  au- 
quel nous  empruntons  ce  récit,  quelle  est  la  puissance  de  la  vertu  et  com- 
ment elle  subjugue  ses  plus  violents  ennemis.  Gainas,  apprenant  l'arrivée 
d'un  tel  ambassadeur,  ému  de  sa  piété  autant  que  de  son  courage,  vint  à  sa 
rencontre  à  une  grande  distance  de  sa  tente,  et,  prenant  la  main  droite  du 
pontife,  l'appliqua  sur  ses  yeux;  puis  il  lui  présenta  un  siège  et  fit  prosterner 
ses  deux  enfants  aux  genoux  sacrés  de  l'homme  de  Dieu.  Ghrysostome  réus- 
sit à  retarder  de  quelques  semaines  l'invasion  de  la  capitale  de  l'Orient  qui 
profita  de  ce  délai  pour  assembler  ses  forces  et  les  confier  à  Fravita.  Celui-ci 
remporta  une  victoire  complète  sur  Gainas,  le  3  jan%'ier  401  ;  le  vaincu  alla 
mourir  chez  les  Huns,  sur  un  autre  champ  de  bataille. 

L'année  précédente  (mai  400),  plusieurs  évêques  de  la  province  d'Asie 
vinrent  à  Constantinople  pour  dliférentes  affaires  relatives  à  leurs  diocèses, 
et  y  séjournèrent  quelque  temps.  Un  synode  fut  tenu  où  Antonin,  évêque 
d'Ephèse,  fut  accusé  de  plusieurs  crimes,  en  autres,  de  simonie.  Les  chefs 
d'accusation  étant  très-graves,  on  ne  pouvait  prendre  trop  de  précautions 
pour  s'informer  exactement  des  faits.  Chrysostomeoffrit  alorsd'aller  à  Ephèse 
pour  recueillir  juridiquement  les  témoignages;  l'archevêque  fut  retenu  dans 
sa  ville  épiscopale  par  les  événements  dont  nous  avons  parlé  plus  haut,  et 
trois  autres  évêques  le  remplacèrent.  Pendant  ce  temps,  Antonin  d'Ephèse 
était  mort.  Ghrysostome  céda  aux  instances  du  clergé  et  du  peuple  de  cette 

1.  s.  Joaa.  Ctajsost.,  l/oKHia  de  Saturiti.io  et  Aureliano;  l'air,  ipœc.,  t.  ui,  col.  415. 


20  27  JANVIER. 

^ille  ;  il  partit  sans  avoir  égard  ni  à  la  rigueur  de  la  saison,  ni  au  mauvais 
étal  de  sa  santé.  Soixante-dix  évêques  étaient  réunis.  Six  évêques  ordonnés  par 
le  métropolitain  simoniaque  d'Ephèse  furent  déposés  par  le  conseil  et  rem- 
placés par  des  clercs  dont  la  vie  et  la  doctrine  étaient  irréprochables. 

Le  vo)'age  de  saint  Chrysostome  avait  duré  cent  jours,  car  le  peuple  de 
Byzance  comptait  par  jour  et  par  heure  l'absence  de  son  pasteur  bien- 
aimé.  «  En  effet,  l'un  venait  l'appeler  pour  secourir  une  misère  urgente», 
dit  Théodoret;  «  un  autre  lui  demandait  sa  protection  pour  faire  triompher 
le  bon  droit  devant  les  tribunaux.  Aux  affamés,  il  distribuait  des  vivres;  il 
revêtait  la  nudité  des  indigents;  il  allait  implorer  près  des  riches  les  secours 
qu'il  partageait  entre  les  pauvres.  Tous  les  affligés  le  voulaient  pour  conso- 
lateur. Les  prisonniers  lui  remettaientleurs  mémoires  justilicatifs  et  le  cons- 
tituaient leur  avocat  d'ofûce.  Pas  un  malade  pour  lequel  on  n'implorât  la 
faveur  de  sa  visite.  L'étranger  sans  asile  lui  demandait  l'hospitalité;  le 
débiteur  poursuivi  par  un  créancier  impitoyable  s'adressait  à  sa  bourse 
toujours  vidée  par  l'aumône  et  toujours  remplie  par  la  charité  des  fidèles. 
Arbitre  des  querelles  domestiques,  pacificateur  de  toutes  les  dissensions 
civiles,  on  le  voulait  partout  pour  juge.  Les  esclaves  menacés  par  la  rigueur 
d'un  maître  impitoyable  se  réfugiaient  près  de  lui  ;  il  parlait  aux  maîtres  le 
langage  de  la  charité  évangélique  et  obtenait,  d'un  côté  la  soumission,  de 
l'autre  l'indulgence.  Les  pauvres  veuves,  les  orphelins  dans  la  détresse  l'en- 
touraient en  criant  :  Père,  ayez  pitié  de  nous!  Oui,  vraiment,  il  était  père 
dans  toute  l'étendue  du  mot.  Il  acceptait  toutes  les  charges,  il  remplissait 
tous  les  devoirs  si  variés,  si  multiples  de  cette  infatigable  paternité  «. 

Au  retour  de  Chrysostome,  il  y  eut  une  explosion  d'enthousiasme  qui  se 
produisit  par  les  démonstrations  les  plus  touchantes.  Quand  il  reparut  à 
î'ambon  de  la  basilique  des  Apôtres,  la  foule  immense  éclata  en  applaudis- 
sements prolongés.  Emu  de  cet  accueil  si  profondément  sympathique,  Chry- 
sostome parla  en  ces  termes  :  «  Aux  pieds  du  Sinaï,  après  quarante  jours 
seulement  d'absence.  Moïse,  ce  grand  serviteur  de  Dieu,  le  chef  des  pro- 
phètes, l'homme  incomparable,  retrouva  son  peuple  en  pleine  révolte  et 
occupé  à  se  forger  des  idoles.  Je  reviens,  moi  aussi,  non  point  après  qua- 
rante, mais  après  plus  de  cent  jours  d'absence,  et  je  vous  retrouve  fidèles  à 
Dieu  et  à  sa  loi  sainte.  Est-ce  donc  que  j'aurais  la  folie  de  me  comparer  à 
Moïse?  Non,  mais  il  m'est  permis  de  dire  que  mon  peuple  vaut  mieux  que 
le  peuple  juif.  Le  législateur  des  Hébreux,  en  descendant  de  la  montagne, 
n'avait  sur  les  lèvres  que  des  paroles  de  reproche  et  de  blâme,  et  moi  j'ar- 
rive pour  distribuer  des  éloges  à  la  vertu,  des  couronnes  à  la  persévérance! 
Comment  vous  exprimer  la  joie  qui  déborde  de  mon  cœur?  J'en  appelle  à 
vous-mêmes,  vous  que  je  vois  si  heureux  de  mon  retour.  Ce  que  vous  éprou- 
vez individuellement,  je  le  ressens  multiplié  par  le  nombre  des  milliers  de  fils 
qui  m'acclament.  Vous  êtes  resté  bien  longtemps  séparé  de  nous  !  me  disent 
tous  les  yeux  et  tous  les  cœurs.  —  Mes  bien-aimés,  je  vous  dois  compte  de 
mon  retard,  je  vous  dois  compte  des  heures  de  cette  séparation.  Si  vous 
envoyez  quelque  part  votre  serviteur  et  qu'il  tarde  à  revenir,  vous  en  deman- 
dez la  raison.  Or,  je, suis  votre  serviteur,  je  suis  votre  esclave.  Vous  m'avez 
acheté,  non  à  prix  d'argent,  mais  par  votre  tendresse,  cette  monnaie  des 
âmes.  Et  je  me  plais  à  ma  servitude,  je  souhaite  n'en  être  affranchi  jamais  : 
je  la  trouve  plus  belle  que  la  liberté.  Qui  donc  ne  serait  heureux  de  vous 
servir,  de  servir  des  amis  tels  que  vous?  Mon  cœur  eût-il  été  de  pierre,  vous 
l'auriez  attendri  et  imprégné  de  dévouement  et  d'amour.  Hier  en  rentrant 
au  milieu  de  vous  parmi  ces  acclamations  qui  moulaient  jusqu'au  ciel,  au 


SAINT  JEAN   CHRYSOSTOltE,    DOGTEUK   DE   L'ÉGUSE.  2! 

milieu  de  cette  cité  transformée  en  un  temple  à  l'approche  de  son  pasteur, 
j'ai  retrouvé  un  paradis  de  délices  mille  fois  plus  doux  à  mon  âme  que  l'an- 
tique Eden.  Dieu  était  glorifié,  l'hérésie  confondue,  l'Eglise  couronnée! 
C'est  une  grande  joie  pour  une  mère  que  la  joie  de  ses  fils  ;  c'est  une  vive  allé- 
gresse pour  le  pasteur  que  l'allégresse  de  son  troupeau.  — Mais  vous  trou- 
vez encore  d'autres  sujets  de  plainte.  Vous  me  dites  :  Un  grand  nombre  de 
catéchumènes  ont  été  baptisés  durant  votre  absence,  et  ce  n'est  pas  votre 
main  qui  a  fait  couler  sur  leur  front  l'eau  régénératrice  !  — Mes  bien-aimés, 
ne  parlez  point  ainsi.  Est-ce  que  la  grâce  sacramentelle  a  souffert  la  moindre 
diminution?  Si  je  ne  fus  point  présent  à  leur  baptême,  Jésus-Christ  y  était. 
Est-ce  donc  l'homme  qui  baptise?  L'homme  tend  la  main,  c'est  Dieu  qui  la 
dirige.  Quand  vous  avez  obtenu  pour  un  bienfait  quelconque  un  diplôme 
impérial,  est-ce  que  vous  cherchez  à  savoir  de  quelle  plume,  de  quelle  encre, 
de  quelle  qualité  de  parchemin  l'empereur  s'est  servi  en  î^pposant  sa  signa- 
ture? Non.  L'empereur  a  signé  ;  c'est  tout.  Eh  bien!  daus  le  baptême,  le 
parchemin  c'est  la  conscience,  la  plume  c'est  la  langue  du  prêtre,  la  signa- 
ture c'est  la  grâce  du  Saint-Esprit,  grâce  invisible  mais  toute-puissante,  dont 
l'évoque  et  le  prêtre  sont  les  instruments,  non  la  source.  Arrière  donc  ces 
vaines  récriminations  !  Me  voici  tout  entier  au  bonheur  de  vous  revoir.  En 
partant  pour  l'Asie,  j'avais  imploré  le  secours  de  vos  prières,  aujourd'hui  je 
le  demande  encore.  Vos  prières  m'ont  accompagné  pendant  la  tempête;  elles 
ont  protégé  le  navire  et  nous  ont  guidés  au  port.  De  mon  côté,  jamais  un 
seul  instant  ma  pensée  ne  s'est  séparée  de  vous.  Avec  vous  je  mis  le  pied 
dans  la  barque,  avec  vous  j'abordai  sur  la  rive.  A  travers  les  plaines  silencieuses, 
parmi  le  tumulte  des  cités,  j'étais  avec  vous. Telle  est  la  puissance  de  la  cha- 
rité, de  l'amour  chrétien.  Aucune  entrave  ne  saurait  captiver  son  essor. 
Même  sur  les  flots  je  vous  voyais,  j'assistais  à  vos  assemblées,  j'étais  debout 
à  l'autel,  j'offrais  vos  soupirs  et  vos  vœux.  Seigneur,  disais-je,  conservez 
l'église  que  vous  m'avez  donnée  !  —  Il  m'a  exaucé,  le  Dieu  des  miséricordes. 
Votre  affluence  en  ce  moment  en  est  la  preuve.  Je  retrouve  ma  vigne  flo- 
rissante, les  ronces  et  les  épines  ne  se  montrent  nulle  part.  Le  loup  dévo- 
rant n'a  point  troublé  le  repos  du  bercail,  ou  du  moins,  s'il  l'a  tenté,  ses 
efforts  ont  été  impuissants.  Je  le  savais  même  avant  mon  retour.  Au  fond  de 
l'Asie ,  les  voyageurs  qui  revenaient  d'ici  me  l'apprenaient.  Ils  me  disaient  : 
Vous  avez  enflammé  la  cité  de  Constantinople  tout  entière  :  elle  brûle  d'a- 
mour pour  vous  !  —  Ainsi,  mes  bien-aimés,  le  temps  qui  use  toutes  les  affec- 
tions ne  fait  que  raviver  celle  que  vous  voulez  bien  me  porter.  Puis  donc 
qu'en  mon  absence  vous  m'en  avez  donné  tant  de  gages,  j'ai  lieu  d'espérer 
que  vous  me  la  conserverez  maintenant  que  je  suis  au  milieu  de  vous.  Votre 
amour  est  après  Dieu  mon  unique  trésor.  Voilà  pourquoi  je  réclame  vos 
prières.  Elles  sont  pour  moi  un  rempart  et  une  forteresse  inexpugnable  *». 

Nous  avons  voulu  ne  rien  ôter  à  cette  paternelle  effusion  ;  elle  montre 
sous  son  vrai  jour  la  tendre  charité  qui  existait  entre  le  pasteur  et  le  trou- 
peau. Du  reste,  c'est  ici  son  dernier  chant  de  joie.  Il  ne  restait  plus  à  notre 
Saint  qu'à  glorifier  Dieu  par  ses  souffrances  ;  et  pour  peu  que  nous  exami- 
nions les  choses  avec  les  yeux  de  la  foi,  il  nous  paraîtra  plus  grand  dans  les 
persécutions  qu'il  eut  à  essuyer,  que  dans  toutes  les  autres  circonstames  de 
sa  vie.  Voyons-le  donc  victime  des  passions  de  ses  ennemis. 

Le  premier  qui  se  déclara  ouvertement  contre  lui  fut  Sévérien,  évêque 
de  Cabales  en  SjTie.  Son  procédé  renfermait  d'autant  plus  d'indignité,  que 
c'était  à  lui  que  Chrysostome  avait  confié  le  soin  de  son  église  dvTant  son 

1.  s.  Joan.  Chrjsost.,  De  regressu  ex  Asia;Patr.  grcsc,  t.  lu,  col.  421-42S,  passim. 


22  27   JANVIER. 

•voyage  à  Eph6sc.  Ce  prélat,  qui  s'était  acquis  une  certaine  célébrité  par  so9 
prédications,  avait  trouvé  le  moyen  de  se  rendre  agréable  i\  l'impératrice 
Eudoxie  et  à  tous  ceux  que  blessait  la  parole  chrétienne  de  saint  Jean.  11 
mit  tout  en  œuvre  pour  supplanter  celui-ci  dans  l'esprit  du  peuple  et  se  sub- 
stituer lui-même  au  légitime  pasteur  dont  il  tenait  la  place.  Mais  l'arrivée 
du  saint  archevêque  et  les  paroles  que  nous  avons  rapportées  un  peu  plus 
haut  curent  bientôt  effacé  les  impressions  qu'avaient  pu  faire  les  discours 
de  Sévérien  qui  fut  contraint  de  sortir  ignominieusement  de  la  capitale.  Jean 
oublia  tous  les  torts  de  l'évêque  de  Cabales  et,  dans  un  beau  discours  sur  la 
paix  et  l'obéissance  que  Jésus-Christ  est  venu  apporter  sur  la  terre,  il  pria  soa 
peuple  de  lui  pardonner. 

Notre  Saint  avait  un  autre  ennemi  dans  la  personne  de  Théophile, 
patriarche  d'Alexandrie.  Si  l'on  résume  les  diverses  appréciations  dont  cet 
évèque  fut  l'objet,  il  faut  dire  qu'il  était  orgueilleux,  emporté,  plein  de  ran- 
cune, mobile  et  opiniâtre  à  la  fois,  ami  du  bruit  et  de  l'éclat,  et  de  l'or  peut- 
être  encore  plus  que  de  l'éclat.  Ces  vices  souillèrent  le  zèle  qu'il  montra 
pour  l'intégrité  de  la  foi  et  l'abolition  des  temples  païens  en  Egypte,  et  ter- 
nirent l'éclat  des  vertus  qu'il  pouvait  avoir  d'ailleurs.  Il  avait  chassé  de  leur 
solitude  les  quatre  principaux  chefs  des  monastères  de  Nitrie,  Dioscore, 
Ammonius,  Eusèbe  et  Euthyme,  vieillards  vénérables,  frères  selon  la  nature 
et  selon  la  grâce,  et  qu'on  appelait  les  Grands-Frères  à  cause  de  leur  taille 
majestueuse.  Ces  abbés  avaient  reçu  dans  leurs  monastères  un  saint  prêtre 
d'Alexandrie,  nommé  Isidore,  injustement  persécuté  par  son  patriarche.  Ils 
attirèrent  sur  eux  et  sur  tous  leurs  moines  les  colères  de  Théophile.  Obligés 
de  s'enfuir,  ils  se  réfugièrent  à  Constantinoplo  et  demandèrent  la  protec- 
tion de  saint  Chrysostome  qui  les  admit  à  la  communion,  après  toutefois 
qu'il  eut  fait  juridiquement  leur  apologie.  Théophile  en  fut  vivement  piqué 
et  résolut  de  s'en  venger.  L'occasion  ne  tarda  pas  à  se  présenter. 

Mais  comme  l'impératrice  Eudoxie  fut  le  mobile  secret  de  tous  les  com- 
plots qui  se  tramèrent  contre  notre  Saint,  il  faut  au  moins  donner  une  idée 
de  son  caractère.  Cette  princesse,  depuis  la  chute  d'Eutrope,  gouvernait 
despotiquement  son  mari  et  l'empire.  Elle  était,  au  rapport  de  l'historien 
Zozinie,  d'une  avarice  insatiable  ;  ses  injusticeset  ses  rapines  ne  connaissaient 
point  de  bornes.  Elle  avait  rempli  la  cour  de  délateurs  qui  s'emparaient,  à 
son  profit,  du  bien  des  riches  après  leur  mort,  au  préjudice  des  enfants  ou 
des  autres  héritiers  légitimes.  Le  saint  pasteur  gémissait  sur  tous  ces  abus, 
et  personne  n'ignorait  quelle  était  sa  façon  de  penser.  Plusieurs  fois  il  avait 
pris  hautement  la  défense  de  ceux  que  poursuivaient  les  concussions  de 
l'impératrice.  Un  gouverneur  d'Egypte,  nommé  Paulace,  devait  cinq  cents 
écus  d'or  à  la  veuve  Callitrope,  qui  le  poursuivit  en  justice.  Eudoxie  se  posa 
en  médiatrice  et  tira  du  mauvais  débiteur  cent  écus  sur  lesquels  trente-six 
seulement  furent  remis  à  la  veuve.  Celle-ci  recourut  à  Chrysostome  dont 
les  démarches  pieusement  obstinées  mirent  l'avare  princesse  hors  d'elle- 
même.  Paulace  fut  retenu  jusqu'à  l'acquittement  de  toute  sa  dette. 

L'impératrice,  prenant  cela  pour  un  affront,  envoya  des  soldats  délivrer 
de  force  celui  que  l'on  avait  mis  en  justice;  mais  comme  ces  hommes 
d'armes  se  mettaient  en  état  d'exécuter  ce  mandat,  ils  aperçurent  des  anges 
qui  les  menaçaient,  l'épée  à  la  main.  Ils  renoncèrent  à  leur  entreprise.  Et 
cependant  le  charitable  pontife  était  obligé  de  revenir  chaque  jour  à  la 
charge  pour  délivrer  de  nouvelles  victimes.  Un  riche  patricien,  nommé  ThéO- 
doric,  voyant  la  cour  acharnée  à  lui  disputer  sa  fortune,  invoqua  l'appui  du 
pasteur  que  les  prières  des  opprimés  ne  trouvaient  jamais  insensible,  mai» 


SAINT  JEAN  CHRYSOSTOME,   DOCTEUR  DE  l'ÉGLISE.  23 

qu\  cette  fois  ne  put  sauver  !e  malheureux  dont  la  perte  était  jurée,  qu'en 
lui  conseillanl  de  distribuer  aux  hospices  tous  ses  biens.  «Pratiquez  »,  lui 
dit-il,  «  le  conseil  de  l'Evangile;  donnez  vos  biens  aux  pauvres  et  amassez  un 
trésor  dans  le  ciel,  et  personne  ne  vous  le  pourra  ôter  ».  L'avis  fut  suivi. 
Eudoxie,  frustrée  de  sa  proie,  s'emporta  jusqu'à  accuser  le  noble  et  saint 
prélat  d'avoir  abusé  de  la  confiance  du  patricien  et  de  s'être  emparé  de  se? 
richesses  sous  prétexte  de  charité. 

Une  autre  veuve  avait  perdu  son  mari,  nommé  Théognoste,  pieux  et 
fidèle  catholique  de  la  cour  de  l'empereur,  mais  qui,  par  l'envie  d'un 
arien.  Gains,  avait  été  accusé  et  banni  injustement.  La  sentence  portait 
confiscation  des  biens  de  la  victime  et  comprenait  sa  femme  et  ses  enfants 
dans  le  décret  d'exil.  Il  mourut  en  se  rendant  au  lieu  du  bannissement.  Sa 
veuve  revint  à  Gonstantinople  et  implora  le  secours  de  saint  Chrysostome. 
Véritable  imitateur  de  Jésus-Christ,  miséricordieux  comme  son  maître, 
l'archevêque  accueilht  cette  infortunée  et  lui  prodigua  les  consolations 
d'une  paternelle  tendresse.  Il  chercha  à  la  faire  rentrer  dans  une  partie  de 
sa  fortune;  mais,  comme  si  le  démon  eût  lutté  de  malice  avec  la  bonté  du 
grand  archevêque,  la  cour  ne  répondit  àla  demande  du  pasteur  que  par  une 
injustice  nouvelle.  La  veuve  de  Théognoste  possédait  une  vigne  près  de 
Gonstantinople;  dans  une  de  ses  promenades  l'impératrice  entra  dans  cette 
•vigne,  elle  en  trouva  le  site  délicieux  et  voulut  la  posséder.  Alléguant  une 
loi  en  vertu  de  laquelle  il  suffisait  aux  princes  de  mettre  le  pied  sur  une 
terre  ou  d'en  goûter  les  fruits  pour  que  cette  terre  leur  appartînt,  moyen- 
nant indemnité  au  propriétaire,  Eudoxie  cueillit  une  grappe  et  déclara  que 
la  vigne  faisait  partie  de  son  domaine.  Le  noble  pontife  fit  parvenir  à  l'im- 
pératrice les  supplications  les  plus  touchantes,  faisant  appel  à  la  clémence, 
non  à  la  loi.  Il  lui  écrivit  plusieurs  lettres  dont  l'une  est  arrivée  jusqu'à 
nous.  «  Je  le  sais  » ,  disait-il,  «  vous  êtes  la  loi  vivante  par  cela  seul  que  vous 
exercez  l'autorité  impériale.  Mais  à  côté  de  votre  pouvoir  qui  vous  permet 
tout,  il  y  a  la  conscience  qui  vous  avertit  intérieurement  et  vous  fait  dis- 
cerner le  juste  de  l'injuste.  Je  vous  en  supplie  donc,  ne  donnez  pas  aux 
méchants  un  prétexte  à  des  comparaisons  odieuses.  Ils  citeront  l'histoire 
de  Jézabel  et  de  la  vigne  de  Naboth.  Ils  trouveront  dans  l'Ancien  Testament 
des  allusions  pleines  pour  vous  d'outrages  et  d'injures  ».  Plus  le  médecin 
spirituel  multipliait  la  douceur  et  les  exhortations,  plus  cette  femme  s'a- 
charnait dans  son  ressentiment.  Elle  interdit  à  Ghrysostome  l'entrée  du 
palais;  et  toute  la  ville  fut  remplie  des  éclats  de  sa  colère.  «  Or,  la  fête  de 
l'Exaltation  de  la  Sainte-Croix  étant  venue,  après  que  l'empereur  Arcadius 
et  sa  suite  eurent  pris  place  dans  la  basilique  au  milieu  du  peuple  fidèle, 
Ghrysostome  monta  en  chaire  selon  sa  coutume  et  parla  sur  la  solennité  du 
jour  avec  une  éloquence  et  une  onction  admirables.  Quand  il  eut  terminé 
son  homélie,  l'impératrice  entourée  de  ses  gardes  d'honneur  et  des  oificiers 
du  palais  arriva  au  seuil  de  l'église.  Mais  Ghrysostome  en  avait  fait  fermer 
les  portes,  avec  défense  de  les  ouvrir  sous  aucun  prétexte  à  Eudoxie.  Il  me 
serait  impossible  de  décrire  la  rage  dont  cette  femme  fut  alors  saisie.  Elle 
vomdt  un  torrent  d'injures  contre  le  saint  archevêque,  ou  plutôt  contre  Dieu 
même  dont  il  était  le  fidèle  et  courageux  ministre.  Enfin  elle  ordonna  aux 
soldats  de  briser  à  coups  de  hache  la  porte  de  la  basilique.  L'un  d'entre  eux 
s'élança  le  premier;  il  levait  déjà  le  bras,  mais  à  ce  moment,  frappé  d'une 
paralysie  soudaine,  le  bras  sacrilège  demeura  immobile  et  le  malheureux 
poussa  un  cri  de  douleur.  Cet  événement  extraordinaire  jeta  le  trouble  dans 
l'imagination  de  l'impératrice.  Elle  reprit  sur-le-champ  la  route  du  palais. 


24  27  JANVIEB. 

Quant  au  malheureux  soldat  dont  la  main  était  desséchée,  il  attendit  que 
les  saints  mystères  fussent  célébrés,  et  courut  se  jeter  aux  pieds  de  Ghrysos- 
tome,  le  priant  d'obtenir  de  Dieu  sa  guérison.  Le  saint  archevêque  inter- 
céda pour  lui  ;  aussitôt  le  bras  reprit  sa  souplesse  et  son  mouvement  habi- 
tuels. Cependant,  Eudoxie  persistait  dans  ses  projets  de  vengeance.  Elle 
voulait  l'exil  de  Chrysostome.  Arcadius,  c'est  une  justice  que  je  dois  lui 
rendre,  s'y  opposa  énergiquement  et  continua  à  témoigner  la  plus  haute 
estime  pour  la  vertu  de  Chrysostome  '  ».  Ainsi  parlait  un  historien  cou- 
ronné, l'empereur  Léon  le  Sage.  Son  récit  nous  fait  admirablement  com- 
prendre les  dangers  affrontés  si  résolument  par  le  grand  cœur  de  saint  Jean 
Chrysostome.  L'orage  s'amoncelait  sur  sa  tête.  Le  moindre  choc  allait  faire 
jaillir  la  foudre. 

Pour  l'impératrice  et  pour  le  patriarche  d'Alexandrie,  le  moment  était 
venu  de  se  venger  de  Chrysostome.  Le  pape  saint  Innocent  I",  sur  la  demande 
des  deux  empereurs,  convoqua  un  concile  ;\  Byzance  pour  juger  la  conduite 
indigne  de  Théophile  dans  l'affaire  des  moines  de  Nitrie.  Les  légats  du  pape 
furent  envoyés  pour  présider  ce  concile;  mais  avant  leur  arrivée,  Eudoxie 
et  Théophile  avaient  eu  le  temps  de  préparer  leurs  embûches;  ils  arrêtèrent 
les  envoyés  de  Rome;  on  leur  prit  leurs  lettres  de  force,  et  on  les  conduisit 
en  Thrace,  sans  que  personne  sût  ce  qu'ils  étaient  devenus.  De  soixante- 
seize  évoques  assemblés,  trente-six  étaient  parmi  les  ennemis  de  Chrysos- 
tome et  se  montraient  disposés  à  favoriser  les  passions  du  patriarche 
d'.\lexandrie.  Théophile  les  réunit  en  conciliabule  près  de  l'église  du  Chêne, 
au  faubourg  de  Chalcédoine.  On  produisit  contre  notre  Saint  plusieurs  accu- 
sations qui  étaient  autant  de  calomnies  ou  de  frivolités;  on  lui  fit  même  un 
crime  de  son  dévouement  pour  ceux  dont  il  avait  eu  l'occasion  de  protéger 
la  personne  ou  les  biens.  Le  concile  était  irrégulier,  il  n'avait  aucun  droit 
en  l'absence  de  l'autorité  légitime.  Chrysostome,  quoique  cité,  refusa  de 
comparaître  devant  ceux  qui  avaient  été  appelés  comme  accusés  et  qui 
s'étaient  fait  ses  accusateurs.  On  le  déposa  et  .\rcadius,  qu'Eudoxie  gouver- 
nait absolument,  fit  exécuter  cette  inique  sentence  et  signa  le  décret  d'exil 
du  saint  archevêque. 

Le  peuple  de  Constantinople  protestait  contre  ces  attentats  par  une 
invincible  fidélité  à  son  archevêque.  Durant  ces  tristes  jours  où  l'on  atten- 
dait d'heure  en  heure  le  dénoûment  fatal,  Chrysostome  ne  quitta  pas  la 
basilique  sans  cesse  remplie  par  une  foule  sympathique  et  émue.  Comme 
autrefois  à  Milan,  les  fidèles  passaient  la  nuit  à  la  porte  de  l'église  ou  du 
palais  épiscopal,  prêts  à  repousser  l'agression,  veillant  à  la  sécurité  de  leur 
pasteur  et  de  leur  père.  Nous  avons  encore  deux  ou  trois  discours  prononcés 
alors  par  le  grand  orateur.  On  y  sent  comme  un  frémissement  de  l'anxiété 
générale.  «  Les  Cots  sont  soulevés  » ,  disait  Chrysostome,  «  la  tempête  gronde. 
Mais  ne  craignons  pas  d'être  submergés,  car  nous  sommes  établis  sur  la 
pierre  ferme.  Avec  toute  ses  fureurs,  la  mer  n'ébranle  pas  le  rocher;  les 
vagues  peuvent  bondir  en  écumant,  la  barque  de  Jésus-Christ  ne  sombre 
jamais.  Et  que  puis-je  donc  craindre  ?  La  mort  ?  Mais  le  Christ  est  ma  vie 
et  mourir  m'est  un  gain.  L'exil  ?  Mais  la  terre,  avec  toute  son  étendue, 
appartient  au  Seigneur.  La  perte  des  biens  de  ce  monde  ?  Mais  je  n'ai  rien 
apporté  ici-bas,  et  je  ne  saurais  rien  emporter  au  tombeau.  —  A  ceux  qui 
prétendent  m'accabler,  ma  réponse  est  bien  simple.  Vous  croyez  n'attaquer 
que  moi,  leur  dirai-je,  mais  c'est  l'Eglise  que  vous  attaquez.  Vous  ne  réus- 
sirez qu'à  illustrer  le  nom  de  votre  victime,  sans  avoir  rien  gagné  pour 

1.  Lm  Ptalloioph  ,  Laudat.  S.  Joan.  Ckrytost.,  loc.  cit. 


SADiT  JEAN  CHRYSOSTOME,    DOGTETO  DE  L'ÉGLISE.  23 

vous-mêmes.  0  homme  !  sois-en  sûr,  rien  n'est  plus  puissant  que  l'Eglise. 
Fais  ta  pais  avec  elle,  ne  déclare  pas  la  guerre  à  Dieu  I  —  Donc,  mes  bien- 
aimés,  conservez  le  calme  et  la  paix  au  milieu  de  cet  orage.  Je  vous  en  con- 
jure, demeurez  inébranlables  dans  votre  foi.  Souvenez-vous  de  Pierre  mar- 
chant sur  les  flots.  Sa  confiance  faisait  son  unique  force,  le  moindre  doute 
l'eût  exposé  à  périr.  Sont-ce  des  calculs  humains  qui  m'ont  fait  arriver  ici  ? 
Est-ce  la  main  d'un  mortel  qui  m'a  élevé  sur  ce  siège  épiscopal,  pour  que 
la  main  d'un  mortel  puisse  m'en  précipiter  ?  Quand  je  parle  ainsi.  Dieu 
m'est  témoin  que  ce  n'est  ni  par  un  sentiment  de  vaine  gloire,  ni  par  aucune 
recherche  d'amour-propre.  Non.  Je  veux  seulement  affermir  en  vous  un 
courage  qui  pourrait  chanceler.  Cette  église  de  Constantinople  prospérait 
dans  la  paix  et  la  grâce  du  Seigneur.  Le  démon  a  voulu  y  jeter  le  désordre 
et  le  trouble.  Mais  rassurez-vous.  L'Eglise  ne  consiste  pas  dans  les  murailles 
d'un  édifice.  Ce  sont  les  fidèles  qui  la  composent.  Or,  un  seul  fidèle  suffit  à 
déjouer  tous  les  efforts  d'une  armée  de  persécuteurs.  —  On  pourra  me  ban- 
nir, me  tuer  même,  on  ne  me  séparera  jamais  de  vous.  La  mort  n'attein- 
drait pas  mon  âme,  et  mon  âme  se  souviendra  toujours  de  son  peuple.  Et 
comment  vous  oublierai-je  jamais,  vous,  ma  famille,  vous,  ma  vie,  vous, 
ma  gloire  ?  Pour  vous,  je  suis  prêt  à  répandre  jusqu'à  la  dernière  goutte  de 
mon  sang.  «  Le  bon  pasteur  donne  sa  vie  pour  ses  brebis».  Qu'ils  m'é- 
gorgent,  qu'ils  me  tranchent  la  tête  !  Une  telle  mort  est  le  gage  de  l'immor- 
talité, l'assurance  d'une  union  éternelle  I  Disons  avec  le  patriarche  antique  : 
Béni  soit  le  Seigneur  dans  les  siècles  des  siècles  '  !  » 

«  Cependant  »,  dit  Sozomène,  «  quand  la  sentence  eut  été  prononcée  par 
le  conciliabule,  la  nouvelle  s'en  répandit  vers  le  soir  dans  la  ville  et  y  souleva 
une  véritable  sédition.  Le  lendemain,  au  point  du  jour,  un  attroupement  se 
forma  aux  alentours  de  la  basilique.  Le  peuple  faisait  entendre  des  clameurs 
irritées.  On  demandait  un  concile  plus  nombreux  pour  réformer  l'inique 
jugement  d'une  poignée  d'évèques.  Les  officiers  impériaux,  chargés  d'ar- 
rêter Jean  pour  le  conduire  en  exil,  furent  repoussés  une  première  fois.  Ils 
revinrent  à  la  charge.  Une  mêlée  terrible  s'engagea,  et  le  peuple  encore 
cette  fois  resta  vainqueur.  Cette  situation  dura  trois  jours.  Mais  Chrysos- 
tome  était  plongé  dans  la  douleur  la  plus  amère.  D'une  part,  il  ne  voulait 
point  donner  le  scandale  d'une  résistance  factieuse  aux  décrets  de  l'empe- 
reur; d'autre  part,  il  rejetait  absolument  la  responsabilité  d'une  émeute 
sanglante-».  Enfin,  le  troisième  jour,  vers  l'heure  de  midi,  comme  les 
rangs  de  la  foule  s'étaient  éclaircis  un  peu,  il  réussit  à  quitter  secrètement 
la  demeure  épiscopale  et  vint  se  livrer  lui-même  aux  soldats  d'Arcadius. 
Ceux-ci  attendirent  la  nuit  pour  essayer  de  sortir  de  la  ville  avec  leur  illustre 
prisonnier.  On  le  recouvrit  d'un  manteau  qui  dissimulait  complètement  les 
traits  de  son  visage,  et  l'escorte  se  dirigea  vers  la  Corne-d'Or,  où  un  navire 
était  préparé.  Malgré  ces  précautions,  le  peuple  soupçonna  la  réalité.  En  un 
clin  d'oeil,  une  foule  immense  se  mit  à  poursuivre  le  groupe  suspect.  Mais 
les  soldats  accélérèrent  leur  marche  et  purent  gagner  le  navire.  On  leva 
l'ancre,  et,  remontant  le  Bosphore,  on  aborda  le  lendemain  au  port  d'Hiéro, 
à  l'entrée  du  Pont-Euxin.  L'auguste  proscrit  devait  être  conduit  dans  la 
petite  bourgade  de  Prœnetos,  en  Bithynie,  pour  y  être  interné. 

Le  départ  de  Chrysostome  ne  fît  que  redoubler  la  fureur  populaire.  Cette 
fois,  dit  l'historien  Socrate,  ce  fut  un  tumulte  effroyable  ^  La  multitude  se 

1.  s.  Joan.  Chrysost.,  Bomitiœ  ante  exitum;  Patr.  grcsc,  t.  SLVii,  col.  427-438. 

2.  Sozomen.,  lib.  viii,  cap.  18. 

<.  Socrat.,  Hiit.  écoles.,  lib.  ri,  cap,  16. 


26  27  j.vNviEa. 

porta  en  masse  sur  le  palais  impérial,  vociférant  des  malédictions  contre 
Arcadius,  le  conciliabule  impie  et  surtout  contre  Théophile  et  Sévérien 
de  Gabala.  L'attaque  fut  vive;  il  fallut  toute  l'énergie  des  soldats  et  des 
gardes  pour  protéger  la  demeure,  et  peut-être  la  vie  des  souverains,  dans  ce 
premier  moment  d'efl'ervescence.  «  Ainsi  qu'il  arrive  d'ordinaire  dans  ces 
sortes  de  révolutions  »,  ajoute  Socrate,  «  ceux  mêmes  qui  précédemment 
n'avaient  eu  pour  l'archevêque  que  des  sentiments  d'indifférence  ou  même 
de  jalousie  secrète,  prenaient  hautement  son  parti  et  s'apitoyaient  sur  son 
sort.  lisse  joignaient  à  la  foule  pour  réclamer  contre  l'injuste  sentence  du 
synode  et  pour  flétrir  la  violence  d'Eudoxie.  Théophile  était  devenu  surtout 
l'objet  de  l'animadversion  publique.  C'était  sur  lui  qu'on  faisait  retomber 
la  responsabilité  de  tous  les  événements.  11  faut  dire  qu'en  effet  ce  patriarche 
ne  prenait  guère  la  peine  de  dissimuler  sa  fourberie.  Car,  aussitôt  après 
l'exil  de  Jean,  on  le  vit  rétablir  dans  sa  communion  Dioscore  et  les  Grands- 
Frères.  Il  était  donc  évident  que  ces  moines  n'étaient  pas  h  ses  yeux  des 
hérétiques.  Dès  lors,  l'accusation  d'origénisme  intentée  primitivement  contre 
eux,  n'avait  été  qu'un  faux  prétexte  imaginé  par  Théophile  pour  obtenir  la 
déposition  de  larchevêque.  Cette  conclusion  se  présentait  naturellement  à 
tous  les  esprits  ». 

Sévérien  de  Gabala  voulut  braver  le  courant  d'opinion,  et  entreprendre 
la  justification  du  conciliabule  sacrilège.  «  Il  parut  dans  la  basilique  »,  con- 
tinue Socrate,  «  et,  du  haut  de  l'ambon,  prononça  un  discours  oii  il  ne  crai- 
gnit pas  d'insulter  l'archevêque  déposé.  Quand  même,  disait-il,  Jean  n'aurait 
pas  été  très-légitimemicnt  condamné  pour  beaucoup  d'autres  forfaits,  son 
insolence  était  à  elle  seule  un  crime  impardonnable.  Dieu  lui-même.  Dieu 
dont  la  miséricorde  infinie  se  montre  indulgevite  pour  tous  les  autres  péchés 
que  peuvent  commettre  les  hommes.  Dieu  résiste  aux  superbes.  C'est  la 
parole  de  l'Ecriture  ».  — Aces  mots,  le  peuple  éclata  en  cris  de  fureur  et 
d'indignation.  Théophile,  averti  du  danger  que  courait  l'orateur  téméraire, 
se  mit  à  la  tète  d'une  escouade  de  soldats  pour  venir  le  défendre.  Son  appa- 
rition aux  portes  de  l'église  fut  le  signal  d'une  lutte  acharnée  où  le  sang 
coula  des  deux  parts.  Cette  fois,  il  ne  fut  plus  possible  d'apaiser  la  fureur 
du  peuple  ni  de  tromper  sa  vigilance.  Résolue  à  obtenir  satisfaction  ou  à 
renverser  le  trône  d'Arcadius,  la  multitude  vint  de  nouveau  envahir  les 
abords  du  palais.  Déjà  les  portes  ébranlées  cédaient  sous  les  eO'orts  de  mille 
bras.  L'impératrice,  éperdue,  sentait  toute  l'horreur  du  danger.  «  C'en  est 
fait  de  nous  !  »  disait-elle  toute  en  pleurs.  «  Qu'on  ramène  Jean.  Autrement 
l'empire  nous  échappe  !  »  En  ce  moment,  comme  si  le  ciel  lui-même  eût 
pris  parti  pour  l'innocence  persécutée,  un  orage  épouvantable,  accompagné 
de  secousses  de  tremblements  de  terre,  éclata  sur  la  cité.  Le  peuple  s'écriait 
que  la  vengeance  divine  allait  enfin  punir  tant  d'orgueilleux  scélérats. 

Eudoxie  se  mit  à  une  table  et  écrivit  de  sa  main  à  l'illustre  proscrit.  «  Je 
conjure  votre  sainteté»,  disait-elle,  «  de  croire  que  je  ne  suis  pour  rien  dans 
ce  qui  s'est  passé.  Tout  a  été  fait  à  mon  insu.  Je  suis  innocente  du  crime  qui 
aélé  commis.  Des  pervers  avaient  juré  de  répandre  votre  sang;  seuls,  ils  ont 
tramé  tout  ce  complot.  Dieu  l'oit  les  larmes  que  je  répands  et  que  je  lui 
offre  en  sacrifice.  Revenez  au  milieu  de  nous.  C'est  vous  qui  avez  baptisé 
mes  enfants,  venez  leur  conserver  le  trône  et  la  vie  !  » 

Eudoxie  ne  se  repentait  pas  devant  le  ciel  et  la  terre;  elle  tremblait  pour 
son  trône  et  voulait  le  conserver  par  un  mensonge.  Le  peuple  fut  averti  que 
son  pasteur  allait  être  rappelé  et  il  se  porta  en  foule  vers  le  port  au-devant 
de  celui  qu'il  attendait  avec  impatience.  Les  quarante  évoques  demeurés 


SAKT  JE.U»  CHRYSOSTOME,    DOCTEUR  DE  l'ÉGUSE.  27 

fidèles  à  Chrysostome  pendant  les  jours  d'épreuve,  avaient  été  conduits  au 
bord  de  la  mer  pour  recevoir  l'illustre  proscrit.  Enfin  le  vaisseau  qui  portait 
tant  de  joie  et  d'espérances  parut  dans  le  détroit,  et  des  acclamations  en- 
thousiastes s'élevèrent  jusqu'aux  cieux.  Quand  le  saint  patriarche  mit  pied 
à  terre,  les  cris  de  joie  redoublèrent  et  les  larmes  coulèrent  de  tous  les 
yeux.  On  se  prosternait  pour  baiser  la  frange  de  son  manteau,  le  sable  du 
rivage  où  il  avait  posé  le  pied.  Des  torches  de  cire,  des  cierges  furent  allu- 
més, et,  au  chant  d'un  hymne  de  joie  interrompu  par  les  acclamations,  une 
procession  spontanément  organisée  se  dirigea  vers  Constantinople.  En  vain 
l'archevêque  voulait  ne  pas  rentrer  dans  la  ville  jusqu'à  ce  qu'un  concile 
plus  nombreux  eût  reconnu  son  innocence  et  levé  l'interdiction  prononcée 
contre  lui  par  le  synode  du  Qiêne.  Il  fut  contraint  de  se  rendre  à  la  basilique 
et  de  prendre  la  parole  devant  cette  multitude  qui  était  comme  enivrée  du 
bonheur  de  le  voir. 

«  Que  dirai-je  ?  »  s'écria-t-il.  «Quels  mots  puis-je  avoir  sur  les  lèvres?  Que 
le  Seigneur  soit  béni  dans  les  siècles  des  siècles  !  Ce  fut  mon  adieu  au  départ, 
c'est  ma  salutation  de  bienvenue  en  ce  retour  inespéré.  Je  n'ai  pas  d'ailleurs 
cessé  de  répéter  cette  parole  sur  la  route  de  l'exil.  Je  vous  l'avais  léguée 
comme  un  gage  de  consolation,  je  vous  la  rapporte  comme  une  action  de 
grâces.  «  Béni  soit  donc  le  Seigneur  dans  les  siècles  des  siècles  !  »  Les  situa- 
tions sont  différentes,  l'hymne  est  le  même.  Fugitif  et  proscrit,  je  bénis- 
sais; revenu  de  l'exil,  je  bénis  encore.  Béni  soit  le  Dieu  qui  a  permis  moa 
expulsion;  béni  soit  le  Dieu  qui  a  préparé  mon  retour  !  Béni  soit  le  Dieu  qui 
avait  déchaîné  les  tempêtes;  béni  soit  le  Dieu  qui  les  a  calmées.  Oh  ! 
puissé-je  vous  apprendre  à  le  bénir  toujours  !  Bénissez-le  dans  les  épreuves, 
pour  en  abréger  la  durée;  bénissez-le  dans  la  prospérité,  pour  la  rendre 
durable  !  Job  lui  avait  rendu  grâces  dans  l'opulence,  il  le  glorifia  dans  l'ad- 
versité. Qui  suis-je  donc  pour  vous  parler  ainsi  ?  Mais  il  n'importe,  et  quelle 
que  soit  ma  faiblesse  personnelle,  je  puis  du  moins  vous  dire  que,  dans  les 
conjonctures  si  diverses  qui  viennent  de  se  succéder  pour  moi,  la  disposi- 
tion de  mon  âme  est  restée  constamment  la  même.  Le  courage  de  votre 
piioLe  n'a  élé  ni  brisé  par  la  tempête,  ni  amolli  par  le  retour  du  calme.  En 
m'éloignant  de  vous,  je  bénissais  le  Seigneur;  en  vous  contemplant  de  nou- 
veau, mes  bien-aimés,  je  le  bénis  encore.  On  m'avait  séparé  de  vous  par  la 
distance,  on  ne  vous  avait  point  ravis  à  mon  cœur.  A  quoi  donc  ont  abouti 
les  intrigues  des  méchants?  Elles  ont  redoublé  l'affection  de  mes  anciens 
amis  ;  elles  m'ont  créé  des  amis  nouveaux.  Autrefois,  dans  cette  enceinte, 
mes  regards  ne  tombaient  que  sur  des  chrétiens.  En  ce  moment,  je  vois  des 
païens,  des  juifs,  qui  pleurent  de  joie  en  me  contemplant.  Autrefois  nous 
n'avions  d'auditoire  que  dans  l'intérieur  de  l'église,  aujourd'hui  la  place 
publique  continue  l'église,  et  du  fond  de  la  place  jusqu'ici  on  dirait  une 
seule  tête  !  Nul  ne  commande  le  silence,  et  tous  sont  silencieux  et  recueillis. 
Qui  se  doute  seulement  en  ce  jour  qu'il  pourraity  avoir  des  jeux  au  cirque? 
Tout  le  monde  est  ici.  Constantinople  tout  entière  s'est  donné  rendez-vous 
à  la  maison  de  Dieu.  On  s'y  précipite  comme  un  torrent,  avec  le  fracas  des 
grandes  eaux.  Le  torrent,  c'est  votre  zèle  ;  le  bruit  des  eaux,  c'est  votre  voix 
répétée  par  cent  mille  bouches  et  faisant  monter  jusqu'aux  cieux  le  témoi- 
gnage de  votre  filiale  tendresse.  Vos  prières  sont  ma  couronne,  plus  pré- 
cieuse que  tous  les  diadèmes.  Je  vous  revois  dans  cette  basilique  sacrée,  où 
reposent  les  reliques  des  Apôtres.  Banni  comme  eux,  je  reviens  près  de  ces 
illustres  bannis  de  l'antiquité.  Là  sont  les  cendres  de  Timothée,  ici  celles  de 
Paul,  ce  stigmatisé  de  Jésus-Christ.  Courage  donc,  et  ne  laissez  jamais  votre 


28  27   JAXVTER. 

âme  succomber  devant  les  difficultés  de  la  vie.  C'est  par  le  chemin  de 
l'épreuve  qu'ont  marché  tous  les  saints.  Plus  ils  ont  souffert  dans  leur  corps, 
plus  la  paix  de  leur  Ame  était  parfaite.  Et  plût  ;\  Dieu  que  nous  fussions 
toujours  dans  l'aflliction  I  Le  pasteur  se  réjouit  quand  il  souffre  pour  son 
troupeau.  Quelle  joie  n'est  donc  pas  la  mienne  !  Je  rentre  au  milieu  de  mes 
brebis,  le  loup  a  disparu.  Il  a  pris  la  fuite.  Qui  l'a  chassé  ?  —  Le  pasteur  ?  — 
Non,  le  pasteur  était  exilé.  Ce  sont  les  brebis  qui  ont  écarté  le  ravisseur  ! 
Nobles  brebis  I  En  l'absence  du  berger,  elles  ont  repoussé  la  bête  cruelle  1 
Chaste  épouse,  en  l'absence  du  mari,  elle  a  éconduit  l'adultère  !  — Et  com- 
ment cela  s'est-il  fait  ?  Par  les  armes,  la  lance  ou  le  bouclier  ?  —  Non,  mais 
parla  force  de  la  vertu,  par  la  puissance  de  la  prière.  Les  brebis  ont  témoi- 
gné leur  docilité;  l'épouse,  son  amour  fidèle.  Et  cela  suffisait.  Maintenant 
où  sont-ils,  les  ennemis,  les  ravisseurs  ?  Enveloppés  dans  leur  manteau  de 
honte,  ils  tremblent  et  se  cachent.  Cependant  nous  triomphons  en  plein 
jour.  L'empereur,  la  noble  Augusta,  les  princes  sont  avec  nous  et  pour 
nous.  Que  vous  dirai-je  donc  ?  Je  ne  sais  qu'une  seule  parole.  Que  le  Sei- 
gneur soit  béni;  qu'il  répande  sa  bénédiction  sur  vous  et  sur  vos  enfants. 
A  lui  la  louange  et  la  gloire  dans  les  siècles  des  siècles.  Amen  '  /  » 

Le  lendemain,  la  foule  aussi  nombreuse  que  le  jour  précédent  envahit 
la  basilique.  On  voulait  revoir  Chrysostome,  on  voulait  l'entendre.  Il  prit  de 
nouveau  la  parole,  et,  dans  une  homélie  plusieurs  fois  interrompue,  par  les 
acclamations  du  peuple,  il  compara  l'Eglise  de  Constantinople  persécutée  par 
Théophile  à  Sara  tombée  un  moment  au  pouvoir  de  Pharaon,  et  rappela 
sans  le  nommer  l'indigne  conduite  de  l'évêque  d'Alexandrie  ;  puis  il  félicita 
son  peuple  et  remercia  ceux  qui  avaient  pris  part  à  son  retour.  Les  ennemis 
de  Chrysostome  s'étaient  dispersés  devant  la  colère  du  peuple,  mais  sans 
renoncer  à  leur  vengeance.  L'archevêque  de  Constantinople  eût  bien  voulu 
se  justifier  devant  un  concile  légitime,  et  soixante  évêques  réunis  cassèrent 
les  décrets  injustes  rendus  par  le  conciliabule  du  Chêne. 

Malheureusement  ce  calme  ne  fut  pas  de  longue  durée.  On  avait  élevé 
sur  le  forum,  en  face  de  la  basilique  de  Sainte-Sophie,  une  statue  d'argent 
en  l'honneur  de  l'impératrice  ;  la  dédicace  en  fut  célébrée  par  des  jeux  de 
gladiateurs,  des  courses  de  chars,  des  spectacles  qui  troublèrent  l'office 
divin  et  entraînèrent  le  peuple  dans  des  superstitions  aussi  impies  qu'ex- 
travagantes ;  c'était  un  renouvellement  des  usages  païens.  Le  Saint,  qui 
craignait  qu'on  ne  prît  son  silence  pour  une  approbation,  s'éleva  contre  de 
tels  abus  avec  son  courage  et  son  intrépidité  ordinaires.  On  fit  croire  à 
l'impératrice  que  l'archevêque  avait  outragé  publiquement  sa  majesté  sou- 
veraine et  cherché  à  sou'  ver  le  peuple  contre  elle.  Il  n'en  fallut  pas  davan- 
tage pour  rallumer  les  Icux  de  sa  colère,  qui  n'étaient  qu'assoupis.  Elle 
rappela  les  ennemis  de  Jean,  qui  se  rendirent  à  Constantinople  et  y  reprirent 
leurs  poursuites  contre  lui.  Théophile  craignait  de  reparaître  en  cette 
ville,  il  envoya  à  sa  place  trois  députés  avec  ses  instructions.  Cet  éclat  n'in- 
timida point  l'homme  de  Dieu.  Il  parlait  toujours  avec  la  même  indépen- 
dance. Ce  fut  alors  qu'il  commença  une  de  ses  homélies  par  ces  paroles  : 
Hérodiade  est  encore  furieuse,  elle  recommence  à  danser,  et  demande  encore  «me 
fois  la  télé  de  Jean.  Après  mie  infinité  de  violences  faites  à  l'Eglise  et  mille 
outrages  commis  contre  le  saint  prélat  et  ceux  de  sa  communion,  jusqu'à 
suborner  des  assassins  pour  le  tuer,  on  demanda  sou  exil  à  renii)ercur  qui 
y  consentit.  On  était  alors  en  Carême.  L'archevêque  déclara  qu'il  n'aban- 
donnerait point  l'Eglise  confiée  à  ses  soins  par  la  Providence,  à  moins  qu'on 

1.  s.  Joan.  Chrysost.  Post  redilum  ;  Pair.  grxc.  t.  m,  col.  439- ;12. 


SAIKT  JEAN  CHRYSOSTOME,    DOCTEUR  DE  l'ÉGUSE.  29 

Le  l'y  forçât.  Les  quarante  évoques  réunis  autour  de  Jean  se  rendirent  près 
de  l'empereur  et  de  l'impératrice,  les  conjurant  avec  larmes  de  ne  pas 
causer  une  si  grande  douleur  à  l'Eglise  de  Jésus-Qirist.  On  ne  daigna  pas 
les  entendre.  L'un  d'eux,  le  bienheureux  Paul,  évêque  de  Graté,  saisi  d'une 
généreuse  indignation,  s'approche  de  l'impératrice  et  lui  dit  à  haute  voix  : 
((  Eudoxie,  il  en  est  temps  encore,  songez  à  la  justice  de  Dieu  et  à  l'avenir 
de  vos  enfants.  Gardez -vous  d'ensanglanter  ce  grand  jour  où  le  Christ  est 
ressuscité  pour  le  salut  du  monde  !  »  Gette  menace  prophétique  n'eut  pas 
plus  d'effet  que  les  prières.  Le  Samedi  Saint,  une  troupe  de  soldats  se  pré- 
cipita sur  les  fidèles  dans  la  basilique  Constantinienne  ;  ils  profanèrent  et 
ensanglantèrent  les  lieux  saints  ;  le  lendemain  les  mêmes  violences  recom- 
mencèrent dans  un  lieu  où  les  chrétiens  s'étaient  retirés  hors  de  la  ville  pour 
célébrer  la  fête  de  Pâques. 

Cependant  le  saint  archevêque  écrivit  au  pape  Innocent  V,  pour  le  prier 
de  déclarer  nulles  toutes  les  procédures  faites  contre  lui,  puisqu'on  y  avait 
violé  toutes  les  règles  de  la  justice'  ;  il  implora  aussi  le  secours  de  plusieurs 
saints  évûques  d'Occident.  Théophile,  de  son  côté,  envoya  au  Pape  les  actes 
du  conciliabule  du  Chêne.  A  la  seule  inspection  de  ces  actes,  Innocent 
découvrit  qu'ils  étaient  l'ouvrage  de  la  cabale  ;  il  manda  donc  à  Théophile 
devenir  à  un  concile,  où  l'on  jugerait  l'affaire  conformément  aux  canons 
de  Nicée.  Il  en  disait  assez  pour  annuler  la  prétendue  autorité  des  canons 
du  conciliabule.  11  eût  bien  voulu,  ainsi  qu'Honorius,  empereur  d'Occident, 
qu'on  assemblât  un  nouveau  concile  pour  réparer  tout  le  mal  qui  s'était 
fait  ;  mais  Arcade  et  Eudoxie  trouvèrent  le  moyen  d'en  éluder  la  tenue. 
Théophile,  Sévérien  et  leurs  complices  s'y  opposaient  aussi  sourdement, 
pour  les  raisons  qu'il  est  aisé  d'apercevoir. 

Jean  était  toujours  à  Constantinople  ;  mais  le  jeudi  de  la  semaine  de  la 
Pentecôte,  l'empereur  lui  envoya  un  ordre  exprès  de  partir  pour  le  lieu  de 
son  exil.  Le  saint  pasteur,  auquel  on  le  remit  dans  l'église,  dit,  en  le  rece- 
vant, à  ceux  qui  étaient  autour  de  lui  :  «  Venez,  prions  et  prenons  congé 
de  l'ange  de  cette  église».  Ensuite,  après  avoir  salué  les  évèques  qui  lui 
étaient  attachés,  il  entra  dans  le  baptistère  pour  dire  adieu  à  sainte  Olym- 
piade et  aux  diaconesses,  qui  toutes  fondaient  en  larmes  ;  il  sortit  après 
cela  secrètement,  de  peur  que  le  peuple  ne  se  révoltât  (20  juin  40/i).  Peu  de 
temps  après  son  départ  le  feu  prit  à  l'église  de  Sainte-Sophie  et  au  palais  où 
s'assemblait  le  sénat.  Ces  deux  édifices,  les  plus  beaux  de  Constantinople, 
furent  réduits  en  cendres  *.  Les  flammes  cependant  épargnèrent  le  baptis- 
tère et  les  vases  sacrés  qu'on  y  gardait.  On  ne  manqua  pas  de  rejeter  l'in- 
cendie sur  les  amis  du  Saint.  On  en  mit  même  plusieurs  à  la  question,  dans 
l'espérance  de  découvrir  les  coupables  ;  mais  ils  soutinrent  tous,  au  milieu 
des  tortures  les  plus  barbares,  qu'ils  étaient  innocents  du  crime  dont  on  les 
accusait.  Les  principaux  d'entre  eux  furent  Tigrius,  prêtre,  et  Eutrope, 
lecteur  et  chantre  de  Sainte-Sophie.  Le  premier  fut  dépouillé,  fouetté  sur 
le  dos,  et  tourmenté  si  cruellement  que  ses  os  en  furent  disloqués  :  on 
l'envoya  ensuite  en  exil.  Le  second,  après  avoir  été  fouetté,  eut  les  joues 
déchirées  avec  des  ongles  de  fer,  et  les  côtés  brûlés  avec  des  torches  arden- 
tes. Il  mourut  en  prison  de  ces  tourments.  Ils  sont  nommés  tous  deux  dans 
le  Martyrologe  romain,  sous  le  12  janvier.  Pallade  attribue  à  la  vengeance 

1.  Saint  Chrys.,  Oper.,  t.  m,  p.  515.  Pallad.  Diat.  Stilting,  §  5S,  p.  578. 

2.  Plusieurs  chefs-d'œuvre,  entre  autres  les  belles  statues  des  muses  de  THélicon,  périrent  avec  la 
palais.  C'est  ce  qui  a  fait  dire  à  Zozime,  en  parlant  de  ces  monuments,  que  l'inceudie  dont  noua  parlons 
<tait  le  plu  grand  malheur  qui  filt  jamais  arrivé  à  la  ville  de  Constantinopl 


30  27   JANVIEB. 

divine  l'incendie  dont  nous  avons  parlé,  ainsi  que  les  ravages  des  Isauriens 
et  des  lluns,  la  mort  d'Eudoxie  ',  et  la  grûle  qui  causa  un  horrible  dégât 
cinq  jours  apri-s  le  départ  du  saint  archevêque. 

Arcade  ayant  écrit  à  saint  Nil,  afin  de  lui  demander  l'assislnnce  de  ses 
prières,  tant  pour  sa  personne  que  pour  l'empire,  le  solitaire  lui  répondit 
avec  cette  généreuse  liberté  digne  d'un  homme  qui  ne  craint  ni  n'attend 
rien  du  monde  :  «  Comment  »,  lui  dit-il,  «  espérez-vous  voir  Constanti- 
nople  délivrée  des  coups  de  l'ange  exterminateur,  tandis  que  le  crime 
y  est  autorisé,  et  après  le  bannissement  du  bienheureux  Jean,  cette  co- 
lonne de  l'Eglise,  ce  flambeau  de  la  vérité,  cette  trompette  de  Jésus- 
Christ*  !  Vous  avez  exilé  Jean,  la  plus  brillante  lumière  du  monde mais 

du  moins  ne  persévérez  pas  dans  votre  crime  '  ».  L'empereur  Honorius  et 
plusieurs  autres  personnes  écrivirent  aussi  à  Arcade  sur  le  môme  sujet,  et 
dans  les  termes  les  plus  forts  ^  Mais  toutes  ces  lettres  ne  produisirent  aucun 
effet.  Le  malheureux  Arcade,  trompé  par  les  calomnies  de  quelques  dames 
de  la  cour,  qu'un  archarncment  opiniâtre  à  perdre  leur  archevêque  avait 
endurcies  contre  tous  les  remords,  ne  changea  point  de  sentiment.  Arsace. 
homme  sans  vigueur  et  sans  capacité,  fut  placé  sur  le  siège  du  légitime 
pasteur,  dont  il  était  l'ennemi. 

Le  Saint  ne  resta  pas  longtemps  à  Nicée,  oîi  il  se  trouvait  assez  tran- 
quille. Dès  le  mois  de  juillet  on  le  fit  partir  pour  Gueuse,  petite  ville 
d'Aiménie  dans  les  déserts  du  mont  Taurus,  lieu  désigné  par  l'impéra- 
trice. Il  eut  beaucoup  à  soulfrir  de  la  chaleur  et  des  fatigues  du  voyage, 
de  la  brutalité  de  ses  gardes  et  de  la  privation  presque  continuelle  .lu 
sommeil.  Il  succomba,  et  fut  pris  de  la  fièvre  et  d'un  grand  mal  de  poi- 
trine. On  n'en  continua  pas  moins  de  le  faire  marcher  jusque  bien  avant 
dans  la  nuit.  On  porta  l'inhumanité  jusqu'à  lui  refuser  les  choses  les  plus 
nécessaires,  telles  qu'un  lit,  un  peu  d'eau  claire,  et  de  bon  pain.  Cependant 
son  état  l'aflligeait  encore  moins  que  les  criminelles  dispositions  de  ses 
ennemis.  Enfin,  après  une  marche  de  soixante-dix  jours,  il  arriva  à  Gueuse, 
où  l'évêque  et  le  peuple  le  reçurent  avec  les  plus  vives  démonstrations  de 
charité  et  de  respect.  Il  dut  être  extrêmement  touché  de  l'attachement  de 
plusieurs  de  ses  amis,  qui  vinrent  exprès  d'Antioche  et  de  Constanlinople 
pour  le  consoler.  Son  zèle  ne  put  rester  oisif  à  Gueuse  :  il  envoya  des  mis- 
sionnaires chez  les  Goths,  dans  la  Perse  et  la  Phénicie,  et  procura,  par  le 
moyen  de  ces  hommes  apostoliques,  la  conversion  d'un  grand  nombre 
d'idolâtres.  11  nomma  Constance,  prêtre  d'Antioche,  supérieur  général  des 
missions  de  la  Phénicie  et  de  l'Arabie  *. 

Cj  fut  du  lieu  de  son  exil  que  le  bienheureux  archevêque  écrivit  ses  dix- 
sept  lettres  à  Olympiade  :  on  doit  les  regarder  toutes  comme  autant  de 
traités  de  morale.  Voici  comment  il  s'exprime  dans  la  huitième  :  «  Mon 
cœur  goûte  une  joie  inexprimable  dans  les  souffrances  ;  il  y  trouve  un 
trésor  caché.  Vous  devez  vous  en  réjouir  avec  moi,  et  bénir  le  Seigneur  qui 
m'accorde  dans  un  tel  degré  la  grâce  de  souffrir  pour  lui  ».  Il  revient  sou- 
vent sur  les  dangers  de  la  tristesse  de  l'âme.  «  Elle  est  »,  dit-il  dans  la  troi- 
sième lettre,  «  le  plus  funeste  des  maux  de  l'homme.  C'est  un  bourreau 
domestique  qui  le  tourmente,  une  tempête  qui  le  plonge  dans  les  ténèbres, 
une  guerre  intestine  qui  le  déchire,  une  maladie  qui  le  mine  et  le  con- 
sume ».  Il  donne,  dans  la  quatrième,  d'excellents  avis  aux  personnes  raala- 

1.  Cctto  princesse  mourut  en  couche  te  6  octobre  suivant. 

i.  L.  Il,  cp.  205.  —  3.  L.  m,  ep.  279.  —  4.  Saint  Chrys.,  t.  m,  p.  525. 

i.  Nous  avons  quelques  lettres  â«  ce  Constance  ;  ou  les  trouve  p»rmi  celles  de  suint  Cbrysostomc. 


SAINT  JEAN  CHRTSOSTOJIE,   DOCTEOl  DE   L'ÉGUSE.  31 

des  :  il  convient  que  la  maladie  est  une  rude  épreuve  et  un  temps  d'inac- 
tion ;  mais  il  montre  ensuite  qu'elle  est  l'école  de  toutes  les  vertus,  une 
source  féconde  de  mérites  et  un  véritable  martjTe  lorsqu'on  sait  en  faire  un 
bon  usage.  Il  veut  que  l'on  ait  recours  aux  médecins,  de  manière  toutefois 
que  l'on  reste  avec  résignation  sous  la  main  de  Dieu.  Il  accuse  de  crime 
ceux  qui  ne  désirent  la  mort  que  pour  ne  plus  souffrir.  Dans  une  autre 
lettre  il  déplore  la  chute  de  Pelage,  et  marque  toute  son  horreur  pour  les 
dogmes  impies  de  cet  hérésiarque.  Ce  fut  aussi  à  sainte  Olympiade  qu'il 
adressa  le  traité  intitulé  :  Qm  personne  ne  peut  nuire  à  celui  qui  ne  se  nuit  pas 
à  lui-même. 

Arsace  étant  mort  en  403,  on  lui  donna  pour  successeur  Atticus,  l'un 
des  ennemis  de  notre  Saint.  Cependant  le  Pape  refusa  de  communiquer 
avec  Théophile,  ou  du  moins  avec  quelques-uns  des  persécuteurs  de  Jean. 
Il  envoya  aussi,  de  concert  avec  Honorius,  cinq  évéques  à  Constantinople, 
pour  demander  un  concile  qui  pût  rétablir  sur  son  siège  le  pasteur  exilé, 
dont  la  déposition  avait  été  contraire  à  toutes  les  lois  de  l'Eglise  ;  mais  on 
emprisonna  ces  députés  en  Thrace,  sur  le  refus  qu'ils  firent  de  communi- 
quer avec  Atticus.  Cette  \iolence  fut  exercée  à  l'instigation  des  ennemis  du 
saint  archevêque,  qui  ne  voulaient  point  d'un  concile  où  l'on  ne  manque- 
rait pas  de  les  condamner;  aussi  faisaient-ils  jouer  tous  les  ressorts  imagi- 
nables pour  qu'il  ne  pût  avoir  lieu.  Mais  il  est  temps  de  revenir  à  notre  Saint. 

Les  incursions  des  Isauriens,  qui  ravageaient  l'Arménie,  l'ayant  obligé 
de  sortir  de  Gueuse,  il  se  retira  dans  le  château  d'Arabisse,  sur  le  mont 
Taurus.  11  se  porta  assez  bien  durant  l'année  406,  et  l'hiver  de  l'année  sui- 
vante, malgré  le  froid  excessif  qui  régnait  dans  ce  lieu.  Les  Arméniens  eux- 
mêmes  étaient  surpris  qu'un  homme  d'une  complexion  aussi  faible  n'en  fût 
pas  incommodé.  Le  Saint  retourna  à  Cucuse  lorsque  les  Isauriens  se  furent 
retirés  ;  mais  il  n'y  resta  pas  longtemps.  Ses  ennemis,  furieux  de  le  voir 
honoré  de  tout  le  monde  chrétien,  résolurent  enfin  de  se  défaire  de  lui  à 
quelque  prix  que  ce  fût  ;  Us  engagèrent  donc  l'empereur  à  donner  un  ordre 
pour  le  transférer  à  Arabisse,  et  de  là  à  Pityonte,  sur  le  bord  du  Pont- 
Euxin,  près  de  la  Colchide  '.  Deux  offlciers  furent  chargés  de  le  conduire  en 
un  certain  nombre  de  jours,  malgré  la  difficulté  des  chemins,  et  on  leur 
promit  de  les  avancer,  si,  à  force  de  mauvais  traitements,  il  pouvait  mourir 
entre  leurs  mains.  L'un  de  ces  officiers  conservait  encore  quelques  senti- 
ments d'humanité  ;  pour  l'autre,  ii  était  si  brutal  qu'il  s'offensait  même  6c 
tout  ce  qu'on  pouvait  dire  pour  l'adoucir.  Tantôt  on  exposait  le  saint  arche- 
vêque, qui  était  chauve,  aux  ardeurs  brûlantes  du  soleil  ;  tantôt  on  le  faisait 
sortir  par  la  plus  forte  pluie,  et  on  le  faisait  marcher  jusqu'à  ce  que  ses 
habits  fussent  percés  et  tout  dégouttants  d'eau.  Sa  santé  se  trouva  entière- 
ment épuisée  à  Gomane,  dans  le  Pont.  On  ne  laissa  pas  de  passer  outre  ;  on 
le  fit  encore  marcher  plus  de  deux  lieues  :  mais  il  ne  put  aller  plus  loin,  et 
sa  faiblesse  devint  si  grande,  qu'il  fallut  absolument  revenir  au  lieu  où 
reposaient  les  reliques  du  saint  martjT  Basilisque,  évêque  de  Comane,  déca- 
pité pour  la  foi  sous  le  règne  de  l'empereur  Maximin  '.  On  le  logea  dans 

1.  Pityonte  était  â  restrémiîé  de  Tempire,  sur  les  frontières  des  Satinâtes,  peuples  les  pins  barbares 
d'entre  les  Scythes. 

2.  Le  Ptre  Stilting  a  démontré  qne  le  passage  de  Pallade,  ou  saint  Bosilisqne  a  le  titre  d'évêqne  de 
Comane,  a  été  falsifié  par  les  copistes,  n  pronve  encore  que  saint  Basilisque  fut  martyrisé,  non  à  Kico- 
médie,  mais  auprès  de  Comane,  à  l'endroit  oii  reposaient  ses  reliques.  Ce  saint  Basilisque  est  le  même 
que  celui  dont  on  honore  la  mémoire  le  3  mars.  Tillemont,  t.  v,  note  4,  sur  saint  Basilisque,  le  Père 
Le  Quien,  etc.,  distinguent  deux  Martyrs  de  ce  nom,  l'un  soldat,  qui  souârit  à  Comane  sous  Maximien 
Galère,  et  l'autre,  évêque  de  la  même  ville  de  Comane.  Mais  leur  opLoiou  n'est  appuyée  sur  aucun  fonde- 
ment solide.  Voyez  le  Père  Stilting,  §  83,  p.  65-3. 


32  27  JANVIER. 

l'oratoire  du  prêtre  ;  là,  saint  Basilisque  lui  apparut  pendant  la  nuit,  et 
lui  adressa  ces  paroles  :  «  Courage,  mon  frère,  demain  nous  serons  ensem- 
ble ».  Cette  vision  le  remplit  de  joie,  et  quand  le  jour  fut  venu,  il  pria  ses 
gardes  de  le  laisser  en  ce  lieu  jusqu'à  onze  heures.  Sa  prière  fut  pour  eux 
un  nouveau  motif  d'accélérer  le  moment  du  départ.  On  l'obligea  donc  encore 
de  marcher  près  de  deux  lieues  :  mais  le  mal  s'accrut  au  point  qu'il  fallut 
le  ramener  au  lieu  d'où,  il  était  parti.  Dès  qu'il  y  fut  arrivé,  il  quitta  ses 
habits,  et  en  prit  de  blancs,  comme  pour  se  préparer  aux  noces  célestes  de 
l'Agneau.  11  reçut  la  communion,  étant  encore  ii  jeun,  fit  sa  prière,  qu'il 
termina,  selon  sa  coutume,  par  ces  paroles  :  Dieu  soit  glorifié  de  tout  ;  puis 
aj'ant  dit  ^l;nen,  et  formé  sur  lui  le  signe  de  la  croix,  il  remit  tranquille- 
ment son  âme  entre  les  mains  de  Dieu.  Sa  mort  arriva  l'an  407,  le  14  sep- 
tembre, jour  de  l'Exaltation  de  la  sainte  CroLx.  Il  avait  été  archevêque  de 
Constantinople  neuf  ans  et  environ  sept  mois'. 

On  enterra  son  corps  auprès  de  celui  de  saint  Basilisque.  11  y  eut  à  ses 
funérailles  un  concours  prodigieux  de  vierges,  de  moines,  et  de  personnes 
de  tout  état,  qui  étaient  venues  de  fort  loin.  Plusieurs  prélats  s'étant  obsti- 
nés à  ne  pas  mettre  son  nom  dans  les  dyptiques  ',  le  Pape  refusa  de  com- 
muniquer avec  eux.  Atticus  l'y  mit  à  Constantinople  en  417,  et  saint  Cyrille 
à  Alexandrie  en  419. 

En  438,  saint  Procle  fît  transporter  solennellement  lo  corps  de  saint 
Chrj'sostome  à  Constantinople.  L'empereur  Théodose  et  sa  sœur  Pulchérie 
assistèrent  à  la  cérémonie  de  cette  translation,  avec  de  grands  sentiments  de 
piété,  demandant  miséricorde  pour  leur  père  et  leur  mère,  qui  avaient  eu 
le  malheur  de  persécuter  le  saint  archevêque.  On  déposa  ses  reliques  dans 
l'église  des  Apôtres,  où  l'on  enterrait  ordinairement  les  empereurs  et  les 
archevêques  de  Constantinople.  Ceci  arriva  le  27  janvier,  jour  auquel  le 
Saint  est  honoré  par  les  Latins.  Pour  les  Grecs,  ils  en  font  la  fête  le  13  no- 
vembre ;  ils  en  font  encore  mémoire,  ainsi  que  de  saint  Basile  et  de  saint 
Grégoire  de  Nazianze,  le  30  janvier.  Les  reliques  de  notre  Saint  furent  ensuite 
portées  à  Rome,  où  elles  reposent  sous  l'autel  qui  porte  le  nom  de  saint 
Ghrysostome,  dans  l'église  du  Vatican. 

Saint  Chrysoslome  avait  la  taille  petite,  et  le  visage  maigre  et  décharné; 
ce  qui  venait  surtout  de  sa  vie  mortifiée  et  pénitente.  Les  austérités  de  sa 
jeunesse,  le  séjour  qu'il  fit  dans  la  caverne  dont  nous  avons  parlé,  ses  prédi- 
cations continuelles,  avaient  entièrement  ruiné  sa  poitrine,  qui  depuis  lui 
causa  des  maladies  fâcheuses.  Du  reste,  eût-il  été  de  la  plus  forte  com- 
plexion,  il  aurait  succombé  sous  les  indignes  traitements  qu'il  eut  à  souffrir 
dans  son  exil.  Le  pape  Célestin,  saint  Augustin,  saint  Nil  et  saint  Isidore  de 
Péluse,  le  regardent  comme  le  plus  illustre  docteur  de  l'Eglise  :  ils  disent 
que  sa  gloire  brille  partout  ;  que  la  lumière  de  sa  science  profonde  éclaire 
toute  la  terre,  et  que  l'on  est  dédommagé  de  ne  plus  entendre  les  sons  effi- 
caces de  sa  voix,  par  la  lecture  de  ses  admirables  ouvrages  qui  instruisent 
les  régions  les  plus  reculées.  Ils  l'appellent  le  sage  interprète  des  secrets  de 
Dieu,  le  flambeau  de  la  vertu.  Ils  le  comparent  au  soleil,  cet  astre  brillant 
dont  tout  l'univers  ressent  les  plus  heureuses  influences.  Ces  éloges  ne  sont 
point  outrés,  et  l'on  en  sentir-a  toute  la  vérité,  pour  peu  que  l'on  se  soit 
familiarisé  avec  la  lecture  des  incomparables  écrits  du  saint  archevêque  de 
Constantinople  '. 

1.  Saint  Cho'sostomc,  selon  le  chevalier  Henri  Saville,  n'était  âgé  que  de  clnqaante-deui  ans  lors^Q'U 
jnoamt.  Nous  lui  en  donnons  C3,  parce  que  nous  le  supposons  né  en  344. 

î.  C'étaient  les  registres  où  l'on  écrivait  le  nom  des  évêques  morts  dans  le  seia  de  l'£glU9> 
8.  Voyez  U  notice  des  ouvrages  de  saint  Cbrj'sostome,  après  sa  vie. 


SAINT  JEAN  CHRYSOSTOME,   DOGTEDR  DE  L'ÉGUSE.  33 

Rien  de  plus  énergique,  rien  de  plus  tendre  que  les  expressions  dont  se 
sert  saint  Chrysostome  toutes  les  fois  qu'il  parle  de  sa  charité  et  de  sa  solli- 
citude pour  son  troupeau.  Quand  il  est  sur  cette  matière,  ses  paroles  sont 
toutes  de  feu  ;  et  il  semble  que  les  cœurs  brûlants  d'un  Moïse  et  d'un  Paul 
soient  passés  en  lui.  Comme  ces  grands  hommes,  il  eût  souhaité  devenir 
anathème  pour  le  salut  de  ses  frères  :  mais  dans  quelle  source  puisait-il  des 
sentiments  aussi  héroïques?  Dans  un  ardent  amour  pour  Dieu  et  pour 
Jésus-Christ  son  Fils  unique,  qui  ont  opéré  tant  de  prodiges  pour  sauver  les 
âmes.  0  le  beau  modèle  pour  les  pasteurs  1  A  cette  première  disposition 
saint  Chrysostome  enjoignit  une  seconde,  un  souverain  mépris  de  toutes 
les  choses  de  la  terre  ;  et  ces  deux  dispositions  sont  tellement  inséparables, 
que  l'une  ne  peut  aller  sans  l'autre.  «  Ceux  »,  dit  le  Saint ^,  «  qui  sentent 
les  impressions  de  l'amour  divin,  regardent  comme  un  vil  néant  tout  ce  que 
la  terre  offre  de  plus  précieux.  Ce  langage  est  peut-être  inintelligible  pour 
nous.  Ne  soyons  point  surpris,  c'est  une  suite  du  peu  d'expérience  que  nous 
avons  de  cette  sublime  vertu.  Qui  serait  embrasé  du  feu  sacré  de  l'amour  de 
Jésus-Christ,  n'aurait  que  de  l'indifTérence  pour  les  honneurs  et  les  oppro- 
bres ;  il  ne  serait  pas  plus  touché  de  ces  bagatelles,  que  s'il  était  seul  sur  la 
terre.  Il  méprisait  les  tribulations,  les  fouets,  les  cachots  comme  s'il  souf- 
frait dans  un  corps  étranger  :  insensible  aux  plaisirs  et  aux  folles  joies  du 
monde,  il  serait  à  leur  égard  ce  que  nous  sommes  à  l'égard  d'un  corps  mort, 
ou  ce  que  les  morts  eux-mêmes  sont  à  l'égard  de  leurs  propres  corps  ; 
affranchi  du  joug  des  passions,  il  serait  aussi  pur  que  l'or  qui  a  passé  par 
le  creuset.  Que  dis-je  ?  semblables  à  ces  insectes  qui  s'éloignent  de  la  flamme 
de  peur  d'être  brûlés,  les  passions  n'oseraient  approcher  de  lui  ». 

On  représente  saint  Jean  Chrysostome  avec  les  attributs  de  l'épiscopat. 
Quelquefois  on  le  peint  cassé  de  vieillesse  et  porté  sur  un  âne,  au  milieu  de 
soldats  qui  le  conduisent  en  exil  ;  quelquefois  aussi  on  voit  à  côté  de  lui  une 
ruche  d'abeilles  pour  rappeler  son  incomparable  éloquence  ;  ou  bien  il  est 
accompagné  de  saint  Basile  de  Césarée  et  de  saint  Grégoire  de  Nazianze, 
deux  autres  Pères  illustres  de  l'Eglise  grecque. 

Cette  Vie  de  saint  Jean  Chrysostome  a  été  entièrement  refaite  d'après  les  travaux  récents  de  M.  Martin 
(d'Agde)  et  de  M.  l'abbé  Darras  sur  ce  grand  et  illustre  seniteur  de  Dieu.  Ces  aateurs  ayant  eux-mèmeâ 
puisé  aux  sources  les  plus  authentiques,  nous  nous  sommes  conformé  à  leurs  renseignements.  Toutefois, 
on  peut  consulter  sur  ce  grand  Saint  :  Pallade,  évêque  d'Hélénople.  son  ami,  Socrate,  Sozomène,  Théodoret, 
évéçue  de  Cyr,  et  Théodore,  évêque  de  Trimithunte  (Chypre),  dont  l'oUTrage  intitulé  :  Vii,  exil  et  souf- 
frances de  saint  Jean  Chrysostome,  a  été  découvert  et  traduit  du  grec  par  le  savant  cardinal  Mal,  il  y  » 
quelques  années.  (Patrolog.  grœc,  t.  xLvn,  col.  96-87. 


NOTICE  SUR  LES  ECRITE  DE  SAINT  JEAN  CHRYSOSTOME. 

En  indiquant  les  ouvrages  de  saint  Chrysostome,  nons  snivrons  l'ordre  que  le  P.  de  Montfaacon 
•  adopté  dans  son  édition,  dite  des  Bénédictins. 

Le  tome  1='  contient  :  l"  les  deux  exhortations  à  Théodore.  Ce  Théodore,  qui  fut  depuis 
évèqne  de  Mopsueste,  avait  embrassé  la  vie  monastique  dans  sa  jeunesse,  mais  il  rentra  ensuite 
dans  le  monde  avec  l'intention  de  s'y  marier.  Saint  Chrysostome,  qni  l'aimait  tendrement,  lui  adressa 
les  deux  exhortations  dont  nous  parlons,  afin  de  le  ramener  au  genre  de  vie  qu'il  avait  quitté  ;  il 
emploie  pour  cela  les  puissants  motifs  que  fournissent  les  vérités  terribles  et  consolantes  de  la  reli- 
gion, et  détruit  toutes  les  difficultés  qu'on  pourrait  opposer.  Le  mariage,  dit-il,  est  saint  par  lui- 
même,  mais  il  est  devenu  illicite  à  celui  qui  a  fait  à  Dieu  le  sacrifice  de  sa  propre  personne.  Ces 
deux  exhortations,  qui  forent  écrites  en  369,  produisirent  leur  eiïet.  Théodore  fut  élevé  sur  le  siège 
de  Mopsueste  en  381.  Il  eut  le  malheur,  en  combattant  les  Apollinarisles,  de  jeter  les  premières 
semences  du  nestorianisme  dans  un  livre  qu'il  composa  sur  l'Incarnation,  ainsi  que  dans  d'autres 
ouvrages  qui  sortirent  de  sa  plume.  Julien  le  Pélagien  s'étant  réfugié  en  Orient,  il  le  protégea  ou- 
vertement ;  il  fit  même  un  traité  contre  le  péché  originel,  et  soutint  le  pélagianisme  dans  plusieurs 
Vies  des  Sai.nts.  —  Tome  H.  3 


34  27  JAifViEii. 

écrits,  qui  furent  toDS  eoDdamnés  après  sa  mort,  arriTée  en  428  :  il  noas  en  reste  encore  des  frag- 
ments dans  Facnndus,  Photius  et  plusieurs  conciles  '.  Le  duc  d'Orléans,  qui  monml  à  Paris  en 
1752,  a  démontré,  dans  une  disserlalioa,  que  Théodore  de  Mopsuesle  était  l'auteur  du  commentaire 
sur  les  psaumes  qui  porte  le  nom  Je  Théodore  dans  la  Chaîne  du  P.  Cordier  '.  Nous  remarquerons, 
ayant  de  Qnir  cet  article,  que  Théodore  de  Mopsueste  mourut  dans  la  communion  de  l'Eglise  catho- 
lique, ses  erreurs  n'ayant  point  été  condamnées  de  son  vivant. 

2»  Us  deux  Livrer  de  la  Componction.  Saint  Chrysostome  les  écrivit  lorsqu'il  vivait  dans  les 
montagnes  voisines  d'Antioche,  pour  répondre  à  deux  fervents  solitaires  qui  l'avaient  prié  de  leur 
indiquer  les  moyens  d'acquérir  la  componction  ;  le  premier  est  adressé  à  Démétrins,  et  le  second  à 
Stéléchiuâ.  Le  Saint,  dans  cet  ouvrage,  traite  parfaitement  tout  ce  qui  concerne  la  nécessité,  les 
motifs  et  les  caractères  de  U  componction.  Il  donne  aussi  les  moyens  de  conserver  et  d'entretenir 
cette  verta. 

3»  Les  (rois  Livrfs  de  ta  Providence.  Stagyre,  d'une  famille  très-illustre,  avait  embrassé  la  vie 
monasliqne  malgré  son  père.  Etant  ensuite  tombé  dans  la  tiédeur,  le  démon  s'empara  de  Ini  sans 
qu'il  fût  possible  de  le  délivrer  de  ce  cruel  ennemi.  .\ccablé  sons  le  poids  de  son  mal ,  U  s'aban- 
donna à  une  tristesse  mortelle  et  à  un  abattement  désespérant.  Saint  Chrysostome,  touché  de  son 
état,  lui  adressa  ses  trois  livres  de  la  Providence,  peu  de  temps  avant  l'an  380,  pour  ranimer  son 
courage.  U  lui  montra  que  Dieu  gouverne  tout  par  sa  Providence,  que  les  afilictions  entrent  dans 
l'économie  de  sa  miséricorde  à  l'égard  des  élus,  et  que  les  plus  rudes  épreuves  sont  des  moyens  de 
salut  pourvu  que  l'on  en  fasse  un  bon  usage. 

i"  Les  trois  Livres  contre  les  Enne?)its  de  la  vie  monastique.  Ils  forent  composés  vers  l'an 
376,  lorsque  Valens  eut  donné  une  loi  portant  que  les  moines  seraient  enrùlés  dans  les  armées 
comme  les  autres  sujets  de  l'empire.  Le  but  du  saint  docteur  était  de  les  venger  des  titres  injurienx 
qui  leur  étaient  donnés,  même  par  des  catholiques.  Il  Gt  voir  que  leur  état  était  saint,  puisqu'il  four- 
nissait les  moyens  les  plus  efficaces  d'acquérir  la  vraie  vertu,  qu'ils  ne  s'enfuyaient  dans  la  solitude 
qne  pour  pratiquer  d'une  manière  plus  parfaite  les  conseils  évangéliques,  et  qu'ils  ne  se  reliraient 
du  monde  qne  pour  ne  point  participer  à  la  corruption  qui  y  règne.  Dans  le  second  livre,  le  saint 
docteur  prouve  à  un  païen,  par  des  raisonnements  et  par  des  exemples,  qne  la  pauvreté  volontaire 
renferme  les  plus  grands  avantages,  et  que  ceux  qui  l'ont  embrassée  goûtent  une  félicité  plus  pure 
que  s'ils  étaient  sur  le  trône.  11  s'élère,  dans  le  troisième,  contre  les  parents  qui  inspirent  à  leur» 
enfants  le  goiit  de  la  vanité,  et  qui,  par  leur  conduite  non  moins  que  par  leurs  discours,  jettent 
dans  leurs  cœurs  encore  tendres  la  funeste  semence  de  tous  les  vices.  U  revient  ensuite  aux 
moines,  qu'il  compare  aux  anges,  dont  l'unique  occupation  est  de  penser  à  Dieu  et  de  le  louer, 

5°  La  Comparaison  d'un  Roi  et  d'un  Moine.  R  est  prouvé  que  l'état  du  second  est  préférable  à 
celni  du  premier.  En  eiïet,  le  véritable  moine  jouit  des  faveurs  célestes  ;  il  exerce  un  empire  absolu 
sur  tous  les  mouvements  de  son  cœur,  et  commande  en  maître  à  toutes  ses  passions  ;  il  possède  les 
plus  précieux  trésors  de  la  grâce,  triomphe  de  tout  par  la  vertu  de  la  prière  ;  il  n'y  a  personne  à 
qui  il  ne  fasse  du  bien  ;  il  regarde  la  mort,  ordinairement  si  redoutable  aax  rois,  comme  le  passage 
d'une  vie  pleine  de  misères  à  la  bienheureuse  éternité.  Le  pieux  Louis  de  Blois  et  le  P.  de  Mont- 
bacon  estiment  singulièrement  ce  livre. 

6»  Le  Livre  contre  ceux  qui  avaient  des  femmes  sous-introduites,  c'est-à-dire  contre  les  clercs 
qui  retiraient  chez  eux  des  diaconesses,  sous  prétexte  qu'elles  avaient  soin  de  leur  ménage.  Saint 
Chrysostome  reprend  vivement  ces  clercs,  en  leur  montrant  qu'ils  s'exposent  à  perdre  leur  innocence 
et  qu'ils  scandalisent  leurs  frères.  Ce  livre  fui  composé  en  397. 

7"  Le  saint  docteur  reprit  aussi  les  femmes  qui  logeaient  des  hommes  chez  elles,  et  les  con- 
damna fortement  dans  le  livre  intitulé  :  Que  les  femmes  régulières  ne  doivent  point  habiter  avec 
les  hommes.  Les  femmes  trouveront  dans  ce  traité  d'eic«Uenteg  instructions  contre  les  parures 
vaines  et  indécentes. 

8»  Le  Traité  de  la  Virginité.  On  y  trouve  l'éloge  de  la  virginité,  vertu  que  l'on  chercherait  en 
vain  hors  de  l'Eglise  catholique.  Elle  est  autant  au-dessus  du  mariage  que  l'ange  est  au-des- 
sus de  l'homme.  Mais,  dit  saint  Chrysostome,  l'excellence  de  la  virginité  se  tire  de  la  consécration 
qne  l'on  fait  à  Dieu  de  son  âme.  Qne  l'on  été  le  désir  de  plaire  ï  Dieu,  il  n'y  aura  plus  de  véri- 
tables vierges. 

9°  b!s  deux  Livres  à  une  jeune  veuve.  Ils  furent  adressés  à  une  jeune  dame  qui  venait  de 
perdre  son  mari.  Dans  le  premier,  saint  Chrysostome  lui  fait  le  détail  des  avantages  spirituels  que 
procure  l'état  de  viduité.  Le  second  est  employé  à  dissuader  les  secondes  noces  à  ceux  qui  ne  se 
conduiraient  qne  par  des  motifs  humains. 

lO"  Les  six  Livres  du  Sacerdoce.  Ils  sont  écrits  en  forme  de  dialogue.  Saint  Chrysostome  et 
Basile,  son  ami,  en  sont  les  interlocuteurs.  Nous  avons  observé,  dans  la  vie  de  notre  Samt.  qu'il  les 
composa  pour  justifier  le  pieux  artifice  dont  il  s'était  servi  afin  de  faire  élever  son  ami  à  l'épiscopat. 
L'excellence  du  sacerdoce  chrétien,  la  sublimité  de  ses  fonctions,  la  sainteté  requise  en  ceux  qui 
les  exercent,  la  dignité  de  l'épiscopat,  la  grandeur  et  la  multiplicité  des  devoirs  qu'il  impose,  le 
xèle,  la  prudence,  la  capacité,  enfin  toutes  les  qualités  qu'il  exige  de  ceux  qui  y  sont  élevés,  voilà 

1.  Tolr  TUlemoDt,  t  xu.  —  2.  Voir  le  Bictionn.  luit,  da  li.  Vi\>\>6  Ltdvocat. 


SAINT  JEAN  CHUYSOSTOME,  DOCTEUR  BE  L'ÉGLISE.  35 

les  objets  oui  occupent  saint  Chrysostome  dans  cet  ouvrage.  En  fut-il  jamais  de  plus  intéressant, 
soit  pour  Ib  fond  des  choses,  soit  pour  la  manière  dont  elles  sont  traitées  ?  Les  ecclésiastiques  ne 
sauraient  trop  le  lire  ;  ils  y  puiseront  la  connaissance  de  ce  qu'ils  sont  devenus  par  leur  ordination, 
el  de  ce  qu'ils  doivent  faire  pour  répondre  aux  desseins  de  Dieu. 

11»  Discours  prononcé  le  jour  de  son  orjinutiun.  Saint  Chrysostome  le  prononça  en  386,  après 
avoir  été  ordonné  prêtre  par  Flavien.  Il  y  témoigne  sa  crainte  et  sa  surprise  d'avoir  été  élevé  à  une 
dignité  aussi  sublime,  et  demande  au  peuple  le  secours  de  ses  prières.  Je  comptais,  dit-il,  vous  en- 
tretenir des  merveilles  de  Dieu,  mais  j'en  ai  été  détourné  par  le  Prophète,  qui  assura  qu'il  n'appar- 
tient pas  aux  pécheurs  de  louer  le  Seigneur. 

12"  Cinq  homélies  de  la  nature  incompréhemible  de  Dieu,  contre  les  Anoméem.  Ces  héré- 
tiques, sectateurs  d'Eunomius,  soutenaient  que  les  bienheureux,  dans  le  ciel,  et  les  hommes,  sur  la 
terre,  connaissent  Dieu  aussi  parfaitement  qu'il  se  connaît  lui-même.  Saint  Chrysostome  ,  sachant 
qu'ils  venaient  l'entendre,  profita  de  cette  circonstance  pour  combattre  leur  impiété  fanatique. 
C'est  ce  qu'il  fit  dans  les  cinq  homélies  dont  nous  parlons  :  il  y  prouve  l'incompréhensibilité  de 
la  nature  divine  par  l'Ecriture  sainte  et  par  l'infinité  essentielle  aux  attributs  de  Dieu. 

13»  Sei-it  autres  homélies  contre  les  Ânoméens.  La  principale  fin  que  s'y  propose  le  sarat 
docteur  est  de  prouver  la  cousubstantialité  du  Fils  de  Dieu;  on  y  trouve  aussi  des  exhortations  fort 
pathétiques  à  la  prière,  à  l'humilité  et  à  la  pratique  des  bonnes  œuvres. 

14»  Panégyrigue  de  saint  P/iiloyune.  qui  fut  prononcé  le  20  décembre  de  l'an  386.  Ce  saint 
était  le  vingt-unième  évéque  d'Antioche  ;  il  mourut  en  323,  après  avoir  montré  beaucoup  de  zèle 
contre  l'arianisme  naissant.  Comme  l'évcque  Flavien  devait  parler  le  même  jour  de  saint  Philogone, 
notre  Saint  ne  s'étendit  pas  beaucoup  et  entretint  son  auditoire  des  dispositions  requises  pour  célé- 
brer dignement  la  fête  de  Noël. 

15»  Traité  contre  les  Juifs  et  les  Gentils.  La  vérité  de  la  religion  chrétienne  y  est  démontrée 
par  l'accomplissement  des  prophéties,  par  la  merveilleuse  propagation  de  l'Evangile,  par  les  souf- 
frances des  martyrs,  et  par  le  triomphe  univeiîel  de  la  crois.  Cette  croix,  dit  le  Saint,  est  placée 
partout  avec  honneur  ;  elle  brille  sur  le  diadème  des  empereurs  ;  on  en  imprime  le  signe  sur  son 
front  ;  on  s'en  sert  pour  guérir  les  animaux  malades.  De  toutes  parts  on  s'empresse  de  venir  voir 
le  bois  sur  lequel  Jésus-Christ  a  été  attaché.  Les  hommes  et  les  femmes  en  portent  à  leur  cou  des 
parcelles  enchâssées  dans  de  l'or. 

16»  Les  huit  Discours  contre  les  Juifs.  Os  sont  destinés  à  prouver  que  les  Juifs  ont  été  ré- 
prouvés de  Dieu,  et  que  Jésus-Christ  a  aboli  les  cérémonies  légales. 

n»  Le  Discours  sur  [anathéme.  Le  but  de  ce  discours  était  de  réunir  les  Méléciena  et  les 
Panliniens,  divisés  par  le  schisme. 

18»  Le  Discours  sur  les  étrennes.  Le  saint  docteur  s'y  élève  fortement  contre  les  désordres 
qui  se  commettaient  le  premier  jour  de  janvier  ;  11  exhorte  ensuite  les  ûdèles  à  le  passer  dans  les 
œuvres  de  piété,  et  à  consacrer  à  Dieu  tout  le  cours  de  l'année. 

19°  Les  sept  Discours  sur  Lazare.  On  y  trouve  d'excellentes  instructions  sur  divers  points  de 
la  morale  chrétienne. 

Il  y  a  encore,  dans  le  premier  tome,  quelques  ouvrages  faussement  attribués  &  saint  Chrysos- 
tome, comme  un  septième  livre  du  sacerdoce,  une  homélie  sur  les  plaisanteries,  un  traité  contre 
les  Juifs,  les  gentils  et  les  hérétiques,  etc. 

Le  second  tome  contient  :  1»  Les  vingt-une  Homélies  sur  les  statues,  ou  sur  la  sédition  d'An- 
tioche. La  première  fut  prèchée  quelques  jours  avant  la  sédition  qui  s'éleva  à  Antioche  le  26  février 
de  l'an  387.  Le  saint  docteur  y  parla  fortement  contre  l'ivrognerie  et  les  blasphèmes.  La  conster- 
nation générale  qui  suivit  la  sédition  lui  fît  garder  le  silence  pendant  sept  jours  ;  après  quoi,  il 
prêcha  son  second  discours,  où,  après  avoir  représenté  au  peuple  toute  l'indignité  de  sa  conduite, 
il  l'exhorte  à  pratiquer  l'aumùne  et  k  mettre  sa  confiance  en  Jésus-Christ.  Le  troisième  dis- 
cours fut  prêché  au  commencement  du  Carême  :  on  y  voit  que  les  chrétiens  gardaient,  pendant  ce 
saint  temps,  l'abstinence  du  vin,  du  poisson,  et  de  toute  espèce  de  chair.  Saint  Chrysostome  y 
recommande  surtout  le  jeûne  spkituel,  qu'il  fait  consister  dans  la  fuite  du  péché  et  dans  la  morti- 
fication des  sens.  Les  quatrième  et  cinquième  ont  pour  objet  principal  de  prouver  l'utilité  des 
afflictions  et  l'énormité  des  blasphèmes.  Le  sixième  démontre  que  la  mort  est  désirable  pour  un 
vrai  chrétien.  On  trouvera,  dans  le  treizième,  une  vive  peinture  de  la  consternation  qui  s'empara 
d'Antioche  à  la  vue  des  troupes  envoyées  par  l'empereur.  Le  vingtième  est  une  exhortation  à  se 
préparer  dignement  à  la  communion  pascale.  Le  vmgt-unième  fut  prêché  le  jour  de  Pâques,  après 
le  retour  de  Flavien.  On  y  trouve  une  grande  partie  du  discours  du  patriarche  à  Théodose,  et  im 
bel  éloge  de  la  clémence  de  ce  prince.  Le  saint  docteur  prêcha  tous  les  jours  de  ce  caréme-là  ; 
mais  il  ne  nous  reste  que  vingt-une  de  ces  homélies  ou  discours.  Ce  qui  est  dit  dans  le  troisième, 
p.  35,  de  la  harangue  de  Flavien  à  Théodose,  ne  permet  pas  de  douter  qu'elle  n'ait  été  concertée 
entre  le  patriarche  et  notre  Saint. 

2»  Les  deux  Catéchèses,  ou  instructions  aux  catéchumènes. 

Il  y  en  avait  un  plus  grand  nombre,  mais  elles  ne  sont  point  parvenues  jusqu'à  nous.  Dans  la 
première  des  deux  qui  nous  restent,  le  saint  docteur  s'élève  contre  ceux  qui  didéraient  de  recevoir 
le  baptême,  et  il  passe  ensuite  à  rénumération  des  fruits  que  procure  ce  groid  sacrement.  Sans  la 


36  27  jj\J«viEK. 

seconde,  il  exhorte  les  catéchumènes  à  répéter  souvent  ces  paroles  :  Je  te  renonce,  Satan,  et  k 
conformer  toujours  leur  vie  à  l'engagement  qu'ils  auront  contracté. 

3»  Les  trois  Homélies  sur  le  démon.  On  y  trouve  d'excellentes  choses  sur  le  prix  de  la  ré- 
demption, sur  l'excès  de  la  miséricorde  divine  dans  le  chiStimenl  du  péché,  sur  les  bornes  de  la 
puissance  du  démon,  qui  ne  nous  nuira  qu'autant  que  nous  le  voudrons. 

4°  Les  neuf  Homilies  sur  lit  Péniie.nce.  On  y  relève  surtout  l'efficacité  de  la  pénitence,  de 
l'aumine  et  de  la  charité.  11  y  a,  dans  la  sixième,  p.  316,  un  très-beau  morceau  contre  le  théâtre, 
qui  est  qualifié  d'école  de  la  volupté,  de  chaire  empestée,  de  fournaise  de  Babylone. 

50  l'ne  Homélie  sur  la  Nativité  de  Jésux-Christ.  Les  païens,  qui  se  moquaient  de  l'incarna- 
tion, et  les  manichéens,  qui  en  niaient  la  réalité,  y  sont  réfutés.  Il  y  est  encore  prouvé  que  la 
miséricorde  divine  éclate  surtout  dans  ce  mystère. 

6»  Une  Homélie  sur  le  baptême  de  Jésus-Christ.  On  y  trouve,  outre  l'explication  du  mystère, 
d'excellentes  instructions  pour  ceux  qui  fréquentent  rarement  les  églises. 

7»  Les  deux  Homélies  sur  h  traliison  de  Judai.  La  présence  réelle  de  Jésus-Christ  dans  l'Eu- 
charistie y  est  établie  de  la  manière  la  plus  claire  et  la  plus  solide.  La  douceur  envers  les  persé- 
cuteurs et  le  pardon  des  injures  y  sont  aussi  fortement  recommandés. 

8»  Les  Humilies  sur  la  Croix  et  sur  le  bon  Larron.  Elles  contiennent  de  fort  belles  choses 
gnr  la  conversion  du  bon  larron,  sur  le  pardon  des  injures  et  sur  la  puissante  vertu  de  la  croix. 

9»  Une  Homélie  sur  la  Résurrection  des  morts.  Il  y  est  prouvé  que  le  dogme  de  la  résurrec- 
tion est  le  fondement  de  la  foi  et  la  règle  des  mœurs. 

10°  Une  HomiHie  sur  la  Hésurrectiun  de  Jésus-Christ .hes  avantages  que  l'on  doit  retirer  de 
cette  fête  y  sont  fort  bien  détaillés. 

11»  L  Homélie  sur  CAscension.  La  grandeur  de  celte  fête  y  est  prouvée  par  les  avantages  qu'elle 
nous  a  procurés. 

12»  Les  deux  Homélies  sur  la  Pentecôte.  Nous  apprenons,  dans  la  première,  que  le  Saint- 
Esprit  descend  invisiblement  dans  nos  âmes,  où  il  apporte  la  paLx  et  la  charité.  Il  est  dit  dans  la 
seconde  que  le  Saint-Esprit  ne  vient  qu'en  ceux  qui  l'ont  désiré  longtemps,  et  que  s'il  descendit 
sur  les  Apôtres  sous  la  forme  de  langues  de  feu,  c'était  pour  nous  faire  connaître  qu'il  avait  la 
■Mertu  de  consumer  tout  ce  qu'il  y  a  de  terrestre  daus  nos  âmes. 

13»  Les  sept  Panégyriques  de  saint  Paul.  On  y  voit  jusqu'où  allait  la  vénération  de  saint  Chry- 
sostome  pour  saint  Paul,  et  de  quels  sentiments  d'admiration  il  était  pénétré  pour  les  vertus  toutes 
divines  du  grand  apôtre.  Qu'on  lise  surtout  le  troisième,  où  le  saint  docteur  se  surpasse  en  quelque 
sorte  lui-même. 

14»  Les  Panégyriques  des  saints  Méléce,  Lucien,  Babylas,  Juventin  et  Maximien,  Pélagie, 
Ignace,  Eustathe,  Romain,  martyrs  ;  des  Machabées  et  des  saintes  Bernice,  Prosdoce  et  Dom- 
nitie.  Le  saint  docteur  y  recommande  fortement  la  vénération  des  reliques. 

15°  L'Homélie  sur  les  martyrs  d'Egypte.  La  vertu  des  saintes  reliques  y  est  clairement  établie. 

16°  L'Homélie  sur  le  tremblement  de  terre.  Elle  fut  faite  à  l'occasion  d'un  tremblement  de 
de  terre  arrivé  à  Antioche. 

On  trouve  dans  le  même  tome  plusieurs  autres  homélies  qui  sont  évidemment  supposées. 

Le  troisième  tome  peut  être  divisé  en  deux  parties,  dont  la  première  contient  trente-quatre 
belles  homélies  sur  divers  textes  de  l'Ecriture  et  sur  plusieurs  vertus  chrétiennes.  On  doit 
lire  surtout  celles  qui  traitent  du  pardon  des  injures,  de  l'aumône,  de  la  prière,  de  la  viduité,  du 
mariage,  etc.  La  seconde  partie  contient  des  homélies  sur  différents  sujets  et  des  lettres  du  Saint. 
Les  dix-sept  qui  sont  adressées  i  sainte  Olympiade  méritent  plutôt  le  nom  de  traités  que  celui  de 
lettres,  tant  à  cause  du  style  que  des  matières  qui  en  font  le  sujet. 

La  lettre  au  moine  Césaire  a  toiijoure  porté  le  nom  de  saint  Chrysostome  depuis  Léonce  et 
gaiut  Jean  Damascène.  Le  P.  Ilardoum,  Dissert,  de  Ep.  ad  Cœsar.  Monac;  Tillemont,  t.  xi, 
art.  130,  et  Tournely,  Tract.de  Euchnr.,  t.  !«',  p.  282,  et  Tract,  de  hicarn.,p.  486,  l'ont  regar- 
dée comme  l'ouvrage  de  saint  Chrysostome.  Mais  le  P.  Le  Quien,  Diss.  3  in  Joan.  Damasc;  le 
P.  de  Montfaucon,  m  Op.  S.  Chrys.,  t.  iii,  p.  737  ;  D.  CeiUier,  t.  ix,  p.  249;  le  P.  Merlin, 
jésuite,  Mem.  Trev.,  an.  1737,  et  le  P.  Stilting,  Comment,  m  vit.  S.  Chrysost.  Act.  Sanct-, 
t.  VI,  sepiemti.  §  82,  p.  636,  ont  démontré  qu'elle  ne  pouvait  être  attribuée  au  saint  docteur,  et 
qu'elle  était  la  production  de  quelque  Grec  ignorant.  Cette  lettre  combat  l'eutychianisme,  qui  n'était 
pas  encore  né  du  temps  de  saint  Clnysoslome. 

Le  quatrième  tome  contient  :  1»  soixante-sept  Homélies  sur  la  Genèse,  qui  furent  prêchées  à 
Antioche  pendant  le  Carême.  Selon  Photius,  le  style  de  ces  homélies  est  moins  correct  que  celui 
des  autres  écrits  de  saint  Chrysostome.  Les  parenthèses  sont  quelquefois  si  longues,  que  le  saint 
docteur  perd  totalement  de  vue  son  sujet.  C'est  qu'il  parlait  sans  beaucoup  de  préparation,  et  que 
souvent  il  se  laissait  entraîner  par  de  nouvelles  pensées  qui  le  frappaient  subitement.  Cela  n'em- 
pêche pas  que  l'on  y  remarque  cette  pureté  de  langage,  cette  clarté  d'expression,  cette  abon- 
dance de  similitudes,  cette  vivacité  d'images  qui  caractérisent  toujours  saint  Chrysostome. 

2»  Les  huit  Discours  sur  la  Genhc,  prêches  à  Antioche  pendant  le  Carême.  On  y  trouvera 
d'excellentes  choses  sur  l'utilité  du  Carême,  sur  l'efficacité  des  jeûnes,  des  prières  et  des  aumônes 
de  l'Eglise  en  ce  saint  temps. 


SAINT  m&îi  CHRYSOSTOME,  DOCTEtlH  DE  L'ÉGtISE.  37 

30  Les  Homélies  sur  Anne,  mère  de  Samuel,  sur  Snùl  et  sur  David.  Les  homélies  sur  Anne 
furent  prêchées  à  Antioche  en  387.  n  y  est  principalement  traité  du  jeûne,  de  la  vénération  due 
ani  martyrs  et  à  leurs  reliques,  de  la  pureté,  de  l'éducation  des  enfants,  des  avantages  de  la  pau- 
vreté, de  la  ferveur  dans  la  prière,  etc.  Le  saint  docteur  s'y  élève  encore  contre  le  théâtre,  ainsi 
qne  daas  les  homélies  sur  David.  On  trouvera  aussi,  dans  ces  dernières,  les  plus  helles  choses  sur 
la  patience  et  le  pardon  des  injures. 

Le  cinquième  tome  contient  cinquante-huit  Homélies  sur  les  Psamnet.  Saint  Chrysostome  en 
avait  sûrement  composé  nn  grand  nombre,  puisqu'il  avait  donné  l'explication  de  tout  le  Psautier. 
On  ne  saurait  trop  regretter  la  perte  de  celles  qui  ne  sont  point  parvenues  jusqu'à  nous,  les  homé- 
lies sur  les  Psaumes  étant  un  des  plus  beaux  ouvrages  de  ce  Père.  Il  y  marque  les  variantes  du 
texte  hébreu,  écrit  en  caractères  grecs,  comme  dans  les  hexaples  d'Origène,  et  les  différences  qui 
se  trouvaient  dans  les  versions  d'Aquila,  de  Synmiaqne  et  de  Théodotion.  Cette  variété  de  leçons, 
que  l'on  trouve  encore  dans  les  homélies  faussement  attribuées  à  saint  Chrysostome  (dans  l'appen- 
dice du  même  tome),  et  qui  sont  l'ouvrage  de  quelque  prédicateur  grec,  servent  merveilleusement 
aux  critiques  pour  rétablir  les  trois  anciennes  versions  dont  nous  venons  de  parler. 

Le  sixième  tome  contient  :  1»  d'excellentes  Homélies  sur  les  sept  premiers  chapitres  d'Isolé; 
2»  les  Homélies  sur  quelques  passages  de  Jérémie,  sur  Daniel,  sur  saint  Jean,  etc.,  3'  deux 
beaux  discours  sur  l'obscurité  des  Prophètes,  obscurité  qui  démontre  la  sagesse  de  la  Provi- 
dence; i"  les  Homélies  sur  Melchisédech,  contre  les  spectacles  et  sur  quelques  autres  sujets  ; 
5»  la  Synapse  de  l'Ancien  Testament.  Elle  met,  dans  le  catalogue  des  saintes  Ecritures,  les 
livres  deutéro-canoniques  de  la  Sagesse,  de  l'Ecclésiastique,  d'Esther,  de  Tobie  et  de  Judith,  mais 
elle  ne  compte  que  trois  épitres  catholiques,  savoir  :  celle  de  saint  Jacques,  une  de  saint  Pierre, 
et  une  de  saint  Jean,  quoique  l'Eglise  en  compte  sept.  Cela  vient  de  ce  que  les  Eglises  de  Syrie 
n'en  recevaient  que  trois  dans  ces  temps-là.  Cosme  l'Egyptien,  qui  écrivait  sous  le  règne  de  Justi- 
nien,  le  dit  expressément. 

L'ouvrage  imparfait  sur  saint  Matthieu  n'est  point  de  saint  Chrysostome,  comme  tous  les  criti- 
ques en  conviennent  ;  il  est  sorti  de  la  plume  d'un  arien  >,  qui  enseigne  encore  avec  les  Dona- 
tistes  '  qu'il  faut  rebaptiser  les  hérétiques.  Cet  auteur  écrivait  vers  le  commencement  du  septième 
siècle.  Il  fallait  qu'il  fût  latin,  puisqu'il  cite  l'Ecriture  suivant  les  Bibles  latines.  Son  ouvrage, 
divisé  en  cinqnante-quatre  homélies,  a  le  titre  d'imparfait,  parce  que  la  dernière  homélie  n'explique 
qu'une  partie  du  chapitre  2S  de  saint  Matthieu,  et  qu'il  n'y  a  rien,  dans  les  précédentes,  sur  les 
chapitres  14,  15,  16,  17  et  18  du  même  évangéliste. 

Le  septième  tome  contient  le  Commentaire  sur  saint  Matthieu,  distribué  en  quatre-vingt-dix 
homélies.  L'ancienne  version  latine  en  compte  quatre-vingt-onze,  parce  qu'elle  partage  en  deux  la 
dix-neuvième.  Toutes  ces  homélies  furent  prêchées  à  Antioche,  probablement  dans  l'année  390.  On 
a,  dans  ce  commentaire,  outre  une  explication  littérale  du  texte  évangélique,  un  traité  complet  de 
la  morale  chrétienne  ;  c'est  une  source  féconde  où  les  prédicateurs  ne  sauraient  trop  puiser.  Saint 
Thomas  d'Aquin,  qui  n'en  avait  qn'nne  mauvaise  traduction  latine,  disait  qu'il  ne  voudrait  pas  la 
donner  pour  la  ville  de  Paris.  On  ne  peut  douter  que  saint  Chrysostome  n'ait  apporté  à  l'étude  de 
l'Ecriture  sainte  les  dispositions  qu'il  exige  des  autres  :  je  veux  dire  la  simplicité  et  la  pureté  du 
cœur,  l'esprit  de  prière  et  la  méditation  fréquente  des  divins  oracles.  Ce  fut  ce  qui  lui  mérita  cette 
sagacité  nécessaire  pour  découvrir  les  richesses  infinies  cachées  dans  la  parole  de  Dieu,  et  l'inesti- 
mable talent  de  développer  les  vérités  du  salut  avec  cette  facilité,  cette  clarté,  celte  élégance  et 
cette  énergie  de  style  qui  ravissent  le  lecteur.  Ce  talent  parait  surtout  dans  les  mstructions  morales 
qui  terminent  chaque  homélie. 

L'ancienne  traduction  latine  des  homélies  de  saint  Chrysostome  snr  saint  Matthieu  est  diffuse  et 
souvent  peu  exacte  ;  elle  parait  être  l'ouvrage  d'un  diacre  pélagien  nommé  Anien,  qui  assista  au 
concile  de  Diospolis  en  1415. 

n  y  a  pins  d'exactitude  dans  la  nouvelle  traduction,  mais  elle  ne  rend  ni  l'élégance  ni  la  force 
de  l'original.  Saint  Chrysostome  n'est  véritablement  lui-même  que  dans  sa  propre  langue. 

Le  huitième  tome  contient  les  quatre-vingt-huit  Homélies  sur  l'Evangile  de  saint  Jean. 
L'édition  latine  de  Morel  n'en  compte  que  quatre-vingt-sept,  faisant  une  préface  de  la  première» 
Toutes  ces  homélies  furent  prêchées  à  Antioche  vers  l'an  394.  On  y  admire,  comme  dans  les  homé- 
lies sur  saint  Matthieu,  la  beauté  du  génie,  l'élévation  des  pensées,  la  vivacité  de  l'imagination,  la 
solidité  des  raisonnements  ;  mais  la  méthode  en  est  différente.  Après  une  courte  explication  de  la 
lettre,  le  saint  docteur  entre  dans  des  discussions  polémiques  où  il  prouve  la  consubstantialité  du 
Verbe  contre  les  Anoméeus.  Les  réflexions  morales  qui  sont  à  la  fin  de  chaque  homélie  ont  peu 
d'étendue  ;  cela  n'empêche  pas  que  l'on  y  reconnaisse  toujours  l'incomparable  Chrysostome.  Û  y 
a  dans  le  même  tome  plusieurs  antres  homélies  faussement  attribuées  au  saint  docteur. 

Le  neuvième  tome  contient  :  l"  les  Homélies  sur  les  Actes  des  Apôtres,  qui  furent  prêchées  à 
Constantinople  en  401.  Erasme,  Ep.  ad  Warham.  archiep.  Cantuar.,  les  jugeait  absolument  indi- 
gnes de  saint  Chrysostome,  tandis  que  l'abbé  de  Billy  les  trouvait  fort  élégantes.  Le  chevalier  Henri 
Saville  a  démontré  qu'elles  sont  véritablement  du  saint  docteur.  Photius  y  reconnaissait  aossi  Je 

1.  Voir  les  homélies  1»,  22,  S8,  etc.  —  2.  £om.  13  et  14. 


38  27  jANnER. 

géoie  de  ce  Père.  Il  est  vrai  que  le  style  de  ces  homélies  n'est  pas  également  châtié  partout,  mais 
ceci  vient  de  ce  que  la  multiplicité  des  affaires  et  des  troubles  occasionnés  par  la  révolte  de  Gainas 
ne  permeUaieul  pas  au  Saint  de  respirer. 

2»  Us  trente-deux  Homélies  sur  l'Epître  aux  Romn<ns.  Elles  furent  composées  à  Antioche, 
iomine  il  est  aisé  de  s'en  convaincre  par  la  lecture  des  homélies  8,  p.  508,  et  30,  p.  '743.  Saint 
Isidore  de  Péluse  en  fait  un  magniliquo  éloge,  qui  sûrement  n'est  point  outré,  puisque  tous  les  siè- 
cles y  ont  souscrit.  Les  erreurs  que  les  Pélagiens  répandirent  quelque  temps  nprés  dans  l'Occident 
sont  réfutées  d'avance  dans  ces  homélies,  mais  le  but  principal  du  saint  docteur  était  de  réfuter 
l'abominable  hérésie  des  Manichéens  ;  il  y  confond  aussi  en  plusieurs  endroits  l'aveugle  opiniâtreté 
des  Juifs.  On  est  surtout  frappé,  en  lisant  ces  homélies,  de  la  sagacité  avec  laquelle  ce  Père  déve- 
loppe le  sens  le  plus  profond  du  teste  sacré,  de  la  clarté,  de  l'onction,  de  l'éloquence  avec  les- 
quelles il  présente  les  instructions  morales. 

Le  dixième  tome  contient  :  1»  les  qwirante-quntre  Homélies  sur  la  première  Epilre  aux  Cmin- 
ihieus.  Cet  ouvrage,  composé  k  Antioche,  est  un  des  plus  travaillés  et  des  plus  finis  de  saint  Chry- 
Eostome.  Ce  Père  y  semble  animé  de  l'esprit  de  saint  Paul,  tant  il  montre  de  pénétration  à  expli- 
quer toute  la  force  du  texte  sacré. 

2»  Les  trente  Homélie':  sur  la  seconde  Epitre  aux  Corinthiens.  Elles  furent  aussi  prêchées  à 
Antioche,  puisque  saint  Chrysostome  parle,  dans  sa  vingt-sixième,  de  Constanlinople,  comme  n'y 
étant  pas.  On  trouve  dans  ces  homélies  moins  de  feu  que  dans  les  précédentes,  mais  c'est  toujours 
la  même  politesse  de  style. 

3»  Le  Commentaire  sur  l'Epître  aux  Gulntes.  Il  n'est  point  divisé  en  homélies  ;  c'est  une 
explication  suivie  du  texte  de  l'Apûtre,  avec  des  sorties  fréquentes  contre  les  Anoméens,  les  Mar- 
cionites  et  les  Manichéens.  On  y  trouve  peu  de  réflexions  morales.  Il  est  probable  que  le  saint  doc- 
teur les  ajoutait  en  chaire,  car  il  parait  qu'il  donna  la  forme  de  discours  à  cet  ouvrage.  On  ne  peut 
douter  qu'il  n'ait  été  composé  à  Antioche. 

Le  onzième  tome  contient  :  1»  les  vingt-quatre  Homélies  sur  l'Epttre  aux  Ephésiens,  qui 
furent  prêchées  à  Antioche.  On  désirerait  un  peu  plus  de  correction  en  quelques  endroits,  mais  cela 
n'empêche  pas  que  l'ouvrage  ne  soit  excellent. 

2»  Les  Homélies  sur  VEpitre  aux  Phihppiens.  Elles  sont  an  nombre  de  seize,  y  compris  le 
prologue,  et  furent  prêchées  à  Constantinople. 

30  Les  douze  Homélies  sur  l'Epître  aux  Colossiens,  ainsi  que  les  seize  homélies  tant  sur  la 
première  que  sur  la  seconde  aux  Thessaloniciens,  furent  aussi  prêchées  à  Constantinople. 

4"  Les  vingt-huit  Homélies  sur  les  deux  Epiires  à  Ti-n^lhée.    11  parait  qu'elles   furent  prê- 
chées à  Antioche.  Elles  sont  excellentes,  quoique  le  style  n'en  soit  pas  également  soutenu  partout. 
50  Les  Homélies  sur  Is  E pitres  à  'File  et  à  Pliilémon.  Elles  sont  au  nombre  de  neuf. 
Le  douzième  tome  contient  :  1»  Les  trente-quatre  Homélies  sur  l'Epître  aux  Hébreux,   qui 
furent  prêchées  à  Constantinople. 

2°  Onze  Homélies,  prêchées  aussi  à  Constantinople,  et  publiées  pour  la  première  fois  par  le 
P.  de  Monlfaucon. 

Dans  le  treizième  tome,  le  P.  de  Montfaucon  rend  compte  de  son  travail,  puis  il  donne  la  vie  de 
saint  Chrysostome  par  Pallade.  11  ajoute  celle  qu'il  a  faite  lui-même.  Vient  ensuite  la  synopse  des 
choses  les  plus  remarquables  dans  les  ouvrages  du  saint  docteur. 

On  a  toujours  fait,  dans  l'Eglise,  une  estime  singulière  des  ouvrages  de  saint  Chrysostome ,  et 
surtout  de  ses  commentaires  sur  les  livres  divins  ;  et  ce  qui  prouve  jusqu'à  quel  point  il  a  réussi 
dans  son  travail  sur  l'Ecriture,  c'est  que  Théopliilacte,  OEcuménius  et  les  autres  commentateurs 
grecs  se  sont  contentés  de  l'abréger.  Théodore!  a  fait  aussi  la  même  chose  dans  ses  excellentes 
notes  sur  le  texte  sacré.  Notre  saint  docteur  servira  toujours  de  maître  et  de  modèle  aux  prédica- 
teurs et  aux  théologiens,  quand  il  s'agira  d'expliquer  l'Ecriture.  Il  suivait,  dans  cette  étude,  une  mé- 
thode qui  est  sans  contredit  la  meilleure,  comme  l'a  observé  M.  Ilare,  évêque  protestant  de  Chichester  : 
c'était  de  méditer  continuellement  ces  divins  oracles,  afin  d'en  bien  pénétrer  l'esprit,  et  d'acquérir  une 
parfaite  connaissance  des  préceptes  qui  y  sont  contenus.  Ajoutez  k  cela  les  dispositions  d'un  cœur 
pur,  docile,  fermé  à  toute  vaine  curiosité,  uniquement  occupé  du  soin  de  sa  propre  sanctification  et 
de  celle  des  autres  :  voilà  ce  qui  lui  mérita  de  découvrir  dans  la  parole  de  Dieu  ce  que  les  hommes 
vulgaires  n'y  voient  pas.  Il  aperçoit  une  sainte  énergie  jusque  dans  un  mot,  jusque  dans  la  moindre 
circonstance.  11  développe  avec  une  sagacité  merveilleuse  les  grands  principes  de  la  morale  chré- 
tienne, et  présente  les  vérités  du  salut  avec  celte  force  et  cette  onction  qui  caractérisent  une  âme 
parfaitement  exercée  à  la  pratique  de  toutes  les  vertus.  Quel  autre  qu'un  Saint  pourrait  aussi  bien 
expliquer  les  propriétés  et  les  eti'els  de  cha'que  vertu,  en  graver  l'amour  dans  les  cœurs,  et  indi- 
quer les  moyens  de  l'acquérir?  On  remarque  dans  les  autres  moralistes  une  certaine  sécheresse, 
lors  même  que  par  la  beauté  du  langage  ils  fiattent  l'oreille  et  plaisent  à  l'esprit.  11  n'y  a  qu'un 
Saint  qui  ait  le  privilège  d'aller  au  cœur,  de  le  remuer,  de  réchauffer. 

Il  n'y  eut  peut-être  jamais  d'orateur  aussi  accompli  que  ,«aint  Chrysostome.  Quelle  clarté  !  Rien 
chez  lui  n'embarrasse  le  lecteur  ;  on  le  comprend  sans  peiue  et  sans  étude.  Qu'on  cesse  de  nous 
vanter  l'harmonie  des  périodes  d'Isocrate  :  elle  n'est,  cette  harmonie,  qu'un  assemblage  puéril  de 
mots  arlistement  compassés,  lorsqu'on  la  compare  à  la  douceur  incomparable  qui  résulte,  dans 


SAEJT  JEAN  CHHYSOSTOME,  DOCTEUR  DE  t'ÉGUSB.  39 

saint  Chrysostome,  d'nne  expressioa  aussi  lieureuse  qa'aisée  et  naturelle.  Qui  eonnot  jamais  comm» 
lui  cette  délicatesse  et  cet  atticisme  qui  caractérisent  plus  ou  moins  les  célèbres  écrivains  de  la 
Grèce  7  Quelle  beauté  et  quelle  élégance  dans  les  tours  I  Quelle  fécondité  dans  le  choii  des  mots, 
qui  coulent  comme  d'une  source  intarissable  !  Est-il  obligé  de  traiter  plusieurs  fois  le  même  sujet, 
jamais  il  ne  se  copie,  il  est  toujours  original.  La  vivacité  de  son  imagination  lui  fournit  une  multi- 
tude d'images  et  de  fleurs  dont  il  embellit  chaque  période.  Rien  de  tiré  dans  ses  métaphores  et  ses 
comparaisons;  elles  sortent  du  fond  même  du  sujet,  et  ne  servent  qu'à  donner  plus  de  force  au 
discours,  et  à  l'imprimer  plus  avant  dans  l'esprit.  Habile  dans  la  connaissance  des  ressorts  qui  font 
mouvoir  les  passions,  il  les  eicite  à  son  gré  et  selon  la  nature  de  la  matière  qu'il  traite.  Son  style, 
toujours  approprié  au  sujet,  est,  quand  il  le  faut,  simple,  fleuri,  sublime,  tempéré.  Si  l'on  disait 
que  saint  Chrysostome  n'avait  point  le  style  épistolaire,  nous  le  justifierions  en  disant  qu'on  doiî 
regarder  ses  lettres  comme  de  véritables  traités,  à  cause  des  matières  qui  en  font  le  sujet.  Nous 
conviendrons  encore  que  tous  ses  discours  ne  sont  pas  également  châtiés,  mais  ceci  venait  bien 
moins  du  défaut  de  préparation  que  des  langueurs  de  la  maladie,  de  l'embarras  des  affaires  et  de 
de  ces  inégalités  qu'éprouvent  quelquefois  les  plus  beaux  génies.  Aux  talents  qui  font  le  grand 
orateur,  saint  Chrysostome  joignait  la  profondeur  du  plus  habile  dialecticien.  De  là  cette  supériorité 
avec  laquelle  il  résout  les  difficultés  les  plus  captieuses  et  pousse  l'erreur  jusque  dans  ses  derniers 
retranchements  ;  supériorité  qui  éclate  surtout  dans  les  ouvrages  polémiques  que  ce  Père  composa 
contre  les  Juifs,  les  Anoméens  et  quelques  autres  hérétiques.  Disons-le  cependant  :  les  importantes 
matières  que  saint  Chrysostome  avait  à  traiter  dans  des  discours  lui  donnaient  un  grand  avantage 
sur  les  orateurs  païens.  On  ne  peut  non  plus  lui  comparer  les  plus  célèbres  ptiilosophes  de  l'anti- 
quité ;  il  l'emporte  autant  sur  eux  que  la  morale  évangélique  l'emporte  sur  celle  qui  part  de  l'esprit 
humain. 

Les  ecclésiastiques  devraient  se  faire  un  petit  recueil  des  ouvrages  choisis  de  saint  Chrysos- 
tome :  il  servirait  merveilleusement  à  leur  former  le  style,  surtout  s'ils  le  lisaient  avant  de  sa 
mettre  à  composer.  Leur  esprit  et  leur  imagination  se  monteraient  alors  au  ton  de  la  véritable 
éloquence. 

TRADUCTIONS  LATKES  DE  SAINT  CHRYSOSTOME. 

De  toutes  les  premières  traductions  de  saint  Chrysostome,  il  n'y  a  que  celles  do  P.  Fronton  le 
Due  qui  soient  exactes.  Le  P.  de  Montfaucon  les  a  adoptées  dans  son  édition  de  ce  saint  docteur, 
et  il  n'y  a  traduit  que  les  ouvrages  qui  ne  l'avaient  point  été  par  le  savant  jésuite.  L'édition  de 
saint  Chrysostome  donnée  par  le  P.  de  Montfaucon  est  la  plus  complète  que  nous  ayons  ;  on  dési- 
rerait seulement  que  la  version  latine  fut  plus  élégante  et  approchât  davantage  de  la  beauté  de 
l'original.  Ceux  qui  sont  en  état  de  se  passer  du  secours  d'une  traduction  préfèrent  l'édition  du 
même  Père  par  le  chevalier  Henri  Saville.  Elle  est  plus  belle  et  plus  exacte  que  celle  du  P.  de 
Montfaucon.  Elle  fut  imprimée  à  Etone  en  1612;  9  vol.  in-fol.  —  La  Palrolorjie  grecque-laline 
de  M.  Migne  reproduit  l'édition  de  Montfaucon  avec  des  corrections  et  des  additions,  18  vol.,  en 
13  tomes. 

TRADUCTIONS  FRANÇAISES. 

Nicolas  Fontaine,  de  Port-Royal,  ayant  donné  one  traduction  des  homélies  sur  les  épitres  ans 
Romains,  aux  Ephésiens,  etc.,  fut  obligé  de  se  rétracter,  parce  qu'il  avait  fait  parler  le  saint 
docteur  en  nestorien.  L'abbé  Le  Merre  a  traduit  les  homélies  sur  saint  Jean  ;  et  l'abbé  de  Bellegarde, 
les  homélies  sur  la  Genèse  et  les  Actes,  ainsi  que  quatre-vingt-huit  discours  choisis.  La  traduction 
des  homélies  sur  saint  Matthieu, imprimée  sous  le  nom  de  M.  de  Marsilly,estdeM.  le  Maître  et  M. de 
Sacy,  son  frère.  M.  de  Maucroix  donna,  en  1671,  la  traduction  des  homélies  au  peuple  d'Antioche; 
et  le  P.  Duranti  de  Bonrecueil,  de  l'Oratoire,  celle  des  panégyriques  des  martyrs,  en  1735.  Ce  der- 
nier a  traduit  encore  les  lettres  de  saint  Chrysostome,  avec  le  traité  dans  lequel  le  saint  docteur 
prouve  que  personne  ne  peut  faire  de  tort  à  celui  gui  ne  s'en  fait  pas  à  soi-même  ;  Paris,  1732, 
2  do/.  iii-S»;  l'abbé  Auger,  vicaire-géuéral  de  Lescar,  et  ensuite  prêtre  constitutionnel  en  1791, 
publia,  en  nSS,  une  nouvelle  traduction  d'une  partie  des  œuvres  du  saint  docteur,  soos  ce  titre  : 
Homélies,  discours  et  lettres  choisies  de  saint  Jean  Chrysostome,  i  vol.  in-S". 

On  trouve  h  l'Imprimerie  des  Célestins,  sncccssears  de  M.  Louis  Guérin,  e'iiteur  à  Bar-le-Dnc,  ta 
traduction  françîiise  des  Œuvres  complètes  de  saint  Jean  Chrysostome.  en  11  vol.  grand  in-S"  Jésus  à 
deux  colonnes.  Pour  ceu^  qui  ne  peuvent  lire  le  grec  couramment,  la  traduction  française  est,  au  dire  de 
tous  les  connaisseurs,  bien  préférable  à  la  traduction  latine. 


40  27    JANVIER. 


SAINÏ  JULIEN,  PREMIER  EYÈQUE  DU  MANS 

in.  —  Pape  :  Saint  Alexandre.  —  Empereur  romain  :  Trajan. 


do 


La  seule  raison  des  miracles,  c'est  la  puiïisance 
Dien  qui  les  opère. 

Saltit  Grégoire  le  Grand,  Nom.  xx. 

Si  l'on  en  croit  la  tradition,  saint  Julien,  apôtre  et  premier  évêque  du 
Mans,  est  le  même  que  Simon  le  Lépreux,  qui  eut  le  bonheur  de  voir  le  Fils 
de  Dieu  fait  homme  manger  à  sa  table.  Il  se  fit  depuis  son  disciple,  et  fut 
envoyé  en  France  par  le  prince  des  Apôtres,  saint  Pierre.  Mais  il  est  plus 
probable  que  Julien  (Julianus)  naquit  à  Rome,  d'une  famille  patricienne, 
et  qu'il  reçut  du  pape  saint  Clément,  avec  le  caractère  épiscopal,  la  mission 
d'évangéliser  les  Cénomans.  Il  avait  pour  compagnon  de  ses  travaux  aposto- 
liques le  prêtre  Thuribe  et  le  diacre  Pavace,  qui  furent  ses  successeurs  ;  ils 
s'avancèrent  tous  trois  vers  la  capitale  de  la  province  qu'ils  devaient  gagner 
à  Jésus-Christ,  Suindinum,  ville  forte,  qui  n'occupait  qu'une  partie  de  l'en- 
ceinte actuelle  du  Mans.  Arrivés  sous  les  remparts,  ils  trouvèrent  les  portes 
fermées,  car  la  ville  était  en  guerre  avec  ses  voisins,  et  semblait  se  mettre 
en  garde  contre  un  coup  de  main.  Ils  furent  donc  obligés  de  prêcher  d'abord 
dans  les  campagnes,  où  ils  purent  convertir  et  baptiser  quelques  idolâtres. 
Toutefois  ils  ne  s'écartaient  guère  de  la  ville,  épiant  l'occasion  d'y  entrer. 
Julien,  pour  obtenir  cette  faveur,  priait,  pleurait  devant  Dieu  et  se  livrait  à 
de  grandes  austérités.  Enfin,  ses  vœux  furent  exaucés.  Les  habitants  étant 
un  jour  sortis  en  assez  grand  nombre,  parce  qu'ils  manquaient  d'eau, 
Julien  profite  de  cette  circonstance,  se  présente  à  eux,  leur  prêche  le  vrai 
Dieu  et  la  rédemption  des  hommes  par  Jésus-Christ,  et,  pour  montrer  la 
vérité  de  sa  parole  et  de  sa  mission,  il  plante  son  bâton  en  terre,  se  jette  à 
genoux,  prie,  et  fait  jaillir  une  source  abondante  en  un  lieu  oti  l'eau  était 
naturellement  rare,  comme  on  s'en  est  assuré  dernièrement  en  creusant  un 
puits  artésien  tout  près  de  là.  Cette  fontaine  s'appela  Centonomms,  ou  mieux 
5anc/!-A'o?nm,  le  bienfait  du  Saint  ;  elle  coule  encore  aujourd'hui  et  porte 
le  nom  de  Saint-Julien  ;  on  la  montre  sur  la  place  de  l'Eperon  ;  elle  est  dé- 
corée d'un  bas-relief  représentant  le  miracle  :  nouveau  Moïse,  saint  Julien, 
en  habits  pontificaux,  fait  jaillir  l'eau  du  rocher  en  le  frappant  de  son  bâton 
pastoral  ;  à  ses  pieds,  une  jeune  fille  remplit  son  urne  dans  l'eau  miracu- 
leuse. 

Le  bruit  de  cette  merveille  se  répand  ;  on  accourt  de  tous  côtés  pour  en 
Être  témoin  ;  Julien  est  l'objet  de  l'admiration  et  du  respect  universel  ;  il  est 
conduit  comme  en  triomphe  dans  la  ville  et  écouté  d'abord  avec  curiosité. 
Mais,  quand  on  vit  combien  il  était  difficile  de  pratiquer  la  nouvelle  religion 
qu'il  apportait,  la  plupart  des  cœurs  se  fermèrent.  On  ne  voit  pas  que  les 
magistrats  romains,  qui  gouvernaient  la  ville  au  nom  de  l'empire,  aient  gêné 
la  liberté  de  ses  prédications.  Mais  les  habitants  riches  et  puissants,  voyant 
dans  sa  doctrine  la  condamnation  de  leurs  mœurs  corrompues,  le  persé- 
cutaient. Heureusement  l'homme  le  plus  influent  de  la  ville,  un  Gaulois 
honoré  par  les  suffrages  de  ses  concitoyens  de  la  fonction  de  défenseur,  qui 


SAINT  niUEN,   PREMIER  ÉVÈQUE  DU  MANS.  41 

consistait  îi  veiller  à  la  protection  et  h.  la  sûreté  du  peuple,  ayant  appris  la  mer- 
veille opérée  par  cet  étranger,  désira  le  voir.  Il  le  fit  venir  à  son  palais,  situé 
dans  la  partie  la  plus  élevée  de  la  ville,  à  l'endroit  oîi  s'élève  aujourd'hui  la 
cathédrale.  Julien  ayant  rencontré  à  la  porte  de  ce  magistrat  un  aveugle 
qui  lui  demandait  l'aumône,  lui  rendit  la  vue.  Ce  nouveau  prodige  fit  une 
vive  impression  sur  le  défenseur  ;  il  accueillit  notre  Saint  avec  le  plus  grand 
respect,  se  fît  instruire  dans  les  vertus  chrétiennes,  reçut  le  baptême  avec  sa 
femme  et  toute  sa  famille,  et  donna,  pour  en  faire  une  église,  la  plus  grande 
salle  de  son  palais,  appelée,  comme  dans  toutes  les  demeures  des  grands, 
chez  les  Romains,  basilique.  Cette  cathédrale  fut  d'abord  consacrée  sous 
l'auguste  titre  de  la  sainte  Vierge  et  du  Prince  des  Apôtres,  saint  Pierre  ; 
elle  porta  plus  tard  les  noms  des  saints  martyrs  de  Milan,  Gervais  et  Protais, 
et  enfin  celui  de  saint  Julien.  Notre  Saint,  voulant  réunir  en  une  sainte 
assemblée  les  chrétiens,  non-seulement  pendant  leur  vie,  mais  aussi  après 
leur  mort,  choisit  pour  leur  sépulture  un  lieu  peu  éloigné,  mais  hors  de  la 
ville  ;  il  le  consacra  et  y  éleva  un  oratoire  en  l'honneur  des  saints  apôtres 
Pierre  et  Paul.  Là  s'élève  aujourd'hui  l'église  Notre-Dame  du  Pré. 

Deux  choses  contribuèrent  surtout  à  la  conversion  des  infidèles  :  la  cha- 
rité des  chrétiens  qui,  à  l'exemple  du  saint  apôtre,  secouraient  les  malades, 
les  pauvres,  les  orphelins,  et  des  miracles  éclatants  que  nous  ne  pouvons 
pas  raconter  tous  ici.  Un  des  premiers  citoyens  de  la  cité,  nommé  Anastase, 
dont  le  fils  venait  de  mourir,  ayant  recours  à  Julien,  lui  dit  :  «  Si  vous  pou- 
vez rendre  la  vie  à  mon  fils,  je  confesse  que  Jésus-Christ  est  vrai  Dieu,  et  je 
renonce  pour  jamais  aux  divinités  que  j'ai  adorées  jusqu'à  ce  jour  ».  Le  saint 
pontife  se  rend  en  efiet  vers  le  mort,  lui  prend  la  main,  lève  vers  le  ciel  ses 
yeux  baignés  de  larmes,  pendant  que  les  assistants  pleurent  et  prient  comme 
lui,  et  conjure  Celui  qui  a  tiré  Lazare  du  sein  de  la  mort  de  renouveler  ce 
prodige,  afin  que  cette  résurrection  corporelle  soit,  pour  un  grand  nombre, 
la  cause  d'une  résurrection  spirituelle.  Bientôt  l'enfant  semble  se  réveiller, 
se  lève,  et  ses  parents  le  reçoivent  plein  de  santé  dans  leurs  bras.  Anastase 
reçut  le  baptême  avec  toute  sa  maison,  et  beaucoup  d'idolâtres  l'imi- 
tèrent. 

Après  avoir  triomphé  de  la  religion  romaine  dans  la  cité,  Julien  entre- 
prit de  combattre  celle  des  Gaulois  (le  druidisme),  qui  était  bien  plus  puis- 
sante, car  les  druides  avaient  une  grande  renommée  de  science  et,  de  plus, 
ils  étaient  persécutés  pour  avoir  défendu  l'indépendance  de  leur  nation 
contre  les  vainqueurs  :  deux  motifs  qui  les  rendaient  chers  au  peuple.  On 
assistait  avec  empressement  aux  mystères  qu'ils  célébraient  dans  les  forêts 
et  les  landes  si  communes  en  ces  contrées.  Mais,  en  dehors  de  ces  réunions, 
chaque  famille  gauloise  vivait  séparée,  dans  des  huttes  formées  de  terre  et 
de  branchages.  Il  fut  donc  bien  plus  difficile  d'évangéliser  les  campagnes 
que  les  villes.  Julien  et  ses  compagnons  surent  pourtant  y  gagner  des  âmes 
à  Jésus-Christ  et  y  former  des  églises.  Leurs  conquêtes  s'étendirent  jusque 
dans  le  pays  des  Arviens  et  des  Diablintes  '.  Les  prodiges  furent  plus  que 
jamais  nécessaires  :  près  de  Saint-Julien  en  Champagne,  et  de  Neuvy,  les 
pieds  de  l'apôtre  laissèrent  sur  une  pierre  leur  empreinte  miraculeuse,  que 
l'on  montre  encore.  Rencontrant  sur  son  chemin  un  cortège  funèbre  qui 
conduisait  à  sa  dernière  demeure  un  défunt  illustre,  nommé  Jovinien,  il 
s'adresse  au  père  de  l'adolescent  mort,  et  à  la  troupe  d'idolâtres  qui  l'ac- 

1.  Les  Arviens  avaient  pour  clief-Iicu  Vagoritum,  Argentan,  dans  Is  partie  N.-E.  dn  Maine,  et  les 
Diablintes,  sitnés  entre  la  Loire  et  la  rive  gauclie  de  la  Seine.  Arcolica,  Aurilly,  Diablintes  ou  Juljleins  ; 
Eàurouices  ou  Evreux.  Les  Cénomans  faisaient  eu:^- mêmes  partie  de  la  confédération  des  Diablintes. 


42  27  JANvran. 

compagnent,  leur  fait  promettre  qu'ils  embrasseront  la  religion  de  Jésus- 
Christ  s'il  leur  démontre  sa  divinité  par  la  résurrection  de  celui  qu'ils  pleu- 
raient, et  adresse  à  Dieu  une  fervente  prière.  Le  mort  ressuscite  et  s'écrie  : 
0  II  est  vraiment  grand  le  Dieu  que  Julien  annonce  »  ;  puis  il  dit  à  son  père  : 
«  Nous  adorions  les  démons  ;  je  les  ai  vus  dans  l'enfer,  où  ils  souffrent  des 
tourments  éternels».  Au  bruit  de  ces  merveilles,  une  foule  nombreuse 
accourait  et  suivait  partout  le  Saint,  comme  autrefois  Jésus-Christ.  Un  jour 
qu'il  se  rendait  au  domaine  de  Pruillé-l'Eguillé,  le  maître,  qui  était  païen,  le 
pria  de  loger  chez  lui.  Mais  au  moment  même  où  Julien  arrivait,  un  jeune 
enfant,  fils  de  son  hôte,  mourut.  Cela  ne  l'empôcha  point  d'entrer  dans  cette 
maison  pour  y  séjourner.  Seulement  il  passa  la  nuit  en  prières,  et,  le  len- 
demain, on  trouva  l'enfant  plein  de  vie  et  de  santé.  Ses  parents  et  les  té- 
moins de  sa  résurrection  demandèrent  à  embrasser  une  religion  qui  s'an- 
nonçait par  de  tels  prodiges  et  de  tels  bienfaits. 

On  vient  de  toute  part  vers  l'homme  de  Dieu,  on  se  presse  sur  ses  pas  ; 
plusieurs  malades,  n'osant  lui  demander  leur  guérison,  se  contentent  de  le 
suivre  et  attendent  ce  bienfait  avec  ardeur.  Les  disciples  de  l'apôtre  s'en 
aperçoivent  et  le  lui  disent  ;  lui,  sans  rien  répondre,  se  tourne  vers  la  foule 
et  donne  aux  assistants  sa  bénédiction  :  aussitôt  tous  les  infirmes  sont  guéris. 
Pour  perpétuer  le  souvenir  de  ce  miracle,  on  établit  plus  tard,  au  même 
endroit,  un  chapitre  de  chanoines.  Au  bourg  de  Ruillé-sur-Loir,  on  pré- 
senta à  Julien  la  fille  unique  d'un  homme  puissant,  laquelle  était  cruelle- 
ment possédée  par  le  démon.  Il  la  délivra  publiquement  et  convertit  aussi 
un  grand  nombre  d'idolâtres,  puis  fonda  une  église  dans  ce  village.  Un 
nouveau  prodige  affermit  la  foi  des  néophj'tes.  Un  aveugle,  ayant  porté  à 
ses  yeux  l'eau  dont  l'apôtre  s'était  lavé  les  mains,  reçut  en  môme  temps  la 
lumière  du  corps  et  celle  de  l'esprit. 

Son  zèle  à  détruire  le  culte  des  faux  dieux  suscita  à  Julien  de  grandes 
persécutions.  Un  jour,  près  d'Artins,  une  foule  d'idolâtres  s'assemblèrent 
furieux  autour  de  lui,  menaçant  de  le  tuer  ;  loin  de  trembler,  notre  Saint 
entre  dans  leur  temple,  et,  par  la  seule  invocation  du  nom  de  Jésus-Christ, 
renverse  et  réduit  en  poussière  une  idole  énorme  ;  il  en  sort  un  serpent  qui 
se  jette  sur  ses  propres  adorateurs  et  en  fait  périr  un  grand  nombre.  Alors 
les  idolâtres,  au  lieu  de  menacer  l'apôtre,  implorent  son  secours  ;  celui-ci 
fait  le  signe  de  la  croix  et  commande  au  reptile  de  s'enfuir  sans  faire  de  mal 
à  personne.  Il  est  obéi.  Tout  ce  peuple  se  convertit,  renverse  lui-môme  ce 
temple  païen,  se  fait  instruire  et  baptiser.  Le  défenseur,  étant  venu  trouver 
le  saint  évêque  pour  lui  dire  que  la  cité  réclamait  son  retour,  fut  témoin 
d'un  grand  prodige.  Comme  ils  parcouraient  ensemble  la  campagne,  ils 
rencontrèrent  un  enfant  qu'un  effroyable  serpent  avait  enlacé  dans  ses 
anneaux,  et  se  préparait  à  dévorer.  Tous  les  assistants  frémirent  d'horreur. 
Le  Saint  s'approcha,  fit  une  fervente  prière  et  le  reptile  creva  par  le  milieu 
du  corps.  Lorsqu'ils  rentrèrent  dans  la  cité,  parmi  la  foule  qui  fêtait  le  re- 
tour de  son  pasteur,  se  mêlèrent  beaucoup  d'idolâtres,  entre  autres  deux 
énergumènes  qui  se  présentèrent  à  Julien  pour  être  guéris.  Celui-ci  mit  les 
démons  en  fuite  au  nom  de  Jésus-Christ.  Après  avoir  pris  part  à  un  banquet 
avec  les  principaux  fidèles,  heureux  de  revoir  leur  père,  et  réglé  ce  que  ré- 
clamait les  besoins  de  son  église,  Julien,  refusant  l'hospitalité  que  lui  offrait 
le  défenseur,  retourna  à  la  pauvre  habitation  qu'il  avait  choisie  près  de  la 
ville,  et  à  ses  travaux  apostoliques.  Lorsqu'il  passa  devant  la  porte  de  la 
prison,  six  malheureux  qui  étaient  dans  les  fers  jetèrent  de  grands  cris,  le 
priant  d'en  avoir  pitié.  Il  alla,  en  effet,  demander  leur  grâce  aux  magistrats; 


SAINT  JULIEN,  PKBinER  ITTÉOUB  DU  MANS.  43 

n'ayant  pu  l'obtenir,  il  ne  prit  aucune  nourriture,  garda  le  silence  et  ne  cessa 
do  gémir  et  de  prier.  Dieu,  exauçant  sa  prière,  envoya  des  anges  qui  ouvri- 
rent les  portes  de  la  prison  et  brisèrent  les  chaînes  des  captifs.  Ils  publièrent 
partout  les  louanges  de  leur  libérateur  et  vinrent  le  remercier.  Julien,  s'as- 
sociant  à  leur  bonheur,  voulut  qu'ils  partageassent  son  repas. 

Envoyé  par  le  vicaire  de  Jésus-Christ,  l'apôtre  des  Cénomans  retourna  à 
Rome  pour  lui  rendre  compte  de  sa  mission,  demander  la  confirmation  de 
son  œuvre  et  l'érection  de  cette  nouvelle  Eglise.  Il  en  rapporta,  avec  d'a- 
bondantes bénédictions,  des  reliques  qui,  en  fixant  la  dévotion  des  idolâtres 
fraîchement  convertis,  les  détournèrent  du  culte  superstitieux  qu'ils  ren- 
daient encore  aux  fontaines,  aux  bois  et  aux  rochers.  Il  est  probable  qu'il 
ramena  aussi  de  Rome  de  nouveaux  ouvriers  évangéliques  ;  il  ne  négligea 
aucun  moyen  pour  augmenter  et  instruire  son  clergé  ;  tout  porte  à  croire 
qu'il  établit  à  cet  effet  une  école  où  il  enseigna  d'abord  lui-même.  Enfin, 
épuisé  de  fatigue,  comblé  de  mérites,  et  sachant  que  sa  fin  était  proche,  il 
voulut  s'y  préparer  dans  la  solitude.  II  confia  donc  le  soin  de  son  église  à 
Thuribe,  et  se  retira,  à  une  demi-journée  de  marche  de  la  ville  du  Mans, 
sur  les  bords  de  la  Sarthe,  à  l'endroit  oti  s'élève  aujourd'hui  le  bourg  de 
Saint-Marceau.  Au  bout  de  quelque  temps,  une  fièvre  lente  l'avertit  de  sa 
dernière  heure.  Il  fit  alors  assembler  autour  de  lui  les  clercs  et  les  princi- 
paux fidèles,  leur  recommanda  l'obéissance  à  son  successeur,  puis,  pendant 
que  les  mains  étendues  vers  le  ciel  il  louait  Dieu  et  lui  rendait  grâce,  son 
âme  se  sépara  doucement  de  son  corps  et  s'envola  vers  le  séjour  qu'elle 
avait  mérité,  le  27  janvier  117,  selon  plusieurs  anciens  auteurs,  après 
quarante-trois  ans,  trois  mois  et  dix-sept  jours  d'épiscopat. 

Le  défenseur,  qui  n'assista  point  à  cette  glorieuse  mort,  en  fut  averti  dans 
une  vision  ;  il  aperçut  Julien,  en  habits  sacerdotaux,  venant  à  lui,  accom- 
pagné de  trois  diacres  qui  portaient  chacun  un  cierge.  Ils  déposèrent  ces 
cierges  sur  une  table  et  se  retirèrent.  Le  défenseur  fit  part  de  ce  prodige 
aux  personnes  qui  étaient  avec  lui.  Il  leur  dit  que  Julien  venait  de  lui 
donner  sa  bénédiction,  de  lui  montrer  un  rayon  de  la  gloire  dans  laquelle 
il  était  entré.  «  Levons-nous  »,  leur  dit-il,  c  et  allons  ensevelir  les  dépouilles 
de  notre  maître  ».  Aussitôt  il  partit,  sui^i  de  toute  la  ville,  et  il  ramena 
pompeusement  le  corps.  L'endroit  oîi  il  mourut  n'en  continua  pas  moins  à 
être  vénéré.  La  confiance  des  pèlerins  y  fut  plus  d'une  fois  récompensée 
par  des  prodiges.  On  y  éleva  une  petite  chapelle  qui  dépendit  de  l'abbaye 
de  Saint-Vincent  du  Mans.  Elle  fut  plus  tard  reconstruite  en  style  gothique. 
Pendant  la  Révolution  française,  cet  oratoire  devint  une  propriété  particu- 
lière, et  aujourd'hui  il  tombe  en  ruines.  «  Cependant  on  y  admire  encore  les 
restes  d'une  belle  architecture  :  des  vitraux  peints  qui  retracent  les  princi- 
paux traits  de  la  vie  de  saint  Julien,  une  châsse  ornée  d'émaux  qui  contenait 
autrefois  une  partie  de  ses  reliques,  et  enfin  de  très-anciennes  statues.  Sous 
la  porte  principale  jailUt  une  fontaine  d'eau  vive  dont  les  personnes  atta- 
quées de  la  fièvre  boivent  pour  obtenir  leur  guérison  ». 

Le  cortège  qui  ramenait  les  précieux  restes  de  Julien  dans  la  ville  arriva 
vers  la  rivière  de  la  Sarthe  ;  elle  n'était  plus  guéable,  les  pluies  de  l'hiver 
l'avaient  grossie.  Ce  fut  pour  Dieu  une  occasion  de  manifester  la  gloire  de 
son  serviteur.  Les  chevaux  qui  conduisaient  le  char  funèbre  marchèrent  sur 
l'eau  comme  sur  la  terre  ferme,  au  milieu  de  l'admiration  universelle.  Ce 
n'est  pas  tout  :  une  femme  qui  lavait  son  enfant  dans  une  chaudière  placée 
sur  le  feu,  l'oublie  et  court  se  joindre  à  la  foule  qui  accompagne  le  corps  de 
saint  Julien.  En  son  absence,  la  flamme  grandit,  enveloppe  la  chaudière, 


44  27   JANVIER. 

l'eau  bouillonne  et  déborde.  La  pensée  de  son  fils,  qu'elle  a  laissé  exposé  à 
un  si  grand  péril,  traverse  le  cœur  de  la  mère  ;  elle  accourt  et  le  trouve 
sans  effroi  et  sans  souffrance.  Elle  jette  alors  des  cris  et  attire  un  grand 
nombre  de  personnes  pour  être  témoins  de  son  bonheur  et  de  ce  prodige. 
Saint  Julien  fut  enseveli  dans  le  cimetière  des  Chrétiens,  probablement  dans 
l'oratoire  qu'il  y  avait  élevé.  Cette  basilique,  qui  subsista  jusqu'à  la  Révolu- 
tion française,  devint  le  rendez-vous  d'un  nombre  si  considérable  de  pèle- 
rins, qu'il  fallut  construire  plusieurs  hôpitaux  pour  les  recevoir. 

On  représente  saint  Julien  chassant  un  dragon,  figure  de  l'idolâtrie  qui 
disparut  devant  sa  prédication  ;  ou  bien  encore  près  de  lui  une  jeune  fille, 
portant  une  cruche  d'eau,  rappelle  la  fontaine  miraculeuse  que  l'apôtre  des 
Cénomans  fit  jaillir  à  l'entrée  de  leur  ville. 

ÉCRITS  ET  RELIQUES  DE  SAINT  JULIEN. 

L'apôtre  des  Cénomans  laissa  plusieurs  écrits  sur  nos  mystères,  sur  la  divinité,  les  anges  et  le 
très-saint  Sacrement  de  l'autel.  La  liturgie  du  Mans  en  loue  beaucoup  l'éloquence.  On  les  conser- 
vait œannscrits  dans  la  caihédrale  du  Mans,  où  ils  périrent  de  la  main  des  Calvinistes,  en  1562. 

Ses  reliques  ne  restèrent  pas  entières  dans  le  cimetière  du  Pré.  Saint  Aldric  les  transféra  dans 
la  cathédrale  (840),  où  il  les  plaça  sur  un  autel,  à  droite  de  l'autel  principal,  dédié  à  saint  Gervais 
et  à  saint  Protais.  Longtemps  après  (1093),  on  les  mit  sur  un  grand  autel  élevé  exprès,  derrière 
l'autel  des  saicts  Gervais  et  Protais,  dans  l'endroit  le  plus  ap|>arent,  de  sorte  que  Julien  n'eut  plus 
l'air  d'un  hôte  qui  n'occupe  point  la  place  principale,  mais  d'un  patron  de  la  cathédrale.  En  1136, 
ces  saintes  reliques  furent  sauvées  de  l'incendie  qui  dévorait  déjà  le  toit  en  chaume  de  la  cathé- 
drale. Toutes  les  fois  qu'on  fit  des  translations  des  reliques  de  saint  Julien,  elles  furent  signalées 
par  de  nombreux  miracles.  Un  prêtre  paralytique,  un  enfant  muet,  un  autre  prêtre  consumé  par  la 
fièvre,  un  homme  ayant  une  tumeur  qui  lui  rendait  la  main  informe,  des  enfants  tombés  dans  l'eau 
et  pour  lesquels  leur  père  désolé  implorait  la  protection  de  saint  Julien,  sont  l'objet  d'autant  de 
miracles.  Lorsqu'on  porta  le  corps  du  Saint  à  Chàteaudun,  où  il  resta  deux  ans,  toute  la  marche 
fut  une  suite  de  prodiges.  Une  célèbre  translation  eut  lieu  en  1254  :  on  en  parla  dans  toute  la 
France.  A  ce  culte  si  solennel  des  reliques  de  saint  Julien  devaient  succéder,  dans  les  derniers 
siècles,  d'horribles  profanations.  L'église  cathédrale  du  Mans  eut  beaucoup  à  souffrir  des  Calvinistes 
et  des  Vandales  de  1793.  A  celte  époque,  la  châsse  qui  contenait  ses  restes  précieux  fut  vendue  à  vil 
prix;  on  a  cependant  retrouvé  les  ossements  sacrés  de  l'apôtre  du  Mans,  que  l'on  vénère  encore 
avec  le  plus  grand  respect.  Il  est  le  patron  de  cette  église. 

Nous  avons  emprunté  la  substance  de  cette  biographie  &  la  savante  HMoire  de  tEglite  du  Man$,  par 
D.  Plolin,  10  vol.  in-8o. 


SALNT  VITALIEN,  PAPE 

657-671.  —  Empereurs  de  Constantinople  :  Constant  11,  le  Monothélitej  Constantin  Pagonat. 

L'espoir  de  l'hypocrite  périra,  sa  confiance  est  comme 
une  toile  d'araignée.  Job,  viu,  18,  14. 

Vitalien  était  de  la  ville  de  Segni,  en  Campanie  ;  son  père  se  nommait 
Anastase.  Deux  mois  environ  après  la  mort  d'Eugène,  premier  du  nom,  il 
fut  mis  à  sa  place  aux  applaudissements  de  tous  les  gens  de  bien.  Grand  ami 
de  la  discipline  ecclésiastique  et  son  gardien  vigilant,  il  la  remit  à  son  suc- 
cesseur aussi  florissante qu'ill'avait  reçue  de  son  prédécesseur  :  et  jamais  il 
n'omit  rien  de  ce  qui  pouvait  en  maintenir  la  splendeur. 

Constant  II,  cet  ardent  fauteur  de  l'hérésie  monothélite,  le  même  qui 


SAINT  VITAUEN,    PAPE.  45 

avait  envoyé  le  pape  saint  Martin  '  mourir  de  faim  en  Crimée,  régnait  à  Cons- 
tantinople.  Ce  tyran  aussi  cruel  à  lui  seul  que  plusieurs  Néron,  et  exécré  de 
son  peuple,  voulait  abandonner  Gonstantinople ,  expulser  les  Lombards 
d'Italie,  et  rétablir  à  Rome  le  siège  de  l'empire,  disant  que  la  mère  méritait 
plus  de  considération  que  la  fille.  Lors  donc  que,  suivant  la  coutume,  le  pape 
saint  Vitalien  lui  lit  part  de  son  élection,  le  fourbe  accueillit  fort  bien  l'am- 
bassade romaine  et  offrit  même  en  don  à  l'église  de  Saint-Pierre  un  livre 
d'Evangiles  couvert  d'or,  enrichi  de  pierreries  :  c'était  de  la  part  de  l'hjrpo- 
crite  monothélite  une  marque  d'adhésion  à  la  foi  catholique.  Ceci  se  passait 
en  637,  année  de  l'élévation  de  saint  Vitalien.  Poursuivant  son  dessein, 
Constant  prépara  une  expédition,  et  en  662  s'embarqua  avec  tous  ses  tré- 
sors pour  l'Italie  :  il  voulut  emmener  sa  famille,  mais  les  Byzantins  s'y 
opposèrent.  Ce  refus  ne  le  retint  pas  un  moment  :  il  monta  sur  le  tillac  de 
son  vaisseau,  cracha  contre  la  ville  et  fît  sur-le-champ  mettre  à  la  voile. 
Il  arriva  à  Rome  le  5  juillet  de  l'année  663  et  y  séjourna  peu  de  jours.  Le 
Pape  alla  au-devant  de  lui  jusqu'à  deux  lieues  de  la  ville,  et  le  conduisit  à 
l'église  de  Saint-Pierre,  oh,  continuant  à  cacher  ses  mauvaises  intentions,  il 
laissa  un  riche  présent.  Il  visita  plusieurs  autres  églises  et  laissa  partout  des 
offrandes.  Le  douzième  jour  de  son  arrivée,  il  prit  congé  du  pape.  Jusque- 
là  il  n'avait  donné  que  des  marques  de  dévotion  et  de  pieuse  libéralité.  Mais 
ayant  appris  que  les  Lombards  venaient  de  battre  son  arrière-garde  à  Naples, 
il  perdit  l'espoir  de  se  fixer  en  Italie.  .41ors  se  dépouillant  de  la  peau 
de  brebis  qu'il  avait  revêtue  pour  tromper  les  Occidentaux,  avant  de 
partir  il  pilla  les  églises,  reprit  les  présents  qu'il  avait  offerts,  et  enleva  tout 
ce  qu'il  y  avait  de  plus  précieux  dans  la  ville  :  on  lui  avait  proposé  d'orner 
le  Panthéon,  disposé  en  église  ;  mais  Constant  II  aima  mieux  le  dépouiller 
de  toutes  les  tuiles  de  métal  dont  il  était  couvert.  On  vit  ainsi  un  empereur 
romain  commettre  plus  de  violences  qu'on  ne  pouvait  en  reprocher  aux 
Goths  et  aux  Vandales.  Incontinent  il  fit  transporter  toutes  ces  richesses  à 
Syracuse.  Une  telle  conduite  ne  pouvait  que  fortifier  la  puissance  des  Papes 
en  Italie. 

La  justice  de  Dieu  devait  s'appesantir  sur  Constant  II  comme  sur  tous 
les  princes  qui  ont  persécuté  les  successeurs  de  Pierre.  Le  13  juillet  de 
l'an  668,  l'empereur  se  rendant  aux  bains  de  Daphné  à  Syracuse,  reçut  la 
mort  de  la  main  d'un  obscur  garçon  de  salle  qui,  faisant  mine  de  prendre  un 
vase  pour  lui  verser  de  l'eau,  lui  en  donna  sur  la  tête  et  s'enfuit.  Comme 
l'empereur  tardait  trop,  ceux  qui  étaient  dehors  entrèrent  et  le  trouvèrent 
mort.  Son  successeur,  Constant  Pogonat,  eut  pour  le  saint  Pape  la  plus  grande 
vénération  :  il  fit  rétablir  sur  les  dj^ptiques  son  nom  que  les  Monothélites 
en  avaient  effacé. 

L'empereur  Constant  II,  en  paraissant  craindre  les  Lombards,  n'avait  pas 
semblé  redouter  un  autre  danger  qui  menacerait  unjour  ses  successeurs  dans 
leur  propre  capitale  :  nous  voulons  dire  Mahomet  et  sa  doctrine  ;  sa  doctrine 
qui  fut  si  fatale  à  celle  de  Jésus-Christ.  Les  Musulmans,  qui  ont  causé  tant 
de  maux  au  Saint-Siège,  firent  de  grands  progrès  sous  le  pontificat  de  Vita- 
lien :  ils  vinrent  jusqu'en  Sicile  dont  ils  emmenèrent  la  moitié  des  habitants 
à  Damas  (663).  Mais  respirons  encore  :  nous  n'aurons  que  trop  de  fois  à 
déplorer  des  malheurs  qui  occasionnèrent  les  croisades,  nous  coûtèrent  saint 
Louis  et  couvrirent  de  ruines  l'univers  chrétien. 

Le  soin  pastoral  qui  occupa  plus  particulièrement  saint  Vitalien  et  qui, 
d'ailleurs,  produisit  d'heureux  résultats,  ce  fut  de  relever  en  Angleterre  la 

1.  Voir  an  12  aovembre. 


46  27  lANTIER. 

religion  qui  tombait.  Ciomme  il  y  avait  dans  ce  pays  une  grande  pénurie  de 
ministres  sacrés,  Vitalien  y  envoya  le  grand  Tliéodore  de  Tarse  et  Adrien, 
abbé  :  le  premier,  pour  être  primat  de  l'Eglise  d'Angleterre,  et  le  second 
pour  restaurer  la  discipline  monastique.  Enlln,  ayant  brillé  et  ayant  occupé 
le  siège  pontiQcal  pendant  quatorze  ans  et  cinq  mois,  il  passa  de  cette  vie  à 
Dieu,  l'an  de  Notre-Seigneur  671,  et  fut  enseveli  au  Vatican. 

Il  nous  reste  de  saint  Vitalien  six  lettres  :  quatre  sont  relatives  à  l'affaire 
de  Jean,  évêque  de  Lappe  en  Crète.  Ce  prélat  ayant  été  déposé  sans  raison 
par  son  métropolitain,  celui-ci  le  fit  emprisonner  et  condamner  par  un  con- 
ciliabule qui  était  à  sa  discrétion,  sans  vouloir  môme  permettre  à  Jean  d'en 
appeler  au  Pape.  L'évêque  de  Lappe  ayant  enfin  pu  s'échapper,  vint  à  Rome 
où  un  concile  assemblé  par  saint  Vitalien  cassa  la  procédure  du  métropoli- 
tain de  Crète  et  rétablit  l'innocent  dans  tous  ses  droits. 

C'est  de  son  temps,  dit-on,  que  l'usage  des  orgues  commença  dans  les 
églises,  et  lui-même  les  aurait  introduites  à  Rome  :  mais  ce  fait  n'est  pas 
prouvé.  Ce  qu'il  y  a  de  certain,  c'est  que  saint  Vitalien  s'appliqua  avec  le 
plus  grand  soin  à  maintenir  les  traditions  du  chant  grégorien. 

Pour  l'érudition,  Vitalien  pouvait  être  comparé  aux  plus  savants  pontifes  : 
il  ne  fut  inférieur  à  aucun  dans  son  zèle  pour  propager  la  religion  et  dans 
son  courage  pour  la  défendre. 

Cf.  BUtoire  des  Pontifes  romains,  par  le  chev.  Artaud  de  Montor. 


SAINT  THIERRY  II,  E\T^QUfi  D'ORLEANS 

1022.  —  Pape  :  Benoit  VIII,  —  Roi  de  France  :  Robert  le  Pieux. 

Thierry,  fils  du  seigneur  de  Château-Thierry-sur-Marne,  et  petit-fils  de 
celui  qui  donna  son  nom  à  cette  ville,  vint  au  monde  dans  le  x"  siècle.  11 
méprisa  de  bonne  heure  les  avantages  de  sa  naissance  et  les  vanités  du 
siècle,  pour  s'appliquer  tout  entier  à  l'étude  des  lettres,  aux  œuvres  de 
miséricorde  et  aux  exercices  de  piété.  Afin  qu'il  pût  mieux  conserver  son 
innocence  et  s'instruire  davantage,  ses  parents  le  mirent  au  monastère  de 
Saint-Pierre-le-Vif,  à  Sens,  où,  sous  la  conduite  de  son  oncle  Raynaud,  abbé 
de  cette  maison,  il  embrassa  la  vie  monastique  et  y  fit  de  notables  progrès. 
Sa  réputation  alla  jusqu'à  la  cour.  Le  roi  Robert,  qui  était  pieux  et  lettré, 
et  savait  distinguer  les  talents,  le  fit  venir  et  le  garda  près  de  lui  pour  se 
servir  de  ses  lumières  et  de  ses  conseils.  C'était  l'époque  où  ce  prince  entre- 
prit de  répudier  Constance,  son  épouse,  sous  prétexte  qu'elle  était  sa  pa- 
rente. Une  nuit  que  cette  malheureuse  reine  était  plus  que  d'ordinaire 
accablée  d'amertume,  elle  vit  en  songe  un  vénérable  prélat  qui  avait  de 
longs  cheveux  et  la  barbe  blanche  comme  la  neige,  et  tenait  sa  crosse  en 
main.  11  regarda  la  reine  et  lui  dit  :  «  Constance,  chasse  de  toi  toute  tristesse, 
je  suis  venu  à  ton  secours.  Je  suis  Savinien,  l'un  des  prélats  de  ce  royaume  ; 
je  te  déclare  que,  dès  à  présent,  par  la  grâce  de  Dieu,  tu  es  délivrée  de  ton 
ennui  ».  La  reine  se  réveilla  en  sursaut,  et  se  sentit  fort  consolée;  puis  elle 
alla  demander  aux  personnes  qui  se  trouvaient  pour  lors  dans  son  palais  si 
elles  connaissaient  un  saint  nommé  Savinien.  Thierry  répondit  que  c'était 
le  premier  archevêque  de  Sens,  martyr,  dont  le  corps  sacré  reposait  à 


SADiT  THIERRY   H,   ÉVÉQUE   D'ORlÉàNS.  47 

Saint-Pierre-le-Vif,  à  Sens,  et  que  si  elle  s'adressait  à  ce  saint,  ses  prières 
seraient  sans  doute  exaucées.  La  reine  reçut  cet  avis  avec  une  joie  et  une 
dévotion  extraordinaires,  et  se  transporta  soudain,  avec  son  fils,  au  monas- 
tère de  Saint-Pierre-le-Vif  :  là,  se  prosternant  devant  les  saintes  reliques, 
elle  implora  l'assistance  du  saint.  Chose  admirable  !  cette  dévote  princesse 
ayant  continué  ses  prières,  au  bout  de  trois  jours  un  courrier  arriva  de  la 
part  du  roi,  apportant  des  nouvelles  conformes  à  ses  désirs.  Le  roi  suivit  de 
près  son  message  et  témoigna  plus  d'affection  que  jamais  à  la  reine  son 
épouse.  Constance,  pour  remercier  saint  Savinien,  fit  mettre  ses  reliques 
dans  de  belles  châsses  d'argent,  et  se  montra  aussi  très-reconnaissante  envers 
saint  Thierry,  qui  fut  ainsi  également  aimé  et  estimé  par  le  roi  et  la  reine. 
Foulque,  évêque  d'Orléans,  étant  mort,  Thierry  fut  élu  par  la  plus  saine 
partie  du  clergé  et  du  peuple  pour  occuper  ce  siège  :  le  roi  Robert,  qui 
connaissait  sa  science  et  sa  vertu,  et  qui  aimait  la  ^ille  d'Orléans,  maintint 
cette  élection  de  tout  son  pouvoir  (1016).  Mais  l'envie  suit  toujours  la  vertu, 
comme  l'ombre  le  corps.  Des  malveillants  cherchèrent  à  l'exclure  et  à 
nommer  évèque  Odolric,  jeune  ecclésiastique  plein  d'ambition,  qui  ne 
recula  point  devant  le  désordre  et  le  scandale.  Les  brigues  se  changèrent  en 
luttes  \iolentes  où  il  y  eut  du  sang  versé. 

On  inventa  mille  calomnies  contre  Thierry,  de  sorte  que  le  Pape  et  les 
évêques,  entre  autres  Fulbert  de  Chartres,  firent  d'abord  difficulté  de  le 
reconnaître.  Mais  il  se  justifia  dans  toutes  les  formes.  Son  innocence  fut 
reconnue,  et  Lehery  ou  Leothéric,  archevêque  de  Sens,  assisté  de  Fulbert 
et  de  quelques  autres  évêques,  le  sacra  dans  l'église  d'Orléans.  Pendant  la 
cérémonie,  Odolric,  son  compétiteur,  vint  avec  une  troupe  de  soldats  armés, 
entra  dans  l'église  et  s'avança  vers  l'autel,  le  poignard  à  la  main,  menaçant 
d'assassiner  Thierry  sous  la  main  de  l'archevêque  consécrateur.  Mais  qui 
peut  traverser  les  desseins  de  Dieu  ?  Ni  l'évèque  consacré  ni  l'archevêque 
consécrateur  ne  tremblèrent  ;  la  cérémonie  ne  fut  point  troublée  ;  on  se 
contenta  de  chasser  ces  furieux. 

Dès  que  Thierry  fut  placé  sur  ce  siège  épiscopal,  il  y  brilla  comme  un 
flambeau  céleste  ;  il  avait  un  soin  extrême  du  troupeau  qui  lui  était  confié. 
Aux  enseignements  de  la  sainte  Ecriture,  il  joignait  l'exemple  de  ses  vertus. 
Soulager  les  pauvres,  réprimer  les  oppresseurs,  secourir  les  opprimés, 
étaient  ses  œuvres  de  chaque  jour.  Jamais  sa  main  ne  reçut  un  présent  :  il 
cherchait  ce  qui  était  utile,  non  à  lui,  mais  à  tous.  Odolric,  toujours  dévoré 
d'envie  et  d'ambition,  ne  cessa  pas  de  le  persécuter  :  il  atlenta  même  encore 
à  sa  vie.  Le  Saint  fut  un  jour  attaqué  en  chemin  par  une  bande  d'assassins 
que  cet  ennemi  avait  postés  pour  le  tuer  :  ils  le  renversent  de  son  cheval, 
rétendent  à  terre,  le  frappent  à  coups  de  lances  et  d'épées,  et  le  laissent 
pour  mort,  gisant  sur  le  sable.  Mais,  ô  prodige  !  celui  qu'ils  croyaient  sans 
vie  n'avait  pas  reçu  la  moindre  blessure  ;  ses  habits  seuls  étaient  déchirés. 
Quelle  ne  fut  pas  l'épouvante  d'Odolric,  qui  croyait  repaître  ses  yeux  du 
sang  de  sa  victime,  lorsqu'il  la  vit  se  lever  saine  et  sauve!  Touché  de  cette 
protection  éclatante  de  la  main  de  Dieu,  il  vient  se  jeter  aux  pieds  du  Saint 
et  lui  demande  humblement  pardon  de  tout  le  passé.  Thierry  le  lui  accorde 
sur-le-champ,  sans  aucune  condition,  et  veut  qu'il  tienne  le  second  rang 
parmi  son  clergé  et  lui  prédit  même  qu'il  sera  son  successeur. 

Le  reste  de  la  vie  de  notre  Saint  n'est  guère  connu.  L'hérésie  mani- 
chéenne s'étant  répandue  dans  son  diocèse  vers  l'an  1017,  il  employa  tous 
ses  soins  à  l'étouffer.  Le  septième  concile  d'Orléans  condamna  ces  perni- 
cieuses erreurs,  et  le  roi  Robert  punit  les  hérésiarques  obstinés.  Le  roi 


48  27   JANVIER. 

Robert,  que  l'histoire  d'Orléaus  nomme  le  David  français,  pour  sa  valeur  et 
piété,  secondé  en  guerre  et  en  paix  du  secours  céleste,  aimait  beaucoup  cette 
ville  et  sou  saint  évêque.  Comme  il  assiégeait  la  ville  et  le  château  d'Avallon 
en  Bourgogne,  forte  place  qui  soutint  le  siège  pendant  trois  mois,  sentant 
approcher  la  fête  de  saint  Aignan,  il  s'en  vint  à  Orléans  pour  la  célébrer  à  son 
aise,  selon  sa  dévotion  ordinaire.  Pendant  qu'il  assistait  à  la  grand'messe, 
revêtu  d'une  chape  magnifique  et  dirigeant  le  chœur  ,  selon  sa  cou- 
tume, il  arriva  qu'au  moment  où  l'on  chantait  VAgnus  Dei  les  murailles 
de  la  ville  assiégée  s'écroulèrent.  11  régnait  entre  ce  bon  roi  et  ce  saint 
évêque  une  entente  parfaite  ;  jamais  les  deux  puissances,  la  ponliûcale  et  la 
royale,  ne  s'étaient  mieux  accordées  pour  procurer  la  gloire  de  Dieu  et  le 
bonheur  des  peuples.  Les  églises  d'Orléans  ressentirent  par  ce  moyen  les 
effets  de  la  libéralité  de  ces  deux  grands  personnages.  Saint  Thierry,  dési- 
reux de  rendre  honneur  à  Dieu,  et  de  signaler  sa  mémoire  en  l'église  de 
Sainte-Croix  d'Orléans,  fit  faire  un  fort  beau  calice  de  pur  or,  pour  servir  en 
ladite  église,  au  sacrifice  delà  messe,  à  consacrer  le  sang  de  Notre-Seigneur 
Jésus-Christ,  et  le  roi  Robert,  joignant  sa  dévotion  à  celle  du  saint  évêque, 
fit  faire  la  patène,  aussi  d'or  fin,  pour  accompagner  le  calice,  et  servir  à 
consacrer  le  corps  du  Rédempteur  du  monde,  afin  que  le  signe  de  la  sainte 
croix  lui  fût  un  aide  salutaire,  et  que  la  passion  du  Sauveur  lui  fût  une 
parfaite  rédemption  pour  l'âme  et  pour  le  corps,  comme  dit  le  moine  Hel- 
gaud,  en  la  vie  du  roi  Robert.  Ce  prince  rebâtit  l'église  de  Saint-Aignan  et 
augmenta  son  revenu  ;  il  se  montra  aussi  libéral  envers  beaucoup  d'autres 
temples. 

Nous  avons  déjà  dit  que  Thierry  avait  de  fréquentes  relations  avec  Ful- 
bert, évêque  de  Chartres;  on  le  voit  par  les  lettres  de  ce  dernier.  Dans  l'une 
d'elles  il  remercie  l'évêque  d'Orléans  des  avis  qu'il  lui  a  donnés,  et  le  prie 
d'excuser  le  clergé  de  Chartres  s'il  ne  peut,  cette  année,  aller  en  procession 
selon  sa  coutume,  à  Téglise  d'Orléans,  parce  qu'il  est  tout  entier  occupé  à 
relever  sa  propre  église,  détruite  par  un  incendie.  L'église  de  Chartres 
rendait  à  celle  d'Orléans  ce  devoir  de  piété  et  de  reconnaissance,  en  mé- 
moire, sans  doute,  de  ce  que  la  grâce  de  l'Evangile  était  venue  d'Orléans 
aux  Chartrains,  par  la  prédication  du  premier  évêque  d'Orléans,  saint  Altln. 

Dieu  exerça  la  patience  de  Thierry  et  purifia  son  cœur,  sur  la  fin  de  sa 
vie,  par  diverses  maladies,  fruits  de  ses  austérités  et  de  ses  travaux  aposto- 
liques. Pour  reposer  à  la  fois  son  âme  et  son  corps,  le  Saint  se  retira  dans  le 
monastère  de  Saint-Pierre-le-Vif ,  à  Sens.  Il  lui  vint  dans  cette  douce 
retraite  le  désir  de  faire  un  voyage  à  Rome  pour  visiter  le  sépulcre  du  prince 
des  Apôtres  et  les  autres  sanctuaires  de  cette  sainte  ville.  Avant  son  départ, 
une  nuit,  étant  dans  l'église,  il  entendit  une  voix  venue  du  ciel  qui  lui  dit  : 
«  Ne  crains  point,  Thierry,  ta  demeure  est  préparée  dans  le  ciel,  où  le 
martyr  saint  Sébastien  triomphe  glorieusement  ».  Or,  c'était  la  veille  de  la 
fête  de  saint  Sébastien.  Thierry  communiqua  cette  révélation  divine  au 
moine  Adalbert,  homme  fort  religieux,  et  à  quelques  autres  serviteurs  de 
Dieu,  et  leur  dit  qu'il  croyait  que  l'heure  de  sa  mort  était  proche  et  que  s'il 
mourait  dans  son  voyage  de  Rome,  avant  d'avoir  passé  les  Alpes,  il  deman- 
dait que  son  corps  fût  rapporté  dans  ce  monastère  de  Saint-Pierre-le-Vif, 
afin  d'être  inhumé  auprès  de  ses  oncles  Séguin,  archevêque  de  Sens,  et 
Raynaud,  abbé  du  môme  monastère.  Après  cela  il  se  mit  en  chemin  ;  mais 
Dieu  convertit  ce  voyage  de  Rome  en  voyage  de  l'éternité  bienheureuse.  Car 
arrivé  à  Tonnerre,  petite  ville  du  diocèse  de  Langres,  il  fut  surpris  par  une 
grosse  maladie  qui  l'emporta  de  ce  monde  le  27  janvier  de  l'an  1022.  On  se 


SAINT  JEiN,   TRENTIÈJ£E  ÉVÊQUE  DE  THERODANNE.  49 

préparait  à  rapporter  son  corps  à  Saint-Pierre-le-Vif,  mais  Milon,  seigneur 
de  Tonnerre,  qui  était  son  parent,  s'y  opposa  et  le  fit  magnifiquement  ense- 
velir dans  le  monastère  de  Saint-Michel  qu'il  venait  de  fonder.  Les  miracles 
que  Dieu  fit  en  ce  lieu,  par  son  intercession,  furent  si  fréquents  que  la  ville 
de  Tonnerre  le  choisit  pour  son  patron.  La  mémoire  de  ce  Saint  y  est 
demeurée  fort  célèbre.  Avant  1789,  non-seulement  on  y  célébrait  sa  fête 
solennellement  chaque  année,  le  27  janvier,  mais  de  plus,  tous  les  mardis 
de  l'année,  en  dehors  de  l'Avent  et  du  Carême,  on  en  célébrait  l'office 
canonial,  et  tous  les  jours,  à  Laudes,  à  la  messe  et  à  Vêpres,  on  en  faisait 
mémoire.  Ses  saintes  reliques  étaient  conservées  à  Tonnerre  avec  beaucoup 
d'honneur  et  de  soin  ;  l'église  d'Orléans  en  possède  qui  lui  furent  données 
en  1660. 

Nous  nous  sommea   surtont  serri,  pour  composer  l'histoire  de  cette  vie,   omise  par  I6  Père  Glry,  do 
VSistoire  de  ^Eglise  d'Orléans,  par  Symphorien  Guyon. 


SAINT  JEAN,  TRENTIEME  EA^EQUE  DE  THBROUANNE' 

1130.  —  Pape  :  Honoré  II.  —  Roi  de  France  :  Louis  VI. 


Saint  Jean  de  Thérouanne  a  été,  on  peut  le  dire,  le  véritable  réformateur, 
et  comme  le  saint  Grégoire  VII  d'une  partie  du  nord  des  Gaules.  Nos  ancê- 
tres le  comparaient  à  saint  Bernard  et  faisaient  du  grand  abbé  de  Clair- 
vaux,  de  Jean  de  Thérouanne  et  de  Milon  un  rapprochement  plein  d'édifica- 
tion. La  vie  que  nous  donnons  de  ce  grand  évêque  est  la  traduction  abrégée 
de  celle  qui  fut  écrite  neuf  mois  après  sa  mort  par  Jean  Colmieu,  son  archi- 
diacre. Elle  a  donc  tout  l'intérêt  d'un  document  contemporain. 

Saint  Jean,  l'homme  de  Dieu,  naquit  dans  l'évêché  de  Thérouanne,  en  un 
lieu  nommé  Warneton  que  la  rivière  de  la  Lys  baigne  de  ses  eaux  paisibles. 
Ses  parents  étaient  des  personnes  honnêtes  aux  yeux  du  siècle,  et  craignant 
Dieu.  Ils  avaient  grand  soin  de  faire  des  aumônes,  de  donner  des  vêtements 
à  ceux  qui  étaient  nus  et  de  pratiquer  avec  piété  les  autres  œuvres  de  misé- 
ricorde. Ils  imposèrent  à  leur  fils,  au  saint  baptême,  le  nom  de  Jean.  Dès  sa 
plus  tendre  enfance  il  donna  des  preuves  de  l'attention  spéciale  de  la  divine 
Providence  à  son  égard.  Ses  progrès  rapides  dans  les  premières  études  litté- 
raires lui  attiraient  l'admiration  générale  et  faisaient  présager  qu'un  jour  il 
serait  grand  et  élevé  au-dessus  des  autres  ;  il  avait,  en  effet,  pour  les  jeux 
de  son  âge,  beaucoup  moins  d'ardeur  que  les  autres  enfants,  et  il  s'occupait 
sérieusement  des  choses  qu'il  avait  à  apprendre  :  assister  aux  pieuses  réu- 
nions des  fidèles,  se  conformer  aux  ordres  de  ses  supérieurs,  tel  était  l'objet 
de  ses  soins  habituels.  Quand  il  fut  sorti  de  l'enfance  et  qu'il  arriva  à  ce 
point  où  il  s'agit  de  choisir  entre  les  deux  routes  qui  se  présentent,  il  évita 
prudemment  le  sentier  de  gauche,  et  voyageur  éclairé  sur  le  but  auquel  il  ten- 
dait, il  entra  résolument  dans  la  route  étroite  et  difficile  qui  était  à  sa  droite. 
Méprisant  les  vaines  fictions  des  poètes,  il  appliqua  toutes  les  forces  de  son 
esprit  à  la  recherche  des  sens  cachés  des  divines  Ecritures,  science  qui  nour- 

1.  Thérouanne  s  été  YlUe  épiscopale  dépoli  l'an  500  Josijn'en  1553,  où  elle  tat  pri»»  et  détruite  par  les 
Espagnols. 

Vies  des  Saints.  —  Tome  11.  a 


SO  27   JANVIER. 

rit  et  fortifie  l'homme  intérieur  et  le  fait  avancer  dans  l'amour  de  Dieu.  Il 
eut  surtout  deux  maîtres  remarquables  par  l'intégrité  de  leur  vie  :  l'un, 
Lambert  d'Utrecht,  maître  de  grande  religion  et  de  grande  science  ;  l'autre, 
plus  grand  encore  au  jugement  de  tous,  Yves,  qui  fut  depuis  évêque  de 
Chartres,  et  qui  a  bien  prouvé  sa  profonde  religion  et  sa  science  sublime 
par  les  monastères  qu'il  a  institués  et  par  les  livres  qu'il  a  écrits.  Jean  fut 
leur  élève  si  docile,  il  écouta  en  même  temps  avec  tant  d'attention  la  parole 
intime  de  celui  qui,  par  son  onction  divine,  sait  faire  pénétrer  dans  notre 
cœur  tout  enseignement  parfait,  que  bientôt  on  trouvait  à  peine  dans  toute 
la  France  quelqu'un  qui  fût  au-dessus  de  lui  sous  le  double  rapport  des 
mœurs  ou  de  la  science.  Alors  il  revint  dans  son  pays,  apportant  avec  lui 
des  trésors  plus  précieux  que  l'or,  plus  estimables  que  les  pierreries. 

Il  demeura  quelque  temps  à  Lille,  ville  célèbre  où  Baudoin  venait  de 
fonder  une  église.  Il  était  membre  du  clergé  nombreux  de  celte  église,  mais 
il  n'y  était  guère  que  corporellement,  car  son  esprit  détaché  du  monde  était 
toujours  occupé  des  choses  célestes  ;  il  lisait,  il  priait,  il  demeurait  dans  sa 
chambre,  il  se  rendait  à  l'église  toutes  les  fois  qu'il  devait  s'y  trouver.  Pen- 
dant que  d'autres  recherchaient  des  vanités,  des  spectacles,  ou  se  donnaient 
en  spectacle  en  jouant  eux-mêmes  devant  le  public,  il  fuyait  avec  soin 
toutes  ces  sottises,  et  s'il  lui  arrivait  de  les  rencontrer  sur  son  chemin,  il 
passait  avec  gravité  en  accélérant  sa  marche  et  sans  même  vouloir  les 
regarder.  Aussi  tous  vénéraient  sa  sainteté,  plusieurs  s'efforçaient  même  de 
l'imiter. 

Gomme  il  ne  devait  rien  manquer  à  cet  assemblage  de  vertus  parfaites,  il 
résolut  de  quitter  extérieurement  le  monde,  que  déjà  il  méprisait  et  foulait 
aux  pieds  dans  son  intérieur.  Il  alla  donc  trouver  l'abbé  Jean,  homme  d'une 
grande  sainteté,  qui  en  ce  moment  dirigeait  le  monastère  du  Mont-Saint- 
Eloi,  distant  d'environ  trois  mille  pas  de  la  ville  d'Arras,  et  se  mit  humble- 
ment sous  sa  conduite.  L'homme  de  Dieu  le  reçut  avec  une  joie  extrême  et 
rendit  beaucoup  d'actions  de  grâces  au  Seigneur,  qui  lui  envoyait  une  con- 
solation si  grande.  Comme,  en  effet,  il  observait  lui-même  la  règle  de  saint 
Augustin  et  qu'il  l'avait  imposée  à  ses  religieux,  il  pensa  que  la  religion  et 
la  prudence  de  Jean  lui  seraient  d'une  très-grande  utilité  pour  parvenir  à  ses 
fins.  En  effet,  la  conduite  de  Jean  dans  le  monastère  fut  telle,  qu'il  était 
utile  à  tous,  et  par  la  parole  et  par  l'exemple. 

Cependant  le  pape  Urbain  II,  de  sainte  mémoire,  siégeant  sur  la  chaire 
du  prince  des  Apôtres,  l'église  d'Arras  recouvra  la  liberté  dont  elle  avait 
joui  autrefois  et  fut  séparée  de  l'église  de  Cambrai.  Alors,  après  avoir  prié 
et  jeûné,  on  assembla  dans  Arras  le  clergé  et  le  peuple  des  autres  églises 
du  nouveau  diocèse,  et,  avec  la  grâce  du  Seigneur  et  l'ordre  du  vénérable 
'pape  Urbain,  on  fît  l'élection  selon  les  canons.  Le  choix  tomba  sur  Lambert, 
chanoine  et  grand  chantre  de  l'église  de  Lille,  homme  digue  d'être  revêtu 
des  insignes  pontificaux.  Lambert  était  parfaitement  étranger  à  ce  fait:  il 
ignorait  ce  qui  devait  se  passer  quand  il  répondit  à  l'invitation  qu'on  lui  fit 
de  venir  à  .\rras.  On  l'enlève  donc,  on  le  traîne  malgré  lui  ;  c'est  en  vain 
qu'il  s'oppose  de  toutes  ses  forces  et  qu'il  fait  entendre  ses  réclamations  ;  on 
le  place  sur  la  chaire  épiscopale.  Or,  comme  Raynauld,  archevêque  de 
■  Reims,  différait  de  le  consacrer,  il  profita  de  ce  délai  et  se  rendit  à  Rome 
avec  quelques  membres  de  sou  clergé,  et  là,  prosterné  aux  pieds  du  Pape, 
il  sollicita  ardemment  la  faveur  d'être  déchargé  du  fardeau  qu'on  venait  de 
lui  imposer.  Mais  le  Pape,  bien  loin  d'accéder  à  ses  désirs,  voulut  le  consa- 
crer de  ses  propres  mains  et  le  renvoya  à  son  église  comblé  de  privilèges 


SACrr  JEAM,  TRENTrÈJIE  ÉVÊQUE  DE  THÉROUANNE.  51 

apostoliques.  Alors  il  se  mit  à  parcourir  avec  beaucoup  de  vigilance  le  champ 
que  le  Seigneur  venait  de  confier  à  sa  garde.  De  nombreux  désordres  s'étaient 
introduits  par  l'incurie  du  père  de  famille.  Les  épines,  les  ronces  croissaient 
en  toute  liberté  ;  l'ivraie  inutile  étouffait  le  froment  ;  la  tâche  était  rude,  il 
vit  que  seul  il  ne  pouvait  suffire.  Il  résolut,  en  conséquence,  d'associer  à  sa 
sollicitude  pastorale  plusieurs  hommes  religieux  et  prudents,  afin  que,  leur 
donnant  à  chacun  une  partie  de  sa  lourde  charge,  il  pût  être  soulagé  et  tra- 
vailler sans  être  accablé  sous  le  faix.  11  choisit,  entre  autres,  le  vénérable 
Jean,  avec  qui  il  avait  vécu  do  la  manière  la  plus  intime,  et  qu'il  avait  eu 
pour  compagnon  d'études  des  saintes  Ecritures  sous  Yves,  leur  maître  com- 
mun. Mais  Jean  se  mit  à  refuser  et  à  s'opposer  de  toutes  ses  forces  à  la 
réalisation  du  vœu  de  Lambert,  tant  il  avait  de  peine  à  quitter,  même  pour 
un  peu  de  temps,  l'état  de  contemplation  dont  il  faisait  ses  délices.  Il  fallut, 
pour  l'obliger  à  céder,  que  l'évêque  eût  recours  aux  censures  et  imposât 
une  peine  à  toute  la  communauté  où  il  était.  Il  fut  donc  forcé  de  se  rendre, 
et  il  s'acquitta  de  sa  charge  d'archidiacre  avec  tant  d'équité  et  de  désinté- 
ressement, qu'il  s'attira  l'estime  et  la  vénération  profonde  de  tous  ceux  avec 
qui  il  fut  en  rapport. 

L'église  des  Morins  se  trouvait,  depuis  déjà  vingt  ans,  dans  un  état 
affreux  de  persécution  au  dehors  et  de  troubles  au  dedans.  A  l'évêque 
Drogon,  d'heureuse  mémoire,  avait  succédé  Hubert,  qui,  après  avoir  reçu 
une^blessure  cruelle,  avait  cédé  à  la  violence,  et  s'était  réfugié  dans  le  monas- 
tère de  Saint-Bertin.  Alors  un  intrus  vint  s'emparer  de  vive  force  du  siège 
épiscopal.  Cet  homme  se  nommait  Lambert  de  Belle.  Aidé  du  comte  de 
Flandres,  il  brise  les  portes  de  l'église  de  Thérouanne,  et  y  pénètre  malgré  le 
clergé,  qu'il  disperse  de  côté  et  d'autre  ;  et  pendant  près  de  deux  années,  il 
possède,  ou  plutôt  il  tourmente  et  persécute  cette  église  infortunée.  Toute- 
fois il  fut  puni  de  son  audace  sacrilège,  et  ceux-là  mêmes  qui  l'avaient  élevé 
furent  les  exécuteurs  de  la  justice  divine  sur  lui,  car  ils  lui  coupèrent  la 
langue  et  les  doigts  de  la  main  droite.  On  le  chassa  honteusement,  et  le 
clergé,  d'accord  avec  le  peuple,  lui  substitua  Gérard,  qui  se  mit  à  prati- 
quer ignominieusement  la  simonie,  à  distraire  les  biens  de  l'Eglise,  et  fut 
déposé  par  le  pape  Urbain.  Alors  la  confusion  fut  à  son  comble  ;  les  archi- 
diacres et  les  membres  du  clergé  de  la  cathédrale  firent  choix  d'un  chanoine 
de  Saint-Omer  nommé  Erkembode  ;  mais  l'élu  refusa  opiniâtrement ,  et 
l'élection  fut  à  recommencer.  Ils  nommèrent  alors  Aubert  d'Amiens,  qui 
venait  de  recevoir  un  canonicat  dans  l'église  de  Thérouanne,  malgré  les 
canons  qui  défendent  à  un  ecclésiastique  d'être  inscrit  à  la  fois  dans  deux 
églises  de  ville.  Mais  les  abbés,  de  leur  côté,  n'acceptaient  ni  l'un  ni  l'autre 
de  ces  choix,  et,  brûlant  du  zèle  de  la  maison  de  Dieu,  ils  désiraient  donner 
à  ce  diocèse  un  dispensateur  digne  et  Adèle.  Ayant  donc  invoqué  le  Saint- 
Esprit,  et  la  crainte  du  Seigneur  devant  les  yeux,  ils  choisirent  Jean  archi- 
diacre d'Arras,  pour  le  mettre  à  la  tête  de  la  sainte  Eglise  de  Dieu,  car  ils 
savaient  que  sa  vie  était  irréprochable,  sa  science  reconnue  partout,  et  ils  le 
trouvaient  doué  de  toutes  les  qualités  convenables  pour  s'acquitter  digne- 
ment d'une  administration  devenue  si  difficile.  Bientôt,  conduits  par  un  ins- 
tinct divin,  les  laïques  se  rangèrent  à  leur  avis,  et  Jean  fut  aussi  l'élu  de  leurs 
cœurs.  Les  autres,  de  leur  côté,  réclamaient  avec  beaucoup  de  bruit,  et 
la  chose  en  vint  au  point  qu'on  fut  obligé  de  s'en  rapporter  à  la  décision 
du  Pape. 

Un  concile  général  était  en  ce  moment  assemblé  à  Rome  ;  la  cause 
du  diocèse  de  Thérouanne  y  fut  donc  examinée.  L'archidiacre  Jean,  dont  la 


52  27  jAiWiKR. 

sainteté  était  connue  partout,  fut  désigné  par  le  concile  et  confirmé  par  le 
Pape  évoque  de  ThérouanDc.  Tout  cela  se  faisait  à  l'insu  de  celui  que  l'affaire 
regardait  le  plus,  car  on  craignait  avec  raison  qu'il  ne  vînt  à  se  dérober  par 
la  fuite,  et,  afin  de  l'empêcher  d'exécuter  ce  dessein,  quand  il  viendrait  à 
connaître  son  élection,  on  obtint  du  souverain  Pontife  des  lettres  dans 
lesquelles  il  lui  parlait  en  ces  termes  : 

«  Urbain,  évoque,  serviteur  des  serviteurs  de  Dieu,  à  son  fils  bien-aimé 
Jean,  archidiacre  d'Arras,  salut  et  bénédiction  apostolique. 

«  Comme  il  nous  a  été  rapporté  que  vous  aviez  été  élu  évêque  de  l'Eglise 
des  Morins,  par  le  commun  suffrage  de  tous  les  hommes  religieux,  tant  du 
clergé  que  du  peuple,  nous  nous  réjouissons  grandement.  Donc,  par  Tauto- 
rité  du  Siège  apostolique,  nous  confirmons  et  nous  corroborons  cette  élec- 
tion, et  par  la  même  autorité  nous  vous  défendons  de  vous  y  soustraire  pour 
quelque  raison  que  ce  soit  ». 

On  lui  remit  ces  lettres  au  moment  où  il  s'y  attendait  le  moins,  et  quand 
il  eut  vu  ce  qu'elles  contenaient,  il  fut  frappé  d'un  si  grand  chagrin  qu'il 
s'ennuyait  et  était  las  de  vivre  encore.  Il  considérait  l'énormité  du  fardeau 
qui  pesait  sur  lui,  la  difficulté  extrême  de  gouverner  une  Eglise  dont  les 
affaires  extérieures  étaient  en  désordre,  et  dont  l'intérieur  surtout  était  dans 
l'indiscipline  et  le  relâchement  le  plus  complet. 

Dans  l'abattement  où  le  plongeaient  ses  réflexions,  il  ne  savait  où  se 
jeter.  Enfin  il  prit  un  parti  et  se  résolut  à  naviguer  comme  il  pourrait,  et 
avec  l'aide  du  Seigneur,  sur  une  mer  orageuse,  plutôt  que  de  s'exposer  à  la 
désobéissance. 

On  était  à  l'an  de  l'Incarnation  de  Notre-Seigneur  Jésus- Christ  1099. 
Cette  même  année,  le  2  des  nones  de  juin,  il  reçut  l'ordre  de  la  prêtrise,  et 
le  mois  suivant,  le  16  des  calendes  d'août,  il  fut  sacré  évêque  dans  la  ville 
de  Reims  par  l'archevêque  Mauassès.  Il  fut  reçu  à  Thérouanne  aux  acclama- 
tions de  joie  du  clergé,  des  grands  et  de  lout  le  peuple,  et  solennellement 
intronisé  dans  la  chaire  pontificale  le  9  des  calendes  du  môme  mois. 

Qui  pourrait,  je  ne  dirai  pas  énoncer,  mais  même  rechercher  d'une  ma- 
nière suffisante  jusqu'à  quel  point  il  fut  sobre  pour  lui-même,  juste  envers 
ses  sujets  et  son  prochain,  pieux  envers  Dieu,  dès  qu'il  fut  revêtu  de  la  di- 
gnité pontificale  ?  Moi  qui  parle  ainsi,  je  ne  dis  que  la  vérité,  car  j'ai  vécu 
près  de  quatorze  ans  avec  lui,  et  je  ne  dis  que  ce  que  j'ai  vu  moi-même  ou 
ce  que  j'ai  appris  des  hommes  très-dignes  de  foi  qui  l'ont  connu  dans  l'inti- 
mité de  sa  vie. 

Il  obtint  dès  son  enfance  le  don  d'une  pudeur  si  parfaite,  il  garda  par  la 
grâce  de  Dieu  une  chasteté  si  grande,  que  jamais  il  ne  fut  même  soupçonné, 
bien  que  nous  sachions  qu'il  ait  eu  à  résister  à  plusieurs  sollicitations  do 
femmes  qu'aveuglait  la  concupiscence.  Il  châtiait  avec  tant  de  soin  ses  au- 
tres sens,  que  jamais  une  parole  impure  ne  tombait  de  sa  bouche,  jamais 
son  regard  n'exprimait  l'orgueil  ou  la  curiosité,  jamais  son  oreille  ne  s'ou- 
vrait pour  écouter  les  choses  vaines.  Il  mortifiait  son  goût  et  son  odorat  par 
les  règles  d'une  abstinence  sévère.  Jamais  il  ne  faisait  usage  de  viande,  pas 
même  dans  sa  vieillesse.  Trois  ans  seulement  avant  sa  mort,  un  prêtre  car- 
dinal, légat  du  Siège  apostolique,  étant  venu  lui  faire  visite  et  le  trouvant 
tellement  faible  qu'il  pouvait  à  peine  marcher  et  célébrer  les  saints  mys- 
tères, se  mit  à  le  prier  instamment  de  changer  d'habitude  et  de  se  nourrir 
désormais  de  viande,  au  moins  de  temps  en  temps.  Nous  nous  joignîmes 
humblement  à  ce  prêtre,  et  nous  ne  pûmes  rien  en  obtenir.  Enfin  il  fallut  un, 
commandement  exprès,  au  nom  de  Dieu  et  des  Apôtres,  et  en  vertu  de 


SAINT  JEAN,   TRENTIÈME   ÉVÊQUE  DE  TnÉROUANNE.  53 

l'obéissance,  pour  le  contraindre  à  user  quelquefois  de  viande  en  très-petite 
quantité.  Quant  à  ses  vêtements,  il  avait  soin  d'observer  en  cela  une  grande 
modestie,  n'en  portant  point  de  trop  précieux,  ne  les  choisissant  pas  non 
plus  trop  vils. 

Aussitôt  qu'il  fut  élevé  sur  le  siège  épiscopal,  il  eut  soin  de  s'entourer 
d'hommes  d'une  religion  éprouvée,  qu'il  choisit  pour  travailler  avec  lui 
dans  la  vigne  du  Père  de  famille.  11  avait,  en  outre,  souvent  auprès  de  lui 
plusieurs  abbés  religieux  ayant  le  zèle  de  Dieu  et  s'efforçant  de  marcher  sur 
ses  traces  :  Conon  d'Arrouaise,  qui  fut  depuis  évêque  et  légat  du  Siège  apos- 
tolique en  France  ;  Lambert  de  Saint-Bertin,  Bernard  de  Waten,  Gérard  de 
Ham,  et  plusieurs  autres.  Telle  était  la  société  du  serviteur  de  Jésus-Christ  ; 
et,  dans  leur  commerce,  il  trouvait  des  consolations  et  de  la  force  pour 
supporter  les  chagrins  et  les  ennuis  de  l'exil  de  ce  monde.  Ils  étaient  les 
témoins  de  sa  conduite  privée,  ils  étaient  également  les  témoins  de  ses 
œuvres  publiques;  et  toujours  ce  qu'il  disait  aux  autres  de  faire,  il  en  avait 
le  premier  donné  l'exemple  dans  ses  œuvres  ;  sa  prédication  était  toujours 
d'accord  avec  son  action.  Toujours  il  était  occupé  à  la  néditation  spiri- 
tuelle, ou  bien  à  la  lecture  des  livres  saints,  ou  bien  encore  à  des  conversa- 
tions sur  le  mépris  du  monde  et  l'amour  de  Dieu,  ou  bien,  seul  avec  Dieu, 
il  se  répandait  en  prières  ardentes  pour  lui-même  et  pour  ceux  qui  lui  étaient 
confiés.  L'évêque  était  le  premier  aux  veilles  de  la  nuit,  aux  offices  du 
matin  ;  il  était  dur  pour  lui-même  et  indulgent  pour  les  autres,  jusqu'au 
point  d'éviter  de  troubler  leur  repos  par  le  moindre  bruit,  quand  il  lui  arri- 
vait de  devancer  l'heure  de  la  prière  commune.  Il  se  retirait  ensuite  dans  le 
secret  de  son  cœur,  et  là,  après  avoir  chassé  le  trouble  des  pensées  du  siècle, 
il  priait  dévotement  son  Père  céleste  et  demeurait  dans  cet  exercice  de  la 
méditation  ou  de  la  lecture  jusqu'à  l'heure  de  Prime  ;  puis,  après  Prime,  il 
faisait  de  même  jusqu'à  Tierce.  Ensuite  il  se  préparait  à  la  célébration  de  la 
messe,  devoir  dont  il  s'acquittait  par  lui-même  tous  les  jours,  ou  du  moins 
très-fréquemment.  A  sa  table  on  faisait  chaque  jour  une  lecture  sacrée,  de 
sorte  que  l'homme  intérieur  recevait  sa  nourriture  en  même  temps  que 
l'homme  extérieur  prenait  la  sienne. 

Dans  les  premiers  temps  de  son  épiscopat,  il  commença  par  réparer 
extérieurement  et  intérieurement  l'église  de  Sainte-Marie  de  Thérouanne, 
qu'il  avait  trouvée  dans  un  état  complet  de  délabrement.  Il  la  rebâtit  même 
en  grande  partie,  et  quand  il  eut,  à  l'aide  du  bois  et  de  la  pierre,  réédifié  ce 
temple  extérieur,  avec  d'autres  bois  spirituels  et  d'autres  pierres  vivantes, 
il  le  rétablit  d'une  manière  bien  plus  utile,  car  il  fit  venir  tous  les  ecclésias- 
tiques savants  et  de  bonnes  mœurs  qu'il  put  trouver  et  qui  n'étaient  inscrits 
dans  aucune  Eglise,  c'est-à-dire,  qui  n'avaient  point  de  bénéfice,  et  il  leur 
assura  une  pension  convenable  et  suffisante  prise  sur  les  revenus  de  l'Eglise. 
Nous  savons,  et  en  toute  vérité  nous  rendons  témoignage  que,  dans  tout  le 
temps  de  son  pontificat,  il  s'abstint  tellement  de  tout  esprit  de  cupidité,  que 
jamais,  ni  par  un  moyen  ni  par  un  autre,  il  n'exerça  la  plus  petite  exaction 
sur  ses  sujets,  clercs  ou  laïques.  Jamais  même  il  ne  voulut  percevoir  les 
amendes  que  les  lois  imposent  (dans  certains  cas  de  violation  des  constitu- 
tions ecclésiastiques),  bien  que  plusieurs  l'aient  blâmé  d'agir  ainsi.  Aussi 
arriva-t-il  que  le  clergé  fut  plus  utile  et  plus  vénéré  dans  l'Eglise  de  Dieu,  et 
que  les  malveillants  n'eurent  plus  d'occasion  de  décrier  les  prêtres  du  Seigneur. 

Il  s'efforça,  tant  par  ses  paroles  que  par  son  exemple,  de  ramener  dans 
la  bonne  manière  de  vivre  d'autres  ecclésiastiques  de  ce  diocèse  qui,  depuis 
longtemps  déjà,  marchaient  par  les  voies  larges  du  siècle  et  suivaient  les 


54  27  J^UVYIER. 

désirs  de  la  chair.  Il  en  trouva  qui  étaient  infectés  de  la  peste  de  la  simonie, 
et  il  résolut  d'employer  toutes  ses  forces  à  la  combattre  et  à  l'anéantir.  Les 
églises  d'Ypres  et  de  Formeselles  étaient  dans  les  mains  d'hommes  souillés 
par  cette  hérésie  ;  il  les  leur  enleva  par  les  voies  canoniques,  et  loua  la  vigne 
du  Seigneur  à  d'autres  laboureurs.  Quand  il  eut  ainsi  délivré  l'église  d'Ypres, 
après  l'avoir  tenue  quelque  temps  sous  sa  garde  immédiate,  il  la  donna  à  des 
frères  réguliers,  mit  à  leur  tête  un  abbé,  et  la  leur  confia  pour  toujours. 
11  réforma  complètement  Formeselles,  et  dans  ces  deux  églises  on  suivit 
désormais  la  règle  de  saint  Augustin,  et  tous  les  revenus  furent  mis  en 
commun.  Il  institua  en  outre,  en  différents  lieux,  sept  monastères  et  davan- 
tage môme  ;  il  y  plaça  des  congrégations  de  moines  ou  de  clercs  résolus 
à  vivre  selon  la  règle  des  Apôtres.  Quant  aux  autres  ecclésiastiques  qui 
avaient  h  régir  le  peuple  de  Dieu  selon  les  difl'érents  degrés  de  la  hiérar- 
chie, il  savait,  ou  les  avertir,  ou  même  les  forcer  de  veiller  avec  soin  à  l'ac- 
complissement des  devoirs  de  leur  charge  et  à  la  pratique  des  vertus. 

Il  nous  souvient  qu'un  fils  d'iniquité,  poussé  par  le  conseil  de  méchants 
hommes  dans  lesquels  le  démon  agissait,  voulut  un  jour  lui  ôter  la  vie.  Dieu 
seul  fut  son  protecteur  et  empêcha  les  ruses  de  l'ennemi  de  nuire  à  ce 
juste.  Il  traversait  un  petit  village  par  lequel  on  savait  qu'il  devait  passer. 
Voici  tout  à  coup  qu'un  furieux  se  jette  sur  lui,  une  lance  à  la  main,  et 
cherche  à  le  frapper.  Le  prêtre  du  Seigneur  se  retourne  aux  cris  qu'il  entend 
retentir  derrière  lui  ;  il  regarde  l'assassin  sans  trembler,  sans  chercher  à 
fuir,  bien  qu'il  fût  alors  à  cheval  et  son  ennemi  à  pied  ;  l'homme  de  Dieu 
ne  craignait  point  la  mort,  il  la  désirait,  afin  d'être  plus  tôt  avec  Jésus-Christ. 
Alors  arriva  un  prodige  de  la  puissance  divine  :  le  trait  lancé  par  le  mé- 
chant s'arrête  au  milieu  des  airs  et  demeure  suspendu  au-dessus  de  la  tête 
du  pontife.  L'ennemi  n"a  pour  lui  que  la  honte  ;  il  s'enfuit,  et  le  Saint  défend 
de  le  poursuivre.  Mais  Dieu  se  chargea  de  la  vengeance,  et  l'assassin,  aussi 
bien  que  ses  complices,  moururent  bientôt,  après  avoir  été  affligés  de  plu- 
sieurs châtiments. 

Cependant  les  bonnes  œuvres  du  saint  évêque  l'avaient  rendu  un  objet 
de  complaisance  aux  yeux  de  Dieu,  et  d'amour  pour  les  hommes  bons  et 
vertueux.  Ce  que  l'on  apprenait  de  lui  par  la  renommée  était  grand  sans 
doute,  mais  on  avait  de  lui  une  idée  bien  plus  grande  encore  quand  on  se 
trouvait  en  sa  présence.  Son  visage  était  orné  d'une  sorte  de  beauté  angé- 
lique  ;  sur  sa  face  rayonnait  sans  cesse  quelque  chose  de  divin  ;  il  était 
comme  entouré  d'une  sphère  de  respect,  on  ne  pouvait  le  voir  sans  le  véné- 
rer aussitôt,  sans  se  sentir  entraîné  vers  lui  par  une  irrésistible  attraction  du 
cœur.  11  avait  tant  de  familiarité  et  de  crédit  auprès  du  pape  Paschal  II, 
d'heureuse  mémoire,  qu'il  le  regardait  comme  un  de  ses  plus  chers  amis. 
Aussi  il  obtenait  de  lui  tout  ce  qu'il  lui  demandait,  entre  autres  des  privi- 
lèges pour  les  monastères  qu'il  avait  fondés.  Le  même  Pape  avait  tant  de 
confiance  dans  son  intégrité  et  dans  sa  sagesse,  qu'il  le  délégua  souvent 
pour  traiter  à  sa  place  différentes  affaires  concernant  des  églises  ou  des 
personnes.  Il  lui  confiait  aussi  le  soin  de  gouverner  d'autres  églises  pri- 
vées de  leurs  pasteurs.  Cependant  Jean  ne  se  glorifiait  point  de  toutes 
ces  prérogatives  ;  il  n'en  usait  même  ordinairement  point,  ou  tout  au 
plus  agissait-il  assez  pour  ne  pas  être  exposé  au  péché  de  désobéissance. 
Nous  pourrions  en  dire  bien  davantage  sur  ce  sujet  ;  mais  ce  peu  de  détails 
suffira  pour  rappeler  la  mémoire  des  vertus  de  notre  saint  pasteur. 

Il  est  cependant  un  fait  qui  ne  doit  pas  être  passé  sous  silence  et  que 
depuis  longtemps  on  désirait  voir  tracé  par  écrit.  Environ  quinze  ans  avant 


SAINT  JEAN,   TRENTIÈME  ÉVÊOUE  DE  THÉROUANUE^  55 

sa  mort,  il  parcourait  son  diocèse,  selon  ses  habitudes  de  sollicitude  pasto- 
rale, lorsqu'il  arriva  dans  un  endroit  appelé  Merckem  (entre  Dixmude  et 
Ypres),  où  il  reçut  l'hospitalité.  Il  y  avait  auprès  du  parvis  de  l'église  un 
ouvrage  de  fortification,  sorte  de  château-fort  très-élevé,  bâti  depuis  lon- 
gues années  par  le  seigneur  de  cette  terre.  Un  fossé  large  et  profond  entou- 
rait ce  château  qui  n'avait  de  communication  avec  le  reste  du  village  que 
par  un  pont  soutenu  sur  des  poutres  de  distance  en  distance,  appuyé  d'une 
part  au  bord  extérieur  du  fossé,  et  de  l'autre  au  rempart  même  de  la  forte- 
resse, où  Tonne  pouvait  ainsi  pénétrer  qu'après  avoir  monté  le  long  de  ce 
pont  disposé  en  pente.  Le  pontife  était  logé  dans  ce  château  avec  sa  suite 
nombreuse  et  vénérable.  Après  avoir  imposé  les  mains  et  administré 
l'onction  fortifiante  du  chrême  sacré  à  une  grande  foule  de  peuple  dans 
l'église  et  dans  le  parvis,  il  retourna  à  son  logement  pour  changer  d'ha- 
bits, parce  qu'il  avait  ensuite  à  bénir  un  cimetière  destiné  à  recevoir  les 
corps  des  fidèles.  Comme  il  descendait  du  château  et  qu'il  était  vers  le  mi- 
lieu du  pont,  à  une  hauteur  de  trente-cinq  pieds  au  moins,  il  s'arrêta  ;  il 
était  alors  entouré  d'une  foule  nombreuse  qui  le  précédait  et  le  suivait, 
l'accompagnait  à  sa  droite  et  à  sa  gauche.  Tout  à  coup  le  pont  fléchit,  se 
brise,  et,  au  milieu  d'un  craquement  horrible  et  d'un  nuage  de  poussière, 
tout  ce  peuple  est  précipité  dans  le  fossé  avec  son  évêque.  Ici  se  présente  à 
mon  esprit  le  naufrage  de  l'apôtre  saint  Paul,  quand  Dieu  accorda  à  ses 
prières  la  vie  de  toutes  les  personnes  qui  étaient  avec  lui.  De  même  en  fut- 
il  cette  fois,  car,  malgré  le  pêle-mêle  de  tout  le  monde,  malgré  la  chute 
des  poutres,  des  planches  et  de  tant  de  matériaux  de  construction,  per- 
soime  ne  fut  blessé  ;  et  Jean  lui-même,  le  visage  toujours  aimable  et  gai, 
n'ayant  de  l'eau  que  jusqu'aux  genoux,  se  débarrassa,  rendit  grâces  à  Dieu 
et  s'écria  :  Le  démon  a  voulu  empêcher  l'œuvre  de  Dieu,  mais  il  ne  pré- 
vaudra pas,  car  Dieu  est  toujours  avec  nous  ;  puis,  sans  s'arrêter  un  instant, 
il  alla  bénir  le  cimetière. 

Des  vertus  si  éclatantes,  des  témoignages  si  extraordinaires  de  la  pro- 
tection de  Dieu,  avaient  déjà  beaucoup  contribué  à  répandre  dans  le  pays  la 
réputation  de  sainteté  du  digne  évêque  des  Morins.  Les  œuvres  qu'il  opérait 
confirmaient  chaque  jour  ce  sentiment  général.  Sa  sagesse  se  manifesta 
d'une  manière  éclatante  dans  différents  conciles,  en  1099  à  celui  de  Saint- 
Omer,  en  1114  à  celui  deBeauvais,  1113  à  ceux  de  Reims  et  de  Châlons. 
Parmi  les  églises  qu'il  a  relevées  ou  édifiées,  on  cite  sa  cathédrale,  qu'il 
reconstruisit  de  fond  en  comble.  Il  consacra  en  1099  l'église  de  Loo,  près 
de  Dixmude  ;  en  1106  celle  d'Arrouaise,  destinée  à  devenir  la  maison-mère 
d'une  nombreuse  congrégation,  et  en  1123  l'église  de  Nonnenbosche,  abbaye 
de  Bénédictines,  fondée  dans  un  lieu  champêtre,  nommé  Rumettre,  auprès 
d'Ypres.  A  diverses  époques  il  accorda  des  privilèges  à  l'abbaye  d'Andres, 
établit  des  chanoines  réguliers  à  Choques,  près  de  Béthune,  réforma  l'ab- 
baye de  Saint-Pierre  de  Gand  ou  Blandenberg,  fit  en  différents  lieux  des 
donations,  ou  porta  des  règlements  pour  maintenir  la  ferveur  et  l'esprit  de 
régularité.  Le  zèle  du  bienheureux  Jean  n'était  pas  restreint  aux  bornes  de 
son  diocèse,  et  sa  sagesse  bien  connue  faisait  que  beaucoup  recouraient  à  ses 
conseils,  quelquefois  même  à  son  intervention  dans  leurs  difficultés.  Yves  de 
Chartres  lui-môme  réclama  son  concours  dans  une  affaire  importante,  où  il 
s'agissait  de  l'élection  d'un  évêque  à  Beauvais.  Il  s'adressa  à  lui  comme  à 
celui  des  évoques  de  la  province  de  Reims  qui  pouvait  le  plus  influer  auprès 
de  son  archevêque,  pour  repousser  un  sujet  indigne,  que,  contre  la  défense 
expresse  du  Pape,  on  voulait  placer  sur  ce  siège  épiscopal.  Le  docte  évêque 


fîfi  27  JANVIER. 

de  Chaitres  envoya  sa  lettre  à  Lambert  d'Arras  et  à  Jean  de  Thérouannc,  tous 
deux  ses  anciens  élèves  et  les  plus  chers  de  ses  disciples.  «  Toujours  »,  leur 
dit-il,  «  vous  avez  eu  à  cœur  de  repousser  les  loups  qui  voulaient  entrer 
dans  les  bergeries  du  Seigneur,  et,  comme  des  gardiens  fidèles  dans  la  mai- 
son de  Dieu,  de  les  attaquer  s'ils  approchaient.  Nous  exhortons  donc  votre 
religion  à  faire  aujourd'hui  par  obéissance  ce  qu'autrefois  vous  faisiez  par 
amour  de  la  justice.  Vous  donc  qui  êtes  suffragants  de  l'église  de  Reims, 
avertissez  votre  métropolitain,  afin  que,  selon  la  teneur  des  lettres  que  le 
Pape  a  envoyées  aux  habitants  de  Beauvais,  il  exhorte  les  clercs  de  cette 
église  à  faire,  comme  c'est  leur  devoir,  une  élection  canonique  ».  Dans  une 
autre  circonstance,  où  il  s'agissait  de  l'élection  d'un  évêque  pour  l'église 
de  Tournai,  qui  depuis  l'épiscopat  de  saint  Médard  était  réunie  à  celle  de 
Noyon,  le  bienheureux  Jean  se  prononça  encore  avec  une  sainte  liberté  pour  . 
que  l'on  suivît  les  instructions  données  par  le  Pape.  Cette  confiance  du 
souverain  Pontife  envers  le  vénérable  évêque  de  Thérouanne  se  produisit  dès 
les  premiers  temps  de  son  épiscopat. 

11  eut  beaucoup  à  souffrir  pendant  les  trois  dernières  années  de  sa  vie. 
Il  était  chaque  jour  témoin  de  choses  qu'il  ne  pouvait  voir  sans  une  extrême 
douleur.  Car  après  la  mort  du  glorieux  serviteur  de  Dieu,  Charles  le  Bon, 
comte  de  Flandre  et  martyr  (H27),  la  terre  fut  abandonnée  aux  mains 
de  l'impie,  selon  ce  que  dit  l'Ecriture.  11  n'y  avait  plus  que  vols  et  bri- 
gandages, fraudes  et  parjures,  pillages  et  incendies,  homicides  et  combats. 
Toutcela  affligeait  profondément  le  cœur  si  plein  de  charité  de  notre  bonPère. 

Deux  mois  avant  sa  mort,  il  commença  à  éprouver  un  grand  dégoût 
pour  la  nourriture  ;  il  ne  pouvait  plus  prendre  qu'un  peu  de  lait.  Des  symp- 
tômes plus  graves  s'étant  déclarés,  il  fit  venir  les  prêtres  de  l'église,  qui, 
selon  l'autorité  apostolique,  l'oignirent  d'huile  sainte  et  répandirent  sur  lui 
la  prière  de  la  foi.  11  avait  d'abord  confessé  ses  péchés,  puis  il  reçut  le  corps 
sacré  et  le  sang  du  Seigneur,  donna  à  tous  le  baiser  de  paix  et  les  congédia 
afin  de  s'unir  plus  étroitement  à  Dieu  par  la  contemplation.  11  fit  donner 
aux  pauvres  tout  ce  qu'il  avait,  afin  de  suivre,  pauvre,  le  Christ,  son  maître, 
pauvre  lui-même,  et  n'ayant  point  eu  sur  la  terre  un  lieu  pour  reposer  sa 
tête.  Il  donna  à  l'église  ses  manuscrits,  ses  vêtements,  les  vases  sacrés  qu'il 
avait  en  grand  nombre  ;  puis  il  ne  songea  plus  qu'à  prier  et  à  converser 
doucement  sur  les  choses  du  ciel  avec  ses  amis  intimes.  11  nous  prédit  alors 
plusieurs  choses  que  nous  avons  vues  se  réaliser  depuis,  et  régla  l'ordre  de 
sa  sépulture,  gardant  jusqu'à  la  fin  l'usage  de  toutes  ses  facultés  qui  avaient 
toujours  été  si  éminentes.  11  avait  défendu  de  laisser  entrer  personne,  à 
moins  qu'il  n'en  donnât  lui-même  la  permission.  Cependant  une  foule  im- 
mense était  à  la  porte,  accourue  de  la  ville  et  du  dehors,  des  parties  les 
plus  éloignées  du  diocèse.  Hommes  et  femmes  de  tout  rang  étaient  là, 
attendant  humblement  qu'il  leur  fût  donné  de  recevoir  la  bénédiction  du 
saint  prélat.  Ils  espéraient,  disaient-ils,  qu'on  ne  refuserait  point  à  des 
enfants  de  voir  une  dernière  fois  leur  père  bien-aimé.  Ils  demandaient,  ils 
suppliaient,  ils  se  plaignaient  et  se  lamentaient  ;  plusieurs  môme  avaient  fait 
le  serment  de  ne  point  s'en  aller  sans  avoir  été  admis.  Vaincus  par  tant 
d'importunités,  nous  en  dîmes  quelques  mots  au  saint  évêque  ;  il  fit  un 
signe  de  tête  qui  leur  permit  d'entrer.  Ils  entrèrent  alors  dans  le  plus  grand 
silence  ;  il  ouvrit  les  yeux ,  leva  la  main  et  les  bénit.  D'autres  personnes 
viennent  alors  de  tous  côtés  ;  nous  les  introduisons  dans  le  même  ordre 
à  d'assez  longs  intervalles  de  temps,  puis  nous  les  congédions.  Lui,  cepen- 
dant, persévérait  dans  son  silence,  les  yeux  presque  toujours  fermés;  il 


SAINTE  DÉVOTE,  PATRONNE  DE  MONACO.  57 

était  livré  à  une  contemplation  et  à  une  prière  non  interrompues.  Ses  dou- 
leurs étaient  très-vives  ;  mais  il  avait  tant  de  patience  qu'il  était  là,  étendu, 
tranquille  et  silencieux,  sans  proférer  aucune  plainte,  aucun  gémissement. 
Enfin,  à  la  seconde  férié  de  la  semaine,  à  la  première  heure  du  jour,  il 
commença  à  entrer  dans  l'agonie.  Alors,  suivant  sa  volonté,  nous  le  posâ- 
mes sur  un  cilice  recouvert  de  cendres  ;  on  ouvrit  les  portes,  les  clercs  et 
les  moines  accoururent  et  nous  nous  mîmes  à  psalmodier  avec  beaucoup 
d'attention  et  de  ferveur.  Mais  tout  le  monde  pleurait  tellement,  les  gémis- 
sements et  les  lamentations  des  hommes  et  des  femmes  étaient  si  nombreux 
et  si  forts,  que  l'on  ne  savait  plus  distinguer  les  voix  de  ceux  qui  psalmo- 
diaient d'avec  les  accents  de  ceux  qui  pleuraient.  Nous  parcourûmes  ainsi 
la  plus  grande  partie  du  Psautier;  nous  répétions  pour  la  seconde  fois  l'of- 
fice de  la  recommandation  de  l'âme,  lorsqu'enfln  cette  âme  fidèle  se  dé- 
pouilla du  fardeau  pesant  de  son  corps  qui  paraissait  jouir  d'un  doux  som- 
meil, et  s'avança  pour  entrer  en  possession  de  ce  repos  de  l'immortalité 
pour  lequel  il  avait  tant  soupiré  et  tant  travaillé.  Il  a  toujours  tenu  la  foi 
catholique,  il  a  persévéré  jusqu'à  la  fin  dans  les  bonnes  œuvres  ;  aussi  la 
miséricorde  du  Seigneur  lui  a  donné  la  couronne  de  gloire.  H  sortit  de  ce 
monde  l'an  de  l'Incarnation  de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  H30,  le  27  jan- 
vier, à  la  troisième  heure  du  j  our,  après  avoir  gouverné  l'église  de  Thérouanne 
pendant  trente  ans,  six  mois  et  trois  jours. 

Pendant  plusieurs  jours,  son  corps  fut  exposé  publiquement  à  la  véné- 
ration des  fidèles. 

Les  évêques  d'Arras  et  d'.Vmiens  firent  la  cérémonie  des  obsèques  avec 
une  pompe  extraordinaire.  Le  corps  du  Saint  fut  inhumé  dans  son  église 
cathédrale. 


S"  DÉVOTE,  PATRONNE  DE  MONACO,  VIERGE  ET  MARTYRE  (300). 

Dévote,  vierge,  née,  comme  on  le  rapporte,  à  Mariana,  ville  autrefois  importante  de  l'ile  de 
Corse,  souffrit  sous  les  empereurs  DiocléUen  et  Maximien  le  martyre  pour  Jésus-Christ.  Elle  avait 
30  le  bonbeur  de  rencontrer  pour  nourrice  une  femme  chrétienne,  qui  lui  communiqua  avec  son 
lait  le  précieux  aliment  de  la  religion.  Ayant  appris  la  prochaine  arrivée  dans  la  Corse  d'un  envoyé 
romain  qui  venait  pour  exciter  la  persécution  contre  les  chrétiens,  elle  se  retira  dans  la  maison 
d'Eutice,  patricien  et  sénateur  ;  et  là,  vaquant  le  jour  et  la  nuit  à  la  lecture  des  livres  saints,  à 
l'oraison  et  aux  jeûnes  qu'el'e  observait  continuellement,  excepté  le  jour  de  la  résurrection  du  Sei- 
gneur, elle  se  préparait,  comme  si  elle  avait  eu  le  pressentiment  de  l'avenir,  au  combat  suprême 
qui  l'attendait.  Eutice  l'avait  souvent  exhortée  à  tempérer  quelque  peu  l'austérité  de  son  genre  de 
vie  ;  mais  il  finit  par  comprendre  combien  était  vraie  la  réponse  qu'elle  avait  coutume  dé  lui  faire, 
savoir  :  qu'elle  trouvait  une  sufGsante  réfection  dans  les  dons  célestes  que  Dieu  lui  accordait  ;  sons 
la  maigreur  et  la  pâlenr  de  visage  de  la  jeune  fille,  il  vit  paraître  une  effusion  de  lumière  divine 
dont  il  avait  peine  à  soutenir  l'éclat. 

n  vint  donc  de  Rome  dans  l'ile  de  Corse  un  président  du  nom  de  Barbare,  et  la  délation  lui  fit 
bientit  connaître  qu'il  y  avait,  cachée  dans  la  maison  d'Eutice,  une  vierge  chrétienne  à  qni  l'on  ne 
pouvait  persuader  de  répudier  le  Christ  ni  de  vénérer  les  dieux.  Le  président  propose  alors  à  Eutice 
de  la  lui  envoyer,  certain  de  la  faire  changer  d'avis  par  les  menaces  ou  par  les  tourments.  Eutice 
répond  qu'il  a  une  telle  estime  pour  la  vierge,  qu'il  ne  saurait  la  livrer  k  aucun  prix.  Sur  cela  le  rusé 
président  suspendit  l'exécution  de  son  dessein,  et  craignant  que  l'affaire  ne  fût  pas  pour  lui  sans 
péril,  s'il  s'engageait  dans  une  lutte  avec  un  homme  de  ce  rang  et  de  cette  autorité,  il  pensa  qu'il 
valait  mieux  se  débarrasser  déjà  d'Eutice.  A  quelque  temps  de  là  le  sénateur  succombait  an  poison, 
et  incontineat  Dévote  était  saisie  et  traînée  devant  le  tribunal.  Sommée  de  sacrifier  aux  dieux,  elle 
lépondit  qu'elle  rendait  chaque  jour,  dans  la  pureté  de  son  cœur,  un  coite  an  vrai  Dieu;  quant  à 


58  27  J.VNVIER. 

des  dieux  de  cire,  d'argile  et  de  pierre,  attendu  qu'ils  ne  sont  rien  que  des  simulacres,  ouvrages 
faits  de  la  main  de  rhomme,  qui  n'ont  ni  raison,  ni  sentiment,  elle  les  méprisait  souverainement. 
  cela  Barbare,  transporté  de  fureur,  ordonne  qu'on  la  traîne  sur  un  sol  rocailleux  et  inégal,  enfla 
qu'on  la  suspende  au  chevalet,  où,  pendant  qu'elle  expirait,  on  vit  sortir  de  sa  bouche  une  blaocba 
colombe  qui  prit  son  vol  en  haut  el  disparut  dans  le  ciel. 

Comme  l'ordre  avait  été  donné  de  brûler,  le  jour  suivant,  le  corps  de  la  vierge,  deux  clercs, 
qui  se  cachaient  dans  les  environs  par  la  crainte  des  païens,  avertis  par  une  vision  céleste,  l'en- 
levèrent Il  nuit,  l'embaumèrent  avec  le  secours  de  plusieurs  jeunes  filles  chrétiennes  et  le  déposè- 
rent dans  une  embarcation  pour  le  transporter  en  Afrique.  Mais  le  vent  étant  devenu  plus  fort,  et 
la  barque,  qui  était  restée  assez  longtemps  à  sec  sur  le  rivage,  s'affaissant  un  peu  par  !*eau  qu'elle 
recevait,  le  batelier  dut  travailler  beaucoup  durant  une  bonne  partie  de  la  nuit,  si  bien  qu'ensuite, 
vaincu  par  le  sommeil  et  ta  fatigue,  il  s'endormit  un  peu.  Et  voilà  qu'il  lui  sembla  voir  Dévote 
qui  l'avertissait  que  le  vent  et  la  mer  étaient  maintenant  calmes,  et  que  la  barque  était  et  serait 
désormais  impénétrable  à  l'eau;  qu'il  devait  se  diriger  du  coté  où  lui  et  le  prêtre  qui  était  avec 
lui  verraient  s'envoler  une  colombe  sortant  de  sa  bouche,  jusqu'à  ce  qu'ils  arrivassent  en  un  lieu 
nommé  Monachon  *,  des  moines.  Alors  le  batelier  se  levant  et  obéissant  à  la  parole  qu'il  avait 
entendue,  parvint  heureusement  au  port  d'Hercule  Monécus  (Monaco),  précédé  de  la  colombe  qui 

1.  Etymologie  de  Monaco.  —  Les  princes  de  Afonaco,  seigneurs  des  Baux.  —  Tradition  provençale  sur 
les  rots  Mages  ,  dont  un  des  descendants  fat  fondateur  de  la  ville  des  Baux. 

Cette  dtyTQologle  de  Monaco,  qne  le  Propre  de  Corso  fait  venir  de  MonacuSy  moine,  nons  paraît  on 
peu  hasavd(5e,  surtout  si  l'on  considère  que  le  souvenir  d'Hercule  est  mêlÔ  à  cette  dénomination;  car 
longtemps  avant  que  le  monde  eût  même  l'idée  de  l'institution  monastique,  la  ville  s'appelait  Afonos  oikoa, 
EerculU  ou  Hercuîis  Monœci  Portus,  ce  qui  nous  semble  vouloir  dire  maison  unique  on  Isolée  d'Hercule. 
La  cité  fut-ello  appelée  ainsi  parce  que,  comme  on  l'a  encore  dit,  Hercule,  jaloux  des  autres  dieux,  n'y 
souffVit  qne  son  temple  et  que  son  culte  k  lui?  H  suflSt  d'avoir  énoncé  cette  supposition  pour  ranger  le  fait 
dans  le  domaine  de  la  mythologie  païenne.  Il  nous  semble  plus  probable  que  des  navigateurs  grecs, 
frappés  de  l'étroitesse  du  passage  de  Gibraltar,  dont  la  création  était  attribuée  à  Hercule,  qai  aurait 
fendu  la  montagne  en  deux  pour  permettre  aux  deux  mers  de  se  réunir;  il  nous  semble  plus  probable, 
disons-nous,  que  ces  navigateurs,  se  plaçant  sous  les  auspices  d'Hercule,  lui  auront  consacré  la  colonie 
qu'ils  fondèrent  sur  le  microscopique  promontoire  de  Monaco.  Quant  à  l'idée  d'isolement,  pour  qui  a  tu 
les  lieux,  elle  vient  naturellement  îi  l'esprit  :  il  serait  difficile,  en  effet,  d'asseoir  une  autre  ville  à  droite 
ou  à  gauche  de  Monaco.  La  langue  de  terre  sur  laquelle  elle  est  assise  est  environnée  d'eau  de  trois  côté» 
et  adossée  par  le  seul  côté  qui  la  rattache  à  la  terre  à  une  très-haute  montagne.  La  principauté  de 
Monaco  appartient  depuis  la  fin  du  xo  siècle  k  la  famille  des  Grimaldi,  originaire  de  Gênes.  En  1642, 
Honoré  de  Grimaldi  secoua  le  Joug  des  Espagnols  avec  l'appui  de  Louis  XIII.  En  compensation  des  fief» 
d'Espagne  que  cette  rébellion  lui  fit  perdre,  le  monarque  français  lui  abandonna  le  duchrf  de  Valentlnols, 
le  comté  de  Carlndez  et  la  baronnle  de  Calvinet  en  Auvergne,  la  baronnie  de  Buis  en  Dauphlné  et  celle 
des  Baux  en  Provence. 

Notre  Intention  n'est  pas  de  dire  comment  les  princes  de  Monaco  ont  perdu  successivement  tous  leurs 
apanages  et  en  sont  réduits  aujourd'hui  au  seul  rocher  dont  ils  tirent  leur  nom  :  tant  il  y  a  des  noms 
fatidiques  1  Nous  voulons  seulement,  puisque  l'occasion  s'en  présente,  dire  un  mot  de  la  seigneurie  des 
Baux,  qui  leur  a  Jadis  appartenu  et  à  laquelle  se  rattache  nue  tradition  religieuse  très -intéressante.  £n  le 
consignant  ici,  nous  la  sauverons  peut-être  de  l'oubli. 

Derrière  la  petite  chaîne  des  Alpines  ou,  pour  être  plus  précis,  sur  leur  fianc  méridional,  en  face  de 
la  plaine  aride  de  la  Cran  et  des  campagnes  marécageuses  d'Arles,  Dieu  a  taillé  dans  le  roc,  sur  des  pro- 
portions gigantesques,  l'une  des  plus  grandes  scènes  de  désolation  dont  11  ait  été  donné  h  l'sll  humain  de 
contempler  les  sublimes  horreurs.  C'est  un  cataclysme  de  la  nature  arrêté  tout  h  coup  à  l'apogée  de  son 
développement  et  respecté  dans  tout  son  désordre  depuis  des  siècte->  par  l'action  du  temps  et  par  la  main 
de  l'homme.  Il  n'y  a  Ik,  en  effet,  qne  dOB  collines  horriblement  tourmentées  et  des  roches  colossales 
entassées  Jes  unes  sur  les  autres.  Nous  n'essayerons  pas  de  décrire  le  spectacle  qui  s'y  déroule  à  nos 
regards;  nous  aimons  mieux  renvoyer  nos  lecteurs  à.  la  Divine  Comédie  du  Dante,  qui  avait,  comme  on 
l'assure,  cette  vallée  de  deuil  sous  les  yeux  qaand  11  écrivait  le  douzième  chant  de  scu  Inferno. 

Or,  à  la  cime  dn  roc  abrupt  et  escarpé,  surplombant  à  l'orient  tout  ce  pêle-mêle  de  montagnes  et  de 
eolUnes  renversées,  s'élève  la  petite  ville  des  Baux.  Au  xive  siècle,  la  ville  des  Baux  avait  une  population 
de  quatre  mille  âmes;  elle  n'en  compte  plus  aujourd'hui  que  cinq  cents I  Bâtie  dès  les  premiers  siècles  de 
notre  ère,  en  888,  dit-on,  elle  devint,  à  la  fin  dn  ze  siècle,  le  fief  principal  d'une  maison  puissante  dont 
le  nom  se  rencontre  a  chaque  page  dans  les  Annale$  du  Midi  delà  France,  Son  fondateur  ne  serait  autre, 
il  en  croire  La  Pise  (d'Orange)  et  autres  historiens,  qu'un  prince,  éthiopien  de  naissance,  mais  indien 
d'orlt;Ine,  Balthazar,  arrière-petit-fils  du  Mage  du  même  nom  quel'étoileconduisltjusqu'hrétable  de  Bethléem; 
aussi  la  maison  des  Baux,  en  souvenir  de  son  origine,  portait-elle  sur  son  écusson  de  gupulfs  à  t'éloile 
d'argent  irradiée  en  seize  rais,  et  son  cri  de  guerre  était  :  A  l'azar,  Bautézarl  (Au  hasard,  BalthazarîJ 

Hommes  h  l'humeur  excessivement  turbulente  et  remuante,  les  princes  des  Baux  prirent  une  large 
part  aux  événements  qui  signalèrent  le  moyen  âge  en  Provence.  Il  n'y  a,  en  effet,  en  ces  temps  reculés, 
ancuno  guerre,  aucune  expédition,  aucun  combat  oîi  Ils  ne  furent  noblement  représentés.  Possesseurs  de 
terres  Immenses,  qui  étalent  disséminées  par  toute  la  Provence  et  qu'ils  avalent  appelées  de  leur  propre 
nom  Terres  Dnns-ienques,  Ils  profitèrent  des  invasions  barbares  afin  de  former  une  puissance  qui  fût  assez 
forte  pour  tenir  tête  durant  trois  siècles  aux  rois  d'Arles  et  autres  souverains  de  la  contrée.  Il  fallut,  en 
1631,  le  canon  de  Lonls  XIH  pour  faire  rendre  le  dernier  soupir  k  la  féodalité  provençale  qol  s'était,  pour 


SAINT  GAMRT.BRRT,   CTOi  EN  BAVIÈRE.  59 

lui  montrait  le  chemin,  et  qui  s'arrêta  en  cet  endroit,  c'est-à-dire  entre  Nice  et  Albintemclium 
(Vintimille).  Depuis  lors  sainte  Dévote  est  honorée  avec  une  grande  célébrité  dans  ce  pays,  où  l'on 
rapporte  qu'on  l'a  vue  plus  d'une  fois  apparaître  au  sommet  de  la  citadelle  pour  la  délivrer  des 
ennemis.  Cependant  les  Corses,  pour  n'être  pas  privés  de  tout  gage  de  sainte  Dévote,  leur  compa- 
triote, qu'ils  vénèrent  comme  la  patronne  principale  de  leur  lie,  obtinrent  des  habitants  de  Monaco, 
en  1ËS7,  quelques-unes  de  ses  reliques  pour  les  conserver  et  les  vénérer. 

Une  culombe  qui  guide  l'esquif  où  se  trouvent  ses  reliques,  est  l'attribut  de  sainte  Dévote. 

Bré).  d'Âjaccio. 


SAINT  MAIRE,  ABBÉ  DE  V.AL-BENOIS'  (vers  353). 

Saint  Maire  était  d'Orléans  et  d'une  naissance  honnête,  quoique  médiocre.  Devenu  moine  dans 
an  monastère  de  sa  ville  natale,  il  s'engagea  avec  zèle  dans  la  milice  de  Dieu  par  la  pratique  du 
bien.  11  se  faisait  remarquer  entre  tous  ses  frères  par  l'eicellente  pureté  de  ses  mœure  et  l'inno- 
cence de  sa  vie  ;  c'est  pourquoi,  avec  l'assentiment  de  Gondebaud,  roi  de  Bourgogne,  les  frères  dn 
monastère  de  Bodon  ou  Val-Benois ,  dans  le  diocèse  de  Sisteron,  le  choisirent  pour  leur  abbé,  élection 
qui  fut  confirmée  par  l'autorité  de  l'évêqne  Jean  qui  gouvernait  alors  cette  église.  La  charité  et  la 
prudence  de  Maire  répondirent  admirablement  à  ce  qu'on  attendait  de  lui.  Attentif  à  Dieu  seul,  il 
édifiait  en  loi  et  dans  les  siens  le  nouvel  homme  sur  les  ruines  du  vieui,  étant  pour  tons  un  exem- 
plaire de  bonnes  œuvres,  comme  dit  l'Apôtre,  en  doctrine,  en  sainteté,  en  gravité.  Le  pouvoir  des 
miracles  se  développa  chez  ce  dispensateur  fidèle  en  même  temps  que  la  sainteté.  D  ordonna  à  un 
muet  de  parler,  à  un  sourd  de  l'entendre  ;  il  ouvrit  les  yeui  d'un  aveugle  pour  lui  faire  voir  un 
paralytique  qui  marchait  ;  il  arrachait  aux  maladies  leurs  victimes  et  à  la  mort  sa  proie  ;  il  attirait 
sur  les  pécheurs  le  pardon  de  Dieu.  Il  s'endormit  dans  le  Seigneur  vers  le  milieu  dn  vi»  siècle,  le 
27  de  janvier.  Après  l'heureui  décès  de  Maire,  lorsqu'un  temps  considérable  se  fut  écoulé,  que  la 
craanté  de  certaines  nations  (les  Sarrasins  et  les  Normands)  eut  presque  dépeuplé  la  France,  et 
que  les  monastères  du  Christ  furent  devenus  des  déserts,  le  corps  de  l'homme  de  Dieu  dérobé  par 
quelques  hommes,  fut  porté,  par  nne  disposition  de  Dieu,  dans  la  ville  de  Forcalqnier,  où  il  reçoit 
les  hommages  pieux  dn  peuple  et  du  clergé. 


SAINT  GAMELBERT  ',  CURÉ  EN  BAVIÈRE  (vers  l'an  800). 

Cei  homme  de  Dieu  naquit  en  Basse-Bavière,  dans  un  village  dont  le  nom  moderne  est  Mî- 
chaelsbuch',  non  loin  de  l'endroit  où  l'Isar,  qui  vient  des  Alpes  du  Typol,  se  jette  dans  le  Danube. 
C'était  au  commencement  du  viip  siècle,  c'est-à-dire  à  une  époque  où  la  religion  catholique  flo- 
hssait  déjà  au  milieu  des  races  allemandes. 

Les  parents  du  jeune  Gamelbert  étaient  des  propriétaires  auxquels  leurs  bieos  safâsaieai  et  qui 
vivaient  aussi  saintement  que  le  comporte  le  siècle. 

ainsi  dire,  retranchée  derrière  les  mnrailles  de  leur  petite  capitale.  Les  ruines  des  fortîacatîoiis  de  celle-ci 
attestent  hautement  quels  forent  les  efforts  du  roi  très-chrétien  et  de  se»  troupes  pour  amener  la  reddi- 
tion de  cette  place  que  la  nature  avait  fortifiée  plus  encore  que  l'art  lui-même.  Ces  ruines  lont  aussi 
imposantes  que  le  site  oh  elles  se  trouvent  :  ce  ne  sont  que  maisons  gothiques  abandonnées,  murs  k  demi 
écroules,  voûtes  ogivales  disloquées,  tourelles  mutilées,  créneaux  brisés,  colonnes  renversées,  en  un  mot 
dévastation  partout  et  désolation  de  tons  les  côtés;  aussi  la  population  des  Baux  o'a-t-elle  pour  abri  que  les 
décombres  des  habitations  princières  et  des  demeures  seigneuriales. 

1.  Alias  Mary,  Marins,  Maure.  —  La- Val-Benois  correspond  au  latin  Vallis  Boionensis.  Lei  anteura  qui 
ont  traduit  par  Beuvons  ou  Beuvoux  se  sont  donc  trompés.  Il  n'y  a  point  de  lieu,  dans  rancîen  diocèse  de 
Sisteron,  qui  porte  exactement  ce  nom.  Le  village  de  Bevons,  situé  à  une  lieue  de  la  ville,  n'offre  aucune 
trace  de  monastère,  tandis  que  l'on  voit  les  ruines  de  l'abbaye  de  La-Val-Bsnois  dans  le  village  do 
Saint-May  :   ce  nom  de  Saint-May  est  évidemment  l'altération  de  Marus  ou  Mariia, 

2.  Alias  Gamulbert.  Âmelbert,  Amslbert. 

3.  En  notre  langue  hêtre  Saint-Michel^  ce  qui  est  la  traduction  exacte  dn  fagetum,  appellation  moyeii 
fige  de  cette  localité. 


60  27   JANVIER. 

Son  père  eût  voulu  fïiiâde  lui  uu  soldat  :  pour  lui  faire  prendre  goût  au  uoble  métier,  il  s'amu- 
sait à  le  ceindre  d'un  sabre  onà  lui  faire  endosser  l'uniforme  :  l'enfant  jetait  l'armure  dont  on  le 
révélait  et  ne  témoignait  que  du  dédain  pour  ces  habits  guerriers.  Ses  frères  et  son  père  indignés 
le  traitaient  de  lâche;  celui-ci  le  condamna  même  à  garder  ses  troupeaux  :  le  vertueux  jeune  homme 
l'y  soumit  avec  résignation  et  même  avec  bonheur. 

Un  jour  il  s'était  endormi  à  côté  de  ses  moutons  :  à  son  réveil  il  trouva  an  livre  sur  sa  poitrine. 
Il  comprit  qu'il  lai  était  ordonné  de  s'instruire  et  alla  trouver  des  prêtres  qui  l'initièrent  à  l'étude 
des  saintes  lettres.  Ce  qu'il  lisait  et  apprenait  n'était  pas  pour  lui  lettre  morte.  Ayant  entendu  ses 
pieux  maîtres  dire  que  la  vie  et  la  mort  sont  en  la  puissance  de  lu  lanr/ue,  il  défendit  à  tout 
jamais  à  ses  lèvres  de  pronODcer  non-seulement  une  parole  nuisible,  mais  encore  une  parole 
oiseuse. 

Cependant  il  était  parvenu  à  ce  point  où  l'adolescent  devient  jeune  homme.  Sa  vertu  autant  que 
M  piété  excita  l'envie  de  l'enfer.  Comment  le  faire  tomber? 

Sobre  à  l'endroit  du  boire  et  du  manger,  fidèle  au  devoir  de  la  prière,  économe  de  paroles, 
Gamelbert  veillait  sur  son  corps  aussi  bien  que  sur  son  cœur.  L'ennemi  du  salut  l'attaqua  de  la 
même  manière  que  plus  tard  Thomas  d'Aquin,  de  la  même  manière  qu'il  attaque  la  plupart  des 
jeunes  gens.  Et  que  ceci  soit  un  avertissement  aux  parents.  Saint  Gamelbert  vivait  au  viii»  siè- 
cle, c'est-à-dire  à  mille  ans  de  distance  de  cous.  Eh  bien  !  le  démon  se  servit  pour  le  faire  tomber 
des  mêmes  moyens  qu'il  emploie  encore  contre  nos  enfants  aujourd'hui  :  de  la  séduction  des  mau- 
vaises mœurs.  Dans  ces  occasions  la  fuite  est  le  seul  moyen  de  salut  :  notre  Saint  quitta  brusque- 
ment la  personne  qui  le  tentait  et  alla  mettre  sa  chasteté  sous  la  protection  de  Dieu. 

Mais  le  berger  de  Michelsbuch  avait  été  jugé  digne  du  sacerdoce.  Sur  ces  entrefaites  son  père 
mourut.  Il  reçut  pour  sa  part  d'héritage  la  maison  où  il  avait  vu  le  jour,  avec  les  terres  qui  en 
dépendaient  et  l'église  du  village  :  il  en  prit  possession  comme  pasteur  encore  plus  qne  comme 
propriétaire. 

Rome  alors,  peut-être  encore  plus  qu'aujourd'hui,  attirait  les  âmes  pieuses  :  le  saint  prêtre  en- 
treprit donc  un  pèlerinage  an  tombeau  des  Apôtres.  Sur  sa  roule,  dans  une  maison  où  il  avait  reçu 
l'hospitalité,  il  baptisa  un  petit  garçon  qui  devait  être  saint  Uthon. 

Après  son  retour  il  prit  lui-même  la  direction  de  sa  paroisse  et  déploya  à  un  degré  héroïque, 
dans  l'exercice  du  saint  ministère,  toutes  les  vertus  nécessaires  à  un  curé  de  village  :  la  discrétion, 
l'esprit  de  retraite  et  de  silence,  l'hospitalité  et  surtout  la  charité.  «  Il  était,  dit  son  biographe,  «  le 
père  des  aveugles  et  des  estropiés  :  sa  porte  était  toujours  ouverte  aux  voyageurs  ;  les  malades  et 
les  pauvres  trouvaient  chez  lui  tous  les  secours  possibles,  et  aux  morts  il  accordait  non-seulement 
U  sépulture,  mais  ses  prières  s. 

Telle  était  sa  bonté  d'âme  qu'il  rachetait  les  petits  oiseaux  pour  leur  rendre  la  liberté  lorsqu'il 
en  trouvait  entre  les  mains  des  paysans.  Il  ne  permettait  pas  non  plus  à  ses  propres  domestiques 
d'aller  travailler  aux  champs  ou  aux  bois  lorsque  le  temps  menaçait  d'être  mauvais.  11  affectionnait 
par-dessus  tout  la  tranquillité  et  la  concorde,  rétablissant  la  paix  entre  ses  paroissiens  autant  qu'il 
le  pouvait. 

11  était  médiocrement  instruit  :  mais  il  consacrait  aa  service  de  Dieu  tout  ce  qu'il  savait.  Après 
avoir  passé  cinquante  ans  dans  l'exercice  des  fonctions  sacerdotales,  il  voulut  se  préparer  d'une 
manière  plus  prochaine  an  grand  passage  du  temps  à  l'éternité.  U  avait  depuis  longtemps  quitté  la 
maison  trop  somptueuse  que  lui  avait  laissée  son  père,  pour  une  plus  modeste.  Sur  la  fin  de  sa 
vie,  il  planta  à  quelque  distance,  autour  de  sa  demeure,  quatre  croix  et  se  les  proposa  comme  des 
limites  à  ne  jamais  dépasser.  La  charité  seule  lui  faisait  abandonner  celte  espèce  de  solitude. 
C'est  ainsi  qu'ayant  un  jour  aperçu  deux  hommes  qui  se  battaient  en  dehors  de  cette  enceinte,  il 
courut  i  eux  et  parvint  non-seulement  à  les  séparer,  mais  à  les  réconcilier. 

Cependant  l'heure  de  sa  mort  était  arrivée  :  toute  sa  paroisse  pleurait  autour  de  son  lit  :  «  Mes 
enfants  »,  leur  dit-il,  «  ne  vous  affligez  pas  de  mon  départ.  Le  Seigneur  a  pourvu  à  mon  rempla- 
cement :  il  vous  donnera  nn  saint  pasteur  ».  Le  mourant  voulait  désigner  Uthon  qu'il  avait  autre- 
fois baptisé,  lors  de  son  pèlerinage  à  Rjome.  Celui-ci  fut  mandé  :  le  saint  curé  l'institua  son  héri- 
tier, et  le  présenta  à  ses  ouailles  comme  leur  nouveau  père  spirituel. 

Peu  de  temps  après,  il  convoqua  ses  confrères  dans  le  sacerdoce  pour  lui  administrer  les  der- 
niers sacrements  et  remit  paisiblement  son  âme  entre  les  maies  de  celui  qu'il  avait  si  ardemment 
et  si  constamment  aimé  toute  sa  vie  (27  janvier  800). 

Chacun  le  regretta  comme  un  bienfaiteur,  tous  s'empressèrent  de  l'honorer  après  sa  mort 
comme  un  Saint. 


SAINT  GILBum,   CHANOINE  DE  DOl.  61 

De  nombreux  miracles  glorifièrent  son  sépulcre. 

L'église  qui  reçut  ses  saintes  dépouilles  fut  dès  lors  souvent  visitée  par  les  anges  qui  chantaient 
des  hymnes  sous  ses  voûtes,  l'éclairaient  de  diverses  splendeurs  et  la  parfumaient  de  senteurs  toutes 
célestes. 

Là  plus  d'un  estropié  recouvra  l'usage  de  ses  membres  ;  là  plus  d'un  affligé  puisa  la  conso- 
lation nécessaire  à  l'homme  voyageur  ici-bas  pour  accomplir  sans  désespoir  le  pèlerinage  vers 
l'éternité. 

Nos  voisins  d'Outre-Rhin  ont  représenté  saint  Gamelbert  :  1"  baptisant  saint  Uthon  ;  2»  dans  un 
oratoire  environné  de  moutons.  Ceux-ci  rappellent  sans  doute  la  vie  pastorale  du  futur  pasteur 
d'hommes,  et  celui-là  sa  vie  de  retraite,  sur  la  fin  de  ses  jours. 

Cf.  AA.  SS.,  t.  m,  j«n.,  p.  398,  nouv.  éd. 


SAINT  GILDUIN,  CHANOINE  DE  DOL  (1077). 

Saint  Gilduin  ou  Gildouin,  chanoine  de  l'église  cathédrale  de  Saint-Samson  de  Dol,  fut  fils  de 
Rioualem  ou  Rudalen,  surnommé  Chèvre-Chenue,  seigneur  de  Dol  et  de  Combonr  ;  sa  mère  était  de 
la  noble  maison  de  Payset  dans  la  Beauce,  diocèse  d'Orléans.  11  viat  au  monde  l'an  1052,  sous  le 
pontificat  de  saint  Léon  IX  ;  il  fut  baptisé  dans  l'église  de  Saint-Samson  par  son  oncle  paternel 
Junkenens,  archevêque  de  Dol.  Ses  parents  s'occupèrent  soigneusement  de  son  éducation,  et,  autant 
qu'ils  purent,  ils  le  formèrent  à  la  piété  et  aux  bonnes  mœnrs,  et  l'instruisirent  dans  la  religion  et 
dans  les  belles-lettres.  Après  qa'il  eut  achevé  le  cours  de  ses  études,  ses  père  et  mère  le  voulurent 
marier,  et  lui  chercher  nn  parti  qui  fut  bon  et  avantageux  ;  mais  le  saint  jeune  homme  n'y  voulut 
rien  entendre,  et  leur  fit  savoir  son  intention,  qui  était  d'embrasser  l'état  ecclésiastique,  ou,  selon 
l'ancienne  manière  de  dire,  de  se  faire  d'église.  Les  parents  y  consentirent  volontiers,  et  dès  lors', 
iV*  le  vêtirent  de  long,  le  consacrant  à  Dieu  entre  les  mains  de  son  oncle  Junkeneus. 

Gilduin,  avec  la  tonsure  cléricale,  reçut  un  esprit  tout  nouveau  et  fut  entièrement  changé  en 
nn  autre  homme.  Sa  vie  sainte  et  exemplaire  permit  à  l'archevêque  de  lui  conférer,  nonobstant  sa 
jeunesse,  un  canonicat  dans  sa  cathédrale.  11  fut  ordonné  diacre  au  grand  contentement  du  clergé 
et  du  peuple  dolois,  qui  se  promettaient  quelque  chose  de  grand  de  ce  jeune  homme.  Cependant 
l'église  de  Dol,  florissante  et  heureuse  sous  Junkeneus,  eut  le  malheur  de  tomber  entre  les  mains 
d'un  mauvais  pasteur,  qui,  selon  les  actes  de  saint  Gilduin,  méritait  plutôt  d'être  appelé  are/iîYoup 
qu'archevêque.  C'était  un  de  ces  évêques  simoniaques  qui  donnèrent  tant  de  peine  à  Grégoire  VU, 
la  plaie  de  l'Eglise  en  ce  temps-là  et  qui  l'auraient  perdue,  si  elle  pouvait  l'être.  Ce  loup  fut  sept 
ans  dans  la  bergerie  de  Jésus-Christ  ;  enfin,  à  bout  de  patience,  le  clergé  et  le  peuple  de  Dol  le 
chassèrent  de  la  ville,  et  s'étant  assemblés  pour  élire  un  autre  évèque,  réunirent  tous  leurs  suf- 
frages sur  le  jeune  diacre  Gilduin.  Celui-ci  ne  voulant  pas  d'une  charge  qui  le  forçait  à  renoncer 
à  la  vie  humble  et  retirée  qu'il  affectionnait  par-dessus  tout,  d'une  charge  qui  lui  semblait  d'ailleurs 
beaucoup  trop  lourde  pour  ses  épaules  de  jeune  homme,  fit  tout  ce  qu'il  put  pour  obtenir  que  ses 
concitoyens  revinssent  sur  leur  décision  ;  mais,  ses  efforts  étant  inutiles,  il  en  appela  au  souverain 
Pontife,  qui  était  alors  saint  Grégoire  VU.  Il  se  disposa  donc  à  partir  pour  Rome,  et  pria  Even, 
ou  Ivon,  abbé  de  Saint-ÎIelaine-les-Rennes,  de  lui  tenir  compagnie  en  ce  voyage.  Le  chapitre  de 
Dol  envoya  aussi  ses  députés  pour  supplier  Sa  Sainteté  de  confirmer  l'élection  qui  avait  été 
faite.  Arrivés  à  Rome,  ils  comparurent  tous  à  l'audience  du  Pape.  Les  députés  représentaient  à  Sa 
Sainteté  les  belles  qualités  dont  leur  élu  était  doué,  les  nécessités  de  l'église  de  Dol,  auxquelles 
nul  ne  pouvait  mieux  remédier  que  lui,  non-seulement  à  cause  de  la  sainteté  de  sa  vie,  mais  aussi 
de  la  noblesse  de  son  extraction,  et  ils  concluaient  qu'il  plut  à  Sa  Sainteté,  sans  avoir  égard  aux 
excuses  de  Gilduin,  de  confirmer  l'élection  qu'ils  avaient  faite  de  lui.  De  son  côté,  Gilduin  supplia 
le  Saint-Père  de  ne  vouloir  pas  mettre  une  charge  si  pesante  sur  ses  faibles  épaules,  fit  valoir  eoa 
âge  peu  avancé,  son  incapacité  et  les  autres  raisons  que  son  humilité  lui  fournissait. 

Admirant  celte  humilité,  Grégoire  Vil  en  fit  compliment  à  Gilduin  :  «  Mon  fils  »,  lui  dit-il, 
«  votre  conduite  est  sage,  parce  qu'elle  est  conforme  aux  saints  canons.  Loin  de  vous  ingérer 
imprudemment,  vous  vous  excusez  par  des  raisons  prudentes.  Sachez  doac  que  je  ferai  voloolier» 

1.  2.9  Ftie  Albert  le  Grand,  de  Morlaix. 


62  27   JANVIER. 

ce  que  vous  me  demandez,  pour  ne  pas  vous  accabler  d'un  fardeau  supérieur  à  votre  âge  ».  Puis 
le  Saint-Père  le  pria  de  loi  nommer  celui  de  sa  compagnie  qu'il  jugerait  le  plus  capable  d'occuper 
le  siège  épiscopal.  Gilduin  l'ayant  remercié,  s'en  retourna  vers  les  députés  et  leur  déclara  l'inten- 
tion du  Pape,  suivant  laquelle  ils  consentirent  qu'il  reaonçit  à  son  élection  et  qu'il  nommât  tel 
qu'il  jugerait  à  propos.  Lui,  bien  aise  de  cette  résolution,  alla  trouver  Sa  Sainteté  et  la  pria  de 
consacrer  Even,  abbé  de  Saint-Melaine-les-Rennes,  homme  d'une  vertu,  d'une  doctrine  et  d'une 
sainteté  signalées.  Le  Pape  approuva  cette  nomination  et  sacra  Even  archevêque  de  Dol,  dans  l'é- 
glise de  Latran,  en  présence  des  cardinaux  et  des  prélats  qui  se  trouvaient  alors  en  cour  romaine, 
l'an  1016.  Le  Samt-Père,  en  congédiant  Even  et  sa  compagnie,  lui  donna  une  lettre  de  reoommaa- 
dation  pour  tons  les  évèques  de  Bretagne,  dont  voici  quelques  passages  : 

o  Grégoire,  évèqne,  serviteur  des  serviteurs  de  Dieu,  à  tous  les  évèques  de  Bretagne,  salut  et 
bénédiction  apostolique.  Nous  croyons  que  vous  n'ignorez  pas  comment  le  clergé  et  le  peuple  da 
Dol  nous  ont  adressé  un  jeune  homme  d'une  naissance  assez  illustre,  selon  ce  qu'on  nous  a  dit, 
demandant  qu'il  fût  ordonné  par  Nous  pour  être  leur  évêque.  La  cause  étant  examinée  comme  il 
convenait,  Nous  avons  reconnu  en  lui  les  mœurs  honnêtes,  eu  égard  à  son  âge,  mais  non  encore 
assez  mûries  et  affermies  pour  soutenir  le  poids  de  l'épiscopat.  C'est  pourquoi  Nous  avons  décidé 
qu'il  ne  serait  prudent,  ni  pour  lui-même,  ni  pour  vous,  de  le  charger  d'an  fardeau  si  lourd.  Mais 
avec  l'aide  de  Dieu,  Nous  avons  trouvé  parmi  ceux  qui  l'accompagnent  une  personne  beaucoup 
plus  en  rapport  avec  cette  dignité  par  son  âge,  par  sa  science  et  par  la  gravité  de  sa  conduite  : 
c'est  Yvon,  abbé  de  Saint-Melaine,  que  Nous  avons  ordonné,  bien  que  malgré  loi  et  quoique 
astreint  à  l'obéissance,  sur  la  demande,  sur  le  choix  du  jeune  homme  et  des  autres.  Nous  Ini  avons 
aussi  accordé  l'honneur  et  l'usage  du  pallium  pour  votre  direction  et  pour  celle  de  toute  la  pro- 
vince, k  la  condition  toutefois  qu'il  ne  refusera  pas  de  se  présenter  en  temps  opportun  pour  discu- 
ter la  plainte  que  notre  confrère  Rodolphe,  archevêque  de  Tours,  fait  depuis  longtemps  à  l'audience 
de  nos  prédécesseurs  et  à  la  nôtre,  touchant  la  soumission  de  ce  siège  de  Dol  à  celui  de  Tours,  et 
touchant  le  refus  d'obéissance,  etc..  » 

Avec  ces  lettres  et  plusieurs  belles  reliques  dont  le  Pape  leur  fit  présent,  nos  Bretons  sortirent 
de  Rome  et  s'en  retournèrent  en  France.  Lorsqu'ils  eurent  passé  les  Alpes,  Gilduin  se  sépara  de 
l'archevêque  et  se  dirigea  vers  l'Orléanais  pour  visiter  ses  parents  maternels.  11  tomba  malade  ^ 
Payseaux.  Sentant  sa  fin  approcher,  il  se  fit  porter  à  Chartres,  pour  faire  sa  prière  à  Notre-Dame. 
De  là,  il  alla  loger  au  monastère  de  Saint-Pierre-en-Vallée,  situé  au  faubourg  de  Chartres  ;  il  fut 
(oigné  par  les  religieux  bénédictins  pendant  sa  maladie,  et  Dien  l'appela  à  lui  le  27  de  janvier, 
l'an  de  grâce  1077.  Il  fut  enterré  au  milieu  du  chœur  de  l'église  du  monastère.  Des  miracles  s'é- 
tant  opérés  à  son  tombeau,  ses  ossements  furent  levés  de  terre  quatre-vingt-dix  ans  après  sa  mort, 
transférés  en  une  chapelle  et  renfermés  dans  une  châsse  par  l'abbé  Foulcher,  quatorzième  abhé  de 
Saint-Pierre-en-Vallée.  Une  seconde  translation  des  saintes  reliques  eut  lieu  en  1666;  elles  furent 
déposées  très-solenncUement  dans  la  cathédrale  de  Chartres,  où  elles  demeurèrent  jusqu'à  la  Révo- 
lation.  A  cette  époque  désastreuse,  les  reliques  de  saint  Gilduin  ont  disparu. 

L'ancien  diocèse  de  Dol  en  célébrait  autrefois  la  fête  le  27  janvier  du  rite  double  majeur,  et  le 
Bréviaire  de  Chartres  «a  fait  mention  au  iS  novembre,  parmi  les  Saints  de  ce  diocèsa. 


MARTraOLOGKS.  63 


XXVIir  JOUR  DE  JANVIER 


MARTYROLOGE   ROMAIN. 

A  Rome,  sainte  Agnès,  pour  la  seconde  fois  '.  —  Au  même  lien,  saint  Flavien,  martyr,  qni 
Bonffrit  sons  Dioclétien  2.  Vers  304.  —A  Apollonie,  les  saints  martyrs  Thyrse,  Leuc«  et  Calii- 
nique,  qui,  après  avoir  été  tourmentes  de  diverses  manières  au  temps  de  l'empereur  Uèce,  con- 
sommèrent leur  martyre,  le  premier  et  le  dernier  par  la  décollation  ;  le  second  rendit  son  ûme  à 
Dieu  après  qu'il  eut  entendu  une  voiï  céleste  qui  l'appelait.  250.  —  Dans  la  Thébalde,  les  saints 
martyrs  Léonide  '  et  ses  compagnons,  qui  remportèrent  la  palme  du  martyre  au  temps  de  l'empe- 
reur Dioclétien.  Vers  304.  —  A  Alexandrie,  la  mémoire  de  plusieurs  saints  martyrs  *,  que  Syrien, 
chef  militaire  et  arien,  fit  périr  de  diverses  manières  ce  même  jour,  les  ayant  surpris  dans  l'église 
pendant  qu'ils  célébraient  la  synaie  ou  les  saints  mystères.  Slô. —  En  la  même  ville,  saint  Cyrille, 
évêque  de  ce  siège,  défenseur  très-illustre  de  la  foi  catholique,  qui  se  reposa  en  paix  aussi  grand 
par  sa  sainteté  que  par  sa  science.  44 1.  —  A  Saragosse,  saint  Valère,  évéque.  315.  —  A  Cuença, 
en  Espagne,  la  naissance  au  ciel  de  saint  Jolien,  qui,  après  avoir  distribué  aux  pauvres  les  reve- 
nus de  son  église,  et  vécu  du  travail  de  ses  mains,  à  l'exemple  des  Apôtres,  mourut  en  paix,  célèbre 
par  ses  miracles.  1207.  —  Au  monastère  de  Réome  (Moutier-Sainl-Jean),  les  funérailles  de  saint 
Jean,  prêtre,  homme  de  Dieu.  545.  —  En  Palestine,  saint  Jacques,  ermite,  qui  demeura  long- 
temps caché  dans  un  tombeau,  pour  faire  pénitence  d'une  faute  qu'il  avait  commise,  et  émigra  de 
ce  monde  vers  le  Seigneur,  glorieux  par  ses  miracles  '.  vi«  s. 

MARTYROLOGE  DE  FRANCE,  REVU  ET  AUGMENTÉ. 

A  Cisoing,  en  Flandre,  saint  Arnodl,  écuyer  d'un  seigneur  de  ce  pays,  qui  fut  exécuté  à  un 
gibet  par  les  ennemis  de  son  maître,  et  souffrit  volontiers  la  mort  pour  la  piété  et  pour  la  justice. 
Ses  reliques  ont  été  entièrement  dispersées  par  les  hérétiques,  viu»  s.  —  Dans  la  même  province, 

1.  Toir  sa  21  janvier.  C'est  l'apparition  de  sainte  Agnès  'a  ses  parents  qae  l'Eglise  entend  a&ibter 
•njounl'lial  en  nommant  sainte  Aguts  pour  la  deuxième  fois  an  Martyrologe. 

2.  Saint  Flavien  était  préfet  de  Rome.  AA.  SS.,  t.  m  de  Janvier,  p.  449. 

3.  Les  Grecs  font  aussi  mémoire  de  saint  Léonide  et  de  ses  compagnons  en  ce  même'jour.  lis  nomment 
parmi  eux  Asclas,  martyr,  que  les  Latins  mettent  'a  part  an  23  de  janvier.  Lenra  actes,  recneillis  par 
ilétapbraste,  se  trouvent  an  tome  va  de  Lipoman  et  au  vie  de  Snrius.  (Babonius.) 

4.  L'Eglise  d'Alexandrie  écrivit  l'histoire  du  massacre  de  ces  victimes  de  l'tiérésie  arienne  dans  une 
lettre-circulaire  adressée  à  tons  les  âdèles  du  Cluist.  On  y  lit  :  a  Ces  choses  se  sont  passées  la  veille  des 
calendes  de  février,  après  le  consulat  d'Arbétion  et  de  Loliianus  ••  Saint  Athanase  en  parle  aussi  danf 
son  EpUre  à  un  solitaire,  dans  V Apologie  à  Constance  et  dans  VApologie  de  sa  fuite. 

6.  n  serait  dangeretis  de  laisser  croire  aux  lecteurs  de  la  vie  des  Saints  que  les  héros  du  christianisme 
ont  ignoré  les  faiblesses  de  notre  pauvre  humanité.  Hélas  1  hélas!  que  d'astres  sont  tombés  des  hauteurs 
de  la  perfection  et  combien  n'y  sont  pas  remontés!  Ceux-lii,  il  faut  les  plaindre;  mais  il  faut  admirer  et 
Imiter  ceux  qui,  après  avoir  failli,  se  sont  relevés.  Tel  est  saint  Jacques,  ermite.  Depuis  quinze  ans,  U 
vivait  dans  la  retraite,  priant,  jeûnant  et  se  mortifiant.  Dieu  lui  avait  accordé  le  don  des  miracles,  et  ce 
don  même  fut  l'occasion  de  sa  chute.  Après  avoir  résisté  à  une  malheureuse  qui  était  venue  le  tenter 
dans  le  désert,  11  succomba  de  Ini-mgme  devant  une  jeune  fllle  qu'on  lui  avait  amenée  pour  la  délivrer 
du  démon  impur,  qu'il  délivra  en  effet  et  qu'on  loi  laissa  afin  qu'il  prévint,  par  sa  prière  et  sa  surveil- 
lance, le  retour  du  mal.  Après  la  faute,  Jacqnes  tua  celle  à  qui  il  avait  ravi  sa  virginité  :  non-seniement 
elle,  mais  le  jeune  frère  qu'un  père  trop  confiant  avait  laissé  comme  sauvegarde  à  cette  Infortunée,  puis 
il  livra  les  denx  corps  an  courant  du  Jourdain.  Telles  sont  les  œuvres  dn  démon,  telle  est  la  faute  que 
nous  signale  le  martyrologe  romain. 

Le  démon,  suivant  son  habitude,  se  b&ta  de  jeter  le  désespoir  dans  l'âme  da  pauvre  Jacques  :  déjà  11 
fuyait  les  lieux  théâtre  de  quinze  ans  da  pénitence  et  de  trois  crime»  énormes  ;  heureusement  pour  lui,  11 
rencontra  un  vieil  anachorète  qui  connaissait  les  abîmes  de  la  malice  de  l'homme  et  les  profondeurs  de  la 
mitéricorde  divine  :  il  le  retint  sur  le  bord  du  précipice.  Jacques  B'enfon;a  plus  avant  dans  le  désert,  loin 


64  28  J.VNVIE&. 

le  bienheureui  Richard,  célèbre  abbé  de  Vancelles  «.  1160.  —  k  Aii-la-ChapelIe,  le  bienhenreuï 
Cbarlemagne,  roi  de  France  et  empereur,  qui  ne  s'est  pas  rendu  moins  illustre  par  son  insigne 
piélé  que  par  la  sagesse  de  son  gouvernement  et  par  ses  grandes  conquêtes.  814.  —  A  .Moud,  an 
duché  de  Juliers,  saint  Irmonz,  berger,  sous  le  nom  duquel  l'ancienne  église  cémétériale  de  ce  lieu  était 
dcdiée  '.  V»  s. —  A  Tours,  la  fête  de  sainte  Madré  et  de  sainte  Britie,  dont  le  décès  est  marqué  le 
15  janvier.  —  A  Gap,  la  fête  de  saint  Pelade,  dont  la  naissance  an  ciel  se  trouve  indiquée  an 
7  janvier.  —  A  Arles,  la  fêle  de  sainte  Césarie  ',  dont  l'entrée  au  ciel  est  le  12  de  janvier.  —  A 
Strasbourg,  saint  Prii  et  saint  Marin,  martyrs  '.  —  A  Nimes,  la  fête  de  saint  Julien  et  sainte  Basi- 
lisse,  dont  il  est  fait  mention  le  9  janvier  au  martyrologe  romain.  —  A  Agen,  sainte  Libérate, 
Tierge  et  martyre.  —  A  .Moutier-Saint-Jean,  au  diocèse  de  Dijon,  saint  Jean  de  Réome,  l'nn  des 
patriarches  de  la  Tie  monastique  en  France.  D  avait  coutume  de  dire,  pendant  le  travail  des  mains 
qu'il  présidait  lui-même  :  0  mon  Dieu,  j'aime  mieux  vos  commandements  que  l'or  et  la  topaze.  539 
ou  3  i5.  —  Au  même  lieu,  saint  Pbilomère,  qui  aida  saint  Jean  de  Réome,  à  son  retour  de  Lérins, 
à  rétablir  l'autonté  de  la  règle.  vi«  s.  —  Pour  mémoire,  saist  Hilaire  et  sainte  Qoieta,  le  père  et 
la  mère  de  saint  Jean  de  Réome. 


MARTYROLOGES  DES   ORDRES   RELIGIEDX. 

Martyrologe  de  l'Ordre  de  Saint-Basile.  —  A  Alexandrie,  saint  Cyrille,  de  l'Ordre  de  Saint- 
Basile,  etc.,  comme  ci-dessus  an  martyrologe  romain. 

Martyrologe  des  Chanoines  réguliers.  —  A  Rome,  sainte  Agnès,  pour  la  seconde  fois,  etc., 
comme  an  martyrologe  romain. 

Martyrologe  de  fOrdre  de  Saint-Benoit,  des  Camaldules  et  de  la  Congrégation  de  Vallom- 
breuse.  —  Saint  Paul,  premier  ermite,  dont  il  est  fait  mention  le  15  janvier. 

Martyivloge  de  fOrdre  de  Citeaux.  —  A  Lauzanne,  saint  Amédée,  d'abord  abbé  de  Haute- 
Combe,  de  l'Ordre  des  Cisterciens,  ensuite  évèque  de  la  même  ville,  illustre  par  sa  piété  et  sa 
science,  et  serviteur  excellent  de  la  bienheureuse  Vierge,  Mère  de  Dieu.  1158. 

Martyrologe  de  POrdre  de  In  Très-Sainte  Trinité.  —  La  fêle  de  l'Apparition  de  sainte  Agnès, 
vierge  et  martyre,  qu'Innocent  lU,  après  l'apparition  d'un  ange  qu'il  vit  en  ce  jour,  pendant  qu'il 
célébrait  la  sainte  messe  dans  l'église  de  Latran,  assigna  à  l'Ordre  de  la  Très-Sainte-Trinilé,  institué 
pour  le  rachat  des  captifs,  comme  sa  patronne  principale  et  privilégiée. 

Martyrologe  de  l'Ordre  des  Frères  Prêcheurs.  —  A  Toulouse,  la  translation  de  saint  Thomas 
d'Aquin. 

Martyrologe  Romano-Séraphique.  —  A  Palerme,  le  bienheureux  MATHtEO  d'Aghigente, 
évèque  de  cette  ville,  confesseur,  de  l'Ordre  des  Mineurs,  compagnon  de  saint  Bernardin  de  Sienne, 
et  l'imitateur  très-illustre  de  ses  vertus,  et  surtout  de  sa  piété  envers  la  Mère  de  Dieu  et  le  Très- 
Saint  Nom  de  Jésus.  Après  avoir  géré  saintement  et  puis  ensuite  déposé  la  charge  épiscopale,  il  se 
reposa  dans  le  Seigneur  le  1  janvier,  remarquable  par  la  renommée  de  ses  miracles  et  par  un  culte 
immémorial  approuvé  de  l'autorité  apostolique.  7  février  1451. 

Mnrtyrologe  des  Carmes  Chausse's  et  Déchaussés.  —  A  Alexandrie,  saint  Cyrille,  évèque  de 
cette  ville,  de  l'Ordre  des  Carmes,  etc. ,  comme  ci-dessus  au  martyrologe  romain. 

Martyrologe  des  Ermites  de  Saint-Augustin.  —  A  Milan,  an  monastère  de  Sainte-Marthe,  la 

de  toat  regard  hnmaln.  n  s'ensevelit  tout  vivant  dans  un  sépulcre  abandonné,  et,  comme  an  antre 
DaWd,  pleura  Jour  et  noit  sa  faute  pendant  dix  ans,  an  bout  desquels  le  Créateur  le  rappela  'a  loi.  n  put, 
avant  sa  mort,  espérer  que  Dlea  lui  avait  rendu  toute  sa  faveur,  puisque  la  contrée  voisine  du  désert 
où  il  vivait  obtint,  par  ses  prières,  nne  pluie  dont  ses  champs  étaient  privés  deptûs  longtemps.  —  AA, 
SS..  t.  m  de  juaner,  nouv.  éd.,  p.  iSl  et  suiv. 

1.  Ce  fut  le  grand  saint  Bernard  de  Clairvau.\  qui  conduisit  lol-mtoe  «alnt  Richard  h,  Vancelles  pour 
remplacer  le  bienheureux  Raoul  qui  venait  de  monrir.  Il  n'avait  point  vu  depuis  longtemps  cette  commu- 
nauté, fille  de  la  sienne;  aussi  sa  Joie  fat  grande  quand  il  y  trouva  rénnis  cent  sept  religieux,  trois  novices 
et  cent  trente  convers.  Telle  était  en  I152  l'abbaye  de  Vancelles.  Le  dernier  abbé,  Alexandre  Peuvlon, 
mourut  en  exil  à  Francfort-sur-le-ileln,  en  1797. 

2.  On  voit  encore  à  Mond  la  fontaine  de  saint  Jrmonz,  qo'il  fit  Jaillir  de  terre  avec  son  pied  ^  une 
époque  de  sécheresse,  pour  abreuver  son  troupeau.  Les  eaux  en  sont  salataires,  surtout  pour  la  guérison 
des  animaux.  Les  Hollandais  ayant  brillé,  en  1602,  l'église  et  les  archives  de  Mond,  on  ne  sait  plus  rien 
du  Saint  que  ce  qu'en  rapporte  la  tradition.  tJne  verrière  de  l'église,  en  1639.  représentait  saint  Irmonz 
en  ermite,  tenant  d'une  main  sa  boulette,  et  de  l'autre  un  rosaire  :  un  chien  mené  en  laisse  est  à  ses 
cotes  ;  dans  la  campagne,  des  poulaiua  qui  bondissent,  dea  boeufs,  des  Ânes,  des  porcelets. 

8.  Voyez  le  12  Janvier, 

«.  Voyez  le  25  Janvier.  Saint  Prix  et  saint  Marin  sont  honorés  au  diocèse  de  Strasbourg,  parce  qu'il» 
furent  assassinés  en  Alsace  au  retour  de  lenr  voyage  &  la  conr  de  Chlldéric,  roi  d'Aastrasle,  et  parce  qu'il 
y  avait  de  leurs  reliques  au  monastère  de  Marbay.  Un  collège  de  chanoines  fut  établi  snr  le  lieu  même  oll 
•alnt  Marin  avait  Uemearé;  il  fut  dans  la  suite  transfi'ré  a  Tiiann  par  une  décision  du  Concile  de  Bâle. 


MARTmOLOGES.  63 

bieahenreuse  Véronique,  vierge,  de  notre  Ordre,  illustre  par  sa  sainte  vie  et  par  le  don  admirable 
des  visions;  elle  éniigra  de  ce  monde  vers  son  céleste  épouï  le  13  de  janvier  '. 

Mariyrotuge  des  Servîtes.  —  Saint  Canut,  roi  et  mattjr,  dont  l'entrée  au  ciel  est  mentionnée  le 
7  janvier. 

ADDITIONS    FAITES    d'APRÈS    LES   BOLLANDISLES   ET   AUTRES    HAGIOGRAPnES. 

A  Corinthe,  en  Grèce,  sainte  Corintliie  dont  le  nom  est  resté  inconnu  et  que  l'on  a  désigné  sous 
le  nom  de  sa  ville  natale.  Elle  pratiquait  l'état  de  virginité  tant  recommandé  par  l'apôtre  Paul  qui 
évaogélisa  sa  patrie,  lorsqu'elle  fut  dénoncée  comme  chrétienne  aux  autorités.  Corinthie  était  si 
belle  et  si  gracieuse  que  le  juge  auquel  on  la  déféra  résolut  de  la  délivrer  de  la  mort  dans  le  but 
d'en  faire  sa  victime  ;  mais  tous  ses  elîorts  échouèrent  devant  l'inébranlable  fermeté  de  la  vierge 
de  Jésus-Christ.  Outré  de  fureur,  ce  juge  abominable  la  condamna  à  être  jetée  dans  une  maison  de 
déshonneur.  Le  Seigneur  entendit  les  gémissements  de  la  colombe  prise  dans  les  filets  des  oise- 
leurs. Poussé  par  l'esprit  de  Dieu,  un  jeune  chrétien  nommé  Magistrin,  obtint  de  s'introduire  le 
premier  auprès  d'elle  :  là,  se  jetant  k  ses  genoux,  il  la  supplia  de  prendre  sa  vie.  Elle  accepta  donc 
les  vêtements  de  son  libérateur  et  put  sauver  son  honneur.  Magistrin  fut  condamné  aux  bêtes  qui, 
en  le  dévorant,  lui  procurèrent  une  double  couronne  dans  le  ciel.  —  A  Ephèse,  en  Asie,  saint 
Jean  l'Ancien  ou  le  Prêtre,  l'un  des  soixante-douze  disciples  de  Jésus-Christ  ;  l'un  des  témoins 
de  ses  prodiges  et  de  sa  prédication;  l'un  des  premiers  prédicateurs  de  l'Evangile  et  des  doc- 
teurs les  plus  estimés  ;  évèque  d'Ephèse  ;  maître  de  saint  Paphyas  •.  —  En  Grèce ,  saint 
Charité,  martyr,  qui  périt  après  avoir  eu  les  pieds  coupés.  —  A  Trévi,  en  Italie,  les  saints 
Emilien,  évêque,  Hilarien,  moine,  Hermippe  et  Denis,  martyrs  sous  Dioclétien.  —  En  Syrie, 
saint  Pallade,  anachorète,  compagnon  de  saint  .Siméon,  qu'il  ne  faut  pas  confondre  avec  l'auteur 
de  l'Histoire  L'tusinqw.  11  vécut  près  d'Antioche.  Fin  du  iv»  s.  —  A  Aix-la-Chapelle,  saint  Spée, 
confesseur,  dont  les  reliques  furent  emportées  de  cette  ville  dans  celle  d'Hïrtzbourg  en  1072,  puis 
à  la  destruction  de  celle-ci  par  les  Saxons,  deux  ans  après,  dans  un  monastère  inconnu.  —  A  Pise, 
le  bienheureux  Barthélémy  Aiutamicristo,  religieux  camalduledu  couvent  de  Saint-Fridien.  Son  corps 
s'est  conservé  intact  pendant  plus  de  quatre  siècles,  jusqu'à  l'incendie  de  l'église  de  Saint-Fridien  en 
ICIo.  Eu  1799,  on  fit  pendant  trente  jours  des  prières  solennelles  pour  demander  à  Dieu,  par  la 
médiation  de  saint  Barthélémy,  le  retour  des  Pisans  que  la  République  française  gardait  comme 
otages  à  Dijon.  Le  culte  immémorial  rendu  au  bienheureux,  la  confiance  qu'ont  eue  de  tout  temps 
en  son  intercession  plusieurs  villes  d'Italie,  ont  récemment  déterminé  la  Congrégation  des  Rites  à 
confirmer  ce  culte.  28  janvier  1224.  —  En  Hongrie,  sainte  Marguerite,  vierge,  de  la  race  de  saint 
Etienne,  roi  de  Hongrie,  et  religieuse  de  l'Ordre  de  Saini-Dominique,  qui  comptait  quatre  monas- 
tères de  femmes  dans  cette  contrée  ^.  An  1271. —  A  Riva,  dans  le  diocèse  de  Côme,  le  bienheureux 
Manfred,  ermite.  An  1430.  —  A  Ravenne,  la  vénérable  Gentille,  veuve,  qui  fut  l'élève  de  sainte 
Marguerite  de  Ravenne.  An  1530.  —  Dans  le  comté  de  Fife,  en  Ecosse,  saint  Glastien,  évêque.  830. 
—  A  Saragosse,  en  Espagne,  le  bienheureux  Nicolas  de  Orbita,  laïque,  de  l'Ordre  des  Frères  Mineurs. 
Dieu  seul  connaît  le  détail  de  ses  saintes  actions.  Son  corps  fut  trouvé  intact  dix-neuf  ans  après  sa 
mort.  1259.  —  A  Capistran,  dans  l'Abbruzze,  le  bienheureux  Ange  de  Canosa,  aussi  laïque  de 
l'Ordre  des  Frères  Mineurs.  Un  malade  que  l'on  portait  sur  un  brancard  fut  guéri  en  passant,  le  jour 
des  funérailles  du  bienheureux  Ange,  près  de  son  saint  corps. 

1.  Voir  an  13  Janvier. 

2.  Saint  Jean,  surnommé  l'Ancien  ou  le  Prêtre,  dans  l'Eglise  primitive,  est  différent  de  saint  Jean 
l'Apôtre,  comme  l'ont  reconnu  les  Pères  et  en  particulier  Eusfebe  et  saint  Jérôme.  Cette  distinction  est 
fondée  sur  la  tradition  des  anciens,  qui  ont  parlé  de  deux  ministres  de  Jésus-Christ  appelés  Jean,  et  sur 
le  témoignage  authentique  de  saint  Papias,  disciple  de  saint  Jean  l'Evanjéliste.  (Cf.  Euseb.,  Uist.,  1.  UI« 
C  33;  S.  Hieron.,  lie  vir.  ill.,  c.  18,  et  Hist.  des  soixante-douze  d<sc!{Àes,  etc. 

8.  Voir  au  2S  janvier. 


TiEf  DES  S.UNTS.  —  Tome  II. 


66  28  JA.NVIER. 


SAINT  CYRILLE,  PATRIARCHE  D'ALEXANDRIE, 

DOCTEUR   DE   L'ÉGLISE 


412-444.  —  Papes  :  saint  Innocent  l's  saint  Zoziice;  saint  Boniface  !*>■;  saint  Célestia  I*"-; 
saint  Sixte  III  ;  saint  Léon  le  Grand.  —  Empereur  d'Orient  :  Théodose  ÏI,  le  Jewie. 

Ne  fuite»  pas  aus.  antres  ce  que  tods  ne  roadriez  pas 
qu'on  vous  fit  h  vous-même  :  Si  la  main  de  Dieu 
no  vous  atteint  pas  dès  ce  monie, pour  avoir  touché 
à  ta  prunelle  de  soji  œil^  le  châtiment  es:  réservé  k 
vos  enfants,  à  vos  proches,  a  ceux  qui  vous  sont 
pies  chers  que  vous-même- 

Alexandrie  d'Eg^-pte  et  Constantinople  se  disputent  la  gloire  d'avoir  vu 
naître  celui  que  le  concile  de  Ghalcédoine  devait  appeler  plus  tard  V avocat 
de  la  foi  orthodoxe  et  sans  tache. 

Nourri  dès  l'enfance  dans  l'élude  des  livres  sacrés  sous  les  yeux  de  son 
oncle  Théophile,  le  fameux  patriarche  d'Alexandrie  qui  se  montra  l'ennemi 
constant  de  saint  Chrysostorae,  Cyrille  y  joignit  ensuite  celle  de  la  tradition, 
et  il  fut  toujours  si  attaché  à  la  doctrine  des  anciens  Pères,  qu  il  n  ensei- 
gnait rien  que  d'après  eux,  ainsi  qu'il  nous  l'apprend  lui-même.  Ses  h^Tes 
contre  Julien  l'Apostat  font  voir  qu'il  avait  aussi  une  grande  connaissance 
des  auteurs  profanes.  , 

Jlais  à  un  certain  point  de  vue  l'éducation  du  cœur  n  avait  pas  été  aussi 
bonne  que  celle  de  l'esprit.  Son  oncle  lui  avait  inspiré  tous  ses  préjuges, 
toute  sa  haine  contre  saint  Jean  Chrysoslome.  Dieu  qui  n'épargne  point  la 
verge  à  ses  saints  permit  précisément  que  Cj-rille  fût,  comme  saint  Chrysos- 
tome  toute  sa  rie  en  butte  aux  plus  atroces  calomnies. 

L'élection  qui,  après  la  mort  de  Théophile,  le  porta  sur  le  siège  d'Alexan- 
drie fut  très-orageuse  :  une  fois  élu,  il  persista  dans  le  schisme  de  son 
oncle  que  Rome  avait  excommunié  à  cause  de  sa  coupable  fureur  contre 
saint  Jean  Chrysostome.  Les  calamités  et  les  désastres  ne  nîanquèrent  pas  au 
jeune  patriarche.  La  capitale  de  l'Egypte  semblait  un  foyer  d'émeutes  et  de 
séditions  auxquelles  son  nom  et  sa  personne  étaient  injustement  mêlés. 

\u  commencement  de  son  épiscopat,  des  mesures  rigoureuses  furent 
prises  par  le  pouvoir  politique  contre  les  Juifs  et  les  Novatiens  :  les  uns 
et  les  autres  furent  expulsés  d'Alexandrie.  On  accusa  saint  Cyrille  d'avoir 
poussé  à  cette  mesure,  tandis  qu'en  vérité  les  excès  seuls  de  ces  sectaires  en 

furent  la  cause. 

D'abord  en  ce  qui  concerne  les  Juifs,  les  édits  proclamés  contre  eux  à  cette 
époque  prouvent  que  leur  animosité  contre  les  chrétiens  se  portait  à  d'in- 
croyables fureurs.  Un  jour,  toute  la  multitude  étant  réunie  à  l'amphithéâtre, 
pour  prévenir  les  collisions  entre  Israélites  et  chrétiens,  le  gouverneur 
Oreste  ût  lire  une  ordonnance  de  police.  Quelques  familiers  de  l'évêque 
étaient  là  et  parmi  eux  Hierax,  professeur  de  grammaire.  Aussitôt  que  les 
Juifs  l'aperçurent,  ils  se  mirent  à  crier  qu'il  venait  à  l'amphithéâtre  pour 
exciter  une  sédition.  Leurs  vociférations  durèrent  longtemps  et  rien  ne  pou- 
vait les  apaiser.  Le  gouverneur  fit  appréhender  Hierax  que  l'on  fiagella  publi- 


SAINT   CYRILLE,    PATRLVRCHE   D'ALEX^I^DHIE.  67 

quement  sur  la  scène.  II  se  vengeait  ainsi  de  saint  Cyrille  à  qui  il  en  voulait. 
A  celte  nouvelle  l'évêque  manda  les  principaux  d'entre  les  Juifs  et  leur  signifia 
d'avoir  à  cesser  de  molester  les  chrétiens.  Cette  attitude  énergique  de  saint 
Cyrille  ne  fit  que  redoubler  la  colère  des  enfants  d'Israël.  Une  conspiration 
s'ourdit  entre  eux,  dans  le  but  d'organiser  un  massacre  général  des  chré- 
tiens. Les  conjurés  choisirent  pour  signe  de  ralliement  un  anneau  d'écorce 
verte  de  palmier  que  chacun  d'eux  devait  porter  au  doigt.  Une  nuit  donc,  & 
un  signal  donné,  le  cri  au  feu  !  se  fit  entendre  dans  toutes  les  rues  de  la  ville. 
C'était,  disait-on,  la  grande  église  d'Alexandrie  qu'avait  atteint  l'incendie. 
Les  chrétiens,  sortant  de  leurs  maisons,  se  précipitaient  de  ce  côté.  Mais  les 
Juifs,  embusqués  au  passage,  égorgeaient  tous  ceux  qui  ne  portaient  pas 
l'anneau  d'écorce  verte.  Au  lever  de  l'aurore  on  constata  un  horrible  mas- 
sacre. Les  auteurs  du  guet-apens  furent  bientôt  découverts.  Les  chrétiens 
coururent  aux  synagogues  qu'ils  renversèrent.  Quelques  Israélites  furent 
tués  et  les  autres  chassés  de  la  ville.  Le  gouverneur  civil  se  montra 
vivement  irrité  de  cet  acte  d'omnipotence  de  la  part  des  chrétiens.  II  en 
adressa  ses  plaintes  à  l'empereur.  Saint  Cyrille  écrivit  de  son  côté,  et  la 
chancellerie  de  Constantinople  donna  tort  aux  Juifs  qui  ne  rentrèrent  pas 
dans  Alexandrie.  Ce  n'est  pas  tout  :  l'historien  Socrate  lui-même,  celui  qui  a 
tant  calomnié  saint  Cyrille,  nous  apprend  que  dans  la  petite  ville  d'Inmestar, 
située  entre  Antioche  et  Chalcis,  les  Juifs  crucifièrent,  en  plein  théâtre,  un 
enfant  chrétien  et  le  firent  mourir  dans  les  tortures  '.  Une  loi  de  Théodose 
le  Jeune  fut  édictée  à  l'occasion  de  cet  horrible  attentat.  A  toutes  les  grandes 
solennités  hébraïques,  les  fils  d'Israël  se  donnaient  le  barbare  plaisir  de 
brûler  triomphalement  l'image  révérée  de  la  croix  où  Jésus-Christ  avait  été 
immolé  par  leurs  aïeux  *.  A  cette  époque,  ils  essayaient  simultanément  sur 
tous  les  points  de  l'empire  un  de  ces  mouvements  insurrectionnels  dont  la 
conjuration  d'Alexandrie  n'était  qu'un  épisode.  Le  début  de  l'épiscopat  de 
saint  Cyrille  fut  aussi  marqué  par  la  fermeture  des  églises  que  les  Novatiens 
possédaient  dans  sa  ville  épiscopale.  Ce  fut  encore  un  sujet  d'accusations 
passionnées  contre  lui  :  et  pourtant  l'on  agissait  en  vertu  d'une  prescription 
du  pouvoir  impérial  qui  était  portée  depuis  longtemps. 

Reste  une  troisième  accusation  dont  on  chargea  la  mémoire  de  saint 
Cyrille,  je  veux  dire  le  meurtre  d'Hypatia. 

Hypatia  était  une  jeune  fille  d'Alexandrie  dont  le  génie  supérieur  s'était 
élevé  au-dessus  de  tous  les  sages  de  son  temps.  Elle  avait  succédé  au  célèbre 
Plotin  dans  la  chaire  de  philosophie  platonicienne.  Sans  se  restreindre  aux 
limites  exclusives  d'une  école,  elle  avait  étudié  à  fond  les  divers  systèmes 
philosophiques  de  l'antiquité  et  les  expliquait  à  ses  auditeurs.  De  tous  les 
points  du  monde  on  accourait  à  ses  leçons.  La  prudence  et  la  gravité 
d'Hypatia  étaient  égales  à  sa  modestie.  Les  hommes  d'Etat  avaient  recours  à 
ses  lumières  ;  elle  pouvait  sans  inconvénient  professer  un  cours  public,  car 
sa  haute  vertu  et  le  respect  général  formaient  comme  un  rempart  autour 
d'elle.  Le  gouverneur  Oreste  l'appelait  à  ses  conseils.  Sa  mort  fut  résolue 
par  quelques  hommes  du  peuple  sans  qu'on  ait  jamais  éclairé  le  motif  vrai 
de  ce  drame.  Ce  fut  la  corporation  des  Parabolani,  —  association  formée 

1.  Cf.  Socrate,  Bisi.  ecclesias.,  lib.  vu,  cap.  16  ;  PatroL  grœc,  t.  Lsvn,  col.  772,  et  la  Chronograpfùe 
de  Théophane,  ad  ann.  408.  La  Chronologie  de  The'ophane  est  en  retard  de  sept  ans  sur  notre  ère  vulgaire. 
L'année  403  répond  donc  très-exactement  à  l'année  415.  (M.  Darras,  Bist.  de  l'Eglise^  t.  xil,  p.  430.) 

2.  Le  Corpus  juris  civilù:  porte  mention  de  cette  coutume  hébraïque  qui,  dans  nos  mœurs,  paraîtrait 
incroyable.  (Cod.,  lib.  i,  tit.  9,  n.  11,  col.  64.) 

Honorius,  en  Occident,  par  une  loi  da  2  mars  418,  Interdisait  aux  Juifs  les  charges  ckiles  et  iea 
fonctions  militaires. 


68  28  J.VNVIEII. 

pour  le  transport  des  malades  et  des  pestiférés  au  grand  hôpital  d'Alexandrie 

—  qui  se  chargea  do  l'exécution  de  ce  complot  sinistre.  Ils  épièrent  le 
moment  favorable,  et  un  jour  que  Hypatia  rentrait  chez  elle,  les  Parabolani 
arrêtèrent  son  char,  la  saisirent  elle-môme  et  la  traînèrent  jusqu'au  portique 
d'une  église  appelée  le  Kxsarion.  Après  l'avoir  dépouillée  de  ses  vêtements, 
ils  lui  arrachèrent  les  membres  les  uns  après  les  autres  et  allèrent  la  brûler. 
Comme  le  gouverneur  de  la  ville,  Oreste,  était  mortellement  brouillé  avec 
saint  Cyrille,  on  prétendit  que  Hypatia  avait  empêché  par  son  influence  la 
réconciliation  entre  l'un  et  l'autre  :  les  ennemis  de  l'évêque  l'accusi-rent 
d'avoir  trempé  dans  cette  sanglante  exécution  populaire.  Mais  l'autorité 
impériale  de  Constantinople  déchargea  complètement  l'évêque  d'Alexandrie 
de  toutes  les  accusations  portées  contre  lui,  inspirées  par  les  passions  poli- 
tiques, et  pour  cela,  il  fallait  qu'il  fùl  innocent  deux  fois  plutôt  qu'une,  car 
on  sait  que  de  tout  temps  l'autorité  temporelle  n'a  pas  été  tendre  envers 
l'autorité  spirituelle.  Nous  avons  encore  aujourd'hui  le  rescrit  de  Théodose 
le  Jeune  relatif  au  meurtre  d'Hypatia'.  Des  mesures  rigoureuses  furent 
prises  contre  les  auteurs  de  cet  attentat;  la  société  des  anciens  Parabolani 
fut  dissoute,  et  la  société  des  nouveaux  placée  sous  la  direction  exclusive  du 
patriarche  d'Alexandrie. 

La  vérité  a  triomphé  des  calomnies  intéressées  que  le  judaïsme,  le  paga- 
nisme et  l'hérésie  ont  accumulé  à  l'envi  contre  un  grand  et  saint  évêque. 
Les  contemporains  nous  ont  transmis  le  témoignage  non  suspect  de  leur 
estime  et  de  leur  admiration  pour  lui.  Ils  aimaient  à  le  comparer  à  saint 
Athanase  dont  il  faisait  revivre  l'éloquence,  l'énergie  et  la  sainteté  ;  auquel, 
chose  digne  de  remarque,  il  ressemblait  au  physique  par  sa  petite  taille,  sa 
démarche  modeste  et  son  air  d'imposante  majesté.  Pendant  trente-deux 
ans  d'épiscopat,  sa  vie  ne  cessa  d'être  un  modèle  de  foi  et  de  piété. 

Saint  Cyrille  eut  à  combattre  les  derniers  restes  du  paganisme  en  Egypte. 
Ses  armes,  quoi  qu'on  en  ait  dit,  n'étaient  point  de  celles  qui  tuent  les 
corps.  Il  n'employa  dans  cette  lutte  que  la  prière  et  l'intercession  des  saints. 
Yoici  le  témoignage  d'un  chroniqueur  contemporain  :  «  A  deux  stades  de 
Canope,  se  trouve  une  petite  bourgade  nommée  IManutha.  Les  païens  s'y 
étaient  réfugiés  comme  dans  un  dernier  asile.  Le  démon  et  ses  mauvais 
anges  avaient  là  une  forteresse  au  cœur  de  l'Egypte.  Les  efforts  du  pa- 
triarche Théophile  avaient  échoué  contre  les  païens  de  Manutha.  Le  bienheu- 
reux Cyrille  se  préoccupa  vivement  de  cette  situation.  Un  jour  que  dans  sa 
prière  il  demandait  à  Dieu  avec  larmes  de  lui  inspirer  les  meilleurs  moyens 
de  triompher  d'une  si  longue  résistance,  un  ange  lui  apparut  et  lui  dit  : 
Porte  dans  ce  village  des  reliques  du  martyr  Cyrus'  et  de  l'évangéliste  Marc. 

—  Le  bienheureux  évêque  suivit  le  conseil  céleste.  Le  28  juin  414,  la  trans- 
lation solennelle  des  reliques  eut  lieu  à  Manutha,  et  fut  accompagnée  de 
nombi'eux  miracles.  A  partir  de  ce  jour,  la  petite  bourgade  fut  tout  entière 
convertie  au  christianisme,  et  la  clémence  de  Jésus-Christ  Notre-Seigneur 
continue  à  y  opérer  des  merveilles  par  l'intercession  des  saints  martyrs'  ». 
Jaan  Moschus,  dans  les  vies  des  Pères,  nous  a  conservé  un  trait  de  la  vie  de 
saint  Cyrille  qui  nous  révèle  à  la  fois  sa  douceur,  sa  prudence  et  son  humi- 
lité. «  Un  vieil  anachorète,  habitant  une  solitude  voisine  d'Alexandrie,  sur 
les  bords  du  Nil,  s'était,  je  ne  sais  trop  comment,  persuadé  que  le  pa- 
triarche Melchisédech  était  fils  de  Dieu.  L'évêque  Cyrille,  de  bienheureuse 

1.  Voir  Baronlas,  Anuaks,  ad  ann.  416,  n.  38,  33,  t.  vu,  nouv.  éd.;  Bar,  1869. 

2.  Saint  Cyms,  médecin  d'Alexandrie,  martyrisé  avec  saint  Jean,  le  81  janvier  311,  sous  Maximia  II- 
I.  BolUnd.,  Âcl.  Saiicl. 


SADvT   CTRnXE,   PAT11I.UICHE   d'AIEXANBRIE.  69 

mémoire,  en  fut  informe.  L'erreur  du  solitaire  tenait  à  la  simplicité  de  son 
esprit,  mais  n'altérait  en  rien  la  sainteté  de  sa  vie,  et  le  vénérable  vieillard 
continuait  à  être  l'objet  des  faveurs  divines.  Des  grâces  signalées  étaient 
chaque  jour  obtenues  par  son  intercession.  CjTille  trouva  moyen  de  le  cor- 
riger de  son  erreur  sans  humilier  son  caractère.  Il  lui  députa  un  de  ses 
prêtres,  chargé  d'un  message  ainsi  conçu  :  Mon  père  (abba),  je  suis  dans 
une  certaine  perplexité  d'esprit.  D'un  côté  il  me  semble  que  Melchisédech  a 
été  fils  de  Dieu;  de  l'autre,  des  raisons  non  moins  plausibles  me  détermi- 
neraient à  penser  qu'il  ne  fut  qu'un  homme  revêtu  de  la  dignité  de  prêtre 
du  Très-Haut.  J'hésite  entre  ces  deux  sentiments.  Je  vous  conjure  de  con- 
sulter à  ce  sujet  le  Seigneur  dans  votre  prière,  et  de  m'apprendre  ce  qui 
vous  aura  été  révélé. —  Le  vieillard  répondit  à  renvo\-é  :  Je  ferai  ce  que  le  saint 
évêque  me  demande,  et  dans  trois  jours  je  pourrai,  j'espère,  donner  une 
réponse.  —  Il  s'enferma  dans  sa  cellule  et  passa  tout  ce  temps  en  oraison. 
Le  troisième  jour,  Cyrille  vint  en  personne  à  la  cellule  du  vénérable  soli- 
taire, qui  lui  dit  en  le  voyant  :  Melchisédech  n'était  qu'un  homme.  — 
Comment  le  savez-vous,  mon  pcre  ?  demanda  l'évêque.  —  Le  vieillard 
répondit  :  Le  Seigneur;  dans  une  vision,  a  fait  passer  sous  mes  yeux  tous  les 
patriarches  depuis  Adam  jusqu'à  Melchisédech.  L'ange  qui  me  montrait  ce 
dernier  l'a  désigné  en  disant  :  Celui-ci  est  Melchisédech.  Il  ne  saurait  donc  y 
avoir  de  doute,  Melchisédech  fut  un  homme,  ainsi  que  tous  les  autres  pa- 
triarches.—  Depuis  lors,  pour  réparer  l'erreur  qu'il  avait  autrefois  enseignée, 
il  ne  manquait  jamais  de  la  rétracter  en  présence  de  la  foule  qui  assiégeait 
constamment  sa  cellule,  et  le  bienheureux  évêque  remerciait  Dieu  dans  son 
cœur  '  ». 

Cependant  six  ans  s'étaient  écoulés  depuis  que  saint  Cyrille  avait  succédé 
à  son  oncle,  et  les  relations  entre  lui  et  le  Pape  restaient  toujours  interrom- 
pues. Tout  ce  qu'il  y  avait  de  saints  hommes  en  Orient  gémissait  profondé- 
ment de  cette  scission  et  hâtait  par  ses  vœux  le  moment  de  la  réconciliation. 

Ce  moment  si  ardemment  désiré  arriva  enfin. 

Le  point  contesté,  on  s'en  souvient,  était  l'inscription  du  nom  de  saint 
Jean  Chrysostome  sur  les  diptyques  sacrés.  En  se  refusant  si  longtemps  aux 
vœux  de  l'Eglise  romaine,  Cyrille  paya  son  tribut  à  l'humaine  faiblesse  qui, 
même  dans  les  natures  les  plus  élevées,  est  sujette  à  de  lourdes  méprises. 
En  tout  cas,  nous  ne  devons  pas  oublier  que  la  mère  de  Cyrille  était  la  sœur 
de  Théophile  :  le  sang  pouvait  égarer  sa  charité.  En  repoussant  la  mémoire 
de  Jean,  il  croyait  protéger  celle  de  son  oncle.  Habitué  dès  l'enfance  à  l'ho- 
norer comme  un  maître,  à  l'aimer  comme  un  père,  l'alfection  respectueuse 
qu'il  lui  portait  l'empêchait  de  soupçonner  les  passions  de  l'homme  dans  le 
zèle  du  pontife.  Jeune  encore,  il  avait  assisté  à  l'assemblée  dite  du  Chêne, 
où  les  assertions  de  tant  d'évêques  avaient  dû  le  frapper  et  l'impressionner 
contre  le  pasteur  de  Byzance,  faussement  représenté  à  ses  yeux  comme  un 
hérétique,  comme  un  homme  ivre  de  lui-même,  dont  l'orgueil  foulait  aux 
pieds  les  canons  et  le  respect  dû  à  ses  frères,  et  il  ne  pouvait  se  persuader 
qu'un  prélat  réprouvé  par  son  oncle  pût  être  autre  chose  qu'un  grand 
coupable. 

11  fallut  donc  à  la  vérité  bien  du  temps  pour  traverser  cette  couchyi 
épaisse  de  préventions.  Mais  Dieu  eut  pilié  d'une  âme  noble  et  pure  et  lui 
ouvrit  les  yeux.  On  raconte  que  Cyrille  eut  une  vision  dans  laquelle  il  lui 
sembla  voir  Jean  qui,  suivi  d'un  nombreux  cortège  de  saints  et  lançant  des 
regards  indignés,  s'apprêtait  à  le  chasser  de  l'Eglise,  tandis  que  la  Mère  de 

I.  Bollacd.,  Aet.  Sonet. 


70  28    JANVIER. 

Jésus-Christ,  envers  laquelle  saint  Cyrille  nourrissait  la  plus  tendre  vénéra- 
tion, intercédait  pour  lui  et  demandait  son  pardon.  Cyrille  médita  cette 
vision  et  se  reprocha  de  s'être  scandalisé  au  sujet  de  saint  Chrysostome. 

L'ardente  imagination  des  Orientaux  a  donné  un  caractère  surnaturel  à 
une  conversion  qui  paraît  s'être  accomplie  sans  intervention  miraculeuse. 
Mais  on  aime  à  voir  sous  cette  allégorie  de  la  vision,  l'action  des  Saints 
partout  présente  dans  les  événements  décisifs  de  la  vie  des  hommes  et  des 
peu|)les.  Ce  fut  un  Saint  en  elTet  qui  convertit  cet  autre  Saint. 

En  ce  temps-là,  le  monastère  de  Peluse,  situé  sur  une  montagne  voisine 
d'Alexandrie,  avait  pour  abbé  le  célèbre  prêtre  Isidore.  On  dit  qu'il  avait  été 
disciple  de  saint  Chrj'sostome,  et  il  l'appelait  volontiers  l'œil  de  l'Eglise.  Or, 
non-seulement  saint  Cj'rille  partageait  la  vénération  unanime  de  ses  con- 
temporains pour  l'illustre  cénobite  Isidore,  mais  encore  il  lui  avait  confié  la 
conduite  de  son  âme.  Dans  l'affaire  de  Chrysostome,  l'obstination  de  CjTille 
scandalisait  Isidore.  11  unit  par  lui  adresser  une  lettre  aussi  touchante  que 
hardie,  dans  laquelle  il  lui  disait  :  «  Si  je  suis  ton  père,  comme  tu  le  dis,  je 
dois  craindre  d'attirer  sur  moi  le  supplice  d'Héli,  si  terriblement  châtié 
pour  avoir  négligé  la  correction  de  ses  enfants...  Fais  cesser  ces  querelles, 
afin  que  je  ne  sois  pas  condamné,  et  que  Dieu  ne  prononce  pas  contre  moi 
un  jugement  effroyable.  Ne  cherche  pas  plus  longtemps  la  vengeance  d'une 
injure  particulière  et  domestique...  Ne  la  fais  pas  peser  sur  l'Eglise  tou- 
jours vivante,  etc..  » 

Cyrille  se  sentit  vaincu  :  la  vérité  reprit  son  empire  sur  cette  âme  droite 
et  pure.  Il  n'avait  d'ailleurs  aucun  autre  moyen  d'obtenir  la  communion  si 
désirée  de  l'Eglise  romaine.  Ayant  donc  assemblé  les  évêques  de  son  patriarcat, 
il  inscrivit  solennellement  le  nom  de  Chrysostome  dans  les  diptyques,  et,  à 
ce  prix,  rentra  en  grâce  avec  le  Saint-Siège  (418). 

Mais,  l'affaire  capitale  de  la  vie  de  saint  Cyrille,  ce  fut  la  lutte  contre 
Nestorius.  Nestorius,  moine  et  prêtre  d'Antioche,  avait  tout  ce  qu'il  faut 
pour  en  imposer  au  peuple,  qui  se  laisse  toujours  prendre  aux  apparences. 
11  menait  une  vie  retirée,  avait  un  extérieur  pénitent  et  mortifié,  et  joignait 
à  quelques  connaissances  une  grande  facilité  à  s'exprimer  ;  mais  il  cachait 
sous  ces  dehors  une  profonde  hypocrisie,  un  orgueil  insupportable,  un  esprit 
faux  et  entêté  de  ses  propres  idées,  qu'il  préférait  à  la  doctrine  des  anciens 
Pères  '.  Le  siège  de  Constantinople  étant  devenu  vacant,  il  y  fut  élevé  en 
428.  Il  commença  son  épiscopat  par  persécuter  avec  une  espèce  de  fureur 
les  Ariens,  les  Macédoniens,  les  Manichéens,  les  Quartodéciraans ,  et  il  finit 
par  les  chasser  de  son  diocèse.  Il  se  trompa,  s'il  voulut  s'attirer  par  une  telle 
conduite  la  réputation  de  pasteur  zélé  :  le  vrai  zèle  ne  donne  point  dans  les 
extrémités.  Au  reste,  dans  le  temps  que  Nestorius  persécutait  avec  tant  de 
violence  les  hérétiques  dont  nous  venons  de  parler,  il  niait,  avec  les  Péla- 
giens,  la  nécessité  de  la  grâce,  quoiqu'il  reconnût,  avec  l'Eglise,  l'existence 
du  péché  originel.  On  le  vit  même  communiquer  avec  Célestius  et  Julien, 
ces  deux  principaux  défenseurs  de  Pelage,  et  cela  après  que  les  papes  Inno- 
cent et  Zozime  les  eurent  condamnés,  et  que  l'empereur  Honorius  les  eut 
chassés  de  l'Occident.  Il  ne  s'en  tint  pas  là  ;  il  os;i  prêcher  et  faire  prêcher 
publiquement  qu'il  y  a  deux  personnes  en  Jésus-Christ,  celle  de  Dieu  et  celle 
de  l'homme  ;  que  le  Verbe  ne  s'est  point  uni  hypostatiquement  à  la  nature 
humaine  ;  qu'il  ne  l'a  prise  que  comme  un  temple  où  il  habite,  et  que  par 
conséquent  la  sainte  Vierge  n'est  point  Mère  de  Dieu,  mais  seulement  mère 

1.  Tel  est  le  portrait  fine  nous  font  de  Nestorius  les  auti-urs  contemporains.    On    peut   voir  Sociate  et 
Théodoret,  qui  d'aborU  s'en  t'tait  laissé  imposer  par  l'extérieur  hypocrite  de  cet  hérésiarque. 


SALNT   CYRILLE,    PATRUBCHE   d' ALEXANDRIE.  71 

de  l'homme  ou  du  Christ.  A  la  vérité  il  consentit  dans  la  suite  à  donner  à  la 
sainte  Vierge  la  qualité  de  Mère  de  Dieu  ;  mais  ce  n'était  que  dans  un  sens 
impropre  qui  détruisait  toujours  la  vérité  de  l'Incarnation.  Ces  nouveautés 
impies  excitèrent  l'indignation  des  fidèles.  Les  prêtres  attachés  à  la  saine 
doctrine,  entre  autres  saint  Procle  et  Eusèbe,  depuis  évêque  de  Dorilée, 
réclamèrent  en  faveur  de  la  foi,  et  représentèrent  vivement  à  Nestorius 
l'horrible  scandale  qu'il  causait  dans  l'Eglise.  Ils  eurent  la  douleur  de  le 
voir  mépriser  leurs  remontrances  ;  alors  ils  ne  balancèrent  plus  et  se  sépa- 
rèrent de  la  communion  de  leur  archevêque. 

Cependant  saint  Cyrille  reçut  les  homélies  de  Nestorius,  et  la  lecture 
qu'il  en  fit  lui  prouva  de  plus  en  plus  que  cet  hérésiarque  était  coupable  de 
toutes  les  erreurs  dont  on  l'accusait.  Il  lui  en  écrivit  pour  tâcher  de  le  rame- 
ner à  la  vérité  par  les  voies  de  la  douceur;  mais  Nestorius,  qui  n'aimait 
point  à  être  contredit,  fut  vivement  piqué  de  cette  lettre,  et  il  y  répondit 
avec  la  dernière  hauteur.  Cette  affaire  ayant  été  portée  à  Rome,  le  pape 
Célestin  y  convoqua  un  concile  pour  examiner  la  nouvelle  doctrine.  Tous 
les  Pères  s'étant  écriés  que  Nestorius  était  hérésiarque,  on  prononça  contre 
lui  une  sentence  d'excommunication  et  de  déposition;  on  l'envoya  à  saint 
Cyrille,  en  le  chargeant  de  la  faire  exécuter,  si  dans  l'espace  de  dix  jours  à 
compter  de  celui  de  la  signification,  Nestorius  ne  rétractait  publiquement 
ses  erreurs  '.  Notre  Saint,  pour  dernière  monition,  lui  écrivit  une  nouvelle 
lettre,  à  la  fin  de  laquelle  étaient  douze  anathématkmes  ou  articles  que  l'ar- 
chevêque de  Conslantinople  devait  souscrire,  s'il  voulait  être  reconnu  pour 
orthodoxe  :  mais  celui-ci  refusa  d'obéir,  et  se  montra  plus  opiniâtre  que 
jamais.  Ce  fut  cette  opiniâtreté  qui  donna  lieu  à  la  convocation  du  troisième 
concile  général,  dont  l'ouverture  se  fit  à  Ephèse  en  431.  Il  s'y  trouva  demx 
cents  évoques,  et  saint  Cyrille  y  présida  au  nom  du  pape  Célestin  '.  Nesto- 
rius refusa  d'y  comparaître,  quoiqu'il  fût  dans  la  ville.  Sa  doctrine,  qu'on 
examina  dans  la  première  session,  y  fut  condamnée,  et  après  trois  citations 
juridiques,  on  prononça  contre  lui  une  sentence  de  déposition,  dont  on 
informa  l'empereur. 

Six  jours  après  arrivèrent  Jean  d'Antioche  et  cp^iatorze  évêques  d'Orient  : 
ils  ne  s'étaient  pas  rendus  plus  tôt  à  Ephèse,  parce  qu'ils  favorisaient  secrè- 
tement la  personne  de  Nestorius,  croyant  qu'on  lui  imputait  des  erreurs 
qu'il  n'enseignait  pas.  Au  lieu  donc  de  se  joindre  aux  Pères  du  concile,  ils 
excommunièrent  saint  Cyrille  et  ceux  qui  tenaient  son  parti.  On  réclama 
des  deux  côtés  la  protection  de  l'empereur,  qui  donna  ordre  d'arrêter  saint 
Cyrille  et  Nestorius  :  mais  le  premier,  quoique  innocent,  fut  plus  maltraité 
que  le  second  ;  peu  s'en  fallut  même  qu'il  ne  fût  exilé,  tant  son  ennemi 
avait  de  crédit  à  la  cour.  Heureusement  l'arrivée  des  évêques  Arcade  et 
Projerte,  et  du  prêtre  Philippe,  tous  trois  légats  du  pape  saint  Célestin,  fit 
prendre  aux  affaires  un  tour  plus  favorable  pour  saint  Cyrille.  Ces  légats, 
pleinement  instruits  de  ce  qui  s'était  fait,  approuvèrent  la  conduite  de  notre 
Saint,  déclarèrent  nulle  la  sentence  prononcée  contre  lui,  et  confirmèrent 
la  condamnation  de  Nestorius.  Enfin  la  vérité  ayant  repris  ses  droits,  saint 
Cyrille  fut  rétabli.  Les  évêques  schismatiques  se  réconcilièrent  avec  lui  en 
433,  souscrivirent  à  la  condamnation  de  Nestorius,  et  donnèrent  une  con- 
fession de  foi  claire  et  orthodoxe.  Quant  à  Nestorius,  il  se  retira  dans  le 
monastère  d'Antioche  où  il  avait  été  élevé.  Jean,  patriarche  de  cette  ville, 
l'en  fit  chasser  quelque  temps  après  par  l'empereur  Théodose,  parce  qu'il 

1.  Coiic,  t.  m,  p.   343.   Libcrat,   m  Brniar.,  c.  4.  —  2.  Saint  Léon,  «p.  lxxii,  c.  3.  Cmc,  t.  m, 
p.  esc,  980. 


72  28  j.urvTEH. 

ne  cessait  de  dogmatiser  et  de  répandre  ses  erreurs.  Cet  hérésiarque  fut 
relégué  à  Oasis,  dans  les  déserts  de  la  Haute-Egypte,  oti  il  mourut  sans  avoir 
rétracté  sa  doctrine  impie.  Le  nestorianisme  survécut  à  son  auteur,  et  il 
subsiste  encore  aujourd'hui  dans  l'Orient  '. 

On  ne  saurait  assez  louer  la  conduite  de  saint  Cyrille  dans  l'atFaire  de 
Nestorius.  Il  employa  d'abord  les  voies  de  douceur  pour  gagner  cet  héré- 
siarque; mais  il  s'arma  d'un  zèle  intrépide  lorsqu'il  le  vit  opiniâtrement 
attaché  à  ses  erreurs.  En  vain  la  cabale  lui  suscita  des  persécutions;  il  les 
regarda  comme  des  épreuves  que  Dieu  lui  envoyait,  et  il  eût  volontiers 
répandu  son  sang  pour  la  défense  de  la  foi  catholique  '.  Sa  présence  n'étant 
plus  nécessaire  à  Ephèse,  il  reprit  la  roule  d'Alexandrie,  où  il  arriva  le  30 
octobre  431.  Il  s'appliqua  le  reste  de  sa  vie,  avec  autant  de  soin  que  de  fer- 
veur, à  remplir  les  devoirs  de  l'épiscopat,  ;\  conserver  dans  toute  sa  pureté 
le  précieux  trésor  de  la  foi,  à  rétablir  et  à  cimenter  la  pais  que  l'hérésie 
avait  troublée  pendant  plusieurs  années.  Il  mourut  le  28  juin  444  '.  Le  pape 
saint  Célestin  avait  conçu  pour  lui  la  plus  haute  estime.  Il  lui  donnait  les 
titres  de  généreux  défenseur  de  l'Eglise  et  de  la  foi,  de  docteur  catholigue,  et 
d'homme  vraiment  apostolique  '.  Les  Grecs  l'honorent  le  i8  janvier  et  le  9 
juin.  Le  martyrologe  romain  fait  mémoire  de  lui  le  28  janvier. 

On  voit,  par  les  ouvrages  de  saint  Cyrille,  qu'il  avait  une  grande  dévo- 
tion envers  le  mystère  de  l'Incarnation.  11  n'en  avait  pas  moins  pour  la 
divine  Eucharistie;  de  là  ce  zèle  avec  lequel  il  insiste  si  souvent  sur  les  effets 
que  cet  auguste  Sacrement  produit  dans  ceux  qui  le  reçoivent  dignement. 
«  11  guérit  »,  dit- il,  «  les  maladies  spirituelles  de  nos  âmes;  il  nous  fortifie 
contre  les  tentations;  il  amortit  les  ardeurs  de  la  concupiscence,  il  nous 
incorpore  à  Jésus-Christ  °  ».  Le  saint  docteur  honorait  encore  la  sainte 
Vierge  d'une  manière  toute  particulière.  Rien  de  plus  énergique  que  ce 
qu'il  dit  de  ses  glorieuses  prérogatives.  Mais  écoutons-le  parler  lui-même  ". 
«  Je  vous  salue,  Marie,  Mère  de  Dieu,  trésor  vénérable  de  tout  l'univers, 
lampe  qui  ne  s'éteint  point,  brillante  couronne  de  la  virginité,  sceptre  de 

la  bonne  doctrine Je  vous  salue,  vous  qui,  dans  votre  sein  virginal,  avez 

renfermé  l'immense  et  l'incompréhensible;  vous  par  qui  la  Sainte  Trinité 
est  glorifiée  et  adorée,  vous  par  qui  la  croix  précieuse  du  Sauveur  est  exal- 
tée par  toute  la  terre;  vous  par  qui  le  ciel  triomphe,  les  anges  se  réjouissent, 
les  démons  sont  mis  en  fuite,  le  tentateur  est  vaincu,  la  créature  coupable 
est  élevée  jusqu'au  ciel,  la  connaissance  de  la  vérité  est  élablie  sur  les 
ruines  de  l'idolâtrie;  vous  par  qui  les  fidèles  obtiennent  le  baptême,  et  sont 
oints  de  l'huile  de  joie;  par  qui  toutes  les  églises  du  monde  ont  été  fon- 
dées, et  les  nations  amenées  à  la  pénitence;  vous  enfin  par  qui  le  Fils  unique 
de  Dieu,  qui  est  la  lumière  du  monde,  a  éclairé  ceux  qui  étaient  assis  dans 
les  ombres  de  la  mort....  Est-il  un  homme  qui  puisse  louer  dignement  l'im- 
comparable  Marie  ?  » 

On  a  dit  que  saint  Cyrille  était  allé  se  former  à  la  piété  à  Jérusalem  et 
qu'il  avait  été  moine  du  Mont-Carmel.  Nous  devons  reconnaître  que  les 

1.  Les  Nestorlens  orientaux  ont  une  litargie  qui  porte  le  nom  de  Nestorius,  et  dans  laquelle  il  est  dit 
que  le  pain  et  le  vin  sont  cliang(:s  au  corps  et  au  sang  de  J(5sus-Christ  par  l'opération  do  Saint-Esprit,  et 
qu'on  les  offre  en  sacrifice.  Outre  cette  liturgie,  ils  en  ont  encore  deux  autres  qu'ils  prétendent  6tre  fort 
anciennes.  Voyez  Henaudot,  Luurg.  orient.,  t.  ll,  et  le  Père  Le  Brun,  Liturg.^  t.  m. 

2.  Ep.  ad  Tfifopemp.j  t.  m,  conc,  p.  771. 

3.  C'est-à-dire  le  troisième  du  mois  appeli5  Epiphi  par  les  Egyptiens.  C'est  le  sentiment  unanime  des 
Alexandrins,  des  Cophtes  et  des  Ethiopiens,  qui  nomment  saint  Cyrille,  KerloSj  par  abréviation,  et  lui 
donnent  le  titre  de  docteur  du  monde. 

4.  Conc,  t.  III,  p.  1077.  —  6.  L.  IV  contra  Nestor.,  t.  vi,  part.  1,  p.  110;  1.  vu  de  adoratione  in  .<!pir, 
ttverit.,  t.  I",  n.  231;  1.  x  in  Joan.,  t.  iv,  c.  13.  —  6.  T.  v,  part.  2,  p.  330.  Item,  conc,  t.  m,  p.  583. 


SAINT   CYWLLE,   PATRI.UICHE   D'ALEX^iMlRIE.  73 

preuves  positives  font  défaut  '  :  mais  on  aimerait  à  le  penser  d'un  si  grand 
serviteur  de  Marie. 

A  l'époque  où  l'Iconoclaste  Léon  l'Isaurien  déclara  la  guerre  aux  images 
des  Saints  et  à  leurs  ossements,  deux  religieuses  fuyant  l'Orient  apportèrent 
à  Rome  un  grand  nombre  de  reliques  et  entre  autres  quelques  fragments  de 
celles  de  saint  Cyrille  :  ils  furent  recueillis  à  Sainte-Marie  du  Champ- 
de-Mars. 

On  représente  saint  Cyrille  assis  et  bénissant  :  au-dessus  de  lui  dans  les 
airs  est  une  vierge  tenant  un  enfant  Jésus  sur  son  sein  :  cela  rappelle  le 
dogme  de  la  maternité  divine  et  de  l'incarnation  dont  D  se  montra  l'intré- 
pide champion;  on  le  voit  encore  avec  un  livre  sur  une  page  duquel  est 
écrit  en  grec  :  Mère  de  Dieu,  et  avec  une  plume  prêt  à  écrire.  Cette  plume 
est  l'attribut  caractéristique  des  écrivains  ecclésiastiques. 

Cf.  narras.  Histoire  de  fEglUe^  t.  sn  et  xiii  :  les  Œuvres  de  saint  Jean  Chrysostome,  tradnction  ^an- 
çsise,  précédée  de  la  vie  da  Saint,  par  M.  Martin  d'Agde,  t.  te',  p.  501  et  sniv.,  éd.  de  Bar,  1SS9; 
D.  Ceillier,  t.  Tin,  éd.  Vives;  AA.  55.,  t.  iii,  p.  459  et  sulr.,  éd.  Palmé;  Godescaid  et  les  aatres 
haglograpbea. 

NOTICE  SUR  LES  ÉCRITS  DE  SALNT  CYRILLE. 

Les  ouvrages  qui  nous  restent  de  saint  Cyrille  sont  : 

l"  Le  traité  de  f  Adoration  en  esprit  et  en  vérité,  divisé  en  dix  livres.  C'est  une  eïplicatioa 
allégorique  et  morale  de  passages  détachés  du  Pentatenqne.  Saint  Cyrille  ne  s'est  point  astreint  à 
l'ordre  que  Moïse  a  suivi  dans  sa  narration. 

2°  Les  treize  bvres  appelés  Gtaphyres,  c'est-à-dire  profonds  on  élégants,  renferment  une 
eiplicalion  allégorique  des  histoires  rapportées  avec  plus  d'étendue  dans  le  Peatalenque.  Le  saint 
docteur  a  choisi  celles  qui  avaient  un  rapport  plus  visible  à  Jésus-Christ  et  à  son  EgUse. 

3°  Les  Commentaires  sur  haie  et  sur  les  douze  petits  Proj-hétes.  On  y  trouve  une  siplica- 
tion  de  la  lettre  et  du  sens  spirituel. 

4°  Le  Commentaire  sur  lErangile  de  saint  Jean,  D  était  divisé  en  douze  livres,  dont  dix 
eenlement  sont  entiers.  Nous  n'avons  que  des  fragments  du  septième  et  du  huitième.  Les  livres  v, 
VI,  VII  et  VIII  manquant  autrefois,  Josse  Clich^ou  les  suppléa  dans  l'ancienne  édition  latine,  d'après 
les  écrits  des  autres  Pères.  Il  s'est  trouvé  des  auteure  qui  ont  cité  ces  suppléments  comme  étant  de 
saint  Cyrille.  Us  ne  seraient  point  tomhés  dans  cette  faute,  s'ils  avaient  lu  la  préface  qui  les  pré- 
cède. Jean  Aubert  a  donné  le  texte  grec  de  ces  quatre  livres  d'après  les  manuscrits.  Pour  revenir  au 
commentaire  de  notre  Saint,  il  y  eiplique  le  sens  littéral  et  spirituel  de  l'Ecriture,  et  y  réfute  les 
Manichéens  et  les  Eunoméens;  il  y  enseigne  aussi,  de  la  manière  la  plus  formelle,  la  doctrine  de 
la  transsubstantiation. 

50  Le  livre  intitulé  :  Le  Trésor,  à  cause  du  grand  nombre  (i«  vérités  et  de  principes  qu'il  ren- 
ferme, est  divisé  en  freate-cinq  titres  ou  sections.  Saint  Cyrille  y  renverse  le  système  impie  des 
Ariens  et  prouve  la  divinité  de  Jésus-Christ  par  l'Ecriture  ;  il  se  sert  aussi  de  la  même  autorité 
pour  établir  la  divinité  du  Saint-Esprit,  dans  les  titres  33,  34  et  35. 

G"  Le  livre  -w  lu  sainte  et  consubstanlielle  Trinité  fut  composé  à  la  prière  de  Némésin  et 
d'Hermias.  Ce  sont  sept  discours  en  forme  de  dialogue,  tous  destinés  à  prouver  la  consubstantialité 
du  Verbe.  A  ces  dialogues,  le  saint  docteur  en  ajouta  deux  antres  sur  l'Incarnation,  se  proposant 
pour  but  principal  de  combattre  les  erreurs  de  Nestorius,  qui  toutefois  n'était  pas  nommé,  pjrce 
qu'apparemment  son  hérésie  n'avait  pas  encore  été  condamnée.  A  la  suite  de  ces  dialogues  sont  des 
scolies  ou  éclaircissements  sur  l'Inccrnution,  avec  nn  petit  traité  sur  le  même  sujet.  Il  y  est 
prouvé  que  la  Sainte  Vierge  est  véritablement  Jlère  de  Dieu,  puisque  Jésus-Christ  est  tout  à  la  fois 
«t  Fils  de  Dieu  et  Dis  de  l'homme. 

"0  Les  trois  Traités  sur  la  Foi. —  Saint  Cyrille  les  composa  à  Ephèse.  Il  marque  dans  le 
premier,  adressé  à  l'empereur  Théodose,  les  différentes  hérésies  qui  s'étaient  élevées  jusqu'alors 
sur  l'Incarnation,  celle  de  Manès,  de  Cérinthe,  de  Photin,  d'.^pollinaire  et  de  Nestorius  ;  puis  il  lea 
réfute  l'une  après  l'autre  ;  il  s'applique  surtout  à  combattre  les  erreurs  du  dernier.  Il  adressa  le 
second  traité  aux  princesses  Pulchérie,  Arcadie  et  Marine,  sœurs  de  l'empereur,  qui  toutes  troia 
s'étaient  consacrées  au  service  de  Dieu.  La  foi  catholique  y  est  prouvée  contre  Nestorius.  Le  troi- 
sième traité  détruit  les  objections  des  hérétiques. 

8°  Les  cinq  Livres  contre  Nestonus  renferment  la  réfutation  des  blasphèmes  contenus  dans  les 

1.  Baronius,  à  l'année  444,  combat  Tîremeot  cette  opinion  :  les  BoUandistes  se  rangent  à  son  avis. 


14  28  JANVIER. 

homélies  de  cet  bérésiarqae.  D  n'est  cependant  nommé  nulle  part,  ce  qni  fait  croire  qu'il  n'avait 
point  encore  été  condamné.  Le  style  de  cet  ouvrage  est  plus  clair  et  plus  chÂtié  qae  celui  des 
autres  écrits  polémiques  de  saint  Cyrille. 

9»  i,».v  douze  Annihfmatismes  contre  la  doctrine  de  Nestorins.  Ils  ne  contiennent  rien  que 
d'orthodoxe,  et  furent  lus  an  concile  d'F.phèse.  Quelques  personnes  qui  les  entendaient  mal,  ou 
qui  prenaient  le  parti  de  Nestorius,  les  attaquèrent  comme  favorisant  la  doctrine  des  Apollinaristes 
et  comme  contraires  à  la  distinction  des  deux  natures  en  Jésus-Christ.  Tel  fut,  entre  antres,  Jean 
d'Antioche,  qui  engagea  André  de  Samosale  et  Théodoret  de  Cyr  à  les  réfuter.  Saint  Cyrille  en 
donna  une  ejriMcnlwti  fort  claire,  qui  satisfit  les  Pères  du  concile  d'Ephèse. 

10"  Le  saint  docteur  donna  ensuite  deux  A;jologies  des  mêmes  Anaihématismes  ;  l'une  contre 
André  de  Samosate,  et  l'autre  contre  Théodoret  de  Cyr.  Il  se  justifia,  dans  une  troisième  apologie 
aùressée  i  l'empereur,  des  calomnies  répandues  contre  son  catholicisme. 

11"  Le  Lii're  contre  les  Anthropomorjihiles.  Quelques  moines  d'Egypte,  fort  grossiers  et  fort 
ignorants,  auxquels  on  avait  dit  de  se  représenter  Dieu  sons  une  forme  sensible,  et  cela  pour  leur 
faciliter  la  pratique  de  sa  divine  présence,  s'imaginèrent  à  la  fin  qu'il  avait  un  corps  comme  les 
hommes,  d'où  leur  vint  le  nom  d'Ani/trojtomorp/iites ;  i\i  se  fondaient  sur  ce  qu'il  est  dit  que 
l'homme  a  été  créé  à  l'image  de  Dieu.  Une  erreur  aussi  absurde  et  aussi  monstrueuse  fut  condamnée 
dès  sa  naissance  par  Théophile.  Le  livre  dont  nous  parlons  est  précédé  d'une  lettre  à  Cnlosynut 
(FArsinne.  Saint  Cyrille  convient  que  l'homme  est  fait  à  l'image  de  Dieu  ',  mais  il  montre  en 
même  temps  que  cette  ressemblance  ne  peut  tomber  sur  le  corps.  Dieu  étant  un  esprit  qni  n'a  point 
de  forme  sensible.  Ainsi,  dit  ce  Père,  être  fait  à  l'image  de  Dieu,  c'est  être  doué  de  raison  et 
capable  de  vertu.  Il  réfute,  dans  la  même  lettre,  d'autres  moines  aussi  peu  éclairés  que  les  pre- 
miers, lesquels  s'imaginaient  que  l'Eucharistie  perdait  sa  consécration  quand  elle  étail  gardée 
jnsqo'ao  lendemain.  Il  répondit  dans  un  autre  ouvrage  à  vinyt-sept  questions  dogmatiguct,  qui 
lui  avaient  été  proposées  par  les  Anthiopomorphites. 

12"  Les  dix  Livres  contre  Julien  l'Apostul.  Julien,  aidé  de  Maxime  et  de  quelques  autres 
philosophes  païens,  avait  composé  un  ouvrage  divisé  en  trois  livres  contre  nos  saints  Evangiles. 
Quoiqu  il  ne  contint  rien  autre  chose  que  les  objections  de  Celse,  déjà  solidement  réfutées  par 
Origène  et  par  Eusèbe,  il  ne  laissa  pas  de  faire  impression  sur  les  esprits  faibles.  Ce  fut  pour 
arrêter  le  mal  qae  saint  Cyrille  écrivit  les  dix  livres  dont  nous  parlons.  Il  les  dédia  à  Théodose,  ce 
qui  donne  lieo  de  croire  qu'il  avait  regagné  les  bonnes  grâces  de  ce  prince.  Il  les  envoya  aussi  à 
Jean  d'Antioche,  comme  une  preuve  de  la  sincérité  de  sa  réconciliation.  Dans  le  premier  livre,  le 
saint  docteur  prouve  la  vérité  du  récit  de  iMoise  touchant  la  création  ;  dans  le  second,  il  fait  le 
parallèle  du  récit  de  Moïse  touchant  la  création,  et  des  extravagances  débitées  par  Pythagore, 
Thaïes,  Platon,  etc.,  pour  lesquels  Julien  avait  une  admiration  ridicule."  Le  troisième  livre  est 
employé  à  défendre  la  vérité  de  l'histoire  du  serpent  qui  séduisit  Eve,  et  de  la  chute  d'Adam, 
histoire  qui  est  bien  moins  incroyable  que  tout  ce  qu'Hésiode  a  écrit  de  l'origine  de  ses  prétendus 
dieux.  Le  but  du  quatrième  est  d'établir  la  Providence  et  de  montrer  qu'il  est  indigne  de  Dieu 
d'avoir  besoin  de  divinités  subalternes  pour  le  gouvernement  de  lunivers.  L'utilité  des  préceptes 
du  dccalogue,  l'iuconiiiatibilité  de  la  i^ilousie,  de  la  colère  et  des  autres  passions  avec  la  nature 
divine,  et  l'unité  du  Dieu  des  chrétiens,  sont  le  sujet  du  cinquième  livre.  Dans  le  sixième,  saint 
Cyrille  oppose  les  vertus  des  prophètes  et  des  autres  saints  aux  vices  honteux  dont  les  anciens 
philosophes  n'ont  pas  rougi  de  se  souiller;  il  justifie  ensuite  la  coutume  qu'avaient  les  chrétiens  de 
marquer  leurs  fronts  et  leurs  maisons  du  signe  de  la  croix,  et  montre  que  la  cessatiou  des  oracles 
a  jiour  époque  la  venue  de  Jésus-Christ,  dont  la  puissance  a  détruit  la  tyrannie  du  démon.  Il 
prouve,  dans  le  septième  livre,  que  les  plus  célèbres  héros  du  paganisme  ont  été  fort  inférieurs  en 
vertu  aux  héros  du  christianisme.  Le  huitième  et  le  neuvième  livre  font  voir  que  Jésus-Christ  a 
été  prédit  par  les  prophètes,  et  que  les  deux  Testaments  ne  dilTèrent  point  quant  à  la  substance. 
Enlin,  saint  Cyrille  prouve,  dans  le  dernier  livre,  que  saiut  Jean  et  les  autres  évangélistes  rendent 
témoignage  à  la  divinité  de  Jésus-Christ;  il  marque  ensuite  la  dllférence  qu'il  y  a  entre  l'adoration 
proprement  dite,  qui  n'est  due  qu'à  Dieu,  et  le  culte  que  nous  rendons  aux  martyrs. 

13»  Les  Humelies  sur  ta  Pd/ne.  Il  avait  été  réglé,  dans  le  concile  de  Nicée,  que  l'évèqae 
d'Alexandrie,  ville  où  llorissait  l'étude  des  mathématiques  et  de  l'astronomie,  examinerait  avec 
soin  quel  jour  il  faudrait  célébrer  la  Pâque,  et  qu'il  l'annoncerait  aux  évèques  voisins,  ouiiimément 
à  celui  de  liome,  alin  que  ce  dernier  put  en  instruire  toutes  les  églises  d'Occident.  Il  parait  que 
saiut  Cyrille  fut  fort  exact  à  s'ar^]uitter  de  ia  commission  attachée  à  son  siège.  Possevin  avait  va 
les  épiires  ou  homélies  de  ce  Père,  sur  la  Pâque,  dans  la  bibliothèque  du  Vatican.  Il  n'y  en  a  que 
vingt-neuf  d'miprimées.  Saint  Cyri  le  marque  dans  chacune  le  coiiiuiencement  du  Carême,  le  lundi, 
le  samedi  de  la  semaine  sainte,  et  le  dimanche  de  Pâques.  Toutes  ces  homélies  renferment  encore 
d'excellentes  instructions  sur  divers  points  de  la  morale. 

14°  Plusieurs  Lettres.  Elles  ont  toutes  pour  oli.'et  les  affaires  de  l'Eglise,  ou  la  défense  des 
dogmes  catholiques.  Les  conciles  généraux  d'Epbès«  et  de  Cbalcédoine  ont  adopté  la  seconde  à 

1.  D'après  saint  Jean  Chrysostome,  l'image  de  Dieu  dan»  t'tiomme  est  Id  pouvoir  que  celui-ci  exerce 
•or  les  animaux  et  toute  la  nattira. 


1 


SAI5T  JEjVN  de  RÉOME.  7S 

Nestorius,  et  celle  qui  est  adressée  aux  Oiientaux.  On  trouve  la  sixième  parmi  les  canons  de 
l'église  grecque,  etc. 

Ce  n'est  ni  l'élégance,  ni  le  choix  des  pensées,  ni  la  politesse  du  style  qui  font  le  mérite  des 
écrits  de  saint  Cyrille,  mais  la  justesse  et  la  précision  avec  lesquelles  le  saint  docteur  explique  les 
vérités  de  la  foi  et  surtout  le  niystùre  de  l'Incarnation.  On  estime  particulièrement  le  Trésor,  ainsi 
que  les  livres  contre  Nestorius  et  contre  Julien  l'Apostat. 

Les  anciennes  traductions  latines  de  saint  Cyrille  fourmillent  de  fautes.  Jean  Anbert,  chanoine 
de  Laon,  publia  les  ceuvres  de  ce  Père  en  grec  et  en  lalin,  à  Paris,  en  1638.  11  y  a  sis  tomes  m- 
folios  nm  font  ordinairement  sept  volumes.  Le  P.  Lupus  et  Baluze  ont  donné  depuis  quelques  lettres 
do  saint  docteur  qui  n'avaient  été  connues  ni  de  Jean  Aubert  ni  du  P.  Labbe. 

L'édition  la  pins  complète  des  Œuvres  de  saint  Cyrille  est  celle  qu'on  trouve  d»ns  la  Patrologie  grecque 
de  M.  Migne,  du  tome  Lxviii  au  tome  lxsvii. 


SAINT  JEAN  DE  RÉOME 

545.  —  Pape  :  Vigile.  —  Roi  de  France  :  Cbildeberl. 


Qui  feceril  et  docuerit,  Mr.  rncgnus  vocaliHiir  in  regno 

cœlûrnm. 
Heureux  ceîni  qui  aura  tont  h  la  fois  pratiqué  et  ensei- 

gnii  l'Evangile,  il  sera  appelé  graad  dans  le  royaume 

des  cieux. 

Saint  Jean  fut  l'un  des  principaux  instituteurs  de  la  vie  monastique  en 
France  avec  saint  Benoît.  II  naquit  à  Dijon,  alors  du  diocèse  de  Langres, 
vers  l'an  423.  Son  père  Hilaire,  un  des  premiers  sénateurs  du  pays,  et  sa 
mère  Quiéta,  vivaient  dans  une  si  grande  sainteté,  que  l'Eglise  honore  leur 
mémoire  le  28  novembre.  Saints,  ils  élevèrent  saintement  leurs  enfants. 
Jean,  après  avoir  ainsi  passé  ses  vingt  premières  années  loin  de  la  mollesse 
et  des  plaisirs  de  son  âge  et  de  sa  naissance,  résolut  de  se  séparer  encore 
plus  du  monde  :  il  se  construisit  d'abord  de  ses  propres  mains  une  cellule 
avec  un  oratoire,  et  là,  n'ajant  avec  lui  que  deux  serviteurs,  il  vaquait 
entièrement  à  Dieu.  Mais  désirant  imiter  davantage  la  vie  des  saints  soli- 
taires, il  se  retira  dans  un  désert,  au  territoire  de  la  ville  de  Tonnerre, 
lequel  nous  appelons  aujourd'hui  l'Auxois.  Le  lieu  qu'il  choisit  était  plein 
d'eau  et  presque  inhabitable  ;  il  s'appelait  Réome  (Reomaûs).  Sa  réputation 
y  attira  beaucoup  de  personnes  qui  vinrent  se  mettre  sous  sa  conduite  ;  de 
sorte  qu'il  se  vit  bientôt  obligé  d'en  former  une  communauté  religieuse,  et 
d'être  comme  le  général  de  cette  armée  du  Christ.  Se  défiant  de  ses  propres 
lumières  pour  la  conduite  de  ces  âmes,  il  entreprit  de  recueillir  les  règles 
établies  par  les  saints  Pères  et  pratiquées  par  les  autres  moines.  Il  alla  donc 
•visiter  les  principaux  monastères  de  France,  et  en  rapporta  ce  qu'il  y  avait 
de  meilleur  dans  les  usages  et  les  disciplines,  comme  l'abeille  qui  enlève 
aux  fleurs  de  quoi  composer  son  miel.  Mais  le  nombre  de  ses  religieux  aug- 
mentant, le  fardeau  du  commandement  l'efl'raya:  il  s'enfuit  en  secret, 
accompagné  de  deux  de  ses  disciples,  et  alla  se  cacher  parmi  les  solitaires 
de  l'île  de  Lérins.  Il  y  vécut  environ  dix-huit  mois  pendant  qu'on  le  cher- 
chait par  toute  la  France.  Enlin,  un  voyageur  ayant  reconnu  son  visage  et 
sa  voix,  se  prosterna  à  ses  pieds  en  disant  :  «  Voilà  sans  doute  le  vénérable 
Jean,  qui  a  fui  les  honneurs  de  la  prélature  ».  Les  religieux  de  Lérins  furent 


76  2S   JAÎTYIER. 

tout  honteux  d'avoir  tardé  si  longtemps  ù  reconnaître  la  dignité  d'un  de 
leurs  frères  qu'ils  avaient  laissé  vivre  obscurément  parmi  les  plus  jeunes.  Le 
voyageur  retourna  raconter  sa  découverte  dans  le  diocèse  de  Langres,  et 
l'évêque  Grégoire  écrivit  il  l'abbé  de  Lérins,  Honorât  II,  et  à  Jean  lui-môme, 
pour  qu'il  revînt  au  plus  tôt,  sous  peine  de  rendre  compte  au  tribunal  de 
Jésus-Christ  des  malheurs  que  causait  son  absence.  En  etfet,  le  relâchement 
s'était  introduit  à  Réome,  et  le  nombre  des  religieux  diminuait.  Le  retour 
de  l'abbé  fut  un  excellent  remède  à  ces  maux.  Il  rétablit  la  règle  de  saint 
Macaire  qu'il  avait  établie  douze  ans  auparavant,  et  sa  présence,  ses 
exemples,  ses  ardentes  exhortations  rendirent  bientôt  à  cette  communauté 
sa  première  ferveur. 

Instruit  par  l'expérience,  il  ajouta  quelques  prescriptions  à  la  règle  ;  il 
défendit  l'entrée  des  séculiers  dans  l'église  conventuelle,  comme  l'indique 
le  fait  suivant  :  Un  homme  de  Mémont,  Agrestius,  entra  dans  le  chœur,  un 
jour  de  dimanche,  afin  de  communier  de  la  main  de  saint  Jean. —  «Sortez», 
lui  dit  le  bienheureux,  «  vous  ne  le  pouvez  point  ».  —  Et  comme  il  insistait, 
disant  qu'il  était  venu  de  loin  :  —  «  Ce  n'est  pas  la  malveillance  qui  nous 
fait  agir  ainsi  à  votre  égard,  nous  voulons  seulement  observer  notre  règle 
et  ne  pas  encourir  de  blâme  » .  Agrestius  sortit,  mais  en  blasphémant  dans 
son  cœur. 

La  nuit  suivante,  saint  Jean  lui  apparut  dans  une  vision,  l'air  calme  et 
recueilli  ;il  tenait  dans  sa  main  droite  «  la  perle  très-précieuse  de  la  divine 
Eucharistie  '  ».  —  «  Sachez  »,  lui  dit-il,  «  que  si  vous  n'eussiez  point  blas- 
phémé, Xûtre-Seigneur  vous  eût  donné  spirituellement  son  corps  et  son 
sang,  même  en  dehors  de  la  communion  sacramentelle  '  ;  mais,  en  puni- 
tion de  votre  péché,  cette  grâce  vous  est  refusée  ».  Agrestius,  confus  et 
repentant,  accourut  dès  le  malin  se  jeter  aux  genoux  du  bienheureux,  qui 
le  bénit  et  le  renvoj'a  pardonné. 

Il  eut,  à  cette  époque,  saint  Seine  pour  disciple  '. 

Il  aimait  les  pauvres  et  se  plaisait  à  les  soulager  et  à  les  instruire.  Dans 
on  temps  de  disette,  il  distribua  toutes  les  provisions  de  l'abbaj'e,  et  Dieu, 
pour  récompenser  sa  charité,  multiplia  miraculeusement  le  blé  qu'il  donnait 
en  aumônes.  —  a  Gardez-vous  d'en  parler  »,  dit  le  bienheureux  au  frère 
témoin  de  ce  prodige,  «  de  peur  que  la  tache  de  l'orgueil  ne  vienne  flétrir 
la  fleur  de  cette  grâce  » . 

Il  fît  rencontre  d'un  pauvre  h  peine  vêtu,  qui  cherchait  dans  la  forêt  des 
baies  pour  apaiser  sa  faim.  —  C'était  un  homme  qui  n'aimait  pas  le  travail. 
—  Le  Saint  lui  dit  :  Mets  ton  espérance  dans  le  Seigneur  et  lui-même  te 
nourrira  ;  prends  goût  au  travail,  d'après  ces  avis  de  l'Apôtre,  «  qu'il  est 
bon  que  tu  aies  de  quoi  suffire  à  tes  besoins  et  fournir  le  nécessaire  à  l'indi- 
gent ».  Ensuite,  il  fit  le  signe  de  la  croix  sur  sa  poitrine  et  lui  ordonna  de 
retourner  chez  lui.  Cet  homme  obéit  et  se  livra  au  travail  avec  tant  d'ardeur, 
que  jamais  il  ne  manqua  plus  du  nécessaire. 

Dans  une  de  ces  courses  apostoliques,  il  fut  obligé  de  s'arrêter  à  Semur 
pour  y  passer  la  nuit  ;  là,  une  femme  impudique  ose  l'insulter.  Efl'rayé  de 
cette  audace,  il  la  repousse  et  s'enfuit.  La  malheureuse  eut  alors  confusion 
de  sa  faute  et  obtint,  par  les  prières  du  bienheureux  sans  doute,  la  grâce  de 
s'en  repentir. 

1.  Gemmant  eucharisiiœ. 

2.  Cette  distinction  très-nette  témoigne  de  la  fol  de  relise  des  GaQics  an  t«  sit:cle,  et  réfute  l'iga»- 
nnce  criminelle  des  calrlnlstes. 

i.  Voir  M  vie  ao  19  septembre. 


S.UOT  JE.tN   DE   RÉOIIE.  77 

Dans  le  désert  presque  sauvage  de  Réome  on  manquait  d'eau  potable.  Il  y 
avait  bien  un  vieux  puits  d'une  profondeur  prodigieuse  ;  mais  il  était  à  moitié 
comblé  de  pierres  ,  et  un  énorme  serpent  en  avait  fait  son  repaire.  Touché 
du  besoin  de  ses  frères,  ce  saint  homme,  muni  des  armes  de  la  foi,  s'avance 
vers  ce  lieu  parmi  les  siens  qui  font  entendre  des  chants  sacrés.  Il  descend 
le  premier  dans  le  puits,  une  pioche  à  la  main,  creuse  la  terre,  pendant  que 
les  témoins  de  cette  scène  croient  qu'il  va  trouver  la  mort.  Toutefois, 
son  exemple  et  ses  paroles  les  rassurent  ;  ils  travaillent  à  leur  tour  ;  on  trouve 
le  serpent;  la  simple  invocation  du  nom  de  Dieu  le  fait  mourir  ;  on  le  rejette 
hors  du  puits  qui  s'achève  et  fournit  une  eau  abondante  et  pure,  dont  on 
use  encore  aujourd'hui. 

Jean  prêchait  les  vérités  du  salut  non-seulement  à  ses  religieux,  mais 
encore  aux  populations  d'alentour.  Sa  mère,  ayant  appris  qu'il  évangéli- 
sait  une  contrée,  s'y  rendit  pour  le  voir  et  l'embrasser.  Mais  lui,  prenant  à 
la  lettre  ce  conseil  de  l'Evangile  :  «  Celui  qui  ne  quitte  pas  sa  mère  et  son 
père  n'est  pas  digne  de  moi  »,  refusa  de  lui  parler.  Craignant  toutefois 
d'ébranler  par  trop  de  dureté  la  foi  de  cette  sainte  femme  qu'il  savait  pleine 
d'amour  de  Dieu,  il  consentit  à  passer  devant  elle  parmi  la  foule,  afin  que 
ses  yeux  maternels  pussent  contempler  de  près  ce  cher  enfant  ;  mais  il  ne 
s'arrôta  point  pour  lui  parler.  11  lui  fit  dire  de  mener  une  vie  sainte  ici-bas, 
afin  qu'ils  eussent  le  bonheur  de  vivre  ensemble  dans  le  ciel. 

Comme  les  solitaires  d'Egypte,  ceux  du  Réome  mortifiaient  la  chair  par 
le  travail  des  mains.  Un  jour  qu'ils  élaguaient  les  arbres  de  la  forêt  voisine 
du  monastère,  le  travail  fini,  ils  laissèrent  là  leurs  cognées  et  s'en  retour- 
nèrent. Un  homme  des  environs  profita  de  leur  absence  pour  voler  ces  ins- 
truments de  travail.  Quand  les  Frères  s'en  aperçurent,  ils  furent  pleins  de 
désolation,  et  allèrent  aussitôt  confier  leur  douleur  àl'abbé  qui  leur  dit  d'être 
pleins  de  confiance  et  de  prier.  Pour  lui,  il  se  rend  à  la  forêt,  et  après  s'être 
adressé  à  Dieu  selon  sa  coutume,  il  voit  accourir  vers  lui,  à  toutes  jambes, 
un  homme  qui  se  jette  à  ses  pieds  et  lui  demande  pardon  d'avoir  pris  les 
haches  du  monastère.  Jean  le  relève,  lui  accorde  non-seulement  le  pardon 
de  sa  faute,  mais  encore  sa  bénédiction  et  des  eulogies. 

Il  serait  trop  long  de  raconter  les  autres  miracles  dont  l'histoire  de  Jean 
est  pleine.  Un  esclave  s'étant  réfugié  dans  le  monastère,  pour  échapper  à  la 
fureur  de  son  maître  irrité  contre  lui,  Jean  écrivit  à  ce  dernier  eu  faveur  du 
fugitif.  Le  maître  ayant  reçu  ce  message  avec  colère  et  même  poussé  le 
mépris  jusqu'à  cracher  sur  la  lettre  du  Saint,  il  fut  à  l'instant  puni  du  ciel  ; 
sa  bouche  devint  incapable  de  prendre  aucune  nourriture,  pas  même  l'Eu- 
charistie, pendant  neuf  années.  Jean  avait  un  grand  pouvoir  sur  les  démons, 
et  les  chassait  des  personnes  qu'ils  possédaient.  Les  maladies  ne  lui  étaient 
pas  moins  obéissantes.  De  l'eau,  du  pain,  en  recevant  sa  bénédiction,  rece- 
vaient la  vertu  de  guérir.  Sa  charité  pour  les  pauvres  mérita  aussi  d'être 
récompensée  par  des  prodiges.  A  sa  voix,  les  aliments  se  multipliaient  pour 
sauver  la  vie  des  malheureux.  Les  rois,  entre  autres  Clovis  I"'',  et  beaucoup 
de  seigneurs  imitaient  la  Providence  et  prenaient  plaisir  à  augmenter  les 
ressources  du  Saint,  à  combler  son  monastère  de  richesses.  Jean  au  milieu 
de  ces  libéralités  et  de  ces  honneurs,  toujours  humble  et  mortifié,  empê- 
cha aussi  les  siens  de  tomber  dans  l'orgueil,  l'ambition,  l'avarice  et  la  mol- 
lesse. Ses  austérités  ne  l'empêchèrent  pas  de  parvenir  jusqu'à  l'âge  de  cent 
vingt  ans,  comme  Moïse,  toujours  plein  de  vigueur  et  de  santé  :  ni  sa  vue, 
ni  sa  mémoire,  qui  avaient  toujours  été  excellentes,  ne  s'étaient  aflaiblies; 
il  n'avait  pas  perdu  une  seule  dent  ;  et,  en  un  mot,  chose  extraordinaire,  il 


78  28  JANVIER. 

eut  jusqu'au  dernier  instant  de  la  vie,  l'esprit  et  les  sens  aussi  sains  qu'à  la 
fleur  de  son  âge.  Selon  l'opinion  la  plus  probable,  il  mourut  Tan  543,  et  fut 
enterré  dans  son  monastère  qui,  plus  tard,  ayant  passé  aux  mains  des  Béné- 
dictins, s'appela  Moutier-Saint-Jean,  ainsi  que  la  ville  qui  s'est  formée 
autour. 

On  représente  saint  Jean  de  Réome  près  d'un  puits,  tenant  enchaîné 
une  espèce  de  dragon. 

RELIQUES  DE  SAINT  JEAN  DE  RÉOME. 

Ses  reliques  furent  transférées  d'abord,  snr  la  fin  du  vi°  siècle,  dn  lien  de  sa  sépulture,  dans 
l'église  de  Saint-Maurice,  dont  le  village  s'est  appelé  depuis  Corsaint  (corps  saint)  ;  une  seconde 
translalioa  eul  lieu  dn  temps  de  Charlemagne  ;  une  troisième  l'an  888.  —  Vers  la  lin  du  règne 
du  roi  Charles  le  Gros,  on  porta  ce  précieui  trésor  dans  le  ctiileau  de  Semur-en-Auxois,  pour  y  être 
à  l'abri  des  insultes  des  Normands.  On  le  rapporta  enfin  dans  son  monastère  de  Réome  vei-s  l'an  9H. 

L'église  paroissiale  de  Moutier-Saint-Jean  possède  une  relique  insigne  de  saint  Jean  de  Réome  : 
c'est  le  chef  vénérable  de  ce  grand  serviteur  de  Dieu.  11  repose  dans  une  petite  chisse  avec  cette 
inscription  :  Os  cnpilis  snncii  Joannis  Reomensis.  Son  autiienticité  a  été  reconnue  par  Mgr  l'é- 
vèque  de  Dijon  en  1842.  Des  personnes  soit  de  la  paroisse,  soit  d'ailleurs,  viennent  encore  indi- 
viduellement se  prosterner  devant  cette  précieuse  relique  ;  mais  depuis  la  dispersion  des  religieux 
bénodiclins,  lors  de  la  Révolution  de  93,  il  n'y  a  plus  eu  de  fêtes  publiques  pour  honorer  le  Saint. 
De  toute  la  magnifique  et  splendide  chapelle  de  l'abbaye,  il  ne  reste  plus  que  la  porte  latérale 
d'entrée,  par  où  passaient  les  religieux,  encore  est-elle  toute  mutilée  et  comme  encadrée  dans  un 
mur  de  grange.  Mais  n'importe,  ces  précieux  restes  nous  donnent  une  idée  des  richesses  symboli- 
ques qui  autrefois  faisaient  la  beauté  de  cette  porte.  Sauf  une  aile  de  la  maison  qui  a  été  abattue, 
et  quelques  changements  opérés  à  l'intérieur,  le  corps  de  bâtiment  est  à  pen  près  ce  qu'il  était,  et 
toujours  en  bon  état  d'habitation  i, 

Koas  avons  ajonté  cette  vie  an  recueil  dn  P.  Giry,  en  nous  servant  sortant  des  BoUandlstes,  de  Gr^in 
de  Tours,  de Baillet  et  des  Saints  de  Dijon,  par  M.  labbé  Dnpins. 


SAEsTE  MAERE  ET  SALNTE  BRITTE,  VIEKGES 

(Epoque  inconnue.) 

A  l'extrême  limite  du  territoire  de  Tours,  s'élevait  une  petite  colline, 
couverte  de  ronces  et  de  \ignes  sauvages,  qui  formaient  un  taillis  si  touffu 
qu'un  homme  pouvait  à  peine  s'y  frayer  un  passage.  La  tradition  populaire 
raconlail  que  deux  Vierges,  consacrées  à  Dieu,  reposaient  dans  cet  endroit. 
Aux  vigiles  des  grandes  fêtes  les  fidèles  y  voyaient  très-souvent  briller  une 
lumière  extraordinaire.  L'un  d'eux,  plus  osé  et  plus  courageux,  ne  craignit 
point  d.ins  l'obscurité  de  la  nuit  de  s'aventurer  dans  ce  lieu.  Il  y  vit  un 
cierge  d'une  merveilleuse  blancheur,  qui  jetait  autour  de  lui  une  grande 
clarté  ;  il  admira  longtemps  ce  prodige  et  il  retourna  annoncer  aux  autres 
ce  qu'il  avait  vu. 

Ce  fui  alors  que  les  deux  Vierges  apparurent  à  l'un  des  habitants  du 
pays:  elles  lui  dirent  qu'elles  étaient  ensevelies  dans  ce  lieu,  mais  que  dé- 
pourvues d'une  tombe,  elles  ne  pouvaient  ainsi  rester  plus  longtemps  ex- 
posées aux  injures  du  temps.  Elles  lui  conseillent  d'enlever  les  ronces  et  de 
placer  au-dessus  de  leur  corps  l'abri  d'un  monument  funèbre.  A  son  réveil, 
cet  homme  absorbé  par  mille  autres  soins,  oublia  cette  vision.  La  nuit 
suivante,  elles  lui  apparaissent  de  nouveau,  avec  un  visage  menaçant  et 

1.  U.  Jaeant,  cwré  de  Houtier-Saiat-Jean.  —  Moutier-Saint-Jean,  le  30  aoat  1862. 


SAINTE   M.VUBE   ET   SAINTE   BRITTE,   VIERGES.  79 

terrible,  et  lui  annoncent  que  s'il  ne  satisfait  pas  leurs  désirs,  il  mourrait 
dans  l'année.  Cette  fois,  notre  homme  fut  effrayé,  il  prit  une  hache,  se  ren- 
dit sur  le  monticule,  arracha  les  ronces,  et,  après  avoir  déblayé  le  terrain, 
il  découvrit  les  deux  tombes,  sur  lesquelles  il  trouva  de  grosses  gouttes  de 
cire  qui  exhalaient  les  plus  suaves  parfums.  .Ayant  amené  un  char  attelé  de 
bœufs,  il  ramassa  toutes  les  pierres,  et,  à  l'été,  il  éleva  un  petit  oratoire  sur 
les  corps  des  deux  saintes. 

Son  ouvrage  étant  achevé,  il  pria  le  bienheureux  Eufrône',  qui  gou- 
vernait alors  l'église  de  Tours,  de  vouloir  bien  bénir  ce  sanctuaire.  Le  saint 
évêque  refusa  et  s'en  excusa  sur  son  grand  âge  : 

«  Vous  voyez,  mon  fils  »,  lui  dit-il,  «  que  je  suis  vieux,  l'hiver  sévit  avec 
plus  de  rigueur  que  de  coutume  :  les  pluies  sont  abondantes,  les  vents  sont 
impétueux  et  violents,  les  fleuves  grossissent,  et  les  chemins  eux-mêmes, 
délayés  par  la  pluie  et  la  boue,  sont  impraticables.  A  mon  âge,  il  ne  serait 
pas  prudent  d'entreprendre  un  tel  voyage  ». 

Ces  paroles  affligèrent  ce  bon  chrétien,  et  il  quitta  l'évêque,  le  cœur 
bien  triste.  La  nuit  suivante,  le  pontife  s'était  à  peine  endormi  que  les  deux 
Yierges  se  présentent  à  lui,  et  la  plus  âgée  lui  adresse  les  paroles  suivantes 
avec  un  profond  accent  de  tristesse  : 

«  Très-saint  évêque,  en  quoi  avons-nous  pu  vous  déplaire?  quel  mal 
avons-nous  fait  au  peuple  que  Dieu  vous  a  confié  ?  Pourquoi  nous  méprisez- 
vous  ?  Sous  quel  prétexte  refusez-vous  de  venir  consacrer  l'oratoire  qu'un 
homme  de  foi  nous  a  élevé  ?  Venez  donc,  nous  vous  en  supplions,  au  nom 
du  Dieu  tout-puissant  dont  nous  sommes  les  servantes  ». 

En  prononçant  ces  paroles,  de  grosses  larmes  arrosaient  son  visage. 

Aussitôt  l'évêque  s'éveille  ,  appelle  l'intendant  de  son  palais  ,  et  lui 
dit  :  «  J'ai  péché,  en  n'allant  point  avec  cet  homme.  Voici  qu'en  effet  les 
deux  Vierges  viennent  de  m'apparaître,  et  je  crains  d'encourir  la  colère  de 
Dieu  si  je  diffère  de  m'y  rendre  ». 

Eufrône  se  hâta  donc  de  se  mettre  en  route  :  aussitôt  la  pluie  cessa  et 
les  vents  s'apaisèrent.  Le  saint  évêque  fit  heureusement  son  voyage,  et, 
après  avoir  béni  le  sanctuaire,  il  revint  en  paix.  Il  parlait  souvent  de  ces 
deux  Vierges,  il  se  rappelait  leur  visage  et  leur  démarche.  «L'une  »,  disait-il, 
«était  grande;  l'autre  petite,  de  taille  seulement,  car  ses  mérites  étaient 
grands.  Toutes  les  deux  étaient  plus  blanches  que  la  neige,  et  il  avait  appris 
d'elles  que  l'une  se  nommait  Maure  et  l'autre  Britte  ». 

Ces  deux  Vierges  n'ont  cessé  d'être  vénérées  dans  le  diocèse  de  Tours,  et 
on  célèbre  leur  fête  le  28  janvier  de  chaque  année.  L'ancienne  ville  romaine, 
Arciaaim,  patrie  des  deux  vierges,  fière  d'une  telle  richesse,  a  changé  son 
antique  nom  contre  celui  de  l'une  d'elles,  et  elle  s'appelle  aujourd'hui  Sainte- 
Maure  '.  L'église  paroissiale  possède  depuis  longtemps  leurs  reliques.  En 
l'année  1666,  dit  dom  Ruinart,  avec  la  permission  de  Victor  le  Bouthillier, 
archevêque  de  Tours,  on  ouvrit  la  grande  et  riche  châsse  qui  les  renfermait. 
On  y  trouva  ^ingt-cinq  grands  ossements,  avec  plusieurs  autres  petits,  qui 
avaient  été  enveloppés,  avec  beaucoup  de  respect,  dans  des  linges  et  des 
étoffes  de  soie.  Divers  authentiques,  écrits  sur  parchemin,  munis  de  sceaux, 
attestaient  que  cette  châsse  contenait  réellement  les  reliques  des  deux  vierges, 
Maure  et  Britte.  Le  plus  ancien  de  ces  titres  était  daté  de  l'an  I2G7. 

Aujourd'hui  l'église  de  Sainte-Maure,  plus  heureuse  que  tant  d'autres, 

1.  Eufi-ône  est  mort  après  le  milieu  da  vi'î  sitcle. 

2.  La  petite  ville  de  Sainte-JIaure  est  un  clief-UeB   de   canton  de  l'arrondissement  de  Cliiaon,  \  32 
kilomètres  Je  Tours. 


BO  28  JANVIER. 

possède  encore  les  reliques  de  ses  deux  vierges  :  elles  ont  pu  échapper  à  la 
profanation  et  aux  fureurs  des  révolutionnaires,  et  elles  sont  toujours  l'objet 
de  la  pieuse  et  confiante  vénération  des  fidèles. 

Les  fidèles  aiment  à  se  rendre  à  la  petite  chapelle  des  Vierges,  érigée  de 
temps  immémorial,  à  deux  kilomètres  de  l'église  paroissiale,  à  l'endroit  où 
la  tradition  rapporte  que  leurs  corps  furent  découverts.  Une  fontaine  coule 
à  côté,  les  infirmes  et  les  malades  viennent  avec  foi  s'y  laver  et  ils  obtien- 
nent très-souvent  leur  guérison.  La  piscine  est  presque  entièrement  remplie 
des  linges  avec  lesquels  ils  se  sont  lavés  et  qu'ils  ont  l'habitude  d'y  jeter  par 
reconnaissance. 

Dans  leurs  peines,  dans  leurs  doutes  et  leurs  afflictions,  les  habitants  de 
Sainte-Maure  ont  recours  à  leurs  Vierges  comme  à  des  amies  dont  la  protec- 
tion et  l'assistance  ne  leur  font  jamais  déraut.  Aussi  célèbrent-ils  avec  em- 
pressement sa  fête  d'hiver  au  28  janvier  et  celle  d'été, le  deuxième  dimanche 
après  Pâques,  anniversaire  de  la  translation  de  leurs  reliques.  Le  clergé 
célèbre  souvent  la  messe  dans  la  petite  chapelle,  et  le  peuple  s'y  rend  pieu- 
sement en  récitant  le  saint  Rosaire. 

L'abbé  Rolland,  Aumon.  du  pens.  des  Frères  de  Tours, 


LE  BIENHEUREUX  GÏÏAIILEMAGNE, 

ROI  DE  FRANCE  ET  EMPEREUR  D'OCCIDENT 


742-814,  —  Papes  :  Zacharie;  Léon  m. 


A  asseoir  les  sociétés  humaines.  Dieu  a  voulu  ces  deux 
mains  :  le  Pape  et  l'Empereur.  D'accord,  ces  mains 
peuvent  tout  bien  ;  contraires  elles  sont  impuissantes 
contre  tout  mal. 

Sans  l'Empereur,  le  Pape  n'est  qu'un  martj-r  immortel  ; 
sans  le  Pape,  l'Empereur  n'est  qu'un  dieu  de  prcto- 
ricns.  une  idole  souvent  refondue. 

L.  Vecillot,  Parf':ms  de  Rome,  ch.  22. 

Quoique  la  canonisation  de  Charlemagne  ne  soit  pas  faite  dans  les  for- 
mes ordinaires  de  l'Eglise  romaine,  néanmoins  le  culte  qu'on  lui  rend  en 
France  et  en  Allemagne,  soit  en  dédiant  des  éghses  en  son  honneur,  soit  en 
l'insérant  dans  les  Martyrologes,  soit  en  lui  consacrant  un  office  dans  les 
Bréviaires,  sans  que  le  Saint-Siège  y  trouve  à  redire,  nous  oblige  à  lui  donner 
place  dans  ce  recueil  pour  contenter  la  piété  des  peuples  qui  ont  tant  de 
vénération  pour  sa  mémoire. 

11  était  fils  de  Pépin,  roi  de  France,  et  petit-fils  de  l'invincible  Charles- 
Martel.  Jamais  on  ne  vit  dans  un  prince  de  plus  belles  dispositions  pour  les 
armes,  les  lettres  et  la  piété  :  d'un  courage  intrépide  dans  les  expéditions 
militaires,  d'une  admirable  vivacité  d'espiit  pour  les  sciences,  il  était  capable 
par  son  grand  cœur,  du  plus  généreux  et  du  plus  beau  dévouement  pour  la 
cause  de  Dieu  et  celle  des  hommes.  Après  la  mort  du  roi  son  père,  il  succéda  à 
ses  Etats,  avec  Carloman,  son  frère,  le  9  novembre  768.  Dès  qu'il  fut  monté 
sur  le  trône,  il  donna  de  belles  marques  de  sa  bravoure,  car  il  commença 


LE   BIENHEUREUX  CHAKLEMAGNE,   ROI  DE  FRANCE.  81 

son  règne  par  la  défaite  de  Hunauld,  fils  et  successeur  de  Gaiffre,  qui  renou- 
velait la  guerre  en  Aquitaine,  et  par  celle  de  Loup,  duc  des  Gascons,  qu'il 
rendit  ses  tributaires  ;  son  frère  Carloman  étant  mort  à  Samoucy,  le  4  dé- 
cembre l'an  771,  Charles  prit  possession  de  son  royaume  et  resta  monarque 
absolu  des  Francs.  Il  se  vit  par  là  plus  en  état  de  s'opposer  aux  rebelles  et 
de  réduire  les  ennemis  de  l'Eglise. 

Il  faudrait  composer  de  gros  volumes  pour  faire  le  récit  de  ses  victoires 
et  de  ses  conquêtes,  partout  où  son  courage,  sa  justice,  sa  piété  et  son  zèle 
pour  la  religion  l'obligèrent  à  porter  ses  armes,  car  Dieu  le  favorisa  dans 
toutes  les  guerres  qu'il  entreprit.  Dans  celle  qu'il  fit  au-delà  des  Alpes,  il 
détruisit  entièrement  le  royaume  des  Lombards,  qui  subsistait  depuis  deux 
cents  ans,  par  la  prise  de  Didier,  le  dernier  de  leurs  rois  ;  il  vainquit  et 
repoussa  les  Grecs  jusqu'au  fond  de  la  Calabre,  et  reçut  enfin  le  serment  de 
fidélité  des  Romains  qui  se  donnèrent  à  lui.  .\insi,  depuis  les  Alpes  jusqu'à  la 
basse  Calabre,  l'autre  extrémité  de  l'Italie,  Charlemagne  était  absolument  le 
maître,  aussi  bien  que  dans  les  îles  et  les  royaumes  de  Corse  et  de  Sardaigne. 

D'autre  part,  dans  de  fréquentes  et  fameuses  expéditions  qu'il  fit  en  Alle- 
magne contrôles  Saxons  tantde  fois  rebelles,  etles  autres  peuples  qui  s'étaient 
ligués  contre  lui,  il  subjugua  toutes  ces  vastes  régions  qui  sont  entre  le  Rhin  et 
la  Vistule,  la  mer  Baltique  et  le  Danube  ;  soumit  aux  lois  de  son  empire  la 
Bavière,  l'Autriche,  la  Hongrie,  jusqu'à  la  Theiss,  la  Dacie,  la  Croatie,  la 
Carinthie,  le  Frioul,  et  poussa  même  ses  conquêtes ,  après  avoir  vaincu  les 
Huns  ou  les  Avares,  jusqu'aux  confins  de  la  Bulgarie  et  de  la  Thrace. 

Enfin,  portant  ses  armes  du  côté  de  l'Occident,  il  fit  la  guerre  au-delà 
des  Pyrénées,  aux  Sarrasins,  et  conquit  sur  eux  tous  les  royaumes  et  toutes 
les  provinces  qui  sont  entre  l'Ebre  et  les  Monts,  l'Océan,  la  Méditerranée, 
avec  les  îles  Baléares. 

Il  ne  faut  pas  s'imaginer  que  l'ambition,  si  ordinaire  aux  conquérants, 
fût  l'esprit  qui  animait  notre  Saint  dans  ces  grandes  expéditions.  Le  désir 
d'étendre  les  bornes  de  sa  monarchie  avait  la  moindre  part  à  tous  ses  beaux 
exploits.  Ce  n'était  pas  non  plus  le  titre  d'Auguste  et  d'Empereur,  qu'il  reçut 
dans  la  suite,  puisqu'il  en  était  si  peu  touché  qu'il  le  refusa  d'abord  par  une 
humilité  héroïque,  et  qu'il  protesta,  depuis  son  couronnement,  que  s'il  eût 
pu  connaître  le  dessein  du  Pape,  il  ne  serait  pas  allé  ce  jour-là  à  l'église, 
quoique  ce  fût  le  jour  de  Noël.  C'était  donc  un  motif  plus  relevé  qui  pous- 
sait Charlemagne  à  ces  glorieuses  entreprises.  Il  savait  que  l'idolâtrie  régnait 
encore  en  Allemagne,  parmi  les  Saxons  ;  il  voulut  les  amener  à  recevoir  la 
foi  catholique  :  aussi  est-il  appelé  leur  Apôtre.  Le  pape  Adrien  se  plaignait 
des  persécutions  que  lui  faisaient  les  Lombards  ;  il  se  fit  une  religion  de  le 
délivrer  de  ces  tyrans.  Les  Sarrasins,  ennemis  jurés  de  l'Eglise,  occupaient 
presque  toutes  les  Espagnes  :  son  zèle  le  porta  à  emplov^er  ses  armes  pour 
les  exterminer.  Enfin,  s'il  mena  tant  de  fois  ses  troupes  en  Italie,  ce  ne  fut 
que  pour  secourir  le  pape  Adrien  dont  nous  venons  de  parler,  ou  pour  se 
rendre  comme  pèlerin,  aux  tombeaux  des  apôtres  saint  Pierre  et  saint  Paul, 
auxquels  il  avait  une  dévotion  toute  singulière,  ainsi  qu'il  paraît  par  les 
grands  présents  qu'il  a  faits|à  leurs  églises,  en  or,  en  argent  et  en  pierres  pré- 
cieuses ;  ou  pour  venger  les  injures  qu'on  avait  faites  à  Léon  111,  à  qui  quel- 
ques Romains,  par  une  horrible  cruauté,  avaient  voulu  crever  les  yeux  et 
couper  la  langue.  En  un  mot,  il  n'est  jamais  sorti  des  bornes  de  son  empire 
que  pour  étendre  en  même  temps  la  religion  chrétienne;  et  il  n'a  passé  les 
Monts  qu'à  l'avantage  du  Saint-Siège  et  pour  enrichir  l'Eglise  d'une  bonne 
partie  de  la  dépouille  des  Lombards  et  des  Grecs,  en  l'élevant,  de  la  bas- 
ViES  DES  Saints.  —  Tome  n.  6 


8S  28  lAKYIER. 

sesse  de  sa  pren"dère  pauvreté,  à  ce  degré  de  grandeur  temporelle  d'où  ses 
ennemis  essaient  de  la  faire  déchoir,  parce  qu'ils  savent  que  c'est  la  meil- 
leure condition  de  son  indépendance  et  de  sa  prospérité  spirituelle. 

Si  des  vertus  militaires  de  Chark  magne  nous  voulions  descendre  dans 
le  détail  de  toutes  ses  vertus  morales,  ce  serait  entreprendre  un  ouvrage 
entier,  et  non  pas  un  recueil  de  ses  plus  belles  actions  ;  je  me  contenterai 
donc  de  dire  que  c'était  un  prince  qui  ne  pouvait  souffrir  le  luxe,  et  que  sa 
modération  paraissait  jusque  dans  ses  habits,  quoique  d'ailleurs  sa  magnifi- 
cence fût  très-grande  lorsqu'il  s'agissait  du  bien  ou  de  la  gloire  de  ses  Etats. 
Il  était  extrêmement  sobre  dans  son  boire  et  dans  son  manger,  estimant  que 
la  vie  passée  dans  les  délices  est  non-seulement  contr;iire  aux  lois  du  Christia- 
nisme, mais  encore  indigne  d'un  courage  héroïque  que  la  délicatesse  est 
capable  d'énerver.  Durant  ses  repas,  il  se  faisait  lire  l'histoire,  ou  des  livres 
de  science,  ou  quelque  livre  de  saint  Augustin,  particulièrement  la  Cité  de 
Dieu.  Il  était  éloquent,  et  son  amour  pour  les  sciences  est  assez  connu  par 
l'Université  de  Pai'is  et  les  autres  qu'il  fonda.  Il  attira  aussi  les  savants  en 
France,  et,  entre  autres,  il  fit  venir  d'.\ngleterre  Alcuin,  l'homme  le  plus 
docte  de  son  temps,  pour  lui  servir  de  précepteur.  Pour  être  convaincu  de 
l'érudition  de  notre  prince,  il  ne  faut  que  lire  les  belles  lois  qu'il  a  rédigées 
lui-nième,  sous  le  titre  de  Capilulaires. 

Mais,  entre  toutes  sesvertus,  celle  quia  éclaté  davantage  et  qui  fait  comme 
le  caractère  de  sa  sainteté,  c'est  sa  piété  et  son  zèle  pour  la  splendeur  de 
l'Eglise.  Nous  avons  déjà  dit  que  ce  fut  l'âme  de  toutes  ses  entreprises,  et 
que  son  principal  dessein  était  d'établir  ou  de  rétablir  le  culte  divin  partout. 
Il  fit  quatre  fois  le  voyage  de  Rome  par  dévotion,  et,  selon  quelques  auteurs, 
il  alla  à  Saint-Jacques,  en  Galice,  par  esprit  de  pénitence,  et  l'on  peut 
dire  que  c'est  lui  qui  a  mis  ce  célèbre  pèlerinage  dans  le  grand  lustre  où 
nous  le  voyons.  Durant  ses  conquêtes,  il  eut  grand  soin  de  chercher  les 
reliques  insignes  dans  les  lieux  que  ses  armes  prenaient;  on  cite,  entre 
autres,  les  corps  de  six  Apôtres,  savoir  :  de  saint  Simon,  de  saint  Jude,  de 
saint  Philippe,  des  deux  saints  Jacques  et  de  saint  Barnabe,  avec  le  chef  de 
saint  Barthélemi,  outre  une  infinité  d'autres  de  plusieurs  Martyrs,  qu'il  fit 
transporter  en  France  et  déposer  dans  la  basilique  de  Saint-Saturnin,  à  Tou- 
louse ;  il  faisait  plus  de  cas  de  ces  précieux  trésors  que  de  toutes  les  richesses 
des  peuples  qu'il  subjuguait.  11  distribuait  libéralement  aux  temples  les  orne- 
ments et  les  vases  sacrés  nécessaires  pour  le  service  des  autels.  Il  fit  bâtir 
jusqu'à  27  églises,  dont  la  principale  est  celle  de  Notre-Dame  d'Aix-Ia-Clia- 
pelle,  sans  parler  de  celles  qui  étaient  ruinées  et  qu'il  a  fait  réparer.  Cest  lui 
qui  a  fondé  et  enrichi  si  prodigieusement  tous  les  évôchés  et  toutes  les  abbayes 
d'Allemagne.  Il  rétablit  le  chant  ecclésiastique,  que  l'on  avait  tellement 
négligé,  qu'il  était  entièrement  déchu  de  celte  sainte  harmonie  qui  porte 
la  dévotion  dans  les  cœurs  des  fidèles. 

11  ne  fa  11  pas  s'étonner,  après  cela,  si  cette  insigne  piété  lui  a  mérité 
tant  de  faveurs  extraordinaires  du  ciel;  en  eU'et,  plusieurs  Saints  lui  ont  sou- 
vent apparu  pour  l'entretenir  familièrement  comme  s'il  eût  déjà  été  de  leur 
compagnie  :  on  remarque,  entre  autres,  saint  Salve,  évêque  d'Angoulôme, 
dont  il  avait  fait  mettre  les  reliques  dans  une  belle  châsse,  et  saint  Suitbert^ 
qu'il  avait  fait  canoniser  parLéon  III  ;  onpeutjoindre  encore  à  ces  apparitions 
celle  de  deux  esprits  bienheureux,  qui,  jetant  l'épouvante  dans  l'armée  des 
Saxons,  les  obligèrent  de  prendre  la  fuite  et  d'abandonner  le  siège  de  Fritz- 
lar,  qu'i'if  .ivaient  entrepris  pendant  l'absence  de  Charlemagne.  Enfin,  on 
raconte  que,  faisant  la  guerre  à  ce  peuple,  il  obtint  de  l'eau  par  ses  prières, 


LE   BIESEEUKEUX   CHAKLEMAGXE,    ROI  DE  FRANCE.  83 

durant  une  grande  sécheresse,  pour  rafraîchir  son  armée  qui  en  manquait 
depuis  trois  jours. 

La  piété  de  notre  Saint  ne  parut  pas  seulement  par  ce  grand  zèle  qu'il  eut 
pour  la  gloire  et  la  majesté  des  temples  matériels,  mais  encore  par  le  soin 
qu'il  prit  des  temples  spirituels,  qui  sont  les  pauvres,  soit  en  fondant  des 
hôpitaux  pour  les  abriter,  soit  en  leur  distribuant  des  aumônes  capables  de 
les  faire  subsister;  et,  comme  si  les  vastes  provinces  de  ses  royaumes 
n'eussent  pas  renfermé  assez  de  misérables  pour  leur  faire  ressentir  les  effets 
de  sa  charité,  il  envoyait  de  prodigieuses  sommes  d'argent  en  Syrie,  en 
Egypte,  à  Jérusalem,  à  Alexandrie,  à  Carthage,  pour  y  secourir  les  nécessi- 
teux. Et  afin  d'étendre  ses  libéralités  jusqu'au-delà  du  tombeau,  il  assigne, 
par  son  testament,  de  scrands  biens  pour  être  distribués  aux  pauvres.  Il  or- 
donne même  que  sa  bibliothèque  soit  vendue,  et  que  le  pris  soit  employé 
à  les  assister  dans  leurs  besoins;  et,  pour  monlrer  l'amour  qu'il  leur  por- 
tait, il  veut,  par  son  même  testament,  que  de  quatre  grandes  tables,  trois 
d'argent  et  une  d'or,  celle  d'argent  qui  était  la  plus  pesante,  et  sur  laquelle, 
par  un  artifice  admirable,  le  monde  était  représenté  en  trois  grands  cercles, 
et  celle  d'or,  soient  partagées  entre  eux  et  ses  héritiers,  selon  la  disposition 
qu'il  en  fait  ;  pour  les  deux  autres  tables  d'argent,  il  lègue  à  la  basilique  de 
Saint-Pierre,  à  Rome,  celle  sur  laquelle  était  la  description  de  la  ville  de 
Ckjnstantinople  ;  et  l'autre,  sur  laquelle  était  la  figure  de  Rome,  à  l'évêque 
de  Ravenne. 

Durant  le  règne  de  Qiarlemagne,  il  s'éleva  plusieurs  hérésies  dont  il  pro- 
cura la  condamnation  par  l'assemblée  de  quelques  conciles.  Le  plus  célèbre 
de  tous  fut  cj'ui  de  Francfort,  où  présidèrent  Théophilacte  et  Etienne, 
légats  du  pape  Aarien  I"  ;  les  erreurs  d'Elipandus,  archevêque  de  Tolède,  et 
de  Félix,  évêque  d'Urgel,  touchant  la  filiation  de  Jésus-Christ,  y  furent  pros- 
crites par  les  évêques  de  France,  d'Italie  et  de  Germanie,  qui  s'y  trouvèrent 
par  ordre  de  notre  bienheureux  prince,  qui  employait  ainsi  tous  ses  soins  à 
l'affermissement  de  la  loi  catholique  dans  ses  Etats. 

Ce  qui  est  admirable  dans  la  vie  de  notre  Bienheureux,  c'est  qu'au  milieu 
cle  ses  grandes  et  importantes  occupations,  il  était  aussi  réglé  dans  ses  exer- 
cices de  piété  qu'un  religieux  dans  son  cloître  :  il  assistait  régulièrement  à 
l'office  divin,  tant  du  soir  que  de  la  nuit,  à  moins  que  quelque  indisposition 
ne  l'en  empêchât;  il  faisait  ses  prièresavec  tantde  dévotion,  qu'il  en  inspirait 
à  ceux  qui  le  voyaient  :  il  paraît  que,  lorsqu'il  fit  son  testament,  quatre  ans 
avant  sa  mort,  il  pensait  à  se  démettre  de  la  couronne  impériale,  afin  que, 
n'étant  plus  chargé  du  poids  des  affakes  de  la  terre,  il  ne  s'occupât  plus  que 
de  celles  de  son  salut. 

Enfin  notre  grand  monarque,  après  avoir  travaillé  si  utilement  pour  la 
religion,  soutenu  si  souvent  l'autorité  des  Papes,  défendu  l'Eglise,  renversé 
l'idolâtrie  et  dissipé  l'hérésie,  tomba  malade  à  Aix-la-Chapelle  ;  il  connut 
aussitôt,  par  la  violence  de  la  fièvre  qui  fut  suivie  d'une  pleurésie,  que 
son  heure  était  proche;  c'est  pourquoi  il  employa  le  peu  de  temps  qui  lui 
restait  à  se  préparer  à  ce  dernier  passage  :  et  après  avoir  reçu  les  Sacrements 
avec  une  ferveur  extraordinaire,  il  rendit  saintement  son  âme  à  son  Créateur 
Tan  814,  dans  la  soixante-douzième  année  de  son  âge,  et  la  quarante-septième 
de  son  règne. 

On  représente  le  Bienheureux  Charlemagne,  couronné  et  tenant  sur  la 
main  le  plan  de  sa  chapelle  d'Aix  dans  laquelle  il  voulut  être  enterré. 


28  JANVIER. 


CULTE  ET  RELIQUES. 

Son  corps  fat  solennellement  enterré  dans  la  cathédrale  qu'il  avait  fait  bâtir,  et  trois  cent  cln- 
qnante-un  ans  après,  il  fut  levé  de  terre  par  les  soins  de  Frédéric  I",  surnommé  Barberousse,  et 
ion  chef  fut  transféré  à  Osnabruck. 

Sur  le  culte  rendu  k  Charlemagne,  voici  ce  que  nous  dit  dom  Guéranger,  en  son  Année  litur- 
gique '. 

Au  gracieux  souvenir  de  la  douce  martyre  Agnès,  un  grand  nombre  d'églises,  surtout  en 
Allemagne,  associent  aujourd'hui  (28  janvier)  la  mémoire  imposante  du  pieni  Charlemagne.  Le 
respect  des  peuples  était  déjà  préparé  en  faveur  de  la  sainteté  de  Charlemagne,  lorsque  Frédéric 
Barberousse  fil  rendre  le  décret  de  sa  canonisation  par  l'antipape  Pascal  111,  en  11C5;  c'est  pour- 
quoi le  Siège  apostolique,  sans  vouloir  approuver  une  procédure  irrégulière,  ni  la  recommencer 
dans  les  formes,  puisqu'on  ne  le  lui  a  jamais  demandé,  a  cm  devoir  respecter  ce  culte  dans  tous 
les  lieux  où  il  fut  établi. 

Dans  nos  églises  de  France  nous  ne  nous  faisons  aucun  scrupule  de  donner  le  titre  de  saints 
et  d'honorer  comme  tels  un  nombre  considérable  d'évêquessnria  sainteté  desquels  aucun  décret  n'a 
été  rendu  par  personne  et  dont  le  culte  n'est  jamais  sorti  de  la  limite  de  leurs  diocèses  ;  les  nom- 
breuses églises  qui  honorent,  depuis  près  de  sept  siècles,  la  mémoire  du  grand  empereur  Char- 
lemagne, se  contentent,  par  respect  pour  le  Martyrologe  romain,  où  son  nom  ne  se  lit  pas,  de  le 
fêter  sons  le  titre  de  Bienheureux.  —  Pour  ne  citer  qu'un  exemple,  une  église  lui  est  encore 
dédiée  dans  l'ancien  diocèse  de  Sarlal,  en  Périgord. 

Avant  l'époque  de  la  Réforme,  le  nom  du  bienheureux  Charlemagne  se  trouvait  sur  le  calen- 
drier d'un  grand  nombre  de  nos  églises  de  France  ;  les  Bréviaires  de  Reims  et  de  Rouen  sont  les 
seuls  qui  l'aient  conservé  aujourd'hui.  Plus  de  trente  églises  en  Allemagne  célèbrent  encore  au- 
jourd'hui la  fête  du  grand  empereur  ;  sa  chère  église  d'Aix-la-Chapelle  garde  son  corps  et  l'expose 
à  la  vénération  des  peuples...  Il  est  conservé  dans  une  châsse  de  vermeil  .  Un  de  ses  bras  est  dans 
nn  reliquaire  à  part.  On  trouve  dans  la  grosseur  des  os  de  ce  bras  la  preuve  de  ce  que  les  auteurs 
racontent  sur  la  haute  taille  et  la  force  corporelle  du  grand  empereur.  Dans  le  trésor  de  la  même 
église  se  trouve  aussi  son  cor  de  chasse,  et  dans  une  galerie,  le  siège  de  pierre  sur  lequel  il  était 
assis  dans  son  tombeau. 

On  sait  que  c'est  sur  ce  siège  que  les  empereurs  d'Allemagne  étaient  installés,  le  Jour  de  leur 
eottionnement. 

L'Université  de  Paris  le  choisit  pour  patron  en  16G1. 

Plusieurs  MartjTologes  de  France,  d'Allemagne  et  de  Flandre  font  mémoire  de  saint  Charlemagne  le 
28  janvier.  Ferrarius  ne  l'a  pas  oublié  dans  son  supplément  des  Saints  qui  ne  sont  pas  dans  le  Martyrologe 
romain,  non  pins  qu'Usuard,  ni  Molan.  Nous  avons  tiré  ce  que  nous  en  avons  dit  en  ce  recueil,  d'Eginhard, 
qui  a  été  son  chancelier  et  qui  se  fit  religieux  de  l'Ordre  de  Saint-Benoît,  après  la  mort  de  son  maître,  et 
des  autres  mémoires  que  Bollandus  rapporte  dans  le  second  tome  des  Actes  des  Saints,  où  l'on  peut  voir 
quelques  miracles  qui  ont  été  faits  par  les  mérites  de  notre  saint  roi.  Sur  la  vie  de  saint  Charlemagne, 
ou  peut  encore  consulter  ce  qu'en  a  écrit  le  bienheureux  Notker,  moine  de  Saint-Gall,  au  ixe  siècle. 


LE  BIENHEUREUX  AMEDEE  DE  ÏÏAUTEPJYE, 

ÉVÊQDE  DE  UDSAME 
1158.  —  Pape  :  Adrien  IV.  —  Roi  de  France  :  Louis  VII,  le  Jeune. 


Le  bienheureux  Amédée,  dont  nous  allons  en  peu  de  naols  raconter  la 
vie  simple  et  précieuse  au.x  yeux  de  Dieu,  était  né  à  Chatte*,  en  Dauphiné, 
dans  les  premières  années  du  xa°  siècle  (1110  environ).  Il  appartenait  à 

1.  Le  temps  de  Noïl,  2=  partie  (1847),  p.  430  h  500. 

2.  Chatte,  commune  du  canton  de  Vinay,  dans  l'arrondissement  de  Saint-Marcellin.  Quelques  auteurs, 
cependant,  comme  Moréri,  le  font  naître  à  la  COte-Saint-André,  s'appayant  sur  une  Vie  manuscrite  de 
notre  Saint,  composée  vers  1185.  Malgré  de  nombreuses  recberclies,  il  ne  nous  a  pas  été  donne'  d'éclaircir 


tE  BIENHECKEUX  AMÉDÉB  DE  HAtJTEMVE,   ÉVÈQUE  DE  LAUSAÎTOE.  85 

l'une  des  plus  illustres  familles  du  pays  ;  son  père,  nommé  aussi  Amédée, 
seigneur  de  Hauterive,  était  beau-frère  du  dauphin  Guigues  VII  (107o-1125) 
dont  il  avait  épousé  la  sœur  Pétronille,  et  parent  de  l'empereur  Henri  V. 
Mais,  ce  qui  était  préférable  à  une  si  noble  origine,  c'est  que  le  père  pou- 
vait offrir  au  fils  un  digne  modèle  de  piété,  et  comme  un  héritage  de  toutes 
les  vertus  chrétiennes.  Aussi  le  vit-on,  en  1119,  embrasser  l'état  religieux  à 
l'abbaye  de  Bonnevaux,  au  diocèse  de  Vienne,  fondée  depuis  quelques 
années  seulement  '.  Sa  généreuse  détermination  avait  été  partagée  par  seize 
autres  chevaliers  ses  vassaux,  ainsi  que  par  son  jeune  fils,  qui  voulait  aussi 
consacrer  au  Seigneur  les  prémices  d'une  vie  à  peine  commencée. 

Mais  l'âge  encore  si  jeune  de  ce  dernier  ne  lui  permit  point  d'être  admis 
à  prononcer  les  vœux  sacrés  de  la  religion.  11  quitta  donc  la  sainte  retraite 
de  la  douce  vallée  de  Bonnevaux,  pour  se  rendre  avec  son  père  à  la  célèbre 
abbaye  de  Cluny,  où  les  lettres  étaient  en  grand  honneur  et  où  on  les  cul- 
tivait avec  succès.  Les  bons  religieux,  persuadés  que  l'instruction  qu'ils 
pouvaient  donner  à  ce  jeune  enfant,  quelque  bonne  qu'elle  pût  être  en  soi, 
serait  cependant  bien  au-dessous  de  celle  qui  lui  convenait  à  tous  égards, 
crurent  ne  pouvoir  mieux  faire  que  de  s'en  décharger  sur  l'empereur  Conrad, 
parent  et  allié  de  sa  famille.  Ce  prince  l'accueillit  avec  empressement  et  dé- 
sormais le  prit  sous  sa  haute  protection.  11  ne  négligea  rien  pour  l'élever 
d'une  manière  qui  répondît  à  la  noblesse  de  son  origine,  et  pendant  plusieurs 
années  il  prit  de  lui  le  même  soin  que  s'il  eût  été  son  propre  enfant.  Son 
instruction  fut  alors  confiée  aux  maîtres  les  plus  habiles  et  les  plus  expéri- 
mentés ;  et,  à  mesure  que  son  esprit  se  développait  et  acquérait  cette  matu- 
rité qui  forme  l'homme  raisonnable,  son  âme,  sous  l'influence  de  la  grâce 
divine  comme  d'une  rosée  céleste,  s'épanouissait  aussi  devant  le  Seigneur, 
semblable  à  une  fleur  délicate  qui  s'entr'ouvre  aux  premiers  rayons  du  soleil. 

Lorsque  son  éducation  fut  terminée,  brûlant  d'un  ardent  désir  de  retour- 
ner auprès  de  son  pieux  père,  dans  la  vie  austère  du  cloître,  il  abandonna 
sans  regret  une  cour  somptueuse,  d'où  son  cœur,  si  l'on  peut  parler  ainsi, 
avait  été  toujours  absent  et  éloigné.  Résolu  de  se  donner  à  Dieu  sans  réserve, 
il  prit  donc  l'habit  religieux  à  la  grande  abbaye  de  Clairvaux,  en  présence  du 
dernier  Père  de  l'Eglise,  l'illustre  saint  Bernard.  11  y  passa  quelque  temps 
entièrement  livré  à  la  prière  et  à  la  méditation.  Mais  il  quitta  bientôt  ce 
nouveau  monastère  pour  se  rendre  à  celui  de  Hautecombe,  en  Savoie,  sur 
les  bords  accidentés  du  lac  du  Bourget'.  A  peine  était-il  installé,  que  déjà 
ses  vertus  éminentes  l'avaient  désigné  à  l'admiration  de  tous  les  autres  reli- 
gieux, et  en  l'année  1139,  à  l'âge  de  trente  ans  environ,  il  succéda,  dans  sa 
charge  importante,  à  l'abbé  Bibien.  Son  administration  fut  à  la  fois  douce  et 
ferme  ;  le  maintien  de  la  règle  et  de  la  discipline,  la  répression  des  moin- 
dres abus,  mais,  en  même  temps,  la  plus  magnanime  charité  pour  les  au- 
tres, et  pour  lui-même  la  plus  rigoureuse  sévérité,  voilà  comment  il  s'ac- 
quitta des  graves  fonctions  qu'on  lui  avait  confiées,  voilà  aussi  comment  il 
sut  s'attirer  l'estime  sincère  et  la  véritable  affection  de  tous  ceux  qui  l'ap- 

ce  point  d'une  manière  satisfaisante,  ni  de  retrouver  cette  Vie  manuscrite  du  xiie  siècle,  qui  serait  d'tm 
grand  intérêt  pour  l'iiistoire  hagiograptiique  du  diocèse.  Nous  avons  donc  cru  pouvoir  notis  en  tenir  k 
l'opinion  commune  et  traditionnelle. 

1.  En  1117,  d'après  M.  Haur€aa  (Gallia  Chriatiana,  t.  xvi,  col.  207;  ibidem,  Imtnimmta,  col.  31-32), 
elle  était  sur  le  territoire  de  Saint-Symphorien  de  Marc.  —  Voyez  Valbonnays,  Bist.  du  Daufhitié,  t.  il, 
Preuves,  p.  504-505.  —  La  Semaine  religieuse,  2e  année,  no  31,  p.  4SS-iS9,  contient  la  charte  de  fon- 
dation traduite  par  M.  le  chanoine  Auvergne. 

2.  Ce  monastère,  qui  doit  son  origine  aux  religieux  de  l'abbaye  d'Aulps,  en  Chablais,  est  depuis  long- 
temps la  sépulture  des  rois  de  Sardaigne.  Tout  en  leur  laissant  le  soin  de  veiller  sur  les  tombeaux  ds 
»e»  aïeux,  Victor-Emmanuel  II  a  dépouillé  les  religieux  de  leurs  biens. 


86  28  JANVIER. 

prochaient.  Cependant,  celte  direction  si  sage  et  si  paternelle  dura  peu,  car 
la  Providence  le  réservait  à  une  nouvelle  destinée.  En  H44,  le  siège  épisco- 
pal  de  Lausanne  étant  devenu  vacant  par  la  mort  de  son  évêque,  Gui  da 
Maligny,  notre  saint  abbé  y  fut  nommé  d'une  voix  unanime.  Il  répugnait» 
sans  doute,  à  sa  modestie  et  à  son  humilité  si  profondes,  d'accepter  une  si 
haute  dignité,  avec  un  si  lourd  fardeau  ;  mais  il  dut  céder  aus  instances  réi- 
térées du  clergé  et  du  peuple  chrétien,  et  il  vit  là  avec  raison  la  voix  de  Dieu 
qui  l'appelait  à  cette  nouvelle  vocation. 

A  peine  fut-il  sacré  prince  de  l'Eglise,  que  son  vieux  père  accourut  au- 
près de  lui,  plein  d'espérance  et  de  joie,  pour  jouir  une  dernière  fois,  sur  la 
terre,  de  la  présence  d'un  Qls  qu'il  allait  bientôt  quitter.  Peu  après,  en  effet, 
son  existence  mortelle  eut  son  terme  ;  il  mourut,  du  moins,  avec  la  conso- 
lation d'avoir  donné  à  l'Eglise  de  Jésus-Christ  un  saint  religieux,  qui  bientôt 
allait  être  un  saint  évêque.  Cette  pensée  dut  naturellement  réjouir  l'àme  da 
bon  vieillard,  et  lui  aussi  pouvait  s'écrier  comme  Siméon  :  «  Seigneur, 
laissez  maintenant  aller  en  paix  votre  serviteur».  Ajoutons  enfin  que  les 
anciens  monuments  de  l'Ordre  de  Gteaux  le  mettent  au  rang  des  saints  que 
cet  Ordre  a  produits. 

Dès  sa  promotion,  le  nouvel  évêque  de  Lausanne  donna  essor  à  son  zèle. 
D  exerçait  avec  talent  le  ministère  de  la  prédicatioH,  car  il  éUiit  éloquent  et 
parlait  avec  onction.  Il  visitait  les  nombreux  districts  de  son  diocèse,  dont 
quelques-uns,  situés  dans  les  contrées  alpestres,  étaient  d'un  accès  difficile. 
A  Grindelvrald,  dans  l'Oberland,  à  3,310  pieds  au-dessus  de  la  mer,  il  consa- 
cra une  église  construite  en  bois.  Par  la  prière,  il  implorait  la  bénédiction 
divine  sur  ses  travaux,  et  toujours  il  eut  une  tendre  dévotion  à  la  Saintfr 
Vierge  Marie.  On  raconte  à  ce  sujet  qu'il  obtint  de  sa  sœur  une  paire  de 
gants  que  celle-ci  avait  reçus  de  Notre-Dame  en  échange  des  onctueuses 
homélies  qu'il  avait  prononcées  à  la  louange  de  la  Reine  des  cieux.  Ces  gants 
ont  été  longtemps  conservés  à  la  cathédrale  de  Lausanne  et  y  ont  été  l'ins^ 
trument  de  nombreux  miracles. 

Les  solides  vertus  qu'on  avait  remarquées  en  Amédée  brillèrent  alors 
avec  plus  d'éclat  que  jamais,  et  les  grandes  qualités  administratives  dont  il 
avait  fait  preuve  à  Hautecorabe,  il  les  déploya  surtout  dans  l'habile  direction 
de  son  église  et  de  son  diocèse.  L'éducation  de  la  jeunesse  et  la  formation 
d'un  clergé  pieux  et  éclairé,  lui  semblèrent  toujours,  et  à  bon  droit,  deux 
œuvres  capitales  pour  le  salut  et  la  sanctification  du  troupeau  confié  à  sa  vi- 
gilance pastorale.  Pendant  qu'il  remplissait  avec  tant  de  zèle  et  de  piété  les 
importants  devoirs  de  son  saint  ministère,  les  honneurs  de  la  terre  venaient 
jusqu'à  lui. 

Pendant  son  séjour  à  Hautecombe,  saint  Amédée  s'était  acquis  l'amitié 
et  l'oslime  particulières  du  comte  de  Savoie,  Amédée  III,  et  des  seigneurs  du 
pays,  comme  le  prouve  l'emploi  important  auquel  il  fut  appelé  plus  tard. 
En  parlant  pour  la  croisade,  le  comte  Amédée  recommanda  son  fils  Ilum- 
bert  à  l'évèque  de  Lausanne  et  le  chargea  de  veiller  à  l'honneur  de  la  dignité 
de  ce  fils  et  à  l'intégrité  de  ses  terres  '.  A  son  retour  de  la  Terre  Sainte,  le 
comte  mourut  à  Nicosie,  le  t"  avril  H48.  Son  fils  Humbert  III  lui  succéda  ; 
mais  comme  il  était  trop  jeune  alors  pour  gouverner  seul,  il  tint  conseil 
avec  les  membres  de  sa  famille,  et,  à  la  suite,  manda  auprès  de  lui  l'évoque 
Amédée.  A  son  arrivée,  on  l'informa  du  but  de  cet  appel  ;  il  sera  le  conseil- 
ler du  jeune  comte  et  le  protecteur  de  ses  Etats.  Amédée  refusa  ;  on  fit  des 
instances  :  «  Si  nous  choisissons  » ,  lui  dit-on,   «  un  duc,  un  comte,  ou  une 

1.  Gnictaenon,  Bist.  de  Savoie,  ir,  38. 


LE  BIENHEUREUX  AMÉDÉE  DE  nAUTERIVE,  ÉVÉQUE  DE  LAUSANNE.      87 

autre  personne  séculière,  au  lieu  d'un  tuteur  fidèle,  nous  n'aurons  peut-être 
qu'un  homme  méchant  et  avare,  qui  recherchera  avant  tout  ses  propres 
avantages  et  ne  laissera  à  son  pupille  qu'un  héritage  ruiné  ».  Pressé  par  ces 
sollicitations  et  par  l'amitié  qui  l'avait  uni  au  père,  et  qu'il  reportait  alors 
sur  le  fils,  Amédée  accepta  cette  charge  difficile  et  chercha  à  en  bien  rem- 
plir les  fonctions  '.  Plus  tard,  Humbert  111  fut  mis  par  l'Eglise  au  nombre 
des  bienheureux  '.  Le  royal  pupille  s'était  montré  digne  de  son  tuteur. 

Quelque  temps  après,  l'empereur  Frédéric  V  mit  le  comble  à  toutes  ces 
faveurs  en  le  nommant  lui-même  grand  chancelier  de  l'empire.  Mais,  par- 
venu à  un  si  haut  point  d'honneur  et  de  dignité,  il  conservait  toujours  la 
même  simplicité  et  la  même  modestie  ;  au  milieu  de  cette  grandeur  et  de 
cette  gloire,  c'était  toujours  la  foi  et  la  piété  de  l'enfant  de  Bonnevaux  et 
du  moine  de  Cluny  ;  sa  vie  extérieure  avait  subi  de  notables  changements, 
et  il  pouvait  marcher  à  l'égal  des  grands  seigneurs,  mais  son  cœur  était  loin 
de  la  terre  et  de  ses  fêtes  pompeuses. 

Les  épreuves,  cette  pierre  de  touche  de  la  saiBteté,  ne  devaient  pas 
manquer  au  bienheureux  .\médée.  Sous  son  épiscopat,  l'Eglise  de  Lausanne 
fut  en  butte  aux  attaques  du  comte  de  Genève,  celui-là  même  qui,  en  sa 
qualité  d'avoué  de  cette  église,  devait  en  prendre  la  défense.  Il  éleva,  au 
haut  de  Lausanne,  un  château  fort  destiné  à  dominer  la  ville,  se  révolta 
ouvertement  contre  l'évêque  et  entraîna  dans  son  parti  des  sujets  de  l'évê- 
ché.  Saint  Amédée,  ne  se  trouvant  plus  en  sûreté  à  Lausanne,  quitta  cette 
ville  et  se  réfugia  à  Moudon  ;  mais,  là  encore,  il  se  trouva  au  milieu  d'enne- 
mis. On  se  porta  contre  lui  à  des  voies  de  fait,  sa  vie  fut  menacée,,  ses  habits 
furent  déchirés  par  les  armes  ;  on  frappa,  jusque  dans  ses  bras,  un  de  ses 
compagnons,  dont  le  sang  jaillit  sur  lui.  Blessé  lui-môme  et  dépouillé,  il 
s'enfuit  du  château  de  Sloudon  et  s'enfuit  à  nu-pieds.  Condamné  ainsi  à 
l'exil,  il  fut  quelque  temps  éloigné  de  son  église.  Vers  le  temps  de  Pâques, 
il  écrivit  à  ses  chers  fils  de  l'église  de  Lausanne  une  lettre  dans  laquelle  il  ra- 
conte les  maux  qu'il  a  soufferts,  lance  sa  malédiction  sur  1 1  ville  de  Moudon 
qui  a  trahi  son  évoque,  fait  des  vœux  pour  la  conversion  du  comte  de  Gene- 
vois et  finit  par  des  recommandations  qu'il  fait  à  ses  chers  tils,  pour  les  pré- 
parer à  célébrer  saintement  les  fêtes  pascales.  Nous  ignorons  combien  dura 
l'exil  de  l'évêque,  et  comment  il  parvint  à  vaincre  le  comte  de  Genevois  ;  le 
Cartulaire  de  Lausanne  nous  dit  seulement  que  ce  fut  par  sa  prudence  et 
qu'il  força  le  comte  lui-même  à  détruire  et  à  raser  jusqu'aux  fondements  les 
forteresses  qu'il  avait  élevées  (H 56). 

11  ne  devait  point  parvenir  à  la  vieillesse  de  son  père,  car  bientôt  le  Sei- 
gneur rappela  à  lui  ce  bon  et  fidèle  serviteur.  Il  mourut  à  l'âge  d'en^-iron 
cinquante  ans,  après  une  vie  entièrement  consacrée  à  Dieu  et  à  la  religion  '. 
Par  une  coïncidence  remarquable,  il  naquit  le  jour  de  sainte  Agnès  ;  puis 
fut  religieux,  abbé  et  enfin  évcque  au  môme  jour.  Aussi  prescrivit-il  que  la 
fête  de  cette  Sainte  fût  célébrée  dans  son  diocèse  sous  le  rite  double.  Comme 
son  père,  il  est  mis  au  rang  des  saints  de  l'Ordre  de  Citeaux  ;  et  aujourd'hui, 
l'église  de  Grenoble,  sa  mère,  le  compte  parmi  ses  puissants  protecteurs 
auprès  de  la  miséricorde  divine. 

Saint  Amédée  fut  enseveli  dans  la  nef  de  la  cathédrale  do  Lausanne,  dé- 
liant le  crucifix,  à  côté  de  l'évêque  Henri.  A  sa  mort  il  donna  à  son  église  un 

1.  GoicbeBon,  ffîst.  de  5/îuoiV,  rv,  39. 

2.  Sa  fête  se  célfebre  le  13  mars. 

3.  Sa  mort  arriva  trfes-probatlement  en  1158  :  cette  date  n'est  pas  plus  connue  et  fixée  que  celle  de  sa 
naissance. 


88  28  JANMEE. 

anneau  d'or,  orné  d'un  gros  et  très-beau  saphir,  dont  ses  successeurs  de- 
vaient se  servir  lorsqu'ils  officiaient  dans  la  cathédrale,  mais  qui  ne  devait 
pas  sortir  de  cette  église. 

A  cause  de  sa  dévotion  envers  Notre-Dame,  on  l'a  représenté  à  genoux 
devant  une  statue  de  Marie  et  recevant  des  mains  de  sa  sœur  des  gants  que 
lui  envoie  celle  qu'il  avait  louée  et  exallée  devant  son  peuple. 

ÉLOGE  ET  ÉCRITS  DU  BIENHEUREUX  AMÉDÉE. 

Tous  les  écrivains  qni  ont  parlé  de  saint  Amédée  ont  fait  l'éloge  de  ses  talents  et  de  ses  ver- 
tus ;  à  la  beauté  du  corps  il  joignait  les  qualités  de  l'esprit  et  les  perfections  de  l'âme.  Aussi,  la 
vénération  publii|ue  le  mit  au  nombre  des  Bienheureux;  c'est  avec  cette  qualification  qu'il  est  mea- 
tionné  dans  le  ménologe  de  Citeaux,  dans  le  Jimmnl  des  S-tints  de  cet  Ordre,  etc.  La  Congrégation 
des  Rites  permit  aux  religieux  de  Citeaux  de  célébrer  son  office  sous  le  rite  double,  et  celte  permis- 
sion fut  confirmée  par  le  pape  Clément  XI,  le  25  septembre  H 10.  A  la  demande  de  Mgr  Hubert 
de  Boccard,  évéque  de  Lausanne,  le  pape  Benoit  XIV,  par  un  bref  du  12  décembre  1753,  étendit  aa 
diocèse  de  Lausanne  l'autorisation  de  réciter  cet  oflice,  et  depuis  lors  la  fite  de  saint  Amédée  ;  fut 
célébrée  le  28  janvier. 

11  nous  reste  de  ce  saint  évéque  huit  homélies  en  l'honneur  de  la  sainte  Vierge.  Si  elles  ne 
peuvent  pas  être  comparées  aux  chefs-d'œuvre  des  premiers  Pères  de  l'Eglise,  elles  ne  le  cèdent 
pas  cependant  aux  auteurs  de  son  temps,  soit  par  la  noblesse  et  la  piété  des  pensées,  soit  par  l'élé- 
gance et  la  douceur  du  style.  Elles  se  ressentent,  il  est  vrai,  des  défauts  de  son  siècle  ;  ainsi  par- 
fois on  désirerait  plus  de  simplicité  et  moins  de  recherche  dans  les  idées  et  leur  expression.  Malgré 
ces  défauts,  elles  ont  été  souvent  réimprimées.  La  première  édition  parut  à  Bùle  en  1557  ;  elles  ont 
été  ensuite  réimprimées  à  Anverset  à  Saint-Omer,  en  11313  ;  à  Cologne,  en  1618  et  en  1U22  (Bibloth. 
des  Pères,  t.  xv)  ;  à  Douai,  en  1625,  avec  d'autres  Pères;  dans  l'UrpIns  presutum,ï  Lyon,  en 
1633  et  1652,  et  à  Paris,  en  1639,  1661,  1671  et  1672  ;  à  Madrid,  en  1648  [Magnum  Manale, 
t.  1")  ;  à  Lyon,  en  1677  [Bihlioth.  da  Pci-'-s,  t.  xx)  ;  à  Paris,  en  1855,  dans  le  t.  CLXXXiii"  de  la 
Patrologie  de  l'abbé  Migne.  Le  P.  Combelis  a  publié  quatre  de  ces  homélies  dans  sa  B'hlw'heca 
concionmiloria],  t.  vi  et  VII  (Paris,  1662).  Le  président  Cousin  les  a  traduites  en  français  (Paris, 
1698  et  1708).  Quelques  fragments  en  ont  été  insérés  dans  l'ancien  bréviaire  lausannais,  ainsi  que 
dans  le  nouveau  de  1787.  C'est  ainsi  qu'on  les  lisait  publiquement  autrefois  dans  la  cathédrale  de 
Lausanne. 

Snr  le  bienheureos  Amédi5e,  consulter  :  Le  Mire,  C/ironic.  cisterciens.  ;  Marraclm,  Bibliothec.  Mariana; 
Du  Saussay,  Martyroî.  Gallic,  add.  au  27  sept.;  Henrtquez,  Menotog.  cisterciense ;  Manriquez,  AnualeSf 
ftd  ann.  1158;  Galt.  Christ.,  Ecdes.  Lausanensis  (province  de  Besançon);  Ghorler,  Bist.  génér.  du  Dauph», 
t  II,  p.  32-33  (édition  de  Valence,  1S69). 

M.  l'abbé  Greraaud,  professeur  d'histoire  au  collège  de  Fribonr^,  a  publié  (1SG6)  les  Eomélîes  de  saint 
Améâé'>,  texte  latin  et  traduction  française  en  regard  :  il  lus  a  fait  préce'der  d'une  notice  historique  à 
laquelle  nous  avons  emprunté  quelques  di5tail3  pour  les  ajouter  &  la  biographie  qu'avait  bien  voulu  noa» 
fournir  M.  l'abbé  Bellet,  prêtre  du  diocbse  de  Grenoble. 


S.  JULIEN,  ÉVÈQUE  DE  GUENÇA  ET  COiNFESSEUR  * 

1207.  —  Pape  :  Innocent  111.  —  Roi  de  Castille  :  Ferdinand  II. 


Saint  Julien  n'est  pas  tant  une  production  de  la  nature  qu'un  présent 
de  la  grâce.  Son  père  et  sa  mère,  qui  demeuraient  en  la  ville  de  Burgos, 
furenlloniitcmps  mariés  sans  avoir  d'enfant;  mais  enfin,  après  plusieurs 
dévolions  qu'ils  ûrent  pour  obtenir  cette  bénédiction  du  ciel,  ils  eurent 
notre  Saint  qui  naquit  en  la  même  ville,  l'an  de  Notre-Seigueur  1127.  En 

1.  Cuença.  ville  'le  la  Nouvclle-Castille  'a  121  kil.  de  Madrid,  appartint  longtemps  aux  Maures.  Acquis* 
par  Alphonse  VI,  en  1072,  elle  fut  rerdue  par  ce  prince,  puis  reprise  au  xii^  siècle  par  Alphonse  IX. 


SAIXT  JTLIEX,   ÉviQUE  DE   CUESÇA  ET  COXFESSEUR.  89 

sortant  du  sein  de  sa  mère,  il  leva  sou  petit  bras  et  donna  la  bénédiction  à 
toutes  les  personnes  qui  étaient  présentes,  en  faisant  le  signe  de  la  croix, 
comme  font  les  évêques  quand  ils  bénissent  le  peuple.  Lorsqu'on  la  bap- 
tisa, on  entendit  une  très-agréable  musique  d'Anges  qui  chantaient: 
a  Aujourd'hui  est  né  un  enfant  qui  n'a  point  son  pareil  en  grâce  »  ;  et  quand 
on  en  fut  à  l'imposition  du  nom,  il  parut  un  homme  vénérable,  la  mitre  ea 
tête  et  la  crosse  à  la  main,  qui  dit  tout  haut  :  «  Il  doit  s'appeler  Julien  ». 
Ces  prodiges  étaient  de  grands  présages  de  sa  sainteté.  En  elTet,  il  en  donna 
des  marques  dès  son  enfance,  pratiquant  plusiturs  mortifications,  jeûnant 
trois  jours  par  semaine  et  disant  quantité  de  prières  qu'il  s'était  prescrites 
pour  chaque  jour.  Comme  il  avait  une  grande  vivacité  d'esprit,  il  se  rendit 
en  peu  de  temps  très-habile  dans  les  arts  libéraux  et  dans  la  théologie,  dont 
il  fît  des  leçons  publiques,  après  y  être  devenu  un  très-savant  maître. 

Ses  parents  étant  décédés,  au  lieu  de  se  marier,  comme  on  le  lui  conseil- 
lait, il  se  retira  dans  une  petite  cabane  qu'il  fit  bâtir  près  du  monastère  de 
Saint-.\ugustin  de  Burgos,  et  d'un  ermitage  où  avait  vécu  autrefois  saint 
Dominique  de  Silos.  Là,  il  se  prépara  à  recevoir  les  ordres  sacrés  jusqu'au 
sacerdoce.  Quand  il  se  vit  honoré  du  caractère  de  la  p-^-êtrise,  son  occupa- 
tion était  l'oraison,  la  sainte  messe  qu'il  célébrait  tous  les  jours  avec  abon- 
dance de  larmes  à  l'autel  du  saint  Crucifix,  la  lecture  de  la  sainte  Ecriture  et 
des  saints  Pères,  la  conversion  des  âmes,  enfin,  la  prédication  de  l'Evangile 
dans  plusieurs  provinces  du  royaume. 

Sa  vertu  fit  jeter  les  j'eux  sur  lui  pour  le  faire  archidiacre  de  la  ville  de 
Tolède,  puis  évêque  de  Cuença,  nouvellement  regagnée  sur  les  Maures. 
Cette  dignité,  quelque  élevée  qu'elle  fût,  ne  lui  fit  point  perdre  les  senti- 
ments d'humilité  qu'il  avait  ;  il  fit  son  entrée  dans  son  diocèse,  à  pied  et 
avec  beaucoup  de  modestie,  considérant  que  la  charge  que  Dieu  lui  avait 
donnée  était  celle  de  pasteur  et  non  de  seigneur.  Il  dépensait  tout  le  revenu 
de  son  église  en  œuvres  pies  et  en  aumônes.  Sa  charité  le  rendait  l'œil  de 
l'aveugle,  la  main  de  l'estropié,  le  pied  du  boiteux,  le  père  des  orphelins,  le 
refuge  des  veuves,  la  consolation  des  affligés  et  l'asile  de  tous  les  pauvres 
nécessiteux.  11  gagnait  sa  vie  et  celle  de  son  domestique  à  faire  des  paniers 
qu'il  vendait.  Il  visitait  tous  les  ans  son  diocèse  pour  en  bannir  les  abus  et 
les  ecclésiastiques  scandaleux  ou  ignorants  qui  sont  la  ruine  du  peuple.  Il 
avait  un  très-grand  zèle  pour  racheter  les  captifs  des  mains  des  Maures. 
Enfin,  tout  lui  était  aisé  quand  il  s'agissait  de  procurer  quelque  avantage  à 
ses  ouailles. 

Il  avait  coutume  de  donner  tous  les  jours  à  dîner  à  plusieurs  pauvres.  Il 
arriva  qu'un  jour  il  en  vit  un  qui,  à  son  air,  paraissait  être  distingué, 
quoique  plus  mal  vêtu  que  les  autres  ;  il  le  tira  à  part  pour  savoir  qui  il 
était;  mais  il  parut  aussitôt  tout  éclatant  de  lumière  et  dit  au  Saint:  a  Je 
TOUS  remercie,  mon  cher  Julien,  du  traitement  que  vous  faites  à  mes  pau- 
vres ;  je  vous  promets,  pour  votre  récompense,  la  vie  éternelle».  Puis  il 
disparut:  ce  qui  fit  croire  à  Julien  que  ce  pauvre  était  Notre-Seigneur.  La 
Providence  divine  pourvoyait  miraculeusement  à  ses  besoins  pour  lui 
donner  moyen  de  faire  ses  charités,  soit  en  multipliant  le  blé  dans  son  gre- 
nier ou  lui  en  envoyant  par  des  voies  extraordinaires,  comme  il  arriva  dans 
un  temps  de  famine:  le  blé  ayant  manqué,  on  vit  venir  une  longue  file  de 
mulets  chargés  de  sacs  de  froment,  sans  qu'il  se  présentât  personne  pour  en 
demander  l'argent.  Et  après  avoir  été  déchargées,  les  bêtes  de  somme  s'en 
allèrent  sans  que  l'on  pût  savoir  ce  qu'elles  étaient  devenues.  On  raconte 
que  le  Saint,  ayant  commandé  à  son  maître  d'hôtel,  nommé  Lerme,  de  faire 


90  2S  JANVIER. 

distribuer  ce  blé  selon  la  nécessité  de  chacun,  cehii-ci  le  fit  ayec  tant  de 
ferveur  qu'il  mourut  de  la  peine  qu'il  s'y  était  donnée.  Il  fut  enterré  der- 
rière le  chœur  de  l'église  de  Burgos  ;  il  est  honoré  comme  Saint. 

Sa  charité  ne  parut  pas  moins  dans  un  temps  de  peste  qu'il  fit  enfin 
cesser  par  ses  ferventes  prières  et  son  crédit  auprès  de  Dieu  ;  on  remarque 
que  tous  ceux  qui  pouvaient  toucher  de  ces  petits  paniers  qu'il  faisait,  se 
trouvaient  aussitôt  guéris,  et  même,  depuis  son  décès,  on  a  expérimenté 
l'efficacité  de  ce  remède  en  plusieurs  grandes  maladies. 

Le  démon  ne  put  souffrir  une  si  éclatante  vertu  :  il  la  combattit  d'abord 
par  des  tentations  de  gourmandise,  en  lui  présentant  de  bonnes  viandes 
lorsqu'il  jeûnait  au  pain  et  à  l'eau,  mais  ce  fut  inutilement  ;  il  se  servit  de 
l'avarice,  en  lui  envoyant  de  l'or  et  de  l'argent,  mais  ce  fut  sans  effet.  Enfin, 
il  y  employa  la  volupté,  en  lui  faisant  paraître  des  nudités  pour  le  porter  au 
péché,  mais  le  démon  fut  toujours  vaincu  et  trouva  Julien  invincible. 

Ce  grand  Saint,  menant  ainsi  une  vie  pleine  de  merveilles  et  d'actions 
héroïques  de  vertu,  arriva  jusqu'à  l'âge  de  quatre-vingts  ans.  Notre-Seigneur 
lui  envoya  alors  une  grande  maladie,  que  Julien  connut  le  devoir  conduire 
à  la  mort.  Il  s'y  prépara  par  la  réception  des  Sacrements  et  par  des  actes  de 
pénitence,  ne  voulant  point  d'autre  lit  que  la  terre  couverte  de  cendres,  ni 
d'autre  chevet  qu'une  pierre.  Il  était  dans  cette  posture  humiliée  lorsque  la 
divine  Marie,  accompagnée  d'Anges  et  de  plusieurs  Vierges  qui  chantaient: 
«  Voici  ce  grand  prêtre  qui,  durant  sa  vie,  a  tant  plu  à  Notre-Seigneur  »,  le 
vint  appeler  de  ce  monde  pour  aller  à  Dieu,  en  lui  disant:  «  Prenez,  servi- 
teur de  Jésus-Christ,  cette  lampe,  insigne  de  la  virginité  que  vous  avez  tou- 
jours gardée  inviolable  ».  C'est  ainsi  qu'il  rendit  son  âme  le  28  janvier,  l'an 
1207.  Au  moment  qu'il  trépassa,  l'on  vit  sortir  de  sa  bouche  un  rameau  de 
palme,  blanc  comme  de  la  neige,  s'élevant  jusqu'au  ciel  qui  paraissait 
ouvert,  et  une  musique  céleste  fut  aussitôt  entendue  autour  de  son  corps. 

Il  s'est  fait  de  nombreux  miracles  à  son  tombeau  ;  les  muets  y  ont  reçu 
la  parole,  les  sourds  l'ouïe,  les  boiteux  l'usage  de  leurs  jambes,  et  toutes 
sortes  de  malades  leur  guérison.  Trois  cent  dix  ans  après  son  décès,  on  leva 
son  corps,  qui  fut  trouvé  sans  aucune  corruption,  pour  le  transporter  dans 
on  autre  endroit  de  la  cathédrale,  plus  en  vue. 

Saint  Julien  esfe  particulièrement  honoré  à  Burgos  et  à  Cuença.  Ses 
attributs  sont  une  corbeille,  la  lampe  des  Vierges,  et  autres  symboles  men- 
tionnés dans  sa  vie. 

Le  P.  Giry  a  abrégé  les  BoUandlstes. 


SAINT  THYRSE,  PATRON  DE  SISTERON, 

SAI.NT    LEDCinS,    SAINT   CALLKIQUE   ET   SES   15   COMPAGNONS,    MARTYRS   (230). 

De  tontes  les  histoires  des  Martyrs,  l'une  des  plus  extraordinaires  est,  à  coup  sûr,  cell«  de  saîat 
Thyrse,  doat  le  martyrologe  romain  célèbre  la  mémoire  le  2S  du  mois  de  janvier. 

C'était  ï  l'époque  de  la  persécution  de  l'ejupereur  Déce.  Un  des  lieateaauts  de  ce  prince  venait 
de  faire  dérapiter  à  Césarée  de  Bithynie  un  saint  personnage,  nommé  Leucius,  qui  avait  eu  le  can- 
rage  de  Ini  reprocher  publiquement  son  zèle  et  son  ardeur  pour  le  culte  des  idoles.  Tout  à  coup,  nn 
des  païens,  qni  avait  assisté  et  applaudi  à  l'exécution  de  cette  inique  sentence,  se  sent  ému  jus- 
qu'au fond  de  l'âme  à  la  vue  de  la  constance  dn  martyr,  et  ouvrant  subitement  les  yeux  à  la  lumière 
de  U  foi,  se  met,  lui  aussi,  <i  reprocher  publiquement  son  idolâtrie  an  proconsul  impérial. 


SAI.NT   TUYHSE,    PATROX  DE    SISTEBON.  91 

Irrité  d'une  Inlle  hanlie'^e,  celui-ci,  qui  s'appelait  Combraliiis,  livre  anï  bourrejux,  sans  autre 
forme  de  procès,  son  ourjgenx  conlrattictenr.  Tliyrse 'c'était  le  nom  de  ce  dernier),  au  lien  de  ^ef- 
frayer à  l'ujpeot  lies  instrumeuts  de  torture  que  l'on  prépare  sous  ses  yens,  n'en  peisisle  pas  uioins 
dans  ses  invertives  conlre  le  paganisme  et  ses  infAïues  pratiques.  C'est  en  vaia  qu'on  le  frappe  avec 
des  lanières  ploiwbées  ;  c'est;  en  vain  qu'on  le  suspend  à  un  arbre  par  les  ponces  avec  une  corde 
âoe  ;  c'est  en  vain  qu'oiï  loi  bri=e  les  bras  et  qu'on  lui  arrache  les  paupièies.  11  demeure  inébran- 
lable dans  sa  noiivette  foi  de  chrétien,  et,  chose  plus  merveilleuse  encore,  il  sort  de  ces  supplices 
sans  rien  perdre  de  ses  forces  et  de  sa  vigueur. 

Alors  Cnnibratius  le  fait  etendiasar  un  lit  de  fer,  puis  il  ordonne  qu'on  verse  snr  sa  tête  du 
ptomb  fondu  en  éiat  d'ébullition.  Thyrse  est  invulnérable  ;  bien  plus,  le  plomb  fondu,  au  lieu  de 
^atteindre,  se  répand  sur  ceas  qui  son!  chargés  de  le  tourmenter  et  leur  cause  de  douloureuses 
Wessures.  Fufieux  de  voir  le  Saint  à  l'abri  de  ses  coups,  Combratius  commande  qu'on  le  dépèce  ; 
mais  celui  qui  s'apprête  à  porter  sur  lui  une  main  sacrilège  est  tout  de  suite  saisi  de  vertige,  et 
fixe  dans  la  muraille  l'instrument  tranchant  qu'il  allait  enfoncer  dans  la  chair  du  martyr.  A» 
même  instant,  un  violent  tremblement  de  terre  agite  la  contrée,  les  liens  qui  eocliaînent  les  pied9 
et  les  mains  de  saint  Thyrse  tombent  d'eux-mêmes,  et  force  est  pour  le  tyran  de  le  jeter  dans  la 
prison  publique. 

C'est  là  que  Dieu  attendait  l'invincitile  athlète  pour  conronner  par  la  grJee  du  baptême  sa  cons- 
tance i  confesser  son  saint  nom.  Durant  la  nuit,  un  ange  vient  éveiller  Thyrse,  le  dégage  de  ses 
«haines,  le  fait  sortir  de  son  cachot,  et  le  conduit  à  l'évêque  Philias,  qui  le  baptise,  lui  administre 
b  confirmation  et  l'admet  à  la  table  sainte.  Ainsi  fortifié  et  devenu  parfait  chrétien,  Thyrse  reprend 
le  chemin  de  la  prison,  dont  l'ange  lui  ouvre  miraculeusement  les  portes. 

Le  jour  venu,  il  comparait  de  nouveau  devant  son  juge,  qui  s'est  fait  assister  d'nn  misérable, 
nommé  Silvain.  11  tourne  en  dérision  les  idoles,  i!  en  attaque  le  culte,  il  cherche  à  dessiller  le3 
yeux  de  leurs  sectateurs.  Conduit  au  temple  d'Apollon,  il  obtient  du  ciel,  par  ses  prières,  que  la 
statue  que  l'on  y  révère  chancelle  sur  ses  bases,  tombe  par  terre  et  se  brise.  Chargé  pour 
te  méfait  de  chaînes  plus  nombreuses  et  plus  pesantes,  il  voit  ses  liens  se  briser  comme  par 
enchantement.  Condamné  à  être  flagellé  la  tête  plongée  dans  i"ie  cuve  pleine  de  vin,  il  n'a  pas  en- 
core touché  la  cuve  que  celle-ci  éclate  en  mille  morceaux.  Précipité  du  haut  d'un  lieu  élevé,  11  est 
soutenu  dans  l'espace  par  les  anges,  et  le  païen  Vitalicus,  qui  veut  l'attirer  à  terre,  fait  une  chute 
épouvantable  et  expire  sur  le  champ. 

Voyant  qu'ils  n'en  finiront  pas  avec  Thyrse,  qu'ils  accusent  de  sortilège  et  de  magie,  Combra- 
tius et  Silvain  le  font  rouer  de  coups  et  charger  de  chaînes  plus  pesantes  encore  ;  mais  c'en  va 
être  fini  avec  eux  :  ils  sont  l'un  et  l'autre  saisis  d'un  mal  soudain  ;  ils  se  font  conduire  à  Apamée 
pour  être  guéris,  mais  c'est  en  vain  ;  ils  ne  tardent  pas  à  succomber,  et  leurs  dépouilles  mortelles, 
rejetées  par  la  fosse,  ne  peuvent  être  inhumées  que  lorsque  Thyrse,  qu'ils  ont  traîné  après  eus, 
obtient  du  ciel  que  la  terre  les  reçoive  et  se  referme  sur  elles. 

11  semble  que  tant  de  prodiges  auraient  dû  apaiser  la  fureur  des  païens  contre  l'héroïque  con- 
fesseur de  la  foi.  Loin  de  là,  leur  rage  n'en  devint  que  plus  grande.  A  Combratius  succéda  un  homme 
encore  plus  féroce  que  lui,  appelé  Braudus.  Ce  misérable  ordonne  qu'on  mette  le  Saint  dans  un  sac 
et  qu'on  le  jette  à  la  mer  ;  mais  les  anges  sont  là  qui  le  retirent  des  abîmes  des  flots  et  le  ramè- 
nent sain  et  sauf  sur  le  rivage.  Braudns  alors  le  fait  exposer  aux  bêtes  :  neuf  ours  et  six  léo- 
pards viennent  lécher  ses  pieds  et  ne  lui  font  aucun  mal. 

Désespérant  de  le  vaincre  par  les  supplices,  le  persécuteur  essaie  de  le  prendre  par  la  douceur. 
n  l'emmène  avec  lui  au  temple  de  Bacchus  et  l'invite  à  sacrifier  à  ce  dieu.  Pour  toute  réponse,  le 
bienheureux  patient  obtient  encore  du  ciel  que  l'autel  de  cette  ignoble  divinité  s'écroule,  et  q.ue, 
dans  sa  ruine,  il  entraine  celle  de  la  statue  elle-même. 

De  peur  que  ces  merveilles  ne  concilient  au  saint  Martyr  le  cœur  des  habitants  d'Apamée,  on 
se  hâte  de  le  conduire  a  ApoUonie.  Là  il  est  fouetté  jusqu'au  sang  et  écartelé.  Pendant  qu'an  lui 
fait  subir  ces  supplices,  Braudus  est  saisi  tout  à  coup  de  violentes  douleurs,  les  temples  des 
idoles  sont  ébranles  par  un  tremblement  de  terre,  et  les  images  des  faux  dieux  se  brisent  et  volent 
en  éclats.  A  cette  vue,  la  population  d'Apollonie  est  saisie  d'épouvante  et  reconnaît  enfin  qu'il 
existe  une  puissance  supérieure  à  celle  des  divinités  qu'elle  a  redoutée  jusqu'alors.  Le  grand 
prêtre  de  la  ville,  nommé  Callinique,  fait  plus  :  il  renonce  incontinent  au  culte  des  faux  dieux,  et 
éclairé  par  la  grâce,  il  reproche  à  Braudus  et  sa  cruauté  et  son  idolâtrie.  Rien  ne  peut  le  faire 
revenu-  à  sa  superstition  première,  ni  les  caresses,  ni  les  menaces,  ni  les  tourments,  et  il  meurt, 
décapité  par  ordre  du  proconsul,  avec  quinze  prêtres  des  idoles  qui  ont  suivi  son  exemple  et  imité 
la  constance. 


92  28  JANVIEB. 

Le  bienheureux  Thyrse  cependant  n'était  pas  encore  mort  :  comme  il  persévérait  toujours  dan» 
la  confession  de  sa  foi,  il  est  transféré  à  Milet  où  il  ne  tarde  pas  à  succomber  à  ses  soudrauces 
multipliées. 

Son  corps  fut  pieusement  recueilli  par  les  fidèles,  et  remis  à  l'évéque  Philippe,  qui  l'inhuma 
k  qneliiue  dislance  de  sa  ville  épiscopale,  dans  le  même  sépulcre  que  Callinique  et  ses  quinze 
compagnons  de  martyre.  Des  miracles  éclatants  ne  tardèrent  pas  à  avoir  lieu  auprès  de  cette 
tombe  sacrée.  Mais  les  plus  remarquables  furent  la  mort  tragique  de  Braudus  et  la  conversion 
en  masse   des  habitants  de  Milet. 

Les  reliques  de  ce  martyr  ayant  été  apportées  d'ApolIonie  à  Constantinople,  le  préteur  CésariuB 
les  plaça  dans  une  superbe  basilique  vers  la  Dn  du  iv»  siècle.  Sozomène  rapporte  que  Thyrse  appa- 
rut trois  fois  à  l'impératrice  Pulchérie,  et  qu'il  lui  Gt  la  recommandation  de  placer  dans  sa  basilique 
les  reliques  de  quarante  martyrs.  Justinien,  avant  d'être  empereur,  fit  élever  uue  autre  basilique  en 
l'honneur  de  saint  Thyrse.  Oviedo,  Gironne,  Toieùe,  Sahagun,  en  Espagne,  et  Limoges,  en  France, 
se  prétendent  en  possession  des  reliques  du  saint  martyr.  Son  culte  se  répandit  de  la  sorte  des 
deux  côtés  des  Pyrénées.  Beaucoup  d'églises  furent  construites  en  son  honneur.  Outre  les  villes 
d'Espagne  que  nous  venons  de  nommer,  la  ville  archiépiscopale  de  Braga,  en  Portugal,  a  une 
église  qui  porte  son  nom. 

On  croit  qu'il  y  a  quelques-unes  de  ses  reliques  à  Forcalquier.  Lorsque  Gérard,  évêque  de  Sisleron, 
forcé  de  quitter  son  siège,  se  fut  retiré  à  Forcalquier,  il  se  recommanda  en  mourant  à  Dieu,  à  la 
bienheureuse  Vierge  Marie,  à  saint  Maire  et  à  saint  Thyrse,  patrons  de  cette  église.  Mais  on  ne  peut 
contester  à  l'église  de  Sisteron  l'honneur  de  posséder  un  bras  de  saint  Thyrse.  C'est  de  là  qu'est 
venue  la  grande  vénération  du  clergé  et  du  peuple  de  celte  ville  envers  ce  martyr  illustre  par  ses 
miracles.  L'esistence  de  ce  culte  est  attestée  par  les  monuments  les  plus  antiques,  et  s'il  est  impos- 
sible de  dire  le  temps  précis  où  saint  Thyrse  a  commencé  d'être  invoqué  comme  patron  de  Sisle- 
ron, c'est  l'antiquité  même  de  son  culte  qui  en  est  la  cause. 

Nous  pouvons  donc  dire,  en  terminant,  que  si  l'histoire  de  saint  Thyrse  est  incertaine  et  par 
trop  merveilleuse,  sa  victoire  n'est  pas  douteuse,  et  sa  mémoire  célèbre  à  l'égal  des  plus  célèbres. 

Noies  locales. 


SAINT  VALÈRE,  ÉVÊQUE  DE  SARAGOSSE  (315). 

Valère,  remarquable  par  sa  piété  et  sa  doctrine,  naquit  à  Saragosse,  de  la  famille  consulaire  des 
Valérius,  comme  l'alteste  Prudence.  Devenu  évéque  de  sa  ville  natale,  il  se  montra  dans  cette 
dignilé  tel  que  le  peuple  lui-même  n'aurait  pu  souhaiter  davantage.  Comme  on  était  au  plus  fort  de  la 
persécution  de  Dioclétien  et  de  Maximien,  il  appliquait  tout  son  courage  et  tous  ses  soins  à  la  pro- 
pagation de  la  foi  chrétienne,  combatlanl,  selon  le  précepte  de  l'Apùtre,  le  bon  combat  de  la  foi, 
conquérant  la  vie  éternelle  et  confessant  courageusement  sa  croyance  devant  de  nombreux  témoins. 
Ne  pouvant  que  difficilement,  à  cause  de. la  lenteur  de  sa  langue,  s'acquitter  du  ministère  de  la 
prédication,  et  ne  voulant  pas  priver  son  pe  rile  des  fruits  qu'il  devait  en  retirer,  il  confia  ce  soin 
à  Vincent,  son  diacre  et  son  disciple  :  de  ceiiu  manière  l'instruction  de  son  peuple  ne  laissait  rien 
à  désirer.  Grâce  à  l'exemple  et  à  la  pureté  des  maurs  de  l'un  et  de  l'autre,  et  aux  prédications  de 
Vinc-iut,  la  ruligion  des  chrétiens  était  prospère  et  grandissait  tous  les  jours.  Dacien  le  comprit, 
Daciiii,  qui  avait  été  envoyé  comme  gouverneur  en  Espagne  pendant  la  persécution  de  Dioclétien  et 
de  Miiimien,  et  qui  poursuivait  les  chrétiens  de  toutes  ses  forces  ;  c'est  pourquoi  il  ordonna  d'aiTêter 
Valère  avec  Vincent  à  Saragosse,  et  de  les  traîner  tous  les  deux  à  Valence. 

Ils  allèrent  donc  de  Saragosse  à  Valence,  chargés  de  fers  ;  aussitôt  arrivés,  ils  comparurent  de* 
vant  Dacien.  Celui-ci,  s'adressant  d'abord  àValère  à  cause  de  son  grand  âge  et  de  la  haute  estime 
dont  il  jouissait  parmi  les  chrétiens,  lui  dit  :  «  Quoi  donc,  Valère,  penses-tu  qu'il  soit  juste,  sous 
préieste  de  religion,  d'enfreindre  et  de  violer  les  décrets  des  princes?  »  Alors  Valère,  dont  le  corps 
était  aS'aihIi  par  la  vieillesse,  mais  dont  l'esprit  n'avait  rien  perdu  de  sa  vigueur,  répoudit  :  «  Nous, 
6  Dacien,  qui  professons  la  foi  chrétienne,  et  qui  nous  tenons  sur  les  traces  de  nos  ancêtres,  nous 
«Tons  toujours  eu  pour  maxime  et  pour  principe,  dans  notre  sainte  religion,  d'obéir  à  Dieu,  qui  a 
tout  créé  par  sa  volonté,  plutôt  qu'aux  hommes  ».  Ayant  entendu  ces  paroles,  Dacien,  qui  ne  se 
promettait  aucun  triomphe  de  la  mort  de  Valère,  parce  qu'il  était  accablé  d'une  extrême  vieillesse, 


I 


SAINT  VAIÈRE,  ÉVÊQCE  DE  SARAGOSSK.  93 

que  le  président  estimait  devoir  lai  être  plus  à  charge  qne  n'importe  quel  tourment,  décréta  qu'il 
serait  seulement  envoyé  en  eiil. 

Valère  choisit  pour  lien  de  son  eiil  la  petite  ville  d'Anet,  en  Aragon.  Là,  il  se  faisait  nne  loi  de 
Tivre  loin  du  monde,  aGn  qne,  délivré  de  tous  embarras  et  de  toutes  affaires ,  il  put  consacrer  à 
Dieu  sa  vieillesse.  La  mort  très-glorieuse  que  Vincent  avait  soufferte  à  Valence,  par  l'ordre  de  l'im- 
pie Dacien,  lui  revenait  souvent  à  l'esprit,  et  il  l'estimait  très-heureuse  :  lui-même  ne  souhaitait 
qne  de  sortir  de  cette  vie  ;  il  désirait  de  revoir  dans  le  ciel  celui  qui  avait  été  son  compagnon  sur 
la  terre  et  qui  avait  partagé  ses  travaux.  Pour  mieux  marquer  ses  sentiments  envers  Vincent,  il  lui 
fit  élever  en  ce  lieu  une  église  aux  frais  des  chrétiens.  C'est  la  première  qui  ait  été  érigée  en 
l'honneur  de  saint  Vincent.  Enfin  les  veilles,  les  jeunes  et  les  oraisons  ayant  occupé  sa  vie  jus- 
qu'au dernier  moment,  il  rendit  à  Dieu  sa  bienheureuse  âme,  l'an  315.  Les  chrétiens  ensevelirent 
son  corps  non  loin  de  là,  dans  un  château  nommé  Strada.  Un  insigne  monument,  contenant  ses  re- 
liques et  rappelant  son  nom,  se  voit  maintenant  au  monastère  de  Saint-Vinceot,  à  Rota.  En  Espagne, 
peuple  et  souverains  ont  toujours  honoré  saint  Valère  avec  la  plus  grande  dévotion.  Aussi,  très- 
souvent,  Dieu  a  récompensé  leur  confiance  et  leur  piété  par  les  miracles  les  plus  éclatants,  et  sur- 
tout par  des  guérisons  miraculeuses. 

Le  culte  de  saint  Valère,  si  célèbre  dans  les  villes  d'Espagne,  a  été  introduit  en  Franche-Comté 
à  une  époque  fort  ancienne,  que  nous  ne  pouvons  déterminer.  Une  paroisse  du  Jura,  celle  de  Châ- 
tillon-sur-Courtine,  rend  à  cet  illustre  confesseur  un  culte  particulier.  Elle  possède  depuis  plusieurs 
siècles  des  reliques  assez  considérables,  que  la  tradition  a  toujours  regardées  comme  celles  de  saint 
Valère,  évéque  de  Saragosse.  On  ignore  le  temps  précis  où  elles  ont  été  transportées  à  Chàtillon  i  ; 
mais  il  est  certain  que  cette  translation  est  fort  ancienne,  car,  à  une  époque  reculée,  saint  Valère 
avait  déjà  en  ce  lieu  une  église  consacrée  en  son  honneur.  Elle  était  située  au  milieu  du  cimetière 
actuel  de  cette  paroisse,  dans  l'endroit  qu'on  appelle  aujourd'hui  le  cimetière  et  la  chapelle  de 
saint  Valère.  En  1833,  on  en  voyait  encore  les  ruines  couvertes  de  broussailles,  lorsque  les  habi- 
tants travaillèrent  à  niveler  le  cimetière  et  à  débarrasser  le  petit  oratoire  qui  s'y  trouve.  De  plus, 
nne  charte  de  franchise,  accordée  en  134i  par  Jacques  de  Châlon,  sire  d'Arlay  et  seigneur  de  Chà- 
tillon, fait  mention  d'une  ville  appelée  Curtine,  bâtie  aux  environs  du  cimetière  de  Saini-Valére. 
Les  reliques  que  possède  aujourd'hui  la  paroisse  de  Chàtillon  étaient  donc  très-probablement  dé- 
posées alors  dans  cette  égUse,  et  en  furent  tirées  pour  être  transportées  dans  la  chapelle  de  l'Aigle, 
lorsque  Jean  de  Châlon  fit  bâtir  cette  chapelle  pour  les  habitants  du  bourg  de  YArrénier,  qu'il  éta- 
blissait près  de  son  château. 

On  voit  par  là  que  le  culte  rendu  à  Chàtillon  au  saint  évéque  de  Saragosse,  remonte  à  plus  de 
cinq  cents  ans.  Ses  reliques  y  sont  en  grande  vénération,  non-seulement  pour  cette  paroisse,  mais 
encore  pour  les  paroisses  voisines,  qui,  à  différentes  époques,  y  vinrent  en  procession  pour  obtenir 
on  temps  favorable  aux  biens  de  la  terre,  surtout  dans  les  temps  de  sécheresse.  Plus  d'une  fois, 
cette  confiance  des  peuples  a  été  exaucée  d'une  manière  extraordinaire.  Ces  dépouilles  sacrées 
furent  renfermées,  jusqu'en  1S22,  dans  nne  châsse  très-ancienne,  qui  contenait  aussi  d'autres 
reliques,  qu'on  honore  comme  celles  de  saint  Grégoire  le  Grand,  pape  et  docteur  de  l'Eglise  '. 

Malgré  le  mélange  de  ces  reliques  appartenant  à  deux  saints,  l'usage  a  prévalu  de  les  désigner 
BOUS  le  nom  de  châsse  de  saint  Valère,  C'est  lui  qui  est  le  patron  principal  et  le  plus  ancien  de  la 
paroisse  '.  Sa  fête,  qui  se  célébrait  solennellement  le  28  janvier  à  Chàtillon,  comme  dans  le  reste 

1.  Ces  reliques  ont  pu  être  demandées  et  obtenues  par  le  crédit  des  princes  de  Bour^^ogne  ou  de  Châlon, 
dont  plnsienrs  liabitèreat  le  château  de  Cliâtillon.  L'ffistoire  de  ta  Franche-Com:é  nous  montre  en  effet 
la  plcpavt  de  ces  princes  comme  les  bienfaiteurs  des  églises  et  des  monastères. 

2.  D'après  Baillet  et  Godescard,  aucune  église,  pas  même  celle  de  Eome,  ne  peut  prouver  qu'elle 
possède  la  plus  grande  partie  des  restes  de  saint  Grégoire.  Ainsi,  rien  ne  contredit  d'ane  manière  cer- 
taine la  tradition  d«  Chàtillon,  où  l'on  a  toujours  cru  en  posséder  une  partie  assez  importante,  et  ea 
particulier  tin  os  du  crâne.  Il  est  vrai  que  Baillet  dit  que  l'église  de  Sens  croit  avoir,  depuis  plus  de  huit 
cents  ans,  le  chef  du  saint  docteur.  Mais  on  sait  que  les  hagiographes  s'expriment  ainsi,  même  pour  dési- 
gner une  petite  portion  de  reliques.  Rien  n'empêche  que  Chàtillon  ait  obtenu  quelques  fragments  do  ce 
elief  par  le  crédit  de  ses  soignenrs,  qui  avaient  des  parents  dans  les  postes  les  plus  émînents  de  l'Eglise. 
Quant  aux  reliques  de  saint  Valère,  les  BoUandistes  ('28  janvier)  prouvent  que  depuis  longtemps  l'Espagne 
n'en  possède  que  dis  ossements,  et  qu'on  ignore  oîi  ont  été  transportés  les  autres.  Aucun  document  cer- 
tain ne  vient  donc  contredire  la  tradition  de  la  paroisse  de  Chàtillon.  Malheureusement,  cette  église  a 
perdu  les  titres  constatant  l'authenticité  du  précieux  dépôt  qu'elle  possède.  Mais  la  tradition  constante, 
les  registres,  les  cérémonies,  les  fêtes  et  les  usages  particuliers  de  cette  paroisse  témoignent  qu'on  y  a 
depuis  longtemps  invoqué  comme  patron  le  saint  évéque  de  Saragosse,  et  que  la  châsse  conservée  dans 
l'église  s  toujours  été  regardée  comme  renfermant  ses  dépouilles. 

>.  Saint  Grégoire  est  honoré  comme  le  second  patron  de  Chàtillon.  C'était  aatrefoïs  la  coatnme  de  nr 


94  28  JiVXYiER. 

de  l'Eglise,  a  été  transférée  .;;:  23  octobre,  en  vertu  d'une  permission  accordée  par  Msr  Claude 
Lecoz,  le  23  septembre  1807.  On  voit  encore,  parmi  les  anciennes  statues  de  l'église  paroissiale, 
QD  buste  en  bois  de  saint  Valére,  absolument  semblable  pour  la  forme  à  celui  yui  est  décrit  parles 
BollaiiJistes,  et  qui  fut  donné  par  Pierre  de  Lune  à  l'église  de  Saragosse  en  1397.  Lorsqu'on  por- 
tait en  procession  l'ancienne  chasse  du  Saiut,  on  enlevait  quelquefois  le  couvercle  qui  la  recouvre 
^our  le  remplacer  par  celte  statue  du  saint  évéque,  qui  semblait  ainsi  sortir  vivant  de  son  tom- 
beau. De  temps  immémorial,  les  fidèles  de  Chiltillon  appellent  ce  buste  le  chef  de  saint  Valère. 
Lorsque  la  chapelle  de  l'Aigle,  démolie  en  1805,  eut  été  remplacée  par  l'église  actuelle,  les  reli- 
ques du  saint  p.ili-on  furent  transférées  dans  le  nouvel  édifice,  en  1807.  Quelques  parcelles  ea 
furent  tirées  eu  ISll  et  placées  dans  le  reliquaire  portatif  de  la  paroisse.  Le  23  octobre  1S22, 
M.  Bourgeon,  curé  de  Chiltillon,  relira  la  totalité  des  reliques  de  leur  ancienne  chJsse  ,  qui  tom- 
bait de  vétusté,  et  les  déposa  dans  une  nouvelle  châsse  de  bois,  où  elles  c;jt  encore  aujourd'hui. 

Les  Bdèles  de  la  paroisse  ont  toujours  montré  le  plus  grand  respect  pour  les  restes  précieux  de 
leurs  saints  patrons.  C'est  à  ces  puissants  protecteurs  qu'ils  ont  recoiu^  pour  implorer,  par  leur 
intercession,  la  miséricorde  divine  dans  les  fléaux  publics.  La  châsse  est  alors  portée  en  proces- 
sion, au  milieu  des  marques  de  la  vénération  unie  à  la  confiance.  Les  paroisses  voisines,  en  parti- 
culier celles  de  Mirebel,  .'Uonnet-la-Ville,  Crançot,  Vevy,  etc.,  se  sont  rendues  processionnellement 
à  différentes  époques,  i  l'église  de  Chdtilloa,  pour  y  invoquer  la  protection  des  deux  saints  pon- 
tifes Grégoire  et  Valère.  Ces  faits  montrent  le  respect  traditionnel  que  ces  nopulations  ont  con- 
servé pour  les  élus  de  Dieu.  Aussi,  malgré  les  fui-eurs  de  la  Révolution  française,  la  cbûsse  de  saint 
Valèie  est  restée  dans  l'église  paroissiale  de  ChàliUon  comme  aux  temps  les  plus  paisibles,  et  les 
profanateurs  n'osèrent  pas  toucher  à  ces  reliques,  défendues  par  la  vénération  des  fidèles. 

Saiut  Valère  est  encore  particulièrement  honoré  à  Casteinovo,  lieu  où  le  Saint  s'arrêta  en  quittant 
Valence  pour  demander  à  manger  ;  mais  les  habitants,  qui  étaient  païens,  se  moquèrent  de  lui. 
Saint  Valère  prédit  alors  que  personne  ne  pourrait  habiter  ce  heu  s'il  n'était  chrétien,  ce  qui 
arriva  ;  —  à  Anet,  ou  plutôt  dans  le  diocèse  de  Rota,  car  c'est  près  de  cette  ville  que  se  trouve  au- 
jourd'hui le  petit  village  d'Anet,  composé  d'une  vingtaine  de  maisons  à  peine,  et  c'est  à  Rota  que 
ses  reliques  furent  transférées  après  la  ruine  du  chàteau-fort  de  Strada,  en  1065.  L'église  de  Rota 
fait  encore  mémoire  de  cette  translation  le  20  octobre  de  chaque  année  ;  —  à  Saragosse,  où  soa 
chef  fut  transporté  en  1170,  par  Alphonse  11,  roi  d'Aragon. 

Xes  auteurs  cîc  la  Vie  des  Saints  âe  Frnmhe-Comté  ont  tiré  ces  dt?tatls  d*ane  notice  manuscrite  sur 
les  relfqnes  <ie  suint  Vttère,  rédige'e  par  H.  Thurel,  curé  de  Ctiâtillon,  et  adi-essée  à  Mgr  de  Cliamon, 
évêqae  de  Saiut-Ciaade. 


SAINT  PELADE,  ARCHEVÊQUE  D'EMBRUN  (V  siècle). 

Pelade,  archevêque  d'Embrun,  naquit  à  Embrun  de  parents  nobles  et  catholiques,  dans  un  temps 
où  l'hérésie  arienne  exerçait  de  grand?  ravages  dans  cette  cité  et  dans  toute  la  Bourgogne.  Encore 
enfant,  il  fut  formé  à  la  vertu  pa;-  Catulin,  archevêque  de  cette  ville  :  de  bonne  heure,  ses  pensées 
et  ses  allections  se  tournèrent  vers  la  vertu.  Catulin,  chassé  de  son  siège  par  les  héréiiques,  s'étant 
réfugié  à  Vienne,  auprès  du  bienheureux  Avit,  Pelade  l'accompagna  dans  sa  fuite  et  chercha  à 
l'imiter  par  ses  bonnes  œuvres.  Catulin  mourut  en  son  exil,  et  fut  remplacé  par  Gallican,  premier 
de  ce  nom.  Après  un  pontificat  très-court,  il  se  reposa  dans  le  Christ  par  une  mort  prématurée  et 
pieuse,  et  alors  la  voix  unanime  du  clergé  et  du  peuple  appela  Pelade  à  venir  servir  de  colonne  à 
l'église  d'Embrun,  qui  menaçait  ruine.  Il  employa  ses  biens  à  soulager  l'indigence  des  pauvres  et 
le  délaissement  des  veuves  et  des  orphelins.  Assidu  à  l'oraison,  appliqué  sans  cesse  à  la  lecture 
des  textes  sacrés,  diligent  à  visiter  son  diocèse,  domptant  soa  corps  par  la  macération,  ayant  les 
louanges  des  hommes  en  horreur,  il  menait  une  vie  vraiment  céleste. 

pas  aller  au  travail,  le  jour  de  sa  fête,  avant  d'avoir  assisté  au  saint  sacrifice.  Encore  aujourd'hui,  let 
fidèles  qui  assistent  a  la  messe  qui  se  chante  ce  jonr-lîi.  présentent  du  vin  h  bénir  et  le  remportent  danj 
ireurs  maisons,  où  il  est  religieusement  parta^'é  entre  tous  les  membres  de  la  famille.  Cet  usaj^e,  qui 
semble  être  une  coromémoraison  de  la  communion  sous  l'espèce  du  vin.  est  trop  aucien  pour  qu'on  jiuisse 
en  indiquer  l'origine  d'une  manière  certaine.  Il  est  possible  que  cette  pratique  ait  été  intioduite  à  Châ* 
tillon  quaud  les  reliques  de  saiut  Grégoire  y  furent  apportées. 


SAIXTE   UBÉRATE   OU  LIYBADE,   YIERGE   ET   MAMTiTj;.  95 

Des  anges,  ses  compagnoas  assidus,  il  recevait  la  connaissauce  des  choses  à  veair  et  cachées  : 
il  prédit  à  Sifismoad,  roi  de  Bourgogne,  sa  mort  et  la  ruine  de  son  royaume.  D'un  signe  de  croix 
il  déjoua  souvent  la  rage  des  démons  et  leurs  vains  épouvanlails  ;  une  fois,  entre  autres,  il  écarta 
de  la  sorte  la  masse  énorme  d'un  locher  qui  fondait  sur  lui.  Le  Sis  unique  d'une  veuve  était  atteint 
de  paralysie  :  il  lai  rendit  la  santé  par  l'onction  sainte.  Dans  l'espace  de  cinq  ans  qu'il  fut  évèqne, 
il  construisit  cinq  basiliques.  Enfin,  illustre  par  ses  vertus  et  ses  miracles,  et  ayant  annoncé  le  jour 
de  sa  raort,  il  émigra  vers  le  Seigneur  le  6  janvier.  Ses  reliques,  longtemps  conservées  à  Embrun, 
pnis  emportées  par  un  moine  de  la  famille  de  saint  Benoit  dans  la  Catalogne,  furent  déposées  dans 
te  monastère  de  Saint-Pierre-de-Champrodon,  du  même  Ordre. 

Ce  dépôt  était  là  depuis  longtemps,  renfermé  dans  une  châsse  d'argent  revêtue  de  ciselures  en 
or  qui  représentaient  les  principaux  miracles  du  Saint,  lorsque,  sur  la  Un  du  sv«  siècle,  la  Cata- 
logne ayant  été  conquise  par  les  armes  françaises,  le  monastère  fut  livré  aux  vainqueurs  pour  être 
pillé,  et  la  châsse  de  saint  Pelade  fut  prise.  Mais  Dieu,  qui  est  admirable  dans  ses  Saints,  avait 
voulu  que  dans  l'armée  des  Français  se  trouvât  Jean  Richier,  bailli  de  "ilontgardin,  homme  reli- 
gieux, qui  racheta  la  châsse  à  ses  frais  et  la  rendit  au  monastère,  ne  demandant  pour  prix  d'un  si 
grand  bienfait  qu'une  parcelle  des  saintes  reliques,  l'n  fragment  considérable  de  l'os  de  l'avant- 
bias  fut  en  effet  cédé  à  sa  demande,  avec  l'attestation  authentique  de  ce  qui  s'était  passé.  Déposé, 
dès  cette  époque,  à  Montgardin,  ce  précieux  souvenir  fut  examiné  en  1764  par  Bernardin  François, 
archevêque  d'Embrun,  et  fournit  toutes  les  marques  d'une  authenticité  incontestable.  Le  successeur 
du  pieux  Richier  fit  don  de  la  moitié  de  son  trésor  à  l'église  d'Embrun,  où  ce  gage  sacré  est 
encore  honoré  aujourd'hui. 

On  invoquait,  en  Espagne,  saint  Pelade  pour  les  maux  d'yeux  et  les  maux  de  tête. 

Propre  de  Gap, 


SAINTE  LffiERATE  OU  LIVRADE,  YIERGE  ET  MARTYRE. 


Tirgineo  metuens  formosa  pueïla  pudori, 
Nam  nitet  eximio  pulcher  in  (r-e  décor. 
C'était  nne  jeune  fille  charmante  de  sa  beantë   et 
charmante  de  sa   padeor,  jalouse  de  conserver  sa 
virgmité. 

Sautel.  S.  J.,  Atmus  sacer  poeticus. 

Libérate,  vierge  et  martyre,  fut  très-célèbre  dans  toute  l'Eglise,  et  plusieurs  villes,  particuliè- 
rement d'Aquitaine,  l'ont  choisie  pour  leur  patronne  et  leur  avocate  spéciale  auprès  de  Dieu  et  lui 
ent  rendu  un  cul.e  rehgieux  ;  plusieurs  localités  lui  doivent  leur  nom,  cela  est  constant.  Mais  les  habi- 
tants de  la  ville  Je  Sainte-Livrade,  dans  le  diocèse  d'.\gen,  se  sont  fait  remarquer  de  tout  temps  par 
leur  vénération  envers  sainte  Libérate.  Us  reçurent  des  moines  de  l'abbaye  de  Grand-Selve,  vere  le 
milieu  du  ïvii»  siècle,  comme  l'attestent  des  monuments  authentiques,  une  partie  notable  des  reli- 
ques de  sainte  Libérale;  c'est  pourquoi,  enrichis  de  ce  précieux  dépôt,  ils  la  déclarèrent  la  protec- 
trice en  titre  de  leur  cité,  et  ils  l'honorent  encore  comme  telle,  ijuoique  la  fête  de  la  réception 
des  reliques  de  sainte  Libérate  se  célèbre  tous  les  ans  dans  la  ville  de  Sainte-Livrade,  le  dernier 
dimanche  du  mois  d'août,  néanmoins,  sa  mémoire  est  rappelée  par  l'office  de  ce  jour  dans  tout 
le  diocèse  d'Agen. 

Le  Bréviaire  d'Agen,  que  nous  venons  de  reproduire,  ne  dit  rien  de  plus  sur  le  compte  de  sainte 
libérate  :  la  mention  qui  lui  est  consacrée  dans  le  martyrologe  de  ce  diocèse  ajoute  seulement 
qp'elle  était  originaire  de  la  Gascog'ie. 

M.  l'abbé  Barrère  nous  écrivait  d'Agen,  le  H  août  1871,  au  sujet  de  sainte  Livrade  : 

o  Tout  me  porte  à  croire  que  notre  sainte  Livrade  est  la  même  que  VUgeforte,  autrement 
Liberuto,  Liber.:ria  et  Livrada,  honorée  en  Espagne  et  en  Portugal,  et  sous  d'autres  noms  en  .Alle- 
magne, en  Flandre  et  en  Angleterre,  à  laquelle  le  ciel  aurait  envoyé  subitement  une  longue  barbe 
pour  l'aider  à  conserver  sa  virginité. 

B  Une  vague  tradition  la  fait  sœur  de  sainte  Quitère  ou  Quiterie.  J'ai  même  vu  ce  point  afônne 
par  un  document  que  possédait  l'ancien  curé  iî  Sainte-Livrade. 

«  Tamayus,  cité  par  les  Bollandistes,  dit  aussi  que  Vilgeforte,   ou  Livrada,   était  sœur  de 


96  28  JANVIER. 

sainte  Quilcrie,  ainsi  que  Dode  et  Geaivère.  Tnmayus,  citant  les  Bréviaires  de  Siguenza  et  de 
Palencc,  fait  naître  sainte  Quiterie  et  ses  sœurs  de  Calillius  et  de  Calsia.  Bien  que  cette  origine  ait 
quelque  chose  de  fabuleux  dans  la  forme,  je  ne  la  crois  pas  moins  vraie  dans  le  fond. 

<t  Les  manuscrits  Rubcai  Vallii  en  Brabant,  et  Budecensium  en  Westphalie,  qui  avaient  adopté 
la  version  espagnole,  ajoutent  que  Calsia  était  issue  de  la  race  de  l'empereur  Julien,  et  que  sainte 
Quiterie  aurait  souffert  le  martyre  en  477. 

o  Cette  vereion  porte  que  les  filles  de  Calillius,  pour  se  soustraire  aux  dangers  de  leur  famille 
idolJtre,  se  retirèrent  en  divers  lieux,  où  elles  soulïrirent  le  martyre.  C'est  ainsi  que  sainte  Quiterie 
aurait  été  martyrisée  près  d'Aire,  Dode  dans  le  diocèse  d'Aucb,  et  sainte  Livrade  dans  l'Agenais, 

«  Quant  à  la  légende  allemande,  relative  à  la  sorte  de  métamorphose  qu'aurait  sobie  notre 
Sainte,  je  ne  la  connaissais  que  par  une  communication  venue  de  Munich  '  ». 

Pour  des  Saints  ou  des  Saintes  dont  l'iiistoire  est  obscure,  mais  le  culte  populaire,  nous  ne  pou- 
vons faire  autre  chose  que  de  recueillir  les  traditions  et  de  mettre,  comme  on  dit,  toutes  les  pièces 
du  procès  sous  les  yeux  du  lecteur.  Nous  insérerons  donc  encore  ici  une  note  sur  sainte  Livrade, 
que  le  R.  P.  Caries,  missionnaire  au  Calvaire  de  Toulouse,  a  eu  la  bonté  d'extraire  pour  nous 
d'une  notice  sur  les  reliques  de  Grand-Selve  et  qu'il  nous  a  adressée  le  1"  mars  1S72. 

«  Sainte  Libérale,  vulgairement  Livrade,  naquit  au  iv»  siècle,  en  Espagne,  de  parents  idolâtres. 
Son  père,  Calilius,  roi  de  Gahce,  et  sa  mère,  Callia,  étaient  ennemis  acharnés  du  uom  chrétien.  Par 
nn  elTet  de  sa  miséricorde  infinie.  Dieu  permit  que  Libérale  reçût  avec  la  lumière  de  la  foi  le  bien- 
fait d'un  enseignement  chrétien.  Pressée  de  renier  sa  foi  pour  sacrifier  aux  dieux,  Libérale  s'éloigna 
secrètement  de  la  Galice,  avec  ses  deux  sœurs  Quiterie  et  Gemme,  et  alla  s'établir  dans  l'Aqui- 
taine. Ces  trois  jeunes  vierges  propagèrent  lu  doctrine  évangélique  au  sein  des  populations  païennes 
et  firent  un  graud  nombre  de  prosélytes.  Calilius,  instruit  de  tout,  dénonça  ses  trois  filles  au  gou- 
verneur de  l'Aquitaine,  Modérius,  qui  les  soumit  aux  tortures  usitées  et  leur  fit  trancher  la  tête. 
Sainte  Libérale  soulTril  son  martyre  dans  la  forêt  de  Monlus,  au  diocèse  de  Tarbes.  Son  corps  fat 
primitivement  recueilli  dans  l'église  de  Saint-Jean  de  Mazères,  et  transféré,  en  1342,  dans  une  cha- 
pelle de  l'abbaye  de  Saint-Sever  de  Rustau,  par  Pierre-Raymond  de  Mode-Brune,  évêque  de 
Tarbes,  ainsi  qu'il  résulte  d'une  inscription  gravée  sur  le  couvercle  de  la  chSsse  en  marbre  blanc 
où  il  est  renfermé.  Au  temps  des  guerres  de  religion  entre  les  catholiques  et  les  protestants, 
le  corps  de  sainte  Libérale  fut  reporté  à  Mazères,  où  il  est  encore.  L'abbaye  de  Grand-Selve  possé- 
dait depuis  plusieurs  siècles  une  partie  notable  du  corps  de  celle  Sainte,  et,  au  dix-septième  siècle, 
l'abbé  ea  donna  une  uortion  assez  considérable  aux  habitants  de  Sainte-Livrade,  dans  l'Agenais,  qui 
dès  lors  la  prirent  pour  patronne  de  leur  ville  et  lui  donnèrent  même  son  nom.  Sainte  Libérale  est 
en  grand  honneur  dans  toute  l'Aquitaine,  comme  sa  sœur  sainte  Quiterie.  Les  femmes  en  couches 
l'invoquent  pour  leur  délivrance.  Plusieurs  églises  lui  sont  dédiées  dans  le  midi  de  la  France  ». 

Enfin  le  P.  Cahier,  à  nul  autre  pareil  quand  il  s'agit  d'habiller  à  la  moderne  les  légendes  du 
moyen  âge  et  de  leur  conserver  en  les  traduisant  tout  leur  inimitable  charme  ;  —  le  P.  Cahier  s'exprime 
ainsi  dans  ses  Caractéristiques  des  Saints  : 

Sainte  Libérale  est  représentée  barbue  et  mourant  en  croix.  On  en  raconte  des  choses  tout  à 
fait  merveilleuses,  mais  qu'il  faut  voir  surtout  dans  les  vieux  auteurs  espagnols  et  portugais,  qui  ne 
ménageaient  point  l'extraordinaire  à  leurs  saints  privilégiés.  Elle  était,  dit-on,  fille  d'un  roi  païen 
de  Lusitanie  qui,  ayant  eu  ses  Etals  envahis  par  un  roi  de  Sicile,  lui  promit  Vilgeforte  pour  épouse 
afin  d'avoir  la  paix.  La  princesse,  ne  sachant  comment  se  soustraire  à  ce  mariage,  aurait  prié  Diea 
de  tni  venir  en  aide,  et  une  longue  barbe  garnit  subitement  son  menton.  Furieux  de  celle  ressource 
inattendue  qu'avait  trouvée  la  Sainte,  le  père  la  fit  crucifier.  A  ces  faits  déjà  fort  étranges,  l'ima- 
gination des  légendaires  a  voulu  joindre  encore  bien  d'autres  embellissements  que  ne  connaissait 
pas  l'antiquité  ;  de  sorte  qu'il  en  est  résulté  un  composé  de  circonstances  toutes  plus  singulières 
les  unes  que  les  autres.  L'église  de  Siguenza,  qui  honore  celle  Sainte  pour  patronne  sous  le  nom 
de  Liberata  (Librada),  ne  fait  pas  profession  de  croire  à  toutes  les  surcharges  qui  ont  augmenté 
ce  récit. 

Selon  d'autres,  la  ressource  extraordinaire  de  sainte  Vilgeforte  avait  pour  but  d'échapper  aux 
aoUicilations  de  son  propre  père;  mais  c'est  surtout  dans  les  pays  du  Nord  que  celte  légende  a 
fleuri.  Là,  le  nom  de  Liberata  donné  à  la  Sainte  à  cause  de  la  façon  dont  le  ciel  l'avait  débarrassée 
du  mariage,  la  Cl  appeler  à  peu  près  sainte  Débarras.  Cela  est  devenu  en  Allemagne  :  Ohnkummer, 
Ohnkunimernuss,  Kummernis,  Kummernissa,  Sanct-Gehulf  ;  en  Flandre  :  Onlcommera,  Oukommera, 
Ontcommene,  Regenflegis,  Regnufledis  ;  en  Angleterre  :  Sainte  Uncumber  ;  en  France  :  Sainte 

1.  Voir  le  Martyrologe  romain  du  20  juillet. 


HISTOIRE   DU   CHEVALIER    SAEJT   ABNOUL  DE    CTSOKG. 

Livrade  ;  et  en  dilTérenls  pays,  pour  les  Unes  liturgiques  :  Liberata,  Liberatrij,  Eutropia,  etc.  Par 
suite  de  cette  dénomination,  était  venue  en  Angleterre  l'idée  que  la  Sainte  pouvait  être  particuliè- 
rement sccourable  auï  femmes  qui  voulaient  se  débarrasser  de  leurs  maris.  La  Revue  britannique 
a  consacré  quelques  détails  à  cette  singulière  dévotion  anglaise  et  à  la  légende  primitive. 

o  Pour  moi,  je  penche  à  croire  que  cette  couronne,  cette  barbe,  cette  robe  et  cette  croix  qui  ont 
été  prises  pour  les  insignes  d'une  princesse  miraculée,  ne  sont  qu'un  détournement  de  la  f.iété 
envers  le  célèbre  crucilii  de  Lucques.  On  sait  que  la  dévotion  à  cette  image  de  Jésus-Christ  cru- 
cifié était  fort  répandue  an  xip  siècle  ;  si  bien  que  le  roi  d'Angleterre,  Guillaume  le  Rouï,  jurait 
volontiers  par  le  saint  voult  de  Lucques.  Or,  ce  fameux  crucifix,  comme  plusieurs  autres  de  ces 
temps-là,  est  entièrement  vêtn  et  couronné.  A  dislance  de  temps  et  de  lieu,  le  long  vêtement  aura 
fait  penser  à  une  femme,  et  la  barbe  lui  aura  valu  la  qualification  de  Vierge  forte.  Ajoutons  que 
le  crucifix  de  Lucques  ayant  été  chaussé  en  argent  pour  obvier  à  la  détérioration  que  ses  pieds 
pouvaient  subir  sous  les  baisers  des  nombreux  pèlerins,  cette  circonstance  nouvelle  aura  tourné 
encore  à  la  plus  grande  gloiie  de  sainte  Vilgeforte.  On  a  dit  qu'un  pauvre  ménétrier  étant  vena 
jouer  un  air  devant  la  statue  de  la  Sainte,  en  avait  été  récompensé  par  une  de  ses  riches  pantoufles. 
Ce  prodige,  prêté  aussi  à  un  pèlerinage  de  la  très-sainte  Vierge,  a  tout  l'air  d'être  né  au  sanctuaire 
du  santo  volto  di  Lucca,  d'où  il  aura  fait  son  chemin  à  travers  les  pays  slaves  et  germaniques  d. 


HISTOIRE  DU  CHEVALIER  SAINT  ARNOUL  DE  CYSOING, 

MABTTR  EN  FLANDRE  (vm*  siècle). 

a  D'Amoul  Porte-Dieu  et  soldat  fidèle,  voici  l'histoire  : 

B  Dans  la  fleur  de  l'âge,  il  servait  Dieu  dévotement,  se  laissant  conduire  par  la  grâce. 

«  Irrépréhensible  et  à  tous  aimable,  tel  s'efforçait-U  de  paraître. 

«  Sans  nul  souci  du  lendemain,  pour  l'amour  de  Dieu  il  vètissait  et  nourrissait  les  mendiants. 

«  Une  miire  gravité  et  la  pureté,  voilà  ce  qui  le  distinguait  :  la  tempérance,  voilà  sa  règle. 

o  Vivant,  il  était  mort  au  monde  ;  sa  sainteté  éclatait,  mais  sa  prudence  le  faisait  se  cacher. 

c  D  veillait  sur  lui-même,  n'oubliait  jamais  Dieu  présent  et  s'efl'orçait  de  lui  plaire. 

a  Son  iimocence  ne  connut  jamais  rien  de  la  folle  sagesse  du  monde. 

«  Priant  et  jeûnant,  il  semait  dans  les  larmes  pour  récolter  dans  la  joie. 

a  n  avait  garde  surtout  de  se  laisser  embarrasser  par  les  préoccupations  de  la  terre. 

«  Or,  il  était  l'écuyer  fidèle  d'un  chef  militaire  riche  et  puissant. 

0  Haut  de  taille,  plein  de  vigueur  et  de  santé,  c'était  un  vrai  brave. 

0  La  pureté  de  ses  mœurs,  autant  que  la  parenté,  le  rendait  cher  à  son  seigneur. 

a  Mais  ce  qui  est  gracieux,  ce  qui  dépasse  le  commun  niveau,  excite  l'envie  de  la  foule  qui  est 
en  bas. 

a  Par  des  larcins  fortifs,  il  dérobait,  dit-on,  à  son  maître  pas  peu  de  son  bien. 

«  C'eût  été  un  salutaire  larcin,  puisque  ainsi  il  soulageait  l'indigence  des  pauvres. 

a  Un  jour  qu'il  portait  du  pain  sous  son  vêtement  les  serviteurs  l'arrêtèrent. 

8  On  l'accuse,  on  l'entraine,  on  le  condamne,  on  le  tiraille,  on  déchire  son  vêlement. 

«  Pour  sa  justification,  des  copeaux  tombent  de  son  sein  devant  tout  le  monde. 

0  Les  soupçons  s'évanouissent.  Son  seigneur  lui  confie  le  gouvernement  de  sa  maison. 

a  Mais  sachant  bien  par  devers  lui  même  ce  qui  en  est,  il  s'éloigne  au  plus  tùt,  emportant  ses 
copeaux. 

«  Pendant  qu'il  les  distribue,  il  voit  ceux-ci  reprendre  leur  forme  première. 

«  Sans  aucunement  s'enorgueillir  il  continue,  comme  auparavant,  ses  bonnes  œuvres. 

«  Il  évitait  de  nuire  à  personne  et  avait  sans  cesse  présente  à  l'esprit  la  pensée  du  jugement 
dernier. 

a  Lorsque  parfois  son  maître  lui  donnait  l'ordre  de  dépouiller  ses  sujets, 

«  n  préférait  épargner  le  pauvre  peuple  et  puiser  pour  ses  besoins  dans  les  greniers  du  seigneur. 

«  Mais  à  force  de  puiser,  le  blé  peu  à  pen  décroissait. 

a  On  rapporte  au  seigneur  qu'à  peine  sa  solde  militaire  lui  suffira  pour  le  lendemain. 

«  On  s'assemble,  on  décrète  des  peines  contre  Arnoul  comme  coupable  de  ce  forfait. 

«  Mais  Dieu,  témoin  des  bonnes  œuvres  de  son  serviteur,  va  prendre  sa  défense. 
Vies  des  Saints.  —  Tome  U.  1 


98  28  JAimEii. 

a  II  répare  le  dommage  et  réjouit  doublemeul  l'Ame  du  maître  d'Arnonl. 
a  Toutes  les  voix  s'élèveat  pour  le  proclamer  très-saint  et  ami  de  Dieu. 
«  L'officier  veut  que  désormais  Arnoul  soit  son  Sis  et  il  l'embrasse. 

0  Renonçant  à  rien  posséder  en  propre,  il  déclare  que  ses  biens  appartienneat  aux  panvres  et 
désormais  on  ne  fera  plus  l'aumftae  en  secret. 

«  C'est  ainsi  que  la  sainteté  d' Arnoul  et  son  admirable  charité  éclatèrent  partout. 
«  C'est  ainsi  qu'il  mérita  de  parvenir  par  le  martyre  à  la  félicité  des  Saints. 

1  Quoique  laïque,  il  était  parfaitement  instruit  de  la  loi  du  Seigneur. 

«  Un  jour,  s'étant  mis  en  marche  avec  son  maître,  tous  deux  cheminaient  gaiement  Euila  vois 
publique. 

«  Or,  son  maître  avait  des  ennemis  que  de  loin  ils  aperçurent  venir  <i  eux. 

a  La  fuite  est  impossible,  le  jeune  homme  se  tourne  vers  le  vieillard  et  lui  suggère  ceci  : 

«  Votre  cheval,  dit-il,  ne  vaut  pas  le  mien  qui  est  fougueux  et  agile  :  montez-le. 

■  Pour  moi,  je  ne  crains  rien  :  que  craindrais-je,  ne  leur  ayant  pas  fait  de  mal? 

«  Son  maître  s'enfuit  à  toute  bride  :  lui,  les  ennemis  l'atteignent,  le  maltraitent,  le  déchirent. 

o  Ils  lui  reprochent  d'avoir  facilité  la  fuite  à  celui  qu'ils  haïssent  mortellement. 

0  Ils  lui  passent  autour  du  cou  une  forte  corde  pour  ainsi  mettre  fin  à  ses  jours. 

«  A  un  arbre  ils  le  suspendent,  et  longtemps  le  laissent  entre  le  ciel  et  la  terre;  mais,  à  pro- 
dige, il  ne  ressent  aucun  mai. 

«  Le  saint  jeune  homme  invoque  trois  fois  le  nom  ineffable,  le  nom  divin,  le  nom  terrible. 

8  La  rage  torture  ses  bourreaux  quand  ils  le  voient  si  calme  suspendu  à  son  arbre. 

«  Si  nous  quittons  de  la  sorte,  disent-ils,  nous  n'aurons  pas  la  gloire  de  l'avoir  fait  mourir. 

«  Pendant  que  chacun  parle  ainsi,  tons  escaladent  l'arbre  en  même  temps. 

a  Sur  les  épaules  du  saint,  les  barbares  posent  leurs  pieds  et  font  les  plus  grands  efforts. 

o  Ils  étranglent  l'innocent,  ce  que  prouvent  abondamment  les  miracles  qui  là  s'opèrent  inces- 
MBiment. 

«  Plusieurs  h«mmes  de  piété  survivent  qui  ont  parfaitement  connaissance  de  l'histoire. 

a  Pendant  longtemps,  sur  le  même  arbre,  on  a  vu  des  lumières  étinceler. 

a  La  corde  qui  a  servi  au  supplice  est  un  excellent  remède  contre  les  maux  de  gorge. 

a  Tout  le  peuple  de  Cysoing  se  réjouit  de  la  présence  d'un  si  grand  martyr. 

a  Si  quelqu'un  atteint  de  la  fièvre  y  vient  prier,  aussitôt  il  est  soulagé. 

o  Plusieurs,  nous  l'avons  vu,  portent  au  cou  des  fils  d'argent  en  témoignage  de  leur  dévotion  ». 

On  a  conservé  précieusement  les  reliques  de  saint  Arnoul  dans  l'abbaye  de  Cysoing,  jusqu'à 
l'aimée  1566.  Elles  furent  alors  profanées  et  dispersées  par  les  hérétiques;  mais  le  souvenir  dn 
Saint  est  toujours  vivant  dans  la  mémoire  des  habitants  du  pays. 

11  est  le  patron  de  Cysoing. 

La  Vie  de  saint  Arnool  a  été  écrite  en  vers  latins,  sous  forme  de  complainte,  par  nn  chanoine  m€mo 
de  Cysoing-  Nous  avons  cru  faire  chose  agréable  à  nos  pieux  lecteurs  en  leur  offrant  une  traduction  aussi 
UttéULle  que  possible  de  cette  légende  nalre  et  vraie,  naïvement  écrite  par  un  auteur  sincère.  fCf.  A  A .  SS.J 


SAINT  MATHIEU  D'AGRIGExXTE  (1431). 

Mathiea,  natif  d'Agrigente,  en  Sicile,  d'nne  piense  et  honnête  famille,  étant  prévenu  de  l'amoar 
divin,  et  ayant  passé  son  enfance  et  son  adolescence  dans  une  souveraine  pureté  de  mœurs,  dit 
adieu  à  son  riche  patrimoine  et  aux  séductions  du  monde,  pour  s'unir  plus  intimement  à  Dieu  qni 
l'appelait  à  une  destinée  plus  haute,  et  s'enrôla  parmi  les  Frères  Mineurs  conventuels.  Après  la 
profession  solennelle  des  vœux,  il  se  rendit  en  vertu  de  la  sainte  obéissance  en  Espagne  pour  s'y 
instruire  dans  les  lettres  divines  et  humaines.  Les  œuvres  de  piété  et  la  pratique  des  vertus  chré- 
tiennes l'occupèrent  entièrement.  Ensuite,  mii  par  le  désir  d'une  plus  haute  perfection  et  par  la 
renommée  de  saint  Bernardin  de  Sienne,  il  embrassa  l'institut  plus  rigide  des  Frères  Mineurs  de 
l'Observance  ;  admis  parmi  les  compagnons  de  Bernardin  lui-même,  il  parcourut  presque  toute 
l'Italie,  au  nom  de  Jésus,  qui  était  continuellement  sur  ses  lèvres,  et  releva  par  les  œuvres  et  la 
prédication  la  piété  partout  languissante.  Le  Seigneur  fortiliait  aussi  sa  parole  par  des  miracles.  Il 
restaura  en  Espagne  l'Observance  régulière,  œuvre  à  laquelle  il  fit  aussi  faire  de  grands  progrès  en 
Sicile.  11  brûlait  pour  la  Vierge,  Mère  de  Dieu,  d'un  extrême  amour.  Il  propagea  tellement  parmi 


MAUTYKOLOGES.  99 

les  Siciliens  la  dévotion  au  très-doux  nom  de  Jésus,  qu'où  le  lisait  partout  au  frontispice  des 
maisons.  Par  ses  soins,  beaucoup  de  monastères  furent  construits,  surtout  en  Sicile,  avec  l'assenti- 
ment des  souverains  pontifes  Martin  V  et  Eugène  VI,  sous  le  nom  de  Jésus  et  en  l'honneur  de  sa 
■ainte  Mère. 

L'évoque  d'.\grigente  {Girgenli)  étant  mort,  il  fut,  quoique  malgré  lui,  mis  à  la  tête  de  cette 
église  aux  applaudissements  unanimes  du  peuple,  avec  le  consentement  d'Alphonse,  roi  d'Aragon,  et 
l'approbation  du  pape  Eugène  IV.  Ordonné  évéque,  brillant,  comme  le  flambeau  élevé  sur  le  can- 
délabre, de  l'éclat  de  toutes  les  vertus,  il  se  voua  tout  entier  à  la  restauration  de  la  discipline 
ecclésiastique.  Dieu,  pour  l'éprouver  comme  l'or  dans  la  fournaise,  permit  qu'il  fut  en  butte  à  la 
calomnie  ;  il  fit  le  voyage  de  Rome  pour  se  justifier,  fut  déclaré  innocent  par  le  souverain  Pon- 
tife, et  par  lui  rendu  ii  son  église.  iMais  il  en  abandonna  le  gouvernement  peu  de  temps  après 
de  son  propre  mouvement,  n  se  retira  d'abord  i  Palerme,  où  les  Conventuels  de  cette  ville  le 
reçurent  très-affectueusement  ;  après  avoii  demeuré  quelque  temps  chez  eus,  il  rentra  chez  les 
siens,  appelé  par  le  vicaire  provincial  de  l'Observance. 

Ayant  passé  là  quelques  années  pieusement  et  saintement,  brisé  par  les  travaux  et  épuisé  par 
sa  mauvaise  santé,  il  fut  reconduit  chez  les  Conventuels  par  ordre  des  supérieurs  ;  enfin,  usé  par  la 
vieillesse  et  par  la  maladie,  il  s'envola  au  ciel,  le  1  février  1451.  Sa  dépouille,  réclamée  par  ses 
frères,  fut  transportée  non  sans  prodiges  au  monastère  de  Sainte-Marie-de-Jésus.  Lorsque  le  cer- 
cueil fut  amené  dans  l'église  du  monastère,  le  mort,  se  levant  tout  à  coup  sur  son  séant,  joignit 
les  mains,  adora  l'Eucharistie  et  se  recoucha,  à  la  stupeur  de  tous  les  assistants.  La  gloire  des 
miracles,  après  avoir  illustré  sa  vie,  couronna  aussi  son  tombeau  ;  doué  de  l'esprit  de  prophétie, 
portant  l'auréole  de  la  sainteté,  il  commen(;a,  dès  qu'il  fut  mort,  à  jouir  des  hommages  des  hom- 
mes. Clément  XJII  ratifia  son  culte  et  permit  de  célébrer  sa  fête  par  un  office  ecclésiastique  ;  enfin 
le  pape  Pie  VII  approuva  dans  cet  office  la  récitation  de  leçons  particulières. 

Leçons  du  Bréviaire  franciscain. 


XXir  JOUR  DE  JANVIER 


MARTYROLOGE   ROMAIN- 

A  Lyon,  en  France,  saint  François  de  Sales  S  évèque  de  Genève,  confesseur,  dont  il  est  fait 
mention  le  28  décembre.  1622.  —  A  Rome,  sur  la  voie  Nomenlane,  la  naissance  au  ciel  des  saints 
martyre  Papias  et  Manr  ^,  soldats,  qui,  sous  l'empereur  Dioctétien,  n'eurent  pas  plus  tôt  confessé 

1.  Nous  donnerons  sa  biographie  au  23  décembre.  Jour  auquel  le  martyrologe  romain  marque  son  pas- 
sage a  une  meilleure  vie. 

2.  Ces  deni  soldats,  témoins  de  la  constance  des  saints  martyrs  Saturnin  et  Sisime,  se  convertireat  â 
la  foi.  et  aussitôt  ordre  fut  donné  par  Laodicins,  pre'fet  de  Rome,  qu'on  leur  broyât  la  bouche  k  coups  de 
pierres,  puisqu'ils  s'en  servaient  pour  confesser  Jésus-Christ,  et  qu'on  les  reconduisit  dans  la  prison  o"u  ils 
avaient  été  baptisés  par  le  pape  saint  Marcel.  Ils  en  furent  tirés  douze  jours  après,  étendus  par  terre  et 
roués  de  coups  de  bâton;  puis,  étant  relevés  de  terre,  ils  furent  frappés  avec  des  lanières  plombées  jusqu'à 
ce  qu'ils  eussent  cessé  de  respirer.  Le  prûtre  Jean  recueillit  leurs  corps  et  les  enterra  sur  la  voie  Nomen- 
tane,  pris  des  eaux  de  Saint-Pierre,  oîi  cet  apôtre  baptisait  (Adon).  An  sujet  de  la  bastonnade  snbie  par 
nos  deux  MartjTs,  Baronius  remarque  que  c'était  un  châtiment  militaire.  Voici  comment  les  choses  sa 
passaient  dans  ce  supplice  ;  le  tribun,  prenant  tm  bâton,  en  touchait  seulement  du  bout  le  condamné,  et 
aussitôt  ce  geste  fait,  tous  les  soldats  qui  étaient  dans  le  camp,  tombant  sur  le  malheureux  avec  des 
bâtons  et  des  pierres,  l'achevaient  le  plus  souvent  dans  le  camp  même.  Si  quelques-uns  survivaient.  Ils 
n'étaient  pas  sauvés  pour  cela  ;  et  comment  l'auraient- ils  été,  puisqu'ils  ne  pouvaient,  la  loi  le  défendant, 
ni  rentrer  dans  leur  patrie,  ni  être  reçus  par  aucun  de  leurs  proches?  On  appliquait  la  peine  du  bâton 
pour  un  vol  commis  dans  le  camp,  pour  un  faux  témoignage,  etc.  Marcellus  semble  dire  que  le  bâton 
était  réservé  pour  l'homme  libre,  et  le  fouet  pour  l'esclave.  Un  autre  supplice  militaire  consistait  à  ouvrir 
les  veines,  n  y  avait  aussi  le  pain  d'orge,  dont  on  nounissait  les  lâches.  Toutefois,  il  est  constant  qu'il 


100  29   JANVIER. 

Jésus-Christ,  qu'on  leur  cassa  les  miclioires  avec  des  cailloux,  par  ordre  de  Laodicius,  préfet  de  la 
\ille  :  en  cet  état  il  les  fit  jeter  eu  prison,  puis  battre  avec  des  bdtons,  et  eufin  fouetter  avec  des 
cordes  plombées  jusqu'à  ce  qu'ils  expirassent.  iv«  s.  —  A  Pérouse,  saint  Constance,  évèque  et 
martyr,  qui  remporta  la  couronne  avec  ses  compagnons,  sous  l'empereur  Marc-Aurèle,  pour  la 
défense  de  la  foi  chrétienne  '.  Vers  178.  —  A  Edesse,  en  Syrie,  les  saints  martyrs  Sarbèle  et 
Barbée  ',  sa  sœur,  qui  furent  baptisés  par  saint  Barsimée,  évèque,  et  furent  couronnés  du  martyre 
dans  la  persécution  de  Trajan,  sous  le  président  Lysias.  il"  s.  —  Au  territoire  de  Troyes,  saint 
Savinien,  marlvr.  décapité  pour  la  foi  avec  un  grand  nombre  de  ses  compagnons,  par  l'ordre  d'Au- 
rélien.  275.  —  À  .Milan,  saint  Aquilin,  prêtre,  qui,  frappé  à  la  gorge  d'un  coup  d'épée  par  les 
Ariens,  reçut  la  couronne  du  martyre,  viii»  s.  —  A  Trêves,  les  funérailles  de  saint  Valère,  évè- 
que. disciple  de  l'apôtre  saint  Pierre  '.  i<"  s.  —  A  Bourges,  saint  Sulpice  Sévère,  évêque, 
illustre  par  ses  vertus   et  par  sa  doctrine.  591. 

MARTYROLOGE   DE  FRANCE,  REVU   ET  AUGMENTÉ. 

Le  même  jour,  sainte  Sabine  ou  Savi.ne,  sœur  de  saint  Savinien  :  les  corps  de  l'un  et  de 
l'autre  reposent  dans  la  ville  de  Troyes.  313.  —  En  Bretagne,  saint  Gildas,  surnommé  le  Sage, 
abbé  de  Rhuvs,  au  diocèse  de  Vannes.  570. —  A  Hiiy,  près  de  Liège,  la  translation  de  sainte  ûthilie, 
l'une  des  compagnes  de  sainte  Ursule.  —  A  Chelles,  sainte  Radégonde,  vierge,  fille  adoptive  de 
sainte  Bathilde.  685.  —  A  Tours,  saint  Sclpice  Sévère,  prêtre.  Vers  420. 


MARTYROLOGES    DES    ORDRES    RELIGIEDX. 

Mnrtyrologe  de  l'Ordre  de  Saint-Basile.  —  A  Rome,  saint  Zozime,  pape  et  confessear  de 
l'Ordre  de  Saint-Basile,  dont  la  naissance  au  ciel  est  célébrée  le  26  décembre. 

Marti/rolnge  des  Chanoines  réguliers.  —  A  Milan,  saint  Aquilin,  prêtre,  qui,  de  chanoine 
régulier  de  l'église  de  Cologne,  fut  élu  évèque  ;  mais,  redoutant  le  fardeau  de  l'épiscopat,  il  prit  la 
fuite,  et  ayant  demeuré  dans  le  monastère  des  clercs  régulière  de  Saint-Laurent,  à  Milan,  il  lutta 
contre  les  Ariens  par  des  discours  pleins  de  véhémence,  c'est  pourquoi  ils  regorgèrent  d'un  coup 
d'épée  et  le  firent  martyr,  viii»  s. 

Martyrologe  des  Frères  Prêcheurs.  —  A  Annecy,  dans  les  Alpes,  saint  François  de  Sales, 
évêque  et  confesseur,  qui  institua  l'Ordre  nouveau  des  religieuses  de  la  Visitation  de  Sainte-Marie, 
et  réunit  à  la  foi  catholique  plusieurs  milliers  d'hérétiques.  Le  jour  de  son  entrée  au  ciel  est  le 
28  de  janvier.  —  X  Rome,  sur  la  voie  Nomentane,  la  naissance  au  ciel  des  saints  martyrs  Papias 
et  .Manr,  comme  ci-dessus  au  .Martyrologe  romain.  —  A  Pérouse,  saint  Constance,  comme  ci-dessus 
au  .Martyrologe  romain.  —  Dans  la  ïhébalde,  saint  Paul,  premier  ermite,  qui,  depuis  la  seizième 
année  de  son  âge  jusqu'à  cent  treize  ans,  demeura  seul  dans  le  désert.  Saint  Antoine  vit  son  âme 
emportée  par  les  anges  dans  le  ciel,  parmi  les  chœurs  des  apôtres  et  des  prophètes.  11  mourut  le 
10  de  janvier,  mais  sa  fête  a  lieu  aujourd'hui.  —  A  Edesse,  en  Syrie,  les  saints  martyrs  Sarbèle  et 
Barbée,  comme  ci-dessus  au  Martyrologe  romain.  —  Le  même  jour,  l'octave  de  saint  Vincent,  dia- 
cre et  martyr. 

ADDITIONS  FAITES  D' APRÈS   LES  BOLLANDISTES  ET  AUTRES  HAGIOGRAPHES. 

A  Lacques,  en  Toscane,  saint  Valère,  évêque  et  martyr,  disciple  de  saint  Paulin  et  son  succes- 
seur. Il  est  distinct  de  saint  Valère,  évêque  de  Trêves,  fêté  le  même  jour,  quoi  qu'en  aient  dit 
quelques  hagiographes.  Fin  du  i"  s.  —  A  Sainte-Sévère,  en  Toscane,  sainte  Sévère,  vierge,  ses 
parents,  saint  .Maxime  et  sainte  Seconde,  et  ses  frères,  saint  Marc  et  saint  Calendin,  martyrs  avec 
les  mille  soldats  que  .Maxime  commandait  et  qu'il  avait  convertis  à  la  foi  chrétienne;  commence- 
rnent  du  iv"  s.  —  A  Todi,  en  Toscane,  saint  Seuste  et  quatre-vingts  autres,  martyrs,  sous  Dioclé- 

n'y  avait  pas  que  des  soldats  chrétiens  qui  subissaient  le  ctiâtlment  da  bâton  :  les  auti-es  chriîiiens  y 
étaient  aassî  espose's.  D'après  les  lois  romaines,  on  devait  soumettre  au  bâton  ceux  qui  se  disaient  pleins 
de  l'esprit  de  Dieu.  (Paul.,  liv.  v.  Sent.,  tit.  21.  Voyez  la  lettre  77«  de  saint  Cyprien  a  Némésien,  Félis.) 

1.  Saint  Constance  fut  d'abord  Jeté  dans  une  foarnaise,  d'oïl  il  sortit  sain  et  sauf.  Après  divers  autres 
■npplices,  il  souffrit  la  décapitation.  Nous  le  trouvons  honoré  à  Kocera,  Orvleto  et  Pérouse,  si  toatcfois 
n  s'agît  dans  ces  diverses  villes  du  même  personnage. 

2.  Le  Ménologe  des  Grecs  cite  de  même  Sarbèle  et  Barbée,  martyrs,  avec  cette  mention  :  SarbMe, 
prêtre  des  idoles,  fut  converti  avec  sa  sœur  Barbée  à  !a  foi  da  Christ  par  Barsimée,  évoque  d'Edesse,  et 
pour  cela  tous  les  deux  furent  arrêtés.  Apr'cs  d'horribles  tortures,  SarbMe  fut  lié  entre  deux  morceaux  Ue 
bois  et  scié  par  le  milieu  du  corps;  sa  sœur  eut  la  tête  coupée. 

3.  Voir  la  vie  de  saint  Valère  avec  celles  de  saint  Eucaire  et  de  saint  Materne,  au  14  septembre. 


SAIXI   SAVCOExX    OU    SABLMEN,    MABTliTl   A  TROTES.  101 

tien.  —  En  Grèce,  les  saints  Philothée,  Hypéréchius,  Abibas,  Julien,  Romain,  Jacob,  Parégore, 
martyrs  à  Samosate.  —  En  Afrique,  les  saints  Paul,  Victor  et  Honoré,  martyrs.  —  A  Sorrente, 
saint  Bacule,  évéque  de  cette  ville  et  son  troisième  patron,  après  saint  Valère  el  saint  Athanase  '. 

—  A  Agrigente,  en  Sicile,  saiol  Potamion,  évéque,  qui  baptisa   saint  Grégoire  d'Agrigente.  vp  9. 

—  A  Cysoiug,  saint  Arnoul,  martyr,  père  de  Godefroi,  évéque  d'Arras  el  de  Cambrai  *.  vill"  s.  — 
En  Belgique,  saint  Julien  l'Hospitalier,  patron  de  la  plupart  des  hospices  fondés  dans  ce  pays  ponr 
les  voyageurs  et  les  étrangers.  Epoque  inconnue  '.  —  A  Glastonbury,  en  Angleterre,  saint  Gildas 
l'Albanien,  qu'il  ne  faut  pas  confondre  avec  saint  Gildas  le  Sage.  Le  premier  était  fils  de  Conan 
Mériadec,  premier  roi  des  Bretons  de  France,  et  de  Darera,  sœur  de  saint  Patrice.  Il  fut  mission- 
naire, comme  son  oncle,  et  moine.  512. —  Au  monastère  de  Saiat-.Michel,  dans  le  diocèse  de  Burgos 
(Espagne),  la  transplantation  au  ciel  de  la  Bienheureuse  Radegonde  ou  W'edegonde,  religieuse  de 
l'Ordre  de  Prémontré,  qui  flem-it  comme  un   lis  céleste  au  milieu  des  épines  de  la  terre.  1152. 

—  En  Brabant,  saint  Charles,  huitième  abbé  de  Villare.  Ce  monastère,  fondé  par  saint  Bernard 
lui-même,  était  non  loin  de  Gembloux.  Commencement  du  xiii»  s.  —  En  Espagne,  saint  Pierre 
Nolasque,  fondateur  de  l'Ordre  de  Notre-Dame  de  la  .Merci,  pour  la  rédemption  des  captifs.  Vers 
l'an  1250  '.  —  En  Chypre,  saint  Pierre  Thnmase,  patriarche  de  Constactinople,  de  l'Ordre  des 
Carmes  s.  An  13G0.  —  A  Cluny.  en  France,  la  bienheureuse  mort  du  pape  Gelase  II,  fuyant  la 
persécution.  Un  grand  nombre  d'hagiographes  le  rangent  au  nombre  des  Saints.  1119. —  A  Rome, 
dans  réglis#  Sainte-Croix  de  Jérusalem,  en  l'an  1492,  invention  d'une  partie  du  titre  de  la  vraie  croix. 


SAINT  SAVINIEN  OU  SABINIEN,  MARTYR  A  TROYES 

275.  —  Pape  :  saint  Eutychien.  —  Empereur  :  Aurélien. 

Je  suis  venu   an  milieu  de  vous  semer  les  semences 

(In  ciel. 

Hf'poise  ds  saint  Savinien  aux  soldats  qui  vinrent 
i'aiTêter. 

Rilly,  petit  bourg  sur  la  Seine,  à  quatre  lieues  de  Troyes,  en  Cham- 
pagne, sera  éternellement  renommé  par  l'illustre  martyre  de  saint  Savi- 
nien '.  C'était  un  Grec  de  la  ville  de  Samos,  lequel,  par  une  providence 
extraordinaire,  vint  comme  arroser  el  engraisser  les  campagnes  de  France, 
par  les  agréables  ruisseaux  de  son  sang,  pour  donner  de  nouveaux  enfants  à 
Jésus-Christ.  Son  père  s'appelait  Savin,  assez  honnête  homme,  si  ses  mœurs 
n'avaient  pas  été  souillées  par  le  vice  infâme  de  l'idolâtrie.  Il  eut  soin 
d'avancer  son  fils  Savinien  dans  les  études  des  lettres  humaines  et  de  la  phi- 
losophie, et  ce  jeune  homme  apprit  si  bien  à  raisonner  par  les  principes  de 
la  nature,  qu'il  s'éleva,  de  la  connaissance  des  créatures  visibles,  à  celle  du 
Créateur  et  d'un  seul  Dieu  immortel  et  invisible.  Comme  il  était  dans  ces 
pensées,  il  trouva,  par  bonheur,  le  livre  des  Psaumes  de  David,  et  l'ayant 
ouvert,  il  tomba  sur  ce  verset  du  cinquantième  :  «  Vous  m'arroserez  d'hy- 
sope,  et  je  serai  purifié;  vous  me  laverez,  et  je  deviendrai  plus  blanc  que  la 
neige  ».  Mais,  comme  il  n'en  pouvait  comprendre  le  sens,  un  ange  de  lu- 
mière lui  apparut,  et  lui  fit  savoir  que,  par  l'eau  du  baptême  que  recevaient 
les  chrétiens,  les  péchés  étaient  effacés,  et  que  leur  âme  devenait  plus 
blanche  que  la  neige. 

Savinien,  consolé  par  cette  vision,  commença  à  s'adonner  avec  ferveur 

1.  Voir  les  16  et  2G  janvier.  —  2.  Voir  sa  vie  an  28  janvier.  —  3.  Voir  sa  vie  an  12  février.  —  i.  Voir 
]e  31  janvier.  —  5.  Voir  sa  vie  au  6  janvier. 

6.  L'e'ijiise  paroissiale  de  F.ill;'  est  dédiée  à  saint  Savinien.  Le  bourg  porte  aujourd'hui  le  nom  de 
RUly-Saiate-SjTe. 


!02  29  JANVIER. 

à  l'étude  de  la  piété  et  à  parler  de  l'Evangile.  Son  père  s'aperçut  bientôt  de 
ce  changement;  il  vit  que  son  fils,  négligeant  le  culte  des  faux  dieux,  sem- 
blait n'aspirer  qu'au  Christianisme,  et,  comme  il  était  païen  Irès-zélé,  il  s'en 
oflensa  extrêmement,  et  le  menaça  de  le  dcl'érer  au  magistral  et  de  le  faire 
punir.  Mais  cela  émut  peu  Savinien  :  cependant,  pour  vivre  avec  plus  de 
liberté,  il  résolut  de  s'éloigner  de  son  pays,  et  d'abandonner  ses  parents, 
ses  biens,  et  de  suivre  Jésus-Christ  partout  où  il  lui  plairait  de  le  conduire. 

Son  histoire  porte  que  l'Esprit  de  Dieu  le  poussa  du  levant  jusqu'au  cou- 
chant, et  de  la  Grèce  jusqu'en  France,  où  il  s'arrêta  en  un  lieu  qui  n'était 
pas  beaucoup  éloigné  de  Troyes,  en  Champagne;  là,  faisant  sa  prière,  il  se 
vit  soudainement  environné  d'une  nuée,  d'où  une  personne  inconnue  lui 
conféra  la  grâce  du  saint  baptême.  Mais  nous  nous  tiendrions  plus  volon- 
tiers à  la  tradition  du  pays,  d'après  laquelle  notre  Saint,  arrivé  à  cet  endroit, 
rencontra  saint  Parre,  citoyen  de  la  même  ville,  et,  depuis,  martyr  de 
Jésus-Christ  ;  celui-ci  ou  lui  conféra  de  ses  propres  mains  le  saint  Baptême,  ou 
eut  soin  de  le  lui  faire  administrer.  Quoi  qu'il  en  soit,  il  est  constant  qu'il 
commença  à  mener  sur  la  terre  une  vie  toute  céleste.  Se  sentant  poussé  par 
le  même  Esprit  qui  l'avait  amené  en  France,  il  se  mit  à  prêcher  l'Evangile 
avec  tant  de  courage,  qu'une  infinité  de  gens,  gagnés  par  ses  prédications, 
que  Dieu  appuyait  de  la  force  des  miracles,  abandonnèrent  le  culte  des 
idoles  et  se  convertirent  à  la  religion  chrétienne  :  en  une  fois,  il  y  eut  près 
de  onze  cents  personnes  qui  embrassèrent  le  Christianisme  et  furent  bapti- 
sées par  son  ministère. 

En  ce  môme  temps,  l'empereur  Aurélien  était  entré  dans  les  Gaules,  dans 
le  dessein  de  repousser  les  Barbares  qui  les  ravageaient,  et  de  leur  faire 
lever  le  siège  de  la  ville  d'Augsbourg.  Ce  prince,  qui  était  extrêmement 
ennemi  des  chrétiens,  passant  par  la  ville  de  Troyes,  apprit  bientôt  ce  qu'y 
faisait  Savinien,  et  le  grand  nombre  de  personnes  qu'il  gagnait  chaque  jour 
à  Jésus-Christ.  Après  le  martyre  de  saint  Parre,  ou  Patrocle,  il  fît  aussi  sai- 
sir cet  étranger  de  Samos,  envers  lequel  il  usa  d'abord  de  belles  paroles  et 
de  grandes  promesses,  s'il  voulait  quitter  la  religion  des  chrétiens  pour  ado- 
rer ses  faux  dieux;  mais  voyant  que  ses  discours  n'avaient  nul  pouvoir  sur 
cette  âme  invincible,  il  tourna  toutes  ses  pensées  à  la  cruauté  et  aux  sup- 
plices, afin  d'emporter  par  la  force  ce  qu'il  ne  pouvait  obtenir  par  la  dou- 
ceur. Après  cette  première  tentative,  Aurélien  envoya  le  Martyr  en  prison, 
où  quarante-huit  soldats,  qui  le  gardaient,  furent  convertis  ù  la  foi  et  bapti- 
sés par  saint  Savinien  ;  Dieu  faisant  voir  par  ses  merveilles,  que,  si  les  mem- 
bres de  ses  serviteurs  peuvent  être  arrêtés  par  des  liens  et  des  menottes,  la 
parole  qu'il  leur  met  à  la  bouche  ne  saurait  être  liée,  comme  parle  l'Apôtre  *. 
Telles  furent  les  prémices  du  martyre  de  notre  Saint,  qu'il  envoya,  comme 
autant  de  victimes,  pour  être  présentées  devant  la  majesté  du  Dieu  éternel; 
car  ces  quarante-huit  néophytes  scellèrent  leur  confession  de  foi  par  leur 
propre  sang,  qu'ils  répandirent  pour  Jésus-Christ,  l'empereur  les  ayant  fait 
tous  décapiter  en  présence  de  Savinien,  afin  de  l'intimider;  mais  le  trouvant 
toujours  invincible,  il  se  prépara  à  le  traiter  avec  plus  de  rigueur. 

Premièrement,  il  le  fit  battre  nu,  à  coups  de  bâton  et  de  grosses  cordes, 
avec  tant  de  cruauté,  qu'il  ne  demeura  pas  d'endroit  sur  son  corps  qui 
n'eût  sa  propre  plaie;  et  cependant  le  tyran  se  moquait  de  lui,  et  lui  disait 
que  tout  cela  n'était  encore  rien  auprès  de  ce  qui  suivrait  ;  mais  le  Martyr, 
comme  si  son  corps  eût  été  de  bronze,  répondait  constamment  que,  la  terre 
étant  d'autant  plus  fertile  qu'elle  est  labourée  avec  plus  de  soin,  toutes  ces 

1.  a  Ilm.,  II,  ». 


SAKT  SAVINIEN  OU  SABINŒN,   UABTYR  A  TROTES.  103 

cruautés  ne  feraient  autre  chose  que  de  le  rendre  plus  heureux  et  de  pro- 
duire de  nouveaux  fruits  de  l'Evangile.  L'empereur,  irrité  de  ces  paroles, 
lui  fit  couvrir  la  tête  d'un  casque  embrasé;  mais  Dieu  le  préservant  de  ce 
supplice,  il  n'en  reçut  aucun  dommage;  ce  qui  fut  cause  de  la  conversion 
de  trois  personnes  qui  assistaient  à  ce  spectacle  :  car,  remontrant  hardiment 
à  l'empereur  le  mal  qu'il  commettait  en  traitant  de  la  sorte  un  si  saint 
homme,  pour  récompense,  ils  reçurent  eux-mêmes  sur-le-champ  la  cou- 
ronne du  mart3Te.  Notre  Saint,  encouragé  par  ces  faveurs  du  ciel,  repro- 
chait à  ce  prince  la  faiblesse  de  ses  tourments,  et  lui  faisait  voir  quelle  était 
la  vertu  de  Jésus-Christ,  lorsqu'il  la  voulait  faire  paraître  en  considération 
de  ses  serviteurs.  Ces  remontrances  ne  faisaient  qu'aigrir  l'empereur  ;  il  fit 
mettre  Savinien  sur  un  lit  de  fer,  sous  lequel  on  alluma  un  grand  brasier, 
afin  de  lui  faire  perdre  la  vie  par  la  rigueur  de  cet  élément;  mais  Dieu,  qui 
conserva  les  trois  enfants  dans  la  fournaise,  sous  le  roi  Nabuchodonosor, 
délivra  sussi  le  Saint  de  ce  supplice,  et  le  feu  n'eut  point  encore,  cette  fois, 
de  prise  sur  lui.  Aurélien,  bien  loin  de  se  rendre  à  ces  prodiges,  s'obstinant 
toujours  de  plus  en  plus  en  sa  malice,  fît  attacher  le  Saint  à  un  poteau,  afin 
de  le  mettre  en  butte  aux  traits  de  toute  son  armée;  mais  Dieu,  par  une 
ccnlinualion  de  ses  merveilles,  détourna  tellement  les  flèches,  que  pas  une 
ne  porta  sur  son  corps  ;  au  contraire,  il  y  en  eut  une  qui  blessa  l'empereur  à 
l'œil  :  alors,  indigné  jusqu'à  la  rage,  et  ne  sachant  plus  que  faire  à  Savinien, 
il  le  fit  reconduire  en  prison,  attendant  qu'il  lui  vînt  quelque  nouvelle  in- 
vention pour  tourmenter  cette  innocente  victime. 

Cependant  le  Saint,  désirant  recevoir  la  couronne  du  martyre  au  lieu 
même  où  il  avait  reçu  la  grâce  du  baptême,  fit  sa  prière  à  Dieu  qui  l'avait 
préservé  du  feu  et  des  flèches,  afin  qu'il  lui  plût  de  le  détacher  des  liens  qui 
l'arrêtaient  en  prison,  et  aussitôt  ses  chaînes  se  brisèrent,  et  la  prison  s'ou- 
vrit miraculeusement  ;  de  sorte  que,  passant  au  travers  de  ses  gardes,  il  s'en 
alla  libre  au  lieu  qu'O  désirait.  Dès  le  matin,  Aurélien,  ayant  appris  l'éva- 
sion de  son  prisonnier,  envoya  aussitôt  une  escouade  de  soldats  après  lui, 
avec  ordre  de  le  décapiter  en  quelque  endroit  qu'ils  le  rencontrassent. 
Ceux-ci,  obéissant  à  leur  cruel  maître,  poursuivirent  de  si  près  Savinien, 
qu'ils  le  rencontrèrent  le  long  de  la  Seine  qui  était  débordée.  Alors  Notre- 
Seigneur,  pour  faire  voir  que  rien  ne  peut  empêcher  ses  desseins  pour  la 
délivrance  de  ses  ser^■iteurs,  comme  il  avait  préservé  le  Martyr  au  milieu 
des  flammes,  le  fit  aussi  marcher  sur  les  eaux  qui  s'affermirent  sous  ses 
pieds.  Mais  ce  qui  rend  le  miracle  plus  surprenant,  c'est  que,  étant  de 
l'autre  côté,  et  voyant  que  les  soldats  ne  pouvaient  passer,  il  fit  sa  prière  à 
Dieu,  et  obtint  le  même  privilège  pour  ses  propres  persécuteurs;  parce  que 
si  notre  Saint  s'était  sauvé  de  la  prison,  ce  n'était  pas  à  dessein  d'éviter  le 
martyre,  mais  plutôt  afin  de  l'aller  chercher  et  de  se  faire  baptiser  dans  son 
sang  au  lieu  même  oii  le  baptême  de  l'eau  lui  avait  été  conféré  d'une  ma- 
nière extraordinaire,  ainsi  qu'il  a  été  dit.  Aussi  encouragea-t-il  les  bour- 
reaux à  exécuter  les  ordres  de  l'empereur,  qui  étaient  de  lui  couper  la  tète  : 
ce  qui  fut  fait  à  Rilly,  le  24  janvier,  quoique  le  MartjTologe  romain  ne 
marque  sa  mémoire  qu'au  29,  l'an  de  Notre-Seigneur  273,  selon  Baronius, 
suivi  par  Camusat  et  par  des  Guerrois,  l'un  et  l'autre  auteurs  du  pays. 

Après  cette  exécution,  le  saint  MartjT,  pour  vérifier  en  sa  personne  cette 
parole  de  Jésus-Christ  :  «  Celui  qui  croit  en  moi  vivra,  même  après  sa 
mort  »,  se  releva  de  terre  et  porta  sa  tête  l'espace  de  quarante  pas,  au  lieu 
où  il  devait  être  enseveli,  au  grand  étonnement  des  païens  qui  ne  pouvaient 
assez  admirer  les  merveilles  que  Dieu  opère  par  ses  Saints. 


104  29  JANVIER. 

Saint  Savinien  eut  une  sœur  appelée  Savine.  qui  le  suivit  aussi  en  France 
jusqu'à  Troyes,  où,  après  une  longue  vie  passée  près  du  tombeau  de  son 
frère,  elle  finit  si  heureusement  ses  jours,   qu'elle  y  est  aussi  reconnue  et 
honorée  comme  Sainte  le  29  août. 
On  le  représente  décapité  ou  plutôt  la  gorge  percée  d'un  glaive. 

RELIQUES  ET  MONUMENTS. 

Longtemps  le  lien  de  la  sépulture  de  saint  Savinien  resta  inconnu,  h  cause  de  la  violence  de  la 
persécution.  Cependant,  une  femme  veuve,  nommée  Syre,  que  quelques-uns  disent  à  tort  être  la 
sœur  de  saint  Fiacre,  mais  qui  demeurait  aux  environs  de  Troyes,  entendant  parler  des  nombreux 
miracles  qui  s'opéraient  en  faveur  de  ceux  qui  réclamaient  la  protection  de  notre  Saint,  se  fit  con- 
duire à  Rilly,  où  l'on  savait  qu'avait  eu  lien  son  martyre,  et  conjura  Savinien  de  lui  obtenir  la 
grdce  de  recouvrer  la  vue  qu'elle  avait  perdue  depuis  de  longues  années.  Elle  n'avait  pas  achevé  sa 
prière,  que  déjà  elle  était  exaucée.  Ce  miracle  attira  de  toutes  parts  à  Rilly  une  foule  de  personnes. 
On  fouilla  la  terre  à  l'endroit  où  l'aveugle  s'était  agenouillée,  et  l'on  trouva  le  corps  de  saint  Savi- 
nien, exempt  de  tonte  corruption  et  exhalant  partout  une  odeur  de  parfums  délicieux. 

En  reconnaissance  du  bienfait  signalé  qu'elle  avait  reçu  de  Dieu  par  l'intercession  de  son  servi- 
teur, Syre,  aidée  des  offrandes  des  lidèles,  flt  bâtir  une  chapelle  en  l'honneur  de  saint  Savinien  et 
lui  éleva  un  tombeau,  auprès  duquel  elle  passa  le  reste  de  ses  jours  dans  les  exercices  de  la  piété. 
C'est  de  cette  veuve  que  le  village  de  Rilly  porte  aujourd'hui  le  nom  de  Sainte-Syre. 

Le  corps  de  saint  Savinien  fut  transporté  à  la  cathédrale  par  les  soins  de  l'évéque  Ragnégisile  ; 
on  n'en  possède  plus  qu'une  faible  partie. 

Quelques  paroisses  du  diocèse  de  Troyes  en  ont  aussi  reçu  de  petites  parcelles,  entre  antres 
celles  de  Sainte-Savine,  de  Saint-Parre-aux-Tertres  '  et  de  la  Maison  des  Champs. 

Saint  Savinien  est  patron  de  Balnot-sur-Laignes  et  de  Sainte-Syre  dans  le  même  diocèse.  —  Le 
moyen  âge  a  conQé  aux  admirables  vitraux  de  la  cathédrale  de  Troyes  le  soin  de  redire  aux  géné- 
rations futures,  dans  un  brillant  el  riche  langage,  la  vie  et  la  mort  de  saint  Savinien,  telles  que 
nous  venons  de  les  raconte:-. 

La  vie  de  saint  Savinien  et  de  sainte  Savine,  qui  a  été  recaeillie  des  vieux  manuscrits  de  l'Eglise  de 
Troyes  et  de  celle  de  Trêves,  se  voit  au  troisième  tome  des  Actes  des  Saints,  par  BoUandns,  comme  aussi 
dans  le  livre  de  la  Sainteté  chrétienne  de  l'EyliS'-  de  Troyes,  composé  par  Nicolas  des  Guerrois,  que  nous 
Avons  déjà  cité.  Le  moine  Goisbert,  au  commencement  da  sie  siècle,  retoucha  et  amplifia  les  Actes  de  saint 
Savinien,  dont  le  plus  ancien  teste  est  du  \^II'^  siècle.  Comme  on  trouve  dans  cette  seconde  Vie  des  détails 
précieux,  qui  ne  sont  pas  dans  la  première,  nous  croyons  devoir  les  reproduire  ici  d'après  la  naïve  traduction 
qu'en  a  donnée  Desguerrois,  an  svii«  siècle.  La  Saincteté  chrestienne,  contfmant  tes  Vie,  mort  et  miracles 
de  plusieurs  Saints  de  France,  et  autres  pays,  dont  les  reliqufs  sont  au  Diocèse  et  Ville  de  Troyes,  avec 
tSistoire  Ecclésiastique,  non  encore  impnmée%.  nimi^es  en  lumière (.4  Troyes,  1  vol.  in-4o,  1G37.) 

«  Ayant  en  cela  consulté  le  vouloir  de  Dieu,  par  la  grâce  de  Jésus-CIirist  et  la  conduite  de  son  Ange, 
Savinien  quitte  son  pays  et  son  père,  et,  après  avoir  passé  beaucoup  de  contrées  de  la  Grèce,  Dalmatie  et 
Italie,  arrive  es  (^dans  les)  Gaules  et  s'achemine  à  Troyes  en  Champagne,  pour  y  faire  sa  résidence,  selon 
la  révélation  du  Saint-Esprit  qu'il  en  avait  eue.  De  ses  mains  il  se  dressa  une  petite  maisonnette  an  bord 
du  fleuve  (de  la  Seine),  n'  trop  loin,  ni  trop  proche  de  la  ville.  Nos  bons  et  véritables  Pères  nous  ont 
laissé,  par  antiqne  tradition,  que  saint  Savinien  étant  de  la  Grèce  arrivé  à  Troyes,  environ  l'an  de  grâce 
271,  ficha  son  bâton  et  dressa  un  petit  logis  près  du  lieu  o'u  est  le  monastère  de  Fovci,  d'oh  il  a  pris  son 
nom,  —  comme  qui  dirait  Foy-ici  {fidincum  à  fide).  Que  s'il  m'est  permis  de  dire  ma  pensée,  j'estimerais 
(Je  penserais)  plutôt  qu'étant  venu  en  cette  ville  de  Troyes.  et  s'étant  retiré  sur  le  bord  de  la  Seine,  son 
bâton  Ta  flché  en  ten-e  et  par  miracle  reverdissant,  comme  fit  autrefois  la  verge  d'Aaron  dans  l'arche,  ce 
Saint  fut  reconnu  par  saint  Parre  {Palrocle).  son  contemporain,  reçu  par  lui  en  sa  maison;  et  comme 
saint  Savinien  s'aperçut  que  la  foi  chrétienne  était  en  l'âme  et  en  la  famille  de  saint  Parre,  il  en  rendit 
grâces  à  Dieu,  que  la  fol  était  ici,  d'où  le  lien  a  été  nommé  Foicy.  Il  y  a  en  ces  choses  do  bonnes  ren- 
contres et  conjectures,  car  ces  deux  Saints  florissaient  en  un  même  temps,  et  furent  martyrisés  en  un 
même  mois  de  janvier,  l'an  275,  par  le  même  empereur  Auréllen,  d'un  même  supplice,  de  l'épée,  —  bien 

qu'en  divers  jours  et  lieux »  Un  couvent  de  religieuses  hospit.ilièrcs,  sons  la  règle  de  salut  Augustin, 

■'établit  à  Foicy  au  xu'  siècle  :  en  1475,  elles  s'unirent  à  l'Ordre  de  FonteTraolt  et  en  suivirent  la  règle 
jiuqn'en  1793. 

1.  Ex  eapite  et  brachio. 

Renvoi. 

Voir  au  28  décembre  la  Vie  de  saint  François  de  Sales,  composée  d'après  le 
pieux  el  savant  ouvrage  que  M.  Hamon,  curé  de  Saint-Sulpice ,  a  consacré  à 
l'histoire  de  ce  grand  Saint, 


SAEiT   GILDAS   LE    SAGE,    ABBÉ   DE   RIUTTS.  Ï05 


SAINT  GILDAS  LE  SAGE,  ABBE  DE  BHUYS 

494-570.  —  Papes  :  saint  Gélase;  Jean  ni.  —  Rois  des  Francs  :  Clovis  I<";  Chilpéric  I". 


Saint  Gildas,  surnommé  le  Sage,  naquit  en  l'année  où  les  Bretons  rempor- 
tèrent sur  les  Saxons  la  victoire  du  Mont-Badon,  c'est-à-dire  l'an  494  ;  il 
était  fils  de  quelque  seigneur  de  la  Grande-Bretagne.  Il  étudia  sous  saint 
Iltut  '  et  il  fut  l'esprit  le  plus  distingué  de  cette  école  ;  et  quoiqu'il  fût  aussi 
le  plus  jeune,  il  l'emportait  sur  tous  par  sa  sagesse  et  sa  retenue.  Innocent 
et  aimable  comme  un  enfant,  il  avait  déjà  la  prudence  et  la  maturité  d'un 
vieillard.  Il  s'appliquait  avec  la  plus  grande  ardeur  à  l'étude;  de  sorte  que, 
s'il  ne  devint  pas  plus  savant  dans  les  lettres  humaines,  c'est  que  les  livres 
et  les  maîtres  lui  ont  manqué.  Mais  comme  il  n'étudiait  que  pour  devenir 
parfait,  chez  lui  la  science  ne  nuisait  point  à  la  sainteté.  Semblable  à  l'abeille 
qui  sort  au  temps  des  fleurs,  il  sortit  au  printemps  de  sa  vie  pour  aller 
recueillir  en  Irlande,  dans  les  exemples  et  les  instructions  des  solitaires 
formés  par  saint  Patrice,  le  suc  céleste  dont  il  devait  former  son  miel. 
Prenant  partout  ce  qu'il  y  avait  de  meilleur,  il  égala  bientôt,  il  surpassa 
même  les  plus  parfaits.  Voici  ce  qu'on  raconte  de  son  genre  de  vie  :  depuis 
l'âge  de  quinze  ans  jusqu'à  la  fin  de  ses  jours,  il  se  fit  une  règle  inviolable  de 
ne  manger  jamais  que  trois  fois  chaque  semaine  :  encore  mangeait-il  si  peu, 
qu'on  aurait  pu  dire  de  lui,  comme  de  saint  Jean-Baptiste,  qu'il  ne  buvait  ni 
ne  mangeait.  Un  rude  cilice,  caché  sous  une  robe  de  l'étoffe  la  plus  grossière, 
était  son  vêtement  ;  la  terre  dure,  son  lit;  une  pierre,  son  chevet.  Enfin,  il 
usait  de  tant  de  moyens  pour  mortifier,  pour  crucifier  sa  chair,  que  sa  vie 
était  un  martyre  prolongé,  ou  plutôt  un  sacrifice  continuel  qu'il  oflVait  tous 
les  jours  au  Seigneur  avec  celui  de  l'Agneau  sans  tache. 

Ce  fut  environ  l'an  527,  à  l'âge  de  trente-quatre  ans,  que  Gildas  vint  dans 
la  province  de  l'Armorique,  parle  «  commandement  de  Dieu  ».  Il  choisit 
pour  lieu  de  sa  retraite  la  petite  île  d'Houat,  près  de  la  côte  de  Rhuys.  Il 
vécut  là,  loin  de  toute  consolation  humaine,  et  d'autant  plus  consolé  par  le 
Saint-Esprit.  La  lecture  de  l'Ecriture  sainte,  la  méditation,  la  prière  étaient 
son  unique  occupation.  Mais  quelques  pêcheurs  qui  demeuraient  dans  cette 
île,  charmés  de  sa  vie  et  de  ses  discours  tout  célestes,  découvrirent  aux  habi- 
tants des  côtes  voisines  le  trésor  qui  était  caché  dans  leur  île.  Il  y  vint  de 
toutes  parts  un  si  grand  nombre  d'auditeurs  et  de  disciples,  qu'il  lui  fallut 
chercher  un  lieu  de  plus  grande  étendue  et  de  plus  facile  accès,  pour  satis- 
faire ceux  qui  étaient  avides  de  ses  instructions.  Il  vint  donc  dans  la  pres- 
qu'île de  Rhuys  et  y  bâtit  un  monastère.  On  croit  qu'il  fut  aidé  dans  cette 
pieuse  entreprise  par  les  libéralités  de  Guérech,  seigneur  des  Bretons,  qui 
habitait  aux  environs  de  Vannes.  Il  se  vit  bientôt  entouré,  non-seulement 
d'une  nombreuse  communauté,  à  laquelle  il  donna  de  sages  règlements, 
mais  encore  d'une  grande  foule  qu'y  attiraient  ses  miracles,  car  il  guérissait 
beaucoup  de  malades.  L'amour  de  la  solitude  l'obligea  de  se  retirer  de  l'autre 
côté  du  golfe  de  Vannes,  au-delà  même  de  la  pointe  de  Quiberon.  Il  s'enferma 
dans  une  grotte  que  lui  offrit  un  rocher  situé  sur  le  bord  de  la  rivière  de 
Blavet.  Comme  cette  grotte  s'enfonçait  de  l'Occident  vers  l'Orient,  il  eut  la 

1.  Voir  saint  Utut  au  6  novembre. 


106  29  JANVIER. 

pensée  d'en  faire  un  oratoire.  Il  creusa  donc  encore  davantage  le  rocher,  et 
l'on  dit  que  Dieu  lui  donna  miraculeusement  du  verre  pour  l'embellissement 
de  celte  chapelle,  et  une  so  ace  d'eau  vive  pour  la  commodité  de  la  demeure. 
Le  don  des  miracles  le  suivant  ainsi  partout,  le  manifesta  en  cet  endroit 
comme  ailleurs,  et  il  y  vint  une  foule  d'infirmes  à  qui  il  ne  pouvait  refuser 
leur  guérison.  Il  visitait  souvent  l'abbaye  de  Rhuj's  et  dirigeait  aussi  dans  les 
voies  de  la  perfection  plusieurs  personnes  du  monde,  entre  autres  Trifine, 
fille  de  Guérech.  Cette  jeune  princesse  avait  été  demandée  en  mariage  par 
le  cruel  Conomor,  qui,  non  content  de  ne  rechercher  dans  le  mariage  que 
la  satisfaction  de  ses  passions,  plein  d'horreur  pour  la  noble  fin  de  ce  sacre- 
ment, poignardait  ses  femmes  dès  qu'il  s'apercevait  qu'elles  avaient  conç.u. 
Il  s'était  déjà  rendu  veuf  plusieurs  fois  de  cette  abominable  manière.  Comme 
il  n'était  pas  moins  puissant  que  féroce,  et  qu'il  demanda  plusieurs  fois  et 
avec  la  plus  vive  instance  la  main  de  Trifine,  son  père  était  dans  le  plus 
grand  embarras,  n'osant  ni  la  refuser,  ni  l'accorder.  Il  prit  le  parti  de  la 
confier  à  Gildas,  sachant  que  Conomor  respectait  beaucoup  cet  homme  de 
Dieu.  Gildas  dit  qu'il  en  répondait;  et,  plein  de  confiance  en  Dieu,  pour 
enter  une  guerre  entre  les  deux  comtes,  il  remit  la  jeune  princesse  à  Cono- 
mor, après  lui  avoir  dit  que  c'était  Dieu  lui-même  qui  la  lui  donnait,  et  lui 
avoir  fait  pr&ter  serment  qu'il  ne  la  maltraiterait  point.  Mais,  après  plusieurs 
mois  de  mariage,  la  brutalité  de  ce  seigneur  lui  fit  oublier  sa  promesse  :  il 
tua  Trifine  avec  l'enfant  qu'elle  portait  dans  son  sein.  Guérech,  dès  qu'il 
apprit  cette  nouvelle,  redemanda  sa  fille  à  Gildas,  qui  la  redemanda  à  Dieu. 
Le  saint  obtint  qu'elle  ressuscitât,  et  elle  mit  au  monde  un  fils,  à  qui  Gildas 
donna  son  nom  dans  le  baptême,  et  qui  fut  surnommé  Trech-Meur.  Outre 
ses  miracles,  Gildas  s'était  encore  acquis  un  grand  ascendant  sur  les  peuples 
par  ses  instructions  pleines  de  vigueur.  Il  combattit  avec  force  les  dérègle- 
ments des  Bretons  dans  son  discours  de  la  ruine  de  la  Bretagne  :  de  excidio 
Britannise.  11  leur  rappelait  cette  multitude  effroyable  de  crimes  qui  avait 
allumé  contre  eux  la  colère  de  Dieu  et  qui  les  avait  livrés  en  proie  à  la 
fureur  des  barbares  '.  Il  y  décrivait  aussi,  dans  le  style  le  plus  énergique, 
les  abominations  de  plusieurs  de  leurs  rois.  Constantin,  l'un  d'entre  eux, 
ouvrit  les  yeux,  rentra  en  lui-même  et  se  convertit  sincèrement. 

Le  Saint  reprend  dans  un  second  discours  les  désordres  des  ecclésias- 
tiques :  il  les  accuse  d'oQ"rir  rarement  le  saint  sacrifice  de  la  messe,  de  vivre 
dans  l'oisiveté  et  de  déshonorer  la  sainteté  de  leur  profession  '.  Gildas, 
outre  son  monastère  de  Rhuys  et  son  ermitage  de  Blavet,  habitait  encore 
un  petit  monastère  surnommé  des  Bois,  en  breton  Coheslahen ,  ou  Goet- 
lahen,  dans  la  paroisse  de  Saint-Démélrius.  Il  se  retirait  souvent  aussi 
dans  l'île  d'Houat.  Un  jour  qu'il  y  avait  passé  la  nuit  en  prières,  pour 

1.  Les  hahltants  méridionatu  de  la  Grande-Bretagne,  divises  entre  eax,  et  fatigués  d'aillenrs  par  les 
Plctes  et  les  Ecossais,  qui,  depuis  le  départ  des  Romains,  ne  cessaient  de  faire  des  incorslons  dans  le  midi 
de  nie.  InvitÈront  les  Saxons  dn  nord-ouest  de  la  Germanie.  Ces  alliés,  les  Saxons  d'abord,  puis  les 
Jnîcs.  les  Danois,  les  Anglais,  après  avoir  défendu  le  midi  de  lu  Grande-Bretagne  contre  le  nord,  y  res- 
tèrent et  y  fondèrent  les  sept  royaumes  appelés  Hcptarcliie  an«lo-8asonne.  Les  Bretons,  chassés,  se  réfu- 
gièrent dans  le  pays  des  Galles,  dans  la  Cornouaille  insulaire:  Il  en  vint  aussi  dans  la  presqu'île  d« 
France,  appalét  jadis  Armorique,  puis  BretaK-ne.  depuis  ces  émigrations.  Ce  fat  lia  la  troisième  émigration. 
Là  première  avait  eu  lieu  du  temps  de  l'empereur  Constance,  et  la  seconde  sous  la  conduite  dn  tyran 
Maxime. 

î.  Gale  a  publié  le  premier  discours,  t.  m,  icnpt.  Britann.  Bertianus  l'a  fait  réimprimer  avec  des 
notes  {Ha-ima-  imp.,  an.  17.i7),  ainsi  nue  YHistoire  de»  Bretons,  par  Nennlus,  et  le  Traxté  de  Situ  Bri- 
tan'i\x,  par  Richard  Corin,  de  Westminster. 

Le  sccon'i  discours.  Cnstigatio  d->ri.  se.  trouve  dans  la  bl'iliothèque  des  Pères,  part.  3,  p.  6B2,  éd. 
Colon.  Nous  avons  encore  de  saint  Oildas  huit  canons  de  discipline,  que  Luc  d'Achery  a  publics  dans  !• 
neuvième  tome  de  sua  Spicilègi;, 


1 


SAEiT   GELDAS   LE    SAGE,    ABBÉ  BE   RHUTS.  107 

demander  à  Dieu  la  gi'âce  d'aller  bientôt  jouir  de  lui,  un  ange  lui  apparut 
et  lui  dit  que  ses  vœux  allaient  s'accomplir;  qu'il  mourrait  dans  huit  jours. 
Il  fit  annoncer  cette  nouvelle  à  ses  religieux  :  ils  vinrent  en  grand  nombre 
recevoir  ses  dernières  instructions,  qui  roulèrent  principalement  sur  l'hu- 
milité et  la  charité.  Gildas  rendit  sa  belle  ûme  à  Dieu  en  370,  selon  Usserius; 
en  381,  selon  d'autres.  Pour  sa  sépulture,  on  se  conforma  à  ses  dernières 
volontés.  Comme  il  savait  que  ses  enfants  se  disputeraient  la  possession  de 
son  corps,  il  voulut  qu'on  le  mît  dans  un  esquif  et  qu'on  le  conliât  à  la 
mer  :  ce  que  l'on  fit.  Mais  les  religieux  de  Rhuys,  qui  firent  de  bonne  foi  ce 
sacrifice,  restèrent  toutefois  pleins  de  confiance  en  Dieu,  et  se  prescrivirent 
trois  jours  de  jeûne  et  de  prières  pour  obtenir  ce  précieux  trésor.  L'esquif 
disparut;  seulement,  au  bout  de  trois  mois,  l'un  d'eux  eut  révélation  qu'on 
trouverait  bientôt  le  saint  corps  proche  d'une  petite  chapelle  que  Gildas 
avait  autrefois  bâtie  à  l'honneur  de  la  sainte  Croix,  sur  le  bord  de  la  mer, 
nommée  Eroesl  (maison  de  la  croix).  Ils  l'y  trouvèrent  en  effet  et  le  trans- 
portèrent pieusement  dans  l'abbaye  de  Rhuys,  le  H  mai. 

On  invoque  saint  Gildas  pour  la  guérison  de  la  folie,  à  cause  de  son  sur- 
nom de  Sage. 

RELIQUES  ET  MONUMENTS. 

Dans  le  ix"  siècle,  Dajoc,  abbé  de  Rbuys,  craignant  les  ravages  sacrilèges  des  Normands,  cacha 
sons  l'autel  de  son  église,  dans  le  tombeau  de  saint  Gildas,  huit  de  ses  plus  gros  ossements,  qui 
sont  encore  conservés  dans  la  même  église,  devenue  aujourd'hui  paroissiale,  et  empoita  le  reste 
avec  lui  dans  le  Berry,  à  Bourg-Déols,  autrement  dit  Bourg-Dieu,  aux  portes  de  Chiteauroui  (Indre). 
Cne  église  y  fut  bâtie,  portant  le  nom  de  Saint-Gildas,  pour  les  religieoi  de  Rhuys  et  de  Locminé, 
par  Ebbon,  seigneur  de  Chàteaurous  (ChJleau-Raoul). 

L'abbaye  de  Notre-Dame-de-Déols  et  celle  de  Saint-Gildas  sont  deux  abbayes  très-distinctes, 
mais  fondées  l'une  et  l'autre  par  le  même  seigneur,  Ebbon,  de  Déols. 

Les  restes  de  l'abbaye  de  Saint-Gildas  (Ordre  des  Bénédictins)  existent  encore  aux  bords  ds 
l'Indre  sur  le  territoire  de  Saint-Christophe,  un  des  faubourgs  de  Châteauroux. 

Voici  l'origine  de  saint  Gildas  :  Comme  nous  venons  de  le  dire,  menacés  par  les  Normands,  les 
moines  de  Saint-Gildas  de  Rhuys,  en  Bretagne,  avaient  pris  avec  eux  les  reliques  de  saint  Gildas, 
de  saint  Albin,  de  sainte  Brigitte  et  de  saint  Paterne,  et  étaient  venus  en  Berry,  sous  la  conduite 
de  l'abbe  Dajoc,  chercher  un  asile.  Ce  fut  Ebbon,  qui  avait  fondé  dans  la  capitale  de  ses  Et;its,  en 
917,  l'abbaye  de  Notre-Dame,  qui  les  accueillit  et  les  logea  d'abord  à  Déols,  dans  un  ermitage, 
pois  il  bâtit  pour  eux  le  monastère  qui  prit  le  nom  de  Saint-Gildas. 

Le  corps  de  saint  Paterne  fut  porté  à  Issoudun,  et  donna  son  nom  à  une  des  églises  delà  ville. 

L'abbaye  de  Saint-Gildas  fut  supiirimée  par  une  bulle  de  Grégoire  XV,  en  date  du  24  août  1622. 

Les  reliques  de  saint  Gildas  ne  sont  actuellement  ai  à  Déols,  ni  à  Saint-Christophe  '. 

Dans  le  diocèse  de  Nantes,  l'an  1026,  fut  aussi  fondé,  par  les  seigneurs  de  la  Roche-Bernard,  un 
monastère  du  uom  de  saint  Gildas,  où  s'est  établie  depuis  quelques  années  une  société  de  sœurs 
institutrices.  A  Auray,  une  église  paroissiale  porte  le  nom  de  Gildas  et  possède  de  ses  reliques 
depuis  le  26  juillet  1809.  Ce  Saint  est  invoqué  dans  les  litanies  anglaises  du  vu»  siècle.  Sa  fête 
(e  fait  le  29  janvier  dans  le  diocèse  de  Saiut-Brieuc,  et  le  11  mai  dans  le  nouveau  bréviaire  de 
Nantes. 

Kons  avons  composé  cette  vite,  qui  ne  se  tronvait  point  dans  le  Père  Giry,  avec  Dom  Lobiueau,  revB 
jar  M.  Tabbé  Tresvanx. 

1.  M.  L'abbé  Dauoubsttk.  —  Châteauroux,  le  10  septembre  1863* 


108  29   JANVIER. 


SAINT  SULPIGE-SEVERB,  DISCIPLE  DE  SAINT  MARTIN 

Vers  420.  —  Pape  :  saint  Coniface  I".  —  Roi  des  Francs  :  Pliaramond. 


L'historien  de  saint  Martin,  Sulpice-Sévère,  fut  un  grand  homme  par  sa 
naissance,  son  savoir  et  son  humilité  chrétienne.  Saint  Paulin  de  Noie  en 
parle  comme  d'un  prêtre  orné  des  vertus  les  plus  remarquables.  Originaire 
de  l'Aquitaine,  il  fut  dans  sa  jeunesse  une  des  gloires  de  la  magistrature,  et 
il  comptait  daus  sa  famille  plusieurs  consuls  romains.  Un  avenir  de  gloire 
et  de  bonheur  s'ouvrait  devant  lui,  lorsque,  douloureusement  atteint  dans 
ses  plus  chères  affections  par  la  mort  de  sa  jeune  femme,  il  résolut  de 
quitter  le  monde,  où  il  était  heureux  et  honoré,  pour  vivre  dans  la  solitude. 

La  renommée  de  saint  Martin  était  parvenue  jusqu'à  lui,  quelques-uns 
prétendent  même  qu'il  fut  converti  par  la  prédication  du  saint  évêque  de 
Tours.  Quoi  qu'il  en  soit,  il  vint  le  trouver  à  Marmoutier  pour  être  témoin 
de  ses  vertus,  lui  demander  ses  conseils,  et  aussi,  paraît-il,  dans  le  secret 
dessein  de  faire  connaître  par  ses  écrits  la  sainteté  du  grand  évêque,  si  elle 
répondait  à  la  hauteur  de  sa  réputation.  Saint  iMartin  accueillit  le  ji:une 
gentilhomme  avec  une  grande  bonté  ;  il  le  reçut  à  sa  table,  lui  présenta 
l'eau  pour  se  laver  les  mains,  et  le  soir  il  voulut  lui-môme  laver  ses  pieds. 
Sulpice,  touché  d'une  si  profonde  humilité,  déjà  subjugué  par  une  si  grande 
sainteté,  ne  sut  pas  résister,  et  à  partir  de  ce  moment,  son  esprit  et  son  cœur 
subirent  avec  la  docilité  d'un  enfant,  l'ascendant  des  vertus  du  saint  évêque. 

Leur  entretien  roula  sur  la  vanité  du  monde  et  sur  les  avantages  de  le 
quitter  pour  suivre  Jésus-Christ.  A  l'appui  de  ses  paroles,  saint  Martin  cita 
l'exemple  de  Paulin,  qui  venait  d'abandonner  de  grands  honneurs  et  des 
richesses  immenses  pour  embrasser,  dans  toute  leur  rigueur,  les  conseils 
évangéliques. 

Sulpice  répondit  avec  empressement  aux  exhortations  du  grand  évêque, 
et  plus  tard  il  se  lia  d'une  sainte  amitié  avec  celui  qu'il  lui  proposait  pour 
modèle.  Ils  entrèrent  en  relations  et  s'excitèrent  mutuellement  à  la  vertu  et 
au  mépris  du  monde.  Mais  cette  affection  no  l'emporta  jamais  sur  celle  qu'il 
avait  vouée  à  saint  Martin.  Il  revenait  constamment  à  Marmoutier  pour  le  voir, 
pour  l'entendre,  et  il  devint  un  de  ses  plus  fervents  et  plus  chers  disciples.' 

Dans  ces  nombreuses  visites  il  connut  saint  Clair,  ce  très-noble  enfant, 
comme  il  l'appelle,  que  saint  Martin  aima  d'un  si  profond  et  si  pur  amour. 

Il  raconte  qu'étant  un  jour  plongé  dans  un  de  ces  demi-sommeils  dans 
lequel  on  se  sent  dormir,  saint  Martin  lui  apparut,  revêtu  d'une  robe  blanche, 
le  visage  rayonnant  et  les  yeux  brillant  d'un  éclat  inaccoutumé.  Le  saint 
évêque,  dit-il,  tenait  à  la  main  et  me  présentait,  en  souriant,  le  livre  que 
j'ai  écrit  sur  lui.  J'embrassai  ses  genoux,  et,  selon  ma  coutume,  je  demandai 
sabénédiction.  Je  sentis  alors  sa  main  s'appuyer  doucement  sur  ma  tête...  j'en- 
tendis les  paroles  solennelles  de  la  bénédiction,  et,  comme  il  traçait  sur  ses 
lèvresle  signe  de  la  croix  qui  lui  était  habituel,  il  disparut  et,  devant  moi,  il  fut 
enlevé  au  ciel.  Peu  après,  je  vis  le  saint  prêtre  Clair,  son  disciple,  mort  depuis 
quelques  jours,  s'avancer  par  le  môme  chemin  que  son  maître.  Je  voulus  les 
suivre,  et,  comme  je  faisais  des  efforts  pour  monter  avec  eux,  je  m'éveillai. 

Sulpice  était  à  peine  éveillé,  que  deux  moines,  arrivant  de  Tours,  sont 


t 


SATiT  SULPICE  SÉVÈRE,    DISCIPLE  DE   SAIKT  ÎUBTm.  109 

introduits  en  sa  présence,  et  lui  annoncent  la  mort  de  saint  Martin,  a  Les 
larmes  me  vinrent  aussitôt  aux  yeux  »,  écrit-il  à  Aurélius,  «  et  à  l'heure  où 
je  vous  écris  je  pleure  encore  amèrement  ». 

A  la  mort  de  l'évêque  de  Tours,  il  demanda  comme  une  grande  faveur 
la  permission  d'habiter  sa  cellule.  Il  y  demeura  pendant  cinq  ans,  dans  la 
prière  et  la  solitude,  achevant  d'écrire  la  vie  de  son  maître  et  de  son  ami. 

On  sait  quel  succès  obtint  cette  vie  de  saint  Martin.  Elle  fut  bientôt 
connue  jusque  dans  les  solitudes  de  l'Orient,  et  saint  Paulin,  qui  la  fit  con- 
naître à  Rome,  où  on  la  lisait  avec  une  pieuse  avidité,  écrivait  à  Sulpice  : 
«Vos  discours,  aussi  chastes  qu'éloquents,  montrent  bien  que  vous  êtes 
l'azyme  du  Christ,  et  jamais  il  ne  vous  eût  été  donné  d'écrire  si  dignement 
de  saint  Martin,  si  votre  cœur  n'eût  rendu  vos  lèvres  dignes  de  célébrer  ses 
louanges  ». 

En  écrivant,  le  pieux  auteur  ne  s'était  point  proposé  d'attirer  les  regards 
des  hommes  et  d'appeler  leurs  éloges.  11  a  voulu,  comme  il  le  dit  avec  une 
aimable  franchise,  montrer  que  le  chrétien  doit  chercher  la  vie  éternelle 
plutôt  qu'une  mémoire  immortelle.  Et  ce  n'est  ni  en  écrivant,  ni  en  com- 
battant, ni  en  philosophant  qu'on  atteint  ce  but,  mais  par  une  vie  sainte. 

Saint  Paulin,  évoque  de  Noie,  sollicita  vivement  Sulpice-Sévère  de  venir 
habiter  avec  lui.  Deux  fois,  l'humble  prêtre  avait  tout  préparé  pour  le  départ, 
et  deux  fois  la  maladie  y  avait  mis  obstacle.  Un  échange  de  correspondance 
eut  lieu  alors  entre  les  deux  amis.  Piien  n'est  suave  et  affectueux  comme  ces 
pieux  entretiens.  On  y  voit  leur  tendresse  mutuelle  et  la  pureté  de  leurs 
coeurs,  toujours  avides  de  faire  de  nouveaux  sacrifices  et  d'acquérir  de  nou- 
velles vertus.  Paulin,  plein  d'admiration  pour  les  mérites  de  Sulpice,  se  plaît 
à  les  rappeler,  et  il  trouve  ainsi  moyen  de  s'humilier  lui-même  en  se  com- 
parant à  son  ami  qui,  «  après  avoir  été  l'admiration  du  barreau  et  avoir 
remporté  les  palmes  de  l'éloquence,  a  tout  à  coup  secoué  le  joug  du  péché 
et  brisé  les  funestes  chaînes  de  la  chair  et  du  sang  ». 

Saint  Sulpice  avait,  en  effet,  grandi  dans  la  pratique  du  renoncement  et 
dans  l'amour  de  la  pauvreté.  Il  avait  vendu  tous  ses  biens  et  en  avait  donné 
le  prix  aux  pauvres.  Il  s'était  réservé  une  petite  terre  où  il  établit  un 
monastère.  Retiré  dans  cette  solitude,  il  recevait  les  pauvres,  les  voyageurs, 
et  il  se  plaisait  au  milieu  de  quelques  disciples  qu'il  avait  réunis  en  commu- 
nauté sur  le  modèle  de  celle  de  Marmoutier.  Ils  menaient  tous  une  vie  péni- 
tente et  mortifiée,  leurs  vêtements  étaient  faits  de  peaux  de  bêtes,  leurs 
cheveux  rasés,  et  ils  s'appliquaient  à  affaiblir  leurs  corps  par  les  jeûnes  et 
les  veilles,  afin  de  donner  plus  de  vigueur  et  d'énergie  à  leurs  âmes.  Sulpice 
ne  le  cédait  à  aucun  de  ses  disciples  dans  ces  pacifiques  et  pénibles  luttes  de 
la  perfection. 

Il  écrivait  à  Paulin  pour  l'initier  à  tous  les  usages  qui  se  pratiquaient 
dans  ce  petit  monastère,  et  il  lui  députa  un  jour  un  de  ses  disciples,  nommé 
Victor,  qui  avait  fait  à  Tours  son  noviciat  à  la  vie  religieuse.  11  l'avait  chargé 
de  remettre  au  saint  évêque  un  cilice.  Paulin  ne  voulut  pas  le  céder  en 
générosité  à  son  ami,  et  il  lui  retourna  une  tunique  de  laine  qui  avait  été 
tissée  par  sainte  Melaine.  «  Le  jour  où  j'ai  reçu  ce  vêtement  »,  écrit-il,  «  je 
vous  l'ai  destiné.  J'ai  voulu  cependant  le  porter  avant  de  vous  l'envoyer,  afin 
d'en  diminuer  la  rudesse....  Il  m'a  semblé  aussi  qu'en  me  servant  d'un  habit 
que  je  regardais  comme  le  vôtre,  j'aurais  quelque  part  aux  bénédictions 
que  vous  recevez  du  ciel  et  que  je  pourrais  véritablement  dire  que  j'étais 
revêtu  de  votre  vêtement». 

Tels  étaient  les  échanges  que  l'amitié  suggérait  à  ces  deux  saints  !  Une 


110  29  JANVIER. 

autre  fois  saint  Sulpice  a  choisi  un  cuisinier  pour  son  ami,  et  il  le  lui  annonce 
dans  un  gracieux  et  charmant  badinage  :  «J'ai  appris  »,  dit-il,  «  que  tous 
les  cuisiniers  ont  renoncé  à  vous  servir.  —  Ils  dédaignent  sans  doute  de 
préparer  de  maigres  ragoûts.  —  Je  vous  envoie,  de  mon  office,  un  jeune 
garçon  fort  habile  à  cuire  la  fève,  à  assaisonner  quelques  herbes  avec  du 
vinaigre  et  à  préparer  des  plantes  aromatiques. 

«  Je  vous  le  donne  avec  ses  défauts  et  ses  qualités,  non  comme  un 
esclave,  mais  comme  un  fils...  J'aurais  voulu  moi-même  vous  servir  à  sa 
place  :  tenez  compte  de  ma  bonne  volonté  et  accordez-moi  un  souvenir  au 
milieu  de  vos  bienheureux  repas  « . 

Saint  Sulpice  avait  conservé  une  si  douce  mémoire  et  une  si  tendre  affec- 
tion pour  son  maître  dans  la  vie  spirituelle,  que  chaque  année  il  revenait,  du 
fond  de  l'Aquitaine,  visiter  le  sépulcre  de  saint  Martin  et  les  lieux  qu'il  avait 
sanctifiés. 

Une  si  constante  et  si  affectueuse  fidélité  pour  la  mémoire  du  saint  évoque 
n'empêcha  point  Sulpice  de  tomber  dans  l'hérésie  des  Millénaires,  quelques- 
uns  disent  des  Pélagiens.  Il  était  alors  avancé  en  âge.  Son  humilité  et  la  grâce 
divine  le  préservèrent  de  l'opiniâtreté,  il  reconnut  bientôt  son  erreur,  la 
pleura  amèrement,  et  il  se  condamna  au  silence  jusqu'à  la  fin  de  sa  vie,  vou- 
lant ainsi  expier  la  faute  qu'il  avait  commise  par  ses  discours.  Il  prouva 
ainsi  que  tout  coopère  au  bien  de  ceux  qui  aiment  Dieu  :  par  sa  pénitence,  il 
s'éleva  à  un  plus  haut  degré  de  vertu  et  il  mérita  de  la  sorte  une  plus  bril- 
lante couronne  *. 

A  la  saison  des  lis,  Sulpice-Sévère  avait  la  coutume  d'en  cueillir  quel- 
ques-uns et  de  les  suspendre  aux  murs  de  la  cellule  qu'il  avait  choisie  pour 
son  tombeau.  Après  sa  mort,  ses  disciples  respectèrent  un  de  ces  lis  qu'il  y 
avait  lui-même  placé.  Il  tombait  déjà  en  poussière,  lorsqu'au  jour  anniver- 
saire de  ses  funérailles,  on  vit  tout  à  coup  sa  tige  se  redresser,  sa  blanche 
corolle  s'enlr'ouvrir  et  s'épanouir  comme  aux  plus  belles  matinées  de  l'été  '. 

Saint  Sulpice  mourut  vers  l'an  420.  Il  composa  plusieurs  ouvrages  pleins 
d'onction  et  qui  respirent  partout  la  sainteté  de  leur  auteur.  Son  stj'le  est 
pur  et  élégant  ;  en  le  lisant,  on  sent  que  l'étude  qu'il  avait  faite  dans  sa 
jeunesse  des  auteurs  du  siècle  d'Auguste  ne  lui  fut  pas  inutile.  Outre  la  Vie  de 
saint  Martin,  il  écrivit  une  Histoii-e  sacrée  depuis  l'origine  du  monde  jusqu'à 
l'an  400  de  Jésus-Christ.  Il  composa  encore  Irais  Dialogues,  dont  les  deux 
premiers  traitent  des  vertus  de  saint  Martin,  et  le  dernier  des  merveilles  des 
solitaires  de  l'Orient.  Nous  possédons  aussi  quelques  Lettres  dont  la  piété  et 
la  grâce  feront  longtemps  regretter  la  perle  des  autres.  L'élégance  et  la  pré- 
cision qui  régnent  dans  tous  ses  écrits  l'ont  fait  surnommer  le  Salluste 
chrétien. 

On  confondit  longtemps  l'historien  de  saint  Martin  avec  saint  Sulpice -le- 
Sévère,  archevêque  de  Bourges.  Les  moines  de  Marmoutier  eux-mêmes  ne 
faisaient  qu'un  seul  personnage  de  ces  deux  Saints  dans  leur  office  litur- 
gique. Il  n'en  est  rien  cependant,  et  notre  Sulpice  ne  fut  jamais  revêtu  du 
caractère  épiscopal.  C'est  l'opinion  du  cardinal  Baronius,  qui  a  prévalu  par- 
tout aujourd'hui. 

Une  autre  question  peut  se  présenter  ici  :  Sulpice-Sévère  a-t-il  obtenu 
légitimement  les  honneurs  que  l'Eglise  rend  aux  Saints  ?  Nous  ne  dirons 

1.  Bréoiaire  de  Tours,  1785,  partie  d'hiver,  29  janvier. 

2.  De  Gloria  confessorum,  cap.  il.  Dnm  liuinart  pri5tend  qn'il  existait  do  «on  temps,  dans  le  diocbso  do 
Tarbcs,  un  monastî;ro  do  Saint-Suliûce-Sévtrc  qni,  au  témoignage  des  liabitants,  aoi'ait  été  le  ihCâtre  du 
miracle  des  lia  i^uo  l'on  y  voyait  d'ailleurs  représente  daus  un  bas-relief. 


SAINT   SULPICE    SÉVÈRE,    DISCITLE  DE   SAINT   MARTIN.  111 

point  ici  avec  Dom  Martenne  ',  que  si  l'évêque  de  Bourges  a  obtenu  un  culte 
public  ,  c'est  «  peut-être  parce  qu'on  lui  a  attribué  les  actions  et  les 
vertus  du  disciple  de  saint  Martin  »;  mais  nous  tenons  à  prouver  que,  de 
temps  immémorial,  Sulpice-Sévère  a  été  honoré  comme  un  saint  par  l'église 
de  Tours.  Guibert,  abbé  de  Gembloux,  près  Namur,  mort  en  1208,  a  écrit  sa 
^  ir.  et  après  avoir  raconté  sa  chute  dans  l'hérésie,  son  repentir  et  sa  péni- 
tence, il  ajoute  :  «  Qui  donc  pourrait  douter,  je  ne  dis  pas  de  son  salut,  mais 
de  sa  sainteté,  sans  douter  en  même  temps  de  la  miséricorde  de  Jésus- 
Christ  ?  »  Et  il  le  montre  dans  sa  solitude,  expiant  dans  le  silence  et  par  ses 
larmes  son  moment  d'égarement  et  d'erreur.  Eprouvé  dans  le  creuset  par  le 
feu  de  son  amour,  dit-il,  purifié  par  l'abondance  de  ses  larmes,  il  fut  com- 
plètement lavé  de  son  péché,  car  il  devint  plus  blanc  que  la  neige.  Cet  arbre 
qui  avait  donné  tant  de  fruits  excellents,  fui  un  instant  renversé  par  le  vent 
de  l'hérésie,  mais  il  ne  demeura  pas  à  terre,  et  Dieu  soufflant  de  nouveau 
sur  lui,  le  releva;  il  tomba  enfin,  chargé  de  nouveaux  fruits,  et  il  est  demeuré 
làoti  il  est  tombé. 

«  Si  vous  ne  croyez  pas  à  mon  témoignage  »,  continue-t-il,  «  croyez  au 
moins  aux  habitants  du  saint  monastère  de  Marmoutier.  Chaque  année  ,  en 
effet,  ils  célèbrent  solennellement  sa  fête.  Moi-même,  j'y  ai  assisté  plusieurs 
fois  le  29  janvier.  Qu'on  respecte  donc  comme  elle  le  mérite  la  croyance 
d'une  si  grande  église,  et  que  l'iniquité  qui  voudrait  enlever  à  notre  Saint  la 
gloire  et  la  beauté  que  le  Seigneur  lui  a  données,  ferme  la  bouche  -  ». 

Le  martyrologe  de  Du  Saussay  s'exprime  ainsi  au  29  janvier  :  «  Le  même 
jour,  dans  l'Aquitaine,  au  bourg  de  Primlau,  fête  de  saint  Sévère-Sulpice, 
prêtre  et  confesseur,  remarquable  par  sa  doctrine  et  sa  sainteté.  Il  écrivit 
dans  un  style  très-pur  les  actions  de  saint  Martin,  qu'il  fit  revivre  non  moins 
par  ses  actions  que  par  sa  plume.  Il  honora  la  pauvreté  d'une  manière  admi- 
rable ;  d'une  humilité  profonde,  il  mérita  que  saint  Paulin  de  Noie  fit  un 
magnifique  éloge  de  ses  brillantes  qualités  et  de  la  règle  de  vie  qu'il  s'était 
tracée  ». 

Pierre  des  Noêls  et  Godescard  le  placent  aussi  au  nombre  des  Saints. 

Dom  Martenne  dit:  «  Quand  nous  n'aurions  pas  d'autres  preuves  de  la  sain- 
teté de  Sulpice-Sévère  que  l'étroite  union  qu'il  a  eue  avec  saint  Martin  et  avec 
saint  Paulin,  évèque  de  Noie,  nous  ne  pourrions  douter  qu'il  n'ait  été  un  des 
plus  grands  saints  de  son  temps  '». 

Les  éditions  du  martjTologe  romain  de  1391  et  de  1613  confondent 
l'historien  de  saint  Martin  avec  l'archevêque  de  Bourges.  Voici  comment 
elles  s'expriment  :  «  A  Bourges,  fête  de  saint  Sulpice-Sévère,  évêque,  disciple 
de  saint  Martin,  remarquable  par  ses  vertus  et  par  son  savoir  ». 

Lorsque  le  pape  Urbain  VIII  fit  réimprimer  le  martyrologe  en  1640,  il 
ne  laissa  pas  subsister  cette  erreur,  et  il  fit  effacer  seulement  ces  mots  :  dis- 
ciple de  saint  Martin. 

C'est  donc  l'archevêque  de  Bourges,  connu  sous  le  nom  de  Sulpice-le- 
Sévère,  que  l'Eglise  romaine  entend  uniquement  honorer  à  la  date  du 
29  janvier.  Par  le  fait  de  cette  suppression,  Sulpice-Sévère  fut-il  réellement 
dépouillé  des  honneurs  rendus  aux  saints?  Nous  ne  le  pensons  pas.  En  effet, 
dans  son  bréviaire,  imprimé  en  1683,  Mgr  Amelot,  archevêque  de  Tours, 
n'en  continue  pas  moins  de  faire  la  fête  de  saint  Sulpice-Sévère  au  29  janvier; 
mais  dans  la  légende  il  n'existe  plus  aucune  confusion,  le  Saint  est  honoré 
comme  confesseur  non  pontife. 

1.  Bistûire  il/s.  de  Marmoutier,  t.  le.,  Saùtl  S:ilpice-Séi:ère. 
a.  Bollanius,  29  janTier.  —3.  Loco  cilato,  p.  US. 


112  29   JANVIER. 

Ne  pourrait-on  pas  conclure  de  ce  fait  que  le  Pape,  en  retranchant  ces 
mots  :  disciple  de  saint  Martin,  qui  se  trouvaient  à  la  suite  du  nom  du  saint 
évêquc  de  Bourges,  a  simplement  voulu  rectifier  une  erreur  historique  ,  et 
qu'il  n'a  nullement  entendu  priver  l'historien  et  le  disciple  de  saint  Martin 
des  honneurs  que  lui  rendait  l'Eglise  de  Tours?  Cette  supposition,  que 
Benoît  XIV  paraît  favoriser'  dans  son  Traité  de  la  Canonisation,  semble  d'ail- 
leurs la  seule  justification  possible  de  l'archevêque  de  Tours,  maintenant  dans 
ses  livres  liturgiques  la  tradition  de  son  Eglise  qui  honorait  d'un  culte  spécial 
saint  Sulpice-Sévère  depuis  plus  de  cinq  siècles. 

Quoi  qu'il  en  soit,  nous  pouvons  en  toute  assurance  suivTC  les  exemples 
d'humilité,  de  renoncement  et  de  piété  du  disciple  de  saint  Martin,  et  nous 
pourrons  nous-mêmes  arriver  ainsi  à  un  éminent  degré  de  sainteté.  Con- 
cluons donc  qu'il  nous  importe  avant  tout  de  l'imiter,  et  disons,  en  termi- 
nant cette  courte  dissertation,  avec  les  Bollandistes  :  Ce  que  nous  avons  dit 
est  suffisant  pour  qu'on  ne  nous  accuse  pas  d'avoir  voulu  ravir  à  Sulpice- 
Sévère  les  honneurs  célestes,  et  aussi  pour  qu'on  ne  nous  reproche  pas  de 
les  lui  rendre  s'il  n'y  a  aucun  droit. 

L'abbé  EoUand,  Aumôn.  du  pens.  des  Frères  des  Ecoles  chrét.  de  Tours. 


SAINT  SULPICE  SÉVÈRE,  ÉVÊQUE  DE  BOURGES  (591). 

Rémi,  évêque  de  Bourges,  mourut  en  584.  Après  son  passage  à  une  vie  meilleure,  la  cité  Ues 
Biluriges  fut  la  proie  d'ua  iaceudie  qui  eu  réduisit  en  cendres  la  plus  grande  partie  ;  ce  qui  avait 
échappé  aus  barbares  y  périt.  Sulpice  lui  succéda,  favorisé  par  le  roi  Contran.  Comme  un  grand 
nombre  de  prétendants  offraient  des  présents  pour  briguer  cette  dignité  sacrée,  on  rapporte  que  le 
roi  leur  fit  cette  réponse  :  «  Ce  n'est  pas  l'usage  de  notre  gouvernement  de  vendre  le  sacerdoce  i 
prix  d'argent,  comme  ce  n'est  pas  votre  devoir  non  plus  de  l'acheter  ;  nous  ne  voulons  pas,  pour 
notre  part,  encourir  le  reproche  honteux  de  cupidité  ;  évitez,  de  votre  côté,  d'être  assimilés  à  Simon 
le  Magicien;  Sulpice  sera  votre  évêque,  parce  que  telle  est  la  volonté  de  Dieu  ».  Sulpice  fut  donc 
mis  en  possession  du  siège  de  Bourges  :  c'était  un  homme  de  noble  race,  l'un  des  premiers  sénateurs 
des  Gaules,  très-versé  dans  l'éloquence  et  dans  la  poésie.  11  gouverna  son  église  avec  zèle,  tant  pour 
le  maintien  de  la  discipline  que  pour  l'accroissement  de  la  piété  et  de  la  ferveur.  Il  assista  au 
second  concile  de  Mdcon,  où  présida  saint  Prisque  de  Lyon,  et  mourut  en  591,  la  septième  année  de 
son  épiscopat.  On  l'enterra  dans  l'église  de  Saint-Julien  de  Bourges,  d'où  son  corps  fut  ensuite 
transporté  dans  celle  de  Saint-Ursin,  premier  évêque  de  la  ville.  11  passait  pour  un  des  meilleurs 
poètes  et  des  plus  éloquents  orateurs  de  son  temps  ;  mais  la  pureté  édifiante  de  ses  mœurs  donnait 
encore  plus  de  poids  à  ses  discours. 

Voyez  saint  Grégoire  de  Tours,  Histoire  française,  liv.  vi,  c.  39;  la  Gatlia  ChrisUana,  et  Benoit  XIV, 
Oiss.  seu  prœf.  m  Martyrologium  rom. 


I 


SAINTE  SABINE  OU  SAVINE,  DE  TROYES,  VIERGE  (313). 

Sainte  Savine  était  sœur  de  saint  Savinien  ',  mais  Savin  leur  père  l'avait  eue  d'une  seconde  épouse. 
Comme  elle  pleurait  l'absence  de  son  frère,  un  ange  vint  l'avertir  en  songe,  bien  qu'elle  fut  encore 
païenne,  que  si  elle  voulait  chercher  son  frère,  elle  le  trouverait  jouissant  des  plus  grands  honneurs. 
Alors  prenant  avec  elle  Maximiniole,  sa  sœur  de  lait,  et,  quittant  les  idoles,  son  père  et  la  maison 

1.  Benoit  XIV  dit  que  les  rédacteurs  da  martyrologe  romain  n'ont  point  eu  l'intention  de  s'occuper  de 
Salpice-Sévère,  historien  de  saint  Martin,  n  ajoute  d'ailleois,  mais  i>  tort,  que  les  anciens  écrits  ne  lui 
donnent  pas  le  titre  de  saint. 

2.  Voir  saint  Savinien  ci-dessus,  p.  101. 


SACTTE  SABINE    OU  SAVIXE,   DE  TROÏES,   VIERGE.  113 

paternelle,  elle  entreprit  un  voyage  bien  long  à  la  vérité,  mais  que  le  ciel  avait  ordonné.  Elle  vint 
d'abord  à  Rome,  fut  recueillie  par  une  femme  pieuse  nommée  Justine,  qui  l'instruisit  dans  la  religion 
chrétienne  et  la  présenta  au  pape  saint  Eusùbe  (310)  pour  être  baptisée.  En  même  temps  elle  voua 
sa  virginité  au  Christ.  Elle  demeura  environ  cinq  ans  dans  la  ville  éternelle  :  elle  y  guérit  deux 
malades  perclus  des  jambes.  Un  second  avertissement  du  ciel  lui  fit  entreprendre  le  voyage  de  Troyes 
pour  voir  son  frère.  En  passant  à  Ravenne,  ayant  reçu  l'hospitalité  chez  un  citoyen  noble  de  cette 
ville,  elle  guérit  sa  fille  qui  était  à  l'extrémité,  et  donna  cette  vierge  à  Jésus-Christ. 

Enfin,  elle  arriva  à  la  distance  d'un  mille  de  la  ville  de  Troyes,  et,  fatiguée  de  son  long  voyage, 
elle  se  reposa  ;  ayant  vu  passer  un  homme  du  pays,  nommé  Lucérius,  elle  lui  demanda  où  elle  pourrait 
trouver  Savinien,  son  frère,  absent  depuis  si  longtemps.  Cet  homme  lui  apprend  qu'il  a  souîTertle  mar- 
tyre dans  la  persécution  d'Aurélien,  puis  il  lui  indique  du  doigt  l'endroit  de  sa  sépulture.  Sainte  Savine 
se  rendit  en  ce  lieu,  et  là,  épuisée  par  la  fatigue  de  la  route  et  désireuse  d'aller  rejoindre  son  frère 
bien-aimé  dans  le  sein  de  Dieu,  elle  se  mit  à  prier  et  rendit  son  âme  à  Dieu  au  milieu  des  ardeurs 
de  son  oraison,  âgée  de  quarante-huit  ans,  le  29  janvier.  Lucérius  étant  revenu  sur  ses  pas,  la 
trouva  sans  vie  ;  il  convoqua  le  clergé  et  la  fit  ensevelir  dans  un  faubourg  de  la  ville,  situé  à 
l'ouest.  Peu  d'années  après,  Maximiniole  fut  ensevelie  à  cùté  d'elle. 

Une  croix  de  fer  placée  sur  le  bord  de  la  route  de  Sens  indique,  d'après  la  tradition,  l'endroit 
précis  où  expira  Savine.  On  l'appelle  la  Croix-la-.Motte. 

Le  culte  de  sainte  Savine  s'accrut  chaque  jour  dans  de  nouvelles  proportions.  Vers  le  milieu  du 
VIP  siècle,  Ragnégisile,  dix-septième  évêque  de  Troyes,  fit  bàlir  une  église  en  son  honneur,  au 
faubourg  occidental  de  la  ville,  sur  un  terrain  qui  lui  appartenait.  Cette  église  n'existe  plus  ; 
celle  qu'on  admire  aujourd'hui  appartient  à  la  dernière  époque  des  constructions  ogivales.  Il  voulut 
même  reposer  après  sa  mort  à  l'ombre  de  la  protection  de  Savine,  et  l'on  y  voit  encoi-e  son  tom- 
beau auprès  du  pilier  de  la  chaire.  Saint  Frobert,  fondateur  de  Montier-la-Celle,  obtint  pour  ce 
monastère  le  corps  de  la  vierge,  et  l'église,  b;\tie  par  Ragnégisile,  fut  privée  de  sa  patronne,  jusqu'à 
ce  que,  en  1633  et  1657,  les  religieux  de  Montier-la-Celle  et  les  Chartreux  du  faubourg  Croncels 
donnèrent  une  partie  de  ses  reliques  à  l'église  paroissiale  de  Sainte-Savine,  qui  en  célèbre  encore 
la  translation  le  29  août  de  chaque  année. 

L'église  de  Troyes  fait  l'office  de  sainte  Savine  le  28  janvier,  mais  le  martyrologe  romain  en 
fait  mention  le  jour  suivant. 

La  piété  des  fidèles  a  multiplié,  dans  l'égliie  paroissiale  de  Sainte-Savine,  à  Troyes,  les  images 
de  la  sainte  patronne.  Tantùt,  sur  un  médaillon,  autrefois  ornement  de  clef  de  voûte,  aujourd'hui 
fixé  à  la  muraille  du  côté  droit  de  l'autel  de  la  Sainte-Vierge,  on  voit  la  Sainte  debout  au  milieu 
d'une  gloire,  et  tenant  l'enfant  Jésus  sur  ses  bras;  tantôt,  sur  un  autre  médaillon  placé  à  gauche  du 
même  autel,  on  la  voit  en  voyage,  cherchant  son  frère  Savinien.  Elle  tient  de  la  main  droite  un 
long  bâton  de  pèlerin,  et  de  l'autre  un  livre  fermé,  probablement  l'Evangile.  Sa  tète  est  recouverte 
d'une  espèce  de  capuchon,  dont  le  bord  inférieur  descend  sur  les  épaules,  par-dessus  le  manteau. 
Maximiniole  est  près  d'elle  et  semble  la  suivre  ;  mais  elle  est  d'une  plus  petite  taille  et  porte  un 
tablier  pour  marquer  la  différence  des  conditions.  Maximiniole  porte  aussi  un  long  biton  de  voyage 
et  sa  main  gauche  est  appuyée  sur  une  large  escarcelle  suspendue  à  sa  ceinture. 

L'église  cathédrale  aussi  a  voulu  conserver  aux  générations  à  venir  la  mémoire  de  la  sœur  de 
saint  Savinien,  et  dans  la  troisième  fenêtre,  près  du  chœur,  on  peut  voir  sainte  Savine,  le  biton 
dans  une  main,  l'Evangile  dans  l'autre.  Son  manteau  est  rouge,  et  elle  porte  sur  sa  robe  blanche 
une  tunique  flottante,  couleur  orange. 

Dans  la  troisième  chapelle  qui  se  trouve  au  nord  de  l'église  Sainte-Savine,  un  vitrail  raconte  la 
convei-sion  de  Sabinus,  père  de  la  Sainte.  D'après  la  légende,  le  païen,  privé  de  ses  deux  enfante 
par  le  Dieu  des  chrétiens,  lui  aurait  adressé  cette  prière  : 

«  Si  c'est  vous,  Dieu  tout-puissant,  qui  régnez  au  ciel  et  sur  la  terre  ;  s'il  n'y  a  point  d'autre 
Dieu  que  vous;  si  vous  avez  seul  la  puissance  de  nous  sauver,  détruisez  ces  idoles  que  mes  mains 
ont  fabriquées,  que  jusqu'ici  j'ai  adorées,  et  qui  n'ont  pu  me  sauver,  ni  moi  ni  mes  enfants  ». 

Tout  à  coup,  un  bruit  semblable  à  celui  du  tonnerre  se  fait  entendre  du  ciel,  et  les  idoles  sont 
réduites  en  poussière.  Sabinus  revint  alors  de  son  erreur,  et  plusieurs  témoins  de  ce  prodige  furent 
détrompés  et  crurent  au  vrai  Dieu. 

lire  d'un  ancien  Propre  de  Troyes,  imprimé  en  16iS  et  de  ï Bagioloijie  da  U.  Oefei. 


Vies  des  Saints.  —  Tome  0. 


114  30   JAKAIKR 


XXr  JOUR  DE  JANVIER 


MARTYROLOGE   ROMAIN. 

A  Rome,  saint  JIartine,  vierge  et  martyre  ;  on  fait  mémoire  de  sa  naissance  au  ciel  le  l^^de 
janvier.  iii«  s.  —  A  Antioche,  la  passion  de  saint  Ilippolyte.  prêtre*,  qui  se  laissa  entraîner  dans 
le  schisme  de  Novat  -;  mais  par  l'effet  de  la  grâce  de  Jésus-Christ,  il  reconnut  sa  faute  et  revint  à 
l'unité  de  l'Eglise,  pour  laquelle  et  dans  laquelle  il  endura  plus  tard  un  martyre  glorieux.  Peu 
avant  son  exécution,  ses  amis  l'ayant  prié  de  leur  dire  quelle  était  la  vraie  doctrine,  il  répondit, 
après  avoir  exécré  le  novatianisme,  qu'il  fallait  conserver  la  foi  que  gardait  la  chaire  de  I*ierrc  ; 
après  quoi  il  tendit  sa  gorge  au  bourreau,  aie  s.  —  En  Afrique,  la  passion  des  saints  martyrs 
Félicien,  Phiiappien,  et  de  cent  vingt-quatre  autres.  —  A  Edesse,  en  Syrie,  saint  Barsiinée, 
évoque,  qui,  ayant  converti  et  envoyé  devant  lui  dans  le  ciel  nombre  de  gentils,  les  suivit  sous 
Trajan.  avec  la  palme  du  martyre,  ii^  s.  —  Au  niûme  lieu,  saint  Barsès,  évèque,  illustre 
par  le  don  des  guérisons,  qui,  ayant  été,  pour  la  foi  catholique,  relégué  aux  extrêmes  frontières 
de  ce  pays  par  Valens,  empereur  arien,  y  finit  sa  vie  ^  379.  —  De  plus,  saint  Alexaudre,  qui  fut 
arrêté  durant  la  persécution  de  Dèce,  et  qui,  dans  le  grand  éclat  que  lui  donnaient  son  âge  véné- 
rable et  ses  cheveux  blancs,  ainsi  que  l'honneur  de  confesser  Jésus-Christ  pour  la  seconde  fois, 
rendit  son  âme  à  Dieu  au  milieu  des  supplices  que  les  bourreaux  lui  faisaient  souli'rir  *.  i51.  —  A 
Jérusalem,  la  naissance  au  ciel  de  saint  Alathias,   évoque  ^  de  qui  on  raconte  des  choses  merveil- 

1.  Ce  que  le  Martyrologe  romain  rapporte  de  saint  Hippolyte  sommaireraent  k  l'ordinaire,  le  poëte 
Prudence  le  développe  au  long  dans  les  Couronnes  des  Mvrtyrs,  hymne  onzième;  cependant,  si  l'on  ne 
veut  pas  être  induit  en  erreur  sur  ce  sujet  par  cet  auteur,  il  fant  savoir  que  de  trois  Hipjjolytc,  un  soldat, 
un  prêtre  et  un  évoque,  il  n'a  fait  qu'un  personnage;  qu'il  a  réuni  les  actes  de  trais  sur  un  seul,  d'Hippo- 
lyie  le  soldat,  baptisé  par  saint  Laurent;  d'Hippolj-te,  prêtre  d'Antioche,  celui  dunt  fait  aujourd'hui  men- 
tion le  Marty  ologe,  et  d'Hippolyte,  évîique  de  Porto.  Ces  trois  hommes,  qui  portent  le  même  nom, 
différent  par  les  lieux,  par  les  temps,  par  les  professions,  et  entin  par  le  genre  du  martyre.  Le  soldat 
souffrit  auprtjs  de  Rome,  sur  la  voie  Tiburtine,  sous  l'empire  de  Valérien,  le  13  d'août,  întiné  et  mis  en 
pièces  par  des  chevaux  indomptés.  L'Hippolyte  de  ce  jour  fut  un  prêtre  d'Antioche  sous  l'évêque  Fabius. 
Il  florissait  au  temps  de  l'empereur  Dèce,  comme  il  est  constant  par  la  chronique  U'Eusèbe;  cet  historien 
cite  encore,  liist.^  liv,  vi,  ch.  35,  des  lettres  de  Corneille,  pontife  romain,  et  de  Denys,  évêque  d'Alexan- 
drie, a  l'évêque  d'Antioche,  Fabius,  qui  était  plus  enclin  qu'il  ne  fallait  aux  doctrines  de  Novat.  Quant  "h 
l'évêque  de  Porto,  très-cclfebre  par  sa  science,  il  périt  sous  l'empereur  Alexandre,  noyé  dans  les  eaux  da 
port  de  Rome,  et  remporta  ainsi  la  couronne  du  martyre,  le  22  d'août.  {Tiré  de  Baronius.) 

2.  Voir  les  Conciles  généraux  et  particuliers^  par  Mjjr  Guérin,  t.  jer,  passlm. 

3.  Les  Bollandistes  font  oliserver  que  Baronius,  en  plaçant  le  lieu  tle  l'exil  de  saint  Barsès  dans  le  pays 
même  oîi  se  trouvait  sa  ville  épiscopale  d'Edesse,  c'est-à-dire  en  Mésopotamie,  va  directement  contre  la 
texte  de  Théodoret,  à  qui  seul  il  a  pu  emprunter  cette  notice  sur  saint  Barsès.  Or,  d'après  Théodoret, 
révé^me  d'Edesse  fut  relégué  en  Egj*pte,  non  loin  d'Oxyrrhînque.  dans  le  château  fort  de  Philon.  Du  reste, 
la  forteresse  de  Philon  fut  la  dernière  étape  du  Saint  :  il  en  avait  fait  deux  autres,  Arad  et  Oxyrrhinque. 
Mais  le  bien  qu'il  y  produisait  attirait  les  peuples.  Valens  en  prciKiit  de  l'ombrage  et  le  faisait  pour  uiusi 
dire  changer  de  garnison,  chaque  fois  que  le  bruit  des  miracles  et  des  vertus  du  Saint  venait  l'importuner. 

4.  Baronius.  avec  Bhde  et  Adon,  soutient  que  s;iint  Alexandre,  dont  il  est  ici  question,  n'est  pas  le 
même  que  saint  Alexandre,  évêque  de  Jérusalem,  mentionné  le  18  mars.  Un  grand  nombre  d'autres  mar- 
t>Tologistes  soutiennent  le  contraire.  Les  Bollandistes,  tout  en  déclarant  ne  savoir  pour  qui  se  prononcer, 
semblent  pencher  pour  Baronius. 

5.  Celte  persécution  sous  Adrien  est  comptée  la  quatrième  par  Sulpice  Sévère,  liv.  ii;  mais,  ni  Paul 
Orosc  ni  saint  Augustin  ne  parlent  de  cette  persécution,  et  pour  eux  la  quatrième  est  celle  d'Antonin.  Ils 
se  fondent  peut-être  sur  ce  que  TertuUien,  dans  son  Apologétique,  dit  que  sous  Adrien  il  n'y  eut  pas  de 
décret  publié  contre  les  chrétiens;  cependant,  les  lois  de  Trujan  qui  ordonnaient  de  mener  au  snppUce 
les  chrétiens  lorsqu'ils  étaient  dL-noncés,  donnent  Heu  de  penser  que  le  glaive  sévit  encore  sous  Adrien. 
Si  Trajan  avait  défendu  de  rechercher  les  chrétiens,  ceux-ci  ne  maTiquaîcnt  pas  d'ennemis  juifs  et  païens 
pour  les  dénoncer  et  provoquer  contre  eux  les  rigueurs  de  lu  Ugalité.  Ce  qui  prouve  d'ailleurs  sufiisam- 
ment  que  la  persécution  sévit  sous  Adrien,  ce  sont  les  apologies  composées  sous  ce  règne  par  les  saints 
Pères,  notamment  par  Quadrat  et  par  Aristide.  A  quoi  pouvaient  tendre  ces  apologies  célèbres  et  si  louées 
par  saint  Jérôme  au  livre  des  écrivains  eccl  .'siastiiucs,   si  .ou   à  écarter  le  glaive  de  la  persccution  de  U 


4 


U.UITTROLOGES.  115 

leuses  et  qui  sont  autant  de  preuves  de  sa  grande  foi.  Après  avoir  beaucoup  souffert  sons  Adrien 
pour  le  Christ,  il  se  reposa  enfin  dans  le  sein  de  la  paix.  ii«  s.  —  A  Rome,  saint  FÉLrx.  pape,  qui 
travailla  beaucoup  pour  la  foi  catholique.  526-530. —  A  Pavie.  saint  Armentaire,  évéque  et  confes- 
seur. T3U.  —  A  Mauheuge,  en  Hainaut.  alors  monastère,  sainte  Aldégoxde,  vierge,  qui  florissâit 
du  temps  du  roi  D:igobtrt.  Vers  689.  —  .\  Milan,  sainte  Savine,  femme  très-pieuse,  laquelle  étant 
en  prières  au  tombeau  des  saints  martyrs  Nabor  et  Félix,  s'endormit  en  Notre-Seigneur.  311.  — 
A  Viterbe,  sainte  Hyacinthe  de  .Mariscotti.  vierge  du  Tiers  Ordre  de  Saint-François,  religieuse  re- 
marquable par  sa  pèultence  et  sa  charité,  mise  au  rang  de£  bienheureux  par  Benoit  XllU  et  des 
«aintâ  par  Pie  Vil'.  loiO. 

MARTYROLOGE   DE   FR.tNCE,    RE\'n   ET  ADGMEKTÉ. 

A  Limoges,  saint  Thyrse  ',  martyr,  dont  la  fête  y  est  célébrée,  à  cause  de  ses  reliques  qui  y 
ont  été  apportées.  —  Sainte  Sérène,  honorée  comme  martyre  par  les  cbanoinesses  de  Sainte-Marie 
de  Jletî,  qui  possédaient  ses  reliques,  apportées  autrefois  de  Spolète  â  Saint- Vincent  de  Metz  (970), 
par  l'évèque  Thierry.  291.  —  A  Chelles,  la  solennité  de  sainte  Bathilde,  reine  de  France,  veuve 
du  roi  Clovis  11.  680.  —  Au  monastère  de  la  Chaise-Dieu,  saint  Elesue,  ou  Adelelme,  ou 
Aleacme,  confesseur.  Vers  1100. 


HARTTROLOGES  DES   ORDKES   RELIGIEUX. 

Martyrologe  de  tOrdr'  de  Saint-Basile.  —  A  Constantinople,  les  saints  confesseurs  Théodore 
et  Théophane,  frères  de  l'Ordre  de  Saint-Basile,  qui  furent  élevés  dès  l'enfance  au  monastère  de 
Saint-Sabas,  combattirent  courageusement  contre  Léon  l'Arménien,  pour  le  culte  des  saintes  images, 
et  furent  par  son  ordre  battus  de  verges  et  relégués  en  exil,  mais,  après  la  mort  de  cet  empereur, 
ils  eurent  encore  à  résister  avec  la  même  constance  à  Théophile,  possédé  de  la  même  impiété  ;  Us 
furent  encore  passés  par  les  verges  et  envoyés  en  exil  ;  Théodore  y  mourut  dans  la  prison  : 
pour  Théophane,  la  paix  ayant  été  rendue  à  l'Eglise,  il  devint  évèque  de  Nicée,  et  enfin  se  reposa 
dans  le  Seigneur.  Leur  jour  natal  est  le  27  janvier.  —  A  Rome,  sainte  Martine,  vierge,  comme  ci- 
dessus  au  martyrologe  romain. 

Alartyroloi/e  de  l'Ordre  de  Saint-Benoit,  des  Ca/nnldiilcs  et  de  In  Congrégation  de  Vnllom- 
bretise.  —  A  Burgos,  en  Espagne,  saint  Adelelme,  abbé,  disciple  de  saint  Robert,  abbé  de  la  Chaise- 
Dieu,  qui  guérit  beaucoup  d'infirmités  par  le  signe  de  la  croix  et  par  la  grâce  de  Bien.  —  A 
Rome,  sainte  .Martine,  vierge,  comme  ci-dessus  au  martyrologe  romain. 

Martyrolofe  de  l'Ordre  de  CUeaux.  —  Au  monastère  de  Clairvaui,  saint  Gérard,  confesseur, 
ftère  de  notre  père  saint  Bernard,  religieux  du  même  monastère,  rempli  des  dons  célestes.  —  A 
Borne,  sainte  Martine,  vierge,  comme  ci-dessus  an  martyrologe  romain. 

Martyrologe  de  l'Ordre  des  Frères  Prêclfurs.  —  A  Rome,  sainte  Martine,  vierge,  qui  ayant 
été  tourmentée  de  diverses  manières  sons  l'empereur  Alexandre,  obtint  enfin  par  le  glaive  la  palme 
du  martyre  :  son  jour  natal  est  le  l"  de  janvier.  —  .\  Antioche,  saint  Hippolyte,  prêtre,  comme 
ci-dessus  an  martyrologe  romain.  —  De  plus,  l'octave  de  saint  Raymond,  confesseur. 

Martyrologe  Roniouo-Séropliique  et  de  l'Ordre  Séi  uphique.  A  Viterbe,  sainte  Hyacinthe  de 
Mariscotti,  comme  ci-dessus  an  martyrologe  romain. 

tête  des  clirétiens?  La  persécation  doit-elle  stirprendre  de  la  part  d'an  prince  qui  vexa  les  chrétiens 
jusqu'à  profaner  et  à  souiller,  par  les  abominations  de  l'idolâtrie,  leurs  lieux  saints  les  plus  respectés, 
ceux  qui  sont  à  Jérusalem?  (A  ce  sujet,  voir  Sulp.  Sévère,  livre  n;  Paulin  à  Sulpice  Sévère,  épitre  sie; 
saint  Jérôme,  épitre  siiic;  et  saint  Ambroise  sur  le  psaume  47.)  Comment  se  serait-il  retenu  d'user  àa 
glaive,  l'homme  qui.  dans  une  lettre  à  Sévérias.  proconsul  d'Eçypte.  accumula  tant  de  honteuses  calomnies 
contre  les  chrétiens  d'Alexandrie?  (Cette  lettre  est  citée  par  Spartlanns.)  Qtiand  même  toutes  ces  preuves 
manqueraient,  ce  serait  assez  de  la  lettre  de  Sérénus  Granius,  dont  parle  Eosbbe  dans  sa  Chronu/ue  et 
dans  le  livre  iv  de  son  Bi'toirey  et  de  laque'Je  il  résulte  que  si  les  édits  de  l'empereur  se  taisaient  sur  la 
persécution,  les  clameurs  des  multitudes  demandant  le  supplice  des  chrétiens  éclataient  bien  haut,  au 
point  que  des  gouverneurs  de  provinces  et  des  présidents,  touchés  de  compassion  ponr  ces  hommes  massa- 
sacrés  en  grand  nombre,  en  écrivirent  à  l'empereur,  et  que  celui-ci  donna  des  rescrits  dans  le  but 
d'apaiser  les  fureurs  populaires.  Un  rescrit  de  ce  genre,  adressé  â  Minucins  Fundanus,  proconsul  d'Asie, 
se  trouve  rapporté  dans  l'Apologie  de  saint  Justin  et  dans  Eusébe.  au  livre  rv  de  son  Histoire,  Il  est  vrai 
qu'Adrien  changea  de  sentiment,  qu'il  s'adoucit  par  la  lecture  des  Apologies  des  philosophes  chrétiens, 
jusqu'à  concevoir  l'idée  de  bâtir  nu  temple  à  Notre-Seigneur  Jésus-Christ,  de  le  recevoir  parmi  les  dieux, 
et  jusqu'à  construire  des  temples  sans  simulacre  dans  toutes  les  villes,  comme  l'affirme  Lampride,  dans 
sa  vie  d'Alexandre. 

Quant  à  saint  Mathias,  on  ne  sait  rien  de  lui,  sinon  qu'il  était  le  huitième  évéque  de  JérosaleiQ. 

1.  Voir  au  6  firrler,  jour  auquel  ta  fête  se  célèbre  dans  les  États  Bomains. 

i.  Voir  au  3S  janvier. 


116  30JANTIER. 

iliirtyrologe  des  Capucins.  —  A  Vilerbe,  la  bieaheurêuse  Hyacinthe  de  Mariscotti,  yierge, 
religieuse  du  Tiers-Ordre  de  notre  Père  saint  François,  laquelle  ayant  triomphé  courageusement 
des  séductions  du  siècle  et  des  délices  de  son  sese.  par  la  force  de  la  grJce  divine,  s'efforça  cons- 
tamment de  plaire  au  céleste  Epoux  en  charité,  en  humilité,  en  mortifications,  et  qui  fut  mise  au 
nombre  des  Bienheureux  par  Benoit  XIU,  et  des  Saints,  par  Pie  VII.  —  A  Anliocbe,  la  passion  de 
saint  Hippolyte,  prêtre,  comme  ci-dessus  an  martyrologe  romain. 

ADDITIONS  FAITES  d'APRÈS  LES  BOLLANDISTES  ET  AUTRES  BAGIOGBAPHES. 

A  Plaisance,  en  Italie,  saint  Hippolyte,  martyr  en  Apolie,  distinct  de  saint  Hippolyte  d'Antiocbe, 
fêté  le  même  jour.  Règne  d'Antonin.  —  A  Caltabellotta,  en  Sicile,  saint  Pérégrin,  confesseur.  ^ 
En  Souabe,  la  bienheureuse  Habérille  ou  Habrilie,  vierge,  qui  vécut  saintement  au  monastère  de 
Mereraw  (majnr  insulii),  sur  les  bords  du  lac  de  Constance,  vu»  s.  —  A  Fuldcs,  le  bienheureux 
Amnich  ide,  moine  reclus,  venu  d'Ecosse  et  d'Irlande.  1043.  —  A  Fiésole  ,  saint  André  Corsini, 
évêque  de  cette  ville  '.  —  An  diocèse  de  Munster,  sainte  Thialdilde,  abbesse  du  monastère  de 
Freckenhorst.  ix«  s. 


SAINTE  MAETINE,  VIERGE  ET  MAPiTYRE 

226.  —  Pape  :  saint  Urbain  I".  —  Empereur  :  Alexandre  Sévère. 


Ses  trésors  furent  pour  les  pauvres,  sa  beauté  pour 
Dieu  et  son  cœur  pour  tous  ceux  qui  vivaient  dans 
les  larmes. 

Rome  chrétienne,  t.  i",  p.  114,  éd.  de  1S67. 

Sainte  Martine  naqizit  à  Rome  de  parents  très-illustres  et  qui  avaient 
occupé  les  premières  dignités  de  cette  grande  ville.  Son  père  avait  été  trois 
fois  consul,  et,  ce  qui  est  encore  meilleur,  il  était  extrêmement  miséricordieux 
envers  les  pauvres ,  et  fort  zélé  pour  la  foi  en  la  très-sainte  Trinité.  Elle  se  •vit 
bientôt  pourvue  de  grands  biens  par  son  décès,  et  elle  les  employa  libéra- 
lement en  des  œuvres  de  miséricorde  et  au  soulagement  des  pauvres,  afin 
qu'étant  déchargée  d'un  si  pesant  fardeau,  elle  courût  plus  aisément  au 
mart}Te.  L'occasion  ne  devait  pas  se  faire  attendre  :  l'empereur  Alexandre 
Sévère  -  suscita,  en  ce  temps-là,  la  cinquième,  ou,  selon  d'autres,  la  septième 
persécution  contre  l'Eglise,  et  fit  faire  une  recherche  très-exacte  des  chré- 
tiens, pour  les  contraindre  de  sacrifier  aux  idoles,  ou  les  condamner  à  la 
mort  s'ils  refusaient  de  le  faire.  Trois  officiers,  qui  travaillaient  à  cette  per- 
quisition, rencontrèrent  sainte  Martine  dans  une  église,  où  elle  faisait  sa 
prière,  et  lui  commandèrent,  de  la  part  de  l'empereur,  de  les  suivre  au 
temple  d'Apollon,  afin  de  lui  offrir  de  l'encens  comme  à  une  véritable  divi- 
nité. La  Vierge  leur  fit  réponse,  d'un  visage  fort  gai,  qu'elle  les  suivrait 

1.  "Voir  an  4  février. 

2.  Ale^ïandre  Sû'vëre  succéda  à  Hélioçabale.  f  Chaque  jour  »,  dit  Lampride,  c  il  adorait  dans  un 
temple  ob  il  avait  mis  les  statues  des  meilleurs  empereurs,  des  pins  gens  de  bien,  des  âmes  les  plus 
saintes,  ApoUonitis,  Christ,  Abraham,  Orphée,  qu'il  honorait  comme  des  dieux.  La  conclQsion  de  ceux 
qui  versaient  le  sang,  de  ceux  qui  le  buvaient  et  de  ceux  qui  raillaient,  était  déjà  qu'il  faudrait  entrer  en 
arrangement  avec  le  Christ. 

Sous  cet  Alexandre  Sévère  qui  honorait  le  Christ,  le  sang  chrétien  coula  dans  les  provinces.  La  paix 
dépendait  de  l'humeur  des  proconsuls.  Les  gens  de  loi  tenaient  pour  la  persucation.  Les  gens  de  loi 
veulent  qu'on  exécute  la  loi.  parce  qu'elle  est  leur  chose.  Ulpien,  préfet  de  Home,  grand  avocat,  fit  un 
traité  du  devoir  du  proconsul,  n  eut  soin  d'y  recueillir  les  édits  contre  les  chrétiens,  pour  que  le  pro- 
oonstU  ne  négligeât  pas  de  les  punir. 


SALNTE   MARTINE,    VIERGE   ET   MARTYRE.  117 

volontiers  aussitôt  qu'elle  se  serait  recommandée  à  Dieu  et  qu'elle  aurait  pris 
congé  de  l'évoque.  Ces  archers  extrêmement  satisfaits,  et  croyant  avoir  fait 
une  riche  capture,  en  donnèrent  avis  à  l'empeTeur.  Alexandre  la  flt  venir  en 
son  palais,  fort  ravi  de  voir,  dans  une  telle  résolution,  une  jeune  fille  si 
illustre  et  si  bien  alliée.  Mais  il  se  trouva  bien  loin  de  son  compte  lorsque, 
lui  ayant  ordonné  de  parler,  elle  lui  dit  constamment  qu'elle  ne  sacrifierait 
qu'au  vrai  Dieu  et  jamais  aux  idoles,  qui  sont  les  ouvrages  des  hommes. 
L'empereur  ne  laissa  pas  de  la  faire  conduire  en  ce  temple  de  démons,  avec 
ordre  aux  soldats  de  sa  garde  de  la  suivre  pour  voir  ce  qu'elle  y  ferait.  Elle 
y  entra  donc,  et  s'élant  armée  du  signe  de  la  croix,  elle  fît  sa  prière  à  Jésus- 
Christ.  A  peine  l'eut-elle  achevée,  qu'il  survint  un  effroyable  tremblement 
de  terre  par  toute  la  ville  ;  une  grande  partie  de  ce  temple  d'Apollon  tomba  ; 
et  la  statue  de  l'idole,  se  brisant  en  pièces,  tua  tous  les  prêtres  qui  étaient 
présents  avec  plusieurs  autres  infidèles. 

Alexandre,  indigné  de  cet  accident,  et  d'ailleurs  aveuglé  par  sa  malice, 
pour  ne  pas  reconnaître  la  puissante  main  de  Dieu,  qui  faisait  ces  prodiges, 
commanda  que  la  Sainte  fût  frappée  à  coups  de  poing,  et  qu'après  on  lui 
écorchât  tout  le  corps  avec  des  ongles  de  fer.  Quatre  bourreaux  travaillèrent 
à  cette  horrible  exécution  ;  mais  ce  fut  inutilement  :  quatre  jeunes  hommes, 
paraissant  en  l'air,  encourageaient  Martine  et  tournaient  contre  ces  mêmes 
bourreaux  toutes  les  peines  qu'ils  lui  faisaient  souffrir.  Ceux-ci  se  confessant 
vaincus,  l'empereur  en  appela  huit  autres,  qui  élevèrent  la  Vierge  en  l'air, 
afin  de  lui  déchirer  tout  le  corps  avec  des  pointes  fort  aiguës.  Mais  que  peut 
l'ingénieuse  malice  des  hommes  contre  la  puissance  de  Dieu  ?  Martine  éleva 
les  yeux  au  ciel,  et  il  parut  aussitôt  une  lumière  qui  renversa  par  terre  ces 
ministres  de  l'impiété  d'Alexandre,  et,  en  les  terrassant,  les  changea  et  les 
convertit  ;  d'où  ils  devinrent,  en  un  moment,  de  glorieux  confesseurs  et 
martyrs  de  Jésus-Christ  ;  ce  qui  arriva  le  28  d'octobre,  au  récit  de  Baronius. 

Le  lendemain,  la  Vierge  fut  conduite  devant  l'empereur,  qui  lui  com- 
manda de  sacrifier  à  Apollon  ;  et  sur  son  refus,  il  lui  fit  dépecer  toute  la 
chair  ;  puis  on  l'attacha  contre  terre  par  les  pieds  et  par  les  poings  à  quatre 
pieux  ;  et,  en  cet  état,  elle  fut  fouettée  si  cruellement,  et  pendant  un  si  long 
espace  de  temps,  que  sept  bourreaux  s'y  lassèrent  les  uns  après  les  autres, 
sans  néanmoins  ébranler  la  constance  de  Martine.  Un  parent  de  l'empereur, 
nommé  Euménius,  qui  se  trouva  présent  à  cet  horrible  spectacle,  bien  loin 
d'être  touché  de  compassion,  lui  persuada  de  faire  reconduire  la  sainte  fille 
en  prison,  et  d'ordonner  qu'on  répandît  sur  ses  plaies  des  gouttes  d'huile 
bouillante,  ce  qui  fut  fait  ;  mais  une  lumière  céleste  qui  parut  aussitôt,  et 
des  voix  que  l'on  entendit  sensiblement  chanter  les  louanges  de  Dieu  parmi 
ces  tourments,  adoucirent  toutes  les  douleurs  de  la  Sainte. 

Le  jour  suivant,  le  tyran  la  flt  comparaître  devant  son  tribunal,  et 
commanda  qu'on  la  conduisît  dans  le  temple  de  Diane  ;  aussitôt  qu'elle  y 
entra,  le  démon  en  sortit  avec  des  hurlements  épouvantables;  et  un  feu  tomba 
du  ciel,  parmi  le  tonnerre  et  les  éclairs,  et  brûla  avec  une  partie  du  temple 
l'idole  qui,  par  sa  chute,  écrasa  une  foule  de  prêtres  et  de  païens.  L'empe- 
reur, effrayé  de  ces  prodiges,  abandonna  la  Sainte  à  un  président  appelé 
Justin,  pour  lui  faire  souffrir  de  nouveaux  tourments.  Celui-ci  commanda 
d'abord  qu'on  lui  déchirât  tout  le  corps  avec  des  peignes  de  fer,  en  lui  disant 
par  insulte,  à  chaque  coup  :  Que  ton  Dieu  te  délivre  de  nos  mains  ;  et  avec  ces 
instruments,  on  lui  ouvrit  le  sein  d'une  si  étrange  manière,  qu'elle  n'y  reçut 
pas  moins  de  cent  dix-huit  plaies. 

Le  juge  la  croyant  morte,  commanda  qu'on  la  laissât  là  ;  mais  reconnais- 


HB  30   JANVHîB. 

sanl  après  qu'elle  était  encore  pleine  de  vie,  il  lui  dit  :  «  Martine,  ne  veux-tu 
pas  sacrilier  aux  dieux,  et  te  préserver  des  supplices  qui  te  sont  préparés? 
—  J'ai  mon  Seigneur  Jésus-Christ  qui  me  fortilie  »  ;  repartit  la  Sainte,  «  et  je 
ne  sacrifierai  point  à  vos  démons  ».  Le  président,  transporté  de  rage,  la  flt 
détacher  du  poteau  où  elle  était,  et  commanda  aux  bourreaux  de  la  reporter 
en  prison,  ne  croyant  pas  qu'elle  y  pût  aller  d'elle-même.  Néanmoins, 
elle  eut  assez  de  force  pour  marcher  constamment  sans  être  soutenue  de 
personne. 

L'empereur,  informé  de  ces  faits,  ordonna  que  Martine  fût  conduite  dans 
l'amphithéâtre  pour  y  être  exposée  aux  bêtes  :  dès  qu'elle  y  fut  arrivée,  on 
détacha  un  lion  furieux  pour  la  dévorer  ;  mais  cet  animal  farouche,  au  lieu 
de  faire  aucun  mal  à  la  Sainte,  se  coucha  à  ses  pieds  comme  un  petit  chien 
pour  lécher  ses  plaies  ;  et,  comme  on  le  ramenait  en  sa  loge,  il  égorgea 
en  chemin  Euménius,  ce  parent  de  l'empereur,  qui  lui  avait  suggéré  un 
pernicieux  conseil  contre  cette  innocente.  Elle  fut  ensuite  traînée  une  autre 
fois  en  prison  ;  et  de  là  on  la  conduisit  à  un  autre  temple  des  idoles.  Mais 
ayant  dit  généreusement  à  l'empereur  que  jamais  on  ne  la  séparerait  de 
Jésus-Christ  qu'elle  avait  choisi  pour  son  Epoux,  il  la  fit  attacher  de  nouveau 
à  un  poteau  pour  lui  déchirer  le  corps  qui  ne  consistait  presque  plus  qu'en 
des  os,  puisque  toute  sa  chair  était  consumée.  Et  comme  un  des  bourreaux 
lui  dit  :  (I  Martine,  reconnais  Diane  pour  déesse,  et  tu  seras  délivrée  » ,  elle 
repartit  :  «  Je  suis  chrétienne  el  je  confesse  Jésus-Christ  ».  Alors  le  tyran  la 
fit  jeter  dans  un  grand  feu  pour  y  être  brûlée  ;  mais  la  divine  Providence 
envoya  une  grosse  pluie  avec  un  grand  vent,  qui  éteignit  les  flammes  et  dis- 
persa les  charbons  de  part  et  d'autre,  d'où  plusieurs  Gentils  qui  assistaient 
à  ce  spectacle  furent  brûlés. 

L'empereur,  étonné  plus  que  jamais  de  ce  qu'il  voyait,  et  s'imaginant 
que  cela  se  faisait  par  quelques  charmes  que  la  Sainte  portait  en  ses  cheveux, 
puisque  tout  son  corps  était  sans  vêtement,  commanda  qu'elle  fût  rasée  ;  et, 
croyant  ensuite  qu'elle  avait  perdu  toutes  ses  forces,  il  commença  à  se 
moquer  d'elle,  et  la  fit  retenir  l'espace  de  trois  jours  dans  le  temple  de  Diane, 
où  elle  demeura  sans  manger,  mais  non  pas  sans  chanter  continuellement 
les  louanges  de  son  Dieu.  Enfin,  Alexandre  ,  désespérant  de  la  pouvoir 
vaincre,  usa  du  dernier  effort  de  tous  les  tyrans  contre  les  saints  MartjTs; 
ce  fut  de  lui  faire  trancher  la  tête  ;  et  par  ce  moyen,  sainte  Martine,  triom- 
phant du  monde,  des  tyrans  et  de  l'enfer,  s'en  alla  glorieusement  jouir  de  la 
présence  de  Jésus-Clirist,  son  céleste  Epoux,  le  1"  janvier,  comme  il  est  mar- 
qué en  tous  les  Martyrologes,  et  la  quatrième  année  de  l'empire  d'Alexandre 
Sévère. 

CULTE  ET  RELIQUES  DE  SAINTE  MARTINE. 

Son  saint  corps  demeura  qnelqne  temps  exposé  sur  la  place  publique;  mais  il  y  fut  conservé  et 
protégé  par  deui  aigles  jusqu'à  ce  qu'un  évèque,  nommé  Ritorius,  lui  put  donner  une  honorable 
sépulture.  Depuis,  sous  le  pape  Aatère,  il  fut  apporté  en  la  ville  et  mis  dans  une  vieille  église,  auprès 
de  la  prison  .^lamertine,  au  pied  du  mont  Capitolin,  où  on  le  trouva  l'an  lti34  avec  les  corps  des  saints 
martyrs  Concorde,  Epiphane  et  ses  compagnons.  Urbain  VIII  lit  reconstruire  celte  église  sur  l'empla- 
cement d'un  temple  de  Mars  an  pied  du  Capitole.  C'est  aujourd'hui  la  plus  i-irhe  et  la  plus  magni- 
fique de  toutes  celles  qui  sont  consacrées,  à  Home,  aux  saintes  martyres.  Le  même  pape  prescrivit 
que  l'on  fit  sa  fête,  avec  office  semi-double,  le  30  janvier,  avec  des  hymnes  et  des  leçons  propres, 
où  il  est  dit  foutre  les  prodiges  que  nous  avons  remaninés  dans  le  cours  de  son  martyre) 
qn'elle  fut  vue  élevée  en  l'air  sur  un  tiône  royal,  qu'on  l'eulondit  chanter  les  louanges  divines  ave» 
les  bienheureux,  et  que  des  plaies  de  son  corps  il  sortit  du  hiit.  tandis  qu'une  hnli.Mite  clarté  l'en- 
viroaaait  de  toutes  parts  et  qu'une  odeur  très-agréable  s'exhalait  de  ses  membres.  C'est  Urbain  VIII 


SALXT  FÉLIX,   PAPE.  H9 

lui-même  q>ii  composa  les  hymnes  que  l'on  chants  au  jour  de  sainte  Martine  et  qui  font  partie  des 
prières  annuelles  pour  la  délivrance  de  Jérosalem.  C'est  le  dernier  cri  de  la  croisade. 

Lorsque  l'Europe  s'endormit  devant  le  péril,  l'Eglise  ne  cessa  pas  de  veiller.  Non  loia  de  l'arc 
de  Titus,  à  lieux  milles  de  la  prison  où  Pierre  fut  enchaiaé,  l'Eglise  pousse  encore  ce  cri  vigilant: 

«  0  Martine,  de  les  autels  sur  lesquels  l'enceos  s'élève,  montent  vers  toi  nos  prières  assidiies. 

«  Rassemble  tous  les  rois  avec  leurs  hommes  de  guerre  sons  l'étendard  de  la  croix  :  délivre 
Jérusalem  et  renverse  à  jamais  le  rempart  de  l'ennemi...  » 

La  eiypte  de  sainte  Martine  est  des  premières  entre  les  merveilles  souterraines  de  Rome. 

Sainte  Martine  est  l'une  des  patronnes  de  la  ville  éternelle. 

Les  religieuses  de  Saint-Manr,  à  Davenescourt,  possèdent  une  de  ses  reliques. 

L'histoire  de  son  martyre,  tirée  des  ramascrits  de  saint  Maxime,  k  Trêves,  est  rappo'-t^e  par  Snrios 
et  Bollandas,  ea  leur  premier  tome  des  Actes  des  Saints.  Le  It.  P.  Louis  de  Grenade  l'a  traduite  en  langue 
espagnole  dans  la  seconde  partie  de  son  Introduction  <m  Sym!i{jle  dj  la  Foi. 


SAINT  FELLX,  PAPE 


526-530.  —  Rois  d'Italie  :  Théodoric  le  Grand  et  Alhalaric.  —  Empereurs  d'Orient  :  Jostin  le  Vieux 

et  Jnstinien. 


«  Félix,  né  au  pays  des  Samnites,  était  fils  de  Castorius 

«  Il  éleva  la  basilique  des  saints  Côme  et  Damien  '  sur  la  voie  Sacrée,  non 
loin  de  l'ancien  temple  de  Romulus.  Un  incendie  ayant  détruit  la  basilique 
du  saint  martyr  Saturnin  -  sur  la  voie  Salaria,  il  la  fit  entièrement  recons- 
truire. 

(c  L'élection  de  Félix  put  s'accomplir  sans  trouble 

«  En  deux  ordinations  faites  à  Rome,  au  mois  de  février  et  au  mois  de 
mars,  il  consacra  cinquante-cinq  prêtres,  quatre  diacres  et  trente-neuf  évo- 
ques destinés  à  diverses  églises  ». 

Complétons  ces  extraits  du  Liber  ponlificalis  : 
Félix  succédait  au  pape  saint  Jean  I",  que  le  roi  d'Italie,  Théodoric,  devenu 
cruel  sur  la  fin  de  ses  jours,  avait  fait  incarcérer  et  laissé  mourir  dans  sa 
prison.  L'impression  d'horreur  produite  à  Rome  et  dans  toute  l'Italie  par  le 
supplice  de  Boèce  et  de  Syramaque^,  les  manifestations  populaires  causées 
par  la  mort  de  saint  Jean  I",  à  Ravenne,  agirent  sur  l'esprit  de  Théodoric.  La 
main  qui  venait  de  signer  la  confiscation  de  toutes  les  églises  catholiques, 
se  sentit  impuissante  à  faire  exécuter  une  telle  mesure.  Les  sénateurs  ro- 
mains durent  être  fort  surpris  de  recevoir  une  lettre  royale  ordonnant  de 
procéder,  sans  crainte,  à  l'élection  d'un  nouveau  Pontife,  et  recommandant 
à  leurs  suffrages  un  nom  également  cher  au  clergé  et  au  peuple  de  la  ville, 
celui  du  saint  prêtre  FéUx.  Certes,  la  liberté  et  la  dignité  de  l'Eglise  eussent 
exigé  que  Théodoric  n'intervint  nullement;  mais  le  roi  goth  nourrissait  des 
sentiments  si  hostiles  au  catholicisme,  qu'on  dut  se  féUciter  de  n'avoir  pas 

1.  L'Eglise  Saint-Côme-et-Daniien  est  aujourd'hui  titre  cardinalice.  On  y  Usait  une  inscription  dont 
TOlci  le  dernier  distique  : 

ObtuUt  hoe  Duminn  Félix  antistite  digmtm 
MunvSj  ut  etherea  vivat  in  areep'di. 

2.  Saint  Saturnin,  surnommé  le  Vieux,  à  cause  de  son  gi-and  âge,  sonfiFrit  le  martyre  avec  le  diacre 
Sislnnius.  pendant  la  première  persécution  de  Dioctétien.  Il  ent  la  tête  tranchée,  après  avoir  été  piqué 
par  des  scorpions.  Ses  reliques  et  celles  de  saint  Sisinnîns  se  conservent  aujourd'hui  dans  l'église  Sau- 
Pammacchio. 

3.  Voir  la  vie  de  l'illustre  Boèce,  modèle  des  hommes  d'Etat,  après  celle  du  pape  saint  Jeau  I-r,  au 
87  mai.  On  y  trouvera  aussi  quelques  mots  sur  Sj-mniaque,  honoré  da  titre  de  Siiint. 


120  30  JAKATER. 

de  plus  grands  malheurs  à  subir.  Cependant  la  justice  divine,  qui  ne  laisse 
jamais  impunis  en  ce  monde  les  attentats  contre  le  Saint-Siège,  allait  frap- 
per ce  prince  dont  les  mains  étaient  chargées  du  sang  innocent.  Trois  mois 
s'étaient  écoulés  depuis  son  dernier  forfait,  la  captivité  et  la  mort  du  pape 
Jean.  L'Italie  était  redevenue  tranquille,  mais  son  roi  ne  l'était  plus.  Le 
26  août  326,  Théodoric  étant  à  table,  on  lui  servit  un  énorme  poisson.  A 
cette  vue,  il  frissonna  d'une  manière  étrange;  il  avait  cru  voir  se  dresser 
devant  lui  la  tête  ensanglantée  de  l'une  de  ses  victimes,  celle  de  S}'m- 
maque,  qu'il  avait  fait  massacrer  sous  ses  yeux.  La  victime  ne  quitta  plus 
son  bourreau.  En  quelques  heures  le  frisson  du  malade  devint  une  inflam- 
mation interne  qui  lui  dévorait  les  entrailles  et  détermina  les  plus,  funestes 
accidents.  Trois  jours  après  il  était  mort.  Son  règne  avait  été  glorieux  aux 
yeux  des  hommes  ;  mais  deux  années  de  crimes  sur  la  fin  de  sa  vie  le  dési- 
gnèrent à  la  vengeance  divine.  Saint  Grégoire  le  Grand  raconte  qu'un  soli- 
taire de  l'île  Lipari  aperçut  l'âme  de  Théodoric  enchaîné,  marchant  pieds 
nus,  comme  un  captif  et  un  criminel,  entre  le  pape  Jean  et  le  patrice  Sym- 
maque.  Ils  le  conduisirent  au  cratère  d'un  volcan  et  là  le  précipitèrent  dans 
le  gouffre  ardent  '.  —  Plaise  à  Dieu  que  ce  gouffre  soit  celui  du  purgatoire 
et  que  Dieu  ait  fait  miséricorde  à  cet  ennemi  de  ses  Christs  ! 

Le  pontificat  de  saint  Félix  IV  vit  naître  deux  œuvres  immortelles  :  le 
Code  Justinien  et  les  travaux  de  Denys  le  Petit  sur  l'ère  vulgaire  ou  chré- 
tienne. Par  le  Code  Justinien  le  Christianisme  triomphait  définitivement  dans 
les  lois  ;  car  cette  création  n'était  pas  la  découverte  fortuite  de  quelque  esprit 
supérieur  à  son  siècle;  c'était  une  œuvre  chrétienne  préparée  depuis  deux 
cents  ans  par  le  travail  incessant  du  Christianisme  et  éclose  à  une  époque  oii 
le  Christianisme  était  tout  '. 

En  introduisant  l'usage  de  compter  les  années  à  partir  de  la  naissance  de 
Jésus-Christ,  le  moine  Denys  le  Petit  a  fait  resplendir  à  travers  les  siècles  la 
divine  origine  de  nos  espérances  et  a,  pour  toujours,  assuré  au  catholicisme 
la  suprématie  de  la  science  '. 

Pendant  que  le  Christianisme  pénétrait  les  mœurs  et  la  législation  de 
l'empire,  le  soleil  de  l'Evangile  se  levait  parmi  les  peuples  barbares.  Les 
Hérules  étabbs  sur  les  bords  du  Danube,  les  Tzades,  peuplade  à  demi  sau- 
vage du  Mont-Taurus,  le  roi  des  Huns,  Corda,  se  convertissaient  successi- 
vement à  la  foi. 

En  Italie,  le  successeur  de  Théodoric,  Athalaric,  tenant  compte,  quoique 
arien,  de  la  dignité  du  Siège  apostolique,  confirma  par  un  décret  les  privi- 
lèges du  clergé.  Aux  termes  de  ce  décret,  quiconque  avait  une  action  à 
intenter  contre  un  clerc  de  l'Eglise  de  Rome,  devait  premièrement  s'adresser 
au  Pape  qui  jugerait  lui-même  ou  déléguerait  des  juges.  Quiconque  s'adres- 
sait aux  tribunaux  civils  sans  s'être  d'abord  présenté  au  Saint-Siège,  devait 
perdre  sa  caution  et  payer  une  amende  de  10  livres  d'or  applicable  aux 
pauvres  par  les  mains  du  Pape.  De  cette  façon,  le  clergé  n'était  pas  mêlé 
eux  disputes  du  barreau  et  profané  par  le  contact  des  affaires  séculières. 

Plusieurs  conciles  furent  tenus  sous  ce  pontificat,  qui  dressèrent  les  rè- 
glements les  plus  sages.  Celui  de  Vaison,  en  Provence  (7  novembre  329), 
créa  les  écoles  presbytérales  dans  chaque  village,  sur  le  plan  des  écoles  épis- 
copales  dont  jouissaient  déjà  les  villes  *. 

1.  s.  Gr(-j;.,  Dial.,  liv.  iv,  ch.  30;  Patrot.  lat..  t.  LXXVII,  col.  369. 

2.  M.  Troplong.  luflticnce  du  christi'ifihmc  nur  le  d>-oU  CiviL 

8.  Voir  sur  Dw*nys  le  Petit,  h  la  table,  l'article  le  concernant. 

4.  n   n'entre  pas  dans  notre  plan  d'analyser  les  autres  Conciles,  ceux  d'Arles,  de  L<5riâa,  de  TA* 
lentU,  etc.  Voir  let  Conciles  généraux  et  particmisrs,  par  Mgr  Guérin:  3  vol.  ia-S".  Bar,  13i;a-lS70. 


SADsTE   BATIIILDE,    ni£L\E   DE   FRANCE.  121 

Terminons  par  un  trait  d'humilité  du  saint  Pontife  : 

L'erreur  des  semi-pélagiens  ayant  pris  racine  dans  les  Gaules,  saint  Cé- 
saire,  évoque  d'Arles,  demanda  des  conseils  et  des  lumières  à  Félix.  Celui- 
ci  ne  trouva  rien  de  plus  à  propos,  pour  préserver  les  fidèles  de  la  séduction, 
que  d'extraire  des  OEuvres  de  saint  Augustin  les  passages  les  plus  lumineux 
sur  la  grâce  et  le  libre  arbitre,  et  de  les  transmettre  à  Césaire,  comme  con- 
tenant avec  précision  et  sans  équivoque  la  doctrine  traditionnelle  de  l'Eglise. 

Charitable  envers  les  pauvres,  consolateur  généreux  de  toutes  les  mi- 
sères, il  échangea  cette  vie  misérable  contre  une  plus  heureuse  et  fut  ense- 
veli dans  la  basilique  du  bienheureux  apôtre  Pierre,  le  12  octobre  530.  Il 
avait  augmenté  la  puissance  du  SainL-Siége. 


SAINTE  BAÏHILDE,  REINE  DE  FMNGE  ' 

660.  —  Papes  :  iMartin  \";  Agathon.  —  Rois  de  France  :  Clovis  II;  Thierry  Ifl. 


Mortis  nos  propritB  mors  aliéna  monet. 
Tout  meurt  autour  de  nous  :  N'est-ce  pas  assez  nous 
dire  que  nous  mourrons  nous-mêmes  ? 

Saint  Orens  d'Auch,  Commonitorium. 


n  y  avait  à  la  cour  du  roi  de  France,  Clovis II,  une  jeune  et  belle  esclave, 
dont  les  vertus,  plus  encore  que  les  agréments  physiques,  attiraient  les 
regards  et  gagnaient  tous  les  cœurs.  Elle  était  fille  du  roi  d'Angleterre  et 
se  nommait  Bathilde.  Enlevée  sur  les  côtes  par  des  pirates  qui  l'emmenèrent 
en  France,  elle  avait  été  vendue  à  Erchinoald,  l'un  des  favoris  de  Clovis  II, 
et  plus  tard  maire  du  palais.  Son  maître  l'employa  d'abord  aux  travaux  les 
plus  vulgaires  ;  mais  devenu  veuf,  et  frappé  des  qualités  admirables  qui  bril- 
laient dans  cette  jeune  esclave,  il  voulut  l'épouser.  Bathilde  répondit  qu'elle 
désirait  n'avoir  d'autre  époux  que  Jésus-Christ,  et  comme  le  maître  insistait 
chaque  jour  davantage,  la  pieuse  enfant  se  cacha  dans  une  retraite  sûre, 
dont  elle  ne  sortit  qu'au  lendemain  du  second  mariage  d'Erchinoald. 

Celui-ci,  de  plus  en  plus  touché  des  rares  vertus  de  son  esclave,  lui  par- 
donna volontiers  son  refus  et  n'éprouva  désormais  pour  elle  qu'une  affection 
toute  paternelle  qui  permit  à  Bathilde  de  tenir  à  la  cour  du  roi  de  France 
le  rang  que  lui  assignait  sa  naissance.  Clovis,  alors  âgé  de  dix-sept  ans,  ne 
put,  lui  non  plus,  résister  aux  grâces  et  aux  vertus  de  la  jeune  Anglaise,  il 
voulut  en  faire  son  épouse. 

—  Je  suis  votre  esclave,  répondit  Bathilde,  et,  de  gré  ou  de  force,  il  fau- 
dra que  je  me  soumette  à  votre  volonté. 

—  Une  esclave,  lui  dit  le  roi,  ne  saurait  s'asseoir  sur  le  trône  de  France. 
Je  vous  déclare  libre,  et  libre  aussi  de  refuser  ma  main. 

—  Merci!  seigneur,  repartit  la  jeune  fille,  merci  de  la  grâce  que  vous 
m'accordez  et  de  l'honneur  que  vous  voulez  bien  me  faire;  mais  la  liberté 
que  vous  me  rendez  me  constitue  de  nouveau  sous  la  tutelle  de  mon  père, 
et  je  ne  puis  accepter  vos  offres  qu'avec  le  consentement  du  roi  d'Angleterre. 

Or,  parmi  les  conseillers  du  jeune  Clovis  II,  se  trouvait  le  comte  Rigobert, 

1.  Alias.  BaldecbUde,  nommée  aussi  autrefois  par  ie  peuple  sainte  Sauteur,  sainte  Baudour. 


122  30  JAisTiEn. 

plus  âgé,  de  quinze  à  vingt  ans,  que  son  souverain  dont  il  avait  la  confiance 
et  l'ailection  ;  celui-là  même  qui  devait  être  père  de  sainte  Berthe  de  Bhmgy. 
Rigobert  était,  à  la  lettre,  ce  que  l'on  peut  appeler  un  homme  accompli  : 
bon  chrétien,  sujet  dévoué,  prudent  dans  les  conseils  et  vaillant  à  la  guerre. 
Le  roi  le  chargea  de  passer  en  Angleterre  et  de  négocier  son  mariage  avec 
Bathilde.  Le  comte  s'acquitta  de  cette  mission  délicate  à  la  complète  satis- 
faction des  diverses  parties.  Il  obtint  pour  son  roi  une  épouse  accomplie,  et 
il  dota  la  France  d'une  grande  reine  et  d'une  grande  sainte. 

Quelque  temps  après  le  mariage,  Bathilde  sentit  qu'elle  serait  mère,  et 
craignant  de  donner  le  jour  à  une  fille  et  qu'ainsi  le  royaume  ne  vînt  à  tom- 
ber en  quenouille,  elle  éprouva  de  vives  et  poignantes  inquié'iudes;  les  ayant 
communiquées  à  saint  Eloi,  évêque  de  Noyon,  celui-ci  la  rassura  en  lui 
annonçant  qu'elle  mettrait  au  monde  un  fils,  et  lui  dit  même  qu'il  en  voulait 
être  le  parrain  :  il  le  fut  en  effet,  et  le  nomma  Clotairc.  Ce  fils  fut  suivi  de 
deux  autres,  Cliildéric  et  Thierry;  tous  trois  ont  été  rois  de  France.  Un  si 
notable  changement  de  condition,  qui  eût  ébloui  tout  autre  esprit  moins 
fondé  sur  l'humilité,  ne  causa  néanmoins  aucune  altération  à  ses  vertus.  Elle 
rendait  également  à  chacun  ce  qui  lui  était  dû,  depuis  le  roi,  son  mari,  jus- 
qu'à l'enfant  de  la  plus  pauvre  veuve  du  royaume,  dont  elle  faisait  profes- 
sion d'être  la  protectrice  et  l'avocate.  Il  ne  fallait  point  d'autre  agent  qu'elle 
à  la  cour  pour  les  affaires  du  clergé;  et  nous  voyons  dans  l'histoire  qu'il  y 
eut,  de  son  temps,  plus  d'églises  et  de  monastères  bâtis,  que  l'on  n'en  avait 
TU  jusqu'alors.  Les  affaires  delà  cour  ne  l'empêchaient  pas  de  jouir  des 
plus  pures  délices  de  la  dévotion  dans  un  grand  repos  d'esprit  et  une  parfaite 
quiétude  de  toutes  les  facultés  de  son  âme;  il  n'y  avait  point  de  jour  où  elle 
n'employât  quelques  heures  à  l'oraison,  et  sa  prière  était  toujours  accom- 
pagnée d'une  grande  abondance  de  larmes;  de  sorte  que  le  temps  de  la  vie 
du  roi  lui  servit  de  disposition  à  la  solitude  qu'elle  devait  embrasser  quelque 
temps  après  son  décès.  Elle  prévit  qu'il  était  fort  proche,  parce  que  le  roi 
s'affaiblissait  chaque  jour  sans  aucune  apparence  de  guérison.  Aussi  mou- 
rut-il bientôt  après,  en  rendant  ce  témoignage  de  la  vertu  de  la  reine,  que 
non-seulement  elle  avait  fait  pour  lui  tout  ce  qui  était  en  son  pouvoir,  mais 
qu'elle  avait  même  surpassé  tout  ce  qu'on  peut  imaginer. 

Cette  mort,  ainsi  que  tout  ce  qui  arriva  ensuite,  lui  avait  été  prédit  par 
saint  Eloi;  conformément  à  cette  prédiction,  elle  fut  déclarée  régente;  en 
cette  qualité,  elle  partagea  la  France  et  l'Austrasie  entre  les  rois  ses  enfants. 
Clotaire  fut  assis  sur  le  trône  royal  de  ses  aïeux  ;  Childéric,  son  frère,  fut 
couronné  roi  d'Austrasie,  et  Thierry,  le  troisième,  fut  déclaré  roi  de  Bour- 
gogne. Après  cela,  elle  travailla  à  la  réformalion  des  abus  qui  perdaient  le 
royaume,  et  elle  commença  heureusement  par  le  châtimentdes  Simoniaques. 
Pour  cet  effet,  elle  fit  un  édit  par  lequel  il  était  défendu  aux  prélats  de  rien 
recevoir  pour  la  collation  des  ordres  sacrés,  ni  pour  aucune  fonction  épis- 
copale.  Ensuite  elle  abolit  pour  jamais  cel  impôt  personnel,  qu'on  appelle 
capiinlion,  par  lequel  chacun  était  taxé  pa.'tête  :  cette  taxe  injuste  et  cruelle 
conduisait  les  Français  à  renoncer  au  mariage  ou  à  vendre  leurs  enfants, 
parce  qu'ils  voyaicr.l  les  exactions  fiscales  croître  avec  leur  nombre.  Elle 
défendit  aussi  la  coutume  barbare  qui  existait  encore  en  France,  de  vendre 
aux  étrangers  des  esclaves  chrétiens.  Elle  racheta  même  de  ses  propres 
deniers  plusieurs  de  ces  infortunés.  De  la  sorte,  la  France  jouit  d'un  grand 
bonheur  durant  sa  régence  et  sous  les  douces  lois  de  son  gouvernement; 
aussi  les  peuples  lui  donnaient  mille  bénédictions,  et  lui  rendaient  des  hon- 
neurs extraordinaires. 


SAINTE   BATHILDE,    REINE  DE   FRANCE.  123 

La  sainteté  et  les  vertus  de  Balhilde  ne  la  mirent  pas  à  l'abri  de  la  malice 
des  méchants  :  Dieu  le  permit,  pour  offrir  en  elle  aux  Français  un  admirable 
exemple  de  patience  et  de  douceur,  et  pour  ménager  dans  le  ciel  à  son 
humble  servante  une  plus  brillante  couronne.  La  calomnie  alla  jusqu'à  ten- 
ter de  rendre  suspectes  son  innocence  et  sa  pureté  :  elle  ne  servit  qu'à 
mettre  en  relief  le  noble  cœur  de  Batbilde,  et  son  indifférence  pour  l'estime 
des  hommes.  Mais,  Bathilde  fut  plus  sensible  aux  malheurs  causés  dans  les 
Etats  du  roi  son  fils  par  la  perfide  administration  d'Ebroïn  ;  les  persécutions 
que  ce  sanguinaire  ministre  exerça  contre  les  plus  saints  évêques,  et  surtout, 
la  mort  violente  de  saint  Annemond,  évêque  de  Lyon,  lui  firent  verser  bien 
des  larmes.  Ayant  été  accusée  d'avoir  prêté  la  main  à  ce  crime,  elle  eut 
besoin  de  son  énergie,  de  sa  foi,  et  de  la  grâce  du  Seigneur,  pour  sortir  vic- 
torieuse de  cette  pénible  épreuve. 

Néanmoins,  cette  admirable  reine,  qui  avait  encore  plus  dans  le  cœur 
le  royaume  du  ciel  que  celui  de  la  France,  méditait  toujours  sa  retraite, 
afin  de  se  mettre  dans  la  liberté  des  enfants  de  Dieu,  et  de  vivre  dans  le 
repos  de  quelque  sainte  solitude;  mais  elle  était  retenue  par  le  bas  âge  de 
ses  enfants,  auxquels  elle  voulait  auparavant  assurer  la  couronne.  Ainsi, 
attendant  le  temps  de  pouvoir  jouir  de  ce  bonheur,  elle  s'occupait  entière- 
ment au  service  de  l'Eglise,  ornait  les  autels,  et  établissait  en  divers  lieux 
le  culte  de  Dieu.  Ce  fut  alors  que  plusieurs  maisons  de  religieuses  furent 
fondées,  comme  les  abbayes  de  Corbie,  de  Jumièges,  de  Luxeuil,  de  Jouarre, 
de  Sainte-Fare  et  de  Fontenelles,  témoins  éternels  de  sa  piété;  et  il  est 
peu  des  anciens  monastères  qui  s'élevaient  autrefois  autour  de  Paris  qui  ne 
la  reconnussent  pour  leur  fondatrice,  ou  tout  au  moins  leur  bienfaitrice. 
La  ville  de  Rome  ne  fut  pas  privée  de  sa  munificence,  car  elle  y  envoya  des 
personnes  exprès,  afin  de  faire  des  prières  à  son  intention  dans  l'église  de 
Saint-Pierre  et  de  Saint-Paul,  avec  des  présents  dignes  de  sa  grandeur  et  de 
sadévotion.  Mais  cette  charité,  qui  était  reçue  des  étrangers  avec  admiration, 
se  répandait  encore  plus  abondamment  sur  les  Francs,  particulièrement  sur 
les  Parisiens  ;  de  sorte  qu'il  semblait  que  l'argent  se  multipliait  dans  les 
■  mains  de  cette  sainte  princesse,  et  que,  pendant  qu'elle  vidait  les  coffres  de 
l'épargne  pour  remplir  ceux  de  Dieu,  qui  sont  les  pauvres.  Dieu  même  sem- 
blait vouloir  épuiser  les  siens  pour  combler  la  France  de  bénédictions. 

La  sainte  reine,  travaillant  ainsi  à  enrichir  ou  à  fonder  des  maisons  reli- 
gieuses dans  le  royaume,  voulut  aussi  en  faire  bâtir  une  pour  elle-même, 
afin  de  s'y  pouvoir  retirer,  lorsqu'elle  serait  déchargée  de  sa  régence.  Car, 
depuis  que  saint  Eloi  lui  eut  prédit  la  mort  de  son  mari,  et  qu'ensuite  il 
l'eut  aussi  avertie  que  sa  vie  et  celle  de  ses  enfants  ne  seraient  pas  de  longue 
durée,  ce  qui  lui  fut  encore  confirmé  par  saint  Vandrille ,  abbé  de  Fonte- 
nelles; depuis  ce  temps-là,  dis-je,  elle  imprima  si  fortement  dans  son  cœur 
le  mépris  des  vanités  du  monde,  qu'elle  ne  respira  plus  qu'après  une  douce 
retraite,  où,  vivant  avec  les  anges,  elle  pût  s'approcher  de  plus  en  plus  de 
son  souverain  bien.  Pour  cet  effet,  elle  fit  chercher,  aux  environs  de  Paris, 
un  lieu  convenable  à  l'exécution  de  son  dessein  :  n  Allez  »,  dit-elle,  «  cher- 
chez-moi un  lieu  d'où  l'on  puisse  contempler  le  ciel  sans  nul  empêchement, 
afin  d'y  bâtir  un  monastère  ».  La  terre  lui  semblait  trop  basse,  et  l'air  de 
la  cour  trop  épais  pour  y  pouvoir  considérer  à  son  aise  la  beauté  du  firma- 
ment et  y  contempler  les  délices  de  l'autre  vie.  On  alla  donc  et  on  cher- 
cha; et,  enfin,  on  trouva  un  lieu  assez  propre  au  dessein  de  Bathilde  :  ce 
fut  une  petite  colline  au-dessus  de  la  Marne,  à  quatre  lieues  de  Paris,  un 
peu  au-delà  de  Lagny.  Elle  y  avait  déjà  fait  bâtir  une  maison  auprès  d'une 


Ii>^  30  JANVIER. 

chapelle  dédiée  à  saint  Grégoire,  mais  elle  voulut  que  l'on  changeât  ce  petit 
bâtiment  en  un  grand  monastère,  qui  fut  depuis  nommé  Chelles,  par  la 
raison  que  nous  dirons  ci-après;  et  le  tout  fut  exécuté  en  peu  de  temps, 
selon  son  intention. 

La  maison  fui  bien  dotée,  plusieurs  villages  et  plusieurs  forêts  lui  furent 
annexées  pour  l'enlretien  des  religieuses  que  la  reine  avait  l'intention  d'y 
mettre.  Et  afin  que  rien  ne  manquât  à  un  si  juste  dessein,  elle  fit  que  les 
trois  rois,  ses  enfants,  signèrent  sa  fondation  de  leur  propre  main  et  l'auto- 
risèrent de  leur  sceau.  Et  comme  si  toutes  ces  assurances  de  la  terre  n'étaient 
pas  encore  assez  efficaces  pour  l'affermir,  elle  y  implora,  de  plus,  le  témoi- 
gnage du  ciel,  faisant  ajouter  au  bas  du  contrat  de  terribles  menaces  et  de 
grandes  imprécations,  au  nom  de  la  très-sainte  Trinité,  contre  ceux  qui 
voudraient,  dans  les  siècles  à  venir,  y  apporter  du  changement  et  de 
l'altération. 

Tout  étant  ainsi  disposé,  la  sainte  princesse  fit  venir  de  l'abbaye  de 
Jouarre  une  très- vertueuse  religieuse  nommée  Berthille,  pour  être  la  mère 
et  la  supérieure  des  filles  qui  se  présenteraient  en  ce  nouveau  monastère. 
Son  plus  grand  désir  était  d'y  prendre  la  première  l'habit;  mais  l'intérêt 
commun  de  l'Etat,  et  l'obligation  d'assister  son  fils,  qui,  à  cause  de  sa  jeu- 
nesse, n'était  pas  capable  de  gouverner  seul  la  monarchie,  la  retinrent 
encore  quelque  temps  à  la  cour.  Enfin,  les  affaires  ayant  changé  de  face,  et 
sa  présence  n'étant  plus  nécessaire,  ni  môme  désirée  de  la  plupart  des 
grands  du  royaume,  elle  profita  de  l'occasion,  et  demanda  résolument  la 
permission  de  se  retirer.  Elle  se  sentit  d'autant  plus  portée  à  ce  pieux  projet 
que  saint  Eloi,  qui  venait  de  décéder  et  qui  jouissait  déjà  de  la  gloire,  l'avertit 
en  vision,  jusqu'à  trois  fois,  qu'il  était  temps  qu'elle  déposât  ses  dorures, 
ses  bagues  et  toutes  les  autres  marques  de  sa  grandeur  et  de  sa  souveraineté  : 
elle  suivit  ce  conseil  de  très-bon  cœur,  et  employant  toutes  ses  richesses  à 
secourir  les  pauvres  et  à  faire  fondre  une  châsse  pour  enfermer  le  corps  du 
même  saint  Eloi,  son  père  spirituel. 

Après  avoir  ainsi  mis  ordre  à  toutes  choses,  et  les  affaires  de  France  le 
permettant,  Bathilde  partit  de  Paris  pour  n'y  plus  revenir,  et  laissa  les  Francs, 
qui  avaient  joui  d'une  paix  florissante  pendant  les  années  de  sa  belle  régence, 
dans  une  extrême  douleur  de  sa  retraite.  Toute  la  cour  la  suivit  depuis  Paris 
jusqu'au  lieu  de  sa  solitude,  où  elle  entra  comme  dans  un  paradis  de  délices  ; 
et  elle  y  fut  reçue  pour  être,  par  la  sainteté  de  sa  vie,  la  gloire  éternelle  de 
cette  nouvelle  maison.  Les  historiens  ne  s'accordent  pas  sur  le  temps  de 
cette  retraite  :  les  uns  disent  que  ce  fut  après  la  mort  de  ses  deux  premiers 
Sis,  aotaire  et  Childéric,  et  sous  le  règne  de  Thierry,  qui  était  le  troisième  ; 
et  les  autres,  que  ce  fut  du  vivant  du  môme  Clotaire,  comme  semble  l'indi- 
quer la  vie  de  saint  Eloi,  écrite  par  saint  Ouën, 

La  première  chose  que  fit  la  saii  le  Reine  après  qu'elle  fut  entrée  dans  le 
monastère,  fut  d'assurer  à  ces  bonnes  religieuses  qu'elle  avait  tellement 
renoncé  au  monde  et  à  toutes  ses  vanités,  que  son  séjour  dans  leur  cloître 
ne  leur  serait  nullement  incommode  ;  que  leur  silence  n'en  serait  point 
interrompu,  ni  leur  solitude  troul)lée,  et  que  les  heures  de  l'oraison  et  de 
l'office  divin  n'en  recevraient  nul  préjudice,  car  elle  avait  mis  si  bon  ordre 
à  ses  affaires,  que  leur  porte  ne  serait  point  battue  par  trop  de  visites,  ni  leur 
parloir  occupé  à  des  entretiens  inutiles.  Cette  assurance  calma  parfaitement 
ces  saintes  âmes,  qui  craignirent  d'abord  que  la  présence  de  la  Reine  dans 
leur  cloître  n'étouffât  leur  dévotion  naissante.  Apprenant  le  dessein  de  cette 
vertueuse  princesse,  leurs  craintes  se  changèrent  aussitôt  en  une  parfaite 


SADÎTE   BATHILDE,    REKE  DE   FKAACE.  125 

allégresse  ;  et  leur  esprit  étant  pacifié,  elles  ouvrirent  leur  cœur  à  l'affection 
et  à  l'amour  envers  leur  charilable  maîtresse.  Bathilde,  pour  prouver  par  les 
effets  ce  qu'elle  promettait  en  paroles,  ne  rougit  point,  toute  Reine  qu'elle 
était,  de  se  placer  après  la  dernière  des  novices,  et  de  se  reconnaître  la  moindre 
de  toutes.  Certes,  c'était  une  chose  digne  d'étonnement,  de  voir  une  reine 
de  France  et  la  mère  de  trois  rois,  n'avoir  plus  de  soin  que  d'être  la 
plus  petite  en  la  maison  de  Dieu  ;  être  humblement  soumise  à  la  supérieure 
et  recevoir  les  commandements  de  sa  bouche,  comme  les  oracles  de  Jésus- 
Christ  même.  Elle  considérait  toutes  les  sœurs  comme  autant  de  Saintes,  et 
ne  cherchait  que  les  occasions  de  leur  rendre  service  ;  ce  qu'elle  faisait  avec 
une  complaisance  admirable  et  comme  si  elle  fût  née  leur  sujette,  et  que 
tout  son  repos  eût  dépendu  de  leur  satisfaction.  Une  fois  qu'on  lui  demanda 
quel  plaisir  elle  avait  à  servir  ces  filles,  elle  répondit  très-sagement  :  «  Hélas  ! 
mes  très-chères  sœurs, quandje  me  souviens  que  mon  Seigneur  Jésus-Christ, 
le  Roi  des  rois  et  le  souverain  Seigneur  de  l'univers,  a  dit  dans  son  Evangile 
qu'il  était  venu  pour  servir  et  non  pour  être  servi,  et  que  je  l'y  vois  laver  les 
pieds  de  ses  disciples,  entre  lesquels  je  découvre  un  traître,  je  ne  sais  plus 
oîi  je  me  dois  mettre,  et  il  me  semble  que  le  plus  grand  bonheur  qui  me 
puisse  arriver,  c'est  d'être  foulée  aux  pieds  de  tout  le  monde  ».  Paroles, 
certes,  dignes  d'une  grande  princesse  et  d'une  grande  religieuse,  car  il  y  a 
deux  choses  que  les  rois  et  les  souverains  n'apprennent  jamais  ailleurs  que 
sur  le  Calvaire  et  à  l'école  de  la  Croix  :  Obéir  et  servir  ;  parce  qu'ils  viennent 
sur  la  terre  en  recevant  les  hommages  de  leurs  sujets,  et  lorsqu'ils  croissent, 
ils  jouissent  du  fruit  de  leurs  travaux  et  de  leurs  services.  Il  n'y  a  que  ceux 
qui  apprennent  la  leçon  de  Jésus-Christ,  lequel,  étant  Dieu,  s'est  abaissé 
pour  nous  élever,  qui  pratiquent  l'un  et  l'autre  par  excellence. 

Cette  incomparable  Reine  servait  les  religieuses  de  la  maison  et  les  ma- 
lades de  l'infirmerie  avec  des  sentiments  d'une  si  profonde  humilité,  que  si 
les  religieuses  eussent  oublié  ce  qu'elle  était,  elle  ne  s'en  fût  jamais  souve- 
nue. Sa  bouche  était  fermée  pour  parler  de  ses  grandeurs  passées,  aussi  bien 
que  des  manquements  des  autres  ;  s'il  lui  arrivait  de  faire  allusion  à  des 
manquements,  c'était  pour  les  excuser  :  ses  mépris  étaient  pour  elle-même, 
ses  louanges  pour  son  prochain,  ses  services  pour  celles  qui  en  avaient  besoin, 
sa  volonté  pour  la  supérieure,  et  son  cœur  pour  Dieu. 

Pour  son  oraison  et  l'ordre  qu'elle  y  observait,  son  confesseur  en  avait  la 
direction;  mais  elle  gardait  très-religieusement  les  heures  de  silence,  et  em- 
ployait une  partie  du  j  our  à  la  méditation;  le  reste  était  pour  la  lecture  des  livres 
spirituels  et  pour  le  recueillement  intérieur  dans  sa  cellule,  afin  de  considérer 
attentivement  ce  qu'elle  avait  été,  ce  qu'elle  était  pour  lors  et  ce  qu'elle 
serait  un  jour.  Aussi  son  cœur  ne  se  sentit  jamais  enflé  par  le  souvenir  des 
grandeurs  passées,  mais  tout  son  soin  était  de  l'embraser  des  flammes  du 
pur  amour  de  Dieu.  Cette  charité  se  répandait  après  sur  le  prochain,  et  la 
rendait  si  serviable  aux  malades,  qu'elle  avait  acquis  un  talent  particulier 
pour  les  soulager.  Elle  était  fort  soigneuse  d'obtenir  ce  qui  leur  était  néces- 
saire,~et  bien  souvent  son  affection  lui  révélait  leurs  sentiments  et  lui  faisait 
mieux  connaître  ce  qu'ils  désiraient  ou  ce  qui  leur  était  convenable,  qu'ils  ne 
le  savaient  eux-mêmes.  Dieu  lui  avait  donné,  outre  cela,  une  merveilleuse 
douceur  de  paroles,  et  lui  mettait  des  pensées  si  bénignes  en  l'esprit,  pour 
rendre  faciles  les  plus  grandes  difficultés,  que  ses  discours  portaient  le  miel 
de  la  consolation  dans  le  cœur  de  ses  sœurs,  lorsque,  étant  tentées  par  l'en- 
nemi, elles  trouvaient  du  dégoût  en  leur  vocation  ou  de  l'ennui  dans  les 
exercices  de  la  vie  spirituelle. 


126  30  JAXviEi. 

Tels  furent  les  exercices  de  la  bienheureuse  Batliilde,  jusqu'à  ce  qu'il 
plut  à  Dieu  de  l'appeler  à  lui  pour  lui  donner  une  couronne  immortelle,  en 
récompense  de  celle  qu'elle  avait  méprisée  pour  son  amour.  Elle  eut  un 
briilai'.l  présage  de  ce  bonheur  :  comme  elle  élait  un  jour  dans  les  douceurs 
lie  sa  moilitalion,  elle  vit  une  échelle  d'or  qui  avait  le  pied  posé  sur  l'autel 
de  la  Sainte  Vierge  devant  lequel  elle  priait,  et  de  là  atteignait  jusqu'au  ciel; 
une  grande  multitude  d'anges  montait  par  les  degrés  de  celte  échelle,  sans 
que  nul  en  descendît,  et  elle  y  fut  elle-même  élevée  par  les  auges  et  conviée 
à  les  suivre.  Cette  vision  arriva  en  présence  de  quelques  autres  religieuses 
qui  tremblèrent  que  ce  présage  ne  fût  véritable  :  mais  Bathilde  fut  comblée 
de  joie,  lorsque  l'Esprit  de  Dieu  lui  ût  connaître  que  c'était  un  avertisse' 
ment  de  son  prochain  décès,  et  une  invitation  d'entrer  bientôt  dans  la  vi., 
éternelle.  Alors  sa  dévotion  lui  lira  des  larmes  d'amour  et  de  douceur,  pen- 
dant que  ses  sœurs  étaient  au  contraire  navrées  de  douleur,  croyant  déjà 
l'avoir  perdue.  Etant  revenue  à  elle,  elle  les  supplia  de  ne  rien  dire  de  ce 
qu'elles  avaient  vu  ;  mais  si  leur  bouche  garda  le  secret,  leurs  yeux  ne  purent 
le  garder,  et  leurs  larmes  firent  savoir  sans  parler  ce  qu'elles  ne  voulaient 
pas  dire.  Et  de  là  est  venu  le  nom  de  Ghelles,  que  porte  cette  abbaye,  comme 
qui  dirait  Echelle. 

Sa  maladie  commença  par  une  douleur  d'entrailles,  qui  la  fit  souffrir 
avec  tant  de  violence,  que  c'était  une  espèce  de  martyre  ;  ce  n'étaient  pas 
néanmoins  les  plaintes  qui  donnaient  connaissance  de  son  mal,  car  jamais 
sa  bouche  ne  s'ouvrit  pour  se  plaindre,  et  si  elle  recevait  des  consolations 
parmi  ses  douleurs,  c'était  le  ciel  qui  les  lui  envoyait.  On  remarqua  seule- 
ment ces  paroles  dans  les  plus  fortes  atteintes  de  son  mal  :  «  0  bon  Jésus  ! 
je  vous  remercie  de  la  grande  miséricorde  que  vous  faites  à  cette  vile  créa- 
ture, de  lui  donner  quelque  petite  chose  à  souffrir.  Hélas  !  celui  qui  vous 
regarde  tout  déchiré  et  élendu  sur  une  croix  si  dure,  peut-il  avoir  une 
bouche,  un  cœur  et  une  âme  pour  se  plaindre  ?  » 

Elle  nourrissait  une  petite  fille,  nommée  Radegonde,  qu'elle  avait  tenue 
sur  les  fonts  de  baptême,  et  elle  l'aimait  aussi  tendrement  que  si  elle  l'eût 
enfantée.  Cette  enfant  tomba  malade  en  même  temps  que  la  Sainte  se  mit 
au  lit.  Bathilde,  croyant  que  cette  petite  créature  serait  plus  heureuse  si 
elle  mourait,  que  si  elle  demeurait  au  monde,  pria  Dieu  que  ce  fût  son  bon 
plaisir  de  l'en  retirer,  afin  qu'elle  pût,  avant  de  mourir  elle-même,  la  mettre 
dans  le  tombeau  et  la  voir  parmi  les  chœurs  des  Vierges.  Elle  fut  exaucée  : 
la  jeune  fille  rendit  l'esprit  entre  les  bras  de  sa  royale  protectrice,  et  on 
l'honora  comme  Sainte  dans  la  même  abbaye. 

Toutes  choses  étant  ainsi  accomplies,  sainte  Bathilde  vit  bien  que  l'heure 
était  venue  de  partir  de  ce  monde  pour  aller  à  Dieu  ;  c'est  pourquoi,  en 
présence  des  ecclésiastiques  qui  lui  avaient  administré  les  derniers  sacre- 
ments, et  de  quelques  religieuses  qui  l'assistaient,  elle  se  munit  du  signe 
de  la  croix,  et,  élevant  les  yeux  au  ciel,  elle  y  envoya  sa  belle  âme  vers 
la  fin  de  janvier,  l'an  de  Noire-Seigneur  680. 

Le  savant  Dom  Pitra  résume  eu  ces  termes  les  merveilles  opérées  par 
notre  pieuse  et  sainte  Reine  :  «  Bathilde  a  mis  la  main,  pendant  son  admi- 
nistration, à  toutes  les  grandes  choses  de  son  temps  :  au  clergé,  qu'elle  rend 
à  la  régularité  ;  à  l'épiscopat,  qu'elle  glorifie  par  des  Saints  ;  aux  monas- 
tères, qu'elle  fonde  et  relève  ;  au  peuple,  qu'elle  nourrit,  soulage  et  affran- 
chit ;  à  la  royauté,  qu'elle  affermit  en  concentrant  son  prestige  et  sa  force. 
Elle  louche  à  l'Italie  et  l'Espagne  par  ses  ambassadeurs,  à  l'Angleterre  par 
ses  captifs,  à  l'Allemagne,  par  les  moines  missionnaires,  à  la  France  par  les 


SAINTE   BATHELDE,    REINE   I)E    FRANCE.  127 

évêques,  et,  par  les  Francs,  au  monde.  Dans  les  jeux  du  blason,  on  lui  a 
donné  pour  emblème  un  aigle  aux  ailes  déployées  portant  le  rameau  d'oli- 
vier avec  ces  mots  :  Paix  et  force.  Ce  signe  n'a  rien  de  trop  ambitieux  pour 
une  humble  femme,  qui,  sur  les  ailes  seules  de  la  foi,  éleva  la  France  nais- 
sante comme  l'aigle  emporte  ses  aiglons  au  soleil.  Un  mot  d'un  légendaire 
ancien  nous  révèle  le  secret  de  sa  force  et  de  sa  fécondité  :  a  L'amour  divin 
l'embrasait  de  ses  ardeurs,  et  la  splendeur  des  Saints  la  ravissait  jusqu'au 
ciel  ».  C'est  le  secret  de  la  femme  forte  créée  par  le  christianisme,  et  trans- 
figurée selon  son  type  le  plus  accompli,  la  Vierge,  Mère  de  Dieu  '». 

Son  corps  fut  porté  enterre  sans  pompe,  les  seules  personnes  nécessaires 
pour  les  cérémonies  de  l'Eglise  y  étant  appelées  :  les  religieuses  faisaient 
toute  la  magnificence  de  ses  funérailles  ;  elle  l'avait  ainsi  désiré,  et  on  le  fit 
pour  satisfaire  à  son  intention.  La  réputation  de  sa  sainteté  et  l'odeur  de  ses 
vertus  héroïques  durèrent  longtemps  à  la  cour,  après  son  bienheureux  décès. 

i"  Un  des  attributs  de  sainte  Bathilde  est  le  balai.  Cet  attribut  peut  avoir 
deux  significations,  l'une  historique,  l'autre  symbolique.  L'allusion  historique 
se  référerait  aux  premiers  temps  de  sa  captivité,  alors  qu'«  elle  se  rendait 
la  servante  des  servantes  et  faisait  plus  d'ouvrage  à  elle  seule  que  toutes 
les  autres  ensemble  ;  en  sorte  que  c'était  merveille  de  voir  combien  cette 
pauvre  étrangère  était  officieuse  ».  Dans  ces  conditions  elle  a  dû  tenir  le  balai 
plus  d'une  fois.  —  En  tant  que  symbole,  l'attribut  du  balai  s'applique  aux 
personnes  qui  ont  quitté  de  grandes  positions  pour  embrasser  l'humble  vie 
du  cloître  où  celui  qui  était  le  premier  devient  le  dernier.  —  2°  D'après 
sa  statue  provenant  de  l'ancienne  abbaye  de  Corbie,  elle  porte  une  couronne 
et  tient,  comme  fondatrice,  le  modèle  d'une  église  ;  3°  D'après  la  statue  de 
son  tombeau  provenant  de  l'abbaye  de  Chelles,  elle  porte  une  couronne  et 
l'habit  de  religieuse  :  la  couronne  serait  mieux,  ce  nous  semble,  à  ses  pieds  ; 
4°  On  la  représente  encore  debout  ou  a  genoux,  regardant  une  échelle  mys- 
térieuse par  laquelle  montent  des  anges.  Est-ce  une  allusion  au  nom  de  son 
monastère  :  Chcllcs  ? 


ÉGLISE  ET  MONASTÈRE  DE  CHELLES,  RELIQUES  ET  CULTE. 

Deai  cents  ans  après,  l'empereur  Louis  le  Débonnaire  voulut  aller  lui-même  à  Chelles,  pour  honorer 
le  tombeau  de  sainte  Bathilde  et  faire  transférer  ses  précieuses  reliques,  de  la  petite  église  de  Sainte- 
Croix  en  celle  de  la  Sainte- Vierge.  Son  corps  fut  trouvé  entier  et  sans  nulle  marque  de  corruption.  La 
nouvelle  de  cette  merveille  étant  portée  à  Paris,  où  appela  toute  la  cour  pour  eu  être  témoin,  et 
presque  tout  le  peuple  de  celte  ville  se  trouva  à  Chelles,  pour  voir  plus  de  gloire  danscemoaastère 
qu'il  n'y  eu  avait  dans  la  vaste  étendue  de  ses  murs.  Une  religieuse  fort  ancienne  de  la  maison, 
étant  depuis  longtemps  privée  de  l'usage  de  ses  membres,  fut  portée  au  sépulcre  de  la  Sainte,  où,  après 
avoir  fait  sa  prière,  elle  se  trouva  parfaitement  saine,  se  leva  sur  ses  pieds,  et  jeta  un  cri,  disant  : 
«Obon  Jésus,  je  suis  guérie!  0  sainte  Bathilde,  je  vous  rends  grâces  de  ce  que  vous  m'avez  rendu 
la  vie  !  » 

L'abbesse  supplia  l'évèque  de  Paris,  Erchenrad,  de  venir  à  Chelles,  pour  disposer  des  reliques  que 
chacun  voulait  cuiporler,  et  pour  faire  un  procès-verbal  des  miracles  qui  s'y  faisaient.  Cependant 
nn  homme,  nommé  Baudran,  qui  n'avait  jamais  eu  l'usage  de  ses  jambes  et  ne  marchait  que  sur  ses 
genoux,  ayant  appris  ce  qui  se  passait,  et  voulant  participer  aux  bienfaits  de  la  Sainte,  se  fit  porter 
à  l'église  ;  y  ayant  fait  sa  prière,  il  se  sentit  guéri  et  commença  à  marcher  devant  tout  le  monde. 
L'histoire  porte  aussi  que  les  démons  furent  chassés  des  corps  des  possédés  et  que  toutes  sortes 
d'autres  miracles  furent  faits  à  son  tombeau. 

L'évèque  étant  arrivé,  et  toutes  choses  étant  disposées  selon  son  ordre,  il  Et  transporter  le  saint 
corps  avec  honneur,  et  ordonna  qu'il  fût  enfermé  dans  une  chùsse.  Il  reposait,  avant  93,  sur  le 
maitre-autel  de  l'abbaye,  ayant  à  ses  cotés,  d'une  part  saint  Genêt,  évéque  de  Lyon,  son  auniOnier; 

1,  Bist.  de  saint  Léger,  par  Dom  Pitra,  liS, 


128  30  JA^vuiR. 

et,  de  l'autre,  sainte  Berthille,  première  abbesse  de  ce  monastère,  outre  sa  petite  filleule  Radegonde, 
que  Dieu  avait  retirée  de  ce  monde  à  son  instante  prière,  ainsi  qu'il  a  été  dit  ;  mais  son  saint  chef 
avait  été  mis  à  part  dans  un  reliquaire  d'argent. 

L'an  1631,  celte  châsse  de  sainte  Balhilde  ayant  été  descendue  et  ouverte  pour  quelque  occasion 
solennelle,  sii  religieuses  de  la  même  abbaye,  tourmentées  depuis  trois  ans  par  d'étranges  convulsions, 
furent  toutes,  en  un  moment,  délivrées  lorsqu'on  leur  appliqua  les  reliques  de  cette  sainte  reine; 
ce  fait  étant  reconnu  pour  un  vrai  miracle,  Jean-François  de  Gondy,  premier  archevêque  de  Paris, 
consentit  qu'on  en  fit  la  publication  et  donna  permission  aux  religieuses  d'en  faire  mémoire  en 
l'office  divin  au  même  jour  que  cette  merveille  arriva,  c'est-i-dire  le  3  juillet. 

Renseignements  fournis  par  M.  Torchet,  curé  de  Clielles  (30  août  1SC2).  —  1.  Monastère.  — 
Du  monastère  de  Chelles,  autrefois  si  célèbre  et  si  vaste,  il  ne  reste  plus  aujourd'hui  que  quelques 
débris  qui  ont  subi  bien  des  transformations  :  1°  Le  pavillon  abbatial  servant  d'habitation  au  pro- 
priétaire de  la  majeure  partie  de  l'immense  enclos  du  couvent.  Point  d'architecture  remarquable.  — 
La  pierre  de  taille  de  bas  en  haut  sans  style.  —  Rien  à  l'intérieur  digne  d'être  signalé,  sauf  quel- 
ques restes  de  décors  ;  2°  Quelques  portions  de  l'ancienne  construction  bitie  pour  les  cellules  des 
religieuses,  et  actuellement  occupée  par  plusieurs  habitants  de  la  ville  ;  enfin  3°  La  ferme,  avec 
son  remarquable  pigeonnier,  contenant  deux  mille  chambres  et  ses  immenses  bâtiments  qui  en  fout 
une  ferme  modèle. 

II.  Eglise.  —  Il  n'y  a  jamais  eu  à  Chelles  d'église  ni  de  chapelle  sous  le  vocable  de  sainte 
Bathilde.  11  y  avait  autrefois  trois  églises  à  Chelles  :  Saint-.\ni]ré,  première  paroisse  ;  Saint-Georges, 
deu.\ième  paroisse,  desservie  par  les  Bénédictins  attachés  à  l'abbaye  ;  troisième,  Notre-Dame,  primi- 
tivement Sainte-Croix,  bâtie  sur  le  tombeau  de  sainte  Bathilde,  église  abbatiale.  Cette  dernière  fai- 
sait l'admiration  de  tous  les  connaisseurs;  aujourd'hui,  il  ne  reste  plus  pierre  sur  pierre.  11  y  a 
quelques  années,  on  en  voyait  encore  certains  vestiges  :  une  auberge  avait  été  construite  dans  une 
partie  du  sanctuaire  ;  le  marteau  démolisseur  a  achevé  son  œuvre  ;  tout  a  disparu  pour  faire  place, 
cette  année,  à  un  élégant  hôtel  de  ville.  Saint-Georges  a  été  également  détruit  ;  il  ne  reste  plus  pour 
église  paroissiale  que  l'église  Saint-.\ndré,  située  à  l'extrémité  de  la  ville  sur  un  monticule.  Le 
chœur  et  le  sanctuaire  du  maitre-autel  el  de  la  chapelle  de  la  sainte  Vierge  sont  du  xvp  siècle;  la 
chapelle  de  Saint-Roch  est  du  xiii°  et  les  trois  nefs  du  svii",  plein  cintre  reposant  sur  des  piliers 
ronds. 

III.  Reliques.  —  Les  reliques  de  sainte  Bathilde  sont  conservées  avec  une  grande  vénération; 
elles  ont  été  sauvées  des  fureurs  révolutionnaires  par  la  piété  des  Chellois.  Quand  les  Vandales  répu- 
blicains firent  le  pillage  du  monastère,  les  habitants  se  portèrent  en  foule  à  l'église  de  l'abbaye, 
s'emparèrent  des  reliques  et  les  transportèrenlà  l'église  de  Saint-André.  Cette  église  a  été  tour  à 
tour  club  révolutionnaire  et  grenier  à  foin  :  mais  malheur  à  qui  aurait  osé  mettre  une  main  sacrilège 
sur  la  châsse  !  Nous  possédons  le  corps  entier  de  sainte  Bathilde,  sauf  quelques  portions  extraites 
à  différentes  époques  et  conservées  religieusement  dans  la  chapelle  de  Pie  IX,  à  Rome,  dans  la 
cathédrale  de  Meaux  et  dans  l'église  abbatiale  de  Jouarre. 

IV.  Culte.  —  Sainte  Bathilde  est  honorée  à  Chelles  avec  un  religieux  respect.  Sa  fête  est  célé- 
brée, par  un  privilège  et  selon  le  calendrier  de  l'abbaye,  le  30  janvier,  tandis  que,  dans  le  diocèse 
comme  à  Borne,  la  fête  est  le  26  du  même  mois.  L'affluence  des  fidèles  est  très-considérable  ;  les 
malades  invoquent  la  bienheureuse  sainte  Bathilde  ;  on  lui  fait  des  neuvaines.  La  fontaine,  qui 
fournil  de  l'eau  à  tous  les  particuliers,  est  appelée  fontaine  de  sainte  Bathilde  ;  elle  se  trouve  juste 
au  centre  du  pays.  On  dit  que  sainte  Balhilde  la  fit  couler  par  miracle,  en  frappant  le  sol  d'une 
baguette.  Cette  fontaine  n'a  jamais  tari;  dans  une  grande  sécheresse,  pour  la  curer,  douze  hommes 
ont  été  mis  à  l'œuvre  :  ils  n'ont  pu  réussir  qu'à  opérer  une  baisse  de  trois  pouces.  Il  a  fallu  y 
renoncer. 

Le  deuxième  dimanche  de  juillet,  on  fait  une  procession  solennelle  des  reliques,  tant  de  saints 
Bathilde  que  des  autres  saints.  C'est  la  fête  du  pays. 

L'égliie  de  Corbie  possédait  plusieurs  reliques  de  sainte  Bathilde,  mais  elles  ont  dispam  à  la 
Révolution.  On  en  conserve  de  peu  importantes  à  Bray-snr-Somme  et  à  .Mailly. 

Outre  le  Ptïrc  Gir^  que  nous  avons  repro<lait  en  grands  partie,  à  cause  de  ce  ton  de  pîété  snave  qui 
est  comme  inc:\rnéc  dans  son  style  et  qu'il  est  impossible  de  s'approprier,  nous  avons  emprunta  divers 
fragments  aux  ouvrages  solvants  :  Vie  di  sainte  Berthe  de  Blangy,  par  le  R.  Bion,  prêtre  de  la  Miséri- 
corde ;  Vies  des  Saints  de  Béarnais,  par  II.  l'abbé  Sabatier  ;  Vie  du  saint  Léger,  par  Dom  Pitra. 


SAINTE  ALDEGOXDE,  VIERGE  ET  PATRONNE  DE  MACBEUGE.  129 


SAINTE  ALDEGONDE,  VIERGE 

ET  PATRONNE  DE  MAUBEUGE 
689.  _  Pape  :  Sergius  l'<:  —  Roi  de  Fiance  :  Thierry  III. 


A  la  suite  de  sainte  Bathilde,  qui  est  venue  de  la  Saxe  anglaise,  comme 
une  belle  rosée,  orner  les  lis  de  la  France,  voici  fort  à  propos  une  nouvelle 
fleur  qui  sort  de  ces  mêmes  lis,  pour  servir  au  diadème  du  Roi  des  cieux. 
C'est  la  très-illustre  sainte  Aldegonde,  qui  eut  pour  père  le  prince  Walbert, 
issu  en  droite  ligne  des  premiers  rois  de  France,  et  pour  mère  la  princesse 
Berthille,  qui,  selon  quelques-uns,  était  fille  de  Bertaire,  roi  de  Thuringe. 
Le  mariage  de  ces  deux  illustres  personnes  fut  béni  du  ciel  par  la  naissance 
de  deux  filles  :  l'aînée,  qui  s'appelait  Waldetrude,  ou  Vautrude,  occupera 
aussi  très-dignement  sa  place  dans  ce  recueil  de  la  Vie  des  Saints  ;  et  la 
cadette,  qui  fut  nommée  Aldegonde,  naquit  dans  un  bourg  de  Hainaut,  au 
Pays-Bas,  l'an  630,  sous  le  règne  de  Dagobert  I". 

Dieu  fit  paraître  de  bonne  heure  qu'il  entreprenait  lui-même  la  direc- 
tion de  cette  sainte  fille,  lui  envoyant  exprès  l'apôtre  saint  Pierre  pour 
l'instruire  de  ce  qu'elle  devait  faire  pour  la  bonne  conduite  de  sa  vie;  elle 
fut  aussi  souvent  consolée  par  la  visite  des  Anges,  et  même  par  celle  du  roi 
des  Anges,  qui,  dès  lors,  la  choisissait  pour  sa  chère  épouse. 

Ses  parents,  qui  avaient  d'autres  vues  sur  sa  personne,  s'efforcèrent,  par 
toutes  sortes  de  moyens,  de  l'engager  dans  le  monde  ;  et  il  arriva  fort  à 
propos,  pour  leur  dessein,  qu'elle  leur  fut  demandée  en  mariage  pour  le 
fils  d'un  prince  anglais  nommé  Eudon.  Aldegonde  fut  extrêmement  embar- 
rassée, parce  qu'elle  appréhendait  de  fâcher  ceux  qu'elle  honorait  comme 
représentant  la  personne  de  Dieu  sur  la  terre.  Cependant,  prenant  courage, 
elle  fit  entendre  généreusement  à  sa  mère  qu'elle  ne  voulait  point  avoir  d'autre 
époux  que  le  Fils  unique  de  Dieu.  Cette  réponse  ne  plut  pas  à  ses  parents. 
Son  père  usa  donc  de  son  autorité  et,  sans  avoir  égard  aux  inclinations  de 
sa  fille,  il  la  promit  au  jeune  prince  anglais,  et  commanda  en  même  temps 
à  la  jeune  princesse  de  se  mettre  en  état  de  le  recevoir.  La  pauvre  fille,  fort 
surprise,  supplia  sa  mère  de  lui  donner  du  moins  quelques  jours  pour  se 
résoudre,  puisque,  dans  cette  affaire,  il  y  allait  du  repos  de  toute  sa  vie  et 
du  salut  de  son  âme.  Cela  lui  fut  accordé,  quoiqu'à  regret,  parce  que  ses 
parents  voyaient  bien  que  tous  ces  délais  ne  tendaient  enfin  qu'à  une 
entière  rupture.  Le  terme  expiré,  Aldegonde,  ne  sachant  plus  que  faire 
pour  reculer,  eut  recours  à  son  Epoux  céleste,  qui,  fortifiant  son  courage 
d'une  sainte  résolution  (comme  autrefois  il  remplissait  de  constance  les 
vierges  martyres  au  milieu  des  tourments),  lui  inspira  de  prendre  la  fuite. 
Elle  se  déroba  donc,  à  la  faveur  de  la  nuit,  des  mains  de  sa  gouvernante  ; 
et,  gagnant  au  travers  des  forêts,  elle  prit  les  sentiers  les  moins  fréquentés, 
jusqu'à  ce  qu'elle  fût  arrivée  sur  les  bords  de  la  rivière  de  Sambre.  Comme 
elle  ne  trouva  point  de  bateau  pour  la  passer,  et  qu'elle  appréhendait  d'être 
poursuivie,  elle  implora  de  nouveau  le  secours  du  ciel  et  la  main  du  Tout- 
Puissant,  afin  qu'il  la  prît  sous  sa  protection  et  ne  souffrît  pas  que  le  courant 
Vies  des  Saints,  —  Tome  II,  '' 


130  30  JANVIER. 

de  cette  rivière  arrêtât  un  moment  le  succès  de  sa  généreuse  entreprise.  Sa 
prière  fut  exaucée,  et  Dieu  envoj'a  deuxesprits  célestes  qui,  soulevant  visible- 
ment cette  princesse  toute  angélique,  la  passèrent  légèrement  à  l'autre  bord 
de  ce  fleuve,  sans  même  qu'elle  se  mouillât  les  pieds  ;  puis  les  Anges  dispa- 
rurent aussitôt,  et  Aldegonde  fut  inondée  de  consolation  i\  la  vue  de  ces 
merveUles  de  son  Dieu.  Ensuite  elle  se  retira  dans  une  forêt,  où  elle  fit  une 
petite  chapelle,  résolue  de  ne  point  quitter  ce  lieu  que  ses  parents  ne  lui 
promissent  de  ne  plus  lui  parler  de  mariage.  Le  seigneur  Walbert  et  la 
princesse  Berthille,  reconnaissant  par  là  la  volonté  de  Dieu  sur  leur  fille,  et 
certains  qu'ils  ne  gagneraient  rien  sur  son  esprit,  consentirent  enfin  à  ce 
qu'elle  gardât  sa  virginité. 

Mais  quelque  temps  après,  l'un  et  l'autre  étant  décédés,  notre  Sainte  se 
vit  plus  pressée  que  jamais  par  ses  parents  et  ses  amis  d'épouser  le  jeune 
prince  d'Angleterre,  dont  ils  jugeaient  l'alliance  très-avantageuse.  Que  fera 
donc  l'innocente  Aldegonde,  entre  les  mains  de  tant  de  gens  qui  veulent  lui 
ravir  sa  liberté?  Comment  se  délivrera-t-elle  des  pouisuites  d'Eudon,  qui, 
pour  la  gagner  et  l'obliger  de  correspondre  à  l'afl'ection  qu'il  lui  témoigne, 
emploie  toutes  les  adresses  de  l'art  et  de  la  nature  ?  Elle  prit  une  seconde 
fois  la  fuite,  et  demeura  quelques  jours  cacbée  dans  un  bois,  jusqu'à  ce 
qu'elle  apprit  que  saint  Amand,  évêque  de  Maëstricht,  et  saint  Aubert, 
évêque  de  Cambrai,  étaient  pour  lors  au  monastère  de  Hautmont,  en  Hai- 
naut,  où  le  B.  Vincent,  mari  de  sainte  Vautrude,  sa  sœur  aînée,  s'était  fait 
religieux  ;  elle  résolut  de  les  y  aller  trouver,  afin  de  les  consulter  sur  l'af- 
faire présente.  Elle  s'y  rendit  nu-pieds,  comme  une  pénitente,  par  respect 
pour  leur  caractère  sacré  ;  et,  après  les  avoir  informés  de  l'état  de  sa  voca- 
tion, des  poursuites  de  ses  parents  et  de  la  recherche  du  prince  qui  la 
demandait  en  mariage,  elle  les  supplia  de  l'assister,  afin  qu'elle  ne  fût  pas 
contrainte  de  se  donner  à  un  homme  mortel,  après  s'être  engagée  par  pro- 
messe à  Jésus-Christ.  Ces  saints  prélats  approuvèrent  le  dessein  d'Aldegonde, 
et,  reconnaissant  bien  que  tout  cela  était  un  coup  de  la  main  du  Très-Haut, 
ils  jugirent  à  propos  de  lui  donner,  en  ce  même  lieu,  le  voile  sacré  de  vir- 
ginité. Comme  on  était  sur  le  point  de  faire  cette  sainte  cérémonie,  il  arriva 
une  grande  merveille.  Tous  les  habits  nécessaires  à  la  vêture  étant  disposés 
sur  l'autel  de  saint  Vaast,  une  colombe  parut  visiblement  en  l'air,  et,  vol- 
tigeant sur  cet  autel,  prit  de  son  bec  le  voile  qui  était  préparé  ;  et,  l'ayant 
quelque  peu  élevé,  elle  le  laissa  tomber  directement  sur  la  tète  de  cette 
sainte  fille.  Chacun  demeura  ravi  d'une  marque  si  extraordinaire  par 
laquelle  Dieu  faisait  voir  évidemment  qu'il  approuvait  l'offrande  et  le  sacri- 
fice que  la  jeune  princesse  faisait  de  sa  personne  ;  quant  à  elle,  elle  demeura 
extrêmement  satisfaite  de  se  voir  arrivée  avec  tant  de  facilité  au  comble  de 
ses  désirs. 

Après  cette  sainte  action,  Aldegonde  se  retira,  de  l'avis  des  mêmes  saints 
Prélats,  dans  le  lieu  solitaire  où  elle  s'était  cachée  et  qu'elle  appela  Mau- 
beuge  ;  et,  se  servant  des  grands  biens  qui  lui  étaient  échus  par  le  décès  de 
ses  parents,  elle  y  fit  bâtir  trois  églises,  par  allusion  au  nombre  des  personnes 
de  la  très-sainte  Trinité  :  la  première  fut  dédiée  à  l'honneur  de  la  Reine  des 
Anges,  la  seconde  à  l'honneur  de  saint  Quentin  martyr,  et  la  troisième  à 
l'honneur  des  princes  des  Apôtres,  saint  Pierre  et  saint  Paul.  Ensuite,  cette 
vertueuse  princesse,  pour  honorer  la  mémoire  de  son  père  et  de  sa  mère,  fit 
enrichir  de  très-beaux  bâtiments  le  lieu  de  leur  sépulture,  à  Coursolre,  et  y 
fit  une  fondation  pour  l'entretien  de  douze  religieuses  à  perpétuité.  Quand 
elle  fut  retirée  en  son  désert  de  Maubeuge,  sa  sœur  Vautrude  l'y  alla  visiter 


SAINTE  AIDEGONDE,   VIERGE  ET  PATRONNE  DE   MAUBEUGE.  131 

et  lui  laissa  ses  deux  filles,  Aldetrude  et  Maldebette,  afin  qu'elle  les  élevât 
dans  la  voie  de  la  perfection  ;  elle  y  réussit  si  heureusement,  que  ses  nièces, 
l'ayant  imitée,  lui  succédèrent  en  son  abbaye,  où  elles  attirèrent  après  elles 
un  grand  nombre  de  filles,  pour  y  vivre  religieusement,  et  devinrent  enfin 
l'une  et  l'autre  de  très- grandes  Saintes. 

Mais,  pour  revenir  à  Aldegonde,  le  plan  de  ses  bâtiments  étant  achevé, 
elle  fit  consacrer  les  églises  et  assura  un  revenu  suffisant  pour  la  subsistance 
des  chanoines  et  des  filles  chanoinesses  qu'elle  avait  fondées;  c'est  pourquoi 
elle  voulut  en  passer  les  actes  nécessaires,  en  présence  de  plusieurs  grands 
personnages,  sous  l'autorité  de  saint  Aubert,  évoque  de  Cambrai,  qui  em- 
ploya môme  son  crédit  pour  faire  approuver  ces  établissenaentspar  le  Saint- 
Siège.  A  la  suite  de  cela,  elle  ne  pensa  plus  qu'à  la  conduite  de  ses  chères 
chanoinesses.  Elle  commença  par  donner  des  exemples  très-rares  de  toutes 
sortes  de  vertus,  et  ces  exemples  furent  confirmés  par  plusieurs  actions 
miraculeuses,  qu'il  est  aisé  de  voir  en  sa  vie,  soigneusement  écrite  par  les 
PP.  Etienne  Binet  et  André  Triquet,  l'un  et  l'autre  de  la  compagnie  de 
Jésus,  et  auparavant  par  le  P.  Basile  de  Vatonne,  capucin. 

Cependant,  comme  il  n'y  a  point  de  lieu  si  sacré,  ni  de  compagnie  si 
sainte  où  la  détraction  ne  trouve  entrée,  ni  de  vertu  si  éminente  qui  ne  soit 
sujette  à  la  censure  des  langues  médisantes,  quelques  libertins  eurent  là 
malice  de  calomnier  cette  sainte  vierge,  et  s'efforcèrent  même  de  lui  faire 
ressentir  les  effets  de  leur  méchante  volonté.  Mais  tout  cela  c'était  battre  un 
rocher  que  les  flots  et  l'écume  des  vagues  ne  sont  pas  capables  d'ébranler  ; 
car  la  sainte  abbesse,  jetant  les  yeux  sur  son  céleste  Epoux  Jésus-Christ,  s'es- 
timait d'autant  plus  heureuse,  qu'elle  se  voyait  méprisée  par  les  hommes  ; 
dans  cette  conduite,  Notre-Seigneur  même  la  confirma,  lui  faisant  con- 
naître que  les  mépris,  regardés  avec  égalité  d'esprit,  étaient  le  grand  chemin 
par  où  tous  les  Saints,  après  le  Saint  des  Saints,  avaient  marché. 

Aldegonde  ayant  passé  sa  vie  dans  une  très-éminente  sainteté.  Dieu,  par 
une  faveur  qu  il  ne  fait  ordinairement  qu'à  ses  bien-aimés,  lui  fît  connaître 
le  temps  de  sa  mort.  Comme  elle  était  en  prières  dans  l'église,  à  l'heure  du 
décès  de  saint  Amand,  elle  aperçut,  dans  un  ravissement  d'esprit,  un  véné- 
rable vieillard,  revêtu  d'habits  pontificaux  et  environné  de  gloire,  qui  mon- 
tait au  ciel,  suivi  d'un  très-grand  nombre  d'esprits  bienheureux.  La  Sainte 
considérait  attentivement  la  pompe  de  ce  triomphe  ;  et  désirant  savoir  ce 
que  c'était,  elle  entendit  la  voix  d'un  ange  qui  lui  dit  :  «  C'est  l'évêque 
Amand,  dont  vous  avez  chéri  les  vertus  et  le  mérite  pendant  sa  vie  ».  Alde- 
gonde ayant  déclaré  cette  vision  au  B.  Guislin,  qui  l'était  venu  visiter,  il  lui 
dit  que  c'était  un  présage  évident  de  sa  mort  prochaine.  Elle  n'en  fut  nulle- 
ment surprise  ;  mais,  se  soumettant  au  bon  plaisir  de  Dieu,  elle  remercia  le 
Saint  de  ce  qu'il  lui  annonçait  une  si  agréable  nouvelle. 

Une  autre  vision,  quoique  bien  différente,  ne  la  consola  pas  moins  ;  Dieu 
lui  fit  voir  l'ennemi  du  genre  humain,  sous  une  figure  épouvantable,  et  qui 
paraissait  extrêmement  triste  ;  la  Sainte  lui  en  ayant  demandé  raison,  il 
répondit  :  «  Que  son  plus  sensible  déplaisir  venait  de  ce  qu'il  voyait  chaque 
jour  les  hommes  monter  au  ciel,  d'où  il  était  banni  ».  Ces  paroles  du  démon, 
qui,  forcé  par  la  vérité,  avouait  le  sujet  de  sa  rage,  embrasèrent  d'autant 
plus  le  désir  d'Aldegonde,  de  sortir  de  ce  monde  parfaitement  purifiée,  afin 
qu'à  l'heure  de  la  mort  elle  n'eût  rien  qui  pût  la  retarder  de  jouir  de  la  pré- 
sence de  son  bien-aimé.  Elle  le  demanda  instamment  à  Notre-Seigneur,  et 
l'obtint  enfin  de  sa  miséricorde  ;  car,  pour  achever  d'épurer  sa  vertu,  il 
permit  qu'un  cancer  se  formât  sur  sa  mamelle  droite  ;  ce  qu'elle  suppurta 


132  30  JANVIER. 

avec  beaucoup  de  patience  et  avec  de  grands  témoignages  de  joie,  louant  et 
bénissant  continuellement  Dieu  de  ce  qu'il  lui  plaisait  de  la  visiter  par  des 
châtiments,  qu'elle  confessait  être  dus  à  ses  offenses  et  à  son  manque  de 
dévotion. 

L'esprit  de  ténèbres,  ne  pouvant  souffrir  une  telle  sainteté,  fit  tout  son 
possible  pour  la  troubler  et  pour  la  faire  tomber  en  quelque  impatience  ; 
mais,  bien  loin  de  réussir,  il  ne  faisait  que  jeter  les  rets  devant  les  yeux  de 
celle  qui  avait  des  ailes  de  colombe  pour  se  sauver,  selon  l'expression  de 
l'Ecriture,  dans  les  trous  de  la  pierre  et  dans  les  plaies  du  crucifix,  où  était 
son  asile  ;  elle  se  tourna  vers  ce  monstre,  qui  se  vantait  de  lui  avoir  excité 
une  soif  très-ardente,  dans  un  accès  de  fièvre,  et  la  menaçait  de  lui  susciter 
encore  de  plus  grands  maux  ;  et,  sans  vouloir  d'autre  remède  que  celui  de 
la  prière,  elle  lui  dit  d'un  accent  tout  plein  de  feu  :  «  Le  Seigneur  est  mon 
aide,  je  ne  crains  point  tes  menaces  »  ;  ce  qui  remplit  l'ennemi  de  confu- 
sion, et  l'obligea  de  se  retirer  avec  honte. 

Ce  fut  à  la  vérité  un  orage,  mais  qui  fut  bientôt  suivi  d'un  calme  très- 
grand,  parce  que  la  Sainte  se  vit  en  même  temps  invitée  par  Notre-Seigneur 
à  demander  la  persévérance  en  son  amour  ;  et  un  prêtre,  qui  paraissait  en 
la  même  vision,  lui  faisait  signe  que  Jésus- Christ  lui  accordait  sa  demande. 
Enfin,  pour  une  troisième  consolation,  il  lui  semblait  voir  l'apôtre  saint 
Pierre,  qui  lui  apportait  un  pain  d'une  blancheur  admirable,  qu'elle  recevait 
très-joyeusement  de  sa  main. 

Un  enfant  malade  et  hors  d'espérance  de  guérison  lui  fut  présenté  ;  elle 
le  fit  porter  au  coin  de  l'autel,  oîi,  à  l'heure  même,  il  recouvra  la  santé  ;  et, 
comme  chacun  admirait  cette  merveille,  la  Sainte  assura  que  c'était  l'en- 
droit où  elle  avait  vu  Notre-Seigneur.  Un  homme  insensé  lui  fut  aussi 
amené,  qui  n'était  pas  moins  en  danger  de  sa  vie  ;  et  il  fut  guéri  de  corps  et 
d'esprit,  aussitôt  que  la  sainte  malade  eut  fait  le  signe  de  la  croix  sur  lui.  Nous 
passons  sous  silence  plusieurs  autres  merveilles,  visions  et  apparitions  ;  soit 
qu'elles  aient  été  faites  à  elle-même,  ou  à  d'autres  en  sa  considération  :  telle 
fut  particulièrement  celle  d'un  globe  de  feu,  qui  parut  descendre  du  ciel  sur 
sa  tête  ;  et  celle  de  Notre-Seigneur  avec  une  troupe  d'esprits  célestes  qu'un 
saint  personnage  vit  autour  delà  malade;  nous  laissons,  dis-je,  toutes  ces  mer- 
veilles, afin  de  venir  à  la  dernière  de  toutes,  qui  commença  trois  jours  avant 
sa  mort,  et  ne  cessa  point  jusqu'au  dernier  moment  de  sa  vie:  ce  fut  une 
splendeur  et  une  clarté  admirables,  qui,  paraissant  dans  le  lieu  où  était  la 
Sainte,  rejaillissaient  sur  le  lit  où  elle  était  couchée.  Tous  ceux  qui  étaient 
présents,  et  particulièrement  sainte  Vautrude,  qui  avait  quitté  sa  maison, 
pour  voir  sa  sœur  malade,  demeurèrent  dans  l'étonnement  ;  bientôt  l'on  vit 
cette  lumière  remonter  vers  le  ciel,  au  moment  où  la  belle  âme  d'Alde- 
gonde  sortit  de  son  corps  d'une  façon  si  paisible,  que  l'on  put  à  peine  s'en 
apercevoir  :  ce  fut  vers  l'an  689,  quoiqu'il  y  ait  là-dessus  plusieurs  opi- 
nions, fondées  sur  le  temps  de  la  mort  de  saint  Amand,  dont  nous  parlerons 
en  sa  propre  vie,  le  6  février. 

Une  ancienne  peinture  la  représente  avec  le  voile  de  vierge,  un  manteau 
violet  semé  de  fleurs,  une  robe  rouge  et  une  tunique  blanche;  ce  qui  indique 
une  chanoinesse. 

Les  faits  merveilleux  qui  remplissent  la  vie  de  sainte  Aldegonde  font 
conjecturer  les  autres  manières  dont  elle  a  été  représentée,  sans  que  nous 
ayons  besoin  de  les  énumérer  de  nouveau. 

On  l'invoque  contre  le  cancer. 


S4IUT  ALEA.DME,  MOINE  DE  LA  CHAISE-DIEU.  133 

RELIQUES  DE  SAINTE  ALDEGONDE. 

Son  saint  corps  fut  premièrement  inhumé  dans  le  tombeau  de  ses  parents,  à  Cousolre  ;  peu  de 
temps  après,  sa  nièce,  sainte  Aldetrude,  le  fit  transporter  en  sa  maison  de  Maubeuge,  où  Dieu  a 
fait  plusieurs  miracles,  pour  preuve  de  sa  gloire  dans  le  ciel. 

A  Cousolre  et  à  Ilauraont,  il  n'en  reste  plus  aucun  vestige,  sinon  des  souvenirs  traditionnels  de 
la  maison  natale  de  sainte  Aldegonde,  et  de  l'église  abbatiale  où  elle  se  consacra  à  Dieu. 

Sur  le  flanc  d'un  coteau  qui  domine  Maubeuge,  au  milieu  d'un  de  ses  faubourgs,  qui  doit  son 
nom  à  sainte  Aldegonde,  se  voit  encore  la  fontaine  qui  apaisa  miraculeusement  sa  soif.  Jamais  ses 
eanx  n'ont  tari.  A  côté  de  celte  fontaine  s'élève  une  petite  chapelle  qui  remplaça,  en  1S08,  celle 
qui  fut  détruite  pendant  la  Révolution  française.  Peu  de  jours  se  passent  sans  qu'elle  reçoive  quel- 
que pèlerin. 

A  qnelques  pas  et  vis-à-vis  coule  la  rivière  qu'Aldegonde  franchit  i  pied  sec,  soutenue  par 
deni  Anges  qui  la  transportèrent  à  l'antre  bord.  Sa  largeur,  sans  parler  de  sa  profondeur,  qui  est 
assez  considérable,  n'a  pas  moins  de  quatre  à  cinq  mètres.  C'est  en  mémoire  de  ce  passage,  natu- 
rellement impossible  à  une  jeune  fille  de  quatorze  ans,  que,  chaque  année,  lorsque  la  procession, 
dite  de  Sainte-Aldegonde,  est  arrivée  en  vue  de  la  Sambre,  le  clergé  chante  le  cantique  de  recon- 
naissance des  Hébreux,  sortis  miraculeusement  de  la  mer  Rouge. 

Le  monastère  que  sainte  Aldegonde  fonda  à  Maubeuge,  et  qui  fut  l'origine  de  cette  ville,  plu- 
sieurs fois  ruiné  et  réédifié,  a  été  détruit  pendant  la  Révolution  française,  ainsi  que  l'église  dn 
chapitre.  Mais  ce  que  contenait  de  plus  précieux  ce  chapitre  fut  sauvé  :  le  voile  qu'une  colombe 
déposa  sur  la  tète  de  sainte  Aldegonde  au  moment  de  sa  consécration,  transporté  dans  l'exil  en 
Allemagne,  par  une  chanoinesse,  fut  remis  par  M.  le  baron  Blondel  de  Bciregard,  en  1821,  à  M.  Be- 
venot,  curé  de  Maubeuge,  et  exposé  à  la  vénération  des  fidèles.  Peu  de  morceaux  d'orfèvrerie  sont 
comparables,  pour  la  beauté,  à  celui  qui  renferme  ce  voile. 

Les  ossements  sacrés  de  sainte  Aldegonde  perdirent,  le  21  janvier  1793,  leur  magnifique  reli- 
quaire, mais  ils  furent  religieusement  conservés,  et  l'authenticité  en  fut  reconnue  par  Mgr  Belmas, 
évêque  de  Cambrai,  le  26  juin  1808.  Au  siège  de  1815,  un  incendie  consuma  l'église  et  la  châsse, 
mais  sans  exercer  sur  ces  reliques  d'autre  action  que  de  leur  donner  une  teinte  bleuâtre.  Deux  fois 
l'année,  elles  sont  exposées  à  la  vénération  des  fidèles  :  le  30  janvier  et  le  dimanche  qui  suit  l'As- 
cension, jour  où  elles  sont  portées  solennellement  en  procession. 

Une  chapelle,  dans  l'église  actuelle  de  Maubeuge,  vient  d'être  consacrée  à  sainte  Aldegonde. 

Le  cardinal  Baronius  remarque  qu'il  y  a  encore  un  autre  sainte  Aldegonde,  vierge,  fille  de  saisi 
Basin,  lequel  était  aussi  du  sang  royal,  et  avait  fait  bâtir  trois  églises  en  Flandre,  sur  la  rivière  de 
la  Lys.  Comme  il  en  gardait  une,  dédiée  à  la  sainte  Vierge,  contre  l'invasion  des  Gentils,  il  fut 
martyrisé  et  inhumé  à  Drongben,  près  de  Gand,  au  même  lieu  où  il  y  eut  depuis  une  abbaye  de 
l'Ordre  des  Prémontrés  ;  c'est  là  que  cette  bienheureuse  avait  servi  Notre-Seigneur  dans  une  grande 
sainteté.  Son  corps  y  fut  aussi  enterré  auprès  de  celui  de  son  père,  saint  Basin.  On  fait  sa  fête  le 
20  juin,  et  celle  de  son  père  le  14. 

Les  Mart^Tologes  anciens,  particalièrement  le  Romain,  font  mémoire  de  sainte  Aldegonde  an  30  janvier. 
Les  renseignements  modernes  sont  tirés  de  la  Vie  de  samle  Aldegonde,  pnbliée  par  M.  l'abbé  Oelbos. 


SAINT  ALEAUME  ' 

MOINE  DE  LA  CHAISE-DIED,  ABBÉ  DE  SAINT-JEAN  DE  BDRGOS,  EN  ESPAGNE 


Saint  Aleaume,  qui  vivait  au  xi°  siècle,  était  fils  d'un  seigneur  de  Lou- 
dun,  en  Poitou.  Ses  parents  l'appliquèrent  dès  ses  plus  tendres  années  aux 
études  et  bientôt  aux  armes.  Après  leur  mort,  il  distribua  tous  ses  biens  aux 
pauvres,  sortit  secrètement  de  son  pays,  accompagné  d'un  seul  valet,  et, 
étant  entré  sur  les  terres  de  l'Auvergne,  il  prit  l'habit  de  son  domestique, 
lui  donna  le  sien  avec  ce  qu'il  pouvait  avoir  pour  le  récompenser,  et  conti- 
nua son  chemin  en  mendiant  son  pain.  II  se  proposait  d'aller  à  Rome.  A 

1.  Go  Adelelme  ;  —  en  espagnol,  saint  Elesme,  saint  Olesme,  ou  saint  Lesmez. 


134  30    JANVIER. 

Issoire,  il  reçut  duB.  Robert,  premier  abbé  de  la  Chaise-Dieu,  de  belles  ins- 
tructions pour  bien  régler  sa  vie  et  lui  promit  do  se  retirer  dans  son  monas- 
tère dès  qu'il  serait  de  retour.  Robert  lui  ayant  exposé  que  souvent  le  voyage 
de  Rome  n'était  qu'un  prétexte  de  dissipation  ou  un  but  de  curiosité,  notre 
Saint,  pour  être  sûr  de  le  faire,  lui,  en  vrai  pèlerin,  s'astreignit  aux  plus 
rudes  austérités.  La  terre  nue  était  son  lit,  une  pierre  son  chevet,  et  les  au- 
mônes sa  nourriture  ;  il  refusait  l'argent  qu'on  lui  donnait,  pour  n'avoir  pas 
occasion  de  penser  au  lendemain.  11  employa  trois  ans  à  ce  voyage,  pendant 
lesquels  il  demeurait  souvent  plusieurs  jours  sans  manger,  visitant  conti- 
nuellement les  églises  et  les  lieux  saints,  et  sa  vie  toute  innocente  était  sou- 
vent suivie  de  miracles  sur  les  malades  qu'il  guérissait  au  nom  de  Jésus.  Il 
fit  sortir  du  corps  d'un  homme  un  serpent  qui  s'y  était  glissé  pendant  qu'il 
dormait  la  bouche  ouverte  ;  il  rendit  la  santé  à  une  femme  qui  avait  aux 
seins  une  maladie  regardée  comme  incurable. 

A  son  retour  de  Rome,  il  alla  droit  à  la  Chaise-Dieu.  Ses  austérités  et  les 
fatigues  du  voyage  l'avaient  tellement  défiguré,  que  Robert  fut  quelque 
temps  sans  le  reconnaître.  Quand  il  vit  enfin  que  c'était  ce  bienheureux  pè- 
lerin qu'il  avait  rencontré  et  béni  à  Issoire,  il  l'embrassa  avec  tendresse  et 
vénération  comme  un  martyr  de  la  pénitence  et  le  revêtit  de  l'habit  de 
Saint-Benoît.  Aleaume  fut  bientôt  regardé  dans  le  monastère  comme  un 
modèle  d'humilité,  de  mortification  et  d'obéissance.  Il  s'acquitta  en  saint 
de  la  charge  de  maître  des  novices  qu'on  lui  conféra. 

Il  fallut  faire  violence  à  son  humilité  pour  qu'il  reçût  la  prêtrise  ;  mais 
ayant  su  que  l'évèque  de  Clermont  (probablement  Etienne  de  Pohgnac),  qui 
l'avait  ordonné,  était  interdit  par  le  Pape  pour  cause  de  simonie,  il  s'abstint 
de  toute  fonction  sacerdotale  jusqu'à  ce  que  le  successeur  de  ce  prélat  l'eût 
réhabilité.  Je  laisse  à  d'autres  le  soin  de  décider  s'il  accepta  la  charge  d'abbé, 
et  à  qui  il  aurait  succédé.  Ce  sont  des  points  controversés.  Ce  qui  est  sûr, 
c'est  que  le  bruit  de  sa  sainteté  vola  jusqu'aux  pays  étrangers.  La  reine 
d'Angleterre,  attaquée  d'une  maladie  incurable,  l'envoya  supplier  de  lui 
envoyer  du  pain  bénit  de  sa  main.  Elle  en  obtint,  et  à  peine  en  eut-elle 
goûté  qu'elle  fut  guérie  :  il  lui  en  resta  pour  guérir  un  grand  nombre  de 
malades  de  son  royaume.  Aleaume  fit  beaucoup  d'autres  miracles,  changeant 
quelquefois  l'eau  en  vin,  guérissant  les  fièvres  avec  du  pain  qu'il  avait  bénit. 
Quelques  médisants  ayant  voulu  forger  des  calomnies  pour  noircir  son 
innocence,  ils  en  furent  miraculeusement  punis. 

Alphonse  VI,  roi  de  Castille  et  de  Léon,  entendant  parler  des  vertus  hé- 
roïques de  ce  grand  religieux,  désira  le  voir;  il  lui  fit  écrire  par  sa  femme, 
la  reine  Constance,  qui  pria  Aleaume  de  venir  purger  l'Espagne  des  erreurs 
du  mahométisme,  et  la  peupler  de  bons  religieux  capables  d'y  rétablir  le 
culte  de  Dieu.  Le  Saint,  se  soumettant  à  la  volonté  de  Dieu,  entreprit  ce 
voyage.  Arrivé  en  Espagne,  il  alla  trouver  le  roi,  qui  commandait  son  armée 
sur  les  bords  du  Tage,  en  Portugal.  Ce  prince  ne  savait  comment  passer  le 
fleuve,  à  cause  du  débordement,  et  il  le  fallait  pourtant  pour  combattre  les 
ennemis.  Saint  Aleaume,  pour  donner  courage  à  cette  armée  catholique, 
récita  le  verset  8  du  psaume  xix  :  «  Les  uns  implorent  la  multitude  de  leurs 
chars,  les  autres  la  force  de  leurs  coursiers,  et  nous,  nous  nous  souviendrons 
du  nom  de  notre  Dieu  »,  Puis  il  monta  sur  son  âne  et  passa  le  premier, 
traversant  le  fieuve  en  dépit  de  la  profondeur  et  de  la  rapidité  des  ondes. 
Tout  le  reste  de  l'armée  le  suivit  sans  qu'une  seule  personne  pérît.  Le  roi, 
ravi  d'aise  et  d'admiration,  se  jette  aux  pieds  du  Saint,  les  baise  et  le  prie 
de  choisir  une  retraite  dans  son  royaume.  Aleaume  ayant  accepté,  Alphonse 


SAEJT  PÉRÉGRrX,   DE   SICItE.  133 

lui  bâtit  aux  faubourgs  de  la  ville  de  Burgos  un  couvent  qu'il  dédia  à  saint 
Jean  l'Evangéliste,  avec  un  hôpital  pour  y  loger  les  pèlerins  de  Saint-Jac- 
ques, que  notre  Saint  servit  désormais  de  ses  propres  mains.  Il  acheva  là  le 
reste  de  ses  jours  en  prières,  abstinences  et  bonnes  œuvres,  accompagnées 
d'un  nombre  infini  de  miracles.  Plusieurs  personnes  embrassèrent  sous  lui 
la  règle  de  Saint-Benoît,  et  voulurent  qu'il  fût  abbé  de  leur  monastère,  qui 
dépendit  de  celui  de  la  Chaise-Dieu  jusqu'en  1436,  auquel  temps  il  en  fut 
démembré  pour  être  uni  à  celui  de  Saint-Benoît  de  Valladolid.  Saint  Aleaume 
mourut  aussi  saintement  qu'il  avait  vécu,  vers  l'an  HOO.  Son  corps  fut  en- 
terré dans  l'église  du  monastère  de  Saint-Jean.  Mais  l'an  1480,  il  fut  trans- 
porté hors  de  la  ville  de  Burgos,  dans  une  église  paroissiale  appelée  de  son 
nom,  Saint-Elesme,  où  la  dévotion  attire  une  foule  nombreuse.  La  ville  de 
Burgos  a  choisi  ce  Saint  pour  son  patron,  et  elle  célèbre  sa  fête  tous  les  ans, 
le  30  janvier,  avec  beaucoup  de  solennité. 

La  hache  qu'on  lui  met  en  main  annonce  qu'il  aida  saint  Robert  de  la 
Chaise-Dieu  à  défricher  les  forêts,  qui  peu  à  peu  firent  place  aux  construc- 
tions subséquentes  du  monastère. 


SALNT  ARMENTAIRE,  ÉVÊQUE  DE  PAVIE  (730). 

Les  actes  de  la  vie  de  saint  Armentaire  et  d'an  grand  nombre  d'autres  évêques  de  Payie  ont 
péri  par  suite  des  bouleversements  sans  nombre  dont  cette  malheureuse  ville  a  été  le  théâtre  : 
néanmoins  le  corps  du  saint  évêque  qui  nous  occupe  a  pu  échapper  à  la  dévastation  :  il  est  reli- 
gieusement conservé  dans  l'église  principale  de  la  \il\e,  et  chaque  année  on  fait  sa  fête  le  30  janvier. 

n  succéda  à  saint  Damien,  en  720,  et  siégea  i'ix  ans  environ. 

Son  occupation  principale  était  la  prière.  Il  aimait  à  répéter  ces  consolantes  paroles  : 

0  11  est  de  toute  impossibilité  qu'une  ebose  juste,  justement  demandée,  ne  nous  soit  pas  accordée. 

«  La  prière  est  plus  efficace  et  plus  puissante  qu'un  ordre  pour  obtenir  ce  que  nous  demandons. 

«  La  prière  éteint  la  violence  du  feu,  ferme  la  bouche  des  lions,  termine  les  guerres,  chasse  les 
démons,  les  maladies  et  les  orages,  brise  les  liens  de  la  mort,  détourne  de  nous  la  colère  de  Dieu 
et  tous  les  maux  ». 


SAINT  PÉRÉGRIN.  DE  SICILE  (1030-1098?), 

Saint  Pérégrin  est  célèbre  en  Sicile  pour  avoir  changé  en  pierre  le  pain  d'une  méchante  femme  qui 
avait  offensé  Dieu  dans  sa  personne.  Apôtre  et  patron  de  la  contrée  où  se  trouve  aujourd'hui  Calta- 
bellotta,  il  y  était  autrefois  l'obiet  d'un  très-grand  culte.  Deux  fois  par  an  les  soleouités  consacrées 
à  sa  mémoire  réunissaient  le  peuple  au  pied  des  autels,  le  30  janvier  et  le  18  août  :  le  premier  de 
ces  jours,  il  y  avait  suspension  de  tonte  espèce  de  travail.  La  tradition  seule,  du  temps  des  premiers 
BoUandistes,  avait  conservé  le  souvenir  de  saint  Pérégrin  :  elle  le  faisait  venir  de  Grèce  et  envoyer 
en  Sicile  par  le  Pape  pour  y  annoncer  l'Evangile,  à  une  époque  où  la  foi  renaissait,  ce  qu'il  faut 
probablement  entendre  de  l'expulsion  des  Sarrasins  par  Roger  de  Normandie  (1050-1098). 

Cf.  AA.  SS.,  t.  Hi  de  Janvier,  p.  6i6,  nonr.  ii. 


136  31   JANVIKR. 


SAINTE  SAMNE  DE  LODI  (3H). 

Sainte  Savine  était  une  pieuse  veuve  de  Lodi  qui  s'était  vouée  aa  service  des  martyrs  do  Sei- 
gneur :  elle  les  visitait  dans  leur  prison  et  leur  rendait  les  derniers  devoirs.  Saint  Nabor  et  saint  Félix 
étaient  deux  soldats  mis  à  mort  sous  Maximien  dont  elle  conduisit  le  corps  de  Lodi  à  Milan  dans  un 
jardin,  dit  le  Jardin  de  Philippe  qui  était  consacré  depuis  le  temps  des  Apùlres  à  la  sépulture  des 
martyrs.  Saint  Charles  Borromée  découvrit  les  restes  de  sainte  Savine  oubliés  depuis  longtemps  . 
il  en  prit  une  dent  qu'il  porta  toute  sa  vie  suspendue  à  son  cou  dans  un  reliquaire.  Les  dames  de 
Milan  avaient  autrefois  une  grande  dévotion  à  sainte  Savine,  pour  avoir  éprouvé  l'effet  de  sa  protection 
dans  des  maladies  propres  à  leur  sexe. 


XXXr  JOUR  DE  JANVIER 


MARTYROLOGE   ROMAIN. 

  Barcelone,  eu  Espagne,  saint  Pierre  Nolasque,  confesseur,  qui  s'endormit  dans  le  Seigneur,  le 
25  de  décembre.  4256.  —  A  Rome,  sur  la  voie  de  Porto,  les  saints  martyrs  Cyr  et  Jean,  qui, 
après  beaucoup  de  tourments  endurés  pour  le  nom  de  Jésus-Christ,  eurent  )a  tête  tranchée,  iv^s.— 
A  Alexandrie,  la  naissance  au  ciel  de  saint  Métran*,  martyr,  qui,  sous  l'empereur  Dèce  *,  ne  von- 

1.  On  l'appelle  aussi  Blétras.  Les  paroles  impies  dont  parle  le  Martyrologe  étaient  des  blaspbèmes 
contre  Notre -Seigneur  Jésus-Christ.  «  Ces  bêtes  féroces  de  l'empereur  Décîas  »,  dit  un  historien  ecclé- 
siastique (Nicéph.  Calliste),  «  voulaient  le  forcer  à  prononcer  contre  le  Christ  des  paroles  qui  allaient 
jusqu'oh  peuvent  aller  l'injure,  l'outrage  et  le  blasphème.  Puis,  le  trouvant  peu  obéissant,  ils  lui  déchi- 
rèrent tout  le  corps  U  coups  de  bâton,  lui  lacérèrent  le  visage  avec  des  roseaux  polntos,  lui  crevèrent  les 
yeux,  n'épargnant  pas  même  les  parties  intérieures  et  secrètes  de  son  corps,  et  enfin,  étant  à  bout  d'In- 
ventions barbares  et  de  guerre  lasse,  ils  l'écrasèrent  sous  un  monceau  de  pierres.  Saint  Denys,  évêque 
d'Alexandrie,  a  décrit  son  martyre  dans  une  lettre  qu'on  trouve  dans  VBistoire  d'Eusèbe,  liv.  vi,  ch.  34, 

2.  Après  la  mort  des  deux  Philippe,  le  père  et  le  fils,  empereurs  chrétiens,  qui  furent  tués  par  let 
soldats,  Décius,  révolté  contre  eux  et  déjà  reconnu  par  l'année,  demeura  seul  maître  de  l'empire  avec  son 
fils  Décius  Etruscus  qu'il  fit  César.  Se  piquant  de  réformer  les  désordres  introduits  sous  le  règne  de 
Philippe,  il  fit  exercer  une  cruelle  persécution  contre  les  chrétiens.  Saint  Cyprien  rapporte  qu'nn  des 
Saints  de  l'église  de  Carthage  en  avait  été  averti  dans  une  vision  longtemps  auparavant.  Le  saint  évoque 
attribuait  la  cause  de  cette  persécution  au  relâchement  des  chrétiens,  qui  venait  de  la  longue  paix  dont 
ils  avalent  joui.  L'édit  sanglant  de  la  septième  persécution  fat  publié  par  tont  l'empire,  intimant  aux 
gouverneurs  l'ordre  de  commencer  les  supplices  sans  retard  et  partout  à  la  fois.  Il  fut  tel,  que  saint 
Denys,  évêque  d'Alexandrie,  dit  qu'on  était  tenté  d'y  voir  l'accomplissement  de  la  prophétie,  que  ies 
élus  eux-mêmes  en  seraient  ébranlés,  si  c'était  possible  (Eusèbe,  Bist.^  liv.  vi,  ch.  34).  Saint  Jérôme  parle 
de  l'atrocité  de  cette  persécution  dans  la  vie  de  saint  Paul,  premier  ermite,  et  dans  les  écrivains  ecclé- 
■iastlques  an  sujet  d'Origène,  a  nsi  que  saint  Grégoire  de  Nysse,  dans  la  vie  de  saint  Grégoire  Thauma- 
turge. Elle  commença,  dit  Fleury,  avec  un  effort  terrible.  Tous  les  magistrats  n'étaient  occupés  qu'à 
chercher  les  chrétiens  et  à  les  punir.  Aux  menaces,  ils  joignaient  un  appareil  épouvantable  de  toutes 
sortes  de  supplices  :  des  épées.  des  feux,  des  bêtes  cruelles,  des  fosses,  des  chaises  de  fer  ardentes,  des 
chevalets  pour  étendre  les  corps  et  les  déchirer  avec  des  ongles  de  fer.  Chacun  s'étudiait  à  trouver 
quelque  nouvelle  invention.  Les  ans  dénonçaient,  les  autres  cherchaient  ceux  qui  étalent  cachés;  d'antres 
poursuivaient  les  fugitifs,  d'autres  s'emparaient  de  leurs  biens.  Les  supplices  étaient  longs,  pour  ôter 
l'espérance  de  la  mort  et  tourmenter  sans  fin  Jusqu'à  ce  que  la  courage  manquât. 

La  persécation  fut  aussi  longue  que  le  règne  de  Décius,  c'est-à-dire  qu'elle  dura  trente  mois.  Enfin, 
ce  prince  étant  allé  sur  les  bords  du  Danube  repousser  les  Carpes,  espèce  de  Scythes  qui  pillaient  la 
Thrace.  Gallos,  à  qui  il  avait  laissé  la  garde  de  Tanals,  le  trahit;  et  celui-ci  étant  d'intelligence  avec  let 
Barbares,  l'engagea  dans  un  marais  oh  il  s'enfonça  avec  son  cheval  et  périt,  en  sorte  qu'on  ne  trouva  pj.3 
même  son  corps.  Son  fils  mourut  avec  lui  en  cette  occasion.  Cette  fin  du  persécoteor  des  chrétiens  es' 
rapportée  par  Aurélios  Victor. 


MARTYROIOOES.  137 

laut  pas  prononcer  des  paroles  impies  sur  l'injonction  des  païens  ',  eut  tout  le  corps  brisé  des  coups 
de  bâton  qu'ils  lui  donnèrent.  Ensuite  ils  lui  percèrent  le  visage  et  les  yeuï  avec  des  roseaux 
extrêm»ment  aigus,  et,  l'ayant  chassé  de  la  ville,  sans  cesser  de  le  tourmenter,  ils  l'accablèrent  de 
pierres  et  le  tuèrent.  249.  —  Au  même  lieu,  les  saints  martyrs  Saturnin,  Thyrse  et  Victor.  — Dans 
la  même  ville,  les  saints  martyrs  Tharsice,  Zotique,  Cyriaque  et  leurs  compagnons.  —  A  Cyzique, 
dans  l'Hellespont,  sainte  Triphène,  martyre,  qui,  après  avoir  surmonté  plusieurs  lourments,  fut  tuée 
par  un  taureau  et  remporta  la  palme  du  martyre.  —  A  Modène,  saint  Géminien  -,  évéque,  renommé 
pour  ses  grands  miracles.  Après  390.  —  Dans  le  Milanais,  saint  Jdles,  prêtre  et  confesseur,  qui 
vivait  du  temps  de  l'empereur  Théodose.  v«  s.  —  A  Rome,  sainte  Marcelle,  veuve,  dont  saint 
Jérôme  a  écrit  les  belles  actions.  410.  —  Au  même  lieu,  la  bienheureuse  Lodise  d'Albertone, 
veuve  romaine,  du  Tiers  Ordre  de  Saint-François,  illustre  par  ses  vertus.  1530.  —  Le  même  jour, 
la  translation  de  saint  Marc,  évangéliste,  de  la  ville  d'Alexandrie  en  Egypte,  que  les  Barbares  occu- 
paient, à  Venise,  où  il  fut  déposé  avec  beaucoup  d'honneur,  dans  la  grande  église  dédiée  sous  son 
nom.  831. 

MARTYROLOGE  DE  FRANCE,  REVU  ET  AUGMENTÉ. 

A  Saint-Denis,  en  France,  saint  Parre  ou  Patrocle,  évêque  et  martyr,  dont  le  corps  fut  dorme  i 
cette  abbaye,  par  les  habitants  de  Toulouse,  en  échange  de  celui  de  saint  Saturnin.  —  En  Cham- 
pagne, saint  PouANGE(Potamius),  confesseur,  dont  l'église  deTroyes  fait  mémoire  en  ce  jour.  Fin  du 
VI»  s.  —  A  Evreuï,  saint  Gadd,  évêque  et  confesseur,  qui  quitta  son  évêché  pour  mener  une  vie 
austère  et  retirée  dans  la  solitude.  491.  —  A  Troyes,  saint  Bobin,  qui  fut  tiré  de  Montier-la-Celle,  pour 
gouverner  cette  église  '.  —  A  Amiens,  sainte  Ulphe,  vierge,  disciple  de  saint  Domice,  dont  le 
corps  est  honoré  en  l'église  cathédrale  d'Amiens  '.  vm»  s.  —  A  Sainl-Gall,  le  bienheureux  Landéol, 
évêque  de  Tarbes,  en  Bigorre.  878. —  A  Besançon,  saint  Nicet,  évêque  de  ce  siège.  813. —  Eo 
Poitou,  sainte  Viergde,  déjà  nommée  au  7  janvier. 

HARTVROLOGES  DES   ORDRES  RELIGIEUX. 

Martyrologe  des  Frères  Pi-écheurs.  —  A  Barcelone,  en  Espagne,  saint  Pierre  Nolasque,  con- 
fesseur, qui,  par  l'avertissement  de  la  Vierge,  Mère  de  Dieu,  avec  la  coopération  de  saint  Raymond 
de  Pennafort,  institua  l'Ordre  nouveau  de  Sainte-Marie  de  la  Merci,  pour  le  rachat  des  captifs.  —  A 
Rome,  sur  la  voie  de  Porto,  les  saints  martyrs  Cyr  et  Jean,  comme  ci-dessns  au  martyrologe  romain. 

Martyrologe  Romano-Se'ra/jhiqiœ.  —  A  Rome,  la  bienheureuse  Louise  d'Albertone,  veuve, 
du  Tiers  Ordre  de  Saint-François,  notre  Père,  illustre  par  sa  vie  et  par  ses  miracles.  1530.  —  A 
Barcelone,  en  Espagne,  saint  Pierre  Nolasque,  confesseur,  comme  ci-dessus  au  martyrologe  romain. 

Martyrologe  de  POrdre  des  Capucins.  —  A  Rome,  la  bienheureuse  Louise  d'Albertone,  veuve,  du 
Tiers  Ordre  de  notre  Père  saint  François,  qui  brilla  d'un  éclat  remarquable,  outre  ses  autres  vertus, 
par  une  singulière  charité  envers  les  pauvres ,  par  une  vie  exemplaire,  et  par  ses  miracles.  —  Au 
même  lieu,  sur  la  voie  de  Porto,  comme  ci-dessus,  an  martyrologe  romam. 

ADDITIONS  FAITES  d'aPRÈS   LES  BOLLANDISTES  ET  AUTRES  HAGIOGRAPHES. 

Aux  martyrs  d'Alexandrie  que  mentionne  le  martyrologe  romain,  ajoutez  Géminus,  Gélase,  Hippo- 
lyte,  Ursin,  Pélian  et  autres.  —  En  Afrique,  les  saints  martyrs  Victor,  Publius,  Saturnin,  Polycarpe, 
mentionnés  dans  le  martyrologe  de  saint  Jérôme.  —  Aux  illustres  martyrs  Cyr  et  Jean,  nommés  ci- 
dessus,  ajoutez  sainte  Athanasie  et  ses  trois  filles,  Théodosie,  Théoctiste  et  Eudoxie,  dont  nous 
racontons  le  glorieux  combat.  —  A  Novare,  avec  saint  Jdles,  mentionné  ci-dessus,  saint  Jdlien, 
diacre,  son  frère,  et  son  compagnon  de  prédication.  Commencement  du  v»  siècle.  —  A  Fernes,  en 
Irlande,  saint  Aidan  ou  Médoc,  évêque  ;  il  se  réfugia  en  Angleterre  auprès  de  l'évêque  saint  David, 
pour  échapper  aux  honneurs  auxquels  voulaient  l'élever  le  roi  ^dus  et  son  peuple  ;  revenu  plus 

1.  Le  mot  paganus  a  pour  racine  pagus,  village,  campagne.  C'était  primitivement  nn  terme  de  mépris 
en  usage  parmi  les  soldats,  pour  de'signer  tout  ce  qui  n'était  pas  militaire,  comme  en  français  civil,  pékin, 
iVisi  vincitis  paiiani  estis,  dit  un  général  à  ses  soldats  qui  faiblissaient  (Tacite,  liv.  m,  des  bist.  24).  Il  ne 
fat  employé  pour  signifier  païens  ou  non  chrétiens  que  lorsque  la  religion  chrétienne  fut  devenue  domi- 
nante, au  me  si'ccle. 

2.  Saint  Géminien,  évêque  de  Modène,  assista  au  Concile  tenu  k  Milan,  contre  Jovinien  l'Hérésiarque; 
on  le  voit  par  la  lettre  synodale  adressée  à  cette  occasion  au  pape  Sirice.  Cette  lettre  se  trouve  parmi 
celles  de  saint  Ambroise  :  c'est  la  septième  du  livre  i".  —  Il  est  patron  de  .Modène.  (Voir,  sur  le  Jovi- 
nianisme,  tes  Conciles  généraux  et  particuliers,  par  Mgr  Guérin,  3  vol.  gros  in-8o,  outre  le  Concile  du 
Vatican  qui  forme  un  ta  vol.  et  sera  continué  ï  la  reprise  du  Concile  ;  Bar,  1669-70.) 

».  V.  au  22  avril.  —  4.  Voir  au  23  octobre. 


138  31  JANVIER. 

tard  en  Irlande,  il  s'y  rendit  célèbre  par  de  nombreux  miracles.  Commencement  dn  vii»  siècle.  —  \ 
Coldingliam,  en  Ecosse,  saint  Adamnan,  prêtre  <.  Fin  du  vu»  siècle.  —  En  Grèce,  saint  Athanase, 
évèque  de  Mélhone,  dans  le  Pèloponése.  11  était  originaire  de  Catane  d'où  sa  famille  avait  fui  lors 
de  l'invasion  de  la  Sicile  par  les  Sarrasins.  ix«  s.  —  A  Sainl-Gall,  en  Suisse,  le  bienlieureux  Eusébe, 
moine  dans  la  célèbre  abbaye  de  ce  lien,  et  martyr.  Il  était  né  en  Ecosse.  S'élant  retiré  sur  le  mont 
Saint-Victor  près  de  Saint-ljall,  les  habitants  du  lien  dont  il  reprenait  les  vices,  lui  coupèrent  la 
tète  avec  le  trancbant  d'une  faux.  8St.  —  A  Soure,  en  Portugal,  saint  Martin,  prêtre  ;  pris  par  les 
Maures  avec  des  cbcvaliers  de  l'Ordre  du  Temple,  il  consola  ses  compagnons  de  captivité,  leur 
prédit  leur  délivrance,  convertit  un  grand  nombre  d'infidèles,  et  mourut  lui-même  en  prison  à  Cor- 
doue.  1147.  — A  Vérone,  saint  Firmus  et  saint  Rusticus,  martyrs:  ces  deux  athlètes  du  Christ 
étaient  de  riches  citoyens  de  Bergame  que  l'un  des  conseillers  de  l'impie  Maximien  se  Dt  d'abord 
amener  à  Milan,  puis  de  Milan  à  Vérone,  comme  pour  les  oITrir  en  spectacle  aux  foules  :  ils  eurent 
la  tête  tranchée  en  dehors  des  murs  de  Vérone,  sur  les  bords  de  l'Adige.  Ou  voit  dans  leurs  Actes' 
avec  quelle  rage  les  persécuteurs  détruisaient  les  saintes  Ecritures  et  les  relations  aulbealiques  des 
souffrances  des  martyrs.  303.  —  A  Waldsée,  en  Souabe,  la  bienheureuse  Elisabeth,  du  Tiers  Ordre 
de  Saint-François  :  elle  entra  dans  cet  Ordre  à  l'âge  de  quatorze  ans.  Pauvre,  elle  apprit  à  tisser  la 
toile  pour  gagner  sa  vie.  Cependant  des  personnes  charitables  lui  procurèrent  une  maisonnette  où 
elle  se  retira  avec  quelques  compagnes.  Elle  passa  trois  années  sans  autre  nourriture  que  le  pain 
eucharistique.  Le  démon  reçut  le  pouvoir  de  la  maltraiter  d'une  manière  horrible;  quand  le  démon 
la  quittait,  elle  tombait  en  de  longs  ravissements  :  souvent  il  lui  fut  donné  de  ressentir  dans  son 
corps  les  douleurs  de  la  passion.  Dieu  l'appela  aux  étemelles  récompenses,  en  U20. 


SAINTE  MARCELLE,  VEUVE 

410.  —  Saint  Innocent  I«r.  —  Empereur  d'Orient  :  Théodose  II,  fe  Jeune. 


Heureux  l'homme  qui  aime  îi  s'instruire  des  choses 
du  Seigneur  et  qui,  jour  et  nuit,  médite  ses  ensei- 
gnements. Ps.  I,  I  et  t. 

Sainte  Marcelle,  que  le  grand  saint  Jérôme  appelle  o  le  modèle  de  la 
viduité  et  de  la  sainteté  des  Romains  »,  naquit  à  Rome  d'une  famille  si 
illustre,  qu'elle  ne  reconnaissait  que  des  consuls,  des  proconsuls  et  des  gou- 
verneurs de  provinces  pour  ses  ancêtres  ;  mais  elle  augmenta  cette  noblesse, 
lorsqu'elle  voulut  l'oublier  pour  suivre  Jésus-Christ  dans  une  parfaite  humi- 
lité et  pauvreté  évangélique.  Ayant  perdu  son  père,  et  bientôt  après  son  mari, 
avec  qui  elle  ne  vécut  que  sept  mois,  elle  demeura  veuve  en  la  fleur  de  son 
âge  et  de  sa  beauté,  dans  l'abondance  des  biens  et  dans  la  splendeur  d'une 
grande  fortune,  mais  encore  plus  enrichie  d'une  vertu  qui  n'avait  point  de 
pareille.  Céréal,  qui  était  alors  en  possession  de  la  première  magistrature  de 
l'empire,  prétendit  l'épouser,  parce  que,  outre  ses  charges  qui  le  rendaient 
considérable,  il  avait  des  biens  et  du  crédit  ;  mais  comme  il  était  déjà  avancé 
en  âge,  pour  la  gagner,  il  disait  qu'il  ne  la  voulait  pas  tant  considérer 
comme  sa  femme  que  comme  sa  fille  et  l'héritière  de  tous  ses  biens.  Albine, 
mère  de  Marcelle,  en  était  d'accord,  et  priait  sa  fille  d'y  vouloir  consentir  à 
cause  de  l'appui  qu'elle  espérait  d'un  homme  de  cette  considération  ;  mais 
Marcelle  ne  voulut  jamais  écouter  cette  proposition,  disant  que  quand 
même  elle  ne  serait  point  résolue  de  consacrer  son  veuvage  à  Dieu,  et 
qu'elle  aurait  envie  de  se  marier,  elle  prendrait  plutôt  un  homme  que  des 

1.  Le  Ttfnâ^ble  Bède  a  <^crit  sa  vie. 

2.  Ces  Actes  ont  tti  retrouvé»  par  Sciplon  Maffei  au  xtiii*  sitcle.  —  Voir  Acin  de$  liartyn,  tradtilti 
par  les  Bén(!dictins. 


SAINTE  MABCELtE,  VEC^^  139 

biens.  Céréal  lui  fît  dire  que  les  vieillards  pouvaient  vivre  longtemps  et  que 
les  jeunes  gens  pouvaient  mourir  subitement.  Marcelle  répliqua  adroitement 
que  ceux  qui  sont  jeunes  peuvent  mourir,  mais  que  les  vieillards  ne  sau- 
raient beaucoup  vivre  ;  ainsi  elle  rompit  ce  pourparler  et  ferma  sa  porto  à 
d'autres. 

Elle  vécut  avec  tant  de  conduite  et  de  modestie  dans  la  ville  de  Rome, 
que  jamais  personne  n'osa  ouvrir  la  bouche  pour  la  calomnier  ;  et,  si  quel- 
qu'un l'eût  fait,  on  ne  l'aurait  pas  cru,  ni  même  écouté.  Elle  était  le  miroir 
des  veuves  chrétiennes  ;  la  candeur  de  son  âme  et  de  ses  œuvres  servait  de 
leçon  aux  dames  de  sa  condition,  et  elle  fut  la  première  qui  leur  enseigna 
par  son  exemple  le  moyen  de  confondre  par  leur  modestie  les  ennemis  de  la 
dévotion.  Ses  habits  étaient  simples,  et  elle  n'en  usait  que  pour  défendre 
son  corps  de  l'injure  des  saisons,  ayant  renoncé  aux  pierreries  et  aux  orne- 
ments précieux,  dont  elle  avait  employé  le  prix  à  la  nourriture  des  pauvres. 
Elle  ne  voulut  jamais  voir  d'homme,  de  quelque  qualité  qu'il  fût,  qu'en 
présence  de  plusieurs  personnes.  Elle  avait  toujours  à  son  service  des  veuves 
et  des  filles  d'une  vie  irréprochable,  parce  qu'elle  savait  que  les  maîtresses 
portent  tout  le  blâme  lorsque  leurs  servantes  font  quelque  faute.  Elle  ne  se 
lassa  jamais  de  lire,  de  méditer  et  d'étudier  la  sainte  Ecriture  ;  et  elle  avait 
un  désir  extrême  de  vivre  selon  les  lois  qui  nous  y  sont  prescrites,  croyant 
que  ceux  qui  observent  exactement  ce  que  Dieu  commande  en  la  sainte 
Bible  méritent  qu'il  leur  en  découvre  la  vraie  intelligence.  Saint  Jérôme 
étant  venu  à  Rome  avec  saint  Epiphane  et  saint  Paulin,  quoiqu'il  évitât  la 
fréquentation  des  dames  de  la  cour,  fut  néanmoins  si  souvent  sollicité  par 
cette  vertueuse  veuve  et  pressé  par  tant  de  moyens  divers  de  lui  expliquer 
les  endroits  difficiles  de  l'Ecriture  sainte,  qu'il  ne  put  lui  refuser  ce  service. 
Toutes  les  fois  qu'il  la  voyait,  elle  lui  proposait  de  nouvelles  difficultés  pour 
en  avoir  la  solution,  et  usait  de  plusieurs  moyens  afin  de  mieux  comprendre 
les  éclaircissements  qu'il  lui  donnait  ;  de  la  sorte,  elle  devint  si  éclairée  que, 
quand  saint  Jérôme  partit  de  Rome  pour  se  retirer  à  Jérusalem,  elle  demeura 
comme  l'interprète  de  ce  qu'elle  avait  appris  de  ce  grand  docteur  de  l'Eglise. 
Quand  il  se  présentait  quelque  difficulté  sur  un  passage  obscur  de  l'Ecriture, 
on  avait  recours  à  l'explication  de  Marcelle  :  elle  s'en  acquittait  avec  tant 
de  modestie  que,  sans  attribuer  ce  qu'elle  disait  à  sa  propre  suffisance,  elle 
en  rapportait  tout  l'honneur  à  saint  Jérôme  ou  à  d'autres  auteurs,  sachant 
très-bien  la  doctrine  de  saint  Paul,  qu'il  n'appartient  pas  à  la  femme  d'ensei- 
gner, mais  seulement  d'apprendre. 

Ses  jeûnes,  au  rapport  de  saint  Jérôme,  étaient  réglés  ;  elle  ne  mangeait 
point  de  viande,,  elle  buvait  néanmoins  un  peu  de  vin  à  cause  de  la  faiblesse 
de  son  estomac  et  des  autres  infirmités  auxquelles  elle  était  sujette,  mais  elle 
le  trempait  si  bien  qu'il  ne  sentait  plus  rien.  Ses  visites  chez  les  autres  dames 
étaient  fort  rares,  pour  ne  point  voir  chez  elles  ce  qu'elle  avait  méprisé  en  sa 
personne.  Elle  allait  aux  églises  des  saints  Apôtres  et  des  Martyrs,  mais 
secrètement  et  aux  heures  qu'elle  était  assurée  de  n'y  rencontrer  guère  ou 
point  de  monde.  Et  pour  vivre  plus  en  la  solitude,  elle  sortit  de  Rome  et  se 
retira  dans  une  de  ses  maisons  des  champs.  Son  obéissance  envers  sa  mère 
fut  toujours  très-grande  ;  elle  forçait  pour  elle  ses  propres  inclinations  afin 
de  s'accommoder  aux  siennes,  et,  par  une  admirable  complaisance,  elle  la 
laissa  la  maîtresse  de  tous  ses  grands  biens,  afin  qu'elle  en  pût  disposer  en 
faveur  de  ses  parents,  quoique  ses  vues  fussent  bien  différentes. 

Il  n'y  avait  point  alors  à  Rome  de  dame  qui  connût  l'excellence  de  la  pro- 
fession religieuse  :  au  contraire,  les  personnes  de  condition  avaient  eu  mépris 


140  31   JANVIER. 

le  nom  de  religieuse.  Mais  Marcelle,  après  avoir  appris  de  saint  Athanase  la 
manière  de  vivre  de  saint  Antoine  et  la  céleste  conversation  des  Vierges  et  des 
veuves  qui  se  sanctifiaient  dans  la  Thébaïde  sous  la  conduite  de  saint  Pacôme, 
embrassa  cette  espèce  de  vie  avec  une  telle  affection,  qu'elle  prit  l'habit  de 
religieuse,  n'ayant  point  honte  de  faire  profession  d'une  chose  qui  était 
agréable  à  Jésus-Christ.  Elle  fut  la  première  dans  Rome  qui  se  voila  ;  depuis, 
elle  fut  imitée  par  plusieurs  dames,  et  grand  nombre  de  maisons  religieuses 
furent  fondées  pour  servir  de  retraite  aux  vierges  qui  voudraient  embrasser 
la  piéfé  ;  de  sorte  que  ce  qui,  auparavant,  était  estimé  peu  houorable,  fut 
ensuite  tenu  pour  glorieux  et  regardé  avec  vénération  :  la  gloire  en  est  due 
à  sainte  Marcelle,  ayant  été  le  guide  et  la  maîtresse  des  veuves  et  ayant  excité 
par  son  exemple  les  dames  romaines  à  embrasser  cette  vie. 

La  vertu  héroïque  de  cette  généreuse  veuve  parut  merveilleusement  en 
la  ruine  épouvantable  de  Rome,  lorsque  Dieu  permit  que  cette  ville  tom- 
bât entre  les  mains  de  ses  ennemis  :  ils  réduisirent  en  cendres  la  gloire  de 
cette  illustre  cité  et  ôtèrent  la  liberté  à  celle  qui,  autrefois,  avait  mis  toute 
la  terre  en  servitude  ;  Alaric,  roi  des  Goths,  l'ayant  assiégée  et  emportée 
d'assaut,  la  mit  à  feu  et  à  sang  et  exécuta  contre  elle  tout  ce  qu'un  prince 
victorieux  et  irrité  peut  faire  dans  une  ville  où  il  est  entré  l'épée  à  la  main  et 
la  rage  dans  le  cœur. 

Quelques  soldats  insolents  étant  entrés  dans  la  maison  de  Marcelle  pour 
la  piller,  elle  les  reçut  paisiblement  et  sans  s'étonner.  Us  lui  demandèrent 
où  elle  avait  caché  ses  richesses  :  elle  leur  déclara,  en  leur  montrant  son 
pauvre  habit,  qu'elle  avait  de  très-bon  cœur  choisi  d'être  pauvre  pour 
l'amour  de  Jésus-Christ.  Elle  fut  battue  et  fouettée  par  ces  barbares,  qui  ne 
la  croyaient  pas  ;  mais  elle  n'avait  point  de  ressentiment  pour  les  coups 
qu'ils  lui  donnaient.  Elle  se  jeta  à  leurs  pieds  pour  les  prier  avec  larmes  de 
lui  laisser  une  jeune  fille  nommée  Principia  sa  compagne,  à  laquelle  saint 
Jérôme  a  dédié  la  vie  de  notre  Sainte,  et  qui  en  avait  été  le  témoin  oculaire  ; 
elle  craignait  que  cette  fille  ne  souffrît  en  sa  jeunesse  ce  que  son  âge  avancé 
ne  lui  faisait  plus  appréhender.  Dieu  amollit  les  cœurs  endurcis  de  ces  sol- 
dats, et  la  pitié  trouva  quelque  place  parmi  les  épées  sanglantes  de  ces 
païens,  car  ils  les  menèrent  toutes  deux  dans  l'église  de  Saint-Paul  ;  elles  ne 
savaient  si  c'était  pour  leur  donner  la  vie  ou  pour  les  mettre  au  tombeau, 
mais  lorsqu'elles  virent  que  ces  barbares  les  laissaient  en  liberté  dans  ce  lieu, 
elles  en  furent  extrêmement  consolées  et  rendirent  grâces  à  leur  souverain 
Seigneur  Jésus-Christ  du  soin  qu'il  avait  pris  de  leurs  personnes.  La  captivité 
ne  la  rendit  pas  plus  pauvre  qu'elle  n'était  auparavant  ;  car  elle  l'était  déjà 
tellement,  qu'elle  n'avait  pas  de  pain  à  manger  ;  mais,  d'ailleurs,  elle  était 
si  remplie  et  si  rassasiée  de  Jésus-Christ,  qu'elle  ne  sentait  point  la  faim,  et 
qu'elle  pouvait  dire  avec  vérité  :  «  Je  suis  sortie  nue  du  sein  de  ma  mère,  j'y 
retournerai  avec  la  même  nudité  ;  il  ne  m'est  arrivé  que  ce  qu'il  a  plu  à 
Dieu  :  que  son  nom  soit  béni  !  » 

A  quelques  jours  de  là,  la  très-illustre  veuve  sainte  Marcelle,  étant  encore 
pleine  de  vigueur,  rendit  paisiblement  son  âme  à  Notre-Seigneur,  l'an  410, 
laissant  Principia  héritière  de  sa  pauvreté.  Tandis  qu'elle  était  à  l'agonie, 
elle  souriait  aux  pleurs  de  Principia,  sa  bonne  conscience  lui  rendant  témoi- 
gnage de  sa  vie  passée  et  la  remplissant  d'espérance  pour  les  biens  de  la  vie 
future  qu'elle  attendait  par  la  miséricorde  de  son  Rédempteur. 

Principia  vécut  alors  seule,  sous  les  regards  et  en  la  présence  de  Dieu, 
qui  la  garda  comme  la  prunelle  de  son  œil,  et  la  combla  de  toutes  ses 
faveurs.  Elle  continua  la  manière  de  vivre  de  sa  sainte  maîtresse,  devenant 


SAEfT  PIERBE  KOIASQUE,  FONDATEUR  DE  l'oRDRE  DE  LA  MERa.     141 

à  son  tour  un  modèle  pour  ses  compagnes,  et  amassant  tous  ses  trésors 
dans  le  ciel.  Mûre  pour  la  récompense,  elle  s'en  alla  de  cette  terre  pour 
monter  au  séjour  des  élus,  le  24  janvier,  vers  l'an  418. 

La  lettre  seizième  de  saint  JérSme  à  Principia,  roule  tont  entière  sur  la  sainteté  et  l'érudition  de 
l'illustre  Marcelle.  Dans  ses  autres  écrits,  le  grand  docteur  ne  cesse  de  nommer  Marcelle  sans  pouvoir 
assez  la  louer.  Disciple  de  saint  Athanase,  non-seulement  pour  la  pratique  de  la  vie  religieuse,  mais  pour 
la  pureté  de  la  foi.  lorsque  l'ouvrage  d'Origène,  Periarchon,  traduit  par  Ruffin,  eut  été  introduit  à  Rome, 
elle  fut  la  première  à  découvrir  les  hérésies  qu'il  recelait  et  à  en  poursuivre  la  condamnation  avec  zèla 
et  fermeté.  —  V.  aussi  Annaîes  de  Baronius. 


SAINT   PIERRE   NOLASQUE, 

FONDATEUR  DE  L'ORDRE  DE  LA  MERCI 


1189-1256.  —  Papes  :  Clément  111;  Alexandre  IV.  —  Rois  de  France  :  Philippe  n  Auguste  : 

saint  Louii. 


La  miséricorde*  donne  un  cœur  compatissant  pour  la 
misère,  chasse  du  cœur  tonte  dureté,  inonde  le 
c<Eur  d'une  admirable  suavité. 
Saint  Antoine  de  Fadone,  Serm.  7sn,   après  la 

Trinité. 


C'est  ici  im  de  ces  illustres  fondateurs  de  congrégation  que  la  France  a 
donnés  à  l'Eglise.  Il  naquit  au  pays  du  Lauraguais,  diocèse  de  Saint-Papoul, 
en  un  lieu  appelé  le  Mas  des  Saintes  Puelles,  près  de  Castelnaudary,  aujour- 
d'hui diocèse  de  Carcassonne,  d'une  des  plus  illustres  familles  de  toute  cette 
province.  Le  lieu  appelé  aujourd'hui  Le  Mas-Saintes-Puelles  s'appelait 
Recaud  avant  que  trois  jeunes  filles  de  Toulouse,  fuyant  la  persécution,  vins- 
sent s'y  réfugier.  Aussi  a-t-on  chanté  jusqu'à  l'introduction  du  rit  romain 
(1834)  au  Mas-Saintes-Puelles,  ces  paroles  d'un  office  approuvé  spécialement 
pour  cette  paroisse  par  J.  B.  Marie  de  Maillé  de  la  Tour  Landry,  dernier 
évéquede  Saint-Papoul  : 

Elève  jusqn'ani  cieux  tes  cantiqnes  de  fête, 
0  peuple  de  Récaud*  ! 

N'est-il  pas  bien  juste,  en  effet,  de  se  réjouir,  et  l'Eglise  tout  entière  ne 
se  réjouit-elle  pas  en  ce  jour  où  elle  célèbre  le  triomphe  de  l'un  de  ces  hom- 
mes que  l'Ecriture  appelle  des  hommes  de  miséricorde?  Jeune  encore,  Pierre 

1.  Hissria  in  corde. 

3.  Nous  lisons  dans  le  Bréviaire  romain  que  notre  Bienheureu::  est  né  h  Becaudun,  près  de  Carcas" 
tonne;  il  est  bon  d'expliquer  ici  ces  paroles  de  la  liturgie  sacrée. 

Daniel-Bertrand  de  Langle,  érêque  de  Saint-Papoul,  dit  en  termes  exprès,  dans  son  supplément  au 
Bréviaire  romain  :  c  Les  saintes  Pnelles  quittèrent  Toulouse,  et  pour  fuir  cette  persécution  impie  dont 
elles  étaient  l'objet,  elles  se  réfugièrent  dans  le  bourg  de  Recaudum,  appelé  aujourd'hui  de  leur  nom  le 
M'is-Saxntes-Puelles.  Quelques  siècles  après  cet  événement,  ce  lieu  devint  bien  autrement  illustre  par  la 
naissance  de  saint  Pierre  Kolasque,  fondateur  de  l'Ordre  de  Notre-Dame  de  la  Merci  pour  la  rédemption 
des  captifs  i. 

Les  auteurs  de  l'Histoire  du  Languedoc  ont  avancé  les  premiers,  et  sans  dissimuler  l'embarras  dans 
lequel  Us  se  trouvaient,  que  «  saint  Pierre  Nolasque  est  né  proche  de  Carcassonne,  dans  la  paroisse  do 
Saint-Papoul  o,  se  fondant  sur  une  note  qu'ils  avaient  reçue,  disent-ils,  des  Pères  de  la  Merci,  de  la 
maison  do  Paria.  Mais  la  note  des  Pères  de  la  Merci,  à  moins  d'être  rejetée  comme  inexacte,  doit  Être 


142  31   JANVIEK. 

Nolasque  fit  toujours  paraître  qu'il  était  né  pour  la  miséricorde,  et  que  cette 
vertu  lui  avait  été  donnée  pour  compagne  dés  le  premier  instant  de  son 
existence;  à  peine  pouvait-il  regarder  un  pauvre  sans  verser  des  larmes  de 
compassion.  Son  père,  qui  s'appelait  Nolasque,  étant  décédé,  il  demeura, 
âgé  de  quinze  ans,  sous  la  conduite  de  sa  mère.  Elle  eût  bien  souhaité,  pour 
le  soulagement  de  sa  vieillesse,  de  lui  voir  prendre  un  parti  sortable  à  sa 
condition.  Mais  Dieu,  qui  l'appelait  à  des  choses  plus  grandes,  lui  nîit  dans 
l'esprit  une  forte  pensée  de  ne  s'attacher  jamais  à  aucune  créature  mor- 
telle. Cependant,  le  jeune  Pierre  s'engagea  à  la  suite  de  Simon,  comte  de 
Montfort,  général  de  la  croisade  catholique  contre  les  Albigeois.  Simon  de 
Montfort  gagna  la  fameuse  bataille  de  Muret,  contre  les  comtes  de  Tou- 
louse, de  Foix,  de  Comminge,  et  Pierre,  roi  d'Aragon  :  ce  dernier  y  fut  tué, 
et  son  fils  Jacques  fait  prisonnier.  Le  vainqueur,  qui  avait  été  l'ami  de  Pierre 
d'Aragon,  fut  touché  du  malheur  de  son  fils,  âgé  de  six  ans;  il  en  eut  le  plus 
grand  soin,  confia  son  éducation  à  Pierre  Nolasque,  et  les  envoya  tous  deux 
en  Espagne. 

Le  Saint  n'avait  alors  que  vingt-cinq  ans;  il  vécut  à  la  cour  d'Aragon,  à 
Barcelone,  avec  toute  la  régularité  d'un  religieux.  Il  s'acquitta  de  ses  nobles 
fonctions  avec  le  plus  grand  zèle,  inspirant  au  jeune  roi  la  piété  envers  Dieu 
et  son  Eglise,  l'amour  de  la  justice  et  de  la  vérité.  Pour  lui,  loin  des  plaisirs 
de  la  cour,  il  vivait  retiré  dans  un  hôtel  que  le  roi  lui  avait  donné,  sur  la 
paroisse  de  Saint-Paul,  après  l'avoir  naturalisé  et  incorporé  à  la  noblesse  de 
Catalogne.  Il  donnait  à  la  prière,  à  l'étude  des  saintes  Ecritures  et  aux  exer- 
cices de  la  pénitence,  le  temps  qu'il  n'était  point  obligé  d'employer  auprès 
de  la  personne  du  roi.  Il  avait  quatre  heures  d'oraison  marquées,  savoir  : 
deux  le  jour  et  deux  la  nuit.  En  outre  il  se  sentit  si  vivement  touché  de 
compassion  pour  les  pauvres  chrétiens  qui,  étant  tombés  par  quelque  mal- 
heur entre  les  mains  des  infidèles,  gémissaient  sous  une  si  misérable  servi- 
tude, qu'il  se  fût  de  bon  cœur  rendu  de  lui-même  esclave  pour  en  délivrer 
quelqu'un.  Mais  saint  Raymond  de  Pennafort  lui  ayant  fait  modérer  cette 
grande  ferveur,  il  crut  devoir  au  moins  contribuer  autant  qu'il  pourrait  par 
ses  biens  et  par  des  quêtes  auprès  de  ses  meilleurs  amis,  à  un  dessein  si  reli- 
gieux. Dans  le  but  d'y  mieux  réussir,  il  engagea  quelques  personnes  de  sa 
connaissance  à  faire  une  sainte  alliance  sous  le  nom  de  Congrégation  de  la 
sainte  Vierge,  pour  travailler  à  la  rédemption  des  esclaves  et  à  former  un 

nécessairement  expliquée.  Sans  cela,  cette  note  aurait  contre  elle  les  traditions  de  l'Ordre  fonde'  par  saint 
Pierre  Kolasque,  et  ces  traditions,  toujours  unanimes  et  toujours  invariables,  sont  conformes  h  l'tùstoird 
et  aux  traditions  locales  qu'on  chercherait  vainement  ailleurs. 

C'est  la  légende  de  l'ancien  Bréviaire  de  Saint-Papoul  qui  nous  donnera  cette  explication. 

Le  même  Daniel-Bertrand  de  Langle  coupe  court  aux  ditïlcultés,  en  conciliant  tout  h  la  fois  le  Bré- 
Tiaire  romain,  la  tradition  nnanime  du  passé,  la  note  des  Pbrcs  de  la  Merci  et  YBisloire  générale  du 
Languedoc^  dont  il  reproduit  les  termes  en  y  ajoutant  toutefois  un  mot  qui  rend  le  doute  impossible. 
«  Pierre  Nolasque  n,  dit  le  Bréviaire  do  1772,  est  né  pr'es  de  Carcassonne,  in  paroehid  SanctiPapuli,  dans 
le  lien  qui  porte  le  nom  de  Mas-Saintes-Puetles  n. 

On  peut,  après  ce  témoignage,  émanant  du  défenseur  le  plus  légitime  des  traditions  locales  d'un  diocèse, 
chercher  quelles  significations  diverses  peuvent  présenter  les  mots  in  paroc/iid  ;  mais  l'évèque  de  Saint- 
Faponl  nous  laisse  uniquement  ce  droit,  et  U  nous  défend  d'enlever  au  Mas-Saiutes-Fuelles  la  gloire 
d'avoir  été  le  bercean  do  notre  Saint. 

Cette  gloire,  qui  revient  à  l'antique  Éeeaudum,  et  le  changement  da  nom  primitif  de  ce  hourg  en  ceint 
de  Mai-Saintes-Puelte^^  sont  en  outre  attestés  par  le  manuscrit  épiscopal  du  xve  sifecle,  conservé  dans 
les  archives  de  l'ancien  évcché  do  Saint-Papoul;  par  le  Pfcre  Gaver,  qui  écrivait  au  xvc  siîjcle;  par  Guil- 
laume de  Catel,  en  1C33,  sur  la  foi  d'un  vieux  Icctionnalro  alors  conservé  dans  les  archives  de  Saint- 
Etienne  de  Toulouse;  dans  Vllistoire  (jénérale  de  l'Ordre  de  la  Merci,  écrite  en  1882  par  les  religieux  de 
fOrdre  et  approuvée  par  Je  supérieur  majeur;  en  un  mot  par  tous  les  baglographes  et  les  historiens 
de  l'Eglise. 

Nous  devons  les  atiles  et  rnSme  nécessaires  éclaircissements  que  contient  cette  note  &  l'obligeance 
de  M.  l'abbé  Redon,  autrefois  bibliothécaire  au  grand  séminaire  de  Carcassonne,  aujourd'liui  curé  des 
Croies— Castelnaudary  (Aude),  qui  a  bien  voulu,  en  outre,  revoir  pour  nous,  la  Tie  de  saint  Pierre  Nolasque. 


SAINT  PIERRE  NOLASQUE,   FONDATEUR   DE  l'ORDRE  DE  LA  MERCI.  143 

fonds  d'aumônes  qui  serviraient  à  cet  usage.  Cependant,  de  si  heureux  com- 
mencements ne  furent  pas  exempts  des  médisances  du  monde,  qui  a  cou- 
tume de  traverser  les  plus  saintes  entreprises  des  serviteurs  de  Dieu.  Mais 
celui  qui  en  avait  donné  la  première  pensée  au  généreux  Pierre,  l'y  voulut 
encore  aflermir  par  une  vision  céleste  qu'il  eut  durant  la  prière  ;  car  il  lui 
sembla  voir  un  olivier  chargé  de  fleurs  et  de  fruits  au  milieu  de  la  cour  d'une 
maison  royale,  et  deux  vénérables  vieillards  qui  lui  commandaient  de  s'as- 
seoir au  pied  de  cet  arbre  afin  de  le  garder.  Il  crut  que  cela  se  rapportait  à 
la  petite  congrégation  qu'il  avait  déjà  érigée  dans  la  cour  du  roi  et  qu'il  dési- 
rait étendre  par  toute  la  chrétienté.  Aussi,  était-ce  la  vraie  interpré talion 
de  cette  vision. 

Une  autre  fois,  le  jour  de  la  fôte  de  Saint-Pierre-aus-Liens,  la  Sainte 
Vierge  Marie  lui  apparut  durant  la  nuit  et  dans  la  plus  grande  ferveur  de 
son  oraison,  pour  lui  dire  que  c'était  le  bon  plaisir  de  Dieu  qu'il  travaillât  à 
rétablissement  d'une  congrégation,  qui  serait  employée  à  la  délivrance  des 
captifs,  sous  le  titre  de  Notre-Dame-de-la-Misérieorde,  et  qui  ferait  profession 
de  retirer  les  fidèles,  esclaves,  des  mains  des  barbares.  Pierre,  étonné  de  cette 
vision,  prit  la  hardiesse  de  parler  à  Celle  qu'il  voyait  et  de  lui  dire  :  ((  Qui 
êtes-vous,  pour  savoir  si  bien  les  secrets  de  Dieu?  et  qui  suis-je,  moi,  pour 
remplir  une  si  grande  mission  ?  »  La  Vierge  lui  répondit  :  «  Je  suis  Marie,  Mère 
de  Dieu,  qui  ai  porté  le  premier  Rédempteur  du  monde,  et  qui  veux  avoir 
parmi  les  chrétiens  une  nouvelle  famille  qui  fasse  en  quelque  façon  le  même 
office  pour  l'amour  de  mon  Fils  en  faveur  de  leurs  frères  captifs  ».  Aussitôt 
Pierre,  tout  transporté  de  joie,  s'en  alla  au  palais  pour  informer  le  roi  de  ce 
qui  s'était  passé  ;  mais  il  fut  encore  plus  consolé  quand  il  apprit  que  ce 
prince  avait  été  favorisé  à  la  même  heure  d'une  semblable  vision,  ainsi  que 
saint  Raymond  de  Pennafort,  de  l'Ordre  de  Saint-Dominique. 

Le  roi  ayant  fait  appeler  Bérenger  de  La  Palu,  évêque  de  Barcelone,  et 
les  principaux  de  son  conseil,  il  fut  arrêté  que  le  jour  de  Saint-Laurent, 
l'habit  de  religieux  serait  donné  à  Nolasque,  afin  qu'il  fût  comme  la  première 
pierre  de  ce  grand  édifice.  Ce  fut  donc  en  ce  jour  prescrit  que  le  roi,  sui\i 
de  saint  Raymond,  de  notre  Saint,  de  toute  la  cour  et  des  échevins  de  la 
ville,  se  rendit  en  l'église  de  Sainte-Croix-de-Jérusalem,  cathédrale  de  Bar- 
celone, où  l'évêque  avec  le  clergé  le  reçut  à  la  porte,  en  chantant  le  Te 
Deum,  et  célébra  la  messe  pontificale.  Après  l'Evangile,  saint  Raymond 
monta  en  chaire,  et  fit  savoir  au  peuple  la  volonté  de  Dieu,  révélée  au  roi,  à 
Nolasque  et  à  lui,  touchant  l'institution  de  l'Ordre  de  Notre-Dame-de-la- 
Merci  pour  le  rachat  des  captifs;  et  après  l'offrande,  le  roi  et  saint  Raymond 
présentèrent  le  nouveau  fondateur  à  l'évêque,  qui,  ayant  béni  la  robe 
blanche,  le  scapulaire  et  les  autres  parties  du  nouvel  habit  religieux,  en 
revêtit  le  bienheureux  Pierre  en  présence  de  tout  le  peuple,  et  avec  lui  deux 
seigneurs  de  ceux  qui  avaient  été  ses  premiers  associés  pour  recueillir  les 
aumônes  destinées  aux  esclaves.  Ils  firent  les  vœux  solennels  de  religion  et 
en  ajoutèrent  un  quatrième,  par  lequel  ils  s'obligèrent  d'engager  leurs  biens 
et  leurs  propres  personnes,  quand  il  serait  nécessaire,  pour  la  délivrance 
des  prisonniers  ;  et  c'est  ce  qui  distingue  cet  Ordre  des  autres.  Le  roi,  en 
témoignage  de  sa  bienveillance,  lui  fit  présent  de  ses  armes,  qui  sont  d'or  à 
quatre  pals  de  gueules,  et  l'évêque  à  son  tour  demanda  qu'on  lui  permît  d'y 
ajouter  ceUes  de  l'église  cathédrale,  qui  sont  une  croix  d'argent  de  SainL- 
Jean-de-Jérusalem,  en  champ  de  gueules  ;  afin  que  les  armes  royales  étant, 
par  ce  moyen,  unies  à  celles  de  la  religion,  fussent  plus  conformes  à  l'esprit 
de  l'Institut.  A  l'issue  de  la  messe,  le  roi  prit  le  nouveau  religieux  et  ses  deux 


144  31  JAMviEn. 

compagnons,  et,  suivi  de  l'évêque,  de  saint  Raymond,  de  la  noblesse  et  des 
échevins  de  la  ville,  il  les  conduisit  en  son  palais,  où  il  les  mit  en  possession 
d'une  partie  des  bâtiments  qui  devaient  leur  servir  de  premier  logement  : 
leurs  successeurs  en  jouirent  depuis. 

Dieu,  continuant  de  verser  ses  bénédictions  sur  ce  nouvel  Ordre,  y  atti- 
rait de  jour  en  jour  plusieurs  personnes  notables,  qui,  d'esclaves  du  monde, 
devenaient  rédempteurs  des  captifs  :  et,  comme  le  nombre  des  religieux 
commençait  à  croître,  le  bienJieureux  Pierre  demanda  au  roi  permission  de 
choisir  quelque  place  dans  la  ville  pour  bâtir  un  monastère  ;  l'église  de 
Sainte-Eulalie,  sur  le  bord  de  la  mer,  fut  le  lieu  le  plus  convenable  que  l'on 
pût  trouver. 

Cependant,  le  roi  d'Aragon  ne  diminuant  rien  de  l'affection  qu'il  avait 
toujours  eue  pour  son  gouverneur,  se  fit  faire  un  appartement  auprès  du 
couvent  de  la  Merci,  qui  lui  servirait  de  résidence  ordinaire.  Ainsi  la  vertu 
de  ce  bon  religieux  fut  plus  puissante  pour  attirer  le  roi  de  son  palais  au 
monastère,  que  le  crédit  du  roi  pour  faire  venir  le  religieux  du  cloître  à  la 
cour.  Quoique  ce  prince,  en  effet,  désirât  qu'il  lui  tînt  compagnie  dans  le 
voyage  qu'il  devait  faire  pour  aller  célébrer  ses  noces  en  la  ville  d'Agréda, 
il  ne  fut  pas  possible  de  lui  faire  abandonner  sa  cellule.  Mais  on  remarque 
que  ce  qu'il  avait  refusé  par  modestie,  il  l'accepta  une  autre  fois  par  cha- 
rité :  des  querelles  entre  Dom  Nugier  Sanchez,  cousin  germain  du  roi,  et 
Dom  Guillaume  de  Moncada,  vicomte  de  Béarn,  avaient  tellement  divisé 
l'Aragon  et  allumé  une  si  grande  guerre,  que  le  roi  même,  qui  devait  être 
juge  de  ces  différends,  était  en  danger  de  sa  personne  par  l'artifice  et  par  la 
violence  des  deux  partis.  Comme  chacun  d'eux  voulait  avoir  le  Saint  de  son 
côté,  il  vint  vers  le  roi;  et,  ayant  reçu  commission  de  Sa  Majesté,  il  alla 
trouver  les  chefs  des  deux  factions  et  négocia  si  prudemment  cette  affaire, 
qu'il  contenta  tout  le  monde  et  pourvut  en  même  temps  au  soulagement  du 
peuple.  De  plus,  le  roi  étant  comme  prisonnier  depuis  trois  semaines  dans 
le  château  de  Saragosse,  le  bienheureux  Pierre  s'y  rendit,  et,  après  avoir 
longtemps  sollicité  Dieu  par  ses  prières,  il  traita  l'affaire  avec  tant  d'adresse, 
que  le  roi  reçut  la  satisfaction  qu'il  désirait  et  eut  moyen  de  retourner  à 
Barcelone. 

Apres  avoir  donné  ces  preuves  d'attachement  à  son  prince,  il  en  prit 
congé,  pour  aller  en  pèlerinage  à  Notre-Dame  de  Montserrat;  et,  afin  de 
satisfaire  plus  secrètement  sa  dévotion,  il  alla  à  Manrèse,  comme  s'il  u'eûtpas 
eu  dessein  de  passer  à  Barcelone;  et,  étant  là,  il  se  mit  en  l'état  qu'il  désirait 
et  fit  le  voyage  les  pieds  nus,  après  quoi  il  retourna  en  son  monastère.  Dès 
qu'il  y  fut  arrivé,  il  assembla  ses  religieux  et  leur  représenta  que  ce  n'était 
pas  assez  pour  la  perfection  de  leur  Ordre  de  racheter  quelques  captifs, 
comme  ils  faisaient,  sans  sortu?  des  terres  sujettes  aux  princes  chrétiens, 
mais  qu'il  fallait  aussi  se  transporter  dans  les  pays  infidèles,  afin  de  retirer 
les  agneaux  de  la  gueule  des  loups  et  de  délivrer  les  chrétiens  leurs  frères 
de  la  main  de  leurs  ennemis.  Comme  ils  n'y  pouvaient  aller  tous  ensemble, 
ils  procédèrent  à  l'élection  de  ceux  qui  feraient  les  premiers  ce  voyage,  et 
qui,  pour  ce  sujet,  furent  appelés  Rédempteurs. 

Il  fut  lui-même  nommé,  afin,  pour  ainsi  dire,  qu'il  rompît  la  glace  et 
frayât  le  chemin  aux  autres.  Et,  regardant  cette  élection  comme  un  com- 
mandement du  ciel ,  il  s'y  disposa  avec  la  diligence  et  la  dévotion  que  l'on 
peut  imaginer.  Il  entreprit  donc  ce  voyage  dans  la  résolution  de  n'employer 
pas  seulement  à  la  rédemption  des  fidèles  les  deniers  qu'on  avait  amassés, 
mais  aussi  son  sang  et  sa  vie. 


SMNT  PIERRE  NOLASQUE,   FONDATEUR  DE  L'ORDRE  DE  LA  MERCI.  145 

n  alla  premièrement  au  roj'aume  de  Valence,  occupé  pour  lors  par  les 
Sarrasins  :  bien  loin  d'y  trouver  le  mépris  que  son  humilité  lui  avait  fait 
espérer,  il  n'y  reçut  que  de  l'honneur;  c'est  pourquoi,  après  avoir  exécuté 
son  dessein  avec  presque  tout  l'avantage  et  toute  la  facilité  qu'il  pouvait 
désirer,  il  revint  aussitôt  à  Barcelone,  ramenant  dans  un  humble  triomphe 
un  grand  nombre  de  pauvres  innocents,  que  le  malheur  avait  réduits  en  ser- 
vitude. Il  ne  fut  pas  plus  tôt  de  retour,  qu'il  fit  une  nouvelle  quête  et  partit 
une  seconde  fois  pour  aller  au  royaume  de  Grenade.  Il  retira  des  mains  des 
infidèles,  dans  ces  deux  expéditions,  environ  quatre  cents  esclaves.  Si  sa  cha- 
rité remplit  les  captifs  de  consolation,  elle  ne  causa  pas  moins  d'étonne- 
ment  aux  Barbares  à  qui  il  prêchait  généreusement  les  vérités  chrétiennes 
et  les  mystères  de  notre  religion.  C'est  sans  doute  à  cause  de  ce  grand  zèle 
que  Dieu  donna  une  telle  bénédiction  à  ses  travaux,  qu'il  acheva  avec  une 
merveilleuse  facilité  tout  ce  qu'il  entreprit. 

Nolasque  aurait  bien  souhaité  de  continuer  ses  charitables  fonctions  ; 
mais,  comme  le  roi  d'Aragon  avait  entrepris  la  conquête  de  Valence  sur  les 
Sarrasins,  après  leur  avoir  enlevé  l'île  de  Majorque,  l'an  1228,  l'interdiction 
du  commerce  et  les  actes  d'hostilité  de  part  et  d'autre  contraignirent  les 
Pères  d'interrompre  ce  pieux  exercice  durant  quelques  années. 

Cependant  cela  ne  laissa  pas  d'être  avantageux  à  la  rédemption  des 
captifs,  soit  par  les  victoires  fréquentes  et  signalées  que  le  roi  d'Aragon 
remporta  sur  les  infidèles,  soit  par  la  fondation  de  plusieurs  monastères  de 
la  Merci  qu'il  érigea  dans  les  terres  conquises  sur  les  ennemis.  Le  plus 
célèbre  de  tous  fut  fondé  lorsqu'ayant  gagné  sur  Zaen,  roi  des  Maures  de 
Valence,  une  grande  victoire  d'où  suivit  la  prise  de  la  montagne  d'Unéza,  le 
roi  manda  au  bienheureux  Pierre,  qui  était  à  Barcelone,  de  le  venir  trouver 
en  diligence.  Et,  dès  qu'il  fut  arrivé,  il  donna  à  son  Ordre  le  château  d'Unéza, 
en  reconnaissance  de  la  victoire  qu'il  avait  plu  à  Dieu  de  lui  faire  remporter 
sur  ces  infidèles,  et  y  fit  bâtir  un  monastère  et  une  église  à  l'honneur  de 
Notre-Dame  :  en  effet,  devant  le  succès  de  ses  armes  à  l'intercession  de 
Marie,  il  était  juste  qu'il  lui  consacrât  la  gloire  de  ses  conquêtes  en  lui 
érigeant  ces  illustres  trophées. 

Tandis  que  l'on  travaillait  aux  fondements  de  cette  nouvelle  église  que 
l'on  nomme  en  Espagne  Sainte-Marie  del  Puche,  à  cause  du  lieu,  il  arriva 
une  chose  digne  de  remarque  :  pendant  quatre  samedis,  on  vit  paraître  la 
nuit  sept  lumières  brillantes  comme  des  étoiles,  qui,  descendant  du  ciel  à 
sept  diverses  fois,  allaient  se  cacher  sous  la  terre  à  l'endroit  même  où  l'on 
creusait  les  fondations.  On  y  prit  garde  et,  en  creusant  plus  avant,  on  trouva 
une  cloche  d'une  prodigieuse  grosseur,  dans  laquelle  il  y  avait  une  très-belle 
image  de  Notre-Dame.  Le  bienheureux  Pierre  la  reçut  entre  ses  bras 
comme  un  riche  don  du  ciel  et  lui  fit  dresser  un  autel  au  même  endroit  où 
elle  fut  trouvée;  et  Dieu  y  a  opéré,  dès  ce  temps-là,  de  nombreux  miracles. 

Cette  faveur  céleste  donna  sujet  au  saint  homme  d'exhorter  le  roi  à  la 
poursuite  du  siège  de  Valence  ;  et,  quoique  le  conseil  fût  d'avis  contraire, 
néanmoins  le  prince  se  confia  aux  paroles  de  Nolasque,  qui  lui  promettait 
le  succès  de  la  part  de  Dieu.  Il  continua  le  siège  et  emporta  enfin  la  ville 
avec  le  secours  du  ciel  et  des  armes  de  la  noblesse  française  qui  vint,  sans 
être  mandée,  lui  faire  offre  de  ses  services  en  une  si  sainte  entreprise,  où  il 
y  allait  de  la  gloire  de  Dieu  et  de  l'intérêt  de  la  religion  chrétienne. 

La  première  action  du  roi,  après  son  entrée  dans  la  ville,  fut  de  faire 
consacrer,  par  l'évêque  de  Narbonne,  la  grande  mosquée  en  église  cathé- 
drale, sous  le  titre  de  Saint-André,  et  de  donner  aux  religieux  de  la  Merci 
ViES  DBS  Saints.  —  Tome  II.  10 


146  31   JANVIER. 

une  autre  mosquée,  où  fut  l'église  et  le  monastère  de  l'Ordre.  Notre  Saint 
disposa  cette  maison  et,  après  l'avoir  remise  entre  les  mains  de  quelques  reli- 
gieux, il  retourna  à  Barcelone  ;  il  n'y  fut  pas  longtemps  sans  faire  les  prépa- 
ratifs d'un  troisième  voyage  pour  une  nouvelle  rédemption.  Comme  il  avait 
trouvé  chez  les  Maures  de  Grenade  et  de  Valence  plus  de  douceur  qu'il  n'en 
désirait  pour  contenter  son  humilité,  il  résolut  de  tirer  vers  l'Afrique,  et 
alla  aborder  à  Alger,  côte  depuis  longtemps  oubliée  des  matelots  européens, 
mais  depuis  fort  fréquentée  par  les  Pères  de  la  Merci. 

Il  allait  chercher  les  fidèles  captifs  dans  les  basses-fosses  des  Turcs,  avec 
plus  de  soin  et  d'allégresse  que  les  plus  avares  ne  recherchent  l'or  dans  les 
entrailles  de  la  terre  ou  les  perles  dans  le  fond  de  la  mer.  Mais,  tandis  qu'il 
travaillait  à  délivrer  les  esclaves,  les  Turcs  s'efforçaient  de  faire  prisonniers 
ceux  qui  étaient  libres.  Un  pirate,  revenant  de  faire  sa  course,  arriva  à 
Alger  avec  une  frégate  remplie  de  chrétiens  passagers,  parmi  lesquels  il  y 
avait  une  dame  catalane  nommée  Thérèse  de  Vibaure  :  c'était  une  personne 
de  haute  qualité,  accompagnée  d'un  de  ses  frères  avec  qui  elle  revenait  de 
Rome  recevoir  de  Sa  Sainteté  la  conclusion  d'un  différend  qu'elle  avait  avec 
le  roi  d'Aragon.  Lorsque  le  pirate  arriva  au  port,  les  hurlements  extraordi- 
naires de  ces  loups  affamés  firent  bien  juger  au  Père  qu'ils  avaient  fait  quel- 
que nouvelle  prise  :  c'est  pourquoi  il  s'y  rendit  promptement,  et,  décou- 
vrant ces  pauvres  prisonniers,  il  s'approcha  d'eux  afin  de  mêler  ses  larmes 
avec  leurs  soupirs  et  d'adoucir  leur  douleur  en  leur  témoignant  le  chagrin 
qu'il  en  avait,  et  en  offrant  à  chacun  d'eux  sa  liberté  et  sa  vie  pour  leur 
délivrance.  Mais  quand  il  aperçut  Thérèse,  qu'il  avait  vue  peu  d'années 
auparavant  dans  la  prospérité,  il  lui  promit  toute  sorte  d'assistance,  et  alla 
aussitôt  traiter  du  rachat  de  tous  ces  captifs  avec  le  pirate  qui  les  avait 
amenés.  Celui-ci  ne  sachant  pas  les  qualités  de  ses  esclaves,  les  laissa  à  un 
pris  médiocre  et,  en  ayant  reçu  le  paiement,  il  les  mit  entre  les  mains  du 
Père.  Un  matelot  ayant  découvert  la  qualité  de  cette  dame  et  de  son  frère, 
le  chef  des  pirates  se  saisit  de  nouveau  de  leurs  personnes  ;  et,  comme  s'il 
avait  été  trompé  par  le  Père,  il  le  traita  injurieusement  et  le  menaça  même 
de  le  faire  mourir.  Saint  Pierre,  pour  arrêter  le  bruit,  augmenta  la  rançon  ; 
et,  parce  qu'il  n'avait  pas  de  quoi  payer,  il  obtint  du  temps  pour  envoyer 
en  Espagne  chercher  la  somme  nécessaire,  à  condition  que  les  esclaves 
seraient  mis  en  lieu  de  sûreté  et  qu'il  aurait  la  liberté  de  les  visiter.  Il  écrivit 
au  roi  d'Aragon,  et  les  captifs  écrivirent  aussi  à  leurs  parents  ;  mais  la  lon- 
gueur qu'on  apporta  à  faire  réponse  et  les  incommodités  de  la  servitude, 
insupportables  à  des  personnes  délicates,  les  portèrent  à  chercher  leur 
liberté  àl'insu  du  Père  ;  et  un  juif  du  pays  les  enleva  secrètement  une  nuit 
et  les  fit  passer  quelques  jours  après  en  Espagne. 

Le  lendemain,  les  pirates,  ne  trouvant  plus  le  meilleur  de  leur  butin,  se 
saisirectdu  bienheureux  Père,  sans  autre  information,  le  chargèrent  d'in- 
jures et  de  coups,  le  mirent  dans  une  basse-fosse  et  le  firent  comparaître  en 
justice  comme  un  voleur,  un  séducteur,  un  faussaire  et  le  seul  auteur  de  la 
fuite  des  esclaves.  Le  cadi  ou  juge,  ne  trouvant  aucune  preuve  contre  lui, 
n'osa  le  condamner;  mais  lui,  désirant  souffrir  et  craignant  que  l'on  ne 
fît  quelque  mauvais  traitement  aux  autres  captifs,  s'offrit  pour  être  esclave 
à  la  place  des  fugitifs  ou  de  ceux  qu'on  voudrait,  pendant  que  le  religieux 
qui  était  en  sa  compagnie  irait  en  chercher  la  rançon  en  Espagne.  Le  pirate, 
avare  et  artificieux,  voulant  avoir  de  l'argent  et  se  venger,  aima  mieux  rete- 
nir en  gage  le  religieux  que  le  Père  destinait  à  ce  voyage  et  voulut  que  lui- 
même  se  mit  en  mer  pour  aller  chercher  la  rançon  des  autres.  Il  fit  mettre 


SAINT  PIERRE  NOLASOTTE,    FONDATEUR  DE   l'oRDRE   DE  LA  MERCI.  147 

sur  mer  deux  barques  nommées  tartanes  :  dans  l'une,  qui  faisait  eau  de  lous 
côtés,  il  fit  embarquer  le  Père,  avec  ordre  aux  matelots,  dès  qu'ils  seraient 
en  pleine  mer,  de  l'abandonner  sans  voiles  ni  gouvernail,  et  qu'au  retour  ils 
feignissent  que  la  tempête  avait  perdu  le  vaisseau  où  était  le  chrétien.  Son 
ordre  fut  exécuté,  mais  non  pas  avec  le  succès  qu'il  prétendait,  parce  que 
Dieu  voulut  garantir  du  naufrage  celui  qui  n'allait  que  sous  la  conduite  de 
sa  grâce.  L'orage  que  les  Turcs  avaient  choisi  pour  exercer  leur  fureur 
cessa  :  le  calme  revint.  Dieu  même  servit  de  guide  à  la  tartane,  et  le  Père, 
faisant  mât  de  son  corps  et  voile  de  son  manteau,  à  la  faveur  d'un  vent  pro- 
pice, traversa  la  mer  et  se  rendit  en  peu  d'heures  aux  côtes  et  enfin  au  port 
de  Valence,  au  grand  étonnement  d'une  infinité  de  monde  qui  le  vit  aborder. 

Dès  qu'il  fut  débarqué,  il  alla  rendre  grâces  à  Dieu  en  l'église  de  Notre- 
Dame  del  Puche,  dont  nous  avons  parlé  ci-dessus  ;  il  y  fut  suivi  de  tout  le 
peuple,  qui  donna  mille  louanges  à  Dieu  pour  la  merveille  de  ce  succès  et 
qui  fit,  sur  l'heure,  de  grandes  aumônes  pour  dégager  au  plus  tôt  le  religieux 
et  le  reste  des  chrétiens  captifs  à  Alger  ;  ils  furent  bientôt  rachetés  et  amenés 
à  Valence,  où  ce  bienheureux  Père  les  attendit  et  les  reçut  avec  des  ten- 
dresses que  l'on  ne  peut  exprimer  par  des  paroles.  Les  religieux  de  Barce- 
lone, ayant  appris  l'admirable  retour  de  leur  saint  Père,  l'envoyèrent  sup- 
plier de  les  venir  consoler  par  sa  présence  qui  leur  était  très-nécessaire  :  il 
y  alla;  mais,  s'il  leur  donna  cette  consolation,  il  en  reçut  aussi  beaucoup  de 
voir  le  zèle  qu'ils  avaient  pour  se  sacrifier  entièrement  aux  œuvres  de  cha- 
rité et  chercher  l'occasion  du  martyre.  Quelque  temps  après,  il  assembla  les 
principaux  de  l'Ordre  pour  se  démettre  de  l'office  de  rédempteur,  qu'on  lui 
avait  imposé,  et  procéder  à  l'élection  d'un  autre  qui  s'acquittât  dignement 
de  cette  fonction  :  le  sort  tomba  sur  le  P.  Guillaume  Bas.  11  voulut  en 
même  temps  renoncer  aussi  à  la  charge  de  général  pour  vivre  le  reste  de  ses 
jours  en  simple  religieux  ;  mais,  quelque  raison  qu'il  alléguât  pour  faire 
agréer  son  dessein,  personne  n'y  voulut  consentir.  "Tout  ce  qu'il  put  faire 
par  ses  prières  et  par  ses  larmes,  ce  fut  d'obtenir  enfin  l'élection  d'un  vicaire 
général  qui  le  soulagerait  en  ses  visites  et  dans  les  autres  fatigues  de  l'Ordre  ; 
et  ce  fut  le  P.  Pierre  d'Amour.  Ainsi  Nolasque,  se  voyant  im  peu  plus 
libre,  s'appliqua  avec  un  nouveau  zèle  aux  plus  humbles  ministères  de  la 
communauté  et  reprit  les  premiers  exercices  du  noviciat.  Entre  autres 
choses,  il  se  plaisait  extrêmement  à  distribuer  les  aumônes  aux  pauvres,  à 
la  porte  du  monastère,  parce  que,  durant  ce  temps,  il  avait  le  moyen  de 
leur  faire  part  de  l'aumône  spirituelle  et  de  les  exhorter  à  la  patience  et  à 
l'amour  de  Dieu. 

11  était  souvent  favorisé  de  visions  célestes  par  lesquelles  Notre-Seigneur 
lui  faisait  connaître  les  progrès  de  son  Ordre  et  la  meilleure  manière  de 
conduire  ses  reUgieux.  Un  samedi,  qu'il  assistait  avec  les  autres  au  salut  qui 
se  chante  le  soir  dans  l'église,  il  considérait  tous  ses  religieux,  et  comme  il 
lui  semblait  que  le  nombre  en  était  petit,  tout  ravi,  hors  de  lui,  il  dit  d'une 
voix  intelligible  et  accompagnée  de  soupirs  et  de  larmes  :  «  Comment  !  Sei- 
gneur, est-ce  que  vous  serez  avare  envers  votre  mère,  étant  si  libéral  envers 
toutes  vos  créatures  ?  0  Seigneur,  si  c'est  mon  insuffisance  qui  fait  tarir  la 
source  de  vos  grâces,  effacez  du  livre  de  vie  ce  serviteur  inutile  et  donnez 
des  enfants  à  la  divine  Marie  ».  Alors,  on  entendit  dans  l'église  une  voix  qui 
prononça  ces  paroles  :  «  Ne  craignez  pas,  petit  troupeau,  parce  qu'il  a  plu  à 
votre  Père  de  vous  donner  son  royaume  » .  Ces  paroles  remplirent  les  assis- 
tants d'étonnement  et  le  Saint  d'allégresse,  et  il  eut  bientôt  la  consolation 
de  voir  cette  promesse  accomplie  par  l'augmentation  des  religieux  et  des 


148  31   JANVIER. 

monastères   qui  furent  fondés  en  plusieurs   endroits  de    la   chrétienté. 

Il  avait  toujours  eu  un  extrême  désir  de  faire  le  voyage  de  Rome  pour  y 
rendre  ses  vœux  au  sépulcre  de  saint  Pierre,  le  prince  des  Apôtres,  auquel 
il  était  très-dévot,  parce  qu'il  en  portait  le  nom.  Celte  dévotion  se  renouvela 
et  même  augmenta  après  l'établissement  de  son  Ordre,  et  il  résolut  de  faire 
le  chemin  les  pieds  nus.  Un  jour  donc  qu'il  méditait  sur  cette  entreprise,  il 
entendit  une  voix  qui  lui  dit  par  trois  fois  :  «  Pierre,  puisque  tu  n'es  pas 
venu  me  voir,  je  te  viens  visiter  ».  Et  aussitôt  il  aperçut  le  prince  des 
Apôtres  au  même  état  qu'il  était  quand  il  fut  crucifié,  qui  lui  dit  :  «  Pierre, 
tous  les  bons  désirs  des  justes  ne  doivent  pas  être  accomplis  en  cette  vie  : 
j'ai  voulu  avoir  la  tête  en  bas  à  ma  mort,  pour  faire  connaître  que  les  supé- 
rieurs doivent  porter  leur  esprit  et  leur  pensée  aux  nécessités  de  leurs  infé- 
rieurs, à  l'imitation  de  mon  maître,  qui,  avant  de  mourir,  porta  sa  tête  à 
mes  pieds  afin  de  les  laver  » . 

Depuis  cette  vision,  il  ne  passait  point  de  jour  sans  faire  quelque  dévo- 
tion particulière  à  saint  Pierre  ;  ainsi  il  commandait  à  un  religieux  de  le  lier 
à  une  croix  qui  était  au  chevet  de  son  lit,  et  passait  des  heures  entières  en 
la  même  posture  qu'il  avait  vu  cet  apôtre.  Ce  qu'il  pratiqua  longtemps, 
jusqu'à  ce  que  son  père  spirituel,  s'apercevant  que  cette  mortification  portait 
un  préjudice  notable  à  sa  santé,  lui  défendit  de  la  continuer.  Il  avait  une 
forte  inclination  pour  la  solitude  ;  c'est  pourquoi  il  eût  bien  voulu  passer  le 
reste  de  ses  jours  au  désert  de  Montserrat  avec  les  autres  ermites  qui  y 
vivaient,  mais  il  en  fut  détourné  par  saint  Raymond,  son  confesseur,  qui 
l'assura  que  Dieu  l'appelait  à  autre  chose  :  ce  conseil  de  son  père  spirituel 
fut  confirmé  par  une  voix  qui  lui  disait  :  «  Pierre, lève  les  yeux  et  regarde  »; 
et  il  vit  des  personnes  de  toutes  sortes  de  conditions  qui  entraient  en  paradis. 

11  était  si  humble  qu'il  s'appelait  au  bas  de  ses  lettres  tantôt  Pierre 
Nolasque,  serviteur  inutile  ;  quelquefois  les  balayures  du  monde  ;  d'autres  fois 
le  vrai  néant.  Et  comme  on  lui  remontra  que  ces  titres  semblaient  ridicules, 
ou  du  moins  peu  décents  à  sa  dignité,  il  répondit  que  les  signatures  étant 
inventées  pour  exprimer  qui  nous  sommes,  il  se  qualifiait  tel  qu'il  voulait 
être  estimé  des  autres. 

Dieu  l'avait  favorisé  de  l'esprit  de  prophétie  pour  connaître  les  choses  à 
venir,  celles  qui  étaient  présentes  et  cachées  ;  car  il  prédit,  ainsi  que  nous 
l'avons  vu,  l'heureux  succès  du  siégé  de  Valence  à  dom  Jacques,  roi  d'Ara- 
gon, et  il  reconnut  que  deux  hommes,  qui  se  présentaient  à  lui  sous  prétexte 
de  lui  demander  l'habit  de  son  Ordre,  étaient  des  assassins  qui  venaient  avec 
le  dessein  de  lui  ôter  la  vie. 

Il  ne  fut  pas  seulement  honoré  des  rois  d'Aragon  et  d'Espagne,  mais 
aussi  du  grand  saint  Louis,  roi  de  France,  qui,  entendant  parler  de  ses 
actions  miraculeuses  et  de  sa  vie  exemplaire,  eut  envie  de  le  voir  et  lui  fit 
savoir  son  désir.  Le  Saint  prit  occasion  de  lui  venir  baiser  les  mains,  lorsque 
ce  prince,  pour  arrêter  les  progrès  de  Raymond,  dernier  comte  de  Tou- 
louse, fit  un  voyage  en  Languedoc  environ  l'an  1243.  Le  roi  le  reçut  avec  de 
grandes  démonstrations  de  joie  et  le  retint  quelque  temps  en  sa  cour,  oîi  il 
lui  communiqua  les  desseins  qu'il  avait  pour  le  service  de  Dieu  et  particu- 
lièrement touchant  la  liberté  des  chrétiens  qui  souffraient  en  la  Terre  Sainte 
sous  le  joug  des  infidèles.  Il  contracta  môme  avec  lui  une  amitié  particu- 
lière, et  l'entretint  depuis  par  des  lettres  qu'il  lui  écrivait  souvent,  recom- 
mandant ses  Etats  et  sa  personne  à  ses  prières  et  à  celles  des  religieux  de 
son  Ordre.  Enfin,  ce  très-saint  roi  faisait  tant  d'estime  des  vertus  et  des 
mérites  de  saint  Pierre  Nolasque,  que,  se  voyant  sur  le  point  de  passer  avec 


SAINT  PIERRE  KOtASQUE,   FONDATEUR  DE  l'ORDRE  DE  tA  JfERCI.  149 

ses  armées  sur  les  terres  des  infidèles,  il  le  pria,  pour  l'amour  de  Dieu,  de 
vouloir  être  de  la  partie  et  de  le  suivre  en  la  conquête  qu'il  espérait  faire  da 
la  Palestine. 

Notre  Saint  était  déjà  fort  âgé  et  très-incommodé  :  néanmoins,  comme 
si  la  pensée  de  cette  entreprise  qu'il  croyait  devoir  être  très-glorieuse  lui 
eût  donné  de  nouvelles  forces,  il  sortit  du  lit  et  commença  à  se  disposer  à 
son  voyage ,  mettant  l'ordre  nécessaire  aux  affaires  de  son  monastère 
durant  son  absence.  Mais  les  elForts  de  la  vieillesse  ne  peuvent  être  de  longue 
durée,  surtout  dans  un  corps  que  les  grandes  austérités  n'ont  pas  moins 
cassé  que  l'âge.  Son  zèle  et  son  extrême  ardeur  ne  servirent  qu'à  le  faire 
tomber  en  une  plus  grande  faiblesse  ;  de  sorte  que,  se  sentant  diminuer  tous 
les  jours,  il  se  vit  contraint  avec  douleur  de  se  remettre  au  lit  et  se  contenta 
de  faire  savoir  au  roi  de  France  sa  bonne  volonté  et  le  peu  de  forces  qu'il 
avait  pour  la  mettre  à  exécution. 

Le  jour  de  la  naissance  du  Sauveur  approchant,  lorsque  les  fidèles  con- 
çoivent le  plus  de  sentiments  d'allégresse,  les  douleurs  de  sa  maladie  redou- 
blèrent :  il  en  fît  paraître  une  joie  particulière,  étant  ravi  de  prendre  part 
aux  souffrances  de  Jésus  enfant  couché  dans  la  crèche.  Et,  quoique  les 
médecins  ne  fussent  pas  d'avis  qu'il  sortît  de  sa  cellule  pour  aller  à  l'église, 
il  ne  laissa  pourtant  pas  de  se  trouver  à  sa  place  dans  le  chœur,  sans  savoir 
de  quelle  manière  il  y  avait  été  porté.  Le  service  achevé,  il  se  leva  tout  seul 
et  s'en  alla  en  sa  cellule  comme  si  jamais  il  n'eût  eu  d'incommodités  ;  mais, 
aussitôt  qu'il  y  fut,  ses  convulsions  le  reprirent,  et  les  religieux,  l'ayant  remia 
sur  son  lit,  le  prièrent  de  leur  dire  comment  il  avait  été  transporté  ;  il  fit 
réponse  qu'il  en  fallait  louer  Dieu,  Père  de  miséricorde  et  de  toute  consola- 
tion, et  sa  sainte  Mère,  protectrice  de  l'Ordre,  et  que  c'était  tout  ce  qu'il  en 
pouvait  dire. 

L'incommodité  qu'il  ressentit  cette  nuit  de  Noël  avança  beaucoup  le 
dernier  jour  de  sa  vie.  Reconnaissant  donc  que  sa  fin  était  proche,  il  supplia 
qu'on  lui  donnât  le  saint  Viatique.  Quand  il  vit  qu'on  le  lui  apportait,  la 
dévotion  lui  fournit  de  nouvelles  forces  ;  et,  sautant  de  son  lit,  il  sortit  de 
sa  chambre,  se  traîna  à  genoux  jusqu'à  ce  qu'il  arrivât  aux  pieds  de  celui 
qui  tenait  le  Saint-Sacrement  à  la  main  ;  et  là,  répétant  souvent  ces  paroles 
avec  un  grand  transport  de  ferveur  :  «  D'oîi  me  vient  cet  honneur  que  mon 
Seigneur  vienne  à  moi  ?  n  il  tomba  de  faiblesse.  Les  religieux,  le  prenant 
sur  leurs  bras,  le  remirent  dans  son  lit,  où  il  reçut  avec  d'admirables  témoi- 
gnages de  douceur  et  de  consolation  intérieure  le  corps  précieux  de  son 
Dieu.  Puis,  faisant  appeler  tous  les  frères,  il  leur  dit  qu'il  avait  deux  grâces 
à  leur  demander  :  l'une,  de  lui  pardonner  le  mauvais  exemple  qu'il  leur 
avait  donné  et  sa  négligence  dans  le  gouvernement  de  l'Ordre  ;  l'autre  qu'ils 
élussent  en  sa  place  un  général,  afin  qu'il  pût  mourir  avec  le  mérite  de 
l'obéissance.  Les  religieux,  préférant  en  cette  extrémité  sa  consolation  à  la 
coutume  des  Ordres  réguliers,  consentirent  à  son  désir,  persuadés  qu'il 
nommerait  celui  qu'il  jugerait  le  plus  propre  à  soutenir  cette  charge  ;  alors 
il  déclara  et  assura  que  frère  Guillaume  Bas  était  celui  que  le  ciel  destinait 
pour  la  conduite  de  l'Ordre. 

Les  religieux,  déférant  à  la  nomination  de  leur  saint  patriarche,  rendirent 
aussitôt  au  nouveau  général  les  premiers  actes  d'obéissance.  Lorsque  le  Saint 
se  vit  déchargé  de  ce  fardeau  et  qu'il  n'eut  plus  qu'à  penser  à  l'affaire  de 
son  salut,  il  s'appliqua  entièrement  aux  exercices  de  la  dévotion  ;  tantôt  il 
s'entretenait  avec  Dieu  et  avec  la  très-sainte  Vierge  ;  tantôt  il  parlait  au 
prince  des  Apôtres,  d'autres  fois  à  son  ange  gardien,  et  ses  colloques  étaient 


150  31  JANVIER. 

accompagnés  des  larmes  d'une  parfaite  contrition  et  suivis  d'extases  qui  le 
faisaient  paraître  comme  s'il  eût  rendu  l'âme.  Une  fois,  entre  autres, récitant 
le  psaume  l,  Miserere  mei  Beus,  etc.,  étant  arrivé  à  ces  mots  :  Asperges  me, 
Domine  :  —  a  Oui,  Seigneur,  votre  miséricorde  me  lavera  dans  le  bain  salu- 
taire de  votre  sang,  et  je  deviendrai  plus  blanc  que  la  neige  » ,  il  demeura  si 
longtemps  hors  de  lui,  qu'il  fut  tenu  pour  mort,  jusqu'à  ce  qu'enfin  il  reprit 
sa  prière  et  continua  les  mouvements  de  sa  ferveur.  Le  roi  d'Aragon  lui 
écrivit  des  lettres  en  cette  dernière  maladie,  et  l'évêque  de  Barcelone  le  vint 
voir  et  lui  donna  sa  bénédiction  pastorale.  Ensuite  le  bon  père,  regardant 
ses  enfants  autour  de  son  lit,  et  levant  les  yeux  et  les  mains  au  ciel,  leur 
donna  la  sienne,  laquelle  fut  suivie  d'une  agréable  odeur  qui  parfuma  toute 
la  chambre.  Enfin,  se  munissant  du  signe  salutaire  de  la  sainte  croix,  il 
expira  en  leur  présence,  la  nuit  de  Noël  de  l'an  1236,  âgé  de  cinquante -neuf 
ans,  ou  de  soixante-six,  selon  divers  auteurs.  Son  corps  fut  inhumé  dans  la 
sépulture  ordinaire  des  religieux,  comme  il  l'avait  ordonné  ;  mais,  quatre- 
vingt-sept  ans  après, l'an  1343, il  en  fut  levé  par  ordre  du  Pape  et  transporté 
dans  une  chapelle  dédiée  au  Très-Saint  Sacrement  de  l'autel,  où  le  peuple 
chrétien,  en  honorant  ses  précieuses  dépouilles,  a  souvent  reçu  de  Dieu  des 
grâces  extraordinaires  qui  ont  été  tenues  pour  des  miracles. 

Voici  comment  on  a  représenté  saint  Pierre  Nolasque  :  des  Anges  le  portent 
au  chœur  pour  qu'il  puisse  assister  à  l'office  avec  ses  frères  ;  cela  suppose  que 
le  Saint  était  vieux  ;  —  On  place  à  côté  de  lui,  comme  du  reste  à  côté  de  tous 
les  saints  de  l'Ordre  de  la  Merci,  les  armoiries  d'Aragon  ou  plutôt  de  Cata- 
logne, que  les  Espagnols  appellent  les  quatre  barres  sanglantes  d'Aragon  :  ces 
quatres  barres  sont  surmontées  de  la  croix  blanche  de  l'Ordre.  A  propos  des 
quatre  barres  sanglantes  d'Aragon,  certains  héraldistes  prétendent  qu'après 
une  grande  bataille  un  de  nos  empereurs  carlovingiens  vint  trouver  le 
marquis  français  de  Catalogne  blessé  grièvement  dans  l'action,  et  que  trem- 
pant sa  main  dans  le  sang  du  guerrier,  il  traça  sur  le  bouclier  quatre  lignes 
rouges,  disant  :  Ce  seront  désormais  vos  armes.  Quant  à  la  concession  du  bla- 
son aragonais  faite  aux  religieux  de  la  Merci,  elle  s'explique  par  l'affection  de 
Jayme  1"  dont  saint  Pierre  avait  été  le  précepteur  ;  —  On  lui  met  entre  les 
mains  une  branche  d'olivier,  symbole  de  sa  mission  de  paix  entre  chrétiens 
et  Musulmans  :  il  faut  avouer  toutefois  que  cet  attribut  n'est  point  suffisam- 
ment caractéristique  ;  —  On  le  peint  souvent  accompagné  de  prisonniers 
délivrés  par  lui  :  cachots  et  noires  poternes,  chaînes  et  galères  peuvent  figu- 
rer ici  ;  —  A  ses  pieds  est  une  cloche  dans  laquelle  on  voit  une  image  de 
Notre-Dame,  et  sur  laquelle  descend  une  traînée  lumineuse  semée  de  sept 
étoiles  :  cela  rappelle  la  fondation  de  Notre-Dame  de  la  Merci  près  de 
Valence.  Nous  avons  raconté  le  fait  dans  la  vie  du  Saint  ;  —  il  tient  à  la  main 
une  croix  à  longue  hampe  :  cette  croix  se  donne  assez  souvent  aux  fonda- 
teurs d'Ordres  religieux  qui,  n'étant  pas  abbés,  n'ont  pas  le  droit  de  porter 
crosse  ;  —  A  ce  même  titre  de  fondateur  d'Ordre,  on  peut  lui  mettre  le 
crucifix  dans  une  main  et  un  drapeau  dans  l'autre,  ce  dernier  étant  le  sym- 
bole du  recrutement  ;  —  La  sainte  Vierge  remet  à  Pierre  Nolasque  le  sca- 
pulaire  de  Notre-Dame  de  la  Merci. —  Saint  Pierre  Nolasque  est  naturellement 
le  patron  de  son  Ordre  :  il  est  particulièrement  honoré  à  Barcelone. 

CULTE  DE  SAINT  PIERRE  NOLASQUE. 

En  1628,  le  pape  Urbain  VIII  permit  aux  religieux  de  la  Merci  de  solenniser  sa  fête  le  29  jan- 
TÏer,  en  récitant  roffice  divin  et  en  célébrant  la  messe  en  son  honneur.  Par  suite  de  cette  permis- 


SAINT  CYR  ET  SAINT  JEAN.  131 

sioD,  plusieurs  églises  cathédrales  d'Espagne  l'iasérèvcnt  dans  leur  calendrier,  et  en  ordoauércat 
l'office  et  la  messe  solennelle.  Depuis,  le  pape  Alexandre  VU  l'a  fait  mettre  avec  beaucoup  d'éloges 
dans  le  martyrologe  romain,  et  en  a  étendu  l'office  et  la  solennité  à  toute  l'Eglise.  Et  Clément  X, 
en  étant  supplié  par  la  reine  de  France  Marie-Thérèse  d'Autriche,  a  commandé  que  cet  office  fût 
double.  Il  a  été  transféré  du  29  au  31  janvier,  qui  est  à  présent  son  propre  jour. 

Le  diocèse  de  Carcassonne  célèbre  cette  fête  sous  le  rite  double  majeur,  et  le  Mas-Sainte  Puelle,  privé 
depuis  les  jours  néfastes  de  la  Révolution  française  d'une  communauté  de  l'O.'dre  de  la  Merci,  n'en 
célèbre  pas  moins  tous  les  ans,  le  31  janvier,  avec  toute  la  pompe  possible,  la  solennité  de  celui 
que  l'office  particulier  à  cette  paroisse  appelait  Saint  Pierre  Nolusque,  fils  de  l'église  du  Mas- 
Sainles-Puelle^,  et  la  population  entière  visite  plus  spécialement  en  ce  jour  les  ruines  du  château 
de  notre  bienheureux.  Enfin,  comme  pour  marcher  sur  les  traces  du  pape  Clément  VI,  en  1343, 
Mgr  de  la  BouiUerie,  évèque  de  Carcassonne,  a  voulu  que  le  31  janvier,  la  paroisse  du  Mas-Saintes- 
Puelles  célébrât  en  même  temps  la  fête  de  l'Adoration  perpétuelle  du  Très-Saint  Sacrement,  et  celle 
de  saint  Pierre  Nolasque. 

Le  R.  P.  François  Zumel,  général  de  l'Ordre  de  la  Merci,  et  très-savant  théologien,  a  écrit  en 
latin  la  vie  de  ce  saint  fondateur.  Ensuite  d'antres  l'ont  composée  en  français,  en  italien  et  en 
espagnol  ;  et  ceux  qui  ont  écrit  l'histoire  de  l'Eglise  de  son  temps  en  ont  parlé  avec  beaucoup 
d'honneur.  Le  martyrologe  d'Espagne  en  rapporte  des  choses  très-dignes  d'être  lues  par  les  savants. 
Pour  en  finir,  j'ajoute  qu'il  est  vrai  que  l'on  a  douté  fort  longtemps  si  saint  Pierre  Nolasque  avait 
été  prêtre  ;  mais  les  raisons  rapportées  par  le  R.  P.  Marc  Salomon,  général  de  cet  Ordre  et  nommé 
à  un  évêché,  sont  entièrement  convaincantes  pour  persuader  qu'il  l'a  été,  et  qu'il  célébra  sa  pre- 
mière messe  dans  la  ville  de  Murcie,  lorsque  le  roi  dom  Jacques  en  eut  chassé  les  Mahométans. 

Son  Ordre  s'est  étendu  dans  toutes  les  provinces  d'Espagne  et  est  établi  dans  les  meilleures 
villes  d'Italie.  II  y  en  a  eu  peu  de  maisons  en  France.  Ces  religieux  sont  les  premiers  prêtres  qui 
aient  passé  dans  l'ile  de  Saint-Dominique,  au  Pérou  et  dans  le  Mexique  ;  ils  ont  été  des  plus  zélés 
à  annoncer  l'Evangile  et  à  travailler  à  la  conversion  des  Indiens  ;  outre  les  couvents  qu'ils  possè- 
dent dans  le  Brésil,  ils  ont  eu  jusqu'à  huit  florissantes  provinces  dans  les  autres  parties  de  l'Amé- 
rique, avec  un  grand  nombres  de  cures  '.  On  ne  peut  dire  le  nombre  de  captifs  que  ces  saints  ré- 
dempteurs ont  tirés  des  fers,  de  chrétiens  ébranlés  qu'ils  ont  soutenus,  fortifiés  et  animés  au  mar- 
tyre, d'idolâtres  qu'ils  ont  éclairés  de  la  lumière  de  l'Evangile,  et  de  pécheurs  qu'ils  ont  convertis. 
Comme  leur  institut  les  obligeait  continuellement  à  se  mettre  à  la  merci  des  Turcs  et  des  Barbares,  il 
y  en  a  beaucoup  qui  ont  souffert  de  grands  tourments  et  même  qui  ont  été  martyrisés  pour  le  nom 
de  Jésus-Christ.  Plusieurs  aussi  se  sont  rendus  illustres  par  leur  doctrine,  et  ont  été  élevés  à  des 
prélatures  très-considérables.  Enfin,  ce  même  Ordre  s'est  notablement  augmenté  au  sv»  siècle  par 
l'érection  d'une  congrégation  de  Déchaussés  de  l'un  et  de  l'autre  sexe,  qui,  dans  un  grand  nombre 
de  couvents,  en  Espagne,  en  Italie  et  en  Sicile,  ont  eu  pour  but,  comme  les  Pères  de  la  Merci,  de 
racheter  les  chrétiens  esclaves. 


SAINT  CYR  ET  SAINT  JEAN, 

S^  ATUANASIE,    S'°   THÉODOSIE,    S,^"   THÉOCTISTE   ET   s'"   EDDOXIE,    MAUTTHS 

(Règne  de  Dioclétien.) 

Cyr  ou  Cyms  était  d'Alexandrie  même  ;  il  y  exerçait  la  profession  de  médecin,  guérissant  les 
âmes  des  erreurs  du  paganisme,  non  moins  que  les  corps  de  leurs  maladies.  Il  fut  dénoncé  au  gou- 
verneur conune  détournant  les  peuples  du  culte  des  idoles  et  leur  persuadant  d'adorer  Jésus 
le  crucifié.  Le  gouverneur  donna  ordre  de  l'arrêter.  Le  Saint  se  réfugia  sur  les  frontières  de  l'Ara- 
bie, y  changea  de  costume,  se  rasa  la  tête,  prit  l'habit  de  moine,  et  continua  de  guérir  les  corps  et 
les  âmes  par  la  foi  et  la  prière  seules.  Jean  était  d'une  naissance  illustre  et  occupait  un  poste  élevé 
dans  la  milice  séculière.  Ayant  été  faire  un  pèlerinage  à  Jérusalem,  il  vint  en  Egypte,  et  se  joignit 
à  Cyms,  attiré  par  le  bruit  de  ses  guérisons  miraculeuses.  S'édifiant  l'un  l'autre,  ils  faisaient  tons 
les  jours  de  nouveaux  progrès  dans  la  vertu.  La  persécution  ayant  redoublé,  trois  vierges  chrétiennes 
de  Canope,  consacrées  à  Jésus-Christ,  furent  arrêtées  avec  leur  mère  Athanasie,  et  présentées  au 
gouverneur  syrien.  Saint  Cyr,  l'ayant  appris  dans  sa  retraite,  craignit  beaucoup  que  ces  enfants, 
intimidées  à  la  vue  des  supplices,  ne  vinssent  à  renier  leur  céleste  époux,  surtout  à  cause  de  leur 
grande  jeunesse.  Car  Théoctiste,  l'ainée  des  trois,  n'avait  que  quinze  ans,  Théodosie,  la  seconde,  en 

1.  Qui  dit  cure  dit  administration  des  sacrements  h  la  villâ  comme  à  la  campagne. 


452  31  JANVIER. 

avait  treize,  et  Eudoiie,  la  deniicre,  était  dans  sa  ouzième.  Saint  Cyi-  rentra  donc  dans  Alexandrie, 
accompagné  de  Jean.  Ils  pénètrent  dans  la  prison,  ils  exhortent  les  jeunes  vierges  à  mettre  leur 
confiance  en  Jésus-Chiist,  à  qui  elles  se  sont  consacrées,  et  qui  sera  lui-même  leur  force  an  milien 
des  tourments  ;  ils  leur  inspirent  ainsi  nn  courage  au-dessus  de  leur  âge  et  de  leur  sexe.  Le  gou- 
verneur l'ayant  su,  les  fit  amener  tous  deux  devant  son  tribunal,  ainsi  que  les  trois  vierges  et  leur 
mère,  n  comptait  entraîner  ces  dernières  dans  l'apostasie  des  deux  hommes,  ou  les  effrayer  parleur 
supplice.  D  essaya  d'abord  de  gagner  Cyr  et  Jean  par  des  promesses  ;  leur  offrit  de  l'argent,  de» 
honneurs,  des  places  s'ils  voulaient  revenir  à  la  religion  du  prince.  Sur  leur  refus,  il  leur  fit  endu- 
rer toutes  les  espèces  de  tourments,  les  coups  de  fouet,  le  fer,  le  feu.  Voyant  ces  deux  hommes 
insensibles,  comme  s'ils  avaient  souffert  dans  nn  corps  étranger,  il  les  fit  mettre  à  part,  et  se  mit 
à  tourmenter  les  jeunes  vierges  et  leur  mère.  Comme  elles  demeurèrent  inébranlables,  il  fît  trancher 
la  tète  à  la  mère  et  aux  trois  filles.  Après  quoi  il  essaya  de  nouveau  sur  les  deux  martyrs,  Cyr  et 
Jean,  toutes  les  espèces  de  promesses  et  de  tortures,  et  finit  par  les  décapiter.  Les  chrétiens  trans- 
portèrent les  corps  dans  l'église  de  Saint-Marc,  et  les  placèrent,  les  trois  vierges  et  leur  mère  dans 
nn  tombeau,  les  deux  amis  saint  Cyr  et  saint  Jean  dans  un  autre.  Plus  tard,  saint  Cyrille,  patriarche 
d'Alexandrie,  transféra  saint  Cyr  et  saint  Jean  dans  l'église  des  Evangélisles,  sur  le  bord  de  la  mer, 
où  ils  opérèrent  une  infinité  de  miracles  '. 

Leurs  corps  furent  plus  tard  transportés  à  Rome.  Si  donc  Rome  est  citée  dans  la  mention  du 
martyrologe,  c'est  comme  le  lieu  où  ils  sont  honorés,  et  non  comme  celui  de  leur  martyre.  Il  y  a, 
dit  Baronius,  sur  la  voie  de  Porto,  dans  la  région  ou  quartier  de  la  basilique  Saint-Paul,  au-delà  do 
Tibre,  une  vieille  église  nommée  communément  Sainte-Passara,  mais  que  les  anciens  manuscrits 
appellent  sainte  Praxède  ;  on  y  lit  ces  deux  vers  gravés  sur  le  marbre  : 

Ici  brillent  les  saints  corps  de  Cyr  et  de  Jean. 
Alexandrie  la  Grande  les  a  donnés  à  Rome  '. 

Sophrone,  évêque  de  Jérusalem,  prononça  un  beau  panégyrique  de  ces  Martyrs;  il  est  cité  dans 
l'acte  deuxième  du  concile  de  Nicée  et  par  saint  Jean  Damascèue,  troisième  discours  sur  les  images» 

Âcta  Sanctomm. 


SAINT  JULES  ET  SAINT  JULIEN, 

APÔTRES  DES  ÎLES  DU  LAG  MAJEUR  (commencement  du  v*  siècle). 

Jules  et  Julien  étaient  frères  :  Jules  était  prêtre  et  Julien  diacre.  L'empereur  Théodose  ferma 
définitivement  les  temples  des  idoles,  permit  de  les  abattre  ou  de  les  transformer  en  églises,  et  fit 
appel  aux  hommes  de  bonne  volonté  pour  aller  évangéliser  les  contrées  reculées  de  son  empire,  qui 
étaient  devenues  le  dernier  asile  du  paganisme.  Les  lies  dont  sont  semés  les  lacs  de  la  Haute-Italie 
étaient  dans  ce  cas. 

Les  deux  frères  Jules  et  Julien,  originaires  de  la  Grèce,  se  dévouèrent  à  ce  genre  d'apostolat  : 
ils  vinrent  demander  leur  mission  au  Pontife  de  Rome,  et  se  dirigèrent  vers  le  nord  de  l'Italie. 

Les  représentations  qu'on  a  données  de  ces  deux  Saints  rappellent  leurs  actions  les  plus  écla- 
tantes :  ainsi  on  les  a  peints  supportant  de  la  main  des  édifices  sacrés,  car  ils  passent  pour  avoir 
élevé  une  centaine  d'églises  ;  —  ils  traversent  le  lac  d'Orta  sur  leurs  manteaux,  pour  montrer  la 
puissance  de  la  foi  aux  bateliers  qui  leur  refusaient  le  passage  ;  — saint  Jules  chasse  d'un  signe  de 
croix  des  serpents  qui  abandonnent  l'Ile  où  il  allait  construire  sa  dernière  église,  et  ee  précipiteut 
dans  les  eanx  d'un  lac.  On  invoqne  les  deux  Saints  contre  les  loups,  dont  ils  passent  également 
pour  avoir  débarrassé  les  contrées  qu'ils  évangélisaient.  Saint  Jules  est  le  patron  spécial  d'Orta, 
dans  le  Novarais. 

I.  Voir  d-dusns  U  vie  de  aalnt  CTrille  :  noiu  7  parlons  plus  an  long  de  cette  traiulation. 

2.  Corpora  sniLti  Cyri  reuilftit  ftiCy  afgue  Joannis, 
Quos  quoadam  liomœ  lieJil  A  iexandria  magna. 


SAINT   POUANÏiE,    sOLITAIRE    A   TROraS.  433 


SAINT  GAUD,  ÉVÊQUE  D'ÉVREUX  (491). 

Gand  ou  Walde,  comme  écrivent  quelques-uns,  né  à  Evreui,  de  parents  vertueux,  fut  soigneu- 
eement  élevé  par  eux  dans  la  foi  chrétienne.  Après  la  mort  de  saint  Taurin,  apôtre  des  Eburovices. 
celle  église,  à  cause  de  la  fureur  des  guerres,  demeura  longtemps  privée  d'évêque.  Cependant 
Câud  venait  souvent  prier  an  tombeau  du  Saint.  Il  y  conçut  l'ardent  désir  de  restaurer  l'église  et 
de  propager  la  religion.  Aussi,  lorsque  l'agitation  causée  par  la  guerre  commença  à  s'apaiser,  et  que 
le  comte  Egidius  eut  ramené  quelque  tranquillité  dans  les  Gaules  par  la  défaite  des  Goths,  notre 
Saint  fit  tous  ses  efforts  pour  que  les  fidèles,  que  le  ravage  des  campagnes  et  la  terreur  des  barbares 
avaient  dispersés,  revinssent  dans  la  ville  et  se  réunissent  aux  quelques  prêtres  ou  clercs  qui  y 
étaient  demeurés.  Puis,  s'adjoignant  quelques  citoyens,  il  se  rendit  auprès  de  Germain,  archevêque 
de  Rouen,  lequel  avait,  trois  ans  auparavant,  souscrit  au  premier  concile  de  Tours,  et  il  le  pria 
instamment  de  vouloir  bien,  en  sa  qualité  de  métropolitain,  pourvoir  d'un  pasteur  nne  église  qui  en 
était  depuis  si  longtemps  privée.  Emt  des  prières  de  Gaud,  et  remarquant  dans  son  discours  et 
dans  toute  sa  personne  un  certain  caractère  de  sainteté,  l'archevêque  convoqua  une  réunion  d'évê- 
ques  à  Evreux,  où,  après  une  mûre  délibération,  il  nomma,  avec  le  commun  suffrage  du  peuple  et 
du  clergé,  Gaud  pour  successeur  de  saint  Taurin,  et  l'ayant  sacré  solennellement  avec  le  concours 
d'Ereptiole,  évèque  de  Coutances,  et  de  Sigisbode,  évèque  de  Séez,  il  le  fit  asseoir  sur  le  trôna 
épiscopal. 

Devenu  évèque,  Gaud  se  montra  en  toute  occasion  puissant  en  paroles  et  en  œuvres,  et,  par 
ses  miracles,  sa  doctrine  et  ses  bienfaits,  s'acquit  une  souveraine  autorité  auprès  des  peuples  ;  il 
6'en  servit  pour  éteindre  les  restes  de  l'idolâtrie,  construire  des  églises,  et  sustenter  les  pauvres 
jusqu'à  la  plus  extrême  vieillesse.  Mais  les  Francs  ayant  ramené  la  guerre,  le  pieux  prélat,  qui 
était  brisé  par  les  travaux,  craignant  de  ne  pouvoir  plus  porter  le  fardeau  de  l'épiscopat,  fit  élire  et 
ordonner  à  sa  place  le  prêtre  Mamsion,  dont  il  connaissait  bien  la  vertu.  Cela  fait,  on  rapporte 
qu'il  se  choisit  une  retraite  sur  le  penchant  d'une  colline,  à  quatre  milles  seulement  de  la  ville,  pour 
satisfaire  au  désir  du  peuple,  qu'il  eût  affligé  en  s'éloiguant  davantage.  Il  existe  encore  au  même 
endroit  nne  chapelle  nommée  Sainte-Marie-de-Gaud. 

Mais  à  cause  de  la  multitude  des  visiteurs  qui  venaient  le  trouver  là,  il  s'en  alla  au  pays  de 
Coutances  et  se  fixa  dans  la  solitude  de  Scicy,  près  de  Granville,  port  de  mer  important  de  cette 
région.  Cette  solitude  était  alors  habitée  par  plusieurs  ermites,  tels  que  saint  Pair,  saint  Senior, 
saint  Aroaste  et  saint  Scubilion.  Peu  de  temps  après,  il  s'y  reposa  dans  une  sainte  mort,  plein 
d'années  et  de  bonnes  œuvres,  le  31  de  janvier  491.  Son  corps  fut  découvert  pour  la  première  fois 
l'an  H31,  avec  accompagnement  de  miracles,  dans  l'église  paroissiale  de  Saint-Pair,  avec  cette  ins- 
cription :  Ici  repose  le  bienheureux  Gaud,  e'véque  dEvreux,  laquelle  avait  été  gravée  sur  SOD 
tombeau  par  Richard,  évèque  de  Coutances.  Il  avait  été  enterré  dans  l'oratoire  de  Saint-Pair  ou 
Paterne,  avec  lequel  il  avait  travaillé  à  la  conversion  des  idolâtres.  Enfin,  l'an  1064,  le  11  de  no- 
vembre, Eustache,  évèque  de  Coutances,  fit  faire  solennellement  la  levée  de  ses  reliques.  Trois  cha- 
noines d'Evreux,  députés  par  le  chapitre,  assistaient  à  cette  solennité.  On  leur  céda  un  os  de  la 
jambe  du  saint  évèque  pour  être  apporté  à  leur  église,  où  il  est  honoré  jusqu'ici  avec  un  grand 
respect. 

Godescard  ajoute  que,  en  1760,  M.  Lefebvre  du  Quesnoy,  évèque  de  Coutances,  donna  un  os 
entier  du  bras  du  même  Saint  à  l'église  paroissiale  d'Acqnigny,  diocèse  d'Evreux,  en  mémoire  de  c« 
qu'il  y  avait  reçu  l'onction  épiscopale  en  1750. 

Propre  d'Evreux.  —  Voir  le  Supplément,  imar  plus  de  détaila  sur  les  reliques. 


SAINT  POUANGE,  SOLITAIRE  A  TROYES  (fin  du  vi»  siècle). 

n  appartenait  à  la  religion  chrétienne  de  faire  deux  sœurs  de  l'innocence  et  de  la  pénitence. 
S'il  faut  en  croire  l'écusson  qui  surmonte  la  statue  du  Bienheureux  dans  l'église  qui  porte  son  noœ 
près  de  Troyes,  Pouange  (Potamius),  était  un  seigneur  à  qui  sa  fortune  permettait  les  plaisirs  de  la 
chasse.  Selon  toute  apparence,  il  habitait  Troyes  ou  les  environs  :  Pouange  oublia  quelque  temps 
son  Dieu  et  tomba  dans  une  grande  faute.  La  grâce  de  Dieu  toucha  bientôt  son  cœur,  et  loin  ds 


13-f  31    JANVIER. 

résister  à  ses  inspirations  salutaires,  il  embrassa  généreusement  les  rigueurs  d'une  austère  péni- 
tence. 11  ne  crut  pas  trop  faire  que  d'aller  jusqu'à  Rome  implorer  son  pardon,  sur  le  tombeau  même 
des  saints  ApMres. 

A  son  retour  de  Rome,  il  résolut  de  passer  le  reste  de  ses  jours  dans  une  solitude  complète,  n 
se  relira  à  six  kilomètres  environ  de  Troyes  et  s'abrita  sous  une  humble  et  pauvre  chaumière.  11 
partageait  son  temps  entre  le  travail  et  l'oraison,  et,  pour  faire  expier  à  son  corps  le  péché  dont 
le  souvenir  remplissait  son  àme  d'une  vive  amertume,  il  portait  sur  la  peau  nue  nn  rude  cilice 
dont  il  dérobait  la  vue  par  une  légère  tunique  :  sa  nourriture  était  de  l'eau  et  du  pain  auxquels  il 
Eyontait  quelques  herbes  crues. 

Son  corps  fut  enseveli  dans  un  oratoire  voisin,  placé  sous  le  vocable  de  saint  Marc,  et  qui  depuis 
a  pris  le  nom  de  Saint-Pouange.  On  l'y  conserva  religieusement  jusqu'au  xvi°  siècle,  mais  alors, 
les  hérétiques  ne  reculèrent  pas  devant  un  horrible  sacrilège  ;  ils  le  brûlèrent  et  jetèrent  ses  cen- 
dres au  vent. 

Le  seul  monument  qui  reste  aujourd'hui  de  saint  Pouange  est  une  fort  belle  statue,  conservée 

dans  l'église  qui  lui  est  consacrée.  Elle  est  ornée  à  sa  base  d'un  écusson portant  en  chef  deux 

cors  de  chasse,  emblème  de  sa  noble  condition,  et  en  pointe  un  coquillage,  souvenir  de  son  pèle- 
rinage à  Rome. 

Saint  Pouange  est  le  patron  secondaire  de  la  paroisse  qui  porte  son  nom  ;  sa  fête  s'y  célèbre  le 
31  janvier. 

Hagiographie  de  M.  Defer. 


SAINT  NICET,  YINGT-TROISIÈME  ÉVÊQUE  DE  BESANÇON  (613). 

Saint  Nicet  ou  Nizier,  vingt-troisième  évéque  de  Besançon,  succéda  à  saint  Sylvestre  n,  ven 
l'an  590.  Par  lui,  le  siège  épiscopal  fut  rétabli  dans  la  ville  de  Besançon,  d'où,  après  la  destruction 
de  cette  ville  par  Attila,  il  avait  été  transféré  dans  la  petite  ville  de  Nyon,  sur  les  bords  du  lac 
Léman.  L'église  de  Besançon  était  dans  une  situation  déplorable  :  la  province  n'était  pas  encore 
relevée  du  passage  d'Attila  ;  la  métropole  sortait  à  peine  de  ses  ruines  ;  l'hérésie  arienne  s'était 
introduite  dans  le  pays  à  la  suite  des  Bourguignons  ;  le  paganisme  n'avait  pas  disparu  entièrement 
et  la  simonie  régnait  parmi  les  clercs.  Saint  Nicet  n'avait  pas  seulement  i  gouverner  son  église  : 
il  avait  encore  à  la  reconstruire.  A  force  de  vertus,  il  fut  à  la  hauteur  de  sa  tâche.  Son  désinté- 
ressement et  sa  charité  étaient  remarquables  ;  il  avait  coutume  de  dire  qu'il  faut  obéir  à  Dieu  et 
commander  aux  richesses.  Le  second  concile  de  Mâcon,  souscrit  par  son  prédécessenr,  prescrivait  la 
charité  aux  clercs  et  leur  défendait  le  luxe.  Il  fut  d'autant  plus  facile  à  Nicet  d'imposer  ces  ordon- 
nances à  ses  clercs,  qu'il  les  observait  lui-même  très-fidèlement.  Dieu  lui  avait  accordé  une  élo- 
quence souple  et  facile,  et  il  était  très-assidu  à  la  prédication.  U  était  d'une  prudence  rare,  d'une 
volonté  forte  et  d'une  douceur  exquise.  En  même  temps  que  saint  Nicet  arrivait  au  gouvernement  de 
l'église  de  Besançon,  saint  Colomban  venait  s'établir  dans  les  Vosges,  où  il  fondait  la  grande  abbaye 
de  Luxeuil.  Lorsque  les  constructions  furent  terminées,  saint  Nicet,  sur  l'invitation  de  saint  Colomban, 
en  alla  faire  la  bénédiction  solennelle.  Saint  Nicet  fut  aussi  en  relation  avec  un  autre  contemporain 
encore  plus  illustre,  le  pape  saint  Grégoire  le  Grand.  Saint  Colomban  ayant  été  chassé  de  Luieuil  par 
la  reine  Brunehaut,  saint  Nicet  le  reçut  dans  sa  fuite  et  lui  accorda  une  généreuse  hospitalité  jusqu'à 
ce  qu'un  nouvel  ordre  de  la  reine  le  forçât  de  quitter  Besançon.  Saint  Nicet  sortit  de  ce  monde  le 
8  février  613,  après  avoir  occupé  le  siège  de  Besançon  pendant  vingt-quatre  ans.  On  célébra  d'abord, 
sous  le  rite  double,  la  mémoire  de  saint  Nifiet.  Maintenant  cette  fête  se  fait  le  31  janvier  '.  On  honore 
avec  une  grande  dévotion  la  mémoire  de  saint  Nicet,  dans  la  paroisse  de  Mailley  (Haute-Saône), 
dont  l'église  est  sous  le  vocable  de  ce  saint  évêque.  L'église  d'Augcrans,  dans  l'arrondissement  de  Dùle, 
est  aussi  consacrés  au  même  Pontife.  Sous  le  régime  féodal,  le  seigneur  d'Augerans  réglait  lui-même 
la  manière  dont  les  jeunes  gens  devaient  se  récréer  le  jour  de  la  fête  de  Monsieur  saint  Nicet. 

1.  Tiii  de  U  Vie  des  Saints  de  Franche-Comté ,  par  les  professeurs  da  collège  de  Salnt-FrangoU- 
ZsTler. 


TA  nrENHEUREUSE  LOUISE  B'AIBERTONE  .  135 


SAINTE  VIERGUE,  VIERGE. 

Sainte  Viergue  est  appelée  vulgairement  sainte  Vierge  *,  et  c'est  le  titre  vénérable  que  porte  une 
église  paroissiale  à  une  lieue  au  nord  de  Thouars  (Deux-Sèvres),  dans  le  diocèse  de  Poitiers.  C'est 
dans  cette  même  église  que  la  bienheureuse  Viergue  fut  enterrée  près  le  grand  autel  :  sous  la  pierre 
du  tombeau,  on  voit  sculptée  une  quenouille,  munie  d'une  poignée  de  chanvre  avec  son  fuseau, 
pour  marquer  qu'elle  était  bergère.  Au  reste,  l'église  dans  laquelle  elle  repose  a  depuis  longtemps 
reçu  d'elle  le  nom  qu'elle  porte,  puisque,  par  sa  fondation  mt-me,  elle  portait  le  titre  de  Noire- 
Dame  des  Hauts-Bois,  dans  les  Gaules.  Les  Hauts-Bois  est  le  nom  que  portait  le  pays  avant  celui 
de  Sainte-Verge.  C'est  ainsi  que  le  raconte  dn  Saussay  à  la  fin  du  martyrologe  de  France. 

Sainte  Viergue  était  une  simple  bergère,  qui  se  sanctifia  comme  sainte  Germaine  Cousin  et  d'an- 
tres par  les  vertus  obscures  d'une  piété  dont  ses  miracles  révélèrent  l'éminence  sur  son  tombeau 
même.  Ce  tombeau  fut  vénéré  dans  l'église  paroissiale  jusqu'à  la  Révolution  de  1193,  qui  le  ren- 
versa et  dissipa  ses  cendres.  Ce  qui  reste  de  son  tombeau  dans  l'église  du  village  de  Sainte-Verge, 
qoi  compte  à  peu  près  de  1,000  à  1,200  habitants,  se  réduit  peu  à  peu  en  poussière,  les  fidèles  la 
raclant  pour  en  mêler  les  débris  à  l'eau  d'une  fontaine  qui  porte  le  nom  de  la  Sainte,  dans  le  pare 
du  château  voisin.  Ce  breuvage  est  donné  contre  la  fièvre.  La  Sainte  aurait  vécu  sur  le  bord  même 
de  cette  fontaine,  qui  est  à  100  mètres  de  l'église  et  qui  maintenant  porte  également  son  nom;  la 
source  parait  miraculeuse,  car  par  les  années  de  grande  sécheresse  elle  coule  toujours  avec  une 
invariable  régularité,  alors  que  les  puits  eui-mèmes  tarissent. 

Le  peuple  croit  encore  dans  cette  contrée  que  sainte  Viergue  était  une  grande  demoiselle  que  les 
persécutions  de  sa  famille  forcèrent  de  s'aller  cacher  dans  les  bois,  où  une  vache  la  nourrit  long- 
temps de  son  lait,  qu'elle  lui  apportait  chaque  jour.  Sa  fête  se  fait  dans  la  paroisse  le  7  janvier. 

Ceci  date  d'une  époque  reculée,  sans  qu'on  puisse  constater  le  temps  précis.  L'église  dans  la- 
quelle sainte  Viergue  a  été  enterrée,  probablement  par  les  religieux  habitant  le  cloître  y  attenant,  est 
du  SI»  siècle,  et  avait  pour  titulaire  Notre-Dame  avant  les  miracles  opérés  sur  le  tombeau  de  la 
Sainte  :  le  tombeau  lui-même  parait  être  du  xiii»  ou  du  xiv»  siècle. 

D'après  les  archives  poitevines,  le  corps  de  cette  bienheureuse  fut  transporté  dans  l'église  abba-  • 
tiale  de  Saint-Vincent  de  Metz,  témoin  Menrisse,  évèque  suffragant  de  Théodoric,  quarante-sep- 
tième évêque,  en  son  livre  m  des  évêques  de  Metz  (910).  Nous  avons  fait  les  recherches  les  plus 
actives  pour  savoir  ce  qu'il  en  était  de  cette  translation.  Sainte  Viergue  est  complètement  oubliée  à 
Metz,  et  le  fait  de  la  translation  parait  controuvé  à  un  hagiographe  très-compétent  de  l'Est  de 
la  France,  M.  le  chanoine  Guillaume,  aumônier  de  la  chapelle  ducale  de  Nancy,  que  nous  avons 
consulté  à  ce  sujet.  11  eiis!e  dans  le  canton  de  Dienze,  diocèse  de  Nancy,  une  paroisse  nommée 
Vergaville.  D'aucuns  ont  pensé  que  cette  localité  avait  emprunté  son  nom  à  la  sainte  du  Poitou 
dont  les  reliques  auraient  enrichi  une  abbaye  qui  s'élevait  autrefois  sur  le  territoire  de  Vergaville 
et  sur  remplacement  de  laquelle  la  charrue  se  promène  depuis  longtemps.  Or,  si  l'on  remonte  à  la 
charte  de  fondation  de  cette  abbaye,  on  voit  que  le  lieu  où  elle  s'éleva  s'appelait,  avant  la  fondation 
même  qui  eut  lieu  an  x«  siècle  :  Widirgodesdorf,  c'est-à-dire  la  vierge  du  village.  Et  de  fait  la 
sainte  vierge  était  la  patronne  principale  de  l'abbaye. 

M.  L'abbé  Anber.  chan.  historiogr,  du  dioc.  de  Poitiers,  et  M.  Gonin,  curé  de  Sainte-Verge  :  celui-ci  a 
bien  TOuln  nous  traduire  une  ancienne  légende  d'un  Propre  de  Poitiers. 


LA  BIENHEUREUSE  LOUISE  D'ALBERTONE  (1334). 

L'an  de  notre  Rédemption  1474,  Louise  naquit  à  Rome  d'Etienne  d'Albertone  et  de  Lucrèce  de 
Thébalde,  personnes  des  plus  illustres  par  la  noblesse  du  sang,  mais  plus  illustres  encore  par  leur 
piété  chrétienne.  Saintement  élevée  par  ses  parents,  et  prévenue  des  bénédictions  de  Dieu,  à  mesure 
qu'elle  croissait  en  âge,  on  voyait  briller  en  elle  la  pureté  dn  cœur,  la  paix  intérieure,  des  mœurs 

1.  Alias,  Verge,  Virgana,  Virginie.  —  Sainte-Verge  est  la  nom  de  la  commune  et  de  la  paroisse  oii  ■ 
T&u  la  Sainte. 


4SR  .  31  JANVIER. 

uadides,  la  modestie,  l'inuoceuce,  l'huiiillité,  la  piété,  uue  grande  compassion  pour  les  pauvres, 
uue  inclinatiOD  étonnante  aux  choses  epiritnelles  et  divines  ;  omée  de  tontes  cet  vertus,  elle  était 
le  modèle  accompli  des  vierges.  Ses  parents  la  donnèrent  en  mariage  à  Jacques  de  Cithara,  jeone 
homme  anssi  noble  que  riche.  Son  désir  eût  été  de  garder  la  virginité,  mais  elle  se  résigna  à  c« 
mariage  pour  ne  pas  contrarier  la  volonté  de  ses  parents.  Dans  l'état  conjugal,  elle  ne  fit  que  croître 
en  vertus,  attentive  en  tout  à  plaire  à  Jésus,  son  bien-aimé.  Foulant  aux  pieds  la  vaine  pompe  et  le 
Inxe  du  siècle,  vêtue  modestement,  elle  recherchait  volontiers  tont  ce  que  le  faste  du  monde  rejette 
comme  choses  viles  et  méprisables. 

Elle  mit  tout  son  soin  à  élever,  dans  l'amour  et  la  crainte  de  Dieu,  trois  filles  que  la  bénédiction 
de  Dieu  lui  donna.  A  l'âge  de  trente-trois  ans,  elle  eut  à  supporter,  ce  qu'elle  fit  avec  une  admi- 
rable patience,  la  perte  de  Jacques,  son  époux,  à  qui  l'unissaient  les  plus  solides  liens  d'un  cbaste 
amour.  Devenue,  par  cet  événement  douloureux,  maîtresse  d'elle-même  à  la  fleur  de  l'âge,  elle  n'usa 
de  sa  liberté  que  pour  s'occuper  plus  assidûment  du  service  de  Dieu,  et  pour  choisir  un  genre  de 
vie  plus  étroit,  plus  rigonreni  et  plus  humble.  C'est  pourquoi  elle  reçut,  avec  de  grands  sentiments 
de  dévotion,  l'habit  du  Tiers  Ordre  de  Saint-François,  dans  l'église  des  Frères-Mineurs,  consacrée  <t 
ce  grand  Saint.  Une  fois  entrée  dans  cet  état  de  pénitence,  il  est  difficile  de  rapporter  ce  qu'elle 
souffrit  de  douleurs  pour  la  gloire  de  Dieu,  combien  de  marques  glorieuses  de  sainteté  elle  fil 
paraître.  Elle  déclara  à  sa  chair  une  guerre  acharnée,  et,  à  force  de  flagellations,  de  cilices  et 
d'autres  moyens  de  pénitence,  elle  en  fit  l'esclave  parfaitement  soumise  de  l'esprit.  Elle  retenait 
ses  sens  dans  les  bornes  de  la  modestie  chrétienne,  sans  les  en  laisser  jamais  sortir.  Elle  avait  pour 
habitude  de  se  tenir  attachée  au  Christ  suspendu  à  la  croix.  Elle  méditait  assidûment  les  cruelles 
amertumes  de  la  Passion,  et  la  douleur  qu'elle  y  puisait  était  si  grande,  les  larmes  qu'elle  versait 
ti  abondantes,  que  peu  s'en  fallut  qu'elle  ne  perdit  la  vue  dans  la  continuité  de  ses  pleurs. 

Elle  quittait  avant  le  jour  le  sac  qui  lui  servait  de  lit,  et,  k  peine  levée,  elle  commençait  sa 
méditation.  Elle  était  très-assidue  dans  la  visite  des  sept  basiliques  de  Rome,  ainsi  qu'à  la  conso- 
lation des  affligés.  Dans  sa  sollicitude  pour  le  salut  do  prochain,  elle  n'omettait  rien  pour  être  utile 
à  tous.  Parmi  toutes  les  excellentes  qualités  de  Louise,  il  n'y  en  avait  pas  de  plus  éclatante  que  sa 
charité  envers  les  pauvres.  Tous  les  grands  revenus  de  son  riche  patrimoine,  elle  les  distribua 
généreusement  et  les  répandit  parmi  les  pauvres.  Dans  la  pratique  de  la  charité,  elle  oubliait  si  peu 
l'humilité  qu'elle  s'étudiait  à  tenir  cachée  la  main  qui  faisait  tant  d'aumAnes.  Dans  les  pains  qu'elle 
donnait  pour  être  distribués  par  le  sort  aux  pauvres,  elle  cachait  des  pièces  d'or  et  d'argent,  et 
elle  priait  Dieu  de  faire  arriver  les  plus  grosses  sommes  aux  mains  des  plus  nécessiteux.  On  dit 
qne  jamais  aucun  pauvre  ne  s'éloigna  d'elle  emportant  un  refus.  Lorsqu'elle  eut  tout  dépensé  ses 
biens  à  nourrir  les  pauvres  de  Jésus-Christ,  et  à  marier  les  filles  des  pauvres,  Louise  ne  conserva 
plus  pour  elle-même  que  la  pauvreté.  Réduite  à  la  dernière  indigence,  devenue  l'imitatrice  véritable 
du  Christ,  c'est  alors  qu'elle  reçut  le  don  des  miracles  et  des  extases;  mais  elle  tomba  bientôt  gra- 
vement malade,  souffrit  assez  longtemps,  et  le  jour  de  sa  mort,  qu'elle  avait  annoncé,  étant  arrivé, 
elle  se  munit  des  sacrements  de  l'Eglise,  et,  les  lèvres  collées  sur  un  crucifix,  elle  expira  en  disant  ; 
Entre  vos  mains,  Seigneur,  je  remets  mon  esprit,  à  l'âge  de  soixante  ans,  le  31  de  janvier.  Son 
corps  repose  dans  l'église  de  Saint-François  des  Rives  du  Tibre,  et  sa  fête  se  célèbre  tous  les  ans 
en  grande  solennité  au  milieu  d'un  grand  concours  de  peuple. 

Bréviaire  franciscain.  —  V.  pour  pins  de  détails  notre  Palmier  séraphxqu». 


FIN  DU  MOIS  DE  JANVIER. 


MARTYROLOGES. 


157 


MOIS  DE  FÉVRIER 


PREMIER    JOUR    DE   FEVRIER 


MARTYROLOGE   ROMAIN. 

La  naissance  au  ciel  de  saint  Ignace  ',  évêque  et  martyr,  qui  gouverna  l'église  d'Antioche,  le 
troisième  après  l'apôtre  saint  Pierre  ;  condamné  aux  bètes  pendant  la  persécution  de  Trajan,  il  fut, 
par  l'ordre  de  ce  prince,  envoyé  enchaîné  k  Rome,  où,  après  avoir  été  tourmenté  très-inhumaine- 
ment et  de  diverses  manières,  en  présence  du  sénat  tout  entier,  il  fut  exposé  aux  lions  ',  qui  le 
broyèrent  sous  leurs  dénis,  et  eu  firent  une  victime  de  Jésus-Christ.  107.  —  A  Smyrne, saint  Pione, 
prêtre  et  martyr,  qui,  après  avoir  composé  des  apologies  de  la  foi  chrétienne,  fut  jeté  dans  une 
prison  infecte,  oii,  par  ses  exhortations,  il  encouragea  de  nombreux  fidèles  à  subir  dignement 
l'épreuve  du  martyre  ;  il  endura  ensuite  d'horribles  tourments,  fut  percé  avec  des  clous  et  attaché 
sur  on  bûcher  ardent,  où  il  finit  heureusement  sa  vie  pour  Jésus-Christ.  Quinze  autres  martyrs  souf- 
frirent avec  lui.  251.  —  A  Ravenne,  saint  Sévère,  évèque,  qui  fut  élu,  pour  ses  mérites  éclatants, 
BUT  l'indication  d'une  colombe.  389.  —  Eu  Gaule,  dans  la  ville  de  Trois-Chàteaux,  saint  Paul, 
évêque,  dont  la  vie  a  éclaté  en  vertus,  et  dont  la  mort  est  précieuse  en  miracles.  v«  s.  —  Le  même 
jour,  saint  Ephrem,  diacre  de  l'égUse  d'Edesse,  qui,  après  beaucoup  de  travaux  accomplis  pour  la 
foi  du  Christ,  se  reposa  en  Notre-Seigneur,  sous  l'empereur  Valens,  illustre  par  sa  sainteté  et  sa 
doctrine.  378.  —  En  Ecosse,  sainte  Brigitte,  vierge,  qui,  ayant  touché  le  bois  de  l'autel,  en  témoi- 
gnage de  sa  chasteté,  le  fit  sur-le-champ  reverdir.  523.  — A  Castel-Florentin,  en  Toscane,  sainte 
Véi'idienne,  vierge  recluse,  de  l'Ordre  de  Vallombreuse  '.  1242. 

MARTYROLOGE  DE  FRANCE,  REVU  ET  AUGMENTÉ. 

A  Poitiers,  saint  Lienne  {Leonius),  prêtre,  compagnon  de  saint  Hilaire  dans  son  exil  et  dans  ses 
glorieux  travaux  pour  la  défense  de  la  foi  catholique.  Vers  la  fin  du  iv»  siècle.  Sa  fête  se  célèbre 
à  Poitiers,  le  13  février  *.  —  Au  diocèse  de  Bourges,  saint  Chartier,  prêtre  et  confesseur,  qui  a 
donné  son  nom  ît  une  ville  du  Berri.  vi»  s.  —  Dans  la  ville  d'Aoste,  sur  la  Doire,  saint  Ours,  prêtre*. 

1.  Le  panégyrique  de  saint  Ignace  d'Antlocbe  fat  prononcé  à  l'occtslon  de  la  translation  des  reliques 
da  Martyr  de  Rome  a  Antioche. 

2.  On  a  pn  remarquer  que  le  supplice  d'être  livré  ans  bêtes  revient  souvent  dans  le  Martyrologe.  C'était 
un  supplice  que  les  lois  réservaient  aux  condamnés  de  la  plus  vile  condition.  Or,  les  chrétiens  étaient 
généralement  traités  comme  tels,  quelle  qne  fût  leur  qualité.  Saint  Cyprien,  évêqne  de  Carthage,  qui  était 
très-distingué  par  sa  naissance,  dit,  en  parlant  de  lui-même,  dans  son  épitre  lvo  au  pape  Corneille  : 
Toties  ad  leonem  petitus  in  circo  :  Tant  de  fois  demandé  dans  le  cirque  pour  être  exposé  aux  lions;  et 
encore  ;  Clamore  populorum  ad  leonem  denuô  postulatus  in  circo  :  Moi,  récemment  demandé  pour  le  lion 
dans  le  cirque  par  les  clameurs  populaires.  Le  cri  populaire  était  :  Christiani  ad  leonem  :  les  chrétiens  au 
lion;  il  y  avait  aussi  une  variante  :  Christiani  ad  bestias  :  tes  chrétiens  aux  bêtes.  On  tournait  donc  contre 
les  chrétiens  tonte  la  sévérité  des  lois  communes,  toute  l'iniquité  des  lois  exceptionnelles  sans  leur  laisse' 
le  bénéfice  d'aïunne.  Ils  étaient  bors  la  loi. 

3.  Les  Camaldnles  et  les  Franciscains  se  disputent  l'honneur  d'avoir  donné  cette  Sainte  au  ciel  : 
tppnyés  sur  le  Martyrologe  romain  et  sur  les  Bollandlstes,  nons  croyons  qu'il  faut,  pour  rendre  à  chacua 
son  bien,  la  maintenir  aux  Camaldules.  Nous  donnerons  la  vie  de  sainte  Véridienne  plus  loin. 

4.  Voyei  co  Jour.  —  5.  Voir  au  17  juin. 


158  *"  FÉVRIER. 

Vie  s.  —  A  Qnlmper,  saint  Trajan  ou  Tuian,  abbé  de  lîra?part.  vi»  g.  —  An  diocèse  de  Valence, 
en  Dauphiné,  sainte  Galle,  vierge,  vi»  s.  —  A  Corbie,  saint  Précord,  dont  le  corps  ayant  long- 
temps reposé  à  Vély,  au  diocèse  de  Soissons,  fut  transféré  en  ladite  abbaye,  l'an  940  environ. 
VI»  s.  —  A  Terrasson,  en  Périgord,  sur  la  rivière  de  Vczère,  aux  frontières  de  Limousin,  saint 
SODH  on  SoRE,  solitaire,  particulièrement  vénéré  par  le  roi  Contran,  et  par  le  saint  abbé  Subran 
qui  se  trouva  à  ses  obsèques.  vi«  s.  —  An  Pay,  en  Yelay,  saint  Achève  (Agnpanus),  évèque  et 
martyr,  qui  défendit  la  religion  chrétienne  avec  une  videur  apostolique  contre  les  idolâtres,  les 
ariens  et  les  sectateurs  d'Helvidius,  et,  prêchant  l'Evangile,  fut  enfin  décapité  par  le  commandement 
de  la  dame  du  lien,  qui  était  païenne,  en  un  endroit  nommé  alors  Chimac,  et  qui  a  pris  le  nom  du 
Saint.  Avec  lui  fut  aussi  tué  saint  Ursicin,  son  serviteur,  qui  a  donné  son  nom  à  une  église  du 
diocèse.  Leurs  corps  sont  honorés  à  Notre-Dame  du  Puy.  vu»  s.  —  A  Metz,  saint  Sigebert,  roi 
d'Anstrasie,  dont  le  corps  fut  trouvé  sans  corruption  plus  de  quatre  cents  ans  après  sa  mort  :  il 
avait  d'abord  été  enseveli  dans  l'église  de  l'abbaye  Saint-Martin,  fondée  par  lui.  Cette  abbaye  ayant 
été  détruite  pendant  les  guerres  du  xvii»  siècle,  les  reliques  de  saint  Sigebert  furent  transférées 
dans  l'église  Notre-Dame  de  Nancy  '.  656.  —  A  Sens,  le  vénérable  Evrard,  archevêque,  honoré  à 
Sainte-Colombe  ».  888.  —  A  Saint-Paul-Trois-Châteaux,  saint  ToaonAT,  évèque,  à  qui  cette  ville 
est  redevable  de  sa  parfaite  conversion  au  christianisme.  Son  corps,  qui  fut  transporté  en  Vivarais, 
a  été  brûlé,  ainsi  que  celui  de  saint  Josserand,  religieux  du  monastère  de  Cruas,  par  les  hérétiques 
Calvinistes,  fêté  également  en  ce  jour.  —  A  Lille,  en  riaadre,  saint  Edbert,  évèque  et  confes- 
seur, qui,  étant  venu  de  Rome  avec  saint  Quentin,  saint  Crépin,  saint  Crépinien  et  d'autres,  sous 
l'empire  de  Dioclétien,  prêcha  glorieusement  en  ce  pays-là  le  mystère  de  Jésus-Christ  et  y  mourut 
en  paix  chargé  de  mérites  et  de  trophées.  Vers  la  lin  du  in«  siècle.  —  A  Rennes,  en  Bretagne, 
saint  Aubert  (Albertus),  moine  de  Landevennec,  chapelain  des  religieuses  de  Saint-Sulpice,  près  de 
Rennes.  H29.  —  A  Rouen,  saint  Sévère  ou  Sever,  évèque  d'Avranches,  dont  les  saintes  dé- 
pouilles reposent  dans  la  grande  église  de  Notre-Dame  de  cette  métropole.  Vers  la  fin  du  vu»  siècle. 
—  En  Bretagne,  saint  Jean  de  la  Grille,  évèque  de  Saint-.Malo,  qui  avait  été  chanoine  réplier 
et  abbé  de  Sainte-Croix  de  Guingamp.  Il  s'employa  beaucoup  à  la  réforme  de  plusieurs  monastères, 
il  introduisit  les  religieux  de  Saint-Victor,  de  Paris,  dans  sa  cathédrale.  On  a  les  lettres  qu'il  écrivit 
à  saint  Bernard.  1170.  —  A  Seligenstadt,  dans  l'ancien  archevêché  de  Mayence,  saint  Clair,  moine 
et  ennite  '.  1043. 

HABTTROLOGBS  DES  ORDRES  RELIGIBDX. 

Martyrologe  de  l'Ordre  Séraphique.  —  A  Pileo,  près  d'Anagni,  dans  les  Etals  de  l'Eglise,  le 
bienhenreni  André,  des  comtes  de  Ségni,  confesseur,  de  l'Ordre  des  Mineurs,  illustre  par  sa 
renommée  de  sainteté,  par  ses  miracles  et,  en  particulier,  par  sa  vertu  à  mettre  en  fuite  les  esprits 
immondes;  son  corps  repose  an  même  lien,  dans  l'église  de  Saint-Laurent  de  son  Ordre,  et  il  n'a 
pas  cessé  d'y  recevoir  les  hommages  des  fidèles.  —  La  naissance  an  ciel,  etc. 

Martyrologe  de  fOrdre  de  Sainl-Augmtin.  —  La  commémoraison  des  pères,  des  mères,  des 
frères,  des  sœurs,  des  familiers  et  des  proches  de  notre  Ordre.  —  La  naissance  an  ciel,  etc. 

Martyrologe  de  la  Congrégation  de  Vallombreuse.  —  A  Castel-Florentin,  en  Toscane,  la 
làenhenrense  Véridienne,  vierge  recluse.  1242. 

ADDITIONS  FAITES   D'aPHÈS  LES  BOLLANDISTES  ET  ADTRES  HAGIOGRAPHES. 
A  niibéris  *,  saint  Cécile,  évèque,  on  des  apitres  de  l'Espagne,  envoyé,  ainsi  que  ses  compa- 

1.  L'endroit  où  était  slta^  l'abbk^e  Salnt-Hartln  conserve  encore  snjonidlial  le  nom  de  ban  Saint- 
MoTtin,  que  les  désastres  de  l'armée  française  de  Metz,  en  1870,  ont  tristement  rendu  célèbre. 

2.  D'nne  ancienne  famille  de  Sen3,  il  fat  moine  et  prévôt  de  Tabbaye  de  Sainte-Colombe,  et  obtint,  par 
■on  mérite,  de  snccéder  à  Ânsegise  snr  le  siège  épiscopal  de  cette  ville.  D  fat  sacré  le  28  avril  8*4.  Sons 
son  pontificat,  les  Normands  vinrent  porter  la  désolation  dans  son  diocèse.  Ils  assiégèrent  Sens  pendant 
six  mois  en  886,  sans  ponvolr  triompher  de  la  résistance  des  Sénonais;  mais,  avant  de  se  retirer,  ils 
brûlèrent  l'abbaye  de  Saint-Kcml  et  rasèrent  les  monastères  de  Notre-Dame  et  de  Saint-Gervais.  Une 
maladie  de  langncnr  condnlslt  Evrard  an  tombeau  ie  1er  février  838.  On  l'inbama  dans  l'église  de  Sainte- 
Colombe,  an  millen  de  la  chapelle  Saint-Martin,  oîi  il  est  honoré  le  l«r  février. 

3.  La  littérature  faisait  ses  délices  :  11  renonça  h  ce  plaisir  et  se  retira,  avec  la  permission  de  ses 
sapérieurs,  daiu  une  cellule,  près  du  monastère  de  Seligenstadt,  oîi  il  passa  trente  ans,  livré  &  la  con- 
templation, n  fut  honoré  du  don  de  prophétie.  A  sa  mort,  quatre  moines  entendirent  les  chœurs  d'allé- 
gresse des  Anges.  Tons  le  suivirent  la  même  année  dans  l'éternité  bienheureuse. 

4.  ItUberù.  Oc  n'est  pas  d'accord  sur  la  traduction  qn'il  faut  donner  de  ce  nom  de  ville.  Les  nus 
disent  Collionres,  les  antres  Elne,  les  autres  Elvire.  Les  deux  premières  de  ces  villes  sont  dans  le  Rons- 
slllon  français  (département  des  Pyrénées-Orientales).  Elvire,  connue  par  le  Concile  qui  y  fat  tenu  en 
SOfi,  est  maintenant  si  ruinée,  qu'on  ne  conn&it  même  pas  son  emplacement  :  quelques-ius  pensent  que 
Grenade  t'est  élevée  sur  tes  décombres.  Les  BoUandistes  se  prononcent  pour  Elvire. 


MABTÏROLOGES.  159 

gnons,  par  saint  Pierre  et  saint  Paul,  et  mort  dans  celte  ville  '.  i"  s.  —  Les  saints  évêques  Poly- 
carpe  et  Sévérien  qui  ont  probablement  occupé  le  siège  de  Brague,  en  Portugal,  au  ii»  s.  —  A 
Monte-Falco,  en  Ombrie,  saint  Sévère,  évèque  de  celte  ville,  qui  a  laissé  son  nom  à  Caslel-San- 
Severo  où  il  fonda  un  ermitage  et  reposa  en  paix  dans  le  Seigneur.  Vers  445.  —  En  Afrique,  les 
saints  Publias,  Saturnin,  .Maurien,  Libose,  Vincentia  et  vingt-quatre  autres,  martyrs,  mentionnés 
dans  le  martyrologe  de  saint  Jérûme.  El  ailleurs,  les  saints  martyrs  Victor,  Lucien,  Apollinaire, 
ililaire,  Ammon,  Zolique,  Cyriaque  et  Eugène.  —  En  Grèce,  saint  Carion,  martyr,  qui  eut  la  langue 
coupée  ;  saint  Théion  et  ses  deus  enfants,  également  martyrs.  —  A  Lucqucs,  saint  Emile,  officier 
romain,  dont  le  corps  fut  retrouvé  en  cette  ville,  l'an  1200.  —  ARavenne,  avecl'évèque  saint  Sévère, 
mentionné  ci-dessus,  sainte  Vincentia,  son  épouse,  et  sainte  Innocentia,  vierge,  leur  fille.  390.  — 
En  Orient,  saint  Timothée,  dont  on  ne  sait  rien,  sinon  qu'il  n'eut  rien  tant  à  cœur  que  la  gloire 
de  Dieu.  —  A  Antioche,  saint  Pierre  le  Galate,  ermite,  qu'il  ne  faut  pas  confondre  avec  saint 
Pierre  de  Galatie,  moine,  fêté  le  9  octobre.  Théodore!,  qui  a  écrit  l'histoire  de  sa  vie,  dit  que,  après 
avoir  visité  les  lieux  saints,  Pierre  alla  se  fixer  dans  les  solitudes  d'Antioche  de  Syrie.  Sa  vie  ne 
fut  qu'un  tissu  de  miracles.  11  vécut  quatre-vingt-dix-neuf  ans  et  mourut  en  429.  —  En  Irlande, 
sainte  Cinnie  ou  Kinnie,  vierge,  qui  fut  consacrée  par  saint  Patrice,  et  dont  le  père  fut  ressuscité 
par  le  même  pour  être  baptisé  ^.  v»  s.  —  En  Bithynie,  saint  Vendimien,  ermite,  disciple  de  saint 
Auxence,  anachorète.  Vers  l'an  500.  —  En  Ecosse  et  en  Irlande,  sainte  Dardulaque  ou  Darlndaque, 
vierge,  qui  fut  guérie  par  sainte  Brigitte.  524.  —  A  Thessalonique,  saint  Basile,  évèque  de  cette 
ville  et  auparavant  de  Crète.  11  était  particulièrement  estimé  du  pape  Nicolas  1"  et  remplit  auprès 
de  ce  Pontife  une  mission  de  confiance  de  la  part  du  patriarche  de  Constantinople,  saint  Ignace,  qui 
avait  été  supplanté  par  Photius  de  fatale  mémoire.  —  A  Cham,  dans  le  canton  de  Zug,  un  saint 
évèque  belge,  dont  on  ne  connaît  pas  le  nom  :  il  se  rendait  comme  pèlerin  à  Rome,  lorsqu'il  mourut 
en  ce  lieu,  au  pied  de  l'autel  après  avoir  achevé  la  célébration  de  la  sainte  messe.  Les  pèlerins  et 
même  les  hérétiques  l'invoquaient  contre  la  phthisie,  les  fièvres  des  enfants,  et  la  fièvre  lente  nommée 
en  médecine  fièvre  hectique.  Vers  870.  —  A  Fiésole,  en  Toscane,  sainte  Brigitte,  vierge,  distincte 
de  la  Sainte  du  même  nom,  fêtée  le  même  jour  et  qui  fut  religieuse  en  Irlande.  Elle  était  née  en 
Irlande,  mais  elle  alla  terminer  sa  carrière  mortelle  près  de  son  frère  saint  André,  archidiacre  de 
Fiésole.  On  raconte  que  celui-ci  ayant  désiré  voh:  sa  sœur,  elle  se  trouva  tout  à  coup  transportée 
en  Italie.  Fin  du  ix»  siècle.  —  A  Hohenwart,  en  Bavière,  le  bienheureux  Wolfhold,  prêtre.  Vers 
l'an  1100.  —  En  Espagne,  le  bienheureux  Raimond,  abbé,  fondateur  de  l'Ordre  de  Calatrava  ». 
1163.  —  A  Padoue,  le  bienheureux  Antoine  le  Pèlerin,  de  la  noble  famille  des  Manzi,  qui,  en  cinq 
ans,  visita  tous  les  lieux  saints.  1267. 


FETES  MOBILES  DE  FEVRIER. 

Le  vendredi  après  le  premier  dimanche  de  Carême,  fête  des  saintes  épines  de  la  cou- 
bonne  DE  Notbe-Seigneur  Jéscs-Christ. 

Le  vendredi  après  le  deuxième  dimanche  de  Carême,  fête  de  la  lance  et  des  clods  de 
Notre-Seigneto  Jésus-Christ. 

Le  vendredi  après  le  troisième  dimanche  de  Carême,  fête  du  saint-suaire  de  Nothe-Sei- 

6NEDR  JÉSUS-CHBIST. 

Le  vendredi  après  le  quatrième  dimanche  de  Carême,  fête  des  cinq  plaies  de  Notre-Sei- 
GNEDR  Jésus-Christ. 

Le  dernier  dimanche  après  l'Epiphanie,  fête  de  la  Bienheureuse  Vierge  Marie,  sous  le 
titre  de  refuge  des  pécheurs. 

Le  mercredi  après  la  Septuagésime,  fête  de  la  prière  de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ 
SDR  le  mont  des  Oliviers. 

Le  mercredi  après  la  Seiagésime,  commémobaison  de  la  Passion  de  Notre-Seigneur 
Jésus-Christ. 

En  certains  diocèses,  le  vendredi  après  le  quatrième  dimanche  de  Carême,  fête  du  très- 
précieux  sang  de  Notre-Seignedr  Jésus-Chbist. 

Le  vendredi  après  le  dimanche  de  la  Passion,  transfixion  de  la  Bienheureuse  Viebce 
Mabie. 

1.  Voir  le  Martyrologe  romain  an  15  mai. 

2.  Voir  ce  miracle  et  beaucoup  d'autres  dans  le  tome  v  des  Annalo  hagM»giquei  de  France,  pubUi$es 
par  M.  Barthélémy;  vie  de  saint  Patrice. 

t.  Voir  sa  ootice  au  80  avril. 


160  1"   FÉVRIER. 


SAmï  IGNACE,  PATRIARCHE  D'ANTIOGHE, 

MARTYR 
lOT  ou  116.—  Pape  :  saint  Evarisle.  —  Empereur  :  Trajan. 


Ce  glorieux  martyr  ouvre  dignemeut  la  marche  des 
Saints  et  des  Saintes  qui  passeront  devant  nous 
dans  le  cours  du  mois  de  février,  comme  un  pon- 
tife aoguste  ï  la  tête  de  sou  clergé. 

Sitnéon  Métaphraste  et  Nicéphore,  parlant  de  saint  Ignace,  assurent 
qu'il  fut  ce  petit  enfant  que  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  mit  au  milieu  des 
Apôtres,  lorsque  pour  leur  donner  une  leçon  d'humilité,  il  leur  dit  :  «  Que 
s'ils  ne  ressemblaient  à  de  petits  enfants,  ils  n'entreraient  jamais  dans  le 
royaume  des  cieux  ».  Quelques  autres  auteurs  attribuent  cet  honneur  à 
saint  Martial,  qui  a  depuis  été  évêque  de  Limoges.  Mais,  quoi  qu'il  en  soit, 
il  est  constant  que  notre  Saint  a  eu  une  très-grande  familiarité  avec  les  pre- 
miers disciples  de  Notre-Seigneur,  particulièrement  avec  saint  Jean  l'Evan- 
géliste,  dont  même  il  a  été  le  disciple.  Il  fut  élu  évêque  d'Antioche  après 
Evode  qui  avait  succédé  à  l'apôtre  saint  Pierre  ;  et  Eusèbe  de  Césarée,  So- 
crate  et  après  eux  Baronius,  disent  que  c'est  lui  qui  a  le  premier  institué 
les  chantres  en  l'Eglise,  et  la  manière  de  dire  l'office  divin  par  versets,  et  à 
deux  chœurs  ;  une  grande  multitude  d'esprits  bienheureux  lui  apparurent, 
qui  chantaient  les  louanges  de  la  sainte  Trinité  en  se  répondant  alternative- 
ment, sur  divers  tons  qu'ils  donnaient  à  leurs  hymnes  célestes.  Le  saint 
Prélat,  pensant  que  l'Eglise,  qui  combat  sur  la  terre,  devait  tâcher  d'être 
semblable  à  celle  qui  triomphe  dans  le  ciel,  établit  des  chantres  dans  son 
église  d'Antioche,  selon  le  modèle  qui  lui  avait  été  montré  dans  la  céleste 
Jérusalem. 

La  huitième  année  de  son  règne,  Trajan,  vainqueur  des  Daces  et  de 
quelques  autres  peuples  du  Nord,  passa  en  Orient,  portant  la  guerre  chez 
les  Parthes.  Il  fit  une  pompeuse  entrée  dans  Antioche,  accompagné  des  di- 
gnitaires et  des  grands  corps  de  l'Etat. 

Antioche,  autrefois  magnifique  séjour  des  rois  Séleucides,  qui  l'avaient 
fondée,  fut,  sous  la  domination  des  Romains,  souvent  visitée  par  leurs  em- 
pereurs. Elle  était,  après  Rome  et  Alexandrie,  la  ville  la  plus  populeuse  de 
l'Empire,  et,  à  raison  de  sa  situation  et  de  ses  relations  commerciales,  re- 
gardée comme  la  capitale  de  l'Orient.  Dans  un  autre  ordre  d'idées,  elle 
n'avait  pas  une  moindre  importance.  Dès  les  premières  prédications  de 
l'Evangile,  elle  avait  donné  un  éclatant  exemple  à  toute  la  gentilité,  en  em- 
brassant la  foi  avec  empressement,  et,  depuis,  elle  s'y  était  de  plus  en  plus 
attachée.  C'était  dans  Antioche  que  le  Prince  des  Apôtres  avait  d'abord  fixé 
son  siège.  D'Antioche,  le  nom  chrétien  s'était  répandu  dans  tout  l'univers. 
Son  église,  la  plus  nombreuse  de  toutes,  était,  à  l'arrivée  de  Trajan,  gou- 
vernée depuis  quarante  ans  par  Ignace,  surnommé  Théophore,  l'évoque  le 
plus  vénéré  de  l'Asie. 

Trajan,  pendant  son  séjour  à  Antioche,  voulut  remettre  en  honneur  le 


■  SAI.\T  IGKACE,    rATMARCHE  d'ANTIOCHE,    JIARTÏU.  IGl 

CLille  des  faux  dieux.  Il  leur  offrit  des  sacrifices  solennels  pour  les  remercier 
de  ses  succès  passes,  et  les  rendre  favorables  à  sa  nouvelle  expédilion. 
Ignace  avait  prévu  le  danger  dont  le  menaçait  la  présence  de  l'empereur  ; 
mais  il  n'avait  voulu  ni  fuir  ni  se  cacher,  espérant  que  par  son  sacrifice  ii 
sauverait  son  troupeau.  Il  ne  s'était  pas  trompé.  Signalé  à  l'empereur,  ce- 
lui-ci le  lit  comparaître  dans  une  audience  solennelle,  en  pré? enc3  du  sénat  ; 
et,  d'un  ton  qui  s'accordait  mal  avec  sa  réputation  de  douceur  et  de  bien- 
veillance, il  lui  Qt  subir  l'interrogatoire  suivant  : 

u  Est-ce  toi  »,  lui  dit-il,  «  mauvais  démon,  qui  oses  violer  mes  ordres  et 
en  inspirer  aux  autres  le  mépris,  en  insultant  à  nos  dieux?  —  Nul  autre 
que  vous,  prince,  n'a  jamais  appelé  Théophore  un  mauvais  démou  »,  ré- 
pondit Ignace.  —  «  Et  qu'entends-tu  par  ce  mot  Théophore?  —  Celui  qui 
porte  Jésus-Christ  dans  son  cœur.  —  Tu  portes  en  toi  le  Christ?  —  Oui, 
parce  qu'il  est  écrit  :  J'habiterai  en  eux  et  je  marcherai  toujours  avec  eux. 
—  Penses-tu  que  nous  ne  portions  pas  aussi  nos  dieux  dans  notre  âme,  ces 
dieux  que  nous  remercions  de  leurs  bienfaits,  et  que  nous  invoquons  (lans 
nos  entreprises?  —  Des  dieux!  ce  ne  sont  que  des  démons.  Il  n'y  a  qu'un 
seul  Dieu,  qui  a  créé  le  ciel  et  ia  terre  ;  il  n'y  a  qu'un  Jésus-Christ,  le  Fils 
unique  de  Dieu,  dont  le  règne  n'a  point  de  On.  Si  vous  le  connaissiez,  ô  em- 
pereur! votre  trône  serait  mieux  affermi. —Laissons  cela  ;  veux-tu,  Ignace, 
te  rendre  agréable  à  ma  puissance,  et  être  compté  au  nombre  des  amis  de 
l'empereur  ?  Change  de  sentiments,  sacrifie  aux  dieux,  et  aussitôt,  que  ceux- 
ci  le  sachent  bien,  je  le  fais  pontife  du  grand  Jupiter,  et  tu  seras  appelé 
père  du  sénat. — Qu'importent  ces  honneurs  à  moi,  prêtre  du  Christ,  qui 
lui  offre  chaque  jour  un  sacrifice  de  louanges,  et  me  dispose  à  m'immolera 
lui  ?  —  A  qui?  A  ce  Jésus  qui  fut  mis  en  croix  par  Ponce-Pilate  ?  —  Oui,  et 
qui  crucifia  avec  lui  le  péché,  et  vainquit  le  démon,  qui  en  est  l'auteur.  — 
Tu  avoues  donc  que  ton  Dieu  est  mort  » ,  lui  objectèrent  quelques-uns  des  sé- 
nateurs, «  et  alors  comment  peux-tu  l'adorer  ?  Nos  dieux',  au  contraire,  sont 
immortels. —  Jésus-Christ,  éternel  comme  Dieu,  s'est  fait  homme  pour  sauver 
les  hommes.  C'est  pour  eux  qu'il  est  mort  sur  une  crois;  mais  il  est  ressuscité 
le  troisième  jour,  et  puis  remonté  aux  cieux,  d'où  il  était  venu,  et  dont  il 
nous  a  rouvert  l'entrée.  Qui  osera  affirmer  qu'aucun  de  ceux  que  vous  ran- 
gez au  nombre  de  vos  dieux  ait  jamais  rien  fait  de  semblable  et  puisse  lui 
être  comparé?  Après  s'être  rendus  célèbres  par  leurs  turpitudes  ou  leurs 
crimes,  ils  ont  subi  la  mort,  qui  en  était  la  juste  peine  ;  ils  sont  morts,  et  ils 
ne  sont  pas  ressuscites  ». 

La  sagesse  des  sages  était  déconcertée.  Trajan,  irrité,  fit  enchaîner  et 
conduire  eu  prison  l'intrépide  défenseur  du  Christ.  La  nuit  ne  porta  pas 
conseil,  ou  plutôt  elle  en  porta  un  funeste.  Le  lendemain,  Trajan  ayant  fait 
encore  appeler  Ignace  :  «Sacrifie  aux  dieux»,  lui  dit-il,  «  afin  d'éviter  les 
tourments  et  la  mort.  — A  quel  dieu  sacrifierai-je?  »  reprit  Ignace  :  «  sera- 
ce  à  Mercure  le  voleur?  à  Mars,  qui,  à  raison  d'un  crime  infâme,  fut  con- 
damné aux  fers  pour  trente  mois?  —  Je  suis  coupable  de  te  laisser  blasphé- 
mer contre  nos  dieux  qui  ne  t'ont  fait  aucun  mal.  Sacrifie-leur  à  l'instant, 
sinon  je  ne  t'épargnerai  pas.  —  Je  ne  sacrifierai  point  ;  je  ne  crains  ni  les 
tourments  ni  la  mort,  parce  que  j'ai  hâte  d'aller  à  Dieu  ».  La  dignité  impé- 
riale se  crut  engagée  dans  ce  débat  ;  elle  crut  venger  son  honneur  en  con- 
damnant à  un  supplice  cruel  et  éclatant  celui  qui  avait  osé  lui  résister. 
Trajan  prononça  cette  sentence  :  «  Nous  ordonnons  qu'Ignace,  qui  se  glo- 
rifie de  porter  en  lui  le  CruciQé,  soit  mis  aux  fers  et  conduit  sous  bonne 
garde  à  la  grande  Rome  pour  y  être  exposé  aux  bêtes  et  servir  de  spectacle 
Vies  des  SAI^•TS.  —  ToaE  II.  H 


168  1"  FÉVRIER. 

au  peuple  ».  Quelle  douceur  dans  un  prince  dont  on  a  tant  loué  l'humanité! 
quelle  société  que  celle  à  laquelle  il  fallait  de  tels  amusemenls! 

L'empei-eur  courut  aux  conquêtes,  le  chrétien  au  martyre.  Au  départ  du 
bienheureux  prélat,  il  n'y  eut  point  de  Ddèle  qui  ne  versât  des  larmes  :  lui 
seul  avait  le  cœur  plein  d'allégresse;  ses  ouailles  pleuraient  la  perle  d'un  si 
aimable  pasteur,  et  lui,  avec  un  maintien  grave  et  constant,  les  exhortait  à 
mettre  toute  leur  espérance  en  la  protection  du  souverain  Pasteur,  qui 
n'abandonne  jamais  son  troupeau.  11  se  mit  lui-même  les  fers  aux  pieds  et 
se  livra  gaiement  aux  soldats  qui  le  devaient  emmener.  C'étaient  des  hommes 
cruels  et  si  avares  que  pour  tirer  de  l'argent  des  chrétiens  ils  le  maltrai- 
taient exprès,  abusant  ainsi  de  la  libéralité  des  lidèles  qui  épuisaient  tous 
leurs  moyens  afin  de  racheter  le  saint  prélat  de  leur  injuste  vexation.  11  alla 
parterre  jusqu'à  Séleucie,  et  de  là,  par  mer,  àSmyrne;  cette  ville  avait 
pour  évèque  Polycarpe,  qui  avait  été  autrefois  son  ami  et  son  condisciple  à 
recelé  de  saint  Jean,  leur  maître;  aussi  reçut-il  de  sa  charité  toutes  les 
assistances  et  la  consolation  qu'il  pouvait  espérer  d'un  parfait  ami  en  Jésus- 
Cihrist.  Il  y  fut  aussi  visité  par  tout  le  peuple  de  Smyrne,  qui  eut  une  ex- 
trême satisfaction  d'entendre  les  discours  qu'il  fit  pour  porter  les  chrétiens 
à  persévérer  dans  leur  fidélité. 

Les  habitants  de  la  ville  de  Smyrne  ne  furent  pas  les  seuls  qui  rendirent 
ce  devoir  au  saint  Martyr  ;  toutes  les  églises  d'Asie  envoyèrent  leurs  évèques 
et  leur  clergé  pour  le  voir,  comme  leur  père  spirituel  et  le  directeur  gé- 
néral de  leurs  consciences.  On  ne  pouvait  voir  un  si  saint  homme  persécuté 
sans  verser  des  larmes;  mais  lui,  bien  loin  d'en  être  touché,  lorsqu'il  prit 
congé  des  fidèles  qui  fondaient  en  pleurs,  les  pria  d'obtenir  de  Dieu  la  grilce 
de  n'être  point  épargné  des  lions,  mais  d'en  être  déchiré  avec  toute  la 
cruauté  possible. 

Mais  ces  pensées  ne  sont  pas  entendues  des  gens  du  monde  et  de  ceux 
qui  s'attachent  aux  plaisirs  de  la  vie.  Il  faut  un  esprit  céleste  et  divin 
pour  comprendre  les  sentiments  de  ce  grand  homme  transformé  en  Jésus- 
Christ. 

Ce  qu'il  appréhendait  surtout,  c'étaient  les  prières  et  le  trop  grand 
amour  des  Romains  pour  lui.  Ayant  donc  trouvé  à  Smyrne  des  chrétiens 
qui  allaient  directement  à  Rome,  il  leur  donna  pour  ceux  de  la  capitale  une 
lettre  qui  n'a,  pour  ainsi  dire,  d'autre  but  que  de  les  conjurer  de  ne  pas 
retarder  par  leurs  prières  l'exécution  de  son  martyre.  Dans  l'inscription  de 
cette  épître,  on  peut  voir  un  témoignage  illustre  de  la  primauté  de  l'Eglise 
romaine.  Quand  le  saint  martyr  écrit  aux  fidèles  des  autres  villes,  il  dit,  en 
y  ajoutant  beaucoup  de  louanges  :  A  l'Eglise  qui  est  à  Ephèse,  à  l'Eglise  qui 
est  à  Magnésie,  à  l'Eglise  qui  est  à  Smyrne.  Mais  aux  Romains  son  langage 
est  diUèrent  :  A  l'Eglise  qui  préside  dans  le  pays  de  Rome.  Rien  n'est  plus 
généreux,  plus  édifiant  que  cette  lettre  aux  Romains  ;  rien  ne  peint  mieux 
cet  amour  passionné  du  martyre  qui  caractérise  cet  âge  héroïque  du  Chris- 
tianisme, que  celle  qu'il  écrivit  aux  Romains  pour  leur  annoncer  sa  pro- 
chaine arrivée  : 

«  Dieu  s'est  rendu  à  mesprières;  j'ai  enfin  obtenu  de  sa  bonté  de  pou- 
voir jouir  de  votre  présence.  Chargé  de  chaînes  pour  l'amour  de  Jésus- 
Christ,  j'espère,  dans  peu,  être  auprès  de  vous.  Si,  après  avoir  si  heureuse- 
ment commencé,  je  suis  jugé  digue  de  persévérer  jusqu'à  la  fin,  je  ne  doute 
pas  que  je  n'entre  bientôt  en  possession  de  l'héritage  qui  m'est  échu  par  la 
mort  de  Jésus-Christ.  Mais  je  crains  votre  charité;  je  crains  que  vous 
n'ayez  pour  moi  une  affection  trop  humaine.  Vous  pourriez  peut-être 


SAINT  IGNACE,    PATHIARCHE  d'ANTIOCHE,    MARTYB.  163 

m'empêcher  de  mourir;  mais,  en  vous  opposant  à  ma  mort,  vous  vous 
opposeriez  à  mon  bonheur.  Si  vous  avez  pour  moi  une  charité  sincère,  vous 
me  laisserez  aller  jouir  de  mon  Dieu.  Je  ne  puis,  pour  vous  être  agréable, 
consentir  à  éviter  le  supplice  qui  m'est  préparé.  C'est  à  Dieu  seul  que  je 
veux  pi, lire.  Vous-mêmes  vous  m'en  donnez  l'exemple.  Je  n'aurai  jamais 
une  occasion  plus  heureuse  de  me  réunir  à  lui,  et  vous  ne  sauriez  en  avoir  une 
plus  belle  d'exercer  une  bonne  œuvre.  Vous  n'avez  qu'à  demeurer  en  repos. 
Si  vous  ne  m'arrachez  pas  des  mains  des  bourreaux,  j'irai  rejoindre  mon 
Dieu.  Mais  si  vous  écoulez  une  fausse  compassion,  vous  me  renvoyez  au 
travail  et  vous  me  faites  rentrer  dans  la  carrière.  Souffrez  que  je  sois 
immolé  tandis  que  l'autel  est  dressé.  Rendez  grâces  à  Dieu  de  ce  qu'il  a 
permis  qu'un  évoque  de  Syrie  fût  transporté  des  lieux  où  le  soleil  se  lève, 
pour  perdre  la  vie  en  une  terre  oti  cet  astre  perd  sa  lumière.  Que  dis-je?  je 
vais  renaître  à  mon  Dieu.  Obtenez-moi  par  vos  prières  le  courage  qui  m'est 
nécessaire  pour  résister  aux  attaques  du  dedans,  et  pour  repousser  celles  du 
dehors.  C'est  peu  de  paraître  chrétien  si  on  ne  l'est  en  effet.  Ce  qui  fait  le 
chrétien,  ce  ne  sont  pas  de  belles  paroles  ni  de  spécieuses  apparences;  c'est 
la  grandeur  d'âme,  c'est  la  solidité  de  la  vertu. 

«  J'écris  aux  églises  que  je  vais  à  la  mort  avec  joie.  Laissez-moi  servir  de 
pâture  aux  lions  et  aux  ours.  Je  suis  le  froment  de  Dieu.  Il  faut  que  je  sois 
moulu  sous  leurs  dents  pour  devenir  un  pain  digne  de  Jésus-Christ.  Depuis 
que  j'ai  quitté  la  Syrie,  n'ai-je  pas  à  combattre  contre  les  bêtes  farouches? 
La  terre  et  la  mer  sont  témoins  de  leur  fureur  et  de  ma  patience.  Ce  sont 
dix  léopards  sous  la  figure  de  dix  soldats,  auprès  desquels  je  suis  enchaîné 
et  qui  sont  d'autant  plus  cruels,  que  ma  douceur  fait  plus  pour  les  appri- 
voiser. Leurs  mauvais  traitements  m'instruisent,  mais  ne  suffisent  pas  pour 
me  justifier. 

«  En  arrivant  à  Rome,  j'espère  trouver  les  bêtes  prêtes  à  me  dévorer. 
Puissent-elles  ne  point  me  faire  languir  !  J'emploierai  d'abord  les  caresses 
pour  les  engager  à  ne  me  point  épargner;  si  ce  moyen  ne  réussit  pas,  je  les 
irriterai  contre  moi  et  je  les  forcerai  à  m'ôter  la  vie.  Pardonnez-moi  ces 
sentiments;  je  sais  ce  qui  m'est  avantageux.  Je  commence  à  être  un  vrai 
disciple  de  Jésus-Christ.  Rien  ne  me  touche,  tout  m'est  indifférent,  hors 
l'espérance  de  posséder  mon  Dieu.  Que  le  feu  me  réduise  en  cendres,  que 
j'expire  sur  une  croix  d'une  mort  lente  ;  que,  sous  la  dent  des  tigres  furieux 
et  des  lions  affamés,  mes  os  soient  brisés,  mes  membres  meurtris,  tout  mon 
corps  broyé  ;  tous  les  démons  se  réuniraient-ils  pour  épuiser  sur  moi  leur 
rage,  je  souffrirai  tout  avec  joie,  pourvu  que  je  jouisse  de  Jésus-Christ.  La 
possession  de  tous  les  royaumes  saurait-elle  me  rendre  heureux?  Ne  m'est- 
il  pas  infiniment  plus  glorieux  de  mourir  pour  mon  Dieu  que  de  régner  sur 
toute  la  terre?  Mon  cœur  soupire  après  celui  qui  est  mort  pour  moi;  mon 
cœur  soupire  après  celui  qui  est  ressuscité  pour  moi.  Laissez-moi  imiter  les 
souffrances  de  mon  Dieu.  Ne  serait-ce  pas  m'empêcher  de  vivre  que  de 
m'empêcher  de  mourir? 

«  Si,  arrivé  près  de  vous,  j'avais  la  faiblesse  de  vous  faire  paraître  d'au- 
tres sentiments,  ne  me  croyez  pas.  N'ajoutez  foi  qu'à  ce  que  je  vous  écris 
maintenant  ;  car  c'est  dans  une  entière  liberté  d'esprit  que  parle  aujourd'hui 
mon  cœur.  Et  quel  autre  langage  pourrais-je  tenir  à  la  vue  de  mon  amour 
crucifié?  J'entends  au  fond  de  mon  cœur  une  voix  qui  me  crie  sans  cesse  : 
Ignace,  que  fais-tu  ici-bas?  Va,  cours,  vole  dans  le  sein  de  ton  Dieu.  Les 
viandes  les  plus  exquises,  ni  les  vins  les  plus  délicieux  n'ont  plus  de  saveur 
pour  moi.  Le  pain  que  je  veux  est  le  corps  sacré  de  Jésus-Christ,  et  le  vin 


164  1"  FÉVRIER. 

que  je  désire  est  son  sang  précieux,  ce  vin  céleste  qui  excite  dans  l'âme  le 
feu  vit' et  immortel  d'une  charité  incorruptible.  Je  ne  tiens  plus  à  la  terre,  et 
je  ne  me  regarde  plus  comme  vivant  parmi  les  hommes.  Priez,  demandez, 
obtenez  pour  moi  la  paix,  qui  ne  se  donne  qu'au  bout  de  la  carrière.  Si  je 
souffre  pour  Jésus-Christ,  ma  mémoire  vous  sera  chère  ;  mais  si  je  me  rends 
indigne  de  souffrir,  quoi  de  plus  odieux  pour  vous  que  mon  nom  ? 

«  Souvenez-vous  dans  vos  prières  de  l'église  de  Syrie,  qui,  dépourvue  de 
pasteur,  tourne  ses  yeux  et  ses  espérances  vers  Celui  qui  est  le  souverain 
pasteur  de  toutes  les  Eglises.  Que  Jésus-Christ  daigne  en  prendre  la  con- 
duite pendant  mon  absence;  je  la  confie  à  sa  Providence  et  à  votre  charité. 

«  Je  vous  salue  en  esprit;  toutes  les  églises  qui  m'ont  reçu  au  nom  de 
Jésus-Christ  vous  saluent  aussi.  Je  n'ai  pas  été  pour  elles  un  étranger.  J'en  ai 
pour  preuve  la  charité  toute  chrétienne  avec  laquelle  elles  m'ont  fait  accom- 
pagner dans  les  villes  qui  se  sont  trouvées  sur  ma  route.- 

«  Des  Ephésiens  de  considération  et  de  mérite  vous  remettront  cette 
lettre.  A  l'égard  de  ceux  qui  sont  partis  de  Syrie  pour  Rome,  vous  m'obli- 
gerez de  leur  faire  savoir  que  je  suis  proche.  Ce  sont  des  personnes  dignes 
de  la  protection  do  Dieu  et  de  vos  soins.  Vous  leur  rendrez  tous  les  bons 
offices  que  mérite  leur  vertu  ». 

11  eut  encore  le  temps  d'écrire  à  quelques  autres  églises,  entre  autres  à 
celle  d'Ephèse,  qui  avait  député  vers  lui  son  évêque  Onésime,  un  des  plus 
distingués  de  l'Eglise  primitive,  dont  Ignace  fait  un  éloge  tout  particulier. 
C'était  probablement  le  même  que  cet  esclave  de  Philémon  que  convertit 
saint  Paul,  et  qu'il  établit  ensuite  évoque  de  Bérée.  Au  reste,  les  évoques 
accourus  au-devant  du  martyr,  dans  leur  empressement  pour  sa  personne, 
préludaient,  ainsi  que  Polycarpe,  à  leur  propre  martyre.  Ignace  s'arracha 
bientôt  à  leurs  embrassements;  plusieurs  fidèles  se  joignirent  à  ceux  qui 
l'avaient  accompagné  de  Syrie  et  s'embarquèrent  avec  lui. 

Il  reçut  à  Troade  des  nouvelles  qui  le  comblèrent  de  joie,  et  bien  ca- 
pables d'affermir  son  courage.  La  considération  de  son  généreux  sacrifice 
avait  mis  fin  à  quelques  divisions  suscitées  par  les  faux  frères  dans  l'église 
d'Anlioche.  En  môme  temps  la  persécution,  contente  d'avoir  frappé  le  pas- 
teur, avait  épargné  le  troupeau.  Trajan,  par  politique  autant  que  par  huma- 
nité, ne  voulait  pas  s'attaquer  à  la  foule  et  multiplier  les  victimes.  Pressé 
par  le  départ  du  vaisseau,  le  saint  écrivit  h  la  hâte  à  Polycarpe,  et  le  pria 
d'être  son  interprèle  auprès  des  diverses  églises  dont  les  députés  étaient  ve- 
nus saluer  son  passage  pendant  son  séjour  à  Philippes  de  Macédoine.  Les 
fidèles  conçurent  une  telle  vénération  pour  ses  sentiments  et  sa  doctrine, 
que  plusieurs  d'entre  eux  se  rendirent  auprès  de  l'évêque  de  Smyrne,  son 
ami  et  son  confident,  pour  recueillir  toutes  les  lettres  de  l'évêque  d'An- 
tioche.  Ces  lettres,  reçues  avec  respect  par  tout  le  peuple  chrétien,  étaient 
lues  dans  les  assemblées  saintes  avec  celles  des  Apôtres. 

Il  avait  compté  débarquer  à  Pouzzoles,  et  arriver  ainsi  au  terme  de  son 
voyage  sur  les  traces  mômes  de  l'Apôtre  des  nations  ;  mais  un  vent  contraire 
poussa  le  vaisseau  jusqu'au  port  d'Ostie.  Les  fidèles  de  Rome  accoururent  en 
foule  à  sa  rencontre.  Ils  l'accueillirent  avec  des  transports  de  joie,  auxquels 
succéda  bientôt  la  triste  pensée  qu'ils  ne  le  possédaient  que  pour  le  perdre. 
Déjà  ils  formaient  le  projet  de  chercher  h  gagner  le  peuple,  afin  qu'il  de- 
mandât, comme  c'était  déjà  arrivé  quelquefois,  grâce  pour  la  vieillesse  de  la 
victime.  Mais  le  Saint,  connaissant  leurs  pensées,  les  conjura  avec  tant 
d'instances  de  ne  pas  différer  l'heure  de  sa  délivrance,  qu'ils  s'associèrent  à 
ses  sentiments,  et,  tous  étant  tombés  à  genoux,  il  pria  au  milieu  d'eux  pour 


SAI^"T  IG^■ACE,    PATRIAr>CriE   D'A^"TIOGHE,    MAJUTO.  165 

la  fin  de  la  persécution,  la  paix  de  l'Eglise  et  l'union  entre  tous  ses  enfants. 
Les  soldais  qui  le  conduisaient  le  livrèrent  au  préfet  de  la  ville,  avec  la  copie 
de  son  arrêt.  Celui-ci  attendit  un  jour  de  fêle  solennelle  pour  le  produire  en 
public,  suivant  la  volonté  de  l'empereur.  Le  Martyrologe  romain  dit  que  le 
Saint  soalTrit  beaucoup  d'autres  tourments  avant  d'être  exposé  dans  l'am- 
philhc;\tre  ;  et  Adon,  en  son  Martyrologe,  ajoute  qu'il  eut  tout  le  corps 
rompu  avec  des  fouets  plombés;  que  ses  côtes  furent  grattées  avec  des 
ongles  de  fer  et  des  pierres  pointues  et  tranchantes;  qu'on  jeta  du  sel  et  du 
vinaigre  sur  ses  plaies  récentes,  et  qu'il  fut  tenu  en  prison  trois  fois  vingt- 
quatre  heures  sans  boire  ni  manger.  Il  fut  donc  mené  au  lieu  du  supplice  *, 
aj'ant  le  visage  rayonnant  de  joie  et  le  cœur  plein  de  consolations  de  ce  qu'il 
allait  endurer  pour  Jésus-Christ,  et  voyant  que  tous  les  assistants  avaient  les 
yeux  arrêtés  sur  lui,  il  leur  tint  ce  discours  :  «  Ne  pensez  pas,  6  Romains 
qui  assistez  à  ce  spectacle,  que  je  sois  condamné  aux  bêtes  pour  avoir  com- 
mis quelque  crime  ;  non,  c'est  parce  que  je  veux  aller  à  Dieu  dont  l'amour 
m'embrase  ».  Disant  cela,  il  entendit  rugir  les  lions  qui  venaient  déjà  vers 
lui  ;  et  alors,  avec  un  transport  causé  par  le  zèle  de  sa  foi,  il  dit  haute- 
meat  :  «  Je  suis  le  froment  de  Jésus-Christ,  je  serai  moulu  par  les  dents  des 
bêtes  et  réduit  en  farine  pour  être  un  pain  agréable  à  raon  Seigneur  Jésus- 
Clirist  )) .  A  peine  achevait-il  ces  dernières  paroles,  qu'il  fut  jeté  à  terre  et 
dévoré  par  les  lions  comme  il  en  avait  prié  son  souverain  Seigneur.  Ces 
cruels  animaux  ne  touchèrent  pas  à  ses  os  :  il  n'y  eut  que  sa  chair  de  déchi- 
rée et  qui  servit  de  pâture  à  leur  rage,  comme  la  constance  du  Martyr,  de 
spectacle  au  peuple  assemblé.  C'était  le  20  septembre  107  ou  116. 

Les  Actes  du  martyre  de  saint  Ignace  ont  été  écrits  par  trois  de  ses  disci- 
ples qui  l'accompagnèrent  à  Rome,  et  furent  les  témoins  oculaires  de  son 
supplice.  Voici  la  manière  touchante  dont  ils  terminent  leur  récit  : 

«  Nous  assistions  les  yeux  baignés  de  larmes  à  ce  triste  spectacle  :  la 
miit  suivante,  retirés  dans  la  maison  d'un  chrétien,  nous  laissâmes  nos 
pleurs  couler  avec  nos  prières.  Prosternés,  nous  demandâmes  au  Seigneur 
de  nous  faire  connaître  par  quelque  signe  l'issue  de  ce  combat.  Epuisés  de 
fatigue,  le  sommeil  nous  gagna;  Ignace  nous  apparut.  Quelques-uns  d'entre 
nous  le  virent  dans  la  gloire  et  leur  tendant  les  bras  pour  les  serrer  sur  son 
cœur.  A  d'autres,  il  apparut  dans  l'attitude  de  la  prière,  intercédant  auprès 
du  trône  de  Dieu  pour  son  église.  Enfin,  quelques  autres  le  virent  couvert 
de  sueur  et  comme  sortant  d'un  laborieux  combat  se  présenter  en  vain- 
queur devant  Dieu » 

Saint  Antonin  dit  que  saint  Ignace  fut  seulement  étouffé  par  les  lions,  et 
non  pas  dévoré  ;  et  que,  sentant  les  morsures  de  ces  bêtes,  il  avait  toujours 
eu  à  la  bouche  le  très-saint  nom  de  Jésus,  qu'il  appelait  à  son  secours.  On 
lui  demanda  pourquoi  il  invoquait  souvent  ce  nom  :  «  C'est»,  répondit-il, 
«  qu'il  est  gravé  dans  mon  cœur  et  que  je  ne  le  puis  oublier».  En  effet,  après 
qu'il  fut  mort,  on  lui  ouvrit  le  cœur  et  on  y  trouva  écrit  en  lettres  d'or  le 
très-saint  nom  de  Jésus. 

.aussitôt  après  la  mort  de  saint  Ignace,  il  arriva  un  grand  tremblement 
de  terre  à  Antioche  :  une  partie  de  la  ville  fut  ruinée,  plusieurs  personnes 
tuées,  et  beaucoup  d'autres  fort  maltraitées.  L'empereur  même  se  trouva 
en  grand  péril  et  ne  fut  sauvé  que  par  la  Providence  divine,  qui  voulait 
se  servir  de  lui  pour  faire  cesser  la  persécution  contre  les  chrétiens  ;  car, 
depuis,  il  commanda  qu'ils  ne  fussent  plus  recherchés  à  cause  du  Christia- 
nisme. Il  est  vrai  qu'il  les  déclara  inhabiles  à  toutes  les  charges  de  la  répu- 

1  Le  ColysJe,  d'après  la  tradition. 


166  i"   FÉVMER. 

blique  ;  mais  il  voulut  qu'on  les  laissât  vivre  en  paix  et  en  liberté,  après 
s'être  assuré  que  c'étaient  des  hommes  paisibles  et  qui  n'étaient  ni  vicieux, 
ni  ennemis  de  son  empire.  De  sorte  que  nous  pouvons  dire  que  saint  Ignace 
fut  utile  à  l'Eglise  de  Dieu  pendant  sa  vie  et  après  sa  mort. 

On  représente  saint  Ignace  d'Antioche  avec  une  harpe  près  de  lui,  écou- 
tant un  concert  céleste,  parce  que,  comme  nous  l'avons  dit,  il  aurait  réglé 
le  chant  religieux  en  Syrie,  d'après  ce  qu'il  avait  entendu  exécuter  par  les 
Anges. 

Le  peintre  espagnol  Ribera  a  fait  un  grand  tableau  plein  de  fougue  da 
martyre  de  saint  Ignace.  Plusieurs  artistes  du  xn°  siècle  ont  peint  la  scène 
de  l'amphithéâtre.  Un  lion  lui  ouvre  la  poitrine  avec  sa  griffe  et  l'on  aper- 
çoit le  nom  de  Jésus  écrit  en  caractères  éclatants  sur  son  cœur,  par  allusion, 
sans  doute,  à  son  nom  de  Théophore,  Porte-Dieu. 

Le  monogramme  de  Jésus-Christ  et  une  harpe,  tels  sont  doncles  princi- 
paux attributs  de  saint  Ignace. 

Une  miniature  du  Ménologe  grec  représente  la  cérémonie  de  la  transla- 
tion de  ses  reliques  de  Rome  à  Antioche.  On  y  remarque  le  cercueil  renfer- 
mant les  saintes  reliques  soutenu  par  deux  ecclésiastiques.  Un  évêque  tenant 
un  livre  et  un  encensoir,  accompagné  de  prêtres  portant  des  torches,  est 
près  d'entrer  dans  la  ville. 

RELIQUES  ET  ÉCRITS  DE  SAINT  IGNACE. 

Ses  saintes  reliques,  ayant  été  recueillies  par  les  chrétiens  avec  beaucoup  de  vénération,  furent 
mises  en  terre  hors  de  Rome.  De  là,  elles  furent  portées  à  Antioche  et  déposées  hors  de  la  porte 
de  Daphné  ;  quelques  siècles  après,  du  temps  de  Théodose,  elles  furent  transférées  dans  la  ville 
avec  une  solennité  extraordinaire  ;  les  peuples  chez  qui  passait  ce  dépôt  sacré  le  recevaient,  d'après 
saint  Chrysostome,  en  grande  cérémonie  et  avec  de  belles  processions.  Enfin,  elles  ont  été  rappor- 
tées à  Rome,  lorsque,  sous  le  règne  d'Héraclius,  Antioche  tomba  au  pouvoir  des  Sarrasins,  vers  638. 
Elles  sont  maintenant  dans  l'église  de  saint  Clément,  pape  et  martyr,  et  à  Saint-Jean  de  Latran  '. 
Depuis,  un  des  bras  de  cet  illustre  martyr  est  venu  en  notre  France  ;  on  le  conservait  soigneusement 
en  la  célèbre  abbaye  de  Saint-Pierre  de  la  Vallée,  de  l'Ordre  de  Saint-Benoit,  près  de  la  ville  de 
Chartres.  11  y  avait  aussi  quelques  parcelles  de  ses  ossements  chez  les  chanoines  réguliers  d'Arouaise, 
près  de  Bapeaume,  en  Artois,  chez  les  Bénédictins  de  Liessies  en  Hainaut,  etc. 

Ce  glorieux  patriarche  et  généreux  martyr  de  Jésus-Christ  écrivit  quelques  lettres  dignes  d'ad- 
miration ;  la  lettre  aux  Romains,  que  nous  venons  de  reproduire,  est  un  chef-d'œuvre.  Saint  Jérùme 
en  cite  sept  qui  sont  certainement  de  lui  :  le  tableau  de  l'Eglise  naissante  s'y  trouve  merveilleusement 
dépeint,  et  les  mœurs  des  chrétiens  de  ce  siècle  d'or  parfaitement  rapportées  avec  la  discipline  ecclé- 
siastique et  les  traditions  apostoliques.  Il  y  emploie  une  éloquence  céleste  et  angélique  pour  exhorter 
les  lidèles  à  les  observer,  comme  émanant  de  l'autorité  de  Noire-Seigneur  Jésus-Christ,  par  le  minis- 
tère des  Apêtres.  H  y  fait  mention  de  tous  les  Ordres  de  l'Eglise,  et  enseigne  quel  respect  ou  doit 
porter  et  quelle  obéissance  on  doit  rendre  aux  personnes  ecclésiastiques,  et  surtout  au  caractère  et 
à  la  dignité  des  évèques.  «  Le  prince  »,  dit-il,  «  obéit  à  l'empereur,  et  les  soldais  aux  princes,  les 
diacres  aux  prêtres,  et  le  reste  du  clergé,  comme  aussi  tout  le  peuple,  les  soldats,  les  princes  et  l'em- 
pereur mi'me  obéissent  à  l'évèque,  et  l'évèque  à  Jésus-Christ  o.  Il  avait  coutume  de  mettre  ii  la  Ga 
de  ses  lettres,  comme  pour  servir  de  sceau,  .•!■».«.■  Gru'iii,  ainsi  que  l'écrit  le  pape  saint  Grégoire. 
Les  cpilres  de  saint  Ignace  étaient  de  si  grande  autorité,  qne  saint  Pnlycarpe  en  lit  un  recueil.  Saint 
Ircnée  en  fait  mémoire.  Saint  Alhaoase,  saint  Jérôme,  Eusèbe,  ïliéodoret  et  d'antres  Pères  en  parlent 
avec  beaucoup  de  respect  et  de  vénération.  Outre  ces  épitres,  quelques-uns  en  ajoutent  encore  cinq, 
dont  les  SS.  PP.  ne  font  point  njcntion,  bien  qu'ils  reconnaissent  les  autres.  Saint  licrnaid,  Denis 
le  Chartreux  et  d'autres  auteurs  muJefnes,  cités  par  Caiiisius,  citent  encore  une  lettre  de  saint 
Ignace  à  iNolre-Darae,  et  une  autre  de  Notre-Dame  à  saint  Ignace,  et  les  consiilérent  comme  véri- 
tables ,  avec  deux  autres  à  saiut  Jean  l'Evangeliste  ;  mais  il  est  (jIus  probable  qu'elles  sont  supposées, 
aossi  bien  que  ces  cinq  autres,  que  les  savants  soutiennent  u  être  point  de  lui. 

Il  y  a  des  reliques  du  Saint  aux  Ursnlines  d'Amiens,  à  Mailly,  au  Mont-Saint-Quenlin  et  à 
Montrcuil. 

1.  D-.n;  estte  irtSnie  é;'.ise,  saint  Gr(?gr.l';  le  Granfl  a  prêclii,  et  l'on  vol;  la  chjîre  oîl  il  s'est  assii. 


I 


SALM   PAUL,    ÉV'ÈQUE   DE   TROIS-CHATEAUX.  167 


SAINT  PAUL  EVÈQUE  DE  TROIS  ~  CHATEAUX 


Mort  au  commeacemeut  du  v«  siècle. 

Félix  qui  non  hnbuit  animi  sui  tristiliam, 
Heareux  celui  qui  n'est  poiut  triste  en  soQ  âme. 
Eccli.,  xiT,  2. 

Né  à  Reims,  en  Champagne,  de  parents  chrétiens  et  craignant  Dieu, 
Paul  donna  de  bonne  heure  des  marques  de  sa  sainteté  future.  Il  ne  se  livrait 
jamais  tout  entier  aux  amusements  de  son  âge  ;  il  était  humble  et  obéis- 
sant ;  il  soulageait  la  misère  des  pauvres  «  selon  son  petit  pouvoir  »;  il  fuyait 
soigncuseuienl  la  compagnie  des  libertins,  et,  comme  Job,  il  renouvelait 
chaque  jour  le  pacte  qu'il  avait  fait  avec  ses  yeux,  de  ne  rien  regarder  qui 
pût  allumer  ses  passions.  Marié  à  l'âge  de  dix-huit  ans  avec  une  fille  noble, 
«  ce  chaste  Joseph  fit  consentir  son  épouse  à  vivre  avec  lui  dans  une  entière 
et  perpétuelle  virginité  ».  Une  irruption  de  barbares  ayant  jeté  l'épouvante 
dans  leur  paj's,  «  nos  deux  jeunes  colombes,  pour  éviter  la  cruauté  de  ces 
vautours  »,  prennent  la  fuite,  et  forment  le  projet  de  se  retirer  dans  quelque 
solitude.  Ils  arrivent  à  Lyon,  sous  la  conduite  de  la  Providence,  s'embar- 
quent sur  le  Rhône,  avec  leur  mère  qui  les  a  suivis,  et  se  dirigent  vers  la 
■ville  d'Arles.  N'y  trouvant  pas  de  lieu  assez  désert,  ils  se  retirent  sur  une 
montagne  voisine  de  Saint-Remy,  où  l'on  voit  encore  aujourd'hui  une  église 
qui  porte  le  nom  de  notre  saint  Paul. 

C'est  là  que  Paul  vécut  «  ignoré  des  hommes,  connu  seulement  de  Dieu 
et  de  ses  anges  ».  Pour  gagner  sa  vie,  celle  de  sa  femme  et  de  sa  mère,  il  fut 
obligé  de  cultiver  un  champ,  en  qualité  de  serviteur  à  gages.  Il  pensait  ense- 
velir sa  vie  dans  cette  obscure  retraite,  mais  Dieu  en  avait  disposé  autre- 
ment. Un  jour  qu'il  conduisait  sa  charrue  au  pied  de  la  montagne,  une 
troupe  d'envoyés  l'aborde  au  nom  de  la  ville  de  Trois-Chàteaux,  où  plusieurs 
personnes  pieuses  avaient  connu  ses  vertus  par  révélation.  Ils  lui  demandent 
son  nom.  «  Je  m'appelle  Paul  »,  répondit-il  avec  simplicité.  —  «  Vous  êtes 
donc  celui  que  nous  cherchons.  —  Et  pourquoi  me  cherchez-vous? — Pour 
vous  apprendre  que  le  peuple  et  le  clergé  de  notre  église  vous  ont  choisi 
pour  leur  évoque.  —  Moi  !  pour  leur  évoque  ?  Allez,  mes  amis,  allez  ;  je  ne 
suis  pas  le  Paul  que  vous  cherchez.  Ne  voyez-vous  pas  que  je  ne  suis  qu'un 
pauvre  laboureur?  —  Nous  savons  ce  que  vous  êtes,  mais  nous  savons 
aussi  que  Dieu  vous  destine  à  devenir  notre  premier  pasteur.  C'est  vous 
que  nous  désirons  :  nous  n'en  voulons  point  d'autre  n.  Paul  n'en  peut  croire 
ses  oreilles  :  tel  Abdolonyme,  surpris  dans  son  jaidin,  qu'il  sarclait  près  de 
Sidon,  par  les  envoyés  de  Parménion,  qui  lui  ollraient  une  couronne  et  un 
trône  au  nom  d'Alexandre.  Souriant  de  la  prétendue  méprise  des  envoyés,  il 
prend  la  verge  sèche  et  aride  dont  il  se  sert  pour  conduire  ses  bœufs,  et 
s'écrie  en  l'enfonçant  dans  la  terre  :  «  Voyez-vous  cette  verge  ?  Quand  elle 
produira  des  feuilles  et  des  fleurs,  je  vous  crois,  j'accepte  l'offre  que  vous 
me  faites  ».  Dieu  le  prit  au  mot  ;  à  l'instant  la  verge  se  couvrit  de  verdure 
et  de  fleurs.  Ce  prodige  comble  de  joie  les  envoyés,  et  d'étonnement  Paul, 
qui  adore  la  volonté  divine,  et,  interdit,  accepte  par  obéissance  ce  qu'il  refu- 
sait par  humilité. 


168  1"  FÉYIUER. 

Informée  de  l'événement,  sa  Tcrtueuse  épouse  bénit  le  Seigneur  et  se 
retira  dans  un  monastère  d'Arles,  où  elle  mourut  en  odeur  de  sainteté.  Pour 
lui,  il  fut  reçu  comme  en  triomphe  dans  la  ville  de  Trois-Chàleaux.  Il  se 
laissa,  en  tremblant,  consacrer  prôtre  et  évoque.  Il  passa  la  nuit  suivante 
dans  la  prière  et  les  larmes  pour  obtenir  de  Dieu  la  rémission  de  ses  péchés, 
et  un  ange  vint  lui  annoncer  qu'ils  lui  étaient  pardonnes.  Ce  saint  évoque  fit 
un  bien  immense  à  son  peuple  par  ses  instructions,  et  surtout  par  ses  exem- 
ples de  modestie,  de  foi,  de  charité.  11  prit  part  au  concile  de  Valence  (374), 
qui  rétablit  la  discipline  ecclésiastique  dans  cette  province.  On  lit  son  nom 
parmi  les  autres  Pères  du  concile,  à  la  fin  des  canons  qu'ils  y  dressèrent,  et 
de  la  lettre  s}Tiodale  qu'ils  écrivirent  au  clergé  de  Fréjus,  au  sujet  d'Accepté, 
évoque  élu  de  cette  ville. 

A  son  retour  de  ce  concile,  il  confondit  par  un  prodige  éclatant  la  four- 
berie d'un  juif  qui  lui  réclamait  une  somme  d'argent  prêtée,  disait-il,  à 
Torquat,  prédécesseur  de  notre  Saint,  et  non  remboursée.  Pour  découvrir 
la  vérité,  il  se  met  en  oraison,  et,  plein  de  cette  foi  dont  il  ne  faut  qu'un 
grain  pour  transporter  les  montagnes,  il  s'approche  du  tombeau  de  saint 
Torquat,  revêtu  de  ses  habits  pontificaux,  le  touche  de  son  bâton  pastoral, 
et  lui  commande,  de  la  part  de  Dieu,  de  dire  s'il  a  payé  le  juif  ou  non  :  une 
voix  répond  du  fond  du  sépulcre  que  le  juif  a  été  payé.  Tout  le  monde  cria 
au  miracle,  et  l'on  put  distinguer  la  perfidie  d'avec  la  loyauté. 

Ce  saint  évêque  gouverna  son  église  près  de  quarante  ans,  et  movirut  au 
commencement  du  v"  siècle.  Ses  saintes  reliques  ont  disparu,  enlevées,  les 
uns  disent  en  1535,  par  le  comte  de  Lamarche,  les  autres  en  1561,  par  les 
Huguenots.  Ce  fut  à  la  même  époque,  probablement,  que  disparut  la  verge 
miraculeuse  qui  avait  fleuri  à  l'élection  de  saint  Paul  et  qui  était  religieuse- 
ment conservée  à  Saint-Remy. 

Saint  Paul  est  le  patron  de  l'église  et  de  l'ancien  diocèse  de  Trois-Châ- 
teaux.  Dans  cette  ville,  tous  les  ans,  le  l"  février,  jour  de  la  fête  de  notre 
Saint,  on  porte  solennellement  à  la  procession,  en  mémoire  du  miracle  que 
nous  avons  raconté,  une  verge,  appelée  dans  ce  pays  aiguillado,  entourée  de 
rubans,  de  verdure  et  de  fleurs  d'amandiers,  ou  de  toutes  autres  fleurs  quand 
celles-là  font  défaut. 

Pour  cette  rte,  nous  avons  suivi  et  quelquefois  reproduit  VBisloirehagiologiguedeyalence,]}^TilA'ah\ii 
Kadal. 


SAINT  EPHREM,  DIACRE  D'EDESSE  ET  CONFESSEE 

$78.  —  Pape  :  saint  Damase.  —  Empereur  :  Théodose  le  Graad. 


Benedieo  te  ....  quia  castigasii  me, 
0  mon  Dieu,  Je  tous  bénis,  parce  que  tou  m*aT6t 
châtié.  Tob.,  Xi,  17. 

Edesse  était  distinguée  entre  les  villes  d'Orient  par  la  piété  de  ses  habi- 
tants et  par  les  saints  solitaires  qui  florissaient  sur  son  territoire  :  tels  furent 
saint  Ephrem  dont  nous  allons  parler,  saint  Barsès,  saint  Euloge,  saint 
Aphraates,  saint  Julien  surnommé  Sabas,  et  tant  d'autres  émiuents  en  vertus. 


S^UKT  ÉPHREM,    DIACRE   d'ÉDESSE   ET   COXFESSEIIE.  109 

Saint  Isidore  de  Séville  croit  que  cette  ville  fut  fondée  par  Nemrod,  et  qu'elle 
porta  d'abord  le  nom  de  Jaré,  ou  Arach,  comme  dit  saint  Jérôme.  Elle  reçut 
le  nom  d'Edesse  lorsqu'elle  fut  rebâtie  par  Séleucus,  premier  roi  do  Syrie,  à 
cause  d'une  ville  du  même  nom  en  Macédoine.  Elle  fut  la  capitale  de 
rOsrhoëne,  et  eut  longtemps  ses  rois  particuliers,  qui  se  qualifiaient  princes 
d'Edesse,  ou  de  l'Osrhoëne.  Ils  prenaient  tous  le  nom  d'Augare  ou  Abgare, 
qui  signifie  le  Grand.  Le  second  de  ce  nom  régnait  du  temps  de  Jésus-Christ  : 
Eusèbe  l'appelle  un  très-puissant  prince  des  nations  d'au-delà  de  l'Euphrate. 
Il  dit  que  ce  fut  lui  qui  écrivit  à  Jésus-Christ,  et  en  reçut  une  lettre,  où  il 
lui  promit  de  lui  envoyer  un  de  ses  disciples  qui  le  guérirait  de  ses  maux,  et 
lui  donnerait  la  vie  à  lui  et  aux  siens.  C'est  ce  qu'on  trouvait  dans  les 
archives  publiques  d'Edesse.  En  effet,  après  l'ascension  du  Sauveur,  saint 
Thomas  y  envoya  saint  ïhadée,  l'un  des  soixante-douze  disciples,  qui  guérit 
ce  prince,  fit  beaucoup  de  miracles,  et  instruisit  les  habitants  des  mystères  de 
la  foi  chrétienne. 

Si  quelque  chose  peut  nous  certifier  ce  récit  d'Eusèbe,  dont  tous  les 
savants  ne  conviennent  point,  c'est  que  cette  ville  peut  être  comptée  entre 
celles  qui  embrassèrent  le  plus  tôt  le  christianisme.  Ses  habitants  se  signalè- 
rent par  leur  zèle  et  leur  constance  dans  le  temps  des  persécutions.  Saint 
Chrysostome  nous  apprend  que  sous  l'empereur  Dioclétien,  quelques  saintes 
d'Antioche  s'y  retirèrent  comme  dans  le  lieu  le  plus  digne  de  leur  servir  de 
refuge  et  de  port.  L'empereur  Julien  ayant  passé  l'Euphrate  pour  aller  en 
Perse,  refusa  d'y  entrer  et  la  laissa  à  gauche,  donnant  pour  raison  qu'elle 
était  toute  chrétienne  ;  et  du  temps  de  la  persécution  de  Valens,  empereur 
arien,  on  compta  autant  de  confesseurs  de  la  divinité  de  Jésus-Christ,  qu'il 
y  avait  de  personnes  tant  hommes  que  femmes  et  enfants. 

Mais  ce  qui  acquit  encore  une  grande  gloire  à  cette  ville  que  Rufln 
appelle  la  ville  des  peuples  fidèles,  c'est  d'avoir  servi  pendant  plusieurs 
années  de  théâtre  au  zèle  et  à  la  piété  du  très-célèbre  saint  Ephrem. 

Il  n'emprunta  aucun  éclat  de  ses  parents,  si  l'on  en  juge  selon  les 
maximes  du  siècle  ;  car  il  nous  apprend  lui-même  que  ses  ancêtres  étaient 
des  étrangers  qui  vinrent  à  Nisibe,  en  Mésopotamie,  oîi  il  prit  naissance,  et 
qu'ils  y  vécurent  du  travail  de  leurs  mains  et  des  aumônes  qu'on  leur  faisait. 
Ses  aïeux  s'avancèrent  un  peu  plus  ;  ils  cultivèrent  les  champs,  et  son  père 
et  sa  mère,  qui  vivaient  dans  la  même  condition,  possédèrent  quelques 
terres  aux  environs  de  la  ville.  Mais  dans  cet  état,  qui  ne  présentait  aucun 
titre  de  distinction  aux  yeux  du  monde,  ils  en  avaient  un  qui  les  distinguait 
excellemment  aux  yeux  de  Dieu;  car  ils  étaient  unis  par  le  sang  à  des  mar- 
tyrs, et  eux-mêmes  avaient  confessé  le  nom  de  Jésus-Christ  devant  les  juges, 
dans  la  persécution  de  Dioclétien. 

Ce  fut  donc  de  parents  si  respectables  selon  la  religion  que  naquit  saint 
Ephrem,  sous  le  règne  du  grand  Constantin,  ou  même  un  peu  auparavant. 
S'il  ne  trouva  pas  dans  sa  maison  les  trésors  périssables  de  la  terre,  il  put 
beaucoup  s'y  enrichir  des  trésors  célestes,  par  les  instructions  et  les  exem- 
ples de  piéié  qu'il  eut  de  ceux  dont  il  avait  reçu  la  vie.  Il  trouvait  également 
dans  ses  voisins  de  quoi  s'édifier  dans  la  piété,  et  les  récits  qu'on  lui  faisait 
de  tant  de  souffrances  que  les  saints  avaient  endurées  dans  la  persécution,  et 
dont  la  mémoire  était  toute  récente,  ne  pouvaient  que  l'animer  à  s'y  soute- 
nir, ainsi  que  les  maximes  de  la  sainte  Ecriture,  dont  ses  parents  prirent 
soin  de  le  nourrir  spirituellement. 

Cependant,  dans  la  confession  qu'il  a  faite  des  fautes  de  sa  jeunesse,  il 
s'accuse  de  beaucoup  de  défauts  qu'il  avait  dès  lors,  comme  d'être  un  que- 


170  1"  FÉTWER. 

relieur  et  un  envieux,  toujours  prêt  h  se  mettre  en  col^^e  pour  les  moindres 
choses.  Il  dit  aussi  qu'il  a\ait  douté  de  la  Providence,  et  avait  presque  été 
persuadé  que  les  événements  de  la  vie  n'arrivent  que  par  hasard.  Il  déplore 
encore  une  action  qu'il  attribue  à  sa  malice,  et  dont  Dieu  ne  tarda  pas  de  le 
punir,  pour  lui  faire  connaître  que  rien  n'échappe  à  sa  sagesse  et  à  sa 
justice. 

«  Mes  parents» ,  dit-il,  c  m'envoyèrent  un  jour,  lorsque  j'étais  encore  jeune, 
à  la  campagne.  En  y  allant  je  passai  par  la  forêt,  où  je  vis  sur  le  soir  une 
vache  d'un  pauvre  homme  qui  était  pleine  et  prête  à  mettre  bas,  et  qui  pais- 
sait tranquillement.  Je  pris  des  pierres  et  je  me  mis  à  la  poursuivre  long- 
temps, jusqu'à  ce  qu'elle  tomba  et  mourut  ;  de  sorte  que  les  bêtes  la  dévo- 
rèrent dans  la  nuit.  Je  rencontrai  ensuite  le  pauvre  à  qui  elle  appartenait, 
qui  me  demanda  si  je  ne  l'avais  point  vue  ;  mais  je  ne  lui  répondis  que  par 
des  injures  ». 

Telles  furent  les  fautes  de  sa  jeunesse  dont  il  s'accusait  en  présence  des 
frères  quand  il  eut  embrassé  la  vie  monastique,  et  qu'il  déplora  toujours 
amèrement.  Mais  si  l'on  considère  qu'il  parle  de  tous  les  états  de  sa  vie, 
comme  de  celle  d'un  très-grand  pécheur,  et  qui  avait  sujet  de  craindre  plus 
qu'aucun  autre  la  sévérité  des  jugements  de  Dieu,  on  trouvera  que,  quoi- 
qu'il ne  fût  pas  innocent,  surtout  en  occasionnant  la  mort  de  cette  vache,  en 
pouvait  aussi  l'attribuer  plutôt  à  une  simple  saillie  de  jeunesse,  et  à  une 
envie  de  se  divertir  en  faisant  courir  cet  animal,  sans  songer  à  ce  qui  en 
arriverait,  qu'à  une  malice  affectée  de  lui  nuire. 

Quoi  qu'il  en  soit,  le  Saint  nous  raconte  ensuite  comment  Dieu  l'en  punit, 
et  comment  il  lui  fit  connaître  qu'il  châtie  les  hommes  pour  les  crimes  qu'ils 
peuvent  bien  cacher  quelquefois  aux  autres  hommes,  mais  qui  ne  le  sont 
jamais  à  ses  yeux  divins.  En  effet,  environ  un  mois  après  qu'il  eut  fait  cette 
faute,  ses  parents  l'ayant  de  nouveau  envoyé  à  leur  maison  des  champs,  la 
nuit  le  surprit,  et  un  berger  l'invita  à  s'arrêter  chez  lui  ;  mais  ce  berger 
s'étant  enivré,  des  loups  entrèrent  dans  la  bergerie  pendant  qu'il  dormait  et 
dispersèrent  le  troupeau.  Ceux  à  qui  il  appartenait  se  saisirent  d'Ephrem 
ainsi  que  du  berger,  le  lièrent  et  le  menèrent  devant  le  juge,  l'accusant 
d'avoir  fait  entrer  pendant  la  nuit  des  voleurs  dans  la  bergerie  qui  avaient 
enlevé  leur  troupeau  ;  et  il  y  a  apparence  que  le  berger  le  leur  avait  fait 
croire  ainsi  pour  se  disculper  lui-même. 

Nonobstant  les  serments  que  fit  Ephrem  qui  se  sentait  innocent,  le  juge 
le  fil  mettre  en  prison  avec  le  berger,  mais  séparés  l'un  de  l'autre,  en  atten- 
dant qu'il  pût  être  éclairci.  Il  trouva  dans  la  prison  où  on  l'enferma  un 
bourgeois  et  un  paysan  qu'on  y  détenait  comme  coupables  de  deux  crimes 
d'un  ordre  différent,  mais  tous  deux  graves.  Ils  étaient  pourtant  innocents 
de  ces  crimes;  mais  ils  ne  l'étaient  pas  devant  Dieu  d'autres  crimes  qu'ils 
avaient  commis,  et  pour  lesquels  sa  justice  les  poursuivait  ;  car  le  bourgeois 
avait  rendu  pour  cinquante  écus  un  faux  témoignage  contre  une  jeune 
veuve  fort  pieuse,  en  l'accusant  de  mauvaise  conduite  pour  favoriser  la  cupi- 
dité de  ses  deux  frères,  qui  voulurent  la  faire  priver  par  cette  noire  calomnie 
de  la  portion  qui  lui  revenait-  légitimement  de  la  succession  de  son  père,  et 
ils  y  avaient  malheureusement  réussi  :  et  le  paysan  ayant  vu  un  homme  qui 
se  noyait,  l'-ivait  laissé  périr,  quoique  ce  pauvre  hom.me  l'appelât  à  son 
secours,  et  qu'il  l'eût  pu  sauver  en  lui  donnant  seulement  la  main. 

Dieu  permit  que  saint  Ephrem  se  trouvât  dans  la  même  prison  avec  ces 
deux  hommes,  et  ensuite  avec  d'autres  qu'on  amena  quelque  temps  après, 
et  qui  étaient  à  peu  près  dans  des  cas  semblables,  afin  de  le  convaincre  ton- 


sàist  éphrem,  diacre  d'édesse  et  coxpesseur.  171 

jours  plus  par  ces  exemples  que  rien  n'échappe  à  sa  Providence.  Il  passa 
ainsi  sept  jours,  et  le  huitif-me  il  vit  en  dormant  un  personnage  d'un  aspect 
terrible,  mais  qui  lui  demanda  avec  beaucoup  de  douceur  ce  qu'il  faisait 
dans  cette  prison.  Il  lui  en  dit  en  pleurant  le  sujet;  et  ce  personnage,  qui 
ne  pouvait  être  qu'un  ange,  lui  dit  en  souriant  :  Qu'à  la  vérité  il  était  inno- 
cent du  crime  pour  lequel  on  l'avait  arrêté  ;  mais  qu'il  devait  se  souvenir 
de  ce  qu'il  avait  fait  depuis  peu  de  jours,  et  des  pensées  qu'il  avait  eues 
contre  la  Providence.  Il  lui  fit  connaître  aussi  que  ceux  qui  étaient  avec  lui 
n'étaient  point  coupables  non  plus  des  crimes  dont  on  les  avait  accusés; 
mais  que  Dieu  voulait  les  punir  pour  d'autres  inconnus  aux  juges,  et  qu'ils 
n'avaient  pu  cacher  à  ses  yeux. 

Ephrem  s'étant  éveillé  n'eut  pas  de  peine  à  se  ressouvenir  de  la  vache 
dont  nous  avons  parlé.  Il  rapporta  ce  songe  aux  autres,  qui  ne  purent  désa- 
vouer leur  crime  caché,  et  ce  qu'ils  lui  dirent  Inii  fit  encore  mieux  com- 
prendre que  ce  n'était  pas  un  songe  ordinaire  qu'il  avait  eu,  mais  une  ins- 
truction que  Dieu  lui  avait  donnée  par  le  ministère  d'un  ange  sur  l'équité 
de  ses  jugements.  Le  même  personnage  lui  apparut  la  nuit  suivante,  et  lui 
dit  ces  paroles  :  «  Vous  verrez  demain  ceux  qui  vous  font  souffrir  par  leurs 
calomnies  ».  Cela  le  rendit  fort  triste,  ne  sachant  ce  qui  lui  en  arriverait. 
Ceux  qui  étaient  avec  lui  l'interrogèrent  sur  le  sujet  de  sa  tristesse,  et  quand 
il  le  leur  eut  dit,  ils  ne  craignirent  pas  moins  que  lui. 

Le  jour  étant  venu,  le  gouverneur  s'assit  sur  son  tribunal,  se  fit  amener 
Ephrem  avec  les  deux  autres,  qu'on  lui  présenta  chargés  de  chaînes.  Ces 
deux-ci  furent  appliqués  à  la  question  avec  cinq  autres  qu'on  avait  saisis, 
parmi  lesquels  se  trouvaient  les  deux  frères  de  la  jeune  veuve  dont  nous 
avons  parlé,  et  contre  laquelle  le  bourgeois  prisonnier  avait  porté  un  faux 
témoignage.  Dieu  manifestant  toujours  plus  à  Ephrem,  par  ces  différents 
exemples  multipliés,  l'équité  de  sa  Providence.  Il  fut  spectateur  des  tortures 
qu'on  leur  fit  souffrir  et  il  fondait  en  larmes,  croyant  qu'on  le  tourmente- 
rait aussi.  Par  surcroît  d'affliction  les  assistants  se  moquaient  de  lui,  et  lui 
disaient  qu'il  n'était  plus  temps  de  pleurer,  que  son  tour  viendrait,  et  qu'il 
aurait  dû  plutôt  craindre  de  commettre  le  crime. 

Cependant  on  ne  lui  fit  rien  souffrir,  et  on  le  remena  en  prison  avec  les 
autres.  Comme  il  devait  venir  un  nouveau  gouverneur,  ce  changement  fut 
cause  qu'ils  furent  encore  environ  deux  mois  tous  ensemble.  L'ange  lui 
apparut  une  troisième  fois,  et  lui  dit  :  «  Eh  bien,  Ephrem,  reconnaissez-vous 
à  présent  que  Dieu  gouverne  le  monde  par  un  jugement  très-équitable?  n 
—  ((Oui,  Seigneur»,  répondit-il  en  pleurant;  ((  mais  puisque  vous  n'avez  fait 
la  grâce  de  le  connaître,  ayez  encore  pitié  de  votre  serviteur,  el  tirez-moi 
de  cette  prison,  afin  que  je  puisse  me  faire  moine  et  servir  Jésus-Christ  mou 
Seigneur  ».  —  ((  Vous  serez  interrogé  encore  une  fois,  lui  dit  l'ange,  et  puis 
délivré  ».  Ephrem  lui  représenta  qu'il  ne  pouvait  pas  soutenir  les  menaces 
du  juge,  ni  les  douleurs  de  la  question.  Mais  l'esprit  bienheureux  lui  répon- 
dit qu'il  eût  bien  mieux  valu  ne  rien  faire  contre  son  devoir.  Il  le  rassura 
pourtant,  et  lui  dit  que  le  gouverneur  qui  devait  venir  lui  rendrait  la 
liberté. 

Au  bout  de  soixante  et  dix  jours  le  nouveau  gouverneur  se  fit  amener 
les  prisonniers,  et  les  jugea  tous  selon  qu'ils  le  méritaient.  Ephrem  lui  fut 
présenté  étant  presque  nu  et  chargé  de  chaînes,  et  il  se  trouva  que  le  juge, 
qui  était  de  son  pays  et  connaissait  très-particulièrement  ses  parents,  le 
reconnut  aussitôt.  Il  eût  bien  voulu  lui  donner  des  marques  (l'allection  ; 
mais  comme  il  fallait  agir  selon  les  lois,  il  l'interrogea,  et  apprit  de  lui 


172  1"  FÉVMER. 

comment  il  avait  été  mis  en  prison.  Sur  sa  réponse  il  fit  appliquer  le  berger 
à  la  question,  où  les  coups  de  fouet  l'obligiirent  de  confesser  lu  vérilé  :  ainsi 
l'innocence  d"Ephrem  fut  reconnue,  et  le  juge  le  renvoya  absous. 

La  nuit  suivante  le  môme  esprit  lui  apparut,  et  lui  dit:  «  Uelournezchez 
vous  et  faites  pénitence  de  votre  péché.  Apprenez  par  ce  qui  vous  est  arrivé 
qu'il  y  a  un  œil  qui  voit  tout  ».  Il  lui  fit  ensuite  des  menaces  terribles,  et  ce 
fut  la  dernière  fois  qu'il  lui  parla.  Le  Saint  racontait  tout  ceci  dans  un  plus 
grand  détail  à  ses  religieux,  et  Dieu,  qui  lui  préparait  de  très-grandes 
grâces,  et  qui  l'avait  destiné  pour  porter  sa  parole  de  salul  aux  hommes, 
voulut  par  ces  événements  l'établir  dans  une  profonde  humilité,  et  impri- 
mer bien  avant  dans  son  cœur  la  crainte  de  ses  jugements,  afin  qu'il  vécût 
dans  la  componction,  et  qu'il  en  inspirât  les  salutaires  sentiments  aux  autres. 

Il  ne  diUéra  pas  d'un  moment  à  exécuter  l'ordre  qu'il  avait  reçu  et  la 
promesse  qu'il  avait  faite.  Il  se  retira  sur  la  montagne  auprès  d'un  saint 
vieillard  qui  y  vivait  en  solitude  ;  et  s'élant  prosterné  à  ses  pieds,  il  lui 
raconta  tout  ce  qui  lui  était  arrivé,  et  obtint  de  lui  de  le  prendre  sous  sa 
conduite.  11  n'avait  pas  étudié  la  philosophie  des  hommes  ;  mais  il  acquit 
celle  de  Dieu.  Il  se  renferma  dans  sa  solitude  pour  y  acquérir,  à  la  faveur 
du  repos  de  la  retraite,  cette  vie  parfaite  à  laquelle  il  aspirait  de  toute  l'af- 
fection de  son  cœur.  Il  vécut  dans  un  si  grand  dépouillement  de  toutes 
choses  que,  quoique  son  humilité  le  portât  à  dire  toujours  du  mal  de  lui- 
même,  aussi  sincère  dans  ses  paroles  qu'il  était  humble  dans  ses  sentim  jnts, 
il  put  assurer  dans  la  vérité,  comme  il  le  déclara  à  ses  disciples  dans  1  ;  suite, 
lorsqu'il  était  près  de  mourir,  qu'il  n'avait  jamais  eu  ni  bourse,  ni  bâton,  ni 
besace,  ni  or,  ni  argent,  ni  aucune  autre  possession  sur  la  terre,  comme  il 
l'avait  appris  de  ce  que  Jésus-Christ  avait  dit  à  ses  disciples  :  aussi,  compare- 
t-on  sa  pauvreté  à  celle  que  les  Apôtres  avaient  pratiquée,  et  on  le  regarda 
comme  un  modèle  parfait  de  cette  vertu. 

Il  joignit  à  ce  dénûment  de  toutes  choses  le  combat  contre  lui-même, 
matant  son  corps  par  de  grandes  austérités  pour  le  soumettre  à  la  raison, 
et  domptant  par  les  jeûnes,  les  veilles  et  les  autres  travaux,  les  affections 
déréglées. 

Dieu  bénit  sa  pénitence  par  le  don  de  chasteté  dont  il  le  favorisa  particu- 
lièrement; car  on  sait  qu'elle  est  un  don  qui  vient  de  lui.  Son  amour  pour 
cette  vertu  angélique  l'a  fait  comparer  au  patriarche  Joseph,  et  elle  paraissait 
autant  en  son  corps  qu'elle  décorait  son  âme.  Il  ne  laissait  pourtant  pas  de 
veiller  sur  ses  sens,  et  de  s'éloigner  des  occasions  dangereuses.  Le  démon 
lui  en  suscita  pourtant,  comme  nous  le  dirons  dans  la  suite  ;  mais  il  eut 
toujours  le  bonheur  de  s'en  délivrer  à  la  honte  de  cet  ennemi. 

Le  zèle  avec  lequel  il  entreprit  de  se  renoncer,  lui  fît  surmonter  aussi 
les  défauts  qui  lui  venaient  de  son  caractère.  Il  était  naturellement  sujet  à 
la  colère,  mais  il  vint  à  bout  de  la  vaincre  ;  et  on  remarqua  que  depuis  qu'il 
se  fut  rendu  solitaire,  il  ne  s'y  laissa  jamais  aller  ;  au  contraire,  il  passa 
toujours  pour  être  doux,  patient  et  paisible.  Sozomène  et  les  Vies  des  Pères 
c?es  cfe'ser/s  nous  rapportent  ce  trait  de  sa  modération.  Il  avait  jeûné  plu- 
sieurs jours,  et  comme  ensuite- il  voulait  prendre  quelque  nourriture,  celui 
qui  lui  portait  le  pot  de  terre  où  était  ce  qu'il  lui  avait  préparc,  le  laissa 
tomber  et  le  cassa.  Le  Saint  le  voyant  tout  honteux,  lui  dit  pour  le  conso- 
ler :  <i  Ne  vous  affligez  pas,  mon  frère  ;  puisque  le  souper  ne  vient  pas  à 
nous,  allons-nous-en  à  lui  »,  et  s'étant  assis  auprès  du  pot  cassé,  il  mangea 
d'un  air  gai  ce  qu'il  en  put  tirer. 

Passant  un  jour  par  une  ville,  quelques  personnes  qui  le  virent  voulant 


SAIXT   ÉPHREM,    DUCUE   d'ÉDESSE   ET   COOTESSEUR.  173 

éprouver  sa  vertu,  dirent  à  une  femme  de  mauvaise  vie  de  l'aborder.  Elle 
le  fit  effronlcment,  et  lui  dit  quelques  paroles  peu  décentes.  11  lui  répondit 
sans  s'émouvoir  :  «  Suivez-moi  »  ;  et  lorsqu'ils  furent  à  un  endroit  où  il  y 
avait  le  plus  de  peuple,  il  lui  fil  en  peu  de  mots  une  leçon  qui  la  remplit 
d'étonnement  :  elle  se  retira  toute  confuse  sans  avoir  pu  lui  donner  le  moin- 
dre mouvement  de  colère. 

Quoiqu'il  pratiquât  toutes  les  vertus  à  un  éminent  degré,  celle  dans 
laquelle  il  excella  davantage  fut  l'humilité.  Toute  son  espérance  était  en 
Dieu,  et  par  la  confiance  qu'il  avait  en  lui,  il  n'y  avait  rien  sur  la  terre  qui 
le  touchât  que  sa  pure  gloire.  11  fuyait  tellement  celle  des  hommes,  qu'on 
ne  pouvait  le  louer  qu'il  n'en  souffrît  étrangement  dans  son  cœur.  Saint 
Grégoire  de  Nysse,  qui  rapporte  ceci,  dit  à  ce  propos  qu'une  personne  le 
louant  en  sa  présence,  la  peine  qu'il  en  eut  parut  d'abord  sur  son  visage  : 
on  le  vit  changer  de  couleur,  baisser  les  yeu.x  contre  terre,  demeurer  inter- 
dit et  couvert  de  confusion,  et  suer  par  tout  le  corps.  Sozomène  nous  apprend 
aussi  qu'ayant  été  élu  évoque  d'une  ville  qu'il  ne  nomme  point,  comme  on 
cherchait  le  moyen  de  l'emmener  pour  le  faire  consacrer,  à  peine  l'eut-il 
appris  qu'il  s'en  alla  au  milieu  de  la  place,  contrefaisant  la  démarche  d'un 
fou,  déchirant  ses  habits  et  mangeant  devant  tout  le  monde  :  et  il  le  fît  si 
bien,  que  ceux  qui  voulaient  le  prendre  crurent  qu'il  avait  réellement  perdu 
l'esprit,  ce  qui  les  détermina  à  se  retirer.  Quand  il  vit  qu'ils  s'en  allaient,  il 
prit  aussi  son  temps  pour  s'enfuir,  et  se  tint  caché  jusqu'à  ce  qu'il  sût  qu'on 
en  avait  élu  et  sacré  un  autre. 

Mais  pour  être  convaincu  de  sa  profonde  humilité,  il  ne  faut  que  lire  ses 
ouvrages,  où  il  n'a  rien  oublié  pour  persuader  tout  le  monde  qu'il  était  un 
très-grand  pécheur  ;  et  cela  paraît  encore  en  particulier  de  celui  que  nous 
avons  de  sa  confession  et  de  sa  conversion  à  Dieu,  où  il  entre  dans  le  détail 
de  ses  défauts  et  de  ses  fautes,  dans  le  temps  même  qu'il  était  honoré  de 
tout  le  monde,  et  qu'il  avait  déjà  beaucoup  écrit  pour  le  bien  des  âmes, 
comme  s'il  eût  voulu  détruire  par  là  les  idées  avantageuses  qu'il  avait  si 
justement  méritées.  Il  se  soutint  dans  les  mêmes  sentiments  jusqu'à  la  fln 
de  sa  vie;  et  son  testament,  dont  nous  parlerons  en  son  lieu,  en  est  une  preuve 
non  moins  évidente  qu'édifiante. 

On  peut  regarder  comme  un  effet  de  son  humilité  ses  soupirs  et  ses 
larmes,  dont  il  avait  reçu  le  don  avec  tant  d'abondance,  qu'elles  étaient 
intarissables.  Saint  Grégoire  de  Nysse  dit  là-dessus  :  «  On  ne  peut  parler  de 
ses  larmes  sans  en  verser  soi-même.  Il  lui  était  aussi  ordinaire  d'en  répan- 
dre, qu'il  est  naturel  aux  hommes  de  respirer.  Il  pleurait  nuit  et  jour,  et  il 
n'était  pas  un  seul  moment  sans  pleurer,  hors  le  peu  de  temps  qu'il  donnait 
au  sommeil.  Tantôt  il  pleurait  les  péchés  des  hommes,  et  tantôt  les  siens 
propres.  Ses  soupirs  succédaient  à  ses  larmes,  ou  plutôt  ils  étaient  l'effet  de 
•  l'abondance  de  ses  larmes.  Il  se  faisait  en  lui  comme  un  circuit  mer- 
veilleux de  ses  soupirs  qui  faisaient  couler  ses  larmes,  et  de  ses  larmes  qui 
excitaient  ses  soupirs  ;  en  sorte  qu'on  ne  pouvait  bien  discerner  lequel 
des  deux  était  la  cause  de  l'autre,  parce  qu'ils  se  suivaient  sans  inter- 
ruption. 

«  On  en  sera  aisément  persuadé»,  ajoute  saint  Grégoire,  «en  lisant  ses 
ouvrages  ;  car  non-seulement  on  reconnaît  ce  don  précieux  dans  ce  qu'il  a 
écrit  pour  porter  les  autres  à  régler  leurs  mœurs  et  à  embrasser  la  péni- 
tence, mais  même  dans  ses  éloges  des  Saints.  On  le  voit  toujours  pleurant, 
et  toujours  il  revient  à  ses  sentiments  de  componction.  C'était  là  comme 
les  richesses  de  son  âme  pénitente  qu'il  présentait  à  tout  le  monde  ». 


174  *"  FÉVBIER. 

Il  était  encore  à  Nisibe  lorsqu'en  330  Sapor,  roi  des  Perses,  assiégea 
cette  ville,  comme  on  le  voit  dans  la  vie  de  saint  Jacques  ;  et  ce  fut  lui  qui 
fit  monter  ce  saint  évoque  sur  la  muraille  pour  maudire  les  ennemis.  11  y  a 
appai'ence  qu'il  fut  disciple  de  ce  grand  Saint,  ou  tout  au  moins  qu'étant  à 
portée  de  le  voir  souvent,  il  en  profita  pour  se  former  de  plus  en  plus  aux 
vertus  chrétiennes.  Nous  croirions  aussi  que  la  mort  do  saint  Jacques  et  celle 
de  saint  Julien,  son  voisin  de  cellule  et  son  confident,  lui  furent  une  occa- 
sion de  quitter  Nisibe  pour  aller  à  Edesse,  s'il  fallait  s'arrêter  ;\  des  conjec- 
tures ;  mais  saint  Grégoire  de  Nysse  nous  en  donne  une  autre  raison. 

«  Il  ne  changeait  point  de  lieu  »,  dit-il,  «  par  son  propre  esprit,  mais 
selon  que  l'Esprit  de  Dieu,  qui  l'instruisait  intérieurement,  le  lui  inspirait 
pour  le  bien  des  âmes.  Alors,  fidèle  à  sa  voix  par  une  parfaite  soumis- 
sion à  ses  ordres,  il  allait  où  le  Seigneur  l'appelait  ;  et  ce  fut  ainsi  qu'imi- 
tant l'obéissance  d'Abraham,  il  sortit  de  sa  patrie  pour  se  rendre  à 
Edesse,  n'étant  pas  juste  qu'un  soleil  si  éclatant  demeurât  plus  longtemps 
caché  I) . 

Le  Saint  se  proposa  aussi  dans  ce  voyage  d'y  honorer  les  choses  saintes, 
dit  encore  saint  Grégoire,  apparemment  les  reliques  de  l'apôtre  saint 
Thomas  qu'on  y  révérait,  et  de  conférer  avec  un  grand  personnage  pour 
profiter  de  ses  lumières,  comme  il  devait  communiquer  les  siennes  aux 
autres.  Saint  Grégoire  ne  nomme  point  ce  personnage  ;  mais  il  y  en 
avait  de  très-illustres  à  Edesse  et  aux  environs,  comme  saint  Barsès  qui 
mourut  en  379,  et  qui  pouvait  bien  être  évèque  en  330,  et  saint  Julien 
Sabas,  etc. 

En  approchant  de  la  ville  il  pria  le  Seigneur  que  le  premier  qu'il  rencon- 
trerait fût  quelqu'un  qui  lui  parlât  des  saintes  Ecritures.  Mais  il  fut  bien 
étonné  quand,  au  lieu  d'une  personne  de  science  et  de  piété,  il  trouva  une 
mauvaise  femme  à  la  porte  même.  Il  en  détourna  ses  yeux  avec  quelque 
chagrin,  et  se  plaignit  intérieurement  à  Jésus-Clirist  de  ce  qu'il  n'avait  pas 
exaucé  sa  prière,  n'y  ayant  point  d'apparence  que  celte  créature  entrât  en 
discours  avec  lui  sur  des  sujets  des  Livres  saints.  Cette  personne  pourtant 
s'arrêta  et  le  regarda  fixement.  Ephrem  s'en  aperçut  et  l'en  reprit  ;  mais 
elle  lui  répondit  :  «  Je  fais  ce  que  je  dois  en  vous  regardant,  puisque  je  suis 
femme  et  que  j'ai  été  tirée  de  vous  qui  êtes  homme  :  mais  vous,  au  lieu  de 
me  regarder,  regardez  la  terre  d'où  vous  avez  été  tiré  ».  Le  Saint  admira 
cette  repartie,  et  loua  la  puissance  incompréhensible  de  Dieu  qui  nous 
accorde  quelquefois  par  les  voies  qui  nous  paraissent  les  moins  propres  les 
grâces  que  nous  lui  demandons  ;  et  il  avoua  qu'il  avait  beaucoup  trouvé  à 
profiler  de  celle  réponse.  Sozomène,  qui  raconte  aussi  celte  histoire,  dit 
que  le  Saint  fil  là-dessus  un  livre  qui  fut  un  de  ceux  que  les  Syriens  esti- 
maient le  plus  ;  mais  il  n'est  point  parvenu  jusqu'à  nous. 

La  maison  où  il  logea  était  vis  à  vis  de  celle  d'une  autre  créature  sem- 
blable, et  il  ne  le  savait  point.  Après  qu'il  y  eut  passé  plusieurs  jours,  cette 
femme  lui  dit  :  «  Mon  Père,  donnez-moi  votre  bénédiction».  Il  tourna  les 
yeux  vers  la  fenêtre  pour  voir  qui  c'était,  et  l'ayant  aperçue,  il  lui  répondit  : 
«  Je  prie  Dieu  qu'il  vous  bénisse  ».  —  «  Mais  »,  répliqua  la  femme,  «  vous 
manque-t-il  quelque  chose  dans  votre  hôtellerie'?»  —  «Une  me  manque», 
lui  dit-il,  «  que  quelques  pierres  et  un  peu  de  terre  pour  boucher  la  fenêtre 
par  laquelle  vous  voyez  ici  ».  —  «Vous  me  traitez  bien  durement»,  lui  dit 
cette  femme,  «  pour  la  première  fois  que  je  vous  parle  ;  et  tout  de  suite  elle 
lui  tint  un  langage  tel  qu'on  pouvait  l'allondre  d'une  semblable  créature.  Le 
Saint  lui  demanda  d'agir  au  «liliou  de  la  ville  comme  elle  agissait  chez  elle. 


SAINT  ÉPmiEM,    DIACRE   d'ÉDESSE  ET   CONFESSEUR.  173 

Elle  se  récria  sur  la  honte  qu'il  y  aurait  à  le  faire,  et  le  Saint  en  prit  occasion 
de  lui  représenter  que  si  elle  craignait  la  vue  des  hommes,  elle  devait  rougir 
à  plus  forte  raison  sous  les  yeux  de  Dieu  qui  est  présent  partout,  et  qui,  au 
jour  du  jugement,  rendra  à  chacun  selon  ses  œuvres.  Cette  femme  fut  si 
touchée  de  sa  remontrance,  qu'elle  vint  se  jeter  à  ses  pieds  fondant  en  lar- 
mes, et  lui  dit  :  «  Serviteur  de  Jésus-Christ,  mettez-moi,  je  vous  en  conjure, 
dans  la  voie  du  salut,  afln  que  Dieu  me  pardonne  tous  les  crimes  que  j'ai 
commis  ».  Le  Saint  la  confirma  par  plusieurs  paroles  qu'il  lui  dit  de  la  sainte 
Ecriture,  dans  le  désir  de  faire  pénitence.  Il  la  mit  dans  une  maison  reli- 
gieuse, et  par  là  hors  des  occasions  du  péché. 

Pour  lui  il  continua  ses  exercices  de  la  vie  solitaire  et  se  retira  dans  un 
monastère  ;  mais  il  ne  put  y  demeurer  caché,  soit  que  sa  réputation  l'eût 
précédé  à  Edesse,  soit  que  son  mérite,  quand  il  y  fut  arrivé,  y  fût  aussitôt 
connu  ;  car  on  l'obligea  de  se  partager  entre  le  repos  de  la  cellule  et  le 
ministère  de  la  parole,  non-seulement  pour  donner  des  instructions  parti- 
culières à.  ceux  que  la  confiance  si  bien  fondée  en  ses  lumières  et  sa 
piété  attirait  auprès  de  lui,  mais  encore  pour  prêcher  publiquement  au 
peuple.  Il  fut  élevé  au  diaconat  et  fut  attaché  à  l'église  d'Edesse,  ce  qui 
l'y  fixa  tout  à  fait  :  c'est  pour  cela  qu'il  est  toujours  qualifié  diacre  d'Edesse. 
Quoique  le  ministère  de  la  prédication  ne  fût  pas  une  fonction  ordinaire  de 
son  Ordre,  l'obéissance  qu'il  devait  à  son  évêque  l'y  obligea,  et  d'aillf^nrs  sa 
charité  ne  lui  permit  point  de  s'en  excuser,  bien  qu'il  craignît  toujours  d'être 
davantage  condamné  devant  Dieu  pour  avoir  annoncé  les  maximes  évan- 
géliques,  que  son  humilité  lui  faisait  croire  qu'il  ne  pratiquait  pas  lui-même. 

Le  discours  sur  le  sacerdoce  qu'on  a  placé  à  la  tête  de  ses  ouvrages,  est 
un  sermon  fait  au  clergé.  Comme  la  prédication  fut  sa  fonction  principale,  il 
convient  que  nous  nous  étendions  ici  sur  les  dispositions  qu'il  y  appor- 
tait, sur  les  grâces  qu'il  reçut  du  ciel  pour  s'en  acquitter  dignement,  sur  le 
zèle  avec  lequel  il  s'y  appliquait,  sur  les  sentiments  dont  il  l'accompagnait, 
sur  les  fruits  de  salut  qu'il  produisait.  Nous  puiserons  aux  bonnes  sources 
pour  ne  rien  avancer  que  d'indubitable.  Saint  Basile,  saint  Grégoire  de 
Nysse,  Théodoret,  Sozomène,  les  ouvrages  mêmes  du  Saint  seront  nos  auto- 
rités. 

Saint  Ephrem  n'avait  pas  été  élevé  dans  les  sciences  humaines.  Il  ignorait 
les  sciences  des  Grecs  ;  il  ne  parlait  que  sa  langue  naturelle,  qui  était  la 
syriaque  ;  mais  il  en  acquit  toute  la  pureté  :  il  l'enrichit  même  par  diverses 
poésies  qu'il  composa.  Il  étudia  aussi  la  logique  et  les  règles  du  raisonne- 
ment, se  fixant  pourtant  à  ce  qui  pouvait  lui  être  utile,  et  laissant  ce  qui  lui 
parut  superflu.  Mais  sa  principale  étude  fut  celle  de  la  sainte  Ecriture,  des 
dogmes  de  l'Eglise,  et  des  fausses  opinions  des  hérétiques,  pour  les  réfuter 
comme  il  devait  :  voilà  ce  qui  concerne  les  secours  extérieurs. 

Ce  qui  contribua  à  le  faire  réussir  dans  son  ministère  fut  la  pureté  de 
son  cœur,  par  laquelle  il  mérita  de  recevoir  de  Dieu  le  don  de  science  et  le 
don  de  la  parole  d'une  manière  miraculeuse,  et  qui  le  fît  admirer,  comme 
on  l'a  admiré  dans  tous  les  temps,  et  que  nous  le  faisons  encore  aujourd'hui 
dans  ce  qui  nous  reste  de  ses  ouvrages.  Son  humilité  lui  a  fait  dire  qu'il  n'a- 
vait pu  apprendre  la  philosophie  des  hommes  ;  mais  Dieu  montra  qu'il  l'a- 
vait partagé  avantageusement  en  lui  f;dsant  don  de  sa  sagesse. 

La  pureté  d'intention  avec  laquelle  ce  grand  Saint  exerçait  le  ministère 
de  la  parole  mérite  d'être  remarquée.  Outre  l'obéissance  qui  l'avait  engagé 
dans  sa  mission,  c'était  un  ardent  amour  de  Dieu  et  une  charité  très-pres- 
sante pour  le  salut  du  prochain,  qui  le  guidait  et  l'animait  à  le  faire.  Son 


176  1"  FÉVRIER. 

humilité  qui  l'accompagnait  partout,  lui  rendait  en  quelque  façon  ce  minis- 
tère onéreux,  parce  qu"il  eût  mieux  aimé  recevoir  des  instructions  que  l'en 
donner,  et  qu'il  craignait  de  se  condamner  lui-même  en  combattant  les 
vices  des  autres.  Mais  son  zèle  pour  la  gloire  de  Dieu,  et  sa  compassion 
pour  les  âmes,  qu'il  ne  pouvait  voir  périr  sans  en  être  pénétré  d'une  amère 
douleur,  lui  faisaient  surmonter  sa  crainte,  et  le  rendaient  saintement  cou- 
rageux pour  annoncer  les  vérités  évangéliques. 

On  remarque  encore  qu'il  parle  dans  ses  discours  d'une  manière  pleine 
de  tendresse  et  d'affection,  en  suppliant,  en  pressant,  en  conjurant;  mais 
il  ne  laisse  pas  d'y  joindre  quelquefois  la  force  et  des  répréhensions  véhé- 
mentes. 

Saint  Grégoire  de  Nysse  nous  fait  admirer  cette  source  merveilleuse  de 
science  que  l'Esprit-Saint  avait  mis  dans  son  esprit;  «  en  sorte  »,  dit-il, 
«  que  quoique  les  paroles  coulassent  de  sa  bouche  comme  un  torrent,  elles 
étaient  trop  lentes  pour  exprimer  ses  pensées.  Quelque  prompte  que  fût  sa 
langue,  elle  succombait  à  cette  foule  d'idées  que  son  esprit  lui  fournissait  : 
elle  égalait  la  vitesse  des  autres  esprits,  mais  non  pas  la  rapidité  du  sien. 
C'est  pourquoi  il  pria  Dieu  de  modérer  ce  fonds  inépuisable  qu'il  lui  avait 
donné,  en  lui  disant  :  «  Retenez,  Seigneur,  les  flots  de  votre  grâce»  ;  car 
cette  mer  de  science  qui  cherchait  à  se  décharger  par  sa  langue,  l'accablait 
en  quelque  façon,  les  organes  de  la  parole  ne  pouvant  suffire  à  ce  que  son 
esprit  lui  présentait  pour  l'instruction  des  autres  ». 

Cette  fécondité  admirable  de  la  science  que  l'Esprit-Saint  lui  communi- 
quait, avait  été  manifestée  dans  une  vision  à  un  vieillard  respectable  par  sa 
piété.  C'est  encore  saint  Grégoire  qui  le  rapporte.  «  Un  vieillard  trôs- 
éclairé  »,  dit-il,  «  aperçut  une  troupe  d'anc,e3  qui,  en  descendant  du  ciel, 
tenaient  un  livre  écrit  dedans  et  dehors,  et  s'entre-disaient  :  «  A  qui  faut-il 
donner  ce  livre  ?  »  Les  uns  nommaient  une  personne,  les  autres  en  nom- 
maient une  autre  d'entre  ceux  qui  paraissaient  les  plus  saints  dans  ce  temps- 
là  ;  et  après  les  avoir  examinés,  ils  disaient  tous  ensemble  :  «  Il  est  vrai  qu'ils 
sont  saints  et  de  véritables  serviteurs  de  Dieu  ;  mais  on  ne  peut  pas  leur 
donner  ce  livre  ».  Enfin,  après  en  avoir  nommé  beaucoup  d'autres  également 
saints,  ils  s'accordèrent  tous  à  dire  :  «  Ce  livre  ne  peut  être  confié  qu'à 
Ephrem,  si  doux  et  si  humble  de  cœur  »  ;  et  ils  le  lui  donnèrent  aussitôt.  Ce 
vieillard  ayant  vu  ceci,  se  hâta  de  se  rendre  h  l'église,  où  il  entendit  saint 
Ephrem  qui  prêchait  alors  avec  tant  de  grâces  et  de  fruit,  qu'il  reconnut  la 
vérité  de  la  vision  qu'il  avait  eue.  Il  ne  put  douter  que  le  Saint-Esprit  ne  lui 
inspirât  ce  qu'il  disait,  et  admira  la  grâce  si  abondante  qu'il  avait  reçue  ». 
Mais  nous  ne  saurions  omettre  les  effets  que  les  exhortations  de  saint 
Ephrem  faisaient  sur  le  cœur  de  ceux  qui  l'écoutaient.  C'est  encore  saint 
Grégoire  de  Nysse  qui  nous  l'apprend.  «  Il  n'était  guère  de  ses  auditeurs  », 
dit-il,  «  qui  pût  résister  à  la  force  de  ses  discours,  et  qui  ne  se  déterminât  à 
se  convertir  sincèrement ,  en  voyant  celte  abondance  de  larmes  dont  il 
accompagnait  ses  paroles  de  vie.  Quel  était  le  cœur,  eût-il  été  plus  dur  que 
le  diamant,  qui  ne  fût  ramolli  et  qui  ne  pleurât  ses  péchés  par  une  véritable 
pénitence?  Quel  naturel  barbare  et  cruel  n'était  pas  adouci  et  changé  par 
ce  miel  si  doux  et  si  salutaire  qui  sortait  de  sa  bouche?  Qui  fut  jamais  si 
éloigné  de  la  pénitence  et  si  fort  livré  aux  voluptés  des  sens,  qui,  après 
l'avoir  entendu  parler  des  châtiments  que  Dieu  réserve  aux  pécheurs  après 
cette  vie,  ne  pensât  sérieusement  à  corriger  la  sienne  et  à  effacer  ses  fautes 
par  les  larmes  de  la  pénitence  ?  » 

On  peut  juger  encore  des  impressions  que  ses  discours  faisaient  sur  les 


SAISI  ÉI'iillE:»!,    DIACRE   d'ÉDESSE    ET    CONFESSEUH.  177 

peuples,  par  ceux  que  firent  depuis  ses  écrits.  C'est  encore  saint  ("régoire 
qui  le  remarque.  «  Car  » ,  dit-il,  «  lorsqu'on  veut  faire  entendre  qu'une  chose 
ne  peut  pas  se  faire,  on  dit  en  proverbe,  qu'elle  est  aussi  impossible  qu'il  le 
serait  de  fléchir  la  dureté  d'un  caillou.  Mais  l'expérience  nous  a  appris  dans 
saint  Ephrem  qu'il  a  fait  ce  prodige  ;  car  il  ramollit  et  il  brisa  par  la  force 
de  ses  paroles  des  cœurs  encore  plus  endurcis  que  les  cailloux.  On  ne  peut 
lire  aussi  ce  qu'il  dit  de  l'humilité  sans  renoncer  à  toute  l'enflure  de  l'or- 
gueil et  sans  entrer  dans  des  sentiments  de  mépris  de  soi-même.  Ce  qu'il 
dit  de  la  charité  anime  à  une  sainte  ferveur  et  encourage  à  tout  souffrir 
pour  Dieu.  L'éloge  qu'il  fait  de  la  chasteté  la  fait  paraître  si  aimable,  qu'on 
se  sent  porté  à  se  consacrer  tout  à  Dieu  par  cette  belle  vertu.  Quel  homme, 
quand  il  parle  du  dernier  avènement  de  Jésus-Christ  !  Il  le  fait  avec  tant 
de  force,  et  en  représente  l'effrayant  appareil  avec  tant  d'énergie,  qu'il 
semble  qu'on  est  actuellement  présent  devant  le  trône  du  souverain  Juge  ;  et 
il  n'y  a  que  la  réalité  seule  qui  puisse  nous  en  donner  une  plus  vive  idée  », 

Nous  nous  sommes  étendu  sur  l'œuvre  de  saint  Ephrem  comme  prédi- 
cateur, parce  que  ce  fut  là  une  des  œuvres  les  plus  considérables  de  sa  vie. 
Avec  quelle  pureté  de  cœur  il  parlait  !  quelle  droiture  dans  ses  inten- 
tions! quel  zèle  pour  la  gloire  de  Dieu,  et  quel  désir  du  salut  des  âmes  ! 
Combien  était-il  éloigné  de  se  complaire  en  lui-même  de  la  grandeur  du 
talent  qu'il  avait  reçu  de  Dieu  !  Avec  quelle  douceur,  quelle  tendresse,  et 
en  même  temps  quelle  véhémence  s'exprimail-il  !  Quelle  sublimité  dans  ses 
pensées,  quelle  grandeur  dans  ses  sentiments,  quelle  noblesse  dans  ses 
expressions ,  quelle  effusion  de  cœur  dans  son  zèle  !  11  avait  toutes  les 
qualités  extérieures  qui  font  le  prédicateur  parfait,  et  toutes  les  vertus 
intérieures  qui  doivent  accompagner  la  sainteté  de  son  ministère.  Il  ébran- 
lait, il  ramollissait,  il  renversait,  il  brisait  les  cœurs.  Rien  ne  lui  résistait. 
Mais  il  touchait,  parce  qu'il  était  puissamment  touché  lui-même  ;  et  c'est 
ainsi  que  Dieu  bénissait  les  travaux  qu'il  soutenait  pour  sa  gloire  et  pour 
son  amour. 

Quoique  nous  ayons  dit  que  saint  Ephrem  eût  corrigé  son  naturel  porté 
à  la  colère  dans  sa  jeunesse  par  la  grande  douceur  qu'il  acquit  en  travail- 
lant efficacement  à  se  modérer,  cependant,  comme  cette  douceur  était  en 
lui  une  vertu  de  charité,  qui  ne  ralentissait  point  l'ardeur  de  son  zèle 
lorsqu'il  s'agissait  de  la  gloire  de  Dieu  et  du  bien  des  âmes,  il  s'élevait 
avec  une  force  et  une  vigueur  apostoliques  plus  particulièrement  contre 
les  ennemis  de  la  foi.  Aussi,  tant  qu'il  vécut,  il  ne  cessa  de  poursuivre 
les  hérétiques,  qui  étaient  de  son  temps  en  grand  nombre,  et  il  réussit 
à  retirer  de  leurs  pièges  quantité  de  personnes  qu'ils  avaient  séduites.  Saint 
Grégoire  dit  que,  quand  il  les  attaquait,  il  paraissait  à  leur  égard  comme  un 
athlète  expérimenté  et  victorieux  contre  un  enfant  qui  est  sans  force. 

Aucune  considération  humaine,  aucune  crainte  ne  pouvaient  l'empêcher 
de  se  déclarer  hautement  pour  la  doctrine  catholique.  Quoique  l'impiété 
d'Arius  dominât  de  son  temps  en  Orient,  et  qu'elle  fût  protégée  par  les 
puissances  du  siècle,  il  se  montra  toujours  dans  ses  paroles  et  dans  ses  écrits  le 
défenseur  intrépide  du  dogme  de  la  Trinité  sainte,  incréée  et  consubstan- 
tielle,  et  de  la  divinité  de  Jésus-Christ.  Il  combattait  les  anciens  hérétiques  et 
ceux  qui  paraissaient  de  son  temps.  Il  ruina  même  par  avance  les  erreurs 
qui  devaient  naître  après  lui,  comme  celles  de  Nestorius  et  d'Eutychès, 
Dieu  les  lui  ayant  fait  connaître  par  la  lumière  de  la  prophétie.  Nous  ver- 
rons encore  ceci  plus  particulièrement  en  parlant  de  son  testament.  Il  ne 
poursuivit  pas  les  païens  avec  moins  de  force  ;  et  enfin,  sans  avoir  besoin  de 
Vies  des  Saints.  —  Tome  II.  12 


178  *"  FÉVRIER. 

l'érudition  des  Grecs,  et  par  la  grâce  qu'il  avait  reçue  de  Dieu,  il  lançait  de 
si  terribles  traits  en  sa  langue  naturelle  contre  tous  ses  adversaires  de  la 
foi,  qu'il  les  accablait  sous  ses  coups  puissants. 

Un  hérétique  nommé  Bardesane,  qui  avait  donné  son  nom  à  sa  secte,  et 
son  fils  Harraone ,  s'étaient  rendus  célèbres  dans  l'Osrhoëne  et  l'avaient 
infectée  de  leurs  erreurs.  Pour  les  mieux  faire  glisser  dans  les  esprits, 
Harmone,  instruit  dans  les  sciences  des  Grecs,  s'en  était  servi  pour  faire  à 
leur  imitation  des  poésies  en  langue  syriaque,  qu'il  avait  mises  en  musi- 
que, et  qui  avaient  d'autant  plus  paru  agréables  aux  Syriens,  qu'on  tient 
qu'avant  cet  hérétique  on  n'avait  point  l'usage  de  semblables  chants.  Saint 
Ephrem  voyant  le  préjudice  que  cela  pouvait  porter  à  la  foi,  se  servit  du 
talent  que  Dieu  lui  avait  donné  de  la  poésie,  et  aj'ant  bien  étudié  les  mesu- 
res qu'Harmone  avait  observées,  il  composa  sur  les  mêmes  airs  des  hymnes 
pleines  des  vérités  catholiques,  tant  en  l'honneur  de  Dieu  et  de  ses  Saints, 
que  sur  divers  autres  points  de  doctrine  ;  de  sorte  que  le  peuple  y  trou- 
Tant  la  môme  harmonie,  et  s'instruisant  des  vérités  qu'il  devait  apprendre, 
laissa  les  chansons  de  l'hérétique  et  ne  chanta  plus  que  celles  du  Saint  ; 
ce  qui  servit  même  dans  la  suite  à  rendre  les  fêtes  des  martyrs  plus 
solennelles  et  plus  gaies,  comme  nous  l'apprenons  de  Théodoret  et  de 
Sozomène. 

Quoique  saint  Ephrem  fût  très-occupé  dans  le  ministère  de  la  prédica- 
tion et  dans  les  fonctions  de  son  ordre,  il  ne  laissait  pas  de  vivre  en  retraite 
et  dans  sa  solitude  autant  qu'il  le  pouvait.  Son  état  de  solitaire  lui  était 
infiniment  cher,  et  il  en  conservait  toujours  l'habit  et  les  pratiques.  Il  fai- 
sait son  séjour  ordinaire  dans  son  monastère  et  dans  sa  cellule,  d'où  il 
ne  sortait  que  pour  remplir  les  devoirs  de  sa  mission  et  de  la  place  qu'il 
avait  dans  le  clergé.  C'était  dans  ce  monastère  qu'il  recevait  tous  ceux 
qui  venaient  s'édifier  auprès  de  lui  et  écouter  ses  excellentes  instructions. 
Il  y  a  parmi  ses  ouvrages  une  lettre  qui  porte  son  nom,  et  qui  est  très- 
digne  de  lui,  par  laquelle  il  paraît  qu'il  avait  été  supérieur  de  ce  monas- 
tère ;  mais  comme  il  était  souvent  obligé  de  se  trouver  à  Edesse,  pour  satis- 
faire aux  devoirs  du  diaconat,  il  en  avait  remis  le  gouvernement  à  un  frère 
nommé  Jean,  et  y  avait  vécu  depuis  en  simple  religieux.  Cela  fait  qu'un 
nommé  Théodose  l'ayant  extrêmement  pressé  de  le  recevoir  dans  son 
monastère,  il  l'avait  renvoyé  à  Jean  comme  à  l'abbé,  et  qu'il  ne  recevait 
personne  avec  lui  sans  le  consulter  auparavant,  en  quoi  l'on  voit  quelle 
était  son  humilité.  Par  cette  même  vertu  il  honorait  les  dilférenles  prati- 
ques, même  extraordinaires,  de  quelques  solitaires  de  ce  temps-là,  par  les- 
quelles ces  hommes  mortifiés  abattaient  leur  corps  pour  sauver  leur  âme,  et  il 
s'anéantissait  en  disant  que  sa  lâcheté  l'empêchait  de  rien  faire  de  semblable. 
Nous  avons  dit  que  saint  Ephrem  avait  quitté  Nisibe  sa  patrie  pour 
demeurer  à  Edesse,  et  qu'il  ne  l'avait  fait  que  par  le  mouvement  du  Saint- 
Esprit  ;  c'est  saint  Grégoire  de  Nysse  qui  nous  l'assure,  et  il  ajoute  que  ce 
fut  par  le  même  esprit  qu'il  fit  le  voyage  d'Edesse  à  Césarée  en  Cappadoce, 
pour  y  voir  le  grand  saint  Basile  qui  en  était  évêque.  Tout  ce  qui  lui  arriva 
dans  cette  visite  prouve  manifestement  que  c'était  Dieu  qui  la  lui  avait  ins- 
pirée. Saint  Basile  le  connaissait  déjà  de  réputation,  soit  lorsqu'il  avait  été 
en  Mésopotamie  vers  l'an  337,  soit  par  ce  que  lui  en  avait  dit  saint  Eusèbe 
de  Samosate  qu'il  visita  en  372. 

Saint  Ephrem,  qui  nous  rapporte  lui-même  en  partie  ce  qui  lui  arriva, 
dit  que  s'étant  trouvé  à  la  ville  (c'était  Césarée)  et  Dieu  voulant  lui  mani- 
fester les  etfets  de  sa  miséricorde,  il  entendit  une  voix  qui  lui  dit  :  k  Levez- 


SAINT  iPHREM,   DIACRE   D'ÉDESSE  ET   CONFESSEUR.  179 

VOUS,  Ephrem,  et  allez  recevoir  des  pensées  et  des  instructions  dont  vous  pou- 
vez vous  nourrir  » .  11  répondit  d'abord  avec  cet  empressement  que  son  ardent 
désir  pour  le  bien  lui  inspirait  :  «  Seigneur,  où  le  pourrai-je  trouver?  »  Et 
!;i  môme  voix  répondit  :  «  J'ai  dans  ma  maison  un  vase  qui  brille  et  qui  est 
ii'.ngniiique,  il  vous  fournira  cette  nourriture  ».  A  ces  paroles,  saisi  d'éton- 
nement  et  d'admiration,  il  se  rendit  à  l'église  ;  et  à  peine  était-il  au  vesti- 
Liule  que  le  désir  de  le  voir  lui  fit  aussilôt  regarder  par  la  porte  dans  le  saint 
temple,  et  il  découvrit  dans  le  sanctuaire  saint  Basile,  ce  vase  d'élection 
exposé  en  présence  de  son  troupeau,  dont  tous  les  yeux  étaient  fixés  sur 
lui,  et  qui  lui  présentait  avec  la  majesté  d'une  éloquence  céleste  le  divin 
pâturage,  c'est-à-dire  la  loi  évangélique,  la  doctrine  de  saint  Paul,  et  tout 
ce  qui  peut  inspirer  du  respect  pour  nos  sacrés  mystères.  Mais  Dieu  lui 
ouvrant  les  yeux  d'une  manière  miraculeuse  pour  manifester  des  choses 
plus  cachées,  ou  plutôt  la  source  qui  fournissait  à  ce  saint  docteur  ces  eaux 
de  vie  qu'il  répandait  sur  ses  heureuses  ouailles,  il  aperçut  une  colombe 
blanche  comme  la  neige,  et  resplendissante  de  lumière,  assise  sur  son  épaule, 
qui  lui  disait  à  l'oreille  les  choses  qu'il  prêchait  à  son  peuple.  Ephrem  se 
mit  alors  à  louer  hautement  la  sagesse  de  ce  saint  docteur,  et  la  magnifi- 
cence de  Dieu  qui  sait  si  bien  glorifier  ceux  qui  le  glorifient. 

Comme  il  s'exprimait  en  syriaque,  on  pouvait  ouïr  sa  voix  sans  entendre 
ce  qu'il  voulait  dire  ;  mais  quelques-uns  des  assistants  à  qui  cette  langue 
n'était  pas  inconnue  le  comprirent  et  demandèrent  qui  était  cet  étranger 
qui  louait  ainsi  leur  évèque.  Dieu  fit  connaître  en  même  temps  à  saint 
Basile  que  c'était  saint  Ephrem,  et,  après  la  fin  de  l'assemblée,  l'ayant  fait 
appeler,  il  lui  demanda  par  un  interprète  pourquoi  il  l'avait  ainsi  loué  de- 
vant tout  le  monde  ;  il  ajouta  :  «  Vous  êtes  donc  Ephrem  qui  avez  si  géné- 
reusement baissé  le  cou  sous  le  joug  salutaire  de  Jésus-Christ?  »  —  «  Ah  !  » 
répondit-il,  «  je  suis  plutôt  cet  Ephrem  qui  me  suis  écarté  de  la  voie  du 
salut». 

Saint  Basile  le  prit  alors  par  la  main,  l'embrassa  et  lui  présenta  une 
table  chargée,  non  de  viandes  corruptibles,  mais  de  vérités  éternelles.  Il  lui 
parla  des  moyens  de  se  rendre  agréable  à  Dieu,  d'éviter  le  péché,  de  dompter 
les  passions,  de  se  rendre  favorable  le  souverain  Juge  et  d'arriver  à  la  per- 
fection évangélique.  Mais  il  le  fit  avec  tant  d'onction,  qu'Ephrem  ne  pou- 
vant plus  contenir  les  effets  que  ses  paroles  avaient  faits  dans  son  cœur,  s'é- 
cria en  fondant  en  larmes  :  «  0  mon  Père  !  n'abandonnez  pas  un  lâche  et  un 
paresseux  :  mettez-moi  dans  le  droit  chemin  ;  ramollissez  mon  cœur  de 
pierre.  Dieu  m'a  conduit  à  vous  afin  que  vous  preniez  soin  de  mon  âme,  et 
que,  comme  un  pilote  expérimenté  conduit  heureusement  son  vaisseau, 
ainsi  vous  me  conduisiez  au  port  du  salut  ». 

Ils  s'entretinrent  ainsi  quelque  temps  avec  cette  satisfaction  et  cette  joie 
mutuelle  que  goûtent  les  Saints  quand  ils  discourent  ensemble  des  choses 
célestes. 

Dieu  l'avait  favorisé  d'un  don  éminent  d'oraison.  Outre  les  visions  qu'il 
eut  et  que  nous  avons  rapportées,  saint  Grégoire  de  Nysse  le  compare  à 
Moïse,  et  dit  qu'il  avait  joui  comme  lui  de  la  vue  de  Dieu  autant  qu'un 
homme  en  est  capable,  et  qu'il  eut  aussi  comme  les  prophètes  diverses  révé- 
lations ;  il  remarque  en  particulier  que,  méditant  un  jour  sur  un  de  nos 
mystères,  il  ?.vait  vu  une  colonne  de  feu  quî  allait  jusqu'au  ciel,  et  qui  lui 
exprimait  par  cette  élévation  merveilleuse,  la  sublimité  de  ce  mystère. 

Une  autre  fois,  lorsqu'il  était  déjà  vieux,  étant  assis  tout  seul  dans  un 
lieu  tranquille,  et  méditant  sur  les  misères  de  cette  vie  et  sur  la  négligence 


180  *"  FÉVRIER. 

avec  laquelle  nous  la  passons,  il  leva  les  yeux  au  ciel,  et  étant  comme  ravi 
hors  de  lui-môme,  Dieu  se  ûl  voir  aux  yeux  de  son  cœur,  assis  sur  un  trône 
de  gloire,  et  lui  faisant  de  grands  reproches.  Il  en  fut  saisi  d'une  telle 
crainte,  que  ne  pouvant  plus  soutenir  le  poids  de  cette  divine  Majesté,  il 
cherchait  où  il  pouvait  se  cacher.  Il  se  jeta  enûn  aux  pieds  du  Seigneur,  et 
le  supplia,  par  une  prière  très-vive  et  très-humble,  d'avoir  pilié  de  lui.  Dieu 
exauça  ses  larmes,  et  rendit  par  là  la  paix  à  son  cœur.  Pour  lui,  il  mit  par 
écrit  ce  qui  lui  était  arrivé,  et  le  raconta  à  ses  frères,  leur  disant  que  toutes 
les  fois  qu'il  s'en  rappelait  le  jour  et  l'heure,  tout  son  corps  en  tremblait 
au  point  qu'il  ne  pouvait  retenir  ses  larmes  ;  et  il  le  leur  disait  pour  les 
porter  à  lui  obtenir  la  miséricorde  de  Dieu  par  leurs  prières. 

Etant  sorti  aussi  d'Edesse  avant  le  jour  avec  quelques-uns  de  ses  disci- 
ples, il  leva  les  yeux  au  ciel,  et  la  clarté  des  étoiles  qui  brillaient  le  fit  pen- 
ser à  la  gloire  qui  paraîtra  dans  les  corps  glorieux  des  Saints,  lorsqu'ils  seront 
placés  à  la  droite  de  Jésus-Christ,  au  jour  du  jugement  universel.  L'idée  de 
ce  jugement  si  redoutable  le  frappa  aussitôt  :  il  trembla  et  versa  un  torrent 
de  larmes.  Ses  disciples  lui  en  demandèrent  le  sujet,  et  il  leur  répondit  :  «  Je 
crains  fort,  mes  très-chers  frères,  que  ceux  qui,  ne  jugeant  de  moi  que  par 
ce  qui  paraît  au  dehors,  me  font  passer  pour  un  bienheureux,  et  louent  les 
bonnes  œuvres  que  je  n'ai  qu'en  apparence,  ne  se  moquent  de  moi  quand 
ils  me  verront  plongé  dans  les  flammes  éternelles  ;  car  je  ne  sais  que  trop 
combien  je  suis  négligent  ». 

Dieu  voulut  qu'un  an  avant  sa  mort  il  ajoutât  à  la  couronne  que  son  hu- 
milité et  ses  autres  vertus  lui  avaient  acquise,  celle  qu'il  réserve  à  ceux  qui 
ont  exercé  la  miséricorde.  La  ville  d'Edesse  fut  alors  affligée  d'une  très- 
grande  famine,  et  les  gens  de  la  campagne  en  souffraient  plus  que  les  au- 
tres. La  compassion  qu'il  en  eut  l'obligea  de  quitter  sa  cellule,  d'où,  comme 
nous  avons  dit,  il  ne  sortait  que  pour  ses  fonctions  ecclésiastiques.  Il  vint 
dans  la  ville,  et  reprit  sévèrement  les  riches  de  ce  que,  dans  ce  besoin  public, 
ils  négligeaient  de  secourir  les  pauvres,  leur  faisant  voir  que  c'était  de  leur 
part  une  dureté  et  une  avarice  qui  tourneraient  un  jour  à  la  perte  de  leur 
âme,  dont  ils  devaient  préférer  le  salut  à  la  conservation  des  biens  temporels. 

Les  riches,  qui  d'ailleurs  avaient  une  grande  vénération  pour  sa  piété, 
voulurent  d'abord  s'excuser,  donnant  pour  raison  qu'ils  n'étaient  point  atta- 
chés à  leurs  richesses,  mais  qu'ils  ne  savaient  à  qui  confier  leurs  aumônes, 
parce  qu'ils  craignaient  que  ceux  qu'ils  en  chargeraient  ne  s'en  servissent 
pour  eux-mêmes,  au  lieu  d'en  faire  une  sage  distribution.  Alors  saint 
Ephrem,  cet  homme  aussi  charitable  qu'il  était  humble,  profitant  de  la 
bonne  opinion  qu'ils  avaient  de  lui  pour  la  faire  servir  au  soulagement  des 
pauvres,  leur  dit  :  «  Et  moi,  pour  qui  me  prenez-vous  ?  Que  pensez-vous  de 
moi?»  Ils  lui  répondirent  selon  leurs  véritables  sentiments,  qu'ils  le  te- 
naient pour  un  homme  de  Dieu  et  d'une  probité  irrépréhensible.  «  Puis 
donc  que  vous  me  croyez  tel  »,  répliqua-t-il,  «  confiez-moi  le  soin  des  pau- 
vres ».  —  «  Plût  à  Dieu  »,  lui  dirent-ils,  «  que  vous  voulussiez  en  prendre  la 
peine!»  —  «  Oui  »,  leur  ajouta-t-il,  «  je  le  ferai  très-volontiers  pour  l'a- 
mour de  vous  :  je  me  charge  dès  aujourd'hui  de  l'administration  et  de  la 
nourriture  des  pauvres  ». 

Quand  il  eut  reçu  leur  argent,  il  fit  disposer  trois  cents  lits  dans  les  gale- 
ries publiques  qu'il  avait  fait  fermer,  où  il  nourrit  les  pauvres  ,  pansa  les 
malades,  fournit,  de  l'argent  qu'on  lui  donnait,  aux  besoins  de  tous  ceux 
qui  y  venaient,  tant  de  la  campagne  que  de  la  ville,  et  ensevelit  les  morts, 
se  prêtant  à  tout  avec  un  zèle  et  une  charité  infatigables.  Il  s'employa  pen- 


SAINT  ÉPHREM,   DIACRE   D'ÉDESSE  ET   CONFESSEUR.  181 

dant  un  an  à  ce  saint  exercice,  après  quoi,  l'abondance  des  grains  étant  re- 
venue, et  chacun  étant  retourné  chez  soi,  il  rentra  dans  sa  cellule,  où  il  de- 
vait bientôt  mourir  d'une  courte  maladie. 

Il  eut  révélation  que  la  Providence  divine  le  voulait  appeler  de  cet  exil 
en  la  céleste  Jérusalem.  Ce  fut  alors  qu'il  écrivit  cette  admirable  exhorta- 
tion, remplie  de  saintes  maximes,  que  l'on  appelle  le  Testament  de  saint 
Ephrem,  parce  qu'il  la  fit  à  l'heure  de  sa  mort.  Cet  ouvrage  est  assurément 
de  lui,  quoi  qu'en  disent  les  hérétiques  :  c'est  leur  coutume  de  nier  les  livres 
des  Pères  où  leurs  erreurs  sont  condamnées,  comme  en  ce  traité  qui  fait 
mention  de  la  prière  pour  les  morts,  que  les  calvinistes  combattent  par  leurs 
faux  dogmes.  Il  y  ordonna  très-expressément  que  son  cercueil  ne  fût  point 
couvert  d'un  drap  précieux,  et,  au  cas  qu'il  y  en  eût  de  préparé,  qu'il  fût 
vendu  et  que  l'argent  fût  donné  aux  pauvres.  Néanmoins,  un  seigneur  qui 
avait  beaucoup  de  vénération  pour  le  Saint,  en  donna  un  pour  l'envelopper, 
pensant  que  Dieu  aurait  plus  agréable  qu'il  servît  à  cela  que  s'il  était  donné 
aux  pauvres  ;  mais,  parce  qu'il  n'avait  pas  suivi  la  volonté  du  serviteur  de 
Dieu,  l'esprit  immonde  se  saisit  à  l'heure  même  de  sa  personne  et  le  tour- 
menta jusqu'à  ce  qu'il  reconnut  sa  faute,  l'avoua  aux  pieds  du  Saint  et  lui 
en  demanda  pardon.  Et  Ephrem,  tout  malade  qu'il  était,  étendant  les  mains 
sur  lui,  le  délivra,  l'avertissant  d'accomplir  ce  qu'il  avait  promis.  Il  ne  vou- 
lut pas  non  plus  qu'on  l'ensevelit  dans  un  tombeau  fait  exprès,  ni  dans  l'é- 
glise, mais  au  cimetière  commun,  avec  les  autres  pauvres;  puis,  exhortant 
l'assistance  à  l'amour  et  à  la  crainte  de  Dieu  et  à  l'accomplissement  de  ses 
volontés,  il  rendit  son  âme  à  son  Créateur  ;  ce  qui  arriva,  selon  le  cardinal 
Baronius,  l'an  378,  un  mois  après  le  décès  de  saint  Basile. 

Saint  Grégoire  de  Nysse  prononça  le  panégj'rique  du  Saint,  à  la  prière 
d'un  nommé  Ephrem.  Celui-ci  avait  été  fait  prisonnier  par  les  Ismaélites; 
mais  s'étant  recommandé  au  saint  diacre  d'Edesse,  son  patron,  il  avait  été 
miraculeusement  délivré  de  ses  chaînes  et  de  plusieurs  dangers.  Saint  Gré- 
goire finit  son  discours  par  cette  prièro  à  saint  Ephrem  :  «  0  vous  qui  êtes 
présentement  aux  pieds  de  l'autel  divin,  et  devant  le  prince  de  vie,  où  vous 
adorez,  avec  les  anges,  l'auguste  Trinité,  souvenez-vous  de  nous  tous,  et 
obtenez-nous  le  pardon  de  nos  péchéf»  ». 

Les  larmes  continuelles  que  versait  saint  Ephrem,  loin  de  défigurer  son 
visage,  semblaient  au  contraire  en  augmenter  la  sérénité  et  les  grâces;  en 
sorte  qu'on  ne  pouvait  le  voir  sans  être  pénétré  de  vénération.  Les  Grecs  le 
peignent  sous  la  figure  d'un  lieillard  d'une  haute  taille,  ayant  un  air  doux 
et  majestueux,  les  yeux  baignés  de  larmes,  un  regard  et  un  extérieur  qui 
annoncent  une  grande  sainteté.  On  lui  a  donné  un  geste  qui  rappelle  sa 
redoutable  éloquence  lorsqu'il  peint  les  terreurs  du  jugement  dernier. 

NOTICE  SUR  LES  ÉCRITS  DE  SAINT  ÉPHREM. 

Nous  ne  pouvons  résister  au  plaisir  de  donner  une  idée  de  l'éloquence  de  saint  Ephrem,  en 
insérant  ici  nn  fragment  de  son  sermon  sur  le  second  avènement  de  Jésus-Christ  : 

«  Bien-aimés  de  Jésus-Christ,  prêtez  une  attention  favorable  à  ce  que  je  vais  vous  dire  sur 
l'effrayant  avènement  du  Seigneur.  Lorsque  je  pense  à  ce  moment,  je  me  sens  saisi  d'une  crainte 
excessive.  Qui  peut  rapporter  ces  choses  redoutables  ?  Où  trouver  une  langue  capable  de  les  expri- 
mer? Le  Roi  des  rois,  élevé  sur  un  trône  de  gloire,  descendra  du  ciel,  et  s'étant  assis  comme  juge, 
fera  comparaître  devant  lui  tous  les  habitants  de  la  terre.  Au  seul  souvenir  de  cette  vérité,  je  suis 
près  de  tomber  en  faiblesse  ;  les  membres  de  mon  corps  sont  dans  une  agitation  violente  ;  mes  yeux 
se  remplissent  de  larmes  ;  ma  voix  chancelle,  mes  lèvres  tremblent,  ma  laogue  balbutie,  le  désordre 
et  la  confusion  se  mettent  dans  mes  pensées.  Je  suis  obligé  de  vous  annoncer  ces  choses,  mais  U 


482  1"  FÉVRIER. 

eninle  m'empêchera  de  parler.  Un  coup  Je  tonnerre  nous  éponvante  aujonrd'hni  ;  comment  ponr- 
roBS-nous  alors  soutenir  le  son  de  celle  trompelte.  mille  fois  plos  terrible  que  le  tonnerre,  qui 
ressuscitera  les  morts  ?  Les  ossements  de  tous  les  liomines  ne  l'auront  pas  plus  lût  entendue  dans 
le  sein  de  la  terre,  qu'ils  se  ranimeront  à  l'instant  et  chercheront  à  se  rejoindre  les  uns  aux  autres, 
et  en  un  clin  d'œil  nous  ressusciterons  tous  et  nous  nous  rassemblerons  pour  être  jugés. 

«  Enfin,  le  grand  Roi  ayant  donné  l'ordre,  la  terre  ébranlée  et  la  mer  troublée  rendront  les 
morts  qu'elles  possédaient,  tant  ceui  qui  ayaienlété  dévorés  par  les  poissons,  que  ceux  qui  l'avaient 
été  par  les  oiseaux  ou  par  les  bètes.  Dans  le  même  moment  tous  les  hommes  paraîtront  sans  qu'il 
leur  manque  un  seul  cheveu  ». 

Le  Saint  parle  ensuite  du  feu  qni  embrasera  toute  la  terre,  des  anges  qni  sépareront  les  brebis 
d'avec  les  boucs,  de  l'étendard  de  la  croix,  tout  brillant  de  lumière,  que  le  grand  Roi  fera  porter 
devant  lui.  Il  représente  les  hommes  accablés  par  la  consternation  et  par  une  inquiétude  mortelle  ; 
les  justes  comblés  de  joie,  et  les  méchants  livrés  au  désespoir;  les  anges  et  les  chérubins  occupés 
à  chanter  les  louanges  de  Celui  qui  est  trois  fois  Saint;  les  cienx  ouverts,  et  le  Seigneur  environné 
d'une  telle  gloire  que  le  ciel  et  la  terre  ne  pourront  soutenir  sa  présence.  Il  ouvre  devant  les  yeux 
le  livre  où  sont  écrites  toutes  nos  pensées,  toutes  nos  paroles,  toutes  nos  actions  ;  puis  il  s'écrie  : 
c  Queiles  larmes  ne  devons-nous  pas  répandre  nuit  et  jour,  dans  l'attente  de  ce  terrible  moment  !  » 
Ses  soupirs  et  ses  sanglots  lui  ayant  coupé  la  parole,  il  n'en  put  dire  davantage.  «  Apprenez-nous 
donc  ».  cria  Tauditoire,  o  les  choses  effrayantes  qui  arriveront  ensuite  ».  —  «  Tous  les  hommes  », 
reprit  le  Saint,  «  auront  les  yeux  baissés  devant  le  tribunal  du  souverain  Juge,  entre  la  vie  et  la 
mort,  entre  le  ciel  et  l'enfer,  et  chacun  d'eux  sera  cité  pour  subir  un  examen  rigoureux.  Malheur 
à  moi  !  Je  venx  vous  instruire  de  ce  qui  arrivera  ;  mais  la  voix  me  manque  ;  la  crainte  me  jette 
dans  le  trouble  et  la  confusion  :  le  seul  récit  de  ces  choses  me  glace  d'effroi  ». — «  Nous  vous  conjurons  », 
répéta  l'auditoire,  «de  continuer  pour  notre  utilité  et  pour  la  sanctification  de  nos  âmes  ». — o  Bien-aimés 
de  Jesus-Christ  »,  dit  le  Saint,<ion  cherchera  dans  tous  les  chrétiens  le  sceau  du  baptême  et  le  dépôt 
de  la  foi  ;  on  leur  redemandera  cette  renonciation  qu'ils  firent,  en  présence  de  témoins,  à  Satan  et 
à  ses  œuvres,  non  à  une,  à  deux,  à  cinq,  mais  à  toutes  en  -général.  Heureux  celui  qui  aura  gardé 
fidèlement  ce  qu'il  avait  promis  !  »  Ses  soupirs  et  ses  gémissements  ne  lui  permettant  plus  de  parler, 
l'auditoire  Ini  cria  de  nouveau  :  «  Eh  !  de  grâce,  continuez  de  nous  instruire  ».  —  «  Je  vous  obéirai  », 
répondit  le  Saint,  «autant  qu'il  me  sera  possible;  mais  je  ne  m'exprimerai  que  par  des  pleurs  et  des 
soupirs.  De  pareilles  cboses  sont  si  terribles,  qu'on  ne  peut  en  parler  sans  verser  des  larmes». —  «0 
serviteur  de  Dieu  »,  ajouta  le  peuple,  «  ne  nous  refusez  pas  les  instructions  que  nous  vous  deman- 
dons ».  Alors,  Ephrem,  se  frappant  la  poitrine,  pleura  encore  plus  amèrement,  et  dit  :  «  Ah  !  mes 
frères,  que  voulez-vons  entendre  ?  0  jour  épouvantable  !  malheur  à  moi  !  malheur  à  moi  !  Qui  osera 
rapporter,  qui  osera  écouter  le  récit  de  ce  qui  doit  se  passer  dans  ce  moment  lamentable  '?  Vous 
tous  qui  avez  des  larmes,  pleurez  avec  moi  ;  que  ceux  qui  n'en  ont  point  apprennent  à  connaître 
le  sort  qui  les  attend,  et  qu'ils  ne  négligent  pas  leur  salut.  Alors  les  hommes  seront  séparés  pour 
toujours  les  uns  des  autres  ;  les  évèques,  des  évèques  ;  les  prêtres,  des  prêtres  ;  les  diacres,  des 
diacres  ;  les  sous-diacres  et  les  lecteurs,  de  ceux  qui  avaient  les  mêmes  ordres  ;  les  enfants  de 
leurs  parents  ;  les  amis  de  leurs  amis.  La  séparation  faite,  les  princes,  les  philosophes,  les  sages 
dn  monde  crieront  aux  élus  avec  larmes  :  Adieu  pour  toujours,  saints  et  serviteurs  de  Dieu  ;  adieu, 
parents,  enfants,  amis  ;  adieu,  prophètes,  apôtres,  martyrs  ;  adieu,  'Vierge  sainte.  Mère  du  Sauveur, 
vous  priâtes  pour  notre  salut,  mais  nous  ne  voulûmes  pas  nous  sauver.  Adieu,  croix  vivifiante  ; 
idieu,  paradis  de  délices,  royaume  éternel,  Jérusalem  céleste;  adieu,  vous  tous,  nous  ne  vous 
reverrons  plus  ;  nous  voilà  plongés  dans  un  abime  de  tourments  qni  ne  finiront  jamais  ». 

Le  recueil  des  œu\Tes  de  saint  Ephrem  est  composé  de  sermons  ou  traités  de  piété,  de  prières, 
de  commentaires  sur  l'Ecriture,  d'ouvrages  de  controverse  contre  les  Ariens,  les  Eunomieas,  le» 
Manichéens,  les  Novatiens  et  les  Marcionites,  des  vies  de  saint  .\braham,  de  saint  Julien,  etc.  Son 
style,  dans  ses  écrits  polémiques,  n'a  rien  de  sec  et  de  rebutant;  il  est  au  contraire  rempli  de  p:été 
et  d'onclion  ;  on  y  remarque  que  l'auteur,  en  réfutant  les  hérétiques,  brûle  d'un  désir  ardent  de 
TOir  Dieu  loué  et  glorifié. 

Saint  Grégoire  de  Nysse  et  d'autres  auteurs  nous  appreonent  que  saint  Ephrem  avait  commenté 
tous  les  livres  de  l'Ancien  et  du  Nouveau  Testament  ave;  autant  de  clarté  que  d'érudition.  Nous 
n'avons  plus  que  ses  commentaires  sur  les  livres  historiqi;?5  et  sur  les  prophètes. 

L'ouvrage  qui  porte  le  litre  de  Confession  est  certainement  de  saint  Ephrem,  comme  l'a  prouvé 
M.  Assemani,  Op.  t.  i",  p.  119;  tbid.  Pm/eg.  cl,  et  t.  il,  p.  37;  H'-m.  liihl.  orient,  t.  i"',  p.  141. 
Les  disciples  de  saint  Ephrem  écrivirent  la  même  histoire,  d'après  ce  qu'ils  en  avaient  entendu 
dire  à  leur  bienheureux  maître  :  de  lii  ce  grand  nombre  de  relations  que  nous  avons  de  l'événe- 
ment dont  il  s'agit.  Gérard  Vossius  en  a  publié  une  que  M.  Assemani  a  fait  réimprimer  :  Op.  t.  m, 
p.  23  ;  mais  on  doit  suivre  principalement  la  Confession  du  Saint,  qni  se  trouve  dans  le  recueil  de 
ses  œuvres,  de  l'édition  du  Vatican. 

Ceillier,  t.  vm,  p.  101,  a  recueilli  des  écrits  de  saint  Ephrem  une  fonle  de  passages  qui  dé- 
montrent invinciblement  la  présence  réelle  de  Jésns-Chrisl  dans  l'Eucharislie.  On  peut  voir  sur  le 
même  sujet  les  judicieuses  remarques  d'un  habile  critique,  qui  ont  été  insérées  daus  les  liémoirei 


SALNTE   BRIGITTE,    SURNOiniÉE  LA  THAUMATURGE,   VIERGE.  1S3 

de  Trévoux,  janv.  1736,  p.  155.  —  Voir  aussi  le  docteur  Wisemann,  Horce  Syriacœ,  t.  i",  ■lis- 
sert,  prima. 

Saint  Ephrein  et  saint  Basile  s'étant  entretenus  ensemble  par  le  moyen  d'un  interprète,  il  est  évi- 
dent que  le  premier  n'enteodait  point  la  langue  grecque.  L'auteur  de  l'ancienne  traduction  de  la  vie 
de  saint  Basile,  qui  porte  le  nom  de  saint  Amphiloque,  prétend  que  le  saint  archevêque  de  Césarée 
oMinl  miraculeusement  à  saint  Eplirem  l'intelligence  de  celte  langue  et  qu'il  l'ordonna  prétie.  Il  y 
a  deui  fautes  dans  ce  r.îcit,  et  Baillet  est  tombé  dans  la  seconde.  Saint  Jérôme,  Pallade  et  plusieurs 
autres  auteurs  ne  donnent  à  saint  Ephrem  que  le  titre  de  diacre.  D'ailleurs,  si  l'on  consulte  la  tra- 
duction de  l'ouvrage  du  faux  Amphiloque,  et  que  l'on  en  examine  attentivement  le  texte  original,  on 
Verra  que  ce  ne  fut  point  saint  Ephrem,  mais  son  disciple  et  son  compagaon,  que  saint  Basile  éleva 
su  sacerdoce. 

Une  partie  des  œuvres  du  saint  docteur  fut  traduite  ea  latin,  et  imprimée  à  Rome  en  1589,  par 
les  soins  de  Gérard  Vossius  on  Voskens,  prévôt  de  Tongres.  Edouard  "Thwaites  en  donna  une  édi- 
tion grecque  à  Oxford,  en  1708. 

La  plus  complète  de  toutes  les  éditions  des  œuvres  de  saint  Ephrem  est  celle  qui  a  paru  à 
Rome  en  1732-174".!,  6  vol.  in-fo!.,  sous  la  direction  du  cardinal  Quirini,  bibliothécaire  du  Vatican, 
et  de  M.  Joseph  Assemani,  premier  préfet  de  la  même  bibliothèque.  On  y  trouve  le  texte  syriaque 
d'une  grande  partie  des  œuvres  du  Saint,  avec  l'ancienne  version  grecque  des  antres  ouvrages.  La 
traduction  hitine  est  de  Gérard  Vossius.  et  du  P.  Pierre  Benedetti,  jésuite  maronite.  Celle  des  der- 
niers volumes  est  de  M.  Etienne  Assemani,  archevêque  d'Apaniée,  qui  a  publié  en  chaldaique  les 
actes  des  martyrs,  et  qui  est  neveu  de  M.  Joseph  Assemani.  11  est  fâcheux  pour  les  savants  que  le 
texte  grec  des  derniers  volumes,  et  surtout  du  sixième,  soit  rempli  de  fautes.  Voirdsns  les  j/emofres 
de  Trévoux,  janv.  1756,  p.  146,  nne  lettre  fort  curieuse  sur  la  dernière  édition  des  œuvres  de 
saint  Ephrem. 

Le  MariTTOlo^:©  romain  fait  mention  de  saint  Ephrem  le  premier  de  février,  et  les  Grecs,  en  lenr  iîéno* 
loge,  le  vingt-hoit  de  janvier.  Le  testament  dont  nous  avons  parlé,  et  les  autres  aateara  qui  ont  fait  son 
éloge,  se  trouvent  reproduits  dans  BoUandus,  au  premier  tome  de  ce  mois. 


SAmiE  BRIGITTE,  SUENOMMEE  LA  THAUMATURGE, 

VIERGE  EN  IBLAXDE 
436-523.  —  Papes  :  Sixte  UIj  Hormisda». 

H  n'appartient  qu'à  Dieu,  dit  Job,  de  faire  des  vases  purs  d'une  matière 
impure.  Cest  lui  seul  qui  peut  faire,  quand  il  lui  plaît,  que  les  épines  pro- 
duisent des  raisins  et  que  les  chardons  portent  des  figues;  et  c'est  lui  seul 
qui,  en  s'élevant  au-dessus  de  la  nature  et  des  règles  communes,  peut  donner 
à  un  mauvais  arbre  la  force  de  porter  quelquefois  de  bons  fruits.  Je  dis  ceci 
au  sujet  de  sainte  Brigitte,  dont  Notre-Seigneur  a  su  conserver  la  virginité 
toute  pure,  quoiqu'elle  fût  née  dans  les  infamies  et  les  impuretés  d'un  adul- 
tère de  son  père  avec  une  esclave.  Cette  infidélité  de  Duptace  (c'est  ainsi 
qu'on  appelait  ce  seigneur  irlandais)  toucha  si  sensiblement  le  cœur  de  sa 
légitime  épouse,  qu'imitant  l'ancienne  Sara,  la  mère  de  tous  les  croyants, 
elle  ne  donna  point  de  repos  à  son  mari  qu'il  n'eiît  mis  dehors  cette  servante, 
quoique  deux  saints  prélats  l'eussent  assuré  qu'elle  enfermait  une  Sainte 
dans  son  sein. 

En  effet,  l'esclave  bannie  mit  au  monde  une  fille  qui  fut  nommée  Bri- 
gitte au  baptême,  que  son  père  prit  soin  de  lui  faire  donner  pour  la  rendre 
fille  adoplive  de  Jésus-Christ.  Elle  fut  confiée  à  une  femme  chrétienne  qui 
eut  soin  de  l'élever  dans  la  crainte  de  Dieu  et  l'amour  de  la  virginité.  Quel- 
que temps  après,  Duptace  voyant  que  sa  fille  avançait  en  âge  et  en  sagesse, 
la  fit  venir  en  sa  maison,  où  elle  se  rendit  très-aimable  par  les  rares  vert'js 


Ig4  1"  FÉVRIER. 

dont  son  âme  était  remplie  et  qu'elle  faisait  paraître  au  dehors.  Elle  était 
humble,  paisible  et  obéissante  ;  et  surtout  il  semblait  que  la  compassion 
pour  les  pauvres  fût  sortie  avec  elle  du  sein  de  sa  mère,  parce  qu'elle  usait 
de  toutes  sortes  d'inventions  pour  leur  faire  du  bien. 

Ces  admirables  vertus  étaient  relevées  par  une  beauté  parfaitement  régu- 
lière qui  ravissait  aisément  les  cœurs  de  tous  ceux  qui  la  regardaient;  c'est 
pourquoi  elle  fut  recherchée  par  divers  partis.  Mais  Brigitte,  qui  s'était  déjà 
consacrée  par  vœu  à  Jésus-Christ,  l'Epoux  des  vierges,  s'apercevant  que  cet 
empressement  qu'on  témoignait  pour  l'épouser  ne  procédait  d'ailleurs  que 
d'elle  même  et  de  cette  rare  beauté  qui  éclatait  sur  son  visage,  pria  Notre- 
Seigneur  delà  rendre  si  laide  qu'on  ne  pensât  plus  à  elle.  Sa  prière  fut  exau- 
cée, et,  par  la  perte  d'un  œil,  la  sainte  fille  demeura  si  difforme  qu'il  ne  se 
trouva  plus  personne  qui  parlât  de  l'épouser  :  ce  qui  obligea  son  père  de  lui 
permettre  d'entrer  dans  un  monastère  et  de  se  faire  religieuse  comme  elle 
en  avait  le  désir. 

Son  entrée  en  religion  fut  rendue  remarquable  par  trois  insignes  faveurs 
qu'elle  y  reçut  du  ciel  :  l'évêque  Malchille,  ou  Mel,  ancien  disciple  de  saint 
Patricej  apôtre  d'Irlande,  qui  lui  donna  le  voile,  aperçut  sur  sa  tête  une 
colonne  de  feu  ;  quand  Brigitte  pencha  la  tête  pour  baiser  le  marche-pied 
de  l'autel,  le  bois,  quoique  sec  et  déjà  vieux,  reverdit  par  son  attouchement; 
enfin,  au  même  instant,  son  œil  se  trouva  guéri,  et  son  visage  reprit  sa  pre- 
mière beauté,  à  laquelle  Nolre-Seig-neur  ajouta  encore  un  nouvel  éclat,  ne 
voulant  pas  que  celle  qui  avait  désiré  pour  son  amour  perdre  la  beauté  de 
son  corps,  afin  de  conserver  la  pureté  de  son  âme,  demeurât  avec  la  moindre 
dillbrmité  corporelle. 

Trois  jeunes  filles,  de  ses  amies,  avaient  suivi  Brigitte  dans  la  retraite. 
Elles  se  construisirent  dans  un  gros  chêne  des  cellules  qui  furent  appelées 
depuis  KM-bara  ou  Cellules  du  Chêne,  à  8  lieues  de  Dublin,  et  adoptèrent  un 
costume  différent  de  celui  des  autres  religieuses  du  pays.  Ce  fut  comme 
une  pépinière  sainte  qui  donna  naissance  à  un  grand  nombre  de  monastères 
en  Irlande,  lesquels  reconnaissent  tous  sainte  Brigitte  pour  leur  mère  et  leur 
fondatrice.  La  réputation  de  sa  sainteté  et  de  ses  miracles  rendit  Kildare 
si  célèbre  et  si  fréquenté,  que  le  grand  nombre  des  édifices  qu'on  bâtit, 
de  son  vivant  même,  autour  du  monastère,  y  forma  une  ville  qui  devint  assez 
considérable  dans  la  suite  pour  qu'on  y  ait  transféré  le  siège  métropolitain 
de  la  province. 

La  surveillance  qu'elle  devait  exercer  sur  un  grand  nombre  de  maisons 
religieuses,  l'obligea  à  de  fréquents  voyages  qui  occupèrent  une  grande 
partie  de  sa  vie  et  qui  furent  toujours  d'une  si  grande  utilité  qu'on  peut  dire 
que  chacun  de  ses  pas  a  été  marqué  par  la  fondation  de  quelque  nouveau 
monastère. 

Cette  pieuse  vierge  avait  reçu  de  Dieu  le  don  des  miracles  dans  un  haut 
degré,  et  elle  en  a  fait  un  si  grand  nombre,  que  le  cardinal  Baronius  écrit 
avoir  lu  au  monastère  de  Sainte-Cécile,  au-delà  du  Tibre,  à  Rome,  un  vieux 
manuscrit  qui  en  contenait  vingt-quatre  chapitres.  Nous  en  rapporterons 
seulement  deux  ou  trois  qui  feront  juger  des  autres. 

Deux  lépreux  s'adressèrent  à  la  Sainte  pour  être  guéris.  Elle  pria  Dieu 
pour  eux,  et,  faisant  le  signe  de  la  croix  sur  un  peu  d'eau,  elle  leur  com- 
manda de  s'en  laver  l'un  l'autre  :  le  premier,  après  avoir  été  lavé,  se  sentant 
guéri,  fut  si  ravi  de  sa  santé,  que,  de  crainte  de  la  perdre,  il  ne  voulut 
jamais  rendre  le  même  service  à  son  compagnon.  Mais,  en  punition  de  son 
ingratitude,  il  se  vit  aussitôt  recouvert  de  la  même  lèpre,  et  son  compa- 


S.UNTE   BRIGITTE,    SntKOlIJIÉE  LA  THAUMATURGE,    VIERGE.  ISo 

gnon  fut  parfaitement  guéri  par  la  seule  prière  de  sainte  Brigitte,  qui  sem- 
blait tenir  en  ses  mains  les  clefs  de  la  santé  et  de  la  maladie. 

Une  fille  aveugle,  nommée  Darie,  pria  la  Sainte  de  faire  une  bénédic- 
tion sur  ses  yeux,  et  par  ce  moyen  elle  recouvra  la  vue  ;  mais  étant  ensuite 
éclairée  d'une  plus  haute  lumière,  et  reconnaissant  que  tout  ce  qui  se  voit 
des  yeux  du  corps  n'est  qu'un  embarras  pour  l'àme,  elle  s'en  retourna  vers 
sa  bienfaitrice  pour  la  prier  de  lui  rendre  sa  première  cécité  ;  et  à  l'instant 
ses  yeux,  qui  avaient  été  ouverts  à  la  supplication  de  sainte  Brigitte,  se  refer- 
mèrent à  sa  prière. 

Une  autre  fille,  âgée  de  douze  ans,  qui  était  muette  de  naissance,  fut 
amenéeparsamèreàsainteBrigitte.  La  Sainte  la  prit  par  la  main  et  lui  demanda 
si  elle  ne  voudrait  pas  bien,  pour  l'amour  de  Jésus-Christ,  garder  la  virginité 
perpétuelle  :  et  comme  la  mère  lui  représenta  l'impuissance  de  sa  fille  pour 
parler,  la  Sainte  lui  répliqua  :  «  Cependant,  je  ne  la  laisserai  point  aller 
qu'elle  ne  m'ait  répondu  ».  Alors  la  muette,  déliant  sa  langue,  lui  promit 
de  demeurer  vierge  toute  sa  vie  avec  la  grâce  de  Dieu;  et,  depuis,  l'usage  de 
la  parole  lui  demeura  toujours  libre. 

Une  méchante  femme,  ayant  mis  au  monde  un  garçon,  disait  hautement 
pour  excuser  son  crime  qu'elle  l'avait  eu  de  l'évoque  appelé  Broon,  lequel 
était  un  saint  homme,  aussi  disciple  de  saint  Patrice.  Cette  calomnie  fut 
rapportée  à  sainte  Brigitte,  et  la  misérable  soutint  effrontément  son  men- 
songe en  sa  présence  et  celle  du  même  saint  Patrice  ;  mais  la  Sainte  faisant 
le  signe  de  la  croix  sur  la  bouche  de  cette  infâme,  lui  fit  enfler  la  langue  de 
telle  sorte  qu'elle  ne  pouvait  parler  ;  et,  faisant  de  môme  sur  la  langue  de 
l'enfant,  elle  la  délia,  et  il  dit  distinctement,  après  que  sainte  Brigitte  le  lui 
eut  commandé,  que  révêquen'étaitpassonpère,maisbienunpauvrehomme 
du  commun.  Ainsi  la  vérité  fut  découverte,  l'honneur  del'évêque  conservé, 
et  la  gloire  rendue  à  Dieu,  protecteur  de  l'innocence. 

Elle  a  fait  encore  quantité  de  prodiges  par  le  signe  de  la  croix.  C'est  par 
ce  moyen  qu'elle  chassait  les  démons  des  corps  humains,  et  qu'elle  retenait 
les  personnes  qu'elle  voyait  en  danger  de  se  perdre.  On  raconte  à  ce  sujet  une 
chose  surprenante  :  la  fille  d'un  gentilhomme  s'étant  dérobée  secrètement 
de  la  maison  de  son  père  le  jour  même  de  ses  noces,  pour  se  sauver  dans  le 
monastère  de  Brigitte,  ce  père  monta  à  cheval,  suivi  d'une  bonne  escorte, 
pour  enlever  sa  fille  de  force  ;  mais  la  Sainte  l'ayant  aperçu  fit  le  signe  de  la 
croix  en  terre,  et  à  l'instant  les  hommes  et  les  chevaux  devinrent  immobiles 
comme  des  statues,  jusqu'à  ce  que  le  père,  reconnaissant  sa  faute,  permit 
à  sa  fille  d'exécuter  son  vœu  et  de  demeurer  en  religion. 

Ce  peu  que  nous  venons  de  dire  suffit,  ce  nous  semble,  pour  faire  voir 
évidemment  quels  sont  les  mérites  de  cette  grande  Sainte.  Le  temps  de  sa 
récompense  étant  arrivé,  après  avoir  heureusement  achevé  sa  course,  elle 
eut  révélation  du  jour  de  son  décès,  dont  elle  donna  avis  à  une  bonne  fille 
qu'elle  avait  élevée  en  la  crainte  et  en  l'amour  de  Dieu,  lui  marquant  le  jour 
qu'elle  partirait  de  cette  vie,  pour  aller  jouir  des  chastes  embrassements  de 
son  Epoux  dans  le  ciel. 

Elle  mourut,  suivant  l'opinion  la  plus  probable,  dans  son  premier  monas- 
tère d'Irlande,  un  mercredi,  le  1"  février  523  '. 

1.  Les  auteurs  ne  conviennent  pas  du  lien  oîi  elle  est  morte  :  les  uns  disent  que  c'est  à  Glastonbnry, 
en  Angleterre  ;  d'antres,  à  Kildare,  en  Irlande.  U  est  marqué  an  MartjTologe  romain  que  ce  fut  en  Ecosse. 
Mais  il  est  bou  de  savoir  que  les  Scots,  qui  ont  donne'  leur  nom  à  la  partie  septentrionale  de  la  Grande- 
Bretajne.  habitaient  l'Irlande  au  ve  siècle;  l'Irlande  s'appelait  indifféremment  Scotie  et  Hibeniie.  Elle 
décéda  le  1''  février,  l'an  de  Xotre-Seignenr  518,  selon  Siçebert,  et  521  selon  Marien,  Ecossais,  sous 
l'empire  de  Justin  l'alné,  on  enfin  523,  pltis  piobablemeot,  selon  d'autres,  étant  â^ée  de  soixaute-dU  ana. 


186  l"  FÉVRIER. 

Son  corps  fut  enterré  à  Kildare  où  les  religieuses,  pour  honorer  sa  mé- 
moire, inslituèrent  un  feu  sacré  perpétuel  appelé  le  feu  de  sainte  Bris^ilte  : 
ce  qui  (it  donner  au  monastère  le  nom  de  Maiscm  du  Feu.  Elles  l'y  cnUe- 
tinrent  jusqu'en  122Ù,  époque  à  laquelle  l'archevêquede  Dublin  le  fit  éteindre. 
Le  corps  de  la  Sainte  en  avait  été  enlevé  dès  le  ix°  siècle,  à  cause  des  incur- 
sions des  Danois,  et  transporté  à  Down  Patrick.  On  ne  perdit  pas  le  souvenir 
de  sainte  Brigitte  à  Kildare,  quoiqu'en  moins  d'un  siècle,  de  835  à  924,  la 
ville  et  le  monastère  eussent  été  saccagés  cinq  fois;  raaisàDownonl'oublia: 
il  fallut  une  révélation  de  Dieu  faite  à  l'évêque  Malachie  pour  qu'on  retrou- 
vât le  corps  de  sainte  Brigitte.  On  était  à  l'année  1186  :  il  fut  découvert 
déposé  avec  ceux  de  saint  Patrice  et  de  saint  Colomb  dans  une  triple  voûte, 
d'où  on  le  transféra  dans  la  cathédrale  de  la  même  ville.  L'impie  Grey,  sous 
Henri  YIII,  détruisit  l'église  qui  renfermait  ces  reliques  et  les  jeta  au  vent. 
Le  chef  de  sainte  Brigitte  se  trouvait  à  Neusladt,enAutriche,  et  put  échapper 
à  la  profanation.  Elle  y  fut  conservée  dans  la  chapelle  du  château  impérial,  jus- 
qu'à l'année  1387  que  Rodolphe  II  en  fit  présenta  l'ambassadeur  d'Espagne, 
Jean  de  Borgia  :  celui-ci  à  son  tour  en  enrichit  l'église  des  jésuites  de  Lis- 
bonne. La  ville  de  Cologne,  qui  a  une  paroisse  placée  sous  le  vocable  de  cette 
Sainte,  se  vante  d'avoir  aussi  de  ses  reliques. 

La  fôte  de  sainte  Brigitte  a  toujours  été  célébrée  le  1°'  février,  jour  de 
son  entrée  au  ciel.  On  croit  communément  que  c'était  un  mercredi,  ce  qui 
ne  peut  convenir  pour  le  commencement  du  v°  siècle  qu'aux  années  506, 
517,  523  et  534.  Le  culte  de  sainte  Brigitte  était  autrefois  très-répandu, 
non-seulement  en  Irlande  où  elle  tient  le  premier  rang  des  Saintes  après  la 
sainte  Vierge,  mais  en  Flandre,  en  Allemagne  et  dans  une  partie  de  la 
France.  Sa  fête  était  reçue  dans  tout  l'occident  au  l\°  siècle.  L'Irlande  la 
regarde  comme  sa  patronne,  de  même  que  saint  Patrice  est  son  patron. 

«  Partout  où  les  moines  irlandais  ont  pénétré,  à  Cologne  comme  à  Séville, 
des  églises  se  sont  élevées  en  son  honneur,  et  partout  où  de  nos  jours  encore 
se  répand  l'émigration  britannique,  le  nom  de  Brigitte  signale  la  femme  de 
race  irlandaise.  Dix-huit  paroisses  en  Irlande  portent  encore  le  nom  de 
Sainte-Brigitte.  Privés  par  la  persécution  et  la  misère  de  construire  des  mo- 
numents en  pierre,  ils  témoignent  de  leur  inébranlable  dévotion  à  celte 
chère  mémoire  en  donnant  son  nom  à  leurs  filles.  Noble  et  touchant  hom- 
mage d'une  race  toujours  infortunée  et  toujours  fidèle,  qui  fut  comme  elle 
esclave  et  comme  elle  catholique  '  ». 

Il  n'existe  pas  de  vestiges  du  passage  de  sainte  Brigitte  sur  la  terre, 
excepté  une  tour  ronde  et  des  ruines  d'une  église  qu'on  dit  dater  du  vi°siôcle. 
La  congrégation  des  sœurs  ou  religieuses  qu'elle  a  fondée  a  disparu. 

Toutes  ses  reliques  sont  probablement  perdues  '. 

1°  Dans  son  office  imprimé  à  Paris  en  1620,  l'hymne  des  premières  Vêpres 
dit  :  «  Pour  témoigner  de  sa  vertu  calomniée,  le  bois  sec  de  l'autel  reverdit 
tout  à  coup,  au  contact  de  sa  main  virginale».  On  ajoute  qu'il  en  sortit 
un  petit  rameau.  On  la  représente  donc  portant  la  main  à  l'autel  ou  à 
genoux  sur  le  marc/ii-jncrl. 

2°  On  la  peint  aussi  à  genoux  et  tenant  un  vase  à  large  ouverture;  près 
d'elle  une  vache.  Cet  attribut  fait  allusion  à  plusieurs  traits  de  sa  vie.  Nous 
choisirons  toutefois  une  seule  circonstance,  et  nous  renverrons  à  Sui-ius,  au 
l''  février,  pour  les  autres  où  la  vache  joue  un  rôle  quelconque.  Sainte  Bri- 
gitte étant  devenue  célèbre  par  ses  vertus,  reçut  un  jour  la  visite  de  plusieurs 

1.  Mcma  d'Occident,  t.  u,  p.  419. 

3.  U.  Thomùs  Marphy.  écon.  du  iémin.  irlandais^  a  Paris.  13  août  1871. 


SAUra  SOÏÏR,   ERMITE.  187 

évoques,  mais  elle  n'avait  pas  de  quoi  les  traiter.  Elle  se  recommande  à  Dieu 
et  imagine  de  traire  trois  fois  dans  la  môme  journée  la  seule  vache  qu'elle 
eût  :  sa  confiance  fut  récompensée,  elle  tira  autant  de  lait  qu'auraient  pu  en 
donner  trois  bonnes  laitières. 

Dans  la  paroisse  d'Haraay,  entreUuyetLiége,enBelgique,onfait  des  pèle- 
rinages, en  l'honneur  de  sainte  Brigitte,  pour  les  vaches.  Près  de  Fosses,  dans 
le  diocèse  de  Namur,  les  paysannes  font  bénir,  le  premier  février,  des 
baguettes  avec  lesquelles  on  touche  les  vaches  malades  pour  les  guérii. 


SALNT  SOUR*,  ERMITE, 

PKEfflER  ABBÉ  DE   TERRASSON,  AU  DIOCÈSE  DE  PÉRIGUEDX 
Mort  en  580.  —  Pape  :  Pelage  II.  —  Roi  des  Fraacs  :  Childebert  C 


Flore  svh  primo  viridis  juventœ 
Poirinm  dulcem  simul  et  parentes, 
Dulcius  cœlum  méditons  profunda 

Mente  r-^Iiq^'it. 
As  printemps  de   ses  jours,  à  la  fleur  de  son  âge,  il 

ab!indonDâ  tout  :  la  patrie  si  douce  et  les  parent» 

si  aime's  ;  U  mi^dita  au  fond  de  son  cœur  et  le  ciel 

lui  parut  plus  doux. 

Santol.  ilymni,  29  Angusti. 

Saint  Sour  '  naquit  en  Auvergne  dans  la  première  année  du  yi'  siècle,  de 
parents  non  moins  remarquables  par  leur  piété  et  leur  attachement  à  la  foi 
orthodoxe  que  par  l'éclat  de  la  position  qu'ils  avaient  dans  le  monde.  Dieu 
prend  ses  élus  dans  tous  les  rangs  de  la  société,  et  la  plus  honorable  illus- 
tration est  celle  que  donne  la  vertu.  Aussi,  nous  sufllt-il  de  savoir  que  les 
parents  de  notre  Saint  étaient  chrétiens.  Ils  instruisirent  de  bonne  heure 
leur  fils  des  principes  de  notre  sainte  religion  et  l'initièrent  à  la  connais- 
sance des  lettres.  11  ne  tarda  pas  à  laisser  voir  un  goût  bien  prononcé  pour 
la  vie  érémitique.  Son  cœur,  ouvert,  dès  le  matin  de  la  vie,  aux  douces  ins- 
pirations de  la  grâce,  avait  compris  la  parole  du  Maître  :  «  Celui  qui  ne  re- 
nonce pas  à  tout  ce  qu'il  possède  ne  peut  être  mon  disciple.  Si  quelqu'un 
veut  venir  après  moi,  qu'il  renonce  à  soi-même,  qu'il  porte  sa  croix  chaque 
jour  et  me  suive».  Et,  déjà  vrai  disciple  par  toutes  les  affections  de  son 
âme,  il  se  promettait  bien  de  répondre  un  jour,  comme  saint  Pierre  :  «  Sei- 
gneur, voici  que  j'ai  tout  quitté  et  que  je  vous  ai  suivi  ». 

Tant  et  de  si  heureuses  dispositions  ne  pouvaient  manquer  de  le  rendre 
l'objet  des  complaisances  divines  et  d'attirer  sur  son  âme  les  plus  abondan- 
tes bénédictions.  Aussi,  à  mesure  qu'il  croissait  en  âge,  sa  foi  devenait  plus 

1.  Voulant  répondre  aux  pieux  désirs  du  savant  e'diteur  des  Petits  BuUandistes,  nons  donnons  an 
abr<!,ïd  «ie  la  grande  Vie  de  saint  Sour,  que  nous  avons  publiée  en  1857;  1  vol.  in-8o  (M.  A.  B.  Pergot,  caré 
de  Terrasson,  Dordogne). 

2.  S'-nictus  Sorus.  ou  mieux  Sanctus  Sur,  comme  l'ont  écrit,  au  ive  siècle,  saint  Adoû  de  Vienne,  dans 
sa  Chronique,  et  Usnard, dans  son  Marti-rologe,  et  comme  nous  le  trouvons  dans  des  Litanies  d'un  manus- 
crit de  la  BiMiotli'eqne  nationale,  provenant  du  monast'ere  de  Saint.Jîartial  de  Limoges,  coté  du  xi'-'  si'ccle. 
En  prononçant  Vu  comme  notre  monosyllabe  ou,  ainsi  que  le  faisaient  les  anciens,  de  Sur  nous  avoas 
Suu  ,  C'est  QQ  mot  gaulois  passé  dans  notre  langue  et  qui  signifie  ermite,  anachorète. 


188  1"   FÉVRIER. 

vive,  sa  piété  plus  tendre  et  son  désir  de  se  vouer  à  Dieu  plus  ardent.  Il  s'é- 
tait lié  d'une  étroite  amitié  avec  Cyprien,  jeune  homme  du  même  âge  que 
lui,  de  la  môme  piété,  ayant  le  môme  désir  de  quitter  le  monde  et  de  se 
retirer  dans  la  solitude.  Cyprien  se  fit  le  disciple  de  Sour. 

A  cette  époque,  l'histoire  de  notre  pays  nous  présente  le  christianisme 
définitivement  établi  depuis  quelques  années  dans  les  Gaules  par  la  conver- 
sion de  Clovis  et  les  résultats  heureux  de  la  bataille  de  Vouglé  '.  Délivrés  des 
frayeurs  de  l'arianisme  qui  avait  été  transporté  au-delà  des  Pyrénées  avec 
la  domination  des  Goths,  «  les  peuples  se  reposaient  » ,  comme  dit  Isaïe,  «  dans 
la  beauté  de  la  paix  et  dans  des  tabernacles  de  confiance  ».  Bientôt  la  vie  re- 
ligieuse absorba  toutes  les  idées,  comme  aux  trois  premiers  siècles  de  l'E- 
glise. De  toutes  parts,  dans  les  creux  des  rochers,  dans  les  obscures  profon- 
deurs des  bois,  sur  la  cime  aride  des  montagnes,  on  voyait  s'établir  de  pieux 
ermites,  de  saints  anachorètes,  qui  se  formaient  des  disciples  et  préludaient 
ainsi  à  ces  fondations  religieuses  que  nous  présente  en  si  grand  nombre  le 
milieu  du  vi"  siècle.  L'impulsion  et  l'exemple  étaient  donnés  par  les  mem- 
bres des  familles  les  plus  marquantes  de  cette  époque,  par  des  hommes  qui, 
se  dépouillant  des  grandeurs  du  monde,  allaient  au  désert  vivre  d'une  vie 
de  pénitence  et  d'abnégation. 

Notre  Saint  était  parvenu  à  l'âge  que  les  anciens  appelaient  libre  et  qui 
conférait  à  peu  près  les  mômes  droits  que  la  majorité  de  nos  jours.  Il  voulut 
néanmoins  avoir  le  consentement  de  son  père  et  de  sa  mère,  ne  se  croyant 
pas,  quoique  l'âge  et  les  lois  de  son  pays  parlassent  en  sa  faveur,  autorisé  à 
secouer  le  joug  de  l'autorité  paternelle,  joug  suave  et  délicieux  que  l'homme 
bien  né  porte  toujours  avec  le  même  plaisir,  le  même  bonheur,  dans  l'âge 
mûr  comme  dans  l'âge  de  l'enfance,  tout  le  temps  qu'il  peut  dire  ces  deux 
mots  les  plus  doux  à  prononcer  après  ceux  de  Jésus  et  de  Marie  :  Mon  père  ! 
ma  mère  !  11  eut,  cependant,  quelque  difficulté  à  obtenir  le  consentement 
demandé,  son  père  et  sa  mère  ayant  voulu  éprouver  sa  vocation.  Ils  recon- 
nurent enfin,  dans  sa  persévérance,  la  volonté  de  Dieu  et  consentirent  à  son 
départ.  «  Allez  »,  lui  dirent-ils,  «  allez  au  désert  où  la  voix  de  Dieu  vous 
appelle.  Lorsque  vous  ne  serez  plus  là  auprès  de  nous,  sa  Providence  sera 
la  lumière  de  nos  yeux,  le  bâton  de  notre  vieillesse,  le  soulagement  de 
notre  vie  ». 

Sour  ne  tarda  pas  à  instruire  son  ami  Cyprien  du  consentement  de  son 
père  et  de  sa  mère,  et,  l'amour  divin  qui  les  pressait  ne  souffrant  pas  de  re- 
tard, les  deux  jeunes  prédestinés  abandonnèrent  tout  et  sortirent  de  l'Au- 
vergne, laissant  à  Dieu  le  soin  de  leur  trouver  un  asile  où  il  leur  fût  permis 
de  vivre  inconnus  et  ignorés  du  monde.  Dieu  les  conduisit  dans  la  province 
du  Périgord.  En  traversant  le  Limousin,  ils  firent  la  rencontre  d'Amand,  qui 
se  joignit  à  eux,  désireux  comme  eux  de  fuir  le  monde  pour  la  solitude.  Ils 
furent  bientôt  unis  d'une  étroite  amitié,  et  l'on  pouvait  dire,  en  les  voyant, 
ce  que  l'on  disait  des  premiers  chrétiens  :  «  Un  seul  cœur,  une  seule  âme  ». 

Peu  de  temps  après  leur  arrivée  en  Périgord,  ils  entrèrent  au  monastère 
de  Genouiliac  ^  où,  après  s'être  rasé  la  tête,  ils  prirent  l'habit  de  moine.  Ce 
monastère,  dont  on  ne  connaît  l'existence  que  par  le  séjour  qu'y  firent  nos  trois 
Saints,  était  alors  sous  la  direction  d'un  abbé,  du  nom  de  Salane  '  «  lequel  », 
comme  le  dit  un  écrivain  du  PérigordS«  conduisait  à  la  perfection  plusieurs 
saints  moines  qui,  de  toutes  parts,  se  rangeaient  à  sa  sainte  pédagogie  ».  La 
vertu  de  nos  jeunes  religieux  s'y  fit  bientôt  remarquer  et  ils  devinrent  l'objet 

1.  On  prononce  VoaiUé.  —  2.  Genouiliac,  Genoliaeum,  dans  le  diocèse  de  Cahors,  non  loin  des  limites 
du  diocèse  de  l'Crigueux.  —  3.  Quelques  auteurs  ont  écrit  Savalé  et  Canalis.  —  4.  Le  P.  Dupuy. 


SAi.vr  souB,  EKiniE.  189 

de  l'estime  et  de  la  vénération  de  tous.  On  les  voyait,  ardents  à  la  mortifica- 
tion, châtier  les  membres  de  leurs  corps  pour  les  dégager  des  affections  ter- 
restres, et  s'appliquer  à  embellir  leur  âme  des  charmes  de  la  vertu.  Ils  se  ren- 
daient agréables  à  tous  et  par  leurs  œuvres  qui  avaient  toujours  pour  principe 
et  pour  fin  la  charité,  et  par  leurs  discours  assaisonnés  de  cet  esprit  d'aimable 
franchise  et  de  douce  gaîté  qui  fait  le  charme  des  conversations.  On  était 
heureux  de  les  voir,  plus  heureux  de  les  entendre.  Ils  se  distinguaient  sur- 
tout par  une  grande  humilité.  Cette  belle  vertu,  base  et  couronnement  de 
toute  perfection,  ils  en  connaissaient  tout  le  prix,  et  leurs  paroles,  leurs  ac- 
tes, tout  leur  extérieur  la  reflétaient  si  bien,  qu'ils  paraissaient  en  être  ornés 
comme  d'un  vêtement  spirituel,  comme  sont  ornés,  la  douce  colombe  de 
son  blanc  plumage,  le  lis  de  sa  blancheur  éclatante,  la  prairie  de  sa  verdure 
et  de  l'émail  de  ses  mille  fleurs. 

Mais  Dieu  ne  destinait  pas  notre  Saint  à  passer  toute  sa  vie  dans  un  mo- 
nastère. 11  ne  l'avait  conduit  avec  ses  deux  disciples  à  Genouillac  que  pour 
réprouver  au  feu  de  la  charité  monastique  et  lui  faire  acquérir,  sous  la 
direction  du  saint  abbé  Salane,  la  science  si  difflcile  de  gouverner  les  autres. 
D'ailleurs,  ce  monastère  ne  lui  offrait  pas  la  solitude  qu'il  avait  désirée  en 
quittant  le  monde.  Aussi  le  voyons-nous,  après  un  séjour  de  trois  ans,  solli- 
citer de  l'abbé  Salane  l'autorisation  de  se  retirer  dans  le  désert,  pour  y  vivre, 
comme  avaient  vécu  dans  les  déserts  de  la  Thébaïde,  les  Paul,  les  Antoine, 
les  Hilarion  et  tant  d'autres  saints  ermites.  Mais  il  ne  partira  pas  seul.  L'a- 
mitié, qui  ne  se  refroidit  jamais  dans  le  cœur  des  Saints,  ne  lui  permet  pas 
d'oublier  Amand  et  Cj-prien  ;  il  leur  communique  son  projet.  La  solitude 
d'un  monastère  n'est  point  la  vie  qu'ils  ont  voulue  en  quittant  leurs  parents 
et  les  douceurs  du  foj^er  domestique.  Ils  ont  bien  mis  la  main  à  la  charrue, 
mais,  déjà,  Dieu  peut  leur  reprocher  d'avoir  regardé  derrière  eux.  C'est  au 
désert  qu'ils  doivent  aller,  et,  là  seulement,  ils  trouveront  une  solitude  assez 
intime,  assez  retirée.  Ces  considérations  que  le  Saint  développe  avec  toute 
la  vivacité  de  sa  foi  et  l'enthousiasme  de  son  amour,  suffisent  pour  réveiller 
dans  le  cœur  de  ses  deux  amis  le  désir  de  la  vie  solitaire. 

Leur  dessein,  en  quittant  Genouillac,  était  de  ne  point  se  séparer,  de 
vivre  ensemble,  se  prêtant  un  mutuel  secours  et  s' encourageant  par  des 
exemples  réciproques  dans  un  genre  de  vie  si  au-dessus  des  forces  humaines. 
Ils  se  retirèrent  d'abord  en  un  lieu  appelé  encore  aujourd'hui  Peyre-Levade, 
tirant  son  nom  d'un  autel  druidique  qu'on  y  aperçoit.  Ce  lieu  était  bien 
propre  au  but  qu'ils  se  proposaient  :  l'éloignement  du  monde  et  le  recueil- 
lement de  la  vie  intérieure.  Ils  se  trouvaient  sur  le  plateau  d'une  montagne 
assez  élevée  ;  ils  avaient  sous  leurs  yeux,  dans  cet  autel  dressé  par  leurs 
pères,  une  preuve  des  grossières  erreurs  de  l'humanité  lorsqu'elle  est  privée 
de  la  lumière  de  la  foi  ;  autour  d'eux  se  développait  un  vaste  horizon,  image, 
faible  sans  doute,  mais  image  de  l'immensité  de  Dieu  ;  et  leurs  regards,  le 
cœur  même  des  Saints  caresse  avec  plaisir  les  souvenirs  de  la  patrie,  leurs 
regards,  lorsqu'ils  étaient  fatigués  de  contempler  le  ciel,  pouvaient  se  repo- 
ser sur  les  blanches  montagnes  de  l'Auvergne  et  du  Limousin.  Ils  s'y  cons- 
truisirent trois  cellules,  comme  trois  tentes  sur  le  Thabor.  Ils  y  appelaient, 
par  leurs  ferventes  oraisons  et  le  chant  des  hymnes  sacrées,  Moïse  et  Elle, 
la  Loi  et  les  Prophètes,  et  Jésus  qui  leur  avait  dit  de  tout  quitter  pour  le 
suivre  se  trouvait  au  milieu  d'eux.  C'était  pour  ces  âmes  séraphiques  le 
commencement  du  souverain  bonheur. 

Mais  ce  lieu  ne  pouvait  être  tellement  retiré,  que  l'éclat  des  vertus  des 
trois  solitaires  ne  les  fît  découvrir.  D'ailleurs,  Dieu  ne  permet  pas  toujours 


190  1"  FÉTWER. 

que  la  sainteté  se  dérobe  sous  le  voile  de  l'humilité  ;  il  entre  souvent  dans 
ses  desseins  qu'elle  soit  manifestée  aux  yeux  du  monde  pour  l'instruction  et 
l'exemple  de  tous.  Aussi,  les  habitants  des  contrées  voisines  vinrenl-ils  bientôt 
en  foule  à  Peyre-Levade,  atlirés,  les  uns  par  la  simple  curiosité,  les  autres, 
par  le  désir  de  s'instruire  ou  d'ôlre  témoins  des  miracles  qui  s'y  opéraient. 
Ceux-ci  imploraient  le  secours  des  prières  des  trois  ermites,  ceux-là  deman- 
daient la  guérison  de  quelque  maladie  ;  on  en  voyait  môme  qui  se  propo- 
saient de  les  imiter  et  déjà  se  déclaraient  leurs  disciples. 

Saint  Sour  gémiss;iit  en  secret  de  toutes  ces  obsessions  de  la  foule  qui  le 
détournaient  des  prédilections  nourries  dans  son  cœur  depuis  son  enfance. 
Il  savait  que  rarement  au  milieu  du  tumulte  des  hommes  on  peut  composer 
une  assemblée  d'anges,  et  il  songeail  à  fuir  encore  loin  de  ces  lieux.  Un  soir 
il  s'en  ouvrit  à  ses  deux  amis  et  leur  démontra  la  nécessité,  pour  le  bien  de 
chacun,  d'une  prompte  séparation.  Pourquoi,  en  effet,  ont-ils  quitté  le 
monde,  s'il  faut  qu'ils  vivent  au  milieu  du  monde  et  ne  soient  occupés  que 
des  choses  du  monde  ?  Dès  le  jour  suivant,  ils  quittent  Peyre-Levade  et  s'en 
vont,  dans  la  direction  du  soleil  couchant,  où  les  conduira  la  volonté  de 
Dieu.  Après  une  marche  de  plusieurs  heures  ils  s'arrêtent  et,  soit  lassitude, 
soit  que  Dieu,  pour  favoriser  notre  Saint,  le  voulût  ainsi,  Amand  et  Cyprien 
s'abandonnent  à  un  profond  sommeil.  Saint  Sour  en  profite,  et,  se  levant,  il 
s'en  va  de  droite  et  de  gauche,  explorant  le  pays,  pour  s'assurer  s'il  n'y 
trouvera  pas  un  lieu  où  il  puisse  fixer  sa  demeure.  L'Esprit  de  Dieu  le  con- 
duisait. Bientôt  se  présente  à  sa  vue  un  site  tellement  agreste  et  retiré,  qu'il 
ne  paraît  pas  qu'aucun  mortel  y  ait  jamais  porté  ses  pas.  Le  Saint  s'y  dirige 
et  le  trouve  des  plus  convenables,  par  sa  position,  au  but  de  la  vie  solitaire. 
Placé  au  flanc  d'une  colline,  ce  site  était  dominé  et  protégé  par  une  roche 
majestueuse  d'élévation,  auprès  de  laquelle  sortait  une  source  d'eau  vive 
qui,  s'écoulant  par  petits  ruisseaux,  y  entretenait  une  douce  fraîcheur.  Au 
bas  de  la  colline  se  développait  une  vaste  plaine,  parcourue  d'intervalle  en 
intervalle  par  une  rivière  (la  Vézère)  mal  renfermée  dans  son  lit.  A  la  vue  de 
ces  lieux,  le  Saint  tombe  à  genoux,  porte  ses  regards  vers  le  ciel  et  rend 
grâces  à  Dieu.  Il  se  hâte  ensuite  de  revenir  vers  ses  frères  qu'il  trouve  en- 
core endormis,  et  qui,  ne  s'étant  pas  aperçus  de  son  départ,  ne  s'aperçoivent 
pas  de  son  retour.  Ils  se  réveillent  enfin,  et  s'exhortent  mutuellement  à 
l'exécution  de  leur  projet.  Ils  s'entretiennent  des  douceurs  de  la  patrie  cé- 
leste où  ils  se  retrouveront  un  jour,  et  rappellent  tout  ce  qui  peut  fortifier 
leur  foi  et  leur  désir  du  souverain  bonheur.  Puis  ayant  pris  ensemble  l'eu- 
logie  sacrée,  symbole  de  la  charité  qui  devra  les  unir,  quoique  séparés,  ils 
quittent  ces  lieux.  Saint  Sour  se  dirige  vers  la  grotte  qu'il  a  choisie.  Saint 
Amand  découvre  non  loin  de  là  une  solitude  qui  lui  convient  et  qui  a  tiré  du 
séjour  qu'il  y  fit  le  nom  qu'elle  porte  encore  aujourd'hui,  Saint-Amav.d-de- 
Coly.  11  y  fut  le  fondateur  d'un  monastère  qui  devint  plus  tard  une  célèbre 
abbaye  de  chanoines  réguliers  de  Saint-Augustin.  Saint  Cyprien  alla  plus 
loin,  il  se  fixa  sur  la  rive  droite  de  la  Dordogne,  dans  un  lieu  qui,  depuis,  a 
porté  son  nom;  il  y  bâtit  aussi  un  monastère  qui  devint  un  prieuré,  possédé 
par  les  mêmes  chanoines  réguliers  de  Sainl-Auguslin. 

Etant  parvenu  à  la  retraite  désirée,  saint  Sour  se  prosterne,  baise  avec 
respect  celle  terre  où  doit  être  désormais  sa  demeure,  et  s'écrie  dans  le 
transport  de  sa  joie  :  «  C'est  ici  pour  toujours  le  lieu  de  mon  repos;  j'y  habi- 
terai parce  que  je  l'ai  choisi  ». 

Nous  pouvons  fixer-  l'arrivée  de  saint  Sour  sous  les  rochers  de  Terras- 
son  dans  la  période  de  523  à  330,  sous  l'épiscopat  de  Ghronope  II,  évêque 


k 


SAIXT   SOUR,    ERÏITE.  191 

de  Périgueux.  Sa  demeure  fut  d'abord  au  pied  du  rocher.  C'était  bien  une 
grotte,  comme  s'exprime  la  légende,  mais  peu  profonde.  Le  solitaire,  afin  de 
se  mettre  à  l'abri  du  mauvais  temps  et  des  attaques  des  bêles  sauvages,  nom- 
l.reuses  dans  ces  forêts,  dut  en  fermer  la  façade  avec  des  branches  d'arbres, 
unies  ensemble  par  des  tiges  d'osier.  On  reconnaît  encore  ce  premier  asile 
du  Saint  ;  la  piété  lui  a  conservé  le  nom  de  Grotte  de  saint  Sour.  11  est 
peu  vaste,  mais  bien  aéré,  il  serait  facile  d'y  établir  encore  un  logement 
assez  commode.  Cest  là  qu'il  vécut  pendanl  quelques  années  dune  vie 
tout  employée  à  la  prière,  à  la  mortification  des  membres  de  son  corps,  par 
les  jeûnes,  les  veilles,  les  exercices  de  la  plus  austère  pénitence.  Un  peu  de 
pain  et  quelques  herbes  grossières  formaient  toute  sa  nomriture,  et  l'eau 
du  rocher  était  son  unique  breuvage  ;  et  encore  n'usait-il  de  ces  aliments 
qu'une  fois  le  jour  et  en  très-petite  quantité  :  car  il  n'avait  pour  vivre  que 
le  fruit  de  son  travail,  et  il  ne  travaillait  que  pour  se  procurer  l'absolu  néces- 
saire, toutes  ses  heures  étant,  d'ailleurs,  employées  à  la  prière  et  à  la  con- 
templation. 

Mais  il  ne  put  se  cacher  longtemps  de  la  sorte  ;  sa  vertu  le  trahit  ici 
comme  elle  l'avait  trahi  à  Peyre-Levade.  La  bonne  odeur  s'en  répandit 
bientôt,  et  les  peuples  des  contrées  voisines  accoururent  auprès  de  sa  grotte. 
Il  crut  devoir  se  soustraire  à  leurs  importunités  en  se  condamnant  à  la  vie 
de  reclus.  Il  s'enfonça  dans  le  creux  du  rocher  ou  dans  une  grotte  pratiquée 
au-dessous  de  celle  qu'il  occupait  déjà,  et  dont  la  voûte  était  si  peu  élevée 
qu'il  ne  pouvait  s'y  tenir  debout.  II  s'y  était  fait  un  siège  de  morceaux  de 
bois  mal  unis,  sur  le  dossier  duquel,  à  la  hauteur  de  la  tête,  il  avait  planté 
comme  une  couronne  de  grands  clous,  dont  les  pointes  devaient  le  réveiller, 
s'il  lui  arrivait  de  se  laisser  gagner  par  le  sommeil,  dans  le  temps  de  ses 
longues  méditations.  Il  avait  ménagé  à  l'entrée  de  cette  seconde  cellule  une 
petite  porte  qui  ne  devait  s'ouvrir  que  la  nuit,  lorsqu'il  sortait  pour  vaquer 
encore  à  la  prière,  admirer  «  la  gloire  de  Dieu  que  les  cieux  nous  racon- 
tent 1) ,  et  contempler  «  la  magnificence  des  œuvres  de  ses  mains  que  publie 
le  firmament  ».  Auprès  de  cette  porte,  il  avait  pratiqué  une  petite  ouverture 
en  forme  de  fenêtre  qui  ne  lui  apportait  qu'obliquement  le  jour  nécessaire, 
et  par  laquelle  il  recevait  la  nourriture  de  chaque  jour. 

Ce  genre  de  vie  était  assez  commun  en  France,  auvi'  siècle,  et,  nous  dH 
le  P.  Dupuy,  fort  pratiquée  dans  la  province  du  Périgord.  Lorsque  l'Esprit- 
Saint  nous  parle  de  l'épouse  des  Cantiques,  il  nous  la  représente  amoureuse 
colombe,  cachée  dans  le  creux  du  rocher.  En  effet,  l'amour  se  plaît  dans  la 
solitude  ;  là  ses  ardeurs  sont  plus  vives,  et  rien  ne  peut  le  distraire  de  l'objet 
aimé.  Si  Dieu  veut  se  communiquer  à  une  âme,  lui  parler  et  l'entendre,  il 
la  prend  et  la  conduit  en  un  lieu  retiré,  et  celui-là  seul  qui  l'a  éprouvé, 
comprend  ce  qui  se  passe  entre  Dieu  et  cette  âme,  mais  aucune  bouche  ne 
saurait  l'exprimer.  Aussi  n'essaierons-nous  pas  de  dire  les  grâces  intérieures 
qui  inondèrent  l'âme  de  notre  Saint,  les  lumières  qu'il  reçut  pendant  les 
quelques  années  de  cette  retraite  absolue. 

Parmi  les  personnes  les  plus  assidues  à  le  visiter,  saint  Sour  avait  distin- 
gué deux  jeunes  gens  qu'il  avait  attachés  à  sa  personne  en  qualité  de  ser- 
viteurs ou  plutôt  de  disciples.  Ils  s'appelaient  l'un  Bonite,  et  l'autre  Principi; 
ils  aimaient  leur  bon  maître  et  ils  en  étaient  aimés  ;  ils  lui  furent  utiles 
lorsqu'il  se  fut  condamné  à  la  vie  de  reclus.  Etablis  dans  de  petites  grottes 
auprès  de  sa  cellule,  ils  lui  procuraient  par  les  aumônes  qu'ils  allaient 
recueillir  tout  ce  qui  était  nécessaire  à  la  nourriture  et  au  vêtement,  et  se 
nourrissaient  eux-mêmes  du  superflu  de  ces  aumônes.  Un  jour,  ne  trouvant 


192  1"   FÉVRrEB. 

pas  celte  nourriture  suffisante,  ils  se  prirent  à  murmurer;  et  le  Saint,  du 
fond  de  sa  cellule,  entendant  leurs  plaintes,  leur  dit  :  «  Mes  petits  enfants, 
ne  vous  plaignez  pas,  ne  murmurez  pas;  la  main  de  Dieu  est  toute-puissante. 
Celui  qui,  dans  le  désert  de  la  Judée,  nourrit  cinq  mille  personnes  avec  cinq 
pains  et  quelques  petits  poissons,  peut  bien,  dans  le  nouveau  désert  où  nous 
sommes,  donner  la  nourriture  nécessaire  à  deux  de  ses  serviteurs  ».  Et  les 
ayant  ainsi  encouragés,  il  se  mit  à  prier.  Sa  prière  ne  fut  pas  longue  ;  il 
l'avait  à  peine  commencée  qu'un  magnifique  cerf,  sortant  de  son  fort,  s'élance 
et  se  précipite  du  haut  de  la  monta,gne,  et  vient  tomber,  la  tête  fracassée, 
sans  mouvement  et  sans  vie,  devant  la  cellule  du  Saint.  Ce  que  voyant,  l'un 
des  serviteurs  accourt  en  toute  hâte  annoncer  à  son  maître  ce  qui  vient 
d'arriver,  et  lui  dit  :  «  Maître,  que  faut-il  faire  du  présent  que  Dieu  nous 
envoie?  »  Sur  les  ordres  du  Saint,  le  cerf  fut  dépouillé  de  sa  peau,  et  la 
chair  en  fut  distribuée  aux  pauvres  ;  les  deux  serviteurs  ne  purent  garder 
que  ce  qui  était  nécessaire  pour  la  nourriture  du  jour.  Saint  Sour  se  fit  de 
la  peau  un  vêlement  qu'il  porta  toute  sa  vie,  comme  témoignage  de  sa 
reconnaissance  envers  l'auteur  de  ce  bienfait,  et  dont  la  vue  réveillait  la  foi 
et  la  confiance  dans  le  cœur  de  ses  disciples. 

Pendant  sa  vie  de  reclus,  le  Saint  donna  un  grand  exemple  d'abnégation 
que  nous  devons  rapporter  ici.  Sa  mère  vint  le  visiter,  et  arrivée  à  la  porte 
de  sa  cellule,  elle  demanda  à  lui  parler,  à  le  voir.  Cette  nouvelle  déchira  le 
cœur  de  l'austère  reclus,  mais  il  comprit  à  l'instant  que  Dieu  demandait  de 
lui  un  exemple  du  renoncement  le  plus  parfait  et  de  l'abnégation  la  plus 
absolue,  et,  quelques  instances  que  fît  sa  mère,  il  refusa  de  la  voir  ;  ni  ses 
larmes  ni  ses  plaintes  ne  purent  le  fléchir.  Le  cœur  d'une  mère  pourra  seul 
comprendre  ce  que  dut  souffrir  le  cœur  de  celle-ci.  — «  Eh  quoi  !  mon  fils  », 
lui  dit-elle,  «  rien  ne  peut  vous  toucher  ?  Vous  ne  voulez  pas  accorder  celle 
satisfaction  à  ma  vieillesse  ?»  —  Et  elle  garde  le  silence,  comme  si  elle 
attendait  la  réponse.  Mais,  tandis  que  le  fils,  recueilli  au  fond  de  sa  cellule, 
disait  à  Dieu  :  «  Vous  êtes  mon  père,  vous  êtes  ma  mère  »,  l'âme  de  la 
mère,  fortement  trempée  au  feu  de  la  foi,  s'était  élevée  vers  le  ciel  pour  y 
puiser  une  grande  lumière  et  la  force  d'un  grand  sacrifice.  «  Eh  bien  !  mon 
fils  M ,  s'écrie-t-elle,  —  beau  triomphe  de  la  foi  sur  l'amour  maternel  !  —  «  Eh 
bien  !  mon  fils,  puisque  je  ne  puis  vous  voir  sur  la  terre,  vous  ne  m'empê- 
cherez pas  de  vous  voir  dans  le  ciel  ;  j'y  serai  avec  vous  pour  la  récompense 
éternelle  ».  Et,  ayant  prononcé  ces  paroles,  elle  se  retira.  Et  l'ange  de  Dieu 
eut  à  écrire  ce  jour-là  dans  le  livre  de  vie,  un  sacrifice  sublime  à  côté  du 
nom  de  la  mère  et  à  côté  du  nom  du  fils. 

Dieu,  cependant,  demandait  de  notre  Saint  autre  chose  que  les  austérités 
de  la  vie  de  solitaire  et  de  reclus.  Il  lui  manifesta  sa  volonté  par  l'inutilité 
des  efforts  qu'il  faisait  pour  se  soustraire  aux  obsessions  de  la  foule  ;  car 
plus  il  se  cachait,  plus  elle  accourait  nombreuse,  comme  elle  l'avait  fait  à 
Genouillac  et  à  Peyre-Levade,  désireuse  de  le  voir  et  de  l'entendre.  Et  il  médi- 
tait au  fond  de  sa  cellule,  et  il  crut  entendre  la  voix  de  Dieu  lui  ordonnant, 
comme  autrefois  à  saint  Pierre,  de  descendre  du  Thabor  ;  et,  après  quatorze 
années  d'une  austère  réclusion,  il  se  décida  enfin  à  sortir  de  sa  retraite  et 
à  se  montrer  au  peuple  pour  lui  rompre  le  pain  de  la  parole  qu'il  réclamait 
avec  tant  d'avidité. 

De  ce  moment, le'concours  de  ceux  qui  venaient  pour  le  voir  et  l'entendre 
ne  trouvant  plus  d'obstacles,  fut  de  plus  en  plus  nombreux.  De  son  côté,  le 
pieux  solitaire  ne  négligeait  rien  de  ce  qui  pouvait  assurer  le  bien  spirituel 
de  ceux  qui  venaient  le  visiter.  Il  voulut  qu'ils  pussent  participer,  en  ce 


SAINT  SOUR,   ERMITE.  193 

lieu,  aux  mystères  sacrés  en  même  temps  qu'ils  y  venaient  pour  s'instruire. 
Dans  ce  but  il  dressa  un  autel  auprès  de  sa  cellule  et  s'adjoignit  un  prêtre 
pour  y  célébrer  le  saint  sacrifice  et  distribuer  au  peuple  la  nourriture  eucha- 
ristique, que  lui-même,  n'étant  pas  prêtre,  ne  pouvait  lui  donner.  Ne  pouvant 
remplir  que  le  ministère  de  la  parole,  il  s'en  acquittait  avec  tout  le  zèle  d'un 
apôtre,  et  lorsqu'il  avait  cessé  de  parler  à  la  foule,  satisfait  à  toutes  ses 
demandes,  il  rentrait  dans  sa  cellule,  s'y  tenait  renfermé  par  respect  et 
humilité  tout  le  temps  du  sacrifice,  et  recevait  par  la  petite  fenêtre  dont 
nous  avons  parlé,  sa  part  de  l'oblation  sainte. 

Le  saint  solitaire  commença  dès  lors  à  briller  par  des  signes  éclatants  ; 
il  rendait  la  vue  aux  aveugles,  l'ouïe  aux  sourds,  la  parole  aux  muets,  et 
guérissait  toutes  sortes  de  maladies.  Ces  miracles  portèrent  au  loin  sa  répu- 
tation. On  accourait  à  sa  cellule,  non  plus  seulement  du  voisinage,  mais  des 
pays  lointains.  Il  eut  bientôt  de  nombreux  disciples  qui,  à  son  exemple, 
renonçant  au  monde,  embrassèrent  son  genre  de  vie  et  se  firent  d'autres 
cellules  à  côté  de  la  sienne  et  le  long  du  rocher.  Il  les  organisa  en  commu- 
nauté et  leur  donna  pour  règle  celle  sans  doute  qu'il  avait  pratiquée  lui- 
même  au  monastère  de  Genouillac. 

A  cette  époque  vivait  Contran,  roi  de  Bourgogne,  roi  très-puissant  et 
très-saint,  livré  tout  entier  à  la  pratique  des  bonnes  oeuvres.  Et  Dieu,  pour  le 
purifier  de  ses  fautes  et  augmenter  sa  sainteté,  le  frappa  d'une  maladie 
hideuse,  la  lèpre,  qui  lui  couvrait  tout  le  corps.  Et  ce  roi,  ainsi  affligé,  priait 
et  demandait  à  Dieu  sa  guérison.  Et  un  ange  lui  apparut  et  lui  dit  :  «  Levez- 
vous  et  allez  en  toute  hâte  trouver  le  bienheureux  Sour,  au  pays  d'Aquitaine, 
dans  la  province  du  Périgord,  homme  puissant  en  œuvres  et  en  paroles; 
Dieu  lui  a  confié  le  soin  de  vous  guérir.  Vous  ne  pouvez  conserver  aucun 
espoir  de  recouvrer  la  santé,  si  vous  ne  partez  proraptement  pour  vous 
rendre  auprès  de  ce  serviteur  de  Dieu  ».  Et  le  roi  se  leva  et  partit,  et,  après 
un  long  voyage  et  de  grandes  fatigues,  il  arriva  auprès  de  la  cellule  du 
Saint  et  se  prosterna.  Et  il  disait,  à  l'exemple  d'un  autre  roi  des  anciens 
jours  :  «  Mon  âme  est  comme  attachée  à  la  terre  ;  conservez-moi  la  vie, 
Seigneur,  selon  votre  parole  ».  Et  le  Saint  sortit  de  sa  cellule  et,  voyant  le 
roi  prosterné,  lui  ordonna  de  se  relever,  lui  demandant  la  cause  d'un  si  long 
voyage  et  qui  lui  avait  indiqué  le  lieu  de  sa  retraite.  Et  le  roi  lui  répondit  : 
«  L'ange  du  Seigneur  m'a  parlé  ;  ce  n'est  pas  sans  y  avoir  bien  réfléchi  que 
j'ai  entrepris  et  fait  ce  voyage.  Vous  voyez  devant  vous  un  homme  affligé 
d'une  cruelle  maladie  ;  il  n'est  pas  nécessaire  de  lui  demander  ce  qu'il  veut  ». 
Et  le  Saint  se  fit  apporter  de  l'eau  et  la  bénit,  et,  nouvel  Elisée,  en  présence 
d'un  autre  Naaman,  il  ordonna  au  roi  de  s'en  laver.  Et  le  roi  obéit,  et,  à 
mesure  qu'il  se  lavait,  sa  lèpre  disparaissait.  Il  n'en  resta  plus  aucune  trace, 
2i  dans  tout  son  corps,  sa  chair  présenta  la  fraîcheur  et  la  grâce  de  la  chair 
d'un  petit  enfant.  Il  commença  donc  avec  toutes  les  personnes  de  sa  suite, 
et  ne  s'en  lassait  point,  à  célébrer  les  louanges  du  Seigneur  et  de  saint 
Sour,  le  fidèle  serviteur  de  Dieu. 

Bientôt  après,  l'homme  de  Dieu  fait  appeler  l'économe  de  sa  petite 
société  et  lui  ordonne  de  préparer  un  festin  royal  digne  de  l'hôte  que  le  ciel 
leur  a  envoyé.  Et  l'économe  fait  observer  qu'il  n'a  point  de  vin  ni  la  possi- 
bilité de  trouver  dans  les  vignes  un  seul  raisin  assez  mûr  pour  en  exprimer 
le  jus.  Et  le  Saint,  toujours  et  tout  entier  absorbé  dans  le  Seigneur  :  «  Eh 
quoi  !  »  s'écrie-t-il,  «  la  main  de  Dieu  est-elle  devenue  impuissante  ?  »  Et  il 
dit  à  l'économe  :  «Allez  vite,  et  dans  la  petite  vigne  que  vous  connaissez, 
vous  trouverez  trois  grains  mûrs  et  pleins  de  jus,  et  vous  me  les  apporterez  ». 
Vies  des  Saints.  —  Tome  11.  13 


194  1"  FÉVRIER. 

Et  l'économe  obéit  et  il  revient,  apportant  les  trois  grains  vermeils  et  bien 
mûrs.  Et  alors,  l'âme  toute  remplie  de  l'esprit  de  Dieu  :  «  Allez  »,  ajoute  le 
Saint,  «  préparez  toutes  vos  autres  provisions,  et  apportez-moi  promptement 
trois  tonnes  ».  Et  l'économe,  habitué  à  voir  le  Saint  opérer  des  miracles,  se 
hâte  de  faire  ce  qui  lui  est  commandé  et  revient  bientôt  annoncer  que  tout 
est  prêt.  Et  saint  Sour  lui  dit  :  «  Prenez  ces  trois  grains  que  la  bonté  de 
Dieu  nous  a  donnés,  et  exprimez-en  le  jus  dans  les  trois  tonnes  que  vous 
avez  préparées  ;  très-certainement  le  Seigneur  qui,  aux  noces  de  Cana, 
changea  l'eau  en  vin,  nous  sera  favorable  ».  Ces  nouveaux  ordres  sontencoro 
exécutés,  et  les  trois  tonnes  se  trouvent  pleines  d'un  vin  exquis. 

Ce  n'est  aussitôt  que  transports  de  joie.  Frappés  successivement  de  tant 
de  prodiges,  le  roi  et  les  gens  de  sa  suite  exaltent  à  l'envi  la  faveur  de  saint 
Sour  et  les  louanges  de  Dieu.  Puis  chacun  se  dispose  à  prendre  part  à  ce 
festin  que  la  charité  monastique  est  heureuse  d'offrir  à  la  majesté  royale. 

Après  sa  guérison,  Contran  resta  quelques  jours  avec  le  saint  cénobite, 
priant  et  conférant  avec  lui,  et  recevant  ses  conseils  avec  un  grand  esprit  de 
foi  et  d'humilité.  Il  voulut,  avant  son  départ,  lui  laisser  un  magnifique 
témoignage  de  sa  reconnaissance,  et  il  le  pria  de  faire  bâtir,  non  loin  du  lieu 
qu'il  habitait,  un  monastère  pour  ses  religieux  et  un  Xenodochium  ou  hospice 
dans  lequel  il  pourrait  recevoir  les  pauvres  et  les  voyageurs.  Les  rois, 
lorsqu'ils  reconnaissent  un  bienfait,  ne  peuvent  le  faire  qu'en  rois  :  avec 
grandeur  et  magnificence.  L'asile  des  moines  et  celui  des  pauvres  seront 
bâtis  aux  frais  de  Contran,  et  ce  prince  leur  créera  des  revenus  immenses  et 
les  pourvoira  de  tout  ce  qui  est  nécessaire  au  bien-être  et  à  l'accroissement 
des  disciples  de  son  libérateur. 

Le  Xenodochium  fut  bâti  avant  le  monastère,  mais  avec  des  proportions 
telles  qu'il  put  être  en  même  temps  l'asile  des  pauvres  et  des  voyageurs  et 
la  demeure  provisoire  de  saint  Sour  et  de  ses  disciples.  Le  monastère  ne  fut 
bâti  que  plus  tard  sur  le  plateau  où  fut  l'abbaye  dite  de  Saint-Sour.  Dès  que 
le  Saint  eut  quitté  le  rocher  pour  habiter  avec  ses  disciples  le  Xenodochium, 
quelques  habitations  se  groupèrent  autour  de  sa  nouvelle  demeure,  donnant 
naissance  à  une  petite  bourgade  qui  prit  le  nom  du  lieu  même  où  elle  se 
fondait,  Terashôn,  de  deux  mots  gaulois  Terash,  chemin,  et  on,  fontaine, 
aujourd'hui  Terrasson.  La  petite  bourgade,  prenant  bientôt  un  notable  déve- 
loppement, le  Saint  dut  pourvoir  à  ses  besoins  spirituels,  et  il  jeta  les  fon- 
dements d'une  église  qu'il  dédia  à  saint  Julien,  le  célèbre  martyr  de  Brioude , 
en  Auvergne,  et  dans  laquelle  il  voulut  avoir  un  oratoire  dédié  à  la  Mère 
de  Dieu,  sous  le  vocable  de  Notre-Dame  de  Consolation. 

En  organisant  en  communauté  ses  disciples,  saint  Sour  eut  soin  de  poser 
pour  base  le  travail  des  mains,  Ddèle  à  cette  maxime  des  Pères  de  l'Egypte  : 
«  Un  moine  qui  travaille  n'a  qu'un  démon  qui  le  tente,  mais  celui  qui 
demeure  oisif  en  a  une  inûnité  ».  Toutefois,  comme  on  pourrait  le  croire, 
ce  travail  ne  consistait  pas  seulement  à  tresser  des  nattes  et  des  corbeilles, 
à  l'exemple  de  la  plupart  des  moines  et  des  solitaires  de  l'Orient.  Nous 
devons  aux  labeurs  des  disciples  de  saint  Sour  et  à  l'heureuse  impulsion 
qu'ils  donnèrent,  le  défrichement  de  nos  fertiles  coteaux  qui  n'étaient 
qu'une  épaisse  et  vaste  forêt,  et  l'assainissement  de  notre  plaine  qui  n'était 
qu'un  marais  insalubre.  Nous  pouvons  dire  que  nous  «  moissonnons  aujour- 
d'hui ce  que  les  moines  ont  semé,  que  nous  sommes  entrés  dans  leurs  tra- 
vaux et  que  nous  en  recueillons  les  fruits  ».  Soyons  reconnaissants. 

S'il  avait  fallu  à  notre  Saint  des  encouragements  pour  conduire  ses  dis- 
ciples dans  les  voies  de  là  perfection,  il  en  eût  trouvé  de  puissants  dans  ses 


SAINT  SOm,   EBMITE.  195 

rapports  avec  saint  Yrier,  qui  avait  fondé  dans  ses  propriétés  et  gouvernait 
avec  une  grande  sagesse  l'abbaye  d'Athane,  au  diocèse  de  Limoges.  Les  deux 
saints  ne  purent  rester  longtemps  inconnus  l'un  à  l'autre.  «  Apprenant», 
dit  la  légende,  «  que  saint  Sour  s'était  bâti  un  monastère  et  y  vivait  avec  ses 
disciples  dans  la  plus  fidèle  observance  des  saintes  règles,  saint  Yrier  lui 
écrivit  des  lettres  de  consolation  et  d'encouragement,  l'avertissant  de  s'atta- 
cher beaucoup  aux  choses  de  Dieu  et  de  se  délier  des  pièges  du  démon  ».  Il 
accompagnait  toujours  sa  lettre  de  quelques  présents,  que  saint  Sour  rece- 
vait avec  reconnaissance,  et  dont  il  rendait  à  Dieu  de  vives  actions  de  grâces. 
C'était  une  fois,  pour  son  monastère,  une  porte  embellie  de  riches  orne- 
ments de  corne;  c'était,  une  autre  fois,  le  livre  de  nos  saintes  Ecritures,  écrit 
de  sa  propre  main  ;  une  autre  fois  encore,  il  lui  envoyait  déjeunes  colombes 
et  autres  oiseaux  domestiques  pour  récréer  sa  vieillesse  :  car  les  Saints,  pour 
si  austères  qu'ils  soient,  ne  se  refusent  pas  une  innocente  récréation. 

Saint  Sour  avait  su  apprécier  saint  Yrier  ;  il  lui  reconnaissait  une  haute 
sagesse  et  une  grande  intelligence,  et,  voulant  s'assurer  que  ses  disciples, 
après  sa  mort,  persévéreraient  dans  la  fidélité  aux  saintes  règles,  il  le  pria 
de  prendre,  lorsqu'il  ne  serait  plus,  la  direction  de  son  monastère  et  de  le 
soumettre  à  l'abbaye  de  Saint-Michel,  dans  la  ville  de  Limoges.  De  là,  saint 
Yrier  est  placé  immédiatement  après  saint  Sour  dans  le  catalogue  des  abbés 
de  Terrasson. 

Cependant  bien  des  années  s'étaient  écoulées  depuis  que  saint  Sour, 
d'ermite,  vivant  dans  le  fond  d'une  grotte,  était  devenu  abbé  d'un  monas- 
tère et  chef  d'une  nombreuse  société.  Il  était  plein  de  jours  et  de  vertus,  et 
la  fin  inévitable  à  tout  être  créé  commençait  à  se  faire  sentir  à  son  corps 
affaibli  par  les  pénitences  et  les  macérations,  et  avertissait  son  âme,  aimée 
de  Dieu,  qu'enfin  le  moment  était  venu  de  rompre  les  liens  de  la  prison  ter- 
restre pour  aller  jouir  des  joies  du  ciel.  Dieu  voulut  favoriser  son  serviteur 
comme  beaucoup  d'autres  saints,  il  lui  fit  connaître  par  une  révélation  par- 
ticulière le  jour  et  l'heure  de  sa  mort.  Une  telle  révélation  ne  pouvait  que 
lui  être  agréable  ;  depuis  si  longtemps  il  soupirait  après  la  dissolution  de  son 
corps  pour  être  réuni  à  Jésus-Christ  !  Il  rassembla  donc  ses  disciples  et  leur 
apprit  sa  fin  prochaine,  leur  en  parlant  en  des  termes  qui  ne  laissaient  aucun 
doute  sur  la  joie  dont  son  âme  était  remplie.  Il  ne  tarda  pas  à  être  saisi 
d'une  violente  fièvre  dont  les  progrès  firent  bientôt  présager  une  fin  pro- 
chaine. Mais,  plus  le  corps  s'affaiblissait  sous  le  feu  qui  le  dévorait,  plus 
l'âme  acquérait  de  vigueur  et  s'unissait  intimement  à  Dieu,  objet  de  son 
amour.  Aussi  le  pieux  agonisant  ne  tarda-t-il  pas  à  demander  qu'on  lui 
apportât  le  viatique  du  voyageur  vers  l'éternité,  et  qu'on  oignît  son  corps 
de  l'huile  sainte  pour  le  grand  combat  que  l'athlète  chrétien  allait  soutenir. 
Puis,  empruntant  le  langage  des  Livres  Saints  avec  lesquels  il  était  si  fami- 
liarisé :  (1  Hélas!  »  s'écriait-il,  «  que  mon  exil  a  été  long!  Que  vos  tabernacles 
sont  aimables.  Seigneur!  Quand  pourrai-je  m'y  reposer?»  Et,  voyant  ses 
frères  dans  la  douleur  et  la  consternation,  il  les  consola  par  quelques  douces 
paroles,  puis  il  leur  fit  ses  derniers  adieux  dans  une  dernière  bénédiction  qui 
témoignait  et  de  sa  tendre  charité  pour  eux  et  de  sa  grande  confiance  en 
Dieu.  11  avait  cessé  de  parler,  et  voilà  qu'une  éclatante  lumière,  partie  du 
côté  de  l'Orient,  vient  remplir  la  cellule  du  moine  moribond,  voltige  autour 
de  sa  tète  et  laisse  dans  tous  les  cœurs  comme  une  exhalaison  de  l'odeur  la 
plus  suave.  —  L'âme  du  Saint  était  au  ciel.  Dieu  voulut  prouver  par  une 
fin  favorisée  d'un  tel  prodige,  combien  la  vie  de  ce  fidèle  serviteur  lui  avait 
été  agréable,  combien  sa  mort  était  précieuse  à  ses  yeux. 


196  1"  FÉVRIER. 

Nous  avons  retrouvé  auprès  du  lil  de  mort  de  notre  Saint,  ses  deux  amis, 
saint  Amand  et  saint  Cyprien.  Il  est  à  présumer  qu'après  avoir  connu  par 
une  révélation  spéciale  le  jour  et  l'heure  de  sa  mort,  il  leur  en  avait  fait 
part  et  les  avait  invités  à  venir  le  voir,  voulant  s'encourager  de  leur  présence 
dans  un  momenl  si  solennel  Et  saint  Amand  et  saint  Cyprien  s'étaient  em- 
pressés d'accourir,  et  ils  étaient  là  contr>mplant  avec  admiration  leur  véné- 
rable ami,  édiliés  de  sa  patience,  de  sa  douceur,  de  son  humilité.  Et,  lors- 
qu'il fallut  procéder  à  ses  funérailles  qui  attirèrent  un  grand  concours  de 
peuple,  ils  ne  voulurent  pomt  laisser  à  d'autres  le  soin  de  lui  rendre  le  der- 
nier devoir.  Ils  ensevelirent  eux-mêmes  son  corps,  qu'ils  ne  regardaient  et 
ne  touchaient  qu'avec  une  sainte  vénération,  et  qui  fut  inhumé,  en  présence 
de  tous  les  religieux  et  du  peuple,  dans  l'église  qu'il  avait  lui-môme  bâtie  et 
dédiée  à  saint  Julien. 

Nous  pouvons  fixer  la  date  de  la  mort  de  saint  Sour  en  l'année  580,  au 
premier  jour  du  mois  de  février;  c'est  le  jour  auquel  les  diocèses  de  Péri- 
gueux,  de  Limoges  et  de  Sarlat  ont  toujours  célébré  sa  fête.  11  était  âgé  de 
quatre-vingts  ans ,  étant  né  dans  la  première  année  de  ce  w"  siècle ,  ayant 
vécu  environ  soixante  ans  depuis  sa  sortie  de  l'Auvergne  et  son  entrée  au 
monastère  de  Genouillac,  et  cinquante,  à  peu  près,  depuis  le  commence- 
ment de  sa  vie  érémitique. 

CULTE  ET  RELIQUES  DE  SAINT  SOUR. 

Les  hommages  rendus  dans  tous  les  siècles  à  la  sainteté  du  serviteur  de  Dieu  dont  nous  venons 
d'esquisser  la  vie,  commencèrent  à  Terrasson,  des  le  jour  même  de  sa  mort,  qu'une  mystérieuse  lumière 
déclara  précieuse  aux  yeus  de  Dieu.  Le  peuple,  dont  /a  voix  était  la  voix  de  Dieu,  et  le  seul 
mode  de  canonisation  à  ces  premiers  siècles  de  l'Eglise,  frappé  de  l'éclat  de  ses  vertus  et  des  mira- 
cles opérés  pendant  sa  vie  et  se  renouvelant  sur  son  tombeau,  le  peuple  commença,  dès  ce  moment, 
à  le  vénérer  comme  saint.  Il  lui  adressa  des  prières,  et  Dieu,  en  les  exauçant,  témoigna  que  les 
hommages  rendus  à  la  sainteté  de  sou  serviteur  lui  étaient  agréables.  Il  est  probable  que,  dès  ce 
moment  aussi,  ou  du  moins  peu  d'années  après,  le  culte  de  saint  Sour  devint  public  et  commun  à 
toute  la  contrée.  U  dut  y  avoir  tous  les  ans,  an  jour  anniversaire  de  sa  mort,  un  grand  concours  de 
peuple  autour  de  son  tombeau.  Nous  en  avons  encore  un  témoignage  incontestable  dans  la  foire  dite 
de  Saint-Sour,  si  célèbre  dans  tout  le  pays,  et  qui  a  lieu  le  premier  jour  de  février.  Elle  porte  avec 
elle  un  caractère  religieux  qu'il  est  impossible  de  ne  pas  recounaitre,  et  nous  trouvons  son  origine 
dans  le  concours  annuel  des  pèlerins  autour  du  tombeau  de  saint  Sour.  Ne  pouvant  entrer  dans  les 
détails,  nous  dirons'  comme  le  légendaire  :  «  Souvent  Notre-Scigneur  Jésus-Christ  se  plut  à  mani- 
fester par  des  miracles  opérés  près  de  ce  tombeau  combien  il  avait  eu  de  prédilection  pour  son 
serviteur.  Les  limites  imposées  à  ce  récit  abrégé  de  sa  vie  ne  nous  permettent  point  de  redire  en 
détail  à  combien  d'aveugles  il  rendit  la  vue,  combien  de  boiteux,  de  paralytiques  et  autres  aflligés 
de  diverses  maladies  recouvrèreul  la  santé  près  de  ce  tombeau.  Les  pieux  pèlerins  ne  se  sont  jamais 
retirés  sans  avoir  à  rendre  grâces  de  quelque  bienfait  obtenu  par  sa  puissante  intercession  ». 

Mais  si,  dans  tous  les  siècles,  notre  Saint  a  été  honoré  par  la  piété  des  fidèles,  un  fait  tradi- 
tionnel et  souvent  renouvelé  nous  démontre  qu'à  Terrasson  et  dans  toute  la  contrée,  il  a  été  plus 
spécialement  regardé  comme  le  bienfaiteur  du  pays,  veillant,  du  haut  du  ciel,  à  la  fertilité  de  ces 
terres,  autrefois  défrichées  par  ses  mains  et  par  les  mains  de  ses  disciples,  et  qu'il  a  été  plus  par- 
ticulièrement invoqué  dans  les  temps  de  sécheresse,  pour  obtenir  par  son  entremise  le  bienfait  de 
la  pluie.  On  fait  dans  ce  but  trois  processions  ;  les  reliques  du  Saint  y  sont  portées  triomphalement, 
et  c'est  alors  que  son  culte  acquiert  une  pompe  et  une  solennité  qui  rappellent  les  plus  beaux  jours 
de  la  piété  et  des  démonstrations  religieuses  du  moyen  ^ge. 

Nous  ne  pouvons  préciser  l'époque  de  l'élévation  du  corps  de  saint  Sour  ;  mais  elle  n'eut  lieu 
probablement  que  bien  des  années  après  sa  mort,  lorsque  le  monastère  commencé  de  son  vivant  étant 
achevé,  les  moines,  ses  disciples,  voulurent  avoir  les  restes  de  leur  saint  fondateur  dans  la  magnifique 
église  qu'ils  lui  avaient  consacrée.  Des  documents  historiques  nous  permettent  de  constater  qu'ils  ne 
cessèrent  point  d'en  être  les  possesseurs  et  les  gardiens  jusqu'en  1"89.  Les  moines  ayant  été 
supprimés  à  cette  époque,  la  paroisse  de  Terrasson  hérita  de  leur  magnifique  église  et  des  reliques 
de  saint  Sour.  Elle  les  conserve  religieusement,  renfermées  dans  une  chisse  du  iv»  siècle,  riche- 
ment scolptée.  L'authenticité  de  ces  reliques  ne  peut  être  mise  en  doute,  elle  découle  natarelle« 


SAINTE   GALLE,   VIEnOE,   A  VALENCE.  197 

ment  d'une  possession  publique,  non  interrompue  depuis  h  mort  du  Saint  jusqu'à  nos  jours.  Saint 
Sour  a  vécu  i  Terrasson,  il  y  est  mort,  et  ses  reliques  n'ont  pas  cessé  d'y  être  honorées.  Nous 
savons  comment  elles  ont  été  conservées,  comment  elles  sont  arrivées  jusqu'à  nous;  il  ne  peut  y 
avoir  d'authenticité  plus  certaine.  Nous  bénissons  le  Seigneur  d'avoir  conservé  à  notre  église  ci 
précieux  trésor,  ces  ossements  vénérés  qui,  après  treize  siècles,  conservant  le  wuffle  de  l'Esprit  de 
Dieu,  parlent  et  prophétisent  comme  au  premier  jour,  devant  lesquels  le  peuple  aime  aujourd'hui, 
comme  il  aimait  autrefois,  comme  il  aima  toujours,  à  s'agenouiller  et  à  prier. 

Nous  voulons,  en  terminant  cotte  esquisse,  ne  pas  oublier  un  témoignage  bien  touchant  du  culte 
qui  a  toujours  été  rendu  à  saint  Sour  et  à  ses  reliques.  Ce  témoignage,  nous  le  prenons  à  la  pure 
source  des  vraies  traditions,  sur  les  lèvres  du  peuple,  sur  ces  lèvres  qui  ne  prononcent  point  le 
mensonge,  mais  qui  parlent  d'après  l'abondante  simplicité  du  cœur  :  c'est  la  naïve  qualification  de 
bon  que  le  peuple  joint  toujours  à  la  qualification  de  suùil,  lorsqu'il  parle  de  ce  saint  patron.  11 
dit  :  le  bnn  suint  Sour.  Cette  mauiére  de  s'exprimer  ne  peut  proveuir  que  de  l'habitude  d'honorer  et 
de  prier  le  Saint,  et  de  l'habitude  d'avoir  été  promptemeat  exaucé,  lorsqu'on  l'a  honoré  et  prié. 

Le  bon  saint  Sour!  11  y  a  là  tout  le  panégyrique  de  notre  Saint,  le  panégyrique  le  plus  sublime 
et  le  plus  vrai. 

M.  l'abbé  Pergot,  curd-doyen  de  Terrasson. 


SAINTE  GALLE,  VIERGE,  A  VALENCE 

VI"  siècle. 


Le  monde,  par  les  amertumes  dont  il  nous  abreuve, 
par  les  calamités  dont  il  nous  accable,  que  nous 
crie-t-il,  siaon  de  ne  pas  l'aimer  ? 

Saint  Antoninf  rv  part.,  tit.  iii,  c.  7,  §  6. 


La  bienheureuse  Vierge  dont  nous  allons  raconter  la  vie  naquit  à  Va- 
lence vers  le  commencement  du  vi°  siècle.  Sa  famille,  l'une  des  plus  distin- 
guées du  pays,  lui  prodigua,  dès  le  berceau, les  soins  les  plus  affectueux,  et 
eut  la  consolation  de  la  voir  grandir  en  âge  et  en  sagesse  jusqu'au  moment 
où  l'on  résolut  de  lui  choisir  un  époux.  Belle,  riche  et  pieuse.  Galle  était 
regardée  comme  une  personne  accomplie.  De  nombreux  prétendants  sollici- 
taient sa  main,  et  son  père  n'était  embarrassé  que  par  le  choix  de  celui  qui 
réunissait  en  sa  personne  les  qualités  les  plus  recommandables  ;  mais  la 
jeune  Vierge  avait  déjà  pourvu  à  son  alliance  :  ayant  su  ce  qui  se  passait, 
elle  déclara  qu'elle  avait  elle-même  choisi  l'époux  selon  son  cœur,  qu'elle 
n'en  voulait  pas  d'autre  et  que  rien  au  monde  ne  pourrait  changer  sa  déter- 
mination. Etonnéde  cette  ouverture,  son  père  lui  demanda  qui  était  celui 
qu'elle  avait  honoré  de  cette  préférence.  «  Celui  que  j'aime»,  répondit-elle, 
«  et  que  j'aimerai  toute  ma  vie,  à  l'exclusion  de  tout  autre,  c'est  Jésus-Christ, 
mon  Sauveur  et  mon  Dieu.  Ne  me  parlez  point  des  avantages  d'une  alliance 
terrestre,  des  biens  et  des  trésors  qu'un  homme  mortel  pourrait  m'offrir  ; 
Jésus-Christ  et  son  amour  valent  mieux  pour  moi  que  toutes  les  richesses  de 
ce  monde  ;  c'est  à  lui  que  je  me  suis  donnée  pour  toujours  ».  Galle  avait  fait 
cette  déclaration  inattendue  avec  tant  de  candeur  et  d'ingénuité  que  son 
père  en  fut  touché  profondément  ;  il  comprit,  dès  lors,  que  le  choix  de  sa 
fille,  étant  une  inspiration  du  ciel,  serait  irrévocable  ;  toutefois,  il  résolut  de 
la  mettre  à  l'épreuve  en  faisant  de  nouveau  briller  à  ses  yeux  la  perspective 
d'une  riche  alliance  qui  comblerait  les  vœux  de  sa  famille  et  assurerait  son 
propre  bonheur.  «Père  bien-aimé»,  luiréponditlajeuneVierge,  «je  vousen 


198  1"  FÉVRIER, 

conjure  par  la  tendresse  que  vous  avez  pour  moi,  renoncez  à  l'espoir  que 
vous  avez  conçu  de  me  donner  pour  époux  un  homme  mortel  ;  je  me  suis 
déjà  consacrée  à  Jésus-Christ,  c'est  à  lui  seul  que  je  veux  appartenir  désor- 
mais. Au  reste,  souffrez  que  je  vous  le  dise,  si  vous  me  forcez  à  lui  être 
infidèle,  si,  au  mépris  de  mes  engagements,  vous  m'obligez  à  offrir  ma  main 
à  un  époux  d'ici-bas,  je  vous  obéirai,  mais  le  Seigneur  est  tout-puissant,  il 
exaucera  ma  prière  ;  j'espère  que  le  jour  de  mes  noces  sera  aussi  celui  de 
mes  funérailles». 

Il  en  fallait  beaucoup  moins  pour  désarmer  un  père  dont  la  tendresse 
était  sans  bornes  et  qu'un  pareil  langage  avait  rempli  d'admiration.  Galle 
s'aperçut  bientôt  qu'elle  avait  remporté  la  victoire,  et  se  retirant  dans  l'en- 
droit le  plus  secret  de  la  maison,  elle  se  prosterna  devant  le  Seigneur  et  lui 
rendit  grâces. 

Pleine  de  ces  généreux  sentiments  et  désormais  à  l'abri  des  sollicitations 
de  sa  famille,  Galle  ne  tarda  point  de  se  lier  plus  étroitement  à  Dieu  par  un 
engagement  solennel.  Elle  avait  fait  vœu  de  virginité  dans  le  silence  de  la 
prière,  elle  résolut  de  le  renouveler  en  face  des  autels  et  entre  les  mains  des 
ministres  de  la  religion.  L'évêque  de  Valence  à  qui  elle  fit  part  de  ce  dessein 
l'exhorta  beaucoup  à  la  ferveur,  et  voulut  présider  lui-même  la  cérémonie 
de  sa  consécration;  il  y  invita  plusieurs  évêques  qui  se  trouvaient  alors 
réunis  à  Valence,  on  ne  sait  pour  quel  motif,  et  ce  fut  au  milieu  de  cette 
assemblée  vénérable  que  la  jeune  Vierge,  entourée  de  ses  amis  et  de  ses 
parents  en  pleurs,  renouvela  ses  vœux  et  reçut  le  voile  blanc,  symbole  de 
son  innocence  et  de  sa  virginité. 

Bien  que  vouée  de  la  sorte  à  la  pratique  des  vertus  religieuses.  Galle  ne 
jugea  point  à  propos  de  se  retirer  dans  la  solitude  pour  y  vivre  dans  le 
silence  et  la  contemplation  ;  le  Seigneur  lui  inspira  le  désir  de  rester  au 
milieu  du  monde  pour  l'édifier  par  ses  bonnes  œuvres,  et  ce  n'est  pas  le 
seul  exemple  que  l'on  trouve  dans  les  premiers  siècles  do  l'Eglise,  d'une 
vocation  qui  peut  avoir  ses  dangers,  mais  qui  n'en  est  que  plus  méritoire 
quand  on  y  correspond  fidèlement. 

Notre  pieuse  Vierge  ne  faillit  point  à  la  sienne  *.  L'exercice  de  la  prière, 
le  soin  des  pauvres,  la  visite  des  églises  et  les  pratiques  de  pénitence,  tel  fut 
le  genre  de  vie  qu'elle  mena  depuis  son  retour  au  sein  de  sa  famille.  Son 
cœur  était  embrasé  d'un  si  grand  amour  pour  Jésus-Christ,  qu'elle  passait 
la  plus  grande  partie  du  jour  et  quelquefois  la  nuit  entière  aux  pieds  des 
saints  autels.  La  ferveur  lui  faisait  oublier  le  soin  de  prendre  sa  nourriture, 
et  elle  demeurait  habituellement  sans  manger  jusqu'à  la  tombée  de  la  nuit. 
Les  malheureux  de  tout  âge  étaient  ses  amis  de  prédilection  ;  l'auteur  de  sa 
vie  ne  craint  pas  d'affirmer  qu'on  ne  pourrait  dire  les  aumônes  et  les  secours 
de  toute  espèce  qu'elle  leur  distribuait  continuellement.  La  charité  fut 
toujours  la  vertu  favorite  des  Saints,  et  Dieu  s'est  plu  maintes  fois  à  l'auto- 
riser par  des  miracles.  Notre  pieuse  Vierge  en  fit  un  grand  nombre  parmi 
lesquels  nous  en  citerons  quelques-uns.  Lorsqu'elle  allait  visiter  les  pauvres 
malades,  ceux-ci  l'accueillaient  avec  tant  de  bonheur  que  souvent  ils  se 
prosternaient  à  ses  pieds,  implorant  sans  cesse  avec  ses  aumônes  le  secours 
de  ses  prières  ;  Galle,  touchée  de  leur  foi,  priait  pour  eux  et  les  malades  se 
trouvaient  guéris. 

1.  Après  sa  consfîcration,  sainte  Galle  flsa  sa  demeure  au  Eourg-les-Valencô  où  les  fliifeles  avaient 
construit  do  bonne  heure  une  tf^lise  en  l'honneur  des  apOtres  Pierre  et  Paul  ;  —  pcut-Ctre  le  premier 
temple  bâti  dans  Valence  en  l'honneur  du  vrai  Dieu,  Charlema^no  la  tit  rebâtir  aveo  beaucoup  de  inau'ni- 
ficence  ;  les  religionaaires  la  détruisirent  en  1567  ;  l'iîglise  actuelle  qui  a  rcmpiaci;  ccllo  de  Charlcmmfno 
n's  rien  de  remarquable,  sauf  un  tableau  de  (tint  Jeta,  apOtre,  qu'on  attribue  ï  Lebrun. 


SAINTE   GALLE,   TTERGE,   A  VALENCE.  499 

Un  jour  une  des  filles  qui  la  servaient  étant  sortie  pour  aller  puiser  de 
l'eau,  lit  une  chute  et  se  blessa  la  poitrine  d'une  manière  si  grave  que  toutes 
les  personnes  qui  en  furent  témoins  et  qui  étaient  accourues  pour  la  relever 
s'écrièrent  qu'elle  était  morte.  Galle,  qui  l'aimait  beaucoup,  ayant  su  l'acci- 
dent, se  prit  à  pleurer  et  ordonna  de  lui  apporter  le  corps  de  la  jeune  fille, 
ce  qui  fut  exécuté  à  l'instant  même.  Dès  qu'elle  l'eut  aperçu,  elle  se  mit  en 
prières  ;  puis,  prenant  entre  ses  mains  les  mains  déjà  glacées  de  la  morte, 
elle  s'écria  avec  cet  accent  de  la  foi  qui  transporte  les  montagnes  •  a  Sei- 
gneur, guérissez-la  ».  Aussitôt  la  jeune  fille  se  leva  parfaitement  guérie,  et 
tous  les  témoins  de  ce  prodige  glorifièrent  Dieu  en  disant  :  «  Voyez  quel 
pouvoir  le  Seigneur  a  donné  à  sa  servante  ». 

Une  autre  fois  le  feu  ayant  pris  dans  une  maison  voisine  de  celle  que 
Galle  habitait,  tout  le  monde  courut  pour  en  arrêter  les  progrès.  Mais  l'in- 
cendie se  propageait  si  rapidement  qu'on  tremblait  déjà  pour  sa  demeure. 
Galle  tombe  à  genoux,  et  à  peine  a-t-elle  commencé  sa  prière  que  les 
flammes  s'abaissant  et  se  concentrant  dans  la  maison  qu'elles  dévoraient,  s'y 
éteignent  tout  à  coup  aux  applaudissements  d'une  multitude  de  spectateurs 
stupéfaits  d'admiration. 

Quelques  temps  après,  la  pieuse  'Vierge  allant,  suivie  de  ses  servantes,  dans 
une  maison  où  l'appelait  quelque  bonne  œuvre,  fut  injuriée  dans  la  rue  par 
un  homme  du  peuple  qui  s'écria  :  «  Où  croyez-vous  que  va  cette  femme  que 
l'on  dit  une  sainte  ?  Ne  pensez  point  qu'elle  soit  sortie  pour  un  motif  de 
charité;  elle  court  au  crime,  la  misérable,  elle  est  perdue  de  mœurs». 
Galle  endura  cet  affront  sans  répondre  un  seul  mot,  et  comme  l'insensé 
continuait  à  vomir  contre  elle  un  torrent  d'insultes,  on  le  vit  tout  à  coup 
tomber  à  la  renverse  et  s'agiter  dans  des  convulsions  horribles  ;  Dieu,  pour 
venger  l'honneur  de  sa  servante,  ayant  permis  qu'il  fût  possédé  du  démon. 

Galle  continua  sa  route,  en  bénissant  le  Seigneur,  et  lorsqu'elle  fut 
entrée  dans  la  maison,  une  foule  de  pauvres  malades  et  d'infirmes  se  présen- 
tèrent à  la  porte,  sollicitant  le  secours  de  ses  prières.  Dans  le  nombre  se 
trouvait  une  jeune  enfant  qui  était  sourde  et  muette.  Dès  que  Galle  l'eut 
aperçue,  elle  leva  les  yeux  au  ciel  et  pleura  ;  puis,  prenant  un  verre  d'eau, 
elle  le  bénit  et  le  lui  donna  à  boire  ;  à  l'instant  même,  la  jeune  fille  sentit  sa 
langue  se  délier  et  ses  oreilles  s'ouvrir.  Elle  guérit  encore,  dans  le  même 
lieu,  plusieurs  autres  malades,  en  faisant  sur  leur  front  le  signe  delà  croix. 

Cependant,  celui  qui  l'avait  injuriée  demeurait  toujours  au  pouvoir  du 
démon  ;  elle  le  trouva  sur  son  passage  en  retournant  chez  elle,  et  dès  qu'elle 
le  vit  elle  se  mit  à  pleurer,  en  disant  :  «  Seigneur,  ayez  pitié  de  lui,  car  il  a 
été  créé  à  votre  image  ;  ayez  pitié  de  lui,  je  vous  en  conjure,  car  il  a  été 
racheté  au  prix  de  votre  sang».  Puis,  faisant  le  signe  de  la  croix,  elle 
s'approche  du  possédé  et  s'écrie  :  «  Esprit  immonde,  au  nom  du  Père  et  du 
Fils  et  du  Saint-Esprit,  je  t'ordonne  de  sortir  ».  A  ces  mots  le  démoniaque 
qui  se  roulait  dans  la  poussière  se  calme  tout  à  coup  et  se  trouve  entière- 
ment délivré. 

Mais  de  tous  les  prodiges  opérés  par  sainte  Galle,  le  plus  célèbre  est 
celui  que  nous  allons  rapporter  sur  la  foi  de  son  historien,  dont  le  témoi- 
gnage est  d'ailleurs  conforme  à  celui  de  la  tradition. 

Vers  l'an  566,  une  armée  de  Lombards,  conduite  par  trois  de  leurs  ducs, 
franchit  les  Alpes  et  s'avança  vers  le  haut  Dauphiné.  Enhardis  par  l'espoir 
du  butin  que  leur  promettait  l'occupation  de  cette  riche  province,  les  bar- 
bares se  divisèrent  en  trois  corps  de  troupes,  afin  de  l'envahir  sur  plusieurs 
points  à  la  fois.  Rodan,  le  premier  duc,  se  dirigea  vers  Grenoble  ;  Zaban,  le 


200  i"  FÉVRIER. 

second,  prit  la  route  de  Die,  et  Aman,  le  troisième,  marcha  vers  Embrun, 
Ce  dernier  fut  assez  heureux  dans  son  expédition,  mais  les  deux  autres 
payèrent  cher  leur  audace.  Contran,  roi  de  Bourgogne ,  informé  de  l'ir- 
ruption des  barbares,  leur  opposa  le  patrice  Mommol,  qui  était  le  plus 
habile  guerrier  de  son  siècle.  Mommol  courut  à  la  rencontre  de  Rodan,  lui 
offrit  la  bataille  près  de  Grenoble  et  le  défit.  Rodan  s'enfuit  avec  cinq  cents 
hommes  seulement  et  prit  la  route  de  Valence,  dont  il  savait  que  Zaban 
avait  formé  le  siège  depuis  quelques  jours.  Malgré  le  nombre  et  la  valeur 
des  soldats  qui  la  serraient  de  près,  la  ville  se  défendait  assez  vaillamment  ; 
la  population  tout  entière  s'était  en  quelque  sorte  groupée  derrière  les  rem- 
parts et  se  tenait  toujours  prête  à  repousser  l'ennemi.  Zaban,  de  son  côté, 
redoublait  d'ardeur  et  de  courage  ;  animé  par  un  secret  pressentiment  de 
la  Aictoire,  il  multipliait  les  assauts,  il  tentait  sans  cesse  d'escalader  les 
murs,  il  lassait  enfin  de  toute  manière  la  valeur  des  assiégés,  dont  la  con- 
fiance allait  tous  les  jours  déclinant.  Il  ne  fallait  plus  qu'un  dernier  effort 
pour  le  rendre  maître  de  la  ville.  Déjà  les  barbares  étaient  sur  les  remparts, 
les  portes  s'ouvraient,  les  rues  étaient  envahies,  lorsque  les  habitants  ss 
souvinrent  qu'ils  avaient  au  milieu  d'eux  une  thaumaturge,  à  qui  Dieu  ne 
savait  rien  refuser.  Galle  était  alors  en  oraison  dans  la  basilique  de  Saint- 
Pierre,  au  Bourg-les- Valence.  On  court  vers  elle  en  désordre,  la  foule  se 
jette  à  ses  genoux,  en  criant  :  «  Servante  du  Seigneur,  sauvez-nous,  nous 
allons  tous  périr  ».  —  «  Ne  craignez  rien  »,  répond  la  pieuse  Vierge,  «  saint 
Pierre  vous  défendra  ».  Et  elle  se  remit  en  oraison. 

«  Tout  à  coup  »,  ajoute  l'historien  qui  nous  a  conservé  le  souvenir  de  ce 
prodige,  «  on  vit  dans  les  airs  une  multitude  d'oiseaux  de  proie,  qui  fondaient 
vers  les  barbares,  et  une  grêle  de  pierres  qui  tombaient  sur  eux  miraculeu- 
sement. «  Courez  à  la  poursuite  de  vos  ennemis,  s'écria  sainte  Galle,  ils  sont 
saisis  de  terreur  ;  allez  recueillir  les  dépouilles  qu'ils  ont  abandonnées  ; 
mais  ne  leur  faites  aucun  mal,  car  le  Seigneur  a  combattu  pour  vous  ». 

La  foule,  étonnée  de  ce  langage,  obéit  à  la  servante  du  Seigneur,  elle  se 
précipita  vers  les  portes  de  la  ville,  qu'elle'  trouva  désertes,  et  vit  bientôt  les 
barbares  qui  fuyaient  en  désordre,  comme  si  une  armée  tout  entière  les  eût 
suivis  l'épée  dans  les  reins.  A  cette  nouvelle,  des  transports  de  joie  écla- 
tèrent au  sein  de  la  population,  et  tous  les  cœurs  des  Valentinois  se  con- 
fondirent dans  un  commun  sentiment  d'admiration  et  de  reconnaissance. 

Sainte  Galle  ne  survécut  pas  longtemps  à  la  délivrance  miraculeuse  de 
la  ville.  Comme  durant  plusieurs  jours  le  peuple  ne  cessa  de  publier  ses 
louanges,  et  que  la  foule  se  pressait  sans  cesse  autour  de  sa  demeure,  afin 
de  se  recommander  à  ses  prières,  son  humilité  s'en  alarma,  et,  voulant  se 
soustraire  aux  applaudissements  dont  elle  était  l'objet,  elle  conjura  le  Sei- 
gneur de  l'appeler  à  lui.  Puis  elle  dit  au  peuple:  «  Mes  enfants,  le  jour  de 
ma  mort  est  venu,  laissez-moi  seule  avec  mon  Dieu.  Vous  savez  combien  je 
vous  aime,  la  seule  chose  que  je  vous  demande  avant  de  vous  quitter  pour 
toujours,  c'est  que  lorsque  j'aurai  rendu  le  dernier  soupir  vous  ensevelissiez 
mon  corps  soigneusement».  A  ces  mots  tout  le  peuple  fondit  en  larmes  ; 
mais  Galle  s'écria  :  «  Ne  pleurez  point,  mes  frères,  n'est-il  pas  bien  temps 
que  je  m'en  retourne  vers  Dieu  ?  N'ai-je  pas  assez  vécu  ?  Voili  quatre-vingt- 
dix  ans  que  je  suis  au  monde,  laissez-moi  donc  mourir  et  mettez  en  Dieu 
toute  votre  confiance  ». 

La  pieuse  Vierge  mourut,  en  effet,  comme  elle  l'avait  prédit.  Sa  mort 
plongea  la  ville  entière  dans  le  deuil  et  la  consternation  ;  mais  les  prodiges, 
par  lesquels  Dieu  manifesta  bientôt  la  sainteté  de  sa  servante,  consolèrent  le 


SAIXT   SIGEBERT   00   5I6I5BERT,   ROI   D'aUSTRASŒ.  201 

peuple  et  transformèrent  sa  douleur  en  véritable  allégresse.  Les  obsèques 
de  Galle  furent  un  triomphe  plutôt  qu'une  cérémonie  funèbre.  Son  corps  fut 
transporté  solennellement  du  Bourg-les-Valence  dans  l'église  Saint-Etienne, 
où  l'on  devait  l'ensevelir.  Le  convoi  traversa  la  ville  au  milieu  d'un  con- 
cours immense  de  spectateurs,  qui  déjà  offraient  à  leur  sainte  protectrice 
un  culte  de  vénération,  d'amour  et  de  prières,  tel  que  l'Eglise  a  coutume  de 
l'autoriser  en  faveur  des  plus  grands  Saints.  Plusieurs  malades  se  firent 
placer  sur  le  seuil  de  leur  demeure,  d'autres  voulurent  toucher  le  cercueil, 
et  leur  foi  fut  récompensée  par  de  nombreuses  guérisons.  Durant  plusieurs 
jours  l'église  de  Saint-Etienne  fut  littéralement  assiégée  par  le  peuple,  et  le 
tombeau  de  la  Sainte,  glorifié  par  les  prodiges  les  plus  éclatants,  devint,  à 
dater  de  cette  époque,  un  lieu  de  pèlerinage  où  les  Valentinois  reçurent, 
dans  tous  les  siècles,  toutes  sortes  de  faveurs  et  de  bénédictions. 

Le  diocèse  moderne  de  Valence  fait  la  fête  de  sainte  Galle  le  16  novembre'. 


SAINT  SIGEBERT  OU  SIGISBERT,  ROI  D'AUSTRASIE 

630-636.  —  Papes  :  Honoré  I"  ;  saint  Eugène  I»'. 


Les  fautes  des  rois  sont  punies  dans  les  peuples  :  leurs 
vernis  noua  sauvent,  leurs  erreurs  nous  perdent. 
Saint  AmbroUe  ,  Ut.  i"  de  Apologta  David,  cb.  Si. 


Nous  serions  assurément  répréhensible  si,  faisant  un  recueil  de  la  vie  des 
Saints  pour  l'instruction  de  tous  les  fidèles,  nous  négligions  ce  saint  roi  de  la 
France  orientale,  tandis  que  les  étrangers  en  enrichissent  leurs  histoires  : 
comme  Baronius,  italien  ;  Surius,  allemand  ;  et  Aubert  Mirée,  flamand  ;  ces 
auteurs  en  parlent  avec  beaucoup  d'honneur,  et  lui  donnent  sans  difficulté 
le  titre  de  Saint. 

Il  était  fils  de  Dagobert  I",  roi  de  France,  et  de  Ragintrude  ou  Ragné- 
trude.  Le  roi,  qui  depuis  quelque  temps  menait  une  vie  assez  déréglée,  fut  si 
touché  de  la  grâce  que  Dieu  lui  faisait  de  lui  donner  un  fils,  que,  pour 
reconnaître  cette  faveur,  il  conçut  le  dessein  de  se  corriger  entièrement. 
Résolu  de  faire  baptiser  ce  fils  par  le  plus  saint  prélat  de  son  royaume,  il 
jeta  les  yeux  sur  saint  Amand,  évêque  de  Maëstricht,  qu'il  avait  auparavant 
exilé  à  cause  de  la  généreuse  liberté  avec  laquelle  il  le  reprenait  de  ses  dé- 
sordres. L'ayant  donc  fait  venir  à  Clichi,  près  de  Paris,  il  se  prosterna  à  ses 
pieds,  lui  demanda  pardon  de  l'injustice  qu'il  avait  commise  à  son  égard,  et 
le  détermina,  avec  l'aide  de  saint  Ouen  et  de  saint  Eloi,  qui  n'étaient  encore 
que  laïques, à  conférer  à  son  fils  le  sacrement  de  la  régénération.  11  lui  donna 
pour  parrain  Caribert,  roi  d'.\quitaine,  son  frère,  et  l'on  put  dès  lors  espérer 
que  cet  enfant  de  France  serait  un  prince  de  paix,  puisque  sa  naissance  ré- 
concilia si  parfaitement  ensemble  ces  trois  grands  personnages.  Dieu  fit  aussi 
paraître  quel  serait  ce  petit  prince,  par  un  fait  miraculeux  arrivé  à  son  bap- 

1.  L'église  Saint-Etienne,  où  sainte  Galle  fut  ensevelie,  est  des  plus  anciennes  de  Valence.  Knin^e  par 
les  Protestants  en  1562,  elle  fbt  re'édîfie'e  avec  beaucoup  de  peine  eu  1571.  On  y  remarque  quelques  beaux 
tableaux,  mais  les  décorations  sont  d'un  asse>  mauvais  goût.  Cf.  Bagiographie  de  Valence  et  dt  B^lley  et 
Propre  de  Vulence,  1S53. 


202  !•'  FÉVRIER. 

tême  :  la  foule  de  la  noblesse  française  qui  se  trouva  alors  dans  Orléans,  où 
se  faisait  cette  cérémonie,  était  si  grande,  qu'il  ne  se  rencontra  point  de 
clerc  auprès  de  saint  Amand,  qui  le  baptisait,  pour  répondre  amen  ;  l'enfant, 
qui  n'avait  pas  encore  quarante  jours,  prononça  ce  mot  distinctement  et  à 
propos  :  ce  qui  causa  une  grande  admiration  aux  seigneurs  qui  furent  té- 
moins de  cette  merveille.  L'éducation  du  petit  prince  fut  confiée  au  bien- 
heureux Pépin  de  Landen,  maire  du  palais,  qui,  contraint  de  céder  à  l'envie 
de  la  noblesse,  se  retira  avec  lui  dans  les  Etats  de  Caribert,  où  il  possédait 
plusieurs  terres  du  chef  de  la  bienheureuse  Itle,  sa  femme. 

A  peine  eut-il  atteint  la  cinquième  année  de  son  âge,  que  le  roi,  désirant 
pourvoir  au  repos  de  son  royaume,  et  suivre  en  cela  les  exemples  de  ses 
prédécesseurs,  partagea  ses  Etats  entre  ses  deux  enflants,  savoir  :  notre 
Sigebert  et  Glovis  II  ;  et  de  l'avis  de  son  conseil,  il  donna  l'Austrasie  ',  c'est- 
à-dire  la  France  orientale,  à  celui  qui  était  l'aîné,  laissant  la  Neustrie  à  Glovis, 
le  plus  jeune. 

Cinq  ou  six  ans  après,  le  roi  Dagobert  étant  près  de  laisser  cette  vie  avec 
le  royaume,  pour  aller  régner  plus  heureusement  dans  le  ciel,  fit  convoquer, 
peu  de  jours  auparavant,  une  assemblée  des  plus  grands  seigneurs  de  ses 
Etats,  où,  confirmant  le  partage  qu'il  avait  fait  entre  ses  deux  fils,  il  les 
déclara  rois.  Et  ces  princes  gardèrent  si  religieusement  l'ordonnance  du  roi, 
leur  père,  touchant  ce  partage,  et  vécurent  toujours  en  une  si  bonne  intel- 
ligence, que  chacun,  de  son  côté,  gouverna  très-paisiblement  les  sujets  de 
son  royaume. 

Pour  le  roi  Sigebert,  il  fut  heureux  dans  l'Austrasie,  d'avoir  auprès  de  sa 
personne  saint  Pépin,  seigneur  de  Brabant,  qu'il  fît  maire  de  son  palais,  et 
saint  Cunibert,  archevêque  de  Cologne,  qu'il  prit  pour  son  principal  con- 
seiller ;  l'un  et  l'autre  étaient  de  saints  personnages,  qui  l'assistèrent  puis- 
samment de  leurs  sages  avis.  Ce  furent  ces  deux  fidèles  serviteurs  qui,  après 
le  décès  de  son  père,  lui  persuadèrent  de  demander  au  roi  Glovis,  son  frère, 
le  partage  des  trésors  et  des  meubles  du  feu  roi  :  ce  qu'ils  négocièrent  avec 
tant  d'adresse  et  de  prudence,  qu'il  se  fit,  pour  cela,  une  nouvelle  assemblée 
en  la  ville  de  Compiègne,  où,  enfin,  le  tout  fut  terminé  paisiblement,  et  à 
l'entière  satisfaction  des  deux  partis. 

Cependant  Sigebert  vit  la  paix  de  son  règne  troublée  par  la  révolte  de 
quelques  esprits  remuants  qui  poussèrent  les  Thuringiens,  ses  vassaux,  à 
lever  les  armes  contre  leur  prince  ;  n'étant  donc  encore  âgé  que  de  douze 
ans,  il  se  vit  obligé  de  leur  faire  la  guerre  :  et,  d'abord,  il  remporta  quelque 
avantage  sur  eux,  défit  leurs  troupes  et  terrassa  leur  duc.  Mais,  comme  les 
armes  sont  sujettes  à  caprice,  bien  changeants  sont  les  événements  que  fait 
naître  leur  jeu  :  la  mauvaise  intelligence  de  ses  officiers  donna  moyen  aux 
Thuringiens  de  se  rallier  et  d'avoir  le  dessus  à  leur  tour  ;  ils  défirent  toute 
l'armée  royale.  Néanmoins,  le  roi  ramassa  de  nouvelles  forces,  prit  un  nou- 
veau courage,  et,  ayant  repassé  le  Rhin,  il  se  comporta  avec  tant  de  pru- 
dence et  de  sagesse,  qu'il  ramena  enfin  les  révoltés  à  la  raison,  et  les  obligea 
de  se  soumettre. 

Ce  vertueux  prince,  se  voyant  ensuite  paisible  en  son  royaume,  se  donna 
entièrement  aux  exercices  de  la  piété,  et  se  laissa  tellement  aller  à  la  vie 
contemplative,  qu'on  l'eût  pris  plutôt  pour  un  religieux  nourri  dans  un 

1.  L'Austrasie  comprenait  alors  la  Prorence  et  la  Suisse  (démembrâmes  de  l'ancien  royaume  de  Bour- 
gogne) ;  l'AIblseols,  l'Auverene,  le  (JuercI,  le  Roucrgue.  les  Cévennes,  la  Champagne,  la  Lorraine,  la 
Hante-Plcardle.  l'archevêché  de  'frÈvc»,  et  plusieurs  autres  pays  qui  s'étendaient  Jusqu'au»  frontitres  do 
la  Frise;  l'Alsace,  le  Talatlnat,  la  Thurintje.  la  Franconie,  la  Bavière,  la  Souaba,  oi  tout  la  pays  qui  est 
entre  le  Bas-I^bin  et  l'ancienne  Saxe.  Les  rois  dWustrasie  faisaient  leur  résidence  îà  Metz  en  Lorraine. 


SAINT  SIGEBERT  OU   SIGISBERT,   ROI  d'AUSTRASEE.  203 

cloître,  que  pour  un  roi  élevé  dans  la  pourpre  et  dans  les  armes.  De  là  vient 
que  quelques-uns  de  nos  historiens  français,  ne  considérant  les  choses  que 
selon  la  politique  et  la  prudence  humaine,  désapprouvent  sa  conduite  et 
l'accusent  de  lâcheté  ;  mais  ceux  qui  ont  parlé  de  lui  avec  plus  de  dégage- 
ment des  choses  temporelles,  l'ont  comparé  au  grand  Salomon,  et  disent 
qu'il  en  a  même  surpassé  la  gloire.  En  effet,  l'un  et  l'autre  ont  été  doués 
par  le  Seigneur,  dès  leurs  plus  faibles  années,  d'une  sagesse  extraordinaire, 
et  en  ont  reçu  beaucoup  de  richesses  et  de  puissance.  Ce  roi  de  Judée,  au 
lieu  de  profiter  de  tous  ces  dons,  en  a  abusé  jusqu'à  les  employer  à  sa  propre 
ruine  et  à  la  perte  de  son  âme  ;  au  contraire,  le  roi  Sigebert  s'en  est  servi 
pour  son  salut  et  pour  celui  de  son  peuple.  Salomon  dissipa  la  meilleure 
partie  des  biens  immenses  que  le  roi  David,  son  père,  lui  avait  laissés,  et 
que  Dieu  lui  avait  donnes,  en  de  prodigieuses  débauches,  en  de  folles  dé- 
penses avec  ses  concubines,  et  pour  bâtir  des  temples  à  leurs  idoles  et  à 
leurs  fausses  divinités.  Mais  le  pieux  roi  Sigebert  a  employé  beaucoup  plus 
utilement  les  trésors  qu'il  avait  hérités  du  roi  Dagobert,  son  père,  ou  qu'il 
s'était  acquis  pendant  la  paix  de  son  règne,  à  faire  de  grandes  aumônes  aux 
pauvres,  et  à  bâtir  douze  beaux  monastères,  parmi  lesquels  on  compte  les 
célèbres  abbayes  de  Staveloo,  au  diocèse  de  Liège,  et  de  Malmédy,  au  dio- 
cèse de  Trêves  ;  à  l'une  d'elles,  dont  saint  Rémacle,  évêque  de  Liège,  fut 
abbé,  il  ne  donna  pas  moins  de  douze  lieues  de  pays,  en  longueur  et  en  lar- 
geur ;  ce  qu'il  confirma  depuis  par  son  testament. 

Ce  prince  était  digne  de  la  couronne,  puisqu'il  a  si  bien  su  se  gouverner 
lui-même,  que,  en  usant  prudemment  des  honneurs  et  des  richesses  de  la 
terre,  il  s'est  acquis  les  véritables  grandeurs  de  l'immortalité  ;  et  sa  vie  a 
été  telle,  que  sa  puissance  terrestre  l'ayant  rendu  redoutable  aux  hommes, 
sa  piété  et  sa  justice  l'ont  rendu  agréable  aux  yeux  de  Dieu.  S'il  s'est  ren- 
contré dans  sa  conduite  quelques  défauts  contre  les  règles  de  la  prudence 
humaine,  ses  aumônes  et  ses  autres  bonnes  actions  les  ont  suffisamment 
réparés,  pour  le  faire  paraître  sans  tache  devant  la  divine  Majesté.  Il  décéda 
saintement,  dans  la  fleur  de  son  âge, le  1"  février,  vers  le  milieu  du  vn'  siècle, 
deux  cent  soixante-trois  ans  après  le  décès  de  saint  Martin,  selon  la 
manière  de  compter  alors  les  années  en  France.  Comme  notre  saint  roi 
était  très-dévot  à  ce  grand  évêque,  il  voulut  que  son  corps  fût  inhumé  près 
de  la  ville  de  Metz,  dans  une  église  dédiée  à  son  honneur,  laquelle  est  une 
des  douze  qu'il  avait  fondées.  Dieu  a  fait  paraître  sa  sainteté  par  quantité 
de  miracles  qui  se  sont  faits  à  son  tombeau  ;  le  moine  Sigebert,  auteur  de 
sa  vie,  en  rapporte  un  grand  nombre,  et  dit  qu'il  en  a  été  témoin  oculaire. 

On  représente  le  saint  roi  d'Austrasie  avec  une  église  sur  la  main,  par 
allusion  à  ses  fondations  pieuses.  On  l'invoque, en  Lorraine,  pour  la  pluie  et 
le  beau  temps. 

RELIQUES  ET  CULTE  DE  SAINT  SIGEBERT. 

L'an  1063,  quatre  cents  ans  après  sa  mort,  le  corps  de  saint  Sigebert  fat  trouvé  aussi  entier 
dans  son  sépulcre  que  s'il  n'y  eût  été  rais  que  depuis  deux  heures  ;  11  en  fut  tiié  pour  cire  déposé 
eu  uu  lieu  plus  djcent,  comme  lui-même  l'avait  ordonné  à  un  religieux  de  ce  monastère  de  Saiut» 
.Martin-les-.Metz  nommé  Villan,  à  qui  il  était  apiiaru.  Sept  ans  après,  il  fut  enfermé  solennellement 
dans  une  riche  dusse  d'argent,  et  placé  à  coté  du  grand  autel  de  l'église,  mais  toujours  avec  des 
miracles  que  l'on  peut  voir  dans  l'auteur  de  la  vie  rapportée  par  Surius  et  Bollandus  au  i»'  de  ce  mois. 

Enfin,  l'an  5552,  cette  abbaye  de  Sainl-Jlartin  fut  entièrement  ruinée  par  les  guerres  entre  la  France 
et  l'Espagne  ;  alors  ce  précieux  dépôt  fut  transporté  à  Metz  dans  l'église  du  prieuré  Notre-tlame,  ofl 
il  lesla  jusqu'en  1603,  époque  à  laquelle  Charles  111,  qui  avait  obtenu  du  Pape  l'érection  d'une  tollé- 


204  1"  FÉ\TIIER. 

giale  à  Nancy,  le  fit  transporter  dans  l'église  provisoire  où  les  chanoines  avaient  commencé  h  faire 
leurs  offices...  La  chlsse  contenant  ce  saint  corps  était  d'ébène,  couverte  d'argent,  richement  émail- 
lée  ;  elle  avait  été  apportée  de  Milan  par  les  ordres  et  aux  frais  d'Antoine  de  Lenoncourt,  second 
primat  de  Lorraine. 

En  1740,  on  dut  renouveler  les  ornements  qui  recouvraient  l'insigne  relique,  en  raison  de  leur 
vétusté.  Celle  opération  se  lit  avec  une  grande  solennité.  On  ne  lira  pas  sans  intérêt  dans  quel  étal 
on  trouva  les  restes  du  saint  roi  :  «  La  tète,  le  tronc,  les  bras  el  les  cuisses  se  tiennent  ensemhle, 
le  tout  recouvert  des  muscles,  des  téguments  et  de  la  peau,  excepté  la  tête  dont  les  os  du  crine 
sont  à  découvert  depuis  les  sourcils  jusqu'aux  os  des  tempos  et  de  l'occipital...;  la  face  est  entière 
ainsi  que  le  nez...,  les  lèvres  sont  conservées,  et  la  supérieure  assez  relevée  pour  laisser  entrevoir 
les  quatre  dents  incisives  de  la  michoire  supérieure  ;  les  autres  parties  de  la  face  sont  aussi  con- 
servées et  sans  lésion,  ainsi  que  le  corps,  les  bras,  les  cuisses...;  l'avant-bras  gauche,  le  poignet, 
la  main,  les  doigts  avec  les  ongles  sont  sans  lésion  ;  la  main  droite,  depuis  le  poignet  jusqu'à 
l'extrémilé  des  doigts,  est  entière  ;  la  jambe  droite  est  entière  avec  les  os  du  tarse,  etc. 

Après  avoir  constaté  l'état  dans  lequel  se  trouvait  le  corps  du  saint  roi,  on  le  replaça  dans  la 
chJsse  avec  de  nouveaux  et  riches  ornements.  C'est  de  ce  reliquaire,  en  dernier  lieu  déposé  sous 
l'autel  que,  en  179:),  des  hommes,  pour  qui  rien  n'était  ni  respectahle  ni  sacré,  l'arrachèrent 
pour  le  livrer  aux  flammes.  Quelques  personnes  néanmoins  en  sauvèrent  des  débris,  dont  la  meil- 
leure partie,  religieusement  conservée  par  M.  Simonin,  aïeul  de  M.  le  directeur  de  l'école  de 
médecine  de  Nancy,  a  été,  le  30  janvier  1803,  remise  à  Mgr  (Jsmond,  évèque  diocésain,  et  ex- 
posée de  nouveau  à  la  vénération  des  fidèles.  Ces  débris  sont,  autant  qu'il  est  possible  de  le 
reconnaître  :  deux  os  de  bras,  nn  autre  os  et  une  petite  côte,  un  os  de  jambe,  une  omoplate  à  la- 
quelle sont  restés  attachés  des  muscles  et  des  filaments  charnus,  trois  grandes  côtes,  trois  frag- 
ments de  cote,  et  une  rolule. 

La  vénération  des  peuples  pour  les  reliques  de  saint  Sigisbert,  et  les  grâces  obtenues  du  ciel 
par  l'intercession  de  ce  Bienheureux,  l'ont  fait  choisir  pour  patron  de  la  capitale  de  l'ancien  duché 
de  Lorraine.  Dans  les  calamités  publiques,  à  la  demande  des  magistrats  de  la  cité,  organes  des 
populations,  sa  châsse  était  descendue  de  l'arche  où  elle  était  enfermée,  au-dessus  du  siège  pri- 
matial,  et  placée  sur  un  autel  spécial  où  elle  restait  exposée  pendant  tout  le  temps  des  supplications 
ordonnées  par  l'autorité  compétente.  C'est  de  là  qu'est  venue  la  locution  vulgaire  descendre  les 
reliques  de  saitU  Hiyisbert,  maintenant  encore  employée  quand  on  parle  de  leur  exposition  solen- 
nelle pour  obtenir  de  Dieu  la  délivrance  de  quelque  Iléau. 

Le  diocèse  de  Metz,  en  perdant  ce  précieux  trésor,  n'a  pas  cessé  pour  cela  d'honorer  le  saint 
roi  d'Austrasie.  Un  beau  vitrail  lui  a  été  récemment  consacré  dans  l'église  Sainte-Ségolène,  bdtie 
près  de  l'emplacement  où  s'élevait  l'ancien  palais  des  rois  d'Austrasie,  dont  on  voit  encore  quelques 
restes. 

Renseignements  fournis  par  M.  l'abbé  Guillaume,  chanoine  de  Nancy,  aumônier  do  la  chapelle  ducale. 

\o\r  y  Histoire  fidèle  de  saint  Sigisbertf  douzième  roi  d'Austrasie  et  troisième  du  «om.  etc.,  tirée  dei 
Antiquités  austrasiennes,  par  le  R.  P.  Vincent,  do  Nancj',  religieux  du  Tiers  Ordre  de  Saint-François. 
Nancy,  1702;  —  La  première  vie  de  ce  saint  roi  a  été  écrite  par  le  moine  Sii,'el)ert.  Molanus,  aux  additions 
d'Usuard,  dit  qu'il  a  fait  bâtir  vingt  monastères  au  lieu  de  douze  (lue  marque  le  P.  Giry  ;  —  et  pour  lea 
reliques  :  La  cathédrale  de  Nancy^  notice^  etc.,  par  M.  l'abbé  Guillaume. 


SAINT  EUBERT  DE  SÉO^IN,  PATRON  DE  LILLE  (m»  siècle). 

Hubert  ou  Eugène  était  d'une  race  noble.  Il  s'adjoignil  comme  compagnon  à  saint  Chryseuil,  à 
saint  Piat  et  à  d'autres,  qui  vinrent,  sous  les  empereurs  Maximien  et  Dioclétien,  prêcher  la  foi  évau- 
gèlique  en  Gaule.  11  annonça  le  Christ  aux  Nerviens  du  pays  de  Touruay  et  à  d'autres  populations 
encore.  La  tradition  veut  qu'il  ait  été  marqué  du  caractère  épiscopal.  11  entreprit  en  premier  lieu 
le  défrichement  du  canton  qu'on  a  appelé  plus  tard  la  Châtellenie  de  Lille  :  c'est  pour  celte  pajlie 
du  champ  du  Seigneur  que  coulèrent  ses  sueurs  les  plus  abondantes.  Lorsque  saint  Chryseuil  el 
saiiit  Piat  curent  subi  le  martyre,  il  eut  soin  de  confirmer  leurs  néophytes  dans  la  vraie  religion. 
Enfin,  après  avoir  combattu  le  bon  combat  et  consommé  sa  course,  il  décéda  vers  la  fin  du  in«  siè- 
cle, à  Séclin,  où  il  fut  enseveli. 

C'est  pourquoi  les  s;i:uies  reliques  d'Eubert  furent  d'abord  honorées  à  Séclin.  Mais  ayant  été 
apportées  à  Lille  en  1UIJ7,  pour  la  dédicace  solennelle  de  l'église  collégiale  de  Saint-Pierre,  qui  re- 
levait immédiatement  du  Saint-Siège,  elles  y  furent  conservées  avec  beaucoup  d'honneur.  Elles 
furent  peu  après  transférées  pour  un  temps  au  monastère  d'ilanuon,  à  l'occasion  de  la  dédicace  de 
cette  abbaye.  Les  chanoines  cédèrent  un  de  ses  os  à  l'abbaye  de  Liessies.  L'an  1229,  Walter  ou 


SAEJT  SÉVÈRE  DE  RAVENOT,   ÉVÊQUE   ET   COiNFESSEDR.  205 

Gantier,  évêqne  de  Tournay,  reconnut  pieusement  ces  précieuses  reliques  dans  la  ville  de  Lille. 
Elles  étaient  exposées  à  la  vénération  des  fidèles  le  jour  de  la  fête  du  Saint,  honoré  le  1"  février 
comme  patron  de  Lille,  et  on  les  portait  dévotement  dans  les  rues  de  la  ville,  dans  la  célèbre  proces- 
sion qui  avait  lieu  tous  les  ans  pour  la  fête  de  Sainte-Marie-des-Grilles.  Le  saint  confesseur  figu- 
rait à  la  série  des  bienheureux  évéques,  dans  les  litanies  que  l'on  chantait  d'habitude  par  les  rues 
de  la  cité.  Mais  depuis  la  destruction  malheureuse  et  criminelle  de  l'église  du  prince  des  Apôtres, 
la  mémoire  de  saint  Eubert  disparaissait  insensiblement.  Elle  a  revécu  à  l'occasion  du  fléau  terrible 
du  choléra-morbus.  EnBn,  saint  Eubert  a  recouvré  son  culte  antique,  lorsqu'en  1S48,  à  la  demande 
de  son  Eminence  le  cardinal  Pierre  Giraud,  archevêque  de  Cambrai,  le  Saint-Siège  a  permis  avec 
bouté  que  dans  tout  le  diocèse  on  célébrât  la  fête  du  bienheureux  Eubert. 

Propre  de  Cambrai. 


S.\INT  TORQUAT,  ÉVÊQUE  DE  SAINT-PAUL-TROIS-CHATEAUX, 

ET   SAINT  JOSSERAUD,   MOINE   DE   CRUAS   (321). 

Saint  Torquat,  évèque  de  Saint-Paul-Trois-Chàtaaux,  mourut  en  321.  Sa  fête  se  trouve  dans 
l'ancien  Bréviah-e  de  l'église  Tricasline,  dans  le  propre  des  Saints  de  ce  diocèse,  imprimé  en  1158, 
et  dans  les  livres  liturgiques  de  l'église  de  Viviers.  Sa  vie  nous  est  inconnue.  Son  corps  était  con- 
servé autrefois  dans  le  monastère  de  Cruas,  en  Vivarais,  où  il  fut  brûlé  par  les  calvinistes.  Il  existe 
encore  une  antre  chapelle  qui  porte  son  nom,  près  de  Suze-la-Rousse,  sur  les  bords  du  Leg,  dans 
l'ancien  diocèse  de  Saint-Paul  '. 

Les  BoUandistes  rapportent  que  l'herbe  cessa  de  croître  snr  le  lieu  où  les  calvinistes  brûlèrent 
le  corps  de  saint  Torquat  et  de  saint  Josserand.  Ayant  demandé  à  M.  le  curé  de  Cruas  si  ce  miracle 
avait  jamais  existé,  voici  ce  qui  nous  a  été  répondu  le  dS  janvier  1872  : 

0  Je  regrette  beaucoup  de  n'avoii'  trouvé  dans  ma  paroisse  aucune  tradition  sur  la  personne  de 
saint  Josserand,  ni  sur  son  genre  de  mort,  ni  sur  le  miracle  qui  aurait  eu  lieu  sur  sa  tombe.  Durant 
les  jours  de  la  Terreur,  on  brûla  sur  la  place,  qui  est  devant  mon  église,  les  livres  et  les  manus- 
crits de  l'abbaye,  archives  où  on  eût  pu  trouver  quelques  renseignements  sur  le  Saint  dont  vous 
parlez.  Tout  ce  que  j'ai  à  ce  sujet,  c'est  une  note  laissée  par  un  ancien  président  de  fabrique,  où 
il  est  dit  que  l'église  de  Cruas  était  dédiée  à  la  sainte  Vierge  et  à  saint  Josserand  ». 


SAINT  SÉVÈRE  DE  RAVENiNE,  ÉVÊQUE  ET  CONFESSEUR  (389). 

Sévère,  citoyen  de  la  ville  de  Ravenne,  en  Italie,  avait  pour  métier  de  travailler  la  laine  ;  métier 
qu'il  exerçait  avec  Vincence,  sa  femme,  et  sa  fille  Innocence.  L'évêque,  onzième  successeur  d'Apolli- 
naire, qui  fut  disciple  des  Apôtres,  étant  venu  à  mourir,  le  peuple  entier,  après  un  jei'me  de  trois 
jours,  s'assembla  à  l'église  pour  l'élection  d'un  nouveau  prélat  :  alors  une  colombe  toute  blancliÊ. 
vint  se  poser  sur  la  tête  de  Sévère,  à  la  vue  de  tout  le  monde.  Les  uns  conclurent  aussitôt,  par  ce 
signe,  que  cet  homme  était  digne  du  sacerdoce  ;  mais  les  autres,  choqués  de  ses  haillons,  le  chas» 
sèrent  de  l'église.  Le  même  prodige  s' étant  renouvelé  le  lendemain  et  le  surlendemain,  tout  le  peu- 
ple, se  conformant  au  jugement  de  Dieu,  l'élut  pour  évèque,  et  il  fut  consacré  suivant  le  rite  ecclé- 
siastique. Son  épouse  et  sa  fille  prient  le  voile  et  se  firent  les  servantes  de  Dieu.  Sévère,  en  qui  Is 
doctrine  était  infuse  divinement,  plutôt  qu'humainement  acquise,  possédait  une  puissance  de  sagesse 
et  de  vertu  rare.  Lorsqu'il  eut  gouverné  très-saintement  le  troupeau  confié  à  ses  soins,  sentant 
approcher  la  fin  de  sa  vie,  un  peu  après  avoir  achevé  l'office  de  la  sainte  messe,  il  se  mit  en  route 
pour  le  tombeau  de  sa  femme  et  de  sa  fille,  mortes  avant  lui  ;  arrivé  là,  il  se  fait  ouvrir  le  tom- 
beau et  commande  qu'on  lui  fasse  une  place  ;  à  sa  voix  le  sarcophage  se  meut  de  lui-même  et  se 

1.  Eloges  de  sainte  Marthe;  Hist.  de  Vcgtise  de  Snint-Paul-Trois-Chàteaux ,  p.  10-12;  Histoire  du 
Languedoc,  t.  ii,  p.  163  ;  l'abbé  Nadal,  histoire  hagiologi'jue  du  diocèse  de  Valence^  p.  71. 


206  I"  FÉTWEB. 

déplace  miraculeusement.  Le  saint  évêque,  descenJu  vivant  dans  ce  tombeau,  s'y  endormit  dans  le 
Seigneur  tout  en  priant. 

Après  un  certain  laps  de  temps,  il  arriva  qu'Olger,  archevêque  de  Mayeuce,  partit  en  Italie  pour 
rétablir  la  paix  entre  l'empereur  Louis  et  son  Bis  Lotliaire.  Ayant  appris  que  les  reliques  de  saint 
Sévère  se  gardaient  à  Pavie,  il  les  fit  enlever  du  lieu  où  elles  avaient  été  déposées  d'abord,  les 
apporta  avec  lui  à  Mayence,  et  les  mit  dans  l'église  de  Saint-Alban.  Elles  en  furent  tirées  dans  la 
suite  pour  être  transportées,  au  milieu  d'un  immense  concours,  au  monastère  d'Erfnrd,  dédié  alors 
k  saiut  Paul;  elles  y  ont  eu  l'honneur  d'une  splendide  basilique  du  nom  de  Saint-Sévère, dans  la- 
quelle se  sont  opérés  de  grands  miracles. 

La  colombe  qui  vint  se  poser  sur  la  tête  de  saint  Sévère  au  moment  de  son  élection  est  son 
atlribut  et  l'attribut  d'un  grand  nombre  d'autres  évoques  de  Ravenne,  car  les  habitants  de  cette 
ville  prétendent  que  longtemps,  chez  eux,  le  ciel  voulut  bien  se  charger  de  désigner  de  cette  façon 
leur  premier  pasteur.  Quoi  qu'il  en  soit  de  la  prétention  des  Ravennais,  il  est  permis  de  voir,  dans 
la  colombe  que  les  artistes  placent  sur  la  tète  de  saint  Sévère,  une  signification  morale,  à  savoir 
que,  quoique  ignorant  et  longtemps  habitué  au  travail  des  mains,  il  montra  dans  ses  discours  une 
assistance  habituelle  du  Saint-Esprit.  Le  diocèse  de  Ravenne  a  obtenu  la  permission  de  fêter  en  un 
même  oflice  ses  douze  évèques  qualiflés  de  Colom/iins. 

La  légende  a  donné  un  tour  très-pittoresque  à  l'élection  de  saint  Sévère  :  «  Tisserand  de  son 
métier  et  vivant  dans  la  continence  avec  sa  femme,  il  lui  prit  envie  d'aller  assister  à  l'élection  d'un 
nouvel  éïèque.  Sa  femme  lui  fit  observer  qu'on  élirait  bien  un  évèque  sans  lui,  et  qu'il  ferait  beau- 
coup mieux  d'avancer  la  recette  du  ménage.  Mais  comme  il  insistait  pour  s'y  rendre,  la  femme  lui 
dit  en  se  moquant  :  Ne  vois-tu  pas  qu'on  va  te  faire  évèque,  si  tu  te  montres  là  1 11  se  trouva 
qu'elle  avait  dit  plus  vrai  qu'elle  ne  pensait  elle-même,  car  il  fut  acclamé  par  le  peuple  entier.  En 
mémoire  de  cette  élection  inattendue,  on  le  trouve  point  en  costume  d'ouvrier,  avec  une  navette 
qui  sort  de  sa  poche  ou  avec  un  rouleau  d'étoffe  sous  le  bras,  comme  s'il  allait  servir  ses  clients. 
En  ce  cas,  une  milre  près  de  lui  indique  l'aventure  qui  répondit  à  la  plaisanterie  de  sa  femme. 
C'est  en  raison  de  son  ancienne  profession  que  dans  certains  pays  les  tisserands,  les  drapiers.  Ut 
fileurs,  les  tisseurs  en  soie,  etc.,  l'ont  pris  pour  patron. 


SAINT  PHÉCORD,  SOLITAIRE  DANS  LE  SOISSONNAIS  {n'  siècle). 

Le  diocèse  de  Soissons  honore  aujourd'hui  la  mémoire  de  saint  Précord,  qui  naquit  en  Ecosse, 
et  qui  vint  en  France  au  temps  du  roi  Clovis.  Attiré  par  la  renommée  de  saint  Rémi,  il  se  rendit 
auprès  de  lui.  Puis,  ayant  appris  de  ce  grand  Saint  à  quelle  vocation  il  était  appelé  de  Dieu,  il  se 
dirigea  vers  une  petite  ville  du  Soissonnais,  située  sur  l'Aisne,  et  qui  se  nommait  'Vailly.  C'est  là 
qu'après  avoir  vécu,  ne  s'occupant  que  du  ciel,  et  connu  de  Dieu  seul,  il  décéda  et  fut  enseveli 
aa  même  endroit. 

Or,  vers  l'an  941,  il  arriva  ceci  :  l'affluence  des  pèlerins  enrichiss.iH  tellement  l'église  où  les 
reUques  de  saint  Précord  étaient  déposées,  que  cette  église  devint  un  objet  de  convoitise  ;  un  prêtre 
nommé  Thiard  parvint  à  obtenir  ce  bénéfice,  et  paya  un  autre  prêtre  pour  remplir  son  office  et 
garder  ce  trésor  précieux.  Celui-ci  enleva  la  châsse  et  s'enfuit  en  Angleterre.  Thiard  se  met  à  U 
poursuite  du  voleur  et  le  retrouve  dans  un  village  de  cette  Ile  où  il  s'était  fixé.  A  force  d'adresse, 
Thiard  à  son  tour  put  s'emparer  des  reliques  et  revenir  en  France.  Dans  son  empressement  à  re- 
gagner Vailly,  il  se  trompe  de  route  et  arrive  à  Fouilloy,  domaine  du  monastère  de  Corbie.  L'abbé 
de  ce  monastère  les  acheta  à  Thiard  et  les  plaça  dans  l'église  de  Saint-Pierre,  où  elles  sont  restées 
jusqu'à  la  Révolution  française. 

Le  culte  du  Saint  n'en  continua  pas  moins  de  fleurir  à  Vailly,  qui  parvint  à  recouvrer  au 
rvii»  siècle  une  partie  notable  de  son -corps,  par  l'entremise  de  D.  Jean  Poncelct,  religieux  béné- 
dictin originaire  de  cette  ville  (1633).  —  On  célèbre  la  mémoire  de  celle  translation  le  22  juillet, 
tandis  que  la  principale  fête  du  Saint  a  lieu  le  1"  février.  Depuis  la  destruction  de  l'église  de  Saint- 
Précord  de  Vailly,  au  temps  de  la  Révolution,  l'église  de  la  ville  abrite  les  reliques  du  Saint,  sau- 
vées par  quelques  pieux  citoyens  et  de  nouveau  reconnues  par  Jean-Claude  Leblanc  de  Beaulieu, 
premier  évèque  de  Soissons,  après  le  concordat  de  1802. 

Saint  Précord  est  invoqué,  en  temps  de  sécheresse,  pour  avoir  de  la  pluie. 

Propre  de  Soissons  et  Annales  du  diocèse  de  Soissons,  par  M.  l'abbé  rcchcur. 


I 


SAINT  SEVER,   ÉVÊQUE  d'aTRANCHES.  207 

'■'-■■  -  "  " 

SAINT  AGRIPAN  OU  AGRÈVE  DU  PUY  (vn*  siècle). 

Agripan,  le  senl  des  évèqnes  da  Velay  qui  ait  enduré  le  martyre,  naquit  en  Espagne.  Dès  l'en* 
fance,  il  se  fit  remarquer  parmi  ceux  de  son  âge  autant  par  sa  docilité  que  par  son  esprit,  et  Qt  (!e 
grands  progrès  dans  la  science.  Souvent,  lorsqu'il  le  cherchait  pour  prendre  sa  réfection,  son  miitre 
le  trouva  dans  le  temple,  qui  nourrissait  son  àme  par  une  longue  et  fervente  oraison.  Voulant  sa 
dérober  aux  impcrtanités  de  ses  parents  qui  le  poussaient  au  mariage,  il  partit  secrètement  pour 
Rome,  où  le  souverain  pontife  Martin  le  distinguant  pour  son  instruction  et  pour  sa  science,  le  coa- 
sacra  évèque  de  l'église  du  Velay. 

A  son  arrivée  en  ce  pays,  il  le  trouva  encore  infecté  des  superstitions  païennes  et  tout  souillé 
des  erreurs  d'Arins  et  d'IIelvidius.  Muni  des  armes  de  l'oraison  et  du  jeûne,  et  s'abstenant  de  vin  et 
de  viande,  cet  eicellent  pasteur  combattit  le  monstre  de  l'erreur  avec  une  vigueur  d'âme  invincible 
et  une  infatigable  constance.  Toute  sa  vie  épiscopale  se  passa  à  ccnûrmer  les  fidèles  par  la  fréquente 
prédication  de  l'Evangile,  à  confondre  les  paiens,  à  ramener  les  hérétiques  à  une  plus  sainte  doc- 
trine, s' exposant  sans  crainte  à  de  nombreux  dangers  dont  le  secours  divin  le  retirait  toujours. 

Il  fil  un  second  voyage  à  Rome;  il  en  revenait  et  se  trouvait  déjà  au  milieu  de  son  troupeau, 
lorsqu'il  rencontra  des  adorateurs  des  idoles  à  vingt  milles  de  la  ville  du  Puy.  Les  ayant  sévère- 
ment réprimandés  de  leurs  cérémonies  sacrilèges,  il  fut  saisi  par  eux  et  jeté  en  prison,  et  trois  jours 
après,  par  l'instigation  de  la  dame  du  lieu  qui  était  palenae,  il  fut  décapité  avec  Ursicin,  son  servi- 
teur et  le  compagnon  de  son  martyre.  Selon  la  tradition,  la  tète  du  Saint,  en  tombant,  fit  jaillir  une 
source  dans  une  vallée,  laquelle  ensuite  fournit  de  l'eau  pour  guérir  les  maladies  et  baptiser  un 
grand  nombre  de  paiens.  Les  chiiticii?.  en  veillant  la  nuit  à  son  tombeau  dans  la  prière,  éprou- 
vèrent souvent  l'efficacité  de  sa  protection.  La  couronne  du  martyre  fut  accordée  au  saint  évèque 
le  i"  de  février.  —  Saint  Agripan  a  donné  son  nom  à  la  ville  de  Saint-Agrève  (Ardèche). 


SAINT  SEVER,  ÉVÊQUE  D'AVRANGHES  (vif  siècle). 

Sever  naquit  d'une  humble  famille  du  Contentin,  et  ses  parents,  forcés  par  l'indigence,  le  don- 
nèrent à  Covbec.  homme  noble  et  infidèle,  pour  être  employé  aux  travaux  serviles.  11  mena  ainsi, 
dès  l'enfance,  une  vie  dure  et  champêtre  qu'il  ennoblissait  par  l'exercice  de  la  prière  et  de  l'aumône, 
et  sa  vertu  se  manifesta  par  des  miracles.  Corbec  en  fut  ébranlé  et  se  convertit  avec  toute  sa  famille 
i  la  foi  chrétienne. 

Sever  faisait  donc  l'admiration  de  tout  ce  qui  l'entourait  ;  mais  le  désir  d'une  vie  plus  secrète 
le  fit  se  retirer  dans  une  solitude  voisine.  Un  grand  nombre  de  disciples  étant  venus  le  trouver,  il 
fonda  un  monastère  en  l'honneur  de  la  sainte  Mère  de  Dieu,  qu'il  pourvut  d'une  excellente  règle. 
Mais  la  renommée  de  ses  vertus,  qui  se  propageait  de  jour  en  jour,  le  mit  dans  la  nécessité  de  se 
charger  du  gouvernement  de  l'église  d'Avranches. 

Après  avoir  porté  pendant  quelques  années  ce  fardeau  avec  autant  de  piété  que  de  prudence, 
le  saint  homme,  qui  regrettait  son  ancienne  vie  solitaire,  se  démit  volontairement  de  l'épis- 
copat,  et  se  retira  dans  son  monastère,  où  il  dépensa  le  reste  de  sa  vie  en  pieux  exercices  et  en 
sublimes  contemplations.  Enfin,  épuisé  par  l'âge,  i!  rendit  son  âme  à  Dieu  entre  les  bras  de  ses 
disciples,  et  fut  enseveli  dans  l'église  construite  par  ses  soins.  Sa  sainteté  éclata  par  de  nombreux 
miracles  opérés  après  sa  mort. 

Son  corps,  que  l'on  avait  caché  en  terre  à  l'époque  des  invasions  normandes,  fut  retrouvé  intact 
à  la  fin  du  x»  siècle,  et  transféré  à  Rouen  par  les  soins  de  Richard-Sans-Peur,  due  de  Normandie, 
qai  voulut  en  enrichir  la  capitale  de  ses  Etats. 

Le  corps  de  saint  Sever  s'arrêta  à  Emendreville,  et  imposa  bientôt  son  nom  à  ce  faubourg  de 
Rouen  (990). 

L'église  métropolitaine  de  Rouen  eut  le  bonheur  de  conserver  les  reliques  de  saint  Sever  jusqu'à 
la  Révolution.  On  voit  encore  dans  l'église  paroissiale  qui  porte  son  nom  la  belle  châsse  qui  les 
contenaiu 

Rouen  célèbre  ta  fête  le  i"  février,  et  Coatances  le  5  juillet. 


208  1"   FÉVRIER. 


SALNT  JEAN  DE  LA  GRILLE  (1170). 

Le  bienheareni  Jeaa,  sarnommé  de  la  Grille,  k  caase  d'une  grille  de  fer  qni  entoure  son  sé- 
pulcre, était  Breton,  issu  de  parents  d'ane  condition  médiocre.  Il  naquit  l'an  de  notre  salut  1098, 
sous  le  pontificat  de  Pascal  II  et  sous  le  règne  d'Albain  IV,  duc  souverain  de  Bretagne.  Il  étudia 
les  lettres  et  les  sciences  dans  sa  jeunesse  et  y  fit  de  grands  progrès.  Ses  études  achevées,  il  se 
résolut  à  quitter  le  monde  et  à  se  faire  religieux  de  l'Ordre  de  Citeaux,  qui  était  alors  florissant  en 
sainteté,  et  qui  attirait  les  regards  de  toute  la  chrétienté.  Il  alla  donc  trouver  le  glorieux  patriarche 
saint  Bernard,  qui,  après  avoir  éprouvé  sa  persévérance,  lui  donna  l'habit  de  son  Ordre,  l'an  U21. 
U  fit  son  noviciat  et  sa  profession  sous  la  direction  de  saint  Bernard  lui-même. 

Vers  ce  temps-là,  le  comte  de  Penthièvre,  Etienne  III,  et  Havoise,  comtesse  de  Guingamp,  sa 
femme,  désirant  fonder  dans  leurs  terres  un  monastère  de  l'Ordre  de  Citeaux,  firent  supplier  saint 
Bernard  de  leur  envoyer  des  religieux.  Saint  Bernard  leur  envoya  Jean,  qui  fonda  le  monastère  de 
Begar,  à  trois  lieues  de  Guiugamp,  dans  le  diocèse  de  Tréguier,  l'an  1130. 11  fonda  de  même,  à  la  de- 
mande d'Emengarde  d'Anjou,  veuve  du  duc  Allain  IV,  et  par  les  ordres  de  saint  Bernard,  le  monastère 
de  Bu2ay  (16  juin  1139),  dont  il  fut  nommé  abbé.  Pendant  qu'il  était  abbé  de  Buzay,  il  reçut  plu- 
sieurs lettres  de  saint  Bernard,  notamment  celle  qui  est  la  230»  dans  les  œuvres  de  ce  grand 
Saint.  Ayant  gouverné  quatorze  ans  ce  monastère,  et  le  36«  évèque  d'.\letb,  en  Bretagne,  nommé 
Benoit,  étant  décédé,  Jean  fut  élu  à  sa  place,  an  grand  déplaisir  de  ses  religieux,  et  fut  sacré 
l'an  1140. 

Dès  l'année  1141,  voyant  que  l'ile  d'Aaron  commençait  à  se  peupler  et  à  s'agrandir,  il  y  trans- 
féra le  siège  de  son  évèché,  abandonnant  l'ancienne  cité  d'Alelh,  aujourd'hui  Quidaleth,  et  il  nomma 
la  nouvelle  ville  Saint-Malo.  Saint-.Malo  obtint  aussitôt  du  duc  Conan  tous  les  privilèges  de  la  ville 
d'Aleth,  et  d'autres  encore  qui  lui  furent  accordés  à  la  prière  da  saint  prélat 

A  la  demande  du  même  comte  Etienne  de  Penthièvre  et  de  sa  femme,  il  fonda  encore  le  mo- 
nastère de  Sainte-Croix-de-Guingamp,  et  il  y  mit  des  chanoines  réguliers  de  Saint-Augustin.  Les 
moines  de  Marmoutier-les-Tours  lui  ayant  suscité  un  procès  au  sujet  de  l'égUse  abbatiale  de  Saint-Malo, 
qu'il  avait  choisie  pour  sa  cathédrale,  cette  affaire  l'obligea  d'entreprendre  deux  voyages  à  Rome  ; 
les  souverains  pontifes  Eugène  III  et  Adrien  FV  lui  donnèrent  chaque  fois  gain  de  cause,  et  le  con- 
firmèrent dans  la  possession  de  son  église.  Outre  les  œuvres  que  nous  venons  de  rapporter,  il  reçut 
encore  dn  pape  Lucius  la  commission  difficile  de  ramener  le  monastère  de  Saint-Méen-de-Gaêl  à 
l'étroite  observance  de  la  règle  de  saint  Benoit,  et  il  s'en  acquitta  avec  un  plein  succès.  U  fit  aussi 
donner  aux  chanoines  réguliers  de  Saint-Victor-de-Paris,  l'église  de  Sainte-Geneviève,  jadis  fondée 
par  le  roi  Clovis,  en  l'honneur  des  apôtres  Pierre  et  Paul.  Le  Pape  chargea  de  cette  affaire  Suger, 
abbé  de  Saint-Denis.  Il  procura  la  fondation  du  monastère  de  Saint-Jacques-de-Montfort  dans  son 
diocèse;  il  y  mit  encore  des  chanoines  réguliers  de  Saint-Augustin,  et,  en  1156,  il  en  bénit  le 
maitre-autel.  Enfin,  ayant  vécu  en  grands  sainteté  et  gouverné  son  église  l'espace  de  trente  ans, 
chargé  d'années,  mais  plus  encore  de  mérites,  il  rendit  son  esprit  à  Dieu  le  premier  jour  de  février, 
l'an  de  grâce  1170.  Léon  X  ordonna  que  sa  fête  fût  célébrée  ce  même  jour  avec  oa  office  so» 
lennel  (1517). 

Tiré  des  Vies  des  Saints  de  la  Brelagne-Armorigue,  par  Albert  le  Grand,  de  Horlaix. 


LE  BIENHEUREUX  ANDRÉ  DE  SÉGNI  (1302), 

André,  fils  d'Etienne,  de  l'illustre  famille  des  comtes  de  Ségni,  de  laquelle  sont  sortis  les  sou- 
verains pontifes  Innocent  IIl,  Grégoire  IX  et  Alexandre  IV,  vit  le  jour  à  Anagni,  dans  les  Etats 
romains.  Désigné,  dès  sa  jeunesse,  pour  être  le  lot  du  Seigneur,  et  méprisant  les  attraits  et  les 
caresses  du  monde,  qni  s'offraient  si  bien  à  lui  dans  le  sein  d'une  famille  princière,  il  s'enrôla  dans 
l'Ordre  des  .Mineurs.  Une  fois  dans  cette  milice,  son  goût  prononcé  pour  la  rigidité  de  la  discipline 
et  la  sublimité  de  la  perfection  le  décida  à  se  rendre  au  monastère  de  Saint-Laurent,  fondé  par 
saint  François,  dans  la  campagne  romaine,  près  de  Castro-Pileo.  Ayant  déconvert  près  de  U  une 


MAIITÏROLOGES.  201) 

caverne  très-sauvage,  dans  laquelle,  à  cause  de  sa  taille  qui  était  très-haute,  il  ne  pouvait  se  tenir 
que  courbé  ou  bien  à  genoux,  il  embrassa  le  genre  de  vie  le  plus  rigourem.  U  macérait  sa  chair 
avec  tant  de  rigueur  et  de  sévérité  que,  420  ans  après  sa  mort,  on  trouvait  encore  adhérentes  à  son 
corps  des  parcelles  du  cilice  qu'il  portait  continuellement. 

A  cela  s'ajoutait  la  guerre  qu'il  dut  soutenir  sans  relâche  contre  les  démons,  qui  ne  négligèrent 
rien  pour  arracher  le  serviteur  de  Dieu  de  sa  retraite.  Mais,  aidé  du  secours  divin,  et  soutenu  par 
la  vue  de  la  crois  dont  il  avait  gravé  le  signe  dans  le  marbre  de  sa  grotte,  André  rendit  vains  tous 
les  efforts  et  déjoua  toutes  les  ruses  de  l'ennemi.  Il  avait  acquis  par  là  un  pouvoir  particulier  sur 
les  dénions,  qu'il  mettait  en  fuite.  Les  victimes  des  attentats  diaboliques  trouvaient  en  lui  aide  et 
protection.  Son  humilité  n'était  pas  diminuée  par  tous  ces  privilèges  réservés  aux  grands  saints  ; 
il  le  prouva  bien  lorsque  Boniface  VIII,  son  neveu,  fils  de  sa  sœur,  le  nomma  cardinal.  De  peur  que 
cette  haute  dignité  ne  l'éloignât  de  la  vie  cachée  en  union  avec  le  Christ,  il  en  renvoya  sur-le-champ 
le  titre,  et  refusa  constamment  ce  sublime  honneur.  Cette  conduite  parut  si  surprenante  et  si  admi- 
rable à  Boniface  VIII,  qu'il  promit  de  canoniser  son  oncle  s'il  lui  survivait. 

U  avait  une  inie  très-compatissante,  et  sa  sensibilité  universelle  s'étendait  jusqu'aux  animaux. 
Un  jour  qu'il  était  malade,  on  lui  apporta,  pour  réveiller  son  estomac  affadi,  quelques  petits  oiseaux 
tués  à  la  chasse.  Le  Saint  eut  pitié  de  ces  pauvres  animaux  étendus  sans  vie  et  tout  sanglants  de- 
vant ses  yeux.  II  fit  sur  eux  le  signe  de  la  croix,  en  priant  Dieu  de  les  ressusciter.  Dès  qu'il  eut 
fini  son  oraison,  les  oiseaux  commencèrent  à  s'agiter,  battirent  des  ailes  et  s'envolèrent. 

Doué  d'un  esprit  très-apte  à  l'étude  des  lettres,  il  mérita  d'être  loué  pour  sa  science,  et  fut 
ainsi,  par  la  doctrine  comme  par  la  sainteté,  un  des  hommes  les  plus  remarquables  de  son  temps. 
Il  composa,  sons  le  titre  de  VEnfantetnent  de  la  Vierge,  un  livre  excellent  sur  les  mérites  et  les 
vertus  de  la  Mère  de  Dieu.  Cet  ouvrage  a  péri  par  l'injure  du  temps,  mais  les  témoignages  des  doc- 
teurs en  font  un  grand  éloge.  Les  miracles  non  plus  ne  manquèrent  pas  pour  attester  sa  sainteté. 
Enfin,  comblé  de  mérites  et  devenu  plus  digne  du  ciel  que  de  la  terre,  il  passa  de  ce  monde  à  Dieu, 
le  1»'  février,  l'an  de  notre  salut  1302.  Son  corps,  devenu  célèbre  par  le  concours  de  peuple 
qu'il  attire  et  par  l'expulsion  des  démons,  se  voit  et  est  honoré  dans  l'église  du  monastère  de 
Saint-Laurent  des  Mineurs  Conventuels.  Son  culte  avait  été  consacré  par  le  temps,  lorsqu'un  décret 
d'Innocent  XIII,  pape  de  la  même  famille  et  digne  émule  de  ses  ancêtres,  le  confirma  par  un  décret 
solennel. 

Bréviaire  franciscain  et  Palmier  séraphique. 


E  JOUR  DE  FÉVRIER 


MARTYTIOLOGE   ROMAIN. 

La  Purification  de  la  bienheueeuse  vierge  .^L4B^E,  laquelle  fête  est  nommée  par  les 
Grecs  l'Hypapaute,  c'est-à-dire  la  rencontre  du  Seigneur  '.  —  A  Rome,  sur  la  voie  Salai-ia.  le 
martyre  de  saint  Apronien,  geôlier,  qui,  étant  encore  païen,  comme  il  tirait  saint  Sisinne  de  la 
prison,  pour  le  conduire  devant  le  préfet  Laodicius,  entendit  une  voix  venant  du  ciel  qui  disait  ; 
B  Venez,  les  bénis  de  mon  Père,  recevez  le  royaume  qui  vous  a  été  préparé  dès  le  commencement 
du  monde  »,  crut,  fut  baptisé,  et  ensuite,  persévérant  dans  la  confession  du  Seigneur,  finit  sa  vie 
après  avoir  eu  la  tète  tftnchée  2.  lye  s.  —  Encore  à  Rome,  les  saints  martyrs  Fortunat,  Félicien, 

1.  C'est-à-dire  la  rencontre  de  J(!sus,  dn  vieUlard  Siméon  et  d'Anne  la  prophétesse. 

2.  La  mémoire  de  saint  Sisinne  et  de  saint  Apronien  se  rattache  à  la  constrnction  des  fameni  Therme» 
de  Dioclétien  qne  ce  crael  empereur  fit  flever  par  la  main  des  soldats  chriîtiens  rednits  h.  la  condition 
d'esclaves,  avec  les  dépouilles  de  cinquante  nations  d'Afrique  qu'il  avait  vaincues.  Un  riche  romain,  du 
nom  de  Thrason,  envoyait  des  vi%Tes  k  ces  infortane's  par  l'intermédiaire  de  Sisinne  et  de  Cyriaqne,  diacres, 
de  Smaragde  et  de  Largus.  Plus  d'une  fois,  il  arriva  que  ces  saints  Lévites  suppléèrent  les  vieillards  et 
les  malades  dans  l'accomplissement  de  leur  pénible  tâche.  Des  actes  d'une  aussi  éclatante  cliarité  ne  pon- 
roicnt  longtemps  échapper  au.\  yeux  des  surveillants  pnïeiis  qui  les  dénoncèrent  au  préfet  de  Rome,  Lao- 

ViES  DEis  Saints.  —  Tome  U.  14 


210  2   FÉVRIER. 

Firme  et  Candide.  —  A  Césarée.  en  Palestine,  saint  Corneilie  tB  Centoriov,  que  le  bien- 
heureux Pierre,  apAtre,  baptisa,  et  qu'il  éleva  ensuite  h  la  dij^nité  d*évêquc  de  celle  ville.  —  A 
Orléans,  saint  Floscdle  ou  Flou.  Vers  500.  —  A  Cantorbéry,  en  Angleterre,  la  naissance  an 
ciel  de  saint  LAcnENT,  évoque,  qui  gouverna  celte  église  après  saiût  Augustin,  et  couvertit  le  roi 
lui-même  à  la  foi.  619. 

MARTYROLOGE  DB  FRANCE,  REVU  ET  AUGUENTÉ. 

A  Marseille,  la  fête  de  la  Purification  5c  célèbre  avec  Octave  dans  Téglise  de  Saint-Victor.  Il  y 
a  à  cette  occasion  un  pèlerinas^e  très-fréquonté  aut  cryptes  de  cette  ancienne  abbaye  où  l'on  vénère 
l'antique  statue  de  Notre-Dame  du  feu  nouveau  {fuè  7ïoù)  dite  la  Vierge  noire  i.  —  A  Orléans,  sainff 

^licius.  Sisinne  qni  devait  Ctrs  rinstrumcnt  de  la  conversion  du  t;c6Uer  Apronlcn.  no  tivda  pns  h  être  Jeté 
dans  les  fers,  ainsi  que  ses  edntfreus  compagnons. 

Le  Carniel  d'Amiens  possède  an  fort  ossement  du  saint  martyr  Aproniuo. 

1.  Bans  son  Histoire  des  evéques  de  Marseille^  M.  l'abbé  Ant.  Ricard  a  fait  on  ^de-ttlnéralre  do  ces 
crTptes.  oU  se  trouvent  résamés  leur  historique,  leurs  souvenirs  et  le  but  du  pMerîna^e. 

«  Je  suppose  »,  dit  M.  Ricard,  «  que  le  pieux  visiteur  de  nos  véntfrables  catacombes  marseillaises  prend, 
pour  y  descendre,  l'escalier  dont  la  porte  s'ouvre  un  peu  avant  le  milieu  de  la  nef  lattfrale  de  droite,  prbs 
de  l'autel  de  Saint-Victor,  dans  IV.^lîse  supérieure.  Arrivé  au  bas  de  l'escalier,  il  devra  entreprenilro  le 
tour  du  souterrain,  en  commençant  par  la  droite.  Tout  d'abord,  à  cûté  de  l'escalier,  il  rencontre  une 
chapelle  dédiée  aux  saints  Ilernics  et  Adrien,  martyrs  de  Marseille.  On  voit  sur  l'autel  qui  leur  était  con- 
sacré un  ancien  tombeau  de  marbre  blanc  placé  l'a  depuis  quelques  années  seulement.  Sortant  de  cotte 
chapelle,  et  pour  continuer  le  circuit  par  la  droite,  on  trouve  un  passade  assez  étroit  dont  la  voflto  est 
ornée  de  sculptures  des  ve  ou  vie  siècles.  Ce  passage  conduit  à  la  chapelle  ou  crypte  de  Sainte  Madeleine. 
Cette  crypte,  entièrement  taillée  dans  le  roc,  est  la  partie  la  plus  ancienne  du  souterrain.  Tout  nous 
autorise  à  croire  que  c'est  là  le  premier  lieu  de  réunion  oîi  les  fidèles  marseillais  s'assemblaient  pour  la 
célébration  des  saints  mystères  et  où  ils  ensevelirent  le  corps  des  martjTs.  Elle  renfenne  plusieurs  tom- 
beaux, parmi  lesquels  le  sépulcre  primitif  de  saint  Victor.  Dans  le  fond,  un  autel  de  pierre  est  surmonté 
d'un  bas-relief  attribué  à  Puset,  ou  mieux  à  son  école.  A  gauche  de  l'autel,  une  petite  colonne  taillée 
dans  le  rocher  partage  en  deux  parties  un  banc  également  taillé  dans  la  pierre.  La  tradition  constante 
appelle  ce  siège  le  confessionnal  de  saint  Lazare,  et  l'archéologie  est  loin  de  contredire  cette  donnée  popu- 
laire. On  voit,  dans  la  partie  de  la  voûte  qui  est  au-dessus  de  ce  siège,  la  figure  de  saint  Lazare,  avec  la 
palme  et  la  crosse,  symboles  de  son  martyre  et  de  son  épiscopat.  Remarquons  aussi  Valpha  et  Voméga 
taillés  dans  la  voûte  de  cette  chapelle,  tels  qu'on  les  retrouve  dans  les  catacombes  de  Rome.  A  droite  de 
l'autel,  s'ouvre  la  catacombe  à  l'entrée  de  laquelle  on  voyait  jadis  la  statue  de  la  Madeleine  couchée,  et  qut  est 
aujourd'hui  en  très-grande  partie  comblée;  on  trouve  le  long  des  parvis  des  pierres  creuses,  jadis  remplies 
d'ossements.  C'est  Ik  qu'autrefois  se  trouvait  le  tombeau  d'un  des  saints  Innocents.  Sortons  de  la  chapelle 
de  sainte  Marie-Madeleine,  et  reprenons  le  passage,  en  continuant  îi  droite.  Le  premier  enfoncement  que 
nous  rencontrerons  dans  le  mur  est  celui  qu'occupait,  avant  sa  profanation,  le  tombeau  de  sainte  Eusébie 
et  de  ses  héroïques  compagnes.  Un  second  enfoncement,  occupé  par  l'autel  de  Saint-Victor,  contenait 
autrefois  l'autel  et  les  reliques  de  Saint-Victor  de  Marseille.  On  y  voit  actuellement  un  autel  en  marbre 
blanc  fort  antique.  Enfin,  un  dernier  enfoncement,  situé  presque  dans  l'angle,  était  occupé  Jadis  par  le 
tombeau  d'Hugues  de  Glaziuis,  sacristain  de  l'abbaye  de  Saint-Victor,  mort  en  odeur  de  sainteté  le 
6  novembre  1250.  Longeant  ensuite  le  mur,  toujours  à  droite,  nous  montons  un  degré  qui  nous  conduit 
dans  la  chapelle  de  Saint-André.  Au  fond  de  la  chapelle,  est  l'autel  de  Saint-André.  Dans  cette  chapelle, 
nos  pères  avaient  placé  les  tombeaux  des  .saints  Pierre  et  Marcellîn,  martyrs,  et  plusieurs  autres  tom- 
beaux. A  gauche  de  l'autel,  du  côté  de  l'Epître,  s'ouvre  un  enfoncement  où  Mgr  Craice  a  réintégré,  le 
1er  mars  1863,  la  précieuse  relique  de  la  croix  de  Saint-André  reconnue  authentique.  Cette  croix  est 
maintenant  au-dessus  de  l'autel  de  Saint-André.  Sortant  de  la  chapelle  Saint-André,  et  continuant  4 
longer  le  mur,  nous  rencontrons  le  pilier  près  duquel  se  trouvait  le  tombeau  de  saint  Cassien,  fondateur 
de  l'abbaye,  puis  la  chapelle  de  Saint- Ysarne,  abbé  de  Saint-Victor.  On  voit  dans  cette  partie  de  l'église 
les  restes  de  peintures  murales  du  xic  ou  commencement  du  xii»  siècle.  A  l'endroit  mCmo  qu'occupait  la 
pierre  tumnlaire  de  Saint-Ysarne,  on  a,  en  1S57,  ouvert  une  porte  qui  conduit  dans  une  vaste  salle  voûtée 
qui  ne  fait  pas  partie  de  l'église  souterraine.  En  continuant  le  tour  de  la  crj-pte,  nous  rencontrons  un 
vaste  escalier  qui  ramène  dans  l'église  supérieure  par  la  porte  qui  s'ouvre  sous  l'orgue.  Dans  l'angle, 
toujours  à  droite,  un  tombeau  contenait  les  reliques  de  quatre  des  sept  frères  donnants,  et  on  voit  dans  le 
mur  la  place  qu'il  occupait.  Un  autre  tombeau  renfermait,  un  peu  plus  loin,  les  reliques  do  saint  Slaurice 
et  de  ses  compagnons.  Presque  en  face  de  l'escalier,  s'ouvre  la  chapelle  de  Saint  Maaront,  évOque  de 
Marseille,  abbé  de  Saint-Victor.  L'autel  est  surmonté  do  trois  statues  en  pierre.  Celle  du  milieu  repré- 
sente saint  Mauront,  les  deux  autres  représentent  saint  Maurice  et  saint  Elzéar  do  Sabran,  dont  une 
statue  plus  moderne  s'élève  près  du  tombeau  de  saint  Maurice,  îi  gauche  de  l'autel.  Une  fois  sortis  de  la 
chapelle  de  Saint  Mauront  et  en  continuant  notre  circuit  à  droito,  nous  rencontrerons  l'enfoncement 
occnpé  Jadis  par  le  tombeau  de  saint  Chrysanthe  et  de  sainte  Darie.  Vis-à-vis  s'ouvre  le  sanctuaire  de 
Notre-Dame  de  Confession  où  nous  reviendrons  tout  Ji  l'heuro.  Auparavant,  continuons  de  longer  le  mur 
et  nous  trouverons,  an  peu  après  avoir  dépassé  l'angle,  la  chapelle  des  sfllnts  Biaise  et  Laurent.  Revenons 
ensuite  sur  nos  pas  et  pénétrons  dans  la  chapelle  de  Notre-bame  dr'  Confession.  Elle  s'ouvre,  nous  l'avons 
dit,  vIs-à-vIs  de  l'ancien  tombeau  des  saints  Chrysanthe  et  Darie.  Respectée  par  nos  pères  a  régal  des 
plna  vénérables  sanctuaires  du  monde,  l'entrée  en  était  interdite  aux  femmes.  Du  reste,  elle  était  d'une 
grande  ma^lâccnco,  et  le  plan  primitif  suppose  qu'elle  avait  trois  nefs  dont  on  reconnaît  les  vcstigea. 


ilAnTYROLOCES.  211 

Sicaire,  vierge.  Vers  SOO.  —  A  Gand,  snint  ColombaD,  abbé,  qui,  étant  venu  d'Irlande,  vécut  et  moorut 
très-sainlenient  dans  le  cimetière  de  Sainl-Bavoa  de  la  même  ville.  959.  —  En  Périgord,  saint 
ACALBADE,  duc  3a  pays  de  Flandre,  tué  par  ceux  qui  avaient  voulu  traverser  son  mariage  avec 
sainte  itictrude.  Son  corps  est  à  Saint-Amand,  en  Flandre.  Vers  652. 


MARTYROLOGES   DES   ORDRES  RELIGIEITS. 

Martyrologe  de  FOrdre  de  Saint-Benoit,  des  Camaldu/es  et  de  la  Congrégation  de  Vallom- 
brcuse.  —  La  Purification  de  la  bienheureuse  vierge  Marie,  laquelle  fête  est  nommée  par  les  Grecs 
YHypapante,  c'est-à-dire  la  rencontre  du  Seigneur.  —  A  Cantorbéry,  en  .Angleterre,  la  naissance 
au  ciel  de  saint  Laurent,  évoque,  qui  gouverna  cette  église  après  saint  Augustin,  et  convertit  le 
roi  lui-même  à  la  foi.  —  k  Rome,  sur  la  voie  Salaria,  etc. 

Martyrologe  de  la  Très-Sainte  Trinité  pour  le  rachat  des  captifs.  —  La  fête  de  la  Purifica- 
tion de  la  bienheureuse  vierge  Marie,  jour  auquel  Innocent  III  revêtit  nos  saints  fondateurs,  Jean  et 
Féliï,  de  l'habit  qni  lui  avait  été  montré  du  ciel,  et  confirma  notre  Ordre.  A  Rome,  etc. 

ADDITIONS  FAITES   D'APRÈS   LES  BOLLANDISTES   ET  ACTRES   HAGIOGRAPHES. 

Dans  le  pays  Vaudois,  le  bienheureux  Pierre  Cambian,  de  Rdffie,  martyrisé  par  les 
Yaudois  en  1365.  —  A  Tyane,  en  Cappadoce,  saint  Agalhodore,  martyr.  —  A  Rome,  avec  les 
saints  martyrs  Forluoat,  Félicien,  Firme  et  Candide,  mentionnés  ci-dessus,  les  saints  Castnie, 
Secondule,  Rogalien,  Caïus,  Grégoire,  Cappe,  Félicité,  Placide,  Victor,  Félix,  .Martial,  Cornélien, 
Salluste,  .Maurice,  Papyrie,  Secondien,  lagéuu,  Mustiile,  Victoire,  Bonose,  une  deuxième  Victoire, 
Hilaire,  Rogat  et  Saturnin,  également  martyrs.  —  A  Fossombrone,  en  Italie,  saint  Laurent  et  saint 
Hippolyte,  martyrs  en  cette  ville.  —  Eu  Afrique,  les  saints  Victor,  Marin,  Perpétue,  JuUe  et 
soixante-quatorze  de  leurs  compagnons  ;  Honoré,  Urbain,  Hilaire,  Privalule  et  trente-quatre  de 
leurs  compagnons,  tons  martyrs,  mentionnés  par  le  martyrologe  de  saint  Jérôme.  —  k  Lentini,  en 
Sicile,  saint  Rhodippe,  deuxième  évêque  de  cette  ville.  Vers  314. — En  Egypte,  saint  JLiRC  de 
Scété.  IV»  s.  —  Chez  les  Grecs,  saint  Marc  le  THADUATcnGE.  —  A  Kitiingen,  en  Franconie, 
sainte  Kadéloge^  vierge,  dans  le  monastère  de  ce  lieu,  fondé  par  elle  en  745.  Elle  était  fille  de 
l'illustre  Charles-Martel,  et  se  réfugia  dans  celte  contrée  pour  échapper  au  mariage  auquel  on  vou- 
lait la  contraindre,  vuie  s. —  A  Ebstorp,  dans  le  duché  de  Lunebourg,  ancienne  et  célèbre  abbaye 
de  la  Saxe  inférieure,  les  saints  Théodoric,  évêque  de  Minden  ;  Marquard,  évêque  d'Hildesheim  ; 
Brnnon,  duc  de  Saxe;  Wigman,  Bardon  et  deux  autres  du  même  nom,  Thiotéric,  Gerric,  Liutolf, 
Folcuart,  Avan,  Thiotric,  Liutaiie,  comtes;  .\déram,  Alfuin,  Addaste,  Aida,  Dudon,  Bodon,  Wal, 
Halilf,  Hunilduin,  AiiaUvin.  Werinbart,  Thiotrich,  Hilw.nrt,  gardes  royaux,  et  d'autres  compagnons 
ou  serviteurs  ;  avec  eux  encore,  saint  Erlulf,  évêque  de  Ferden,  et  s.iint  Gosbert,  évoque  d'Osna- 
brnck;  tous  martyrs,  tués  par  les  Normands,  dans  la  fameuse  bataille  d'Ebstorp,  entre  l'armée 
chrétienne  et  celle  des  Normands,  en  SSO.  —  A  Gennazzano,  dans  le  Tyrol,  !e  vénérable  Etienne 
Bellesini,  de  l'Ordre  des  Aagnstins  '.  1840. 

L'anliqne  statue  qu'on  y  renî;re  est  appelée  ta  Vierge  noire,  à  cause  de  la  teinte  très-brune  qu'elle  doit  & 
sa  vétusté.  On  Ini  donne  encore  le  nom  de  Nouesiru  Damo  de  Fuè  noA,  ce  qnl  a  fait  croire  qc'elle  était 
faite  de  la  tig;  do  fenouil.  Mais  ce  nom  iefui  ncù,  d'aprîa  une  étymologie  qni  noas  paraît  assez  probable. 
Tient  de  la  cérémonie  par  laquelle  on  bénissait  autrefois  le  feu  nouveau  pour  la  bénédiction  des  cierges  à 
la  Chandeleur.  Cette  imago,  qui  a  toujours  été  en  grande  vénération  ii  .Marseille,  doit  remonter  aux  pre- 
mk;s  temps  de  l'époque  romane.  Elle  repose  actuellement  sur  un  autel  de  style  antique  consacré  par 
Mgr  Place,  le  18  octobre  1SG9.  Son  titre  vrai  est  Notre-Dame  de  Confession  ou  des  Martyrs,  car  on  donnait 
autrefois  ans  tombeaux  des  Martyrs  le  nom  de  Confession,  et  l'entourage  des  saints  tombeanx  qu'elle 
semble  présider  fit  donner  ce  titre  à  l'antique  statne.  Une  fort  ancienne  tradition  porte  en  effet  h  croire 
qae  l'on  na  Jamais  inhumé,  dans  l'église  souterraine,  que  des  Saints  on  des  personnages  morts  en 
réputation  de  sainteté  •. 
1.  Voir  sa  vie  dans  le  tome  consacré  ans  vénérablesa 


212  2  FÉvniEK. 


LA  PimiFICATION  DE  LA  SAINTE  VIERGE 


Pour  l'intelligence  des  adorables  mystères  que  la  sainte  Eglise  révère  en 
ce  jour,  il  est  besoin  de  se  souvenir  de  deux  lois  que  Dieu  donna  à  son 
peuple  par  le  moyen  de  Moïse,  et  dont  l'évangéliste  saint  Luc  n'a  pas  oublié 
de  faire  mention  dans  son  Evangile.  La  première  de  ces  lois  est  portée  dans 
le  Lévitique,  chapitre  i2  :  il  y  est  dit  que  la  femme  qui  aura  mis  un  enfant 
au  monde,  soit  garçon  ou  fille,  demeurera  un  certain  temps  séparée  de  la 
compagnie  des  autres  comme  une  personne  impure  ;  il  lui  est  défendu  de 
toucher  rien  de  saint,  ni  d'entrer  dans  le  Temple  jusqu'à  ce  que  soient 
accomplis  les  jours  de  la  purification,  qui  sont  quarante  jours  pour  un 
enfant  mâle,  et  quatre-vingts  pour  une  fille  :  ce  temps  étant  expiré,  elle 
doit  se  présenter  à  un  prêtre,  à  qui  elle  offrira  pour  son  enfant  un  agneau 
d'un  an  en  holocauste,  avec  un  petit  pigeon  ou  une  tourterelle;  ou  bien  si, 
pour  sa  pauvreté,  elle  ne  peut  offrir  un  agneau,  elle  donnera  deux  tourte- 
relles ou  deux  petits  de  colombe. 

La  seconde  loi  est  écrite  en  l'Exode,  chapitre  13  ;  d'après  cette  loi  Dieu 
voulait  qu'on  lui  offrît  tous  les  premiers-nés  des  hommes  et  des  animaux; 
et  parce  que  Dieu  ne  s'est  jamais  plu  dans  le  sang  des  hommes,  parce  que 
son  Fils  devait  verser  tout  le  sien  pour  eux,  il  permettait  que  l'on  rachetât 
les  premiers-nés  des  hommes  pour  un  certain  prix,  qui  était  de  cinq  sicles 
pour  un  fils,  et  de  trois  pour  une  fille.  D'après  les  termes  de  ces  lois,  la  sainte 
Vierge  et  son  divin  Fils  étaient  exempts,  il  est  vrai,  de  ces  observances  et 
cérémonies  légales;  caria  Mère  n'avait  point  conçu  par  l'action  des  créa- 
tures, mais  par  l'opération  du  Saint-Esprit,  et  son  Fils  n'était  point  né  selon 
les  lois  ordinaires  de  la  nature,  mais  il  avait  laissé  sa  mère  parfaitement 
vierge  après  sa  glorieuse  naissance;  cependant,  afin  d'accomplir  toute  jus- 
tice, et  de  nous  donner  l'exemple  d'une  profonde  humilité  et  d'une  parfaite 
obéissance,  cette  sainte  Mère  et  cet  adorable  Fils  ont  subi  la  rigueur  de  ces 
lois  pour  les  raisons  que  nous  dirons  ci-après.  C'est  ce  qui  s'est  fait  aujour- 
d'hui, comme  nous  l'apprend  le  texte  de  l'Evangile  de  saint  Luc,  dont  voici 
à  peu  près  les  termes  : 

«  Les  jours  de  la  Purification  de  Marie  étant  accomplis  selon  les  lois  de 
Moïse,  ils  portèrent  l'enl'ant  au  Temple  pour  l'offrir  au  Seigneur,  selon  qu'il 
est  écrit  en  la  loi  :  «  Tout  enfant  mâle  premier-né  sera  consacré  au  Sei- 
gneur »,  et  pour  donner  le  prix  de  sa  rédemption,  qui  était  selon  le  texte 
de  la  même  loi,  une  paire  de  tourterelles  ou  deux  petits  de  colombe.  Or,  il 
y  avait  alors  dans  Jérusalem  un  homme  appelé  Siméon,  qui  était  juste  et 
craignant  Dieu,  et  attendait  la  consolation  d'Israël;  le  Saint-Esprit,  qui 
résidait  en  lui,  lui  avait  révélé  qu'il  ne  mourrait  point  sans  avoir  vu  aupa- 
ravant le  Christ  du  Seigneur.  Il  vint  donc  au  Temple  par  une  inspiration 
di\-ine,  et  quand  l'enfant  Jésus  fut  présenté  par  ses  parents  pour  l'accom- 
plissement de  la  loi,  il  le  reçut  entre  ses  bras,  et  bénit  Dieu  en  disant  : 
«  C'est  maintenant.  Seigneur,  ^e  vous  permettrez  à  votre  serviteur  de 
mourir  en  paix,  selon  la  parole  que  vous  lui  avez  donnée,  parce  que  mes 
yeux  ont  vu  votre  salut,  celui  que  vous  avez  préparé  à  la  vue  de  toutes  les 
nations,  pour  être  la  lumière  des  Gentils  et  la  gloire  de  votre  peuple 
d'Israël  )).  Voilà  en  substance  le  mystère,  ou  plutôt  les  mystères  qui  ont  été 


lA  PUBIFICATION   CE  LA   SAINTE  VIERGE.  213 

accomplis  en  ce  jour,  et  pour  lesquels  la  sainte  Eglise  a  établi  cette  fête 
avec  tant  de  solennité.  Elle  lui  a  donné  plusieurs  noms  pour  signifier  les 
diverses  merveilles  qui  s'y  sont  passées  ;  faisons  quelques  réflexions  afin  de 
recueillir  les  fruits  qui  y  sont  attachés. 

Les  anciens  ont  appelé  cette  solennité  la  Fête  de  Siméon  et  d'Anne  :  de 
Siméon,  parce  que  ce  vénérable  vieillard  y  parut  avec  tant  de  majesté,  et 
qu'il  est  en  cette  occasion  si  hautement  loué  dans  l'Evangile  comme  un 
homme  craignant  Dieu,  qui  attendait  avec  assurance  la  rédemption  d'Israël, 
qui  possédait  dans  son  cœur  le  Trésor  des  trésors,  savoir  :  le  Saint-Esprit, 
et  qui  reçut  de  lui,  en  ce  moment,  l'e.xéculion  de  la  promesse  qu'il  lui  avait 
faite  longtemps  auparavant,  de  ne  point  sortir  de  cette  vie  mortelle  sans 
avoir  eu  le  bonheur  de  voir  de  ses  propies  yeux  l'auteur  de  la  vie  immor- 
telle et  le  Christ  du  Seigneur.  Mais,  non-seulement  il  vit  et  connut  à  son 
aise  le  visage  de  Celui  que  tous  les  anges  admirent,  mais  même  il  l'em- 
brassa et  le  baisa  mille  et  mille  fois  avec  la  tendresse  et  la  douceur  que  l'on 
peut  plutôt  s'imaginer  qu'exprimer;  et,  outre  ces  faveurs,  il  fit  encore  en 
cette  rencontre  l'office  de  prophète  :  car,  lorsqu'il  reçut  entre  ses  bras 
l'adorable  Jésus,  que  sa  mère  lui  présenta,  non-seulement  il  pénétra  des 
yeux  de  l'esprit  et  reconnut  la  Personne  divine  qui  était  cachée  sous  les 
membres  d'un  enfant,  mais  encore  il  prévit  tout  ce  qui  devait  lui  arriver, 
et  il  le  prédit  à  sa  mère  par  ces  paroles  :  «  Celui-ci  est  établi  pour  la  ruine 
et  pour  la  résurrection  de  plusieurs  en  Israël.  Il  sera  un  signe  de  contra- 
diction contre  lequel  chacun  s'opposera,  et  votre  âme  même  sera  percée 
par  le  glaive,  afin  que  les  pensées  de  plusieurs  cœurs  soient  découvertes». 

On  dit  aussi  que  c'est  la  Fête  d'Anne,  parce  qu'une  bonne  veuve  qui  por- 
tait ce  nom,  et  qui,  après  avoir  vécu  sept  ans  avec  son  mari,  avait  passé  sa 
vie,  jusqu'à  l'âge  de  quatre-vingt-quatre  ans,  dans  une  sainte  viduité,  se 
rencontra  aussi,  par  une  providence  merveilleuse,  dans  le  Temple  avec  le 
vieillard  Siméon,  lorsque  Joseph  et  Marie  y  présentèrent  Jésus-Christ.  Et, 
comme  cette  bonne  vieille  ne  put  contenir  sa  joie,  elle  se  mita  dire  des 
prodiges  de  ce  môme  Enfant  à  tous  ceux  qu'elle  connaissait  avoir  dans  le 
cœur  de  la  piété  et  de  l'amour  pour  Dieu.  C'est  ce  que  l'Evangéliste  veut 
dire  par  ces  autres  termes  :  «  Elle  attendait  la  l'édemption  d'Israël  ». 

Les  Grecs  appellent  cette  fête  Hypapantè,  c'est-à-dire  rencontre,  pour 
exprimer  que  saint  Siméon  et  sainte  Anne  se  sont  rencontrés  heureusement 
en  cette  sainte  journée  ;  ce  que  l'Eglise  semble  vouloir  signifier  en  l'office 
divhi,  par  ces  paroles  dont  elle  se  sert  à  l'invitatoire  des  Matines  :  «  Voici 
que  le  Seigneur  dominateur  vient  en  son  saint  Temple;  réjouis-toi,  Sion, 
et  tressaille  d'allégresse,  en  allant  au-devant  de  ton  Dieu  ».  En  effet,  je 
remarque  qu'il  s'est  fait  en  ce  jour,  non  pas  une  seule,  mais  plusieurs  ren- 
contres très-heureuses;  d'abord,  Joseph  et  Marie  se  sont  rencontrés  avec 
Siméon  et  Anne,  dans  le  Temple,  ayant  l'enfant  Jésus  au  milieu  d'eux,  et  le 
portant  chacun  à  son  tour.  De  plus,  la  grâce  et  la  loi  se  sont  trouvées  con- 
courir à  ce  divin  mystère;  la  loi  y  ayant  été  observée  dans  toute  sa  rigueur, 
et  la  grâce  s'y  étant  répandue  abondamment.  Pour  une  troisième  rencontre 
on  y  a  vu  les  larmes  mêlées  avec  la  joie,  et  les  appréhensions  avec  des  trans- 
ports d'allégresse,  par  les  différentes  prédictions  du  saint  vieillard  à  la  très- 
sainte  Vierge,  qui  les  a  conservées  dans  son  cœur  tout  le  reste  de  sa  vie,  et 
en  a  fait  part  à  toute  l'Eglise  par  la  plume  de  saint  Luc,  fidèle  écrivain  de 
ces  merveilles. 

Enfin,  quant  à  saint  Siméon  en  particulier,  il  a  aujourd'hui  une  union 
pleine  de  consolation  avec  l'Enfant  Jésus;  car,  si  ce  saint  vieillard  porte 


214  2  FÉVRIER. 

Jésus  enfant,  Jésus,  néanmoins,  gouverne  le  vieillard  :  le  vieillard  porte 
l'enfant  entre  ses  bras,  et  l'enfant  donne  des  forces  au  vieillard,  afin  de  se 
soutenir.  Le  vieillard  embrasse  l'Enfant,  et  l'Enfant  donne  au  vieillard  des 
embrassements  de  tendresse  et  de  dileclion.  Le  vieillard  verse  des  larmes  do 
joie  sur  les  joues  de  l'Enfant,  et  l'Enfant  laisse  errer  sur  ses  lèvres  un  sou- 
rire amoureux  qui  dilate  le  cœur  du  vieillard.  Le  vieillard  presse  l'Enfant 
contre  son  sein,  comme  s'il  le  voulait  enfermer  dans  son  cœur,  afin  d'avoir 
une  nouvelle  vie,  et  l'Enfant  s'élance  dans  le  cœur  du  vieillard  pour  lui 
donner  une  vie  qui  n'est  point  sujette  à  la  mort.  Heureuse  donc  la  ren- 
contre de  Siméon  et  de  Jésus,  des  larmes  de  Siméon  avec  les  sourires  de 
Jésus,  des  désirs  de  Siméon  avec  l'amour  de  Jésus,  et  enfin  de  l'àme  de 
Siméon  avec  l'âme  de  Jésus  I 

Cette  grande  fête  est  encore  appelée  la  Présentation  de  Jésus  dans  le 
Temple;  ce  qui  se  tire  assez  évidemment  du  texte  de  l'Evangile,  où  il  est 
dit  :  «  Et  ses  parents  le  portèrent  à  Jérusalem  pour  le  présenter  au  Sei- 
gneur ».  Et  ce  fut  alors  que,  selon  la  prophétie  d'Aggée,  ce  Temple  que  les 
Juifs  avaient  bâti  depuis  leur  retour  de  la  captivité  de  Babylone,  reçut 
incomparablement  plus  de  gloire  que  n'en  avait  jamais  reçu  celui  que  Salo- 
mon  avait  élevé  avec  tant  de  magnificence.  Tandis  que  Dieu  n'avait  été  servi 
dans  celui-ci  que  par  des  hommes  sujets  au  péché,  dont  même  la  plupart 
étaient  effectivement  pécheurs  et  criminels,  il  fut  servi  dans  celui-là  par 
des  âmes  pures  et  innocentes  :  par  saint  Joseph,  qui  était  un  homme  juste 
et  craignant  Dieu;  par  la  sainte  vierge  Marie,  toujours  pure  et  toute  imma- 
culée; enfin  par  Jésus-Christ  même,  son  Fils  unique,  qui  était  le  Grand 
Prêtre,  suivant  l'ordre  de  Melchisédech,  et  un  Pontife  tel  que  nous  le  pou- 
vions désirer  :  «  Saint,  innocent,  sans  tache,  séparé  des  pécheurs  et  plus 
élevé  que  les  cieux  ». 

De  plus,  le  Temple  de  Jérusalem  reçut  en  ce  jour  plus  de  gloire  qu'il 
n'en  avait  encore  reçu  depuis  qu'il  était  bâti,  à  cause  de  l'offrande  qui  y  fut 
présentée  :  Jésus-Christ  le  premier-né,  le  Fils  unique  de  la  sainte  Vierge, 
qui  l'offrit  à  son  Père  étemel  :  oblation  nouvelle  qui  n'en  aura  jamais; 
offrande  singulière,  et  l'unique  que  le  Père  éternel  ait  jamais  regardée  de 
bon  oeil  entre  toutes  celles  qu'on  lui  a  faites  depuis  que  le  monde  est  sorti 
de  son  néant;  donation  si  excellente  que  toutes  les  autres,  quelque  rares  et 
précieuses  qu'elles  soient,  ne  sauraient  plaire  à  Dieu  si  elles  n'en  sont  accom- 
pagnées. Comme,  au  contraire,  il  n'est  rien,  quelque  petit  qu'il  soit,  quand 
même  ce  ne  serait  qu'une  goutte  d'eau  froide,  qui  ne  soit  capable  d'apaiser 
la  colère  de  Dieu,  pourvu  qu'elle  soit  unie  à  cette  offrande  de  Jésus  qu'a 
faite  Notre-Dame.  Aussi  est-ce  proprement  en  ce  jour  que  la  justice  de  Dieu 
a  modéré  sa  rigueur,  et  qu'elle  s'est  apaisée  par  la  suave  odeur  du  sacrifice, 
non  plus  de  la  chair  des  boucs  et  des  taureaux,  mais  bien  de  l'agneau  imma- 
culé, qui  lui  fut  offert  par  les  mains  toutes  pures  de  Marie.  Ce  fut  alors  que 
ce  Dieu  éternel,  pour  exécuter  le  pacte  qu'il  avait  fait  longtemps  aupara- 
vant avec  son  serviteur  Noé,  de  ne  plus  envoyer  un  déluge  d'eau  pour  abî- 
mer le  genre  humain,  versa  sur  les  hommes  un  déluge  de  feu,  afin  d'embra- 
ser leurs  cœurs  de  son  amour,- car,  en  ce  jour,  l'arc  de  son  alliance  paraît 
entre  les  bras  de  sa  Mère,  comme  dans  les  nuées  du  ciel,  pour  marquer 
l'abondance  de  ses  grâces.  C'est  ce  qui  a  donné  le  nom  à  celte  fête  de  la 
Présentation  de  Jésus  dans  le  Temple.  C'est  pourquoi,  dans  l'office  divin,  soit 
à  la  messe,  soit  aux  heures  canoniales,  toutes  les  paroles  s'adressent  plus 
expressément  à  Notre-Seigneur,  comme  aux  fêtes  instituées  à  son  honneur. 

Néanmoins,  le  litre  de  la  Purification  de  la  Vierge  est  demeuré  comme 


LA  PURIFICATION  DE  LA  SALNTE  VIERGE.  215 

propre  et  particulier  à  cette  solennité,  que  Ton  met  pour  ce  sujet  au  rang 
de  ses  cinq  plus  grandes  fêtes.  Il  en  faut  sans  doute  chercher  la  raison  dans 
ces  premiers  mots  de  TEvangile  :  «  Lorsque  les  jours  de  la  Purification  de 
Marie  furent  accomplis  )>.  Car  quoiqu'il  n'y  ait  jamais  eu  rien  à  puriûer  en 
cette  sainte  Vierge,  qui  a  toujours  été  pure  et  sans  tache,  comme  son  divin 
Epoux  l'a  déclaré  lui-même  dans  le  Cantique  des  cantiques,  son  humilité, 
cependant,  l'a  portée  jusqu'à  se  soumettre  aux  cérémonies  de  la  Purifica- 
tion; elle  ne  jugea  pas  devoir  s'exempter  de  la  Purification  des  femmes, 
après  que  son  Fils  n'avait  pas  refusé  la  Circoncision  des  hommes;  elle  n'a 
point  honte  de  paraître  comme  une  femme  du  commun  et  d'être  estimée 
impure,  puisque  son  Fils  paraît  au  milieu  des  hommes  comme  un  pécheur  ^ 
Mais  comme  il  est  digue  de  Dieu  de  relever  les  humbles  par  cela  môme 
qui  semble  les  abaisser,  il  a  inspiré  aux  fidèles  de  donner  le  titre  de  Purifi- 
cation à  cette  fête,  pour  tirer  les  grandeurs  de  Marie  de  ses  propres  abaisse- 
ments. Je  pourrais  encore  dire,  sans  offenser  la  pureté  immaculée  de  la 
môme  Vierge,  pour  vérifier  plus  expressément  ces  paroles  de  l'Evangéliste  : 
«  Les  jours  de  laPurillcalion  de  Marie  accomplis  »,  que,  lorsqu'elle  pré- 
senta son  Fils  Jésus  au  Temple,  quarante  jours  après  l'avoir  mis  au  monde, 
cette  même  offrande  lui  servit  d'une  Purification  parfaite  ;  purification, 
néanmoins,  qui  ne  suppose  aucun  péché,  puisqu'il  n'a  jamais  trouvé  d'en- 
trée dans  la  très-sainte  âme  de  la  Vierge;  purification  qui  ne  dit  nul  défaut 
de  nature  en  cette  auguste  personne,  que  la  Sagesse  éternelle  avait  pris 

1.  Sur  la  pratique  observée  dans  l'Eglise  de  relever  les  femmes  après  leurs  couches.  —  Le  Sef^ear, 
dans  raocienne  loi,  avait  déclaré  impure;  certaines  actions,  qni.  qnoiqae  innocentes  en  elles-mêmes,  avaient 
cependant  nn  rapport  éloigné  au  piîché;  de  ce  nombre  était  l'acconchement.  Dieu  faisait  entendre  par  là 
que  l'origine  de  l'homme  était  impnre,  qu'il  était  conçu  et  né  dans  le  péché.  Les  Tits  judaïques  ayant  été 
abrogés  par  la  promulgation  de  l'Evangile,  on  ne  doit  plus  craindre  les  impuretés  légales  ;  et  il  y  aurait 
one  superstition  criminelle  k  recourir  aux  cérémonies  usitées  dans  la  synagogue,  sous  prétexte  de  se  puri- 
fier. Les  mtrcs  chrétiennes  ne  vont  donc  point  k  l'église  avec  l'intention  que  se  proposaient  les  femmes 
juives  en  allant  au  temple,  c'est-à-dire,  pour  être  purifiées  de  quelque  tache  contractée  par  leur  accou- 
chement ;  mais  elles  y  vont  pour  s'acquitter  d'un  devoir  commun  à  tous  les  hommes,  pour  payer  au  Sei- 
gneur nn  Juste  tribut  de  louanges  et  d'actions  de  grâces. 

Voici  comment  le  pape  Innocent  lH  s'exprime  sur  ce  sujet  :  «  Si  les  femmes  désirent  entrer  dans 
réglise  immédiatement  après  leurs  couches,  elles  ne  pÈchent  pas  en  y  entrant,  et  on  ne  doit  pas  les  en 
empêcher  ;  mais  si,  par  respect,  elles  aiment  mieus  s'en  éloigner  pour  quelque  temps,  nous  ne  pensons 
pas  qu'on  doive  blâmer  leur  dévotion  ».  (Cap.  unico  de  puri/îcat.  post  partum.i  Ce  temps  est  limité  dans 
quelques  diocèses  à  un  certain  nombre  de  jours.  Dans  les  lieux  ou  la  coutume  ni  aucun  statut  particulier 
D'ont  rien  décidé  sur  cet  article,  une  mère  chrétienne  doit  remplir  ce  devoir  aussitôt  qu'elle  peut  sortir 
de  sa  maison  sans  courir  aucun  risqne.  Il  est  bien  juste,  en  effet,  que  sa  première  visite  soit  pour  l'église  : 
là  elle  doit  premièrement  remercier  le  Seigneur  de  son  heui-euse  délivi'ance,  et  le  prier  de  répandre  ses 
bénédictions  taat  sur  elle  que  sur  son  enfant.  La  nature  seule  nous  dit  qu'un  bienfait  exige  de  la  recon- 
naissance :  est-ce  que  nous  nous  flatterions  d'être  dispensés  de  ce  devoir  à  l'égard  de  Dieu  ?  La  foi  ne 
nous  enseigne-t-elle  pas  que  l'ingratitude  tarit  la  source  des  grâces?  Nous  ne  sommes  pas  moins  obligés 
de  remercier  Dieu  de  ses  bienfaits,  que  de  le  louer  et  de  l'aimer  ;  de  là  vient  que  saint  Paul  recommandait 
si  fortement  aux  fidèles  Vaclir.n  de  grâces,  et  que  les  chrétiens  avaient  si  souvent  à  la  bouche  ces  paroles  : 
«  Grâces  à  Dieu  •■  C'était  même  leur  formule  ordinaire  de  salutation,  selon  saint  Augustin,  qui  s'écrie  à 
ce  sujet  :  «  Que  pouvons-nous  penser,  dire  ou  écrire  de  mieux  que  ceci  :  Grâces  à  Dieu  (Ep.  xli,  olvn. 
#7)?  ■  En  effet,  remarque  saint  Grégoire  de  Nysse  (Or.  1  de  Prec,  tome  lef),  Dieu  nous  ayant  comblés 
de  bienfaits  par  le  passé,  nous  en  promettant  d'inestimables  pour  l'avenir,  et  nous  donnant  à  tous  les 
moments  de  notre  vie  de  nouvelles  preuves  de  sa  bonté,  ne  devrions-nous  pas,  s'il  était  possible,  l'en 
remercier  à  chaque  instant  ? 

n  est  certain  que  les  grâces  signalées  méritent  de  notre  part  une  reconnaissance  toute  partictilitre. 
Or,  c'est  le  cas  où  se  trouve  une  mère  chrétienne  :  elle  met  son  heureuse  délivrance,  ainsi  que  la  nais- 
sance de  son  enfant,  au  nombre  des  grâces  signalées  ;  il  est  donc  bleu  juste  qu'elle  aille  se  prosterner  aux 
pieds  du  Seigneur,  pour  lui  protester  solennellement  qu'elle  n'oubliera  jamais  ses  miséricordes.  Ce  serait 
peu  si  elle  s'en  tenait  là  ;  il  faut  encore  qu'elle  demande  les  secours  dont  elle  a  besoin  pour  élever  dans 
la  vertu  l'enfant  qu'elle  a  mis  au  monde,  et  qu'elle  prenne  une  ferme  résolution  de  préserver  son  âme  des 
sonitlnres  du  péché  :  car  que  lui  servirait  d'être  devenue  mère,  si  le  fruit  de  ses  entrailles  devait  tomber 
sous  la  puissance  du  démon,  et  être  ensuite  condamné  aux  supplices  de  l'enfer?  Qu'elle  ait  soin,  la  pre- 
mière fois  qu'elle  paraîtra  dans  l'église  après  ses  couches,  de  consacrer  son  enfant  au  Seigneur.  Son  sacri- 
fice ne  peut  manquer  d'être  accepté,  si  elle  entre  dans  les  dispositions  où  était  la  Sainte  Vierge  le  Jour 
de  sa  purification,  si  elle  la  prie  de  présenter  elle-mSme  à  Dieu  les  actes  de  reconnaissance,  de  demande 
et  d'oÉErande  qu'elle  doit  produire  avec  tous  les  sentiments  de  piété  et  de  ferveur  dont  elle  est  capable. 


216  2   FÉVRIER. 

plaisir  à  façonner  comme  le  chef-d'œuvre  de  ses  mains,  créatrices  de  toute* 
choses;  purification  qui  n'a  ôté  nulle  impureté  légale  ou  corporelle  à  celte 
divine  Mère,  qui  n'était  point  comprise  dans  les  termes  de  la  loi,  car  elle 
était  demeurée  vierge  de  corps  et  d'esprit,  et  aussi  parfaitement  pure  et 
immaculée,  après  avoir  enfanté  Jésus-Christ,  la  pureté  même,  qu'elle  l'était 
avant  de  l'avoir  conçu  en  ses  chastes  entrailles.  Donc,  ces  paroles  :  «  Les 
jours  de  la  Purification  de  Marie  accomplis  »,  ne  signifient  autre  chose 
qu'une  nouvelle  infusion  de  grâce  et  de  sainteté  intérieure  dans  l'âme  de  la 
sainte  Vierge,  qui  s'épurait  et  se  sanctifiait  toujours  de  plus  en  plus  par  la 
réception  des  nouvelles  grâces  méritées  par  toutes  ses  actions,  et  plus  parti- 
culièrement en  cette  oblation  de  son  Fils,  dont,  en  quelque  façon,  elle  se 
privait  en  l'offrant  au  Père  éternel  pour  la  rédemption  des  hommes.  Ce  que 
nous  avons  dit  jusqu'ici  suffit,  ce  nous  semble,  pour  faire  comprendre  les 
difi'érents  noms  et  la  substance  de  ce  mystère;  il  nous  reste  maintenante 
dire  un  mot  de  son  institution. 

Son  établissement  est  si  ancien  que  nous  pouvons  le  rapporter  aux  pre- 
miers siècles  de  l'Eglise  ;  néanmoins,  les  chrétiens  s'étant  un  peu  relâchés, 
et  cette  fête  étant  tombée  dans  l'oubli  en  plusieurs  endroits,  elle  fut  renou- 
velée par  la  piété  de  l'empereur  Justinien  l'aîné,  l'an  541,  sous  le  pontificat 
de  Vigile,  à  l'occasion  d'une  peste  qui,  ayant  déjà  dépeuplé  presque  toute 
l'Egypte  et  courant  les  diverses  provinces  de  l'empire  romain,  semblait  vou- 
loir réduire  toutes  les  villes  en  solitudes.  L'empereur,  redoutant  ce  terrible 
fléau  de  Dieu,  eut  recours  à  la  faveur  de  l'Immaculée  Vierge  Marie,  et,  se 
mettant  sous  sa  protection,  il  ordonna,  sous  des  peines  sévères,  sur  l'avis  du 
patriarche  et  du  clergé  de  Constantinople,  que  l'on  célébrerait  la  fête  de  la 
Purification.  Cette  Mère  de  miséricorde  fit  paraître  que  cette  fête  lui  était 
très-agréable,  car  la  maladie  contagieuse  cessa  aussitôt  par  toute  la  ville. 
Baronius  croit  que  le  pape  Gélase  a  institué  cette  solennité  à  Rome  pour 
abolir  les  superstitions  et  les  débauches  des  idolâtres,  qu'ils  appelaient 
Lupercales  et  qu'ils  célébraient  au  commencement  de  février.  Mais  il  est  bien 
plus  probable  qu'il  ne  fit  que  la  rétablir  et  qu'elle  est  beaucoup  plus 
ancienne.  On  peut  voir  sur  ce  sujet  BoUandus,  aux  Actes  des  Saints  de  ce 
mois,  et  le  R.  P.  Combefis,  de  l'Ordre  de  Saint-Dominique,  dans  sa  BUdio- 
thbque  des  Pères,  où  il  rapporte  une  homélie  sur  cette  fête,  de  saint  Métho- 
dius,  évêque  de  Tyr,  qui  florissait  dans  le  m'  siècle. 

Le  pape  Serge  I",  comme  il  paraît  d'après  VOrdo  romain,  y  ajouta  lu 
procession  avec  les  cierges,  afin  de  représenter  plus  sensiblement  le  mys- 
tère qui  s'est  accompli  en  ce  jour  dans  le  temple  de  Jérusalem,  lorsque  ces 
quatre  personnes,  Marie,  Joseph,  Siméon  et  Anne,  faisant  comme  une  pro- 
cession, portèrent  chacun  à  leur  tour  l'enfant  Jésus,  qui  était  véritablement 
le  flambeau  qui  éclairerait  les  Gentils,  et  la  lumière  qui  dissiperait  les 
ténèbres  du  monde.  C'est  pour  ce  sujet  que  l'Eglise,  qui  est  toujours  con- 
duite par  le  Saint-Esprit,  ordonna  dans  cette  cérémonie  de  porter  des 
cierges  allumés  à  la  procession  '.  Cela  ne  s'observait  pas  seulement,  écrit  le 

1.  De  là  aussi  le  nom  do  CAandeieur, -que  les  fldMes  donnent  comman^ment  k  cette  fête. —  L» 
eoatume  d'allumer  des  cierges  dans  riîglise  peniant  la  célL-liration  des  divins  mystères,  la  lecture  de 
l'Evanfnle  et  l'administration  des  sacrements,  date  des  premiers  siècles  du  cliristianisme  ;  elle  fut  iiitro- 
dnite  par  le  désir  de  rendre  aux  choses  saintes  l'honneur  et  le  respect  qui  leur  sont  dus  :  c'était  aussi  pour 
cela  que  chez  les  Juifs  on  allumait  des  lampes  devant  le  Sei;;ncur  dans  le  tabernacle  et  dans  le  temple 
(Exod.  x^viii,  20).  Anciennement  on  recevait  les  grands  avec  des  flambeaux  allumés,  comme  nous  l'apiuu- 
pona  du  deuxième  livre  des  Machabées,  c.  4,  v.  22,  oîi  nous  voyons  que  le  roi  Antiochus  fut  reçu  de  la 
aorte  à  Jérusalem.  Les  illuminations  sont  aussi  le  8)Tnl)ole  de  la  joie  ;  de  là  vient  qu'on  en  faisait  autiefuis 
à  Tarrivée  des  empereurs  romains,  et  dans  les  événements  oîi  l'on  voulait  exprimer  l'aile'gresso  punlii^ue  : 
ceci  te  pratique  encore  aujourd'hui.  Mais,  pour  revenir  à  l'usage  des   lumières  dans  l'église,  on  ne  peut 


SAINT  CORNELIUS   00   CORNEILtE   LE   CENTl'RION.  217 

vénérable  Bède,  eu  cette  fôte  de  la  Puritication  de  Notre-Dame,  mais  ansn 
en  toutes  ses  autres  solennités  ;  d'où  peut  être  venue  la  pratique  qui  s'ob- 
serve encore  aujourd'hui  aux  processions  des  confréries  établies  à  l'honneur 
de  la  sainte  Vierge. 

Voilà  ce  que  nous  avions  à  dire  de  la  substance  de  ce  mystère  et  de 
l'établissement  de  la  fête  que  l'Eglise  célèbre  en  ce  jour.  Que  si  quelqu'un 
désire  voir  un  plus  ample  discours  sur  cette  matière,  afin  d'entretenir  son 
esprit  dans  la  dévotion,  il  n'en  saurait  trouver,  à  notre  avis,  de  plus  propre 
que  ce  qu'en  a  écrit  le  R.  P.  Louis  de  Grenade,  particulièrement  dans  une 
méditation  qu'il  a  faite  exprès  sur  ce  sujet  en  ses  Additions  au  Mémorial,  au 
livre  de  l'Amour  de  Dieu  ;  nous  y  renvoyons  le  lecteur  pour  ne  le  pas  arrêter 
davantage. 

Quant  au  vénérable  Siméon,  l'Eglise  en  célèbre  la  mémoire  le  8  octobre, 
et  celle  de  saint  Anne,  la  prophétesse,  le  1"  septembre,  comme  on  peut  le 
voir  dans  le  Martyrologe  romain. 


SAINT  CORNELIUS  OU  COMEILLE  LE  CENTURION 


i«r  siècle. 


Bien  des  gens  s'imaginent  que  toutes  les  religions  sont 
également  bonnes,  et  que  poar  plaire  k  Dieu  il  suffit 
a*être  honnête  homme.  Or,  je  vais  vous  prouver  que 
cela  est  entièrement  iaux,  par  l'histoire  de  Cornélius. 
Et  d'abord  vous  admettrez,  je  suppose,  avec  moi,  que 
Dieu  sait  parfaitement  ce  qui  est  nécessaire  au  salut. 
Si  donc  toutes  les  religions  étaient  également  bonn&s, 
ou  si  l'on  pouvait  se  sauver  seul,  sans  Jésus-Christ, 
évidemment  Dieu  n'aurait  pas,  dans  l'espace  de  deux 
jours,  opéré  tant  et  de  si  grands  miracles  pour  con- 
rertir  Cornélius  au  Christianisme.  A.  Stoi^ 


Outre  la  Purification,  TEglise  honore  encore  aujourd'hui  la  mémoire 
d'un  saint  qui  fut  le  premier  païen  converti  à  la  religion  de  Jésus-Christ. 
L'histoire  de  cette  conversion  est  racontée,  dans  l'Ecriture,  en  ces  termes  *  : 

«  Il  y  avait  à  Césarée  un  homme  nommé  Cornélius,  qui  était  capitaine 
dans  la  Légion  romaine.  Il  était  pieux  et  craignant  Dieu,  ainsi  que  toute  sa 
maison;  il  faisait  beaucoup  d'aumônes  aux  pauvres,  et  souvent  il  priait 
Dieu.  Or,  à  la  neuvième  heure  du  jour,  il  vit  entrer  chez  lui  un  ange,  qui  lui 

douter  qu'il  ne  soit  de  la  plus  hante  antiquité.  Les  canons  apostoliques  parlent  de  l'huile  destinée  à  l'en- 
tretien des  lampes  qui  brûlaient  dans  l'église  vCan.  3).  Plusieurs  chrétiens  allumaient  aussi  des  lampes 
devant  les  corps  des  Saints  :  ce  dernier  fait  est  attesté  par  Prudence  (hym.  2)  et  par  saint  Paulin  (Nat. 
in,  V.  9S).  N"est-il  pas  Juste,  en  effet,  que  les  créatures  corporelles  que  Dieu  a  créées  pour  notre  usage 
servent  aussi  à  son  honneur  et  à  sa  gloire  ?  Elles  contribuent  d'ailleurs  à  exciter  la  dévotion  dans  nos 
fimes  :  car  elles  sont  k  nos  yeux  ce  que  les  paroles  sont  à  nos  oreilles  ;  l'impression  qu'elles  font  sur  nos 
organes  remue  les  affections  de  nos  cœurs.  Nous  avouons  que  la  piété  est  quelque  chose  d'intérieur  et  de 
spirituel,  et  qu'elle  consiste  dans  la  ferveur  de  l'âme  ;  mais  on  doit  avouer  en  même  temps  que  les  signes 
sensibles  contribuent  beaucoup  k  la  soutenir  et  a  l'animer.  Ce  serait  donc  être  bien  téméraire  que  de  con- 
damner certaines  cérémonies  que  l'Eglise  a  instituées  pour  de  trbs-bonnes  raisons,  c'est-à-dire  pour  don- 
ner de  la  décence  et  de  la  majesté  au  culte  extérieur,  et  pour  aider  notre  faiblesse,  qui  a  besoin  de  quelque 
chose  de  sensible,  afin  de  s'élever  jusqu'à  Dieu.  Condamner  l'Eglise  en  ceci,  ne  serait-ce  pas  condamner 
en  quelque  sorte  Jésus-Christ  lui-même,  qui  se  servit  de  signes  sensibles  dans  l'institution  des  sacre- 
ments, ainsi  que  dans  plusieurs  des  guérisons  miraculeuses  qu'il  opéra  parmi  les  Juifs  ? 
1.  Voir  Actes  des  Apôtres,  ch.  5  et  11, 


818  2  FBVRŒB. 

dit  :  Cornélius  !  Celui-ci  l'ayant  regardé,  lui  dit  avec  crainte  :  Seigneur,  que 
me  voulez- vous?  —  L'ange  répondit  :  Vos  prières  et  vos  aumônes  sont  mon- 
tées devant  Dieu.  Envoyez  donc  quelqu'un  à  Joppé,  et  faites  venir  Simon 
surnommé  Pierre.  On  le  trouvera  dans  la  maison  du  tanneur  Simon,  près 
de  la  mer  ;  et  c'est  lui  qui  vous  dira  ce  que  vous  devez  faire.  —  L'ange  ayant 
ainsi  parlé,  s'en  alla  ;  et  Cornélius  appela  deux  serviteurs  et  un  soldat  crai- 
gnant Dieu.  Il  leur  raconta  ce  qui  était  arrivé  et  les  envoya  ;\  Joppé  ». 

Dans  le  même  temps  saint  Pierre  avait  aussi  eu  une  vision,  par  laquelle 
il  lui  fut  dit  qu'il  devait  appeler  au  Christianisme  et  baptiser,  non-seulement 
les  juifs,  mais  encore  les  païens.  Lors  donc  que  les  messagers  de  Cornélius 
arrivèrent  chez  lui,  il  savait  déjà  pourquoi  ils  venaient.  Le  jour  suivant  il 
alla  avec  eux  à  Césarée.  Nous  citons  de  nouveau  le  texte  sacré  : 

«  Cornélius  les  attendait,  après  avoir  réuni  ses  parents  et  ses  amis.  Or, 
Pierre  étant  venu,  Cornélius  alla  à  sa  rencontre,  se  jela  à  ses  pieds,  lui 
témoignant  de  grands  honneurs  et  l'adorant.  Mais  Pierre  le  releva  en 
disant  :  Relevez-vous  ;  je  ne  suis  aussi  qu'un  homme.  Ensuite  il  entra  avec 
lui  dans  la  salle  où  se  trouvait  l'assemblée  ;  là  il  leur  dit  comment  Dieu  lui 
avait  fait  comprendre  qu'il  ne  devait  pas  repousser  les  païens,  et  il  leur 
demanda  pourquoi  ils  l'avaient  appelé  « . 

«  Cornélius  lui  raconta  ce  qui  était  arrivé  ;  ensuite  il  lui  dit  :  Nous  tous 
qui  sommes  ici  en  la  présence  de  Dieu,  nous  sommes  prêts  à  écouter  tout 
ce  que  vous  nous  direz  de  la  part  de  Dieu  ».  Pierre  répondit  :  «  Je  reconnais 
clairement  aujourd'hui  que  Dieu  n'excepte  personne  de  ses  grâces,  et 
qu'en  toute  nation  celui  qui  le  craint  et  qui  pratique  la  justice,  lui  est 
agréable  ». 

Ensuite  saint  Pierre  parla  à  l'assemblée  de  Jésus-Christ,  de  sa  nature 
divine,  de  sa  mission,  de  ses  miracles,  de  sa  mort  sur  la  croix,  de  sa  résur- 
rection, de  sa  venue  future  comme  juge  des  vivants  et  des  morts;  de  la 
remission  des  péchés  et  de  la  sanctification  des  âmes  ;  de  la  vocation  et  de 
la  mission  divine  des  Apôtres.  Pendant  que  le  prince  des  Apôtres  parlait 
ainsi,  le  Saint-Esprit  ouvrit  les  cœurs  et  les  intelligences  de  ceux  qui 
l'écoutaient  ;  de  la  même  manière  qu'il  était  descendu  sur  les  Apôtres,  dix 
jours  après  l'ascension  de  Notre-Seigneur,  il  descendit  sur  les  assistants, 
témoignant  ainsi  que  les  païens  aussi,  s'ils  croient  sincèrement  en  la  parole 
de  Dieu,  doivent  être  admis  au  nombre  des  fidèles.  11  faut  savoir  que  les 
premiers  chrétiens  s'étaient  imaginé  que  la  doctrine  de  Jésus-Christ  n'était 
que  pour  les  juifs,  et  que  les  païens,  avant  d'être  admis  parmi  les  chrétiens, 
devaient  d'abord  embrasser  le  judaïsme.  Mais  Pierre,  voyant  que  le  Saint- 
Esprit  lui-même  était  descendu  sur  les  païens  assemblés  chez  Cornélius, 
n'hésita  plus,  et  les  fit  aussitôt  baptiser. 

Il  serait  beau  de  savoir  comment  vécut  ensuite  ce  saint  homme,  qui 
comme  païen  déjà  avait  si  bien  servi  Dieu;  cet  homme  qui,  après  avoir  été 
■visité  par  un  ange,  fut  ensuite  visité  par  le  prince  des  Apôtres,  et  finalement 
par  le  Saint-Esprit  lui-même.  Quelques-uns  disent  que  Cornélius  devint 
plus  tard  évoque  ;  d'autres  qu'il  souffrit  le  martyre  ;  d'autres  ajoutent  que 
la  maison  qu'il  occupait  à  Césarée  fut  convertie  en  église  :  mais  aucun  de 
ces  faits  n'est  certain.  Beaucoup  d'hommes  ont  mené  une  vie  saintement 
cachée  en  Dieu  ;  et  l'histoire  ne  connaît  de  leurs  actions  que  ce  qu'il  a  plu 
à  Dieu  d'en  faire  connaître  pour  l'édification  des  autres  hommes. 

Nous  devons  ajouter  néanmoins,  en  fidèle  historien,  que  du  temps  de 
saint  Jérôme  on  montrait  à  Césarée,  à  l'endroit  où  s'était  trouvée  la  maison 
de  saint  Corneille,  une  église  que  sainte  Paule  visita  en  385.  Les  Grecs,  qui 


SAINT  MARC,   SOLITAIRE   DE   SCÉTÉ.  219 

célèbiv'ut  sa  fête  le  13  septembre,  racontent  qu'il  fit  crouler  un  temple 
d'idoles  où  on  voulait  le  forcer  à  sacrifier. 

On  le  représente  recevant  le  baptême  des  mains  de  saint  Pierre. 

De  toutes  les  histoires  bibliques,  celle  de  saint  Cornélius  est  une  des 
plus  intéressantes.  Qu'il  est  grand  et  noble,  ce  païen,  comblé  des  dons  de  la 
fortune,  l'un  des  chefs  supérieurs  de  l'armée  romaine  !  Il  cherche  le  vrai 
Dieu  ;  par  quels  moyens  ?  Par  la  prière,  le  jeûne  et  les  aumônes  ;  les  juifs 
eux-mêmes  proclament  ses  vertus  ;  sa  maison  est  l'asile  de  la  prière  et  de  la 
crainte  de  Dieu;  et  quand  l'envoyé  de  Dieu  se  présente  chez  lui,  il  lui 
témoigne  une  vénération  plus  que  filiale.  Et  Dieu  lui-même,  de  quelles 
i.iveurs  ne  l'a-t-il  pas  comblé  ?  Entre  cent  millions  d'hommes  il  daigne 
choisir  Cornélius,  pour  lui  inspirer  le  désir  de  le  chercher  sincèrement....  Et 
de  quelle  manière  l'a-t^il  récompensé  ?  —  Il  lui  a  fait  le  don  le  plus  grand  et 
'■plus  précieux  que  Dieu  lui-même  puisse  faire  aux  hommes  :  il  lui  a  fait 
connaître  son  Fils  unique  Jésus-Christ. 


SAINT  MARC,  SOLITAffiE  DE  SCETE 

IV»  siècle. 


Parmi  les  disciples  de  Sylvain,  abbé  d'un  monastère  dans  le  désert  de 
Scété  ',  les  historiens  ecclésiastiques  font  une  honorable  mention  de  saint 
Marc.  La  vertu  en  laquelle  il  excellait,  et  qui  faisait  le  caractère  de  sa  sain- 
teté, était  l'obéissance  ;  c'est  pourquoi  son  maître  l'aimait  plus  que  tous  les 
autres  qui  étaient  sous  sa  conduite.  Cette  préférence  mécontenta  extrême- 
ment les  Pères  du  désert,  et,  jugeant  qu'il  y  avait  du  dérèglement  dans  cette 
affection  particulière,  ils  résolurent  de  lui  en  faire  leurs  plaintes.  En  effet, 
ils  l'allèrent  trouver  dans  son  ermitage,  lui  parlèrent  fortement  et  lui 
remontrèrent  le  mauvais  exemple  que  donnait  aux  solitaires  cette  grande 
amitié  qu'il  portait  à  Marc.  Le  saint  vieillard,  qui  était  éclairé  d'une  lumière 
plus  pure,  leur  fit  voir  avec  beaucoup  de  douceur  qu'ils  pouvaient  s'être 
trompés  eux-mêmes  et  avoir  fait  un  jugement  téméraire  sur  leur  prochain  ; 
et,  pour  les  désabuser  entièrement  et  leur  montrer  que  la  vertu  mérite 
d'être  aimée,  il  les  conduisit  par  toutes  les  cellules  de  ses  disciples,  et, 
frappant  à  la  porte,  il  les  appela  tous  l'un  après  l'autre,  comme  s'il  eût 
besoin  d'eux.  Mais  ils  étaient  si  attentifs  à  leur  ouvrage,  et  avaient  tant 
d'ardeur  d'achever  ce  qu'ils  avaient  commencé,  que  pas  un  ne  sortit  à  cette 
première  voix  du  saint  abbé  11  vint  enfin  à  celle  du  disciple  Marc,  qui  n'en- 
tendit pas  plus  tôt  la  voix  de  son  maître,  qu'il  se  vint  présenter  à  lui  pour 
recevoir  ses  ordres.  Alors  saint  Sylvain,  l'envoyant  à  quelque  ministère  de 
la  maison,  fit  entrer  les  solitaires  dans  la  cellule  du  vertueux  disciple.  Ils 
furent  bien  surpris  de  voir  que,  lorsque  le  saint  abbé  l'avait  appelé,  il 
commençait  à  écrire  un  cahier  (c'était  son  occupation  ordinaire  en  laquelle 
il  excellait  admirablement)  et  avait  laissé  une  lettre  inachevée  pour  obéir  à 
la  voix  de  son  supérieur.  Les  solitaires,  tout  à  fait  édifiés  de  la  promptitude 
avec  laquelle  Marc  lui  obéissait,  dirent  au  saint  vieillard  :  «  Vraiment,  mon 
père,  vous  avez  sujet  d'aimer  ce  bon  religieux  plus  que  tous  les  autres  ;  sa 

1.  Désert  de  rEgvpte  inférieure,  à  ro  da  Delta,  prbs  des  monts  Nitrl». 


220  2  FÉVRIER. 

vertu  nous  le  rend  aimable  à  nous-mêmes,  et  nous  avouons  présentement 
qu'il  est  aimé  de  Dieu  et  qu'il  mérite  d'ôtrc  aimé  des  hommes  ». 

Outre  la  parfaite  obéissance  de  ce  saint  solitaire,  on  a  encore  remarqué 
qu'il  était  tellement  mort  à  toutes  les  choses  du  monde,  qu'il  n'avait  plus  la 
moindre  attache  à  ses  parents;  et  l'on  peut  dire  que  ce  lien  est  le  dernier 
qui  demeure  dans  l'homme  religieux.  Un  jour  sa  mère,  suivie  d'un  grand 
train,  vint  au  monastère  pour  avoir  la  consolation  de  voir  ce  vertueux  fils; 
le  saint  abbé  commanda  à  Marc  d'aller  la  saluer.  Le  bienheureux  disciple 
obéit  aussitôt;  et,  comme  il  faisait  alors  l'office  de  cuisinier,  il  alla,  en 
l'équipage  que  l'on  se  peut  imaginer,  jusqu'à  la  porte  du  monastère,  et  là, 
fermant  les  yeux  pour  ne  voir  personne,  il  ne  dit  à  toute  la  compagnie  que 
ces  trois  mots  :  Dieu  vous  regarde  ;  puis  il  se  retira,  sans  que  sa  mère  ni 
aucun  de  sa  suite  le  reconnût.  C'est  pourquoi  la  mère  persista  à  demander 
au  saint  abbé  qu'il  lui  fît  voir  son  fils.  Sylvain,  qui  ne  savait  pas  ce  que  son 
disciple  avait  fait,  lui  commanda  une  seconde  fois  d'aller  trouver  sa  mère  à 
la  porte  du  monastère.  Mais  ce  modèle  d'obéissance,  lui  faisant  connaître 
de  quelle  manière  il  s'en  était  déjà  acquitté,  le  supplia  de  n'en  point  exiger 
davantage  de  lui,  de  crainte  de  réveiller  des  sentiments  naturels  qu'il  avait 
eu  tant  de  peine  à  surmonter.  Sylvain,  édifié  du  détachement  de  son  dis- 
ciple, fit  savoir  à  la  bonne  mère  que  celui  qui  l'avait  saluée  était  son  fils,  et 
qu'elle  se  contentât  de  cela  :  de  sorte  qu'elle  fut  obligée  de  s'en  retourner, 
bien  triste  de  n'avoir  point  eu  la  consolation  de  l'entretenir,  mais  aussi  fort 
édifiée  de  sa  grande  sainteté. 

Ces  vertus  héroïques  de  notre  saint  Solitaire  ne  furent  pas  sans  récom- 
pense dès  cette  vie,  car  souvent,  à  la  messe,  il  reçut  la  communion  de  la 
main  d'un  ange,  dont  le  bras  seulement  était  vu  de  toute  l'assistance.  Cette 
insigne  faveur  du  ciel  le  faisait  regarder,  par  les  autres  Pères  du  désert, 
comme  quelque  esprit  céleste.  En  effet,  on  peut  dire  que  sa  vie  était  toute 
angélique,  par  une  pureté  inviolable,  par  une  abstinence  presque  conti- 
nuelle, par  ses  austérités  sans  relâche,  par  sa  constance  infatigable  dans  le 
travail,  et  par  une  douceur  qui  charmait  tous  ceux  qui  jouissaient  de  sa 
conversation. 

C'est  dans  la  pratique  de  ces  vertus  que  le  bienheureux  Marc  vécut 
jusqu'au  temps  où  les  Barbares,  faisant  une  irruption  au  désert  deScété, 
contraignirent  ces  saints  ermites  de  chercher  ailleurs  quelque  lieu  de 
retraite.  Cest  pourquoi  l'abbé  Sylvain,  pour  céder  à  cet  orage,  résolut  de  se 
retirer  en  Syrie.  Mais  son  disciple  Marc,  ayant  appris  son  dessein,  le  supplia 
de  différer  son  départ  de  trois  jours,  afin  de  l'assister  à  sa  mort;  et,  effective- 
ment, au  bout  de  ce  temps,  il  s'endormit  paisiblement  en  Notre-Seigneur, 
le  second  jour  de  février,  ainsi  qu'il  est  marqué  au  catalogue  des  Saints.  Le 
martyrologe  romain,  compilé  par  Ferrarius,  et  celui  de  Canisius,  ont  omis  la 
mémoire  de  notre  Saint. 

Il  nous  reste  à  avertir  ici  le  pieux  lecteur  de  ne  point  confondre  notre 
Saint  avec  un  autre  saint  Marc,  aussi  anachorète,  que  les  Grecs  appellent 
Thaumaturge  dans  leurs  grandes  Menées,  où  ils  en  font  mémoire  le  5  mars. 
C'est  celui  dont  on  raconte  qu'il  rendit  la  vue  au  petit  d'une  hyène  qui  le 
lui  avait  apporté  aveugle  dans  son  ermitage  ;  qu'il  savait  par  cœur  l'Ancien 
et  le  Nouveau  Testament,  et  qu'il  communiait  de  la  main  d'un  ange,  ainsi 
que  celui  dont  nous  venons  de  donner  la  vie. 

Comme  nous  ne  ferons  point  mention  au  5  mars  de  ce  deuxième 
sohtaire  du  nom  de  Marc,  nous  allons  donner  ici  quelques  renseignements 
iconographiques  le  concernant  : 


SAINT  LAURENT,  ARGEEVÊQUE  DE  CANTORDÉBY.  221 

l'  Les  Grecs  le  peignent  soit  avec  un  ange,  soit  avec  une  main  céleste 
qui  lui  présente  l'Eucharistie,  suivant  ce  que  nous  venons  d'en  dire.  Le  bras 
(|ai  sort  du  nuage  et  qui  administre  l'Eucharistie  tient  une  espèce  de  cuiller 
dont  on  se  sert  en  Orient  pour  distribuer  aux  fidèles  l'Eucharistie  sous  les 
deux  espèces. 

2°  La  mère  du  louveteau  qu'il  a  guéri  revient  le  lendemain  lui  apporter 
une  peau  de  brebis,  comme  honoraire  de  sa  cure.  Marc  en  fit  présent  à 
saint  Athanase,  qui  lui-même  la  remit  à  sainte  Mélanie. 

Il  y  a,  dans  la  bibliothfeqne  des  Pères*  quelques  ouvrages  sous  le  nom  de  Marc,  anachorète,  que  l'on 
croit  avoir  été  composés,  ou  au  moins  copiés  par  notre  Saint,  pour  être  conservés  h  la  postérité.  D'où  vient 
qu'il  est  surnomme',  dans  Vllistoire  ecclésiastique,  Scriptor  AnCiquariuSf  écrivain  antiquaire,  c'est-à-dir» 
do  choses  anciennes  et  déjïi  faites  par  d'autres. 


SAINT  FLOSGULE  OU  FLOU,  ÉVÊQUE  D'ORLÉANS  (500). 

Floscule  ou  Fuscole,  comme  on  lit  dans  les  plus  anciens  manuscrits,  mena  une  vie  tout  écla- 
tante de  sainteté,  témoins  les  antiques  monuments  de  l'église  d'Orléans,  lesquels  cependant  se  tai- 
sent sur  les  actes  de  son  épiscopat.  Usuard  fait  mention  de  lui  dans  son  martyrologe;  depuis  plu- 
sieurs siècles  sa  fête  se  célèbre  sous  le  rite  double  dans  l'église  d'Orléans  ;  il  y  avait  de  plus,  dans 
la  cité  orléanaise,  une  église  paioissiale  qui  portait  son  nom.  Sous  le  roi  Robert  et  au  temps  de 
l'évèque  Odolric,  le  corps  de  saint  Flou  fut  transporté  avec  ceux  de  saint  Aignan,  de  saint  Moniteur 
et  de  quelques  autres  dans  l'église  de  Saint-Aignan,  rebâtie  par  ce  pieux  roi. 

Une  des  rues  d'Orléans  porte  encore  le  nom  de  saint  Flou. 

Propre  d'Orléans. 


SAINT  LAURENT,  ARaiEYÉQUE  DE  CANTORBÉRY  (619). 

Laurent  fut  un  de  ces  saints  moines  que  le  pape  saint  Grégoire  le  Grand  donna  pour  compagnons 
k  saint  Augustin,  plus  tard  archevêque  de  Cantorbéry,  lorsqu'il  l'envoya  prêcher  l'Evangile  du  Christ 
en  Angleterre.  Augustin  l'ordonna  de  son  vivant  et  le  désigna  pour  son  successeur,  afin  que  l'église 
qu'il  venait  de  fonder  ne  fut  pas  un  seul  instant  dépourvue  de  chef;  précaution  prudente  pour  une 
jeune  église  dont  un  veuvage,  quoique  très-court,  aurait  pu  compromettre  l'existence.  Du  reste,  il 
ne  faisait  en  cela  qu'imiter  le  prince  des  apùtres  qui,  comme  on  le  croit  généralement,  consacra 
Clément  et  en  lit  son  coadjuteur  et  son  successeur.  Une  fois  archevêque,  Laurent  fil  tous  ses  efforts 
par  la  parole  et  par  l'exemple,  pour  que  l'Eglise  dont  les  fondements  venaient  d'être  jetés  en  An- 
gleterre atteignit  son  faite  par  un  progrès  rapide.  Il  ne  négligea  rien  pour  faire  revenir  à  la  con- 
formité de  la  règle  de  l'Eglise  catholique  les  Scots  et  les  Bretons  qui  s'en  étaient  écartés  en  quel- 
ques points,  notamment  dans  la  célébration  de  la  Pàque. 

Mais  le  roi  des  Angles,  Ethelbert,  que  les  prédications  d'Augustin  avaient  amené  à  la  foi,  étant 
mort,  son  fils  et  son  successeur  se  montra  indigne  de  son  père.  Non  content  de  repousser  la  foi  du 
Christ,  ce  prince,  allant  plus  loin  que  les  païens  eux-mêmes,  s'était  souillé  d'un  inceste  en  épousant 
sa  belle-mère,  frayant  ainsi  à  son  peuple  la  voie  du  retour  aux  plus  détestables  mœurs.  Ce  premier 
mal  s'accrut  bientôt  d'un  autre.  Le  roi  des  Saxons  Orientaux,  Seberect,  mourut  à  son  tour,  et  son 
royaume  fut  partagé  entre  ses  trois  fils,  princes  qui  étaient  demeurés  dans  l'infidélité,  et  qui  ren- 
dirent un  culte  public  aux  idoles  :  funeste  exemple  qui  amena  partout  les  peuples  à  abjurer  et  les 
fit  retomber  dans  la  fausse  religion. 

Mellitus,  évêque  des  Saxons,  cédant  à  l'orage,  se  réfugia  vers  Laurent,  et  les  deux  prélats,  ayant 
mandé  près  d'eux  Justus,  leur  collègue,  ils  se  consultèrent  ensemble  sur  le  parti  qu'ils  avaient  à 
adopter  :  tous  trois  décidèrent  qu'ils  reprendraient  le  chemin  de  leur  patrie,  où  ils  pourraient  plus 
librement  servir  Dieu,  au  lieu  qu'en  demeurant  plus  longtemps  parmi  des  barbares  rebelles  à  la  foi. 
ils  ne  feraient,  pensnienl-ils,  que  perdre  le  tciups  dan»  un  inutile  lepos.  Justus  et  Mellitus  partirent 


822  2  FÉVRIER. 

d'tbord.  Lauréat,  sar  le  point  de  les  suirre,  passa  dans  l'église  des  apôtres  Pierre  et  Paul  la  der- 
nière nnit  qu'il  croyait  devoir  rester  en  Angleterre.  Après  beaucoup  de  larmes  et  de  prières  répan- 
dues devant  Diea  pour  son  égUse,  vaincu  par  le  sommeil,  il  s'endormit  profondément. 

Mais  voici  que,  pendant  que  l'archevêque  dormait,  se  présente  à  lui  le  prince  des  apitres  Pierre, 
qni,  le  flagellant  très-rigoureusement,  lui  demandait,  en  vertu  de  sou  autorité  apostolique,  pourquoi 
il  abandonnait  ainsi  le  troupeau  qui  lui  avait  été  conQé,  et  à  quel  pasteur  il  laissait  la  garde  de  ses 
brebis  ainsi  jetées  au  milieu  des  loups  1  Est-ce  ainsi,  continuait-il,  que  tu  te  souviens  de  l'exemple 
que  je  t'ai  donné,  moi  qui  ai  enduré,  pour  celles  que  le  Christ  m'avait  confiées  en  signe  de  son 
amour,  non-seulement  les  fouets,  les  cachots,  les  supplices,  mais  la  mort  même  et  la  mort  de 
la  croix.  Excité  par  ces  coups  et  ces  réprimandes ,  Laurent  va  dès  le  matin  trouver  le  roi,  et, 
écartant  son  vêtement,  lui  fait  voir  les  stigmates  des  coups;  et  comme  le  priuce  lui  demandait  qui 
l'avait  ainsi  maltraité,  il  lui  exposa  tout  ce  qui  s'était  passé.  Le  roi  fut  d'abord  saisi  d'un  étonne- 
ment  profond,  puis  rcvenaat  à  lui,  il  abjura  le  culte  des  idoles,  répudia  sa  femme  illégitime,  se  fit 
chrétien  et  propagea  la  foi  avec  un  zèle  admirable.  11  survécut  à  Laurent,  qui  monta  au  ro)'aume 
céleste  le  2  de  février,  l'an  619. 

Bréviaire  bénédictin. 


SAINT  ADALBADE  OU  ADALBAUD  D'OSTREVANT  (632). 

Saint  Adalbaud  était  un  des  trois  fils  de  sainte  Geretrude,  qni  fonda  le  monastère  d'Hamage, 
près  de  Marchiennes,  où  elle  passa  les  dernières  années  de  sa  vie.  Son  père,  qu'il  perdit  de  bonne 
heure,  s'appelait  Rigomer  ;  l'un  de  ses  frères,  Erchinoald,  fut  maire  du  palais  sons  la  régence  de 
sainte  Bathilde  ;  l'autre,  appelé  Sigebert,  épousa  sainte  Berlhe,  qui,  devenue  veuve,  bâtit  le  mo- 
nastère de  Blangy,  en  Artois,  et  s'y  retira.  Saint  .\mand,  qui  prêchait  la  foi  dans  ces  provinces, 
connut  de  bonne  heure  la  maison  d'Adalbaud  et  entretint  des  rapports  intimes  avec  elle.  Ce  fut 
même  par  son  conseil  et  par  reconnaissance  pour  les  services  qu'il  en  avait  reçus,  que  le  vertueux 
Adalbaud  commença  la  construction  du  monastère  de  Marchieanes.  Plus  tard,  en  sa  qualité  de  leude, 
il  fréquenta  la  cour  de  Dagobert  1=',  qui  aimait  à  réunir  autour  de  sa  personne  les  fils  des  princi- 
pales familles,  afin  de  les  attacher  plus  étroitement  à  sa  dynastie.  Il  s'y  distingua  par  de  brillantei 
qualités,  qui  le  firent  aimer  de  tous  les  nobles  du  palais,  et  qui  inspirèrent  an  monarque  lui-même 
une  grande  ccnSance  en  sa  bravoure  et  en  sa  fidélité.  Jeune  encore,  il  fit  partie  de  plusieurs  expé- 
ditions militaires  en  Gascogne,  oi  remuait  toujours  un  peuple  belliqueux  et  indomptable.  Les 
détails  en  sont  peu  connus.  Quant  à  ce  qui  concerne  Adalbaud,  on  voit  seulement  qu'ayant  fré- 
quenté, dans  le  pays  basque,  l'illustre  famille  du  seigneur  Ernold,  il  demanda  et  obtint  sa  fille 
Hictrude  en  mariage.  C'est  dans  ce  même  pays  que  s'était  retiré  saint  Amand  ,  après  l'injusta 
eiil  auquel  Dagobert  l'avait  condamné;  et  des  auteurs  croient  qu'il  eut  la  consolation  de  consacrer 
lui-même  l'union  d'Adalbaud  et  de  Rictrude,  qui  tous  deux  le  regardaient  comme  leur  guide  et  leur 
père  spirituel.  Ce  mariage,  béni  du  ciel,  avait  reçu  l'approbation  de  tous  les  parents,  à  l'exception 
de  quelques-uns  qui  voyaient  avec  dépit  l'alliance  d'une  princesse  de  leur  sang  avec  un  franc 
d'Auslrasie.  Cet  antagonisme  des  races  do  Nord  et  du  Midi  était  encore  vivace  è.  cette  époque,  et 
les  guerres  si  longues  et  si  meurtrières  qu'eurent  i  soutenir  plus  tard  les  rois  successeurs  de  Dago- 
bert, le  témoignent  suffisamment.  La  cérémonie  du  mariage  se  fit  avec  solennité,  et  de  part  et 
d'autre  les  présents  d'usage  furent  offerts  et  acceptés.  Mais,  ajoute  le  biographe,  le  plus  beau 
présent  était  celui  que  les  fiancés  se  faisaient  mutuellement  de  leur  personne.  «  Adalbaud  offrait 
i  sa  jeune  épouse  des  vertus  héréditaires,  un  sang  illustre,  une  mâle  beauté,  one  sagesse  et  une 
prudence  qni  avaient  devancé  les  années.  Rictrude  lui  apportait  en  retour  des  charmes  modestes 
et  pudiques,  une  noble  naissance,  de-  grands  biens,  et  par-dessus  tout,  une  vie  pure  et  chaste  ». 
Belle  et  sainte  union  de  deux  cœurs  que  Dieu  avait  faits  l'un  pour  l'autre,  et  que,  malgré  la  dis- 
tance des  lieux,  il  sut  réunir  pour  l'accomplissement  de  ses  desseins.  Adalband,  de  retour  avec  son 
épouse,  dans  ses  possessions  d'Ostrevant,  continua  de  donner  tous  les  exemples  de  vertu  que  l'on 
avait  admirés  en  lui  dès  son  adolescence.  Souvent  il  recevait  dans  sa  demeure  les  missionnaires 
ij'ii  prêchaient  l'Evangile.  Saint  Amand  et  saint  Riquier,  en  particulier,  venaient  leur  adresser 
des  conseils  qu'ils  recevaient  avec  bonheur.  Jaloux  de  voir  les  enfants  que  le  ciel  lui  avait 
donnés  marcher  dans  la  voie  du  bien,  il  avait  soin  de  les  confier  à  des  maîtres  vertueux.  Adalbaud 


LE  BIENHEUREUX  PIERRE  CAMBIAN  DE   RUFFIE.  223 

et  Rictrade  s'appliquaient  eux-mêmes  à  confirmer  ces  leçons  par  leur  conduite.  Aussi  était-ce  d'or- 
dinaire avec  leurs  enfants  qu'ils  pratiquaient  les  œuvres  de  religion  et  de  charité,  afin  d'inspirer  à 
ces  jeunes  cœurs  l'amonr  de  Dieu,  et  une  tendre  compassion  pour  les  pauvres.  <t  Avec  eui  ils 
portaient  secours  aux  indigents,  donnaient  la  nourriture  à  celui  que  pressait  la  faim,  et  des  vêle- 
ments à  celui  qui  était  transi  de  froid  ;  avec  euï  ils  visitaient  les  malheureux  pour  les  consoler, 
les  malades  pour  leur  procurer  des  remèdes,  les  criminels  quelquefois  pour  rappeler  le  repentir 
dans  leurs  âmes  ».  C'est  ainsi  qu'Adalbaud  et  son  épouse  formèrent  leurs  enfants,  Mauront,  Eusébie, 
Clotsende  et  Adalsende,  qui  croissaient  en  sagesse  et  en  grilce  devant  Dieu  et  devant  les  hommes. 
Il  y  avait  près  de  seize  ans  qu'il  remplissait  avec  fidélité  ces  devoirs  si  doux  pour  un  père 
chrétien,  lorsqu'il  fut  rappelé  en  Gascogne.  Adalbaud  s'éloigna  à  regret  de  sa  famille  où  il  goûtait 
tant  de  bonheur.  A  son  départ,  sa  vertueuse  épouse  Rictrude  ne  pouvait  s'arracher  de  ses  bras  : 
on  eût  dit  qu'elle  pressentait  le  coup  qui  allait  la  frapper.  Elle  voulut  l'accompagner  quelque  temps 
et  le  plus  loin  qu'il  fut  possible;  mais  enfin  il  fallut  se  séparer,  le  cœur  rempli  de  tristes  prévi- 
sions qui  ne  devaient  que  trop  tôt  se  réaliser.  En  efl'et,  Adalbaud,  arrivé  dans  les  environs  de  Péri- 
gueux,  fut  attaqué  à  l'improviste  par  des  hommes  de  la  famille  même  de  Rictrude,  qui  brûlaient  de 
satisfaire  leur  haine  et  leur  vengeance.  L'infortuné  seigneur  succomba  sous  leurs  coups  dans  les 
solitudes  du  Périgord,  et  alla  recevoir  dans  le  ciel  la  récompense  de  sa  piété  et  de  ses  bonnes 
œuvres.  Le  bruit  causé  par  ce  meurtre  arriva  promptement  aux  oreilles  de  Rictrude,  dont  il  serait 
impossible  d'exprimer  la  douleur.  Rictrude  fit  rendre  les  honneurs  funèbres  à  son  époux  et  obtint 
peu  après  que  sa  dépouille  mortelle  lui  fût  remise.  Des  miracles  opérés  auprès  de  ces  reliques  dé- 
terminèrent le  culte  qu'on  lui  rendit  dans  le  Périgord,  où  il  fut  assassiné,  et  dans  les  contrées  d'où 
il  était  originaire.  On  donne  ordinairement  à  saint  Adalbaud  le  titre  de  martyr,  soit  parce  qu'à  cette 
époque  on  désignait  quelquefois  sous  ce  nom  les  personnes  de  haute  vertu  qui  mouraient  d'une 
mort  violente,  soit  parce  qu'on  croit  que  le  motif  de  la  religion  ne  fut  pas  étranger  à  ce  meurtre, 
dans  on  pays  où  il  y  avait  encore  beaucoup  d'idolâtres.  Ses  reliques  reposèrent  au  monastère  d'El- 
non,  da  vivant  même  de  saint  Arnaud  ;  dans  la  suite,  le  chef  fut  transporté  à  Douai,  comme  on  le 
voit  dans  un  ancien  manuscrit  de  l'église  de  Saint-Amé.  Il  existait  autrefois  dans  cette  collégiale  une 
magnifique  chapelle  avec  un  autel  dédié  à  saint  Mauront  et  à  ses  parents.  De  temps  immémorial, 
leurs  statues  y  étaient  exposées  à  la  vénération  publique.  La  première  représentait  saint  Adalbaud 
revêtu  d'une  robe  couverte  de  lis,  tenant  dans  la  main  droite  un  livre,  dans  la  gauche  une  épée. 
Entre  saint  Adalbaud  et  sainte  Rictrude  était  saint  Mauront,  leur  fils,  aussi  revêtu  d'une  robe  magni- 
fique, un  sceptre  dans  la  main  droite  et  un  édifice  muni  de  tours  dans  la  gauche  ;  puis  sainte  Ric- 
trude, en  habit  de  bénédictine,  et  tenant  en  main  l'édifice  sacré  qui  représentait  l'abbaye  de  Mar- 
cliiennes.  Tous  les  auteurs  placent  la  fête  de  saint  Adalbaud  au  2  février,  qui  est  sans  doute  le  jour 
de  sa  mort  ou  celui  de  la  translation  de  ses  reliques. 

M.  r.ibbiS  Destombes  :  Sainls  de  Camùrci  el  d'Arras.  —  Voir  U  Vie  rie  saint  Aiiiiif!,  au  B  fi'vvisr,  et 
r-îlîe  de  sainte  Rictrude.  au  12  mai. 


LE  BIENHEUREUX  PIERRE  GAMBIAN  DE  RUFFIE  (1363). 

Vers  la  fia  du  xii»  siècle,  le  midi  de  l'Europe  eut  beaucoup  à  souffrir  des  hérétiques  nommés 
Albigeois.  Non  contents  de  renverser  les  dogmes  catholiques,  ils  chassaient  les  évêques  de  leur 
siège,  incendiaient  les  monastères.  Les  princes  chrétiens  se  liguèrent  el  tournèrent  la  force  de  leurs 
armes  contre  ces  ennemis  pubUcs  de  l'Etat  et  de  la  religion.  Mais  Dieu  donna  à  son  Eglise  un  secours 
plus  puissant  encore  dans  la  uersonne  de  saint  Dominique  et  de  ses  frères  prêcheurs.  Ces  samts  hommes, 
bien  plus  que  les  armées  et  les  princes,  surent  préserver  une  foule  de  catholiques  et  ramener  au  bien 
un  grand  nombre  d'hérétiques. 

L'hérésie  disparut,  mais  ses  débris  se  réfugièrent  dans  les  montagnes  subalpines  et  les  souverains 
Pontifes  durent  envoyer  des  inquisiteurs  dans  le  Piémont.  La  haine  des  hérétiques  éclata  contre 
ces  religieux  dont  plusieurs  reçurent  la  palme  du  martyre.  Parmi  les  martyrs  de  l'Ordre  de  Saint- 
Dominique,  on  compte  le  bienheureux  Pierre  Cambian  de  Ruffie.  Ce  saint  homme  était  entré  de  bonne 
heure  dans  la  vie  religieuse.  R  fut  nommé  inquisiteur  général  en  Piémont  avant  le  pontificat  d'Inno- 
cent VI,  en  l'an  1351,  et  c'est  dans  l'exercice  de  ses  fonctions  qu'il  fut  martyrisé  par  les  Albigeois 
en  1365.  Il  avait  été  envoyé  dans  les  vallées  et  avait  reçu  l'hospitalité  dans  le  couvent  des  Fran- 
ciscains de  Suse.  Les  hérétiques,  craignant  le  zèle  de  l'inquisiteur,  envoyèrent  un  sicaire  qui  le  poi- 


ï!2i  '-i   FEVlUElt. 

gnarda  dans  le  cloître  du  couvect.  C'était  le  jour  de  la  Purification  de  la  Sainte  Vierge.  L'ouverture 
du  tombeau  du  Bienheureux,  en  1854,  manifesta  toute  la  piété  dont  les  fidèles  entourent  sa  mémoire. 
Le  clergé,  qui  n'avait  pas  encore  pu  obtenir  de  reliques,  les  reçut  avec  les  plus  vives  démonstrations 
de  joie  et  les  plaça  sur  les  autels.  Notre  Saint-Père  le  pape  Pie  IX  a  contirmé  le  culte  de  ce  bienheureui 
martyr,  en  ISjii. 


nr  JOUR  DE  FÉVRIER 


MARTYROLOGE  ROMAIN. 

A  Sébasle,  en  Arménie,  le  supplice  de  saint  Blaise,  évéquc  et  martyr,  grand  thaumaturge, 
lequel,  après  avoir  subi  une  longue  flagellation  sous  le  président  Agricolaiis,  fut  attaché  à  un  j 
poteau  où  sa  chair  fut  toute  déchirée  avec  dos  peignes  de  fer,  jeté  ensuite  dans  un  horrible  cachot  1 
et  dans  un  lac,  d'où  il  sortit  sain  et  sauf,  et  enfin,  par  sentence  du  même  juge,  décapité  avec  deux] 
petits  enfants.  Avant  lui,  sept  femmes,  qui  recueillaient  les  gouttes  de  sang  qui  coulaient  de  ses 
plaies  pendant  son  supplice,  ayant  été  reconnues  pour  chrétiennes,  furent  exécutées  par  le  Iran- 
chant  de  l'épée.  Vers  316.  —  En  Afrique,  saint  Célehin,  diacre,  qui,  ayant  été  détenu  dix-neuf 
jours  en  prison,  chargé  de  chaînes',  confessa  glorieusement  Jésus-Christ  dans  les  fers  et  au  milieu 
de  divers  supplices,  et  qui,  par  son  invincible  fermeté  dans  la  lutte,  non-senleaient  triompha  do 
l'ennemi,  mais  encore  indiqua  aux  autres  la  voie  de  la  victoire.  280.  —  Encore  en  Afrique,  les 
saints  martyrs  Laurentin  *,  oncle  paternel  de  Célerin,  Ignace,  son  oncle  maternel,  et  Célérine,  son 
aïeule,  qui  avaient  reçu  avant  lui  la  couronne  du  martyre.  Il  nous  reste  une  lettre  de  saint  Cyprien 
à  la  louange  de  ces  glorieux  vainqueurs.  —  Au  même  lieu,  les  saints  martyrs  Félix,  Symphrone, 
Hippolyte  et  leurs  compagnons  '.  —  En  la  ville  de  Gap,  les  saints  évêques  Tigide  et  Remède. 
Il»  s.  —  A  Lyon,  les  saints  Lupicin  et  Félix,  aussi  évèques.  m»  s.  —  Le  même  jour,  saint 
Anschaihe,  évèque  de  Brème,  qui  convertit  les  Suédois  et  les  Danois  à  la  foi  du  Christ.  865.  — 
AChester,  en  Angleterre,  sainte  Webeburge,  vierge,  abbesse  et  patronne  de  Chester.  VIP  8. 

MARTYROLOGE  DE  FRANCE,   REVU  ET  AUGMENTÉ. 

A  Gap,  on  fait  encore  en  ce  jour  mémoire  des  saints  Erede  et  Territe,  évèques  de  ce  siège  et 
martyrs,  dont  on  ne  sait  rien  si  ce  n'est  qu'ils  ont  été  de  bons  pasteurs  et  que  leur  nom  est  écrit 
dans  le  livre  de  vie.  ni"  ou  iv«  s.  —  A  Bordeaux,  sainte  Véroniqde,  qui  essuya  la  face  de  Notre- 
Seigneur  Jésus-Christ,  i"  s.  —  A  Auxerre,  saint  Julien,  martyr,  qui  fut  converti  par  saint  Pérégrin, 
évèque  de  cette  ville  et  martyr.Vers  la  fin  du  m»  s. —  A  Salins,  en  Franche-Comté,  saint  Anatoile, 
évêque  d'Adane,  en  Cilicie,  qui,  comme  écrivent  Pallade  et  Georges  d'Alexandrie,  s'enfuit  dans  les 
Gaules,  de  peur  de  communiqueravec  Attique  contre  saint  Chrysostome.  Il  y  acheva  sa  vie  danslasoli- 
tude.  iv  s.  — A  Vienne,  en  Dauphiné,  les  saints  évêques  Simplice,  440,  Philippe,  530,  et  Evance,  qui 
ont  occupé  en  divers  temps  ce  siège  primatial,  et  l'ont  singulièrement  honoré  parleurs  vertus  et  par 
leurs  miracles  ♦.  —  A  Lagny,  au  diocèse  de  Paris,  saint  Diè,  confesseur,  viii»  s.  —  Au  diocèse  ds 

1.  Chargé  de  chaînes,  en  latin  m  nervo.  Le  nervus  était  un  lien  de  fer  qui  entravait  les  pieds,  et  qui 
même  s'enroulait  autoar  du  cou  :  Festns  le  dit  positivement.  Plante  en  parle  anssi  dans  le  même  sens.  — 
Isidore  (liv.  ix  des  Origines)  le  définit  de  la  même  manière. 

2.  Il  est  fait  mention  de  ces  ïlartyrs  dans  la  trente-quatrième  lettre  de  saint  Cyprien,  et  voici  ses 
paroles  :  u  Nous  oiîrons  pour  eux  le  saint  Sacrifice,  lorsque  nous  célébrons  les  anniversaires  des  passions 
des  Martyrs  et  les  jours  de  leurs  triomphes  ».  Saint  Angustin  (17e  sermon)  explique  ce  qu'il  faut  entendre 
par  les  mots  pro  eis,  pour  eux.  «  Cela  ne  vent  pas  dire  que  l'on  prie  pour  eux  pendant  le  sacrifice;  mais 
que  l'on  fait  mémoire  d'eux  dans  la  célébration  du  sacrifice  ».  (Voyez  le  même  docteur  :  de  Verb.  apost. 
cap.  1,  et  tract,  in  Joannem,  84.)  (Bahonius.) 

3.  Les  Boilandistes  nomment  une  sainte  Félicité. 

4.  La  primatie  des  Gaules  contestée  h  réglise  do  Vienne  par  l'arcbevêqne  d'Arles;  l'extension  da 
premier  royaume  de  Bourgogne  par  Gondicairc;   les  malheurs  inséparables  de  la  guerre  et  de  tout  cliau- 


UAIU'VHOLOCKS.  22a 

Soissons,  saint  Gloriose,  prêtre.  —  A  Maêslrichl,  l'ordination  de  saint  Rémacle,  évèque,  qui,  après 
avoir  rempli  tous  les  devoirs  d'un  saint  prélat,  se  retira  dans  la  solitude,  où  il  combla  la  mesura 
abondante  de  sa  sainteté  '.  —  A  Vizel,  au  diocèse  de  Maëslricht,  saint  Hadelin,  confesseur,  dis- 
ciple de  saint  Rémacle.  Vers  696.  —  A  Meerbeke,  près  de  Ninove,  en  Brabant,  les  saintes  Ber- 
LiNDE,  None  et  Celse.  Le  monaslère  de  Tin-le-Moulier  possédait  une  partie  des  reliques  de  sainte 
Berlinde.  Vers  T02.  —  A  la  Piscine-sous-Chaumont,  en  Bassigny,  sainte  Aragone  ou  Radegonde 
et  sainte  Olivaria,  martyrisées  du  temps  d'Attila  par  les  Huns  qui  voulaient  attenter  à  leur  hon- 
neur. On  voyait  autrefois  à  Morin,  au  nord  de  Montheric,  une  chapelle  sous  l'invocation  de  sainte 
Aragone.  Ses  reliques  furent  transporiées  à  Clairvaux  pendant  la  Révolution.  En  1802,  on  les 
rapporta  à  Monlheric,  et  c'est  là  que  se  fait,  aujourd'hui,  le  pèlerinage  qui  avait  lieu  autrefois  à 
Moriu  le  lundi  de  Piques  *.  —  .\  Froidmond,  diocèse  de  Beauvais,  saint  ElIiNand,  moine  de  cette 
abbaye.  1237.  —  A  Marseille,  la  fête  de  l'ordination  de  saint  Théodore,  évèque  de  cette  ville, 
dont  l'entrée  au  ciel  est  le  2  janvier.  —  A  Mayence,  la  fête  de  sainte  Secondixe,  vierge  et  mar- 
tyre, nommée  au  martyrologe  romain  du  15  janvier.  257.  —  A  Séez,  la  fête  de  saint  Ravérien, 
appelé,  sur  une  révélation,  à  occuper  le  siège  de  cette  ville  et  mort  moine  de  Saint-Vandrille  le 
17  novembre  682.  —  A  Seauve-Benoite,  au  diocèse  du  Puy,  sainte  -Marguerite  dite  d'Angleterre, 
vierge.  Elle  était  d'une  illustre  famille  de  Hongrie  :  sa  mère,  qui  était  originaire  d'Angleterre,  fit 
avec  elle  un  pèlerinage  à  Jérusalem.  .Marguerite,  après  la  mort  de  sa  mère,  entreprit  un  pèlerinage 
à  .Monl-Serrat,  en  Espagne,  d'où  elle  vint  à  Nolie-Dame  du  Puy.  Elle  embrassa  la  vie  monastique 
chez  les  Cisterciennes  de  Seauve-Benoite,  où  elle  mourut  au  xii«  siècle.  —  A  Carcassonne,  fête 
de  saint  Deoys,  pape  '. 

UARTYROLOGES  DES  ORDRES   RELIGIEUX. 

Martyrologe  Romano-Séraphique.  —  A  Udine,  dans  le  Frionl,  le  bienheureux  Oderic,  confes- 
Beur  de  l'Ordre  des  Mineurs,  remarquable  par  l'austérité  de  sa  vie,  par  son  humilité,  son  oraison, 
qui,  par  ses  ferventes  prédications,  convertit  au  Christ  plusieurs  milliers  d'infidèles  ;  il  se  rendit 
célèbre  par  ses  miracles,  et  après  de  nombreux  et  lointains  voyages,  émigra  vers  le  Seigneur,  le 
14  de  janvier  1331  *. 

iîwiyrolor/e  de  P Ordre  Séraphiq'ie.  —  Sainte  Véridienne  ou  Viridiane,  vierge  recluse,  de 
l'Ordre  de  VaUombreuse,  qui,  ayant  été  admise  au  Tiers  Ordre  par  notre  séraphique  patriarche  saint 
François,  fut  remarquable  par  les  dignes  fruits  de  sa  pénitence  et  par  la  gloire  de  ses  miracles, 
et  rendit  sou  ùme  à  Dieu  à  Castel-Florentin,  en  Toscane,  le  l"  février. 

Mm-lfiroloye  df.  l'Ordre  de  Saint-Augustin.  —  A  Rome,  les  obsèques  de  saint  Simon  de  Cos- 
tia,  de  l'Ordre  des  Ermites  de  Saint-Augustin,  célèbre  par  sa  renommée  d'écrivain  et  de  prédica- 
teur, et  par  le  don  des  prophéties  et  des  miracles.  2  février  1348  °. 

V^'^ITIONS   FAITES   D'aPRÈS   LES  ROLl.ANDISTES  ET  AUTRES   HAGIOGR.APHES. 

A  Rome,  le  B.  Nicolas  Longobardi  •.  —  En  Judée,  saint  Azarias,  prophète,  qui  vécut  sous  le 
règne  d'Asa,  roi  de  Juda,  et  excita  ce  prince  à  détruire  l'idolâtrie  dans  ses  Etats  ''.  —  A  Oretum, 
vUle  d'Espagne  ruinée  par  les  Maures,  située  entre  Almagro  et  Calatrava,  saint  Biaise,  évèque, 
martyrisé  à  Cifuentes,  sous  Néron.  —  A  Anvers,  saint  Fortuné,  martyr  romain,  dont  le  corps 
retrouvé  dans  les  catacombes  de  Saint-Callixte ,  fut  donné  à  l'église  de  cette  ville  en  1622.  —  A 

gement  de  goUTernement  ;  lea  erreurs  de  ces  nonreaox  maîtres  politiques,  tels  furent  les  événements  qui 
t'accomplirent  sous  le  pontificat  de  saint  Simplice  et  qui  exercèrent  .aii.])lement  sa  vertu. 

Saint  Philippe  présida  au  sixième  Concile  de  Paris.  De  saint  Evance  on  ne  connaît  que  le  nom. 

C'est  peut-être  ici  le  lîeu  de  faire  ressortir  ce  fait  glorieux  pour  l'église  de  Vienne,  et  assurément 
uuiqne  dans  les  annales  épiscopales,  que,  de  Crescent  à  Villicaire,  cette  église  ne  compte  que  des  Saints 
pour  évêques  :  quarante-quatre  du  i"  au  nue  siècle.  Depuis  lors  au  xviiie  siècle,  on  n'en  compte  plus 
que  quatre  ou  cinq.  Le  dernier  est  le  bienheureux  Bnrcard,  mort  en  1029. 

1.  Voir  sa  rie  au  3  septembre. 

2.  La  plupart  des  Martyrologes  donnent  pour  compagne  à  sainte  Olivaria  une  sainte  Libérale,  au  lieu 
de  sainte  Aragone  :  en  nommant  sainte  Aragone  au  lieu  de  sainte  Lîbérate,  nous  nous  sommes  rangés  k 
l'avis  de  l'auteur  des  Saints  de  la  Baute-Marne. 

3.  Voir  sa  vie  au  26  décembre.  —  Les  Cannes  font  son  office  le  12  février. 

4.  Voir  sa  notice  au  14  Janvier. 

5.  Les  écrits  de  ce  prédicateur  célèbre  ont  été  publiés  à  Cologne  en  1540.  On  estime  sortont  son 
Traité  de  la  Doctrine  chrétienne.  Grégoire  XVI  a  approuvé  son  culte  le  33  août  1833. 

6.  Voir  «u  12  février. 

7.  Le  prophète  AzariA,  fils  d'Obed,  ne  doit  point  être  confoiidn  avec  un  antre  Azarias,  aussi  fils 
d'Obed.  qui  vécut  soixante  ans  après;  ni  son  père  avec  le  prophète  Obed,  qui  parut  deux  cents  ans  plus 
tard.  Celui  dont  on  honore  la  mémoire  en  ce  Jour  véMt  du  temps  d'Aza,  roi  de  Juda,  qui  se  rendit  limi- 

ViEs  DES  Saints.  —  Tomb  H.  15 


S26  3   FÉTHIER. 

Volterre,  en  Toscane,  saint  Candide,  martyr  romain,  dont  le  corps  fiit  donné  k  celle  ville  sous  le 
pontificat  d'Urbain  VIII.  —  A  Césarée,  en  Cappadoce,  saint  Biaise  le  piUre,  martyr,  distinct  de 
saint  Biaise  de  Sébaste,  fêté  le  même  jour.  Ileureuï  Biaise,  disent  les  Menées,  qui  échangea  la 
boue  des  étables  contre  le  séjour  des  parvis  éternels.  —  Et  ailleurs  les  saints  Paul  et  Simon,  mar- 
tyrs, et  Claude,  confesseur.  —  A  Spolète,  en  Ombrie,  saint  Laurent,  rillumiuateur,  évèque  de  cette 
Tille.  11  fut  nommé  l'Illuminaleur  parce  qu'il  guérit  les  corps  et  éclaira  les  imes  d'un  grand  nombre 
de  personnes.  11  était  originaire  de  Syrie  :  celte  province  fut  pendant  de  longs  siècles  une  pépi- 
nière d'apôlrcs.  Vers  l'an  576.  —  En  Angleterre,  sainte  Weheburge,  vierge,  fille  du  roi  de 
Mercie  et  de  la  reine  sainte  Ermelinde  ;  elle  fut  religieuse  dans  le  monastère  d'Eli,  dont  parle 
Bède,  et  fut  mise  à  la  tète  de  plusieurs  communautés  de  femmes,  viii"  s.  —  En  Suède,  saint 
Nilhard,  prêtre  et  martyr,  neveu  de  saint  Gaubert,  l'un  des  premiers  apôtres  de  la  Suède.  Vers 
l'an  840.  —  A  Ripen,  dans  le  Julland,  la  plus  ancienne  ville  du  Danemark,  saint  Liafdag,  évèque  de 
celte  ville  et  martyr.  .Vers  l'an  980. 


SAINT  BLAISE,  EVEQUE  ET  MARTYR 

316.  —  Pape  :  saint  Sylvestre  l".  —  Empereur  d'Orient  :   Licinins. 

Qui  voudra  sauver  sa  vie  la  perdra,  et  qui  l'aura  perdae 
pour  moi  la  retrouvera.  Maith. ,  xvi,  25. 

L'histoire  de  saint  Biaise  nous  apprend  qu'il  parut  des  son  enfance  d'un 
bon  naturel,  qu'il  fut  modeste  en  sa  jeunesse  :  arrivé  à  l'âge  mûr,  il  s'appliqua 
particulièrement  à  la  médecine,  et  fut  toujours  pénétré  de  la  crainte  de 
Dieu  ;  de  sorte  qu'ayant  gagné  par  ses  vertus  l'affection  de  tout  le  peuple,  il 
fut  élu  évèque  de  la  ville  de  Sébaste,  qui  est  en  la  province  d'Arménie.  De- 
puis, par  un  mouvement  de  l'esprit  de  Dieu,  il  se  relira  sur  une  montagne 
nommée  Argée,  où  il  vécut  quelque  temps  dans  une  caverne  vers  laquelle 
les  bêtes  sauvages  des  environs  venaient  tous  les  jours  pour  lui  faire  hon- 
neur et  recevoir  avec  sa  bénédiction  la  guérison  de  leurs  mau.^.  S'il  arrivait 
qu'il  fît  sa  prière,  elles  ne  l'interrompaient  pas,  mais  elles  attendaient  qu'il 
eût  achevé,  et  ne  s'en  retournaient  point  sans  avoir  en  quelque  façon  reçu 
leur  congé,  pour  faire  voir  combien  Dieu  favorise  ses  serviteurs  et  quelle 
est  l'obéissance  qui  est  due  à  sa  majesté  par  toutes  les  créatures'.  Ainsi,  ce 
saint  prélat  trouvait  des  délices  dans  le  creux  de  la  terre,  de  la  soumission 
parmi  les  bêtes,  de  la  siireté  au  milieu  des  monstres,  de  l'abondance  dans 
les  déserts  et  du  plaisir  en  la  solitude  :  ce  qui  nous  donne  sujet  de  le  consi- 
dérer comme  un  second  Adam  au  paradis  terrestre,  ou  plutôt  comme  une 
excellente  copie  de  Jésus-Christ,  dont  il  est  écrit  dans  l'Evangile  que,  pen- 
dant les  quarante  jours  de  son  jeûne  et  de  sa  solitude,  il  vivait paimii  les 
bêtes. 

Agricola,  gouverneur  de  la  Cappadoce  et  de  la  petite  Arménie,  sous 
l'empereur  Licinius,  étant  venu  à  Sébaste,  commença  à  y  persécuter  les 
fidèles,  selon  les  ordres  de  son  maître,  qui  déchirait  les  ouailles  de  Jésus- 
Christ  comme  un  loup  cruel  et  affamé,  tandis  que  les  loups  véritables  bai- 
saient les  pieds  de  Biaise,  leur  pasteur.  Ce  cruel  juge  crut  que,  ne  devant 

tsteur  de  la  ^\6ï6  de  David,  SOB  trisaïeul.  Le  Seif^eur  envoya  sou  proi>h(ste  aa-devaut  d'A7.a,  qui  venait  de 
remporter  une  grande  victoire  sur  Zara,  roi  de  Chas  ou  d'iùthlopie,  afin  de  l'exliortcr  ii  rester  fidèle  au  vrai 
Dieu  qui  lui  avait  donné  la  victoire,  maigre  le  nombre  de  ses  ennemis.  Les  exiioitations  d'Azarias  Hi'cnt 
nne  telle  impression  sur  le  roi,  qu'il  fit  disparaître  tous  les  vestij^es  d'idalàtriuqu],  par  le  fait  de  sa  ml-re, 
touillaient  ses  Etats.  On  ne  sait  rien  do  plus  de  ce  prophi^te.  qui  est  honor<S  chez  les  Grecs  le  3  féviler. 
D'après  eux.  il  fit  encore  taire  une  pytUouisse  Qui  séduisait  le  peuple.  941. 

1.  Les  oDCiennes  verrières,  celles  do  Cliartres  par  exemple,  ont  souvent  reproduit  cette  particularité. 


SALNT  BLAJSE,    ÉVÊQUE   ET  MAKTYR.  227 

point  faire  quartier  aux  chrétiens  enfermés  dans  les  prisons,  il  était  expé- 
dient de  les  faire  mourir  tout  d'un  coup  en  les  exposant  aux  bêtes  sau- 
vages. Pour  cet  effet,  il  envoya  ses  gens  dans  les  forêts  prendre  des  lions  et 
d'autres  bêtes  farouches  ;  mais  il  arriva  qu'ennronnant  le  mont  Argée,  ils 
poussèrent  jusqu'à  la  caverne  oîi  était  Biaise,  et  trouvèrent  autour  de  lui  un 
grand  nombre  de  lions,  de  tigres,  d'ours,  de  loups  et  d'autres  animaux  sem- 
blables, qui  lui  faisaient  compagnie.  Surpris  de  cette  aventure,  ils  entrèrent 
plus  avant  dans  la  caverne,  et,  trouvant  le  saint  assis  et  ravi  dans  la  médita- 
tion des  grandeurs  de  la  Divinité,  ils  en  furent  encore  plus  étonnés,  et  s'en 
retournèrent  à  la  ville  pour  faire  savoir  au  gouverneur  ce  qu'ils  avaient  vu. 
Ce  récit  l'engagea  à  envoyer  des  soldats  vers  cette  montagne,  pour  chercher 
les  chrétiens  et  amener  tous  ceux  qu'ils  pourraient  rencontrer.  Ils  y  allèrent 
et,  ayant  encore  trouvé  saint  Biaise,  qui  priait  et  louait  Notre-Seigneur,  ils 
lui  dirent  que  le  gouverneur  le  demandait.  Le  saint  répondit  joyeusement  : 
«  Mes  enfants,  soyez  les  bienvenus;  il  y  a  longtemps  que  je  soupire  après 
votre  arrivée  ;  allons,  au  nom  de  Dieu  ».  Dès  qu'il  fut  arrivé  à  la  ville,  Agri- 
cola  le  fit  mettre  en  prison  ;  et,  le  jour  suivant,  il  le  fit  venir  en  sa  présence 
et  lui  dit  :  «  Je  suis  ravi  de  vous  voir,  Biaise,  cher  ami  des  dieux  immor- 
tels. —  Dieu  vous  garde,  6  gouverneur  » ,  répondit  Biaise  ;  «  mais  ne  donnez 
pas  le  nom  de  dieux  à  ces  misérables  esprits  qui  ne  peuvent  vous  faire  du 
bien  » . 

Le  gouverneur,  surpris  d'une  réponse  si  libre,  méditait  en  lui-même 
comment  il  pourrait  gagner  ce  prisonnier;  puis,  se  laissant  emporter  à  la 
rage,  il  le  fit  frapper  de  coups  de  bâton  l'espace  de  deux  ou  trois  heures. 
Le  saint  demeura  toujours  joyeux  et  constant  au  milieu  de  ce  supplice,  et 
il  ne  dit  que  ces  belles  paroles  :  «  0  trompeur  insensé  des  âmes  !  penses-tu 
me  séparer  de  Dieu  par  tes  tourments?  Non,  non,  le  Seigneur  est  avec  moi, 
et  c'est  lui-même  qui  me  fortifie.  C'est  pourquoi  fais  de  moi  tout  ce  que  tu 
■voudras  ».  Agricola  le  fit  ramener  en  prison,  et,  lorsqu'il  y  fut,  une  pieuse 
veuve  lui  apporta  à  manger,  et,  se  jetant  à  ses  pieds,  le  supplia  d'accepter 
le  peu  qu'elle  lui  offrait.  Le  saint  évoque  agréa  ses  charités,  et  promit  de  lui 
procurer,  à  elle  et  à  tous  ceux  qui  lui  appartenaient,  du  secours  et  de  l'as- 
sistance dans  toutes  leurs  nécessités. 

On  amenait  à  ce  bienheureux  prisonnier  les  malades  de  tous  ces  quar- 
tiers-là :  parmi  eux  se  trouva  un  jeune  enfant  qui,  en  mangeant  du  poisson, 
avait  avalé  une  arête  qui  l'étranglait  et  le  réduisait  presque  à  l'extrémité. 
Sa  mère  le  mit  aux  pieds  du  Saint,  et  lui  demanda  son  secours  avec  beau- 
coup de  larmes  et  de  soupirs  ;  il  pria  Notre-Seigneur  de  lui  donner  la  santé, 
et  à  tous  ceux  qui,  étant  travaillés  d'un  mal  semblable,  se  recommande- 
raient à  lui,  et  l'enfant  fut  guéri  aussitôt.  Depuis  la  mort  du  saint  Martyr, 
plusieurs  personnes  incommodées  du  même  mal  ont  été  soulagées  par  son 
intercession.  Que  les  hérétiques  ne  nous  disent  point  que  c'est  une  dévotion 
inventée  depuis  peu,  car  Aétius  ',  ancien  médecin  de  Grèce,  parmi  les 
remèdes  qu'il  enseigne  pour  ce  mal,  met  particulièrement  l'invocation  à 
saint  Biaise. 

A  quelques  jours  de  là,  Agricola  se  fit  amener  son  prisonnier  une  se- 
conde fois,  et,  le  trouvant  plus  ferme  et  plus  résolu  qu'auparavant,  il  le  fit 
attacher  à  un  poteau,  ovi  on  le  fouetta  avec  une  cruauté  inouïe.  Mais  le  saint 
martyr  endurait  les  coups  avec  joie,  et  louait  la  bonté  de  son  Dieu  de  la 
grâce  qu'il  lui  faisait  en  lui  donnant  la  force  de  souffrir  quelque  chose  pour 

1.  Aetius  d'Amida  snr  le  Tigre,  médecin  grec  de  la  fin  du  vo  siècle,  auteur  du  Tetrabiàios,  vaste  coa- 
fUation  où  il  a  mis  à  contribution  tous  les  médecins  autoricurs. 


228  3  FÈvaiEA. 

son  amour.  Après  ce  supplice,  on  le  détacha  de  ce  poteau  pour  le  ramener 
en  prison.  Sept  femmes  pieuses  le  suivirent,  ramassant  les  gouttes  de  son 
sang  qui  coulait  à  terre  ;  elles  s'en  frottaient  le  visage  comme  d'un  baume 
précieux,  avec  un  grand  sentiment  de  piété.  Elles  furent  arrêtées  et  menées 
au  gouverneur,  qui  leur  commanda  de  sacrifier  aux  dieux  ou  de  se  résoudre 
à  mourir.  Ces  femmes  prudentes  lui  répondirent  qu'il  n'avait  qu'à  envoyer 
ses  dieux  au  bord  d'un  lac  qui  était  là  auprès,  et  qu'elles  iraient  les  laver, 
afin  de  leur  offrir  un  sacrifice  plus  pur.  Le  juge,  très-joyeux  de  cette  ré- 
ponse, ordonna  aussitôt  que  ses  idoles  y  fussent  portées;  mais  ces  géné- 
reuses servantes  de  Jésus-Christ  prirent  les  dieux  d'Agricola  et  les  jetèrent 
au  fond  de  l'eau  ;  il  entra  en  une  telle  furie,  qu'il  fit  préparer  un  grand  feu 
avec  du  plomb  fondu,  et  sept  plaques  de  fer  en  forme  de  chemises  :  puis  il 
leur  dit  de  choisir,  ou  d'adorer  les  dieux,  ou  d'éprouver  l'extrême  chaleur 
du  feu,  et  les  effets  du  plomb  fondu.  Le  tyran  n'eut  pas  plus  tôt  proféré  ces 
paroles,  qu'une  de  ces  saintes  femmes,  qui  avait  deux  petits  enfants,  courut 
vers  le  feu,  et  ces  deux  innocents  la  prièrent,  puisqu'elle  voulait  mourir,  de 
ne  pas  les  laisser  en  vie,  de  les  aider  à  avoir  la  lumière  céleste  comme  elle 
leur  avait  donné  la  lumière  corporelle.  Agricola  fut  bien  étonné  de  ces  pa- 
roles, et,  tout  outré  de  douleur,  il  s'écria  :  «  Hélas  !  faut-il  que  les  femmes 
et  les  enfants  se  moquent  ainsi  de  nous?  »  Ensuite  il  fit  attacher  ces  femmes 
à  des  poteaux,  et  commanda  qu'on  leur  déchirât  tout  le  corps  avec  des 
peignes  de  fer;  mais,  ô  puissance  infinie  du  Dieu  vivant!  du  lait  au  lieu  de 
sang  coulait  de  leurs  plaies,  pour  confondre  la  cruauté  du  gouverneur,  et, 
en  même  temps  que  leurs  corps  étaient  déchirés  avec  ces  peignes  de  fer, 
des  esprits  bienheureux  descendaient  du  ciel  pour  les  consoler,  et,  les  gué- 
rissant de  leurs  plaies,  ils  leur  disaient  :  «  N'appréhendez  point  les  tour- 
ments; combattez,  car  vous  vaincrez,  et  vous  serez  couronnées  ».  Après  ce 
supplice,  Agricola  les  fit  jeter  dans  le  feu;  mais  elles  en  furent  retirées  par 
la  main  du  Tout-Puissant,  sans, en  avoir  été  atteintes.  Enfin,  ce  juge  les 
condamna  à  avoir  la  tête  tranchée  ;  ce  qui  fut  exécuté  sur-le-champ,  tandis 
qu'elles  rendaient  grâces  à  Dieu  pour  ce  bienfait,  en  disant  toutes  ensemble 
d'un  même  esprit  et  d'un  même  cœur  :  «  Nous  vous  remercions.  Seigneur, 
de  la  grâce  que  vous  nous  faites  d'être  sacrifiées  sur  cet  autel  comme  des 
brebis  innocentes  ».  Pour  les  petits  enfants,  ils  criaient  à  leur  mère  qu'elle 
eût  bon  courage,  que  la  couronne  lui  était  préparée  et  qu'elle  allait  la  rece- 
voir des  mains  de  Dieu. 

Le  gouverneur  entreprit  encore  d'ébranler  le  cœur  de  Biaise,  son  prison- 
nier; mais  ayant  vu  que  tous  ses  efforts  étaient  inutiles,  il  le  fit  jeter  dans 
le  lac  où  ses  idoles  avaient  été  noyées.  Le  saint  Martyr  fit  le  signe  de  la 
croix  et  marcha  sur  les  eaux  sans  enfoncer;  et,  s'étant  assis  au  milieu  du 
lac,  il  convia  les  infidèles  et  les  ministres  de  la  justice  à  entrer  dans  l'eau 
comme  lui,  s'ils  croyaient  avoir  du  secours  de  leurs  dieux.  Il  y  en  entra, 
dit-on,  soixante-huit,  qui  allèrent  aussitôt  au  fond  et  se  noyèrent,  pendant 
qu'un  esprit  de  lumière  apparut  au  saint  Martyr,  et  lui  dit  :  «  0  âme  éclai- 
rée du  Seigneur,  ô  pontife  ami  de  Dieu,  sortez  de  cette  eau  pour  recevoir  la 
couronne  de  la  gloire  immortelle!  »  Aussitôt  le  saint  Prélat  s'approcha  de  la 
terre,  si  éclatant  de  lumière,  qu'il  remplit  de  terreur  les  païens  et  consola 
merveilleusement  les  fidèles.  Agricola  en  étant  confus,  et  voyant  que  toutes 
ces  inventions  étaient  inutiles,  lui  fit  trancher  la  tête.  Le  Saint,  étant  près 
de  tendre  le  cou  au  bourreau,  pria  son  souverain  Seigneur  en  faveur  de  tous 
ceux  dont  il  avait  été  assisté  dans  ses  combats,  et  de  ceux  aussi  qui,  dans  la 
suite,  imploreraient  son  secours.  Alors  Notre-Seigneur  lui  apparut,  et  lui 


SAINT  BLAISE,    ÉVÉQUK   ET  MARTYR.  229 

dit  d'une  voix  qui  fut  entendue  de  toute  l'assistance  :  «  J'ai  ouï  ton  oraison, 
et  je  l'accorde  ce  que  tu  me  demandes  ».  Après  quoi  il  eut  la  tête  tranchée 
sur  une  pierre,  avec  les  deux  enfants  dont  nous  avons  parlé,  et  qui  avaient 
généreusement  confessé  Jésus-Christ.  Telle  fut  la  fin  glorieuse  de  ce  saint 
Pontife,  qui  mourut  à  Sébaste  le  3  février,  environ  l'an  316,  sous  l'empe- 
reur Licinius,  et  non  pas  sous  Dioclétien.  Les  opinions  sont  fort  partagées 
là-dessus,  mais  nous  suivons  la  plus  vraisemblable,  notre  dessein  n'étant 
pas  de  faire  ici  des  critiques  de  chronologie. 

On  met  dans  la  main  de  saint  Biaise  une  carde  ou  peigne  de  fer,  ou  bien 
une  bougie  roulée  ;  nu  peigne  de  fer,  parce  qu'il  endura,  entre  autres  sup- 
plices, celui  des  ongles  de  fer,  ce  qui  l'a  fait  choisir  pour  patron  par  les 
cardeurs  de  laine  et  môme  par  les  tailleurs  de  pierre,  à  cause  d'un  outil, 
appelé  ripe,  dont  se  servent  ces  derniers  et  qui  ressemble  à  une  carde;  — 
un  cierge,  parce  qu'il  aurait  dit,  en  forme  de  testament,  à  la  femme  dont  il 
guérit  l'enfant  dans  sa  prison  :  «  Offrez  tous  les  ans  un  cierge  en  mémoire 
de  moi  et  vous  vous  en  trouverez  bien,  ainsi  que  tous  ceux  qui  w)us  imi- 
teront ».  Dans  certains  pays,  on  fait  bénir  deux  cierges  le  jour  de  la  Chan- 
deleur, qui  est  la  veille  de  la  fête  de  saint  Biaise.  Ceux  qui,  à  l'exemple  de 
l'enfant  guéri  par  lui,  veulent  être  délivrés  de  leurs  maux  de  gorge  pour 
lesquels  on  l'invoque  spécialement,  s'approchent  du  prêtre  qui  tient  à  la 
main  les  deux  cierges  bénits  la  veille,  les  approche  du  cou  des  malades  et 
prie  sur  eux  en  invoquant  le  Saint.  —  C'est  par  assimilation  des  maladies 
qu'on  lui  recommande  l'espèce  porcine  très-sujette  à  l'esquinancie. 

Ajoutons  qu'on  a  souvent  peint  saint  Biaise  avec  l'enfant  qu'il  délivre  de 
la  strangulation;  avec  le  pourceau  qu'il  força  un  loup  de  rendre  à  une 
pauvre  femme,  dont  il  était  toute  la  richesse  ;  en  ermite  entouré  des  bêtes 
féroces  qui  lui  tenaient  compagnie  dans  la  caverne. 


RELIQUES  DE  SAINT  BLAISE. 

Le  corps  de  saint  Biaise  et  ceiiï  des  deux  petits  innocents  furent  pris  par  une  femme  pieuse  nom- 
mée Ilélisée,  qui  les  ensevelit  en  ce  même  lieu,  d'où  plusieurs  de  ces  saintes  reliques  ont  été,  à 
l'époque  des  croisades,  apportées  en  diverses  églises  de  France  :  comme  le  chef  sacré  de  notre 
Saint  en  la  ville  de  Montpellier  ;  d'autres  ossements  à  Mende,  en  Gévaudan  ;  d'autres  à  Melun-sur- 
Seine,  au  monastère  de  Saint-Pierre;  et  à  Paris,  en  l'église  de  Saint-Jean-en-Grève  ;  quelques-uns 
au  célèbre  prieuré  de  Variville,  de  l'Ordre  de  Fontevrault,  au  diocèse  de  Beauvais;  et  d'autres 
enfin,  fort  notables,  au  couvent  des  Minimes  de  Grenoble,  qui  porta,  pour  ce  sujet,  le  titre  de 
Sainl-Blaise.  Ces  reliques  et  les  miracles  qu'elles  ont  opérés  ont  rendu  son  culte  très  populaire  chez 
nous.  —  En  Orient,  sa  fête  est  d'obligation  et  se  célèbre  le  H  février. 

Saint  Biaise  fait  partie  du  groupe  des  quatorze  saints  dits  secourables  ;  on  appelle  ainsi  ceux 
d'entre  eux  qui  sont  plus  particulièrement  célèbres  i^our  l'efficacité  de  leur  invocation.  Ces  quatorze 
Saints  sont  distribués  deux  à  deux  :  saint  Georges  et  saint  Kustache  ;  saint  Vit  et  saint  Christophe  ; 
samt  Gilles  et  saint  Cyriaque  ;  saint  Erasme  et  saint  Biaise  ;  saint  Pantaléon  et  saint  Achace;  saint 
Denis  de  Paris  et  sainte  Marguerite  ;  sainte  Catherine  et  sainte  Barbe. 

Il  y  a  des  reliques  du  Saint  ii  Corbie,  à  ForostmOHtiers,  à  FreltemoUe,  à  Saint-Michel  de 
Doullens,  à  Notre-Dame  de  Lungiiié,  à  Sainte-Austreberte  de  Montreuil,  il  Saint-Riquier,  etc. 

L'église  de  Saint-Pierre  de  Melon,  nous  écrit  M.  Laurent,  curé  de  cette  ville,  n'existe  plus  depuis 
un  temps  immémorial.  Nous  n'avons  ici  aucune  relique,  ni  de  saint  Biaise,  ni  de  saint  Valentin. 
Mais  je  connais  une  petite  ville  de  nos  enviions,  qui  s'appelle  Chaumes,  et  dont  l'église  est  sous 
le  vocable  de  saint  Pierre.  Je  crois  qu'elle  est  en  possession  des  reliques  de  saint  Biaise. 

A  Metz,  en  l'église  Saint-Eucaire,  qui  possède  des  reliques  de  saint  Biaise,  il  se  fait  chaque 
année,  le  jour  de  la  fête  de  ce  Saint,  une  lérémonie  très  populaire.  A  cinq  heures  du  malin  com- 
mence l'ofiice,  et  à  la  graiid'messe,  qui  se  chante  à  huit  heures,  on  bénit  une  grande  quantité  de 
pains,  qui  se  vendent  il  plus  de  dix  lieues  à  la  ronde,  et  qui  se  conservent  d'une  année  à  l'autre. 
Ces  pains  sont  appelés  paim  de  saint  Biaise. 


330  3  FÉVRIER. 

Plasiears  reliques  de  saint  Biaise  furent  apportées  dans  le  diocèse  de  Toal  ï  une  époque  recu- 
lée, mais  qu'il  serait  difficile  de  préciser.  Plusieurs  églises  lui  sont  dédiées,  cl  même  quelques 
localités  portent  son  nom  dans  le  diocèse  de  Saint-Dié. 

Un  luventaire  des  reliques  de  l'ancienne  abbaye  de  Ver^ville,  en  1640,  menUonne  des  reliques 
de  saint  Biaise,  contenues  dans  la  neuvième  chiisse  ou  montrance.  Dès  le  xv  siècle,  l'église  collé- 
giale de  Vie,  alors  du  diocèse  de  Metz,  vénérait  un  fragment  du  crâne  de  saint  Biaise,  lequel  se 
conserve  encore  au  même  endroit,  ayant  été  reconnu  le  2S  février  1S03,  par  Mgr  Osmond,  évèque 
de  Nancy,  sar  le  témoignage  des  anciens  chanoines  de  la  collégiale  de  Vie.  Ce  fragment  de  crâne 
mesure  environ  onze  centimètres  dans  sa  plus  grande  dimension  ;  il  est  «  de  couleur  brune  et  d'une 
rare  épaisseur  '  ». 

En  Allemagne,  la  fête  de  saint  Biaise  se  nomme  messe  de  Biaise,  oo  messe  du  vent,  le  mot 
àhs  signifiant  également  vent  et  Blnise  en  allemand.  De  là  vient  que  dans  les  calendriers  anciens 
le  3  février  est  marqué  par  un  coi  net  dans  lequel  on  soufflerait.  Autrefois  les  marins  Scandinaves 
évitaient  de  prononcer  le  nom  de  cette  fête,  et  aujourd'hui  encore  les  paysans  danois  regardent 
les  vents  qui  soufflent  ce  jour-là  comme  présage  de  tenipi-tes  pour  toute  l'année. 

Saint  Biaise,  pour  nous  résumer,  est  patron  de  Comiso,  en  Sicile  ;  de  Civitta  di  Penne  et  de 
Naples,  dans  le  royaume  de  ce  nom;  de  Raguse,  de  Mulhausen,  en  Thuriiige,  etc.  Les  cardeurs  et  tis- 
seurs de  laine,  les  ouvriers  en  bâtiments,  à  Paris,  l'ont  pris  pour  leur  patron. —  On  l'invoque  contre 
les  hètes  farouches,  contre  la  toui  et  la  coqueluche,  contre  tous  les  maux  de  gorge  en  général, 
contre  le  goitre  et  pour  l'espèce  porcine.  Nous  rappelons  que  la  dévotion  à  saint  Biaise  contre  les 
maux  de  gorge  était  chère  à  saint  François  de  Sales  -,  et  qu'en  Russie  on  l'invoque  non-seulement 
en  faveur  des  pourceaux,  mais  pour  tout  le  bétail  en  général. 


SAINT  ANSGHAIRE 

PREMIER  ARCHEVÊQDE  DE  HAMBOURG,  ÉVÊQDE  DE  BRÈME,  APOTRE  DE  SUÈDE 

ET  DE  DANEMARK 


798-8G5.  —  Papes  :  Léon  III;  Nicolas  I".  —  Rois  de  France  :  Charlemagne;  Charles  II, 

le  Chauve. 


Un  auteur  protestant,  Munter,  dit  en  parlant  d'Âns- 
chaire  ;  u  Des  o:;lises  et  des  couvents  Ini  ont  été 
dédif^s  ;  des  fêtes  ont  t^te  institut^es  en  son  hon- 
nenr  .  et  quoique  le  protestantisme  ait  renversé  ses 
autels,  il  ne  serait  pas  juste  que  la  miïmoire  d'un 
homme  qni  a  6t6  lo  bienfalteni  de  tant  de  généra- 
tions (ùt  oubliée. 


Anschaire  naquit  le  8  septembre  801  à  Fouilloy,  ancien  faubourg  de  Cor- 
bie,  près  Amiens  '.  U  perdit  sa  mère  à  l'âge  de  cinq  ou  six  ans,  lorsqu'on  lui 
apprenait  déjà  les  premiers  éléments  de  la  doctrine  chrétienne  et  des  lettres. 
Une  nuit,  s'étant  endormi  l'esprit  plein  des  louanges  qu'il  avait  entendues 
sur  la  piété  de  sa  mère,  il  eut  une  vision  dans  laquelle  la  Sainte  Vierge  lui 
fit  connaître  que,  s'il  voulait  être  un  jour  avec  sa  mère  dans  le  ciel,  il  devait 
éviter  les  vains  amusements  de  l'enfance  et  s'appliquer  aux  choses  sérieuses. 
Il  suivit  ce  conseil  à  la  lettre  et  employa  tout  son  temps  à  l'étude  et  i  la 

1.  Imllng,  10  janvier  18(!3.  U.  Valibé  J.  F.  de  Blayc. 

2.  Voir  Ann^e  sainte  des  Visitandines,  1867,  tome  ii. 

3.  Altnx:  Scharics,  Ans^ar,  Aris^ar.  Le  véritable  nom  de  l'apôtre  du  Nord,  Aiiigar,  peut  faire  présu- 
mer qu'il  était  d'ori^e  suÈve  on  saxonne  et  que  sa  famille  aurait  fait  partie  d'une  de  ces  colonies  que 
Cliarlemagne  transporta  en  France  après  sa  victoire  sur  les  Saxons  (31.  Corblct). 


SAINT  ANSCHAIBE,    PREMIER  ARCnEVÉQUE  DE  HAMROÏÏRG.  231 

piété.  Lorsqu'il  eut  douze  ans,  son  père,  appelé  souvent  à  la  cour  par  ses 
hautes  fonctions,  le  mit  dans  le  monastère  de  Corbie.  Saint  Adelard,  alors 
abbé,  s'intéressa  vivement  de  cet  enfant  et  confia  son  éducation  au  célèbre 
Pascbase  Radbert.  Il  se  fit  tout  d'abord  remarquer  par  ses  progrès  dans  les 
sciences  et  la  vertu.  Etant  ensuite,  par  un  effet  de  la  fragilité  humaine,  un 
peu  déchu  de  sa  première  ferveur,  il  se  releva  bien  vite.  Trois  choses  l'y 
aidèrent  :  l'avis  que  la  Sainte  Vierge  lui  avait  donné  ;  la  mort  de  l'empereur 
Charlemagne,  qu'il  avait  vu  cinq  ans  auparavant  dans  tout  l'état  de  sa  gloire, 
frappant  exemple  de  la  vanité  des  choses  humaines  ;  et  enfin,  une  autre 
vision  où  il  lui  sembla  que  Dieu  lui  promettait  la  couronne  du  martyre.  Ne 
comprenant  pas  que  cela  devait  s'entendre  du  martyre  d'une  mortification 
continuelle  et  des  pénibles  travaux  de  l'apostolat,  il  crut  qu'il  répandrait 
son  sang  parmi  les  infidèles  et  se  prépara  à  une  si  grande  grâce.  Il  s'acquitta 
parfaitement  de  la  charge  d'enseigner  les  lettres,  d'abord  dans  l'ancienne 
Corbie,  en  Picardie,  où  il  fut  élève  ;  puis  dans  la  nouvelle,  en  Saxe,  fondée 
par  saint  Adelard,  en  823.  On  voulut  aussi  qu'il  instruisît  le  peuple  et  prê- 
chât publiquement  dans  l'église.  Il  fut  le  premier  qui  exerça  ainsi,  dans  le 
monastère,  l'emploi  de  maître  et  celui  de  prédicateur. 

Sur  ces  entrefaites ,  Harald ,  roi  de  Jutland ,  chassé  de  ses  Etats  par  les  enfants 
deGodefroi,  roi  des  Danois  du  Nord,  appelés  Normands,  s'étant  réfugié  à 
la  cour  de  l'empereur  Louis  le  Débonnaire,  y  reçut  le  baptême,  et  quand  il 
fut  près  de  rentrer  dans  ses  Etats,  il  demanda  quelques  missionnaires  zélés 
pour  l'accompagner.  C'était  un  poste  difficile  et  périlleux.  On  ne  trouva 
personne  plus  capable  de  le  remplir  qu'Anschaire,  et  il  fut  le  seul  qui  voulût 
tout  d'abord  accepter  (826).  Il  trouva  pourtant  un  compagnon  de  son  apos- 
tolat :  ce  fut  Autbert,  de  famille  noble  et  procureur  de  la  vieille  Corbie, 
qui  tomba  malade  au  bout  de  deux  ans  et  fut  obligé  de  revenir  en  France. 
Ces  deux  zélés  missionnaires  convertirent  un  grand  nombre  d'infidèles  par 
leurs  prédications  et  par  l'exemple  de  leurs  rares  vertus.  Ils  ouvrirent  une 
école  à  Haddeby,  sur  la  Schley,  en  face  de  Sleswig,  pour  y  former  des  mis- 
sionnaires. Les  premiers  qui  y  furent  élevés  étaient  des  jeunes  gens  rachetés 
de  l'esclavage  ;  il  s'y  joignit  quelques  jeunes  hommes  de  condition  libre  :  ce 
qui  porta  à  douze  le  nombre  des  élèves.  De  cette  sainte  pépinière  sortirent 
les  premiers  évoques  de  la  Suède  et  du  Danemark. 

L'an  829,  Birn  ou  Biorn,  roi  de  Suède,  fit  demander  à  Louis  le  Débon- 
naire des  prédicateurs  pour  évangéliser  son  peuple.  L'empereur  fit  revenir 
Anschaire  (qu'il  remplaça  en  Danemark  par  un  autre  moine  de  Corbie, 
Gislemar)  et  le  chargea  de  cette  mission  de  Suède,  en  lui  donnant  pour  prin- 
cipal collègue  Witmar,  religieux  de  Corbie.  Dieu  permit  que  le  vaisseau  qui 
les  portait  fût  pris  par  des  pirates,  qui  leur  ôtèrent  tout  ce  qu'ils  avaient, 
les  présents  destinés  par  Louis  le  Débonnaire  au  roi  de  Suède  et  quarante 
volumes  qu'ils  regardaient  comme  un  de  leurs  moyens  d'instruction  et  de 
consolation  dans  ces  terres  barbares.  Quelques-uns  des  missionnaires,  pres- 
que désespérés,  voulaient  retourner  en  Saxe,  .\nschaire  soutint  leur  courage 
en  leur  remontrant  que  leur  dénûment  les  faisait  ressembler  aux  Apôtres, 
et  que  c'était  là  ce  que  Jésus-Christ  recommandait  le  plus  aux  prédicateurs 
de  son  Evangile.  En  effet.  Dieu  bénit  leurs  travaux,  et  d'ailleurs  la  moisson 
était  prête.  A  peine  avait-on  le  temps  d'instruire  tous  ceux  qui  demandaient 
le  baptême.  Une  des  conversions  les  plus  importantes  fut  celle  d'Hérigard, 
gouverneur  de  Birca,  près  de  Stockholm.  C'est  lui  qui  fit  construire  sur  ses 
terres  la  première  église  élevée  sur  le  sol  de  la  Suède. 

Cinq  ou  six  mois  après,  Witmar  revint  en  France  avec  des  lettres  du  roi 


232  3   FÉVllIER. 

Biorn  à  l'adresse  de  Louis  le  Débonnaire  :  celui-ci,  ravi  des  progrès  que  la  foi 
de  Jésus-Christ  faisait  dans  le  Septentrion,  pour  donner  plus  de  stabilité  à 
cette  propagation,  de  l'avis  des  évêques  qu'il  avait  assemblés,  et  ne  faisant 
en  cela  d'ailleurs  qu'exécuter  le  plan  de  Charleinagne,  son  père,  établit  un 
siège  métropolitain  à  Hambourg.  Notre  Saint  fut  choisi  pour  le  remplir  el, 
malgré  ce  qu'il  put  alléguer  pour  s'en  défendre,  sacré  par  Drogon,  frère  de 
l'empereur  et  archevêque  de  Metz,  qu'assistaient  Ehbon,  archevêque  de 
ReimS;  Hetti,  archevêque  de  Trêves,  etOtgar,  archevêque  de  Mayence. 

Avant  de  prendre  possession  de  son  siège,  le  nouvel  archevêque  se  ren- 
dit auprès  du  pape  Grégoire  IV,  qui  lui  donna  le  Pallium  et  le  lit  légat  du 
Saint-Siège  dans  le  Danemark,  la  Suède,  la  Norwége,  la  Fionie,  le  Groen- 
land, leHalland,  l'Islande,  la  Finlande  et  les  pays  voisins  *,  conjointement 
avec  Ebbon  archevêque  de  Reims,  déjà  honoré  de  cette  dignité  par  le  pape 
Paschal  I".  Grégoire  IV  confirma  la  mission  d'Ansehaire  l'an  834  et  unit  à 
son  église  le  monastère  de  Thurolt,  en  Flandre,  afin  que,  si  le  Saint  était 
chassé  par  la  violence  des  Barbares,  il  eût  une  retraite  assurée,  et  aussi  pour 
assurer  un  revenu  au  siège  nouveau  de  Hambourg.  Ebbon  ordonna  évêque 
Gauzbert,  son  parent,  et  le  donna  pour  collègue  à  saint  Anschaire,  dans  les 
fonctions  de  la  légation  du  Nord.  Gauzbert,  ayant  eu  la  Suède  pour  son  par- 
tage, y  fit  beaucoup  de  bien.  Saint  Anschaire  se  chargea  des  églises  du 
Danemark  et  du  nord  de  l'Allemagne.  Il  construisit  à  Hambourg  une  cathé- 
drale sous  le  vocable  de  Saint-Pierre,  forma  une  riche  bibliothèque,  créa  un 
monastère  qu'il  peupla  de  religieux  de  Corbie  et  développa  le  bien-être  ma- 
tériel de  ses  diocésains.  Il  achetait  des  enfants  danois  et  slaves,  pour  les 
déUvrer  de  la  captivité,  les  consacrait  au  service  de  Dieu  et  en  envoyait  un 
certain  nombre  à  Thurolt  pour  les  formera  la  prédication  de  l'Evangile. 
Un  désastreux  événement  vint  compromettre,  en  845,  le  fruit  de  15  années 
de  travaux.  Les  Normands  descendirent  l'Elbe  et  vinrent  piller  Hambourg. 
Anschaire,  abandonné  par  ses  prêtres  et  ses  religieux,  ne  continua  pas  moins 
au  risque  de  sa  vie,  de  consoler,  de  soutenir  dans  la  vraie  foi  son  troupeau 
dispersé  par  les  Barbares.  En  849,  le  siège  de  Brome  étant  devenu  vacant, 
le  pape  Nicolas,  sur  la  demande  de  Louis  le  Germanique,  le  détacha  de  la 
province  de  Cologne,  le  réunit  à  celui  de  Hambourg,  confia  à  notre  Saint  le 
gouvernement  des  deux  églises,  et  le  fit  son  légat  dans  les  provinces  du 
Septentrion. 

Anschaire,  voyant  son  autorité  ainsi  affermie,  fit  de  nouveaux  prodiges 
de  zèle  ;  il  fit  bientôt  refleurir  par  tout  le  Danemark  la  religion  qui  y  dépé- 
rissait ;  il  dut  en  grande  partie  ces  succès  à  la  bienveillance  et  à  la  protec- 
tion de  Horich,  qui  avait  réuni  sous  sa  domination  les  Etats  de  divers  petits 
rois  du  pays.  Gauzbert  ayant  été  chassé  de  Suède  par  une  émeute,  Anschaire 
eut  le  courage  d'aller  lui-même  rétablir  cette  mission.  En  vain  ses  amis  lui 
exposèrent  qu'il  risquait  sa  vie  ;  lui,  qui  ne  désirait  que  le  martyre,  com- 
inença  par  se  présenter  au  roi  Olaiis,  ou  Olaf,  successeur  de  Birn.  Ce  prince 

1.  On  voit,  par  le  dénombrement  des  penplcs  du  Nord,  que  le  Pape  soumet  à  la  juridicrion  de  saint 
Ansehatrc,  que  ce  hardi  missionnaire  devança  passablement  la  science  moderne  dans  l'exploration  des 
contrées  septentrionales.  Divers  critiques,  Mabillon  entre  autres,  ont  supposé  que  la  bulle  de  Grégoire  IV 
avait  e'té  interpolée,  puisqu'â  cette  e'poque  l'Islande  et  le  Groenland  n'étaient  pas  d(jcouvert3.  Ils  se  sont 
évidemment  trompés,  dit  M.  Corblet,  car  on  retrouve  la  mention  de  ces  deux  contrées  dans  un  diplôme  de 
Louis  le  Débonnaire,  daté  de  831,  et  dans  cinq  autres  documents  authentiques  cités  par  le  savant  hai;io- 
Sn'aphe  d'Amiens.  Les  Irlandais  avaient  visité  l'Islande  dt^s  l'an  793.  Il  est  donc  certain  que  l'Islande  et  le 
Oroëoland  étaient  connus  du  temps  de  saint  Anschaire,  et  il  n'est  pas  impossible  qu'il  y  ait  envoyé  des 
missionnaires.  S'il  ne  l'a  point  fait,  ce  fut  l'œu^Te  de  ses  successeurs,  ce  qui  expliquerait  les  vagues  tra- 
ditions chrétiennes  qu'on  a  constatées  en  Amérique  au  moment  de  sa  découverte.  (Voir  Hagayraphië 
f  Amiens,  par  M.  Corblet,  t.  i«r,  p.  1^4  et  suiv.;  les  Histoires  d'Alzog,  de  ImUinger.  de  Balirbacher.) 


SAINT  AXSCUAIIIE,   PREMIER  ABCfflîVÈOra  DE  UAMEOTOB.  233 

le  reçut  fort  bien,  mais  il  voulut  que  le  sort  décidât,  selon  Tusage  supeisti- 
tioux  du  pays,  si  le  libre  exercice  du  Christianisme  serait  permis  dans  ses 
Etats.  Le  saint  évoque  voyait  avec  peine  la  cause  de  Dieu  soumise  au  caprice 
du  hasard  ;  il  n'en  demeura  pas  moins  plein  de  confiance  dans  le  secours  du 
ciel,  qu'il  implora  par  le  jeûne  et  la  prière.  Le  sort  fut  favorable  au  chris- 
tianisme, ainsi  que  le  conseil  du  roi,  espèce  de  parlement  consulté  sur  ce 
sujet.  L'Apôtre  se  mit  aussitôt  à  l'œuvre,  annonçant  le  royaume  des  cieux  et 
la  pénitence.  Il  prêchait  le  jour  et  travaillait  des  mains  la  nuit,  comme  saint 
Paul,  pour  n'ôtre  à  charge  à  personne.  Ce  désintéressement  fut  aussi  éloquent 
que  ses  discours.  Les  infidèles  se  convertirent  en  foule  et,  après  avoir  établi, 
aussi  bien  en  Suède  qu'en  Danemark,  diverses  églises  pourvues  de  bons  mi- 
nistres pour  y  continuer  l'ouvrage  du  Seigneur,  Anschaire  revint  à  Brème. 
Là,  il  unit  à  l'inspection  générale  des  provinces  du  Nord,  le  soin  particulier 
du  troupeau  qu'il  avait  dans  ce  diocèse  et  dans  celui  de  Hambourg  ;  l'évêque 
en  lui  n'avait  point  effacé  le  religieux,  et  les  fonctions  pastorales  ne  dimi- 
nuaient point  ses  austérités.  Il  suivait  en  cela  l'exemple  du  grand  saint  Mar- 
tin, qu'il  s'était  proposé  pour  modèle.  Il  portait  un  rude  cilice  jour  et  nuit; 
il  ne  se  nourrissait  ordinairement  que  d'eau  et  de  pain,  pris  en  petite  quan- 
tité. Humble  et  se  défiant  de  lui-même,  il  veillait  sur  tous  les  mouvements 
de  son  cœur  et  recourait  sans  cesse  à  Dieu,  d'où  il  tirait  ses  lumières  pour 
prêcher  la  vérité,  et  ses  forces  pour  la  pratiquer.il  savait,  dans  la  prédica- 
tion, mêler  adroitement  la  terreur  et  la  consolation  ;  il  inspirait  ainsi  à  ses 
auditeurs  une  crainte  salutaire  qui  les  éloignait  du  mal,  et  une  dévotion 
tendre,  un  certain  goût  de  la  vertu.  Aussi  sage  que  zélé,  il  prenait  toujours, 
pour  résoudre  une  affaire  importante,  le  temps  de  consulter  Dieu.  Il  entendait 
régulièrement  trois  ou  quatre  messes  avant  d'offrir  lui-même  le  saint  sacri- 
fice. Il  avait  extrait  de  l'Ecriture  Sainte  et  des  Saints  Pères  une  foule  de  pas- 
sages propres  à  lui  rappeler  constamment  sa  propre  indignité  et  enflammer 
dans  son  cœur  l'amour  de  Dieu.  Il  avait  écritquelques-uns  de  ces  passages  après 
chaque  psaume  de  son  bréviaire.  De  toutes  les  lettres  qu' Anschaire  écrivit  à 
des  évoques,  à  des  princes  chrétiens,  aux  rois  de  Suède  et  de  Danemark,  il  ne 
nous  reste  qu'une  épitre  qu'il  adressa  à  Louis  le  Germanique  et  à  divers 
évêques,  en  leur  envoyant  son  recueil  des  privilèges  accordés  par  le  Saint- 
Siège  aux  missions  du  Nord.  Il  y  fait  preuve  d'une  grande  modestie  en  attri- 
buant à  Ebbon  de  Reims  tout  le  mérite  des  conversions  opérées  dans  les 
régions  septentrionales;  car  en  réalité  les  deux  voyages  d'Ebbon  en  Dane- 
mark avaient  été  plus  politiques  qu'apostoliques,  et  leur  résultat  n'avait 
guère  profité  à  la  propagation  de  l'Evangile. 

Ses  aumônes  étaient  extrêmement  abondantes  et  se  déversaient  de  tous 
côtés.  Les  dîmes  qu'il  percevait  étaient  consacrées  à  secourir  les  indigents 
et  les  étrangers,  dans  un  hôpital  fondé  par  lui  à  Brème,  et  qui  devait  deve- 
nir par  la  suite  une  église  collégiale  placée  sous  son  vocable.  Presque  tous 
ses  revenus  passaient ^entre  les  mains  des  veuves,  des  orphelins,  des  anacho- 
rètes '.  Son  aumônière  s'ouvrait  toujours  à  la  demande  des  solliciteurs  qu'il 
rencontrait.  Pendant  le  Carême,  il  recevait  tous  les  jours  et  servait  à  sa 
table  quatre  pauvres,  deux  hommes  et  deux  femmes  ;  il  lavait  lui-même  les 
pieds  aux  premiers  et  faisait  rendre  les  mêmes  soins  aux  deux  femmes  par 
une  respectable  matrone.  Dans  le  cours  de  ses  tournées  pastorales,  il  ne  pre- 
nait le  repas  de  ses  hôtes  que  lorsqu'il  avait  fait  asseoir  à  une  table  spéciale 

1.  n  paraît  qu'il  y  avait  dans  ces  coiitrdes  des  femmes  qui  se  livraient  à  la  vie  BOBChorétiqne  :  AnA'^ 
ekoreias^  swe  oireï,  swe  femttias...  adjuvcre  studebat.  N.  61. 


234  3    FÉTIUEIL. 

un  certain  nombre  d'indigents,  auxquels  il  avait  offert  les  ablutions  des  mains 
selon  l'usage  bénédictin. 

Sa  plus  grande  joie  était  de  racheter  des  esclaves  '.  Rembert  raconte 
toute  la  joie  que  manifesta  devant  lui  une  pauvre  veuve  à  qui  le  Saint 
avait  rainené  son  fils,  que  des  pirates  suédois  avaient  longtemps  gardé  captif. 

Sa  confiance  en  Dieu  fut  souvent  récompensée  par  des  visions  et 
la  connaissance  de  l'avenir.  C'est  ainsi  qu'il  apprit  que  Reginaire, 
comte  de  Hainaut,  qui  employait  à  son  service  les  enfants  normands  et 
slaves  qu'on  devait  préparer  à  la  vie  monastique  dans  l'abbaye  de  Thurolt, 
serait  un  jour  puni  de  ce  détournement  :  ce  qui  se  vérilia  bientôt,  puisque 
cet  intrus  tomba  dans  la  disgrâce  de  Charles  le  Chauve  et  perdit  la  conces- 
sion de  l'abbaye  faite  antérieurement  aux  dépens  d'Anschaire. 

Le  biographe  contemporain  de  l'archevêque  de  Hambourg  nous  signale 
une  autre  circonstance  où  l'avenir  lui  révéla  ses  secrets.  Trois  ans  avant 
sa  promotion  à  l'évêché  de  Brème,  il  s'était  senti  transporté  en  songe  dans 
un  lieu  fort  agréable  ;  là,  il  vit  le  Prince  des  Apôtres  auquel  les  habitants 
d'une  ville  voisine  demandaient  un  pasteur.  Saint  Pierre  leur  proposa  Ans 
chaire  ;  et,  en  même  temps,  le  sol  trembla,  et  l'Esprit-Saint  descendit  du 
haut  des  cieux.  Comme  les  mêmes  postulants  continuaient  à  réclamer  un 
évêque,  saint  Pierre,  indigné,  s'écria  :  «  Ne  vous  ai-je  pas  dit  que  ce  serait 
Anschaire,  et  n'avez-vous  pas  vu  l'Esprit-Saint  illuminer  son  front?  Cessez 
donc  toute  opposition  à  cet  arrêt  ».  —  Anschaire  sut  dès  lors  qu'il  était  des- 
tiné à  gouverner  l'égUse  de  Brème  et  que  diverses  personnes  s'efforçaient 
d'entraver  sur  ce  point  les  vues  de  la  Providence. 

Plein  de  sollicitude  pour  son  troupeau,  il  réalisait  le  portrait  du  bon 
Pasteur  tracé  par  saint  Grégoire.  Ses  éloquents  discours,  heureusement  mé- 
langés de  douceur  et  de  sévérité,  épouvantaient  les  pécheurs,  réchauffaient 
les  tièdes  et  répandaient  la  consolation  dans  l'âme  des  affligés. 

Un  dimanche,  qu'il  prêchait  dans  un  bourg  de  la  Frise,  il  s'éleva  princi- 
palement contre  le  travail  servile  des  jours  de  fête.  Plusieurs  de  ses  audi- 
teurs n'en  voulurent  pas  moins,  ce  jour-là  même,  profiter  du  beau  temps 
pour  ramasser  leur  foin  dans  les  prés  et  en  faire  des  meules  :  mais,  vers  le 
soir,  elles  furent  consumées  par  le  feu  du  ciel,  qui  respecta  celles  qui 
avaient  été  amassées  les  jours  précédents.  Les  habitants  des  villages  voisina, 
en  apercevant  la  fumée,  s'imaginaient  que  c'était  l'indice  d'une  invasion 
d'ennemis;  mais,  après  information,  ils  surent  que  c'était  la  juste  punition 
du  mépris  qu'on  avait  fait  de  la  parole  d'Anschaire. 

Parmi  les  Nordalbingiens  -,  il  en  était  qui,  quoique  chrétiens,  ne  se  fai- 
saient point  scrupule  de  s'emparer  des  esclaves  qui  se  retiraient  dans  leur 
pays;  ils  les  employaient  à  leur  service  personnel  ou  les  revendaient  aux 
païens.  Les  personnes  les  plus  notables  de  la  nation  se  rendaient  coupables 
de  cet  odieux  trafic,  qu'Anschaire  ne  savait  comment  empêcher  ;  encouragé 
par  une  vision,  il  résolut  d'affronter  tous  les  dangers  d'une  telle  entreprise; 
il  réussit  si  bien,  en  joignant  la  menace  aux  exhortations,  que  non-seule- 
ment la  liberté  fut  rendue  à  tous  les  prisonniers,  mais  qu'il  fut  convenu  que 
celui  qui  serait  désormais  soupçonné  d'un  tel  crime  devrait  se  purger  de 

1.  Parmi  les  Saints  antdriears  &  Anschairo  qui  rachetaient  des  captifs,  on  peut  citer  saint  Ângustin, 
saint  Grdi^olre  le  Grand,  saint  Cfsaire  d'Arles,  saint  E^iip"-re  do  Toalniise.  saint  IlIIalrc  saint  Remî, 
saint  Domnin,  saint  Arcdîus,  saint  Martin  de  Tours  suint  £ptadc,  saint  Paulin  de  Kolc,  suint  Denis 
d'Alexandrie,  saint  Elol. —  Bcancoup  d'i^pitaphes  chrétiennes  de  la  Gaule  portent  cette  meution  :  //  racheta 
'/tj  cai't'fs.  Voyez,  dans  la  lt'"j>ie  arcftéologjtjue,  18C-i,  t.  x,  une  note  de  M.  Le  Blant  sur  le  rachat  des 
captifs  au  temps  des  Invasions  barbares. 

'i.  Ilabitaiits  au  nord  de  l'Elbe. 


SAINT  ANSCHAIRE,   PREMIER  ARCHEVÊQUE  DE  HAMBODRa.  233 

cette  accusation,  non  point  par  un  simple  serment,  mais  en  se  soumettant  à 
ce  qu'on  appelait  le  Jugement  de  Dieu.  Ceux  qui  furent  témoins  de  cette  con- 
version se  plaisaient  à  dire  qu'ils  n'avaient  jamais  rencontré  un  homme  aussi 
excellent  que  l'archevêque  de  Hambourg. 

Anschaire  ne  portait  pas  un  pareil  jugement  sur  lui-même  :  car,  lors- 
qu'on lui  parlait  des  miracles  qu'il  avait  opérés  par  ses  prières  et  l'onction 
:.'  l'huile  bénite,  il  s'écriait  que,  s'il  avait  quelque  crédit  auprès  de  Dieu,  il 
ne  lui  demanderait  qu'un  seul  miracle,  celui  de  devenir  un  homme  de  bien. 

Anschaire  était  âgé  de  soixante-quatre  ans,  et  il  en  avait  passé  trente- 
[uatre  dans  les  fonctions  épiscopales,  quand  sa  santé  déj;\  ébranlée  fut  tout 
a  fait  compromise  par  une  maladie  douloureuse  qui  lui  dura  quatre  mois. 

Notre  Saint  aurait  désiré  mourir  le  jour  de  la  Purification.  Le  l''  fé\Tier 

^Oo,  il  ordonna  de  préparer  le  repas  plus  copieux  qu'on  devait  offrir  le  len- 

:  'main  au  clergé  et  aux  pauvres,  et  de  confectionner  trois  grands  cierges  de 

ire;  il  les  fit  mettre,  l'un  devant  l'autel  de  la  Vierge,  l'autre  à  celui  de 

■aint-Pierre,  le  troisième  à   celui  de    Saint-Jean-Baptiste,  voulant  par  là 

ecommander  l'heure  de  sa  mort  à  l'intercession  de  ces  trois  protecteurs. 

Quand  ses  forces  l'eurent  abandonné,  il  pria  son  disciple  Rembert 
d'achever  pour  lui  les  versets  des  Psaumes  qu'il  avait  commencés  :  c'est 
ainsi  que,  les  yeux  fixés  vers  le  ciel,  il  rendit  son  âme  à  Dieu  le  3  février  de 
l'an  865. 

Le  corps  du  Pontife  fut  embaumé  et  inhumé  dans  la  cathédrale  de  Saint- 
Pierre  de  Brème,  devant  l'autel  de  la  Très-Sainte  Vierge.  Ses  obsèques  s'ac- 
complirent au  milieu  d'un  deuil  universel. 

Les  écrivains  protestants  n'ont  pu  s'empêcher  de  rendre  hommage  à 
l'Apôtre  du  Nord. 


RELIQUES  ET  CULTE  DE  SAINT  ANSCHAIRE, 

Plnsienrs  églises  d'Allemagne,  de  Saède  et  de  Danemark  obtinrent  de  Brème  quelques  reliques 
de  saint  Anschaire. 

Adalberl,  archevêque  de  Hambourg  et  de  Brème,  envoya  à  Foulques,  abbé  de  Corbie,  en  1048, 
un  bras  de  saint  Anschaire,  et  renouvela,  à  cette  occasion,  l'ancienne  fraternité  qui  unissait  les 
moines  de  Corbie  au  clergé  de  Hambourg.  Cette  précieuse  relique  fut  reçue  à  Corbie  le  1"^'  mars  : 
le  jour  de  Pâques  de  l'an  1198,  on  la  mit  dans  un  bras  d'argent.  Elle  a  été  sauvée  à  la  Révolution 
et  se  trouve,  depuis  ISOo,  à  l'église  de  FoniUoy. 

La  prétendue  Béforme  a  dispersé  les  reliques  de  l'Apôtre  du  Nord.  Elles  ont  été  précieuse- 
ment recueillies  depuis  un  petit  nombre  d'années  ;  on  en  conserve  dans  les  églises  catholiques  de 
Brème,  de  Hambourg  et  de  Copenhague. 

Grâce  à  la  bienveillante  intervention  de  Mgr  Tirmache,  évèque  d'Adras,  Napoléon  III  a  fait  don, 
en  1S64,  à  l'église  de  Fouilloy,  d'une  châsse  destinée  à  contenir  le  bras  de  saint  Anschaire.  Depuis 
lore,  un  fragment  en  a  été  donné  à  la  paroisse  de  Corbie. 

Anschaiie  fut  mis  au  nombre  des  Saints,  peu  de  temps  après  sa  mort,  par  saint  Remberl,  son 
successeur  sur  le  siège  de  Brème.  Cette  canonisation  fut  bientôt  confirmée  pour  tonte  l'Eglise  par 
le  pape  saint  Nicolas  l". 

Dès  l'an  8S2,  saint  Rembert  dédia  à  son  prédécesseur  l'église  de  Brème,  qu'il  y  avait  fait 
construire  pour  un  chapitre  de  chanoines  réguliers.  Adolphe  C)-preus  *  affirme  que  les  luthériens 
ne  purent  jamais  réussir  à  profaner  ce  sanctuaire  par  des  entreprises  mercantiles,  et  qu'ils  se 
décidèrent  enfin  à  en  faire  un  hospice  d'orphelins. 

Jusqu'à  la  Réforme,  Anschaire  resta  le  patron  le  plus  populaire,  non-seulement  de  Brème  et 
de  Hambourg,  mais  de  toute  l'Allemagne  septentrionale.  Son  culte  était  répandu  dans  divers  dio- 
cèsîs  de  la  Suède,  de  la  Norwége,  du  Danemark,  du  Sleswig-Holstein ,  de  la  France,  de  la 
Belgique  (Bruges).  Le  souA'enir  de  saint  .anschaire  ne  s'est  jamais  éteint  dans  les  régions  septen- 
trionales. Mgr  .Melchers,  évèque  d'Osnabruck,  vicaire  apostolique  des  missions  du  Nord,  a  entre- 
pris de  populariser  son  culte.  Du  3  au  M  février  1S65,  il  a  célébré  solennellement  dans  l'église 

l.  Bist.  Sleviensis,  ch.  6. 


236  3   FÉVRIF.R. 

catholique  de  Hambourg  le  millième  amiiversaire  de  la  mort  de  saint  Auschaire  :  à  cette  occa- 
sion, il  a  prescrit  aux  prélats  des  missions  du  Nord  la  récitation  d'un  office  de  saint  Anschaire, 
tiré  en  grande  partie  de  l'ancien  bréviaire  Scandinave,  et  qui,  l'année  précédente,  avait  été  approuvé 
par  le  Saint-Siège. 

Mgr  Melchers,  évêque  d'Osnabruck,  nons  écrit  qu'on  ne  sait  pas  même  aujourd'hui  où  se  trou- 
vait l'antel  de  Marie,  dans  l'église  protestantisée  de  Saint-Pierre,  autel  qu'on  détruisit  en  même 
temps  que  le  tombeau  de  saint  Anschaire.  Sa  Grandeur  ajoute  qu'il  existe  des  statues  de  l'Apôtre 
du  Nord  dans  les  églises  catholiques  de  Hambourg  et  de  Copenhague,  et  qu'en  1S63,  le  sénat  de 
Eréme  fit  ériger  sur  la  place  de  cette  ville  une  remarquable  statue  de  son  saint  archevêque.  —  11  y 
en  a  une  toute  moderne  à  Saint-Pierre  d.j  Corbie.  Saint  Anschaire  figure  aussi  dans  les  nouvelles 
verrières  de  l'église  paroissiale  de  Yillers-Bretonneux. 

Une  église  catholique  de  Hambourg,  une  autre  de  Copenhague  sont  consacrées  à  saint  Anschaire, 
qui  est  également  patron  de  diverses  églises  de  Suède. 

A  Hambourg,  une  rue,  une  porte  et  une  chaussée  portent  le  nom  de  saint  Anschaire.  Une  église 
de  Brème  s'appelle  Ansgarius  Kirche  ;  un  village  voisin,  Wildenscliaaren  (villa  Ânschari)  ;  on 
autre  Anschanendorf  •. 

Ou  célèbre  solennellement  la  fête  de  saint  Anschaire  à  Fonilloy,  le  lien  de  sa  naissance. 

Le  seul  ouvrage  qui  nous  soit  resté  complet  d'Anschaire  est  une  Vie  de  saint  Willehald,  pre- 
mier évèqne  de  Brème,  mort  vers  790.  Le  style  en  est  remarquable  pour  l'époque  :  les  meilleurs 
critiques  en  ont  loué  la  simplicité  et  l'esprit  judicieux. 

La  vie  d'Anschaire  Ini-même  a  été  écrite  au  ix^  siècle  par  saint  Rembert  qui  fat  son  disciple  et  son 
successeur. 

Qaant  à  nous,  pour  composer  la  rie  que  nous  insérons  hïi,  nous  avons  suivi  Baillet,  M.  l'abbé  Karup, 
auteur  d'une  histoire  de  l'Eglise  catholique,  en  Danemark,  éditée  en  français,  chez  U.  Goemare  de  Bruxelles, 
en  1S61  ;  et  surtout  M.  l'abbé  Corblet,  liagiographe  d'Amiens,  dont  le  travail  est  tout  ce  qu'il  y  a  de  plus 
complet. 


SAINTE  VÉRONIQUE  '  (70). 

Une  lonçue  tradition  a  défendu  de  siècle  en  siècle 
l'existonce  et  la  mission  de  sainte  Véronique. 
OHgines  chrétiennes  de  Bordeaux» 

S'il  faut  en  croire  les  visions  de  Catherine  Emmerich,  dans  son  livre  de  la  Douloureuse  Passion, 
Véronique  était  cousine  de  saint  Jean-Baptiste,  car  son  père  et  Zacharie  étaient  enfants  de  deui 
fières.  C'est  sans  doute  en  raison  de  sa  parenté  avec  le  précurseur  qu'elle  obtint  de  pénétrer  dans 
la  prison  où  Jean  avait  été  décapité  et  d'y  recueillir  son  sang;  —  précieuse  relique  dont  fut  plus 
tard  enrichie  la  ville  de  Bazas. 

Ensuite  Véronique  apparait  dans  l'Evangile  de  Nicodème.  Au  moment  où  les  Juifs  demandeutà 

1.  De  Ram,  Hagion.  nat. 

2.  Aussi  appelée  Veronica,  Beronica,  Ve're'nice  et  Bérénice.  Son  premier  nom  fat  SerapUa  :  c'est  pour 
rappeler  son  héroïque  conduite  sur  la  voie  du  Calvaire  que  la  postérité  reconnaissante  l'a  appelée  Bérénice 
ou  Véronique,  c*est-îi-dlre  :  Je  remporte  la  victoire. 

Quant  au  nom  de  Véronique  Ini-même,  livres  et  maîtres  consultés,  je  dois  opposer  un  démenti 
formel  a  l'étymologie  dont  on  accuse  les  prétendues  ténèbres  du  moyen  âge  et  qui  est  sortie  beaucoup 
plus  tard  de  l'irréflexion  et  du  besoin  de  combattre  une  légende  qui  souriait  a  la  piété.  En  s'évertuant  à 
former  Véronique  de  vera  latin,  et  de  wûjj  grec,  vraie  im;içe,  elle  s'eït  condamnée  à  un  travail  ingrat 
qui  révolte  toutes  les  lois  de  la  philologie  et  qui  n'aboutit  pas  au  mot  qu'elle  demande.  Cette  composition 
hybride  ne  peut  pas  contenir  la  vérité  {Magasin  pittor.,  an.  1S37,  p.  71;  A.  Slaury,  Essai  .\ur  les  légendes). 
Elle  saute  aus  yeux,  au  contraire,  dans  la  genèse  suivante  :  Véronique  vient  depe^w  v(/ï;v,  je  porte  la 
victùirey  d'oii  est  né  l'adjectif  Çîî/Jîvi/Si,  qui  procure  la  victoire  vainqueur,  victorieux.  Modifié  par  lo 
dialecte  macédonien,  ce  mot  est  devenu  B-:/;cVtZûi,  Be^îvt/ï],  Bérénice,  formes  diverses  sous  lesquelles, 
avec  sa  double  racine,  il  conserve  son  même  sens.  Des  odes  de  Pindare,  qui  le  donne  pour  épithète  au 
triomphateur  des  jeux  olympiques;  de  l'histoire  de  Macédoine,  d'Egypte  et  de  Judée,  oii  il  désigne  des 
princesses  et  des  villes,  il  a  passé  dans  l'histoire  chrétienne,  aux  vainqueurs  de  la  foi  et  aux  héroïnes  de 
la  sainteté  :  on  le  trouve  plus  de  dix  fois,  dans  les  plus  anciens  MartyrolOc^es,  donné  U  des  Saintes  et  à 
des  Martyres  de  tout  pays  :  il  n'a  donc  pas  été  inventé  au  moyen  âge.  Il  est  donc  facile  de  voir  de  quel 
côté  >.e  trouve  la  vérité  entre  ceux  qui  prétendent  tirer  de  la  Sainte  Face  le  nom  de  Véronique  pour  la 
communiquer  "a  la  personne,  ci  ceux  qui  de  la  personne  la  transmettent  naturellement  à  l'image  (Alfred 
Maury.  Essai  sur  les  Légmdes).  Les  écrivains  les  plus  anciens  et  les  plus  érudits  se  rangent  dans  cetto 
■econde  catégorie.  Ils  se  donnent  la  main  dans  le  parcours  des  siècles,  aussi  précis  en  faveur  de  la  pcr- 
«onne  et  de  son  action  qu'en  faveur  de  son  nom. 


SAINTE   VÉRONIQUE.  237 

grands  cris  la  mort  de  Jésus-Christ,  Pilate,  pour  le  saaver,  fait  appel  aui  témoins  à  décharge  et 
leur  laisse  le  temps  de  se  produire  et  de  parler.  Alors,  continue  le  récit,  «  une  femme  du  nom  oe 
Véronique  se  mit  à  crier  de  loin  :  J'étais  hémorroisse,  j'ai  touché  la  frange  de  son  vêtement,  et  aus- 
sitôt s'est  arrêté  un  flux  de  sang  qui  durait  depuis  douze  ans  ». 

L'évangile  de  Nicodème  est  rangé  parmi  les  apocryphes.  Mais  en  rejetant  ces  livres  du  canon 
des  écritures  divines,  l'Eglise,  on  le  sait,  n'a  pas  entendu  leur  dénier  toute  valeur  historique. 
0  Quelle  que  soit  leur  authenticité,  leur  antiquité  du  moins  n'est  pas  contestable,  et  parmi  eux  il 
en  est  que  l'Eglise  d'Orient  a  conservés  dans  sa  liturgie.  Grand  nombre  d'auteurs  n'ont  p.is  hésité  à 
recevoir  de  cette  source  l'histoire  et  le  nom  de  Véronique,  et  à  affirmer  qu' «  elle  est  cette  femme  oue 
le  Seigneur  guérit  d'un  flux  de  sang  par  ie  contact  de  son  vêtement,  et  qui  reçut  de  lui,  au  temps 
de  la  passion,  sa  sainte  image  imprimée  sur  un  linge  '  ».  Ainsi  parle  l'auteur  du  Parterre  des 
S'tints  *,  et  aprè**  'ui  tous  ceux  qui,  à  l'occasion  du  prodige  de  la  sainte  face,  remontent  au 
prodige  de  la  giiériaon,  comme  à  un  premier  lien  de  reconnaissance  et  de  dévouement  entre 
le  Sauveur  et  sa  pieuse  servante.  Une  autorité  d'un  ordre  plus  élevé  appuie  ce  rapprochement  : 
(■'est  une  messe  commune  à  trois  missels  fort  anciens,  l'un  Ambroisien,  l'autre  de  l'église  de 
Jaen,  en  Espagne,  et  le  troisième  d'Aoste.  Dans  les  oraisons,  on  invoque  sainte  Véronique  qui 
ossuya  la  face  de  iSotre-Seigneur  ;  dans  la  prose,  on  adore  cette  image  divine,  et  l'évangile  rapporte 
la  guérison  de  l'hémorroisse  ' 

Pour  répondre  à  ceux  qui,  avec  Eusèbe,  prétendent  que  l'hémorroïsse  était  Phénicienne,  et  non 
Juive  ;  non  habitante  de  Jérusalem  —  bien  qu'il  soit  très-possible,  comme  l'a  même  avancé  un  his- 
torien, que  Véronique  ait  vécu  tantôt  en  Phénicie,  tantôt  à  Jérusalem  —  M.  Paillon  a  ouvert  nn 
autre  avis  que  nous  croyons  à  l'abri  de  toute  contestation  :  «  11  peut  y  avoir  eu  »,  dit-il,  «  une  sainte 
appelée  Véronique  guérie  par  le  Sauveur  d'une  perte  de  sang,  mais  on  ne  doit  pas  conclure  de  là 
que  cette  'emnie  ait  été  l'hémorroïsse  syrophénicienne  '  ». 

Ainsi  Véronique  ne  sera  pas,  si  l'on  veut,  l'hémorroïsse  du  chapitre  8  de  saint  Luc,  mais  elle 
sera  certainement  l'hémorroïsse  à  laquelle  s'appliqueront  ces  mots  du  chapitre  14  de  saint  Matthieu  : 
0  Pluîieurs  malades  le  priaient  qu'il  leur  permit  seulement  de  toucher  le  bord  de  son  vêtement,  et 
tous  ceux  oui  le  touchèrent  furent  guéris  ».  Elle  sera  certainement  comprise  dans  ce  groupe  si  pur 
et  si  dévoué  des  femmes  que  Jésus  «  avait  délivrées  des  malins  esprits  et  guéries  de  leurs  infirmi- 
tés, qui  le  suivaient  »  autant  que  les  douze,  et  «  l'assistaient  de  leurs  biens  »,  tandis  qu'il  «  allait 
de  ville  en  ville,  et  de  village  en  village,  préchant  l'Evangile  et  annonçant  la  parole  de  Dieu  »  ». 

Après  avoir  assisté  à  l'entrée  triomphale  de  Jésus  dans  Jérusalem,  le  jour  des  Rameaux,  Véro- 
nique vmt  rassister  dans  ses  douleurs.  Elle  dépose  en  sa  faveur  devant  Pilate  avec  les  témoins 
irrécusables  de  ses  miracles  :  Lazare,  l'aveugle-né,  Simon,  le  lépreux,  Jaïre,  le  démoniaque,  la 
femme  courbée.  Tous  ensemble  s'écrient  : 

a  Cest  homme  icy  est  saint  prophète  '  ». 

Ce  n'est  pas  tout  :  parenté  avec  les  alliés  de  Joseph  et  de  Marie,  relations  antérieures  et  tout  k 
fait  primitives  avec  Jésus  de  la  femme  qui  devait  en  recevoir  le  plus  précieux  des  gages,  ont  été 
admises  d'instinct,  ont  été  peintes  d'enthousiasme.  La  poésie  s'en  transmet  d'un  siècle  à  l'autre  les 
ravissantes  images.  Dans  un  poëme  polonais,  intitulé  :  La  Sainte  Famille,  Joseph  et  Marie  ont 
perdu  Jésus  à  Jérusalem;  Elisabeth  vient  leur  annoncer  qu'on  l'a  trouvé.  «  C'est  donc  au  temple  ou 
chez  Véronique  !  »  répond  aussiti5t  la  mère  divine.  Quelques  jours  après,  la  sainte  famille  descend 
chez  sa  cousine  :  a  Du  plus  loin  qu'il  put,  Jésus  saluait  avec  joie  la  vieille  Elisabeth,  ainsi  que  Vé- 
ronique, Marthe  et  Salomé.  Là,  Joseph  faisait  la  prière  usitée  pour  la  bénédiction  des  dons.  Jésus 
prenant  le  rôle  de  sanctiticateur,  rompait  le  pain  et  le  bénissait  ;  et  Véronique  promena  la  corbeille, 

distribuant  le  pain  aux  convives Tous,  à  pleine  oreille,  écoulaient  l'Enfant,  et  savouraient  avec 

empressement  sa  parole  comme  le  pain  céleste,  comme  l'aliment  qui  pouvait  apaiser  la  faim  de  leurs 
âmes  pour  toute  l'éternité  ''  ». 

C'est  plus  haut  encore  que  commence  la  vie  évangélique  de  notre  Sainte,  si  nous  ajoutons  foi  à 
la  Vie  rfe  Jesus-Christ,  à  la  Vie  de  la  S:iinte-Vierge,  et  à  la  Douloureuse  Passion  de  Je'sus- 
Christ,  d'après  les  révélations  de  Catherine  Emmerich.  Ces  trois  écrits  fournissent  un  élément  nou- 

1.  Darras,  Légendes  de  Notre-Dame,  introduction  ;  Rio,  Poésie  chrétienne,  préface  ;  Dom  Cellier,  Sis- 
toire  des  cuteurs  sacrés,  tome  i. 

2.  Florarimn  mnnuscriptum  Sanctorum.  —  3.  AA.  SS.,  an  4  février.  —  4.  Monuments  inédits,  édition 
Mi.'np.  t.  II.  p.  165.  —  5.  Luc,  vu,  2;  Mare,  xv,  41;  Luc,  viii,  1.  —  6.  Quarte  journée  du  mystère  delà 
passif  ,  sc^-ne  m.  —  7.  L'auteur  de  ce  poème  est  Bohdan-Zaleski. 


238  3  FÉVRIER. 

Tean  que  je  ne  saurais  écarter.  Les  personnes  pieuses  parmi  lesquelles  Qs  deviennent  de  plus  en 
plus  populaires  s'étonneraient  de  mon  silence  à  leur  égard.  Tout  lecteur  a  droit  d'exiger  que  je  les 
expose  et  les  contrôle  dans  des  détails  qui  paraissent  douteux  et  aventurés. 

Cette  amie  familière  et  de  cœur  de  la  Sainte  Vierge,  Catherine  Emmerich  nous  la  peint  âgée 
de  dix  ou  douze  ans,  élevée  déjà  dans  le  temple  lorsque  Marie  vint  l'babiter,  contractant  une  étroite 
liaison  avec  la  future  Mère  du  Sauveur,  et  assistant  à  sou  mariage  avec  Joseph  '.  Lorsque  Jésus 
échappa  pendant  trois  jours  à  la  tendresse  de  ses  parents  pour  enseigner  au  milieu  des  docteurs, 
Véronique  lui  donna  la  nourriture  et  l'hospitalité  dans  une  maison,  près  de  la  porte  de  Bethléem, 
où  elle  le  nourrit  encore  pendant  les  jours  qui  précédèrent  la  Passion  '.  Elle  le  suivit  dans  ses 
courses  apostoliques,  et  se  trouva  parmi  les  témoins  de  ses  merveilles  à  Ainon,  à  Azanoth,  à  Do- 
than,  à  Jezrael.  Elle  voyageait  ou  s'arrêtait  comme  lui,  tantôt  à  llébron,  tantùt  à  Capharnaûm.  Tan- 
dis que  Marthe  pourvoyait  au  nécessaire  pour  le  Seigneur  et  ses  disciples,  elle  veillait  particulière- 
ment aux  besoins  des  saintes  femmes  '.  Toutes  se  réunissaient  pour  coudre,  pour  travailler  aux 
vêtements  destinés  à  la  communauté  apostolique,  on  dont  on  faisait  la  distribution  aux  pauvres. 
Aucune  prévoyance  de  charité  ne  leur  était  étrangère. 

Aux  uoces  de  Cana,  Véronique  prépara  pour  la  table  une  corbeille  de  fleurs  *.  Mais  c'était  sur- 
tout la  gloire  du  divin  Maître,  le  succès  de  sa  prédication  dont  elle  prenait  souci.  Elle  harcelait 
Marie-Madeleine  de  ses  visites,  afin  de  la  retirer  de  sa  vie  désordonnée  et  de  la  rapprocher  de 
Jésus  '.  Lors  de  l'entrée  triomphale  du  Sauveur  à  Jérusalem,  elle  recueillit  de  tous  des  vêtements 
pour  les  jeter  sous  ses  pas,  et  étendit  sur  le  chemin  le  voile  dont  elle  devait  plus  tard  essuyer  son 
visage  °.  Tant  de  dévouement  appelait  de  nouvelles  faveurs  :  son  rdie  dans  la  Passion  de  Jésus- 
Christ  et  sa  venue  à  Rome  avec  la  sainte  image  dont  elle  avait  hérité. 

Dès  le  111°  siècle,  saint  Méthode,  évéque  de  Tyr,  loué  par  saint  Jérôme  pour  ses  ouvrages  et 
u  science  autant  que  sa  sainteté,  a  retracé  l'histoire  de  Véronique. 

Si  l'on  vent  observer  maintenant  les  démarches  de  Véronique  et  le  prodige  qui  récompensa  sa 
piété,  il  faut  écouter  Catherine  Emmerich.  Sa  narration  est  pleine  de  simplicité  et  d'intérêt  ;  elle 
l'adapte  merveilleusement  à  la  trame  évangélique.  On  n'a  pas  de  peine  à  admettre  qne  les  chose* 
aient  pu  se  passer  ainsi  : 

a  Le  cortège  entra  dans  une  longue  rue  qui  déviait  on  peu  à  gauche  et  où  aboutissaient  pla- 
neurs rues  transversales.  Beaucoup  de  gens  bien  vêtus  se  rendaient  au  temple  et  plusieurs  s'éloi- 
gnaient à  la  vue  de  Jésus,  par  une  crainte  pharisaïque  de  se  souiller,  tandis  que  d'autres  marquaient 
quelque  pitié.  On  avait  fait  environ  deux  cents  pas  depuis  que  Siméon  était  venu  porter  la  c.oix 
avec  le  Seigneur,  lorsqu'une  femme  de  grande  taille  et  d'un  aspect  imposant,  tenant  une  jeune  fille 
par  la  main,  sortit  d'une  belle  maison  située  à  gauche  et  se  jeta  au-devant  da  cortège.  C'était  Se- 
raphia appelée  Véronique k  cause  de  ce  qu'elle  fit  en  ce  jour. 

0  Séraphia  avait  préparé  chez  elle  d'excellent  vin  aromatisé,  avec  le  pieux  désir  de  le  faire  boire 
au  Sauveur  sur  son  chemin  de  douleur.  Elle  s'avança  voilée  dans  la  rue  ;  un  linge  était  suspendu 
sur  ses  épaules  ;  une  petite  fille  d'environ  neuf  ans  qu'elle  avait  adoptée  se  tenait  près  d'elle,  et 
cacha,  à  l'approche  du  cortège,  le  vase  plein  de  vin.  Ceux  qui  marchaient  en  avant  voulment  la  re- 
pousser, mais  elle  se  fraya  un  passage  à  travers  la  populace,  les  soldats  et  les  archers,  parvint  à 
Jésus,  tomba  à  genoux  et  Ini  présenta  le  linge  qu'elle  déploya  devant  lui  en  disant  :  «  Permettez- 
moi  d'essuyer  la  face  de  mon  Seigneur  a.  Jésus  prit  le  linge,  l'appliqua  contre  son  visage  ensan- 
glanté et  le  rendit  avec  un  remerciement.  Séraphia  le  mit  sous  son  manteau  après  l'avoir  baisé  et 
te  releva.  La  jeune  fille  leva  timidement  le  vase  de  vin  vers  Jésus,  mais  les  soldats  et  les  archers 
ne  soulTrirent  pas  qu'il  s'y  désaltérât.  La  hardiesse  et  la  promptitude  de  celte  action  avaient  excité  un 
mouvement  dans  le  peuple,  ce  qui  avait  arrêté  le  cortège  pendant  près  de  deux  minutes  et  avait 
permis  à  Véronique  de  présenter  le  suaire.  Les  Pharisiens  et  les  archers,  irrités  de  cette  pause,  et 
Burtout  de  cet  hommage  public  rendu  an  Sauveur,  se  mirent  à  frapper  et  à  maltraiter  Jésus,  pen- 
dant que  Véronique  rentrait  en  hlte  dans  sa  maison. 

«  A  peine  était-elle  rentrée  dans  la  chambre,  qu'elle  étendit  le  suaire  sur  la  table  placée  de- 
vant elle  et  tomba  sans  connaissance-;  la  petite  fille  s'agenouilla  près  d'elle  en  sanglotant.  Un  ami 
qni  venait  la  voir  la  trouva  ainsi  près  d'un  linge  déployé,  où  la  face  de  Jésus  s'était  empreinte 
d'une  façon  merveilleuse,  mais  effrayante.  11  fut  très-frappé  de  ce  spectacle,  la  fit  revenir  ii  elle  et 
lui  montra  le  suaire,  devant  lequel  elle  se  mit  à  genoux  en  pleurant  et  en  s'écriant  :  «  Maintenant, 
je  veux  tout  quitter,  car  le  Seigneur  m'a  donné  un  souvenir  '  ». 

1.  Vie  Je  II  iiiinte  Vierge.  —  2.  Vie  de  Jesm-Chriit  et  Uouloxireu$e  Passion.  —  i.  Vie  de  Jé^us-Chriit. 
—  4.  Jbid.  —  i.  Iltid.  —  6.  La  Douloureute  Painon.  —  7.  làid. 


SAINTE   VÉROiNlQUE.  239 

Les  lieux  où  cette  action  s'est  passée  n'ont  pas  été  moins  aimés  ni  moins  vénérés  que  la  per- 
sonne qui  l'a  accomplie.  L'histoire  de  la  maison  de  Véronique  projette  ainsi  ses  reflets  sur  Véro- 
nique elle-même. 

Bernard  de  Breydenbach,  doyen  de  Mayence,  assure  «  avoir  parcouru,  le  14  juillet  1483,  cette 
longue  voie  par  laquelle  le  Christ  fut  conduit  du  palais  de  Pilate  au  lien  du  crucifiement,  et  avoir 
passé  devant  la  maison  de  sainte  Véronique,  éloignée  de  cinq  cent  cinquante  pas  du  palais  de 
PUale  s. 

Adrichomius,  de  Cologne,  décrit  les  lieux  avec  plus  de  précision  encore  :  et  La  maison  de  Vé- 
ronique occupait  l'angle  d'une  rue Depuis  l'endroit  où  elle  vint  au-devant  de  lui,  jusqu'à  la 

porte  judiciaire  où  il  tomba  pour  la  seconde  fois  sous  sa  croix,  le  Christ  parcourut  trois  cent  trente- 
six  pas  et  onze  pieds  s. 

On  ne  pent  exiger,  je  crois,  une  description  plus  authentique  et  mieux  suivie  à  travers  les 
ravages  des  temps.  Bon  nombre  d'autres  pèlerins  sont  anssi  précis  :  tous  se  recommandent  par  la 
science  et  par  le  caractère.  La  plupart  de  leurs  voyages,  parus  à  la  naissance  de  l'imprimerie,  sont 
illustrés  de  plans  et  de  gravures.  Ils  écrivent  ce  qu'ils  ont  vu,  ce  qu'ils  ont  recueilli  sur  cette  terre, 
où  «  les  chrétiens  »,  a  dit  Gibbon,  tout  à  la  fois  si  instruit  et  si  hostile  à  la  religion,  «  fixèrent 
par  une  tradition  non  douteuse  la  scène  de  chaque  événement  mémorable  a.  Que  faut-il  de  plus  en 
faveur  de  la  maison  de  Véronique  ?  Et  cependant  elle  a  reçu  un  honneur  qui  éclipse  tous  les  au- 
tres :  l'Eglise  la  compte  au  nombre  des  lieux  saints. 

Par  une  bulle  du  16  des  kalendes  d'août  1561,  Pie  IV  confirme  et  ratifie  les  indulgences  qu'on 
lit  dans  un  trés'beau  tableau  «  gardé  près  le  très-saint  sépulcre  de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  ». 
Sixte  V,  Benoit  XIII,  Grégoire  XVI  les  ont  successivement  reconnues  et  publiées.  Or,  sur  le  tableau 
du  saint  sépulcre,  reproduit  par  le  BuUaire  de  la  Terre-Sainte,  dans  la  nomenclature  des  lieui 
uiute  auxquels  ces  indulgences  sont  attachées,  on  lit  :  «  Dans  la  maison  de  smid?  Véronique,  il 
y  a  sfjit  années  et  autant  de  quarantaines  ».  Par  suite,  cette  station  a  été  conservée  diins  l'exer- 
cice connu  sous  le  nom  de  Chemin  de  la  Croix.  Le  Saint-Siège,  interrogé  à  ce  sujet,  a  répondu 
qne,  sous  aucun  prétexte,  il  n'est  licite  d'en  modifier  les  stations,  et  le  tableau  qu'il  en  a  publié 
détermine  ainsi  la  sixième  :  Véronique  essuie  lii  face  de  Jésus. 

Quelle  n'est  donc  pas  l'erreur  de  quelques  écrivains,  qui  ont  prétendu  que  le  culte  de  cette  pieuse 
femme  tendait  à  s'évanouir  parmi  les  catholiques  instruits  !  Quelle  est  l'église  qui  n'ait  son  chemin 
de  la  croix  et  qui,  par  cette  pratique  aussi  populaire  que  fondamentale,  ne  présente  Véronique  à 
tous  les  points  de  la  chrétienté,  comme  modèle  et  avocate  auprès  de  Jésus  souffrant  ? 

0  Celte  sainte  troupe  (Marie  et  les  autres  femmes,  au  nombre  de  dix-sept),  vint  à  la  maison  de 
Véronique,  et  y  entra  parce  que  Pilate  revenait  par  cette  rue  avec  ses  cavaliers.  Les  saintes  femmes 
regardèrent  en  pleurant  le  visage  de  Jésus  empreint  sur  le  suaire,  et  admirant  la  grâce  qu'il  avait  faite 
i  sa  fidèle  amie,  elles  prirent  le  vase  de  vin  aromatisé  qu'on  n'avait  pas  permis  à  Véronique  de 
faire  boire  à  Jésus  et  se  dirigèrent  toutes  ensemble  vers  la  porte  de  Golgotha.  EUes  montèrent  au 
Calvaire  par  le  c6té  du  couchant,  où  la  pente  est  plus  douce.  La  mère  de  Jésus,  sa  nièce  Marie, 
ftUe  de  Cléophas,  Salomé  et  Jean  s'approchèrent  jusqu'à  la  plate-forme  circulaire  ;  Marthe,  iMarie, 
Béli,  Vérouicjue,  Jeanne,  Cliusa,  Suzanne  et  Marie,  mère  de  Marc,  se  tinrent  à  quelque  dislance, 
autour  de  Madeleme,  qui  était  comme  hors  d'elle-même.  Plus  loin  étaient  sept  antres  d'entre 
elles  ».  D'une  fidélité  à  toute  épreuve,  Véronique  partagea  la  sollicitude  de  ces  saintes  femmes,  «  qui 
donnèrent  de  l'argent  à  un  homme  pour  qu'il  achetât  des  archers  la  permission  de  faire  boire  à 
Jésus  (qu'on  dépouillait  de  ses  vêtements),  le  vin  aromatisé  ».  Ce  fut  refusé.  Elle  les  aida  quand, 
an  moment  de  l'ouverture  du  cité,  «  elles  recueillirent  le  sang  et  l'eau  dans  des  fioles,  et  essuyèrent 
la  plaie  avec  des  linges  ;  quand  elles  préparèrent  le  linge,  les  aromates,  l'eau,  les  éponges,  les 
vases  »,  pour  l'embaumement  du  corps  du  Sauveur.  Elle  était  avec  elles  quand  elles  suivirent  Nico- 
dème,  Joseph  et  les  autres  hommes  qui  portaient  le  corps  sur  une  civière  ;  quand,  dans  la  nnit  qui 
précéda  la  résurrection,  elles  se  retirèrent  au  cénacle  pour  prendre  leur  sommeil  et  sortirent  à  mi- 
nuit pour  aller  au  tombeau;  quand  enfin  elles  prirent  paît  aux  apparitions  de  Jésus-Christ  à  ses 
apôtres,  à  l'Ascension  et  à  la  descente  du  Saint-Esprit  le  jour  de  la  Pentecute. 

Cependant,  l'on  continuait  à  venir  chez  Véronique,  adorer  le  précieux  souvenir  qu'elle  pos- 
eédait. 

«  Peu  d'heures  après  le  crucifiement  »,  et  combien  de  fois  dans  la  suite,  «  plusieurs  amis  et 
disciples  de  Jésus  contemplaient  le  suaire  de  Véronique,  où  la  face  du  Seigneur,  avec  toutes  ses 
blessures  et  sa  barbe  ensanglantée,  était  reproduite  en  traits  de  sang  épais,  et  pourtant  bien 
distincts  ». 

Le  voile  miraculeux  empreint  des  traits  du  Sauveur  souffrant  ne  devait  cas  rester  une  propriété 


240  3   KKVIUER. 

privée.  C'était  un  don  de  Jésus-Christ  à  son  Eglise,  une  relique  destinée  an  centre  de  la  catholicité. 
Véronique  l'a  donc  porté  à  Rome  :  ce  fait  a  déjà  été  énoncé,  mais  à  raison  de  son  importance,  de 
sou  occasioD.  de  ses  incidents,  il  réclame  une  étude  spéciale. 

Voici  comment  le  retrace  Philippe  de  Bergame  : 

«  Véronique,  femme  de  Jérusalem,  disciple  du  Christ,  d'une  grande  sainteté  et  pureté,  fut  appe- 
lée en  ce  teuips-là  de  Jérusalem  à  Rome  avec  le  suaire  de  Jésus-Christ,  par  ordre  de  Tibère-César, 
et  par  les  soins  de  Volusien,  vaillant  soldat  et  familier  de  la  cour.  L'empereur  était  retenu  au  lit 
par  nne  grande  maladie.  Aussitôt  qu'il  eut  reçu  cette  très-sainte  femme  et  touché  l'image  du 
Christ,  il  se  trouva  complètement  guéri.  Par  suite  de  ce  miracle,  Véronique  fut  en  grande  vénération 
auprès  de  ce  prince  ». 

De  ce  miracle,  rapporté  aussi  par  Ferrari  dans  le  Catalogue  des  Saints  d'Italie,  Catherine 
Emmerich  fournit  la  description  suivante  : 

«  Dans  la  troisième  année  qui  suivit  l'ascension  du  Christ,  je  vis  l'empereur  romain  envoyer 
quelqu'un  à  Jérusalem  pour  recueillir  les  bruits  relatifs  à  la  mort  et  à  la  résurrection  de  Jésus.  Cel 
homme  emmena  avec  lui  à  Rome  Nicodème,  Seraphia  (Véronique),  et  le  disciple  Epaphras,  parent 
de  Jeanne  Chusa.  Celui-ci,  qui  avait  été  attaché  au  service  du  temple,  avait  \ti  Jésus  ressuscité, 
dans  le  cénacle  et  ailleurs.  Je  vis  Véronique  chez  l'empereur,  il  était  malade;  son  lit  était  élevé  sur 
deux  gradins  ;  la  chambre  était  carrée,  pas  très-grande,  il  n'y  avait  pas  de  fenêtres,  mais  le  jour 
venait  d'en  haut.  Véronique  avait  avec  elle,  outre  le  suaire,  un  des  linceuls  de  Jésus,  et  elle  dé- 
ploya le  suaire  devaat  l'empereur  qui  était  tout  seul.  La  face  de  Jésus  s'y  était  imprimée  avec  son 
sang.  Cette  empreinte  était  plus  grande  qu'un  portrait,  parce  que  le  linge  avait  été  apphqué  tout 
autour  du  visage.  Sur  l'autre  drap  était  l'empreinte  du  corps  flagellé  de  Jésus.  Je  ne  vis  pas  l'ein- 
pereur  toucher  ces  linges,  mais  il  fut  guéri  par  leur  vue  ». 

La  guérison  miraculeuse  de  Tibère  expliquerait  ce  qu'Eusèbe,  Paul  Orose  et  plusieurs  antres 
historiens  racontent  de  la  conduite  de  cet  empereur  à  l'égard  de  Jésus-Christ  et  de  sa  religion.  In- 
formé par  Pilate  de  la  mort,  de  la  résurrection  et  des  miracles  de  cet  homme  extraordinaire,  il 
voulut  le  faire  admettre  au  nombre  des  dieux.  Le  sénat,  irrité  de  n'avoir  pas  été  d'abord  consulté, 
repoussa  la  proposition  et  décréta  l'extermination  des  chrétiens.  Tibère  s'en  vengea  en  menaçant  du 
dernier  supplice  quicoaque  les  dénoncerait,  et  en  frappant  de  mort  ou  d'exil  tous  les  sénateurs, 
deux  seuls  exceptés.  11  se  borna  à  élever  nne  statue  du  Sauveur  dans  son  palais. 

Quant  à  l'envoyé  de  l'empereur,  que  Catherine  Emmerich  ne  nomme  pas,  l'auteur  des  Fleurs 
des  Saints,  comme  Philippe  de  Bergame,  l'appelle  Volusien,  et  les  préfaces  ambroisiennes  ajou- 
tent que  lui  aussi  trouva  dans  le  contact  du  suaire  la  guérison  d'une  infirmité  dont  il  était  atteint, 
o  On  fait  de  lui  très-ancienne  mémoire  »,  dit  Lualdi  »,  dans  l'église  de  Milan,  à  l'occasion  de  sainte 

Véronique,  dont  on  y  solennise  la  fête  le  4  février Non-seulement  on  y  faisait  mémoire  de 

Vcronique  et  de  Volusien  dans  les  heures  canoniques,  mais  encore  à  la  messe,  qui  avait  une  pré- 
face particulière  avec  simple  mention  de  Volusien Il  est  encore  aujourd'hui  représenté  dans  des 

peintures,  quoique  bien  modernes,  de  la  crypte  de  la  basilique  de  Saint-Pierre,  et  on  en  parle  dans 
deux  anciens  livres  de  la  bibliothèque  du  Vatican.  Dans  le  premier,  écrit  du  temps  d'Alexandre  111, 
en  1160,  on  raconte  que  Volusien  était  ami  de  Tibère,  et  qu'envoyé  par  loi  à  Jérusalem,  il  en  avait, 
avec  Véronique,  porté  le  suaire » 

Quel  que  soit,  du  reste,  l'ambassadeur,' il  n'a  qu'un  rôle  secondaire  dans  cette  translation  attri- 
buée à  sainte  Véronique  par  des  mystiques  tels  que  Lansperge  et  Mallonius,  par  des  théologiens 
tels  que  Gertser  et  Suarez,  par  des  historiens  tels  que  Stengel  et  Paléoti,  par  des  hagiographes  ou 
des  archéologues  tels  que  Galesinius,  Gen-ais  et  Biondo.  Calcaginus,  cité  par  Sandini  et  reproduit 
par  l'archidiacre  Pamélius,  appuie  cette  opinion  de  ces  mots  :  «  L'image  du  Christ,  que  la  tradition 
dit  avoir  été  donnée  à  Véronique  sur  le  suaire  »,  existe  encore,  et  dans  une  si  grande  vénération, 
que  non-seulement  les  miracles,  mais  encore  la  vue  «  même  de  cette  image  ne  permettent  plus 
d'élever  aucun  doute  à  son  égard  ».  Molanus  fortifie  cette  citation  du  sentiment  d'Albéric  qui,  dans 
son  dictionnaire  de  l'an  1350,  tient  le  même  langage  :  «  11  y  a  dans  la  bibliothèque  du  Vatican  », 
a;onte  le  docteur  belge,  «  une  histoipe  de  la  translation  de  cett«  image  à  Rome  sous  Tibère,  d'une 
rédaction  sérieuse  et  d'une  écriture  très-ancienne.  Le  célèbre  théologien  anglais  Thomas  Stapleton, 
m'a  rapporté  l'avoir  lue  tout  entière  ».  Baronius  confirme  l'existence  de  ce  précieux  manuscrit. 
«  Dans  l'église  de  Sainte-.Marie  des  Martyrs,  à  l'autel  du  Crucifix,  on  garde  précieusement  les  restes 
vermoulus  d'nn  coŒre  de  bois  qui  servit  au  transport  de  la  sainte  relique  ».  Le  savant  chanoine 
Barbier  de  Montault  a  copié  dans  cette  diaconie  l'inscription  qui  atteste  comment,  par  les  mains  de 
sainte  Véronique,  le  saint  suaire  vint  de  Palestine  à  Rome.  C'est  pourquoi  les  Bollandistes,  frappés 
d'un  accord  si  général,  formulent  ces  deux  conclusions  :  «  Ce  qui  regarde  le  &gaire  donné  à  sainte 


SAIiNTE   VÉRONIQUE.  241 

VéroDique  est  hors  de  doute  pour  les  chrétiens  orthodoxes  ;  que  sainte  Véronique  ait  porté  à  Rome 
cette  sainte  image,  c'est  l'opinion  unanime  de  tous  les  écrivains  ». 

De  ce  moment,  la  précieuse  relique  devint  l'héritage  de  saint  Pierre,  de  saint  Clément  et  de 
leurs  successeurs.  Les  Papes  instituent  en  son  honneur  des  fêtes,  des  ostensions  et  des  processions. 
Leurs  cérémoniaui,  leurs  bulles,  depuis  Célestin  II  jusqu'à  Clément  VI,  Vil,  Vlll  et  Grégoire  XUI, 
attestent  un  culte  qui  ne  fait  que  s'accroître  et  suppose  toujours  l'existence  de  la  femme  à  la- 
iiuelle  le  Sauveur  donna  ce  témoignage  singulier  de  son  amour.  Un  livre  intitulé  :  Statio?is  des 
Eglises  de  Rume,  fut  publié  par  ordre  de  Sixle  V.  On  y  lit  que  :  «  A  l'extrémité  de  l'église  de 
Saint-Pierre,  vers  la  porte  Sainte,  est  la  chapelle  et  l'autel  du  Saint-Suaire,  en  très-belle  mosaïque, 
consacrés  par  Jean  Vil  k  la  bienheureuse  Vierge,  et  sur  cet  autel,  dans  un  tabernacle  de  marbre,  le 
très-saint  suaire  du  Christ,  dit  de  sainte  Véronique,  sur  lequel  la  très-pieuse  femme,  en  essuyant 
la  face  du  Sauveur  quand  il  était  conduit  à  la  mort,  reçut  son  image  imprimée.  Là  se  conserve  ce 
voile,  et  aux  jours  fixés  les  chanoines  le  montrent  aux  peuples  qui  s'y  pressent  en  foule  ».  Puis, 
dans  le  catalogue  des  reliques  de  la  même  basilique,  est  mentionné  le  suaire  donné  à  Véronique. 
Benoit  Xrv  apporte  à  ce  sujet  son  caractère  particuUer  de  science  et  de  critique  :  a  Dans  la  basi- 
lique du  Vatican,  outre  le  fer  de  la  lance,  on  conserve  avec  une  grande  vénération  le  suaire  qui  a 
parfaitement  gardé  et  garde  encore  les  traits  du  visage  de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ,  arrosé  de 
sueur  et  de  sang  ».  A  la  voix  de  ses  pontifes,  le  peuple  est  accouru  de  tous  les  points  de  la  chré- 
tienté. Dans  les  temps  de  jubilé,  aux  jours  privilégiés  d'exposition  de  la  vénérable  Face,  une  foule 
immense  encombrait  l'église  de  Saint-Pierre,  et  chantait  l'hymne  et  l'oraison  liturgiques  :  «  Salut, 
sainte  Face  de  notre  Rédempteur,  sur  laquelle  reluit  l'éclat  de  la  spleudeur  divine  ;  imprimée  sur 
un  voile  d'une  blancheur  de  neige  en  signe  d'amour.  0  Dieu  !  qui  après  nous  avoir  marqués  de  la 
lumière  de  votre  visage,  avez  voulu,  à  la  demande  de  la  bienheureuse  Véronique,  nous  laisser  ce 
souvenir  dans  votre  image  imprimée  sur  le  suaire,  accordez-nous  par  votre  sainte  Croix  et  votre 
glorieuse  Passion,  après  vous  avoir  vu  sur  la  terre,  adoré  à  travers  le  miroir  et  le  symbole,  de 
mériter  de  vous  voir,  joyeux  et  atfranchis  de  toute  crainte,  dans  les  cieux  ».  Les  pèlerins,  après 
avoir  adoré  la  sainte  Face,  en  emportaient  avec  eux  les  images.  Le  dauphin  de  Vienne,  llumbert  II,  vers 
1333,  en  faisait  provision,  ainsi  que  de  beaucoup  d'autres  objets  de  piété,  qu'il  achetait  en  parcou- 
rant les  églises  de  Rome.  Au  xvi"  siècle,  Jean  de  Dumen  était  à  la  cour  de  Rome  le  peintre  offi- 
ciel chargé  de  fournir  ces  Véroniques  à  la  chrétienté.  Aujourd'hui,  on  les  vend  encore  imprimées 
sur  toile  avec  une  gravure  qui  date  d'environ  un  siècle,  et  authentiquées  de  la  signature  et  du  sceau 
d'un  chanoine.  Sainte  Brigitte  reprochait,  de  la  part  de  Jésus-Christ,  à  plusieurs  de  ses  contempo- 
rains, leurs  doutes  sur  sa  sainte  Face.  Le  Dante,  traduisant  la  croyance  de  son  époque,  rencontrait 
Véronique  dans  le  paradis  et  s'écriait  :  «  0  mon  Seigneur  Jésus-Christ,  Dieu  véritable!  c'est  donc 
ainsi  qu'on  a  pu  conserver  votre  sainte  Face  !  »  Jean  Dorât,  autre  poète,  la  célébrait  «  comme  la 
plus  admirable  de  toutes  les  peintures,  parce  qu'elle  a  été  tracée  sur  le  voile  de  Véronique,  non  de 
main  d'homme,  mais  par  le  visage  même  d'un  Dieu  ». 

Cette  dévotion  appliquée  à  son  double  objet  n'a  rien  perdu  de  sa  vivacité.  Rome  voit  toujours 
le  même  concours.  Un  monument  remarquable  en  fait  foi.  Dans  la  basilique  de  Saint-Pierre,  dans 
ee  premier  temple  du  monde  où  tout  est  catholique  et  significatif,  une  statue  de  sainte  Véronique, 
tenant  la  sainte  face,  haute  de  quinze  pieds  et  due  au  ciseau  de  llochi,  sculpteur  italien  du  xvii" 
siècle,  occupe  une  des  quatre  niches  inférieures  des  piliers  du  dôme.  Elle  partage  cet  honneur  avec 
sainte  Hélène  qui  porte  une  grande  croix,  avec  saint  Longis  qui  tient  une  lance  et  avec  l'apôtre 
saint  André.  Des  tabernacles  surmontés  de  ciboriums  en  marbre  venu  de  Jérusalem  et  placés  au- 
dessus  des  statues,  renfermaient  des  parcelles  de  la  vraie  croix,  le  fer  de  la  sainte  lance  et  de  la 
sainte  face. 

Cette  conquête  ne  saurait  être  compromise  par  la  confusion  dans  laquelle  quelques  auteurs  ont 
jeté  les  diverses  images  de  Jésus-Christ  connues  sous  le  nom  à'achéropites  ou  images  non  faites 
de  main  d'homme.  L'Orient  se  glorifiait  de  posséder  une  face  du  Christ  que  le  Sauveur  lui-même 
aurait  envoyée  imprimée  sur  un  linge  à  Abgare,  roi  d'Edesse.  On  la  trouve  deux  fois  dans  le  Mé- 
nologe  des  Grecs  :  d'abord  au  16  août,  tenue  par  un  ange  aux  ailes  déployées,  avec  cette  indica- 
tion :  Mémoire  de  l'image  du  Christ  qui  n'a  pas  été  faite  de  main  d'homme  ;  puis  au  H  oc- 
tobre :  Mémoire  du  saint  Synode,  septième  de  Nicée,  en  787,  contre  les  Iconoclastes,  présentée 
par  deux  Pères  du  concile,  devant  le  trône  de  Constantin  et  d'Irène,  en  preuve  de  la  vénération 
dne  aux  images.  Cette  face,  dont  Nicéphore,  Evagre,  Procope,  ont  écrit  l'histoire,  transportée  de 
Constanlinople  à  Rome,  serait,  d'après  Carletti,  la  même  que  possède  aujourd'hui  l'église  Saint-Sil- 
»estre.  Constantin  Porphyrogénète  remarque  l'unanimité  des  écrivains  sur  son  origine  :  «En  ce  qu'il  y 
•  d'essentiel  sur  ce  point,  tous  ont  le  même  sentiment  et  confessent  que  le  visage  du  Seigneur  s'est 
Vies  des  Saints.  —  Tome  IL  16 


242  3  FÉTniER. 

mii-3culeosemen(  imprimé  Eor  le  linge,  qnelqnes  dissentiments  de  circonstances  et  de  temps  n'affec- 
tent eu  rien  le  fond  de  la  vérité...  » 

L'anthenticité  de  cette  image  ne  nuit  pas  à  celle  du  snaire  de  Véronique.  Leurs  traits  sont  par- 
faitemeot  distincts  comme  leur  histoire.  .M.  Emerich  David,  qui  les  a  étudiées  au  point  de  vue 
artistique,  reconnaît  que  la  seconde  est  <r  celle  de  toutes  où  la  tète  de  Jésus-Christ  a  le  plus  de 
dignité  ».  M.  Raoul-Rochelle,  qui  ne  veut  pas  remonter  au  delà,  avoue  du  moins  qu'elle  date  du 
VI»  siècle,  «  et  que  depuis  le  commencement  du  yiii»  où  elle  fut  placée  par  Jean  Vil,  dans  la  basi- 
lique du  Vatican,  elle  n'a  jamais  cessé  d'exciter  la  vénération  du  monde  chrétien  ». 

Parmi  plusieurs  saintes  faces  célèbres,  deux  surtout  ont  partagé  ce  culte  :  l'une  à  Milan,  l'antre 
à  Jahen  eu  Espagne.  On  appuyait  leur  prix  sur  cette  opiaion  professée  par  quelques  écrivains  et, 
entre  autres,  dans  une  Hisloire  du  Christ  écrite  en  Per<iin  : 

a  Véronique  plia  son  voile  en  trois  pour  essuyer  la  face  bénie  du  Sauveur,  et  lorsqu'elle  le 
déplia  elle  trouva  sa  véritable  image  imprimée  sur  chaque  partie  ».  A  ces  églises  de  justifier  et  de 
défendre  leur  possession.  Si  Véronique  n'est  pas  une  femme  de  l'Evangile,  comme  .Marthe  et  Ma- 
leine,  parce  que  son  nom  n'y  figure  pas,  elle  est  du  moins  la  feomie  de  la  tradition  la  plus  cons- 
tante et  la  plus  vénérable.  Le  service  qu'elle  a  rendu  au  Sauveur,  le  suaire  dont  elle  a  hérité  et 
qu'elle  a  porté  à  Rome,  la  guérison  de  Tibère,  voilà  des  faits  acquis  à  notre  cause. 

Mais,  est-elle  morte  à  Rome?  Ferrari  parait  l'indiquer.  Si  Véronique  est  morte  à  Rome, 
comment  n'y  montre-t-on  ni  son  corps,  ni  son  tombeau  !  La  basilique  de  Saint-Pierre  conscna 
tout  d'elle  :  sa  statue  érigée  au  lieu  le  plus  éminent;  son  autel,  son  ciboriura,  son  histoire 
écrite  et  peinte,  son  suaire  surtout,  et  elle  aurait  laissé  perdre  le  corps  et  le  tombeau  dont  elle 
avait  reçu  le  dépôt  ?  Elle  aurait  laissé  s'elfacer  toute  trace  de  la  place  qu'ils  occupaient  ?  Rome  si 
jalouse  de  la  gloire  de  ses  Saints,  Rome  qui  conserve  comme  ses  p'us  riches  joyaux  les  moindres 
souvenirs  de  ses  Martine  et  de  ses  Agnès,  se  serait  laissé  dérober  par  le  temps,  et  sans  en  tenir 
compte,  le  corps  d'une  femme  glorifiée  par  un  éclatant  miracle,  comblée  d'honneur  par  Tibère  ; 
d'une  femme  que  ses  rapports  intimes  avec  le  Sauveur  rendaient  si  chère  et  si  vénérable  à  l'Eglise 
primitive  ? 

Cette  supposition  est  inadmissible.  Véronique  n'est  pas  morte  à  Rome.  Est-elle  morte  à  Jéru- 
salem ?  Catherine  Emmerich  le  prétend  et  le  raconte  ainsi  :  a  Tibère  voulait  la  retenir  à  Rome  et 
lui  donner  une  maison  et  des  esclaves,  mais  elle  demanda  la  permission  de  retourner  à  Jérusalem, 
pour  mourir  an  lieu  où  Jésus  était  mort.  Elle  y  revint  en  effet,  et  lors  de  la  persécution  contre  les 
chrétiens,  qui  réduisit  à  la  misère  et  à  l'exil  Lazare  et  ses  sœurs,  elle  s'enfuit  avec  quelques  autres 
femmes.  Mais  on  la  prit  et  on  l'enferma  dans  une  prison  où  elle  mourut  de  faim  pour  le  nom  de 
Jésus  à  qui  elle  avait  si  souvent  donné  la  nourriture  terrestre  ».  Si  ce  récit  était  vrai,  Jérusalem, 
qui  montre  encore  la  maison  de  la  sainte  femme,  en  aurait  conservé  bien  d'autres  souvenirs.  Sa 
prison  n'y  serait  pas  inconnue,  sa  sépulture  dans  l'oubli,  tandis  que  son  nom  y  est  si  vivace.  Non, 
Véronique  n'est  point  morte  à  Jérusalem  pas  plus  qu'à  Rome.  Une  tradition  séculaire  nous  atteste 
qu'elle  est  venue  mourir  dans  la  Gaule. 

La  venue  de  Véronique  dans  la  Gaule  est  attestée  d'abord  par  un  homme  d'une  haute  réputation 
historique,  Bernard  de  la  Guionie,  dominicain,  évéque  de  Lodève.  Après  avoir  assigné  la  mission 
de  saint  Martial  à  l'an  47  de  notre  ère,  il  ajoute  :  «  De  plusieurs  anciennes  chroniques  on  conclut 
aussi  et  on  tient  que  le  même  saint  Martial,  venant  au  pays  d'Aquitaine,  porta  avec  lui  du  sang 
précieux  et  généreux  du  bienheureux  protomartyr  Etienne,  et  eut  en  sa  compagnie  un  homme  de 
Dieu  appelé  Amateur,  et  son  épouse  du  nom  de  Véronique  qui  avait  été  amie  familière  et  de  cœur 
de  la  bienheureuse  Vierge,  Mère  de  Dieu.  Ces  deux  conjoints.  Amateur  et  Véronique,  par  une  dis- 
position particulière  de  Dieu,  portèrent  avec  eux  du  lait,  des  cheveux  et  des  chaussures  de  la  bien- 
heureuse et  bénie  Vierge  Marie...  Lorsque  saint  Martial  eut  consacré  en  l'honneur  du  prolomarlyr 
Etienne  la  première  église  de  Bordeaux  où  fut  plus  tard  enseveli  saint  Seurin,  et  an  moment  où  il 
se  disposait  à  en  dédier  une  plus  vaste  à  saint  Pierre,  le  bienheureux  apAIre  lui  apparut  et  lui 
dit  :  Apprends  que  mon  frère  André  a  été  aujourd'hui  élevé  sur  la  croix  pour  Jésus-Christj 
empresse-toi  donc  d'ériger  celte  église-  en  son  honneur.  C'est  ce  que  fit  saint  Martial. 

«  Pour  Amateur,  d'une  prédilection  particulière  pour  la  solitude,  il  demeura  longtemps  dans  le 
rocher  qui  a  pris  de  lui  le  nom  de  Roc-Amadonr.  Le  bienheureux  .tiartial  y  consacra  un  autel  en 
l'honneur  de  la  Vierge,  Mère  de  Dieu...,  et  là  saint  Amateur,  dans  un  corps  qu'on  voit  encore 
exempt  de  corruption,  attend  la  sainte  résurrection. 

o  Quant  à  son  épouse  Véronique,  fidèle  à  suivre  partout  le  bienheureux  Martial  dans  ses  pré- 
dieatious  et  à  l'écouter  avec  autant  de  piété  que  de  dévouement,  accablée  enfin  de  vieillesse,  elle 
M  ntin  près  des  bords  de  la  mer  sur  le  territoire  bordelais.  Là  le  saint  homme  de  Dieu,  Martial, 


SAINTE  VÉRONIQTJB.  243 

éleva  et  consacra  en  l'honneur  de  la  Vierge,  Jlèic  de  Dieu,  une  chapelle  qui  porte  le  nom  de 
Soulac  ',  parce  que  le  lait  de  la  Vierge,  Mère  de  Dieu,  fut  la  seule  relique  qu'on  y  plaça,  les  autre» 
de  la  Sainte  Vierge  que  possédait  saint  Martial  ayant  été  distribuées  en  divers  lieux  ». 

Le  récit  de  Bernard  de  la  Guionie,  se  répétera  désormais  comme  l'expression  d'une  croyance 
générale.  En  1425,  le  pape  Martin  V,  déclarant  que  l'église  de  Roc-Amadour  remonte  à  la  fonda- 
lion  du  christianisme,  recoonait  que  saint  Amateur  n'est  autre  que  Zachée,  disciple  du  Christ,  et 
qu'il  a  eu  Véronique  pour  épouse.  —  Au  xvii«  siècle,  les  bréviaires  de  Limoges,  de  Toulouse,  de 
Bordeaux,  de  Cahors,  de  Carcassonne,  de  Tulle,  d'Agen,  d'Angoulème,  de  Périgueui,  conservaient 
tous  la  substance  des  anciennes  légendes.  L'office  approuvé  en  1852  par  la  congrégation  des  rites 
pour  le  diocèse  de  Cahors,  en  l'honneur  de  saint  Amateur,  s'est  inspiré  de  ces  vieux  titres. 

Mais,  dira-t-on,  il  y  a  entre  Bernard  de  la  Guioaie  et  le  i<"  siècle  une  immense  lacune  !  Cette 
l.icuue  est  comblée  par  la  légende  de  saint  Martial,  dont  l'antiquité  et  l'authenticité  ont  été  mises 
à  l'abri  de  toute  contestation.  Or,  d'après  cette  légende,  saint  Amateur  et  sainte  Véronique  furent 
les  coopérateurs  de  saint  Martial  dans  la  prédication  de  l'EvangiUe  '. 

Disons  un  mot  de  Soulac,  terme  du  pèlerinage  de  sainte  Véronique  et  de  la  relique  du  lait  de 
la  sainte  Vierge  dont  la  présence  aurait  valu  à  cette  localité  son  nom  de  Soulac.  Que  faut-il  en- 
tendre par  lait  de  la  sainte  Vierge  ?  Laissons  d'abord  parler  Catherine  Emmerich.  Les  Mages, 
raconte-t-elle,  venaient  de  se  retirer  ;  la  sainte  famille,  poursuivie  par  les  émissaires  d'Hérode, 
quitta  la  crèche  et  se  réfugia  dans  une  grotte  près  du  tombeau  de  Maraba.  Mais  dans  un  moment 
où  elle  se  crut  surprise,  Joseph  s'enfuit  avec  l'Enfant.  «  Je  vis  alors  la  Sainte  Vierge  »,  continue 
Catherine,  «  livrée  à  ses  inquiétudes,  rester  seule  dans  la  grotte  sans  l'Enfant  Jésus  pendant  l'espace 
d'une  demi-journée.  Quand  vint  l'heure  où  on  devait  l'appeler  pour  allaiter  l'Enfant,  elle  fit  ce  qu'ont 
coutume  de  faire  des  mères  soigneuses  lorsqu'elles  ont  été  agitées  violemment  par  quelque  frayeur 
ou  quelque  vive  émotion.  Avant  de  donner  à  boire  à  l'Enfant,  elle  exprima  de  son  sein  le  lait  que 
ses  angoisses  avaient  pu  altérer,  dans  une  petite  cavité  de  la  couche  de  pierre  blanche  qui  se  trou- 
vait dans  la  grotte.  Elle  parla  de  la  précaution  qu'elle  avait  prise  à  un  des  bergers,  homme  pieux 
et  grave  qui  était  venu  la  trouver  (probablement  pour  la  conduire  auprès  de  l'Enfant).  Cet  homme, 
profondément  convaincu  de  la  sainteté  de  la  Mère  du  Rédempteur,  recueillit  plus  tard  avec  soin  le 
lait  virginal  qui  était  resté  dans  la  petite  cavité  de  la  pierre,  et  le  porta  avec  une  simplicité  pleine 
de  foi  à  sa  femme  qui  avait  un  nourrisson  qu'elle  ne  pouvait  pas  satisfaire  ni  calmer.  Cette  femme 
prit  cet  aliment  sacré  avec  une  respectueuse  confiance,  et  sa  foi  fut  récompensée,  car  son  lait  devint 
aussitôt  très-abondant.  Depuis  cet  événement,  la  pierre  blanche  de  cette  grotte  reçut  une  vertu 
semblable,  et  j'ai  vu  que  de  nos  jours  encore,  même  des  infidèles  mahométans  en  font  usage, 
comme  d'un  remède,  dans  ce  cas  et  dans  plusieurs  autres.  Depuis  ce  temps,  cette  terre  passée  à 
l'eau  et  pressée  dans  de  petits  moules  a  été  répandue  dans  la  chrétienté  comme  un  objet  de  dévo- 
tion ;  c'est  d'elles  que  se  composent  les  reliques  appelées  lait  de  la  très-sainte  Vierge  ». 

Mgr  Mislin,  constatant  la  persistance  de  ces  souvenirs  jusqu'à  nos  jours,  les  relie  à  leur  origine 
par  la  citation  de  plusieurs  écrivains  intermédiaires  :  «  A  peu  de  minutes  du  couvent  (de  Bethléem}, 
vers  le  Sud,  est  la  Grotte  du  luit,  Crypta  lactea  ;  elle  porte  ce  nom,  d'après  une  tradition  locale, 
parce  que  la  Sainte  Vierge,  effrayée  par  les  menaces  d'Hérode,  aurait  perdu  son  lait,  et  qu'elle  ne 
l'aurait  recouvré  qu'en  se  réfugiant  dans  cette  grotte  qui  lui  oiîrait  un  asile  plus  caché  encore  que 
la  grotte  de  la  Nativité.  D'après  une  autre  tradition  (il  y  en  a  ici  une  quantité,  chacun  a  la  sienne), 
la  Saiate  Vierge  serait  venue  souvent  en  ce  lieu  p  ur  allaiter  son  divin  Enfant  ;  une  goutte  de  son 
lait,  en  tombant  sur  cette  pierre,  lui  aurait  donné  cette  couleur  blanche  et  en  même  temps  le  don 
d'être  utile  aux  nourrices.  Quoi  qu'il  en  soit,  ce  qui  est  certain,  c'est  que  toutes  les  femmes  des 
environs,  juives,  chrétiennes  et  mahomélanes,  ont  une  telle  dévotion  pour  cette  grotte,  qu'il  y  en 
a  toujours  qui  viennent  y  faire  leur  prière.  La  roche  dans  laquelle  se  trouve  la  grotte  est  une  craie 
extrêmement  blanche  et  friable  ;  on  la  réduit  facilement  en  poudre  et  on  ea  fait  de  petits  pains 
qu'on  envoie  dans  tous  les  pays  ». 

Est-ce  du  véritable  lait  de  la  Sainte  Vierge  ou  un  de  ces  petits  pains  de  craie  qu'on  possédait 
a  Soulac  ?  nous  ne  saurions  décider.  Toujours  est-il  qu'on  a  découvert,  en  terre,  il  y  a  quelques 
années,  près  de  l'église  nouvelle  de  Soulac,  un  reliquaire  qui  portait  cette  inscription  :  Lait  de  la 
bienheureuse  Vierge^.  Au  dedans  était  enchâssée  une  pierre  blanche,  semblable  à  l'albâtre  :  n'était- 
ce  pas  là  une  de  ces  pierrcttes  extraites  de  la  grotte  de  la  Nativité  à  Bethléem  ? 

Des  titres  nombreux,  qu'il  nous  est  même  impassible  de  nommer,  font  remonter  à  saint  Martial 

1.  L'étymologie  de  Sonlac  (totum  lac)  a  donné  lien  h  une  assez  curieuse  discnssion. 
S.  Voir  M.  Arbellot,  Dits,  sur  i'ap.  de  saint  Martial.  —  3.  Lac  B.  VirgiiUs. 


244  3  FÉVRIER. 

et  à  sainte  Véroniqne  la  fondation  de  l'église  primitive  de  Notre-Dame  de  Soulac  ou  de  la  Fin-des- 
Terres.  La  situation  de  Soulac,  à  l'embouchure  de  la  Garonne,  est  décisive  en  faveur  de  lu  marche 
du  christianisme  qui  l'aurait  pris  pour  point  de  départ  sur  les  côtes  de  la  Guyenne,  car,  à  toute» 
les  époques,  le  mouvement  politique,  militaire,  commercial  ;  a  abouti. 

Mais,  de  tous  les  monuments  de  l'antiquité  qu'on  retrouve  à  Soulac,  nul  ne  parle  avec  autant 
d'autorité  que  sa  merveilleuse  basilique  qui  secoue,  en  ce  moment,  le  linceul  de  sable  sous  lequel 
le  temps  l'avait  ensevelie.  Ce  Lazare  de  pierre  rappelé  à  la  vie  par  son  Eminence  le  cardinal  Donnet, 
qui  s'est  fait  entendre  sur  cette  plage  abandonnée  aux  nouveaux  pèlerins  accourus  en  foule;  ce 
mort  de  huit  siècles  debout  dans  ses  formes  grandioses  auxquelles  reviennent  avec  le  culte,  avec 
de  fréquents  pèlerinages,  avec  un  curé  de  nouvelle  institution,  avec  des  baigneurs,  l'éclat,  le  mou- 
vement et  la  vie;  ce  témoin  du  xi»  siècle  raconte  ce  qui  l'a  précédé...  De  ses  trois  absides  prin- 
cipales, celle  de  droite  est  consacrée  à  Véronique. 

Un  second  autel  érigé  en  son  honneur  dans  la  nef  latérale  opposée,  faisait  face  à  la  magnifique 
porte  romane  qui  vient  de  sortir  de  son  tombeau  de  sable  et  qu'on  avait  ouverte,  dans  de  larges 
proportions,  à  l'accès  du  peuple.  C'est  sur  ce  second  autel,  spécialement  préparé  à  sa  dévotion,  que 
se  prêtaient  les  serments  auxquels  on  attachait  le  plus  de  respect  et  de  solennité.  A  ses  pieds 
coulait  une  fontaine  dite  de  Sainte-Véronique,  à  laquelle  les  malades  venaient  boire  et  se  frotter 
les  yeux.  Les  eaux  en  étaient  reçues  à  cet  effet  dans  une  auge  qui  portait  le  nom  de  Bénitier  de 
sainte  Véronique.  Sa  statue,  que  naguère  encore  quelques  derniers  vieillards  se  souvenaient  avoir 
vue,  se  dressait  à  côté  du  bénitier  placé  près  de  la  porte  bien  plus  moderne  de  l'Est.  Après  avoir 
fait  le  signe  de  la  croix,  on  avait  coutume  d'adresser  un  salut  à  dame  Véronique.  Est-ce  à  elle 
qu'on  a  pensé  en  dessinant  au  centre  d'une  ogive  une  tête  de  femme  voilée? 

Cette  sculpture,  qu'on  remarque  parmi  les  débris,  recueillis  aujourd'hui  avec  soin,  du  maitre- 
autel  élevé  par  le  vénérable  Pierre  Beriand  à  la  très-sainte  Vierge,  ne  convient  pas  à  la  Mère  de 
Dieu,  mais  pourrait  appartenir  à  noire  Sainte.  Et  ne  faut-il  pas  appliquer  à  cette  tête  le  mot  du 
Père  Bonaventure,  en  1680  :  «  Il  y  a  encore  un  pilier  derrière  l'autel  de  Soulac,  où  elle  (Véronique) 
est  représentée?  »  C'est  elle  qu'on  doit  reconnaître  parmi  les  personnages  d'un  autel  de  saint 
Jean-Baptiste,  en  bois  sculpté  du  xviii"  siècle,  qui  a  passé  de  l'ancien  au  nouveau  Soulac.  Vis- 
à-vis  saint  Jean,  patron  de  l'autel,  se  trouve  saint  Benoit,  le  patron  des  religieux  qui  le  desser- 
vaient. A  l'extrémité  du  retable,  du  côté  de  l'Evangile,  l'homme  en  costume  juif,  sans  aucun  des 
attributs  qui  distinguent  les  apôtres,  u'est-il  pas  Zachée?  Du  côté  de  l'Epitre,  la  femme  tenant  un 
caillou  à  la  main,  n'est-elle  pas  Véronique  portant  à  Soulac  le  caillou  teint  de  sang  ramassé  près  du 
martyr  saint  Etienne  et  compté  parmi  les  reliques  qu'on  y  gardait  depuis  la  plus  haute  antiquité? 
Enfin,  comme  trace  d'un  culte  profondément  gravé  dans  les  idées  du  peuple,  s'est  conservée  jusqu'à 
nos  jours  parmi  les  sorciers  qu'on  sait  avoir  été  communs  en  Médoc,  une  formule  de  conjuration 
par  Zachée  et  par  Véronique. 

On  n'a  pas  de  peine  à  admettre  ces  traditions  et  les  commencements  comme  les  progrès  de 
Notre-Dame  de  la  Fin-des-Terres,  quand  on  les  rapproche  des  commencements  et  des  progrès  de 
Notre-Dame  de  la  Mer,  en  Provence.  Véronique  aborde  à  l'embouchure  de  la  Gironde  ;  Madeleine, 
Marthe,  les  Marie  Jacobé  et  Salomé  à  l'embouchure  du  Rhône.  Sur  le  rivage  d'Aquitaine,  Véronique 
construit  un  oratoire,  un  autel,  une  cellule  de  terre  pétrie  et  voit  jaillir  une  source  miraculeuse  et 
bénie  ;  ainsi  Marthe  et  ses  saintes  compagnes,  sur  le  rivage  de  Provence.  En  l'un  et  l'autre  lieu, 
l'oratoire  fut  dédié  à  la  Mère  de  Dieu  par  saint  Martial,  ici  visitant  seul  Véronique,  là  Marthe,  avec 
saint  llaximin  et  autres  disciples  du  Seigneur.  Près  de  ces  deux  oratoires  également  dignes  d'être 
appelés  la  première  de  toutes  les  églises  maritimes  de  leur  contrée,  moururent  et  furent  enseve- 
lies, d'une  part  Véronique,  de  l'autre  les  .Marie.  Comme  Baronius  a  erré  en  assignant  Jérusalem 
pour  origine  au  culte  des  sœurs  Salomé  parce  qu'il  ignorait  le  lieu  de  leur  mort,  ainsi  on  s'est 
trompé  en  plaçant  celle  de  Véronique  à  Jérusalem  ou  à  Rome,  parce  qu'on  ne  connaissait  pas  son 
tombeau.  Comme  de  temps  immémorial,  le  25  mai  vit  naître  la  fête  des  deux  sœurs  en  Camargue, 
à  Arles,  à  Bordeaux  où  elles  avaient  leur  autel  à  la  cathédrale,  ainsi  celle  de  la  solitaire  de  Soulac 
naquit  de  la  célébrité  de  sa  sépulture."  Aux  mêmes  moments,  Notre-Dame  de  la  Barque  et  Notre- 
Dame  de  lu  Ftti-des- Terres  s'agrandissaient  en  constructions  romanes,  en  forêts,  prairies  et  autres 
dépendances,  en  monastères  où  des  religieux  fournissaient  les  secours  nécessaires  au  double  pèlcri- 
rage  nw  l'honneur  do  la  Sainte  Vierge  et  des  Saintes  ipii  s'étaient,  en  lui  consacrant  leur  vie,  à 
jamais  placées  près  d'elle  après  leur  mort.  Une  si  grande  analogie  entre  les  personnes,  les  mono- 
ments,  la  manière  de  procéder,  n'indique-t-elle  pas  la  communauté  d'origine  ?  Si  la  mission  et  la 
On  de  Véronique  ressemble  tant  à  la  mission  de  Marthe  et  des  Marie,  n'est-ce  point  parce  qu'elles 
avaient  emporté  du  même  foyer  instructions,  souvenirs,  reliques  semblables? 


SAINTE   VÉRONIQtrE.'  245 

L'hiâtoire  de  sainte  Véronique  après  sa  morl,  ou  Vilistoire  de  son  tombeau  et  de  ses  reliques, 
est  encore  nne  preuve  bien  plas  concluante  de  ce  qu'elle  a  fait  pendant  sa  vie.  a  Elle  monmt  », 
dit  le  Père  Bonaventure,  «  l'an  70  de  Notre-Seigneur  et  fui  ensevelie  à  Soulac.  Toutefois,  ou  pour 
cause  de  guerres  on  antres  désolations  du  pays,  son  corps  fnt  transporté  à  Bordeaux  et  repose  dans 
l'église  Saint-Seurin  ». 

Ce  corps  vénérable  lui-même  est  bien  pins  précieux  et  plus  éloquent  que  le  tombeau  qui  loi  a 
longtemps  servi  de  demeure.  L'aspect  des  ossements  accuse  une  grande  antiquité.  Le  petit  nombre 
:  fragments  qui  y  fout  défaut  correspond  aux  indications  suivantes  :  a  Lors  de  la  consécration  de 
'glise  de  la  Chartrense,  l'évëque  de  Condom,  consacrant  les  autels  de  Saint-Jean-Baptiste  et  de 
unt-Louis,  mit  dans  l'un  des  reliques  de  saint  Fort  et  de  sainte  Véronique,  et  dans  l'antre  des 
liques  de  saint  Amand  et  de  sainte  Bénédicte  ».  Le  10  octobre  1659,  on  fil  l'inventaire  des 
cliques  contenues  dans  la  crypte  de  Saint-Fort  au-dessous  de  l'ég'.ise  de  Saint-Senrin,  et  le  cha- 
pitre de  Bordeaux  donna  au  curé  de  Saint-Eustache  de  Paris  l'os  fémur  du  côté  d'en  haut,  un  de 
ceux  qui  manquent  aujourd'hui,  car  il  y  avait  à  Saint-Eustache  de  Paris,  une  célèbre  confrérie 
établie  sous  le  nom  de  sainte  Véronique. 

Les  ossements  de  sainte  Véronique  donnent  surtout  une  solution  vraiment  providentielle  à  l'ob- 
jection capitale  qui  domine  toute  sa  mission  et  la  détruirait,  si  elle  n'était  détruite  elle-même  par 
un  fait  décisif,  a  Est-il  possible  »,  nous  dit-on,  a  que  la  Véronique  de  Jérusalem  et  de  Rome  soit 
la  même  que  celle  de  Soulac  ?  Comment  admettre  que  cette  femme  qui  assista  au  mariage  de  la 
Sainte  Vierge  avec  saint  Joseph  et  avait  alors  cinq  ans  de  plus  qu'elle  ;  qui,  an  temps  de  la 
Passion  et  lorsqu'elle  reçut  le  voile  imprimé  des  traits  du  Sauveur,  en  avait  plus  de  cinquante,  ait 
itrepris  en  48  de  l'ère  chrétienne,  c'est-à-dire  à  l'âge  de  soixante-quatre  ou  soixante-cinq  ans,  le 
ng  voyage,  la  pénible  mission  des  Gaules,  ponr  y  mourir  en  70,  âgée  par  conséquent  d'environ 
quatre-vingt-sept  ans  ?  » 

Eh  bien  !  acceptez  toutes  ces  dates  et  venez  les  lire  inscrites  sur  le  front  vénérable  de  la  Sainte, 
avec  le  docteur  Oré,  membre  de  la  commission  d'enquête,  qui  vous  signale  o  un  point  fort  impor- 
tant à  remarquer,  vn  qu'il  permet  jusqu'à  un  certain  point  de  déterminer  l'âge  du  sujet;  c'est  l'os- 
sification complète  des  articulations  unissant  les  pariétaux  au  frontal  ».  Et  encore  :  a  n  est  facile 
de  constater  à  son  extrémité  supérieure  (du  fémur  gauche)  une  raréfaction  du  (ineis  osseus  indiquant 
00  grand  3ge  ». 

Comme  Soulac  et  Bordeaux,  Roc-Amadonr  conserve,  dans  son  église  souterraine  de  construction 
romane,  des  souvenirs  irrécusables  de  sainte  Véronique.  Elle  y  brille  des  couleurs  qu'une  restauration 
récente  a  rendues  aux  anciennes  peintures.  On  la  voit  d'abùrd  avec  saint  Jlartial  et  saint  Amateur 
aux  pieds  de  la  très-sainte  Vierge,  portant  la  sainte  face,  tandis  que  son  époux  présente  à  Marie 
l'oratoire  qu'il  érigea  en  son  honneur.  Ensuite  elle  reparait  dans  une  série  de  tableaux  consacrés  à 
la  légende  de  Zachée  et  accompagnés  d'inscriptions  analogues. 

Deux  vitraux  modernes  de  l'église  de  Saint-Seurin  de  Bordeaux,  l'un  au-dessus  de  la  porte  de  la 
sacristie,  l'autre  au-dessus  de  l'entrée  de  l'abside,  racontent  dans  un  brillant  langage  la  pieuse  et 
poétique  légende  de  Véronique. 

Premier  médaillon,  à  gauche,  au-dessus  de  la  sacristie.  —  Celle  qu'une  foule  d'auteurs  ont  ap- 
pelée l'amie  familière  et  de  cœur  de  la  sainte  Vierge,  est  debout  au  seuil  du  temple  de  Jérusalem, 
et  y  reçoit  Marie,  âgée  de  trois  ans,  à  l'époque  de  sa  présentation. 

Deuxième  médaillon. —  Véronique,  en  riche  costume  de  sa  condition,  reçoit  dans  un  vase  d'ar- 
gent le  sang  précieux  de  Jean-Baptiste,  dans  la  prison  de  Machéronle. 

Troisième  médaillon. —  Pilate,  assis  sur  son  trône,  discute  le  sort  de  Jésus.  Véronique  et  Zachée, 
appelés  comme  témoins  à  décharge,  parlent  en  faveur  de  l'innocence  du  Rédempteur  des  hommes. 

Quatrième  médaillon.  —  Véronique  essuie  la  Face  du  Sauveur. 

Le  cinquième  médaillon  fait  assister  Véronique  à  la  sépulture  du  Seigneur. 

Dans  le  sixième  médaillon,  la  sainte  Vierge  exécute  le  pieux  pèlerinage  du  chemin  de  la  Croix, 
accompagnée  de  Martial,  d'Amateur,  de  Véronique,  etc. 

Au  sommet  de  la  rosace,  les  lobes  renferment  une  apothéose  de  sainte  Véronique,  déployant  la 
sainte  Face  qu'encensent  deux  anges  au  vol.  C'est  le  culte  de  la  sainte  Face  dans  son  origine  et 
dans  sa  perpétuité. 

Dans  la  couronne  de  la  rosace,  se  déroulent  les  faits  qui  se  rapportent  au  voyage  de  Rome,  à  la 
gnérison  de  Tibère  (S"'  1,  2  et  3). 

Plus  loin  (no  4),  debout  dans  nne  barque  sans  rames,  Véronique  aborde  à  Soulac. 

Le  n»  6  nous  conduit  de  Soulac  à  Bazas,  où  sainte  Véronique  dépose  la  célèbre  conque  renfer- 
mant le  sang  do  Précurseur. 


246  3   FÉVRIER. 

Le  dernier  médaillon  nous  offre  sainte  Véronique  mourant  à  Soulac  (An  70  de  Jésus-Christ). 

La  mission  de  sainte  Véronique  se  complète  par  les  derniers  sujets  de  la  fenêtre  opposée.  Le 
huitième  médaillon  de  cette  fenêtre  nous  représente  Véronique  portant  religieusement  le  vase  qui 
■  ontient  le  lait  de  la  bienheureuse  Vierge  Marie,  et  se  disposant  h  entrer  dans  l'église  Notre-Dame 
<:e  Soulac. 

Ailleurs,  on  voit  la  translation  du  corps  de  la  Sainte  il  Saint-Senrin,  vers  le  ix»  siècle. 

A  Rouen,  à  Valencienncs,  dans  tout  le  nord  de  la  France  et  en  Belgique,  sainte  Véronique, 
iûus  le  nom  de  Venice  ou  Venise,  était  invoquée  par  les  femmes  dans  leurs  maladies.  A  Paris  et  ï 
Liège,  elle  était  la  patronne  d<>s  lingères. 

La  vie  de  sainte  Véronlqae  esi'  une  nouveauté  dans  les  recueils  du  genre  du  nûtro  ;  ot  oe  n'est  pas 
la  seule.  Nous  avous  laissé  tomber  do  notre  plume  le  mot  nouveauté  pour  obéir  U  un  reste  de  préjugé  que 
nous  a  léijué  le  siîîcle  précèdent,  car  avant  le  xnrie  sifccle,  la  léçendo  de  sainte  Véronique  était  acceptée 
de  l'Eglise  de  Franco,  et  ce  n'est  que  devant  le  souffle  de  l'Incrédulité  janséniste  ou  gallicane  qu'ello  A 
pâli  un  instant.  Kous  avons  analysé  et  le  plus  souvent  reproduit  le  chapitre  2  du  remarquable  ouvrage  de 
M.  Cirot  de  la  Ville,  intitulé  :  Origines  chrëtimne^  de  Uordt'^ux.  Dans  ce  chapitre,  consacré  à  Vapostolot 
de  sainte  Véronique  dans  le  Médoc,  le  savant  professeur  de  théologie  de  Bordeaux  nous  semble  avoir  établi 
d'une  manière  invincible  la  th>se  de  l'existence  et  de  la  mission  de  sainte  Véronique. 


SAINT  TIGIDE  ET  SAINT  REMÈDE,  ÉVÊQUES  ET  MARTYRS  DE  GAP 

n"  siècle. 


Tigide  et  Remède,  vulgairement  Ramezy,  gouvernèrent  l'église  de  Gap  dans  les  premiers  siè- 
cles. Il  n'est  pas  certain  combien  de  temps  ils  ont  tenu  le  siège  épiscopal ,  ni  s'ils  sont  morts 
l'un  et  l'autre  le  même  jour.  Mais  si  le  temps  de  leur  vie  est  incertain,  ce  qui  ne  l'est  pas,  c'est  la 
sainteté  de  leur  vie,  la  pureté  de  leurs  mœurs,  leur  infatigable  sollicitude  pastorale,  et  enBn  le 
mérite  de  toutes  les  vertus.  Apres  qu'ils  eurent,  en  suivant  les  traces  de  saint  Démétrius,  rendu  de 
grands  services  à  l'église  qu'il  avait  fondée  par  son  sang,  ils  donnèrent  aussi  leur  vie  pour  cette 
même  église.  Car  on  lit  dans  le  martyrologe  de  saint  JérAme  qu'ils  furent  martyrisés  dans  la  ville 
de  Gap. 

Dans  les  anciens  bréviaires  de  l'église  de  Gap,  nos  saints  Pontifes  étaient  honorés  d'un  office  du 
rit  double,  lequel  fut  réduit  à  un  simple  mémoire  dans  le  bréviaire  de  17C4,  non  sans  exciter  les 
réclamations  du  chapitre  et  du  clergé.  Mais  en  1845,  Jean  Irénée  Dépéry,  évèque  de  Gap,  très-ami 
de  la  sainte  et  vénérable  antiquité  ecclésiastique,  et  à  bon  droit  jaloux  d'augmenter  le  culte  des  saints 
prélats  de  son  église,  rétablit  le  rit  double  pour  la  fêle  des  bienheureux  Tigide  et  Remède,  aux 
applaudissements  du  chapitre  et  du  clergé. 

Les  reliques  de  saint  Tigide  et  de  saint  Remède  furent  conservées  dans  l'église  de  Gap  jusqu'au 
commencement  du  xiii»  siècle.  A  cette  époque,  des  chevaliers  français,  faisant  partie  de  l'armée 
chrétienne  qui  avait  assiégé  et  pris  d'assaut  Constantiuople,  reçurent  en  don  de  l'empereur  Bau- 
doin, et  comme  récompense  de  leur  valeur,  le  corps  de  saint  Germain,  patriarche  de  cette  ville, 
illustre  en  vertus  et  en  doctrine,  martyrisé  sous  le  règne  de  Léon  l'Isaurien  pour  la  défense  dok 
saintes  images  (630).  A  leur  retour,  ces  croisés  passèrent  par  Gap  :  or,  sur  une  inspiration  du 
ciel,  on  leur  livra  aussi  le  corps  de  saint  Remède  et  quelques  parcelles  de  celui  de  saint  Tigide.  Ces 
ossements  sacrés  furent  réunis  à  ceux  de  saint  Germain,  renfermés  dans  une  châsse  en  argent  et 
déposés  dans  l'église  de  Bort,  petite  ville  sur  les  confins  de  l'Auvergne  et  du  Limousin,  aujourd'hui 
du  diocèse  de  Tulle.  En  ce  temps-là,  les  corps  des  martyrs  et  des  confesseurs  étaient  le  palladium 
des  villes. 

Le  culte  des  reliques  de  saint  Germain  et  de  saint  Remède  fut  bientôt  célèbre  dans  l'Auvergne 
et  le  Limousin  où  il  devint  très-populaire  :  une  fête  solennelle  fut  instituée  en  l'honneur  de  cei 
Saints  pour  lesquels  Dort  oublia  bientùt  son  ancien  patron,  saint  Antoine. 

Dès  tors  un  pieux  usage  s'était  établi  :  an  départ  de  tout  habitant  de  ces  pays-là,  soit  pour  une 
expédition  militaire,  soit  pour  un  voyage  lointain,  on  cousait  à  ses  vêtements  ou  une  médaille,  ou 
un  morceau  d'étolfe,  ou  tout  autre  objet  qui  eût  touché  les  corps  saints.  Ce  bouclier  invisible  devait 
le  préserver  de  tonte  blessure,  de  tont  accident,  et  le  ramener  sain  et  sauf  dans  ses  foyers.  Etait-ce 
on  souvenir  de  la  protection  que  ces  deux  Saints,  étrangers  et  voyageurs  enx-mèmes  après  leur 


SAINT  ANATOIIE,   PATRON  DE   SALINS.  247 

mort,  avaient  jadis  sccordée  aui  croisés  Limousins,  pendant  leur  longue  et  périlleuse  route  T 
La  tourmente  révolutionnaire  de  1793  dispersa  les  ossements  de  saint  Germain  et  de  saint 
Remède.  Cependant,  par  une  protection  spéciale  de  la  Providence,  quelques  parcelles  purent  être 
soustraites  i  cette  grande  ruine  qui  se  consommait  sur  toute  la  terre  de  France.  Mais  la  con- 
Gance  résista  à  la  tempête,  et  lorsqu'un  peu  de  calme  se  fut  fait,  la  ville  de  Bort  réinstalla  ses 
grands  patrons  dans  leur  église,  et  la  fête  accoutumée  retrouva  ses  saintes  solennités. 

Plusieurs  faits  merveilleui  vinrent,  depuis  cette  époque,  prouver  aui  hahitants  de  Bort  combiea 
le  patronage  de  ses  Saints  était  puissant  et  efficace. 

La  cathédrale  de  Gap,  veuve  depuis  sept  siècles  de  son  saint  évêque,  aspirait  à  recouvrer  au 
moins  quelques  parties  de  ses  précieuses  reliques.  En  1845,  Mgr  Jean-lrénée  Dépéry  fit  part  à  Mgr 
l'évêque  de  Tulle  de  ces  légilimes  désirs,  et  reçut  de  son  vénéré  collègue  une  parcelle  considé- 
rable qui,  depuis,  est  exposée  dans  l'église  cathédrale  de  Gap  k  la  vénération  des  fidèles. 


SAINTE  SECONDINE,  VIERGE  ET  MARTYRE  (237). 

Secondine,  vierge  de  la  ville  d'Anagni,  en  Italie,  fut  instroite  par  saint  Magne,  évèqae  et  mar- 
tyr, que  les  gardes  de  l'empereur  Dèce  mirent  à  mort,  l'an  de  notre  salut  257.  Mais  les  meurtriers 
furent  tous  dévorés  par  les  loups  la  nuit  suivante.  On  attribua  ce  châtiment  à  la  magie  de  sainte 
Secondine,  et  Torquinus,  grand  ennemi  du  nom  chrétien,  l'accusa  comme  magicienne  et  comme  en- 
nemie des  dieux.  On  la  somme  de  sacriBer  aux  idoles,  sans  pouvoir  la  contraindre  à  commettre 
une  telle  impiété.  C'est  pourquoi  Valérien  la  fait  incontinent  saisir  par  des  soldats  et  conduire  en 
prison.  Lorsqu'elle  en  fut  ensuite  tirée,  elle  parut  avec  un  visage  joyeux,  affirmant  qu'elle  ne 
sacrifiait  pas  aux  démons,  mais  au  vrai  Dieu,  et  qu'elle  était  prête  à  mourir  pour  le  nom  de  Jésus- 
Christ,  et  elle  eut  la  face  cruellement  meurtrie. 

Levant  les  yeux  au  ciel,  la  vierge  soupira  et  pria  pour  elle-même  et  pour  ses  ennemis.  Pen- 
dant son  oraison,  une  lumière  immense  resplendit  tout  à  coup  autour  d'elle,  et  la  multitude  qui  était 
là  entendit  une  voix  qui  venait  du  ciel,  disant  :  Vous  étiez  tous  à  deux  doigts  de  la  mort  et  de 
votre  perdition,  mais,  par  la  prière  de  ma  servante  Secondine,  la  vie  vous  a  été  accordée.  Pour 
toi,  ma  fille,  ne  crains  pas,  car  je  suis  celui  que  tu  invoques  et  adores,  Jésus-Christ,  et  je  ne  per- 
mettrai pas  que  tes  ennemis  triomphent  de  toi.  Ebranlés  par  cette  voix  et  effrayés,  dix-huit  gardes 
et  beaucoup  d'autres  personnes  embrassèrent  la  foi  et  reçurent  le  baptême. 

Le  jour  suivant,  les  autres  gardes,  attribuant  ces  prodiges  à  la  magie,  proposèrent  à  la  vierge 
on  de  sacrifier  aux  dieux,  ou  de  se  préparer  à  subir  des  supplices  horribles  ;  à  quoi  elle  répondit 
que  les  tourments  ne  lui  faisaient  aucune  peur.  Alors,  furieux,  ces  hommes  la  dépouillèrent  de  ses 
vêtements  et  déchirèrent  son  corps  de  blessures.  Son  sang  étant  épuisé,  il  coula  de  ses  plaies  une 
liqueur  ayant  la  blancheur  du  lait,  et  répandant  une  odeur  très-suave.  Enfin,  un  ange  l'appela  à 
haute  voix  :  Viens,  épouse  du  Christ,  reçois  la  couronne  que  le  Seigneur  t'a  préparée  pour  l'éter- 
nité. Elle  rendit  sa  bienheureuse  âme  à  Dieu  le  15  de  janvier. 

Sainte  Secondine  est  citée  au  Martyrologe  romain  le  la  de  janvier. 

Propre  de  Mayenee. 


SAINT  ANATOILE,  PATRON  DE  SALINS  (rv»  siècle). 

Le  bienheureux  Anatoile,  patron  de  la  ville  de  Salins,  fut,  dit-on,  évêque  d'Adana  en  Cilicie, 
lontint  le  parti  de  saint  Jean  Chrysostome  contre  Théophile  d'Alexandrie,  et,  à  cause  de  cela,  fut 
envoyé  en  exil  dans  la  Gaule.  D  s'arrêta  dans  la  Séquanie  (Franche-Comté)  près  de  Salins,  sur  le 
flanc  d'une  montagne  escarpée,  où  très-opportunément  il  trouva  une  petite  chapelle  consacrée  à 
saint  Symphorien.  C'est  là  qu'il  mourut,  et  son  corps  demeura  caché  en  ce  même  lieu  pendant 
environ  six  siècles.  Saint  Chrysostome  lui  avait  écrit  de  son  exil  de  Cucose  pour  le  remercier  du 
zèle  qu'il  avait  mis  à  le  défendre. 

An  commencement  du  xi«  siècle,  Hugues  I"',  archevêque  de  Besançon,  ayant  fait   bâtir  une 


248  3  FÉVRIER. 

basilique  qui  fut  dédiée  à  l'honneur  de  saint  Sj-mphorien,  de  saint  Anatoile  et  de  sainte  Agathe,  les 
reliques  de  saint  Anatoile  y  furent  déposées  en  un  tombeau  convenable.  Deux  cents  ans  plus  tard, 
Nicolas,  archevêque  de  Besançon,  les  enferma  dans  une  châsse  précieuse,  et  établit  un  collège  de 
chanoines  dans  la  même  église.  Lorsqu'en  1794  les  patriotes  dispersèrent  les  saintes  reliques,  de 
pieuses  mains  purent  recueillir  les  ossements  profanés  de  saint  Anatoile.  Ils  furent  replacés  dans 
une  chisse  en  ITBS,  et  reconnus  pour  authentiques  en  1801. 

Propre  de  Saint-Claude. 


SAINT  THÉODORE,  ÉVÊQUE  DE  MARSEILLE  {\i'  siècle). 

On  ne  sait  rien  de  certain  sur  la  date  de  l'épiscopat  de  ce  Saint,  célèbre  par  sa  fermeté  et  son 
zèle  à  soutenir  la  discipline  ecclésiastique. 

A  la  suite  de  l'épiscopat  du  trop  faible  Emétérius,  le  clergé  de  Marseille  s'était  entièrement  re- 
lâché dans  ses  mœurs  et  dans  son  amour  pour  la  science  sacrée.  Théodore  se  mit  dès  l'abord  à 
cette  œuvre  de  réforme  avec  une  vigueur  qui  n'épargnait  personne  et  lui  valut  tout  de  suite  de 
nombreux  ennemis. 

Cette  haine  se  fit  jour  en  mille  occasions  ;  elle  fournit  à  Dynamius,  gouverneur  de  Marseille 
pour  le  roi  Contran,  le  moyen  de  persécuter  le  saint  évèque.  Vainement  tenla-t-il  d'en  appeler  aa 
souverain,  Théodore  fut  fait  prisonnier  et  subit  les  plus  mauvais  traitements. 

Le  Saint  étant  parvenu  à  s'échapper  des  mains  de  Contran,  Qt  arriver  ses  plaintes  à  Childeberl, 
qui  intervint  pour  le  protéger.  Dans  sa  bonté,  l' évèque  intercéda  en  faveur  de  Dynamius,  que  l'en- 
voyé de  Childebert  avait  réussi  à  faire  tomber  dans  un  piège;  il  pardonna  également  aux  moines  et 
aux  clercs  ses  persécuteurs,  et  fut  accueilli  avec  des  transports  de  joie  par  son  peuple. 

Mais  lorsque  Condulphe,  l'envoyé  de  Childebert,  eut  quitté  .Marseille,  Dynamius  recommença  à 
ourdir  ses  trames  avec  les  clercs.  Sur  les  perfides  dénonciations  de  ce  dernier,  le  roi  Contran  fit 
charger  le  saint  évèque  de  chaînes.  On  profila  d'une  consécration  d'église  pour  se  saisir  de  Théo- 
dore et  l'envoyer  en  exil.  Mais  il  put  se  justifier  auprès  de  Contran,  et  rentra  une  seconde  fois  en 
triomphe  à  Marseille,  où  l'amour  de  son  peuple  le  consolait  des  persécutions  du  clergé  rebelle. 

Saint  Théodore  ayant  pris  la  défense  de  Gondevald  pour  réparer,  pensait-il,  une  criante  injus- 
tice envers  son  pays,  Contran-Boson  le  fit  mettre  en  prison,  et  lui  fit  défendre  l'approche  même 
d'une  église.  Une  vision  céleste  le  réconforta  dans  sa  captivité,  où  il  fut  bientôt  rejoint  par  l'évèque 
Epiphane,  qui  y  mourut  d'épuisement  et  de  douleur.  Conduit  devant  le  roi  Childebert,  il  reçut  sur 
sa  route  les  plus  beaux  témoignages  d'estime,  entre  autres  de  la  part  de  Magnéric,  évèque  de  Trêves. 

Cependant,  le  roi  Contran  avait  fait  assembler,  le  23  octobre  5S5,  un  concile  à  Mâcon,  où  la 
cause  du  saint  évèque  fut  sévèrement  examinée.  Il  put  bientôt  rentrer  à  Marseille,  absous  de  toutes 
les  accusations  portées  contre  lui. 

Prédécesseur  de  l'unmortel  Belsnnce,  Théodore  devait,  comme  son  illustre  successeur,  mon- 
trer l'héroïsme  de  sa  charité  pastorale  envers  les  pestiférés  de  Marseille.  Il  recueillit  les  débris 
de  son  peuple  dans  l'abbaye  de  Saint-Victor,  pria  avec  eux  et  s'offrit  en  victime  à  la  colère  de 
Dieu.  Ses  ennemis  eux-mêmes  ne  purent  s'empêcher  d'admirer  cette  charité  épiscopale. 

Enfin,  après  avoir  reçu  une  lettre  très-élogieuse  du  pape  saint  Crégoire  le  Crand,  Théodore  mou- 
rut vers  l'an  593,  de  la  mort  des  justes. 

n  existe  à  Marseille  une  belle  église  dédiée  à  saint  Théodore,  où  tous  les  ans  les  fidèles  se 
rendent,  pendant  huit  jours,  à  partir  du  3  février,  pour  honorer  la  mémoire  de  ce  grand  évèque. 

La  Tle  dn  Saint  a  été  récemment  écrite  par  M.  l'abbé  Magnan  (Marseille,  Chauffard,  libraire,  1856). 
Plu»  récemment  encore,  M.  l'abbé  Albanls  a  imprimé  nn  panégyrique  dn  Saint.  M.  la'ubé  Antoine  Kicard, 
direct,  de  la  temaine  religieute  de  Marseille,  a  abrégé  ces  écrits  pour  les  Petits  l^ollandistet. 


SAIOT   II.VUEUN,    ABBÉ   DE    CT.ÏXY.S   AU   WO0È?K   PE   LIEGE.  2i9 


SAINTE  WEREBURGE,  VIERGE, 

ABBESSE  ET  PATRONNE  DE  CHESTER,  EN  ANGLETERRE  (vil°  siècIe). 

Sainte  Wereburge,  vulgairement  Werbnrg,  était  fille  de  Wulfère,  roi  de  Mercie,  en  Angleterre, 
et  de  sainte  Ermenilde.  Elle  avait  trois  frères  :  Wulfade  et  Rafin  qui  reçurent  la  couronne  du  mar- 
tyre, et  Kenred  qui  monrut  à  Rome  en  odeur  de  sainteté.  Une  rare  beauté  jointe  à  de  grandes 
qualités  la  fit  rechercher  en  mariage  par  les  partis  les  plus  considérables  ;  mais  elle  resta  inébran- 
lable dans  sa  résolution  de  consacrer  à  Dieu  sa  virginité.  Elle  triompha  avec  beaucoup  de  gloire 
des  obsessions  de  plusieurs  princes,  et  en  particulier  de  celles  de  Werbode,  un  des  plus  puissants 
seigneurs  de  la  cour  de  son  père.  Wulfère  aimait  ce  seigneur  à  cause  des  services  importants  qu'il 
avait  reçus  de  lui  ;  il  lui  promit  sa  fille  en  mariage.  Cette  promesse  affligea  sensiblement  la  reins 
el  les  deux  princes  Wulfade  et  Rufin.  Werbode,  qui  savait  ceux-ci  opposés  à  son  mariage,  résolut 
leur  perle  :  ils  n'eurent  pas  plus  tôt  été  mis  à  mort,  que  le  roi,  qui  avait  trempé  dans  cette  abomi- 
uable  intrigue,  en  conçut  la  pins  vive  douleur.  Alarmé  par  les  reproches  de  sa  conscience,  il  rentra 
en  lui-même.  Et  pénitence  et  fonda  un  prieuré,  celui  de  Stone,  pour  servir  de  sépulture  à  ses  deui 
enfants.  Wereburge,  charmée  d'une  révolution  si  peu  attendue,  ne  craignit  plus  de  découvrir  à  son 
père  l'ardent  désir  qu'elle  avait  d'embrasser  l'état  monastique  :  il  refusa  d'abord  son  consentement; 
mais  il  fit,  à  la  fin,  si  généreusement  son  sacrifice,  qu'il  conduisit  lui-même  sa  fille  au  monastère 
d'Ely  et  assista  avec  toute  sa  cour  à  la  cérémonie  de  la  profession.  Elle  quitta  ensuite  Ely,  à  la 
demande  du  roi  Ethelred,  son  oncle,  qui  la  chargea  de  rétablir  la  discipline  monastique  chez  toutes 
les  religieuses  de  son  royaume.  Sa  conduite  était  un  exemple  continuel  de  sanctification.  Sa  dévo- 
tion était  si  tendre  qu'on  voyait  souvent  ses  yeux  baignés  de  larmes.  Elle  mourut  à  Trentham,  sur 
la  fin  du  vii«  siècle.  On  l'enterra  à  llambury,  comme  elle  l'avait  désiré.  Son  corps  fut  transporté  à 
Chesler,  en  835,  et  déposé  dans  une  magnifique  église  qui  devint  ensuite  la  cathédrale.  Sous 
Henri  VIII,  les  reliques  de  sainte  Wereburge  eurent  le  sort  de  celles  de  tous  les  autres  Saints  du 
royaume  :  elles  furent  dispersées.  De  sa  châsse  on  fit  un  trône  épiscopal  que  l'on  voit  encore  au- 
jourd'hui dans  la  cathédrale  de  Chester.  On  donne  pour  attribut,  à  notre  Sainte,  un  troupeau  d'oies, 
parce  qu'elle  fit  venir  jusqu'au  perron  de  son  château  une  volée  de  ces  oiseaux  qui  dévastaient  les 
champs  voisins  et  leur  ordonna  de  cesser  leurs  dégâts  ;  ce  qu'ils  s'empressèrent  d'exécuter. 


SAINT  HADELIN,  ABBÉ  DE  CELLES  AU  DIOCÈSE  DE  LIÈGE  (696). 

Saint  Hadelin,  né  en  Aquitaine,  quitta  sa  patrie  et  tout  ce  qu'il  possédait  dans  le  monde  pour 
.suivre  Jésus-Christ;  il  embrassa  la  pénitence  dans  l'abbaye  de  Solignac  en  Limousin;  il  passa  de- 
puis dans  celle  de  Cougnon,  située  sur  la  rivière  de  Sémoy,  entre  Chini  et  Bouillon,  avec  saint 
Remacle,  son  abbé.  Quelques  années  après,  il  fut  obligé  de  sortir  de  sa  solitude,  pour  servir  l'église 
de  Maéstricht,  dont  le  gouvernement  avait  été  confié  à  saint  Remacle  sur  la  démission  de  saint 
Arnaud.  Le  nouvel  évèque  l'éleva  au  sacerdoce,  afin  de  donner  à  son  zèle  plus  d'étendue  et  plus 
d'activité.  Lorsque  saint  Remacle  se  retira  dans  l'abbaye  de  Stavelot,  saint  Hadelin  l'y  suivit  encore  : 
ils  se  séparèrent  cependant  depuis.  Hadelin  alla  fixer  sa  demeure  vers  la  rivière  de  Lesch,  à  une 
demi-lieue  de  Dinant.  Quelques  autres  solitaires  se  joignirent  bientôt  à  lui.  Tous  servaient  Dieu 
avec  une  grande  ferveur  par  la  prière,  le  jeûne  et  les  veilles.  La  réputation  de  sainteté  dont  jouis- 
sait Hadelin  lui  attira  de  fréquentes  visites.  Pépin,  maire  du  palais,  vint  le  voir  avec  Plectrude,  sa 
femme  ;  et  il  leur  donna  à  l'un  et  à  l'autre  des  instructions  sur  les  vanités  du  monde,  sur  la  gran- 
deur des  biens  du  ciel  et  sur  l'obligation  commune  à  tous  les  hommes  d'observer  les  saintes  maxi- 
mes de  l'Evangile.  Les  libéralités  de  Pépin  et  de  quelques  autres  seigneurs  le  mirent  en  état  de 
bâtir  un  monastère,  où  il  rassembla  ses  disciples,  qu'il  continua  d'édifier  par  ses  vertus.  Ce  mo- 
nastère prit  le  nom  de  Celles,  à  cause  des  petites  cellules  auxquelles  il  avait  été  substitué.  Hade- 
lin étant  tombé  malade,  se  prépara  avec  une  nouvelle  ferveur  à  paraître  devant  Dieu,  et  exhorta  ses 
disciples  à  s'occnper  sans  cesse  de  leur  dernier  moment.  U  mourut  vers  l'an  696,  après  avoir  reçu 
le  saint  viatique.  Son  corps  fut  enterré  ï  Celles,  où,  par  la  suite  des  temps,  on  mit  des  chanoines  à 


âSO  3  FÉVRIER. 

la  place  des  religienx.  En  1338,  le  chapitre  fui  transféré  à  Viset,  petite  ville  située  sur  la  Meuse, 
entre  Liège  et  Maéstricht  ;  ou  y  porla  aussi  les  reliques  du  Saint.  Sa  fêle  se  célèbre  le  11  octobre 
et  le  dimanche  dans  l'octave  de  la  Nativité  de  la  Sainte  Vierge  ;  mais  on  h  faisait  anciennement  le 
3  février. 


SAINTE  BERLINDE  OU  BELLAUDE  (702). 

Sainte  Berlinde  était  DUe  du  comle  Odelard  et  de  Nona,  sœur  de  saint  Amand.  Odelard  possé- 
dait de  trùs-grauds  biens.  Son  comté  s'étendait  d'Anvers  à  Condé  ;  le  château  d'Omberge,  entre 
Gand  et  Ninove,  et  celui  d'Asche,  entre  Alost  et  Bruxelles,  lui  appartenaient  en  propriété.  Dieu 
ayant  retiré  de  ce  monde  sa  femme  et  un  fils  nommé  Elégard,  il  restait  seul  avec  sa  fille  Berlinde. 
11  n'employait  pins  son  temps  qu'à  prier  et  à  faire  des  bonnes  œuvres.  Dieu,  pour  l'éprouver,  per- 
mit qu'une  maladie  dont  le  nom  seul  inspirait  la  terreur,  la  lèpre,  l'affligeât  dans  ses  derniers  jours. 
Or,  il  arriva  que  durant  l'absence  de  ses  domestiques,  Odelard  pria  sa  fille  de  lui  donner  à  boire. 
Elle  prit  la  coupe,  la  rinça  et  lui  versa  du  via  ;  mais,  quand  son  père  ent  fini,  avant  de  la  porter 
elle-même  à  ses  lèvres,  elle  la  rinça  de  nouveau  :  Odelard  l'ayant  remarqué,  en  conçut  un  tel  dépit, 
qu'il  fit  sur-Ie-cUamp  atteler  ses  chevaux  et  courut  d'un  trait  de  Meerbeke  à  Nivelles  pour  offrir  tous 
ses  biens  à  sainte  Gertrude  et  déshériter  sa  fille. 

La  répugnance  de  Berlinde  était  bien  naturelle  en  pareille  circonstance  j  mais  il  parait  que  ré- 
pugner de  boire  après  son  père  était,  dans  les  idées  du  viP  et  du  viii»  siècle,  un  crime  irrémis- 
sible. La  pauvre  Berlinde,  bien  marrie  de  sa  faute,  ne  chercha  pas  à  l'excuser  ;  elle  la  vit  aussi 
énorme  que  la  voyait  le  comte  lui-même  ;  elle  ne  songea  même  pas  à  réprouver  la  dureté  de  son 
père  ;  elle  se  jngea  une  misérable  qui  méritait  d'être  ainsi  traitée  pour  avoir  oublié  le  respect  dû  à 
l'autorité  paternelle. 

Celte  résignation  héroïque  la  devait  mener  à  une  haute  sainteté.  Elle  n'aimait  plus  que  la  prière, 
le  jeûne  et  la  mortificalion.  Sur  ses  membres  délicats  elle  portait  un  ciliée  de  crins.  Dieulol  elle  se 
fit  religieuse  au  couvent  de  Sainte-Marie,  à  Moorsel,  près  d'Alost.  Une  nuit,  comme  on  donnait  le 
signal  de  Matines,  Berlinde  entendit  un  chœur  d'esprits  bienheureux  qui  portaient  l'âme  de  son 
père  au  ciel.  Elle  demanda  à  l'abbesse  de  pouvoir  aller  à  son  service,  et  se  rendit  à  Meerbeke, 
cil  ce  noble  comle  fut  enterré  à  cùlé  de  son  époase,  dans  un  oratoire  qu'il  avait  fait  bâtir  à  cet 
effet.  Elle  pleura  sincèrement  son  père,  pria  et  fit  prier  pour  lai.  Quelle  humilité  !  quel  respect  de 
l'antorilé  paternelle  ! 

Le  convent  de  Moorsel  étant  devenu  si  pauvre,  qu'il  n'y  avait  plus  moyen  d'y  fournir  du  pain  et 
de  l'eau  pour  plus  de  dix  religieuses,  Berlinde  resta  à  Meerbeke.  La  pieuse  fille  passa  douze  ans 
près  des  cendres  de  son  père,  vivant  en  austérité  grande,  veilles  et  oraisons,  Jeûnes  et  autres  œuvres 
de  pénitence,  priant  pour  le  repos  de  son  âme.  Elle  ne  sortait  de  l'église  que  pour  aller  dans  les 
environs  visiter  les  malades,  les  soignant  et  les  servant  en  souvenir  du  comte,  son  père,  sans  que 
rien  ne  pût  jamais  la  rebuter.  Elle  portait  un  âpre  cilice  qui  la  couvrait  entièrement,  couchait  sur 
la  terre  nue  avec  une  pierre  pour  oreiller,  se  nourrissait  uniquement  de  pain  bis  et  d'un  peu  d'eau 
fraîche,  sauf  les  dimanches  et  fêtes  où  elle  mangeait  des  légumes,  du  laitage  et  quelquefois  du 
poisson.  Dieu  est  bon  pour  les  siens  :  un  jour  de  Pâques,  son  pain  noir  se  trouva  changé  en  une 
nourriture  succulente,  et  un  autre  jour,  son  eau  fut  transformée  en  un  vin  délicieux.  Eniin,  le  jour 
arriva  où  le  Seigneur  voulut  placer  sa  petite  servante  dans  un  palais  plus  riche  que  celui  dont  le 
comte  Odelard  l'avait  déshéritée.  Le  3  février  de  l'an  702  vit  son  dernier  soufDe  se  confondre  avec 
on  dernier  soupir  d'inénarrable  amour. 

Sa  fête  se  célèbre  à  Meerbeke  le  3  février,  en  même  temps  celle  de  deux  antres  saintes  femmes, 
Nona  et  Celsa. 

Sainte  Nona  et  sainte  Celsa,  dont  on  ne  sait  rien  de  positif,  sinon  que  leurs  corps  reposaient 
près  de  ceini  de  sainte  Berlinde,  étaient  probablement,  l'une  sa  mère  et  l'autie  sa  nièce. 

On  invoque  sainte  Berlinde  spécialement  contre  les  épizoolies;  aussi  la  représente-t-on  avec  une 
vache  3  ses  côtés.  On  dit  aussi  qu'elle  protège  les  arbres,  surtout  ceux  plantés  le  jour  de  sa  fêle  ; 
alors  on  loi  donne  pour  attribut  une  serpe  et  on  rameau. 


SAINT  ÉUNAND    OU   IlÉLINAND,    MOIXE    DE   FROIDIIOND.  251 


S.  ÉLINAND  OU  HÉLINAND,  MOINE  DE  FROIDMOND  (1237). 

Elioand,  né  à  Pronleroy,  diocèse  de  Beanvais,  eot  ponr  père  Hermann,  qae  des  troubles  civils 
jvaient  obligé  de  s'exiler  de  la  Flandre,  sa  patrie  ;  et  ponr  maître,  à  l'école  de  Beauvais,  un  homme 
leux  nommé  Radulfe.  D'une  nature  ardente,  quand  il  eut  cultivé  son  esprit  par  l'étude  des  sciences 
;  des  arts,  il  parut  oublier  les  avis  de  cet  excellent  maître  et  s'attacher  misérablement  à  la  vanité 
t  aux  voluptés.  Poète,  et  en  celte  qualité  agréable  au  roi  Philippe-Auguste  et  aux  grands  sei- 
aeurs,  il  éprouvait  un  grand  plaisir  à  partager  leurs  divertissements,  qu'il  égayait  pour  sa  part  en 
•  mposant  sur  chacun  des  éloges  on  des  satires.  .Mais  c'était  le  temps  où  saint  Eustache,  Fulcon  et 
autres  prêchaient  en  France,  et,  par  leurs  prédications,  ramenaient  à   Dieu  un  grand  nombre  de 
cheurs.  Elinand  rentra  aussi  en  lui-même,  et  fut  bientôt  changé  en  un  autre  homme  ;  quittant  les 
!  ingereuses  caresses  du  monde,  il  s'en  alla  se  cacher  au  monastère  de  Froidmond,  parmi  les  Cis- 
li'i'ciens,  qui,  sous  la  conduite  de  Guillaume,  leur  second  abbé,  servaient  avec  fidélité  sous  les  dra- 
peaux du  Christ. 

Observaleiu-  Adèle  de  la  règle  monastique,  il  s'adonna  tout  entier  à  l'oraison,  aux  veilles,  à  l'abs- 
:;iience  et  aux  autres  austérités,  et,  devenu  bientôt  un  modèle  de  perfection,  il  fut  jugé  digne 
M  L'tre  élevé  an  sacerdoce.  Il  se  montra  prêtre  dans  toute  la  force  du  terme,  lui  qui  chaque  jour 
-Lumolait  par  le  glaive  de  la  macération  son  corps  et  son  âme  avec  Jésus-Christ.  Brûlant  d'une  dé- 
votion singulière  envers  Jésus  crucifié  et  la  Vierge,  Mère  de  Dien  ;  remarquable  par  ses  bonnes 
œuvres  comme  par  sa  doctrine,  il  prenait  souvent  la  parole  en  présence  de  ses  frères,  pour  les  éle- 
ver jusqu'aux  plus  grandes  hauteurs  de  la  religion.  Il  attira  maintes  personnes  à  la  vie  monastique, 
et  sitôt  que  quelqu'un,  oubliant  ce  qu'il  avait  promis  à  Dieu,  s'en  allait  à  la  dérive,  il  faisait  tout 
pour  le  faire  triompher  de  l'entraînement  du  monde  et  de  la  nature.  Il  persuada  à  son  frère  Guil- 
laume lie  renoncer  au  siècle  nour  venir  se  joindre  à  lui  dans  son  monastère;  et  il  y  eut  un  cer- 
tain Radulphe,  déserteur  de  la  discipline  religieuse,  qu'il  rappela  par  ses  lettres. 

D  eut  constamment  des  relations  familières  avec  les  évêques  de  Beauvais,  de  Senlis,  d'Orléans, 
et  avec  les  plus  grands  seigneurs.  Il  dut  quelquefois  quitter  son  monastère  pour  prêcher  ;  ainsi  il 
prononça  un  sermon  devant  les  Pères  du  concile  de  Toulouse.  Il  avait  une  telle  autorité,  qu'il 
n'hésitait  pas  à  rappeler  à  ses  supérieurs  leurs  devoirs  ;  mais  son  humilité  lui  fit  refuser  des  digni- 
tés splendides.  Toujours  joyeux  au  dernier  rang,  qu'il  affectionnait,  content  au  milieu  des  macéra- 
tions qu'il  iniligeait  à  sa  chair,  et  ne  vivant  que  pour  Dieu  seul,  il  se  consuma  peu  à  peu  dans  les 
travaux  de  la  vie  monastique,  et  enfin  échangea  l'exil  pour  la  patrie,  l'an  1237,  le  3  février.  11 
composa  des  annales,  et  écrivit  sur  les  vies  des  saints,  les  saintes  Ecritures,  les  mœurs  des  moines 
et  des  rois,  et  même  des  homélies  toutes  pleines  d'un  parfum  de  piété  qui  rappelle  saint  Bernard.  Ces 
divers  écrits  ne  lui  valurent  pas  une  médiocre  renommée  parmi  ses  contemporains.  Il  ne  fut  pas 
moins  célèbre  pour  sa  sainteté,  qui  fut  manifestée  par  beaucoup  de  miracles  ;  l'Ordre  de  Citeaux 
le  compte  parmi  ses  Saints  ;  il  fut  surtout  honoré  au  monastère  de  Froidmont.  Cette  abbaye  fut 
fondée  à  deux  lieues  de  Beauvais  en  1134.  Elle  eut  pour  dernier  abbé  régulier  Claude  de  Bèze, 
«acte  de  l'hérésiarque. 


232  4   FÉVRIEB. 


IV^  JOUR    DE   FÉVRIER 


MARTYROLOGE   ROMAIN. 

A  Florence,  saint  André  Corsini,  évêque  de  Fiésole,  dont  la  naissance  au  ciel  est  marquée 
le  6  de  janvier.  1373.  —  A  Rome,  saint  Eutyche,  martyr,  qui  finit  sa  vie  par  un  Rlorieux  combat, 
et  fut  enterré  au  cimetière  de  Calixte.  Le  pape  saint  Damase  orna  son  tombeau  d'une  épitaphe  en 
vers  *.  —  A  Fossombrone,  les  saints  martyrs  Aquilin,  Géminé,  Gélase,  Magne  et  Donat  *.  —  A 
Thmuis,  en  Egypte,  le  martyre  de  saint  Philéas,  évèque  de  cette  ville,  et  de  saint  Philorome, 
tribun  militaire,  qui,  dans  la  persécution  de  Dioclélien,  n'ayant  pu  être  persuadés  par  leurs  proches 
et  par  leurs  amis,  d'épargner  leur  vie,  méritèrent  en  échange  de  leurs  tôtes  offertes  aux  bourreaux 
les  palmes  du  Seigneur  ;  avec  eux,  une  multitude  innombrable  de  fidèles,  de  la  même  ville,  suivant 
l'exemple  de  son  pasteur,  fut  couronnée  du  martyre.  Vers  308.  —  Le  même  jour,  saint  Rembert, 
évêque  de  Brème.  888.  —  A  Troyes,  saint  Aventin,  confesseur.  Vers  538.  —  A  Péluse,  en  Egypte, 
saint  Isidore,  moine  illustre  par  ses  mérites  et  sa  doctrine.  Vers  449.  —  Le  même  jour,  saint 
Gilbert,  confesseur.  H90.  —  Dans  la  ville  d'Amatrice,  du  diocèse  de  Riéti,  les  obsèques  de  saint 
Joseph  de  Léonissa,  de  l'Ordre  des  Mineurs  Capucins,  à  qui  les  Mahométans  firent  souffrir  de 
cruelles  tortures,  parce  qu'il  prêchait  la  foi  parmi  eux;  et  qui,  s'étant  rendu  célèbre  par  ses  mi- 
racles et  ses  travaux  apostoliques,  a  été  mis  au  nombre  des  saints  confesseurs  par  le  souverain 
pontife  BeDoit  XIV.  1612.  —  Au  Maduré,  le  bienheureux  Jean,  de  la  Compagnie  de  Jésus,  martyr. 
1693. 

MABTIfROLOGE   DE  FRANCE,   REVO   ET  AUGMENTÉ. 

En  Vemandois,  saint  Lifard  ou  Liéphard,  de  Gonnelieu,  anglais  de  nation,  assassiné  à  son 
retour  d'un  pèlerinage  à  Rome  où  il  avait  accompagné  le  prince  Cadruel.  Son  corps  fut  déposé  dans 
la  forêt  d'Arouaise,  en  Artois.  Dieu  ayant  excité  par  des  miracles  les  habitants  du  voisinage  à  lui 
donner  une  sépulture  convenable,  il  fut  apporté  à  Trescault,  de  là  à  Honnecourt  où  il  a  été  honoré, 
durant  plusieurs  siècles,  et  ensuite  à  Saint-Quentin,  au  monastère  de  Saint-Prix.  Vers  640.  —  A 
Troyes,  saint  Vincent,  évêque,  dont  il  est  parlé  dans  la  vie  de  saint  Aventin,  et  qui  fit  bâtir  une 
église  en  son  honneur.  —  A  Chàteaudun,  un  autre  saint  Aventin,  évêque  de  Chartres  et  confes- 
seur. 528.  —  A  Marseille,  ordination  de  saint  Théodore,  évêque  '.  —  A  Lobes,  saint  Vulgis,  abbé 
de  ce  lieu,  et  chorévèque,  honoré  à  Bins,  en  Hainaut.  viii«  s. —  A  Saint-Cloud,  près  de  Paris,  saint 
Probace  ou  Probas  et  Probat,  prêtre,  dont  le  corps  fut  inhumé  dans  l'église  de  Saint-Cloud  qui 
portait  alors  le  nom  de  Saint-Martin  de  N'ogent.  —  A  Saint-Omer,  au  monastère  de  Saint-Bertin, 
saint  Siméon,  abbé,  v»  s.  —  A  Bourges,  la  bienheureuse  Jeanne  de  Valois,  fondatrice  de  l'Ordre 
des  Annonciades.  —  A  Tours,  la  translation  des  reliques  de  saint  Lidoire  *.  —  A  Winkel,  saint 
Raban-Madr,  abbé  de  Fulde,  puis  archevêque  de  Mayence,  habile  dans  la  science  des  saintes 
Ecritures,  qui  avait  étudié  à  Tours  sous  Alcuin.  856.  —  A  Saint-Bertin,  le  bienheureux  Simon,  ori- 
ginaire de  Gand,  l'un  des  auteurs  du  Cartulaire  de  Saint-Bertin.  Il  fut  élu  abbé  d'Aucby;  mais  le 
Pape  ayant  cassé  son  élection,  il  se  soumit  avec  docilité.  1148. 


MARTYROLOGES  DES  ORDRES  RELIGIEUX. 

Martyrologe  des  Chanoines  réguliers.  —  Chez  ceux  de  Latran,  an  monastère  de  Sempingham, 
diocèse  de  Lincoln,  en  Angleterre,  saint  Gilbert,  confesseur,  soigneux  observateur  de  la  discipline 
canonique,  et  son  courageux  défenseur,  qui  émigra  vers  le  Seigneur,  tout  brillant  de  l'éclat  de  son 

1.  Son  corps  fat  transportd  dans  la  basIUfine  de  Salnt-Lanrent. 

3.  Les  BoUandlstcs  ajoutent  ane  antre  Géminé,  un  autre  Gdlase  et  sainte  Donata. 

t.  Voir  au  jour  precô'deot.  —  4.  Voir  aa  vie  an  13  septembre. 


SAINT   THÉOPHILE,    PÉNITEKT.  233 

hamilité  et  de  ses  antres  vertus.  1190.  —  A  Florence,  saint  André  Corsini,  etc.,  comme  an  marty- 
loge  romain. 


ADDITIONS  FAITES    D  APRES   LES  BOLLANDISTES  ET  ADTRES  HAGIOGRAPHKS. 

A  Rome  et  à  Jérusalem,  sainte  Véronique,  matrone  juive,  dont  le  voile  reçut  la  célèbre  efBgie 
de  Notre-Seigneur,  qu'on  vénère  encore  à  Sainl-Pierre  de  Rome.  On  croit  que  la  Sainte  apporta 
elle-même  dans  cette  ville  la  précieuse  image,  et  la  donna  au  pape  saint  Clément.  Elle  passe  aussi 
pour  avoir  guéri  d'une  grave  maladie  l'empereur  Tibère,  qui  l'avait  fait  venir  près  de  lui,  et  pour 
être  venue  en  Gaule,  à  la  suite  de  saint  Martial,  avec  son  époux,  saint  Amateur,  dont  la  fête  est  le 
20  août;  elle-même  est  également  fêtée  le  4  ou  le  15  février.  i<"  s. —  A  Milan,  mémoire  de  ?  uat  Voln- 
sien,  ami  de  Tibère,  qui,  envoyé  par  cet  empereur  à  Jérusalem,  en  ramena  sainte  Véronique  et  le  saint 
suaire  avec  lequel  celle  Sainte  délivra  le  César  d'une  lèpre  horrible  '.  Saint  Volusien  est  encore 
aujourd'hui  représenté  dans  des  peintures  modernes  de  la  basilique  de  Saint-Pierre  de  Rome.  —  A 
Plaisance,  saint  Gélase,  pieux  enfant  qui  conversa  avec  les  anges  et  mourut  an  commencement  du 
V»  siècle.  —  Chez  les  Grecs,  saint  Théoctiste.  —  A  Frénopolis,  en  Cilicie,  saint  Jean,  évèque  de  ce 
lieu  ;  après  323.  —  A  Arbèles,  en  Perse,  saint  Abraham,  évêque  de  cette  ville  et  martyr,  tué  dans 
la  cruelle  persécution  de  Sapor,  l'an  348.  —  A  Adaa,  en  Cilicie,  saint  Théophile  le  Pénitent, 
économe  de  l'église  de  ce  lieu,  célèbre  par  son  pacte  avec  le  démon  et  sa  délivrance  due  k  l'inter- 
cessioa  de  la  Sainte  Vierge.  Sa  pinitence  fut  aussi  éclalanle  que  sincère  ;  il  mourut  dans  l'église 
même  dédiée  à  sa  libératrice  et  y  fut  enseveli,  vers  l'an  538.  —  En  Grèce,  saint  Jasime,  le  thau- 
maturge. —  En  Ecosse,  saint  Modan,  abbé  de  Dryburgh.  Il  prêcha  la  foi  à  Sterling  et  surtout  à 
Falkirk.  Il  interrompait  de  temps  en  temps  ses  travaux  apostoliques  pour  se  retirer  sur  les  mon- 
tagnes de  Dunbarton.  Ses  reliques  étaient  autrefois  à  Rosneith,  dans  une  église  de  son  nom.  Il  est 
encore  premier  patron  de  la  giande  église  de  Sterling  :  on  l'honore  d'une  manière  particulière  k 
Oonbarton  et  à  Faltirk.  Commencement  du  vu"  s.  —  En  Orient,  saint  Nicolas  Studite,  confesseur, 
«rchimandrite  de  l'Ordre  des  Acœmètes  de  Constantinople.  868.  —  A  Ganna,  dans  le  Milanais, 
saint  Gemmule  ou  Gemble,  martyr,  un  des  Saints  qui,  comme  saint  Denis  de  Paris,  est  représenté 
portant  sa  tête  entre  ses  mains.  —  A  Brescia,  saint  Obice,  confesseur  *.  Vers  l'an  1200. 


SALNT  THEOPHILE,  PENITENT 


vi«  siècle. 


Commettre  un  grand  p^che',  c'est  la  mort  de  l'âme  ; 

mais  désespérer,  c'est  déjà  l'enfer. 

Saint  Isidore  de  Séville,   lib.  2   de   summo  bono, 
c.  xn-,  sent.  2. 
Cetix  qui   désesp'erent  de  la  miséricorde  de  Dieu  se 

suffoquent  intérieurement,  potir  ainsi  dire,  en  sorte 

que  le  Saint-Esprit  ne  peut  plus  les  visiter. 

Saint  Augustin,  hom,  ssvu. 

Nous  l'avouons,  ce  sera  avec  plaisir  que  nous  écrirons  ici  l'histoire  de 
saint  Théophile,  pénitent,  puisqu'elle  îera  parfaitement  connaître  au  lecteur 
combien  la  sainte  Vierge  est  miséricordieuse  envers  les  pécheurs,  et  com- 
bien elle  a  de  pouvoir  pour  les  retirer  des  abîmes  de  l'enfer,  où  ils  seraient 
précipités  par  leurs  vices  et  par  la  violence  des  tentations. 

1.  Cf.  Oriyiiies  chrélimnes  de  Bordeaux,  par  JI.  labbé  Cirot  de  la  Ville,  chanoine,  professeur  à  U 
Faculté  de  théologie  de  Bordeaux.  Cet  ouvrage  nous  semble  le  dernier  mot  de  l'érudition  sacrée.  —  Nous 
»Tons  donné  hier  le  résumé  du  chapitre  que  l'auteur  consacre  à  sainte  Véronique  et  à  saint  Volusien. 

2.  Obice,  laissé  pour  mort  stir  un  champ  de  bataille  pendant  ï'tme  de  ces  guerres  si  fréquentes  an 
moyen  âge  entre  les  diverses  villes  de  l'Italie,  eut  une  vision  pendant  laquelle  son  esprit  fui  emporté 
4«ns  les  enfers  :  il  vit  les  âmes  y  arriver  en  foule,  aussi  pressées  et  aussi  nombreuses  que  les  flocons  de 
■eige  qnl  tombent  sur  la  terre.  Remis  de  ses  blessures,  Obice  vécut  et  mourut  en  saint. 


254  4  FÉVRIER. 

11  arriva,  l'an  538,  peu  de  temps  avant  l'irruption  des  Perses  dans  l'em- 
pire Romain,  qu'un  ecclésiastique  nommé  Théophile,  exerçait  l'office  de 
trésorier  ou  d'économe,  dans  l'église  de  la  ville  d'Adna,  en  la  province  de 
Cilicie.  11  s'acquittait  si  dignement  et  avec  tant  de  fidélité  de  cette  charge, 
que  chacun,  depuis  les  premiers  dignitaires  de  l'Eglise  jusqu'à  la  moindre 
veuve  et  le  plus  petit  orphelin  de  la  ville,  se  ressentait  de  ses  bienfaits. 
L'évêque  étant  décédé,  aussitôt  le  clergé  et  le  peuple  jetèrent  les  yeux  sur 
lui  pour  l'élire  en  la  place  du  défunt.  La  chose  étant  rapportée  au  métropo- 
litain, il  approuva  fort  ce  choix,  et  commanda  à  Théophile  d'acquiescer  à 
son  élection  et  de  soumettre  sa  volonté  et  ses  sentiments  au  bon  plaisir  de 
Dieu  ;  mais  Théophile,  qui  n'avait  que  de  très-bas  sentiments  de  sa  personne 
et  se  jugeait  indigne  d'une  si  éminente  dignité,  ne  voulut  point  se  charger 
d'un  fardeau  si  pesant  que  celui  de  la  conduite  des  âmes  ;  il  se  trouvait 
assez  embarrassé  par  l'administration  du  bien  temporel  qui  n'est  que  pour 
les  corps.  Quelque  instance  donc  que  pût  faire  le  primat,  jamais  Théophile 
n'y  put  consentir,  si  bien  que  l'on  fut  contraint  d'en  élire  un  autre  à  cause 
de  son  refus. 

Cependant,  comme  le  monde  est  plein  de  médisants,  et  qu'il  se  trouve 
des  Judas  dans  les  plus  saintes  compagnies,  quelques  personnes  envieuses 
décrièrent  ce  trésorier  auprès  du  nouvel  évêque,  et  lui  en  donnèrent  de  si 
mauvaises  impressions,  qu'il  le  destitua  de  son  emploi,  et  le  renvoya  en  sa 
maison  pour  ne  vaquer  plus  qu'à  ses  affaires  particulières,  sans  se  mêler 
davantage  de  celles  de  l'Eglise.  Voilà  donc  Théophile  qui  mène  chez  lui  une 
vie  privée  ;  mais  comme  il  n'est  rien  de  plus  pernicieux  à  un  homme  d'es- 
prit que  l'oisiveté,  le  démon  ne  manqua  pas  de  lui  suggérer  des  sentiments 
de  vengeance  et  le  désir  d'avoir  raison  des  mauvaises  langues  qui  l'avaient 
perdu.  Pour  ce  sujet,  il  alla  trouver  un  juif  qui  faisait  profession  de  magie, 
et  qui  était  connu  pour  tel  en  la  ville.  Ce  juif  le  voyant,  en  fut  extrêmement 
étonné,  parce  que  chacun  l'estimait  comme  un  homme  de  bien  ;  mais  ayant 
appris  le  sujet  de  sa  venue,  il  lui  donna  heure  de  le  venir  retrouver  la  nuit 
suivante,  l'assurant  qu'il  aurait  toute  satisfaction.  Théophile  n'y  manqua 
pas,  et  le  magicien  le  conduisit  en  une  certaine  place  de  la  ville  où  tous  les 
magiciens  s'étaient  assemblés,  et  où  le  démon  faisait  au  milieu  d'eux  l'office 
d'un  roi.  Lorsqu'ils  y  furent  arrivés,  le  démon  se  fit  instruire  de  ce  que  de- 
mandait ce  nouvel  assistant.  Ensuite,  il  lui  commanda  de  renier  Jésus-Christ 
et  Marie  sa  mère,  et  lui  promit  que,  s'il  le  faisait,  il  lui  donnerait  l'accom- 
plissement de  ses  désirs.  Ce  malheureux,  que  la  passion  emportait,  se  pros- 
terna aux  pieds  du  démon,  l'adora,  et,  renonçant  à  Jésus-Christ  et  à  Marie, 
donna  sa  renonciation  par  écrit  signée  de  son  sang  et  scellée  de  son  cachet. 

Après  cela,  il  s'en  retourna  avec  son  magicien,  étant  très-content  de 
celte  action,  par  laquelle  il  se  croyait  déjà  au-dessus  de  ses  ennemis.  En 
effet,  dès  le  jour  suivant,  l'évêque  qui  d'ailleurs  reconnut  la  fausseté  des 
rapports  qu'on  lui  avait  faits  de  son  économe,  le  rétablit  en  son  premier 
office,  et  déposa  celui  qu'il  avait  mis  en  sa  place  :  ce  qu'il  fit  en  présence 
du  clergé  et  du  peuple  avec  tout  l'honneur  possible,  jusqu'à  lui  demander 
pardon  de  ce  qui  s'était  passé,  et  de  ce  qu'il  avait  si  facilement  ajouté  foi  à 
la  médisance.  Ainsi  Théophile,  se  voyant  d'autant  plus  honoré  qu'on  l'avait 
méprisé,  et  croyant  que  le  bonheur  lui  venait  de  l'assistance  du  démon,  en 
rendait  mille  actions  de  grâces  à  ce  méchant  juif  magicien  et  partisan  du 
démon.  Cependant,  Dieu,  qui  ne  désire  point  la  mort  du  pécheur,  mais  qu'il 
se  convertisse  et  qu'il  vive,  ne  voulut  pas  priver  pour  jamais  Théophile  des 
fruits  de  tant  de  bonnes  œuvres  et  de  tant  de  charités  qu'il  avait  faites  aux 


SAINT  THÉOPHILE,    PÉNITENT.  255 

pauvres,  et  des  services  qu'il  avait  rendus  à  l'Eglise  ;  il  lui  donna  donc  un  grand 
remords  et  un  vif  repentir  de  sa  faute  ;  de  sorte  que  rentrant  en  lui-même, 
il  commença  à  s'affliger  par  des  jeûnes,  par  des  veilles  et  par  d'autres  péni- 
tences, et  à  prier  sans  cesse  la  divine  bonté  de  lui  pardonner  ce  crime. 

«  Hélas  !  I)  disait-il,  «  misérable  que  je  suis,  où  irai-je  pour  trouver  mon 
salut?  Malheureux  !  qui  me  fera  miséricorde?  Moi,  qui  ai  renié,  môme  par 
écrit,  mon  Seigneur  Jésus-Christ  et  sa  très-sainte  Mère,  et  qui  me  suis  fait 
l'esclave  de  Satan  par  ma  propre  signature,  hélas  !  me  voilà  perdu  ;  misé- 
rable, qui  ai  quitté  la  lumière  éternelle  pour  me  plonger  dans  les  ténèbres. 
Cest  moi-même  qui  suis  la  cause  de  ma  ruine,  et  qui  me  suis  procuré  la 
mort.  Où  irai-je?  à  quel  asile  aurai-je  recours?  qui  voudra  me  donner 
secours  ?  Ah  !  âme  misérable,  quel  malheur  t'esl-il  arrivé  !  »  Comme  il  rou- 
lait ces  pensées  et  d'autres  semblables  en  lui-même,  le  Saint-Esprit  lui  en 
suggéra  une  qui  lui  fut  très-avantageuse  :  c'était  de  recourir  à  la  Mère  de 
miséricorde,  qui  est  le  plus  puissant  asile  des  désolés  et  le  port  le  plus  assuré 
des  pécheurs,  et  qui  ne  ferme  jamais  son  sein  charitable  à  personne,  quel- 
que criminel  qu'il  puisse  être,  quand  il  se  jette  entre  les  bras  de  sa  bonté. 
Afin  donc  d'obtenir  plus  aisément  sa  faveur,  ce  pauvre  pénitent  se  réfugia  à 
la  porte  du  temple  de  la  très-sainte  Vierge  ;  là,  ayant  persévéré  quarante 
jours  en  des  jeûnes,  en  des  veilles  et  en  des  prières  continuelles,  et  affligé 
son  corps  par  tous  les  actes  de  pénitence  qu'il  se  put  imaginer,  il  eut  enfin 
le  bonheur  de  voir  la  sainte  Mère  de  Dieu  lui  apparaître  la  nuit,  en  habits 
de  Reine,  mais  avec  une  contenance  pleine  de  majesté  et  un  visage 
sévère. 

D'abord  elle  lui  fit  ce  reproche  :  «  Pourquoi ,  malheureux,  es-tu  si 
effronté  que  de  t'adresser  à  moi,  après  m' avoir  reniée  si  lâchement  en  pré- 
sence de  mon  eimemi  ?  Encore  serait-ce  peu  de  chose  si  tu  n'avais  offensé 
que  ma  personne,  moi  qui  suis  la  Mère  de  miséricorde,  et  qui  pardonne 
aisément  mes  propres  injures  ;  mais  je  ne  saurais  souffrir  que  tu  aies  aussi 
renié  mon  cher  Fils,  qui  est  ton  Dieu  et  ton  Sauveur.  Comment  veux-tu 
qu'après  cela  je  me  présente  à  lui  pour  le  prier  en  ta  faveur  ?  »  Théophile 
ne  perdit  point  courage  après  un  si  sanglant  reproche,  et,  se  confessant 
indigne  de  toute  grâce,  il  lui  représenta  un  grand  nombre  de  pécheurs  qui 
avaient  enfin,  par  leur  pénitence,  obtenu  le  pardon  de  leur  faute,  comme 
les  Ninivites,  Rahab,  Da^id,  saint  Pierre  et  saint  Paul,  et,  depuis  peu,  saint 
Cyprien,  premièrement  magicien,  et  ensuite  martyr  de  Jésus-Christ  ';  il 
suppliait  son  extrême  bonté,  avec  un  cœur  véritablement  contrit,  de  vouloir 
le  mettre  de  ce  nombre,  en  lui  obtenant  le  pardon  de  son  crime.  La  sainte 
Vierge,  touchée  de  ses  paroles,  lui  promit  sa  protection,  s'il  voulait  confes- 
ser et  reconnaître  Jésus-Christ,  qu'il  avait  renié  avec  tant  d'impiété  pour  le 
Fils  de  Dieu  et  le  Juge  des  vivants  et  des  morts  ;  ce  que  Théophile  fit  d'un 
esprit  parfaitement  pénitent,  le  visage  contre  terre  et  fondant  en  larmes  ; 
et  la  divine  Marie,  de  son  côté,  ayant  reçu  cette  satisfaction,  lui  promit  son 
assistance  et  disparut,  le  laissant  au  pied  de  son  image,  dont  il  ne  pouvait 
détourner  les  yeux,  car  c'était  l'endroit  d'où  il  attendait  son  salut. 

La  nuit  suivante,  cette  Reine  de  miséricorde  lui  apparut  une  seconde 
fois,  l'assurant  que  son  Fils  avait  reçu  ses  larmes,  ses  pénitences  et  ses 
prières,  et  qu'il  obtiendrait  un  jour  le  salut  étemel,  s'il  conservait  jusqu'à 
la  fin  la  véritable  foi  dans  son  cœur.  Théophile  fut  extrêmement  consolé  de 
cette  assurance  ;  mais  il  était  toujours  fort  en  peine  de  cette  promesse  qu'il 
avait  écrite  et  signée  de  son  sang.  C'est  pourquoi  il  redoubla  plus  que  jamais 

1.  Voii  sa  26  septembre. 


256  4   FÉVRIER. 

ses  prières  et  ses  larmes  auprès  de  sa  bouue  et  puissante  avocate,  afin  qu'elle 
le  retirât  des  mains  du  démon. 

En  effet,  au  bout  de  trois  jours  elle  lui  apparut  en  songe  et  lui  rapporta 
son  billet,  qu'il  trouva  à  son  réveil  posé  sur  sa  poitrine.  Il  se  leva  sur  l'heure, 
et,  comme  c'était  un  jour  de  dimanche,  il  s'en  alla  à  l'église  ;  et  là,  après 
l'Evangile,  il  se  prosterna  aux  pieds  de  l'évoque,  confessa  publiquement  son 
péché,  lui  fit  le  récit  de  tout  ce  qui  s'était  passé  et  des  faveurs  de  la  très- 
sainte  Vierge,  qui  lui  avait  rendu  son  billet,  et  le  supplia  instamment  de  le 
vouloir  faire  lire  tout  haut  sur  le  pupitre,  afin  que  chacun  l'entendît.  L'évo- 
que prit  de  là  sujet  de  faire  une  belle  exhortation  au  peuple,  sur  l'incom- 
préhensible miséricorde  de  Dieu,  et  sur  la  très-puissante  intercession  de 
Marie,  qui  est,  disait-il,  le  véritable  pont  pour  faire  passer  les  hommes  à 
Dieu,  l'espérance  des  désespérés  et  l'asile  assuré  de  ceux  qui  seraient  perdus. 
Après  l'exhortation,  il  commanda  à  Théophile  de  se  lever  et  d'approcher  de 
l'autel  pour  se  réconcilier  ;  mais  il  refusa  de  le  faire  avant  que  son  billet  fût 
déchiré  et  brûlé,  ce  qui  fut  fait  à  l'heure  même  ;  et  aussitôt  tout  le  peuple 
s'écria  durant  un  long  espace  de  temps  :  Miséricorde,  Seigneur  I  Miséricorde  I 
Enfin,  tous  ces  cris  étant  apaisés  par  le  silence  que  l'évèque  imposa  à  tous 
les  assistants,  il  poursuivit  le  saint  sacrifice  de  la  messe,  à  la  fin  duquel  il 
communia  Théophile,  et  lui  donna  le  corps  et  le  sang  de  Jésus-Christ.  La 
présence  et  la  réception  de  son  Dieu  lui  dilata  le  cœur  et  lui  causa  une  si 
grande  joie  qu'elle  parut  jusque  sur  son  visage,  que  l'on  vit  briller  comme 
un  soleil  ;  et  les  cantiques  d'actions  de  grâces  et  de  louanges  recommencè- 
rent dans  toute  l'assemblée. 

Ensuite  Théophile  s'en  retourna  dans  ce  premier  temple  de  Notre-Dame, 
où  il  avait  reçu  tant  de  faveurs  du  ciel.  Mais,  s'y  étant  quelque  peu  reposé, 
il  tomba  malade  d'une  fièvre  qui  le  délivra  en  trois  jours  de  cette  vie  de 
misères  pour  lui  donner  l'entrée  de  la  bienheureuse,  qui  ne  finira  jamais. 
Son  corps  fut  enterré  en  ce  même  lieu. 

C'est  ce  qu'en  écrit  Métaphraste,  de  qui  Surius  a  emprunté  son  récit. 

Qui  n'admirerait  ici  les  merveilles  de  la  divine  Providence,  et  qui  ne 
craindrait,  voyant  jusqu'en  quel  abîme  peut  tomber  un  homme  accablé  de 
tristesse  et  emporté  par  la  tentation  ?  ^lais  qui  ne  bénirait  à  jamais  la  bonté 
de  Dieu  de  nous  avoir  donné  une  très-puissante  médiatrice  en  la  sainte 
Vierge,  Mère  de  miséricorde,  et  asile  assuré  de  tous  les  pécheurs  qui  l'invo- 
quent avec  un  désir  sincère  de  se  convertir  ! 

Un  vitrail  de  Laon  le  peint  prosterné  devant  un  autel  de  Marie  et  deman- 
dant pardon  de  son  péché  '.  Le  reste  de  la  verrière  donne  l'ensemble  de  la 
légende. 

Une  verrière  de  Beauvais  représente  l'instant  où  Notre-Dame  rapporte  à 
Théophile  contrit  l'engagement  que  le  diable  lui  avait  fait  signer  *. 

La  cathédrale  de  Paris  a  un  tout  petit  tympan  consacré  à  la  reproduction 
de  cette  légende  que  le  moyen  âge  a  répétée  avec  affection  comme  témoi- 
gnage du  titre  que  l'Eglise  donne  à  Marie,  en  l'appelant  Refuge  des  pécheurs. 
On  voit  à  la  ligne  inférieure  le  désespéré  qui  s'abouche  avec  un  magicien, 
puis  avec  un  démon.  Près  de  là  il  se  prosterne  devant  une  image  de  Marie 
et  obtient  que  le  diable  soit  forcé  de  se  dessaisir  du  billet  signé  par  lui.  Au 
sommet  le  pénitent  fait  l'aveu  de  son  crime  et  prie  l'évèque  de  lire  devant 
tout  le  monde  la  cédule  accusatrice  '. 

1.  Cf.  Mèlangi's  d'archéologie,  par  les  Plies  ilartin  et  Câbler,  t.  in,  p.  32. 

2.  Le  Pfere  Cahier  a  rcprodait  cette  verrière  dans  ses  caracléristigues,  p.  59. 

8.  Le  Père  Cailler  a  reproduit  ce  tympan  de  la  porte  rouge  d'après  la  Beuue  archMoijiqve  de  Paru, 
année  ies«,  p.  622,  pi,  249. 


SAIKT    AKDRE   GORSIOT,   REUGIEUX.  257 

SAINT  ANDRÉ  CORSINI,  RELIGIEUX, 

ÉVÊQUE  DE  FIÉSOLE 


1302-1373.  —  Papes  :  Boniface  Vlllj  Grégoire  XI.  —  Empereurs  d'Allemagne  :  Albert  I"  : 

Charles  IV. 


Le  meilleur  remarie  contre  les  maladies,  ce  sont  !e 
recours  a  Dieu  et  l'usage  des  sacrements. 


C'est  ici  un  fruit  de  la  grâce  plutôt  que  de  la  nature,  puisqu'il  a  été 
obtenu  par  la  force  de  la  prière.  Son  père  s'appelait  Nicolas,  et  sa  mère 
Pèlerine,  l'un  et  l'autre  de  la  noble  et  ancienne  famille  des  Corsini,  à  Flo- 
rence. Ils  vécurent  longtemps  en  leur  mariage,  sans  ressentir  les  effets  de  la 
bénédiction  divine  ;  ayant  entendu  un  prédicateur  rappeler  ces  paroles  de 
l'Exode  :  «  Ne  mets  aucun  retard  à  offrir  à  Dieu  les  dîmes  et  les  prémices  », 
ils  promirent  à  Dieu  de  lui  consacrer  le  premier  de  leurs  enfants,  s'il  leur  en 
donnait.  Ils  firent  ce  vœu  à  l'insu  l'un  de  l'autre  dans  l'église  des  Carmes, 
devant  une  image  de  la  sainte  Vierge  que  l'on  appelait  Notre-Dame  du 
Peuple.  De  retour  à  la  maison,  ils  se  communiquèrent  ce  que  chacun  avait 
promis  de  son  côté,  et  se  mettant  à  genoux,  ils  renouvelèrent  ensemble 
leur  promesse.  La  Mère  de  Dieu,  dont  l'heureuse  fécondité  a  procuré  le  salut 
au  monde,  exauça  leurs  vœux.  Un  enfant  leur  fut  donné  qu'ils  nommèrent 
André,  parce  qu'il  vint  au  monde  le  jour  de  saint  André.  Sa  mère  eut  un 
songe  la  veille  qu'elle  l'enfanta  ;  il  lui  sembla  qu'elle  avait  mis  au  monde  un 
louveteau,  qui,  s'étant  retiré  dans  l'église  ,  s'était  changé  aussitôt  en  un 
agneau.  Et  comme  elle  ne  comprit  pas  alors  ce  que  voulait  dire  ce  songe, 
elle  en  eut  longtemps  de  la  peine.  Ses  pieux  parents  prirent  un  grand  soin 
de  l'élever  en  la  vertu,  et  de  l'avancer  dans  les  sciences,  comme  un  enfant 
déjà  consacré  au  service  de  la  Vierge.  Mais  il  ne  répondit  guère  à  leurs  dé- 
sirs; car,  laissant  le  chemin  de  la  piété,  il  se  jeta  dans  le  libertinage.  Il 
excitait  à  tout  moment  des  querelles,  perdait  le  respect  envers  son  père  et 
sa  mère,  se  moquait  de  ce  qu'ils  lui  disaient,  passait  tout  son  temps  au  jeu, 
aux  académies,  à  la  chasse  ;  en  un  mot,  il  ne  pensait  qu'à  se  donner  du 
plaisir,  sans  se  mettre  en  peine  de  son  salut  :  de  sorte  qu'il  fit  voir,  par  de 
tristes  effets,  la  faiblesse  de  la  nature,  et  combien  elle  est  portée  au  mal, 
quand  elle  n'est  pas  puissamment  retenue  par  la  crainte  de  Dieu. 

Cependant,  un  jour  qu'il  semblait  être  au  dernier  degré  de  ses  débau- 
ches, ayant  traité  sa  mère  d'une  manière  outrageante,  cette  femme  lui  dé- 
couvrit le  songe  qu'elle  avait  eu  à  son  sujet  :  «  Tu  es  assurément  »,  lui  dit- 
elle,  «  ce  loup  dont  j'ai  songé  avant  que  de  t'enfanter  ».  André,  étonné  de 
ces  paroles,  comme  un  homme  qui  se  réveille  d'un  profond  sommeil,  sup- 
plia sa  mère  de  lui  dire  de  quel  loup  et  de  quel  songe  elle  lui  voulait  parler. 
Alors,  elle  lui  raconta  le  vœu  que  son  père  et  elle  avaient  fait  de  consacrer 
leur  premier-né  au  service  de  Dieu  et  de  sa  très-sainte  Mère  ;  comment, 
lorsqu'elle  le  portait  dans  son  sein,  elle  avait  songé  qu'elle  mettrait  au 
monde  un  loup,  qui  était  entré  dans  l'église  où  il  avait  changé  aussitôt  de 
Vies  des  Saints.  —  Tome  U.  17 


238  4  FÉATUER. 

forme,  et  était  devenu  un  agneau  ;  elle  ajouta  qu'elle  reconnaissait  mainte- 
nant par  ses  œuvres  qu'il  était  ce  loup,  mais  qu'elle  espérait  le  voir,  avec  le 
temps,  plus  doux  qu'un  agneau,  puisqu'il  était  né,  non  pas  pour  servir  les 
hommes,  mais  pour  ôlre  consacré  au  service  de  la  divine  Marie.  Ces  paroles 
de  Pèlerine  eurent  tant  d'efficacité  sur  André,  qu'il  se  repentit  et  Itfi 
demanda  pardon  ;  toute  la  nuit  il  pensa  à  la  sainte  Vierge. 

Le  lendemain  il  entra  de  bonne  heure  dans  l'église  des  Carmes,  et,  pros- 
terné devant  l'image  de  Notre-Dame  du  Peuple,  il  faisait  cette  prière  : 
«  Glorieuse  vierge  Marie,  voici  le  loup  dévorant  et  plein  d'iniquités  qui  vous 
adresse  ses  humbles  prières  :  comme  vous  avez  enfanté  l'agneau  sans  tache 
dont  le  sang  nous  a  rachetés  et  purifiés,  faites  qu'il  me  purifie  de  telle  sorte 
et  change  tellement  ma  cruelle  nature  de  loup,  que  je  devienne  un  agneau 
docile,  pour  lui  être  immolé  et  vous  servir  dans  votre  très-saint  Ordre  ».  Il 
persévéra  dans  cette  prière  jusqu'à  la  neuvième  heure,  le  visage  baigné  de 
larmes.  Alors  il  se  leva  et  alla  prier  le  supérieur  du  monastère,  qui  était  le 
provincial  des  Carmes  en  Toscane,  de  le  recevoir  parmi  eux.  Le  provincial 
répondit  :  «  Dites-moi,  mon  fils,  d'où  vient  cette  volonté,  puisque  vous  êtes 
de  race  noble  et  que  rien  ne  vous  manque?  »  André  lui  dit  :  (c  C'est  l'œuvre 
du  Seigneur  et  de  mes  parents,  qui  ont  fait  vœu  de  me  consacrer  pour  tou- 
jours en  ce  lieu  à  l'honneur  de  la  sainte  Vierge  ».  —  «  Attendez  quelques 
moments»,  répondit  le  provincial,  «  dans  peu  je  vous  donnerai  une  réponse». 
Aussitôt  il  avertit  ses  parents  et  assembla  ses  religieux.  Le  père  et  la  mère 
d'André,  qui  ne  savaient  ce  qu'il  était  devenu,  eurent  une  grande  joie  de 
cette  nouvelle  ;  ils  accoururent  à  l'église,  où  la  mère  s'écria  :  «  Voilà  mon 
Bils  qui,  de  loup,  est  devenu  agneau  ».  André  Corsini  reçut  donc  l'habit  de 
Carme  l'an  1318,  avec  la  bénédiction  de  son  père  et  de  sa  mère. 

Pour  éprouver  la  constance  du  jeune  novice,  on  lui  enjoignait  les  offices 
les  plus  bas,  comme  de  balayer  la  maison,  de  garder  la  porte,  de  servir  à 
table,  de  laver  les  éciielles  à  la  cuisine.  André  regardait  tout  cela  comme 
une  gloire.  Il  vaquait  surtout  au  silence  et  à  l'oraison.  Tourné  en  dérision 
par  plusieurs  de  ses  proches  et  par  ses  compagnons  de  plaisir,  il  le  suppor- 
tait avec  patience  et  sans  rien  dire.  Un  jour  que,  pendant  le  dîner  de  ses 
frères,  André  gardait  la  porte,  quelqu'un  vint  y  frapper  avec  grande 
instance.  André,  regardant  par  la  petite  fenêtre,  vit  un  personnage  bien 
vôtu,  accompagné  de  plusieurs  domestiques,  qui  lui  dit  d'une  voix  impé- 
rieuse :  «  Ouvre  bien  vite,  car  je  suis  de  tes  parents,  et  je  n'entends  pas  que 
tu  restes  avec  ces  gueux  ;  et  c'est  aussi  la  volonté  de  ton  père  et  de  ta  mère, 
qui  t'ont  promis  pour  époux  à  une  fille  très-belle  ».  André  lui  répondit  :  «  Je 
n'entends  pas  ouvrir,  parce  qu'il  m'a  été  ordonné  par  l'obéissance  de  n'ou- 
vrir à  personne  sans  permission  :  je  ne  crois  pas  que  vous  soyez  de  mes  pa- 
rents, car  je  ne  vous  ai  jamais  vu  ;  et  si  je  sers  ici  ces  humbles  frères,  Jésus- 
Christ  lui-môme  s'est  fait  homme  pour  nous  servir  ;  je  ne  crois  pas  non  plus 
que  ce  soit  la  volonté  de  mon  père  et  de  ma  mère  que  je  sorte  d'ici,  car  ce 
sont  eux  qui  m'y  ont  voué  à  Dieu,  à  la  Vierge,  service  dont  je  me  réjouis 
souverainement;  je  crois  au  contraire  que  vous  êtes  des  parents  du  diable  ». 
L'autre  reprit:  «  Je  te  prie,  André,  ouvre-moi  un  moment,  pour  que  je  cause 
avec  toi  de  certaines  choses,  car  le  prieur  ne  le  verra  point  ».  André  répli- 
qua :  «  Et  quand  le  prieur  ne  le  verrait  pas,  il  y  a  Dieu  au-dessus  de  lui,  qui 
scrute  les  cœurs  et  de  qui  personne  ne  peut  se  cacher.  C'est  pour  l'amour 
de  lui  que  je  garde  la  porte,  afin  qu'il  me  garde  lui-même  et  me  soit  en 
aide  ».  En  parlant  ainsi,  André  se  munit  du  signe  de  la  croix.  Aussitôt  le 
tentateur,  qui  n'était  autre  que  le  malin  esprit,  disparut  comme  un  éclair 


SAEST   A^^)RÉ    CORSIKI,    RELIGIEUX.  259 

fétide.  André  rendit  grâces  à  Dieu  de  cette  victoire  :  il  en  devint  plus  fort  et 
plus  parfait. 

Ayant  fait  profession  après  un  an,  avec  la  bénédiction  de  tous  les  reli- 
gieux et  de  ses  parents,  il  redoubla  de  ferveur  dans  la  pratique  des  vertus, 
particulièrement  de  l'humilité.  Sa  joie  était  de  servir  les  pauvres  et  les  ma- 
lades, se  souvenant  de  cette  parole  du  Seigneur  :  «  Ce  que  vous  avez  fait  au 
moindre  des  miens,  c'est  à  moi  que  vous  l'avez  fait  ».  Jamais  il  ne  manquait 
aux  heures  saintes  :  nuit  et  jour,  il  était  le  premier  au  chœur  ;  jamais  il  ne 
résistait  au  commandement  des  supérieurs  ;  plus  on  lui  commandait,  plus  il 
en  avait  de  joie.  Pour  ne  pas  perdre  un  moment,  il  était  assidu  à  l'étude  des 
lettres  sacrées.  Un  jour  il  demanda  au  provincial,  comme  une  très-grande 
grâce,  d'aller  à  la  croix  tous  les  vendredis.  Ce  jour-là  il  prenait  la  discipline 
jusqu'au  sang,  et  puis,  un  panier  pendu  au  cou,  il  allait  dans  la  grande  rue, 
au  milieu  des  nobles  et  de  ses  proches,  mendier  du  pain  et  des  aumônes. 
Ses  proches,  persuadés  que  cela  se  faisait  pour  leur  faire  honte,  en  étaient 
indignés,  et  recommandaient  à  tout  le  monde  de  se  moquer  de  lui  et  de  lui 
dire  des  injures.  Lui,  au  contraire,  s'en  allait  tout  joyeux,  disant  en  lui- 
même  :  Mon  Seigneur  Jésus-Christ,  étant  injurié,  n'injuriait  point;  étant 
accablé  de  souffrances,  il  ne  s'en  irritait  point.  André  fuyait  la  société  des 
femmes  et  les  paroles  légères.  Sa  récréation  était  le  jardin  et  la  solitude  de 
sa  chambre  ;  son  paradis  était  l'égUse,  l'arbre  de  vie  le  crucifix,  la  terre 
sainte  la  vierge  Marie.  Il  était  d'une  abstinence  et  d'une  austérité  extraor- 
dinaires; outre  les  jeûnes  de  l'Eglise  et  de  l'Ordre,  il  jeûnait  au  pain  et  à 
l'eau  les  lundis,  les  mercredis,  les  vendredis  et  les  samedis  pour  l'amour  de 
la  Mère  de  Dieu.  Il  domptait  sa  chair  par  un  très-rude  cilice,  avec  lequel  il 
dormait  toujours  sur  la  paille. 

Unissant  l'étude  des  belles-lettres  à  celle  de  la  vertu,  il  devint  aussi  bon 
prédicateur  qu'excellent  religieux  et  se  montra  aussi  puissant  en  œuvres 
qu'en  paroles. 

Un  de  ses  proches  était  tourmenté  d'un  mal  de  jambe  qui  lui  rongeait 
les  chairs.  Pour  faire  diversion  à  ses  douleurs,  il  se  li\Tait  au  jeu,  et  sa 
maison  était  un  rendez-vous  de  joueurs.  Un  jour  de  vendredi,  comme  André 
était  sorti  pour  demander  l'aumône,  il  alla  le  trouver  et  lui  dit  ;  «  Mon 
oncle  Jean,  voulez-vous  être  guéri?»  Jean  lui  répondit:  «  Va-t-en,  men- 
diant, tu  penses  te  moquer  de  moi  ».  André  lui  repartit  :  «  Ne  vous  troublez 
pas,  mon  oncle;  mais  si  vous  voulez  guérir,  acquiescez  à  mes  conseils  ». 
Jean,  revenu  à  des  sentiments  plus  humbles,  dit  alors  :  «  Je  ferai  tout  ce 
que  tu  voudras,  pour'.'u  que  cela  soit  possible  » .  André  dit  :  «  Si  vous  voulez 
être  guéri,  je  veux  que  pendant  septjours  vous  vous  absteniez  de  jouer,  que 
vous  en  jeûniez  sis,  et  que  pendant  sept  vous  disiez  sept  Pater  et  sept  Ave, 
avec  le  Salve  Regina,  et  je  promets  que  la  glorieuse  Vierge  obtiendra  de  son 
Fils  votre  guérison  ».  Quoique  Jean  fût  un  homme  indévot,  toutefois,  enten- 
dant cet  agneau  et  voyant  sa  simplicité,  il  prit  sur  lui  de  promettre  de  faire 
tout  cela,  et  il  le  fit  en  effet,  quittant  le  jeu,  priant  et  jeûnant.  Le  septième 
jour,  qui  était  le  samedi,  André  alla  lui  demander  comment  il  se  portait. 
Jean  répondit  :  «  Vous  êtes  vraiment  un  ami  de  Dieu,  je  n'ai  plus  mal  ;  je 
puis  marcher  comme  un  jeune  homme,  tandis  que  précédemment  j'étais 
toujours  couché  ».  André  lui  dit  :  «  Allons  au  couvent  »,  et  Os  vinrent 
devant  l'image  de  la  sainte  Vierge,  et  y  prièrent  ensemble  à  genoux.  Après 
la  prière,  André  dit  :  «  Mon  oncle,  déliez  maintenant  votre  jambe,  car  elle 
est  entièrement  guérie  ».  En  effet,  au  lieu  d'être  rongée  jusqu'aux  os,  les 
chairs  étaient  comme  celles  d'un  jeune  enfant.  Jean  devint  dès  lors  tout  a 


260  4  FÉvrjER. 

fait  pieux  et  dévot,  ne  cessant  de  rendre  grâces  à  Dieu  et  à  la  sainte  Vierge. 

André  fut  ordonné  prêtre  l'an  1328.  Ses  parents  avaient  déjà  tout  arrangé 
pour  la  célébration  do  sa  première  messe,  qu'ils  avaient  dessein  de  rendre 
très-auguste;  mais  l'humble  religieux  déconcerta  tous  leurs  projets.  Il  se 
retira  dans  un  petit  couvent  à  sept  milles  de  Florence,  oîi,  sans  être  connu 
de  personne,  il  offrit  à  Dieu  les  prémices  de  son  sacerdoce,  avec  un  recueil- 
lement et  une  dévotion  extraordinaires.  Aussitôt  après  la  communion,  la 
sainte  Vieitre  lui  apparut,  disant  :  «  Tu  es  mon  serviteur,  je  t'ai  choisi,  et  je 
serai  glori^ée  en  toi  ».  André  n'en  devint  que  plus  humble. 

A  quelque  temps  de  là,  les  supérieurs  l'envoyèrent  à  Paris,  où  il  acheva 
le  cours  de  ses  études,  puis  il  retourna  en  Italie  ;  en  passant  par  .\vignon,  il 
y  trouva  Pierre  Corsini,  évêque  de  Volaterra,  son  parent,  qui  depuis  fut  fait 
cardinal  par  le  pape  Urbain  V.  11  s'y  arrêta  quelques  jours  avec  lui  et  rendit 
la  vue  à  un  aveugle  qui  demandait  l'aumône  à  la  porte  d'une  église.  Etant 
de  retour  à  Florence,  il  guérit  un  religieux  de  son  Ordre  qui  était  malade 
d'hydropisie.  Par  ces  miracles  la  sainteté  du  P.  .\ndré  fut  peu  à  peu  mani- 
festée ;  mais  Dieu  la  rendit  encore  plus  éclatante  par  le  don  de  prophétie  ; 
car,  ayant  été  prié  par  un  de  ses  amis  d  être  parrain  de  son  fils,  comme  il 
tenait  l'enfant  entre  ses  bras  pendant  la  cérémonie,  il  se  mit  à  pleurer  :  le 
père  de  l'enfant  lui  en  demanda  la  cause,  et  le  Saint  répondit,  après  en 
avoir  été  fort  pressé  :  «  Je  pleure  de  ce  que  cet  enfant  est  né  pour  sa  perte 
et  pour  la  ruine  de  sa  maison  ».  Et  cela  arriva  en  effet,  parce  que  ce  mal- 
heureux conjura  contre  sa  patrie  et  fut  exécuté  par  les  mains  d'un  bour- 
reau, et  tous  ceux  de  sa  race  privés  avec  infamie  des  offices  et  dignités  de  la 
ville.  Après  son  voyage,  il  fut  élu  prieur  du  couvent  de  Florence.  11  s'ac- 
quitta si  bien  de  cette  charge,  à  la  satisfaction  de  tout  le  monde,  qu'on  le 
jugea  digne  d'en  posséder  de  plus  considérables  ;  l'occasion  s'en  présenta, 
quoique  longtemps  après,  de  la  manière  suivante  : 

La  ville  de  Fiésole,  à  une  lieue  de  Florence,  pour  lors  très-belle  et  très- 
riche,  mais  présentement  ruinée,  ayant  perdu  son  évêque,  le  clergé  élut  en 
sa  place,  d'un  commun  consentement,  le  P.  André.  Ce  choix  étant  venu  à  sa 
connaissance,  il  s'enfuit  si  secrètement  en  la  Chartreuse  de  Florence,  que 
les  chanoines,  désespérant  de  le  trouver,  commençaient  à  penser  à  l'élec- 
tion d'un  autre.  Mais  la  Providence  divine  avait  déjà  choisi  celui  que  les 
hommes  avaient  nommé  et  qui  se  cachait  de  peur  d'être  évoque  :  lorsqu'on 
était  sur  le  point  de  recueillir  les  voix  pour  en  élire  un  autre,  un  enfant  de 
trois  ans  environ,  entrant  dans  l'assemblée  malgré  les  électeurs,  dit  tout 
haut  :  «  Dieu  a  choisi  André  pour  prélat  ;  il  est  en  oraison  à  la  Chartreuse, 
vous  l'y  trouverez  ».  Cet  oracle  les  empêcha  de  passer  outre.  En  même 
temps,  un  jeune  enfant,  vêtu  de  blanc,  apparut  au  Saint  tandis  qu'il  faisait 
ses  prières,  et  lui  dit  ces  paroles  :  «  Ne  crains  pas,  André,  parce  que  je 
serai  ton  gardien,  et  Marie  sera  en  toutes  choses  ton  aide  et  ta  protectrice  ». 
Le  Saint  se  mit  en  chemin  pour  aller  où  Dieu  l'appelait,  et,  rencontrant 
ceux  qui  le  venaient  chercher,  il  s'en  alla  avec  eux  à  l'église,  au  grand  conr 
tentement  de  tout  le  peuple. 

L'épiscopat  ne  lui  fit  point -diminuer  ses  mortifications;  au  contraire,  il 
déclara  une  nouvelle  guerre  à  son  corps  et  augmenta  ses  austérités;  car,  non 
content  de  porter  toujours  la  haire  sur  le  dos,  il  prit  encore  une  ceinture 
de  fer,  et  chaque  jour,  après  avoir  récité  les  sept  Psaumes  de  la  pénitence,  il 
se  disciplinait  jusqu'au  sang  en  disant  les  litanies.  Son  lit  était  fait  de  sar- 
ments de  vigne.  Il  était  si  économe  de  son  temps,  qu'il  ne  donnait  pas 
un  moment  de  la  journée  à  la  récréation,  pour  ne  pas  le  dérober  aux 


SAINT   .iXDRÉ   CORSINI,   RELIGIEnX.  261 

actions  plus  importantes  et  plus  sérieuses.  Il  ne  parlait  aux  femmes  que  le 
moins  qu'il  pouvait,  et  ne  prêtait  jamais  l'oreille  aux  flatteurs.  Il  avait  eu 
toute  sa  vie  le  cœur  fort  tendre  et  fort  facile  à  être  touché  de  compassion 
pour  les  misères  d'autrui  ;  c'est  pourquoi  il  fit  faire  la  liste  des  pauvres,  et 
particulièrement  des  honteux,  afin  de  les  secourir  tous  secrètement.  Dieu 
lui  fit  connaître  qu'il  agréait  sa  charité  et  ses  aumônes,  parce  que,  durant 
la  famine,  ayant  un  jour  donné  aux  pauvres  tout  le  pain  qui  était  dans  son 
logis,  comme  il  survenait  d'heure  h  autre  de  nouveaux  demandeurs,  il  fut 
miraculeusement  pourvu  d'une  grande  quantité  de  pain  pour  distribuer  à 
ces  affamés.  A  l'imitation  de  Notre-Seigneur,  qui  est  le  souverain  Maître  de 
l'humililé,  il  lavait  les  pieds  aux  pauvres  le  jeudi  de  chaque  semaine,  à  quoi 
il  prenait  un  plaisir  extraordinaire.  Un  jour  il  se  présenta  un  pauvre  avec 
les  jambes  pleines  d'ulcères  ;  il  ne  voulait  pas  permettre  que  le  Saint  les  lui 
touchât  ;  mais  André  l'emporta  enfin  malgré  sa  résistance,  et,  à  peine  eût-il 
achevé  de  les  essuyer,  que  le  pauvre  se  trouva  entièrement  guéri. 

S'il  avait  tant  de  soin  de  traiter  les  corps,  il  ne  faut  pas  douter  qu'il  n'en 
eût  encore  davantage  de  repaître  et  de  sustenter  les  âmes  :  c'est  en  cela  que  sa 
charité  pouvait  Être  appelée  victorieuse  et  triomphante;  car  elle  lui  donnait 
des  inventions  pour  renouer  les  amitiés  et  pour  apaiser  toutes  sortes  de  dis- 
sensions. Aussi  le  pape  Urbain  V  jeta  les  yeux  sur  lui  pour  l'envoyer  comme 
nonce  à  Bologne,  qui  était  pleine  de  factions.  André  apaisa  fort  heureuse- 
ment les  esprits,  ralliant  la  noblesse  avec  le  peuple  par  un  nœud  de  paix  et 
de  charité  mutuelle,  et  leur  procurant  par  ce  moyen  le  bonheur  de  la  tran- 
quillité publique  ;  ce  qui  remplit  de  joie  toute  cette  célèbre  ville.  Outre  le 
soin  qu'il  avait  de  pourvoir  aux  besoins  des  âmes  et  des  corps  de  ses  ouailles, 
comme  étant  les  temples  spirituels  de  Jésus-Christ,  il  travailla  aussi  à  réparer 
les  temples  matériels,  et  fît  rebâtir  son  église  cathédrale  qui  menaçait  ruine. 
Enfin,  ayant  atteint  l'âge  de  soixante  et  onze  ans,  comme  il  célébrait  la 
grand'messe  la  nuit  de  i^oël,  la  très-sainte  Vierge  lui  apparut  et  l'avertit 
que,  le  jour  des  Rois,  il  sortirait  de  ce  monde  pour  entrer  dans  la  céleste 
Jérusalem,  afin  d'y  voir  face  \  face  cet  adorable  Maître  qu'il  avait  servi  avec 
tant  de  fidélité.  Ces  nouvelles  si  agréables  ayant  épanoui  admirablement 
son  cœur,  il  célébra  les  deux  autres  messes  de  cette  sainte  fête  avec  tant 
d'allégresse  intérieure,  qu'elle  rejaillit  sur  son  visage  :  il  ne  paraissait  pas 
moins  vermeil  que  celui  d'un  homme  en  pleine  santé,  quoiqtfc  ordinaire- 
ment il  fût  fort  pâle  et  livide,  à  cause  de  ses  austérités.  Dès  le  lendemain,  la 
fièvre  le  prit  ;  ce  qu'il  fit  savoir  à  un  de  ses  amis,  appelé  Gui,  chanoine  de 
son  église,  l'assurant  qu'il  irait  bientôt  en  la  maison  de  Dieu.  Il  mit  le  meil- 
leur ordre  qu'il  lui  fut  possible  aux  affaires  de  son  évôché,  et,  le  jour  de 
l'Epiphanie,  s'étant  fait  apporter  le  Psautier,  il  récita  avec  les  assistants  les 
trois  symboles  :  celui  des  Apôtres,  celui  de  Nicée  et  celui  qu'on  nomme  de 
saint  Athanase  ;  ensuite,  quoique  le  soleil  ne  fût  pas  encore  levé,  il  fit  aussi 
clair  dans  sa  chambre  que  s'il  eûtété  midi.  Enfin  le  Saint,  disant  dévote- 
ment ce  verset  du  cantique  de  saint  Siméon  :  «  C'est  maintenant.  Seigneur, 
que  vous  laissez  aller  votre  serviteur  en  paix  selon  votre  parole  »,  rendit 
paisiblement  sa  bienheureuse  âme  le  6  janvier,  l'an  1373,  étant  âgé  de 
soixante-douze  ans,  le  treizième  de  son  épiscopat. 

Depuis  son  décès.  Dieu  a  souvent  manifesté  la  gloire  de  son  âme,  soit 
par  des  miracles  faits  à  son  sépulcre,  soit  par  des  victoires  que  les  Floren- 
tins ont  obtenues  par  son  intercession.  Par  suite  de  ces  merveilles,  le  Saint- 
Siège  avait  été  plusieurs  fois  supplié  de  vouloir  procéder  à  sa  canonisation, 
de  sorte  qu'il  passait  déjà  pour  Saint,  dès  le  temps  d'Eugène  IV,  qui  permit 


262  4   FÉVRIEB. 

qu'on  en  célébrât  une  fête  solennelle,  dans  l'église  du  Mont-Carmcl,  à  Flo- 
rence, et  dans  tout  le  diocèse  de  Fiésole  ;  mais  enfin,  après  plusieurs  pour- 
suites, le  pape  Urbain  VUI  fit  le  décret  solennel  de  sa  canonisation,  l'an 
1629,  le  22  avril.  Sa  fête  a  été  transférée  au  4  février.  —  Le  pape  Clé- 
ment XII,  qui  était  de  la  même  famille,  et  le  marquis  de  Corsini,  son  neveu, 
ont  orné  magnifiquement  la  chapelle  où  l'on  garde  le  corps  de  notre  Saint, 
dans  un  beau  tombeau  de  marbre  blanc.  Cette  cbapelle  est  dans  l'église  des 
Carmes  de  Florence.  Le  même  Pape  fît  encore  bâtir  à  Saint-Jean  de  Latran 
une  chapelle  magnifique  et  digne  de  la  première  église  du  monde  qu'il 
dédia  sous  l'invocation  de  saint  André  Corsini  et  où  il  voulut  être  enterré. 
L'église  de  Saint-Jean  de  Latran  est  l'église  paroissiale  du  pape,  et  par  consé- 
quent la  cathédrale  de  la  chrétienté. 

1°  On  le  représente  souvent  tenant  sa  crosse;  près  de  lui  sont  couchés  à 
terre  le  loup  et  l'agneau  aperçus  par  sa  mère  en  songe;  2°  Il  dit  la  messe,  et 
la  sainte  Vierge  lui  apparaît  pour  lui  annoncer  que  Jésus-Christ  l'attend  au 
ciel  le  jour  de  l'Epiphanie;  3°  Il  paraît  au-dessus  d'un  champ  de  bataille 
porté  soit  par  les  nuages,  soit  par  un  blanc  palefroi.  Cette  manière  rappelle 
son  intervention  miraculeuse  dans  un  combat  victorieux  livré  par  les  Floren- 
tins aux  habitants  de  Picininno.  —  Etienne  de  la  Belle  a  donné  sa  canoni- 
sation dans  une  suite  de  vingt  et  une  planches  '. 

Sa  vie  se  trouve  élégamment  écrite  au  premier  tome  de  Stirius.  qui  l'a  tirée  d'un  manuscrit  de  l'atbaye 
de  Rougeval  ;  c'est  de  là.  et  d'un  autre  manuscrit  de  la  bibliothèque  dn  Vatican  publia- par  le  lï.  P. 
Dominique  de  Jésus  Maria,  des  Carmes  déchaussés,  que  nous  avons  tiré  le  pen  que  nous  venons  d'eu 
dire.  Bollandus  rapporte  l'un  et  l'autre  au  13  janvier. 


SAINTE  JEMNE  DE  VALOIS,  YEUVE 

1505.  —Pape  :  Jules  II.  —  Roi  de  France  :  Louis  XII. 


Filia  Franeonm  régis,  goror,  unague  eonjvXf 
Et  non  fulsa  toro,  Joanna  ego  mater  eram. 

Je  suis  Jeanne,  fille,  sœur,  épouse  des  rois  de  France, 
Je  ne  suis  jamais  montée  dans  le  Ht  nuptial,  et 
cependant  je  devais  être  mère  111 

Légende  dn  testament  de  la  bo>me  duchesse. 

Cette  bienheureuse  princesse  naquit  dans  la  pourpre  et  au  milieu  des  lis 
l'an  t464.  Fille  de  Louis  .\I  ',  roi  de  France,  sœur  de  Charles  VIII,  épousedu 
duc  d'Orléans,  qui  monta  lui-même  sur  le  trône,  Jeanne  paraît  n'avoir  été 
élevée  si  haut  que  pour  mieux  sentir  le  poids  de  l'infortune  ;  mais  Dieu 
proportionna  ses  consolations  et  ses  secours  aux  souffrances  de  la  royale 
victime.  11  pansa  lui-même  les  blessures  de  son  âme,  et  lui  donna  cette 
merveilleuse  fécondité  qui  enrichit  l'Eglise  d'un  nouvel  Ordre  religieux. 

Jeanne  reçut  de  sa  mère,  Charlotte  de  Savoie,  les  premières  leçons  de  la 
sagesse  chrétienne.  Répondant  à  la  tendre  sollicitude  dont  elle  était  l'objet, 

1.  Voir  à  la  Bibliotlièqne  mazarlne,  n«  4778  (ïs;,  f»  C4,  et  an  Cabinet  des  Estampes  de  Paris,  t.  ter. 
f»  147-H8. 

2.  Sainte  Jeanne  appartient  à  la  Tonraine  par  son  enfance  qui  s'écoaU  presque  entièrement  au  cbâteau 
d'Ambûise,  et  au  Berry  par  sa  mort. 


SAINTE   JEA^\NE   DE   V.VLOIS,    Vr.in'E.  283 

liientôt  elle  montra  cette  sainte  précocité  de  la  vertu  qui  est  le  résultat 
d'une  bonne  éducation,  autant  que  d'une  nature  portée  au  bien.  A  cinq  ans, 
elle  priait  sa  gouvernante  de  la  conduire  à  l'église,  et  déjà,  par  ses  discours 
et  ses  exemples,  elle  édiûait  Charles  son  frère,  et  Anne  sa  sœur,  avec  les- 
quels elle  fut  élevée  au  château  d'Amboise. 

Charlotte  de  Savoie  bénissait  le  Seigneur  d'avoir  mis  dans  le  cœur  de  sa 
1:11e  de  si  h-cureuses  dispositions;  mais  il  n'en  était  pas  ainsi  de  Louis  XI  :  il 
s'opposa  souvent  aux  pieux  exercices  de  Jeanne,  et  la  menaça  même  de  sé- 
vères châtiments,  si  elle  continuait  à  les  pratiquer.  Ce  père  imprudent  for- 
mait ainsi  de  ses  propres  mains  le  premier  anneau  de  cette  chaîne  de  dou- 
leurs, qui  allait  composer  toute  la  vie  de  cette  vertueuse  princesse.  A  un 
âge  si  tendre,  et  dans  un  si  grand  péril,  Jeanne  ne  pouvait  espérer  sur  la 
terre  un  appui  proportionné  à  sa  faiblesse  :  aussi  chercha-t-elle  ailleurs  une 
main  pour  la  défendre,  une  lumière  pour  diriger  ses  pas.  Se  jetant  un  jour 
dans  les  bras  de  Marie  avec  un  amour  et  une  confiance  sans  bornes  :  «  0  ma 
mère,  lui  dit-elle,  enseignez-moi  vous-même  ce  qu'il  faut  que  je  fasse  pour 
vous  plaire  davantage  ».  Celle  que  l'on  n'invoque  jamais  en  vain  daigna  lui 
répondre  en  ces  termes  :  «  Mon  enfant,  sèche  tes  pleurs,  un  jour  tu  fuiras 
ce  monde  dont  tu  crains  les  dangers,  et  tu  donneras  naissance  à  un  Ordre 
de  saintes  religieuses  occupées  à  chanter  les  louanges  de  Dieu,  et  fidèles  à 
marcher  sur  mes  traces  » . 

Après  cette  faveur,  que  tous  les  écrivains  de  la  vie  de  notre  Sainte  se 
plaisent  à  raconter,  la  jeune  princesse  parut  ne  goûter  de  bonheur  que  dans 
la  solitude.  Elle  ne  quittait  ses  appartements  que  pour  aller  adorer  Jésus- 
Christ  dans  son  sanctuaire.  Par  des  sacrifices  volontaires,  elle  travaillait  à  se 
rendre  digne  de  correspondre  aux  desseins  de  Dieu  sur  elle,  et  acquérait  la 
force  de  résister  aux  coups  de  l'adversité.  Elle  entretenait  un  saint  com- 
merce avec  les  personnes  consacrées  à  Dieu;  leurs  exemples,  leurs  conseils 
et  leurs  prières  l'affermissaient  dans  ses  généreuses  résolutions.  C'est  ainsi 
qu'elle  conférait  souvent  avec  saint  François  de  Paule  que  son  père  avait 
appelé  du  fond  de  l'Italie  à  sa  cour.  Elle  dut  quelquefois,  par  obéissance 
aux  ordres  du  roi,  assister  aux  fêtes  de  la  cour;  mais  elle  y  porta  toujours 
une  si  grande  modestie,  elle  veilla  si  bien  sur  tous  les  mouvements  de  son 
cœur,  et  fut  si  efficacement  protégée  par  la  Reine  des  Vierges,  qu'elle  eut  le 
bonheur  d'échapper  à  tous  les  dangers. 

Dépourvue  des  agréments  extérieurs  que  tout  le  monde  recherche, 
Jeanne  avait  reçu,  en  échange,  des  biens  mille  fois  plus  précieux  :  elle  était 
douée  d'un  caractère  noble  et  vraiment  royal  ;  elle  possédait  un  cœur  com- 
patissant, et  une  force  d'âme  qui  lui  permettait  de  souffrir  les  plus  grands 
maux,  sans  proférer  une  plainte;  elle  ne  redoutait  qu'une  chose  :  encourir, 
par  le  péché,  la  disgrâce  du  di\in  Maître.  Ce  malheur  est,  en  effet,  le  seul 
que  les  chrétiens  doivent  redouter,  car  il  est  le  seul  qui  soit  irréparable. 

Jeanne  se  disposait  à  quitter  la  cour,  et  à  entrer  dans  un  monastère  pour 
consacrer  à  Dieu  sa  virginité,  lorsqu'un  ordre  du  roi.  aussi  affligeant  qu'inat- 
tendu, vint  l'empêcher  de  consommer  son  sacrifice.  Louis  XI,  consultant  les 
intérêts  d'une  politique  égoïste  plutôt  que  les  inclinations  de  sa  fille,  avait 
résolu  de  l'unir  au  duc  d'Orléans,  premier  prince  du  sang.  Dans  cette  extré- 
mité, Jeanne  ne  perdit  pas  courage  :  elle  se  prosterna  aux  pieds  de  son  cru- 
cifix, et  versant  des  larmes,  elle  supplia  le  Sauveur  de  lui  accorder  l'accom- 
plissement de  ses  désirs.  Sa  prière  ne  fut  pas  vaine  :  le  duc  d'Orléans,  qui 
ne  l'épousait  que  par  force,  protesta  contre  la  violence  qui  lui  était  faite  ;  et 
loin  de  porter  atteinte  à  la  pureté  de  la  princesse,  il  ne  s'étudia  qu'à  lui 


264  4   FÉMIIER. 

donner  des  marques  de  son  indifférence,  et  môme  de  son  mépris  et  de  sa  haine. 

Détournée  de  sa  sainte  vocation,  mariée  par  ordre  d'un  père  qui  ne  l'ai- 
mait pas,  au  duc  d'Orléans,  dont  l'aversion  pour  elle  était  manifeste,  Jeanne 
n'opposa  aux  injustices  et  aux  mauvais  traitements  dont  elle  était  l'objet, 
que  la  bonté,  la  douceur  et  le  pardon.  Ce  fut  aux  sollicitai  ions  de  cette 
princesse  auprès  de  Charles  VIll,  que  le  duc  d'Orléans,  coupable  d'avoir  pris 
les  armes  contre  l'Etat,  dut  sa  grâce,  et  put  sortir  de  la  prison  où  il  gémis- 
sait depuis  trois  ans;  mais  cet  époux  ingrat  ne  fut  pas  plus  tôt  monté  sur  le 
trône,  après  la  mort  de  Charles  VIll,  qu'il  Qt  annuler  son  mariage  avec  sa 
libératrice.  Louis  XII  jura  qu'il  avait  été  contraint  de  se  marier  avec  Jeanne, 
et  qu'il  n'avait  jamais  habité  avec  elle.  Là-dessus,  le  Pape  rompit  le  mariage. 

La  Sainte  accepta  comme  un  bienfait  la  rupture  des  liens  qui  l'atta- 
chaient au  roi  :  «  Béni  soit  »,  dit-elle,  «  le  Seigneur  qui  a  permis  cette  sépa- 
ration, pour  m'aider  à  le  mieux  servir  que  je  ne  l'ai  fait  jusqu'ici  !  » 
Puis,  elle  se  retira  dans  la  ville  de  Bourges  que  le  roi  lui  avait  donnée 
pour  apanage  avec  plusieurs  autres  domaines,  et  une  pension  de  douze 
mille  écus. 

A  la  nouvelle  de  la  répudiation  de  la  reine  Jeanne,  un  mécontentement 
général  éclata  dans  Paris  et  dans  tout  le  royaume.  Pour  elle,  échappée  aux 
filets  d'un  monde  dont  elle  détestait  les  plaisirs  et  les  maximes,  elle  se  ré- 
jouissait d'une  disgrâce  qui  lui  permettait  de  se  livrer  aux  nobles  inspira- 
tions de  son  cœur.  Ses  adieux  à  son  époux  furent  touchants  :  ils  n'expri- 
maient ni  reproche,  ni  regret,  mais  une  vive  reconnaissance  et  une  tendre 
sollicitude  pour  son  bonheur.  «  Je  vous  dois  de  la  gratitude  »,  lui  dit-elle, 
((  comme  à  un  libérateur,  puisque  vous  m'avez  retirée  de  la  dure  servitude 
du  siècle.  Pardonnez-moi  les  torts  que  j'ai  pu  avoir  envers  vous.  Je  veux  les 
expier  en  consacrant  ma  vie  à  prier  pour  vous  et  pour  la  France  ». 

Jeanne  fut  accueillie  par  les  habitants  de  Bourges,  comme  une  bienfai- 
sante protectrice  que  le  ciel  leur  envoyait  pour  les  édifier,  les  consoler  et  les 
soulager  dans  leurs  peines.  Elle  passa  paisiblement  dans  cette  ville  le  reste 
de  ses  jours  en  des  œuvres  de  dévotion  et  de  piété,  et  édifia  toute  la  France 
par  la  sainteté  de  sa  vie.  Elle  macérait  son  corps  tendre  et  délicat  par  des 
haires  et  des  cilices.  Elle  ne  mangeait  que  des  mets  les  plus  vils  et  les  plus 
grossiers;  et  pour  les  jours  maigres,  elle  s'abstenait  entièrement  de  beurre 
et  d'œufs,  et  de  toute  autre  chose  qui  provient  de  chair.  Sa  piété  et  sa  com- 
passion étaient  admirables  envers  les  pauvres,  et  principalement  envers  les 
malades,  qu'elle  faisait  soigneusement  assister  par  ses  médecins;  elle  leur 
appliquait  même  de  ses  mains  royales  des  remèdes,  d'oti  suivaient  souvent 
des  guérisons  miraculeuses. 

Nous  avons  déjà  parlé  de  ses  conférences  avec  saint  François  de  Paule. 
Tant  qu'elle  demeura  à  la  cour,  elle  se  servit  des  conseils  de  ce  saint  homme 
pour  la  conduite  de  sa  conscience,  comme  le  roi  son  père  le  lui  avait  expres- 
sément recommandé  à  l'article  de  la  mort;  mais  ne  le  pouvant  plus  faire 
de  vive  voix,  parce  qu'elle  en  était  éloignée,  elle  continua  de  le  faire  par 
lettres.  Elle  le  consulta  particulièrement  touchant  le  dessein,  qu'elle  lui 
avait  autrefois  communiqué,  d'établir  une  nouvelle  congrégation  de  filles 
en  l'honneur  de  l'Annonciation  de  la  sainte  Vierge  Marie,  ainsi  que  cette 
môme  Mère  de  Dieu  le  lui  avait  révélé.  Quand  elle  fut  bien  confirmée  par  les 
résolutions  du  saint  homme,  elle  fit  connaître  son  dessein  au  Père  Gilbert 
Nicolaï,  d'autres  l'appellent  Gilbert  Nicolas,  de  l'Ordre  de  Saint-François 
d'Assise,  son  confesseur,  qui,  par  un  bref  du  pape  Alexandre  VI,  fut,  depuis, 
nommé  Gabriel-Marie,  à  cause  de  sa  grande  dévotion  au  mystère  de  l'An- 


SAINTE   JEANTCE   DE   TALOIS,    VEUYE,  2G5 

nonciation'.  Ce  saint  personnage,  qui  ne  fut  pas  d'abord  de  cet  avis,  repré- 
senta à  son  Altesse  royale  qu'elle  ferait  mieux  de  suivre  l'exemple  de  la 
feue  reine  Charlotte  de  Savoie,  sa  mère,  qui  avait  établi  les  filles  de  Sainte- 
Claire  au  monastère  de  l'Ave  Maria,  dans  Paris.  La  vertueuse  princesse  lui 
fit  une  réponse  pleine  de  courage  et  de  confiance  en  Dieu  :  «  Si  c'est  »,  dit- 
elle,  «  la  volonté  de  Jésus-Christ  et  de  la  Vierge  Marie,  ils  m'assisteront  assu- 
rément dans  toutes  les  oppositions  et  toutes  les  difficultés  qui  s'y  pourront 
rencontrer  ». 

Deux  ans  s'écoulèrent  en  ces  retardements;  mais  à  la  fin  de  ce  temps,  la 
sainte  duchesse,  étant  tombée  en  une  maladie  très-grave  et  très-opiniàtre, 
avertit  son  confesseur  que  la  seule  opposition  qu'il  mettait  à  son  religieux 
dessein  en  était  la  cause.  En  effet,  ce  Père  s'étant  rendu  à  la  volonté  de  la 
Sainte,  aux  avis  qu'elle  avait  reçus  du  ciel,  elle  commença  à  se  mieux  por- 
ter, et  à  reprendre  peu  à  peu  ses  premières  forces,  et  recouvra  enfin  une 
parfaite  santé.  Elle  commença  donc  son  établissement,  et  nomma  ce  même 
confesseur  premier  Père  gardien  sur  toutes  les  filles  qui  embrasseraient  cette 
nouvelle  congrégation;  et  elle  lui  donna  la  commission  de  choisir  celles  qu'il 
jugerait  les  plus  propres  pour  y  servir  Jésus  et  Marie,  sa  très-sainte  Mère. 

Il  y  en  eut  un  grand  nombre  qui  s'estimèrent  très-heureuses  de  pouvoir 
apprendre  la  piété  sous  la  conduite  d'une  si  sage  princesse  ;  mais  avant  de 
les  recevoir,  elle  voulut  faire  dresser  la  règle  qu'elles  devaient  observer, 
sous  le  titre  glorieux  des  dix  plaisirs  OMdes  dix  vertus  de  la  Viei'ge.  Dès  qu'elle 
fut  faite,  elle  l'envoya  à  Rome  par  le  Père  Guillaume  Morin,  insigne  pré- 
dicateur du  même  Ordre  de  Saint-François,  pour  supplier  Sa  Sainteté  de 
l'approuver;  mais  il  s'y  rencontra  tant  de  difficultés,  que  ce  religieux, 
jugeant  l'affaire  impossible,  revint  en  France  et  n'apporta  qu'un  refus  à  la 
Duchesse.  Elle  ne  perdit  pas  néanmoins  courage  ;  sachant  que  les  affaires 
qui  regardent  l'honneur  de  Dieu  et  de  sa  sainte  Mère  ne  s'établissent  ordi- 
nairement que  par  la  patience  et  par  la  force  des  prières,  elle  redoubla  les 
siennes  avec  toute  la  ferveur  possible.  Et,  pour  les  rendre  plus  puissantes 
auprès  de  Dieu,  elle  yjoignit  celles  de  toutes  les  bonnes  âmes  qu'elle  con- 
naissait en  France.  Ensuite  elle  envoya  son  confesseur  à  Rome  ;  mais  il  ne 
trouva  pas  plus  de  facilité  pour  l'affaire  de  la  Duchesse,  qu'avait  fait  le  Père 
Morin  :  au  contraire,  tout  semblait  s'opposer  à  ses  desseins,  jusqu'à  ce  que 
le  cardinal  Jean-Baptiste  Ferrier,  évêque  de  Modène,  personnage  d'un  très- 
grand  savoir  et  d'une  insigne  piété,  qui  était  de  grande  autorité  à  la  cour 
de  Rome,  fort  chéri  et  honoré  du  pape  Alexandre,  dont  il  était  aumônier, 
envoya  quérir  ce  religieux,  pour  lui  dire  qu'il  voulait  prendre  sa  cause  en 
main,  et  qu'il  avait  eu  sur  ce  sujet  une  vision  du  martyr  saint  Laurent  et 
de  saint  François,  qui  lui  commandaient  de  poursuivre  la  confirmation  de 
cette  sainte  règle.  En  effet,  le  Pape,  apprenant  cette  vision,  et  d'ailleurs 
étant  extrêmement  édifié  de  la  constante  résolution  du  Père  Gabriel  et  de  la 
piété  d'une  si  grande  princesse  de  la  maison  de  France,  fille  et  sœur  de  rois, 
approuva  enfin  et  confirma  la  règle,  le  13  février  1301  '. 

Pendant  ce  voyage  de  Rome,  la  Duchesse  ne  perdit  point  de  temps  ;  elle 
obtint  du  roi  la  permission  de  faire  bâtir,  en  telle  ville  de  son  royaume 

1.  Le  P.  Gilbert  Nicolas,  cordelier,  plus  connn  sous  le  nom  de  Gabriel  Marie,  mourut  en  odeur  de 
sainteté,  le  27  août  1532,  dans  le  couvent  des  Annonciades  de  Rodez,  l'un  des  plus  anciens  de  rOvdre. 

2.  Les  religieuses  de  cet  Ordre,  connues  sous  le  nom  A' Amonciaiies,  portent  nu  habit  propre  il  leur 
rappeler  l'esprit  de  leur  ëtat.  n  se  compose  d'une  robe  grise,  d'un  scapulaire  d'e'carlate,  d'une  simarre 
bleue  et  d'un  manteau  blanc.  Ces  vêtements  figuraient  la  pénitenciî,  la  passion  de  J&ns-Clirist,  le  ciel 
auquel  elles  devaient  penser  sans  cesse  et  la  virginité  dont  elles  avaient  fait  vœu.  La  supérieure  s'appelait 
par  humilité  AncèUe,  c'est-'a-dire  servante- 


266  ■*   >"!;VRIER. 

qu'elle  voudrait,  des  maisons  et  des  monasitres  de  l'Ordre  qu'elle  désirait 
établir,  et  d'y  fonder  des  églises.  Et,  de  plus,  elle  travailla  à  la  réforme  d'un 
couvent  de  religieuses  de  l'Ordre  de  Saint-Benoît,  qui  ne  vivaient  pas  selon 
l'esprit  et  l'institution  de  ce  grand  Patriarche;  elle  en  vint  à  bout  par  sa  grande 
prudence  et  par  la  fermeté  de  son  zèle,  toujours  soutenu  de  la  grâce  de  Dieu. 

On  ne  saurait  exprimer  la  joie  que  reçut  la  sainte  Princesse  quand  elle 
apprit  que  le  souverain  Pontife  avait  approuvé  sa  règle,  et  accordé  plusieurs 
beaux  privilèges,  grâces  et  indulgences  à  l'Ordre  qu'elle  voulait  fonder.  Elle 
en  fit  rendre  grâces  à  Dieu,  non-seulement  par  ses  filles,  mais  aussi  par  les 
âmes  dévotes  de  Bourges  et  par  tous  les  monastères  de  celte  même  ville. 
Elle  reçut  la  règle  avec  une  incroya!;le  allégresse  ;  et,  pour  le  faire  avec 
une  espèce  de  solennité,  elle  se  fît  accompagner  de  ses  dames  et  de  ses 
demoiselles,  et  de  toutes  les  filles  qui  désiraient  prendre  le  voile.  Il  n'y  en 
eut  qu'une  qui  ne  put  se  trouver  à  cette  cérémonie,  parce  qu'elle  était  au 
lit,  malade  d'une  grosse  fièvre  ;  mais  on  ne  lui  eut  pas  plus  tôt  posé  le  livre 
de  la  règle  sur  la  tête,  que,  la  fièvre  cessant  à  l'heure  môme,  elle  se  trouva 
parfaitement  guérie  :  ce  qui  servit  d'une  évidente  preuve  que  cette  règle 
était  sainte  et  inspirée  de  Dieu. 

Après  cela,  elle  ne  pensa  plus  qu'à  trouver  un  lieu  propre  pour  y  bâtir 
un  couvent.  Elle  fit  acquisition  d'un  terrain  appartenant  aux  chanoines  de 
Moj'en-Moutier,  où  elle  fit  faire  le  plan  de  l'église  et  des  autres  bâtiments. 
Guillaume  de  Cambrai,  archevêque  de  Bourges,  en  posa  la  première  pierre 
avec  les  cérémonies  ordinaires,  et  la  conduite  des  constructions  fut  donnée 
à  l'écuyer  de  la  Duchesse,  appelé  Amé  Georges,  jusqu'à  ce  qu'elles  fussent 
en  état  de  loger  des  religieuses. 

Plusieurs  miracles,  qui  arrivèrent  lorsqu'on  travaillait  à  cette  sainte 
maison,  firent  assez  voir  que  Dieu  en  était  le  principal  Conducteur  et  le 
souverain  Architecte,  car  des  manœuvres  se  trouvèrent  ensevelis  sous  une 
montagne  de  terre  sans  en  recevoir  de  mal.  De  gros  quartiers  de  terre  tom- 
bèrent sur  quatorze  ou  quinze  maçons,  et  pas  un  n'en  fut  blessé.  Un  autre 
fut  emporté  par  une  grosse  pierre  qu'il  voulait  jeter  dans  les  fondements, 
mais  il  se  releva  de  sa  chute  et  n'en  fut  point  blessé. 

Que  si  la  sainte  Duchesse  avait  soin  de  l'édifice  temporel  de  son  monas- 
tère, elle  n'apportait  pas  une  moindre  diligence  à  préparer  des  pierres 
vivantes  pour  le  temple  spirituel  qu'elle  prétendait  édifier  à  la  divine  Ma- 
jesté. Pour  cet  effet,  elle  choisit  cinq  filles  des  plus  vertueuses,  auxquelles 
elle  fit  prendre  l'habit  le  8  octobre,  l'an  1302.  Et  ce  fut  par  celles-ci  que 
commença,  à  Bourges,  l'Ordre  de  l'Annonciade,  dit  des  dix  plaisirs  ou  des 
dix  vertus  de  la  Vierge  :  l'imitation  des  dix  principales  vertus  dont  la  sainte 
"Vierge  a  été  un  parfait  modile  dans  les  différents  mystères  que  l'Eglise 
honore  chaque  année,  fut  la  Un  que  sainte  Jeanne  se  proposa  en  instituant 
son  Ordre.  Il  a  pris  le  nom  du  premier  comme  du  plus  grand  des  plaisirs  ou 
Joies  de  Marie  :  celui  de  l'Annonciatinn. 

De  Bourges  l'Ordre  s'est  répandu  en  plusieurs  endroits.  Les  cinq  pre- 
mières filles  furent  bientôt  suivies  de  plusieurs  autres  qui,  animées  de 
l'amour  de  Jésus  et  de  Marie,  renoncèrent  de  bon  cœur  à  tous  les  vains 
plaisirs  des  créatures.  Mais  la  principale  et  la  première  professe  de  toutes, 
ce  fut  la  sainte  princesse  :  elle  s'obligea  à  la  règle  qu'elle  avait  établie,  le 
jour  de  la  Pentecôte  suivant,  l'an  1503.  Depuis,  elle  ne  disposa  plus  de  rien, 
c'esl-à-dire  ni  de  ses  biens  ni  de  sa  personne,  sans  la  permission  du  supé- 
rieur général  de  son  Ordre. 

Elle  avait  une  dévotion  si  tendre  envers  le  Saint-Sacrement  de  l'Autel, 


SAINTE   JEAKS'E   DE   VALOIS,    VEUVE.  267 

qu'elle  ne  le  recevait  jamais  que  toute  baignée  de  larmes  :  son  amour  pour 
Dieu  était  si  tendre,  qu'on  la  croj'ait  quelquefois  malade  lorsque  son  cœur 
était  saisi  des  langueurs  divines.  Son  oraison  était  sublime,  et  souvent  elle 
y  était  ravie  en  extase.  Un  jour,  durant  la  sainte  messe,  comme  elle  était 
dans  un  ravissement,  Jésus-Christ  et  la  sainte  Vierge  lui  présentèrent  deux 
cœurs  dans  un  plat,  Jésus-Christ  lui  disant  en  souriant  d'y  mettre  aussi  le 
sien.  Mais  la  bienheureuse  fut  fort  étonr,  e  lorsque,  l'ayant  cherché,  elle 
s'aperçut  qu'elle  n'en  avait  plus,  parce  qu'il  était  plus  parfaitement  uni  à 
celui  de  Jésus  qu'à  son  propre  corps. 

Etant  sur  la  quarantième  année  de  sa  vie,  elle  vit  bien  par  la  diminution 
de  ses  forces  que  l'heure  de  sortir  de  ce  monde  était  proche;  sa  fin  lui  était 
présagée  par  une  maladie  de  cœur  depuis  longtemps  réputée  incurable.  Elle 
voulut  se  disposer  au  départ  pour  l'éternité  par  l'action  qu'elle  estimait  la 
plus  agréable  à  Dieu,  qui  était  l'instruction  de  ses  QUes.  En  effet,  en  la  der- 
nière visite  qu'elle  leur  fit,  elle  les  entretint  dans  un  discours  si  beau  et  si 
ardent  de  l'imitation  de  Jésus  et  de  Marie  que,  selon  le  rapport  des  personnes 
qui  l'entendirent,  jamais  ses  religieuses  n'en  avaient  entendu  traiter  avec  tant 
de  force  ni  tant  de  grâces.  Le  lendemain,  après  leur  avoir  recommandé  à 
chacune  en  particulier  et  à  toutes  en  général,  ce  qui  était  de  leur  devoir, 
elle  leur  donna  le  dernier  baiser  de  paix;  puis,  se  faisant  reconduire  en  son 
palais,  elle  commanda  que  l'on  bouchât  la  porte  qui  lui  servait  pour  passer 
au  monastère,  jugeant  bien  qu'elle  n'en  userait  plus.  Depuis  ce  jour,  qui 
était  la  fûte  de  sainte  Agnès,  elle  n'en  passa  pas  un  seul  sans  recevoir  la  sainte 
communion;  ce  qu'elle  fit  toujours  avec  de  nouvelles  ferveurs  et  des  grâces 
particulières  jusqu'au  quatrième  de  février,  qui  fut  le  dernier  de  sa  vie 
mortelle  et  le  premier  de  sa  vie  bienheureuse. 

Une  clarté  extraordinaire  parut  en  sa  chambre  à  l'instant  de  son  décès 
et  dura  bien  une  heure  et  demie  :  de  nombreux  témoins  virent  h  la  môme 
heure  une  espèce  de  nuée  extrêmement  claire  sur  l'église  de  l'Annonciade. 
Pendant  que  Jeanne  de  France  s'éteignait  au  son  lamentable  de  la  grosse 
cloche  de  la  cathédrale  de  Bourges,  une  sinistre  comète  traînait  sa  queue 
flamboyante  au-dessus  du  palais  de  Louis  XII  qui,  saisi  d'un  tardif  mais 
sincère  repentir,  se  hâta  d'écrire  aux  habitants  de  cette  ville  une  lettre  pour 
les  convier  aux  splendides  funérailles  préparées,  par  son  ordre,  à  sa  noble 
victime.  Après  sa  mort,  on  trouva  son  corps  couvert  d'un  rude  cilice  sur  sa 
chair  nue,  et  chargé  des  cinq  clous  d'argent  à  l'endroit  du  cœur,  et  d'une 
chaîne  de  fer  sur  ses  reins;  tels  étaient  les  instruments  de  pénitence  dont  la 
Sainte  se  servait.  On  la  revêtit  de  ses  habits  de  religieuse  comme  elle  l'avait 
ordonné;  mais  depuis,  par  ordre  du  roi,  elle  fut  parée  en  princesse  :  on  lui 
mit  le  chapeau  et  la  couronne  sur  la  tête,  et  le  manteau  de  velours  violet, 
semé  des  armes  de  France,  sur  les  épaules;  et,  pour  marquer  qu'elle  était 
religieuse,  le  voile  et  le  scapulaire  par  dessus. 

Ses  obsèques  furent  faites  avec  toutes  les  cérémonies  dues  à  sa  qualité 
de  princesse  du  sang,  de  fille,  de  sœur  et  d'épouse  de  rois. 

Les  détails  de  cet  enterrement  ne  sont  pas  moins  touchants.  Le  corps 
de  la  duchesse,  revêtu  du  costume  des  religieuses  de  l'Annonciade,  resta 
exposé  pendant  douze  jours  dans  une  chapelle  ardente.  Au  palais,  on  servit 
sa  table  à  plats  couverts,  comme  si  elle  vivait  encore,  et,  matin  et  soir, 
madame  de  Chaumont,  sa  dame  d'honneur,  et  son  confesseur,  le  père  Gil- 
bert Nicolas,  venaient  tristement  s'y  asseoir,  puis,  après  quelques  instants' 
d'un  religieux  silence,  se  levaient  et  faisaient  distribuer  le  service  aux  pau- 
vres qui  se  pressaient  à  la  porte. 


268  4  FÉVRIER. 

Le  21  février,  sa  dépouille  mortelle,  scellée  en  un  triple  cercueil,  fut 
conduite  à  l'Annonciade  dans  une  lilière  de  velours,  traînée  par  quatre 
mules  harnachées  d'ornements  de  deuil,  sous  un  pavillon  porté  par  quatre 
barons  du  Berry  :  Philibert  de  Beaujeu,  baron  de  Liniôres  ;  Jean  de  Calant, 
baron  de  Châteauneuf  ;  Jean  d'Aumont,  baron  de  Châteauroux,  et  un  qua- 
trième, représentant  messieurs  de  la  ville  de  Bourges. 

Après  le  service,  au  moment  où  la  bière  était  descendue  dans  le  caveau, 
l'assistance  entière  éclata  en  sanglots,  et  le  maître  d'hôtel  de  la  noble 
défunte,  en  proie  au  désespoir,  rompit  le  bàlon,  signe  distinctif  de  son 
office,  et  s'écria  : 

—  Ah!  ma  bonne  maîtresse,  je  n'aurai  donc  plus  l'honneur  de  vous  ser- 
vir! Souvenez-vous  de  votre  affligé  serviteur  ;  priez  Dieu  pour  lui  ! 

Son  corps  fut  inhumé  sous  le  chœur  des  religieuses,  où  il  a  reposé  l'espace 
de  cinquante-six  ans  sans  nulle  marque  de  corruption.  Mais  l'année  15G2,  les 
hérétiques  calvinistes  ayant  surpris  les  meilleures  villes  de  France,  et  ayant 
déclaré  la  guerre  à  toutes  les  choses  saintes  et  sacrées,  n'épargnèrent  pas  les 
précieuses  reliques  des  Saints.  Ils  brûlèrent  donc  le  corps  de  cette  bienheu- 
reuse princesse  et  en  jetèrent  les  cendres  au  vent;  mais  elles  furent  reçues 
entre  les  mains  de  la  Providence  divine  qui  leur  redonnera  la  vie  avec  l'im- 
mortalité. On  raconte  qu'à  l'approche  de  ces  impies  la  Sainte  parut  se 
réveiller  dans  sa  tombe  :  comme  ils  étaient  sur  le  point  d'accomplir  leur 
œuvre  sacrilège,  un  profond  soupir  sortit  de  sa  poitrine.  Un  furieux  qui  lui 
plongea  son  épée  dans  le  cœur  l'en  retira  tout  ensanglantée. 

La  mémoire  de  notre  Sainte  est  devenue  très-célèbre  par  un  si  grand 
nombre  de  miracles  et  de  guérisons  surnaturelles,  qu'André  Frémiot,  ar- 
chevêque de  Bourges,  en  a  approuvé  jusqu'à  cent  trente,  que  l'on  peut 
voir  dans  un  livre  imprimé  l'an  1618. 

Le  pape  Benoît  XIV  approuva,  pour  l'Ordre  de  Saint-François,  le  culte  de 
Jeanne  de  Valois,  établi  de  temps  immémorial.  Sur  la  demande  de  Louis  XV, 
on  commença  une  procédure  pour  sa  canonisation;  elle  fut  canonisée  sous 
Louis  XVI,  le  20  avril  1775.  Pie  VI,  qui  gouvernait  alors  l'Eglise,  donna  un 
décret  en  forme  de  bref  pour  déclarer  qu'il  était  certain  que  Jeanne  avait 
pratiqué  les  Vertus  chrétiennes  dans  un  degré  héroïque  :  il  étendit  son  culte 
à  toute  la  France. 

L'Ordre  des  Annonciades  de  France  comptait  au  siècle  dernier  plus  de 
quarante    maisons  :  quelques-unes  ont  été  rétablies  de  nos  jours. 

On  a  souvent  peint  près  de  sainte  Jeanne  l'enfant  Jésus  qui  lui  passe  une 
bague  au  doigt  pour  faire  entendre  que  l'époux  céleste  a  remplacé  pour  elle 
le  prince  de  la  terre  qui  l'a  répudiée  '.  Une  couronne  est  à  ses  pieds  :  ce 
symbole  parle  de  lui-même.  Lorsqu'elle  a  deux  couronnes  sur  la  tête,  l'une 
est  la  couronne  de  la  royauté  et  l'autre  celle  de  la  sainteté.  On  lui  met  sou- 
vent un  cfucifix  à  la  main  pour  rappeler  sa  piété  envers  la  passion.  Retirée 
dans  un  oratoire  consacré  au  saint  sépulcre,  elle  y  répandait  d'abondantes 
larmes  sur  les  souffrances  de  Notre-Seigneur  et  se  frappait  la  poitrine  avec 
une  pierre.  On  la  représente  aussi  donnant  des  habits  aux  pauvres. 

Sa  vie  a  été  écrite  par  plusieurs  auteurs  dignes  de  foi,  mais  plus  expressément  par  Louis  Dony  d'Atti- 
ehy,  évèqne  de  Kiez.  en  Prorence,  pais  d'Antun,  en  Bourgogne,  et  par  le  R.  P.  Hilarion  de  Coste,  l'un  ef 
l'autre  de  l'Ordre  des  Minimes. 

1.  Voir  "a  la  blbUothèque  Utuariae,  n.  4778  (38J  f.  133  et  au  cabinet  des  Estampes,  t.  IT,  t.  42,  4.-,,  50. 


LE   BIE-MtEUREUX  JEAN   DE   BRITTO,    M.VUTYIl.  269 


LE  BIENHEUREUX  JEAN  DE  BRITTO,  MARTYR 

1647-1093.  —  Papes  :  Innocent  X;  Innocent  XII.  —  Rois  de  Portugal  :  Jean  IV;  Pierre  D, 


Prœdicatio  didtur  g»asi  prœdiva  actio. 
Prêcher  est  l'action  uugnste  par  excellencs. 
CoUector. 

Depuis  que  saint  François  Xavier  avait  ouvert  à  l'Evangile  les  Indes  et  le 
Japon,  d'autres  apôtres,  animés  par  son  exemple,  se  pressèrent  sur  ses 
traces  pour  cultiver  les  champs  qu'il  avait  défrichés.  Le  Bienheureux,  dont 
l'Eglise  célèbre  aujourd'hui  le  martyre,  fut  un  de  ceux  qui  le  suivirent  de 
plus  près.  Le  ciel,  qui  l'avait  appelé  à  cette  noble  carrière,  sembla  aussi  le 
former  lui-même  au.x  vertusapostoliques  et  le  préparer  à  sa  glorieuse  destinée. 

Né  à  Lisbonne,  le  1"  mars  1647,  d'une  des  plus  nobles  familles  de  Por- 
tugal, Jean  de  Britto  montra,  dès  son  enfance,  des  inclinations  et  des  qua- 
lités qui  firent  présager  les  vues  que  Dieu  avait  sur  lui  :  caractère  à  la  fois 
doux  et  ferme,  cœur  généreux,  il  ne  se  plaisait  qu'aux  choses  sérieuses  et 
aux  pratiques  de  la  religion.  Sa  vertu,  à  l'âge  de  neuf  ans,  était  déjà  assez 
forte  pour  affronter  les  dangers  de  la  cour,  lorsqu'il  j'  fut  introduit  en  qua- 
lité de  page  de  Dom  Pedro,  llls  de  Jean  IV.  Il  partagea  avec  d'autres  jeunes 
gentilshommes  les  études  littéraires  de  l'Infant,  et  il  se  distingua  parmi  ses 
compagnons  autant  par  ses  succès  que  par  sa  piété.  Tandis  que  les  autres 
ne  se  préoccupaient  que  des  honneurs  de  leur  position,  il  aspirait  déjà  à  la 
vie  apostolique  et  se  nourrissait  du  récit  des  travaux  des  missionnaires. 
Plein  d'admiration  pour  ceux  de  saint  François  Xavier,  il  conçut  pour  lui 
une  tendre  dévotion,  que  le  Seigneur  récompensa  par  des  faveurs  miracu; 
leuses.  Etant  tombé  dangereusement  malade,  il  demanda  sa  guérison  à  son 
saint  patron,  et  lui  promit  de  porter  pendant  un  an  l'habit  de  la  compagnie 
de  Jésus,  s'il  recouvrait  la  santé.  Il  obtint  cette  faveur,  et  remplit  sa  pro- 
messe. Au  bout  d'un  an,  il  déposa  ces  saintes  livrées,  mais  il  conserva  le 
désir  de  les  reprendre  pour  ne  plus  les  quitter.  En  effet,  dès  qu'il  eut  atteint 
l'âge  d'accomplir  sa  résolution,  il  se  mit  à  écarter  tous  les  obstacles  que  lui 
opposaient  sa  famille  et  la  cour,  et,  le  17  décembre  1662,  il  entra  au  novi- 
ciat de  Lisbonne. 

Vainqueur  du  monde,  Jean  de  Britto  ne  pensa  plus  qu'à  se  pénétrer  de 
l'esprit  de  Jésus-Christ  et  à  profiter  des  moyens  qu'il  trouvait  dans  son 
nouvel  état,  pour  se  former  à  la  perfection  évangélique.  Il  marcha  à  si 
grands  pas  dans  cette  voie,  qu'il  fut  pour  tous  ses  confrères  un  modèle  de 
charité,  d'humilité,  d'obéissance  et  de  ferveur. 

Sa  vertu  ne  se  démentit  point  dans  les  études  auxquelles  il  fut  appliqué 
après  les  épreuves  du  noviciat  :  au  contraire,  elles  fournirent  à  son  zèle  un 
nouvel  aliment  ;  il  s'y  livra  avec  ardeur  pour  en  tirer  toutes  les  ressources 
qu'il  devait  un  jour  employer  dans  l'exercice  du  ministère  apostolique. 
Grâce  à  de  si  saintes  intentions,  à  ses  talents,  à  son  aptitude,  à  son  applica- 
tion, il  fit  des  progrès  surprenants  dans  les  cours  de  belles-lettres,  de  philo- 
sophie et  de  théologie.  Il  n'avait  pas  encore  terminé  le  dernier  lorsqu'il 
exécuta  le  projet  qu'il  avait  depuis  longtemps  formé  de  se  consacrer  au 


270  4   FÉVIUER. 

salut  des  Indiens.  Sa  famille,  sa  parenté,  la  cour  amoncelèrent  les  difficultés 
pour  rempôcher  de  sortir  de  sa  patrie  ;  mais,  à  force  de  constance 
et  d'énergie,  il  parvint  à  les  renverser;  et  le  25  mars  1673,  il  s'embarqua 
pour  les  Indes,  avec  vingt-sept  de  ses  confrères,  qui  devaient  partager  ses 
travaux. 

La  navigation  fut  d'abord  très-heureuse  ;  mais  arrivé  sous  la  ligne,  le 
vaisseau  fut  pour  ainsi  dire  enchaîné  par  un  calme  de  plusieurs  jours.  Les 
passagers  ne  purent  résister  à  cette  atmosphère  de  feu  :  bientôt  le  navire 
n'offrit  plus  qu'un  affreux  spectacle  de  morts  et  de  mourants.  Jean  de 
Britto,  guéri  un  des  premiers,  consacra  toutes  ses  forces  au  service  des 
malades  ;  il  déploya  envers  eux  une  charité  si  généreuse,  qu'elle  lui  mérita 
le  titre  de  Nouveau  Xavier.  Cependant,  comme  des  soins  ne  suffisaient  pas  à 
tant  de  maux,  il  invoqua  le  secours  du  ciel  par  l'intercession  de  l'apôtre  des 
Indes.  Aussitôt  il  s'éleva  un  vent  favorable,  et  le  vaisseau,  reprenant  sa  course, 
arriva  au  port  de  Goa,  après  avoir  essuyé  au  cap  de  Bonne-Espérance  une 
terrible  tempête,  à  laquelle  l'arracha  aussi  la  prière  de  notre  Bienheureux. 

Le  premier  soin  des  missionnaires,  en  débarquant  à  Goa,  fut  d'aller 
remercier  sur  son  tombeau  saint  François  Xavier  de  la  protection  qu'il  leur 
avait  accordée,  et  de  le  prier  de  leur  obtenir  le  zèle  dont  il  avait  été  lui- 
même  animé.  Ce  fut  surtout  le  vœu  du  P.  de  Britto.  Il  ne  tarda  pas  à  mon- 
trer qu'il  était  animé  du  même  esprit  que  son  illustre  patron  :  en  attendant 
le  moment  d'entrer  dans  sa  mission,  il  exerça  son  zèle  dans  la  ville  de  Goa, 
auprès  des  classes  les  plus  misérables  et  les  plus  abandonnées  de  la  société. 
Les  travaux  auxquels  il  se  livra  alors  abattirent  souvent  ses  forces,  mais  ils 
enflammèrent  son  courage  et  augmentèrent  en  lui  le  désir  d'en  supporter 
encore  de  plus  grands.  Il  devait  les  trouver  dans  la  mission  du  Malabar. 

La  compagnie  de  Jésus  avait  établi,  dans  la  presqu'île  en-deçà  du  Gange, 
plusieurs  missions,  qui  étaient  partagées  en  deux  Provinces.  La  première 
embrassait  les  missions  du  Maïssour,  d'Agra,  du  Mogol,  du  Thibet,  et,  plus 
tard,  celle  de  Carnate.  Dans  la  seconde  étaient  comprises  les  missions  de 
Ceylan,  de  Méliapour,  de  Bisnagar,  de  Golconde,  du  Bengale,  du  Maduré, 
de  Travancore,  de  Zancovin  et  la  chrétienté  de  Saint-Thomas.  Ce  fut  dans  la 
mission  du  Maduré  que  le  P.  de  Britto  exerça  son  zèle. 

Dans  ce  pays,  plus  encore  que  dans  les  autres  contrées  des  Indes,  les 
missionnaires  rencontraient  de  sérieux  obstacles  dans  les  mœurs  des  Indiens, 
dans  l'horreur  que  leur  inspiraient  les  Pranguis,  c'est-à-dire  les  Européens; 
dans  l'attachement  qu'ils  avaient  pour  leurs  traditions,  leurs  usages,  leurs 
superstitions;  dans  les  mutuelles  antipathies  des  castes;  dans  la  puissante 
jalousie  des  Brahmes,  qui  formaient  la  première  ;  dans  les  chaleurs  brû- 
lantes du  climat,  dans  les  troubles  politiques,  les  guerres  intestines,  qui 
bouleversaient  continuellement  le  pays.  Pour  vaincre  tous  ces  obstacles,  les 
missionnaires  se  condamnaient  aux  plus  cruelles  privations  :  conformément 
au  conseil  de  saint  Paul,  ils  se  faisaient  tout  à  tous  pour  gagner  tout  ce 
monde  à  Jésus-Christ;  ils  adoptaient  les  usages,  les  coutumes  légitimes  des 
Indiens;  ils  s'incorporaient  aux  castes,  en  subissaient  les  lois,  pour  les 
amener  à  celles  de  l'Evangile.  Ainsi  le  P.  de  Britto  entra  dans  la  classe 
mitoyenne  des  Rajahs,  et  se  présenta  aux  peuples  du  Maduré  avec  le  titre 
elle  costume  de  Pandavam-Souami. 

Sa  mission  du  I\!aduré  s'étendait  sur  tout  le  royaume  de  ce  nom,  sur 
ceux  de  Velour,  de  Gingi,  de  Taujaour  et  du  Marava.  Les  rois  de  ces  divers 
Etats  se  faisaient  alors  une  guerre  acharnée,  et  des  bandes  ennemies  pro- 
menaient partout  le  ravage,  le  désordre,  le  pillage  et  la  mort.  Les  fléaux  de 


LE   BIENUEURECX  JEAN  DE   BRITTO,    MAKTTR.  271 

la  famine,  de  la  peste,  des  inondations,  se  réunissaient  souvent  au  fléau  de 
la  guerre  pour  dévaster  ce  malheureux  pays. 

C'était  au  milieu  de  ces  obstacles  et  de  bien  d'autres  que  les  mission- 
naires étaient  parvenus  à  fonder  de  nombreuses  chrétientés  ;  le  P.  de  Britto 
eut  aussi  à  lutter  contre  les  mêmes  difficultés  pour  maintenir  l'œuvre  de 
ses  confrères.  Quelque  grands  que  fussent  les  dangers,  ils  n'égalaient  point 
son  zélc.  Après  l'avoir  comme  essayé  dans  la  chrétienté  de  Colei,  où  il 
établit  une  admirable  ferveur,  il  fut  chargé  de  toutes  les  chrétientés  com- 
prises dans  le  district  de  Taltouvantchéri,  et  bientôt  après,  de  celles  des 
districts  du  Nord.  Dans  les  unes  comme  dans  les  autres,  il  déploya  un  cou- 
rage surhumain,  une  ardeur  infatigable,  une  charité  sans  bornes  :  conti- 
nuellement occupé  à  les  visiter,  à  les  instruire,  à  leur  distribuer  les  secours 
de  la  religion,  il  se  trouvait  surtout  parmi  les  plus  affligées  et  les  plus  mal- 
heureuses ;  le  jour,  la  nuit,  tout  son  temps  et  toutes  ses  forces  leur  étaient 
consacrés  :  souvent  il  était  obligé  de  recueillir  des  peuplades  entières  chas- 
sées par  la  guerre,  et  de  leur  créer,  dans  les  bois  ou  sur  des  montagnes 
désertes,  une  nouvelle  patrie  où  il  pourvoyait  à  leurs  nécessités  temporelles 
comme  à  leurs  besoins  spirituels.  Pour  elles  il  souffrait  la  faim,  la  soif,  les 
intempéries  du  temps,  traversait  des  fleuves  à  la  nage,  luttait  contre  la 
puissante  et  implacable  haine  des  Brahmes,  affrontait  les  persécutions  des 
tyrans,  s'exposait  aux  coups  des  sicaires  chargés  de  lui  ôter  la  vie.  Le 
Seigneur  le  délivra  des  dangers  qui  l'enveloppaient  de  toutes  parts,  ainsi  que 
des  maladies  mortelles  que  lui  causèrent  souvent  ses  excessives  fatigues  ; 
mais  il  déchargea  sa  colère  sur  les  ennemis  de  son  serviteur:  les  uns  périrent 
dans  des  fleuves  débordés,  d'autres  furent  consumés  avec  leurs  habitations 
par  le  feu  du  ciel  ;  plusieurs  trouvèrent  la  mort  dans  les  embûches  mêmes 
qu'ils  avaient  tendues  au  saint  missionnaire.  Des  châtiments  si  terribles,  les 
miracles  continuels  qu'opérait  le  P.  de  Britto,  et  les  prodiges  plus  surpre- 
nants encore  de  son  zèle,  donnèrent  à  son  ministère  une  merveilleuse 
efficacité  :  des  peuplades  entières  de  païens  se  convertissaient  à  l'Evangile, 
et  formaient  de  nouvelles  chrétientés  qui  rivalisaient  de  ferveur  avec  les 
anciennes. 

Les  supérieurs  du  P.  de  Britto,  frappés  de  ses  succès  autant  que  de  ses 
qualités  et  de  sa  sainteté,  lui  confièrent,  en  1682,  le  gouvernement  de  toute 
la  mission  du  lladuré.  L'homme  de  Dieu  ne  se  consola  de  l'honneur  de  cette 
charge  que  par  la  difficulté  de  la  remplir.  Elle  devait  en  effet  le  condamner 
aux  plus  cruelles  souffrances,  à  des  travaux  inouïs.  Jamais  le  Seigneur 
n'avait  soumis  la  mission  du  Maduré  à  de  plus  rudes  épreuves,  et  il  ne  fallait 
rien  moins  qu'un  nouveau  Xavier  pour  la  soutenir  dans  de  pareilles  cir- 
constances. Les  royaumes  qu'elle  comprenait  étaient  en  proie  à  une  anar- 
chie aQ"reuse  :  les  guerres  des  années  précédentes  avaient  brisé  bien  des 
tètes  et  des  couronnes  ;  des  vassaux  rebelles  ou  de  hardis  brigands  se  dispu- 
taient ces  débris;  les  uns  s'emparaient  d'une  ville,  d'autres  se  rendaient 
maîtres  d'une  forteresse,  tous  pressuraient  les  peuples  et  ravageaient  la  cam- 
pagne. A  la  faveur  de  ce  désordre,  il  se  formait  partout  des  bandes  de  bri- 
gands qui  offraient  leurs  services  aux  divers  partis  et  se  payaient  par  le 
pillage.  Les  Brahmes,  ces  implacables  ennemis  des  chrétiens,  profitaient  à 
leur  tour  de  la  confusion  générale  pour  assouvir  leur  haine  ;  et  comme  ils 
exert;aient  sur  les  populations  un  grand  ascendant,  les  chefs  de  tous  les 
partis,  de  toutes  les  bandes,  s'empressaient  de  se  prêter  à  leur  vengeance 
pour  obtenir  leur  appui.  Les  néophytes  étaient  donc,  dans  toute  l'étendue 
de  la  mission,  calomniés,  dénoncés,  ruinés,  chassés,  poursuivis.  La  persécu- 


272  4  FÉVRIER. 

tion  éclatait  tantôt  dans  une  chrétienté,  tantôt  dans  une  autre,  souvent 
dans  des  districts  entiers.  Quoique  le  P.  de  Britto  fût  admirablement 
secondé  par  plusieurs  de  ses  confrères,  il  volait  toujours  là  où  le  danger 
était  plus  grand  et  les  besoins  plus  pressants  :  il  soutenait  par  sa  présence  le 
courage  de  ses  enfants,  ranimait  leur  foi,  relevait  leurs  espérances,  leur 
rappelait  les  enseignements  de  notre  religion,  les  retrempait  dans  les  sacre- 
ments et  dans  les  cérémonies  du  culte,  leur  donnait  des  règles  de  conduite 
sans  cesser  de  leur  procurer  des  secours.  Quelquefois  il  leur  obtenait,  par  sa 
prudence,  les  faveurs  des  gouverneurs,  qu'il  éclairait  sur  les  impostures  des 
Brahmes  ;  mais,  plus  souvent,  il  avait  ù  partager  avec  eux  les  cruautés  dont 
les  accablait  le  fanatisme  païen,  et  il  ne  pouvait  leur  donner  d'autre  conso- 
lation que  celle  qu'il  éprouvait  lui-même  à  la  vue  de  leur  constance.  Telle 
fut,  en  peu  de  mots,  la  conduite  de  ce  grand  homme  pendant  les  quatre 
ans  que  dura  sa  charge.  Nous  ne  pouvons  ici  entrer  dans  les  détails  :  on  peut 
les  lire  dans  son  histoire  ;  il  nous  suffira  de  rappeler  brièvement  les  horri- 
bles tourments  qu'il  subit  dans  le  Marava,  la  dernière  année  de  son  admi- 
nistration. En  1669,  une  sanglante  persécution  avait  presque  anéanti  la 
chrétienté  du  royaume  de  Marava  :  les  néophytes,  qui  avaient  échappé  à  la 
mort  ou  à  l'exil,  s'étaient  réfugiés  dans  les  bois  ou  dans  les  chrétientés 
voisines  ;  mais  ensuite  ils  étaient  rentrés  peu  à  peu  dans  leur  pays  ;  ils  y 
pratiquèrent  leur  religion  en  secret,  la  transmirent  à  leurs  enfants  et  en 
étendirent  prudemment  la  connaissance  autour  d'eux.  Les  Missionnaires  du 
Maduré  suivaient  avec  attention  la  renaissance  et  les  progrès  de  la  religion 
dans  le  Marava  ;  ils  se  rendaient  souvent  sur  les  confins  de  cet  Etat,  y 
entretenaient  des  rapports  avec  les  chrétiens,  leur  envoyaient  des  catéchistes 
habiles  qui  leur  portaient,  de  leur  part,  des  enseignements  et  des  règles  de 
conduite.  Par  ces  saintes  industries  et  par  d'autres  que  suggérait  la  charité, 
la  chrétienté  du  Marava  se  reconstitua  insensiblement  et  devint  enfin  si 
nombreuse,  que  les  Brahmes,  effrayés,  entreprirent  de  renouveler  la  persé- 
cution de  1669.  Le  P.  de  Britto  en  ajant  été  averti,  courut  au  secours  de  ses 
enfants,  bien  résolu  de  partager  leurs  souffrances,  s'il  ne  pouvait  les  leur 
épargner.  Il  entra  dans  le  Marava  le  5  mai  1686.  Il  pénétra  dans  les  bois  oh 
de  nombreux  néophytes,  sous  la  direction  de  leurs  catéchistes,  se  livraient 
à  leurs  devoirs  religieux,  et  dans  d'autres  réduits,  où  ils  abritaient  leur  culte. 
11  consacra  les  jours  et  les  nuits  à  exercer  en  leur  faveur  les  fonctions  du 
ministère.  Il  essuya  des  privations,  des  fatigues  inouïes,  mais  il  en  fut 
récompensé  par  des  succès  prodigieux.  Outre  les  milliers  de  chrétiens  qu'il 
admit  aux  sacrements  de  pénitence  et  d'eucharistie,  il  eut  la  joie  de  donner 
à  l'Eglise,  en  deux  mois,  deux  mille  soixante-dix  enfants  de  plus. 

Malgré  les  précautions  que  prenaient  les  chrétiens  pour  dérober  aux 
Brahmes  la  présence  du  Père  parmi  eux,  leur  empressement  à  profiter  de 
ses  soins  et  de  ses  peines  révéla  leur  secret.  Les  Brahmes  se  mirent  donc  à 
la  recherche  du  missionnaire  et  donnèrent  l'éveil  à  toutes  les  autorités  du 
pays.  Le  P.  de  Britto,  ainsi  traqué,  ne  tarda  pas  à  tomber  entre  les  mains 
de  ses  ennemis.  Il  allait  porter  les  bienfaits  de  son  zèle  d'une  chrétienté  à 
une  autre  avec  deux  catéchistes  et  quatre  néophytes,  lorsqu'ils  furent  ren- 
contrés et  saisis  par  un  détachement  des  troupes  de  Coumarà-PouUei, 
commandant  général  des  armées  du  Marava,  qui  revenait  d'une  cérémonie 
expiatoire.  Ces  soldats,  excités  par  leur  propre  fanatisme  et  par  le  désir  de 
plaire  à  leur  chef,  se  jetèrent  avec  une  brutalité  sauvage  sur  leurs  prison- 
niers, les  accablèrent  d'outrages  et  de  coups  et  les  traînèrent  ensuite  à 
Mangalam,  où  se  trouvait  Goumarâ-Poullei.  Celui-ci,  loin  de  réprimer  cette 


I  I 


LE   BIENHEUREUX  JEAN    DE    BRTTTO,   MARTYR.  273 

insolente  soldatesque,  sembla  vouloir  lutter  avec  elle  de  grossièreté  et  de 
barbarie.  Après  avoir  accueilli  par  des  insultes  et  des  menaces  le  P.  de 
Britto  et  ses  compagnons,  il  les  fit  enchaîner  sur  la  place  publi<]ii<'  et  les 
livra,  pendant  toute  la  nuit,  à  ses  soldats  et  à  la  populace,  qui  leur  firent 
souflrir  des  traitements  inhumains.  Coumarâ-Poullei  fut  encore  plus  cruel 
que  ses  ministres:  le  lendemain,  comme  les  confesseurs  de  la  foi  ne  ces- 
saient de  louer  Jésus-Christ,  au  lieu  de  le  renier,  il  les  meurtrit  de  coups,  les 
fil  jeter  plusieurs  fois,  pieds  et  mains  liés,  dans  une  mare  d'eau  sale,  où  on 
les  laissa  jusqu'au  moment  où  ils  allaient  être  suffoqués,  puison  les  enferma 
dans  une  espèce  de  tanière,  où  ils  ne  reçurent  d'autre  soulagement  que  le 
témoignage  de  leur  conscience  et  le  secours  de  la  grice.  Le  jour  suivant, 
Goumarâ-Poullei  fit  renouveler  sur  eux  les  mêmes  tourments  et  de  plus 
cruels  encore.  Il  les  fit  ensuite  traîner  à  sa  suite  à  Caléiarcoïl  et,  de  là,  à 
Pagany,  où  il  les  condamna  à  de  nouveaux  supplices.  Le  P.  de  Britto  y  eut 
la  plus  large  part.  Par  ordre  de  Coumar.l-PouUei,  il  fut  dépouillé  jusqu'à  la 
ceinture,  et  étendu  sous  les  feux  du  soleil,  sur  une  roche  plate,  mais  semée, 
sur  sa  surface,  d'aspérités  aiguës.  Ensuite  huit  bourreaux,  armés  de  bâtons 
et  de  fouets  de  cordes,  déchargèrent  à  coups  redoublés  leurs  instruments 
sur  son  corps,  déjà  tout  couvert  de  plaies.  Lorsque  les  bourreaux  sentirent 
leurs  bras  fatigués,  ils  se  mirent  à  fouler  leur  victime,  comme  pour  la 
broyer  sous  leurs  pieds.  Ils  la  laissèrent  presque  sans  vie  exposée  aux 
ardeurs  d'un  soleil  brûlant.  Enfin  ils  la  traînèrent  par  les  cheveu.x  et  par  les 
bras  dans  un  cachot.  Les  autres  confesseurs  subirent  divers  genres  dé  tour- 
ments ;  mais  Silvei-Mayagan,  le  principal  catéchiste  du  P.  de  Britto,  eut  le 
même  sort  que  son  maître  :  on  lui  déchargea  sur  la  tète  de  si  violents  coups 
de  rotin,  qu'un  de  ses  j'eux,  arraché  de  son  orbite,  lui  pendait  sur  la  joue. 
On  le  traîna  en  cet  état  dans  la  prison  du  P.  de  Britto  qui,  en  le  voyant 
entrer,  lui  tendit  les  bras,  le  pressa  sur  son  cœur,  baisa  respectueusement 
ses  plaies,  remit  son  œil  à  sa  place  et  le  guérit  par  la  vertu  du  signe  de  la 
croix. 

Ce  miracle  ne  changea  pas  les  dispositions  de  Goumarâ-PouUei  à  l'égard 
des  confesseurs  de  la  foi  :  vaincu  par  leur  constance,  il  les  condamna  à  être 
empalés,  après  avoir  eu  les  mains  et  les  pieds  coupés.  Mais  il  n'osa  pas 
exécuter  sa  sentence  avant  d'en  avoir  obtenu  la  confirmation  du  l'oi  de 
Marava.  Tandis  qu'il  l'attendait,  il  soumettait  chaque  jour  ses  victimes  à  des 
cruautés  raffinées.  Les  confesseurs,  animés  par  le  P.  de  Britto,  offraient  à 
Dieu  toutes  leurs  souffrances  pour  mériter  le  martyre  qu^on  leur  promet- 
tait. Ils  chantaient  ensemble  les  louanges  du  Sauveur,  qu'ils  n'avaient  cessé 
de  bénir  dans  leurs  épreuves,  et  appelaient  de  tous  leurs  vœux  la  mort  qui 
devait  les  réunir,  dans  le  ciel,  au  chœur  des  martyrs.  C'était  surtout  le  vœu 
de  notre  Bienheureux,  dont  la  grande  âme  n'aspirait  qu'à  souffrir  pour 
l'amour  et  la  gloire  de  son  divin  Maître.  Mais  le  Seigneur,  qui  le  destinait  à 
de  nouveaux  sacrifices,  se  contenta  cette  fois  de  ceux  qu'il  venait  de  lui 
offrir.  Le  roi  de  Marava  ne  ratifia  point  la  sentence  de  son  ministre  ,  il  se 
borna,  après  avoir  entendu  les  confesseurs,  à  leur  interdire  désormais 
l'entrée  de  ses  Etats.  Quant  à  Coumarâ-Poullei,  accusé  plus  tard  d'avoir 
conspiré  contre  son  souverain,  il  subit  le  supplice  auquel  il  les  avait  con- 
damnés. 

Le  P.  de  Britto,  délivré  de  ses  fers,  se  rendit  au  collège  de  Topa  pour 
rétablir  ses  forces  épuisées  et  attendre  l'occasion  de  retourner  vers  les  chré- 
tientés, au  milieu  desquelles  il  avait  trouvé  de  si  terribles  épreuves.  Déjà  il 
se  disposait  à  rentrer  dans  le  Marava,  lorsque  le  P.  Provincial  le  députa  en 
Vies  des  Saunis.  —  Tome  II.  18 


9.74  4  FÉYRUiH. 

Europe  pour  les  affaires  des  missions  des  Indes.  Le  saint  missionnaire,  non 
moins  obéissant  que  zélé,  se  résigna  à  la  voloaté  do  son  supérieur,  sans 
perdre  l'espoir  de  ressaisir,  un  jour,  la  palme  du  martyre.  Il  partit  accom- 
pagné des  vœux  et  de  l'admiration  de  ses  collaborateurs  :  «  Le  P.  de  Britto  », 
écrivit  alors  un  d'eux,  est  vraiment  un  apôtre,  un  génie  extraordinaire  sous 
tous  les  rapports.  Depuis  que  je  suis  entré  dans  cette  mission  avec  lui,  il  en 
a  multiplié  les  chrétientés  et  les  fidèles.  11  n'a  prolilé  de  ses  pouvoirs  de 
supérieur  que  pour  soulager  les  afutres;  il  se  réservait  toujours  les  travaux 
les  plus  pénibles.  Quelle  activité  !  Quel  zèle  !  Il  alirontiiit  tous  les  périls 
pour  sauver  des  âmes  et  étendre  le  royaume  de  Jésus-Christ,  pour  l'amour 
duquel  il  a  été  pris  plusieurs  fois  et  condamné  à  des  tourments  affreux. 
Pour  moi,  je  n'aurai  jamais  assez  d'affection  dans  le  cœur  pour  reconnaître 
dignement  les  obligations  et  les  laveurs  que  je  dois  à  cet  illustre  mission- 
naire, à  ce  grand  apôtre  de  notre  temps  ». 

Ces  témoignages  de  vénération,  le  P.  de  Britlo  les  recevait  non-seule- 
ment de  ses  collaborateurs,  mais  encore  de  tous  ceux  qui  le  connaissaient. 
En  Portugal,  où  l'on  avait  appris  ses  travaux,  ses  entreprises,  ses  miracles  et 
ses  souffrances,  il  fut  accueilli  avec  un  saint  enthousiasme  :  partout  on  se 
disputait  le  bonheur  de  le  voir  et  de  l'entendre;  la  cour  enviait  sa  présence 
à  sa  parenté  ;  sa  famille  la  réclamait  sans  cesse  ;  les  évoques  voulaient  qu'il 
allât  bénir  et  édifier  leurs  peuples;  les  universités  prétendaient  à  la  même 
faveur  ;  les  monastères,  toutes  les  communautés  religieuses  demandaient  à 
leur  tour  d'assister  à  la  messe  et  aux  exhortations  d'un  Saint  ;  des  popula- 
tions entières  se  pressaient  sur  son  passage  pour  recevoir  sa  bénédiction. 

Insensible  à  de  si  honorables  empressements,  le  P.  de  Britto  ne  se  préoc- 
cupait que  des  intérêts  de  la  gloire  de  Dieu  :  il  se  rendait  là  où  il  croyait 
pouvoir  la  procurer  ;  il  n'accordaitau  monde  que  les  devoirs  que  la  religion 
même  lui  défendait  de  refuser.  Du  reste,  quelque  part  qu'il  se  trouvât,  il  se 
souvenait  toujours  qu'il  était  missionnaire  du  Maduré  :  ses  chers  Indiens 
étaient  plus  présents  à  sa  pensée  que  les  personnes  qui  l'entouraient.  11  ne 
prenait  par  jour  qu'un  seul  repas  ;  du  riz,  des  légumes  et  de  l'eau  faisaient 
toute  sa  nourriture  ;  une  planche  ou  une  peau  d'ours  étendue  sur  la  dure, 
lui  servait  de  lit  ;  enfin  il  conservait  dans  ses  habitudes  toutes  les  privations 
auxquelles  se  condamnaient  les  missionnaires  du  Maduré.  Quand  on  lui 
demandait  pourquoi  il  ne  profitait  pas  de  son  séjour  en  Portugal  pour  répa- 
rer ses  forces,  ou  pour  en  acquérir  de  nouvelles  :  «  Eh  quoi  !  répondait-il  », 
«  mes  frères  supportent  au  Maduré  les  travaux  du  ministère  apostolique,  les 
fatigues  des  voyages,  le  poids  du  jour  et  de  la  chaleur;  ils  sacrifient  leur 
santé,  leur  vie,  à  la  gloire  de  Jésus-Christ;  mes  néophytes  eux-mêmes,  mes 
enfants,  bravent  les  persécutions  :  et  moi,  lâche  soldat,  je  m'abandonnerais 
ici  aux  douceurs  de  l'oisiveté  !  Que  dirait  le  grand  Xavier?  que  dirait  saint 
Ignace,  mon  père  ?  que  dirait  Jésus,  mon  chef  et  mon  maître,  si,  content 
d'avoir  effleuré  du  bout  des  lèvres  les  bords  du  calice,  je  n'aspirais  pas  au 
bonheur  de  le  boire  jusqu'à  la  lie  ?  » 

Plein  de  ces  pensées,  le  P.  de  Britto  ne  se  consolait  d'être  séparé  de  sa 
mission  que  par  les  services. qu'il  lui  rendait  en  Europe.  Il  lui  en  rendit  en 
effet  de  très-grands  pendant  son  séjour  en  Portugal  :  il  recruta  pour  elle  de 
nombreux  et  généreux  ouvriers  ;  il  recueillit  des  secours  temporels  pour 
ses  néophytes  ;  il  régla  des  différends  qui  gênaient  le  zèle  des  missionnaires. 
Dès  qu'il  eut  ainsi  assuré  les  intérêts  de  sa  mission  et  terminé  les  affaires 
qui  l'avaient  appelé  en  Europe,  il  se  disposa  à  retourner  aux  Indes.  Pierre  II, 
qui  avait  résolu  de  lui  confier  l'éducation  de  soa  fils,  employa  toute  sorte 


LE   BIEXHEUllEUX   lEAN  DE  BRITTO,   MARTm.  24 O 

de  moyens  pour  le  retenir  en  Portugal,  mais  rien  ne  put  arrêter  le  P.  de 
Britto.  11  partit  enfin  pour  les  Indes,  le  8  avril  1690,  accompagné  de  vingt- 
cinq  de  ses  confrères,  qui  avaient  sollicité  cette  faveur. 

Tous,  malheureusement,  ne  devaient  pas  arriver  au  terme  du  voyage  : 
deux  moururent  en  route,  victime  de  l'épidémie  qui  se  déclara  sur  le  navire. 
Dans  cette  occasion,  le  P.  de  Britto  renouvela  ces  prodiges  de  zèle  et  de 
dévouement  qu'il  avait  opérés  dans  son  premier  voyage.  Ses  forces  ne 
purent  suflire  aux  efforts  de  sa  charité  :  épuisé  de  fatigue,  il  fut  lui-même 
atteint  du  fléau,  et  bientôt  la  maladie  le  réduisit  à  l'extrémité.  Comme  le 
capitaine  et  les  officiers  du  vaisseau  s'inquiétaient  vivement  de  son  sort  : 
«  Donnez,  s'il  vous  plaît  »,  leur  dit  l'homme  de  Dieu,  «  tous  vos  soins  à  mes 
compagnons,  qui  en  ont  un  plus  grand  besoin  ;  ne  vous  inquiétez  pas  de 
moi  :  mes  néophytes  m'attendent;  de  nombreux  catéchumènes  veulent 
recevoir  le  baptême  de  mes  mains.  Dieu  ne  permettra  pas  que  je  meure 
loin  d'eux  ».  En  effet,  le  P.  de  Britto  recouvra  la  santé,  et  il  put  arriver  sain 
et  sauf  à  Goa. 

Loin  d'y  prendre  le  repos  dont  il  avait  besoin,  il  s'y  livra  aux  ardeurs  de 
son  zèle,  en  attendant  le  moment  de  rentrer  dans  sa  mission.  Cependant 
r-'  time  de  son  souverain  faillit  l'arracher  aux  travaux  apostoliques.  Per- 
suadé qu'il  ne  pouvait  pas  confier  à  un  maître  plus  habile  l'éducation  de 
l'Infant,  Pierre  II  agissait  à  Rome  pour  faire  revenir  le  P.  de  Britto  en  Por- 
tugal. Il  céda  enfin  aux  observations  du  P.  Général;  mais,  pour  donner 
quelque  satisfaction  à  ses  regrets,  il  entreprit  de  faire  élever  le  saint  mis- 
sionnaire sur  le  siège  archiépiscopal  d'Amangalam  ou  de  Oangalor.  Toutes 
ces  tentatives  échouèrent  devant  l'abnégation  du  P.  de  Britto.  Le  martyre 
avait  pour  lui  plus  d'attrait  que  les  dignités  de  l'Eglise  ;  le  désir  de  le  souf- 
frir, qui  l'avait  pressé  de  retourner  aux  Indes,  le  pressait  aussi  de  rentrer 
dans  la  mission  du  Maduré. 

Mais,  avant  de  le  rendre  à  ses  néophytes,  Dieu  inspira  aux  supérieurs  la 
pensée  de  le  charger  de  visiter  toutes  les  résidences  de  la  province  du  Mala- 
b^'.r,  comme  s'il  eût  voulu  mettre  une  dernière  fois  sous  les  yeux  des  mis- 
sionnaires celui  qui  était  le  modèle  de  tous  et  dont  il  devait  bientôt  agréer 
le  sacrifice.  Le  P.  de  Britto  s'acquitta  de  cette  mission  à  la  grande  satisfac- 
tion de  Dieu  et  des  hommes.  «  Malgré  les  désordres  et  les  guerres  intestines 
qui  continuaient  à  désoler  ce  malheureux  pays»,  dit  un  de  ses  historiens,  «  il 
en  visita  toutes  les  chrétientés,  reçut  les  bénédictions  des  néophytes,  les 
combla  des  siennes,  ranima  leur  foi  et  leur  ferveur;  il  communica  son  cou- 
rage aux  missionnaires  ;  et  bientôt  toutes  les  missions  du  Malabar  furent 
enflammées  du  feu  sacré  qui  consumait  son  cœur.  Ce  mouvement  extraor- 
dinaire entraîna  les  païens  eux-mêmes  :  ils  vinrent  en  foule  demander  au 
P.  de  Britto  les  enseignements  de  la  foi  et  le  Sacrement  du  Baptême  «. 

Cependant  le  zèle  de  l'homme  de  Dieu  aspirait  sans  cesse  à  d'autres  tra- 
vaux et  à  de  plus  grandes  souffrances  ;  la  couronne  du  martyre  tentait  tou- 
jours sa  sainte  ambition.  Il  avait  hâte  d'aller  la  ressaisir  au  Marava.  D'ailleurs, 
les  PP.  de  Mello  et  Joseph  de  Carvalgo,  qui,  pendant  son  absence,  avaient 
consacré  leurs  soins  à  cette  mission,  venaient  de  succomber  aux  persécu- 
tions et  aux  mauvais  traitements  des  Brahmes,  et  leur  mort  la  laissait  sans 
secours.  Le  P.  de  Britto  rentra  donc  dans  le  Marava,  le  27  mai  1691,  malgré 
le  fanatisme  des  Brahmes,  qui  favorisaient  aussi  dans  ce  royaume  les  trou- 
bles de  la  guerre.  Il  parcourut  successivement  plusieurs  chrétientés,  accueil- 
lant les  néoph5les  qui  accouraient  en  foule  auprès  de  lui,  conférant  le 
baptême  à  des  milliers  de  catéchumènes,  instruisant  les  païens  que  la  grâce 


276  -4  FÊviuEn. 

lui  amenait  en  grand  nombre.  Lorsque,  au  bout  de  deux  ou  trois  semaines, 
il  avait  conféré  le  baptême  à  cinq  ou  six  cents  catéchumènes,  entendu  les 
confessions  de  quinze  cents  à  deux  mille  néophytes,  c'est-à-dire  autant  qu'il 
s'en  présentait,  distribué  à  tous  ses  enseignements  et  ses  avis,  il  se  hâtait 
d'aller  chercher  les  mêmes  travaux  dans  d'autres  localités.  «  Tel  était  l'ébran- 
lement causé  par  son  nom  »,  dit  le  même  historien,  «  que  les  néophytes 
et  les  inQdèles,  au  nombre  de  plusieurs  milliers,  sans  attendre  qu'il  eût 
atteint  le  but  de  sa  course,  l'arrêtaient  souvent  en  pleine  campagne  et  lui 
demandaient  ou  l'instruction  religieuse,  ou  le  baptême,  ou  les  autres  sacre- 
ments. Le  P.  de  Brilto  suspendait  alors  sa  marche,  élevait  un  autel  en  plein 
air,  dressait  une  cabane,  et,  pendant  plusieurs  jours  et  plusieurs  nuits  de 
suite,  il  satisfaisait  aux  pieux  désirs  de  cette  multitude  ». 

De  tels  succès  enflammèrent  la  colère  des  Brahmes  :  ils  semèrent  mille 
pièges  sur  les  pas  du  P.  de  Britto,  conjurèrent  sa  mort  et  mirent  à  sa  pour- 
suite des  agents  chargés  d'exécuter  leur  projet.  L'homme  de  Dieu  ainsi 
traqué  par  tant  d'ennemis  acharnés  à  sa  perte,  se  réfugiait  tantôt  dans  les 
forêts,  tantôt  dans  quelque  chrétienté  isolée,  où  il  passait  la  nuit  et  le  jour 
à  confesser  les  néophytes,  "i  instruire  et  à  baptiser  les  catéchumènes  ou  les 
païens  que  lui  amenaient  d'intrépides  catéchistes.  Enfin  il  s'établit,  sur  les 
confins  du  Marava,  dans  la  principauté  indépendante  de  Mouni,  dont  le  sou- 
verain, quoique  idolâtre,  lui  permettait  le  séjour.  De  là,  il  faisait  souvent 
des  excursions  apostoliques  dans  l'intérieur  du  pays,  vers  les  chrétientés  trop 
éloignées  pour  aller  chercher  à  Mouni  les  bienfaits  de  son  zèle.  Son  minis- 
tère fut  partout  si  heureux,  qu'il  augmenta  cette  église  d'un  très-grand 
nombre  de  nouveaux  fidèles.  Le  P.  Bouchet,  si  modéré  dans  ses  apprécia- 
tions, n'osa  pas,  dans  sa  déposition  juridique,  calculer  les  conversions  opérées 
par  notre  Bienheureux  :  «  Je  sais  seulement  »,  dit-il,  «  comme  missionnaire 
voisin  du  Marava,  que,  dans  cette  dernière  occasion,  le  vertueux  Jean  .de 
Britto  se  Uvra  tellement  à  la  prédication  de  l'Evangile  et  à  la  conversion 
des  Gentils,  qu'il  en  baptisa  plusieurs  milliers.  Je  ne  connais  aucun  mis- 
sionnaire qui  ait  gagné  plus  d'âmes  à  Dieu  et  à  l'Eglise  ».  Le  P.  Bouchet 
avait  cependant  connu  les  PP.  André  Freyre,  Louis  de  Mello,  François 
Laynez,  qui  avaient  converti  chacun  de  quinze  à  vingt-cinq  mille  idolâtres. 
Il  en  avait  baptisé  lui-même  plus  de  trente  mille.  Tous  les  témoins  appelés  à 
déposer  sur  ce  fait,  affirmèrent  qu'on  ne  pouvait  compter  le  nombre  de  ceux 
que  le  P.  de  Brilto,  depuis  son  retour  au  Marava,  régénéra  dans  les  eaux  du 
baptême.  Souvent,  il  lui  arriva,  comme  à  saint  François  Xavier,  que  ses 
bras,  appesantis  par  la  lassitude,  ne  pouvaient  plus  se  mouvoir  au  gré  de 
son  zèle  ;  les  catéchistes  les  soutenaient  alors  sur  leurs  mains  afin  qu'ils  pus- 
sent suffire  à  l'administration  de  ce  sacrement. 

Tant  de  travaux  méritèrent  enfin  au  P.  de  Britto  la  couronne  du  martyre, 
après  laquelle  il  soupirait  depuis  si  longtemps.  Non  loin  de  Mouni  se  trouvait 
la  principauté  de  CiroupuUei,  où  Tériadéven,  dont  la  famile  dépossédée  du 
trône  de  Marava  par  Ranganâdadéven,  se  consolait  de  cette  injuste  usurpa- 
tion par  l'affection  que  lui  conservaient  les  peuples.  Ce  prince,  frappé  de 
ce  qu'il  apprenait  du  P.  de  Britto,  conçut  le  désir  de  connaître  une  religion 
prêchée  par  un  si  saint  homme.  Il  fut  affermi  dans  sa  résolution,  d'abord  par 
les  leçons  d'un  catéchiste,  puis  par  une  guérison  miraculeuse  que  celui-ci 
opéra  sur  lui  en  invoquant  le  nom  du  Dieu  des  chrétiens.  Le  P.  de  Britto, 
pressé  par  les  instances  de  Tériadéven,  se  rendit  auprès  de  lui,  l'examina  sur 
son  inst'uction  religieuse,  sur  les  motifs  de  sa  conversion,  et  l'admit  au 
baptême,  après  l'avoir  engagé  à  ne  conserver  de  ses  femmes  que  celle  qu'il 


LE   BIENUEUBKUX   JE.Ui   DE   BRITTO,    M^iHTOl.  277 

avait  épousée  la  première.  Parmi  les  épouses  renvoyées  était  la  nièce  de 
P.anganàdadévcn,  tj-ran  du  Marava.  Pleine  de  fureur,  elle  courut  à  Ramana- 
dabouvam,  capitale  du  royaume,  pour  allumer,  contre  le  saint  Missionnaire, 
celle  de  son  oncle  et  le  fanatisme  des  Brahmes.  Elle  y  réussit  trop  bien. 

Banganùdadcven,  irrité  de  l'insulte  faite  à  sa  nièce,  manda  auprès  de  lu' 
Tériadéven,  et  lui  reprocha  sévèrement  sa  conduite.  Mais  il  fut  plus  hardi 
contre  le  P.  de  Britto,  il  donna  ordre  de  l'arrêter,  de  le  conduire,  chargé 
de  fers,  à  la  capitale,  et  d'incendier  toutes  les  chrétientés  des  environs  de 
Mouni.  Le  P.  de  Britto  ,  qui  s'était  attendu  aux  ordres  du  tyran,  avait  déjà 
pris  des  mesures  pour  y  soustraire  ses  néophytes.  Pour  lui,  il  alla  au-devant 
des  sicaires  de  Hanyanâdadéven,  qui  le  chargèrent  de  coups  et  d'outrages, 
l'enchaînèrent  avec  deux  catéchistes  et  un  Brahme  chrétien,  et  les  traînè- 
rent à  coups  de  rotins  jusqu'à  la  ville  d'Anoumandacoim.  Le  P.  de  Britto  était 
couvert  de  plaies,  de  poussière  et  de  sang  :  au  lieu  de  lui  donner  le  temps  de 
respirer,  les  bourreaux  l'exposèrent,  sur  la  place  publique,  aux  insultes 
d'une  populace  brutale  dont  il  fut  le  jouet  le  reste  du  jour  et  pendant  la 
nuit  :  on  lui  crachait  au  visage,  on  lui  déchirait  les  habits,  on  déchargeait 
sur  sa  tête  et  sur  tout  son  corps  des  coups  de  poing  et  de  bâton.  L'homme 
de  Dieu  trouvait  tant  de  consolation  au  milieu  de  ses  tourments,  qu'il  refusa 
les  moyens  d'y  échapper  que  lui  offrait  un  de  ses  catéchistes  accouru  à  son 
secours. 

Le  lendemain,  il  fut  conduit  avec  la  même  inhumanité  à  Ramanadabou- 
vam,  où  il  fut  jeté  dans  un  étroite  prison,  en  attendant  le  retour  du  tjTan, 
alors  absent  de  sa  capitale.  Pendant  ce  temps-là,  le  P.  de  Britto  et  ses  com- 
pagnons se  préparaient  à  leur  sacrifice  par  des  actes  d'une  piété  sublime. 
Leur  prison  retentissait  sans  cesse  des  louanges  du  Seigneur  ou  des  prières 
qu'ils  lui  adressaient.  Quelquefois  l'homme  de  Dieu,  transporté  de  bonheur 
à  la  pensée  du  martyre,  s'écriait  comme  hors  de  lui-môme  :  «  0  mon  Sau- 
veur et  mon  Dieu  !  vous  avez  été  saisi  pour  moi  un  vendredi,  j'ai  été  saisi 
pour  votre  cause  un  vendredi  ;  mettez  le  comble  à  vos  faveurs,  et  faites 
que,  comme  vous  êtes  mort  pour  moi  sur  l'arbre  de  la  croix,  je  donne  aussi 
ma  vie  pour  vous,  mais  de  telle  manière  que  mon  corps  mis  en  pièces  serve 
de  pâture  aux  oiseaux  du  ciel,  ou  aux  bêtes  féroces,  car  il  ne  mérite  pas 
les  honneurs  de  la  sépulture  ».  Nous  verrons  bientôt  que  le  Seigneur  enten- 
dit sa  prière. 

Cependant,  le  prince  Tériadéven  et  les  principaux  catéchistes  du  Père 
de  Britto,  accourus  à  Ramanadabouvam  au  bruit  de  son  arrestation,  pre- 
naient d'activés  mesures  pour  obtenir  la  délivrance  de  leur  commun  maître. 
Mais  le  saint  missionnaire  en  ayant  été  informé,  leur  adressa  des  lettres  où 
il  les  conjurait  instamment  de  ne  pas  lui  ravir,  par  un  attachement  indis- 
cret, le  bonheur  de  mourir  pour  la  foi.  Il  écrivit  aussi  aux  autres  mission- 
naires et  aux  chrétientés,  les  priant  de  demander  pour  lui  au  Seigneur  la 
grâce  du  martyre. 

Ses  vœux  allaient  enfin  être  satisfaits.  Ranganâdadéven,  rentré  dans  sa 
capitale,  fut  aussitôt  circonvenu  par  les  prêtres  des  faux  dieux  qui,  par 
d'atroces  calomnies,  s'efforcèrent  d'enflammer  sa  colère  contre  l'homme  de 
Dieu.  Us  furent  confondus  par  le  prince  Tériadéven  ;  mais  le  roi  ne  s'associa 
pas  moins  à  leur  colère  pour  assouvir  son  ressentiment  et  venger  sa  nièce  et 
ses  dieux.  Il  fit  comparaître  le  Père  de  Britto  et  ses  compagnons  devant  son 
tribunal,  dressé  dans  la  plaine  voisine,  et  environné  d'un  formidable  appa- 
reil militaire.  A  la  vue  du  saint  missionnaire,  il  s'emporta  contre  lui  et 
contre  la  loi  chrétienne  en  invectives,  en  imprécations,  en  blasphèmes  :  il 


278  4  FÉVRIER. 

ne  l'interrogea  que  pour  l'insulter  et  pour  motiver  la  sentence  qu'il  était 
décidé  à  porter  contre  lui.  11  allait  le  l'aire  passer  par  les  armes,  lorsque 
Tériadéven  s'avança  pour  lui  reprocher  une  condamnation  si  injuste,  et  lui 
en  faire  craindre  les  conséquences. 

Tériadéven  était  aimé  des  troupes  et  de  toute  la  nation.  Le  tyran  n'osa 
ni  le  châtier,  ni  le  contredire  :  comme  s'il  eût  voulu  lui  donner  quelque 
satisfaction,  il  commua  publiquement  la  peine  de  mort  en  celle  de  l'exil,  et 
assigna  pour  séjour,  au  Père  de  Britlo,  la  ville  d'Oréiow,  située  sur  le  fleuve 
Pambaroù ,  aux  confins  du  Marava.  Mais  ensuite  il  envoya  à  son  frère, 
Ouréiardéven,  gouverneur  de  cette  province,  l'ordre  secret  de  faire  périr  le 
serviteur  de  Dieu.  Il  se  contenta  de  renvoyer  les  autres  prisonniers  dans  leur 
cachot,  d'où  Tériadéven  les  fit  sortir  libres  peu  de  jours  après. 

Quant  au  Père  de  Britto,  il  fut  conduit  par  un  peloton  de  soldats  à 
Oréiour,  lieu  prétendu  de  son  exil,  mais,  en  réalité,  théâtre  de  son  sacrifice. 
11  n'en  doutait  pas,  et  cette  conviction  lui  inspirait  un  bonheur  et  un  encou- 
ragement qui  étonnaient  ses  gardes.  11  parvint  à  Oréiour  le  31  janvier  1693. 

Ouréiardéven,  moins  cruel  que  son  frère,  conçut  pour  le  saint  mission- 
naire tant  d'estime  et  de  vénération  dans  les  entreliens  qu'il  eut  avec  lui, 
qu'il  penchait  à  le  mettre  en  liberté.  Mais,  Couroumapapoullei,  son  premier 
ministre,  homme  d'un  caractère  féroce,  païen  fanatique,  le  menaça  de  la 
colère  du  roi,  s'il  n'accomplissait  pas  ses  ordres.  Enfin,  le  4  février,  mer- 
credi des  cendres,  le  faible  Ouréiardéven  abandonna  le  saint  confesseur  à 
son  premier  ministre. 

«  Le  Père  de  Britto  » ,  dit  un  de  ses  historiens,  «  l'avait  prévu,  peut-être 
même  Dieu  lui  avait-il  révélé  ce  dénouement  ;  car,  sans  aucun  avis  étranger, 
dans  la  nuit  du  3  au  4  février,  il  s'enveloppa  soigneusement  tout  le  corps 
d'une  toile  fine,  afin,  dit-il  à  deux  capitaines  chrétiens  qui  lui  en  deman- 
daient la  raison,  qu'il  fût  prêt  à  partir  au  premier  signal,  et  que,  lorsqu'on 
le  dépouillerait  pour  lui  trancher  la  tête,  il  se  trouvât  dans  un  état  décent. 
Aussi  quand,  vers  le  milieu  du  jour,  les  satellites  vinrent  tirer  le  Saint  de 
sa  prison,  il  se  présenta  à  eux  le  visage  riant,  et  leur  dit  :  «  Me  voici,  je 
suis  tout  prêt  ».  Il  sortit  aussitôt,  et  marcha  vers  le  lieu  du  supplice,  comme 
au  terme  de  ses  désirs. 

«  A  mille  pas  de  la  ville,  sur  les  bords  du  Pambaroù,  s'élevait  une  émi- 
nencequi  dominait  la  rivière  et  la  plaine  :  c'était  là  que  le  serviteur  de  Dieu 
allait  offrir  son  sacrifice.  En  y  arrivant,  il  demanda  au  chef  de  la  troupe  la 
permission  de  se  retirer  un  peu  à  l'écart  pour  remettre  son  âme  entre  les 
mains  de  son  Dieu.  Il  tomba  aussitôt  à  genoux,  et,  la  face  tournée  vei-s 
l'Orient,  il  resta  comme  ravi  en  extase. 

«  Cependant  une  multitude  innombrable  environnait  le  monticule  :  un 
peu  plus  loin  était  un  groupe  de  néophytes  qui  avaient  voulu  suivre  leur 
Père  jusqu'au  bout  de  sa  carrière.  Tous,  païens  et  chrétiens,  avaient  les  yeux 
fixés  sur  l'homme  de  Dieu,  et  confondus  dans  un  même  sentiment  d'admi- 
ration ils  semblaient  tous  respecter,  par  un  immense  silence,  la  prière  du 
martyr. 

M  Pendant  ce  temps-là,  le  bourreau  chargé  de  l'exécuter  arrive  sur  le 
monticule,  un  cimeterre  à  la  main.  On  le  voit  hésiter  à  la  vue  du  Père  de 
Britlo  en  extase.  N'osant  l'interrompre  dans  sa  prière,  il  prend  machinale- 
ment une  pierre  et  aiguise  le  tranchant  de  son  arme.  Cependant  un  envoyé 
du  ministre  vient  le  presser  de  remplir  ses  ordres.  Le  Père  de  Britlo  alors 
fait  le  signe  de  la  croix,  se  lève,  et, le  visage  resplendissant  d'une  joie  divine, 
il  s'avance  vers  le  bourreau,  l'embl-asse  alfeclueusement,  et  lui  dit  :  m  Mon 


SAINT  RA.BAN  MAUR,    ARCHEAT;QrE   DE    MATEXCE.  279 

ami,  j'ai  prié  mon  Dieu;  j'ai  fait  de  mon  côté  ce  que  je  devais  faire,  exécutez 
maintenant  l'ordre  qui  vous  est  donné  ».  En  disant  ces  mots,  il  se  met  à 
genoux,  salue  encore  une  fois  de  ses  regards  le  ciel  où  son  âme  va  bientôt 
s'envoler,  et  présente  sa  tête  au  bourreau  ;  celui-ci,  d'une  main  mal  assurée, 
la  lui  abat  à  coups  redoublés  de  cimeterre.  Ensuite,  selon  l'ordre  qu'il  en 
avait  reçu,  il  coupe  au  martyr  les  pieds  et  les  mains,  les  attache,  ainsi  que  la 
tête,  à  la  ceinture  du  buste,  et  les  suspend  ensemble  au  sommet  du  poteau 
planté  à  cet  effet  sur  la  colline. 

«  A  la  vue  de  ces  restes  vénérables,  un  frémissement  général  court  parmi 
les  spectateurs  :  la  multitude  presque  silencieuse  s'écoule  peu  à  peu  ;  les 
païens,  sous  l'impression  d'une  admiration  mêlée  de  stupeur,  se  demandent 
quelle  est  donc  cette  religion  qui  inspire  à  ses  disciples  un  tel  héroïsme,  et 
les  chrétiens  s'applaudissent  de  professer  une  loi  qui,  publiée  sur  le  Cal- 
vaire, est  encore  scellée  du  sang  de  ses  apôtres  '  ». 

Ce  fut  aussi  le  sentiment  qu'inspira  dans  toute  la  mission  la  nouvelle  du 
martyre  du  Père  de  Britto  :  elle  enflamma  le  zèle  des  missionnaires,  affermit 
les  néophytes  dans  leur  foi,  et  y  ramena  une  foule  d'infidèles.  Le  nom  du 
martyr  devint  pour  tous  un  objet  de  vénération  :  on  l'invoquait  dans  les 
familles,  on  allait  le  prier  sur  son  tombeau.  Et  le  Seigneur,  qui  voulait  glori- 
fler  la  mémoire  de  son  serviteur,  accordait  à  son  intercession  de  nombreux 
et  éclatants  miracles.  C'est  pourquoi  l'Eglise,  secondant  la  volonté  du  ciel, 
fit  examiner  ces  témoignages  de  la  sainteté  du  P.  Jean  de  Britto  ;  et,  le  21  du 
mois  d'août  1833,  elle  l'offrit  solennellement,  par  l'organe  de  son  chef,  aux 
respects  et  à  l'imitation  de  ses  enfants. 

On  a  représenté  le  bienheureux  Jean  de  Britto  prêchant  à  des  nègres  ; 
mais  ce  sont  là  des  nègres  imaginaires  :  il  n'en  existe  pas  dans  la  presqu'île 
du  Gange  ;  pour  être  dans  la  vérité,  il  faudrait  reproduire  le  type  du  pays. 

Ce  beau  récit  nous  a  été  envoyé  par  le  R.  P.  Prat,  de  la  Compagnie  de  Jésus. 


SAINT  RIBAN  MAUR,  AECHEVÈQUE  DE  MAYENCE 

8S6.  —  Pape  :  Benoit  HL  —  Emperear  d'Allemagne  :  Lonis  IL 


Raban,  qui  reçut  de  son  maître  Alcuin  le  surnom  de  Maur,  était  origi- 
naire de  Mayence',  ainsi  qu'il  le  déclare  lui-même  dans  son  épitaphe.  Il 
naquit  vers  l'an  776,  de  parents  nobles,  comme  le  prouve  encore  l'épitaplie 
qu'il  a  faite  pour  son  frère  Tutin.  Il  fut  élevé  en  l'abbaye  de  Fulde,  si  célèbre 
déjà  à  cette  époque,  et  fit  de  grands  progrès  dans  la  vertu  aussi  bien  que 

1.  Histoire  du  bienheureux  Jean  de  Britto,  p.  353  et  suit. 

2.  Les  savants  foj-er.t  pendant  Ion-temps  divisés  d'opinion  quant  à  la  patrie  de  Raban.  Volateranus. 
Anîropol,,  1.  xrx,  croit  qu'il  est  natif  d'Angleterre  ;  selon  d'autres,  panni  lesquels  il  faut  compter  Dempster, 
Bist.  eccl-s.  (ji^'itis  Sco.orum^  il  est  né  en  Ecosse.  Hcuscheniusa  victorieusement  réfuté  ces  deux  opinions. 
Plusieurs  regardent  Fulde  comme  sa  viUe  natale,  mais  sans  laison  suffisante,  comme  l'observe  ftort  liiea 
Uabillon.  Voici  son  épitaphe  : 

Uièe  qmdem  hâc  genHus  siim,  ac  sacra  fonte  renatus ; 
In  Fulda  post  hoc  dogrca  sacrum  didici. 
Par  cet  urb,'  hnc   il  faut  entendre  Mayence.  puisqu'il  y  fut  enterré  dans  le  couvent  de  Saint-Alban. 
Voyez  k  ce  sujet  Hensohcnius,  ad  4  /-t.-.;  Jlabillon,  AA.  SS.  Or.l.   .•?.  Bened.,  t.  \i,  p.  30;  Colvençriuâ. 
Proieyorn.  ad  opéra  Jiakani.  —  Le  Propre  de  Mayeaco  liit  naine  Kakiu  à  Fulde,  opud  Bachon'os. 


280  4  FÉVRIER. 

dans  les  sciences.  11  étudiait  nuit  et  jour  les  livres  saints.  C'est  là  qu'il  puisa 
cette  piété  et  ce  sentiment  des  choses  divines  qui  répand  sur  tous  ses  ou- 
Trages  un  éclat  et  une  onction  qu'on  ne  peut  méconnaître. 

Notre  Saint  avait  une  grande  dévotion  pour  la  croix  ;  et  il  se  sentait  pro- 
fondément ému  en  songeant  aux  souiTrances  inexprimables  de  notre  Sau- 
veur. Son  humilité  était  très-grande  ;  il  se  nommait  le  plus  vil  serviteur  des 
serviteurs  de  Dieu,  un  sei'vitcur  inutile,  le  plus  misé?'able  des  hommes.  Les  vers 
qu'il  dédia  au  pape  Grégoire  IV  prouvent  son  respect  pour  le  Siège  aposto- 
lique ;  on  ne  peut  trop  admirer  son  amour  pour  la  doctrine  de  l'Eglise  catho- 
lique et  son  attachement  inviolable  à  ses  dogmes.  Voici  le  témoignage  qu'il 
se  rend  à  lui-même  à  cet  égard  :  «  Je  me  flatte  »,  dit-il,  «  que  par  la  grâce 
de  Dieu  j'ai  défendu  la  foi  catholique  dans  tous  ses  points  et  que  je  n'ai 
rien  avancé  qui  fût  de  mon  invention,  mais  que,  appuyé  sur  l'autorité  des 
Pères,  j'ai  suivi  les  traces  de  Cyprien,  d'Hilaire,  d'Ambroise,  de  Jérôme, 
d'Augustin,  de  Grégoire,  de  Jean  Damascène,  de  Cassiodore  et  des  autres  ». 
Dans  le  prologue  de  son  livre  de  la  Croix,  il  s'écrie  avec  un  saint  enthou- 
siasme :  <c  Aussi  longtemps  que  je  serai  dans  ce  misérable  corps,  guidez- 
moi,  6  Jésus,  dans  la  véritable  voie  de  la  foi  catholique  '  ». 

A  cet  esprit  de  piété  Raban  joignait  une  étude  continuelle  ;  et  il  s'éleva 
par  là  au  plus  haut  degré  de  connaissances  qu'il  fût  permis  d'atteindre  à 
cette  époque.  Saint  Odilon,  abbé  de  Cluny,  en  fait  un  bel  éloge  en  disant'  : 
«  Raban  est  très-versé  dans  les  sciences  profanes  ;  il  est  catholique  dans  sa 
foi,  et  plein  d'expérience  dans  la  vie  spirituelle  '  ». 

Après  avoir  été  ordonné  diacre,  il  fut  envoyé  à  Tours  en  l'année  802,  par 
Rutgar,  évoque  de  Fulde,  pour  y  continuer  son  éducation  sous  les  yeux  du 
grand  Alcuin*. 

Il  ne  resta  pas  longtemps  à  Tours.  Revenu  à  Fulde,  il  fut  préposé  à 
l'école  de  cette  ville,  et  contribua  beaucoup  par  l'éclat  de  sa  vertu  et  de  son 
érudition  à  la  réputation  de  cette  belle  institution.  Il  protégea  les  sciences 
de  tout  son  pouvoir  :  mais  ce  qu'il  fit  de  plus  utile,  ce  fut  de  fonder  une  riche 
bibliothèque  pour  les  professeurs  de  cette  école. 

Raban  a  formé  un  grand  nombre  de  disciples  distingués  par  leur  savoir. 
Les  plus  célèbres  sont  :  Walafrid  Strabon,  Servat  Lupus,  son  biographe, 
Rodolphe,  Otfried  et  plusieurs  autres.  Lui-même  n'enseignait  pas  les  arts 
libéraux  ;  mais  il  choisissait  pour  ces  fonctions  les  hommes  les  plus  habiles, 
en  se  réservant  celles  de  dispenser  les  trésors  immenses  des  saintes  Ecritures. 
Les  belles-lettres  étaient  enseignées  par  le  moine  Candide,  qui,  se  plaignant 
un  jour  à  Raban  de  ce  que  ses  occupations  ne  lui  laissaient  pas  le  temps 
d'étudier  l'Ecriture,  reçut  du  pieux  docteur  cette  réponse  :  «  Moi  aussi  j'ai 
été  revêtu  autrefois  de  cette  charge  ;  ce  qui  ne  m'a  pas  empêché  de  com- 
poser, avec  l'assistance  de  Dieu,  le  livre  de  l'Eloge  de  la  Croix  ». 

Raban  fut  promu  au  sacerdoce  par  Haistulf,  archevêque  de  Mayence, 
comme  il  le  dit  lui-même  dans  une  lettre  qu'il  écrit  à  ce  prélat.  Il  fut 
ordonné  au  mois  de  décembre,  l'an  814. 

1.  Quam'liù  sum  In  hoc  corpuscule,  dirige  me  in  semlta  rectse  fldel  catholicae.  —  2.  Serm.  de  laud* 
satictse  crucis. 

:;.  Les  savants  Tritheim  et  Baronlns  lui  rendent  le  même  témoignage.  Le  premier  dit  :  «  Ral»ari  ctait 
un  hoiinjie  trfes-versé  dans  les  livres  divins  et  dans  les  sciences,  connaissant  à  fond  la  littérature  proiane; 
il  était,  i-n  même  temps,  philosophe,  rhijteur,  astronome  et  poète;  l'Italie  et  la  Germanie  n'avaient  pas 
son  pareil  ».  Et  lo  ccl'ebrc  c:n'diual  ajoute  :  u  liaban  brilla  comme  un  astro  éclatant;  les  écrits  iju'il  a 
laissés  a  la  postérité  sont  autant  de  rayons  do  lumière  qui  attestent  le  génie  élevé  de  leur  auteur,  et 
l'Allenittïne  a  raison  d'être  ficre  d'un  tel  uiuitre  ». 

4,  ALÏ^i  lu  JilUti  Albio, 


SAD.T  RABAN  MAUR,    ARCHEYÊOtE  DE   MAYENCE.  281 

Vers  ce  temps,  il  s'éleva  dans  l'abbaj-e  de  Fulde  de  fâcheuses  dissensions 
entre  les  moines  et  l'abbé  Rutgar,  qui  les  traitait  avec  dureté  et  avec  hu- 
meur. Raban  lui  adressa  un  poëme  dans  lequel  il  cherchait  à  le  ramener  à 
des  sentiments  plus  doux  ;  mais  ce  fut  sans  succès.  L'affaire  fut  portée 
devant  Charlemagne,  et,  après  sa  mort,  devant  l'empereur  Louis,  qui 
ordonna  de  procéder  à  la  nomination  d'un  nouvel  abbé.  Le  choix  tomba  sur 
Eigil,  qui  fit  bientôt  renaître  la  paix  dans  le  couvent.  Pendant  ces  troubles, 
Raban  entreprit  un  voyage  à  Jérusalem,  au  retour  duquel  il  fut  nommé  abbé, 
en  l'année  822,  Eigil  ayant  été  revêtu  de  cette  dignité  pendant  cinq  ans. 
Sous  la  direction  de  Raban,  le  couvent  de  Fulde  vit  accroître  le  nombre  de 
ses  religieux  en  même  temps  que  la  considération  dont  il  jouissait;  et  la 
conduite  exemplaire  de  ses  moines  fut  célébrée  par  tout  l'empire  des  Francs. 
Le  nom  de  l'abbé  se  répandit  dans  toute  la  Gaule  et  l'Italie  '  ;  les  savants  et 
les  personnes  de  distinction  de  toutes  les  contrées  accouraient  pour  le  voir, 
et  on  s'estimait  heureux  d'obtenir  une  place  dans  son  amitié.  Des  princes  et 
des  gentilshommes  lui  confièrent  l'éducation  de  leurs  fils,  parce  que,  tant 
sous  le  rapport  de  la  religion  que  sous  celui  des  sciences,  ils  croyaient  pou- 
voir tout  attendre  d'un  si  grand  maître. 

Sans  cesse  occupé  des  moyens  d'élever  le  culte  divin  au  plus  haut  degré 
de  perfection  et  de  maintenir  dans  toute  sa  sévérité  la  discipline  de  l'Eglise, 
il  voulut  lui-même  servir  d'exemple  à  ses  moines  dans  l'oraison  et  dans  le 
jeûne.  11  montra  aussi  un  zèle  particulier  pour  le  temple  de  Dieu  ;  il  éleva 
trente  églises  ou  chapelles  dans  l'étendue  de  son  abbaye  et  les  enrichit  de 
grand  nombre  de  reliques. 

11  se  conduisit  avec  tant  de  sagesse  et  de  prudence  dans  les  différends  qui 
s'étaient  élevés  entre  Louis  le  Débonnaire  et  ses  fils,  qu'il  gagna  la  confiance 
des  deux  partis  et  se  rendit  en  quelque  sorte  l'instrument  de  leur  réconci- 
liation. Après  avoir  écrit  une  lettre  pour  consoler  ce  prince,  qui  avait  été  si 
injustement  dépouillé  de  sa  couronne,  il  composa  un  traité  sur  le  respect 
que  les  enfants  doivent  à  leurs  parents  et  que  les  suj  ets  doivent  à  leur  prince, 
qu'il  termine  toutefois  en  exhortant  l'empereur  à  user  de  clémence  envers 
ses  fils  et  leurs  partisans. 

En  842,  deux  ans  après  la  mort  de  ce  prince,  il  se  démit  volontairement 
de  sa  dignité  d'abbé,  qu'il  avait  exercée  pendant  vingt  ans,  afin  de  pouvoir 
se  livrer  avec  plus  de  loisir  à  la  lecture  et  à  la  méditation  des  saintes  Ecri- 
tures. 11  se  retira  sur  la  montagne  de  Saint-Pierre,  située  dans  le  voisinage 
de  Fulde,  où  il  trouva  la  solitude  qu'il  cherchait,  et  où  il  pouvait  consacrer 
tout  son  temps  à  la  piété  et  aux  sciences.  Mais  il  fut  bientôt  obligé  de  quitter 
sa  chère  solitude  pour  entrer  dans  une  carrière  nouvelle  qu'il  ne  s'était  pas 
préparé  à  parcourir.  Après  la  mort  d'Otgaire,  archevêque  de  Mayence,  il  fut 
appelé  à  ce  siège  en  l'année  847.  Ce  fut  vainement  qu'il  prétexta  les  infir- 
mités que  ses  études  assidues  lui  avaient  attirées;  l'intérêt  général  de  l'Eglise 
le  força  de  céder  et  d'accepter  la  dignité  épiscopale.  Il  s'imposa  par  là  de 
nouveaux  devoirs,  des  travaux  plus  pénibles  encore,  sans  se  relâcher  en  rien 
des  exercices  de  pénitence  auxquels  il  était  accoutumé.  Il  ne  mangeait  pas 
de  viande  et  ne  buvait  pas  de  vin,  quoiqu'il  fût  d'une  constitution  très-déli- 
cate et  d'une  faible  santé. 

Trois  mois  après  son  sacre,  qui  eut  lieu  en  847  vers  la  fin  de  juin,  dans 
la  cathédrale  de  Mayence,  en  présence  de  Louis,  roi  de  Germanie,  il  tint  un 
concile  à  l'abbaye  de  Saint-Alban,  où  il  prit  des  mesures  très-sages  pour  la 

1.  La  mémoire  de  Raban  dtait  antrefois  en  si  grande  vénération  dans  l'Allemagne,  qne  quand  on  ron- 
Uit  loner  quelquan  ponr  sa  science,  l'on  disait  de  lai  qu'il  était  docte  comme  Ealian,  doetus  ut  Rabama. 


282  4  FÉvuiEH. 

réforme  des  mœurs  et  le  maintien  de  la  discipline  ecclésiastique,  mais  prin- 
cipalement pour  la  conservation  des  biens  de  l'Eglise,  véritable  motif  qui 
avait  provoqué  ce  synode.  L'année  suivante,  il  convoqua  un  nouveau  concile 
contre  le  moine  Gotescalc,  au  sujet  de  la  prédestination,  sur  laquelle  il  écri- 
vit un  ouvrage  qu'il  dédia  à  Noting,  évoque  de  Brescia  (selon  d'autres  de 
Vérone),  dans  la  Lombardie;  et,  après  avoir  condamné  sa  doctrine,  il  le  ren- 
voya à  Hincmar,  archevêque  de  Reims,  dans  le  diocèse  duquel  il  avait  été 
ordonné. 

L'année  850,  qui  fut  signalée  par  une  grande  famine,  lui  fournit  une 
nouvelle  occasion  de  déployer  sa  charité.  Pendant  tout  ce  temps  d'affliction, 
il  se  tint  à  Winkel,  dans  le  Rheingau,  où  il  nourrissait  chaque  jour  plus  de 
trois  cents  pauvres,  sans  compter  ceux  à  qui  il  donnait  ordinairement  à 
manger  à  sa  table. 

Dans  l'année  832,  on  convoqua  à  Mayence,  par  l'ordre  de  Louis,  un  nou- 
veau concile,  qui  fut  présidé  par  Raban,  et  auquel  assistèrent  les  évoques  et 
les  abbés  de  la  Franconie  orientale,  de  la  Bavière  et  de  la  Saxe.  On  y  discuta 
plusieurs  questions  canoniques  ^ 

Les  occupations  littéraires  et  pastorales  auxquelles  notre  Saint  se  livrait 
constamment  avaient  dès  longtemps  porté  atteinte  à  sa  santé  ;  il  succomba 
enfin  le  quatrième  jour  de  février,  à  Winkel,  après  avoir  fait  briller  dans 
presque  toute  l'étendue  de  l'Eglise  les  rayons  de  sa  vertu  et  de  sa  science. 
Il  fut  enterré  au  monastère  de  Saint-Alban,  près  de  Mayence,  dans  la  cha- 
pelle des  saints  Martin  et  Boniface.  Lorsqu'on  loia,  la  première  année  de 
son  épiscopat,  l'archevêque  Albert  visita  cette  chapelle,  et  qu'il  y  trouva  les 
saints  corps  de  dix  évêques  de  Mayence,  auxquels  on  ne  rendait  pas  l'hon- 
neur qui  leur  était  dû,  il  envoya,  du  consentement  des  chanoines  de  cette 
ville  et  du  Siège  apostolique,  le  corps  de  saint  Raban  à  Halle,  en  Saxe,  où  il 
fut  solennellement  inhumé  en  l'église  de  Saint-Maurice  '.  Ce  grand  arche- 
vêque ne  fut  jamais  universellement  honoré  dans  l'Eglise  avec  le  titre  de 
Saint  ;  ce  n'est  qu'en  Allemagne  qu'on  lui  rendit  cet  honneur,  et  principale- 
ment dans  l'archevêché  de  Mayence,  dont  le  Martyrologe  le  qualifie  docteur 
de  l'Eglise.  Son  nom  ne  se  trouve  donc  pas  dans  le  Martyrologe  romain, 
mais  bien  dans  plusieurs  Martyrologes  d'Allemagne. 


ECRITS  DE  SAINT  RABAN  MAUR. 

Les  œuvres  complètes  de  saint  Raban  Maar  furent  publiées  en  sii  volumes  in-folio.  Colognt, 
1627.  En  voici  un  aperçu  : 

^o  Le  livre  '/e  /<  Grummaire,  extrait  de  Priscien  le  Grammairien,  qui  a  écrit  vers  l'an  523. 

2»  Un  onvrage  intitulé  de  Unwersc,  écrit  vers  l'an  844.  Il  est  divisé  en  vingt-deuï  li\Tes,  et  ne 
reufernie  guère  que  des  définitions  de  noms  et  de  mots  qui  se  rapportent  à  l'Ecriture  sainte.  11  est 
•dressé  à  l'empereur  Louis. 

3°  Deux  livres  de  l'Elo'/e  de  la  Croix,  composés  à  la  prière  de  son  mailro  Alcuin.  Ils  ont  été 
imprimes  séparément,  à  Pforzheim,  en  15Û1,  et  à  Augsbourg,  en  1605.  Cet  ouvrage  a  joui  dans  son 
temps  d'une  grande  réputation  ;  il  est  plein  d'idées  bizarres,  et  n'offre  guère  d'uliliié. 

4°  Commentaires  sur  l'Ecriture,  qui  ne  sont  proprement  qu'une  compilation  de  ceux  des 
anciens.  Une  partie  en  fut  imprimée  à  Cologne  eu  1532.  L'ouvrage  était  composé  de  trente  livres. 

1.  Voir  sar  ce  point  Henschenins,  qui  cite  Domlnativement  les  évoques  présents  h  ce  concile,  et  cor- 
ri;çîc  plasieurs  erreurs  de  Tritheim.  Au  nombre  de  ces  évoques,  se  trouva  entre  autres  le  savant  Scrvat 
Loup,  qui  écrivit  nn  li^Te  at-.trn  p'tpdeitinntiones  hterftcnf^.  Dans  les  trois  synodes  tenus  sous  lîabAn,  on 
condamna  encore  le»  ouv]-a;î--5  suivants  :  De  tibero  arbtfrio,  'le  Prœdcstinatio>te,d^  Sanginnis  Cliristi  super- 
fiud  li.xiiiione.  V.  Tritheimius,  ■  liron.  Hi'iiug.  an.  851;  Si^ebertns,  rfc  Scnptonb.,  joannis,  t.  i,  p.  •«Oi. 

2.  Ti'itlieim.  Vie  de  êuint  Maxime.  Lt  moitié  da  coris  de  ce  dernier  Saint  fat  transférée  à  Halk',  avee 
c«lu:  lî^  a...  j;  „.:  .j... 


S.U.\T   HAB.O   JIAra,    AUCnEVÊQUE   DE   lUI'E.^CE.  283 

5">  Hooiélies  sur  plusieurs  points  de  la  morale  chrétienne,  sur  les  fêtes  de  l'année,  etc.,  etc. 

6°  Traite  des  allégories  ae  C Ecriture. 

7»  Traités  de  l'institution  des  clercs  et  des  cérémonies  de  l'Ef/lise  Ou  des  offices  divins,  divisé 
en  trois  livres.  C'est  un  des  pins  importants  onvrages  de  Raban  Maur. 

8°  Traité  des  saints  Ordres,  des  saa-emeuts  et  des  habits  sacerdotaux  ;  puis  trois  livres  île  la 
discip-'ine  eccMsiaslique.  Ces  deux  ouvrages  traitent  presque  du  môme  sujet  que  le  précédent. 

9°  Un  livre  sur  la  vision  de  Di>«,  lu  pureté  tin  cœur  et  la  manière  de  faire  pénitence,  (j;  ne 
sont  que  des  extraits  de  ce  que  l'auteur  avait  lu  chez  les  Pères. 

10°  Un  Péniientiel,  distribué  en  quarante  chapitres,  et  composé  des  canons  des  conciles  et  des 
décrets  des  Pères. 

H»  Truite  sur  le  maritige  entre  parents,  et  sur  les  magiciens. 

12»  De  l'àme  et  des  vertus. 

13°  Un  martyrologe,  écrit  vers  l'an  845,  que  Canisios  a  fait  imprimer  le  premier.  Mabillon  ea 
a  inséré  le  prologue  dans  ses  Analecl..  page  419,  d'après  un  manuscrit  de  la  bibliothèque  de  Saint- 
Gall. 

14"  Poésies  diverses,  eu  trois  parties;  publiées  à  la  suite  de  celles  de  Fortunat,  par  le  Père 
Brouwer,  à  Mayence,  1617,  in-4°.  On  trouve  encore  un  recueil  de  ces  poésies  dans  Baluze,  1.  4, 
Miscell.  On  y  voit  aussi  le  Vent  Creator,  ce  qui  a  fait  croire  à  quelques-uns  que  Raban  en  était 
l'antcur. 

lô"  Le  livre  de  l'invention  des  langues, iepnh  l'hébreu  jusqu'à  l'allemand,  imprimé  parGoldast, 
avec  des  remarques  sur  les  parties  du  corps  humain,  dans  son  tome  li,  Rer-mi  Alltmnmcarum, 
Francof.  I60G.  Les  ouvrages  nommés  jusqu'ici  sont  les  seuls  qui  se  trouvent  dans  l'édition  de 
Cologne  dont  nous  avons  parlé  plus  haut,  et  qui  est  due  aux  soins  de  Colvenère,  chancelier  de 
l'Université  de  Douai. 

16°  Plusieurs  Lettres,  qui  renferment  souvent  des  choses  importantes  sur  le  dogme,  la  disci- 
pline, le  droit  canonique,  etc. 

17°  Traité  sur  différentes  questions  de  r Ancien  et  du  Nouveau  Testament,  tant  contre  les 
Ju'f.t  que  eontie  le.^  infidèles  ou  les  hérétiques  judaïsants  :  c'est  un  recueil  de  passages  tirés  des 
Pères  et  des  saints  livres.  Dom  Martène  le  publia  d'après  nn  ancien  manuscrit  de  l'abbaye  de  Saint- 
Serge  d'Angers.  Dans  ses  Anecd.,  t.  v,  p.  401,  Schunlc  dit  :  «  Il  est  douteux  que  ce  livre  soit  de 
Raban  ». 

1S°  Un  traité  des  chorévêques,  publié  par  Baluze  à  la  fin  de  I»  Concordia  Sactrdotii  et  Im- 
perti,  par  Pierre  de  Marca,  et  de  la  collection  des  conciles  du  P.  Labbe,  t.  viii.  Baluze  y  ajouta 
encore  un  autre  ouvrage  de  Raban,  intitulé  :  Sur  le  respect  que  doivent  avoir  les  enfants  envers 
leurs  jières,  et  ks  sujets  envers  leurs  princes. 

19°  Le  livre  des  vices  et  des  vertus,  imprimé  à  Anvers,  en  1560,  dans  un  recueil  d'anciens  rits 
de  l'Eglise,  parWolfgang  Lazius. 

20°  Discours  sur  lu  souffrance,  imprimé  par  Dom  Bernard  Pez,  d'après  nn  manuscrit  âgé  d'en- 
viron trois  siècles,  de  l'abbaye  de  Maulk,  Anecd.,  t.  iv,  part.  2,  p.  8.  —  On  y  trouve  l'hymne 
Gloria,  laus,  honor,  sans  indication  d'auteur,  qui,  comme  on  sait,  n'est  autre  que  Théodulphe 
d'Orléans,  mort  en  821,  après  avoir  produit  plusieurs  capitulaires,  ainsi  que  différents  autres  ou- 
vrages en  vers  et  en  prose,  dont  le  P.  Sinnond  publia  une  édition  en  1646.  Voir  Opéra  Sinnondi. 
Venetiis,  1728,  t.  ii. 

21°  Un  traité  de  Comput  ou  calcul,  que  Baluze  a  fait  imprimer,  t.  i»r,  Miscell.,  p.  1,  et 
Prafat.  in  1.  1  Miscell. 

22°  Un  traité  œntre  cetix  qui  combattent  la  règle  de  saint  Benoit,  imprimé  par  dom  Mabillon, 
Annal.  Ben  ,  t.  ii,  append.,  p.  726.  d'après  un  ancien  manuscrit  de  l'abbaye  de  Âlolh. 

23°  Un  Glossaire  latin-allemand  sur  les  livres  de  l'Ancien  et  du  Nouveau  Testament  Jean 
Georges  d'Eckard  l'a  inséré  dans  le  Uoisième  volume  de  rébus  Franciœ  Orient.  Voir  Lambecius, 
Bi.bl.  I,  2.  c.  v,  p.  413,  416  et  952. 

24°  Quelques  autres  écrits  qui  sont  perdus. 

On  lui  a  aussi  attribué  divers  ouvrages  qui  ne  sent  pas  de  lui,  tels  que  le  Traité  du  sacrement 
de  r  Eucharistie,  imprimé  à  Cologne  en  1551,  qui  est  de  Paschasc  Radbert  ;  un  livre  des  Révéla- 
tions cité  par  Possevin;  la  Glose  ordinaire  sur  toute  l'Ecriture,  qui  est  de  Walafride  Strabon  :  un 
traité  des  Mystères  de  la  Messe  ;  un  autre  des  dit-im  Offices,  et  un  Dictionnaire  des  significa- 
tions mystiques.  Le  traité  de  l'Antéchrist,  attribué  tantôt  à  saint  Augustin,  tantSt  à  Alcuin,  et 
imprimé  parmi  les  œuvres  de  Raban,  n'est  d'aucun  d'eux,  mais  d'Adson,  moine  et  depuis  abbé  de 
Moutier-Ender. 

Raban  fait  paraître  beaucoup  d'esprit  et  d'érudition  dans  ses  ouvrages.  Né  avec  de  grands  talents 
pour  toutes  sortes  de  sciences,  il  y  en  eut  peu  qu'il  n'entreprit  de  cultiver,  et  il  le  fit  avei-  succès. 
Quoiqu'on  trouve  dans  ses  écrits  quelques  endroits  qui  ont  besoin  d'explication,  son  style  cepen- 
dant est  simple,  clair,  naturel  et  concis;  il  écrit  moins  bien  en  vers  qu'en  prose;  il  lui  est  même 
échappé  des  fautes  contre  la  prosodie,  ce  qui,  dans  ces  siècles,  n'a  rien  d'étonnant.  Voir  Cave, 
Hist.,  Lettre,  t.  ii,  p.  36;  Dom  Cellier,  Hist.  des  aut.  eccL,  t.  xviil,  p.  755;  Dom  Rivet,  Hist. 
lut.  de  la  France,  U  v;  et  fUchard  Simon,  Critique  de  Dupin,  t.  i«r,  p.  292  ;  Cont.  de  (iodesc. 


2S4  4   FÉVRIER. 


SAINT  ISIDORE  DE  PÉLUSE  (449). 

Ce  fnt  an  voisinage  de  Péluse,  ville  sitoée  sur  l'embouchure  la  plus  orientale  do  Nil,  et  autre- 
fois une  des  principales  de  l'Ejj'pte  après  Alexandrie,  que  fleurit  pendant  longtemps  saint  Isidore, 
surnommé  de  Peiuse  ou  de  Damieile,  par  l'erreur  de  ceui  qui  ont  cru  que  cette  ville  fut  bâtie  sur 
les  ruines  de  l'ancienne  Péluse. 

Il  était  originaire  d'AIesandrie,  d'une  famille  également  noble  et  opulente,  et  alliée  à  celle  du 
patriarche  Théophile  et  de  saint  Cyrille,  son  neveu  et  son  successeur  dans  la  chaire  de  saint  Marc 
î'Evangéliste.  Son  éducation  répondit  à  la  distinction  de  sa  naissance.  Les  Grecs  nous  disent  qu'il 
acquit  à  un  très-haut  degré  les  sciences  divines  et  humaines.  Il  avait  eu  pour  maître  saint  Chry- 
sostome,  et  il  fut  à  son  tour  un  de  ses  plus  illustres  disciples. 

Il  n'était  qu'aux  jour  de  son  adolescence  lorsqu'il  s'engagea  dans  la  vie  monastique.  Ce  fut  au 
désert  de  Lychnos.  d'après  toutes  les  apparences,  qu'il  commença  sa  carrière  religieuse,  et  comme 
il  surpassa  bientôt  tous  ses  frères  en  prudence,  en  sagesse,  comme  en  siceace  et  en  humilité, il  fut 
élu  supérieur  général  de  toute  cette  paciGque  milice.  Son  costume  et  sa  nourriture  révèlent  asser 
ses  grandes  austérités.  Il  ne  portait  qu'un  vêtement  de  poil  très-rude,  et  ne  vivait  que  d'herbes  et 
de  feuilles. 

Elevé  au  sacerdoce  vers  sa  trentième  année,  il  se  lança  avec  une  ardeur  infatigable  et  un  zèle 
invincible  dans  les  combats  du  Seigneur.  Sa  cause  était  la  sienne  ;  il  n'en  fut  pas  un  des  moins 
heureni  champions.  Il  réfuta  victorieusement  les  Juifs  par  les  prophéties,  développa  avec  un  grand 
talent  les  mystères  de  la  très-sainte  Trinité  et  de  l'Incarnation  contre  les  Ariens,  les  Nestoriens,  les 
Sabelliens  et  autres  hérétiques  :  il  prit  éloquemment  la  défense  de  saint  Chrysostome  persécuté,  et 
contribua  puissamment  à  son  retour  au  sein  de  son  troupeau. 

La  mission  particulière  à  saint  Isidore  fut  de  combattre  sans  considération  humaine  les  vices  et 
les  abus  partout  où  il  les  trouvait.  Tout  concourait  d'ailleurs  à  lui  donner  de  l'autorité  sur  les 
esprits  ;  sa  naissance  distinguée,  les  richesses  qu'il  avait  quittées,  le  détachement  dont  il  faisait 
profession,  l'austérité  de  sa  vie,  la  vaste  érudition  qu'il  avait  acquise,  le  rare  talent  de  l'employer 
avec  force  et  avec  énergie,  et  surtout  ce»  brillantes  lumières  qu'il  avait  comme  puisées  dans  le 
sein  de  la  divinité  par  son  oraison  éminente  et  sa  haute  contemplation  ;  tout  cela,  disons-nous, 
faisait  qu'il  poursuivait  vigoureusement  par  sa  plume  le  péché  dans  les  grands  comme  dans  les 
petits,  dans  le  haut  clergé  comme  dans  celui  du  second  ordre,  dans  les  gouverneurs  et  les  magis- 
trats comme  dans  le  peuple,  parce  que  son  amour  pour  Dieu  ne  pouvait  souffrir  de  le  savoir  offensé. 
C'est  ainsi  que  les  Saints  ont  vaincu  les  royaumes,  dit  l'Ecriture,  opéré  la  justice  et  obtenu  les 
célestes  récompenses 

Favorisé  d  une  belle  vieillesse,  exempte  d'infirmités  et  toute  pleine  de  vertus  et  de  gloire,  il 
passa  dans  le  baiser  du  Seigneur  l'an  449. 

Nous  n'avons  aucun  monument  historique  sur  le  désert  de  Lychnos  ;  il  parait  seulement  que 
c'est  celui  que  saint  Hilarion,  au  rapport  de  saint  Jérôme,  visita  en  allant  de  la  Palestine  au  tom- 
beau de  saint  Antoine. 

Voici  quelques  maximes  extraites  des  Lettres  de  saint  Isidore  : 

o  Le  prêtre  est  l'ange  du  Très-Haut  :  or  il  n'est  i  '  int  dit  que  les  anges  soient  légers  et  dissipés. 
Tons  les  discours  qui  blessent  la  gravité  et  la  saïui.té  du  sacerdoce,  doivent  être  inconnus  des 
prêtres. 

«  Ce  n'est  pas  la  puissance  »,  écrivait-il  à  Théodose,  «  qui  honore  et  qui  sauve  le  prince  ;  ce 
sont  ses  vertus  a. 

0  Si  vous  vous  Datiez  »,  répondait-il  à  un  homme  de  guerre,  «  que  votre  épée,  votre  casque, 
votre  cuirasse  vous  garantiront  des  châtiments  que  vous  méritez  par  vos  violences  et  vos  injus- 
tices, sachez  que  d'autres,  bien  mieux  armés  que  vous,  n'ont  point  échappé  aux  coups  d'une  mort 
tragique  ». 

«  Obéissez  i  vos  princes  »,  disait-il  au  peuple,  «  en  ce  qui  n'est  pas  contraire  à  la  loi  de  Dieu  ». 

Voici  les  avis  qu'il  donnait  aux  pères  et  aux  mères  en  écrivant  au  comte  Callimachus  :  «  Le» 
parents  n'obtiendront  le  salut  qu'en  ayant  soin  d'élever,  comme  ils  le  doivent,  dans  la  crainte  de 
Dieu,  les  enfants  qu'ils  ont  mis  au  monde  ». 

CI  Si  vous  voulez  demeurer  veuve  »,  écrivait-il  à  une  jeune  dame,  «  ne  vous  conduisez  pas 
comme  les  jeunes  femmes  s. 


SAi:iT  AVE.\TIN  DE  CH.UITRES.  285 

«  H  importe  fort  peu  de  savoir  parler  de  tout  ;  mais  il  importe  extrêmement  de  savoir  se  biea 
conduire  ». 

Voici  la  belle  leçon  qa'il  donnait  aux  pécheurs  en  écrivant  au  magistrat  Cassius  :  «  Que  la  grJce 
que  Dieu  nous  a  accordée  jusqu'ici  de  faire  pénitence,  ne  nous  rende  pas  faciles  à  pécher  de  nou- 
veau, car  la  même  grâce  il  ne  vous  la  doit  plus,  et  il  est  en  droit  de  vous  la  refuser  du  moment 
que  vous  en  abusez.  Combien  y  en  a-t-il  qui  sont  morts  sans  avoir  eu  le  loisir  de  faire  pénitence  ! 
D'ailleurs  ne  crojez  pas  que  les  crimes  s'expient  si  facilement  que  vous  le  pensez  ;  on  ne  guérit 
ordinairement  les  vices  que  par  une  longue  pénitence,  par  les  travaux,  les  jeunes,  les  veilles,  les 
prières  et  les  aumônes.  Or,  qui  vous  a  promis  que  vous  aurez  tout  le  temps  nécessaire  ?  » 

«  C'est  un  mal  de  pécher,  mais  c'en  est  un  bien  plus  grand  de  le  faire  sans  remords  ». 

«  Trois  choses  rendent  l'homme  parfait  :  la  prière,  la  vertu  et  la  foi.  La  prière  en  est  comme 
l'ornement,  la  vertu  comme  le  corps,  la  foi  comme  l'âme  ». 

«  Si  tous  les  hommes  étaient  traités  en  ce  monde  selon  leurs  mérites,  en  sorte  que  les  impies  y 
subissent  la  peine  due  à  leurs  crimes,  et  les  bons  y  reçussent  la  récompense  de  leur  vertu,  le  juge- 
ment de  Dieu  serait  inutile  ;  mais  il  est  nécessaire,  puisque  les  méchants  prospèrent  le  plus  sou- 
vent en  ce  monde,  et  que  les  justes  y  sont  souvent  affligés  ». 

«  Quand  même  nous  serions  coupables  de  crimes  si  énormes  qu'ils  nous  parussent  irrémissibles, 
le  souverain  Juge  se  laisse  néanmoins  fléchir  dès  que  nous  recourons  à  sa  miséricorde  avec  un 
cœur  véritablement  contrit  ». 

«  Celui  qui  veut  se  venger  et  ne  le  peut  pas,  est  aussi  coupable  que  s'il  s'était  vengé  ;  et  celui 
qui  voudrait  donner  et  qui  n'en  a  pas  le  moyen,  en  a  autant  de  mérite  que  s'il  avait  donné,  parce 
qu'il  faut  juger  des  choses,  non  par  l'événement,  mais  par  la  disposition  du  cœur  ». 

Faisant  un  jour  le  parallèle  des  écrivains  sacrés  avec  les  profanes,  il  disait  :  «  Le  style  des  pre- 
miers est  simple  et  dénué  d'ornement,  mais  le  sens  est  sublime  et  céleste  ;  celui  des  seconds  ne  dit 
rien  que  de  bas  et  de  rampant,  quoique  en  termes  élégants  et  fleuris  ». 

«  On  ne  parviendra  jamais  à  acquérir  la  pureté  tant  qu'on  recherchera  les  délices  de  la  table  ». 

«  Nous  sommes  également  coupables  »,  écrivait-il  à  l'évêque  de  Théon,  «  ou  lorsque  nous  vou- 
lons venger  nos  propres  injures,  ou  lorsque  nous  ne  sommes  pas  touchés  de  celles  qu'on  fait  à  Dieu  ». 

«  11  est  vrai  que  Dieu  est  assez  puissant  pour  se  faire  rendre  justice  ;  mais  il  veut  pourtant  que 
les  gens  de  bien  détestent  le  péché  et  le  fassent  détester,  et  c'est  dans  cette  conduite  de  zèle  que 
les  Saints  faisaient  consister  la  vertu  et  la  véritable  philosophie  ». 

Nous  avons  de  saint  Isidore  de  Peluse  cinq  livres  de  Lettres  en  grec  et  quelques  autres  ou- 
vrages, dont  la  meilleure  édition  est  celle  de  Paris,  donnée  en  1638,  in-folio,  en  grec  et  en  latin. 
C'est  le  recueil  des  éditions  précédentes  de  l'abbé  Billy,  de  Rithershusius,  et  du  Père  Schott,  S.  J. 
L'édition  de  1638  a  été  reproduite  à  Venise  en  1745  (texte  latin  seulement),  à  Lyon  en  1677,  à 
Rome  en  1670,  à  Paris  vers  1848.  Cette  dernière  est  celle  de  M.  Migne.  Le  volume  Lssviii  de 
siPatrclogie  çrecque  contient  tout  ce  qui  nous  reste  des  écrits  de  saint  Isidore. 

Ces  Lettres  sont  courtes  en  général,  d'un  style  concis  et  serré,  pleines  de  suc,  savantes,  sen- 
sées, vives  et  pressantes.  Elles  font  voir  la  profonde  intelligence  que  leur  auteur  avait  acquise  de 
l'Ecriture  sainte,  la  facilité  et  la  liberté  de  son  esprit,  et  le  talent  particulier  qu'il  avait  pour  ins- 
pirer l'amour  de  la  vertu  et  l'horreur  du  vice.  Elles  ont  été  si  estimées,  que  plusieurs  les  ont  jugées 
égales  aux  écrits  de  saint  Basile  le  Grand,  pour  l'onction  et  la  piété,  et  à  ceux  de  saint  Chrysostome 
pour  le  zèle  qu'il  déploie  dans  la  correction  des  abus  et  la  réformation  des  mœurs  '.  Le  Père  Pos- 
sevin,  m  op;,anl.,  disait  qu'on  ne  pouvait  trop  conseiller  la  lecture  des  Lettres  de  saint  Isidore,  et 
il  souhaitait  qu'on  les  adoptât  dans  les  écoles  publiques  pour  former  les  jeunes  gens  à  la  piété  et 
à  l'éloquence.  Avis  aux  compilateurs  de  classiques  chrétiens. 

Dupin  parle  beaucoup  des  écrits  de  saint  Isidore  *.  Il  dit  qu'entre  autres  matières,  il  avait 
traité  celle  de  la  présence  réelle  de  Jésus-Christ  dans  l'Eucharistie,  et  de  l'honneur  du  à  la  très- 
sainte  Vierge  et  aux  Saints. 

Cf.  Esprit  des  Saints,  par  M.  l'abbé  Grimes. 


SAINT  AVENTIN  DE  CHARTRES  (528). 

Aventin,  né  à  Chàteaudun,  d'une  race  noble,  florissait  par  sa  science   et  sa  piété,  sous  le 
règne  de  Clovis  I".  Il  remplissait  les  fonctions  d'archidiacre  dans  l'église  de  Chartres,  lorsque, 

1.  Voii-  Ba!i:ct.  t.  II,  p.  79.  —  2.  Elb!.,  t.  m,  p.  7. 


286  4  FÉviUEii. 

ï  la  place  de  saiat  Solenne  ou  Soulaine,  son  frère,  qui  s'était  enfui  dans  la  solitude,  et  y 
demeurait  cactiii  pour  éviter  la  dignité  épiscopale  à  laquelle  on  voulait  l'élever,  il  fut  élu  et  or- 
donné évéque  de  U  même  église.  Mais  Soleaiae  ayant  été  découvert  et  raineué,  Aïcutiu  lui  céda 
sans  peine  une  fonction  non  moins  onéreuse  qu'honorable.  Cependant,  afin  que  1'  grice  de  l'ordi- 
aatioa  ne  demeurât  pas  vaine  dans  un  homme  d'un  si  grand  roérile,  le  bienheureux  Solenne  lui 
confia  le  gouvernemeul  spirituel  du  pays  Dunois,  et  il  fixa  sa  résidence  à  ChJiteaudun.  C'était 
une  situation  toute  particulière,  dont  un  certain  Promotus  s'elTorça  d'abuser  à  son  prolit,  voulant, 
quelques  annéo*  après,  se  constituer  évéque  du  Dunois  ;  mais  le  quatrième  concile  de  Paris,  sur 
les  instances  de  Pappole,  évéque  de  Chartres,  réduisit  à  néant  cette  prétention  singulière. 

Après  la  mort  de  Solenne,  anivée  vers  l'an  509,  Avenlui  administra  toute  l'église  chartraine. 
Car  ce  fut  en  qualité  d'évèque  de  Chartres  qu'il  souscrivit  aux  conciles  auxquels  il  assista,  en  par- 
ticulier à  celui  d'Orléans,  tenu  en  511.  Il  construisit  trois  églises  à  ses  frais;  son  pouvoir  contre 
les  démons,  sa  charité  envers  les  pauvres  et  ses  autres  nombreuses  et  grandes  vertus,  le  rendirent 
célèbre.  Enfin,  une  fièvre  l'ayant  saisi,  il  rendit  sou  àme  à  Dieu  le  t  de  février  528. 

U  fut  enterré  à  Cliàteauduu  dans  un  oratoire  qu'il  s'était  fait  construire.  Plus  tard  on  érigea  aa 
même  endroit  une  église  de  Saint-.Médaal,  inaiuleiiaul  détruite,  mais  qui  fut,  durant  plusieurs 
siècles,  un  lieu  trés-fré<]ueuté  de  pèlerinage  pour  tout  le  pays  voisin.  On  y  venait  implorer  le 
secours  de  saint  Aventin,  s'acquitter  des  vœux  qu'on  avait  faits,  et  surtout  pour  obtenir  du  soula- 
gement dans  les  maux  de  tcte.  Les  ossements  du  bienheureux  prélat,  soigneusement  dérobés  à  la 
profanation  des  impies,  à  l'époque  désastreuse  de  nos  discordes  civiles,  et  déjà  reconnus  par  un  de 
nos  évêqnes,  Claude-Uippolyte  de  .Montalte,  ont  été,  en  1853,  solennellement  transférés  dans  l'église 
paroissiale  de  Sainte-Madeleine,  par  très-illustre  et  t"ès-révérend  Louis-Eugène  Regnauld,  évéque 
de  Chartres. 

Sa  fête  se  célèbre  à  Chartres  depuis  longtemps,  et  à  Chàteaudun  dès  avant  la  bulle  de  Pie  V  sur 
la  réforme  du  Bré\iaire,  comme  cela  est  constant  par  le  Propre  à  l'usage  des  chanoines  de  l'église 
de  Sainte-Marie-Madeleine  de  Chàteaudun. 

Propre  de  Chartres. 


SAINT  AVENTLN  DE  TROYES,  ERMITE  (538). 

Sans  la  'bonté  du  cœur,  riiorame  est  un  être  inquiet, 
mtsérAblc,  fanesto  à  la  terre  et  à  lui-même. 

Aventin  naquit  à  Bourges  d'une  famille  de  moyenne  condition.  Il  vint  demeurer  à  Troyos,  attiré 
par  le  bruit  des  vertus  de  saint  Loup.  Son  cœur  était  humble,.sa  chasteté  parfaite;  ses  connaissances, 
étendues  et  variées;  sa  prudence,  achevée;  sa  charité,  pleine  de  tendresse.  Connaissant  le  mérite  et 
la  sainteté  d'Avenlin,  Camélien,  successeur  de  saint  Loup  sur  le  siège  de  Troycs,  lui  confia  l'ad- 
ministration des  celliers  et  magasins  d'où  il  tirait  les  aumônes  abondantes  qu'il  faisait  aux  clercs 
ainsi  qu'aux  pauvres,  aux  veuves  et  aux  pupilles.  Dieu  témoigna  par  un  miracle  combien  il  agréait 
les  aumônes  et  l'instrument  de  leur  distribution  :  le  vase  qui  contenait  le  vin  ser%'ant  aux  besoins 
quotidiens  de  l'Eglise  et  des  pauvres  se  remplissait  plus  vite  qu'il  ne  se  vidait,  bien  qu'on  ypnisilt 
ious  les  jours.  L'évèque  en  fil  lui-même  l'expérience  en  y  plongeant  une  baguette  plusieurs  fois. 
Le  vin  miraculeux  disparut  sous  un  autre  économe.  Aventin  craignant  alors  que  ce  prodige  ne  lui 
fit  de  l'honneur  parmi  le  peuple,  demanda  et  obtint  de  son  évéque  la  permission  de  se  retirer. 
D'abord  il  se  construisit  une  hutte  dans  le  voisinage  d'une  église  et  d'une  fontaine  ;  mais  s'y  trou- 
vant trop  exposé  à  la  foule  des  visiteurs  qui  le  distrayaient  de  sa  méditation  et  de  son  oraison,  il 
gagna  une  Ile  située  entre  les  eaux  de  la  Seine  et  de  l'Ozain,  à  dix  kilomètres  de  Troycs.  Le  lieu 
désert  où  il  s'arrêta  devint  un  hameau,'  réuni  aujourd'hui  à  la  paroisse  de  Verrières,  et  s'appelle 
encore  dn  nom  du  pieux  ermite  Saint-Aveufin-sous-Verrières.  Là  il  fut  élevé  à  la  prêtrise  et  il 
put  dispenser  les  faveurs  spirituelles  comme  autrefois  il  avait  distribué  les  biens  temporels. 

n  n'avait  emporté  avec  lui  dans  sa  retraite  qu'un  peu  de  pain,  une  pioche,  de  la  semence  de  légumes, 
on  peu  de  sel,  de  l'orge,  du  millet  et  du  panic,  c'est-à-dire  de  quoi  cultiver  la  terre  et  de  quoi  soutenir  sa 
vie  en  attendant  qu'il  récoltàL  Tout  le  temps  qu'il  fut  dans  cette  retraite,  son  occupation  était  de  louer 
Dieu  par  le  chant  des  psaumes;  sa  nourriture  consistait  en  un  pain  d'orge  écjasé  et  mélangé  avec 


SAD<T    TKv'CENT   DE   TROTES.  287 

des  légumes  et  des  racines  d'herbes  ;  c'était  là  ce  qu'il  mangeait  tons  les  trois  jonrs  en  bnvant  de 
l'eau  ;  le  reste  du  temps  il  jeûnait.  Son  vêtement  se  composait  d'abord  d'un  ciliée  très-rude,  d'une 
tunique  usée,  d'une  ceinture  de  peau,  d'une  vieille  coule,  de  sandales  peur  chaussures;  son  lit  était 
fait  de  peaux  de  bétes.  Son  habitation  était  très-déserte  et  plus  souvent  visitée  des  bètes  que  des 
homŒes.  Un  jour  qu'il  vit  venir  à  lui  un  ours  qui  hurlait  de  douleur,  à  cause  d'une  grosse  épine 
qu'il  s'était  enfoncée  dans  la  patte,  il  le  délivra  de  son  mal,  et  la  bêle  reconnaissante  se  roulait  à 
ses  pieds  en  le  caressant.  Une  biche  poursuivie  par  des  cbiens  de  chasse  se  réfugia  près  de  lui 
épuisée  de  fatigue  et  il  la  sauva.  Un  jour  qu'il  allait  à  Troyes,  il  aperçut  un  cavalier  et  un  démon 
tssis  derrière  lui,  qui  le  menaçait  de  le  précipiter  et  de  le  perdre  ;  il  conjura  par  une  prière  le 
danger  qui  menaçait  cet  homme. 

Telle  était  son  innocence,  que  les  oiseaux  venaient  se  poser  sur  sa  main  pour  y  becqueter  les 
miettes  de  pain  qu'il  leur  tendait  par  la  fenêtre  de  sa  cabane,  et  qu'après  avoir  mangé  le  pain,  ils 
revenaient  chanter  autour  de  lui  comme  pour  le  remercier.  Un  seipent  se  réfugia  dans  son  foyer, 
et,  après  avoir  fait  ses  petits,  il  se  retira  sans  être  maltraité  par  Aventin.  Un  moine  qui  était  venu 
se  joindre  à  lui,  prenait  parfois  des  petits  poissons  qu'il  voulait  servir  au  Saint  comme  un  petit 
idoucissemenl  à  ses  privations  ordinaires  ;  .\ventin  ne  manquait  pas  de  reporter  à  la  rivière  tous 
ceux  qui  étaient  encore  en  vie.  11  avait  une  grande  autorité  sur  les  démons  qui  sortaient  des  pos- 
sédés, en  publiant  sa  puissance.  Enfin,  il  émigra  de  ce  monde  vers  le  Seigneur,  le  4  février. 

Peu  de  temps  après,  vers  l'an  549,  saint  Vincent,  qui  avait  succédé  à  saint  Camélien  sur  le  siège 
épisccpal  de  Troyes,  fit  bâtir  aux  portes  de  la  ville  une  église  en  l'honneai-  de  saint  Avenlin  et 
voulut  y  être  enterré  lui-même.  Cette  église  devint  paroisse  vers  le  ix«  siècle  et  comprenait,  outre 
la  population  d'un  quartier  de  la  ville,  le  hameau  de  la  Vacherie  et  une  partie  de  celui  de  la 
MoUne.  Cette  église  fut  en  partie  démolie  à  la  Révolution,  et  il  n'en  resta  que  deux  travées  qui  dis- 
parurent en  1833. 

A  une  époque  qu'on  ne  peut  préciser,  mais  assurément  avant  le  nii»  siècle,  les  reliques  de 
saint  Aventin  passèrent  de  l'église  qui  lui  était  dédiée  dans  la  collégiale  de  Saint-Etienne. 

La  Révolution  détruisit  encore  la  magnifique  châsse  de  saint  Aventin  et  jeta  au  vent  les  reliques 
qu'y  avaient  placées  les  chanoines  de  Saint-Etienne.  Les  paroisses  de  Creney  et  de  Saint-Aveatin- 
sons-Verrières  purent  dérober  à  la  profanation  les  pai-celles  qui  leur  avaient  été  cédées  en  Ifitil  et 
en  1605.  Creney  possède  une  cote,  et  Saint-Aventin-sous- Verrières  l'os  appelé  clavicule.  Ces  reliques 
ont  été  reconnues  de  nouveau  le  14  octobre  1830. 

La  cathédrale  de  Troyes  se  glorifie  de  posséder  une  notable  partie  du  crâne  du  saint  anachorète  '. 

Saint  Aventin  est  patron  de  Creney  et  de  Saiut-.\ventin-sous- Verrières. 

On  place  souvent  près  de  lui  des  ours  et  des  oiseaux,  pour  exprimer  son  empire  sur  les  créatures 
vivantes.  On  peut  encore  le  représenter  lisant  dans  sa  cellule;  près  de  lui  un  cerf  couché. 

Ancien  Propre  de  Troi/es,  imprimé  en  1648 ;  Saints  de  Troyes,  par  M.  Defer  et  Probationes  cuUus 
dÛEcesis  Trecensis. 


SAINT  VINCENT  DE  TROYES  (336). 

Vincent,  dixième  évèque  de  Troyes,  ceignit  la  mitre  pontificale  environ  l'an  526.  H  fut  un  pon- 
tife selon  le  cœur  de  Dieu.  Il  montra  un  grand  zèle  pour  le  culte  des  Saints,  il  honora  en  particulier 
saint  Aventin,  disciple  de  saint  Loup  et  de  saint  Camélien,  et  le  canonisa.  Il  fit  bâtir  une  chapelle 
non  loin  des  murs  de  la  ville  de  Troyes,  sur  le  lieu  de  son  tombeau,  et  voulut  y  être  enseveli  lui- 
même,  comme  il  a  été  déjà  raconté  dans  la  vie  de  samt  Aventin.  11  florissait  sous  Childebert  I", 
roi  de  France,  vers  l'an  526.  Une  de  ses  côtes,  contenue  dans  une  petite  châsse  d'argent  munie 
d'une  inscription  en  lettres  gothiques,  se  trouvait  parmi  les  reliques  de  saint  Aventin.  Le  reste  de 
son  corps  est  demeuré  dans  son  tombeau,  lequel  a  été  détruit  à  la  Révolution  en  même  temps  que 
l'église  de  Sainl-Aventin. 

Ancien  Propre  de  Troyes,  imprimé  en  1648. 

1.  Mais  cette  relique  ne  doit  pas  jouir  d'une  incontestable  authenticité;  sans  quoi  M.  Lalore,  profes- 
sear  au  grand  séminaire  de  Troyes  et  auteur  d'un  savant  mémoire  intitulé  Probationes  cultus  diœcesit 
Trecensis  n'aurait  pas  manqué  d'en  signaler  la  présence. 


288  4  FÉVRIER. 


SAINT  REMBERT  DE  BRÈME  (888). 

Rembert,  disciple  et  successeur  de  saint  Anschaire  sur  le  siège  de  Brème  ',  naquit  pr6s  de 
Bruges,  en  Flandre.  Saint  Anschaire  ayant  remarqué  un  jour,  parmi  une  foule  d'enfants  qui  se 
rendaient  à  l'église,  un  jeune  garçon  remarquable  par  son  air  de  modestie  et  sa  piété,  il  s'informa 
de  sou  nom.  Ayant  cru  reconnaître  en  lui  toutes  les  marques  d'un  cœur  pur  et  d'un  esprit  bien  doué, 
il  oria  ses  parents  de  le  mettre  dans  sa  communauté  de  Thurolt  et  lui  conféra  aussitôt  la  tonsure. 

Cet  enfant  était  saint  Rembert. 

Le  saint  archevêque  l'associa  bientôt  à  ses  travaux  apostoliques,  et  lorsqu'il  mourut,  il  répondit 
à  ceux  qui  le  consultaient  sur  le  choix  de  son  successeur  :  «  Rembert  est  plus  digne  d'être  arche- 
vêque, que  moi  d'être  diacre  ».  11  était  en  elTet  simplement  diacre,  mais  il  fut  élu  le  jour  mémo 
de  l'enterrement  d'Anschaire  pour  gouverner  les  diocèses  unis  de  Brème  et  Hambourg.  Après  son 
sacre,  il  se  souvint  d'un  vœu  qu'il  avait  fait  de  devenir  religieux,  s'il  survivait  ï  son  bien-aimé 
maître  Anschaire.  Pour  le  remplir,  il  alla  prendre  l'habit,  à  la  nouvelle  Corbie,  ofi  il  promit  solen- 
nellement de  garder  la  règle  de  saint  Benoit,  autant  que  le  comporterait  sa  nouvelle  charge.  Sous 
son  épiscopat,  les  Normands  firent  de  nombreuses  incursions  en  Frise  :  il  délivra  par  ses  prières 
une  des  villes  de  ce  pays  sur  le  point  d'être  prise.  Il  avait  comme  son  prédécesseur  l'inspection 
générale  des  églises  au  nord  de  l'Elbe  :  Allemagne,  Suède,  Danemark,  etc.;  il  mit  la  dernière  main 
à  l'œuvre  si  heureusement  commencée  par  saint  Anschaire.  Sa  charité  pour  les  malheureux  était 
grande  :  il  n'hésita  pas  un  jour  à  vendre  les  vases  de  son  église  pour  racheter  les  esclaves  que  les 
Normands  étaient  venus  capturer  dans  les  limites  de  son  diocèse.  Il  mourut  en  88S,  dans  un  âge 
très-avancé,  après  avoir  été  évêque  vingt-trois  ans  et  cinq  mois.  11  fut  inhumé  à  Brème,  et  selon  le 
vœu  de  son  humilité,  hors  des  murs  de  l'église,  à  cùlé  de  saint  Willeliad.  premier  évêque  de  cette  ville. 

On  le  représente  i"  debout  tenant  une  croix  à  double  croisillon;  2»  distribuant  aux  pauvres 
les  fragments  des  vases  sacrés  qu'il  avait  brisés  pour  aider  son  peuple  dans  une  famine  ;  3»  priant 
dans  le  voisinage  d'une  grande  bataille  que,  grâce  à  ses  prières,  les  lidèles  de  son  diocèse  gagnèrent 
contre  les  paiens. 

0.1  adesMii  Uombert  :  1°  la  vie  de  saint  Anschaire,  écrite  avec  beaucoup  de  fidélité  et  de  goût  ; 
2"  une  lettre  à  Walburge,  première  abbesse  de  Kienheersa.  C'est  une  exhortation  fort  pathétique 
à  l'humilité  et  à  la  virginité. 


S.\INT  GILBERT,  FONDATEUR  DES  GILBERTINS  (1190). 


Ce  Saint  naquit  à  Sempringhara,  dans  la  province  de  Lincoln,  en  Angleterre.  Ayant  été  formé  à 
la  pratique  de  toutes  les  vertus  cléricales,  il  fut  élevé  aux  saints  ordres,  puis  reçut  la  prêtrise  de 
l'évêque  de  Lincoln.  Il  ouvrit  une  école  où  il  enseigna  quelque  temps  à  la  jeunesse  les  principes 
des  sciences  et  encore  plus  les  grandes  maximes  de  la  piété.  En  1123,  il  fut  nommé  ii  la  cure  de 
Sempringham  et  à  celle  de  Tirington.  Ces  deux  paroisses,  dont  son  père  était  seigneur,  avaient  été 
unies,  et  pouvaient  par  conséquent  être  desservies  par  un  même  prêtre.  Le  Saint  ne  se  réserva  du 
revenu  de  ces  deux  bénéfices,  que  ce  qui  lui  était  absolument  nécessaire  pour  vivre:  tout  le  reste 
fut  distribué  aux  pauvres.  Il  se  livra  tout  entier  à  l'instruction  de  ses  paroissiens,  et  ce  fut  avec  un 
succès  extraordinaire.  Ils  vivaient  en  effet  dans  leurs  maisons  comme  des  religieux  dans  leurs 
cloîtres,  et  il  suffisait  de  les  voir  pour  connaître  quel  était  leur  pasteur.  Sept  vierges  s'étant  con- 
sacrées à  Dieu  dans  une  maison  voisine  de  l'église  paroissiale  de  Sempringham,  Gilbert  en  prit  un 
soin  particulier,  et  leur  donna  une  règle  qu'elles  observaient  exactement  dans  leur  retraite;  il  en 
donna  une  aussi  à  une  communauté  d'hommes  qui  demandèrent  à  vivre  sous  sa  conduite.  Il  avait 
tiré  la  première  de  ces  règles  de  celle  de  saint  Benoît,  et  la  seconde  de  celle  des  chanoines  régu- 

1.  Voir  la  vie  de  saint  Anscbairo  au  3  février,  ad  finem. 


SArar  JOSEPH   DE  LÉONISSA.  289 

liers  ;  mais  il  ajouta  à  l'uoe  et  l'autre  quelques  nouvelles  constitutioas.  Telle  fut  l'origine  de  l'Ordre 
des  Gilberlius,  que  le  pape  Eugèae  111  approuva. 

Notre  Saint  entra  lui-même  dans  cet  Ordre  et  en  prit  le  gouvernement,  dont  il  se  démit  toute- 
fois quelque  temps  avant  sa  mort.  11  ne  se  nourrissait  que  de  racines  et  de  légumes  ;  encore  man- 
geait-il si  peu  que  l'on  ne  concevait  pas  comment  il  pouvait  subsister.  11  avait  toujours  à  table  un 
plat  qu'il  appelait  le  /i/«/  ilii  Seigneur  Jésus.  Il  y  mettait  ce  qu'on  lui  servait  de  meilleur,  puis  le 
faisait  donner  auî  pauvres.  Son  amour  pour  les  mortifications  était  insatiable.  Il  portait  habituelle- 
ment le  cilice,  ne  dormait  que  fort  peu  et  assis,  employant  une  grande  partie  de  la  nuit  à  la  prière. 
C'était  dans  ce  saint  exercice  que  son  âme  trouvait  ces  ailes  spirituelles  par  le  moyen  desquelles 
elle  s'élevait  jusqu'au  trùne  de  la  divine  Majesté. 

Dieu  voulut  éprouver  son  serviteur  en  permettant  auï  hommes  de  le  persécuter.  Saint  Thomas 
de  Cantorbéry  ayant  été  exilé,  Gilbert  et  les  autres  supérieurs  de  son  Ordre  furent  accusés  de  lui 
avoir  fait  passer  des  secours.  L'accusation  était  fausse  ;  mais  le  saint  abbé  aima  mieux  être  mis  en 
prison,  et  courir  le  risque  de  voir  supprimer  son  Ordre,  que  de  se  justifier,  dans  la  crainte  de 
paraître  condamner  une  action  qui  aurait  été  juste  et  bonne  en  elle-même.  Enfin,  après  avoir  fourni 
une  carrière  aussi  longue  que  sainte,  il  mourut  le  4  février  1190.  Il  était  âgé  de  cent  six  ans.  Les 
miracles  qui  s'opérèrent  à  son  tombeau  ayant  été  vérifiés  par  Hubert,  archevêque  de  Cantorbéry,  et 
par  les  commissaires  qu'Innocent  UI  nomma  en  1201,  il  fut  canonisé  l'année  suivante  par  ce  Pape. 
On  attribue  à  ce  saint  abbé  les  statuts  des  Gilbertms,  et  les  exhortations  à  ses  frères. 

En  mourant,  Gilbert  avait  vu  sa  famille  atteindre  le  chiffre  de  sept  cents  membres,  distribués  en 
treize  couvents  d'hommes  et  neuf  de  femmes.  L'Ordre  comptait  vingt  et  un  monastères  à  l'époque 
de  sa  suppression,  sous  Henri  VUI  :  il  y  en  a  encore  une  maison  à  Baltimore,  dans  la  Médie 
occidentale,  en  Irlande. 

On  met  dans  la  main  de  saint  Gilbert  une  église  comme  symbole  de  sa  fondation. 

Godeseard. 


SALNT  JOSEPH  DE  LÉONISSA,  MINEUR  CAPUQN  (1612). 

En  1587,  Joseph  de  Léonissa  était  parti  comme  missionnaire  à  Fera,  faubourg  de  Constantinople. 
Les  galériens  furent  ceux  au  service  desquels  il  se  dévoua.  Il  les  soigna  avec  un  zèle  et  un  courage 
admirables  pendant  une  peste  qui  les  décima,  il  en  fut  atteint  et  fut  miraculeusement  sauvé  par  la 
Providence  :  il  vit  plusieurs  renégats,  dont  un  était  pacha,  revenir  à  la  religion  chrétienne.  Les 
mahométans  entrèrent  à  cette  nouvelle  dans  une  rage  extrême,  se  saisirent  du  missionnaire  et  le 
pendirent  à  une  croix  par  un  pied  et  par  un  bras.  Longtemps  on  le  laissa  ainsi  suspendu,  après 
quoi  le  sultan  commua  sa  condamnation  à  mort  en  exil  perpétuel.  11  retourna  en  Italie  et  continua 
à  s'y  livrer  aux  travaux  apostoliques.  Atteint  vers  la  fin  de  sa  vie  d'un  cancer  horrible,  on  jugea 
bon  de  lui  faire  opération  et  on  voulut  le  lier,  mais  lui,  prenant  son  crucifix  :  «  Voilà  »,  dit-il, 
«  le  plus  fort  de  tous  les  liens,  il  me  tiendra  immobile  beaucoup  mieux  que  toutes  les  cordes  ».I1 
rendit  son  âme  à  Dieu,  le  4  février  1612. 

Bien  qu'il  ne  soit  mort  qu'après  son  retour  en  Italie,  on  place,  dans  les  images  qu'on  a  faites  de 
lui,  le  gibet  oii  il  fut  accroché  par  un  pied  et  une  main,  à  cause  de  son  prosélytisme  au  milieu  des 
Turcs. 

Voir  notre  Palmier  liraphigue,  U  volâmes  in-S^  :  la  vie  de  uint  Joseph  de  Léonissa  y  est  raconte: 
tout  au  long. 


Vies  vcc  Sai.nis.  —  Tome  i'f. 


19 


290  5  FÉVMER. 


Y^  JOUR  DE  FÉVRIER 


MARTYROLOGE   ROMAIN. 

A  Cataae,  ea  Sicile,  la  naissance  au  ciel  de  ssinte  Agathe,  vierge  et  martyre,  qui,  an  temps  de 
l'empereur  Dèce,  après  avoir  enduré,  sons  le  jnge  Qiiintianus,  les  soufflets,  la  prison,  le  chevalet 
et  ses  tortures,  après  avoir  eu  les  mamelles  coupées,  et  avoir  été  roulée  sur  des  tessons  et  des 
charbons,  consomma  son  sacritice  dans  la  prison  en  priant  Dieu.  251.  —  Dans  la  province  de  Pont, 
la  mémoire  de  plusieurs  saints  martyrs,  dont  les  uns,  dans  la  persécution  de  Maximien,  furent 
arrosés  de  plomb  fondu,  les  autres  eurent  des  roseaux  aigus  enfoncés  sous  les  ongles,  et  furent 
soumis  à  de  nombreux  tourments  plusieurs  fois  réitérés,  et  qui  tons  méritèrent  les  couronnes  du 
Seigneur  par  un  glorieux  combat.  iv«  s.  —  A  Alexandrie,  saint  Isidore,  martyr,  qui  fut  décapitô 
pour  la  foi  de  Jésus-Christ,  par  ordre  de  Numérien,  général  d'armée,  dans  la  persécution  de  Dèoê. 
ii[e  s.  —  Au  Japon,  la  passion  de  vingt-six  Martyrs,  qui,  pour  la  foi  catholique,  furent  mis  en 
croix,  percés  de  coups  de  lance,  et  succombèrent  glorieusement  en  louant  Dieu  et  en  prêchant  la 
même  foi.  1591.  —  A  Vienne,  le  bienheureux  Avite,  évèque  et  confesseur,  qui  préserva  les  Gaules 
de  la  contagion  de  l'hérésie  arienne  par  sa  foi,  sa  prudence  et  son  admirable  doctrine.  525.  —  A 
Brixen,  dans  le  Tyrol,  les  saints  évèques  Génuin  '  et  Aubin,  dont  la  vie  a  été  illustrée  par  des  mira- 
cles. 640  et  1015. 

MARTYROLOGE  DE  FRANCE,  REVU  ET  AUGMENTÉ. 

A  Maëstricht,  saint  Agricole,  évèque,  successeur  de  saint  Servais.  Il  monta  sur  le  siège  épisco- 
pal  en  381  et  mourut  vers  420.  —  A  Soissons,  saint  Wodoel  ou  VonÉ,  solitaire  et  confesseur, 
700.  —  A  Saint-Pierre  de  Gand,  saint  Bertulphe  ou  Bernon,  abbé.  705.  —  An  diocèse  de 
Tournai,  saint  André,  abbé,  disciple  de  saint  Amand,  et  son  successeur  dans  l'abbaye  de  son  nom. 
—  A  Cologne,  sainte  Adélaïde,  vierge,  abbesse  de  Veitch,  près  de  Bonn,  sous  la  règle  de  Saint- 
Benoit,  et  ensuite  de  Notre-Dame  de  Cologne,  deux  monastères  fondés  par  son  père,  le  comte  de 
Gueldres.  1015. 

MARTYROLOGES   DES    ORDRES   RELIGIEUX. 

Mariyrologe  Romnno-Sérnphique.  —  Au  Japon,  la  passion  de  viagt-sii  martyrs,  dont  six, 
Bavoir  :  Pierre-Baptiste,  Martin,  François,  Philippe,  Gonsalve  et  un  autre  François,  appartiennent 
à  l'Ordre  des  Mineurs  ;  quinze  autres,  leurs  compagnons  dans  le  ministère  apostolique,  sont  du 
Tiers  Ordre;  on  leur  en  adjoint  deux  qui  les  servaient  dans  la  prison;  tous  furent  mis  en  croix 
pour  la  foi  catholique  ;  et,  percés  de  coups  de  lance,  ils  succombèrent  glorieusement  en  loaautOieu 
et  en  prêchant  la  même  foi.  1597. 

ADDITIONS  FAITES  d'APRKS   LES   BOLLANDISTES  ET  AUTRES   HAGIOGRAPIUÎS. 

En  Corée  et  en  Cochinchine,  plusieurs  martyrs  dont  on  trouvera  les  noms   et  l'histoire  aa 


8 


lin   L-oree  ei  eu    i.jucinucmnc,  piusicuis  uidiivis  uuut   uu   iiuuveid    les    uuui»    ci    i  ui»iuiro   «u 
février,  volume  de  supplément.  —  A  Anazarbe,  ea  Cilicie,  les  saints  Théodule,  Boëce,  Evagre, 


1.  Quelques  manuscrits  portent  Ingenuinus  an  lieu  de  Genuinus.  Paul,  diacre,  pari»  de  Génuin  dans 
ses  Ge>fes  des  LombnrdSy  liv.  m,  eh.  85.  Barthélémy,  de  Trente,  a  écrit  sa  vie.  Il  fut  évèque  de  Saliîono, 
aujourd'hui  Sihen.  Il  fut  exilé  pendant  la  domination  lomharde,  et  mourut  en  exil.  Sou  corps  fut  trans- 
porté à  Brixen,  et  il  fut  associé  pour  le  culte  à  saint  Albin,  évûquo  de  Brixen. 

L'c>Gchéde  Brixen  confine  avec  rarchcvr:ché  de  Sal/.bourg,  le  Tyrol,  l'évêché  de  Trente  et  la  prorince 
de  Bellune  :  saint  Cassien  le  fonda  en  360  sous  le  pape  Damase  I®»"  et  rétablit  à  Sihen,  ville  de  la  T^'-tle. 
A  la  suite  d'inv&iions,  saint  Kichpert,  d'autres  disent  saint  Albin,  le  trf^n^féra  a  Brixen.  Le  payscst  licho. 
mais  tibs-montagneax. 


SAINTE    AGATHE,    VIERGE   ET  MARTYRE.  291 

Uacaire,  et  plusieurs  autres,  martyrs.  Les  trois  derniers  furent  convertis  à  la  Toe  du  supplice  de 
sainte  Théodule  et  brûlés  avec  elle,  sons  le  règne  de  Dioclétien.  —  En  Afrique,  les  saints  Révocat, 
Sature,  Félii,  Saturnin,  Gélase,  martyrs.  —  A  Chieti,  ancienne  Théate,  dans  les  Abrurzes,  salut 
Légontien  et  saint  Domitien,  martyrs.  —  En  Catalogne,  sainte  Calamande,  vierge  et  martyre  ;  on 
l'invoque  surtout  dans  les  grandes  sécheresses.  —  A  Glaston,  en  Angleterre,  les  saints  Indract  et 
Dominique,  et  leurs  neuf  compagnons,  martyrs,  au  commencement  dn  vin»  s.  — AMilstat  ou  Muhls- 
tadt,  en  Cariolhie,  les  bienlieureus  Dumitien  ou  Tuiliea,  duc  de  Carinttiie,  son  épouse  Marie,  et  na 
enfant  anonyme.  Le  bienheureui  Domitien  fat  enterré  à  Muhlsladt  dans  l'église  qu'il  avait  bâtie.  En 
H02,  des  religieiu  et  des  religieuses  de  Saiat-Benoit  furent  amenés  à  Muhlstadt.  Plus  tard  l'empereur 
Frédéric  111  donna  le  conventdesmoinesauichevaliersde  Saint-Georges.  Dans  la  suite,  il  fui  cédé  àla 
Compagnie  de  Jésus,  qui  en  appliqua  les  revenus  à  la  fondation  d'un  collège  et  de  l'académie  de  Gratz. 
C'est  ainsi  que  toujours  et  partout,  les  biens  de  l'Eglise  ont  servi  à  fonder  ces  Universités,  si  fières 
et  si  rebelles,  qui  ont  tourné  contre  la  religion  les  armes  qu'elles  en  avaient  reçues  pour  l'éclat  et 
U  défense  de  la  civilisation  chrétienne.  Domitien  détruisit  les  idoles  qui  subsistaient  dans  la 
contrée,  et  notamment  les  mille  statuer  dont  on  prétend  que  le  nom  de  cette  ville  est  issn,  pour 
élever  en  leur  place  des  églises  et  des  monastères.  Commencement  da  ts."  s.  Le  tombeau  de  saint 
Domitien  est  resté  célèbre  par  les  miracles  qui  s'y  sont  opérés.  La  peinture  l'a  réuni,  dans  un 
groupe  de  famille  sainte,  à  sa  femme  et  à  son  enfant.  —  En  Grèce,  saint  Polyeucte,  patriarche  de 
Constantinople.  970.  —  En  Carinthie,  sainte  Agathe  FIildegabde.  1024.  —  k  Nangasaki,  au 
Japon,  les  vingt-six  martyrs  Pierre-Baptiste,  Martin  de  l'Ascension  on  d'Aguirre,  François  Blanc, 
prêtres;  Philippe  de  Jésus  ou  de  Las  Cases,  acolythe;  Gonzalve  Garsias,  François  de  Saint-Michel, 
laïques,  tous  de  l'Ordre  de  Saint-François;  Paul  Miki,  Jean  Got,  Jacques  ou  DidaceKisai  de  la  Compagnie 
de  Jésus  ;  et  avec  eux  :  Cosme  Tachegia,  Michel  Cozachi,  Paul  Ibarchi,  Léon  Catasumaro,  Ludovic, 
Antoine,  Mathias,  Bonaventure,  Thomas  Cozachi,  Joachim  Saccachibara,  François,  Thomas  Dauchi, 
Jean  Chimoia,  Gabriel,  Paul  Suzuehi,  CaTus-François,  Pierre  Su-Chegiro.  —  En  Judée,  le  pa- 
triarche Jacob,  fils  d'isaac,  petit-fils  d'Abraham,  sur  lequel  Dieu  versa  des  bénédictions  en  abon- 
dance, et  que  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  a  pour  ainsi  dire  canonisé  lui-même,  puisqu'il  a  dit  que 
les  bienheureui  auraient  place  dans  le  royaume  des  cieux  avec  Abraham,  Isaac  et  Jacob.  L'Eglise 
ne  lui  a  jamais  rendu  de  coite  particnlier. 


SAINTE  AGATHE,  VIERGE  ET  MARTYRE 

Sâl.  —  Pape  :  saint  Corneille.  —  Empereur  :  Dèce. 


A  la  messe.  Immédiatement  apr^  rtflévatîOD,  le  prêtre 
récire  une  oraison  oîi  il  prie  Diea  de  nous  faire  par- 
ticiper 'a  la  gloire  des  Apôtres  et  des  Martyrs...  Dans 
cette  prière,  sont  nommés  plusieurs  Saints,  entre 
antres  sainte  Agathe.  Pour  être  jn;jée  digne  de  ITion- 
nenr  que  lai  fait  TEglise  de  répéter  son  nom  à  tant 
de  messes,  depuis  tant  de  siècles,  U  faut  que  sa  sain- 
teté ait  été  bien  grande  et  bien  extraordinaire. 

Le  doigt  de  Dieu  est  ici!  Cette  gloire  vient  de  Die>l 
Groriâons  Dieu  dans  ses  Saints  1 


Palerme  et  Catane,  deux  villes  célèbres  de  Sicile,  se  disputent  l'honneur 
d'avoir  donné  naissance  à  sainte  Agalhe.  Mais,  quoi  qu'il  en  soit  du  lieu  de  sa 
naissance,  il  est  certain  que  la  ville  de  Catane  a  été  arrosée  de  son  sang.  La 
réputation  de  sainteté  dont  elle  jouissait,  étant  parvenue  jusqu'aux  oreilles 
de  Quintianus,  personnage  consulaire  de  la  province  de  Sicile,  il  recherchait 
toutes  les  occasions  de  s'introduire  auprès  d'elle.  Comme  son  cœur  était 
ouvert  à  tous  les  crimes,  il  se  laissait  agiter  par  toutes  les  mauvaises  pas- 
sions. Désirant  donc  étendre  sa  renommée,  afin  d'acquérir  la  gloire  du 
siècle,  il  ordonna  qu'on  se  saisît  de  la  servante  de  Dieu,  qui  était  issue  d'une 
illustre  famille.  Il  eût  voulu  persuader  au  peuple  que,  malgré  l'obscurité  de 


292  5   FÉVRIER. 

son  origine,  il  avait  néanmoins  assez  d'ascendant  et  de  puissance  pour  sub- 
juguer le  cœur  des  personnes  les  plus  qualifiées.  Adonné  à  une  vie  licen- 
cieuse, il  comptait  sur  la  vue  de  cette  vierge,  qui  était  d'une  grande  beauté, 
pour  satisfaire  la  concupiscence  de  ses  yeux  ;  son  avarice  convoitait  les 
richesses  de  la  servante  de  Dieu  ;  enfin  il  était  idolâtre  et  esclave  des  démons. 
Aussi,  dans  l'ardeur  impie  qui  le  consumait,  il  ne  pouvait  entendre  proférer 
le  nom  du  Christ. 

11  donna  donc  ordre  à  ses  appariteurs  de  se  saisir  de  la  personne  d'.\gathe, 
et  la  Qt  livrer  à  une  femme  nommée  Aphrodise,  qui  avait  en  sa  maison  neuf 
filles  aussi  corrompues  qu'elle  et  dignes  de  leur  mère.  Le  dessein  de  cet 
infâme  magistrat  était  que  ces  indignes  créatures  pervertissent  le  cœur  de 
la  vierge  qu'il  eut  l'infamie  de  leur  abandonner  durant  trente  jours.  Elles, 
de  leur  côté,  espéraient  arracher  cette  âme  pure  à  sa  résolution,  en  employant 
tantôt  la  promesse  des  jouissances,  tantôt  des  menaces  terribles. 

Agathe  leur  dit  :  «  Mon  âme  a  été  allermie  et  fondée  dans  le  Christ  ;  vos 
paroles  ne  sont  que  du  vent,  vos  promesses  qu'une  pluie  orageuse,  vos 
menaces  ressemblent  à  un  fleuve  ;  mais  ce  veut,  cette  pluie,  ce  fleuve,  auront 
beau  se  déchaîner  contre  les  fondements  de  ma  maison:  elle  ne  pourra 
tomber,  parce  qu'elle  est  assise  sur  la  pierre  ferme  ». 

En  répétant  chaque  jour  ces  paroles,  elle  versait  des  larmes  et  priait; 
et,  de  même  que  celui  qui,  étant  brûlé  de  la  soif,  au  milieu  des  ardeurs  du 
soleil,  soupire  après  les  fontaines  jaillissantes  ;  ainsi  désirait-elle  atteindre 
la  couronne  du  martyre  et  souffrir  toutes  sortes  de  supplices  pour  le  nom 
de  Jésus-Christ. 

Voyant  donc  que  la  vierge  demeurait  inébranlable  dans  sa  résolution, 
Aphrodise  alla  trouver  Quintianus,  et  lui  dit  :  «  Il  serait  plus  aisé  d'amollir 
les  rochers  et  de  donner  au  fer  la  souplesse  du  plomb  que  d'enlever  de  l'âme 
de  cette  jeune  fllle  le  sentiment  chrétien.  Mes  filles  et  moi  nous  nous  sommes 
succédées  auprès  d'elle  à  tour  de  rôle,  jour  et  nuit,  sans  relâche,  et  nous 
n'avons  rien  pu  faire,  si  ce  n'est  de  contribuer  à  affermir  encore  davantage 
sou  esprit  dans  le  propos  qu'elle  a  formé.  Je  lui  ai  oUert  des  pierres  pré- 
cieuses et  les  plus  brillantes  parures,  des  vêtements  tissus  d'or  ;  je  lui  ai 
promis  des  maisons  et  des  terres  voisines  de  la  ville  ;  j'ai  étalé  à  ses  yeux 
tout  le  luxe  de  l'ameublement  le  plus  varié;  j'ai  mis  à  sa  disposition  de 
nombreux  serviteurs  de  l'un  et  de  l'autre  sexe,  et  de  tout  âge  ;  mais  elle 
n'a  pas  plus  fait  de  cas  de  toute  celte  pompe  que  de  la  terre  qu'elle  foule 
aux  pieds  ». 

Quintianus,  transporté  de  colère,  fit  amener  la  vierge  à  son  audience  ;  et 
assis  sur  son  tribunal,  il  débuta  en  ces  termes  :  «  Quelle  est  ta  condition?  n 
La  bienheureuse  Agathe  répondit  :  «  Je  suis  de  condition  libre,  et  même  de 
noble  extraction,  comme  toute  ma  parenté  en  fait  foi  ».  —  «  Si  tu  es  d'une 
famille  si  noble  et  si  illustre,  pourquoi  donc  manifestes-tu  dans  ta  conduite 
la  bassesse  de  la  condition  servile  '?  »  —  «  Etant  servante  du  Christ,  je  suis 
en  cela  de  condition  servile  ».  —  «  Si  tu  étais  d'une  famille  noble  et  distin- 
guée, voudrais-tu  te  rabaisser  à  prendre  le  titre  de  servante?  »  —  «  La  sou- 
veraine noblesse  est  d'être  engagée  au  service  du  Christ  ».  —  «  Quoi  donc  ! 
est-ce  que  nous  n'avons  point  part  à  la  noblesse,  nous  qui  méprisons  le  ser- 
vice du  Christ  et  qui  observons  le  culte  des  dieux  ?»  —  «  Votre  noblesse  a 
dégénéré  en  une  servitude  si  profonde  que,  non-seulement  elle  vous  rend 
les  esclaves  du  péché,  mais  encore  vous  assujétit  au  bois  et  à  la  pierre  ». 
—  «  Tous  les  blasphèmes  que  ta  bouche  insensée  osera  proférer  rece- 
vront le  châtiment  dû  à  ton  insolence.  Dis-nous,  toutefois,  avant  d'en  venir 


SAINTE   AGATHE,    VIERGE  ET  MARTYRE.  293 

aux  tourments,  pourquoi  tu  méprises  le  culte  des  dieux  ?»  —  «  Ne  les 
appelle  pas  des  dieux,  mais  des  démons  ;  oui,  ceux  dont  vous  fondez  l'effigie 
en  airain,  et  dont  vous  dorez  les  figures  de  marbre  ou  de  plâtre  ne  sont 
autres  que  des  démons».  —  «  Choisis  de  deux  choses  l'une,  et  prends  le 
parti  que  tu  voudras  :  ou  d'encourir  avec  les  malfaiteurs  divers  geiues  de 
supplices,  si  tu  persistes  dans  ta  folie  ;  ou,  si  tu  es  sage  et  vraiment  noble, 
de  sacrifier,  comme  la  nature  elle-même  t'y  invite,  aux  dieux  tout-puis- 
sants, que  leur  divinité  nous  oblige  de  reconnaître  et  d'adorer  ».  —  «  Prends 
garde  que  ta  femme  ne  devienne  semblable  à  ta  déesse  Vénus,  et  toi  à  ton 
Dieu  Jupiter  ». 

A  ces  mots,  Quintianus  ordonna  qu'elle  fût  souffletée,  et  lui  dit  :  «  Ne 
t'avises  pas  de  laisser  ta  langue  téméraire  se  répandre  en  paroles  injurieuses 
envers  ton  juge  ».  —  «  Tu  viens  de  dire  que  leur  propre  divinité  démontre 
que  tes  dieux  sont  dignes  d'être  honorés  ;  eh  bien  !  que  ta  femme  soit  donc 
semblable  à  Vénus,  et  toi  à  Jupiter  ;  afin  que  vous  puissiez  être  comptés  au 
nombre  de  vos  dieux  ».  —  «  Il  paraît  que  tu  prends  le  parti  d'endurer  tou- 
tes sortes  de  tourments,  puisque  tu  recommences  à  m'attaquer  par  de 
nouvelles  injures  ».  —  «  Je  m'étonne  de  voir  qu'avec  toute  ta  prudence  tu 
te  sois  laissé  déchoir  à  une  telle  folie  que  d'aller  appeler  dieux  des  êtres 
dont  tu  ne  veux  pas  que  ta  femme  suive  les  traces,  et  dont  tu  crains  telle- 
ment d'embrasser  toi-même  le  genre  de  vie,  que  tu  prends  pour  une  injure 
la  proposition  qui  t'en  est  faite.  Conviens  avec  moi  que  si  ce  sont  de  vrais 
dieux,  je  t'ai  désiré  un  bien,  en  souhaitant  que  ta  vie  fût  semblable  à  celle 
que  l'histoire  leur  attribue.  Que  si,  au  contraire,  tu  as  leur  ressemblance  en 
horreur,  tu  es  de  mon  avis.  Dis  donc  qu'ils  sont  si  pervers  et  si  impurs,  que 
lorsqu'on  veut  maudire  quelqu'un,  on  n'a  qu'à  lui  souhaiter  d'être  tel  qu'ils 
ont  été  dans  leur  exécrable  vie  ».  —  «  Qu'ai-je  besoin  de  tout  ce  flux  de 
paroles?  Sacrifie  aux  dieux,  ou  je  te  ferai  mourir  par  divers  genres  de  sup- 
plices ».  —  «  Si  tu  ordonnes  de  me  livrer  aux  bêtes,  elles  s'adouciront  au 
nom  seul  de  Jésus-Christ  ;  si  tu  emploies  le  feu,  les  anges  répandront  sur 
moi  du  haut  du  ciel  une  rosée  salutaire  ;  si  tu  me  menaces  des  verges  et 
des  coups,  j'ai  au  dedans  de  moi  l'Esprit-Saint,  qui  me  fera  mépriser  tous 
tes  supplices  ». 

A  ces  mots,  Quintianus  secouant  la  tête  avec  fureur,  commanda  qu'on 
enfermât  la  vierge  dans  un  cachot  ténébreux,  et  lui  dit  :  «  Songe  à  toi  et 
reviens  sur  tes  pas,  si  tu  veux  éviter  d'horribles  tourments,  qui  mettront 
ton  corps  en  lambeaux  ».  —  «  C'est  à  toi,  ministre  de  Satan,  de  te  repentir, 
si  tu  veux  éviter  les  tourments  éternels  ».  —  Quintianus  ordonna  de  la 
conduire  de  suite  en  prison,  parce  que  ces  invectives  publiques  le  couvraient 
de  confusion.  Agathe,  comblée  de  joie  et  toute  glorieuse  de  l'honneur  qu'où 
lui  faisait,  entra  dans  la  prison,  comme  dans  la  salle  d'un  festin  auquel  elle 
eût  été  invitée  ;  et  tressaillant  d'allégresse,  elle  recommandait  au  Seigneur 
par  ses  prières  le  combat  qu'elle  allait  avoir  à  soutenir. 

Le  lendemain,  l'impie  Quintianus  fit  comparaître  la  vierge  à  son  tribu- 
nal, et  lui  dit  :  «  Quelle  résolution  as-tu  prise  relativement  à  ton  salut?  n 
—  (I  Mon  salut,  c'est  le  Christ  ». —  «  Jusques  à  quand,  malheureuse,  persis- 
teras-tu dans  ta  vaine  résolution  ?  Renie  le  Christ  et  commence  à  adorer  les 
dieux  ;  considère  enfin  ta  jeunesse,  et  ne  te  laisse  pas  consumer  par  une  mort 
cruelle  ».  —  «  Toi,  bien  plutôt,  renonce  à  tes  dieux  qui  ne  sont  que  de  la 
pierre  et  du  bois,  et  adore  ton  Créateur,  le  vrai  Dieu  qui  t'a  créé.  Si  tu  le 
méprises,  tu  seras  soumis  aux  peines  les  plus  rigoureuses  et  à  des  flammes 
éternelles  ». 


294  5  FÉVRIER. 

Quintianus,  transporté  de  fureur,  commanda  qu'on  l'attachât  sur  le 
chevalet,  et  qu'elle  y  fût  tourmentée.  Pendant  la  torture,  il  lui  disait  : 
a  Laisse  là  ta  résolution,  afin  que  l'on  puisse  aviser  à  la  conservation  de  ta 
YÏe  ».  —  «  J'éprouve,  au  milieu  de  ces  tourments,  autant  de  délices  qu'en 
pourrait  ressentir  un  homme  à  qui  on  annonce  une  heureuse  nouvelle,  ou 
qui  revoit  une  personne  depuis  longtemps  désirée,  ou  enfin  qui  découvre 
un  riche  trésor;  moi  aussi  je  me  délecte  au  milieu  de  ces  tourments  d'un 
instant.  Le  froment  ne  peut  être  mis  au  grenier,  si  son  épi  n'a  été  fortement 
hallu  et  réduit  en  paille  ;  ainsi  en  est-il  de  mon  âme  ;  elle  ne  peut  entrer 
dans  le  paradis  du  Seigneur,  avec  la  palme  du  martyre,  que  tu  n'aies  aupa- 
ravant livré  mon  corps  à  l'ingénieuse  fureur  de  tes  bourreaux  ». 

A  ces  paroles,  Quintianus,  saisi  de  colère,  ordonna  qu'on  lui  coupât  la 
mamelle,  après  l'avoir  déchirée.  Agathe  lui  dit  :  «  Impie,  cruel  et  barbare 
tyran,  n'as-lu  point  honte  de  mutiler  dans  une  femme  ce  que  tu  as  sucé  dans 
ta  mère  ?  Mais  je  conserve  intactes  au  dedans  de  moi  les  mamelles  spiri- 
tuelles, où  je  puise  la  nourriture  de  mon  âme,  et  que  j'ai  consacrées  dès 
mon  enfance  au  Seigneur  Jésus-Christ  ». 

Quintianus  la  fit  de  nouveau  conduire  en  prison.  Il  donna  ses  ordres 
pour  qu'il  ne  fût  permis  à  aucun  médecin  de  s'introduire  auprès  d'elle,  et 
défendit  expressément  qu'on  lui  procurât  ni  pain  ni  eau.  Pendant  qu'elle 
était  enfermée  dans  la  prison,  vers  le  milieu  de  la  nuit,  un  vieillard  précédé 
d'un  enfant  qui  portait  un  flambeau,  se  présenta  à  elle  sous  l'apparence  d'un 
médecin  ;  et,  ayant  à  la  main  divers  médicaments,  il  lui  dit  :  «  Tu  as  souf- 
fert dans  ton  corps,  par  ordre  de  ce  magistrat  insensé,  des  supplices  cruels; 
mais  tu  lui  as  fait  subir  par  tes  sages  réponses  des  tortures  plus  cruelles 
encore.  11  a  fait  tourmenter  et  mutiler  ton  sein  ;  mais  il  verra  son  opulence 
changée  en  fiel,  et  son  âme  plongée  éternellement  dans  l'amertume.  Cepen- 
dant, comme  j'étais  présent  tandis  que  tu  souffrais  tous  ces  maux,  j'ai  vu 
que  ta  plaie  peut  encore  être  guérie».  Alors  la  bienheureuse  Agathe  lui  dit  : 
«  Je  n'ai  jamais  procuré  à  mon  corps  de  médecine  corporelle  ;  et  il  serait 
honteux  de  me  désister  maintenant  de  cette  confiance  en  Dieu  que  j'ai  tou- 
jours conservée  en  moi  dès  mon  plus  bas  âge.  —  Comme  toi  »,  reprit  le  vé- 
nérable vieillard,  «  je  suis  chrétien  ;  mais  de  plus  je  connais  la  médecine.  Je 
te  prie  de  ne  rien  craindre  de  ma  part  ».  Agathe  lui  repartit  :  «  Eh  !  quelle 
crainte  puis-je  avoir  à  votre  égard  ?  Vous  êtes  avancé  en  âge,  et  vous  comp- 
tez des  années  bien  plus  nomlireuses  que  les  miennes.  D'ailleurs  tout  mon 
corps  est  tellement  déchiré,  que  les  plaies  dont  il  est  couvert  enlèvent  à 
mon  âme  la  possibilité  d'éprouver  un  sentiment  quelconque  dont  je  pourrais 
avoir  à  rougir.  Mais  je  vous  rends  grâces,  seigneur  et  père,  d'avoir  daigné 
étendre  voire  sollicitude  jusqu'il  moi  :  sachez  toutefois  que  jamais  remèdes, 
r.-its  de  main  d'homme  n'approcheront  de  mon  corps.  —  El  pourquoi  »,  ré- 
pliqua le  vieillard,  «  ne  veux-lu  pas  que  je  te  guérisse? —  Parce  que  »,  répon- 
dit Agalhe,  «  j'ai  mon  Sauveur  Jésus-Christ  qui  de  sa  parole  guérit  tous  les 
maux  ;  une  seule  parole  de  sa  bouche  rétablit  toutes  choses.  Cest  lui,  s'il  le 
veut  bien,  qui  peut  me  rendre  la  santé».  Le  vieillard  reprit  en  souriant: 
«Et  c'est  lui-même  qui  m'a  envoyé  vers  toi;  car  je  suis  son  Apôtre.  Sache 
donc  que  c'est  en  son  nom  que  tu  vas  recouvrer  la  santé  ».  A  peine  aYa'l-ï 
achevé  ces  mots  que  soudain  il  disparut. 

Alors  Agathe  s'élant  prosternée,  adressa  à  Dieu  cette  prière  :  «Je  vous 
rends  grâces.  Seigneur  Jésus-Christ,  de  vous  être  souvenu  de  moi  et  de  m'a- 
Toir  envoyé  votre  Apôtre  qui  m'a  réconfortée  et  qui  a  relevé  mon  courage  ». 
Quand  elle  eut  terminé  sa  prière,  ayant  regardé  toutes  les  blessures  de  son 


SAISIE   AGATHE,    VIERGE   ET   MARTYRE.  293 

corps,  elle  reconnut  que  tous  ses  membres  étaient  sains,  et  que  sa  mamelle 
avait  été  rétablie.  Durant  toute  la  nuit,  la  prison  fut  remplie  d'une  si  bril- 
lante lumière  que  les  geôliers,  saisis  de  frayeur,  prirent  la  fuite  en  laissant  les 
portes  ouvertes.  Les  personnes  qui  étaient  détenues  dans  la  même  prison 
disaient  à  la  bienheureuse  Agathe  de  profiter  de  la  liberté  qui  s'olfrait  à  elle. 
Mais  la  vierge  répondit  :  «  Loin  de  moi  la  pensée  d'aller  perdre  ma  couronne 
et  d'être  pour  les  gardiens  une  cause  de  tribulalion  !  Avec  l'aide  de  mon  Sei- 
gneur Jésus-Christ,  je  persévérerai  dans  la  confession  de  celui  qui  m'a  guérie 
et  consolée  ». 

Quatre  jours  après,  Quinlianus  fit  comparaître  de  nouveau  la  vierge  de- 
vant son  tribunal  et  lui  dit  :  «  Jusques  à  quand  auras-tu  la  démence  d'aller 
contre  les  décrets  des  invincibles  princes?  Sacrifie  aux  dieux,  sinon  sache 
que  lu  es  réservée  à  des  tourments  plus  cruels  encore  que  les  précé- 
dents ».  Agathe  répondit  :  «  Toutes  les  paroles  sont  insensées,  vaines  et  ini- 
ques; tes  ordres  souillent  l'air  même  qui  les  transmet.  C'est  pourquoi  tues 
un  misérable,  dépourvu  de  sens  et  d'intelligence.  Car,  quel  autre  qu'un  in- 
sensé avisa  jamais  d'appeler  à  son  secours  une  pierre,  au  lieu  de  s'adresser  au 
Dieu  suprême  et  véritable  qui  a  daigné  guérir  toutes  ces  plaies  que  lu  m'as 
faites,  jusqu'à  rétablir  mon  sein  même  dans  son  intégrité  première».  — 
«  Eh  !  quel  est  celui  qui  l'a  guérie  ?»  —  «  C'est  le  Christ,  le  Fils  de  Dieu  ».  — 
o  Quoi  !  oses-tu  bien  encore  nommer  ton  Christ?  »  — «  Mes  lèvres  confessent 
le  Christ,  et  mon  cœur  ne  cessera  de  l'invoquer  ».  —  «  Je  vais  voir  tout  à 
l'heure  si  ton  Christ  viendra  te  guérir  ». 

Aussitôt  il  ordonne  de  parsemer  la  prison  de  fragments  de  pots  cassés  et 
d'y  joindre  des  charbons  ardents,  puis  de  dépouiller  Agathe  de  ses  vête- 
ments et  de  la  rouler  sur  ce  lit  de  douleurs.  A  peine  avait-on  commencé  cette 
exécution  barbare,  que  tout  à  coup  le  lieu  fut  ébranlé  ;  un  pan  de  muraille 
se  détacha  et  écrasa  sous  ses  ruines  le  conseiller  du  juge,  nommé  Sylvain, 
et  un  autre  de  ses  amis,  nommé  Falconius,  h.  la  persuation  desquels  Quin- 
lianus commettait  tant  de  crimes.  La  ville  entière  de  Catanefut  elle-même 
agitée  d'un  violent  tremblement  de  terre.  Des  habitants  effrayés  coururent 
au  prétoire  du  juge,  criant  avec  un  grand  tumulte  que  les  tourments  dont 
ce  magistrat  inique  affligeait  la  servante  de  Dieu,  étaient  la  cause  qui  mettait 
tous  les  citoyens  en  danger  de  périr.  Quinlianus  prit  la  fuite,  craignant  tout 
à  la  fois  le  tremblement  de  terre  et  la  sédition  du  peuple.  Il  fit  donc  aussitôt 
reconduire  la  vierge  en  prison,  et  alla  se  réfugier  dans  une  salle  écartée  du 
prétoire,  laissant  le  peuple  aux  portes  de  la  ville. 

Agathe,  étant  rentrée  dans  la  prison,  étendit  les  mains  vers  Dieu  et  dit: 
«  Seigneur,  qui  m'avez  créée  el  qui  m'avez  gardée  depuis  mon  enfance,  qui 
m'avez  donné  dès  la  fleur  de  l'àgc  une  vertu  supérieure  à  mon  sexe  ;  qui 
avez  éloigné  de  mon  cœur  l'amour  du  siècle  et  soustrait  mon  corps  à  la 
corruption;  vous  qui  m'avez  rendue  victorieuse  des  tourments  du  bourreau 
et  fait  mépriser  le  fer,  le  feu  el  les  chaînes;  qui  enfin  m'avez  accordé,  au 
milieu  de  ces  supplices,  le  courage  et  la  patience,  je  vous  supplie  de  rece- 
voir présentement  mon  âme  ;  car  il  est  temps  de  me  retirer  de  ce  monde 
pour  m'inlroduire  au  sein  de  votre  miséricorde  ».  Après  celte  prière,  elle 
poussa  un  grand  cri  et  rendit  l'espiil,  en  présence  d'une  nombreuse  assistance. 

A  cette  nouvelle,  de  pieux  fidèles  accoururent  à  la  hâte,  puis  ils  enlevè- 
rent son  corps  et  le  déposèrent  dans  un  sarcophage  tout  neuf.  Or,  pendant 
qu'on  l'ensevelissait  avec  des  aromates,  et  qu'on  plaçait  ce  précieux  dépôt 
dans  le  tombeau  avec  un  grand  soin,  un  jeune  homme  apparut  tout  h  coup, 
velu  de  riches  habits  de  soie,  el  ayant  à  sa  suite  un  cortège  de  plus  de  cent 


296  5  rfvwER. 

enfants  tout  éclatants  de  beauté  et  parés  de  vêtements  magniQques.  Jusqu'à 
cette  heure  nul  n'avait  vu  ce  jeune  homme  dans  la  ville  de  Calane  ;  on  ne 
l'y  revit  jamais  depuis,  et  personne  n'a  pu  dire  qu'il  le  connût  auparavant. 
11  entra  dans  le  lieu  où  l'on  embaumait  le  corps  de  la  vierge,  et  plaça  près 
de  la  tôte  une  tablette  de  marbre  sur  laquelle  étaient  inscrits  ces  mots  : 
A)ne  sainte,  dévouée,  honneur  de  Dieu,  protection  de  la  patrie.  11  plaça,  disons- 
nous,  cette  inscription  dans  le  sépulcre  et  près  de  la  tôle  de  la  martyre,  et 
demeura  là  jusqu'à  ce  qu'on  eût  fermé  le  tombeau  avec  le  plus  grand  soin. 
Mais  quand  la  pierre  qui  devait  le  recouvrir  eut  été  posée,  le  jeune  homme 
disparut  ;  et,  ainsi  que  nous  l'avons  dit,  depuis  ce  moment  on  ne  le  revit 
plus,  et  l'on  n'entendit  plus  parler  de  lui  dans  toute  la  Sicile.  C'est  pourquoi 
nous  avons  pensé  que  c'était  l'Ange  de  la  vierge.  Ceux  qui  avaient  vu  l'ins- 
cription en  parlèrent,  et  ce  fait  causa  une  vive  impression  sur  les  habitants 
de  la  Sicile.  Les  Juifs  eux-mêmes,  aussi  bien  que  les  Gentils,  partagèrent 
avec  les  chrétiens  la  vénération  qu'avaient  ceux-ci  pour  le  tombeau  d'Agathe. 

Sur  ces  entrefaites,  Quinlianus,  accompagné  de  sa  garde,  se  mit  en  route 
pour  aller  faire  l'inventaire  des  possessions  de  la  vierge,  et  pour  emprison- 
ner tous  ceux  de  sa  famille  ;  mais,  par  un  juste  jugement  de  Dieu,  il  périt 
dans  les  eaux.  Comme  il  passait  un  fleuve  sur  une  barque,  deux  de  ses  che- 
vaux s'étant  mis  à  hennir  l'un  contre  l'autre  et  à  s'agiter,  il  y  en  eut  un  qui 
se  jeta  sur  Quintianus  et  le  mordit  ;  l'autre,  d'un  coup  de  pied  le  renversa 
dans  le  fleuve  ;  et  l'on  n'a  pu  retrouver  son  cadavre.  Cet  événement  aug- 
menta encore  la  crainte  et  la  vénération  que  l'on  portait  déjà  à  la  bienheu- 
reuse Agathe  ;  et  nul  depuis  n'a  osé  inquiéter  sa  famille. 

Mais,  aûn  que  l'inscription  apportée  par  l'ange  du  Seigneur  eût  son 
accomplissement,  l'année  suivante,  aux  approches  du  jour  anniversaire  du 
martyre  d'Agathe,  le  mont  Etna  vomit  des  flammes  si  épouvantables,  que  le 
feu,  agissant  avec  la  violence  et  la  rapidité  d'un  torrent,  s'avançait  vers  la 
ville  de  Catane,  mettant  en  fusion  la  terre  et  les  pierres  qui  se  trouvaient 
sur  son  passage.  Une  multitude  de  païens  descendirent  de  la  montagne  pour 
fuir  le  danger  ;  ils  se  rendirent  au  tombeau  de  la  sainte  martyre,  et  ayant 
enlevé  le  voile  qui  le  couvrait,  ils  l'opposèrent  au  feu  qui  s'avançait  vers 
eux;  et  à  l'instant  même  la  flamme  s'arrêta  par  la  permission  divine.  L'érup- 
tion du  volcan  avait  commencé  le  jour  des  calendes  de  février,  et  elle  cessa 
le  jour  des  nones,  qui  répond  à  celui  auquel  fut  ensevelie  la  vierge  :  Notre- 
Seigneur  Jésus-Christ  voulant  montrer  que  c'était  en  considération  des  mé- 
rites et  des  prières  de  la  bienheureuse  Agathe  qu'il  avait  délivré  ces  infidèles 
de  la  mort  et  de  l'incendie. 

Depuis,  ce  même  miracle  s'est  renouvelé  plusieurs  fois,  quand  le  mont 
Etna  répandait  ses  flammes  dans  les  plaines  de  Catane.  Celte  ville  aurait 
déjà  élé  plusieurs  fois  consumée  et  réduite  en  cendres,  si  celle  glorieuse 
patronne  ne  l'en  eût  préservée.  C'est  une  chose  digne  d'admiration,  et  qui 
ne  trouverait  point  de  créance  dans  les  esprits,  si  elle  n'était  considérée 
comme  un  effet  de  la  toute-puissance  de  Dieu,  de  voir  d'un  côté  se  préci- 
piter, du  plus  haut  de  cette  montagne,  droit  vers  la  ville,  un  torrent  de  feu 
large  et  profond,  et  d'une  matière  épaisse  comme  du  plomb,  ou  tout  autre 
métal  fondu,  qui  dévore,  par  son  embrasement,  tout  ce  qui  s'oppose  à  sa 
course  ;  et,  de  l'autre,  le  clergé  et  toute  la  ville  sortir  au  devant,  en  pro- 
cession, pour  aller  combattre  ce  feu,  non  avec  des  armes,  ni  avec  de  l'eau 
ou  autre  chose,  mais  avec  la  seule  protection  de  sainte  Agathe  et  avec  son 
voile,  dont  la  seule  présence  a  la  force  d'arrêter  l'impéluosilé  de  ce  torient; 
non-seulement  les  voiles  qui  ont  été  sur  le  corps  de  la  Sainte  ont  cette 


SAETTE   AGATHE,    TŒRGE  ET  JIARTrRE.  297 

vertu,  mais  aussi  le  coton  qui  l'a  touché.  On  raconte  que,  l'an  1537,  ce 
fleuve  de  feu,  menant  vers  le  monastère  de  Saint-Nicolas  des  Arènes,  n'y 
toucha  point,  mais  s'en  alla  ravager  deux  villages  voisins:  Nicolose  et  Mont- 
pélière.  Comme  son  chemin  était  par  la  vigne  d'un  pauvre  homme,  celui-ci 
ayant  mis  au  devant,  dans  des  roseaux,  un  peu  de  ce  coton,  le  torrent  se 
fendit  en  deux  et  ne  fît  aucun  dommage  à  sa  vigne,  mais  brûla  et  réduisit  en 
cendres  tout  ce  qui  était  aux  environs.  On  remarque  que  la  montagne  jeta, 
cette  fois,  une  si  grande  quantité  de  cendres,  qu'il  en  vola  jusqu'à  une  dis- 
tance incroyable  ;  des  navires  qui  allaient  de  Venise  en  Sicile,  furent  en 
grand  danger,  à  cause  de  cette  nuée  de  cendres,  dont  ils  furent  couverts, 
comme  écrit  Thomas  Fasèle,  historien  des  événements  de  cette  île.  C'est 
pour  ces  merveilles  que  sainte  Agathe  est  si  renommée  par  tout  le  monde. 
Elle  fut  si  fort  révérée,  aussitôt  après  sa  mort,  que  sainte  Lucie,  vierge  et 
martyre,  alla  en  pèlerinage  à  son  sépulcre  pour  obtenir  la  santé  de  sa  mère. 
Le  martyre  de  sainte  Agathe  fournit  un  grand  nombre  de  données  aux 
arts  :  1°  Saint  Pierre  lui  apparaît  dans  sa  prison  et  guérit  ses  plaies  ;  2°  Près 
d'elle  un  réchaud  avec  des  fers  pour  la  brûler  en  diverses  parties  de  son 
corps  ;  3°  On  la  voit  livrée  au  bourreau  qui  tient  des  càoires  pour  lui  couper 
les  seins;  ou  bien  elle  les  porte  elle-même  sur  un  plat;  -4°  Les  habitants  de 
Catane  courent  à  son  tombeau  enlever  la  draperie  qui  recouvre  son  corps 
et  l'opposent  aux  flammes  de  l'Etna.  Toutes  ces  circonstances  sont  rappe- 
lées par  le  Bréviaire  romain.  —  Elle  est  représentée  couronnée  de  fleurs 
dans  une  mosaïque  du  vi"  siècle.  — Antoine  Van  Dyck  a  peint  son  maityre. 
—  Une  gravure  de  la  bibliothèque  Mazarine  la  représente  tenant  une  palme 
et  des  tenailles.  —  Dominiquin  l'a  représentée  devant  le  juge  et  refusant 
de  sacriûer.  —  On  donne  à  sainte  .Agathe  les  traits  d'une  jeune  fille,  car 
elle  n'avait  que  douze  ou  treize  ans  quand  elle  fut  arrêtée. 

Ayant  subi  l'abscission  de  ses  deux  seins,  c'est  pour  cela  que  les  femmes 
l'invoquaient,  au  moyen  âge,  pour  les  maux  de  sein.  Cet  usage  a  persisté  à 
Morival,  au  diocèse  d'.Amiens,  où  se  trouve  une  chapelle  de  la  Sainte. 

RELIQUES  DE  SAINTE  AGATHE. 

On  voyait,  avant  la  Révolnlion  française,  à  Paris,  dans  l'église  de  Sainl-Merry,  nce  des  ma- 
melles coupées  de  cette  illustre  vierge  et  martyre;  elle  était  encbâssée  dans  un  riche  reliquaire  d'ar- 
gent :  les  paroissiens  l'avaient  eue  en  échange  du  chef  de  leur  patron,  qu'ils  donnèrent  à  l'église  de 
Cbanseaus,  en  Brie,  ainsi  qu'il  est  rapporté  dans  le  recueil  des  Antiquités  de  la  ville  de  Pans. 

H  y  a  encore,  de  nos  jours,  des  reliques  de  sainte  Agathe  dans  la  châsse  qui  se  trouve  au-dessus 
du  mailre-autel  de  l'église  de  Saint-Jlerry,  à  Paris.  On  en  voit  aussi  à  Saint-Paul  d'Abbeville,  aux 
Ursuliues  d'Amiens,  à  Corbie,  à  Mailly,  à  Morival,  à  .Montreail  (dans  un  cadre  d'ébène  qui  servait 
de  paix),  etc. 

La  mémoire  de  sainte  Agathe  a  toujours  été  en  grande  vénération  dans  l'Eglise;  les  Pères  en 
ont  parlé  avec  de  grands  éloges.  Saint  tlaraase  a  composé  un  hymne  à  sa  louange.  Saint  Ambioise 
et  saint  Gélase  ont  fait  une  préface  larliculière  pour  le  jour  de  sa  fête.  Le  Leciionnaire  attribué 
à  sajot  Jérôme  en  fait  mention.  Saint  Augustin  en  dit  aussi  quelque  chose  dans  ses  Soliloques. 
Enfin,  l'Eglise  romaine  lui  a  composé  un  office  propre,  pour  marquer  l'estime  qu'elle  en  fait,  et  a 
inséré  son  nom  dans  le  canon  de  la  messe;  il  se  trouve  itans  le  calendrier  de  Carthage,  qui  est  de 
l'an  530,  et  dans  tous  les  martyrologes  des  Grecs  et  des  Latins.  Vers  l'an  500,  le  pape  Symmaque 
fit  bâtir  une  église  de  son  nom  sur  la  voie  Aurélienne,  près  de  Rome  :  on  n'en  voit  plus  que 
quelques  ruines.  Saiut  Grégoire  le  Grand  enrichit  de  ses  reliques  une  église  de  Rome  qn'il  avait 
purgée  de  l'impiété  arienne;  cette  église  avait  été  rebâtie  en  460,  par  Ricimer,  général  de  l'em- 
pire d'Occident.  En  726,  Grégoire  11  en  fit  élever  une  nouvelle  sous  l'invocalion  de  la  même  Sainte. 
Clément  Vlll  la  donna  à  la  Congrégation  de  la  doctrine  chrétienne.  Saint  Grégoire  le  Grand  mit  des 
reliques  de  sainte  Agathe  dans  l'église  du  monastère  de  Saint-Elienne,  situé  dans  l'ile  de  Caprée, 
aujourd'hui  Ca|iri;  mais  la  plus  grande  partie  de  ce  précieux  trésor  resta  à  Catane  jusque  vers  l'an  1040, 
époque  à  laquelle  il  fat  transféré  à  Coustantinople.  On  l'a  depuis  rapporté  à  Catane,  comme  nous  l'ap- 


298  5   FÉVRIER. 

prenonî  de  Mauric»,  évèque  de  cette  ville,  lequel  a  écrit  l'iiisloiro  de  cette  translation  arrivée  de 
n  temps. 

Les  Mallais,  qui —  , 

k  son  ialercessioa,  lorsque  les  Turcs  les  attaquèrent  en  1551 

On  trouvei-»  dans  Bollandus  toat  ce  que  les  historiens  ont. dit  de  beau  à  son  honneur 


Bon  temps. 

honorent  la  même  Sainte  comme  leur  patronne,  furent  redevables  de  leur  samt 


SAINT  ISIDORE  DE  CHIOS,  MAETYR 


ni"  6.  —  Pape  :  saint  Corneille.  —  Empereur  :  Dèce. 


Les  soldats  de  la  terre  sont  toujours  prGts  à  partir, 
n'iuiporte  ic  lieu  oii  on  les  envoie,  ^  plu^  fortû 
raison  les  soldats  du  Christ  doivent-ils  obéir  avec 
promptitude  à  leur  ge'néral  Jésus-Christ. 

Saint  Augustin,  de  lalutari  doe. 


La  première  année  du  règne  de  Flavius  Décius,  cet  empereur  ayant  publié 
un  édit  pour  lever  des  troupes,  on  vit  arriver  à  Chios  un  navire  qui  apportait 
le  décret  relatif  à  cette  ville.  Parmi  ceux  qui  furent  enrôlés  se  trouvait  le  bien- 
heureux Isidore,  qui  se  montra  constamment  un  bon  et  vaillant  soldat  en 
Jésus-Cbrist  Notre-Seigneur.  En  effet,  loi'squ'on  avait  prêché  la  divine  doc- 
trine de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ,  à  ceux  qui  en  étaient  dignes,  le  saint  et  vé- 
nérable martyr  du  Christ  l'avait  embrassée  avec  empressement  et  la  pratiqua 
depuis  avec  zèle.  Et  après  qu'il  se  fut  fortifié  en  toute  manière  par  les 
saintes  Ecritures  et  les  commandements  du  Christ,  il  sentit  d'une  manière 
merveilleuse  son  âme  raffermie,  son  esprit  ranimé  et  son  corps  môme  plein 
de  vigueur.  Il  éprouvait  aussi  en  lui-même  une  certaine  émulation  céleste, 
en  songeant  à  ceux  qui  étaient  morts  en  souffrant  le  martyre  pour  le  Sei- 
gneur; et  en  même  temps  il  se  préparait  aux  épreuves,  aux  menaces  et  aux 
persécutions  des  tyrans.  Il  était  juste,  pieux,  à  l'abri  de  tout  blâme,  en  un 
mot,  parfait  en  toutes  choses.  On  n'apercevait  en  lui  ni  légèreté,  ni  incon- 
venance; et  jamais  ni  le  vice,  ni  la  malice,  ni  aucun  des  défauts  provenant 
d'un  esprit  peu  soumis  à  Dieu,  ne  vinrent  ternir  une  si  belle  âme;  mais 
toute  sa  conduite  était  empreinte  de  piété,  de  modestie  et  d'honnêteté. 

Quelque  temps  après  la  publication  du  premier  édit  impérial,  on  en 
apporta  un  autre,  aux  termes  duquel  on  devait  contraindre  à  quitter  la  reli- 
gion du  Christ  et  à  embrasser  les  erreurs  impies  des  démons,  tous  ceux,  quels 
qu'ils  fussent,  qui  servaient  le  Seigneur  Jésus-Christ,  et  qui,  au  lieu  d'ob- 
tempérer aux  ordres  des  empereurs,  aimaient  mieux  obéir  aux  commande- 
ments du  même  Seigneur  Jésus-Christ,  conformément  aux  oracles  desj)ro- 
phètes.  En  ce  temps-là  arrivèrent  à  Chios  des  soldats  nouvellement  enrôlés, 
sous  la  conduite  d'un  certain  Numérien.  Or,  le  bienheureux  Isidore,  que 
les  Césars,  par  affection  pour  lui,  avaient  chargé  de  l'adminislralion  des 
vivres ,  distribuait  avec  une  parfaite  égalité  leur  nécessaire  à  tous  ceux 
dont  il  était  chargé;  car  il  était  pour  eux  comme  un  bon  père  de  famille;  et 
comme  il  détestait  toutes  les  erreurs  du  paganisme,  si  on  lui  ordonnait 
quelque  chose  qui  ne  fût  pas  juste  et  équitable,  il  n'en  tenait  pas  compte. 
Or,  un  centurion  de  cette  armée,  nommé  Jules,  poussé  par  la  démence  et 
par  l'envie,  comme  Gain,  résolut  d'accuser  le  bienheureux  Isidore  auprès  de 


SArrr  isidore  de  chios,  mart™.  299 

Numérien,  préfet  de  la  milice,  afin  qu'on  le  déposât  de  la  dignité  qu'il  occu- 
pait dans  l'armée;  mais  il  craignait  que  ses  desseins  ne  fussent  pas  couron- 
nés de  succès.  Ce  n'est  pas,  au  reste,  qu'il  se  mil  en  peine  du  bien-être  des 
soldats  :  car  c'était  un  vil  mercenaire,  et  il  ne  cherchait,  sous  le  nom  de 
centurion,  qu'à  piller  ceux  qu'il  aurait  sous  ses  ordres.  Ce  centurion,  ayant 
quitté  la  voie  de  la  vérité  pour  s'abandonner  au  mensonge,  était  desccudu 
au  plus  profond  abîme  de  la  perversité;  et  lorsque  parurent  les  édits  de 
l'empereur  Décius  contre  les  chrétiens,  il  ne  rougit  pas  d'honorer  les  idoles 
par  des  prières  et  des  sacrifices. 

Jules  alla  donc  trouver  Numérien,  ellui  dénonça  Isidore  comme  ne  sacri- 
fiant pas  aux  idoles.  Numérien  lui  commanda  de  le  faire  venir. 

Jules,  montant  aussitôt  sur  un  char,  s'en  alla  avec  trois  autres  soldats 
d'un  caractère  féroce,  se  saisit  d'Isidore,  qui  ignorait  ce  qui  se  passait,  et 
lui  dit  :  «  La  justice  vengeresse  de  nos  dieux  m'ordonne  ce  que  je  fais  en  ce 
moment,  pour  punir  la  profonde  négligence  dans  laquelle  tu  vis  à  leur 
égard.  Car  il  faut  que  tu  sacrifies  aux  dieux  et  que  tu  les  honores  religieu- 
sement :  ainsi  l'ordonne  l'empereur  Décius  ».  Le  bienheureux  martyr  du 
Christ,  Isidore,  tressaillant  de  la  plus  vive  allégresse,  préparé  comme  il 
était  au  combat  par  la  grâce  du  Saint-Esprit,  répondit  modestement  à  Jules  : 
«  Oui,  qu'il  en  soit  ainsi;  partons  gaiement;  l'heure  du  combat  est  arrivée. 
C'est,  je  l'avoue,  avec  un  grand  plaisir  que  je  vais  descendre  dans  l'arène 
pour  combattre  contre  Bélial,  me  sentant  rempli  du  Saint-Esprit,  tout 
inondé  et  pénétré  de  la  rosée  de  la  grâce,  et  ravi  de  joie  dans  l'attente  d'une 
magnifique  couronne  :  c'est  pour  cela  que,  sans  la  moindre  hésitation  et  par 
de  solides  raisonnements,  j'accomplirai,  sous  les  yeux  de  ceux  qui  doivent 
venir  avec  moi,  une  lutte  courageuse;  afin  que  Dieu,  touché  des  prières  de 
ses  Saints,  donne  à  tous  ceux  qui  l'aiment  du  fond  du  cœur,  la  vie  éternelle 
par  Jésus-Christ  Notre-Seigneur  ». 

Isidore  fut  donc  amené  par  Jules  et  ses  soldats  devant  le  tribunal  de 
Numérien,  chef  de  la  milice.  Dès  que  celui-ci  l'eut  aperçu  :  «  Quel  est  ton 
nom  ?»  —  «  Isidore  ».  —  «  N'est-ce  pas  toi  qui  refuses  d'obéir  aux  édits 
de  l'empereur  et  de  sacrifier  aux  dieux  ?»  —  «  Quelle  peut  être  la  vertu  ou 
la  puissance  de  ces  dieux  faibles  et  impuissants,  pour  que  je  sacrifie  à  des 
êtres  qui  ne  sont  nulle  part  ?»  —  «  0  indomptable  dureté  de  ton  âme  per- 
verse !  comment  as-tu  osé  employer  contre  les  dieux  ces  expressions  si  cou- 
pables ?  Mais  leur  colère  est  prête  à  fondre  sur  toi  pour  punir  ton  audace  : 
nous  craignons  seulement  que,  pour  tes  paroles  de  blasphème,  ils  ne  nous 
châtient  nous-mêmes  ».  —  «  Tu  auras  beau  dire,  tes  paroles  ne  me  cause- 
ront aucun  dommage.  Le  Christ,  qui  a  créé  tout  ce  qui  existe,  et  que  tout 
le  genre  humain  doit  servir,  est  tout  prêt  à  te  couper  par  le  milieu,  toi, 
Jules  et  ton  empereur  ».  —  «  Eh  bien  1  voyons  le  jugement  de  ton  Dieu, 
comment  il  te  protégera,  si  tu  veux  encore  refuser  de  sacrifier  à  nos 
dieux  ».  —  «  Il  me  semble  que  j'ai  déjà  acquis  la  couronne  céleste  par  une 
glorieuse  victoire  sur  les  ennemis  du  Fils  de  Dieu  ».  —  «  Il  est  en  mon 
pouvoir  de  t'infliger  des  supplices  rigoureux;  mais  plutôt,  sois  docile  à  mes 
conseils,  et,  conformément  aux  édits  de  notre  empereur,  sacrifie  aux  dieux; 
autrement  ma  colère  va  éclater  contre  toi  ».  —  «  Je  résisterai  toujours  à 
tes  menaces;  car  tu  veux  m'intimider,  comme  si  tu  pouvais  tuer  mon  âme. 
Mais  c'est  sur  mon  corps  seulement,  et  nullement  sur  mon  âme  que  peut 
s'exercer  ta  puissance  :  mon  âme,  et  elle  seule,  vit  d'une  vie  impérissable. 
Du  reste,  fais  tout  ce  qu'il  te  plaira;  jamais  tu  ne  m'amèneras  à  perdre  par 
une  lâcheté  la  couronne  d'une  joie  sans  fin;  car  elle  est  pour  moi  le  gage  de 


300 


5  FÉVAIER. 


la  seule  vie  véritable.  Fais  donc,  je  le  l'ai  dit,  fais  donc  ce  que  lu  roules 
dans  ta  tête;  jamais  je  ne  chasserai  de  mon  esprit  ni  de  mon  cœur  le  Christ, 
à  qui  tout  est  soumis  avec  crainte  ». 

Alors  Numérien,  transporté  de  colère,  lui  dit  :  «  Je  vais  donner  l'ordre 
de  couper  cette  langue  perverse  ».  —  «  Si  tu  me  fais  coupe"  la  langue,  tu 
ne  me  persuaderas  point  pour  cela,  puisque  j'adore  Jésus-Christ  crucifié  sous 
Ponce-Pilate,  ressuscité  d'entre  les  morts  et  monté  aux  cieux  :  non,  non; 
jamais  tu  ne  viendras  à  bout  de  me  persuader  de  faire  ce  qu'il  me  défend  ». 
L'impie  Numérien  ordonna  alors  qu'on  lui  coupât  la  langue.  Le  bienheu- 
reux Isidore  souffrit  ce  supplice  en  se  moquant  du  tyran.  Mais,  au  môme 
moment,  Numérien,  tombant  par  terre,  perdit  l'usage  de  sa  propre  langue. 
Ce  que  voyant  tous  ceux  qui  étaient  présents,  ils  furent  hors  d'eux-mêmes 
de  la  chute  que  venait  de  faire  le  chef  de  la  milice,  et  un  bon  nombre  d'entre 
eux  crurent  au  Seigneur  Jésus-Christ.  Après  qu'on  l'eut  relevé  de  terre,  on 
s'aperçut  qu'il  était  privé  de  l'usage  de  la  parole.  Pour  lui,  il  demanda  par 
signes  qu'on  lui  apportât  des  tablettes,  et  il  y  écrivit  cette  sentence  :  «  Les 
lois  du  César  Décius  ordonnent  qu'Isidore,  qui  n'a  pas  voulu  obéir  aux  lois, 
ni  sacrifier  aux  dieux,  perde  la  tête  par  le  tranchant  du  glaive  ».  Le  bien- 
heureux martyr  du  Christ,  Isidore,  prenant  les  tablettes,  y  lut  la  sentence  et 
dit  :  «  Je  vous  remercie ,  ô  Seigneur  Jésus-Christ ,  d'avoir  trouvé  grâce 
devant  vous;  je  vous  loue.  Seigneur,  vous  qui  êtes  la  vie  de  mon  esprit;  je 
vous  glorifie,  Seigneur,  qui  êtes  l'âme  de  mon  âme  et  toute  ma  force,  vous 
qui  m'avez  donné  une  langue  au-dessus  de  toute  atteinte  ». 

Les  licteurs  se  saisirent  d'Isidore  et  le  conduisirent  au  lieu  du  supplice; 
il  s'y  rendit  en  tressaillant  de  joie,  mais  comme  un  innocent  agneau  qu'on 
va  immoler  :  et  de  même  qu'lsaac  offrit  autrefois  des  dons  à  Dieu,  ainsi  Isi- 
dore, par  sa  mort  endurée  pour  le  Christ,  fut  donné  pour  exemple  aux 
autres.  Lorsqu'on  fut  arrivé  au  lieu  appelé  la  Fosse  de  la  Vallée,  il  se  mit  à 
genoux,  et  après  avoir  fait  le  signe  de  la  croix  sur  toutes  les  parties  de  son 
corps,  il  dit  :  «  Je  vous  bénis,  ô  Père  de  mon  Seigneur  Jésus-Christ,  d'avoir 
permis  que  j'aie  été  trahi  aujourd'hui,  et  de  m'avoir  conduit  au  terme  de 
ma  vie.  Je  vous  prie,  ô  Seigneur  Jésus-Christ,  très-miséricordieux  Sauveur, 
de  ne  point  me  refuser  le  partage  de  vos  Saints  dans  la  vie  éternelle  ».  Après 
avoir  ainsi  prié,  il  mit  sa  tête  sous  le  glaive,  dont  le  tranchant  lui  ôta  la  vie. 

Un  certain  Ammonius,  plein  de  piété  et  de  crainte  de  Dieu,  qui  avait  été 
le  compagnon  du  saint  martyr,  aidé  de  quelques  frères,  creusa  une  fosse 
dans  le  lieu  même,  y  déposa  le  corps  du  bienheureux  Isidore  avec  de  grands 
honneurs,  et  lui  fit  construire  un  monument. 


SAL\T  ATITE,   ÉVÊQUE   DE   VIENNE,    EN  DAOTHINÉ.  301 


SAINT  AYITB,  EVÈQUB  DE  VIENNE,  EN  DAUPHINE 


525. —  Papes:  saint  Symmaque;  Hormisdas;  Jean  I«'.  —  Rois  du  premier  royaume  de  Bourgogne: 

Goudebaud;  saint  Sigismond. 


Non  aliUr  *  crehras  Ecclfsîa  vera  procellas 
Su^tmet,  et  sœvis  nune  divexalur  ab  undis, 
Bi'ic  gentilis  agit  duras  sine  more  furoreu, 
Bmc  Ju(io?a  frémit,  rabidoque  hanc  impetit  are, 
JJcereseon  vesunc  furens  exinée  Charyb'ûs 
Concutit,  et  Graium  sapientia  stuUa  sophorum. 


Ce  saint  ponlife  se  nommait  Alcimus  Ecditius  Avitus.  Il  naquit,  selon 
toute  apparence,  à  Vienne,  en  Dauphiné,  vers  le  milieu  du  v"  siècle  (431  ou 
432).  Nous  savons  par  ses  écrits  qu'il  appartenait  à  une  famille  patricienne 
et  sénatorienne,  originaire  de  l'Auvergne  :  lui-même  prend  quelquefois  les 
titres  de  Sénateur  romain  et  de  Sénateur  catholique. 

Ses  parents,  après  avoir  donné  le  jour  à  quatre  enfants,  s'obligèrent  à 
une  continence  perpétuelle;  et  le  chef  de  la  famille,  Isicius  ou  Hésichius, 
fut  élevé  sur  le  siège  épiscopal  de  Vienne,  immédiatement  après  la  mort  de 
saint  Mamert.  Son  épouse,  Audentia,  nous  apparaît  comme  le  modèle  des 
mères  chrétiennes.  L'éducation  qu'elle  procura  à  ses  enfants  fut  la  base  de 
cette  vie  sainte  qui  les  a  placés  presque  tous  sur  les  autels. 

Le  dernier  de  ces  enfants  était  une  fille  nommée  Fuscine.  Offerte  à  Dieu 
au  moment  de  sa  naissance,  elle  reçut  aussitôt  le  baptême,  et  lorsqu'elle  eut 
atteint  l'âge  de  douze  ans,  elle  fit  vœu  de  virginité. 

C'est  à  cette  jeune  épouse  de  Jésus-Christ  que  notre  Saint  adressa  le 
dernier  de  ses  poèmes,  où  il  retrace  avec  autant  de  force  que  d'élégance  le 
bonheur  et  la  dignité  des  Vierges. 

Cet  ouvrage  ne  fut  pas  d'abord  destiné  au  public  :  saint  Avite  voulut  bien 
le  communiquer  à  son  frère,  l'évêque  de  Valence,  mais  à  la  condition  qu'il 
n'en  donnerait  connaissance  à  personne,  sinon  à  des  parents  ou  à  des  amis 
sincèrement  pieux. 

La  nature  même  de  l'ouvrage  nous  explique  suffisamment  le  désir  de 
l'auteur  sur  ce  point  :  il  y  fait  l'éloge  de  plusieurs  membres  de  sa  famille, 
qui  s'étaient  illustrés  par  leur  sainteté  ;  d'autre  part,  il  écrit  spécialement 
pour  une  jeune  femme  (Fuscine,  sa  sœur),  consacrée  à  Dieu,  et  qui,  dans 
ses  moments  d'épreuve,  avait  besoin  de  direction  spirituelle  et  de  consola- 
tion ;  V Eloge  de  la  chasteté  est  donc  une  espèce  de  discours  confidentiel. 

Dans  son  humilité  et  son  admiration  pour  les  vertus  de  sa  sœur,  saint 
Avite  lui  attribue  sa  propre  conversion. 

Une  faut  pas  conclure  de  ce  passage  que  saint  Avite  eût  jamais  professé 
le  paganisme  ou  vécu  dans  le  désordre.  A  cette  époque,  se  convertir  signifiait 
renoncer  aux  plaisirs  du  monde  pour  embrasser  un  état  de  vie  plus  parfait; 
on  appliquait  cette  expression,  non-seulement  aux  moines  et  aux  reli- 

1.  Ac  arca  A'oe-  —  Extrait  du  poëme  des  six  jours  par  saint  Avite.  —  Les  poëmes  de  saint  Avite  con- 
tiennent de  plus  beaux  vers  que  ceux  que  nous  venons  de  citer;  mais  outre  que  ceux-ci  ne  manquent  pas 
do  mérite,  ils  s'harmonisent  assez  bien  avec  la  vie  du  saint  évêque  qui  ne  fut  qu'un  long  combat  contre 
les  ennemis  de  l'Eglise  et  du  Fajie. 


302 


6  FÉVRIER. 


gieuses,  mais  encore  aux  évoques,  aux  prôtres,  aux  diacres,  et  à  leurs 
anciennes  épouses,  qui  étaient  devenues  leurs  sœurs. 

Pour  en  revenir  aux  saintes  illustrations  de  la  famille  de  saint  Avite,  son 
frère  aîné  — saint  Apollinaire,  —  occupa  le  siège  de  Valence  sur  le  Rhône. 
Sa  vie  fut  remplie  de  grandes  actions,  et  des  miracles  éclatants  s'opérèrent 
longtemps  sur  son  tombeau.  Saint  Adon  nous  apprend  qu'il  fut  comme 
saint  Avite  une  grande  lumière. 

La  jeune  Fuscine  avait  une  sœur  qui  mourut  avant  elle.  Nous  ne  la  con- 
naissons que  par  une  lettre  où  saint  Apollinaire  s'excuse  de  n'avoir  pu 
assister  au  service  funèbre  que  saint  Avite  avait  célébré  pour  elle  dans 
l'église  de  Vienne,  et  par  la  réponse  de  ce  dernier  à  l'évêque  de  Valence. 

Saint  Avite,  qui  nous  fait  connaître  plusieurs  membres  de  sa  famille, 
nous  laisse  ignorer  les  particularités  de  sa  propre  jeunesse.  Il  nous  apprend 
seulement,  dans  une  de  ses  homélies,  qu'il  avait  reçu  le  baptême  de  saint 
Mamerl,  prédécesseur  d'isicius. 

H  passa  ses  premières  années  et  fit  ses  éludes  à  Vienne,  oîi  le  rhéteur 
Sapaude  tenait  alors  une  école  publique.  Les  écrits  de  saint  Avite  lui-même, 
et  le  témoignage  des  plus  grands  prélats  de  cette  époque  et  des  siècles  sui- 
vants nous  prouvent  assez  qu'il  obtint  de  grands  succès  dans  les  sciences 
humain'es.  Mais,  les  études  profanes  n'otôrent  rien  à  la  gravité  de  son  carac- 
tère, et  ne  le  détournèrent  jamais  de  la  vertu  :  il  faisait  chaque  jour  des 
progrès  dans  la  piété,  qui  n'avait  cessé  d'illustrer  sa  famille. 

Ainsi  la  Providence  préparait-elle  le  jeune  Avite  à  devenir  un  grand 
évoque  et  l'une  des  plus  brillantes  lumières  de  l'église  des  Gaules.  Vers  l'an 
490,  Isicius  étant  mort,  notre  Saint,  qui  avait  alors  quarante  ans,  fut  appelé 
aie  remplacer  dans  le  gouvernement  du  diocèse  de  Vienne. 

Les  Burgundes,  auxquels  cette  ville  était  soumise,  avaient  alors  à  leur 
tête  Gondebaud  et  son  frère  Godégésile,  tous  deux  partisans  de  l'Arianisme. 

Le  premier  de  ces  princes,  au  témoignage  de  ses  contemporains,  se  dis- 
tinguait par  de  hautes  qualités  ;  il  avait  un  esprit  vif,  une  imagination  bril- 
lante, beaucoup  d'éloquence  ;  il  était  bien  instruit  de  la  religion  catholique, 
et  possédait  des  connaissances  très-rares  dans  un  prince  barbare.  Mais,  les 
belles  qualités  de  son  esprit  étaient  singulièrement  déparées  par  les  vices  de 
son  cœur  :  poussé  par  une  ambition  démesurée  et  cruelle,  il  fit  mourir  plu- 
sieurs de  ses  frères;  et  son  caractère,  aussi  faible  que  rusé,  le  retint  jusqu'à 
sa  mort  dans  l'hérésie. 

Malgré  l'exemple  du  prince,  bon  nombre  de  Germains  étaient  restés 
fidèles  à  la  religion  catholique,  professée  par  la  population  gallo-romaine: 
et  les  actes  d'un  concile  tenu  sous  la  présidence  de  saint  Avite  mentionnent 
les  noms  de  vingt-cinq  évêques,  appartenant  tous  au  royaume  des  Burgondes. 

Toutefois  l'Arianisme  était  encore  très-puissant,  et  Gondebaud,  malgré 
sa  connaissance  de  la  vraie  foi,  malgré  ses  sympathies  pour  l'Eglise  catho- 
lique, ne  put  jamais  se  résoudre  à  changer  publiquement  de  religion,  parce 
qu'il  craignait  le  peuple  et  le  clergé  arien. 

L'état  religieux  des  autres  parties  du  monde  était  plus  triste  encore  :  en 
Afrique,  les  Vandales,  en  Italie  les  Ostrogoths,  les  Visigoths  en  Espagne  et 
dans  le  midi  de  la  Gaule  étaient  engagés  dans  l'Arianisme,  et  l'empereur  de 
Constantinople,  Zenon,  prêtait  son  appui  à  l'hérésie  d'Eutychès. 

Ainsi,  au  moment  où  saint  Avite  était  appelé  à  régir  le  diocèse  devienne, 
les  puissances  du  monde  étaient  partout  opposées  à  la  religion  de  Jésus- 
Christ.  Mais,  bientôt  Dieu  viendra  renouveler  la  face  de  la  terre,  et  l'un  des 
organes  dont  il  se  servira  pour  cette  œuvre  sera  le  grand  évêque  de  Vienne. 


SAINT  AVITE,   ÉVÉQUE   DE  VIENNE,   EN  DAUPHINÉ.  303 

Saint  Avite  fit  monter  avec  lui  sur  le  siège  pontifical  toutes  les  qualités 
de  l'esprit  et  du  cœur  qui  peuvent  orner  l'épiscopat.  Ses  fonctions  aposto- 
liques, ses  rapports  avec  les  prélats  et  les  princes  de  son  temps,  sa  vie  tout 
entière  nous  le  montrent  animé  d'une  foi  vive,  d'une  piété  profonde  et  d'un 
zèle  ardent  pour  les  intérêts  de  la  religion  ;  plein  d'humilité,  charitable  et 
pacifique,  il  était  sans  cesse  appliqué  à  ramènera  Dieu  les  âmes  égarées,  età 
rétablir  la  paix  et  la  charité  dans  celles  oti  régnaient  la  haine  et  l'amertume. 

11  donna  en  plusieurs  occasions  des  preuves  de  son  zèle  pour  le  rachat 
des  captifs  ;  il  se  montrait  ainsi  le  digne  ministre  de  cette  Eglise  qui  n'a 
cessé  de  travailler  à  l'affranchissement  de  l'homme,  aux  époques  de  barbarie 
et  d'esclavage. 

Qtons  un  fait,  rapporté  dans  la  Vie  de  saint  Epiphane,  évêque  de  Pavie. 
Pendant  les  guerres  que  le  roi  des  Goths,  Théodoric,  soutenait  contre 
Odoacre,  et  notamment  pendant  le  long  siège  de  Ravenne,  dernier  refuge 
du  roi  des  Hérules,  les  Burgondes  faisaient  de  fréquentes  incursions  dans  la 
Ligurie,  dévastaient  les  campagnes  et  emmenaient  avec  eux  une  foule  de 
captifs.  Par  suite,  l'Italie  était  dans  la  désolation;  faute  d'hommes,  les 
champs  n'étaient  plus  cultivés.  Théodoric  députa  donc  à  Gondebaud  saint 
Epiphane,  avec  mission  de  racheter  les  prisonniers.  Mais  la  somme  dont  le 
Saint  disposait  se  trouva  insuffisante  ;  et  l'évoque  de  Vienne,  désirant  ardem- 
ment que  tous  fussent  mis  en  liberté,  fournit  généreusement  de  quoi  payer 
leur  rançon. 

Cette  charité  à  l'égard  des  captifs,  saint  Avite  la  manifeste  dans  plusieurs 
de  ses  lettres.  Du  reste,  il  nous  découvre  le  fond  de  son  âme  aimante  par 
sa  conduite  envers  les  pécheurs.  Il  nous  apprend  lui-même  qu'il  les  corri- 
geait avec  douceur,  et  qu'à  l'exemple  de  son  divin  Maître,  il  préférait  la 
miséricorde  à  la  justice.  «Le  malheureux  pécheur  »,  dit-il,  «  trouve  une  peine 
suffisante  dans  ses  crimes  ».  C'est  encore  sous  l'impulsion  des  mêmes  senti- 
ments qu'il  intercède  en  faveur  d'un  esclave  qui  avait  nié  un  dépôt. 

Une  conduite  si  pleine  de  foi,  de  zèle  et  d'amour  nous  explique  assez 
pourquoi  saint  Avite  fut  chéri  de  ses  confrères,  et  regardé  par  ses  contem- 
porains comme  le  modèle  des  vertus  pastorales. 

Sa  charité  seule  égalait  son  humilité,  et  cette  charité  pouvait  seule  aussi 
le  décider  à  résoudre  les  questions  douteuses  que  lui  soumettait  le  clergé 
des  Gaules,  et  à  se  charger  d'une  foule  d'affaires  qu'il  croyait  au-dessus  de 
ses  forces. 

Cependant  il  ne  se  distinguait  pas  moins  par  ses  talents  que  par  ses 
vertus  :  c'est  le  témoignage  unanime  de  ses  contemporains  et  des  écrivains 
postérieurs.  Agobard,  évêque  de  Lyon,  lui  reconnaît  une  grande  pénétration 
d'esprit,  une  éloquence  entraînante,  beaucoup  d'onction  dans  l'explication 
des  saintes  Ecritures.  Saint  Isidore  de  Séville  nous  apprend  qu'il  était  très- 
versé  dans  les  lettres  humaines  ;  et,  au  témoignage  d'Ennodius,  diacre  de 
Pavie,  l'habileté  semblait  l'avoir  choisi  pour  son  sanctuaire  de  prédilection. 

On  comprend  après  cela  ces  autres  paroles  d'Agobard  :  «  Presque  toute 
l'Eglise  de  Jésus-Christ  connaît  combien  saint  Avite  se  distingua  par  l'ortho- 
doxie de  sa  doctrine  et  par  son  éloquence  ». 

Cette  réunion  de  talents  et  de  vertus  concilia  bientôt  à  saint  Avite  l'es- 
time, la  confiance  et  la  vénération  de  deux  rois  barbares,  Clovis  et  Gonde- 
baud, quoique  celui-ci  professât  l'Arianisme  et  que  celui-là  fût  encore  idolâtre. 

En  496,  Clovis  embrassa  le  Christianisme,  et  l'évêque  de  Vienne  lui  écrivit 
une  belle  lettre  de  félicitation. 

La  conversion  de  Gondebaud  eût  comblé  tous  les  vœux  du  saint  prélat; 


304  5   FÉVRIER. 

aussi  dirigeait-il  vers  ce  but  tous  ses  efforts.  Depuis  longtemps  il  était  en 
rapport  intime  avec  le  roi  des  Burgondes  ;  ils  avaient  ensemble  de  fréquents 
entretiens  sur  le  dogme  et  la  morale  catholiques. 

Saint  Avite  nous  a  conservé  lui-même  une  de  ces  conférences,  dans  une 
lettre  à  Sigismond,  fils  de  Gondebaud.  On  y  voit  que  les  discussions,  sou- 
vent très-longues,  avaient  lieu  devant  les  prêtres  ariens,  qui  posaient  à 
l'illustre  champion  de  la  foi  des  questions  embarrassantes  par  leur  subtilité. 
En  lisant  celte  lettre,  on  assiste  au  combat  que  la  vérité  livrait  au  cœur  de 
Gondebaud  ;  et  l'on  s'étonne  de  rencontrer  chez  ce  roi  barbare  une  manie 
de  disputer  qui  le  place  à  côté  des  empereurs  grecs.  Il  faut  reconnaître  aussi 
qu'il  écoutait  paisiblement  la  discussion  et  saisissait  très-bien  la  valeur  des 
questions  et  des  réponses. 

Saint  Grégoire  de  Tours  nous  apprend  qu'à  la  demande  du  prince  saint 
Avite  réunit  les  passages  de  l'Ecriture  les  plus  propres  à  confondre  l'hérésie 
d'Eutychès.  Au  reste,  ce  grand  prélat  poursuivit  l'erreur  sous  toutes  ses 
formes  :  l'Eutychianisme,  le  Nestorianisme,  les  écarts  de  Photin  et  de  Bonose 
furent  tour  à  tour  l'objet  de  ses  attaques. 

Ce  fut  principalement  contre  l'Arianisme  que  saint  Avite  dirigea  les 
forces  de  son  intelligence  et  les  ressources  de  son  zèle  apostolique.  Il  com- 
battit sans  relâche  cette  hérésie  dans  ses  écrits,  dans  ses  prédications  et  tous 
ses  entretiens  ;  il  le  fit  avec  beaucoup  d'éclat  dans  la  fameuse  Conférence 
tenue  à  Lyon,  l'an  506,  avant  la  première  expédition  de  Glovis  contre  la 
Bourgogne. 

Si  Gondebaud  n'avait  pas  le  courage  de  renoncer  lui-même  à  l'Aria- 
nisme, il  n'empêchait  pourtant  pas  ses  enfants  d'embrasser  la  vraie  religion. 
Sigismond,  son  fils  aîné,  profila  de  celle  liberté  pour  se  faire  instruire  et 
suivre  les  inspirations  de  sa  piété  :  il  se  mit  en  rapport  avec  l'évêque  de 
Vienne,  auquel  il  fut  redevable  de  sa  conversion.  Ce  fut  sur  les  conseils  de 
saint  Avite  qu'il  entreprit  de  rétablir  le  monastère  d'.\gaune  ou  de  Saint- 
Maurice  en  Valais,  et  cela  dès  l'année  515,  un  an  avant  la  mort  de  Gonde- 
baud. Cependant  l'église  ne  fut  achevée  qu'en  517,  époque  à  laquelle  on  en 
fit  la  dédicace  avec  beaucoup  de  solennité,  en  présence  de  soixante  évêques 
et  d'un  grand  nombre  de  seigneurs.  A  celte  occasion  notre  Saint  prononça 
une  homélie  dont  il  nous  reste  le  titre  et  un  fragment.  Il  y  félicite  le  nou- 
veau roi  d'avoir  devancé  tous  les  membres  de  sa  famille  dans  la  profession 
de  la  foi  calholique,  et  le  remercie  des  largesses  qu'il  avait  accordées  au 
nouvel  établissement. 

Toutes  les  lettres  de  saint  Avite  à  Sigismond  furent  écrites  après  la  con- 
version de  ce  prince  qui,  non  content  d'avoir  toujours  professé  publiquement 
et  en  toute  liberté  la  religion  catholique,  voulut —  lorsqu'en  317  il  remplaça 
Gondebaud  sur  le  trône,  —  abjurer  de  nouveau  l'hérésie  d'une  manière  plus 
solennelle.  C'est  ce  qu'il  fît  avec  ses  deux  enfants,  Sigeric  et  Suavegothe, 
en  présence  du  peuple  et  du  clergé  réunis.  Saint  Avite  prononça  dans 
celte  circonstance  une  homélie  dont  les  anciens  font  un  grand  éloge. 

Cet  événement  donna  le  coup  de  mort  à  l'Arianisme,  et  décida  la  conver- 
sion de  la  plus  grande  partie  du  peuple.  Les  évoques,  et  surtout  saint. \  vite, 
redoublèrent  leurs  efforts  pour  achever  une  œuvre  si  heureusement  com- 
mencée. Parmi  les  moyens  qui  servirent  le  plus  efficacement  leurs  bons 
desseins,  il  faut  compter  les  synodes  provinciaux. 

Dès  l'année  317,  l'évêque  de  Vienne  convoqua  ses  suffraganls  pour  une 
assemblée  de  ce  genre  ;  elle  ouvrit  ses  séances  le  17  septembre  à  Epone  ou 
Epaunum,  lieu  que  l'on  croit  être  Yenue,  sur  le  Ehone,  au  diocèse  de 


SAINT  AVITE,   ÉVÊQUE  Dfi  VIENNE,   EN  ©AUPHINÉ.  305 

Chambéry  *. Vingt-cinq  évêques,  tant  de  la  province  de  Vienne  que  des  autres 
parties  du  royaume,  se  trouvèrent  présents. 

Il  convoque  ses  collègues  pour  se  conformer,  comme  il  le  dit,  à  la 
volonté  du  vénérable  Pape  de  Rome,  dans  l'espoir  qu'on  portera  de  sages 
décrets  pour  diriger  la  conduite  du  clergé. 

En  elTet,  on  dressa  dans  cette  assemblée  quarante  canons  de  discipline, 
dont  plusieurs  regardent  les  évêques,  les  prêtres  et  les  diacres,  et  prouvent 
que  certains  membres  du  clergé  s'étaient  laissé  entraîner  aux  mœurs  propres 
à  la  race  germanique  alors  dominante  *. 

On  défendit  aussi  de  communiquer  avec  les  Ariens,  soit  dans  les  ropas, 
soit  dans  les  exercices  religieux  :  on  voit  par  là  qu'un  grand  nombre  de 
Burgondes  étaient  encore  hérétiques. 

Saint  Avite,  qui  présidait  l'assemblée,  eut  la  plus  grande  part  aux  salu- 
taires règlements  qu*on  y  établit.  On  a  même  observé  que  le  canon  XXXIII, 
relatif  à  l'usage  qu'on  peut  faire  des  temples  autrefois  consacrés  au  culte 
bérétique,  est  la  reproduction  pour  ainsi  dire  littérale  d'une  décision  donnée 
auparavant  par  notre  Saint,  dans  une  lettre  à  Victurius,  évêque  de  Grenoble. 

Le  clergé  gaulois,  ranimé  surtout  par  les  soins  d'Avite,  s'occupa  dès 
lors  avec  un  nouveau  zèle  du  ministère  apostolique  ;  rien  n'était  négligé  : 
ni  la  conversion  des  Ariens,  ni  l'instruction  des  fidèles,  ni  la  réformation 
des  mœurs,  ni  enfin  la  répression  des  scandales  donnés  par  les  grands. 

Ainsi,  peu  de  temps  après  le  concile  d'Epone,  une  assemblée  ecclésias- 
tique se  réunit  à  Lyon  pour  juger  l'un  des  plus  hauts  officiers  du  roi,  qui 
vivait  dans  l'inceste.  Sigismond,  prenant  la  défense  de  son  indigne  favori, 
fit  subir  aux  évêques  la  peine  qu'ils  avaient  prévue  :  il  les  exila  tous  dans  un 

1.  Yenne,  jadis  capitale  du  petit  Bugey,  aujourd'hui  chef-lieu  de  canton  de  l'arrondissement  de  Cham- 
béry. est  située  sur  le  Kliône,  h  20  kilomètres  N.  O.  de  cette  ville.  En  fouillant  le  sol  de  ce  bourg  —  qai, 
à  l'époque  de  saint  Avite,  ne  devait  avoir  qu'une  paroisse,  comme  aujourd'hui,  —  on  y  a  découvert,  au 
xvu«"  siècle,  une  inscription  latine  portant  ces  mots  :  Deœ  Epnonœ,  laquelle  déesse  avait  sans  doute 
donné  son  nom  à  la  localité.  D'ailleurs,  Yenne  s'est  toujours  appelé  Epnuna  en  latin  ;  or,  possession  vaut 
titre  :  on  ne  peut  nommer  d'autre  localité  qui  ait  constamment  porté  ce  nom.  Le  nom  français 
Yenne  n'est  pas  si  éloigné  du  latin  qu'avec  un  peu  de  bonne  volonté  on  ne  puisse  le  faire  venir  d'Epnuna, 
Nous  avons  encore  une  preuve  indirecte  que  le  concile  d'Epone  a  dû  se  tenir  à  Yenne  :  c'est  que  saint 
Avite  profita  de  son  voyage  en  Savoie  pour  aller,  immédiatement  après  le  concile,  consacrer  plusieurs 
églisus  de  cette  province,  qui  alors  relevait  de  son  siège  :  celle,  entre  autres,  d'Annemasse.  prfes  d9 
Genève  (diocèse  d'Annecy),  et  celle  de  Tarentaise  (Moutiers),  reconstruite  par  l'évêque  Sanctius,  un  des 
signataires  du  concile.  Il  prêcha  dans  ces  deux  circonstances.  (Des  fragments  de  ses  discours  ont  été 
publiés  par  l'institut  Genevois.) 

L'impartialité  nous  fait  un  deyoir  de  mentionner  les  raisons  qui  font  placer  Epone  h  Albon  (Drûme), 
ancien  fief  de  l'église  de  Vienne. 

Nous  lisons  dans  les  M-'moires  de  Tréooux,  nov.  1737,  p.  19S7,  1675  : 

«  Pour  trouver  le  vrai  lieu  d'Epone  que  saint  Avite  appelle  Pnrockia  Epaunensis,  il  faut  1°  trouver  un 
lieu  qui  ait  appartenu  à  l'église  de  Vienne;  2o  que  ce  lieu  soit  dans  le  diocèse  de  Vienne;  3"  qu*il  y  ait  en 
dans  ce  lien  deux  églises  dédiées  l'une  à  saint  André,  l'autre  à  saint  Romain.  martjT;  4»  il  faut  que  ce  lietl 
soit  proportionne'  "h  la  distance  des  évêques  du  royaume  de  Bourgogne,  qui  devaient  se  rendre  an  concile. 
La  première,  la  deuxième  et  la  troisième  de  ces  conditions  se  trouvent  dans  un  diplôme  de  Louis  le 
Débonnaire  (Cf.  Baluze,  Act.  Vet  .  t.  ii,  col.  1133).  Par  ce  diplôme,  Louis  le  De1)onnaire  oblige  le  comte 
Albon  à  restituer  Epone  à  Téglise  de  Vienne » 

Charvet.  auteur  des  Annaîes  de  ta  S'iinte  éijlise  de  ViennCy  adopta  cette  opinion  et  la  confirma  par  uno 
charte  de  l'église  de  Vienne,  qui  caractériserait  encore  mieux  la  situation  d'Epone.  Cette  charte  contenait 
la  donation  qn'Arlulf  et  Adoara,  sa  femme,  faisaient  à  l'église  de  Vienne  des  biens  qu'ils  avaient  dans  le 
Viennois,  au  territoire  d'Epone,  dans  le  lieu  appelé  Aneyron.  Aneyron,  disait  Charvet,  est  une  paroissa 
du  diocèse  de  Vienne,  dans  le  comté  d'Albon,  h  six  lieues  de  Vienne,  peu  éloignée  du  Rhône,  et  joignant 
celle  de  Saint-Romain  d'Albon.  Epone  a  perdu  son  nom,  et  Aneyron  a  conservé  le  sien. 

On  voit,  par  le  diplôme  de  Louis  le  Débonnaire,  que  la  véritable  leçon  du  nom  du  concile  d'Epone  est 
Epaotiewtis.  Ce  nom  se  coiTompait  déjà  du  temps  de  Charles  ie  Chauve,  puisqu'une  charte  de  ce  prince 
porte  Ebbaonensis,  et  il  a  pu  se  faire  très-naturellement,  dans  la  snite,  que  ce  lieu  ait  été  désigné  par  la 
nom  du  comte  Albon.  qui  l'avait  restituée  à  l'église  de  Vienne.  Epone  n'a  jamais  été  ville.  Les  villes  du 
premier  ordre  se  nommaient,  chez  les  Romains,  Cimtis;  celles  du  second,  Cas'i-un,  et  les  bourgs,  VicuSp 
qualification  que  le  diplôme  donne  à  Epone.  —  Cf.  Concdr-s  g'^n.  ei  paru,  par  Mgr  Guérin. 

2.  Le  Canon  IV  défend  au.x  évêques,  ao^t  prêtres  et  aux  diacres  de  tenir  des  chiens  de  chasse  ou  des 
faucons. 

Vies  des  Saints.  —  Tome  il.  20 


306  5   FÉVRIER. 

endroit  du  Lyonnais  nommé  Sardinia,  aujourd'hui  complètement  inconnu. 

Saint  Avile  eut  sans  doute  la  gloire  d'assister  ;\  ce  concile  et  de  partager 
l'exil  de  ses  courageux  confrères. 

La  persécution  dont  les  membres  du  concile  furent  l'objet  montre  ce 
que  le  clergé  catholique  avait  à  souffrir  des  rois  Burgondes,  môme  après 
leur  conversion. 

Les  Germains,  et  surtout  leurs  chefs,  malgré  leur  contact  avec  la  popu- 
lation gallo-romaine,  malgré  l'inHuence  toujours  croissante  des  idées  et  des 
mœurs  chréliennes,  perdaient  bien  lentement  l'esprit  de  sauvage  indépen- 
dance qu'ils  avaient  apporté  des  forêts  du  Nord. 

Colle  insubordination  des  Germains  était  plus  ou  moins  excusable  chez 
des  barbares  qui  venaient  d'embrasser  la  foi  catholique.  L'Eglise  avait  à 
déplorer  des  maux  bien  plus  grands  au  centre  même  de  la  chrétienté  : 
tandis  que  l'évêque  de  Vienne  travaillait  à  la  conversion  des  Burgondes,  un 
schisme  avait  éclaté  en  Italie,  où  il  avait  causé  des  violences  et  des  désor- 
dres de  toute  espèce. 

Le  pape  Anastase  étant  mort  le  16  novembre  498,  le  diacre  Symmaque 
fut  légitimement  élu  pour  lui  succéder.  Mais,  des  personnages  influents  de 
Rome,  qui  voulaient  faire  admettre  V Hénotique  de  Zenon  ',  parvinrent,  à 
force  d'intrigues,  à  faire  élire  l'anti-pape  Laurent.  Celui-ci  fut  condamné 
au  concile  de  Rome  (500).  Mais  bientôt  ses  partisans  le  rappelèrent,  et,  pour 
assurer  son  triomphe,  ils  eurent  recours  à  la  calomnie  :  ils  accusèrent 
Symmaque  de  crimes  horribles  et  demandèrent  sa  condamnation  à  Théo- 
doric,  roi  des  Golhs,  qui  chargea  un  concile  d'examiner  la  conduite  du  pape. 
Celui-ci  s'étant  soumis  au  jugement  de  ses  inférieurs  pour  éviter  le  plus 
grand  des  maux,  fut  absous  dans  l'assemblée  que  l'on  connaît  sous  le  nom 
de  Srjnodus  Palmaris. 

Cependant,  le  clergé  des  Gaules,  alarmé  de  ce  que  les  prélats  italiens 
avaient  osé  juger  le  chef  de  l'Eglise,  au  lieu  de  prendre  sa  défense,  chargea 
saint  Avite  de  prolesler  contre  cet  acte  illégal.  L'évoque  de  Vienne  écrivit, 
en  ed'et,  aux  personnages  les  plus  distingués  de  Rome  une  lettre  oil  il  prend 
en  main  les  intérêts  de  la  bonne  cause  et  défend  avec  la  plus  grande  vigueur 
l'élection  du  pape  légitime.  Saint  Avite  adressa  sa  lettre  à  Faustus  et  à  Sym- 
maque qui  étaient  les  chefs  du  sénat. 

«  11  serait  bien  h  désirer —  leur  dit-il,  — que  nous  puissions  nous  rendre 
nous-mêmes  à  cette  ville  que  l'univers  entier  vénère,  pour  nous  y  acquitter 
de  nos  devoirs  religieux  et  civils*  ;  mais,  puisque  le  malheur  des  temps  nous 
rend  ce  voyage  impossible,  nous  aurions  voulu,  au  moins,  nous  réunir  et 
faire  ainsi  connaître  à  Votre  Grandeur  le  sentiment  unanime  de  tous  les 
évoques  des  Gaules  au  sujet  de  cette  affaire  importante  qui  nous  regarde 
tous  ;  les  bornes  de  nos  provinces  respectives,  devenues  infranchissables, 
ont  mis  obstacle  à  nos  désirs.  Je  prie  cependant  le  sénat  de  ne  pas  consi- 
dérer cette  lettre  comme  celle  d'un  seul  évèque,  car  je  ne  vous  écris  qu'au 
nom  de  mes  frères  des  Gaules  qui  m'ont  donné,  par  lettres,  commission  de 
vous  écrire,  et  je  ne  suis  que  l'interprète  de  leurs  sentiments. 

«  Nous  étions  en  de  grandes  inquiétudes  au  sujet  de  l'Eglise  romaine 
(inquiétudes  bien  légitimes,  puisque  l'épiscopat  tout  entier  est  ébranlé  quand  , 

1.  On  appelle  Hénotique  (du  greo  hénatès,  unité)  l'édit  d'union  rendu  l'an  482,  par  l'empereur  Zi!non,  I 
à  la  sollicitation  d'Acace,  patriarche  de  Constantinoplc,  et  ordonnant  l'union  des  catlioliqucs  avec  les  ] 
Euticliéens,  qni  niaient  la  maternité  divine  de  Marie.  Cet  éJit  souleva  de  vives  disputes  et  provoqua  de  ' 
longues  pcr-^dcutions. 

2.  Saint  Avite  était  sc-uateu.. 


SATST  AVITE,   ÉVÊQUE  DE   VIESNE,    EN  DAOTHDfÉ.  307 

son  chef  est  attaqué),  lorsque  nous  avons  eu  connaissance  du  jugement  pro- 
noncé par  les  évèques  d'Italie  dans  la  cause  du  pape  Symmaque. 

«  Quoique  cette  sentence,  rendue  dans  nn  nombreux  concile,  soit  res- 
pectable en  elle-même,  nous  ne  pouvons  dissimuler  cependant  que  le  saint 
pape  Symmaque,  poursuivi  devant  l'autorité  civile,  eût  dû  trouver  dans  ses 
coévèques  plutôt  des  consolateurs  que  des  juges.  De  plus,  il  n'est  pas  facile 
de  comprendre  comment  le  supérieur  a  pu  être  jugé  par  ses  inférieurs. 
Quand  l'Apôtre  nous  interdit  de  recevoir  légèrement  une  accusation  contre 
un  simple  prêtre,  comment  a-t-on  pu  en  recevoir  une  contre  le  Chef  de 
l'Eglise  universelle  ?  Le  vénérable  concile  l'a  compris,  et  c'est  pour  cela  sans 
doute  que.  tout  en  affirmant  que  nilui  ni  le  très-glorieu.xThéodoric  n'avaient 
trouvé  fondés  les  crimes  reprochés  au  Pape,  il  décide  qu'il  doit  renvoyer  à 
Dieu  une  cause  dont  il  n'avait  pu  (soit  dit  sans  offenser  personne)  se  charger 
sans  témérité. 

«  Comme  sénateur  romain  et  comme  évêque  chrétien,  je  vous  conjure 
de  vous  intéresser  autant  à  ce  qui  regarde  l'Eglise  qu'à  ce  qui  regarde  la 
République,  et,  dans  votre  cité,  n'aimez  pas  moins  le  siège  de  Pierre  que  la 
capitale  du  monde. 

«  Si  on  a  des  reproches  à  faire  à  un  autre  évêque ,  on  peut  examiner  sa 
cause  sans  difficulté.  Mais,  quand  on  attaque  le  pape  de  Rome,  l'épiscopat 
tout  entier  chancelle. 

«  "^'ous  savez  au  milieu  de  quelles  tempêtes  nous  dirigeons  le  gouvernail 
de  la  foi.  Si,  comme  nous,  vous  tremblez  à  la  vue  des  périls  que  court  notre 
vaisseau,  il  faut  vous  unir  à  nous  pour  en  défendre  le  pilote.  Souvenez-vous 
que  ce  n'est  pas  au  troupeau  à  juger  le  pasteur  ;  le  souverain  Juge  a  seul  le 
droit  de  demander  compte  des  brebis  à  celui  auquel  il  les  a  confiées.  Tra- 
vaillez donc  à  rétablir  la  paix  si  elle  ne  l'est  pas  encore  ». 

Cette  lettre,  d'une  si  forte  logique  et  d'une  si  simple  et  si  admirable 
éloquence,  peut  donner  une  idée  de  ce  que  saint  Avite  pensait  relativement 
à  la  primauté  du  siège  de  Pierre. 

L'évêque  de  Vienne  conserva  toujours  le  même  attachement  au  chef  de 
l'Eglise  :  il  fut  le  confident  et  l'ami  intime  du  pape  Hormisdas,  successeur 
de  saint  Symmaque,  et  se  joignit  à  lui  pour  étouQ'er  le  schisme  qui  désolait 
l'Eglise  grecque  depuis  la  condamnation  du  patriarche  Acace. 

Hormisdas,  qui  désirait  la  paix  et  l'union,  avait  envoyé  des  légats  en 
Orient,  et  il  était  parvenu  à  détacher  du  schisme  les  évêques  de  Dardanie, 
d'illyrie  et  de  Thrace.  Mais,  depuis  longtemps  l'Eglise  orientale  ressentait 
contre  l'Eglise  d'Occident  les  atteintes  de  cette  jalousie  qui  l'a  conduite  au 
schisme  déplorable  qui  dure  encore.  Les  efforts  d'Hormisdas  échouèrent 
contre  la  perfidie  des  Grecs,  et  il  ne  put  rétablir  la  paix. 

Avite  avait  appris  du  pape  lui-même  les  heureuses  dispositions  des  évê- 
ques qui  étaient  rentrés  dans  l'unité,  et  l'intention  où  il  était  d'envoyer  de 
•nouveaux  légats  en  Orient. 

Il  s'intéressait  si  vivement  à  cette  affaire,  qu'il  envoya  à  Rome,  quelque 
temps  après,  le  prêtre  Alexius  et  le  diacre  Yenantus,  pour  connaître  le 
résultat  de  cette  seconde  ambassade.  Dans  la  crainte  que  ses  envoyés  ne 
pussent  arriver  jusqu'à  Rome,  il  chargea  d'autres  clercs  d'aller  à  Ravenne 
demander  à  l'évêque  Pierre  les  renseignements  qu'il  désirait. 

La  lettre  qu'il  donna  pour  le  pape  à  .\lexius  et  à  Venantius  était  écrite 
au  nom  de  tous  les  évêques  de  la  Viennoise. 
Le  pape  répondit  à  saint  Avite  : 
«  Très-cher  frère,  nous  nous  sommes  réjoui  dans  le  Seigneur  en  voyant 


308  5   FÉVRIER. 

dans  la  lettre  que  vous  nous  avez  envoj'ée  par  le  prêtre  Alexius  et  le  diacre 
Venantius,  combien  vous  êtes  attaché  aux  constitutions  du  Siège  apostolique 
qui  ont  condamné  les  impies  Nestorius  et  Eutychès,  et  combien  vous  mettez 
d'intérêt  à  savoir  si  nos  démarches  ont  produit  quelque  résultat  contre  ces 
hérétiques  qui  troublent  les  Eglises  orientales  ». 

Il  était  bien  juste,  en  effet,  que  les  fidèles  enfants  de  l'Eglise  priassent 
pour  leur  mère,  tandis  que  des  ûls  dénaturés  continuaient  de  lui  déchirer  le 
sein.  Enfin,  le  terme  des  souffrances  arriva  :  l'empereur  Anastase  étant 
mort  en  518,  Justin,  son  successeur,  se  montra  plus  loyal  et  plus  raison- 
nable ;  et  le  patriarche  Jean  de  Cappadoce  parvint  à  étouffer  la  discorde. 
L'évêque  de  Vienne  avait  sans  doute  contribué  pour  une  large  part  à  ter- 
miner le  schisme.  Dès  que  l'heureux  événement  fut  connu  dans  les  Gaules, 
il  écrivit  au  patriarche  pour  lui  en  témoigner  sa  joie.  Il  lui  recommande 
instamment  le  maintien  de  l'harmonie,  si  désirable  et  si  nécessaire,  entre  les 
deux  grandes  Eglises  sur  lesquelles  sont  fixés  les  regards  du  monde  entier. 

Les  époques  d'agitation,  comme  celle  dont  nous  venons  de  parler,  sont 
toujours  signalées  dans  l'histoire  par  les  persécutions  dirigées  contre  les 
défenseurs  de  la  bonne  cause.  Tandis  que  les  empereurs  grecs  et  des  évoques 
ambitieux  opposaient  une  scandaleuse  résistance  aux  décisions  de  l'Eglise 
universelle,  un  saint  personnage.  Elle,  patriarche  de  Jérusalem ,  restait 
inébranlablement  attaché  à  la  communion  du  pontife  romain.  Privé  de  son 
sicge  pour  cet  acte  de  courage,  l'intrépide  confesseur  avait  pris  le  chemin 
de  l'exil.  Il  avait  reçu  plusieurs  lettres  de  l'évoque  de  Vienne,  comme  lui 
défenseur  du  Saint-Siège,  comme  lui  encore  inébranlable  soutien  de  la  foi 
catholique  ;  malheureusement  une  seule  de  ces  lettres  nous  est  parvenue  : 
saint  Avite  l'écrivit  pour  remercier  le  patriarche  de  lui  avoir  envoyé  une 
parcelle  de  la  vraie  croix. 

Dos  lors,  l'évêque  de  Vienne  cesse  d'être  mêlé  aux  faits  éclatants  de 
l'histoire. 

L'appui  qu'il  prêta  au  Saint-Siège  contre  l'antipape  Laurent,  et  les  efforts 
qu'il  lit,  de  concert  avec  saint  Hormisdas,  pour  étouffer  les  discordes  reli- 
gieuses de  Constantinople,  —  telles  furent,  pour  ainsi  parler,  les  deux 
grandes  manifestations  de  son  zèle  en  faveur  de  l'Eglise  universelle. 

Désormais  son  activité  resta  concentrée  dans  les  limites  de  la  Gaule  :  il 
consacra  le  reste  de  ses  jours  à  la  prédication,  à  la  conduite  du  clergé  et 
des  fidèles,  en  un  mot  au  gouvernement  de  son  diocèse.  El  certes,  à  l'époque 
oîi  l'arianisme  abattu  cherchait  à  se  relever,  oii  les  mœurs  germaniques 
résistaient  encore  aux  préceptes  de  l'Evangile  et  à  la  voix  de  l'Eglise,  un 
évêque  ne  manquait  point  d'occasions  pour  exercer  son  zèle. 

Cependant  saint  Avite  était  si  laborieux  que,  au  milieu  des  occupations 
inséparables  de  l'épiscopat,  il  trouvait  encore  du  temps  pour  composer  des 
ouvrages  d'assez  longue  haleine.  11  continua  d'écrire  des  homélies  admirées 
de  ses  contemporains,  et  des  traités  où  il  réfutait  en  détail  différentes  erreurs 
et  surtout  l'arianisme.  Il  cultiva  même,  étant  évêque,  la  poésie  où  il  obtint 
beaucoup  de  succès;  mais  il  eut  toujours  soin  de  traiter  des  sujets  sérieux, 
dignes  d'un  évêque,  et  proprés  à  instruire  et  à  édifier. 

Saint  Avite  —  c'est  un  fait  trop  peu  connu,  — fut  le  plus  grand  poète  de 
son  temps. 

Mais  il  tenait  si  peu  à  la  gloire  littéraire  qu'il  n'aurait  point  publié  ses 
poésies  sans  les  instances  réitérées  de  quelques  amis.  Malgré  le  caractère 
religieux  de  ses  œuvres,  il  regrettait  un  temps  précieux  qu'il  aurait  pu,  dit- 
il,  employer  plus  utilement. 


SAEiT   AYITE,   ÉTÊQUE   DE  VIEN>'E,    EN   DAUPHEVÉ.  309 

En  effet,  les  soins  de  sa  charge  pastorale  lui  laissaient  bien  peu  de  loisirs  : 
l'estime  que  l'on  faisait  de  ses  lumières  et  la  conflance  qu'inspirait  sa  vertu 
étaient  si  grandes,  qu'on  le  consultait  de  toutes  parts  sur  les  points  de  foi^ 
de  morale  et  de  discipline. 

L'infatigable  pasteur  distribuait  souvent  à  ses  ouailles  le  pain  de  la 
parole  divine  ;  non  content  de  prêcher  à  Vienne,  il  le  faisait  fréquemment 
dans  d'autres  églises,  comme  le  prouvent  quelques  titres  de  ses  homélies. 

Jusqu'à  son  dernier  jour  il  déploya  un  zèle  vigilant,  plein  d'humilité, 
d'énergie  et  de  confiance  pour  les  intérêts  de  la  foi  ;  ce  zèle  il  le  montre 
tout  entier  dans  une  de  ses  lettres,  à  propos  des  Donatistes  africains,  qui 
semblaient  vouloir  se  faire  de  nouveaux  partisans  dans  la  Gaule.  Il  signale  à 
saint  Etienne  de  Lyon  les  premières  traces  de  la  contagion  d'outre-mer. 

Jamais  ces  schismatiques  ne  parvinrent  à  se  répandre  dans  la  Gaule. 

D'un  autre  côté,  l'arianisme  déclinait  chaque  jour  parmi  les  Burgondes 
que  saint  Avite  venait  de  ramener  si  heureusement  au  giron  de  l'Eglise. 

Eniin  la  mort  éteignit  cette  grande  lumière  de  l'Eglise  des  Gaules, 
comme  le  qualitie  Adon,  l'un  de  ses  successeurs.  Il  mourut  comblé  de  méri- 
tes, et  déjà  arrivé  à  l'âge  de  soixante-treize  à  soixante-quatorze  ans,  le 
5  février  525,  jour  auquel  l'Eglise  célèbre  sa  mémoire. 

Le  Martyrologe  romain  mentionne  en  ces  termes  la  naissance  éternelle 
de  saint  Avite  :  «  A  Vienne,  naissance  de  saint  Avite,  évoque  et  confesseur, 
dont  la  foi,  l'activité  et  l'admirable  doctrine  préservèrent  les  Gaules  des 
ravages  de  l'hérésie  arienne  ». 

Rien  de  plus  beau  que  ce  témoignage!... 

Il  fut  enseveli  dans  l'église  de  Saint-Pierre,  hors  des  murs  de  la  ville  de 
Vienne. 

POÉSIES  ET  HOMÉLIES  DE  SAINT  A^VITE. 

Saint  Avite  fut  non-seulement  no  saint  évêque  (ce  titre  seul  suffirait  à  sa  gloire),  mais  encore 
an  homme  de  génie,  un  théologien  profond,  un  grand  poète,  —  le  plus  grand  poète  de  son  temps. 

Sa  lyre  fut  chrétienne,  chez  lui  le  vers  ne  fut  qn'une  forme  heureuse  mise  au  service  de  l'ensei- 
gnement catholique. 

Dans  une  lettre  de  saint  Avite  à  Enfraise,  évêque  de  Clermont,  nous  voyons  le  but  que  poursuit 
le  poète  chrétien  :  «  Si  notre  frère  trouve  dans  ce  volume  un  sujet  convenable  de  lecture,  ne  fût- 
ce  que  pour  les  euf'inis,  je  pourrai  le  savoir  par  une  lettre  de  Sa  Grandeur  ». 

C'est  donc  en  faveur  de  la  jeunesse  que  saint  Avite  voulut  publier  ses  œuvres  poétiques. 

Au  V»  siècle,  le  paganisme,  anéanti  comme  culte,  était  encore  iniluent  à  titre  de  souvenir  ;  les 
idées  et  les  maximes  païennes  dominaient  encore  dans  une  classe  nombreuse  de  la  société  gauloise, 
et  l'enseignement  des  rhéteurs,  basé  uniquement  sur  les  classiques  anciens,  présentait  pour  les 
enfants  un  dauper  véritable,  que  les  écrivains  chrétiens  s'efforcèrent  d'arrêter. 

«  Tout  l'enseignement  »,  dit  Ozanam,  «  était  fondé  chez  les  anciens,  comme  il  l'est  resté  au 
moyen  âge,  et  avec  une  grande  sagesse,  sur  l'exercice  de  la  mémoire  et  l'étude  des  poètes.  En 
Grèce,  on  commeuçait  par  Homère,  et,  en  Occident,  par  Virgile.  Mais,  avec  Virgile,  les  païens  et  les 
chrétiens  du  v°  siècle  apprenaient  par  cœur,  gravaient  dans  leor  mémoire  toutes  les  pensées,  toutes 
les  doctrines,  toutes  les  images  du  paganisme. 

a  C'est  contre  ce  paganisme  que  les  premier?  poêles  chrétiens  s'efforcent  de  lutter  ;  c'est  dans 
une  pensée  de  polémique, de  controverse  qu'ils  écrivent;  il  s'agit  pour  eni  de  détrôner  les  faux 
dieux  de  ce  siège  envié  qu'on  leur  a  fait  dans  la  mémoire  et  dans  le  cœur  de  jeunes  enfants,  et  d'y 
faire  asseoir  un  Dieu  plus  digne  de  l'enfance.  Voilà  pourquoi  ils  s'efforcent  de  retenir  les  formes 
virgiliennes,  classiques,  pures,  tout  en  jetant  dans  ce  moule  antique  des  idées  nouvelles,  au  risque 
de  voir  ces  idées,  pénétrant,  en  quelque  sorte,  la  forme  dans  laquelle  elles  ont  été  reçues,  finir  par 
la  faire  éclater  et  par  briser  le  monle  *  s. 

Les  poèmes  de  saint  Avite  sont  en  effet  conçus  dans  un  but  de  propagande  religieuse  :  ce  sont 
de  pieuses  lectures,  des  manuels  pour  l'instruction  de  la  jeunesse,  aussi  biea  que  des  œuvres  d'art. 

I.  La  Civilisation  au  cinquième  lièele,  leçoa  xviiie,  p.  229. 


310  5  FÉVRIER. 

On  remarpie  la  môme  intention  pratique  dans  les  compositions  littéraires  de  tous  les  écrivains 
chrélieni  qui  parurent  en  Occident  à  cette  époque. 

Lf<  l'mU  lie  i' Histoire  suinln  :  voilà  le  titre  général  des  cinq  poèmes  qui  nous  sont  restés  de 
saint  Avite;  mais  il  a  donné  à  chaque  livre  un  titre  particulier. 

Les  critiques  du  xvii«  siècle  y  trouvaient  une  conduite  ingénieuse,  une  vigueur  de  pensées  et  une 
beauté  d'expressions  dipies  d'un  â^  plus  tienreux. 

Depuis  le  xvii'  siècle  jusqu'à  nos  jotirs,  les  poésies  de  saint  Avile  étaient  restées  dans  l'onbli  :  on 
ne  croyait  pas  qu'il  put  se  ti'ouver  quelque  beauté  littéraire  dans  des  écrits  composés  au  temps  des 
invasions  barbares. 

M.  Cuizot  attira  le  premier  Tattentioa  des  esprits  sur  celte  époque  obscure  ;  dans  une  île  ses  iaté- 
ressantes  leçons  sur  l'Hmoh-e  de  la  civi/isation  en  P;ance,i\  s'exprime  ainsi, en  parlant  des  poëmes 
de  l'evèque  de  Vienne  ■ 

«  Les  trois  premiers,  la  création,  le  péché  originel,  et  le  jugement  de  Dieu,  font  une  sorte  d'en- 
semble, et  peuvent  être  considérés  comme  trois  chants  d'un  même  poCme,  qu'on  peut,  qu'on  doit 
même  appeler,  pour  en  parler  exactement,  le  P  vidis  perdu.  Ce  n'est  point  par  le  sujet  et  le  nom 
seul  que  cet  ouvrage  rappelle  celai  de  Millon  ;  les  ressemblances  sont  frappantes  dans  quelques 
parties  de  la  conception  générale  et  dans  quelques-uns  des  plus  importants  détails...  L'analogie  des 
deux  poèmes  est  un  fait  littéraire  assez  curieux,  et  celui  de  saint  Avite  mérite  l'honneur  d'être  comparé 
de  près  h  celui  de  Milton  n. 

W.  Guizot  a  rapproché  quelques  morceaux  des  deux  poèmes;  ce  parallèle  justifie  pleinement  son 
appréciation,  et  même  ne  permet  guère  de  douter  que  Milton  n'ait  été  souvent  inspiré  par  la  lecture 
du  poète  latin. 

Oui,  Milton  a  dû  connaître  Us  poèmes  de  saint  Avite  :  tout  semble  le  prouver  ;  Us  avaient  été 
publiés  au  commencement  du  xvi»  siècle', et  l'érudition  à  la  fois  classique  et  théologique  de  lUlton 
était  grande. 

Nous  sommes  loin  de  posséder  toutes  les  poésies  de  révêqne  de  Vienne.  Le  recueil  qui  nous  est 
parvenu  contient  six  livres  ou  chnnh;  tous  en  vers  héroïques. 

Ch'mt  preiuier.  —  Du  commencement  du  monde  ;  création  de  l'homme  ;  description  du  paradis; 
la  défense. 

Chcnl  deuxième.  —  Du  péché  originel  ;  la  tentation  ;  la  chute. 

Ch'int  troisième.  —  Jugement  de  Dieu  ;  expulsion  du  paradis. 

Chnnt  quatrième.  —  Le  déluge  ;  corruption   du  genre  humain  ;  l'ange  vient  avertir  Noé,  etc. 

Chant  cinquième.  —  Passage  de  la  .Mer  Rouge. 

Cliont  sixième.  —  Eloge  de  la  chasteté  ;  consolation  adressée  à  ma  sœur  Fuscine...  Nous  en 
avons  parlé  au  commencement  de  cette  vie. 

La  France  litle'raire  mentionne  quaire-vingt-douze  lettres,  presque  toutes  adressées  aux  principaux 
personnages  de  son  siècle  :  Clovis,  Gondebaud  ;  Anastase,  empereur  de  Coustantinople  ;  les  évéaues 
de  Milan,  de  Jérusalem,  d'Arles,  etc. 

Des  nombreuses  homélies  de  saint  Avite  on  n'en  possède  plus  que  deux  sur  les  Rogations.  Elles 
sont  Irès-remarqnables  :  Dom  Martène  en  a  publié  une  troisième  sur  le  même  sujet,  Tktsaw . 
anec'iot.,  t.  v,  p.  49 ;  il  a  publié  en  outre  des  fragments  de  huit  autres  homélies;  la  conférence 
contre  les  ariens,  imprimée  dans  le  tome  v  du  Spicilége.  Les  œuvres  de  saint  Avile  se  trouvent 
dans  la  bibliothèque  des  Pères.  Le  savant  P.  Sirmond  les  publia  en  1G43,  in-4",  avec  des  notes 
courtes,  mais  ludicieuses.  La  manière  serrée  avec  laquelle  saint  Avite  presse  les  ariens  dans  quelques- 
unes  de  ses  lettres,  doit  nous  faire  regretter  les  autres  ouvrages  qu'il  avait  composés  contre  ces 
hérétiques. 

Ses  écrits  perdns  sont  innombrables. 

On  n'a  point  de  biographie  contcmpomine  de  saint  Arite.  Ceux  qui  ont  ^crlt  sa  vie  en  ont  toujonra 
emprunté  les  détails  il  ses  écrits  et  aux  auteurs  contemporains.  Quant  a  nous,  nous  avons  reproduit  une 
partie  de  la  notice  insérée  par  M.  Bartlielemy  au  t.  v  des  Atnnfes  higioltM/rijues  df  Ui  Fr'incp  ;  il  Tarait 
empruntée  lui-même  à  M.  l'abbé  Parizel,  qui  a  publié,  en  1839,  une  savante  étude  sur  le  saint  évêque 
de  Vienne. 

1.  «  Les  premières  éditions  des  œuTres  de  saint  Avite  ne  contiennent  que  ses  deux  poëmes,  on  six 
livres  de  poésies.  On  n'en  cotinait  aucune  (jui  ait  paru  avant  celle  de  Strasboui-g,  clioz  Jean  Adelphas- 
Mulin^ius.  l'an  1507,  en  un  petit  vuluiuc  in-lG....  Il  y  en  eut  deux  autres  éditions  à  Paris  et  k  Colore  ea 
1.Î03  et  1500....  Celle  de  Strasbourç  est...'préfc'rable  aux  autres.  —  Le  tome  lix  de  la  Patrolofjie  latine  d-j 
M.  Miffne  reproduit  l'éditiun  donnée  à  Venise  en  1728. 

•  En  1.510,  Josse  lUde  remit  sous  la  presse,  à  l'uris,  les  mêmes  poésies  en  un  TOlume  in-So  ».  — 
hist.  liil.  de  la  Framee,  I.  ni,  p.  148  et  suiv. 


SAIXT  \PODOEL   OU   VOUÉ.  3Jt 


SAIiNT  WODOEL  OU  VOUE 


700.  —  Pape  :  Sergius  1^'.  —  Roi  de  France  :  Childebeii  111. 

Le  reclus  Voué,  originaire  d'Irlande,  est  un  des  héros  les  plus  ci-.. 
des  traditions  soissonnaises. 

Il  vint  en  Gaule  à  celte  époque  où  les  migrations  de  l'Ecosse  et  de  11- 
landc  étaient  si  fréquentes  et  fournirent  tant  de  pieuses  colonies  de  soli- 
taires, tout  en  exerçant,  chemin  faisant,  les  fonctions  de  missionnaires.  Il 
n'avait  qu'un  compagnon  de  voyage  nommé  Magnebert.  S'étant  arrêté  à 
Noire-Dame  de  Soissons  en  sa  qualité  de  pèlerin,  il  fut  si  édifié  de  la  vie 
sainte  de  la  communaulé  de  Sainl-Pierre,  qu'il  demanda  et  obtint  do  l'ab- 
besse  Hildegartle  d'y  êlrc  admis.  Ce  fut  peut-être  pour  se  dérober  aux 
regards  de  ses  nombreux  compatriotes  qr.i  passaient  par  Soissons  pour  faire 
le  pèlerinage  de  Rome  et  de  la  Palestine,  qu'il  quitta  le  cloître  de  S.iiut- 
Pierre  et  alla  vivre  en  reclus  dans  une  cellule  pratiquée  dans  une  tour  appelée 
tour  de  Saint-Benoît,  et  plus  lard  tour  de  Saint- Voué.  Elle  était  située  près  du 
mur  de  la  cilé  et  vis-à-vis  la  porte  de  l'abbaye.  On  pratiqua,  dans  la  snite, 
près  de  celle  tour,  une  porte  qui  prit  ég^ilement  le  nom  de  Sainl-Voué.  Il 
mena  dans  cette  retraite  obscure  une  vie  angélique.  Pauvre  lui-même,  il 
aimait  les  pauvres  dont  il  était  le  soutien  et  le  conseil.  Un  incident  fort 
simple,  mais  qui  donna  lieu  à  la  calomnie,  vint  troubler  cette  existence  si 
pure  et  si  oubliée.  La  puissante  abbesse  dont  il  avait  su  gagner  l'estime  et 
l'amitié  lui  ayant  envoyé  son  repas  quotidien  dans  un  plat  d'argent.  Voué 
le  donna  à  un  malheureux  qui  habitait  près  de  sa  cellule  et  à  qui  il  offrait 
souvent  la  meilleure  part  de  ce  qu'on  lui  apportait;  mais  celui-ci,  non  con- 
tent du  dîner,  prit  le  plat  et  s'enfuit.  Hildegarde,  fâchée  de  cette  perte, 
adressa  des  paroles  aigres  à  Voué  qui,  sans  répondre,  se  prosterna  à  ses 
pieds,  et,  ne  pouvant  supporter  ces  injustes  reproches,  reprit  son  pèlerinage 
pendant  neuf  ans  entiers.  —  Après  bien  des  aventures,  Voué  revint  à 
Soissons,  et  comme  il  approchait  du  monastère  de  Notre-Dame,  le  démon 
qui  avait  été  l'auteur  secret  de  son  départ  se  vit  forcé  de  publier  son  retour 
par  la  bouche  d'un  serviteur  de  l'abbaye  qu'il  tenait  en  sa  possession  et  qui 
se  mit  à  crier  :  «  Levez-vous,  allez  au-devant  de  Voué  qui  revient  en  l'ab- 
baye pour  me  chasser».  L'abbesse  et  les  religieuses  accourues  à  ce  bruit 
reçurent  le  reclus  avec  une  vive  allégresse.  Quant  à  lui,  suivant  l'exemple 
de  saint  Benoît,  qui  avait  donné  un  soufflet  à  un  moine  possédé  pour  le 
délivrer,  il  frappa  de  môme  le  serviteur  de  l'abbaye,  qui  fut  sur-le-champ 
abandonné  par  le  démon.  Pour  s'en  venger,  l'esprit  malin  mit  le  feu  à  la 
cellule  que  le  saint  homme  avait  retrouvée  avec  tant  de  joie.  Comme  la 
porte  était  fermée  en  dehors,  ainsi  que  cela  se  pratiquait  à  l'égard  des  i-eclus, 
le  diable  se  mil  à  crier  que  Voué  périrait  dans  les  flammes  avant  qu'on  pût 
lui  porter  secours.  Mais  son  bon  ange  le  délivra,  le  transporta  dans  une  île 
de  l'Aisne  et  éteignit  cet  embrasement  infernal. 

Ce  récit  légendaire  alla  s'embellissant  à  travers  les  siècles.  On  rapporte 
que  du  temps  de  saint  Voué,  le  démon  avait  un  très-grand  pouvoir  dans  la 
ville  de  Soissons  et  qu'il  emportait  le  treizième  de  ceux  qui  passaient  par  la 
rue  du  Mont-Revers.  Le  serviteur  de  Dieu,  pour  mettre  fin  à  ce  pouvoir  dia- 


312  5   FÉVRIER, 

bolique,  fit  faire  un  jeûne  et  des  prières  extraordinaires  suivis  d'une  proces- 
sion solennelle.  Il  fit  ensuite  passer  devant  lui  dans  la  rue  magique  douze 
personnes  bien  disposées  et  passa  le  treizième.  Satan  parut  aussitôt  pour 
l'enlever,  mais  le  Saint  lui  commanda  avec  autorité  de  vider  la  place  et  de 
se  retirer  aux  enfers.  Forcé  d'obéir  à  ce  pouvoir  extraordinaire,  le  diable 
le  pria  de  ne  point  le  renvoyer  en  cet  abîme  et  de  lui  donner  une  retraite 
moins  malheureuse.  Alors  Voué  l'envoya  dans  la  rivière  d'Aisne,  au-dessous 
de  la  tour  Lardier.  Depuis,  un  prêtre  alla  tous  les  ans  conjurer  le  démon 
dans  cette  tour,  où  il  était  censé  avoir  établi  sa  résidence,  afin  de  satisfaire 
aux  désirs  du  peuple.  Tout  ce  qu'on  peut  dire  de  ces  récits  romanesques, 
c'est  que  le  nom  de  saint  Voué,  donné  à  la  porte  de  la  rue  du  Mont-Revers, 
était  un  monument  qui  rappelait  quelque  événement  important  de  la  vie 
du  saint  reclus. 

Le  monastère  de  Notre-Dame  était  aussi  plein  de  souvenirs  de  faits  non 
moins  extraordinaires  attribués  à  saint  Voué.  Un  jour,  le  feu  ayant  pris  à 
l'abbaye,  une  religieuse  qu'il  avait  guérie  de  la  fièvre  et  du  mal  de  dents 
courut  l'en  avertir.  Lui,  sans  s'étonner,  lui  donna  sa  cape  pour  l'opposer  à 
l'incendie  qui  s'éteignit  dès  qu'on  en  eut  approché  ce  vêtement.  Le  bâton 
de  voyage  qu'il  avait  reçu  de  l'ange  et  qu'on  conservait  au  couvent  sous  la 
dénomination  de  crosaillon  de  saint  Voué,  jouissait  également,  croyait-on,  de 
la  vertu  d'éteindre  le  feu.  Aussi,  quand  quelque  incendie  éclatait  dans  la 
ville,  on  l'y  promenait  et  il  l'éteignait  aussitôt.  On  s'en  servit  souvent  pour 
éteindre  le  feu  dans  les  officines  du  monastère,  même  dans  les  derniers 
temps.  Une  abbesse,  M""  d'Harcourt,  raconte  que  le  feu  ayant  pris  dans  la 
cheminée  du  chauffoir  commun  avec  une  extrême  violence,  on  fit  le  signe 
de  la  croix  avec  ledit  crossillon  contre  la  cheminée,  et  que  le  feu  tomba 
gros  comme  un  muid,  de  sorte  que  ceux  qui  étaient  présents  eurent  de  la 
peine  à  s'en  garantir.  C'était  encore  la  coutume,  que  chaque  année,  le  S  fé- 
vrier, jour  de  la  fête  de  saint  Voué,  après  la  grand'messe,  la  première  sa- 
cristine prît  avec  respect  le  merveilleux  bâton,  et,  suivie  de  la  seconde 
sacrisline,  une  lanterne  et  un  cierge  à  la  main,  et  de  plusieurs  religieuses 
récitant  des  psaumes  et  des  prières,  parcourût  le  monastère,  en  faisant  par- 
tout, et  particulièrement  sur  les  cheminées,  le  signe  de  la  croix  avec  cet 
instrument  de  dévotion.  Les  miracles  se  multipliaient  à  Notre-Dame  de 
Soissons,  par  l'entremise  de  saint  Voué.  Entrant  une  fois  dans  le  cloître, 
pour  célébrer  la  messe,  il  rencontra  deux  religieuses  fort  tristes,  parce 
qu'elles  avaient  manqué  la  coupe  d'une  robe  de  grand  prix  qu'un  seigneur 
de  la  cour  avait  prié  l'abbesse  de  lui  faire  confectionner  dans  le  couvent.  Le 
Saint  fil  le  signe  de  la  croix  sur  l'étoffe,  qui  reprit  sa  première  forme  et  put 
être  taillée  de  nouveau  avec  plus  de  précision. 

Saint  Voué  mourut  vers  700,  le  5  février.  Les  religieuses  de  Notre-Dame 
accompagnèrent  de  leurs  larmes  la  dépouille  mortelle  du  pieux  reclus  qui 
fut  déposée  dans  l'église  de  Sainte-Croix. 

On  invoque  particulièrement  saint  Voué  contre  les  incendies^ 

Cf.  Annale»  du  diocèse  de  Soitions,  par  M.  rabbé  Pécheur. 


LES   A'INGT-SLX   MARTYRS   DU   JAPOK.  313 


LES  VINGT -SIX  MARTYTxS  DU  JAPON 

1591.  —  Papa  :  Clément  VIII. 


Le  ciel  serait  sans  doacet.T,  si  la  vie  tétait  saai 
soafnrances.        Saint  Augustin,  sent.  xxi. 

L'empire  du  Japon,  situé  à  l'extrémité  orientale  de  l'Asie,  se  compose  de 
cinq  grandes  îles  et  d'un  grand  nombre  de  petites.  Il  surpasse  la  France  en 
superficie,  peut-être  môme  en  population.  Si  l'on  s'en  rapporte  au  récit  des 
missionnaires,  mieux  renseignés  que  personne  sur  ce  sujet,  les  habitants  de 
ces  îles  sont  sagaces,  spirituels,  doués  d'un  jugement  très-droit,  et  d'une 
mémoire  qu'on  ne  trouve  point  chez  les  autres  peuples.  Leurs  manières 
sont  nobles,  leur  caractère  loyal.  Autrefois,  le  gouvernement  était  monar- 
chique. Au  xvi"  siècle,  une  révolution  avait  transformé  le  Japon  en  soixante- 
six  principautés  ou  royaumes  indépendants.  C'était  le  bon  moment  pour  le 
conquérir  à  l'Evangile  :  saint  François  Xavier,  qui,  comme  on  le  sait,  en 
moins  de  onze  ans  de  travaux  évangéliques,  baptisa  près  de  dei/x  millions 
d'infidèles  et  recula  les  bornes  du  monde  chrétien  de  cinq  mille  lieues, 
gagnant  au  salutaire  empire  de  l'Eglise  romaine  en  Orient  ce  qu'elle  venait 
de  perdre  au  nord  de  l'Europe,  aborda ,  dans  sa  course  gigantesque,  au 
Japon,  le  15  août  1349.  Au  bout  de  vingt-six  mois,  il  avait  baptisé  des  païens, 
converti  des  rois,  ruiné  l'autorité  des  bonzes  (les  prêtres  païens  de  cette  con- 
trée), établi  des  ouvriers  évangéliques  chargés  de  continuer  et  d'achever  son 
œuvre;  il  avait  fondé  les  importantes  chrétientés  de  l'île  de  Firando,  celle 
de  Saxumaet  Bungo,  comprenant  presque  toute  l'île  de  Kiou-siou,  et  il  avait 
entamé  la  grande  île  de  Niphon  par  le  royaume  de  Naugato  ou  d'Aman- 
guchi.  Les  religieux  de  la  Compagnie  de  Jésus  (le  Saint-Siège  interdisait 
dans  ces  commencements  l'entrée  du  Japon  à  tous  autres  missionnaires) 
continuèrent  avec  un  grand  succès  l'œuvre  de  saint  François  Xavier.  Pen- 
dant quarante  ans,  le  christianisme  fleurit  librement  au  Japon;  mais  en 
4582,  un  homme  qui,  sorti  du  rang  le  plus  obscur,  s'était  avancé  à  grands 
pas  dans  le  chemin  de  l'ambition  et  de  la  fortune,  se  fit  reconnaître  empe- 
reur sous  le  nom  de  Taïcosama.  Jamais  souverain  ne  fut  plus  puissant  :  il 
réduisit  les  autres  rois  à*n'être  que  des  gouverneurs,  qu'il  changeait  à  volonté. 

D'abord  il  favorise  la  religion  chrétienne;  il  répète  même  plusieurs  fois 
aux  Jésuites  qu'il  l'embrasserait  volontiers  si  elle  n'interdisait  pas  la  plura- 
lité des  femmes.  Mais  ces  sentiments  d'un  athée  pour  le  christianisme  ne 
devaient  pas  durer  :  la  bienveillance  était  prête  à  se  changer  en  haine,  dès 
qu'il  craindrait  que  cette  religion  ne  contrariât  les  calculs  de  la  volupté  ou 
de  l'ambition. 

Un  ex-bonze,  de  la  secte  la  plus  perverse,  le  médecin  Jacuin,  chargé  de 
rechercher  dans  tout  le  Japon  ce  qui  devait  être  prostitué  à  la  luxure  de 
Taïcosama,  voulant  lui  inspirer  sa  propre  haine  pour  la  foi  catholique,  lui 
exposa  que  les  femmes  catholiques  seules  ne  tenaient  aucun  compte  de  ses 
promesses,  de  son  argent,  de  ses  menaces  :  que  l'autorité  des  Jésuites  était 
plus  forte  que  celle  de  l'empereur;  qu'ils  finiraient  par  gouverner  à  sa 
place,  ou  par  livrer  le  Japon  aux  Espagnols.  Ce  discours  s'adressait  à  la  fois 


31-i  5  FÉVRIER. 

à  toutes  les  passions  de  l'empereur;  il  n'en  fallut  pas  davantage  pour  ame- 
ner un  édit  de  persécution.  Les  Jésuites  reçurent  ordre  de  sortir  du  Japon 
dans  les  six  mois.  Eux,  qui  ne  désiraient  que  la  victoire  des  martyrs, 
n'eurent  garde  de  déserter  ainsi  le  champ  de  bataille.  Mais  la  persécution 
n'éclata  point  tout  d'un  coup.  Pendant  dix  ans  l'orage  se  prépara  plutôt 
qu'il  n'éclata;  d'ailleurs,  jamais  le  nombre  des  chrétiens  n'avait  augmenté 
dans  de  telles  proportions;  de  1591  à  1392,  plus  de  douze  mille  adultes 
reçurent  le  baptême.  La  noblesse  surtout  s'enrôlait  sous  l'étendard  de 
Jésus-Christ.  Au  mois  de  mai  1393,  quatre  religieux  franciscains  abordèrent 
au  Japon  sous  le  titre  d'ambassadeurs,  qui  leur  permit  d'éluder  la  bulle  de 
Grégoire  XllI,  réservant  exclusivement  à  la  Compagnie  de  Jésus  l'évangéli- 
sation  du  Japon  et  de  séjourner  dans  l'empire.  Ils  bâtissent  deux  monas- 
tères :  Sainte- Maine  de  la  Portioncule  et  Bethléem,  et  ayant  reçu  un  renfort 
de  trois  religieux  profès,  ils  prêchent,  malgré  la  défense  qui  leur  en  a  été 
faite,  ébranlent,  convertissent  les  masses  et  les  baptisent.  L'empereur  entra 
dans  une  grande  fureur  en  apprenant  qu'on  enfreignait  ainsi  ses  ordres;  un 
Espagnol  y  mit  le  comble  par  sa  fanfaronnade,  se  vantant  auprès  d'un  cour- 
tisan japonais  que  sa  nation,  déjà  maîtresse  de  la  moitié  du  monde,  le 
serait  bientôt  du  Japon;  et  cela,  comme  toujours,  par  le  moyen  des  mis- 
sionnaires. Taïcosama  ordonna  d'arréleret  de  faire  mourir  tou$  les  Pères; 
mais  il  restreignit  celte  condamnation  aux  Franciscains.  Ils  apprirent  celte 
nouvelle  avec  la  joie  la  plus  vive,  et  rendirent  grâces  à  Dieu.  Ce  fut  le  sen- 
timent de  toute  cette  sainte  et  brillante  chrétienté  :  une  foule  de  familles 
accoururent  de  diverses  contrées  à  Meaco,  pour  être  arrêtées  avec  les  Mis- 
sionnaires et  confesser  la  foi  en  leur  compagnie. 

La  liste  des  premiers  Martyrs  du  Japon  en  comprend  vingt-six,  qu'on 
divise  ordinairement  en  trois  groupes  :  six  religieux  franciscains,  trois  reli- 
gieux jésuites,  et  dix-sept  laïques  japonais,  du  Tiers  Ordre  de  Saint-François. 
Voici  quelques  mots  sur  chacun  d'eux  : 

Né  en  Espagne,  à  San-Eslevan,  saint  Pierre-Baptiste  renonça  au  monde 
dès  qu'il  put  le  connaître,  embrassa  l'institut  du  séraphique  saint  François, 
et.  envoyé  â  la  mission  des  Indes,  il  remplit  à  Manille  la  charge  de  gardien 
ou  supérieur  d'un  couvent  de  son  Ordre,  puis  celle  de  commissaire.  11  fut  le 
chef  des  Franciscains,  apôtres  du  Japon.  Il  avait  le  don  des  miracles  :  il 
guérit,  un  jour  de  la  Pentecôte,  publiquement,  une  jeune  fille  gravement 
atteinte  de  la  lèpre. 

Saint  Martin  de  l'Ascension  ou  d'Aguire,  prêtre  franciscain,  était  de  la 
ville  de  Vergara,  dans  la  province  de  Guipuscoa,  en  Espagne.  11  avait  déjà 
rempli  les  fonctions  de  prédicateur  et  de  professeur  de  théologie,  quoiqu'il 
n'eût  que  trente  ans.  Il  savait  assez  bien  la  langue  japonaise  et  prêchait  avec 
un  grand  zèle  et  beaucoup  de  fruit.  On  a  de  lui  une  belle  exhortation  qu'il 
fit  à  ses  compagnons  lorsqu'on  les  conduisait  au  martyre. 

Saint  François  Blanco,  prêtre  et  religieux  de  Saint-François,  était  aussi 
espagnol  Monte-Rey,  en  Galice,  a  l'honneur  d'être  sa  patrie.  On  peut  voir, 
dans  les  Bollandistes,  les  belles  choses  qu'il  écrivait  à  un  de  ses  amis  dans 
l'attente  du  martyre.  Il  dit,  en  parlant  des  nouveaux  chrétiens  qui  se  dispu- 
taient le  bonheur  de  mourir  pour  Jésus-Christ  :  «  J'ai  honte  de  moi-même 
en  voyant  des  hommes  si  récemment  entrés  dans  le  sein  de  l'Eglise  montrer 
un  tel  courage  en  face  de  la  mort  ». 

Saint  Philippe  de  Las  Casas  ou  de  Jésus,  clerc  et  religieux  franciscain, 
était  né  à  Mexico,  de  parents  espagnols.  Dès  sa  jeunesse,  il  se  livra  aux  plai- 
sirs :  ses  désordres  furent  tels  que  sa  famille  en  fut  réduite  à  le  bannir  de 


LES  VINGT-SIX   MABTOIS   DD  JAPON.  313 

son  sein  comme  un  objet  de  dégoût  et  de  déshonneur.  Ce  traitement  sévère 
le  foudroya,  pour  ainsi  dire,  et  lui  ouvrit  les  yeux  :  il  vit  son  malheur,  le 
pleura,  se  convertit  et  prit  l'habit  de  Saint-François.  Mais  ses  passions  le 
suivirent  dans  le  cloître;  il  lutta  d'abord;  puis,  vaincu  par  ces  terribles 
ennemies,  il  quitte  son  habit  religieux  et  se  plonge  de  nouveau  dans  ses 
désordres.  Ses  parents,  pour  l'éloigner  d'eux,  le  font  passer  en  Chine  pour  y 
faire  le  négoce.  Là,  le  souvenir  du  couvent  s'empare  tout  entier  de  cette  ime 
et  l'arrache  définitivement  aux  voluptés  de  la  terre.  Il  s'enrôle  de  nouveau 
dans  la  milice  sainte  de  Saint-François,  au  monastère  des  Anges,  à  Manille. 
Ses  parents,  à  la  nouvelle  de  sa  conversion,  ayant  désiré  le  revoir,  il  s'em- 
barque pour  la  nouvelle  Espagne;  mais  le  navire  obéissait  au  souffle  de  la 
Providence;  on  vit  une  croix  du  côté  du  Japon,  présage  du  martyre  pour  le 
jeune  Philippe.  Une  tempête  oblige  le  navire  à  relâcher  au  port  japonais  de 
Firando;  Philippe  se  retire  au  monastère  de  son  Ordre,  à  Meaco.  C'est  le 
moment  où  l'on  fait  les  arrestalions  :  il  se  trouve  sur  la  liste  des  prisonniers. 
Le  jour  du  triomphe,  il  embrassa  avec  tendresse  la  croLx  où  il  devait  mou- 
rir; comme  elle  était  mal  construite,  il  souifrit  plus  que  les  autres  et  se  con- 
tentait de  dire  :  «  Jésus  !  Jésus  !  »  On  le  perça  alors  de  trois  coups  de  lance; 
de  sorte  que,  arrivé  le  dernier  au  Japon,  il  entra  le  premier  dans  la  céleste 
patrie,  à  l'âge  de  vingt-trois  ans. 

Saint  Goazalès  Garcia,  frère  lai,  de  l'Ordre  des  Franciscains,  était  né  à 
Bazain  dans  les  Indes-Orientales,  d'un  père  portugais  et  d'une  mère  indienne. 
Il  se  livra  au  négoce  :  frappé,  dans  un  voyage  qu'il  fit  aux  Philippines,  de  la 
pauvreté  des  Franciscains,  qui  suivaient  la  r*  .me  austère  de  Pierre  d'Al- 
cantara,  il  renonça  à  ses  immenses  richesses  p^ur  se  revêtir  de  la  bure.  Le 
bienheureux  Pierre-Baptiste  l'emmena  avec  lui  au  Japon,  parce  qu'il  savait 
la  langue  de  ce  pays.  Le  jour  de  son  martyre,  il  exhortait  du  haut  de  sa 
croix  les  Japonais  à  reconnaître  la  vérité  de  la  religion  de  Jésus-Christ.  Il 
était  d'une  rare  humilité.  Avant  d'expirer,  il  n'osa  pas  se  servir  d'autres 
paroles  que  de  celles  du  bon  larron  :  «  Seigneur,  souvenez-vous  de  moi  ». 

Saint  François-de-Saint-Micket,  frère  lai,  religieux  franciscain,  naquit  à 
Padilha,  non  loin  de  Valladolid,  dans  le  diocèse  de  Palencia.  Il  quitta  l'Ordre 
des  Cordeliers  pour  celui  des  Franciscains,  parce  qu'il  espérait  y  trouver 
plus  d'austérités.  Envoyé  aux  îles  Philippines,  il  y  fut  favorisé  du  don  des 
miracles.  Il  rendit  la  parole  à  une  femme  indienne  qui  allait  rendre  le  der- 
nier soupir,  et  lui  administra  le  baptême.  Par  un  signe  de  croix,  il  guérit 
un  indien  mordu  mortellement  par  un  serpent.  Sa  mémoire  était  si  prodi- 
gieuse, qu'on  la  regarda  comme  un  don  surnaturel.  Emmené  au  Japon  par 
le  bienheureux  Pierre-Baptiste,  ce  fut  lui  qui  y  fit  le  plus  de  conversions.  Un 
jour,  pour  mieux  faire  comprendre  à  ses  auditeurs  la  passion  de  Jésus- 
Christ,  il  se  dépouilla  de  ses  habits  jusqu'à  la  ceinture,  se  fit  attacher  les 
mains  derrière  le  dos  et  frapper  avec  des  cordes,  sans  pitié,  longtemps, 
jusqu'au  sang. 

Voici  maintenant  les  noms  des  dix-sept  laïques  japonais  qui  aidaient  les 
Pères  Franciscains,  vivaient  avec  eux,  selon  les  termes  de  la  bulle  d'Ur- 
bain'VIII,  du  14  septembre  4627,  et  partagèrent  leur  prison  et  leur  mar- 
tyre :  Saint  Côme  Tachegia,  du  royaume  d'Oaris.  —  Saint  Michel  Cozaki,  du 
royaume  d'Isc,  le  père  de  Thomas  Cozaki,  un  des  trois  enfants  dont  nous 
allons  parler.  —  Saint  Paul  Ibarki,  du  royaume  d'Oaris.  —  Saint  Léon  Cara- 
sumo,  frère  cadet  du  bienheureux  Paul  Ibarki;  il  était  catéchiste,  interprète 
des  Pères,  plein  de  zèle  pour  les  œuvres  de  chaiité  et  bon  surtout  pour  les 
malades  incurables.  —  Saint  Louis,  enfant  de  onze  ans-  lui,  Antoine  et  Tho- 


316  5  FÉYBIER. 

mas  servaient  à  l'autel  chez  les  Pères  franciscains;  ils  auraient  pu  éviter 
d'ûtre  mis  sur  la  liste  des  martyrs,  mais  ces  admirables  enfants  réclamèrent 
cette  faveur  par  des  pleurs  et  des  prières.  Un  païen,  proposant  à  Louis  de 
renoncer  à  la  foi  chrétienne  pour  échapper  à  la  mort,  il  répondit  :  «  C'est 
au  contraire  vous  qui  devez  vous  faire  chrétien,  puisqu'il  n'y  a  pas  d'autre 
moyen  de  se  sauver  ».  Arrivé  au  lieu  du  supplice,  il  demanda  quelle  était 
sa  croix;  quand  il  la  vit,  il  y  courut  avec  une  sainte  joie  qui  émut  tous  les 
spectateurs.  Lorsqu'il  y  fut  attaché,  ses  yeux,  ses  lèvres  souriantes,  le  mou- 
vement de  ses  petits  doigts,  tout  chez  lui  indiquait  le  contentement  céleste 
qui  rayonnait  sur  son  visage.  —  Saint  Anloine,  enfant  de  treize  ans,  né  à 
Nangazaki.  Au  moment  où  il  approchait  du  supplice,  ses  parents,  bons  chré- 
tiens, d'ailleurs,  mais  vaincus  par  les  sentiments  de  la  nature,  le  conjurent 
de  ne  pas  mourir  si  tôt  et  d'attendre,  pour  confesser  la  foi,  un  âge  plus 
avancé.  L'héroïque  enfant,  recevant  de  Dieu  une  fermeté  virile,  ne  se  laisse 
point  attendrir  par  ces  gémissements  et  ces  larmes  :  «  Dieu  me  donnera  le 
courage  nécessaire  pour  cette  lutte  »,  répondit-il  à  ses  parents  :  «cessez  vos 
conseils,  n'exposez  pas  ainsi  notre  sainte  foi  au  mépris  et  à  la  risée  des 
païens  ».  Le  magistrat,  ému  de  ce  spectacle,  joint  ses  instances  à  celles  des 
parents;  il  promet  à  Antoine  des  richesses,  des  honneurs;  il  emploie  tout 
pour  le  séduire  :  «  Je  méprise  vos  promesses  et  la  vie  elle-même  »,  répondit 
le  jeune  martyr;  «  la  mort  ne  me  fait  pas  peur;  la  croix  ovi  je  vais  être  attaché 
ne  me  trouble  point;  c'est,  au  contraire,  ce  que  je  désire  uniquement,  par 
amour  pour  Jésus,  qui  a  voulu  expirer  aussi  sur  une  croix  pour  nous  sau- 
ver ».  Puis,  s'adressant  à  son  père  et  à  sa  mère,  il  leur  dit  adieu,  promettant 
de  prier  pour  eux  dans  le  ciel.  Quand  il  fut  attaché  et  élevé  sur  sa  croix,  il 
invita  le  Père  Pierre-Baptiste  à  chanter  le  psaume  Laudate,  pueri,  Dominum, 
et  comme  ce  Père,  absorbé  et  ravi  en  extase,  ne  répondait  point,  le  saint 
enfant  entonna  tout  seul  le  psaume,  et  le  chanta  d'une  voix  angélique  :  il 
arrivait  au  Gloria  Patri  lorsque  le  fer  de  la  lance  perçant  son  cœur,  envoya 
son  âme  continuer  ses  chants  dans  le  ciel. 

Saint  1  humas  Cozaki,  enfant  de  quatorze  ans,  fils  de  Michel  Cozaki,  eut 
la  gloire  et  le  bonheur  de  souflrir  pour  Jésus-Christ  avec  son  père,  avec  la 
même  constance  que  les  deux  autres  enfants.  —  Saint  Mathias  :  quand  on 
vint  au  couvent  des  Franciscains  de  Pilaco,  pour  y  dresser  une  liste  de  douze 
chrétiens,  de  ceux  qui  vivaient  avec  les  Pères,  pour  les  crucifier  avec  eux, 
l'un  de  ces  chrétiens,  qui  se  nommait  Mathias,  pourvoyeur  du  couvent,  était 
absent;  les  exécuteurs  le  réclamaient  partout,  disant  :  «  Oii  est  Mathias  ? 
que  Mathias  se  présente  » .  Un  chrétien  du  voisinage,  qui  portait  le  mêm.e  nom, 
l'entendant  prononcer,  se  présente  et  dit  :  «  Voici  un  Mathias;  ce  n'est  pas 
celui  que  vous  demandez  ;  mais  moi  aussi  j  e  suis  chrétien  et  l'ami  de  ces  Pères» . 
Ils  l'arrêtèrent,  et  il  dut  ainsi  à  cette  circonstance  le  bonheur  du  martyre. 

Saint  Ventura  ou  Bonaventure,  qui,  baptisé  dans  sa  première  enfance, 
puis  élevé  dans  le  paganisme,  fut  plus  tard  éclairé  intérieurement  d'une 
lumière  divine,  se  fit  instruire  dans  la  foi  de  son  baptême  et  abjura  ses 
erreurs.  —  Saint  Joachim  Saccakibara,  médecin  des  Pères  franciscains.  — 
Saint  François  de  Meaco,  autre  médecin  ;  il  avait  composé  quelques  traités 
pour  défendre  la  religion  chrétienne  contre  les  préjugés  de  sa  nation.  — 
Saint  Thomas  Dauki,  qui  servait  d'interprète  aux  Pères.  —  Saint  Jean  Ki- 
moia.  —  Saint  Gabriel  de  Duisco,  originaire  du  royaume  d'Isc,  âgé  de  dix- 
neuf  ans,  élève  des  Pères  franciscains.  —  Saint  Paul  Suzuki,  du  royaume 
d'Oaris,  catéchiste  et  interprète,  auteur  de  quelques  écrits  pour  l'instruc- 
tion des  néophytes. 


LES   VINGT-SIX   M.VRTYRS   DU   JAPON.  317 

Il  y  a  deux  autres  Japonais  qu'on  appelle  les  deux  Sur-ajoutés,  et  qui 
furent  comme  les  surnuméraires  du  martyre.  Lorsqu'on  conduisait  au  sup- 
plice les  vingt-quatre  martyrs,  ces  deux  chrétiens,  saint  François  et  saint 
Pierre  Sukegiro,  suivirent  cette  glorieuse  troupe  pour  lui  prodiguer  les  soins 
les  plus  tendres,  et  pourvoir  à  toutes  ses  nécessités.  Les  mauvais  traitements 
des  gardes  ne  purent  arrêter  leur  zèle.  Il  fallut  les  arrêter  et  les  joindre  aux 
vingt-quatre  martyrs  :  ce  qui  mit  le  comble  à  leur  bonheur. 

Il  nous  reste  à  dire  quelques  mots  sur  les  trois  Japonais  jésuites.  Ils  furent 
arrêtés  et  mis  en  prison  le  9  décembre  1596  :  quoique  plus  tard  la  sentence 
de  mort  n'atteignît  point  les  Jésuites,  mais  fût  restreinte  aux  Pères  francis- 
cains, lorsque,  le  31  décembre  1596,  Taïcosama  donna  l'ordre  de  faire  partir 
d'Ozaca,  le  Père  Franciscain  et  les  compagnons  de  sa  prison,  les  trois 
jésuites  Japonais  étant  de  ce  nombre,  le  gouverneur  n'osa  pas  les  délivrer. 
Il  les  envoya  au  supplice  avec  les  autres  prisonniers.  C'étaient  Paul  Miki, 
Jean  de  Goto,  et  Jacques  Kizat. 

Paul  Miki,  d'une  famille  noble  et  chrétienne,  élève  des  Jésuites  dès  l'âge 
de  onze  ans,  fut,  dès  son  jeune  âge,  un  modèle  de  ferveur.  A  vingt-deux 
ans  il  embrassa  la  vie  religieuse,  et,  par  sa  science,  sa  modestie,  son  élo- 
quence, il  devint  le  plus  célèbre  des  missionnaires  de  la  Compagnie  au 
Japon,  et  celui  qui  faisait  le  plus  de  conversions.  Quand  il  fut  mis  en  pri- 
son, quelques  chrétiens  ayant  fait  des  démarches  pour  obtenir  son  élargis- 
sement, il  leur  en  fit  des  reproches  :  «  Est-ce  donc  ainsi  »,  leur  dit-il,  «  que 
vous  m'aimez  ?  quoi  !  vous  avez  voulu  me  priver  de  cette  immense  faveur 
de  Dieu,  pour  laquelle  vous  auriez  dû,  au  contraire,  vous  réjouir  et  louer 
son  infinie  bonté  ».  Pendant  la  route,  en  allant  au  supplice,  Paul  Miki  ne 
pouvait  contenir  sa  joie;  il  ne  cessa  d'exhorter  ses  compagnons  à  la  cons- 
tance, ses  gardiens  et  les  païens  à  embrasser  la  religion  chrétienne.  On  se 
pressait  autour  de  lui  pour  baiser  ses  habits;  mais  son  humilité  ne  le  put 
souffrir.  Quand  il  fut  sur  sa  croix,  il  prêcha  encore  Jésus-Christ  :  du  haut 
de  cette  glorieuse  chaire,  il  dit  :  «  Arrivé  au  terme  où  vous  me  voyez,  je  ne 
pense  pas  qu'aucun  de  vous  me  croie  capable  de  trahir  la  vérité.  Eh  bien  ! 
Je  vous  le  déclare,  il  n'y  a  pas  d'autre  moyen  de  salut  que  la  religion  chré- 
tienne. Et  comme  cette  religion  nous  ordonne  de  pardonner  à  nos  ennemis 
et  à  tous  ceux  qui  nous  ont  offensés,  je  pardonne,  quant  à  moi,  très-volon- 
tiers à  l'Empereur  et  aux  auteurs  de  ma  mort.  Je  les  conjure  de  recevoir 
le  baptême  ». 

Saint  Jean  de  Goto,  né  de  parents  chrétiens  en  1578,  dans  l'île  de  Goto, 
entra  dans  l'Ordre  des  Jésuites,  peu  avant  son  arrestation.  Lorsqu'il  fut  sui- 
le  point  d'être  attaché  à  sa  croix,  son  père  vint  lui  faire  ses  adieux  ;  Jean, 
alors  âgé  de  dix-neuf  ans,  lui  adressa  le  premier  la  parole  :  «  Vous  le  voyez 
bien,  mon  père  »,  lui  dit-il,  «  le  salut  éternel  doit  être  préféré  à  tout!  ayez 
soin  de  ne  rien  négliger  pour  vous  l'assurer  ».  —  «  Mon  fils  »,  répondit  ce 
père  héroïque,  «  je  vous  remercie  de  votre  excellente  exhortation,  et  vous 
aussi,  en  ce  moment,  soyez  ferme  et  supportez  avec  joie  la  mort,  puisque 
vous  la  subissez  pour  la  cause  de  notre  sainte  foi.  Quant  à  moi  et  à  votre 
mère,  nous  sommes  prêts,  s'il  le  faut,  à  mourir  pour  la  même  cause».  Il 
eut  le  courage  d'assister  à  la  mort  de  son  cher  enfant  ;  il  se  retira  teint  de 
son  sang,  qu'il  baisa  avec  respect  comme  celui  d'un  martyr. 

Saint  Jacques  h  isaï  éiaMnii  vieillard  de  soixante-quatre  ans,  catéchiste  chez 
les  Jésuites,  et  chargé  surtout  d'exercer  l'hospitalité.  Sa  pratique  de  piété 
la  plus  habituelle  était  de  méditer  la  passion  de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ. 
Comme  on  lui  donnait  de  grands  témoignages  de  vénération  en  sa  qualité 


318  5   FÉVRIER. 

de  martyr,  il  se  contentait  de  répondre  :  «  Je  suis  un  grand  pécheur  ».  Il 
fallut  user  de  violence  pour  lui  arracher  quelques  objets  lui  appartenant, 
qu'on  désirait  conserver  comme  reliques. 

Le  2  janvier  1397,  les  vingt-quatre  prisonniers  de  Meaco,  conduits  sur 
la  grande  place,  eurent  le  bout  de  l'oreille  gauche  coupé.  Ce  qu'on  coupa 
ainsi  aux  martyrs  fut  recueilli  et  vénéré  :  le  père  Augustin,  aux  mains  duquel 
les  chrétiens  remirent  les  \'ingt-quatre  précieuses  reliques,  les  leva  vers  le 
ciel  en  disant  :  «  Je  vous  offre,  mon  Dieu,  ces  fleurs  de  l'église  du  Japon  ». 
Ensuite,  flétrissure  réservée  aux  plus  grands  malfaiteurs  du  Japon,  nos 
saints  martyrs  furent  promenés  sur  des  chars  dans  la  ville.  Mais,  partout  où 
ils  devaient  passer,  les  habitants  avaient  sablé  les  rues,  honneur  exclusive- 
ment réservé  aux  rois  :  on  se  pressait  aux  portes,  aux  fenêtres,  sur  les  toits, 
pour  voir  ce  douloureux  triomphe,  et  partout  éclataient  des  témoignages  de 
sympathie  et  d'admiration.  Les  trois  enfants  surtout  attiraient  le  regard  et 
faisaient  couler  les  larmes,  par  leur  air  an;.;élique  et  la  douce  joie  que  le  ciel 
semblait  déjà  répandre  sur  leurs  visages.  Beaucoup  de  chrétiens  essayaient 
de  monter  sur  les  chars  pour  avoir  part  au  martyre  :  on  eut  beaucoup 
de  peine  à  les  écarter  à  grands  coups  de  fouet  et  de  bâton  ;  l'un  d'eux,  Fran- 
çois Fahélenté,  dont  nous  avons  parlé,  y  resta  cramponné. 

Quand  les  saints  furent  de  retour  à  la  prison,  l'un  des  trois  Jésuites, 
Paul  ;Miki,  embrassa  les  pères  Franciscains  et  leur  témoigna  vivement  sa 
reconnaiss;mce  des  souffrances  dont  il  leur  était  redevable,  car  eux  seuls,  et 
non  les  Jésuites,  se  trouvaitnt  condamnés  ù  mort,  dans  l'éditde  l'empereur, 
et  de  ce  qu'il  allait  être  martyr  à  leur  ombre.  On  conduisit  ensuite  les  saints 
àOzaca,  puisàSacaïa,  puisa  Nangazaki.  Le  voyage  fut  long  et  pénible,  à 
cause  du  froid,  de  la  neige  et  des  glaces;  d'ailleurs,  ils  ne  voulurent  point 
recevoir  les  adoucissements  que  tous,  les  païens  eux-mômes,  s'empressaient 
d'apporter  à  leurs  maux;  mais  ils  eurent  une  grande  consolation,  lorsque 
leur  glorieuse  troupe  s'augmenta  de  deux  fervents  chrétiens,  Pierre  Sukégiro 
et  François  Fahélenté,  comme  nous  l'avons  raconté  plus  haut.  Sur  leur  pas- 
sage, ils  excitaient  une  admiration  universelle  :  les  païens  mômes  murmu- 
raient contre  l'empereur  et  disaient:  «C'est  une  folie,  c'est  une  injustice 
criante».  Beaucoup  se  convertissaient;  les  bonzes  exaspérés  disaient  que 
l'empereur  ne  pouvait  choisir  un  meilleur  moyen  de  fortitier  et  de  propa- 
ger la  religion  chrétienne.  Les  martyrs  voyagèi-ent  ainsi  pendant  un  mois. 
Le  4  février,  ils  rencontrèrent  les  deux  Pères  Jésuites  Pasio  et  Rodriguez, 
venus  pour  leur  offrir  le  secours  des  sacrements.  Mais  le  gouverneur  de  Nan- 
gazaki ne  leur  en  laissa  pas  le  temps.  Ils  ne  purent  que  se  confesser.  Le  lieu 
du  supplice  était  une  colline  aux  environs  de  Nangazaki,  nommée  depuis  le 
Moni-dcs- Martyrs,  ou  la  SaiiUe-CuUine.  Les  bourreaux  et  les  croix  les  atten- 
daient. Les  croix  du  Japon,  ont,  vers  le  bas,  une  pièce  de  bois  en  travers, 
sur  laquelle  les  patients  ont  les  pieds  posés,  et  au  milieu  une  espèce  de  billot, 
destiné  à  soutenir  le  poids  du  corps.  On  les  attache  avec  des  cordes,  parles 
bras,  par  les  cuisses  et  par  les  pieds,  qui  sont  un  peu  écartés.  On  ajouta  pour 
ceu.x-ci  (je  ne  sais  pourquoi,  peut-ôtre  est-ce  une  coutume  locale),  un  col- 
lier de  fer  qui  leur  tenait  le  cou  fort  raide.  Quand  ils  sont  ainsi  liés,  on 
élève  la  croix  et  on  la  place  dans  son  trou.  Ensuite  le  bourreau  prend  une 
lance  et  en  perce  de  telle  manière  le  crucilié,  qu'il  la  fait  entrer  par  le  côté 
et  sortir  par  l'épaule.  Quelquefois  cela  se  fait  en  mémo  temps  des  deux 
côtés;  et  si  le  patient  respire  encore,  on  redouble  sur-le-champ.  Nous  ne 
raconterons  pas  ici  avec  quelle  constance  quelques-uns  des  martyrs  triom- 
phèrent des  tentations  les  plus  périlleuses:  nous  l'avons  fait  ci-dessus  dans  la 


LES  YINGT-Sn  MAKTTRS  DU  JAPON.  319 

vie  de  chacun  d'eux;  tous  se  rendirent  vers  leurs  croix  avec  un  empressement 
qui  frappa  les  païens  de  stupeur.  Chacun  de  ces  vaillants  soldats  de  Jésus- 
Christ  est  à  son  poste  :  à  un  signal  donné,  ils  sont  attachés  à  leurs  croix  pla- 
cées à  quatre  pas  de  distance  l'une  de  l'autre,  sur  une  seule  ligne,  d'Orient 
en  Occident  :  les  croix  se  dressent  et  sont  fixées  :  les  martyrs  ont  le  visage 
tourné  au  Midi,  vers  la  ville.  Le  chef  de  celle  sainte  milice,  saint  Pierre- 
Baptiste,  entonne  le  Beiiedictus  que  les  autres  continuent.  Pour  lui,  il  tombe 
dans  une  extase  où  il  demeure  jusqu'au  dernier  soupir.  Paul  Miki  prêche  la 
foule;  le  petit  Antoine  chante  le  Tpsa.i\me  :  Enfants,  louez  le  Seigneur;  le 
P.  Gonzalès  répète  en  mourant  les  paroles  du  bon  larron  :  «  Seigneur,  souve- 
nez-vous de  moi  »  ;  et  tous  prient  et  attendent  le  coup  mortel  avec  une  joie 
surnaturelle.  Enfin  un  coup  de  lance  envoie  leurs  bienheureuses  âmes  dans 
le  ciel. 

L'évèque  du  Japon,  qui  n'avait  pas  oblenu  la  permission  d'assister  à  la 
mort  des  Martyrs,  les  aida  du  moins  de  ses  prières,  et  le  soir,  il  vint  se  pros- 
terner au  pied  des  croix  pour  vénérer  les  saintes  victimes.  Tous  les  fidèles 
s'y  pressèrent  :  en  vain  le  gouverneur  de  Nangazaki  menaça  de  brûler  toutes 
les  maisons  de  la  ville  si  ce  concours  continuait.  Mais  l'évèque,  à  cause  de 
cette  menace,  défendit,  sous  peine  d'excommunication,  de  franchir  les  bar- 
rières  que  les  soldats  avaient  élevées  autour  des  croix,  et  sa  voix  seule  fut 
obéie. 

Telle  fut  la  première  phase  de  la  persécution  qui  ne  finit  qu'avec  l'ex- 
tinctionduchristianisme.il  est  difficile  d'évaluer  combien  de  sang  fut  versé,  car 
le  nombre  des  chrétiens  s'éleva  jusqu'à  deux  millions,  et,  lorsque  quelques- 
uns  apostasiaient,  ils  étaient  souvent  remplaces  par  des  païens.  La  plus 
grande  partie  de  ce  sang  marquera  d'une  ignominie  étemelle  le  front  de  la 
Hollande,  car  c'est  elle  qui  l'a  vendu.  C'est  la  Hollande  qui,  dans  sa  haine 
du  catholicisme  et  dans  son  esprit  le  plus  vil  de  mercantilisme,  exposa  à 
l'empereur  que  les  missionnaires  étaient  le  rebut  de  l'Europe;  qu'aucun 
pays  civilisé  ne  pouvait  les  souffrir;  que  l'Espagne  seule  les  envoyait  comme 
espions  dans  les  continents  étrangers  pour  s'en  emparer.  Cela  fut  cause 
d'une  proscription  universelle  :  tout  le  Japon  ne  fut  bientôt  plus  qu'une 
mare  de  sang.  Et,  pour  le  fermer  à  toute  civilisation,  on  n'en  permit  l'en- 
trée qu'aux  Hollandais.  Tous  les  autres  étrangers  en  furent  exclus,  môme 
les  Chinois,  même  les  Coréens,  des  voisins.  Personne  ne  put  vivre  ni  abor- 
der au  Japon  sans  fouler  aux  pieds  le  crucifix.  Les  Hollandais  le  foulèrent 
pour  avoir  le  monopole  du  commerce.  Oh  !  ce  n'est  pas  comme  cela  que  la 
noble  France  a  des  relations  avec  les  peuples  étrangers.  Dieu  a  permis 
qu'elle  pût  traiter  enfin  avec  le  Japon,  le  9  octobre  1848  ;  il  n'est  point  dit 
dans  ce  traité  ;  n  II  sera  permis  aux  Français  de  faire  du  négoce  au  Japon, 
à  condition  qu'ils  marcheront  sur  l'image  de  la  rédemption  du  monde  ». 
Mais  «  les  sujets  français,  au  Japon,  auront  le  droit  d'exercer  librement 
leur  religion,  et,  i  cet  effet,  ils  pourront  y  élever,  dans  le  terrain  destiné  à 
leur  résidence,  les  édifices  convenables  à  leur  culte,  comme  églises,  cha- 
pelles, cimetières  » . 

Le  pape  Urbain  YIH  déclara  bienheureux  les  vingt-six  suppUciés  de  Nan- 
gazaki, par  un  décret  du  10  juillet  1627.  Le  11  septembre  de  la  même 
année,  les  vingt-trois  membres  de  l'Ordre  de  Saint-François  furent  déclarés 
bienheureux.  En  1629,  la  même  qualité  fut  étendue  aux  trois  membres  de 
la  Compagnie  de  Jésus.  Enfin,  ces  vingt-six  Martyrs  furent  canonisés  le 
8  juin  1862,  jour  de  la  Pentecôte,  avec  une  solennité  sans  exemple  en  pareil 
cas.  Sur  un  simple  désir  du  souverain  pontife  Pie  IX,  des  évêques  de  presque 


320  5   FÉVRIER. 

tous  les  points  du  monde  calholiqiie  accoururent  pour  consoler  le  chef  de 
l'Eglise  privé  de  la  plus  giande  partie  des  Etals  que  comprenait  son  pou- 
voir temporel.  La  plupart  des  prélats  qui  ne  purent  assister  et  adhérer  de 
vive  voix  à  ce  grand  acte,  le  firent  depuis  par  écrit. 

On  représente  ordinairement  ces  bienheureux  Martyrs,  en  deux  groupes 
différents  :  l'un  composé  des  cinq  Pères  Franciscains  et  des  dix-sept  Japo- 
nais auxquels  on  donne  souvent  l'habit  de  Frères  Mineurs  parce  qu'ils 
étaient  agrégés  au  Tiers  Ordre  de  Saint-François  ;  l'autre  des  trois  religieux 
de  la  Compagnie  de  Jésus. 

Noos  nous  sommes  servi,  pour  Thistoire  de  ces  Martyrs,  des  ouvrages  de  MM.  Bouix  et  Villefranche. 


SAINTE  AGATHE  HILDEGARDE  (1024). 

Agathe  Hildegarde  était  épouse  du  comte  palatin  Paul.  Celui-ci  s'était  couvert  de  gloire  à  la 
guerre  ;  celle-là  avait  travaillé  à  orner  son  âme  de  toutes  les  vertus  des  Saints.  Cependant  sa  vie 
si  pure  ne  fut  pas  à  l'abri  de  la  calomnie.  Le  comte,  abusé  par  des  rapports  mensongers,  suspecta 
la  fidélité  d'Agathe  et  la  fit  d'abord  enfermer  dans  une  tour  du  chiteau  de  Stein,  sans  lui  permettre 
un  mot  pour  sa  justification.  Agathe  subit  avec  une  patience  angélique  la  perte  de  sa  liberté  qu'elle 
ne  regrettait  qu'à  cause  des  malheureux  qu'elle  ne  pouvait  plus  soulager.  Calme  et  résignée,  elle 
consolait  ses  domestiques  chargés  de  lui  porter  sa  nourriture.  Tout  le  monde  au  château  était  per- 
suadé de  son  innocence.  .Mais  le  comte,  dont  la  fureur  était  attisée  par  de  perfides  instigations, 
nourrissait  de  sinistres  projets.  S'étant  rendu  un  jour  à  la  prison  d'Agathe,  celle-ci  loin  de  se  livrer 
à  des  plaintes  ou  à  des  reproches,  lui  Et  un  tendre  accueil,  heureuse  enfin  de  trouver  une  occasion 
de  le  désabuser  ;  mais  le  comte  ne  lui  laissa  pas  le  temps  de  prononcer  un  seul  mot.  L'ayant  con- 
duite, sous  le  prétexte  d'une  promenade,  sur  la  terrasse  du  donjon,  il  la  précipita  dans  les  fossés 
du  château.  Il  jette  ensuite  un  cri  perçant  et  feignant  un  profond  désespoir,  il  court  aunoncer  à 
ses  gens  que  la  comtesse  est  tombée  du  haut  des  murs.  Les  domestiques  se  précipitent,  croyant 
bien  ne  plus  trouver  qu'un  cadavre.  Mais  quelle  n'est  pas  leur  surprise  d'apercevoir  Agathe,  à  ge- 
noux et  priant  Dieu!  Ils  s'imaginent  voir  un  spectre  et  s'enfuient  efl'rayés.  S'étant  relevée,  elle  les 
rappela  et  leur  dit  que  Dieu,  à  qui  elle  s'était  recommandée  au  moment  de  sa  chute,  avait 
permis  qu'elle  tombât  sans  se  faire  aucun  mal.  A  la  vue  de  ce  prodige,  le  comte  rentra  en  lui-même, 
reconnut  son  crime  et  l'expia  par  une  longue  pénitence.  Hildegarde  vécut  encore  plusieurs  années 
qu'elle  employa  à  faire  des  bonnes  œuvres.  Elle  mourut  le  5  février  1024. 

Dieu  confirma  sa  sainteté  par  plusieurs  autres  miracles  opérés  avant  et  après  sa  mort.  Une 
partie  de  ses  reliques  fut  transférée  dans  la  suite  à  Graetz,  sous  l'archiduc  Ferdinand,  qui  en 
montant  sur  le  trône  d'Allemagne,  prit  le  nom  de  Ferdinand  IL 

Agathe  Hildegarde  est  honorée  dans  la  Carinthie  et  dans  le  Pusterihal. 

Acia  Sanctorum. 


SAINT  BERTULPHE,  ABBÉ  (703). 


Bertnlphe,  né  en  Germanie,  de  parents  païens,  au  vu»  siècle,  quitta  sa  patrie  étant  encore  jeune, 
et  vint  à  Thérouanne.  Là  il  s'enrùla  sous  les  enseignes  du  Christ,  et  fut  dans  la  suite  admis  dans 
l'Ordre  des  clercs  par  saint  Omer.  Wambert,  homme  remarquable  par  sa  piété  non  moins  que  par 
ses  richesses,  lui  ayant  cédé  la  propriété  de  lienti,  en  Artois,  ISertulphe  y  réunit  des  religieux  qu'il 
dirigea  plus  par  l'exemple  de  ses  vertus  que  par  l'autorité  et  la  domination.  !1  était  très-large  dans 
la  distribution  des  aumflnes  aux  pauvres  ;  il  procurait  le  salut  de  tout  le  monde  avec  une  ingénieuse 
sollicitude,  jusqu'au  jour  où  il  rendit  son  âme  à  Dieu  par  une  sainte  mort.  Son  corps,  enseveli  à 
Renti,  et  conservé  en  ce  lieu  pendant  deux  cenis  ans,  fut,  au  x«  siècle,  transféré  à  Boulogne,  dans  la 
crainte  des  Normands.  Ces  saintes  reliques  furent  dans  la  suite   transférées  à  Ilarlebeck,  bourg  de 


martyhologes.  321 

Flandre,  sur  la  Lys,  puis  à  Blandinberg,  mouaslère  qui  fut  plus  lard  l'abbaye  de  Saint-Pierre  de 
Gand.  —  Les  Ilugnenols  les  brûlèrent  en  1578  avec  celles  de  huit  autres  saints  :  un  ancien  histo- 
rien fait  observer  que  les  hérétiques  a  n'eurent  garde  de  laisser  perdre  les  châsses  qui  étaient  d'or 
et  d'argent  m. 

Ou  le  peint  avec  une  bourse  à  la  ceinture,  occupé  à  faire  l'anmAne,  et  tons  les  ans,  le  Jour  da 
sa  fête,  on  distribue  mille  pains  aux  pauvres  dans  l'église  de  Saint-Vaast  de  Renti. 

Propre  d'Arras  et  Légendaire  de  Morinie. 


Vr  JOUR  DE  FÉVRIER 


MARTYROLOGE  ROMAIN. 

A  Césarée,  en  Cappadoce,  la  naissance  au  ciel  de  sainte  Dorothée,  vierge  et  martyre,  qui, 
sous  Saprice,  président  de  celte  province,  après  avoir  été  étendue  sur  le  chevalet,  et  ensuite  souf- 
fletée longtemps,  fui  enfin  condamnée  à  la  peine  capitale.  Pendant  sa  passion,  un  certain  Théo- 
phile, avocat  {scho/asticus  '),  s'étant  converti  à  la  foi  du  Christ,  fut  tourmenté  violemment  sur  le 
chevalet,  et  enfin  périt  par  le  tranchant  de  l'épée.  m»  s.  —  Le  même  jour,  les  saints  martyrs 
Saturnin,  Théophile  et  Révocate.  —  A  Emèse,  en  Phénicie,  saint  Sylvain,  évèque,  qui,  ayant  été 
à  la  tète  de  la  même  église  pendant  quarante  ans,  fut,  sous  l'empereur  Maiimien,  exposé  aux 
bêles  avec  deux  autres  *  ;  mis  en  pièces,  il  reçut  aiusi  la  palme  du  martyre.  312.  —  A  Clermont, 
en  Auvergne,  saint  An'tolien,  martyr.  Vers  265.  —  Le  même  jour,  les  saints  évêques 'Védast  ou 
■Vaast  et  Ajland,  dont  la  vie  et  la  mort  furent  illustrées  par  de  nombreux  miracles.  Le  premier 
gouverna  l'église  d'Arras,  et  le  second  celle  de  Maëstricht.  540,  684.  —  A  Bologne,  saint  Guérin, 
évêque,  cardinal  de  Paleslrine,  remarquable  par  la  sainteté  de  sa  vie.  1159. 

MARTYROLOGE  DE   FRANCE,   REVU  ET  ADGMENTÉ. 

A  Saint-Paul-Trois-Châteaui,  saint  Amand,  évêque.  Saint  Amand  succéda  au  v»  siècle  à  saint 
Maiimin.  Sa  fête  se  célébrait  autrefois  dans  son  église  cathédrale  le  6  février.  H  existe  encore, 
dans  l'ancien  diocèse  de  Sainl-Paul-Trois-Chàteaux,  une  église  qui  lui  est  dédiée  de  temps  immé- 
morial. —  A  Laval,  fête  de  saint  Constanticn,  moine  :  originaire  de  l'Auvergne,  il  vint  se  former  à 
la  vie  reUgieuse  sous  la  discipline  de  saint  Mesmin,  à  Micy,  près  Orléans.  Il  se  retira  ensuite  dans 
la  forêt  de  Javron,  sur  les  limites  du  diocèse  actuel  de  Laval.  Tiré  de  sa  retraite  par  Innocent, 
évêque  du  Mans,  il  fut  ordonné  prêtre  et  consacré  aux  missions.  Le  roi  Clotaire  I^',  à  qui  le  saint 
avait  prédit  la  défaite  de  son  fils  rebelle,  lui  donna  la  terre  de  Javron  pour  y  élever  un  monastère. 
C'est  là  que  saint  Constantien  mourutle  1='  décembre  570.  Ses  reliques  restèrent  Ji  Javron  jusqu'en 
1505.  \  cette  époque,  l'évêque  du  Mans  les  donna  au  comte  de  Breteuil.  En  1843,  une  grande  par- 
lie  de  ces  précieux  restes  a  été  rendue,  par  l'évêque  de  Beauvais,  à  l'évêque  du  Mans  et  transférée 

1.  Tacite,  dftiu  son  livre  des  Orateurs^  nous  donne  le  vrai  sens  du  mot  seholastieuSi  que  nons  tradol- 
sons  par  avocat. 

On  donnait  ce  nom  aux  rhéteurs  et  ans  déclamateors  qui  s'exerçaient  sur  des  causes  feintes,  avant 
daborder  les  vraies.  Pline  l'entend  de  même,  livre  iv,  lettre  3e,  à  Népos,  lorsqu'il  dit  que  ces  schotas- 
tii/iies,  hommes  de  l'école,  passaient  des  plaidoyers  d'imagination  aux  causes  centumvirales,  qu'ils  plaidaient 
dans  les  basiliques,  en  présence  du  peuple.  Tel  était  saint  Jérôme,  lorsqu'il  étudiait  'a  Rome  dans  sa  jeu- 
nesse. Il  le  dit  lui-même  :  •  Dans  ma  jeunesse,  lorsque  Je  déclamais  à  Rome,  et  que  je  m'exerçais  dans 
les  procès  feints,  en  vue  des  luttes  sérieuses.  Je  courais  aux  tribunaux,  etc.  •  {Commenlaire  de  CEp.  aux 
Oalates,  ch.  2.) 

On  trouve  aussi  le  même  mot  employé  pour  signifier  avocat  ;  par  exemple  dans  les  Actes  du  Concile  de 
Sardique,  ch.  13,  et  ailleurs  ;  nous  avons  préféré  ce  dernier  sens  comme  moins  va^e  et  pltis  caractéris- 
tique. (Bakosids.) 

2.  Le;  compagnons  du  martyre  de  saint  Sylvain  sont  :  Lncas,  son  diacre,  et  Mncins,  son  lecteur. 

Vies  des  Saints.  —  Tomf:  IL  21 


322  6  FÉVIUER. 

dans  l'église  paroissiale  de  Javron  '.  —  A  Aldeueich,  près  de  Maaseick,  «ainte  Reinilde,  Relind»  ou 
Rer.elle,  vierge  et  abbesse,  sœur  de  sainte  Ilerlinde.  Vers  745  '.  —  Près  de  Zulpich,  au  duché  de 
Ju'.iers,  saiot  Eluic  ou  Aldric,  porcher  des  religieuses  de  Prémontré,  à  Fussenich.  Eufant  de  la 
maison  de  France,  il  quitta  richesses,  plaisirs,  honneurs,  pour  embrasser  la  vie  errante  du  pèlerin. 
Il  mourut  igé  de  vingt  ans  à  peine.  Vers  1200.  —  En  Suède,  saint  Brynolf  ou  Brynolphe,  évèque, 
natif  de  cette  contrée,  qui,  durant  dix-huit  ans  qu'il  fut  à  Paris,  y  édilia  tout  le  inonde  par  sa  doc- 
trine et  par  sa  sainte  vie,  et  qui,  étant  retourné  en  Suède,  y  fut  successivement  chanoine  de  Skara, 
uoyen  de  Lincopen,  et  évèque  de  Skara.  Sainte  Brigitte  de  Suède  vit  la  très-sainte  Vierge  deman- 
dant à  son  Fils  que  le  tombeau  du  saint  hcmme  devint  glorieux  à  cause  du  zèle  qu'il  avait  montré 
durant  sa  vie  pour  l'honneurde  la  Reine  du  ciel.  1317.—  A  Maëstricht,  Tongres  et  Liège,  commémoraisod 
des  saints  évèques  Servais,  Monulphe,  Gondulphe,  Martin,  Valeatin,  Candide,  Arnaud  et  des  autres 
qui  ont  occupé  ces  divers  sièges.  Depuis  saint  Materne  jusqu'à  l'année  750,  les  évèques  de  Maëstricht 
sont  honorés  comme  saints.  L'évèché  de  Liège  compte  trente  évèques  canonisés.  —  A  Alby,  fête 
de  saint  Amand  ou  Alan,  évèque  de  MaEstricht.  L'ancien  diocèse  de  Vabr&s,  où  saint  Alan  a  prêché 
ra  foi,  l'a  honoré  pendant  un  grand  nombre  de  siècles  comme  son  patron.  L'ancienne  église  cathé- 
drale dédiée  sons  son  nom  existe  encore. 

MARTYROLOGES  DES  ORDRES   RELIGIEUX. 

Martyrologe  de  l'Ordre  de  Saint-D'isile.  —  A  Sébaste,  en  Arménie,  saint  Pierre,  évèque, 
remarquable  par  la  sainteté  de  sa  vie,  frère  de  notre  Père,  saint  Basile.  Sa  naissance  au  ciel  est 
marquée  le  9  de  janvier. 

Martyrologe  dn  l'Ordre  des  Chanoines  réguliers.  —  A  Bologne,  saint  Gaérin,  confesseur,  qui 
fonda  dans  cette  ville  l'hôpital  de  Saint-Job,  et  de  chanoine  régulier  devint  évèque,  cardinal  de 
Palestrine,  se  lit  remarquer  par  la  sainteté  de  sa  vie,  s'endormit  dans  le  Seigneur  dans  une  eitrème 
vieillesse,  et  fut  enseveli  dans  l'église  de  Saint-Agapit,  à  Palestrine.  1159. 

MnrUjrologe  de  l'Ordre  de  CUenux.—k  Bourges,  saint  Guillaume,  abbé  de  Chaalis,  de  l'Ordre 
de  Citeaux,  ensuite  archevêque  de  Bourges,  illustre  par  la  sainteté  de  sa  vie  et  par  la  gloire  de  ses 
miracles.  Le  souverain  pontife  Honorius  111  le  mit  au  nombre  des  Saints,  et  l'Université  de  Paris 
l'adopta  pour  patron  '. 

Martyrologe  de  [Ordre  de  Saint-Augustin.  —  A  Mondola,  dans  la  Marche  d'Ancône,  le  bien- 
heureux Antoine,  confesseur  de  notre  Ordre  ;  il  fut  d'une  admirable  patience,  d'une  charité  rare  en- 
vers les  pauvres,  et  se  rendit  célèbre  par  la  renommée  de  ses  miracles  :  son  corps  est  dans  U 
même  ville,  entouré  de  la  vénération  des  Ddèles.  Mort  en  1350,  à  l'ige  de  90  ans. 

ADDITIONS  FAITES  d'APRÈS  LES  BOLLANDISTES  ET  AUTRES  HAGIOGRAPHES. 

A  Naples,  fête  de  saint  Leuce,  aussi  nommé  Euprescius.  Né  à  Alexandrie  d'Egypte,  il  s'y  adonna 
d'abord  à  la  prédication  de  la  parole  sainte  ;  puis,  poussé  par  l'Esprit  de  Dieu,  il  s'embarqua  avec 
quelques  clercs  et  aborda  à  Brindisi  :  il  s'établit  dans  l'amphithéâtre  pour  prêcher  au  peuple  :  les  mi- 
racles vinrent  confirmer  sa  doctrine  :  c'est  ainsi  que  par  ses  prières  il  obtint  la  cessation  d'une 
sécheresse  qui  durait  depuis  deux  ans.  Ce  prodige  amena  la  conversion  du  gouverneur  de  la  ville, 
Antiochus  et  de  vingt-sept  soldats  païens.  L'évèque  de  Brindisi  étant  mort,  Leuce  fut  élu  à  sa 
place  :  il  naquit  lui-même  pour  le  ciel,  le  8  janvier  410.  Son  corps,  qui  avait  été  transporté  à  Trani 
fut,  dans  la  suite,  transféré  à  Béuévent  par  les  princes  lombards  qui  le  placèrent  dans  la  magnifique 
église  de  Sainte-Sophie  :  il  y  a  aujourd'hui  de  ses  reliques  à  Trani,  à  Brindisi,  à  Monte-Vergine,  etc. 
La  ville  de  Sainl-Lucido  lui  doit  son  nom,  et  l'église  paroissiale  lui  est  dédiée  *.  —  A  Oria, 
près  de  Siponto,  la  fête  de  saint  Bahsanopiih  ,  anachorète.  vi«  s.  —  A  Smyrne,  saint  Bucole, 
évèque.  U  fut  le  prédécesseur  de  saint  Polycarpe  et  eut  le  bonheur  d'être  consacré  par  l'apùtre 
saint  Jean.  Un  arbuste  poussa  sur  son  tombeau  qui  fut  l'instrument  de  nombreuses  guéri- 
sons.  99.  —  A  Avila,  en  Espagne,  saint  Vital,  martyr  romain,  dont  le  corps  fut  transporté  de 
Rome  en  cette  ville  sous  le  pontificat  de  Clément  Vlll.  —  Et  ailleurs,  les  saints  martyrs  Théophile, 
Saturnin,  Révocata.  —  A  Alexandrie  d'Egypte,  sainte  Dorothée,  vierge,  distincte  de  la  sainte  du 
même  nom  qui  fut  martyre  à  Césa:je.  Elle  était  aussi  noble,  aussi  riche,  aussi  instruite  et  aussi 
belle  que  piense.  Excitée  à  se  déshonorer  par  un  puissant  du  jour,  elle  repoussa  la  tentation  et  alla 
ensevelir  sa  vie  dans  un  désert.  320.  —  A  Emèse,  en  Phénicie,  outre  saint  Sylvain  et  ses  compa- 
gnons, mentionnés  ci-dessua,  saint  Julien,  médecin,  martyr  en  celle  ville.  Saint  Julien  s'appliquait  à 
guérir  les  âmes  autant  que  les  corps.  Il  était  venu  saluer  l'évèque  d'Emèse  qu'on  entraînait  au  sup- 
plice. Pour  le  punir  de  son  courage,  on  le  crucifia  d'abord,  puis  on  lui  enfonça  un  clou  dans  la 
tête.  On  le  représente  assis  à  terre,  les  mains  et  les  pieds  cloués  à  une  porte,  tandis  que  le 

L  Propre  de  Laval.  —  i.  Voir  sa  notice  an  ïi  mars.  —  ».  Voir  au  10  Janvier.  —  4.  Propre  de  Kapleê, 


SAETE  DOROTHÉE,  DE  CÉ3ARÉE  EN  C.U'PADOCE,  VIERGE.'        323 

bonrrean  lui  fend  le  crâne  avec  un  cloa.  On  peot  aussi  le  représenter  comme  médecin,  avec  les 
indices  de  sa  proression  on  soignant  les  malades.  An  312.  —  En  Irlande,  les  saints  Mêle,  Melche, 
Mune  et  Rioc,  évèques  de  cette  contrée.  Vers  la  fin  du  v«  siècle.  Les  deux  premiers  furent  en  rap- 
port avec  sainte  Brigitte.  Saint  ,Vèle  prédit  la  sainteté  future  de  Brigitte,  lai  donna  le  TOile 
sacré,  conjointement  avec  saint  Melche.  Tous  les  quatre  furent  les  disciples  et  les  compagnons  de 
l'apostolat  de  saint  Patrice.  —  Au  diocèse  de  Tournai,  saint  André,  disciple  de  saint  Amand, 
d'abord  abbé  de  Bari^yi  en  Laonnais,  et  ensuite  d'EInon.  693.  —  Eo  Irlande,  saint  Finian, 
abbé  de  l'ancien  monastère  de  Mellifont.  —  En  .\ngleterre,  saint  Ina,  roi  des  Saxons  occidentaux, 
qui  éleva  les  monastères  d'Abbendon  et  de  Winburn,  enrichit  celni  de  Glaslon,  et  donna  des  lois  à 
ses  sujets.  Il  finit  par  abdiquer,  et  vint  terminer  pieusement  ses  jours  à  Home,  viii»  s.  —  Au  dio- 
cèse de  Cologne,  la  bienheureuse  Hildegonde,  comtesse  d'Arnsberg,  fondatrice  de  l'ancien  monastère 
de  Mehre,  de  l'Ordre  de  Prémontré,  près  la  ville  de  Nuys.  Après  HS3.  —  Dans  les  Abruzzes,  le 
bienheureux  Ange  de  Furci,  (bourg  près  de  Chieti),  de  l'Ordre  des  Ermites  de  Saint-Augustin.  An 
1S27.  —  A  Gubio,  en  Ombric,  la  bienheureuse  Françoise  ou  Francischina,  du  Tiers  Ordre  de 
Saint-François.  An  1380.  —  A  Fossano,  en  Piémont,  la  "translation  des  reliqnes  des  saints  martyrs 
Théodore,  Trosime,  Evellie,  Tarcice,  Félix,  Candide  et  Théophile,  apportées  de  Rome  en  1639. 
—  A  Vilerbe,  dans  les  Etats  de  l'Eglise,  et  dans  plusieurs  diocèses  de  France,  fête  de  sainte 
Htaci.mhe  Mariscotti.  1640. 


S""  DOROTHEE,  DE  CESAUEE  EN  CAPPADOCE,  YIEUGE 

SAINT  THÉOPHILE,  AVOCAT. 
SAINTE  CHRÉTHlNNE  ET  SAINTE  CALUSTE,  PÉNITENTES,  TOUS  MARTYRS 

soi.  —  Pape  :  saint  Marcellin.  —  Empereur  :  Maximien-Hercnle. 


Seigneur  Jésus,  acceptez  le  don  de  notre  patiencs  et 
accordez-noas  pardon  et  indulgence. 

Actes  de  sainte  Dorothée,  apud  Botl. 


Une  solennité  semble  quelquefois  en  produire  une  autre  et  même  en 
relever  l'éclat.  Hier,  la  victoire  de  sainte  Agathe  servait  d'entretien  à  nos 
pensées,  et  voici  aujourd'hui  le  triomphe  d'une  autre  vierge. 

Il  y  avait  dans  la  ville  de  Gésarée  en  Cappadoce  une  vierge  nommée 
Dorothée.  Chaque  jour  elle  rendait  exactement  à  Dieu  ses  devoirs  en  prati- 
quant la  chasteté  et  la  tempérance  ;  et  pleine  de  douceur  et  d'humilité,  elle 
joignait  le  jetine  à  la  prière.  Telle  était  sa  prudence,  que  peu  d'hommes 
avaient  la  force  de  l'imiter.  Tous  ceux  qui  la  connaissaient  glorifiaient  notre 
Seigneur  Jésus-Christ  d'avoir  une  telle  servante.  Sa  beauté  était  remar- 
quable, sa  conduite  et  sa  sagesse  incomparables,  et  sa  virginité  sans  tache. 
Elle  était  tellement  parfaite  dans  l'amour  du  Christ  que,  pour  lui  être  unie 
plus  étroitement,  elle  mérita  une  double  palme,  et  eut  le  bonheur  de  pré- 
senter à  l'Epoux  céleste  avec  la  couronne  de  la  virginité  celle  du  martyre. 

La  renommée  de  la  sainteté  de  sa  vie  étant  très-répandue  parmi  les 
hommes,  le  gouverneur,  qui  persécutait  les  fidèles,  en  eut  bientôt  connais- 
sance. Aussi,  dès  qu'il  fut  arrivé  dans  Césarée,  il  fit  arrêter  la  servante  de 
Dieu  si  connue  des  chrétiens.  Ayant  été  introduite  devant  le  tribunal  où  le 
juge  était  assis,  eUe  y  parut  les  yeux  baissés  et  priant  son  Dieu.  Le  gouverneur 
nommé  Saprice  l'interrogea,  et  dit  :  u  Comment  te  nommes-tu  ?  »—«  Dorothée 


324  <3  FÉVRIER. 

est  mon  nom  ».  —  «  Je  t'ai  mandée  pour  te  faire  sacrifier  aux  dieux  selon 
l'ordre  de  nos  princes  augustes  ».  —  «  Le  Dieu  du  ciel,  qui  est  Auguste,  m'a 
commandé  de  ne  servir  que  lui  seul,  car  il  est  écrit  :  Tu  adoreras  le  Seigneur 
ton  Dieu,  et  tu  ne  serviras  que  lui.  Et  encore  :  Qu'ils  disparaissent  de  la  terre 
les  dieux  qui  n'ont  fait  ni  le  ciel  ni  la  terre.  Keste  donc  à  voir  à  quel  empereur 
nous  devons  obéir,  àcelui  de  la  terre  ou  àcelui  du  ciel,  à  Dieu  ou  à  l'homme. 
Mais  que  sont  les  empereurs,  sinon  des  hommes  mortels,  comme  l'ont  été 
ces  dieux  dont  vous  adorez  les  statues  ?  » 

—  «  Si  tu  veux  échapper  d'ici  saine  et  sauve,  quitte  cette  assurance  et 
sacrifie  aux  dieux;  autrement  je  t'abandonne  à  la  sévérité  des  lois  ;  et  ton 
exemple  apprendra  aux  autres  la  crainte  qu'ils  en  doivent  avoir  ».  —  «  Je 
donnerai  à  tous  l'exemple  de  la  cramte  de  Dieu,  afin  qu'apprenant  à  le 
redouter,  ils  ne  soient  pas  émus  par  la  fureur  des  hommes.  Ceux-ci,  sembla- 
bles à  des  chiens  enragés,  déchirent  des  mnocents  ;  dépourvus  de  raison,  on 
les  voit  s'irriter,  aboyer  et  mordre  les  passants  ».  —  «  A  ce  que  je  vois,  tu 
as  résolu  de  demeurer  dans  ta  religion  insensée,  et  tu  veux  mourir  comme 
les  autres.  Ecoute-moi  et  sacrifie  ;  c'est  le  seul  moyen  d'éviter  le  chevalet». 
—  «  Les  peines  de  ton  chevalet  ne  sont  que  d'un  moment,  mais  les  tour- 
ments de  l'enfer  sont  éternels,  et  pour  les  éviter,  je  ne  dois  pas  craindre 
des  maux  d'un  instant.  Je  me  rappelle  cette  parole  de  mon  maître  :  Ne  crai- 
gnez pas  ceux  qui  tuent  le  corps  et  ne  peuvent  tuer  l'âme,  mais  bien  plutôt 
celui  qui  peut  envoyer  pour  jamais  le  corps  et  l'âme  dans  l'enfer  ». 

—  «  Crains  donc  des  dieux,  qui,  dans  leur  colère,  pourront  perdre  ton 
corps  et  ton  âme,  si  tu  ne  leur  sacrifies  ». —  «  Saprice,  je  t'ai  déjà  dit  que  tu 
ne  pourras  me  persuader  de  sacrifier  aux  démons,  qui  ont  habité  dans  ces 
hommes  vains  dont  la  vie  a  été  telle  qu'on  rougirait  de  la  raconter,  et  dont 
la  mort  a  été  semblable  à  celle  des  bêtes  :  car  pendant  leur  vie  ils  ont  mé- 
connu celui  qui  a  fait  le  ciel,  la  terre,  la  mer  et  tout  ce  qu'ils  contiennent  : 
aussi  leurs  âmes  brûlent  en  enfer,  tandis  que  vous  adorez  leurs  images 
faites  de  divers  métaux  ;  et  ceux-là  iront  un  jour  leur  tenir  compagnie  dans 
les  flammes  éternelles,  qui,  délaissant  leur  Créateur,  auront  adoré  ces  faux 
dieux  ». 

A  ces  mots,  Saprice  transporté  de  rage  se  tourne  vers  les  bourreaux  et 
leur  dit  :  «  Etendez-la  sur  le  chevalet  :  quand  elle  se  verra  au  milieu  des 
tourments,  peut-être  alors  consentira-t-elle  à  adorer  nos  dieux  immortels». 
La  servante  de  Dieu  y  ayant  été  placée,  pleine  de  courage  et  d'intrépidité, 
dit  au  juge  sans  être  interrogée  :  «  Pourquoi  me  laisses-tu  attendre  ?  Fais  ce 
que  tu  as  à  faire,  afin  que  je  puisse  voir  celui  pour  l'amour  duquel  je  ne 
crains  ni  la  mort  m  les  tourments  ».  —  «  Quel  est  donc  celui  que  tu  dé- 
sires? »  —  «  Le  Christ,  Fils  de  Dieu  ». 

—  «  Et  oti  est  ce  Christ  ?»  —  «  Comme  tout-puissant  il  est  partout  ; 
comme  homme  (puisque  la  faible  raison  humaine  ne  tient  compte  que  de 
ce  qui  est  contenu  dans  un  lieu)  nous  disons  que  le  Fils  de  Dieu  est  monté 
au  ciel,  qu'il  est  assis  à  la  droite  de  Dieu  son  Père  tout-puissant  ;  mais 
comme  Dieu,  il  ni  qu'une  seule  divinité  avec  son  Père  et  le  Saint-Esprit. 
C'est  lui  qui  nous  invite  au  jardin  de  ses  délices,  oîi  en  tout  temps  les  arbres 
iiont  ornés  de  fruits,  les  lis  toujours  blancs,  les  roses  toujours  dans  leur  fraî- 
cheur, les  champs  et  les  monts  toujours  verdoyants,  les  collines  toujours 
ombragées,  les  fontaines  toujours  jaillissantes,  les  eaux  toujours  délicieuses, 
et  les  âmes  des  Saints  enivrées  d'une  joie  immortelle  dans  le  Christ.  Si  tu  m'en 
crois,  Saprice,  tu  chercheras  la  vraie  liberté,  et  tu  travailleras  à  mériter 
l'entrée  du  jardin  des  délices  de  Dieu  ». 


SAINTE  DOROTHÉE,  DE  CÉSARÉE  EN  CAPPADOCE,  VIERGE.        32.' 

—  «  Quitte-moi  ces  folies  et  sacrifie  :  reçois  un  époux,  et  passe  des  jours 
heureux  ;  sinon  tu  périras  comme  ont  péri  tes  pères  à  cause  de  leur  folie  ». 
—  «  Non,  je  ne  sacrifierai  point  aux  démons  ;  je  suis  chrétienne  ;  je  ne  veux 
point  d'époux,  je  suis  l'épouse  du  Christ  ;  et  je  crois  fermement  qu'il  m'in- 
troduira dans  son  paradis,  et  me  fera  reposer  sur  son  lit  nuptial  ». 

Saprice  alors  la  fit  remettre  entre  les  mains  de  deux  sœurs  nommées 
Chrétienne  et  Calliste,  qui  récemment  venaient  d'apostasier,  et  il  la  leur 
confia  en  disant  :  »  Vous  avez  abandonné  la  folie  et  la  superstition  des  chré- 
tiens ;  vous  avez  sacrifié  à  nos  dieux  invincibles  :  aussi  vous  ai-je  fait  récom- 
penser :  mais  de  plus  grands  honneurs  vous  sont  réservés,  si  vous  pouvez 
détourner  cette  chrétienne  de  sa  folle  résolution  ».Ces  malheureuses,  ayant 
reçu  notre  Sainte  dans  leur  maison,  lui  disaient  :  «  Acquiesce  donc  aux  désirs 
du  juge,  et  délivre-toi  des  peines  et  des  tourments,  comme  nous  avons  fait. 
Il  vaut  bien  mieux  pour  toi  agir  de  manière  à  ne  pas  consumer  ta  vie  au 
milieu  des  tortures,  à  ne  pas  mourir  avant  le  temps».  Dorothée  leur  répon- 
dit :  «  Oh  !  si  vous  vouliez  m'écouter  et  vous  repentir  d'avoir  sacrifié  aux 
idoles!  car  Dieu  est  bon,  et  sa  miséricorde  est  abondante  pour  ceux  qui  se 
convertissent  à  lui  de  tout  leur  cœur  ».  Chrétienne  et  Calliste  lui  dirent  : 
«  Nous  avons  abandonné  une  fois  Jésus-Christ  ;  comment  se  pourrait-il  que 
nous  revinssions  à  lui  ?  »  Dorothée  dit  :  «  C'est  un  plus  grand  péché  de 
désespérer  de  la  miséricorde  du  Seigneur,  que  de  sacrifier  à  d'impuissantes 
idoles.  Ne  perdez  donc  pas  confiance  en  ce  médecin  si  charitable,  si  expéri- 
menté, qui  peut  guérir  toutes  vos  blessures.  Il  n'en  est  aucune  dont  la  gué- 
rison  ne  lui  appartienne  ;  car  on  ne  l'appelle  Sauveur  que  parce  qu'il  sauve, 
Rédempteur  que  parce  qu'il  rachète,  Libérateur  que  parce  qu'il  ne  cesse 
de  nous  délivrer.  Pour  vous,  adonnez-vous  donc  de  tout  votre  cœur  à  la 
pénitence,  et  sans  nul  doute  vous  obtiendrez  le  pardon  de  vos  fautes  ». 

Ces  deux  infortunées  se  jettent  alors  à  ses  pieds  qu'elles  arrosent  de  leurs 
larmes;  elles  la  conjurent  de  prier  pour  elles,  afin  que,  par  son  secours, 
elles  puissent  dignement  satisfaire  à  Dieu  et  mériter  la  divine  miséricorde. 
Notre  Sainte,  fondant  en  larmes,  adressa  alors  ces  paroles  au  Seigneur  : 
«  0  Dieu  qui  avez  dit  :  Je  ne  veux  point  la  mort  du  pécheur,  mais  bien  qu'il 
se  convertisse  et  qu'il  vive  ;  Seigneur  Jésus-Christ,  qui  avez  dit  que  les 
Anges  du  ciel  se  réjouissaient  plus  de  voir  un  pécheur  faire  pénitence  que 
quatre-vingt-dix-neuf  justes  persévérer  dans  la  justice,  signalez  votre  bonté 
envers  ces  âmes  que  le  démon  s'est  efforcé  de  vous  ravir,  rappelez  ces  bre- 
bis au  bercail,  et  que  leur  exemple  ramène  toutes  celles  qui  s'étaient  écar- 
tées de  vous  ». 

Pendant  qu'elle  faisait  cette  prière  et  d'autres  semblables,  le  gouverneur 
l'envoya  chercher  avec  les  deux  sœurs,  et  il  se  les  fit  amener  dans  son 
palais.  Les  prenant  à  part,  il  commença  par  leur  demander  si  elles  avaient 
ébranlé  la  constance  de  Dorothée.  Mais  elles  lui  répondirent  de  concert  : 
«  Nous  avons  péché,  nous  avons  mal  agi  ;  car  la  crainte  des  peines  et  des 
douleurs  d'un  instant  nous  a  fait  sacrifier  à  d'impuissantes  idoles  ;  nous 
l'avons  donc  priée  de  nous  imposer  la  pénitence,  afin  de  pouvoir  obtenir  la 
miséricorde  du  Christ  ».  Alors  Saprice  déchira  ses  vêtements,  et  dans  sa 
fureur  il  ordonna  de  lier  dos  à  dos  les  deux  sœurs,  et  de  les  jeter  dans  une 
chaudière  brillante,  si  sur-le-champ  elles  ne  voulaient  sacrifier.  Les  deux 
sœurs  s'écrièrent  :  «  Seigneur  Jésus-Christ,  acceptez  notre  pénitence,  et 
accordez-nous  votre  pardon  ».  Comme  elles  persévéraient  dans  cette  prière 
et  dans  la  confession  de  leur  foi,  on  les  jeta  dans  la  chaudière,  où  elles 
furent  brûlées  sous  les  yeux  de  Dorothée.  La  vierge,  transportée  de  joie  en 


326  6  FÉVRIEK. 

voyant  le  courage  qu'elles  faisaient  paraître  dans  la  mort,  leur  disait  : 
«  Devancez-moi,  mes  sœurs  ;  vous  pouvez  Cire  certaines  que  votre  péché 
vous  a  été  remis,  et  sachez  que  la  palme  que  vous  aviez  perdue  vous  a  été 
restituée  :  il  vient  au-devant  de  vous  et  vous  tend  les  bras,  ce  père  qui  se 
réjouit  quand  il  retrouve  le  fils  qu'il  avait  perdu  ». 

Alors  Saprice  fit  étendre  de  nouveau  Dorothée  sur  le  chevalet.  Quand 
elle  y  fut  placée,  il  parut  une  si  grande  joie  sur  tous  ses  traits,  qu'il  était 
aisé  de  voir  qu'elle  était  arrivée  à  l'accomplissement  de  tous  ses  désirs. 
Saprice  lui  dit  :  «  Pourquoi  montrer  ainsi  une  joie  feinte  et  simuler  l'allé- 
gresse au  milieu  des  supplices  ?  »  Dorothée  répondit  :  «  Jamais  dans  toute 
ma  vie  je  n'ai  été  si  heureuse  qu'aujourd'hui  ;  car  ces  âmes  que  par  ton 
moyen  le  démon  avait  ravies  à  Dieu,  le  Christ  les  a  recouvrées  par  mon 
entremise.  En  ce  jour  il  y  a  réjouissance  dans  les  deux  ;  à  leur  sujet  les 
Anges  sont  dans  la  joie,  les  Archanges  dans  la  jubilation  ;  et  tous  les  Apô- 
tres, les  Martyrs  et  les  Prophètes  en  tressaillent  d'allégresse.  Hâte-toi  donc, 
Saprice,  et  accomplis  ton  œuvi-e  au  plus  vite,  afin  que  je  puisse  m'unir  à  ce 
concert  des  Saints,  et  me  réjouir  avec  eux  comme  j'ai  pleuré  avec  eus  sur 
la  terre  ».  Alors  Saprice  lui  fit  appliquer  des  torches  allumées  sur  les  flancs. 
Durant  ce  supplice,  Dorothée,  tournant  vers  le  juge  son  visage  de  plus  en 
plus  illuminé  d'une  joie  céleste  et  insultant  à  sa  fureur,  lui  disait  :  «  Misé- 
rable, te  voilà  vaincu,  toi  et  tes  idoles  !  » 

Saprice  la  fît  alors  descendre  du  chevalet,  puis  il  ordonna  de  la  souffleter 
longtemps,  en  disant  :  «  Qu'on  frappe  ce  visage  qui  m'insulte  ».  Après 
qu'elle  eut  été  longtemps  et  cruellement  frappée,  Saprice  voyant  qu'elle 
témoignait  toujours  de  la  joie,  et  que  les  bourreaux  n'en  pouvaient  plus  de 
fatigue,  dicta  ainsi  sa  sentence  :  «  Nous  ordonnons  que  Dorothée,  jeune  fille 
pleine  d'orgueil,  qui  a  refusé  de  conserver  la  vie  en  sacriQant,  et  qui  veut 
absolument  mourir  pour  je  ne  sais  quel  homme  qu'on  appelle  Christ,  soit 
frappée  du  glaive  » .  A  ces  mots  Dorothée  s'écria  :  «  Je  vous  rends  grâces, 
céleste  amant  des  âmes,  de  ce  que  vous  m'appelez  à  votre  paradis,  et  m'in- 
vitez à  votre  lit  nuptial  » . 

Comme  elle  sortait  du  prétoire  du  gouverneur,  un  homme  de  loi  nommé 
Théophile  lui  dit  par  raillerie  :  «  Allons,  épouse  du  Christ,  tu  m'enverras 
du  jardin  de  ton  époux  des  fruits  ou  des  roses  ».  Dorothée  lui  répondit  : 
«  Très-volontiers,  je  le  ferai  ainsi  ».  Au  moment  où  elle  allait  recevoir  le 
coup  de  la  mort,  elle  demanda  au  bourreau  de  lui  laisser  quelques  instants 
pour  prier.  Quand  elle  eut  achevé  sa  prière,  un  enfant  parut  tout  à  coup 
portant  dans  un  linge  trois  fruits  de  la  plus  grande  beauté  et  trois  roses.  Elle 
dit  à  cet  enfant  :  Portez,  je  vous  en  prie,  ceci  à  Théophile,  et  dites-lui  de 
ma  part  :  «Voici  ce  que  tu  m'as  demandé  de  t'envoyer  du  jardin  de  mon 
époux».  Aussitôt  elle  fut  frappée  du  glaive,  et  avec  la  palme  du  martyre 
elle  alla  rejoindre  le  Christ. 

En  ce  moment  Théophile,  procureur  du  juge,  racontait  en  riant  à  ses 
compagnons  la  promesse  de  Dorothée.  Il  parlait  encore,  tournant  en  plai- 
santerie la  promesse  de  la  vierge,  lorsque  tout  à  coup  l'enfant  se  présente 
devant  lui,  portant  dans  un  linge  les  trois  beaux  fruits  et  les  roses  épanouies. 
11  dit  à  Théophile  :  «  Voici  ce  que  sur  ta  demande,  Dorothée,  vierge  très- 
sainle,  t'avait  promis  ;  elle  te  l'envoie  du  jardin  de  son  époux  ». 

Théophile,  en  recevant  ce  présent,  s'écria  :  «  Le  Christ  est  le  Dieu  véri- 
table, et  le  mensonge  n'est  pas  en  lui  ».  Les  autres  avocats  lui  dirent  :  «  Es- 
tu  fou,  Théophile,  ou  plaisantes-tu?  »  —  «  Je  ne  suis  point  fou,  et  je  ne 
raille  pas  ;  mais  c'est  d'une  manière  raisonnable  que  je  crois  Jésus-Christ 


SAINTE  DOROTHÉE,  DE  CÉSARÉE  EN  CAPPADOCE,  VIEROE.'        327 

vrai  Dieu  •>.  —  «  Quel  motif  t'a  donc  engagéàrexclamationque  tu  viens  de 
faire  ?»  —  «  Uiles-moi ,  en  quel  mois  sommes-nous  ?»  —  «  En  février  » .  — 
«  Un  froid  glacial  règne  dans  toute  la  Cappadoce,  et  tous  les  arbres  sont 
dépourvus  même  de  leurs  feuilles  ;  d'où  pensez-vous  donc  que  viennent  ces 
roses  et  ces  beaux  fruits  avec  le  feuillage  qui  les  accompagne  ?»  —  «  Pas 
même  dans  la  saison  des  fleurs,  nous  n'en  avons  vu  de  semblables  ». 
Théophile  leur  répondit  :  «  Moi-môme  que  vous  voyez,  j'adressais  par 
dérision  la  parole  à  Dorothée,  au  moment  où  elle  marchait  au  supplice. 
Comme  elle  me  semblait  folle  de  parler  de  son  époux  le  Christ,  et  du  Para- 
dis où  elle  se  rendait,  j'ai  insulté  à  ce  qui  me  paraissait  sa  folie,  et  je  lui  ai 
dit  :  Lorsque  tu  seras  arrivée  au  jardin  de  ton  époux,  envoie-moi  des  roses 
et  des  fruits.  Elle  m'a  répondu  :  Je  le  ferai  certainement.  A  peine  a-t-elle 
eu  souffert  la  mort  pour  le  nom  du  Christ,  que  tout  à  coup  voici  venir  à 
moi  un  enfant  d'une  beauté  merveilleuse,  mais  petit  de  taille;  il  me  sem- 
blait, en  effet,  n'avoir  pas  plus  de  quatre  ans  ;  à  peine  si  je  l'aurais  cru 
capable  de  parler.  Cet  enfant  m'a  touché  le  côté,  je  me  suis  détourné  pour 
le  voir;  alors  il  m'a  tiré  à  part,  et  m'a  parlé  dans  un  si  gracieux  langage, 
qu'en  sa  présence  je  semblais  n'être  plus  qu'un  paysan.  Il  m'a  présenté  ce 
linge  avec  ces  fruits  et  ces  roses,  et  il  m'a  dit  :  Dorothée,  vierge  très  sainte, 
t'envoie  ces  présents  du  jardin  de  son  époux,  comme  elle  te  l'avait  promis 
sur  ta  demande.  En  recevant  ce  présent,  j'ai  poussé  un  cri  d'émotion,  et 
l'enfant  a  disparu  :  je  ne  doute  pas  qu'il  ne  soit  un  Ange  de  Dieu  ».  Après 
avoir  dit  ces  paroles,  Théophile  s'écria  :  «  Heureux  ceux  qui  croient  au 
Christ  et  qui  souffrent  pour  son  nom  !  Il  est  le  vrai  Dieu  :  et  quiconque  met 
sa  confiance  en  lui  possède  la  vraie  sagesse  ». 

Comme  il  disait  ces  paroles  et  d'autres  semblables,  quelques-uns  allèrent 
trouver  le  gouverneur  et  lui  dirent  :  «  Votre  procureur  Théophile,  qui  jus- 
qu'ici parlait  contre  les  chrétiens  et  les  poursuivait  à  mort,  crie  maintenant 
devant  les  portes  du  palais,  louant  et  bénissant  le  nom  de  je  ne  sais  quel 
Jésus-Christ,  et  beaucoup  cruient  en  ses  paroles  ».  Aussitôt  le  gouverneur  se 
le  fit  amener.  Dès  qu'il  l'ut  introduit,  il  lui  dit  :  «  Quels  discours  tiens-tu 
au  dehors  ?»  —  «  Je  louais  heureusement  le  Christ,  que  jusqu'aujourd'hui 
j'avais  malheureusement  blasphémé  ».  —  «  J'admire  qu'un  homme  de  ta 
prudence  ait  voulu  même  prononcer  ce  nom,  toi  qui  jusqu'ici  as  persécuté 
ceux  qui  le  confessent  ».  —  «  Cette  conduite  fait  voir  que  c'est  le  vrai  Dieu 
qui  m'a  converti  de  l'erreur  à  la  voie  droite,  et  m'a  fait  reconnaître  que  lui- 
même  est  le  vrai  Dieu  ». 

—  H  Les  hommes,  pour  l'ordinaire,  avancent  en  sagesse  avec  les  années; 
mais  toi,  te  voilà  tout  d'un  coup  devenu  insensé,  lorsque  tu  appelles  Dieu 
celui  que  les  chrétiens  eux-mêmes  t'apprennent  avoir  été  crucifié  par  les 
Juifs  ».  —  «  J'ai  entendu  dire,  en  effet,  que  Jésus  a  été  crucifié;  et  dans  mon 
erreur,  je  ne  pensais  pas  qu'il  fût  Dieu;  chaque  jour  je  blasphémais  son 
nom  :  maintenant  je  me  repens  de  mes  crimes  passés  et  de  mes  blasphèmes, 
et  je  confesse  sa  divinité  ».  —  o  Où  donc  et  quand  es-tu  devenu  chrétien,  toi 
qui  jusqu'ici  a  sacrifié  ?  —  «  Du  moment  où  j-'ai  confessé  le  Christ  et  ai 
cru  en  lui,  je  me  suis  senti  chrétien.  Ainsi,  croyant  de  tout  mon  cœur  au 
Christ,  Fils  de  Dieu,  je  prêche  son  vrai  nom,  son  saint  nom,  son  nom  im- 
maculé, son  nom  qui  n'est  ni  mensonge  ni  imposture  comme  le  sont  les 
idoles  ». 

—  «  L'imposture  règne  donc  dans  nos  dieux  ?»  —  «  Comment  l'impos- 
ture ne  règnerait-elle  pas  dans  ces  simulacres  que  l'homme  a  fabriqués  avec 
du  bois,  qu'il  a  jetés  en  fonte,  qu'il  a  limés  avec  l'acier,  dont  il  a  affermi  les 


328  6  FÉvwKtti 

bases  avec  du  plomb,  que  les  chouettes  touchent  familièrement,  que  les 
araignées  couvrent  de  leurs  toiles,  et  dont  l'intérieur  est  souvent  rempli  de 
rats  et  de  souris  ?  Je  veux  bien  être  un  menteur,  si  ce  que  je  dis  est  dénué 
de  fondement.  Mais  comme  je  ne  mens  pas,  il  est  juste  que  tu  reconnaisses 
la  vérité,  et  que  tu  détournes  ton  cœur  de  la  fausseté.  11  convient  que  toi, 
qui  es  établi  pour  juger  ceux  qui  commettent  l'imposture,  tu  te  sépares  du 
mensonge,  et  que  tu  recherches  la  vérité  qui  est  dans  le  Christ  ».  —  «  Nos 
dieux  ne  sont  donc  pas  des  dieux  vivants  ?»  —  «  Les  idoles  sont  sans  intelli- 
gence ;  mais  l'intelligence  de  Dieu  est  invisible.  Tes  dieux  ont  besoin  qu'on 
les  garde  ;  le  nôtre  garde  tous  les  êtres.  S'il  n'en  est  pas  ainsi,  c'est  par  la 
raison  qu'il  faut  me  convaincre  ;  si  tu  n'as  que  ton  pouvoir  contre  moi,  il 
demeure  constant  que  je  l'emporte,  du  moins  par  la  raison  ». 

—  «  Je  vois,  malheureux  Théophile,  que  tu  veux  mourir  d'une  triste  mort». 

—  «  Au  contraire,  je  désire  obtenir  une  vie  heureuse  ».  —  «  Sache  donc  que 
si  tu  persistes  dans  ta  folie,  je  te  ferai  d'abord  souffrir  divers  supplices,  et 
ensuite  je  te  condamnerai  à  une  mort  cruelle  ».  —  «  C'est  mon  désir  ». 

—  (c  II  te  faut  avoir  pitié  de  ta  personne,  de  ta  maison,  de  ton  patrimoine, 
de  tes  fils,  de  tes  parents,  et  ne  pas  te  livrer  témérairement  à  une  mort 
publique,  qui  n'est  que  pour  les  fous,  les  scélérats  et  les  imprudents  ».  — 
«  C'est  le  comble  de  la  sagesse  de  savoir  maîtriser  ainsi  toutes  ses  affections, 
et  de  ne  rien  craindre  de  tous  les  supplices.  Non,  ce  n'est  pas  une  témérité 
déraisonnable,  mais  bien  une  sérieuse  réflexion  qui  me  fait  persévérer  dans 
aies  résolutions  ;  car  je  préfère  l'éternité  au  temps,  je  préfère  ce  qui  doit 
toujours  subsister  à  ce  qui  ne  fait  que  passer  ».  —  «  Tu  choisis  plutôt  les 
tourments  que  le  repos,  tu  désires  plutôt  la  mort  que  la  vie  ».  —  «  Je  crains 
les  tourments,  et  j'ai  la  mort  en  horreur;  je  crains  des  tourments  qui  ne 
finissent  point  ;  j'ai  en  horreur  une  mort  qui  consiste  dans  des  peines  éter- 
nelles. Les  supplices  que  tu  peux  me  faire  endurer  finiront  au  bout  de  quel- 
ques instants  ;  mais  ceux  qui  sont  destinés  aux  adorateurs  des  idoles  ks  tour- 
menteront bien  plus  cruellement,  aussitôt  après  leur  mort,  et  ils  ne  cesseront 
jamais  ». 

—  «  Qu'on  étende  sur  le  chevalet  Théophile,  ce  beau  parleur  :  peut-être 
la  violence  des  tortures  fera  tarir  sa  vaine  éloquence  ».  Dès  que  le 
martyr  fut  suspendu  sur  le  chevalet,  il  s'écria  :  «  Me  voici  vraiment  chrétien, 
car  je  suis  suspendu  à  la  croix  (en  effet,  le  chevalet  a  quelque  rapport  de 
forme  avec  la  croix)  ;  ô  Christ  »,ditencore  le  martyr, «jevous rends  grâces  de 
ce  que  vous  avez  permis  que  je  sois  attaché  à  l'instrument  de  votre  mort  ». 

—  «  Malheureux,  aie  pitié  de  ta  chair  ».  —  «  Malheureux,  aie  pitié  de  ton 
âme.  Pour  moi,  je  ne  veux  pas  épargner  dans  le  temps  la  chair  de  mon  corps, 
afin  que  Dieu  épargne  mon  âme  dans  l'éternité  ».  Le  gouverneur,  transporté 
de  rage,  lui  fit  déchirer  les  côtés  avec  des  ongles  de  fer,  et  brûler  les  flancs 
avec  des  torches  ardentes.  Au  milieu  de  ces  tortures,  Théophile  ne  disait  autre 
chose,  si  ce  n'est  :  «  Je  vous  confesse,  ô  Christ,  Fils  de  Dieu  ;  daignez  m'ad- 
mettre  au  nombre  de  vos  Saints  »;  et  il  montrait  sur  son  visage  un  courage 
intrépide,  au  point  qu'on  eût  dit  que  Ce  n'était  pas  lui  qu'on  tourmentait. 

Cependant  les  bourreaux  eux-mêmes  se  lassèrent,  et  l'impie  gouverneur 
dicta  ainsi  la  sentence  :  «  Que  Théophile,  qui  jusqu'ici  a  sacrifié  aux  dieux 
immortels,  et  qui,  après  les  avoir  adorés,  a  abjuré  leur  culte  pour  se  joindre 
à  la  secte  des  chrétiens,  ait  la  tête  tranchée  :  nous  l'ordonnons  ».  Théophile 
dit  :  «  0  Christ,  je  vous  rends  grâces  !  »  et  il  marcha  plein  de  joie  à  la  cou- 
ronne de  l'éternelle  vocation.  Ouvrier  de  la  onzième  heure,  il  mérita  une 
récompense  égale  à  celle  qui  fut  donnée  aux  ouvriers  de  la  première. 


SAINT  VAAST,  ÉVÉÛUE  DE  CAMBRAI  ET  d'aRRAS.  329 

On  a  représenté  sainte  Dorothée  assise  aux  pieds  de  la  Sainte  Viei'ge  qui 
tient  l'Enfant  Jésus.  D'une  main  elle  tient  une  branche  de  marguerite  ;  de 
l'autre,  l'anse  d'un  panier  tressé  en  joncs  dans  lequel  se  trouvent  des  fleurs 
et  des  fruits.  Sa  tête  est  couronnée  de  roses'.  D'autres  fois  on  met  le  panier 
de  fleurs  dans  la  main  de  l'ange  chargé  de  les  porter  à  Théophile,  et  alors 
le  Messager  céleste  se  tient  à  côté  de  la  Sainte.  Le  pinceau  de  Rubens  s'est 
exercé  sur  cette  illustre  vierge  '.  Sainte  Dorothée  est,  en  certains  pays,  la 
patronne  des  brasseurs,  des  jeunes  époux  et  des  jardiniers  fleuristes. 

RELIQUES  DE  SAINTE  DOROTHÉE. 

Le  crâne  et  quelques  autres  parties  des  ossements  de  cette  Sainte  sont  réunis  dans  un  reli- 
quaire appartenant  à  l'une  des  églises  de  Breslau;  c'est  probablement  la  présence  de  ces  reliques 
qui  a  rendu  le  nom  de  Dorothée  si  populaire  en  Allemagne.  11  y  est  prodigué,  mais  n'a  rien  perda 
de  sa  poésie.  Les  plus  beaux  génies  de  cette  contrée  l'ont  immortalisé  dans  leurs  vers. 

Mais  c'est  Rome  qui  a  le  bonheur  de  posséder  la  plus  grande  partie  des  reliques  de  cette  gra- 
cieuse Sainte  dans  l'église  qui  lui  est  dédiée  :  là.  tous  les  ans,  le  6  février,  jour  de  sa  fête,  on  bénit 
des  pommes  en  mémoire  du  miracle  auquel  saint  Théophile  dut  sa  conversion. 

Il  y  a  encore  des  fragments  des  reliques  de  sainte  Dorothée  à  Bologne,  à  Lisboime,  à  Prague, 
i  Sirk.  Enfin  il  y  en  avait  aussi  à  Arles,  en  Provence,  dans  l'église  Saint-Honorat  hors  des  Murs. 

On  nous  écrivait  de  cette  deruière  ville  le  3  août  1858  : 

«  L'église  de  Saint-Honorat,  vulgairement  appelée  Notre-Dame-de-Grâce,  sitnée  hors  des  murs  de 
notre  ville,  et  au  moment  de  la  Révolution  encore  occupée  par  les  Pères  Minimes,  fut  alors  dévas- 
tée, ainsi  que  le  couvent  y  attenant,  et  dont  il  ne  reste  plus  qu'une  petite  partie.  Cette  église,  dont 
les  ruines  sont  remarquables  sous  le  rapport  de  l'antiquité  et  par  leur  situation  au  milieu  d'un  an- 
cien cimetière,  païen  d'abord,  chrétien  ensuite,  n'a  pas  encore  été  rendu  au  culte  ;  elle  est  cepen- 
dant chaque  jour  visitée  par  un  grand  nombre  de  voyageurs,  et  surtout  par  les  amateurs  d'archéolo- 
gie. Nous  n'avons,  à  Arles,  aucune  relique  de  Saint-Honorat.  Ces  reliques  ne  peuvent  pas  non  plus 
se  trouver  à  Lérins,  dont  le  célèbre  monastère  a  été,  depuis  bien  des  années,  acheté  par  un  protes- 
tant   Nous  n'avons  plus  aucune  relique  de  sainte  Dorothée.  » 

L'église  de  la  Trinité,  aujourd'hui  cathédrale  de  Laval,  possède  une  belle  relique  de  saint 
Honorât  d'Arles  '. 

Les  actes  qu'on  vient  de  lire  ont  été  textuellemeot  empnintés  aux  Bollandistes.  Sainte  Dorothée  est 
Dommée  par  Bède,  Usnard,  Adon  et  les  autres.  Bède  ajoute  Chrétienne  et  Calliste.  Un  hymne  du  bréviaire 
de  Tolède  célèbre  la  gloire  de  Dorothée  et  de  ses  compagnes.  Adelme  donne  ses  Actes  an  long  dans  le 
livre  De  l'éloge  de  la  virginité.  Thomas  à  Kempis  a  composé  son  panégjTiqae. 


SAINT  YAAST  *,  EVÊQUE  DE  CAMBRAI  ET  D'AERAS 

MO.  —  Pape  :  Vigile.  —  Roi  de  France  :  Childebert  I". 

La  grâce  de  Dlen  n'a  pas  été  stérile  en  moi. 
/  Cor.,  XV,  10. 

La  famille  et  la  patrie  de  saint  Vaast  ont  été  longtemps  inconnues.  L'opi- 
nion la  plus  probable  est  qu'il  naquit  à  Villac,  qui  est  auj  ourd'hui  une  paroisse 
de  Périgord,  près  de  Terrasson.  L'église  paroissiale  lui  est  dédiée,  et  une  fon- 

1.  Le  Père  Cahier  a  reproduit  cette  façon  de  représenter  la  Sainte  dans  son  remarquable  ouvrage  des 
Caracléristiques  des  Saints,  p.  417  (Ponssielgue,  Paris,  1867),  d'après  une  peinture  exécutée  k  la  sacristie 
d'Aix-la-Chapelle  avant  que  le  goût  italien  de  la  Renai-sance  eût  gâté  la  bonhomie  des  peintres  allemands. 

2.  On  voit  au  Musée  de  Bruxelles  une  curieuse  gravure  en  bois,  sans  nom  d'artiste,  portant  la  date  do 
1418,  relative  à  sainte  Dorothée,  dont  le  .Magasin  pittoresque  a  donné  nue  réduction,  t.  xiii,  p.  395,  et  U 
Berne  archéologique  de  Paris,  t.  l",  p.  610,  l'explication. 

3.  Nous  devons  ce  renseignement  à  D.  PioUn,  auteur  de  la  savante  Histoire  de  l'église  du  Mans, 
10  vol.  ln-8o. 

4.  Le  nom  primitif  latin  Vedastus  a  d'abord  été  abrégé  de  cette  façon  ;  Veast.  Ce  n'est  que  plus  tard 
qu'on  l'a  transformé  en  Vaast.  On  en  a  fait  aussi  Gaston,  nom  encore  usité  de  nos  jours.  —  Cardevacque 
et  Terolnck,  t' Abbaye  dt  Satnt-Vaast ;  Arras,  1866,  3  vol.  in-4o. 


330  6  FÉVRIER. 

laine  porte  son  nom  '.  Celui  qui  ilevait  être  le  catéchiste  de  Clovis.se  retira 
dans  la  ville  de  Toul,  après  avoir  quitté  sa  famille  et  l'opulent  héritage  de 
ses  pères.  Là,  il  vécut  solitaire  jusqu'à  ce  que  ses  vertus  le  faisant  connaître, 
l'évoque  du  lieu  le  lit  entrer  dans  son  clergé. 

Quelques  années  après  que  Clovis,  premier  du  nom,  eut  conquis  le  pays 
de  Thuringe,  les  Allemands  et  les  Bavarois  sortirent  de  leur  pa5's  pour 
venir  fondre  sur  les  Gaules,  afin  d'étoulfer,  s'ils  pouvaient,  la  monarchie 
française  dans  sa  naissance.  Cela  obligea  Clovis  de  les  prévenir  et  d'aller  au- 
devant  d'eux  avec  un  courage  intrépide  ;  en  ell'et,  il  les  battit  auprès  de  la 
ville  de  Cologne,  à  Tolbiac,  maintenant  Zulpich.  Mais  la  victoire  fut  long- 
temps indécise,  elle  semblait  même  pencher  du  côté  de  l'ennemi  :  le  roi  leva 
les  yeux  au  ciel  et,  se  souvenant  des  saints  avis  que  la  reine  Clotilde,  son 
épouse,  lui  avait  donnés  touchant  le  christianisme,  il  s'écria  :  «  0  Jésus- 
Christ,  que  Clotilde  dit  être  Fils  du  Dieu  vivant,  je  vous  appelle  à  mon  aide, 
et  si  vous  me  donnez  la  victoire,  je  croirai  en  vous  et  me  ferai  baptiser  ».  A 
peine  eut-il  fait  ce  vœu,  que  Dieu,  qui  voulait  bénir  ce  prince  et  les  Francs, 
ses  sujets,  en  les  rendant  chrétiens  et  en  détruisant  parmi  eux  le  paganisme 
et  l'arianisme,  changea  la  face  de  la  bataille  et  rendit  victorieux  ceux  qui 
semblaient  être  vaincus.  Les  Francs  reprirent  courage  et  arrachèrent  le 
triomphe  aux  mains  des  Allemands,  qui  perdirent  leur  roi  en  ce  combat 
et  furent  enfin  contraints  de  se  soumettre  aux  lois  de  Clovis  et  de  devenir 
ses  tributaires. 

Le  roi,  revenant  victorieux  de  la  guerre  d'Allemagne,  passa  par  la  ville 
de  Toul  et  y  trouva  notre  Saint,  que  les  habitants  regardaient  comme  un 
homme  du  ciel  à  cause  de  sa  vie  tout  angélique.  Il  le  supplia  de  l'accompa- 
gner jusqu'à  Reims,  afin  de  le  mieux  instruire  du  baptême  des  chrétiens, 
qu'il  voulait  y  recevoir  avec  solennité.  Le  Saint  fut  très-heureux  d'avoir 
celte  occasion  d'instruire  le  roi  sur  les  mystères  de  l'adorable  Trinité,  parti- 
culièrement sur  la  consubstantialité  des  trois  personnes  divines  en  l'unité 
d'essence,  contre  les  erreurs  des  Ariens,  dont  la  princesse  Lan  tilde,  sa  sœur, 
était  infectée.  Et  Dieu,  pour  confirmer  la  parole  de  son  serviteur  par  des 
signes  et  des  miracles,  permit  que,  passant  par  le  village  do  lUUy,  sur  la 
rivière  d'Aisne,  il  rendît  la  vue  à  un  aveugle  en  présence  du  roi  :  ce  qui  fit 
ouvrir  les  yeux  de  l'âme  à  une  infinité  de  personnes  nobles  qui  s'y  rencon- 
trrncnt.  Enfin,  le  roi  Clovis  se  fit  baptiser  solennellement  à  Reims.  Saint 
Rémi,  qui  fit  cette  cérémonie,  avant  de  répandre  sur  lui  l'eau  salutaire,  lui 
dit  ces  paroles  :  «  Ployez  le  cou,  ô  Sicaml)re,  sous  le  joug  de  Jésus-Christ; 
adorez  ce  que  vous  avez  brûlé,  et  brûlez  ce  que  vous  avez  adoré  ».  Le  saint 
évêque  entendait  par  là  les  temples  des  chrétiens  qu'il  avait  brûlés,  et  les 
idoles  qu'il  avait  adorées  étant  païen.  Le  roi  répondit  distinctement  selon 
l'instruction  de  saint  Vaast,  son  catéchiste  :  «  J'adore  le  vrai  Dieu,  qui  est 
le  Père,  le  Fils  et  le  Saint-Esprit  ».  A  quoi  trois  mille  nobles  Francs  qui 
devaient  être  baptisés  après  lui,  ajoutèrent  :  «  Nous  détestons  les  dieux  mor- 
tels, et  nous  sommes  prêts  à  servir  le  Dieu  immortel  ». 

Clovis,  en  quittant  Reims,  recommanda  Vaast  à  saint  Rémi,  et  ce  saint 
évêque  s'en  servit  utilement  pour  l'entière  conversion  do  ses  diocésains, 
car  il  l'envoya  dans  les  villages  pour  y  catéchiser  le  peuple  *.  Enfin,  Dieu 

1.  Nous  devons  ce  renseignement  inédit  au  B.  P.  Caries,  missionnaire  aa  calvaire  de  Toulouse.  29  fé- 
wler  1872. 

2.  Nous  lisons  dans  le  Trésor  sacré  de  la  cathédrale  d'Arras,  les  paroles  suivantes  :  u  On  dit  que  Vaast, 
penilant  son  sdjour  à  Reims,  fut  notnmc?  architliacre,  et  son  nom  fi^^ui-o  avec  cotte  dignité  dans  un  cata- 
logue des  officiers  de  cette  KjîIîbc  dreit!*é  par  un  Bénédictin.  Aprts  celle  des  arciievûques,  cette  dignité 
était  la  plus  importante.  Les  arcliiiiijicres,  qu'on  appelle  les  yeux  des  prélats,  étaient  ..barges  des  visites 


SAINT  VAA.ST,  ÉVÉOUE  DE  CAMBR.VI   ET  D* AURAS.  33! 

inspirji  au  mCiue  Saint,  qui,  connue  apôlre  des  Francs,  avait  pouvoir 
d'élablir  de  nouveaux  évêchés,  de  le  sacrer  évêque  d'Arras,  capitale  de 
l'Artois.  Il  s'agissait  d'évangéliser  un  pays  presque  entièrement  idolâtre. 
La  ville  d'Arras  avait  bien  autrefois  recula  lumière  de  l'Evangile,  du  temps 
de  la  domination  romaine.  Mais  cette  église  avait  été  fort  maltraitée  en  406, 
par  les  Vandales  et  les  Alains,  et  plus  tard  presque  entièrement  détruite  par 
Attila,  qui  avait  ravagé  la  Gaule  en  450  et  l'année  suivante.  Dieu  autorisa  la 
mission  de  saint  Vaast  par  la  guérison  miraculeuse  d'un  aveugle  et  d'un 
boiteux  qu'il  rencontra  en  entrant  dans  la  ville.  Mais  il  fut  bien  affligé  lors- 
qu'il vit  le  paganisme  rétabli  sur  les  ruines  de  notre  religion.  Une  découvrit 
aucune  trace  du  culte  du  vrai  Dieu,  que  dans  la  mémoire  de  quelques 
anciens  du  pays.  Ils  lui  montrèrent  hors  de  la  ville  la  place  de  l'église  où  les 
fidèles  s'assemblaient  autrefois.  Le  Saint  gémit  ;  il  pleura  en  voyant  ces  lieux 
autrefois  sacrés,  maintenant  couverts  de  ronces  et  devenus  la  retraite  des 
bètcs  sauvages.  «  Ces  malheurs  »,  s'écriait-il  en  s'adressant  à  Dieu,  «  nous 
sont  arrivés  parce  que  nos  pères  et  nous,  vous  avons  offensé  ;  nos  injus- 
tices et  nos  iniquités  nous  ont  attiré  votre  colère.  Mais  présentement,  Sei- 
gneur, souvenez-vous  de  votre  miséricorde  et  oubliez  les  crimes  de  vos  pau- 
vres serviteurs!  »  Pendant  que  l'Apôtre,  à  genoux,  priait  pour  la  ville, 
plongée  dans  l'esclavage  du  démon,  un  ours  sortit  de  ces  tristes  ruines. 
Vaast,  plein  de  confiance  en  Dieu,  ne  fut  point  troublé  :  il  conjura  l'animal, 
au  nom  du  ciel,  de  se  retirer  dans  les  bois  et  de  ne  plus  repasser  la  rivière 
de  la  Scarpe.  L'ours  ne  reparut  jamais.  En  ce  même  endroit,  il  découvrit 
les  restes  d'un  autel  dédié  à  la  sainte  Vierge.  A  cette  vue  son  cœur  sura- 
bonda de  joie,  et  il  espéra  que  sous  les  auspices  de  la  Mère  de  Dieu  à  qui 
cette  contrée  semblait  consacrée,  il  rétablirait  en  peu  de  temps  le  règne  de 
Jésus-Christ;  aussitôt  il  se  met  en  devoir  de  bâtir  une  église  qu'il  plaça  sous 
la  protection  de  la  sainte  Vierge  adoptée  dès  lors  pour  patronne  du  diocèse 
d'Arras  et  de  Cambrai. 

Les  merveilles  qu'il  opérait,  la  guérison  des  malades,  l'expulsion  des 
mauvais  esprits,  le  changement  de  l'eau  en  vin,  lui  furent  d'un  grand 
secours  pour  abolir  le  paganisme.  Il  y  réussit  à  un  tel  point  qu'il  est  consi- 
déré comme  un  des  apôtres  de  l'Artois.  Que  ne  fll-il  pas  pour  gagner  des 
âmes  à  Jésus-Christ  ?  Respectueux  envers  les  vieillards,  affable  avec  la  jeu- 
nesse, paternel  pour  les  enfants,  il  ne  refusait  même  pas  de  se  trouver  à  des 
festins,  pour  faire  goûter  plus  facilement  la  nourriture  céleste,  la  parole  de 
Dieu. 

Sous  le  règne  de  Clotaire  qui,  à  toutes  les  passions  violentes  du  barbare, 
unissait  le  sentiment  religieux,  les  Francs,  s'initiant  de  plus  en  plus  aux  insti- 
tutions et  aux  habitudes  romaines,  perdaient  de  leur  humeur  guerrière,  et 
passaient  de  longs  jours  en  festins  bruyants  et  en  orgies  abrutissantes.  C'était 
un  besoin,  un  luxe  indispensable  ;  la  cervoise,  cette  boisson  fermentée  dont 
la  bière  nous  rappelle  le  souvenir,  coulait  à  flots,  et  souvent  après  un  festin 
oïl  rien  n'avait  été  ménagé,  les  convives  ne  pouvaient  supporter  leur  corps 
affaibli  par  l'ivresse. 

paroissiales;  Ils  devaient  s'assnrer  de  l'entretien  des  ornements  de  l'aatel,  de  la  garde  des  titres  conflr- 
matifs  dea  droits  et  des  privilèges  des  fellses,  de  la  distribution  des  aumônes  aux  pauvres.  A  eux  appar- 
tenaient l'installation  des  abbés  et  dignitaires  eccle'shistiques,  l'esamen  des  clercs  qui  se  disposaient  à 
recevoir  les  ordres,  l'explication  des  fêtes  de  l'anne'e  et  de  l'office  divin,  et  surtout  la  risitô  des  prisons  à 
l'éponne  de  certaines  solennite's.  On  voit  quelle  responsabilité  s'attachait  à  ces  fonctions;  aussi  quelques 
auteurs  n'hésitent  point  ^  donner  aux  archidiacres  le  nom  de  choie'vêqnes.  Nous  n'oserions  toutefois 
aiUrmer  que  Vaast  ait  été  revêtu  de  cette  dignité:  mais  ce  fait  n'aurait  rien  d'étonnant,  car  Rémi  l'ap- 
pelait son  vicsire,  m'eariœ  sollicitudinis  cooperarius.  (M.  l'abbé  Van  Drivai,  Trésor  sacré  d»  la  cat/tédrale 
d'Atras,  p.  âS.) 


•W2  6  FÉVUTEIl. 

Ocine,  un  des  principaux  leudes  ou  seigneurs  du  pays,  et  qui  avait  beau- 
coup de  respect  pour  Vaast,  se  distinguait  par  sa  magnificence  dans  les 
festins  et  par  ses  libéralités.  Un  jour  qu'il  devait  recevoir  Clotaire  à  sa  table, 
il  fit  une  invitation  pressante  au  saint  évêque  pour  qu'il  y  assistât  avec  le 
roi.  Vaast,  inspiré  de  Dieu  et  désireux  de  mettre  fin  à  d'aussi  scandaleuses 
coutumes,  se  rendit  au  désir  d'Ocine. 

Selon  son  habitude,  il  fit,  en  pénétrant  dans  la  salle,  le  signe  de  la  croix, 
et  les  vases  remplis  de  cervoise  se  rompirent.  Effraj'ésde  ce  prodige,  Clotaire 
et  les  seigneurs  de  sa  suite  en  demandèrent  l'explication  à  Vaast  ;  il  leur 
répondit  que  le  démon,  subtil  à  tromper  les  hommes,  s'y  était  renfermé, 
mais  ne  pouvant  supporter  le  signe  de  la  puissance  de  Dieu,  il  avait  dû  fuir 
honteusement,  et  qu'il  avait  abandonné  cette  maison,  tandis  que  la  liqueur 
se  répandait. 

A  cette  époque,  et  pendant  longtemps  encore,  les  chrétiens  avaient  re- 
cours à  des  cérémonies  superstitieuses  et  occultes  :  ils  consultaient  les 
augures,  croyaient  aux  charmes  et  quelquefois  même  payaient  de  fortes 
sommes  d'argent  pour  se  venger  de  leurs  ennemis  par  des  enchantements. 
Ce  miracle,  qui  eut  lieu  en  présence  des  plus  illustres  seigneurs  de  la  Gaule 
franque,  montra  la  vanité  de  ces  formules,  la  grandeur  d'un  Dieu  qui  accorde 
un  semblable  pouvoir  à  ses  serviteurs,  et  ramena  à  la  pureté  de  la  foi  un  grand 
nombre  de  personnes  présentes.  Le  bruit  s'en  répandit  aussi  dans  le  pays  et 
y  augmenta  le  nombre  des  conversions. 

Pour  donner  plus  d'étendue  aux  travaux  apostoliques  de  saint  Vaast, 
saint  Rémi  le  chargea,  en  510,  du  soin  de  gouverner  le  diocèse  de  Cambrai, 
alors  fort  vaste,  et  cette  union  des  sièges  d'Arras  et  de  Cambrai  dura  long- 
temps. Ils  ne  furent  séparés  que  vers  la  fin  du  xi"  siècle  '. 

Comme  l'Artois,  le  Beauvaisis  avait  été  dévasté  par  les  Barbares  :  le  saint 
Pontife  visita  cette  contrée,  releva  les  églises,  rassembla  les  fidèles  dispersés, 
ordonna  des  prêtres,  fonda  des  hôpitaux.  Suivant  une  vénérable  tradition, il 
opéra  dans  le  Beauvaisis  plus  de  prodiges  que  dans  son  propre  diocèse. 

Saint  Rémi  était  arrivé  à  l'âge  de  quatre-vingt-quatorze  ans  ;  il  avait 
puissamment  aflermi  la  foi  chrétienne,  fondé  des  églises,  enrichi  les  monas- 
tères, converti  des  ariens  et  des  idolâtres,  et  guidé  Qovis  de  ses  conseils. 
Avant  de  quitter  cette  terre,  il  résolut  de  consigner  ses  dernières  volontés, 
et  il  écrivit  un  testament  témoin  de  sa  piété  et  de  ses  libéralités.  L'église 
d'Arras  y  eut  part,  car  il  lui  abandonna  les  villages  de  Souchez  et  d'Ourton, 
et  en  outre  vingt  sous  d'or.  Vaast  figure  parmi  ceux  qui  ont  signé  cet 
acte  important  ;  son  nom  vient  après  celui  de  saint  Rerai,  et  voici  la  formule 
dont  il  se  sert  :  «  Ceux  qu'a  maudits  mon  père  Rémi,  je  les  maudis  ;  ceux 
qu'il  a  bénis,  je  les  bénis.  J'ai  assisté  à  la  lecture  de  cet  écrit,  et  j'y  ai  ap- 
posé ma  signature  ». 

Vaast  était  mûr  pour  le  ciel.  Son  corps  s'était  afTaibli  sous  le  poids  de 
l'âge  et  des  fatigues.  Son  âme  s'était  épurée  par  quarante  années  d'un 
épiscopat  fécond  en  vertus  et  en  actions  généreuses.  Dieu  permit  que 
Vaast  s'éteignît  dans  cette  cité  d'Arras  pour  laquelle  il  avait  tout  fait.  Une 

1.  Tons  ces  efiforts  d'un  dévouement  que  Von  ne  saurait  assez  admirer  sont  ensevelis  dans  Tonbli  :  à 
peine  quelques  souvenirs  épars  ont-ils  survécu  dans  la  mémoire  des  peuples.  La  ville  de  Béthune  attribua 
au  saint  évêque  la  fondation  de  l'église  située  dans  le  faubourg  do  Catorive,  et  qui  porte  toujours  son 
nom.  D'après  le  témoignage  de  Sanderus.  on  trouverait  des  traces  de  son  apparition  k  Estaires.  bien  que 
ce  pays  dépendit  du  diocfese  de  Thérouuniie,  encore  privé  de  pasteur  à  cette  époque,  n  cite  un  ancien  Mart;»- 
rologe  Morin.  Sanctologus  vêtus  Afùrinfiisis,  dans  lequel  on  lit  ces  mots  au  si.'tibme  jour  des  calendes  de 
Jum  :  «  /n  Elit  terra,  Covordo  vico  (E.'itairesJ,  Memoria  Sancti  VVrfas/i  qui  allare  ibi  consecrnvil  et  rfli- 
quioi  sonctorum  imposuit  n.  Le  paironage  de  saint  Vaast,  sous  lequel  est  placée  cette  église,  semble  con- 
firmer cette  tradition  respectable. 


I 


SADiT  VAAST,   ÉVÈOrE  DE   CAMBRAI  ET  D'aRRAS.  333 

fièvre  ardente  le  dévorait,  et  ses  serviteurs  refusaient  de  croire  que  sa  fin 
fût  prochaine.  Dans  une  froide  nuit  d'hiver,  au  moment  où  le  givre  couvre 
la  terre  et  que  les  étoiles  scintillent  au  ciel,  une  nuée  lumineuse  parut  sor- 
tir de  la  maison  qu'habitait  le  prélat,  et  s'éleva  jusqu'au  ciel.  Ce  prodige 
dura  deux  heures  ;  il  fut  aperçu  de  la  ville  entière  et  la  plongea  dans  une 
grande  perplexité.  Les  serviteurs  de  Vaast  vinrent  le  prévenir  ;  le  pieux 
serviteur  ne  se  fit  point  illusion  :  il  comprit  qu'il  n'avait  plus  que  peu  de 
temps  à  passer  sur  la  terre,  et  la  joie  qu'il  en  ressentit  fut  diminuée  par  la 
pensée  que  sa  mort  ferait  verser  des  larmes  à  ceux  qui  l'aimaient.  Il  résolut 
de  consacrer  à  la  prière  les  derniers  instants  que  lui  laissait  le  Seigneur.  Il 
fit  venir  les  prêtres  qui  avaient  été  les  fidèles  compagnons  de  ses  fatigues, 
ceux  qui  devaient  continuer  sa  mission,  en  un  mot  tous  ceux  à  qui  il  portait 
xme  affection  paternelle  et  que  le  chroniqueur  se  plaît  à  nommer  ses  enfants. 
Il  les  entretint  d'une  voix  ferme,  avec  cette  éloquence  qui  prend  sa  source 
dans  le  cœur  et  que  double  encore  l'impression  d'une  séparation  prochaine. 
Fortifié  par  le  Viatique,  déjà  pour  £iinsi  dire  détaché  de  la  terre,  il  trouvait 
des  accents  qui  arrachaient  les  larmes  de  tous  les  auditeurs.  C'est  ainsi  qu'il 
termina  doucement  sa  vie  et  s'endormit  paisiblement  dans  le  Seigneur,  le 
6  février  540.  On  prétendit  qu'au  moment  où  son  âme  s'élevait  au  ciel,  un 
bruit  distinct  comme  celui  du  chœur  des  anges  remplit  l'appartement  et 
prouva  que  Vaast  était  déjà  en  possession  du  bonheur  éternel. 

Les  vertus  de  l'apôtre  des  Atrébates  avaient  jeté  un  trop  vif  éclat  pour 
que  son  culte  ne  se  répandît  pas  rapidement,  et  Dieu  permit  qu'on  recueillît 
plusieurs  prodiges  opérés  par  son  intercession. 

Nous  n'en  citerons  que  deux. 

Quelque  temps  après  sa  mort,  un  incendie  éclata  à  Arras  ;  il  menaçait 
de  dévorer  une  partie  de  la  ville.  Déjà  les  flammes  entouraient  la  modeste 
demeure  où  était  mort  saint  Vaast.  Une  femme  nommée  Abite,  connue  par 
sa  piété  et  la  pureté  de  ses  mœurs,  invoqua  le  nom  du  prélat  ;  elle  le  vit 
apparaître  et  écarter  les  flammes.  Ce  qu'il  y  a  de  certain,  c'est  que 
non-seulement  l'appartement  de  Vaast,  mais  le  lit  même  où  il  avait 
rendu  le  dernier  soupir,  furent  épargnés.  Ce  nouveau  prodige  ne  fit  qu'aug- 
menter la  piété  des  habitants  envers  le  saint  prêtre  qui  leur  avait  rendu  tant 
de  services. 

Au  ix"  siècle,  la  mer  de  Bretagne  était  célèbre  par  l'abondance  des  pois- 
sons qui  s'y  trouvaient,  et  de  toutes  parts  les  couvents  y  envoyaient  leurs 
pêcheurs.  En  873  on  réclama  de  ceux  de  l'abbaye  de  Saint- Vaast  un  droit 
de  deux  sous  pour  leur  permettre  de  jeter  leurs  filets  en  même  temps  que 
les  autres  barques  déjà  réunies.  Us  refusèrent  cette  demande  que  ne  justi- 
fiait aucun  droit,  et  Os  prièrent  avec  ardeur  leur  saint  patron.  Les  barques 
sortirent  du  port,  mais  elles  furent  assaillies  par  une  tempête  si  furieuse  qu'à 
grand'peine  elles  purent  regagner  la  côte.  Celles  au  contraire  qui  s'étaient 
placées  sous  la  protection  de  l'apôtre  des  Atrébates  firent  une  pêche  abon- 
dante et  ne  coururent  d'autre  péril  que  de  sombrer  sous  le  poids  dont  elles 
étaient  chargées.  En  mémoire  de  ce  fait,  les  mariniers  de  l'Artois  payaient 
chaque  année  deux  sous  aux  religieux  du  monastère  de  Saint-Vaast. 

«  Au  moyen  âge,  on  représentait  saint  Vaast  traînant  un  ours  à  sa  suite  : 
c'est  ainsi  que  le  montrent  les  manuscrits  qui  contiennent  sa  vie,  les  tableaux 
des  artistes,  les  œuvres  des  statuaires. 

«  Une  pieuse  tradition  veut  que  saint  Vaast,  voyant  cet  animal  dans  les 
ruines  d' Arras,  lui  ait  donné  l'ordre  de  le  suivre,  et,  qu'obéissant  à  ce  com- 
mandement, il  soit  devenu  le  compagnon  fidèle  du  saint  évêque,  afin  de  mon- 


334  6  FÉVRIER. 

trer  aux  nations  encore  barbares,  la  puissance  du  Dieu  dont  il  annonçait  la 
parole,  les  inviter  à  se  soumettre  à  celui  qui  savait  commander  aux  animaux 
les  plus  féroces  et  les  rendre  souples  et  soumis  ». 

RELIQUES  DE  SAINT  VAAST.  —  TRÉSOR  SACRÉ  D'ARRAS. 

Cet  illustre  évêque  avait  choisi  sa  sépulture  dans  une  cbapelle  de  bois  qu'il  avait  fait  bitir,  sur 
le  bord  de  la  petite  rivière  de  Crinclion,  hors  de  la  ville.  C'est  là  qu'au  retour  de  ses  courses  apos- 
toliques, il  se  rendait  pour  vaquer,  comme  autrefois  à  Tout,  à  la  contemplation  des  choses  célestes. 
Mais  le  lieu  n'ayant  pas  été  trouvé  assez  magnifique  pour  un  si  grand  prélat,  on  le  porta  dans  la 
grande  église,  sa  cathédrale,  qu'il  avait  aussi  fait  construire  en  l'honneur  de  Notre-Dame. 

Ce  ne  fut  que  cent  vingt-sii  ans  après  que  ses  dernières  volontés  furent  exécutées  par  saint 
Aubert,  l'un  de  ses  successeurs  sur  le  siège  d'Arras.  Le  bienheureux  Vaast,  dit  Alcuin,  apparut  au 
pontife,  tenant  à  la  m.iia  une  baguette  avec  laquelle  il  mesurait,  à  côté  de  son  petit  oratoire,  rem- 
placement d'une  basilique.  Comprenant,  par  cette  vision,  que  saint  Vaast  lui  ordonnait  de  transporter 
ses  reliques  dans  son  oratoire,  saint  Aubert,  accompagné  de  saint  Orner,  évèque  de  Thcrouanne, 
les  y  fit  déposer  en  666,  avec  une  grande  solennité.  En  ce  même  lieu,  il  jeta  les  fondements  d'une 
ibbaye  de  Bénédictins  qui  fut  achevée  par  son  successeur  Vindicien ,  enrichie  et  dotée  pat 
Thierry  1"  ',  d'une  vaste  basilique,  et  enfin  ruinée,  comme  tant  d'autres  monuments  de  la  foi  de 
nos  ancêtres,  par  les  démolisseurs  de  93.  L'église  abbatiale  a  été  depuis  transformée  en  cathédrale, 
et  subsiste  encore  au  centre  de  la  cité  d'Arras,  comme  pour  rappeler,  dit  un  auteur,  que  cette 
pieuse  fondation  en  fnt  l'origine  et  la  gloire  -. 

Dieu  permit  que  les  restes  du  Saint  vinssent,  après  sa  mort,  proléger  le  Beauvaisis,  que  le 
PoHtife  avait  évangélisé  et  béni  pendant  sa  vie;  au  ii«  siècle,  les  religieux  de  l'abbaye  qui  portait 
son  nom  les  transférèrent  à  Eeauvais,  pour  les  préserver  de  la  foreur  sacrilège  des  Normands.  Hil- 
deman,  évèque  de  Beauvais,  et  les  fidèles  de  la  vill«,  se  rappelant  les  bienfaits  que  le  Bienheureux 
avait  prodigués  à  leurs  pères,  reçurent  ses  reliques  avec  des  sentiments  de  gratitude  de  vénération 
et  de  confiance.  Durant  l'espace  d'environ  cinquante  ans',  elles  reposèrent,  soit  dans  une  chapelle  de 
la  cité  *,  soit  dans  l'église  de  Saint-Etienne,  qui,  jusqu'au  xvili»  siècle,  porta  son  nom,  en  même 
temps  que  celui  du  premier  martyr  '.  Leur  présence  à  Beauvais  fut  signalée  par  plusieurs  miracles. 

Après  les  invasions  des  Normands,  les  religieux  du  monastère  de  Saint-Vaast  d'Arras  vinrent 
redemander  le  corps  de  leur  saint  patron.  «  Quoique  Honorai,  évêque  de  Beauvais  »,  dit  Godefroy 
Bermant,  «  ne  put  sans  peine  se  priver  des  saintes  reliques  qui  faisaient  l'ornement  de  la  ville,  U 
les  rendit  néanmoins  à  ceux  qui  les  avaient  confiées  à  l'un  de  ses  prédécesseors.  Sa  piété  le  porta 
i  accompagner  le  pieux  cortège,  une  très-grande  partie  du  chemin,  suivi  d'une  moltitude  de  fidèles, 
mêlant  leurs  hymnes  et  leurs  louanges  aux  cantiques  du  clergé  °». 

En  témoignage  de  leur  reconnaissance  pour  l'hospilalilé  que  le  corps  de  saint  Vaast  avait  reçue 
à  Beauvais,  les  religieux  d'Arras  y  laissèrent  quelques-unes  de  ses  précieuses  reliques.  Depuis  cette 
époque,  le  culte  du  Bienheorenx  fut  irès-populaire  dans  cette  contrée.  Plusieurs  paroisses  l'adop- 
tèrent pour  leur  patron;  des  pèlerinages  s'établirent  en  son  honneur;  et,  partout  où  son  nom  fut 
invoqué  avec  coûfiance,  saint  Vaast  se  plut  à  donner  des  preuves  de  son  crédit  auprès  de  Dieu. 

Dans  le  nord  de  la  France,  un  grand  nombre  d'églises  ont  été  dédiées  à  saint  Vaast.  On  compte 
dans  le  diocèse  actuel  de  Cambrai  vingt-huit  paroisses  qui  ont  Saint-Vaast  pour  patron,  huit  dans 
le  diocèse  de  Tournai  :  on  en  trouve  plus  encore  dans  celui  d'Arras.  11  y  a  encore  aujourd'hui  à 
Soissons  une  église  portant  son  nom. 

Les  Anglais  avaient  autrefois  une  grande  dévotion  à  saint  Vaast,  sous  le  nom  de  Fost«r.  Cam- 
den  prétend  même  que  c'est  de  ce  Saint  que  la  famille  de  Poster  tira  son  nom. 

Saint  Vaast  avait  à  Toul,  non  loin  de  la  cathédrale,  son  habitation,  dont  plus  tard  on  fit  une 
église,  qui  a  subsisté  jusqu'à  la  Révolution,  et  que  l'évéque  Pibon  avait  érigée  en  paroisse  au 
xi"  siècle.  A  certains  jours  de  l'année,  le  chapitre  de  Toul  y.allait  processionnellement  faire  la 
station  ''. 

Une  partie  des  reliques  du  Saint  était  restée  dans  la  cathédrale,  car  cette  église  ayant  été  brû- 
lée en  1030  et  rebâtie  ensuite,  on  trouva,  vers  l'an  1040,  sous  un  autel  qu'on  avait  détruit,  un 
bras  de  saint  Vaast,  avec  une  partie  considérable  de  sa  tête,  et  quelques  ossements  du  reste  du  corps. 

1.  Elle  devint  ea  691  le  liea  de  la  sépulture  de  ce  prince  et  de  sa  femme  Doda. 

2.  Ce  rut  il  partir  de  l'érection  de  cette  abbaye  que  ia  ville  d'Arras  prit  son  accroissement,  {^icl.  dei 
Abbayes.) 

3.  Légende  du  Bréviaire  de  Beauvais,  au  Propre. 

4.  Louvet,  HùL  cl  Antiquités  du  Seauvaiiis,  ii,  136. 

£.  En  l'année  1072,  Guy,  évêiiae  de  Beauvais,  installa  dans  cette  église  nn  cbapltre  de  clianoinea  seul 
Itovocation  de  saint  Vaait. 

6.  Godefroy  Hennant,  1.  Ul,  cb.  25.  —  7,  Note  due  3t  M.  l'abbé  Uuillaums. 


SAINT  VAAST,  ÉVÉQUE  SE  CAMBRAI  ET  D* AURAS.  335 

Un  docnment  conservé  aux  archives  générales  du  départemeat  du  Pas-de-Calais  nous  montre  les 
religieux  de  Saint-Vaast,  procédant,  au  siècle  dernier,  à  la  reconnaissance  des  retiques  de  leur 
patron.  L'ouverture  de  la  châsse  se  fit  en  présence  des  supérieurs  de  l'abbaye,  revêtus  de  surplis  et 
d'autres  insignes  de  leur  dignité.  On  alluma  des  cierges  qui  brûlèrent  aussi  longtemps  que  durèrent 
l'eiamen  des  ossements  et  la  lecture  des  titres  authentiques  ;  enfin,  un  acte  de  reconnaissance  fut 
dressé,  celui-là  même  que  nous  venons  de  mentionner. 

En  1802,  le  13  décembre,  Mgr  de  La  Tour-d'Auvergne,  évèque  d'Arras,  constata  qu'on  possédait 
encore  le  même  nombre  d'ossements  qui  avaient  été  reconnus  devant  lui  par  les  religieux  de  l'an- 
cienne abbaye  de  Saint-Vaast  d'Arras,  et  que  le  tout  était  conforme  aux  anciens  authentiques.  — 
Le  31  octobre  1804  et  le  10  juin  1805,  une  partie  des  reliques  furent  données  au  curé  de  Bailleul 
et  à  Notre-Dame  de  Saint-Omer.  Aujourd'hui  une  belle  châsse,  faite  sur  le  modèle  de  celle  des 
grandes  reliques  d'Aix-la-Chapelle,  renferme  la  plus  grande  partie  des  ossements  du  saint  évèque 
d'Arras. 

Saint  Vaast,  étant  le  principal  fondateur  de  la  religion  chrétienne  dans  l'Artois,  on  lui  a  donné 
pour  cortège  d'honneur  les  images  des  saints  évèques  les  plus  illusties  du  diocèse  actuel  d'Arras. 
C'est  à  ce  titre  qu'on  a  placé  d'abord  sur  cette  châsse  saint  Diogène,  avec  son  costume  d'évê- 
que  grec,  son  geste  de  bénédiction  à  la  manière  orientale,  et  son  nom  écrit  en  lettres  grecques 
sur  une  même  ligna  verticale.  Puis  viennent  saint  .Maxime,  l'évèque  voyageur,  le  bâton  de  pèlerin 
à  la  main,  le  patron  spécial  de  Boulogne  ;  saint  Orner,  de  Thérouanne,  avec  l'emblème  de  l'Eglise 
spirituelle  qu'il  fonda  et  l'enfant  auquel  il  rendit  la  vue  ;  saint  Aubert,  d'Arras,  avec  saint  Landelin, 
son  disciple  ;  saint  Géry,  de  Cambrai,  foulant  aux  pieds  le  monstre  de  l'idolâtrie  qu'il  terrassa;  saint 
Folquin,  de  Thérouanne,  avec  la  couronne  impériale  et  la  pourpre  déposées  près  de  lui,  indices  de 
sa  parenté  avec  Charlemagne  et  des  houneurs  qu'il  méprisa  pour  le  service  de  Jésus-Christ.  Enfin, 
saint  Huntfride  ou  Humfroy,  de  Thérouanne,  tient  le  vaisseau  allégorique  dont  lui  parla  le  grand  pape 
r^icolas  quand  il  l'exhortait  à  tenir  ferme  au  milieu  des  invasions  des  hommes  du  Nord  et  des 
mines  de  son  église  désolée,  et  saint  Vindicien  nous  rappelle  d'autres  temps  de  luttes  et  la  fonda- 
tion définilive  de  t'abbaye  de  Saint-Vaast,  qu'il  tient  à  la  main.  Toutes  ces  images  ornent  les  deux 
longs  eûtes  de  la  châsse.  Sur  les  petits  côtés  on  voit,  en  sculpture, l'image  de  saint  Vaast  lui-même, 
et  celle  de  la  Sainte  Vierge,  patronne,  depuis  toujours,  de  la  cathédrale  d'Arras,  le  cierge  mystérieux 
à  la  main. 

La  chasse  de  saint  Vaast  est  tout  entière  construite  d'après  le  système  da  xin»  siècle,  et  même 
un  peu  du  xw  siècle,  avec  pierreries,  émaux,  crêtes  ornées,  pommes  de  pin,  etc.  C'est  un  gracieux 
monument. 

Les  autres  églises  particulières  qui  possèdent  des  ossements  sacrés  de  saint  Vaast  sont  Annczin, 
près  Béthune,  Wrugles,  Vergies,  au  diocèse  d'Amiens,  Fouquières-les-Lens,  Lattre-Saint-Quenlin, 
l'hospice  civil  de  la  ville  d'Aire,  Moreuil,  au  diocèse  d'Amiens,  le  Saint-Sépulcre  à  saint  Omer,  le 
Pas,  Bienvillers-au-Bois,  le  séminaire  d'Arras,  Laventie,  Gonnehem,  Fruges,  Saint-Vaast-la-Hongue, 
va  diocèse  de  Coutances  ;  les  Bénédictines  du  Saint  Sacrement  d'Arras,  Armentières,  au  diocèse  de 
Cambrai  ;  Saint-Nicolas  d'Arras,  Saint-Pol,  Notre-Dame  de  Saint-Omer. 

Les  objets  dignes  de  vénération,  que  possède  la  ville  d'Arras,  constituent  un  des  trésors  sacrés 
les  plus  importants  de  la  France.  Outre  le  chef  de  saint  Jacques  le  Majeur,  le  chef  de  saint  Nicaise 
de  Reims  ;  le  corps  de  saint  Vindicien,  évèque  d'Arras  ;  le  chef  de  saint  Léger,  le  rochet  dont  était 
revêtu  saint  Thomas  de  Cantorbéry,  au  moment  de  son  martyre,  le  corps  de  saint  Ranulphe  et  celui 
de  son  fils,  évèque  d'Arras;  les  reliques  de  plusieurs  martyrs  de  la  Légion  thébéenne,  les  reliques 
insignes  de  saint  Willibrord,  un  voile  de  la  Sainte  Vierge,  toutes  grandes  et  insignes  reliques,  dont 
nous  parlons  en  leur  lieu,  la  ville  d'Arras  possède  en  ce  moment  (mars  1872)  diverses  reliques 
dont  voici  la  nomenclature  : 

1»  Dans  la  sacristie  de  la  Cathédrale,  sont  déposées  les  reliques  suivantes  :  Deux  reliques 
de  la  vraie  croix  ;  —  deux  os  de  saint  Berlin,  abbé  de  Sithiu  ;  —  un  os  de  saint  Vaast.  — 
2»  De  saint  François  de  Sales,  ex  carne  ;  de  saint  Charles  Borromée,  ex  prœcurdiù  et  tela 
Aiimore  !ni6«(((  :  de  saint  André,  apôtre,  ex  ossibus  ;  enfin  de  petites  reliques  de  saint  Pierre 
et  de  saint  Paul. —  3»  A  la  chapelle  de  Saint-Louis  :  un  os  de  saint  Folquin,  évèque  de  Thérouanne, 
et  deux  os  de  saint  Aubert,  évèque  d'Arras.  —  io  A  la  chapelle  de  Saint-Chnrles  :  une  relique  de 
saint  Charles,  un  os  de  saint  Firmin,  évèque  d'Amiens,  une  relique  de  saint  Vincent  de  Paul.  — 
5°  A  la  chapelle  de  Satnt-Vwist  :  une  relique  de  saint  Vaast,  une  relique  de  saint  Omer,  une  de 
saint  Maxime.  Ce  sont,  on  le  voit,  les  trois  patrons  des  trois  diocèses  dont  est  formé  principalement 
le  diocèse  actuel  d'Arras.  —  6°  A  la  chapelle  de  Saint-Jérôme  :  nn  os  de  saint  Isbergue  ou  Gi- 
selle,  sœur  de  Charlemagne  ;  deux  fragments  de  la  tête  de  sainte  Christine,  vierge  et  martyre.  — 
TA  ta  chnptl/e  du  Calmire  :  un  os  de  saint  Roch.  C'est  là  aussi  que  l'on  expose  la  relique  insigne 
(partie  notable)  du  chef  du  bienheureux  Benoit-Joseph  Labre.  —i<^  A  la  chapelle  de  la  Bonne- 
Mort  :  un  os  de  saint  Flour,  martyr;  un  os  de  saint  Vulgan, évèque.—  9»  A  la  chapelle  du  Sacré- 
Cœur  :  un  os  de  saint  Kilien,  évèque  ;  un  os  de  saint  Josse,  abbé.  —  10»  Dans  la  chapelle  du 
Cloître  du  Grand-Séminaire,  deux  reliquaires  semblables  aux  précédents  renferment  :  nn  os  de 
saint  Silvin,  évèque;  un  os  de  saint  Adrien.  —  ilo  Dans  la  châsse  nouvelle,  dite  des  Reliques 
diuertes,  chapelle  de  l'Evéché,  ij  j  a  les  reliques  suivantes  -• 


336  6  FÉVRIER. 

Sancti  Tronquilli  Marlyrù ; Sancli  Candidi  Martyiis  ;  SS.  Xisti  et  Aliorum  ;  Pars  uniiu 
ossis  Sancti  SIephani  Protomartyris ;  Sancti  Wutfranni  Episcopi  ;  Snnctœ  Apolloniœ  Viiginis; 
Sancti  Simon  Apostoli  ;  Sanclœ  Berthae  Yirginis  ;  Sancti  Jacobt-Majoris  Aposloli,  pars  unius 
ossis  magni;  Sancli  Kiliani  Episcopi  ;  Sancli  Richerii  Abbatis;  Sancti  Luglii;  Sancti  Euloquii 
Abbalis  ;  Sancti  Francisci  Salesii  ;  Sancti  Aud/jtnari ;  Sancti  Faustini;  Sunctce  Auslraberthte; 
SS.  Felicis  et  Naboris;  SS.  Cassiani  et  Uippolyti;  Sancli  Caroti  ;  Sancti  Clementis  Papœ 
iiartyris  ;  SS.Comelii  et  Cyprioni  Slart.;  SS.Crispiniet  Crispiniani ;  Sttncli Longini ;  Sancti 
Jacobi  Uarlyris ;  Sancti  Mauri  Uartyris ;  Sancli  Marcutli  Abbalis;  Sanctœ  Berthœ;  Sancti 
Judoci ;  Sancti  Martiani  Mart.;  Sancti  Pétri  Mar t.;  Sancti  Antonii  Abb.;  Sancti  Philippi  de 
î<eri  ;  Sancti  Camilli  ;  Sanctœ  Felicissimœ  Virg.  et  Mart.;  os  parvum  Sancti  Joannis-Baptistœ; 
Sancti  Simeonis  Abb,;  Sancli  Laurentii  Diac.  Mart.;  Sancti  Maximi  Episc.;  Sancti  Itochi  ; 
Sancli  Rochi  (bis);  Sancti  Yulgani;  Sancti  Adalrici ;  Sancli  Martini  Turonensis;  Sancti  Jacobi- 
Majoris  {bis);  de  capite  S'inclce  Cturœ  Virg.  et  Mart.;  de  Sancto  Francisco  Xaverio ;  Sancti 
Vincentii  Mart.;  Sanctœ  Restitulœ  Mart.;  Sancti  Andrece  Aposloli.  —  11  y  a  aussi  quelques  reli- 
ques provenant  de  l'ancieune  abbaye  d'Eaucourt.  —  12°  Eafin,  dans  les  deux  grandes  cbisses  qui 
sout  dans  la  chapelle  du  Grand-Séminaire,  il  y  a  les  reliques  suivantes  : 

PREUIEH  BELIQDAIEE.  —  ReliquitB  Sanctoruni  et  Sanctanim  :  PU  martyris,  Victoris  mar- 
tyris,  Vedasti  episcopi  Atrebatensis,  Barnabœ  apostoli,  Vincentii  a  Paulo,  Capit.  unius  Virginis 
e  numéro  XI.  M.  Virgin.,  Adriani  martyris.  Martyr.  Gorcorn.  et  aliorum. 

SECOND  BELIQDAIRE.  —  Reliquiœ  Saticlorum  et  Sattclarum  :  Martyrum  Legionis  Thebeœ, 
Jucundi  martyris,  Theodorœ  martyris,  Maximi  episcopi  Buloniœ  palroni,  Caroti  Borromœi,XI, 
M.  Virgin.,  martyr.,  Libérait  martyris,  et  aliorum. 

11  reste,  en  outre,  dans  le  dépôt  du  Secrétariat,  un  très-grand  nombre  de  reliques,  qui  n'ont 
point  encore  été  déposées  dans  des  châsses.  Elles  proviennent  d'anciennes  abbayes,  entre  autres 
celle  d'Etrun,  et  elles  sont  revêtues  d'authentiques,  de  cachets,  de  soie  anti-que,  d'inscriptions  sur 
parchemins,  selon  les  usages  divers  des  siècles  où  on  les  a  visitées  et  reconnues.  Ce  dépôt  est  à 
lui  seul  un  véritable  trésor. 

Signalons  en  terminant  un  morceau  considérable  de  la  Sainte-Chandelle  d'Arras,  qui  a  été  sauvé 
de  la  Révolution,  et  l'étui  qui  le  renferme. 

La  vie  de  saint  Vaast  a  été  écrite  aa  long  par  Âlcoin  ;  Surios  l'a  insérée  en  son  premier  tome  ; 
Bollandus  la  rapporte  aussi  avec  plusieors  autres.  C'est  de  là  et  des  auteurs  qui  ont  écrit  sur  V Histoire 
de  France,  comme  aussi  des  Annales  de  l'Eglise  du  cardinal  Baronius  que  nous  avons  tiré  ces  détails.  Mais, 
outre  des  Mstoriens,  saint  Vaast  a  eu  des  poètes  pour  le  chanter.  Toussaint  Sailly  lui  a  consacré  une  sorte 
d'épopée;  Antoine  Meyer,  nn  poëme  intitulé  :  Ursus  seu  de  reùus  sancii  Vedasti  (in-1'2,  Paris,  1580).  — 
Nous  avons  tiré  grand  profit  d'une  excellente  brochure  de  M.  Van  Drivai,  intitulée  :  Le  Trésor  sacré 
d'Arras. 


SAINT  AMMD,  WEQM  DE  MAESTRICHT 

MISSIONNAIRE  ET  FONDATEUR  D'ABBAYES 
684.  —  Pupe  :  Saint  Léon  II.  —  Roi  de  France  :  Thierry  III. 


Buntes  docite....  Salvate  animas. 
Allez,  enseignez...  Sauvez  les  âmes. 

Matth-,  xxviii,  19;  Jêrém.,  XLVin,  •. 


Entre  les  saints  qui  ont  brillé  dans  l'Eglise  au  septième  siècle,  il  en  est 
peu  dont  la  célébrité  soit  comparable  à  celle  de  saint  Amand.  «  Presque 
toute  la  terre»,  dit  son  biographe,  «a  entendu  la  renommée  de  ses  éclatâmes 
vertus  et  de  ses  prodiges.  Comme  un  infatigable  moissonneur,  il  a  beaucoup 
travaillé  dans  le  champ  de  Dieu,  il  a  converti  beaucoup  de  peuples  à  la  foi 
catholique,  et  fondé  beaucoup  de  monastères  pour  des  moines  pieux  et  de 
saintes  filles  du  Seigneur  m. 

Saint  Amand  naquit  le  7  mai  594,  non  loin  de  Nantes,  au  territoire 


SAINT  AMAND,   ÉVÉQUE   DE   MAESTMCHT.  337 

d'Herbauges,  petite  ville  qui  n'existe  plus  et  qui  alors  appartenait  à  l'Aqui- 
taine et  au  diocèse  de  Poitiers.  Son  père,  Sérénus,  était  duc  ou  gouverneur 
de  la  contrée,  sa  mère  se  nommait  Amantia.  L'enfant  reçut  dans  la  maison 
paternelle,  avec  l'exemple  des  vertus  et  l'amour  de  la  religion,  la  science 
que  l'on  donnait  à  cette  époque  aux  fils  des  nobles  familles.  De  bonne  heure 
il  sentit  naître  en  son  cœur  le  désir  de  se  consacrer  à  Dieu,  et  ce  sentiment, 
développé  auprès  de  ses  parents,  devint  si  puissant,  qu'il  le  porta  à  tout 
quitter  pour  aller  vivre  dans  la  solitude.  C'est  vers  l'île  de  Ré  '  qu'il  dirigea 
ses  pas:  il  y  rencontra  des  religieux  saintement  empressés  de  le  recevoir  et 
de  lui  rendre  tous  les  offices  de  la  plus  affectueuse  charité.  On  reconnut 
promptement  la  vertu  du  jeune  novice,  et  Dieu  permit  qu'un  fait  extraordi- 
naire la  manifestât  d'une  manière  éclatante.  Un  jour  le  supérieur,  pour 
éprouver  son  obéissance,  le  éhargea  d'un  ordre  dont  l'accomplissement 
exigeait  qu'il  sortît  du  monastère.  Tout  à  coup,  dans  un  endroit  solitaire  de 
l'île,  Amand  aperçoit  à  peu  de  distance  un  énorme  serpent.  Effrayé,  il  se 
prosterne  contre  terre,  adresse  au  ciel  sa  prière,  puis,  se  relevant,  fait  le 
signe  de  la  croix  contre  le  monstre  et  lui  ordonne  de  se  retirer  dans  son 
repaire.  L'animal,  obéissant  à  sa  voix,  disparaît  aussitôt  dans  les  profon- 
deurs de  la  mer. 

Amand  rencontra  bientôt  dans  sa  solitude  un  danger  d'une  autre  nature. 
Son  père,  informé  du  lieu  de  sa  retraite,  vint  l'y  trouver,  et  s'efforça  de 
ramener  dans  la  famille  ce  fils  unique  à  qui  il  voulut  laisser  ses  biens  et  ses 
dignités.  Voyant  ses  instances  inutiles,  il  eut  recours  à  la  menace,  et  déclara 
à  Amand  qu'il  n'aurait  aucune  part  à  son  héritage  s'il  ne  retournait  avec  lui 
dans  la  maison  paternelle.  «Mon  père  »,  répondil-il  avec  calme  et  respect,  <iil 
n'y  a  qu'une  chose  que  je  désire,  c'est  de  servir  Dieu  :  il  est  ma  portion  et 
mon  héritage.  Je  ne  demande  rien  des  biens  que  vous  me  promettez  ;  per- 
mettez-moi seulement  de  me  dévouer  entièrement  dans  la  milice  sacrée  de 
Jésus-Christ  ».  Peu  de  temps  après,  pour  éviter  des  sollicitations  plus  pres- 
santes de  la  part  de  ses  parents,  il  se  retira  auprès  du  tombeau  de  saint 
Martin  à  Tours.  Là,  prosterné  devant  la  châsse  qui  renfermait  les  reliques 
de  ce  grand  patron  de  la  France,  il  conjura  le  Seigneur  de  ne  jamais  per- 
mettre qu'il  retournât  dans  son  pays  natal,  mais  que  plutôt,  sa  vie  tout 
entière,  consacrée  à  son  service,  s'écoulât  dans  les  travaux,  les  voyages  et 
les  fatigues  de  l'apostolat. 

Amand  ayant  été  admis  aii  nombre  des  religieux  de  Tours,  reçut  la  ton- 
sure cléricale  et  prit  place  parmi  les  frères.  Mais  Dieu,  qui  avait  sur  lui  de 
grands  desseins,  voulut  qu'il  commençât  alors  une  préparation  extraordi- 
naire et  plus  immédiate  à  sa  mission.  Il  lui  fit  connaître  qu'il  devait  aller  à 
Bourges,  auprès  de  saint  Austrégisile',  pour  apprendre  ses  volontés  de  la 
bouche  de  ce  pontife.  Fidèle  à  la  voix  du  Seigneur,  .\mand  ne  balance  pas 
un  instant;  il  part  et  arrive  à  Bourges,  où  saint  Austrégisile  et  son  disciple, 
saint  Sulpice  le  Pieux,  le  reçurent  avec  bonheur.  Tous  ensemble  ayant  con- 

1.  Insula  Beorum,  ile  destinée  aoz  coupables  condamnés  à  la  déportation,  t^ontraîrement  à  tontes  les 
bio^aphies  que  nous  avons  sous  les  yeux,  les  auteurs  de  VBistoire  de  l'église  de  Saintonge  et  de  la 
Biographie  scintongenisef  parfaitement  à  même  de  se  prononcer  sur  une  question  de  géographie  locale, 
disent  que  saint  Amand  se  retira,  non  pas  dans  une  ile  du  nom  d'Yen  ou  d'Oye.  mais  dans  un  endroit  de  l'île 
de  Ré  qui  est  devenu  la  paroisse  de  Loie,  et  oïl  l'on  montre  encore  son  ermitage.  Si  on  nous  objectait  que  le 
moine  de  Blandinberg,  Baudemont,  disciple  et  premier  biographe  de  saint  Amand,  a  fort  clairement  écrit 
insula  Oia,  nous  répondrions  que,  selon  toutes  les  probabilités,  Baudemont  n'a  pas  quitté  la  Flandre  pour 
Tenir  visiter  l'ile  d'Oîa,  et  qu'il  a  bien  pu  prendre  pour  une  ile  ce  qui  n'est  qu'une  partie  de  l'ile:  con- 
fondre la  partie  avec  le  tout,  sans  qu'on  soit  admis  à  lui  en  faire  un  cnme. 

2.  On  le  nomme  vulgairement  saint  Outrille. — Né  à  Bourges,  en  551,  de  parents  nobles,  il  fut  d'abord 
Attaché  à  la  conr  du  roi  Contran,  embrassa  ensuite  l'état  ecclésiastique  et  mourut  évêque  de  Bourges,  le 
4  mai  624.  n  eut  pour  snccesseur  saint  Sulpice  le  Débonnaire,  mort  le  17  janvier  OH. 

Vies  des  Saints.  —  Tome  II.  22 


338  6   FÉVRIER. 

suite  le  Seigneur,  il  fut  résolu  qu'Amand,  renfermé  dans  une  cellule  sur  les 
remparts  de  la  ville,  y  mènerait  la  vie  des  reclus  jusqu'à  ce  qu'il  plût  à  Dieu 
de  l'employer  à  l'œuvre  à  laquelle  il  le  destinait.  Dans  cette  nouvelle  et  plus 
profonde  retraite,  la  vie  de  saint  Amand  était  consacrée  à  tous  les  exer- 
cices de  la  piété  et  de  la  mortification.  Un  pain  d'orge  détrempé  dans  l'eau 
était  sa  nourriture  ordinaire  :  encore  le  saint  pénitent  ne  semblait-il  la 
prendre  qu'à  regret.  Sur  sa  chair  innocente  était  appliqué  un  cilice  qui 
retenait  son  corps  dans  une  contrainte  continuelle.  Quelques  sarments  jetés 
sur  la  terre  nue  recevaient  pendant  la  nuit  ses  membres  fatigués  ;  tout, 
autour  de  lui,  annonçait  la  pauvreté,  le  dénùment  et  la  souffrance.  Mais  au 
milieu  de  ces  austérités,  le  front  du  jeune  reclus  brillait  de  la  joie  la  plus 
douce.  C'est  pendant  ces  quinze  années  de  retraite  et  de  pénitence,  qu'après 
avoir  reçu  successivement  les  différents  ordres  de  la  cléricature,  il  fut  enfin 
ordonné  prêtre.  Ce  fut  aussi  dans  ce  temps  qu'il  eut  une  sorte  de  révélation 
que  l'historien  de  sa  vie  rapporte  en  ces  termes  :  «  Unjour»,  dit-il,  «  Amand 
était  en  prière  devant  le  Seigneur,  lorsque  tout  à  coup  il  se  vit  environné 
d'une  grande  lumière  ;  puis,  pendant  l'espace  d'une  heure,  l'image  du 
monde  sembla  se  dérouler  sous  ses  yeux  avec  toute  sa  magnificence  et  ses 
splendeurs  ».  Dieu  voulait  peut-être  lui  montrer  la  multitude  d'idolâtres  et 
de  pécheurs  auxquels  sa  parole  devrait  se  faire  entendre. 

Saint  Amand  avait  environ  trente-trois  ans,  lorsque  Dieu  l'appela  à  Rome, 
pour  lui  manifester  sa  vocation.  Il  partit  avec  un  seul  compagnon,  conti- 
nuant pendant  ce  long  pèlerinage  les  œuvres  samtes  qu'il  avait  accoutumé 
de  faire.  Arrivé  à  Rome,  il  visita  les  églises  et  les  oratoires  consacrés  à  Dieu, 
les  lieux  qui  rappellent  le  souvenir  des  confesseurs,  les  supplices  des  mar- 
tyrs et  les  témoignages  de  la  foi  des  premiers  chrétiens.  A  la  fin  du  jour  il 
se  retirait  dans  l'église  de  Saint-Pierre  pour  adresser  à  Dieu  sa  prière.  Or,  un 
soir  qu'il  y  était  venu  selon  sa  coutume,  tandis  que  tous  les  fidèles  sortaient 
du  temple  silencieusement  et  que  les  gardes  se  disposaient  à  en  fermer  les 
portes,  Amand  resta  seul,  espérant  n'être  pas  aperçu  et  pouvoir  satisfaire  le 
grand  désir  qu'il  avait  de  passer  une  nuit  entière  dans  ce  sanctuaire.  Il  se 
tenait  agenouillé  à  l'écart,  répandant  son  àme  devant  le  Seigneur,  lorsque 
l'un  des  portiers  le  vit,  et  croyant  sans  doute  que  c'était  un  homme  qui 
cachait  quelque  mauvais  dessein,  le  força,  avec  peu  de  respect,  de  sortir  de 
l'église.  Cette  humiliation  ne  troubla  pas  le  bienheureux;  il  obéit  aussitôt, 
et,  se  prosternant  devant  le  portail,  il  continua  sa  prière.  Tout  à  coup  il  se 
sentit  comme  ravi  hors  de  lui-même  et  environné  d'une  lumière  éclatante. 
A  ses  yeux  se  présente  un  vénérable  vieillard,  le  front  ceint  d'une  auréole 
de  gloire.  Saint  Pierre,  le  prince  des  Apôtres,  se  fait  connaître  à  Amand  et 
lui  déclare  les  volontés  du  ciel.  «  Au  nom  de  Dieu,  il  ira  prêcher  la  foi  dans 
les  Gaules  et  y  convertir  une  multitude  d'àmes  à  Jésus-Christ.  La  moisson 
est  abondante  et  elle  croît  de  jour  en  jour  ;  il  y  travaillera  comme  un  bon  et 
vigilant  moissonneur.  Pour  prix  de  ses  travaux,  une  grande  récompense  lui 
est  réservée  dans  les  cieux  '  ».  Amand,  étonné,  interdit  par  ces  paroles,  se 
soumit  pleinement  aux  ocdres  du  ciel,  et  reprit,  le  cœur  plein  de  joie,  le 
chemin  de  la  France.  Les  besoins  de  l'Eglise,  en  ce  temps-là,  avaient  fait 
comprendre  la  nécessité  d'un  certain  nombre  d'évêques  dont  les  fonctions, 
toutes  de  zèle,  s'exerçassent  à  l'égard  de  quelques  contrées  moins  favorisées 
de  la  foi.  Ces  évoques,  qu'on  appelait  régionnaires,  parce  qu'ils  parcouraient 

1.  C'est  sans  doute  à  cette  apparition  qu'il  faut  attribuer  la  dt^votion  particulière  de  s&tnt  Aman 
envers  saint  Pierre,  dévotion  qui  (îtait  si  grande  qu'il  dtîdia  au  Prince  des  Apôtres  tous  les  monastère) 
qu'il  fonda  et  toutes  les  églises  qu'il  lit  construire. 


SAINT   AMAND,    ÉVÈQUE   DE   MAESTRICHT.  339 

en  prêchant  l'Evangile  les  réyions  où  leur  inspiration  les  poussait,  n'avaient 
pas  de  siège  spécial  ni  do  diocèse  soumis  à  leur  juridiction.  C'est  d'une 
mission  semblable  que  saint  Amand  fut  chargé  par  le  roi  Clotaire  11,  en  628  :  à 
la  suite  de  ses  premiers  essais  et  de  ses  premiers  succès  dans  l'apostolat,  il  re- 
çut l'onction  épiscopale  des  mains  de  saint  Achaire,  évêque  de  Noyon,  cl  s'en 
alla  presque  aussitôt  évangéliser  les  habitants  du  pays  deGand.  Ce  peuple, 
encore  livré  en  grande  partie  au  culte  des  idoles,  repoussait  opiniâtrement 
ceux  qui  voulaient  lui  enseigner  la  foi.  Il  serait  impossible  de  dire  tout  ce 
qu'il  eut  à  endurer  de  leur  part  :  les  persécutions  et  les  violences  en  vinrent 
à  ce  point  que  ses  compagnons,  regardant  la  conversion  de  ces  barbares 
comme  impossible,  se  retirèrent  en  attendant  des  temps  meilleurs.  Amand 
resta  seul,  en  butte  à  tous  les  mauvais  traitements  auxquels  il  opposait  la 
plus  héroïque  patience.  «  Combien  de  fois  ne  fut-il  point  déchiré,  frappé, 
meurtri  de  coups  ?  Combien  de  fois  les  femmes  elles-mêmes  ne  le  précipi- 
tèrent-elles pas  dans  les  eaux  de  l'Escaut  et  des  autres  rivières  qui  arrosent 
ces  contrées  ?  » 

L'infatigable  missionnaire  continua  de  parcourir  les  vastes  solitudes  de 
la  Flandre,  du  Brabant  et  des  pays  voisins,  jusqu'au  jour  oîi  un  éclatant 
miracle,  opéré  à  Tournai,  ouvrit  les  yeux  de  ces  infidèles.  Tandis  que  saint 
Amand  était  de  passage  dans  cette  ville,  il  arriva  que  Dotton,  gouverneur 
au  nom  du  roi  des  Francs,  fît  amener  devant  son  tribunal  un  homme  accusé 
de  brigandage,  et  déjà  tellement  accablé  de  coups  par  le  peuple  en  fureur, 
qu'il  semblait  n'avoir  plus  qu'un  souffle  de  vie.  Un  cri  menaçant  sortait  de 
toutes  les  bouches  :  «  Il  mérite  la  mort,  qu'il  soit  condamné  à  mort  ».  Au 
moment  où  cette  scène  se  passait  sur  la  place  des  jugements,  on  voit  accou- 
rir le  saint  évêque  Amand.  Il  approche,  il  fend  la  foule  et  arrive  au  pied  du 
tribunal;  il  supplie  le  comte  de  lui  accorder  la  vie  du  voleur.  La  sentence 
venait  d'être  prononcée.  Dotton  resta  inexorable,  et  les  bourreaux,  s'empa- 
rant  du  criminel,  le  conduisirent  à  la  potence  où  il  expira  sous  les  yeux  de 
la  multitude.  Aussitôt  qu'elle  fut  écoulée,  Amand  s'empressa  de  descendre 
le  cadavre  du  gibet  et  le  transporta  dans  sa  demeure.  A  un  signe  qu'il  fit, 
ses  disciples  se  retirèrent  :  lui  alors  se  prosternant  par  terre,  conjura  le 
Seigneur  de  rendre  ce  malheureux  à  la  vie.  Tout  à  coup  le  voleur,  sortant 
comme  d'un  profond  sommeil,  ouvre  les  yeux  et  se  trouve  en  présence  du 
saint  missionnaire  à  qui  il  ne  sait  comment  exprimer  sa  surprise  et  son  bon- 
heur. Il  passa  le  reste  de  la  nuit  avec  lui.  Le  matin  arrivé,  saint  Amand  ap- 
pelant ses  disciples,  leur  demanda  de  l'eau  qu'ils  s'empressèrent  d'apporter, 
croyant  que  c'était  pour  laver  le  corps,  selon  la  coutume,  avant  de  l'ense- 
velir. Mais  quel  ne  fut  pas  leur  étonnement,  lorsque,  en  entrant  dans  la 
chambre,  ils  virent  le  mort  de  la  veille  conversant  avec  leur  maître.  Amand 
lava  ses  plaies  qui  se  guérirent  aussitôt;  puis  il  l'invita  à  retourner  dans  sa 
familleelà  témoigner  sa  reconnaissance  àDieu  par  une  conduite  chrétienne. 
A  peine  le  bruit  de  ce  miracle  fut-il  répandu,  que,  de  toutes  parts,  les  popu- 
lations accoururent  vers  le  Saint  pour  lui  demander  le  baptême.  Les  habi- 
tants du  pays  de  Gand  eux-mêmes  en  furent  promptement  instruits,  et 
renonçant  à  leurs  vieilles  erreurs,  ils  vinrent  écouter  avec  docilité  la  parole 
de  Dieu.  En  peu  de  temps,  un  changement  admirable  s'opéra  dans  toute  la 
province,  et  les  deux  monastères  de  Gand  et  du  Mont-Blandin  ne  tardèrent 
pas  à  s'élever  à  l'endroit  où  paraissaient  auparavant  des  statues  des  faux 
dieux.  Tels  ont  été  les  commencements  de  la  religion  chrétienne  dans  cette 
contrée,  devenue  un  des  plus  beaux  apanages  de  l'Eglise  de  Jésus-Christ  '. 

1.  Le  docte  (Svêque  d'Anvers,  de  Nelis,  fait  au  sujet  des  établissements  monastiques  créés  par  «alnt 


340  6  FilVRUiU. 

Ce  fut  vers  cette  époque  (630)  que  saint  Araand,  de  retour  dans  l'inté- 
rieur de  la  France,  adressa  au  roi  Dagobert  de  courageuses  remontrances 
sur  les  scandales  de  sa  conduite.  Cette  démarche  avait  été  sollicitée  et  pré- 
parée par  des  prélats  et  de  nobles  seigneurs  du  palais,  qui  gémissaient  des 
désordres  auxquels  se  li^Tait  le  roi  d'Austrasie.  Le  prince,  à  cette  heure  de 
la  grâce,  n'écouta  que  les  mauvaises  suggestions  de  la  passion;  au  lieu  de 
reconnaître  ses  fautes,  il  s*irrita  et  chassa  de  son  royaume  le  saint  apôtre 
qui  les  lui  reprochait.  Amand,  sans  s'émouvoir,  se  retira  du  palais  en  déplo- 
rant Taveuglement  des  princes  abandonnés  aux  coupables  voluptés.  Amand 
se  réfugia  dans  les  états  de  Caribert,  roi  d'Aquitaine.  Ici  se  place  le  premier 
voyage  d'Amand  en  Vasconie  ou  Pays  des  Basques  :  il  se  trouvait  au  monas- 
tère de  Saint-Sever-Cap-de-Gascogne  \  lorsque  les  religieux  lui  apprirent 
qu'au  fond  des  gorges  des  Pyrénées  et  sur  les  pics  les  plus  inaccessibles  de 
ces  montagnes,  campait  un  peuple  à  part,  fier  et  agile  dans  les  combats, 
qu'on  voyait  souvent  descendre  dans  la  plaine,  mais  que  Ton  atteignait 
rarement  dans  ses  retranchements.  Ce  peuple  était  en  grande  partie  idolâtre 
et  croyait  plus  aux  sorciers,  aux  enchanteurs  et  aux  augures  qu'en  Dieu. 
Amand  voulut  aller  porter  à  cette  nation  la  lumière  de  l'Evangile,  trop  heu- 
reux, disait-il,  de  trouver  l'occasion  d'endurer  le  martyre.  Cette  première 

Amand,  les  réflexions  suivantes  :  s  Deux  siècles,  ou  environ,  après  les  premiers  établissements  des  Francs 
dans  la  Belgique  et  dans  le  reste  de  la  Gaule,  il  survint  un  nouvel  ordre  de  choses  et  de  personnes,  dont 
la  religion  était  et  devait  être  le  premier  but.  mais  de  qui  la  police  et  l'agriculture  reçurent  par  contre- 
coup de  grands  avantages: ce  fut  l'établissement  des  premitîres  abbayes  ou  monastères,  dont  saint  Amand 
fut  le  père  et  le  fondateur  dans  nos  cantons.  Quand  il  y  parut,  il  trouva  le  sol  de  ce  pays  aussi  sauvag* 
que  ses  liabitants.  Bandemond,  contemporain  et  disciple  de  saint  Amand,  qui  vivait  à  Gand  dans  l'abbaye 
de  Saint-Pierre,  e'tablie  peu  de  temps  auparavant,  nous  en  parle  en  ces  termes  :  Propter  ferocitatem 
gentis  ilUus  vel  ob  l'rrœ  infœcunditatem,  omnes  sacerdotes  prœdicalioni  lori  illius  (les  environs  de  Gand) 
$e  subiti'arerunt.  Un  autre  écrivain  en  parle  de  même  :  Qui  pogus  (Gandensis)  propter  ferocitatem  gentis 
et  t^TTtv  i'ifcecundilatem  prœdonibus  derelictus  est.  On  troisième  n'attribue  a  ce  pays  quV;/êros  mores  et 
infœcnndos  cespites.  —  Voilà  quelle  était  en  ce  temps-lh  la  Flandre,  cette  contrée  si  peuplée  et  si  fertile 
quelques  siècles  après,  qui,  pour  la  beauté  du  terrain  et  l'industrie  des  habitants,  ne  le  cède  depuis  long- 
temps h  aucune  portion  de  l'univers,  et  que  Le  Tasse  nous  a  peinte  avec  des  couleurs  aussi  convenables 
que  belles,  lorsqn'en  parlant  des  premiers  croisés  de  cette  nation,  que  l'on  vit  sous  les  étendards  de 
Godefrol  de  Bouillon,  il  dit  •  La  Flandre,  l'heureuse  Flandre  était  réputée  au  vn»  siècle  une  terre  ingrate 
et  stér.le.  Ses  penplfts  étaient  des  sauvages  on  des  brigands  :  comme  sauvages,  il  fallait  les  civiliser; 
comme  brigands,  leur  donner  des  mœurs,  de  la  religion,  des  vertus. 

C'est  dans  cette  double  vue  que  furent  établis  les  premiers  monastères;  c'est  dans  cette  vne  que  les  rois 
et  les  peuples  leur  firenttantde  bien;  et  cela  est  si  vrai, les  succèsde  ces  établissements  furent  si  éclatants, 
que  les  princes,  comme  Montesquieu  le  remarque  en  particulier  au  sujet  de  Charlemagne,  regardaient  les 
dons  immenses  gu'tls  faisaient  aux  e'gliseSf  moins  comme  une  action  religieuse  que  comme  une  dispensation 
poliliqup.  Voyez  Mémoires  de  l'Académie  de  Bruxelles,  t.  ii,  p.  592. 

1.  Nous  relatons  ce  fait  d'après  nn  manuscrit  du  monastère  de  Saint-Sever- Cap- de- Gascogne,  que 
cite  M.  Menjoulct,  vicaire  général  de  Bayonne,  dans  sa  brochure  :  Saint  Amand,  apôtre  des  Basques. 
M.  Mcujonlct  démontre  lo  que  c'est  aux  Vascons  des  deux  versants  des  Pyrénées,  et  non  aux  Gascons, 
situés  cotre  la  Garonne,  l'Adour  c:  le  Gave  d'OIoron,  évangélisés  depuis  longtemps,  que  saint  Amand 
prêcha  l'Evangile;  2<»  i,ir;i  ne  faut  pas  confondre  les  Vascons  ou  Basques  avec  les  Gascons.  Les  Gascons 
sont  les  Aquitains  de  la  Nuvcmpopulanie — capitale  Eauze  —  sous  un  nom  nouveau;  nom  qu'ils  tirent  de  ces 
Vascons  pyrénéens  qui  envahirent  l'Aquitaine  au  temps  des  rois  mérovingiens  et  y  laissèrent  leurs  garnisons 
en  même  temps  que  leur  nom.  Le  mot  français  Basque^  en  patois  Bâscouy  vient  du  latin  Vasco;  car,  selon 
l'usage  de  l'Espagne  et  du  midi  de  la  France,  le  V  se  prononce  B  ;  ce  qui  faisait  dire  h  Scaliger  :  Felices 
popud,  quibus  Vivere  est  Bitere.  —  Quant  au  changement  de  W'asconia  en  Gasconia^H  a  son  analogue  dans 
Willelmiis,  dont  on  a  fait  (JuHlelmus,  Guillaume.  Les  Basques  ou  Vascons,  an  contraire,  dont  le  nom 
signifie,  en  basque,  hommes  des  forêts  ou  hommes  des  montagnes,  occupaient  les  deux  versants  des  Pyré- 
nées occidentales,  à  partir  du  Gave  d'OIoron,  c'est-à-dire  la  SouIe,  le  Labourdin  et  la  basse  Navarre,  U 
Guipnscoa,  la  Biscaye,  etc.  Nous  reviendrons,  s'il  y  a  lieu,  sur  les  Basques,  dont  l'origine  est  fort  obscure, 
et  sur  révangélisation  de  leur  pays,  à  ta  vie  de  sainte  Ilictrude,  qui  paraît  être  basquaise,  V.  au  12  mai. 
M.  D.  J.  Garât,  probablement  parent  d'un  député  de  ce  nom  envoyé  aux  Etats  do  89  par  le  pays  basque, 
.1  écrit  tout  nn  livre  pour  prouver  que  les  Basques  de  nos  jours  sont,  comme  Carthage,  comme  l'Irlande, 
tomme  Cadix,  etc.,  une  colonie  sc'miti-phénicicnnc.  fondée  par  les  Tyriens  et  des  émigrants  do  la  Bac- 
tiianc,  leurs  alités.  Le  fait  est  que  leur  langue,  en  dehors  des  allurlons  apportées  par  les  besoins  nou- 
veaux d'une  civilisation  nouvelle,  n'a  d'analogie  qu'avec  l'hébreu,  et  que  le  nom  des  PjTénées  se  retrouve 
en  Perse,  appliqué  à  une  montagne  consacrée  au  culte  du  feu  (T:ifp)  et  du  soleil  :  ce  qui  est  encore  certain, 
c'est  que  les  Basques  sont  restés  d'intrépides  navigateurs,  de  bons  colonisateurs,  comme  les  T/rlens,  et 
des  pa»teui»  comme  les  peuples  de  la  Bactriane  et  de  la  Sogd  ane. 


SAINT  AMAUD,   EVEQUE  DE  MAESTRICHT.  341 

mission  de  saint  Amand  en  Wasconie  est  peu  connue.  On  ne  peut  guère  rap- 
peler que  cette  parole  de  son  hagiographe  :  «  Comme  un  vérilable  apôtre 
de  Jésus-Christ,  il  parcourut  ce  vaste  pays,  prêchant  partout  l'évangile, 
gagnant  les  âmes  à  Dieu  et  recevant  souvent,  pour  prix  de  son  zèle  et  de  ses 
travaux,  des  insultes  et  des  outrages  ». 

Dieu  ayant  accordé  un  héritier  à  Dagobert,  ce  prince  revint  à  de  meil- 
leurs sentiments  et  rappela  saint  Amand  de  son  exil.  Le  serviteur  de  Dieu, 
quittant  aussitôt  le  pays  des  Gascons,  se  rendit  à  la  cour.  Le  roi  était  à  sa 
villa  de  Glichy,  près  Paris,  lorsque  le  Saint  l'aborda  avec  une  modeste  gra- 
vité. A  peine  Dagobert  le  voit-il  en  sa  présence,  qu'oubliant  sa  dignité 
royale,  ou  plutôt  cédant  au  sentiment  qui  le  domine,  il  se  jette  à  ses  genoux, 
et  le  conjure  de  lui  pardonner  l'outrage  qu'il  lui  a  fait.  Saint  Amand,  s'em- 
pressant  de  le  relever,  lui  déclare  que  cette  erreur  passagère  est  oubliée  et 
qu'elle  n'a  laissé  aucun  souvenir  dans  son  cœur.  «  Que  j'ai  de  regret  »,  re- 
prend encore  Dagobert,  «  d'avoir  agi  envers  vous  comme  un  insensé,  et  de 
n'avoir  point  suivi  les  sages  conseils  que  votre  affection  paternelle  vous  ins- 
pirait !  Maintenant,  je  vous  prie,  saint  Pontife,  oubliez  entièrement  cette 
injure,  et  ne  dédaignez  pas  de  condescendre  à  la  demande  que  je  vais  vous 
faire.  Dieu  m'a  donné  un  enfant,  quoique  je  n'aie  point  mérité  cette  faveur  : 
j'ai  jeté  les  yeux  sur  vous,  et  vous  ai  choisi  pour  que  vous  purifiiez  son  âme 
dans  les  eaux  du  baptême,  et  que  vous  lui  serviez  de  père  spirituel.  Cest 
mon  fils,  c'est  l'héritier  de  ma  couronne,  je  veux  qu'il  devienne  aussi  votre 
fils,  et  qu'en  imitant  un  jour  vos  exen^les,  il  devienne  l'héritier  de  vos  ver- 
tus ».  Ces  paroles  jetèrent  Amand  dans  une  grande  surprise  et  un  extrême 
embarras.  Il  pria  le  roi  de  ne  point  exiger  de  lui  un  semblable  ministère. 
«  Amand  »,  dit  un  de  ses  biographes,  «  craignait  la  cour  des  rois,  où  la  vertu 
la  plus  ferme  est  quelquefois  exposée  à  fléchir,  et  il  ne  voulait  pas,  lui,  com- 
battant dévoué  pour  la  cause  de  Jésus-Christ,  s'impliquer  dans  les  affaires 
du  siècle  ».  Ayant  donc  exprimé  au  roi  avec  respect  les  motifs  de  son  refus, 
il  se  retira. 

Dagobert  regrettait  de  n'avoir  pu  déterminer  le  saint  apôtre  à  accepter 
cette  invitation,  dans  laquelle  il  voyait  une  éclatante  réparation  de  sa  faute. 
D'ailleurs,  il  désirait  ardemment  que  cet  enfant,  sur  qui  reposaient  toutes 
ses  espérances,  filt  baptisé  par  les  mains  d'un  Pontife,  dont  l'éminente  vertu 
lui  donnât  comme  une  assurance  que  la  mort  ne  viendrait  point  le  ravir  à 
sa  tendresse.  Il  fît  de  nouvelles  instances,  et  ayant  appelé  ses  conseillers 
intimes,  saint  Eloi  et  saint  Ouen,  alors  encore  simples  laïques,  il  leur  or- 
donna de  se  rendre  auprès  du  saint  missionnaire  et  de  chercher  par  tous  les 
moyens  à  obtenir  son  consentement.  Les  deux  illustres  personnages  abor- 
dèrent Amand  avec  toute  la  vénération  que  leur  inspirait  sa  sainteté,  et  le 
conjurèrent  d'accorder  au  roi  la  faveur  qu'il  sollicitait.  Ils  lui  représentèrent 
qu'en  acceptant  cette  charge,  il  pourrait  opérer  un  grand  bien  au  palais; 
que  cet  enfant,  destiné  à  devenir  un  jour  roi  des  Francs,  avancerait  beau- 
coup l'œuvre  de  Dieu  par  les  sages  leçons  qu'il  recevrait  de  sa  bouche  et  les 
sentiments  vertueux  qu'elles  lui  inspireraient.  Au  reste,  ajoutaient-ils,  ce 
consentement,  qui  comblera  de  joie  Dagobert,  vous  laissera,  si  vous  le  dési- 
rez, toute  liberté  pour  prêcher  l'évangile  dans  le  royaume  et  les  contrées 
voisines.  Cette  dernière  parole  ne  pouvait  manquer  de  faire  impression  sur 
Amand,  surtout  dans  la  bouche  de  deux  hommes  si  religieux  et  si  puissants 
à  la  cour.  Il  céda  donc,  et  aussitôt  furent  ordonnés  les  préparatifs  de  la  céré- 
monie, à  laquelle  le  roi  voulait  donner  une  magnificence  extraordinaire.  La 
ville  d'Orléans  fut  choisie  pour  sa  célébration  :  toute  la  cour  et  une  muiti- 


342  6  kévrieh. 

tude  de  seigneurs  s'y  transportèrent.  A  côté  de  Dagobert  paraissait  son  frère 
Aribert,  roi  d'Aquitaine  ;  il  devait  avec  saint  Amand  tenir  l'enfant  sur  les 
fonts  du  baptême.  Un  auteur  grave  et  contemporain  rapporte,  et  d'autres 
^nt  répété  après  lui,  qu'au  moment  où  saint  Amand  finissait  une  des  orai- 
sons du  baptême,  l'enfant,  qui  n'avait  alors  que  trente  ou  quarante  jours 
au  plus,  répondit  très-distinctement  Amen,  ce  qui  remplit  tous  les  assistants 
d'étonnement  et  d'admiration  *.  —  Cet  enfant  merveilleux  devait  être  saint 
Sigebert. 

Son  ministère  accompli,  Amand  s'éloigna  de  la  cour,  et  retourna  à  ses 
travaux  apostoliques,  laissant  une  puissante  famille  dans  la  joie,  un  royaume 
dans  l'espérance,  et  un  roi  revenu  à  des  sentiments  meilleurs. 

Notre  saint  évêque,  qui  n'achevait  une  bonne  œuvre  que  pour  en  entre- 
prendre une  nouvelle,  se  dirigea  peu  de  temps  après  vers  le  pays  slave,  sur 
les  rives  du  Danube,  de  la  Save  et  de  la  Drave.  Tout  porte  à  croire  que  ce 
furent  les  guerres  de  ces  peuples  contre  les  Francs  et  l'élévation  bizarre  et 
extraordinaire  de  Samon,  marchand  de  Soignies  en  Hainaut,  ou  de  Sens, 
que  ces  barbares  avaient  pris  pour  roi,  qui  détermina  sa  résolution.  Plein  de 
confiance  en  Dieu,  il  partit  à  travers  des  paj's  inconnus,  et  arriva  enfin  au 
milieu  d'un  peuple  livré  à  toutes  les  erreurs  et  à  tous  les  désordres  de  l'ido- 
lâtrie. Embrasé  de  ce  zèle  ardent  qui  ne  fait  que  s'accroître  devant  les  obs- 
tacles, il  prêchait  Jésus-Christ  à  des  hommes  pour  qui  ce  nom  était  tout  à 
fait  étranger.  Il  parcourut  leurs  vastes  plaines  et  leurs  camps  retranchés  qui 
leur  servaient  de  villes;  partout  sa  voix  se  fit  entendre  et  ses  mains  répan- 
dirent avec  abondance  les  bénédictions  et  les  bienfaits.  Malgré  les  efforts  de 
son  zèle,  Amand  ne  put  amollir  ces  cœurs  farouches,  dont  les  habitudes 
criminelles  étaient  si  opposées  à  la  morale  de  l'évangile.  Cependant  il  ne  se 
laisse  abattre  ni  par  leurs  résistances  ni  par  les  outrages  qu'ils  lui  pro- 
diguent; il  continue  de  leur  prêcher  les  vérités  saintes  et  s'ellorce  par  tous 
les  moyens  de  les  gagner  à  Dieu. 

Amand  avait  semé;  d'autres  moissonneront  plus  tard  les  fruits  de  ses 
travaux.  Pour  lui,  après  avoir  enduré  avec  une  inaltérable  patience  les  ou- 
trages et  les  mauvais  traitements,  il  dut  abandonner  ces  hommes  «  que 
leurs  crimes  rendaient  indignes  des  faveurs  du  ciel  »  ;  et  c'est  alors  que 
pour  la  seconde  fois  il  se  rendit  à  Rome  auprès  du  souverain  Pontife,  pour 
l'instruire  des  œuvres  qu'il  avait  opérées  et  rendre  ses  hommages  aux  saints 
apôtres.  C'est  aussi  dans  cette  circonstance  qu'il  plaça  en  différents  monas- 
tères des  esclaves  qu'il  avait  rachetés  et  qui  témoignaient  le  désir  d'embras- 
ser la  vie  relii;:ieuse.  On  le  voit  encore  se  procurer  à  Rome,  au  centre  de  la 
catholicité,  des  livres  pour  l'instruction  des  disciples  qu'il  avait  déjà  réunis, 
particulièrement  au  monastère  d'Elnon. 

Pour  revenir,  saint  Amand  s'embarqua  près  de  Rome,  arriva  d'abord  à 
Centumcelle,  aujourd'hui  Civita-Vecchia,  et  de  là  prit  sa  direction  vers  les 
côtes  de  France.  Pendant  cette  traversée,  Dieu  manifesta  d'une  manière 
éclatante  la  puissance  des  prières  de  son  serviteur.  Un  jour  que  les  mate- 
lots, réunis  sur  le  pont  du  vaisseau,  écoulaient  les  instructions  de  l'homme 
de  Dieu,  ils  aperçurent  un  poisson  énorme,  qui  semblait  se  jouer  sur  les 
flots  :  jetant  aussitôt  leurs  filets,  ils  le  saisirent,  le  tuèrent  et  invitèrent  tous 
les  gens  de  l'équipage  à  prendre  part  à  ce  régal  inattendu.  Mais  au  moment 

1.  Ce  miracle,  dit  un  tris-Judicieux  auteur,  AA.  SS.  Deli,u,  t.  iv,  p.  253,  note  12.  est  rapports  par 
Baudemond,  auteur  contemporain,  et  rc'pe'te'  par  beaucoup  d'autres.  Le  4  f.ivrier  1650.  un  fait  semblahie 
■c  passa  au  diocbse  de  Strigonie,  en  Honp-ie;  des  témoins  furent  entendus  selon  les  formes  ordinaires,  et 
^arclle^<^'lue  reconnut  la  vérité  du  prodige,  constaté  d'après  le  plus  «évÈre  et  le  plus  scrupuleux  examen. 
Voir  encore  Fleury,  Hisl.  de  l'Eglise,  liv.  xxsvj,  n.  88. 


SAINT  AifAND,   ÉVÊOUE   DE   JIAESTOIcnT.  343 

OÙ  finissait  le  repas,  le  ciel  se  couvre  de  gros  nuages,  la  mer  devient  hou- 
leuse,Ies  flots  se  soulèvent,  les  vents  mugissent  :  une  tempôte  affreuse  éclate, 
et  le  vaisseau,  ballotté  çà  et  là  par  les  flots,  menace  de  s'engloutir  à  chaque 
instant.  Au  milieu  des  lamentations  qu'arrachait  la  vue  d'une  mort  pro- 
chaine, les  matelots  se  prosternent  aux  pieds  d'Amand  et  le  conjurent  de 
prier  Dieu  afin  qu'ils  soient  délivrés  d'un  si  pressant  danger.  Le  missionnaire 
console  tous  ces  hommes  abattus.  11  les  engage  à  se  reposer  des  fatigues 
qu'ils  ont  endurées  et  à  remettre  leur  sort  à  la  Providence.  Il  était  nuit.  Tous 
étendus  sur  le  pont  se  livrent  au  repos.  Amand  sommeillait  aussi  près  du 
gouvernail,  comme  s'il  eût  voulu  prendre  la  direction  du  vaisseau.  Tout  à 
coup  l'apôtre  saint  Pierre  se  présente  à  ses  yeux  :  «  Ne  crains  pas,  Amand, 
lui  dit-il,  tu  ne  périras  pas,  ni  ceux  qui  sont  avec  toi  ».  Puisse  tournant  vers 
les  flots  irrités,  il  leur  commanda  et  aussitôt  il  se  fît  un  grand  calme.  A  leur 
réveil,  les  matelots  virent  que  leur  vaisseau  voguait  sur  une  mer  tranquille; 
en  peu  de  temps  ils  abordèrent  au  rivage,  bénissant  Dieu  qui  les  avait  déli- 
vrés de  la  mort  par  les  prières  de  son  serviteur.  Le  saint  apôtre,  rentré  dans 
son  monastère  d'Elnon,  continua  à  évangéliser  les  habitants  des  contrées 
voisines. 

L'évêque  de  Maestricht,  Jean,  surnommé  l'Agneau,  étant  mort  vers  cette 
époque  (649),  saint  Amand  fut  appelé  par  les  suffrages  du  clergé  et  du 
peuple,  et  par  les  sollicitations  de  Sigebert,  roi  d'Austrasie,  à  gouverner  cette 
église.  Le  Bienheureux  s'en  défendit  longtemps;  mais  enfin  il  fallut  cédera 
la  volonté  de  Dieu,  qui  se  manifestait  clairement,  et  diriger  ce  peuple  au 
milieu  duquel  il  rencontra  de  grandes  difficultés.  En  effet,  dans  ce  diocèse 
de  Maestricht,  si  ravagé  pendant  les  invasions,  et  où  diverses  tribus  s'étaient 
fixées,  on  rencontrait  encore  beaucoup  de  coutumes  opposées  à  la  morale 
de  l'Evangile.  Saint  Amand  fit  tous  les  efforts  qu'on  pouvait  attendre  de  son 
zèle,  pour  corriger  les  abus.  Il  réussit  auprès  de  quelques-uns;  mais  d'autres 
restèrent  opiniâtrement  attachés  à  leurs  désordres,  malgré  ses  prières  et  ses 
avertissements.  C'est  alors  qu'il  écrivit  au  pape  saint  Martin  l",  pour  lui 
demander  une  règle  de  conduite.  Sa  lettre  n'est  point  parvenue  jusqu'à 
nous;  mais  on  devine  ce  qu'elle  renfermait  par  les  termes  mêmes  de  la 
réponse  du  souverain  Pontife.  La  première  partie  donne  des  règles  très-sages 
touchant  les  peines  à  infliger  anx  clercs  qui  ont  manqué  à  la  sainteté  de  leur 
état.  Mais  le  vénérable  évêque  n'eut  pas  la  douleur  d'infliger  lui-même  ces 
punitions  méritées  :  le  Seigneur  prit  en  main  sa  cause  et  fit  sentir  que  ce 
n'est  pas  en  vain  que  l'on  rejette  la  parole  de  ses  serviteurs.  En  effet,  au 
moment  où  saint  Amand  se  retirait  avec  quelques  disciples  vers  des  contrées 
plus  rapprochées  de  la  mer,  pour  évangéliser  les  peuples  encore  barbares  de 
la  côte,  plusieurs  fléaux  s'abattirent  sur  le  pays  de  Maestricht,  y  causèrent 
de  grands  ravages,  et  enlevèrent,  par  une  mort  funeste,  les  plus  endurcis 
dans  1,6  mal. 

La  seconde  partie  de  la  lettre  de  saint  Martin  I"  renfermait  une  réponse 
aux  demandes  de  saint  Amand,  touchant  l'hérésie  des  monothélites,  qui  fai- 
sait beaucoup  de  bruit  dans  le  monde  catholique.  Le  souverain  Pontife, 
après  avoir  exposé  les  artifices  des  patriarches  et  des  empereurs  de  Constan- 
tinople,  chargeait  l'évêque  de  Maestricht  de  se  rendre  lui-même  auprès  des 
rois  de  Neustrie  et  d'Austrasie,  Clovis  II  et  Sigebert  II,  et  de  convoquer  des 
conciles  dans  les  deux  royaumes,  afin  que  les  décrets  portés  à  Rome  en  con- 
cile fussent  confirmés  par  les  évêques  de  l'église  de  France.  Saint  Amand 
s'acquitta  avec  zèle  de  la  charge  honorable  qui  lui  était  confiée;  mais  la 
pénurie  de  documents  ne  permet  pas  de  donner  de  détails  sur  ces  événe- 


344  6  PÉVRrcn. 

nieuts.  Les  évoques  ayant  remis  entre  ses  maius  les  actes  des  diffi^rents  con- 
ciles de  France,  il  alla  les  présenter  en  leur  nom  au  souverain  Pontife.  Celte 
mission  répondait  aux  vues  du  Bienheureux,  qui  désirait  obtenir  du  Sainl- 
Siége  l'autorisation  de  quitter  son  évôché  de  Maestricht,  pour  reprendre 
ses  courses  apostoliques.  Il  fit  ce  troisième  voyage  en  compagnie  de  saint 
Hnmbert,  qu'il  rencontra  sur  les  bords  de  l'Helpre,  près  des  possessions  que 
ce  serviteur  de  Dieu  venait  d'acquérir  par  la  mort  de  ses  parents.  Amand 
lit  connaître  les  résolutions  prises  dans  les  conciles  tenus  en  France,  et 
exprima  en  même  temps  son  désir  personnel.  Le  souverain  Pontife  s'y  ren- 
dit avec  bonté.  Bien  plus,  afin  de  l'aider  dans  les  travaux  évangéliques.  il 
lui  accorda  le  prêtre  Landoald  et  quelques  autres  serviteurs  de  Dieu.  Tous 
ensemble  revinrent  à  Maestricht,  où,  par  le  conseil  d'Amand,  ses  compa- 
gnons s'attachèrent  à  saint  Remacle,  devenu  son  successeur  sur  ce  siège, 
tandis  que  lui  s'en  alla  continuer  le  cours  de  ses  missions  apostoliques. 

Ici  commencent  surtout  ses  relations  avec  les  familles  de  Pépin  de  Lan- 
den  et  de  saint  Mauger.  Le  premier,  déjà  uni  d'amitié  à  saint  Amand,  depuis 
le  baptême  du  jeune  Sigebert,  avait  laissé  pour  lui  succéder  son  fils  Gri- 
moald,  qui  ne  marcha  point  sur  ses  traces,  et  périt  avec  son  fils  victime  de 
sa  coupable  ambition.  Peu  de  temps  avant  cette  fin  tragique,  saint  Amand 
avait  aidé  sainte  Gertrude,  fille  du  bienheureux  Pépin,  et  sainte  Itta,  sa 
veuve,  à  fonder  le  monastère  de  Nivelles,  qui  devint  une  source  de  bénédic- 
tions pour  tout  le  pays.  Presque  dans  le  même  temps,  il  assistait  avec  saint 
Aubert  de  Cambrai  à  la  consécration  du  monastère  que  saint  Ghislain  ache- 
vait à  la  Celle.  C'est  là  qu'en  entendant  les  discours  des  deux  saints  évoques, 
un  seigneur  de  la  contrée,  Mauger,  époux  de  sainte  Vaudru,  résolut  de  se 
consacrer  à  Dieu.  Ayant  quitté  le  monde,  ce  noble  leude  alla  fonder  le 
monastère  d'Hautmont,  où  à  différentes  époques  se  réunissaient  les  princi- 
paux apôtres  de  la  contrée,  au  milieu  desquels  Amand  faisait  entendre  la 
parole  sainte.  Ce  fut  là  qu'un  jour  la  vierge  Aldegonde  vint  se  présenter  à 
lui  et  à  saint  Aubert  pour  recevoir  de  leurs  mains  le  voile  des  vierges  avant 
de  fonder,  au  milieu  des  bois  qui  couvraient  la  Sambre,  le  monastère  qui 
donna  son  origine  à  la  ville  de  Maubeuge. 

11  s'était  écoulé  une  trentaine  d'années  depuis  la  première  mission  de 
saint  Amand  en  Vasconie.  Le  vénérable  apôtre,  oubliant  le  poids  de  l'âge  (il 
avait  70  ans),  songeait  à  visiter  encore  ses  rudes  disciples  des  Pyrénées.  Il 
pouvait  être  encouragé  dans  les  inspirations  de  son  zèle  par  cette  circons- 
tance que  la  Vasconie  obéissait  alors  à  ses  petits  neveux,  Boggis  et  Bertrand, 
reconnus  ducs  héréditaires  de  l'Aquitaine  et  de  la  Vasconie.  Mais  ce  qui  le 
détermina,  c'est  que,  d'après  le  savant  annaliste  Mabillon,  il  fut  appelé  par 
les  Basques  eux-mêmes  '.Il  vint  donc  en  l'an  de  grâce  665. La  grâce  couronna 
ses  efforts,  et  beaucoup  de  conversions  vinrent  le  consoler  de  ses  fatigues  et 
des  outrages  qu'il  endura  dans  plus  d'une  rencontre.  Une  fois  entre  autres 
que  le  vieillard  missionnaire  prêchait  devant  la  multitude  rassemblée  autour 
de  lui ,  un  bouffon ,  rempli  d'orgueil  et  très-corrompu  dans  ses  mœurs, 
s'approcha  de  lui,  et  l'imitant  de  la  voix  et  du  geste,  chercha  à  provoquer 
les  rires  des  spectateurs.  Saint  Amand,  sans  être  ému  de  cette  sacrilège  inso- 
lence, pardonna  dans  son  cœur  au  misérable  qui  ne  savait  pas  même  respecter 
ses  cheveux  blancs,  et  continua  son  discours  au  peuple.  Mais  Dieu,  pour 
venger  son  ministre  outragé,  et  donner  en  môme  temps  une  leçon  capable 
de  frapper  ces  esprits  vains  et  frivoles,  punit  à  l'instant  cet  homme  audacieux. 

1.  Id  Vaaconiam  denno  accersttos  est  ab  UUus  gentU  popnlis,  qni  ejns  olim  exhortationibns  et  exemplia 
informati  fuerant.  {Ann.  Bened.,  1.  xv,  12.) 


SAINT   AilAND,   ÉVÉOUE   DE   MAESTUICHT.  34o 

Au  milieu  de  la  foule  qui  avait  été  témoin  de  son  impiété,  il  parut  tout  à 
coup  agité  des  plus  violents  transports,  poussa  des  cris  affreux,  se  roula  par 
terre  avec  rage  et  expira  dans  les  plus  atroces  douleurs.  Cette  fin  tragique 
fit  une  profonde  impression  sur  tous  les  spectateurs  et  en  convertit  beaucoup 
qui  étaient  restés  jusqu'alors  indifférents.  On  ne  peut  pas  douter  que  la 
seconde  mission  de  saint  Amand  parmi  les  Basques  n'ait  eu  le  succès  le  plus 
complet.  Car,  depuis  lors,  l'histoire  ne  parle  plus  de  leur  idolâtrie.  Au  con- 
traire, elle  n'a  qu'à  exalter,  d'âge  en  âge,  leur  invincible  fermeté  dans  la  foi 
catholique. 

Saint  Amand,  en  quittant  ces  contrées,  prêchait  partout  la  foi  et  confir- 
mait par  de  nouveaux  miracles  la  haute  opinion  que  partout  l'on  avait  de  sa 
vertu.  Un  jour  il  arriva  dans  une  ^àlle  que  quelques  auteurs  croient  ôtre 
Limoges.  L'évêque  du  lieu  l'accueillit  avec  respect  et  lui  rendit  tous  les 
devoirs  de  l'hospitalité.  Lui-même  offrit  au  vieillard  l'eau  et  le  bassin  pour 
laver  ses  mains,  selon  la  coutume  ;  en  même  temps  il  recommanda  à  un  de 
ses  clercs,  qui  se  trouvait  près  de  lui,  de  conserver  cette  eau.  Quelques  mo- 
ments après,  pendant  que  le  missionnaire  se  reposait  des  fatigues  du  voyage, 
l'évêque  va  prendre  le  vase  qui  contient  l'eau  et  se  dirige  vers  son  église 
cathédrale.  Là  mendiait  chaque  jour  un  pauvre  aveugle  bien  connu  dans 
toute  la  cité.  Arrivé  près  de  lui,  l'évêque  lui  dit  :  «  Mon  fils,  si  tu  as  la  foi, 
mouille  tes  yeux  dans  cette  eau  avec  laquelle  le  serviteur  de  Dieu,  Amand, 
a  lavé  ses  mains;  j'ai  la  confiance  que  par  ses  mérites  tu  recouvreras  la 
vue  ».  L'aveugle  obéit  sur-le-champ  :  il  touche  ses  yeux,  les  mouille  et 
retrouve  la  vue.  A  l'instant  l'évêque  et  l'aveugle  guéri  font  éclater  leur  allé- 
gresse :  le  bruit  de  ce  miracle  se  répand  dans  la  ville,  oh  s'élèvent  de  toutes 
parts  des  cris  de  bénédiction  et  de  reconnaissance.  Mais  déjà  l'humble  thau- 
maturge s'était  éloigné.  Il  parait  bientôt  sur  les  confins  de  l'ancienne  province 
du  Bourbonnais,  à  l'endroit  où  se  trouve  aujourd'hui  la  ville  de  Saint- 
Amand.  Cette  ville  doit  son  origine  à  un  monastère  bâti  par  le  Saint  à  son 
retour  de  Gascogne  et  où  il  laissa  quelques-uns  des  disciples  qui  l'avaient 
accompagné. 

C'est  apparemment  vers  cette  époque,  comme  l'indique  un  diplôme  de 
Childéric  II,  daté  delà  seconde  année  de 'son  règne  (666),  qu'une  autre 
abbaye  fut  bâtie  par  saint  Amand,  à  Nant,  au  pays  des  anciens  Ruthéniens, 
près  de  l'endroit  où  la  Dourbie  se  jette  dans  le  Tarn,  au  diocèse  de  Rodez. 
Un  certain  Mummole,  irrité  de  ce  que  le  saint  missionnaire  avait  obtenu  du 
roi  un  terrain  pour  bâtir  le  monastère  de  Nant,  résolut  de  s'y  opposer.  Il  ne 
recula  pas  même  devant  la  pensée  d'un  meurtre.  Des  malfaiteurs,  à  qui  il 
communiqua  son  dessein,  vinrent  se  présenter  à  saint  Amand  avec  tous  les 
témoignages  du  plus  profond  respect.  Ils  lui  déclarent  leur  intention  de  lui 
montrer  un  lieu  convenable  pour  l'emplacement  du  monastère  qu'il  se  pro- 
pose de  bâtir.  En  même  temps  ils  le  prient  de  les  accompagner,  afin  de 
reconnaître  par  lui-même  la  vérité  de  leurs  paroles.  Ce  projet  cachait  une 
trahison,  et  il  paraît  que  le  Seigneur  la  révéla  à  son  serviteur.  Toutefois, 
Amand,  remettant  son  sort  à  la  Providence,  et  peut-être  aussi  poussé  par 
l'esprit  de  Dieu,  suivit  ses  meurtriers,  sans  témoigner  de  défiance.  Déjà  on 
était  arrivé  au  sommet  de  la  colline  où  ils  se  proposaient  de  lui  trancher  la 
tête,  lorsque  tout  à  coup  le  ciel  se  couvre  de  nuages,  le  tonnerre  gronde,  la 
foudre  éclate,  des  torrents  de  pluie  tombent  et  les  plus  épaisses  ténèbres  se 
répandent  tout  à  l'entour.  Frappés  de  ces  témoignages  éclatants  de  la  jus- 
tice de  Dieu,  les  assassins  se  jettent  en  tremblant  aux  pieds  de  saint  Amand, 
et  le  conjurent,  les  larmes  aux  yeux,  de  leur  laisser  la  vie.  Le  Bienheureux, 


346  G   FÉVRIER. 

touché  lui-même  de  tout  ce  qu'il  voit,  se  prosterne  la  face  contre  terre  et 
supplie  le  Seigneur  de  pardonner  à  ces  hommes  l'attentat  qu'ils  avaient  mé^ 
dite.  Au  même  moment  le  calme  renaît,  l'obscurité  se  dissipe,  et  les  meur- 
triers, frappés  d'admiration  et  de  crainte,  se  retirent  en  demandant  pardon 
à  Dieu  d'avoir  conçu  l'horrible  projet  de  faire  périr  son  serviteur. 

Après  qu'il  eut  disposé  toutes  choses  dans  cette  contrée,  et  puissamment 
avancé  l'œuvre  de  Dieu,  saint  Amand  revint  dans  son  monastère  d'Elnon, 
le  plus  important  de  tous  ceux  qu'il  avait  fondés,  et  où  il  faisait  habituelle- 
ment sa  demeure.  Les  auteurs  les  plus  anciens  font  remonter  sa  fondation 
à  l'an  639,  c'est-à-dire  à  l'époque  où  le  Saint,  après  le  baptême  de  Sigcbert 
et  l'heureux  changement  de  Dagobert,  commença  à  jouir  d'un  grand  crédit 
à  la  cour.  Cette  date  confirme  aussi  ce  qu'avancent  la  plupart  des  chroni- 
queurs, touchant  la  cession  faite  par  ce  monarque  à  l'évoque  missionnaire 
des  terres  sur  lesquelles  fut  bâti  ce  monastère,  des  faveurs  et  des  privilèges 
qu'il  daigna  lui  accorder.  Telle  a  été  du  reste  la  tradition  constante  de 
douze  siècles.  «  C'est  donc  alors  qu'Amand,  homme  de  grande  piété,  cher 
aux  hommes  et  au  Dieu  du  ciel  » ,  fonda  cette  abbaj'e  d'Elnon  (Saint-Amand), 
qui,  dans  sa  pensée,  devait  être  comme  un  centre  pour  la  civilisation  de 
toute  la  contrée,  par  la  connaissance  et  la  pratique  de  l'évangile.  Dagobert, 
qui  savait  apprécier  les  avantages  que  retiraient  ses  peuples  de  ces  établis- 
sements religieux,  favorisa  surtout  celui-ci,  comme  le  témoigne  suffisamment 
un  diplôme  qu'il  octroya  alors  en  garantie  de  la  donation  royale.  Notre 
Bienheureux  en  fut  le  premier  abbé,  comme  l'indiquent  tous  les  catalogues. 
Toutefois  il  était  remplacé  par  ses  disciples,  lorsque  les  besoins  de  l'Eglise 
et  de  ses  missions,  ou  d'autres  affaires  importantes,  l'appelaient  en  diverses 
contrées. 

Outre  les  fondations  dont  il  a  été  parlé,  rappelons  celle  de  l'abbaye  éle- 
vée au  territoire  d'Alost,  non  loin  de  l'endroit  où  fut  martyrisé  saint  Lievin, 
des  abbayes  de  Ilenaix ,  de  Thourout .  de  Leuze  et  de  Deuine,  auprès 
d'Anvers. 

A  Anvers  même,  centre  des  peuplades  barbares  de  la  contrée,  Amand 
éleva  une  église  pour  maintenir  dans  la  foi  ceux  qu'il  avait  convertis  à 
Jésus-Christ. 

Auprès  de  Termonde,  sur  la  rive  droite  de  l'Escaut,  une  autre  église  et 
un  village  qui  l'entoure  portent  son  nom.  A  Condé,  au  confluent  de  l'Es- 
caut et  de  la  Haine,  s'élevait  un  monastère  sous  l'invocation  de  la  Sainte 
Vierge,  fondé,  dit-on,  par  saint  Amand;  c'est  là  que  saint  Wasnon,  venu 
dans  ces  lieux  des  lointaines  montagnes  d'Ecosse,  apprenait  au  peuple  la 
doctrine  et  la  morale  de  l'Evangile. 

L'église  de  Calloo,  près  des  bouches  de  l'Escaut,  vénère  aussi  saint 
Amand  comme  son  patron  et  son  fondateur. 

On  se  souvient  de  l'abbaye  de  Nivelles,  bâtie  par  sainte  Itta  et  sainte 
Gertrude,  sa  fille  :  on  pourrait  encore  ajouter  celle  d'Andenne,  que  sainte 
Begge,  seconde  fille  de  Pépin  le  Vénérable  et  mère  de  Pépin  d'Héristal,  éleva 
sur  les  bords  de  la  Meuse. 

Vers  les  confins  du  Brabant  et  de  l'ancien  pays  des  Bataves  (Hollande), 
auprès  de  l'une  des  embouchures  de  cette  rivière,  on  trouve  encore  l'église 
de  Gertrudenberg  ou  mont  de  Gertrude,  élevée  et  consacrée  par  saint  Amand. 

A  Ardembourg,  saint  Amand  joint  un  monastère  à  l'église  bâtie  par 
saint  Eloi. 

Courtrai,  sur  la  Lys,  vénère  aussi  ces  deux  grands  apôtres  comme  ses 
pères  dans  la  foi. 


I 


SAINT  AMAND,  ÉVÉQ0E  BK  MAE5TMCHT.  347 

L'ancien  diocèse  de  Vabres  oh,  d'après  la  tradition  et  les  monuments, 
saint  Amand  a  prêché  la  foi,  l'a  honoré  pendant  un  grand  nombre  de  siècles 
comme  son  patron.  L'ancienne  église  cathédrale,  dédiée  sous  son  nom, 
existe  encore.  Dans  cette  contrée  il  est  connu  sous  le  nom  de  saint  Alan. 

On  pourrait  citer  encore  d'autres  lieux  dans  lesquels  saint  Amand  a 
prêché  la  foi  et  fondé  des  églises  ou  des  monastères,  où  l'on  croit  du  moins 
reconnaître  des  traces  de  son  passage.  La  province  duBugey,  en  particulier, 
lui  a  voué  un  culte  depuis  les  temps  les  plus  reculés  et  lui  attribue  la  fonda- 
lion  de  monastères  importants,  tels  que  celui  de  Nant,  autour  duquel  se 
serait  formée  la  ville  de  Nantua;  ceux  de  Chézery,  de  Meyria  et  de  Saint- 
Claude  '.  Strasbourg,  Worms  et  Maj^ence  se  glorifient  de  l'avoir  possédé, 
peut-être  à  l'époque  oîi  il  se  rendait  au  pays  des  Slaves.  L'Espagne  elle- 
même  prétend  qu'il  a  gouverné  quelque  temps  une  de  ses  églises.  Ainsi 
s'était  répandue  au  loin  la  réputation  de  saint  Amand. 

Rentré  dans  son  monastère  d'Elnon,  pour  ne  plus  le  quitter,  Amand 
voulut  le  consacrer  solennellement.  A  son  invitation,  des  évêques  et  des 
abbés  se  rendirent  avec  empressement  auprès  du  saint  vieillard,  dont  l'âme 
était  remplie  des  plus  douces  émotions.  La  cérémonie  terminée,  tous  se 
réunirent  dans  la  salle  du  chapitre,  et  c'est  là  qu'en  leur  présence  il  lut  son 
testament,  écrit  sous  sa  dictée,  par  Baudemond,  son  disciple  et  plus  lard 
l'historien  de  sa  vie. 

Quelques  années  après,  saint  Amand  rendit  paisiblement  son  âme  à  Dieu, 
au  milieu  de  ses  disciples,  le  6  février  684  :  il  était  alors  dans  sa  quatre- 
vingt-dixième  année. 

On  représente  saint  Amand  :  1°  tenant  une  petite  église  et  sa  crosse; 
derrière  lui  un  grand  dragon  qui  veut  les  lui  arracher  :  figure  des  persécutions 
que  l'enfer  a  suscitées  au  Saint;  2°  ressuscitant  un  pendu;  3°  tenant  en 
mains  les  fers  des  nombreux  prisonniers  qu'il  a  délivrés  ;  A°  portant  un  dra- 
peau, symbole  que,  dans  les  arts,  on  accorde  assez  volontiers  aux  mission- 
naires qui  ont  enrôlé  des  âmes  sous  la  bannière  de  Jésus-Christ. 


RELIQUES  DE  SAINT  AMAND. 

Son  corps  fiil  déposé  dans  l'oratoire  de  Saint-Pierre,  bâti  par  ses  soins  ;  mais  bientôt  les  gné- 
risnns  et  les  miracles  qui  s'y  opéraient  rendirent  ce  lieu  trop  étroit  pour  la  dévotion  des  lidèles. 
On  éleva  donc,  avec  les  dons  des  habitants  de  la  contrée,  une  église  plus  spacieuse,  dans  laquelle 
l'évèque  de  Tournai  et  de  Noyon  transporta  le  corps  saint,  qu'on  trouva,  après  un  espace  de 
quinze  ans.  sans  la  moindre  trace  de  corruption.  Lors  de  l'invasion  des  Normands,  le  dépôt  sacré 
fut  sauvé  à  l'abbaye  de  Saint-Germain  des  Prés,  à  Paris.  Le  monastère  d'Elnon  fui  envahi  par  les 
Barbares,  qui  massacrèrent  les  religieux  tandis  qu'ils  chantaient  dans  l'église  les  louanges  de  Uieii. 
Celte  abbaye  ayant  été  de  nouveau  détruite  par  un  incendie,  le  li  février  1066,  les  religieui,  avec 
la  permission  des  évèques  de  la  province,  portèrent  processionnellement  les  reliques  de  leur  saint 
patron  dans  différentes  contrées,  pour  obtenir  des  secours  qui  les  aidassent  i  la  relever  de  ses 
ruines.  Un  grand  nombre  de  miracles  furent  alors  opérés  à  Cambrai,  h  Coucy,  à  l.aon,  à  Cli.iuny,  à 
Noyon  et  en  d'autres  lieux.  En  1107  une  autre  procession  fui  faite  aussi  dans  le  Brabant,  p'our 
obtenir  satisfaction  de  certains  seigneurs  qui  voulaient  s'empaier  d'une  partie  des  biens  de  l'abbaye 
d'Elnon.  Des  guérisons  extraordinaires  furent  alors  obtenues  à  Auvaing-sur-la-Houne,  à  Saint- 
Sauvenr,  à  Grauimont,  à  Ninove  et  à  Tournai.  Pour  nous,  dit  le  chroniqueur  qui  rapporte  ces  faits 
dont  il  était  témoin,  nous  admirions  encore  davantage  les  guérisons  opérées  dans  les  âmes,  les 
haines  apaisées,  les  ennemis  réconciliés,  et  les  pécheurs  arrachés  à  la  mort  éternelle. 

L'abbaye  d'Elnon  devint  avec  le  temps  si  célèbre  qu'il  se  forma  auprès  d'elle  une  ville  considé- 
rable connue  aujourd'hui  sous  le  nom  de  Saint-Amand-les-Eaui,  et  dont  le  domaine  temporel 
«ppartenait  à  l'abbé  qui  a  porté  le  titre  de   comte  jusqu'à  la  Révolution.  L'abbaye  qui  avait  été 

1.  Voir  l Hagiographie  de  Belley,  par  Mgr  Depéry,  tome  i",  p.  70. 


348  G   FÉVRIER. 

reconstruite  avec  magniticence  au  siècle  dernier,  sert  aujourd'hui  d'établissement  thermal.  Saint- 
Araand  est  chef-lieu  de  canton  (Nord.  —  10,000  habitants). 

Le  culte  de  saint  Amand  a  été  de  tout  temps  célèbre,  non-seulement  dans  le  nord  de  la  France 
et  de  h  Belgique,  mais  encore  dans  une  multitude  d'autres  contrée»  î  il  en  était  de  même  on  Angle- 
terre où  il  avait  un  office  à  neuf  leçons  dans  le  Bréviaire  de  Sarum.  Nous  avons  dit  déjii  que  son 
nom  est  un  des  plus  connus  dans  le  Bugey,  où  on  lui  attribue  la  fondation  de  plusieurs  monas- 
tères. Saint  Amand  est  encore  vénéré  dans  la  Bretagne,  où  tous  les  diocèses,  e-tcepté  celui  de 
Quimper,  font  son  office.  Dans  les  diocèses  de  Cambrai,  d'Arras,  de  Tournai,  de  Gand,  de  Liège,  de 
Poitiers,  etc.,  une  foule  d'églises  ou  chapelles  le  reconnaissent  pour  leur  patron. 

Saint  Amand  est  aussi  le  patron  d'Erches,  où  l'on  se  rend  en  pèlerinage  le  jour  de  sa  fêle 
(26  octobre),  et  de  Vieuvillers.  Les  Clarisses  d'Amiens  possèdent  de  ses  reliques. 

Vie  des  Sainls  de  Cambrai  et  d'Arras,  par  l'abbd  Destombes  ;  les  Sainis  île  Bretagne,  imr  Albert  le 
Grandet  Dom  Lobineau;  Hagiographie  de  Belley,  par  Myr  Dep^ry;  Biogra/ihie  saiiilongeaise,  par 
M.  Rainguet;  les  Bollandistes ;  le  Pfere  Giry;  51.  l'abbé  Auber,  Hagiographie  de  J'oitiers ;  Saint  Amind, 
apôtre  des  Basques,  par  M.  Menjoulet,  vicaire  général  de  Rayonne;  Godescard,  Ratllet,  Rahibacli?r, 
Migne,  et  VHagiographie  du  diocèse  d'Amiens,  par  M.  l'abbé  Corblet. 


SAINTE  HYACINTHE  MARISCOTTI,  CLARISSE 

IG',0.  —  Pape  :  Urbain  VIII.  —  Roi  de  France  :  Lonis  XllL 


9ft  grande  occupation  était  d'étudier  Jésns  doux  et 
humble  de  cœur. 
Vie  de  la  bienheureuse  imprimée  à  Uome  en  1S07. 


L'illustre  famille  des  MariscoUi  est  originaire  de  l'Ecosse.  En  798,  quand 
Charlemagne  entreprit  une  croisade  contre  les  Sarrasins  d'Espagne,  une 
foule  de  nobles  seigneurs  vinrent  de  tous  côtés  lui  amener  des  renforts  et  se 
mettre  sous  ses  ordres.  De  ce  nombre  était  un  certain  Marins,  chef  d'une 
bande  de  guerriers  du  Nord,  qui  prit  en  France  et  en  Italie  le  nom  de  Ma- 
riscotti  (Marius  le  Scott  ou  l'Ecossais),  et  dont  les  descendants  s'unirent 
plus  tard  aux  premières  familles  romaines,  les  Orsini,  les  Conti,  les  Farnèse 
et  les  Capizucchi. 

Sainte  Hyacinthe,  qui  fut  la  gloire  de  cette  noble  race,  naquit  en  i58o, 
dans  les  Etats  de  l'Eglise.  Elle  était  fille  de  Marc-Antoine  Mariscotti  et 
d'Octavie  Orsini,  comtesse  de  Vignanello,  près  de  Viterbe,  et  reçut  au  bap- 
tême le  nom  de  Clarice.  Elle  fut  élevée  dans  la  crainte  de  Dieu,  et  montra 
dès  son  enfance  les  plus  heureuses  dispositions,  de  sorte  que  ceux  qui  la 
connaissaient,  frappés  de  ses  vertus  précoces,  prédisaient  déjà  sa  sainteté 
future. 

On  fut  obligé  toutefois  de  revenir  sur  la  bonne  opinion  qu'on  avait  for- 
mée de  cet  enfant  ;  car  h  peine  fut-elle  entrée  dans  l'adolescence,  qu'elle 
changea  tout  à  coup  de  conduite,  et  devint  aussi  légère  et  aussi  mondaine 
qu'elle  avait  été  jusque-là  pieuse  et  recueillie.  Elle  ne  pensait  qu'à  la  toi- 
lette et  aux  assemblées  profanes  et  paraissait  incapable  de  toute  idée 
sérieuse.  Sa  sœur  aînée,  Innocentia,  donnait  alors  au  couvent  des  Clarisses 
de  Viterbe  l'exemple  de  toutes  les  vertus  ;  on  la  mit  auprès  d'elle  pour 
essayer  de  la  ramener  au  bien  ;  mais  ni  les  bons  soins  de  sa  sœur,  ni  les 
sages  leçons  et  les  avertissements  salutaires  des  leligieuses  ne  purent  rien 
sur  ce  cœur  léger.  Du  jour  où  elle  entra  au  couvent,  elle  ne  manifesta 


•SAUaE   UYACLNITIE   ilAIUSCOTIl,    (XAKISSE.  349 

qu'un  désir  :  en  sortir  le  plus  vite  possible.  Elle  brûlait  de  se  jeter  dans  le 
tourbillon  du  monde,  et  d'y  goûter  ces  jouissances  acres  et  violentes,  qui, 
pour  elle,  étaient  la  suprême  félicité  de  la  vie.  Elle  n'y  éprouva  tout  d'abord 
qu'une  grande  déception  :  belle  et  coquette,  elle  espérait  faire  un  mariage 
brillant  ;  elle  vit  sa  plus  jeune  sœur,  Hortense,  épouser  le  marquis  romain 
Paul  Capizucchi,  tandis  qu'aucun  parti  convenable  ne  se  présentait  pour 
elle.  Elle  en  conçut  un  chagrin  profond,  devint  sombre,  mélancolique,  et 
d'une  bumeur  si  difficile  qu'il  était  presque  impossible  de  vivre  avec  elle. 

Le  repos  de  la  famille  était  sérieusement  compromis  par  cette  jeune  fille 
égarée  ;  elle  ne  pouvait  plus  songer  à  se  marier,  et  il  n'y  avait  plus  pour 
elle  d'autre  ressource  que  le  couvent.  Quoiqu'elle  manifestât  pour  la  vie 
religieuse  une  extrême  répugnance,  son  père  l'engagea  à  se  faire  Clarisse. 
Elle  obéit,  et  entra  dans  un  monastère  du  tiers  ordre  régulier  à  Viterbe,  où 
elle  reçut  le  nom  de  sœur  Hyacinthe.  Mais  au  lieu  d'oublier  le  monde,  dit 
le  chroniqueur,  elle  le  fit  entrer  avec  elle  au  couvent.  Elle  déclara  qu'elle 
n'habiterait  pas  les  horribles  petites  cellules  des  religieuses,  et  se  fit  bâtir 
une  chambre  magnifique,  qu'elle  orna  avec  un  luxe  princier  ;  elle  y  mit  des 
tentures  splendides,  des  tapis,  des  draperies  d'or  et  d'argent  ;  ses  bijoux 
s'étalaient  sur  une  table  de  marbre  ;  on  eut  cru  voir  la  demeure  d'une  prin- 
cesse mondaine,  bien  plutôt  que  la  retraite  d'une  servante  du  Christ.  Elle 
s'acquittait  avec  tiédeur  des  exercices  de  piété,  et  supportait  avec  un  ennui 
qu'elle  ne  cherchait  même  pas  à  déguiser  les  observances  prescrites  par  la 
règle.  Durant  dix  années  entières,  elle  mena  ce  genre  de  vie,  et  ni  les 
remontrances  de  ses  supérieurs,  ni  les  exhortations  de  ses  parents  ne  purent 
la  ramener  à  une  conduite  plus  conforme  à  l'esprit  du  saint  institut  qu'elle 
avait  embrassé. 

Le  Seigneur,  cependant,  finit  par  jeter  sur  elle  un  regard  de  sa  divine 
miséricorde  :  il  amena  au  couvent  un  saint  homme,  le  père  Antoine  Bion- 
chetti.  A  ce  moment,  sœur  Hyacinthe,  gravement  malade,  était  couchée 
sur  son  lit  de  douleurs,  et  frappée  de  terreur  à  la  pensée  du  sort  qui  l'at- 
tendait dans  l'autre  monde,  elle  réclamait  à  grands  cris  un  confesseur.  Le 
père  Antoine  accourut  :  à  la  vue  de  cet  appartement  somptueux,  et  des 
objets  de  luxe  dont  s'était  entourée  une  fille  de  sainte  Claire,  il  s'arrêta 
court  et  refusa  d'entendre  sa  confession  en  disant  que  le  Paradis  n'était 
pas  fait  pour  les  personnes  superbes.  La  pauvre  religieuse  montra  un  violent 
désespoir  :  «  Ainsi,  je  ne  puis  être  sauvée  »,  dit-elle,  en  versant  un  torrent 
de  larmes,  «  et  il  est  écrit  que  Dieu  n'aura  pas  pitié  de  moi  ».  «  Changez  de 
vie  »,  repartit  le  serviteur  du  Christ,  «laissez  là  ces  vaines  parures,  ces 
bijoux,  ces  vêtements  somptueux;  soyez  humble,  soyez  pieuse,  oubliez  le 
monde  et  ne  songez  plus  qu'aux  choses  du  ciel  ;  et  peut-être  alors,  le  par- 
don viendra  avec  le  repentir  ».  Le  lendemain  il  entendit  sa  confession  géné- 
rale; la  malheureuse  sanglotait  si  fort  qu'elle  ne  pouvait  prononcer  que  des 
paroles  entrecoupées.  Puis  elle  se  leva  malgré  sa  faiblesse,  remplaça  sa  robe 
de  soie  par  une  robe  de  bure,  et  se  rendit  au  réfectoire  où  elle  se  donna  la 
discipline  en  présence  de  ses  sœurs,  à  qui  elle  demanda  pardon  avec  des 
larmes  dans  les  yeux  et  dans  la  voix.  Les  religieuses,  pleines  de  joie  à  la  vue 
de  cette  soudaine  transformation,  la  consolèrent,  l'encouragèrent  à  persé- 
vérer dans  cette  bonne  voie  et  lui  promirent  le  secours  de  leurs  prières  : 
sainte  Hyacinthe  allait  commencer  de  vivre  pour  le  Seigneur. 

Toutefois  sa  conversion  ne  fut  encore  que  partielle,  et  elle  ne  put  tout 
d'abord  se  résigner  à  quitter  toutes  les  futilités  qui  jusque-là  avaient 
fait  sa  joie.  C'est  seulement  quelques  mois  plus  tard,  à  la  suite  d'une  nou- 


330  6  FÉVRIER. 

velle  maladie,  que  cédant  ;\  l'influence  toute  puissante  de  la  grâce,  et  aux 
conseils  de  sainte  Catherine  de  Sienne  qui  lui  apparut  au  milieu  de  ses 
souffrances,  elle  prit  une  résolution  définitive  et  héroïque.  Elle  fit  le  sacri- 
fice de  tout  ce  qu'elle  possédait  au  mépris  de  la  règle,  remit  à  l'abbesse  ses 
meubles,  ses  robes  et  ses  bijoux,  el  revêtit  la  dépouille  d'une  religieuse  qui 
venait  de  mourir.  Elle  embrassa  une  vie  de  pénitence  si  austère  qu'on  n'y 
peut  penser  sans  frémir.  Elle  se  choisit  pour  patrons  au  ciel  les  Saints  qui 
s'étaient,  comme  elle,  laissés  d'abord  entraîner  au  torrent  du  monde  :  saint 
Augustin,  sainte  Marie  d'Egypte,  saint  Guillaume,  sainte  Marguerite  de 
Cortone.  Elle  ne  voulut  plus  qu'on  l'appelât  Hyacinthe  Mariscotti,  mais 
sœur  Hyacinthe  de  Sainte-Marie.  Elle  ne  consentit  plus  à  voir  ses  parents  et 
ses  amis  que  sur  un  ordre  de  l'abbesse,  et  pour  pratiquer  la  sainte  vertu  de 
l'obéissance,  à  laquelle  elle  avait  si  souvent  manqué  dans  le  passé  ;  Jésus- 
Christ  souffrant  sur  sa  croix  fut  sa  seule  pensée  et  son  seul  amour. 

Jour  et  nuit,  elle  se  mortifia.  Elle  prenait  la  discipline  avec  tant  de  sévé- 
rité que  le  pavé  de  sa  cellule  était  tout  rouge  de  sang.  En  souvenir  des 
plaies  divines  du  Sauveur,  elle  se  fit  aux  pieds,  aux  mains  et  au  côté  de 
larges  blessures,  qu'elle  rouvrait  elle-même  continuellement  et  qu'elle  ne 
laissa  se  cicatriser  que  sur  un  ordre  formel  de  ses  supérieures.  Elle  s'était 
procuré  un  immense  crucifix,  qu'elle  portait  presque  tout  le  jour  sur  ses 
épaules,  et  aux  bras  duquel  elle  se  faisait  attacher  la  nuit  avec  des  chaînes 
de  1er.  Un  fagot  de  sarments  lui  servait  maintenant  de  couche  ;  une  pierre 
était  son  unique  oreiller.  Elle  foula  de  ses  pieds  mignons  et  délicats  le  rude 
pavé  de  la  cour  du  couvent,  sur  lequel  elle  laissait  souvent  des  traces  de 
sang  ;  et  tous  les  vendredis,  en  mémoire  de  la  soif  de  Jésus,  elle  se  mettait 
dans  la  bouche  une  poignée  de  sel.  Elle  ne  buvait  que  de  l'eau,  et  ne  man- 
geait que  du  pain  très-dur  qu'elle  laissait  brûler  au  four,  pour  le  rendre 
désagréable  au  goût.  Une  fois,  pour  se  punir  d'avoir  trouvé  bon  un  peu  de 
mouton  qu'elle  avait  mangé  le  jour  de  Pâques,  elle  en  laissa  un  morceau  se 
corrompre  dans  sa  cellule  pendant  quatorze  jours,  et  en  fît  un  repas.  Pen- 
dant l'Avent  et  le  Carême,  elle  vivait  de  salade  et  de  racines  cuites  à  l'eau. 
En  un  mot,  elle  poussa  ses  austérités,  si;s  jeûnes  et  ses  autres  pénitences 
aussi  loin  que  le  permit  la  conservation  do  sa  vie. 

L'humilité  est  la  vertu  des  anges  :  Hyacinthe  la  posséda  au  suprême 
degré.  Riche  de  tous  les  dons  de  la  nature  et  de  la  grâce,  véritablement 
sainte  aux  yeux  des  hommes  et  aux  yeux  de  Dieu,  elle  continua  h  se  regarder 
comme  la  dernière  des  pécheresses.  La  plus  pauvre  sœur  converse  avait  une 
robe  plus  belle  et  une  cellule  moins  sévère  que  la  sienne.  Elle  cherchait 
toutes  les  occasions  de  se  faire  mépriser  et  humilier.  Souvent  elle  vint  au 
réfectoire  sans  voile,  une  corde  au  cou,  et  elle  allait  baiser  les  pieds  des 
religieuses  en  leur  demandant  pardon  du  scandale  dont  elle  avait  été  l'objet. 
Elle  se  couchait  sur  le  seuil,  et  suppliait  les  sœurs  et  les  novices  de  lui 
marcher  sur  le  corps.  Elle  faisait  les  ouvrages  les  plus  répugnants  du  cou- 
vent, balayait  les  cellules,  et  presque  toujours  en  se  traînant  sur  les  genoux, 
pour  se  fatiguer  davantage.  Les  religieuses  ne  lui  ménageaient  pas  les  dures 
paroles,  et  beaucoup  d'entre  elles  la  traitaient  tout  haut  d'hallucinée  el  de 
folle.  Elle  s'en  félicitait  au  fond  du  cœur,  et  préférait  de  beaucoup  les  plus 
grossières  injures  aux  éloges  que  lui  donnait  souvent  la  supérieure.  Quand 
on  la  nomma  sous-supérieure  et  maîtresse  des  novices,  elle  ne  se  décida  à 
accepter  ces  dignités  que  sur  l'ordre  absolu  de  l'abbesse  :  «  Comment  vou- 
lez-vous T>,  disait-elle  en  pleurant,  <i  que  je  dirige  les  autres  dans  la  voie  do 
la  vertu,  quand  je  sais  à  peine  me  conduire  moi-même  ». 


SALYTE   HYACINTHE  HAWSCOTTI,   CLARISSE.  351 

Un  jour,  au  parloir,  une  jeune  fille  qui  était  venue  faire  visite  à  une 
religieuse  de  ses  amies,  parla  en  termes  fort  élogieux  de  la  bienheureuse 
Hj-acinthe,  et  dit  que  par  le  monde  elle  avait  entendu  maintes  fois  célébrer 
ses  vertus.  La  sainte  fille  passait  par  hasard,  et  elle  entendit  cette  conver- 
sation :  «  Les  hommes  »,  répliqua-t-elle  sans  se  faire  connaître,  «  parlent 
toujours  de  ce  qu'ils  ignorent  ;  cette  religieuse  est  la  plus  grande  pécheresse 
de  l'univers  ». 

Elle  implorait  sans  cesse  les  prières  de  toutes  les  personnes  qui  avaient 
quelque  relation  avec  elle.  «  Il  y  a  quatorze  ans  que  j'ai  changé  de  con- 
duite »,  écrivait-elle  aune  religieuse;  «pendant  ce  temps  j'ai  prié  quel- 
quefois quarante  heures  de  suite,  j'ai  assisté  tous  les  jours  à  plusieurs  messes, 
et  je  me  trouve  plus  loin  que  jamais  de  la  perfection.  Quand  pourrai-je 
servir  mon  Dieu  comme  il  le  mérite  ?  Priez  pour  moi,  mon  amie,  pour  que 
le  Seigneur  me  donne  au  moins  l'espérance  !  » 

Dieu  lui  avait  accordé  le  don  de  faire  des  miracles,  mais  elle  s'en  défen- 
dait comme  d'un  crime.  Des  Italiens,  en  promenade  sur  mer,  furent  tout  à 
coup  assaillis  par  une  violente  tempête,  et  se  trouvèrent  en  danger  de  mort. 
L'un  d'eux  pensa  aussitôt  à  la  bienheureuse  sœur,  dont  la  sainteté  était 
proverbiale,  et  joignant  les  mains  il  s'écria  :  «  0  sœur  Hyacinthe,  venez  à 
notre  aide,  ou  nous  périssons».  Au  même  instant,  les  passagers  virent, 
debout  à  l'avant  du  bateau,  une  Clarisse  en  robe  blanche,  qui  aplanissait 
les  vagues  et  dirigeait  avec  une  force  surnaturelle  l'embarcation  vers  le 
port.  Déposés  sains  et  saufs  sur  le  rivage,  ils  coururent  aussitôt  vers  le  cou- 
vent pour  exprimer  à  la  bienheureuse  toute  leur  reconnaissance.  L'abbesse 
lui  donna  l'ordre  de  venir  au  parloir,  mais  à  peine  les  eut-elle  entendus  dire  : 
«  C'est  elle  qui  nous  a  sauvés  de  la  tempête  »,  qu'elle  s'enfuit,  comme  un 
coupable  poursuivi  par  la  justice,  et  s'en  alla  toute  rouge  de  honte  se  cacher 
dans  sa  cellule. 

C'est  parce  qu'elle  était  si  profondément  convaincue  de  la  grandeur  de 
ses  fautes,  que  la  bienheureuse  Hyacinthe  endurait  avec  un  calme  et  une 
tranquillité  parfaites  les  souffrances  qu'il  plaisait  à  Dieu  de  lui  envoyer. 
Pendant  dix-sept  ans  elle  fut  atteinte  de  coliques  presque  continuelles, 
produites  par  la  mauvaise  nourriture  à  laquelle  elle  s'était  astreinte,  et  par 
l'excès  même  de  ses  austérités.  Ses  douleurs  étaient  parfois  si  violentes, 
qu'il  lui  arriva  de  perdre  connaissance  au  moment  même  oh  elle  entrait  au 
chœur.  Cependant  le  même  sourire  angélique  illuminait  sa  figure,  et  on  ne 
l'entendit  jamais  gémir  que  sur  la  grandeur  de  ses  fautes. 

Le  démon  qui  voyait  avec  fureur  cette  âme  lui  échapper,  essaya  contre 
elle  toutes  ses  tentations  et  toutes  ses  ruses  ;  il  se  brisa  contre  une  vertu  plus 
solide  que  des  remparts  de  fer  et  des  portes  d'airain.  Toutes  les  puissances 
de  l'enfer  ne  prévalurent  pas  contre  la  fiancée  du  Christ,  soutenue  qu'elle 
était  par  l'amour  de  son  Dieu  et  par  la  grâce  de  l'Esprit-Saint.  Elle  opposa 
aux  attaques  du  malin  esprit  des  prières,  des  méditations,  de  longues  con- 
templations aux  pieds  du  Sauveur  crucifié,  la  lecture  de  bons  livres  et  les 
conseils  de  son  confesseur,  et  elle  triompha  avec  l'aide  du  Très-Haut.  S'il 
est  vrai  que  sortir  victorieux  des  tentations,  quand  autrefois  on  y  a  succombé, 
est  plus  agréable  à  Dieu  que  toutes  les  prières  et  toutes  les  offrandes,  le 
nom  de  la  bienheureuse  Hyacinthe  a  dû  être  inscrit  avant  beaucoup  d'au- 
tres sur  le  hvre  d'or  du  ciel. 

Après  avoir  écrasé  le  démon  quand  il  s'attaquait  à  elle-même,  Hyacinthe 
s'occupa  de  délivrer  de  son  infernale  puissance  tous  ceux  qui  y  avaient 
succombé.  Les  pécheurs,  surtout  ceux  qui  avaient  fait  les  plus  lourdes 


352  6    KÉVRIEU. 

chutes,  furent  l'objet  de  sa  sollicitude.  Quand  elle  voyait  commettre  une 
faute  contre  Dieu,  il  lui  semblait  que  son  coeur  allait  se  briser;  elle  prenait 
sa  part  du  péché,  se  mortifiait  et  se  punissait  comme  si  elle  eut  été  elle- 
même  coupable  :  «  Mon  Dieu  »,  disait-elle,  «pourquoi  ne  puis-je  faire 
comprendre  aux  hommes  la  grandeur  de  leur  néant,  et  leur  mettre  sous  les 
yeux  l'enfer  avec  toutes  ses  horreurs,  aQn  de  les  ramener  à  vous  par  la 
crainte,  sinon  par  l'amour  ?  0  mon  souverain  bien,  penser  qu'on  ne  vous 
connaît  pas,  et  qu'on  ne  vous  aime  pas  !  0  lumière  du  monde,  penser  qu'on 
ne  vous  voit  pas  !  Quel  plus  cruel  supplice  pour  ceux  qui  vous  voient,  qu' 
vous  connaissent  et  n'ont  d'autre  objet  que  vous  !  » 

Quand  elle  essayait  de  convertir  un  pécheur,  elle  avait  une  éloquence  irré- 
sistible, qui  parlait  ducœuret  qui  allait  au  cœur.  Elle  éprouvait  pour  eux  une 
immense  pitié  qui  se  traduisait  en  paroles  passionnées  et  en  prières  si  tou- 
chantes qu'on  ne  pouvait  pas  ne  pas  lui  promettre  de  s'amender  et  de  rentrer 
au  giron  de  l'Eglise.  Les  malheureuses  femmes  qui  vendent  leur  âme  avec  leur 
corps  étaient  surtout  l'objet  de  son  ardente  sollicitude  ;  elle  les  faisait  venir 
près  d'elle,  leur  montrait  l'horreur  de  leur  conduite,  les  reprenait  douce- 
ment comme  une  mère  qui  gronde  son  enfant,  et  arrachait  aux  plus  endur- 
cies des  larmes  de  repentir.  La  plupart  du  temps,  elle  leur  donnait  de 
l'argent  et  des  vêtements  convenables,  et  les  faisait  entrer  dans  des  maisons 
respectables  ou  dans  des  couvents. 

Souvent  par  la  seule  force  de  ses  prières,  elle  ramenait  au  bien  des  âmes 
égarées.  Une  mère,  dont  le  fils  vivait  d'une  façon  indigne,  vint  la  trouver 
les  larmes  aux  yeux,  et  lui  demanda  des  conseils  :  «  Soyez  tranquille  »,  lui 
dit  la  Sainte,  «  Dieu  vous  viendra  en  aide  ».  Elle  se  mit  aussitôt  à  genoux, 
et  adressa  au  ciel  de  ferventes  supplications.  Ce  jour-là  môme,  le  jeune 
homme  repentant  vint  implorer  de  sa  mère  le  pardon  de  ses  fautes. 

La  bienheureuse  Hyacinthe  avait  au  plus  haut  degré  l'amour  de  la  chas- 
teté, et  toutes  ses  paroles  tendaient  à  inspirer  cette  vertu  :  «  Virginité  sainte 
et  immaculée  »,  disait-elle  souvent,"  quelles  louanges  peuvent  assez  te  célé- 
brer » .  Et  encore  : 

((  Sainte  Marie,  Mère  de  Jésus,  par  votre  virginité  sans  tache  avant  la 
Conception,  aidez-moi  à  rester  moi-même  chaste  et  pure  dans  mon  âme. 

«  Sainte  Marie,  Mère  de  Jésus,  par  votre  virginité  sans  tache  pendant 
la  Conception,  aidez-moi  à  rester  moi-même  chaste  et  pure  dans  mon  corps. 

«  Sainte  Marie,  Mère  de  Jésus,  par  votre  virginité  sans  tache  après  la 
Conception,  aidez-moi  à  rester  moi-même  chaste  et  pure  dans  mes  paroles  ». 

C'est  elle  encore  qui  adressait  à  Marie  cette  prière  : 

«  Mettons-nous  sous  la  protection  de  la  sainte  Mère  de  Dieu  ;  6  Vierge 
glorieuse  et  trois  fois  bénie,  assistez-nous  dans  nos  besoins,  et  délivrez-nous 
de  tout  mal  ».  Amen. 

Une  des  conversions  qui  font  le  plus  d'honneur  à  la  bienheureuse  Hya- 
cinthe, c'est  celle  de  François  Pacini,  soldat  de  fortune,  que  sa  cruauté, 
son  insolence  et  son  impudeur  avaient  rendu  tristement  célèbre  dans  toute 
l'Italie.  La  Sainte  entendit  parler  de  lui,  et  elle  résolut  d'en  faire  un  homme 
pieux  et  craignant  Dieu.  Elle  jeûna,  pria  et  se  mortifia  pendant  quarante 
jours  ;  puis  elle  lui  écrivit  de  venir  la  voir  à  son  couvent  pour  des  affaires 
très-importantes.  Pacini  répondit  tout  d'abord  qu'il  s'était  juré  de  ne  jamais 
mettre  le  pied  dans  un  cloître,  et  il  refusa.  Mais  Hyacinthe  ne  se  tint  pas 
pour  battue  :  à  sa  prière,  un  pécheur  converti  nommé  Simonelti,  qui  avait 
été  autrefois  l'ami  de  Pacini,  alla  le  trouver,  et  se  moqua  de  lui  :  «  Que 
vous  êtes  bien  changé  »,  lui  dit-il,  «  puisque  vous  n'osez  plus  même  affron- 


I 


S.U.\-TE   HTACINTHE    M.\RISCOTTI,    CLAWSSE.  353 

ter  les  regards  d'une  femme  «.  Pacini  craignit  de  passer  pour  avoir  eu  peur 
une  fois  en  sa  vie  ;  il  vint  trouver  Hyacinthe,  en  se  promettant  bien  de  la 
faire  se  repentir  longtemps  de  sa  démarche.  Il  avait  compté  sans  Dieu,  qui, 
quand  il  lui  plaît,  abat  les  plus  insolents  courages  et  transforme  les  loups 
dévorants  eu  timides  brebis.  A  peine  fut-il  en  présence  de  la  Sainte,  qu'il  se 
sentit  trembler;  il  ne  put  que  murmurer  des  paroles  confuses,  et,  pris  tout 
à  coup  d'horreur  au  tableau  qu'elle  lui  lit  de  ses  crimes,  il  tomba  à  genoux, 
versa  des  larmes  amères,  et  promit  de  se  confesser.  Le  dimanche  suivant, 
jour  de  la  Passion  de  Notre-Seigneur,  il  alla  pieds  nus  et  la  corde  au  cou  se 
mettre  à  genoux  au  milieu  de  l'église  et  faire  amende  honorable.  Plus  tard 
il  se  rendit  à  Rome  revêtu  de  l'habit  de  pèlerin,  et  consacra  au  Seigneur  le 
reste  de  sa  vie. 

Il  serait  trop  long  d'énumérer  toutes  les  conversions  que  provoqua  la 
sainte  religieuse,  les  couvents  qu'elle  réforma  par  des  lettres  sévères  adres- 
sées à  des  supérieurs  trop  faciles,  les  villes  où  la  seule  renommée  de  sa  sain- 
teté changea  en  réunions  pieuses  les  assemblées  mondaines  et  frivoles.  De 
toutes  parts  on  lui  demandait  des  conseils  et  des  prières.  C'est  à  son  insti- 
gation que  Camille  Savella,  duchesse  de  Farnèse  et  de  Savella,  fonda  deux 
monastères  de  Clarisses  à  Farnèse  et  à  Rome.  Les  novices  accouraient  au 
couvent  de  Viterbe,  pour  marcher  sous  sa  direction  dans  la  voie  de  la  per- 
fection, et  beaucoup  d'entre  elles,  entre  autres  la  bienheureuse  Lucrèce, 
suivirent  si  bien  ses  traces  qu'elles  moururent  en  odeur  de  sainteté. 

La  Sainte  de  Viterbe  montrait  une  égale  sollicitude  pour  les  souffrances 
physiques  et  pour  les  maladies  morales  de  l'humanité.  Ce  qu'elle  a  fait 
d'aumônes  est  presque  incroj'able.  On  se  demande  par  quels  moyens,  pauvre 
et  dénuée  de  tout  comme  elle  était  elle-même,  elle  a  pu  distribuer  aux 
pauvres  tant  d"argent  et  de  vêtements.  Elle  allait  elle-même  visiter  les 
misérables  honteux,  et  leur  porter  tout  ce  dont  ils  avaient  besoin.  Dans  les 
tristes  réduits  où  elle  passait  parfois  de  longues  heures,  elle  amenait  avec 
elle  la  paix,  la  joie,  l'espérance  et  le  bien-être.  Elle  avait  une  ardeur  iné- 
puisable de  charité  :  «  Que  ne  puis-je,  comme  autrefois  le  Seigneur  sur  la 
montagne  »,  disait-elle,  «  multiplier  les  vêtements  dont  je  me  couvre  et  le 
pain  dont  je  me  nourris,  pour  en  couvrir  et  en  nourrir  tous  les  malheureux 
de  ce  monde  ?  J'irai  prêcher  par  les  rues  la  bienfaisance  et  la  charité  !  La 
pauvreté  est  sainte,  c'est  une  fille  du  ciel  ;  il  faut  que  les  hommes  la  res- 
pectent. Quand  les  pauvres  souffrent,  Marie,  leur  reine,  pleure  dans  le  ciel, 
et  les  générations  des  riches,  qui  passent  sans  abaisser  les  yeux  sur  leur 
misère  et  sans  tendre  vers  eux  leurs  mains,  sont  maudites  du  Seigneur.  Qui 
méprise  les  pauvres,  méprise  Jésus-Christ  ;  qui  les  repousse,  commet  un 
crime  contre  Dieu  ». 

Il  y  avait  dans  la  cour  du  couvent  sept  chapelles  où  les  religieuses  pou- 
vaient mériter  les  indulgences  des  sept  églises  de  Rome.  Toutes  les  nuits, 
même  en  hiver,  Hyacinthe  passait  de  l'une  à  l'autre,  et  dans  chacune  d'elle 
elle  faisait  ses  dévotions  devant  les  statues  du  Fils  de  Dieu,  de  la  Reine  des 
Anges  et  des  Saints  qui  s'y  trouvaient.  Elle  accomplissait  cette  sorte  de  pèle- 
rinage pieds  nus,  avec  une  lourde  croix  sur  ses  épaules,  se  donnant  ici  la 
discipline,  là  frappant  la  terre  de  son  front,  partout  versant  des  torrents  de 
larmes,  et  priant  les  bras  étendus  vers  le  ciel. 

Elle  avait  une  grande  dévotion  à  l'archange  saint  Michel  dont  elle  invo- 
quait l'assistance  dans  tous  ses  besoins.  Mais  c'est  surtout  la  Très-Sainte 
Vierge  qu'elle  avait  prise  pour  avocate  dans  le  ciel.  Son  cœur  brûlait  d'a- 
mour et  semblait  se  consumer  chaque  fois  qu'on  prononçait  devant  elle  le 
Vies  des  Salnis.  —  Tome  H.  23 


I 


354  C   FÉVRIER. 

nom  de  la  Reine  des  Anges  ;  elle  l'écrivait  sans  cesse  sur  ses  livres,  sur  les 
murs  de  sa  cellule,  au  réfectoire,  à  la  chapelle,  pour  l'avoir  sans  cesse  de- 
vant les  yeux.  Pendant  les  sept  jours  qui  précédaient  les  fêles  de  Marie, 
elle  récitait  à  haute  voix,  avec  les  pieuses  habitantes  du  couvent,  sept  i'a/er 
et  sept  ^re,  et  la  veille  même  des  fêles,  elle  faisait  avec  les  novices  une 
procession  autour  du  couvent,  en  chantant  les  Litanies  de  la  Sainte  Vierge 
ou  d'autres  saints  cantiques. 

Que  dire  de  son  amour  pour  Jésus,  son  céleste  Fiancé  ?  Enfant,  dans 
retable  de  Bethléem,  elle  avait  pour  lui  le  culte  d'une  mère  ;  Dieu  fait 
homme  et  mourant  sur  la  croix,  elle  lui  demandait  avec  des  larmes  et  en 
baisant  ses  blessures,  pardon  pour  tous  les  péchés  qu'elle  avait  commis. 
Elle  ne  pouvait  voir  un  tableau  représentant  la  Passion,  sans  assister  par  la 
pensée  à  tout  le  supplice  du  Sauveur  des  hommes;  elle  priait  avec  lui  au 
mont  des  Oliviers  ;  elle  recevait  sur  sa  joue  le  baiser  de  Judas,  elle  était 
près  de  lui  chez  Caïphe  et  chez  Hérode  ;  elle  montait  avec  lui,  chargée  aussi 
de  sa  croix,  le  saint  Calvaire.  Alors  elle  se  mettait  elle-même  sur  sa  tête  une 
couronne  d'épines,  qu'elle  enfonçait  jusqu'à  ce  que  le  sang  l'aveuglât,  et 
elle  se  couchait  sur  la  terre  nue  les  bras  étendus. 

Le  saint  sacrifice  de  la  messe,  où  le  Sauveur  s'offre  tous  les  jours  comme  I 
une  victime  expiatoire  de  tous  les  péchés  des  hommes,  lui  faisait  verser  des] 
torrents  de  larmes  :  «  Mon  Jésus  vient  d'être  crucifié  »,  disait-elle  souvent; 
H  quand  donc,  ô  mon  Dieu,  aurez-vous  assez  lavé  de  votre  sang  tous  les! 
péchés  des  hommes  ?  »  Elle  s'approchait  de  la  sainte  table  tous  les  jours,  et  j 
si  on  ne  l'en  eût  empêchée,  elleserail  restée  toute  sa  vie  en  contemplation! 
devant  le  sacré  Tabernacle.  «  Seigneur  »,  s'écriait-elle,  «  je  suis  le  néant  etl 
vous  êtes  l'infini,  et  vous  êtes  mort  pour  moi  sur  une  croix  !  Seigneur,  don- 
nez-moi votre  amour  ». 

Tout  ce  qu'elle  voyait,  tout  ce  qu'elle  entendait  la  faisait  aussitôt  s'éle- 
ver à  Dieu.  Elle  priait  presque  continuellement,  et  elle  puisait  dans  ses 
prières  la  consolation  et  l'espérance,  dont  elle  sentit  le  besoin  toute  sa  vie  : 
«  Seigneur»,  disait-elle,  «que  votre  volonté  soit  faite  ;  mais  ayez  pitié  de 
moi,  misérable  créature,  pleine  de  péchés  et  de  vices  ».  On  la  trouvait  sou- 
Tent  en  extase,  les  bras  étendus,  pendant  des  heures  entières  ;  immobile 
comme  une  statue,  la  figure  resplendissante,  les  yeux  perdus  dans  l'immen- 
sité, tandis  qu'un  parfum  céleste  remplissait  sa  cellule.  Elle  ne  voyait  et 
n'entendait  plus  rien  de  ce  qui  se  passait  autour  d'elle,  mais  elle  se  sentait 
mêlée  aux  chœurs  des  anges,  et  elle  chantait  avec  eux  :  Gloria  in  excelsii 
Deo,  et  in  terra  pax  hominiius  borne  voluntatis. 

Dieu  voulut  récompenser  dès  ce  monde  sa  servante  en  lui  accordant  le 
don  de  prophéties  et  de  miracles. 

Le  comte  Degliolti,  gravement  malade,  se  fit  recommander  à  ses  priè- 
res :  «  Mieux  vaudrait  »,  dit-elle,  «  qu'il  mourût  maintenant,  car  plus  tard 
il  sera  assassiné  ». 

Catherine  Zagretti,  qui  souffrait  d'un  érysipèle  à  la  tête  et  à  la  gorge, 
était  condamnée  par  les  médecins.  Son  fils  vint  tout  en  pleurs  prier  la  Sainte 
d'intercéder  pour  elle  auprès  de  Dieu  :  «  Mon  fils  »,  lui  répondit-elle,  «  con- 
solez-vous, votre  rnère  guérira;  allez  seulement  pendant  quelques  jours 
offrir  au  Seigneur  vos  actions  de  grâces,  et  réciter  neuf  fois  au  pied  des  autels 
le  6"a/i-e  ^"^iVifl,  en  mémoire  des  neuf  mois  durant  lesquels  la  Très-Sainte 
Mère  de  Dieu  a  porte  son  divin  Fils  dans  son  sein  virginal  ».  Le  jeune 
homme  obéit,  et  de  retour  à  la  maison,  u  trouva  sa  mère  saine  et  sauve. 

La  liste  des  prédictions  de  la  bienheureuse  Hyacinthe  est  trop  longue 


SALME   liVACLNTUE   ilAKISCOm,    CLUUSSE.  333 

pour  que  nous  la  placions  ici  ;  elle  serait  d'ailleurs  superflue  et  n'ajouterait 
rien  à  ce  que  nous  savons  de  ses  mérites  et  des  complaisances  de  Dieu  pour 
sa  fidMe  servante. 

Quelques  mois  avant  sa  mort,  elle  se  sentit  pour  ainsi  dire  lentement 
consumer  par  le  feu  de  l'amour  divin  ;  c'est  le  signe  auquel  elle  devait 
reconnaître  qu'elle  allait  bientôt  retourner  dans  la  céleste  patrie.  Dieu  lui 
avait  aussi  annoncé  qu'à  ses  derniers  moments,  elle  recevrait  d'un  prêtre 
une  statuette  magnifique  de  la  Très-Sainte  Vierge  ;  c'est  ce  qui  arriva  en  effet  : 
elle  la  plaça  dans  sa  cellule,  et  dès  lors  elle  ne  songea  plus  qu'à  bien  mou- 
rir. Elle  écrivit  au  cardinal  Brancaccio  pour  lui  recommander  la  confrérie 
qu'elle  avait  fondée,  sous  le  patronage  de  Marie.  Le  29  janvier,  elle  se  con- 
fessa avec  une  grande  piété,  et  reçut  la  sainte  communion  ;  et  le  soir  môme 
de  ce  jour,  au  moment  où  elle  récitait  avec  ses  sœurs  les  litanies  de  la 
Sainte  Vierge,  elle  fut  tout  à  coup  prise  de  si  violentes  coliques  qu'il  fallut 
la  porter  à  l'hôpital.  On  lui  faisait  espérer  qu'elle  ne  souffrirait  pas  long- 
temps :  «  C'est  vrai  »,  répondit-elle,  «encore  quelques  heures,  et  je  serai 
pour  jamais  déli\Tée  de  tous  les  maux  de  ce  monde».  Les  plus  célèbres 
médecins  de  Viterbe  conféraient  sur  les  moyens  de  la  sauver  :  «  Remerciez- 
les  de  leur  bonne  volonté  »,  murmurait-elle,  «  mais  dites-leur  que  demain 
je  serai  dans  le  ciel  auprès  de  mon  Fiancé  ». 

Les  assistants  ne  pouvaient  retenir  leurs  larmes.  Elle  demanda  une  der- 
nière fois  pardon  à  l'abbesse  et  à  toutes  les  religieuses  des  fautes  qu'elle 
avait  commises  et  du  scandale  qu'elle  avait  causé,  et  les  supplia  de  prier 
pour  elle  à  l'heure  de  la  mort.  Puis  elle  se  confessa  encore  à  plusieurs  re- 
prises, murmura  :  «  Jésus,  fiancé  de  mon  âme,  venez  à  mon  secours  »,  et  : 
«Seigneur,  je  remets  mon  âme  entre  vos  mains»,  et  dans  la  soirée  du 
30  janvier  16-40,  elle  s'endormit  dans  le  sein  de  Dieu.  Elle  était  âgée  de 
cinquante-quatre  ans,  et  elle  était  entrée  au  couvent  dans  sa  vingtième  année. 

A  la  nouvelle  de  sa  mort,  ce  fut  dans  Viterbe  un  deuil  universel. 

Des  miracles  qui  s'accomplirent  par  son  intercession,  la  guérison  d'un 
boiteux,  accrurent  encore  la  vénération  enthousiaste  du  peuple.  Enfin  on 
put  célébrer  ses  funérailles.  Un  père  Franciscain,  au  milieu  des  sanglots  et 
des  gémissements  des  assistants,  fit  l'éloge  funèbre  de  sœur  Hyacinthe,  et 
rappela  avec  émotion  ses  incomparables  vertus.  Puis  on  l'ensevelit  dans  le 
caveau  commun  du  couvent.  Sa  discipline,  sa  grande  croix,  la  planche  qui 
lui  servait  de  lit  et  ses  autres  instruments  de  pénitence  furent  envoyés  aux 
illustres  familles  des  Mariscotti,  des  Ruspoli  et  des  Capizucchi. 

Huit  jours  après  la  mort  de  la  Sainte,  un  enfant  lépreux  fut  guéri  sur  son 
tombeau. 

André  Cecconi,  familier  du  cardinal  Mariscotti,  envoyé  en  mission  par  le 
Pape  en  Espagne,  tomba  dans  une  rivière  et  pensa  se  noyer  ;  il  invoqua  le 
secours  d'Hj'acinthe,  et  se  sentit  soutenu  par  une  main  invisible  jusqu'à 
l'autre  bord  où  il  arriva  sauf. 

Des  aveugles,  des  muets  recouvrèrent  sur  son  tombeau  la  vue  ou  la 
parole,  et  la  sainteté  de  la  bienheureuse  s'affirma  ainsi  davantage  de  jour 
en  jour.  En  1618,  le  cardinal  Urbain  Sachetti,  évoque  de  Viterbe,  institua 
en  son  honneur  une  procession  solennelle,  et  quelque  temps  après  il  demanda 
au  pape  Alexandre  ^111  de  la  canoniser  ;  ceite  requête  fut  soutenue  par  tout 
l'Ordre  de  Saint-François,  par  le  couvent  des  Clarisses  de  Viterbe,  par 
l'empereur,  par  les  rois  d'Espagne  et  de  Pologne,  par  le  duc  de  Toscane,  et 
par  la  plupart  des  princes  de  la  chrétienté.  Un  premier  procès  s'ouvrit  à 
Rome  à  cette  époque  ;  un  second,  sous  le  pontificat  d'Urbain  VIII  ;  enfin  la 


356  6  FÉVRIER. 

18  février  1698,  onze  cardinaux,  dix  prélats  et  onze  conseillers  réguliers  de 
la  cour  de  Rome  se  réunirent  une  dernière  fois  pour  examiner  les  pièces 
présentées  de  tous  côtés. 

En  1726,  le  pape  Benoît  XllI  plaça  soeur  Hyacinthe  au  rang  des  bienheu- 
reuses, et  en  1807,  le  pape  Pie  VII  la  canonisa. 

Sainte  Hyacinthe  est  patronne  de  Yilerbe  :  on  fait  son  office  le  6  février, 
dans  les  Etats  de  l'Eglise  et  dans  un  grand  nombre  de  diocèses  de  France. 

Nons  avons  extrait  cette  rie  de  notre  Palmier  séraphique  (12  vol.  In-S»),  poar  donner  nne  Idc'e  de  cet 
onvrage  consacré  a  tons  les  Saints  des  divers  Ordres  de  Saint-François  :  les  détails  charmants  y  abondent, 
et  dans  ane  biographie  ce  sont  les  détails  qu'on  aime.  A  cause  de  l'étendue  de  la  plupart  de  ces  biogra- 
phies, il  nous  serait  Impossible  de  les  reproduire  .iaus  les  Petits  Boltandistes  sans  les  abréger  :  nous  ne 
pouvons  donc  que  renvoyer  à  notre  Palmier,  qui  en  est  comme  le  complément. 


SAINT  ANTOLIEN,  MARTYR  EN  AUVERGNE  (263). 

Saint  Grégoire  de  Tours  met  saint  Antolien  parmi  les  martyrs  dWuvergne,  dont  le  triomphe  ar- 
riva pendant  l'irruplion  de  Chrocus,  roi  des  Allemands,  dans  les  Gaules,  sous  les  empereurs  Valé- 
rien  et  Gallien.  Il  est  dit  dans  le  Livre  îles  églises  de  Clermont  que  saint  Antolien  repose  dans 
l'église  de  Saint-Gai.  Après  la  destruction  de  celte  église,  son  corps  fut  transféré  dans  celle  de 
Saint-Allyre.  D'autres  veulent  que  les  reliques  de  saint  Antolien,  après  la  destruction  de  l'église  de 
Saint-Gai,  au  x»  siècle,  aient  été  portées  au  monastère  bénédictin  de  Chantenge,  aujourd'hui  du 
diocèse  de  Sainl-Flour,  et  qu'elles  y  soient  encore  parmi  beaucoup  de  saintes  reliques,  illustralioD 
de  ce  lieu. 


SAINT  BAUSANUPHE,  ANACHORETE  (vi' siècle). 

Snint  Barsanuphe  passa  quelques  années  dans  le  monastère  de  Saint-Séridon,  situé  près  de  Gaze 
en  Palestine,  où  vécurent  en  même  temps  que  lui  Jean  le  prophète,  le  bienheureux  Dorothée  et 
saint  Dosithée.  L'amour  de  la  contemplation  le  porta,  en  S40,  à  se  renfermer  dans  une  cellule 
écartée  et  n'avoir  plus  de  commerce  qu'avec  Dieu.  Ce  fut  là  qu'il  écrivit  un  traité  contre  les  moines 
qni  étaient  tombés  dans  l'origénisme.  Les  Grecs  avaient  tant  de  vénération  pour  sa  mémoire  qu'ils 
mirent  son  image  dans  la  grande  église  de  Constantinople,  près  de  celles  de  saint  Antoine  et  de 
saint  Ephrem.  Saint  Barsanuphe  est  honoré  le  6  février,  avec  la  qualité  de  premier  patron,  à  Oria, 
près  de  Siponto,  en  Italie,  où  ses  reliques  forent  transférées  dans  le  IX"  siècle.  Son  oflice  se  trouve 
au  même  Jour  dans  les  synaxaires  des  Grecs.  Le  cardinal  Baronius  a  inséré  son  nom  dans  le  mar- 
tyrologe romain,  sous  le  11  avril. 

Voyez  Evagre  (3),  1.  iv,  c.  33  ;  le  Père  Pagi,  sous  l'an  546,  n.  10;  Bulteaa,  Bitt.  mon.  d'Orient,  1.  IV, 
e.  9,  p.  69S. 


SAINT  ELRIG  OU  ALDRIC,  BERGER  (1200). 

Quel  est  ce  voyageur  qui  s'avance  au  milieu  de  la  vallée  de  Fussenich,  dans  l'archevêché  d» 
Cologne,  et  vient  frapper  à  la  porte  du  couvent  des  Prémonlrésî  Est-ce  un  cavalier  égaré  on  un 
pieux  pèlerin  ?  A  son  air  plein  de  distinction,  la  sœur  tourière  dut  le  prendre  pour  un  grand  sei- 
gneur fatigué  qui  venait  demander  au  monastère  l'hospitalité  d'une  nuit,  car  AIdric  était  de  grande 
race,  issu  du  sang  royal  de  France,  peut-être  le  dernier  des  Carloviogiens.  Quel  ne  fut  donc  pai 
rétouoement  des  religieuses,  lorsque  l'étranger  demanda  à  prendre  du  service  au  couvent  ?  Oa  com- 


MAMYROLOGES,  357 

prit  que  l'espri!  de  Dieu  avait  soufflé  sur  celle  âme.  Son  humilité  dut  être  satisfaite,  car  on  lai 
confia  la  garde  des  troupeaux,  el  son  sacrifice,  bien  agréable  au  Seigneur,  puisqu'il  l'appela  à  lui  au 
coniniencement  de  sa  carrière,  à  peine  âgé  de  vingt  ans. 

En  quelques  années,  il  avait  rempli  une  longue  course  :  sa  sainteté  ne  fit  de  doute  pour  per- 
sonne ;  aussi  l'eosevelit-oa  dans  le  chœur  de  l'église  de  Fussenich,  non  loin  des  reliques  des  Bien- 
heureux élevés  sur  les  autels.  Les  restes  de  saint  Aldric  furent  sauvés  de  l'incendie  qui  consuma 
le  couvent  en  1642  et  transférés  à  Zulpich.  Le  diocèse  de  Cologne  faisait  autrefois  sa  fêle  le 
6  février. 


VIF  JOUR  DE  FEVRIER 


UAIimtOLOGE   ROMAirJ. 

Jaint  ROMUALD,  abbé,  Père  dos  religieux  Camaldules,  dont  la  naissance  au  ciel  est  rapportée  le 
fît  lie  juin.  1027.  —  A  Londres,  en  Angleterre,  la  naissance  au  ciel  du  bienheureux  Augule.  ou  Aule, 
évèq-ie  ',  qui,  ayant  achevé  le  cours  de  ses  années  par  le  martyre,  mérita  de  recevoir  les  récom- 
penses éternelles.  iv«  s.  —  En  Phrygie,  saint  Adauque,  martyr,  d'une  illustre  famille  d'Italie,  élevé 
par  les  empereurs  presque  aux  plus  hautes  dignités  et  qui  remplissait  encore  la  fonction  de  questeur 
lorsqu'il  mérita  la  couronne  du  martyre  pour  la  défense  de  la  foi  *.  30i. —  Au  même  lieu,  un  grand 
Bomtre  de  saints  martyrs,  citoyens  d'une  ville  dont  le  même  Adauque  était  gouverneur;  lesquels  étant 
tous  chrétiens  et  persistant  constamment  dans  la  confession  de  la  foi,  furent  tous  consumés  dans  le  fea 
par  ordre  de  l'empereur  Galère-Maximien.  —  A  iléraclée,  saint  Théodore,  général  d'armée,  qui, 
sous  l'empire  de  Licinias,  eut  la  tdte  tranchée  après  de  nombreux  tourments  et  s'envola  victorieux 
dans  le  ciel.  319.  —  En  Egypte,  saint  MoIse,  évèque  vénérable,  qui  d'abord  mena  une  vie  solitaire 
dans  le  désert,  et  ensuite,  devenu  évoque  à  la  demande  de  .Mauvia,  reine  des  Sarrasms  3,  convertit 
en  grande  partie  à  la  foi  cette  nation  très-barbare,  et,  glorieux  par  ses  mérites,  s'endormit  en  nais. 
Vers  389.  —  A  Lucqyes,  en  Toscane,  le  décès  de  saint  Richaud,  roi  d'Angleterre.  722.  —  A  Boa-^ue, 
sainte  Julienne,  veuve  '.  430. 

MARTÏROLOGE  DE  FRASCE,  REVO  ET  ALGUESTÉ. 

A  Commines-sur-la-Lys  et  à  Wrelingben,  en  Flandre,  saint  Chrvsole  ou  Chbysecil,  évéqne 
et  martyr,  qui,  étant  venu  dans  les  Gaules  avec  saint  Quentin  et  saint  Piat,  pour  y  répandre  la  foi  de 

1.  Saint  An^nîo  est  peut-être  le  même  que  ceini  que  l'on  nomme  saint  Oail  dans  un  canton  de  Nor- 
mand'e.  (^uoi  qu'il  en  soit,  on  trouve  son  nom  dans  tous  les  anciens  Martyrologes  avec  le  titre  de  Martyr. 
Il  parait  avoir  été  martyrisé  peu  de  temps  aprc-s  saint  Alban,  au  commencement  du  ivo  siècle.  Il  souffrit 
à  Londres,  anciennement  appelée  AuQus.a.  (Ammicn-Marcellin  atteste  que  c'était  Londres  qui  se  nommait 
ainsi,  liv.  XXVII  et  xxviii.)  Voyez  Châtelain,  alias  Ctaistelain. 

2.  Les  Bollandistes  r(:sument  en  termes  différents  la  notice  qu'ils  consacrent  à  saint  Adauque  et  à  ses 
«ompa-nons  :  t  A  Antandros,  ville  de  Phrj-jie  »,  disent-ils.  «  les  saints  martyrs  .\dauque,  maitre  général 
des  offices  et  questeur,  et  ses  compagnons,  le  Préfet  du  trésor,  le  Préfet  militaire,  le  Sénat  et  le  peuplg 
tout  entier,  avec  les  femmes  et  les  enfants  •. 

11  est  étonnant  quEusèbe,  Rufin,  Lactance,  qui  ont  raconté  en  termes  indignés  l'exécution  sommaire 
d'une  population  chrétienne  tout  entière,  n'aient  pas  nommé  la  ville  qni  attira  par  sa  fermeté  dans  la  foi 
le  courroux  de  Dioclétien.  Antandros  n'est  plus  aujourd'hui  qu'un  village  de  la  Turqu:e  d'Asie,  nommé 
Saint-Démc'trlns.  Le  Bréviaire  romain  publié  par  Paul  III  consacrait  nn  office  à  saint  Adauque. 

3.  Les  Sarrasins  ne  tirent  pas  leur  nom  de  Sara,  femme  d'Abraham,  comme  on  l'a  prétendu,  mais  da 
TCrbe  arabe  sr.rrjc,  piller. 

4.  Les  reliques  de  sainte  Julienne  reposent  dans  la  magnifique  église  de  Saint-Etienne,  "a  Bologne. 
Cette  illustre  venve,  qui  avait  en  cinq  enfants  en  dix  ans  de  mariage,  quatre  filles  et  un  fils,  eut  la  con- 
solation de  les  voir  tous  se  consacrer  an  Seigneur.  Son  mari  était  entré  lui-même  dans  les  saints  Ordre». 
Elle  consacra  son  immense  fortune  k  des  oeuvres  pies  :  elle  fit  élever,  entre  antres,  une  église  aux  saint» 
»p6tres  Pierre  et  Paul;  c'est  dans  cette  église  que  saint  Ambroise  fit  la  translation  dss  saints  Agricole  et 
Vital.  Sainte  Julienne  s  eu  l'honneur  d'être  louée  par  le  grand  évêqne  de  Milan.  —  Cf.  AA.  SS. 


358  7  FÉVRIER. 

Jésus-Chriit,  la  porta  jusque  dans  les  Pays-Ras,  où  il  souffrit  un  cruel  martyre.  278.  —  A  Cler- 
mont,  ea  Auvergne,  saint  Amance,  martyr,  l'n  autel  lui  était  clodié  dans  l'église  Sainl-Genés.  Epoque 
inconnue.  —  A  Péronne,  saint  .Meldan,  évéque  d'Irlande,  dont  les  saintes  reliques  furent  apporlijes 
en  ladite  ville  par  saint  Fursy.  vi»  s.  —  A  Binch,  ou  Hainaut,  saint  Amuhvin,  ahhé  de  Lobbes  et 
évèque  '.  vin»  s.  —  A  Avenay.  saint  Trésain  *,  prêtre  et  confesseur,  frère  et  compagnon  de  saint 
Gibrien,  dont  il  sera  parlé  au  8  mai.  vi«  s. —  A  Orléans  et  à  Poitiers,  la  mémoire  de  sainte  Liobette 
ou  Louhttte,  suivante  de  sainte  Hélène,  impératrice,  mère  de  Constantin  le  Grand.  D'après  la  tra- 
dition, sainte  Hélène,  passant  à  Poitiers,  en  revenant  de  Jérusalem  à  Rome  (32G),  y  laissa  Loubette, 
malade  :  celle-ci  déposa  dans  l'église  de  Notre-Dame  une  relique  de  la  vraie  croix,  qu'elle  tenait 
de  la  générosité  de  l'impératrice.  Un  autel  ou  chapelle  provisoire  fut  disposé  pour  recevoir  la  pré- 
cieuse relique.  L'église  Notre-Dame  prit  ensuite  le  nom  de  Sainte-Croix  de  Poitiers  et  reçut  au 
x»  siècle  des  développements  considérables  '.  —  A  Senlis,  diocèse  de  Bcauvais,  la  fête  de  saint 
LivANE  ou  Levange,  évèque  de  cette  ville,  et  la  mémoire  de  tous  les  suints  évèques  de  Seulis  : 
Saintin,  Malulfe,  Lethard,  Amand,  Agmare,  Candide. 

MARTYROLOGES  DES  ORDRES  RELIGIEUX. 

Martyrologe  de  l'Ordre  des  Capucins.  —  A  Assise,  en  Ombrie,  le  bienheureux  Antoine  de 
Stronconio,  confesseur,  de  l'Ordre  des  Mineurs,  qui  garda  une  virginité  sans  tacbe,  fut  honoré  du 
don  de  prophétie  et  remarquable  par  la  sainteté  de  sa  vie  et  par  ses  miracles  :  Innocent  XI  l'a  mis 
au  rang  des   Bienheureux».  1411. 

ADDITIONS  FAITES   d' APRÈS  LES  BOLLANDISTES  ET  AUTRES  HAGIOGRAPHES. 

En  Phrygie,  saint  Claude  Apollinaire,  évèque  d'Hiérapolis,  qui  combattit  spécialement  l'hérésie  des 

Mcntanistes  ou  des  Cataphryges.  Fin  du  ii»  s.—  En  Grèce,  saint  Théopcmpte  et  ses  compagnons,  martyrs. 

ANicomédie,  qaslre  protecteurs  ou  gardes  de  l'empereur  et  mille  trois  personnes  de  leur  famille  ou  ; 

de  leurmaison,  martyrisés  ensemble  à  Nicomédie.  Vers  l'an  302.  — A  Noie,  en  Campanie,  saint  Maxime 
ou  Maximien,  l'un  des  premiers  évèques  de  cette  ville,  le  même  que  saint  Félix  de  Noie  porta  sur  ses 
épaules  parce  que,  exténué  de  faim,  il  ne  pouvait  plus  marcher  '.  Quelques-unes  de  ses  reliques 
sont  à  Bénévent.  ii=  s.  —  A  Lampsaque,  dans  IHellespont,  saint  Parthène,  évèque  *.  iv»  s.  —  En 
Egypte,  saint  Moïse,  abbé,  et  six  moines  de  Scété,  martyrisés  pur  les  barbares.  11  est  distinct  de 
l'évèque  égyptien  de  ce  nom  fêté  le  même  jour.  Commencement  du  v=  s.  —  A  Brescia,  saint  Paul, 
évèque,  troisième  du  nom.  vi»  s.  —  A  Siponlo,  ancienne  ville  d'Apulie,  saint  Laurent,  évèque''. 
Vers  l'an  550.  —  A  .'\lerida,  en  Espagne,  saint  Fidèle,  évèque.  Saint  Fidèle  était  originaire  d'Orient. 
Etant  venu  dans  son  enfance  à  Mérida  avec  des  marchands  grecs,  saint  Paul,  évèque  de  cette  ville, 
le  reconnut  pour  le  fils  de  sa  sœur  et  le  retint  auprès  de  lui.  Paul,  diacre,  qui  nous  a  laissé  les  i 
Vies  des  Pères  de  Mérida,  raconte  que  Fidèle  devenu  évèque  et  saint  sur  la  terre,  avant  d'être  ' 
couronné  comme  tel  dans  le  ciel,  était  favorisé  de  la  présence  des  Bienheureux  :  la  nuit  il  faisait 
en  leur  compagnie  le  tour  des  églises  de  sa  ville  épiscopale.SIO.  —  Chez  les  Grecs,  saint  Pierre,  soli- 
taire'.—  A  Ailria,  en  Vénétie,  ville  qui  a  donné  son  nom  à  la  mer  Adriatique,  saint  Colien,  évèque. 
—  Chez  les  Grecs,  saint  Luc  le  Jeune  ou  le  Thaumaturge,  solitaire.  946. 

1.  Saint  Amulwin  dirigea  quelque  temps  l'abi'aye  de  Lobbes  et  nlla  prêcher  l'Evangile  chez  les  peuples 
des  contrées  voisines.  On  transporta  ses  relifiues  )i  Biiich,  en  1-itjy,  pour  les  mettre  en  sûreté  pendant  la 
guerre.  Depuis  cette  époque,  sa  fête  se  célébrait  à  Binch  et  i\  Lobbes  le  septième  jour  de  février.  Un  vieux 
martyrolo^^e  d'Adon  de  Vienne,  que  l'on  conservait  à  l'abbaye  de  Lobbes,  rappelait  en  ce  jour  la  mémoire 
de  saint  .\mulwin.  Ce  témoignage  prouve  que  son  culte  était  très-ancien  dans  ces  contrées. 

2.  Ce  Saint,  qui  était  Irlandais,  quitta  sa  patrie  et  vint  prêcher  l'Evangile  en  France.  Il  fut  fait  curé 
de  Marcnil-sur-Marne  et  mourut  dans  le  vie  siècle.  On  garde  ses  reliques  avec  beaucoup  de  vénération  k 
Avenay,  irn  Cliampagne.  Il  y  a  au  Pont-aux-Dames,  en  Brie,  un  ossement  de  saint  Trésain  encliàssé  dans 
un  reliquaire  de  vermeii.  Cette  relique  fut  autrefois  apportée  d'.\veuay.  Voyez  sa  vie  dans  Colgan,  Bûl- 
landus  et  Châtelain,  notes  sur  le  Martyrologe,  p.  665. 

3.  Nous  ne  nous  cliar^eons  pas  de  concilier  cette  tradition  ou  légende  avec  l'histoire  qui  veut  que  la 
relique  de  la  vraie  croix  ait  été  donnée  k  Poitiers  par  l'empereur  Justin  le  jeune  (565-57S).  —  V.  la  vie 
de  sainte  iiadei:onde  au  13  août. 

4.  Voir  notre  Palmier  S'-rapliif/ue,  t.  il. 

5.  Voir  la  vie  de  saint  Félix  do  Noie. 

6.  Il  est  célèbre  par  de  nomlireuses  guérisons  de  malades  et  de  posséde's.  On  le  représente  donc  déli- 
vrant un  possédé  ou  faisant  mourir  d'un  signe  de  crois  un  chien  enragé  qui  s'était  jeté  sur  lui  après  avoir 
rompu  sa  cliaine.  Toute  sa  vie  fut  signalée  par  d'éclatants  prodiges.  Le  SIénologe  des  Grecs  le  représente 
debout  priant  près  d'une  église.  Ce  Saint  est  le  patron  des  pêcheurs  en  certains  pays  :  il  avait  été  pêcheur 
avant  d'être  prêtre,  puis  évoque  de  Lampsaque. 

7.  Le  siège  épiscQpal  de  Slponto  ayant  été  transféré  à  Manfredonia,  ce  saint  évèque  est  devenu  le 
patron  de  la  nouvelle  ville  épiscopale  ;  c'est  pourquoi  on  représente  saint  Laurent  traversant  le  pont  qui 
conduit  du  l'une  a  l'autre  ville  et  bénissant  de  la  main  droite. 

8.  Voir  le  pré  spirituel  de  Jean  Mosch,  ch.  D. 


SADiT  THÉODORE  D'hÉRACLÉE,   MAKTTR.  339 

SALNT  THÉODORE  D'HÉRACLÉE,  M.iRTYR 

319.  — •  Pape  :  saint  Sylvestre  1".  —  Empereur  :  Licinias. 


Cet  illustre  martyr  de  Jésus-Christ  était  né  de  parents  chrétiens  dans 
une  ville  de  Thrace,  appelée  Euchaïte,  vers  le  Pont-Euxin;  on  rapporte  de 
lui  une  chose  remarquable  et  digne  d'un  courage  véritablement  chrétien. 
Comme  il  portait  les  armes  et  commandait  un  régiment  dans  les  troupes  de 
Licinius,  beau-frère  de  l'empereur  Constantin,  il  apprit  qu'en  un  endroit  de 
la  ville  paraissait  un  dragon  furieux,  qui,  sortant  le  matin  de  sa  caverne, 
dévorait  tout  ce  qui  se  présentait  devant  lui  ;  il  voulut  montrer  quel  était 
son  dévouement,  et  résolut  de  l'attaquer,  étant  sur  d'en  venir  à  bout  au 
nom  de  son  Sauveur  et  par  la  force  invincible  de  la  sainte  croix.  Il  alla  donc 
sur  le  lieu  qui  devait  être  le  champ  de  sa  victoire  ;  et  conjurant  le  monstre 
par  le  nom  redoutable  du  grand  Dieu,  qu'il  eût  à  sortir  de  sa  caverne,  il  le 
perça  à  coups  d'épée  et  le  foula  aux  pieds  de  son  cheval.  Plusieurs  Gentils 
qui  entendirent  parler  de  cette  action,  touchés  d'une  lumière  céleste,  recon- 
nurent la  vérité  et  embrassèrent  la  foi  de  Jésus-Christ  crucifié.  L'empereur 
en  étant  informé,  envoya  des  personnages  de  sa  cour  prier  Théodore  de  le 
venir  trouver  en  la  ville  de  Nicomédie.  Le  Saint,  après  avoir  fait  faire,  du- 
rant trois  jours,  grande  chère  à  ses  envoyés,  leur  donna  une  lettre  pour 
l'empereur  ;  il  le  suppliait  de  venir  lui-même  à  Héraclée,  où  il  était,  afin 
d'honorer  ses  sujets  de  sa  présence. 

Licinius,  se  laissant  persuader  à  cette  lettre  et  au  récit  que  les  envoyés 
lui  firent  de  la  magnificence  de  Théodore,  se  mit  aussitôt  en  chemin.  Le 
Martyr,  en  ayant  eu  révélation,  se  revêtit  de  ses  habits  précieux,  et  alla  au- 
devant  de  lui.  L'empereur  le  reçut  avec  tous  les  témoignages  possibles  de 
bienveillance.  Mais,  quand  il  eut  fait  son  entrée  dans  Héraclée,  il  demanda 
à  Théodore  quel  jour  il  voulait  prendre  pour  sacrifier  aux  dieux  de  l'empire. 
Le  Saint  le  supplia  de  les  lui  confier  quelque  temps  en  sa  maison,  afin  de  se 
disposer  à  leur  faire  des  sacrifices  en  public.  L'empereur,  ravi  de  ces  paroles, 
et  s'imaginant  déjà  avoir  triomphé  de  la  foi  de  Théodore,  lui  fit  aussitôt  porter 
ses  fausses  divinités.  Mais,  dès  que  le  Saint  les  eut  en  sa  possession,  comme 
c'étaient  des  statues  d'or  et  d'argent,  et  d'autres  matières  précieuses,  il  les 
brisa,  les  mit  en  pièces,  et  en  distribua  les  morceaux  aux  pauvres.  Il  n'est 
pas  possible  d'exprimer  combien  l'empereur,  sachant  ce  procédé  inouï  de 
Théodore,  en  demeura  piqué,  et  avec  quelle  rage  il  fît  apprêter  les  tour- 
ments dont  il  avait  coutume  de  se  servir  contre  ceux  qui  se  déclaraient 
les  ennemis  de  l'idolâtrie.  Mais  Dieu,  qui  n'abandonne  jamais  ses  élus,  et 
qui  savait  les  dangers  auxquels  son  serviteur  devait  être  exposé,  l'avait,  pour 
fortifier  sa  résolution  et  augmenter  son  courage,  assuré  de  sa  protection  par 
une  voLx  céleste,  qui  lui  avait  dit  :  «  Théodore,  prends  courage,  et  te  fie  en 
moi,  car  je  suis  avec  toi  ».  Ces  paroles  l'animèrent  tellement,  qu'il  s'offrit  à 
Dieu  en  sacrifice,  et  sentit  en  lui  une  force  divine  et  une  constance  inébran- 
lable pour  endurer  toutes  sortes  de  tourments.  L'empereur  le  fit  d'abord 
étendre  tout  de  son  long,  et,  en  cette  posture,  lui  fit  donner  cinq  cents 
coups  de  nerf  de  bœuf  sur  les  épaules  nues  et  cinquante  sur  le  ventre.  Après 
cela,  on  lui  brisa  le  corps  avec  des  cordes  plombées  par  le  bout,  et  on  lui 


300  7    FÉVRIER. 

arracha  la  chair  avec  des  ongles  d'acier;  puis  on  lui  brûla  les  plaies  avec 
des  flambeaux  ardents,  et  on  lui  ratissa  le  sang  caillé  avec  des  tôts  de  pots 
cassés.  Ensuite,  pour  lui  donner  le  loisir  de  respirer,  on  l'envoya  en  prison, 
où  il  demeura  cinq  jours  sans  boire  ni  manger  :  au  bout  de  ce  temps,  le 
tyran  le  lit  attacher  sur  une  croix,  et  ordonna  qu'on  lui  penjût  d'une  broche 
les  parties  les  plus  secrètes  et  les  plus  sensibles  ;  durant  ce  cruel  supplice, 
on  excitait  les  petits  enfants  à  lui  jeter  des  pierres,  et  le  p(?uple  ;\  l'insulter 
et  à  exercer  sur  son  corps  mille  indignités.  Le  Saint,  parmi  tant  de  maux, 
se  recommandait  à  Jésus-Christ,  pour  lequel  il  souffrait,  lui  faisant  quelques 
plaintes  amoureuses  sur  ses  tourments,  puis  il  se  tut.  Licinius,  croyant 
qu'il  était  déjà  mort,  le  laissa  attaché  à  la  croix  ;  mais,  au  commencement 
de  la  nuit,  un  ange  descendit  du  ciel,  le  détacha,  et  le  guérit  entièrement, 
lui  disant  :  «  Réjouis-toi,  Théodore,  et  te  fortifie  en  ton  Seigneur  qui  est 
avec  toi  ;  ne  dis  plus  qu'il  en  est  éloigné;  achève  hardiment  le  combat  que 
tu  as  entrepris,  et  triomphe  pour  recevoir  la  couronne  de  l'immortalité  ». 
Le  Martyr  rendit  grâces  à  Dieu  de  sa  santé  rétablie,  et  de  la  victoire  qu'il 
espérait  remporter  par  le  secours  de  sa  grâce.  Cependant  l'empereur  com- 
manda à  deux  centeniers,  nommés  Antiochus  et  Patrice,  de  lui  apporter, 
avant  qu'il  fût  jour,  le  corps  de  Théodore  (qu'il  croyait  mort),  afin  de  le 
jeter  dans  la  mer,  pour  le  piiver  de  l'honneur  que  les  fidèles  n'eussent  pas 
manqué  de  lui  rendre.  Les  centeniers  vinrent  au  lieu  du  supplice,  trouvè- 
rent la  croix  où  le  Saint  avait  été  attaché  et  le  virent  lui-même  libre  et 
jouissant  d'une  parfaite  santé.  Cet  événement  les  mit  hors  d'eux-mêmes, 
et  leur  étonnement  fut  beaucoup  augmenté  par  la  lumière  du  ciel  qui  l'en- 
vironnait :  ils  voulurent  être  chrétiens,  et  reconnurent  la  divinité  de  Jésus- 
Christ,  avec  quatre-vingts  de  leurs  soldats.  Licinius,  averti  de  ces  conver- 
sions, envoya  le  proconsul  Sextus,  avec  trois  cents  hommes  de  guerre,  pour 
passer  au  lil  de  l'épce  ceux  qui  s'étaient  faits  chrétiens.  Ces  nouveaux 
soldats  marchèrent  avec  la  résolution  d'exécuter  le  commandement  de 
l'empereur  ;  mais  aussitôt  qu'ils  eurent  reconnu  les  merveilles  que  le  Créa- 
teur du  ciel  opérait  par  Théodore,  ils  voulurent  se  mettre  à  son  service 
aussi  bien  que  les  autres.  Ils  furent  en  même  temps  suivis  d'une  grande 
multitude  de  peuple  qui  s'écria  :  «  Vive  le  Dieu  des  chrétiens  !  il  est  le  seul 
vrai  Dieu,  et  il  n'en  est  point  d'autre».  La  cruauté  de  l'empereur  avait 
excité  une  espèce  de  sédition  dans  la  ville  ;  le  saint  Martyr  l'étoulfa  dans 
son  commencement,  enseignant  aux  fidèles  que,  puisqu'ils  adoraient  Jésus- 
Christ  crucifié  pour  les  hommes,  lequel  n'avait  pas  permis  à  ses  Anges  de 
tirer  vengeance  de  sa  mort,  ils  ne  devaient  pas  penser  à  venger  la  sienne. 
Néanmoins,  les  chrétiens  ne  le  voulurent  jamais  abandonner,  mais  le  suivi- 
rent jusqu'à  la  mort.  Comme  il  passait  devant  la  prison,  tous  les  prisonniers 
se  mirent  à  crier  :  «  Théodore,  serviteur  de  Dieu,  ayez  compassion  de  nous!» 
Le  Saint,  touché  de  leur  misère,  brisa  leurs  chaînes  par  une  seule  parole  et 
les  renvoya  libres  en  leur  disant  :  «  .\llez  en  paix  et  ayez  souvenir  de  moi  !  » 
Une  multitude  de  Gentils,  qui  virent  ce  miracle,  reçurent  la  foi  de  Jésus- 
Christ.  De  plus,  un  grand  nombre  de  démoniaques,  sur  lesquels  il  étendit 
les  mains  ou  qui  touchèrent  ses  habits  furent  aussitôt  délivrés.  Ces  choses 
étant  venues  à  la  connaissance  de  Licinius,  qui  craignait  une  sédition  popu- 
laire, il  commanda  qu'il  eût  la  tête  tranchée.  Théodore,  ayant  entendu  cet 
arrêt,  fit  le  signe  de  la  croix  sur  tout  son  corps,  supplia  ceux  qui  étaient  pré- 
sents de  le  faire  porter  en  la  ville  d'Eucliaïte,  sa  patrie  ;  et  après  avoir  achevé 
sa  prière,  il  dit  adieu  à  toute  l'assistance  et  tendit  le  cou  au  bourreau,  qui 
trancha  le  cours  de  sa  vie,  le  7  février,  sur  les  trois  heures  de  l'après-midi, 


SAINT   RO.VCALD,    FONDATEUR  DE   t'ORDRE  DES   CAJrAT.DTILES.  361 

l'an  319.  A  la  suite  de  cette  exécution,  son  corps  fut  porté  k  Héraclée,  en 
grande  pompe  et  cérémonie,  pour  y  être  enterré  ;  et  depuis  il  s'est  fait  plu- 
sieurs miracles  à  son  tombeau. 

Le  martyre  de  saint  Théodore  fut  écrit  par  un  auteur  nommé  .\ugard, 
qui  s'y  trouva  présent,  et  qui  fut  prié  par  le  Saint  môme  de  l'écrire  et  de 
faire  porter  ses  reliques  à  Euchaïte  pour  les  ensevelir  dans  l'héritage  de  ses 
ancêtres,  et  d'ordonner  que,  quand  lui-même  mourrait,  on  le  mit  dans  son 
sépulcre  à  sa  gauche. 

Les  Grecs  ont  représenté  saint  Théodore  le  général  monté  sur  un  cour- 
sier généreux  et  avec  une  barbe  touffue,  pour  le  distinguer  de  saint  Théo- 
dore le  Conscrit  '.  On  place  à  côté  de  lui  un  dragon  ou  un  crocodile,  comme 
symbole  des  statues  de  faux  dieux  qu'il  détruisit. 

RELIQUES  ET  CULTE  DE  SALNT  THÉODORE. 

Soo  corps  fut  depuis  transféré  de  la  ville  d'Héraclée,  où  il  souffrit  le  martyre,  en  celle  de  sa 
naissance,  appelée  Euchaite,  ainsi  qu'il  l'avait  souhaité.  C'est  pourquoi  elle  fat  nommée  Theodo- 
ropolis,  c'est-à-dire  la  ville  de  Théodore,  et  devint  très-célèbre  par  les  miracles  qui  s'epérèrent  av 
tombeau  de  son  martyr.  La  dévotion  y  attirait  un  grand  nombre  de  pèlerins  de  toutes  les  contrées 
de  rorienl.  L'empereur  de  Constantiaople,  Jean  l"  Zimiscès,  se  croyant  redevable  à  l'iDlercessico 
de  saïut  Théodore,  d'une  victoire  complète  qu'il  avait  remportée  sur  les  Sarrasins  en  930,  fit  rebâtir 
avec  beaucoup  de  magnificence  l'église  d'Euchaïte,  où  l'on  avait  déposé  ses  reliques.  Dans  la  Vé- 
nétie  on  a  une  singulière  vénération  pour  la  mémoire  de  l'illustre  martyr,  et  il  était  le  premier 
patron  de  Venise,  avant  que  le  corps  de  sain'  Marc  y  eut  été  transporté.  On  voit  aussi  à  Venise  la 
statue  de  saint  Théodore  sur  une  des  magnifiques  colonnes  qui  ornent  la  place  de  Saint-Marc.  Ses 
reliques  sont  d.ins  l'église  Saint-Sauveur  de  la  mèms  ville  ;  elles  y  furent  apportées  de  Constan- 
tinople  en  12iïO,  par  .Marc  Dandolo;  celui-ci  les  tenait  de  Jacques  Dandolo,  amiral  des  galères  de  la 
Répu'jlique  qui  les  avait  trouvées  en  1256,  à  Jlésembrie,  ville  archiépiscopale  de  la  Roumanie. 

Surius  rapporte  cette  vie  en  son  premier  tome.  Le  Martyrologe  romain  fait  mention  de  cet  illustre  Martyr, 
comme  aussi  les  Grecs  en  leur  Méaoloj^.  Ceuî-ci  l'honorent  parmi  les  Saints  auxquels  ils  ont  donné  le 
titre  de  Grands  Mfiriyrs,  tels  que  saint  Georges,  saint  Pantaléon. 


SAINT  ROMUALD, 

FONDATEUR  DE  L'ORDRE  DES  CAMALDULES 
907-1027.  —  Papes  :  Sergius  III;  Jean  XI.X.  —  Empereurs  d'Alleaagne  :  Louis  IV;  Lothaire  IL 


Homicide  point  ne  seras.. 


Romuald,  issu  de  la  famille  ducale  des  Honesti,  naquit  à  Ravenne  vers 
l'an  936  selon  les  uns,  et  907  suivant  d'autres.  Ses  parents,  beaucoup  plus 
remplis  des  maximes  du  monde  que  de  celles  de  Jésus-Christ,  le  firent  élever 
dans  la  mollesse  et  lui  inspirèrent  de  bonne  heure  le  goût  des  plaisirs.  Une 
pareille  éducation  ne  pouvait  manquer  d'avoir  de  très-mauvaises  suites; 
aussi  le  jeune  Romuald  se  laissa-t-il  entraîner  par  la  fougue  impérieuse  dé 
ses  passions;  mais  la  grâce  rompit  peu  à  peu  le  charme  qui  le  séduisait.  La 
vue  de  l'état  de  son  âme  l'inquiétait,  et  de  temps  en  temps  il  formait  la 
résolution  de  faire  quelque  chose  d'éclatant  pour  la  gloire  de  Dieu.  Si,  lors- 

1.  Voir  le  9  novembre  (tome  xui,  pa^-e  201). 


362  7    FÉVRIEB. 

qu'il  était  à  la  chasse,  il  se  trouvait  au  milieu  d'un  bois  solitaire,  son  cœur 
se  sentait  touché  et  attendri  ;  il  s'arrêtait  aussitôt  pour  prier,  et  s'écriait 
avec  transport  :  «  Heureux  les  anciens  ermites  d'avoir  choisi  de  telles  habi- 
tations !  Avec  quelle  tranquillité  ne  devaient-ils  pas  servir  le  Seigneur,  étant 
ainsi  éloignés  du  tumulte  du  monde  1  »  L'événement  malheureux  que  nous 
allons  raconter  fut  le  moyen  dont  Dieu  se  servit  pour  briser  entièrement  ses 
chaînes  et  pour  achever  sa  conversion. 

Serge,  son  père,  homme  qui  faisait  peu  de  cas  de  la  religion,  avait  en 
une  dispute  avec  un  de  ses  proches  pour  le  partage  d'un  pré.  Il  résolut  de 
terminer  la  querelle  en  appelant  son  parent  en  duel,  et  il  exigea  de  son  fils 
qu'il  fût  de  moitié  dans  l'exécution  de  son  affreux  dessein.  Celui-ci,  effrayé 
d'une  telle  proposition,  la  rejeta  ;  mais  sur  la  menace  que  lui  fît  son  père  de 
le  déshériter,  il  consentit  à  assister  au  combat,  seulement  en  qualité  de 
spectateur.  Serge  eut  l'avantage,  et  mit  à  mort  son  adversaire.  Romuald, 
alors  âgé  de  vingt  ans,  fut  saisi  d'horreur  à  la  vue  de  ce  qui  venait  de  se 
passer  ;  il  se  regarda  lui-môme  comme  coupable  de  l'homicide  qui  avait  été 
commis,  et  alla  l'expier  par  une  rigoureuse  pénitence  de  quarante  jours 
dans  le  monastère  de  Classe,  situé  à  quatre  milles  de  Ravenne  '. 

Pendant  ce  temps,  il  s'entretenait  familièrement  avec  un  bon  religieux 
convers,  qui  faisait  tout  son  possible  pour  lui  persuader  d'embrasser  l'état 
religieux,  afin  de  faire  toute  sa  vie  une  digne  pénitence;  mais  le  bon  frère, 
voyant  que  tous  ses  discours  ne  faisaient  aucune  impression  sur  l'esprit  de 
Romuald,  qui  prétendait  que,  ses  quarante  jours  de  pénitence  étant  expirés, 
il  retournerait  à  son  ancien  genre  de  vie,  le  bon  frère  lui  dit,  d;ms  sa  sim- 
plicité :  «  Que  me  donnerez-vous,  si  je  vous  fais  voir  saint  Apollinaire  ?  — 
Je  vous  jure  »,  répondit  Romuald,  «  que  jamais  je  ne  retournerai  dans  le 
monde  ».  —  «  Veillez  donc  avec  moi  »,  repartit  le  religieux,  «  toute  cette 
nuit  dans  l'église  ». 

Ils  le  firent  deux  nuits  de  suite,  et,  chaque  fois,  vers  le  chant  du  coq,  le 
saint  Martyr  leur  apparut  tout  éclatant  de  lumière.  Romuald,  étant  parfai- 
tement consolé  de  cette  vision,  résolut  d'abandonner  le  monde  et  de  renon- 
cer aux  grandeurs  de  la  terre,  pour  s'attacher  à  la  croix  de  Jésus-Christ.  Il 
n'eut  pas  plutôt  pris  cette  résolution  qu'il  se  sentit  comblé  d'une  joie 
incroyable,  et,  se  prosternant  tout  baigné  de  larmes  devant  l'autel  de  la 
Sainte  Vierge,  il  se  doima  de  tout  son  cœur  à  Dieu,  pour  le  servir  en  ce  lieu 
le  reste  de  ses  jours. 

Ensuite  il  demanda  l'habit  à  l'abbé  du  monastère  ;  mais  on  n'osa  pas  le 
lui  donner,  dans  la  crainte  de  Serge,  son  père,  qui  était  un  homme  puissant, 
riche  et  violent,  et  qui  considérait  ce  fils  comme  le  principal  soutien  de  sa 
famille.  En  présence  de  ce  refus,  Romuald  eut  recours  à  l'archevêque  de 
Ravenne,  son  parent,  qui  était  aussi  de  la  maison  des  Honesti,  et  qui  avait 
été  d'abord  abbé  de  ce  monastère.  Ce  prélat,  ayant  examiné  la  vocation  de 
son  jeune  cousin,  délivra  les  religieux  de  leur  appréhension  et  leur  assura 
qu'ils  pouvaient  recevoir  Romuald  en  leur  compagnie;  et,  ainsi,  le  supérieur 
lui  donna  le  saint  habit,  au  grand  contentement  de  toute  la  communauté. 

Romuald  commença  aussitôt  à  se  perfectionner  dans  la  vie  monastique  et 
&  s'avancer  de  jour  en  jour  en  toutes  sortes  de  vertus  ;  on  pouvait  dire  de  loi 
qu'il  était  le  bon  exemple  de  tous  les  religieux.  Néanmoins,  quelques  moines, 
qui  vivaient  dans  le  relâchement,  ne  purent  souffrir  une  si  grande  sainteté, 
ni  tant  de  rigueur  et  d'austérité  en  un  jeune  homme  qui,  n'ayant  renoncé 

1.  Ce  monastère,  qui  portait  le  nom  de  Saint- Apollinaire,  apôtre  de  Ravenne,  suivait  la  rl>^le  de  saint 
Benoit. 


i 


SALYT  ROMTALD,    FONDATEUR  DE  L'ORDRE  DES   CAMALDULES.  363 

que  depuis  peu  aux  plaisirs  du  monde,  se  montrait  déjà  si  zélé  pour  sa  règle 
et  pour  sa  profession  religieuse.  Cela  leur  fît  ombrage  et  les  offensa  jusqu'à 
ce  point  qu'ils  résolurent  sa  mort,  et  l'eussent  effectivement  fait  mourir,  si 
Dieu  ne  l'eût  délivré  de  leurs  mains  par  l'avis  qu'il  reçut  de  l'un  des  com- 
plices ;  ce  dernier,  revenant  à  lui,  eut  horreur  d'une  action  si  noire,  et  lui 
découvrit  le  complot  où  il  était  entré,  mais  dont  il  s'était  dégagé  pour  l'en 
avertir.  Le  bon  religieux,  feignant  de  n'en  rien  savoir,  ne  laissa  pas  de  pren- 
dre toujours  garde  à  lui  ;  mais,  considérant  que  la  société  de  tels  confrères 
n'était  pas  faite  pour  arriver  à  la  perfection  à  laquelle  il  aspirait  avec  fer- 
veur, après  avoir  demeuré  trois  ans  dans  ce  monastère,  il  alla,  avec  la  per- 
mission de  son  abbé,  trouver  un  ermite,  nommé  Marin,  qui  habitait  en  un 
désert  assez  près  de  la  ville  de  Venise,  et  le  pria  de  le  recevoir  sous  son 
obéissance.  Marin,  quoique  d'une  vie  fort  austère,  ne  le  refusa  pas,  et 
Romuald  se  trouva  selon  son  goût  avec  un  tel  maître.  Ils  sortaient  tous  les 
jours  de  l'ermitage  et  chantaient  ensemble  des  psaumes  en  se  promenant 
dans  cette  solitude.  Et  parce  que  Romuald  ne  savait  pas  encore  tout  le  Psau- 
tier par  coeur,  à  chaque  mot  qu'il  manquait,  Marin  lui  déchargeait  un 
coup  de  baguette  sur  l'oreille  gauche,  pour  l'accoutumer  à  la  mortification 
et  à  la  patience.  Le  disciple  souffrit  ce  châtiment  avec  beaucoup  d'humilité; 
mais,  parce  que,  quelques  jours  après,  il  s'aperçut  qu'il  perdait  l'ouïe  de  ce 
côté-là,  il  supplia  son  maître  de  lui  frapper  l'oreille  droite.  Marin  faisant 
réfle-xion  sur  la  vertu  de  son  disciple,  et  considérant  avec  quelle  douceur  et 
quelle  patience  il  avait  souffert  la  rigueur  de  son  autorité,  commença  à  le 
respecter  et  à  le  regarder  d'un  œil  moins  austère.  Peu  de  temps  après, 
Marin  et  Romuald  accompagnèrent  en  France  Pierre  Urseolo,  doge  de 
Venise  qui  s'était  dépouillé  de  sa  dignité  pour  devenir  simple  religieux  à 
Saint-Michel  de  Cusan,  au  diocèse  de  Perpignan  :  Romuald  se  retira  dans  un 
désert  voisin  de  l'abbaye,  où,  pendant  trois  ans,  il  se  prépara  à  la  vie  active 
qui  allait  devenir  son  partage  :  Dieu  lui  inspira  la  pensée  de  réformer  les  mo- 
nastères de  l'Ordre  de  Saint-Benoît,  lesquels,  s'étant  relâchés,  soit  par  la  fai- 
blesse ordinaire  des  hommes,  soit  à  l'occasion  des  guerres,  avaient  beaucoup 
perdu  de  la  discipline  religieuse  ;  il  y  rencontra  de  très-grands  obstacles,  de 
fâcheuses  contradictions  à  vaincre  et  plusieurs  dangers  à  essuyer.  Mais  il  fut 
favorisé  de  la  toute-puissante  main  de  Dieu,  qui  l'avait  porté  à  ce  dessein,  et 
fut  secouru  d'une  grâce  si  abondante,  qu'il  réforma  les  monastères  de  Venise 
et  de  Toscane,  en  Italie,  et  plusieurs  autres  en  France  ;  durant  quelques 
années  qu'il  employa  à  l'exécution  de  cette  généreuse  entreprise,  il  bâtit 
cent  nouveaux  monastères  de  ce  même  Ordre  ;  il  peupla  aussi  les  déserts  de 
plusieurs  ermitages.  Mais  comme  il  devait  être  la  lumière  des  autres,  il 
commença  à  donner  l'exemple  par  ses  héroïques  vertus.  Son  abstinence  était 
extrême,  car  pendant  toute  une  année,  il  ne  se  nourrit  que  de  pois  cuits. 
Son  étude  était  la  lecture  de  la  vie  des  Saints,  dont  il  tâchait  d'imiter  les 
jeûnes,  les  veilles  et  les  pénitences;  il  jeûnait  tous  les  jours  de  la  semaine, 
excepté  le  dimanche.  C'était,  à  ses  yeux,  une  faute  si  notable  de  sommeiller 
durant  la  prière,  que  Romuald  ne  permettait  pas  de  célébrer  à  celui  qui  y 
était  tombé,  à  cause  du  peu  de  respect  qu'il  avait  eu  pour  la  présence  du 
Seigneur  qu'il  devait  recevoir.  «  11  vaut  mieux  »,  disait-il  souvent,  «  ne 
réciter  qu'un  psaume  avec  ferveur  que  d'en  réciter  cent  avec  nonchalance  ». 
L'obéissance  était  la  vertu  qu'il  chérissait  davantage  ;  et,  parce  qu'un  de 
ses  religieux  laissa  le  compagnon  qu'il  lui  avait  assigné,  il  voulut  que  son 
corps,  après  son  décès,  fût  privé  de  la  sépulture  sacrée,  et  porté  en  une  terre 
profane.  Cependant  l'esprit  de  ténèbres,  qui  semblait  être  endormi  et  ne 


364  7   FÉVRIEB, 

plus  mettre  d'ompôchement  aux  heureux  progrès  de  Romuald,  commença  à 
se  remuer,  ne  pouvant  souffrir,  sans  ressentiment,  que  Dieu  fût  servi  par  un 
si  grand  nombre  d'âmesinnocentes.  Pour  troubler  tout  le  corps,  il  s'attaqua 
au  chef  et  ne  différa  plus  à  lui  livrer  de  terribles  assauts.  Il  lui  mit  devant 
les  yeux  les  douceurs  de  la  vie  qu'il  avait  quittée,  îivec  tous  ses  appilts,  et 
ravala  tellement  celle  qu'il  menait,  en  méprisant  tous  les  exercices  de 
la  religion,  qu'il  lui  en  représenta  les  défauts  avec  mille  sortes  d'illusions  et 
de  surprises. 

Durant  ces  attaques,  Romuald  avait  le  cœur  vers  son  Dieu,  et  se  jetait 
entre  ses  bras  avec  une  confiance  d'autant  plus  grande,  qu'il  se  sentait  plus 
furieusement  tourmenté,  sachant  bien  que  Dieu  donne  des  forces  selon  les 
tentations,  et  que,  comme  dit  l'Apôtre  ',  il  prévient  de  sa  grâce  les  assauts 
qu'il  sait  devoir  6lre  livrés  à  ceux  qui  espèrent  en  sa  miséricorde.  Cepen- 
dant cet  esprit  orgueilleux  ne  se  crut  pas  vaincu  pour  cela,  car,  ayant  trou- 
blé l'intérieur  de  l'âme,  il  tourna  sa  fureur  contre  le  corps,  jusqu'à  battre 
cruellement  ce  saint  religieux  ;  il  l'épouvanta  durant  la  nuit  par  des  bruits 
et  des  sons  de  voix  dont  il  remplissait  sa  cellule,  lui  apparut  sous  des  figures 
effroyables  ,  et  troubla  son  imagination  par  une  infinité  de  mauvaises 
pensées  ;  ce  furieux  combat  dura  cinq  années  entières.  Quelquefois,  prenant 
la  forme  d'un  homme  hideux,  il  le  jetait  par  terre,  le  foulait  avec  les  genoux 
et  les  pieds,  et  s'appesantissait  sur  lui  pour  l'étouffer.  Tout  cela,  néanmoins, 
ne  faisait  aucun  effet  sur  le  courage  du  généreux  Romuald,  qui,  se  moquant 
de  ces  assauts,  reprochait  au  démon  sa  lâcheté  :  «  0  ennemi  !  »  disait-il,  «  tu 
as  été  chassé  du  ciel,  et  tu  t'en  viens  au  désert.  Va,  vilain  serpent,  tu  as  déjà 
ce  qu'il  le  faut  ».  Ces  reproches  rendaient  Satan  si  honteux,  qu'il  disparais- 
sait :  c'était  alors  que  le  divin  Sauveur  venait  visiter  son  disciple  pour  lui 
faire  part  de  ses  consolations  et  le  couronner  de  palmes  après  la  victoire.  Il 
reçut  aussi  une  grande  joie  du  changement  de  vie  du  comte  Oliban,  ou 
Oliver.  C'était  un  seigneur  catalan,  puissant  et  redoutable  par  sa  grande 
autorité,  qu'il  employait  d'une  manière  peu  chrétienne  et  injuste;  Dieu  le 
voulut  attirer  à  lui  par  le  moyen  de  son  serviteur,  qui  lui  fil  voir  le  danger 
où  il  était  en  vivant  comme  il  le  faisait,  et  le  porta  à  un  véritable  repentir 
de  ses  péchés.  La  parole  du  Saint  eut  tant  de  pouvoir  sur  le  comte,  qu'il  s'en 
alla  au  Mout-Cassin,  pour  y  prendre  l'habit  religieux,  et  se  donner  à  Dieu  le 
reste  de  ses  jours. 

Serge,  touché  de  l'exemple  de  Romuald  son  fils,  ouvrit  les  yeux  sur  ses 
désordres  ;  il  en  conçut  la  plus  amère  douleur,  et  se  renferma,  pour  les  expier, 
dans  le  monastère  de  Saint-Sévère  ,  près  de  Ravenne  ;  mais  le  démon  le 
tenta  quelque  temps  après  avec  tant  de  violence,  qu'il  fut  sur  le  point  d'aban- 
donner sa  cellule  et  de  s'engager  de  nouveau  dans  les  embarras  du  siècle. 
Romuald,  informé  de  cette  nouvelle,  ne  pensa  plus  qu'à  repasser  en  Italie, 
afin  de  soutenir  son  père  dans  sa  première  résolution,  et  de  l'affermir  contre 
les  assauts  de  l'ennemi  du  salut.  Les  habitants  du  pays  où  il  demeurait,  péné- 
trés de  vénération  pour  sa  personne,  n'eurent  pas  plus  tôt  appris  qu'il  son- 
geait i'i  les  quitter,  qu'ils  mirent  tout  en  œuvre  pour  le  retenir  chez  euï. 
Désespérant  de  réussir,  ils  formèrent  le  projet  de  le  tuer,  afin  d'avoir  au 
moins  son  corps,  qu'ils  imaginaient  devoir  ôtre  un  préservatif  contre  tous 
les  maux  qui  pourraient  menacer  leur  pays.  Une  entreprise  aussi  brutale  et 
aussi  extravagante  fut  découverte  par  Romuald.  Il  eut  recours  au  stratagème 
dont  David  s'était  servi  dans  une  semblai)le  circonstance,  il  contrefit  l'in- 
sensé. Cet  innocent  artifice  eut  un  heureux  succès.  Le  peuple,  ayant  perdu 

1.  I  Cor.,  s,  13. 


SADiT   ROMUAID,   FOXBATEUR   DE  l'oRDRE   DES   CA3IALDCLES.  363 

la  haute  idée  qu'il  avait  de  la  sainteté  de  Romuald.ne  chercha  plus  à  le  rete- 
nir. Ainsi  le  serviteur  de  Dieu,  libre  de  toute  crainte,  prit  la  route  de 
Ravenne,  où  il  arriva  en  994.  Son  premier  soin  fut  de  visiter  son  père.  11  fit 
tant  par  ses  exhortations,  ses  prières  et  ses  larmes,  qu'il  le  détermina  à 
rester  dans  son  monastère.  Serge  y  vécut  ensuite  dans  une  piété  fort  exem- 
plaire, et  y  mourut  en  odeur  de  sainteté.  Ainsi  fut  récompensée  la  piété 
filiale  de  Romuald  :  elle  le  fut  encore  suivant  la  promesse  du  commande- 
ment de  Dieu  par  une  longue  vie  et  des  jour:  abondants  en  fruits  pour 
l'éternité. 

Le  Saint,  après  avoir  rendu  à  son  père  les  devoirs  que  la  piété  et  la  cha- 
rité lui  prescrivaient,  se  relira  dans  les  marais  de  Classe,  et  se  renferma  dans 
une  cellule  écartée.  Le  démon  l'y  suivit,  et  lui  livra  de  nouveaux  assauts.  Il 
essaya  de  le  vaincre  par  la  tristesse  et  la  mélancolie  :  il  le  battit  môme  un 
jour  cruellement.  Romuald,  plein  de  confiance  en  celui  qui  nous  a  tous  sau- 
vés, s'écria  au  fort  de  ses  peines  :  «  0  mon  doux  Jésus  !  pourquoi  m'avez- 
vous  donc  entièrement  livré  à  la  puissance  de  mes  ennemis  ?  »  A  peine  eut-il 
prononcé  ces  paroles  que  le  démon  prit  la  fuite.  Non-seulement  le  Saint 
recouvra  sa  première  tranquillité,  mais  il  goûta  encore  des  délices  et  des 
consolations  qui  le  ravirent  hors  de  lui-même.  Uni  à  Dieu  par  les  liens  de 
l'amour  le  plus  tendre  et  le  plus  fort,  il  osait  braver  les  ennemis  de  son  salut. 
«  Quoi!  »  leur  disait-il,  «  est-ce  que  toutes  vos  forces  sont  épuisées?  N'avez- 
vous  plus  d'armes  à  essayer  contre  un  pauvre  serviteur  de  Dieu  ?  » 

Voyant  sa  généreuse  et  continuelle  résistance,  et  voyant  qu'ils  n'avaient 
rien  avancé  contre  lui  par  eux-mêmes,  ils  résolurent  enfin  de  lui  faire  la 
guerre  par  les  hommes.  Ayant  construit  à  Sarsine  un  monastère  en  l'hon- 
neur de  saint  Michel,  il  demeurait  tout  auprès  dans  une  cellule.  Un  jour  un 
riche  marquis  lui  envoya  une  grosse  somme  d'argent  par  aumône  ;  et  le 
Saint,  sachant  qu'il  y  avait  quelques  monastères  qui  souffraient  beaucoup, 
la  leur  distribua,  sans  en  rien  retenir  pour  le  sien.  Ce  sont  les  lois  de  la  cha- 
rité parfaite  et  désintéressée.  Cela  donna  à  quelques  mauvais  religieux  sujet 
de  murmurer  contre  lui,  de  lui  dire  mille  injures  et  de  le  chasser  du  monas- 
tère. Mais  Dieu  permit,  pour  les  châtier  de  leur  témérité,  qu'il  tombât,  la 
nuit  suivante,  une  telle  abondance  de  neige,  qu'elle  enfonça  le  toit  ;  sa 
chute  blessa  grièvement  quelques-uns  de  ces  murmurateurs.  Le  principal 
auteur  de  cette  conspiration  étant  allé  hors  du  couvent,  passa  sur  le  pont 
d'une  ri^-ière  nommée  Savio,  tomba  dans  l'eau  et  se  noya.  Comme  Romuald 
s'en  allait  fort  affligé,  cherchant  quelque  lieu  de  retraite,  il  lui  vint  en 
pensée  de  ne  plus  travailler  qu'à  son  salut,  sans  se  mêler  davantage  de  celui 
d'autrui;  mais,  comme  ce  sentiment  agitait  son  âme,  il  fut  saisi  intérieure- 
ment d'une  grande  frayeur,  durant  laquelle  Dieu  lui  fit  connaître  que  s'il 
persistait  dans  sa  résolution,  il  serait  réprouvé  au  jour  du  jugement. 

Après  toutes  ces  traverses,  et  plusieurs  autres  que  je  passe  sous  silence, 
saint  Romuald  fut  attaqué  d'une  fâcheuse  maladie,  qui  venait  en  partie  de 
ses  austérités  et  de  ses  mortifications  ordinaires  et  en  partie  aussi  de  ce  qu'il 
s'était  retiré  en  un  désert  marécageux  oii  l'air  était  malsain.  Mais  Dieu,  qui 
a  un  soin  particulier  de  ceux  qui  crucifient  leur  chair  et  qui  s'affli^^ent  volon- 
tairement pour  sa  gloire,  lui  renvoya  bientôt  la  santé  et  le  remit  en  état  de 
rendre  les  plus  grands  services.  En  ce  temps,  l'abbaye  de  Classe  était  sans 
chef,  et  c'était  à  l'empereur  Othon  III  d'y  pourvoir;  il  en  remit  l'élection 
aux  religieux,  et  ceux-ci  nommèrent  Romuald  pour  leur  abbé  ;  l'empereur 
en  fut  très-content  et  en  voulut  lui-même  porter  la  nouvelle  au  serviteur 
de  Dieu.  Pour  cet  effet,  il  alla  le  visiter  en  un  ermitage,  dans  l'île  de  Ptrée, 


366  7    FÉVRIER. 

où  il  s'était  retiré,  environ  à  quatre  lieues  de  Ravenne.  Romuald  lui  fit  le 
meilleur  accueil  qu'il  lui  fut  possible,  lui  cédant  son  pauvre  lit  de  paille,  sur 
lequel  il  passa  la  nuit.  Le  lendemain,  l'empereur,  pour  le  traiter  à  son  tour, 
l'emmena  en  sa  compagnie  et  lui  découvrit  la  pensée  qu'il  avait  de  lui  don- 
ner la  conduite  de  cette  abbaye,  lui  faisant  voir  combien  il  était  de  la  gloire 
de  Dieu  qu'il  l'acceptât.  Le  Saint  s'y  opposa  d'abord;  puis  y  consentit,  plutôt 
pour  obéir  à  l'empereur  du  ciel  que  pour  complaire  à  celui  de  la  terre.  Il 
était  déjà  prêtre,  et  il  gouverna  deux  ans  ce  monastère  avec  une  grande 
prudence.  Mais  se  voyant  haï  et  persécuté  par  quelques  religieux  qu'éblouis- 
sait sa  vertu,  il  alla  vers  l'empereur,  qui  faisait  alors  le  siège  de  Tivoli,  eî  lui 
donna  sa  démission,  et,  comme  il  ne  voulait  point  l'accepter,  le  Saint  déposa 
sa  crosse  aux  pieds  d'Olhon,  en  présence  de  l'archevêque  de  Ravenne,  Ger- 
bert,  qui  depuis  fut  pape  sous  le  nom  de  Sylvestre  II. 

La  ville  de  Tivoli  avait  été  condamnée  au  pillage  pour  s'être  révoltée  et 
avoir  tué  son  gouverneur,  Matholin.  Romuald  intercéda  pour  elle  auprès  de 
l'empereur  et  obtint  sa  grâce.  Othon  s'engagea  même  par  serment  à  par- 
donner à  Crescence,  sénateur  romain,  le  chef  des  rebelles.  Il  lui  fit  donner 
parole  par  l'un  de  ses  favoris  appelé  Tham,  qui  avait  grande  part  dans  la 
conduite  des  affaires,  qu'il  lui  sauverait  la  vie  et  l'honneur  s'il  se  rendait  à 
discrétion  et  s'abandonnait  à  sa  clémence.  Crescence,  ne  pouvant  se  défier 
de  la  parole  de  son  souverain,  se  mit  entre  ses  mains  ;  mais  l'empereur  le  fit 
mourir  contre  sa  foi  ;  il  alla  même  plus  loin  :  comme  il  avait  la  femme  du 
défunt  en  son  pouvoir,  il  lui  ravit  malheureusement  l'honneur.  Ainsi  il  rem- 
porta ensemble  deux  injustes  et  infâmes  trophées  de  la  ruine  d'une  maison. 
Après  des  actions  si  noires,  Othon  et  Tham  eurent  recours  à  Romuald 
pour  obtenir  le  pardon  de  Dieu  de  leurs  horribles  forfaits.  Mais  le  Saint, 
sachant  qu'il  fallait  imposer  des  pénitences  publiques  pour  des  crimes  si 
manifestes,  condamna  le  favori  à  garder  une  clôture  perpétuelle  dans  la 
religion  :  à  quoi  il  acquiesça.  Il  enjoignit  à  l'empereur  d'aller  nu-pieds 
depuis  Rome  jusqu'au  mont  Gargan,  qui  est  auprès  de  Manfredonia,  en  la 
Pouille,  y  visiter  l'église  de  Saint-Michel,  archange,  et  de  se  retirer  tout  le 
Carême  au  monastère  de  Classe  :  ce  qu'il  fit,  portant  toujours  la  haire  et 
couchant  seulement  sur  une  paillasse  (099). 

Ces  conversions  furent  suivies  de  celles  de  plusieurs  autres  seigneurs  de 
la  cour,  qui  tous  embrassèrent  le  même  genre  de  vie  sous  la  conduite  de 
Romuald.  Quoique  ces  nouveaux  solitaires  fussent  tous  très-fervents,  on  dis- 
tinguait pourtant  Boniface  au-dessus  des  autres.  Ce  Boniface  était  fils  du  roi 
de  Pologne  et  proche  parent  de  l'empereur  Othon,  qui  l'avait  toujours  ten- 
drement aimé  ;  il  avait  des  talents  supérieurs  pour  la  musique  et  les  autres 
beaux-arts.  Il  vécut  longtemps  sous  la  conduite  de  notre  Saint,  fut  ensuite 
ordonné  évêque  et  envoyé  par  le  pape  en  Russie  pour  y  prêcher  l'Evangile. 
Dieu  donna  une  bénédiction  étonnante  à  ses  travaux.  Le  grand  prince  de 
Russie,  frappé  de  l'éclat  de  ses  miracles,  se  convertit  lui-même  ;  et  celte 
conversion  en  aurait  procuré  beaucoup  d'autres,  si  ce  saint  missionnaire 
n'eût  été  décapité  par  l'ordre  des  frères  du  roi  (1009);  mais  le  sang  de  ce 
bienheureux  martyr  ne  coula  pas  en  vain  '.  Les  princes  qui  l'avaient  répandu 
ne  purent  résister  à  la  force  des  prodiges  qui  accompagnèrent  la  mort  de 
Boniface;  ils  abjurèrent  l'infidélité  et  demandèrent  le  baptême.  Plusieurs 
autres  disciples  de  saint  Romuald  furent  aussi  martyrisés  en  Esclavonie,  où  le 
pape  les  avait  chargés  de  porter  la  lumière  de  l'Evangile. 

Romuald,  qui  ne  savait  plus  où  loger  ses  disciples,  bâtit  d'autres  monas- 

1.  Voir  le  martyrologe  romain  au  13  jnïQ. 


S.VIi\T   ROilUALD,    FOKDATEUa  BE  L'ORDRE   DES   CAilALDULES.  367 

tères,  dont  un  était  près  de  Parenzo,  en  Islrie.  Il  passa  un  an  dans  ce  der- 
nier pour  y  établir  le  bon  ordre  et  la  discipline  religieuse,  après  quoi  il  se 
retira  dans  une  cellule  voisine,  oîi  il  vécut  pendant  deux  ans.  Il  y  éprouva 
une  telle  sécheresse  qu'il  ne  pouvait  pas  répandre  une  seule  larme.  Il  ne 
quitta  pas  pour  cela  ses  exercices  de  piété  ;  il  s'en  acquitta  au  contraire  avec 
une  nouvelle  ferveur,  espérant  que  Dieu  récompenserait  à  la  fin  sa  persévé- 
rance. Son  espérance  ne  fut  point  confondue.  Un  jour  qu'il  récitait  ces  pa- 
roles du  Psalmiste  :  «  Je  vous  donnerai  l'intelligence,  et  je  vous  instruirai  », 
il  fut  tout  à  coup  rempli  d'un  esprit  de  lumière  et  de  componction,  qu'il 
posséda  jusqu'à  la  mort.  Il  reçut  du  ciel  l'intelligence  des  saintes  Ecritures, 
et  il  expliquait  les  psaumes  avec  une  onction  admirable.  Il  parut  en  plu- 
sieurs occasions  doué  de  l'esprit  de  prophétie.  Il  donnait  des  avis  dictés  par 
une  sagesse  toute  divine  à  ceux  qui  venaient  le  consulter,  et  surtout  à  ses  dis- 
ciples, qui  s'adressaient  à  lui  dans  leurs  doutes  et  dans  leurs  peines.  Jamais 
ils  ne  sortaient  d'auprès  de  lui  sans  se  sentir  pénétrés  de  joie  et  de  consola- 
tion. Comme  il  avait  supérieurement  le  don  des  larmes,  il  pensait  que  les 
autres  l'avaient  aussi  ;  c'était  ce  qui  lui  faisait  souvent  dire  à  ses  moines  : 
«  Ne  pleurez  pas  trop,  car  cela  affaiblit  la  vue  et  la  tête  ».  Il  évitait,  autant 
qu'il  le  pouvait,  de  célébrer  en  public,  parce  qu'il  n'était  point  maître  d'ar- 
rêter le  cours  de  ses  larmes  en  offrant  le  saint  sacrifice.  Souvent,  dans  la 
ferveur  de  la  contemplation,  il  lui  arrivait  d'être  ravi  en  extase,  et  de  s'écrier 
dans  un  vif  transport  d'amour  :  «  Doux  Jésus  I  Mon  doux  Jésus  !  Mon  ineffa- 
ble désir!  Ma  joie  !  Joie  des  Anges!  Délices  des  Saints!  »  Et  ces  paroles 
enflammées,  il  les  prononçait  avec  une  effusion  de  cœur  infiniment  au-dessus 
de  toute  expression. 

Zélé  à  saisir  tous  les  moyens  de  contribuer  à  la  gloire  de  Dieu,  il  quitta 
son  désert  pour  se  retirer  dans  un  autre  où  il  y  aurait  plus  de  bien  à  faire.  Il 
agissait  en  cela  par  l'avis  de  plusieurs  personnes  de  piété,  du  nombre  des- 
quelles était  l'évèque  de  Pola.  L'évêque  de  Parenzo,  qui  voulait  absolument 
le  retenir  dans  son  diocèse,  s'opposa  à  son  départ,  en  défendant  à  tous  les 
passagers  de  le  recevoir  dans  leurs  barques  ;  mais  l'évêque  de  Pola  lui  en 
envoya  une  qui  le  conduisit  à  Gapréola.  Dans  le  trajet  il  calma  miraculeuse- 
ment une  violente  tempête  qui  s'était  élevée.  Arrivé  à  Bifolco,  il  trouva  que 
les  cellules  des  moines  de  ce  lieu  étaient  trop  magnifiques,  et  il  ne  voulut 
loger  que  dans  celle  d'un  religieux  nommé  Pierre.  Ce  religieux,  qui  prati- 
quait des  austérités  extraordinaires,  n'avait  pour  demeure  qu'une  cellule  de 
quatre  coudées  en  largeur.  Il  ne  pouvait  se  lasser  d'admirer  l'esprit  de  com- 
ponction dont  Romuald  était  pénétré,  et  il  rapporta  dans  la  suite,  que 
quand  ils  récitaient  alternativement  les  psaumes  pendant  la  nuit,  ce  saint 
homme  avait  coutume  de  sortir  plusieurs  fois  de  sa  cellule  sous  prétexte  de 
quelque  besoin  ;  mais  qu'il  avait  remarqué  que  l'unique  but  qu'il  se  propo- 
sait dans  ses  fréquentes  sorties,  était  de  s'abandonner  quelques  moments  à 
l'impression  de  la  joie  intérieure  qu'il  ressentait,  et  de  donner  un  libre  cours 
à  ses  larmes,  qu'il  ne  lui  était  pas  possible  de  retenir. 

Romuald  ayant  fait  demander  aux  comtes  de  la  province  de  Camerino 
un  petit  terrain  pour  y  bâtir  un  monastère,  ceux-ci  lui  laissèrent  la  liberté 
de  choisir  tel  emplacement  qu'il  jugerait  à  propos.  Il  se  détermina  pour  la 
vallée  de  Castro,  comme  étant  le  lieu  le  plus  propre  à  l'exécution  de  son 
dessein.  Il  est  incroyable  combien  il  fit  de  conversion  dans  la  province  de 
Camerino.  Les  grands  pécheurs  le  venaient  trouver  en  foule  pour  apprendre- 
de  lui  les  moyens  de  rentrer  en  grâce  avec  Dieu.  Il  y  en  eut  un  grand  nom- 
bre qui,  touchés  des  instructions  qu'il  leur  avait  données,  distribuèrent  aux 


368  7    FÉVRIER. 

pauvres  la  meilleure  partie  de  leurs  biens,  et  passèrent  le  reste  de  leurs  jours 
dans  les  travaux  de  la  pénitence.  Uomuald  paraissait  parmi  eux  comme  un 
séraphin  revêtu  d'un  corps  mortel,  tant  était  vive  l'ardeur  du  divin  amour 
qui  enflammait  son  cœur.  Ses  disciples  ne  pouvaient  l'entendre  parler  sans 
se  sentir  eux-mêmes  embrasés  du  feu  sacré  qui  consumait  leur  maître.  Lors- 
qu'il était  en  voyage  ou  à  la  promenade  avec  ses  frères,  il  restait  toujours 
derrière,  afin  de  réciter  des  psaumes  et  de  laisser  couler  librement  ses 
larmes. 

Notre  Saint  avait  toujours  ardemment  désiré  de  verser  son  sang  pour 
Jésus-Christ  ;  mais  ce  désir  avait  acquis  une  nouvelle  vivacité  depuis  le  mar- 
tyre de  saint  Boniface  et  celui  de  quelques-uns  de  ses  confrères.  Il  ne  put 
enfin  résister  à  l'ardeur  qui  le  pressait  de  mourir  pour  son  Sauveur,  et  il 
s'adressa  au  Pape  pour  lui  demander  la  permission  d'aller  prêcher  la  foi  en 
Hongrie,  ce  qui  lui  fut  accordé.  11  partit  donc  avec  quelques-uns  de  ses  dis- 
ciples, dont  deux  furent  sacrés  archevêques,  n'ayant  pas  voulu  lui-même 
être  élevé  à  celle  dignité.  Mais  lorsqu'il  était  sur  le  point  d'entrer  en  Hon- 
grie, il  fut  attaqué  d'une  maladie  violente,  qui  recommençait  toutes  les  fois 
qu'il  se  remettait  en  route.  Il  ne  lui  fut  pas  difficile  de  reconnaître  que  la 
volonté  de  Dieu  n'était  pas  qu'il  exécutât  son  dessein;  ainsi  il  retourna  à 
son  monastère  avec  sept  de  ses  disciples.  Les  autres  suivirent  les  deux  arche- 
vêques dans  la  Hongrie,  qui  avait  alors  saint  Etienne  pour  roi.  Ces  hommes 
apostoliques  eurent  beaucoup  à  souffrir  durant  le  cours  de  leur  mission  ;  ils 
ne  remportèrent  pourtant  pas  la  couronne  du  martyre,  qui  était  l'objet  de 
tous  leurs  vœux. 

Uomuald,  de  retour,  fonda  plusieurs  monastères  en  Allemagne.  Il  entre- 
prit aussi  d'établir  la  réforme  dans  quelques  autres,  ce  qui  lui  attira  diverses 
persécutions  de  la  part  de  ceux  qui  n'aimaient  ni  l'ordre  ni  la  discipline; 
mais  sa  vertu  lui  donnait  tant  d'autorité  que  les  coupables  redoutaient  sa 
présence  :  il  n'y  avait  pas  jusqu'aux  personnes  les  plus  qualifiées  selon  le 
monde  qui  ne  tremblassent  devant  lui.  Il  ne  voulut  rien  accepter  gratuite- 
ment de  Rayner,  marquis  de  Toscane,  parce  qu'il  avait  épousé  la  veuve  d'un 
de  ses  parents  auquel  il  avait  ôté  la  vie.  Son  but,  en  tenant  une  pareille 
conduite,  était  de  faire  sentir  à  Rayner  l'énormité  de  ses  crimes.  Ce  sei- 
gneur, tout  souverain  qu'il  était,  craignait  jusqu'à  l'approche  du  Saint,  et  il 
avait  coutume  de  dire  que  rien  au  monde  ne  l'intimidait  tant  que  sa  pré- 
sence :  telle  était  l'impression  que  faisait  sur  les  plus  grands  pécheurs  l'Es- 
prit-Saint  dont  Romuald  était  auimé.  .\yant  appris,  quelque  temps  après, 
qu'un  Vénitien  avait  obtenu  l'abbaye  de  Classe  par  des  voies  simoniaques,  il 
l'alla  trouver  aussitôt.  L'intrus,  qui  ne  voulait  point  réparer  sa  faute,  et  qui 
d'ailleurs  cherchait  à  s'épargner  une  entrevue  dont  les  suites  tourneraient  à 
sa  confusion,  résolut  de  se  défaire  de  notre  Saint  par  un  assassinat;  mais 
Dieu  conserva  la  vie  à  son  serviteur  par  une  protection  dont  il  lui  avait  déjà 
donné  plusieurs  fois  des  marques  sensibles. 

Le  Pape  ayant  mandé  notre  Saint  à  Rome,  il  se  rendit  dans  cette  ville, 
où  Dieu  releva  sa  sainteté  par  plusieurs  miracles  qu'il  lui  donna  la  vertu 
d'opérer.  Il  y  convertit,  comme  dans  tous  les  lieux  où  il  avait  passé,  un  grand 
nombre  de  pécheurs  endurcis  dans  le  crime.  Il  bâtit  aussi  quelques  monas- 
tères dans  le  voisinage  de  Rome,  un  entre  autres  sur  la  montagne  de  Silrio  ', 
où  il  fil  un  assez  long  séjour.  11  se  trouva  parmi  ses  disciples  un  jeune  sei- 
;.,ueur  qui  se  livrait  effrontément  aux  désordres  de  l'impureté.  Le  Saint  eut 
l'âme  percée  de  douleu:-,  et  mit  tout  en  œuvre  pour  ramener  le  coupable  à 

1.  Pr^  de  Sasso-Ferrato. 


i 


SALNT   ROilUALD,    FOXBATEUR  DE   L'ORDRE   DES    CAMALDULE3.  369 

son  devoir.  Celui-ci,  loin  de  se  corriger,  n'en  devint  que  plus  méchant  ;  il 
osa  môme  accuser  Romuald  de  s'ôtre  souilla  par  des  infamies  contraires  à  la 
chasteté.  C'était  une  pure  calomnie  ;  mais  elle  trouva  créance  dans  l'esprit 
des  moines,  qui,  sans  autres  preuves,  condamnèrent  le  Saint  à  une  pénitence 
rigoureuse,  lui  interdirent  la  célébration  des  divins  mystères,  et  l'excommu- 
nièrent. Romuald  souffrit  cet  indigne  traitement  avec  patience  ;  il  se  com- 
porta comme  s'il  eût  été  réellement  coupable,  et  s'abstint  de  monter  à  l'autel 
pendant  six  mois,  conformément  à  la  défense  qui  lui  en  avait  été  faite.  Mais 
Dieu  ne  voulut  pas  que  son  serviteur  restât  plus  longtemps  dans  une  humi- 
liation qu'il  n'avait  point  méritée  ;  il  l'avertit,  dans  une  révélation,  qu'il  ne 
devait  plus  obéir  à  une  injuste  sentence,  et  qu'il  pouvait  sans  peine  retour- 
ner à  l'autel,  dont  on  l'avait  exclu  contre  toutes  les  règles.  Le  Saint  recom- 
mença donc  à  oQ'rir  le  saint  sacrifice,  et  il  le  fit  avec  tant  de  ferveur  la  pre-  ' 
mière  fois,  qu'il  fut  longtemps  ravi  en  extase.  Il  passa  sept  ans  sur  la 
montagne  de  Sitrio,  toujours  renfermé  dans  sa  cellule,  et  gardant  un  silence 
continuel.  11  portait  un  rude  cilice,  mortifiait  ses  sens  en  leur  refusant  tout 
ce  qui  pouvait  les  flatter.  Quoique  déjà  arrivé  à  une  extrême  vieillesse,  il  ne 
mangeait  en  tout  le  Carême  que  plein  une  écuelle  de  légumes.  Il  jeûnait  tous 
les  jours,  et  ses  repas  ordinaires  n'excédaient  point  cinq  onces  de  nourri- 
ture ;  il  était  ingénieux  en  ce  genre  de  mortification  :  quelquefois  il  deman- 
dait des  choses  pour  en  faire  un  sacrifice  à  Dieu  et  se  moquer  de  sa  sensua- 
lité :  «  Voilà,  Romuald  » ,  se  disait-il  à  lui-même,  «  voilà  un  bon  morceau  fort 
bien  apprêté  ;  sans  doute  tu  le  trouverais  de  bon  goût  ;  mais  tu  n'en  goûte- 
ras point,  et  tu  n'en  as  eu  la  vue  que  pour  augmenter  ta  mortification  ».  Il 
n'est  pas  étonnant  que  les  disciples  d'un  tel  maître  menassent  la  vie  la  plus 
austère.  Ils  allaient  toujours  nu-pieds,  et  montraient  par  la  pâleur  de  leurs 
visages  quelle  était  la  rigueur  de  leurs  jeûnes.  Ils  ne  buvaient  jamais  que  de 
l'eau,  à  moins  qu'ils  ne  fussent  malades.  Le  Saint  fît  plusieurs  guérisons  mira- 
culeuses sur  la  montagne  de  Sitrio,  qu'il  quitta  enfin  pour  retourner  à  Bifolco. 
L'empereur  saint  Henri  II,  qui  avait  succédé  à  Othon  III,  ne  fut  pas  plus 
tôt  arrivé  en  Italie,  qu'il  voulut  voir  Romuald.  Il  lui  envoya  donc  des  per- 
sonnes distinguées  pour  le  prier  de  venir  à  la  cour.  Ceux-ci  eurent  beaucoup 
de  peine  à  le  déterminer  à  ce  voyage  ;  et  peut-être  n'en  seraient-ils  pas  venus 
à  bout,  s'ils  n'eussent  mis  les  moines  dans  leurs  intérêts.  L'empereur  donna 
au  Saint  toutes  les  marques  possibles  d'estime  et  de  respect  ;  il  se  leva  même 
lorsqu'il  le  vit  entrer,  et  lui  dit  :  «  Que  je  voudrais  bien  que  mon  âme  fût 
semblable  à  la  vôtre  !  »  Romuald  ne  répondit  rien  à  un  compliment  si  flat- 
teur, et  garda  un  profond  silence  pendant  tout  le  temps  que  dura  l'entrevue, 
ce  qui  jeta  toute  la  cour  dans  un  grand  étonnement.  Le  prince,  qui  voyait 
bien  que  ce  silence  avait  l'humilité  pour  principe,  n'en  conçut  que  plus  de 
vénération  pour  le  Saint  ;  il  le  fit  venir  le  lendemain  dans  un  appartement 
séparé,  afin  d'avoir  la  liberté  de  s'entretenir  tête-à-tête  avec  lui,  et  de  le 
consulter  sur  plusieurs  points  essentiels.  Les  courtisans  lui  témoignaient 
le  plus  profond  respect  lorsqu'il  passait  devant  eux,  et  arrachaient  les  poils 
de  son  vêtement,  afin  de  les  conserver  précieusement  comme  des  reliques. 
Tant  de  marques  de  vénération  affligèrent  sensiblement  Romuald  ;  et  il 
serait  parti  sur-le-champ,  s'il  n'eût  été  retenu.  Il  avait  une  telle  horreur 
des  louanges  que  ses  disciples  avaient  soin  d'empêcher  qu'on  parlât  de 
lui  en  sa  présence,  sachant  que  c'était  le  moyen  de  le  chasser  d'une  compa- 
gnie. L'empereur,  avant  de  le  congédier,  lui  fit  présent  du  monastère  du 
Mont-Amiate,  en  Toscane,  et  le  pria  d'y  mettre  des  religieux  formés  par 
ses  soins. 

Vies  des  Saimts.  —  Tome  II.  24 


370  7    FÉVRIER. 

Je  ne  parle  point  des  miracles  qu'il  a  faits,  ni  des  faveurs  extraordinaires, 
comme  sont  l'intelligence  des  saintes  Ecritures  et  le  don  de  prophétie,  que 
Dieu  lui  a  communiquées,  parce  que  sa  vie  en  a  été  presque  toute  remplie. 
Quand  il  opérait  des  guérisons  miraculeuses,  il  évitait  qu'on  les  lui  attribuât. 
S'il  envoj'ait  ses  disciples  quelque  part,  il  leur  donnait  du  pain,  des  fruits 
ou  quelque  autre  chose  qu'il  avait  bénite  :  plus  d'une  fois,  ils  guérirent  des 
malades  en  leur  faisant  manger  ces  aliments.  Etant  âgé  de  cent  deux  ans, 
selon  quelques-uns,  il  s'en  alla  un  jour  sur  le  mont  Apennin,  qui  sépare 
l'Italie  en  deux,  pour  y  chercher  quelque  lieu  convenable  aux  solitaires. 
Etant  au  sommet  de  la  montagne,  en  un  champ  agréable  et  abondant  en  ^ 
sources,  il  s'endormit  auprès  d'une  fontaine.  Durant  son  sommeil,  il  eut  un 
songe  plein  de  mystères  et  semblable  à  celui  du  patriarche  Jacob.  Il  vit  une 
échelle,  dont  le  pied  était  sur  la  terre,  et  la  pointe  s'élevait  jusque  dans  les 
cieux,  et  il  aperçut  ses  religieux  couverts  d'habits  blancs,  qui  montaient 
vers  Dieu  par  le  moyen  de  cette  échelle.  Il  s'en  alla  trouver  le  seigneur  de 
cette  terre,  qui  était  un  comte,  appelé  Maldoli,  à  qui  il  la  demanda.  Ce 
comte,  qui  avait  eu  la  môme  vision,  lui  accorda  de  très-bon  cœur  sa  requête, 
avec  une  maison  des  champs  qui  en  dépendait,  aPm  d'y  bâtir  une  église  et 
un  cloître  pour  les  religieux  ;  et  de  là  vient  que  ce  lieu  est  appelé  Camaldule 
(champ  de  Maldu'eJ^.  Il  changea  l'habit  noir,  qu'il  avait  auparavant,  en  un 
habit  blanc.  Lfi  commença  !c  nouveau  paradis  de  ces  hommes  célestes,  dont , 
la  vie  est  une  perpétuelle  pénitence.  Il  y  a  des  siècles  qu'en  cette  maison  j 
les  religieux  vivent  en  l'observance  de  la  règle.  On  voit  évidemment  qu'elle 
est  gouvernée  et  protégée  par  la  Providence  divine  ;  les  souverains  Pontifes 
lui  ont  accordé  plusieurs  beaux  privilèges.  Beaucoup  de  grands  personnages 
séculiers,  ecclésiastiques  et  réguliers,  ont  embrassé  cet  institut,  et  sont  deve- 
nus enfants  de  Romuald.  Le  Saint  adopta  la  règle  de  saint  Benoît  ;  mais  il  y 
ajouta  de  nouvelles  observances,  et  voulut  que  ses  disciples  fussent  tout  à 
la  fois  ermites  et  cénobites.  Telle  est  l'origine  de  l'ordre  dit  des  Camaldules. 
A  quelque  distance  du  monastère  est  l'ermitage  que  fit  bâtir  le  Saint;  il  est 
sur  une  montagne  toute  couverte  de  sapins  et  arrosée  par  plusieurs  fon- 
taines. La  vue  seule  de  ce  lieu  solitaire  porte  l'âme  au  recueillement  et  à  la 
contemplation.  A  l'entrée  de  cet  ermitage  on  trouve  une  chapelle  dédiée  à 
saint  Antoine  :  le  but  que  l'on  s'est  proposé  en  la  bâtissant,  a  été  que  les 
étrangers  y  fissent  leur  prière  avant  d'aller  plus  loin.  On  trouve  ensuite  les 
cellules  des  portiers.  On  voit  à  quelques  pas  de  là  une  grande  église,  qui  est 
magnifiquement  décorée.  Au-dessus  de  la  porte  de  cette  église  est  une 
cloche  dont  le  son  se  fait  entendre  par  tout  le  désert.  La  cellule  où  vivait 
saint  Romuald,  pendant  qu'il  formait  son  ermitage,  est  au  côté  gauche.de 
l'église.  Toutes  les  cellules  sont  bâties  de  pierres,  et  ont  chacune  un  petit 
jardin  environné  d'un  mur,  et  une  chapelle  où  les  ermites  peuvent  dire  la 
messe,  s'ils  le  veulent.  Il  leur  est  permis  d'avoir  toujours  du  feu  chez  eux,  à 
cause  du  froid  qui  règne  continuellement  sur  la  montagne.  Tous  ces  soli- 
taires sont  gouvernés  par  un  supérieur,  qu'ils  appellent  Maïeur.  L'ermitage 
est  présentement  environné  de  murs,  hors  desquels  ne  peuvent  sortir  ceux 
qui  l'habitent;  ils  ont  seulement  la  liberté  de  se  promener  dans  le  bois  de 
leur  enclos.  On  leur  envoie  du  monastère,  situé  dans  la  vallée,  tout  ce  qui 
peut  leur  être  nécessaire,  a(in  que  rien  ne  soit  capable  de  les  distraire,  et 
qu'ils  ne  soient  point  interrompus  dans  la  continuité  de  leur  contemplation. 
Tous  leurs  moments  sont  partagés  entre  divers  exercices,  et  ils  se  rendent  à 
l'église  pour  y  réciter  l'office  divin,  sans  que  la  pluie  ni  la  neige  puissent 

1.  En  Italien  Campo  MaWoii,  et  pur  abi'dvUtlon,  Camaliloll. 


SAL\T  ROJIUALD,    FOXDATETO   DE   L'ORDRE   DES    CAM^U,DULES.  371 

les  en  empêcher.  Ils  ne  parlent  jamais  dans  les  lieux  réguliers  ;  ils  gardent 
aussi  un  silence  absolu  en  Carême,  les  dimanches  et  fêtes,  les  vendredis  et 
les  autres  jouis  d'abstinence.  11  leur  est  encore  défendu  de  parler  en  tout 
temps  depuis  Compiles  jusqu'à  Prime  du  lendemain. 

Saint  Rorauald  établit  encore  un  autre  genre  de  vie  parmi  ses  disciples, 
je  veux  dire  celui  des  reclus  ;  mais  on  ne  pouvait  l'embrasser  de  son  propre 
mouvement  :  il  fallait  en  demander  la  permission  au  supérieur,  et  celui-ci 
ne  l'accordait  qu'à  ceux  qui  avaient  longtemps  vécu  dans  l'ermitage,  et  qui 
paraissaient  appelés  de  Dieu  à  une  plus  grande  perfection.  Les  ermites  qui 
obtenaient  ce  qu'ils  avaient  demandé  se  renfermaient  dans  leurs  cellules 
pour  n'en  plus  sortir.  Ils  ne  parlaient  jamais  qu'au  supérieur  lorsqu'il  allait 
les  voir,  et  au  frère  qui  était  chargé  de  leur  porter  toutes  les  choses  néces- 
saires à  la  vie.  Ils  redoublaient  leurs  prières  et  leurs  austérités,  pratiquaient 
des  jeûnes  beaucoup  plus  fréquents  et  plus  rigoureux  que  le  commun  des 
ermites.  Notre  Saint  vécut  de  la  sorte  pendant  plusieurs  années  ;  et  depuis 
sa  mort  jusqu'à  notre  siècle,  on  a  toujours  vu  dans  le  désert  de  Camaldoli 
plusieurs  reclus  d'une  ferveur  véritablement  angélique  '. 

Saint  Romuald  sentant  approcher  sa  fin,  re\int  à  son  monastère  de  Val- 
de-Castro,  et,  se  tenant  assuré  qu'il  mourrait  bientôt,  il  se  fit  bâtir  une  cel- 
lule avec  un  oratoire  pour  s'y  enfermer  et  y  garder  le  silence  jusqu'à  sa 
mort.  Vingt  ans  auparavant,  il  avait  prédit  à  ses  disciples  qu'il  mourrait  en 
ce  monastère,  sans  que  personne  fût  présent  à  sa  mort.  Sa  cellule  de  réclu- 
sion étant  faite,  il  sentit  augmenter  ses  infirmités,  principalement  une 
fluxion  de  poitrine,  qui  l'oppressait  depuis  six  mois.  Toutefois,  il  ne  voulut 
ni  se  coucher  sur  un  lit,  ni  relâcher  la  rigueur  de  son  jeûne.  Un  jour,  comme 
il  s'all'aiblissait  peu  à  peu,  le  soleil  étant  vers  son  coucher,  il  ordonna  à  deux 
moines  qui  étaient  près  de  lui  de  sortir  et  de  fermer  après  eux  la  porte  de  la 
cellule,  et  de  revenir  au  point  du  jour  pour  dire  Matines  auprès  de  lui. 
Comme  ils  sortaient  à  regret,  au  lieu  d'aller  se  coucher,  ils  demeurèrent 
près  de  la  cellule,  et,  quelque  temps  après,  écoutant  attentivement,  comme 
ils  n'entendirent  ni  mouvement  ni  voix,  ils  se  doutèrent  de  ce  qui  en  était  ; 
ils  poussèrent  promptement  la  porte,  et,  ayant  pris  de  la  lumière,  ils  le  trou- 
vèrent mort,  couché  sur  le  dos.  Il  vécut  cent  vingt  ans  :  il  en  passa  vingt 
dans  le  monde,  trois  dans  le  monastère,  quatre-vingt-treize  dans  la  vie  éré- 
mitique.  Il  mourut  l'an  1027,  le  19  de  juin,  et  l'Eglise  honore  sa  mémoire  le 
même  jour.  Incontinent  après  sa  mort,  il  se  fit  un  grand  nombre  de  mira- 
cles à  son  tombeau  :  ce  qui  fut  cause  que,  cinq  ans  après,  les  moines  obtin- 
rent du  Saint-Siège  la  permission  d'élever  un  autel  sur  son  corps  ;  c'était 
alors  une  manière  de  canoniser  les  saints. 

Sa  fête  a  été  fixée,  par  Clément  Vlll,  au  7  de  février,  jour  auquel  se  fît  la 
translation  de  ses  reliques.  Son  corps  était  encore  entier  et  sans  corruption 
en  1466;  mais  des  mains  sacrilèges  l'ayant  dérobé  en  1480,  il  tomba  en 
poussière.  On  le  porta  en  cet  état  dans  la  grande  église  de  Fabriano.  On 
transporta  depuis  un  os  du  bras  du  Saint  au  monastère  de  Camaldoli.  Dieu  a 
honoré  les  reliques  de  son  serviteur  par  un  grand  nombre  de  miracles. 

L'ordre  de  saint  Romuald,  autrement  des  Camaldules,  subsiste  encore 
avec  honneur.  Il  renferme  les  trois  genres  de  vie,  cénobites,  ermites  et 
reclus.  Leur  règle  est  celle  de  saint  Benoît,  avec  quelques  observances  par- 

1.  L'Ordre  des  Camaldnles  est  anjourd'îini  divisé  en  cinq  congri'girions,  qui  ont  ch^icune  leur  ^'c'nji'al. 
Lx  vie  que  ineueat  les  ermites  'dj  CL-t  Ordre  est  encore  fort  anstèrc.  quoiqu'elle  le  soit  moii:s  que  lîu 
temps  âc  saint  Iloranald.  Les  uJnoMtes  Csntaldoles  ont  plus  de  i^ssemblaac»  avec  les  Bénédictins.  Le 
Pfcre  Hélyot  est  porté  à  croire  qu'ils  ne  furent  pas  directement  institués  par  saint  Romuald. 


372  7   FÉYIUER. 

ticulières.  L'Ordre  de  saint  Benoît  et  celui  de  saint  Romuald  ont  donné,  de 
nos  jours,  à  l'Eglise  deux  grands  Papes  :  le  premier,  Pie  YII,  de  glorieuse 
mémoire  ;  le  second,  Grégoire  X\l. 

On  représente  saint  Romuald  :  —  1°  En  pied,  ayant  un  doigt  sur  la 
bouche  pour  exprimer  son  profond  amour  du  silence  ;  —  2°  Maltraité  par 
le  diable  ;  —  3°  Portant  une  cellule  entourée  d'arbres,  pour  faire  entendre 
que  la  vie  érémitique  et  la  vie  cénobitique  sont  réunies  dans  l'institut  des 
Camaldules;  une  pièce  sans  nom  du  cabinet  des  estampes,  à  Paris,  reproduit 
ce  sujet  :  autour  de  la  figure  sont  diverses  scènes  de  la  vie  du  Saint.  On  y 
remarque  celle  oil  il  voit  une  échelle  mystérieuse,  symbole  de  la  règle  béné- 
dictine '  ;  —  4°  Tenant  en  main  le  fouet,  symbole  des  réformateurs  d'Ordres 
ou  de  règles  monastiques  ;  —  5°  Parlant  à  un  seigneur  agenouillé,  lequel 
seigneur  peut  être  soit  Othon  III  qui  pria  le  Saint  d'<iccepter  l'abbaye  de 
Classe,  soit  saint  Urséole,  le  doge  de  Venise,  qu'il  entraîna  dans  la  solitude, 
soit  tout  autre  grand  du  monde  converti  par  lui,  car  il  en  convertit  beau- 
coup'; — 6°  Une  peinture  à  fresque  duxv°  siècle, dans  un  couvent  d'Italie,  le 
représente  debout,  près  du  Christ  en  croix.  La  figure  est  très-belle  '.  — André 
Sacchi  l'a  représenté  assis  dans  sa  cellule,  instruisant  les  religieux.  Le  même 
peintre  a  fait  une  grande  composition  connue  sous  le  titre  de  Moine  blanc. 
On  a  donné  une  réduction  de  cette  belle  composition  dans  une  Vie  des 
Saints,  dédiée  au  duc  de  Bordeaux  *. 

Le  cardinal  Pierre  Damien,  qui  était  contemporain  de  saint  Romaald,  et  Je'rônie  de  PragTie,  religieux 
camaldale,  ont  (5crit  sa  \ie.  Bollandas  rapporte  l'une  et  l'autre  au  second  tome  du  mois  de  février.  Le 
xe  siècle,  que  l'on  a  tant  décrié,  produisit  non-seulement  des  Saints  en  grand  nombre,  mais  encore  de 
bons  écrivains.  —  Saint  Romuald  a  composé  lui-même  une  Exposition  des  Psaumes  :  on  garde  encora 
k  Camaldoli  le  manuscrit  même  du  Saint. 


SAINT   CHRYSOLE,    OU   CHRYSEUIL, 

APOTKE   ET  PATRON  DE    COJDIDŒS  (278). 

n  était  né  dans  la  petite  Arménie,  d'une  illustre  famille  :  on  dit  même  que  son  père  gouvernait 
une  partie  de  celte  contrée  alors  divisée  en  plusieurs  Etats.  Ses  parents,  qui  étaient  chrétiens,  le 
confièrent  à  des  maîtres  sages  et  expérimentés.  Cet  avantage,  joint  à  des  dispositions  heureuses, 
lui  firent  faire  en  peu  de  temps  de  rapides  progrès  dans  l'étude  et  dans  la  pratique  des  vertus 
chrétiennes.  On  eut  bientùt  une  si  haute  opinion  de  son  mérite,  qu'il  fut  jugé  digne  d'être  évêque 
ou  archevêque  d'une  ville  d'.^rménie.  La  persécution  excitée  par  Dioclétien  et  .Maximien,  qui  s'al- 
luma vers  le  même  temps,  sévit  surtout  dans  l'Asie,  où  il  y  avait  déjà  beaucoup  de  chrétiens.  Saint 
Chrysole,  soit  pour  mettre  en  pratique  la  recommandation  du  Sauveur  qui  avait  dit  à  ses  disciples: 
«  Lorsqu'on  vous  persécutera  dans  une  ville,  fuyez  dans  une  autre  »  ;  soit  pour  satisfaire  le  désir 
qu'il  avait  d'étendre  le  règne  de  Jésus-Christ  parmi  les  infidèles,  quitta  l'Arménie  et  se  rendit  à 
Rome  auprès  de  saint  .Marcel,  qui  occupait  alors  le  Saint-Siège.  Le  souverain  Pontife  reçut  l'illustre 
étranger  avec  respect.  Bientôt  même,  reconnaissant  en  saint  Chrysole  l'heureui  assemblage  de 
tontes  les  vertus  épiscopales  noies  aux  plus  belles  qualités,  il  conçut  pour  lui  une  affection  toute 
spéciale,  et  Ini  donna,  comme  gage  de  son  amitié,  une  boite  en  argen'  renfermant  des  reliques  de 
saint  Pierre.  Envoyé  plus  tard  avec  d'autres  missionnaires  vers  les  peuples  de  la  Gaule,  saint  Chrysole 
se  fixa  dans  cette  partie  de  l'ancienne  Belgique  inférieure,  située  entre  l'Escaut  et  la  Lys,  an  pays 
Hélantbols.  Pendant  plusieurs  années  il  parcourut  ces   contrées  sans  que  rien  put  l'arrêter,  ni  la 

1.  Voir  fo  125  et  126,  t.  xx  de  cette  collection  ;  fo  127,  le  Saint  debout  et  lisant,  par  Callot. 
S.  On  voit  cette  figure  dans  la  légende  générale  du  P^re  Kibadeneira;  Anvers,  1619. 
8.  Voir  Etruria  piltrice,  t.  i",  pi.  M.  —  4.  Voir  Iconographia  sancla,  a  la  Bibliotbiine  Mazarine, 
B.  4778  (G). 


S.UST  MOÏSE,  ÉvÈouE  DES  s.vRaisras.  373 

dislance  des  lieux,  ni  la  difficulté  des  voyages,  ni  les  dangers  de  tout  genre  auxquels  il  était  exposé. 
Sa  confiance  en  Dieu  était  entière,  et,  selon  la  parole  Ju  divin  Maitre,  a  il  ne  craignait  rien  de  ceux 
qui  peuvent  tuer  le  corps,  mais  qui  n'ont  aucun  pouvoir  sur  l'àme  ». 

Saint  Chrysole,  dans  l'intervalle  de  ses  courses  évangéliques,  résidait  habituellement  à  Commines. 
n  y  constraisil  un  oratoire  pour  célébrer  les  divins  mystères  et  réunir,  autant  que  le  permettaient  les 
circonstances,  les  nouveaux  chrétiens  qu'il  avait  gagnés  à  Jésus-Christ.  La  persécution  qui  com- 
mençait h  exercer  ses  ravages  dans  le  nord  des  Gaules,  ne  lui  laissa  pas  le  temps  de  confirmer  ses 
néophytes  dans  la  foi.  Un  jour  qu'il  prêchait  auprès  d'un  temple  d'idoles,  dans  le  village  de  Verlin- 
gliem,  il  fut  surpris  et  arrêté  par  des  soldats.  Le  Saint,  se  rappelant  la  conduite  de  Notre-Seigneur 
au  milieu  do  ses  bourreaux,  ne  répondit  que  par  la  patience  aux  brutalités  dont  ils  l'accablèrent. 
C'est  dans  ce  lieu  qu'après  avoir  été  frappé  de  verges,  il  eut  le  sommet  de  la  tête  coupé  par  ces 
soldats  païens,  qui  voulaient  peut-être  insulter  de  cette  manière  au  caractère  sacré  dont  il  était 
revêtu.  Ils  le  laissèrent  gisant  par  terre  et  baigné  dans  son  sang.  D'après  le  récit  de  plusieurs  au- 
teurs, saint  Cbrysole  ne  mourut  point  aussitôt  de  cette  alTreuse  blessure;  mais,  aidé  du  secours  de 
Dieu,  il  revint  à  lui,  se  leva,  et  prenant  la  partie  supérieure  de  son  crkae  que  les  bourreaux  avaient 
abattue,  il  retourna  à  Commines,  où  il  rendit  l'âme  au  milieu  des  habitants  étonnés.  Ils  ajoutent  que 
sur  la  route,  le  martyr,  pressé  par  une  soif  dévorante,  vit  jaillir  à  ses  pieds  une  source  d'eau  pure, 
laquelle  n'a  pas  cessé  depuis  de  couler  avec  abondance  '. 

Saint  Chrysole  fut  enseveli  à  Commines,  dont  il  est  devenu  le  patron  spécial,  et  où  s'opèrent 
souvent  par  son  intercession  des  guérisoas  extraordinaires.  11  est  aussi  le  patron  de  la  paroisse  de 
Verlinghem.  Celle  de  Lens,  en  Artois,  possédait  une  partie  de  ses  reliques,  comme  l'indique  une 
ancienne  inscription  latine.  Une  tradition  constante  suppose  que  saint  Eloi,  lorsqu'il  était  évêque  de 
Tournai  et  de  Noyon,  leva  de  terre  le  corps  de  saint  Chrysole  et  le  renferma  dans  une  châsse, 
comme  il  avait  fait  pour  saint  Pial.  De  Guise,  .Molanus  et  Buzelin  regardent  ce  fait  comme  incon- 
testable. Ce  dernier  ajoute  qu'en  IGU,  la  ville  de  Bruges,  où  l'on  avait  transporté  la  châsse,  à 
cause  des  guerres  continuelles  qui  désolaient  le  pays,  envoya  à  l'église  de  Tournai  quelques  par- 
celles de  ces  reliques  de  saint  Chrysole,  et  reçut  en  retour  des  morceaux  de  celles  de  saint  Eleu- 
thère.  Ces  restes  vénérés  furent  accueillis  à  Tournai  avec  une  pompe  extraordinaire,  le  7  octobre  de 
cette  même  année. 

Nous  avons  adopté  la  rédaction  de  M.  l'abbé  Destombes,  Uagwgrophie  de  Cambrai  el  d'Arras. 


SAINT  moïse,  évêque  DES  SARRASINS  (389). 

Après  la  mort  d'Obedien,  chef  sarrasin  chrétien,  Rome  fit  la  guerre  à  Mauvia,  sa  femme,  prin- 
cesse vertueuse,  et  qui  avait  tout  fait  pour  propager  le  christianisme  au  milieu  de  ses  peuples.  Les 
Romains  furent  battus  et  forcés  de  demander  la  paix  ;  la  reme  y  consentit  à  la  condition  qu'on  lui 
donnerait  le  solitaire  MoTse  pour  évêque  de  sa  nation.  Ce  saint  homme  était  sarrasin  de  naissance, 
et  demeurait  dans  un  désert  voisin,  entre  l'Egypte  et  la  Palestine,  où  ses  prodiges  et  ses  vertus 
l'avaient  rendu  fort  célèbre.  Il  avait  embrassé  la  vie  solitaire  presque  dès  l'enfance,  et  dès  lors  il 
quitta  l'usage  du  pain  et  ne  vécut  plus  que  de  dattes  et  d'eau  ;  il  dormait  peu  et  passait  son  Carême 
avec  vingt  dattes  et  une  chopine  d'eau,  et  souvent  il  arrivait  à  Pâques  sans  y  avoir  touché. 

Les  Romains  furent  très-heureux  d'avoir  la  paix  à  ce  prix.  Moïse  fut  donc  conduit  à  Alexandrie 
où  gouveruait  un  évêque  arien  nommé  Luce.  Il  refusa  avec  une  rare  énergie  de  recevoir  l'ordination 
de  sa  main,  et  lui  reprocha  ses  crimes  avec  une  sainte  liberté.  On  fut  contraint,  dans  la  crainte  de 
rallumer  la  guerre,  de  conduire  Moïse  auprès  des  évêques  qu'avait  exilés  Luce,  pour  être  sacré  de 
leurs  mains. 

Devenu  évêque.  Moïse  prit  soin  des  Sarrasins  ;  il  trouva  parmi  eux  peu  de  chrétiens,  mais  en 
convertit  un  graud  nombre  par  ses  instructions  et  ses  miracles.  Il  conserva  toujours  la  pureté  de  la 
foi  et  maintint  sa  nation  en  paix  avec  les  Romains.  On  ne  sait  combien  de  temps  il  vécut  ni  où  fut 
son  siège  épiscopal. 

I.  Voir  l'/Jistoirt  de  Tournai,  ptr  J.  Coasin. 


374  7  FÉvureK. 


SAINT  LIVANE  OU  LEVAN6E  DE  SENLIS  (vi»  siècle). 

Livane,  aussi  nommé  Levange,  qui  vivait  au  temps  des  inrasions  des  barbares  (511),  fut  snseité  de 
Dieu  pour  préparer  et  pour  voir  se  lever  des  jours  meilleurs.  Issu  du  sang  rouiaio  et  excellemment 
foimé  dès  son  enfance,  selon  la  règle  de  la  discipline  cliétienne,  il  ne  tarda  pas  à  devenir  en  très- 
peu  de  temps  un  homme  accompli.  Sa  science,  sa  piété,  sa  prudence,  son  zèle  pour  la  foi,  sa  com- 
passion pour  les  maiheureui,  le  rendaient  remarquable  à  tous  les  yeux.  .Vprès  la  mort  de  Modeste, 
évèque  de  Senlis,  le  clergé  et  le  peuple  ne  trouvèrent  personne  plus  digne  que  lui  de  devenir  leur 
pasteur  dans  des  temps  si  troublés.  11  avait  à  peine  pris  la  direction  de  son  église,  lorsque  Clovis, 
accourant  à  la  tète  des  bandes  farouches  de  ses  Francs,  pour  renverser  la  puissance  romaine  dans 
les  Gaules,  envahit  le  territoire  des  Soissonnais.  Combien  ces  circonstances  ajoutèrent  aux  mi-ères 
des  peuples,  surtout  chez  les  habitants  de  Senlis,  voisins  du  théâtre  des  événements,  on  le  com- 
prend facilement,  si  l'on  réfléchit  aux  calamités  ordinaires  des  guerres,  et,  dans  le  cas  présent,  aux 
avantages  que  remportèrent  les  barbares  :  Livane  ne  fut  pas  an-dessous  des  calamités  de  son  temps 
et  des  obligations  de  sa  charge. 

Enflammé  de  zèle  pour  le  progrès  de  la  vraie  religion,  il  fit  tout  pour  convertir  à  la  foi  de 
Jésus-Christ  les  Francs,  à  qui  les  propriétés  romaines  de  son  diocèse  étaient  échues  en  partage. 
Appelé  à  Reims  après  la  conversion  du  roi,  il  aida  saint  Rémi  dans  l'iustruclion  et  la  régénération 
des  Francs.  Corriger  les  abus  qui  s'étaient  glissés  à  la  faveur  des  perturbations  sociales,  défendre 
les  droits  de  l'Eglise,  réformer  les  mœurs  des  clercs,  faire  observer  les  jeunes  et  les  prières  publiques 
des  Rogations,  suivant  les  prescriptions  du  concile  d'Orléans,  où  il  s'élait  rendu  avec  trente  autres 
évèques,  voilà  ce  qui  occupa  constamment  son  activité.  11  coopéra  encore,  avec  saint  Rémi 
et  d'autres  évèques  réunis  en  synode,  à  l'estinclion  du  lléau  de  l'arianisme,  qui  s'était  introduit 
subrepticement  dans  nos  contrées.  La  charité  pour  les  pauvres  n'était  pas  la  moindre  de  ses  vertus. 
Les  orages  des  guerres  étaient  passés  :  il  obtint  que  tous  ceux  des  siens  qui  présenteraient  an  roi 
une  lettre  scellée  de  son  anneau  pastoral  obtiendraient  aussilit  la  réparation  des  dommages  à  eux 
causés  par  les  soldats.  Il  fut  comme  un  ange  de  douceur  parmi  les  barbares,  de  consolation  parmi 
les  affligés,  et  de  paix  dans  les  fureurs  déchaînées  de  la  guerre.  Il  fut  infatigable  dans  la  défense 
de  la  religion. 

Il  veillait  soigneusement  à  la  conservation  des  reliques  de  saint  Rieul,  pour  qui  il  avait  une 
grande  dévotion.  Le  roi  Clovis,  accompagné  de  prélats  et  de  grands  officiers,  étant  venu  en  pèleri- 
nage au  tombeau  du  Saint,  à  cause  du  bruit  de  ses  miracles,  et  ayant  demandé  pour  lui  quelques 
parcelles  de  ses  reliques,  Livane  entendit  avec  peine  cette  demande  :  mais,  n'osant  pas  contrarier  le 
roi,  il  priait  Dieu  de  conserver  intact  le  corps  du  saint  Pontife.  Et,  en  effet,  le  sépulcre  ayant  été 
ouvert,  comme  on  essayait  d'arracher  une  dent  à  l'aide  d'une  pince,  tout  à  coup  on  vit  couler  du 
sang.  Ce  signe  fit  comprendre  au  roi  qu'il  ne  fallait  pas  faire  violence  au  saint  corps,  et  ii  se  désista 
de  son  entreprise.  En  partant,  il  ordonna  que  la  basilique  de  Saint-Uieul  fût  reconstruite  avec  plus 
de  magnificence,  et  il  fit  don  à  cette  église  de  propriétés  considérables  pour  la  subsistance  du  clergé. 
Livane,  enfin,  chargé  de  mérites  et  de  vertus,  passa  de  cette  vie  à  une  meilleure,  le  19  d'octobre,  au 
commencement  du  vi«  siècle.  Il  fut  honoré  d'un  culte  particulier,  non-seulement  à  Senlis,  mais  en- 
core dans  des  pays  éloignés.  Le  sang  qui  avait  coulé  de  la  dent  de  saint  Rieul  ayant  été  soigneu- 
sement recueilli  par  saint  Livane  et  enfermé  dans  une  chdsse,  les  habitants  de  Senlis  l'avaient  pieu- 
sement conservé  jusqu'à  la  grande  subversion  du  xviu"  siècle,  et  ils  célébraient  la  mémoire  de  ce 
miracle  le  7  de  février. 

Les  saint*  éoéques  de  Senti» L'église  de  Senlis,  outie  ses  principaux  vvCniics  Klenl.  Lcvangc  et 

Audcbert,  ctflétirait  encore  les  fêtes  de  plusieurs  autres,  savoir  :  le  10  janvier,  celle  do  saitit  Saintln.  qui 
assista  an  concile  de  Paris,  sous  le  rbgne  de  Chilpdric  ;  le  <  mai,  celle  de  sain:  Ualulfe.  <|ui  fut  di-putiS 
vers  le  même  roi  et  qui,  qnand  ce  prince  eut  6td  tniS,  transporta  son  corps  et  l'onsevclit  ;i  l'aiis  :  il  était 
hoiLoré  avec  Candide,  son  successeur;  le  7  novembre,  celle  de  sai.it  Agmare,  qui  assista  au  concile  de 
Reims  au  milieu  de  quarante  év^iucs,  et  qui  souscrivit  a  la  fondation  du  monastère  de  Saint-Manr-des- 
Fosstfs;  le  2C  d'octobre,  celle  du  bienheureux  Aninnd,  qui  succiîda  ;i  Audebcrt  et  qui.  faisant  apiiorter  sur 
les  remparts  le  corps  de  saint  Rieul,  iit  reculer  de  terreur  les  Barbares  qui  assiii;;calcnt  la  ville.  Il  faut 
ajouter  le  bienhenrenx  Léthard,  prédécesseur  de  saint  Saintin,  qui  accompa;îna  en  Aiiiiletcrre  Bcrtlie, 
flllc  de  Caribert,  mariée  au  roi  Ethelbert,  et  qui,  avant  saint  Ani;ustin.  prêcli»  lu  toi  en  Ani-lcterre,  oU 
sa  fête  3c  célébrait  le  7  de  mai.  Les  restes  de  ces  Bienheuren:?.  après  avoir  été,  rendant  le  déchaînement 
de  la  persécution  révolutionnaire  «lu  xviii»;  siècle,  entassés  pèlc-niêle  dans  le  cimetière  de  Senlis.  ont  été, 
soixa'.ue  ans  après,  rapportés  avec  honneur  dans  l'ancienne  cathédrale  do  celte  ville.  (Propre  de  Bcauvais.) 


MAUniîOLOGES.  375 


SAINT  RICHARD,  ROI  SAXON  (722). 

Il  régnait  vers  le  viii«  siècle,  parmi  les  Saxons  occidentaux  qui  s'étaient  établis  en  Angleterre. 
Il  fut  père  de  Winebaud,  de  Guilbaud  et  de  Walburge,  qui  sont  tous  trois  honorés  comme  Saints  ; 
mais,  soit  qu'il  eut  été  privé  de  ses  Etats  par  quelque  révolution,  soit  qu'il  eut  abdiqué  voloutaire- 
meut  la  couronue,  il  fit  un  pèlerinage  à  Rome  avec  ses  fils  Winebaud  et  Guilbaud.  S'étaut  donc 
embarqué  à  Ilamble-Haven,  il  aborda  sur  les  cites  de  la  Neustrie,  d'où  il  se  rendit  à  Rouen.  Après 
avoir  fait  un  assez  long  séjour  dans  cette  ville,  il  continua  saroute.donnant  partout  les  plus  grandes 
marques  de  piété.  11  ne  put  aller  jusqu'à  Rome,  et  il  mourut  subitement  à  Lucques,  en  Italie,  vers 
l'an  722.  Ou  l'euterra  dans  l'église  de  Saint-Fridien.  Les  miracles  que  Dieu  avait  accordés  à  la 
piété  de  ce  prince,  et  ceui  dont  il  a  depuis  honoré  ses  reliques,  lui  ont  mérité  une  place  parmi  les 
Saints.  Le  culte  de  saint  Richard  est  fort  célèbre  dans  la  viUe  de  Lucques,  qui  fait  sa  fête  le  7  da 
février. 

Ou  le  représente  1°  debout,  revêtu  de  ses  insignes.  A  ses  pieds  sa  couronne  royale,  un  collier,  ua 
chapelet,  un  livre;  2°  en  pèlerin, guérissant  un  homme  estropié;  3°  se  livrant  dans  sa  retraite  aux 
travaux  du  labourage  ;  4"  en  un  groupe  qui  réunit  ses  deux  fils  saint  Winebaud  et  saint  Guilbaud 
(Wuûibald  et  Wilibald)  qui  se  rendirent  plus  tard  en  Allemagne  et  devinrent,  l'un,  abbé  de  Heindea- 
beim  et  l'autre  évèque  d'Eiscbtœdt. 

Voyez  la  Vie  de  saint  Guilbaud,  écrite  par  une  religieuse  d'Heindenheim,  dans  les  Lectiones  antiqua 
de  Canisius,  de  l'e'dition  de  Basnage,  et  le  Père  Heinschenius,  febr.,  t.  ii,  p.  70. 


Ylir    JOUR   DE   FÉVRIER 


M.\RTyROLOGE   ROMAIN. 

Saint  Jean  de  JIatha,  confesseur,  instituteur  de  l'Ordre  de  la  très-sainte  Trinité  pour  la 
rédemption  des  captifs,  qui  s'endormit  dans  le  Seigneur  le  17  décembre  1213.  —  Saint  Jérôme 
Emiliani,  confesseur,  fondateur  de  la  congrégation  des  Soraasques,  qui  s'endormit  dans  le  Seigneur 
le  six  des  Ides  de  février  et  fut  mis  au  nombre  des  Saints  par  Clément  Xlll  ;  on  célèbre  sa  fête  le 
20  juillet  '.  —  A  Rome,  les  saints  martyrs  Paul,  Lucius  et  Cyriaque  ^.  —  Dans  la  petite  Arménie,  la 
naissance  au  ciel  des  saints  martyrs  Denys,  Emiliea  et  Sébastien.  —  A  Alexandrie,  la  passion  de 
sainte  Comte  ou  Quinte,  martyre,  sous  l'empereur  Dèce  ;  les  païens,  l'ayant  traînée  devant  les 
idoles,  voulaient  la  contraindre  à  les  adorer  ;  comme  elle  s'y  refusait,  exécrant  les  idoles,  ils  lui 
attachèrent  des  cordes  aux  pieds  et,  la  traînant  par  les  places  de  la  cité,  ils  la  mirent  en  pièces  par 
cet  horrible  supplice.  249.  —  A  Constantinople,  la  naissance  au  ciel  des  martyrs,  religieux  da 
monastère  de  Die.  qui,  ayant  été  trouvés  porteurs  des  lettres  du  pape  saint  Félix  conti-e  l'hérétique 
Acace,  furent  cruellement  mis  à  mort  pour  la  défense  de  la  foi  catholique.  4So.  —  En  Perse,  la 
mémoire  des  saints  martyrs  qui,  sous  Cabade,  roi  des  Perses,  périrent  pour  la  foi  catholique  dans 
divers  supplices,  vi»  s.  —  A  Pa^ie,  saint  Juvence  ou  Evence,  évéque,  qui  travailla  activement  pour 
l'Evangile  ».  u«  s.  —  A  Milan,  les  funérailles  de  saint  Honorât,  évéque  et  confesseur.  620.  —  A 
Verdun,  en  France,  saint  Paul,  évéque,  illustre  par  la  gloire  de  ses  miracles.  649.  —  A  Muret, 
dans  le  diocèse  de  Limoges,  la  naissance  au  ciel  de  saint  Etienne,  abbé,  fondateur  de  l'Ordre  de 

1.  Voir  au  20  juillet. 

2.  Saint  Paul  pourrait  être  cet  évéque  espagnol,  nommd  par  la  chronique  de  Lnitprand,  qui  ftit  mai-- 
tyrisé  à  nome  arec  deuï  autres,  sous  Dècc,  pendant  qu'il  visitait  le  seuil  des  Apôtres,  me  s. 

».  Il  érangelisa  une  partie  de  la  Lisurie. 


376  8  FÉVMEH. 

Grandmont,  célèbre  par  ses  vertus  et  par  ses  miracles.  1124.  —  Au  monastère  de  Vallombrense,  le 
bienheureux  Pierre,  cardinal,  évèque  d'Albano,  de  la  congrégation  de  Vallouibreuse,  Ordre  de 
Saint-Benoit,  surnommé  Igné,  parce  qu'il  passa  par  le  feu  sans  en  recevoir  aucune  atteinte.  1089. 

MARTYROLOGE  DB  FRANCE,  REVD  ET  AUGMENTÉ. 

A  Verdun,  saint  Ilermenfroi,  évèque  de  celte  ville  '.  621.  —  En  Bretagne,  saint  Jaigout  ou  Jacut 
(Jacobus),  confesseur',  v»  s.  —  A  Besançon,  le  décès  de  saint  Nicet  ou  Nizier,  évéque,  qui  reçut 
saint  Colomban  durant  son  exil,  et  fut  enterré  à  Saint-Pierre,  hors  la  ville.  Sa  fête  est  le  31  janvier 
dans  le  diocèse  de  Besançon'.  613.  —  A  Steninges,  en  Sussex,  saint  Cuthuan,  confesseur,  qui 
avait  été  berger,  illustre  par  sa  piété  filiale,  qne  Dieu  récompensa  d'une  grande  protection  et  de 
beaucoup  de  miracles.  Vers  889.  —  A  lluy,  au  pays  de  Liège,  saint  Meingaud  ou  .Meugold,  comte 
du  pays,  peniteut  et  martyr,  assassiné  par  les  parents  d'un  juge  à  qui  le  neveu  du  Saint  avait  coupé 
U  tète  et  qui  se  vengèrent  du  coupable  sur  un  innocent.  892. 

MARTYROLOGES  DES  ORDRES  RELIGIEUX. 

Marlyro/nge  des  Chnnoines  réguliers.  —  Chez  ceux  de  Latran,  à  Pavie,  saint  Evenct  ou 
Juvence,  évèque,  qui  illustra  l'antique  institut  des  Chanoines  réguliers  par  l'éclat  de  sa  sainteté,  et 
qui  travailla  activement  pour  l'Evangile. 

iluityrologe  de  la  Cvnrjrégntton  de  Vullombreuse.  —  Au  monastère  de  Vallombreuse,  le 
bienheureux  Pierre,  cardinal  et  évéque  d'Albano,  de  noire  congrégation  de  Vallombreuse,  Ordie  de 
Saint-Benoit,  surnommé  Igné,  parce  qu'il  pussa  par  le  feu  sans  en  être  blessé. 

ADDITIONS   FAITES    d'APRÉS    LES    BOLLANDISTES   ET   AUTRES    HAGIOGRAPHES. 

Chez  les  Grecs,  sainte  Marthe  et  sa  sœur  sainte  .Marie,  veuves,  qui  imitèrent  les  vertus  de  leurs 
homonymes  de  l'Evangile,  et  furent  martyrisées  avec  un  jeune  enfant,  nommé  l.ycarion,  fils  de 
l'une  d'elles.  —  Chez  les  Grecs  également,  les  saints  Nicéphore  et  Etienne.  —  A  Toscanella,  en 
Toscane,  saint  Commun,  martyr.  —  En  Angleterre,  sainte  Elllède,  vierge,  sœur  de  trois  rois  et  de 
deux  reines,  religieuse  au  monastère  de  Stieneshal  (aujourd'hui  \Miitlij),  et  élève  de  sainte  Ililda. 
Vers  l'an  716.  —  A  Casimiria,  près  de  Cracovie,  en  Pologne,  le  bienheureux  Isaie  Boner,  religieui 
de  l'Ordre  des  ermites  de  Saint-Augustin,  xiv»  s. 


SAINT  PAUL,  EYÈQUE  DE  VERDUN 


62G-G19.—  Papes  :  Honorius  I";  Pévérin;  Jean   IV;  Théodore;  Martin.  —  Rois  de  France  ; 

DagoDcrt;  Siçrebert  II. 


Je  me  susciterai  un  prêtre  fidMe  qui  agira  suivant 
mon  cœur  et  suivant  mon  âme.         1  Iteg.^  ii*  3ô. 

Cet  illustre  prélat,  treizième  évoque  connu  de  Verdun  et  fidèle  imita- 
teur des  vertus  du  grand  Apôtre  dont  il  portait  le  nom,  était  français  et  d'une 
illustre  famille.  On  ne  sait  rien  de  certain  sur  le  lieu  de  sa  naissance  :  le 
Martyrologe  de  France  dit  qu'il  naquit  au  pays  d'Autun,  en  Bourgogne.  Le 
prêtre  Berlhaire,  qui  a  écrit  sa  vie,  assure  qu'il  était  frère  de  saint  Germain, 

1.  D'jiprès  Wassebourg,  archidiacre  de  Verdun,  Hermenfroi  fut  d'abord  nn  grand  seigneur,  familier  de 
Chlldebcrt,  à  la  cour  d'Austrasie,  et  le  compagnon  d'armes  de  Thierry,  roi  de  Bourgogne,  h  la  bataille 
livrée  en  tlû»,  uu  territoire  de  Sens,  sur  la  riviure  de  l'Arvanes.  Une  vision  mlroculeuso  aurait  fuit  do 
soldat  un  raolnc  de  Luxenil,  et  de  l'humble  cénobite  un  évèque  de  Verdun.  Les  historiens  modernes  d« 
Verdon  contestent  ces  faits-  Ferrari  et  du  Saussay  ont  instîré  Hermenfroi  dans  leurs  martyrologe:*. 

î.  Voir  au  3  mars.  —  3.  Voyez  ce  jour. 


SAEfr  PAUL,  ÉVÉniE  DE  VERDUN.  377 

évêque  de  Paris  ;  mais  cette  assertion  est  sans  fondement,  car,  comme  il  y  a 
plus  de  soixante  ans  entre  l'un  et  l'autre,  ils  ne  peuvent  pas  avoir  eu  une 
même  mère,  comme  cet  historien  le  prétend.  Ils  étaient  néanmoins  parents 
et  issus  d'une  même  famille,  distinguée  par  la  piété  et  la  noblesse  de  leurs 
ancêtres.  Dès  sa  jeunesse,  il  montra  qu'il  n'était  point  né  pour  le  service  du 
monde,  mais  pour  travailler  de  toutes  ses  forces  à  la  gloire  de  Jésus-Qirist. 
Dès  qu'il  fut  en  état  de  se  conduire  lui-môme,  il  régla  de  telle  sorte  sa  dé- 
pense, qu'excepté  ce  qui  était  absolument  nécessaire  pour  son  entretien,  il 
distribuait  tout  aux  pauvres  et  à  des  œuvres  de  piété.  Néanmoins,  n'étant 
pas  encore  satisfait  de  cela,  il  résolut  d'abandonner,  comme  un  autre  Abra- 
ham, sa  parenté  et  le  pays  de  sa  naissance,  et  de  s'en  aller  en  quelque  terre 
étrangère  où,  s'il  était  possible,  il  ne  serait  connu  que  de  Dieu  seul.  Quit- 
tant donc  la  France,  il  s'en  alla  vers  r.A.llemagne,  au  pays  de  Trêves,  et, 
passant  par  les  déserts  et  les  solitudes  des  Vosges,  il  entendit  parler  d'un 
monastère  où  les  religieux  vivaient  en  une  telle  retraite  et  un  si  grand  si- 
lence, qu'excepté  les  jours  de  samedi  et  de  dimanche,  ils  étaient  toujours 
solitaires  et  séparés.  Paul  résolut  de  s'y  retirer  afin  de  n'avoir  plus  de  com- 
munication qu'avec  le  ciel.  11  s'arrêta  sur  une  montagne  assez  près  de  Trê- 
ves, au-delà  de  la  Moselle,  vis-à-vis  d'une  abbaye  dédiée  à  saint  Martin.  On 
donnait  autrefois  à  cette  montagne  le  nom  de  Mont-d'Apollon,  parce  que 
cette  divinité  y  recevait  un  culte.  Saint  Paul  renversa  l'idole  et  la  précipita 
dans  le  fleuve'.  Le  séjour  de  Paul  sur  le  Monl-d'ApoUon  lui  fît  donner  le 
nom  de  Paubberg,  c'est-à-dire  montagne  de  Paul,  qu'elle  a  conservé  jusqu'à 
ce  jour.  Ses  vertus  lui  ayant  acquis  dans  cette  solitude  l'estime  et  la  répu- 
tation qu'il  fuyait,  il  partit  de  ce  lieu,  pour  aller  se  cacher  dans  l'endroit  le 
plus  désert  des  Vosges  ;  mais  Dieu,  qui  le  voulait  faire  briller  comme  un 
astre  dans  son  Eglise,  permit  qu'étant  surpris  par  la  nuit,  il  fût  contraint  de 
se  retirer  en  un  monastère,  appelé  Tholey'.  Ce  monastère  était  gouverné 
par  un  très-saint  abbé,  qui  reçut  ce  pèlerin  étranger  avec  toute  l'afTabilité 
possible,  et  lui  rendit  tous  les  devoirs  de  l'hospitalité  ;  ayant  reconnu  à  son 
visage  et  à  sa  façon  de  parler  je  ne  sais  quoi  de  surhumain,  il  essaya  de  lui 
persuader  de  s'arrêter  dans  ce  même  lieu,  sans  en  aller  chercher  un  plus 
loin,  pour  exécuter  ce  qu'il  avait  entrepris.  Paul,  qui  n'aspirait  qu'à  la  so- 
litude, ne  pouvait  s'y  résoudre  ;  mais  le  saint  abbé  lui  ayant  fait  voir  que  la 
vie  cénobitique  l'emportait  sur  la  vie  solitaire,  et  que  l'obéissance  est  le 
plus  grand  sacrifice  que  l'homme  raisonnable  puisse  offrir  à  Dieu,  puisque 
Notre-Seigneur  Jésus-Christ  l'a  préféré  à  sa  propre  vie,  il  se  rendit  enfin  à 
ses  bons  avis  et  se  prosterna  à  ses  pieds  pour  le  prier  de  l'admettre  au  nom- 
bre de  ses  disciples.  Dès  qu'il  se  vit  engagé  dans  cette  nouvelle  condition,  il 

1.  C'est,  dit-on,  en  mémoire  de  cet  e'vénement  que  les  bouchers  de  Trêves  avaient  la  coutume  de  pre*- 
clpiter.  chaque  année,  ilu  haut  de  la  montagne  dans  la  Moselle,  qai  passe  au  pied,  une  roue  enflammée, 
symbole  d'.\i>olIon.  A  Trêves,  et  dans  un  grand  nombre  d'autres  lieux,  cette  céi-e'monie  se  pratiquait  le 
premier  dimanche  de  Carême.  Elle  se  fait  encore  maintenant  la  veille  de  la  Saint-Jean-Baptiste  dans 
quelques  villages  des  bords  de  la  ilosellc.  Cette  montagne  s'appelait  encore  Keven,  c'est-à-dire,  eu  Celte, 
la  montagne  par  excellence  :  c'est  de  Keven  que  de'rivent  Cévennes,  Genève,  Gehenna. 

2.  On  a  cru  qu'il  fut  d'abord  nommé  Monast-^tum  Tabuleium.  parce  qu'il  était  construit  de  pierre» 
taillées  en  fonne  de  tables.  Il  aurait  été  ensuite  appelé  Theotogium  ou  Tlioley,  parce  qu'il  était  \  l'ori- 
gine une  école  de  thefilogie.  ilais,  comme  on  voit  d'autre  part,  dans  le  testament  dn  prince  .\dalgise,  qua 
le  monastère  y  est  nommé  Ta-'leyium^  cette  dénomination  dément  l'étymoiogie  de  Theologium  aussi  bien 
que  celle  de  Tali'ileium.  Quoi  qu'il  en  soit  de  la  signification  et  de  la  dérivation  du  mot  Tholfy.  sur 
lequel  de  pieux  auteurs  ont  brodé  de  fort  be^iux  thèmes,  ce  que  nous  en  savons  de  plus  clair,  c'est  que  ce 
monastère  fut  fondé  l'an  6'23,  en  l'honneur  de  saint  Maurice,  par  le  prince  Grimon,  parent  de  Daçobert,  à 
la  pri'-.-re  de  Modoald,  archevêque  de  Trêves,  contemporain  de  saint  Pani.  D'apr'es  cela,  nous  devons  conclure 
que  cette  maison  existait  depuis  peu,  quand  le  futur  évèque  de  Verdun,  qui  devait  l'illustrer,  la  rencontra 
sur  ses  pas.  Quoiqn'enclavée  dans  le  diocèse  de  Trêves,  cette  abbaye  appartint  au  diocèse  de  Verdun  jusqu'au 
XV»  siècle,  en  vertu  du  testament  du  donateur  et  fondateur,  le  prince  Grimon,  ami  de  saint  Paul. 


37S  8    FÊVIIIEU. 

travailla  avec  ferveur  à  l'acquisition  de  toutes  les  vertus  qui  doivent  accom- 
pagner l'habit  religieux,  comme  l'humilité,  la  simplicité,  la  douceur,  la  pu- 
reté et  l'obéissance  :  il  devint  l'exemple  de  la  communauté.  Après  avoir 
étudié  lui-même  les  belles  lettres  au  monastère,  Paul  les  enseigna  aux  au- 
tres, et  c'est  lui  qui  commença  la  brillante  renommée  scientifique  de  Tho- 
ley,  dont  il  fît  une  sorte  de  séminaire  supérieur  où  l'on  enseignait  les  lettres 
divines  et  humaines,  non-seulement  aux  religieux,  mais  aux  enfants  des  plus 
nobles  familles  du  pays.  Tholey  devint  bientôt  une  pépinière  d'évèqucs  et 
et  de  savants.  Au  moment  de  la  Révolution,  Tholey  montrait  encore,  en 
souvenir  de  l'antique  célébrité  de  ses  écoles,  les  portraits  de  douze  évoques 
de  Verdun  qui  s'étaient  longtemps  assis  à  l'humble  rang  de  disciples  dans  ces 
mêmes  salles  décorées  de  leurs  effigies.  Mais  revenons  à  notre  Saint.  Ses  ver- 
tus ne  pouvaient  demeurer  longtemps  cachées  sans  éclater  par  des  miracles. 
Dieu,  qui  prend  plaisir  à  élever  les  humbles,  l'en  voulut  favoriser  par  l'occa- 
sion que  nous  allons  vous  dire.  Un  jour  qu'il  était  occupé,  par  obéissance, 
à  la  boulangerie,  il  se  voyait  pressé  par  l'heure,  parce  que  le  four,  qui  était 
chaud,  n'était  pas  encore  nettoyé,  et  craignant  que  le  pain  ne  fût  pas  cuit 
pour  le  dîner  des  religieux,  il  entra  dedans,  et  avec  sa  cuculle,  il  en  mit 
dehors  tous  les  charbons  et  le  nettoya,  après  quoi  il  y  mit  son  pain,  qui  s'y 
trouva  cuit  au  temps  qu'il  désirait.  Ce  pain  miraculeux  servit  ;\  rendre  la 
santé  à  un  malade.  Le  bruit  de  cette  merveille  et  de  plusieurs  autres  mira- 
cles firent  jeter  les  yeux  sur  lui  pour  le  faire  abbé,  après  la  mort  de  saint 
Vandelin,  et  la  réputation  de  sa  sainteté  appela  bientôt  au  monastère  un 
grand  nombre  de  jeunes  hommes,  et  môme  des  plus  nobles  et  des  pre- 
miers de  la  cour,  qui  se  vinrent  consacrer  au  service  de  Dieu  sous  sa  sage 
conduite.  Parmi  les  personnes  considérables  qu'il  acquit  à  l'Ordre,  il  se  pré- 
senta un  prince  français,  appelé  Adalgise,  ou  Grimon,  de  la  maison  royale, 
parent  de  Dagobert.  Ce  prince,  embrasé  du  désir  de  la  perfection,  foula  de 
bon  cœur  aux  pieds  toute  la  gloire  du  monde  pour  entrer  en  religion  ;  et, 
quittant  les  grandeurs  et  les  gouvernements  des  provinces,  il  se  rendit  un 
disciple  très-obéissant  du  saint  abbé,  et,  sous  sa  conduite,  il  arriva  à  un 
haut  degré  de  sainteté.  En  ce  temps-là,  savoir,  l'an  630,  arriva  le  décès  de 
l'évêque  de  Verdun,  Godon,  successeur  d'Hermenfroi.  Comme  les  vertus  de 
saint  Paul  ne  se  répandaient  pas  seulement  dans  le  désert  et  sur  les  monta- 
gnes des  Vosges,  mais  dans  les  provinces  voisines,  chacun  jeta  les  yeux  sur 
lui  pour  le  mettre  en  la  place  du  défunt.  La  chose  étant  venue  à  la  con- 
naissance du  roi  Dagobert,  il  manda  au  religieux  Adalgise  de  le  venir  trou- 
ver avec  son  abbé,  que  l'on  demandait  pour  évùque. 

Paul,  qui  n'était  pas  sorti  du  monde  dans  le  dessein  d'y  rentrer,  renvoya 
les  députés  et  les  officiers  du  roi,  les  priant  de  lui  remontrer  son  incapacité 
pour  cette  charge.  Le  roi,  fâché  d'une  part,  mais  de  l'autre  extrême- 
ment édifié  de  la  conduite  d'un  personnage  si  saint  et  si  parfaitement 
humble,  lui  envoya  un  plus  grand  nombre  de  personnes,  afin  que,  malgré 
toutes  ses  oppositions,  il  fût  conduit  à  Verdun  pour  y  être  sacré  évoque, 
selon  les  cérémonies  de  l'Eglise.  La  chose  fut  faite  au  contentement  de 
tout  le  monde,  surtout  d' Adalgise,  qui  était  ravi  de  voir  son  abbé  élevé 
à  une  dignité  si  éminente,  et  qui  s'estimait  très-honoré  de  le  servir  en  qua- 
lité de  diacre.  11  lui  donna  un  avis  très-sage  et  très-avantageux  pour  le 
temporel  de  sa  cathédrale  de  Verdun.  Elle  était  si  pauvre,  que  l'on  n'y  avait 
pas  de  quoi  entretenir  des  chanoines  pour  la  servir  :  on  était  contraint  de 
chercher  chaque  jour  quelque  prêtre  pour  y  célébrer  la  messe  et  réciter  le 
divin  oftice. 


SAIXT  PAVL,   ÉTÊQtlE  DE  TERDCN.  379 

Cette  grande  piuvreté  de  l'église  de  Verdun  avait  été  causée  par  les 
Bourguignons  qui  en  avaient  usurpé  tous  les  revenus  après  la  guerre  fatale  que 
Thierry,  leur  roi,  fit  à  Théodebert  son  frère,  roi  d'Austrasie.  Les  fidèles,  ré- 
duits à  la  même  indigence  par  les  vexations  de  l'ennemi,  ne  pouvaient  non 
plus  fournir  à  l'entretien  des  ministres  des  autels.  Tel  était  le  triste  état  de 
l'église  de  Verdun,  lorsque  saint  Paul  fut  tiré  du  monastère  de  Tholey  pour  la 
gouverner.  Adalgise,  son  cher  disciple  et  son  ami  très-intime,  qui  avait  beau- 
coup contribué  à  le  faire  connaître  à  la  cour  et  avait  tant  travaillé  pour  le  faire 
nommer  évèque,  lui  fut  d'un  grand  secours  pour  obtenir  la  restitution  des 
terres  de  son  église.  «  Adalgise  »,  dit  la  chronique,  «se  transporta  avec  son  bon 
maître  Paul  en  la  cour  du  roi  Dagobert,  remontrant  l'indigence  et  la  pauvreté 
de  ladite  église  de  Verdun,  lequel  lui  donna  de  très- grands  biens  en  terres,  sei- 
gneuries, rentes  et  argent  avec  lettres  et  chartes,  de  grands  privilèges,  li- 
bertés, immunités  et  franchises  ».  Non-seulement  Adalgise  aida  à  obtenir  du 
roi  ces  dons  en  faveur  de  l'église,  il  la  dota  encore  avec  ses  propres  biens. 
Il  lui  soumit  l'abbaye  de  Tholey,  qui  avait  été  bâtie  sur  un  fonds  à  lui  appar- 
tenant et  sur  laquelle  il  conservait  une  entière  juridiction  à  saint  Paul  et 
aux  évêques  de  Verdun,  ses  successeurs. 

Paul  s'était  non  moins  appliqué  à  choisir  et  à  former  de  bons  ministres 
des  autels,  à  faire  refleurir  le  service  de  Dieu  et  la  discipline  dans  tout  son 
diocèse.  La  sainteté  de  sa  vie,  jointe  à  la  sagesse  de  son  gouvernement, 
changea  bientôt  la  face  de  son  église.  Le  don  des  miracles  que  Dieu  lui  ac- 
corda donna  encore  plus  d'éclat  à  sa  vertu  et  le  rendit  célèbre  dans  toute  la 
France.  Il  fut  estimé  du  roi  Dagobert  et  de  saint  Sigebert  son  fils,  du  maire 
du  palais,  des  ministres  et  de  tous  les  grands  de  la  cour  d'Austrasie.  Il  était 
lié  d'amitié  avec  tout  ce  qu'il  y  avait  de  saints  dans  son  siècle  :  saint  Arnoult 
et  saint  Goeric,  évêques  de  Metz  ;  saint  Gunibert,  de  Cologne  ;  saint  Modoald, 
de  Trêves  ;  saint  Amand,  depuis  évêque  de  Maëstricht  ;  saint  Pallade, 
d'Auxerre  ;  saint  Orner,  de  Thérouanne  ;  saint  Eloi,  saint  Ouen,  et  plusieurs 
autres. 

Il  nous  reste  une  lettre  de  saint  Didier,  évêque  de  Cahors,  surintendant 
des  finances  sous  Dagobert,  adressée  à  saint  Ouen  de  Rouen,  dans  laquelle 
il  se  glorifie  de  l'étroite  amitié  qui  le  lie  à  saint  Paul,  de  Verdun.  Dans  une 
autre  lettre,  Didier  invite  notre  évêque  à  la  dédicace  d'une  nouvelle  église. 
Saint  Paul,  de  son  côté,  écrivait  à  Didier  ;  nous  possédons  encore  deux  de 
ces  lettres  qui  prouvent  chez  lui  une  instruction  littéraire  remarquable. 
Dans  une  de  ces  lettres  il  remercie  son  ami  des  bords  de  la  Garonne  de  lui 
avoir  envoyé  dix  pièces  de  vin  de  Falerne,  c'est-à-dire  d'excellent  vin  de 
Cahors. 

Les  auteurs  qui  parlent  de  ce  saint  évêque  le  qualifient  de  Restaurateur 
de  l'église  de  Verdun,  et  c'est  à  bon  droit,  si  l'on  considère  que  la  régularité 
établie  par  lui  dans  cette  église  et  son  clergé  triompha  de  toutes  les  révolu- 
tions qui  se  succédèrent  du  tu°  au  xin*  siècle.  Pasteur  pieux,  autant  qu'ha- 
bile administrateur,  il  veillait  surtout  à  ce  que  son  peuple  sanctifiât  le  di- 
manche. Il  fit  bâtir  une  église  à  la  campagne,  hors  de  l'enceinte  de  la  ville, 
pour  y  attirer  ceux  des  fidèles  qui  voulaient  se  délasser  et  prendre  l'air  dans 
l'intervalle  des  offices.  Il  la  dédia  à  saint  Saturnin,  de  Toulouse,  et  y  plaça 
des  reliques  de  cet  apôtre,  qu'il  devait  à  la  libéralité  de  Dagobert. 

Le  prêtre  Berlhaire,  qui  a  écrit  la  vie  de  Paul  sur  l'ordre  de  Dadon,  un 
de  ses  successeurs  à  l'évêché  de  Verdun,  dit  aussi  qu'il  fit  plusieurs  prodi- 
ges ;  qu'il  rendit  la  vue  à  des  aveugles,  qu'il  fit  marcher  droit  des  boiteux, 
et  qu'il  guérit  plusieurs  malades  de  difierentes  infirmités  ;  et  que  l'on  voyait 


380  8  FÉVRIER. 

de  son  temps,  à  son  tombeau,  plusieurs  tableaux  qui  représentaient  les  mi- 
racles qu'il  avait  faits  pendant  sa  vie  et  apvbs  sa  mort.  Plût  ;\  Dieu  que  cet 
écrivain  nous  eût  appris,  plus  en  particulier,  ce  qu'il  avait  vu  et  reconnu 
d'un  si  digne  prélat,  aQn  que  nous  ne  fussions  pas  obligés  de  dire  si  peu  de 
chose  des  merveilles  que  Dieu  a  opérées  par  son  intercession.  Enfin,  après 
avoir  dignement  administré  l'église  de  Verdun,  il  arriva  à  l'heureux  moment 
auquel  il  aspirait  avec  tant  d'ardeur,  pour  aller  jouir  de  la  bienheureuse 
éternité.  11  mourut  le  8  février,  environ  l'an  G49.  Son  corps  fut  inhumé, 
selon  son  ordre,  dans  l'église  qu'il  avait  fait  bâtir  en  dehors  de  la  ville, 
sous  le  nom  de  Saint-Saturnin,  et  qui  s'est  depuis  appelée  Saint-Paul. 

On  représente  saint  Paul  de  Verdun  1°  tenant  un  flambeau,  symbole  de 
la  science  et  de  la  lumière  de  la  foi  qu'il  raviva  dans  son  diocèse  ;  2°  occupé 
près  d'un  four,  nous  avons  dit  pourquoi. 

RELIQUES  ET  CULTE  DE  SAINT  PAUL. 

Le  concours  de  peuple  qui  se  fit  à  son  tombeau  amena  l'établissement  du  faubourg  de  Saiat- 
Paul,  au  nord  de  Verdun.  Uue  huile  merveilleuse  coulait  de  ce  tombeau,  laquelle  guérissait  toutes 
sortes  de  maladies.  Lorsque  l'église  de  Saint-Saturnin  eut  été  ruinée  par  les  Normands,  vers  le 
commencement  du  x«  siècle,  cette  liqueur  parut  sortir,  en  plus  grande  quantité,  du  tombeau  de  saint 
Paul;  ce  qui  faisait  dire  au  dévot  peuple  de  Verdun,  que  la  pierre  pleurait  à  cause  de  la  négli- 
gence qu'on  mettait  à  réparer  ce  lieu  sacré.  Or,  les  religieux  de  Tholey  ayaut  appris  que  le  corps 
de  saint  Paul  était  délaissé,  ils  vinrent  à  Verdun,  visitant  les  églises,  comme  passanls  et  pèlerins. 
Une  nuit,  ils  entrèrent  dans  l'église  Saint-Saturnin,  ouvrirent  le  sépulcre,  prirent  le  corps  du  Saint 
et  l'enveloppèrent  dans  un  fin  suaire.  Ils  partirent,  cheminant  toute  la  nuit,  et  tirant  vers  leur  mo- 
nastère. Le  matin,  ils  pensaient  être  bien  loin  ;  mais  ils  n'étaient  qu'à  environ  deux  heures  de 
Verdun,  dans  un  bois,  en  un  lieu  qui  fut  depuis  appelé  Paul-Croix.  Après  s'être  reposés,  ils  voulu- 
rent continuer  leur  chemin,  mais  ce  fut  chose  impossible  à  eux,  car  ils  allaient  et  venaient,  ramenés 
par  une  main  invisible,  à  leur  point  de  départ.  Or,  en  cette  même  nuit,  un  saint  prêtre  entendit 
une  voix  qui  disait  :  0  Verdunois  avaricieui,  vous  perdrez  par  votre  négligence  le  bon  patron  de 
votre  cite,  saint  Paul,  dont  des  étrangers  ont  dérobé  le  corps  celte  nuit.  Le  saint  homme,  effrayé, 
se  leva  en  toute  hâte  et  réveilla  les  habitants  qui,  vérification  faite,  trouvèrent  qu'il  avait  dit  vrai; 
on  se  mit  à  la  poursuite  des  larrvm  de  reliqivs  et  on  les  rencontra  bieutêt  à  l'endroit  où  les 
arrêtait  la  main  de  Dieu.  On  accorda  aux  moines  de  Tholey  une  partie  des  os  de  la  tête  qu'ils 
transférèrent  à  leur  monastère  :  le  reste  du  corps  fut  rapporté  àVerdundans  son  tombeau  etconservé 
désormais  avec  plus  de  décence.  On  érigea  une  croix  de  pierre  et  un  autel  à  la  place  où  les  reli- 
gieux de  Tholey  furent  atteints  par  les  habitants  de  Verdun.  Ce  lieu,  situé  entre  Verdun  et  llaudio- 
mont,  sur  la  route  de  Metz,  a  conservé  jusqu'à  nos  jours  le  nom  de  Paul-Croix.  —  Paul-Croix  fut 
d'abord  un  simple  pèlerinage  transfo-rmé  plus  tard  en  prieuré  à  l'occasion  d'un  prodige  que  la  tra- 
dition raconte  à  peu  près  en  ces  termes  :  «  Avec  le  temps,  la  dévotion  au  pèlerinage  de  Paul- 
Croix  avait  fort  diminué.  11  advint  donc  qu'un  homme  du  voisinage  eut  besoin  d'une  grande  pierre. 
Sans  avoir  révérence  à  Dieu  et  à  saint  Paul,  il  alla  prendre  la  pierre  qui  servait  d'autel  devant 
la  croix  et  l'emporta  furtivement  en  sa  maison  pour  l'appliquer  à  un  usage  tout  profane  ;  mais  il 
arriva  bientôt  après  que  tous  ses  chevaux,  bœufs,  moutons  périrent  deniale  mort  et  lui-même  tomba 
si  grièvement  malade  qu'on  s'attendait  à  le  voir  trépasser.  A  ce  moment,  il  eut  souvenance  da 
larcin  qu'il  avait  commis,  et  alors  avec  grande  repentance,  il  cria  merci  à  Dieu  et  à  saint  Paul;  il 
renvoya  donc  la  pierre  et  fut  guéri.  A  raison  de  quoi  tout  le  peuple  commenija  de  nouveau  à  avoir 
grande  dévotion  à  saint  Paul  et  à  fréquenter  ce  lieu  où  se  firent  maints  miracles  ».  —  Ce  lieu 
devint  si  célèbre,  qu'enllOT,  les  moines  bénédictins  de  Saint-Vanoes  y  établirent  un  prieuré,  lequel 
a  disparu  depuis  longtemps. 

Quant  à  l'église  de  Saint-Saturnin,  elle  fut  réédifiée  vers  l'an  973  par  Wilfrid,  évèque  de 
Verdun,  qui  leva  en  même  temps  de  terre  les  reliques  de  saint  Paul  et  les  mit  dans  une  châsse 
d'argent  pour  les  exposer  à  la  vénération  des  fidèles.  Il  établit  en  même  temps  près  de  cette  église 
on  monastère  de  Bénédictins.  Ce  monastère  fut  donné  en  113C  aux  religieux  de  Prémontré,  par 
l'évèque  Albéron.  En  1552,  les  nécessités  de  la  guerre  ayant  amené  la  démolition  du  monastère, 
l'évèque  Psaume  rebâtit  l'église  dans  l'intérieur  de  Verdun  même,  au  lieu  où  était  la  célèbre  abbaye 
de  Saint-Paul,  qui  a  conservé  les  reliques  de  son  patron  jusqu'à  la  Révolution;  les  bâtiments  sont 
aujourd'hui  transformés  en  palais  de  justice.  Les  rcliTues  sont  dans  le  trésor  de  la  cathédrale  de 
Verdun.  Au  moment  de  la  Révolution,  l'église  de  l'abbaye  possédait  en  outre  un  bras  de  saint 
Saturnin  de  Toulouse.  Cette  relique  est  maintenant  perdue  ou  tout  au  moins  sans  autheatique. 


I 


SAINT  ETIENNE   DE   MURET.  381 

Le  Mart>Tologe  romain,  celui  d'Usuard  et  celui  de  France,  font  mémoire  desatntPaul  en  ce  même  jour. 
Tritlième,  au  livre  troisième  des  Hommes  illustres  de  l'Ordre  de  Saint- Benoit,  et  d'autres  que  l'on  peut 
voir  eu  la  Gaule  chrétienne  et  dans  Bollandus,  en  parlent  aussi  avec  beaucoup  d'honneur.  —  Voir  surtout 
VSistoire  civile  et  eccUsiastique  de  Verdun^  par  Roussel,  rééditée  en  1863,  à  Bar-le-Dnc. 


SAINT   ETIENNE   DE    MURET, 

FONDATEUR  DE  L'ORDRE  DE  GRANDMONT 
1046-1124.  —  Papes  :  Clément  U;  Honoré  II.  —  Rois  de  France  :  Henri  I"j  Louis  VI,  le  Gros. 


Plus  vous  serez  élevé,  plus  vous  devez  vous  humilier, 
et  ainsi  vous  trouverez  grâce  devant  Dieu. 

Eccli.,  m,  20. 

Saint  Etienne,  plus  connu  par  le  nom  de  Muret,  lieu  de  sa  solitude,  et 
par  celui  de  Grandmont,  premier  couvent  de  son  Ordre,  que  par  le  nom  de 
Thiers,  qui  était  celui  de  sa  famille,  naquit  au  pays  d'Auvergne.  Son  père 
s'appelait  Etienne  et  était  vicomte  de  Thiers,  et  sa  mère  se  nommait  Can- 
dide :  tous  deux  considérables  par  les  biens  de  la  fortune,  mais  encore  plus 
recommandables  par  leur  vertu  et  leur  piété.  Après  avoir  été  longtemps  sans 
enfant,  ils  firent  des  prières,  des  jeûnes  et  des  aumônes  pour  en  obtenir  de 
la  bonté  de  Dieu,  et  promirent  de  consacrer  à  son  service  le  premier  qu'il 
leur  donnerait.  Leur  vœu  fut  exaucé,  car  Candide,  quelque  temps  après,  mit 
au  monde  un  fils  qui  fut  nommé  Etienne,  comme  son  père  (1046).  Cet  en- 
fant commença,  dès  ses  plus  faibles  années,  à  donner  des  marques  évidentes 
de  ce  qu'il  serait  un  jour,  ne  se  plaisant  dèslors  qu'à  la  retraite  et  au  silence, 
afin  de  mieux  vaquer  à  la  prière.  «  Dieu  voulut  que  les  miracles  qui  arri- 
vaient devant  le  tombeau  de  saint  Nicolas,  à  Bari,  en  Calabre,  oii  ses  reliques 

avaient  été  tout  nouvellement  transférées,  fissent  un  si  grand  éclat  que le 

bruit  en  vola  jusqu'en  Auvergne,  ce  qui  donna  au  vicomte  la  volonté  de  les 

aller  visiter  et  d'y  mener  son  fils  ' »  Mais  comme  il  revenait  en  France, 

le  jeune  Etienne  étant  tombé  malade  àBénévent  (1038),  il  fut  obligé  de  l'y 
laisser  sous  la  conduite  de  l'archevêque  de  cette  ville,  appelé  Milon,  qui 
était  aussi  originaire  d'Auvergne.  Ce  prélat  le  retint  volontiers  auprès  de  lui, 
et  prit  un  singulier  plaisir  ;\  l'éducation  d'un  jeune  homme  si  bien  né  ;  il  lui 
donna  des  maîtres  pour  l'avancer  dans  les  sciences,  et  lui-même  était  bien  aise 
de  s'appliquer  quelquefois  à  l'instruire  ;  et,  pour  lui  fortifier  davantage  l'esprit, 
il  le  faisait  ordinairement  assister  au  j  ugement  des  causes  qui  se  plaidaient  en  sa 
présence.  Enfin,  selon  quelques-uns,  il  l'ordonna  diacre,  et  le  fit  son  archidia- 
cre et  son  officiai.  Mais  comme  Etienne  avait  le  cœur  naturellement  porté  à  la 
solitude,  il  ne  se  plaisait  guère  à  entendre  plaider  les  parties.  C'est  pourquoi, 
après  être  demeuré  quelques  années  sous  la  direction  de  Milon,  il  passa  jus- 
qu'en Calabre,  pour  y  visiter  certains  religieux  dont  il  avait  entendu  parler, 
qui  menaient,  sur  la  terre,  une  vie  toute  angélique.  11  prit  tant  de  goût  à 
leur  genre  de  vie,  qu'il  résolut  dès  lors  d'y  conformer  la  sienne,  autant  que 
Dieu  lui  en  donnerait  le  moyen.  Dans  cette  résolution,  il  s'en  vint  en  France. 

1.  Vies  des  Saincis  et  Sainclei  d'Auvergne,  par  Jacquei  Branche,  religieux  du  coarent  de  Notre-Dame 
do  Pébrac. 


382  8  iiivwEK. 

Mais  aussitôt  après  son  retour  d'Italie,  son  pore  avait  été  saisi  d'nne  mala- 
die «  qui  le  fil  partir  de  ce  monde  avec  des  marques  visibles  de  saiatelé 
pour  aller  attendre  son  fils  daus  le  ciel  ».  Sa  mère  aussi  était  allée  à  Dieu, 
en  sorte  qu'il  reprit  sa  route  vers  l'Italie  sans  se  soucier  du  riche  patrimoine 
dont  il  avait  hérité. 

Son  dessein  était  de  retourner  à  Bénévent  ;  mais,  apprenant  à  Rome  que 
l'archevêque  était  mort,  il  s'arrêta  chez  un  cardinal  (1070)  où,  par  l'entre- 
tien de  quelques  doctes  personnages,  il  s'instruisit  fort  soi2:iieusemenl  dô 
toutes  les  règles  et  constitutions  des  maisons  religieuses  qui  llorissaienl  alors 
dans  l'Eglise  ;  mais  pas  une  ne  lui  plut  autant  que  celle  qu'il  avait  observée 
en  Calabre.  C'est  pourquoi,  après  un  séjour  de  quatre  ans  à  Rome,  il  réso- 
lut de  venir  établir  une  semblable  maison  en  France.  Il  eu  obtint  la  permis- 
sion du  pape  saint  Grégoire  \1I,  qui  lui  fit  expédier  une  bulle  par  laquelle 
il  accordait  plusieurs  grandes  indulgences  à  ceux  qui  embrasseraient  ce  nou- 
vel institut. 

Etienne,  satisfait  de  cet  heureux  succès,  partit  de  Rome  pour  se  rendre 
en  Auvergne ,  et  ayant  disposé  {h  la  réserve  d'une  bague) ,  de  tous  les 
biens  qui  lui  étaient  échus  par  le  décès  de  son  père  et  de  sa  mère,  il  s'en  alla 
sans  bruit  et  à  l'insu  de  ses  autres  parents  (107(3).  Pour  mieux  obtenir  de 
Dieu  qu'il  bénît  son  dessein,  il  commença  son  voyat^e  par  la  prière,  durant 
laquelle  il  lut  ravi  en  extase  ;  il  s'en  trouva  extrêmement  consolé  et  fortiQé 
pour  la  poursuite  de  son  entreprise.  Après  avoir  visité  plusieurs  déserts,  il 
arriva  enfin,  par  une  expresse  providence  de  Dieu,  dans  la  province  de  Li- 
moges, toute  pleine  de  forêts,  et,  s'arrêtant  en  celle  de  Muret,  qui  était  toute 
déserte,  il  y  choisit  sa  demeure  pour  le  reste  de  sa  vie. 

Il  était  âgé  d'environ  trente  ans,  et  pour  commencer  cette  nouvelle  vie 
par  un  sacrifice  de  lui-même,  il  prit  l'anneau  qui  était  l'unique  bien  qu'il 
avait  réservé  de  la  succession  de  ses  parents,  et  se  consacra  entièrement  au 
service  de  Jésus-Christ,  par  ces  mots,  qu'il  prononça  à  mesure  qu'il  les 
écrivit  :  «  Moi,  Etienne,  je  renonce  au  démon  et  à  toutes  ses  pompes,  et  je 
m'oflre  et  me  donne  à  Dieu,  le  Père,  le  Fils  et  le  Saint-Esprit,  seul  Dieu, 
vrai  et  vivant  en  trois  personnes  ».  Il  scella  de  son  anneau  cet  écrit,  et  le 
mettant  sur  sa  tête,  il  ajouta  :«  0  Dieu  très-puissant,  qui  vivez  éternelle- 
ment et  régnez  seul  en  trois  personnes,  je  promets  de  vous  servir  en  cet 
ermitage,  en  la  foi  catholique,  en  signe  de  quoi  je  pose  cette  écriture  sur 
ma  tète  et  mets  cet  anneau  à  mon  doigt,  afin  qu'à  l'heure  de  ma  mort  cette 
promesse  solennelle  me  serve  de  défense  contre  mes  ennemis  ».  Ensuite,  il 
s'adressa  à  la  sainte  Vierge  en  ces  termes  :  «  Sainte  Marie,  Mère  de  Dieu,  je 
recommande,  à  votre  Fils  et  à  vous-même,  mou  âme,  mon  corps  et  mes 
sens  » . 

Ce  vœu  étant  fait,  il  résolut  de  ne  plus  retourner  dans  le  monde,  quel- 
que nécessité  qui  semblât  l'y  appeler  ;  mais,  s'enfermant  en  une  étroite  cel- 
lule, il  y  supporta  également  les  chaleurs  de  l'été  et  les  rigueurs  de  l'hiver, 
car  il  n'était  pas  plus  vêtu  en  une  saison  qu'en  une  autre,  et  il  se  servait  en 
tout  temps  d'une  cotte  de  mailles  pour  chemise.  Son  sommeil  était  si  léger, 
que  ce  n'étJiit  pas  proprement  un  repos,  et  cependant  il  regrettait  le  peu  de 
temps  que  l'extrême  besoin  de, la  nature  le  forçait  d'y  employer.  Son  lit  res- 
semblait plutôt  au  sépulcre  d'un  mort  qu'au  lit  d'un  homme  vivant.  Il  ne 
consistait  qu'en  deux  planches  enfoncées  dans  la  terre,  sans  matelas  ni  pail- 
lasse, et  même  sans  couverture.  Quoique  son  corps  fût  exténué  par  tant 
d'austérités,  son  courage  n'en  était  pas  moindre,  et  son  visage  paraissait  tou- 
jours si  joyeux  et  si  aiïable,  que  tous  ceux  qui  l'abordaient  étaient  charmés  de 


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SALNT  ÉTIEX.NE   DE   iMUnET.  383 

son  extrême  douceur.  On  Ire  l'Office  du  Bréviaire,  il  récitait  chaque  jour  des 
psaumes,  des  prières  en  l'aonneur  de  la  Très-Sainte  Trinité  et  de  la  Sainte 
Vierge,  et  pour  les  trépassés  ;  sa  ferveur  était  si  grande  qu'il  le  faisait  tou- 
jours à  genoux  et  la  tête  nue,  et  qu'il  se  prosternait  souvent  le  visage  contre 
terre  ;  il  en  était  devenu  tout  livide,  et  sa  peau  paraissait  toute  calleuse  aux 
genoux  et  aux  coudes,  et  même  au  front  et  au  nez.  Il  donnait  aussi  beau- 
coup de  temps  à  la  contemplation,  en  laquelle  il  demeurait  souvent  tout 
absorbé;  on  dit  même  qu'il  y  a  passé  jusqu'à  dix  jours  sans  prendre  de 
nourriture,  tant  l'entretien  qu'il  avait  avec  Dieu  le  soutenait  :  on  pouvait 
dire  de  lui  comme  de  l'apôtre  saint  Paul,  qu'il  vivait  plus  en  Jésus-Christ 
qu'en  lui-même. 

Au  reste,  cette  occupation  intérieure  ne  l'empêchait  pas  de  satisfaire  à 
ce  que  l'amour  du  prochain  demandait  de  lui  ;  quoiqu'il  fit  tout  son  pos- 
sible pour  cacher  les  grâces  dont  il  était  favorisé,  «  néanmoins,  comme  le 
miroir  ne  peut  être  opposé  au  soleil,  sans  en  refléter  des  étincelles  et  de 
petits  rayons,  ainsi  ne  pouvait-il  si  bien  couvrir  l'éclat  de  ses  saintes  actions 
qu'elles  ne  brillassent  dans  le  voisinage  de  Muret  »  ,  de  sorte  que  chacun  y 
accourait  pour  admirer  sa  façon  de  vivre  et  pour  avoir  sa  bénédiction.  11 
demeura  seul  la  première  année  ;  ensuite  deux  disciples  se  joignirent  à  lui, 
mais  longtemps  ils  ne  furent  suivis  de  personne,  parce  que  l'austérité  de  sa 
règle  épouvantait  les  hommes.  Cependant,  l'odeur  de  sa  vertu  y  en  appela 
enfin  un  grand  nombre,  qui  se  rangèrent  sous  lui  pour  être  conduits  dans  le 
chemin  qui  mène  à  la  vie.  Sa  charité  ne  lui  permit  pas  de  les  refuser,  mais 
il  ne  les  reçut  qu'à  condition  qu'ils  ne  lui  donneraient  jamais  le  nom  de 
maître,  ni  à' abbé,  mais  seulement  l'humble  titre  de  correcteur.  Il  était  le  pre- 
mier à  faire  les  offices  les  plus  vils  de  la  maison  :  il  prenait  sa  place  le  der- 
nier à  table,  où  il  faisait  ordinairement  la  lecture  de  la  vie  des  saints  mar- 
tyrs et  des  anachorètes  ou  de  quelque  autre  sujet  de  piété. 

Cette  façon  de  gouverner  du  saint  patriarche  fut  si  agréable  à  Dieu  qu'il 
lui  révélait  souvent  les  fautes  secrètes  de  ses  religieux,  leurs  distractions  en 
l'oraison  et  les  dangers  auxquels  les  exposait  quelque  violente  tentation, 
aûn  qu'il  les  secourût  dans  leurs  besoins  ;  aussi  les  avertissait-il  avec  un 
esprit  si  plein  d'amour,  qu'il  gagnait  leur  cœur.  Il  avait  un  don  particulier 
de  porter  à  la  vertu  ceux  qu'il  entretenait;  soit  qu'il  reprît  les  uns  ou  conso- 
lât les  autres,  c'était  toujours  de  la  manière  qu'il  le  fallait  faire,  de  sorte 
que  ses  paroles,  en  quelque  façon  comme  celles  de  Dieu,  «  ne  retournaient 
jamais  vides,  mais  elles  faisaient  ce  qu'il  en  avait  ordonné  ».  Si  quelquefois 
l'effet  ne  semblait  pas  suivre  si  promptement,  le  Saint,  ajoutant  la  prière  à 
son  discours,  les  rendait  bientôt  efficaces.  L'exemple  qui  suit  nous  en  va 
donner  des  preuves.  Un  homme  opiniâtre  dans  son  crime  assista  un  jour  à 
un  sermon  du  saint  religieux,  où  il  traita  de  l'horreur  du  péché  et  des  étranges 
peines  qui  lui  sont  préparées  ;  après  le  sermon,  cet  obstiné  lui  dit  :  «  Bon- 
homme, vous  avez  beau  prêcher,  je  ne  changerai  pas  pour  cela  ma  façon  de 
vivre  ;  priez,  si  vous  voulez,  pour  les  autres,  mais  pour  moi,  je  vous  prie  de 
n'y  point  penser,  je  ne  veux  point  avoir  de  part  à  vos  oraisons  ».  Ces  paroles 
glacèrent  le  cœur  du  serviteur  de  Dieu,  mais  espérant  gagner  par  ses  prières 
ce  qu'il  n'avait  pu  faire  par  sa  prédication,  il  dit  à  ses  religieux  :  u  Allons 
prier  pour  ce  pauvre  aveugle  ».  Et  à  quelques  heures  de  là,  ce  pécheur  re- 
vint, tout  autre  qu'il  n'était  auparavant,  car,  se  jetant  aux  pieds  du  Saint,  il 
lui  demanda  pardon,  et  lui  promit  de  quitter  son  péché  et  de  n'y  plus  re- 
tourner. La  prière  du  Saint  et  de  ses  religieux  ne  fut  pas  moins  efficace  une 
autre  fois  :  deux  voleurs  avaient  emmené  le  pourvoyeur  du  monastère  au 


384  8   FÉVRIER. 

fond  de  la  forôt  ;  le  Saint,  n'en  ayant  point  de  nonvelles,  dit  à  ses  religieux 
qui  s'affligeaient  de  cette  absence  :  «  Allons  nu-pieds  en  l'oratoire,  et  implo- 
rons le  secours  de  la  très-sainte  Vierge,  parce  qu'il  n'est  point  de  prison  si 
cachée,  ni  de  pays  si  éloigné,  d'où  elle  ne  puisse  nous  renvoyer  notre  frère  n. 
Et  en  effet,  dès  le  matin,  les  mômes  voleurs  parurent  à  la  porte  du  couvent 
avec  leur  prisonnier  ;  mais,  ce  qui  est  plus  admirable,  c'est  que  le  prison- 
nier était  libre  et  délié,  et  qu'eux  étaient  enchaînés.  Le  saint  Père  leur  ayant 
remontré  leur  faute,  leur  donna  sa  bénédiction  et  les  renvoya.  Deux  autres 
voleurs  ayant  pris  un  pain  que  quelques  personnes  envoyaient  par  aumône 
au  monastère  de  Muret,  ils  ne  le  purent  jamais  rompre  ni  couper,  parce 
qu'ils  avaient  dit  avec  mépris  du  Saint  :  «  Que  quand  Dieu  se  ferait 
voir  à  eux,  ils  ne  s'abstiendraient  pas  de  manger  le  pain  de  son  serviteur  »  ; 
mais  se  voyant  punis  de  la  sorte,  ils  lui  envoyèrent  demander  pardon,  ce 
qu'il  leur  accorda  de  bon  cœur  avec  une  partie  du  même  pain.  Une  femme 
lui  fit  présent  d'un  pain  qu'elle  avait  fait  des  épis  glanés  en  son  propre 
champ  ;  mais  ce  pain  se  rompit  sur  l'heure  et  parut  tout  sanglant,  parce  que 
c'était  la  portion  des  pauvres,  ordonnée  par  la  loi  de  Dieu.  Un  autre  lui 
donna  des  œufs  ;  mais  le  Saint,  apprenant  par  une  lumière  divine  qu'ils 
étaient  dérobés,  les  rendit  à  la  même  femme,  l'exhortant  à  en  faire  res- 
titution. 

Ces  exemples,  qui  contiennent  autant  de  prodiges,  sont  des  preuves 
assez  évidentes  de  la  sainteté  d'Etienne.  Il  possédait  la  pureté  à  un  si  haut 
degré,  qu'il  ne  se  sentit  jamais  en  toute  sa  vie  un  seul  mouvement  contraire 
à  cette  vertu.  Néanmoins,  il  ne  laissait  pas  de  dire  à  ses  religieux  que  cela  même 
lui  était  un  sujet  de  plus  grande  crainte  :  «  Parce  que  la  vertu  de  virginité  », 
disait-il,  «  se  perd  par  les  mouvements  de  vanité  aussi  bien  que  par  les 
plaisirs  déshonnêtes  ».  Le  peu  d'estime  qu'il  avait  de  sa  personne  faisait 
qu'il  se  plaisait  plus  dans  l'entretien  des  pauvres  que  dans  celui  des  riches; 
une  fois  qu'il  s'était  entretenu  toute  la  journée  avec  des  seigneurs  qui 
l'étaient  venu  visiter,  il  voulut  récompenser  les  pauvres  le  long  de  la  nuit; 
et  comme  les  religieux  l'en  voulaient  détourner,  il  leur  fit  cette  réponse  : 
«  Maintenant  que  Jésus-Christ  est  avec  nous,  voulez-vous  que  je  me  relire? 
Je  ne  commettrai  pas  cette  faute,  après  avoir  donné  le  jour  aux  grands  du 
inonde,  de  ne  pas  m'entretenir  du  moins  la  nuit  avec  les  pauvres  ».  Sa  con- 
versation était  si  agréable,  que  l'on  en  peut  dire  ce  qui  est  dit  de  la  Sa- 
gesse, qu'elle  n'avait  point  d'amertume;  sa  réputation,  se  répandant  dans 
le  pays,  attirait  à  lui  tout  le  monde;  de  ce  nombre  furent  deux  cardinaux, 
Grégoire  et  Pierre  de  Léon,  légats  du  Pape  en  France.  Ayant  entendu  parler 
à  Limoges  de  ce  grand  homme  de  Dieu  qui  était  à  Muret,  ils  vinrent  le  vi- 
siter en  son  désert,  et  demeurèrent  si  charmés  de  sa  conversation,  que  l'un 
et  l'autre  protestèrent  n'avoir  jamais  eu  d'entretien  si  édifiant,  et  qu'as- 
surément le  Saint-Esprit  parlait  par  sa  bouche.  S'adressant  à  lui-même  : 
«  Homme  de  Dieu  »,  lui  dirent-ils,  «  si  vous  persévérez  comme  vous  avez 
commencé,  sans  doute  que  vous  recevrez  une  récompense  égale  aux  saints 
Apôtres  et  aux  Martyrs,  parce  que  vous  suivez  leur  route  ».  Enfin,  lui  ayant 
donné  leur  bénédiction,  ils  se  recommandèrent  à  ses  prières,  et  s'en  re- 
tournèrent fort  satisfaits  à  Limoges. 

Huit  jours  après  cette  visite  solennelle,  le  Saint,  sentant  que  le  dernier 
moment  de  sa  vie  était  proche,  comme  il  l'avait  (connu  dans  la  prière,  en 
donna  avis  à  ses  religieux,  et,  pour  les  porter  à  la  persévérance  et  à  l'exacte 
pratique  de  leur  sainte  règle,  il  leur  fit  ce  discours  :  «  Mes  enfants,  je  vous 
laisse  pour  héritage  Dieu,  en  qui,  de  qui  et  par  qui  tout  subsiste,  pour 


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SADJT  ÉTŒNPŒ  DE  MURET.  383 

l'amour  duquel  vous  avez  tout  laissé.  Si  vous  demeurez  fidèles  dans  le  che- 
min que  je  vous  ai  montré,  il  vous  pourvoira  sans  doute  de  ce  dont  vous 
avez  besoin;  souvenez-vous  que  je  demeure  en  cette  solitude  depuis  près  de 
cinquante  ans,  dont  les  uns  se  sont  passés  en  une  extrême  disette,  et  les 
autres  en  grande  abondance;  mais,  en  ma  disette,  je  n'ai  manqué  de  rien, 
et,  en  mon  abondance,  je  n'ai  rien  eu  de  superflu;  si  bien  que  Dieu  s'est 
comporté  également  avec  moi  en  l'un  et  en  l'autre  de  ces  états.  La  même 
chose  vous  arrivera,  si  vous  gardez  bien  cette  règle  que  je  vous  laisse  et  que 
j'ai  puisée  dans  l'Evangile  n.  Quatre  jours  se  passèrent  en  ces  exhortationis, 
durant  lesquels  il  chantait  toujours  quelques  dévotes  prières,  «  plus  douce- 
ment qu'un  cygne  »,  dit  la  vieille  chronique,  «  et  avec  plus  de  force  qu'il 
n'avait  fait  de  sa  vie,  montrant  en  ceci  que  Dieu  lui  continuait  et  augmen- 
tait ses  grâces  à  cette  heure  ».  Le  cinquième,  se  sentant  saisi  d'une  extrême 
douleur,  qui  lui  fit  connaître  les  approches  de  l'heure  qu'il  avait  tant  dési- 
rée, il  se  fit  porter  à  l'oratoire,  où,  après  s'être  muni  du  saint  Viatique  et 
de  l'Extrême-Onction,  il  ferma  les  yeux  du  corps  au  monde  pour  ouvrir  ceux 
de  l'âme  à  l'éternité,  en  achevant  ces  paroles  :  «  Seigneur,  je  recommande 
mon  esprit  entre  vos  mains  ».  Ce  fut  un  vendredi;  il  était  âgé  de  quatre- 
vingts  ans,  et  dans  la  cinquantième  année  de  sa  profession,  depuis  laquelle 
il  était  demeuré  en  l'ordre  de  diacre,  son  humilité  ne  lui  ayant  pas  permis 
de  passer  jusqu'à  la  prêtrise.  A  l'instant  même  où  cette  sainte  âme  partit 
de  ce  monde,  un  jeune  garçon,  malade  à  l'extrémité,  et  qui  avait  perdu 
depuis  trois  jours  l'usage  des  sens,  annonça  distinctement  à  sa  mère  qu'il 
voyait  une  échelle  toute  brillante,  qui,  touchant  du  monastère  de  Muret 
jusqu'au  ciel,  paraissait  chargée  de  bienheureux  esprits,  qui  se  disaient  l'un 
à  l'autre  :  «  Allons  recevoir  l'âme  du  bienheureux  Etienne,  et  conduisons-la 
avec  nous  au  ciel  ».  Pour  prouver  qu'il  disait  la  vérité,  il  ajouta  que  la 
dernière  de  ces  paroles  serait  aussi  la  dernière  de  sa  vie;  en  effet,  il  expira 
aussitôt.  A  peine  Etienne  avait-il  rendu  sa  belle  âme  à  Dieu,  que  sa  mort  fut 
divinement  annoncée  à  Notre-Dame  du  Puy,  où  il  était  fort  connu.  La  même 
nouvelle  vola  en  môme  temps  jusqu'à  Tours  et  à  Limoges,  ce  qui  engagea 
les  chanoines  réguliers  de  Saint-Augustin,  accompagnés  d'une  grande  multi- 
tude de  peuple,  à  se  porter  à  Muret,  pour  assister  à  sa  sépulture.  Le  portier 
leur  fît  entendre  qu'il  n'était  pas  mort,  afin  que  l'on  put  faire  les  funérailles 
du  Saint  paisiblement;  mais  les  chanoines  insistèrent,  assurant  qu'ils  avaient 
connu  sa  mort  par  révélation. 

Les  religieux  de  Muret  avertirent  les  deux  cardinaux  qui  l'avaient  ho- 
noré de  leur  visite  depuis  huit  jours,  de  cette  mort  si  précieuse  devant 
Dieu.  Ces  prélats  étaient  déjà  en  la  ville  de  Chartres,  où,  après  avoir  relevé 
en  pleine  assemblée  les  vertus  héroïques  de  cet  homme  de  Dieu,  ils  prièrent 
pour  son  âme;  après  quoi  ils  dirent  ouvertement  :  «  Nous  avons  prié  pour 
lui,  prions-le  maintenant  qu'il  soit  notre  intercesseur  auprès  de  Dieu,  parce 
qu'assurément  il  règne  avec  Jésus-Christ  au  ciel  ».  Ce  fut  là  un  présage  de 
sa  canonisation,  faite  par  le  pape  Clément  III,  qui  ordonna  qu'on  lui  rendît 
les  mêmes  honneurs  que  l'on  rend  publiquement  aux  autres  Saints. 

Son  saint  corps  fut  transporté  de  Muret  à  Grandmont,  monastère  fondé 
par  le  Père  général  Pierre  de  Limoges,  chef  de  tout  l'Ordre;  il  y  faisait  tant 
de  miracles,  que,  comme  les  religieux  craignaient  que,  par  là,  ils  ne  fussent 
distraits  de  leur  solitude,  le  même  général  s'en  alla  sur  le  tombeau  du  Saint, 
et  lui  dit  avec  une  sorte  de  révérence  :  «  Serviteur  de  Dieu,  vous  nous  avez 
enseigné  le  chemin  de  la  pauvreté  et  l'esprit  de  la  solitude;  prenez  garde 
que  ce  concours  de  peuple  ne  nous  fasse  perdre  l'un  et  l'autre  :  c'est  pour- 
ViES  DES  Saints.  —  Toiie  il.  25 


386  8  FÉVRIER. 

quoi  nous  vous  prions  très-humblement  de  vouloir  cesser  de  faire  des  mi- 
racles »;  à  quoi  le  Saint  obéit. 

On  le  représente  volontiers  dans  sa  solitude  de  Muret,  couvert  d'une 
cotte  d'armes  qui  lui  sert  de  cilice,  agenouillé  devant  la  sainte  Trinité  qui 
lui  apparaît  et  à  laquelle  il  se  consacre  par  la  formule  que  nous  avons 
donnée  dans  sa  vie  el  qu'il  tient  à  la  main.  On  lui  met  en  outre  au  doigt 
un  anneau,  seule  chose  qu'il  eût  conservée  de  toutes  ses  richesses  du  siècle. 

RELIQUES  ET  CULTE  DE  SAINT  ETIENNE.  —  SES  ÉCRITS. 

Trilhème,  Yepez  et  Le  Mire  oat  prétendu  que  saint  Etienae  avait  composé  sa  règle  sur  celle  de 
saint  Benoit.  Le  P.  Mabillon  avait  aussi  adopté  d'abord  ce  sentinient,  Prœ/at.  in  ;«i<  /.  2,  sœc.  6, 
Bet-'^'i.;  mais  il  le  quitta  ensuite,  et  prouva,  Annal.  Bfned.,  1.  64,  n.  31  et  H2,  que  le  saint  fon- 
dateur de  l'Orilre  de  Grandmnnt  n'avait  suivi  ni  la  rèi;le  de  saint  Ijenoit,  ni  celle  de  saiut  Augustiu. 
Ce  point  de  critique  est  fort  bien  traité  dans  la  préface  que  D.  Martène  a  mise  en  tète  de  sa  col- 
lection des  anciens  écrivains,  t.  vi,  n"  20,  etc.  Helyot,  liaillet,  etc.,  ont  soutenu  sans  fondement 
que  saint  Elienne  n'avait  jamais  rien  écrit,  et  que  la  règle  qui  porte  son  nom  n'était  autre  chose 
qu'une  compilation  des  maximes  qu'il  inculquait  et  des  diverses  observances  qu'il  faisait  pratiquer, 
compilatiou  qui  aura  été  rédigée  par  quelqu'un  de  ses  successeurs.  S'ils  eussent  un  peu  approfondi 
celte  m.itiére,  ils  ue  se  seraient  pas  si  facilement  déterminés  il  admettre  une  telle  opinion,  et  ils 
auraient  vu  que  les  passages  mêmes  qu'ils  citaient  pour  eux  leur  étaient  tout  il  l'ait  contraires. 
D'ailleurs  saiut  Etienne  se  donne  pour  l'auteur  de  la  règle  qui  porte  sou  nom,  el  cela  en  plusieurs 
endroits.  Cm/,  c.  9,  11,  14.  Ou  peut  voir  sur  ce  sujet  l'addition  faite  par  le  P.  iMartène  aux  an- 
nales de  l'Ordre  de  Saint-Benoit,  t.  vi,  1.  74,  n»  91. 

La  règle  de  saint  Etienne  de  Grandmont  est  divisée  en  soixante-quinze  chapitres.  Elle  est  pré- 
cédée d'un  prologue  ou  d'une  préface,  dans  laquelle  le  Saiut  raiipelle  à  ses  disciples  que  l'Evan- 
gile est  la  règle  des  règles,  l'origine  de  toutes  celles  qui  s'observent  dans  les  monastères,  et  la 
vraie  source  où  l'on  doit  puiser  les  moyens  d'arriver  à  la  perfection.  Il  leur  recommande  la  pau- 
vreté et  l'obéissance,  qu'il  dit  être  le  fondement  de  la  vie  religieuse;  il  leur  défend  de  recevoir  des 
rétributions  pour  leurs  messes,  et  d'ouvrir  aux  séculiers  la  porte  de  leur  oratoire  les  jours  de  fêtes 
el  de  dimanche,  de  peur  qu'ils  ne  prennent  delà  occasion  de  manquer  aux  offices  de  leur  paroisse.  11 
leur  défend  aussi  toutes  sortes  de  procès  ',  el  l'usage  du  gras,  même  en  temps  de  maladie.  11  leur 
prescrit  des  jeunes  rigoureux  pour  la  plus  grande  partie  de  l'année,  etc.  Urbain  11!  approuva  cette 
règle  en  1186.  Elle  fut  mitigée  par  Innocent  IV,  en  1247,  et  par  Clément  V,  en  1309.  Elle  a  été  im- 
primée à  Rouen  en  1672. 

Outre  cette  règle,  on  a  encore  plusieurs  instructiODS  de  saint  Etienne,  lesquelles  ont  été  recueil- 
lies par  ses  disciples  après  sa  mort.  On  les  imprima  à  Paris  en  1704,  avec  une  traduction  fran- 
çaise. On  a  mis  sans  raison  le  nom  de  Baillet  à  plusieurs  exemplaires  de  cette  traduction  de  1714. 
On  admire  dans  ces  instructions  la  beauté  et  la  fécondité  du  génie;  elles  contiennent  aussi  d'excel- 
lentes choses  sur  divers  points  de  morale,  les  tentations,  la  vaine  gloire,  l'ambition,  la  douceur  da 
service  de  Dieu,  la  nécessité  de  tendre  à  la  perfection,  etc.  11  pourrait  arriver  que  quelqu'un  des 
disciples  de  notre  Saint  eût  fait  des  additions  au  recueil  édifiant  dont  nous  parlons.  On  trouve  encore 
quelques  maximes  de  saint  Etienne  dans  la  plus  ancienne  de  ses  vies,  inlitulée  :  S.  Steiihani  dicta 
et  fiictn   Cette  compilation  a  pour  auteur  Etienne  de  Liciac  '. 

Quatre  mois  après  la  mort  de  saint  Etienne,  les  moines  d'Ambazac,  de  l'Ordre  de  Saint-Benoit, 
réclamèrent  Muret  comme  leur  appartenant.  Les  disciples  d'Etienne,  cédant  à  ces  injustes  préten- 
tions, se  retirèrent  dans  le  désert  de  Grandmont,  qui  est  à  une  lieue  de  Muret,  emportant  avec  eux 
les  précieux  restes  de  leur  fondateur.  De  là  leur  nom  de  Grandmontais. 

I.  —  Etat  actuel  des  reliques  de  saint  Etienne  de  Muret  : 

1"  La  paroisse  de  Saint-Sylvestre,  canton  de  Lanrière  (Haute- Vienne),  sur  le  territoire  de 
laquelle  se  trouvait  l'abbaye  de  Grandmont,  possède  le  chef  de  saint  Etienne  de  Muret  dans  un  buste 
en  argent  donné  à  cette  abbaye,  en  1494,  par  le  cardinal  Brissonnet,  onzième  abbé  de  Grandmont  "; 

2»  Une  partie  du  corps  de  saint  Etienne  de  Muret  est  dans  l'église  d'Ambazac  (cure  de  canton, 
inr  le  territoire  de  laquelle  se  trouve' l'ermitage  de  Muret),  dans  une  magnifique  châsse  byzantine, 
revêtue  d'or  et  de  pierreries,  oii  la  richesse  du  dessin  le  dispute  à  l'éclat  de  l'émail.  On  trouve 
encore  à  Aiiibazac  une  précieuse  d,ilinatii|ue  de  soie,  donnée  à  saint  Etienne  de  Muret,  par  l'inipc- 


1.  c.  15.  Voir  Chastelain,  Not.  mr  le  Mnrlyrol.,  p.  578.—  2.  Voir  le  P.  Martîine,  loc.  cit.,  t.v.p.  IO*S. 
3.  Voir  le  Dictionnaire  d'Orféorerie  de  l'abbd  Tcxler,  coUcct.  JliRnc,  col.  813,  81G.  —  /6>V/.,  col.  1239. 
<.  Voir  la  r.pi:'i(;  nrchMog.  de  la  Haute-Vienne,  p.  132.  —  Diction.  d'Or/corerie,  col.  1237. 


SAIXT  JEAN   DE   MATUA.  387 

30  D'après  un  état  des  reliques  du  diocèse  de  Limoges,  du  commencement  de  ce  sic^le,  ou  trouve 
encore  des  reliques  de  saint  Etienne  de  Muret  à  Saint-Pierre  de  Limoges  (où  je  les  ai  vénérées),  à 
Saint-Michel  de  Limoges  et  à  Saint-Jonvent  (Haute-Vienne)  ; 

i"  En  1790,  quelques  années  après  la  suppression  de  l'abbaye  de  Grand  ront,  on  distribua  entre 
les  diverses  églises  du  diocèse,  les  reliques  de  l'abbaye.  On  donna  des  reliques  de  saint  Etienne  de 
Muret  aux  églises  de  Saint-Michel  de  Limoges,  chapelle  du  grand  séminaire,  abbaye  de  la  Règle, 
Carmélites  de  Limoges,  anx  abbés  Sicelier  et  Legros  (ibid.j,  et  aux  paroisses  de  Saint-Léger-la- 
Montagne,  Razès  ,  Dompierre,  Saint-Amand-Magnazeii,  Sainl-Jouvent,  Bessines,  Saint-Piest-Li- 
goure,  la  Geneytouse,  Glanges,  Jouraiac  (Haute- Vienne)  ',  etc.  Je  ne  sais  si  toutes  ces  reliques  ont 
été  conservées  jusqu'à  ce  jour. 

IL  —  Culte  de  saint  Etienne  de  Muret. 

On  célèbre  sa  fête,  dans  le  Bréviaire  de  Limoges,  sous  le  rite  double,  le  9  février.  Avant  l'adop- 
tion de  la  liturgie  romaine,  on  célébrait  sa  fête  le  8  février,  jour  de  sa  mort. 

III.  —  Etal  actuel  de  l'abbaye  de  Grandraont. 

Il  ne  reste  de  l'antique  et  célèbre  abbaye  que  quelques  granges  ou  autres  constrnctions  insi- 
gnifiantes. Les  bâtiments  et  l'église  (reconstruite  quelques  années  avant  la  suppression  de  l'Ordre), 
furent  démolis  en  1821;  et  les  matériaux,  portés  à  Limoges,  pour  servir  à  la  consiruction  de  la 
maison  centrale,  ont  réalisé  la  parole  prophétique  de  M.  de  Maisire  :  «  Il  leur  faudra  bâtir  des 
bagnes  avec  les  ruines  des  couvents  qu'ils  auront  détruits  ». 

Le  maitre-autel  de  l'église  de  Grandmont,  orné  d'un  beau  relief  en  marbre  blanc,  représentant 
les  disciples  d'Emmaùs,  est  aujourd'hui  à  l'église  de  Saint-Junien  (Haute-Vienne)  *. 

Le  nom  de  saint  Etienne  de  Mnret  fignre  an  ^iartyrologe  d'tJsnard,  en  celui  des  Saints  de  l'Ordre  de 
Saint-Benoit,  et,  enfin,  au  nouveau  des  Saints  de  France,  le  13  février,  bien  que  le  Bréviaire  de  Limoges, 
sur  lequel  nous  nous  sommes  réglé,  célèbre  sa  fête  le  8  du  même  mois.  Pour  le  temps  de  son  décès,  le 
R.  P.  Dom  Ge'rard  Itier,  septième  prieur  général  de  Grandmont,  dit  expressément,  en  la  vie  qu'il  a  écrite 
de  ce  saint  Patriarche,  que  ce  fut  l'an  1124,  quoique  Baronins  le  mette  en  l'an  1126.  Cette  vie  a  été  écritd 
par  saint  Vincent  de  Beauvais,  en  son  Miroir  historique,  par  le  Père  Gérard  Itier,  dont  nous  venons  de 
parler,  qui  poursuivit  1»  canonisation  de  notre  Saint,  et  par  Dom  Charles  Fremon,  religieux  du  même 
Ordre.  Le  B.  P.  Benoit  Gonon,  Célestin,  ne  l'a  pas  omis  en  son  recueil  de  1&  Vie  des  saints  Pères  de 
l'Occident. 


SAINT  JEAN  DE  MATHA, 

FOOTATEUR  DE  L'ORDRE  DE  LA  TRÈS-SAINTE  TRLXIIÉ 


il60-1213.  —  Papes  :  Alexandre  III  ;  Innocent  III.  —  Rois  de  France  :  Louis  VU; 
Philippe  II  Auguste. 


Vendez  ce  que  vous  avez  et  faites  l'aumône. 

LuCf  su,  33. 
Pins  une  âme  est  parfaite,  plus  elle  a  de  compas- 
sion pour  les  souârances  d'antmî. 

Saint  Grégoire,  in  Mon,  1.  XIX. 

La  société  catholique  était  profondément  troublée,  lorsque  trois  grands 
réparateurs,  Dominique  de  Gusman,  François  d'Assise,  et  Jean  de  Matha, 
parurent,  l'un  pour  dé'endre  la  foi  contre  les  hérésies,  l'autre  pour  rendre 
l'espérance  anx  pauvre»,  dont  la  spoliation  du  clergé  avait  accru  le  nombre, 
et  le  troisième  pour  étendre  le  règne  de  la  charité,  en  procurant  la  liberté 
aux  chrétiens  réduits  en  esclavage  chez  les  Maures,  et  en  soignant  des  milliers 
d'infirmes  et  de  malades  au  sein  de  l'Europe  cirilisée. 

Leur  gloire  fut  si  éclatante,  que  chacune  des  trois  nations  auxquelles  ils 

1.  Licre  des  Oslensions,  par  Uaurice  Ardant,  p.  69-83.  —  S.  It.  Arbellot,  euré-archip.  Bocbechonart, 
!  7  octobre  1862. 


388  8   FÉVRIER. 

appartiennent,  est  fîère  de  compter  un  d'entre  eux  au  nombre  de  ses  plus 
illustres  citoyens,  et  que  diverses  Eglises,  en  particulier,  ont  revendiqué 
l'honneur  d'avoir  donné  naissance  au  dernier  de  ces  héros;  mais  seule, 
l'église  d'Embrun  s'en  glorifie  avec  justice,  et,  à  ce  titre,  range  Jean  de 
Matha  parmi  les  Saints  qui  lui  sont  propres.  En  elfet,  la  petite  ville  de  Faucon, 
dans  la  Haute-Provence,  qui  fut  incontestablement  le  berceau  de  ce  pa- 
triarche de  l'Ordre  des  Trinitaires,  a  fait  partie  de  l'ancien  diocèse  d'Embrun 
jusqu'à  sa  suppression  par  le  concordat  de  1802  ;  alors  la  baronnie  de  Faucon 
et  le  reste  de  la  vallée  de  Barcelonnette  furent  détachés  de  leur  antique 
métropole,  et  compris,  pour  la  première  fois,  dans  la  circonscription  du 
diocèse  de  Digne. 

Or,  Euphrème  de  Matha, héritier  d'une  terre  seigneuriale,  située  à  Faucon, 
avait  épousé,  vers  l'an  1136,  Marthe,  fille  de  Raymond,  vicomte  de  Fenouil- 
let,  et  descendant  d'une  des  plus  grandes  familles  de  Provence.  Ces  époux 
chrétiens  prièrent  longtemps  le  Seigneur  de  bénir  leur  union  ;  enfin,  en 
l'année  1160,  Marthe  eut  un  fils  qui  fut  appelé  Jean,  parce  qu'il  avait  vu  le 
jour  la  veille  de  la  fête  de  saint  Jean-Baptiste.  Elle  traita  cet  enfant  de  prières 
avec  un  religieux  respect,  encouragée  qu'elle  était  par  une  révélation  que 
Dieu  lui  avait  laite  sur  ses  glorieuses  destinées. 

Le  baron,  qui  avait  placé  dans  son  fils  ses  plus  brillantes  espérances, 
voulut  que,  tout  jeune  encore,  il  se  livrât  à  l'étude  des  belles-lettres.  C'est 
dans  ce  but  qu'il  vint,  avec  son  épouse,  habiter  Marseille.  11  désirait  former 
l'esprit  et  le  cœur  du  jeune  Matha  par  le  commerce  de  la  bonne  société,  sans 
l'exposer  seul  aux  dangers  du  siècle.  Et  pendant  qu'il  montrait  à  son  fils 
chéri  le  monde  dans  son  éclat,  il  permettait  à  la  pieuse  Marthe  de  lui  en  faire 
toucher  au  doigt  les  extrêmes  misères,  en  le  conduisant  tantôt  dans  les 
hôpitaux,  tantôt  dans  les  prisons  et  tantôt  dans  de  pauvres  réduits,  où  des 
familles  entières,  manquant  de  tout,  semblent  faites  pour  expier  à  l'écart  les 
criminelles  jouissances  de  celles  qui  ne  se  refusent  rien. 

Ce  contraste  frappant  fit  une  profonde  et  salutaire  impression  sur  le  cœur 
de  Jean  de  Matha  ;  il  en  demeura  pt'nétré  non-seulement  pendant  ses  études, 
mais  encore  jusqu'à  la  fin  de  sa  vie.  Ainsi  prémuni,  ses  parents  l'envoyèrent 
ensuite  à  Aix  où  il  y  avait  une  école  distinguée. 

Mais  riche,  jeune,  bien  fait  et  d'une  physionomie  agréable,  il  ne  tarda 
pas  à  être  remarqué  par  ces  créatures  avilies,  qu'on  ne  rencontre  que  trop 
souvent  dans  les  lieux  où  le  goût  des  sciences  attire  une  multitude  d'étu- 
diants. Une  d'entre  elles  mit  tout  en  œuvre  pour  triompher  de  sa  pudeur  ; 
et  il  eût  infailliblement  succombé  si  le  leu  de  l'amour  divin  n'eût  rendu  son 
cœur  invulnérable.  Jean,  victorieux  de  ces  violentes  attaques,  courut  se  jeter 
aux  pieds  de  la  très-sainte  Vierge  pour  renouveler  le  vœu  de  chasteté  qu'il 
avait  fait,  assure-t-on,  dès  sa  plus  tendre  enfance. 

Il  ne  se  bornait  pas  à  éviter  pour  lui-même  ces  dangereux  écueils,  contre 
lesquels  fait  si  malheureusement  naufrage  l'innocence  du  jeune  homme  ;  il 
s'efiorçait  encore  de  les  faire  éviter  aux  autres.  Un  de  ses  condisciples  s'étant 
permis,  un  jour,  quelques  paroles  libres,  il  l'en  reprit  aussitôt,  et  celui-ci, 
confus,  promit  de  ne  plus  lui  causer  cette  peine. 

Un  autre  jeune  homme  était  déjà  entraîné  par  un  mauvais  désir  ;  Jean 
de  Matha  l'aborde  et  lui  reproche  sa  lâcheté.  Touché  du  prodige,  l'infortuné 
tombe  aux  pieds  de  son  ami,  et  comme  la  Samaritaine  à  Jésus,  il  lui  dit  : 
«  Je  vois  bien  que  vous  êtes  prophète,  puisque  Dieu  vous  a  révélé  mon  détes- 
table projet;  priez-le  pour  moi,  afin  que  je  n'aime  que  lui  ».  Le  Saint  le 
p:  omit,  et  son  ami  se  tint  dès  lors  inébranlablement  dans  la  voie  du  salut. 


SAINT   JEAN  DE   MATUA.  389 

Jean  de  Matha  avait  terminé  ses  études  ;  un  ordre  du  baron  son  père  le 
rappela  au  sein  de  sa  famille.  Il  dut  revenir  à  Faucon.  L'attrait  naturel  qu'il 
avait  pour  la  vie  contemplative  le  porta  à  faire  les  plus  vives  instances  auprès 
de  ses  parents,  et  il  obtint  d'eux  la  permission  de  se  retirer  dans  une  solitude 
Toisine.  Il  s'y  réfugia,  moins  dans  le  désir  de  s'y  fixer  que  pour  consulter 
Dieu  sur  sa  vocation,  et  pour  être  plus  libre  dans  ses  exercices  de  piété  et 
ses  mortifications. 

Au  bout  d'un  an,  ayant  compris  qu'il  devait  perfectionner  ses  études,  il 
rentra  dans  sa  famille,  en  demandant  qu'on  le  laissât  aller  à  Paris.  L'univer- 
sité de  celle  capitale  était  alors  la  première  du  monde  et  le  rendez-vous  des 
plus  beaux  talents.  Au  reste,  le  seigneur  de  Faucon  était  en  relations  ami- 
cales avec  Maurice  de  Sully,  évêque  de  Paris,  avec  l'abbé  de  Sainte-Gene- 
viève, celui  de  Saint-Victor,  et  avec  plusieurs  autres  illustres  personnages. 
Ces  raisons  firent  que  la  demande  du  fils  ne  rencontra  pas  d'opposition  sé- 
rieuse auprès  du  père. 

Jean  de  Matha  arriva  à  Paris  vers  l'an  1180.  Il  fut  affectueusement  ac- 
cueilli des  hauts  personnages  dont  nous  avons  parlé  ;  mais  cette  gracieuse 
réception  n'ép:irgna  point  au  jeune  protégé  l'ennui  qu'inspire  le  tumulte  des 
villes  à  un  cœur  qui  sait  vivre  dans  la  solitude.  Les  plaisirs  bruyants  qui 
succédaient  aux  leçons  de  l'école,  lui  firent  un  instant  regretter  les  délices 
du  toit  paternel  et  le  séjour  tranquille  de  son  ermitage  de  Faucon.  Il  était 
agité  de  ces  pensées,  sans  oser  en  faire  part  à  ses  illustres  protecteurs,  dans 
la  crainte  de  blesser  leur  bienveillance  ;  enfin  il  s'en  ouvrit  à  Dieu,  à  qui  il 
avait  coutume  de  tout  confier.  Prosterné  dans  l'église  de  l'abbaye  de  Sainte- 
Geneviève,  il  déposait  au  pied  de  l'autel  ses  nouvelles  angoisses,  lorsqu'il 
entendit  distinctement,  par  trois  diverses  fois,  prononcer  ces  paroles  de  la 
Sagesse  :  Stude  sapientis-,  fili  mi,  et  Ixtifica  cor  meum  '.  Etudiez  la  sagesse,  ô 
mon  fils,  et  vous  réjouirez  mon  cœur. 

Cet  oracle  divin  fut  compris,  et  Jean  de  Matha  se  releva,  bien  résolu  de 
se  livrer  avec  ardeur  à  l'étude  de  la  théologie  ;  mais  voulant  avant  tout  tra- 
vailler à  la  sanctification  de  son  âme,  il  se  mit  sous  la  conduite  de  Maurice 
de  Sully.  Personne  n'était,  en  effet,  plus  capable  que  cet  évêque  de  diriger 
un  Saint.  Le  pieux  jeune  homme  ne  se  borna  pas  à  cette  première  mesure  ; 
il  fit  choix  de  quelques  amis,  dans  l'intimité  desquels  il  trouvait  force  et 
courage  pour  marcher  dans  la  voie  difficile  de  la  perfection.  Celui  qui  se  lia 
plus  étroitement  avec  lui  fut  un  gentilhomme  italien,  appelé  Jean  Lothaire, 
issu  du  sang  illustre  de  Conti.  Dans  une  conversation,  Jean  de  Matha  lui 
prédit  qu'il  serait,  un  jour,  assis  sur  la  chaire  de  saint  Pierre.  Cette  pro- 
phétie se  réalisa,  et  Lothaire  gouverna  le  monde  catholique  sous  le  nom 
d'Innocent  III. 

Dès  que  notre  Saint  eut  terminé  ses  études  théologiques,  l'Université  l'en- 
gagea fortement  à  prendre  ses  grades.  De  son  côté,  l'évêque  de  Paris  crut 
qu'un  talent  si  distingué  pouvait  servir  très-utilement  l'Eglise.  Quoique  le 
nouveau  docteur  eût  dirigé  toutes  ses  études  vers  ce  dernier  but,  il  résista 
longtemps,  puis  il  se  laissa  vaincre,  et  le  ciel  lui-même  sembla  confirmer 
cette  généreuse  résolution,  car  au  moment  solennel  où  l'évêque  prononçait 
ces  paroles  :  «  Recevez  i'Esprit-Saint  » ,  on  vit  une  colonne  de  feu  venir  se 
reposer  sur  la  tête  du  jeune  prêtre. 

Ce  prodige  et  la  sainteté  bien  connue  de  Matha  avaient  attiré  un  grand 
concours  à  sa  première  messe.  Au  moment  où  ce  séraphin  terrestre  élevait 
l'hostie  sainte  pour  l'offrir  à  l'adoration  des  assistants,  on  vit  son  visage  s'en- 

1.  Pror.  xxrn. 


390  8  FÉVRIER. 

flammer,  ses  regards  se  fixer,  étonnés  et  attendris,  et  sa  tête,  entourée  d'une 
auréole  lumineuse,  briller  d'un  éclat  surnaturel.  L'évéque  de  Paris  et  les 
deux  vénérables  abbés  déjà  désignés  ci-dessus,  ne  doutèrent  pas  que  Jean 
n'eût  été  favorisé  de  quelque  vision. 

Le  sacrifice  terminé,  ils  le  prirent  donc  à  part  et  lui  demandèrent  ce 
qu'il  en  était.  Le  Saint  se  voyant  pressé  si  fort  par  son  évêquc  consécraleur, 
qui  avait  sur  lui  l'autorité  que  donnent  râge,la  vertu,  et  une  position  élevée 
dans  l'Eglise,  lui  dit  :  «  Eh  bien  !  mon  père,  puisque  vous  me  l'ordonnez,  je 
vais  vous  le  dire  ;  je  ne  crois  pas  me  tromper  :  c'était  l'ange  du  Seigneur  ;  il 
était  porté  sur  un  nuage  resplendissant;  sa  face  rayonnait  d'une  vive  et  douce 
lumière  ;  ses  vêtements  étaient  blancs  comme  la  neige  ;  il  portait  sur  sa  poi- 
triiie  une  croix  aux  deux  couleurs  rouge  et  azur  ;  à  ses  pieds,  et  dans  la 
posture  de  suppliants,  étaient  deux  esclaves  chargés  de  chaînes,  l'un  maure 
et  l'autre  chrétien  ;  ses  mains  croisées  reposaient,  la  droite  sur  le  chrétien, 
la  gauche  sur  le  maure  ;  voilà,  mon  père,  ce  que  j'ai  vu  ». 

Cette  communication  fut  accueillie  par  un  silence  d'étonnement,  puis  on 
se  livra  à  diverses  conjectures.  On  engagea  le  Saint  à  recourir  au  vicaire  de 
Jésus-Christ,  pour  avoir,  là-dessus,  une  décision  ;  mais  l'humilité  retint  Jean 
de  Matha  qui,  livTé  depuis  ce  moment  à  une  pénible  anxiété,  s'enfuit  secrè- 
tement, sans  que  personne  pût  savoir  le  chemin  qu'il  avait  pris. 

Dieu  avait  dirigé  les  pas  de  Jean  de  Matha  dans  les  montagnes  voisines 
de  Gandelu,  au  diocèse  de  Meaux,  où  il  trouva  Félix  de  Valois  ',  dont  il  avait 
entendu  vaguement  parler. 

La  vue  de  Félix  impressionna  si  fort  le  jeune  docteur,  qu'il  ne  sut  pas 
dissimuler  son  émotion,  et  il  s'exprima  en  des  termes  dont  l'humilité  de 
l'anachorète  fut  alarmée.  .\près  les  premiers  épanchements,  il  fut  introduit 
dans  un  modeste  oratoire,  où  une  fervente  oraison  les  prépara  l'un  et  l'autre 
à  de  saintes  confidences.  Jean  de  Matha  ouvrit  son  cœur,  le  premier,  à  celui 
que  la  Providence  lui  offrait  pour  guide,  et  le  pria  de  le  souffrir  auprès  de 
lui.  Félix,  attentif  à  tout  son  récit,  admirait  par  quelles  voies  mj-stérieuses 
le  Seigneur  se  préparait  cette  âme  privilégiée.  Il  fut  convenu  entre  eux  qu'ils 
attendraient,  dans  cette  profonde  solitude,  de  nouvelles  lumières,  et  qu'ils 
achèveraient  de  purifier  leur  cœur  de  tout  ce  qui  pouvait  être  un  obstacle  à 
la  grâce. 

Trois  ans  s'étaient  déjà  écoulés  dans  de  pieux  exercices,  lorsqu'un  jour, 
s'entretenant  de  choses  saintes,  selon  leur  coutume,  ils  virent  un  cerf  blanc 
qui  venait  se  désaltérer  à  une  source  d'eau  vive.  Il  portait  entre  son  bois  une 
croix  rouge  et  bleue,  conforme  à  celle  que  Jean  de  Matha  avait,  dans  sa 
vision,  remarquée  sur  la  poitrine  de  l'ange  *. 

Ce  nouveau  signe  miraculeux  et  surtout  la  lumière  de  la  grâce  qui  brille 
à  leurs  yeux,  leur  découvrent  les  desseins  secrets  de  la  Providence  qui  les 
appelle  à  l'œuvre  de  la  rédemption  des  captifs.  Obéissant  donc  à  l'inspiration 
divine,  ils  quittent  leur  chère  solitude  et  se  rendent  à  Paris,  afin  de  commu- 
niquer leurs  projets  à  l'évêque  et  aux  abbés  de  Sainte-Geneviève  et  de  Sainfr 
Victor.  Le  prélat,  qui  était  Eudes  de  Sully,  successeur  de  Maurice,  approuva 
fort  leur  entreprise  et  leur  donna  des  lettres  de  recommandation  pour  le 
pape  Céleslin  III. 

Munis  de  ces  suppliques,  nos  deux  Saints  partent  pour  Rome,  vers  le  milieu 
de  décembre  de  l'année  1 197.  Mais,  pendant  leur  voyage,  le  souverain  Pon- 
tife était  mort,  et  le  gentilhomme  italien,  Lothaire  de  Segni,  auquel  Jean 

l.  Votr  sa  vie  au  20  norembre. 

».  Ce  lieu  fat  plus  UrJ  appelé  Cerfroy,  H  cause  de  l'apparitioo  du  cerf,  et  deTlat  le  chef  d'ordre. 


SAIXT  JE.VÎJ   DE   MATUA.  391 

de  Matha  avait  pri^dit  qu'il  serait  i^levé  sur  le  trône  pontifical,  avait  été  élu 
Pape  h  l'âge  de  trente-six  ans;  il  prit  le  nom  d'Innocent  III. 

Le  nouveau  Pontife  les  accueillit  comme  des  envoyés  du  ciel;  illeslogea 
dans  son  palais  de  Lalran,  leur  accorda  plusieurs  audiences,  et,  après  les 
avoir  longuement  entendus,  il  soumit  à  l'examen  du  sacré  collège  ce  projet 
dont  il  comprenait  l'importance  :  aussi  voulut-il  intéresser  le  ciel  d'une  façon 
toute  spéciale  à  cette  œuvre  de  salut.  Il  fit  donc  un  appel  à  la  piété  publi- 
que, et  il  décida  que,  le  28  janvier,  il  serait  célébré  dans  la  basilique 
de  Latran  une  messe  à  celte  intention.  En  effet,  le  saint  sacrifice  eut  lieu 
conformément  à  cet  ordre;  et  à  la  consécration,  au  moment  où  la  divine 
victime  était  présentée  à  l'adoration  publique,  un  spectacle  miraculeux  vint 
frapper  les  regards  d'Innocent  III  :  c'était  l'ange  du  Seigneur  qui  avait 
apparu  à  Jean  de  Matha  et  qui  se  montrait  de  nouveau,  revêtu  du  même 
habit,  dans  la  même  posture  et  entouré  de  deux  esclaves. 

Le  vicaire  de  Jésus-Christ  ne  balança  plus  ;  il  manda  les  deux  serviteurs 
de  Dieu,  et  leur  dit  qu'il  n'y  avait  pas  à  délibérer,  que  leur  dessein  entrait 
dans  les  vues  de  la  Providence,  et  que  lui,  vicaire  de  Jésus-Christ  sur  la 
terre,  était  heureux  d'ouvrir  son  pontificat  par  la  réalisation  d'un  si  louable 
projet;  il  ajouta  que,  dans  quatre  jours,  il  leur  donnerait  lui-même  un 
costume  semblable  à  celui  sous  lequel  l'ange  lui  était  apparu,  costume  que 
porteraient  tous  les  disciples  du  nouvel  Ordre. 

Jean  et  Félix  se  préparèrent,  par  le  jeûne  et  la  prière,  à  la  réception 
de  ce  saint  habit;  le  jour  de  la  Purification  de  la  Sainte  Vierge,  ils  vouèrent 
leur  existence  au  rachat  des  esclaves  chrétiens,  et  sous  les  auspices  de  Marie 
leur  mère,  ils  revêtirent,  avec  l'habit  de  l'Ordre,  les  livrées  de  la  charité 
chrétienne.  Dans  une  allocution  touchante,  le  pontife  développa  cette  pen- 
sée que  l'œuvre  de  la  rédemption  donnait,  à  ceux  qui  s'y  consacraient,  le 
privilège  glorieux  de  partager,  en  quelque  sorte,  la  mission  de  Jésus-Christ, 
mais  qu'elle  les  vouait  par  là  même  aux  humiliations,  aux  douleurs  de  la 
croix,  et  leur  commandait  des  vertus  fortes  et  généreuses  ;  que  la  triple 
couleur  de  leur  habit  leur  rappellerait  la  pureté  de  cœur  et  d'intention,  la 
mortification  et  la  pénitence,  enfin  la  charité  ardente  et  le  sublime  dévoue- 
ment; et  que,  pour  résumer  les  grandeurs  et  les  devoirs  de  la  vocation  de 
ces  religieux  dans  le  nom  même  de  l'institut,  il  voulait  qu'il  s'appelât  : 
l'Ordre  de  la  très-sainte  Trinité  pour  la  rédemption  des  captifs  :  Ordo  sanc- 
iissimx  Trinitalis  de  redemptinne  captivorum. 

Par  ce  jugement,  l'autorité  du  Saint-Siège  venait  de  placer  au  rang  des 
grandes  institutions  de  l'Eglise,  l'œuvre  de  saint  Jean  de  Matha  et  de  saint 
Félix  de  Valois,  avant  même  que  les  constitutions  fussent  écrites.  Personne 
n'était  plus  capable  de  formuler  définitivement  ce  vaste  dessein  que  ceux  à 
qui  Dieu  avait  permis  de  le  concevoir  ;  néanmoins,  l'évêque  de  Paris  et 
l'abbé  de  Saint- Victor,  ayant  pour  Jean  de  Matha  une  tendresse  paternelle, 
le  souverain  Pontife  voulut  qu'ils  continuassent  d'apporter  à  cette  œuvre  le 
tribut  de  leurs  lumières  et  de  leur  expérience.  Munis  de  la  bénédiction  du 
Saint-Père,  les  deux  saints  fondateurs  se  mirent  donc  en  route  pour  Paris, 
et  deux  mois  après,  ils  étaient  de  retour  dans  cette  capitale. 

L'arrivée  de  Jean  de  Matha  avait  mis  en  émoi  toute  l'Université;  le  sou- 
venir de  ses  vertus  et  de  sa  gloire  vivait  encore  parmi  les  maîtres  et  les  éco- 
liers ;  les  nouvelles  livrées  du  jeune  docteur,  son  genre  de  vie,  ses  immenses 
projets  firent  longtemps  l'entretien  du  monde  savant. 

Jean  l'Anglais  et  Guillaume  Scot,  qui  donnaient  des  missions  pour  déra- 
ciner l'hérésie,  vinrent  s'aboucher  avec  leur  ancien  condisciple.  Au  sortir 


392  8  FÉVWEB. 

de  cet  entretien,  ils  s'ouvrirent  à  leurs  amis,  entre  autres  à  Roger  Deès, 
aussi  anglais  de  naissance,  du  dessein  qu'ils  avaient  d'entrer  dans  le  nouvel 
Ordre  de  la  très-sainte  Trinité.  Mais  celui-ci,  ayant  laissé  échapper  quelques 
mots  ironiques  contre  l'entreprise,  fut  soudain  couvert  de  lèpre.  Aussitôt  il 
alla  demander  pardon  à  Jean  de  Malha,  obtint  sa  guérison,  se  consacra  à 
l'œuvre,  et,  pour  se  rappeler  sa  faute  et  le  miracle  dont  il  avait  été  l'objet, 
il  ne  voulut  plus  porter  d'autre  nom  que  celui  de  Roger  le  Lépreux.  A  ces 
trois  hommes  si  distingués  se  joignirent  plusieurs  docteurs  de  la  célèbre 
université. 

En  attendant  que  les  constitutions  de  l'Ordre  fussent  rédigées,  Jean  de 
Matba  donna  pour  règle  à  ses  nouveaux  disciples  la  prudence  et  la  sainteté 
de  Félix,  et  les  envoya  sous  sa  conduite  à  Cerfroy,  où  dès  lors  les  seigneurs 
du  pays  leur  assurèrent  un  vaste  établissement. 

Mais  notre  Saint  ne  tarda  pas  à  aller  les  joindre  et  soumettre  la  règle  à 
peine  écrite  à  la  sagesse  de  Félix. 

On  connaît  les  succès  et  les  revers  qu'éprouvèrent  tour  à  tour,  en  Orient, 
les  guerriers  chrétiens  désignés  sous  le  nom  de  Cî-ohés.  Un  grand  nombre 
d'entre  eux,  par  les  chances  de  la  guerre,  tombaient  entre  les  mains  des  infi- 
dèles et  devenaient  esclaves.  En  même  temps,  des  corsaires  maures  infes- 
taient les  mers  et  s'emparaient  des  équipages  et  des  passagers,  qu'ils  entas- 
saient ensuite  dans  les  cachots  infects  de  Maroc,  d'Alger  ou  de  Tunis.  Ces 
infortunés  ne  sortaient  de  là  que  pour  aller  faire  dans  la  ville  ou  dans  les 
campagnes  le  service  des  bêtes  de  somme.  A  ces  maux  physiques  venaient 
se  joindre  les  violences  morales,  par  lesquelles  on  cherchait  à  arracher  de 
leur  âme  la  foi  chrétienne  et  à  faire  d'eux  des  apostats.  La  religion  et  l'hu- 
manité demandaient  donc,  à  grands  cris,  une  force  assez  puissante  pour 
briser  les  fers  de  ces  captifs,  arracher  ces  victimes  au  danger  de  se  perdre 
éternellement,  et  vaincre  la  barbarie  musulmane,  sur  cette  terre  d'Afrique 
jadis  si  catholique.  Cette  force,  Jean  de  Malha  la  trouvera  dans  l'organisa- 
tion d'une  association  de  libérateurs  qui,  fidèles  dépositaires  des  ressources 
de  la  charité  publique,  iront,  à  travers  mille  périls,  rendre  aux  esclaves  le 
bonheur  de  vivre  chrétiens  et  libres. 

En  outre,  pour  que  les  membres  qui  se  consacreraient  à  cette  œuvre 
sainte  pussent  acquérir  plus  facilement  l'esprit  de  sacrifice  et  le  conserver; 
pour  qu'il  leur  ftit  possible  d'utiliser  leurs  dernières  années,  pendant 
lesquelles,  atteints  d'infirmités  graves,  ils  ne  pourraient  plus  entreprendre 
de  voyages  lointains  ;  afin  aussi  que,  dans  le  cas  où  le  rachat  des  captifs,  but 
principal  de  l'institut,  deviendrait  impossible,  l'Ordre  tout  entier  ne  fût  pas 
dans  la  nécessité  de  se  dissoudre,  on  se  proposa  encore  le  soulagement  des 
malheureux  et  le  soin  des  malades.  Ce  triple  but  exigeait  de  ceux  qui  voulaient 
l'atteindre,  l'abnégation,  l'obéissance,  le  désintéressement.  De  là,  les  trois 
vœux  de  pauvreté,  de  chasteté  et  d'obéissance;  de  là,  un  directeur  général 
désigné  sous  l'humble  nom  de  Ministre,  et  plusieurs  supérieurs  provinciaux 
soumis  au  Ministre,  mais  ayant  eux-mêmes,  sous  leur  autorité,  des  supé- 
rieurs locaux  pour  chaque  maison  de  l'Ordre;  de  là,  cette  communauté  de 
biens  et  de  sentiments  qui  faisait  de  tout  ce  vaste  corps  une  même  famille, 
unie  paries  liens  les  plus  étroits  de  la  charité;  de  Ifi,  cette  dislrilnilion  des 
biens  en  trois  parts  distinctes  :  la  première  attribuée  à  la  rédemption  des 
captifs,  la  seconde  au  soulagement  des  pauvres,  et  la  dernière  à  l'entretien 
des  religieux;  de  là  aussi  une  foule  de  prescriptions  touchant  la  nourriture, 
le  vêtement,  le  logement  et  les  voyages. 

Comme  les  fonctions  de  l'Ordre  allaient  mêler  souvent  les  disciples  de 


SAINT  JEAN   DE   MATHA.  393 

l'institut  avec  le  monde,  dans  le  commerce  duquel  la  prudence  et  la  matu- 
rité du  jugement  sont  si  nécessaires,  l'admission  des  candidats  ne  pouvait 
jamais  avoir  lieu  avant  leur  vingtième  année  révolue,  quels  que  fussent  d'ail- 
leurs leur  mérite  et  leurs  autres  qualités. 

Enfin,  pour  assurer  l'exécution  des  règlements  et  le  maintien  de  la  dis- 
cipline, il  se  tenait  un  chapitre  privé,  tous  les  dimanches,  dans  chacune  des 
maisons,  et  un  chapitre  général,  une  fois  l'an.  Il  y  avait  aussi  dans  tous  les 
établissements,  des  exhortations  ou  entretiens  spirituels,  des  heures  de 
silence  absolu,  la  prière  publique,  la  récréation  commune  et  le  chant  de 
l'office. 

Les  sacrifices  continuels  qu'imposait  un  pareil  genre  de  vie  n'effrayèrent 
point  les  fervents  disciples  réfugiés  dans  la  solitude  de  Cerfroy.  Devenus 
humbles  élèves  d'un  pauvre  ermite,  ces  docteurs  étaient  déjà  plus  avancés 
dans  la  science  du  salut  que  dans  les  connaissances  humaines.  C'est  pour- 
quoi Jean  de  Matha,  s'arrachant  presque  aussitôt  aux  embrassements  de 
cette  glorieuse  colonie,  revint  à  Paris  prendre  les  lettres  de  ses  deux  illustres 
protecteurs,  et  continua  sa  route  pour  Rome,  accompagné  de  Jean  l'Anglais 
et  de  Guillaume  l'Ecossais. 

Il  y  arriva  vers  la  fin  du  mois  de  novembre  de  l'an  H98.  Son  premier 
soin  fut  d'aller  déposer  aux  pieds  du  Saint-Père  les  constitutions  qui,  par 
son  ordre,  venaient  d'être  tracées.  Le  Pontife  révéra  en  elles  l'esprit  de  Dieu 
qui  les  avait  dictées;  il  n'y  apporta  que  de  légers  changements  demandés 
par  le  saint  fondateur  lui-même,  et,  le  17  décembre,  il  mit  à  ce  code  reli- 
gieux le  sceau  de  l'autorité  apostolique;  par  là  il  donnait  au  nouvel  institut 
cette  existence  canonique  qu'un  établissement  de  cette  nature  ne  peut  re- 
cevoir que  du  Saint-Siège. 

A  peine  Jean  de  Matha  eut-il  obtenu  cette  approbation  des  règles  de  son 
nouvel  institut,  qu'il  retourna  vers  sa  chère  communauté  de  Cerfroy,  et 
tint,  par  des  lettres  fréquentes,  le  souverain  Pontife  au  courant  de  l'œuvre. 
Mais  cet  Ordre  religieux  avait  un  but  trop  général  pour  que  le  saint  fonda- 
teur ne  comprît  pas  la  nécessité  de  fixer  sa  résidence  dans  la  capitale  du 
monde  catholique.  Il  eut  bientôt  une  maison  à  Rome,  et  Innocent  III,  juste 
et  intelligent  appréciateur  de  ce  magnifique  dévouement,  céda  aux  religieux 
de  la  Sainte-Trinité  l'église  de  Saint-Thomas  in  Formis  ',  l'une  des  vingt 
abbayes  privilégiées  de  Rome.  A  cette  première  faveur,  il  en  joignit  succes- 
sivement plusieurs  autres,  et  cet  exemple  venu  de  si  haut  trouva  de  nom- 
breux imitateurs. 

Notre  Saint  se  vit  donc  à  la  tête  d'une  nouvelle  communauté,  pendant 
que  saint  Félix  gouvernait  celle  de  Cerfroy,  et  plein  d'espoir,  il  se  disposait 
déjà  à  passer  la  mer  pour  racheter  des  captifs,  quand  le  Pape,  craignant 
qu'il  ne  devînt  trop  tôt  victime  de  son  ardent  dévouement,  ce  qui  eût  été 
une  perte  irréparable  pour  son  Ordre,  lui  ollrit  une  autre  mission  :  il  s'agis- 
sait de  rendre  la  paix  aux  Eglises  de  Dahnatie  et  de  Servie.  De  l'avis  unanime 
des  cardinaux,  Jean  fut  élevé  à  la  dignité  de  légat  a  latere,  et  un  autre  reli- 
gieux de  son  Ordre,  nommé  Simon,  versé  dans  la  science  du  droit,  lui  fut 
adjoint.  Mais  l'humilité  sut  inspirer  à  notre  Saint  de  si  touchantes  suppli- 
cations, qu'Innocent  III  consentit  à  ce  que,  muni  qu'il  était  de  ses  lettres 
d'ambassadeur  apostolique,  il  ne  se  présentât  que  sous  l'habit  de  simple 
religieux. 

Jean  et  Simon,  arrivés  en  Dalmatie,  s'entendirent  avec  le  roi  Wulcan  et 
l'archevêque  d'Antivari;  ils  convoquèrent  un  concile  où  furent  dressés  douze 

1*  Sur  le  mont  Cœlios,  ainsi  nommée  des  aqueducs  romains  ou  forwœ  qui  couvraient  cette  colline. 


394  8   FÉVRIER. 

canons  pleins  de  sagesse,  qui  tendaient  à  épurer  le  clergé,  à  rétablir  la  paix 
dans  les  familles,  en  banniss,int  le  divorce  et  les  unions  illégiliines,  enfin,  à 
faire  cesser  l'esclavage  au  moins  à  l'égard  des  sujets  latins.  Puis,  aprc-s  avoir 
présidé  ce  concile,  il  parcourut  et  évangélisa  ces  provinces  avec  un  zôle 
apostolique  et  un  succcs  prodigieux. 

Cette  mission  heureusement  terminée,  le  Pape  songeait  à  récompenser 
noblement  de  si  importants  services,  mais  Jean  déclina  les  honneurs  qu'on 
lui  réservait;  cependant  la  reconnaissance  publique  lui  décerna  le  titre  glo- 
rieux d'Apôtre  de  la  Dalmatie,  qui  lui  est  toujours  resté  dans  son  Ordre. 

Dieu,  en  cette  circonstance,  voulut  donner  au  saint  pacificateur  une 
grande  consolation  :  Jean  l'Anglais  et  Guillaume  d'Ecosse,  qui  avaient  été 
envoj'és  à  Maroc,  munis  d'une  lettre  d'Innocent  III,  ne  tardèrent  pas  d'ar- 
river dans  le  port  de  Marseille  avec  cent  quatre-vingt-six  esclaves  libérés. 
«  La  procession  de  ces  captifs  »,  écrit  le  savant  Millin,  «  avait  pour  les  Mar- 
seillais un  intérêt  vraiment  dramatique.  Ces  rachetés  marchant  deux  à  deux, 
en  casaque  rouge  ou  brune,  les  mains  encore  chargées  de  fers,  montrant  les 
marques  des  coups  qu'ils  avaient  reçus,  des  mutilations  qu'ils  avaient  souf- 
fertes, et  suivant  leurs  chers  rédempteurs  pour  aller  rendre  grâces  à  Dieu, 
offraient  un  spectacle  d'autant  plus  touchant,  que  les  communications  fré- 
quentes et  directes  des  Marseillais  avec  le  Levant,  pouvaient  faire  craindre 
aux  spectateurs  eux-mêmes  un  pareil  sort  ». 

Quelque  éclatants  que  fussent  ces  succès,  la  charité  de  saint  Jean  de 
Matha  ne  s'en  trouva  point  satisfaite  :  le  saint  religieux  avait  considéré  que 
les  captifs,  dont  les  chaînes  avaient  été  brisées,  se  trouvaient  souvent  encore 
loin  de  leurs  foyers,  et  que  dans  le  long  trajet  qu'il  leur  restait  à  faire,  la 
plus  extrême  misère  leur  faisait  expier  le  bonheur  à  peine  senti  de  leur 
liberté  rendue.  A  ce  danger  s'enjoignaient  bien  d'autres,  dans  un  temps  où 
les  moyens  de  transport  étaient  rares,  coûteux  et  difficiles.  Or,  le  charitable 
fondateur  sut  pourvoir  à  tout.  Il  écrivit  en  conséquence  à  ses  compagnons, 
qui  avaient  eu  l'honneur  d'aller  en  Afrique  à  sa  place;  et  dès  ce  moment, 
une  confrérie  de  la  Sainte-Trinité  fut  établie  pour  les  séculiers. 

Cette  institution,  encouragée  par  les  'souverains  Pontifes,  reçut  avec  le 
temps  une  si  excellante  organisation,  qu>'!c  devint  un  puissant  auxiliaire 
pour  l'œuvre  de  la  rédemption  des  captifs.  Elle  avait  ses  chefs,  ses  direc- 
teurs, ses  règlements,  ses  pratiques  de  piété,  ses  exercices  de  zèle  et  ses 
lieux  de  réunion.  Elle  recueillait  les  aumônes;  un  trésorier  intègre  en  deve- 
nait responsable;  puis  les  Pères  rédempteurs  allaient  en  verser  une  portion 
dans  les  coffres  des  Musulmans;  l'autre  partie  était  consacrée  à  faire  parve- 
nir les  chrétiens  rachetés  jusqucs  en  quelque  maison  de  l'Ordre  des  Trini- 
taires,  ou  dans  les  logements  mêmes  qui  appartenaient  à  la  confrérie  et  qui 
avaient  été  affectés  à  celte  destination.  De  là,  après  un  repos  nécessaire  et 
des  étapes  faites  de  ville  en  ville,  les  captifs  en  santé  se  retiraient  dans  leur 
propre  paj's,  tandis  que  les  autres,  malades  ou  infirmes,  continuaient  d'être 
soignés  dans  les  hôpitaux. 

Les  détails  attendrissants  que  les  deux  disciples  de  saint  Jean  de  Matha 
lui  donnèrent  sur  leur  mission  à  Maroc,  si  heureusement  accomplie,  le 
portèrent  à  suspendre  toutes  ses  fondations  et  ses  œuvres  de  zèle  en  Italie  et 
en  France,  et  à  partir  lui-même,  après  avoir  recommandé  à  saint  Félix  de 
Valois,  supérieur  de  la  maison  de  Ccrfroy,  de  veiller  à  la  délivrance  des 
chrétiens  esclaves  dans  les  contrées  occidentales  du  Maroc,  et  de  réaliser  au 
plus  tôt  les  espérances  que  les  deux  premiers  envoyés  avaient  laissées  dans 
les  cachots  qu'ils  avaient  déjà  visités.  Il  voulait,  quant  à  lui,  briser  les  fers 


SADiT  JE.m   DE   MATHA.  395 

des  Italiens  qui  gémissaient  en  grand  nombre  à  Tunis  et  à  Tripoli.  Ainsi,  sur 
tout  le  littoral  d'Afrique,  on  vit  briller  en  même  temps  l'étendard  de  la  ré- 
demption ;  car,  peu  de  jours  après,  Jean  et  quelques-uns  des  siens  parurent 
sur  ces  plages  inhospitalières  et  si  justement  redoutées. 

La  ville  de  Tunis,  quoique  plus  antique  que  Maroc,  n'en  avait  pas  la 
magnificence.  Celle-ci  comptait  à  peine  un  siècle  d'existence,  que  déjà  elle 
était  la  capitale  d'un  des  plus  puissants  empires  du  monde.  Tunis,  au  con- 
traire, était  pauvre,  et  ses  féroces  habitants  avaient  encore  moins  d'égards 
pour  les  droits  de  l'humanité  que  ceux  de  la  capitale  des  Etats  barbaresques; 
éloignés  des  regards  du  souverain,  ils  pouvaient  se  livrer,  sans  contrôle,  à 
leur  fanatisme  cruel  sur  leurs  esclaves  chrétiens. 

L'homme  de  Dieu  n'ignorait  point  cela  :  inaccessible  néanmoins  à  tout 
autre  sentiment  qu'à  celui  de  la  charité,  il  demanda  audience  au  gouver- 
neur qui  ne  put  résister  à  son  éloquente  parole.  Toutefois,  la  rançon  des 
captifs  fut  taxée  à  un  prix  énorme,  ce  qui  fit  que  notre  Saint,  malgré  d'abon- 
dantes aumônes,  ne  put  obtenir  que  cent  dix  esclaves.  Il  fournit  à  d'autres 
des  vêtements  et  quelques  objets  de  première  nécessité,  en  même  temps 
qu'il  ranimait  leur  foi  et  leur  laissait  l'espoir  de  voir  arriver  bientôt  de  nou- 
veaux libérateurs. 

Les  mahométans,  irrités  du  zèle  avec  lequel  le  saint  missionnaire  exhor- 
tait les  captifs  à  mourir  plutôt  que  d'abandonner  leur  religion,  épiaient  le 
moment  d'assouvir  leur  rage.  Quelques-uns  de  ces  furieux  l'ayant  trouvé 
seul,  se  précipitèrent  donc  sur  lui,  le  dépouillèrent  de  ses  habits,  lui  firent 
subir  mille  outrages,  l'accablèrent  de  coups,  et  le  croyant  mort,  ils  le  lais- 
sèrent, nageant  dans  son  sang.  Mais  Dieu  le  conserva  par  miracle,  et  ses 
forces  à  peine  revenues,  il  recommença,  plein  d'ardeur,  son  œuvre  de 
miséricorde. 

Nul  ne  peut  peindre  la  scène  qui  s'offrit  au  moment  où  notre  Saint, 
muni  du  sauf-conduit  du  gouverneur,  descendit  dans  les  antres  hideux  de 
l'esclavage.  Les  infortunés  qui  y  gisaient,  couchés  sur  leurs  chaînes,  s'éton- 
nèrent d'abord  de  voir  des  figures  qui  n'étaient  point  celles  de  leurs  impi- 
toyables geôliers;  puis,  revenus  de  leur  surprise  et  instruits  de  la  mission 
de  ces  charitables  étrangers,  ils  se  jettent  spontanément  à  leurs  pieds,  im- 
plorent leur  tendre  commisération,  baisent  leurs  mains  libératrices  et  les 
arrosent  de  larmes  amères;  ils  montrent  leurs  fers,  disent  leurs  souffrances, 
exposent  leurs  malheurs.  Ah  !  il  n'en  fallait  pas  tant  pour  toucher  le  cœur 
aimant  de  Matha.  Le  tableau  de  tant  de  misères  lui  déchirait  l'âme,  et 
l'impuissance  de  les  soulager  toutes  grandissait  sa  douleur.  Il  fallut  choi- 
sir. Ce  choix  difficile  désigna,  pour  la  liberté,  les  malheureux  esclaves  dont 
l'état  excitait  le  plus  la  pitié;  puis  les  portes  de  fer  se  refermèrent  sur  leurs 
compagnons  d'infortune. 

A  la  suite  de  Jean  de  Matha,  les  captifs  rachetés  quittèrent  l'affreux 
séjour  si  longtemps  témoin  de  leurs  maux.  Puis  ils  montèrent  dans  le  navire 
qui  devait  leur  rendre  une  patrie,  une  famille  et  le  repos,  après  les  longues 
fatigues  de  l'esclavage;  le  vaisseau  ne  voguait  pas  assez  vite  à  leur  gré.  Enfin, 
on  découvrit  le  rivage,  on  salua  avec  transport  les  côtes  de  l'Italie,  et  on 
jeta  l'ancre  dans  le  port  d'Ostie;  alors  on  put  les  voir  dans  le  délire  de  la 
joie,  baiser,  avec  reconnaissance,  cette  terre  hospitalière,  d'où  était  parti 
leur  libérateur. 

Jean  de  Matha,  dont  le  contentement  avait  quelque  chose  de  céleste, 
dirigea  vers  Rome  ses  chers  esclaves.  Une  multitude  empressée  accourut. 
Rome  païenne  avait  insulté  des  guerriers  et  des  rois  vaincus,  Rome  chré- 


396  8  FÉVRIER. 

tienne,  au  contraire,  vint  s'associer  au  bonheur  de  ces  pauvres  affranchis. 
Jadis  les  vainqueurs  traînaient  au  Capitole  leurs  malheureux  captifs;  en  ce 
jour,  Jean  de  Malha,  plus  grand  que  les  Scipion  et  les  César,  conduisait  au 
temple  saint  ceux  dont  il  avait  brisé  les  fers  et  les  renvoyait  libres  dans  leurs 
familles  reconnaissantes. 

Les  Romains,  voyant  que  le  nouvel  institut  remplissait  avec  tant  de  zèle 
sa  glorieuse  mission,  fournirent  d'abondantes  aumônes,  que  Jean  l'Anglais 
porta  à  Tunis,  pendant  que  le  saint  fondateur  créait  de  nombreux  établisse- 
ments en  Italie,  en  France  et  en  Espagne;  caries  esclaves  ayant  raconté 
dans  leur  patrie  leurs  souffrances  passées  et  le  dévouement  de  leurs  rédemp- 
teurs, partout  l'Ordre  de  la  très-sainte  Trinité  avait  été  exalté,  partout  il 
avait  paru  avec  sa  grandeur,  son  importance  et  ses  avantages;  les  peuples 
s'en  étaient  émus;  il  restait  à  profiter  de  ces  heureuses  dispositions. 

Notre  Saint  se  rendit  d'abord  à  .\rles,  auprès  d'Imbert  d'Aiguières,  arche- 
vêque de  celte  ville,  et  l'ami  d'Innocent  III.  Il  laissa  dans  une  maison,  due 
aux  libéralités  de  plusieurs  notables,  cinq  de  ses  religieux.  De  là,  il  se  trans- 
porta en  Espagne  où  l'appelaient  les  rois  catholiques.  Ils  le  reçurent  avec 
de  grandes  démonstrations  de  respect,  et  lui  cédèrent  des  propriétés  consi- 
dérables, en  même  temps  qu'ils  versaient  'luu-e.  ses  mains  de  fortes  sommes 
pour  le  rachat  immédiat  d'un  grand  nombre  de  captifs,  détenus  à  Valence 
et  à  Majorque.  Ces  infortunés  furent  dirigés  sur  Lérida,  où  avait  été  fondé 
un  établissement  très-vaste,  comprenant  une  maison  pour  les  Trinitaires, 
un  refuge  pour  les  voyageurs  indigents,  un  hôpital  pour  les  inûrmes  du 
pays,  et  un  lieu  de  repos  pour  les  captifs  rachetés,  mais  fatigués  de  la 
marche  ou  convalescents. 

L'homme  de  Dieu  saisit  cette  occasion  pour  se  livrer  à  des  excursions 
apostoliques,  et  il  opéra,  en  plusieurs  lieux,  des  conversions  étonnantes. 
Ferrario  Gray,  jeune  seigneur,  qui  venait  de  terminer  ses  études  avec  dis- 
tinction, fut  une  de  ses  conquêtes  :  il  entra  dans  l'Ordre  des  Trinitaires,  et 
c'est  à  lui  qu'on  est  redevable  du  grand  développement  que  prit  cet  Ordre 
en  Catalogne  et  dans  l'Aragon,  provinces  qu'il  administra  avec  succès  pen- 
dant trente-deux  ans. 

Sur  ces  entrefaites,  Hugues  de  Baux,  vicomte  de  Marseille,  pria  Jean  de 
Matha  de  venir  en  cette  ville  fonder  un  couvent  de  Trinitaires.  D'autres  sei- 
gneurs s'associèrent  à  celte  pensée,  et  de  grands  privilèges  furent  attachés 
à  cet  établissement.  L'acte  en  fut  passé  en  1202.  Sans  retard,  quatre  reli- 
gieux vinrent  s'y  fixer,  car  notre  Saint  avait  compris  combien  il  importait 
d'avoir  un  monastère  sur  un  port  de  mer,  où  devaient  débarquer  un  si 
grand  nombre  d'esclaves  rachetés. 

Mais  l'oeuvre  de  Dieu,  plus  d'une  fois,  souffrit  la  contradiction  et  l'oppo- 
sition des  hommes;  le  chapitre  de  Marseille  s'éleva  contre  l'établissement 
fondé  dans  cette  ville,  et  Michel  de  Moriez,  archevêque  d'Arles,  en  fit  de 
même  contre  celui  dont  son  illustre  prédécesseur  avait  sollicité  la  création. 
Toutefois,  Jean  de  Matha,  qui  revenait  d'Espagne  avec  une  nouvelle  bande 
de  captifs,  parvint  à  apaiser  cette  tempête,  et  à  tout  régler  par  de  sages  et 
amicales  transactions.  De  là,  il  se  rendit  à  Ilome,  et,  sur  ses  pas,  s'élevèrent 
une  foule  de  maisons  de  son  Ordre;  puis  il  reparut  en  Espagne  en  1206  : 
les  besoins  étaient  là  plus  pressants  qu'ailleurs,  car  les  musulmans  avaient 
porté  dans  ces  royaumes  le  ravage  et  la  désolation. 

Don  Alonzo,  roi  de  Castille,  après  avoir  accompagné  le  Saint  dans  plu- 
sieurs villes,  lui  présenta  sa  famille,  pour  qu'il  appelât  sur  elle  les  bénédic- 
tions du  ciel.  Jean,  à  la  vue  de  l'infant,  alors  âgé  de  sept  ans,  fut  saisi  de 


I 


I 


SAIOT  JEAN  DE   MATHA.  397 

l'esprit  de  Dieu;  et  dans  un  prophétique  enthousiasme,  il  prédit  au  roi  ses 
victoires  prochaines,  à  l'Infant  ses  destinées  futures  et  le  triomphe  déllnitif 
des  chrétiens  sur  les  musulmans  de  la  Péninsule.  En  effet,  quatre  ans  après, 
eut  Heu  la  fameuse  bataille  de  Las-Navas-de-Tolosa,  et  dom  Fernand  fut, 
dans  la  suite,  le  roi  Ferdinand  111,  que  l'Eglise  compte  au  nombre  de  ses  Saints. 

L'habile  fondateur  s'empressa  d'aller  rendre  compte  de  tous  ses  travaux 
au  souverain  Pontife.  11  arriva  à  Rome  au  mois  de  mars  de  l'an  1209.  Il  fut 
en  même  temps  informé  de  la  propagation  de  son  Ordre,  par  Félix  de  Va- 
lois, dans  les  provinces  septentrionales  de  la  France.  Jean  l'Anglais  lui  fit 
aussi  la  relation  de  ses  deux  voyages  à  Tunis,  et  de  tous  les  incidents  remar- 
quables qui  les  avaient  signalés. 

Le  Pape,  charmé  de  voir  que  cet  institut  avait  pleinement  justifié  par 
ses  œuvres  la  haute  protection  dont  il  l'environnait,  se  hâta  de  donner  la 
sanction  de  son  autorité  apostolique  à  tout  ce  qu'avaient  fait  jusqu'à  ce 
jour  saint  Jean  de  Matha  et  saint  Félix  de  Valois,  en  France,  en  Italie  et  en 
Espagne.  Ces  bulle;  de  confirmation  furent  suivies  d'une  autre  bulle  qui  ac- 
cordait à  l'Ordre  divers  privilèges,  et  le  recommandait,  en  l'approuvant  de 
nouveau,  à  tout  le  monde  chrétien. 

A  tant  de  faveurs,  les  Pères  de  la  Trinité  répondirent  par  de  nouveaux 
services.  Jean  de  Matha  venait  de  terminer  la  visite  des  prisons  et  des  hôpi- 
taux de  Rome,  lorsqu'il  apprit  que  la  trêve,  conclue  par  l'Espagne  avec  les 
musulmans,  était  sur  le  point  d'expirer,  et  que  déjà  on  préludait,  par  des 
engagements  partiels,  à  une  reprise  d'armes  générale.  C'est  pourquoi  il  part 
une  seconde  fois  pour  Tunis,  en  emmenant  avec  lui  Guillaume  l'Ecossais. 

Sortis  du  port  d'Ostie  vers  la  fin  de  mai,  ils  abordèrent  quelques  jours 
après  à  Tunis.  Ils  se  rendirent  directement  chez  le  gouverneur.  Celui-ci, 
soit  prévoyance,  soit  cupidité,  consentit  encore  à  échanger  les  fers  de  ses 
esclaves  contre  l'or  des  rédempteurs.  Mais  les  sujets  ne  se  montrèrent  pas 
si  traitables  que  le  maître;  les  Tunisiens  ameutés  se  jettent  sur  notre  Saint, 
l'accablent  de  coups,  et  lui  enlèvent  ses  captifs.  Jean  les  revendique  avec 
énergie;  enfin,  un  nouvel  arrangement  est  conclu,  une  double  rançon  est 
exigée  :  c'était  le  droit  et  la  justice  du  plus  fort.  Jean  de  Matha  avait  épuisé 
ses  ressources,  il  ne  pouvait  donc  satisfaire  à  cette  insatiable  cupidité.  Dans 
cette  extrémité,  le  Saint  tire  de  dessous  son  scapulaire  l'image  de  la  Vierge, 
se  prosterne  avec  Guillaume,  ils  prient,  ils  conjurent  la  bonne  Mère  du  ciel 
de  manifester  sa  clémence  en  faveur  de  ses  enfants  malheureux;  des  vœux 
si  purs,  si  ardents,  furent  exaucés  :  une  main  invisible  déposa  aux  pieds  des 
deux  libérateurs  la  somme  réclamée  par  les  barbares,  et  les  captifs  chré- 
tiens furent  remis  en  liberté. 

Alors  la  populace,  furieuse  de  ce  dénouement  imprévu,  se  précipite  sur 
le  vaisseau  qui  les  porte,  enlève  le  gouvernail,  coupe  les  mâts,  déchire  les 
voiles,  brise  les  rames  pour  rendre  le  départ  impossible.  L'homme  de  Dieu 
ne  se  laisse  point  abattre.  11  ordonne  à  ses  gens  de  mettre  en  mouvement  le 
navire.  Les  passagers,  aimant  mieux  périr  dans  les  flots  que  sous  le  fer  des 
assassins  ou  dans  les  cachots,  saisissent  des  tronçons  de  rames  et  de  plan- 
ches pour  aider  à  cette  difficile  manœuvre.  Les  Tunisiens  se  rient  de  ces 
efforts  et  poussent  deshuées;  mais  le  vaisseaun'en  voguera  pas  moins.  Plein 
de  confiance  en  Dieu  seul,  Jean,  le  cœur  en  feu,  se  dépouille  de  son  man- 
teau, retend  en  forme  de  voile  ;  et,  à  genoux  sur  le  tillac,  le  crucifix  à  la 
main,  il  implore,  avec  effusion  d'âme,  l'étoile  de  la  mer.  Les  nautonniers 
et  les  passagers  répètent  les  mêmes  prières,  et  les  flots  paisibles  respectent 
la  frêle  embarcation;  les  vents  se  taisent,  une  brise  favorable  s'élève,  et  en 


398  8   FÉVRIER. 

moins  de  deux  jours,  on  entre  dans  le  port  d'Ostie,  aux  acclamations  d'une 
foule  émerveillée  du  prodige.  Le  souverain  Pontife,  reconnaissant  en  ceci 
l'intervention  de  celui  qui  commande  aux  vagues  et  aux  tempôtes,  pleura 
d'attendrissement  et  d'admiration;  il  voulut  voir  tous  les  captifs  et  les  bénir 
de  sa  main,  avant  qu'ils  fussent  renvoyés  dans  leur  pays. 

Noire  Saint  reprit  bientôt  ses  exercices  accoutumés;  les  malades  le  re- 
virent auprès  de  leur  triste  couche,  les  prisonniers  dans  leurs  sombres  ré- 
duits. Sa  présence  enfantait  partout  des  prodiges  de  grâce;  les  bénédictions 
et  l'amour  des  peuples  l'accompagnaient  en  tout  lieu.  Dans  ces  conjonc- 
tures, dom  Rodrigue,  évêque  de  Tolùde,  arriva  à  Rome;  il  était  chargé  d'une 
mission  spéciale  auprès  du  Saint-Siège  :  c'était  dom  Alonzo,  roi  de  Castille, 
qui,  n'ayant  qu'une  poignée  d'hommes  à  opposera  des  bandes  innombrables 
de  Sarrasins  fanatisés  par  leurs  chefs,  avait  cru  devoir  intéresser  à  sa  cause 
l'Europe  catholique.  Innocent  III  vit  la  gravité  du  péril;  il  commanda  aus- 
sitôt des  prières  publiques;  il  chargea  dom  Rodrigue  lui-même  de  parcourir 
l'Italie  et  la  France,  et  de  faire  un  appel  général  à  tous  les  guerriers  chré- 
tiens. Des  lettres  pressantes  furent  sur-le-champ  adressées  aux  évoques  de 
France,  du  Languedoc,  de  la  Provence  et  du  Dauphiné. 

Au  milieu  de  ces  alarmes,  saint  Jean  de  Matha  ne  resta  point  oisif;  il 
n'était  pas  homme  à  fuir  devant  la  tempête.  Il  se  mit  à  visiter  toutes  les 
maisons  de  son  Ordre,  à  désigner  les  religieux  les  plus  courageux  pour  assis- 
ter les  soldats  de  la  croix  sur  le  champ  de  bataille,  ou  pour  recueillir  les 
aumônes  qui  devaient  être  plus  abondantes  que  jamais,  afin  que  les  res- 
sources fussent  proportionnées  aux  immenses  besoins  que  pourraient  créer 
tout  à  coup  de  funestes  revers.  Cest  à  cette  époque  que  le  saint  fondateur 
passa  à  Cerfroy,  et  put  s'entretenir,  une  dernière  fois,  avec  saint  Félix,  son 
vieil  ami,  âgé  alors  de  quatre-vingt-dix  ans. 

Enfin,  le  sort  des  armes  allait  être  tenté  dans  les  plaines  de  Tolosa.  Des 
troupes  nombreuses  ne  tardèrent  pas  à  s'y  rassembler.  Les  Dauphinois  sur- 
tout, dont  les  pères  avaient  eu  tant  à  souffrir  des  hordes  sarrasines,  prirent, 
disent  tous  les  historiens,  une  glorieuse  part  à  cette  grande  bataille  et  se 
distinguèrent  par  leur  brillante  valeur.  On  forma  plusieurs  corps  d'armée, 
et  pendant  que  les  généraux  choisissaient  des  positions  avantageuses,  le  su- 
périeur général  des  Trinitaires  préparait  tout  à  Tolède  pour  le  service  des 
malades  et  des  blessés.  Enfin,  le  16  juillet  1210,  les  clairons  se  font  entendre, 
les  deux  armées  se  heurtent,  les  chrétiens  s'élancent  comme  des  lions  sur 
les  musulmans,  les  attaquent,  enfoncent  leurs  bataillons  et  couvrent  de 
leurs  cadavres  le  champ  de  bataille.  La  victoire  fut  complète. 

Saint  Jean  de  Matha,  heureux  de  voir  la  croix  triompher,  retourna  à 
Rome  où  les  affaires  de  son  Ordre  réclamaient  sa  présence.  Il  ne  tarda  pas 
à  y  recevoir  la  nouvelle  de  la  mort  du  bienheureux  Félix  de  Valois,  son  cher 
collaborateur.  Cette  perte,  quoique  prévue,  lui  fut  extrêmement  sensible. 
Jean  l'Anglais,  qui  s'était  pénétré  de  l'esprit  de  la  règle  mieux  qu'aucun 
autre  disciple,  et  qui  d'ailleurs  avait  une  grande  capacité,  fut  désigné  pour 
gouverner  le  monastère  de  Cerfroy;  il  arriva  dans  cette  maison  si  importante 
au  commencement  de  l'année  1213. 

Notre  Saint  avait  consunié  lui-môme  une  santé  robuste  dans  les  austé- 
rités de  la  pénitence,  les  fatigues  des  voyages  et  les  sollicitudes  de  ses  nom- 
breuses fondations;  ses  forces  épuisées  ne  suffisaient  déjà  plus  à  son  zèle; 
dès  lors  il  appliqua  toute  l'activité  de  son  esprit  à  sa  perfection  personnelle 
et  à  la  direction  intérieure  de  son  institut.  A  ses  mortifications  accoutu- 
mées, il  joignit  la  pratique  continuelle  de  l'oraison.  S'il  sortait  c)"  "ouvent 


SAINT  JEiN  DE  MATHA.  399 

de  Saint-Thomas  in  Formis,  c'était  pour  aller  s'asseoir  au  chevet  de  quelque 
malade  ou  pour  secourir  des  pauvres  honteux.  Il  mettait  un  soin  scrupu- 
leux à  cacher  ses  bonnes  œuvres;  mais  les  effets  merveilleux  du  pouvoir 
extraordinaire  que  Dieu  avait  communiqué  à  son  humble  serviteur,  et  auquel 
obéissaient  le  démon,  les  maladies  et  la  mort  même,  avaient  rempli  la  ville 
de  Rome  des  vertus  et  du  nom  de  Jean  de  Matha. 

Illustré  par  tant  de  travaux,  orné  de  tant  de  dons  célestes,  célèbre  par 
sa  science  et  par  ses  écrits,  Jean  de  Matha,  ravi  en  esprit  dans  le  ciel,  y  vit 
saint  Félix  tout  brillant  de  lumière,  et  eut  révélation  que  dans  un  an  il  irait, 
à  son  tour,  rejoindre  son  ami  au  séjour  de  la  gloire. 

Sur  cet  avertissement  divin,  le  saint  fondateur  assembla  à  Rome  les 
principaux  chefs  de  sa  nombreuse  et  immortelle  famille  qu'il  avait  vue  se 
dilater  rapidement  en  plusieurs  royaumes,  et  pénétrer  même  en  Asie  avec 
les  généreiLX  Croisés  de  Jérusalem.  Il  voulutdisposer  de  tout  avec  prévoyance 
pour  le  plus  grand  bien  de  l'Ordre.  Ces  derniers  arrangements  pris,  la  mort 
ne  se  fit  pas  attendre.  Miné  par  la  fièvre,  ou  plutôt  consumé  par  l'amour 
divin,  il  reçut  les  sacrements  dans  les  admirables  sentiments  de  la  foi  vive  et 
de  l'ardente  charité  qui  avaient  animé  toutes  ses  actions,  puis  il  ordonna 
qu'on  creusât  sa  fosse,  et  passa  le  jour  suivant  dans  une  contemplation 
extatique.  Au  troisième  jour,  il  réunit  autour  de  son  lit  de  mort  ses  enfants 
en  pleurs,  leur  fit  ses  derniers  adieux,  les  exhorta  à  la  grande  œuvre  de  la 
rédemption  des  captifs,  et  les  bénit  une  dernière  fois.  Peu  après,  son  âme 
montait  au  ciel.  C'était  le  17  décembre  de  l'an  1213. 

A  la  nouvelle  de  ce  trépas,  Rome  entière  s'émeut  :  chacun  veut  revoir 
la  face  encore  rayonnante  de  l'homme  de  Dieu,  et  pour  satisfaire  cette  dé- 
votion générale,  on  est  obligé  de  laisser  le  corps  du  Saint  exposé  pendant 
quatre  jours  au  milieu  de  l'église.  Plusieurs  miracles  s'opérèrent  à  cette 
occasion  :  une  femme  privée  de  l'usage  d'un  bras  fut  guérie  sur-le-champ; 
quatre  aveugles  recouvrèrent  la  vue.  Jamais  obsèques  plus  solennelles;  le 
Pape  et  un  bon  nombre  de  cardinaux  voulurent  y  assister.  Non  encore  sa- 
tisfait, Innocent  III  veilla  à  ce  que  les  dépouilles  mortelles  du  Saint  fussent 
ensevelies  sous  un  magnifique  mausolée  en  marbre  blanc,  o\x  il  fit  graver 
cette  simple  inscription  :  «  L'an  1197  de  l'Incarnation  du  Seigneur,  le  pre- 
mier du  Pontificat  d'Innocent  III,  le  15  des  Calendes  de  janvier,  l'Ordre  de 
la  très-sainte  Trinité  fut  fondé  avec  sa  propre  règle  accordée  par  le  Saint- 
Siège,  par  frère  Jean,  divinement  inspiré.  Le  même  fut  enseveli  en  ce  lieu, 
l'an  du  Seigneur  1213  ». 

Théodore  Van  Thulden  a  donné  à  Paris,  en  1633,  une  très-belle  suite  de 
gravures,  au  nombre  de  vingt-cinq,  représentant  la  vie  de  saint  Jean  de 
Matha  et  ses  travaux  comme  fondateur  de  l'Ordre  de  la  Rédemption  des 
captifs.  La  dernière  planche  représente  la  vue  générale  du  couvent  de  Cer- 
froy.  —  Erasme  Quellin  l'a  peint  debout  au  milieu  des  captifs.  —  On  trou- 
vera son  portrait  à  mi-corps,  à  la  Bibliothèque  mazarine  '.  —  Au  même  en- 
droit, grande  figure  en  pied,  et  près  de  lui  un  captif  indiquant  l'Ordre  de  la 
Merci  *.  —  Au  cabinet  des  estampes  de  Paris,  on  voit  le  Saint  voguant  sur 
l'eau,  à  genoux  sur  son  manteau  ';  le  Saint  au  milieu  des  captifs;  le  Saint 
disant  la  messe.  —  Statue  du  Saint  tenant  des  fers  des  captifs;  ayant  près  de 
lui  un  cerf  portant  une  croix  entre  ses  cornes.  —  Les  Triuitaires  portent 
blason  :  ils  ont  adopté,  comme  étant  nés  en  France,  l'ancien  écu  de  nos  rois, 
aux  fleurs  de  lis  sans  nombre  avec  la  croix  rouge  et  bleue  sur  blanc,  les  trois 

1.  Par  PfeCfel,  n.  477S  (3S),  fo  86.  —  2.  Par  Diepembeck,  ib.d,  fo  122.  —  3.  T.  xn,  toa  100,  102,  104, 
105,  111.  ]û  tout  dessiné  par  Quellin  et  gravé  par  Borreckeus. 


400  8  FÉvniER. 

mêmes  couleurs  mystérieuses  sous  lesquelles  l'ange  était  apparu  à  saint 
Jean  de  Matha  et  à  Innocent  III  :  le  blanc  destiné  à  représenter  le  Père  éter- 
nel, principe  de  la  divinité;  le  bleu  comme  livide  représente  la  personne  du 
Fils  de  Dieu  tout  couvert  de  meurtrissures  dans  sa  Passion,  —  et  le  rouge, 
ou  couleur  de  feu,  le  Saint-Esprit  dont  le  propre  est  d'embraser  les  cœurs. 
Ainsi  donc,  dans  le  vêtement  comme  dans  les  armoiries  de  l'Ordre  de  la 
Rédemption,  tout  rappelle  la  Trinité  dont  il  a  pris  le  nom. 

RELIQUES  ET  CULTE  DE  SAINT  JEAN  DE  MATHA. 

Accoutamés  à  vénérer  saint  Jean  de  Matha  pendant  sa  vie,  les  peuples  l'invoquèrent  après  sa 
mort,  et  les  miraculeuses  faveurs  qu'ils  obtinrent  par  son  intercession  semblèrent  justifier  un  culte 
que  l'Eglse  n'autorisa  que  par  son  silence,  jusqu'à  ce  que  l'Ordre  de  la  très-sainte  Trinité,  jaloux 
de  propager  la  gloire  de  ses  deux  grands  patriarches,  poursuivit  la  cause  de  leur  canonisation  au- 
près du  Saint-Siège,  et  obtint  d'Urbain  IV  une  bulle  datée  du  1"'  mai  de  l'an  1262,  en  vertu  de 
laquelle  les  honneurs  solennels  de  la  canonisation  furent  rendus  à  saint  Jean  de  Matha  et  à  saint 
Félix  de  Valois,  le  4  octobre  de  l'année  suivante. 

Mais  le  couvent  de  Saint-Thomas  in  Furtuis,  au  mont  Cœ/ius,  ayant  plus  tard  cessé  d'être 
habité  par  une  communauté  religieuse,  la  mémoire  de  saint  Jean  de  Matha  en  souffrit.  En  1655, 
deux  relieieus  Trinitaires  de  la  nouvelle  observance  partirent  d'Espagne  et  conçurent  le  pieux  pro- 
jet de  tirer  de  l'oubli  les  restes  sacrés  du  grand  fondateur  et  de  les  faire  parvenir  à  Madrid.  Ce 
transport  s'effectua  clandestinement,  et  des  informatinns  officielles  vinrent,  en  1721,  constater  l'iden- 
tité des  reliques  du  Saint  et  donner  lieu  ;i  une  cérémonie  très-brillante,  à  la  suite  de  laquelle  elles 
furent  exposées  dans  l'église  des  Trinitaires  de  .Madrid  pour  y  être  conservées  à  perpétuité,  con- 
formément à  un  décret  papal  en  date  du  6  septembre  1129. 

En  1832,  les  Trinitaires  ayant  du,  comme  tous  les  autres  religieux,  quitter  l'Espagne,  le  corps 
de  leur  saint  fondateur  fut  renfermé  dans  le  palais  de  la  Nonciature.  On  célèbre  dans  l'Ordre  de  la 
Sainte-Trinilé,  la  fête  de  la  translation  des  reliques  de  saint  Jean  de  Malha,  le  cinquième  dimanche 
après  Pâques'. 

Enfin,  après  plusieurs  bulles  déjà  obtenues  en  faveur  du  culte  de  saint  Jean  de  Matha,  sur  les 
instances  de  Louis  XIV,  le  24  janvier  1671,  la  sacrée  Congrégation  des  Rites,  avec  l'approbation 
du  Saint- Père,  fit  insérer  les  noms  de  saint  Jean  de  Matha  et  de  saint  Félix  de  Valois  dans  le  mar- 
tyrologe romain,  et  depuis  1694,  l'office  de  ces  deux  Saints  fut  élevé  au  rit  double,  deprœcepto,  tel 
que  l'Eglise  universelle  le  célèbre  aujourd'hui. 

L'ancien  diocèse  d'Embrun  s'attacha  de  b  nue  heure  à  vénérer  le  lieu  où  était  né  et  où  avait 
habité  Jean  de  Matha.  Deux  parcelles  de  ses  reliques  furent  accordées  en  1674  à  l'église  paroissiale  de 
Faucon  et  exposées  à  la  véuor,itio:i  publique,  en  vertu  d'une  autorisation  de  Mgr  de  Genlis,  arche- 
vêque d'Embrun  ;  elles  y  ont  été  honorées  depuis  avec  une  grande  piété. 

L'Ordre  de  la  Très-Samte  Trinité  a  été  rétabli,  en  France,  le  15  septembre  1859,  dans  son 
ancien  couvent  de  Faucon,  patrie  de  son  saint  fondateur.  11  possède  encore  deux  maisons,  l'une  à 
Noire-Dame  de  Lise,  près  Vienne  (Isère),  et  l'autre  à  Cerfroy  (Aisne)'. 

Saint  J' an  de  .Matha  est  honoré  d'un  culte  spécial  dans  les  nombreuses  maisons  des  dames 
Trinitaires  (noires)  de  Valence.  Le  diocèse  de  Marseille  le  vénère  dans  les  couvents  des  religieuses 
Trinitaires  déchaussées,  établies  à  Saiute-Marlhe  (banlieue),  à  Aubagne,  à  Cassis,  à  Genevois,  à 
Roquefort,  a  Cerges  et  aux  Accatcs.  I.'archiconfréric  des  Pénitents  Trinitaires,  qui  existe  dans  cette 
ville  depuis  1306,  célèbre  la  fête  de  saint  Jean  de  .Matha  avec  beaucoup  de  pompe. 

Il  a  été  publié,  dans  ces  (lernières  années,  une  excellente  Vie  de  saint  Ji/m  de  Matha,  par  le 
R.  P.  Calixle  de  la  Providence,  religieux  trinitaire.  Paris,  Watlelin,  1867,  in-12. 

Voir  encore  l'tilstoire  hagîologique  de  Gap,  par  Mgr  Depéry. 

1.  Koîe  de  M.  l'abbé  l:icard,  directeur  de  la  Semaine  relifficuse  de  Marseille.  —  3.  U« 


LE    BIENHEUREUX   PIERRE   ALDODRAKDINI.  401 


SAINT  GUTHMAN  DE  STENINGES  (889). 

Tes  pbre  et  mère  honoreras  afin  que  ta  vives 
longuement. 

Ce  Saint,  issu  du  sang  des  Anglo-Saxons,  naquit  dans  la  partie  méridionale  d'Angleterre  '.  Ses 
parents  le  formèrent  de  bonne  heure  à  la  piété,  et  il  se  Et  dès  l'enfance  un  devoir  de  leur  obéir 
avec  la  plus  parfaite  ponctualité.  Sa  première  occupation  fut  de  garder  les  troupeaux  de  son  père, 
et  il  la  sanctifia  par  une  prière  continuelle.  L'habitude  qu'il  avait  contractée  d'être  toujours  uni  à 
Dieu,  purifia  tellement  toutes  ses  affections,  qu'il  ne  tenait  plus  à  la  terre.  Sa  prière  était  d'autant 
plus  efficace  qu'elle  avait  pour  fondement  l'esprit  de  simplicité,  d'abnégation,  de  douceur,  d'humi- 
lité et  d'obéissance.  Après  la  mort  de  son  père,  il  pourvut  par  le  travail  de  ses  mains  à  la  subsis- 
tance de  sa  mère,  qui  était  fort  âgée  ;  il  ne  rougit  pas  même  de  mendier  pour  avoir  de  quoi  l'as- 
sister, ce  qui  l'obligea  de  changer  souvent  de  demeure.  Il  souffrit  eu  esprit  de  péuitence  tout  ce  que 
son  état  avait  de  pénible  et  d'humiliant.  Etant  à  Steninges,  il  y  bâtit  une  petite  cabane  pour  s'y 
loger  avec  sa  mère.  La  vie  qu'il  y  mena  était  plus  angélique  qu'humaine.  A  peine  eut-il  achevé  sa 
cabane,  qu'il  traça  le  plan  d'une  église,  à  laquelle  il  se  mit  aussitôt  à  travailler.  Les  habitants  du 
pays,  touchés  de  sa  piété  et  de  son  zèle,  lui  fournirent  de  quoi  exécuter  son  projet.  Le  saint 
homme  travaillait  tout  le  jour,  et  donnait  à  la  prière  une  partie  considérable  de  la  nuit.  «  Seigneur  », 
disait-il,  «  c'est  ici  le  lieu  de  mon  repos,  c'est  ici  que  je  viendrai  chaque  jour  vous  rendre  mes 
hommages  ».  Dieu  glorifia  son  serviteur  par  un  grand  nombre  de  miracles,  tant  de  son  vivant 
qu'après  sa  mort.  Les  reliques  de  saint  Cnlbman  étaient  autrefois  honorées  à  Steninges.  On  en 
transporta  une  partie  à  l'abbaye  de  Fécamp  en  Normandie.  Saint  Edouard  le  confesseur  donna 
Steninges  à  cette  même  abbaye.  Celte  donation,  ainsi  que  celle  de  Rye,  de  Uérimuuster  et  de  plu- 
sieurs autres  lieux  voisins,  faite  à  l'abbaye  de  Fécamp,  fut  confirmée  par  Guillaume  le  Conquérant, 
par  Henri  1"  et  Henri  H,  rois  d'Angleterre.  On  conservait  les  chartes  de  ces  princes  dans  les 
archives  de  l'abbaye.  Les  paroisses  de  Steninges  et  de  Rye  étaient  de  l'exemption  de  Fécamp  ;  et 
lorsque  les  bulles  des  papes  font  le  dénombrement  des  paroisses  qui  jouissaient  du  privilège  de 
cette  exemption,  elles  disent,  en  parlant  de  celles  de  Steninges  et  de  Rye,  qu'elles  sont  situées  en 
Angleterre.  Il  ne  faut  pas,  comme  font  quelques  auteurs,  prendre  Hastings,  fameux  port  de  mer 
dans  la  province  de  Sussex,  pour  le  Steninges  de  Fécamp,  qui  n'est  autre  chose  que  le  bourg  de 
Stening,  situé  dans  la  même  province.  Saint  Cuthman  était  anciennement  premier  patron  de  Ste- 
ninges ou  Esteninges.  On  trouve  son  nom  dans  l'ancien  missel  dont  se  servaient  les  Anglo-Saxons 
avant  la  conquête  de  l'Angleterre  par  les  Normands.  On  gardait  ce  missel  à  l'abbaye  de  Jumiéges. 
On  y  trouve  au  8  de  février  une  messe  propre  pour  la  fête  de  saint  Cuthman.  Hickes  compte  la 
châsse  de  saint  Cuthman  parmi  celles  que  les  Anglais  vénéraient  avant  leur  séparation  de  l'Eglise 
romaine.  Notre  Saint  est  honoré  en  ce  jour  à  Fécamp,  et  l'était  aussi  dans  la  plupart  des  abbayes 
de  Bénédictins  qui  étaient  en  Normandie.  Il  tlorissait  sur  la  fin  du  ix°  s. 

Voyez  la  Narratio  de  Sanctis  gui  in  Anglia  quiescunt.  que  Hickes  a  publiée  dans  son  Thésaurus  ling^ja" 
rum  veterujn  sepiintr.^  t.  ler,  in  dissert.  epist.y  p.  121.  Voyez  aussi,  dans  Bollandns,  denx  différentes  vies 
de  saint  Cutliman,  et  les  leçons  du  Bréviaire  de  Fécamp,  qui  sont  fort  exactes. 


LE  BIENHEUREUX  PIERRE  ALDOBRANDINI  (1089). 

n  sortait  de  l'illustre  famille  des  Aldobrandini.  n  se  fit  religieux  dans  le  monastère  de  Vallom- 
breuse,  que  saint  Jean  Gualbert  venait  de  fonder.  Les  religieux  de  ce  monastère  ayant  accusé  de 
simonie,  en  1063,  Pierre  de  Pavie,  arclievèque  de  Florence,  Pierre  Aldobrandini  fut  choisi  par  ses 
frères  pour  soutenir  cette  accusation  par  l'épreuve  du  feu.  o  Ni  le  pape  (Alexandre  H),  ni  le  con- 
cile (de  Rome),  n'avaient  permis  aux  moines  de   se  Justifier  par  l'épreuve  du  feu,  comme  ils 

1.  Bollandns  conjecture,  mais  sans  fondement,  que  notre  Stint  sottAit  des  Bretons  du  pays  de  Galles, 
VX  de  la  province  de  Cornouaille. 

Vies  des  Saints.  —  Tome  IL  26 


402  9  FÉVRIER. 

l'avaient  offert.  Il  n'ea  fut  pas  de  même  du  peuple  de  Florence,  qui  força  les  religieux  à  démon- 
trer par  ce  moyen  la  vérité  de  leur  accusation.  On  fixa  donc  un  jour  pour  cet  effet,  et,  dès  qu'il 
fut  arrivé,  une  foule  immense  de  laïques  et  de  prêtres,  d'hommes  et  de  femmes  de  tout  âge  et  de 
toute  condition,  se  rassemblèrent  près  do  couvent  de  Saint-Sauveur.  Là,  deux  bûchers,  construits 
par  le  peuple,  s'élevaient,  ayant  une  longueur  de  dix  pieds,  sur  cinq  de  large  et  quatre  de  haut. 
Us  étaieul  séparés  par  un  sentier,  semé  de  bois  sec  et  très-inflammable.  Dans  l'église,  on  chantait 
des  hymnes  et  l'on  adressait  au  ciel  de  ferventes  prières  pour  connaître  celui  qui,  d'après  les  ordres 
de  l'abbé,  devait  traverser  les  flammes  ;  le  choix  tomba  sur  Pierre,  moine  de  Vallombreuse,  homme 
d'une  conduite  irréprochable.  Pierre  se  rendit  à  l'autel  pour  célébrer  la  messe  ;  tous  les  cœurs 
étaient  émus.  Quatre  moines  se  dirigeaient  alors  vers  les  bûchers  :  le  premier  portail  l'image  dn 
Christ,  le  second  l'eau  bénite,  le  troisième  douze  cierges  bénits,  et  le  quatrième  un  vase  plein 
d'encens  pour  allumer  le  feu.  Tons  élevaient  leurs  cœurs  vers  Dieu  pour  le  succès  de  cette  péril- 
leuse entreprise.  Dès  que  le  prêtre  eut  achevé  le  sacrifice,  il  prit  la  croix  du  Sauveur  et  fit  solen- 
nellement le  tour  des  bûchers,  accompagné  de  l'abbé  et  des  moines  ;  quand  il  se  fut  approché  des 
flammes,  on  expliqua  au  peuple  le  but  de  la  cérémonie.  Le  feu  était  déjà  allumé,  la  flamme  pétil- 
lait avec  ardeur  ;  le  prêtre  s'agenouilla  devant  Dieu,  et  supplia  Jésus-Christ  de  lui  permettre  de 
traverser  la  flamme  sain  et  sauf,  si  l'évêque  Pierre  était  coupable.  Le  peuple  répondit  :  Amen. 
Enfin,  le  moine  fit  sur  cette  fournaise  ardente  le  signe  de  la  croix,  saisit  le  crucifix,  et,  avec  une 
figure  sereine,  il  traversa  les  flammes  sans  être  atteint  :  Dieu  et  sa  foi  le  protégeaient.  Quand  11 
reparut  à  l'autre  extrémité,  le  peuple  se  précipita  au-devant  de  lui.  tomba  à  ses  genoux,  baisa  se» 
pieds,  s'estimant  heureux  de  pouvoir  arracher  un  lambeau  de  sa  robe.  Ce  fut  à  grand'peine  qne 
ses  confrères  parvinrent  à  le  débarrasser  de  cette  foule.  Dès  que  le  Saint-Père  eut  appris  cet  évé- 
nement, il  déposa  l'accusé  comme  étant  convaincu.  Le  moine  Pierre,  qui  fut  surnommé  Icné,  par- 
vint à  de  grands  honneurs  :  il  fut  évèque  et  cardinal  ». 

nous  emprontons  ce  récit  à  VHistoire  de  Grégoire  VU»  du  protestant  Voîgt,  tradaction  de  M.  l'abbé 
Jager. 


IX^  JOUH  DE  FÉVRIER 


MARTYROLOGE   ROMAIN. 

A  Alexandrie,  la  naissance  an  ciel  de  sainte  Apolline,  vierge,  à  qni  les  persécuteurs,  sous 
rempereur  Dèce,  arrachèrent  premièrement  toutes  ses  dents  ;  ensuite  un  bûcher  ayant  été  construit 
et  allumé,  pendant  qu'ils  la  menaçaient  de  la  brûler  vive,  si  elle  ne  prononçait  pas  avec  eux  cer- 
taines paroles  impies,  elle,  délibérant  intérieurement,  et  sentant  dans  son  cœur  la  flamme  de  l'iis- 
jrit-Saint,  s'arracha  soudain  des  mains  de  ces  impies,  et  s'élança  volontairement  dans  le  feu  qui  était 
préparé,  ea  sorte  que  les  auteurs  de  celte  cruauté  furent  terrifiés  de  ce  qu'une  femme  avait  été  plus 
prompte  à  courir  à  la  mort  qne  le  bourreau  a  la  lui  faire  souffrir.  249.  —  A  Rome,  le  martyre  de 
saint  Alexandre  et  de  trente-huit  autres,  qui  furent  couronnés  avec  lui.  —  A  Sole,  en  Chypre,  les 
saints  martyrs  Ammonius,  Alexandre  et  vingt  autres  compagnons  de  leurs  souffrances.  —  A  Antioche, 
saiat  NicÉpeonE,  martyr,  qui  eut  la  tète  tranchée  sous  l'empereur  Valérien,  et  remporta  la  couronne 
en  martyre.  260.  —  En  Afrique,  au  château  de  Lémêlé,  les  saints  martyrs  Prime  et  Donat,  diacres, 
qui  furent  tués  par  les  Donatistes  dans  une  église  dont  ils  défendaient  l'autel.  iii«  s. —  Au  monas- 
tère de  Saint- Vandrille,  saint  A.nsbebï,  évèque  de  Rouen.  695.  —  A  Canosa,  dans  l'Apulie,  saint 
Sabin,  évèque  et  confesseur  '.  566. 

1.  Totila,  roi  des  Ostrogo;lis  et  l'un  des  conqniîrants  de  ntalie  au  n»  siècle,  est  connu  pour  sa  véné- 
ration envers  les  serviteurs  de  Diea.  ses  contemporains.  On  en  peut  voir  un  premier  exemple  dans  la  vie 
de  saint  Benoit  du  .Mont-Csssin  ;  en  voici  un  autre  qne  fournit  celle  de  saint  Sabin,  qui  fut  irinm:  '!« 
Canosa  pendant  cinquante-dcux  ans.  Ce  vénérable  prélat,  comme  nous  l'apprend  saint  Grégoire,  Ctall 
derena  »eag1e  sur  )a  9n  de  ses  Jours.  Or,  Totila  voulant  mettre  sa  sainteté  à  l'éprcaro,  se  substitua  ^ 


SiAitTVnOtOGES.  'lU 


MARTïnOLOGE   DE    FnANCE,   REVU   ET  AUGMENTE. 

A  Pamiers,  fête  de  saint  Valère  on  Valier,  premier  évoque  de  Couserans*.  —  A  Mouson, 
saint  Victor,  martyr,  crnellemeol  massacré  par  le  commandement  du  seigneur  du  lieu  pour  la 
défense  de  la  chasteté  de  samte  Suzanne,  sa  sœur,  qui  eut  aussi  les  yeux  crevés  pour  la  mêni6 
cause.  SoD  corps  sacré  a  été  lionoré  de  plusieurs  miracles.  —  A  Senlls.  saint  Al'debert, 
évêqne  et  confesseur.  —  A  Arras,  la  fête  de  saint  Poppon  'K  —  A  Limoges,  la  fête  de  saint  Etienne 
(Je  Muret  '.  —  A  Avignon,  la  fête  de  saint  CUir  d'Apt,  évéque  et  martyr.  Sa  naissance  au  ciel  est 
le  28  janvier  *.  —  A  Maëstriclit,  saint  Supplice,  évéque.  —  A  Menai,  en  Auver^jne,  saint  Gr.iqce. 
—  En  l'église  Saint-Pierre  de  Saintes,  mémoire  de  Notre-Dame  du  Miracle  :  ce  nom  ie  Notre-Oame 
du  Miracle  avait  été  donné  à  l'autel  principal  de  la  cathédrale  pour  rappeler  le  fait  merveilleux 
suivant  :  Une  année,  c'.ans  la  nuil  de  l'octave  de  la  Purification,  l'église  de  Sainl-Pierre  ee  trouva 
tout  à  coup  illuminée  ;  les  cloches  sonnèrent  d'elles-mèuies.  Les  habitants  de  la  ville,  accourus  en 
foule,  n'osèrent  entrer  dans  réçlise,  mais  contemplèrent,  par  les  ouvertures  extérieures,  un  spectacle 
admirable.  Des  personnages  célestes  portant  des  cierges  à  la  main  entouraient  l'autel  de  la  Reine 
du  ciel  et  lui  rendaient  leurs  hommages.  Un  des  gardiens  de  l'église  obtint  d'un  de  ces  mystérieux 
personnages  le  cierge  qu'il  portail  et  qui  fut  longtemps  conservé  avec  vénération.  A  cet  autel  de 
Notre-Dame  du  Miracle  était  une  image  de  Ij  Sainte  Vierge,  poriant  le  même  nom,  que  l'on  avait  eu 
le  bonheur  de  soustraire  aux  premières  dévastations  des  Huguenots,  mais  qui  fut  détruite  lors  de 
leur  seconde  invasion  dans  la  ville  de  Saintes.  —  A  Périgueux,  saint  Chauassy. 


MARTYROLOGE   DES    ORDRES   RELIGIEUX. 

Martyrologe  de  FOrdre  de  Saint-Basile.  —  A  Troyne,  en  Sicile,  saint  Sylvestre,  moine  ds 
l'Ordre  de  Saint-Basile  ;  il  devint  illustre  par  ses  miracles,  et  délivra  plus  d'une  fois  celte  ville  du 
fléau  de  la  peste.  Son  entrée  au  ciel  se  célèbre  le  2  janvier,  au  milieu  d'un  grand  concours  de  peuple. 
1185. 

Martyrologe  de  FOrdre  des  Cnmoldules.  —  A  Nocera.  dans  l'Ombrie,  saint  Raynald,  évéque  et 
confesseur,  qui,  de  moine  du  monastère  d'Avellane,  fut  élevé  au  gouvernement  de  l'église  de  Nocera; 
il  mourut  très-saintement  en  cette  ville,  et  son  corps,  exempt  de  corruption,  est  conservé  dans  la 
cathédrale,  où  il  opère  des  miracles  et  y  est  honoré  '.  1225. 

M'irlyrolooe  de  fOdre  rie  Cilenux.  —  Saint  Pierre  Urséole,  confesseur  :  d'abord  doge  de 
Venise,  et  ensuite  religieux  de  l'Ordre  de  Saint-Benoi',  il  se  rendit  illustre  par  sa  piété  et  par  ses  vertus, 
et  s'envola  an  ciel  le  10  janvier,  an  monastère  de  Cusan.  Sa  mémoire  est  honorée  le  14  de  janvier  s. 

celai  qui  le  servait  à  table  :  il  fît  donc  mine  de  n'être  qu'on  échanson  ;  mais  Sabin  acceptant  la  coupe 
de  la  main  du  Gotii,  porta  one  santé  au  roi.  Une  autre  fois  il  but,  sans  en  souffrir  aucune  atteinte,  une 
coupe  empoisonnée  préparée  par  son  diacre,  qui  avait  l'ambition  de  lui  succéder,  et  ce  fut  le  diacre  qui 
mourut  avant  celui  qu'il  prétendait  remplacer.  De  là  vient  qu'on  représente  saint  Sabin  recevant  une 
coupe  des  mains  de  Totila  ou  de  celles  de  son  peu  consciencieux  diacre.  Saint  Sabln  est  l'un  des  patrons 
de  Bari,  en  Italie. 

1.  Voir  au  5  juillet.  —  2.  Voir  le  25  janvier.  —  8.  Voir  le  8  février. 

4.  La  fête  de  saint  Clair,  évéque  d'Apt  et  martyr,  est  marquée  au  2  do  janvier,  dans  le  Bréviaire  de 
Jean  Nicolaï,  imprimé  en  1532.  On  a  continué  de  faire  le  même  jour  la  fête  de  ce  Saint,  qu'on  invoque 
pour  la  maladie  des  yeux.  César  Trîvulce,  élu  évéque  d'Apt  en  1533,  fit  présent  d'une  partie  de  ses  re- 
liques à  Antoine  Trivulce,  évéque  de  Toulon. 

Saint  Clair  était  autrefois  honoré  dans  l'église  de  l'évêclié,  d'où  son  buste  fut  transféré,  en  1754,  dan» 
la  chapelle  des  Pénitents  blancs  :  on  le  conserve  aujourd'hui  dans  l'é^^lise  paroissiale  d'Apt.  {Histoire  de 
l'égUse  d'Apt,  par  l'abbé  Boze.) 

Avant  la  Kévolution  française,  le  culte  de  saint  Clair,  fort  répandu  en  Provence,  était  spécialement  e» 
honneur  dans  l'église  collégiale  dos  .^ccoules,  à  Marseille,  oîi  il  était  honoré  comme  patron  de  l'impor- 
tante corporation  des  tailleurs.  Aujourd'hui,  le  culte  a  été  transporté  dans  l'église  paroissiale  de  Saint-Cannat, 
oit  il  est  l'objet  d'un  pèlerinage  annuel  le  2  janvier.  On  trouve  aussi  des  traces  de  cette  vénération  dans  la 
petite  paroisse  de  Ceyrcste  et  a  l'hospice  de  la  Ciotat. 

5.  Le  bienheureux  Kaynald  appartenait,  par  sa  naissance,  h  une  famille  trÈs-distinguée  qui  tirait  son 
origine  des  empereurs  d'Alleinague.  Il  avait  reçu  une  é<Iucation  brillante,  qu'il  alla  cacher  dans  l'ermitage 
du  monastère  de  Font-Avell:ine,  oi»  il  parut  bientôt  orné  de  toutes  les  vertus.  L'évéque  de  Nocera,  ville 
du  duché  de  Spolfete.  étant  mort,  il  fut  choisi  pour  le  remplacer,  malgré  la  répugnance  que  lui  inspirait 
la  chara:e  pastorale.  Plein  de  charité  pour  les  pauvres,  il  se  traitait  lui-même  avec  une  sainte  rigueur,  n 
mangeait  peu.  couchait  sur  la  terre  nue,  ne  prenait  que  quelques  heures  de  sommeil  et  passait  le  reste  de 
la  nuit  en  méditation.  Epuisé  par  l'austérité  de  sa  vie  et  par  la  vieillesse,  il  mourut  en  122.5  et  fut  inhumé 
dans  la  cathédrale,  oh  l'on  conserve  son  corps  qui  est  sans  corruption.  Sa  fête  est  fixée  au  9  février.  Le 
bienheureux  Raynald  était  contemporain  de  saint  François  et  lié  d'amitié  avec  ce  grand  serviteur  de  Dieu. 

6.  Voir  la  vie  de  saint  Romuald. 


404  9    FÉVRIER. 

Martyrologe  de  l'Ordre  des  Frères  Prêcheurs.  —  A  Calane,  en  Sicile,  le  hicnheuieux  Ber- 
nard, coDfesseur,  de  l'Ordre  des  Frères  Prêcheurs  ;  il  était  d'une  famille  noble  de  Scammaca  : 
Dieu  le  rendit  admirable  par  la  contemplation  des  choses  célestes  et  par  la  gloire  de  ses  vertus. 

ADDITIONS   FAITES   D'APRÈS  LES   BOLLANDISTES   ET  AUTRES   HAGIOGRAPHES. 

En  Chypre,  saint  Philagre,  évêque  et  martyr.  Les  menées  des  Grecs  mentionnent,  en  ce  même 
jour,  saint  Pancrace,  évèque  de  Taurominiuni,  en  Sicile,  et  saint  Marcel,  évèque  de  Syracuse. 
Saint  Philagre,  saint  Pancrace  et  saint  Marcel  étaient  tous  trois  disciples  de  saint  Pierre.  Déliés  de 
leurs  corps  ils  goûtent  maintenant  les  délices  de  l'Eden.  i"  s.  —  En  Asie,  saint  Athénodore,  qui 
fut  évêq'ue  dans  la  province  de  Pont.  Vers  l'an  270.  —  A  Membressa,  en  Afrique,  les  saints  .Ammon, 
Emilien,  Lasse,  Didyme,  Poème,  Ammon  et  trente-huit  autres  martyrs.  —  A  Carthage,  sainte 
Prima,  illustre  martyre  à  laquelle  l'empereur  Justmien  dédia  une  église.  —  A  Antioche,  en 
Syrie,  saint  Romain  le  Thaumaturge,  v»  s.  —  En  Irlande,  sainte  Attracte  ou  Tarahate,  sœur  de 
saint  Coeman,  vierge  et  solitaire.  Elle  fut  consacrée  à  Dieu  par  saint  Patrice.  v«  s.  —  En  Italie, 
saint  Ruflin  et  saint  Mémor,  évèques  de  Canusium,  ville  de  l'Apulie,  qui  n'existe  plus.  Leurs  reliques 
furent  transférées  à  Cari.  500  et  514.  —  A  Naples  et  à  Lésina,  en  Italie,  saint  Sabin  et  saint  Euno- 
mius,  évéques.  —  A  Tarragone,  saint  Xebride,  évèque  d'Egara,  ancienne  ville  d'Espagne  détruite 
par  les  Sarrasins.  Ce  siège  dépendait  de  l'archevêché  de  Tarragone.  vi»  s.  —  En  Angleterre,  saint 
Teliaus  ou  Eliud,  évèque  de  LandafT,  dans  le  pays  de  Galles.  Vers  l'an  580.  —  A  Atripalda,  en 
Italie,  saint  Sabin,  évèque,  et  saint  Romule,  diacre.  —  En  Irlande,  saint  Cronan,  évèque.  vi»  s.  — 
A  Canosa,  dans  la  Pouille,  saint  Pierre,  archevêque  de  cette  ville,  viii»  s.  —  En  Bavière,  saint 
Alton,  abbé.  Vers  '360.  —  X  Ratisbonne,  le  bienheureux  Marien  Scot,  abbé  du  monastère  de  Saint- 
Pierre  d^ins  cette  ville,  et  le  bienheureux  .Murcbeiat,  reclus  au  même  lieu.  1088.  —  En  Ecosse, 
fêle  de  samt  Erbard,  nommé  Ebeihard  par  les  Allemands  ;  professeur  d'Ecriture  sainte  à  Trêves, 
puis  fondateur  d'un  monastère  à  Ratisbonne,  il  mourut  dans  cette  dernière  ville  à  la  fin  du  viii»s. 
Les  Allemands  l'honorent  le  S  janvier.  —  A  Nocera,  dans  l'Ombrie,  saint  Raynald,  dii-neuvième 
évèque  de  cette  ville  et  patron  de  l'église  cathédrale.  Il  guérit  un  lépreux  en  l'embrassant  et  fut 
souvent  visité  par  la  Mère  de  Dieu,  par  sainte  Agnès,  par  sainte  Thècle  et  par  les  apùtres  saint  Pierre 
et  saint  Paul. 


SAINTE  APOLLINE',  YIERGE  ET  MARTYRE 

249.  —  Pape  :  saint  Fabien.  —  Empereur  :  Philippe  l'Arabe. 


La  raison  et  la  foi  s'accordent  à  nous  faire  penser  que 
les  Saints  qui  ont  plus  particulièveraent  souffert  en 
quelque  partie  de  leur  corps  ont  aussi  une  compas- 
sion particulière  pour  ceux  qni  souirrent  de  la  même 
manière. 

Sainte  Apolline  est  invoquée  par  cens  qui  souffrent 
de^  dents,  parce  qu'elle  même  eut  les  dents  brisées 
et  qu'elle  en  souffrit  beaucoup. 


Nous  avons  peu  de  documents  sur  l'illustre  vierge  sainte  Apolline,  mais 
le  peu  que  nous  en  avons  est  e.Kcellent.  Elle  florissait  au  troisième  siècle, 
dans  la  ville  d'Alexandrie,  où  la  persécution  contre  les  chrétiens  était  si 
•grande,  que  saint  Denis,  évêque  de  la  même  ville,  duquel  nous  tenons  cette 
àistoire,  n'a  point  fait  difficulté  d'écrire  qu'il  semblait  :  «  Que  ce  temps-là 
fût  celui  dont  notre  Sauveur  avait  dit  dans  l'Evangile,  qu'à  peine  les  élus  s'y 
pourraient  garantir  de  tomber  dans  l'erreur  et  dans  les  pièges  des  ennemis  ». 
Car  non-seulement  les  empereurs  et  les  princes  excitaient  des  persécutions 
contre  les  fidèles,  mais  il  semblait  encore  que  chacun  eût  pouvoir  de  les 

1.  Encore  nommée  Apollonie,  Follinc,  etc. 


SAES'TE   APOLLIXE,    TŒKGE  ET  MARTYRE.  405 

tourmenter,  ainsi  qu'il  est  arrivé  au  sujet  de  sainte  Apolline.  Elle  demeurait 
à  Alexandrie,  où  chacun  la  regardait  comme  un  modèle  de  vertu  et  do 
modestie  chrétienne,  lorsqu'il  s'y  éleva  une  persécution,  non  par  un  cdit, 
ou  par  un  ordre  des  empereurs,  mais  à  l'occasion  que  nous  allons  rapporter. 
11  y  avait  dans  la  ville  un  magicien,  ennemi  juré  des  chrétiens  ;  à  la  solli- 
citation des  esprits  de  ténèbres,  ses  maîtres,  il  s'efforça  d'animer  tout  le 
peuple  à  soutenir  le  paganisme  et  à  continuer  d'adorer  les  dieux,  et,  par  ce 
moyen,  les  excita  à  persécuter  les  chrétiens,  qui,  en  adorant  un  seul  Dieu 
et  en  prêchant  qu'un  homme  crucifié  était  Dieu,  ruinaient  toutes  les  divi- 
nités qu'on  adorait.  Les  discours  de  ce   magicien  furent  comme  autant 
d'étincelles  de  feu,  qui,  tombant  dans  les  cœurs  de  ces  gens  idolâtres,  déjà 
disposés  à  la  révolte,  les  enflamma  tellement  qu'ils  se  jetèrent  dans  les  mai- 
sons des  chrétiens,  oti  ils  pillèrent  et  ravagèrent  indifféremment  tout  ce 
qu'il  y  avait  de  beau  et  de  sacré,  brûlèrent  le  reste  et  massacrèrent  autant 
de  fidèles  qu'ils  en  purent  rencontrer.  Le  ravage  et  le  carnage  furent  si 
grands,  écrit  notre  auteur,  que  l'on  eût  dit,  à  voir  la  ville,  qu'elle  était  prise 
par  les  ennemis,  et  que  toutes  ses  richesses  étaient  abandonnées  à  l'inso- 
lence et  au  pillage  des  soldats.  Plusieurs  fidèles,  voyant  cet  orage,  furent 
obligés  de  sortir  de  la  ville  et  de  s'enfuir  dans  les  solitudes,  abandonnant  de 
grand  cœur  leurs  biens  temporels,  afin  de  conserver  dans  leurs  âmes  le  pré- 
cieux trésor  de  la  foi  :  ils  persévérèrent  tous  si  généreusement,  qu'il  n'y  eut 
qu'un  seul  homme  qui  céda  à  la  violence  de  la  persécution,  et  renia  Jésus- 
Christ.  Pour  sainte  Apolline,  elle  demeura  toujours  constamment  à  Alexan- 
drie, sans  cnaindre  de  perdre  ni  les  biens  ni  la  vie,  étant  très-joyeuse  de 
trouver  l'occasion  de  couronner,  par  le  martyre,  sa  pureté  qu'elle  avait 
gardée  depuis  son  enfance  jusqu'à  une  vieillesse  avancée.  Les  païens,  s'étant 
saisis  de  sa  personne,  lui  donnèrent  d'abord  tant  de  coups  sur  le  visage  et 
sur  les  joues,  qu'ils  lui  brisèrent  les  mâchoires;  et,  non  contents  de  cette 
cruauté,  ils  lui  arrachèrent  toutes  les  dents  l'une  après  l'autre  ;  et  de  là 
vient  qu^elle  est  invoquée  particulièrement  par  les  personnes  qui  ont  mal 
aux  dents  et  aux  gencives.  Ensuite  ces  barbares  la  traînèrent  hors  de  la  ville, 
en  un  endroit  où  ils  avaient  allumé  un  grand  feu  ;  là,  ils  la  menacèrent  de 
la  brûler  toute  vive  si  elle  ne  renonçait  à  Jésus-Christ.  A  ces  paroles  la 
Sainte  s'arrêta  quelque  peu  et  demanda  du  temps,  comme  si  elle  eût  voulu 
délibérer  sur  ce  qu'elle  devait  faire  ;  en  effet,  les  païens  la  laissèrent  libre, 
pensant  qu'elle  allait  reculer  devant  l'horrible  supplice  du  feu.  Mais  Apolline, 
profitant  de  l'occasion,  s'échappa  de  leurs  mains  ;   et,  poussée  par  une 
admirable  ardeur  de  l'amour  divin,  qui  embrasait  son  cœur,  elle  se  lança 
impétueusement  elle-même  dans  le  feu,  au  grand  étonnement  des  païens, 
qui  voyaient  une  fille  plus  ardente  à  souffrir  la  mort  qu'eux-mêmes  ne 
l'avaient  été  à  la  lui  faire  endurer.  Son  corps,  ainsi  qu'un  holocauste,  fut 
aussitôt  dévoré  et  consumé  par  les  flammes,  qui  envoyèrent  son  esprit  très- 
pur  dans  le  ciel,  l'an  249  de  Notre-Seigneur,  le  9  février,  sous  l'empire  de 
Philippe. 

Touchant  cette  action  de  sainte  Apolline,  qui  semble  s'être  procuré  la 
mort  elle-même  en  se  jetant  dans  le  feu,  on  peut  lire  saint  Augustin  en  la 
Cité  de  Dieu:  il  y  parle  de  quelques  saintes  femmes,  qui,  du  temps  de  la 
persécution,  s'étaient  précipitées  dans  des  fleuves,  afin  de  se  garantir  des 
poursuites  impudiques  de  leurs  persécuteurs,  et  qui,  néanmoins,  sont  mises 
par  l'Eglise  catholique  au  nombre  des  martyres.  11  dit  que  l'on  ne  doit  pas 
leur  refuser  cet  honneur  pourvu  qu'il  soit  autorisé  par  l'Eglise,  comme 
celui  qu'on  rend  à  sainte  Apolline,  parce  que  ces  filles,  ajoute  ce  saint  Doc- 


406  9   FÉVRIER. 

teur,  ne  se  sont  point  portées  à  ces  extrémités  par  quelque  précipitation  ou 
mouvement  delà  nature,  mais  par  une  sainte  impulsion  de  l'esprit  divin,  à 
qui  elles  obéissaient,  ainsi  que  nous  sommes  obligés  de  le  croire  de  Samson. 
Quand  Dieu  commande  quelque  cbose,  et  qu'il  fait  connaître  clairement  que 
c'est  lui  qui  commande,  qui  osera  nommer  cette  obéissance  un  crime,  ou 
qui  voudra  condamner  une  action  pleine  de  piété  ? 

On  voit  à  Rome  une  église  fort  ancienne  qui  porte  le  nom  de  sainte 
Apolline  et  où  la  dévotion  a  toujours  adiré  un  grand  nombre  de  fidèles. 
Elle  est  trcs-vénérée  en  Occident  où  il  serait  difficile  de  compter  les  autels 
et  les  statues  qu'on  lui  a  élevés  '. 

Il  y  a  un  pèlerinage  de  sainte  Apolline  ou  Apollonie  dans  l'église  de  la 
Templerie,  au  diocèse  de  Laval.  On  y  va  surtout  pour  le  mal  de  dents. 

Sainte  Apolline  est  ordinairement  représentée  debout,  tenant  une  palme 
et  des  tenailles  serrant  une  dent  '.  Ces  tenailles  sont  le  symbole  de  la  dévo- 
tion populaire,  plutôt  que  la  démonstration  de  son  supplice;  car  il  n'est 
pas  prouvé  qu'on  se  soit  servi  de  cet  instrument  pour  lui  briser  la  mâchoire. 

Le  portrait  de  sainte  Apolline  figure  dans  les  œuvres  de  Rubens,  et  le 
peintre  Circiniano  a  écrit  l'histoire  de  son  martyre  sur  les  murs  de  l'église 
Saint-Etienne  le  Rond,  à  Rome  '. 


SAINT  NICEPHORE,  MARTIH 

260.  —  Pape  :  saial  Denis.  —  Empereurs  :  Valérien  et  Gallien. 


En  fait  d'amitié,  11  a*y  en  a  qu'une  snr  laquelle  OQ 
paisse  toujours  compter  :  c'est  celle  de  Dieu. 


Sous  le  rogne  de  Valérien  et  de  Gallien,  son  fils,  si  fatal  à  l'empire 
romain,  et  si  funeste  à  la  religion  catholique,  il  arriva  à  Antioche  un 
fait  qui  doit  nous  donner  de  l'horreur  pour  un  cœur  endurci,  et  nous 
servir  d'exemple  d'une  parfaite  charité  et  fidélité  à  la  grâce.  Deux  hommes, 
dont  l'un,  nommé  Saprice,  était  ecclésiastique,  et  l'autre,  appelé  Nicéphore, 
séculier,  avaient  lié  ensemble  une  si  étroite  amitié,  qu'on  eût  dit  qu'ils 
n'avaient  qu'une  âme,  qu'un  cœur  et  qu'une  volonté.  Cette  bonne  intelli- 
gence dura  jusqu'à  ce  que  le  démon,  ennemi  de  la  paix  et  de  l'union,  semât 
la  zizanie  entre  eux.  Il  y  réussit  si  malheureusement  pour  leur  repos,  qu'ils 
se  haïrent  autant  et  même  plus  qu'ils  ne  s'étaient  aimés  auparavant.  Cepen- 
dant, dans  la  suite,  Nicéphore,  louché  de  la  main  de  Dieu,  revint  à  lui,  et 
considérant  que  marcher  en  cette  vie  sans  la  charité,  c'est  prendre  le  che- 
min de  l'enfer,  il  employa  ses  amis  près  de  Saprice,  afin  de  le  prier  de  lui 
pardonner  pour  l'amour  de  Jésus-Christ  et  de  se  réconciher  ensemble.  Le 

1.  Quelques  auteurs  font  mention  en  ce  Jour  d'une  autre  sainte  Apolline,  martyre,  fille  d'ApoUonlns, 
sénateur  romain,  laquelle,  aprfcs  avoir  dté  cruellement  fouettée,  appliquée  sur  le  chevalet,  et  écorchéc 
toute  vive,  eut  enfin  les  dents  brisées  et  le  cou  coupé,  pour  la  confession  de  Jcsus-Christ,  sons  Julien 
l'Apostat,  l'an  3Cd.  Mais  Bollandus  avoue  que  les  actes  qu'il  eu  rapporte,  tirés  d'un  manuscrit  ancien, 
sont  apocryphes. 

2.  Gravure  sans  nom  d'auteur  à  la  Bibliothèque  Mazarine,  n.  4778  (33),  [0  fi4. 

3  L'œuvre  de  ci;  peintre  est  reproduite  dans  les  Triomphes  de  L'EylU^  uulUante,  au  Cabinet  de« 
Estampes  de  PnU. 


SAIKT  KICÉPHORE,   MAT.TOl.  407 

prôtre,  qui  devait  être  le  premier  à  rechercher  !a  pai:c,  rejeta  cette  pioposi- 
tiop  et  ne  voulut  point  pardonner  à  son  frère  qui  s'humiliait  devant  lui. 
Nioephore,  ne  se  contentant  pas  de  ce  refus,  lui  envoya  deux  et  trois  fois 
d'autres  amis  communs  pour  le  même  sujet  :  mais  ils  ne  purent  fléchir  le 
cœur  de  Saprice,  plus  dur  que  le  diamant.  Enfin  Nicéphore  y  alla  en  per- 
sonne, afm  de  l'adoucir  par  sa  présence  ;  et,  se  jetant  ?i  ses  pieds,  il  le  pria 
avec  beaucoup  d'instance  et  d'humilité  de  lui  vouloir  pardonner  pour 
l'amour  de  Dieu,  mais  Saprice  le  repoussa  rudement,  sans  jamais  vouloir 
ouvrir  la  porte  de  son  cœur  à  une  si  juste  demande. 

Sur  ces  entrefaites,  le  feu  de  la  persécution  contre  l'Eglise  se  ralluma  par 
la  cruauté  des  empereurs  ;  Saprice  fut  arrêté  et  interrogé  devant  le  préfet, 
auquel  il  déclara  constamment  qu'il  était  chrétien  et  prêtre,  et  qu'il  n'ado- 
rerait jamais  les  dieux.  On  l'appliqua  à  la  torture,  pour  ébranler  son  cou- 
rage ;  ce  fut  en  vain  ;  il  dit  au  président  :  «  Vous  avez  tout  pouvoir  sur  mon 
corps,  parce  que  Dieu  vous  l'a  donné,  mais  il  s'est  réservé  à  lui  seul  la  dis- 
position de  mon  âme  ».  Le  juge  voyant,  par  sa  contenance,  que  c'était 
perdre  le  temps  de  s'imaginer  qu'on  le  ferait  renoncer  à  Jésus-Christ,  le 
condamna  à  avoir  la  tête  tranchée. 

Nicéphore,  averti  de  la  sentence  qui  avait  été  prononcée  contre  Saprice, 
l'aborda  comme  on  le  conduisait  au  supplice,  et,  se  jetant  à  ses  pieds  en 
pleine  rue,  il  lui  dit  :  «  Martyr  de  Jésus- Christ,  pardonnez-moi  les  fautes 
pour  lesquelles  vous  êtes  fâché  contre  moi  ".  Mais  Saprice  passa  outre  sans 
répondre.  Nicéphore  crut  qu'il  voulait  mettre,  par  ce  mépris,  son  affection 
à  l'épreuve,  et  reconnaître  si  la  demande  de  pardon  qu'il  lui  faisait  était 
feinte  ou  véritable  :  il  courut  donc  l'attendre  à  une  autre  rue,  et  lui 
demanda  encore  pardon  avec  des  paroles  plus  humbles  et  plus  touchantes, 
de  sorte  que  les  bourreaux  mêmes  qui  conduisaient  Saprice  au  martyre  se 
moquaient  de  Nicéphore,  voyant  qu'il  demandait  pardon  à  un  homme  qui 
s'en  allait  mourir  :  mais  il  ne  put  encore  amollir  ce  cœur  plus  dur  que 
l'acier  et  le  diamant. 

11  en  fit  encore  autant  quand  il  fut  arrivé  au  lieu  du  supplice,  sans  que 
le  cœur  de  Saprice  en  fût  touché  non  plus  qu'auparavant.  Mais  on  voit  en 
ceci  un  terrible  jugement  de  Dieu  :  celui  qui  avait  méprisé  la  vie  dans  les 
tourments  n'eut  pas  le  courage  de  souffrir  la  mort,  et  quand  il  fut  question 
de  recevoir  le  coup,  il  dit  au  bourreau  :  «  Mais  pourquoi  me  veux-tu  couper 
la  tête  ?  —  Parce  que  tu  méprises  »,  dit-il,  «  les  commandements  des  empe- 
reurs, et  que  tu  ne  veux  pas  adorer  nos  dieux,  tenant  Jésus-Christ  pour  un 
Dieu  1).  Saprice  lui  répondit  :  «  Ne  me  fais  pas  mourir  pour  cela,  car  je  suis 
prêta  sacrifier  aux  dieux  et  à  obéir  aux  empereurs  ».  Nicéphore  était  pré- 
sent à  ce  triste  spectacle.  —  «  Que  faites-vous?  »  lui  dit-il,  «  gardez-vous 
de  renoncer  à  Jésus-Christ  notre  bon  maître  et  de  vous  laisser  arracher,  par 
une  lâche  désertion,  une  couronne  qui  vous  coûte  si  cher  ».  Mais  celui  qui 
avait  opiniâtrement  fermé  son  cœur  au  pardon  de  son  frère  ne  le  devait  pas 
ouvrir  pour  recevoir  de  Dieu  une  si  grande  miséricorde.  Ce  misérable  donc 
demeura  en  sa  perfidie  et  en  son  obstination,  et  renia  la  foi  qu'il  avait  juré© 
à  son  Sauveur  et  qu'il  avait  généreusement  défendue  dans  la  terreur  des  sup- 
plices. Nicéphore,  voyant  la  perte  de  Saprice,  brûlant  de.  l'amour  de  Dieu, 
s'écria  tout  transporté  de  charité  :  «  Je  suis  chrétien,  et  je  conlesse  que  mon 
Seigneur  Jésus-Christ,  que  celui-ci  a  renié,  est  Dieu  ;  laissez-le  aller  et  faites- 
moi  mourir  en  sa  place  ».  Le  président,  averti  de  ce  qui  se  passait,  commanda 
que  Saprice  fût  délivré  et  que  Nicéphore  eût  la  tête  tranchée  ;  ce  qui  fut 
exécuté. 


40S  9  FÉVRIER. 

Le  martyre  de  ce  glorieux  serviteur  de  Jésus-Christ  arriva  le  9  février, 
l'an  de  Notre-Seigneur  258  ou  260,  sous  l'empire  de  Valérien  et  de  Gallien. 
Mais  qui  ne  voit  en  ce  martyre  de  saint  Nicéphore  combien  il  est  dangereux 
d'avoir  un  cœur  endurci  et  vindicatif  envers  son  prochain?  Car  c'est  une 
sentence  sortie  de  la  bouche  de  Jésus-Christ:  «  Si  vous  ne  pardonnez  aux 
autres  les  offenses  que  vous  en  avez  reçues,  votre  Père  céleste  ne  vous  par- 
donnera pas  non  plus  les  fautes  que  vous  commettrez  ».  Et  ailleurs  :  «  Par- 
donnez, et  il  vous  sera  pardonné.  On  se  servira  envers  vous  de  la  même 
mesure  dont  vous  vous  serez  servis  envers  les  autres  ii.  On  a  beau  6tre  reli- 
gieux ou  prêtre,  ou  posséder  quelque  autre  dignité  qui  rende  recominan- 
dable,  avoir  bien  commencé  et  beaucoup  souffert  pour  Jésus-Christ  :  tout 
cela  ne  sert  de  rien  sans  la  charité.  Saprice  était  prêtre  et  avait  beaucoup 
souffert,  et  cependant  il  perdit  courage  ;  et,  par  un  juste  jugement  de  Dieu, 
il  ne  mérita  pas  le  don  de  la  persévérance,  ni  la  couronne  du  martyre  qu'il 
semblait  déjà  tenir.  Nicéphore,  au  contraire,  qui  était  séculier  et  moins 
obligé  que  le  prêtre  à  suivre  la  doctrine  évangélique  de  l'amour  par  les 
actes  héroïques  qu'il  en  fit  en  demandant  pardon  à  son  ennemi,  se  rendit  si 
agréable  à  Dieu  qu'il  mérita  la  palme  du  martyre  et  reçut  la  couronne  de 
la  charité. 

On  représente  saint  Nicéphore  avec  une  couronne  sur  la  main  ou  appor- 
tée par  un  ange.  Ce  symbole  se  comprend  facilement:  c'est,  ou  l'expression 
de  la  victoire  remportée  par  la  charité,  ou  la  traduction  du  nom  de  Nicé- 
phore, qui  signifie  :  poi-te  victoire  ou  poiHe  couronne  ;  à  moins  qu'on  ne  pré- 
fère y  voir  l'apparition  réelle  d'un  ange  qui  aurait  fait  briller  aux  yeux  du 
Martyr  la  couronne  refusée  par  Saprice. 

Le  Martyrolo;5e  romain  fait  mémoire  de  saint  Nici'phore,  comme  aussi  les  Grecs  en  leur  Ménologe. 
Hétaphraste  a  i^crit  son  martyre,  et  Bollandus  l'a  coliationné  avec  un  manuscrit  de  la  bibliothèque  du  roi 
trts-chrétien.  Saint  iMiinçois  de  Sales,  évêque  de  Geni^vo.  en  raconte  naïvement  et  d'une  manière  tou- 
cbante  toute  l'tiistoirc  en   son  excellent  Traité  de  l'Amour  divin,  livre  x.  chapitre  S. 


Il 


SAINT  ANSBERT,  ARCHEVEQUE  DE  ROUEN 

CHANCELIER  DE  FRAKCE 
695.   —  Pape  :  Sergius  I»'.  —  Roi  de  France  :  ChiWeberl  III. 


D  n'est  personne  qui,  ayant  abandonné  sa  maison 
ou  ses  cliaraps  pour  l'amour  de  moi,  ne  reçoiv© 
le  centuple  en  ce  monde  et  la  vie  (îtenielle  en 
l'autre. 

Mart,  X,  29. 


Saint  Ansbert  ou  Austrebert,  naquit  en  un  bourg  du  Ve.xin,  appelé 
Chaussy  ',  près  de  Manies,  sous  le  règne  de  Clovis  II  et  de  la  reine  sainte 
Bathilde.  Son  père  s'appelait  Siwin  :  il  était  noble,  fort  employé  dans  les 
armées  et  dans  les  conseils  de  nos  rois,  où  il  s'acquit  beaucoup  de  gloire. 
Pour  notre  Saint,  il  fut  touché  de  Dieu  dès  ses  plus  tendres  années,  et 

1.  Djiictsu  actU'il  lîs  Versailles.  Cf.  f'ru/ire  lic  ce  dtjLtjt:. 


SALNT   AXSBERT,    ARCHEVÊQUE  DE  ROUEN.  409 

commença  dès  lors  à  mépriser  les  vanités  du  monde,  pour  ne  respirer 
que  Jésus-Christ.  Après  ses  études,  son  père  l'exerça  à  la  chasse,  et  lui  fît 
prendre  les  autres  divertissements  propres  à  la  noblesse ,  pour  lui  faire 
goûter  le  monde  :  mais  c'était  en  vain,  parce  qu'il  avait  déjà  mis  ses  affec- 
tions ailleurs. 

Siwin,  qui  ne  regardait  que  la  fortune  et  l'avenir  temporel  de  son  fils, 
lui  chercha  et  lui  trouva  un  mariage  avantageux.  Il  lui  obtint  la  main  d'An- 
gadrème,  fille  de  Robert,  comte  de  Renty,  et  chancelier  du  roi  Clotaire  III. 
Ansbert  et  Angadrème  avaient  un  égal  éloignement  pour  le  mariage  :  ils  n'y 
consentirent  que  par  obéissance,  et,  après  s'être  réciproquement  commu- 
niqué leur  dessein  de  garder  la  chasteté  jusqu'à  la  mort  :  ils  eurent  pour 
cela  recours  à  l'oraison,  et  prièrent  le  Père  des  miséricordes  de  leur  inspirer 
ce  qu'ils  devaient  faire.  La  bienheureuse  Angadrème,  en  particulier,  demanda 
àNotre-Seigneur  qu'il  lui  envo)'àt  quelque  mal  qui  pût  ternir  sa  beauté,  afin 
qu'elle  ne  fût  plus  aimée  des  hommes.  Sa  prière  fut  exaucée,  et  son  visage 
parut  aussitôt  couvert  d'une  lèpre  si  hideuse  qu'elle  faisait  horreur  à  ceux 
qui  la  regardaient  ;  et  malgré  les  remèdes  des  médecins  cette  laideur  crois- 
sait toujours.  Cet  accident  obligea  les  parents  d'Ansbert  et  d* Angadrème  de 
permettre  leur  séparation,  surtout  après  qu'ils  eurent  appris  de  la  bouche 
de  leur  fille  qu'elle  avait  voué  sa  virginité  à  Dieu  avant  cette  alliance. 
Loin  d'avoir  de  la  peine  à  s'y  résoudre,  Ansbert  fut  très-aise  que  celle  qui 
lui  avait  été  destinée  pour  compagne  fût  épouse  de  Jésus-Christ.  Elle  fut 
donc  conduite  à  saint  Ouen,  archevêque  de  Rouen,  et  ancien  chancelier  de 
France,  et  reçut  de  lui  la  bénédiction  et  le  voile  des  vierges,  pour  être  con- 
sacrée à  l'Epoux  céleste  ;  alors,  par  une  merveille  de  la  puissance  divine, 
elle  recouvra  sa  première  beauté  avec  tant  d'éclat,  que  chacun  reconnut 
que  Jésus-Christ  agréait  le  sacrifice  qu'elle  lui  faisait  d'elle-même.  Ensuite, 
elle  se  rendit  dans  le  Beauvaisis,  où  elle  devint  la  mère  et  la  supérieure 
d'un  monastère  appelé  Oroer,  près  la  ville  de  Beauvais,  qui,  depuis,  a 
été  détruit  par  les  ravages  de  la  guerre,  et  dont  le  revenu  resta  annexé, 
jusqu'à  la  Révolution,  au  chapitre  de  la  cathédrale  de  cette  même  ville.  La 
célèbre  abbaye  de  Notre-Dame  de  Saint-Paul  avait  succédé  à  cet  ancien 
monastère. 

Saint  Ansbert,  heureux  de  voir  ainsi  ses  vœux  réalisés,  ne  respirait 
plus  que  pour  une  vie  solitaire  semblable  à  celle  de  son  épouse  ;  néanmoins 
il  fut  contraint  de  rester  encore  quelque  temps  à  la  cour  de  Clotaire  III,  car 
il  avait  été  substitué  ou  plutôt  associé  à  Robert  dans  la  charge  de  garde  des 
sceaux.  Mais  cette  nouvelle  dignité  ne  changea  nullement  son  humeur,  ni 
son  inclination  pour  la  vie  religieuse,  qu'il  considérait  comme  un  asile,  un 
abri  contre  les  embarras  du  monde  et  de  la  cour  :  car  quoiqu'il  y  demeurât 
de  corps,  son  esprit  était  toujours  dans  le  ciel;  et  l'agréable  son  des  instru- 
ments de  musique  qu'il  entendait  au  palais  ne  servait  qu'à  élever  sa  pensée 
vers  le  paradis,  et  à  lui  faire  souvent  savourer,  dans  son  cœur,  le  psaume  ci, 
qui  commence  par  ces  paroles  :  «  Louez  le  Seigneur  en  ses  Saints  ».  Enfin, 
ne  pouvant  respirer  plus  longtemps  un  air  aussi  contagieux  qu'était  alors 
celui  de  la  cour  de  France,  sous  les  derniers  rois  de  la  première  race,  il 
résolut,  par  un  exemple  tout  à  fait  extraordinaire,  de  renoncer  absolument 
au  monde  et  de  déposer  les  sceaux  de  la  chancellerie ,  pour  se  rendre 
parfait  disciple  de  Jésus-Christ  et  de  sa  sainte  croix.  Etant  donc  éclairé  par 
une  forte  lumière  du  Saint-Esprit,  et  embrasé  du  feu  de  son  divin  amour,  il 
sortit  secrètement  du  palais,  sans  rien  dire  à  personne,  à  l'époque  où  Ebroïn 
venait  d'être  nommé  maire  du  palais,  et  se  rendit  à  l'abbaye  de  Fonte- 


410  9   FÉYTITER. 

nelie  ',  au  diocèse  de  Rouen,  où  il  savait  que  le  bienheureux  Yandrille  menait 
une  vie  toute  céleste,  avec  un  grand  nombre  de  religieux.  II  prit  aussi  tôt  le  saint 
habit,  et,  bientôt  après,  il  y  lit  ses  vœux,  et  devint  en  peu  de  temps  un  reli- 
gieux si  parfait,  que  saint  Vandrille  supplia  saint  Oueu,  archevêque  de  Rouen, 
de  l'ordonner  prêtre,  afin  qu'il  fût  entièrement  consacré  au  service  des 
autels  :  faveur  qu'on  n'accordait  alors  qu'à  ceux  qui  étaient  consommés  en 
toutes  sortes  de  vertus.  Cette  dignité  ne  l'empètiia  pas  de  s'occuper  des 
œuvres  manuelles  avec  les  autres  religieux.  Uu  raconte  qu'allant  un  jour 
dans  les  champs,  il  rencontra  le  prince  Thierry,  troisième  lils  de  Clovis  II, 
qui  allait  à  la  chasse  ;  il  lui  prédit  qu'il  serait  roi  après  ses  Irèros  Clolaire  et 
Chilpéric  ;  pour  preuve  de  quoi  il  l'assura  que  la  partie  du  champ  où  il  avait 
fait  dresser  sa  tente  ce  jour-là,  quoique  extrêmement  battue  et  foulée  des 
pieds,  ne  perdrait  point  sa  verdure.  Le  prince  répondit  à  cela  que  si  Dieu 
lui  mettait  un  jour  la  couronne  sur  la  tête,  il  le  ferait  évêque,  afin  que 
l'Eglise  fût  honorée  et  reçût  de  l'accroissement  par  ses  exemples  et  par  sa 
doctrine. 

Cependant  le  bienheureux  Vandrille,  après  avoir  gouverné  saintement 
l'abbaye  de  Fontenelle  l'espace  de  vingt  ans,  passa  de  cette  vie  de  misères  à 
une  plus  heureuse,  et  laissa  pour  successeur  en  son  abbaye  un  autre  reli- 
gieux appelé  Lambert.  Celui-ci,  qui  était  cousin  de  sainte  Angadrème,  et 
ainsi  allié  à  saint  Ansbert,  vécut  avec  lui  en  si  bonne  intelligence,  pendant 
son  gouvernement,  qu'il  le  consultait  en  toutes  ses  adaires  avec  la  môme 
confiance  que  s'il  eût  été  son  père.  A  quelque  temps  de  là,  l'Eglise  de  Lyon 
se  trouva  vacante  par  le  décès  de  saint  Genest,  ancien  aumônier  de  la  reine 
sainte  Bathilde  ;  le  roi  Thierry,  par  le  conseil  du  duc  Pépin  d'Héristal, 
qui  était  maire  du  palais,  et  cousin  de  saint  Vandrille,  nomma  pour  remplir 
ce  siège  saint  Larnberl,  et  notre  Saint  fut  fait  abbé  de  Fontenelle  en  sa  place. 
Cette  nomination  remplit  de  joie  tous  les  religieux,  qui  bénissaient  Dieu  de 
leur  avoir  donné  un  si  bon  Père.  Le  Saint  ne  négligea  rien  pour  se  bien 
acquitter  de  cette  charge  :  il  avait  pour  maxime  de  son  gouvernement  de  se 
faire  plus  aimer  que  craindre,  persuadé  que  les  humeurs  les  plus  revôches 
se  rendent  à  la  douceur.  11  partagea  ses  soins  en  donnant  une  partie  au  spi- 
rituel, et  en  employant  l'autre  au  temporel  du  monastère.  Il  fît  bâtir  un 
hôpital  pour  y  retirer  douze  pauvres  vieillards,  en  l'honneur  des  douze 
Apôtres,  et  les  pourvut  libéralement  de  tout  ce  qui  leur  était  nécessaire  pour 
leur  nourriture.  11  fit  faire  aussi  deux  autres  logements  pour  les  pauvres  ;  il 
les  y  faisait  demeurer  huit  de  compagnie  dans  chaque  chambre,  et  avait 
soin  que  rien  ne  manquât  à  leur  entretien,  à  la  charge  qu'ils  assisteraient 
nuit  et  jour  à  l'office  divin,  particulièrement  au  saint  sacrifice  de  la  messe, 
afin  d'y  prier  pour  le  salut  du  peuple  chrétien  et  pour  l'exaltation  de  l'Eglise 
catholique.  Sans  nous  étendre  eu  détail  sur  toutes  les  vertus  de  notre  Saint, 
nous  rapporterons  seulement  quelques  paroles  de  l'historien  de  sa  vie,  qui 
les  renferment  toutes  :  «  Quoiqu'il  fût  le  supérieur  des  autres,  il  était  le 
plus  humble  de  tous;  il  était  pauvre  en  son  vêlement,  frugal  en  son  vivre, 
pudique  en  toutes  ses  actions,  éclatant  par  la  sérénité  de  son  visage  et  par 
la  lumière  de  son  esprit,  admirable  par  sa  patience,  illustre  par  les  effets  de 
sa  charité  et  par  les  grandes  aumônes  qu'il  faisait  aux  pauvres.  Ainsi,  étant 
orné  de  toutes  les  vertus,  il  brillait  comme  une  lampe  au  milieu  de  ses 

1.  L'abbaye  bénédictine  de  Fontenelle,  on  de  Saint-Wandrille,  fut  fondcfe  vers  Tan  64S,  aa  pays  de 
Caus.  Klle  a  produit  un  grand  nombre  de  Sainta;  nommons  saint  Lambert,  saint  Oennadc,  saint  Agathon, 
saint  Gaon.  saint  Syndard.   saint  Ilildebert.  saint  B;iin,  saint  Landon,  saint  Bénigne,  saint  Vandoa,  saint 

Ans^ïise.  aaint  Girard,  ctc Détruite  en  850,  elle  fut  rétablie  par  le  duc  de  Normandie  en  1035;  elle  fut 

tDCore  leconstraite  au  svm  siècle.  Il  D'eu  reste  plus  aujourd'hui  que  des  rulues. 


SAINT  ANSBERT,   ARCHEVÉQDE   DE   ROUEN.  411 

frères  ».  Deux  ans  après  son  élection,  il  alla  fonder  une  abbaye  dans  le 
bourg  de  Douzôre,  en  Dauphiné,  et  revint  ensuite  reprendre  le  gouverne- 
ment de  FoiUenelle  qui  devint  de  plus  en  plus  tlorissant  sous  son  admi- 
nistration. 

En  ce  môme  temps,  saint  Ouen,  archevêque  de  Rouen,  plein  de  vertus 
et  de  saintes  actions,  fut  appelé  de  Dieu  pour  recevoir  la  récompense  de  ses 
mérites.  Saint  Ansbert  ne  manqua  pas  de  se  trouver  à  ses  funérailles  avec 
ses  religieux.  Après  ce  bon  olQce,  tous  les  habitants  de  cette  ville  métropo- 
litaine jetèrent  les  yeux  sur  lui  pour  le  mettre  à  la  place  du  défunt,  et 
envoj'èrent  aussitôt  des  députés  le  demander  au  roi  Thierry  III,  qui  était  en 
son  château  de  Clichy-les-Paris,  où  il  tenait  une  assemblée  des  notables  de 
son  royaume,  parmi  lesquels  était  saint  Lambert,  archevêque  de  Lyon.  Ces 
nouvelles  furent  agréables  au  prince  qui  voyait  l'accomplissement  de  sa 
prédiction  :  il  pria  saint  Ansbert  de  le  venir  trouver,  sous  prétexte  de  quel- 
que affaire  de  conscience  qu'il  lui  voulait  communiquer,  parce  qu'il  était 
son  confesseur.  Mais  le  saint  abbé,  se  doutant  de  la  chose,  refusa  absolu- 
ment d'y  aller  jusqu'à  ce  que  le  roi  l'eût  assuré,  par  une  seconde  ambas- 
sade, qu'on  ne  ferait  rien  contre  son  gré  touchant  l'archevêché  de  Rouen. 
Sur  celle  parole  de  Thierry,  saint  Ansbert  se  rendit  à  la  cour,  où  par  les  suf- 
frages de  tous  les  prélats,  du  roi  et  des  princes,  son  élection  fut  confirmée  : 
de  sorte  que,  malgré  ses  résistances,  il  fut  sacré  évêque,  en  ce  même  palais, 
par  le  saint  archevêque  de  Lyon. 

Ainsi,  cet  humble  serviteur  de  Dieu  commença  à  briller  dans  l'Eglise 
comme  une  lumière  ardente,  non  plus  cachée  sous  le  boisseau,  mais  posée  sur 
le  chandelier.  Or,  parmi  toutes  les  belles  actions  qu'il  lit  à  son  entrée  en  sa  ville 
archiépiscopale,  nous  remarquerons  seulement  celle-ci  :  après  avoir  célébré 
la  sainte  messe,  il  voulut  traiter  tous  les  assistants,  aussi  bien  les  pauvres 
que  les  riches  ;  et,  ayant  fait  dresser  deux  grandes  tables,  il  fit  asseoir  en 
l'une  tous  les  nobles,  chacun  selon  son  rang,  puis  il  prit  sa  place  au  milieu 
de  celle  des  pauvres,  pour  imiter  celui  qui,  étant  infiniment  riche,  s'est  fait 
pauvre  pour  notre  amour.  Il  n'eul  pas  seulement  soin  des  temples  spiri- 
tuels, je  veux  dire  des  fidèles,  qu'il  pourvoyait  charitablement  de  tout,  et 
pour  le  corps  et  pour  l'àme,  mais  aussi  des  temples  matériels  qui  sont  les 
églises,  ordonnant  que  la  portion  canonique  qui  lui  était  due,  en  qualité 
d'archevêque,  fût  employée  à  leur  réparation.  Il  fit  aussi  paraître  sa  piété 
par  le  privilège  authentique  qu'il  accorda  à  l'abbaye  de  Fontenelle,  l'an 
cinquième  de  son  pontificat,  l'exemptant  de  toute  autre  juridiction  que  celle 
du  souverain  Pontife  ;  ce  qui  fut  approuvé  par  quinze  évêques,  quatre  abbés, 
et  d'autres  personnes  de  considération. 

Il  eut  soin  aussi  des  reliques  de  son  prédécesseur,  qu'il  fit  mettre  dans 
vme  riche  châsse,  et  transférer  solennellement  en  l'abbaye  de  Saint-Pierre, 
laquelle  a  depuis  porté  le  nom  de  Saint-Ouen  ;  et  le  saint  archevêque  n'ou- 
blia pas  en  cette  occasion  de  faire  un  festin  semblable  à  celui  qu'il  avait  fait 
au  jour  de  son  entrée  et  d'y  observer  les  mêmes  cérémonies  ;  en  effet,  il 
quitta  la  table  des  riches  pour  se  mettre  à  la  table  des  pauvres,  afin  de  les  y 
^  servir  de  ses  propres  mains  '. 

1.  L'acte  le  plus  important  de  l'épiscopat  de  saint  Ansbert,  ontre  la  translation  de  saint  Onen,  fut,  en 
[689,  la  réunion,  à  Rouen,  d'un  concile  où  se  trouvèrent  quinze  autres  »5vèques,  quatre  abbe's,  trois  archi— 
Ldiacres,  et  un  grand  nombre  de  prêtres  et  de  diacres.  On  y  dressa  divers  canons  fort  utiles  à  l'Eglise, 
Dmais  on  n'en  connaît  pas  le  détail.  11  parait  cependant  que  le  principal  objet  du  concile  fut  de  confirmer 
■les  privilèges  accordes  par  les  rois  prcct'dcjiîs  au-\  religieux  de  Fontenelle,  pour  se  clioislr  un  abbé.  Outro 
Isaint  Ansbert,  qui  y  présida,  les  évêques  qui  s'y  trouvèrent  sont  Itatbert.  qu'on  croit  être  Robert  de  Tours, 
[Baînt  Uieul  do  Ucims,  Airard  de  Ciiartres,  Ansoald  de  Poitiers,  saint  Aquiliu  d'Evreu.'i,  saint  Gerbold  do 


412  9   FÉVRIER. 

Cependant,  comme  la  vertu  est  toujours  enviée  et  que  la  persécution  est 
la  pierre  de  touche  pour  éprouver  les  Saints,  Dieu  permit  que  saint  Ansbert 
n'en  fût  pas  exempt.  Une  guerre  civile  s'élant  élevée  parmi  les  princes  fran- 
çais, le  duc  Pépin  d'Hérislal,  maire  de  l'Austrasic,  après  divers  succès,  se 
rendit  maître  absolu  de  l'une  et  de  l'autre  France,  au  préjudice  du  roi 
Thierry,  qui  fut  contraint  de  céder  à  la  force.  Quelques  esprits  inquiets  et 
remuants  accusèrent  le  saint  évêque  auprès  de  Pépin  de  favoriser  ses  enne- 
mis Varalon  et  Gilimer  ;  et  ce  duc,  leur  donnant  trop  aisément  créance,  le 
relégua  au  monastère  de  Hautmont,  en  Hainaut,  sur  la  rivière  de  Sambre. 

Notre  Saint  demeura  quelques  années  en  ce  lieu  de  son  exil,  mais  il  ne 
s'y  tint  pas  oisif,  car,  profitant  de  cette  occasion  qu'il  croyait  heureuse  pour 
lui,  il  y  renouvela  ses  premières  ferveurs,  c'est-à-dire  ses  jeûnes,  ses  veilles, 
ses  prières  et  ses  larmes  qu'il  répandait  en  abondance.  Tout  le  voisinage 
même  se  ressentit  de  ses  bienfaits,  et  par  les  bons  exemples  de  sa  vie,  et  par 
ses  doctes  prédications.  11  composa  aussi,  dans  sa  retraite,  quelques  traités 
de  piété  qui  ne  sont  point  parvenus  jusqu'à  nous.  Il  vivait  ainsi  en  repos 
dans  le  lieu  de  son  exil,  lorsque  le  prince  Pépin,  après  avoir  reconnu  son 
innocence,  lui  manda  de  retourner  en  son  église.  Mais  Dieu  qui  l'appe- 
lait plus  heureusement  à  la  jouissance  de  sa  gloire,  lui  fit  connaître  les 
approches  de  sa  mort  ;  c'est  pourquoi  il  envoya  une  humble  requête  au 
même  prince,  pour  lui  demander  seulement  qu'il  permît  que  son  corps, 
après  son  décès,  fût  porté  au  monastère  de  Fontenelle,  où  il  avait  reçu  l'habit 
religieux.  Quelques  jours  après,  connaissant  assurément  que  son  heure  était 
arrivée,  il  appela  les  religieux  du  monastère  pour  célébrer  le  sacrifice  de  la 
messe,  et,  après  la  sainte  communion  du  corps  et  du  sang  de  Jésus-Christ, 
il  donna  la  bénédiction  aux  assistants,  et  lui-môme  se  munit  du  signe  de  la 
croix  ;  de  cette  sorte,  sans  nulle  maladie  dont  nous  ayons  connaissance,  il 
s'endormil  paisiblement  dans  le  Seigneur,  le  9  février,  l'an  de  grâce  693  , 
selon  le  cardinal  Baronius,  et  BoUandus,  qui  a  exactement  recherché  la 
chronologie  des  abbés  de  Fontenelle. 

On  a  représenté  saint  Ansbert  de  Rouen:  1°  assis,  tenant  une  discipline 
et  lisant  '  ;  2°  tenant  un  calice  à  la  main,  peut-être  pour  rappeler  qu'étant  à 
Fontenelle,  il  prenait  soin  de  la  vigne  du  couvent?... 

RELIQUES  DE  SAINT  ANSBERT. 

Le  corps  de  cet  illustre  prélat  fut  transporté  en  soQ  abbaye  de  Fontenelle,  comme  il  l'avait  désiré 
avant  sa  mort.  Pendant  tout  le  voynge,  ce  ne  fut  que  miracles  :  des  démoniaques  furent  délivrés, 
des  paralytiques  guéris  et  d'autres  personnes  aflligées  y  reçurent  du  soulagement  dans  leurs  maux. 
A  Grand-l'"resnoy,  une  femme  tombée,  depuis  longtemps,  au  pouvoir  de  Satan,  s'approcha  avec 
conliance  du  cercueil  d'Ansbert  et  fut  délivrée.  Au  lieu  même  où  elle  reçut  cette  faveur,  la  recon- 
naissance des  lidcins  biltit  une  chapelle  sous  l'invocation  du  Saint.  Ce  sanctuaire  fut  visité  dans  la 
suite  des  siècles  par  de  nombreux  pèlerins,  à  cause  des  miracles  que  le  Seigneur  y  opérait.  Mais 
voici  le  plus  grand  miracle  de  tous,  à  notre  avis  :  au  bout  de  trente  jours,  et  après  un  long  voyage, 
ce  même  corps  se  trouva  aussi  frais  et  aussi  vermeil  que  s'il  eut  joui  d'une  parfaite  sauté  et  eilt 
été  seulement  endormi  ;  et,  de  plus,  ses  bras  se  trouvèrent  marqués  en  plusieurs  endroits  du  signe 
de  la  croix,  parce  qu'il  l'avait  toujours  portée,  pour  me  servir  des  termes  de  l'Epouse  des  Cantiques, 
cuiiinie  un  chiffre  incré  inr  son  hius  l't  sur  son  cœur.  Il  fut  donc  enfin  déposé  en  l'église  de  Saint- 
Paul,  à  Fontenelle,  où  la  gloire  de  son  ûme  s'est  assez  fait  connaître  par  un  grand  nombre  de  mi- 

Bftyeux,  saint  Annobert  de  Séez.    Les  autres  priîlats  dont  on   ne   connaît  pas  les  sièges  sont  :  Cadoën, 
Arnonius,  Fulvius.    Fulcran,   Jean,  Vlllibert,   Taurin   et  Didier.  On  croit  cependant  que   co   dernier  est 
l'évfîque   de  tiennes  tle  ce  nom  qui   fut  assassiné  avec  Uainfioi,  son  arcbidiacre,  dans  un  lieu  de  la  hauts 
Alsace  nommd  depuis  Saint-Didier,  îi  quatre  kilomètres  de  Délie. 
1.  Gravure  en  bol3  du  xv'  slbclo,  d'après  Curf{inulcr. 


SAINT   EUMACIIE    OU    CHAMASSV,    DE  PÉRIGORD.  413 

racles,  dont  il  est  aisé  de  voir  le  récit  en  sa  vie  écrite  pir  A  igrade,  religieux  de  cette  même  maison 
et  que  Surius  rapporte  en  son  premier  tome.  Bollaiidus  l'a  enrichie  de  plusieurs  notes. 

Après  diverses  translations,  les  reliques  de  saint  Ansbert  furent  enfin  données  à  l'abbaye  de 
Blandinberg,  près  de  Gand.  C'est  là  qu'en  1519  elles  furent  détruites  par  les  Gueux  ou  Calvianisles 
de  Flandre,  dans  les  troubles  des  Pays-Bas. 

Voir  la  Tic  de  sainte  ADgadrSme,  épouse  de  saint  Ansbert,  an  14  octobre,  jour  de  sa  fête  à  Ceauvais. 


S.  BRACHIO  OU  BRAQUE,  HONORÉ  A  MENAT  EN  AUVERGNE  (376). 

Saint  Braque  naquit  au  pays  de  Touraine  pour  le  monde,  et  pour  le  ciel  en  Auvergne.  Il  pa-sa 
une  partie  de  sa  jeunesse  au  service  de  Sigivald,  comte  de  Clermont  et  proche  parent  de  Thierry, 
roi  d'Austrasie  et  d'Auvergne.  Son  exercice  ordinaire  était  la  chasse.  11  se  portait  souvent  dans  les 
forêts  de  Pont-Gibaut  avec  son  équipage.  Un  jour,  .lyant  lâché  ses  chiens  après  un  sanglier,  ils  le 
poursuivirent  à  cor  et  à  cri  jusqu'à  la  cabane  de  saint  Eniilien,  qui  s'était  retiré  dans  cette  foret 
pour  y  vivre  écarté  du  commerce  des  hommes.  I.e  sanglier,  poursuivi  furieusement  parla  meute,  se 
rendit  promptement  dans  l'enclos  de  l'ermitage  du  serviteur  de  Dieu,  comme  dans  son  fort,  avec  la 
même  assurance  que  s'il  se  fut  retiré  dans  sa  bauge.  Témoin  de  celte  chose  extraordinaire,  le 
jeune  homme  aborda  le  saint  ermite  et  s'entretint  avec  loi.  Toute  la  conversation  de  saint  Emilien 
roula  sur  le  néant  du  monde  et  sur  la  douceur  et  l'avantage  du  service  de  Dieu.  Le  jeune  homme 
s'en  alla  fort  énui  et  tout  pensif.  Sa  résolution  n'était  pas  encore  prise  pour  renoncer  au  monde  qu'il 
aimait  comme  on  l'aime  à  cet  âge  ;  mais  l'œuvre  de  celte  grande  conversion  était  commencée  ;  une 
première  impulsion  venait  d'èlrs  donnée,  elle  ne  devait  plus  s'arrêter  jusqu'au  complet  changement 
de  ce  jeune  cœur.  Braque,  travaillé  par  la  grâce,  sortait  de  son  lit  deux  ou  trois  fois  la  nuit  et  se 
prosternait  en  terre,  priant  Dieu  de  lui  venir  en  aide  dans  ces  difficultés.  C'est  ainsi  qu'il  se  fortifia 
dans  la  volonté  de  se  donner  à  Dieu.  Or,  il  ne  savait  pas  encore  lire  ;  mais  s'élant  fait  tracer  quelques 
lettres  sur  un  papier,  il  les  étudia  très-assidùment  et  les  sut  très-vite.  Chaque  fois  que  des  ecclésias- 
tiques venaient  au  palais  de  son  mailre,  il  s'adressait  aux  pins  jeunes  et  les  suppliait  de  lui  donner 
une  leçon,  si  bien  que  dans  peu  de  temps,  il  apprit  à  bien  lire.  Et  cependant  Sigivald  étant  parti  de 
ce  monde,  Braque  jugea  qu'il  était  temps  pour  Ini-même  de  s'en  éloigner  pour  aller  faire  le  sacri- 
fice de  sa  vie  à  son  Créateur.  Pour  cela,  il  se  jeta  entre  les  mains  de  saint  Emilien,  son  premier 
maître,  sous  la  conduite  de  qui  il  fit  deux  ans  de  noviciat,  apprit  tout  le  psautier  par  cœur  et 
se  façonna  tellement  à  la  vie  solitaire  que  son  maître  le  jugea  capable  de  régir  son  ermitage  après 
son  décès,  bien  qu'il  eût  d'autres  religieux  qui  avaient  fait  une  plus  longue  profession  de  la  soli- 
tude que  lui.  Sous  sa  direction,  l'humble  ermitage  devint  un  grand  monastère,  pour  le  développe- 
ment et  l'entretien  duquel  Ramichilde,  fille  de  Sigivald,  lui  donna  plusieurs  terres  et  possessions 
importantes.  Il  iwrtit  de  ce  monde,  recommandable  par  sa  sainteté  et  riche  en  mérites,  pour  en  aller 
cueillir  les  fruits  dans  le  ciel. 

Sa  vie  est  tirée  de  celle  de  saint  Emilien,  son  directeur,  et  tontes  deux  sont  de  saint  Grégoire  de  Tours, 
liv.  T,  de  la  Vie  des  Pères,  chap.  52. 


SAINT  EUMACHE  OU  CHAMASSY,  DE  PÉRIGORD  (vi=  siècle). 

Enmache  naquit  à  Périgueux,  dans  une  très-modeste  condition,  mais  eut  le  bonbeur  d'être 
élevé  très-chrétiennement.  Arrivé  à  l'adolescence,  il  devint  serviteur  d'une  dame  nommée  Boêze, 
dont  il  acquit  promptement  l'estime.  Comme  il  surpassait  tous  les  autres  domestiques  par  sa  cha- 
rité, ses  bons  offices,  son  zèle  et  sa  fidélité,  la  garde  des  troupeaux  lui  fut  confiée.  Lorsqu'il  les 
faisait  paître  sur  les  bords  de  l'isle,  il  s'occupait  sans  cesse  à  la  méditation  de  la  loi  de  Dieu,  et  il 
avait  soin  de  distribuer  aux  pauvres  non-seulement  la  nourriture  qu'on  lui  donnait,  mais  encore  ses 
propres  vêtements.  Les  œuvres  de  sa  charité  ne  lardèrent  pas  à  être  connues,  et  sa  maîtresse,  en 
ayant  été  informée,  le  fit  venir  devant  elle  et  lui  fil  de  graves  reproches,  jusqu'à  le  menacer  de  le 
mettre  hors  de  la  maison.  Le  Saint  se  retira  dans  une  petite  solitude,  près  d'une  fontaine,  appelée, 


41-4  9   FÉVRIER. 

la  Font-Chaude,  voisine  de  l'isle,  et  \ii  il  se  réjouissait  d'avoir  eu  à  souffrir  pour  Jcsus-Christ.  Uo 
jour  de  la  saisoQ  rigoureuse  qu'il  «itail  occupé  à  prier  pour  le  clergé  et  le  i>euple  de  Périgueux,  la 
neige  tomba  du  ciel  eu  grande  aboudaoce,  mais,  Umdis  i]u'elle  couvrait  tous  les  lieux  circonvoisias, 
elle  ue  toucha  pas  sa  maiso;irielte,  et  ou  ajoute  qu'uu  aigle,  étendaat  ses  ailes  au-dessus  de  lui,  le 
protégeait.  Les  autres  actions  de  sa  vie  sont  peu  conaues  :  ou  sait  seulement  qu'il  arriva  au  sacer- 
doce. Dans  l'ancien  bréviaire  de  Périgueux,  on  faisait  sa  fête  au  3  janvier.  Il  mourut  dans  l'en- 
droit qui  porte  aujourd'hui  son  nom  et  qui  est  voisin  du  confluent  de  la  'Vézère  dans  la  Dordogne. 
Après  sa  mort,  la  réputation  de  sa  sainteté  se  répandit  au  loin,  et  un  grand  nombre  de  miracles 
furent  opérés  à  son  tombeau.  Le  peuple  le  prit  pour  patron  et  lui  dédia  l'église  paroissiale  qui 
existe  encore  aujourd'hui. 

Père  Dapay.  —  Propre  de  Sarlal  do  1677.  —  Cette  notice  a  été  icdigée  par  le  R.  P.  Caries,  mission- 
naire au  Calvaire  de  Toulouse. 


SALNT  AUDEBERT,  ÉVÊQUE  DE  SENLIS  ET  CONFESSEUR  (700). 

Audehort,  né  dans  la  ville  de  Senlis,  fut,  dès  l'enfance,  comblé  des  dons  supérieurs  de  la  griice. 
Doux  envers  tout  le  monde,  innocent  de  mœurs,  d'un  esprit  pénétrant,  disciple  assidu  des  sages,  il 
commenta  de  bonne  heure  à  être  puissant  eu  science  et  en  vertus.  Renonçant  à  tous  les  biens  du  siècle, 
11  résolut  de  choisir  la  meilleure  part  entre  les  clercs  et  se  retira  à  Villemétrie,  près  d'une  fontaine, 
non  loin  de  la  ville,  pour  vaquer  plus  librement  avix  choses  du  ciel.  A  la  manière  des  anachorètes, 
tout  en  passant  sa  vie  dans  le  travail  et  la  pénitence,  il  ue  cessait  jamais  son  oraison,  ses  lectures 
et  la  conteinplalion  des  choses  éternelles.  Pour  toutes  ces  qualités  et  ces  mérites,  il  fut  élevé  au 
sacerdoce  par  le  bienheureui  pontife  Agmare,  aDn  qu'il  produisit  des  fruits  abondants  en  procurant 
le  salut  des  âmes. 

Le  bienheureux  prélat  ne  fut  pas  trompé  dans  son  espoir,  puisque  le  nouveau  prêtre  obtint  à 
Senlis  un  si  grand  renom  de  piété  et  de  religion,  qu'il  fut  demandé,  par  le  suffrage  du  peuple  et 
du  clergé,  pour  successeur  d'Agmare,  quand  celui-ci  fut  sorti  de  ce  monde.  La  reine  sainte  Ba- 
thilde,  à  qui  il  était  agréable  pour  sa  renommée  de  vertu,  ayant  conlirmé  cette  élection,  il  fut  sacré 
par  le  bienheureux  Lambert,  de  Lyon.  Excellent  pasteur,  recommandable  par  sa  très-grande  piété, 
remarquable  par  sa  prudence,  animé  d'une  sollicitude  exirème  pour  tout  ce  qui  concernait  les 
pauvres  et  les  clercs,  il  ne  négligea  rien  de  ce  qui  regardait  le  bon  gouvernement  de  son  église  ;  11 
fonda  aussi  quelques  monastères,  en  premier  lieu  celui  de  Crépy,  en  l'honneur  de  sainte  Agathe  :  il  était 
double,  c'est-à-dire  qu'il  y  avait  un  monastère  pour  les  hommes  et  un  autre  pour  les  femmes  ;  dans 
l'un  et  l'autre,  par  ses  soins,  fleurirent  le  zèle  de  la  discipline  et  l'amour  de  la  perfection. 

Dans  sa  vieillesse,  Audebert  eut  k  souffrir  beaucoup  de  moleslalions  de  la  part  d'Ebroïn,  maire 
du  palais,  oppresseur  du  peuple  et  de  l'Eglise;  il  fut  exilé  avec  plusieurs  excellents  évèques,et  ce 
ne  fut  qu'après  la  mort  du  tyran  que  le  bien-aimé  Pontife  put  revenir  au  milieu  de  son  peuple.  11 
assista  à  divers  conciles,  notamment  à  ceux  de  Paris,  de  Sens,  de  Théronanne,  de  Soissons  et  de 
Corbie.  Enfin,  après  avoir  gouverné  son  église  environ  un  demi-siècle,  arrivé  à  l'âge  de  quatre-vingt- 
dix  ans,  il  se  reposa  en  paix  dans  le  Seigneur,  vers  l'an  700,  le  9  de  février,  et  il  fut  enseveli  dans 
l'église  de  Saint-Rieul,  où  ses  reliques  ont  été  conservées  avec  l'honneur  qui  leur  est  dû.  Une  cha- 
pelle a  existé  autrefois  en  son  honneur,  à  Villemétrie,  auprès  de  la  fontaine  qui  a  retenu  le  nom  de 
Saint-Audebert. 

Propre  de  BeauvaU. 


LE  BIENHEUREUX  BERNARD  DE  SCAMMACA,  DOMINICAIN  (148G). 

Né  à  Calane,  Bernard  de  Scaramaca  appartenait  à  une  famille  noble  ;  il  se  livra  d'abord  aux 
plaisirs  du  monde  et  mena  une  vin  déréglée.  Dieu  ne  l'abandonna  pas  ;  il  revint  de  ses  égarements 
et  enti-a  dans  l'Ordre  des  Frères  Prêcheurs.  Il  se  livra  à  des  œuvres  d'une  pénitence  effrayante,  et 
se  rendit  si  agréable  à  Dieu  qu'on  le  vit  élevé  plusieurs  fois  de  terre  pendant  l'oraison,  tandis  que 
son  visage  brillait  d'un  éclat  surnaturel.  Il  mourut  eu  1486.  Son  corps,  exhumé  quelques  années 
après,  fut  trouvé  frais  et  sans  corruption,  état  dans  lequel  il  se  conserve  encore  aujourd'hui.  Le 
5  mars  1825,  Léon  Xll  approuva  son  culte. 


MARTTKOIOGES.  5 '3 


r  JOUR  DE  FÉVRIER 


MARTYR'^LOGE   ROMAIN. 

An  Mont-Cassin,  sainte  Scholastiqce,  vierge,  sœur  de  saint  Benoit,  abbé,  lequel  vit  son  âme 
sons  la  figure  d'une  colombe  au  moment  où  elle  quittait  son  corps  pour  s'envoler  au  ciel.  543. — 
A  Rome,  les  saints  martyrs  Zotique,  Irénée,  Hyacmttie  et  Amance.  304.  —  Encore  à  Rome,  sur 
la  voie  Lavicane.  dix  bienheureux  soldats,  martyrs.  —  Au  mi^me  lieu,  sur  la  voie  Appienne,  sainte 
Solère  ",  vierge  et  martyre,  qui,  selon  ce  qu'écrit  saint  Ambroise,  issue  d'une  noble  race,  méprisa 
pour  Jésus-Christ  les  consulats  et  les  préfectures  dont  ses  ancêtres  avaient  été  honorés;  sommée 
de  sacrilier  et  s'y  étant  refusée,  elle  fut  longtemps  souffletée  avec  violence,  puis  ayant  triomphé 
de  tous  les  autres  supplices,  elle  fut  enfin  frappée  du  glaive  et  s'envola  joyeuse  vers  son  céleste 
époux.  304  '.  —  Dans  la  Campanie,  saint  Sylvain  ',  évèque  et  confesseur.  —  A  l'Etable  de  Rhode, 
on  Maleval  {M'dn  Valle),  diocèse  de  Sienne,  saint  Gdillaume,  ermite.  1157.  —  An  pays  Rouen» 
nais,  sainte  Austheberte,  vierge,  célèbre  par  ses  miracles.  704. 

MARTYROLOGE  DE  FR.\>CE,  REVU  ET  ACGMENTÉ. 

A  Dordrecht,  en  Hollande,  sainte  Sure,  vierge  et  martyre  *.  xi"  s.  —  A  Besançon,  saint  Pro- 
TBADE,  évèque  et  confesseur.  624.  —  A  Clermont,  en  Auvergne,  saint  Sigon  ou  Sige,  évèque  et 
confesseur.  —  Le  bienheureux  HcGrES,  de  Cambrai.  1164.  —  En  Belgique,  le  bienheureux  Guil- 
laume, prêtre  et  solitaire,  fondateur  dn  monastère  de  Notre-Dame  d'Olivet,  dans  le  Uainant. 
Au  1246. 

HARTTROLOGES    DES   ORDRES   RELIGIEUX. 

Martyrologe  de  Saint-Basile.  —  En  Sicile,  près  de  la  ville  de  Frazanone,  saint  Laurent,  reli- 
gieux de  l'Ordre  de  Saint-Basile,  citoyen  de  la  même  ville  et  son  patron  principal  ;  remarquable 
par  l'austérité  de  sa  vie,  par  ses  prédications  apostoliques  et  par  la  gloire  de  ses  miracles;  au  mo- 
ment de  sa  mort,  l'image  de  Notre-Seigneur  en  croix  inclina  la  tète  vers  lui  comme  pour  l'appeler. 
Sa  naissance  au  ciel  se  célèbre  le  30  décembre,  viii»  s. 

ADDITIONS  FAITES  D' APRÈS  LES  BOLLANDISTES  ET  AUTRES   HAGIOGRAPHES. 

A  Bethléem,  en  Jndée,  saint  André  et  saint  Aponins,  martyrs.  An  41.  —  A  Alexandrie,  les 
saints  Apollon,  Prothée,  Orion,  Plause,  avec,  de  sombreux  compagnons,  martyrs.  —  A  Magnésie  et 
à  Anlioche  de  Pisidie,  les  saints  Charalampe,  prêtre.  Porphyre  et  Bapte,  soldats,  et  trois  saintes 
femmes,  tous  martyrs.  An  202.  —  A  Plaisance,  en  Italie,  saint  Pérégrin,  confesseur.  Vers  l'an  400. 

—  A  Antioche,  en  Syrie,  saint  Zenon,  qui  vécut  quarante  ans  sous  l'habit  religieux.  Vers  l'an  419. 

—  Sainte  Baldegonde,  abbesse  ;  c'est  tout  ce  que  l'on  sait  de  cette  fleur  qui  orne  le  parterre   des 

1.  Le  corps  de  cette  Sainte  fut  transfe'ré,  par  les  soins  dn  pape  Sergîos  le  Jeune,  dans  l'église  dn  titre 
de  Saint-Equice,  ainsi  que  l'atteste  une  ancienne  inscription  gi-avée  sur  le  marbre  en  ce  lieu.  On  lit  dans 
l'ancien  Propre  de  Troyes,  qu'nne  partie  des  reliqaes  de  sainte  Sotère  se  conservait  dans  une  châsse,  au 
monastère  de  Sainte-Marie-auï-Bois,  non  loin  de  Sézanne. 

2.  Sainte  Sotère  était  tante  de  saint  Ambroise.  —  Cf.  De  exhortatione  virginitatis,  cap.  xii.  et  le  Um 
iùVirginibus^  à  Marceline.  Ces  deux  fragments  contiennent  tout  ce  que  l'on  sait  de  cette  Sainte. 

8.  Saint  Sylvain  était  évêqne  de  Terracine,  ville  des  Etats  de  l'Eglise. 

4.  Sainte  Sure,  encore  dê'iomnie'e  Zuwarde  et  Sotère.  —  On  la  représente  avec  nn  coutelas  on  couperet 
dans  la  main.  Prétendant  élever  une  église,  elle  passa  pour  être  fort  riche;  sur  quoi  elle  fut  assassinée. 
On  croit  0,113  l'instrument  de  sa  mort  était  an  de  ces  grands  couteaux  dont  se  servent  les  pêcheurs  pour 
éventrerles  poissons  on  les  débiter  en  morceaux.  (Cf.  Boli.,  iio  vol.  do  fév.) 


416  10  FÉVMER. 

▼ierges.  —  En  Angleterre,  saint  Trumwia  ou  Tumma,  évèque  des  Picfcs  orientaui.  Vers  l'an 
700.  —  A  Piperno,  saint  Léonard  de  Foiiguo,  disciple  de  saint  François  d'Assise  ;  il  passa  soixante- 
six  ans  de  sa  vie  dans  l'Ordre  des  Frères  Mineurs  :  il  y  était  entré  à  l'âge  de  20  ans.  1290.  —  A 
Riniini,  sainte  Claire  Agolanti  qui  fut  mariée  deux  fois  :  longtemps  son  cœur  fut  comme  un  grand 
chemin  où  la  bonne  semence  qu'y  jetait  l'I'lspril-Sainl,  était  foulée  aux  pieds  par  le  monde  et  enle- 
vée par  le  démon.  Il  lui  vint  un  jour  en  pensée  de  dire  un  j)nier  et  un  ave  à  la  louange  de  Diea. 
C'en  fut  assez  de  cette  bonne  action  pour  l'amener  à  rélléchir  et  ensuite  la  convertir.  Pie  VI  approuva 
son  culte  en  1784.  —  A  Liesina  en  Dalmalie,  et  à  Naples,  saint  Pascliase,  abbé,  dont  les  reliques 
furent  transportées  de  la  première  de  ces  deux  villes  dans  la  seconde.  Vers  l'an  1300.  —  A  Padoue, 
le  bienheureux  Arnault  de  Calane,  abbé  du  monastère  de  Sainte-Justine.  An  1235.  —  A  Alexandrie, 
en  Piémont,  le  bienheureux  Guillaume  Zucchio.  11  était  gardien  du  matériel  de  la  calhédrale,  et  rem- 
plit gratuitement,  pour  l'amour  de  .Noire-Seigneur  Jésus-Christ  les  fonctions  de  surveillant  des  ouvriers 
tout  le  temps  que  l'on  mit  à  construire  cette  église.  H  avait  un  soin  particulier  des  pauvres  honteux  : 
on  rapporte  que  l'aumonière  de  laquelle  il  tirait  ses  largesses  ne  s'épuisait  jamais ,  quelle 
que  fut  la  somme  qu'il  distribuait.  Aussi  était-il  passé  en  proverbe  à  Alexandrie  de  répondre  il  ceux 
qui  revenaient  à  la  charge  pour  demander  de  l'argent  :  «  Croyez-vous  que  je  possède  l'escarcelle 
de  saint  Guillaume?  »  An  1377. 


SAINTE  SCHOLASTIQUE,  VIERGE 

543.  —  Pape  :  Vigile. 


Un  sage  de  l'antiquité,  Cicéron,  a  dit  t  a  Que  votre 
posture  soit  toujours  telle  que  vous  puissiez  servir 
de  modèle  pour  une  belle  statue  ».  L'on  pourrait 
dire  aux  clirt^tiens  avec  bien  plus  de  raison  :  <i  Que 
toutes  vos  paroles  soient  telles  qu'on  puisse  les 
e'crire,  pour  les  relire  h  haute  voix,  au  jugement 
dernier,  devant  le  genre  humain  et  devant  les 
esprits  célestes  réunis  ». 

Sainte  Scholastique  avait  coutume  de  dire  ;  u  Taisez- 
vous,  ou  parlez  de  Dieu  ;  car  quelle  chose  en  C6 
monde  est  digne  qu'on  en  parle  ?  » 

La  grâce  et  la  nature  ont  uni  saint  Benoît  et  sainte  Scholastique  :  n'ayant 
eu  qu'un  môme  sein  pour  les  porter  et  une  même  règle  pour  former  leur 
vie,  ils  n'ont  eu  enfin  qu'un  même  tombeau  pour  conserver  leurs  cendres  ; 
on  peut  donc  dire,  même  à  la  lettre,  de  ce  frère  et  de  cette  sœur,  que,  s'é- 
tant  aimés  d'un  parfait  amour  durant  leur  vie,  la  mort  ne  les  a  pu  séparer. 

Ils  naquirent  à  Norcia,  petite  ville  d'Italie,  sur  la  Néra,  qui  sépare  la 
Sabine  de  l'Ombrie  ou  du  duché  de  Spolète.  Petite  par  l'enceinte  de  ses 
murs,  cette  ville  est  célèbre  pour  avoir  donné  à  la  république  de  Home  plu- 
sieurs grands  capitaines,  et  encore  plus  célèbre  par  la  naissance  de  ces  deux 
principaux  fondateurs  de  l'état  religieux. 

Leur  père  se  nommait  Eutrope,  cl  était  de  l'illustre  et  ancienne  famille 
des  Anicii,  si  louée  par  les  écrivains  ecclésiastiques  et  profanes  :  leur  mère 
s'appelait  Abondance,  et  était  dame  de  la  ville  et  du  pays  de  Norcia.  Notre 
Sainte  reçut  au  baptême  le  beau  nom  de  Scholastique  (Ecolière).  Son  père, 
qui  demeura  veuf  après  la  naissance  de  ces  deux  enfants,  en  prit  un  soin 
d'autant  plus  grand  qu'il  l'avait  vouée  au  service  de  Notre-Seigneur,  et  des- 
tinée à  la  vie  monastique,  il  la  manière  de  ce  temps-là;  c'est  du  moins  ce 
que  seml)le  dire  saint  Grégoire  le  Grand,  le  premier  auteur  de  sa  vie. 

Scholastique  fit  de  grands  progrès  en  la  vertu,  et  se  rendit  fidèle  à  cor- 
respondre aux  grâces  divines;  bien  loin  d'imiter  les  filles  du  siècle,  qui 


SACJTE  SCHOLASTIQUE,   VIERGE.  417 

commencent  pour  ainsi  dire  par  ouvrir  les  j'eux  au  luxe  et  aux  vanités  du 
monde,  elle,  au  contraire,  les  ferma  pour  jamais  à  toutes  sortes  de  plaisirs, 
et  méprisa  la  beauté,  les  richesses  et  l'alliance  des  plus  grands  princes,  ne 
méditant  jour  et  nuit  que  sur  les  moyens  de  renoncer  à  toutes  les  choses  de 
la  terre,  et  de  faire  un  divorce  complet  avec  les  enfants  des  hommes  pour 
être  l'épouse  du  Fils  de  Dieu.  En  etfet,  au  lieu  de  s'attacher  aux  biens  im- 
menses dont  son  frère  l'avait  laissée  unique  héritière,  elle  résolut  de  l'imiter 
dans  sa  retraite. 

Elle  en  parla  à  son  père  qui  vivait  encore,  le  suppliant  avec  larmes,  et 
par  toutes  les  affections  de  son  cœur,  de  lui  permettre  d'entrer  dans  un  mo- 
nastère voisin  de  leur  maison,  afin  d'y  servir  Dieu  avec  plus  de  pureté  tous 
les  jours  de  sa  vie.  Eutrope  y  condescendit  facilement;  car,  quoiqu'il  sem- 
blât demeurer  veuf  une  seconde  fois  en  perdant  cette  fille,  néanmoins,  se 
souvenant  du  vœu  qu'il  avait  fait  à  Dieu  à  sa  naissance,  il  ne  put  s'opposer  à 
sa  résolution. 

Voilà  donc  Scholastique  religieuse,  et  tout  à  fait  entrée  à  l'école  de 
Jésus  ;  elle  y  donna  bientôt  de  beaux  exemples  de  vertu.  L'abstinence,  les 
veilles  et  le  silence  étaient  ses  pratiques  ordinaires;  la  douceur  et  la  débon- 
naireté  semblaient  lui  être  naturelles  ;  la  candeur  et  la  naïveté  de  son  âme 
se  faisaient  voir  sur  son  visage  avec  tant  d'éclat,  que  toutes  les  autres  reli- 
gieuses la  regardaient  comme  un  modèle  de  perfection  ;  mais  on  peut  dire 
que,  de  toutes  les  vertus,  celle  qui  excellait  le  plus  en  elle  c'était  l'oraison, 
qu'elle  possédait  à  un  degré  très-éminent. 

Tandis  que  cette  sainte  Vierge  s'appliquait  ainsi  à  la  pratique  de  la  vertu, 
et  y  faisait  tous  les  jours  de  nouveaux  progrès,  elle  apprit  que  son  frère 
saint  Benoît  avait  passé  de  Sublac  au  Mont-Cassin,  et  y  menait  une  vie  apos- 
tolique, éclairant  ces  peuples  idolâtres  des  splendeurs  de  l'Evangile,  renver- 
sant les  temples  des  faux  dieux,  et  abolissant  toutes  les  marques  du  paga- 
nisme ;  et,  de  plus,  qu'il  avait  sous  lui  un  grand  nombre  de  disciples  qu'il 
formait  à  la  perfection,  et  gouvernait  en  qualité  de  père  et  d'abbé,  leur 
ayant  dressé  une  règle  pour  les  entretenir  tous  dans  l'uniformité  d'une 
même  observance  ;  en  un  mot,  qu'il  excellait  en  la  conduite  des  âmes.  A 
cette  nouvelle,  elle  résolut  de  l'aller  trouver,  et  de  se  ranger  elle-même 
sous  sa  discipline,  afin  de  participer  à  ce  nouvel  esprit  que  Dieu  répandait 
dans  le  monde  par  son  ministère.  Elle  en  obtint  la  permission  de  ses  supé- 
rieures, et  le  consentement  des  autres  religieuses,  qui,  touchées  d'une  ins- 
piration céleste,  n'osèrent  s'opposer  à  ce  dessein  de  Scholastique.  En  effet, 
Kotre-Seigneur  voulait,  par  elle,  frayer  le  chemin  aux  reines,  aux  impéra- 
trices, aux  princesses  et  à  tant  d'illustres  filles  qui,  suivant  son  exemple, 
ont  embrassé  la  règle  de  saint  Benoît,  dont  elle  a  fait  profession  la  première. 

Pour  mieux  réussir  dans  son  dessein,  et  pour  s'approcher  plus  près  de 
son  frère,  on  croit  qu'elle  fît  bâtir  le  monastère  de  Plombariole,  distant 
d'une  lieue  et  demie  de  celui  du  Mont-Cassin,  quoiqu'il  y  ait  quelques 
doutes  là-dessus.  Cette  maison  fut  aussitôt  peuplée  de  saintes  filles,  qui 
étaient  attirées  à  ce  nouveau  genre  de  vie  par  l'agréable  odeur  des  vertus 
de  la  Sainte.  Elles  vécurent  sous  la  direction  et  la  conduite  du  grand  saint 
Benoît  qui  leur  donna  sa  règle,  à  laquelle  elles  se  soumirent  de  grand 
cœur,  autant  que  la  faiblesse  du  sexe  put  le  leur  permettre. 

Parmi  les  belles  instructions  que  sainte  Scholastique  leur  donnait,  l'une 

des  plus  importantes  était  de  fuir  la  conversation  du  dehors,  et  même  des 

personnes  dévotes  ;  elle  croyait  qu'il  leur  était  beaucoup  plus  avantageux 

de  demeurer  en  leur  cellule  que  de  rechercher  ces  entretiens,  et  qu'il  était 

Vies  des  Sai.nis.  —  Tome  11.  27 


4!8  10  FÉVRIER. 

plus  aisé  de  conserver  l'esprit  de  recueillement,  en  conversant  avec  Dieu, 
qu'en  traitant  avec  les  créatures.  Pour  leur  enseigner,  par  son  exemple,  ce 
qu'elle  leur  disait  de  vive  voix,  quoiqu'elle  eût  pu  recevoir  de  grandes  con- 
solalions  en  conférant  souvent  avec  saint  Benoît,  elle  se  contentait  néan- 
moins de  lui  parier  une  seule  fois  l'année,  pour  recevoir  de  sa  bouche  les 
instructions  nécessaires,  soit  pour  sa  conduite  particulière,  soit  pour  le  gou- 
vernement de  ses  filles,  qui  la  consultaient  sur  toutes  leurs  dil'liçullés  ;  et, 
cette  seule  leçon,  par  an,  d'un  tel  maître  était  suffisante  pour  une  si  sage 
écolière. 

Le  jour  de  l'entrevue,  elle  venait  accompagnée  de  quelques-unes  de  ses 
religieuses,  et  le  Saint  s'y  trouvait  assisté  de  plusieurs  de  ses  frères.  Afin  que 
ni  l'un  ni  l'autre  ne  s'éloignât  trop  de  son  monastère,  ils  partageaient  le 
chemin  entre  eux,  et  se  réunissaient  en  une  métairie  de  l'abbaye  du  Mont- 
Gassin  au  pied  de  la  montagne,  où  on  éleva  une  chapelle  en  mémoire  de 
ces  saintes  visites.  Ces  conférences  étaient  d'autant  plus  désirées,  qu'elles 
étaient  moins  fréquentes;  et  comme  elles  étaient  toujours  profitables,  sainte 
Schûlastiquc  ne  manquait  point  d'en  faire  part  à  ses  filles  qui,  par  ce  pieux 
commerce,  vivaient  avec  beaucoup  de  perfection  dans  le  monastère  de  Plom- 
bariole. 

Enfin  le  temps  arriva  auquel  il  plut  à  Notre-Seigneur  d'appeler  à  lui  le 
frère  et  la  sœur  ;  et  comme  ils  en  eurent  tous  deux  révélation,  ils  voulurent 
se  voir  encore  une  fois  sur  la  terre,  afin  de  s'y  entretenir  des  joies  du  para- 
dis, dont  ils  espéraient  bientôt  une  parfaite  jouissance. 

Cette  dernière  conférence  se  fit  le  6  ou  le  7  février  ;  au  reste  elle  fut  fort 
différente  des  autres  :  ils  ne  parlèrent  plus  des  exercices  de  la  pénitence  et 
de  la  mortification,  mais  seulement  de  la  gloire  éternelle  promise  aux  justes  : 
cela  les  occupa  la  journée  entière,  qui  leur  parut  même  encore  plus  courte 
que  les  autres.  A  l'heure  de  Vêpres,  ils  donnèrent  quelque  aliment  à  leur 
corps,  leur  âme  ayant  été  saintement  rassasiée  ;  mais  sainte  Scholastique  étant 
toujours  impatiente  d'entendre  parler  des  délices  du  paradis,  supplia  très-ins- 
tamment son  frère  de  lui  faire  la  grâce  de  continuer  cet  entretien,  et  de  lui 
donner  au  moins  une  nuit  pour  traiter  plus  à  loisir  de  cette  vie  bienheu- 
reuse. Cette  demande  parut  si  extraordinaire  au  Saint,  qui  était  un  modèle 
achevé  de  régularité  et  d'observance,  qu'il  la  refusa  aussitôt.  Quoique  ce  fût 
sa  sœur,  cl  pour  un  si  bon  sujet,  il  répondit  d'une  façon  assez  sévère  :  «  Que 
dites-vous,  ma  sœur  ?  ne  vo)  cz-vous  pas  qu'il  m'est  impossible  de  vous 
accorder  ce  que  vous  demandez?  n  La  Sainte,  voyant  la  fermeté  de  son 
frère,  ne  lui  répondit  rien  ;  mais,  s'adressant  au  céleste  Epoux,  elle  poussa  des 
soupirs,  et  versa  des  larmes  pour  le  prier  de  décider  cette  innocente  querelle 
en  faveur  de  qui  il  lui  plairait.  A  l'heure  même,  le  ciel  versa  des  torrents 
d'eau  :  car,  quoiqu'il  fût  serein  et  qu'il  ne  parût  en  l'air  aucune  nuée,  il 
survint  un  si  furieux  orage  de  vent,  de  pluie,  d'éclairs  et  de  tonnerre,  qu'il 
fut  humainement  impossible  à  saint  Benoît  de  sortir  de  ce  lieu.  Le  serviteur 
de  Dieu,  reconnaissant  en  cela  un  miracle  évident,  et  considérant  qu'au 
même  instant  que  sa  sainte  sœur  avait  versé  des  larmes,  la  pluie  du  ciel 
était  descendue  sur  la  terre,  fut  obligé  d'avouer,  dans  son  cœur,  que  le  Fils 
de  Dieu  aimait  merveilleusement  celle  dont  ii  avait  exaucé  si  proniptement 
les  désirs,  cl  aux  soupirs  de  laquelle  il  avait  paru  si  sensible.  Il  lui  fit  néan- 
moins quelque  plainte  ;  mais  la  Sainte,  de  son  côté,  lui  fit  reproche  de  ce 
qu'il  avait  été  si  dur  à  lui  accorder  sa  demande.  «  Mon  frère  »,  lui  dit-elle 
avec  sa  douceur  angélique,  «  je  vous  avais  supplié  de  passer  ici  quelque 
temps  ;  mais,  voyant  que  vous  me  l'avez  refusé,  je  me  suis  adressée  à  mon 


SAINTE   SCHOL ASTIQUE,   TŒRGE.  419 

Seigneur  qui  m'a  exaucée,  et  qui  a  fait  ce  que  vous  voyez  et  ce  que  vous 
entendez  ».  Saint  Benoît,  connaissant  à  ces  prodiges  que  c'était  le  bon  plai- 
sir de  Dieu  qu'il  demeurât,  reprit  son  discours  sur  l'excellence  de  la  béati- 
tude; c'était  tout  ce  que  la  Sainte  souhaitait  :  plus  une  pierre  s'approche  de 
son  centre,  plus  elle  descend  avec  vitesse  et  avec  impétuosité  ;  de  même 
l'âme  de  sainte  Scholastique  se  voyant  sur  le  point  d'ùtre  réunie  à  son  Dieu, 
qui  est  le  vrai  centre  des  justes,  prenait  plus  de  plaisir  à  entendre  parler  de 
ce  bonheur,  qu'elle  désirait  avec  tant  de  passion. 

Le  matin  du  jour  suivant,  l'orage  ayant  entièrement  cessé,  le  Saint  et  la 
Sainte  prirent  congé  l'un  de  l'autre  et  se  retirèrent  chacun  en  son  monas- 
tère, pour  y  attendre  la  volonté  de  Dieu,  dans  une  ferme  espérance  qu'ils  se 
reverraient  bientôt  en  l'autre  vie  :  ce  qui  arriva  en  effet  ;  car  la  violence  de 
l'amour,  pour  me  servir  de  l'expression  de  l'Epouse  des  Cantiques,  ayant 
blessé  le  cœur  de  sainte  Scholastique,  lui  fit  exhaler  sa  belle  âme  sans  au- 
cune maladie,  à  quatre  jours  de  là,  vers  le  10  février,  l'an  de  Noire-Seigneur 
543,  et  de  son  âge  le  soixante-troisième.  Cette  âme  chérie  de  Dieu  fut  vue 
s'élevant  au  ciel  sous  la  forme  d'une  colombe  brillante,  par  son  frère  saint 
Benoît,  qui  priait  alors  à  une  fenêtre  de  sa  cellule  :  cet  endroit  fut  plus  tard 
marqué  par  une  chapelle.  Le  saint  abbé  fut  si  ravi  de  cette  vision,  qu'il  se 
mit  à  chanter  des  hymnes  et  des  cantiques  à  la  louange  de  Jésus-Christ  ; 
puis  il  en  donna  avis  à  ses  religieux,  qu'il  envoya  pour  lever  le  corps  du  mo- 
nastère de  Plombariole  et  le  transporter  dans  le  tombeau  qu'il  avait  fait  pré- 
parer pour  lui,  afin  que,  comme  leurs  âmes  n'avaient  eu  qu'un  même  esprit 
et  qu'une  même  volonté  en  cette  vie,  leurs  corps  n'eussent  aussi  qu'un 
même  sépulcre  après  leur  mort. 


RELIQUES  DE  SAINTE  SCHOLASTIQUE. 

Ces  saintes  reliques  forent  apportées  en  France  plus  de  deux  cents  ans  après,  à  l'occasion  que 
Je  vais  rapporter,  et  qui  mérite  délie  sue.  L'an  583,  les  Lombards  ravagèrent  l'Italie  et  ruinèrent 
l'abbaye  du  .Mont-Cassiii.  comme  Dieu  l'avait  révélé  longtemps  auparavaut  à  saint  Benoit;  son  saint 
corps  el  celui  de  sa  sœur  furent  ensevelis  de  nouveau  sous  les  ruines  de  ce  bel  édifice.  Mais,  vers 
l'an  660,  saint  Mommole,  premier  abbé  de  Fleury.  lisant  l'endroit  des  Diolo:/ves  de  saint  Grégoire  où 
il  est  parlé  de  cette  révélation,  et  voyant  qu'elle  avait  déjà  eu  son  efiel,  fut  louché  de  compassion  de 
ce  que  les  corps  de  ces  deux  Saints  demeuraient  ainsi  sans  honneur  sous  les  débris  du  monastère. 
Comme  les  chrétiens  français  ont  toujours  été  soigneux  des  reliques  des  Saints,  Ini-méme,  inspiré 
du  ciel,  envoya  Aigulfe,  un  de  ses  religieux,  qui  souffrit  depuis  le  martyre,  pour  en  rapporter  le 
corps  de  Uur  saint  Père.  Celui-ci  arriva  au  Mont-Cassin  au  moment  où  des  Jlanceaux,  excités  par 
une  semblable  inspiration,  y  étaient  allés  à  dessein  d'y  chercher  le  corps  de  sainte  Scholastique. 
Les  uns  et  les  autres  firent  si  bien  leur  devoir,  qu'ayant  trouvé  les  saints  corps  ils  les  enlevèrent 
et  les  apportèrent  à  Fleury,  où  il  arriva  une  sainte  dispute,  parce  que  les  religieux  de  ce  monastère 
voulaient  les  retenir  tous  deux  pour  les  mettre  ensemble  en  un  même  sépulcre,  elque  les  Manceaux 
voulaient  avoir  celui  de  sainte  Scholastique.  Entin,  il  fut  arrêté  que  ceux-ci  auraient  le  corps  de  la 
Sainte,  et  que  celui  du  Saint  demeurerait  à  Fleury.  Mais  voici  une  nouvelle  difliculté  :  saint  Aigulfe 
ayant  mêlé  tous  les  ossements  dans  une  même  caisse,  l'on  ne  pouvait  discerner  quels  étaient  cens 
du  frère  ou  ceux  de  la  sœur.  On  sépara  donc  les  grands,  que  l'on  s'imagina  être  ceux  de  saint 
Benoit,  d'avec  les  plus  petits,  que  l'on  crut  être  ceux  de  la  Sainte  ;  et  Dreu  Bt  connaître  la  vérité 
par  ce  miracle  :  il  arriva  que  l'on  portait  deux  corps  en  terre,  l'un  d'un  gardon  el  l'autre  d'une 
fille,  et,  dans  le  doute,  on  approcha  le  corps  de  la  fille  des  plus  grands  ossements,  et  il  ne  ressus- 
cita point  ;  mais  il  ressuscita  aussitôt  qu'il  toucha  les  petits,  et  réciproquement  celui  du  garçon,  en 
touchant  les  petits,  ne  donna  aucun  signe  de  vie;  au  couti-'aire,  dès  l'instanl  qu'on  lui  appliqua  les 
grands,  il  ressuscita.  En  mémoire  de  ce  miracle,  on  éleva  une  chapelle  à  une  petite  lieue  de  l'abbaye 
de  Fleury,  sous  le  titre  de  Sainte-Scho'astiqoe. 

La  vérité  étant  reconnue,  le  corps  de  la  Sainte  fut  transporté  en  la  ville  du  Mans,  qui  le  reçnt 
avec  une  joie  incroyable  et  le  déposa  en  grande  pompe  dans  une  église  de  Saint-Pierre,  bâtie  pour 
les  Bénédictins,  el  qui  était  occupée,  au  xyu»  siècle,  par  des  chanoines.  En  mémoii-e  d'une  faveur 


520  10  FÉVRIER. 

si  particulière,  tons  les  ans,  le  11  juillet,  les  Manceaux  font  la  fête  de  cette  translation  avec  une 
procession  générale  par  tonte  la  ville  :  les  rues  sont  teniiucs  de  tapisseries,  jonchées  de  fleurs,  et 
embellies  de  tableaux  et  d'autres  marques  de  dévotion  envers  sainte  Scholastique,  leur  chère  pa- 
tronne. Aussi  en  ont-ils  éprouvé  une  assistance  bien  sensible  en  1563;  car  les  hérétiques  ayant  sur- 
pris la  ville  du  Mans,  brûlant  et  saccageant  toutes  les  choses  sacrées,  jusqu'aux  ossements  des 
Saints,  ne  purent  violer  ceux  de  cette  sainte  Vierge;  mais  la  nuit  même  du  11  juillet,  au- 
quel on  célèbre  la  fête  de  sa  translation,  ils  furent  saisis  dune  telle  terreur  panique  qu'ils  s'enfui- 
rent tous  en  désordre  et  en  confusion,  sans  que  personne  courut  après  eux.  Ils  oublièrent  jusqu'aux 
registres  de  leur  consistoire,  qui  se  trouvent  maintenant  à  la  bibliothèque  publique  du  Mans.  Cet 
événement  accrut  la  dévotion  du  peuple  envers  samte  Scholastique.  Le  clergé  fait  une  seconde  pro- 
cession générale  en  mémoire  de  ce  signalé  bienfait. 

M.  l'abbé  Léon  Chanson,  professeur  d'histoire  ecclésiastique  au  séminaire  du  Mans,  a  eu  la 
bonté  de  nous  transmettre  les  vérifications  que  nous  lui  avions  demandées  au  sujet  de  la  translation 
des  reliques  de  sainte  Scholastique  et  de  leur  conservation: 

Ici  il  y  a  une  légère  erreur  :  le  corps  de  sainte  Scholastique,  apporté  de  l'abbaye  de  Fleury  en 
la  ville  du  Mans,  en  660,  fut  déposé  dans  un  monastère  de  vierges,  que  l'évêque  saint  Béraire  In'fit 
construire  pour  l'y  recevoir...  Les  saintes  reliques  restèrent  sous  la  garde  de  ces  religieuses  jus- 
qu'à la  fin  du  IX»  siècle  (874).  A  cette  époque,  les  >'ormaDds,  qui  infestaient  la  contrée,  brûlèrent 
le  monastère  bâti  par  saint  Uéraire.  Le  corps  de  sainte  Scholastique  fut  sauvé  du  pillage  et  caché 
dans  une  maison  particulière. 

En  969,  sous  le  pontificat  de  l'évêque  Sigefroy,  Hugues,  premier  comte  héréditaire  du  Maine,  fit 
bâtir,  près  de  son  palais,  l'église  rie  Saini-Pi<^rre,  pour  y  placer  la  précieuse  relique.  Hugues  Ql 
placer  des  chapelains  en  cette  église  ;  plus  tard  elle  fut  érigée  en  collégiale  royale.  Les  reliques  de 
sainte  Scholastique  y  restèrent  jusqu'à  la  Révolution  française.  Elles  ont  échappé  à  la  fureur  des 
révolutionnaires  et  sont  déposées  dans  une  église  paroissiale,  dite  de  Saint-Benoit.  La  collégiale 
dite  de  Saint-Pierre  n'existe  plus  depuis  la  Révolution. 

La  fête  de  la  translation  de  sainte  Scholastique  est  mentionnée  dans  tous  les  vieux  livres  litur- 
giques du  Mans.  Elle  disparut  du  calendrier  au  xyiip  siècle,  à  l'époque  de  la  réformation  du  bré- 
viaire et  du  missel  (1748)  ;  elle  a  repris  sa  place  au  11  juillet  dans  le  Propre  diocésain,  approuvé  le 
2  mars  1855,  par  décret  de  la  sacrée  Congrégation  des  Rites. 

La  procession  et  la  pompe  décrite  dans  le  passage  à  vérifier,  n'a  plus  lieu  an  Mans,  depuis  la 
Révolution,  quoique  le  culte  de  sainte  Scholastique  et  de  ses  reliques  soit  encore  très-populaire 
dans  cette  ville. 

Ce  qui  est  dit  ensuite  de  la  protection  dont  la  ville  du  Mans  éprouva  les  effets  en  1562  est  his- 
torique ;  de  même  il  est  avéré  qu'une  partie  des  reliques  de  sainte  Scholastique  fut  accordée  à 
Charles  le  Chauve  et  à  Richilde,  son  épouse.  Celle-ci  les  fit  porter  à  l'abbaye  de  Juvigny,  diocèse 
de  Verdun. 

«  Les  reliques  de  sainte  Scholastique  sont  encore  à  Juvigny-les-Dames,  non  à  l'abbaye  qui  n'existe 
plus,  mais  à  l'église  paroissiale.  L'abbaye  de  Saint-Pierre  de  Solesmes  en  a  obtenu  une  notable 
partie  en  1870. 

«  Il  y  avait  aussi  au  Mans  une  confrérie  de  sainte  Scholastique  autorisée  par  plusieurs  bulles  de» 
souverains  Pontifes,  dont  les  originaux  sont  encore  à  l'église  de  Saint-Benoit,  du  Mans  '». 

Le  martyrologe  romain,  cens  de  Bède,  d'Usuard,  d'Adon  et  des  Bém^dictins  en  parlent  honorablement. 
Le  pape  saint  Grégoire  en  fait  une  ample  mémoire  au  second  livre  de  ses  Dialogues.  Saint  Bcrthaire, 
miirtyr  et  abbé  du  Mont-Cassin,  a  écrit  une  homélie  à  la  louange  de  cette  Sainte  :  elle  se  trouve  «n 
tcptieme  tome  des  œuvres  du  vénérable  HîmIc. 

1.  D.  Flolin,  note  cummuuuiute  en  mars  ISZt^ 


S.UNTE   AUSTREUKRIE,    ABBESSE   DE   PAVILLY.  42i 

SAINTE  AUSTREBERTE,  ABBESSE  DE  PAVILLY 

630-"ul.  Papes  :  Honoré  1<";  Jean  VI.  —  Rois  de  France  :  DagobertI«'j  ChUdebert  m. 


Arbor  fiorida  virginitatis^ 
Eàur  angelici  candoris, 
Eortus  reiigiosœ  ptiupertatiSf 

Planta  cœJestis  paradisi 

Anciennes  Litanies  de  sainte  Austreberte. 


Durant  le  règne  de  Clotaire  II,  roi  de  France,  un  prince  du  sang  des  pre- 
miers rois  de  cette  monarchie,  appelé  Badefroy  ou  Badefrid,  qui  portait  le 
titre  de  comte  de  Hesdin,  et  qui  fat  depuis  maire  du  palais  sous  le  règne  de 
Childéric  II,  épousa  une  princesse  d'Allemagne  issue  des  rois  du  paj's,  la- 
quelle s'appelait  Framecliilde  ou  Frameuse,  et  dont  les  vertus  furent  si  émi- 
nentes,  qu'elle  a  mérité  le  titre  de  Sainte.  Ces  deux  personnes  étant  unies 
d'affection,  demandèrent  à  Dieu  qu'il  bénit  leur  mariage,  et  Framechilde 
reçut  du  ciel  l'assurance  qu'elle  concevrait  une  fille  qui  serait  mère  de  plu- 
sieurs autres,  en  les  enfantant  à  l'Eglise  par  l'exemple  de  sa  sainte  vie. 
Quelque  temps  après,  comme  elle  était  sur  le  point  de  la  mettre  au  monde, 
un  ange  lui  apparut  et  lui  enjoignit  d'appeler  sa  fille  Austreberte,  nom  mys- 
térieux dans  le  langage  du  pays,  car  il  signifie  Froment  caché  et  Fille  du 
Saint-Esprit. 

Cette  illustre  fille  naquit  donc  à  Thérouanne,  qui  était  autrefois  ville  limi- 
trophe des  Pays-Bas,  mais  qui  fut  ruinée  par  les  Impériaux,  l'an  1533.  L'his- 
toire assure  qu'au  moment  de  sa  naissance  la  chambre  de  sa  mère  fut  éclai- 
rée d'une  grande  lumière  qui  parfuma  tout  le  quartier  d'une  odeur  très- 
suave,  et  que  l'on  vit  dans  l'air  une  colombe  blanche  qui,  après  avoir  voltigé 
par  toute  la  ville,  se  vint  enfin  reposer  dans  cette  chambre  et  sur  la  tête  de 
l'enfant  (630). 

Austreberte  commença,  dès  ses  plus  faibles  années,  à  donner  des  mar- 
ques de  la  grâce  de  Dieu  qui  agissait  en  elle  ;  car  elle  avait  une  si  grande 
inclination  au  bien,  que  toutes  les  choses  de  la  terre  lui  étaient  insuppor- 
tables. Elle  conçut  de  bonne  heure  une  ferme  résolution  de  conserver  sa 
pureté  tout  le  temps  de  sa  vie  ;  elle  s'y  trouva  fortifiée  par  l'apparition  d'un 
voile  qu'elle  vit  descendre  sur  sa  tête  un  jour  que,  par  hasard,  elle  se  re- 
gardait dans  une  fontaine  au  milieu  du  jardin  :  le  Saint-Esprit  lui  marquant 
par  là  l'état  auquel  il  la  destinait. 

Elle  n'avait  peint  de  conversation  avec  le  monde,  mais  elle  passait  le 
temps  ou  dans  la  retraite  de  sa  chambre  ou  au  service  de  l'Eglise,  ou  enfin 
en  la  compagnie  de  la  princesse  sa  mère.  Elle  fut  recherchée  par  plusieurs 
partis  fort  avantageux  ;  ils  se  seraient  estimés  heureux  de  posséder  une 
princesse  qui  avait  ajouté  tant  de  vertus  acquises  aux  illustres  qualités  de  sa 
naissance.  Or,  quoique  le  cœur  d' Austreberte  ne  fût  nullement  porté  au 
mariage,  néanmoins  Badefroy,  qui  espérait  toute  sorte  d'obéissance  de  sa 
fille,  la  promit  à  un  jeune  prince.  Mais  cette  généreuse  vierge  s'étant  re- 
commandée à  son  Epoux  céleste,  et  ayant  prié  un  de  ses  frères  de  lui  tenir 
compag-nie,  partit  secrètement  de  la  maison  de  son  père,  qui  faisait  sa  rési- 


422  ^0  FÉVRIER. 

dence  à  Marconne,  et  se  rendit  ;i  Thérouanne,  où  elle  espérait  se  cacher  si 
bien,  qu'il  serait  presque  impossible  à  son  pfre  de  la  découvrir  (653). 

Il  semblait  que  les  éléments  eussent  conjuré  ensemble  pour  s'opposer  à 
ses  desseins  :  la  rivière  de  la  Cancbe  avait  tellement  débordé,  qu'elle  avait 
abattu  les  ponls  et  ruiné  tous  les  moyens  qui  en  pouvaient  faciliter  le  pas- 
sage ;  de  sorte  que,  si  la  Sainte  eût  eu  moins  do  confiance  en  la  protection 
de  son  Epoux  céleste,  sa  fuite  se  fût  terminée  au  bord  de  cette  rivière. 
Mais,  pleine  de  courage,  elle  marcha  hardiment  sur  les  eaux  ;  et,  prenant 
son  frère  par  la  main,  elle  lui  donna  la  hardiesse  de  faire  de  même  et  de  la 
suivre,  et  ainsi  elle  se  rendit  à  l'autre  bord  du  fleuve.  Saint  Omer  était 
alors  évoque  de  Thérouanne  ;  elle  se  présenta  devant  lui,  lui  déclara  sa  réso- 
lution et  l'objet  de  sa  venue;  le  saint  prélat,  reconnaissant  quelque  chose 
d'extraordinaire  en  son  action,  ne  crut  pas  devoir  rien  refuser  à  une  per- 
sonne qui  était  favorisée  dans  son  dessein  par  une  protection  si  visible  de  la 
main  de  Dieu  ;  il  lui  donna  le  voile,  et  autorisa,  par  celte  cérémonie,  le 
vœu  qu'elle  avait  déjà  fait  en  son  particulier,  de  consacrer  son  corps  et  son 
âme  au  service  de  son  Epoux. 

Après  qu'elle  eut  reçu  le  voile,  qui  était  comme  la  livrée  de  l'Agneau 
immaculé,  saint  Omer  la  remit  entre  les  mains  de  ses  parents,  qu'il  avait 
apaisés,  et  qui  accordèrent  enfin  à  cette  vertueuse  ûlle  la  liberté  d'accom- 
plir ce  qu'elle  avait  si  heureusement  commencé.  11  y  avait  en  ce  temps-là, 
sur  la  Somme,  un  célèbre  monastère  de  flUes,  appelé  Port,  qui  florissait  en 
sainteté,  sous  la  conduite  d'une  très-sage  abbesse,  nommée  Burgoflède. 
C'est  dans  cette  maison  qu'Austreberte  fut  reçue  comme  un  présent  du 
ciel  ;  elle  y  donna  dès  lors  tant  de  témoignages  de  sa  vertu,  qu'aussitôt  après 
sa  profession,  l'abbesse  et  les  religieuses  l'élurent  prieure,  s'estimant  toutes 
très-heureuses  de  marcher  sur  ses  traces.  Celle  dignité  ne  lui  fit  rien  relâ- 
cher di'S  observances  régulières,  mais  elle  se  rendait  la  première  à  tout, 
quelque  pénible  et  humble  que  ce  fût.  Une  fois  qu'elle  cuisait  le  pain  à  son 
tour,  aussi  bien  que  les  autres,  comme  elle  voulut  ôter  quelques  charbons 
qui  y  étaient  restés,  le  feu  prit  par  malheur  à  son  balai,  et  mit  la  provision 
des  religieuses  en  danger  d'être  perdue.  Sainte  Austreberte  commanda  à  sa 
compagne  de  ne  point  se  mettre  en  peine,  mais  de  s'arrêter  à  la  porte  tandis 
qu'elle  ferait  sa  prière.  Elle  fut  courte,  mais  efficace  :  car,  se  munissant  du 
signe  de  la  croix,  elle  entra  dans  le  four  embrasé,  et  le  nettoya  avec  le  bout 
de  SCS  manches,  sans  en  être  offensée  ni  dans  sa  personne,  ni  dans  ses  ha- 
bits ;  et  ainsi  fut  accomplie  en  elle  la  promesse  que  Dieu  fait  à  l'âme  juste, 
de  ne  la  point  abandonner  ni  sur  les  vagues  des  eaux,  ni  dans  les  ardeurs 
des  fournaises.  Au  reste,  il  semble  que  Dieu  ait  donné  une  propriété  secrète 
à  tout  ce  qui  a  été  au  service  de  cette  vertueuse  vierge,  pour  résister  à  la 
violence  du  feu,  car  le  feu  ayant  pris,  au  xvn"  siècle,  à  un  quartier  de  la  ville 
de  Montreuil-sur-Mer,  où  ses  manches  se  conservaient  avec  respect  dans  un 
monastère  de  religieuses,  qui  portait  le  nom  de  cette  Sainte,  il  n'y  eut  point 
de  remède  plus  puissant  pour  leur  résister  que  de  présenter  aux  flammes 
cette  relique,  et  elles  s'arrêtèrent  aussitôt  :  ce  qui  est  encore  arrivé  plu- 
sieurs autres  fois  en  la  même  ville. 

Sainte  Austreberte  ayant  donné  des  preuves  de  sa  vertu  dans  cette  mai- 
son; où  elle  avait  fait  son  apprentissage  dans  la  vie  religieuse.  Dieu  l'appela 
à  la  conduite  d'une  abbaye  en  Normandie,  par  l'entremise  de  l'abbé  Phili- 
bert, qui  était  en  grande  réputation,  et  qui  gouvernait  le  monastère  de 
Jumiéges,  dont  il  fut  le  premier  abbé.  Un  seigneur  de  Pavilly,  nommé 
Amalbert,  pour  favoriser  le  dessein  d'une  de  ses  filles,  nommée  Aurée,  qui 


SJDiTE  AUSTREBERTE,   ABBESSE  DE  PAVHXT.  423 

voulait  Ctre  religieuse,  fit  bàlir  un  monastère  dans  ses  terres  ;  il  fallait  trou- 
ver une  abbesse  pour  gouverner  la  nouvelle  communauté  qui  s'y  établirait  : 
il  en  conféra  avec  saint  Philibert  ;  celui-ci  nomma  prieure  du  Port  notre 
Sainte,  dont  on  disait  tant  de  merveilles.  La  Sainte,  en  étant  avertie,  s'y  re- 
fusa d'abord  ;  mais  son  évêque  lui  commanda  de  suivre  saint  Philibert,  qui 
était  venu  en  Picardie  pour  lui  faire  savoir  son  élection,  et  la  conduire 
lui-même  à  PavUly.  Elle  y  alla  donc,  et  y  fut  reçue  ,  avec  toute  la  satis- 
faction imaginable  ,  par  les  religieuses  qui  attendaient  une  si  digne  su- 
périeure. Son  élection  fut  affermie  par  la  bénédiction  épiscopale,  qui  lui  fut 
donnée  avec  le  titre  d'abbesse  par  le  grand  archevêque  de  Rouen,  saint 
Ouen,  autrefois  chancelier  de  France,  sous  le  roi  Dagobert. 

Mais  la  nouvelle  abbesse  eut  bientôt  à  souffrir  de  l'indiscipline  de  cer- 
taines religieuses,  que  l'ambition  ou  la  jalousie  possédait.  Elles  poussèrent 
même  la  malice  jusqu'à  empoisonner  ce  qui  devait  lui  être  servi  à  table. 
Austreberte ,  que  son  Epoux  céleste  avait  favorisée  du  don  de  prophétie , 
découvrit  un  dessein  si  indigne,  non-seulement  d'une  religieuse,  mais 
même  d'une  âme  chrétienne  ;  et,  se  rassurant  par  les  paroles  de  Jésus-Christ, 
qui  promet  à  ses  fidèles  serviteurs  que  le  venin  ne  leur  pourra  nuire,  elle 
mangea  de  ce  qu'on  lui  avait  apprêté  ;  puis,  se  tournant  vers  ses  filles,  elle 
leur  dit  d'une  parole  douce  :  «  Mes  filles,  qu'est-ce  que  vous  avez  fait?  je 
prie  Dieu  qu'il  vous  pardonne  le  mal  que  vous  avez  entrepris  ». 

Cette  douceur,  quoique  extrême,  ne  fit  point  impression  sur  ces  cœurs, 
incapables  de  reconnaître  les  mérites  de  leur  abbesse.  Mais,  passant  d'un 
poison  mortel  à  un  spirituel,  elles  trouvèrent  moyen  de  l'accuser,  auprès 
du  seigneur  Amalbert,  fondateur  du  monastère,  de  trop  de  rigueur,  et 
presque  de  cruauté  contre  sa  fille,  qu'il  aimait  fort  tendrement  :  elles  ajou- 
taient méchamment  que  cette  supérieure  étrangère  dissipait  le  bien  de 
l'abbaye  et  se  rendait  insupportable  en  ses  humeurs. 

Amalbert,  qui  était  assez  violent  de  son  naturel,  se  laissa  aisément  em- 
porter aux  premiers  mouvements  de  sa  colère,  sans  prendre  la  peine  d'exa- 
miner la  valeur  et  les  circonstances  de  cette  accusation  ;  il  vint  au  monas- 
tère tout  ému,  et  avec  la  résolution  de  traiter  Austreberte  avec  peu  de 
respect.  Mais  il  alla  plus  loin  peut-être  qu'il  n'avait  prémédité  ;  après  quel- 
ques discours,  il  en  vint  des  paroles  aux  actions,  et,  mettant  l'épée  à  la 
main,  il  voulut  en  frapper  la  Sainte,  qui,  bien  loin  de  se  retirer,  présenta 
généreusement  le  cou  à  celui  qui  la  menaçait  de  la  mort,  lui  faisant  voir 
par  là  qu'elle  était  toute  prête  à  sacrifier  sa  vie  pour  la  justice.  Ce  seigneur, 
étonné  d'un  tel  courage,  sentit  sa  colère  se  changer  en  douceur,  et  sa  fureur 
en  bienveillance  :  puis,  se  blâmant  lui-même  d'avoir  été  trop  crédule  au  rap- 
port de  ces  filles  médisantes,  il  rendit  des  respects  à  Austreberte  comme  à 
une  Sainte  que  Dieu  laissait  dans  le  monde  pour  la  gloire  de  la  religion. 

Cependant,  cette  persécution  ne  fut  pas  la  dernière  qu'elle  souffrit  en 
ce  nouvel  établissement  :  car  l'ennemi,  voyant  qu'il  n'avait  rien  gagné  par 
ses  artifices  cachés  et  par  le  ministère  des  autres,  résolut  de  l'attaquer  lui- 
même  ouvertement,  et  par  une  guerre  déclarée.  En  effet,  il  arriva  une  nuit 
que  toutes  les  religieuses  étant  à  Matines,  le  démon  excita  un  si  grand  trem- 
blement dans  tout  le  monastère,  qu'il  renversa  une  partie  du  dortoir.  Les 
religieuses  épouvantées  voulurent  sortir  de  l'église,  mais  leur  sainte  abbesse 
les  en  empêcha  par  la  défense  qu'elle  en  fit  ;  une  seule,  suivant  le  mouve- 
ment de  sa  volonté  propre,  sortit  secrètement  du  chœur  :  mais  elle  n'eut 
pas  plus  tôt  mis  le  pied  dans  le  dortoir  que  le  faîte  tomba  par  terre,  et  elle 
fut  accablée  sous  ses  ruines.  Lorsque  l'office  fut  achevé,  l'abbesse,  suivie  de 


424  iO  févrœh. 

toutes  ses  filles,  alla  avec  la  croix  pour  voir  la  ruine  que  l'ennemi  avait 
causée,  et  elles  eurent  une  consolation  en  ce  désastre  :  deux  jeunes  novices, 
qui  étaient  demeurées  endormies  au  dortoir,  et  que  l'on  croyait  ensevelies 
sous  les  débris,  furent  trouvées,  l'une  sur  le  penchant  d'une  muraille,  où 
elle  avait  été  portée  par  son  ange  gardien,  et  l'autre  dans  son  lit,  qui  était 
tombé  tout  droit,  sans  qu'elle  se  ressentît  de  cette  ruine  :  insigne  marque 
du  secours  de  Dieu.  Quant  à  la  religieuse  rebelle,  l'abbesse  fit  tirer  son  corps 
de  dessous  lus  monceaux  de  pierres  pour  le  porter  à  l'infirmerie,  tandis 
qu'elle  priait  à  l'église  ;  ayant  lait  son  oraison,  elle  prit  de  l'huile  de  la 
lampe,  la  bénit  avec  le  signe  de  la  croix,  et,  s'approchant  de  la  défunte, 
elle  l'oignit  de  cette  huile,  et  la  fit  revenir  aussitôt  à  la  vie  et  à  la  santé. 

La  vigilance  de  celte  sainte  abbesse  semblait  infatigable  pour  procurer 
le  bien  de  et  lies  que  Dieu  avait  confiées  à  ses  soins.  Comme  elle  visitait, 
durant  la  nuit,  à  son  ordinaire,  les  cellules  de  ses  sœurs,  pour  voir  si  cha- 
cune était  à  son  devoir,  la  prieure,  éveillée  par  ce  bruit,  crut  que  c'était  une 
simple  religieuse,  la  reprit  de  manquer  à  la  règle,  et,  pour  pénitence,  lui 
ordonna  d'aller  prier  devant  la  croix  qui  était  plantée  dans  le  cloître.  L'ab- 
besse reçut  ce  commandement  comme  s'il  fût  venu  immédiatement  de  Dieu, 
y  alla  joyeusement,  et  môme  y  demeura  en  prières  jusqu'au  lendemain 
matin;  les  religieuses  la  trouvèrent  contente,  et  dans  une  parfaite  satisfac- 
tion d'âme.  Enfin,  il  plût  à  Dieu  de  l'appeler  de  ce  monde,  et  de  couronner 
ses  travaux  par  la  récompense  qu'elle  méritait  :  l'an  de  grâce  704,  le  jour  de 
la  Puriiication  de  Notre-Dame,  son  Epoux  céleste  lui  envoya  un  ange  pour 
lui  faire  savoir  qu'elle  jouirait,  dans  huit  jours,  du  bonheur  qu'elle  désirait 
depuis  si  longtemps.  Le  lendemain  matin,  elle  en  donna  avis  à  ses  filles,  et, 
se  sentant  travaillée  par  les  ardeurs  de  la  fièvre,  elle  se  munit  des  derniers 
sacrements  de  l'Eglise.  Au  bout  de  huit  jours,  un  samedi,  se  voyant  proche 
de  la  mort,  elle  leva  les  yeux  au  ciel  et  aperçut  une  belle  compagnie  de 
saints  anges  qui  venaient  au-devant  d'elle.  Alors,  se  tournant  vers  les  prêtres 
et  vers  quelques  religieux  qui  récitaient  les  litanies,  elle  leur  dit  ces  paroles  : 
«  Faites  silence,  mes  frères;  ne  voyez-vous  pas  la  procession  qui  entre  en 
celte  chambre  ?  Sachez  que  tous  les  Saints  dont  vous  avez  invoqué  les  noms 
en  vos  prières  sont  présents  en  ce  lieu  pour  assister  à  mon  décès,  et  ensuite 
me  conduire  en  leur  compagnie  dans  le  ciel  ». 

Enfin,  levant  une  seconde  fois  les  yeux,  elle  rendit  son  âme  en  proférant 
ces  paroles  :  «  Je  viens  à  vous,  mon  Seigneur  que  j'ai  tant  aimé  ».  Son  corps 
fut  enseveli  au  même  lieu  de  Pavilly,  en  l'église  de  Saint-Pierre,  où  Dieu  a 
fait  de  nombreux  miracles  par  son  entremise. 

RELIQUES  ET  CULTE  DE  SAINTE  AUSTREBERTE. 

Les  reliques  de  sainte  Austreberte  furent  portées  à  Montreuil-sur-Mer ,  dans  le  cours  du 
XI"  siècle.  On  érigea  en  1032  le  monastère  qui,  en  raison  de  ces  reliques,  prit  le  nom  de  Sainte- 
Autreberte.  Le  29  vendémiaire  an  n,  le  conventionnel  André  Diimont  lit  briser  la  châsse  qui  les 
contenait  :  quelques  ossements  en  furent  retirés  et  sont  aujourd'hui  conservés  en  l'église  parois- 
siale de  Monlreuil,  ainsi  que  son  voile,  ses  manchettes  et  une  partie  de  son  chef.  Ces  reliques  furent 
reconnues  et  authentiquées  en  1803,  puis' en  1805,  par  .Mgr  de  La  Tour  d'Auvergne,  évêqued'Arras. 
L'église  de  Sainl-Wandrille,  arrondissement  d'Yvetot,  et  la  chapelle  de  l'évèché  d'Arras  possèdent 
cbacujie  des  reliques  de  sainte  Austreberte  '. 

A  Sainte-Austreberte,  village  situé  près  de  Pavilly,  existe  un  pèlerinage  où  I'oq  va  honorer  les 
reliques  de  sainte  Austreberte  *. 

Une  autre  localité  da  canton  d'Hesdin  porte  le  même  nom. 

1,  Voir  l'Hagiographie  d'Amiens,  par  M.  Corilet.  —  2.  De  Sivry,  Dict.  des  Pèlerin.,  i,  250. 


SAINTE   AUSTREBEr.TE,    ABBES3E   DE  TAYILLT.  iSo 

Outre  ics  lieux  paroisses,  celles  de  Sainl-Veneux,  dans  la  Pas-Je-Calais,  de  Gantiers  et  de 
Pavilly,  dans  la  Seine-Inférieure,  sont  sous  le  patronage  de  sainte  Austreberte. 

Une  chapelle  qui  lui  est  dédiée  dans  l'église  d'Èsclavelles  (caaton  de  Neufcbltel)  est  le  but 
d'un  pèlerinage  très-fréqueuté  '. 

On  célébrait  sa  fête  dans  les  diocèses  de  Ronen,  de  Saint-Onier,  de  Boulogne,  d'Amiens,  mais  pas 
dans  celui  de  Thérouanne.  La  fête  simple  des  anciens  bréviaires  d'Amiens  s'est  changée  en  une 
simple  mémoire,  avec  leçon  propre.  Sainte  Austreberte  ligure  dans  les  Propres  actuels  de  Rouen 
et  d'Arras. 

Sainte  An=trcberle  est  ordinairement  figurée  en  costume  de  religieuse,  et  couronnée  par  deux 
anges.  AJossie  aux  murs  d'un  chuleau  fûrlifié,  elle  tient  une  croix  de  la  main  droite  et  met  l'autre 
sur  sou  cœur.  A  sa  droite,  une  colonne;  à  sa  gauche,  une  crosse  et  une  couronne  sur  un  coussin. 
On  la  représente  aussi  près  d'un  four  enflammé  -;  mais  on  a  tort  de  lui  faire  parfois  porter  des 
charbons  ardents  dans  son  giron,  ce  qui  n'est  nullement  conforme  à  la  légende  que  nous  avons 
racontée. 

Il  y  avait  jadis  dans  l'église  de  Port  un  tableau  figurant  sainte  Austreberte  au  milieu  d'un  four 
embrasé,  avec  cette  inscription  : 

Je  trouve  assurément  les  ardeurs  do  ce  four 
Moins  Tires  qae  le  fea  de  mon  divin  amour. 

Une  peinture  de  l'église  paroissiale  de  Montreuil-sur-Mer  nous  montre  la  consécration  de  la 
Sainte. 

Dans  la  Vie  parfoicte  de  saincte  Austrebertke,  par  Simon  Martin,  on  trouve  cinq  gravures 
représentant  1°  sainte  Austreberte  tenant  une  grande  croix,  une  discipline  et  une  couronne  d'é- 
pines, entre  sainte  Julienne  et  la  bienheureuse  Maiguerile  d'Arbouse;  2°  le  miracle  du  voile  qui 
lui  apparaît  dans  une  fontaine;  3°  la  traverse  de  la  Canche  à  pied  sec;  4°  le  miracle  de  la  four- 
naise de  Port;  t>'  sainte  Austreberte  à  l'agonie,  voyant  la  procession  des  Saints  qui  viennent  cher- 
cher son  âme. 

M.  l'abbé  Cochet  '  dit,  en  parlant  de  Gerponville  :  «  Nous  y  avons  remarqué  une  statue  de 
sainte  Austreberte,  en  costume  d'abbesse,  aux  pieds  de  laquelle  le  lotip  vert  mange  un  âne  chargé 
de  linge  ».  Le  Père  Cahier  va  nous  expliquer  cette  attribution.  Après  avoir  vu  dans  l'âne  *  un 
symbole  d'humilité,  il  ajoute  plus  loin  (p.  532)  :  «  Cette  légende  populaire  aura  été  greffée  là- 
dessus,  sans  qu'on  en  tiouve  trace  dans  les  biographies  anciennes  de  la  Sainte  ou  de  saint  Phili- 
bert qui  l'avait  nommée  abbesse.  On  prétend  que  le  monastère  de  Pavilly  s'était  chargé  de  blan- 
chir le  linge  de  la  sacristie  de  Jumiéges  et  qu'un  âne  servait  à  Austreberte  pour  transporter  le 
paquet.  La  bête  était  si  raisonnable  et  si  bien  faite  à  son  office,  qu'elle  s'en  allait  toute  seule 
opérer  la  livraison.  Mais,  à  travers  la  forêt  de  Jumiéges,  un  loup  se  jeta  sur  le  docile  animal. 
Sainte  Austreberte,  qui  survenait  là,  réduisit  le  mangeur  à  remplacer  sa  proie.  Cela  fut  exécuté 
tant  que  voulut  l'abbesse,  qui  ne  se  contenta  pas  d'un  seul  voyage.  Aussi,  une  chapelle  commé- 
niorative,  remplacée  plus  tard  par  la  Croix-à-l'Âne,  fut  élevée  dans  ces  bois  dès  le  viii"  siècle, 
dit-on  ;  et  diverses  sculptures  plus  ou  moins  exactement  interprétées,  passent  pour  en  être  la 
reproduction  ». 

M.  Ch.  Henneguier  nous  écrit  que  cette  tradition  donna  lieu  à  une  fête  populaire  qui,  de 
Pavilly  et  de  Marconne,  fut  transplantée  à  Montreuil.  C'était  la  fête  du  Vert.  Un  homme  vêtu 
d'une  peau  de  loup,  peinte  en  vert,  portant  une  charge  de  linge,  montait  des  bords  de  la  Canche 
jusqu'à  l'abbaye,  suivi  d'un  nombreux  cortège.  C'est  là  l'origine  du  nom  de  la  rue  du  Vert- 
Montant. 

Le  riche  album,  encore  inédit,  de  MM.  Dulhoit  contient  le  dessin  des  trois  châsses  de  Montreuil. 

Le  monastère  de  Pavilly,  détruit  par  les  Normands,  fut  relevé  de  ses  ruines  au  xi°  siècle,  mais 
consacré  à  un  prieuré  de  Bénédictins,  sous  le  nom  de  Sainte-Austrebcrte.  II  fut  uni  en  1653  au 
prieuré  conventuel  de  Saint-Sauve,  établissement  qui  disparut  lui-même  en  1740  ^. 

Quant  à  l'abbaye  de  Montreuil,  la  chapelle  a  été  incendiée,  par  accident,  en  1805.  Les  autres 
bàtimenls,  peu  remarquables,  servent  aujourd'hui  de  caserne,  de  manutention  et  de  collège. 

Le  sceau  de  ce  monastère  représentait  la  sainte  Patronne,  tenant  un  livre  d'une  main,  nne 
crosse  perlée  de  l'autre,  avec  la  légende  :  Sanctn  Austreberta.  Elle  est  debout;  une  mante,  qui 
couvre  sa  tète,  retombe  sur  ses  épaules  et  descend  jusqu'aux  pieds  ^. 

Il  est  fait  mention  de  sainte  Auâtreberte  au  martyrologe  romain,  et  Surins  rapporte  sa  vie  en  son 
premier  tome.  Le  Père  Giry  a  aussi  fait  sur  celte  Sainte,  l'an  1S35,  an  livre  entier,  oïl  le  lecteur  verra 
les  uiiraclos  et  les  prodiges  que  Dien  a  opérés  par  ses  mérites  et  son  intercession.  Nous  avons  compléta 
et  rectifié  cette  vie  au  moyen  du  travail  de  M.  Corblet  sur  sainte  Austreberte. 

I.  Decorde,  Essai  hist.  sur  le  canton  de  Neufchàtel,  p.  91.  —  2.  Calend.  benedict.,  i,  10  février. 
3.  Eglises  de  l'arrondissement  d'Yvetot,  n,  195.  —  4.  Caractéristiques  des  Saints,  p.  32. 
5.  Gallia  Christ..  Rothom.  diœc.  —  Toussaint  du  Plessis,  loc.  cit.,  i,  105.  —  6.  Société  de  Sphragis- 
tique,  I,  60.  —  M.  Corblet. 


426  10  FÉVRIER. 


SAINT  GUILLAUME  D'AQUITAINE, 

SAINT  GUILLAUME  DE  MALEVAL,  ET  AUTRES  SAINTS  DU  MÊME  NOi! 
1157.  —  Pape  :  Adriea  IV.  —  Roi  de  France  :  Louis  VII,  k  jeune. 

Le  St.i>;nenr  attend  avec  patience,  ne  voulant  qu'aucun 
pdrissc,  mais  que  tous  aient  recours  à  la  pt^nitence. 
//  Pet.,  III,  9. 

Jamais  un  contraire  ne  paraît  avec  plus  d'éclat  que  par  l'oppositioa  de 
son  contraire,  et  jamais  la  vertu  ne  répand  ses  rayons  avec  un  plus  grand 
lustre  que  par  l'opposition  du  vice.  C'est  ce  qui  paraîtra  très-évidemment  en 
la  vie  de  saint  Guillaume,  premièrement  comte  de  Poitou,  duc  de  Guyenne 
ou  Aquitaine,  et  persécuteur  de  l'Eglise,  puis  très-insigne  pénitent  et  glo- 
rieux confesseur  de  la  grâce  de  Jésus-Christ  ;  de  sorte  que  nous  pouvons 
dire  ces  paroles  du  saint  Apôtre  :  «  Où  le  péché  s'est  déchaîné  avec  plus  de 
débordement,  la  grâce  a  surabondé  avec  plus  d'excès  ».  Cet  illustre  pénitent 
naquit  en  Poitou,  et,  dès  sa  jeunesse,  il  fît  paraître  toutes  sortes  de  mau- 
vaises inclinations,  ne  respirant  que  libertinage  et  débauches. 

Après  la  mort  de  son  père,  il  fut  reconnu  par  tous  les  barons  et  les  sei- 
gneurs du  pays  pour  duc  de  Guyenne  et  comte  de  Poitou,  et  reçut  en  cette 
qualité  les  hommages  et  le  serment  de  fidélité  de  tous  ses  sujets.  On  dit 
qu'il  était  de  si  haute  taille  qu'il  semblait  un  géant.  On  remarque  bien 
quelques  bonnes  œmTes  qu'il  fit  au  commencement  de  son  gouvernement, 
comme  de  bâtir  des  églises  ;  mais,  son  mauvais  naturel  l'entraînant  bientôt 
dans  les  excès,  il  ravit,  à  la  face  de  son  peuple,  la  femme  de  son  frère,  et 
en  abusa  l'espace  de  trois  ans,  sans  que  personne  lui  en  osât  parler.  Le  seul 
évSque  de  Poitiers,  appelé  Pierre,  deuxième  de  ce  nom,  prit  la  hardiesse, 
comme  un  autre  saint  Jean-Baptiste,  de  lui  en  dire  quelques  mots  ;  mais  ce 
cruel  prince,  après  lui  avoir  fait  souffrir  mille  indignités  en  récompense 
d'un  si  charitable  avis,  le  chassa  de  sa  présence.  Cette  passion  le  rendait 
prompt  et  violent,  et,  pour  contenter  ses  appétits,  il  usait  d'une  grande  ri- 
gueur. Il  faisait  battre  outrageusement,  et  même  quelquefois  mettre  à  mort 
ceux  qui  se  voulaient  opposer  à  ses  desseins,  et  se  rendait,  par  ce  moyen, 
insupportable  à  ses  domestiques,  cruel  aux  étrangers,  sans  pitié  pour  son 
peuple  et  ennemi  de  lui-mPme.  11  suscitait  des  querelles  entre  les  seigneurs, 
ses  vassaux,  et  prenait  plaisir  à  les  voir  s'égorger  les  uns  les  autres.  Il  ne 
savait  ce  que  c'était  que  de  pardonner,  et  la  haine  qu'il  avait  une  fois  conçue 
contre  quelqu'un  ne  s'éloignait  jamais  de  sa  pensée,  encore  moins  de  son 
cœur,  où  il  conservait  toujours  le  désir  de  se  venger. 

Le  désordre  de  ce  vice  fray^  le  chemin  à  des  crimes  plus  exécrables,  car 
il  déchargea  sa  rage  contre  le  sanctuaire  de  Dieu,  s'elTorçant,  pour  ainsi 
dire,  de  diviser  la  tunique  de  Jésus-Christ  que  les  soldats  laissèrent  entière, 
et  de  mettre  en  pièces  l'Eglise,  qui  est  toujours  une,  sans  pouvoir  Être  par- 
tagée. Les  troubles  de  ce  temps-là  servirent  fort  à  son  pernicieux  dessein  : 
après  le  décès  du  pape  Honorius  II,  il  s'éleva  un  schisme  dangereux  dans 
l'Eglise.  Pierre  de  Léon,  par  la  malice  de  quelques-uns,  usurpa  injustement 


SAINT  GUILLAUME  D'AQUITAÏNE.  427 

le  Siège  apostolique  et  se  fit  nommer  Anaclet,  contre  le  pape  Innocent  II, 
qui  élail  élu  par  toutes  les  voies  justes  et  canoniques.  Le  parti  d'Innocent 
avait  de  son  côté  la  justice  et  l'équité,  et  celui  d' Anaclet  la  violence  et  la  té- 
mérité des  seigneurs  ;  si  bien  qu'Innocent  fut  contraint  de  céder  à  la  force 
et  de  se  réfugier  en  France.  Il  assembla  un  concile  en  la  ville  d'Etampes, 
par  la  vigilance  et  la  sagesse  de  saint  Bernard,  sagesse  autorisée  par  la  sain- 
teté de  sa  vie  :  les  prélats  déclarèrent  que  l'érection  d'Innocent  était  cano- 
nique, et  celle  d' Anaclet  contraire  aux  lois  divines  et  humaines.  A  cette  con- 
clusion, que  l'on  regardait  comme  un  jugement  du  ciel,  se  soumirent  le  roi 
de  France,  Louis  VI,  dit  le  Gros,  celui  d'Angleterre,  et  avec  eux  presque 
toute  la  chrétienté.  Il  n'y  eut  que  Gérard,  évêque  d'Angoulème,  et  le  duc  de 
Guyenne,  qui  demeurèrent  opiniâtres,  et  qui,  protestant  contre  le  concile, 
en  appelèrent  à  l'antipape.  Innocent  leur  remontra  doucement  la  justice  de 
sa  cause,  et  leur  envoya  des  députés  pour  les  remettre  en  leur  devoir  par 
la  voie  de  la  douceur,  mais  ils  n'en  tinrent  aucun  compte.  C'est  pourquoi  le 
vrai  Pape,  voyant  que  les  remèdes  doux  ne  profitaient  en  rien,  prit  en  main 
le  glaive  de  l'analhème  et  les  retrancha  du  nombre  des  fidèles.  Le  duc  en 
fut  si  irrité,  qu'il  publia  un  édit  par  toutes  ses  terres  en  faveur  d'Anaclet, 
imposant  des  peines  très-sévères  à  tous  ceux  qui  refuseraient  de  le  recon- 
naître pour  pape  ;  il  bannit  les  évoques  qui  suivaient  le  parti  d'Innocent,  et 
s'empara  de  leurs  biens  ;  et,  de  sa  main,  comme  exécuteur  de  la  justice  en 
sa  propre  cause,  il  mit  l'évoque  de  Poitiers,  aussi  nommé  Guillaume,  et 
surnommé  Adelin,  hors  de  son  siège,  et  le  chassa  de  la  ville. 

Pour  remédier  à  ces  désordres  et  ramener  ce  duc  à  la  raison,  le  Pape 
députa  saint  Bernard  avec  Josselin,  ou  Gosselin,  évêque  de  Soissons,  et  leur 
donna  la  qualité  de  légats  en  Guyenne.  Le  Saint  trouva  le  duc  fort  obstiné 
et  très-difficile  à  aborder  :  ce  qui  l'obligea  de  se  retirer  dans  un  monastère 
de  son  Ordre  ;  mais,  après  qu'il  y  fut  demeuré  quelque  temps,  le  duc  le  vi- 
sita et  fut  sept  heures  en  conversation  avec  lui,  durant  lesquelles  saint  Ber- 
nard ne  lui  parla  que  de  l'incertitude  et  de  la  brièveté  de  cette  vie,  de  la 
vanité  des  grandeurs  du  monde,  de  la  peine  des  méchants  et  de  la  récom- 
pense des  bons. 

Mais  le  fruit  n'était  pas  encore  mûr  :  le  duc  n'écoutait  ni  la  grâce  ni  la 
raison  ;  ainsi,  bien  loin  de  tirer  profit  des  paroles  de  saint  Bernard,  il  s'ai- 
grit davantage  contre  lui,  protestant  que  s'il  ne  sortait  de  ce  lieu,  où  il 
croyait  être  en  assurance,  il  le  ferait  mourir.  Le  saint  abbé  était  touché  de 
cette  mauvaise  humeur  du  duc,  et  encore  plus  de  son  procédé,  parce  qu'il 
nommait  de  nouveaux  évêques  de  son  parti,  et  les  mettait  en  la  place  de 
ceux  qu'il  avait  chassés  ;  ce  qui  faisait  douter  de  l'heureux  succès  de  l'af- 
faire. Le  pape,  en  étant  averti,  joignit  aux  autres  légats  Godefroi,  évêque 
de  Chartres,  et  plusieurs  autres  prélats  célèbres  en  doctrine  et  en  sainteté. 
Le  duc  en  ayant  reçu  la  nouvelle,  contre  l'espérance  générale,  prit  jour 
pour  se  trouver  à  Parthenay,  où,  après  plusieurs  conférences,  il  consentit  à 
quitter  Anaclet,  pour  obéir  à  Innocent,  pourvu  que  les  évêques  qu'il  avait 
nommés  fussent  maintenus  dans  leurs  sièges,  parce  qu'ayant  annexé  la  plu- 
part des  biens  ecclésiastiques  à  son  domaine,  il  n'avait  pas  envie  de  restituer 
ce  qu'il  avait  ainsi  usurpé. 

Comme  on  désespérait  de  rien  gagner  sur  lui,  saint  Bernard  dit  qu'il  ne 
fallait  pas  tant  de  pourparlers,  mais  qu'il  était  nécessaire  d'avoir  recours  à 
Dieu,  qui  prend  plaisir  à  faire  paraître  son  pouvoir,  quand  la  puissance  hu- 
maine est  à  bout.  Toute  l'assemblée  entra  dans  l'église,  excepté  le  duc  et 
ses  partisans,  parce  qu'ils  étaient  excommuniés  ;  et  saint  Bernard  se  pré- 


428  10  FÈVMER. 

senta  à  l'autel  pour  offrir  à  Dieu  l'augusle  sacrifice  de  son  Fils,  pour  les  in- 
térêts duquel  on  était  assemblé,  puisque  l'affaire  regardait  l'Eglise,  son 
épouse.  Après  la  consécration,  le  saint  abbé  prit  le  corps  de  Jésus-Christ 
sur  la  patène,  et,  sortant  du  sanctuaire,  il  s'avança  vers  la  porte  de  l'église 
avec  un  visage  plein  de  zèle,  des  yeux  étincelants  de  charité  et  un  ton  de 
voix  qui  donnait  de  la  terreur  ;  et,  tenant  ainsi  entre  les  mains  ce  précieux 
gage  de  notre  rédemption,  il  parla  au  duc  en  cette  sorte  :  «  Nous  t'avons 
prié  et  tu  nous  as  méprisés  ;  tous  ces  serviteurs  de  Dieu  t'ont  supplié,  et  tu 
n'en  as  pas  tenu  compte  :  voici  le  Fils  do  la  Vierge,  le  Chef  et  le  Seigneur  de 
l'Eglise  que  tu  persécutes,  qui  vient  devant  toi  ;  voici  ton  Juge,  et  ton  âme 
passera  bientôt  par  ses  mains  ;  voyons  si  tu  feras  cas  de  lui,  ou  si  tu  lui  tour- 
neras le  dos  comme  à  nous».  Le  duc  ne  pouvant  supporter  l'éclat  de  la 
voix  de  saint  Bernard,  et  moins  encore  la  présence  du  Dieu  vivant,  fut  saisi 
d'une  telle  frayeur,  qu'il  tomba  par  terre,  et,  écumant  comme  un  forcené, 
il  ne  pouvait  dire  un  seul  mot  ;  il  fut  relevé  par  ses  officiers,  mais  il  retom- 
bait autant  de  fois,  jusqu'à  ce  que  saint  Bernard  l'eût  touché  de  son  pied, 
et  lui  eût  commandé  de  se  lever  et  de  dire  tout  haut  ses  intentions.  En  ce 
moment,  la  main  du  Tout-Puissant  fit  un  tel  changement  dans  le  cœur  en- 
durci de  Guillaume,  que,  l'ayant  rendu  d'f..fant  de  rébellion  un  fils  d'obéis- 
sance, il  promit,  en  présence  de  toute  la  compagnie,  de  renoncer  à  Anaclet, 
de  reconnaître  Innocent  pour  le  vrai  et  légitime  Pape,  de  remettre  les  évo- 
ques en  leurs  sièges  et  de  restituer  leurs  biens  ;  pour  preuve  de  son  obéissance, 
il  donna  le  baiser  de  paix  à  l'évêque  de  Poitiers,  et  employa  pour  le  rétablir 
la  même  main  qui  lui  avait  servi  pour  le  cliasser  de  son  palais.  Pour  Anaclet, 
il  fut  emporté  à  quelque  temps  de  là  par  une  mort  subite,  comme  aussi  le 
malheureux  Gérard  d'Angoulème,  qui  se  rompit  le  cou  en  tombant  de  cheval. 
La  légation  ayant  eu  cufin  un  si  heureux  succès,  saint  Bernard  s'en  re- 
tourna à  Clairvaux;  et  comme  le  duc,  pour  avoir  quitté  le  schisme,  n'avait 
pas  laissé  entièrement  ses  débauches,  il  se  mit  à  prier  pour  sa  conversion, 
ajoutant  à  ses  prières  celles  des  religieux,  et  obtint  de  la  miséricorde  de 
Dieu  ce  qu'il  demandait,  car  le  duc  se  sentit  touché  intérieurement,  et,  se 
souvenant  des  remontrances  que  saint  Bernard  lui  avait  faites  en  cet  entre- 
tien de  sept  heures,  il  devint  tout  autre,  et  perdit  en  un  moment  le  désir 
des  libertés  qui  lui  faisaient  aimer  la  vie.  Son  esprit  n'était  plus  occupé  que 
de  saintes  pensées,  et  il  prononçait  souvent  ces  paroles  du  plus  profond  de 
son  cœur  :  «  N'entrez  point.  Seigneur,  en  jugement  avec  votre  serviteur, 
car  nul  homme  ne  pourra  jamais  se  justifier  devant  vous  ».  Guillaume  ne 
pensant  plus  qu'au  salut  de  son  âme  et  au  pardon  des  oflénses  dont  elle 
ét;iit  chargée,  fut  averti  qu'il  y  .avait  un  ermite  dans  une  forêt,  près  de 
Poitiers,  dont  la  vie  était  fort  exemplaire  ;  il  résolut  de  l'aller  voir  et  de 
prendre  son  conseil  sur  ce  qu'il  avait  à  faire  pour  réparer  les  désordres  de 
sa  vie  passée.  Ce  saint  personnage,  qui  n'était  pas  instruit  dans  sa  solitude 
des  nouvelles  du  siècle,  ne  savait  rien  du  changement  arrivé  à  son  seigneur; 
lors  donc  qu'il  sut  son  arrivée,  il  s'imagina  qu'après  avoir  persécuté  les 
évoques  des  villes,  il  venait  au  désert  pour  y  tyranniser  les  ermites;  il  le 
rebuta  d'abord  et  lui  reprocha  sa  mauvaise  vie;  mais,  après  avoir  vu  l'abon- 
dance de  ses  larmes  et  les  protestations  qu'il  faisait  de  s'amender,  il  lui  ou- 
vrit la  porte  et  lui  parla  quelque  temps  sur  la  nécessité  de  faire  pénitence. 
Comme  Guillaume  désirait  en  savoir  les  moyens,  l'ermite,  ne  se  croyant  pas 
assez  éclairé  pour  cela,  l'envoj'a  à  un  autre  plus  docte  et  plus  capable  que 
lui.  Celui-ci  le  reçut  avec  charité,  le  félicitant  de  sa  conversion,  et  l'assurant 
de  la  divine  miséricorde,  quoiqu'elle  eût  été  infiniment  offensée  par  toutes 


SAINT  GUILLAtitE   D' AQUITAINE.  429 

ses  impiétés.  Ensuite  il  lui  conseilla  de  ne  plus  penser  qu'au  ciel,  d'aban- 
donner ses  Etats  temporels  pour  ne  plus  mener  qu'une  vie  crucifiée. 

Ce  prince,  pour  qui  toute  l'Eglise  avait  versé  des  larmes  comme  pour  un 
enfant  perdu,  et  qu'elle  avait  eu  en  exécration  comme  l'ennemi  juré  de  son 
repos,  s'en  retourna  résolu  à  ce  changement  exemplaire,  qui  causa  tant  de 
joie  aux  anges  et  tant  de  consolation  aux  fidèles.  Il  voulut,  néanmoins,  pro- 
céder sans  bruit  en  cette  sainte  entreprise,  pour  n'être  pas  traversé  par  ses 
parents  ni  détourné  par  ses  proches,  qui,  en  de  semblables  circonstances, 
ne  sont  pas  les  moindres  ennemis.  Il  mit  ordre  à  ses  affaires  publiques  et 
particulières,  et  fît  son  testament,  par  lequel  il  laissait  ses  deux  filles  sous 
la  protection  du  roi  de  France,  destinant  son  aînée,  appelée  Eléonore,  au 
prince  Louis,  fils  du  même  roi,  et  lui  assignant  pour  la  dot  de  son  mariage 
la  Guyenne  et  le  Poitou.  Il  fit  aussi  beaucoup  de  legs  pieux  à  plusieurs  mo- 
nastères, et  distribua  ses  finances  aux  pauvres;  enfin  il  prit  ses  bagues  et  ses 
joyaux  pour  en  faire  le  même  usage.  Ayant  ainsi  réglé  toutes  choses,  il  se 
déroba  secrètement  de  sa  cour,  et  s'en  alla  revoir  ce  saint  ermite  sans  être 
suivi  de  personne.  Etant  rencontré  en  ce  pauvre  équipage  par  des  seigneurs, 
ils  jugèrent  mal  de  lui  et  de  son  dessein,  et  lui  donnèrent  mille  impréca- 
tions ;  mais  Dieu,  qui  pénètre  dans  le  fond  des  âmes,  le  combla  de  mille 
bénédictions  pour  cette  malédiction.  Quand  il  fut  arrivé,  l'ermite  lui  parla 
de  cette  sorte  :  «  Vous  n'avez  pas  oublié  les  crimes  que  vous  avez  commis, 
combien  de  sang  vous  avez  répandu,  en  quels  incestes  et  en  quels  adultères 
vous  vous  êtes  plongé,  combien  de  meurtres  et  de  vols  ont  été  faits  sous 
votre  nom  dans  tous  vos  Etats.  Dieu  est  miséricordieux,  il  est  vrai,  et  il  tend 
les  bras  à  ceux  qui  reviennent  à  lui  ;  mais  il  faut  que  la  pénitence  soit  en 
rapport  avec  la  grandeur  et  avec  la  multitude  des  péchés,  et  que,  sans  se  flatter, 
on  s'efforce  d'y  satisfaire.  Cest  beaucoup  qu'après  tant  d'abominations  Dieu 
se  montre  favorable  au  pécheur,  et  qu'il  ne  veuille  pas  lui  refuser  sa  grâce. 
Ne  trouvez  donc  pas  étrange  la  pénitence  que  je  veux  vous  enjoindre  ;  elle 
est  convenable  à  la  qualité  de  vos  offenses  :  pour  expier  tous  les  crimes  que 
vous  avez  commis  par  les  mouvements  de  votre  impureté,  vous  porterez  la 
haire  et  vous  jeûnerez  le  reste  de  vos  jours.  Pour  les  vols  et  les  brigandages 
de  vos  soldats,  vous  vendrez  vos  joyaux  et  donnerez  l'argent  aux  pauvres, 
sans  vous  réserver  autre  chose  que  la  divine  Providence  ;  et  pour  le  sang 
humain  qui  a  été  cruellement  répandu  par  vos  violences,  il  y  a  en  ce 
désert  un  armurier  qui  fera  des  armes  sur  la  mesure  de  votre  corps;  et  au 
lieu  de  les  porter  comme  auparavant  au-dessus  de  vos  vêtements,  vous 
les  porterez  sur  la  chair,  couverte  seulement  d'une  haire  » .  Ce  pénitent, 
saisi  d'une  extrême  douleur  pour  l'énormité  de  ses  péchés,  dépouilla  incon- 
tinent ses  habits,  prit  une  rude  haire,  mit  le  casque  en  tête,  endossa  la  cui- 
rasse et  se  lia  tout  à  l'entour  de  dix  chaînes.  L'armurier  riva  si  adroitement 
les  clous  auxquels  elles  tenaient  qu'il  ne  les  pouvait  ôter,  et  l'ermite  lui 
commanda  d'aller  en  cet  équipage  se  jeter  aux  pieds  du  pape  Eugène  III 
(Innocent  était  décerné  depuis  peu),  afin  d'être  absous  de  ses  crimes  et  de 
son  excommunication  qui  n'était  pas  encore  levée. 

L'horreur  de  ses  péchés  et  la  crainte  d'être  prévenu  d'une  mort  soudaine 
lui  pesaient  si  fort  sur  le  coeur,  qu'il  s'en  alla  aussitôt  vers  le  pape  Eugène, 
qui  était  à  Reims  :  et  là,  se  jetant  à  ses  pieds,  il  lui  demanda,  avec  une  pro- 
fonde humilité,  d'être  absous  de  tous  ses  crimes.  Eugène  le  voyant  en  cet 
état,  ne  se  pouvait  persuader  que  ce  fût  ce  redoutable  duc  de  Guyenne,  mais 
plutôt  un  impudent  qui  s'humiliait  en  apparence  pour  gagner  de  l'argent. 
Il  le  rebuta  d'abord,  et  le  traita  fort  rudement  ;  Dieu  inspira  cette  sévérité 


400  10  FÉVRIER. 

au  clief  de  l'Eglise,  afin  de  mieux  éprouver  la  fidélité  de  son  nouveau  servi- 
teur. Le  duc  se  relira  frappant  sa  poitrine,  criant  miséricorde  et  confessant 
publiquement  ses  péchés,  ses  meurtres,  son  inceste  de  trois  ans,  sa  déso- 
béissance, et  sa  rébellion  à  l'Eglise,  mais  avec  tant  de  larmes  et  do  soupirs, 
que  toute  l'assistance,  au  lieu  de  s'en  scandaliser,  en  était  édiliée.  11  se  pré- 
senta une  seconde  fois  au  Pape,  mais  Sa  Sainteté  ne  le  voulut  pas  recevoir, 
jusqu'à  ce  qu'elle  fût  assurée  qu'il  était  véritablement  dans  le  repentir, 
qu'elle  eût  entendu  ses  sanglots,  vu  les  larmes  qui  coulaient  de  ses  yeux,  et 
qu'elle  eût  su  que  son  lit  était  le  pavé,  et  qu'il  portait  une  cuirasse  clouée 
sur  son  corps,  ces  marques  de  contrition  ne  se  trouvant  pas  aisément  dans 
une  Urne  dissimulée.  Alors  le  Pape  adressa  un  bref  au  patriarche  de  Jéru- 
salem, avec  pouvoir  d'absoudre  entièrement  ce  pénitent  de  l'excommunica- 
tion de  ses  crimes. 

Le  duc,  plus  satisfait  que  s'il  eût  eu  la  tête  couronnée  de  toutes  les  cou- 
ronnes de  l'univers,  partit  aussitôt  de  Reims,  et  se  mit  en  chemin  pour 
l'Italie;  au  premier  port  de  mer,  ayant  rencontré  un  vaisseau  tout  i\  propos, 
il  s'embarqua  et  arriva  en  peu  de  jours  à  Jérusalem  ;  il  alla  donc  se  pros- 
terner aux  pieds  du  patriarche,  et  lui  présenta,  avec  abondance  de  larmes 
et  de  sanglots,  le  bref  du  Pape,  le  suppliant  de  le  vouloir  absoudre.  Le  pa- 
triarche, voyant  sa  grande  pénitence,  la  douleur  de  son  cœur,  le  long  che- 
min qu'il  avait  fait,  les  plaisirs  et  les  honneurs  qu'il  laissait,  et  sachant  qu'il 
était  le  duc  de  Guyenne,  leva  l'excommunication,  et  lui  donna  une  absolu- 
tion générale  de  tous  ses  crimes.  Ce  prélat  eût  bien  désiré  l'arrêter  en  son 
palais,  parce  que  son  père  avait  servi  autrefois  le  feu  duc  de  Guyenne;  mais 
ce  prince  pénitent  l'en  remercia  avec  beaucoup  d'humilité,  se  contentant 
d'un  trou  de  muraille  qui  ressemblait  à  la  cabane  d'un  lépreux  :  il  y  de- 
meura neuf  ans,  sans  autre  nourriture  que  du  pain  noir  et  de  l'eau  pure.  Il 
n'avait  point  d'autre  habit  que  sa  cuirasse  ;  la  haire  lui  servait  de  chemise, 
la  terre  de  lit,  un  caillou  d'oreiller,  et  le  toit  de  couverture.  Sa  peau  était 
écorchée  et  sa  chair  toute  meurtrie,  à  cause  des  armures  qu'il  ne  dépouillait 
point  ;  mais  sa  ferveur  ne  se  ralentit  point  au  milieu  de  ces  austérités,  et  son 
esprit  en  devint  même  plus  vigoureux.  Ses  yeux  ne  s'ouvraient  que  pour 
regarder  le  ciel  ;  il  se  frappait  la  poitrine,  pleurait  continuellement  et  passait 
toutes  les  nuits  en  oraison,  disant  à  ceux  qui  en  étaient  surpris,  que  le  serviteur 
de  Dieu  doit  prier  sans  cesse,  s'employer  aux  bonnes  œuvres,  et  ne  manger 
et  ne  boire  que  par  mesure,  quand  même  ce  ne  serait  que  de  l'eau.  Enfin  il 
n'avait  point  de  honte  de  confesser  publiquement  ses  péchés,  et  de  protester 
que  le  soleil,  depuis  la  création  des  siècles,  n'avait  pas  vu  un  pécheur 
semblable  à  lui. 

Cependant,  son  absence  mit  les  gens  de  sa  maison  eu  peine  :  ils  le  cher- 
chèrent de  tous  côtés,  et  ayant  su  qu'il  avait  pris  le  chemin  de  Jérusalem, 
ils  s'embarquèrent  immédiatement.  L'ayant  trouvé  en  celte  pauvre  cabane, 
ils  ne  purent  d'abord  se  résoudre  à  lui  parler,  à  cause  de  l'état  pitoyable  où 
ils  le  voyaient;  néanmoins,  ils  le  firent  enfin,  et  s'eflorcèrent  de  lui  persuader 
de  revenir  et  de  quitter  ses  rigoureuses  austérités,  lui  représentant  qu'il 
mériterait  plus  à  sa  cour,  où  il  maintiendrait  son  peuple  en  repos,  et 
ferait  de  belles  ordonnances,  qu'en  cette  solitude,  et  que  sa  qualité  l'obli- 
geait de  travailler  plutôt  à  l'utilité  publique  qu'à  son  intérêt  propre  et  par- 
ticulier. Le  Saint  ferma  les  oreilles  à  leurs  paroles  comme  au  sifflement 
d'un  serpent,  sachant  bien  qu'ils  montraient  l'appât  et  cachaient  l'aiguillon, 
et  qu'ils  couvraient  d'un  spécieux  prétexte  les  dangers  évidents  auxquels 
sont  exposés  les  princes  du  monde,  et  auxquels  ils  n'échappent  qu'avec 


SAINT  GUILLAUME  D'AQUTTiVlIÎE.  431 

peine.  Ceux-ci  donc,  voyant  qu'ils  ne  pouvaient  le  ramener  par  la  douceur, 
ni  le  gagner  par  leurs  raisons,  résolurent  de  l'enlever  de  force;  mais  ce  des- 
sein étant  venu  à  la  connaissance  du  Saint,  il  se  retira  dans  les  déserts  ; 
après  y  être  demeuré  quelques  mois,  il  repassa  la  mer  pour  retourner  eu 
Italie,  et  prit  enfin  terre  sur  les  conQns  de  la  seigneurie  de  Lacques. 

En  ce  même  temps,  les  Lucquois  étaient  en  guerre  contre  plusieurs  de 
leurs  voisins;  et  lorsque  ce  nouveau  pèlerin  aborda  en  leurs  terres,  ils 
avaient  mis  depuis  quelques  jours  le  siège  devant  un  château  dont  ils  ne 
pouvaient  se  rendre  maîtres.  Le  duc  Guillaume,  dont  l'humeur  martiale 
n'était  pas  encore  éteinte,  se  sentit  ému  par  un  objet  si  agréable  à  son  sou- 
venir :  ayant  relâché  quelque  peu  de  ses  austérités,  il  les  quitta  ensuite  tout 
à  fait,  rompit  les  chaînes  dont  il  était  ceint,  dépouilla  les  armes  qui  étaient 
comme  collées  à  son  corps,  et,  prenant  les  habits  que  l'occasion  lui  pré- 
senta, il  s'en  vint  à  Lucques,  s'adressa  aux  principaux  de  l'Etat,  et,  leur 
offrant  son  service  pour  la  guerre,  il  leur  donna  parole  de  mettre  en  leur 
pouvoir,  dans  vingt-quatre  heures,  le  château  qu'ils  tenaient  assiégé.  0  ré- 
solutions mortelles,  que  vous  êtes  légères!  0  constance  humaine,  que  tu  es 
inconstante  !  A  quoi  prend  garde  ce  pénitent,  et  où  se  porte  le  cœur  de 
l'homme  quand  Dieu  l'abandonne  ?  mais  Notre-Seigneur  ne  l'a  pas  conduit 
jusqu'ici  pour  le  perdre,  ni  afin  qu'il  serve  de  trophée  au  démon. 

Les  Lucquois,  jugeant  à  sa  taille  et  à  son  port,  mais  encore  plus  à  sa  pa- 
role, ce  qu'il  était  en  effet,  acceptèrent  son  offre,  et  lui  donnèrent  le  com- 
mandement de  l'armée.  Mais,  comme  il  se  disposait  à  exécuter  ce  qu'il  avait 
promis,  et  qu'il  prenait  les  armes  pour  se  mettre  en  campagne  à  la  lêle  de 
l'armée,  il  devint  aveugle,  et  pria  quelqu'un  de  lui  donner  la  main  pour 
marcher,  parce  qu'il  ne  voyait  plus.  Ceci  arriva  en  présence  des  capitaines, 
qui  ne  savaient  que  penser  d'un  si  étrange  accident  :  mais  lui  reconnut  bien 
que  c'était  un  coup  de  la  puissante  main  de  Dieu,  et  une  conduite  de  sa 
sainte  Providence,  qui  le  voulut  affliger  sans  le  perdre,  et,  par  cet  aveu,!j;le- 
ment  corporel,  lui  rendre  la  lumière  de  l'âme.  11  se  prosterna  publiquement 
à  terre,  et,  tout  baigné  de  larmes,  il  confessa  son  péché  et  reprit  sa  pre- 
mière ferveur.  11  partit  de  Lucques  après  avoir  recouvré  la  vue  et  s'embar- 
qua pour  retourner  à  Jérusalem,  résolu  d'expier  le  reste  de  ses  crimes.  Etant 
sur  mer,  il  fut  pris  par  des  pirates,  dont  il  souffrit  mille  maux,  et  qui,  sans 
doute,  ne  lui  eussent  pas  laissé  la  vie,  parce  qu'il  était  chrétien,  si  Dieu  ne 
l'eût  pris  sous  sa  protection,  et  ne  lui  eût  fourni  le  moyen  d'échapper  de 
leurs  mains  aussitôt  qu'ils  l'eurent  mis  à  terre.  Se  voyant  en  liberté,  il  re- 
monta sur  mer  pour  aller  en  Galice,  visiter  les  reliques  de  l'apôtre  saint 
Jacques  ;  après  quoi  il  revint  en  Italie,  et  se  cacha  en  la  forêt  de  Livanie, 
qui  n'était  qu'une  retraite  d'animaux  sauvages  et  un  repaire  de  reptiles 
venimeux.  Ce  fut  en  ce  lieu  qu'il  recommença  sa  pénitence,  résolu  de  la 
continuer,  malgré  toutes  les  attaques  des  démons,  qui  employaient  mille 
artifices  pour  l'épouvanter  :  la  forêt  semblait  quelquefois  trembler  aux  cris 
horribles  et  aux  hurlements  effroyables  de  ces  esprits  d'enfer  ;  mais,  par  la 
faveur  du  ciel,  il  était  sans  crainte  au  milieu  de  tant  de  sujets  de  frayeur, 
et  jouissait,  parmi  ces  tempêtes,  d'une  grande  tranquillité,  provoquant 
même  ses  ennemis  au  combat.  Un  démon  lui  apparut  sous  la  forme  du  duc, 
son  père,  et  lui  commanda  de  quitter  le  désert,  l'assurant  que  ses  crimes 
étaient  pardonnes,  et  que  c'était  la  volonté  de  Dieu.  Guillaume  aperçut 
bientôt  cet  artifice,  et  protesta  qu'il  redoublerait  sa  pénitence,  puisqu'elle 
leur  faisait  tant  de  dépit  :  il  y  mit  un  courage  invincible  et  tourmenta  si 
cruellement  son  corps,  qu'il  semblait  ou  n'être  pas  à  lui,  ou  être  de  bronze. 


432  iO  FÉVRIER. 

Une  fois,  la  porte  de  sa  cellule  fut  enfoncée  sous  l'effort  de  ses  ennemis  qui 
le  blessèrent  de  telle  sorte  qu'il  demeura  comme  mort,  et  il  était  en  danger 
de  la  vie,  parce  que  le  lieu  étant  fort  solitaire,  il  n'y  avait  nulle  apparence 
de  secours  humain.  Mais  la  très-sainte  Vierge,  dont  il  avait  imploré  la  fa- 
veur pendant  le  combat,  lui  apparut,  suivie  de  deux  autres  saintes,  brillante 
comme  un  soleil  ;  et,  touchant  doucement  ses  plaies,  elle  lui  rendit  la 
santé  et  lui  donna  un  nouveau  courage  pour  persévérer  dans  sa  résistance 
contre  les  ennemis  de  son  salut. 

Cependant,  le  bruit  de  sa  sainteté  se  répandant  par  tout  le  pays,  plusieurs 
vinrent  à  lui  pour  se  ranger  sous  sa  conduite  :  cela  lui  fit  entreprendre  de 
remettre  en  vigueur  l'Ordre  des  Ermites  qui  était  entièrement  déchu  de 
l'observance  régulière.  Il  ordonna  que  ceux  qui  y  seraient  reçus  feraient  le 
vœu  d'obéissance  à  un  supérieur,  se  conduiraient  par  ses  conseils,  et  n'en- 
treprendraient rien  sans  lui.  Dieu  donna  sa  bénédiction  à  ce  dessein  ;  de 
sorte  que  cet  Ordre  s'étendit  en  beaucoup  de  provinces  de  France,  de  Saxe 
et  de  Bohême,  et  que  l'Eglise  en  reçut  un  grand  service. 

Ses  actions  ne  prêchaient  que  la  mortification,  et  ses  discours  ne  rou- 
laient que  sur  la  pénitence  ;  il  disait  souvent  à  ses  religieux  :  «  Que  plu- 
sieurs âmes,  qui  avaient  fait  autrefois  profession  de  religion,  brûlaient  dans 
les  enfers  et  soupiraient  après  la  haire  de  saint  Jérôme,  après  les  larmes 
d'Arsène,  après  le  lit  d'Eulalius,  après  la  nudité  de  saint  Paul,  après  la 
nourriture  d'Elisée,  et  après  les  plus  rudes  austérités  ;  mais  que  ces  désirs 
ne  leur  servaient  de  rien,  parce  qu'ils  ne  les  avaient  pas  mis  à  exécution 
pendant  leur  vie  ».  Il  gouverna  pendant  quelque  temps  cette  communauté 
en  paix  ;  mais  depuis,  il  fut  tourmenté  par  ses  propres  disciples,  la  Provi- 
dence divine  le  permettant  ainsi,  afin  que  sa  vie  fût  un  martyre  continuel  : 
il  fut  môme  forcé,  par  leurs  calomnies,  de  quitter  le  désert,  d'où  il  n'avait 
pu  Être  chassé  par  tous  les  esprits  malins.  Il  se  retira  donc  sur  une  mon- 
tagne nommée  Pérée,  mais  il  la  laissa  aussitôt,  à  cause  des  bergers  qui  y 
amenaient  leurs  troupeaux  et  troublaient  sa  solitude.  De  là  il  descendit 
en  la  ville  de  Castiglione-Aretino,  dans  la  Toscane,  où  il  guérit  miraculeu- 
sement la  femme  de  son  hôte,  et  quand  il  vit  que  la  ville,  pour  cette  guéri- 
son,  commençait  à  le  considérer  et  à  lui  faire  beaucoup  d'honneur,  il  partit 
de  nuit  et  s'en  vint  en  une  vallée,  près  de  Sienne,  appelée  l'Etable  de 
Rhodes,  autrement  Mala-Val.  Il  demeura  seul  en  ce  désert  jusqu'à  ce  que, 
se  sentant  exténué  de  vieillesse  et  cassé  par  tant  d'austérités,  il  fut  contraint 
de  prendre  un  serviteur,  nommé  Albert,  pour  le  servir  en  ses  nécessités.  Il 
avait  soin  de  l'instruire  en  la  vertu,  et  l'autre,  en  récompense,  lui  allait 
chercher  de  quoi  vivre.  Un  jour  qu'ils  étaient  en  oraison,  la  lampe  qui  les 
éclairait  tomba  à  terre  et  s'éteignit,  et  toute  l'huile  fut  répandue  ;  mais  le 
tout  fut  remis  en  son  premier  état  par  la  prière  du  Serviteur  de  Dieu. 

Au  bout  de  deux  ans,  il  fut  atteint  d'une  maladie  dont  il  prédit  l'issue 
au  médecin,  l'assurant  que  ses  remèdes  ne  lui  serviraient  de  rien,  puisque 
le  Saint-Esprit  lui  avait  révélé  le  jour  et  l'heure  de  son  décès.  Pour  s'y  dis- 
poser, il  voulut  recevoir  le  saint  Viatique,  afin  de  se  munir  contre  les  enne- 
mis de  notre  salut,  qui  font  leurs  derniers  efforts  lorsque  les  hommes  sont 
sur  le  point  de  quitter  ce  monde.  Son  compagnon  ne  lui  manqua  pas  en 
cette  extrémité  :  il  fit  venir  un  prêtre,  qui  lui  apporta  le  corps  de  Notre- 
Seigneur  ;  il  le  reçut  avec  des  témoignages  de  piété  et  de  componction,  qui 
tiraient  les  larmes  des  yeux  de  ceux  qui  étaient  présents.  Il  prédit  à  Albert, 
qui  s'attristait  de  leur  séparation,  que  Dieu  le  pourvoirait  d'un  ûdèle  com- 
pagnon ;  et  il  n'eut  pas  si  tôt  achevé  ce  discours,  que  Regnault,  homme  de 


SAIîiT   GUILLAUME  D'AQUITAINE.  433 

bien,  sage  et  riche,  se  vint  présenter  à  lui  et  lui  promit  d'abandonner  le 
monde  et  de  passer  le  reste  de  ses  jours  en  ce  désert.  Enfin,  le  dixième  jour 
de  février,  l'an  Ho7,  levant  les  mains  en  haut  pour  remercier  la  divine 
Bonté  des  grâces  qu'il  en  avait  reçues,  il  rendit  son  âme  à  son  Créateur.  Son 
corps  fut  enterré  dans  un  petit  jardin  qu'il  cultivait  lui-môme,  et  au-dessus 
de  son  tombeau  fut  érigé  un  oratoire  que  les  chrétiens  visitent  avec  beau- 
coup de  vénération,  à  cause  des  grâces  qu'ils  y  reçoivent  de  Dieu  par  les 
mérites  du  Saint.  Mais  quand  il  n'y  aurait  point  d'autre  miracle  que  celui 
de  sa  conversion  et  de  sa  pénitence,  n'est-il  pas  plus  que  suffisant  pour  nous 
faire  admirer  la  force  et  reconnaître  l'excès  de  la  divine  miséricorde,  qui  ne 
paraît  pas  moins  admirable  en  tirant  l'homme  de  son  péché  que  sa  puis- 
sance ne  paraît  infinie  en  tirant  le  monde  des  abîmes  du  néant  ? 

Sa  Tle  s  été  écrits  fort  «a  long  par  réreqae  Tbibaolt,  et  abrégée  par  Snrltu,  il  qui  nous  l'aroiu  egf 
pruntée. 

AUTRES  SAINTS  DU  NOM  DE  GUILLAUME. 

Les  historiens  reconnaissent  aujourd'hui  plusieurs  Guillaume,  dont  il  n'est  pas  facile  de  distin- 
guer les  aclions.  Ce  que  raconte  le  P.  Giry  se  rapporte  surtout  à  Guillaume  de  Maleval  et  à  Guil- 
laume de  Guyenne.  Son  récit  intéresse  tant  que  nous  n'avons  pas  osé  le  changer.  Noas  allons  seule- 
ment y  suppléer  par  plusieurs  notices. 

Snnt  Guillnume  de  iMaleval,  ermite. —  Sa  jeunesse  est  inconnue.  11  fit  le  pèlerinage  de  Rome; 
le  pape  Eugène  111  l'envoya  à  Jérusalem  pour  l'expiation  de  ses  péchés.  Il  partit  en  1145.  En  H53, 
il  se  fit  ermite  en  Italie.  En  H55,  il  entra  dans  l'affreuse  solitude  de  Maleval.  Il  mourut  en  1157. 
Sa  vie  est  racontée  par  le  P.  Giry,  comme  on  vient  de  le  voir,  avec  les  plus  grands  détails. 

Les  solitaires,  ses  disciples,  bâtirent  un  ermitage  avec  une  chapelle  sur  son  tombeau.  Telle  fut 
l'origine  de  l'Ordre  des  Guillelmites,  que  Grégoh-e  IX  mit  sous  la  règle  de  Saint-Benoit.  Cette  con- 
grégation a  été  depuis  unie  à  celle  des  Ermites  de  Saint-Augustin.  Ils  portaient  un  habit  blanc 
comme  les  Cisterciens.  On  faisait  la  fête  de  saint  Guillaume,  à  Paris,  dans  l'église  des  Blancs- 
Manteaux,  qui  appartint  aux  Guillelmites,  de  1297  à  1618. 

Siinl  Guillaume,  fondateur  des  Ermites  de  Monte-Vergine,  dans  le  royaume  de  Naples.  Ce 
Saint  est  nommé  le  25  juin  dans  le  martyrologe  romain. 

Guillaume  le  Pébunnuire,  comte  d'Auvergne,  fondateur  de  la  célèbre  abbaye  de  Cluny,  en 
Bourgogne,  fondation  que  nous  avons  racontée  dans  notre  tome  i«',  dans  la  vie  de  saint  Bernon. 
11  fut  appelé  duc  d'Aquitaine,  parce  que  l'Auvergne  faisait  alors  partie  de  l'Aquitaine.  Il  ne  fut 
point  duc  de  Guyenne.  Mais  ayant  conservé  religieusement  à  son  pupille  Ebole  la  succession  de  son 
père,  Ranulphe  II,  qui  comprenait  la  seconde  Aquitaine  et  le  comté  de  Bordeaux,  c'est-à-dire  ce 
qu'on  a  appelé  depuis  la  Guyenne  et  le  comté  de  Poitou,  il  fut  cause  que  la  Guyenne  et  le  Poitou 
devinrent  héréditaires  dans  la  suite  et  appartinrent  en  propre  aux  descendants  d'Ebole. 

Guiliauine,  dernier  duc  de  Guyenne.  —  Ebole,  qui  mourut  en  963,  eut  pour  successeur  :  Guil- 
laume II,  dit  Téie-d' Etoupe  (movt  en  963);  Guillaume  III,  qui  vécut  presque  jusqu'à  la  fin  du  sî6- 
cle  ;  Guillaume  IV,  surnommé  Fier-à-Bras  ou  Brn^-dc-Fer  (1030);  Guillaume  V,  dit  le  Gros  (1036); 
Guillaume  VI  (105S);  Guillaume  VU  (10S6)  ;  Guillaume  VIII,  son  fils,  père  de  Guillaume  IX. 

Guillaume  IX,  que  plusieurs  qualifient  de  Guillaume  X,  est  celui  dont  le  P.  Giry  raconte  la  vie, 
en  le  confondant  avec  saint  Guillaume  de  Maleval.  Il  vint  au  monde  l'an  1099,  succéda  à  son  père 
l'an  1126.  On  lui  attribue  beaucoup  des  désordres  de  son  père,  avec  lequel  les  historiens  le  confon- 
dent souvent.  11  se  conduisit  lui-même  très-mal.  Il  mit  cependant  quelques  bornes  à  ses  débauches 
par  son  mariage  avec  Eléonore,  sœur  du  vicomte  de  Chàtellerault,  dont  il  eut,  en  1123,  Eléonore, 
son  héritière.  Après  la  mort  de  cette  première  femme,  il  prit  en  secondes  noces  Emma,  fille  du 
vicomte  de  Limoges,  déjà  veuve  du  seigneur  de  Cognac,  laquelle  lui  fut  enlevée  en  son  absence  par 
le  fils  du  comte  d'Angoulème.  Le  P.  Giry  raconte  le  reste  de  fa  vie.  Seulement,  ceux  qui  ne  veulent 
pas  confondre  ce  Guillaume  avec  Guillaume  de  Maleval,  au  lieu  de  le  faire  retirer  eo  Italie,  disent 
qu'il  mourut  dans  son  pèlerinage  à  Saint-Jacques  de  Compostelle. 


Vies  des  Saints.  —  Tome  II. 


43  i  10   FÉVRIER. 


LE  BIENHELTxEUX  GUILLAUME  DE  BRÂBANT 

1240.  —  Pape  :  Grégoire  IX.  —  Roi  de  France  :  Saint  Louis. 


Btalus  vir  qui  m  via  peccalorum  non  tielit, 
Bienlieiireax  l'homœeqai  ne  se  fixe  pas  dans  lepjobj. 
Ps.  I,  1. 

Le  bienheureux  Guillaume  naquit  dans  le  Brabant  d'une  famille  honnête, 
cl  reçut  de  ses  parents  une  bonne  éducation  ;  mais  la  légèreté  du  jeune  âge 
et  une  certaine  pétulance  de  caractère  l'empêchèrent  d'en  profiter  comme 
il  aurait  dû.  Aussi,  quand  il  arriva  aux  années  de  l'adolescence,  et  que  les 
passions  commencèrent  à  se  développer  en  lui,  le  frein  salutaire  de  la  reli- 
gion fut  impuissant  pour  contenir  son  ardeur  et  la  diriger  vers  le  bien.  Lo 
jeune  homme,  en  dépit  des  remontrances  et  des  reproches  qu'on  lui  adres- 
sait, se  livra  sans  frein  à  ses  passions  déréglées.  Ses  parents,  croyant  trouver 
un  moyen  de  le  ramener  au  bien  en  lui  faisant  apprendre  un  métier,  le 
placèrent  chez  un  boulanger  de  l'endroit  ;  mais  Guillaume  quitta  bientôt  la 
maison  paternelle,  et  sous  prétexte  d'étudier  le  français  que  l'on  ne  parlait  pas 
dans  son  pays,  il  vint  en  France  mener  une  vie  vagabonde  et  désordonnée. 

La  misère  et  la  faim  firent  bientôt  rentrer  en  lui-même  ce  nouvel  enfant 
prodigue,  qui  se  ressouvint  aussi  des  jours  heureux  qu'il  avait  passés  dans 
sa  famille,  des  sages  conseils' qu'il  y  avait  reçus  et  dont  l'oubli  était  l'unique 
cause  de  ses  malheurs.  Cette  pensée  le  poursuivant  sans  cesse,  il  résolut 
d'aller  se  présenter  dans  un  monastère,  où  il  pût  se  réconcilier  avec  Dieu 
et  exercer  tranquillement  sa  profession.  Il  était  alors  dans  la  Thiérache, 
auprès  de  la  ville  de  Vervins,  et  ce  fut  à  quelque  distance  de  ce  lieu  qu'il 
rencontra  un  monastère  de  Prémontrés  dans  le  diocèse  de  Laon.  Le  tenta- 
teur ne  tarda  point  à  attaquer  Guillaume  dans  cette  solitude  et  à  lui  en  ins- 
pirer le  dégoût.  L'infortuné  jeune  homme,  au  lieu  de  confier  à  quelque 
guide  sage  et  expérimenté  les  pensées  que  soulevait  dans  son  âme  l'esprit 
de  ténèbres,  se  laissa  aller  peu  à  peu  à  ses  sollicitations  coupables,  et  re- 
tomba dans  les  fautes  qu'il  commençait  à  expier  dans  cette  sainte  maison 
oti  tout  le  portait  à  Dieu.  Bientôt  même  ce  séjour  lui  de\'int  odieux,  et  le 
quittant  comme  un  fugitif,  il  rentra  de  nouveau  dans  le  monde  pour  y  con- 
tinuer sa  vie  vagabonde  et  libertine.  Mais  Dieu,  qui  avait  des  desseins  de 
miséricorde  sur  cette  âme  égarée,  la  poursuivait  sans  cesse  par  l'aiguillon 
du  remords.  Il  voulait  ramener  ce  grand  pécheur  à  la  pénitence,  et  mon- 
trer une  fois  de  plus  au  monde  ce  que  peut  sa  grâce  dans  les  cœurs  les  plus 
rebelles  et  les  plus  faibles.  Une  nuit  donc,  pendant  son  sommeil,  Guillaume 
crut  voir  un  ange  qui  se  présentait  à  lui  et  lui  disait,  au  nom  de  Dieu,  qu'il 
eût  à  changer  de  vie,  à  faire  pénitence  de  ses  péchés  et  à  aller  vivre  dans  un 
désert.  «  C'est  dans  le  hameau  de  Morlanwez,  au  lieu  appelé  le  Champ  du 
potier,  sur  les  confins  du  Ilainaut  et  du  Brabant,  qu'il  doit  se  transporter; 
c'est  là  qu'il  trouvera  un  endroit  convenable,  appartenant  à  un  homme 
noble  du  nom  d'Eustache  ». 

Guillaume,  quittant  alors  la  maison  où  il  se  trouvait,  se  rendit  aussitôt 
an  lieu  que  le  Seigneur  venait  de  lui  designer.  Il  interrogea  sur  son  chemin 


LE   BreXHEUREUX    GUILLAUME   DE   BRARANT.  535 

des  hommes  qui  lui  indiquèrent  le  hameau  de  Morlan-wez  et  la  maison 
qu'habitait  le  pasteur  :  c'était  en  effet  à  lui  que  le  pénitent  voulait  se  pré- 
senter d'abord.  Le  ministre  du  Seigneur  fut  presque  effrayé  envoyant  devant 
lui  cet  homme  encore  ceint  de  ses  armes  et  d'un  aspect  étrange  et  presque 
féroce.  Mais  ses  pensées  changèrent  bientôt  quand  il  vit  Guillaume  se  jeter 
à  ses  genoux  en  fondant  en  larmes,  et  lui  demandant,  au  nom  de  Jésus- 
Christ,  de  recevoir  l'aveu  de  ses  crimes  et  de  lui  en  donner  le  pardon. 
Quelques  moments  après,  le  nouveau  pénitent,  la  conscience  purifiée  et 
l'âme  rendue  à  la  paix,  se  relevait  pour  faire  au  prêtre  la  communication  du 
dessein  que  Dieu  lui  avait  inspiré,  et  implorer  le  secours  de  ses  conseils. 

Arrivé  dans  le  lieu  que  la  Providence  lui  avait  indiqué,  le  bienheureux 
Guillaume,  avec  le  concours  de  quelques  hommes  vertueux,  et  surtout 
d'Eustache,  seigneur  de  l'endroit,  se  mit  à  construire  une  petite  cabane 
dans  laquelle  il  pût  se  retirer.  Les  bûcherons  et  les  bergers  des  environs  le 
regardaient  avec  une  curiosité  mêlée  d'étonnement  :  les  uns  le  prenaient 
pour  un  insensé  ou  un  hj'pocrite,  d'autres  pour  un  grand  serviteur  de  Dieu. 
Les  pénitences  extraordinaires  qu'il  s'imposait,  les  pratiques  que  son  humi- 
lité lui  avait  fait  adopter  pour  expier  ses  égarements  passés,  pouvaient  don- 
ner lieu  à  ces  jugements  divers.  Le  témoignage  d'un  homme  sage  et  prudent 
vint  bientôt  manifester  d'une  manière  certaine  la  vertu  du  saint  pénitent 
du  Brabant.  Jean,  docteur  en  théologie,  doyen  de  la  basilique  de  Saint- 
Lambert  à  Liège,  et  alors  chanoine  régulier  au  monastère  d'Oignies,  près  de 
Namur,  ayant  entendu  parler  de  Guillaume,  vint  le  visiter  afin  de  bien  con- 
naître quel  esprit  l'animait  et  pourquoi  il  adoptait  certaines  pratiques  de 
pénitence  tout  à  fait  extraordinaires.  Il  s'entretint  avec  lui  de  choses  spiri- 
tuelles dans  lesquelles  il  le  trouva  très-versé.  Il  l'engagea  à  ne  plus  se  traî- 
ner sur  les  pieds  et  les  mains  comme  il  avait  fait  quelquefois  auparavant,  et 
l'ermite  s' étant  rendu  aux  conseils  et  aux  avis  de  l'homme  éclairé  qui  lui 
parlait,  donna,  par  cette  docile  obéissance,  une  nouvelle  preuve  de  la  pureté 
de  ses  intentions. 

Dans  le  même  temps,  le  noble  et  vertueux  Eustache  vint  à  mourir,  et 
Berthe,  son  épouse,  qui  partageait  ses  sentiments  de  piété,  continua  envers 
le  ser\iteur  de  Dieu  tous  les  bons  services  qu'il  avait  reçus  jusqu'alors.  Elle 
lui  procura  une  petite  terre  qu'il  défrichait  avec  soin  pour  en  retirer  les 
choses  nécessaires  à  la  vie.  Dieu,  en  même  temps,  inspira  à  Guillaume  la 
pensée  d'étudier  les  saintes  Ecritures,  pour'  y  puiser  les  sentiments  qui  en- 
tretiennent la  dévotion  dans  les  âmes.  Il  goûtait  dans  cette  lecture  des  dou- 
ceurs ineffables  ;  aussi  n'était-il  pas  rare  de  le  rencontrer  dans  son  parterre, 
un  instrument  de  jardinage  dans  une  main  et  un  livre  sacré  dans  l'autre. 

La  vertu  éclatante  du  pieux  ermite  attirait  souvent  près  de  lui  des 
hommes  qui  venaient  demander  ses  conseils  et  s'édifier  de  ses  exemples. 
Berthe,  voyant  ce  concours  de  fidèles,  fit  bâtir  dans  ce  lieu  une  petite  église 
pour  la  commodité  des  voyageurs  et  des  habitants  de  la  contrée.  Cependant 
le  Seigneur,  afin  de  tenir  son  digne  serviteur  dans  une  continuelle  défiance 
de  lui-même,  et  d'exercer  de  plus  en  plus  sa  vertu,  permit  bien  souvent  qu'il 
fût  en  butte  à  toutes  sortes  de  tentations.  L'esprit  mauvais  lui  tendait  sans 
cesse  des  embûches,  et  lui  apparaissait  même  quelquefois  sous  les  formes 
les  plus  capables  de  le  troubler.  Mais  le  pieux  anachorète  le  chassait,  comme 
faisait  autrefois  saint  Antoine  dans  les  déserts  de  la  Thébaïde,  par  le  signe 
de  la  croix,  et  l'invocation  du  saint  nom  de  Jésus,  en  qui  il  mettait  toute  sa 
confiance.  On  le  vit  même  en  plusieurs  circonstances,  pour  surmonter  les 
tentations  de  la  chair,  se  jeter  dans  les  eaux  froides  et  glacées  d'un  étang 


436  10  FÉVRIER. 

voisin,  et  en  sortir  ensuite  les  habits  tout  trempés.  Dans  cet  état,  il  allait  à 
l'église  conjurer  le  Seigneur,  on  se  frappant  la  poitrine,  de  lui  pardonner  ses 
péchés  passés,  et  de  lui  accorder  la  grâce  de  ne  jamais  y  retomber  à  l'avenir. 

Ces  épreuves,  assez  ordinaires  dans  la  vie  des  grands  pénitents,  furent 
suivies  bientôt  de  douces  et  ineffables  consolations.  Guillaume  eut  même 
plusieurs  visions,  dans  l'une  desquelles  le  Seigneur  lui  ût  connaître  qu'il 
l'appelait  au  sacerdoce.  Le  Bienheureux  était  alors  diacre,  sans  que  l'on 
sache  à  quelle  époque  de  sa  vie  il  avait  reçu  cet  ordre  et  les  autres  qui  le 
précèdent.  Pour  se  conformer  à  la  volonté  du  ciel,  que  ses  supérieurs  ecclé- 
siastiques reconnurent  comme  lui,  il  reçut  la  prêtrise  des  mains  de  Jean  de 
Béthune,  évoque  de  Cambrai.  De  retour  dans  sa  solitude,  il  commença  à 
prêcher  avec  force  et  onction  aux  habitants  du  pays  et  à  tous  ceux  qui 
venaient  le  visiter. 

L'homme  de  Dieu,  comprenant  bientôt  de  quel  avantage  serait  dans  la 
contrée  un  monastère,  résolut  d'en  fonder  un  lui-même.  Dans  ce  dessein,  il 
se  rendit  à  Fontenelles,  près  de  Valenciennes,  où  les  filles  du  seigneur 
d'Aulnoy,  Jeanne  et  Agnès,  avaient  établi,  peu  de  temps  auparavant,  une 
abbaye  qui  jouissait  d'une  grande  réputation  de  régularité.  Edifié  du  spec- 
tacle qui  se  présenta  à  ses  yeux,  il  demanda  que  quelques-unes  des  reli- 
gieuses de  cette  communauté  vinssent  commencer  à  mener  la  vie  régulière 
dans  le  monastère  qu'il  avait  préparé.  La  proposition  fut  acceptée  avec  joie, 
mais  l'extrême  pauvreté  du  lieu,  et  le  manque  des  choses  les  plus  indispen- 
sables, ne  permirent  pas  de  contmuer  alors  Ce  ne  fut  que  quelques  années 
plus  tard  que  sept  religieuses,  appelées  du  monastère  de  Moustier,  près  de 
Namur,  vinrent  habiter  la  nouvelle  abbaye  qui  fut  consacrée  à  la  Sainte 
Vierge,  sous  le  nom  de  la  bienheureuse  Marie  d'Olive.  Le  reste  de  la  vie  du 
vénérable  Guillaume  fut  entièrement  employé  aux  œuvres  du  ministère 
sacré.  11  prêchait  la  parole  de  Dieu  avec  un  accent  qui  touchait  profondé- 
ment les  âmes,  et  les  portait  au  repentir  de  leurs  fautes  et  à  la  pratique  des 
vertus.  Sa  vigilance  et  sa  sollicitude  pour  les  saintes  filles  réunies  dans  la 
monastère  d'Olive  n'étaient  pas  moins  grandes,  et  il  leur  procurait  tout  à  la 
fois  les  secours  spirituels  et  temporels.  Ce  fut  au  milieu  de  ces  actes  de  cha- 
rité et  de  zèle  sacerdotal  que  le  Seigneur  l'appela  à  lui,  l'an  1240,  dans  la 
soixante-sixième  année  de  son  âge. 

\ie  des  Saints  de  Cambrai  et  'J'Arras,  par  SI.  l'abbé  DeAtomb«s. 


SAINTE  CLAIRE  DE  RIMINI 

1346.  —  Pape  :  Cléiueul  VI.  —  lloi  de  fiance  :  Philippe  VI,  de  Valois. 


Il  y  a  de  belles  choses  à  dire  sur  la  Bienheureuse  Claire  de  Rimini  :  on 
pourra  les  voir  dans  sa  Légende,  publiée  par  le  cardinal  Joseph  Garampi; 
nous  n'en  donnerons  ici  qu'un  abrégé.  Elle  naquit  vers  le  milieu  du  xra' 
siècle,  à  Rimini,  où  un  grand  miracle  devait  arriver  de  nos  jours.  Son  père 
s'appelait  Chiarello  et  sa  mère  Gaudiana;  ils  appartenaient  tous  deux  à  une 
famille  noble  et  opulente.  Claire  se  maria  jeune,  et,  étant  demeurée  veuve 
quelque  temps  après,  son  cœur  devint  comme  un  grand  chemin,  où  la 


SAINTE  CLAIRE  DE  niMINT.  •■!' 

bonne  semence  qu'y  jetait  l'Esprit-Saint  était  foulée  aux  pieds  par  le  monde 
et  enlevée  par  le  démon;  car  ce  cœur  était  tellement  ouvert  aux  vanités,  que 
les  malheurs  mêmes  ne  l'y  pouvaient  fermer  :  exilée  à  la  suite  d'une  guerre 
civile,  elle  ne  revint  que  pour  voir  monter  sur  l'échafaud  son  père  et  l'un  de 
ses  frères;  elle  avait  même  passé  à  de  secondes  noces,  lorsque  Notre-Sei- 
gneur  qui  la  recherchait  depuis  longtemps  pour  son  épouse,  l'invita  enfin  à 
cette  divine  union.  Un  jour  qu'elle  était  entrée  dans  l'église  des  Francis- 
cains, il  lui  sembla  entendre  une  voix  qui  lui  disait  :  «  Efforcez-vous, 
Claire,  de  dire  un  Pater  et  un  Ave  à  la  louange  de  Dieu,  et,  comme  une 
marque  de  votre  souvenir,  de  les  réciter  avec  attention,  sans  penser  à  autre 
chose  ».  Elle  ne  comprit  pas  d'abord  ce  que  cet  avis  signiflait,  mais  il  la 
porta  à  la  réflexion.  Dès  lors  elle  abandonna  les  assemblées  tumultueuse» 
pour  se  retirer  dans  ses  jardins  et  dans  les  lieux  les  plus  solitaires. 

C'est  dans  le  recueillement  que  Dieu  parle  à  nos  âmes  :  Claire  reçut  une 
visite  céleste  :  la  sainte  Vierge  vint  pour  ainsi  dire  la  prendre  par  la  main  et 
l'arracher  au  monde;  cette  Reine  des  vierges,  environnée  d'une  multitude 
d'anges,  apparut  à  notre  Bienheureuse,  dans  la  même  église  de  Saint-Fran- 
çois, et,  s'étant  tournée  vers  elle  :  «  Claire,  lui  dit-elle,  à  quoi  servirent  à 
ton  premier  mari,  que  tu  aimais  tant,  et  ses  grandes  richesses,  et  sa  forte 
jeunesse,  le  secours  des  médecins,  la  grandeur  de  sa  maison,  ses  palais  su- 
perbes, puisqu'un  peu  de  fièvre,  le  menant  à  la  mort,  l'a  enfin  séparé  de 
toi  ?  »  Ces  paroles  touchèrent  son  cœur  :  cette  lumière  du  ciel  lui  fit  voir  les 
égarements  de  sa  vie  ;  elle  résolut  de  la  passer  dès  lors  aux  pieds  de  son 
Sauveur,  les  arrosant  des  larmes  de  la  pénitence.  Son  mari  lui  permit  de  vivre 
en  religieuse  et  d'en  porter  l'habit  ;  et,  comme  il  mourut  peu  de  temps  après, 
Claire,  se  voyant  libre  de  prendre  Jésus-Christ  pour  son  unique  époux,  se 
voua  à  de  grandes  austérités;  pour  mortifier  sa  délicatesse,  elle  marchait 
pieds  nus  :  ce  qu'elle  fit  le  reste  de  sa  vie.  Pour  punir  son  corps  des  joyaux 
et  des  perles  qui  l'avaient  orné,  elle  portait  au  cou,  aux  bras  et  aux  genoux 
des  cercles  de  fer  ;  elle  avait  aussi  une  espèce  de  cuirasse  du  même  métal, 
qui  se  conserve  encore  à  Rimini  ;  elle  ne  couchait  plus  que  sur  de  grosses 
planches,  pour  expier  le  plaisir  d'avoir  reposé  sur  des  lits  moelleux,  et  son 
estomac  fit  pénitence  de  sa  bonne  chère  en  ne  recevant  plus  que  la  plus 
pauvre  nourriture  ;  c'était  ordinairement  du  pain  et  de  l'eau,  auxquels  elle 
ajoutait  un  peu  d'huile  les  dimanches  et  les  grandes  fêtes. 

Ce  sont  là  les  armes  qu'elle  employait  pour  combattre  ses  anciennes  ha- 
bitudes, qui,  dans  les  commencements  surtout,  lui  livrèrent  de  grands  com- 
bats. Que  de  courage  il  lui  fallut,  principalement  pour  triompher  du  démon 
de  la  gourmandise,  qui  lui  rappelait  les  délices  de  ses  festins  d'autrefois  !  Un 
jour  qu'elle  était  presque  vaincue  sur  ce  point,  Jésus-Christ,  qu'elle  priait 
avec  ferveur,  lui  inspira  de  dire  ces  paroles  :  «  Levez-vous,  ô  Christ,  et  se- 
courez-moi !  Levez-vous,  ô  vous  qui  êtes  le  Défenseur  des  hommes  ;  ô  rejeton 
de  David  !  Alléluia  » .  Claire  n'eut  pas  plus  tôt  prononcé  ces  paroles,  qu'elle  se 
sentit  pleine  de  force  contre  la  tentation;  mais  la  voulant  détruire  jusque 
dans  sa  racine,  je  veux  dire  dans  le  penchant  et  l'habitude,  devenue  une 
seconde  nature,  elle  va  chercher  une  bête  dégoûtante,  la  fait  rôtir  et  la  porte 
à  sa  bouche,  en  se  disant  à  elle-même  :  «  Mange,  gourmande  ;  mange  ce 
mets  délicieux  !  »  Anéanti,  après  une  pareille  défaite,  cet  ennemi  ne  l'attaqua 
plus  dans  la  suite.  Non  contente  de  ces  austérités  et  des  jetines  rigoureux 
qu'elle  s'imposait,  depuis  la  fête  de  saint  Martin  jusqu'à  Noël,  et  depuis 
l'Epiphanie  jusqu'à  Pâques,  elle  y  joignait  les  veilles,  passant  en  prières  la 
plus  grande  partie  des  nuits  ;  pendant  le  Carême,  elle  se  retirait  dans  un 


438  ■  10  FÉVRIER. 

réduit  que  lui  offrait  l'ancien  mur  de  la  ville  ;  là,  exposée  au  froid,  à  la  pluie, 
et  à  toutes  les  injures  du  temps,  elle  demandait  à  Dieu  miséricorde,  confes- 
sait ses  fautes  et  récitait  plus  de  cent  fois  par  jour  l'Oraison  dominicale,  en 
versant  des  larmes  abondantes.  Elle  puisait,  dans  cet  amour  pour  Dieu,  une 
tendresse  surnaturelle  pour  les  malheureux,  et  son  propre  frère  en  éprouva 
]}s  ellels  un  des  premiers.  11  avait  été  proscrit  une  seconde  fois,  par  suite  des 
troubles  qui  agitaient  sa  patrie,  et  il  se  trouvait  malade  à  Urbino.  Claire  vola 
près  de  lui,  lui  donna  tous  les  secours  dont  il  avait  besoin  et  l'aida  à  sanctiûer 
ses  souflrances.  11  y  avait,  près  de  la  cathédrale  d'Urbino,  une  tour  solitaire 
et  abandonnée  ;  c'est  là  que  cette  sainte  colombe  se  retira,  adressant  au  Sei- 
gneur, du  milieu  de  la  pierre,  des  gémissements  inspirés  par  l'Esprit-Saint. 
Elle  n'en  sortait  que  pour  mendier  aux  portes  un  peu  de  pain,  dont  les  pau- 
vres prolilaient  plus  qu'elle  ;  pour  donner  à  son  frère  les  soins  d'une  mère, 
aider  la  domestique  dans  les  détails  les  plus  vils  du  ménage,  consoler  les  pri- 
sonniers, soulager  les  malades  dont  les  plaies  lui  semblaient  celles  de  son 
Sauveur.  Sur  le  soir,  elle  visitait  les  églises  et  revenait  gémir  dans  sa  tour  : 
«  Mon  Dieu  »,  s'écriail-elle  souvent,  «  aidez-moi  ;  mon  Dieu,  secourez-moi  ; 
vous  ôtcs  notre  seul  appui,  6  fils  de  David  !  »  Le  calme  étant  rétabli,  elle 
retourna  à  Rimini  avec  son  frère  et  le  reste  de  sa  famille,  et  y  continua  ses 
œuvres  de  charité,  qu'elle  .avait  très-bien  allier  avec  ses  pieux  exercices  et 
avec  la  sainte  communion,  qu'elle  recevait  souvent.  Les  malheurs  de  la  guerre 
ayant  obligé  les  clarisses  de  Begnode  à  se  réfugier  à  Rimini,  où  elles  se  trou- 
vaient dans  une  grande  délvessc,  Claire  n'en  fut  pas  plus  tôt  informée  qu'elle 
alla  de  maison  en  maison  quêter  pour  ces  pauvres  religieuses. 

Elles  manquaient  de  bois  :  un  jour,  notre  Bienheureuse  ayant  trouvé 
dans  la  campagne  un  tronc  d'arbre,  le  chargea  sur  ses  épaules  pourses  chères 
protégées.  Comme  elle  passait  devant  le  palais  de  Dino,  cet  homme,  qui  était 
son  parent,  l'aperçutet  commanda  à  un  de  ses  domestiques  de  prendre  l'arbre 
et  de  le  porter  où  elle  voudrait  ;  mais  Claire,  après  avoir  donné  mille  béné- 
dictions à  son  parent  pour  sa  charité,  ne  voulut  pas  qu'on  lui  enlev.1t  le  mé- 
rite de  porter  sans  respect  humain,  à  travers  la  ville  de  Rimini,  ce  bois  pour 
son  Sauveur,  qui  n'avait  pas  rougi  de  porter  pour  elle  le  bois  de  la  croix 
devant  tout  le  peuple  de  Jérusalem.  Un  pauvre  de  Rimini  ayant  le  plus  pres- 
sant besoin  d'expédier  un  message  à  Urbino,  pendant  l'hiver,  l'humble  ser- 
vante des  pauvres  fit  ce  pénible  voyage  par  le  froid  et  la  neige  :  le  feu  de 
l'amour  divin  la  réchauffait  contre  les  glaçons  qui  hérissaient  sa  tunique. 
Elle  logeait  les  pèlerins,  elle  réconciliait  les  ennemis  et  les  familles  divi- 
sées, elle  apaisait  les  factions.  Elle  se  mit  même  en  vente  pour  racheter 
un  homme  condamné  à  avoir  la  main  coupée  ;  et  les  seigneurs  de  la  ville, 
émus  de  cette  charité,  firent  grâce  au  coupable.  Mais  elle,  qui  obtenait  la 
grâce  des  autres,  ne  se  la  fit  jamais  à  elle-même,  lorsqu'elle  croyait  avoir 
offensé  ses  frères.  Il  lui  était  échappé  envers  quelqu'un  une  parole  qui  n'était 
pas  assez  polie  ;  le  chagrin  de  lui  avoir  causé  de  la  peine  la  fit  retourner 
aussitôt  à  sa  cellule,  et,  prenant  des  tenailles,  elle  se  tint  la  langue  hors  de 
la  bouche  pendant  un  temps  si  considérable  qu'elle  se  la  mit  tout  en  sang, 
et  qu'elle  fut  ensuite  plusieurs  jours  sans  pouvoir  parler.  Son  amour  du 
prochain  ne  se  bornait  pas  aux  nécessités  corporelles;  elle  brûlait  de  zèle 
pour  le  salut  des  âmes,  et  Dieu  la  favorisa  de  la  grâce  des  conversions. 

Entre  les  âmes  qu'elle  conquit  pour  le  royaume  du  ciel,  on  remarque 
surtout  une  veuve  qui  s'abandonnait  au  luxe  et  à  tous  les  plaisirs  de  la  terre, 
à  laquelle  elle  coupa  elle-même  les  cheveux  et  qu'elle  revêtit  du  cilice  ;  le 
tyran  de  Mescotello,  qui  abandonna  ses  domaines  pour  la  vie  d'ermite  ;  enfin, 


SADiTE  CLAraE  DE   RIMTXI.  439 

un  savant  livré  à  ses  passions  :  ce  fut  sans  doute  la  plus  difficile  de  ses  con- 
quêtes ;  elle  fit  tant  qu'il  quitta  tout  pour  se  donner  à  Dieu. 

Plusieurs  personnes  pieuses,  voulant  profiter  des  grâces  que  Dieu  accor- 
dait à  notre  Bienheureuse,  se  mirent  sous  sa  conduite,  et,  d'après  l'avis  de 
Dieu  môme,  qui  s'expliqua  à  elle  la  nuit,  pendant  son  oraison,  elle  acheta, 
avec  les  secours  de  gens  de  bien,  instruments  de  la  Providence,  le  terrain 
où  se  trouvait  sa  cellule,  dans  le  vieux  mur  de  la  ville  ;  elle  y  bâtit  un  monas- 
tère qui  fut  d'abord  connu  sous  le  titre  de  l'Annonciation  et  prit  ensuite 
celui  de  Notre-Dame  des  Anges,  nom  qu'il  portait  encore  dans  le  siècle  der- 
nier. Claire  ne  s'astreignit  pas  à  la  clôture  dans  cette  maison  ;  mais  si  elle 
sortait,  ce  n'était  que  pour  vaquer  plus  librement  aux  œuvres  de  miséricorde. 
Rien  ne  lui  manquait  pour  faire  fructifier  son  zèle  envers  le  procham  :  Dieu 
lui  avait  donné  les  grâces  appelées  gratuites;  surtout  il  la  favorisa  du  don  des 
miracles.  A  Gubbio,  elle  guérit  un  seigneur  gravement  malade  en  le  touchant 
de  la  main.  Sur  la  porte  de  la  ville  de  Baroncello,  un  enfant  aveugle  recou- 
vra la  vue  lorsqu'elle  lui  eut  mis  la  main  sur  la  tête.  Comme  elle  se  rendait 
d'Assise  à  l'église  de  la  Portioncule,  qui  en  est  éloignée  d'environ  un  mille, 
ses  compagnes  virent  que  ses  pieds  ne  touchaient  point  le  sol  :  les  anges  la 
portèrent  jusqu'à  l'église  de  leur  Reine.  Ses  religieuses  l'avaient  un  jour  ren- 
fermée à  clef  dans  sa  cellule,  afin  qu'elle  ne  pût  retourner  à  sa  retraite  des 
murs  de  la  ville,  oii  elle  avait  coutume  de  se  livrer  aux  plus  rigoureuses 
pénitences:  elle  disparut,  quoique  la  porte  restât  fermée.  Loin  de  se  préva- 
loir de  ces  miracles,  elle  s'en  punissait  comme  on  le  ferait  d'une  faute  :  dans 
ces  cas-là,  elle  se  dérobait  aux  applaudissements  du  peuple,  passant  la  nuit 
dans  les  larmes  et  les  macérations,  pour  éviter  la  vaine  gloire.  Cest  dans  la 
même  pensée  d'humilité  qu'elle  allait  au-devant  des  épreuves.  Quelquefois 
elle  ne  retirait  de  sa  charité  que  des  injures  et  des  calomnies  ;  alors  seule- 
ment elle  se  croyait  bien  payée.  On  l'accusa  même  publiquement  d'hérésie. 
Ce  n'était  pas  assez  de  cette  ressemblance  avec  son  Jésus,  elle  voulut  repré- 
senter dans  sa  personne  toutes  les  circonstances  les  plus  douloureuses  de  sa 
passion  :  une  année,  le  vendredi  saint,  elle  se  mit  une  corde  au  cou,  se  fit 
lier  les  mains  derrière  le  dos,  puis  on  la  traîna  par  les  rues  de  la  ville, 
comme  autrefois  Notre-Seigneur  dans  celles  de  Jérusalem  ;  on  l'attacha  à 
une  colonne  où  elle  endura  les  railleries,  les  mépris  de  la  foule  ;  on  la  frappa 
à  coups  de  verges,  on  lui  fit  en  un  mot,  d'après  son  ordre,  boire  le  calice  de 
son  Sauveur  jusqu'à  la  lie.  Elle  répéta  plusieurs  années  cette  scène,  plus 
digne  de  l'admiration  du  ciel  qu'imitable  pour  les  enfants  de  la  terre.  En 
récompense,  elle  eut  le  bonheur  de  contempler,  dans  une  vision  qui  dura 
quinze  jours,  tous  les  détails  des  souffrances  de  son  Epoux,  comme  si  elle 
eût  assisté  à  cette  sanglante  tragédie.  Quelle  n'était  pas  sa  tendre  compas- 
sion, lorsque  cet  Amant  bien-aimé  tendait  à  son  Amante,  du  haut  de  sa 
croix ,  ses  bras  cloués  par  l'amour  !  Quand  il  voulait  l'attirer  à  lui ,  il 
l'appelait  souvent  par  ces  paroles  :  «Lève-toi,  ma  Bien-.\imée,  et  viens  ». 
Il  serait  trop  long  de  raconter  ici  ses  extases  et  les  autres  caresses  dont 
Dieu  la  favorisa.  Elle  resta  une  fois  cinq  jours  entiers  sans  l'usage  de 
la  parole,  perdue  dans  la  plus  haute  contemplation.  Un  autre  jour  après 
la  sainte  communion ,  une  main  invisible  lui  posa  sur  la  tête  une  cou- 
ronne si  pesante  qu'elle  ne  pouvait  faire  aucun  mouvement,  et  les  anges 
furent  obligés  de  la  rapporter  de  l'église  en  sa  cellule.  Notre-Seigneur  lui 
étant  apparu  une  nuit,  sur  un  trône  majestueux,  et  entouré  des  Apôtres  et 
de  saint  Jean-Baptiste,  il  daigna  montrer  à  sa  chère  Claire  la  plaie  de  son 
côté,  lui  disant  de  puiser  dans  cette  source  toutes  les  grâces  qu'elle  voudrait. 


440  10  FÉVRIER. 

Elle  priait  souvent  pour  ses  compagnes  et  ses  bienfaiteurs  devant  une 
image  de  Notre-Seigneur  :  un  jour  cette  image  lui  dit  :  «  Je  ne  puis  me 
refuser  à  tes  instances  ;  sois  assurée  que  les  personnes  que  tu  aimes,  nous 
les  inscrirons  au  Livre  de  vie  »  ;  promesse  que  l'événement  a  montré  être 
véritable.  On  se  presse  encore  en  foule  à  l'église  de  notre  Bienheureuse, 
pendant  l'Octave  de  sa  dédicace,  pour  obtenir  le  pardon  des  péchés  ;  cette 
fête  s'appelle  le  Pardon  de  la  bienheureuse  Claire,  qui  obtint  de  Dieu  cette 
indulgence,  comme  le  témoigne  l'inscription  du  grand  autel,  placée  en  i568. 
Les  démons,  jaloux  de  tant  de  faveurs,  n'oublièrent  rien  pour  les  lui  faire 
perdre  ;  ils  allèrent  jusqu'à  se  précipiter  sur  elle  avec  des  hurlements  affreux  ; 
ils  la  jetaient  par  terre,  ils  la  chassaient  violemment  de  son  lit  ;  mais  elle 
triompha  aisément  de  toute  leur  malice  par  son  humilité  et  par  ses  austé- 
rités. Méditant  sur  le  jeûne  de  Notre-Seigneur,  elle  résolut  de  se  priver  de 
toute  boisson  :  lorsque  cette  privation  était  près  de  la  faire  mourir,  le  ciel 
fit  approcher  de  ses  lèvres  un  breuvage  divin  dans  une  coupe  d'or  :  en  ayant 
bu,  sa  soif  disparut  entièrement.  Notre-Seigneur  lui  apporta  lui-même, 
pendant  la  nuit,  une  liqueur  si  suave  que,  pendant  les  douze  dernières 
années  de  sa  vie,  elle  ne  put  jamais,  malgré  sa  soif  dévorante,  boire  autre 
chose  dans  son  exil  que  le  sang  de  Notre-Seigneur,  accomplissant  ainsi  les 
paroles  du  Prophète  Jérémie  :  «  Il  y  aura  des  personnes  qui  ne  pourront 
plus  boire  de  vin  ni  d'eau,  et  qui  n'auront  soif  que  de  l'Agneau  sans  tache  n. 
Vers  la  fin  de  sa  vie,  elle  sembla  revenir  à  la  simplicité  de  l'enfance  ;  elle 
resta  six  mois  privée  de  tout  sentiment  extérieur,  ne  vivant  plus  qu'en  Dieu: 
elle  perdit  la  vue,  et,  sortie  enfm  de  cette  extase,  elle  ne  pouvait  plus  toute- 
fois s'entretenir  avec  personne.  Enfin,  lorsque  Notre-Seigneur  l'eut  détachée 
graduellement  de  la  terre,  le  dernier  fil  qui  l'y  attachait  fut  brisé  par  un 
effort  d'amour.  Elle  s'envola  dans  la  demeure  de  son  Epoux,  en  disant  : 
«  Seigneur,  je  remets  mon  âme  entre  vos  mains  »,  le  13  février  de  l'an  1346. 
Après  sa  mort,  sa  figure  devint  resplendissante,  et  tout  son  corps  répandit 
une  suave  odeur,  pour  témoigner  la  gloire  où  habitait  son  âme.  On  l'honora 
dès  lors  comme  une  Sainte.  Elle  fut  enterrée  dans  l'église  de  son  monastère, 
où  l'on  conserve  ses  reliques  honorées  de  plusieurs  miracles.  Son  culte  fut 
approuvé  en  1784,  par  le  pape  Pie  VI,  le  10  février. 

Palmier  séraphigue. 


SAINT  PROTHADE,  ÉVÊQUE  DE  BESANÇON  (624). 

Saint  Prothade,  dit  la  nouvelle  Vie  des  Saints  de  Franche-Comté,  est  nommé  dans  nos  cata- 
logues immédiatement  après  saint  Nicet,  et  dans  nos  anciennes  Litanies,  il  occupe  le  quatrième 
rang  parmi  les  saints  Confesseurs.  Né  vers  l'an  570,  d'une  illustre  maison,  il  était  le  fils  ou  du 
moins  le  proche  parent  du  célèbre  Prothadius  qui,  selon  Frédégaire  ',  jouissait  d'un  crédit  presque 
souverain  à  la  cour  de  Thierry  II,  et  qui  finit  par  être  égorgé  par  les  soldats  de  ce  prince,  vers 
l'année  605.  Prothade  s'était  dépouillé  de  bonne  heure  de  tout  ce  que  le  monde  appelle  fortune  ou 
grandeur  pour  travailler  avec  saint  Nicet  au  bien  de  l'église  de  France,  et  en  particulier  de  l'église 
de  Besançon.  Saint  Grégoire,  pape,  saluant  les  rois  de  France,  les  félicite  des  succès  obtenus  dans 
la  Séquanie  (Franche-Comté),  par  le  ministère  de  Prothade.  Saint  Nicet,  peu  de  temps  avant  sa 
mort,  le  désigna  pour  son  successeur.  Il  fut  élevé  sur  le  siège  de  Besançon  en  l'année  613.  Pro- 
thade se  montra  irrépréhensible  en  tout  :  sa  conduite  était  noble  et  digne  ;  sa  conversation  et  ses 
démarches  annonçaient  un  homme  rempli  de  l'Esprit-Saint.  Profondément  humble,  il  perdait  de  vue 
Bes  titres  poor  ne  songer  qu'à  ses  devoirs;  ami  de  la  sainte  pureté,  il  prenait  plaisir  à  crucifier  sa 

1.  Chrcn.,  cap.  24. 


LEBIENHEUREUX    HUGUES   DE   CAMBRAI.  441 

chair  par  l'abstinence.  Aossi  doux  pour  les  autres  que  sévère  pour  lui-même,  il  se  plaisait  à  voir 
dans  son  diocèse  une  famille,  et  dans  chaque  fidèle  un  enfant  bien-aimé.  Saint  Prolbade  composa 
pour  son  église  un  rituel  que  nous  avons  encore,  et  qui  offre  de  l'intérêt,  non-seulement  comme 
monument  ancien,  mais  encore  comme  œuvre  d'une  haute  sagesse.  Sous  son  épiscopat,  les  reliques 
de  saint  Etienne,  dérobées  par  des  voleurs,  furent  retrouvées  miraculeusement  dans  les  eaux  du 
Doubs,  en  ua  endroit  que  l'on  appelle  encore  aujourd'hui  le  gouffre  de  saint  Etienne.  Cet  illustre 
pontife  mourut,  plein  de  jours  et  de  mérites,  au  commencement  de  l'année  624.  Il  fut  enseveli  dans 
l'église  de  Saint-Pierre.  En  1624,  ses  reliques  furent  mises  dans  une  châsse  nouvelle  en  argent; 
elles  y  restèrent  exposées  à  la  vénération  des  fidèles  jusqu'à  la  Révolution  française.  A  cette  néfaste 
époque,  nn  clerc  de  Saint-Pierre,  Claude-François  Guenot,  les  déroba  à  la  profanation  en  les  con- 
fiant à  Jean-Claude  Gurnaud,  clerc  semi-prébendé  de  Sainte-Madeleine,  lequel  les  remit  lui-même, 
quelques  jours  avant  sa  mort,  à  Philiberte  Gurnaud,  sa  sœur.  C'est  entre  les  mains  de  cette  der- 
nière qu'on  alla  les  reconnaître,  le  3  juillet  1S04.  Le  17  juillet  1804,  elles  fui-ent  rapportées  solen- 
nellement à  Saint-Pierre  par  l'archevêque,  suivi  du  chapitre  métropolitain,  d'un  clergé  nombreux, 
et  d'une  aflluence  considérable  de  lidèles.  C'était  le  jour  de  la  fêle  du  Saint  :  on  a  continué  à  la 
célébrer  le  n  juillet  sous  le  rite  double;  précédemment,  elle  avait  été  fixée  au  10  février. 

Vie  des  Saints  de  Franche-Comté,  par  les  professeurs  da  coU^  Salnt-François-Zavler,  de  Besançon. 


SAINT  SIGE  OU  SIGON, 

OUABAOTE -HUITIÈME  ÉVÊQUE  DE  CtERMONT  (K'  sièclc). 

Saint  Sigon  régissait  l'évêché  de  Clermont  sous  le  règne  de  Charles  II,  surnommé  le  Chauve.  Il 
fut  toujours  recommandable  par  la  justice  de  sa  conduite  et  la  pureté  de  ses  intentions.  Il  employait 
toute  son  activité  à  corriger  les  désordres  et  à  relever  les  ruines,  soit  matérielles,  soit  morales,  cau- 
sées par  les  invasions  et  les  dévastations  des  Normands.  11  restitua  dans  leur  ancien  lustre  nombre 
d'églises  qu'ils  avaient  dépouillées  ou  renversées,  entre  autres  celle  de  Notre-Dame  du  Port  (860). 
On  croit  que  les  Normands  n'ayant  [as  pris  la  peine  de  démolir  cet  édifice,  et  le  feu  n'ayant  détruit 
que  ce  qui  était  combustible,  la  maçonnerie  n'éprouva  que  peu  de  dommages.  Ainsi  Notre-Dame 
du  Port,  fondée  par  saint  Avite  (594),  offre  un  monument  précieux  de  l'architecture  du  vi'  siècle. 
n  assista  et  souscrivit  au  concile  de  Soissons,  l'an  853,  sous  le  même  prince.  Enfin,  sa  vie  fut 
tellement  embaumée  de  l'odeur  de  sainteté,  qu'il  a  mérité  d'être,  après  le  temps  de  sa  vie  terrestre, 
glorieux  dans  la  mémoire  des  chrétiens.  Ses  reliques,  dit  Jacques  Branche,  de  qui  ceci  est  tiré, 
sont  honorablement  relevées  dans  l'église  du  Port,  oJi  il  fut  enseveli  avec  pompe  et  célébrité,  le  dii- 
hoitième  du  mois  de  février,  comme  il  est  dit  dans  la  table  des  Saints  d'Auvergne. 

Cf.  Chronique  des  év&qaes  de  Clermont. 


LE  BIENHEUREUX  HUGUES  DE  CAMBRAI  (1164). 

Saint  Norbert,  illustre  fondateur  de  l'Ordre  de  Prémontré,  étant  venu  à  Valenciennes,  y  ren- 
contra l'évêque  de  Cambrai,  Burchard,  avec  lequel  il  avait  eu  des  relations  intimes  à  la  cour  de 
l'empereur  d'Allemagne.  La  reconnaissance  si  touchante  de  ces  deux  vertueux  amis,  l'émotion  et 
.es  larmes  de  l'évêque,  la  vertu  et  la  sainteté  de  Norbert,  la  grâce  surtout  qui  agissait  fortement 
sur  son  cœur,  tout  avait  concouru  à  déterminer  Hugues,  le  chapelain  de  Burchard,  à  s'attacher  à 
l'homme  de  Dieu  qui  se  présentait  à  lui.  Après  l'avoir  soigné  durant  la  maladie  qu'il  fit  à  Valen- 
ciennes, Hugues  lui  déclara  qu'il  voulait  vivre  avec  lui.  C'était  dans  ce  moment  le  seul  disciple 
qu'eut  saint  Norbert  pour  remplacer  les  trois  premiers,  qui  étaient  morts  peu  de  temps  auparavant 
à  Valenciennes.  En  quittant  cette  ville,  ils  commencèrent  à  évangéliser  ensemble  les  populations 
du  diocèse  de  Cambrai,  puis  ils  se  rendirent  dans  diverses  contrées  de  l'Allemagne. 

Saint  Norbert  ne  négligea  rien  pour  porter  Hugues  à  la  perfection  du  saint  état  qu'il  avait  em- 
brassé et  pour  lui  apprendre  comment  il  fallait  supporter  avec  joie  toutes  les  privations.  «  Il  lui 
apprenait  par  quelles  voies  le  pécheur  revient  à  Dieu,  par  quels  travaux  et  quelles  œuvres  il  mé- 


442  11    FÉVRIER. 

rite  ses  grâces,  par  qnelles  verlus  U  se  rend  agréable  à  ses  yeux.  Il  lui  parlait  de  l'huroilité  qni 
conduit  au  ciel,  de  la  simplicité  qui  y  fait  pénétrer,  de  l'obéissance  qui  donne  la  connaissance  des 
choses  de  Dieu,  de  la  patience  qui  fait  posséder  son  âme  en  paix,  de  la  chasteté  qui  approche  de 
Dieu,  de  la  virginité  qui  fait  marcher  avec  lui,  de  la  pauvreté  enfin  par  laquelle  on  possède  le 
royaume  des  cieus  ».  Après  avoir  accompagné  saint  Norbert  dans  ses  courees  apostoliques,  Hugues 
le  suivit  encore  à  Reims,  où  ils  furent  présentés  au  pape  Callixte  II,  puis  dans  la  forêt  de  Coucy 
où  fut  établi  le  siège  de  l'Ordre  de  Prémontré.  C'est  là  qu'il  passa  une  grande  partie  de  sa  vie, 
occupé  de  la  conduite  de  ce  monastère. 

Lorsque,  dans  la  suite,  saint  Norbert  fut  nommé  archevêque  de  Magdebourg,  le  bienheureux 
Hugues  et  beaucoup  d'autres  religieux  de  son  Ordre  voulurent  le  suivre,  afin  de  travailler  auprès  de 
lui.  Mais  le  Saint  connut  que  ce  n'était  point  la  volonté  de  Dieu,  et  il  leur  commanda  de  choisir 
parmi  eux  un  nouveau  supérieur.  11  ne  dissimula  pas  le  plaisir  que  lui  causerait  l'élection  de  Hu- 
gues, dont  il  appréciait  la  hante  sagesse  et  les  admirables  qualités.  Les  disciples  comprirent  la 
pensée  de  leur  maitre  et  la  suivirent  fidèlement.  Dieu  permit  que  Hugues  eiH  dans  un  songe  comme 
un  témoignage  que  ce  choix  était  conforme  à  sa  volonté.  Durant  la  nuit  qui  la  précéda,  il  crut  voir 
descendre  près  de  lui  Noire-Seigneur  et  saint  Norbert,  qui  disait  en  montrant  son  disciple  à 
Jésus  :  «  Seigneur,  je  présente  de  nouveau  à  votre  majesté  très-sainte  celui  qui  me  fut  confié 
pour  vous  ». 

Après  la  mort  de  saint  Norbert,  le  bienheureux  Hugues,  qui  était  rempli  pour  lui  d'une  affec- 
tion toute  filiale,  pria  Dieu,  dans  la  simplicité  de  son  cœur,  de  lui  donner  un  témoignage  de  la 
miséricorde  dont  il  avait  usé  envers  son  serviteur.  Cette  prière  fut  exaucée  la  nuit  suivante,  saint 
Norbert  lui  apparut  environné  d'une  lumière  éclatante,  et  dit  à  son  disciple  qu'il  jouissait  du  boo- 
lieur  du  ciel.  Le  bienheureux  Hugues  rappela  lui-même  C-tte  vision,  mais  il  ne  dit  pas  que  c'était 
à  lui  que  Dieu  avait  accordé  cette  faveur.  11  mourut  en  1164,  trente  ans  après  son  maitre  bica- 
aiœé  saint  Norbert,  dont  il  s'appliqua  toute  sa  vie  à  imiter  les  vertus. 


Xr  JOUR  DE  FÉVRIER 


MARTYROLOGE   ROMAIN. 

En  Afrique,  la  naissance  an  ciel  des  saints  martyrs  Satohnin,  prêtre.  Datif,  Félix,  Ampkle  et 
'/eurs  compagnons  qui,  s'étant  assemblés,  selon  la  coutume,  pour  célébrer  le  jour  du  dimanche, 
furent  pris  par  des  soldats,  dans  la  persécution  de  Dioclétien,  et  souffrirent  le  martyre  sous  le 
proconsul  Anolinus.  304.  —  Kn  Numidie,  la  mémoire  de  plusieurs  saints  martyrs  qui  furent  arrêtés 
pendant  la  même  persécution,  et  qui,  ayant  refusé  de  livrer  les  divines  Ecritures,  conformément  à 
l'édit  de  l'empereur,  furent  tourmentés  par  les  plus  cruels  supplices  et  mis  à  mort.  303  et  304.  — 
A  Andrinople,  les  saints  martyrs  Luce,  évêque,  et  ses  compagnons.  Saint  Luce,  après  avoir  beau- 
coup souffert  de  la  part  des  Ariens  sous  l'empereur  Constance,  consomma  son  martyre  dans  les  fers. 
Les  autres,  dont  la  plupart  étaient  les  citoyens  les  plus  considérables  de  la  ville,  n'ayant  pas  voulu 
recevoir  les  Ariens  qui  venaient  d'être  condamnés  au  concile  de  Sardique,  furent  décapités  par 
sentence  du  comte  Philagre.  348.  —  A  Lyon,  saint  Didier,  évêque  de  Vienne  et  martyr.  608.  — 
A  Ravenne,  saint  Calocer,  évêque  et  confesseur.  Vers  170.  —  A  Milan,  saint  Lazare,  évêque  '.  449. 
—  A  Capoue,  saint  Castrensis,  évêque. 'Vers  450. — A  Cbâteau-Landon,  en  Câlinais,  saint  Skverin, 
abbé  du  monastère  de  Saint-Maurice  d'Agaune,  par  les  prières  duquel  le  roi  Clovis,  alors  adorateur 
du  vrai  Dieu,  fut  délivré  d'une  longue  maladie.  507.  —  En  Egypte,  saint  Jonas,  moine,  illustre 
par  ses  vertus  '. 

1.  Saint  Lazare  do  Milan  fut  an  des  premiers  ^  accnellUr  les  prières  des  Rogations  établies  par  saint 
Uamert  de  Vienne. 

2.  Disciple  do  saint  Pacdmc,  saint  Jonas  dorlssait  vers  le  milieu  du  ive  siîrclc.  Jardinier  du  monasttire, 
U  ne  goDta  Jamais  aax  fruits  que  ses  mains  cueillaient;  il  mourut  i  l'âge  de  quatre-vingt-cinq  ans. 


UARtmoLoaEà.  443 


MARTYKOLOGE  DE  FRANCE,   BEVU   ET  ACGMENTE. 

A  Soissons,  saint  Gàudin,  évèiiue  et  martyr,  qui  fut  précipité  et  noyé  dans  un  paits  par  quel- 
ques-uns de  ses  diocésains  qu'il  avait  publiquement  repris  pour  le  péché  d'usure.  Vers  "00.  —  A 
Vienne,  en  Uauphiné,  sainl  Simplide,  dixième  évèque  de  ce  siège  et  successeur  de  sainl  Avile,  glo- 
rieusement couronné  du  martyre.  297.  —  En  l'abbaye  de  Sainl-Gildas,  au  diocèse  de  Vannes,  saint 
Eoharn,  ermite,  massacré  pour  sa  piété  par  des  brigands.  1020.  —  A  Clermont,  en  Auvergne,  saint 
Dé~irè,  ëvèque.  Bien  que  ses  actions  n'aient  pas  été  mises  eu  lumière,  sa  sainteté  lui  servait  da 
flambeau  pour  conduire  heureusement  les  affaires  de  son  diocèse.  Il  fut  enterré  en  l'église  de 
Saint-Allyre.  602.  —  A  Tréguier,  en  Basse-Bretagne,  saint  Guillaume,  évèque  '.  —  A  Beanvais, 
saint  Odo.n,  évèque  de  ce  siège  et  confesseur.  S80.  —  Au  diocèse  d'Autun,  saint  Ardaing  oo 
Ardan,  abbé  de  Tournus,  dont  les  reliques  ont  été  honorées  de  plusieurs  miracles.  1036.  —  Au 
Mans,  fête  de  saint  Audry  ou  Aldric,  évèque  de  ce  siège,  dont  la  naissance  au  ciel  est  marquée  le 
7  janvier  ».  —  A  Saint-Flour,  la  fête  de  sainl  Tillon,  dont  l'entrée  au  ciel  est  rapportée  le  7  de 
janvier  '.  —  A  Tours,  la  fête  de  saint  Volusien,  évèque  de  ce  siège,  dont  le  martyrologe  romain 
fait  mention  le  IS  janvier*.  —  A  Saint-Corneille-d'Aiï-la-Chapelle  (luden),  le  décès  de  saint  Be- 
NOiT  d'Aniane,  qu'on  a  aussi  nommé  Eutice,  moine  à  Saint-Seine,  en  Bourgogne,  fondateur  et 
premier  abbé  de  Saial-Sauveur  d'Aniane,  entre  Lodève  et  Montpellier,  qui  s'opposa  avec  vigueur  à 
l'hérésie  de  Félix  d'Urgel,  et  se  rendit  très-célèbre  par  la  Concorde  des  règles  monacales,  qu'il 
composa  par  ordre  de  Louis  le  Débonnaire  et  qu'il  présenta  à  l'assemblée  tenue  après  le  concile 
d'Aii-la-Chapelle.821.  —  A  Ajaccio,  les  sept  bienheureux  fondateurs  de  l'Ordre  des  Servîtes  de  la 
bienheureuse  Vierge  .Marie  ^  —  A  Alger,  la  fêle  de  saint  Jules,  de  saint  Paul,  de  sainte  Victoire  et 
de  leurs  compagnons,  martyrs.  Arrêtés  à  Abytina,  ville  de  l'Afrique  prcconsulaire,  dans  la  maison 
d'Octave  Félix,  qui  leur  servait  de  lien  de  prière  après  le  renversement  des  églises  chrétiennes,  ils 
furent  traînés  à  Carlhage,  où  le  proconsul  Anulinus  les  fit  tous  mourir,  non  sans  avoir  auparavant 
tenté  d'insulter  a  la  vertu  de  sainte  Victoire,  a  N'ai-je  pas  célébré  le  saint  dimanche  avec  mes 
frères  ?  »  répondit  la  pieuse  vierge.  N'ai-je  pas  avec  eux  partagé  le  festin  des  chrétiens  ?  »  304. 
—  A  Cayeui,  saint  Co.nieste,  évèque  de  ce  siège  et  confesseur.  —  A  Saint-Uiquier,  saint  Fri» 
cor.  630  «. 

MARTYROLOGES  DES   ORDRES  RELIGIECÏ. 

Martyrologe  de  Saint-Basile.  —  A  Antioche,  saint  Siméon,  moine  de  l'Ordre  de  Saint-Basile, 
qni  vécut  plusieurs  années  sur  une  colonne,  d'où  il  reçut  le  surnom  de  Stylile  ;  sa  vie  et  sa  con- 
duite furent  admirables.  Sa  naissance  au  ciel  se  célèbre  le  5  de  janvier. 

Martyrologe  de  la  Congrégation  de  Valiombreuse.  —  Les  sept  bienheureni  fondateurs  de 
l'Ordre  des  Servîtes  de  la  bienheureuse  Vierge  Marie. 

Martyrologe  des  Frères-Précheurs.  —  Les  fiançailles  de  la  bienheureuse  Vierge  Marie  avec 
saint  Joseph.  —  De  plus,  la  mémoire  de  sainl  Joseph,  confesseur,  époux  de  la  sainte  Vierge. 

Martyrologe  de  l'Ordre  Romano-Sérapltique.  —  A  Bourges,  dans  l'Aquitaine,  la  bienheureuse 
Jeanne  de  Valois,  reine  de  France,  par  qui  l'Ordre  de  la  très-sainle  Annonciation,  sous  la  règle  des 
dix  vertus  de  la  bienheureuse  Vierge  Marie,  fut  institué  et  mis  sous  l'obédience  et  la  direction  des 
Frères-Mineurs.  Son  âme  monta  au  ciel  le  4  février  ''. 

Martyrologe  de  l'Ordre  Sérajjhique,  —  Sainte  Martine,  Tierge  et  martyre ,  menlionnée  le 
30  janvier. 

Martyrologe  de  l'Ordre  des  Carmes  Chaussés  et  Déchaussés.  —  L'octave  de  saint  André  Cor- 
sini,  évèque  et  confesseur. 

Martyrnloge  de  l'Ordre  de  Saint-Augustin.  —  An  mont  Cassin,  sainte  Scholastique,  vierge, 
sœur  de  saint  Benoit,  abbé,  lequel  vit  son  âme  sortir  de  son  corps  et  s'envoler  au  ciel  sous  la 
ferme  d'une  colombe.  Sa  fête  se  célèbre  le  10  de  février,  mais,  dans  notre  Ordre,  on  fait  mémoire 
d'elle  aujourd'hui. 

Martyrologe  de  COr.ire  des  Servîtes.  —  Au  désert  du  mont  Sénario,  la  solennité  des  sept 
bienhenreui  fondateurs  de  l'Ordre  des  Servîtes  de  la  bienheureuse  Vierge  Marie,  dont  les  corps  re- 
posent en  ce  lieu. 

Mar'yroinge  de  VOrdre  des  Capucins.  —  Sainte  Viridiane  ou  Véridienne,  vierge,  du  tiers-ordre 
de  Saint-François,  notre  Père,  remarquable  par  de  dignes  fruits  de  pénitence  et  par  la  gloire  de  ses 
miracles  ;  laquelle  rendit  son  âme  à  Dieu  à  Chàleau-Florenlin,  en  Toscane,  le  1='  de  ce  mois. 

1.  Voir  au  29  mars.  —  2.  Voyez  sa  vie  à  C8  Jour.  —  3.  Vovez  ca  jonr 4.  Voir  an  13  février.  Jour 

aagael  on  célèbre  sa  fête  'a  Pamiers.  —  5.  Voir  an  17  février.  —  6.  Voir  an  30  mai 7.  Voir  à  ce  jour. 


444  n  FÉVRiEn. 

ADDITIONS   FAITES   DAPRÉS   LES   BOLLANDISTES   ET  AUTRES   HAGl(lG;iAVli::.5 

Aux  saints  Saturnin,  Datif,  Félis  et  AmpMe,  mentionnés  par  le  martyrologe  romain,  il  faut 
ajouter  Saturnin,  lecteur,  Marie,  Hilarion  et  les  enfants  de  ce  dernier,  un  autre  Félix,  Emérite,  Am- 
pclius,  Rogalien,  Quintus,  Maximien,  Tliélica,  Rogalicn,  Rogat,  Janvier,  Cassien,  Viclorianus,  Vin- 
cent, Cécilianiis,  Restituta,  Primeva  ou  Primevère,  Rogatien,  Givalius,  Rogat,  Pomponia,  Secunda, 
Jjni'aria,  Saturnina,  Martin,  Dante,  Félix,  Marguerite,  Majeur,  Honorata,  Régula,  Victorin,  Péhisius, 
Fauste,  Dacien,  Matrona,  Cécile,  Victoria,  Bérédina,  Secunda,  une  autre  Mationa  et  une  autre 
Januaria,  tous  habitants  de  la  ville  d'Abytina,  qui  furent  mis  à  mort  pour  n'avoir  pas  voulu  livrer 
les  saintes  Ecritures.  L'authenticité  de  leurs  actes  est  entière  et  sincère,  dit  Baronius  ',  à  l'année 
303,  u»  58,  de  ses  Annales.  —  En  Afrique,  les  saints  Félix,  Victor,  Janvier,  Vital,  Hérénée,  mar- 
tyrs. Vers  l'an  250.  —  A  Apamée  de  Syrie,  ou  à  Apamée  de  Bithynie,  ou  à  Apamée  de  Pisidie,  ou 
bien  encore  à  Pamiers,  en  France,  les  saints  Péon  et  Euphraxius.  —  En  Arménie,  saint  Basile, 
moine.  —  En  Campanie,  les  saints  Basilien,  Amance  et  Tulique,  martyrs.  —  A  Turin,  saint  ïigrin, 
martyr  romain,  dont  le  corps  fut  donné  à  la  chapelle  des  Jésuites  de  cette  ville,  en  1611.  —  A 
Troie,  ancienne  ville  de  la  Pouille,  saint  Secondin,  évêque.  Vers  550.  —  En  Irlande,  saint  Ecian 
ou  Echen,  évêque  de  Clonfert,  dont  la  naissance  fut  obtenue  par  sainte  Brigitte,  et  qui  ordonna 
prêtres  saint  Colombe  et  saint  Berach.  On  représente  saint  Echea  labourant  avec  une  charrue  attelée 
de  cerfs  blancs.  An  557.  —  En  Angleterre,  saint  Cedraon,  moine  et  chantre  au  couvent  de  Whitby, 
autrefois  Streneshal.  Dieu  lui  avait  accordé  le  don  de  la  poésie  et  de  la  musique.  Vers  680.  — 
Chez  les  Grecs,  sainte  Théodora,  impératrice  d'Orient,  épouse  de  l'empereur  Théophile.  Elle 
s'opposa  aux  persécution?  dirigées  par  ce  prince  contre  les  saintes  images;  devenue  après  lui 
maîtresse  de  l'empire,  conjointement  avec  son  lils,  elle  établit  sur  le  siège  patriarcal  de  Cons- 
tantinople  saint  Wélhodius,  en  place  de  l'imposteur  Jean,  et  contribua  de  tout  son  pouvoir  à  la  con- 
version des  Bulgares,  dont  le  roi  Bogoris  entra  dans  un  monastère.  Outragée  plus  tard  par  son  fils 
Michel  111,  elle  partagea  la  disgrâce  et  l'exil  du  patriarche  saint  Ignace,  et  mourut  en  867. —  A  Léon, 
en  Espagne,  le  bienheureux  Martin,  prélre  et  chanoine  régulier  2.  An  1221.  —  A  Osnabruck,  en 
VVesti)halie ,  saint  Adolphe,  vingt-huitième  évêque  de  ce  siège  depuis  Chariemagne,  qui  l'avait 
érigé.  Dans  son  zèle  de  pasteur,  il  recherchait  lésâmes  comme  des  pierres  précieuses  2.  An  1222. 
—  A  Madère,  saint  Pierre  de  Guarda,  de  l'Ordre  des  Frères  Mineurs.  Né  à  Guarda,  en  Portugal, 
il  passa  trente  ans  de  sa  vie  au  couvent  de  saint  Bernard  de  Madère,  dans  les  hun.bles  fondions 
de  cuisinier.  Souvent,  dans  sa  cuisine,  au  milieu  des  apprêts  du  repas,  il  se  mettait  à  genoux  et 
priait.  Dieu  jetait  sur  cette  existence  contemplative  un  regard  si  bienveillant  qu'il  envoyait  lei 
anges  pour  faire  l'ouvrage  de  ce  saint  homme  qui  faisait  l'ouvrage  des  anges.  1505  *. 

1.  Tome  III,  pase  S92  de  l'éJition  des  Célestixs,  successeurs  de  M.  Louis  Gu^îiin,  à  Bav-le-Duc, 
laquelle  a  e'té  vivement  recomraanJe'e  il   l'univers  catliolique  par  le  :.aint-PÎ;re. 

2.  Les  biograpUes  de  saint  Martin  de  Lifon  ont  dit  de  lui  qu'il  était  un  miroir  de  vertu,  un  soleil  do 
pureté,  un  modèle  d'obe'issance  et  de  piété,  un  boulevard  de  la  foi.  un  parfum  de  sainteté  et  l'Iionncur 
des  bonnes  mœurs.  D'an  esprit  très-lourd,  il  se  lamentait  de  ne  pouvoir  rien  apprendre  :  or,  une  nuit, 
saint  Isidore  do  Séville,  sous  l'invocation  duquel  était  placé  le  monast'ere  des  chanoines  réguliers  de 
Léon,  lui  apparut  en  songe  et  lui  ordonna  de  manger  un  livre  qu'il  lui  présentait.  A  partir  de  ce  moment, 
Martin  fut  un  savant. 

3.  D'abord  chanoine  de  Cologne,  il  entra  chez  les  Cisterciens  de  Camp,  prïs  de  ClÈves,  à  la  snite  d'une 
vision  dont  il  avait  été  vivement  frappé.  Ses  éminentes  qualités  le  firent  bientôt  élever  sur  le  siège  épis- 
copal  d'Osnabriick,  dont  il  fut  le  vingt-huitième  évêque.  Il  se  fit  principalement  remarquer  par  sa  libéra- 
lité envers  les  pauvres,  sa  paternelle  sollicitude  pour  les  affligés,  et  la  fondation  de  plusieurs  institutions 
charitables.  Il  mourut  en  l'222,  aprbs  avoir  gouverné  son  troupeau  pendant  vingt  ans.  Il  fut  honoré  des 
fidèles  aussitôt  après  sa  mort.  L'évêque  François  Guillaume  éleva  son  corp»  de  terre  en  1651.  Les  Jésuites 
d'Osnabriick  lui  avaient  éri^é  un  autel  dans  leur  église. 

4.  Voir  notre  Palmier  sérapfiitjue,  tome  il. 


SAI.NT   SATUILMX,    SALNT  DATIF. 


SAINT  SATURNIN,  SAINT  DATIF, 

ET  LEURS  COMPAGNONS,  MARTYRS  EN  AFRIQUE 
30i.  —  Pape  :  Saint  Marcellin.  —  Empereur  romain  :  Dioclélisn. 


J'ai  vn  les  âmes  de  cens  qui  ont  été  taés  pour  la  pa- 
role de   Dien  et  à  cause  du  témoignage  qu'ils  loi 
avaient  rendu  ;  elles  se  tenaient  debout  devant  lo 
trône  de  l'Agneau,  avec  des  palmes  'a  la  main. 
Âpoc.f  vu,  9. 

Aux  jours  de  Dioclétien  et  de  Maximien,  l'enfer  dirigea  contre  les  chré- 
tiens une  nouvelle  guerre.  11  recherchait,  pour  les  brûler,  les  saints  mystè- 
res et  les  divines  Ecritures,  renversait  les  basiliques  du  Seigneur,  et  défen- 
dait de  célébrer  les  rites  sacrés  et  les  saintes  Collectes  ou  assemblées.  Mais 
l'armée  du  Seigneur  ne  pouvait  tolérer  un  commandement  aussi  injuste  ; 
remplie  d'horreur  pour  ces  ordres  sacrilèges,  elle  saisit  aussitôt  les  armes 
de  la  foi  et  descendit  au  combat,  moins  pour  lutter  contre  les  hommes  que 
contre  le  démon.  11  est  vrai  que  plusieurs  tombèrent,  détachés  de  la  foi  qui 
faisait  leur  appui,  en  livrant  aux  gentils,  pour  être  brûlés  par  eux,  les  Ecri- 
tures divines  et  les  saints  mystères  ;  le  plus  grand  nombre  cependant  sut 
mourir  en  les  conservant  avec  courage,  et  en  répandant  volontiers  son  sang 
pour  les  défendre.  Pleins  du  Dieu  qui  les  animait,  après  avoir  vaincu  et  ter- 
rassé le  démon,  ces  martyrs  ont  conquis  dans  leurs  souffrances  la  palme  de 
la  victoire,  et  écrit  de  leur  sang,  contre  les  traditeurs  et  leurs  consorts,  la 
sentence  par  laquelle  l'Eglise  les  rejetait  de  sa  communion,  parce  qu'il  n'é- 
tait pas  permis  qu'il  y  eût  à  la  fois  dans  l'Eglise  un  Dieu  des  martyrs  et  un 
Dieu  des  traditeurs. 

Ainsi  l'on  voyait  de  toutes  parts  accourir  au  lieu  du  combat  d'innombra- 
bles légions  de  confesseurs  ;  et  partout  où  chacun  d'eux  trouvait  un  adver- 
saire, il  y  dressait  le  camp  du  Seigneur.  Dans  la  ville  d'Abytina,  dans  la 
maison  d'Octave  Félix,  quand  les  éclats  de  la  trompette  guerrière  eurent 
retenti,  de  glorieux  martyrs  élevèrent  l'étendard  de  leur  roi.  Et  pendant 
qu'ils  célébraient,  selon  la  coutume,  les  mystères  sacrés,  ils  furent  arrêtés 
par  les  magistrats  de  la  colonie,  assistés  des  soldats  stationnaires.  C'étaient 
le  prêtre  Saturnin  avec  ses  quatre  enfants.  Saturnin  le  jeune  et  Félix,  tous 
deux  lecteurs,  Marae,  vierge  consacrée  au  Seigneur,  et  Hilarion,  encore  en- 
fant. Avec  eux,  le  sénateur  Datif,  Félix,  un  autre  Félix,  Emérite,  Ampélius, 
Rogatien,  Quintus,  Maximien,  Rogatien,  Rogat,  Janvier,  Cassien,  Victorianus, 
Vincent,  Cécilianus,  Restituta,  Primeva  ou  Primevère,  Rogatien,  Givalius, 
Rogat,  Pomponia,  Secunda,  Januaria,  Saturnina,  Martin,  Dante,  Félix,  Mar- 
guerite, Majeur»  Honorata,  Régula,  Victorin,  Pelusius,  Fauste,  Dacien,  Ma- 
trona,  Cécile,  Victoria,  Bérédina,  Secunda,  une  autre  Matrona  et  une  autre 
Januaria.  Tous,  joyeux  de  leurs  chaînes,  furent  conduits  au  Forum. 

A  ce  premier  champ  de  bataille.  Datif  marchait  le  premier.  Datif  que 
des  parents  pieux  avaient  engendré  pour  porter  un  jour  la  blanche  robe  des 
sénateurs  dans  la  cour  céleste.  Après  lui  venait  le  prêtre  Saturnin,  entouré 


446  U  FÉVTUEH. 

de  ses  quatre  enfants  ;  la  moitié  devait  partager  avec  lui  le  martjTC,  et  il 
laissait  l'autre  à  l'Eglise,  comme  un  gage  destiné  à  rappeler  son  nom  et  son 
dévouement.  L'armée  entière  des  soldats  du  Seigneur  les  suivait,  avec  l'éclat 
et  la  splendeur  des  armes  célestes,  le  bouclier  de  la  foi,  la  cuirasse  de  la 
justice,  le  casque  du  salut  et  le  glaive  à  deux  tranchants  de  la  parole  sainte. 
Invincibles  sous  une  telle  armure,  ils  donnaient  aux  frères  l'assurance  de 
leur  prochaine  victoire.  Enfin  ils  arrivèrent  sur  le  forum  de  la  ville.  Cest  là 
qu'ils  livrèrent  leur  premier  combat,  dans  lequel,  au  jugement  même  des 
magistrats,  ils  enlevèrent  la  palme  d'une  glorieuse  confession.  Sur  ce  même 
Forum,  le  ciel  avait  combattu  pour  les  Ecritures  divines,  lorsque  l'évêque 
de  la  cité,  Fundanus,  avait  consenti  à  les  livrer  pour  être  brûlées.  Déjà  le 
sacrilège  magistrat  les  avait  jetées  sur  la  flamme,  quand  tout  à  coup,  par 
un  ciel  sans  nuages,  une  pluie  abondante  avait  éteint  les  feux,  tandis  que  la 
grêle  sévissait  d'une  manière  terrible,  et  les  éléments  déchaînés  ravageaient 
au  loin  le  pays,  après  avoir  respecté  les  Ecritures  du  Seigneur. 

Ce  fut  donc  dans  cette  ville  que  les  martyrs  du  Christ  reçurent  leurs  pre- 
noières  chaînes,  qu'ils  avaient  tant  désirées.  De  là  on  les  dirigea  sur  Car- 
thage,  et  pendant  toute  la  route,  dans  les  élans  d'une  vive  allégresse,  ils 
chantaient  au  Seigneur  des  hymnes  et  des  cantiques.  Quand  ils  furent  arri- 
vés au  tribunal  d'Anulinus,  alors  proconsul,  ils  gardèrent  les  rangs  de  leur 
sainte  milice  avec  courage  et  fermeté  ;  et  les  cruelles  attaques  du  démon 
vinrent  se  briser  contre  la  conslaiice  que  le  Seigneur  leur  inspirait. 

Mais  parce  que  tous  ces  soldats  du  Christ  se  trouvant  réunis  étaient  trop 
forts  contre  la  rage  du  diable,  il  voulut  les  appeler  l'un  après  l'autre  à  des 
combats  singuliers.  Ce  n'est  pas  de  nous-niême,  c'est  avec  les  paroles  des 
martyrs  que  nous  voulons  vous  tracer  le  récit  de  ces  combats,  afin  qu'on 
apprenne  à  connaître  l'audacieuse  cruauté  de  l'ennemi,  dans  les  supplices 
qui  furent  inventés  et  dans  ses  attaques  sacrilèges,  et  qu'en  même  temps  on 
loue  dans  la  patience  des  martyrs  et  dans  leur  confession  la  vertu  toute- 
puissante  du  Christ  notre  Seigneur. 

L'officier,  en  les  présentant  au  proconsul,  les  annonçait  comme  étant 
des  chrétiens  que  les  magistrats  des  Abytiniens  lui  avaient  envoyés,  parce 
que,  contre  les  édits  des  empereurs  et  des  Césars,  ils  avaient  tenu  leurs  Col- 
lectes et  célébré  les  mystères  du  Seigneur.  Le  proconsul  demanda  d'abord 
à  Datif  quelle  était  sa  condition  dans  le  monde,  et  s'il  avait  tenu  des  Collec- 
tes. Datif  confessa  qu'il  était  chrétien,  et  qu'il  avait  assisté  à  des  Collectes. 
Le  proconsul  insista  pour  savoir  quel  était  l'auteur  de  ces  réunions  saintes,  et 
en  môme  temps  il  ordonna  à  l'officier  d'étendre  Datif  sur  le  chevalet,  et  de 
le  déchirer  avec  des  ongles  de  fer.  Les  bourreaux  exécutèrent  ces  ordres 
avec  un  cruel  empressement  ;  déjà  les  flancs  du  martyr  étaient  mis  à  nu  et 
préparés  pour  la  torture;  les  ongles  de  fer  se  dressaient  au-dessus  de  la 
victime,  quand  tout  à  coup  le  généreux  martyr  Thélica  fendit  la  foule,  et 
vint  se  présenter  aux  supplices.  11  criait  à  haute  voix  :  «  Nous  aussi  nous 
sommes  chrétiens,  nous  avons  fait  des  réunions  ».  A  ces  mots,  la  fureur  du 
proconsul  s'enflamme;  il  pousse  un  soupir,  et  profondément  blessé  parle 
trait  qui  lui  déchire  le  cœur,  il  fait  d'abord  frapper  de  coups  vigoureux  le 
martyr  du  Christ,  puis  il  l'étend  sur  le  chevalet,  où  les  ongles  de  fer  met- 
tent ses  membres  en  lambeaux.  Mais  au  milieu  de  la  rage  de  ses  bourreaux 
le  glorieux  martyr  Thélica  répandait  en  ces  termes  devant  le  Seigneur  ses 
prières,  avec  l'hommage  de  sa  reconnaissance  :  «  Grâces  soient  rendues  à 
Dieu  !  En  votre  nom.  Christ,  Fils  de  Dieu,  délivrez  vos  serviteurs  ». 

Le  proconsul,  interrompant  cette  prière,  lui  demanda  :  «  Qui  donc  a  été 


8AIXT  SATIT.XIS,   SAINT  I)AT0.  447 

ayec  toi  l'auteur  de  vos  réunions  ?»  —  Et  le  martyr,  sans  s'émouvoir,  au 
milieu  des  fureurs  de  plus  en  plus  cruelles  du  bourreau,  répondit  à  haute 
voix  :  «  Le  prêtre  Saturnin  et  nous  tous  avec  lui  ».  Généreux  martyr  !  il 
donne  à  tous  le  premier  rang  I  il  n'a  point  nommé  le  prêtre  à  l'exclusion 
des  frères;  mais  au  prêtre  il  a  associé  les  frères  dans  les  honneurs  d'une 
confession  commune.  Le  proconsul  demanda  alors  Saturnin  ;  le  martyr  le 
lui  montra.  Ce  n'était  pas  le  trahir,  puisqu'il  le  voyait  déjà  combattre  à  ses 
côtés  avec  lui  contre  le  diable  ;  mais  il  voulait  prouver  au  proconsul  qu'il 
avait  assisté  à  une  Collecte  solennelle  des  chrétiens,  puisqu'un  prêtre  était 
avec  eux.  Cependant  le  martyr  unissait  ses  prières  à  son  sang  ;  et,  fidèle  aus 
préceptes  de  l'Evangile,  il  demandait  pardon  pour  ses  ennemis  qui  mettaient 
ses  chairs  en  lambeaux.  Au  milieu  des  plus  cruels  supplices,  il  reprochait  à 
ses  bourreaux  et  au  proconsul  leur  impiété.  «  Malheureux  »,  s'écriait-il, 
vous  êtes  des  injustes;  vous  agissez  contre  Dieu.  0  Dieu  très-haut,  vous 
punirez  leurs  crimes.  Malheureux  !  vous  péchez,  vous  agissez  contre  Dieu. 
Gardez  les  préceptes  du  Dieu  très-haut  !  Malheureux  !  vous  commettez  l'in- 
justice, vous  déchirez  des  innocents  ;  car  nous  ne  sommes  pas  des  homici- 
des, nous  n'avons  commis  aucune  fraude.  0  Dieu  !  ayez  pitié.  Je  vous  rends 
grâces,  Seigneur  !  accordez-moi  de  souifrir  pour  la  gloire  de  votre  nom. 
Délivrez  vos  serviteurs  de  la  captivité  de  ce  monde.  Je  vous  rends  grâces,  et 
je  me  sens  incapable  de  vous  témoigner  ma  reconnaissance  ».  Cependant  les 
ongles  de  fer  plus  fortement  appliqués  imprimaient  sur  les  membres  du 
martyr  de  plus  profonds  sillons  ;  des  flots  de  sang  s'échappaient  en  bouil- 
lonnant des  mille  sources  qui  leur  étaient  ouvertes. 

A  ce  moment  le  proconsul  s'écria  :  «  Tu  vas  enfin  commencer  à  éprou- 
ver ce  qu'il  vous  faudra  souffrir».  Thélica,  qui  l'entendit,  ajouta  sur-le- 
champ  :  «  Oui,  ce  qu'il  nous  faudra  souffrir  pour  arriver  à  la  gloire.  Je  rends 
grâces  au  Dieu  des  empires.  Je  le  vois,  l'empire  étemel,  l'empire  incorrup- 
tible. Seigneur  Jésus-Christ,  nous  sommes  chrétiens  ;  c'est  vous  que  nous 
servons  ;  vous  êtes  notre  espérance  ;  vous  êtes  l'espérance  des  chrétiens  ; 
Dieu  très-saint  !  Dieu  trcs-haut  !  Dieu  tout-puissant  !  Pour  la  gloire  de 
votre  nom,  nous  vous  offrons  le  tribut  de  nos  louanges.  Seigneur  to'ut- 
puissant  !  »  Au  milieu  de  cette  prière,  le  diable,  par  la  voix  du  juge,  lui 
ayant  dit  :  «  Tu  devais  garder  l'ordre  des  empereurs  et  des  Césars  »  ;  Thé- 
lica, malgré  l'épuisement  de  son  corps,  lui  répondit  avec  le  courage  et  la 
constance  d'une  âme  qui  se  sent  victorieuse  :  «  Je  n'ai  appris  qu'une  loi,  la 
loi  de  Dieu  ;  que  m'importent  toutes  les  autres  ?  C'est  elle  que  je  veux  garder, 
pour  elle  je  veux  mourir,  dans  elle  je  consommerai  mon  sacrifice  ;  car  en 
dehors  de  cette  loi  il  n'y  en  a  pas  d'autre  ».  Ces  paroles  du  glorieux  martyr, 
au  milieu  de  ses  supplices,  étaient  pour  Anulinus  la  plus  cruelle  des  tor- 
tures. Enfin,  quand  il  eut  assouvi  sa  rage  et  sa  férocité,  il  cria  :  «Arrêtez  !  » 
Puis  faisant  renfermer  le  martyr  dans  une  étroite  prison,  il  le  réserva  à  des 
souffrances  plus  dignes  de  lui  et  de  son  courage. 

Après  lui,  le  Seigneur  rappela  au  combat  Datif,  qui,  du  chevalet  sur  le- 
quel il  était  resté  étendu,  avait  contemplé  de  près  le  généreux  combat  de 
Thélica.  Comme  il  répétait  souvent  et  à  haute  voix  qu'il  était  chrétien,  et 
qu'il  avait  fait  une  réunion,  on  vit  tout  à  coup  sortir  de  la  foule  Fortuna- 
tien,  le  frère  de  la  très-sainte  martyre  Victoria.  C'était  un  grand  person- 
nage, revêtu  des  honneurs  de  la  toge,  mais  qui  jusqu'alors  était  demeuré 
l'ennemi  de  la  religion  chrétienne.  Il  n'avait  cessé  d'attaquer  par  des  paro- 
les impies  le  martyr  étendu  sur  le  chevalet,  a  Seigneur  »,  disait-il  au  pro- 
consul, «  c'est  lui  qui,  profitant  de  l'absence  de  notre  père,  et  lorsque  nous- 


448  11    FÉVRIER. 

même  nous  étions  retenu  ici  pour  nos  études,  c'est  lui  qui  a  séduit  noire 
sœur  Victoria,  et  qui  l'a  entraînée  avec  lui  loin  des  splendeurs  de  Carthage, 
jusqu'à  la  colonie  d'Abytina,  accompagnée  des  deux  vierges  Restituta  et 
Secunda.  Jamais  il  n'était  entré  dans  notre  demeure,  si  ce  n'est  quand,  par 
de  perfides  insinuations,  il  avait  cherché  à  corrompre  l'esprit  de  ces  jeunes 
filles  ».  Mais  l'illustre  martyre  du  Seigneur,  la  grande  Victoria,  ne  put  souf- 
frir qu'un  serviteur  de  Dieu,  son  collègue  et  son  compagnon  de  martyre,  fût 
injustement  accusé.  Aussitôt  elle  fend  la  foule,  et  avec  une  liberté  toute 
chrétienne  :  «  Aucun  conseil  »,  dit-elle,  «  n'a  décidé  mon  départ,  et  je  ne 
suis  point  venue  avec  lui  dans  Abytina.  Je  puis  le  prouver  par  le  témoi- 
gnage des  habitants.  J'ai  tout  fait  de  moi-même  et  en  toute  liberté.  J'ai  cé- 
lébré les  mystères  du  Seigneur  avec  les  frères,  parce  que  je  suis  chrétienne  ». 
Alors  l'impudent  avocat  se  mit  à  entasser  sur  le  martyr  les  plus  infâmes 
accusations  :  mais  du  haut  de  son  chevalet  le  généreux  athlète  les  détruisait 
par  la  force  de  la  vérité. 

Cependant  Anulinus,  enflammé  de  colère,  ordonne  qu'on  ait  recours 
une  seconde  fois  aux  ongles  de  fer.  Aussitôt  les  bourreaux  mettent  à  nu 
les  flancs  de  leur  victime  ;  et,  quand  ils  les  ont  préparés  pour  leurs  ongles 
de  fer,  ils  commencent  à  sévir  par  de  sanglantes  blessures.  Leurs  cruelles 
mains  semblent  voler  plus  rapides  que  la  voix  emportée  qui  les  commande. 
Ils  déchirent  la  peau,  arrachent  les  entrailles,  et,  par  une  atroce  barbarie, 
ils  mettent  à  découvert  les  mystères  du  cœur  que  la  poitrine  recèle.  Au 
milieu  de  ces  tortures,  l'âme  du  martyr  demeurait  immobile,  ses  membres 
se  rompaient,  ses  entrailles  étaient  répandues,  ses  flancs  en  lambeaux 
s'épuisaient,  mais  son  cœur  demeurait  entier  et  inébranlable.  Datif,  autrefois 
sénateur,  se  souvient  de  sa  dignité,  et  sous  les  coups  d'un  bourreau  furieux 
il  adresse  à  Dieu  cette  prière  :  «  0  Seigneur,  ô  Christ,  que  je  ne  sois  pas 
confondu  !  »  Le  bienheureux  martyr  mérita  d'être  exaucé,  et  l'effet  fut 
aussi  prompt  que  la  prière  avait  été  courte. 

Bientôt  le  proconsul,  violemment  ému,  s'écrie  :  «  Arrêtez  !  »  et  il  s'é- 
lance de  son  tribunal.  Aussitôt  les  bourreaux  ont  cessé  ;  il  n'était  pas  juste 
que  le  martyr  du  Christ  fût  puni  dans  une  cause  qui  regardait  la  seule  Vic- 
toria, sa  compagne  dans  le  martyre.  Cependant  un  cruel  délateur,  Pompéia- 
nus,  apporte  contre  lui  d'infâmes  soupçons;  il  ajoute  à  la  cause  du  martyre 
d'odieuses  calomnies  :  mais  le  bienheureux,  le  repoussant  avec  mépris  : 
«  Démon  »,  lui  dit-il,  «  que  viens-tu  faire  en  ces  lieux?  Quels  nouveaux 
elTorts  viens-tu  tenter  contre  les  martyrs  du  Christ  ?  »  L'autorité  du  séna- 
teur, la  puissance  du  martyr  triomphèrent  de  l'influence  et  des  fureurs  de 
l'avocat.  Mais  il  fallait  que  l'illustre  athlète  fût  une  seconde  fois  soumis  à  la 
torture  pour  le  Christ.  On  lui  demanda  s'il  avait  assisté  à  la  réunion  ;  il  ré- 
pondit constamment  qu'il  était  survenu  pendant  que  la  réunion  se  faisait, 
qu'il  avait  en  conséquence  célébré  les  mystères  du  Seigneur  dans  la  société 
de  ses  frères,  avec  le  zèle  que  la  religion  exige,  mais  que  du  reste  il  n'avait 
pas  été  la  cause  unique  de  la  réunion.  Cette  réponse  excita  plus  violemment 
que  jamais  la  fureur  du  proconsul.  Dans  cette  recrudescence  de  barbarie, 
les  ongles  de  fer  du  bourreau  se  chargèrent  d'imprimer  sur  le  corps  du 
martyr  le  double  caractère  de  sa  gloire.  Mais  Datif,  au  milieu  de  ces  nou- 
veaux supplices,  plus  terribles  encore,  répétait  son  ancienne  prière  :  «  Je 
vous  le  demande,  ô  Christ  »,  disait-il,  «  que  je  ne  sois  pas  confondu.  Qu'ai-je 
fait  ?  Saturnin  est  notre  frère  » . 

Tandis  que,  sans  autre  guide  que  leur  rage,  les  bourreaux  durs  et  impi- 
toyables lui  déchiraient  les  flancs,  on  appelle  au  combat  le  prêtre  Saturnin. 


SAKT   SATURNIN,    SAINT  DATIF.  449 

Ravi  dans  la  contemplation  du  royaume  céleste,  il  n'avait  considéré  les 
tourments  de  ses  frères  que  comme  quelque  chose  de  léger  et  de  peu 
efirayant.  C'est  dans  ces  dispositions  qu'il  commença  la  lutte.  Le  proconsul 
lui  dit  :  «  Contre  les  ordres  des  empereurs  et  des  Césars,  tu  n'as  pas  craint 
de  réunir  tous  ces  hommes  ?  »  Le  prêtre  Saturnin,  avec  l'inspiration  de 
l'Esprit-Saint,  répondit  :  —  «  Nous  avons  célébré  les  mystères  du  Seigneur 
en  toute  aisance  ».  —  «  Pourquoi  ?»  —  «  Parce  qu'il  n'est  pas  permis  de 
suspendre  les  mj'stères  du  Seigneur».  A  peine  eut-il  achevé,  que  le  pro- 
consul le  fit  aussitôt  attacher  à  côté  de  Datif.  Cependant  Datif  voyait  voler 
les  lambeaux  de  sa  chair,  plutôt  comme  un  spectateur  que  comme  une  vic- 
time capable  de  plaintes.  L'esprit  et  le  cœur  appliqués  au  Seigneur,  il  ne 
comptait  pour  rien  les  douleurs  du  corps.  Seulement  il  adressait  cette 
prière  à  Dieu  :  «Venez  à  mon  aide,  je  vous  en  conjure,  ô  Christ!  ayez 
compassion  de  vos  enfants.  Sauvez  mon  âme  ;  gardez  mon  esprit,  et  que  je 
ne  sois  pas  confondu.  Je  vous  le  demande,  ô  Christ  !  donnez-moi  la  force 
de  soulfrir».  Puis  le  proconsul  lui  dit:  «Dans  cette  grande  cité,  vous 
deviez  user  de  votre  influence  pour  rappeler  les  hommes  à  des  sentiments 
meilleurs,  et  ne  pas  violer  sans  raison  l'édit  des  empereurs  et  des  Cé- 
sars ».  Mais  Saturnin  criait  avec  plus  de  force  et  de  constance  :  «  Je  suis 
chrétien  ».  A  ces  paroles  le  diable  demeura  vaincu  ;  le  proconsul  dit  :  «  Ar- 
rêtez !  »  En  même  temps  il  fit  jeter  Datif  en  prison,  et  le  réserva  pour  un 
martyre  plus  digne  de  son  courage. 

Cependant  le  prêtre  Saturnin,  que  le  sang  des  martyrs  avait  baigné  jus- 
que sur  le  chevalet  où  il  était  suspendu,  se  sentait  fortifié  dans  la  foi  de 
ceux  dont  le  sang  l'inondait  encore.  Interrogé  donc  s'il  était  l'auteur  de  la 
réunion,  si  lui-même  l'avait  formée,  il  répondit  :  «  Oui,  j'étais  présent  à 
cette  réunion  ».  Alors  le  lecteur  Emérite  s'élance  au  combat  pour  com- 
battre avec  son  prêtre.  «  Cest  moi  »,  dit-il,  «  qui  suis  le  coupable  ;  c'est  dans 
ma  maison  que  se  sont  faites  les  réunions  ».  Le  proconsul,  déjà  tant  de  fois 
vaincu,  trembla  devant  l'impétueuse  ardeur  d'Emérite  ;  cependant  il  eut 
la  force  de  se  tourner  vers  le  prêtre,  et  il  lui  dit  :  —  «  Pourquoi  agissais-tu 
contre  le  décret  de  l'empereur  ?  »  Saturnin  répondit: —  «  Lejour  du  Sei- 
gneur ne  doit  jamais  s'omettre  ;  ainsi  le  veut  la  loi  » .  Le  proconsul  continua  : 

—  ((  Cependant  tu  ne  devais  pas  mépriser  la  défense  des  empereurs  ;  il 
fallait  l'observer  et  ne  rien  faire  contre  leurs  ordres  ».  La  sentence  contre 
les  martyrs  était  arrêtée  depuis  longtemps  ;  il  donna  l'ordre  aux  bourreaux 
de  sévir,  et  fut  obéi  sur-le-champ  avec  un  empressement  cruel.  Tous  en- 
semble se  ruèrent  sur  le  corps  d'un  vieillard,  d'un  prêtre. 

Bientôt,  dans  leur  rage  qui  grandit  toujours,  ils  ont  brisé  tous  ses  nerfs  ; 
ils  déchirent  alors  ses  membres  dans  d'afl'reux  supplices  d'un  genre  nouveau, 
et  que  la  barbarie  a  pu  seule  inventer  contre  le  prêtre  de  Dieu.  Vous  eussiez 
vu  ces  bourreaux  se  jeter  sur  leur  victime  comme  sur  une  proie  livrée  à 
l'insatiable  faim  qui  les  provoque  à  multiplier  les  blessures.  Ils  mettent  à 
nu  ses  entrailles,  et  la  foule  voit  paraître  avec  horreur  les  os  du  martyr  au 
milieu  des  flots  d'un  sang  vermeil.  Alors  le  prêtre  craignit  lui-même  qu'au 
milieu  des  longs  retards  de  la  torture,  son  âme  ne  vînt  à  abandonner  son 
corps  pendant  la  suspension  des  supplices,  et  il  fît  à  Dieu  cette  prière  :  «  Je 
TOUS  en  conjure,  ô  Christ,  exaucez-moi.  Je  vous  rends  grâces,  ô  mon  Dieu  ! 
ordonnez  que  j'aie  la  tête  tranchée.  Je  vous  en  conjure,  ô  Christ,  ayez  pitié 
de  moi.  Fils  de  Dieu,  secourez-moi  ».  Mais  le  proconsul  qui  l'avait  entendu 
lui  disait  :  —  «  Pourquoi  agissais-tu  contre  l'édit  ?  »  Et  le  prêtre  répondait  : 

—  «  La  loi  le  veut  ainsi  ;  c'est  ainsi  que  la  loi  l'ordonne  ».  0  réponse  admi- 

ViES  DES  Saints.  —  Tome  IL  29 


450  li    FÉVRIER. 

rable  et  vraiment  sublime  d'un  prêtre  et  d'un  docteur  digne  de  toutes  nos 
louanges  1  même  au  milieu  des  tourments,  il  proclame  la  sainteté  de  la  loi 
divine,  et  pour  elle  il  affronte  tous  les  supplices.  Le  nom  de  loi  a  effrayé 
Anulinus  :  «  Arrêtez  !  »  crie-t-il  aux  bourreaux.  Et  il  le  relègue  dans  le  ca- 
chot de  la  prison,  le  réservant  au  supplice  qu'il  ambitionnait. 

Alors  il  fit  approcher  Emérite  et  lui  dit  :  —  «  Est-ce  bien  dans  ta  maison 
que  se  sont  faites  les  réunions  contre  les  édits  des  empereurs  "?  »  Emérite, 
tout  inondé  des  grâces  de  l'Esprit-Saint,  répondit  :  —  «  Oui,  c'est  dans  ma 
maison  que  nous  avons  célébré  le  jour  du  Seigneur». —  «Pourquoi  leur 
permettais-tu  d'entrer?» —  <■  Parce  que  ce  sont  mes  frères,  et  que  je  ne 
pouvais  les  empêcher  ».  —  «  Cependant  tu  le  devais».  —  «  Je  ne  le  pouvais 
pas,  parce  que  nous  ne  pouvons  pas  vivre  sans  célébrer  le  jour  du  Seigneur  ». 
Le  proconsul  aussitôt  le  fît  étendre  sur  le  chevalet,  puis  soumettre  à  une 
cruelle  torture.  On  avait  renouvelé  les  bourreaux  pour  que  les  atteintes 
fussent  plus  vigoureuses.  Quant  à  Emérite,  il  priait  ainsi  :  «  Je  vous  en 
conjure,  6  Christ,  secourez-moi.  Malheureux,  vous  agissez  contre  les  pré- 
ceptes du  Seigneur».  Mais  le  proconsul  en  l'interrompant  disait  :  —  «Tu 
ne  devais  pas  les  recevoir  ».  —  «  Je  ne  pouvais  pas  ne  point  recevoir  mes 
frères».  —  «  L'ordre  des  empereurs  et  des  Césars  était  antérieur».  — 
H  Dieu  est  plus  grand  que  les  empereurs.  Je  vous  prie,  ô  Christ  !  je  vous  paie 
mon  tribut  de  louanges,  6  Seigneur,  ô  Christ  !  donnez-moi  de  souffrir  ».  Au 
milieu  de  sa  prière,  le  proconsul  lui  jeta  cette  question  : —  «Tu  as  donc 
quelques  Ecritures  dans  ta  maison  ?»  —  «  Oui,  je  les  ai,  mais  dans  mou 
cœur  ».  —  «  Les  as-tu  dans  ta  maison,  oui  ou  non  ?»  —  «  C'est  dans  mon 
cœur  que  je  les  ai.  Je  vous  prie,  ô  Christ  !  à  vous  mes  louanges  !  délivrez- 
moi,  ô  Christ  !  c'est  pour  votre  nom  que  je  souffre.  Je  souffre  pour  un  mo- 
ment, je  souffre  de  bon  cœur  ;  ô  Seigneur,  ô  Christ,  que  je  ne  sois  pas  coû- 
fondu  !  »  Aux  paroles  du  saint  confesseur,  le  proconsul  dit  :  «  Arrêtez!  »  et 
il  rédigea  un  mémoire  sur  la  profession  de  foi  du  martyr,  ainsi  que  sur  celle 
de  ses  compagnons,  ajoutant  :  «  Vous  serez  punis  tous  selon  vos  mérites,  et 
selon  la  profession  de  foi  que  vous  aurez  faite  ». 

Cependant  déjà  la  rage  du  monstre,  rassasiée  par  les  tourments  des  mar- 
tyrs, commençait  à  s'apaiser,  quand  un  chrétien  nommé  Félix,  qui  tout  à 
l'heure  allait  trouver  dans  les  supplices  la  vérité  de  son  nom,  se  présenta 
pour  le  combat.  La  légion  entière  des  soldats  du  Seigneur  était  là,  toujours 
inattaquable,  toujours  invincible.  Le  tyran,  le  cœur  abattu,  la  voix  sans 
énergie,  l'âme  et  le  corps  sans  vigueur,  leur  dit  à  tous  :  «  J'espère  que  vous 
du  moins  vous  serez  assez  sages  pour  choisir  la  vie,  en  observant  les  édits». 
Les  confesseurs  du  Seigneur,  les  invincibles  martyrs  du  Christ,  lui  dirent 
tout  d'une  voix  :  «  Nous  sommes  chrétiens;  nous  ne  pouvons  pas  ne  pas 
garder  la  loi  sainte  du  Seigneur,  jusqu'à  l'effusion  de  tout  notre  sang  ». 

Anulinus,  confondu  par  celte  simple  parole,  fit  frapper  Félix  à  coups  de 
bâton  ;  et  bientôt  le  martyr  achevant  sa  passion  glorieuse  au  milieu  du  sup- 
plice, rendit  l'âme  et  s'envola  vers  le  tribunal  du  grand  Roi,  pour  se  réunir 
aux  chœurs  des  Bienheureux.  Mais  il  est  immédiatement  suivi  d'un  autre 
Félix  qui  devait  lui  être  en  tout  semblable,  et  par  le  nom,  et  par  la  profes- 
sion de  sa  foi,  et  par  le  martjTe.  Descendu  dans  la  lice  avec  le  môme  cou- 
rage, il  fut  brisé  comme  lui  sous  le  bâton  :  comme  lui  il  exhala  son  âme 
dans  les  supplices,  et  mérita  ainsi  de  partager  la  gloire  des  premiers  martyrs. 

-Après  lui  la  lutte  fut  continuée  par  Ampélius,  le  gardien  de  la  loi,  le 
conservateur  très-fidèle  des  divines  Ecritures.  Le  proconsul  lui  ayant  de- 
mandé s'il  avait  assisté  à  la  réunion,  il  répondit  avec  joie,  sans  crainte  et 


SALNT   SATTOKIN,   SAINT  DATIF.  4SI 

d'une  voix  assurée  :  «  Oui,  j'ai  assisté  aux  réunions  avec  mes  frères,  j'ai 
célébré  le  jour  du  Seigneur,  et  je  conserve  avec  moi  les  Ecritures,  mais 
gravées  dans  mon  cœur  ;  6  Christ,  je  vous  rends  grâces  ;  exaucez-moi,  ô 
Christ  1  »  A  peine  avait-il  achevé,  qu'on  le  frappa  à  la  tête,  et  on  le  fit  recon- 
duire en  prison  avec  les  autres  frères.  11  s'y  rendit  avec  joie,  comme  si  on 
l'eût  introduit  dans  le  tabernacle  du  Seigneur.  Vint  ensuite  Rogatien,  qui, 
ayant  lui  aussi  confessé  le  nom  du  Seigneur,  fut  réuni  aux  frères  dont  nous 
venons  de  parler,  sans  passer  auparavant  par  aucune  torture.  Puis  Quintus, 
qui  rendit  un  noble  et  glorieux  témoignage  au  nom  du  Seigneur.  Après 
avoir  été  frappé  à  coups  de  bâton,  il  fut  jeté  en  prison  et  réservé  pour  un 
martyre  plus  digne  de  son  courage.  Maximien  le  suivait  ;  généreux  comme 
lui  dans  sa  confession,  il  partagea  sa  gloire  dans  les  combats,  et  mérita 
comme  lui  les  triomphes  de  la  victoire.  Après  lui  vint  Félix  le  jeune,  qui 
proclamait  à  haute  voix  que  les  mystères  du  Seigneur  sont  l'espérance  et  le 
salut  des  chrétiens.  Et  tandis  qu'on  le  frappait,  ainsi  que  les  autres,  à  coups 
de  bâton,  il  disait  :  «  J'ai  de  toute  la  ferveur  de  mon  âme  célébré  les  mys- 
tères du  Seigneur  ;  j'ai  assisté  aux  réunions  avec  les  frères,  parce  que  je  suis 
dirétien  ».  Par  cette  confession  il  mérita  d'être  réuni  aux  autres  frères. 

Cependant  le  jeune  Saturnin,  digne  fils  du  saint  martyr  le  prêtre  Sa- 
turnin, s'avance  avec  empressement  pour  le  combat  qu'il  ambitionne  ;  il 
est  noblement  impatient  d'égaler  les  glorieuses  vertus  de  son  père.  Le  pro- 
consul en  fureur,  et  cédant  au  démon  qui  l'inspire,  lui  dit  :  —  «  Et  toi  aussi, 
Saturnin,  tu  as  assisté  aux  réunions?  »  —  «  Je  suis  chrétien  ».  —  «  Ce  n'est 
pas  ce  que  je  te  demande;  mais  si  tu  as  pris  part  aux  mystères  du  Seigneur». 
—  «  Oui,  j'ai  pris  part  à  ces  mystères,  car  le  Christ  est  mon  Sauveur  ».  A  ce 
nom  de  Sauveur,  Anulinus  s'enflamma  et  fit  relever  pour  le  fils  le  chevalet 
du  père.  Quand  on  y  eut  étendu  Saturnin  ;  —  «  Eh  bien!  maintenant  »,  lui 
disait  Anulinus,  «  quelle  est  ta  foi  ?  Tu  vois  en  quel  état  tu  es  réduit.  As-tu 
les  Ecritures  ?»  —  «  Je  suis  chrétien  ».  —  «  Je  te  demande  si  tu  as  assisté  à 
vos  réunions,  si  tu  conserves  les  Ecritures  ?»  —  «  Je  suis  chrétien.  Il  n'y  a 
pas,  après  le  nom  du  Christ,  un  autre  nom  que  nous  devions  adorer  comme 
divin  ».  —  0  Puisque  tu  persévères  dans  ton  obstination,  il  faut  que  tu  sois 
soumis  à  la  torture.  Réponds,  as-tu  quelques-unes  des  Ecritures?»  Puis  il  dit 
aux  bourreaux  :  «  Frappez-le  ».  Ceux-ci,  déjà  lassés  des  coups  dont  ils 
avaient  déchiré  le  père,  se  jetèrent  cependant  avec  rage  sur  les  flancs  de  ce 
jeune  adolescent,  et  ils  mêlèrent  le  sang  du  fils  au  sang  du  père,  encore 
humide  sur  leurs  ongles  cruels.  Alors  vous  eussiez  vu,  le  long  des  profondes 
blessures  qui  ouvraient  les  flancs  du  jeune  Saturnin,  couler  les  flots  d'un 
sang  qui  ne  démentait  pas  son  origine  ;  mais  celui  du  père  se  confondait  avec 
celui  du  fils  sur  les  instruments  de  torture.  Dans  ce  mélange  sacré  le  jeune 
martyr  sembla  recouvrer  de  nouvelles  forces  ;  il  sentait  moins  la  douleur  ; 
le  sang  de  son  père  était  un  remède  à  ses  blessures.  Alors  d'une  voix  puis- 
sante on  l'entendit  s'écrier  :  «  Je  conserve  les  Ecritures  du  Seigneur,  mais 
dans  mon  cœur.  Je  vous  en  conjure,  ô  Christ  !  donnez-moi  la  patience  ;  mon 
espérance  est  en  vous  ».  Anulinus  dit  :  —  a  Pourquoi  agissiez- vous  contre 
l'édit?  »  —  «  Cest  parce  que  je  suis  chrétien  ».  Le  proconsul,  entendant 
cette  parole,  dit  aux  bourreaux  1  «  Arrêtez  !  »  Aussitôt  on  suspendit  la  tor- 
ture ;  et  Saturnin  fut  conduit  dans  la  compagnie  de  son  père. 

Cependant  la  nuit  précipitait  les  heures,  et  le  jour  tendait  à  son  déclin. 
La  torture  dut  cesser  avec  le  soleil  ;  la  sombre  rage  des  bourreaux  était 
tombée;  elle  languissait,  comme  avait  langui  la  cruauté  du  juge.  Mais  les 
autres  soldats  du  Seigneur,  sur  lesquels  le  Christ  faisait  luire  dans  son  éclat 


432  11    FÉVRIER. 

divin  l'éternelle  lumière,  s'élançaient  toujours  avec  plus  de  courage  et  de 
constance.  Alors  l'ennemi  de  Dieu  se  sent  vaincu  par  les  glorieux  combats 
de  tant  de  martjTs;  toutes  ses  attaques  terribles  ne  lui  ont  préparé  que 
des  défaites  ;  le  jour  l'abandonne,  la  nuit  le  saisit,  la  rage  de  ses  bourreaux 
cède  elle-même  à  la  fatigue  qui  l'épuisé:  il  n'a  plus  la  force  de  recommen- 
cer avec  chacun  des  athlètes  une  lulte  trop  inégale  ;  il  essaiera  donc  d'inter- 
peller à  la  fois  l'armée  entière  des  martyrs,  et  de  mettre  leur  dévouement  à 
l'épreuve  d'un  nouvel  interrogatoire.  «  Vous  avez  vu  »,  leur  dit-il,  «  ce 
qu'ont  eu  à  soullrir  ceux  qui  ont  persévéré,  et  ce  qu'il  leur  faudra  souffrir 
encore,  s'ils  s'obstinent  dans  leur  profession  de  foi.  Tous  ceux  donc,  parmi 
vous,  qui  veulent  mériter  leur  pardon  et  avoir  la  vie  sauve,  doivent  renoncer 
hautement  à  leur  foi  ».  A  ces  paroles,  les  confesseurs  du  Christ,  les  glorieux 
martjTs  du  Seigneur,  sont  saisis  d'un  joyeux  transport.  Ce  ne  sont  point  les 
promesses  du  proconsul  qui  les  animent,  c'est  l'Esprit-Saint  qui  leur  a  mon- 
tré la  victoire  dans  les  souffrances.  Ils  élèvent  la  voix  avec  plus  d'énergie  que 
jamais,  et  s'écrient  tous  ensemble  :  «  Nous  sommes  chrétiens  ».  Ces  seuls 
mots  ont  terrassé  le  diable  ;  Anulinus  est  ébranlé  dans  sa  résolution  ;  il  est 
confondu,  et  fait  jeter  en  prison  les  bienheureux  confesseurs  ;  c'est  là  qu'ils 
attendront  le  martyre. 

Les  femmes,  toujours  avides  de  sacrifice  et  de  dévouement,  le  glorieux 
chœur  des  vierges  saintes  ne  devait  pas  être  privé  des  honneurs  de  ce  grand 
combat;  toutes,  avec  l'aide  du  Christ,  ont  combattu  dans  notre  Victoria  et 
triomphé  avec  elle.  Victoria,  en  effet,  la  plus  sainte  des  femmes,  la  ûeur  des 
vierges,  l'honneur  et  la  gloire  des  confesseurs,  grande  par  sa  naissance,  plus 
grande  encore  par  sa  religion  et  sa  sainteté,  le  modèle  de  la  tempérance,  en 
qui  les  grâces  de  la  nature  étaient  relevées  par  l'éclat  de  la  pudeur,  et  chez 
qui  s'alliaient  à  la  beauté  du  corps  la  vraie  beauté  de  l'âme,  la  foi  et  la  per- 
fection delà  sainteté,  Victoria  se  réjouissait  de  trouver  dans  le  martyre  la 
seconde  palme  que  son  cœur  ambitionnait.  Dès  son  enfance  on  avait  vu 
briller  en  elle  les  signes  éclatants  de  la  pureté  ;  dans  les  années  de  l'inexpé- 
rience on  avflit  admiré  chez  elle  les  chastes  rigueurs  d'une  âme  généreuse, 
unies  d'avance  à  cette  majesté  que  donne  le  martyre.  Enfin,  lorsqu'elle  eut 
atteint  l'âge  où  la  virginité  reçoit  sa  perfection,  et  que  ses  parents  voulaient 
malgré  ses  refus  et  ses  résistances  lui  donner  un  époux,  afin  d'échapper  aux 
mains  des  ravisseurs,  la  jeune  fille  s'était  réfugiée  dans  les  profondeurs  de  la 
terre  ;  mais  le  souffle  de  l'Esprit-Saint  la  protégeait,  et  la  terre  lui  donna 
asile.  Elle  n'eût  jamais  souffert  pour  le  Christ  son  maître,  si  elle  fût  morte 
dans  cette  circonstance,  par  le  seul  motif  de  sauver  sa  pudeur. 

Ainsi  délivrée  des  flambeaux  de  l'hymen,  après  avoir  déjoué  les  pièges 
de  ses  parents  et  de  son  flancé,  au  milieu,  pour  ainsi  dire,  d'un  nombreux 
concours  réuni  pour  ses  noces,  vierge  pure  et  sans  tache,  elle  s'était  envolée 
vers  la  demeure  de  la  chasteté,  vers  le  port  de  la  pudeur,  l'Eglise.  Là  elle 
avait  consacré  à  Dieu  son  corps  dans  une  perpétuelle  virginité,  et  lui  avait 
dédié  en  témoignage  sa  chevelure,  comme  l'offrande  sainte  d'une  pudeur 
que  rien  ne  devait  ébranler. 

Elle  accourait  donc  aujourd'hui  au  martyre,  tenant  dans  sa  main  la 
palme  du  triomphe  unie  à  la  fleur  de  la  chasteté.  Interrogée  par  le  proconsul 
quelle  était  sa  foi,  elle  répondit  d'une  voix  claire  :  «  Je  suis  chrétienne  ». 
Son  frère  Fortunatien,  personnage  revêtu  de  la  toge  romaine,  se  portait 
pour  son  défenseur,  et  cherchait  à  montrer  par  de  vains  arguments  que  sa 
sœur  avait  perdu  l'esprit.  Victoria  répondit  :  —  «  Mon  esprit  n'est  point 
altéré  ;  jamais  je  n'ai  changé  ».  —  «  Veux-tu  retourner  avec  Fortunatien  ton 


SAINT  SATURSW,    SAJNT  DATIF.  453 

frère  ?»  —  «  Non,  je  ne  le  veux  pas  ;  je  suis  chrétienne.  Mes  frères,  ce  sont 
ces  hommes  qui  gardent  les  préceptes  de  Dieu  ».  En  entendant  cette 
réponse,  Ânulinus  déposa  son  autorité  de  juge,  pour  descendre  auprès  de 
cette  jeune  fille  à  des  tentatives  de  persuasion  :  —  «  Songe  à  toi,  lui  disait- 
il  ;  tu  vois  la  sollicitude  de  ton  frère  pour  te  sauver  ».  —  «  Non,  mon  esprit 
n'est  point  altéré  ;  jamais  je  n'ai  changé.  J'ai  assisté  à  nos  réunions,  j'ai  cé- 
lébré le  jour  du  Seigneur  avec  les  frères,  parce  que  je  suis  chrétienne  ».  A 
ces  paroles,  Anulinus  entra  en  fureur;  il  fît  reléguer  en  prison,  avec  tous  les 
autres,  la  très-sainte  martyre  du  Christ,  et  leur  réserva  à  tous  l'honneur  des 
mômes  souffrances  que  leur  maître. 

Cependant  Hilarion  restait  seul  ;  c'était  un  des  enfants  du  prêtre  martyr 
Saturnin,  qui  devançait,  par  les  ardeurs  de  sa  dévotion,  la  faiblesse  de  son 
âge.  Empressé  de  partager  les  triomphes  de  son  père  et  de  ses  frères,  non- 
seulement  il  ne  trembla  pas  devant  les  cruelles  menaces  du  proconsul;  il  sut 
encore  les  confondre  et  les  réduire  à  néant.  Comme  on  lui  disait  :  «  As-tu 
suivi  ton  père  et  tes  frères  ?  »  aussitôt  de  ce  petit  corps  sortit  une  voix  déjà 
pleine  d'énergie.  La  poitrine  de  l'enfant  s'était  dilatée  tout  entière  pour 
laisser  échapper  cette  noble  réponse  :  «  Je  suis  chrétien,  et  c'est  de  moi- 
même  et  de  ma  libre  volonté  que  j'ai  assisté  à  nos  réunions  avec  mon  père 
et  mon  frère  ».  C'était  encore  la  voix  du  père,  du  martyr  Saturnin  qui  reten- 
tissait par  la  bouche  de  son  tendre  fils  ;  c'était  la  langue  d'un  frère  animé 
par  l'exemple  de  son  frère,  et  qui  rendait  hommage  au  Christ  notre  Sei- 
gneur. Mais  l'aveugle  proconsul  ne  comprenait  pas  qu'il  avait  contre  lui  non 
plus  des  hommes,  mais  Dieu  lui-même  qui  combattait  dans  ses  martyrs  ;  il 
ne  sentait  pas,  dans  l'âge  tendre  d'un  enfant,  le  courage  surhumain  qui  l'ani- 
mait. C'est  pourquoi  il  se  flattait  d'épouvanter  Hilarion  par  les  châtiments 
réservés  à  son  âge.  a  Je  couperai  ta  chevelure  »,  lui  disait-il,  «  et  le  nez  et  le 
bout  des  oreilles,  et  je  le  renverrai  ainsi  mutilé  ».  A  ces  menaces,  le  jeune 
Hilarion,  saintement  fier  des  vertus  de  son  père  et  de  ses  frères,  et  qui  déjà 
avait  appris  de  ses  ancêtres  à  mépriser  les  tourments,  s'écria  en  élevant  la 
voix  :  «  Fais  tout  ce  que  tu  voudras,  je  suis  chrétien  ».  Aussitôt  l'ordre  fut 
donné  de  le  jeter  en  prison,  et  l'un  entendit  la  voix  d'Hilarion  s'écrier,  au 
comble  de  la  joie:  «  Grâces  soient  rendues  à  Dieu!  »  C'est  donc  là,  dans 
cette  prison,  que  s'acheva  la  lutte  du  grand  combat,  là  que  le  diable  fut 
terrassé  et  vaincu,  là  que  les  martyrs  commencèrent  à  se  réjouir  dans 
d'éternelles  actions  de  grâces,  en  songeant  à  la  gloire  qu'allaient  leur  pro- 
curer les  souffrances  du  Christ. 

Tous  moururent  dans  cette  prison,  excepté  deux  qui  avaient  succombé 
sous  les  coups.  La  faim,  le  froid,  la  soif,  la  pesanteur  des  chaînes,  l'infec- 
tion du  lieu,  tous  les  genres  de  misère  leur  avaient  procuré  un  martyre  plus 
obscur,  mais  pas  moins  méritoire  que  le  martyre  sanglant  que  l'on  souffre 
dans  l'amphithéâtre  ou  sur  la  place  publique. 

Caronins,  D.  Hulnart,  Acta  Sanc'onm. 


454  11   FÉVRIER. 


S.  SÉYERIN,  ABBE  DE  SAINT-MAURIGE  EN  VALAIS 

507.  —  Pape  :  Symmaque.  —  Roi  de  France  :  Clovis  I". 


Que  vos  reins  soient  ceints  de  la  pureti*,  et  que  vos 
mains  tiennent  la  lampe  des  bonnes  œnvres. 
Luc,  su,  35.  — S.  Grtîg.,  hom.  xiii. 

Deux  saints  personnages  du  nom  de  Séverin  se  sont  rencontrés  en 
même  temps  à  Paris,  sous  le  règne  de  nos  premiers  rois  chrétiens.  Le  pre- 
mier fut  un  saint  solitaire  dont  on  fait  la  fête  au  24  novembre;  le  second 
est  celui  dont  nous  allons  raconter  l'histoire. 

Né  vers  le  milieu  du  y°  siècle,  en  Bourgogne,  d'une  des  plus  illustres 
familles  de  la  contrée,  il  eut  le  bonheur  d'être  élevé  dans  la  pureté  de  la  foi 
catholique,  au  moment  où  l'arianismo  régnait  dans  ces  provinces.  Il  quitta 
de  bonne  heure  le  monde  pour  suivre  Jésus-Chi-ist  dans  la  solitude,  la  pau- 
vreté et  la  pénitence.  Il  embrassa  l'étal  religieux  dans  le  monastère  d'A- 
gaune,  au  diocèse  de  Sion,  en  Valais,  où  Sigismond,  roi  de  Bourgogne, 
bâtit,  quelque  temps  après,  la  célèbre  abbaye  de  Saint-Maurice. 

Séverin  se  rendit  en  peu  de  temps  si  remarquable  par  des  jeûnes  et  des 
abstinences  extraordinaires,  par  des  prières  continuelles,  et  surtout  par  une 
charité  ardente,  qu'il  fui  élu  abbé  de  celle  communauté,  espèce  de  paroisse 
où  hommes  et  femmes  vivaient  dans  des  cellules  séparées,  portant  le  joug 
du  célibat  librement  et  sans  vœux  solennels.  11  les  gouverna  avec  la  plus 
grande  sagesse,  étant  moins  le  premier  par  le  commandement  que  par 
l'exemple,  car  il  marchait  toujours  avant  tous  dans  le  chemin  du  ciel. 

Comme  Dieu  l'avait  favorisé  du  don  des  miracles, il  opéra  gi'and  nombre 
de  guérisons  sui-naturcllcs  qui  firent  bienlôl  voler  sa  renommée  jusqu'aux 
provinces  les  plus  éloignées,  particulièrement  à  la  cour  de  Clovis,  roi  de 
France.  Ce  prince,  depuis  quelque  temps,  souffrait  d'une  fièvre  qui  le  con- 
sumait, sans  que  toute  la  médecine  y  pût  apporter  ni  remède,  ni  même 
aucun  soulagement.  Averti  par  Tranquillin,  un  de  ses  médecins,  que  cette 
maladie  était  incurable  par  les  remèdes  humains;  instruit,  du  reste,  par  la 
renommée,  des  miracles  qu'opérait  Séverin,  le  grand  abbé  de  Sainl-Mau- 
rice,  et  des  guérisons  qu'il  avait  déj:\  opérées,  il  envoya  vers  lui  pour  le 
prier  de  le  venir  voir.  Saint  Séverin  ne  put  résister  à  ce  désir  du  roi,  surtout 
parce  que,  depuis  peu  de  jours,  Dieu  lui  avait  fait  connaître,  par  révélation, 
qu'il  le  voulait  bien  retirer  de  ce  monde,  et  qu'il  mourrait  dans  un  autre 
pays  que  le  sien.  Ses  religieux  et  ses  enfants  spirituels,  voyant  cette  résolu- 
tion de  leur  saint  abbé,  employèrent  toutes  leurs  prières  pour  empêcher  ce 
départ,  qui  allait  les  séparer  pour  jamais  de  son  agréable  compagnie;  mais 
l'amour  de  Dieu  triompha  en  lui  de  toutes  les  autres  affections  et  le  fortifia 
comme  un  véritable  fils  d'Abraham  :  il  obéit  à  la  voix  du  ciel,  qui  lui  com- 
mandait de  sortir  du  lieu  de  sa  naissance  pour  aller  dans  un  autre  qu'il 
ne  connaissait  pas.  11  prit  son  chemin  par  la  Bourgogne,  et,  passant  par  la 
ville  de  Nevers,il  apprit  de  ses  hôtes  que  l'évèque  Euladeétail  retenu  au  lit 
depuis  un  an,  avec  de  fortes  douleurs,  et  qu'il  était  privé  de  l'usage  de  la 
parole  et  de  l'ouïe.  Notre  saint  voyageur  demanda  à  le  voir,  et,  après  une 


SALN'T  SÉVEBIN,   ABBÉ  DE  S-UST-MAinilCE  O  T.4XAI3.  435 

longue  et  fervente  prière  qu'il  fît  auprès  de  lui,  il  lui  commanda  de  parler, 
et  aussitôt  le  muet  proféra  ces  paroles  :  «  Que  le  nom  du  Seigneur  soit  béni 
dans  tous  les  siècles,  lui  qui  m'a  fait  miséricorde  par  votre  moj'en  !  n  Alors 
Séverin  le  prenant  par  la  main  lui  dit  :  «  Serviteur  de  Dieu,  levez-vous  au 
nom  de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ,  qui  vous  a  châtié  pour  vous  sauver,  et 
vous  a  affligé  pour  vous  couronner.  Aujourd'hui  vous  célébrerez  avec  moi 
au  saint  autel,  et,  selon  la  coutume,  vous  bénirez  votre  peuple  ».  L'évêque 
se  leva,  descendit  à  l'église,  et  offrit  le  saint  sacrifice  de  la  messe  avec  saint 
Séverin  ;  ensuite,  l'un  et  l'autre  passèrent  toute  la  journée  dans  des  actions 
de  grâces  et  de  louanges  au  Tout-Puissant,  qui  se  rend  ainsi  admirable  en 
ses  Saints,  en  guérissant  un  Saint  par  un  autre  Saint  ;  car  l'évêque  Eulade  est 
reconnu  en  cette  qualité  dans  son  diocèse,  et  le  Martj'rologe  des  Saints  de 
France  en  fait  mémoire  le  26  août. 

Le  lendemain,  l'abbé  prit  congé  de  l'évêque,  et,  poursuivant  son  chemin, 
U  se  rendit  en  peu  de  temps  à  Paris.  Rencontrant  à  la  porte  un  lépreux  dif- 
forme, il  le  baisa  et  le  guérit;  tout  le  monde  se  répandit  aussitôt  en  accla- 
mations et  en  louanges,  ce  qui  obligea  le  serviteur  de  Dieu  de  se  retirer  à 
l'église,  pour  y  faire  sa  prière.  De  là  il  s'en  alla  au  palais  trouver  le  roi,  et, 
se  prosternant  à  terre,  il  fit  son  oraison  avec  toute  l'assistance ,  dans 
laquelle  était  la  sainte  reine  Clotilde  ;  puis,  se  relevant,  il  couvrit  le  roi  de 
son  habit  monastique  :  à  l'heure  même  la  fièvre  cessa,  et  le  roi  se  leva  pour 
rendre  grâces  à  Dieu  du  bienfait  qu'il  avait  reçu  par  son  serviteur  Séverin. 
Toute  la  cour  retentit  de  joie,  et  le  roi  ordonna  une  procession  générale, 
afin  de  remercier  Dieu  de  la  grâce  qu'il  venait  de  recevoir.  A  l'instance  du 
saint  abbé,  il  mit  en  liberté  tous  les  prisonniers  de  la  ville.  Ce  fut  l'unique  ré- 
compense qu'agréa  le  Saint  pour  les  bons  officesqu'il  avait  rendus  à  ce  prince. 

Chacun,  surtout  le  roi  et  la  reine,  eût  bien  désiré  retenir  longtemps  cet 
hôte  merveilleux,  qui  portait  avec  lui  tant  de  bénédictions,  car  il  guérissait 
toutes  sortes  de  malades  à  la  cour  et  dans  Paris  ;  mais  l'amour  de  la  solitude 
qu'il  avait  toujours  dans  le  cœur  lui  fît  penser  à  sa  retraite  :  d'ailleurs  il 
avait  reçu  du  ciel  l'assurance  qu'il  laisserait  bientôt  la  terre  pour  aller  jouir 
de  Dieu.  Il  prit  donc  congé  du  roi,  de  la  reine  et  de  toute  la  cour,  et,  quit- 
tant Paris,  il  s'en  alla  près  de  Chiteau-Landon,  en  Gâtinais,  diocèse  de  Sens, 
où  il  se  retira  en  un  petit  oratoire  bâti  seulement  de  bois,  qui  était  admi- 
nistré par  deux  saints  prêtres  nommés  Paschase  et  Ursicin.  Il  n'y  fut  pas 
plus'  tôt  entré,  que,  prévoyant  l'approche  de  son  heure  dernière,  quoiqu'il 
ne  parût  en  lui  aucun  signe  de  mort,  il  s'y  disposa  et  se  munit  des  armes  du 
chrétien,  les  sacrements  de  l'Eglise,  qu'il  se  fit  apporter  par  ces  bons  prê- 
tres. Il  leur  recommanda  son  compagnon  Fauste,  qui  l'avait  suivi  en  France 
avec  son  disciple  Tital;  et  ensuite,  comblé  de  grâces  et  glorieux  des  victoires 
qu'il  avait  remportées  sur  les  ennemis  de  son  salut,  il  fut  appelé  au  ciel  pour 
y  recevoir  la  récompense  de  toutes  les  belles  actions  qu'il  avait  faites  durant 
sa  vie  ;  ce  qui  arriva  le  11  février  307.  A  l'heure  de  son  décès,  sa  chambre 
fut  remplie  d'une  clarté  extraordinaire,  qui  faisait  assez  paraître  quelle 
route  sa  bienheureuse  âme  avait  prise  au  sortir  de  ce  monde.  Les  deux  prê- 
tres, avec  ses  religieux,  levèrent  son  corps  et  l'inhumèrent  en  ce  même 
oratoire,  qui  a  été  depuis  illustré  par  beaucoup  de  miracles  opérés  par  son 
intercession. 

On  représente  saint  Séverin  :  —  1°  Inondé  des  rayons  qui  descendirent 
du  ciel  au  moment  de  sa  mort  ;  — 2°  Guérissant  le  roi  Clovis.  —  On  l'honore 
comme  patron  à  Chàteau-Landon  et  à  Paris.  Il  existe  encore  dans  cette  der- 
nière ville  une  gracieuse  église  qui  lui  est  dédiée. 


456  1 1  FïvntEn. 


ABBAYE  DE  SAINT-SÉVERIN  DE  CHATEAU-LANDON. 

Childebert,  fils  de  Clovis,  aiigmcnla  cet  édifice  et  y  fit  bâtir  une  niasMifiquc  église  sous  le  tilrf 
de  Saiut-Sëverin,  qu'il  dota  de  riclies  revenus  pour  l'enlrelieu  du  divin  onicc. 

En  1151,  le  roi  Louis  Vil  érigea  une  alibnye  auprès  de  celle  église  remlue  célèbr»  par  les 
miracles  de  saint  Séverin.  Les  chanoines  réguliers  de  Sainl-Auguslin  furent  chargés  de  la  desservir. 
En  1480,  elle  recul  la  rérorme  des  chanoines  réguliers  de  Bendersheim,  en  GnelJre  ;  en  dernier 
lieu,  et  depuis  le  21  novembre  1636,  elle  apparlenait  à  la  congrégation  de  France  de  Sainte-Gene- 
viève. Quand  le»  Iluguenols  pillcieul  l'église,  ils  dispersèrenl  une  partie  des  reliques  de  uotre  Saint  ; 
le  reste  disparut  en  1793. 

La  vie  de  saint  Sdverin  a  été  écrite  par  Fauste.  son  disciple  et  son  compagnon,  et  alirégée  par  Saritts. 
L'ovèqae  Equilîn,  l'abbé  Trilhbme  et  Usuard  en  font  une  honorable  mémoire,  comme  aussi  le  martyroïogo 
romain,  et  le  cardinal  Baronius  en  ses  Remarques^  et  au  sisième  tome  de  ses  Annales,  l'an  o03. 


SAINT  BENOIT  D'ANIANE,  ABBÉ 


750-821.  —  Papes  :  Zacharie  ;  Pascal  I".  —  Rois  de  France  :  Childéric  III  ;  Louis  I", 

le  Débonnaire. 


Quel  est  l'économo  fidèle  et  prudent  que  le  maltro 
établit  sur  sa  famille  pour  distribuer  à  chacun  sa 
mesure  de  blé  en  son  temps  ?  C'est  celui  qui  est 
toujours  actif,  toujours  vigilant. 

Luc,  XTI,  37,  42. 

Nous  pouvons  assurer,  sans  exagération,  que  le  saint  abbé,  dont  nous 
allons  donner  la  vie,  a  été  un  des  plus  grands  hommes  qui  aient  jamais  paru 
dans  l'Eglise;  car,  s'il  n'a  pas  eu  la  gloire  d'être  instituteur  d'Ordre,  parce 
qu'il  avait  embrassé  une  règle  déjà  établie,  celle  du  grand  saint  Benoît,  il  a 
néanmoins  autant  travaillé,  pour  procurer  la  gloire  de  Dieu,  que  les  pa- 
triarches mêmes  des  Ordres  les  plus  célèbres  :  en  effet,  nous  ne  dirons  rien 
que  de  vrai,  quand  nous  avancerons  qu'il  a  été  le  réformateur  de  tous  les 
monastères  de  la  France,  dans  le  viu°  et  le  ix'  siècle,  aussi  bien  que  le  fon- 
dateur d'un  grand  nombre  de  nouvelles  maisons  religieuses,  qui  ont  été  la 
source  de  plusieurs  autres  fondées  dans  les  siècles  suivants  :  de  sorte  que  si 
ce  saint  abbé  a  eu  l'honneur  de  porter  le  même  nom  que  le  grand  saint 
Benoît,  premier  patriarche  et  instituteur  des  moines  de  l'Occident,  il  a  aussi 
eu  grande  part  aux  qualités  de  son  esprit. 

Benoît  prit  naissance  dans  le  Languedoc,  qu'on  appelait  autrefois  la 
Gothie,  à  cause  des  peuples  goths,  qui  occupaient  alors  une  province  dans 
ce  pays.  Aigulfe,  son  père,  aussi  distingué  par  sa  naissance  que  recomman- 
dable  par  sa  valeur,  possédait  le  comté  de  Maguelonne,  qu'on  appelait  ainsi 
à  cause  d'une  ville  qui  portait  ce  nom,  et  qui  était  sur  le  rivage  de  la  Médi- 
terranée ;  elle  était  autrefois  épiscopale,  mais  elle  est  maintenant  détruite. 
Ce  -seigneur,  père  de  Benoît,  a  donné  des  preuves  de  son  grand  courage  en 
plusieurs  expéditions  importantes  que  lui  avait  confiées  le  roi  Pépin  le  Bref, 
qui  régnait  alors;  il  se  rendit  surtout  célèbre  en  une  fameuse  bataille  contre 
les  Gascons,  qui  n'étaient  pas  encore  soumis  à  la  France  :  ils  voulaient  s'em- 
parer de  la  province  que  le  comte  défendait  ;  mais  il  soutint  leur  choc  avec 


SAINT   BENOÎT  D'AKIANE,    ABBÉ.  4o7 

tant  de  fermeté  et  les  repoussa  avec  tant  de  vigueur,  qu'il  les  défit  entière- 
ment. La  victoire  qu'il  remporta  sur  eux  fut  si  complète,  qu'elle  lui  COQ- 
cilia  une  estime  toute  singulière  du  roi  et  de  tous  les  grands  du  royaume. 

La  faveur  extraordinaire  en  laquelle  il  se  vit  auprès  de  Pépin  lui  donna 
assez  d'autorité  pour  faire  recevoir  son  fils  Benoît  au  rang  des  jeunes  sei- 
gneurs qu'on  élevait  à  la  cour,  pour  les  former  aux  exercices  des  armes  et 
des  autres  emplois  convenables  à  leur  naissance.  Benoît  reçut  en  celte  école 
toute  l'éducation  que  son  père  en  attendait,  et  il  y  apprit  tout  ce  qu'une 
personne  de  son  rang  devait  savoir  ;  il  avait  l'/^sprit  naturellement  bien  fait, 
un  jugement  solide,  une  conduite  raisonnable,  et,  les  qualités  du  corps  ré- 
pondant à  celles  de  son  esprit,  le  faisaient  aimer  de  tout  le  monde.  Le  roi, 
à  qui  son  mérite  était  bien  connu,  lui  voulut  donner  des  témoignages  de  son 
estime.  Lorsqu'il  le  vit  en  âge,  il  le  Ct  d'abord  son  premier  échanson  ;  mais, 
ayant  reconnu  depuis  qu'il  avait  de  grandes  dispositions  pour  les  armes,  il 
lui  donna  de  l'emploi  parmi  ses  troupes.  Benoît  fit  paraître  dans  toutes  les 
rencontres  qu'il  n'avait  pas  moins  de  courage  que  le  comte,  son  père,  dont 
il  imitait  la  valeur  et  la  sagesse. 

Qiarlemagne,  fils  et  successeur  de  Pépin,  ayant  pris  le  gouvernement  du 
royaume  à  la  place  de  son  père,  ne  fut  pas  longtemps  sans  reconnaître  par 
lui-même  le  mérite  distingué  de  Benoît  ;  aussi  ne  manqua-t-il  pas  de  le  con- 
server dans  ses  emplois  et  de  le  destiner  même  à  de  plus  hautes  dignités.  La 
bienveillance,  le  bon  accueil  et  les  grandes  marques  d'estime  que  ce  mo- 
narque témoigna  à  notre  jeune  héros  étaient  de  puissants  motifs  pour  l'em- 
pêcher de  penser  à  autre  chose  qu'à  profiter  d'une  si  grande  faveur  ;  il  lui 
était  aisé  de  se  convaincre  qu'il  parviendrait  infailliblement  à  la  plus  haute 
fortune;  le  crédit  de  son  père  auprès  du  prince,  son  mérite  personnel,  les 
charges  qu'il  occupait  déjà,  l'amitié  de  tous  les  seigneurs  de  la  cour  qu'il 
s'était  conciliée  ;  tout  cela  semblait  devoir  arrêter  Benoît  dans  le  siècle. 

Mais  ce  fut  dans  ce  temps-là  même  que  Dieu,  qui  en  voulait  faire  un 
grand  Saint,  plutôt  qu'un  grand  capilaine,  toucha  son  cœur  et  lui  fit  con- 
naître la  vanité  de  toutes  les  grandeurs  de  la  terre  ;  reconnaissant  de  jour 
en  jour  que  la  plus  haute  fortune  à  laquelle  on  peut  aspirer  auprès  des 
grands  du  monde  est  toujours  pelile,  puisqu'elle  peut  être  renversée  en  un 
moment,  ou  par  le  caprice  des  hommes,  ou  par  une  mort  prématurée,  il 
résolut  d'aspirer  à  une  gloire  moins  sujette  au  changement  des  temps.  Il 
forma  donc  le  dessein  d'abandor.ner  la  cour  et  toutes  les  espérances  qu'il  y 
pouvait  avoir.  Il  garda  son  secret  en  lui-même,  et  ne  le  communiqua  point 
à  son  père,  qui,  l'aimant  tendrement,  n'aurait  pas  manqué  de  s'opposer  à  sa 
résolution.  Dieu  permit  qu'il  fût  l'espace  de  trois  ans  sans  trouver  moyen 
d'exéculer  ce  qu'il  avait  conçu  ;  mais,  s'il  demeurait  extérieurement  et  par 
nécessité  à  la  cour,  il  avait  toujours  l'esprit  élevé  au  ciel  ;  il  commença  à 
s'exercer  dans  la  pratique  de  toutes  les  vertus  :  il  se  privait  des  plaisirs  les 
plus  innocents,  il  passait  les  nuits  dans  la  prière,  il  n'usait  presque  plus  de 
vin,  il  parlait  fort  peu,  il  évitait  toutes  les  compagnies  dangereuses  pour 
conserver  une  plus  grande  pureté  :  en  un  mot,  ne  comptant  plus  sur  les 
emplois  de  la  milice  séculière,  il  ne  pensait  qu'à  combattre  sous  l'étendard 
de  la  Croix.  Incertain  de  quelle  manière  il  le  ferait,  tantôt  il  pensait  à  s'en 
aller  sous  l'habit  d'un  pèlerin  inconnu,  tantôt  il  projetait  de  passer  dans 
quelque  pays  étranger  pour  y  mener  une  vie  pauvre  et  abjecte  ;  quelquefois 
il  se  persuadait,  par  un  motif  de  charité,  qu'il  serait  bon  de  faire  quelque 
métier  lucratif  pour  en  donner  aux  pauvres  les  fruits  qu'il  en  retirerait; 
d'autres  fois  il  pensait  à  aller  prêcher  l'Evangile  chez  les  idolâtres. 


4Ô8  H    FÉVRIER. 

Il  formait  ainsi  une  foule  de  desseins  innocents,  lorsqu'un  accident  le 
détermina  entièrement  à  exécuter  ce  qui  lui  avait  été  inspiré  du  ciel  :  un  de 
ses  frères,  ayant  entrepris  imprudemment  de  passer  à  la  nage  la  rivière  du 
Tésin,  près  de  Pavie,  sans  en  avoir  bien  connu  les  dangers,  se  trouva  telle- 
ment surmonté  par  le  courant  de  l'eau,  qu'il  commençait  à  se  perdre.  Benoît, 
qui  était  à  cheval,  et  qui  avait  de  la  charité  pour  tout  le  monde,  n'en  voulut 
pas  manquer  pour  son  frère;  il  se  jeta,  monté  comme  il  l'était,  dans  ce 
fleuve,  et  son  frère,  qui  se  noyait,  l'ayant  pris  par  le  bras,  l'engagea  en  un 
moment  dans  le  même  péril  où  il  se  trouvait.  Les  deux  frères  devaient  in- 
failliblement périr,  si  la  divine  Bonté,  qui  eut  égard  à  l'extrême  charité  de 
Benoît,  ne  l'eût  favorisé  d'un  assez  prompt  secours  pour  vaincre  la  violence 
du  torrent,  du  milieu  duquel  il  se  relira  heureusement,  en  ménageant  tou- 
jours son  frère,  qu'il  ramena  aussi  sur  le  rivage,  et  auquel  il  sauva  la  vie 
dans  ce  périlleux  accident. 

Benoît  reconnut  la  main  de  Dieu  sur  lui  en  cette  occasion  :  il  fit  vœu  sur 
l'heure  de  ne  plus  différer  de  s'éloigner  de  tant  de  dangers,  dans  lesquels  il  se 
trouvait  engagé  au  milieu  du  monde  ;  et,  animé  d'une  nouvelle  ferveur,  il  ac- 
complit aussitôt  ce  qu'il  avait  promis  :  il  abandonna  la  cour  et  la  fortune  à 
laquelle  il  pouvait  prétendre,  et  se  retira  en  secret,  sans  consulter  d'autres 
personnes  qu'un  certain  religieux  nommé  AVidmar  ou  Guimer,  qui  était 
aveugle  de  corps,  mais  fort  éclairé  dans  les  affaires  du  salut  ;  ce  pieux  soli- 
taire voulut  môme  le  suivre  partout.  Benoît,  donc,  accompagné  de  ce  véri- 
table ami  et  de  ses  gens,  qui  ignoraient  encore  le  sujet  de  son  voyage,  fit  un 
tour  en  Languedoc,  sa  patrie  ;  mais  à  peine  y  fut-il  arrivé,  que,  faisant  sem- 
blant de  retourner  au  plus  tôt  à  la  cour,  pour  y  continuer  ses  emplois,  il 
partit  avec  son  équipage  et  ses  gens  ordinaires,  pour  ne  donner  à  ses  pa- 
rents aucun  soupçon  de  ce  qu'il  allait  faire.  Il  prit  le  chemin  d'Ais-Ia-Cha- 
pelle,  où  Charlemagne  faisait  alors  sa  résidence;  mais,  étant  arrivé  dans  la 
Bourgogne,  au  monastère  de  Saint-Seine,  au  diocèse  de  Langres  ',  d'où  la 
rivière  de  Seine  tire  son  origine,  il  demanda  humblement  à  être  reçu  dans 
cette  maison  :  on  le  lui  accorda,  après  qu'il  eut  donné  des  preuves  de  ses 
bonnes  intentions  et  des  motifs  qui  l'obligeaient  à  quitter  le  siècle  ;  il  dé- 
clara pour  lors  son  dessoin  à  ses  gens,  les  récompensa  et  les  renvoya  dans 
les  terres  de  son  père,  leur  disant  adieu  pour  toujours;  il  se  fit  couper  les 
cheveux  sur-le-champ  et  reçut  ensuite  l'habit  religieux. 

Il  commi.'nça  d'abord  à  pleurer  amèrement  ses  péchés  et  à  en  faire  péni- 
tence ;  il  traitait  durement  sa  chair  ;  il  ne  vivait  que  de  pain  et  d'eau,  et  en 
peli'.e  quantité,  de  sorte  que,  s'il  prenait  des  aliments,  c'était  plutôt  pour  ne 
pas  se  causer  la  mort  que  pour  contenter  sa  faim  ;  il  regardait  le  vin  comme 
un  véritable  poison  pour  lui  :  la  teire  nue  était  le  lieu  où  il  prenait  quelque 
peu  de  repos,  après  de  longues  veilles  ;  il  passait  les  nuits  entières  en  orai- 
son, et  assez  souvent  on  le  voyait  debout,  les  pieds  nus,  sur  le  pavé  de 
l'église,  en  plein  hiver,  chantant  les  psaumes  et  pensant  aux  miséricordes  de 
Dieu  sur  lui  ;  il  avait  obtenu  la  grâce  d'une  véritable  componction,  et  il 
possédait  le  don  des  larmes  à  un  tel  degré,  qu'il  en  versait  en  abondance, 
sitôt  qu'il  entrait  dans  la  considération,  ou  de  ses  péchés,  ou  des  fins  der- 
nières. Il  passait  aussi  quelquefois  les  nuits  à  faire  les  fonctions  les  plus 
pénibles  et  les  plus  viles  du  monastère,  comme  à  nettoyer  les  souliers  des 
voyageurs,  à  balayer  et  à  faire  d'autres  choses  semblables  fort  humiliantes  ; 
il  ne  portait  que  des  habits  usés,  et  quand  il  les  fallait  raccommoder,  il  y 
mettait  lui-môme  des  pièces,  sans  examiner  si  la  couleur  était  la  même  que 

I.  Aojoard'lul  ctaef-Uen  de  cantoa  (Côte-d'OO  ^  37  kilom!:trc9  N.-O.  de  Dijon. 


SAINT  BENOÎT  d'aNIANE,   ADBÉ.  ioO 

celle  de  l'habit  ;  il  était  devenu  si  pAle  et  si  sec,  qu'on  l'eût  plutôt  pris  pour 
un  mort  ou  un  moribond  que  pour  un  homme  vivant.  Un  extérieur  si  né- 
gligé, des  veilles  si  fréquentes,  une  abstinence  si  extraordinaire,  jointe  h  un 
silence  continuel,  qu'il  ne  voulait  rompre  que  dans  la  nécessité,  donnèrent 
lieu  à  quelques-uns  de  ses  frères,  qui  ne  goûtaient  point  du  tout  sa  con- 
duite, parce  qu'elle  condamnait  leur  tiédeur,  de  le  faire  passer  pour  un  fou 
et  pour  un  homme  qui  extravaguait  dans  ses  dévotions  ;  on  le  raillait,  on  le 
méprisait,  on  le  montrait  au  doigt  et  on  lui  faisait  d'autres  semblables  ou- 
trages, qui  n'ébranlèrent  jamais  sa  patience  et  qui  ne  tirèrent  jamais  aucune 
plainte  de  sa  bouche  ;  au  contraire,  il  fut  ravi  de  voir  comment  on  inter- 
prétait ses  pénitences  et  les  pratiques  de  sa  charité;  il  augmenta  ce  qui 
pouvait  confirmer  ses  frères  dans  leur  pensée,  bien  content  d'être  traité 
comme  Jésus-Christ,  qui,  lui  aussi,  fut  accusé  de  folie  par  ses  proches,  à 
l'instant  même  où  il  donnait  des  preuves  de  son  plus  grand  amour  pour  les 
hommes. 

Le  supérieur  de  ce  monastère,  qui  avait  l'esprit  de  Dieu,  n'en  jugeait  pas 
ainsi  ;  mais,  reconnaissant  une  haute  sagesse  sous  les  voiles  d'une  folie  ap- 
parente, il  lui  donna  l'office  de  cellerier  ;  cet  humble  religieux,  acceptant 
par  obéissance  ce  qu'il  eût  sans  doute  refusé  s'il  lui  eût  été  permis  de  suivre 
son  inclination,  s'acquitta  bien  de  cet  emploi,  accordant  tout  ce  qu'il  pou- 
vait sans  blesser  sa  conscience,  refusant  ce  qu'on  lui  demandait  contre  son 
devoir,  n'ayant  jamais  de  fausses  complaisances  ni  d'acception  de  personne 
dans  la  distribution  des  choses  qui  lui  étaient  conQées,  mais  faisant  d'humbles 
excuses  quand  il  ne  pouvait  satisfaire  aux  désirs  de  chacun.  Il  avait  grand 
soin  de  pourvoir  aux  nécessités  des  pauvres,  à  la  réception  des  hôtes  qui 
passaient,  et  aux  besoins  des  jeunes  enfants  qu'on  formait  à  la  piété  dans 
le  monastère. 

Benoît  avait  été  près  de  six  ans  dans  cet  office,  lorsque  l'abbé  de  cette 
maison  vint  h.  mourir.  On  avait  remarqué  tant  de  sagesse,  un  esprit  si 
étendu  et  une  si  grande  douceur  jusque-là  dans  notre  Saint,  que  ses  plus 
grands  ennemis  et  ceux  qui  l'avaient  le  plus  méprisé  eurent  d'eux-mêmes  la 
pensée  de  l'élire  pour  leur  supérieur.  A  la  première  proposition  qu'on  lui  en 
fit,  il  fut  extrêmement  surpris,  ne  pouvant  s'imaginer  qu'on  pût  penser  à  lui 
pour  une  telle  dignité  ;  mais  dans  le  même  moment,  se  souvenant  de  la  re- 
traite du  Sauveur,  quand  on  parla  de  le  faire  roi,  il  ne  balança  point  sur  le 
choix  qu'il  devait  faire  ;  son  humilité  lui  fit  croire  qu'il  devait  en  conscience 
prendre  la  fuite.  11  quitta  donc  le  monastère  de  Saint-Seine,  parce  qu'il  vou- 
lait fuir  les  dignités  qu'il  croyait  ne  lui  être  pas  convenables,  et  revint  dans 
le  Languedoc,  sur  les  terres  mêmes  du  comté  de  Maguelonne,  qui  apparte- 
naient à  son  père,  et  qui  eussent  été  son  propre  héritage  s'il  fût  demeuré 
dans  le  monde  :  Dieu  le  permit  ainsi  pour  donner  lieu  à  Benoît  de  mieux 
réussir  dans  les  desseins  que  la  divine  Providence  avait  sur  lui  (780).  11  s'ar- 
rêta près  d'un  petit  ruisseau  nommé  Aniane  ',  qui  n'était  pas  éloigné  de  la 
rivière  d'Hérault  ni  de  l'église  de  Saint-Saturnin.  Il  était  accompagné  en  cet 
endroit  du  saint  religieux  Widmar,  dont  nous  avons  déjà  parlé  ,  et  de 
quelques  autres  disciples  qui  venaient  de  jour  en  jour  se  joindre  à  eux  ;  ce 
lieu  fut  une  véritable  école  de  pénitence  pour  ces  solitaires;  leur  occupa- 
tion était  de  prier,  de  travailler  et  de  chanter  jour  et  nuit  des  louanges  à 
Dieu  ;  Benoît,  sentant  son  cœur  brûler  d'un  amour  secret,  gémissait  sans 
cesse  et  versait  des  larmes  en  abondance,  conjurant  le  ciel  de  lui  inspirer  les 
moyens  de  procurer  la  gloire  de  son  Dieu  autant  qu'il  en  avait  le  désir. 

1.  Aajourd'lial  Ciibiires. 


460  11    FÉVRIER. 

Il  contracta,  en  ce  temps,  une  étroite  amitié  avec  trois  saints  person- 
nages d'alentour,  savoir  :  Attilion,  Nibridius  et  Anianus,  qui  menaient  une 
vie  fort  exemplaire,  et  qu'il  consultait  dans  ses  diflicultés.  Il  alla  un  jour 
trouver  Attilion,  l'un  des  trois,  qui  demeurait  le  plus  proche  de  son  ermi- 
tage, pour  lui  dire  qu'il  était  tenlé  de  quitter  le  lieu  oii  il  était  pour  retour- 
ner sous  l'obéissance  de  l'abbé  du  monastère  d'où  il  était  sorti,  «  parce  que  », 
disait-il,  «  presque  tous  ceux  qui  viennent  avec  grande  ferveur  me  demander 
à  vivre  pauvres  et  solitaires  ne  sont  pas  plus  tôt  réduits  à  mener  une  vie  réglée, 
et  à  ne  recevoir  plus  que  par  poids  et  mesure  les  choses  nécessaires  à  la  vie, 
qu'ils  demandent  à  retourner  dans  le  siècle  pour  jouir  de  leur  première  li- 
berté »;  mais  Attilion,  qui  était  fort  expérimenté  et  grand  ami  de  Dieu,  lui  fit 
comprendre  qu'il  ne  fallait  pas  abandonner  pour  cela  l'œuvre  qu'il  avait 
commencée,  d'autant  que  Dieu  lui  avait  fait  connaître  qu'il  se  voulait  servir 
de  lui  comme  d'un  flambeau  pour  répandre  partout  sa  lumière. 

Benoît,  qui  avait  le  cœur  docile,  crut  ce  que  ce  saint  homme  lui  disait; 
il  continua  son  entreprise,  et  le  ciel  le  combla  de  si  grandes  bénédictions, 
qu'il  fallut  bientôt  augmenter  le  lieu  qu'il  habitait  d'un  grand  nombre  de 
cellules,  pour  ceux  qui  demandaient  à  être  reçus;  il  fut  même  contraint, 
dans  la  suite,  d'abandonner  la  vallée  où  il  était,  parce  qu'elle  était  trop 
étroite  pour  contenir  tous  les  postulants  qui  se  présentaient  :  ce  fut  pour 
lui  une  occasion  de  construire  ailleurs  un  autre  monastère  qui  fut  bientôt 
achevé,  quoiqu'il  n'y  eût  presque  que  ses  propres  religieux  qui  en  fussent 
les  ouvriers  ;  aussi  ne  pcnsait-on  point  du  tout  aux  riches  ornements  de 
l'architecture,  mais  seulement  à  multiplier  les  cellules  dont  on  avait  besoin. 
Le  saint  abbé  était  le  premier  à  porter  les  terres,  le  bois  et  les  pierres  ;  tout 
le  monde  suivait  son  exemple,  et  cependant  on  n'omettait  rien  dans  un  si 
grand  travail  de  tous  les  devoirs  ordinaires  de  la  régularité  ;  il  recevait  les 
aumônes  qu'on  lui  faisait,  mais  il  ne  voulut  jamais  recevoir  de  donations 
par  écrit  ni  par  contrat  qui  engageassent  les  donateurs  à  se  dessaisir  pour 
toujours  des  biens  qu'ils  présentaient,  voulant  laisser  la  liberté  aux  bienfai- 
teurs de  reprendre,  quand  il  leur  plairait,  leurs  libéralités  '. 

Le  bel  ordre,  la  sainteté  de  vie  et  la  bonne  odeur  que  ce  monastère  ré- 
pandait partout,  produisirent  un  si  grand  enthousiasme  qu'on  vit  en  peu 
de  temps  un  grand  nombre  d'autres  semblables  monastères,  remplis  de 
saints  Solitaires,  à  l'entour  de  celui  de  Benoît  :  on  le  reconnaissait  partout 
pour  le  premier  abbé.  Il  était  infatigable  ;  il  pourvoyait  avec  un  soin  sans 
égal  à  toutes  ses  maisons,  soit  pour  le  spirituel,  soit  pour  le  temporel  ;  il 
visitait  de  temps  en  temps  tous  ses  chers  disciples,  et  il  les  soutenait  tou- 
jours, autant  par  ses  exemples  que  par  ses  discours,  dans  les  rudes  travaux 
de  la  vie  austère  qu'ils  avaient  embrassée. 

1.  Telle  fat  l'origine  de  la  Jolie  petite  ville  d'Aniane,  anjonrd'hoi  chef-Ilen  de  canton  dn  département 
de  l'Hérault.  An  xvitf  siècle,  la  fureur  des  calvinistes  se  ma  sur  le  monastère  :  et  alors  combien  périrent 
pour  jamais  de  richesses  religieuses,  artistiques  et  littéraires  I  La  maguitique  église  de  Saint-Sauveur,  qua 
les  rois  CI  les  cir.pereurs  s'étaient  plu  &  enrichir  et  que  les  reliques  de  tant  de  Saints  devaient  rendra 
sacrée,  fut  livrée  aux  flammes  et  détruite  de  fond  en  comble.  Autels,  statues,  tableaux,  vases  sacrés, 
ornements  accumulés  depuis  hait  siècles,  cloches  sonores,  rien  ne  fut  épargné.  Les  titres  et  chartes  da 
îuoi-astère,  sa  riche  bibliothèque  et  tout  son  mobilier  devinrent  sur  la  place  publique  la  proie  de  l'incendia 
allumé  par  des  mains  sacrilèges.  On  s'acharna  sur  les  décombres  des  bâtiments,  et  le  cloître,  le  dortoir, 
rinfirmeric,  l'bdtellerie  furent  nivelés  au  sol. 

Lorsque  les  protestants  eurent  abandonné  ces  lieux  dévastés,  les  moines  vinrent  sur  leur  emplacement 
chercher  de  nouveau  un  asile  et  s'y  installèrent  comme  ils  purent,  jusqu'à  ce  que  Clément  de  Bonzl, 
évêque  de  Bézlcrs,  nomma  abbè  commendatalre  d'Aniane,  apprenant  le  triste  état  du  monastère,  résolut 
de  Inl  rendre  sa  splendeur  primitive.  Il  y  appela  les  Bénédictins  de  Saint-Maur,  qui  le  relevèroot  de  sea 
raines.  Depuis  1790,  les  bâtiments,  vendus  comme  biens  nationaux,  ont  ser^i  de  filature  de  coton  ;  actuel- 
lement, ;U  sont  occupés  par  une  maison  centrale  de  déteutlou  III  (M.  Fisquet.) 


SAL\T  BENOÎT  d'AiMA>'E,  ABBÉ.  461 

Sa  charité  ne  se  bornait  pas  à  pourvoir  aux  besoins  de  ses  seuls  religieux, 
elle  s'étendait  encore  sur  tout  le  peuple  de  la  contrée  :  il  ordonna,  dans  le 
temps  d'une  grande  famine  qui  arriva  dans  le  pays,  qu'on  partageât  avec 
les  pauvres  les  biens  de  son  monastère,  sans  se  mettre  en  peine  du  lende- 
main, et  il  recommença  par  trois  l'ois  dilîérentes  cette  même  action  de  cha- 
rité. Son  dégagement  était  si  grand,  et  il  se  mettait  si  peu  en  peine  des 
biens  de  cette  vie  que,  quand  on  lui  annonçait  qu'on  avait  volé  quelque 
chose  dans  le  monastère,  il  ne  voulait  pas  qu'on  en  fit  la  recherche.  Les 
habitants  du  pays  lui  ayant  un  jour  amené  un  homme  qu'ils  avaient  déjà 
tout  couvert  de  plaies,  parce  qu'il  avait  enlevé  pendant  la  nuit  plusieurs 
chevaux  qui  appartenaient  à  une  de  ses  maisons,  il  fit  d'abord  semblant  de 
s'emparer  de  ce  voleur  ;  mais  ce  n'était  que  pour  le  retirer  des  mains  de  la 
justice  dont  on  le  menaçait,  car  le  vrai  serviteur  de  Dieu,  plus  charitable 
en  ceci  que  le  Samaritain,  fit  venir  sur  l'heure,  en  sa  présence,  un  chirur- 
gien fort  expérimenté,  auquel  il  donna  commission  de  laver  et  de  bander 
les  plaies  de  cet  homme  ;  ensuite  il  prit  soin  de  dissiper  avec  sa  douceur 
ordinaire  la  crainte  dont  il  le  voyait  saisi  ;  il  le  fit  bien  régaler,  et,  après  lui 
avoir  fait  connaître,  non  pas  tant  le  tort  qu'il  avait  fait  b.  sa  maison,  que 
l'olTense  qu'il  avait  commise  contre  son  Dieu  et  la  plaie  qu'il  avait  causée  à 
son  âme,  il  le  renvoya  en  pleine  liberté. 

C'est  dans  ce  môme  esprit  de  charité  qu'il  ne  voulut  pas  qu'on  courût 
après  un  homme  qui,  ayant  été  bien  reçu  et  bien  logé  dans  un  de  ses  cou- 
vents, en  avait  emporté  tout  ce  qu'il  avait  pu  :  «  Laissons  cet  homme  », 
disait  le  pieux  abbé,  «  il  perd  plus  que  nous  dans  cette  occasion,  puisque, 
croyant  faire  un  gain  en  dérobant  ce  qui  est  à  nous,  il  fait  une  perte  notable 
en  se  privant  de  la  grâce  de  Dieu  ».  Un  de  ses  religieux  crut  encore  un  jour 
le  devoir  avertir  qu'il  avait  reconnu  entre  les  mains  d'un  certain  homme  un 
cheval  qu'on  leur  avait  volé  depuis  peu,  et  que,  s'il  le  voulait,  on  le  lui  ferait 
rendre.  Le  Saint,  dont  la  charité  lui  faisait  couvrir  les  plus  grandes  fautes 
de  son  prochain,  reprit  sévèrement  ce  religieux,  lui  disant  qu'il  ne  fallait 
pas  croire  si  aisément  du  mal  de  son  frère  ;  que  cet  homme,  qu'il  accusait, 
pouvait  avoir  un  cheval  semblable  à  celai  qu'ils  avaient  perdu,  mais  qu'il 
ne  fallait  pas  s'imaginer  pour  cela  que  ce  fût  le  même. 

Dieu,  dont  la  sage  providence  sait  récompenser  au  centuple  ceux  qui 
n'ont  point  d'attache  à  la  terre,  inspira  pour  lors  à  Charlemagne,  qui  con- 
naissait le  parfait  désintéressement  du  Saint,  de  lui  faire  bâtir  un  monas- 
tère, dans  lequel  il  pût  recevoir  en  pleine  liberté  tous  ceux  qui  viendraient 
se  présenter  pour  mener  la  vie  monastique  sous  sa  conduite  :  ce  monarque 
voulut  qu'on  n'épargnât,  dans  cet  édifice,  ni  la  richesse  de  la  matière,  ni 
l'industrie  de  l'art.  On  fit  en  même  temps  une  église  magnifique,  propor- 
tionnée à  l'élévation  du  bâtiment  ;  tous  les  grands  du  royaume  voulurent 
partager  avec  l'empereur  la  gloire  d'avoir  contribué  à  cette  œuvre,  et  ce 
célèbre  monastère  est  devenu  le  chef  d'une  infinité  d'autres,  soit  dans  le 
Languedoc,  soit  dans  les  lieux  les  plus  éloignés. 

Le  pieux  abbé  crut  qu'il  ne  pouvait  mieux  témoigner  à  Dieu  sa  recon- 
naissance, pour  tant  de  bienfaits,  qu'en  faisant  observer  une  vie  toute  cé- 
leste à  ses  religieux  ;  il  entreprit  de  faire  refleurir  la  première  et  la  véritable 
règle  du  grand  saint  Benoît  ;  et  comme  elle  était  un  peu  altérée  et  con- 
fuse, à  cause  de  plusieurs  constitutions  et  adoucissements  que  les  relâche- 
ments y  avaient  fait  introduire,  il  employa  tous  ses  soins  pour  en  faire  re- 
naître la  pureté  :  il  recueillit,  pour  cet  effet,  toutes  les  autres  règles,  et,  de 
plus,  il  consulta  là-dessus  les  plus  grands  hommes  de  son  siècle  :  de  sorte 


4G2  11    FÉVRIER. 

qu'il  eut  le  bonheur  de  recouvrer,  dans  son  intégrité,  cette  sainte  règle 
qui  a  servi  de  flambeau  à  tant  d'illustres  personnages  en  science  et  en  sain- 
teté ;  après  l'avoir  mise  en  ordre,  et  en  avoir  éclairci  les  difficullés,  il  s'ap- 
pliqua à  la  faire  observer  le  plus  exactement  qu'il  lui  fut  possible. 

Le  nombre  des  religieux  étant  devenu  fort  considérable,  il  établit  d'a- 
bord toutes  sortes  d'officiers  pour  bien  célébrer  le  service  divin.  Ensuite, 
n'ignorant  pas  de  quelle  utilité  sont  les  sciences,  soit  pour  combattre  les 
hérétiques,  soit  pour  occuper  saintement  les  solitaires,  il  forma  des  maîtres 
en  toutes  sortes  de  disciplines;  ainsi,  sans  altérer  l'exacte  régularité  qui 
attirait  l'admiration  de  tout  le  monde,  il  fit  fleurir  en  cette  royale  maison 
des  écoles  pour  les  humanités,  la  philosophie,  la  théologie  et  l'intelli- 
gence des  saintes  Ecritures;  il  prit  aussi  le  soin  de  recueillir  des  livres,  ce 
qui  lui  donna  lieu  de  composer  une  belle  bibliothèque  :  c'est  ainsi  que  ce 
grand  homme  trouva  moj'en  de  chasser  de  la  province  où  il  se  trouvait, 
les  ténèbres  de  l'ignorance,  et  qu'il  éleva  un  grand  nombre  de  sujets  qui 
ont  rendu  dans  la  suite,  soit  en  qualité  d'évêques,  soit  en  qualité  de  doc- 
leurs  ou  de  missionnaires,  soit  en  qualité  d'abbés,  des  services  très-consi- 
dérables à  l'Eglise. 

La  conduite  de  ce  grand  serviteur  de  Dieu  fut  tellement  approuvée  de 
tout  le  monde,  et  sa  réputation  se  répandit  si  loin,  qu'on  se  faisait  un  plaisir 
et  un  mérite  de  lui  offrir  de  tous  côtés  des  terres  et  de  grandes  sommes  pour 
bâtir  des  monastères  dans  les  provinces  ;  on  fait  mention  de  douze  princi- 
paux dont  il  était  reconnu  le  premier  abbé  ;  chacun  désirait  ou  le  voir,  ou 
lui  parler,  ou  l'aider  dans  ses  entreprises.  Louis  le  Débonnaire,  ayant  quitté 
l'Aquitaine,  dont  il  avait  été  roi,  pour  prendre  le  gouvernement  de  l'empire 
à  la  place  de  Charlemagne,  son  père,  qui  était  mort,  ne  put  demeurer 
longtemps  privé  de  la  présence  de  Benoît.  Ayant  reconnu,  par  sa  propre 
expérience,  de  quelle  utilité  lui  avaient  été  ses  conseils,  il  lui  fit  dire  qu'il  le 
priait  de  se  rapprocher  de  la  ville  d'Aix-la-Chapelle,  où  ce  prince  avait  établi 
le  siège  de  son  empire;  il  lui  donna  d'abord,  pour  cet  effet,  le  monastère  de 
Maur-Munster,  en  Alsace;  mais,  le  jugeant  encore  trop  éloigné  de  sa  per- 
sonne pour  l'avoir  commodément,  quand  il  aurait  besoin  de  son  conseil,  il 
lui  fit  construire,  dans  un  lieu  assez  proche  de  son  palais  impérial,  un  monas- 
tère célèbre,  nommé  d'Inden,  à  cause  de  la  rivière  voisine  qui  portait  ce  nom. 

Benoît  profita  de  la  bienveillance  du  monarque,  non  pour  ses  intérêts 
particuliers,  mais  pour  être  le  médiateur  et  le  protecteur  de  tous  les  peuples  ; 
car,  par  son  entremise,  les  pauvres  et  les  affligés  étaient  écoutés  du  prince, 
qui  prenait  à  loisir  connaissance  de  leurs  besoins,  dans  les  audiences  fré- 
quentes qu'il  leur  donnait,  et  qu'il  accordait  à  Benoît  en  leur  faveur.  Cet 
empereur  trouvait  si  bon  que  ce  saint  abbé  se  fît  le  défenseur  et  le  pro- 
tecteur des  veuves  et  des  orphelins,  que,  quand  il  venait  au  palais,  il  le 
prévenait  et  allait  au-devant  de  lui,  portant  d'un  air  agréable  sa  main  dans 
la  robe  de  cet  aimable  et  zélé  procureur  du  bien  des  pauvres,  pour  en  tirer 
lui-môme  la  liasse  des  requêtes  qu'il  lui  venait  présenter  en  leur  faveur;  il  les 
lisait  sur-le-champ,  et  y  répondait  favorablement  le  plus  tôt  qu'il  pouvait. 

L'inclination  qu'il  avait  à  faire  régner  la  justice  partout  le  porta  encore 
â  persuader  à  l'empereur  d'arrêter  le  dérèglement  des  séculiers,  qui  possé- 
daient les  biens  des  églises  et  des  monastères,  et  qui  les  détournaient  à  des 
usages  profanes,  contre  l'intention  des  fondateurs,  et  au  grand  scandale  des 
peuples;  il  lui  exposa,  en  détail,  toute  l'étendue  de  ce  désordre,ce  qui  amena 
ce  prince  à  faire  sur  ce  point  une  réforme  admirable  et  digne  de  sa  piété. 

Les  remontrances  que  ce  saint  abbé  faisait  à  ce  monarque  parurent 


SAIKT  BENOÎT  d'aXIAITE,   ABBÉ.  4G3 

toujours  si  judicieuses  et  si  utiles  au  bien  de  son  empire,  et  ses  avis  sur  ce 
qu'il  était  à  propos  de  faire  furent  toujours  trouvés  accompagnés  d'un  si 
grand  sens,  que  son  conseil  n'était  jamais  négligé,  parce  qu'on  s'était  tou- 
jours bien  trouvé  de  l'avoir  suivi. 

L'empereur  donna  une  grande  preuve  de  ce  que  nous  avançons  à  la 
gloire  de  Benoît,  lorsque,  de  l'avis  de  son  conseil,  il  voulut  que  ce  saint  abbé 
fût  en  quelque  manière  le  premier  supérieur  de  tous  les  monastères  de  ses 
Etats,  et  qu'il  travaillât,  en  cette  qualité,  à  une  réforme  générale  de  tout  ce 
qu'il  serait  à  propos  de  retrancher  dans  les  maisons  particulières  :  ce  fut  pour 
obéir  aux  volontés  de  son  prince  qu'il  assembla  (817)  tous  les  supérieurs  des 
monastères  de  la  France,  et,  qu'aj'ant  bien  examiné,  dans  cette  assemblée 
générale,  tout  ce  qu'il  y  avait  à  réformer  ou  h  établir,  il  fit  des  statuts  si 
judicieux,  si  conformes  à  la  véritable  vie  religieuse  et  si  nécessaires  pour  faire 
revivre  l'ancien  esprit  des  saints  solitaires,  qu'ils  furent  reçus  etapprouvés  de 
l'assemblée.  Confirmés  par  l'autorité  de  l'empereur,  ils  furent  publiés  partout 
et  exactement  observés  :  c'était  une  chose  digne  d'admiration  de  voir  tant 
de  maisons  différentes,  répandues  dans  toutes  les  provinces,  n'avoir  plus 
qu'une  môme  règle,  celle  de  saint  Benoît,  une  même  manière  de  vivre,  un 
même  esprit,  le  même  chant,  le  même  habit,  les  mêmes  poids  et  mesures 
pour  le  pain  et  le  vin;  en  un  mot,  une  conformité,  ou  plutôt  une  uniformité 
aussi  parfaite  que  si  ce  n'eût  été  qu'une  seule  maison  sous  un  seul  supérieur. 

11  fallait  un  esprit  aussi  étendu  que  celui  de  l'incomparable  Benoît,  et  l'auto- 
rité de  l'empereur  pour  faire  réussir  une  semblable  entreprise  :1a  chose  ne  pa- 
raîtra pasincroyable.si  l'on  se  souvient  que  nous  parlons  du  vm°  et  du  ix°  siècle, 
où  tout  ce  qu'il  y  avait  alors  de  religieux  ou  de  solitaires  prétendait  suivre 
la  règle  de  saint  Benoît  :  chacun,  à  la  vérité,  l'interprétait  et  l'adoucissait 
à  sa  façon,  mais  notre  Saint  la  réduisit  à  une  forme  que  tout  le  monde 
fut  obligé  d'approuver  et  de  suivre.  L'Ordre  de  Saint-Benoît  sera  éternelle- 
ment redevable  à  ce  saint  abbé,  non-seulement  des  soins  qu'il  a  pris  dans  son 
temps  pour  rétablir  l'ancienne  régularité,  mais  encore  de  l'ouvrage  intitulé 
la  Concorde  des  Règles,  qu'il  a  composé  et  laissé  par  écrit  :  il  y  fait  voir  quel 
est  le  véritable  esprit  et  le  sens  de  la  règle  du  grand  patriarche  saint  Benoît, 
par  rapport  aux  règles  des  autres  Pères,  en  les  comparant  les  unes  avec  les 
autres  et  faisant  voir  comment  cette  règle  de  saint  Benoît  est  appuyée  et 
autorisée  de  toutes  les  autres  dont  elle  renferme  l'esprit.  Cet  ouvrage,  qui  a 
été,  depuis,  enrichi  de  savantes  notes  par  le  R.  P.  Hugues  Ménard,  bénédictin, 
n'est  pas  le  seul  que  notre  Saint  ait  composé  :  on  lui  en  attribue  encore  quel- 
ques autres,  comme  des  collections  ou  conférences  tirées  des  Homélies  des 
Pères,  et  propres  à  exciter  les  religieux  à  une  plus  grande  perfection,  et 
d'autres  semblables,  qui  font  assez  voir  que  cet  humble  abbé  n'avait  pas 
seulement  une  grande  vertu  et  un  esprit  naturellement  étendu  et  capable 
des  grandes  entreprises,  mais  qu'il  était  aussi  docte  et  grand  ami  des  belles- 
lettres.  Les  écoles  qu'il  a  établies  dans  ses  monastères  en  sont  encore  des 
preuves  :  il  prit  lui-même  la  peine  de  former  les  lecteurs  ;  il  expliquait  les 
saints  canons  de  l'Eglise  à  ses  religieux,  il  leur  donnait  l'intelligence  des 
écrits  des  saints  Pères,  il  allait  exposer  dans  les  monastères  le  sens  des  saintes 
Ecritures,  et  donnait  des  solutions  claires  à  tous  les  doutes  qu'on  lui  proposait. 

Le  fameux  Alcuin,  qui  fut  le  précepteur  de  Charlemagne  et  l'oracle  de 
son  temps,  distingua  si  bien  la  capacité  et  la  piété  de  notre  Saint,  qu'il  con- 
tracta avec  lui  une  amitié  inviolable,  et  entretint  un  si  grand  commerce  de 
lettres  avec  lui,  surtout  depuis  qu'il  fut  élu  abbé  de  Saint-Martin  de  Tours, 
qu'on  en  aurait  pu  composer  un  gros  volume  ;  l'histoire  même  ajoute  qu'Ai- 


464  11    FÉVRIER. 

cuin  lui  envoya  des  présents  comme  témoignage  d'estime,  et  qu'étant  en  son 
abbaye  de  Saint-Martin,  il  le  pria  de  lui  envoyer  des  religieux  formés  de  sa 
main,  comme  il  en  avait  envoyé  à  tant  d'autres  prélats  qui  lui  en  avaient 
demandé.  De  son  côté,  Théodulfe,  abbé  de  Fleury  et  évêque  d'Orléans, 
employait  quelquefois  sa  muse  i  célébrer  le  mérite  et  les  vertus  de  Benoît.  Il 
ne  fait  pas  difliculté,  dans  un  de  ses  poèmes,  de  le  comparer  à  saint  Benoîtdu 
Mont-Cassin.  Si,  en  eflet,  celui-ci  fut  le  créateur,  celui-là  fut  le  restaurateur 
de  la  discipline  monastique  en  Occident'. 

Les  victoires  que  Benoit  remporta  sur  les  hérétiques  de  son  temps  sont 
encore  des  preuves  convaincantes  de  la  profondeur,  de  la  solidité  et  de  l'inté- 
grité de  sa  doctrine.  Félix,  évêque  d'Urgel,  en  Espagne,  répandait  partout  le 
venin  d'une  hérésie  pernicieuse,  qui  avait  déjà  iniecté  quelques  provinces  de 
la  France  ;  il  n'attaquait  rien  moins  que  la  filiation  du  Verbe  divin,  assurant 
que  Jésus-Christ,  en  tant  qu'homme,  n'était  que  le  Fils  adoptif  du  Père  éter- 
nel ;  c'était  assez  pour  renouveler  les  plus  dangereuses  hérésies  que  l'Eglise 
ait  eu  à  combattre  dans  les  siècles  précédents.  Notre  Saint,  s'unissant  avec 
les  plus  zélés  défenseurs  de  la  foi  de  nos  mystères,  travailla  avec  des  soins 
infatigables  à  l'extinction  de  cette  mauvaise  doctrine  ;  il  entreprit  même, 
par  trois  fois  différentes,  le  long  et  pénible  voyage  d'Espagne  pour  aller 
triompher  de  l'hérésie  dans  sa  source  et  daus  son  principe,  et  il  n'a  pas  peu 
contribué  à  la  convocation  du  synode  tenu  à  Urgel  même,  ville  où  était  le 
siège  de  l'évêque  hérétique,  qui  y  fut  condamné,  et  dont  la  doctrine  fut 
déclarée  téméraire  et  entièrement  contraire  à  celle  de  l'Eglise.  Nous  avons 
encore  trois  autres  conciles  tenus,  l'un  à  Ratisbonne,  l'autre  à  Francfort,  et 
le  troisième  à  Aix-la-Chapelle,  qui  ont  tous  fulminé  anathème  contre  l'erreur 
dont  nous  parlons*. 

Le  grand  zèle  que  Benoît  lit  paraître  pour  les  intérêts  de  l'Eglise  en  gé- 
néral ne  diminua  rien  des  soins  que  sa  charge  l'obligeait  d'avoir  pour  tous 
les  monastères  de  la  France  dont  il  avait  été  déclaré  le  père  aussi  bien  que 
le  réformateur.  Il  entreprenait  de  pénibles  et  longs  voyages  pour  aller  donner 
de  nouvelles  forces  à  ses  disciples  dans  la  profession  qu'ils  avaient  embrassée. 
On  rapporte  plusieurs  miracles  que  Dieu  a  faits  en  sa  faveur  pendant  ces 
voyages  :  les  religieux  d'un  monastère  qui  était  pauvre  étaient  dans  la  dou- 
leur de  ne  pouvoir  faire  à  leur  saint  abbé  une  réception  digne  de  son  mérite; 
Dieu  y  pourvut,  faisant  trouver  des  poissons  d'une  qualité  et  d'une  grosseur 
extraordinaires  dans  des  ea'ix  où  il  n'y  eu  pouvait  pas  avoir  naturellement. 
Une  autre  fois,  dans  une  semblable  occasion,  de  pauvres  religieux  étaient 
dans  l'affliction  de  ne  pouvoir  présenter  aucun  rafraîchissement  à  ce  digne 
Pasteur,  accablé  de  lassitude  et  de  fatigue  :  la  divine  Providence,  qui  ne 
manque  pas  dans  le  besoin,  fit  trouver  d'excellent  vin  et  en  abondance  dans 
un  vase  où  il  n'y  en  avait  point.  Mais  ce  ne  furent  pas  là  les  seules  merveilles 
qui  arrivèrent  dans  le  cours  de  la  vie  de  ce  grand  serviteur  de  Dieu  :  celles 
que  nous  venons  de  rapporter  étaient  de  purs  effets  de  la  divine  Providence, 
qui  pourvoyait  aux  besoins  de  celui  qui  était  pauvre,  et  qui  avait  enseigné  à 
ses  disciples  à  demeurer  dans  la  pauvreté  pour  suivre  les  conseils  de  Jésus- 
Christ  ;  mais  voici  ce  que  le  saint  abbé  fit  lui-même  en  faveur  du  prochain. 
11  a  arrêté,  par  la  vertu  de  ses  prières  et  de  ses  larmes,  l'impétuosité  d'un 

1.  Quod  fuit  Ausoniis  Benedictus  reetor  in  arviSf 
Uùc  modo  tu  in  nostris  es,  Bénédicte,  tocis. 
Ut  cerebro  Euphorbi  Stimius  saCus  e^se  puttUuT, 
Sic  Nurci  patris  in  le  revocatur  opus. 
2.  Voir  les  Coneitet  généraux  et  particuliers,  par  Mgr  Guérln,  3  gro»  TOl.  Ia-â<>. 


SAINT  BENOÎT  D'aNIANE,   ABBÉ.  465 

torrent  qui  allait  abîmer  des  maisons  déjà  à  moitié  submergées  ;  plusieurs 
fois,  dans  des  incendies  qui  jetaient  tout  le  monde  dans  la  consternation,  il 
a  commandé  au  feu  de  suspendre  son  activité  et  de  porter  ailleurs  ses  flam- 
mes :  il  sut,  comme  un  autre  Moïse,  faire  mourir  une  énorme  quantité  de 
sauterelles  qui  commençaient  à  ravager  les  biens  de  la  terre.  Ses  religieux, 
animés  de  son  esprit,  faisaient  aussi  des  actions  miraculeuses  :  plusieurs 
possédés  qu'on  leur  amenait  étaient  délivrés  lorsqu'ils  avaient  prié  et  veillé 
pour  cet  effet  ;  des  personnes  malades  ont  reçu  une  parfaite  santé  par  les 
mêmes  moyens  ;  mais  nous  renvoyons  le  lecteur  à  l'histoire  entière  de  sa  vie 
pour  avoir  une  parfaite  connaissance  de  toutes  ces  merveilles.  Nous  ajouterons 
seulement  que  le  saint  abbé  avait  reçu  de  Dieu  un  don  particulier  pour  péné- 
trer jusque  dans  le  fond  des  cœurs  :  il  a  ramené  plusieurs  fois  à  leur  devoir, 
par  ce  moyen,  des  religieux  qui  étaient  sur  le  point  d'abandonner  leur  voca- 
tion, en  leur  faisant  connaître  qu'il  savait  la  déplorable  disposition  dans 
laquelle  ils  étaient,  et  il  ne  découvrait  jamais  ces  sortes  de  maladies  spiri- 
tuelles sans  y  apporter  aussitôt  le  remède  nécessaire. 

Ces  grandes  faveurs,  que  saint  Benoit  recevait  du  ciel,  jointes  à  la  singu- 
lière bienveillance  que  lui  marquait  un  des  plus  grands  monarques  de  la 
terre,  ne  manquèrent  pas,  Dieu  le  permettant  ainsi,  de  lui  attirer  beaucoup 
d'envieux,  qui  ne  souffraient  qu'avec  peine  tant  de  prospérité  ;  plusieurs 
ecclésiastiques  d'un  mérite  apparent  interprétèrent  fort  mal  ses  innocentes 
intentions  :  on  publia  qu'il  s'attribuait  toutes  les  aumônes  qu'on  lui  faisait  ; 
on  souleva  par  des  intrigues  secrètes  les  officiers  et  les  gardes  du  palais  de 
l'empereur  contre  lui  ;  des  seigneurs  de  la  cour  appuyèrent  les  calomnies 
qu'on  avait  répandues;  on  voulut  surprendre  le  prince  et  le  prévenir  contre 
le  Saint;  de  sorte  que  le  parti  n'attendait  plus  que  de  voir  chasser  de  la 
cour  celui  qui  en  faisait  le  plus  bel  ornement  ;  de  faux  amis  voulurent 
môme  lui  persuader  de  se  retirer  en  secret,  sans  attendre  un  exil  qu'ils  di- 
saient lui  devoir  être  fort  honteux  ;  mais  Benoît  savait  bien  qui  était  le  pro- 
tecteur de  sa  cause,  et  Dieu  fit  bientôt  voir  qu'il  sait  justifier  l'innocent 
quand  il  veut;  le  Saint  alla  trouver  l'empereur  comme  à  l'ordinaire,  et  ce  sage 
monarque,  qui  savait  discerner  le  vrai  du  faux,  et  l'homme  de  bien  de  l'hy- 
pocrite, embrassa  tendrement  Benoît  à  la  vue  de  tous  les  jaloux,  et,  pour  lui 
donner  une  preuve  plus  évidente  de  sa  bienveillance  et  de  son  estime  dans 
une  occasion  où  on  s'attendait  à  le  voir  exiler,  il  lui  présenta  à  boire  de  sa 
propre  main  :  ce  qui  montra  à  tout  le  parti  que  celui  que  Dieu  protège  est  à 
l'abri  de  toutes  les  malices  des  envieux. 

Il  est  temps  de  parler  du  trépas  de  ce  grand  Saint  qui  n'aurait  jamais 
dû  mourir,  suivant  les  vœux  de  tous  les  peuples.  Dieu,  qui  ne  voulut  pas 
laisser  un  si  généreux  soldat  sans  occasion  de  remporter  de  continuelles 
victoires,  fit  succéder  les  pénibles  épreuves  de  la  maladie  aux  travaux  de 
la  charité  :  le  Saint  fut  attaqué  d'une  fièvre,  et  de  plusieurs  autres  infir- 
mités, jointes  à  un  grand  âge  ;  il  ne  retrancha  cependant  rien  de  toutes 
ses  mortifications  ordinaires  ;  il  soupirait  sans  cesse  après  la  patrie  céleste, 
et  il  versait  une  grande  abondance  de  larmes,  dans  l'espérance  et  dans  l'at- 
tente d'y  pouvoir  parvenir  ;  on  le  trouvait  souvent,  ou  prosterné  contre 
terre,  ou  debout,  ayant  la  tête  et  les  bras  élevés  vers  le  ciel,  ou  recevant 
dans  ses  mains  les  larmes  qui  coulaient  de  ses  yeux,  de  peur  que  leur  trop 
grande  abondance  ne  souillât  les  pages  de  la  sainte  Ecriture  qu'il  avait  de- 
vant lui;  il  lisait,  ou  se  faisait  lire,  la  mort  des  saints  Pères,  pour  imiter  leur 
exemple  en  ses  derniers  moments,  comme  il  avait  tâché  d'imiter  leur  con- 
duite pendant  sa  vie. 

Vies  des  Saints.  —  Tome  U.  30 


4C6  '^    FÉVRIER. 

L'empereur,  qui  était  encore  Louis  le  Débonnaire,  le  voulut  toujours 
avoir  dans  son  palais,  tout  malade  qu'il  était,  pour  profiter,  aussi  longtemps 
qu'il  pourrait,  des  sages  conseils  qu'il  en  recevait,  tant  pour  le  bon  gouver- 
nement de  ses  Etats  que  pour  le  repos  de  sa  propre  conscience.  Ce  ne  fat 
qu'après  une  longue  et  familière  conférence,  en  laquelle  il  lui  témoigna 
toutes  sortes  d'amitiés  et  de  reconnaissance,  qu'il  permit  enfin  à  ses  religieux 
de  l'enlever  pour  le  transporter  au  monastère  voisin,  afin  que  ce  digne  et 
aimable  Père  pût  finir  ses  jours  entre  les  bras  de  ses  enfants. 

11  n'y  fut  pas  plus  tôt  arrivé,  que  tout  le  monde  s'empressa  de  s'enquérir 
en  quel  état  il  était  :  car,  comme  il  n'y  avait  personne  qui  n'eût  conçu  une 
estime  et  une  bienveillance  particulières  pour  lui,  et  qu'il  avait  été  la  con- 
solation et  le  conseil  des  grands  et  des  petits,  des  riches  et  des  pauvres,  des 
ecclésiastiques  et  des  séculiers,  tous  les  grands  de  la  cour,  les  évêques,  les 
abbés,  les  magistrats  et  le  commun  du  peuple,  vinrent  mêler  leurs  larmes  à 
celles  des  enfants  et  des  disciples  de  ce  l'igne  père,  et  on  regardait  leur  perte 
comme  une  perte  commune  à  tout  l'empire.  Benoît  avait  de  la  reconnais- 
sance pour  l'amitié  qu'on  lui  témoignait  dans  ses  derniers  moments;  mais  il 
ne  laissait  pas  de  demander  souvent  en  grâce  qu'on  lui  accordât  d'être  seul 
pour  converser  plus  librement  et  plus  tranquillement  avec  son  Dieu.  Une 
fois,  il  arriva  qu'après  avoir  passé  trois  heures  dans  la  douceur  de  la  con- 
templation, quoiqu'au  milieu  des  douleurs  de  la  maladie,  on  vint  lui  deman- 
der comment  il  se  trouvait,  il  répondit  qu'il  n'avait  jamais  eu  de  plus  doux 
moments  pendant  sa  vie  :  je  viens,  ajouta-t-il,  d'avoir  le  bonheur  de  me 
trouver  devant  mon  Dieu,  au  milieu  des  chœurs  des  Saints. 

Les  sentiments  de  l'amour  sacré,  dont  Dieu  le  favorisait  alors,  ne  lui 
firent  point  oublier  le  désir  ardent  qu'il  avait  du  salut  et  de  la  perfection 
des  autres  :  aussi  fît-il  encore  expédier,  avant  de  mourir,  des  lettres  d'ins- 
tructions pour  l'empereur,  de  qui  il  savait  que  le  bonheur  et  le  salut  des 
peuples  dépendaient,  pour  quelques-uns  de  ses  monastères,  ou  pour  d'autres 
particuliers.  On  voit  quelques-unes  de  ces  lettres,  pleines  de  charité,  dans 
l'histoire  de  sa  vie,  rapportée  par  Bollandus.  Dieu  permit  qu'il  déclarât  à 
ses  religieux  que,  depuis  près  de  cinquante  ans  qu'il  avait  le  bonheur 
d'être  dans  un  état  de  pénitence,  il  ne  lui  était  jamais  arrivé  de  manger 
le  morceau  de  pain  qu'il  avait  coutume  de  prendre  chaque  jour  pour  sa 
nourriture,  sans  répandre  auparavant  devant  Dieu  une  grande  abondance 
de  larmes. 

Il  récita  toujours  régulièrement  l'office  divin,  jusqu'au  jour  même  de  sa 
mort,  et  ce  fut  après  s'être  acquitté  de  ce  noble  devoir  qu'il  dit  un  dernier 
adieu  à  ses  chers  enfants,  et  qu'il  les  avertit  qu'il  allait  les  quitter  dans  un 
moment;  en  disant  ces  paroles  :  «  Vous  êtes  juste,  Seigneur,  ayez  égard  à 
votre  miséricorde  pour  juger  votre  serviteur  »,  il  quitta  cette  vie  laborieuse 
pour  entrer  dans  le  séjour  de  la  gloire.  On  dit  que  l'évêque  de  Maguelonne 
eut  révélation  de  la  perte  que  l'église  venait  de  faire  :  sortant  du  sommeil 
où  il  était  alors,  il  raconta  sur-le-champ  aux  assistants  ce  qui  venait  d'arri- 
ver au  monastère  d'indcn,  qui  était  éloigné  de  près  de  deux  cents  lieues  de 
ÎJaguelonne.  Ce  grand  Saint  mourut  le  11  février  de  l'année  821.  Louis  le 
Débonnaire  lui  fit  donner  un  sépulcre  en  rapport  avec  son  mérite,  au  lieu 
même  oîi  il  mourut,  dans  le  monastère  d'Inden,  appelé  depuis  de  Saint- 
Corneille,  pape,  sous  le  nom  duquel  notre  Saint  en  avait  fait  dédier  l'église. 
C'est  li  que  ses  saintes  reliques  ont  reposé,  sans  que  depuis  personne  ait 
pu  les  découvrir. 

Saint  Benoît  d'Aniane  est  reiirésenté  :  1°  en  costume  d'ermite  ;  2°  c'.ei- 


S.U.\T   DIBIER,    ÉVÉQUE   DE   TIEiNNE.  467 

gnanl  un  incendie  :  il  rendit  plus  d'une  fois  ce  service  aux  populations  de 
son  voisinage. 

ÉCRITS  DE  SAINT  BENOIT  D'ANIANE. 

Nous  avons  encore  de  saint  Benoit  :  l"  un  Corle  de  rigles  qu'il  écrivit  étant  simple  moine  it 
Saint-Seine;  ce  code  a  été  imprimé  à  Rome  en  1661,  sous  ce  tilre  :  Coilex  n-gularum,  cotledus 
a  S.  Bmedicto  Atmniri,  nuctus  a  Lucn  Holstenio,  etc.;  2»  un  livre  A' Homélies  pour  l'usage  dei 
moines,  tirées  des  ouvrages  des  saints  Pères,  selon  la  coutume  de  ce  temps-là;  3"  un  Péniientiel, 
imprimé  dans  les  suppléments  aux  capitulaires  ;  4°  une  Concorde  des  régies  momislviurs.  On  y 
trouve  le  texte  de  la  régie  de  saint  Denoit  avec  celui  des  règles  des  autres  patriarches  de  la  vie 
monastique.  Le  but  de  l'auteur  était  de  montrer  l'uniformité  de  ces  grands  hommes  dans  les  exer- 
cices qu'ils  prescrivent.  Dom  Ménard  a  fait  imprimer  cette  concorde  à  Paris,  en  1638. 

Nous  avoTis  composa  cette  vie  sur  les  acte.";  rapportés  par  Bollandns,  mais  nous  nous  sommes  spéciale- 
ment servis  des  savantes  remarques  du  K.  P.  Dom  Jean  MaîùUon,  bénédictin,  qui  réunit,  dans  sa  riche 
préface  du  i\'*=  siècle  de  son  Ordre,  et  dans  la  vie  de  notre  Saint,  tout  ce  qu'on  peut  désirer  savoir  sar 
ce  sujet. 


SAINT  CASTRENSIS,  ÉVÊQUE  AFRICAIN  (430). 

Saint  Castrensis  est  l'un  des  patrons  des  villes  de  Capoue,  Monreale,  et  Sessa,  dans  la  basse 
Italie.  Les  arts  l'ont  représenté  sur  un  navire,  ou  à  terre,  bénissant  un  vaisseau.  Embarqué  par 
Geaséric  sur  un  vieux  bâtiment  avec  plusieurs  confesseurs  de  la  foi,  il  atteignit  les  cotes  de 
la  Campanie  et  passa  le  reste  de  ses  jours  dans  cette  partie  de  l'Italie.  Ce  Saint  est  l'un  des  pa- 
trons des  navigateurs  en  péril.  Son  pouvoir  était  si  bien  reconnu  sur  la  plage  napolitaine,  au 
sviiie  siècle,  que  tout  vaisseau  abordant  à  Sessa  croyait  devoir  quelque  action  de  grâces  au  servi- 
teur de  Dieu,  venu  miraculeusement  d'Afrique. 


SAINT  DIDIER,  ÉVÊQUE  DE  VIENNE  (608). 

n  était  né  à  Autun  d'une  noble  famille  ;  il  vécut  à  Vienne,  sous  quatre  évêqnes,  et  y  reçut 
l'ordre  du  diaconat.  Le  dernier  de  ces  évèques,  saint  Vire,  étant  mort,  Didier  fut  élu  à  sa  place  en 
!i96. 11  fut  déposé  par  le  synode  de  Chalon-sur-Saône,  à  l'instigation  d'Aridius,  évêque  de  Lyon,  et 
de  la  reine  Brunehant,  qu'il  avait  reprise  de  ses  désordres.  Domnole  lui  fut  substitué  dans  la  di- 
gnité sacerdotale.  Didier  fut  exilé  dans  l'ile  Barbe.  L'an  60S,  Thierry,  cédant  aux  conseils  d'Ari- 
dius et  de  son  aïeule,  lit  lapider  Didier,  qui  était  de  retour  de  l'cvil.  Cède  le  place  au  23  mai,  jour 
de  son  martyre.  Aujourd'hui  est  le  jour  anniversaire  de  la  translation,  à  Vienne,  de  ses  reliques 
vénérables.  Adam  et  Sigebert  parlent  de  saint  Didier  dans  leurs  chroniques.  Sigebert  voit,  dans  la 
destruction  du  royaume  de  Thierry,  le  châtiment  du  crime  commis  par  ce  prince  contre  saint 
Didier.  Ce  saint  évèque  était  contemporain  de  saint  Grégoire  le  Grand,  qui  lui  adressa  plusieurs  let- 
tres ;  dans  la  seconde,  il  lui  recommande  des  religieux  et  des  prêtres  qu'il  envoyait  à  saint  Augus- 
tin en  Angleterre.  Ces  lettres  se  trouvent  in  regist.  lib.  v,  episl.  54  ;  tib.  vu,  epist.  116;  lib.  is, 
epist.  43,  et  lib.  sii,  epi^t.  5.  Il  est  également  fait  mentioade  lui  dans  les  Actes  as  saint  Coloiu* 
Lan.  abbé. 

On  croit  que  le  saint  évêque  de  Vienne  fut  assassiné  en  un  lieu  de  la  principauté  des  Demies, 
qui  s'est  appelé  Saint-Didier  de  Chalaronne,  en  souvenir  de  ce  tragique  événement. 

La  peinture  donne,  comme  attributs  à  saint  Didier,  la  corde  avec  laquelle  il  fut  à  moitié  étranglé 
sur  le  chemin  du  supplice,  le  buto7i  dont  on  ne  lui  ménagea  pas  les  coups,  la  femme  dont  il 
reprit  la  conduite  '. 

1.  Voir,  pour  plus  de  détails,  au  tome  vi,  page  113. 


468  11    FÉVRIER. 


SAINT  GAUDIN,  ÉVÊQUE  DE  SOISSONS  (700). 

Gandin,  troisième  successeur  de  saint  Drausin  sur  le  siège  de  Soissons,  était  très-vif  et  trfcs- 
véhément  à  réprimander  les  vices.  Ayant  donc  déchaîné  son  éloquente  indignation  contre  l'insa- 
tiable avarice  de  certains  usuriers,  ces  hommes,  en  haine  de  la  vérité  évangélique  qu'il  prêchait,  le 
surprirent  dans  un  guel-apens,  le  traînèrent  dans  une  rue,  alors  nommée  Herliu,  et  maintenant 
Saint-Gaudin.  Là,  ils  le  torturèrent  diversement,  et  comme  il  refusait  de  rétracter  ce  qu'il  avait 
dit,  ils  le  jetèrent  dans  un  puits  où  il  se  noya,  environ  l'an  700  de  Notre-Seigneur,  et  mérita  ainsi 
d'être  inscrit  au  catalogue  des  Martyrs. 

Son  corps  fut  transféré  dans  l'église  cathédrale,  avec  les  corps  de  saint  Principe  et  de  saint 
Loup,  évéques,  et  de  saint  Agricola,  prêtre.  Levé  de  terre  le  premier  de  juin,  il  fut  déposé  dans 
une  chSsse  d'argent,  qui  fut  pillée  en  1567,  par  les  hérétiques,  en  même  temps  que  les  reliques 
furent  brûlées.  Le  lieu  consacré  par  son  martyre  n'a  pas  cessé  d'être  fréquenté  par  la  dévotion  dej 
peuples  jusqu'à  la  fin  du  xvni>  siècle. 

Propre  de  Seissons. 


SAINT  ODON,  ÉVÊQUE  DE  BEAUYAIS  (880). 

Odon  était  né  dans  le  Beauvaisis.  Homme  d'un  esprit  éminent,  après  avoir  été  dans  les  liens  da 
mariage,  après  avoir  porté  les  armes  au  service  des  rois  de  France,  il  se  tourna  vers  Dieu  de  tout 
son  cœur,  el  alla  faire  à  Corbie  son  apprentissage  de  la  vie  monastique,  auprès  de  l'abbé  saint 
Paschase,  lequel,  ayant  abdiqué  le  gouvonement  de  l'abbaye,  le  lui  remit  h  cause  de  sa  fermeté 
d'àme  et  de  sa  grande  sainteté.  11  sut  concilier  la  vigueur  d'un  chef  avec  la  tendresse  d'un  père,  et 
ramener  la  p;iix  et  l'union  parmi  ses  frères.  Ayant  d'abord  réformé  et  sanctifié  son  monastère, il 
l'enrichit  ensuite  de  privilèges  obtenus  du  roi  et  du  souverain  Pontife,  puis  il  le  défendit  vaillam- 
ment contre  les  Normands.  Rimbert,  qui  avait  succédé  à  saint  Ilildemau  sur  le  siège  de  Beauvais, 
étant  mort,  et  l'élection  déloyale  de  Frimold  ayant  élè  annulée,  Odon  fut  jugé,  par  les  évêques 
de  la  province,  digne  de  régir  cette  Eglise  veuve  ;  car  il  était  habile  et  éloquent,  et  non  moins 
recommandjble  par  sa  piélé  que  par  sa  science.  Il  fut  niiMo  dans  la  suite  aux  affaires  de 
l'Eglise  et  du  royaume,  et  remplit  très-gloneusement  plusieurs  missions,  soit  apostoliques,  soit 
royales. 

Odon  jouissait  d'un  grand  crédit  à  la  cour,  et  les  princes  se  levaient  pour  faire  honneur  à  son 
éminenle  vertu.  Il  reçut  du  roi  Charles  le  Chauve  et  de  ses  successeurs  la  charge  soit  d'élever  les 
jeunes  princes,  soit  de  partager  le  royaume  entre  eux  et  de  défendre  leurs  droits  contre  les  f?c- 
lions.  Il  assista  à  plus  de  quinze  conciKs.  Il  aida  d'antres  prélats  par  des  conseils  et  par  des  actes; 
plus  d'une  fois  il  fut  chargé  d'examiner  les  élus  de  l'épiscopat,  de  corriger  les  clerc;,  d'alTermir  les 
privilèges  des  monastères  et  de  traiter  les  allaires  les  plus  importantes  auprès  du  roi  et  du  souve- 
rain Pontife.  Tout  en  s'occupant  des  alTaires  publiques,  il  ne  manqua  pas  à  son  église  :  il  la  déli- 
vra des  ravages  des  barbares,  qui  assiégèrent  sa  ville  épiscopale,  et  de  ses  discordes  intestines.  11 
agrandit  le  monastère  de  Saint-Lucien;  il  fit  restituer  à  son  église  les  ruines  des  abbayes  de  Flay 
(Saint-Germer),  et  de  l'Oratoire  (OroSr),  tombées  dans  des  mains  séculières;  il  porta  le  nombre  des 
chanoines  de  sa  cathédrale  au  nombre  de  cinquante,  eu  attribuant  k  chacun  des  revenus  suffisants  ; 
il  soumit  les  pécheurs  à  la  pénitence  canonique  ;  il  développa  le  culte  de  saint  Pierre  et  de  saint 
Lucien,  soit  en  érigeant  des  basiliques,  soit  en  composant  des  actes.  Par  ses  soins  se  tint  au  mo- 
nastère de  l'isle  (aujourd'hui  Saint-Pierre-aux-Buis),  auprès  de  Beauvais,  un  synode  pour  la  consé- 
cration du  bienheureux  Jean,  évéque  de  Cambrai. 

Il  travailla  fortement  à  assurer  au  siège  de  Rome  l'honneur  et  l'obéissance  qui  lui  sont  dus.  Ce 
n'est  pas  seulement  pour]  tout  ce  qu'il  exécuta  d'important  dans  son  église  qu'il  demanda  l'assen- 
timent et  les  conseils  du  Siège  apostolique,  mais  il  usa  encore  de  tout  son  crédit  auprès  du  roi  et 
du  métropolitain  pour  que  les  ordres  du  pasteur  suprême  fussent  religieusement  observés,  il  fut 
médiateur,   el  excellent  médiateur,  entre  Hincmar  et  le  pape  Nicolas  I"  au  sujet  de  RothaJe 


SALNT   ARBAING    OU   .VIIDAN,    ABBÉ   DE   TOURNTIS.  469 

de  Soissons,  qne  trente  évêques  avalent  déposé  par  sentence  synodale.  Lorsque  Ansegise, 
prêtre  de  Beauvais  el  abbé  de  Saint-Jlichel,  fut  élevé  à  la  dignité  d'archevêque  de  Sens  et  de  légat 
apostolique,  il  joignit  ses  elTorls  aux  siens  pour  revendiquer  les  droits  du  pontifical  romain  eu 
France  ;  il  avait  l'habitude,  lorsqu'il  émettait  un  avis,  de  l'accompagner  de  cette  condition  :  «  Sauf 
en  tout  le  jugement  du  Siège  apostolique  ».  Il  défendit  aussi  par  écrit  la  même  autorité,  et  mérita 
si  bien  du  Saiut-Siége,  que  saint  Nicolas  le  qualifia  de  «  fidèle  entre  tous  ».  Enfin,  après  avoir  fondé 
des  prières  p  mr  lui  et  pour  ses  parents,  nous  laissant  un  illustre  exemple  de  piété  envers  Dieu  et 
la  sainte  Eglise,  notre  Mère,  accompagné  des  louanges  et  des  bénédictions  des  peuples,  il  s'en  alla 
vers  le  Seigucur  à  un  âge  avancé,  l'an  SSO,  et  fut  enseveli  à  Saint-Lucien.  Sa  fête,  par  la  grâce  et 
la  permission  spéciale  de  Pie  IX,  a  été  étendue  à  tout  le  diocèse  de  Beauvais. 

Saint  Odon  es'  "auteur  de  ces  belles  paroles  sur  les  prérogatives  du  souverain  Pontife  :  «  D'où 
est  donc  venue  à  certains  hommes  la  présomption  de  ne  pas  respecter  l'Eglise  romaine  V  ..  L'anti- 
quité parle  pour  elle.  Noua  voyons  l'autorité  du  Pontife  romain  dominer  entièrement  toutes  les  au- 
tres Eglises,  en  sorte  que  les  évêques  le  tiennent  pour  leur  chef,  et  que,  dans  les  affaires  ecclésias- 
tiques, tout  dépend  de  sa  décision  et  qu'il  est  l'arbitre  de  ce  qui  est  à  réformer  ou  à  sanctionner. 
Nous  voyons  les  autres  évêques  gouverner  exclusivement  leur  diocèse,  mais  le  Pontife  romain  a  été 
chargé,  dès  l'origine,  du  soin  de  toutes  les  Eglises.  C'est  vers  lui  que  toutes  doivent  tourner  leurs 
regards  ;  à  lui  qu'il  appartient  de  régler  les  questions  religieuses,  et  les  décrets  qu'il  adresse  à 
toutes  les  Eglises  du  Christ,  soit  en  Orient,  soit  en  Occident,  sont  reçus  et  observés  par  tous  comme 
des  lois. 

«  Par  conséquent,  conservons  le  respect  en  toute  chose  pour  la  grande  Ville,  et  attachons-nous 
avec  plus  de  soin  que  jamais  à  ne  pas  laisser  diminuer  de  cotre  temps  ce  qui  a  été  si  bien  gardé 
dans  les  temps  anciens...  Car  la  ville  de  Rome  doit  être  plus  honorée  qu'aucune  autre,  et  le  Pon- 
tife romain  a  la  suprématie  sur  tous  les  évêques.  En  sorte  que,  si  la  ville  est  la  reine  des  peuples, 
l'évèqne  qui  la  gouverne  est,  en  vertu  de  la  constitution  primordiale,  le  prince  de  toutes  les  Eglises, 
et  qu'il  en  a  la  sollicitude  incessante,  comme  celle  de  tous  leurs  chefs  ». 

Le  nom  d'Odou  est  resté  attaché  à  la  paroisse  d'Hondainville,  que  les  chartes  latines  nomment 
Hodonis  Villa,  campagne  d'Odon.  Ce  Saint  y  avait  fait  bâtir  une  église  en  l'honneur  de  saint  Lucien. 

Propre  de  Beauvaii, 


SAINT  ARDAING  OU  ARDAN,  ABBÉ  DE  TOURNUS  (1036). 

Ardaing  ou  Ardan,  treizième  abbé  du  monastère  de  Toumus,  succéda  à  Beraier,  mort  Tan  de 

Notre-Seigacur  1028.  Il  était  bien  digne  de  cette  haute  fonction,  lui  qui  avait  méprisé  la  gloire 
terrestre  pour  s'attacher  à  Dieu,  et  qui,  par  l'éclat  de  sa  doctrine  et  la  pureté  de  sa  vie,  mérita 
d'être  appelé  astre  d'or  et  miroir  des  bonnes  œuvres.  Une  famine  de  trois  ans,  qui  commença  en 
1030,  étendant  partout  ses  ravages,  il  distribua  aux  pauvres  des  secours  de  toute  nature,  et  il  en 
sauva  un  grand  nombre  d'une  mort  certaine.  Tout  en  faisant  fleurir,  par  une  sollicitude  vigilante, 
l'observance  régulière  dans  le  monastère,  et  en  travaillant  à  l'œuvre  de  sa  sainteté,  il  sut  aussi 
B'employer  à  restaurer  l'abbaye  et  à  en  accroître  les  bâtiments  et  les  biens. 

Enfin,  comblé  de  mérites  et  ayant  dirigé  très-sagement  ses  frères  pendant  vingt-huit  ans ,  il 
émigra  vers  le  Seigneur  le  11  de  février.  11  fut  enseveli  dans  le  cloître  septentrional,  du  cété  de 
l'église.  Ses  sainles  reliques  furent  levées  quatre-vingt-cinq  ans  après  sa  mort,  le  13  de  juillet; 
elles  furent  illustrées  par  de  nombreux  miracles.  Les  Calvinistes  étant  entrés  i  Tournus  en  1562, 
les  anéantirent.  Néanmoins,  quelques  ossements  du  bienheureux  abbé,  apportés  jadis  à  l'abbaje  de 
Saint-Symphorien,  à  Autun,  conservés  avec  soin  pendant  les  orages  du  xviip  siècle,  et  plus  tard 
reconnus  dans  les  formes,  sont  honorés  tant  dans  l'église  cathédrale  d'Autun  que  dans  l'eglis* 
Bâint-PhiUbert  de  Tournus. 

Fropre  d'Autun, 


470 


12   FÉVRIER. 


SAINT  CONTESTE,  ÉVÊQUE  DE  BAYEUX  (513). 

Conteste,  adonné  à  la  piété  dès  son  enfance,  fuyant  les  mœurs  perverses  de  ses  compatriotes, 
se  relira  au  désert  de  Elade,  près  de  Bayeu\,  où  il  embrassa  la  vie  solitaire,  dcsircuî  de  ne  vaqner 
qu'à  Dieu  seul.  De  toutes  paris,  les  habitants  de  la  campagne  se  réunissaient  autour  de  lui  et,  émus 
de  la  sainteté  de  sa  vie  et  de  l'austérité  de  sa  pénitence,  s'enquéraient  auprès  du  saint  ermite  com- 
ment ils  pourraient  acquérir  la  vie  éternelle,  et  se  convertissaient  à  Dieu  de  tout  leur  cœur.  Après 
quelques  ^innées  passées  dans  la  solitude,  il  brilla  par  beaucoup  de  vertus,  et,  appelé  par  les  vœux 
de  tous,  il  fut  mis  à  la  place  de  l'évèque  de  Bayeux,  qui   venait  de  mourir. 

Dans  cette  charge,  ne  relâchant  rien  de  l'austérité  de  son  ancien  genre  de  vie  et  de  sa  piété 
accoutumée,  il  remplit  le  rôle  d'un  prélat  excellent.  Préoccupé  du  salut  de  son  troupeau,  il  fit  re- 
noncer beaucoup  de  païens  au  culte  des  idoles;  la  douceur  de  son  éloquence  pénétrait  si  puissam- 
ment les  cœurs,  qu'il  ramenait  les  plus  obstinés  du  vice  à  la  vertu.  Il  rendit  la  vue  à  deux 
aveugles  par  l'invocation  du  nom  du  Christ.  Enfln,  après  s'être  attiré  l'amour  de  tous  par  sa  sainte 
tie  et  par  sa  paternelle  affection,  il  s'en  alla,  comblé  de  mérites,  vers  le  Seigneur.  Des  églises  et 
des  autels  furent  consacrés  à  sa  mémoire  (vers  le  commencement  du  vi»  siècle). 

Par  l'ordre  de  Henri  II,  duc  de  Normandie,  et  en  sa  présence,  Henri,  cardinal-prètre,  légat  du 
pape  Alexandre  Ul  en  France,  vint  à  Fécamp,  accompagné  de  Philippe  d'Ilarcourt,  évèque  de 
Bayeux,  et  d'Arnnlfe,  évèque  de  Lisicux  ;  il  transféra  au  même  lieu  le  corps  de  saint  Conteste,  qui 
avait  été  levé  de  terre  au  diocèse  de  Bayeux,  et  le  plaça  avec  plusieurs  autres  corps  de  Saints  der- 
rière le  grand-autel.  L'an  de  Notre-Seigneur  1857,  a  été  ouverte  la  châsse  de  mai-bre  dans  laquelle 
étaient  renfermées  les  précieuses  reliques,  et  l'archevêque  de  Rouen  nous  a  rendu  un  os  du  péroné, 
comme  gage  de  l'aiîection  mutuelle  qui  a  uni  de  tout  temps  notre  église  à  la  métropole. 

Propre  de  Bayeux, 


Xir  JOUR  DE  FÉVRIER 


MARTYROLOGE   ROMAIN. 

A  Barcelone,  en  Espagne,  sainte  Eulalie,  vierge,  qui,  sous  l'empereur  Dioelétien,  ayant  d'abord 
«oufTert  le  chevalet,  les  ongles  de  fer  et  les  flammes,  fut  enfm  attachée  à  une  croix,  et  reçut  la 
glorieuse  couronne  du  martyre.  30'».  —  A  Carthage,  les  saints  martyrs  Modeste  '  et  Julien.  —  A 
Bénévent,  saint  .Modeste,  diacre  et  martyr.  —  A  Alexandrie,  les  saints  Modeste  et  Ammone,  enfants  *. 
—  A  Antioche,  saint  Mélèce,  évèque,  qui,  ayant  plusieurs  fois  soulTert  l'exil  pour  la  foi  catholique, 
termina  sa  vie  à  Constantinople,  et  s'envola  dans  le  sein  de  Dieu.  Saint  Chrysostome  et  saint  Gré- 
goire de  Nice  ont  honoré  ses  vertus  par  de  grandes  louanges.  381.  —  A  Constantinople,  saint 
Antoine,  évèque,  qui  llorissail  au  temps  de  l'empereur  Léon  VI.  893.  —  A  Vérone,  saint  Cjuilens, 
évèque  et  confesseur'.—  A  Longobardi,  en  Calibre,  le  bienheureux  Nicolas  Longobardi.  11U9. 


1.  Saint  îlodeste  do  Carthage  est  patron  de  Carthagfene,  en  Espagne. 

2.  Trois  Saints  du  nom  de  MoJeste  aujourd  liuî.  Baronius  remarque  îi  ce  propos  qne  cette  rénnion 
de  plusieurs  Saints  du  même  nom  dans  le  mcme  jour,  re'union  assez  fréquente  dans  les  martyvoloiîes,  vient 
de  ce  que  les  jours  de  quelques-uns  de  ces  Saints  étaient  inconnus  et  que  les  martyrologistes,  ne  voulant 
pas  exclure  ces  Saints  et  étant  embarrassés  pour  le  choix  du  jour,  se  décidaient  à  les  mettre  le  même 
jour  que  le  Saint  dont  le  jour  était  connu.  Il  cite  l'exemple  de  sainte  Colombe  de  Cordoue,  dont  la  fêto, 
tant  que  son  jour  fut  Ignoré,  se  célébra  le  même  jour  que  celle  de  sainte  Colombe  de  Sens. 

8.  Epoque  Inconnue.  Cf.  Acta  Saricionan. 


MARTIROLOGES.  i~  I 


MARTYROLOGE    DE    FRANCE,    REVU   ET  ADGMESTE. 

A  Paris,  saint  Jclien  l'Hospitalier.  —  Dans  l'ile  de  Ré,  saint  Basile,  vulgairement  appelé 
sawil  Vêle,  moine,  v  s.  —  A  Landevenec,  en  Bretagne,  saint  Rioc,  religieux,  qui  ressuscita  sa 
mère  en  Taspergeant  avec  de  l'eau  qu'avait  bénite  son  maître  saiot  Guénolé.  vi'  s.  —  .\  Baycui, 
fêle  de  saint  Evroull,  abbé,  originaire  de  cette  ville.  Après  avoir  vécu  à  la  cour  des  rois  Clovis  II 
etClolaire  III,  il  rompit,  du  consentement  de  sa  femme,  les  liens  qui  le  retenaient  dans  le  siècle; 
il  se  retira  dans  le  monastère  des  Deux-Jumeaux,  situé  au  diocèse  de  Bayeui,  lequel  venait  d'èlre 
fondé  par  saint  .Martin  de  Verlou  avec  les  biens  des  deux  frères  jumeaux  qui  prirent  l'babit.  La 
vénération  que  lui  attiraient  ses  vertus,  alarmant  son  humilité,  il  alla  se  cacher  dans  la  forêt 
d'Ouche,  au  diocèse  de  Lisieux,  où  il  fonda  la  célèbre  abbaye  qui  prit  son  nom  dans  la  suite. 
Il  mourut  le  29  décembre  707  à  l'âge  de  quatre-vingts  ans.  (Nous  donnerons  sa  vie  an  29  décem- 
bre.) —  A  Trêves,  sainte  Gérasine,  reine,  que  l'on  lient  avoir  été  tante  de  sainte  Ursule.  —  A 
Tours,  la  fètc  de  saint  Léobard  ou  Liberl,  dont  le  martyrologe  romain  fait  mention  le  18  jan- 
vier •.  —  A  Tarbes,  la  fête  de  saint  Galactoire,  évèque  de  Lescar  et  martyr;  son  entrée  au 
ciel  est  marquée  le  27  juillet  au  martyrologe  de  France.  Vers  507.  —  .^  Nordheim,  en  Alsace, 
près  lie  Strasbourg,  saint  Ludan  ou  Loldain,  confesseur.  1202.  —  A  Paris,  le  bienheureux 
Quialilicn,  confesseur,  que  saint  Oaen  qualifie  d'abbé  dans  la  vie  de  saint  Eloi.  Son  corps  s'est 
gardé  longtemps  dans  l'église  de  Saint-Paul  de  cette  ville.  Vers  669.  —  Au  diocèse  de  Périgueox, 
saint  Eumache  ou  Chamassi;  il  mourut  dans  la  paroisse  qui  porte  son  nom  près  de  Bugue*.  —  A. 
Clermont,  fêle  de  saint  Didier,  évèque  de  ce  siège  illustre  :  il  succéda  à  saint  Avite  I"  :  son  corps  fut 
enseveli  dans  l'église  de  Saiut-Allyre  où  une  chapelle  lui  était  autrefois  dédiée.  —  A  Alby,  la  fête  de  la 
première  et  de  la  seconde  invention  des  reliques  de  sainte  Cécile  et  de  ses  compagnons  '. 

M.4UTYR0L0CES   DES    ORDRES   RELIGIEUX. 

Martyrologe  de  Snirtt-Basile.  —  A  Antioche,  saint  Mélèce,  évèque,  de  l'Ordre  de  Saint-Basile. 

Martyrologe  des  Camatdules.  —  X  Balnei,  en  Toscane,  la  bienheureuse  Jeanne,  vierge,  reli- 
gieuse camaldule,  illustre  par  sa  naissance  et  par  sa  vertu. 

Martyrologe  de  Vallombreuse.  —  Saint  Jean  de  Matha,  confesseur,  dont  il  est  fait  mention 
le  S  février. 

Martyrologe  de  Cileaux.  —  En  Bourgogne,  au  monastère  des  religieuses  bénédictines  de 
Juilley,  sainte  Hombeline,  sœur  de  notre  bienheureux  père  saint  Bernard,  par  qui,  ayant  été  dé- 
tournée des  vanités  et  des  délices  mondaines,  elle  fit  de  grands  progrès  dans  la  voie  de  la  grâce, 
et  s'endormit  saintement  dans  le  Seigneur,  son  décès  ayant  été  précédé  et  suivi  de  grands  mira- 
cles. 1092.  —  21  août  1141. 

Martyrologe  de  la  très-sainte  Trinité.  —  Saint  Raymond  de  Pennaforl,  confesseur,  men- 
tionné le  23  janvier. 

Martyrologe  de  l'Ordre  Romano-Séraphique.  —  Saint  Pierre  Nolasque,  confesseur,  qui  s'en- 
dormit daus  le  Seigneur  le  25  janvier. 

Martyrologe  de  VOrdre  Séraphique.  —  La  bienheureuse  Louise  d'Albertone,  veuve,  du  Tiers 
Ordre  de  Saint-François,  illustre  par  sa  vie  et  par  ses  miracles,  qui  s'endormit  dans  le  Seigneur 
le  31  janvier,  à  Rome  *. 

Martyrologe  des  Carmes  Déchaussés.  —  A  Alexandrie,  sainte  Euphrosyne,  vierge,  de  l'Ordre  des 
Carmélites,  qui  émigra  de  ce  monde  vers  son  Epoux,  brillante  de  ses  vertus,  le  1='  janvier  5.  — 

1.  Voyez  ce  jour.  —  3.  Voir  an  9  fiÎTTier.  —  3.  Voir  an  22  Dovembre.  —  4.  Voir  sa  aotice  aa  31  janvier. 

5.  Les  reliques  do  sainte  Euphrosyne,  apportées  de  Palestine  par  Louis  le  Jenne,  étaient  aatrefoîs  & 
Saint-Jcan-aus-Bois  et  à  Royal-Lieu,  diocèse  de  Beanvais.  M.  Bonville,  curé  de  Saint-Germain,  à  Hoyal- 
Lien,  nons  écrivait  de  Corapiègne,  le  14  mal;  1S72  ; 

I  L'abbaye  de  Saint-Jean-anx-Bois  a  coraplêtement  disparn,  à  l'esception  d'une  portion  d'an  cloître, 
dont  les  voites  sont  admirables,  et  qui  a  été  converti  en  écurie,  et  d'un  rsste  d'habitation  aujourd'hui 
occupé  par  un  particulier.  L'église  du  xiij*  siècle  sert  d't^glise  paroissiale.  Elle  est  magnifique,  au  rang 
des  monuments  historiques,  et  le  gouvernement  l'entretient  autant  qnc  possi'ole. 

•  L'a'ub..ye  de  Royal-Lien,  hameau  de  ma  paroisse,  également  rasée,  à  rerccption  du  logement  de  l'ah- 
besse,  occupé  aujonrahui  par  un  propriétaire,  n'a  pas  conservé  trace  de  son  ^lise.  L'enclos  de  l'abbaya 
est  en  ciiltnn;.  J'ignore  ce  que  sont  devenues  les  reliques  de  sainte  Euphrosyne  qui  était  honorée  dans 
l'église  de  ladite  abbaye  et  dont  la  statue  a  été  apportée  i  la  Révolution  dans  la  chapelle  de  Notre-Dame 
de  Bon-Secours  qui  se  trouve  dans  ma  paroisse. 

•  Les  plus  belles  pierres  tombales  de  cette  église  servent  aujourd'hui  do  dallage  à  celle  de  Saint-Ger- 
main. Quant  ans  reliques  que  possédait  cette  abbaye,  je  ne  sache  pas  qu'aucune  ait  été  conservée,  si  ca 
n'est  le  bois  de  la  vraie  croix  dont  l'égli<e  de  Saint-Jacques  de  Compi'cgne  est  on  possession. 

o  La  chapelle  de  Notre-Dame  de  Bon-Secours,  dont  je  parle  plus  haut,  a  été  bâtis  en  1637  par  la  villa 
de  Compiègne,  en  exécution  d'nn  vœn  qu'elle  fit  "a  l'occasion  de  la  peste  qui  la  décima  en  1636.  Louis  Xltl 


472  12  FÉvniER. 

Saint  Denys,  pape  et  confesseor,  de  l'Ordre  des  Cannes,  dont  la  naissance  au  ciel  se  trouve  rap- 
portée le  26  janvier. 

ilnytyrotuje  de  Sniiit-Aiigutin.  —  A  Aquila,  dans  les  Abruzzes,  la  bienlieureuse  Cdristine, 
religieuse  de  notre  Ordre,  illustre  par  la  pureté  de  ses  mœurs  et  par  la  coutinuelle  uiorlilication  de 
son  corps.  1543. 

M.rlyiologe  des  Capucins.  —  Saint  Rouiuald,  abbé,  dont  la  ftte  se  célèbre  le  7  de  Tévrier, 
â*us  l'Eglise  universelle,  et  chez  nous  aujourd'hui. 

ADDITIONS   FAITES   D'APUÈS   LES   BOLLANDISLES  ET  AUTRES   UAGIOGRAPHES. 

A  Crescia.  les  saints  Valérien,  Valentin  et  Saprute,  martyrs,  sous  le  règne  d'Adrien.  —  A  Car- 
thage,  sjint  Modeste  et  sainte  Posinna,  martyrs. —  A  Salamaiique,  en  Espagne,  saint  Damien,  martyr 
romain,  dont  le  corps,  retrouvé  dans  le  cimetière  de  Saint-Calixte,  fut  donné  à  l'Eglise  de  cette 
ville  par  L'rbjin  VIII.  —  A  Séville,  en  Espagne,  les  saints  Macaire,  Rufin,  Juste,  muilyrs.  Proba- 
blement sous  Dioclélien.  —  A  Cambrai,  saint  lli|ipolyte,  martyr  romain,  dont  les  rellcpies  furent 
données  en  1050  au  monastère  du  Saint-Sépulcre  de  celle  ville  —  A  Anvers,  saiul  Kloie,  martyr 
roma.n.  retrouvé  dans  le  cimetière  de  Sainle-Agnès  el  donné  à  cette  ville  en  1032.  —  A  Bre-cia, 
saint  Constance,  qui  bàtil  à  Conches,  près  de  cette  ville,  une  église  et  un  couvent  de  religieuses. 
—  En  Angleterre,  saint  Etliehvold,  évèqiie  de  Lindisfarne.  '740.  —  A  Albenga,  en  Ligurie.  saint 
Benoil.  évoque.  900.  —  A  Turin,  saint  Goslin,  abbé  du  monastère  de  Saint-Soluteur,  près  de  celle 
ville.  Vers  tOGI.  Ses  reliques  furent  relevées  en  1412.  Lorsque,  en  1536,  on  dut  démolir  le  mo- 
nastère de  Saint-Soluteur,  les  corps  de  saint  Coslin,  de  sainte  Julienne,  fondatrice  de  ce  monastère, 
et  de  trois  martyrs,  furent  transportés  dans  la  chapelle  de  la  Consolation  à  l'église  Saint-André,  où 
ils  restèrent  jusqu'en  l'année  1575,  époque  à  laquelle  ils  furent  donnés  aux  jésuites,  et  par  eux 
placées  dans  leur  chapelle  dédiée  à  saint  Soluteur,  à  saint  Adventeur  et  à  saint  Octave.  —  A  Kiew, 
en  Russie,  saint  Alexis,  archevêque.  1364. 


SAINTE  EULALIB  DE  BARCELONE, 

VIERGE  ET  MAKHRE 
304.  —  Pape  :  Saint  Marcellin.  —  Empereur  romain  :  Dioclétien. 


Méditons  ces  paroles  du  Sauveur  :  «  Ne  crui^iiez  pas 
ceux  qui  donnent  la  mort  au  corps;  crai^'ticz  da- 
vantage Celui  qui  envoie  le  corps  et  l'unie  en 
enfer  »,  —  Matih.^  x,  28  —  et  alors  notre  foi  scr» 
intrépide,  comme  celle  de  sainte  Eulalie. 

Née  à  Barcelone,  en  Calalogne.de  parents  favorisés  de  tous  les  dons  de  la 
fortune,  Eulalie  fut  chrétienne  dès  son  enfance,  et  montra,  pendant  le 
temps  de  son  adolescence,  une  inclination  prononcée  pour  la  vertu  :  à  peine 
âgée  de  quatorze  ans,  elle  était  déjà  mûre  pour  le  ciel. 

Cille  jeune  héroïne  haliitait  une  campatjne,  non  loin  Je  la  cité,  avec  ses 
parents,  quand  on  appiit  l'arrivée  à  Barcelone  d'un  émissaire  des  empe- 
reurs Dioclétien  et  Alaximien,  ces  farouches  persécuteurs  des  disciples  de 
Jésus-Christ.  Cet  homme  était  le  barbare  Dacien,  qui  fil  ruisseler  en  Espagne 
le  sang  des  martyrs.  La  jeune  Eulalie  éprouva  un  frisson  de  crainte  pour 
l'avenir  de  tant  d'âmes,  qui  allaient  être  tourmentées,  mais  aussi  un  tres- 
saillement intérieur  d'une  certaine  joie  divine,  qui  semblait  lui  annoncer  un 

y  renouvela  en  personne,  le  8  septembre  1638,  sa  consécration  à  la  Sainte  Vienne.  Desservie  Jusqo'îi  1a 
Eévolutton  par  les  l'ères  Capucins,  et  depuis  par  des  prêlrcs  séculiers,  elle  est  i'olijct  d'un  pîîlerinn  :o  cé- 
lèbre qui  coQiuieiicc  le  25  mars  et  dure  n'-nf  jours  ■. —  V.  la  vie  de  salate  Euphrosyne,  t.  1er,  p.  24. 


SAINTE   EULALIE  D£   BARCELOSE,   TŒIIGE  ET  MAUTTRE.  473 

triomphe  ;  son  front,  en  effet,  allait  être  ceint  pour  l'éternité  de  la  doublo 
couronne  de  la  virginité  et  du  marl\Te. 

Brûlée  d'un  ardent  désir  de  l'endurer  pour  la  confession  de  la  foi,  d'y  en- 
courager les  Gdèles,  d'y  soutenir  les  faibles,  elle  forma  le  dessein,  sous  l'ins- 
piration d'une  charité  naïve,  de  se  présenter  elle-même  au  tyran.  Un  matin 
donc  elle  s'échappa  de  la  maison  paternelle,  vint  à  la  ville,  et  alla  droit  au 
tribunal  de  Dacien.  Cette  jeune  vierge,  dans  sa  beauté  naissante,  étonna  le 
tigre  altéré  de  sang,  qui  Caira  aussitôt  une  proie  digne  de  sa  brutalité.  «  Qui 
es-tu,  jeune  flllei),lui  dit  d'un  ton  doucereux  le  proconsul,  «  et  que  veux-tu?» 

—  «  Je  veux  te  reprocher  ta  conduite  cruelle  envers  d'innocentes  victimes». 

—  «  Mais  qui  donc  es-tu,  pour  me  parler  ainsi  ?»  —  «  Je  suis  chrétienne  ». 

—  «  N'insulte  pas  en  moi  l'autorité  des  divins  empereurs  ».  —  «  Je  suis 
chrétienne,  et  je  méprise  les  idoles».  —  «Il  faut  offrir  de  l'encens  à  nos 
dieux  immortels  ».  —  «  J'adore  le  vrai  Dieu,  moi,  et  je  hais  tes  dieux  misé- 
rables » . 

Dacien,  voyant  l'extrême  jeunesse  de  cette  fillette,  crut  n'avoir  qu'à  se 
moquer  d'elle,  en  lui  faisant  infliger  un  humiliant  supplice.  Il  ordonna  de  la 
placer  sur  les  épaules  d'un  de  ses  satellites,  qui  la  promena  dans  les  rues, 
tandis  qu'un  autre,  lui  relevant  sa  robe,  à  la  façon  des  enfants  qu'on  veut 
corriger,  la  fustigeait  avec  une  verge  d'un  bois  flexible.  Loin  de  se  sentir 
humiliée,  la  sainte  enfant  se  montra  toute  glorieuse  d'un  supplice  enduré 
pour  son  Dieu,  et  les  fidèles  louaient  hautement  le  Seigneur  de  son  adinii-a- 
ble  contenance.  Quand  le  juge  insolent  vil  qu'il  ne  gagnait  rien  à  ce  jeu 
cruel,  el  qu'il  avait  affaire  à  une  personne  d'une  force  d'âme  au-dessus  de 
son  âge,  il  changea  de  tactique,  et,  transporté  de  colère  de  se  voir  bravé  par 
une  aussi  frêle  créature,  il  la  fit  dépouiller,  mettre  au  chevalet,  déchirer  avec 
les  ongles  de  fer  et  les  peignes  d'acier,  et  brûler  avec  des  torches  ardentes. 

Comme  l'intrépide  jeune  fille,  aidée  de  la  grâce  d'en  haut,  se  moquait  de 
SCS  bourreaux  et  de  son  juge,  en  riant  de  leur  impuissance  à  la  dompter,  la 
tyran  la  fit  jeter  dans  une  cuve  d'eau  de  chaux  vive,  où  l'on  versa  de  l'huila 
bouillante  et  du  plomb  fondu  sur  ses  membres  délicats.  L'incomparable 
vierge  ne  cessa,  au  milieu  de  ces  horribles  tourments,  d'invoquer  le  Sei- 
gneur, avec  une  allégresse  qui  brillait  sur  son  visage  et  dans  ses  yeux.  Son 
corps  souffrait  ;  mais  les  délices  de  son  âme  surpassaient  les  douleurs  du 
corps. 

Honteux  et  confus  de  sa  défaite,  furieux  à  la  pensée  de  la  contagion 
qu'allait  répandre  un  tel  exemple  d'héroïsme,  Dacien  ordonna  de  laisser 
Eulalie  attachée  à  une  espèce  de  croix  :  la  pauvre  enfant  n'y  demeura  pas 
longtemps  suspendue  ;  les  tourments  affreux  qu'elle  avait  endurés  avaient 
épuisé  ses  forces  :  elle  expira  heureusement,  et  les  assistants  virent  son  âme 
s'échapper  de  ses  lèvres,  sous  la  forme  d'une  blanche  colombe,  qui  s'envola 
vers  le  ciel.  Ce  glorieux  martyre  eut  lieu  le  12  février  de  l'an  304. 

Le  corps  virginal  de  la  jeune  héroïne  fut  laissé  en  proie  aux  bêtes  car- 
nassières, mais  il  fut,  dans  la  nuit,  enseveli  sous  la  neige,  et  les  chrétiens 
purent  ensuite  l'en  retirer,  et  lui  donner  une  sépulture  convenable.  Il  lut 
levé  de  terre  en  878,  transporté  en  l'église  de  la  Sainte-Croix,  et  plus  tard, 
en  1287,  dans  une  magnifique  chapelle  élevée  en  son  honneur. 

Sainte  Eulalie  est  la  patronne  principale  de  Barcelone.  Il  y  a  plusieurs 
villages  et  plusieurs  églises  de  son  nom  dans  la  Guyenne  et  le  Languedoc. 
Elle  est  très-populaire  dans  tout  le  midi  de  la  France. 

En  372  environ,  la  reine  Brunehaut  envoya  en  Espagne  saint  Elaphe, 
évêque  de  Châlons-sur-Marne,  pour  avoir  des  reliques  de  sainte  Eulalie.  De 


474  12  FÉVRIER. 

cette  époque  date,  sans  doute,  le  pèlerinage  de  Sainte-Eulalie  à  Corrobert, 
dans  le  canton  de  Montmirail.  Ce  pèlerinage,  très-célèbre  autrefois,  n'existe 
presque  plus  que  de  nom  ;  la  chapelle  a  été  démolie  ;  une  source  miracu- 
leuse seule  a  résisté  et  continue  de  présenter  son  eau  bienfaisante  aux  rares 
pèlerins  qui  vionncnt  s'y  abreuver.  Des  personnes  pieuses  ont  sauvé  la  statue 
de  la  Sainle  pendant  la  tourmente  révolu Lionnaire  et  l'ont  transportée  dans 
l'église  paroissiale  de  Corrobert  où  on  la  vénère  encore. 

On  la  représente  avec  une  palme,  une  croix  à  la  main  ou  en  sautoir, 
pour  rappeler  le  genre  de  supplice  qui  termina  sa  vie  et  la  distinguer  ainsi 
de  sainte  Eulalie  de  Mérida  '. 

Cette  Sainte  a  différents  noms,  selon  la  diversité  des  pays.  On  rappelle  sainte  Eulalie.  saiiUc  OÎ.".:ra 
on  Aulairc,  sainte  Olacie,  sainte  OcctUe,  sainte  Olaille,  sainte  Aulasie.  etc.  C'est  sans  fondement  r;uû 
Vincent  de  Bcauvais  l'a  prise  pour  sainte  Eulalie  de  Mérida  dont  parle  Prudence.  Ce  sentiment  est  co:'.- 
traire  à  la  tradition  des  églises  d'Kspagne.  D'ailleurs,  ces  deu^c  Saintes  sont  distluguées  l'une  de  l'aut^'A 
dans  le  missel  mozarabique  et  dans  les  martyrologes  de  saint  ,Térùme,  d'Adon,  d'Usuard,  etc. 


SAINT  MELEGB,  SURNOMME  LE  GRAND, 

PATRIARCHE  D'ANTIOCHE 

381.  —  Pape  :  saint  Damase.  —  Empereur  :  TUéodose,  le  Grand. 

J'ai  vn  les  prévaricateurs  et  j'ai  séché  de  donlcnr, 
parce  que,  ô  mon  Dieu,  ils  n'observaient  pas  voîn 
parole.  Ps.  cxviii. 

Durant  les  trois  premiers  siècles,  l'Eglise  fut  persécutée  par  les  juifs  et  les 
pa'iens  ;  et  ces  persécutions  ont  coûté  la  vie  à  des  milliers  de  chrétiens  ;  du 
moins  leur  âme  n'éprouva-t-elle  aucune  atteinte.  Mais  à  peine  la  paix  exté- 
rieure fut-elle  enQn  solidement  établie  dans  l'Eglise,  qu'il  surgit  dans  son 
sein  une  formidable  hérésie,  qui  lui  enleva  un  nombre  d'âmes  très-considé- 
rable :  l'arianisme. 

Un  prêtre  nommé  Arius  se  mit  à  enseigner  que  Jésus-Clirist  n'est  pas 
Dieu,  mais  seulement  la  plus  haute  et  la  plus  noble  des  créatures.  En  peu 
de  temps,  cet'.;:  doctrine  hérétique  se  répandit  avec  la  rapidité  de  l'éclair  : 
l'empereur,  et  môme  des  évêques  et  beanc-'up  de  prêtres  la  partagèrent,  et 
ils  persécutèrent  ceux  qui  continuèrent  à  croire  en  la  divinité  de  Jésus- 
Christ,  ce  qui  était  la  vraie  foi. 

Ûr,  il  y  avait  en  ce  temps-là  un  prêtre  catholique  du  noai  de  Mélèce,  qui 
fut  élu  évêque  d'Anlioche,  ce  siège  qui  fut  plus  tard  illustré  par  saint  Jean 
Chrysostome.  Cette  ville  surtout  avait  été  infestée  par  l'hérésie.  Les  Ariens, 
espérant  que  Mélèce  serait  des  leurs,  allèrent  à  sa  rencontre,  avec  les  catho- 
liques, quand  il  vint  prendre  possession  de  son  siège  épiscopal,  et  ils  ne 
témoignèrent  pas  moins  de  joie  et  de  respect  que  ceux-ci.  Après  sa  mort, 
saint  Grégoire  de  I\yssc  et  saint  Chrysostome  ont  prononcé  chacun  un  pané- 
gyrique qui  nous  fait  bien  connaître  ce  saint  évCque  et  la  pureté  de  sa  foi. 

Saint  Mélèce  était  de  Mélitène,  ville  de  la  petite  Arméuie  ;  issu  d'une 
des  plus  nobles  familles  du  pays,  il  était  instruit  et  vertueux.  Il  fut  élu  d'a- 

1.  Voir  au  ]i)  décembre. 


I 


SAE4T   MÉLÉCE,   PATRIARCHE  D'ANTIOCIIB.  475 

bord  évoque  de  Sébaste,  pour  succéder  à  Eustathe,  semi-arien,  que  les 
Ariens  avaient  déposé  dans  un  concile  tenu  à  Constantinople,  en  360.  Cette 
élection  faite  par  les  Ariens  fit  quelque  temps  douter  de  la  pureté  de  la  foi 
de  Méli^ce.  Il  essaya  de  remplir  ses  fonctions  d'évèque,  mais  son  peuple 
était  indisciplinable.  Il  fut  obligé  de  l'abandonner  et  de  vivre  dans  la  soli- 
tude. Il  se  retira  plus  tard  à  Bérée,  en  Syrie.  Depuis  l'exil  de  saint  Eustathe 
(331),  l'église  d'Antioche  était  dans  l'état  le  plus  déplorable  :  elle  n'avait  ea 
pour  évoques  que  des  intrus  ou  des  ariens.  Après  la  déposition  d'Eudoxe, 
l'un  d'entre  eus,  Mélèce,  fut  élevé  au  patriarcat  d'Antioche,  où,  comme 
nous  l'avons  déjà  dit,  il  fut  reçu  aux  applaudissements  des  catholiques  et 
des  Ariens;  car,  d'une  part,  les  Ariens  croyaient  qu'il  était  de  leur  opinion, 
et,  d'autre  part,  les  catholiques  connaissaient  que  sa  foi  n'était  pas  moins 
pure  que  sa  vie  était  sainte.  Cette  élection  fut  confirmée  par  l'empereur 
Constance,  qui,  au  retour  de  la  guerre  des  Perses,  était  venu  à  Antioche,  et 
on  en  dressa  un  acte  signé  des  catholiques  et  des  Ariens,  qu'on  mit  entre  les 
mains  d'Eusèbe,  évoque  de  Samosate,  saint  prélat  et  généreux  défenseur  de 
la  vérité. 

Des  qu'il  se  vit  sur  le  siège  patriarcal  (361),  il  se  crut  obligé  de  fortifier 
les  orthodoxes  dans  la  vraie  foi  et  de  combattre  les  erreurs  des  hérétiques. 
Pour  rendre  les  esprits  des  uns  et  des  autres  plus  capables  de  la  same  doc- 
trine, comme  il  était  extrêmement  éloquent,  il  commença  parleur  prêcher 
la  réforme  des  mœurs,  en  leur  montrant  la  beauté  de  la  vertu  et  la  laideur 
du  vice.  Chacun  était  dans  l'impatience  de  savoir  pour  qui  il  se  déclarerait 
touchant  la  doctrine  ;  on  le  sut  bientôt  :  l'empereur  lui  ordonna,  à  lui  et  à 
quelques  autres  évèques,  d'expliquer  ces  paroles  de  l'Ecriture,  dont  les 
Ariens  abusaient  pour  ruiner  la  consubstantialilé  du  Fils  de  Dieu  :  «  Le 
Seigneur  m'a  créé  au  commencement  de  ses  voies  '  ».  L'on  mit  même  des 
personnes  pour  écrire  mot  à  mot  tout  ce  qu'il  dirait.  Alors  Mélèce  fit  voir 
si  clairement  quelle  était  la  vérité  catholique,  que  tout  le  monde  l'applaudit. 
Mais  l'archidiacre  de  son  église,  qui  était  arien,  ayant  eu  l'insolence  de  lui 
fermer  la  bouche  avec  la  main,  pour  l'empêcher  de  continuer  à  parler,  il 
expliqua  par  signes  ce  que  sa  langue  ne  pouvait  plus  dire  ;  car,  après  avoir 
montré  aux  peuples  trois  doigts,  il  en  plia  deux,  afin  que,  n'en  restant  plus 
qu'un,  il  fît  connaître  qu'il  y  avait  trois  personnes  qui,  étant  égales,  ne  fai- 
saient ensemble  qu'un  seul  Dieu. 

Celte  généreuse  profession  de  foi  fut  cause  de  son  exil,  car  les  Ariens, 
sectaleurs  d'Eudoxe,  intrus  sur  le  siège  de  Constantinople,  après  avoir  été 
déposé  de  celui  d'Antioche,  voulurent  faire  passer  Mélèce  pour  un  Sabel- 
lien,  el  en  persuadèrent  si  bien  l'empereur,  qu'il  le  relégua  en  Arménie  ; 
mais  on  fut  contraint  de  le  faire  sortir  durant  la  nuit,  à  cause  de  la  grande 
affection  que  le  peuple  lui  portait  :  il  n'y  avait  qu'un  moisqu'il  était  patriar- 
che. Eusèbe,  qui  avait  l'acte  de  cette  élection,  ainsi  qu'il  a  été  dit,  se  relira 
en  son  évêché;  mais  Constance,  à  la  sollicitation  des  Ariens,  qui  craignaient 
que  cet  acte  ne  leur  préjudiciât,  envoya  un  courrier  après  lui,  avec  ordre 
de  le  menacer  de  lui  couper  la  main  droite,  s'il  refusait  de  le  rendre.  Ce 
généreux  prélat  ayant  lu  la  lettre  du  prince,  présenta  non-seulement  la 
main  droite,  mais  aussi  la  gauche,  pour  être  coupées,  en  disant  :  «  Je 
ne  rendrai  jamais  cet  écrit,  qui  convainc  les  Ariens  d'une  malice  manifeste  n. 

L'empereur  Constance  étant  mort  d'apoplexie  (361),  après  avoir  malheu- 
reusement abandonné  la  foi  du  grand  Constantin,  son  père,  Julien  l'Apos- 
tat, qui  se  rit  seul  maître  de  l'empire,  pour  mieux  rétablir  l'idolâtrie,  permit 

l.  PrOT.  vm,  n. 


476  12  FÉVRIEIl. 

l'exercice  de  toutes  sortes  de  religions,  et  rappela  tous  les  évêques  exilés 
par  Constance  ;  Mélèce  revint  donc  à  Antioche,  qu'il  trouva  pleine  de  divi- 
sions, môme  entre  les  catholiques  ;  car  les  uns,  appelés  Miiédens,  étaient 
restés  fidèles  à  saint  Mélèce  ;  mais  les  autres  ne  voulaient  pas  se  rattacher  à 
son  élection,  à  laquelle  avaient  participé  les  Ariens.  Ils  continuèrent  les 
assemblées  qu'ils  tenaient  depuis  la  mort  de  saint  Eustathe  ;  de  là  leur  nom 
à'Eustathiens.  Ils  élurent  pour  leur  évoque  Paulin,  qui  fut  sacré  par  Lucifer 
de  Cagliari.  Ce  schisme  dura  quatre-vingt-cinq  ans  dans  l'Eglise  d'Antioche. 
Mélèce  ne  jouit  pas  longtemps  de  son  rappel.  Julien,  trouvant  en  lui  un 
trop  fort  obstacle  au  rétablissement  du  paganisme,  le  chassa  une  seconde 
fois  de  son  siège,  et  le  renvoya  en  exil. 

Mais,  quelque  temps  après,  ce  prince  apostat  ayant  été  tué  dans  la 
guerre  contre  les  Perses,  tous  les  soldats  jetèrent  les  yeux  sur  Jovien  qui 
était  chrétien  et  catholique,  protestant  qu'ils  avaient  la  môme  croyance 
dans  le  cœur,  et  que  la  seule  crainte  de  Julien  était  cause  qu'ils  avaient  fait, 
en  apparence,  profession  du  paganisme.  Ce  pieux  empereur  commença  son 
règne  par  faire  la  paix  avec  les  Perses,  afin  de  ne  plus  penser  qu'à  l'avance- 
ment de  la  religion  chrétienne.  Pour  cet  effet,  dès  qu'il  fut  de  retour,  il  fit 
fermer  les  temples  des  faux  dieux,  défendit  le  culte  des  idoles  et  rappela 
les  évoques  exilés.  Ainsi  Mélèce  fut  rétabli  sur  son  siège  (363).  Jovien,  qui 
reconnut  la  vertu  du  saint  Patriarche,  en  fit  une  estime  toute  particulière, 
et  l'honora  comme  un  insigne  défenseur  de  la  foi.  Les  Ariens,  dont  Acace 
était  le  chef,  en  furent  consternés.  Suivant  la  maxime  des  hérétiques,  qui 
se  règlent  selon  la  faveur  dont  ils  jouissent  auprès  des  puissances  séculières, 
ik  eurent  recours  à  l'hypocrisie  ;  ils  souscrivirent,  dans  un  synode  que  Mé- 
lèce tint  à  Antioche,  à  une  formule  de  foi  que  saint  Athanase  avait  donnée 
i  l'empereur,  et  ainsi  feignirent  à  l'extérieur  d'embrasser  la  doctrine  du 
concile  de  Nicée  touchant  la  consubstanlialité  du  Fils  avec  le  Père. 

L'on  pouvait  beaucoup  espérer  du  zèle  d'un  si  pieux  empereur,  lorsque, 
huit  mois  après  être  monté  sur  le  trône,  il  fut  étouffé  par  la  vapeur  du 
charbon  qu'on  avait  allumé  dans  sa  chambre.  Ce  fut  une  grande  perte  pour 
l'Eglise,  car  Valentinien,  ayant  été  élevé  à  l'empire  en  sa  place,  s'associa 
Valens,  son  frère,  qui  ne  fut  guère  longtemps  catholique  ;  sa  femme  étant 
arienne,  il  se  fit  baptiser  à  Constantinople  par  le  patriarche  Eudoxe,  qui 
l'obligea,  par  serment,  à  déclarer  la  guerre  à  l'Eglise.  Ce  prince  la  persécuta 
d'une  manière  effroyable,  tandis  qu'il  souffrait  les  détestables  cérémonies 
des  païens,  des  juifs  et  de  tous  ceux  qui  professaient  une  doctrine  contraire 
à  celle  de  l'Evangile.  Cependant,  saint  Méièce  veillait  avec  un  soin  admi- 
rable sur  son  peuple,  et  continuait  de  faire  éclater  l'ardeur  de  son  zèle  pour 
la  foi  du  concile  de  Nicée  ;  et,  comme  il  voyait  le  besoin  que  l'Eglise  avait 
de  fidèles  ministres,  qui  pussent  s'opposer  à  la  malice  des  hérétiques,  il 
s'appliqua  à  en  former  plusieurs  :  de  ce  nombre  fut  l'illustre  Acace,  depuis 
évoque  d'une  ville  de  Syrie  ;  Diodore,  évoque  de  Tarse  ;  Flavien,  patriarche 
d'Antioche  ;  Elpidius,  évoque  de  Laodicée,  et  une  infinité  de  saints  anacho- 
rètes. Mais  on  peut  dire  que  le  plus  célèbre  de  tous  ses  disciples  fut  le  grand 
Chrysostome,  auquel  il  administra  le  baptême,  et  dontil  eut  un  soin  extraor- 
dinaire dès  ses  plus  tendres  années  ;  ce  fut  lui  qui  le  dégoûta  de  l'école  de 
Libanius,  où  il  n'apprenait  qu'une  éloquence  humaine,  et  le  retira  insensi- 
blement de  l'étude  des  choses  profanes  pour  l'appliquer  à  l'étude  de  la 
sainte  Ecriture. 

Valens,  qui  était  venu  à  Antioche  (372),  employa  toutes  sortes  d'artifices 
pour  engager  un  si  grand  personnage  dans  son  parti,  se  persuadant  qu'il 


SAINT   MÉLÈCE,    PATRIARCHE   D'ANTIOCHE.  477 

réduirait,  par  ce  moyen,  tous  les  autres.  Mais  ayant  trouvé  Mélèce  inflexible, 
il  l'envoya  pour  la  troisième  fois  en  exil.  Le  peuple,  ne  pouvant  souffrir 
celte  injustice,  se  souleva  de  telle  sorte,  qu'il  aurait  assommé  à  coups  de 
pierre  l'officier  qui  l'emmenait  dans  son  char,  si  le  Saint  ne  se  fût  mis  au- 
devant  de  lui  et  ne  l'eût  couvert  de  son  manteau.  Bien  loin  de  diminuer  la 
constance  des  fidèles,  cette  persécution  les  animait  de  plus  en  plus  à  souffrir 
toutes  sortes  d'injures  pour  la  confession  de  la  foi  de  Jésus-Christ,  tant  les 
instructions  de  Mélèce  avaient  embrasé  dans  leur  cœur  le  feu  de  la  charité, 
et  établi  dans  leur  esprit  les  dogmes  de  la  vraie  foi.  Les  saints  anachorètes 
qui  les  visitaient  souvent,  tâchèrent  d'entretenir  ces  divines  flammes  jus- 
qu'au retour  du  saint  Pasteur,  qui  eut  lieu  en  378,  à  la  mort  du  persécu- 
teur. Valens,  ayant  été  battu  près  d'Andrinople,  se  sauva  dans  une  cabane 
où  la  justice  divine  permit  qu'il  fût  brûlé  par  les  Goths.  Gratien,  qui  lui 
succéda,  publia  plusieurs  édits  pour  le  rappel  des  évêques  exilés  et  pour  le 
rétablissement  de  la  foi  catholique  en  Orient.  De  retour  à  Antioche,  Mélèce, 
trouvant  que  la  division  entre  les  catholiques  continuait  plus  que  jamais, 
fit  ce  qu'il  put  avec  le  grand  Basile,  pour  l'apaiser  :  il  offrit  même  à  Paulin 
de  gouverner  ensemble  l'église  d'Antioche,  à  condition  que  celui  des  deux 
qui  survivrait  à  l'autre  gouvernerait  seul  les  deux  troupeaux.  Mais  Paulin 
n'ayant  point  accepté  cette  proposition,  notre  Saint  n'en  continua  pas 
moins  de  vivre  avec  lui  dans  un  esprit  d'union  et  de  charité.  Il  s'employa 
entièrement  à  repaître  les  ouailles  qui  étaient  à  lui,  de  la  doctrine,  de  la 
parole  de  Dieu;  et  par  les  exemples  de  ses  vertus,  il  s'acquit  une  telle  estime 
dans  l'esprit  de  son  peuple,  que  plusieurs  donnaient  son  nom  à  leurs  en- 
fants, croyant  que  par  là  ils  attireraient  toutes  sortes  de  bénédictions  sur 
leurs  familles  ;  on  gravait  aussi  son  image  sur  des  anneaux,  dans  des  vases 
et  contre  les  murailles  des  maisons,  pour  marquer  le  respect  qu'on  portait 
à  un  si  excellent  homme.  Saint  Grégoire  de  Nazianze  nous  a  laissé  son  por- 
trait en  peu  de  paroles  :  «  C'était  »,  dit-il,  «  un  prélat  saint,  religieux,  sim- 
ple, sincère,  plein  de  Dieu,  affable,  généreux,  modeste,  et  en  qui  on  voyait 
briller  le  caractère  du  Saint-Esprit  ». 

Théodose,  qui,  après  la  défaite  des  Goths,  avait  été  associé  à  l'empire  par 
Gratien,  voulant  paciiier  tous  les  troubles  des  églises,  et  terminer  particu- 
lièrement un  grand  différend  qui  s'était  élevé  au  sujet  de  saint  Grégoire  de 
Nazianze,  transféré  de  l'évêché  de  Sazime  à  celui  de  Constantinople,  con- 
voqua un  concile  en  cette  dernière  ville,  et  pria  spécialement  Mélèce  de  s'y 
trouver.  Ce  pieux  empereur  avait  une  affection  singulière  pour  lui,  parce 
que,  quelque  temps  avant  son  avènement  à  l'empire,  il  avait  eu  une  vision, 
dans  laquelle  il  avait  vu  en  songe  ce  saint  patriarche  le  revêtir  de  la  pourpre 
impériale  et  lui  mettre  la  couronne  sur  la  tête  :  il  le  reçut  avec  des  témoi- 
gnages extraordinaires  d'estime  et  de  tendresse.  Mélèce,  que  sa  sainteté 
mettait  au-dessus  de  tous  les  autres  Pères  du  concile,  qui  étaient  au  nom- 
bre de  130,  fut  le  premier  à  montrer  que  la  translation  de  Grégoire  n'était 
point  contraire  aux  saints  canons,  parce  qu'elle  n'avait  été  faite  que  pour  le 
plus  grand  bien  de  l'Eglise.  Son  sentiment  fut  suivi  de  celui  des  autres 
prélats  :  Grégoire  fut  confirmé  évoque  de  Constantinople.  Fort  peu  de  temps 
après  cette  action,  le  bienheureux  patriarche  passa  de  cette  vie  à  une  meil- 
leure, l'an  381,  au  grand  regret  de  toute  la  ville,  et  principalement  de 
Théodose,  qui  eut  soin  de  faire  transférer  son  corps  à  Antioche,  où  il  fut 
honorablement  enterré  auprès  du  tombeau  de  saint  Basile.  Ce  pieux  empereur 
voulut,  contre  la  coutume  des  Romains,  que,  sur  le  chemin,  on  le  fît  entrer 
dans  toutes  les  villes,  et  qu'il  y  fût  reçu  avec  toute  la  magnificence  possible. 


478  i2  viivRiER. 

Les  Actes  des  Saints  di^s  Bollandisles  et  le  calendrier  gréco-moscovite 
i\?présentent  debout  saint  Méîèce  le  Grand.  Nous  ne  savons  si  cette  figure 
û  de  la  i^essemblance. 

ho  martyrologe  romain  et  le  niénologe  des   Grecs  font  mémoire  de  saint  Mélîice  le  13  février.  Saint 
J  un  Clirysostome,  dans  rtfloge  qn'il  a  fait  en  son  honneur,  l'appelle  martyr;  et  tous  les  historiens  ecclé- 
■.sti-;ues  parlent  de  lui  avec  beauconp  de  viincTation.  Pour  nous,  nous  avons  tiré  ce  que  nous  on  avons 
t  iics  liemarques  de  GoUandas,  an  12  de  ce  mois. 


SALXT  JILIEN  L'HOSPITALIER, 

DIT  YULGAmEMENT  LE  PAUVRE 


Ne  négligez  pas  l'hospitalité,  car  par  elle  quelques-nus 
ont  leça  cbt;s  eux  des  anges  saiis  !cs  connaître. 
Béb.,  ^iii,  3. 

On  ignore  le  lieu  et  le  temps  auxquels  vécut  saint  Julien  l'Hospitalier, 
ou  le  Pauvre.  Les  Espacnols  le  réclament  pour  leur  compatriote  et  font  ses 
parents  or'  ginaires  d'Aragon  '.  D'après  eux,  ils  se  seraient  mariés  à  la  suite 
d'un  enlèvement,  et  ceci  expliquerait  la  fatalité  dont  cette  famille  fut  pour- 
suivie :  notre  Saint  aurait  vu  le  jour  à  Naples,  où  son  père  et  sa  mère  s'é- 
taient retirés. 

Nous  emprunterons  à  saint  Antonin,  archevêque  de  Florence,  les  détails 
qui  suivent. 

Vivant  encore  sous  la  conduite  de  ses  parents,  et  poursuivant  un  cerf  à 
la  campagne,  Julien  entendit  une  voix,  comme  sortant  de  la  bouche  de  cet 
animal,  qui  lui  dit  :  «Pourquoi  me  poursuis-tu,  toi  qui  ôteras  la  vie  à  ceux 
qui  te  l'ont  donnée?  »  Ce  jeune  homme,  extrêmement  affligé  de  cette  pré- 
diction, résolut  dès  lors  de  s'enfuir  bien  loin  de  la  maison  de  son  père,  de 
crainte  de  tomber  quelque  jour  dans  le  malheur  dont  il  se  voyait  menacé. 
Il  sortit  donc  secrètement,  et  se  retira  en  un  pays  éloigné,  chez  un  seigneur 
qui,  reconnaissant  la  prudence  de  ce  serviteur  volontaire,  le  prit  en  grande 
affection,  et,  pour  le  retenir  toujours  à  son  service,  lui  fit  épouser  une  jeune 
veuve,  et  leur  donna  une  maison  champêtre  à  gouverner,  oîi  ils  vécurent 
en  bonne  intelligence  et  dans  une  exacte  observance  des  commandements 
de  Dieu  et  de  l'Eglise. 

Il  arriva  un  jour  que  le  père  et  la  mère  de  Julien,  qui  vivaient  encore, 
ne  pouvant  plus  supporter  la  longue  absence  de  leur  fils,  dont  ils  n'enten- 
daient point  de  nouvelles,  résolurent  de  voj'ager  eux-mêmes  par  le  monde 
et  de  le  chercher.  Après  quelque  temps,  ils  rencontrèrent  enfin  sa  maison, 
d'où,  par  hasard,  il  était  alors  absent.  Sa  femme  reçut  avec  beaucoup  de 
courtoisie  ces  deux  pauvres  vieill  ards,  comme  elle  avait  coutume  de  le  faire 
pour  tous  les  autres  passants  ;.  et,  s'inforraant  des  causes  de  leur  voyage, 
elle  apprit  par  leurs  discours  qu'ils  étaient  le  père  et  la  tnère  de  son  mari  : 
c'est  pourquoi  elle  les  reçut  le  mieux  qu'il  lui  fut  possible  ;  et,  n'ayant  pas 
de  lieu  plus  commode  pour  les  mettre  coucher,  elle  leur  donna  son  propre 

1.  Il  cit  tout  au  moins  certain  que  sa  légende  y  est  pics  populaire  que  nulle  autre  part  ailleurs  :  la 
littérature  s'en  est  emparée  et  a  produit,  sur  ce  thème,  dos  chefs-d'œuvre  :  citons  la  plbce  de  Lope  de 
Vog»,  intitulée  :  El  animal  profeta,  et  la  romance  qui  se  trouve  au  t.  u  du  Itomanceio  gênerai. 


Sâ.LNT  JUUEM   L'IIOSPHAUER.  *79 

lit.  La  nuit  étant  passée,  elle  s'en  alla  de  grand  matin  à  l'église  pour  y  faire 
ses  prières,  selon  sa  coutume. 

Cependant  Julien,  qui  ne  savait  rien  de  ceci,  revint  chez  lui  et  entra  dans 
sa  chambre  :  apercevant  un  homme  dans  son  lit  avec  une  autre  personne, 
il  s'imagina  qu'il  avait  devant  les  yeux  deux  adultères  ;  saisi  de  douleur,  il 
tira  son  couteau  et  le  plongea  dans  le  sein  de  l'un  et  de  l'autre,  qu'il  laissa 
raides  morts.  Cela  fait,  il  sortit  tout  eU'rayé  ;  mais  il  le  fut  encore  bien  plus, 
quand  il  aperçut  sa  femme  qui  revenait  de  la  messe,  et  qu'il  apprit  le  fu- 
neste accident  qui  lui  était  arrivé,  et  comment  il  était  tombé  dans  le  malheur 
qu'il  avait  fui  avec  tant  de  diligence.  Il  ne  voulut  plus  rentrer  dans  sa  mai- 
son, mais  résolut  d'aller  sur  l'heure  en  quelque  désert  pour  y  faire  pénitence. 

Sa  femme  ne  put  qu'à  peine  l'arrêter  pour  avoir  le  loisir  de  vendre  le 
peu  de  bien  qu'ils  possédaient.  Lorsqu'ils  eurent  fait  quelque  argent,  ils 
allèrent  à  Rome  se  faire  absoudre  par  le  Pape,  puis  se  retirèrent  auprès 
d'une  rivière  dont  le  passage  était  extrêmement  dangereux,  et  firent  bâtir 
sur  le  bord  un  hôpital  en  faveur  des  pèlerins.  Là,  ils  vécurent  l'un  et  l'autre 
dans  une  pénitence  continuelle  et  au  service  des  pauvres  ;  surtout  Julien, 
qui  leur  faisait  passer  le  Qeuve  par  charité,  et  leur  donnait  ensuite  l'hospi- 
talité en  son  hôpital.  Une  nuit,  au  milieu  de  l'hiver,  il  entendit  comme  la 
voix  d'un  pauvre  qui  l'appelait  pour  passer  le  fleuve.  A  cette  voix,  il  se 
réveilla,  sauta  de  son  lit,  et  alla  promptement  passer  ce  pauvre,  qui  parais- 
sait tout  malade  et  tout  chargé  de  lèpre  ;  il  l'amena  en  sa  maison  et  le  mit 
auprès  du  feu  ;  mais,  voyant  qu'il  ne  le  pouvait  réchaufl'er,  il  s'avisa  de  le 
coucher  dans  son  lit.  Alors  le  malade  parut  brillant  comme  un  soleil,  et, 
prenant  congé  de  son  hôte,  il  l'assura  que  son  péché  était  expié  par  ces 
pieux  devoirs  d'hospitalité  qu'il  exerçait  envers  les  pauvres.  A  quelque 
temps  de  là,  saint  Julien  et  sa  femme,  chargés  de  bonnes  œuvres  et  de  mé- 
rites, passèrent  de  cette  vie  de  misères  à  une  plus  heureuse. 

En  mémoire  de  sa  vie  charitable  et  de  son  soin  pour  les  pauvres,  on  l'a 
surnommé  saint  Julien  le  Pauvre  ou  l'Hospitalier.  C'était  autrefois  une 
dévotion  fort  répandue  que  les  voyageurs  embarrassés  récitassent  un  Pater 
en  son  honneur  pour  obtenir  un  bon  gîte.  Il  était  aussi  en  beaucoup  d'en- 
droits le  patron  d'hospices  où  l'on  n'avait  qu'à  se  présenter  comme  voya- 
geur pauvre,  pour  ôlre  hébergé  pendant  trois  jours.  Cet  ancien  et  louable 
usage  subsiste  encore  à  Anvers. 

On  le  peint  :  1°  passant  Notre-Seigneur  dans  un  bateau  ;  2°  tenant  une 
petite  barque  sur  la  main  et  accompagné  du  cerf  qui  lui  prédit  son  mal- 
heur ;  3°  recevant  les  lépreux,  à  la  porte  de  son  hospice. 

Les  ménétriers  de  Paris  l'avaient  choisi  pour  leur  patron  ;  ce  qui  expli- 
que la  présence  d'un  masque  dans  quelques  tableaux  modernes.  Les  ver- 
rières, celles  de  Chartres,  par  exemple,  ont  développé  cette  légende.  Elle  a 
également  été  peinte  sur  un  vitrail  du  xiv°  siècle,  à  la  cathédrale  de 
Rouen. 

L'Eglise  de  Saint-Julien  le  Pauvre,  à  Paris,  possédait  un  curieux  bas- 
relief  du  xrv'  ou  XT°  siècle,  représentant  saint  Julien  et  sa  femme,  passant 
l'eau  avec  Jésus-Christ  qu'ils  ont  pris  pour  un  lépreux  *.  Saint  Julien  a  été 
choisi  pour  patron  spécial,  par  les  voyageurs,  les  pèlerins,  les  hôteliers,  les 
passeurs  en  bac,  les  couvreurs  de  Liège,  les  bergers. 

Nous  avons  déjà  dit  que  les  ménétriers,  jongleurs  et  saltimbanques  ont 
fait  de  même  ;  non  pas  que  saint  Julien  ait  été  rien  de  pareil,  mais  parce  que 
6a  charité  aura  plus  d'une  fois  trouvé  l'occasion  de  s'exercer  envers  les  gens 

1.  Toir  Statistique  monumentale  de  Fuis. 


480  12   FÉVRIER. 

de  cette  profession  qui  voyagent  beaucoup  et  sont  très-exposés  à  rencontrer 
un  mauvais  logis. 

La  mémoire  de  saint  Julien  est  marquée  le  12  février  par  Fcrrarius,  en  son  catalogue  des  Saints  ;  11 
est  omis  an  martyrologe  romain,  bien  que  les  tables  de  l'EjUso  d'Aciuiloe  marquent  sa  fête  le  20  janvier. 


SAINT  GALACTOIRE,  ÉVÊQUE  ET  MARTYR  (307). 

Galactoire  assista  au  concile  d'Agde  (506),  dont  les  canons  furent  autrefois  adoptés  dans  toutes  les 
églises  de  France  ;  il  y  souscrivit  avec  le  litre  d'évêque  de  Bénéarnum,  ville  que  l'on  croit  être  celle 
de  Lascurre  ou  Lcscar.  L'année  suivante,  il  fut  pris  par  les  Visigolhs  ariens,  près  d'un  lieu  nommé 
Mimisan;  il  le  tourmentèreut  longtemps  pour  lui  faire  alijurer  la  foi  catholique,  et  finirent  par  le 
massacrer  cruellement.  Les  évèques,  ses  successeurs,  et  tout  le  peuple  de  son  diocèse,  le  regardèrent 
de  tout  temps  comme  un  martyr. 

Conformémeut  à  l'ancien  bréviaire  de  Lescar,  sa  mémoire  est  honorée  d^  ux  fois  Ions  les  ans  : 
le  jour  de  son  trépas  et  le  jour  de  la  translation  de  ses  reliques  du  lieu  où  il  fut  mis  à  mort  dans 
la  ville  de  Lescar.  Les  ossements  du  Saint  furent  conservés  en  grande  vénération  daus  l'église 
cathédrale  de  celte  ville,  jusqu'en  1569,  époque  à  laquelle  ils  furent  brûlés  parles  soldats  du  comte 
de  Montgomery,  chef  des  novateurs,  et  la  châsse  qui  les  contenait  fut  pillée. 

Propre  de  Tarbes. 


SAINT  RIOC  S  ERMITE  EN  BRETAGNE  (vi»  siècle). 

Il  élait  fils  du  roi  d'Eliirn,qui  demeurait  dans  le  pays  de  Léon,  au  lieu  appelé  maintenant  Trann- 
Elorn.  En  reconnaissance  d'un  service  reçu,  le  roi  permit  k  saint  Derien  et  à  saint  Neventer  d'ins- 
truire dans  la  religion  chrétienne  les  membre  de  sa  famille  qui  y  consentiraient.  La  reine  et  son  lilsRioc 
furent  de  ce  nombre.  Mais  Elorn,  loin  de  leur  bâtir  une  églisL>,  comme  il  l'avait  promis,  les  persé- 
cuta, et  ils  se  retirèrent  au  château  de  Joyeuse-Garde.  Sa  mère  y  passa  le  reste  de  ses  jours,  mourut 
fort  pieusement  et  fut  ensevelie  par  son  fils.  11  était  alors  âgé  d'environ  seize  ans.  Ayant  vendu  tout 
ce  dont  il  pouvait  disposer,  il  en  donna  l'argent  aux  pauvres.  Il  choisit  pour  sa  retraite  un  rocher  dans 
la  nier,  à  la  côte  de  Cornouaille,  vers  l'embouchure  de  la  baie  de  Brest,  au  rivage  de  la  paroisse  de 
KamIcI,  lieu  entièrement  désert  et  écarté,  ceint  de  la  mer  de  toute  part,  hormis  aux  marées  basses 

11  entra  en  celte  solitude  environ  l'an  552,  et  y  demeura  quarante  et  un  ans,  tout  le  temps  que 
Conan  Mériadec  conquit  et  subjugua  l'Armorique,  jusqu'au  règne  du  roi  Grallon,  qui  donna  le  gou- 
vernement du  comté  de  Léon  à  Fragan.  Celui-ci  étant  venu  résider  en  son  gouvernement,  amena 
avec  lui  son  fils  Guénolé,  abbé  de  Landevenec.  Ayant  oui  parler  de  l'ermite  Bioc,  l'abbé  l'alla 
visiter  dans  sa  grotte,  et,  l'ayant  salué,  il  apprit  de  lui  qu'il  y  avait  quarante  et  un  ans  qu'il  faisait 
pénitence  en  ce  lieu,  vivant  d'herbes  et  de  petits  poissons  qu'il  prenait  sur  le  sable,  au  pied  de  son 
rocher;  son  origine  et  sou  exlraclion,  et  toutes  les  autres  particularités  de  sa  vie  ;  que,  quand  il 
était  monté  sur  ce  rocher,  il  élait  vêtu  d'une  simple  soutane,  et  que  ce  vêtement  s'élant  usé  i 
force  de  temps,  Dieu  lui  avait  couvert  le  corps  d'une  certaine  mousse  roussâtre  qui  le  garantissait 
de  l'injure  du  temps. 

Saint  Guénolé,  ayant  ouï  le  récit  de  ces  merveilles,  fut  étonné  et  eu  rendit  grâce  à  Dieu  ;  et 
voyant  saint  Rioc  vieux  et  cassé  d'austérités  et  de  macérations,  il  le  pria  de  venir  avec  lui  en  son 
monastère  de  Landevenec,  à  quoi  l'ermite  consentit.  Saint  Guénolé  lui  donna  l'habil  des  moines  de 
son  monastère.  Il  vécut  encore  quelques  années  ;  après  sa  moi  t,  jl  se  fit  de  nombreux  miracles  à  son 
tombeau,  et  saint  Budoc,  troisième  archevêque  de  Dol,  en  ayant  élé  dûment  informé,  le  déclara  Saint, 
environ  l'an  630.  Comme  un  grand  nombre  d'autres  saints  bretons,  saint  Rioc  est  censé  avoir  tué 
un  dragon  :  image  des  efl'orts  qu'a  dil  faire  le  christianisme  pour  déblayer  le  sol  de  la  Bretagne 
de  toutes  les  superstitions  druidiques. 

Tiré  d'Albert  le  Grand  et  de  M.  de  Garaby. 

1.  Uival,  Kicu  ou  Kiou. 


tA   BIEiNHEim£USE   CHRISTDJE   LICARELU.  481 


SAINT  LUDAN  OU  LOUDAIN  S  PÈLERIN  (1202). 

Lndan  naquit  en  Ecosse,  d'une  famille  illustre.  Ayant  perdu  son  p'.re  et  sa  mère,  il  prit  dans 
son  cœur  la  résolution  de  suivre  de  plus  près  les  traces  du  Christ.  Craignant,  s'il  restait  dans  sa 
patrie,  d'y  rencontrer  des  obstacles  à  son  projet,  après  avoir  répandu  ses  richesses  dans  le  ssin  des 
pauvres,  il  quitta  sa  parenté  et  partit  couvert  d'un  vêtement  pauvre  pour  n'être  point  reconnu.  11  visita 
le  sépulcre  do  Christ,  le  seuil  des  saints  Apôtres  et  d'autres  saints  liens.  Chemin  faisant,  il  parvint, 
selon  la  tradition,  au  bourg  de  Nordheim,  en  Alsace,  au  commencement  du  un»  siècle. 

Là,  fatigué  de  la  route,  il  se  reposa  sous  l'ombre  d'un  arbre,  fut  réconforté  et  soulagé  par  un 
ange,  et  averti  de  l'imminence  de  sa  mort;  peu  après  il  s'endormit  paisiblement  dans  le  Seigneur. 
Aussitôt  son  corps,  privé  de  vie,  répandit  au  loin  une  très-suave  odeur  ;  on  trouva  sur  lui  un  billet 
indiquant  son  nom,  sa  naissance,  sa  patrie  et  sa  pieuse  vie.  Sa  sainteté,  ainsi  connue,  on  s'empressa  de 
l'honorer  comme  il  en  était  digne. 

Comme  il  y  avait  deux  paroisses  dans  le  bourg  sur  le  territoire  duquel  il  était  décédé,  chacune 
d'elles  voulait  avoir  son  corps,  jusqu'à  ce  que  quelqu'un  conseillât  de  prier  Dieu  de  faire  connaître 
sa  volonté.  Alors  le  corps  du  Bienheureuï,  étant  placé  sur  un  chariot  et  abandonné  sans  guide,  le 
cheval  qui  le  traînait  se  dirigea  de  lui-même  à  l'église  de  Saint-Georges.  C'est  dans  cette  église, 
agrandie  plus  tard  en  son  honneur,  que  saint  Ludan  est  honoré  au  milieu  d'un  grand  concours 
d'habitants  du  pays  et  d'étrangers.  Plusieurs  personnes,  dans  différentes  maladies,  ont  éprouvé  son 
crédit  auprès  de  Dieu. 

Ajoutons  quelques  détails  à  ces  paroles  tirées  du  Propre  de  Strasbourg  :  Le  billet  trouvé  dans 
la  valise  de  saint  Ludan  portait  ces  mots  :  «  Je  suis  fils  du  noble  Hildebod,  duc  d'Ecosse,  et  je  me 
sois  fait  pèlerin  pour  l'amour  de  Dieu  b.  Après  la  mort  de  son  père,  il  avait  employé  ses  biens  k 
des  œuvres  de  piété  et  bâti,  entre  autres,  un  hôpital  pour  les  étrangers  et  les  infirmes  de  toute 
espèce.  Son  tombeau  fut  détruit  dans  la  guerre  des  Suédois,  1632;  mais  il  a  été  rétabli  depuis,  et 
00  le  Toit  encore  dans  l'église  qui  porte  son  nom. 


LA  BIENHEUREUSE  CHRISTINE  LICARELLI  (1343). 

Entre  les  vierges  remarquables  par  leurs  vertus  que  produisit  le  xvp  siècle,  il  faut  compter  la 
bienheureuse  Christine  Licarelli,  née  à  Lodi  en  1481,  connue  d'abord  sous  le  nom  de  Mathiase.  Elle 
montra  dès  son  enfance  une  piété  peu  commune  et  un  si  grand  éloignement  pour  les  vaines  parures, 
qui  ordinairement  flattent  tant  la  vanité  des  jeunes  personnes,  qu'on  ne  put  jamais  obtenird'elle  qu'elle 
mit  quelque  recherche  dans  ses  vêlements.  Tout  occupée  du  jeune  et  de  la  prière,  elle  négligeait 
son  extérieur  et  ne  désirait  que  les  choses  du  ciel.  On  la  voyait  recueilli:  en  Dieu,  qui  était  l'objet 
le  plus  ordinaire  de  ses  pensées;  et  tout  son  plaisir  était  on  de  parler  de  lui  ou  de  souffrir  pour 
lui.  Dès  que  le  temps  le  lui  permettait,  elle  allait  chaque  jour  visiter  une  image  de  la  Sainte  Vierge 
qui  se  trouvait  dans  une  chapelle  peu  éloignée  de  sa  demeure,  et  là  elle  mettait  son  innocence  sous 
la  protection  spéciale  de  la  Mère  de  miséricorde.  Pour  suivre  les  conseils  du  bienheureux  Vincent 
d'Aquila,  célèbre  religieux  de  l'Ordre  de  Saint-François,  qui  avait  été  son  directeur,  et  afin  aussi 
de  répondre  à  l'inspiration  céleste,  Christine,  à  l'âge  de  vingt-cinq  ans,  se  rendit  à  Aquila  et  se 
présenta  au  monastère  de  Sainte-Luce,  habité  par  des  religieuses  de  l'Ordre  des  Ermites-de-Saint- 
Augustin.  Elle  y  fut  reçue  et  s'y  montra  bientôt  une  fervente  novice.  On  remarquait  surtout  sa 
grande  modestie,  son  extrême  douceur,  sa  pauvreté  parfaite  et  son  obéissance  sans  bornes.  Quoique 
malade,  jamais  elle  ne  voulut  se  dispenser  de  l'abstinence  pratiquée  dans  le  monastère.  Son  som- 
meil, pris  sur  un  lit  très-dur,  n'était  que  de  quelques  heures.  Après  sa  profession,  elle  inspira  tant 
de  confiance  à  ses  sœurs,  qu'elles  la  choisirent  pour  prieure  de  la  communauté.  Christine  voulut  en 
vain  s'opposer  à  ce  choix,  il  lui  fallut  se  soumettre  ;  mais  elle  n'usa  de  son  autorité  que  pour  se 
charger  des  plus  bas  emplois  de  la  maison  et  pour  rendre  à  chacune  des  religieuses  tous  les  ser- 
Tices  qui  dépendaient  d'elle.  Sa  charité  ne  se  bornait  pas  à  être  utile  à  ses  compagnes  :  remplie 

1.  On  dit  en  Alsace  Sancl-Loclen. 

Vies  des  Saints.  —  Tome  II.  St 


482  13   FÉVRIER. 

de  l'esprit  de  Jésas-Christ  et  ne  cherchant  qo'à  lui  plaire,  la  vertueuse  prieure  saisissait  avec  em- 
pressement toutes  les  occasions  qu'elle  trouvait  de  soulager  la  misère  des  pauvres.  L'aumône  cor- 
porelle n'était  pas  la  seule  qu'elle  fit  au  prochain  ;  son  zèle  pour  le  salai  des  âmes  la  portait  à 
adresser  de  pieuses  exhortalions  à  ceux  qui  avaient  des  relations  avec  elle,  et  ses  discours  salutaires 
fortifiaient  ainsi  ie  bien  qu'elle  opérait  par  ses  édiDants  exemples.  Ses  paroles  n'étaient  que  l'ex- 
pression des  sentiments  de  son  coeur,  car  Christine  ne  vivait  que  pour  Dieu.  Favorisée  du  don  de 
contemplation,  elle  était  assez  souvent  ravie  en  eitase.  De  fréquents  maux  de  dents  etde  cité  vinrent 
aussi  exercer  sa  patience  et  ne  purent  la  vaincre.  Parvenue  à  l'âge  de  soixante-deux  ans,  elle  alla 
se  réunir  à  sou  divin  Epou.x  en  l'année  13i3.  A  l'instant  même  de  son  décès,  des  enfants  l'annon- 
cèrent par  des  cris  et  des  chants  qu'ils  firent  entendre  dans  les  rues.  Les  miracles  opérés  à  soa 
tombeau  excitèrent  les  fidèles  à  lui  rendre  un  culte  public,  que  le  pape  Grégoire  XYl  a  approuvé 
par  son  décret  do  iS  janvier  1840. 

Voir  la  rie  de  U  bienheorease  par  Comelliu  Cnrtias,  et  les  leçons  de  son  offlee.  Nods  avons  empmnté 
cet  abrogé  à  Godescard  (éd.  de  Lille). 


LE  BIENHEUREUX  NICOLAS  DE  LONGOBARDI  (1709). 

Nicolas  de  Longobardi  était  un  pauvTe  paysan  que  Dieu  se  plat  à  élever  à  une  hante  sainteté.  Il 
naquit  le  16  janvier  1649  ;  ses  parents  étant  pauvres  ne  purent  le  faire  instruire,  mais  ils  lui 
apprirent  à  aimer  Dieu  ;  il  entra  dans  l'Ordre  des  Miuimcs,  mais,  faute  de  science,  ne  put  être  élevé 
au  sacerdoce.  Ses  austérités,  sa  piété,  ses  miracles,  le  rendirent  bientôt  l'admiration  de  toute 
l'Italie;  il  fit  le  pèlerinage  de  Rome  et  de  Lorette,  et  mourut  le  12  février  1709,  en  prononçant  ce* 
paroles  :  «  Au  paradis  !  au  paradis  !  »  Pie  VI  le  béatifia  le  12  septembre  1786.  Son  corps  est  conservé 
dans  une  urne  de  marbre  sous  un  des  autels  de  l'église  de  Saint-François-de-Paule,  à  Rome. 


Xnr  JOUR  DE  FÉYRIEU 


MARTYROLOGE  ROMAIN. 

A  Antiocbe,  la  naissance  au  ciel  de  saint  Agabcs,  prophète,  dont  saint  Lac  fait  mention  dans 
\ei  Actes  des  Apôtres,  i"  s. — A  Ravenne,  sainte  Fusque  ',  vierge,  et  sainte  Maure,  sa  nourrice, 
qui,  sous  le  règne  de  Dèce,  ayant  enduré  de  nombreux  supplices,  par  l'ordre  du  président  Quin- 
tien,  furent  enfin  percées  avec  le  glaive,  et  consommèrent  ainsi  leur  martyre,  iirs.—  A  Mélilènc, 
en  Arménie,  saint  Polteocte,  martyr,  qui,  ayant  beaucoup  soufi'ert  dans  la  persécution  du  même 
empereur  Dèce,  obtint  la  couronne  du  martyre.  259.  —  A  Lyon,  saint  Julien,  martyr.  —  A  Todi, 
saint  Bénigne,  martyr.  Persécution  de  Dioclétien.  —  A  Rome,  saint  GnÉGOiRE  II,  pape,  qui  résista 
très-vigoureusement'  k  l'impiété  de  Léon  l'Isaurien,  et  envoya  saint  Boniface  en  Allemagne  pour  y 
prêcher  l'Evangile.  731.  — A  Angers,  les  funérailles  de  saint  Lézin,  évéque,  homme  d'une  sainteté 
éminente  '.  616.  —  A  Lyon,  saint  Etienne  ',  évéque  et  confesseur.  Vers  5112.— A  Riéli,  saint  Etienne, 
abbé,  homme  d'une  patience  admirable,  au  décès  duquel,  au  rapport  de  saint  Grégoire,  pape, 

1.  L'église  Salnt-Jieqaes  d'Amiens  possède  «nerellqno  considérable  de  la  Sainte. 

*.  Voir  sa  vie  le  !«'  novembre. 

*.  Saint  Etienne,  évéque  de  Lyon,  succiSda  k saint  Rustique;  il  est  compté  le  Tingt-siïlème  on  le  vingt- 
septiiime  évêqne  de  ce  siéjc.  11  a-iïiiti  en  429  h  la  cdl^bro  conférence  qui  eut  lieu  dans  sa  ville  éplscopale, 
entre  les  évSques  catholiques  et  les  ariens,  en  présence  de  Gondebaud,  roi  de  Bourjogne.  et  'a  la  suite  de 
laquelle  ces  bérétiqnes  se  convertirent  en  grand  nombre.  Il  était  lié  d'une  é:rolte  amltic  avec  saint  Ennode 
de  Pavie.  Ses  reliques  ont  longtemps  reposé  dans  l'église  de  Saint-Jmt.  (Voir  la  vie  do  saint  Avite  de 
Vienne  au  6  de  ce  mois.) 


MARTYROLOGES.  483 

a5s:stèrettt  les  anges,  visibles  même  pour  les  personnes  présentes.  —  A  Prato,  en  Toscane,  sainte 
Catherine  Ricci,  vierge,  de  la  ville  de  Florence,  de  l'Ordre  des  Frères  Prêcheurs,  remar- 
quable par  l'abondance  des  dons  célestes  dont  elle  fut  comblée  ;  le  souverain  Pontife  Benoit  XIV 
l'inscrivit  dans  les  fastes  des  vierges  saintes  ;  elle  décéda,  pleine  de  vertus  et  de  mérites,  le  2  f4- 
vrier,  mais  sa  fête  se  célèbre  aujourd'hui.  1590. 

MARTYROLOGE  DE  FRANCE,  BEVU  ET  AUGMENTÉ. 

A  Digne,  saint  Domnin  ou  Don.n'is,  apôtre  de  cette  ville  et  son  premier  évêque.  Vers  379.  —  Au 
diocèse  de  Pamiers,  saint  Volusien,  évêque  de  Tours,  martyr,  dont  la  fête  se  célèbre  à  Tours  le 
U  février,  et  à  Pamiers  le  jour  d'aujourd'hui.  499.—  A  Coblenlz,  saint  Castor,  prêtre,  patron  de 
cette  ville  et  confesseur.  Vers  389.  —  A  Carcassonne,  saint  Guimer  ou  Cimier,  premier  prélat  de 
ce  siège  '.  vi»  s.  —  A  Meaui,  saint  Gilbeiit,  natif  de  Ilam,  en  Picardie,  qui,  de  chanoine  de  Saint- 
Quentia,  fut  fait  archidiacre  de  l'église  de  Meaux,  et  ensuite  évêque  de  la  même  ville.  1009  ou  1010. 
—  A  Tours,  saint  Ledbace  ou  Leubais,  abbé.  Vers  540.  — A  Chambérj  et  à  Moutiers  en  Tarentaise, 
la  fête  de  saint  Ephyse,  dont  l'entrée  au  ciel  est  marquée  au  martyrologe  romain  le  15  janvier  *.  — 
A  Tarbes,  saint  Géronce  et  saint  Sévère,  vulgairement  Sever,  martyrs  '.  —  Au  diocèse  de  Rodez, 
saint  FuLCRAN,  évêque  de  Lodève,  fondateur  de  plusieurs  monastères.  1006.  —  A  Poitiers,  la  fêle  de 
saint  LEONE  ou  Lienne,  dont  la  naissance  au  ciel  est  mentionnée  le  1"  février.  368.—  A  Séez,  la 
fête  de  saint  Ebrulfe  ou  Evroult,  dont  l'entrée  au  ciel  est  marquée  au  martyrologe  romain  le  29  de 
décembre  '.  —  A  Elan,  le  bienheureux  Roger  ^,  religieux  cistercien.  1175.  —  A  Renues,  fête  de 
saint  Enogat  «.  —  A  Nimes,  fête  de  sainte  Eugénie,  martyre  romaine  '. 

MARTYROLOGES   DES   ORDRES   RELIGIEUX. 

ilartyrologe  de  Sainf-Basih.  —  En  Cappadoce,  au  bourg  de  Magariasse,  saint  Théodose  le 
Cénobiarque,  de  l'Ordre  de  Saint-Basile,  qui,  après  avoir  beaucoup  souffert  pour  la  foi  catholique,  se 
reposa  enfin  dans  la  paix.  Sa  naissance  au  ciel  est  célébrée  le  11  de  janvier  '. 

ilurlyrologe  des  Chanoines  réyuliers.  —  A  Rome,  saint  Grégoire  11,  pape,  compté  autrefois 
parmi  les  clercs  de  l'église  de  Latran,  qui  résista  très-vigoureusement  à  l'impiété  de  Léon  l'isau- 
rien,  et  envoya  saint  Boniface  prêcher  l'Evangile  en  Allemagne. 

ilariyroto'ie  de  l'Ordre  de  Snint- Benoit,  des  Camaldu/es  et  de  la  Congrégation  de  Vailom- 
breuse.  —  A  Rome,  saint  Grégoire  U,  pape. 

Martyrologe  de  Citeattx.  —  Saint  Grégoire,  confesseur,  d'abord  humble  religieux  de  l'Ordre  de 
Saint-Benoit,  puis  souverain  Pontife,  deuxième  du  nom,  qui  résista  très-vigoureusement  à  l'im- 
piété de  Léon  l'Isaurien,  et  envoya  saint  Boniface,  évêque  et  martyr  du  même  Ordre,  prêcher  l'E- 
vangile en  Allemagne.  Si  les  écrits  de  ce  pape  existaient  encore,  et  que  ses  actions  eussent  été 
plus  fidèlement  gardées  par  l'histoire,  il  ne  serait  pas  estimé  inférieur  à  saint  Grégoire  le  Grand. 

Martyrologe  des  Frères  Préclieurs.  —  A  Prato,  sainte  Catherine  de  Ricci,  etc. 

Uurlyruloge  de  l'Ordre  Romano-Séruphique.  —  A  Castel-Florentin,  en  Toscane,  la  bienheu- 
reuse Viridiane  on  Véridienne,  vierge,  du  Tiers  Ordre  de  notre  Père  saint  François,  remarquable  par 
les  fruits  de  pénitence  et  par  la  renommée  de  ses  miracles.  1='  février  1242. 

Martyrologe  di  l'Ordre  Séraphique. —  Saint  Ignace,  évêque  et  martyr,  dont  la  naissance  au 
ciel  est  le  1"  février. 

Martyrologe  des  Carmes  Chaussés.  —  Saint  Télesphore,  pape  et  martyr,  de  l'Ordre  des  Car- 
mes, dont  le  jour  natal  est  le  6  janvier. 

Martyrologe  de  Saint-Augustin.  —  Saint  Tite,  évêque,  confessear,  dont  on  fait  la  mémoire  le 
4  de  janvier,  mais  qui  est  honoré  chez  nous  aujourd'hui. 

Muriyroluge  de<  Capucin'!.  —  A  Foligno,  dans  l'Ombrie,  la  bienheureuse  Angèle,  veuve,  du 
Tiers  Ordre  de  notre  Père  saint  François,  qui  briihi  remarquablement  par  l'oraison,  la  pauvreté, 
l'abstiuence  et  la  charité,  et  s'envola  dans  le  ciel  le  4  de  janvier. 

Martyrologe  des  Carmes  Déchaussés.  —  A  Alexandrie,  sainte  Euphrosine,  vierge,  de  l'Ordre 
des  Carmélites,  qui,  brillante  de  toutes  les  vertus,  s'envola  vers  son  céleste  Epoux  le  1°'  de  janvier, 

1,  Voir  an  15  mal  Jour  de  sa  fête  à  Carcassonne.  —  2.  Voyez  ce  jour.  —  3.  Voir  au  1er  Juin,  jour 
auquel  noua  nous  réserrona  de  consacrer  une  étude  à  divers  saints  da  diocèse  d'Aire,  du  Bigarre  et  d'Aqui- 
taine dont  rbistoire  est  fort  obscure.  —  4.  A  Bayeo^s,  on  fait  sa  fêto  le  12  ;  voir,  à  ce  jour,  la  mention 
tirée  da  Propre  de  ce  diocèse. 

6.  Roger  entra  dans  l'ordre deCiteaus à  Lorroy,  en  Berry,  devint  ensuite  abbé  d'Elan,  près  <Ie  Retliel, 
en  Champagne,  et  mourut  vers  l'an  1175.  Il  y  a  dans  l'c^Use  dû  rancienne  abbaye  d'Elan  une  chapelle 
qui  porte  son  nom  et  oii  l'on  garde  sea  reliques  dans  une  châsse.  Sa  vie  a  cté  écrite  par  un  moine  d'Elan. 

Voyez  Cbastelain  au  4  de  janvier.  Jour  oti  le  nom  du  blenhenrenx  Roger  se  ti'ouve  dans  le  calendxler 
i»  Citeaox,  Imprimé  &  Dijon. 

«.  'Voir  an  13  Janvier,  tome  ler,  p.  591 7.  voir  an  11  septembre.  —  S.  Voir  aa  vie  il  ce  Jour. 


484  13  FEVRIER. 

ADDITIONS  FAITES  D' APRÈS  LES  BOLLANDISTES  ET  AUTRES  HAGI0GRAPHE8. 

A  Caravi,  ancienne  tille  d'Espagne,  qui  s'élevait  près  de  Saragosse,  saint  Policète,  diacre  et 
martyr,  qui  péril  dans  la  persécution  de  Néron.  —  En  ce  même  jour,  un  père  et  son  fils  terminè- 
rent leur  vie  sur  la  croix;  Dieu  connaît  leurs  noms. —  A  Alexandrie,  les  saints  TuUien,  Antie,  Cy- 
riaque  et  Ammone,  martyrs.  —  A  Anvers,  samt  Pallade,  martyr  romain,  dont  le  corps  fut  transféré 
en  cette  ville,  dans  l'église  des  Jésuites,  l'an  1652.  —  A  Turin,  sainte  Julienne,  pieuse  matrone, 
dont  les  reliques,  après  la  destruction  du  monastère  de  Sainl-Soluteur,  furent  déposées  dans  l'église 
des  Jésuites  de  cette  ville.  C'est  elle  qui  recueillit  les  corps  des  saints  Octave,  Soluteur  et  Adven- 
teur,  soldats  de  la  légion  thébéenne  (aujourd'hui  patrons  de  Turin),  et  les  fit  ensevelir  dans  un 
oratoire  qu'elle  leur  dédia,  iv»  s.  —  En  Palestine,  saint  Martinien,  ermite.  S30.  —  En  Irlande, 
saint  .Modomnoc,  ou  Dominique  d'Ossoria,  disciple  de  saint  David  de  .Menevia.  vi»  s.  —  En  Angle- 
terre, sainte  Erménilde,  reine  de  Mercie,  épouse  du  roi  NVulflier  et  mère  de  sainte  Wereburge;  elle 
fut  ensuite  religieuse  et  abbesse  au  monastère  d'Elie.  Vers  l'an  "00.  —  A  Méda,  au  diocèse  d« 
Milan,  les  saints  Haymon  et  Vérémond,  fondateurs  d'un  monùstère  de  femmes  eu  ce  lieu.  Vers  '590. 
—  A  Verceil,  saint  Pierre,  évèque.  Saint  Pierre  de  Verceil  ayant  entrepris  le  pèlerinage  des  saints 
lieux,  fut  fait  prisonnier  à  Babylone  avec  d'autres  chrétiens.  Il  fut  délivré  par  l'intervention  d'un 
saint  homme  nommé  Bonin,  auquel  le  prélat  confia  plus  lard  le  gouvernement  d'uu  monastère.  Vers 
l'an  1010.  —  En  Allemagne,  le  bienheureux  Jourdain,  deuxième  général  de  l'Ordre  des  Frères  Prê- 
cheurs. Il  travailla  à  la  canonisation  de  saint  Dominique.  Il  mourut  à  Accon,  en  Palestine,  et  ac- 
complit après  sa  mort  plusieurs  miracles.  Ses  livres  et  ses  sermons  ont  été  recueillis  ;  il  prêcha  en 
français  aux  Templiers  qui  se  trouvaient  outre-mer,  et  se  fit  écouter  quoiqu'il  sût  à  peine  uotie 
langue  '.  1237.  —  A  Séez,  saint  Passif,  évèque  de  ce  siège.  560. 


SAINT  POLYEUGTE,  MARTYR 

259.  —  Pape  :  Saïul  Denys.  —  Empereur  romain  :  Valérien. 


FELIX. 

Albin,  comme  eat-il  mort  ? 

ALBnf. 

En  brntal,  en  impie. 
En  bravant  les  tourments,  en  dédaignant  la  vie. 
Sans  regret,  sans  munnore  et  sans  étonnemcnt. 
Dans  l'obstination  et  l'endurcissement. 
Comme  un  chrétien  enfin,  le  blasphème  à  la  oouchot 
CorneUle,  Poîyeucte,  acte  m,  scène  6. 


Au  temps  des  empereurs  Dèce  et  Valérien,  vivaient  dans  les  contrées 
orientales  deux  hommes  de  guerre,  Néarque  et  Polyeucte,  unis  par  les  liens 
de  l'amitié  plu.i  étroitement  que  si  la  naissance  eût  établi  entre  eux  les  liens 
du  sang  et  de  la  parenté.  Néarque  était  un  chrétien  remarquable  par  sa  foi 
et  sa  piété  ;  mais  le  noble  Polyeucte  était  païen.  Du  reste,  s'il  n'avait  pas 
encore  les  dehors  du  christianisme,  il  en  possédait  l'esprit;  c'était  un  olivier 
fécond  auquel  il  ne  manquait  plus  que  d'être  planté  dans  la  maison  de  Dieu. 

Or,  Dèce  et  Valérien  firent  publier  qu'on  allait  décerner  des  supplices  et 
des  récompenses  contre  les  chrétiens.  Néarque  alors  craignit  pour  son  ami, 
et  il  se  persuada  que  la  diversité  de  culte  allait  amener  la  rupture  de  leur 
amitié.  Polyeucte,  le  voyant  livré  à  de  douloureuses  pensées,  l'interrogea 
all'ectueusement  pour  savoir  le  motif  de  son  affliction.  Néarque  s'eflorça  de 
dissimuler  son  angoisse  ;  mais  ses  yeux  remplis  de  larmes  le  trahirent.  «  Je 
dois  garder  le  silence  »,  lui  dit-il,  «  car  en  ceci  votre  amitié  ne  pourrait  me 

1.  Voyez  au  IJ  linivt. 


SAINT  POUTLUCTE,   MARTYR.  485 

consoler». —  «  Est-ce  que  je  vous  ai  offensé  en  quelque  chose  ?  »  répon- 
dit Polyeucte . 

A  ces  mots,  Néarque  n'y  put  tenir  davantage.  «  Cher  ami»  ,  lui  dit-il, 
«  c'est  en  pensant  à  notre  prochaine  séparation,  que  mon  âme  est  accablée 
de  tant  de  tristesse  ».  Polyeucte  fut  comme  foudroyé.  «  D'où  pourrait  prove- 
nir »,  s'écria-t-il,  «  cette  séparation  que  la  mort  même  ne  saurait  opérer?» 
Néarque  lui  répondit  :«  Et  cependant,  cette  séparation  que  la  mort  n'aurait 
pu  opérer,  va  avoir  lieu  » . 

Polyeucte  ne  pouvant  encore  entrevoir  où  tendaient  de  pareils  discours, 
se  lève,  embrasse  son  ami  et  lui  dit  :  «  Explique-toi,  car  je  ne  puis  plus  sup- 
porter cette  réserve  si  peu  amicale».  Néarque  regarda  fixement  son  ami, et 
tout  en  lui  dénotait  une  âme  en  proie  aux  plus  violents  sentiments.  Il  ne 
put  se  contenir  plus  longtemps.  «  C'est  cet  édit  de  l'empereur,  6  très-cher 
Polyeucte,  qui  va  nous  séparer  à  jamais  ». 

Polyeucte  comprit  parfaitement  ce  que  signifiaient  ces  paroles  ;  mais  à 
l'instant,  une  pensée  que  Dieu  lui  envoya  vint  relever  son  esprit  abattu  ;  car 
il  avait  eu  une  vision  dont  il  s'empressa  de  faire  part  à  son  ami  :  «  Il  y  a 
quelque  chose,  Néarque  »,  lui  dit-il,  «  qui  empêchera  cette  séparation  de 
s'exécuter,  car  j'ai  vu  le  Christ  que  tu  adores  s'approcher  de  moi,  me  dé- 
pouiller de  ce  méchant  habit  dont  je  suis  recouvert,  et  me  revêtir  d'un  vête- 
ment précieux  :  qui  pourrait  dire  sa  beauté  et  son  éclat  ?  Il  le  fixa  sur  mes 
épaules  avec  une  agrafe  d'or  ;  puis  il  me  donna  un  cheval  ailé  ».  L'échange 
d'un  méchant  vêtement  pour  un  meilleur  eut  lieu,  lorsqu'il  passa  de  la 
milice  terrestre  dans  les  rangs  de  l'armée  du  Christ.  Et  ce  cheval  ailé,  que 
pouvait-il  signifier  autre  chose  que  sa  prompte  ascension  de  la  terre  au  ciel? 
Néarque  tressaillit  de  joie.  «  Connais-tu  le  Christ?  »  lui  demanda-t-il  avec 
allégresse,  «  ce  Christ,  Polyeucte,  qui  est  vraiment  Dieu  ».  Polyeucte  lui  ré- 
pondit: «Comment  aurais-j  e  pu  l'ignorer  ?  quand  tu  parlais  de  lui,  est-ce  que 
mon  âme  n'était  pas  saisie  de  crainte  ?  Est-ce  que  la  lecture  que  tu  faisais 
de  ses  discours  ne  me  ravissait  pas  d'admiration  ?  Le  nom  seul  de  chrétien 
me  manquait,  puisque  je  l'étais  par  sentiment.  Que  faisons-nous,  ô  Néar- 
que? pourquoi  ne  nous  déclarons-nous  pas  publiquement  les  serviteurs  du 
Christ  ?  Mais  avant,  instruis-moi  sur  quelques  points  de  la  vie  de  l'esprit  ». 
Néarque  se  leva  soudain,  et  dit  :  «  Sois  sans  inquiétude,  tendre  ami,  car  il  est 
écrit  que  Dieu  peut  de  ces  pierres  mêmes  faire  des  enfants  d'Abraham,  c'est- 
à-dire  que  les  Gentils  peuvent  être  sauvés  par  Jésus-Christ.  Il  est  encore 
écrit  que  les  ouvriers  qui  sont  allés  travailler  à  la  dernière  heure  seront 
récompensés,  comme  ceux  qui  sont  allés  travailler  à  la  première  ;  en  sorte 
que,  quoique  venu  tard,  tu  seras  récompensé  comme  les  premiers.  Vois  le 
larron  qui  fut  crucifié  avec  le  Christ  :  une  simple  et  courte  parole  lui  obtint 
le  ciel,  comme  s'il  l'avait  gagné  par  de  nombreux  mérites». 

Ce  discours  fit  naître  dans  l'âme  de  Polyeucte  une  grande  confiance.  «Tout 
cela»,  dit-il,  «  nous  manifeste  clairement  que  l'un  de  nous  doit  subir  le  mai^ 
tyre  ;  je  me  représente  par  la  pensée  tout  ce  qu'il  y  a  de  beau  dans  le  ciel  ;  je 
vois  le  Christ  devant  mes  yeux,  et  l'éclat  de  cette  vision  enflamme  mon  vi- 
sage. Mais  il  est  temps  que  nous  lisions  l'édit  des  empereurs,  afin  que  nous 
sachions  ce  qu'il  exige  de  nous  ».  11  saisit  l'édit;  et,  après  l'avoir  lu,  il  le  dé- 
chira en  mille  morceaux  qu'il  jeta  au  vent  ;  se  retournant  ensuite,  il  aperçut 
qu'on  transportait  les  idoles  qui  allaient  être  placées  sur  des  autels  pour  y 
recevoir  des  adorations  insensées.  Il  feignit  de  s'approcher  de  l'autel  d'un 
air  calme.  Là,  il  prend  les  idoles  les  unes  après  les  autres,  les  brise  contre 
terre  et  les  réduit  en  poussière.  Cette  action  attira  sur  les  lieux  son  beau- 


486  13  FÉVRIER. 

père  Félix  que  les  empereurs  avaient  chargé  de  diriger  la  persécution  ;  il  se 
montra  d'abord  courroucé,  puis,  touché  d'une  aflection  humaine  et  d'une 
compassion  très-sensible  envers  le  Saint,  il  lui  parla  ainsi  : 

nPolyeucte,  consentez  du  moins  à  vivre  jusqu'à  ce  que  vous  ayez  vu  votre 
épouse  ».  —  «  Si  votre  fille  »,  répondit  le  Saint,  «  veut  me  suivre,  la  pensée 
du  ciel  et  l'espérance  des  biens  incorruptibles  la  rendront  heureuse  ;  sinon 
elle  périra  avec  vos  dieux  ».  Félix  versa  d'abondantes  larmes,  car  il  avait 
perdu  tout  espoir.  «  Malheur  à  moi  »,  s'écria-t-il,  «  l'art  magique  du  Christ  a 
précipité  Polyeucte  dans  l'erreur  ».  a  Je  le  confesse  »,  répondit  Polyeucte, 
«  c'est  par  le  Christ  que  j'ai  été  appelé  à  la  connaissance  de  la  vérité  ». 
Gomme  il  parlait  ainsi,  ceux  qui  persécutaient  les  Saints  s'approchèrent,  et, 
se  saisissant  de  la  personne  du  martyr,  ils  le  frappaient  à  la  bouche.  Mais 
le  généreux  Polj'eucte  se  mettait  peu  en  peine  de  ces  coups,  car  il  voyait 
à  ses  côtés  Jésus-Christ  qui  avait  souffert  pour  lui. 

Il  allait  avoir  à  lutter  contre  une  autre  épreuve  ;  son  beau-père  et  sa 
femme  se  présentèrent  en  répandant  des  larmes  et  en  manifestant  la  plus 
vive  douleur  ;  mais  le  martyr,  qui  n'ignorait  pas  les  embûches  du  démon,  se 
redressa  dans  toute  sa  fermeté  et  opposa  à  l'émotion  que  lui  causa  d'abord 
la  vue  de  sa  femme  toute  l'énergie  de  sa  foi  ;  puis  il  parla  ainsi  à  son  beau- 
père,  d'un  ton  grave  et  pénétrant  :  «  Serviteur  de  profanes  idoles,  pourquoi 
par  vos  larmes  et  celles  de  mon  épouse,  cherchez-vous  à  me  faire  renoncer 
à  la  confession  du  nom  de  Jésus-Christ?  vous  devriez  plutôt  pleurer  sur 
vous-même  en  songeant  qu'après  avoir  temporellement  servi  des  princes 
qui  bientôt  doivent  périr,  vous  serez  livTé  à  un  feu  éternel».  Regardant  en- 
suite sa  femme  qui  pleurait  amèrement  et  lui  disait  :  «  Que  t'est-il  donc 
arrivé,  Polyeucte  ?  Par  quelle  tromperie  as-tu  été  amené  à  briser  nos  douze 
dieux?  »  le  martyr  sourit  doucement  et  dit  :  «  Courage,  Pauline,  écoute- 
moi  ;  je  t'enseignerai  la  connaissance  du  vrai  Dieu  ;  hâte-toi  de  l'adorer  et 
d'échanger  cette  courte  vie  pour  une  autre  qui  est  éternelle  ». 

Durant  cet  entretien,  les  persécuteurs,  voyant  avec  dépit  que  l'exemple 
de  Polyeucte  convertissait  à  la  foi  chrétienne  un  grand  nombre  de  gentils, 
pressèrent  sa  condamnation  à  mort.  Lorsqu'on  lui  signifia  la  sentence,  il 
parut  à  peine  ému.  L'épreuve  était  terrible  pour  un  jeune  converti,  jouissant 
comme  lui  des  douceurs  et  du  charme  de  la  vie  !  Il  laissa  bientôt  paraître 
une  grande  joie,  comme  quelqu'un  qui  commencerait  à  jouir  de  la  béati- 
tude du  ciel.  Il  répétait  à  ceux  qui  étaient  présents  :  «  J'ai  vu  un  jeune 
homme  tout  céleste  s'approcher  de  moi,  m'adresser  la  parole  et  m'engager 
vivement  à  oublier  toutes  les  choses  terrestres  ». 

Au  moment  oii  il  allait  recevoir  le  baptême  dans  le  sang  de  Jésus-Christ, 
il  y  eut  une  seule  chose  de  la  terre  qui  revint  à  son  esprit,  ce  fut  l'amitié  de 
Néarque.  Ayant  aperçu  ce  digne  ami,  il  lui  dit  :  «  Courage,  Néarque,  et 
souviens-toi  de  notre  alhance  1  »  Puis,  il  présenta  son  cou  au  glaive  et  mou- 
rut en  héros. 

Les  frères  qui  étaient  présents  s'empressèrent  de  déposer  son  saint  corps 
à  Mélitène,  ville  de  l'Arménie.  Or,  il  s'écoula  quatre  jours  entre  la  mort  de 
Polyeucte  et  la  déposition  de  son-  corps.  Néarque  était  présent  aussi  ;  il  prit 
du  sang  du  martyr,  son  ami,  sur  un  linge  fin,  et  le  porta  dans  la  ville  de  Ca- 
nanéote,  à  laquelle  il  donna  ainsi  un  précieux  héritage. 

Tels  sont  dans  toute  leur  simplicité,  rédiges  par  Néarque  et  légèrement 
abrégés  par  nous,  ces  admirables  actes  de  saint  Polyeucte,  dont  Corneille  a 
tiré  un  des  chefs-d'œuvre  du  théâtre  français. 

Oo  donne  pour  attribut  à  saint  Polyeucte  l'épée  qui  trancha  le  fil  de  ses 


SAINT   VOLUSIEN  OU  VODSSIEN,   ÉVÉQUE  DE   TOUKS,  MABTTR.  487 

jours. —  On  le  représente  aussi  endormi,  voyant  Jésus-Christ  qui  lui  apporte 
un  vêlement  d'une  étoffe  précieuse,  figure  du  bonheur  de  la  vie  étemelle. 

Les  Grecs  font  sa  fête  avec  beaucoup  de  solennité  le  9  de  janvier. 

Il  y  avait  à  Mélitène,  dans  le  rv°  siècle,  une  église  de  Saint-Polyeucte  oîi 
saint  Euthyme  allait  souvent  prier.  Il  y  en  avait  aussi  une  magnifique  h 
Constantinople,  sous  l'empereur  Justinien  :  les  hommes  y  faisaient  leurs  ser- 
ments les  plus  solennels.  Nos  rois  de  la  première  race  confirmaient  leurs 
traités  par  le  nom  du  saint  martyr  Polyeucte. 


SAliNT  YOLUSIEN  OU  VOUSSIEN,  ÉVÊQUE  DE  TOURS, 

MARTYR 

499.  —  Pape  :  Symmaqae.  —  Roi  des  Francs  :  Clovis. 


Principes  persecuti  sunt  me  gratis. 

It'homme  pieux  ne  craint  ni  les  princes,  ni  lefl 
grands;  cependant  il  n'emploie  contre  eux  d'au- 
tres armes  que  celles  de  la  prière  et  do  fidèle 
accomplissement  des  préceptes  diTius. 

Comm.  sur  te  Ps.  cxviii,  161. 

Saint  Volusien,  évoque  de  Tours,  naquit  à  Lyon  d'une  famille  sénato- 
riale, originaire  de  l'Auvergne.  Malgré  les  bienveillantes  attentions  des  em- 
pereurs dont  ils  furent  souvent  l'objet,  ses  ancêtres  préférèrent  aux  faveurs 
impériales  la  grâce  du  baptême.  Ils  n'hésitèrent  point,  en  eflet,  à  embrasser 
le  christianisme,  dès  qu'ils  en  eurent  connu  la  divinité.  Le  père  de  Volusien 
se  nommait  Apollinaire  et  sa  mère  Malertera. 

Fidèle  aux  glorieuses  traditions  de  sa  famille,  le  jeune  Volusien  donna 
de  bonne  heure  l'exemple  des  vertus  chrétiennes  ;  mais  son  âme  ardente  et 
généreuse  ne  pouvait  se  contenter  d'une  perfection  commune  et  vulgaire,  et 
il  embrassa  la  vie  monastique  au  célèbre  monastère  de  Lérins,  cette  pépi- 
nière d'évêques  qui  jeta  un  si  vif  éclat  dans  l'Eglise  de  France. 

Nous  ignorons  les  circonstances  qui  l'amenèrent  à  Tours,  sous  l'épisco- 
pat  de  saint  Eustache.  Ce  pieux  évêque,  charmé  de  ses  vertus,  le  retint  près 
de  lui  et  il  y  resta  sous  l'épiscopat  de  saint  Perpet,  dont  il  était  d'ailleurs  le 
parent'.  Maan  prétend  qu'il  était  également  parent  de  Sidoine  Apollinaire  *; 
mais  cette  opinion  ne  nous  paraît  pas  assez  solidement  établie. 

A  la  mort  de  saint  Perpet,  le  peuple  de  Tours,  grand  admirateur  des 
vertus  de  Volusien,  le  choisit  pour  son  évêque.  C'était  en  l'année  491. 

Digne  imitateur  de  son  illustre  parent,  il  employa  son  immense  fortune 
au  soulagement  des  pauvres  et  aux  besoins  de  son  église.  Il  érigea  la  pa- 
roisse de  Manthelan,  dans  l'arrondissement  de  Loches,  et  consacra  la  basi- 
lique de  Saint-Jean,  à  Marmoutier. 

Les  honneurs  de  l'épiscopat  ne  diminuèrent  en  rien  l'éclat  de  son  humi- 
lité et  il  conserva,  sur  le  siège  épiscopal,  la  simplicité  et  la  modestie  du 
moine.  Il  sut  par  sa  douceur  gagner  l'affection  de  son  peuple  ;  mais,  homma 

I.  Bistaria  Franeorum,  llb.  s,  c.  81. 

S.  Mun,  Sancta  et  ifetropol.  Ecclea.  Turon.,  aanctos  Voloslanu*. 


488  13  FÉVBIER. 

de  conscience,  de  fermeté,  il  se  rendit  bientôt  suspect  à  Alaric  qui  tenait 
alors  sous  sa  domination  une  grande  partie  de  la  Gaule  et  de  la  Touraine 
jusqu'à  la  Loire.  Le  monarque  arien,  comprenant  que  la  conversion  de 
Clovis  au  christianisme  allait  porter  un  rude  coup  à  son  autorité,  et  redou- 
tant par-dessus  tout  l'influence  des  évéques,  ne  recula  pas  devant  la  persé- 
cution. La  courageuse  éloquence  et  les  abondantes  aumônes  de  Volusien  le 
désignèrent  l'un  des  premiers  aux  rigueurs  du  roi  barbare.  Arraché  violem- 
ment du  siège  épiscopal  qu'il  occupait  si  dignement  depuis  sept  ans,  il  fut 
emmené  en  exil  dans  la  ville  de  Toulouse. 

Malgré  le  profond  chagrin  qu'il  éprouvait  d'être  séparé  de  son  église, 
Yoiusien  ne  resta  pas  inactif;  ne  pouvant  plus  instruire  son  peuple,  il  fit  en- 
tendre constamment  sa  parole  aux  Ariens  ;  il  discutait  avec  leurs  évêques, 
et  par  l'ardeur  de  son  zèle  et  l'efficacité  de  ses  discours,  il  fit  triompher  la 
vérité  catholique. 

Les  Goths,  chassés  par  les  troupes  victorieuses  de  Clovis,  résolurent 
d'emmener  le  saint  évêque  dans  leur  fuite  jusqu'en  Espagne  ;  mais  comme 
le  courageux  Pontife  ne  cessait  de  leur  reprocher  leur  hérésie  avec  une 
sainte  hardiesse,  ils  lui  tranchèrent  la  tête  dans  les  environs  de  Pamiers,  et 
ils  ajoutèrent  ainsi  à  ses  mérites  la  couronne  du  martyre,  vers  l'année  499. 

La  tradition  rapporte  que  le  Saint  s'appuyait  sur  son  bâton  en  présentant 
sa  tête  au  glaive  du  bourreau.  Ce  bâton  demeura  en  terre  et  il  devint  dans  la 
suite  un  bel  arbre  qu'on  voyait  encore  au  xvii°  siècle  '.  Son  corps,  enseveli 
d'abord  auprès  de  Foix,  fut  transporté  plus  tard  dans  une  église  que  le 
comte  Roger  fit  élever  en  son  honneur.  Des  religieux  Augustins  construisi- 
rent un  monastère  autour  de  cette  tombe  qui  devint  bientôt  un  lieu  de  pèle- 
rinage, que  de  nombreux  miracles  rendirent  très-célèbre. 

Le  martyrologe  romain  fixe  sa  fête  au  18  janvier  ;  mais  l'église  de  Tours 
la  célèbre  le  d  1  février,  et  celui  de  Pamiers  le  13,  en  vertu  d'une  permission 
du  Saint-Siège'. 

Tels  sont,  en  raccourci,  la  vie  et  la  mort  de  saint  Volusien  :  les  chercheurs  et  les  archéologue» 
nous  sauront  gré  d'ajouter  ici, comme  en  appendice,  un  document  que  nousdevons  à  l'obligeance  da 
W.  Pouech,  chanoine  à  Pamiers. 

«  Ce  qui  peut  vous  avoir  échappé,  nous  écrivait,  le  12  novembre  1871,  ce  savant  ecclésiastique, 
c'est  un  document  de  13S4  rapporté  en  preuve  par  Dom  Vaisselle,  auteur  de  l'Histoire  du  Lan- 
guedoc, et  dont  je  vous  donne  ici  un  extrait  que  je  prends  dans  le  livre  de  M.  Adolphe  Gamgou, 
un  des  érudits  qui  ont  écrit  sur  l'ancien  pays  de  Foix,  n'ayant  pas  à  ma  disposition  l'œuvre  de  Dom 
Vaisselle.  Voici  celte  pièce  : 

«  A  luus  ceux  qui  verront  le  présent  écrit  faisons  savoir  que  nous  Hugues,  par  la  grâce  de 
Dieu,  humble  abbé  du  monastère  de  Saint-Augustin  de  Foii,  diocèse  de  Pamiers,  avons  trouvé,  vn, 
appris  cl  lu  mot  à  mot,  dans  les  archives  et  (de  ?)  la  sacristie  de  noire  monastère,  divers  actes, 
livres  et  anciens  manuscrits  destinés  à  conserver  le  souvenir  des  faits  relatifs  à  l'abbaye,  à  sa  basi- 
lique et  i  ses  anciens  canons  ou  règlements.  Nous  avons  vu  dans  ces  titres  que  le  bienheureux  Volu- 
sien, mnriyr  de  Jésus-Christ  et  archevêque  de  Tours  (sic),  de  bonne  mémoire,  dont  le  corps 
repose  dans  la  basilique  de  Foix,  du  temps  de  Clovis,  premier  roi  chrétien  de  France,  alors  qu'une 
bande  de  Golhs  et  d'Ariens,  vraie  peste  publique,  envahit  la  Gaule,  et  que  la  ville  de  Tonrs, 
décimée  par  le  fer  et  livrée  au  pillage,  fut  privée  de  son  évêque  et  pasteur,  nous  avons  lu,  disons- 
nous,  que  le  bienheureux  Volusien  fut  pris  et  lié  par  ces  détestables  ennemis  de  la  foi  et  conduit 
en  exil  jusqu'à  Toulouse.  On  y  lit  encore  que  ces  farouches  Visigoths,  soupçonnant  leur  propre 
roi  Alaric,  qui  habitait  Toulouse,  de  s'entendre  avec  Volusien  pour  rendre  la  ville  aux  armées  fran- 
ques,  éloignèrent  celui-ci  qui  était  tenu  en  dehors  des  murs  de  la  ville  lié  et  enchaîné.  Ils  voulu- 
rent conduire  le  saint  évêque  en  Espagne  ou  dans  quelque  contrée  éloignée,  afin  de  dominer  seuls 
sur  la  ville  et  de  pouvoir  sans  obstacle  naturaliser  leurs  doctrines  perverses  au  sein  d'une  popula- 
tion catholique.  Volusien,  entraîné  jusqu'au  lieu  de  Couronne,  à  un  mille  du  village,  dit  Villepey- 

1.  DviSvasa.j,ilart.  gaH.,ap\id  Bolla*dum,liivn\et.  —  3.  M.  l'abbé  Rolland,  jluni.  du  p«iu.  i/jt 
fWr<»  du  écoles  chrét.  de  Touri. 


SAIOT  GRÉGOIRE*  n,  PAPE.  489 

ronse,  fui  décapité  par  ces  soldats  barbares  et  reçut  ainsi  d'eux  la  couronne  du  martyre.  De  plus, 
on  lit  qae  la  même  aait  où  le  Saint  fut  mis  à  mort,  il  apparut  à  deux  femmes  pieuses  Julienne  et 
Juliette,  et  qu'il  leur  raconta  les  circonstances  de  son  mdih/re,  leur  ordonnant  d'aller  trouver  les 
elercs  et  les  fidèles  de  Foix,  afin  que  son  corps  fût  porté  dans  la  basilique  de  cette  ville  et  y  reçût 
la  sépulture  :  ce  qui  fut  fait  sans  retard  et  comme  par  enchantement,  d'après  ce  que  rapportent  ces 
écrits  authentiques  et  dignes  d'  toute  croyance...  Je  supprime  ici  une  quinzaine  de  lignes  étran- 
gères au  sujet...  Après  quoi  l'abbé  Hugues  ajoute  :  o  Nous  avons  trouvé  ces  faits  rapportés  dans 
des  monuments  anciens,  dans  des  manuscrits  dignes  de  fui,  et  nous  y  pnisons  un  témoignage 
irrévocable  de  ce  que  nous  avançons,  et  afin  que  toute  croyance  y  soit  aussi  ajoutée.  Nous,  abbé 
susdit,  à  la  prière  des  consuls  et  de  la  communauté  de  Foix,  Doos  dressons  le  présent  diplôme  et 
le  revêtons  de  notre  propre  sceau. 

(1  Fait  et  donné  dans  notre  susdit  monastère,  le  23  dn  mois  d'octobre,  année  de  l'incarnatioa  do 
Seigneur  1384  ». 

«Ce  diplôme,  au  dire  de  l'auteur  précité  {M.  Adolphe  Gam'jou,  dans  son  livre  iniitolé:  Etudes 
sur  l'ancien  pays  de  Foix  et  le  Couserau,  à  Toulouse,  chez  Renault,  1846),  se  trouve  rapporté  en 
latin,  dans  le  tome  i"'  de  V Histoire  du  Languedoc,  Preuves,  page  22, — ce  que  je  ne  puis  vérifier  par 
moi-même. 

«  C'est  sur  ce  monument  écrit  que  les  savants  historiens  dn  Languedoc  ont  composé  leur  récit 
touchant  l'exil  et  la  mort  de  saint  Volusien,  récit  que  les  chroniqueurs  qui  ont  écrit  après  eux  ne  font 
que  reproduire.  Or,  ce  récit  des  savants  Bénédictins,  appuyé  de  ce  diplôme  qu'ils  doivent  avoir  regardé 
comme  authentique,  a  déjà  de  l'autorité.  Mais  nous  avons  encore  d'autres  auteurs  antérieurs  qui  ont 
pu  jiuiser  à  la  même  source,  les  archives  de  Foix,  et  qui,  parlant  de  saint  Volusien,  racontent 
aussi  uniformément  son  martyre.  Ce  sont  : 

«  1»  Au  XVIII»  siècle,  le  Père  de  La  Couldre,  Tie  de  saint  Volusien,  Limoges,  1722,  chez  Fraa- 
çois  Meillac. 

«  2»  Au  ïvii»  siècle,  l'abbé  de  Lascases,  ex-recleur  de  Foix,  natif  de  cette  ville,  dans  soa 
Mémorial  historique  sur  les  troubles  du  pnijs  de  Foix  de  1490  à  1610,  Toulouse,  chez  Arnaud 
Colomies,  1644,  et  de  Marca,  Histoire  du  Béarn  et  du  pays  de  Foix. 

a  3»  L'Histoire  des  comtes  de  Foix,  en  latin,  par  Bertrand  Héhe,  de  Pamiers,  xvi»  siècle. 

«  Ce  dernier  peut  avoir  consulté  les  archives  du  monastère  de  Saint- Volusien  pendant  qu'elles 
étaient  encore  dans  leur  intégrité. 

«  Or,  antérieurement  à  cette  époque,  on  cite  une  foule  d'actes  de  donations  faites  au  monastère  de 
Saint-Volusien,m«r/i/r,  remontant  jusqu'à  sa  fondation  eu  1104,parPaschal  ll,àla  prière  de  Roger  I", 
premier  comte  de  Foix,  et  racontée  par  André  de  Ravenae,  religieux  de  l'Observance. 

«  Le  monastère  fut  fondé  sous  le  vocable  de  Saint-Auguslin;  mais  à  parlii'  de  1111,  il  passa  sous 
celui  de  Saint-Volusicn,  martyr,  ou  du  moins  c'est  ainsi  qu'on  le  nomme. 

a  Lascases,  d'après  Hélie  Durand  et  d'autres  écrivains  antérieurs,  raconte  au  long  la  translation  de 
tes  reliques,  et  tous  qualifient  le  Saint  de  martyr. 

«  Enfin  on  cite  encore  des  actes  de  donation  à  saint  Volusien,»iaWyr, remontant  au  X"  siècle». 
(Manuscrit  de  1438,  cité  par  A.  Garrigou,  page  330.) 


SAINT  GREGOIRE  II,  PAPE 

114-731.  —  Empereurs  d'Orient  :  Anastase  II;  Théodose  III;  Léon  l'Isaurien. 


Le  Christ  m'est  témoin  :  lorsque  Je  contemple  son 
Image,   je    sois  saisi    de    componction    et  mes 
larmes  coulent  comme  la  pluie  du  ciel. 
Saint  Grégoire  II. 

Grégoire,  deuxième  du  nom,  était  né  à  Rome  :  son  père,  qui  s'appelait 
Marcel,  lui  transmit  avec  son  sang  de  patricien  toutes  les  traditions  de  la 
politique  romaine.  Il  était  moine  bénédictin,  sacellaire  et  bibliothécaire  de 
la  sainte  Eglise  romaine,  lorsqu'il  fut  élevé  à  la  dignité  de  cardinal  diacre, 
par  le  pape  Sergius  I",  qui  l'affectionnait  particulièrement.  Il  joignit  une 
éminente  sainteté  à  une  profonde  connaissance  de  l'Ecriture  et  de  toutes 
les  sciences  ecclésiastiques,  dont  il  avait  fait  une  étude  spéciale  dans  la 


490  13  FÉTRIER. 

maison  ou  école  patriarcale  do  Latran.  Il  suivit  à  Constantinople  le  pape 
Constantin  auquel  il  devait  succéder,  et  fit  comprendre  à  l'empereur  Justi- 
nien  II,  qui  le  prit  en  grande  estime,  tout  ce  qu'il  y  avait  d'irrégulier  dans 
les  actes  du  concile  m  liullo  '. 

II  fut  élu  pape  quarante  jours  après  le  décès  de  Constantin,  son  prédé- 
cesseur :  il  jugea  les  temps  difficiles  où  il  était  venu  et  ne  les  craignit  pas. 

Quatre  grands  événements  marquent  son  pontificat  :  la  restauration  de 
la  vie  monastique  en  Italie  ;  la  conversion  et  la  constitution  ecclésiastique 
de  r.Vllemagne  ;  sa  lutte  contre  l'iconoclaste  Léon  l'Isaurien  ;  l'émancipa- 
tion de  Rome  et  de  l'Italie  du  joug  devenu  insupportable  des  empereurs 
d'Orient. 

11  commença  d'abord  à  réparer  les  murs  de  Rome  ;  mais  diverses  cir- 
constances malheureuses  l'arrêtèrent  dans  cette  utile  entreprise,  tant  l'Italie 
était  tourmentée  par  une  horrible  tempête.  Il  travailla  avec  plus  de  succès 
à  rétablir  en  Italie  la  discipline  monastique.  Un  nommé  Pétronax  était  venu 
à  Rome  par  piété  et  y  avait  embrassé  la  vie  religieuse  :  le  Pape  se  servit  de 
lui  pour  relever  le  monastère  du  Mont-Cassin  ruiné  par  les  Lombards,  envi- 
ron cent  quarante  ans  auparavant.  Quand  Pétronax,  aocompagné  de  quel- 
ques Frères  du  monastère  de  Latran,  arriva  au  Mont-Cassin,  il  y  trouva  des 
anachorètes  qui  vivaient  en  grande  simplicité  au  milieu  des  décombres  de 
l'ancienne  abbaye  :  il  se  les  adjoignit,  et  tous  ensemble  se  remirent  à  obser- 
ver dans  sa  pureté  primitive  la  règle  bénédictine,  là  même  où  le  fondateur 
l'avait  écrite. 

Saint  Grégoire  rétablit  encore  à  Rome  les  monastères  qui  étaient  près 
de  l'église  de  Saint-Paul,  réduits  en  solitudes  depuis  longtemps,  et  il  y  éta- 
blit des  moines  pour  chanter  les  louanges  de  Dieu  jour  et  nuit.  Il  fit  encore 
un  monastère  d'un  hôpital  de  vieillards  qui  était  derrière  l'église  de  Sainte- 
Marie-Majeure,  et  rétablit  le  monastère  de  SainlrAndré,  dit  de  Barbara,  tel- 
lement abandonné  qu'il  n'y  restait  pas  un  moine.  L'une  et  l'autre  commu- 
nauté venaient  chanter  l'office  tous  les  jouft  et  toutes  les  nuits  dans  l'église 
de  Sainte-Marie.  Après  la  mort  d'Honesta,  sa  mère,  le  saint  Pape  donna  sa 
propre  maison  à  Dieu,  et  y  bâtit  de  fond  en  comble  un  monastère  en  l'hon- 
neur de  sainte  Agathe,  auquel  il  assigna  des  maisons  dans  la  ville  et  des 
terres  à  la  campagne  '.  En  rétablissant  ainsi  les  monastères,  surtout  le  mo- 
nastère du  Mont-Cassin,  ce  grand  Pape  fondait  pour  les  siècles  du  moyen 
âge,  non-seulement  des  retraites  à  la  piété,  mais  des  asiles  aux  lettres, 
aux  arts  et  aux  sciences.  Car,  pendant  les  siècles  du  moyen  âge,  les 
monastères  furent  les  seules  écoles  en  Occident.  Sans  eux  et  sans  Tépée 
de  Charles  Martel,  l'Europe,  asservie  aux  Mahométans,  en  serait,  pour 
les  sciences,  les  lettres  et  les  arts,  où  en  est  l'Afrique  sous  les  Maures  et  les 
Bédouins. 

Non  moins  vigilant  à  réprimer  les  désordres  qui  se  glissaient  parmi  les 
fidèles,  qu'à  rétablir  les  monastères,  le  saint  pape  Grégoire  II  tint,  le  5  avril 
721,  un  concile  à  Rome,  où  assistèrent  vingt-deux  évêques,  avec  tout  le 
clergé  romain.  Parmi  les  évêques  de  ce  concile,  il  y  en  avait  trois  étran- 
gers :  Sedulius,  écossais  de  la  Grande-Bretagne  ;  Fergust,  picte  d'Ecosse  ; 
et  Sindered  d'Espagne,  qui  avait  quitté  l'archevêché  de  Tolède,  à  l'invasion 

1.  Ce  concile  fat  ainsi  appelé  parce  qu'il  s'était  tenn  dans  une  salle  dn  palais  Impérial  nommé  Trvltiit. 
Les  Papes  aralent  refusé  do  le  confirmer,  k  cause  de  certains  canons  qui  tendaient  h  détruire  l'uniformité 
de  la  discipline  entre  l'ExUse  ^ecque  et  l'Eglise  latine.  11  fut  aussi  appelé  Quim-Sexie,  parce  qu'il  sup- 
pléa, par  «es  canons,  au  cinqulcme  (quinlus)  et  an  sixième  (jei/uj),  qui  n'en  avalent  pas  laissé.  (Voir  laa 
Concile.',  de  Mgr  Gnérln,  t.  u,  p.  T. 

t.  Anast.  /n  Greg.  II. 


SAIKT  GRiOOntE  ff,  V&s£  491 

des  Sarrasins.  Centre  de  l'unité,  Rome  était  un  asile  toujours  ouvert  aux 
fugitifs  '. 

En  résumé,  les  Pontifes  romains  continuaient  à  civiliser  l'Angleterre  :  ils 
commençaient  à  civiliser  l'Allemagne  ;  ils  élevaient  partout  aux  sciences, 
aux  lettres  et  aux  arts,  des  sanctuaires  inviolables  dans  les  monastères.  Ils 
engageaient  les  princes  à  protéger  ces  foyers  de  civilisation  et  à  repousser 
l'invasion  sanglante  du  mahométisme,  qui,  de  fait,  devait  abrutir  le  genre 
humain  ;  en  un  mot,  les  Pontifes  romains  étaient  les  sauveurs  de  l'Occi- 
dent, et  par  là  même  du  monde.  L'Orient  lui-même  ne  leur  fut  pas  moins 
redevable  à  cette  époque  ;  car  il  leur  dut  de  conserver,  non-seulement  la 
foi  chrétienne,  mais  encore  le  bon  sens,  avec  le  goût  des  lettres  et  des  arts. 

L'Angleterre  devait  sa  conversion  à  Rome  ;  l'Allemagne  dut  la  sienne  à 
l'Angleterre.  Les  Anglais  continuaient  leur  pèlerinage  au  tombeau  des  Apô- 
tres. Tourmentés  par  le  feu  du  zèle  que  Jésus-Christ  est  venu  semer  sur  la 
terre,  et  pressés  par  cette  passion  de  l'apostolat  propre  aux  Anglais,  les  nom- 
breux moines  missionnaires  formés  dans  l'île  des  Saints  venaient  demander 
sa  bénédiction  au  successeur  de  saint  Pierre  et  de  là  se  répandaient  dans  les 
pays  du  Nord,  inaccessibles  aux  hommes  de  la  race  latine,  et  qui  attiraient 
toute  la  sollicitude  du  Pape  régnant.  Déjà,  en  l'année  716,  il  avait  envoyé  en 
Bavière  trois  légats  :  un  évêque,  un  diacre  et  un  sous-diacre,  afin  d'ériger 
un  archevêché  et  un  évêché  dans  le  pays  où  les  populations  se  convertis- 
saient en  foule,  et  d'y  pourvoir  à  l'enseignement  de  la  doctrine  chrétienne. 
Il  sacra  évêque  saint  Corbinien  qui  fixa  depuis  son  siège  à  Freisingen,  en 
Bavière.  En  l'année  718,  un  moine  anglo-saxon  se  présenta  devant  Gré- 
goire II,  et,  tirant  de  son  manteau  une  lettre  de  son  évêque,  Daniel  de  Win- 
chester, il  attendit  humblement  la  réponse  du  Pontife.  Le  nom  du  moine 
était  Winfrid  ;  il  s'appellera  plus  tard  Boniface.  Le  Pape  lui  donna  commis- 
sion d'aller  prêcher  l'Evangile  aux  nations  encore  infidèles  de  la  Germanie, 
de  la  Thuringe,  de  la  Frise,  de  la  Hesse  et  de  la  Saxe.  Le  compte  qu'il  lui 
rendit  des  succès  de  sa  première  mission  engagea  saint  Grégoire  II  à  le  rap- 
peler à  Rome  pour  l'ordonner  évêque  avec  juridiction  sur  toutes  les  églises 
qu'il  fonderait.  L'élu  prêta  le  serment  épiscopal  :  voici  quelques  paroles  de 

cet  acte  solennel  qui  fonda  le  droit  ecclésiastique  en  Allemagne «  Moi, 

Boniface,  évêque  par  la  grâce  deDieu,  je  promets  àvous,  bienheureux  Pierre, 
prince  des  Apôtres,  et  à  votre  vicaire  le  bienheureux  Grégoire,  comme  à  ses 

successeurs,  par  la  Trinité  indivisible et  par  votre  corps  très-sacré  ici 

présent,  de  garder  la  fidélité  et  la  pureté  de  la  foi  catholique,  et  de  persé- 
vérer, avec  l'aide  de  Dieu,  dans  l'unité  de  la  même  foi  d'où  dépend,  sans 

aucun  doute,   le  salut  de  tous  les  chrétiens Moi,  Boniface,  humble 

évoque,  j'ai  écrit  de  ma  propre  main  ce  texte  de  mon  serment,  et,  le  dépo- 
sant sur  le  tombeau  très-sacré  de  saint  Pierre,  j'ai  fait  devant  Dieu,  pris 
pour  témoin  et  pour  juge,  le  serment  que  je  promets  d'observer  ».  En  ren- 
voyant Boniface  aux  nations  du  Nord,  le  souverain  Pontife  lui  remit  le  livre 
des  saints  canons  ;  il  y  joignit  des  lettres  pour  Charles  Martel,  pour  les  évê- 
ques  et  le  peuple  chrétien  qu'il  exhortait  à  faire  bon  accueil  au  délégué  du 
Saint-Siège  ;  enfin  pour  les  idolâtres  thuringiens  et  saxons  auprès  desquels 
il  l'accréditait  comme  l'envoyé  de  Dieu  dans  l'intérêt  de  leurs  âmes. 

Une  lettre  de  saint  Grégoire  II  à  Léon  l'Isaurien,  empereur  de  Constanti- 
nople,  disait  :  «  Nous  partons  pour  l'extrémité  de  l'Occident,  vers  ceux  qui 
demandent  le  saint  baptême.  Car  depuis  que  j'y  ai  envoyé  des  évêques  et 
des  clercs  de  notre  Eglise,  leurs  princes  n'ont  pu  encore  être  amenés  à  se 

1.  Labbe,  tome  ti,  p.  l<i5A. 


492  13  FÉVWER. 

laisser  baptiser,  parce  qu'ils  désirent  que  je  sois  leur  parrain »  Nous  ne 

savons  si  le  saint  Pontife  a  pu  baptiser  les  princes  dont  il  parle,  car  la  plu- 
part des  actes  de  son  glorieux  pontificat  nous  sont  inconnus.  Mais  ce  que 
nous  savons  bien,  c'est  qu'à  mesure  que  la  lumière  de  la  foi  avançait  en 
Occident,  elle  se  retirait  de  l'Orient.  Le  règne  de  Léon  l'Isaurien,  contem- 
porain de  notre  saint  Pape,  n'était  pas  fait  pour  arrêter  la  déplorable  déca- 
dence de  l'Asie,  de  l'Afrique  et  de  la  Grèce. 

Marchand  de  bestiaux,  puis  soldat  avant  d'être  empereur,  Léon  entre- 
prit comme  Mahomet  de  réformer  la  religion  à  coups  de  sabre.  Il  s'était 
d'abord  distingué  par  son  courage,  et  pendant  les  premières  années  de  son 
règne,  il  avait  fait  subir  plusieurs  échecs  aux  Musulmans  qui  étaient  venus 
l'insulter  jusque  sous  les  murs  de  Constantinople.  Mais  il  avait  été  entouré 
dès  son  enfance  par  des  Juifs  et  de  mauvais  chrétiens  qui  altérèrent  la  pu- 
reté de  sa  foi.  L'un  de  ces  Juifs  lui  dit  un  jour  en  plaisantant,  après  avoir 
blasphémé  l'image  de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  :  «  N'est-ce  pas  que  si  tu 
étais  empereur,  tu  détruirais  toutes  ces  images  impies?  »  —  «  Je  jure  »,  ré- 
pondit-il «  que  je  n'en  laisserais  pas  subsister  une  seule  ».  L'empereur  se 
souvint  du  serment  de  l'enfant.  Il  ne  vit  pas  qu'en  détruisant  les  images,  il 
ne  faisait  qu'imiter  les  Musulmans,  les  plus  cruels  ennemis  de  la  religion  et 
de  l'empire.  L'Eglise,  en  cette  circonstance,  sauva  la  vérité,  le  bon  sens  et 
l'art  chrétien. 

La  superstition  avait  poussé  Léon  à  proscrire  les  images  ;  l'orgueil  et  le 
démon  de  la  rapine  le  firent  persévérer  dans  la  funeste  voie  où  il  s'était 
engagé  dès  l'année  726. 

L'édit  qu'il  publia  pour  faire  ôter  des  églises  toutes  les  images  qui  les 
ornaient  fut  présenté  à  la  signature  du  patriarche  de  Constantinople:  c'était 
alors  saint  Germain,  vieillard  vénérable  et  appartenant  à  une  des  premières 
familles  de  l'empire.  Saint  Germain  refusa  de  souscrire  :  «  Les  chrétiens  », 
dit-il  à  l'empereur,  «  n'adorent  pas  les  images,  ils  les  honorent,  parce 
qu'elles  leur  rappellent  le  souvenir  des  Saints  et  de  leurs  vertus  ». 
Léon  III  ne  voulut  rien  comprendre  aux  claires  et  simples  observations 
de  l'évêque.  Il  n'en  ^int  pas  toutefois  aux  dernières  extrémités ,  parce 
que  le  peuple  aimait  Germain  et  que  l'édit  contre  les  images  avait  excité 
une  grande  fermentation  dans  les  esprits.  L'évêque  profita  du  répit  qu'on  lui 
laissait  pour  soutenir  la  saine  doctrine  et  raffermir  le  courage  de  certains 
de  ses  collègues  qui  craignaient  la  colère  de  l'empereur.  Il  écrivit  aussi  au 
Pape  pour  l'informer  de  ce  qui  se  passait.  Saint  Grégoire  lui  répondit  lon- 
guement pour  le  féliciter  de  sa  vigueur  et  lui  expliquer  lui-môme  la  doctrine 
catholique.  «  L'honneur  que  l'Eglise  rend  aux  images  »,  dit-il,  «  passe  à  la 
personne  représentée.  On  donne  le  nom  d'idoles  aux  images  de  ce  qui  n'est 
point  et  qui  n'a  d'existence  que  dans  les  fables » 

Cependant  l'Isaurien  se  lassa  de  n'emploj'er  que  les  caresses  et  la  dou- 
ceur. Il  revint  une  dernière  fois  à  la  charge,  enjoignit  à  saint  Germain 
d'adopter  son  édit,  et  le  menaça  de  l'exil,  voire  de  la  mort,  s'il  prolongeait  sa 
résistance.  «  Souvenez-vous  »,  lui  dit  le  Patriarche,  «  que  vous  avez  juré  à 
votre  couronnement  de  ne  rien  changer  à  la  tradition  de  l'Eglise  » .  Pour  toute 
réponse,  l'empereur  lui  donna  un  soufflet  et  le  fit  déposer  par  le  Sénat.  Ger- 
main se  dépouillant  alors  du  pallium  ou  manteau  patriarcal,  dit  au  tyran  : 
«  Ma  personne  est  en  la  puissance  du  prince,  mais  ma  foi  ne  cède  qu'aux 
décisions  d'un  concile  » .  L'empereur  exila  le  Pontife  octogénaire  et  mit  à  sa 
place  un  intrus  plus  docile  '.  730. 

l.  Saint  Germain  est  cité,  le  12  mai,  an  martyrologe  romain.  Ki  eu  638,  £ltyi  d'abord  sur  le  «Mge  de 


SAINT  GRÉGOIRE  H,  PAPE.  493 

Alors  commença  la  destruction  générale  des  images.  Rien  n'arrêta  plus 
le  fanatisme  de  ces  nouveaux  Vandales  que  l'on  appelait  Iconoclastes.  Les 
soldats  de  Léon  l'isaurien  se  ruaient  dans  les  églises  et  dans  les  maisons  par- 
ticulières, brisant  les  statues,  souillant  ou  déchirant  les  images  religieuses  et 
massacrant  ceux  qui  essayaient  de  s'opposer  à  leurs  violences.  L'empe- 
reur, non  moins  cupide  que  fanatique,  confisqua  à  son  profit  un  grand 
nombre  de  statues  d'or  et  d'argent,  des  vases  précieux  servant  aux  saints 
mystères,  des  pierreries  qui  ornaient  les  images  de  la  sainte  Vierge,  si  véné- 
rée dans  l'empire,  et  fît  mettre  en  pièces  un  grand  crucifîx  d'airain  placé  par 
Constantin  le  Grand,  sous  un  des  portiques  du  palais  impérial.  Les  habitants 
de  Constantinople  avaient  une  grande  vénération  pour  ce  crucifix  ;  ils  s'agitè- 
rent, et  des  femmes  du  peuple  se  ruèrent  sur  l'officier  qui  l'avait  brisé  et  le 
massacrèrent.  Ces  femmes  furent  mises  à  mort  avec  une  foule  de  catholi- 
ques. On  faisait  enduire  de  poix  les  martyrs,  on  entassait  sur  leurs  têtes  plu- 
sieurs images  auxquelles  on  mettait  le  feu,  et  l'on  jetait  aux  chiens  les 
cadavres  calcinés.  La  tyran  alla  plus  loin.  La  célèbre  bibliothèque  de  Cons- 
tantinople était  renfermée  dans  une  basilique,  située  entre  le  palais  impérial 
et  l'église  de  Sainte-Sophie.  Cette  basilique,  nommée  l'Octogone,  à  cause 
des  huit  superbes  portiques  par  lesquels  on  pénétrait  dans  son  enceinte, 
était  la  résidence  des  professeurs  de  belles-lettres  et  de  théologie,  payés  par 
l'Etat.  Léon  l'isaurien  voulut  que  ces  professeurs  souscrivissent  son  édit.  Ils 
s'y  refusèrent,  combattant  avec  autant  de  fermeté  que  de  respect  l'opinion 
de  l'empereur.  Celui-ci,  furieux  de  ne  pouvoir  les  persuader,  résolut  de  les 
exterminer,  et,  plus  cruel  que  le  farouche  Omar,  qui  s'était  contenté  de 
livrer  aux  flammes  les  livres  de  la  bibliothèque  d'Alexandrie,  il  fit  brûler, 
avec  les  livres  et  la  basilique,  les  savants  professeurs  qui  refusaient  de  par- 
tager son  erreur.  Ainsi  était  inaugurée  l'hérésie  des  Iconoclastes. 

Jean  Damascène,  appelé  à  cette  occasion  Chrysorroës  (fleuve  d'or),  résis- 
tait aussi  en  Orient.  Grégoire  II  appelle  à  lui  tout  l'Occident.  Les  censciences 
blessées  repoussent  un  empereur  hérésiarque.  Léon,  irrité  contre  le  Pape 
surtout,  cherche  à  se  défaire  par  un  crime  de  ce  puissant  contradicteur. 

Marin,  écuyer  de  l'empereur,  est  chargé  d'organiser  une  conspiration 
contre  le  Pontife.  Les  conjurés  principaux  sont  découverts  et  punis.  L'exar- 
que Paul  assemble  des  troupes  et  se  dispose  à  se  rendre  maître  de  Rome, 
pour  faire  élire  par  force  un  autre  Pape.  Les  Romains,  avertis  de  leurs  dé- 
marches, prennent  les  armes  ;  les  Florentins,  les  Lombards  de  Spolète  et 
tous  les  habitants  des  environs,  accourent  encore,  résolus  de  défendre  la 
ville.  Paul  fut  obligé  de  retourner  à  Ravenne. 

Les  Sarrasins  ne  cessaient  d'inquiéter  Constantinople,  où  cependant  on 
servait  si  bien  leur  esprit  d'opposition  et  de  malignité  ;  mais  l'empereur, 
désormais  moins  guerrier  que  disputour  en  fausse  théologie,  s'affligeait  plus 
de  la  résistance  du  Pape  que  des  progrès  que  ses  ennemis  faisaient  autour  de 
la  capitale. 

Deux  grands  résultats,  deux  événements  immenses  étaient  préparés  à 
l'insu  de  Léon  par  son  obstination  insensée.  Il  n'y  a  pas  de  doute  que  les 
troubles  suscités  en  Italie  n'aient  concouru  à  l'indépendance  des  Papes  et 
servi  l'établissement  de  l'empire  des  Francs  au  préjudice  des  Grecs. 

Cyziqne  et  transféré  à  celui  de  Constantinople  en  715,  envoyé  en  exil  en   730  ;  mort  en  738,  i  l'âge  da 

quatre-Tingt-qninze  ans.  Dans  son  exil,  il  répétait  souvent,  avec  saint  Chrysostome  :  •  Quand  je  devrais 
mourir  mille  fols  le  jour  et  souffrir  même  l'enfer  pendant  quelque  temps,  je  regarderais  tout  cela  comme 
rien,  pourvu  que  je  voie  Jesus-Christ  dans  sa  gloire  ».  Outre  les  nombreuses  lettres  qu'il  avait  e'crltes 
pendant  sa  longue  carrière,  et  dont  il  ne  nous  reste  que  trois,  relatives  aa^  Iconoclastes,  il  avait  composé 
d'autres  ouvrages  qui  sont  perdus,  entre  autres  une  Apologie  de  Grégoire  de  Nysse  contre  les  Origénistes. 


49 'i  13  FÉVKIER. 

Les  Romains,  d'ailleurs,  dans  cette  sorte  d'intcrri'gne,  soutenaient  les 
intérêts  du  Pape,  confondus  avec  les  leurs  ;  car  des  exarques  et  des  Lom- 
bards ils  avaient  tout  à  craindre.  Ces  deux  puissances,  excitées  par  Léon, 
essaient  pourtant  de  s'entendre  pour  occuper  Rome.  Luitprand  commande 
les  Lombards  et  les  troupes  de  l'exarque,  étonnés  de  marcher  ensemble. 

Ils  couronnent  de  leurs  feux  le  mont  Marius  et  s'avancent  jusqu'au  pied 
du  mausolée  d'Adrien  (Château  Saint-Ange),  Grégoire  sort  de  Rome,  précédé 
de  son  clergé  :  nouveau  saint  Léon,  il  représente  que  les  malheurs  de  la 
ville  seront  tous  ceux  de  la  chrétienté  ;  que  les  Sarrasins,  bien  plus  que 
l'empereur,  se  réjouiront  du  désastre  de  cette  métropole  du  culte  de  Jésus- 
Christ.  Grégoire  émeut  le  roi  et  lui  arrache  dos  larmes. 

Luitprand  se  prosterne  aux  pieds  du  Pontife.  Le  temple  de  Saint-Pierre 
était  voisin  ;  Grégoire  montre  au  monarque  le  lieu  sacré  qui  contient  le 
tombeau  de  l'Apôtre. 

Luitprand,  interdit,  marche  vers  l'église,  s'agenouille  devant  la  confes- 
sion du  Prince  des  Apôtres,  s'y  dépouille  de  ses  habits  royaux  et  les  dépose, 
avec  son  baudrier,  son  épée,  sa  couronne  d'or  et  sa  couronne  d'argent, 
auprès  du  tombeau,  il  prie  ensuite  le  Pape  de  pardonner  à  ses  ennemis. 
Grégoire  prononce  ce  pardon  solennel,  et  le  roi  reprend  la  route  de  Pavie. 

Les  esprits  sages  et  instruits  voyaient  bien  tout  ce  que  ces  événements 
apportaient  de  forces  morales  à  l'Eglise.  Les  esprits  dépourvus  d'énergie, 
qui  ne  pénètrent  rien  des  secrets  du  la  Providence  et  qui  ne  voient  que  les 
spectacles  confus  de  soumission  offerts  à  leurs  yeux,  purent  aussi  eux-mêmes 
se  convaincre,  malgré  leur  ignorance,  de  la  nécessité  d'obéir  au  souverain 
Pontife,  quand  ils  venaient  de  voir  à  ses  pieds  le  plus  formidable  prince  de 
l'Italie,  celui  que  tous  regardaient  comme  disposé  à  renverser  la  puissance 
de  Grégoire. 

Léon,  dans  son  impétuosité  criminelle,  lui  écrivait  pour  lui  prédire  le 
sort  du  pape  Martin  ;  mais  les  fatigues  du  pontiQcat  et  cette  suite  d'hosti- 
lités avaient  détruit  la  santé  de  Grégoire,  qui  mourut  en  731,  le  10  février. 

Les  lettres  du  saint  Pape  à  Léon  l'isaurien  sont  pleines  de  force,  de 
vérité  et  de  ce  courage  évangélique  que  rien  n'ébranle.  On  en  pourra  juger 
par  les  extraits  suivants  : 

«  Dieu  nous  en  est  témoin,  toutes  les  lettres  que  vous  nous  avez  écrites, 
nous  les  avons  communiquées  aux  rois  de  l'Occident,  pour  vous  concilier 
leur  paix  et  leur  bienveillance  ;  nous  vous  louions,  nous  vous  exaltions,  en 
vue  de  la  conduite  que  vous  teniez  alors.  Aussi  recevaient-ils  vos  images, 
comme  il  convient  que  des  rois  honorent  des  rois  ;  mais  quand  ils  eurent 
appris  par  des  Romains,  des  Francs,  des  Vandales,  des  Maures,  des  Goths  et 
d'autres  occidentaux  qui  étaient  à  Constantinople  ce  que  vous  avez  fait  en 
leur  présence  à  l'image  du  Sauveur,  ils  ont  foulé  aux  pieds  vos  propres 
images  et  ont  déchiré  votre  face.  Les  Lombards  et  les  Sarmates  ont  envahi 
la  Pentapole,  occupé  Ravenne  et  chassé  vos  magistrats.  Voilà  ce  que  vous  a 
valu  votre  imprudence  ". 

(I  Que  sont  nos  églises  » , dit-il  dans  une  autre  lettre,  «  sinon  des  ouvrages 
de  main  d'homme,  sinon  des  pierres,  du  bois,  de  la  chaux,  du  mortier?  Ce 
qui  en  fait  l'ornement,  ce  sont  les  peintures  qui  nous  représentent  les  his- 
toires de  Jésus-Christ  et  des  Saints.  Les  chrétiens  y  emploient  leurs  biens. 
Les  pères  et  les  mères,  tenant  entre  les  bras  leurs  petits  enfants  nouvelle- 
ment baptisés,  leur  montrent  du  doigt  ces  saintes  histoires  ;  ils  les  montrent 
de  môme  aux  jeunes  gens  et  aux  gentils  nouvellement  convertis  ;  ainsi  ils 
les  édifient  et  élèvent  leur  esprit  et  leur  cœur  à  Dieu.  Mais  vous,  vous  ca 


SAINT  MARTLNŒN,   ERMITE.  493 

avez  détourné  le  simple  peuple,  et  au  lieu  de  le  porter  aux  actions  de  grâces 
et  aux  louanges  de  Dieu,  vous  l'avez  jeté  dans  la  négligence  de  ses  devoirs, 
dans  les  amusements  frivoles,  les  fables,  les  chansons,  le  son  des  lyres  et  des 
flûtes.  Ecoutez  notre  humilité,  Seigneur;  cessez  de  persécuter  l'église,  sui- 
vez-la telle  que  vous  l'avez  trouvée.  Les  dogmes  ne  regardent  pas  les  empe- 
reurs, mais  les  Pontifes  ;  car  nous  avons  l'esprit  de  Jésus-Christ.  Autre  est 
la  constitution  de  l'Eglise,  autre  celle  du  siècle  ». 

Ce  pontificat  fut  un  règne  de  sagesse,  de  gloire  et  de  courage.  Gré- 
goire II  gouverna  l'Eglise  quinze  ans,  huit  mois  et  vingt-trois  jours.  En 
quatre  ordinations  qu'il  célébra  au  mois  de  septembre,  et  dans  une  autre  au 
mois  de  juin,  il  créa  cent  cinquante  évoques,  trente-cinq  prêtres  et  qua- 
torze diacres.  Baronius  dit  qu'il  fut  digne  d'être  comparé  à  saint  Grégoire 
le  Grand.  Il  fut  enterré  au  Vatican  :  après  lui  le  Siège  demeura  vacant 
cinq  jours. 

Diverses  histoires  de  l'EgUse  et  des  Papes. 


SAINT  MARTINIEN,  ERMITE 

830.  —  Pape  ;  Grégoire  IV.  —  Empereur  et  roi  :  Louis  le  Débonnaire. 

Partout  le  démon  dresse  des  embûcbes  à  l'homme  : 
partout  il  lui  livre  des  combats  ;  mais  dfes  qu'il 
ne  trouve  point  de  femme  pour  seconder  ses 
efforts,  11  se  retire  Taincu. 

Saint  Ambroise,  serm.  in  Quad. 

Nous  verrons  dans  cette  histoire,  plus  qu'en  nulle  autre,  la  vérité  de  ces 
paroles  de  Job  :  «  Que  la  vie  de  l'homme  sur  la  terre  est  une  guerre  et  une 
tentation  continuelles  »  ;  car,  plus  Martinien  prit  de  précautions  pour  éviter 
les  tentations,  plus  les  tentations  le  cherchèrent  pour  le  tourmenter.  Il  était 
originaire  de  la  ville  de  Césarée,  en  Palestine  ;  et  il  ne  goûta  pas  plus  tôt  les 
plaisirs  du  monde  que,  reconnaissant  leur  vanité  et  leur  peu  de  durée,  il 
s'en  voulut  priver  ;  dès  l'âge  de  dix-huit  ans,  il  quitta  les  embarras  de  la 
ville,  et  se  retira  en  une  solitude  voisine  de  Césarée,  pour  embrasser  la  ■vie 
monastique  et  religieuse. 

Dans  cette  retraite,  il  s'adonna  tellement  à  toutes  sortes  d'exercices  spi- 
rituels, qu'on  reconnut  bientôt  qu'il  était  particulièrement  élu  de  Dieu  ; 
aussi  faisait-il  plusieurs  choses  miraculeuses  qui  marquaient  sa  sainteté.  Il 
chassait  les  esprits  du  corps  des  possédés,  guérissait  grand  nombre  de  mala- 
des, et  faisait  d'autres  actions  semblables,  qui  attiraient  tout  le  monde  à 
lui,  pour  obtenir  quelque  faveur  du  ciel  par  ses  prières.  Le  démon  voyant 
le  progrès  que  Martinien  faisait  dans  la  vertu,  en  fut  jaloux,  et  voulut  le 
troubler  par  des  terreurs  paniques  et  par  des  visions  et  des  apparitions  épou- 
vantables ;  ayant  pris  un  jour  la  forme  d'un  dragon,  il  grattait  les  fondements 
de  sa  petite  cellule,  pour  la  faire  tomber  sur  lui  ;  mais  le  saint  ermite,  ne 
quittant  point  pour  cela  son  oraison,  dit  à  son  ennemi  qu'il  voyait  revêtu  de 
cette  figure  terrible  :  «  Tu  travailleras  en  vain,  malheureux  ;  penses-tu  me 
pouvoir  étonner,  tant  que  j'aurai  mon  Seigneur  Jésus-Christ  à  mes  côtés  ?  » 
Alors  le  démon  s'enfuit  comme  un  tourbillon,  criant  ;  «  Attends,  attends 
un  peu,  Martinien;  je  te  renverserai  et  t'humilierai  :  je  te  chasserai  bon- 


490  13  FÉVRIER. 

teusement  de  ta  cellule  ;  j'en  trouverai  bien  le  moyen,  quelque  confiance 
que  tu  aies  en  celui  que  tu  dis  » .  Martinien  ne  quitta  point  pour  cela  le 
champ  de  bataille,  mais  tint  bon  vingt-cinq  ans  en  sa  solitude,  vivant  avec 
la  pureté  d'un  ange.  Le  démon  s'avisa  de  cet  artifice  pour  le  séduire  : 
comme,  une  fois,  quelques  personnes  de  la  ville  de  Césarée  parlaient  avec 
beaucoup  d'admiration  de  la  sainteté  de  sa  vie,  une  courtisane  appelée  Zoé 
s'approcha  d'eux,  et  leur  dit  que  Martinien  était  un  sauvage  qui  s'était  retiré 
en  cette  solitude  pour  vivre  en  bête  parmi  les  bêtes  ;  qu'il  ne  fallait  pas 
s'étonner  s'il  était  chaste  dans  la  solitude  :  mais  que,  si  elle  lui  avait  parlé, 
et  qu'elle  eût  employé  ses  attraits  pour  le  gagner,  et  qu'il  lui  eût  résisté, 
ils  le  pourraient  croire  alors  digne  des  louanges  qu'ils  lui  donnaient.  Cette 
méchante  femme  fit  un  pacte  avec  eux,  et  promit  d'aller  attaquer  Martinien 
à  condition  que,  si  elle  n'en  venait  pas  à  bout  et  qu'elle  ne  lui  fît  pas  renon- 
cer à  toute  sa  sainteté  prétendue,  elle  voulait  être  l'objet  de  la  raillerie  de 
toute  la  ville  ;  mais  que,  si  elle  réussissait  en  son  dessein,  ce  serait  à  eux  de 
la  payer  de  sa  peine. 

Etant  ainsi  tombés  d'accord,  elle  alla  en  son  logis,  se  dépouilla  de  ses 
beaux  habits,  les  plia  dans  un  paquet,  et,  s'étant  vêtue  de  pauvres  haillons 
et  d'une  ceinture  de  corde,  elle  prit  un  bâton  à  la  main  et  le  paquet  sous 
son  bras.  En  cet  équipage,  elle  partit  de  la  ville  par  une  forte  pluie,  pour  se 
rendre  à  la  pointe  de  la  nuit  auprès  de  la  cellule  de  Martinien.  Y  étant  arri- 
vée, elle  se  mit  à  crier  d'une  voix  pitoyable  :  «  Ayez  pitié  de  moi,  serviteur 
de  Dieu  !  je  suis  une  pauvre  femme  qui  me  suis  égarée  par  ces  chemins  ;  je 
ne  sais  où  aller  ni  où  me  retirer  pour  n'être  pas  dévorée  des  bêtes.  Père 
saint,  ayez  compassion  de  cette  créature  de  Dieu,  quoique  je  sois  une  misé- 
rable pécheresse  » .  Martinien  fut  touché  de  ces  tristes  cris,  et,  entr'ouvrant 
la  porte  de  sa  cellule,  il  aperçut  cette  étrangère  si  trempée  de  pluie  qu'elle 
lui  fit  pitié  ;  et  bien  qu'il  se  doutât  que  c'était  un  appât  de  son  ennemi  pour 
lui  faire  perdre  la  grâce  de  Dieu,  néanmoins,  par  compassion,  et  craignant 
que  si  elle  était  dévorée  il  n'en  fût  responsable,  il  se  jeta  entre  les  bras  de 
la  divine  Providence,  lui  ouvrit  la  porte,  lui  fit  bon  feu,  lui  donna  des  dattes 
pour  son  souper,  et  enfin  l'avertit  de  s'en  aller  le  lendemain  de  grand  matin. 
Pour  lui,  il  se  retira  dans  une  autre  cellule,  qui  était  plus  avant  dans  son 
ermitage,  et  passa  la  nuit  à  prier  et  h  chanter  des  psaumes,  malgré  les  arti- 
fices de  l'esprit  d'impureté,  qui  fit  son  possible  pour  le  distraire,  lui  propo- 
sant mille  sottes  idées  touchant  cette  nouvelle  hôtesse.  Dès  le  matin,  le  saint 
ermite  étant  sorti  de  sa  cellule  pour  aller  congédier  son  hôtesse,  fut  bien 
étonné  de  trouver  une  personne  admirablement  parée,  au  lieu  d'une  men- 
diante qu'il  pensait  avoir  logée,  car  Zoé  s'était  revêtue  pendant  la  nuit  des 
habits  précieux  qu'elle  avait  apportés  dans  son  paquet.  Il  pensa  d'abord  que 
c'était  un  fantôme,  et  lui  demanda  qui  elle  était,  ce  qu'elle  cherchait  et 
comment  elle  était  entrée.  Mais  quand  il  eut  reconnu  que  c'était  cette  pau- 
vresse qu'il  avait  reçue  le  soir  précédent,  sa  surprise  augmenta  ;  et,  com- 
mençant à  la  considérer,  il  lui  demanda  d'où  lui  venait  ce  changement 
d'habits.  Alors  elle  se  mit  à  le  tenter  d'une  manière  si  séduisante  qu'elle 
vainquit  ce  cœur  invincible  et  tira  de  sa  volonté  un  consentement  intérieur 
au  péché.  Il  y  serait  sans  doute  tombé,  si  la  miséricorde  divine  n'eût  empê- 
ché l'effet  extérieur  ;  mais  Martinien  sortit  de  sa  cellule  pour  voir  si  quel- 
qu'un ne  le  venait  point  chercher,  comme  on  avait  coutume  de  le  faire,  et, 
tandis  qu'il  regardait  de  tous  côtés  de  peur  de  scandaliser  ceux  qui  pour- 
raient le  trouver  avec  cette  femme.  Dieu  ouvrit  les  yeux  de  son  âme  par  un 
rnyon  de  sa  grâce,  et  lui  découvrit  la  turpitude  de  l'action  qu'il  allait  faire 


SAIOT  MARTLNIEN,   ERMITE.  497 

et  le  précipice  oh  il  allait  tomber.  Aussitôt,  reconnaissant  l'extrême  danger 
oîi  il  était,  et  considérant  que  ce  n'était  pas  tant  une  femme  qu'un  esprit 
de  l'enfer  qui  le  tentait  par  ses  artifices  pour  triompher  de  sa  chasteté  et  le 
dépouiller  de  tous  les  mérites  de  sa  vie  passée,  il  rentra  dans  sa  cellule, 
alluma  un  grand  feu  et  se  roula  dans  les  flammes  jusqu'à  ce  qu'il  eût  brûlé 
une  partie  de  son  corps  ;  puis,  se  relevant  au  bout  de  quelque  temps,  il  se 
disait  à  lui-même  :  «  Que  t'en  semble,  Martinien  ;  ce  feu  ne  t'a-t-il  pas 
semblé  bien  agréable  pour  le  peu  de  temps  que  tu  y  es  demeuré  ?  Si  tu 
penses  pouvoir  souffrir  celui  de  l'enfer,  accepte  les  propositions  de  cette 
femme,  car  c'est  le  chemin  pour  y  aller  ».  Il  se  jeta  pour  la  seconde  fois 
dans  le  feu,  afin  de  se  brûler  davantage,  priant  la  miséricorde  du  Père 
céleste  de  lui  pardonner  ce  consentement  et  de  ne  pas  permettre  qu'il 
perdît  par  un  péché  tant  de  peines  qu'il  avait  endurées  à  son  service  dès 
son  enfance,  puisqu'il  était  prêt  à  mourir  dans  ce  feu  pour  son  amour  plutôt 
que  de  l'offenser. 

Cette  misérable  femme  était  présente  à  ce  spectacle,  et,  considérant 
qu'elle  était  la  cause  du  tourment  de  Martinien,  elle  dépouilla  ses  habits 
mondains  et  les  jeta  dans  ce  feu,  et  ayant  repris  ceux  de  pèlerine  et  de  pé- 
nitente, elle  dit  à  Martinien,  avec  des  larmes  entrecoupées  de  mille  soupirs, 
qu'elle  ne  voulait  plus  retourner  à  la  ville,  mais  qu'elle  désirait  achever  ses 
jours  en  une  perpétuelle  pénitence,  en  tel  lieu  qu'il  voudrait  lui  marquer; 
que  le  démon  l'avait,  il  est  vrai,  sollicitée  à  le  perdre,  mais  que  Dieu  le  vou- 
lait employer  pour  la  relever  et  la  sauver.  Ainsi,  par  le  conseil  du  saint 
ermite,  elle  s'en  alla  à  Bethléem,  oii  elle  fut  reçue  dans  un  monastère  par 
une  vierge  appelée  Pauline,  et  y  vécut  douze  ans  dans  une  telle  austérité  et 
sainteté  de  vie  que  Dieu  fit,  par  son  moyen,  plusieurs  merveilles  ;  après  quoi 
il  l'appela  à  lui  pour  la  couronner  de  sa  gloire. 

Martinien  demeura  tellement  brûlé  et  estropié  qu'il  ne  fut  pas  guéri  de 
longtemps  ;  et,  faisant  ensuite  réflexion  sur  le  moyen  dont  son  ennemi  s'était 
servi  pour  le  perdre,  il  résolut  en  lui-même  de  chercher  une  solitude  si 
écartée  que  pas  une  femme  ne  l'y  pût  venir  trouver.  Ayant  donc  fait  son 
oraison,  il  implora  l'assistance  du  ciel  et  s'abandonna  à  la  conduite  du  Tout- 
Puissant  ;  puis,  faisant  le  signe  de  la  croix,  il  partit  de  sa  cellule  et  s'en  alla 
du  côté  de  la  mer.  Le  démon,  tout  enflé  de  gloire  de  lui  voir  quitter  le 
champ  de  bataille,  commença  à  le  siffler,  criant  après  lui  :  «  Fuis,  Marti- 
nien, car  je  te  poursuivrai  partout  où  tu  iras,  et  t'en  chasserai  aussi  bien  que 
d'ici  ;  je  ne  te  quitterai  jamais  que  je  ne  t'aie  tout  à  fait  vaincu  et  ren- 
versé ».  Le  Saint  lui  répondit  :  «  Toi,  misérable  !  sache  que  je  ne  sors  point 
de  ma  cellule  par  ennui  ni  par  dégoût,  mais  seulement  dans  le  désir  de  te 
fouler  aux  pieds;  et  tu  ne  dois  pas  tirer  vanité  de  l'issue  du  combat,  puisque 
je  t'ai  ravi  les  armes  que  tu  avais  employées  pour  me  nuire,  et  que  la 
femme  que  tu  avais  poussée  à  me  perdre  sera  ta  confusion  ».  Le  démon 
l'entendant  parler  de  la  sorte,  n'osa  plus  rien  lui  dire  ni  le  poursuivre  ;  et 
Martinien,  chantant  des  psaumes  et  des  hymnes  à  la  gloire  de  son  Seigneur, 
arriva  sur  le  bord  de  la  mer.  Il  demanda  à  un  marinier  craignant  Dieu  où 
il  pourrait  rencontrer  un  lieu  propre  àson  dessein  et  où  il  ne  fût  inquiété  de 
personne.  Le  marinier  lui  dit  qu'il  y  avait  bien  avant  dans  la  mer  une  île 
déserte  où  était  un  rocher  inhabitable  qui  épouvantait  tous  ceux  qui  en 
approchaient.  Martinien  le  pria  de  le  mener  en  ce  lieu,  qui  était  celui  qu'il 
cherchait,  et  lui  fit  promettre  de  lui  apporter  de  temps  en  temps  des  bran- 
ches de  palmier,  du  pain  et  de  l'eau  pour  vivre,  l'assurant  en  outre  qu'il 
prierait  Dieu  pour  lui  et  lui  donnerait  pour  sa  récompense  tous  les  paniers 
Vies  des  Saints.  —  Tome  II.  32 


198  13  FËTKIEIl. 

qu'il  ferait.  On  le  mena  donc  sur  ce  rocher,  où  il  était  715116  trois  fois  l'année 
par  le  marinier  et  recevait  de  lui  tout  ce  dont  il  avait  besoin  pour  sa  subsis- 
tance. 11  n'est  pas  aisé  d'exprimer  sa  joie  lorsqu'il  so  vit  sur  le  rocher,  au 
milieu  de  la  mer,  où  les  femmes,  dont  il  appréhendait  plus  les  approches 
que  do  tous  les  esprits  de  l'enfer,  n'avaient  garde  de  l'aller  chercher. 

Mais,  pour  faire  voir  qu'il  n'y  a  point  de  retraite  sûre  en  ce  monde,  celui 
qui  lui  avait  fait  la  guerre  dans  sa  cellule  et  l'avait  forcé  de  la  quitter,  osa 
l'attaquer  dans  ce  fort  qu'il  jugeait  inabordable.  Quelquefois  môme,  il  trou- 
blait si  fort  la  mer,  que  le  rocher  ne  semblait  plus  qu'une  profonde  vallée 
dans  laquelle  Martinien  allait  6Lre  englouti  ;  néanmoins  ce  Saint  demeurait 
tranquille,  et,  se  moquant  de  lui,  il  le  contraignait  de  s'enfuir  avec  honte.  Il 
avait  déjà  passé  six  ans  dans  cette  solitude,  qu'il  croyait  inaccessible  ;  il 
reconnut  enfin  qu'il  n'est  point  de  lieu  où  l'occasion  d'otl'enser  Dieu  ne  se 
puisse  présenter,  soit  sur  la  terre,  soit  dans  les  eaux,  soit  dans  le  feu  :  car 
un  vaisseau  qui  voguait  sur  cette  mer  étant  venu  se  briser  contre  le  rocher, 
tous  ceux  qui  étaient  dedans  furent  submergés,  excepté  une  jeune  fille  qui, 
se  sauvant  à  la  faveur  d'une  planche,  vint  s'accrocher  à  la  roche.  Elle  aper- 
çut do  là  le  Saint  et  lui  cria  :  «  Aidez-moi,  serviteur  de  Dieu,  donnez-moi 
la  main  et  me  retirez  de  cet  abîme,  ou  je  suis  perdue  ».  Martinien  fut  bien 
étonné  à  ce  spectacle  ;  et,  reconnaissant  que  c'était  une  nouvelle  invention 
de  son  ennemi,  il  s'arma  de  l'oraison  ;  et  parce  qu'il  était  obligé  de  secourir 
une  personne  en  danger  de  se  noyer,  il  la  tira  de  l'eau,  puis  il  lui  dit  :  «  Ma 
fille,  nous  ne  pouvons  pas  demeurer  ensemble  ici  ;  demeurez-y  et  mangez 
mes  provisions  de  pain  et  d'eau,  jusqu'à  ce  que  le  marinier  qui  vient  me 
visiter  soit  revenu,  ce  qu'il  doit  faire  dans  deux  mois  :  vous  lui  ferez  le  récit 
de  votre  naufrage,  et  il  vous  conduira  dans  la  ville  ». 

Ensuite  il  l'exhorta  à  pratiquer  la  vertu  et  à  vivre  en  la  crainte  de  Notro- 
Seigneur  ;  et,  ayant  fait  le  signe  de  la  croix  sur  la  mer,  il  dit  à  Dieu,  les 
yeux  levés  vers  le  ciel  :  «  Je  me  jette  dans  la  mer,  ô  mon  Dieu!  avec  la  con- 
fiance que  j'ai  en  vous;  j'aime  mieux  ôtro  submergé  que  d'ôtro  en  danger 
de  perdre  la  chasteté  »;  et  il  se  mit  à  la  nage  pour  se  sauver.  Mais  la  Provi- 
dence, qui  ne  manque  jamais,  quand  il  est  question  de  protéger  ses  élus, 
envoya  deux  dauphins  qui  le  portèrent  sur  leur  dos  jusqu'au  bord  du  rivage, 
où  le  Saint  rendit  grâces  à  son  Libérateur  et  le  pria  de  lui  inspirer  ce  qu'il 
devait  faire.  Se  remettant  donc  devant  les  yeux  comment  il  était  importuné 
par  le  démon  sur  la  terre  et  sur  la  mer,  dans  les  déserts  et  sur  les  rochers, 
il  résolut  de  ne  plus  s'arrêter  en  aucun  lieu,  mais  de  voyager  dans  le  monde 
comme  un  pèlerin  en  mendiant  son  pain  ;  il  le  fît  l'espace  de  deux  ans  qu'il 
vécut  encore,  passant  la  nuit  au  lieu  où  il  se  trouvait  et  recevant  dans  les 
villages  l'aumône  qui  lui  était  donnée  par  charité. 

Lorsqu'il  fut  arrivé  à  Athènes,  il  plut  à  Dieu  de  récompenser  les  tra- 
vaux, les  combats  et  les  victoires  de  son  serviteur  ;  c'est  pourquoi  il  révéla 
à  l'évoque  que  Martinien  était  en  ville  et  lui  découvrit  en  même  temps  le 
mérite  de  ce  saint  personnage.  L'évoque  le  vint  trouver  dans  l'église,  où  il 
était  couché  sur  un  banc  ;  Martinien  lui  demanda  sa  bénédiction  et  le  sup- 
plia de  prier  Dieu  pour  lui  ;  l'évûque  le  fit,  lui  administra  les  sacrements  ot 
le  pria  aussi  de  ne  le  pas  oublier  quand  il  serait  devant  Diou.  Ensuite, 
Martinien  ayant  dit:  «  Seigneur,  je  remets  mon  esprit  entre  vos  mains»,  et 
ayant  fait  le  signe  de  la  croix,  rendit  son  esprit  avec  un  visage  joyeux  et 
satisfait,  en  présence  de  l'évêque,  le  13  février  830. 

La  jeune  fille  qui  demeura  sur  le  rocher,  prolitant  de  l'exemple  de  Mar- 
tinien, vécut  du  pain  et  de  l'eau  qu'il  lui  avait  laissés  ;  et,  au  bout  de  deux 


SAINT  GOBERT,  ÉVÈQUE  DE  MEAUX.  499 

mois,  le  marinier  étant  venu,  elle  lui  raconta  ce  qui  s'était  passé  et  le  pria 
de  lui  apporter  un  habit  d'homme  avec  du  pain,  de  l'eau  et  de  la  laine,  et 
de  lui  amener  sa  femme  pour  lui  apprendre  à  travailler  :  ayant  obtenu  ce 
qu'elle  demandait,  elle  vécut  six  ans  sur  le  rocher,  habillée  en  homme.  Elle 
avait  vingt-cinq  ans  lorsqu'elle  y  fit  naufrage,  et  mourut  saintement  en  la 
trente  et  unième  année  de  son  âge  :  elle  s'appelait  Pholine.  Deux  mois 
après,  le  marinier  revint  comme  de  coutume  pour  lui  apporter  ses  provi- 
sions, et,  la  trouvant  morte,  il  porta  son  corps  en  la  ville  de  Césarée;  ayant 
informé  l'évêque  qui  elle  était,  l'état  de  sa  vie  et  la  manière  dont  elle  était 
morte,  ce  prélat  la  fit  mettre  en  terre  avec  pompe  et  cérémonie,  comme  il 
était  convenable  pour  une  fidèle  servante  de  Dieu. 

Telle  est  la  vie  de  saint  Martinien,  ermite,  si  persécuté  et  si  souvent 
combattu  par  l'ennemi  commun  des  hommes,  vaincu  et  \'ictorieux,  et  qui  a 
glorieusement  triomphé  de  la  chair,  du  monde  et  de  l'enfer.  Il  était  honoré 
dans  tout  l'Orient,  mais  spécialement  à  Gonstantinople  dans  une  église  voi- 
sine de  Sainte-Sophie. 

Les  Dauphins  qui  transportèrent  notre  Saint  sur  leur  dos  de  l'écueil  à  la 
rive  ;  le  diable  tentateur  sous  la  forme  d'un  dragon  ;  la  courtisane  sous  l'un 
ou  l'autre  de  ses  vêtements  ;  le  foyer  ardent  sur  lequel  il  se  couche  pour  dis- 
siper l'ivresse  d'un  passager  plaisir,  sont  les  attributs  qui  entrent  dans  les 
représentations  qu'on  a  données  de  saint  Martinien.  —  Martin  de  Vos  a 
peint  Photine  se  sauvant  à  la  nage  et  cibordant  au  rocher  sur  lequel  l'ermite 
fait  des  paniers  d'osier. 

Son  histoire  est  tirée  de  Slm^on  Métaphraste.  qtil  assure  aroir  conna  saint  Martinien  loi-même; 
Sorias  l'a  rapportée  en  son  deuxième  tome.  Bollandas  croit  qu'il  reçut  dans  le  it«  siècle,  et  non  dans 
le  ix«,  et  que  Faule  ou  Pauline,  qui  reçut  dans  son  monastère  Zoé,  cette  femme  Impudique  qui  le  tenta, 
et  qu'il  convertit,  est  la  grande  sainte  Paule,  romaine,  disciple  de  saint  Jéiôme.  Mais,  comme  Siméon 
Métaphraste,  qui  était  du  ce*  siècle,  assure  qu'il  l'a  vue,  et  qu'il  appelle  cette  Paule  ou  Pauline,  vierge, 
ce  que  l'on  ne  peut  pas  dire  au  moins  dans  le  sens  ordinaire  de  sainte  Faule,  romaine,  11  y  a  si^et  de  douter 
de  la  vérité  de  l'obserration  de  cet  auteur. 


SAIiNT  GILBERT,  EVEQUE  DE  MEAUX 

1009.  —  Pape  :  Sergiae  IV.  —  Roi  de  France  :  Robert  Q. 


Non  est  morUlf  quod  opio. 
Mes  vœux  s'élî:rent  bien  au-dessus  des  choses 
mortelles. 

Devise  de  Raphaël  Capissncelii,  évËque  de 
Digne  (1633-1605). 

Une  très-ancienne  tradition  fait  naître  saint  Gilbert  '  à  Ham. 

Son  père,  Fulchard,  et  sa  mère,  Geila  ou  Gisèle,  appartenaient  à  la  no- 
blesse du  Vermandois  et  vivaient  dans  l'intimité  du  comte  Albert  I".  Ils 
confièrent  l'éducation  de  leur  fils  aux  chanoines  de  Saint- Quentin  de  Ver- 
mand,  qui  étaient  renommés  pour  leur  science  et  leur  sainteté.  Gilbert  fit 

1.  Gilbertus,  GitUberlua,  Gislebertut  ;  —  GUl'bert,  Gùleberl.  —  Plusieurs  saints  portèrent  le  mtme 
nom,  entre  antres  un  abbé  de  Fontenelle  (4  novembre,  xia  siècle),  un  abbé  de  Neuffonts  (6  juin  1152),  un 
évêque  d'Ecosse  (1*'  avril  l'240),  et  le  fondateur  de  l'ordre  des  Gilbertlns  (4  février  1190).  -~  Le  aom  de 
Gilbert,  d'origine  germanique,  signifie  barbe  de  chéiire. 


500  13  FÉVMER- 

de  rapides  progrès  dans  les  lettres  et  de  plus  grands  encore  dans  la  vertu. 
Ses  éminentes  qualités,  plus  encore  que  sa  naissance,  le  firent  distinguer  du 
comte  Albert,  qui  le  pourvut  d'un  canonicat  à  la  collégiale  de  Saint-Quen- 
tin. Sa  régularité  et  son  zèle  lui  attirèrent  bientôt  l'estime  et  l'admiration 
de  tous  ceux  qui  le  connurent.  Le  second  fils  d'Albert  1",  Othon,  qui,  du 
vivant  de  son  père,  portait  le  titre  de  comte  de  Vermandois,  l'attirait  sou- 
vent à  la  cour  et  lui  témoignait  une  vive  affection.  Le  pieux  chanoine  sa 
rendait  volontiers  à  ces  invitations,  et  sa  piété  ne  souffrait  aucune  atteinte 
au  contact  du  monde. 

Archanrad,  évêque  de  Meaux,  déterminé  par  la  renommée  de  Gilbert,  le 
choisit  pour  son  archidiacre.  On  put  alors  apprécier  le  zèle,  la  prudence  et 
la  charité  qu'il  mettait  à  réprimer  la  violation  des  règles  et  à  garantir  l'hon- 
neur sacerdotal.  Il  fît  honneur  à  cette  collégiale  de  Saint-Quentin,  pépi- 
nière féconde  qui  fournit  des  sujets  à  presque  toutes  les  églises  de  France, 
et  qui  vit  sortir  de  son  sein  près  de  quarante  évêques,  sept  chanceliers  de 
France,  six  cardinaux  et  un  pape  '. 

A  la  mort  d'Archanrad  (995),  tous  les  suffrages  se  portèrent  sur  Gilbert, 
qui  mit  autant  de  répugnance  à  accepter  cette  dignité  qu'on  mettait  d'em- 
pressement à  la  lui  offrir.  Etienne  I",  comte  de  Meaux  et  de  Troyes,  exprima 
toute  sa  joie  aux  deux  clercs  qui  vinrent  à  Epernay  soumettre  à  son  appro- 
bation le  choix  du  peuple  et  du  clergé. 

Malgré  son  élévation,  Gilbert  ne  changea  rien  à  sa  manière  de  vivre, 
restant  toujours  fidèle  à  ses  exercices  de  piété,  à  ses  oraisons,  à  ses  jeûnes  et 
à  ses  mortifications.  Voyant  dans  ses  nouvelles  fonctions  une  charge  obliga- 
toire bien  plus  qu'un  honneur,  il  puisait  dans  le  profond  sentiment  de  ses 
devoirs  la  résolution  d'être  toujours  miséricordieux  pour  les  pauvres,  sévère 
pour  les  méchants,  indulgent  pour  les  ;bons  ;  aussi  était-ce  par  un  régime 
tout  paternel  qu'il  gouvernait  son  bercail.  Pendant  ses  vingt  années  d'épis- 
copat,  il  donna  l'exemple  de  toutes  les  vertus  et  surtout  d'une  parfaite  hu- 
milité. 

Nous  ne  connaissons  qu'un  fort  petit  nombre  des  actes  épiscopaux  de 
saint  Gilbert.  En  998,  nous  le  voyons  souscrire  à  une  charte  du  roi  Robert  en 
faveur  du  monastère  de  Saint-Denis;  en  1003,  il  appose  son  sceau  à  une 
charte  du  même  roi,  octroyée  à  l'abbaye  de  Saint-Père  de  Melun  ;  en  1003, 
il  donne  à  son  Chapitre  les  revenus  de  la  petite  abbaye  de  Saint-Rigomer, 
située  dans  un  faubourg  de  Meaux  ;  en  1008,  il  assiste  au  concile  de  Ghelles, 
dans  le  palais  du  roi  Hobert;  enfin,  nous  le  voyons  donner  des  secours 
pécuniaires  à  l'abbaye  de  Saint-Père-en-Vallée-lès-Chartres,  pour  qu'elle 
puisse  augmenter  le  nombre  de  ses  religieux. 

Gilbert  fut  un  des  premiers  prélats  de  France  qui,  à  l'exemple  de  Li- 
siard ,  évêque  de  Paris,  divisa  les  revenus  de  son  église  en  deux  menses, 
l'une  épiscopale  et  l'autre  capitulaire.  Ce  vœu  lui  avait  été  exprimé  par  son 
Chapitre,  qui  désirait  pouvoir  user  des  revenus  de  son  lot,  sans  le  concours 
de  l'évèque.  Avant  ce  partage,  qui  date  du  12  mars  1004  et  fut  approuvé 
par  le  pape  saint  Léon  L\,  l'évèque,  seul  administrateur  des  biens  de  son 
église,  en  faisait  la  répartition  entre  les  clercs  et  les  chanoines,  affectant  la 
part  que  bon  lui  semblait  au  service  du  culte,  au  besoin  des  pauvres  et  à  ses 
dépenses  personnelles. 

Gilbert,  étant  tombé  gravement  malade  et  sentant  sa  fin  approcher,  ré- 
clama les  derniers  secours  spirituels  à  Léotheric,  archevêque  de  Sens,  et  à 
Fulbert,  évûquc  de  Chaiires,  qui  se  rendirent  à  son  appel.  «  Grâces  immor- 

1.  Sttuuu  de  Bne,  ou  yluiût  de  bnoii,  couau  tous  le  num  de  Martin  IV. 


SAINT  AGABUS.  501 

telles  vous  soient  rendues»,  leur  dit-il,  <(  ô  vous,  lumières  de  l'Eglise  des 
Gaules,  qui  venez  recevoir  les  soupirs  d'un  vieil  ami  ;  vous  qui,  en  m'appor- 
tant  le  Viatique  des  mourants,  venez  m'aider  à  lutter  contre  les  embûches 
de  la  mort  et  les  ruses  de  l'ennemi  du  salut  ;  vous  qui,  d'une  main  pieuse, 
confierez  mes  restes  mortels  à  une  tombe  chrétienne  » . 

Après  vingt  ans  de  sage  administration,  le  saint  évêque  mourut,  le  13  fé- 
vrier de  l'an  1009  ou  1010.  Il  fut  enseveli  dans  l'église  dédiée  à  Notre-Dame 
et  à  saint  Etienne,  devant  l'autel,  sous  les  gradins  de  l'abside.  De  nombreux 
miracles  s'accomplirent  bientôt  sur  son  tombeau. 

RELIQUES  ET  CULTE  DE  SAINT  GILBERT. 

Jean  l'Huillier,  évêque  de  Meaux,  transféra  le  corps  de  saint  Gilbert  en  1491  '. 

Le  couvent  de  Saint-André  de  Clermont  donna,  en  1645,  une  relique  de  saint  Gilbert  à  ral>baye 
de  Saint-André-au-Bois. 

Le  25  juin  1562,  les  Huguenots  dévastèrent  la  cathédrale  de  Meaux  ;  quelques  ossements  ds 
saint  Gilbert  échappèrent  seuls  au  désastre.  A  l'époque  de  la  Révolution,  ils  ont  été  confondus 
avec  les  reliques  de  quelques  autres  Saints,  par  suite  de  l'incurie  de  l'évèque  constitutionnel.  Ils 
sont  probablement  avec  d'autres  reliques  innomées,  dans  la  châsse  principale  de  la  cathédrale, 
désignée  sous  le  titre  de  Saint-Fiacre.  Dans  la  même  église,  on  conservait  jadis,  avec  un  grand 
respect,  une  chape  du  saint  évêque. 

Saint  Gilbert  était  spécialement  invoqué  pour  l'hydropisie  et  le  mal  des  ardents  '. 

La  collégiale  de  Saint-Quentin,  ainsi  que  les  églises  de  Meaux  et  de  Noyon,  célébraient  la  fête 
de  saint  Gilbert  au  13  février.  Dans  le  diocèse  de  Meaux,  on  fêtait,  de  pins,  sa  translation  an  30 
octobre.  On  ne  fait  plus  aujourd'hui  que  sa  fête  patronale. 

Son  nom  est  inscrit  dans  le  Martyrologe  d'Amiens  de  1737,  ainsi  qne  dans  ceux  de  Molanus, 
Ferrari,  Canisins,  Du  Sanssay,  Chastelain,  etc.  j  il  est  marqné  au  4  février  dans  quelques  anciens 
calendriers. 

Saint  Gilbert,  revête  de  ses  ornements  épiscopaux,  tient  le  troisième  rang  parmi  les  six  per- 
sonnages qui  ont  illustré  la  ville  de  Saint-Quentin,  dans  la  gravure  initiale  de  VAugusra  Yiro- 
manduorum  d'Hémeré. 

Saint  Gilbert  figurait  au  portail  principal  de  la  cathédrale  de  Meaux,  avec  d'autres  prélats  de 
cette  église.  Toutes  ces  statues  ont  été  mutilées  par  les  Huguenots,  le  25  juin  1562,  et  depuis,  oa 
les  a  ôtées  de  la  place  qu'elles  occupaient. 

Nous  avons  empmntô  cette  vie  à  Vffagiograpfae  (TAmienSt  par  M.  l'abbé  Corblet. 


SAINT  AGABUS, 

l'un    des    SOIXAJSTE- douze    DISCIPLES    DE    JÉSUS  -  CHRIST  ;     PROPHÈTE    ILLUSTRE 

DE  l'Église  primptive;  témocj  oculaire  des  fatts  du  christ  (i"  s.). 

La  tradition  '  de  l'Eglise  Orientale,  suivie,  approuvée  par  l'Eglise  d'Occident,  témoigne  que 
saint  Agabus  était  l'un  des  soixante-douze  disciples  de  Notre-Seigneur. 

11  avait  le  don  de  prophétie,  comme  la  plupart  des  premiers  disciples  de  Jésus,  selon  qu'il  est 
marqué  dans  les  Actes  des  Apôtres  *,  où  on  lit  ce  qui  suit  : 

a  En  ce  même  temps  (l'an  44  de  Jésus-Christ),  des  Prophètes  vinrent  de  Jérusalem  à  Antioche. 

a  L'un  d'eux,  nommé  Agabus,  prédit  par  l'Esprit  de  Dieu  qu'il  y  aurait  nne  grande  famine  par 
tonte  la  terre,  comme  elle  arriva  ensuite  sons  l'empereur  Claude  >. 

1.  Gall.  christ.,  vni,  p.  1643. 

2.  Le  mal  des  ardents,  espèce  de  peste  noire,  ravagea  la  Lorraine  en  1089,  Tonrnal  en  1092,  le  Sols- 
sonnals  en  11'28,  Paris  en  1140. 

3.  S.  Doroth.,  in  synopsi;  Menolog.,  S  martiis  Usaard.  —  Voir  Tlllemond,  Calmet,  Bolland.  du 
13  feb.;  Sepp. 

4.  Act.,  XI,  27,  28. 


502  13   FÉTOIER. 

D'après  celle  prédiction  d'Agabus,  «  les  disciples  résolurent  d'envoyer,  chacan  selon  son  pou- 
voir, quelques  aumônes  aux  frères  qui  demeuraient  on  Judée  :  ce  qu'ils  firent  en  effet,  les  envoyant 
aox  prêtres  de  Jérusalem  par  les  mains  de  Barnabe  et  de  Paul  ». 

La  Synagogue,  dans  les  temps  de  sa  divine  institution,  avait  eu  ses  Propliètcs.  l^'Eglise  cbri» 
tienne  eut  pareillement  les  siens  dans  ses  commencements.  Le  don  de  propbétle  était  si  commun 
alors,  qn'il  y  avait  peu  d'églises  oi»  il  n'y  eût  qoelqne  personne  qni  en  fût  privilégiée  >.  Ce  fut 
principalement  alors  que  l'on  vit  l'accomplissement  de  l'oracle  de  Joël  qui  annonçait  que  l'esprit  de 
propbétie  serait  répandu  -sur  toute  cbair.  Quatre  filles  du  diacre  saiut  Philippe  étaient  toutes  pro- 
phétesses.  Saint  Luc  parle  encore  plus  loin  '  des  docteurs  et  des  Prophètes,  qni  étaient  à  Antioche, 
et  notamment  de  Barnabe,  de  Simon  le  Noir,  de  Lucins  de  Cyrène,  de  Manahen,  de  Saol.  Agabus  était 
un  de  ceux  que  le  Saint-Esprit  favorisait  tout  spécialement.  Tons  les  écrivains  du  Nouveau  Testament 
sont  antant  de  Prophètes  ;  et  il  y  a  peu  de  siècles  où  Dieu  n'ait  communiqué  son  esprit  de  propbétie, 
au  moins  par  intervalle,  à  certaines  personnes  privilégiées,  et  illustres  par  leur  sainteté. 

La  famine  que  prédit  ici  Agabus  arriva  sous  l'empereur  Claude,  la  quatrième  année  de  son  règne, 
quarante-quatrième  de  l'ère  commune.  Les  historiens  profanes  ont  parié  de  cette  famine.  Suétone 
dit  '  que  cet  empereur  fut  attaqué  parle  peuple  au  milieu  du  marché,  chargé  d'injures,  et  poursuivi 
avec  des  morceaux  de  pain  ;  en  sorte  qu'à  peine  put-il  regagner  son  palais  par  une  porte  de  derrière. 
Cette  famine  s'étendait  par  tonte  la  terre,  dit  saint  Luc  ;  c'est-à-dire,  dans  tout  l'empire  romain  ; 
mais  non  pas  partout  également.  Elle  affiigea  principalement  la  Judée.  —  Les  fidèles  d'Antioche 
furent  informés  de  l'extrême  disette  que  souffraient  les  chrétiens  qui  étaient  demenrésà  Jérusalem, 
parce  que  la  plupart  s'étaient  dépouillés  de  tous  leurs  biens,  pour  les  mettre  en  commun,  et  pour 
les  apporter  aux  pieds  des  Apôlres  ;  ils  prirent  alors  une  résolution  digne  de  leur  charité,  qui  fut 
d'envoyer  des  aumônes  en  Judée,  pour  y  être  distribuées  aux  indigents.  On  chargea  de  ces  aumônes 
Paul  et  Barnabe.  Hélène,  reine  des  Adiabéniens,  et  Isate,  son  fils,  vinrent  pareillement  au  secours  des 
habitants  de  Jérusalem.  Ils  remirent  leurs  aumônes  entre  les  mains  des  magistrats  de  cette  ville,  et 
les  Apôtres,  entre  les  mains  des  prêtres  ou  anciens  de  cette  église. 

Les  peintres  représentent,  dans  les  tableaux  et  dans  les  verrières  des  églises,  Agabus  rompant 
son  bâton  ou  son  rameau,  de  dépit  de  ce  que  saint  Joseph  lui  est  préféré  par  le  sort  pour  être 
l'époux  de  Marie,  et  se  retirant  dès  lors  sur  le  mont  Carmel  pour  y  vivre  dans  la  solitude  et  dans 
la  contemplation.  C'est  ce  que  raconte  une  ancienne  légende  de  la  vie  de  la  Sainte  Vierge. 

Il  fut  un  des  plus  zélés  disciples  de  Jésus,  et  mérita  des  faveurs  spéciales  du  Saint-Esprit,  qu'Q 
fit  servir  au  profit  de  l'Eglise. 

La  famine  qu'il  prédit  sous  Claude  ne  fut  pas  la  seule  prophétie  publique  qu'il  fit  dans  l'Eglise.  L'an 
58,  il  vint  encore  de  Judée  trouver  saint  Paul  à  Césarée,  et  lui  annonça  tout  ce  qn'il  devait  endurer, 
à  Jérusalem,  de  mauvais  traitements  de  la  part  des  Juifs  et  des  Gentils  : 

o  Pendant  notre  séjour  à  Césarée  »,  dit  saint  Luc  ',  «  un  prophète,  nommé  Agabus,  vint  de 
Jadée  et  nous  étant  venu  voir,  il  prit  la  ceinture  de  Paul  et,  s'en  liant  les  pieds  et  les  mains,  il  dit  : 

—  a  Voici  ce  que  dit  le  Saint-Esprit.  L'homme  à  qui  appartient  cette  ceinture  sera  lié  de  cette 
sorte  par  les  Juifs  dans  Jéiusalem,  et  ils  le  livreront  entre  les  mains  des  Gentils  ». 

Les  fidèles,  assurés  do  la  vérité  de  celte  prophétie  d'Agabus,  essayèrent  de  détourner  saint  Paul 
d'aller  à  Jérusalem.  Mais  cet  apôtre  intrépide,  qui  savait  qu'il  devait  souff.">  pour  Jésus-Christ,  ne 
craignit  point  de  s'exposer  à  tous  les  périls,  et  la  prophétie  précédente  s'accomplit  à  la  lettre, 
lorsque  saint  Paul  fut  à  Jérusalem, 

Les  Grecs  disent  que  saint  Agabus  fut  martyrisé  à  Antioche,  et  ils  marquent  sa  fête  an  8  mars  : 
les  Latins  la  célèbrent  le  <3  février  depuis  le  i!°  siècle. 

Voir  Bollandùles,  13  février,  p.  6M.  S.  Âdon  et  les  Soixanle-doute  disciples  de  U.  l'sbM  de  Malstrt, 
•aqael  nom  avons  empmntd  ce  récit. 

1.  I  Cor.,  XI,  10.  —  2.  Act.,  xni,  1. 

3.  Sneton.,  in  Clavdio,  c.  18.  A  tnrba  conviens  ac  fraj^^lnibus  panis  l(a  Infestatus  est,  ut  xgre,  ne« 
nisi  postîco  evadero  in  Palatium  raluerit.  étc...  rida  et  Joseplium.  Antig.,  liv.  xx,  cliap.  2;  £useb., 
Uv.  II.  ch.  8. 

*.  Act.,  xu,  10, 11. 


SAINT   CASTOR,   PRÊTRE,  PATRON  DE   COBLENTZ.  503 


SAINT  DOMNIN  OU  DONXIS,  ÉVÊQUE  DE  DIGNE  (vers  379). 

Domnin  était  africain  :  embrasé  du  zèle  de  la  religioD  cbrétienne,  il  qnitta  ses  parents  et  sa 
patrie  et,  avec  Vincent,  suivit  Marcellin.  Il  aborda  avec  eux  an  château  de  Nice,  prêcha  la  doctrine 
du  Christ  dans  la  région  des  Alpes  ei  seconda  assidûment  Marcellin,  jusqu'à  ce  que  la  foi  eut  jeté 
ses  racines  dans  la  cité  d'Embrun  et  dans  les  pays  circonvoisins.  Lorsque  le  bienhenreux  Marcellin 
eut  été  sacré  évèque  d'Embrun,  par  Eusèbe  de  Yerceil  (avant  370),  saint  Domnin,  voulant  propager 
la  foi  plus  loin,  choisit  la  ville  de  Digne  pour  travailler  à  la  destruction  de  l'idoUtrie  qui  y  régnait 
encore  dans  toute  sa  force. 

Le  bienheureux  Marcellin  ne  laissa  point  partir  Domnin  et  Vincent  sans  leur  rappeler  à  la  mémoire 
les  préceptes  du  Seigneur  i  ses  apôtres  au  moment  où  il  leur  donnait  la  mission  d'aller  prêcher,  les 
avertissant  de  recommander  la  pénitence,  de  conserverun  genre  de  vie  simple,  ainsi  qu'une  charité 
mutuelle  et  inaltérable.  Encouragés  par  ces  avis,  Domnin  et  Vincent  partirent  pour  Digne.  Leurs 
raisons  firent  tomber  le  cnlle  des  faux  dieux,  leurs  prières  firent  descendre  la  foi  dans  les  cœurs  et 
leurs  miracles  la  confirmèrent.  Ils  guérirent  un  grand  nombre  de  langueurs,  de  possessions  et  de 
maladies  de  tous  genres,  en  témoignage  de  la  vérité  de  leur  prédication. 

Etant  venu  pour  consacrer  une  église  érigée  en  l'honneur  de  la  Mère  de  Dien,  le  bienheureux 
Marcellin  sacra  saint  Domnin  évêque  de  Digne.  Devenu  évèque  dans  les  temps  très-critiqnes  de  l'hé- 
résie arienne,  il  ne  laissa  aucune  de  ses  brebis  s'écarter  du  bercail  de  la  vraie  foi.  Sentant  sa  fin 
approcher,  il  exhorta  Vincent  à  recevoir  la  charge  et  le  soin  de  son  troupeau,  et  émigra  vers  le 
Seigneur  le  13  de  février.  Dieu  permit  longtemps  q[ue  les  infirmes  fussent  guéris  et  les  démons 
chassés  à  son  tombeau  vénéré. 

L'église  de  Digne  possède  la  tête  et  na  bras  de  son  saint  fondateor  et  les  expose  chaque  année 
à  la  vénération  des  fidèles. 

Propre  de  Digne,  France  pontificale,  etc. 


SAINT  G.\STOR,  PRÊTRE,  PATRON  DE  COBLENTZ  (389). 

Castor,  que  ses  nobles  et  pieux  parents  confièrent  à  saint  Maximin,  évêque  de  Trêves,  second 
du  nom,  reçut,  sous  la  conduite  de  ce  prélat,  la  meilleure  éducation  ;  puis,  comme  il  faisait  de 
continuels  progrès  dans  la  piété  et  dans  la  pureté  des  mœurs,  il  fut  d'abord  ordonné  diacre  et 
ensuite  prêtre.  Mais  comme  il  avait  un  penchant  déterminé  pour  la  vie  solitaire,  il  se  retira  au 
désert  de  Cardon  pour  vaquer  à  Dieu  seul.  Et  plusieurs,  conduits  par  l'amour  de  la  solitude  et  de 
la  piété,  suivirent  l'homme  de  Dieu  et  se  mirent  sous  sa  conduite.  An  milieu  de  ses  disciples,  il 
mena  pendant  longtemps  une  vie  très-sainte,  plus  connue  de  Dieu  et  de  lui-même  que  des  hommes. 

D  commença  bientôt,  quoique  malgré  lui,  à  être  renommé  pour  sa  sainteté.  Un  bateau  chargé 
de  sel,  qui  naviguait  sur  la  Moselle,  étant  venu  à  passer  non  loin  de  Cardon,  où  demeurait  Castor, 
celui-ci  demanda,  mais  en  vain,  qu'on  lui  donnât  un  peu  de  ce  sel,  loreque  tout  à  coup  le  bateau 
fut  agité  par  une  violente  tempête,  tellement  que  les  hommes,  se  voyant  en  danger  de  jpérir  avec 
leur  bâtiment,  implorèrent  le  secours  de  Dieu  et  l'intercession  de  Castor  qu'ils  venaient  de  mépriser. 
Sur-le-champ,  le  saint  solitaire,  faisant  le  signe  de  la  croix,  délivra  du  péril  et  de  la  mort  qui  les  mena- 
çait ces  hommes  peu  charitables.  Les  autres  miracles  du  Samt  ont  été  ravis  à  la  mémoire  des  hom- 
mes, tant  par  sa  modestie  que  par  la  longueur  du  temps  ;  et  il  a  donné  plus  de  marques  de  sa 
sainteté  après  sa  mort  que  pendant  sa  vie. 

Ses  reliques,  après  être  demeurées  longtemps  ignorées,  furent  indiquées  à  saint  Weomade, 
archevêque  de  Trêves,  par  un  prêtre  d'une  sainte  vie  nommé  Martin,  que  saint  Castor  avait  averti 
trois  fois  par  une  voix  venant  du  ciel.  Après  trois  jours  de  jeûnes  et  de  prières  solennelles,  saint 
■yVeomade  descendit  à  Cardon  avec  tout  son  clergé,  trouva  le  saint  corps  et  le  déposa  avec  honneur 
dans  la  basilique  de  Saint-Paulin,  où  il  fut  glorifié  par  plusieurs  miracles.  C'est  pourquoi  Hettus, 
archevêque  du  même  siège,  averti  par  saint  Materne  dans  une  vision,  et  voulant  attirer,  par  le 
culte  divin,  des  habitants  dans  la  ville  de  Cobleniz,  y  transféra  une  partie  des  reliques  de  saint 


804  f 3  inSnfeR.^ 

Castor  et  les  plaçi  avec  grand  honneur  dans  une  église  nouvellement  consiraile  pour  être  desservie 
par  nn  collépe  île  chanoines.  Ainsi,  notre  Saint,  à  peine  connu  auparavant,  est  maintenant  honoré 
dans  deux  églises  célèbres,  où  florissaient  autrefois  deux  collèges  de  chanoines. 
On  représente  saint  Castor  retenant  un  navire  qui  coule  à  fond. 

Propre  de  Trêves. 


SAINT  LEONE  OU  LIENNE  DE  POITIERS  (fin  du  nr*  siècle). 

Leone,  vulgairement  Lienne,  fit  de  grauds  progrès  sous  la  discipline  de  saint  Hilaire  et  mérita, 
par  l'intégrité  de  ses  mœurs  et  sa  science  des  divines  Ecritures,  d'être  ordonné  prêtre  par  ce  grand 
Saint.  Il  remplit  les  devoirs  de  cette  dignité  de  façon  à  mériter  l'affectioa  de  saint  Ililaire,  qui  faisait 
de  lui  le  confident  de  ses  plus  intimes  pensées.  Il  accompagna  son  évêque  en  eiil,  et  souffrit  avec  lui 
pour  la  foi  :  de  retour  en  Gaule,  il  l'aida  beaucoup  à  délivrer  ce  pays  de  la  perfidie  arienne.  Le 
saint  évêque  l'ayant  appelé  près  de  lui  à  ses  derniers  moments,  il  vit  la  lumière  céleste  qui  des- 
cendit jusqu'à  lui  pour  recevoir  son  âme,  et  dans  laquelle  s'envola  cet  esprit   déjà   béatifié  (308). 

Ainsi,  séparé  de  son  père  et  de  son  maître,  il  s'appliqua  plus  que  jamais  à  nourrir  le  peuple  de 
la  parole  du  Christ.  Sa  vie  se  passa  dans  l'accomplissement  de  ces  devoirs  pieui  ;  étant  déjà  vieux,  il 
s'endormit  d'un  paisible  sommeil  le  jour  que  lui  avait  prédit  saint  Ililaire,  vers  la  fin  du  iv»  siècle, 
et  s'en  alla  jouir  de  la  félicité  qui  ne  doit  pas  finir.  Il  fut  enseveli  dans  une  chapelle  attenante  à  la 
maison  de  saint  Ililaire  ;  de  nombreux  miracles  glorifièrent  ses  reliques,  que  les  Poitevins  entourè- 
rent d'une  grande  vonéralion.  L'an  994,  le  corps  de  saint  Lienne  fut  transféréà  la  Roche-sur- Yon  ; 
il  y  a  été  longtemps  conservé  dans  une  église  à  lui  dédiée,  et  où  des  lampes  brûlaient  sans  cesse 
à  son  honneur. 

La  maison  qu'avait  habitée  saint  Ililaire  et  près  de  laquelle  saint  Lienne  fut  enseveli  devint 
plus  tard  l'abbaye  de  Saint-Hilaire-de-la-Celle  et  est  aujourd'hui  le  couvent  des  Carmélites.  Quant 
au  tombeau  de  la  Roche-sur-Yon,  il  est  à  croire  qu'il  péril  avec  le  saint  corps  renfermé  dans  ses 
parois  de  marbres  à  l'époque  des  guerres  calamiteuscs  qui  signalèrent  la  présence  des  Anglais  en 
Poitou.  En  1476,  l'église  de  Saint^Lienne  n'existait  plus  à  la  Roche-sur-Yon,  et  se  trouvait  remplacée 
par  celle  de  Saint-Michel. 

Propre  de  Poiliert. 


SAINT  LEUBACE  OU  LEUBAIS  DE  SENNEVIERES  (vers  540). 

Leubace,  vulgairement  Leubais,  fut  le  principal  disciple  de  saint  Ours  et  son  auxiliaire  dans  les 
œuvres  qui  regardaient  la  gloire  de  Dieu,  telles  que  la  construction  des  monastères  et  la  prédica- 
tion de  l'Evangile.  Pauvre  volontaire,  il  annonçait  le  Ch.-ist  pauvre.  Il  y  avait  place  pour  tout  le 
monde  dans  les  entrailles  de  sa  charité.  Austère  pour  lui  seul,  il  régla  toute  sa  vie  selon  les  pré- 
ceptes de  saint  Ours,  son  maître,  et  en  vivant  selon  la  règle  il  vivait  pour  Dieu  seul. 

Saint  Ours,  qui  avait  déjà  fondé  plusieurs  monastères  dans  le  Berri,  étant  entré  en  Touraine, 
y  établit,  au  lieu  appelé  Sennevières  ',  un  monastère  et  un  oratoire,  et,  lorsqu'il  se  retira  de  cet 
endroit,  il  préposa  Leubais  au  gouvernement  de  ses  fi'ères  avant  de  fixer  son  séjour  à  Loches. 

Saint  Ours  étant  monté  au  ciel,  tous  ceux  qu'il  avait  mis  à  la  tète  de  ses  monastères  reçurent 
des  évèques  les  fonctions  abbatiales.  Leubais  fut  donc  créé  abbé  de  Sennevières.  11  vécut  en  ce 
lieu  dans  une  sainteté  rare  jusqu'à  la  plus  extrême  vieillesse,  rendit  son  âme  pure  à  son  Créateur 
et  fut  enseveli  dans  l'église  paroissiale  qui  porte  aujourd'hui  son  nom. 

.M.  l'abbé  Rolland  nous  adressait  débours,  le  18  mars,  les  renseignements  suivants  : 

«  L'église  de  Sennevières,  dédiée  à  saint  Leubais,  fut  probablement  élevée  sur  l'emplacement 
même  de  son  oratoire.  Sennevières  est  un  petit  bourg  de  390  âmes,  dans  le  canton  de  Loches.  On 
ne  sait  malheureusement  pas  ce  que  sou  corps  est  devenu.  Le  curé  m'écrit  qu'on  pensait  dans  le 
pays  qu'il  reposait  dans  un  caveau  situé  sous  le  clocher,  dans  le  chœur. 

1.  Senaparia. 


SADÎT  FULCRAX,   ÉVÊQÏÏE  DE  lODÈVE.  505 

c  Une  tradilion  populaire  raconte  qu'an  jour  saint  Lenbais,  voulant  traverser  nn  cours  d'eau, 
s'engagea  sur  une  petite  passerelle  faite  en  bois  d'aulne.  La  planche  se  brisa  sons  lui,  le  Saint 
tomba  dans  l'eau  et  il  maudit  l'aulne  dans  tout  le  territoire  de  la  commune.  Ce  qui  est  certain, 
c'est  qu'on  n'y  voit  pas  un  seul  arbre  de  cette  espèce  et  que  tons  ceui  qu'on  a  essayé  d'y  planter 
lont  morts  a. 

Propre  dt  Tours  et  Notes  loeala. 


SAINT  FULCR.\N,  ÉVÊQUE  DE  LODÈVE  (1006). 

Fulcran,  né  an  territoire  de  Lodève,  dans  la  Gaule  N'arbonnaise,  et  descendant  par  sa  mère  de 
la  souche  illastre  des  comtes  de  Sonstancion,  commença  dès  l'enfance  à  construire  l'édi&ce  de  sa 
sainteté  future,  se  faisant  remarquer  par  la  gravité  de  sa  conduite  et  par  l'étude  assidne  des  saintes 
Ecritures,  dans  lesquelles  il  se  rendit  très-savant.  Très-appliqué  aui  jeûnes,  aux  veilles  et  à  l'orai- 
son, il  &t  de  grands  progrès  dans  le  bien  et  il  devint  le  modèle  accomph  de  toutes  les  vertus.  En 
particulier,  il  fut  si  fidèle  à  pratiquer  la  chasteté  que,  snr  le  point  de  mourir  et  en  présence  du  très- 
saint  corps  de  Notre-Seigneur  qui  lui  était  offert  en  viatique,  il  déclara,  en  rendant  grâces  à  Dieu, 
que  jamais  lamoindre  flétrissure  n'avait  atteint  la  pureté  de  son  âme.  Tant  de  vertus  le  firent  arriver 
à  l'ordre  de  la  prêtrise,  et  il  se  rendit  tellement  agréable  à  Théodoric  on  Thierri,  son  évèqne,  que 
celui-ci  souhaita  vivement  de  l'avoir  pour  successeur. 

C'est  pourquoi  Théodoric  étant  mort,  conformément  ï  son  désir  et  à  celui  de  tonte  la  cité,  les 
chanoines  de  l'église  cathédrale  élurent  pour  évêque  le  vénérable  Fulcran,  et,  l'entraînant  malgré 
lui  à  Narbonne,  métropole  de  la  province,  ils  le  firent  sacrer  par  l'arehevèqne  Aimeric,  dans  la 
basilique  de  Saint-Paul,  premier  évêque  de  cette  cité,  le  4  de  février,  l'an  de  notre  salut  949.  De 
retour  à  Lodève,  il  fut  reçu  en  grande  pompe  et  aux  applaudissements  do  peuple. 

On  raconte  du  saint  évêque  un  trait  qui  fait  honneur  à  sa  fermeté.  Guillaume  Taillefer,  comte 
de  Toulouse,  avait  épousé,  en  973,  Arsinde  d'Anjou,  sœur  de  Fonlqnes  Nera,  comte  de  celte  der- 
nière province.  Cette  dame  ne  lui  donna  point  d'enfants  dans  les  premières  années  de  son  ma- 
riage ;  c'est  ce  qui  détermina  Guillaume,  contre  toutes  les  lois  de  la  nature  et  de  la  religion,  à  la 
quitter  pour  en  prendre  nne  autre  qui  était  en  ce  moment  mariée.  Saint  Fulcran,  évêque  de  Lo- 
dève, dont  la  sainteté  brillait  alors  du  plus  vif  éclat,  connaissait  particulièrement  le  comte  de  Tou- 
louse ;  il  n'eut  pas  pins  lût  appris  sa  conduite,  qu'il  en  fut  profondément  affligé.  Un  jour,  Guillaume, 
ayant  rencontré  le  saint  évèqne,  s'empressa  d'aller  l'embrasser.  Fulcran  le  repoussa  et  Ini  reprocha 
même  publiquement  sa  vie  scandaleuse.  Quant  à  la  comtesse  Arsinde  on  Arsens,  elle  eut  dans  son 
malheur  recours  i  la  prière,  et  se  rendit  en  pèlerinage  an  monastère  de  Conques  en  Rouergue,  ovi 
reposaient  les  reliques  de  sainte  Foi  d'Agen.  Un  antenr  anonyme  nous  a  conservé  l'histoire  de  ce 
pèlerinage,  écrite  en  vers  gascons. 

n  raconte  qu'an  soir  la  comtesse  étant  dans  son  lit,  sainte  Foi  lai  apparat  en  songe  et  lui  dit  : 
«  Je  veux  qne  vous  me  consacriez  sur  l'autel  de  Saint-Sauveur,  à  mon  monastère  de  Conques,  les 
riches  manches  que  vous  portez  ».  —  a  Je  le  ferai  »,  dit  la  comtesse,  a  mais  obtenez-moi  un  fils  ». 
r—ali  prierai  le  Seigneur  a,  dit  la  sainte  martyre  ;  «  mais  vous,  accomplissez  votre  promesse  ». 
Sainte  Foi  disparut  et  la  comtesse  s'endormit.  Le  lendemain,  après  avoir  entendu  la  messe,  elle  se  mit 
en  route.  Sainte  Foi  lui  enseigna  les  chemins,  car  les  voies  qui  conduisaient  alors  à  Conques  étaient 
difficiles  à  parcourir.  Elle  fit  ce  voyage  avec  grand  honneur  et  nombreuse  compagnie  ;  les  seigneurs 
du  pays  et  tous  les  notables  du  lieu  la  reçurent  avec  nne  extrême  joie.  A  peine  fut-elle  entrée  dans 
le  monastère  qu'elle  demanda  d'être  conduite  à  l'antel  de  Saint-Sauveur.  Conduite  par  le  seigneur 
du  lieu,  elle  se  présenta  à  cet  autel  et  y  déposa  les  manches  qu'elle  avait  promises.  Ces  manches 
ou  bracelets  étaient  tissues  d'or,  artistement  travaillées,  et  enrichies  de  pierreries  ;  elles  furent  atta- 
chées à  la  table  de  l'autel.  Ensuite  elle  fut  conduite  dcTant  la  châsse  de  la  Sainte.  Elle  demeura  à 
Conques  le  jour  de  Pâques,  et  repartit  ensuite  pour  Toulouse.  Pea  de  temps  après,  elle  mit  au 
monde  un  fils  qni  fut  nommé  Raymond  an  baptême,  et  puis  un  second  qui  fut  appelé  Henri  ». 

Fulcran  s'était  fait  une  habitude,  aux  fêtes  de  Notre-Seigneur  et  des  Apôtres  et  en  temps  de 
Carême,  de  servir  Ini-mème  douze  pauvres  à  table,  de  leur  laver  les  pieds  et  de  leur  donner  des 
vêtements.  Cette  grande  sainteté  de  son  serviteur,  Diea  la  manifesta  par  des  miracles  ;  et  notam- 
ment de  l'eau,  avec  laquelle  il  s'était  lavé  les  mains,  ouvrit  les  yeux  d'un  aveugle  d'Albi.  Il  re- 


S06  13  FÉVRIER. 

conslruisil  depuis  les  fondements  la  basilique  de  Sainl-Geniei,  et  ayant  convoqué  Aimeric  de  Nar- 
bonne,  Ricuia  de  Maguelonoe  et  Dens-Dedtt  de  Rodez,  il  la  consacra  avec  ces  évèques  selon  le  rit 
antique.  Il  tint  le  siège  cinquante-sept  ans.  La  Qèvre  l'ayant  saisi,  il  fit  venir  Manfred,  évèque  de 
Béliers,  son  ami  dévoué,  et  les  chanoines  de  son  église,  et  rendit  son  âme  à  Dieu.  Son  corps  fut 
trouvé  entier  cent  ans  après  sa  mort.  Il  recevait  les  pieux  hommages  des  fidèles  lorsque  les  héréti- 
ques, vers  la  Hii  du  xvi»  siècle,  le  mirent  en  pièces  et  le  dispersèrent.  Dieu  avait  confirmé  par  des 
miracles  opérés  à  son  tombeau  l'opinion  qu'on  avait  de  sa  sainteté.  Son  corps  fut  levé  de  terre  en  1121. 
Quelques  parcelles  de  ses  reliques  échappèrent  aux  Huguenots.  On  les  conserve  à  Lodève  dont  il 
est  le  second  patron.  A  la  Révolution,  ces  précieux  restes  étaient  enfermés  dans  une  magnifique 
chJsse  d'argent.  Sauvés  de  la  fureur  révolutionnaire,  ils  furent  reconnus  en  octobre  1805  par  Mgr 
Hollet,  évèque  de  Montpellier,  et  replacés  dans  l'ancienne  cathédrale,  aujourd'hui  paroisse. 

On  représente  saint  Fnicran  faisant  tomber  par  ses  prières  les  murailles  do  la  forteresse  de 
Gibret,  dans  son  diocèse,  laquelle  était  occupée  par  des  brigands  qui  de  là  infestaient  toute  la  contrée. 

Propre  dt  Rodtt  et  Bîst.  de  l'Eglàe  d»  Toulouse,  par  U.  Salvan. 


SAINTE  CATHERINE  RICQ  (1S90). 

Catherine,  née  de  la  noble  famille  des  Ricci,  à  Florence,  montra  dès  l'enfance  une  piété  précoce 
et  comme  naturelle.  Placée  au  monastère  suburbain  de  Saint-Pierre-de-Monticelli  pour  y  être  élevée  et 
formée  à  la  vertu,  chaque  jour  elle  priait  devant  une  image  du  Christ  en  croix,  non  sans  répandre  dei 
larmes,  et  méditait  la  Passion,  même  pendant  les  heures  de  récréation.  Elle  fut  ensuite  transférée 
an  monastère  de  Saint-Vincent,  de  l'Ordre  de  Saint-Dominique,  dans  la  ville  de  Prato  ;  et  ce  fut 
pendant  qu'elle  y  était  qu'elle  refusa  constamment  de  retourner  à  La  maison  paternelle  avant  d'avoir 
reçu  l'assurance  qu'elle  reviendrait  au  monastère.  Enfin,  à  l'âge  de  treize  ans,  méprisant  les  délices 
du  siècle,  elle  embrassa  la  vie  religieuse  au  même  monastère. 

Sa  charité  envers  Dieu  était  brûlante,  et  son  oraison  presque  continuelle  :  elle  y  consacrait  tout 
le  temps  que  lui  laissaient  ses  occupations  nécessaires  et  le  peu  de  repos  qu'elle  prenait;  elleasser- 
vissait  son  corps  en  le  macérant  an  moyen  d'une  chaîne  de  fer  et  de  la  flagellation.  Très-sobre  de 
nourriture,  elle  s'abstint  de  viande  durant  quarante-huit  ans,  vivant  la  plupart  dn  temps  de  légume» 
et  d'herbes,  quelquefois  se  contentant  de  pain  et  d'eau.  Désirant  le  salut  du  prochain,  elle  répan- 
dait devant  Dieu  des  prières  Irès-fcrvenles  pour  la  conversion  des  pécheurs.  Elle  fut  émue  d'une 
telle  compassion  pour  une  âme  qui  était  en  purgatoire,  qu'on  la  vit  souffrir  les  douleurs  les  plus 
acerbes  qui  lui  furent  envoyées  du  ciel  en  expiation  des  peines  méritées  par  cette  âme.  Sa  pru- 
dence était  rare,  son  zèle  pour  l'observance  de  la  règle  très-ardent;  elle  dirigea  longtemps  les  re- 
ligieuses de  son  monastère,  les  formant  à  la  sainteté  par  l'exemple  encore  plus  que  par  les  exhor- 
tations. Dans  cet  office,  elle  pratiquait  l'humilité  jusqu'à  s'acquitter  des  travaux  les  plus  pénibles 
et  les  plus  bas,  jusqu'à  se  faire  la  servante  dévouée  des  malades. 

Les  grâces  d'en  haut  descendirent  sur  elle  avec  une  profusion  extraordinaire  :  c'est  ainsi  qu'elle 
reçut  des  mains  du  Sauveur  l'anneau  des  fiançailles  et  les  stiginati<s  sacrés,  qui  se  rendirent  exté- 
rieurement visibles  plus  d'une  fois.  Durant  l'espace  de  plusieurs  années,  les  jeudis  et  les  vendredis, 
ravie  dans  la  plus  sublime  extase,  elle  ressentit  habituellement  tous  les  tourments  du  Rédempteur  dans 
sa  passion,  les  uns  après  les  antres,  et  par  ordre.  Etant  à  Prato,  elle  vit  saint  Philippe  de  Néri, 
qui  était  à  Rome,  et  s'entretint  avec  lui  à  cette  distance.  Illustre  par  le  don  des  extases,  des  ra- 
vissements, des  célestes  visions  et  des  prophétiques  lumières,  elle  prédit  l'avenir  et  découvrit  des 
choses  cachées.  Enfin,  affaiblie  par  des  maladies  graves  et  munie  des  sacrements  de  l'Eglise,  elle 
«'envola  au  ciel  l'an  de  Noire-Seigneur  1590,  de  sou  âge  le  soixante-neuvième,  le  2  de  février.  Le  sou- 
«rain  Pontife  Dcnolt  XIV  la  mit  solennellement  au  rang  des  vierges  saintes,  l'an  de  notre  salut  1746. 

On  représente  sainte  Catherine  Ricci  recevant  des  mains  de  Jésus-Christ  {'unnenu  des  viergesj 
«yant  une  couronne  d'épines  sur  la  tète,  car  dès  son  enfance  on  vit  son  front  percé  de  plaies  san- 
glantes qui  rappelaient  le  couronnement  d'épines  ;  priant  devant  un  crucifix  qui  s'anime  et  se 
détache  pour  l'embrasser  ;  recevant  dans  la  bouche  on  jet  du  lait  de  la  Sainte  Vierge  '.  Avant 
d'entrer  en  religion,  Catherine  s'appelait  Alexandrine. 

Leçon*  du  bréciaire  dominicain. 

l   Catb.  KUober,  inv.  et  feeil.  —  Cf.  fol.  08,  vol.  2  de  la  collection  r!i>ii  ettampcs  <1o  Paris. 


ICARTYROtOOES.  807 


XIV^  JOUR  DE  FEVRIER 


UARTYROLOGE  ROMAIN. 

A  Rome,  sur  la  voie  Flaminienne,  la  naissance  au  ciel  de  saint  Valentin  i,  prêtre  et  martyr, 
qui,  après  avoir  opéré  plusieurs  guérisons  miraculeuses  et  donné  d'éclatantes  marques  de  sa  doc- 
trine, fut  meurtri  à  coups  de  bâtons,  et  décapité  sous  l'empereur  Claude.  268.  —  A  Rome,  le» 
saints  martyrs  Vital,  Félicule  et  Zenon  ».  —  A  Terni,  saint  Valentin,  évêque  et  martyr,  qui, 
après  une  longue  flagellation,  fut  mis  en  prison,  et,  ne  pouvant  être  vaincu,  fut  tiré  de  son  cachot 
pendant  le  silence  de  la  nuit,  et  eut  la  tèle  tranchée  par  l'ordre  de  Placide,  préfet  de  la  ville.  273. 

—  Au  même  lieu,  saint  Procule,  saint  Ephèbo  et  saint  Apollonius,  martyrs,  qui,  pendant  qu'ils 
veillaient  près  du  corps  de  saint  Valentin,  furent  arrêtés  par  ordre  du  consulaire  Léonce,  et  furent 
frappés  avec  l'épée.  273.  —  A  Alexandrie,  les  saints  martyrs  Bassus,  Antoine  et  Protolique,  qui 
furent  jetés  dans  la  mer.  —  De  plus,  les  saints  martyrs  L'.\rion,  prêtre,  Bassien,  lecteur,  Agathnn, 
exorciste,  et  Moyse,  qui  périrent  dans  les  flammes  et  s'envolèrent  au  ciel.  —  Au  même  lieu,  saint 
Denys  et  saint  Ammon,  décapités.  —  A  Ravenne,  saint  Eleucade,  évêque  et  confesseur  3.  U2.  — 
En  Bithynie,  saint  Auxence,  abbé.  470.  —  A  Sorrente,  saint  Antonin,  abbé,  qui,  du  monastère  du 
Monl-Cassin,  dévasté  par  les  Lombards,  s'étant  réfugié  dans  une  solitude  auprès  de  cette  ville, 
s'endormit  dans  le  Seigneur,  célèbre  par  sa  sainteté.  Son  corps  brille  chaque  jour  par  de  nombreux 
miracles,  surtout  par  la  délivrance  d'énergumènes  ».  Vers  830. 

MARTYROLOGE  DE  FRANCE,  REVU  ET  AUGMENTÉ. 

A  Cologne,  saint  Valère,  que  Ton  croit  avoir  été  massacré  par  les  mêmes  barbares  qui  firent 
mourir  sainte  Ursule.  —  Au  diocèse  du  Puy-en-Velay,  saint  Paulien,  évêque,  prédécesseur  de 
saint  Vozy.  vi»s.— Au  même  lieu,  saint  Valentin  et  saint  Albin,  dont  les  reliques  reposaient  sous 
la   même  pierre  que  celles  de  saint  Paulien,  mais  dont  on  ignore  absolument  l'époque  et  la  vie. 

—  A  Vaison,  saint  Ttiéodose,  évêque,  aussi  honoré  le  25  octobre.  554.  —  En  Hainaut,  saint 
Guillaume,  abbé,  fondateur  du  monastère  d'Olivet,  habité  par  des  religieuses  '.  1240  —  A  Tours, 
la  fêle  de  saint  LuPA^'CE  ou  Louans,  confesseur.  v«  s.  —  A  Autun,  saint  Ragnobert  ou  Racho, 
ou  vulgairement  saint  Roca,  dont  la  naissance  au  ciel  est  le  25  janvier.  Vers  658.  —  A  Avignon, 
le  Triomphe  de  la  religion  catholique  »,  dans  l'église  d'Orange. 

1.  Kolirbacher  établit,  t.  m,  331-333  de  son  Fisloirf  universelle,  qn'll  y  a  en  des  Martyrs  sous  le  T%gat 
de  Claude  le  Gothique,  entre  autres  les  deux  saints  Valentin,  nommés  aujourd'hui  au  martyrologe.  Voir  en 
outre  Acta  Martyrum  ad  ostia  Tiberina,  dont  le  teste  grec  a  été  retrouvé,  sur  la  fin  du  xvino  sifccle,  dans 
la  blbllothbquo  de  Turin  et  publié,  avec  de  savantes  dissertations,  h.  Home,  en  1793,  par  l'imprimerie  de 
la  Propagande. 

2.  Le  Bréviaire  de  Verdun  de  1625  faisait  mémoire  de  ces  trois  Martyrs  et  donnait  à  Félicule  le  titre 
de  Vierge. 

3.  Saint  Eleucade  était  un  philosophe  grec  converti  par  saint  Apollinaire,  disciple  de  saint  Pierre  et 
premier  évêque  de  Kavenne.  Saint  Eleucade  fut  le  troisj^me  évêque  de  Ravenne. 

4.  On  a  peint  salut  Antonin  1°  apparaissant  sur  les  murs  de  Sorrente  avec  on  drapean  }t  la  main, 
parce  qu'il  délivra  plnsienrs  fois  cette  ville  des  assauts  des  Musulmans;  2o  avec  un  démon  sons  les  pieds, 
on  ayant  prÈs  de  lui  des  possédés  de  la  bouche  desquels  s'échappent  de  petits  diables.  11  est  invoqué 
surtout  pour  les  éner^jumlnes.  parce  qu'il  délivra  une  fille  de  Sicard,  duo  de  Bénévent.  Cette  princesse 
laissa  an  tombeau  dn  Saint  tous  les  bijoux  dont  elle  était  ornée  an  moment  de  sa  guérison.  —  Sorrente, 
reconnaissante,  a  fait  élever  nne  église  en  son  honneur  et  l'a  choisi  pour  l'un  de  ses  patrons. 

5.  Voir  sa  rie  an  10  de  ce  mois. 

6.  Ce  fut  en  1647  que  l'hérésie  de  CaMn  se  glissa  dans  la  ville  d'Orange.  Ses  premiers  fantenra,  con- 
traints par  l'évCque  à  nne  abjuration  publique,  subirent  les  peines  canoniques.  }Iais  en  pen  d'années 
l'hérésie  s'accrut  tellement,  et  ses  sectateurs  montrèrent  tant  d'audace,  qn'ils  n'hésitèrent  pas  îi  célébrer 
ce  qn'ils  appellent  la  cène  dans  l'église  des  Dominicains.  Presque  tous  les  sénateurs,  leur  président  en 
tête,  les  principaux  otSders  dn  prince,  les  consuls  de  la  cité  et  les  citoyens  notables,  ainsi  qn'nne  multi- 
tude considérable  de  gens  du  peuple  s'empressèrent  d'y  prendre  part.  La  foreor  de  l'Impiété  t'empara  d'eux 


508  ii  FÉVRIER. 


tIARTVROLOGES  DES  ORDRES  RELIGIEUX. 

Martyrologe  de  Saini-Basite.  —  En  Bithynie,  saint  Anience,  abbé,  de  l'Ordre  de  Saint-Basile. 
Martyrologe  des  Chanoines  Réguliers.  —  Saint  Vincent,  diacre,  qui  fat  couronné  du  martyre 
le  22  janvier. 

Martyrologe  des  Camaldules.  —  A  Validi,  dans  l'Ombrie,  le  bienheureuï  Ange,  confesseur, 
de  l'Ordre  des  Camaldules,  qui,  toat  éclatant  de  miracles  et  de  vertus,  émigra  de  ce  monde  ven 
le  Seigneur,  le  15  de  Janvier. 

Martyrologe  de  Vallombreuse.  —  Sainte  Brigitte,  vierge,  mentionnée  le  1"  février. 
Martyrologe  de  Citeaux.  —  Le  bienheureux  CoNRAD-de  Bavière,  qui,   foulant  aui  pieds  lea 
affections  terrestres,  embrassa  la  vie  monastique,  sous  la  disc-nline  de  saint  Bernard,  an  monastère 
de  Clairvau.  Il  sortit  de  ce  monde  près  de  Bari,  dans  la  Poutiie,  tout  enflammé  des  célestes  dé- 
sirs, et  monta  glorieux  au  royaume  des  cieux.  1125. 

Martyrologe  de  la  Très-Siiintc  Trinité.  —  A  Cordoue,  en  Espagne,  le  bienheureux  Jean- 
Baptiste,  de  la  Conception,  fondateur  des  Trinitaires  déchaussés,  et  restaurateur  de  la  règle  pri- 
mitive de  l'Ordre  de  la  Très-Sainte  Trinité  pour  la  rédemption  des  captifs,  célèbre  par  son  austé- 
rité, l'innocence  de  sa  vie,  le  renoncement  de  soi,  et  par  son  courage  vraiment  admirable  à  souffrir 
toutes  les  misères.  1613. 

Martyrologe  des  Frères  Prêcheurs.  —  A  Pérouse,  le  bienheureux  Nicolas  Palea  de  Giove- 
nazzo,  coufesseur  de  notre  Ordre,  fondateur  des  couvents  de  Pérouse  et  de  Trani,  qui  fut  admis 
dans  l'Ordre  par  notre  Père  saint  Dominique,  fut  son  compagnon  dans  la  prédication  de  la  parole 
de  Dieu,  et  brilla  admirablement  dans  la  pratique  de  toutes  les  vertus.  1197-1265. 

Martyrologe  Romano-Séraphique.  —  Saint  André  Corsini,  évèque  de  Fiésole,  dont  la  nais- 
sance au  ciel  est  le  6  de  janvier. 

Martyrologe  de  l'Ordre  Séraphique.  —  Les  bienheureux  martyrs  Pierre-Baplisle,  Martin  et 
François,  prêtres  ;  Philippe,  Gondesalve  et  un  autre  François,  laïques,  de  l'Ordre  des  Mineurs,  de 
la  stricte  Observance  et  Déchaussés,  avec  vingt  autres,  dont  quinze,  leurs  collègues  dans  le  minis- 
tère, appartiennent  au  Tiers  Ordre  de  Saint-François,  auxquels  s'ajoutent  deux  serviteurs  qui  les 
suivirent  en  prison,  qui  tous,  dans  le  royaume  du  Japon,  ayant  été  mis  en  croix  pour  la  foi  catho- 
lique, et  percés  de  coups  de  lances,  succombèrent  glorieusement,  en  prêchant  la  même  foi,  le 
4  février. 

Martyrologe,  des  Carmes  chaussés,  —  Saint  Pierre-Thomas,  évêque  et  martyr,  de  l'Ordre  des 
Carmes,  dont  la  naissance  au  ciel  est  le  6  de  janvier  '. 

Martyrologe  de  Saint-Augustin,  —  A  Spolète,  la  naissance  au  ciel  de  la  bienheureuse  Chris- 
pendant  ce  tomalte.  Après  avoir  brisé  les  croix  et  les  saintes  images  par  tonte  la  yille.  Ils  font  irruption  dans 
les  églises.  Ils  pillent  les  vases  sacrifs  qu'ils  profanent  ;  ils  renversent  les  antels,  sèment  par  terre  les 
hosties  sacrées  et  les  foulent  sons  leurs  pieds  sacrilèges.  Ils  s'emparent  d'un  cmciûx  et  chargent  de  coups 
et  d'opprobre  cette  vénérable  image;  Us  la  traînent  par  les  mes  et  les  places  publiques.  Ils  rasent  sept 
églises,  entre  antres  celle  des  Mineurs  conventuels,  illustrée  des  tombeaux  de  nos  princes,  qui  avait  été 
bâtie  k  leurs  frais,  et  qui,  livrée  aux  flammes,  ne  fat  bientôt  plus  qu'un  triste  amas  de  cendres.  Ils  enva- 
hissent l'église  cathédrale  et  en  jettent  le  dSme  par  terre.  Les  catholiques  suspendirent  tous  les  exercice* 
de  lear  religion. 

Dans  le  même  temps,  le  pape  Pie  IV  choisit  pour  évêque  d'Orange  Philippe  de  Caméra,  vicomte  ae 
Maurienne.  Pendant  qu'il  se  rendait  k  Orange,  il  apprend  de  quelle  affreuse  tempête  était  battue  la  barqne 
confiée  à  ses  soins,  et  se  retire  dans  la  ville  d'Avignon.  De  là,  il  écrit  an  prince  d'Orange  et  obtient  de 
lui  un  édit  par  lequel  le  prince,  faisant  droit  aux  deux  partis,  ordonne  que  toute  hostilité  cesse  et  fasse 
place  à  l'alliance  et  à  la  concorde.  Plût  à  Dieu  que  cette  paix  bénie  eût  duré  et  se  fût  affermie  de  jour  en 
jour  !  Mais,  bélas  !  bientôt  l'iiérésie,  rompant  ses  faibles  dignes,  se  rua  plus  furieuse  que  Jamais  contre  les 
catholiques,  tellement  que  tous  les  ecclésiistiques  et  les  Ordres  religieux  furent  contraints  de  se  retirer 
précipitamment  à  Caderousse,  'a  la  suite  de  leur  évêque,  qui,  désespérant  des  affaires  de  son  église,  abdiqua 
répiscopat  en  l'an  1572.  La  même  année,  à  sa  place,  fut  mis  Jean  de  Tulle,  CeluiK:!  trouva  les  esprits  dana 
une  telle  effervescence,  les  affaires  dans  un  trouble  et  une  confusion  s!  grands,  qu'il  ne  lui  fut  pas  même 
possible  de  prendre  possession  de  son  église.  L'an  1584  mourut  le  prince  Guillaume,  n  eut  pour  successeur 
son  fils  aîné,  Philippe-Guillaume,  qui  avait  été  formé  dès  l'enfance  selon  la  règle  et  la  doctrine  des 
catholiques,  L'évêqne  saisit  avec  empressement  l'occasion  qu'il  sonhaitait  vivement  de  tout  arranger,  11 
ne  négligea  rien  pour  que  tout  fût  rétabli  dans  l'ancien  état  par  l'action  dn  roi  de  France,  Dieu  lui  fut 
en  aide  et  tout  alla  selon  ses  désirs. 

L'an  1599,  le  14  février.  Jour  à  jamais  mémorable,  l'évêqne,  portant  l'étendard  vénérable  de  la  sainte 
eroii,  les  chanoines,  vêtus  de  leurs  ornements  d'hermine,  tons  les  Ordres  des  ecclésiastiques  et  des  reli- 
gieux, les  catholiques  accoururent  de  tous  côtés,  tons  chantant  d'une  voix  unanime  des  hymnes  et  des 
cantiques,  tons  se  réjouissant  aussi  d'un  cœur  unanime  et  pleurant  de  Joie,  traversant  la  ville  en  triomphe, 
se  rendirent  directement  à  l'église  cathédrale,  qui  venait  d'être  restaurée  par  la  munificence  du  prince. 
L'évoque  offrit  en  actions  de  grâces  lo  saint  sacrifice  interrompu  pendant  trente  ans.  Tous  les  ans,  ce 
même  Jour,  nous  célébrons  ce  triomphe  de  la  religion  catholique  et  en  recommandons  la  célébration  k  do* 
descendants.  ^Propre  d'Avignon.) 
1,  Voir  à  ce  jour. 


iMARTYROLOGES.  309 

tine,  issue  de  la  famille  des  Visconti  :  elie  prit  l'habit  du  Tiers  Ordre  de  Saint-Augustin,  mena  d'a- 
bord la  vie  crémilique,  puis  s'étant  vouée  au  service  des  pauvres  et  des  malades,  elle  s'endormit 
saintement  dans  le  Seigneur  à  l'âge  de  23  ans.  1458. 

Martyrologes  des  Capucins.—  Saint  André  Corsini,  évêque  de  Fiésole,  dont  la  fête  est  célé- 
brée dans  l'Eglise  calbolique,  le  -4  de  février. 

Martyrologes  des  Carmes  déchaussés.  —  Saint  Télespbore,  pape  et  martyr,  de  l'Ordre  des 
Carmes,  dont  la  naissance  au  ciel  est  honorée  le  3  janvier  '. 

ADDITIONS    FAITES  D'aPRÈS   LES   BOLLANDISTES   ET  AUTRES   HAGIOGRAPHES. 

A  Bologne,  en  Italie,  s.iint  Zénor<,  martyr  romain  dont  les  reliques  furent  données  en  1623  aux 

religieuses  bénédictines  de  cette  ville  et  déposées  dans  leur  église  dédiée  à  sainte  Marguerite, 
vierge  et  martyre.  —  A  Spolète,  en  Omtrie,  les  saints  Vitalien  et  Vital,  avec  qnarante-qnatre  sol- 
dats, martyrs.  —  A  Egée,  en  Cilicie,  le?  saints  Julien  et  Marcien,  martyrs.  —  A  Rome,  les  saints 
Anttiime,  Marcien,  Tian,  Célerin,  Magne  et  Julien,  martyrs,  mis  à  mort  sur  la  voie  Flaminienne.  — 
A  Alexandrie,  les  saints  Saturnin,  Advotus,  Précun  et  Maxime,  martyrs.  —  A  Toro,  en  Espagne, 
saint  Valentin,  évêque  et  martyr,  distinct  de  l'évèque  de  Terui  du  même  nom  fêté  en  ce  jour. 
Règne  de  Trajan.  —  Encore  en  Espagne,  un  autre  saint  Vincent  dont  le  corps  fut  donné  aux  Tri- 
nitaires  avec  trente-cinq  autres  corps  saints.  —  En  ce  même  jour,  un  autre  saint  Valentin,  martyr 
romain  dont  le  cbef  fut  donné  à  Hamay  en  Belgique  et  le  reste  du  corps  à  Armentières  en  Flan- 
dre. On  invoquait  saint  Valentin,  avec  succès,  contre  les  hernies.  — A  Cyr  en  Syrie,  saint  Mabon, 
anachorète,  qui  eut  pour  disciples  saint  Limnée,  saint  Jacques  Hypetrius   et  sainte  Domnina.  433. 

—  En  Afrique,  un  autre  saint  Valentin,  martyr  avec  vingt-quatre  soldats.  —  A  Avellino,  en  Italie, 
les  saints  Modestin,  évêque,  Florentin,  prêlre,  et  Flavien,  diacre,  martyrs.  —  A  Carres,  en  Méso- 
potamie, saint  Abraham,  évêque  et  moine  en  même  temps  ;  il  fut  honoré  en  son  vivant  par 
l'empereur  Théodose.  422.  —  En  Bithynie,  saint  Auxence,  prêtre  et  archimandrite.  Vers  422.  — 
A  Ledan,  dans  la  province  des  Huziles  en  Perse,  saint  Barbascemin  et  ses  compagnons,  mar- 
tyrs. Barbascemin  succéda  en  342  à  Sadoth,  son  frère,  sur  le  siège  métropolitain  de  Séleucie. 
Accusé  d'être  l'ennemi  de  la  religion  des  Persans  qui  adoraient  le  soleil,  il  fut  arrêté  avec  seize 
membres  de  son  clergé  par  les  ordres  de  Sapor  II  et  enfermé  dans  une  prison  d'où  s'exhalait  une 
fétidité  insupportable.  Après  onze  mois  de  captivité  pendant  lesquels  l'évèque  et  ses  compagnons 
eurent  à  souffrir  des  rigueurs  de  la  faim,  de  la  soif  et  des  plus  indignes  traitements,  ils  furent  déca- 
pités. 14  janvier  346.  —  En  Prusse,  saint  Brunon,  archevêque,  et  dix-huit  de  ses  compagnons,  mar- 
tyrs ;  il  prêcha  la  foi  aux  habitants  de  cette  contrée  après  saint  Edelbert,  évêque  de  Prague,  avec 
l'appui  de  Boleslas,  roi  de  Pologne  =.  An  1008.  —  Saint  Couran,  évêque  des  îles  Orcades  '.  vu»  s. 

—  A  Spolète,  la  sainte  mort  de  la  bienheureuse  Christine  de  la  maison  des  princes  de  Visconti  de 
Milan,  qui,  à  l'âge  de  10  ans,  s'enfuit  de  la  maison  paternelle  avec  une  compagne  résolue  comme 
elle  à  ne  pas  s'engager  dans  les  liens  du  mariage.  Revêtant  l'une  et  l'autre  l'habit  des  ermites  de 
Saint-Augustin,  elles  s'enfoncèrent  dans  les  profondeurs  d'une  forêt  où  les  herbes  du  lieu  fournis- 
saient à  leur  nourriture,  et  l'eau  des  fontaines,  à  leur  breuvage.  A  14  ans,  elle  entra  dans  le  Tiers 
Ordre  de  Saint-Augustin.  A  20  ans.  Dieu  lui  inspira  le  désir  d'aller  visiter  Rome  :  elle  versa  bien 
des  larmes  à  la  vue  des  monuments  sacrés  de  notre  religion.  Un  peu  plus  tard,  elle  entra  à  l'hô- 
pital de  Spolète,  sa  ville  natale,  où,  pendant  six  mois,  elle  servit  avec  humilité  les  pauvres  et  les 
malades.  On  la  vit  plusieurs  fois,  pendant  son  oraison,  environnée  d'une  lumière  céleste.  La  pas- 
sion de  Jésus-Christ  était  le  principal  objet  de  ses  méditations.  Son  amour  pour  Jésus  souffrant 
était  si  ardent  qu'un  jour,  se  reprochant  sa  lâcheté,  elle  arracha  un  clou  fixé  dans  un  mur  et  s'en 
transperça  le  pied.  Au  commencement  de  14S8,  la  servante  de  Dieu  eut  coimaissance  de  sa  fin 
prochaine.  Elle  passa  de  l'esclavage  à  la  liberté,  de  la  misère  à  la  joie,  de  la  solitude  aux  plaisirs 
parfaits,  à  l'âge  de  23  ans.  Après  son  bienheureux  trépas,  son  corps  demeura  flexible,  son  visage 
frais,  riant  et  coloré  comme  celui  d'une  personne  vivante.  Elle  fut  ensevelie  dans  l'église  des 
Augustins  de  Spolète,  où  de  nombreux  miracles  furent  opérés  par  son  intercession.  Grégoire  XVI 
a  approuvé  son  culte  le  6  septembre  1834.  —  A  Assise,  saint  Ange  Tancredi,  un  des  premiers  com- 
pagnons de  saint  François  d'Assise  et  auteur  de  la  vie  du  vénérable  fondateur,  connue  sous  le  nom 
de  Légende  des  trois  compagnons.  1258.  —  A  Capriola,   saint  Vincent  de  Sienne,  compagnon 

1.  Voir  sa  vie  à  ce  Jour.  —  2.  Voir  sa  vie  an  15  octobre. 

8.  Les  îles  d'Orkney  ou  Orcades  sont  au  nord  de  l'Ecosse  :  11  y  en  a  vingt-six  dliatilt^es,  les  antres  na 
•errent  qn'anx  pâtorages.  L'église  des  Orcades  avait  été  fondée  par  saint  Pallade,  qnl  en  donna  la  con- 
duite à  saint  Sylvestre,  un  des  compagnons  de  ses  travaux  apostoliques,  et  qui  e'tait  autrefois  honoré  la 
6  de  février.  La  cathédrale  des  Orcades  était  dédiée  sous  l'InvocaUon  de  saint  Magne,  roi  do  Norwége.  H 
y  avait  anciennement  dans  ces  îles  plusieurs  monastères.  Le  plus  célèbre  de  tous  était  celui  Se  Klrkwall, 
oh  les  évêqnes  faisaient  leur  résidence.  La  ville  de  Kirkwall  est  aujourd'hui  la  seule  des  Orcades  qui 
mérite  quelque  attention;  elle  est  dans  la  plus  grande  des  iles,  autrefois  appelée  Pomonia  et  at^oord'bnl 
ilaintand.-^  Voir  la  vie  de  saint  Patrice  au  17  mars,  au  commencement. 


SIO  14   FÉVRIER. 

»ssidu  de  saint  Bernardin,  pendant  vingt-deux  ans  de  voyages  à  travers  l'Italie.  1442.  —  À  Ponte- 
del-Garda,  en  Portugal,  sainte  Lucie  des  Anges,  qui  entra  dans  le  Tiers  Ordre  de  Sainl-Franjois  à 
l'ége  de  vingt-lrois  ans.  1622  '. 


SAINT  YALENTIN,  PRÊTRE  DE  ROME  ET  MARTYR 

268.  —  Pape  :  Saint  Denjs.  —  Empereur  :  Claude  II  le  Gothique, 

Vita  tfamium,  sanitas  eordis. 
La  santé  du  cœnr  est  la  rie  du  corps. 
Prov.,  XIV,  80. 

La  vertu  de  saint  Valentin,  prêtre,  était  si  éclatante,  et  sa  réputation  si 
grande  dans  la  ville  de  Rome,  qu'elle  vint  à  la  connaissance  de  l'empereur 
Claude  II,  qui  le  fit  arrêter,  et,  après  l'avoir  tenu  deux  jours  en  prison, 
chargé  de  fers,  le  fit  amener  devant  son  tribunal  pour  l'interroger.  D'abord 
il  lui  dit,  d'un  ton  de  voix  assez  obligeant  :  «  Pourquoi,  Valentin,  ne  veux- 
tu  pas  jouir  de  notre  amitié,  et  pourquoi  veux-tu  être  ami  de  nos  ennemis?» 
Mais  Valentin  répondit  généreusement  :  «  Seigneur,  si  vous  saviez  le  don  de 
Dieu,  vous  seriez  heureux  et  votre  empire  aussi;  vous  rejetteriez  le  culte 
que  vous  rendez  aux  esprits  immondes  et  à  leurs  idoles  que  vous  adorez,  et 
vous  sauriez  qu'il  n'y  a  qu'un  Dieu,  qui  a  créé  le  ciel  et  la  terre,  et  que 
Jésus-Christ  est  son  Fils  unique  ».  Un  des  juges,  prenant  la  parole,  demanda 
au  Martyr  ce  qu'il  pensait  des  dieux  Jupiter  et  Mercure.  «  Qu'ils  ont  été  des 
misérables  » ,  répliqua  Valentin,  «  et  qu'ils  ont  passé  toute  leur  vie  dans  les 
voluptés  et  les  plaisirs  du  corps  ».  Là- dessus,  celui  qui  l'avait  interrogé  s'é- 
cria que  Valentin  avait  blasphémé  contre  les  dieux  et  contre  les  gouver- 
neurs de  la  république.  Cependant  le  Saint  entretenait  l'empereur,  qui 
l'écoutait  volontiers  et  qui  semblait  avoir  envie  de  se  faire  instruire  de  la 
vraie  religion  ;  et  il  l'exhortait  à  faire  pénitence  pour  le  sang  des  chrétiens 
qu'il  avait  répandu,  lui  disant  de  croire  en  Jésus-Christ  et  de  se  faire  bapti- 
ser, parce  que  ce  serait  pour  lui  un  moyen  de  se  sauver,  d'accroître  son 
empire  et  d'obtenir  de  grandes  victoires  contre  ses  ennemis.  L'empereur, 
commençant  déjà  à  se  laisser  persuader,  dit  à  ceux  qui  l'entouraient  : 
«  Ecoutez  la  sainte  doctrine  que  cet  homme  nous  apprend  ».  Mais  le  préfet 
de  la  ville,  nommé  Calpumius,  s'écria  aussitôt  :  «  Voyez-vous  comment 
il  séduit  notre  prince  1  Quitterons-nous  la  religion  que  nos  pères  nous  ont 
enseignée?  » 

Claude ,  craignant  que  ces  paroles  n'excitassent  quelque  trouble  ou 
quelque  sédition  dans  la  ville,  abandonna  le  Martyr  au  préfet,  qui  le  mit  à 
l'heure  même  entre  les  mains  du  juge  Astérius,  pour  être  examiné  et  châtié 
comme  un  sacrilège.  Celui-ci  fit  d'abord  conduire  le  prisonnier  en  sa  mai- 
son. Lorsque  Valentin  y  entra,  il  éleva  son  cœur  au  ciel,  et  pria  Dieu  qu'il 
lui  plût  d'éclairer  ceux  qui  marchaient  dans  les  ténèbres  de  la  gentilité,  en 
leur  faisant  connaître  Jésus-Christ,  la  vraie  lumière  du  monde.  Astérius,  qui 
entendait  tout  cela,  dit  à  Valentin  :  «  J'admire  beaucoup  ta  prudence  ;  mais 
comment  peux-tu  dire  que  Jésus-Christ  est  la  vraie  lumière  ?  »  —  «  Il  n'est 
pas  seulement  »,  dit  Valentin,  «  la  vraie  lumière,  mais  l'unique  lumière  qui 
éclaire  tout  homme  venant  en  ce  monde  ».  —  «  Si  cela  est  ainsi  »,  dit  Asté- 

X.  foui  cea  tioU  dernières  menUoni,  toIt  notre  Palmier  iéraphique,  t.  u. 


SAINT  VAlEJiTIN,   PRÊTRE  DE  ROME  ET  MARTYR.  5H 

rius,  «  j'en  ferai  bientôt  l'épreuve  :  j'ai  ici  une  petite  fille  adoptive  qui  est 
aveugle  depuis  deux  ans;  si  tu  peux  la  guérir  et  lui  rendre  la  vue,  je  croirai 
que  Jésus-Christ  est  la  lumière  et  qu'il  est  Dieu,  et  je  ferai  tout  ce  que  tu 
voudras  ».  La  jeune  flllo  fut  donc  amenée  au  Martyr,  qui,  lui  mettant  la 
main  sur  les  yeux,  fit  cette  prière  :  «  Seigneur  Jésus-Christ,  qui  êtes  la  vraie 
lumière,  éclairez  votre  servante  ».  A  ces  paroles,  elle  reçut  aussitôt  la  vue, 
et  Astérius  et  sa  femme,  se  jetant  aux  pieds  de  leur  bienfaiteur,  le  sup- 
plièrent, puisqu'ils  avaient  obtenu  par  sa  faveur  la  connaissance  de  Jésus- 
Christ,  de  leur  dire  ce  qu'ils  devaient  faire  pour  se  sauver.  Le  Saint  leur 
commanda  de  briser  toutes  les  idoles  qu'ils  avaient,  de  jeûner  trois  jours, 
de  pardonner  à  tous  ceux  qui  les  avaient  offensés,  et  enfin  de  se  faire  bapti- 
ser, leur  assurant  que,  par  ce  moyen,  ils  seraient  sauvés.  Astérius  fit  tout  ce 
qui  lui  avait  été  commandé,  délivra  les  chrétiens  qu'il  tenait  prisonniers,  et 
fut  baptisé  avec  toute  sa  famille,  qui  était  composée  de  quarante-six  personnes. 

L'empereur,  averti  de  ce  changement,  craignit  quelque  sédition  dans 
Rome,  et,  par  raison  d'Etat,  il  fit  prendre  Astérius  et  tous  ceux  qui  avaient 
été  baptisés,  puis  les  fit  mettre  à  mort  par  diverses  sortes  de  tourments. 
Pour  Valentin,  le  père  et  le  maître  de  ces  bienheureux  enfants  et  disciples, 
après  avoir  été  longtemps  en  une  étroite  prison,  il  fut  battu  et  brisé  avec  des 
bâtons  noueux  ;  enfin,  l'an  2G8,  le  M  février,  il  fut  décapité  sur  la  voie  Fla- 
minienne,  où,  depuis,  le  pape  Jean  I"  fit  bâtir  une  église  sous  son  invoca- 
tion près  du  Ponte-Mole.  Cette  église  ayant  été  ruinée,  le  pape  Théodose 
en  dédia  une  nouvelle,  dont  il  ne  reste  plus  de  traces  non  plus.  La  porte 
appelée  aujourd'hui  du  Peuple  portait  anciennement  le  nom  du  saint  Martyr. 
On  garde  la  plus  grande  partie  de  ses  reliques  dans  l'église  de  Sainte-Praxède. 
Les  autres  furent  apportées  en  France,  en  l'église  Sainl^Pierre  de  Melun-sur- 
Seine,  mais  elles  ne  s'y  trouvent  plus  aujourd'hui. 

Saint  Valentin  est  nommé,  avec  la  qualité  à'illuslre  Martyr,  dans  le  Sa- 
cramentaire  de  saint  Grégoire,  dans  le  Missel  romain  de  Tommasi,  dans  les 
divers  martyrologes  et  calendriers  :  les  Anglais  l'ont  conservé  dans  le  leur. 

Saint  Valentin  a  été  représenté  :  1°  tenant  une  épée  et  une  palme,  sym- 
boles de  son  martyre  ;  2°  guérissant  la  fllle  du  juge  Astérius,  Cette  circons- 
tance de  la  guérison  d'une  jeune  fille,  et  plus  encore  son  nom  de  Valentin, 
qui  signifie  santé  et  vigueur,  explique  pourquoi  les  fiancés,  les  jeunes  gens  à 
marier,  ceux  qui  craignent  les  atteintes  de  la  peste,  les  personnes,  enfin, 
qui  sont  sujettes  à  l'épilepsie  et  aux  évanouissements  se  sont  placés  sous  son 
patronage.  On  prétendait  aussi  que,  sous  certains  climats,  les  oiseaux  s'ap- 
pariaient pour  la  belle  saison  prochaine,  à  la  Saint- Valentin,  comme  il  est 
reçu  qu'en  d'autres  pays  plus  froids  ils  s'apparient  à  la  Saint-Joseph.  La 
Saint-Valentin  était  célèbre  dans  les  anciens  calendriers  ;  à  une  époque  où 
les  devoirs  de  la  vie  civile  se  confondaient  avec  ceux  de  la  vie  religieuse,  et  où 
l'on  ne  pouvait  pas  se  procurer  un  almanach,  comme  aujourd'hui,  pour 
quelques  centimes,  on  se  donnait  un  peu  plus  de  mal  pour  fixer  les  éléments 
du  calendrier  :  chaque  jour  y  était  marqué  par  un  signe  qui  parlait  immé- 
diatement aux  yeux  des  initiés.  C'est  ainsi  que  la  Saint-Valentin  était  mar- 
quée par  un  soleil  dans  la  main  du  Saint,  ou  par  un  gaufrier  :  un  soleil, 
parce  qu'il  était  censé  reprendre  sa  force  à  cette  époque,  qui  est  à  peu  près 
celle  des  Quatre-Temps  du  printemps,  et  que  les  fleurs  les  plus  précoces 
(amandiers,  noisetiers,  etc.)  commencent  à  se  montrer  dans  une  partie  de 
l'Europe  ;  un  gaufrier,  pour  annoncer  les  réjouissances  de  Carnaval  *. 

Saint  Valentin  est  le  patron  de  Tarascon,  en  Provence. 

1.  Fèie  Gabier,  Caractéristiques,  pasaiai. 


512  14   FÉVRIER. 


SAINT  AUXENCE,  ABBE 

470.  —  Pape  :  Saint  Simplice.  —  Empereur  :  Léon  l",  le  Thvaee. 


Prenez  garde  à  ceux  qui  causent  parmi  vons  des 
divisions  et  des  scandales  en  s'éloigiiant  de  la 
doctrine  que  vous  avez  apprise  :  évitez-les. 
Rom.,  XVI,  17. 

Saint  Auxence  était  originaire  de  Perse,  quoiqu'il  fût  né  en  Syrie,  oîi  son 
père,  qui  se  nommait  Addas,  se  retira  du  temps  de  l'empereur  Constance. 
L'histoire  ne  nous  apprend  rien  des  premières  années  de  sa  vie  ;  elle  nous 
dit  seulement  qu'il  fit  un  tel  progrès  dans  la  vertu  et  dans  les  lettres,  qu'il 
s'acquit  la  réputation  d'un  homme  de  piété,  d'érudition  et  de  science.  11  ne 
s'attira  pas  moins  d'estime  dans  les  armes,  dont  il  fit  profession  après  ses 
études  :  et  il  obtint  un  grade  dans  la  quatrième  compagnie  des  gardes  de 
l'empereur  Théodose  le  Jeune. 

Cet  emploi  ne  l'empêcha  point  de  continuer  ses  exercices  de  dévotion, 
et  il  s'acquitta  de  ce  qu'il  devait  à  Dieu,  en  faisant  son  devoir  auprès  de  son 
prince.  Il  fit  connaissance  avec  plusieurs  personnes  vertueuses,  et  particu- 
lièrement avec  un  saint  religieux  reclus  nommé  Jean,  qui  était  dans  la  ban- 
lieue de  Constantinople  ;  il  lia  amitié  avec  Anthime,  digne  prêtre,  d'une  vie 
admirable,  avec  lequel  il  passait  des  nuits  entières  à  veiller  et  à  chanter  des 
hymnes  et  des  cantiques  de  louanges  à  Dieu  dans  l'église  de  Sainte-Irène, 
arrosant  la  terre  de  ses  larmes  et  nourrissant  son  âme  du  jeûne,  de  l'oraison 
et  de  la  parole  de  Dieu.  Le  bruit  de  sa  sainteté  s'étant  répandu  par  toute  la 
ville,  il  se  retira  dans  une  roche  sur  la  montagne  d'Oxie,  en  Bithynie,  à  trois 
lieues  et  demie  de  Chalcédoine.  Là,  il  se  proposa  d'imiter  la  vie  de  saint 
Jean-Baptiste  au  désert,  jusqu'à  se  vêtir  de  peaax  à  l'exemple  de  ce  divin 
précurseur  de  Jésus.  Quelque  soin  qu'il  prît  de  demeurer  caché,  il  fut  néan- 
moins bientôt  connu  :  car  de  jeunes  bergers,  qui  avaient  perdu  leurs  trou- 
peaux, et  à  qui  le  Saint  les  fît  retrouver  par  miracle,  en  ayant  fait  le  récita 
leurs  parents,  ceux-ci  le  vinrent  voir  et  lui  bâtirent,  sur  le  haut  de  la  mon- 
tagne, une  cellule  où  il  se  fit  enfermer  afin  de  vaquer  plus  facilement  à 
l'oraison. 

Cependant,  plus  le  bienheureux  Auxence  s'efforçait  de  se  cacher  aux 
yeux  des  hommes,  plus  il  semblait  que  Dieu  prît  plaisir  à  faire  éclater  sa 
sainteté  :  dès  qu'on  eut  découvert  le  lieu  de  sa  retraite,  beaucoup  de  per- 
sonnes eurent  recours  à  lui,  soit  pour  recevoir  ses  instructions,  qu'il  ne  fai- 
sait qu'au  travers  d'une  fenêtre,  soit  pour  lui  demander  quelque  consolation 
dans  leurs  douleurs,  soit  enfin  pour  obtenir,  par  ses  prières,  la  guérison  de 
leurs  maladies.  On  lui  amena  des  aveugles,  des  lépreux,  des  paralytiques, 
des  énergumènes  et  d'autres  malades,  et  il  les  guérit  tous,  ou  en  faisant  le 
signe  de  la  croix  sur  eux,  ou  en  leur  appliquant  une  huile  bénite.  Après 
trois  jours  d'oraison,  il  délivra  la  fille  d'un  citoyen  de  Castoména,  à  laquelle 
un  démon  avait  ôté  l'usage  de  la  parole  ;  et  il  rendit  la  vue  à  une  princesse 
de  Nicomédie,  en  lui  disant  ces  mots  :  «  Que  Jésus-Christ,  qui  est  la  véritable 
lumière,  veuille  éclairer  vos  yeux  !  » 

Il  y  avait  environ  dix  ans  que  saint  Auxence  était  sur  cette  montagne, 


SAINT  AUXENCE,    ABBÉ.  513 

lorsque  l'empereur  Marcien,  qui  avait  sucrédé  à  Théodose  le  Jeune,  fit  as- 
sembler, sur  la  demande  du  grand  saint  Léon,  un  concile  général  dans  la 
ville  de  Chalcédoine;  sis  cent  trente  évêques  s'y  rendirent  de  tous  les  en- 
droits du  monde,  pour  condamner  les  erreurs  d'Eutychès,  supérieur  d'un 
monastère  de  Constantinople,  qui  confondait  les  deux  natures  en  Jésus- 
Christ.  L'estime  qu'on  faisait  de  saint  Auxence  était  si  grande,  que  l'empe- 
reur et  les  préfets  l'envoyèrent  prier  d'assister  au  concile,  avec  ordre  de 
l'amener,  alors  même  qu'il  ne  voudrait  pas.  On  fît  ce  que  l'on  put  pour  lui 
persuader  de  venir  ;  mais  comme  il  ne  pouvait  s'y  résoudre,  les  religieux  et 
les  ecclésiastiques  députés  commandèrent  à  un  serrurier  de  rompre  la  ser- 
rure de  sa  cellule.  Il  y  travailla  inutilement  le  reste  du  jour,  et  le  lendemain 
matin  on  fît  de  nouveaux  efforts,  afin  de  rompre  sa  fenêtre,  sans  en  pouvoir 
venir  à  bout.  Alors  le  Saint,  ayant  fait  mettre  en  prières  tous  les  assistants, 
pour  connaître  la  volonté  de  Dieu,  fit  le  signe  de  la  croix,  prononça  ces 
trois  paroles  :  Le  Seigneur  soit  béni!  dit  au  serrurier  de  travailler,  et,  en  un 
moment,  la  fenêtre  fut  ouverte  sans  aucune  peine.  On  le  trouva  si  exténué 
par  ses  austérités,  que,  ne  pouvant  le  faire  tenir  à  cheval,  on  le  fit  monter 
dans  un  chariot. 

Ce  ne  furent  que  miracles  sur  son  chemin  :  il  délivra  plusieurs  personnes 
possédées,  et  même  des  animaux  ;  cela  étonna  tellement  ceux  qui  le  con- 
duisaient, qu'ils  ne  pouvaient  presque  croire  ce  qu'ils  voyaient  de  leurs 
propres  yeux.  Les  pauvres  de  la  montagne  d'Oxie  le  suivirent  jusqu'au  mo- 
nastère de  Phile,  fondant  en  larmes,  de  crainte  de  le  perdre,  et  lui  baisant 
les  pieds  par  dévotion;  il  n'y  fut  pas  plus  tôt  arrivé,  qu'il  chassa  le  démon 
du  corps  d'un  jeune  homme,  nommé  Isidore,  après  avoir  fait  sa  prière  dans 
l'église  dédiée  à  saint  Jean.  Les  religieux,  s'étonnant  de  ce  qu'il  était  plu- 
sieurs jours  sans  manger,  voulurent  l'éprouver  :  ils  mirent  dans  sa  cellule 
des  corbeilles  pleines  de  racines,  de  dattes  et  d'autres  choses  dont  les  Soli- 
taires se  nourrissent,  allumèrent  une  chandelle,  et  enfermèrent  un  enfant 
avec  lui  pour  l'observer.  Mais,  quelque  temps  après,  ils  trouvèrent  que  la 
chandelle  brûlait  encore  sans  être  diminuée,  et  qu'il  n'avait  point  touché  à 
ce  qui  était  dans  les  corbeilles.  Là-dessus,  ils  pressèrent  l'enfant  de  dire  ce 
que  le  Saint  avait  fait  durant  tout  ce  temps  :  «  J'ai  »,  leur  dit-il,  «  vu  en 
dormant  une  grande  multitude  de  personnes  qui  louaient  Dieu  avec  lui  et 
une  colombe  qui  lui  apportait  à  manger  ». 

Mais  l'enfant  mourut  le  jour  suivant,  en  punition  de  ce  qu'il  avait  dit  ce 
dont  il  avait  été  témoin,  contre  la  défense  du  Saint. 

Quelque  temps  après,  il  fut  transféré  de  ce  monastère  en  celui  de  Saint- 
Hypace,  situé  dans  un  faubourg  de  Chalcédoine;  les  religieux  l'y  reçurent 
avec  une  extrême  allégresse,  et  le  mirent,  selon  son  désir,  dans  une  cellule 
où  on  ne  lui  pouvait  parler  qu'au  travers  d'une  grille.  Le  Saint  y  fît  tant  de 
miracles,  qu'on  fut  obligé  de  laisser  les  portes  du  monastère  ouvertes,  à 
cause  du  grand  nombre  de  personnesqui  venaient  de  tous  cô Lés  pour  le  voir  : 
le  supérieur,  qui  était  un  saint  homme,  voulait  qu'on  reçût  tout  le  monde 
avec  beaucoup  de  charité,  de  quelque  condition  que  fussent  les  vlbileurs. 

Le  bienheureux  Auxence  ne  put  arriver  assez  tôt  pour  le  concile  ;  néan- 
moins, l'empereur,  qui  voulut  en  faire  approuver  les  décrets  par  un  si 
grand  Saint,  lui  envoya  un  de  ses  vaisseaux,  et  le  pria  de  le  venii-  trouver. 
Lorsque  ce  prince  le  vit,  il  admira  et  regarda  avec  respect  l'étal  auquel  ses 
mortifications  l'avaient  réduit,  et  lui  parla  de  cette  sorte  :  m  Je  sais  que  vous 
Êtes  un  vrai  serviteur  de  Dieu;  c'est  pourquoi  vous  devez  approuver  ce  que 
Fe  saint  concile  œcuménique  a  ordonné,  afin  que  vous  ne  soyez  pas  une 
Vies  des  Sai.ms.  —  Tome  11.  33 


ol4  14  FÉVWER. 

pierre  de  scandale  à  ceux  qui  refuseraient  de  le  recevoir  ».  Le  Saint  lui  ré- 
pondit :  «  Qui  suis-je,  sinon  un  chien  mort?  Et  comment  mo  mettez-vous» 
prince,  au  rang  des  docteurs  de  l'Eglise,  moi  qui  suis  le  dernier  du  troupeau 
de  Jésus-Christ  et  qui  ai  si  grand  besoin  d'ôlre  instruit  par  ceux  qui  en  sont  les 
chefs?  »  Comme  les  Euty chiens  faisaient  malicieusement  courir  le  bruit  que 
le  concile  favorisait  l'opinion  de  Nestorius,  le  Saint  déclara  à  Marcien  qu'U 
l'approuvait,  supposé  qu'il  n'eût  rien  décidé  de  contraire  à  celui  de  Nicée 
et  qu'il  eût  délini  que  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  s'était  véritablement  in- 
carné et  n'avait  point  ôté  à  la  sainte  Vierge  la  qualité  de  Mère  de  Dieu; 
l'empereur  ordonna  qu'on  lui  fît  voir  les  actes  du  saint  Synode,  et  Auxence, 
après  les  avoir  bien  considérés,  protesta  qu'il  les  approuvait  de  très-bon  cœur 

Cet  amant  de  la  solitude,  au  lieu  de  retourner  sur  la  montagne  d'Oxie, 
pria  qu'on  le  menât  sur  celle  de  Siope,  dont  l'accès  est  encore  plus  difficile 
à  cause  de  sa  hauteur.  Là,  on  lui  bâtit  une  cellule  où  il  se  fil  enfermer  sans 
autre  ouverture  qu'une  petite  fenêtre  pour  parler  à  ceux  qui  venaient  vers 
lui.  Alors  les  démons,  ne  pouvant  souflrir  une  si  éminente  sainteté,  em- 
ployèrent tantôt  la  violence  et  tantôt  les  artifices  pour  le  tenter  et  ébranler 
sa  constance,  mais  ce  fut  toujours  inutilement  :  les  grâces  extraordinaires 
qu'il  recevait  de  Dieu  le  rendaient  invincible.  Une  multitude  incroyable  de 
personnes  le  venaient  trouver  pour  entendre  les  pressantes  exhortations 
qu'il  faisait  afin  de  porter  les  âmes  à  la  pratique  des  vertus  et  à  l'amour 
divin.  Il  recommandait  particulièrement  do  ne  point  aller  aux  spectacles, 
rien  n'étant  plus  capable  de  corrompre  la  pureté  du  corps  et  de  l'âme,  et 
d'exciter  les  passions  les  plus  criminelles.  11  enseignait  aussi  de  quelle  ma- 
nière il  fallait  prier  Dieu  ;  il  en  donnait  même  des  formules,  afin  de  le  faire 
avec  plus  de  ferveur.  Il  faisait  voir  si  clairement  les  vanités  de  toutes  les 
choses  de  ce  monde  et  la  beauté  de  celles  de  l'autre,  que  plusieurs  pei*- 
sonnes  renoncèrent  au  siècle  pour  se  consacrer  entièrement  à  Jésus-Christ. 
11  conseillait  de  ne  pas  fêter  seulement  le  dimanche,  mais  aussi  le  vendredi: 
«  Comme  l'un  »,  disait-il,  «  se  doit  passer  dans  la  joie,  à  cause  de  la  résur- 
rection du  Sauveur,  et  en  festin,  par  la  réception  de  la  divine  Eucharistie, 
l'autre  se  doit  sanctifier  par  des  jeûnes  et  par  des  prières,  à  cause  de  sa 
passion  ».  11  voulait,  néanmoins,  qu'en  obligeant  les  ouvriers  à  fêter  le  ven- 
dredi, on  ne  laissât  pas  de  les  payer  de  leurs  salaires  comme  s'ils  eussent 
travaillé,  afin  qu'ils  ne  perdissent  rien  pour  avoir  servi  Dieu  ce  jour-là. 

On  remarque,  parmi  ceux  qui  furent  touchés  des  pieux  discours  du 
Saint,  un  nommé  Basile  ;  on  raconte  que  ce  Basile,  s'étant  retiré  sur  une 
montagne,  dans  une  cellule,  les  démons  le  maltraitèrent  tellement,  que  des 
personnes,  qui  avaient  coutume  de  le  venir  voir  pour  se  recommander  à 
ses  prières,  le  croyant  mort,  le  menèrent  sur  un  chariot  au  bienheureux 
Auxence  ;  mais  le  Saint  l'ayant  fait  revenir  à  lui,  après  l'avoir  appelé  par 
trois  fois,  lui  dit  :  «  Levez-vous,  et  recevez  la  puissance  de  terrasser  les  dé- 
mons, sans  les  appréhender  jamais  plus  ».  A  l'instant  même  il  se  leva,  reçut 
le  corps  adorable  et  le  sang  vivifiant  de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ,  et  s'en 
retourna  dans  sa  cellule,  où  les  esprits  malins  n'osèrent  plus  l'attaquer. 

Une  femme  noble,  qui  avait  été  dame  d'honneur  de  l'impératrice  Pul- 
chérie,  fut  aussi  tellement  pénétrée  des  exhortations  du  Saint,  qu'elle  ne 
cessa  de  l'importuner  jusqu'à  ce  qu'il  lui  eût  accordé  l'habit  religieux,  qui 
consistait  en  une  robe  et  un  grand  manteau  tissé  avec  du  poil.  Une  autre 
encore,  de  condition,  demanda  la  même  gFâce  :  il  s'en  présenta  jusqu'au 
nombre  de  soixante-dix,  que  le  Saint  fit  toutes  religieuses.  Après  avoir  bien 
éprouvé  leur  vocation,  il  leur  prescrivit  certaines  règles  pour  arriver  à  la 


LE   BIEMIElTREnX  J£A^■-B.U>TISTE   DE  L.V   C0^"CEPTIO^^  olo 

perfection,  et  eut  soin  que  l'on  bâtît,  à  un  mille  de  sa  cellule,  une  église 
auprès  de  laquelle  elles  se  logèrent  ;  tous  les  dimanches  et  les  vendredis, 
elles  l'allaient  trouver  pour  recevoir  les  salutaires  instructions  qu'il  leur 
donnait,  particulièrement  touchant  la  conservation  de  la  chasteté,  la  ma- 
nière de  résister  aux  tentations  du  démon,  l'énormité  du  péché  de  celles 
qui  y  succombaient,  et  le  bonheur  de  celles  qui  demeuraient  fidèles  à  Jésus- 
Christ. 

Outre  les  grandes  grâces  que  le  bienheureux  Auxence  avait  reçues  de 
Dieu,  et  dont  nous  avons  parlé  jusqu'à  cette  heure,  il  ne  faut  pas  oublier  de 
dire  un  mot  de  l'esprit  de  prophétie  qu'il  possédait  dans  un  degré  admirable. 
Il  découvrait  les  choses  les  plus  cachées  et  marquait  le  lieu  où  l'on  trouve- 
rait ce  qui  était  perdu.  Une  nuit,  durant  ses  Matines,  ayant  eu  révélatioa 
de  la  mort  de  saint  Siméon  Stylite,  par  l'àme  même  de  ce  Bienheureux  qui 
lui  apparut,  il  apprit  cette  nouvelle  à  un  grand  nombre  de  personnes  qui 
passaient  la  nuit  autour  de  sa  cellule  à  chanter  les  louanges  de  Dieu.  Et  l'oa 
trouva  que  cette  mort  était  arrivée  à  l'heure  même  qu'il  leur  avait  indiquée. 

Enfin,  l'an  470,  le  14  février,  saint  Auxence,  chargé  de  mérites  et  d'an- 
nées, alla  recevoir  au  ciel  la  récompense  de  ses  travaux.  Son  saint  corps, 
que  les  religieux  du  monastère  de  Saint-Hypace  demandaient  avec  de 
grandes  instances,  fut  accordé  aux  religieuses  dont  nous  avons  parlé  ;  elles 
l'inhumèrent  dans  un  lieu  que  l'on  a  appelé  depuis  le  monastère  de  Saint- 
Auxence,  où  il  s'est  fait  un  grand  nombre  de  miracles.  —  Le  mont  Siope 
porte  encore  aujourd'hui  le  nom  de  Saint-Auxence. 

Le  martyrologe  romain  en  fait  mémoire  en  ce  jour,  comme  aussi  le  m^nologe  des  Grecs.  Métaphrasta. 
Lipoman,  Surins  et  Bollandns  en  rapportent  la  vie  écrite  par  un  anteor  contemporain;  il  y  en  a  un  ancien 
manuscrit  dans  la  bibliothèque  de  la  me  Eicbelieu.à  Paris.  C'est  de  ces  écrivains  qtie  nous  avons  entrait  ce 
que  nous  en  venons  de  dire. 


LE  B.  JEAN-BAPTISTE  DE  LA  CONCEPTION 

1561-1613.  —  Papes  :  Pie  IV  ;  Paul  V.  —  Rois  d'Espagne  :  Philippe  II  ;  Philippe  lU. 


En  vous,  ô  mon  Dieu,  le  repos  est  profond  et  la  vio 

sans  trouble.  Celui  qui  entre  en  vous  entre  dans  la 

Joie  de  son  Seigneur  ;  il  n'aura  rien  à  craindre  et 

11  aura  le  souverain  bonlienr  dans  le  souverain  bien. 

Aug.,  Conf,j  liv.  u,  ch.  10. 

L'an  1394,  les  religieux  Trinitaires  des  provinces  de  Castille,  d'Aragon 
et  d'Andalousie  tinrent  un  Qiapitre  général  pour  se  relever  du  grand  relâ- 
chement où  ils  étaient  tombés  :  on  résolut  qu'en  chaque  province  on  éta- 
blirait quelques  maisons  où  l'on  observerait  la  règle  primitive  et  où  les 
religieux  vivraient  avec  plus  d'austérité.  Les  Trinitaires  du  couvent  de  Val- 
de-Pégnas,  fondé  le  9  novembre  1396,  se  conformant  aux  dispositions  de  ce 
Chapitre,  changèrent  leurs  habits  pour  en  prendre  de  plus  grossiers  et  se 
déchaussèrent  pour  aller  nu-pieds,  ayant  seulement  de  petites  sandales  de 
cuir  ou  de  corde  à  la  manière  d'Espagne  ;  mais  comme  ils  abandonnèrent 
bientôt  ces  saintes  résolutions  pour  retourner  dans  les  maisons  non  réfor- 
mées, le  r  ère  Jean-Baptiste  de  la  Conception,  qui  devint  supérieur  de  ce 


516  14  FÉVRIER. 

couvent,  ayant  contribué  par  son  zèle  et  sa  fermeté  à  maintenir  la  réforme, 
en  fut  regardé  comme  l'instituteur.  Voilà  ce  qui,  joint  à  la  sainteté  de  sa 
vie,  lui  mérite  une  place  dans  ce  recueil.  Il  naquit  le  10  juillet  de  l'année 
1361 ,  à  .Mmodavar,  village  d'un  territoire  que  les  Espagnols  appellent  Campo- 
di-Calatrava,  au  diocèse  de  Tolède.  Son  père  se  nommait  Marc  Gardas,  et 
sa  mère  Isabelle  Lopez  :  ils  eurent  huit  enfants,  quatre  garçons  et  quatre 
filles,  tous  recommandables  par  leur  vertu  et  leur  piété.  Cette  famille  vivait 
dans  une  si  grande  réputation,  que  sainte  Thérèse,  passant  par  .\lmodavar, 
ne  voulut  point  prendre  d'autre  logis;  fixant  les  yeux  sur  notre  Bienheu- 
.  rens,  elle  lui  dit  :  «  Etudie,  Jean,  tu  m'imiteras  un  jour  «.  Dans  un  second 
voyage,  avant  de  quitter  Marc  Garcias,  elle  demanda  encore  à  voir  ses  en- 
fants, et,  posant  les  mains  sur  la  tête  de  Jean,  elle  dit  à  sa  mère :«  Vous  avez 
là  un  fils  qui  deviendra  un  grand  Saint  :  il  sera  le  père  et  le  directeur  de 
beaucoup  d'âmes  et  le  réformateur  d'une  grande  œuvre  que  l'on  connaîtra 
en  son  temps  ».  Jean  donna  lui-même  des  marques  de  ce  qu'il  serait  un 
jour,  selon  les  prédictions  de  la  Sainte  ;  à  peine  eut-il  atteint  l'âge  de  rai- 
son, qu'il  imitait  les  anciens  Pères  du  désert  par  sa  retraite,  son  silence,  ses 
jeûnes  et  ses  mortifications.  A  l'âge  de  dix  ans,  il  redoubla  ses  austérités, 
domptant  son  corps  lorsqu'il  était  à  peine  capable  de  se  révolter  contre  l'es- 
prit :  ni  les  représentations  de  ses  père  et  mère,  ni  les  prières  de  ses  frères 
et  sœurs,  ne  purent  l'obliger  à  se  modérer  dans  cette  sainte  guerre  qu'il  se 
faisait  à  lui-même.  11  portait  continuellement  le  cilice,  prenait  presque  tous 
les  jours  la  discipline  et  dormait  dans  une  auge  de  bois,  n'ayant  qu'une 
pierre  pour  chevet.  Un  jour  son  père,  le  voyant  sur  ce  lit  de  pénitence,  ne 
put  s'empêcher  de  pleurer,  et,  le  prenant  dans  ses  bras,  le  porta  dans  sa 
chambre;  mais  à  peine  ce  saint  enfant ^it-il  son  père  endormi,  qu'il  retourna 
au  lit  qui  faisait  ses  délices.  11  jeûnait  presque  toute  l'année  au  pain  et  à 
l'eau  ;  quelquefois  il  mangeait  un  peu  de  raisiné.  Sa  mère  lui  ayant  voulu 
persuader  de  manger  du  miel  au  lieu  de  raisiné,  il  ne  put  s'y  résoudre, 
croyant  que  c'était  un  trop  grand  régal  pour  lui.  Les  fêtes  et  les  dimanches, 
il  consentait  à  manger  un  peu  de  viande  ;  quelquefois  aussi  il  prenait  ce 
qu'on  lui  donnait,  et,  faisant  semblant  de  le  manger,  il  le  portait  aux 
pauvres,  car  son  plus  grand  bonheur  était  de  servir  Notre-Seigneur  en  leur 
personne.  Outre  le  manger,  il  leur  portait  souvent  du  bois,  l'hiver,  sur  ses 
épaules.  Quand  il  en  rencontrait,  il  les  emmenait  à  la  maison  de  son  père, 
et,  pendant  qu'une  de  ses  sœurs  raccommodait  leurs  habits,  il  les  nettoyait, 
leur  lavait  les  pieds,  pansait  leurs  plaies,  changeait  de  vêtements  avec  eux, 
et  ne  les  quittait  point  sans  leur  avoir  humblement  baisé  les  pieds. 

Noire-Seigneur  daigna  lui  montrer  par  un  miracle  combien  cette  charité, 
dans  un  âge  si  tendre,  lui  était  agréable  :  Jean  s'était  dépouillé  de  sa  che- 
mise pour  en  couvrir  un  pauvre  attaqué  d'une  grave  maladie  :  ce  dernier  fut 
aussitôt  guéri.  A  la  fin,  ses  austérités  le  réduisirent  à  une  si  grande  langueur 
qu'il  ne  pouvait  plus  marcher.  Cet  état  dura  deux  ans,  et  fournit  à  ses  frères 
et  aux  domestiques  l'occasion  de  lui  faire  des  reproches  sur  ses  pénitences;  il 
leur  répondit  avec  douceur  :  «  Que  si  la  pénitence  l'avait  rendu  malade,  elle 
ne  manquerait  pas  de  le  guérir  ».  En  effet,  quelque  temps  après  il  recouvra 
la  santé  d'une  manière  surprenante.  Je  ne  dois  pas  oublier  la  dévotion  qu'il 
apporta,  pour  ainsi  dire,  en  naissant,  envers  la  Sainte  Vierge. lorsqu'il  était 
encore  au  berceau,  on  était  sûr  d'apaiser  ses  pleurs  et  ses  cris  en  lui  présen- 
tant une  image  de  cette  bonne  Mère,  qu'il  ne  pouvait  regarder  sans  qu'aus- 
sitôt le  sourire  ne  vînt  sur  ses  lèvres.  Dès  que  l'âge  le  lui  permit,  il  récita 
tous  les  jours  en  son  honneur  le  saint  Rosaire.  A  neuf  ans,  ayant  lu  qu'une 


LE   BrENHEURElX   JE.VX-D.U>TrSTE    DE    LA   CONCEPTION.  317 

sainte  enfant  avait,  à  cet  flge,  consacré  à  Dieu  sa  virginité,  il  courut  aussitôt 
se  jeter  au  pied  d'un  autel  de  la  Reine  des  vierges,  et  la  pria  avec  tant  d'amour 
de  le  garder  toute  sa  vie  sans  tache,  que  celle  demande  lui  fut  accordée. 
Après  avoir  fait  avec  succès  ses  humanités,  il  fut  trouvé  capable,  à  l'âge  de 
douze  ans,  de  commencer  sa  philosophie  au  couvent  que  les  Carmes  dé- 
chaussés avaient  dans  sa  ville  natale.  11  élait  le  modèle  de  ses  condisciples 
par  sa  vertueuse  conduite  :  attentif  à  tous  ses  devoirs,  exact  à  les  remplir, 
modeste  dans  ses  manières,  réservé  dans  ses  paroles,  ami  de  la  retraite, 
habituellement  recueilli,  il  montrait  déjà  la  gravité  de  l'âge  mûr;  il  ne  con- 
naissait d'autres  lieux  que  les  églises,  l'école,  l'hôpital  et  les  monastères  ;  il 
ne  sortait  guère  que  pour  accompagner  le  saint  Viatique  lorsqu'on  le  portait 
aux  malades  ;  les  instants  que  les  jeunes  gens  donnent  à  leurs  divertisse- 
ments, il  les  consacrait  à  la  prière  :  l'oraison  et  la  lecture  de  la  vie  des  Saints 
étaient  sa  plus  agréable  occupation. 

Lorsqu'il  eut  achevé  son  cours  de  philosophie,  ses  parents  l'envoyèrent  à 
l'Université  de  Baéza  '  pour  y  étudier  la  théologie  :  il  s'y  livra  avec  son  ardeur 
ordinaire,  mais  sans  rien  perdre  de  l'innocence  de  mœurs  qui  l'avait  fait 
surnommer  le  saint  enfant.  Son  esprit  réfléchi,  comprenant  de  bonne  heure 
la  vanité  d'un  monde  qui  passe  comme  une  ombre,  il  résolut  de  s'en  séparer. 
Il  paraissait  tout  décidé  à  prendre  l'habit  religieux  chez  les  Carmes  déchaus- 
sés, ses  anciens  maîtres  ;  mais  Dieu,  qui  le  destinait  à  d'autres  desseins,  le 
conduisit  à  Tolède  pour  y  achever  son  cours  de  théologie.  11  y  logea  chez  un 
saint  prôlre  qui  recevait  quelques  étudiants  dans  sa  maison,  el  continua 
d'édifier  tout  le  monde  par  son  application  à  l'étude  et  sa  vie  régulière.  Mais 
comme  il  n'est  pas  de  solide  vertu  sans  épreuves.  Dieu  permet  que  des  liber- 
tins lâchent  de  le  pervertir  :  ils  emploienl  d'abord  les  railleries,  les  injures, 
au  point  de  le  soufUeter;  mais,  désespérant  de  triompher  de  sa  patience,  ils 
l'exposent  enfin  à  la  tentation  la  plus  dangereuse  :  ils  introduisent  dans  sa 
chambre  une  misérable  créature  qui  fait  tout  pour  le  séduire  ;  mais  le  Bien- 
heureux lui  crache  à  la  face,  et  s'enfuit  aussi tôl  dans  la  cathédrale  de  Tolède, 
où  se  trouvait  une  image  miraculeuse  de  la  très-sainte  Vierge,  sous  la  pro- 
tection de  laquelle  il  s'était  mis  dès  son  arrivée  dans  la  ville.  C'est  à  cette 
Reine,  plus  puissante  que  des  armées  rangées  en  bataille,  qu'il  fait  hommage 
de  sa  victoire  ;  il  tremble  d'elfroi  à  la  pensée  que  le  monde  lui  offrirait  encore 
de  pareils  dangers  :  il  revient  à  sa  première  résolution  de  se  réfugier  dans  un 
cloître;  seulement  son  cœur  hésite  entre  les  Carmes  déchaussés  et  les  Trini- 
taires  ;  pour  être  éclairé  dans  un  choix  si  important,  il  a  recours  au  jeûne,  à 
la  pénitence  ;  il  implore  sa  bonne  Mère,  qui  no  reste  pas  sourde  à  la  prière 
d'un  enfant  si  chéri.  Un  jour  qu'il  priait  avec  larmes  devant  l'image  miracu- 
leuse, il  entendit  une  voix  qui  lui  disait  :  «  Si  tu  ne  veux  pas  te  tromper, 
choisis  l'Ordre  des  Trinitaires  ».  A  ces  mots,  craignant  une  illusion  ou  une 
surprise  des  sens,  il  répéta  humblement  sa  prière,  et  jusqu'à  trois  fois,  il 
entendit  intelligiblement  la  même  réponse.  Alors  il  n'hésita  plus  à  entrer  dans 
le  couvent  des  Trinitaires,  à  Tolède  ;  il  y  priL  l'habit  à  l'âge  de  dix-neuf  ans, 
le  26  juin  1580.  Pendant  son  noviciat,  il  eut  pour  maître  le  bienheureux 
Simon  de  Roxas  ;  on  comprend  aisément  que,  sous  un  tel  guide,  il  fil  de 
rapides  progrès  dans  la  vertu.  Le  bienheureux  Simon,  qui  connaissait  sa  vertu, 
le  soumit  à  de  très-rudes  épreuves;  un  jour,  entre  auires,  il  lui  Ut  une  répri- 
mande non  méritée  dans  les  termes  les  plus  sévères;  au  lieu  de  s'excuser,  le 
saint  novice  se  jette  à  ses  pieds  et  le  prie  de  lui  pardonner  ;  le  maître  lui 
tourne  le  dos  et  s'éloigne.  Mais  quelle  ne  fut  pas  sa  surprise  lorsque,  trois 

1.  £a  Andalousie.  Evêché  et  nnîTersîté  supprimés  ;  le  siège  épiscopal  est  à  Jaen  ;  12,000  h. 


518  14  FÉVRIER. 

heures  après,  repassant  par  là,  il  trouva  le  Bienheureux  toujours  prosterné 
et  attendant  son  pardon. 

Voici  une  occasion  où  le  saint  jeune  homme  fut  bien  récompensé  de  son 
humble  charité.  Un  pauvre  religieux  était  dévoré  d'un  ulcère  si  fétide  que 
l'on  ne  pouvait  plus  le  panser  :  il  se  chargea  de  ce  pauvre  abandonné  et  l'en- 
vironna des  plus  tendres  soins  ;  mais,  dans  l'excès  de  ses  soulfrances,  le 
malade,  au  lieu  de  le  remercier,  le  querellait  souvent  ;  une  fois,  entre  autres, 
il  l'accabla  des  reproches  les  plus  injustes  :  pour  toute  réponse,  le  Bienheu- 
reux accomplit  un  acte  si  surnaturel,  que  la  nature  frémit  au  seul  récit  :  il 
lécha  doucement  la  plaie,  qui  disparut  bientôt  après  ce  prodige  de  charité  ; 
et,  depuis  ce  jour,  il  n'éprouva  plus  aucun  dégotlt  pour  les  maladies  les  plus 
repoussantes.  Après  une  année  d'épreuves,  passée  dans  la  pratique  exacte 
des  observances  religieuses  et  des  plus  solides  vertus,  il  fut  admis  à  la  pro- 
fession, le  jour  de  la  fête  de  saint  Pierre  et  de  saint  Paul,  en  S81.  Les  supé- 
rieurs, qui  connaissaient  son  mérite,  voulurent  qu'il  étudiât  encore  pendant 
quatre  ans  la  théologie  sous  le  Père  Simon  de  Roxas,  quoiqu'il  eût  déjà  fait 
son  cours  à  l'Université,  et  le  chargèrent  en  même  temps  de  répéter  les 
leçons  à  ses  condisciples  :  il  fît  les  deux  choses  avec  un  égal  succès.  11  avait 
reçu  du  ciel  un  si  rare  talent  que  Lope  de  Véga  l'appelait  le  plus  beau  génie  de 
l'Espagne,  et  il  acquit  des  connaissances  telles  que  le  Père  Entrade,  jésuite, 
assurait  que  c'était  l'homme  le  plus  érudil  de  son  siècle.  Il  n'était  pas  moins  zélé 
pour  communiquer  son  savoir  que  pour  l'acquérir  ;  il  se  mettait  à  la  portée 
de  chacun  de  ses  condisciples,  leur  expliquait  avec  patience  les  leçons 
qu'ils  avaient  entendues,  et  les  aidait  de  tout  son  pouvoir  à  en  recueillir  les 
fruits.  D'ailleurs,  cette  étude  de  la  science  fut  loin  de  le  détourner  de  l'élude 
bien  plus  importante  encore  de  la  sainteté,  et  les  œuvres  extérieures  les  plus 
humbles  étaient  toujours  celles  qu'il  préférait  :  comme  balayer  les  chambres, 
faire  les  lits,  distribuer  la  soupe  aux  pauvres  à  la  porte  du  couvent  ;  il  quê- 
tait pour  les  amis  de  Notre-Seigneur  et  les  siens,  il  les  secourait  de  toutes 
les  façons  :  aussi  ne  le  nommait-on  dans  Tolède  que  le  Pè?-e  des  pauvres.  Les 
bas  sentiments  qu'il  avait  de  lui-même  l'auraient  pour  toujours  éloigné  du 
sacerdoce,  mais  l'obéissance  l'appela  à  cet  honneur  dont  il  se  croyait  indigne. 
D  célébra  sa  première  messe  avec  une  ferveur  qui  toucha  le  cœur  de  tous 
les  assistants.il  sembla  que  le  Seigneur,  en  inondant  son  âme  des  plus  douces 
consolations,  voulût  le  préparer  aux  souffrances  qui  l'attendaient.  Pendant 
une  maladie  des  plus  opiniâtres,  on  lui  fit  plusieurs  opérations  très-doulou- 
reuses pour  lesquelles  on  employa  le  fer  et  le  feu;  elles  ne  purent  lui  arra- 
cher une  plainte  :  «  Taillez,  brûlez  »,  disait-il,  «  traitez-moi  sévèrement  en 
ce  monde,  ô  mon  Dieu  !  afin  de  m'épargner  dans  l'autre  m.  Les  médecins, 
voyant  qu'il  ne  guérissait  point,  lui  conseillèrent  do  prendre  l'air  natal,  qui 
ne  produisit  point  sur  lui  ï'efl'et  qu'ils  en  attendaient.  Lorsqu'on  désespérait 
le  plus  de  sa  santé.  Dieu  la  lui  rendit  miraculeusement.  De  retour  à  Tolède, 
il  y  retomba  malade.  Alors  ses  supérieurs,  croyant  qu'il  avait  besoin  d'un 
climat  plus  doux,  l'envoyèrent  à  Séville. 

Sa  maladie  ne  le  quittait  point,  car  il  eut  la  fièvre  pendant  douze  ans  : 
mais  son  zèle  et  sa  charité  le  quillaienl  moins  encore  ;  il  devint  l'aijôtre  de 
l'Andalousie,  qu'il  parcourut  presque  en  entier  ;  on  était  émerveillé  de  voir 
un  homme  si  maigre  et  si  épuisé  annoncer  la  parole  de  Dieu  avec  une  force 
et  une  véhémence  qui  semblaient  tenir  du  miracle  ;  mais  on  était  bien  plus 
surpris  encore  de  son  savoir  et  de  son  éloquence  :  on  le  comparait  à  saint 
Jean  Chrysostome  et  à  saint  Bernard.  Ses  frères,  étonnés  de  ce  succès,  lui 
demandèrent  de  quels  livres  il  tirait  ses  sermons  :  —  Du  livre  de  la  charilé, 


LE    lilE-MlEURETOC  JEAN-BAPTISTE   DE   LA   COx\CEPTIO.\.  519 

leur  répondit-il,  entendant  par  \h,  selon  les  uns,  l'Ecriture  sainte,  selon 
d'autres,  le  crucifix.  Nous  ne  rapporterons  qu'un  exemple  des  succès  qui 
accompagnaient  de  tels  sermons.  Un  jeune  homme  de  noble  famille  qui, 
cédant  ;\  une  passion  sacrilège,  s'apprêtait  à  violer  la  clôture  d'un  couvent, 
se  rend,  je  ne  sais  par  quel  hasard,  à  la  prédication  de  notre  Bienheureux, 
déjà  commencée  ;  celui-ci,  éclairé  sur  l'état  de  cette  pauvre  âme,  change  le 
sujet  de  son  discours  et  représente  avec  force  les  horreurs  du  sacrilège  et  les 
terribles  punitions  que  Dieu  lui  réserve  :  le  pécheur,  touché  de  ce  prodige, 
va  se  jeter  aux  pieds  du  saint  prédicateur  et  avoue  sa  faute,  qu'il  lave  dans 
les  larmes  de  la  pénitence.  Les  monstres  de  l'enfer,  furieux  de  le  voir  arra- 
cher tant  de  proies  de  leurs  gueules  meurtrières,  cherchèrent  plusieurs  fois 
à  le  perdre.  Une  nuit,  qu'il  allait  administrer  un  malade,  ils  le  précipitèrent 
dans  un  puits  profond  :  mais  son  ange  gardien  l'en  tira  aussitôt  sain  et  sauf.  11 
triompha  de  la  malice  des  hommes  aussi  bien  que  de  celle  des  démons.  Il  avait 
entrepris  d'évangéliser  une  foule  de  Maures  qui  se  trouvaient  à  Séville  ;  à  force 
de  prières  et  de  jeûnes,  il  obtint  enfin  la  conversion  d'une  grande  partie  de 
ces  infortunés,  qui  s'étaient  d'abord  bouché  les  oreilles  pour  ne  pas  l'en- 
tendre ;  mais  il  y  en  eut  d'assez  obstinés  et  d'assez  criminels,  non-seulement 
pour  résister  à  la  vérité,  mais  pour  chercher  à  faire  périr  celui  qui  la  leur 
annonçait,  en  lui  présentant  des  mets  empoisonnés  ;  il  n'eut  qu'à  faire  trois 
fois  le  signe  de  la  croix  sur  ces  aliments,  aussitôt  ils  se  remplirent  de  vers 
immondes.  Au  lieu  d'ouvrir  les  yeux  à  cette  merveille,  ils  attendirent  une 
fois  notre  Bienheureux  à  quelque  distance  de  la  ville  pour  l'assassiner;  mais 
Dieu,  sans  la  permission  duquel  un  seul  cheveu  ne  peut  tomber  de  la  tête  de 
ses  serviteurs,  le  fit  passer  au  milieu  d'eux  sans  qu'ils  pussent  l'apercevoir. 

A  cette  époque  (1390),  une  horrible  peste  ravageait  l'Espagne  :  aucune 
ville  n'eut  plus  à  souffrir  de  ce  fléau  que  celle  de  Los-Arcos,  où  se  trouvait 
le  saint  missionnaire.  Chacun  chercha  son  salut  dans  la  fuite  :  les  malades 
nom'aient  sans  secours,  sans  aucune  parole  de  consolation.  Un  tel  spectacle 
Smut  les  entrailles  du  Bienheureux,  qui  se  consacra  aussitôt  au  service  de 
ces  infortunés.  Ayant  formé  une  société  de  prêtres  et  de  séculiers  pieux,  il  se 
mit  à  la  tête  de  cette  petite  armée,  pour  aller  combattre  de  tous  côtés  le 
fléau  sous  l'étendard  de  la  charité.  Il  s'employa,  pendant  quarante  jours,  à 
procurer  des  aliments  aux  pestiférés,  à  leur  donner  les  médicaments  né- 
cessaires, à  les  entendre  en  confession,  à  les  disposer  à  bien  mourir  ;  il  pen- 
sait à  tous  et  n'oubliait  que  lui-même,  au  point  qu'il  arrachait  des  larmes 
de  reconnaissance  à  ces  infortunés  qui  le  comblaient  de  bénédictions.  Il 
semblait  être  partout  à  la  fois,  et  Dieu  honora  ce  zèle  par  un  miracle  :  une 
de  ses  pénitentes  se  mourait,  et,  dans  ce  moment-là  même,  le  démon  lui 
livrait  un  furieux  assaut  ;  le  Bienheureux  lui  apparut,  quoiqu'il  habitât  un 
pays  éloigné  de  quarante  milles,  et  ne  la  quitta  point  avant  de  l'avoir  con- 
solée, encouragée,  munie  des  derniers  sacrements  et  de  tout  ce  qui  assure  le 
salut  de  l'âme. 

Jean  mena  cette  vie  sainte  pendant  dix-sept  ans  chez  les  anciens  Trini- 
taires,  jusqu'à  ce  qu'il  alla  joindre  les  autres  qui  avaient  embrassé  la  Réforme, 
qu'on  avait  établie  dans  le  nouveau  couvent  de  Val-de-Pégnas  ;  il  résistait 
depuis  quelque  temps  à  la  grâce  qui  l'y  appelait,  lorsqu'un  jour  un  orage 
épouvantable  éclata  au-dessus  de  sa  tète  ;  tremblant  en  présence  de  la  mort, 
il  examina  sa  conscience  et  se  repentit  de  n'avoir  pas  suivi  la  voix  qui  le 
poussait  à  une  vie  plus  parfaite  :  il  prit  la  résolution  d'embrasser  la  Réforme  ; 
au  lieu  de  s'apaiser,  l'orage  redoubla  ;  mais  notre  Saint  s'étant  écrié  :  «  Mon 
Dieu,  je  vous  en  fais  le  vœu  I  »  le  tonnerre  cessa  de  gronder,  le  vent  de  souf- 


520  l-t  FÉTRIER. 

fler,  et  le  soleil  reparut.  La  Sainte  Vierge  ayant  aplani  les  dirPicultés  qui 
retardaient  son  enlrje  dans  le  couvent  de  Yal-de-P6gnas,  il  y  prit  l'habit  de 
la  Réforme  le  9  février  de  l'an  1397.  La  nuit  suivante,  il  se  vit  attacher,  lui 
et  ses  compagnons,  sur  des  croix,  ;\  l'exemple  de  Notre-Seigneur  ;  il  comprit 
alors  les  peines  qui  attendaient  tous  ceux  qui  embrasseraient  la  Réforme  : 
c'est  sans  doute  ce  qui  le  décida  à  accepter  la  charge  de  supérieur,  que  lui 
donna  le  Chapitre  provincial  de  Séville.  Il  voulut  se  mettre  plus  que  jamais 
sous  la  protection  de  la  Sainte  Vierge  et  prit  le  nom  de  Jean-Baptiste  de  la 
Conception.  Il  rétablit  les  anciens  jeûnes  dans  le  couvent  et  y  ajouta  la  vigile 
de  tous  les  fêtes  de  sa  bonne  Mère.  Mais  les  religieux  se  lassèrent  bientôt  de 
cette  vie  de  pénitence  ;  ils  se  mirent  à  rechercher  leurs  aises  cl  à  quitter  ua 
séjour  où  il  fallait  être  Saint.  Demeuré  presque  seul,  Jean-Baptiste  de  la 
Conception  eut  recours  à  ses  supérieurs;  il  n'y  eut  que  le  ciel  qui  daignais 
consoler  ;  un  jour,  pendant  son  oraison,  il  entendit  venir  du  ciel  ces  paroles  : 
«  Ne  crains  rien,  Jean  ;  poursuis  ton  œuvre,  je  t'aiderai  ».  Une  autre  fois,  la 
Sainte  Vierge  lui  apparaissant,  lui  dit  :  «  Je  te  serai  propice  :  je  te  ferai  sur- 
monter tous  les  obstacles  ;  avec  moi  tu  finiras  par  réussir  ».  Sur  de  si  belles 
assurances,  notre  Bienheureux  résolut  de  se  rendre  à  Rome,  auprès  du  sou- 
verain Pontife.  Je  ne  saurais  dire  les  combats  qu'il  soutint,  les  peines  qu'il 
supporta  dans  ce  voyage  :1e  démon  essaya  même  plusieurs  fois,  quoique  inu- 
tilement, de  le  faire  périr.  Débarqué  dans  un  port  en  Toscane,  notre  Bien- 
heureux ne  perdit  point  celte  occasion  de  visiter  sainte  Marie-Madeleine  de 
Pazzi,  qui  vivait  alors  à  Florence  en  grande  réputation  de  sainteté;  il  voulut 
la  consulter  sur  ses  projets.  La  Sainte,  qui  l'appela  d'abord  par  son  nom, 
quoiqu'elle  ne  l'eût  jamais  vu,  lui  fit  connaître  les  épreuves  qui  l'attendaient, 
et  lui  prédit  qu'il  réussirait  dans  son  œuvre  :  de  sorte  que  le  bienheureux 
Jean  la  quitta,  rempli  de  consolation.  S'étant  rembarqué,  il  prit  terre  à 
Civita-Vecchia,  d'où  il  se  rendit  à  Rome. 

II  y  était  à  peine  arrivé,  que  ses  supérieurs  essayèrent  de  le  faire  enfermer 
dans  leur  couvent,  et  il  ne  fallut  rien  moins  qu'un  ordre  du  Pape  pour  lui 
conserver  sa  liberté.  Ces  mauvais  religieux,  qui  ne  pouvaient  pardonnera  celui 
qui  leur  tendait  la  corde  du  salut  dans  leur  naufrage,  le  décrièrent  auprès  du 
Saint-Siège,  l'accusant  de  s'être  enfui  de  leur  maison  de  Val-de-Pégnas  avec 
cinq  mille  écus.  Personne  ne  le  secondait  dans  sa  périlleuse  entreprise  :  au 
contraire,  tout  le  monde  l'abandonnait.  L'ambassadeur  d'Espagne,  qui  lui 
voulait  du  bien,  reçut  de  sa  cour  l'ordre  de  le  poursuivre,  et  le  Pape,  qui  l'avait 
d'abord  accueilli  avec  bienveillance,  sembla  l'oublier.  Accablé  de  chagrin, 
malade,  il  eût  succombé  sous  le  poids  de  tant  de  souffrances,  si  Dieu  ne  l'eût 
soutenu  de  sa  main  toute-puissante.  Le  démon  lui  tendit  alors  un  piège  bien 
difficile  à  éviter.  Comme  il  s'était  retiré  chez  les  Carmes  déchaussés,  qui  lui 
offraient  l'hospitalité  la  plus  fraternelle,  ces  bons  religieux,  croyant  son  projet 
de  Réforme  chez  les  Trinitaires  presque  impossible,  le  pressèrent  de  se  réunir 
à  eux  :  plutôt  pour  se  débarrasser  de  leurs  tendres  soUicilalions  que  par  une 
résolution  bien  arrêtée,  il  consentit  à  entrer  dans  le  noviciat.  Le  démon,  tout 
fier  de  ce  succès,  continua  sa  ruse  ;  il  lui  apparut  un  jour  vêtu  en  Carme 
déchaussé,  et  lui  dit  :  «  Frère  Jean,  si  tu  ne  prends  pas  cet  habit,  tu  mourras 
dans  trente  jours  ».  Mais  cette  apparition  trompeuse  fut  bientôt  combattue 
par  une  vision  céleste  ;  Dieu  montra  à  notre  Bienheureux  une  multitude 
innombrable  de  Trinitaires, rayonnants  d'une  lumière  céleste, qui  semblaient 
demander  à  Dieu  quelque  grande  grâce,  et  ils  jetèrent  un  cri  d'angoisse  qui 
l'avertit  du  péril  où  il  était.  Pour  le  fortifier  encore  davantage.  Dieu  eut  la 
bonté  de  se  faire  voir  à  lui  pendant  quelques  jours,  sous  la  forme  d'un  cru- 


LE   BIENHEUREUX  JEAX- BAPTISTE   DE   LA   CONCEPTION.  521 

ciflx  devant  lequel  il  avait  prié,  l'accompagnant  partout,  le  protégeant,  et 
lui  indiquant  les  moyens  de  conduire  son  entreprise  à  bonne  fin.  11  lui  mé- 
nagea aussi  des  consolateurs  bien  propres  à  le  soutenir  sous  les  croix  les  plus 
douloureuses:  ce  furent  saint  Camille  de  Lellis,  fondateur  des  Clercs  réguliers, 
ministre  des  infirmes,  et  l'illustre  saint  François  de  Sales.  Ce  saint  évoque  de 
Genève  se  trouvait  alors  à  Rome  pour  y  recevoir  la  consécration  épiscopale. 
Le  bienheureux  Jean-Baptiste  va  le  trouver  pour  lui  exposer  son  dessein  ; 
mais,  avant  qu'il  eût  parlé,  le  saint  prélat,  éclairé  d'en  haut,  lui  dit  qu'il 
connaît  cette  œuvre,  le  loue  de  l'avoir  entreprise,  l'encourage  à  supporter 
avec  patience  les  contradictions  qu'il  doit  éprouver,  et  enfin  lui  prédit  que 
Dieu  bénira  ses  efforts. 

En  effet,  après  deux  ans  de  sollicitations  inutiles,  lorsque  tout  semblait 
désespéré,  Dieu  qui  termine  souvent  les  affaires  pour  lesquelles  les  hommes 
s'agitent  en  vain,  inspira  à  Clément  VIII  de  donner,  motu  proprio,  un  Bref 
d'approbation  pour  la  réforme  des  Trinitaires;  ce  fut  le  20  août  de  l'an  1399 
que  notre  Bienheureux  obtint  cet  acte  si  désiré,  et  qui  commençait  par  ces 
mots  :  Ad  militantis  Ecdesix  regimen.  Les  Trinitaires  déchaussés  et  réformés 
y  étaient  autorisés  à  fonder  un  nouvel  Ordre,  avec  des  supérieurs  séparés, 
des  constitutions  distinctes  et  conformes  i  la  règle  antique  et  primitive. 
Assuré  désormais  du  succès  d'une  œuvre  que  Dieu  protégeait  si  visiblement, 
le  saint  rehgieux  s'empressa  de  retourner  en  Espagne,  mais  ses  épreuves  l'y 
suivirent.  D'abord  le  démon  essaya  de  l'engloutir  dans  les  flots,  afin  d'en- 
gloutir avec  lui  une  entreprise  qui  devait  arracher  tant  d'âmes  à  l'enfer  ; 
ensuite  il  faillit  être  empoisonné  dès  son  arrivée  en  Espagne,  et  il  eut  une 
grande  peine  à  faire  exécuter  le  Bref  de  Clément  A'III  qui  accordait  aux 
Réformés  les  trois  maisons  de  Val-de-Pégnas,  de  Ronda  et  de  Bienparada.  Il 
ne  put  obtenir  que  la  première,  encore  on  ne  la  lui  aiiandonnaque  parce  qu'on 
ne  pouvait  faire  autrement,  puisque  les  habitants  de  ce  lieu  n'y  avaient  reçu 
les  Trinitaires  qu'à  condition  qu'ils  seraient  déchaussés  et  réformés  ;  notre 
Bienheureux  en  prit  possession  l'an  1600,  et  y  donna  commencement  à  la 
Réforme,  qui  fut  réduite  d'abord  à  ce  seul  couvent.  Mais  bientôt  ceux  qui 
l'avaient  abandonné  et  avaient  consenti  qu'il  lui  restât,  se  repentant  d'avoir 
été  trop  faciles  ;\  l'accorder,  voulurent  y  rentrer  :  ils  y  vinrent  à  dix  heures 
du  soir  pour  chasser  les  réformés.  Comme  ils  connaissaient  la  maison,  il 
leur  fut  facile  d'y  entrer.  Ils  vont  d'abord  à  la  cellule  du  Réformateur,  qui, 
sortant  au  bruit  pour  voir  ce  qui  se  passe,  trouve  trois  ou  quatre  de  ces  reli- 
gieux munis  de  cordes  ;  il  est  saisi  et  poussé  rudement  à  la  sacristie,  où  il 
tombe  à  terre  ;  on  lui  lie  les  mains  derrière  le  dos  avec  tant  de  violence,  lui 
mettant  les  genoux  sur  les  épaules,  qu'il  en  a  les  bras  tout  écorchés.  On  le 
conduit  encore  garrotté  à  une  fosse  pleine  d'eau  pour  le  jeter  dedans  ;  mais 
là,  ces  fils  révoltés  contre  leur  père,  considérant  qu'il  était  si  faible  qu'il  y 
mourrait  bientôt,  aiment  mieux  le  mettre  dans  une  prison  avec  un  autre 
religieux  ;  enfin,  soit  remords  de  conscience,  soit  crainte  du  châtiment, 
lorsque  le  jour  paraît,  ils  ouvrent  la  porte  de  cette  prison,  qui  était  une 
grotte  obscure  et  froide,  et  s'enfuient  précipitamment.  Rendu  à  la  liberté,  le 
bienheureux  Jean-Baptiste  s'occupe  de  réunir  ses  enfants  restés  fidèles,  et 
après  avoir  fait  avec  eux  une  année  de  noviciat,  il  prononça  de  nouveau  ses 
vœux,  le  10  décembre  de  l'année  1600,  et  la  Réforme  se  trouva  ainsi  accom- 
plie. Plus  d'une  fois,  lorsqu'il  eut  à  lutter  avec  la  pauvreté.  Dieu  l'en  rendit 
vainqueur  par  des  miracles  éclatants.  Un  jour  que  les  religieux  d'Alcala,  un 
des  couvents  fondés  par  notre  Bienheureux,  n'avaient  pas  même  un  morceau 
de  pain,  il  les  encourageait  à  passer  la  journée  avec  patience,  dans  un  jeûne 


522  14  FÉVRIEK. 

parfait,  lorsque  deux  braves  jeunes  hommes  frappent  à  la  porte  du  couvent 
et  présentent  des  mets  tout  apprêtés  ;  et  comme  le  portier  leur  demande 
d'où  vient  ce  don  :  «  Prenez,  prenez  »,  lui  dirent-ils,  «  et  remerciez  le  Sei- 
gneur ».  Une  autre  fois,  étant  allé  lui-même  quêter,  il  avait  reçu  douze 
pains  en  aumône  :  il  en  donna  dix  à  des  pauvres,  et  il  ne  lui  en  resta  plus 
que  deux  qui  étaient  insuffisants  pour  la  communauté,  alors  assez  nom- 
breuse. Il  commanda  néanmoins  de  faire  de  ce  reste  autant  de  petites  por- 
tions qu'il  y  avait  de  religieux,  et  elles  se  trouvèrent  tellement  accrues  à 
l'heure  du  repas,  qu'elles  purent  rassasier  tous  ceux  qui  en  mangèrent  ;  il  en 
resta  môme  encore  assez  pour  le  soir,  la  Providence  n'abandonnant  jamais 
ceux  qui  se  confient  en  elle.  Persuadé  que  rien  n'était  plus  utile  pour  des 
religieux  que  de  demeurer  dans  l'humilité  de  leur  profession,  il  voulut  que 
ses  enfants  s'engageassent  par  vœu  à  ne  rechercher,  même  indirectement, 
aucune  dignité,  et  à  n'en  point  accepter  sans  un  commandement  exprès 
de  l'autorité  légitime,  et  il  obtint  du  pape  Paul  V  la  permission  de  l'ajouter 
aux  trois  vœux  de  religion.  Avec  quel  bonheur  il  le  prononça  lui-même, 
joyeux  de  se  voir  ainsi  délivré  des  charges  dont  le  roi  et  le  duc  de  Lerme, 
son  ministre,  le  menaçaient  !  Cette  sainte  rigueur,  au  lieu  de  diminuer  le 
nombre  des  religieux,  ne  fit  que  l'augmenter  ;  la  bonne  odeur  de  ce  nouvel 
institut  se  répandit  en  peu  de  temps  par  tonte  l'Espagne  ;  les  plus  grandes 
villes  désirèrent  enavoir  des  maisons.  En  1605,  le  pape  Clément  VIII,  voyant 
qu'il  y  avait  huit  couvents  de  cette  Réforme,  leur  permit  d'élire  un  provin- 
cial tous  les  trois  ans  ;  on  tint  le  premier  Chapitre  à  Valladolid,  où  notre 
Bienheureux  fut  élu  à  cette  dignité.  11  n'avait  point  obtenu  de  si  grands 
succès  sans  de  grandes  souffrances  et  de  grands  miracles. 

Lors  de  la  fondation  du  couvent  de  Madrid,  il  reçut  un  rude  soufflet 
d'un  soldat,  à  qui  il  présenta  humblement  l'autre  joue.  Plusieurs  de  ses 
religieux,  le  trouvant  trop  sévère,  se  plaignirent  hautement  de  lui,  et  de- 
mandèrent au  nonce  un  visiteur  pour  tempérer  les  rigueurs  de  la  Règle. 
Jean  les  rassembla  aussitôt,  se  mit  à  genoux  devant  eux,  et,  découvrant  ses 
épaules,  il  leur  dit,  les  larmes  aux  yeux  :  «  Si  je  suis  cause  de  cette  tempête, 
jetez-moi  à  la  mer,  j'y  consens;  frappez  ces  épaules  nues,  je  les  abandonne  à 
vos  coups;  mais  soutenez,  je  vous  en  conjure,  sauvez  la  Réforme  1).  Les  cœurs 
ne  purent  demeurer  insensibles  à  de  si  touchantes  paroles;  le  visiteur  fut 
nommé,  il  est  vrai,  mais  ce  fut  pour  rendre  au  Bienheureux  une  éclatante 
justice.  Il  reprit  donc  ses  fonctions  de  supérieur,  mais  il  les  résigna  au  bout 
de  trois  ans,  heureux  de  rentrer  dans  l'obéissance.  C'est  peut-être  ici  le  lieu 
de  dire  la  belle  leçon  qu'il  donna  de  cette  vertu  pendant  qu'il  était  provin- 
cial. Il  se  promenait  avec  ses  novices  dans  les  jardins  du  couvent  :  il  de- 
manda ce  que  c'était  que  l'obéissance  ;  on  lui  répondit  que  c'était  une  vertu 
d'un  prix  inestimable  et  d'une  merveilleuse  efficacité.  Ayant  alors  levé  les 
yeux,  il  vit  un  petit  oiseau  qui  vint  se  poser  en  chantant  doucement  sur  une 
branche  voisine  :  «  Eh  bien!  »  dit-il  au  novice  qui  lui  avait  répondu,  «  si 
vous  croyez  à  l'efficacité  de  l'obéissance,  montez  sur  cet  arbre,  prenez  l'oi- 
seau et  apportez-le-moi  ».  Le  jeune  homme  s'élança  sur  l'arbre  sans  la 
moindre  hésitation,  et  prenant  l'oiseau,  qui  se  laissa  faire,  il  l'apporta  tout 
joyeux  à  son  supérieur.  Voici  deux  autres  miracles  non  moins  éclatants  : 
Pendant  la  fondation  du  couvent  de  Cordoue,  un  maçon  qui  montait  une 
pierre,  perdant  l'équilibre,  tomba  avec  elle.  Le  Père  Jean-Baptiste,  qui  se 
trouvait  sur  la  place,  s'écria  en  étendant  la  main  :  «  Au  nom  de  la  très- 
sainte  Trinité,  arrête-toi  !  »  La  pierre  s'arrête  aussitôt,  le  maçon  reste 
comme  suspendu  dans  sa  chute  :  tous  deux  descendent  doucement  et  arri- 


LE   BIENHECHEUX  JEiN-BAPTISTE    DE   LA  CONCEPTION.  323 

vent  à  terre  sans  se  faire  aucun  mal  ;  et  comme  le  peuple  criait  au  miracle, 
l'humble  religieux  s'enfuit  bien  vile  au  fond  de  son  couvent.  Un  gentil- 
homme de  la  ville,  qui  avait  perdu  son  fils,  pria  le  bienheureux  Jean-Bap- 
tiste de  venir  dans  son  palais  consoler  sa  femme  désolée  ;  il  y  vint,  et  ayant 
placé  son  scapulaire  sur  la  tête  du  mort,  il  le  fit  lever  au  nom  de  la  sainte 
Trinité  et  le  rendit  vivant  aux  embrassements  de  sa  mère. 

Enfin,  consumé  par  tant  de  travaux,  ce  !^;and  serviteur  de  Dieu  tomba  ma- 
lade à  Cordoue,  au  mois  de  janvier  1613.  Lorsqu'on  lui  annonça  que  sa  fin 
était  prochaine,  il  s'écria,  dans  un  transport  de  joie  :  «  Je  me  suis  réjoui  de 
ce  qu'on  m'a  dit  :  Nous  irons  dans  la  maison  du  Seigneur  ».  Il  demanda  le 
saint  Viatique,  et,  à  l'approche  de  son  Seigneur,  qu'il  avait  servi  toute  sa 
vie,  qui  venait  le  visiter  pour  la  dernière  fois  sur  la  terre,  et  qu'il  allait 
bientôt  rejoindre  dans  le  ciel  pour  le  posséder  éternellement,  recouvrant 
toutes  ses  forces,  il  sort  du  lit,  se  met  à  genoux  et  se  prosterne  la  face  contre 
terre  ;  puis,  dès  qu'il  a  reçu  cet  hôle  divin,  cet  ami  de  son  ûme,  il  demande 
qu'on  le  laisse  seul  avec  lui  ;  on  l'entendit  alors  lui  parler  doucement  : 
«  Seigneur  »,  disait-il,  «  vous  savez  que  j'ai  fait  tout  ce  que  j'ai  pu  pour 
exécuter  vos  ordres  ».  Témoignage,  hélas  !  que  bien  peu  d'âmes  peuvent  se 
rendre  à  ce  moment  suprême  !  Il  sortait  de  sa  chambre  une  odeur  toute 
divine,  comme  du  seuil  du  Paradis.  Il  reçut  ensuite  avec  la  même  piété  le 
sacrement  d'Estrême-Onclion.  Au  bout  de  quelque  temps,  il  sortit  d'une 
extase  dans  laquelle  il  était  tombé,  et  demanda  quelle  heure  il  était.  Après 
qu'on'lalui  eut  fait  connaître,  il  s'écria:  «Je  mourrai  à  trois  heures.  Oh!  la 
belle  heure  !  c'est  celle  où  Xotre-Seigneur  expira  sur  la  croix  ».  Il  essaya 
d'achever  l'office  divin  en  récitant  les  Compiles  avec  un  de  ses  religieux, 
mais  les  forces  trahirent  son  courage.  Il  prit  alors  son  crucifix  et  lui  adressa 
de  tendres  paroles.  11  dit  aux  religieux,  qui  ne  pouvaient  retenir  leurs 
larmes  :  «  Pourquoi  pleurez-vous  ?  je  vais  au  ciel,  où  je  vous  serai  plus  utile 
qu'ici  ».  Le  voyant  près  de  mourir,  ils  se  jetèrent  à  genoux  et  lui  demandé 
rent  sa  bénédiction  :  il  la  refusa  d'abord  parce  que  le  supérieur  était  là.  Il 
fallut  que  celui-ci  lui  en  donnât  l'ordre  en  pleurant;  il  les  bénit  alors,  em- 
brassa le  supérieur  avec  une  grande  tendresse,  et  leur  demanda  à  tous  par- 
don des  fautes  qu'il  avait  pu  commettre  envers  chacun  d'eux.  Il  leur  dit  en- 
suite ces  paroles  de  Notre-Seigneur  :  «  Ne  craignez  pas,  petit  troupeau, 
car  il  a  plu  à  mon  Père  de  vous  donner  son  royaume  ».  Un  des  reli- 
gieux s'écria  :  «  Et  pourquoi,  cher  Père,  nous  abandonnez-vous?  »  Le  Bien- 
heureux, touché  de  tant  de  regrets,  prit  son  crucifix  et  dit  à  Notre-Seigneur, 
à  l'exemple  du  grand  saint  Martin  :  «  Si  je  suis  encore  nécessaire  à  la 
Réforme,  je  ne  refuse  pas  le  travail  ;  que  votre  volonté  soit  faite  !  »  Mais  il 
ajoutait  malgré  lui  :  «  Expectans,  expeclavi  Dominum  :  J'attends  le  Seigneur 
avec  impatience  » .  Ses  religieux,  voyant  que  le  dernier  moment  était  venu, 
entonnèrent  le  Credo  ;  et  comme  ils  chantaient  ces  paroles  :  «  Et  incarnatus 
est  »,  l'âme  du  Bienheureux  alla  se  reposer  dans  le  sein  de  Celui  qui  s'était 
fait  homme  pour  le  racheter  :  c'était  le  14  février  de  l'an  1613.  Il  avait  cin- 
quante et  un  ans  et  demi  :  il  en  avait  passé  seize  dans  la  Réforme.  L'éclat 
de  sainteté  qu'il  avait  jeté  pendant  sa  vie,  et  les  prodiges  opérés  à  son  tom- 
beau portèrent  ses  enfants  à  solliciter  sa  béatification.  Elle  fut  prononcée, 
après  de  longs  examens,  par  le  pape  Pie  VII,  le  21  septembre  1819,  et 
solennellement  célébrée  à  Rome,  dans  l'église  de  Saint-Pierre,  le  26  du 
môme  mois. 

Sa  vie  a  oté  t^crite  par  le  Père  Ferdinand  de  Saint-Lonis;  par  H^yot.  dans  VBistoire  des  Ordres  mo- 
nastiques; enfin,  par  les  coutinaateui-s  de  la  Vie  des  Saints  de  Godescard,  publiée  à  Lille,  et  par  M.Darraa, 


524  14  FÉVRIER, 

dans  l'édition  qu'il  nous  a  donu<Je  de  Ribadeneira.  C'est  surtout  de  ces  trois  derniers  ouvrages  que  nout 
avons  tir^  ce  que  nous  en  avons  dit. 


SAINT  VALENTIN,  ÉVÊQUE  DE  TERNI  (273). 

Yalenlin,  évèque  de  Terni,  en  Ombrie,  fut  un  homme  puissant  en  œuvres  et  en  paroles.  11  fit  de 
grands  miracles  :  entre  autres,  il  guérit  d'une  maladie  humainement  incurable,  le  lils  de  Craton, 
philosophe  très-connu  dans  sa  ville.  Ce  malheureux  père  sollicita  lui-même  très-vivement  cette 
guérison,  quoiqu'il  fût  encore  païen.  Valenlin  lui  en  fit  la  promesse,  s'il  voulait  auparavant  se 
faire  instruire,  lui  et  sa  famille,  dans  la  religion  chrétienne  et  recevoir  le  sacrement  de  la  règcné- 
ratinn  baptismale.  Cette  condition  préalable  ayant  été  acceptée  et  exécutée  par  Craton  et  par  tou- 
tes les  personnes  de  sa  maison,  Valentin  se  mit  en  prières,  et  la  santé  fut  subitement  rendue  au 
jeune  homme,  ce  qui  combla  toute  sa  famille  d'une  grande  joie. 

Ce  prodipe  servit  aussi  à  la  conversion  de  trois  jeunes  Athéniens  qui  étudiaient  sous  Cralon, 
savoir:  Proculus,  Phœbus  et  Apollonius,  ainsi  qu'à  celle  du  préfet  de  la  ville,  nommé  Ahundius. 
Le  juge  Placide,  apprenant  cet  événement,  lit  trancher  la  léte  au  prélat,  après  avoir  vainement 
tenté  de  l'amener  à  l'idolâtrie.  Les  trois  jeunes  gens  ci-dessus  nommés  le  transportèrent  secrète- 
ment dans  la  ville  de  Terni,  et  pour  ce  fait,  ayant  été  arrêtés  par  Licentin,  ils  scellèrent  de 
leur  sang  la  foi  qu'ils  avaient  reçue  de  Valentin.  Le  crâne  de  Valentin,  martyr,  se  conserve  aujour- 
d'hui dans  la  ville  de  Kiidorf  et  y  est  honoré  par  un  grand  concours  de  peuple. 

Au  Kl'  siècle,  lorsque  la  presqu'île  de  Jumiéges  était  ravagée  par  les  mulots  et  les  n\<,  on 
invoqua  saint  Valentin,  évoque  de  Terni,  qui  poussa  toute  cette  engeance  à  la  Seine  :  On  i.iontre 
encore  la  route  et  l'abime  où  ces  rongeurs  allèrent  se  noyer.  On  appelle  l'un  le  chemin  et  l'autre 
le  trou  des  lies. 

Propre  de  Mayence ;  Cochet,  Seirie  Inf.,  etc. 


SAINT  ABRAHAM,  ÉYÊQUE  DE  CARRHES,  EN  MÉSOPOTAMIE  (422). 

C'était  un  saint  solitaire  qui,  plein  de  zèle  pour  l'accroissement  de  l'empire  de  Jésus-Christ, 
alla  prêcher  l'Evangile  dans  un  village  du  Mont-Liban.  Les  habitants  de  ce  village,  encore  idolâ- 
tres, ne  l'eurent  pas  plus  tût  entendu  parler  contre  leurs  dieux,  qu'ils  résolurent  sa  mort  :  mais  ils 
furent  si  touchés  de  sa  douceur  et  de  la  patience  avec  laquelle  il  souffrit  les  plus  rudes  traitements 
qu'ils  lui  laissèrent  la  vie.  Les  officiers  chargés  de  lever  les  deniers  publics,  étant  arrivés  peu  de 
temps  après,  trouvèrent  que  la  plupart  des  habitants  du  village  étaient  hors  d'état  de  payer.  Déjà 
ils  se  préparaient  à  les  traîner  en  prison.  Le  Saint,  attendri  sur  le  sort  de  ces  malheureux,  fit  un 
emprunt  et  paya  pour  eux.  Une  conduite  aussi  généreuse  gagna  les  cœurs  de  tous  ces  pauvres 
gens;  ils  s'attachèrent  à  leur  bienfaiteur,  qui  profita  de  leur  confiance  pour  les  instruire  de  la  reli- 
gion chrétienne.  Abraham  resta  trois  ans  avec  eux,  puis  retourna  dans  sa  solitude,  après  avoir 
confié  le  soin  de  leurs  âmes  à  un  prêtre  vertueux  ;  mais  il  ne  jouit  pas  longtemps  du  repos  qu'il 
était  allé  chercher  dans  la  reiraite;  car  on  l'éleva  sur  le  siège  épiscopal  de  la  ville  de  Carrhes,  ea 
.Mésopotamie.  Pour  avoir  changé  d'état,  il  n'en  vécut  pas  moins  dans  le  recueillement  et  les  aus- 
térités de  la  pénitence.  11  travailla  avec  une  ardeur  infatigable  à  la  ruine  de  l'idolâtrie  et  à  la  des- 
truction des  vices  qui  en  sont  la  suite.  Il  mourut  en  422  à  Constantinople,  où  l'empereur  Théo- 
dose le  Jeune  l'avait  fait  venir.  Ce  prince  garda  un  des  vêtements  du  Saint,  qu'il  portait  à  certains 
jours  par  respect  pour  sa  mémoire,  et  rendit  ses  dépouilles  mortelles  aux  habitants  de  Carrhes',  afin 
que  le  pasteur  ne  fut  pas  séparé  de  son  troupeau. 

Voir  Théodoret,  Philoth.,  t.  m,  c.  17,  p.  817. 

1.  En  hiibreu  Charan  on  B'irnn  :  cette  ville  s'appelle  encore  anjourd'hai  Harran;  nouvelle  preuve  de  la 
constance  et  même  de  l'immobilité  des  traditions  en  Orient. 


S-VDJT  MjUION,    abbé   EN   SYRIE.  323 


SAINT  MARON,  ABBÉ  EN  SYRIE  (433). 

Saint  Maron  se  retira  sur  une  montagne  voisine  de  la  ville  de  Cyr,  oîi  il  vivait  presque  tou- 
jours exposé  3UX  intempéries  de  l'air.  Il  avait  à  la  vérité  une  tente  faite  de  peaux  de  chèvres  pour 
se  Dietlre  à  l'abri  dans  les  temps  de  pluie  ;  mais  il  s'en  servait  très-rarement.  Ayant  trouvé  dans  sa 
retraite  un  temple  d'idoles,  il  le  consacra  au  vrai  Dieu  pour  s'en  faire  une  maison  de  prières.  La 
réputation  de  sainteté  qu'il  s'était  acquise  le  fit  élever  à  la  dignité  du  sacerdoce  en  405.  Saint 
Chrysostome,  qui  avait  conçu  de  lui  la  plus  haute  idée,  lui  écrivit  de  Cucuse  où  il  était  exilé,  pour 
se  recommander  à  ses  prières  '. 

Notre  Saint  n'avait  pas  de  plus  grand  bonheur  que  de  s'entretenir  avec  Dieu  dans  l'oraison; 
aussi  était-il  disciple  de  saint  Zébin,  qui  surpassait  tous  les  solitaires  de  son  siècle  par  son  assi- 
duité à  la  prière.  11  employait  à  ce  saint  exercice  des  jours  et  des  nuits  entières,  sans  jamais  se 
lasser;  sa  ferveur  même  ne  faisait  que  s'accroître  de  plus  en  plus.  Sa  coutume  était  de  prier  de- 
bout ;  ce  fut  seulement  dans  sa  vieillesse  qu'il  se  soulageait  un  peu  en  s'appuyant  sur  un  biton. 
Il  disait  peu  de  choses  à  ceux  qui  le  venaient  voir,  de  peur  d'interrompre  l'exercice  de  la  con- 
templation qui  absorbait  toutes  ses  pensées.  Néanmoins  il  les  recevait  avec  bonté  et  les  exhortait 
à  rester  avec  lui;  mais  il  ne  s'en  trouvait  guère  qui  voulussent  passer  toute  la  nuit  debout  en 
prières. 

Dieu  récompensa  les  travaux  de  saint  Maron  par  des  grâces  abondantes  et  par  le  pouvoir  de 
guérir  les  maladies  des  corps  et  des  âmes.  Il  avait  surtout  un  talent  admirable  pour  porter  les 
autres  à  la  vertu.  11  lui  vint  un  grand  nombre  de  disciples,  et  il  fonda  plusieurs  monastères  en 
Syrie.  Théodore!  regardait  cette  multitude  de  moines  répandus  dans  son  diocèse,  comme  le  fruit 
des  instructions  de  notre  Saint.  Parmi  les  plus  célèbres  disciples  de  saint  Maron,  on  compte  saint 
Jacques  de  Cyr,  qui  se  glorifia  d'avoir  reçu  de  ses  mains  son  premier  cilice. 

Enfin,  le  moment  où  le  Saint  devait  aller  recevoir  sa  récompense  étant  arrivé,  Dieu  le  retira  de 
ce  inonde  après  une  maladie  de  quelques  jours.  Le  désir  d'avoir  son  corps  fit  naître  une  pieuse 
contestation  entre  les  provinces  voisines.  Les  habitants  d'un  bourg  fort  peuplé  emportèrent  ce  riche 
trésor  chez  eux,  et  bâtirent  sur  son  tombeau  une  grande  église  qu'ils  firent  desservir  par  des 
moines. 

Il  y  avait  trois  célèbres  monastères  qui  portaient  le  nom  de  Saint-Maron  :  l'un  au  diocèse  d'A- 
pamée  ;  l'autre  sur  l'Oroote,  entre  Apamée  et  Emèse;  le  troisième  dans  la  Palmyrène.  On  ne  sait 
pas  au  juste  dans  lequel  des  trois  était  le  corps  de  notre  Saint  ;  il  parait  plus  probable  que  c'était 
dans  le  second.  Celui  qui  était  abbé  de  ce  monastère  avait  le  titre  de  primat  de  tous  les  monas- 
tères de  la  seconde  Syrie,  dans  les  actes  du  second  concile  de  Constantinople,  tenu  en  536,  sous 
le  patriarche  Mennas.  Son  nom  se  trouvait  aussi  le  premier  dans  les  souscriptions  de  la  lettre 
commune  que  les  Maronites  écrivirent  au  pape  Hormisdas  en  517. 

Les  Grecs  honorent  saint  Maron  le  14  de  février;  mais  les  Maronites  '  en  font  la  fête  le  19  du 
même  mois. 

Tiré  de  TWodoret,  Phitolh.,  cap.  16,  22,  21,  30.  Voir  Till«mont,  t.  xii,  p.  412;  le  Père  Le  Qaien,  Or. 
Chriit.,  t.  III,  p.  0;  Joseph  Assemanl,  j5i6i.  onenf.,  t.  ler,  p.  497  ;  F.  Nairon,  de  origine  Alarcnitarum, 
Borne,  1679. 

1.  S.  Chrj'sost.,  epist.  36. 

2.  Peuple  ainsi  appelé,  dfes  le  ve  siècle,  des  moines  qui  reconnaissent  saint  Maron  pour  patrlarclie.  Les 
Maronites  se  déciarerent  pour  les  décisions  dn  concile  de  Ciialcédoine  contre  les  Eutycliiens,  et  s'unirent 
de  communion  avec  les  Mtlchistes  ou  royalistes,  qui  soutenaient  l'autorité  du  même  concile.  Ceux  des 
Maronites  qui  liabitont  le  long  des  côtes  de  Syrie  et  aux  environs  du  Mont-Liban  ont  un  patriarclie  catho- 
lique et  reconnaissent  le  Pape  pour  lo  i-rtm'-r  ,  a^l^ur  de  l'Egiise.  Plusieurs  d'entre  eux  tombèrent  dans 
le  nestorianisnie  et  reutyclilanismc  :  ils  s-^  tr  m'-ient  aussi  enjjagés  dans  le  sciiisme  des  Grecs;  mais  ils 
rentr'cvent  dans  io  sein  de  lEgUse  sous  l'-s  papes  Grégoire  -XIII  et  Clément  VIII.  Ce  point  d'histoire  a  été 
très-bien  éciairci  par  M.  Etienne  Assemani.  Le  patriarche  des  Maronites,  dit  d'AïUiocfie,  fait  sa  résidence 
dans  le  monastère  de  Kanobin,  au  pied  du  Mont-Liban,  i^anobin  (Cœnobium,  le  couvent  par  excellence, 
le  seul  qui  reste  dans  la  montagne  du  Libau)  a  été  bâti  par  Tiicodose  et  a  été  la  résidence  de  tous  les 
patriarches  d'Antioche  jusqu'à  nos  jours.  Le  patriarche  actuel,  dit  Mgr  Mislin,  préfère  Diman  pour  son 
habitation  d'été,  et  en  hiver  il  réside  à  Bekeurki.  dans  le  I\esrouan.  Il  est  confirmé  par  le  Pape, 
et  a  sous  lui  cinq  métropolitains,  qui  sont  les  archevêques  de  Tyr,  de  Damas,  de  Tripoli,  d'Alep  et 
de  Nicosie  en  Chypre.  (Voir  le  Père  Le  Quien,  Or.  Chr..  t.  m,  p.  -46.)  Le  séminaire  des  Maronites, 
fondé  à  Rome  par  le  pape  Grégoire  XIII,  et  tenu  autrefois  par  les  Jésuites,  a  produit  de  savants  hommes 


526  ^-i   FÉVRIER. 


SAINT  LOUANS  (y»  siècle). 

Vers  le  milieu  du  v«  siècle,  un  moine  de  l'abbaye  de  Saint-Mesmin  de  Micy,  près  Orléans, 
désireui  de  se  consacrer  tout  entier  au  service  de  Dieu,  quittait  son  monastère  et  se  retirait  près 
de  la  ville  de  Cliinon,  afin  de  le  prier  et  de  l'aimer  plus  librement  dans  la  solitude.  Louaas,  Lu- 
pnnlius  c'était  son  nom,  se  proposa  d'imiter  saint  Meïme,  qui  avait  déjà  illustré  ce  pays  par  l'é- 
clat de  ses  vertus  et  de  ses  miracles.  Saint  Meime  fut  un  des  plus  fidèles  imitateurs  de  saint 
Martin,  et  Louans  marcha  sur  ses  traces  aussi  fidèlement  que  leur  grand  maître,  à  tous  deux,  avait 
suivi  celles  de  Jésus-Christ.  U  ne  tarda  pas  à  éprouver  tous  les  charmes  et  toutes  les  douceurs 
dont  le  Seigneur  récompense  les  sacrifices  qu'on  fait  pour  lui,  eu  quittant  le  monde  et  eu  s'atta- 
chant  uniquement  à  son  service.  La  première  récompense  de  son  amour  fut  une  union  intime  «t 
ineffable  avec  Dieu.  Mais  le  Seigneur  ne  permit  pas  que  son  ami  demeurât  longtemps  inconnu  am 
hommes  :  le  bruit  de  sa  vertu  et  de  sa  sainteté  se  répandit  vite  au  loin  et  le  fit  connaître,  comme 
ces  humbles  et  douces  fleurs  que  leur  parfum  trahit  toujours  et  qui  ne  peuvent  jamais  se  cacher 
entièrement. 

Sa  solitude  devint  bientôt  bruyante  :  les  malades  venaient  en  foule  vers  cet  humble  solitaire, 
et  ils  s'en  retournaient  guéris  et  meilleurs  qu'ils  n'étaient  venus;  car  le  Saint,  en  guérissant  le» 
corps,  avait  toujours  quelques  bonnes  paroles  pour  l'âme. 

11  mourut  plein  de  grâces  et  de  vertus,  chéri  de  Dieu  et  regretté  des  hommes.  Mais  sa  tombe 
devint  glorieuse.  C'est  le  privilège  des  Saints  de  se  survivre  après  leur  mort.  Une  église  parois- 
siale fut  élevée  sur  le  lieu  de  sa  sépulture,  et  comme  le  concours  des  peuples  à  son  tombeau  était 
considérable,  le  comte  Thibault  donna  cette  église  à  l'abbaye  de  Saint-Florent  de  Saumur.  Des 
moines  vinrent  s'y  établir,  du  consentement  de  Hardouin,  archevêque  de  Tours,  et  chaque  jour  on 
y  célébrait  l'office  canonial. 

Les  choses  durèrent  ainsi  jusqu'à  l'époque  tristement  célèbre  de  notre  Révolution  française.  Les 
moines  de  Saint-Louans  furent  chassés  et  l'église  détruite  de  fond  en  comble.  Le  culte  de  saint 
Louans  avait  survécu  aux  ruines  de  son  sanctuaire.  Les  âmes  chrétiennes  se  souvenaient  encore 
de  ses  vertus  et  de  son  crédit  auprès  de  Dieu,  et  de  nos  jours  ce  culte  a  pris  un  nouvel  accroisse- 
ment par  la  découverte  de  son  corps. 

11  y  a  quelques  années,  les  religieuses  hospitalières  de  Chinon  avaient  acheté  les  ancienne» 
dépendances  du  prieuré  de  Saint-Louans  pour  y  établir  une  maison  de  retraite  destinée  à  recevoir 
les  dames  qui  désirent  vivre  tranquilles  et  éloignées  du  monde.  Le  souvenir  de  saint  Louans  entra 
sans  doute  pour  quelque  chose  dans  l'achat  de  ce  terrain.  Mais  la  salubrité  de  l'air,  la  beauté 
enchanteresse  du  site,  le  rendaient  surtout  très-propre  à  leur  dessein.  La  Providence  avait  san» 
doute  d'autres  vues. 

On  savait  par  les  écrits  de  dom  Martène  et  de  dom  Rousseau,  que  le  corps  de  saint  Louans 
avait  été  placé  sous  le  grand  autel  ;  on  connaissait  l'emplacement  de  l'ancienne  église  ;  le  chœor 
était  indiqué  d'une  manière  précise  par  les  fondations  encore  existantes;  aussi,  dès  que  les  sœurs 
hospitalières  furent  installées,  elles  firent  commencer  les  fouilles.  Elles  amenèrent  pour  résultat  la 
découverte  de  quatre  sarcophages,  rangés  sur  une  même  ligne,  quasi  intacts,  et  placés  immédiate- 
ment sous  l'autel,  comme  l'indiquaient  les  documents  puisés  dans  les  auteurs  que  nous  avons  nom- 

qui  ont  jeté  mi  grand  jour  sur  la  llttératnre  orientale.  C'est  de  cette  école  que  sont  sortis  Abraham 
Ecchelllnsls,  SIM.  Joseph,  Etienne  Evode,  et  Louis  Assemani.  Les  deux  premiers  ont  donné  d'c:EceIlent* 
ouvrages  sur  l'antiqnitë  ecclésiastiqne.  Noos  devons  an  troisième  de  judicieux  écrits  sur  les  cérémonies 
de  I'EkIIm. 

Plusieurs  auteurs  da  plus  haut  mérite,  tels  que  Guillaume  de  Tyr,  et  le  cardinal  Baronlus,  adoptant 
le  sentiment  tros-snspect  de  l'annaliste  arabe  Eutychius,  disent  que  les  Maronites  tirent  leur  nom  d'un 
hérésiarque  nommé  Maron,  dont  Ils  auraient  âuivi  les  erreurs  pendant  cinq  siècles:  mais  qu'en  l'année  US2 
toute  cette  nation  composée  de  plus  de  deux  cent  cinquante  mille  âmes  rentra  dans  le  sein  de  l'E;,'lise.  Les 
Maronites  rejettent  cette  opinion  qui  a  été  Tictoricusemciit  cumbattro  ^jar  un  autre  de  leurs  écrivains  du 
rvii«  siècle,  F.  Nairon.  Suivant  cet  auteur,  avant  la  naissance  des  liérésies  qui  ont  désolé  l'Orient,  on  appe- 
lait Syriens  tons  les  clirétiens  répandus  dans  la  vaste  prorince  qui  s'étendait  de  l'Eg)-pte  îi  la  Ciliclc  : 
mais,  lorsque  différentes  sectes  se  furent  foimées  ,  elles  portèrent  le  nom  de  leurs  chefs  :  ce  fut 
ainsi  que  les  SjTiens.  séparés  de  l'E;:lisc,  prirent  le  nom  de  Nestoriens.  de  Jacobites,  et  autres  semblables. 
La  chrétiens  restés  fidèles  h  la  foi  de  Home  se  Rroupèrcnt  autour  des  disciples  de  saint  Maron  :  c'est  de  14 
que  les  hérétiques  désignèrent  par  le  nom  de  Maronites  les  catlioliques  de  Syrie. 


SAINT  RAGNOBERT  OC   RACHO.  527 

mes.  Les  trois  sarcophages  qui  accompagnaieut  celui  de  saint  Louans  renfermaient  les  corps  de 
saint  Salique,  de  saint  Corémar  et  de  sainte  Lachie. 

L'aulhenticilé  de  ces  précieuses  reliques  fut  juridiquement  constatée.  Jlgr  l'Archevêque  se  ren- 
dit sur  les  lieux  et,  par  un  acte  épiscopal,  il  permit  de  leur  rendre  le  culte  que  l'Eglise  décerne 
aux  reliques  des  Saiuts. 

Aujourd'hui  une  charmante  petite  église,  en  style  roman,  a  pris  la  place  de  celle  qui  fut  dé- 
truite en  93,  et  les  précieuses  tombes  reposent,  comme  autrefois,  dans  un  crypte  creusée  sous 
l'autel  principal. 

Le  pèlerinage  a  repris  un  nouvel  essor.  Ce  ne  sont  plus  les  bons  moines  de  Saint-Benoît  qui 
desservent  cette  église,  mais  les  piètres  vénérables  qui  ont  vieilli  ou  qui  ont  contracté  des  infir- 
mités précoces  dans  les  travaux  du  saint  ministère,  composent  le  clergé  de  l'ancien  prieuré  de 
Saint-Louans. 

La  solitude  autrefois  choisie  et  habitée  par  saint  Louans  est  encore  consacrée  par  la  prière  et 
par  la  pratique  des  vertus  chrétiennes.  Les  malades  viennent  de  nouveau  prier  sur  sa  tombe  : 
c'est  ainsi  que  se  vérifient  sans  cesse  ces  paroles  de  nos  livres  saints  :  La  mémoire  du  juste  ne 
saurait  périr. 

M.  l'abbé  Rolland,  aumônier  des  Frères,  à  Tours. 


SAINT  PAULIEN,  ÉVÊQUE  DU  PUY  (vi»  siècle). 

Paulien,  évêque,  gouverna  l'église  du  Velay  avant  la  translation  de  ce  siège  et  lorsque  la  ville 
de  Vétula  était  encore  la  plus  importante  du  diocèse.  Cette  église  avait  presque  péri,  écrasée  par 
les  orages  des  persécutions;  il  la  releva  «  heureusement  »  par  sa  vertu  apostolique  et  son  zèle 
pastoral  ;  enfin,  le  culte  des  idoles  étant  à  peu  près  aboli  et  la  religion  chrétienne  fermement 
établie,  il  s'endormit  dans  une  sainte  mort. 

Saint  Paulien  fut  enseveli  dans  la  ville  qui  porte  maintenant  son  nom,  ayant  perdu  ceu.x  de 
Vétula  et  de  Ruessium  qu'elle  portait  d'abord.  Il  s'était  acquitté  de  ses  fonctions  pastorales  avec 
tant  de  gloire  ;  il  avait  <■  tellement  »  rempli  tout  le  pays  de  la  renommée  de  sa  sainteté,  que  bientôt 
après  sa  mort  il  se  fit  de  toutes  parts  un  concours  immense  à  son  tombeau.  Et  comme  Dieu  répon- 
dait par  d'innombrables  miracles  aux  vœux  des  pieux  visiteurs,  il  en  résulta  que  la  cité  prit  le 
nom  du  Saint  de  qui  elle  tirait  toute  sa  célébrité. 

Dans  la  même  ville,  une  église  avait  autrefois  été  dédiée  sous  l'invocation  de  saint  Paulien  : 
c'était  «ne  église  paroissiale,  et  les  reliques  du  Saint  y  étaient  pieusement  conservées,  avec  celles 
de  saint  Valentin  et  de  saint  Aubin,  dans  une  châsse  de  pierre  placée  sous  l'autel  principal.  Le 
monument  a  été  détruit  et  la  chasse  brisée  dans  les  temps  malheureux  de  notre  révolution  de  la  fin 
du  svni»  siècle.  Cependant  il  reste  encore  un  des  os  du  saint  prélat,  qui  se  trouve  maintenant 
dans  l'église  de  Saint-Georges  de  la  même  ville,  où  il  est  l'objet  d'une  grande  vénération.  Lafètt 
de  saint  Paulien  se  célèbre  le  14  février  depuis  les  temps  les  plus  reculés. 

Propre  du  Puy. 


SAINT  RAGNOBERT  OU  RACHO,  VULGAIREMENT  SAINT  ROCH, 

ÉTÉQUE  d'autun  (658). 

.Ragnobert  ou  Racho,  vulgairement  saint  Roch  ',  après  le  décès  de  Ferréol,  fut  élevé  sur  le  siège 
d'Autun  et  en  fut  le  premier  évêque  d'origine  fianque.  Il  signa  le  privilège  accordé  par  Emmon, 
évêque  de  Sens,  en  658,  en  faveur  de  l'abbé  Agon  et  des  moines  du  monastère  Sénonais  de  Sainte- 
Colombe.  Ce  privilège  avait  pour  but  de  favoriser  le  pieux  dessein  des  frères  de  ce  monastère,  qui 
était  de  conformer  leur  vie  en  tout  à  la  règle  des  saints  Pères,  à  l'autorité  évangél'ique  et  à  la  tradition 
apostolique.  On  rapporte  qu'il  fit  suivre  une  vie  régulière  et  plus  parfaite  au  clergé  de  sa  cathé- 

1.  Voir  Saints  de  Besancon,  il.  110. 


528  **   FÉVRIER. 

drale  ;  modèle  parfait,  par  ses  exemples,  de  ceux  qu'il  était  chargé  d'instruire,  il  s'est  rendu  digue 
des  hoimeurs  immortels  de  la  sainteté. 

Son  corps,  honoré  par  la  piélé  des  fidèles,  a  longtemps  reposé  dans  une  petite  église  qui 
portait  son  nom,  et  qui  était  située  près  des  antiques  murs  d'Autun.  L'an  1530,  il  fut  transféré,  en 
très-grande  pompe,  dans  l'église  cathédrale  de  Saint-Nazaire  et  de  Saint-Celse,  par  l'évèque  Jac- 
ques Huralt  ;  puis,  les  voûtes  de  cette  église  étant  tombées  en  ruines  sur  la  fin  du  siècle  suivant, 
il  fut  encore  transporté  dans  la  basilique  de  Saint-Lazare,  où  il  s'opéra  beaucoup  de  miracles  par 
l'intercession  du  Saint.  Au  milieu  des  orages  qui  éclatèrent  à  la  fin  du  xvni»  siècle  et,  lors  de  la 
sacrilège  dévastation  de  la  basilique,  il  fui  jeté  à  l'aventure  dans  l'une  des  cryptes  sépulcrales  de 
la  même  église.  Mais  sa  tête  et  la  plus  grande  partie  de  ses  ossements  en  furent  retirés  par  des 
fidèles  qui  les  conservèrent  pieusement  et  les  rendirent  à  l'évèque  d'Autun.  Le  prélat  fit  examiner 
canoniquement  les  saintes  reliques  et  les  rapporta  solennellement  dans  ladite  église  de  Saint-La- 
zare, en  même  temps  que  les  glorieuses  reliques  de  l'Hôte  de  Notre-Seigneur,  le  3  septembre  1803. 

Raclio  est  le  patron  d'une  paroisse  du  diocèse  d'Autun  qui  porte  son  nom  (arrondissement  de 
CharoUes,  Saône-et-Loire). 

Propre  d'Autun. 


LE  BIENHEUREUX  CONRAD  DE  BAVIÈRE  (1125). 

Il  était  fils  de  Henri  le  Noir,  duc  de  Bavière.  Après  avoir  pris  l'habit  monastique  à  Clairvaux, 
il  fit  le  pèlerinage  de  la  Terre-Sainte.  Ayant  abordé,  à  son  retour,  sur  les  côtes  de  la  Fouille,  en 
Italie,  il  y  fiait  ses  jours  près  d'un  oratoire  de  la  sainte  Vierge.  On  dit  que  pour  honorer  le  corps 
du  Saint,  les  agneaux  qui  paissaient  dans  le  voisinage  vinrent  s'agenouiller  près  de  lui. 

On  le  représente  souvent  en  prière  devant  une  image  de  Notre-Dame  et  à  ses  pieds  la  couronne 
terrestre  à  laquelle  il  a  renoncé.  11  est  honoré  à  iMelû,  en  Italie. 


LE  BIENHEUREUX  ANGE  DE  GUALDO  (1323). 

Ce  Bienheureux  naquit  dans  les  environs  de  Gualdo,  ville  des  Etats-Romains.  Quoique  jeune  et 
pauvre  gardien  de  troupeaux,  il  se  faisait  remarquer  par  son  amour  pour  les  pauvres;  plus  d'une 
fois  il  lui  arriva  de  partager  avec  eux  ses  aliments.  Le  pèlerinage  de  Saint-Jacques  de  Compostelle 
était  fort  en  usage  au  xiv«  siècle  :  Ange  l'entreprit  par  esprit  de  dévotion.  A  son  retour  en  Italie, 
il  entra  chez  les  religieux  Camaldules,  en  qualité  de  frère  lai. 

Quelque  temps  après,  il  alla  vivre  en  reclus  dans  une  solitude  de  son  pays  natal  :  il  y  mena 
nne  vie  angélique  dans  le  jeune  et  la  contemplation.  Les  jours  de  fête,  un  prêtre  lui  apportait  la 
sainte  communion.  Le  démon  voulut  le  détourner  de  sa  vocation,  mais  au  moyen  du  signe  de  la 
croix  Ange  le  mettait  en  fuite.  Favorisé  du  don  des  miracles,  il  en  opéra  plusieurs  en  faveur  du  pro- 
chain. Lorsqu'il  mourut  dans  le  Seigneur,  le  25  janvier  1325,  son  corps  demeura  à  genoux  dans  la 
position  d'un  homme  qui  prie.  On  le  porta  à  Gualdo  où  les  nombreux  miracles  qui  s'opérèrent  sur 
son  tombeau  déterminèrent  les  habitants  à  le  choisir  pour  leur  patron.  Léon  XII  a  approuvé  soa 
culte  en  1S23. 


M.\ilTVROLOGES. 


XT  JOUU  DE  FÉVRIER 


MAKTYROI.OGE   ROMAIN. 

A  Brescia,  la  naissance  au  ciel  des  saints  martyrs  Faostin  et  Jovite,  qni,  sous  l'empereur 
Adrien,  après  avoir  soutenu  plusieurs  glorieux  combats  pour  la  foi  du  Christ,  reçurent,  vic'.orieuï, 
la  couronne  du  martyre.  Vers  122.  —  A  Rome,  saint  Cralon,  martyr,  qui,  ayant  été  baptisé  avec 
sa  femme  et  toute  sa  maison,  par  saint  Valentin,  évèque,  ne  tarda  pas  de  consommer  avec  eu.x  son 
martyre  '.  213.  —  A  Terni,  sainte  Agape,  vierge  et  martyre.  270.  —  Le  même  jour,  la  naissance 
au  ciel  des  saints  martyrs  Saturnin,  Castule,  Magne  et  Lucius.  —  A  Vaison,  en  Provence,  saint 
Qdinide  on  Qdiniz,  évèque,  dont  les  fréquents  miracles  attestent  que  sa  mort  fut  précieuse  de- 
vant Dieu.  Vers  578.  —  A  Capoue,  saint  Décorare  ou  Décorose,  évèque  et  confesseur.  695.  — 
Dans  la  province  de  Valérie  (Abruzze-ullérieure),  saint  Sévère,  prêtre,  de  qui  saint  Grégoire  écrit 
qu'il  ressuscita  un  mort  par  ses  larmes,  vi»  s.  —  A  Antioche,  saint  Joseph,  diacre  '.  —  A  Cler- 
mont,  en  Auvergne,  sainte  Géorgie,  vierge.  vi«  s. 


MARTYROLOGE   DE   FRANCE,   REVU    ET   AUGMENTE. 

A  Saint-Benoit-sur-Loire,  saint  Fauste,  compagnon  de  saint  Maur  dans  son  voyage  en  France, 
*t  auteur  de  sa  Vie.  Vers  620.  —  En  Aquitaine,  sainte  Véronique,  qui  présenta  à  Noire-Seigneur, 
portant  sa  croix,  un  linge  pour  essuyer  le  sang  qui  coulait  de  son  front,  et  fut  assez  heureuse 
pour  le  recevoir  portant  l'empreinte  des  traits  de  sa  sainte  face  '.  —  A  Barcelone,  le  martyre  de 
saint  Cucufat,  dont  le  corps  fut  dans  la  suite  porté  à  Saint-Denis,  en  France,  comme  le  témoigne 
Adon.  archevêque  de  Vienne  *.  306.  —  Près  de  Jlarmoutier,  le  trépas  de  saint  Liberf,  ou  Léobard, 
solitaire,  mentionné  an  martyrologe  romain,  le  18  de  janvier  '.  588.  —  A  Evreux,  le  décès  de 
saint  Aquilin,  évèque,  qui  se  trouve  an  martyrologe  romain,  !e  19  octobre  *.  693  —  A  Gand, 
saint  Colombain  ou  Colomban,  confesseur,  qui  fut  longtemps  reclus  près  de  l'ancienne  église 
de  Saint-Bavon.  939.  —  A  Sainl-Papoul,  en  Languedoc,  le  B.  Guillaume  de  Cardaillac,  évèque 
de  cette  ville.  1347.  —  A  Rouen,  la  fête  de  saint  Waneng,  confesseur,  fondateur  de  l'abbaye 
de  Fécamp,  dont  la  naissance  au  ciel  est  marquée  le  9  de  janvier.  686.  —  A  Ajaccio,  la  fête  de  saint 
Agalhon,  pape,  cité  au  martyrologe  romain  le  10  de  janvier'.  —  A  Beauvais,  la  fête  de  saint 
Guillaume,  abbé  de  Chalis,  puis  archevêque  de  Courges,  cité  au  martyrologe  romain  le  10  de 
janvier  '.  —  A  Vaison,  saint  Quinide  ou  Quiniz.  évèque.  vi»  s.  —  A  Nimes,  fête  de  saint  Fer- 
réol,  évèque  d'Uzès,  cité  au  martyrologe  romain  le  4  janvier  '. 

1.  Saint  Craton  était  athénien  et  orateur,  c'est-k-dire  professeur  d'éloquence  ^ecqae,  et  sans  doute 
aussi  quelque  pen  avocat.  Sa  conversion  fat  dae  à  la  gnérison  de  son  OU,  que  saint  Valentin  opéra  &  la 
condition  qu'il  croirait  en  Jésns-Clirist.  V.  au  14  février,  dans  la  vie  de  saint  Valentin,  prêtre. 

2.  Saint  Joseph  on  Joslppe,  comme  l'écrivent  an  ^and  nombre  de  martyrologes,  souffrit  probablement 
sons  l'an  des  empereurs  païens  des  trois  premiers  siècles.  Les  Boilandlstes  démontrent  qu'il  ne  fant  pas 
le  confondre  avec  saint  Joseph,  archevêque  de  Thessaloniqne,  et  saint  Joseph  rHymnographe,  qai  habitait 
Ccnstantinople. 

3.  Voir,  aa  3  février,  la  légende  de  sainte  Véronique,  raconte'e  par  la  tradition,  expliquée  par  la  pein- 
ture. —  4.  Au  martyrologe  romain,  le  25  juillet.  V.  à  ce  jour.  —  5.  Voyez  ce  Jour.  —  6.  Ibid.  —  7.  Ibid, 
—  8.  Ibid. 

9.  Nous  avons  donné,  le  4  janvier,  la  vie  de  saint  Ferréol.  Nous  ajoutons  ici  quelques  détails  qu'a  bien 
voulu  nous  fournir  M.  Pelissier,  chanoine  honoraire,  curé  d'Uzès,  —  lettre  du  11  août  1S71  : 

H  Saint  Ferréol  fut  évèque  d'Uzîîs  vers  le  milieu  du  vi^  siècle.  H  succéda  à  son  oncle  saint  Firmin,  qui 
avait  succédé  lui-même  'a  Rorio  que  les  anciens  chroaiqnenrs  nomment  Saint,  mais  qui  n'a  jamais  été 
honore  d'un  culte  public. 

«  Les  saints  Firmin  et  Ferréol  sont  mentionnés  au  martyrologe  romain  :  le  premier  au  11  octobre,  le 
second  au  4  janvier. 

«  Ces  trois  évoques  appartenaient  à  la  famille  gallo-romaine  des  Tonono-Ferréol  dont  le  chef  fut  long- 
temps préfet  du  prétoire  des  Gaules  et  qui  habitaient  Crusiaiuttn^  ville  située  sur  les  bords  du  Gardon  et 

Vies  des  Saints.  —  Tome  IL  34 


530  15   FÉVRIER. 


MARTYROLOGES   DES  ORDRES  RELIGIEUX. 

Martyrologe  de  Saint-Basih.  —  A  Alexandrie,  saint  Jean  l'AumJnier,  de  l'Ordre  de  Sain!- 
Basile,  év(que  de  cette  Tille,  tr£$-célèbre  par  sa  miséricorde  envers  les  pauvres,  mentionné  le  2:< 
janvier. 

Urirlyrologe  des  Camaldules.  —  Saint  Tite,  évêqae  et  confesseur,  mentionné  le  4  de  janvier. 

ilnrtyrnloge  de  Vallombreuse.  —  Avant  le  Carême,  l'octave  de  saint  Pierre  Igné,  évêque  et 
confesseur. 

Martyrologe  de  Clteaux.  —  Saint  Ildefonse,  évêqne  de  Tolède,  dont  la  mémoire  est  honorée 
le  23  janvier. 

Sl'irti/rologe  des  Trinitaires.  —  L'octave  de  notre  Père  saint  Jean  de  Matha,  confesseur. 

Miiriyiologe  des  Frères  Prêcheurs.  —  La  fête  du  B.  JoDRDAiN,  qui,  pour  l'excellence  de  sa 
doctrine,  fut  jr.gé  digne  de  succéder  à  notre  Père  saint  Dominique,  dans  le  gouvernement  de  l'Or- 
dre :  ayant  pris  en  main  le  gouvernail,  brûlant  de  zèle  pour  le  salut  des  âmes,  il  développa  beau- 
coup l'Ordre  en  peu  de  temps,  et  enfin,  comblé  de  mérites,  et  ayant  traversé  beaucoup  de  trilm- 
latious,  il  s'envola  dans  le  ciel.  1231. 

ilirtyrologij  Rjnia^ù-Séia/Mque.  —  Saint  Romuald,  abbé,  Père  des  Religieux  Camaldules, 
dont  la  naissance  au  ciel  est  honorée  le  19  juin.  —  A  Padoue,  la  Translation  de  saint  Antoine  le 
Portugais,  confesseur,  de  l'Ordre  des  Mineurs,  sous  le  pontifient  d'Urbain  IV;  sa  langue  fut  trou- 
vée, en  présence  de  saint  Bonavenlure,  général  du  même  Ordre,  si  entière,  si  fraîche  et  si  rose, 
qu'on  eut  dit  que  c'était  le  corps  d'un  vivant  plutôt  que  celui  d  un  mort. 

ilartyrolvge  de  l'Ordre  Scrupkique.  —  A  Padoue,  la  translation  du  corps  de  saint  Antoine  le 
Portugais. 

ilirtyroloqe  des  Carmes  Chaussés.  —  Sainte  Apolline,  vierge  et  martyre,  dont  la  naissance 
an  ciel  est  honorée  le  9  de  février. 

Mnrtyrologe  des  Capucins.  —  A  Padoue,  la  translation  de  saint  Antoine  le  Portugais,  de 
l'Ordre  des  Mineurs. 

Murlyroloyf  des  Carmes  Décbnusse's.  —  Saint  Pierre  Thomas,  évêqae  et  martyr,  de  l'Ordre 
de»  Carmes,  dont  la  mémoire  est  honorée  le  6  de  janvier  '. 

ADDITIONS  FAITES  d' APRÈS  LES  BOLLA^DISTES  ET  ACTBES   HAGIOGRAPHES. 

A  Antioche,  avec  saint  Joseph,  diacre  et  martyr,  mentionné  ci-dessus  :  les  saints  Zenon,  Aj.ol- 
lonias,  PhŒbns,  Romain,  Zozime,  Barole,  Zocus,  prêtre,  et  Rufia,  également  martyrs.  —  En 
Syrie,  les  saints  Advent,  Xyste,  Pomponius,  Gémella,  Victor,  Généreux,  Victor,  Gemellien,  Cn- 
tnrne,  Casiule,  martyrs.  —  A  litrecht,  sainte  Faustine,  vierge  et  martyre.  Les  Bollandistes  se  de- 
mandent si  sainte  Faustine  n'était  point  une  des  compagnes  de  sainte  Ursule,  dont  il  y  avait  des 
reliques  dans  toutes  les  églises  de  Belgique  et  de  Hollande.  —  A  Asicha,  en  Syrie,  saint  Eusèbe, 
anachorète,  dont  la  douce  mort  ravit  les  anges  eux-mêmes,  disent  les  Menées,  v  s.  —  A  Rome, 
saint  Fauste,  qui,  après  le  départ  de  ce  monde  de  saint  Haur,  retourna  de  France  à  Rome  et  y 
mourut  à  l'âge  de  quatre-vingt-huit  ans.  Il  fut  enseveli  au  monastère  de  Latran.  —  En  Irlande,  saint 
Bérach,  abbé  du  monastère  de  Glendaloch,  puis  évêque.  Vers  l'an  600.  — A  Mont-Vert,  ou  Piom- 
bino,  en  Toscane,  saint  Wilfrid,  premier  abbé  du  monastère  de  ce  lieu,  où  vivaient  alors  soixante 
moines.  Vers  705.  —  A  Vexion,  en  Suède,  les  saints  Sigefbide,  évêque  et  confesseur,  Viuaman, 
Unaman  el  Sunaman,  martyrs.  Saint  Sigefride  fut  l'un  des  premiers  apitres  de  la  Norwége,  con- 
vertit la  Westrogolhie,  et  baptisa  un  roi  de  Suède.  Vei-s  1002.  —  En  Norwége  et  en  Suède,  les 
saints  Henri  et  Alfard,  martyrs,  mis  à  mort  par  les  Normands  auxquels  ils  prêchaient  l'Evangile. 
Vers  105.5.  —  A  Serravalle,  au  diocèse  de  Verceil,  saint  Eusée,  solitaira.  On  le  fête  la  veille  da 
jour  des  Cendres  '. 

ob  Sidoine  Apollinaire  leçnt  cette  brillante  hospltslltâ  dont  H  parle  avec  tant   d'enthousiasme  dans  son 
£pi--tol'i  ad  Ferreoium. 

•  Saint  Feiréol  avait  fond(î  un  monastère  an  midi  de  la  ville  a'Uzi;s:  c'est  14  qn'il  avait  choisi  sa  sépnl- 
tttre,  c'est  la  qne  ses  reliqnes  ont  été,  pendant  plus  de  mille  ans,  l'objet  d'nn  cnlte  spécial.  Ce  monastère 
fut  complètement  détmit  pendant  les  i-nene»  de  religion  au  iviic  sibcle,  et  les  reliqnes  forent  brûlées  et 
Jetées  an  Tent  :  aujourd'hui  nne  croix  rappelle  l'emplacement  qu'il  occupait,  et  chaque  année  une  des  pro- 
cessions des  Itogations  se  dirige  vers  cette  croir  et  y  fait  nne  station  ». 

1.  Voyez  ce  Jour. 

2.  n  Tivalt  dans  la  montagne,  gagnant  son  pain  à  faire  ou  h  raccommoder  des  souliers.  Au  moment  ob 
n  expira,  trois  Ils  ponssbront  et  fleurirent  sur  la  cellule  du  saint  homme  :  cette  merveille  fit  connaître 
■t  mort.  Il  est  honoré  comme  patron  des  savetiers  en  jilusieurs  euJrgits,  et  notamment  dans  le  Vcrcelll»!». 
Son  corps  se  garde  iua  une  église  qui  porte  son  nom.  xiy<  s. 


LES   SAINTS   FRÈRES   FAUSTIN   ET   JOVITE,   MARTYRS.  iJ31 

LES  SAIiNTS  FRÈRES  FAUSTIN  Eï  JOVITE,  MARTYRS 

120-122.  —  Pape  :  Saint  Sixte  1".  —  Empereur  :  Adrien. 


Mon  esprit,  dit  le  Seigneur,  se  plaît  en  trois  clioses  : 
la  concorde  entre  frî-res,  l'amour  des  proche--,  un 
niurt  et  une  l'enune  qui  n'ont  qu'un  oœur  ot  qu'uae 
âme.  EccU,  XXV,  1. 

Ces  bienheureux  serviteurs  de  Jésus-Christ  étaient  issus  d'une  illustre 
famille  de  Brescia,  ville  de  Lombardie.  Ils  pratiquèrent  la  vertu  dès  leur 
enfance,  car  ils  étaient  dociles,  modestes,  dévots  et  unis  entre  eux  par  les 
liens  d'une  parfaite  charité  fraternelle.  Faustin,  qui  était  l'aîné,  fut  ordonné 
prêtre  par  Apollonius,  évoque  de  Brescia,  et  Jovite  reçut  l'ordre  de  diacre. 
Ces  saints  frères  commencèrent  à  exercer  leurs  charges  au  grand  avantage 
des  fidèles  qui  demeuraient  dans  la  ville  et  dans  les  bourgades  voisines  :  et 
même  plusieurs  gentils  furent,  par  leurs  prédications,  convertis  à  notre 
sainte  foi,  les  ténèbres  de  leur  ignorance  étant  dissipées  par  la  lumière  du 
saint  Evangile  ;  ainsi  la  religion  chrétienne  croissait  en  lustre  et  en  réputa- 
tion, pendant  que  celle  des  faux  dieux  s'en  allait  en  fumée. 

Mais  l'empereur  Adrien  renouvela  alors  contre  les  chrétiens  la  persécu- 
tion qui  avait  été  commencée  par  Trajan,  son  prédécesseur.  Italique,  chargé 
d'exercer  à  Brescia  les  cruautés  impériales,  fit  arrêter  Faustin  et  Jovite,  leur 
exposa  le  commandement  de  l'empereur,  et  les  exhorta  à  y  obéir,  em- 
ployant les  promesses  et  les  menaces  pour  les  faire  condescendre  à  sa  vo- 
lonté ;  mais,  les  ayant  trouvés  généreux  et  constants  en  la  confession  de  leur 
foi,  il  ne  voulut  point  passer  outre,  jusqu'à  ce  qu'Adrien  même,  qui  allait 
en  France,  passant  par  la  ville  de  Brescia,  lui  eût  dit  ce  qu'il  voulait  qu'il  fît. 
L'empereur,  averti  de  cette  procédure,  s'efforça  de  porter  les  deux  frères 
à  l'adoration  de  ses  dieux  et  les  fit  conduire  au  temple  du  Soleil,  où  se  trou- 
vait une  statue  de  ce  faux  dieu  richement  parée  et  qui  avait  la  tête  entourée 
de  plusieurs  rayons  de  fin  or;  mais  les  bienheureux  frères  ayant  invoqué  le 
nom  du  vrai  Dieu,  la  statue  fut  à  l'instant  même  toute  couverte  de  suie,  et 
les  rayons  de  sa  tête  parurent  comme  des  charbons  éteints.  Adrien,  qui 
était  présent,  s'épouvanta  et  commanda  aux  prêtres  et  aux  ministres  du 
temple  de  nettoyer  promptement  l'idole.  A  peine  y  touchèrent-ils  qu'elle 
tomba  et  fut  réduite  en  cendres;  l'empereur,  furieux,  condamna  les  deux 
frères  à  être  dévorés  parles  bêtes. Ils  furent  donc  exposés  à  quatre  lions,  qui, 
au  lieu  de  leur  nuire,  se  couchèrent  paisiblement  à  leurs  pieds;  les  léopards 
et  les  ours  furent  ensuite  lâchés;  on  leur  brûlait  les  flancs  avec  des  flam- 
beaux pour  augmenter  leur  rage,  mais  ils  étaient  doux  comme  des  agneaux 
envers  les  Martyrs.  Les  prêtres  des  temples  attribuèrent  ce  miracle  à  Sa- 
turne, et  approchèrent  des  Saints  avec  sa  statue  pour  la  leur  faire  adorer  : 
mais  les  bêtes  se  jetèrent  sur  eux  et  les  dévorèrent,  et  Italique  avec  eux.  Les 
Gentils,  voyant  ces  prodiges,  criaient:  «0  dieu  Saturne!  aide  tes  ministres». 
Cependant  la  statue  demeura  par  terre  sous  les  pieds  des  bêles,  et  toute 
trempée  dans  le  sang  de  ses  prêtres.  La  femme  d'Italique,  nommée  AQ"re, 
sachant  la  mort  de  son  mari,  accourut  toute  émue  au  théâtre  où  était  l'em- 


532  13   FÉVRIER. 

pereur  et  lui  dit  avec  beaucoup  de  ressentiment  :  «  Quels  dieux  adorez- 
vous,  6  empereur?  des  dieux  qui  ne  sauraient  garantir  leurs  sacriQcateurs 
ni  eux-mêmes;  et  votre  cruauté  et  ce  culte  superstitieux  sont  cause  que  je 
suis  aujourd'hui  veuve  n.  Ainsi  elle  se  convertit  à  la  foi  avec  plusieurs  Gen- 
tils qui  se  trouvèrent  à  ce  spectacle,  et  entre  autres,  Calocôre,  un  des  pre- 
miers de  la  cour  de  l'empereur,  avec  la  plupart  de  ses  gens.  Mais,  pour 
faire  connaître  que  ces  merveilles  étaient  des  œuvres  de  Dieu,  qui  permet- 
tait à  ces  animaux  de  suivre  le  mouvement  de  leur  férocité  naturelle  contre 
les  ennemis  de  la  vérité  et  les  rendait  semblables  à  des  agneaux  envers  les 
chrétiens,  les  Martyrs  leur  ayant  donné  commandement  de  sortir  de  la  ville, 
ils  prirent  aussitôt  le  chemin  des  forêts  sans  nuire  à  personne. 

L'empereur,  voyant  que  la  rigueur  lui  était  inutile  pour  vaincre  la  cons- 
tance de  ces  généreux  frères,  se  servit  de  l'artifice  et  commanda  qu'ils 
fussent  couchés  en  de  bons  lits,  sur  la  plume  et  le  duvet;  mais  ils  n'y  firent 
que  chanter  des  hymnes  à  l'honneur  du  Dieu  vivant  qui  était  l'unique  espé- 
rance de  leurs  âmes.  Ensuite  ils  furent  menés  en  prison  avec  défense  qu'on 
leur  parlât  et  qu'on  leur  donnât  ni  à  boire  ni  à  manger,  afin  de  les  faire 
mourir  de  faim  et  de  soif.  Mais,  qui  peut  surmonter  Dieu?  Les  anges,  appa- 
raissant, encouragèrent  ces  braves  confesseurs  de  la  vérité,  éclairèrent  leur 
cachot  de  la  lumière  céleste,  et  leur  cœur  fut  rempli  de  joie  de  ce  qu'ils 
avaient  l'honneur  de  souffrir  pour  Jcsus-Christ. 

Adrien,  voyant  la  constance  des  Martyrs  et  le  nombre  de  ceux  qui  se 
convertissaient  à  la  religion  chrétienne  par  leur  exemple  et  par  l'autorité 
qu'ils  avaient  dans  la  ville,  craignant  aussi  quelque  sédition,  fit  mettre  à 
mort  ceux  qui  s'étaient  convertis  et  mena  à  Milan  les  saints  frères  Faustin 
et  Jovite,  avec  Calocère,  enchaînés  ensemble.  Ce  fut  là  que  leur  vertu 
trouva  de  nouveaux  sujets  de  triomphe  :  la  malice  de  leurs  ennemis  cher- 
chait de  nouveaux  supplices  pour  les  tourmenter.  Ils  furent  tous  trois  atta- 
chés à  terre  tout  de  leur  long,  le  visage  tourné  en  haut,  puis,  avec  des 
entonnoirs,  on  leur  versa  du  plomb  fondu  dans  la  bouche  pour  leur  faire 
perdre  la  respiration  et  la  vie;  mais  le  plomb,  comme  s'il  eût  eu  du  senti- 
ment, brûlait  les  bourreaux  sans  faire  tort  aux  Martyrs.  On  les  mit  à  la 
torture  et  on  leur  appliqua  des  lames  ardentes  aux  côtés  ;  alors  Calocère, 
sentant  une  très-grande  douleur  du  feu  qui  lui  pénétrait  les  entrailles,  dit  à 
Faustin  et  à  Jovite  :  «  Priez  Dieu  pour  moi,  ô  saints  Martyrs  !  car  je  suis  extrê- 
mement tourmenté  parce  feu».  Ils  lui  répondirent  :o  Bon  courage,  Calocère, 
cela  ne  durera  pas  longtemps,  et  la  grâce  de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ 
sera  avec  vous  ».  En  effet,  Calocère,  se  sentant  tout  d'un  coup  soulagé,  dit 
qu'il  ne  souffrait  plus  aucune  douleur;  et,  quoique  les  bourreaux  jetassent 
des  étoupes,  de  la  poix  et  de  l'huile,  et  qu'ils  eussent  fait  un  grand  feu  au- 
tour des  Martyrs,  les  flammes  perdaient  leurs  forces,  tandis  qu'ils  jouis- 
saient en  leur  âme  d'une  paix  admirable,  et  que  leurs  langues  chantaient 
les  louanges  du  Sauveur.  Ce  fut  la  cause  que  plusieurs  des  assistants,  éton- 
nés de  ce  qu'ils  voyaient,  reconnurent  l'auteur  de  ces  merveilles,  adorèrent 
sa  majesté  et  crurent  en  lui. 

Le  tyran,  voyant  toutes  ces  inventions  inutiles,  et  ne  pouvant  souffrir 
d'être  vaincu  par  ces  généreux  Martyrs,  mit  Calocère  entre  les  mains  d'An- 
tiochus,  gouverneur  des  Alpes,  afin  qu'il  le  fit  mourir  ;  et  comme  il  s'en 
retournait  ;\  Rome,  il  y  fit  amener  après  lui  Faustin  et  Jovite,  qui  furent  de 
nouveau  cruellement  tourmentés.  Mais,  en  échange,  ils  reçurent  beaucoup 
de  consolations  de  la  part  du  saint  pape  Evariste,  qui  eut  soin  de  les  aller 
visiter.  De  là  ils  furent  conduits  à  Nanles,  où  l'on  continua  de  les  faire  souf- 


SAIOT   WANENG,   PATIION  DE   HAM  EN   PICARDIE.  533 

frir  :  puis  on  les  jeta  dans  la  mer  ;  mais  ils  en  furent  délivrés  par  la  puis- 
sance de  Jésus-Christ  qui  corabaltait  en  eux,  et  sortirent  victorieux  des  tour- 
ments, plus  purs  que  l'or  du  creuset.  Enfin,  ils  furent  reconduits  à  la  ville  de 
leur  naissance,  alin  que  ceux  qui  avaient  été  convertis  par  leur  sainte  vie  et  par 
leur  constance  en  la  foi  de  Jésus-Christ  fussent  ébranlés  et  ramenés  au  paga- 
nisme par  leur  mort.  C'était  l'inlenlion  des  tyrans;  mais  Dieu  en  tira  au 
contraire  la  gloire  de  son  nom  et  celle  des  saints  Martyrs,  et  honora  la  ville 
deBrescia,  où  ils  furent  baignés  dans  la  pourpre  de  leur  sang,  du  triomphe  de 
leur  mon  et  de  la  possession  de  leurs  saintes  dépouilles  :  ils  y  eurent  la  tête 
tranchée,  hors  de  la  porte  qui  conduit  à  Crémone,  le  15  février,  l'an  120  ou 
122,  selon  Baronius;  leur  martyre,  qui  a  été  fort  long,  commença  sous  l'em- 
pire de  Trajan  et  ne  finit  que  sous  celui  d'Adrien. 

Ils  étaient  représentés  sur  les  monnaies  de  Brescia  avec  une  croix  entre 
eux  deux,  pour  rappeler,  non  leur  supplice  qui  ne  fut  pas  celui  de  la  croix, 
mais  leur  prédication.  Leur  véritable  attribut  est  Vépée  qui  trancha  le  iil  de 
leurs  jours. 

La  ville  de  Brescia  les  honore  comme  ses  patrons  et  conserve  leurs  pré- 
cieuses reliques.  Il  existe  dans  la  même  ville  un  sanctuaire  fort  ancien  qui 
est  dédié  sous  leur  invocation,  et  tous  les  martyrologes  représentent  saint 
Faustin  et  saint  Jovite  comme  des  modèles  de  l'union  entre  frères. 


SAINT  WANENG, 

FONDATEUR  DE  L'ABBAYE  DE  FÉCAMP  ET  PATRON  DE  HAM  EN  PICARDIE 
686.  —  Pape  :  Conon.  —  Roi  de  France  :  Thierry  III. 

Entrez  par  la  porte  étroite.    Afatth.,  vu,  IJ. 

Saint  Waneng  naquit  sous  Clotaire  II,  au  commencement  du  vn°  siècle, 
dans  le  diocèse  de  Rouen.  Il  appartenait  à  une  famille  noble,  mais  plus 
illustre  encore  par  ses  vertus  que  par  la  gloire  de  ses  ancêtres.  Il  fut  élevé 
avec  grand  soin  dans  l'amour  et  la  crainte  de  Dieu.  Aussitôt  qu'il  fut  en  âge 
de  se  connaître,  on  le  vit  mettre  en  pratique  dans  sa  conduite  toutes  les 
vertus  chrétiennes.  Il  était  aimé  et  estimé  de  tous  ceux  qui  le  connaissaient. 
Les  jeux  et  les  divertissements  auxquels  on  le  mêlait  ne  lui  causaient  aucun 
plaisir,  et  il  fuyait  ceux  où  il  pouvait  y  avoir  la  moindre  apparence  d'offense 
de  Dieu.  Il  suivit  de  bonne  heure  la  profession  des  armes  et  se  conduisit  en 
bon  chrétien  dans  cet  état  difficile  et  dangereux  ;  il  devint  l'un  des  grands 
capitaines  de  son  temps.  On  le  voyait  aussi  ardent  à  combattre  les  ennemis 
de  son  pays  qu'appliqué  à  faire  la  guerre  aux  ennemis  de  son  salut.  II  re- 
cherchait avec  soin  la  compagnie  des  gens  de  bien,  et  se  lia  intimement  avec 
saint  Ouen,  archevêque  de  Rouen,  avec  saint  Vandrille,  abbé  de  Fontenelle, 
qui  étaient  alors  deux  lumières  de  l'Eglise.  Il  contribua  pour  sa  grande  part 
à  la  construction  de  l'abbaye  de  Fontenelle  et  fournit  à  saint  Vandrille  une 
partie  des  choses  qui  lui  étaient  nécessaires  pour  mener  à  bonne  fin  cette 
importante  fondation. 

Saint  Waneng  avait  toujours  eu  une  grande  propension  pour  la  vie  reli- 
gieuse ;  il  la  trouvait  de  beaucoup  préférable  à  la  sienne.  Mais  croyant  que 
Dieu  le  voulait  dans  le  monde,  il  résolut  d'y  vivre  comme  n'y  étant  pas  et  de 


534  15   FÉVRIER. 

consacrer  à  Dieu  sa  virginité.  Il  choisit  pour  patronne  et  pour  protectrice 
sainte  Eulalie  de  Mérida.  De  là  est  venu  le  culte  que  l'on  rend  à  celle  Sainte  au 
pays  de  Ham  ;  de  là  vient  qu'elle  a  été  choisie  pour  patronne  de  Tugny, 
viliaçe  situé  à  une  lieue  de  celte  ville.  Saint  Waneng  ne  put  réaliser  son 
dessein  de  rester  vierge.  Dieu  lui  fit  connaître  qu'il  le  voulait  dans  l'état  du 
mariage,  afin  de  servir  d'exemple  aux  personnes  mariées.  En  eOet,  il  se 
montra  le  modèle  des  époux  et  respecta  la  chasteté  conjugale  à  une  époque 
où  les  grands  ne  connaissaient  guère  cette  vertu.  Dieu  lui  donna  un  fils 
qu'il  appela  Désiré.  Dès  que  roi  enfant  fut  en  état  de  faire  usage  de  sa  rai- 
son, il  lui  apprit  à  préférer  Dieu  et  ses  commandements  à  toutes  les  choses 
de  la  terre.  Et  comme  il  savait  que  les  exemples  ont  plus  de  force  que  les 
préceptes,  il  fut  pour  son  fils  un  modèle  de  toutes  les  vertus  chrétiennes  et 
ne  voulut  auprès  de  lui  que  des  personnes  vertueuses.  Plus  tard,  cet  enfant 
alla  s'enfermer  dans  l'abbaye  de  Fonlenelle.  A  la  grande  satisfaction  de  son 
père  qui  avait  tout  fait  pour  lui  inspirer  le  goût  de  la  vie  religieuse,  Désiré 
fut  un  excellent  et  saint  religieux  et  mérita  plus  tard  après  sa  mort  d'être 
rangé  par  l'Eglise  au  nombre  des  Saints. 

Le  soin  que  saint  Waneng  prenait  de  ses  enfants  ne  l'empêchait  pas  de 
s'acquitter  des  devoirs  d'un  grand  capitaine  et  d'un  sage  courtisan  ;  mais  il 
savait  se  donner  au  monde  sans  se  séparer  de  Dieu,  et  à  cause  de  cela  il  fut 
hautement  estimé  et  jouit  de  l'intimité  de  Clotaire  qui  était  roi  depuis  633. 
Il  contribua  par  ses  sages  conseils  à  la  paix  du  royaume,  à  l'amoindrissement 
de  la  puissance  des  maires  du  palais,  à  la  diminution  des  impôts,  et  à  la  ré- 
pression des  abus  qui  s'étaient  glissés  dans  l'Eglise.  Le  roi  ayant  donué  à 
saint  Waneng  l'administration  de  la  province  de  Caux,  il  montra  dans  son 
gouvernement  un  grand  zèle  pour  la  justice  et  une  sagesse  admirable.  Il  se 
crut  obligé  de  donner  l'exemple  d'une  sainte  vie,  et  pour  cela  il  se  fît  une  loi 
de  ne  jamais  se  laisser  aller  à  la  raillerie,  vice  assez  ordinaire  de  son  temps; 
de  ne  jamais  prononcer  de  paroles  qui  pussent  blesser  la  pudeur  et  l'hon- 
nêteté; il  évita  les  festins  et  les  grands  repas,  dans  lesquels  régnent  ordinaire- 
ment l'avidité  et  l'intempérance  ;  il  s'interdit  le  luxe  dans  ses  habits  et  dans 
ses  ameublements.  En  retour  il  distribuait  libéralement  aux  pauvres  ce  que 
son  économie  lui  faisait  mettre  de  côté.  Il  consacra  une  partie  de  ses  reve- 
nus à  bâtir  des  monastères  ;  le  plus  célèbre  fut  celui  de  Fécamp,  au  pays  de 
Caux,  dans  le  diocèse  de  Rouen.  Ce  fut  sainte  Eulalie  à  laquelle,  comme 
nous  l'avons  dit,  il  avait  une  dévotion  toute  particulière,  qui  dans  une  vision 
lui  demanda  de  construire  cette  dernière  abbaye.  Après  en  avoir  obtenu  la 
permission  du  roi,  il  prépara  tout  ce  qui  était  nécessaire  pour  élever  cet 
édifice.  Une  seule  chose  l'arrêtait  :  il  ne  savait  quel  endroit  choisir.  Le  ciel 
vint  à  son  aide  ;  le  lieu  lui  fut  indiqué  dans  une  vision  à  la  suite  de  laquelle 
il  recouvra  une  santé  parfaite.  Il  était  devenu  tellement  malade  que,  pen- 
dant quelques  heures,  on  l'avait  cru  mort,  et  que  l'on  avait  tout  disposé  pour 
son  enterrement.  Le  roi  et  les  grands  du  royaume  félicitèrent  à  l'envi  saint 
Waneng  de  sa  guérison  miraculeuse.  Quant  à  lui,  il  s'occupait  de  mettre  à 
exécution  la  grande  entreprise  que  le  ciel  demandait  de  lui. 

L'abbaye  de  Fécamp  fut  rapidement  construite  ;  le  roi  la  dota  magnifique- 
ment. On  yassembla  des  religieusesquifurentplacéessous la  conduite  desaint 
Ouen  etde  saint  Vandrille.  La  première  abbesse  de  ce  monastère  fut  sainte 
Hildemarque  ou  Cbildcmarque,  qui,  venue  de  Bordeaux  où  elle  avait  gouverné 
une  communauté,  vivait  alors  dans  le  diocèse  de  Rouen,  peut-être  à  Fonte- 
nelle.  Bientôt  la  nouvelle  abbaye  fut  peuplée  de  saintes  filles  qui  venaient 
s'y  consacrer  à  Dieu  par  des  vœux  perpétuels.  Ce  lieu  désert  fut  un  véritable 


SAINT  WA^EXC,    PATROS  DE    HAM  E.\   PICARDIE.  535 

paradis  habité  par  des  anges  visibles  qui  vivaient  dans  une  entière  séparation 
du  monde  et  qui  n'avaient  de  communications  qu'avec  Dieu  par  leurs  priè- 
res et  leurs  cantiques.  En  peu  de  temps  on  compta  dans  cette  abbaye  jus- 
qu'à trois  cent  soixante-six  religieuses. 

L'alibaye  de  Fécamp  eut  bientôt  une  perte  douloureuse  à  déplorer,  la 
perte  de  saint  Vandrille,  son  sage  directeur.  Fontanelle  pleurait  la  mort  de 
son  fondateur,  et  saint  Waneng  celle  d'un  ami  dévoué  qui,  avec  saint  Ouen, 
avait  toute  sa  confiance.  C'était  le  moment  où  Ebroïn  régnait  en  maître  et 
où  il  faisait  paraître  son  esprit  altier,  violent  et  sanguinaire.  Celui  qui  fut 
d'abord  l'objet  de  sa  haine  fut  saint  Léger,  conseiller  de  la  reine  Bathilde. 
Ebroïn,  depuis  longtemps,  détestait  saint  Léger  qu'il  avait  toujours  rencon- 
tré sur  son  chemin  pour  s'opposer  à  ses  mauvais  desseins.  Après  qu'il  l'eut 
fait  arrêter,  maltraiter  et  mutiler  d'une  horrible  façon,  il  ordonna  qu'on  le 
conduisît  au  château  de  saint  Waneng,  auquel  il  avait  fait  des  recomman- 
dations comme  à  un  de  ses  émissaires.  Mais  c'était  bien  mal  connaître  saint 
Waneng  ;  car  celui-ci,  loin  de  se  prêter  aux  desseins  du  tyran,  traita  saint 
Léger  comme  un  martyr  de  Jésus-Christ  et  chercha  à  lui  adoucir  sa  capti- 
vité autant  qu'il  était  en  lui.  La  vengeance  d'Ebroïn  n'était  pas  satisfaite,  il 
tira  saint  Léger  des  mains  de  saint  Waneng  et  le  fît  mettre  à  mort.  Dieu 
vengea  ce  crime,  car  trois  ans  après  il  fut  lui-même  massacré. 

Saint  Waneng  honora  saint  Léger  comme  martyr  et  se  retira  à  l'abbaye 
de  Fécamp,  où  il  se  mit  au  rang  des  serviteurs  de  la  maison  :  voulant  finir 
là  ses  jours,  dans  l'humilité  et  la  prière,  il  se  montra  un  parfait  modèle 
d'obéissance.  Le  travail  le  plus  pénible  et  le  plus  bas  était  celui  qu'il  choi- 
sissait de  préférence  et  qu'il  accomplissait  avec  le  plus  de  joie.  Il  montrait  à 
l'abbesse  la  même  soumission  qu'il  eût  montrée  à  Jésus-Christ.  Il  soupirait 
sans  cesse  après  la  fin  de  son  exil,  qui  arriva  le  9  janvier  686. 

On  représente  saint  Waneng,  bardé  de  fer,  revêtu  d'un  manteau  rouge 
fleurdelisé,  tenant  une  épée  d'une  main,  et  de  l'autre  une  église. 

RELIQUES  ET  CULTE  DE  SAINT  WANENG. 

Ce  fttl  pendant  les  incursions  des  Normands  qne  les  reliques  de  saint  Waneng  furent  appor- 
tées à  Ham.  Elles  avaient  d'abord  été  déposées  dans  un  lieu  appelé  Mesnil-Saint-Waneng,  hameau 
dépendaat  de  la  paroisse  d'Esmery,  sur  le  chemin  de  Roye,  et  éloigaé  de  Ham  de  trois  quarts  de 
lieue.  On  croit  que  ce  lieu  a\ait  appartenu  à  saint  Waneng;  il  y  possédait  un  château  et  y  venait 
de  temps  en  temps  s'y  livrer  au  divertissement  de  la  chasse.  Les  Normands,  ayant  envahi  le  Ver- 
mandûis,  pillèrent  le  Mesnil,  détruisirent  la  châsse  de  saint  Waneug  et  jetèrent  ses  reliques 
dans  les  marais  où  les  habitants  les  recueillirent  précieusement  et  les  conservèrent  jusqu'au  mo- 
ment où  elles  fareat  transférées  à  Ham.  Depuis  ce  temps  les  habitants  du  Mesnil  ont  toujours 
gai'dé  le  privilège  de  porter  aux  processions  la  châsse  du  saint  Confesseur. 

La  ville  de  Ham  a  pris  saint  Waneng  pour  son  patron,  on  ne  sait  an  juste  en  quel  temps.  On 
célébra  s:i  fête  dans  l'abbaye  longtemps  avant  qu'où  le  fit  dans  la  ville. 

Ce  fut  seulement  eu  1516  que  Hangest,  évèque  de  N'oyon,  accorda  la  permission  aux  habitants, 
d'imiter  le  monastère  et  de  faire  l'office  de  saint  Waneng'.  La  ville  d'Esmery  avait  aussi  pris  saint 
Waneng  pour  son  patron;  elle  faisait  sa  fête  en  même  temps  que  Ham,  et  en  outre,  le  23  sep- 
tembre, elle  célébrait  une  nouvelle  fête,   celle  de  la  translation  d'une  relique  insigne  de  ce  Saint. 

Terminons  par  une  note  sur  l'état  actuel  des  reliques  de  saint  Waneng,  que  nous  a  adressée 
M.  Jacob,  cmé-doyen  de  Ham. 

Il  ne  se  trouve  plus  qu'un  fragment  peu  considérable  de  la  cote  de  saint  Waneng  donnée  par 
l'abbaye  de  Ham  à  Esmery-Hallon  en  1696.  La  châsse  de  1696  non  ignobilis  operis...  a  été  con- 
servée. Le  fragment  n'a  d'autre  authentique  qne  cette  suscription  :  Saint-Waneng.  On  peut  invo- 
quer à  l'appui  un  témoignage  public.  Au  rétablissement  du  culte,  l'usage  suspendu  par  la  tour- 
mente révolutionnaire  de  porter  la  châsse  de  saint  Waneng  aux  processions  a  été  rétabli.  Pour  lever 
tout  doute,  une  relique  insigne  (Heum)  a  été  octroyée  sous  Mgr  Tirœaiche,  aujourd'nui  évéq.ie 
d'Adras,  pour  enrichir  la  châsse  de  saint  Waneng. 


536  15    FÉVRIER. 

Voici  le  procès-verbal  de  ce  don  :  L'an  1843,  le  24  du  mois  de  mai,  en  présence  (îes  membres 
da  conseil  de  fabrique  de  la  paroisse  de  llam  et  de  plusieurs  habitants  de  la  ville  a  été  faite,  sous 
la  présidence  de  iM.  Tirmarche,  curé-doyen  de  Hani,  délégué  à  cet  effet  par  Mgr  l'évèque  d'Amiens, 
l'ouverture  de  la  chûsse  de  saint  Waneng,  pour  procéder  à  la  reconnaissance  de  ses  reliques  et  les 
transférer  dans  une  cbàsse  neuve. 

Dans  cette  heureuse  circonstance,  M.  le  doyen  de  Ilam,  voulant  condescendre  aux  vœux  de 
M.  liaudolncq,  alors  curé  d'Esmery,  ainsi  que  des  fidèles  de  sa  p.iroisse,  a  extrait  un  des  ossements 
{ilcitm)  pour  en  gratifier  de  nouveau  la  paroisse  d'Esmery. 

Procès-ïcroal  en  bonne  forme  a  été  fait  et  signé  de  cette  translation  du  corps  de  saint  Waneng, 
et  mention  s'y  trouve  faite  de  la  donation  de  cette  relique. 

Le  dit  procès-verbal  se  trouve  déposé  dans  la  chisse  de  saint  Waneng.  —  Tirmarche,  curé- 
doyen  lie  H'i'/i. 

Ce  prucès-verbal  porte  l'empreinte  du  cachet  de  la  Paroisse  de  Noire-Pame  de  Hum.  De  plui 
le  sceau  épiscopal  est  empreint  sur  cire  ronge. 

Copié  k  Esmcry-Hallon.  le  4  février  ISfiT,  par  moi,  curé.  —  Qdéval,  curé  d'Esi7ieiy. 

L'éjilise  de  Notre-Dame  de  Ham,  autrefois  église  de  l'abbaye,  possède  presque  en  entier  le  corps 
de  saint  Waneng.  Quelques  ossements  peu  considérables  en  ont  été  seulement  détachés  à  différentes 
époques  pour  enrichir  les  églises  d'Esmery,  Eppeville,  Honibleux  et  Fécamp. 

(.'est  à  la  piété  et  au  dévouem.ent  du  sarristain  Didet  et  d'un  nommé  Manteau,  que  la  ville  de 
Ham  doit  la  conservation  des  précieuses  reliques  de  son  saint  patron  en  1793. 

Témoins  de  l'enlèvement  dos  ch.1sses  de  saint  Waneng  et  de  saint  Maur,  ces  deux  fervent» 
chrétiens  reruoillirent  avec  sollicitude  les  ossements  sacrés,  que  les  profanateurs  avaient,  sous  leurs 
jeux,  déposés  dans  la  sacristie,  et  la  nuit  suivante  ils  les  enterrèrent  secrètement  dans  le  cimetière 
avec  les  étoffes  de  soie  qui  les  enveloppaient,  et  plusieurs  reliquaires  en  bois,  dont  la  présence  au 
milieu  des  saintes  reliques  devait  rendre  impossible  toute  erreur,  lorsqu'il  serait  permis  de  les  ren- 
dre à  la  vénération  des  fidèles. 

Un  peu  plus  de  deux  ans  après,  le  20  janvier  1796,  elles  furent  solennellement  reconnues  par 
le  sieur  lienard,  curé  de  Notre-Dame  de  Ham,  et  par  tous  les  principaux  habitants  de  la  ville,  en 
présfnce  de  Louis-François  Frémont,  prêtre  de  Noyon,  chargé  de  l'administration  de  ce  diocèse,  et 
qui  les  lendit  au  culte  et  à  la  vénération  des  pieux  fidèles. 

L'année  suivante,  le  même  Louis-François  Frémont  vint,  avec  le  titre  de  vicaire-général,  faire 
une  nouvelle  reconnaissance  des  précieuses  reliques  et  les  placer  dans  des  reliquaires  plus  digne» 
que  ceux  où  la  nécessité  des  temps  avait  obligé  de  les  déposer  l'année  précédente. 

Enfin  le  24  mai  1843,  Mgr  Tirmarche,  alors  curé  de  Ilam,  et  depuis  évèque  d'Adras,  fit  une 
nouvelle  translation  des  reliques  de  saint  Waneng  et  de  saint  Maur,  et  les  déposa  avec  la  plus  grande 
solennité  dans  des  châsses  gothiques  garnies  de  glaces  qui  laissent  voir  la  plus  grande  partie  des 
ossements  sacrés,  et  c'est  dans  ces  chasses  qu'elles  restent  exposées  jusqu'à  ce  jour  à  la  vénération 
des  fidèles. 

A'•/^^  Les  reliques  de  saint  Maur  que  possède  l'église  de  Ilam  sont  assez  considérables.  La  tra- 
dition est  que  ce  sont  les  reliques  du  grand  saint  Maur,  abbé.  Mais  il  ne  reste  aucune  preuve  à 
l'appui  de  cette  tradition.  Si  elle  était  fondée,  ce  serait  un  bien  grand  trésor  qui,  jusqu'ici,  est  resté 
à  peu  près  caché.  —  Jacob,  clianoine  lionoraire  d'Amiens,  curé-doyen  de  Ilam.  —  Ham,  le 
24  juin  1867. 

Nous  avons  tiré  le  peu  que  nous  avons  dit  do  saint  Waneng.  des  Bollandistes  et  d'une  vie  publiée  en 
1700  et  dont  on  ne  connaît  plus  aujourd'hui  que  quatre  exemplaires. 


LE  BIENHEUREUX  JOURDAIN  DE  SAXE,  DOMINICAIN 

123T.  —  Pape  :  Grégoire  IX.  —  Empereur  :  Frédéric  II. 


De  même  que  la  rie  du  corps  se  soutient  par  le  mé- 
lange de  la  nourriture  et  de  la  boissun.  ainsi  pour 
développei-  la  vie  de  rame,  il  faut  alternativement 
passer  de  l'oraison  à  l'étude  des  saintes  Ecritures. 
Maxime  du  bienheureux  Jourdain,  rapportée  par  U 
Brév.  Dom. 


Parmi  les  héros  célestes  qui  illustrèrent  la  famille  naissante  de  saint 
Dominique,  il  ne  faut  pas  oublier  le  bienheureux  Jourdain.  La  Saxe  regarde 


LE   BrE^•HEmlEUX  JOURDAIX  DE   SAXE,    DOinSICAIN.  537 

comme  une  gloire  d'être  sa  patrie.  Il  naquit  dans  le  xn°  siècle,  de  la  famille 
des  comtes  d'Ebernslein,  dont  la  piété  égalait  la  noblesse.  Après  avoir  com- 
mencé ses  éludes  en  Allemagne,  il  les  vint  continuer  à  Paris.  Il  se  rendit 
habile  dans  les  sciences  profanes  et  publia,  dès  sa  jeunesse,  quelques  ou- 
vrages de  mathématiques.  Il  ne  réussit  pas  moins  dans  l'étude  de  la  théo- 
logie, à  laquelle  il  se  livra  tout  entier,  comme  à  celle  qui  satisfaisait  à  la 
fois  son  esprit  et  son  cœur.  L'Ordre  de  Saint-Dominique,  institué  vers  la  fin 
de  l'an  1216,  avait  reçu  dans  son  sein  un  des  plus  grands  serviteurs  de  Notre- 
Dame,  frère  Réginald;  il  prêchait  avec  tant  de  force,  que  l'on  redoutait 
d'aller  à  ses  sermons,  dans  la  crainte  de  se  laisser  gagner  par  la  grâce  qui 
découlait  de  ses  lèvres.  Notre  Bienheureux,  qui  l'entendit,  fut  touché  et  fît 
vœu  au  dedans  de  lui-même  d'entrer  dans  son  Ordre,  pensant  avoir  trouvé 
le  chemin  sûr  du  salut,  qu'il  cherchait  depuis  longtemps.  Il  désira  pro- 
curer le  même  bonheur  à  son  compagnon  inséparable,  à  l'ami  de  son 
âme,  Henri  de  Cologne  :  tous  deux  firent  vœu  d'entrer  le  plus  tôt  possible 
dans  l'Ordre  des  Frères  Prêcheurs.  Cependant,  frère  Réginald  étant  mort, 
ils  différèrent  leur  prise  d'habit  jusqu'au  temps  du  Carême,  et  ils  gagnèrent 
dans  l'intervalle  un  de  leurs  compagnons,  frère  Léon,  qui  succéda  depuis  à 
frère  Henri  dans  la  charge  de  prieur.  Enfin,  le  jour  étant  venu,  où  l'Eglise, 
par  l'imposition  des  cendres,  avertit  les  fidèles  de  leur  origine  et  leur  rap- 
pelle qu'ils  sont  sortis  de  la  poussière  et  qu'ils  retourneront  en  poussière,  ils 
se  disposèrent  à  accomplir  leur  vœu.  Ils  se  rendirent  tous  les  trois  au  cou- 
Tsnt  de  Saint-Jacques,  au  moment  où  les  frères  chantaient  :  Immutemur 
habitu  :  changeons  d'habit  On  ne  s'attendait  pas  à  leur  visite  ;  mais,  quoique 
imprévue,  elle  ne  laissa  pas  d'être  opportune;  ils  dépouillèrent  le  vieil 
homme  pour  revêtir  le  nouveau,  pendani  qu'on  chantait  ce  qu'ils  faisaient. 
A  la  mort  de  Réginald,  un  religieux  avait  eu  une  vision  merveilleuse;  dans 
ce  même  cloUre  de  Saint-Jacques,  à  Paris,  il  avait  vu  une  source  très-limpide 
qui,  se  répandant  par  les  places  de  la  \ille,  et,  de  là,  par  toutes  les  pro- 
vinces, purifiait,  abreuvait,  réjouissait  tout  le  monde,  et,  augmentant  tou- 
jours, se  jetait  dans  la  mer  :  c'était  notre  Bienheureux.  En  eff'et,  il  succéda 
bientôt  à  Réginald,  prêcha  d'abord  à  Paris,  puis  dans  tout  l'univers,  pen- 
dant vingt  ans,  entraîna  plus  de  mille  personnes  dans  son  Ordre,  se  rendit 
partout  agréable  à  Dieu,  fut  respectueux  envers  les  prélats  de  l'Eglise  ro- 
maine, porta  le  clergé  et  le  peuple  à  la  pénitence,  les  invitant  à  entrer  dans 
le  royaume  de  Dieu,  jusqu'à  ce  qu'il  achevât  son  cours  terrestre,  comme 
un  grand  fleuve  dans  la  mer,  qui  fut  pour  lui  la  bienheureuse  éternité.  11  n'y 
avait  que  trois  mois  qu'il  était  novice,  lorsque  ses  supérieurs  l'appelèrent 
au  premier  Chapitre  général  de  l'Ordre,  qui  se  tint  à  Bologne  aux  fêtes  de 
la  Pentecôte  1220.  A  son  retour  en  France,  on  le  chargea  d'expliquer 
l'Ecriture  sainte  aux  jeunes  religieux  du  couvent  de  Saint-Jacques,  et  d'an- 
noncer la  parole  de  Dieu  dans  la  capitale  du  royaume  très-chrétien.  Dans 
le  second  Chapitre  de  son  Ordre,  tenu  à  Bologne  en  1221,  il  fut  élu  prieur 
provincial  de  la  Lombardie,  et  au  troisième  Chapitre  qui  suivit  la  mort  de 
saint  Dominique,  on  le  choisit  d'une  voix  unanime  pour  succéder  au  saint 
patriarche  :  il  y  avait  deux  ans  et  demi  à  peine  qu'il  était  entré  dans  l'Ordre. 
Mais  on  ne  saurait  trop  tôt  mettre  de  telles  lumières  sur  le  chandelier; 
celle-ci  éclaira  bientôt  la  famille  de  saint  Dominique  et  l'Eglise  entière  de 
l'éclat  des  plus  belles  vertus. 

Il  avait  toujours  eu  pour  les  pauvres  des  entrailles  de  père;  jamais  aucun 
ne  s'éloigna  de  lui  les  mains  vides  :  il  donnait  à  tous,  mais  surtout  au  pre- 
mier qu'il  rencontrait.  Lorsqu'il  étudiait  la  théologie  à  Paris,  il  s'était  levé 


538  15   FÉVRIER. 

une  nuit,  selon  sa  coutume,  et  était  parti  avec  précipitation  pour  l'ofOce  de 
la  sainte  Vierge  à  Notre-Dame;  craignant  d'ôtre  en  retard,  il  n'avait  pris  que 
sa  ceinture  et  son  manteau  sur  sa  chemise  :  un  pauvre  se  présente  qui  lui 
demande  l'aumône;  ne  trouvant  rien  autre  chose  à  lui  donner,  il  lui  ahan- 
donna  sa  ceinluru.  U  était  en  avance,  au  lieu  d'être  en  retard,  comme  il  le 
craignait.  Etant  donc  entré  dans  l'église,  il  se  mit  en  prières  devant  un  cru- 
cifix; comme  il  levait  souvent  les  yeux  dessus  par  dévotion,  il  le  vit  entouré 
de  la  ceinture  qu'il  venait  de  donner  au  pauvre  par  amour  pour  Jésus  cru- 
cifié. Lorsqu'il  fut  entré  en  religion,  cette  charité  devint  telle,  qu'il  se  dé- 
pouilla plus  d'une  fois  dans  les  rues,  pour  couvrir  les  membres  souffrants  et 
nus  de  son  Sauveur  :  de  quoi  les  frères  furent  obligés  de  le  reprendre  et 
môme  de  l'accuser  dans  un  Chapitre  général. 

Quant  aux  frères,  il  était  si  bon  pour  eux,  non-seulement  en  compatis- 
sant à  leurs  infirmités,  en  pourvoyant  de  tout  son  pouvoir  à  leurs  néces- 
sités, mais  encore  en  pardonnant  à  la  fragilité  humaine,  qu'il  en  gagna  plus 
encore  par  les  charmes  de  sa  douceur,  qu'il  n'en  corrigea  par  la  sévérité, 
bien  qu'il  sût  se  servir  de  cette  dernière  selon  les  temps,  les  lieax  et  les  per- 
sonnes, l'ayant  appris  de  Celui  dont  on  apprend  tout.  Mais  sa  tendresse  et  sa 
compassion  étaient  principalement  pour  les  infirmes  et  les  tentés,  les  con- 
solant souvent  de  sa  présence,  les  ranimant  par  ses  paroles,  ses  exemples, 
ses  exhortations  et  ses  prières.  Il  avait  coutume,  dès  son  arrivée  dans  un 
couvent,  de  visiter  les  malades,  d'inviter  les  novices  à  sa  talile,  et  de  faire 
venir  ceux  qui  étaient  tentés  pour  les  consoler.  Lorsqu'il  viiil  i  Bologne,  il 
arriva  que  les  frères  lui  parlèrent  d'un  novice  qui  était  tenté  de  sortir  du 
monastère;  il  avait,  dans  le  siècle,  mené  une  vie  si  mondaine,  si  délicate, 
pour  les  habits,  les  meubles,  la  nourriture,  les  jeux,  en  un  mot,  pour  tout 
ce  qui  peut  fialter  la  chair,  qu'il  ne  savait  ce  que  c'était  que  peine  et  afflic- 
tion d'esprit,  .\ucune  maladie,  aucun  sujet  de  mécontentement,  aucun 
effort,  si  ce  n'était  pour  l'étude,  où  il  brillait  beaucoup;  il  ne  jeûnait  que 
le  vendredi  saint  ;  il  ne  s'abstenait  guère  de  viande  pendant  la  semaine  que 
ce  jour,  qui  rappelle  la  souffrance  d'un  Dieu  privé  de  tout,  et  abreuvé  de 
fiel  et  de  vinaigre  ;  il  ne  s'était  jamais  confessé  ;  de  tout  ce  qui  se  récite  dans 
l'Eglise,  il  ne  savait  que  l'oraison  dominicale.  Etant  venu  au  couvent  par 
curiosité,  on  l'y  avait  reçu,  parce  qu'il  avait  une  franchise  qui  ne  savait 
rien  cacher;  mais  l'ennui  lui  fit  bientôt  regretter  le  monde  :  tout  ce  qu'il 
voyait,  tout  ce  qu'il  entendait,  tout  ce  qu'il  sentait  lui  semblait  la  mort;  il 
ne  pouvait  plus  ni  manger  ni  dormir,  et,  bien  qu'il  ne  se  fût  jamais  mis  en 
colère  dans  le  siècle,  la  tentation  l'avait  rendu  si  irascible,  qu'il  voulait  un 
jour  frapper  le  sous-prieur  qui  l'avait  lait  entrer  en  religion.  Notre  Saint, 
l'ayant  lait  venir,  se  mit  à  le  consoler;  après  quelques  exhortations,  il  le 
conduisit  à  l'autel  du  bienheureux  Nicolas,  lui  ordonna  de  se  mettre  à  ge- 
noux et  de  réciter  le  Pater  noster,  parce  qu'il  ne  savait  aucune  prière.  Pour 
lui,  posant  les  mains  sur  la  tête  du  novice,  il  pria  Dieu  de  toute  la  ferveur 
de  son  âme  d'éloigner  de  lui  toute  tent;ition  ;  pendant  qu'il  priait  ainsi,  il 
semblait  au  novice  qu'une  douceur  secrète  entrait  peu  i  peu  dans  son  âme, 
et  que  son  cœur  n'était  plus  le  même,  et,  lorsque  le  Saint  leva  ses  mains  au- 
dessus  de  sa  tète,  il  lui  sembla,  comme  il  l'a  raconté  depuis  aux  frères,  que 
deux  mains  qui  pressaient  son  cœur  l'abandonnaient  soudain,  et  que  son 
âme  restait  dans  une  grande  tranquillité  et  douceur;  il  se  trouva  si  consolé, 
il  devint  si  fervent,  qu'il  supporta,  depuis,  de  grandes  peines,  et  fit  plusieurs 
choses  utiles.  Le  Seigneur  avait  conféré  au  bienheureux  Jourdain  une  grâce 
spéciale  pour  la  prière,  qu'aucun  office  parmi  ses  frères,  aucune  fatigue  dans 


LE    BIE.\HEraEra  JOrUDAIN  DE   SAXE,   DOMINICAIN.  530 

les  voyages,  aucune  occupation,  aucune  sollicitude  ne  pouvaient  lui  faire 
négliger.  Sa  manière  habituelle  était  de  prier  à  genoux,  les  mains  jointes,  le 
corps  droit,  quelquefois  assis  :  il  répandait  tant  de  larmes  que  ses  yeux  en 
devinrent  malades  :  il  se  livrait  aussi  tout  entier  à  la  méditation,  soit  au 
couvent,  soit  en  voyage,  et  il  y  sentait  des  douceurs  merveilleuses.  En 
voyage,  il  avait  coutume  de  consacrer  tout  son  temps  à  la  prière  et  à  la 
méditation,  à  moins  qu'il  ne  récitât  le  saint  office,  ou  qu'il  n'eût,  avec  ses 
compagnons,  quelque  entretien  sur  des  sujets  utiles;  encore  avait-il  des 
moments  réglés  pour  cela,  et  il  conseillait  aux  autres  d'en  faire  autant;  il 
se  séparait  souvent  des  frères  :  quelquefois  il  chantait  en  chemin,  à  haute 
voix  et  en  pleurant  :  Jesu,  nostra  redemptio,  ou  Salve  Reyina  :  Jésus  notre 
Rédemption,  ou  Je  vous  salue,  Reine  du  ciel.  Quelquefois,  tout  absorbé  par 
des  méditations  et  des  joies  intérieures,  il  s'égarait;  mais  on  ne  le  vit  jamais 
ni  s'en  troubler,  ni  s'en  plaindre,  ni  accuser  les  frères  ;  au  contraire,  il  con- 
solait les  autres, lorsqu'ils  s'en  troublaient  :  a  Soyez  tranquilles,  mes  frères», 
leur  disait-il  ;  «  un  seul  chemin  mérite  qu'on  s'en  occupe  :  c'est  celui  du 
ciel  ».  Il  possédait  à  un  haut  degré  les  grâces  qu'on  appelle  gratuites,  sur- 
tout celle  des  miracles. 

Une  fois,  allant  de  Lombardie  en  Allemagne,  en  compagnie  de  deux 
frères,  et  d'un  clerc  séculier  qui,  plus  tard,  devint  frère,  il  rencontra  un 
village  nommé  Drsace,  dans  les  Alpes.  Voici  comment  il  fournit  miraculeu- 
sement, à  ses  compagnons,  les  choses  nécessaires  dans  une  contrée  déserte. 
Accablés  de  lassitude  et  mourant  de  faim,  ils  entrent  dans  une  auberge  et 
demandent  qu'on  leur  dresse  la  table  et  qu'on  leur  serve  à  manger  ;  l'auber- 
giste répond  :  «  Je  n'ai  plus  de  pain,  car  avant  vous  sont  passés  plusieurs 
voyageurs,  et  ils  ont  consommé  toutes  les  provisions  qu'ils  ont  trouvées  ici, 
excepté  deux  pains  que  j'ai  réservés  pour  ma  famille  et  moi  ;  mais  que  sont 
deux  pains  pour  tant  de  personnes?  »  Les  frères  répliquent  :  «  Servez-nous 
ce  que  vous  avez,  car  nous  sommes  pressés  par  le  besoin  ».  On  apporte  donc 
les  deux  petits  pains,  et  le  bienheureux  Jourdain,  les  ayant  bénis,  se  met  à 
faire  de  larges  aumônes  aux  pauvres  accourus  de  tous  côtés  ;  l'hôte  et  les 
frères,  tout  inquiets,  lui  disent  :  «  Que  faites-vous  donc?  avez-vous  oublié 
qu'on  ne  peut  se  procurer  du  pain  ici,  et  qu'on  a  fermé  la  piorte  exprès  pour 
empêcher  les  pauvres  d'entrer  ?  »  Notre  Saint,  pour  toute  réponse,  ordonne 
de  laisser  la  porte  toute  grande  ouverte,  et  il  continue  ses  aumônes  ;  il 
donne  à  chacun  de  ses  pauvres,  qui  étaient  au  nombre  de  trente,  une  por- 
tion si  abondante,  qu'elle  eût  pu  suffire  à  tous  ensemble  ;  lui-même  apaise 
sa  faim  ainsi  que  celle  de  ses  trois  frères,  et  ce  qui  reste  est  suffisant  pour 
le  repas  de  l'hôte  et  de  sa  famille  qui,  à  la  vue  de  ce  miracle,  s'écrièrent  : 
«  Cet  homme  est  vraiment  un  Saint  ».  Dans  un  voyage  en  Thuringe,  il  guérit 
une  femme  d'un  flux  de  sang,  et,  dans  le  village  d'Aren,  un  prêtre  aban- 
donné des  médecins.  Une  autre  fois,  passant  par  les  Alpes,  il  rendit  l'usage 
d'un  œil  à  un  forgeron  qui  l'avait  perdu  par  l'ardeur  du  feu. 

En  prêchant  la  parole  de  Dieu,  il  avait  tant  de  persuasion  et  de  chaleur 
qu'on  trouverait  difficilement  son  semblable  :  cette  prérogative,  cette  grâce 
spéciale  que  Dieu  lui  avait  donnée  ne  brillait  pas  seulement  dans  ses  dis- 
cours publics,  mais  encore  dans  ses  entretiens  les  plus  intimes;  en  quelque 
lieu  qu'il  fût,  avec  quelque  personne  qu'il  conversât,  il  laissait  échapper  de 
sa  bouche,  ou  plutôt  de  son  cœur,  des  paroles  si  enflammées,  il  s'expliquait 
par  des  exemples  si  appropriés,  si  efficaces,  il  parlait  si  bien  à  chacun  selon 
sa  condition,  il  se  pliait  tellement  au  goût  de  chacun,  que  tout  le  monda 
avait  soif  de  sa  parole. 


S40  15   FÉMUER. 

Il  jetait  surtout  les  filets  de  son  éloquence  dans  les  villes  où  la  jeunesse 
étudiait  ;  il  allait  à  cet  effet  passer  le  Carême  à  Paris  ou  à  Bologne,  et,  grâce 
à  son  zèle,  les  couvents  de  ces  deux  villes  ressemblaient  h  des  ruches  où 
entraient  continuellement  de  nouvelles  abeilles,  et  d'où  sortaient  de  célestes 
essaims  pour  les  autres  provinces.  Il  était  si  sûr  d'attirer  les  étudiants  dans 
son  Ordre,  qu'en  arrivant  il  faisait  préparer  d'avance  des  habits  de  no\aces, 
et  le  succès  dépassait  tellement  ses  espérances,  qu'on  ne  savait  plus  où 
prendre  des  habits  pour  les  jeunes  gens  qui  se  présentaient.  Le  jour  de  la 
Purification,  il  reçut  une  armée  d'écoliers  de  Paris;  il  y  eut  ce  jour-là  beau- 
coup de  larmes  versées,  car  d'un  côté  les  frères  pleuraient  de  joie,  et  les  sécu- 
liers de  douleur,  de  voir  ainsi  arracher  au  monde  la  fleur  des  familles.  Un 
jour  de  fôte,  après  le  sermon,  il  recevait  dans  son  Ordre  un  écolier,  et  plu- 
sieurs autres  étaient  témoins  de  la  cérémonie  ;  s'adressantà  cette  assistance, 
il  s'écria  :  «  Si  quelqu'un  d'entre  vous  allait  seul  à  une  fête,  à  un  grand  fes- 
tin, est-ce  que  les  autres  seraient  assez  insouciants  pour  qu'aucun  d'eux  ne 
voulût  l'accompagner?  Eh  bien  !  vous  voyez,  mes  amis,  que  ce  jeune  homme 
est  invité  par  l'autorité  de  Dieu  à  un  grand  festin  :  le  laisserez-vous  entrer 
tout  seul  ?  »  Chose  merveilleuse  !  sa  parole  fut  si  puissante  que  soudain  un 
écolier,  qui  jusque-là  n'avait  pas  eu  la  moindre  idée  d'entrer  en  religion, 
s'avance  et  dit  :  «  Maître,  je  viens,  à  votre  voix,  m'associer  à  celui-ci,  au 
nom  de  Jésus-Christ  n  ;  et  tous  deux  reçurent  l'habit  en  même  temps.  Une 
de  ses  plus  belles  conquêtes  fut  un  jeune  seigneur  allemand,  plus  remar- 
quable encore  par  son  innocence  que  par  la  noblesse  de  son  origine  et  par 
ses  richesses.  Son  gouverneur  et  ses  condisciples,  le  voyant  près  de  quitter 
le  monde  à  la  vois  de  notre  Bienheureux,  se  firent  les  ministres  de  Satan 
pour  le  tenter;  ils  ne  craignirent  pas  de  renfermer  avec  lui,  dans  sa  cham- 
bre, une  personne  très-belle  selon  la  chair,  qui,  par  les  plaisirs  sensuels, 
devait  détourner  l'âme  du  saint  jeune  homme  de  son  pieux  dessein  ;  mais  il 
fut  vainqueur,  ou  plutôt  ce  fut  Notre-Seigneur  qui  triompha  en  lui,  et  il  en- 
traîna môme  depuis  son  gouverneur  à  sa  suite  dans  la  famille  de  saint  Domi- 
nique. Jlais  son  père,  riche  et  puissant,  n'avait  point  d'autre  enfant; 
informé  de  sa  démarche,  il  en  fut  triste  jusqu'à  la  mort,  et  vint,  avec  une 
nombreuse  escorte,  d'Allemagne  à  Padoue,  dans  la  ferme  résolution  ou 
d'enlever  son  fils,  ou  de  tuer  le  bienheureux  Jourdain.  En  arrivant  dans 
cette  ville,  il  rencontra  notre  Saint,  qu'il  ne  connaissait  pas,  et  lui  demanda, 
avec  un  visage  en  courroux  et  d'une  voix  menaçante,  où  il  pourrait  trouver 
maître  Jourdain.  Lui,  se  rappelant  de  son  Dieu,  qui  dit  aux  Juifs  :  «  C'est 
moi  »,  répondit  aussi  avec  un  visage  joyeux  et  un  cœur  plein  d'humilité  : 
«  C'est  moi  qui  suis  maître  Jourdain  ».  Ce  calme,  cette  douceur,  cette  fran- 
chise, et  sans  doute  aussi  la  grâce  de  Dieu  qui  accompagnait  ces  paroles, 
frappèrent  le  seigneur  allemand  :  il  descend  de  cheval,  se  jette  aux  pieds 
du  Bienheureux,  et  lui  confesse  avec  larmes  le  mauvais  dessein  qu'il  avait 
conçu  contre  lui. 

Les  hoiimies  n'étaient  pas  seuls  à  se  laisser  prendre  aux  charmes  que 
Dieu  donnait  à  la  parole  de  son  serviteur.  Un  jour  que  les  frères  le  devan- 
çaient dans  un  voyage,  au  sortir  de  Lausanne,  une  belette  vint  à  passer 
devant  eux  ;  les  frères  s'étanl  arrêtés  autour  du  trou  où  elle  avait  disparu, 
le  Bienheureux,  qui  survint,  leur  dit  :  «  Pourquoi  vous  arrêtez-vous  ici  ?  » — 
«C'est  », dirent-ils, «  qu'une  jolie, une  charmante  petite  bête  estentréedansce 
trou  ».  Alors,  se  penchant  vers  la  terre,  il  s'écria  :  «  Sors,  belle  petite  bête, 
afin  que  nous  puissions  te  voir  ».  Celle-ci,  sortant  aussitôt  sur  le  bord  de 
son  trou,  leva  ses  petits  yeux  pour  contempler  le  saint  homme,  qui  la  fit 


tE  BIENHEDREUX  JOURDAIN  DE   SAXE,   DOilIXICAIN.  541 

monter  sur  une  de  ses  mains,  et,  avec  l'autre,  la  caressa  sur  la  tôte  et  sur  le 
dos  ;  elle  le  laissa  faire.  Alors  il  lui  dit  :  «  Maintenant,  retourne  dans  ta 
petite  maison,  et  que  béni  soit  Dieu  ton  Créateur  1  »  Elle  obéit  à  l'instant  et 
disparut. 

Il  était  si  humble  qu'il  fuyait  la  pompe  du  siècle  et  tous  les  honneurs 
qu'on  lui  offrait  avec  beaucoup  de  sagesse  et  de  prudence.  Un  jour  qu'il 
approchait  de  Bologne,  toute  la  ville,  au  bruit  de  son  arrivée,  voulait  s'avan- 
cer en  procession  au-devant  de  lui  ;  mais  il  allongea  humblement  le  pas  pour 
tromper  la  foule,  et,  faisant  le  tour  de  la  ville,  il  parvint,  à  travers  des 
sentiers  détournés ,  à  la  maison  des  Frères  Prêcheurs  sans  qu'on  s'en 
aperçût.  Aj'ant  une  fois  reçu  un  soufflet  d'un  domestique,  il  offrit  à  Tinstant 
l'autre  joue,  selon  le  conseil  du  Sauveur.  C'était  surtout  dans  les  Chapitres 
généraux  qu'éclataient  son  humilité  et  sa  patience.  Un  jour  qu'on  l'invitait 
à  s'excuser,  il  répondit  humblement  :  «  Est-ce  qu'on  doit  écouter  les 
excuses  d'un  brigand  '?  »  Tout  le  monde  fut  édifié  de  cette  parole.  Le  pape 
Grégoire  IX,  qui  avait  pour  lui  beaucoup  de  considération,  l'ayant  retenu  à 
dîner  un  jour  qu'il  devait  quitter  Rome,  il  ne  put  partir  que  tard  de  cette 
ville.  Surpris  par  la  nuit,  il  demanda  l'hospitalité  dans  le  lieu  où  il  était 
parvenu  :  on  le  rebuta,  et  il  ne  put  trouver  à  loger  avec  ses  compagnons 
que  chez  une  pauvre  femme.  Elle  n'avait  que  de  la  paille  à  leur  offrir  ;  le 
Bienheureux  s'en  réjouit  en  disant  à  ceux  qui  l'accompagnaient  qu'ils  ren- 
traient dans  l'humble  état  dont  ils  faisaient  profession.  Lorsqu'il  eut  perdu 
un  œil,  à  la  suite  d'une  grande  maladie,  il  dit  aux  frères  assemblés  en  Cha- 
pitre :  «  Mes  frères,  remerciez  Dieu,  qui  m'a  délivré  d'un  ennemi;  mais 
priez-le,  si  cela  lui  plaît  et  m'est  utile,  qu'il  daigne  me  conserver  l'autre  ». 

Que  dirai-je  de  son  recueillement  continuel  ?  La  vie  intérieure  l'oc- 
cupait uniquement  ;  les  choses  extérieures  étaient  pour  lui  comme  n'étant 
pas,  au  point  qu'on  lui  faisait  prendre  un  vêtement  pour  un  autre  sans  qu'il 
s'en  aperçût  :  comme  il  arriva  un  jour  à  un  grand  du  monde,  qui,  par  dé- 
votion, obtint  de  lui  le  cordon  de  ses  souliers,  et,  en  échange,  lui  fît  accep- 
ter les  siens;  le  Bienheureux  ne  vii  pas  qu'ils  étaient  dorés,  et  il  osa  paraître 
ainsi  parmi  les  frères. 

Il  avait  une  dévotion  singulière  pour  Notre-Dame,  la  bienheureuse 
Vierge  Marie  ;  il  savait  que  cette  Etoile  de  la  mer  s'était  chargée  de  diriger 
en  particulier  le  vaisseau  dont  il  était  le  pilote.  Voici  un  exemple  des 
faveurs  qu'il  en  obtint  : 

Une  nuit,  un  frère  (c'était  sans  doute  notre  Saint),  s'étant  levé  pour 
prier  au  bas  de  son  lit,  vit  la  bienheureuse  Vierge,  accompagnée  de  jeunes 
filles  célestes,  traverser  le  dortoir  et  asperger  les  frères  et  les  cellules  avec 
de  l'eau  bénite  que  portait  une  des  jeunes  filles.  En  passant  devant  la  cellule 
d'un  certain  frère  elle  ne  l'aspergea  point.  Celui  qui  était  témoin  de  cette 
action  courut  se  jeter  aux  pieds  de  Notre-Dame  pour  lui  dire  :  «  De  grâce, 
dites-moi  qui  vous  êtes,  et  pourquoi  vous  n'avez  point  aspergé  ce  frère  », 
Elle  répondit  :  «  Je  suis  la  Mère  de  Dieu,  et  je  suis  venue  visiter  ces  frères. 
Je  n'ai  point  aspergé  celui-ci,  parce  qu'il  n'est  point  assez  couvert  ;  dis-lui 
donc  qu'il  se  couvre,  car  j'aime  votre  Ordre  d'un  amour  spécial,  et  ce  qui, 
entre  autres  choses,  m'est  surtout  agréable,  c'est  votre  habitude,  quoi  que 
vous  fassiez  ou  disiez,  de  le  commencer  et  de  le  finir  par  ma  louange.  Aussi, 
j'ai  obtenu  de  mon  Fils  que  personne  ne  puisse  longtemps  rester  dans  votre 
Ordre  en  état  de  péché  mortel,  sans  qu'on  le  couvre,  qu'il  se  repente  ou 
qu'on  le  chasse,  de  peur  qu'il  ne  trouble  mon  Ordre  favori  ».  Saint  Domi- 
nique et  le  frère  Raon  eurent  la  même  vision  ;  il  faut  entendre  que  la  pro- 


542  15  FÉVRIER. 

messe  de  la  sainte  Vierge  regardait  les  commencements  de  l'Ordre  encore 
dans  toute  la  ferveur  de  son  origine,  mais  non  le  temps  de  relichement.  Le 
Bienheureux  raconta  aussi  dans  un  Chapitre  ce  que  vit  un  frère  plein  de 
dévotion  pour  la  sainte  Vierge,  et  tout  le  monde  supposa  qu'il  parlait  de 
lui-même.  A  la  fêle  de  la  Purification,  lorsqu'on  comiiiençail  à  chanter  l'iu- 
vitatoire  Ecce  venu,  ce  frère  vit  une  belle  dame  s'avancer  avec  son  lils  vers 
l'autel  et  prendre  place  sur  un  trône  préparé  pour  elle;  de  là  elle  regardait 
affectueusement  les  frères  tournés  vers  l'autel,  selon  la  coutume,  et,  lors- 
qu'ils s'imlinèrent  au  Gloria  Patri,  cette  Reine  céleste,  prenant  la  main  de 
son  Fils,  fit  avec  cette  main  le  signe  de  la  croix  sur  eux  et  sur  tout  le  chœur. 
Le  serviteur  de  Dieu  gouvernait  avec  sagesse  depuis  quinze  ans  l'Ordre 
des  Frères  Prêcheurs,  lorsque  le  désir  de  visiter  les  Saint-Lieux,  ainsi  que 
les  couvents  des  Dominicains  établis  en  ces  contrées,  le  détermina  à  s'em- 
barquer. La  traversée  fut  heureuse,  et  il  put  satisfaire  sa  piété  en  parcou- 
rant cette  partie  de  la  terre  qui  a  eu  l'incomparable  privilège  d'être  honorée 
par  la  présence  visible  du  Sauveur  ;  il  eut  aussi  la  consolation  d'y  travailler 
à  la  conversion  des  infidèles  et  à  la  correction  des  mœurs  chrétiennes.  Après 
quelques  mois  qu'il  sanctifia  par  tout  le  travail  du  zèle  et  les  exercices  de 
la  piété,  il  songea  à  revenir  en  Europe  et  s'embarqua  avec  deux  frères  et 
Tingt-neuf  autres  personnes.  A  peine  le  vaisseau  qui  le  portait  s'était-il  éloi- 
gné de  la  côte,  qu'une  horrible  tempête  l'assaillit  et  finit  par  le  faire  couler 
bas,  le  13  février  liST.  Le  Bienheureux,  ses  compagnons  et  presque  tous  les 
passagers  périrent.  Les  corps  de  ces  saints  naufragés  furent  jetés  par  la  mer 
sur  le  rivage,  et  chaque  nuit  l'ont  vil  des  lumières  célestes  s'arrêter  au  des- 
sus. Ce  prodige  attira  les  habitants  du  pays  ;  il  sentirent  en  approchant  un 
parfum  d'une  telle  force,  que  ceux  qui  ensevelirent  les  saints  corps  en  con- 
servèrent les  traces  à  leurs  mains  pendant  dix  jours  ;  cette  suaves  odeur 
s'élendit  bien  plus  loin.  Les  Doniicains  de  Ptolémaïde  vinrent  recueillir  avec 
respect  ces  précieuses  dépouilles  et  les  ensevelirent  dans  leur  église.  Ce  nau- 
frage fut  révélé  à  un  frère  de  Limoges.  Notre  Bienheureux  apparut  à  une 
sainte  religieuse  de  Brabant,  nommée  Lutgarde,  pour  la  consoler  dans  ses 
sécheresses  et  lui  annoncer  qu'elle  serait  bientôt  appelée  dans  le  sein  de  la 
gloire  dont  il  brillait  avec  les  Prophètes  et  les  Apôtres.  De  nombreux  mira- 
cles s'opérèrent  par  son  intercession  après  sa  mort.  On  l'a  toujours  honoré 
comme  Bienheureux,  et  le  pape  Léon  XII  approuva  son  culte  le  10  mai  1826, 
et  permit  à  l'Ordre  de  Saint-Dominique  de  célébrer  sa  fêle. 

ÉCRITS  DU  BIENHEUREUX  JOURDAIN  DE  SAXE. 

Le  lienliciirftus  Jourdain  avait  composé  quelques  commentaires  et  des  seimnas  qui  ne  sont  pas 
parvenus  jusqu'à  nous.  Il  est  aussi  l'auteur  d'une  petite  ctironique  ou  relation  des  commencements 
de  l'Ordre  des  Frères  Prêcheurs.  On  lui  attribue  l'oflicc  de  saint  Dominique  qu'on  chante  encore 
dans  les  églises  de  cet  Ordre.  En  le  composant,  il  voulut  satisfaire  sa  dévotion  envers  cet  illustre 
patriarche,  qu'il  avait  beaucoup  aimé  et  dont  il  procura  la  canonisation  eu  1234. 

Ou  a  publié  en  1866  des  lettres  du  bienheureux  Jourdain,  au  nombre  de  cinquante-quatre.  Ce 
qui  se  révèle  partout  dans  ses  lettres,  c'est  l'amour  de  la  jeunesse  chrétienne,  la  tendresse  de  son 
cœur  pour  toutes  les  âmes  qu'il  avait  connues  et  atfecliounées  dans  te  monde;  c'est  surtout  sa  pro- 
fonde et  indissoluble  amitié  pour  Henri  de  Cologne  qn'll  avait  rencontré  aux  écoles  de  Paris  et  qu'il 
détermina  à  entrer  en  même  temps  que  lui  dans  les  rangs  des  fils  de  saint  Dommique.  Henri  mou- 
rut tout  jeune  au  ciuvent  de  Cologne,  cinq  ans  il  peine  après  son  entrée  e'i  religion.  On  ne  peut 
rien  lire  de  plus  touchant  que  la  lettre  dans  laquelle  Jourdain  exhale  sa  douleur  à  l'occasion  de  ce 
trépas  ;  cette  lettre  est  adressée  à  la  bienheureuse  Diane  Dandolo,  de  Bologne,  Qlle  spirituelle  de  saint 
Dominique  et  bienfaitrice  insigne  de  l'Ordre  naissant  (1225). 

Les  historiens  de  ce  saint  ami  de  Dieu  nous  ont  couservé  plusieurs  de  ses  réponses  qui  sont 
trèg-spiiituelles. 


SAEiT   QUTSIDE   OU    QUDilZ,    ÉYÈQUE   DE   TAISON.  543 

Un  séculier  lui  fit  un  jour  cette  question  :  Maître,  le  PaleriA-\\  autant  de  mérite  dans  notre  bonche, 
nous  qui  sommes  laïques  et  qui  n'en  connais^oQs  pas  la  valeur,  que  dans  celle  des  clercs  qui  savent 
ce  qu'ils  disent?  Aulaut,lui  répondit  Jourdain,  qu'une  pierre  précieuse  quia  toujours  son  prix  dans 
la  main  de  celui  qui  ne  sait  pas  ce  qu'elle  vaut. 

Nous  avons  tircS  cette  vie  d'Huml)ert  et  d'autres  auteurs  qu'on  peut  voir  dans  les  Acia  Sauc:orum, 
Fob.,  tome  it. 


SAINTE  GÉORGIE  OU  GEORGETTE  DE  CLERMONT  (vi*  siècle). 

En  l'an  500  vivait  à  Clermont,  en  Auvergne,  une  sainte  fille  appelée  Géorgie.  Pour  n'être  point 
détournée  de  la  fidélité  qu'elle  avait  promise  à  Dieu  par  le  mariage  auquel  ses  parents  la  poussaient, 
elle  se  retira  dans  une  solitude  assez  proche  de  la  ville  où  toute  son  occupation  était  de  jeûner, 
de  prier,  de  mortifier  son  corps  pour  en  faire  un  reliquaire  de  ii  vv-gimtc. 

Lorsqu'elle  fut  sortie  de  ce  monde  et  pendant  qu'on  portait  son  corps  en  terre,  son  corps, 
a  pins  pur  qu'un  bean  lis  »,  une  grande  troupe  de  colombes  «aussi  blanches  que  de  blancs  cygnes», 
l'accompagnèrent  à  l'église  et  se  logèrent  sur  le  toit  jusqu'à  ce  qu'on  eût  achevé  l'oflice  divin  et 
mis  dans  le  sein  de  la  terre  cette  relique  virginale  :  après,  elles  reprirent  leur  vol  si  haut  dans  les 
airs  qu'on  les  perdit  de  vue.  C'était  sans  doute  une  légion  d'anges  descendus  du  ciel  pour  honorer 
les  obsèques  de  cette  épouse  de  Jésus-Christ  qui  avait  vécu  dans  une  pureté  semblable  à  la  leur. 

Extrait  des  Saùtcis  d'Auvergne^  par  Messire  Jacques  Branelie,  qui  a  écrit  d'après  Grégoire  de  Tours, 
de  Gloria  Martyrum,  cb.  34. 


SAINT  QUINIDE  OU  QUINIZ  S  ÉVÉQUB  DE  YAISON  (vers  378). 

Quinide,  vulgairement  Quiniz,  naquit  à  Vaison,  ville  de  la  pro'rince  Narbonnaise,  de  parents  pleins 
de  piété.  Un  oracle  divin  fit  entrevoir  ce  qu'il  serait  un  jour,  même  avant  qu'il  fut  né.  Lorsque  sa 
mère  le  portait  dans  son  sein,  étant  venue  à  Arles  pour  la  fête  de  saint  Genêt,  au  milieu  d'une 
multitude  nombreuse  qui  aflluait  de  tous  côtés,  comme  elle  prolongeait  sa  veille  et  sa  prière  de- 
vant les  portes  fermées  de  l'église ,  elle  entendit  nn  admirable  concert  que  faisaient  les  anges  et 
vit  la  porte  s'ouvrir  miraculeusement  d'elle-même.  Pendant  qu'elle  était  en  extase  devant  cette 
vision,  un  des  anges,  se  détachant  de  la  multitude  des  autres,  s'approcha  d'elle  et  lui  prédit 
qu'elle  donnerait  le  jour  à  un  fils  qui  serait  un  jour  évèque  de  la  ville  de  Vaison  et  le  docteur 
éminent  de  tout  le  peuple.  Tout  le  cours  de  la  vie  de  saint  Quinide  montra  combien  l'ange  avait 
dit  vrai  ;  dès  son  enfance,  on  vit  briller  les  lueurs  précoces  de  sa  sainteté  naissante. 

Formé  aux  lettres  et  admis  à  la  cléricature,  conservant  la  gravité  dans  sa  conduite,  la  pureté 
dans  sa  vie,  toujours  en  prières,  toujours  uccupé  à  scruter  la  loi  divine,  il  enrichit  tellement 
son  âme  de  vertus,  qu'il  remplit  de  la  célébrité  de  son  nom  non-seulement  sa  patrie  et  les 
villes  voisines,  mais  les  régions  lointaines.  Voulant  fuir  les  applaudissements  populaires,  il  mena 
la  vie  anachorétique  dans  le  diocèse  d'Aix,  où  la  renommée  de  ses  miracles  dure  encu.e  au- 
jourd'hui. Quand  il  fut  de  retour,  saint  Théodose,  son  évèque,  l'ordonna  diacre  et  le  dcj  uta  an 
cinquième  concile  d'Arles,  tenu  en  532.  11  le  choisit  ensuite  pour  coadjutcur  et  se  déchargea  sur 
lui  du  fardeau  de  son  diocèse,  que  son  gr^nd  âge  ne  lui  permettait  plus  de  porter.  Saint  Théodose 
étant  mort  quelque  temps  après,  Quinide  gouverna  seul  l'église  de  Vaison  et  le  fit  avec  toute 
la  vigilance  d'un  pasteur  également  charitable  et  zélé.  Mommol,  comte  d'.Auxerre,  général  de 
l'armée  française,  l'ayant  traité  de  la  manière  la  pins  indigne  sons  prétexte  qu'il  ne  lui  avait 
pas  rendu  tous  les  honneurs  qu'il  se  croyait  dus  pour  la  victoire  remportée  en  Danphiné  sur  les 
Lombards,  il  souffrit  tons  ces  mauvais  traitements  avec  une  patience  héroïque  ;  mais  .Mommol  ne 
fat  pas  plus  tôt  sorti  de  Vaison  qu'il  se  sentit  attaqué  d'un  mal  violent.  Ses  gens,  qui  le  voyaient 
condamnés  par  les  médecins,  eurent  recours  an  saint  évêqne  et  l'apportèrent  tout  mourant  à  ses 

1.  Alias  Qnenin,  Clinidins,  Cinidias,  Quioidius. 


544  15    FÉVRIER. 

pieds.  Ooinifle  pria  pour  sa  guérison  et  l'oblint  sur  l'heure.  11  assista,  peu  de  temps  après,  au 
quatrième  concile  de  Paris,  qui  se  tint  en  512,  dans  l'église  des  apôtres  Saint  l'icrre  et  Saint 
Paul,  dite  depuis  de  Sainte-Geneviève,  et  mourut  le  15  février  578  ou  579.  Sa  fêle  est  marquée 
en  ce  jour  I<iis  les  martyrologes  d'Adon  et  d'L'suard,  ainsi  que  dans  le  martyrologe  romain. 
La  ville  de  Vaison  l'a  choisi  pour  son  second  patron. 

Propre  d^k^ignon  et  Godesc&rd.  —  Voir  la  vie  de  saint  Quiiûde  dans  Bollandus. 


SAINT  SÉVÈRE, 

PRÊTRE,    HONORÉ   AU   DIOCÈSE   DE   TRÊVES   (vi'   siècle). 

Saint  Sévère,  prêtre,  d'une  vie  admirable,  vivait  dans  la  province  d'Italie  nommée  Valérie,  au- 
jourd'hui Abruzze-ultérieure.  Ce  que  la  piété  et  les  exercices  spirituels  lui  laissaient  de  temps,  il 
le  donnait  à  la  culture  de  ses  champs  pour  ne  pas  s'engourdir  dans  le  repos.  Tous  les  fruits  et  tout 
le  gain  que  lui  procurait  ce  travail  étaient  pour  les  pauvres  et  pour  quiconque  était  dans  le 
besoin.  Telle  était  l'opinion  et  la  gloire  de  sa  sainteté ,  que  les  infirmes  accouraient  en  foule  au- 
tour de  lui  pour  obtenir  la  grâce  de  la  guérison,  et  que  ceux  qui  ne  pouvaient  l'approcher  se  con- 
tentaient d'un  morceau  de  pain  ou  de  tout  autre  aliment  qui,  bénit  par  loi,  leur  rendait  la  force  et 
la  santé. 

Mais  voici  nne  grâce  bien  extraordinaire  que  Dieu  accorda  à  ses  prières.  Il  était  par  hasard 
occupé  à  tailler  sa  vigne  lorsqu'on  vint  le  chercher  pour  conférer  le  sacrement  de  pénitence  à  un 
moribond  ;  il  resta  quelque  temps  et  attendit  qu'il  eût  expédié  sa  besogne.  Il  accourut  ensuite, 
mais  le  malade  venait  d'expirer;  lorsqu'il  arriva,  â  cette  vue,  il  frissonna,  et,  se  jetant  par  terre, 
il  s'accusait  avec  une  voix  lamentable  et  des  gémissements  d'être  le  meurtrier  de  cette  âme,  et  il 
implorait  la  divine  miséricorde  ;  tout  à  coup  le  mort  se  mit  à  respirer  et  à  se  préparer  à  la 
pénitence,  l'n  spectacle  si  inopiné  frappa  les  assistants  d'admiration  et  excita  dans  le  cœur  de 
Sévère  une  joie  qui  fit  couler  ses  larmes.  Le  malade  ayant  achevé  sa  confession  et  passé  encore 
sept  jours  dans  les  œuvres  de  pénitence,  inclina  de  nouveau,  mais  avec  une  espérance  meilleure,  sa 
tète  dans  la  mort. 

Ses  reliques  forent  transportées  par  Rutbert,  archevêque  de  Trêves,  avec  le  secours  de  l'empe- 
reur Othoa  \",  d'Italie  au  monastère  de  Meinfeld,  non  loin  de  Coblenlz,  et  déposées  dans  une  église 
dédiée  à  saint  .Martin.  Les  miracles  opérés  par  ses  reliques  attirant  un  grand  concours  de  peuple, 
le  bourg  prit  bienti^t  les  dimensions  d'une  ville  ;  une  église  fut  construite  en  l'honneur  de  saint 
Sévère,  et  un  collège  assez  nombreux  de  chanoines  y  fut  installé.  Egbert,  archevêque  de  Trêves, 
le  fonda  à  cause  de  la  renommée  toujours  croissante  des  miracles  qui  attiraient  en  ce  lieu  des  mul- 
titudes de  tous  les  pays,  jusque  du  fond  de  1' .aquitaine. 

Propre  de  Trivet. 


SAINT  SIGEFRIDE,  VULGAIREMENT  SAINT  SIFROY, 

ÉVÈQUE   ET   APÔTRE    DE   SUÈDE    (1002). 

Saint  Anschaire  avait  prêché  l'Evangile  aux  Suédois  en  830  ;  mais  ces  peuples  étaient  ensuite 
retombés  dans  l'idolâtrie.  Olas  Scobcong,  leur  roi,  qui  voulait  rétablir  la  religion  chrétienne  dans 
ses  Etats,  s'adressa  à  l'Angleterre  pour  avoir  des  missionnaires,  et  pria  le  roi  Edred  de  lui  en  pro- 
curer. Ce  prince  jeta  les  yeux  sur  un  saint  prêtre  d'York,  nommé  Sigefride,  et  le  succès  justifia  la 
bonté  du  choix.  Sigefride  fut  à  peine  arrivé  en  Suède  qu'il  se  mit  à  combattre  le  paganisme  avec 
un  zèle  merveilleux.  Il  prêcha  d'abord  à  Wexiow,  dans  la  Gothie  méridionale,  où  il  fonda  un  siège 
épiscopal  ;  il  parcourut  ensuite  le  Sud-Gothiand,  le  Westro-Golhland,  et  plusieurs  autres  provinces 
qu'il  gagna  toutes  à  Jésus-Christ.  Jamais  missionnaire  ne  se  montra  plus  fidèle  imitateur  des  Apfi- 
Ires.  Notre  Saint  était  d'une  charité  et  d'un  désintéressement  qui  faisaient  honorer  son  ministère 
des  païens  eux-mêmes.  Voici  un  irait  qui   prouvera  jusqu'uii  il  portait  ces  deux  vertus.  Trois  de 


MARTYBOLOGES. 


543 


ses  neveux,  qu'il  avait  laissés  à  Wexiow  peudaiit  qu'il  annouçait  rE\angile  daus  d'aulres  piOïiBces, 
furent  inhumainement  assassinés  par  des  idoljtrcs.  Le  roi  indigné  d'une  action  aussi  noire,  qui 
pouvait  avoir  de  dangereuses  suites  si  elle  restait  impunie,  résolut  de  condamner  les  meurtriers  a 
mort.  Le  Saint,  informé  die  ce  qui  se  passait,  intercéda  pour  eux  et  leûl  avec  tant  d'instance  qu'il 
obtint  qu'on  leur  laisserait  la  vie.  Le  prince  les  condamna  toutefois  à  une  grosse  amende  au  prolit 
de  Sigofridc  ;  mais  il  ne  fut  pas  possible  de  déterminer  ce  dernier  à  rien  recevoir,  quoiqu'il  fut 
dans  une  extrême  pauvreté  et  qu'il  eût  un  très-pressant  besoin  d'argent  pour  assurer  la  fonda- 
tion de  la  nouvelle  église. 

Notre  Saint  mourut  vers  l'an  1002,  et  fut  inhumé  dans  la  cathédrale  de  Wexiow,  où  son  tom- 
beau devint  célèbre  par  un  grand  nombre  de  mirjcles.  Le  pape  .\drien  IV,  qui  avait  lui-même  tra- 
vaillé avec  beaucoup  de  zèle  à  la  conversion  de  la  Norwége  et  de  plusieurs  autres  contrées  du  Nord, 
le  canonisa  vers  l'an  1158.  Les  Suédois  ont  considéré  saint  Sigefride  comme  leur  apôtre,  tant  qu'ils 
ont  été  catholiques.  Ceux  des  habitants  du  pays  qui  ont  conservé  la  vraie  foi  l'honorent  encore 
d'une  manière  spéciale.  On  trouve  dans  un  supplément,  imprimé  .i  Paris  vers  1832  et  contenant 
les  offices  des  saints  de  Pologne  et  de  Suède,  un  ofHcc  de  saint  Sigefride,  Sigfridus,  avec  des 
hymnes  proiu-cs.  En  Suède,  on  célèbre  sa  fête  le  23  février  :  à  Milan,  elle  est  Dxée  au  15  du  même 
mois. 

Dans  les  anciens  calendriers  de  Suède,  le  15  février  était  marcpié  par  une  crosse  et  une  hache  : 
la  crosse  indiquait  saint  Sigefride,  et  la  hache  rappelait  le  meurtre  de  ses  trois  neveux,  Unamann, 
Sunaniann  et  Vinamann,  venus  avec  lui  pour  évangéliser  la  Suède  et  dont  il  recueillit  pieusement 
les  restes  :  c'est  pourquoi  on  le  représente  portant  trois  tètes.  Parfois  ces  tètes  sont  dans  un  ba- 
quet posé  sur  la  main  de  l'évêque.  Ailleurs,  le  Saint  voit  trois  tètes  qui  lui  parlent  du  fond  du 
tombeau.  Cette  dernière  manière  rappelle  que  les  meurtriers  avaient  si  bien  caché  les  corps  de 
leurs  victimes,  qu'il  fallut  un  miracle  pour  que  saint  Sigefride  les  découvrit  •. 


XVr  JOUR  DE  FÉVRIER 


MAUTYROLOGE   ROMAIN. 

La  naissance  au  ciel  de  saint  Onésime,  au  sujet  de  qui  saint  Paul  écrivit  à  Philémon,  et  qu'il 
ordonna  ensuite  évèque  d'Ephèse  après  saint  Timothée,  lui  confiaut  le  miiiistère  de  la  prédication. 
Il  fut  amené  à  Rome  enchaîné,  lapidé  pour  la  foi  du  Christ,  et  d'abord  enseveli  en  cetle  ville;  mais, 
plus  tard,  son  corps  fut  reporté  au  lieu  où  il  avait  élé  ordonné  évèque.  i"  s.  —  A  Cumes,  dans  la 
Campanie,  la  translation  de  sainle  Julienne,  vierge  et  martyre,  qui  fut  d'abord  fouettée  avec  beau- 
coup de  rigueur  à  Nicomédie,  sous  l'empereur  Maximien,  par  son  père,  nommé  Africain,  ensuite 
diversement  tourmentée  par  le  préfet  Evilatius,  qu'elle  n'avait  pas  vohI  '.  épouser,  puis  jetée  dans 
unç  prison,  où  elle  combattit  visiblement  contre  le  démon  ;  enlin,  ayant  surmonté  la  flamme  des 
brasiers  et  l'ardeur  des  chaudières  bouillantes,  elle  eut  la  tète  tranchée,  et  acheva  ainsi  son  mar- 
tyre. 299.  —  En  Egypte,  saint  Julien,  martyr,  avec  cinq  mille  autres.  309.  —  A  Césarée,  en 
Palestine,  les  saints  marlyrs  égyptiens  Elie,Jérémie,  Isaïe,  Samuel  et  Daniel,  qui,  pour  avoir  assiste  de 
leur  plein  gré  les  confesseurs  condamnés  aux  mines  de  Cilicie,  furent  pris  à  leur  retour,  cruelle- 
ment tourmentés  par  le  président  Firmilien,  et  enfin  frappés  avec  le  glaive,  sous  remi)ire  de  Galère 
Maximien.  309.  —  Après  eux,  saint  Porphyre,  serviteur  de  Pamphile,  martyr,  et  saint  Séleucus,  de 
Cappadoce,  souvent  vainqueurs  dans  des  combats  réitérés,  et  qui,  ayant  élé  mis  de  nouveau  à  la 
question,  remportèrent,  l'uu  par  le  feu,  l'autre  par  le  glaive,  la  couronne  du  martyre.  309.  —  A 
Arezzo,  en  Toscane,  le  bienheureux  Grégoire  X,  de  Plaisance,  qui,  d'archidiacre  de  Liège,  fut  pro- 
clamé souverain  Pontife.  Il  célébra  le  douzième  concile  de  Lyon,  où  les  Grecs  furent  reçus  dans 
l'unité  de  la  foi,  les  différends  des  princes  chrétiens,  arrangés,  et  le  recouvrement  de  la  Terre- 
Sainte,  résolu.  11  gouverna  très-saintement  l'Eglise.  1276.  —  A  Brescia,  saint  Faustin,  évèque  et 
eonfesseur.  350. 

1.  r'cro  Cahier,  Caraclérisligues,  p.  7C5. 

Vius  DES  Sains.  —  Tome  II.  3S 


646  10  FÉVRIEU. 

MARTYROLOGE  DE  FRANCE,  REVU  ET  AUGMENTÉ. 

A  Nimes,  Toulouse,  Amiens  et  Pampclune,  saint  Ilonnèl  ou  Iloneste  (Hoiiesius),  prMre  et 
martyr,  que  saint  Saturnin  convertit  en  passant  par  Nimes  et  qui  fut  plus  tard  l'apfltre  de  la  Na- 
varre. Saint  Honnèt,  qui  avait  en  pour  mailre  saint  Saturnin,  eut  pour  disciple  saiut  Firniin  d'Amiens. 
Il  évaugélisa  en  particulier  Painpelune,  ancienne  colonie  de  Pompée  (Pompeiopolis)  '.  ii«  s.  —  An 
diocèse  de  Toul,  saint  Siméon,  septième  évèque  de  Metz,  célèbre  par  ses  grands  miracles.  Vers 
194.  —  A  Clermont,  en  Auvergne,  saint  Tigride,  prêtre,  qui  remplit  très-saintement  l'ofSce  d'ar- 
chidiacre sous  saint  Allyre,  sou  frère  et  son  évèque.  Vers  3S8.  —  A  Bourges,  saint  Tétrade,  que 
l'on  croit  avoir  été  évèque  de  cette  ville.  509.  —  A  Rouen,  la  fête  do  sainte  Austreberte,  dont  la 
naissance  au  ciel  est  marquée  au  martyrologe  romain  le  10  février  *.  —  Au  diocèse  de  Tours,  la 
fête  de  saint  Avence  ',  confesseur.  —  Au  diocèse  de  Fréjus,  la  fête  de  saint  Armentaire,  évèque 
et  confesseur,  dont  la  naissance  au  ciel  est  le  30  janvier.  \»  s.  —  Au  diocèse  de  Périgueux,  saint 
Antime,  abbé  de  Brantôme  *. 

MARTYROLOGES   DES  ORDRES  RELIGIEUX. 

Martyrologe  de  Saint-Basile.  —  A  Alexandrie,  sainte  Euphrosine,  vierge  de  l'Ordre  de  Saint- 
Basile,  dont  le  jour  natal  est  le  1"'  janvier. 

Martyrologe  des  Frères  Prêcheurs.  A  Arezzo,  en  Toscane,  saint  Grégoire  X,  de  Plai- 
sance, etc. 

Martyrologe  de  f  Ordre  Romano-Séraphique.  —  A  Riéti,  dans  l'Ombrie,  les  obsèques  de  la 
bienheureuse  Philippe  Maréria,  vierge,  qui,  dédaignant  l'union  charnelle  du  mariage,  se  retira  dans 
la  solitude  ;  ensuite,  ayant  construit  un  monastère  près  de  cette  ville,  elle  y  embrassa,  avec  quel- 
ques compagnes,  la  règle  stricte  des  Clarisses,  et,  sous  la  direction  du  bienheureux  Roger  de  'Todi, 
elle  devint  un  modèle  de  tontes  les  vertus,  et  s'envola  enfin  vers  son  céleste  Epoux,  illustre  par 
des  miracles  opérés  avant  et  après  sa  mort.  Le  Siège  apostolique  favorisa  son  culte  en  1806,  par 
la  concession  d'un  office  et  d'une  messe  en  son  honneur  ^.  123G. 

Martyrolofje  de  l'Ordre  Séraphique.  —  A  Arezzo,  en  Toscane,  saint  Grégoire  X,  de  Plaisance. 
—  Saint  Onésime,  etc. 

Martyrologe  des  Carmes  chaussés  et  déchaussés.  —  La  mémoire  des  Saints  dont  les  corps  et 
les  reliques  sont  gardés  dans  les  églises  de  notre  Ordre. 

Martyrologe  des  Capucins.  —  Saint  Marcel,  pape  et  martyr,  dont  le  jour  natal  est  le  16  de 
janvier,  et  dont  la  fête  se  célèbre  chez  nous  aujourd'hui.  —  Saint  Onésime,  etc. 

ADDITIONS   FAITES   d'APRÈS    LES   ROLLANDISTES    ET  AUTRES    HAGIOGRAPHES. 

A  Valladolid,  en  Espagne,  le  décès  du  vénérable  Louis  Dupont,  jésuite  =.  —  a  Terni,  en  Om- 
brie,  les  saints  Procule,  Ephèbe  et  Apollonius,  martyrs,  d'origine  athénienne  ;  ils  furent  arrêtés 
et  mis  à  mort  au  moment  où  ils  venaient  de  rapporter  ii  Terni  le  corps  de  saint  Valentin,  évèque 
de  cette  ville.  Vers  213.  —  A  Gand,  en  Belgique,  saint  Corneille,  martyr  romain,  dont  les  reliques 
ont  été  données  à  celte  ville  en  1651  '.  —  A  Vérone  et  à  Bologne,  deux  autres  saintes  du  nom  de 

1.  Honeste,  prêtre  de  Nîmes,  ayant  parld  librement  et  fortement  contre  le  cnlte  des  faux  dieux,  à 
Pampeluue,  au  milieu  d'une  assemblée  nombreuse  de  païens,  jeta  dans  cotte  ville  les  fondements  de  la 
Traie  religion  par  la  conversion  d'un  assez  grand  nombre  d'idolâtres.  Parmi  ces  convertis  se  trouvaient 
Firroe,  Faustin  et  Fortunat,  citoyens  considérables  et  des  premier*  de  la  ville.  Ils  furent  confirmés  dans 
la  foi  par  saint  Saturnin,  «Svêque  de  Toulonsc,  et  baptisés  par  lui.  Honeste  obtint  de  Firme  son  fils  Firmin 
pour  faire  son  éducation;  il  lui  enseigna  les  lettres  divines  et  humaines,  et  quand  il  fut  vieux  et  brisé, 
son  jeune  disciple  le  remplaçait  dans  le  ministère  de  la  prédication.  Honeste  exhorta  Firmin  à  aller 
porter  l'Evangile  dans  les  contrées  les  pltis  reculées  de  la  Gaule,  lui  faisant  espérer  en  retour  la  palme 
du  martyre  qu'il  mérita  lui-même  bientôt  après.  On  conserve  encore  aujourd'hui  de  ses  reliques  aux 
Clarisses  et  aux  Ursullnes  d'Amiens,  à  l'Hospice  et  à  Saint-Picrre-de-Roye,  h  l'église  de  Davenescourt. 
Propre  d'Amiens.  —  2.  Voir  ce  Jour. 

3.  Saint  Avence,  confesseur,  est  nommé  au  martyrologe  romain  le  4  février,  sous  le  nom  de  saint 
Aventin  :  c'est  révêqne  de  Troyes,  en  Champagne,  dont  nous  avons  donné  la  vie.  Les  traditions  locales  h 
Tours  veulent  que  saint  Avence  ou  Aventin  ^t  accompagné.  Jusque  sur  les  bords  de  la  Loire,  saint  Loup 
et  saint  Germain  partant  pour  la  Grande-Bretagne,  et  qu'il  y  ait  vccn  dans  la  retraite,  jusqu'au  retour 
dea  prélats,  en  un  lieu  nommé  la  CeUe-Saint- Avence.  —  Voir  an  4  février. 

4.  Saint  Antime,  dit  le  Propre  de  Périgueux,  parait  avoir  été  un  des  premiers  abbés  de  ISrantôme.  Or, 
cette  abbaye  fut  fondée,  en  769,  par  Charlemagne  ;  elle  fut  détruite  par  les  Normands  peu  après  l'année  817. 

5.  Voir  dans  notre  Palmier  Séraphique.  t,  ii,  la  vie  détaillée  de  la  bienhourouso  Pbilippa. 

6.  Voir  sa  vie  au  16  février,  dans  le  volume  consacré  aux  Vénérables. 

7.  Voir  sa  vie  au  16  seplcmbrc. 


SAI.NTE   JULIENNE    KE  NICOlfËDlE,    VIERGE   ET   ilARTniE.  0^^ 

Jalienae,  vierges  et  martyres.  Toutes  deux  sont  diCTérenles  de  sainte  Julienne  de  Nicomédie  lonée 
par  le  martyrologe  romain.  Les  restes  de  cette  dernière  étaient  depuis  600  à  Curaes,  lorsque  des 
reliques  d'une  Sainte  du  nom  de  Julienne  furent  apportées  d'Outre-Mer.  Celle  de  Bologne  était  une 
vierge  romaine.  Son  corps  reposait  dans  l'église  des  Bénédictins,  laquelle -rot,  en  1510,  donnée  aux 
pauvres  clarisses.  —  En  Orient,  saint  Flavien,  anachorète,  qui  resta  enfermé  soixante  ans  dans  la 
même  cellule.  Probablement  sous  le  règne  de  Valons.  —  X  Syracuse,  en  Sicile,  saint  Eulalius, 
évèque  :  il  donna  l'bospitalili  à  saint  Fulgence  de  Ruspe  fuyant  l'Afriqne.  Après  l'an  303.  —  .\ 
Verden,  en  Westphalie,  saint  Taucon  ou  Tatta,  évique  et  martyr,  auparavant  abbé  en  Ecosse.  Etant 
allé  prêclier  l'Evangile  en  Allemagne,  il  fut  évèque  de  Verden.  Quelques  mauvais  chrétiens  ne 
purent  supporter  d'être  repris  de  leur  conduite  scandaleuse  :  ils  se  jetèrent  sur  lui  avec  fureur  et 
l'un  d'eu  lui  porta  un  conp  de  lance  dont  il  mourut.  815. 


S'^  JULIENNE  DE  NICOMÉDIE,  VIERGE  ET  MARTYRE 

299.  —  Pape  :  Saint  Marcellin.  —  Empereur  :  Dioclétien. 


Les  œuvres  de  la  grâce  sont  comme  an  jardÎD  de  dé- 
lices et  de  bénédictions.  Eccli.,  xl,  17. 


Parmi  les  saints  martyrs  qui  ont  souffert  à  Nicomédie  pendant  la  cruelle 
persécution  de  Dioclétien,  on  a  toujours  remarqué  une  illustre  vierge,  appelée 
julienne,  qui,  dès  ses  plus  tendres  années,  embrassa  le  christianisme,  quoi- 
que ses  parents,  etsurtout  son  père,  nommé  Africain,  fussent  extrêmement 
zélés  pour  le  culte  des  faux  dieux.  Etant  en  âge  de  se  marier,  elle  fut  re- 
cherchée par  un  jeune  noble  nommé  Evilatius  ',  à  qui  ses  parents  la  pro- 
mirent sans  la  consulter.  Mais  la  saint*  fille,  pour  gagner  du  temps  et  trou- 
ver un  prétexte  de  rompre  son  mariage,  fit  dire  sous  main  à  son  prétendant 
qu'elle  ne  consentirait  jamais  à  l'épouser  avant  qu'il  eût  d'abord  obtenu  de 
l'empereur  la  dignité  de  préfet  de  la  ville,  c'est-à-dire  de  premier  magistrat 
de  la  judicature.  Cette  condition  sembla  rude  à  Evilatius  ;  néanmoins  il 
ét-iit  si  passionné  pour  Julienne,  que,  pour  lui  complaire,  il  employa  tout 
son  crédit  et  acheta  bien  cher  cet  ofûce  ;  ensuite  il  l'en  fit  avertir,  l'assurant 
qu'elle  serait  mariée  à  un  préfet  comme  elle  le  désirait.  La  Sainte,  ne  sa- 
chant plus  comment  se  défaire  de  ses  poursuites,  lui  fit  savoir  qu'elle  était 
chrétienne,  et  qu'elle  n'épouserait  jamais  un  homme  d'un  autre  religion 
que  la  sienne  ;  ainsi  elle  le  suppliait  d'embrasser  la  foi  de  Jésus-Christ,  afin 
qu'il  pussent  vivre  ensemble  dans  une  sainte  union  et  dans  une  conformité 
de  croyance.  Evilatius  fut  extrêmement  troublé  de  ce  message,  et  en  avertit 
le  père  de  Julienne  ;  celui-ci  parla  d'abord  à  sa  fille  avec  tout  l'artifice  que 
l'amour  paternel  et  le  zèle  des  faux  dieux  lui  put  fournir,  s'eCforçant  de 
l'engager  à  épouser  le  nouveau  préfet  ;  mais  voyant  qu'il  ne  gagnait  rien,  il 
y  ajouta  les  menaces  et  les  terreurs  ;  puis  il  en  vint  aux  fouets,  à  la  prison  et 
aux  fers  ;  enfin,  connaissant  que  la  résolution  de  sa  fille  était  inébranlable, 
et  qu'elle  ne  consentirait  jamais  au  mariage  si  son  époux  n'était  chrétien,  il 
la  mit  entre  les  mains  de  son  prétendant  pour  gouverner  son  esprit  ainsi 
qu'il  le  jugerait  à  propos. 

Evilatius,  en  qualité  de  préfet,  la  fit  aussitôt  comparaître  à  son  tribunal  ; 
quoiqu'il  fût  tout  bouillant  de  colère,  néanmoins  la  beauté  qu'il  aimait  en- 
core éblouit  tellement  ses  yeux,  qu'il  sentit  en  lui-même  un  rude  combat 

1.  Ou  Eliue. 


Otë  16  FÉVRIER. 

d'amour  et  d'indignation  ;  mais  l'amour,  triomphant  de  la  fureur,  il  lui 
parla  doucement,  l'exhortant  à  le  prendre  pour  mari,  et  l'assurant  qu'il  ne 
l'empêcherait  pas  d'Être  chrétienne,  et  que  lui-môme  se  ferait  chrétien,  si 
cela  se  pouvait  accorder  avec  le  respect  qu'il  portait  aux  édits  des  empe- 
reurs. Il  ajou'a  qu'il  lui  conseillait  en  époux  ce  qui  lui  était  le  plus  avanta- 
geux, parfe  que,  si  elle  ne  le  voulait  pas  croire,  elle  serait  condamnée  à 
mort.  La  vierge,  prévenue  des  bénédictions  de  son  Epoux  céleste,  n'eut  d'o- 
reilles ni  pour  ces  ordres  ni  pour  ces  menaces  ;  elle  répondit  avec  une  géné- 
rosité chrétienne  que,  quand  elle  devrait  être  brûlée  toute  vive  ou  dévorée 
par  des  bêtes  sauvages,  elle  ne  changerait  point  de  résolution.  Le  préfet, 
irrité  jusqu'à  la  rage  par  cette  réponse,  la  fit  cruellement  fouetter  d'une 
façon  toute  extraordinaire,  car  il  commanda  qu'elle  fût  suspendue  en  l'air 
par  quatre  courroies,  et,  en  cet  état,  il  la  fit  battre  si  longtemps  à  coups  de 
nerfs  de  bœuf  et  de  verges  d'osier  vert,  que  les  bom-reaux  se  lassèrent.  Et 
cependant  ce  tyran  lui  disait,  en  l'insuUant,  que  ces  coups  n'étaient  que 
l'ombre  de  ce  qu'il  lui  ferait  souffrir  ;  mais  elle  répliqua  qu'elle  espérait 
que  Dieu  lui  donnerait  la  force  et  le  courage  de  souffrir  tous  les  supplices, 
et  qu'il  serait  plus  tôt  las  de  frapper  qu'elle  de  souffrir.  Ensuite  elle  fut  sus- 
pendue en  l'air  par  les  cheveux,  ce  qui  dura  si  longtemps,  qu'il  n'y  en  eût 
pas  un  qui  ne  fût  arraché  ;  ses  yeux  s'obscurcirent  et  ses  sourcils  montèrent 
jusqu'au  front,  tandis  qu'on  lui  brûlait  les  flancs  avec  des  gerbes  de  paille 
allumée.  Enfin  ce  même  juge  lui  fît  percer  les  mains  avec  un  fer  chaud  et  la 
renvoya  en  prison. 

Elle  n'y  fut  pas  plus  tôt  qu,'elle  se  mit  en  prières  ;  et,  pendant  son  orai- 
son, le  démon  se  présenta  à  elle  sous  la  forme  d'un  ange  de  lumière  et  dit 
que  le  préfet  avait  préparé  des  tourments  bien  plus  horribles  ;  mais  que  Dieu 
ne  voulait  pas  qu'elle  les  endurât,  et,  qu'au  sortir  de  la  prison,  elle  devait 
obéir  à  la  volonté  des  empereurs  et  ne  point  faire  difficulté  de  sacrifier.  La 
sainte  prisonnière  s'aperçut  bien  que  ce  conseil  venait  d'un  esprit  des  ténè- 
bres et  non  pas  d'un  ange  de  lumière.  C'est  pourquoi  elle  pria  Dieu  de  la 
fortifier  toujours  dans  ses  combats  et  de  lui  découvrir  la  qualité  de  celui 
qui  la  voulait  tromper  sous  le  masque  d'un  ange.  Et  alors  elle  entendit  une 
voix  du  ciel  qui  lui  dit  :  «  Julienne,  aie  bon  courage  ;  je  suis  avec  toi  ;  ar- 
rête celui  qui  te  parle,  je  te  donne  puissance  de  lui  faire  dire  son  nom  ». 
Cette  voix  fut  aussitôt  suivie  d'un  miracle,  car  la  vierge  se  trouva  saine  et 
libre;  et,  s'étant  relevée  de  terre,  elle  aperçut  uç  démon  enchaîné  à  ses 
pieds  ;  elle  le  traita  comme  un  esclave  et  lui  demanda  qui  il  était,  pour- 
quoi il  était  venu  là,  et  qui  l'avait  envoyé.  Le  démon  répondit  qu'il  était  un 
des  principaux  ministres  de  Satan ,  qui  l'avait  envoyé  afin  de  la  séduire 
comme  il  en  avait  trompé  une  infinité  d'autres.  A  ces  paroles,  l'innocente 
vierge  le  garrotta  derechef  et  le  chargea  de  coups  ;  cet  infâme  monstre  fit 
voir  qu'il  les  sentait  et  se  plaignit  de  ce  que,  après  avoir  triomphé  de  tant 
de  fidèles,  il  se  voyait  maintenant  vaincu  par  une  fille. 

Cependant  le  préfet,  dont  la  passion  n'était  pas  guérie,  commanda  que 
Julienne,  si  elle  était  encore  en  vie,  fût  amenée  devant  son  tribunal.  Elle  y 
vint  aussitôt,  traînant  après  elle  son  ennemi  enchaîné,  et  parut  aussi  saine 
que  si  elle  n'avait  rien  souffert,  et  avec  une  beauté  qui  était  au-dessus  de 
tout  ce  qu'on  peut  imaginer.  Evilatius,  étonné  et  persistant  toujours  en  sa  fu- 
reur, fit  chauffer  un  four  et  ordonna  que  la  sainte  vierge  fût  jetée  dedans.  Mais 
le  feu  perdit  sa  force  ;  et  par  ce  nouveau  miracle,  le  peuple  qui  était  présent 
fut  si  touché  qu'il  commença  à  crier  qu'il  n'y  avait  point  d'autre  Dieu  que 
le  Dieu  de  Julienne  ;  plus  de  cinq  cents  personnes  embrassèrent  la  religion 


SAIXITE   JIXIENXE   PK   .MùOilÉDIE,    VIERGE   ET  JIARTÏKE.  549 

chrétienne  et  furent  mises  à  mort  par  le  commandement  du  préfet.  Il  y  eut 
aussi  cent  trente  femmes  qui  firent  de  même  et  ne  se  montrèrent  pas  moins 
vigoureuses  que  les  hommes.  Tout  cela  ne  servit  qu'à  animer  de  plus  en 
plus  la  rage  de  ce  juge  cruel.  Il  fit  encore  jeter  la  vierge  dans  une  grande 
chaudière  pleine  d'huile  bouillante  ;  mais  elle  y  trouva  du  rafraîchisement, 
et  cette  liqueur  toute  enflammée  rejaillit  sur  les  bourreaux  et  les  ministres 
de  l'injustice.  Enfin,  le  préfet  ne  sachant  plus  que  faire,  la  condamna  à 
avoir  la  tête  tranchée  ;  le  démon,  la  voyant  aller  au  supplice,  excitait  les 
exécuteurs  à  la  tuer  vivement  pour  être  délivré  de  ses  mains;  mais  la  sainte 
vierge,  le  regardant  d'un  visage  sévère  et  terrible,  le  fit  trembler  de  crainte, 
et  aussitôt  il  disparut  :  ce  qui  montre  la  puissance  de  la  croix  de  Notre- 
Seigneur  Jésus-Christ.  Alors  Julienne,  consolée  en  sonime,  offrit  d'abord  à 
Dieu  le  sacrifice  de  ses  lèvres  par  la  prière  ;  et  après,  celui  de  sa  vie,  pré- 
sentant la  tête  au  bourreau,  qui  lui  donna  le  coup  de  la  mort.  C'est  ainsi 
que  son  esprit  s'envola  au  ciel  pour  y  recevoir  les  deux  couronnes  de  Vierge 
et  de  Martyre.  Il  n'est  pas  certain  si  c'est  aujourd'hui  le  jour  de  sa  mort  ou 
celui  de  sa  translation. 

RELIQUES  ET  CULTE  DE  SAINTE  JULIENNE. 

Une  verlnense  dame,  nommée  Sophie,  passant  quelque  temps  après  par  Nicomédie,  prit  ses 
reliques  pour  les  porter  à  Rome  ;  mais  le  navire  ayant  été  poussé  par  la  tempête  aux  côtes  d'Italie, 
elles  furent  déposées  au  territoire  de  Pouzzoles,  où  on  lui  érigea  un  beau  mausolée.  Pour  le  mal- 
heureux préfet  Evilatius,  il  fut  châtié  par  la  main  de  Dieu  et  paya,  dès  cette  vie,  la  peine  due  à 
sa  cruauté;  comme  il  s'était  embarqué,  le  vaisseau  périt  par  la  tempête,  et  tous  ceux  qui  étaient 
dedans  furent  submergés:  lai  seul,  pour  augmenter  la  rigueur  de  sa  mort,  fut  poussé  par  les  vagues 
au  bord  d'un  désert,  où  il  fut  dévoré  sans  doute  par  les  bètes  sauvages. 

11  est  fait  mémoire  de  sainte  Julienne  dans  tous  les  martyrologes,  particulièrement  dans  le  romain, 
où  l'on  peut  voir,  par  les  doctes  remarques  de  Baronius,  quels  auteurs  ont  traité  plus  expressément 
de  sa  vie.  Saint  Grégoire  le  Grand,  écrivant  à  Fortuuat,  évèque  de  Naples,  parle  de  ses  reliques 
dans  les  épitres  84  et  85  du  vu»  livre.  Ces  précieuses  dépouilles  rendirent  sa  mémoire  fort  célèbre 
en  plusieurs  villes  de  France,  comme  à  Sens,  à  Reims,  à  Autun,  à  Soissons,  à  Limoges  ;  et  parti- 
culièrement à  Paris,  où  l'on  voyait  son  chef  sacré  eu  l'église  paroissiale  de  Saint-Jacques-du- 
Haul-Pas,  doat  elle  est  reconnue  pour  patronne.  Il  en  reste  quelque  chose  à  Notre-Dame  de  Long- 
pont,  près  Paris.  La  ville  de  Bruxellles,  en  Flandre,  en  possède  aussi  des  orsements  considérables. 
On  l'invoque  principalement  contre  les  maladies  contagieuses.  Les  diocèses  de  Versailles,  de  Chartres, 
de  Cologne,  d'Autuu  et  d'Ajaccio  font  l'oflice  de  sainte  Julienne  le  16  février.  Il  existe  au  Val-Saint- 
Germain,  près  de  Dourdan,  diocèse  de  Versailles,  autrefois  diocèse  de  Chartres,  une  église  où  le 
culte  de  sainte  Julienne  est  très-ancien  et  très-célèbre.  Oa  y  vient  de  toutes  parts  l'invoquer  contre 
la  fièvre,  les  maladies  pestilentielles,  et  pour  l'heureuse  délivrance  des  femmes  en  couches. 

Un  martyrologe  poétique  a  résumé  ainsi  les  supplices  qu'elle  endura  et  les  diverses  manières 
dont  on  l'a  représentée  : 

Fasa  Tiget  plumbo  ;  ladit  suspensa  capillis  :  Le  plomb  fonda  la  laisse  intacte  :  elle  est  bal&n- 

Bobar  ferventi  mersa  resamit  aqoa.  cée  dans  l'espace,  suspendue  par  les  cheveux  :  elle 

Virgo,  palam  forti  cum  dœmone  prœlia  gesait,  paise  de  nouvelles  forces  dans   l'eau  bouillante  oii 

Nec  cessit  donec  victa  tropbsea  tulit  '.  elle  est  plongée.  Faible  vierge,  elle  lutte  visible- 

ment  contre  ans  puissance  de  l'enfer  et  en  triomphe  : 
elle  ne  cesse  de  vivre  qu'au  moment  oîi  sa  main  a 
cneilli  la  dernière  palme. 

1.  Braatins, 


550  16  FÉVRIER. 


SAINT  GREGOIRE  X,  PAPE 


De  1271  à  1276.  —  Erapereara  :  Interrègne-  Rodolphe  de  Hasbourg.  —  Roi  de  France  ! 
Philippe  m,  le  Hardi. 


Kona  avons  vécn  en  ce  monde  avec  la  s{mpMcIt(^  dn 
cœur  et  la  sincérité  de  Dien  ;  non  selon  la  sagesse 
d6  la  chair,  mais  selon  la  grâce  de  Dieu. 
Il'  uux  Cor.,  I,  12. 

Thébald  ou  Théobald,  depuis  Grégoire  X,  naquit  à  Plaisance,  de  la  noble 
famille  des  Visconti.  On  remarqua  en  lui,  dès  sa  jeunesse,  une  vertu  peu 
commune  et  une  application  extraordinaire  à  l'étude  ;  il  acquit  surtout  une 
connaissance  parfaite  du  droit  canon.  Ayant  entendu  parier  de  la  sainteté 
de  Jacques  de  Pécoraria,  cardinal-évêque  de  Préneste,  il  alla  le  trouver  et 
se  mit  humblement  à  son  service.  11  en  eut  d'autant  plus  de  joie  que  le  car- 
dinal lui  parut  encore  plus  saint  que  ne  le  disait  la  renommée.  Il  le  suivit 
dans  la  légation  de  France,  l'an  1239,  sous  le  pape  Grégoire  IX.  Il  y  fut  suc- 
cessivement chanoine  de  Lyon  et  archidiacre  de  Liège.  Il  refusa  l'évêché  de 
Plaisance,  que  lui  offrait  le  pape  Innocent  IV.  Il  revenait  de  Rome,  quand 
l'archevêque  de  Lyon,  Philippe,  le  supplia  instamment  de  rester  auprès  de 
lui  pendant  le  concile  général,  afin  de  lui  apprendre  comment  se  conduire 
à  l'égard  du  pape  et  des  cardinaux.  Le  pieu.x  archidiacre  de  Liège  passîSt 
une  partie  de  son  temps  à  l'Université  de  Paris,  pour  s'y  perfectionner 
dans  les  sciences  convenables  à  son  état.  Le  roi  saint  Louis  lui  témoignait 
une  affection  et  une  vénération  si  grandes,  que  beaucoup  s'étonnaient 
qu'un  si  excellent  roi  honorât  tant  un  ecclésiastique  qui  n'occupait  point 
une  haute  dignité.  Mais  le  saint  roi  savait  bien  ce  qu'il  faisait.  Il  avait  appris 
de  lui  et  vu  lui-môme  tant  de  choses  merveilleuses,  qu'il  le  regardait  comme 
un  temple  de  Dieu  et  un  sanctuaire  de  l'Esprit-Saint.  Le  cardinal-légat 
OtloLon,  passant  en  Angleterre  pour  rétablir  la  pai.x  entre  le  roi  et  les  ba- 
rons, emmena  l'archidiacre  Théobald  avec  lui,  à  cause  de  son  grand  amour 
pour  la  paix  et  de  sa  grâce  particulière  pour  y  amener  les  autres. 

Saint  Louis  et  les  barons  de  France  s'étant  croisés  pour  la  seconde  fois, 
le  pieux  Théobald  regarda  comme  une  honte  pour  les  clercs  et  les  prélats 
de  ne  pas  suivre  l'exemple  des  laïques.  Il  prit  donc  la  croix  avec  beaucoup 
de  dévotion,  et  se  rendit  en  Palestine.  Le  prince  Edouard  d'Angleterre  et 
sa  sœur  Béatrix,  comtesse  de  Bretagne,  l'y  reçurent  avec  beaucoup  de  joie. 
Et  de  fait  sa  présence  n'y  fut  pas  inutile.  Il  ranima  le  courage  des  pusilla- 
nimes, apaisa  les  différends  et  confirma  un  grand  nombre  dans  leur  sainte 
résolution. 

C'était  en  1271.  Tout  à  coup  l'on  apprit  en  Palestine  que  le  saint  archi- 
diacre de  Liège  avait  été  élu  pape.  11  y  avait  près  de  trois  ans  que  la  chaire 
apostolique  était  vacante,  les  cardinaux  assemblés  à  Viterbe  n'ayant  pu 
s'accorder  sur  le  choix  d'un  pontife.  Ennuyés,  à  la  fin,  de  ne  pouvoir  rien 
terminer,  ils  eurent  recours  à  un  compromis,  et  les  six  cardinaux,  auxquels 
tous  les  autres  avaient  remis  leurs  pouvoirs,  élurent  unanimement  notre 
Saint,  le  1"  septembre  1271.  Le  nouveau  pape  reçut  l'acte  de  son  élection  à 
Ptolémaïde  ou  Saint-Jean-d'Acre,  y  acquiesça  le  27  octobre,  et  prit  le  nom 


SAINT  GltÉGOIRE  X,   PAPE.  551 

de  Grégoire  X.  La  nouvelle  de  son  élection  donna  bien  de  la  joie  aux  chré- 
tiens de  la  Terre-Sain  le;  ils  espéraient  qu'il  leur  enverrait  un  grand  secours. 
Lui-môme,  dans  un  sermon  qu'il  fit  au  moment  de  partir,  s'écria  avec  le 
Psalmiste  :  «  Si  je  t'oublie,  ô  Jérusalem  !  que  ma  main  droite  soit  mise  en 
oubli!  Que  ma  langue  s'attache  à  mon  palais,  si  je  ne  te  garde  pas  dans 
mon  souvenir,  si  je  ne  mets  pas  Jérusalem  au  commencement  de  toutes 
mes  joies!  » 

La  première  chose  que  le  nouveau  pape,  saint  Grégoire  X,  eut  à  faire, 
ce  fut  de  répondre,  comme  chef  de  l'Eglise  catholique,  et  d'envoyer  des 
nonces  au  grand  khan  des  Tartares,  à  l'empereur  de  la  Chine,  Koublaï  ou 
Chi-Tsou.  Ce  puissant  monarque,  de  l'avis  de  ses  princes,  envoya  au  Pape 
les  deux  frères  vénitiens  Paolo,  avec  un  seigneur  de  l'empire  chinois,  nommé 
Gogak.  Ces  trois  ambassadeurs  devaient  demander  au  Pontife  romain  cent 
hommes  savants  et  bien  instruits  dans  la  loi  chrétienne,  qui  pusse  mon- 
trer que  la  foi  des  chrétiens  doit  être  préférée  à  toutes  les  sectes  diverses, 
qu'elle  est  l'unique  voie  du  salut  et  que  les  dieux  des  Tartares  sont  des  dé- 
mons qui  en  imposent  aux  Orientaux  :  l'empereur,  ayant  beaucoup  entendu 
parler  de  la  foi  catholique,  mais  voyant  avec  quelle  témérité  les  savants  de 
la  Tartarie  et  de  la  Chine  soutenaient  leur  créance,  ne  savait  de  quel  côté 
pencher,  ni  quelle  voie  embrasser  comme  la  véritable.  Il  pria,  de  plus,  les 
ambassadeurs  de  lui  apporter  un  peu  d'huile  de  la  lampe  qui  brûlait  à  Jé- 
rusalem devant  le  Seigneur,  persuadé  qu'elle  ne  lui  serait  pas  peu  utile,  si 
le  Christ  était  le  Sauveur  du  monde. 

Après  trois  ans  de  voyage,  le  seigneur  tartare  étant  demeuré  en  route 
pour  maladie,  les  deux  autres  ambassadeurs  arrivèrent  à  Saint-Jean-d'Acre. 
Y  ayant  appris  la  mort  du  pape  Clément  IV,  ils  s'adressèrent  à  l'archidiacre 
Théobald,  qui  faisait  les  fondions  d'internonce  apostolique  en  Palestine.  Il 
leur  conseilla  d'attendre  qu'il  y  eût  un  nouveau  pape.  Dans  l'intervalle,  ils 
allèrent  à  Venise,  leur  patrie,  et,  après  deux  ans  d'attente,  repassèrent  à 
Saint-Jean-d'Acre,  avec  le  fils  de  l'un  d'eux,  le  célèbre  Marc  Paul,  qui  a 
écrit  l'histoire  de  leur  voyage.  Le  nonce  Théobald  leur  donna  des  lettres 
avec  une  exposition  de  la  foi  chrétienne.  A  peine  s'étaient-ils  mis  en  route, 
que  Théobald,  devenu  le  pape  Grégoire  X,  les  rappela,  leur  donna  d'autres 
lettres  pour  le  suprême  empereur  des  Tartares,  et  leur  adjoignit  deux  Frè- 
res Prêcheurs,  Nicolas  et  Guillaume  de  Tripoli.  Ils  furent  reçus  avec  une 
extrême  bienveillance  par  l'empereur  des  Tartares  et  de  la  Chine.  Ils  lui 
présentèrent  les  lettres  du  nouveau  Pape,  ainsi  que  l'huile  de  la  lampe  du 
saint  Sépulcre,  qu'il  fit  placer  dans  un  lieu  honorable.  C'est  ce  que  témoigne 
Marc  Paul,  qui  était  présent. 

Saint  Grégoire  X  s'embarqua  au  milieu  de  l'hiver,  à  Ptolémaïde.  Le 
prince  Edouard  d'Angleterre  le  fournit  abondamment  de  toutes  choses. 
L'empereur  grec,  Michel  Paléologue,  se  plaignit  amicalement  de  ce  qu'il 
n'avait  point  passé  à  Constantinople,  où  il  eut  été  reçu  avec  la  pompe  et  la 
joie  les  plus  grandes.  Enfin,  il  arriva  heureusement  au  port  de  Brindes,  le 
1°' janvier  1272.  Son  arrivée  répandit  la  joie  dans  toute  l'Italie  et  dans  toute 
la  chrétienté.  A  Bénévent,  le  roi  Charles  de  Sicile  vint  à  sa  rencontre  l'ac- 
compagna par  tout  son  royaume,  et  lui  servit  d'écuj'er.  A  Cépérano,  il 
trouva  plusieurs  cardinaux  qui  venaient  au-devant  de  lui,  entra  avec  eux  à 
Viterbe,  le  dO  février,  y  revêtit  le  manteau  papal,  et  prit  solennellement  le 
nom  de  Grégoire,  tant  à  cause  de  sa  dévotion  pour  saint  Grégoire  le  Grand, 
que  parce  que  sa  fête  était  proche. 

Etant  encore  sur  les  terres  du  roi  de  Sicile,  il  reçut  une  députation  des 


SS2  1G  iKvitiEU. 

plus  grands  de  Rome,  qui  le  priaient  instamment  d'y  venir.  Mais  il  con- 
sidéra qu'à  Rome  il  pourrait  trouver  d'autres  affaires  qui  le  détourneraient 
de  celle  de  la  Terre-Sainte,  à  laquelle  il  voulait  donner  ses  premiers  soins. 
Il  alla  donc  droit  à  Yiterbe,  où  résidaient  les  cardinaux  et  la  cour  de  Rome. 
Là,  sans  se  donner  le  temps  de  se  reposer  après  un  si  long  voyage,  et  fer- 
mant la  porte  à  toutes  les  autres  affaires,  il  travailla  uniquement,  pendant 
huit  jours,  au  secours  de  la  Terre-Sainte,  qu'il  avait  laissée  réduite  à  l'ex- 
trémité. Il  engagea  Pise,  Gênes,  Marseille  et  Venise,  à  fournir  chacune  trois 
galères  armées,  douze  en  tout  ;  et,  pour  subvenir  aux  frais  de  la  guerre,  il 
donna  ordre  au  recou\Temeut  des  legs  pieux  destinés  à  cet  effet  qui  étaient 
considérables  ;  puis  il  envoya  en  France  l'archevêque  de  Corinthe,  avec  une 
lettre  au  roi  Philippe,  où  il  parle  avec  effusion  de  saint  Louis,  qu'il  témoi- 
gne avoir  aimé  de  tout  son  cœur  ;  il  rappelle  au  fils  le  zèle  de  son  père  pour 
la  délivrance  de  la  Terre-Sainte.  Il  ajoute  :  «  Quand  nous  y  étions,  nous 
avons  conféré  avec  les  chefs  de  l'armée  chrétienne,  avec  les  Templiers,  les 
Hospitaliers  et  les  grands  du  pays,  sur  les  moyens  d'en  empêcher  la  ruine 
totale.  Nous  en  avons  encore  traité  depuis  avec  nos  frères  les  cardinaux,  et 
nous  avons  trouvé  qu'il  faut  y  envoyer  à  présent  une  certaine  quantilv' 
de  troupes  et  de  galères,  en  attendant  un  plus  grand  secours,  que  nous  es- 
pérons lui  procurer  par  un  concile  général  ». 

Saint  Grégoire  X  fut  sacré  à  Rome,  dans  la  basilique  de  Saint-Pierre,  le 
27»  jour  de  mars,  qui,  cette  année  1272,  était  le  troisième  dimanche  de 
Carême.  Il  fut  reconduit  avec  pompe  de  la  basilique  de  Saint-Pierre  au  pa- 
lais de  Latran  ;  le  roi  Charles  de  Sicile  marchait  à  sa  droite,  faisant  les 
fonctions  d'écuyer  ;  au  repas  qui  eut  lieu  ensuite,  le  même  prince  voulut 
servir  au  Pape  le  premier  plat.  A  la  fin  de  la  solennité,  le  roi  fit  au  Pape 
l'hommage  et  le  serment  de  fidélité  qu'il  devait  pour  le  royaume  de  Sicile. 

Deux  jours  après,  le  Pape  fit  expédier  une  lettre  circulaire  à  tous  les 
évoques,  pour  leur  faire  part  de  sou  ordination,  suivant  la  coutume.  Cette 
lettre  fut  suivie  de  près  d'une  autre,  également  adressée  aux  évêques,  pour- 
la  convocation  d'un  concile  général.  Le  saint  Pape  en  marque  principale- 
ment trois  causes  :  le  schisme  des  Grecs,  le  mauvais  état  de  la  Terre-Sainte, 
dont  il  avait  été  témoin  oculaire,  les  vices  et  les  erreurs  qui  se  multipliaient 
dans  l'Eglise.  «  Voulant  donc  »  ,  dit-il,  «  remédier  à  tant  de  maux  par  un 
conseil  commun,  nous  vous  demandons  de  vous  trouver  le  I"mai  de  l'an 
1274  au  lieu  que  nous  vous  indiquerons  dans  le  temps  convenable.  Nous 
voulons  qu'en  chaque  province  demeurent  un  ou  deux  évêques  pour  exer- 
cer les  fonctions  épiscopales,  et  que  ceux  qui  demeureront  envoient  des  dé- 
piiljs  au  concile,  aussi  bien  que  les  Chapitres,  tant  des  cathédrales  que  des 
collégiales.  Cependant  vous  examinerez  et  mettrez  par  écrit  ce  qui  a  besoin 
de  correction  pour  l'apporter  au  concile  ».  La  bulle  est  du  dernier  jour  de 
mars  1272. 

Pour  prendre  soin  du  spirituel  dans  la  Terre-Sainte,  le  pape  Grégoire 
donna  le  titre  de  patriarche  de  Jérusalem  à  frère  Thomas  de  Lentini,  en 
Sicile,  dominicain,  précédemment  évêque  de  Bethléem.  Il  le  fit  encore  son 
légat  en  Arménie,  en  Qiypre,  dans  la  principauté  d'Antioche,  les  îles  voisi- 
nes et  toute  la  côte  d'Orient  ;  il  lui  recommanda  surtout  de  travailler  à  la 
réformation  des  mœurs  des  chrétiens  latins  de  ces  provinces.  Voici  comme 
il  lui  en  parle  dans  une  de  ses  lettres  :  «  Vous  savez  par  vous-mêmes  les  cri- 
mes énormes  qui  s'y  commettent,  et  que  les  malheureux  esclaves  de  la  vo- 
lupté, s'abandonnant  aux  mouvements  de  la  chair,  ont  attiré  la  colère  de 
Dieu  sur  Antioche  et  tant  d'autres  lieux  que  les  ennemis  ont  détruits.  Il  est 


SAI.NT   GllÉGninE  X,    PAPE.  553 

étonnant  que  nos  frères  soient  si  peu  touchés  de  ces  exemples,  qu'ils  cou- 
linuent  les  mêmes  désordres,  sans  s'en  repentir,  jusqu'à  ce  qu'ils  périssent 
eux-mêmes  ». 

En  attendant  le  concile  général  qui  devait  se  tenir  à  Lyon,  le  pape  Gré- 
goire travaillait  à  pacifier  les  villes  d'Italie.  Sa  sainte  vie  était  bien  propre  à 
gagner  les  cœurs.  Tous  les  jours  il  lavait  les  pieds  à  plusieurs  pauvres  avec  une 
humilité  qui  tirait  les  larmes  des  yeux  de  tous  les  assistants.  Il  avait  des  ofQ- 
ciers  pour  aller  à  la  découverte  des  malheureux  et  leur  distribuer  ses  au- 
mônes. Il  ne  fit  jamais  qu'un  repas  par  jour,  uniquement  pour  soutenir  la 
faiblesse  du  corps,  non  pour  aucun  plaisir.  A  table,  il  était  si  attentif  à  la 
lecture,  qu'en  sortant  il  n'aurait  pu  dire  ce  qu'il  avait  mangé.  Tout  le  temps 
que  lui  laissaient  les  affaires,  il  le  consacrait  à  la  prière  et  à  la  contempla- 
lion.  De  son  vivant,  on  rapporte  de  lui  ce  miracle  :  Etant  à  Lyon  pendant 
une  inondation  de  la  Saône,  il  vit  de  sa  fenêtre  une  pauvre  femme  tombée 
dans  le  fleuve  et  submergée  dans  les  flots,  à  tel  point  que  des  mariniers  par- 
tis à  son  secours  s'en  revinrent  sans  aucun  espoir  ;  mais,  dès  le  premier 
moment,  le  saint  pontife  avait  prié  la  Miséricorde  divine,  qui  a  soutenu 
saint  Pierre  marchant  sur  les  flots,  et  sauvé  trois  fois  saint  Paul  du  naufrage, 
de  tendre  une  main  secourable  à  cette  pauvre  femme  et  de  la  délivrer  d'une 
mort  aussi  fâcheuse.  Bientôt  la  femme  reparaît  sur  les  eaux  ;  les  mariniers 
surpris  retournent  à  son  secours  et  la  sauvent  dans  leur  barque,  n'ayant  pas 
plus  de  mal  que  si  elle  n'avait  pris  qu'un  bain.  Le  Pape  envoya  un  de  ses 
chambellans  interroger  la  femme,  qui  lui  raconta  qu'elle  avait  été  délivrée 
par  un  personnage  vénérable  qu'elle  ne  connaissait  pas. 

A  cette  tendre  charité  pour  les  pauvres,  Grégoire  X  joignait  une  fermeté 
invincible  envers  les  grands  coupables.  Le  roi  Edouard  d'Angleterre  lui 
avait  demandé  justice  du  meurtre  commis  sur  la  personne  de  Henri  d'Alle- 
magne, son  cousin,  par  Gui  de  Montfort.  Voici  comment  le  saint  Pape  lui 
rendit  compte,  le  29  novembre  1273,  de  ce  qui  s'était  passé  en  cette  alTaire  : 
«Quand  nous  fûmes  venus  à  Florence,  Gui  de  Montfort  nous  envoya  sa 
femme  et  plusieurs  autres  personnes  demander  instamment  la  permission  de 
venir  en  notre  présence,  assurant  qu'il  était  prêt  à  obéir  à  nos  ordres  ;  mais 
nous  voulûmes  prendre  du  temps  pour  éprouver  la  sincérité  de  son  repentir. 
Au  sortir  de  Florence,  environ  à  deux  milles,  il  se  présenta  à  nous,  accom- 
pagné de  quelques  autres,  tous  nu-pieds,  en  tunique,  la  corde  au  cou,  pros- 
ternés à  terre  et  fondant  en  larmes.  Comme  plusieurs  de  notre  suite  s'arrê- 
tèrent à  ce  spectacle.  Gui  de  Montfort  s'écria  qu'il  se  soumettait  sans  réserve 
à  nos  commandements,  et  demandait  instamment  d'être  emprisonné  en  tel 
lieu  qu'il  nous  plairait,  pourvu  qu'il  obtînt  son  absolution.  Toutefois,  nous 
ne  voulûmes  pas  alors  l'écouter  ;  nous  ne  lui  fîmes  aucune  réponse  ;  au 
contraire,  nous  adressâmes  une  réprimande  à  ceux  qui  l'accompagnaient, 
comme  prenant  mal  leur  temps.  Mais  ensuite,  de  l'avis  de  nos  frères,  nous 
avons  mandé  à  nos  cardinaux-diacres,  résidant  à  Rome,  de  lui  assigner  en 
quelque  forteresse  de  l'Eglise  romaine  un  lieu  pour  sa  prison,  et  de  le  faire 
garder  pendant  notre  absence  par  les  ordres  du  roi  Charles  de  Sicile  ».  Gui 
de  Montfort  se  soumit  à  tous  les  ordres  du  Pape,  qui,  l'année  suivante,  ea 
tempéra  la  sévérité  en  permettant  au  patriarche  d'Aquilée  de  le  rendre  à  la 
communion  des  fidèles,  mais  sans  préjudice  du  reste  de  sa  peine. 

Saint  Grégoire  X  étant  arrivé  à  Lyon,  le  roi  Philippe  de  France  l'y  alla 
visiter,  et  lui  laissa  pour  sa  garde  une  troupe  choisie  de  gens  de  guerre, 
commandée  par  Imbert  de  Beaujeu,  son  parent.  Ce  monarque  avait  remis 
au  Pape  le  comtatVenaissin,  qui  avait  été  cédé  au  Saint-Siège  sous  le  ponti- 


554  16    FÉVRIER. 

ficat  de  Grégoire  IX,  et  que  néanmoins  Alphonse,  comte  de  Toulouse,  dont 
le  roi  Philippe  venait  d'hériter,  avait  retenu  jusqu'alors. 

Cependant  les  prélats  et  les  ambassadeurs  arrivaient  de  toutes  parts  à 
Lyon  pour  le  Concile.  Il  s'y  trouva  cinq  cents  évéques,  soixante-dix  abbés  et 
mille  autres  prélats.  Parmi  les  cardinaux,  on  distinguait  saint  Bonavcnlure, 
évêque  d'.Mbano,  et  Pierre  de  Tarentaise,  évoque  d'Oslie,  depuis  pape  sous 
le  nom  d'Innocent  Y.  Saint  Thomas  d'Aquin  avait  reçu  ordre  du  Pape  de 
s'y  trouver,  mais  il  mourut  en  chemin.  Le  Concile,  deuxième  de  Lyon,  s'ou- 
vrit le  2  mai  1274,  après  un  jeûne  de  trois  jours.  Le  24  arrivèrent  les  am- 
bassadeurs de  l'empereur  grec,  Michel  Paléologue,  pour  travailler  à  la  réu- 
nion des  Grecs  schismatiques  avec  l'Eglise  romaine,  ce  qui  eut  lieu  le  jour 
de  saini  Pierre  et  de  saint  Paul,  20°  de  juin. 

Le  4  juillet  vit  un  spectacle  plus  étonnant  encore,  des  Tartares  arrivant 
au  Concile.  C'étaient  seize  ambassadeurs  du  khan  Abaga,  arrière-petit-fils 
de  Gengiskhan.  Le  pape  saint  Grégoire  X,  pour  leur  faire  honneur,  voulut 
que  les  officiers  des  cardinaux  et  des  prélats  allassent  au-devant  d'eux.  On 
les  lui  amena  dans  son  appartement,  où  se  trouvaient  les  cardinaux,  pour 
parler  des  affaires  du  Concile.  Cette  ambassade  n'avait  pour  but  qu'un  traité 
d'alliance  avec  les  chrétiens  contre  les  musulmans.  Après  le  Concile,  on  lut 
la  lettre  du  khan  dans  la  quatrième  session  ;  le  Pape  répondit  à  ce  prince 
qu'il  enverrait  ses  légats  en  Tartarie  pour  traiter  avec  lui,  non-seulement 
des  propositions  qu'il  faisait,  mais  d'autres  affaires  touchant  son  salut.  Un 
des  ambassadeurs  tartares  reçut  le  baptême  dans  le  Concile.  Saint  Grégoire  X 
publia  plusieurs  constitutions  importantes  qui  font  partie  du  droit  canon. 
Un  article  défend  à  l'évêque  nommé  d'un  diocèse  de  s'ingérer  à  l'adminis- 
trer sous  couleur  quelconque,  jusqu'à  ce  que  sa  nomination  soit  confirmée 
par  le  Saint-Siège.  Le  il  juillet,  le  saint  Pontife  termina  le  Concile  en  don- 
nant sa  bénédiction  à  tous  les  assistants.  Il  congédia  les  ambassadeurs  grecs, 
com!)lés  de  présents  et  enchantés  de  la  manière  honorable  et  cordiale  dont 
ils  avaient  été  reçus.  Il  congédia  de  môme  les  ambassadeurs  tartares,  avec 
des  lettres  pour  le  khan  Abaga.  Il  adressa  des  lettres  et  des  admonitions  aux 
chrétiens  d'Europe,  pour  les  obliger  à  gouverner  chrétiennement  leurs  peu- 
ples. A  Lausanne,  il  eut  une  entrevue  avec  le  nouveau  roi  des  Romains,  Ro- 
dolphe de  Habsbourg,  qui  lui  prêta  serment  comme  défenseur  de  l'Eglise 
romaine  et  futur  empereur. 

Le  saint  Pape  s'en  retournait  ainsi  à  Rome,  faisant  le  bien  partout,  lors- 
qu'il tomba  malade  à  Arezzo,  en  Toscane,  et  mourut  le  10  janvier  1276, 
après  avoir  tenu  le  Sainl-Siége  trois  ans,  neuf  mois  et  quinze  jours.  Il  mou- 
rut comme  il  avait  vécu,  en  Saint.  Quand  il  sentit  approcher  sa  dernière 
heure,  il  demanda  le  crucifix,  baisa  dévotement  les  pieds  du  Sauveur,  les 
arrosant  de  ses  larmes,  adressa  la  Salutation  angélique  à  la  Sainte  Vierge, 
recommanda  son  âme  à  Dieu  et  rendit  si  tranquillement  l'esprit,  qu'il  avait 
l'air  de  s'endormir  d'un  doux  sommeil.  Sa  fête  est  marquée  au  16  février 
dans  le  martyrologe  romain  de  Benoît  XIV. 

Tons  les  blstoriens  parlent  de  Grégoire  comme  d'an  saint.  Les  Uilcs  eux-mêmes,  dans  le  concile  qu'ils 
tinrent  à  CoDstantlnople  après  sa  mort,  l'appellent  un  homme  hienlicureux  et  très-siiint  :  si  toutefois, 
ajuutcnt-lls,  on  doit  l'appeler  on  homme,  et  non  pas  un  ange.  Nous  devions  donc  l'ajouter  au  recueil  da 
fitt  airy. 


SAINT  3IMÉ0N,  ÉVÊODE  DE  METÏ.  555 


SAINT  ONÉSIME,  DISQPLE  DE  SAINT  PAUL  {r"  siècle), 

Onésime  aerrait  d'abord  ua  homme  de  sainte  vie  nommé  Pliilémon.  Après  avoir  entendu  une 
prédication  de  saint  Paul,  il  s'attacha  à  ses  pas  et  quitta  Pbilémon  ;  saint  Paul  le  baptisa  après 
l'avoir  instruit  et  l'eut  pour  serviteur  dans  sa  prison.  L'apAtre  captif  ne  tarda  cependant  pas  à  ren- 
voyer Onésime  à  Philémon  en  le  lui  recommandant  ;  celui-ci  le  reçut  comme  son  frère  et  lui  donna 
la  liberté.  Devenu  évèque  d'Ephèse,  il  succéda  à  Timothée  et  survécut  à  saint  Ignace.  Comme  il 
prêchait  partout  l'Evangile  avec  lèle,  le  proconsul  le  fit  arrêter  et  torturer  ;  ne  pouvant  le  vaincre, 
il  l'envoya  à  Tertulle,  gouverneur  de  la  ville  de  Rome  ;  ce  gouverneur  était  animé  contre  lui  d'une 
haine  particulière,  parce  qu'il  avait  converti  la  femme  d'un  de  ses  amis  et  lui  avait  persuadé  de 
garder  la  virginité.  Après  avoir  mis  sa  personne  à  l'épreuve,  il  le  jeta  en  prison,  et  dii-hnit  jours 
durant  lui  fit  subir  toutes  sortes  de  tortures,  puis  le  chassa  de  Rome  avec  ses  compagnons.  Arrivé 
à  Pouzzoles,  saint  Onésime  recommença  de  prêcher  l'Evangile  et  obtint  de  nombreuses  conversions. 
Tertulle  l'apprenant,  l'euvoya  arrêter,  le  fit  ramener  à  Rome.  Après  l'avoir  fait  cruellement  fouetter, 
il  le  menaça  de  lui  couper  les  membres  s'il  ne  voulait  pas  sacrifier.  Comme  il  refusa,  on  retendit 
sur  le  dos,  on  lui  rompit  les  jambes  et  les  cuisses  avec  des  leviers  et  il  fut  lapidé. 

Il  est  le  patron  des  serviteurs  et  domestiques.  Son  attribut  est  le  biton  ou  barre  avec  lequel 
on  lui  rompit  les  jambes,  ou  bien  encore  la  lapidation. 


SAINT  SIMÉON,  ÉVÊQUE  DE  METZ  (194). 

Saint  Siméon  était  originaire  de  l'île  de  Crète  ;  le  sang  d'Israël  coulait  dans  ses  veines  :  il  sié- 
gea trente  ans  :  c'est  tout  ce  qu'on  sait  de  lui.  Ce  saint  évèque,  honoré  dans  l'ancienne  liturgie  do 
diocèse  de  Metz,  ayant  été  omis  dans  le  nouveau  Propre  par  un  oubli  bien  regrettable,  nous  allons 
insérer  la  note  suivante,  due  à  M.  Noël,  curé  de  Driey,  qui  expliquera  comment  l'abbaye  de  Senones, 
tant  illustrée  parDom  Calmet,  s'est  trouvée  en  possession  d'un  si  riche  trésor. 

Saint  Siméon,  évèque  de  Metz,  était  inhumé,  ccmme  la  plupart  de  ses  prédécesseurs,  dans  la 
crypte  de  Saint-Clément.  Angeirame,  un  de  ses  successeurs  sur  le  siège  de  Metz,  ayant  soumis  k 
son  église  l'abbaye  de  Senones,  dont  il  était  abbé,  ses  religieux,  exempts  jusque-là  de  la  juridiction 
épiscopale,  en  murmurèrent.  L'évêque,  tout-puissant  à  la  cour  de  Charlemagne,  dont  il  était  archi- 
chapelain,  voulant  toutefois  regagner  par  sa  bienveillance  l'affection  de  ses  religieux,  leur  fit  pré- 
sent du  corps  de  saint  Siméon,  déjà  illustré  par  ses  miracles.  Mais  les  moines  de  Senones,  mécon- 
tents de  la  conduite  d'Angelrame,  refusèrent  de  recevoir  les  reliques  du  Saint  duis  leur  église. 
L'évêque  de  Metz  les  déposa  dans  une  chapelle  qu'il  fit  bâtir  sur  une  colline  qui  domine  le  monas- 
tère au  midi,  et  qu'on  voyait  encore  au  siècle  dernier.  Dieu  y  fit  éclater  sa  puissance  et  les  mérites 
du  Saint  par  tant  de  miracles,  dit  le  moine  Richer,  ancien  chroniqueur  de  Senones,  qu'enfin  les 
religieux  transportèrent  solenaellement  le  corps  de  saint  Siméon  dans  leur  église,  dédiée  à  saint 
Pierre  et  à  saint  Paul,  où  il  demeura  jusqu'à  la  destruction  de  l'abbaye,  dans  une  châsse  d'argent. 
La  tête  et  un  bras  étaient  conservés  séparément  dans  des  reliquaires  d'argent  qui  en  avaient  la 
forme.  Tous  les  ans,  le  25  octobre,  on  faisait  à  Senones  mémoire  de  cette  translation.  Il  faut  lira 
dans  la  chronique  de  Richer,  religieux  de  Senones,  qui  vivait  au  xiii*  siècle,  le  sommaire  des 
nombreux  miracles  opérés  au  tombeau  de  saint  Siméon,  et  qui  l'ont  rendu  on  des  plus  grands  tbaa- 
naturges  des  Vosges. 

CAron.  Bielier,  Ilb.  n,  et  1,  3,  4. 


55G  17   FÉVRIER. 


SAINT  ARMENTAIRK,  ÉVÊQUE  D'ANTIBES  (V  siècle). 

Armeutaire,  ooiumé  aussi  Arniataire  et  Heiineataire,  gouverna  l'église  d'Antibes  vers  le  milieu 
du  v«  siècle.  On  croit  qu'il  fut  l'un  des  dix-neuf  i^vêques  qui  envoyèrent,  par  une  dépiitation,  une 
supplique  au  pape  saint  Léon  pour  obtenir  la  restitution  des  droits  de  l'église  d'Arles,  et  auxquels  ce  Pape 
fit  réponse,  en  envoyant  à  Ravenius,  évèque  d'.\rles,  sa  lettre  à  Flavien,  et  demandant  qu'il  confessât 
la  foi  commune  par  son  propre  suffrage  et  par  celui  des  cvéques  voisins.  La  mémoire  de  saint  Aruien- 
taire  jouit  d'un  culte  très-antiqne  dans  l'église  de  Grasse,  où  fut  transféré,  au  Xdl*  siècle,  le  siège 
épiscopal  d'Antibes.  La  ville  de  Draguignan,  du  diocèse  de  Fréjus,  l'honore  comme  son  patron  ;  dans 
le  territoire  de  cette  ville,  on  remarque  une  église  décorée  depuis  plusieurs  siècles  du  litre  de  prieuré 
de  l'Ordre  de  Saint-Benoit  :  les  peuples  du  voisinage  s'y  rendent  en  dévotion  pour  véuérer  les  reliques 
du  Saint  et  pour  implorer  sa  protection  auprès  de  Dieu,  protection  dont  ils  ont  plus  d'une  fois 
éprouvé  l'efficacité. 

Propre  dis  Fréjus. 


XYIF  JOUR  DE  FEVRIER 


MARTYROLOGE   ROMAIN. 

A  Rome,  la  passion  de  saint  Faustin,  que  quarante-quatre  autres  chrétiens  suivirent  dans  la 
gloire.  —  En  Perse,  la  naissance  au  ciel  de  saint  Polychro.ne,  évéque  de  Babylone,  qui,  dans  la 
persécution  de  Dèce,  ayant  eu  la  bouche  meurtrie  de  coups  de  pierres,  étendit  les  mains,  leva  les 
yeui  au  ciel  et  rendit  son  âme  à  Notre-Seigneur.  251.  —  A  Concordia,  les  saints  martyrs  Donat, 
Secondien  et  Romule,  avec  quatre-vingt-six  autres  chrétiens,  qui  participèrent  au  même  triomphe  •. 
303.  —  A  Césarée,  en  Palestine,  saint  Théodule,  vieillard,  de  la  maison  du  président  Firmilien, 
qui,  excité  par  l'exemple  des  martyrs,  et  confessant  courageusement  Jésus-Christ,  fut  cloué  à  une 
croix  et  par  un  noble  triomphe  mérita  la  palme  du  martyre.  309.  —  Au  même  lieu,  saint  Julien  de 
Cappadoce,  lequel,  pour  avoir  baisé  les  corps  des  martyrs  qui  venaient  d'être  exécutés,  fut  dénoncé 
comme  chrétien,  et  conduit  au  président  qui  le  lit  biùler  à  petit  feu.  —  Au  pays  de  Thérouane, 
saint  SlLVl.\,  évèque  de  Toulouse  -.  Vers  718.  —  En  Irlande,  saint  Fintan,  prêtre  et  confesseur  ». 
vie  s.  —  A  Florence,  le  bienheureux  Alexis  Falconieri,  un  des  sept  fondateurs  de  l'Ordre  des 
Servîtes,  qui,  à  l'âge  de  cent  dix  ans,  ayant  été  consolé  par  la  présence  de  Jésus-Christ  et  des 
Anges,  se  reposa  dans  une  sainte  mort.  Fin  du  xiii^  s. 

MARTYROLOGE    DE    FRANCE,    REVU   ET  AUGMENTÉ. 

A  Trêves,  saint  Bonose  ou  Venoux,  évèque,  enterré  à  Saiut-Paulin,  sjus  l'autel  de  saint  Clé- 
ment ».  381.  —  A  Ratzbourg,  en  Danemark,  saint  Everuode,  évèque,  disciple  de  saint  Norbert.  U6S. 

1.  Concordia  est  une  ancienne  colonie  romaine  fondée  par  César  :  eiie  est  située  sur  la  mer  Adriatique, 
entre  Aquilée  et  Altino.  François  Barbarano  écrit,  dans  son  Histoire  ecclésiasligue  de  Venise,  que  ces 
Martyrs  étaient  originaires  de  cette  dernitre  ville,  et  qu'étant  soldats,  c'est  pendant  leur  séjour  à  C(in- 
cordia  quils  furent  misa  mort  pour  la  foi  :  ils  sont  les  principaux  patron  de  Concordia. 

Aux  nom»  de  Donat,  Secondien  et  Romnle,  divers  martyrologes  ajoutent  ceux  de  Solonus,  Chrysantlie, 
Eotlchius,  Juste,  Cordius,  Silvain.  Néomède  et  Polycrate, 

2.  Nons  dirons  pins  loin  qu'il  n'est  pas  probable  que  saint  Sllvin  ait  été  èvêque  de  Toulouse. 

3.  Abbé  d'Ednech,  dans  la  province  de  Lagenie,  en  Irlande,  11  faisait  observer  dans  sa  communauté 
tine  rigle  fort  sévîîre.  Ses  religieux  cultivaient  la  terre.  Il  eut  de  nombreux  disciples,  dont  le  plus  célèbre 
fat  saint  Comyale.  On  place  sa  mort  au  milieu  pu  vi«  siècle. 

4.  Saint  Bonose,  éTêque  de  Trêves.  Il  gouvernait  ce  dlocèe  dans  les  temps  difficiles  lOii  l'empereur 


MAUTYKOLOGliS.  Oo7 

—  A  Clerraont,  ea  Auvergne,  saint  Loupien,  confesseur.  —  A  saint-Denis,  en  France,  saint  Kuliad, 
abbé  et  archichapelain  ou  grand-aumùnier  du  roi  Pépin,  qui  contribua  beaucoup  à  l'avéneineat  de 
la  seconde  race  au  trône  de  France.  7Si.  —  A  Landernau,  diocèse  de  Quitnper,  saint  Guevroc  oa 
Kirec,  confesseur  originaire  de  la  Grande-Bretagne,  et  disciple  de  saint  Tugduald  ».  585.  —  A 
Cologne,  la  translation  de  saint  Bénigne,  martyr.  —  A  Verdun,  saint  Pnlchrone,  évêque  de  cette 
ville,  dont  l'entrée  au  ciel  est  le  30  avril  «.  470.  —  En  Franche-Comté,  décès  du  B.  Frovin,  moine 
de  Bellevaux,  premier  abbé  du  monastère  cistercien  de  Salem,  au  diocèse  de  Constance,  compagnon 
de  saint  Bernard  et  témoin  de  ses  miracles  pendant  la  prédication  de  la  croisade  en  Allemagne. 
1165.  —  Encore  à  Verdun,  saint  Firmiu,  évéque  '. 

MARTYROLOGES  DES   ORDRES  RELIGIEUX. 

Martyrologe  de  saint  Basile.  —  A  Rome,  saint  Agathon,  pape,  de  l'Ordre  de  Saint-Basile, 
illustre  par  sa  sainteté  et  sa  doctrine,  et  qui  se  reposa  en  paix  le  10  janvier  *,  etc. 

Martyrologe  des  Chanoines  réguliers  :  chez  ceux  de  Latran.  —  Saint  Daniel,  diacre  du 
clergé  régulier,  qui,  ayant  été  arrêté  à  cause  de  la  prédication  de  la  foi  chrétienne,  fut  attaché 
avec  des  clous  entre  deui  planches,  et  remporta  la  palme  du  martyre.  Son  corps,  longtemps  caché, 
découvert  par  révélation  d'en  haut,  et  par  la  guérison  d'un  aveugle,  fut  retrouvé  à  Pavie,  le  3 
janvier. 

Martyrologe  de  l'Ordre  des  Prémontrés.  —  A  Ratzbourg,  saint  Evermode,  qui,  avec  saint 
Norbert,  détruisit  à  Anvers  l'hérésie  de  Tachelin,  devint  évéque  de  Ratzbourg,  et,  remarquable 
par  ses  vertus,  par  le  don  des  langues  et  ses  miracles,  s'envola  vers  le  Seigneur 

Martyrologe  de  Saint-Benoit.  —  L'octave  de  sainte  Scholastique,  vierge,  sœur  de  notre  Père 
saint  Benoit. 

Martyrologe  des  Cisterciens.  —  L'octave  de  sainte  Scholastique,  vierge. 

Martyrologe  de  l'Ordre  Romano-Séraphique.  —  Saint  Hilaire,  évéque  de  Poitiers,  qui  s'envola 
au  ciel,  le  13  de  janvier. 

Martyrologe  de  l'Ordre  Séraphique.  —  Le  bienheureu.x  Antoine  de  Stronconio,  confesseur, 
de  l'Ordre  des  Mineurs,  de  l'observance  régulière,  illustre  par  sa  renommée  de  chasteté,  comme 
par  le  don  des  miracles  et  de  prophétie,  qui  s'endormit  dans  le  Seigneur,  à  Assise,  en  Ombrie,  le 
7  février  471  '. 

Martyrologe  des  Carmes  chaussés  et  déchaussés.  —  Saint  Vincent,  diacre  et  martyr,  dont  la 
fête  se  célèbre  le  17  février. 

Martyrologe  de  Saint-Augustin.  —  L'octave  de  saint  Guillaume. 

Martyrologe  de  l'Ordre  des  Servîtes.  —  A  Florence,  le  bienheureux  Alexis  Falconieri,  con- 
fesseur, un  des  sept  fondateurs  de  l'Ordre  des  Servîtes,  qui  se  reposa  dans  une  sainte  mort  près 
de  l'église  dédiée  à  l'Annonciation  de  la  bienheureuse  vierge  Marie,  soixante-dix  ans  après  s'être 
consacré  à  Dieu,  et  de  son  âge  le  cent  dixième,  en  présence  de  Notre-Seigneur  et  des  Anges  qai 
se  montrèrent  sous  une  forme  visible. 

Martyrologe  des  Capucins.  -Saint  Raymond  de  Pennafort,  confesseur,  de  l'Ordre  des  Frères 
Prêcheurs,  dont  la  naissance  au  ciel  arrive  le  7  de  janvier,  mais  se  célèbre  aujourd'hui  dans  notre 
Ordre. 

ADDITIONS    FAITES   d'APRÈS    LES   BOLLANDISTES   ET   AUTRES    n.\GIOGRAPnES. 

En  Orient,  sainte  Marianne,  vierge,  sœur  de  l'apùtre  saint  Philippe  ;  elle  le  suivit  dans  ses 
pérégrinations  apostoliques,   assista  à  son  crucifiement,  et  l'ensevelit  de  ses  mains,  i"  s.  —  A 

Constance  favorisait  de  tout  son  pouvoir  l'arianisme.  Il  eut  le  bonheur  de  préserver  son  troupeau  de  cette 
funeste  hérésie  et  d'augmenter  le  nombre  de  ses  ouailles  par  la  conversion  d'un  grand  nombre  d'idolâtres. 
Il  montra  aussi  un  grand  zfele  et  une  fermeté  inébranlable  sous  le  règne  persécuteur  de  Julien  l'Apostat, 
et  mourut  dans  un  âge  avancé,  le  17  février  381. 

1.  Saint  Guevroc  ou  Kirec  fut  d'abore  mis,  par  saint  Tugduald.  h  la  tête  d'une  colonie  de  douze  reli- 
gieux, qui  s'établirent  dans  le  lieu  nommé  depuis  Loc-Kirec,  à  dix  lieues  de  Treguier.  Il  vécut  ensuite 
deux  ans  dans  la  solitude  au  pays  de  Léon.  Le  bruit  de  sa  sainteté  parvint  aux  oreilles  de  saint  Paul, 
alors  évêque  de  Léon,  qui  le  pressa  vivement  de  venir  l'aider  dans  l'administration  de  son  diocèse.  Le 
pieux  Solitaire  vit  dans  l'appel  de  son  évêque  une  marque  de  la  vocation  divine;  mais,  en  changeant  do 
situation,  il  ne  changea  rien  à  sa  sainte  manière  de  vivre.  Puissant  en  œuvros  et  en  paroles,  il  prêchait 
le  peuple,  et  plus  d'une  fois  des  miracles  vinrent  confinner  la  vérité  de  ses  paroles.  Ayant  gnérit  unejeune 
tille  qui  avait  été  saisie  d'un  tremblement  universel,  celle-ci,  par  reconnaissance,  ût  doa  au  saint  homme 
d'une  maison  qu'elle  possédait  pour  la  construction  d'une  chapelle  en  l'honneur  de  la  Mère  de  Dieu  : 
c'est  l'origine  de  la  célèbre  église  de  Creisker,  qui  subsiste  encore  à  Saint-Paul-de-Lcon.  L'édifice  actuel 
est  du  siv*  siècle.  Il  est  surtout  remarquable  par  son  clocher  il  flèche,  le  plus  beau  en  ce  genre  que  pos- 
sède la  Franco  :  il  fit  l'admiration  du  célèbre  ingénieur  Vauban.  Quand  au  monastère  de  Loc-Kirec  et  aax 
relique  de  saint  Guevroc,  le  tout  à  disparu  depuis  longtemps. 

2.  Voir  sa  vie  à  ce  jour.  —  3.  V.  au  4  mai.  —  4,  "V.  à  ce  jour.  —  5.  V.  la  notice,  au  7  février. 


338  17    FÉVRIER. 

Terni,  en  Ombric,  les  sainis  SaturDin,  Caslale,  Magne,  Luce,  Rogat,  Jean  el  plusieurs  antres  mar- 
tyrs convertis  par  saint  Valentin.  Quelques-unes  de  leurs  reliques  sont  à  Bologne.  Vers  l'an  273. 

—  A  Rome,  sainte  Constance,  vierge,  fille  de  Conslanlin  le  Grand.  Nous  avons  raconté  sa  gué- 
rison  miraculeuse  et  sa  conversion  dans  la  vie  de  sainte  Agnès.  Elle  s'était  consacrée  à  Dieu  avec 
plusieurs  jeunes  romaines,  lorsqu'un  vaillant  général  romain,  encore  païen.  Gallican,  la  demanda  en 
mariage.  Constantin  désirait  ne  pas  déplaire  à  un  homme  dout  il  estimait  les  services  :  Constance 
conseilla  à  son  père  de  donner  sa  parole,  mais  de  différer  la  conclusion  du  mariaje  jusqu'au  retour 
d'une  eipédition  de  Gallican  contre  les  Sarmates.  Le  général  laisserait  ses  deux  filles  au  palais  de 
l'empereur  et  prendrait  avec  lui  comme  otages  deux  serviteurs  de  Constance  :  Jean  et  Paul.  Gallican 
accepta  toutes  ces  propositions.  Les  deui  filles  du  général,  touchées  des  vertus  de  la  pieuse  princesse 
se  convertirent  à  la  vraie  foi.  Les  deux  serviteurs  —  deux  futurs  marlys  —  réussirent  dans  leur 
mission,  qui  était  d'amener  le  général  au  même  but.  Alors  Constance  déclara  son  vœu  de  chasteté 
perpétuelle;  et  l'embarras  se  dénoua  de  lui-même.  Gallican,  devenu  nn  fervent  chrétien,  quitta 
les  choses  du  siècle,  et  consacra  sa  vie  aux  œuvres  de  charité  jusqu'au  jour  où  il  mourut  glo- 
rieusement en  confessant  la  foi  sous  Julien  l'Apostat.  Sainte  Constance  s'envola  au  ciel  vers  346. 

—  Gand,  saint  Eusèbe,  martyr  romain,   dont  les  reliques  furent  données  à  celte  ville  en  1651. 

—  En  Italie,  saint  Chrysantien  et  ses  quatre-vingt-dix  compagnons,  martyrs  à  Aquilée;  saint 
Fauslin  et  ses  quarante-quatre  compagnons,  martyrs;  trente-neuf  autres  martyrs,  nommés  Janvier,  etc. 

—  En  Irlande,  saint  Loman  et  saint  Fortchern,  évèques  d'Athryma.  Le  premier  établit  cet  évêché 
de  concert  avec  l'illustre  saint  Patrice,  dont  il  était  le  neveu.  Le  second,  son  successeur,  après 
avoir  avoir  abdiqué  l'épiscopat,  fonda,  pour  s'y  retirer,  le  monastère  de  Kill-Fortchern.vos. —  A  Luoa, 
ancienne  ville  d'Italie,  dont  il  n'existe  plus  que  des  ruines,  saint  Habel-Deus,  évêqne,  martyrisé  par 
les  Vandales  ariens.  Le  siège  épiscopal  de  Luna  a  été  transféré  à  Sarrano,  Vers  l'an  500.  —  En 
Angleterre,  saint  Finan,  évèque  de  Lindisfarne.  An  661.  —  Crémone,  en  Italie,  un  autre  saint 
Silvin,  évèque.  763.  Dans  l'ile  de  Sardaigne,  saint  Benoit  évèque.  Il  avait  été  moine  bénédictin 
du  Mont-Cassin.  Vers  l'an  1100.  —  A  La  Cava,  en  Italie,  saint  Constable,  abbé  dn  monastère  de 
ce  lien  '.  An  i2U. 


SAINT  POLYGHRONE,  MARTYR 

251.  —  Pape:  Saint  Corneille.  —  Empereur:  Dèce. 


Je  Toasdonnenii  des  paroles  et  une  sagesse  à  laquelle 
vos  ennemis  ne  pourront  résister  et  à  laquelle  il 
leur  sera  impossible  de  contredire.      Luc^  x&i,  ?ô. 

Saint  Polj'chrone,  dont  le  martyrologe  romain  fait  aujourd'hui  mémoire, 
fut  évoque  de  Babylone,  en  Ghaldée  ou  en  Perse,  où  il  florissait  dans  le 
m'  siècle,  sous  l'empire  de  Dèce.  Cet  empereur,  s'étant  rendu  maître  de  ce 
pays  par  la  force  des  armes,  persécuta  cruellement  les  chrétiens  ;  el,  sachant 
que  Polychrone  en  était  le  Père,  et  comme  le  chef,  il  le  fit  prendre  avec 
Parménius,  Elymas  et  Chrysotèle,  prêtres,  Luc  et  Muce,  diacres.  Tous 
ces  Saints  furent  conduits  au  temple  des  idoles,  pour  leur  offrir  de  l'encens 
el  pour  reconnaître  leur  divinité  ;  mais  Polychrone,  prenant  la  parole  pour 
tous  les  autres,  répondit:  «  Pour  nous,  nous  nous  offrons  nous-mêmes  en 
sacrifice  à  Noire-Seigneur  Jésus-Chrisl,  et  nous  ne  nous  inclinerons  jamais 
devant  le  démon,  ni  devant  ces  idoles,  qui  sont  travaillées  par  les  mains  des 
hommes».  L'empereur,  transporté  de  colère,  les  fit  jeter  en  prison  el  remit 
leur  affaire  au  jugement  d'un  de  ses  préteurs,  appelé  Apollo  Valérien. 

Celui-ci,  faisant  comparaître  les  Martyrs  devant  son  tribunal,  s'adressa 

1.  Les  estampes  italiennes  ont  souvent  représente'  saint  Constable  apparaissant  avec  de  nombreux 
d(:fcnicurs  sur  les  murs  de  Salerne  et  éloignant  des  côtes  une  flotlt  de  pirates  qni  voûtaient  aborder  pool 
piller  le  monuitL-re  de  La  Cava.  Le  saint  abbé  c;ait  mort,  et  les  forbans  avouèrent  cux-même  qu'en  ap- 
ptocliant  ils  avaient  été  témoins  de  cette  apparition. 


SAINT  POLYCHRONE,   MAHini.  559 

au  saint  Evèque  et  lui  parla  en  ces  termes  :  «  Es-tu  ce  Polychrone  sacrilège 
qui  méprise  les  dieux  et  les  commandements  des  princes?  »  Le  saint  prélat 
ne  lui  repondit  rien  ;  l'empereur,  qui  assistait  à  cet  interrogatoire,  dit  au 
clergé  de  Polychrone  :  «  Quoi!  votre  prince  se  tait?  »  Alors  le  prêtre  Par» 
ménius  répondit  :  «  Notre  Père  ne  s'est  pas  tu  sans  raison,  mais  il  l'a  fait 
pour  obéir  au  commandement  de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ,  qui  a  dit  à 
ses  Apôtres  :  Gardez-vous  de  jeter  des  perles  devant  les  pourceaux,  de 
crainte  que,  les  foulant  aux  pieds,  ils  ne  se  jettent  sur  vous-mêmes  '  ».  Le 
tyran,  entendant  cela,  fut  vivement  irrité  ;  il  commanda  qu'on  arrachât  la 
langue  à  celui  qui  avait  parlé  de  la  sorte  :  ce  qui  fut  exécuté,  et  néanmoins 
le  prêtre,  quoiqu'il  eût  la  langue  coupée,  ne  laissa  pas  de  crier  au  saint 
prélat  :  «Mon  bienheureux  Père  Polychrone,  priez  pour  moi,  parce  que  je 
vois  le  Saint-Esprit  qui  règne  en  vous  et  qui,  scellant  votre  bouche  sacréei 
répand  dans  la  mienne  une  douceur  de  miel  ».  Dèce  commanda  à  Poly- 
chrone de  sacriDer  aux  dieux,  afin  de  jouir,  par  ce  moyen,  de  son  amitié  et 
de  se  rendre  digne  de  ses  faveurs;  mais,  comme  le  saint  Evêque  ne  lui  ré- 
pondait pas  un  mot,  il  le  fît  frapper  si  cruellement  sur  la  bouche,  que  ce 
bienheureux  Martyr,  élevant  les  yeux  au  ciel,  rendit  l'âme  à  Dieu  dans  les 
douleurs  de  ce  supplice.  Dèce  ût  jeter  son  corps  devant  le  temple  de  Sa- 
turne; la  nuit  suivante,  deux  illustres  seigneurs  persans,  Abdon  et  Sennen, 
qui  étaient  secrètement  chrétiens,  l'enlevèrent  et  l'ensevelirent  avec  honneur 
auprès  de  la  ville  de  Babylone. 

Pour  les  autres  Saints,  prêtres  et  diacres,  l'empereur  les  fît  traîner  après 
lai,  chargés  de  fers  et  de  chaînes;  mais  comme  elles  se  brisèrent  toutes  d'elles- 
mêmes,  ce  prince,  attribuant  ce  miracle  aux  prestiges  de  l'art  magique,  les 
ût  tourmenter  sur  le  chevalet  ;  tandis  que  l'on  étendait  leurs  membres,  ils 
criaient  à  Parménius  qu'il  priât  Notre-Seigneur  de  leur  donner  la  patience. 
Alors,  ce  saint  prêtre,  bien  que  privé  de  la  langue,  répondit  :  «  Que  Dieu,  le 
Père  de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ,  vous  donne  la  consolation  de  son  divin 
Esprit,  qui  règne  par  tous  les  siècles  »;  et  ils  répondirent  :  «  Ainsi  soit-il  ». 
Dèce,  entendant  cela,  s'irrita  plus  que  jamais,  et  commanda  qu'on  les  jetât 
dans  le  feu  ;  mais  ce  fut  sans  effet,  et  l'on  entendit  une  voix  du  ciel  qui  di- 
sait :  «  Venez  à  moi,  humbles  de  cœur  ».  Enfin,  ils  furent  décapités,  et  leurs 
corps  jetés  à  la  voirie;  on  les  fit  garder  par  des  soldats,  et  défense  très- 
expresse  fut  faite  de  leur  donner  la  sépulture  ;  mais  cela  n'empêcha  pas  les 
courageux  seigneurs  Abdon  et  Sennen  de  leur  rendre  les  mêmes  devoirs 
qu'ils  avaient  rendus  au  saint  évoque  Polychrone  :  ce  qui  leur  mérita  à  eux- 
mêmes  la  couronne  du  martyre. 

Le  martjT©  de  saint  Polycbrone  et  de  ses  compagnons  est  rapporté  par  Sarlus,  en  son  quatrième  tome, 
an  10  août;  et  le  cardinal  lîaronins  en  fait  une  ample  mémoire  en  ses  /tetnan/ufs  sur  le  martyrologe,  le 
17  février,  jour  anqusl  saint  Polychrone  endors  la  mort  pour  Je'sus-Clirist.  Le  re'nérable  Bède,  Usuard  et 
Adon  ne  l'ont  pas  oublie  en  leurs  Catalogues  des  Saints,  Il  y  a  diverses  opinions  touchant  l'aoïiâe  âtt  son 
triomphe;  Baronius  le  marque  en  Vanné?  "^53.    Bollai;dus  yeut  que  ce  soit  l'an  251. 

I.  Katth..  vp,  i; 


360  l*  févrieh. 


SAINT  SILVIN,  EVEQUE  REGIONNAIRB 

71S.  —  Pape  :  Grégoire  II.  —  Roi  de  Fiance  :  Chilpéric  II. 


Kous  n'avons  point  ici-bas  de  demeure  pennanente  : 
noas  clicrchons  celle  que  noas  devons  habiter  an 
leur.  Ad  Heb.^  xiii,  14. 

Vers  l'an  718,  mourait  de  la  mort  des  justes,  près  du  monastère  d'An- 
chy-les-Moines,  non  loin  d'Hesdin,  saint  Silvin,  qui  jota  sur  le  vn°  siècle  un 
vif  éclat  parla  grandeur  de  sa  sainteté.  Un  certain  évêque  nommé  Anténor, 
homme  très-religieux,  mais  peu  versé  dans  la  littérature,  s'efforça  de  recueillir 
les  mémoires  sur  la  vie  de  Silvin,  désirant  l'honorer  après  sa  mort  comme  il 
l'avait  fait  pendant  sa  vie  ;  il  voulut  conserver  à  la  postérité  tout  ce  qu'il  avait 
appris  de  lasainleté  de  ce  personnage.  Cet  ouvrage  demeura  dans  l'oubli  jus- 
qu'au temps  de  Leutwilhe,  abbcsse  d'Auchy.  Celte  femme  retrouva  au  milieu 
des  archives  la  vie  de  saint  Silvin  ;  après  l'avoir  parcourue,  elle  s'aperçut  de 
beaucoup  de  fautes  et  d'incorrections  de  langage.  Pleine  de  dévotion  pour 
saint  Silvin,  elle  fit  corriger  le  style  d'Anténor,  tout  en  conservant  le  sens 
des  détails.  Cet  auteur  primitif  était  contemporain  et  disciple  du  saint  évê- 
que. Nous  allons  donner  ici  la  traduction  de  cette  vie  composée  par  Anténor 
et  corrigée  par  un  auteur  anonyme  du  ix°  siècle. 

«  De  notre  temps  »  —  nous  traduisons  textuellement  l'ancienne  légende 
—  «  de  notre  temps  s'est  élevé  par  la  permission  divine,  aux  contrées  du 
Midi,  un  exemple  de  justice  et  d'admirable  sainteté  dans  la  personne  d'un 
nommé  Silvin,  évêque  et  confesseur  de  Jésus-Christ.  Il  a  été  placé  entre  un 
âge  qui  n'est  plus  et  un  âge  qui  n'est  point  encore,  pour  réunir  en  lui  les 
mérites  des  Saints  qui  l'ont  précédé  et  devenir  le  modèle  de  ceux  qui 
devaient  le  suivre. 

«La  noble  terre  de  Toulouse  donna  le  jour  à  Silvin  ;  le  pays  de  Thé- 
rouanne  le  posséda.  11  fut  illustre  par  sa  naissance,  plus  illustre  par  sa  foi 
et  sa  sainteté  selon  l'ordre  de  Dieu.  Ayant  paru  au  temps  du  premier  roi 
Charles  (Martel)  et  de  Chilpéric,  il  vécut  jusqu';\  la  bataille  de  Vincy  entre 
Charles  et  Rainlroi,  maire  du  palais,  dans  laquelle  se  fit  un  horrible  carnage 
et  où  Rainfroi  pri  la  fuite. 

«  Dans  sa  jeunesse,  il  épousa  une  jeune  fille  ;  mais  revenu  à  lui-même  et 
dirigé  par  les  conseils  de  la  suprême  sagesse,  il  renonça  à  cette  alliance, 
pour  imiter  dans  une  chasteté  parfaite  le  Fils  de  la  Vierge,  à  qui  plaît  tout 
ce  qui  est  pur.  11  céda  au  souvenir  de  cette  parole  de  l'Evangile  :  «  Celui 
qui  quittera  sa  maison,  ses  frères,  ses  sœurs,  son  père,  sa  mère  ou  son 
épouse  pour  mon  nom ,  recevra  le  centuple  ici-bas  et  la  vie  éternelle  ensuite  » . 

«  Conduit  par  la  main  divine,  pour  augmenter  le  mérite  de  sa  sainteté  et 
sauver  un  grand  nombre  d'âmes;  il  se  rendit  dans  la  partie  de  l'Occident,  au 
pays  de  Thérouanne,  où  il  gagna  à  Dieu  beaucoup  de  peuple. 

«  Il  recevait  assidûment  dans  sa  maison  les  étrangers  et  les  pèlerins  comme 
Jésus  lui-môme,  lavant  leurs  pieds,  les  nourrissant,  les  habillant  selon  ses 
facultés. 

«  Il  se  plaisait  à  répandre  son  bien  dans  le  sein  du  pauvre.  Sans  s'em- 


SAINT  SILVIN,   ÉVÊQUE  RÉGIONNAIRE.  561 

barrasser  du  lendemain,  docile  au  précepte  de  l'Evangile,  qui  dit  «  qu'à 
chaque  jour  suffit  sa  malice  »  ,  il  méprisa  le  monde  et  vécut  en  s'élevant 
au-dessus  de  toutes  les  choses  périssables  de  la  terre,  aimant  Dieu  de  toutes 
ses  forces  et  n'aspirant  qu'à  l'immortalité.  Il  usait  seulement  d'un  cheval 
dans  ses  voyages,  non  pour  se  délasser,  mais  à  cause  de  la  faiblesse  de  son 
corps,  qui  parvint  à  une  extrême  vieillesse. 

«  Il  entreprit  plusieurs  pèlerinages  pour  l'amour  du  Tout-Puissant,  visi- 
tant les  tombeaux  des  Saints,  y  répandant  des  prières,  ne  voulant  laisser 
aucun  juste  sans  l'intéresser  au  terme  de  son  voyage  ici-bas,  sans  chercher 
un  soutien  dans  ses  prières  :  persuadé  qu'il  faut  s'entourer  du  secours  des 
autres  pour  parvenir  à  l'éternelle  gloire,  puisqu'il  est  écrit  qu'il  est  difficile 
à  l'homme  seul  de  se  sauver. 

«  Non-seulement  il  visita  dans  ses  pèlerinages  les  provinces  qui  sont  bor- 
nées par  l'Océan,  mais  encore  il  traversa  les  mers  et  se  rendit  dans  cette 
terre  où  notre  Sauveur  Jésus-Christ  prit  la  forme  humaine  et  passa  sa  vie. 
Après  avoir  parcouru  divers  lieux,  il  parvint  à  celte  montagne  du  Golgotha 
appelée  Calvaire,  où  notre  Sauveur  fut  crucifié  par  les  Juifs  infidèles  et  les 
soldats  romains.  11  vint  ensuite  sur  les  bords  du  Jourdain  où  le  Seigneur  fut 
baptisé,  sanctifiant  notre  baptême  ;  il  se  lava  dans  les  eaux  du  fleuve,  joyeux 
et  reprenant  une  nouvelle  vie,  heureux  d'avoir  pu  accomplir  un  désir  qui 
était  le  plus  ardent  de  son  cœur  ! 

«  11  honorait  avec  une  grande  vénération  les  temples  des  Saints,  faisant 
brûler  des  flambeaux  dans  leur  enceinte,  y  célébrant  les  sacrés  mystères  et 
y  offrant  le  sacrifice  de  la  prière.  Il  aimait  les  prêtres,  respectait  les  moines, 
veillait  sur  les  vierges  pour  leur  apprendre  à  conserver  jusqu'à  la  fin  le  tré- 
sor de  la  chasteté  de  l'esprit  et  du  cœur  ;  il  prêchait  tous  les  jours  en  pré- 
sence du  clergé  et  du  peuple  de  la  manière  la  plus  parfaite,  exhortant  tous 
les  pécheurs  à  la  pénitence,  et  implorant  sans  cesse  pour  leurs  péchés  la  mi- 
séricorde divine.  En  qualité  de  ministre  de  Jésus-Christ,  il  écoutait  la  con- 
fession des  peuples,  leur  donnait  des  conseils,  les  instruisait  dans  les  voies 
du  salut,  les  exhortait  à  n'abandonner  jamais  les  sentiers  de  la  justice,  di- 
sant à  tous  que  le  joug  du  Seigneur  était  doux  et  léger,  qu'il  n'y  avait  rien 
de  plus  utile  que  de  le  servir,  lui  qui  donnait  un  éternel  royaume  à  ceux 
qui  l'aiment  de  tout  leur  esprit,  de  tout  leur  coeur  et  de  toutes  leurs  forces  ; 
que  c'était  une  véritable  folie  d'obéir  à  Satan,  qui  ne  peut  promettre  à  ses 
serviteurs  qu'une  peine  éternelle  et  des  feux  qui  ne  s'éteindront  jamais. 

«  Il  consacra  à  Dieu  tout  ce  qu'il  posséda,  et  jamais  il  n'attribua  à  son  mé- 
rite le  bien  qu'il  opéra,  mais  à  la  bonté  divine.  A  la  place  des  biens  périssa- 
bles de  la  vie,  il  s'attacha  à  ceux  de  l'éternité.  Il  construisit  sur  ses  domai- 
nes, à  la  gloire  de  Dieu  tout-puissant  et  du  Saint  dont  il  portait  le  nom, 
deux  églises,  l'une  en  un  lieu  appelé  Maunice,  l'autre  à  Saint-Remy-Cam- 
paigne,  dans  l'Artois,  afin  que  les  louanges  de  Dieu  y  fussent  perpétuelle- 
ment célébrées. 

«  Il  racheta  plusieurs  chrétiens  captifs  dans  les  contrées  lointaines  ;  il 
donna  aussi  la  liberté  à  plusieurs  esclaves,  après  les  avoir  instruits  des  prin- 
cipes de  la  foi  et  marqués  du  signe  de  la  croix.  Silvin  avait  pour  habitude, 
quand  les  malades  allaient  à  lui,  de  prier  Dieu  pour  eux  au  fond  de  son 
cœur  et  de  guérir  leurs  âmes  ;  puis  il  leur  offrait  des  bains  et  d'autres  re- 
mèdes bénits,  tels  que  l'huile  sanctifiée  ;  et  après  leur  avoir  donné  la  sainte 
communion,  il  les  renvoyait  dans  leur  demeure  dans  un  état  plus  satisfai- 
sant que  si  jamais  ils  n'eussent  été  atteints  par  la  maladie. 

«  Il  pratiqua  de  grandes  austérités.  Pendant  quarante  ans  il  ne  prit 
Vies  des  Saints.  —  Tome  U.  •a 


562  il    FÉVIUEU. 

d'autre  pain  que  le  pain  eucharistique,  se  contentant  de  quelques  herbes  et 
de  quelques  fruits.  N'ayant  jamais  porté  de  vêlements  somptueux,  il  n'en 
usa  quelquefois  de  précieux  que  dans  l'oblation  du  saint  sacriQce.  II  était 
vêtu  d'habits  simples  et  grossiers,  observant  cet  oracle  de  l'Esprit-Saint  :  «  Ne 
vous  habillez  pas  magnifiquement  »  ;  et  cet  autre  :  «  Ceux  qui  sont  mollement 
vêtus  habitent  le  palais  des  rois  ».  Il  combattit  pour  son  prince  avec  le  cilice 
et  la  cendre,  et  non  avec  des  ornements  mêlés  d'or  et  de  pierreries.  Il  ne 
prenait  jamais  son  sommeil  sur  un  lit  préparé,  mais  sur  du  bois  ou  sur  la 
terre  nue.  Pour  pouvoir  asservir  son  corps,  il  le  traitait  comme  un  esclave 
inutile  :  il  entourait  pendant  plusieurs  jours  ses  membres  de  cercles  de  fer, 
macérant  sa  chair  par  ces  instruments  dévorés  par  la  rouille  ;  il  agissait 
ainsi  au  souvenir  de  Jésus-Christ  qui  expira  sur  sa  croix,  attaché  par  des 
clous  de  fer  sur  le  bois  de  son  sacrifice.  On  le  vit  porter  à  Rome  d'énormes 
pierres  et  les  déposer  comme  un  trophée  devant  les  portes  de  la  basilique 
de  Saint-Pierre. 

«  Il  désira  souvent,  pour  rendre  à  Dieu  ce  qu'il  en  avait  reçu,  remporter 
la  couronne  du  martyre  ;  mais  les  persécutions  ayant  cessé,  il  ne  trouva 
personne,  au  milieu  des  triomphes  de  la  foi  dans  l'Eglise,  qui  pût  lui  don- 
ner la  mort.  II  aspira  aussi  à  la  vie  solitaire  et  à  la  contemplation  de  Dieu 
par  l'abandon  des  choses  humaines.  Ses  continuelles  infirmités  mirent  des 
bornes  à  ses  désirs  :  il  devint  l'égal  des  martyrs  par  les  tourments  auxquels 
il  soumit  ses  membres,  et  son  étonnante  abstinence  le  plaça  au  rang  des 
héros  du  désert. 

«  Nous  devons  maintenant  raconter  comment  cette  âme  bienheureuse 
quitta  la  prison  de  son  corps  pour  entrer  dans  le  séjour  de  la  gloire.  Vers  la 
fin  de  sa  vie,  il  se  sentit  saisi  par  la  maladie  et  consumé  par  la  fièvre.  Plus 
son  corps  était  accablé,  plus  il  exaltait  son  créateur,  soutenu  par  ces  paroles 
de  l'Apôtre  :  «Lorsque  je  suis  infirme,  alors  je  suis  puissant  m.  Quand  il  sentit 
sa  fin  approcher,  il  fit  célébrer  devant  lui  les  saints  mystères  et  chanter  les 
psaumes,  recevant  le  corps  du  Seigneur  en  se  marquant  du  "igné  de  la 
croix. 

«  II  avertit  ceux  qui  l'entouraient  d'avoir  toujours  dans  leur  pensée  le  jour 
de  leur  mort,  de  fuir  le  péché  et  d'avancer  saintement  dans  les  sentiers  de 
la  vie.  Habitué  à  louer  son  rédempteur  dans  les  jours  de  son  existence,  il  per- 
sévéra dans  ces  sentiments  jusqu'à  sa  mort.  Le  soir  du  samedi,  il  vit  une  troupe 
d'anges  courir  au-devant  de  lui.  Fortifié  par  cette  céleste  vision,  il  dit  à  haute 
voix  à  tous  les  assistants  :  «  Les  anges  viennent  à  nous  !  les  anges  viennent  à 
nous  !...  »  et  il  rendit  aussitôt  l'esprit.  Personne  ne  forma  le  plus  léger  doute 
sur  son  entrée  dans  les  cieux  parles  mains  des  anges  qui  étaient  venus  le 
prendre.  Le  jour  du  sabbat  ou  du  repos  auquel  il  mourut,  marqua  le  repos 
éternel  dont  il  jouit  dans  la  gloire. 

«  Un  grand  nombre  de  prêtres,  de  clercs  et  de  saintes  femmes  assistèrent 
à  ses  funérailles.  Le  chant  des  hymnes  sacrées  était  interrompu  par  les 
pleurs  qu'on  répandait  sur  la  mort  d'un  aussi  saint  pontife.  Ses  serviteurs 
et  ses  familiers  pleuraient  encore  plus  que  les  autres,  disant  que  jamais  ils 
ne  trouveraient  un  aussi  fidèle  protecteur.  Les  peuples  versaient  des  larmes 
sur  la  terre,  et  les  anges  se  réjouissaient  dans  le  ciel;  les  premiers  croyaient 
avoir  perdu  un  père,  et  ils  retrouvaient  un  protecteur. 

u  On  députa  un  courrier  au  monastère  de  Ccntulle  ',  assez  peu  éloigné 
d'Auchy,  où  saint  Silvin  faisait  sa  résidence  habituelle,  pour  inviter  les  moines 
à  assister  à  ses  obsèques.  Les  religieux  de  Centulle  répondirent  à  cette  invi- 

1.  Aujourd'bol  Stlnt-Riqalai. 


SAINT  SaVIN,   ÉrêûCE  RÉGIOMAIRE.  S63 

tation.  Ainsi  le  saint  évêque  Silvin  descendit  au  tombeau  accompagné 
de  tous  les  Ordres  auxquels  il  avait  donné  pendant  sa  vie  de  si  touchants 
exemples.  Le  saint  ponlite  fut  enseveli  dans  le  monastère  d'Auchy  au  chant 
des  hymnes,  à  l'odeur  des  aromates,  et  avec  la  plus  grande  vénération. 

«Après  l'ofGce  des  morts,  le  seigneur  Adalscar  et  Assiglia  (Ognies),  son 
épouse,  issue  de  la  noble  race  des  Francs,  donnèrent  un  grand  festin  à  ceux 
qui  avaient  assisté  aux  obsèques,  afin  de  réparer  les  forces  des  voyageurs. 
Ils  construisirent  dans  le  monastère  d'Auchy  une  basilique  en  l'honneur  de 
la  Mère  de  Dieu.  Avant  l'arrivée  de  saint  Silvin,  ce  monastère  avait  été 
élevé  par  eux  pour  leur  fille  Sicherde,  qui  y  prit  le  saint  habit  religieux. 
Après  la  mort  de  Silvin,  Sicherde  orna  cette  église  de  couronnes  '  et  de 
lampes  ;  elle  enrichit  le  tombeau  du  Saint  d'or  et  de  pierres  précieuses,  fit 
enchâsser  dans  l'or  et  l'argent  le  bâton  recourbé  qui  soutenait  ses  pas  chan- 
celants dans  sa  vieillesse,  et  le  plaça  dans  cette  sainte  demeure  ». 

On  rapporte  plusieurs  miracles  que  saint  Silvin  a  faits  durant  sa  vie  et 
après  sa  mort  ;  on  remarque  surtout  une  femme  aveugle  qui  recouvra  la 
vue,  des  énergumènes  délivrés,  et  une  infinité  de  malades  guéris.  Ces  divers 
miracles  ont  donné  lieu  à  autant  de  représentations  diverses  du  Saint. 

On  l'a  aussi  peint  avec  un  fiambeau  à  la  main,  pour  signifier  qu'il  ral- 
luma celui  de  la  foi  dans  la  Morinie. 

PATRIE  ET  RELIQUES  DE  SAINT  SILVIN. 

Telle  est  la  vie  authentique  de  saint  Silvin  composée,  comme  nous  l'avons  déjà  dit,  par  Anténor, 
son  disciple,  et  retouchée,  au  ix"  siècle,  par  les  soins  de  Leuthwithe,  abbesse  d'Auchy.  Il  n'est 
point  question  dans  celle  vie  de  la  promotion  de  Silvin  à  l'épiscopal.  11  fant  supposer  que,  puisque 
l'auteur  lui  donne  la  qualité  d' évêque,  il  fut  élevé  à  celte  dignité  à  Rome,  après  son  retour  de  la 
Terre-Sainte.  Les  auteurs  ont  beaucoup  varié  sur  ce  qui  regarde  cet  évêque.  Molanns  le  fait  naître 
k  Thérouanne  ;  une  ancienne  vie  manuscrite  lui  donne  l'Ecosse  pour  patrie  ;  les  uns  l'ont  fail  des- 
cendre de  Pépin  et  de  Plectrude  ;  les  autres  l'ont  fail  évêque  de  Thérouanne,  et  aussi  de  Toulouse. 
D'après  M.  Salvan  qui  croit  être  l'écho  du  senlùnent  généralement  reçu,  Silvin  naquit  dans  le  ter- 
ritoire de  Toulouse  '. 

Des  preuves  plausibles  font  penser  aux  Bollandisles  qu'il  naquit  à  Doesbourg,  en  Brabaat.  Cette 
Tille,  l'une  des  plus  anciennes  du  pays,  portait  dans  les  premiers  siècles  le  nom  de  Thosa,  ce  qui 
a  pu  la  faire  confondre  avec  Tholosa.  Il  est  un  mot,  un  seul,  de  la  légende  que  nous  voulons  relever 
—  il  ne  l'a  pas  encore  été  —  comme  allant  à  l'appui  de  celle  dernière  opinion  :  «  Conduit  par  la 
main  divine  »,  dit  Anténor,  o  il  se  rendit  dans  la  partie  de  VOccùli:»!,  au  pays  de  Thérouanne  ». 
Pourquoi  cette  expression  partie  et  celle  aulre  Occident  ?  Thérouanne  n'est  pas  à  l'Occident  de 
Toulouse,  mais  au  Nord,  tandis  qu'elle  est  à  l'Ouest  de  Doesbourg.  Ce  mol  partie,  indique  bien 
que  Silvin  habitait  le  pays  dont  'Thérouanne  dépendait,  c'est-à-dire  la  Gaule-Belgique.  Il  fut  évêque 
régioonaire,  c'est-à-dire  n'ayant  aucun  siège  particulier,  mais  destiné  par  le  Siège  apostolique  à 
prêcher  l'Evangile  en  divers  liens.  On  fixe  sa  mort  au  13   février  718. 

A  l'époque  de  l'insurrection  des  Normands,  au  ix»  siècle,  le  corps  de  saint  Silvin  fut  transporté  an 
château  d'Héristal,  près  de  Liège,  de  là  au  château  de  Dijon  en  Bourgogne,  puis  dans  l'abbaye  de  Bèze, 
où  ses  reliques  demeurèrent  en  partie.  En  951,  Arnould,  premier  comte  de  Flandre,  fit  transporter 
le  corps  de  saint  Silvin  du  monastère  de  Bèze  à  Sainl-Omer,  dans  l'abbaye  de  Sithieu  on  de  Saint- 
Berlin.  L'histoire  assez  curieuse  de  cette  dernière  translation  nous  a  été  rapportée  par  Jean  Ipérius, 
abbé  de  Saint-Berlin,  a  En  ce  temps  »,  dit-il,  o  ArnouM  l'Ancien  apporta  en  ce  lieu  le  corps  du  bien- 
heureux Silvin  d'Auchy  ;  il  le  reçut  à  titre  de  gage,  et  à  celte  condition  que,  si  au  jour  marqué,  et 
avant  que  les  cloches  du  monastère  n'indiquassent  l'heure  de  Prime,  il  n'était  point  racheté,  le  corps  da 
Saint  demeurerait  à  Saint-Bertm.  Au  jour  fixé,  les  moines  d'Auchy  vinrent  avec  le  prix  convenu  pour 
racheter  le  sacré  dépôt  ;  mais  ils  s'arrêtèrent  le  soir  à  Thérouanne,  et  le  lendemain  ne  partirent  qu'uû 
peu  tard.  Comme  ils  s'approchaient  de  Sithieu,  ils  entendirent  sonner  pour  Prime  les  cloches  de  Saint- 
Berlin  ;  ils  pressèrent  aussitôt  leurs  chevaux,  arrivèrent  an  ccavent,  et  offrant  le  prix  convenu,  ils 

1.  1)  s'agit  ici  de  couronnes  de  métal  (ordinairement  à  six  ctiéi,  poar  symboliser  les  six  attributs  de 
Dieu),  que  l'on  suspendait  ans  voûtes  de  l'église  et  qui  étaient  destinées  à  recevoir  des  cierges  allumés 
atis  jours  de  solennité  religieuse.  Plusieurs  de  nos  églises  de  campagne  possèdent  encoie  dea  ct^uiuaues 
da  ce  genre.  —  2.  Cf.  But.  gén.  de  l'Eglise  de  Toulouse,  tome  1". 


564  i^   FÉVRIER. 

réclamèrent  le  corps  du  saint  évêqtte,  tout  en  prétendant  qu'on  avait  devancé  l'heure  de  la  sonnerie 
pour  Prime.  L'abbé  répondit  qu'il  était  déjà  tard,  que  personne  ne  s'était  rendu  coupable  d'une 
pareille  fraude.  Après  avoir  demandé  quel  était  celui  qui  avait  sonné  les  coups  de  Prime,  on  se  rendit 
au  clocher,  et  l'on  vit  les  cloches  s'agiter  d'elles-mêmes  par  miracle,  Dieu  faisant  connaître  ainsi 
que  le  bienheureux  Silvin  avait  choisi  cette  maison  pour  le  lieu  de  son  perpétuel  repos.  Témoins  de 
ce  prodige,  les  moines  d'Auchy  revinrent  à  leur  monastère  ».  Telles  sont  les  paroles  d'ipérius. 
D'après  une  autre  version,  les  moines  de  Saint-Bertin  se  levèrent  ce  jour-là  plus  tard  qu'à  l'ordi- 
naire, et  quoique  les  cloches  eussent  sonné  Prime,  il  fut  reconnu  que  personne  ne  les  avait  agitées. 
Quoi  qu'il  en  soit  de  ce  miracle,  le  monastère  d'Auchy  ne  put  recouvrer  le  corps  de  saint  Silvin. 

Mais  le  5  août  1516,  le  Père  Antoine  de  Berges,  célèbre  abbé  de  Saint-Bertin,  Ot  la  visite  solennelle 
in  corps  de  saint  Silvin.  On  éleva  le  même  jour,  dans  une  procession  solennelle,  le  corps  de  saint  Tron 
et  de  saint  I.ibert  ;  la  messe  fut  chantée,  au  son  des  orgues  et  des  cloches,  en  l'honneur  de  saint  Silvin 
cra  évéque  de  Toulouse.  Après  la  messe,  les  portes  du  chœur  ayant  été  fermées  à  cause  du  concours 
immense  de  peuple,  l'abbé  montra  les  saintes  reliques.  Sur  les  instances  d'Olivier,  abbé  d'Auchy,  on 
ouvrit  la  chisse  de  saint  Silvin  ;  une  suave  odeur  s'exhala  aussitôt.  On  vit  alors  le  saint  corps  en  son 
entier,  et  l'abbé  ayant  détaché  l'os  maxillaire  inférieur  pour  en  faire  hommage  aux  religieux  d'Auchy, 
l'abbé  Olivier  se  prosterna,  revêtu  de  ses  ornements  sacrés,  et  ayant  reçu  ce  précieux  trésor  au  milieu 
des  larmes  de  toute  l'assemblée,  le  porta  comme  un  riche  trophée  à  Auchy,  où  saint  Silvin  était  mort. 

Les  continuateurs  de  Godescard  ajoutent  que,  depuis,  le  corps  de  saint  Silvin  fut  porté  à  Sentis, 
où  on  le  conserva  dans  l'église  collégiale  de  Saint-Fraimbault  jusqu'à  la  fin  du  xviii»  siècle. 


LE  BIENHEUREUX  ALEXIS  FALCONIERI, 

UN  DES  SEPT  FONDATEURS  DE  L'ORDRE  DES  SERVITES 
XIII*  siècle. 


Regardez  comme  un  signo  très-probable  de  votra 
■alut   si   vous    persévérez   îi    invoquer   Marie 
chaque  jour. 
B.  Alain  de  la  Roche,  Part,  iv,  serm.  i,  c.  24. 

Le  mont  Sénario,  éloigné  de  Florence  d'environ  neuf  milles,  a  été  ainsi 
appelé  à  cause  de  la  bonté  de  l'air  et  de  son  agréable  température,  comme 
qui  dirait  Morts  sani  aeris  ;  mais  il  mérite  encore  mieux  ce  nom  par  l'atmos- 
phère de  grâce  et  de  paix  qu'y  respirent  les  âmes  depuis  que  la  Reine  du 
ciel  en  a  fait  la  demeure  de  ses  serviteurs  :  je  veux  parler  de  l'Ordre  des 
Servîtes,  une  des  plus  belles  fleurs  qui  se  soient  épanouies  dans  le  jardin  de 
l'Eglise.  Saint  Philippe  Béniti  n'en  est  point  la  tige,  comme  le  démontre 
bien  le  R.  P.  Hélyot;  cet  Ordre  reconnaît  pour  fondateurs  sept  marchands 
de  Florence  nommés,  par  les  anciens  écrivains,  Bonds  Monaldi,  Bonagiunta 
Monetli,  Amédée  Amidei,  Manetto  del  l'Antella,  Uguccioni,  Sostegno  di 
Sostegni  et  Alexis  Falconieri  ;  mais  il  y  a  apparence  que  quelques-uns  chan- 
gèrent leurs  noms  en  renonçant  au  monde,  suivant  la  pratique  des  religieux, 
comme  le  remarque  le  Père  Giani,  dans  ses  Annales,  oîi  il  les  nomme  Bonfils 
Monaldi,  JeanMonetti,  Benoît  del  l'Antella,  Barthélémy  Amédée,  Ricouèrc- 
Lippe  Uguccion,  Gérardin  Sostegni  et  Alexis  Falconieri.  Ils  sortaient,  pour 
la  plupart,  des  meilleures  familles  de  Toscane.  Tous  sept  s'étaient  enrôlés 
sous  la  bannière  de  la  sainte  Vierge,  et  faisaient  partie  d'une  société  qui, 
sous  le  titre  de  Laudesi,  avait  pour  but  de  chanter  les  louanges  de  cette 
sainte  Mère  de  Dieu,  de  réciter  son  office  et  de  l'honorer  par  toutes  sortes  de 
moyens.  Ils  se  trouvaient,  pour  remplir  cette  obligation,  dans  leur  oratoire, 
le  jour  de  l'Assomntion  de  Notre-Dame,  l'an  1233,  et  parmi  eux  on  remar- 


LE  BIENHEimEDX  ALEXIS  FALCONIEM.  563 

quait  Alexis  Falconieri,  dont  nous  célébrons  aujourd'hui  la  fête  :  la  sainte 
Vierge  apparut  à  chacun  d'eux  et  les  exhorta  à  renoncer  au  monde  pour 
embrasser  un  genre  de  vie  plus  parfait.  Ils  se  communiquent  les  uns  aux 
autres  cette  vision  merveilleuse,  et  fidèles  à  la  voix  de  leur  reine,  ils  s'u- 
nissent et  commencent  par  vendre  leurs  biens  et  les  distribuer  aux  pauvres: 
ce  qu'ils  ne  font,  néanmoins,  qu'après  avoir  consulté  l'évêque  de  Florence, 
Aringo.  Ce  saint  prélat  les  ayant  confirmés  dans  leur  bon  dessein,  et  exhor- 
tés à  ne  point  différer  d'obéir  aux  ordres  du  ciel,  leur  permet  d'avoir  un 
oratoire  et  un  autel  pour  y  faire  célébrer  la  messe  dans  le  lieu  qu'ils  juge- 
ront à  propos  ;  il  se  déclare  leur  protecteur,  et,  comme  ils  ne  veulent  plus 
vivre  que  d'aumônes,  il  leur  permet  de  la  demander  dans  la  ville  et  aux  en- 
virons; après  quoi  ils  se  retirent  d'abord  dans  une  chétive  maison,  hors  les 
murs  de  la  ville,  en  un  lieu  appelé  le  CSiamp-de-Mars,  soit  qu'elle  leur  eût 
été  donnée  ou  qu'ils  l'eussent  achetée.  Ce  fut  là  que,  se  dépouillant  de  leurs 
habits  mondains  et  de  la  robe  sénatoriale  qui  les  avait  fait  respecter  comme 
membres  de  la  République,  dont  ils  avaient  rempli  les  premières  dignités, 
ils  s'habillent  comme  le  l'ont  ceux  qui  n'aspirent  plus  qu'à  être  membres  de 
la  cité  céleste  ;  ils  se  revêtent  d'un  habit  pauvre  de  couleur  de  cendre,  et, 
non  plus  chevaliers  de  la  terre,  mais  du  ciel,  ils  arment  leurs  corps  de 
haires,  de  cilices,  de  chaînes  de  fer,  pour  se  mettre  en  état  de  soutenir  les 
combats  que  le  démon  doit  leur  livrer;  Bonfils  Monaldi,  comme  le  plus  an- 
cien, commanda  celle  généreuse  troupe.  Pour  mieux  réussir  dans  leur  pro- 
jet d'étendre  le  règne  de  Jésus-Christ  sous  la  protection  de  sa  sainte  Mère, 
ils  reviennent  vers  l'évêque  de  Florence  recevoir  sa  bénédiction  et  de  nou- 
velles instructions.  Ils  ne  sont  pas  plus  tôt  entrés  dans  la  ville  que  le  peuple 
les  regarde  avec  admiration,  surpris  de  voir  des  personnes  riches  et  opu- 
lentes fouler  ainsi  aux  pieds  les  dignités  et  la  richesse,  ne  plus  rechercher 
d'autre  trésor  que  la  pauvreté,  d'autre  grandeur  que  l'humilité.  On  fut  plus 
surpris  encore  lorsqu'on  entendit  les  enfants  qui  étaient  à  la  mamelle  s'é- 
crier, en  les  montrant  au  doigt  :  «  Voilà  les  serviteurs  de  la  Vierge  !  »  Ce 
prodige  fît  que  l'évêque  Aringo  leur  conseilla  de  ne  point  changer  ce  nom, 
qui  leur  avait  été  donné  miraculeusement,  et  qui  leur  fut  confirmé,  lorsque, 
retournant  à  Florence  pour  y  recevoir  les  aumônes  dont  ils  vivaient,  les  en- 
fants les  appelèrent  encore.  Ils  demeurèrent  environ  un  an  dans  leur  pre- 
mière retraite  ;  mais  le  monde  qu'ils  fuyaient  les  y  suivit,  attiré  par  l'éclat 
de  leur  sainteté  ;  cela  les  fit  résoudre  à  chercher  une  solitude  pour  y  être 
plus  cachés  aux  hommes. 

Le  mont  Sénario,  dont  nous  avons  parlé  en  commençant,  leur  parut  fa- 
vorable à  lear  dessein;  l'évêque  Aringo  leur  donna  une  partie  de  cette  mon- 
tagne, qui  appartenait  à  son  église.  Ces  saints  fondateurs  commencèrent  par 
y  faire  bâtir  une  église  dont  la  première  pierre  fut  posée  par  l'évêque  de 
Florence,  qui  voulut  encore  en  cette  occasion  leur  donner  des  marques  de 
son  estime  ;  aux  environs  de  cet  oratoire,  ils  bâtirent  de  petites  cellules  de 
bois  séparées  les  unes  des  autres.  Ayant  choisi  la  pauvreté  de  la  Croix  pour 
leur  partage,  ils  vivaient  là  dans  un  si  grand  mépris  du  monde  et  une  si 
grande  innocence  de  mœurs,  qu'ils  paraissaient  plutôt  des  anges  sur  la  terre 
que  des  hommes.  Ils  n'eurent  d'abord  aucune  inquiétude  ni  pour  le  boire, 
ni  pour  le  manger,  ni  pour  le  vêtement,  contents  des  racines  et  des  herbes 
que  leur  fournissait  la  montagne  :  leur  principale  nourriture  était  d'ailleurs 
de  chanter  les  louanges  de  la  sainte  Vierge.  Mais  Bonfils  Monaldi,  qui,  en 
qualité  de  supérieur,  était  obligé  de  veiller  à  la  conservation  de  ses  frères, 
voyant  qu'ils  ne  pouvaient  résister  à  de  si  grandes  austérités,  crut  qu'il  fallait 


560  17  PÏVBIER. 

avoir  recours  aux  aumônes  des  fidèles  pour  les  faire  subsister,  et  il  envoya  à 
Florence  Jean  Monelti  et  notre  bienheureux  Alexis  Falconieri.  Ce  dernier 
faisait  profession  d'une  particulière  humilité,  qui  l'empêcha  de  recevoir  les 
Ordres  sacrés  lorsque  ses  compagnons  en  eurent  obtenu  la  permission  ;  il  ne 
voulait  jamais  être  employé  qu'aux  offices  les  plus  bas;  aussi  reçut-il  comme 
une  faveur  l'ordre  de  faire  la  quûte  à  Florence  ;  il  retournait  tous  les  jours 
au  mont  Sénario,  éloigné  de  plus  de  deux  lieues  de  Florence.  Comme  il  était 
souvent  impossible  de  faire  ce  chemin  deux  fois  le  jour  par  des  temps  fâ- 
cheux, les  Servîtes  obtinrent,  aux  portes  de  Florence,  un  petit  hospice  où  ils 
demeurèrent  deux  ou  trois,  et  qui  est  devenu  depuis  le  célèbre  monastère 
de  l'Annonciade  de  Florence.  Le  cardinal  Geoffroy  de  ChUtillon,  qui  faisait 
la  fonction  de  légat  du  pape  Grégoire  IX,  dans  la  Toscane  et  dans  la  Lom- 
bardie,  voulut  visiter  les  solitaires  du  mont  Sénario.  Pendant  le  séjour  qu'il 
y  fit,  il  modéra  un  peu  leurs  grandes  austérités;  s'étant  aperçu  qu'il  yen 
avait  qui  gardaient  un  très-étroit  silence  pendant  un  long  temps,  d'autres 
qui  passaient  plusieurs  mois  dans  des  grottes  affreuses,  d'autres  qui  ne  vou- 
laient manger  que  des  racines,  il  leur  conseilla  de  n'avoir  tous  qu'une  même 
observance  et  des  exercices  uniformes.  Profitant  de  cet  avis,  ils  prièrent 
l'évèque  de  Florence  de  leur  prescrire  une  règle.  Pendant  que  ce  prélat  dé- 
libérait là-dessus,  la  sainte  Vierge,  qui  avait  déjà  favorisé  ses  nouveaux  ser- 
viteurs de  plusieurs  visions,  leur  apparat  encore,  en  leur  montrant  un  habit 
noir  qu'elle  leur  commanda  de  porter  en  mémoire  de  la  passion  de  son  Fils; 
elle  leur  présenta  aussi,  dit  le  Père  Archange  Grani,  la  Règle  de  saint  Au- 
gustin. C'est  en  mémoire  de  cette  apparition,  arrivée  le  vendredi  saint  de 
l'an  1239,  que  les  religieux  do  cet  Ordre  ont  coutume  de  faire,  ce  jour-là, 
une  cérémonie  qu'ils  appellent  les  funérailles  de  Jésus-Christ  ;  le  lendemain, 
jour  du  samedi  saint,  ils  en  font  une  autre  qu'ils  appellent  le  couronnement 
de  la  sainte  Vierge.  Ils  reçurent  donc  des  mains  de  l'évCque  un  habit  tel  que 
le  désirait  leur  divine  Mère,  avec  la  Règle  de  saint  Augustin.  Tels  furent  les 
merveilleux  commencements  de  l'Ordre  des  Servîtes,  qui  fit  de  grands  pro 
grès  sous  le  gouvernement  de  saint  Philippe  Béniti.  Nos  saints  fondateurs, 
après  avoir  remporté  de  nombreuses  victoires  sur  le  démon  et  le  monde, 
sous  la  bannière  de  Marie,  allèrent  recevoir  de  sa  main  la  couronne  due  à 
leurs  mérites. 

Le  culte  du  bienheureux  Alexis  Falconieri  a  été  approuvé  par  le  pape 
Qément  Xl.le  1" décembre  1717,  et  celui  de  ses  six  compagnons,  le  3  juillet 
1725. 

On  représente  les  sept  fondateurs  de  l'Ordre  des  Serviteurs  de  Marie  à 
genoux  devant  une  image  de  Notre-Dame  des  Sept-Douleurs.  On  les  recon- 
naît encore  au  chiffre  de  l'Ordre,  qui  consiste  en  un  grand  M  formé  par 
un  lis  à  trois  branches  fleuries  ou  deux  branches  qui  retombent  des  deux 
côtés  de  la  tige  centrale. 

On  pourra  voir  les  auteurs  qui  ont  ieiit  sur  l'origine  de  l'Ordre  des  Servîtes  dans  le  l'ère  Hflyot,  qui 
Bons  a  beaucoup  «ervl  pour  cet  abrégi. 


SAINT  ÉVËRMODE,  ÉVÊQUE  DE  RATZBOURG  (1168). 

Xprès  avoir  fondé  le  premier  monastère  de  son  Ordre  dans  la  foièt  de  Coucy,  au  diocèse  deLaon, 
«àint  Norbert  en  confia  la  direction  à  Hugues  de  Garnirai,  son  disciple  bien-aimé,  et  alla  évaûgéliser 
les  peuples  et  chercher  de  nouveaux  compagnons  de  ses  travaux  apostoliques.  Pendant  le  Carême 


MARTYROIOGES.  5567 

de  l'année  1121,  il  vint  à  Cambrai,  auprès  de  l'évèquc  Burchard,  son  ami,  et,  sur  son  invitation,  il 
pricba  pinsieura  fois  la  parole  de  Diea  au  peuple.  Après  le  premier  sermon  qa'il  prononça,  on 
homme  très-distingué  par  sa  piété,  ses  qualités  et  la  pénétration  de  son  esprit,  s'attacha  an  saint 
fondateur  en  qualité  de  disciple.  11  s'appelait  Evermode.  Les  auteurs  ne  disent  point  s'il  était  né  ^ 
Cambrai  on  dans  les  environs,  ou  si  une  circonstance  quelconque  l'avait  amené  dans  cette  ville  lors 
du  passage  de  saint  Norbert.  Peut-être  que  comme  le  Bienheureux  Hugues,  dont  il  a  été  parlé  plus 
haut,  faisait-il  partie  du  clergé  do  Cambrai.  La  supposition  parait  d'autant  plus  fondée,  qu'on  voit 
Evermode  suivre  aussilit  son  maître,  et  annoncer  comme  lui  la  parole  de  Dieu  dans  différentes 
contrées  de  ce  diocèse.  Avant  la  fm  du  Carême,  saint  Norbert  le  conduisait  dans  son  monastère  de 
Prémontré  avec  douze  autres  disciples. 

Saint  Evermode,  après  avoir  pratiqué  fidèlement  tontes  les  vertus  religieuses  dans  la  solitude 
de  Coucy,  suivit  saint  Norbert  à  Magdebourg,  et  fut  nommé  prévôt  de  l'église  de  Sainte-Marie  de 
cette  ville,  puis  évèque  de  Ratzbourg,  en  Danemark.  On  ne  connaît  point  le  détail  de  ses  actions. 
Quelques  auteurs  seulement  rapportent  que  des  Frisons  ayant  été  faits  prisonniers  par  Henri,  comte 
de  Ratzbourg,  le  vénérable  évèque  lui  demanda  leur  délivrance  et  ne  put  l'obtenir.  Le  jour  de 
Pâques  venu,  les  prisonniers  furent  amenés,  chargés  de  chaînes,  dans  l'église,  pour  y  assister  aui 
offices  solennels.  Le  pontife  prenant  de  l'eau  bénite,  s'approcha  d'eux  et  des  autres  assistants,  et 
les  aspergea  en  prononçant  cette  parole  des  Ecritures  :  Dominuf  solvit  compediios,  a  le  Seigneur 
délivre  ceux  qui  sont  enchaînés  »,  Au  même  moment,  les  chaînes  tombèrent  des  mains  des  captifs 
et  ils  furent  délivrés.  On  a  conservé  longtemps  ces  chaînes  des  prisonniers  dans  le  trésor  de  Vi- 
glise  de  Rat2bourg,  comme  un  témoignage  de  ce  fait  extraordinaire. 

M.  L'abbé  Destombes. 


XYIir    JOUR    DE   FÉVRIER 


MARTYROLOGE  ROMAIN. 

k  Jérnsaletn,  la  naissance  an  ciel  de  saint  Siméon,  évèque  et  martyr,  qne  l'oû  dit  avoir  été 
fils  de  Cléophas  et  proche  parent  du  Sauveur.  Ordonné  évèque  de  Jérusalem  après  saint  Jacques,  le 
frère  du  Seigneur,  il  souffrit  de  nombreux  supplices  dans  la  pei-sécution  de  Trajan,  et  consomma 
son  martyre,  tandis  que  tous  les  assistants  et  le  juge  lui-même  admiraient  avec  quel  courage  et  quelle 
constance  ce  vieillard  de  cent  vingt  ans  avait  enduré  le  supplice  de  la  croix.  107  ou  109. —  A  Ostie, 
les  saints  martyrs  Maxime  et  Claude,  frères,  et  Prépédigne,  femme  de  Claude,  avec  leurs  deux  fils, 
Alexandre  et  Cuthias,  d'une  naissance  illustre,  qui  furent  arrêtés  par  ordre  de  Dioclétien  et  dépor- 
tés ;  ensuite,  ayant  été  condamnés  aux  flammes,  ils  offrirent  eux-mêmes  à  Dieu  un  si  cruel  supplice 
comme  un  sacrifice  d'agréable  odeur.  Leurs  reliques  avaient  été  jetées  dans  le  fleuve,  mais  les 
chrétiens  les  ayant  cherchées  avec  soin  et  trouvées,  les  ensevelirent  près  de  la  même  ville.  295.  — 
En  Afrique,  les  saints  martyrs  Lucius,  Sylvain,  Hulule,  Classique,  Secondin,  Fructule  et  Maxime  •. 
—  A  Constantinople,  saint  Flavien,  évèque,  qui,  soutenant  avec  vigueur  la  foi  catholique,  i 
Ephèse,  fut  outrageusement  battu  à  coups  de  pieds  et  de  poings,  par  la  faction  de  l'impie  Dioscore, 
puis  traîné  en  exil,  où  il  mourut  trois  jours  après.  449.  —  A  Tolède,  saint  Hellade,  évèque  et 
confesseur.  631, 

MARTYROLOGE  DE  FRAACE,  REVD   ET  Al'GMEÎiTÉ. 

Dans  l'abbaye  de  Saint-Riquier,  saint  Angilbert,  vulgairement  saint  Inglevert,  secrétaire  et 
confident  de  Charlemagne,  qui  quitta  les  grandeurs  du  monde  et  les  premières  dignités  de  l'Etat, 
auxquelles  sa  noblesse,  sa  vertu  et  sa  singulière  prudence  l'avaient  élevé,  pour  se  faire  religieux  en 
ce  monastère,  dont  il  fut  ensuite  abbé.  814.  —  A  Clairvaux,  saint  Sylvain,  disciple  de  saint  Be> 

1.  Les  BolUndistes  ajoutent  les  saints  Damasa,  Fanl  et  MartUl. 


568  18  FÉVhiER. 

nard,  religieux  d'une  pureté  angélique  et  d'une  dévotion  si  admirable,  qu'on  participant  aut  saint» 
mystères  il  avait  le  visage  luisant  comme  te  soleil,  et  les  habits  blancs  comme  la  neige.  —  04 
plus,  à  Metz,  saint  Légonce  ou  Léonce,  douzième  évèque  de  ce  siège  et  successeur  de  saint  Phrooime  >. 


HARTVROLOGES  DES   ORDRES  RELIGIEUX. 

Martyrologe  de  Saint-Basile.  —  K  Constantinople,  saint  Flavien,  évèque,  de  l'Ordre  de  Saint- 
Basile. 

Martyrologe  des  Chanoines  réguliers.  —  A  Coïmbre,  au  monastère  de  Sainte-Croix,  saint 
Théotone,  confesseur,  qui,  après  avoir  deux  fois  fait  le  pèlerinage  des  lieux  saints  à  Jérusalem, 
hinda  le  monastère  de  Sainte-Croix,  et  rétablit  en  Portugal  1j  discipline  régulière  des  chanoines  de 
Latran  ;  il  s'envola  au  ciel  tout  brillant  de  mérites  et  de  vertus,  à  l'âge  de  quatre-vingts  ans  '. 
H66. 

Martyrologe  de  Saint-Benoit  et  de  lu  Comjrégation  de  Vatlombreuse.  —  A  Tolède,  saint  Hel- 
LADE,  évèque  et  confesseur,  qui,  après  qu'il  eut  été  élevé  à  la  dignité  sublime  de  l'épiscopat, 
donna  encore  de  plus  grands  exemples  de  vertu  qu'il  n'avait  fait  étant  moine.  632. 

Martyrologe  des  Cisterciens.  —  Saint  Hilaire,  évèque  et  confesseur,  dont  la  naissance  au  ciel 
est  rapportée  le  14  janvier.  —  De  plus,  anniversaire  solennel  pour  les  évèques,  les  abbés  et  les 
autres  supérieurs  défunts  de  l'Ordre  Cistercien. 

Martyrologe  des  Frères  Prêcheurs.  —  A  Pisloie,  en  Toscane,  le  bienheureux  Laurent  de  Ri- 
pafratta,  confesseur  de  notre  Ordre,  qui  s'clevant  par  degrés  aux  contemplations  les  plus  hautes, 
brilla  de  l'éclat  de  toutes  les  vertus  religieuses.  Saint  Antonin  de  Florence  l'ayant  eu  pour  institu- 
teur de  sa  vie  régulière,  connut  parfaitement  toute  sa  sainteté,  qu'il  exalta  par  de  grandes  louanges. 
1457. 

Martyrologe  de  FOrdre  Romano-Séraphique.  —  Saint  Marcel,  pape  et  martyr,  dont  la  nais- 
sance au  ciel  est  rapportée  au  16  janvier.  —  Près  de  la  ville  de  Saint-Séverin,  dans  la  Marche  d' An- 
cône,  le  bienheureux  Bentivoglio,  confesseur  et  prédicateur  excellent,  qui  brilla  par  ses  miracles  et 
par  ses  œuvres,  et  par  le  don  d'oraison  et  de  contemplation. 

Mitrtijroloye  de  l'Ordre  Se'niphiijue.  —  Saint  André  Coreini,  évèque  et  confesseur,  dont  la 
mémoire  est  honorée  le  4  février. 

Martyrologe  Je  Saiut-Augusliti.  —  Dans  la  ville  de  Sainte-Croix,  en  Toscane,  la  bienheu- 
reuse CimÉTiEN.NE  Oringa,  vierge  de  notre  Ordre,  laquelle,  étant  encore  jeune  fille,  obligée  de 
fuir  pour  garder  son  vœu  de  virginité,  traversa  à  pied  sec  la  rivière  de  Juxia.  Ayant  ensuite  fondé 
le  monastère  de  Sainte-Marie-la-Neuve,  sous  la  règle  de  saint  Augustiu,  elle  s'envola  au  ciel  le  4 
de  janvier,  glorieuse  par  sa  sainteté  et  ses  miracles.  1310. 

Martyrologe  de  l'Ordre  des  Sei-vites.  —  L'octave  des  sept  bienheureux  fondateurs  de  l'Ordre 
des  Servîtes. 

M'iilyrologe  des  Capucins.  —  Sainte  Martine,  vierge  et  martyre,  dont  la  fête  est  célébrée  par 
l'Eglise  le  30  de  janvier. 

Martyrologe  des  Carmes  déchaussés.  —  Saint  Raymond  de  Pennafort,  confesseur,  dont  la 
naissance  au  ciel  est  le  7  de  janvier. 


ADDITIONS  FAITES    D  APRES   LES   BOLLAKOISTES  ET  AUTRES  HAGIOGRAPBES. 

A  Lentini,  en  Sicile,  une  glorieuse  cohorte  de  martyrs,  qui  furent  égorgés  par  des  soldats  dans 
la  citadelle  de  Menée,  où  ils  s'étaient  réfugiés.  An  25â.  —  A  Patare,  en  Lycie,  les  saints  Léo.n  et 
Pahégore,  martyrs.  —  A  Brescia,  en  Italie,  saint  lipiménée  ou  Pimène,  prêtre  et  martyr  '.— 
Et  ailleurs,  les  saints  martyrs  .Marcel,  Macrobe,  Géminus,  liomulus,  Silviaa,  Carsique  et  Fructule. 

1.  Il  fut  inhumé  dans  la  crypte  de  saint  Clément,  sépulture  ordinaire  des  premiers  évêques  de  Metz, 
et  depuis  transféré  dans  l'abbaye  du  même  nom,  lorsqu'elle  fut  rebâtie  dans  l'enceinte  de  la  ville  après  l6 
siège  de  1552.  L'cvêque,  Etienne  de  Bar,  ayant  demandé  son  corps  pour  en  faire  présent  au  prieuré  béné- 
diclln  de  Luchesiu,  qui  dépendiiit  de  l'abbaye  de  Saint-Georges  (diocèse  de  Constance),  les  religieux  de 
Saint-Clément  refusèrent  de  se  dessaisir  d'un  depOt  si  précieux.  —  Voir  au  16  mars,  dans  la  légende  de 
saint  Julien  de  Lescar,  son  disciple. 

'2.  Notre  saint  Bernard  lui  envoya  son  bâton  en  signe  d'amitié  c:  de  vénération.  11  avait  d'abord  été 
prieur  de  Notre-Dame  de  Viseo.  Son  culte  a  été  approuvé  par  Benoit  XIV.  Propre  de  Portugal. 

3.  11  y  avait,  au  xviie  siècle,  à  Brescia,  un  célèbre  monastère  de  mies  dédié  à  sainte  Julie,  qui  avait 
été  fondé,  au  vue  siècle,  par  Gorgone,  femme  de  Didier,  roi  des  Lombards.  C'est  dans  ce  monastère  que 
■e  trouvaient  les  reliques  de  saint  Epiménée.  On  lisait  sur  le  tetiquaire  l'inscription  suivante  :  •  Le  18 
dea  calendes  do  janvier  1600,  ont  été  transférées  Ici  les  reliques  des  vierges  et  martjTes  Julie,  Pistie, 
llelpis,  A.;aiie,  et  Sophie  leur  mère;  de  deux  innocenta;  des  saints  Epiménée  le  Juste,  Hippolytc,  et  Con- 
corde, leur  nourrice,  martyrs;  du  bieuUcureux  Oblclus,  confesseur,  etc.  • 


SAIXT    SIITÉÙX,    ÉVÊÛUE   DE   JÉRUSALEM  ET   JIAJITYR.  569 

—  A  Rome,  ies  saintes  Coastajice  Augusta,  Attique  el  Arlémie,  vierges,  doat  les  deux  dcmicies, 
filles  de  saint  Gallican,  furent  converties  par  la  première.  Elles  firent  élever  une  basilique  en 
l'honneur  de  sainte  AginH.  iv»  s.  —  En  Irlande,  saint  Culan,  évêque.  —  En  Angleterre,  saint 
Colnian,  évéque  de  Lindisfarnc,  et  auparavant  moine  bénédictin.  Il  prit  part  aus  contioverses  de 
son  temps  sur  la  célébrition  de  la  Pique.  Vers  la  fin  de  ses  jours  il  abdiqua  l'épiscopat  pour 
revenir  en  Irlande,  sa  jatrie,  et  y  bâtir  des  monastères.  An  ël6. 


SAliNT  SIMEON,  EVEQUE  DE  JERUSALEM  Eï  MARTYR 

107  ou  109.  —  Pape  :  Saint  Evariste.  —  Empereur  :  Trajan. 


La  plus  vénérable  de  toutes  les  Tieillessea  n'est  paj 
celle  qui  compte  le  plus  d'années  ;  mais  celle  qui, 
à  ses  cheveui  blancs,  joint  l'iiouneur  d'une  vie 
sans  reproche  et  sans  faiblesse  ;  car,  dit  encore  le 
Seigneur,  il  est  trois  choses  que  je  déteste  par- 
dessus toutes  :  on  pauvre  orgneillcus,  un  ricti9 
vaniteux  et  un  vieillard  fat  et  insensé. 

5aj>.,  IV,  8  ;  Eccli.,  xxv,  4. 

Saint  Siméon  eut  pour  père  Cléophas,  autrement  dit  Alphée,  frère  de  saint 
Joseph,  et  pour  mère,  Marie,  qui  eut  le  bonheur  d'accompagner  la  très- 
sainte  Vierge  au  Calvaire.  Les  plus  habiles  interprètes  pensent  qu'il  est  le 
même  que  ce  Simon,  frère  de  saint  Jacques  le  Mineur,  de  saint  Jude  et  de 
Joseph,  dont  il  est  parlé  dans  l'Evangile  '.  Il  naquit  huit  ou  neuf  ans  avant 
le  Sauveur  ;  et  l'on  ne  peut  douter  qu'il  ne  se  soit  mis  de  bonne  heure  à  sa 
suite  avec  son  père,  sa  mère  et  ses  trois  frères.  Il  ne  paraît  pas  moins  certain 
qu'il  regut  le  Saint-Esprit  le  jour  de  la  Pentecôte  avec  la  sainte  Vierge  et  les 
Apôtres,  et  qu'il  était  du  nombre  de  ceux  qui  sont  désignés  sous  le  titre 
général  de  frh-es  du  Seigneur^. 

Lorsque  les  Juifs  eurent  massacré,  en  62,  saint  Jacques  le  Mineur,  pre- 
mier évêque  de  Jérusalem,  saint  Siméon  eut  le  courage  de  leur  reprocher 
cette  horrible  cruauté  '.  Il  n'ignorait  pas  le  danger  auquel  il  s'exposait  ; 
mais  il  était  animé  de  cet  esprit  de  force  qui  rend  supérieur  à  tout  sentiment 
de  crainte.  Quelque  temps  après,  les  Apôtres  et  les  disciples,  s'étant  assem- 
blés à  Jérusalem  pour  donner  un  successeur  à  saint  Jacques,  élurent  Siméon 
tout  d'une  voix.  On  croit  qu'il  avait  auparavant  aidé  son  frère  dans  le  gou- 
vernement de  son  église. 

Les  Romains,  lassés  des  révoltes  continuelles  des  Juifs,  résolurent  enfin 
de  détruire  Jérusalem  ;  ils  se  mirent  donc  en  marche  pour  exécuter  leur 
dessein  :  mais  Dieu,  qui  voulait  sauver  ses  serviteurs,  les  avertit  miraculeu- 
sement'de  sortir  d'une  ville  sur  laquelle  il  allait  déployer  ses  vengeances 
de  la  manière  la  plus  formidable.  Les  chrétiens,  dociles  à  la  voix  du  ciel, 
partirent  avec  leur  évêque  et  se  retirèrent  dans  la  petite  ville  de  Pella,  située 
au-delà  du  Jourdain.  Ceci  arriva  l'an  66  de  Jésus-Christ  et  avant  que  Vespa- 
sien  eût  formé  le  siège  de  Jérusalem.  Les  fidèles  repassèrent  le  Jourdain 
après  la  ruine  de  cette  malheureuse  ville  et  vinrent  habiter  au  milieu  de  ses 
débris.  On  y  vit  bientôt  refleurir  l'Eglise  '.  Dieu  s'en  déclara  visiblement  le 

1.  Matih.,  XIII,  55.  —  2.  Ad.,  I,  11.  —  3.  S.  Eplpb.,  hœres.,  Lxx\aii,  c.  lA.  —  4.  £useb.,  1.  m,  o.  6; 
S.  Kpiph.,  harei.,  xxix.  c.  7;  hteres.,  xxx,  c.  2. 

5.  S.  iipiph  ,  1.  de  Pond,  et  Mensur.^  c.  15;  Euseb.,  Dem.,  1.  m,  c.  fi* 


570  *8  FÉVRIER. 

protecteur,  et  il  la  gloi'iûa  par  tant  de  prodiges  qu'un  grand  nombre  de  juifs 
embrassèrent  !e  christianisme.  Les  choses  restèrent  en  cet  état  jusqu'aux 
dernières  années  d'Adrien,  qui  fit  entièrement  raser  Jérusalem. 

La  joie  qu'avait  saint  Siméon  de  voir  tous  les  jours  les  disciples  de  Jésus- 
Christ  se  multiplier,  fut  troublée  par  la  naissance  de  deux  hérésies:  celle 
des  Nazaréens  et  celle  des  Ebionites.  Les  Nazaréens  se  rapprochaient  en 
plusieurs  points  des  juifs  et  des  chrétiens,  quoique  dans  le  fond  ils  détes- 
tassent les  uns  et  les  autres.  Ils  regardaient  à  la  vérité  Jésus-Christ  comme 
le  plus  grand  des  Prophètes  ;  mais  ils  niaient  en  même  temps  qu'il  fût  Dieu. 
Ils  observaient  les  jours  du  sabbat  et  du  dimanche,  et  faisaient  un  alliage 
monstrueux  des  cérémonies  de  l'ancienne  et  de  la  nouvelle  loi'.  A  toutes 
ces  erreurs,  les  Ebionites  en  joignaient  d'autres  qui  leur  étaient  particu- 
lières :  ils  enseignaient,  par  exemple,  que  le  divorce  était  licite  et  qu'on 
pouvait  se  livrer  sans  scrupule  à  des  crimes  infâmes.  L'auteur  de  cette  der- 
nière secte  dogmatisa  d'abord  dans  le  village  de  Cocabe,  au-delà  du  Jour- 
dain ;  il  passa  depuis  en  Asie,  et  vint  jusqu'à  Rome.  Les  hérétiques,  jusqu'alors 
timides,  n'osèrent  répandre  leurs  erreurs  en  public  durant  l'épiscopat  de 
saint  Siméon,  qui  vécut  plus  longtemps  qu'aucun  des  disciples  du  Seigneur. 
Mais  Dieu  ne  l'eut  pas  plus  tôt  retiré  de  ce  monde  qu'on  vit  sortir  de  l'enfer 
une  multitude  eCfroj'able  de  doctrines  impies  qui  attaquèrent  ouvertement 
la  pureté  de  la  foi  -. 

La  Providence  avait  permis  que  notre  Saint  échappât  aux  recherches 
que  Vespasien  et  Domitien  firent  faire  de  tous  ceux  qui  étaient  de  la  race  de 
David:  mais  Trajan,  par  une  détestable  raison  d'Etat,  persécuta  non-seule- 
ment les  chrétiens  comme  ennemis  de  ses  dieux,  mais  aussi  tous  les  Juifs 
qui  descendaient  de  la  race  de  David,  parce  qu'il  avait  ouï  dire  qu'un  prince 
devait  naître  dans  cette  famille  royale,  qui  délivrerait  son  peuple  de  la  ser- 
vitude et  se  rendrait  redoutable  à  toute  la  terre. 

Siméon,  âgé  de  cent  vingt  ans,  fut  donc  accusé  et  amené  devant  le  tri- 
bunal d'Atticus,  personnage  consulaire  et  lieutenant  de  l'empereur.  L'accu- 
sation fut  fondée  sur  deux  chefs  :  l'un  était  sa  religion,  l'autre  sa  naissance. 
Atticus  entra  en  conférence  avec  Siméon,  pour  lui  persuader  de  renoncer 
â  la  foi  de  Jésus-Christ  et  d'obéir  à  César  ;  mais,  voyant  qu'il  travaillait  en 
vain,  il  le  fit  fouetter  plusieurs  fois,  et  l'exposa  à  d'autres  cruels  tourments, 
que  le  saint  vieillard  soulTrit  avec  un  tel  courage  et  avec  tant  de  résolution, 
que  le  juge  et  les  assistants  étaient  surpris  de  voir  un  corps  usé  par  les 
années  résister  à  des  douleurs  si  atroces.  Mais  Dieu,  qui  avait  donné  à  un  si 
grand  nombre  d'innocentes  vierges  et  à  de  petits  enfants  la  force  d'endurer 
la  rigueur  des  éléments  et  de  mépriser  les  peines  que  la  rage  des  barbares 
inventait  tous  les  jours  pour  les  persécuter;  Dieu  donna  à  ce  vénérable 
vieillard  le  courage  de  souffrir  constamment  et  de  mourir  enfin  sur  une 
croix  comme  le  Sauveur.  Sa  mort  arriva  le  18  février,  l'an  de  Notre-Seigneur 
107  ou  i09,  sous  l'empire  de  Trajan. 

C'est  à  sa  mort  que  se  terminent  les  temps  dits  apostoliques,  c'est-à-dire 
que  saint  Siméon  passe  pour  le  dernier  survivant  de  ceux  qui  avaient  eu  le 
bonheur  de  voir  Jésus-Christ  sur  la  terre. 

Dieu  permit  que  les  dénonciateurs  du  disciple  de  son  Fils  tombassent 
eux-mêmes  dans  les  filets  qu'ils  lui  avaient  tendus.  Les  juges  romains  trou- 
vèrent ou  feignirent  de  trouver  qu'ils  étaient  aussi  de  la  race  royale  :  ils 

1.  n  parait,  par  le  récit  do  saint  Kpiphane,  qoe  riii^rifsla  des  Nazaréens  prit  naissance  k  PelU. 
t.  Esse)).,  1.  III,  c.  32. 


SADJT  FtATŒN,  PATRIARCHE  DE  C0N3TAMTISOPLE.  571 

pavèrent  de  leur  tôte  le  crime  de  leur  naissance,  mais  sans  avoir  la  consola- 
tion de  mourir  pour  Jésus-Qirist,  comme  saint  Siméon. 

Les  Grecs  honorent  sa  mémoire  le  27  avril,  et  les  Latins  le  18  février. 

Quelques  églises  d'Occident,  celles  de  Brindes  et  de  Bologne,  en  Italie, 
celle  de  Bruxelles,  en  Belgique  ;  celle  de  Torrelaguna,  près  de  Madrid, 
possèdent,  dit-on,  quelques-unes  de  ses  reliques. 

Nioéphore  Cillxte  a  écrit  son  martyre,  et  le  martyrologe  romain,  avec  les  autres,  fait  mémoli* 
délai. 


SAmT  FLAVIEN,  PATKLiKCHE  DE  GONSTANTLNOPLE 

449.  —  Pape  :  Saint  Léon  I",  le  Grand.  —  Empereur  :  Théodose  H,  le  Jetme. 


Es  T^le  générale,  la  persécntlon  est  la  part  des 
joatea  ;  il  ne  faut  pas  a'en  plaindre,  polsqae  le  cUL 
l'achète  ik  ce  prix.  Maith.,  T,  10. 

Flavien,  prêtre  et  trésorier  de  l'église  de  Constantinople,  en  fut  élu  ar- 
chevûque  en  447,  après  la  mort  de  saint  Procle.  Cette  élection  déplut  à  l'eu- 
nuque Chrj'saphius,  chambellan  de  l'empereur  Théodose  le  Jeune.  Ce  mi- 
nistre, prévenu  contre  Flavien,  conçut  dès  lors  le  dessein  de  le  perdre.  Il 
engagea  le  faitle  empereur,  de  l'esprit  duquel  il  s'était  absolument  rendu 
maître,  à  lui  demander  quelque  présent  pour  son  ordination.  Le  saint  pas- 
teur, conformément  à  ce  qui  se  pratiquait  alors  dans  l'Eglise,  envoya  au 
prince  des  eulogies  ou  pains  bénits,  en  signe  de  paix  et  de  communion.  Chry- 
saphius,  qui  avait  ses  vues,  lui  fit  dire  qu'il  devait  envoyer  un  présent  d'une 
autre  espèce.  Flavien,  ennemi  déclaré  de  tout  ce  qui  avait  môme  l'apparence 
de  la  simonie,  répondit  avec  fermeté  que  les  revenus  del'Eglise  étaient  destinés 
à  d'autres  usages,  et  qu'ils  devaient  être  uniquement  employés  à  la  gloire  de 
Dieu  et  au  soiilagement  des  pauvres.  L'eunuque,  irrité  d'une  réponse  aussi 
généreuse,  résolut  de  ne  plus  garder  de  mesure  et  de  mettre  en  œuvre  tous 
les  ressorts  imaginables  pour  faire  déposer  Flavien  ;  mais  comme  il  le  savait 
protégé  de  Pulchérie,  sœur  de  l'empereur,  qui  avait  toute  l'autorité,  il  tra- 
vailla d'abord  à  éloigner  cette  princesse  des  affaires.  Il  persuada  ensuite  à 
Théodose,  par  le  moyen  de  l'impératrice  Eudoxie,  d'exiger  de  l'archevêque 
qu'il  ordonnât  Pulchérie  diaconesse.  Le  refus  que  fit  Flavien  de  se  prêter  à 
leurs  intrigues  parut  un  crime  aux  ennemis  qu'il  avait  à  la  cour  ;  et  ils  ne 
manquèrent  pas  de  le  peindre  avec  les  plus  noires  couleurs.  Notre  Saint 
ayant  ensuite  condamné  les  erreurs  d'Eutychès,  parent  de  Chrysaphius,  ce 
dernier  devint  furieux  et  se  porta  à  tous  les  excès  où  peut  tomber  un  homme 
qui  suit  les  mouvements  de  la  haine  la  plus  implacable. 

Eutychès  était  prêtre  et  abbé  de  trois  cents  moines,  près  de  Constanti- 
nople. 11  s'était  fait  une  sorte  de  réputation  par  une  vie  réglée  ;  mais,  en  réa- 
lité, ce  n'était  qu'un  ignorant  et  un  orgueilleux  fort  entêté  de  ses  propres 
idées.  Un  zèle  outré  contre  Nestorius,  qui  niait  l'unité  de  personne  en  Jésus- 
Christ,  le  jeta  dans  l'erreur  opposée,  et  il  en  vint  jusqu'à  enseigner  qu'il  n'y 
a  en  Jésus-Christ  qu'une  seule  nature.  Eusèbe  de  Dorylée,  autrefois  son  ami, 
l'accusa  dans  un  concile  assemblé  par  Flavien  en  448.  Les  Pères  de  ce  con- 


57Î  18  FÉvniER. 

cile  firent  à  l'accusé  plusieurs  citations  auxquelles  il  ne  répondit  point  ;  il 
comparut  cependant  à  la  fin,  mais  il  entra  suivi  de  deux  officiers  de  la  cour 
et  d'une  troupe  de  soldats.  Les  évoques  lui  ayant  demandé  compte  de  sa  foi 
sur  le  point  dont  il  était  question,  il  déclara  qu'il  ne  reconnaissait  qu'une 
nature  en  Jésus-Christ;  et  comme  on  voulait  lui  montrer  l'impiété  de  sa  doc- 
trine, il  répondit  qu'il  n'était  point  venu  pour  disputer,  mais  seulement  pour 
rendre  compte  de  sa  foi.  Le  concile  lui  dit  aussitôt  analhème  et  le  déposa. 
Flavien  prononça  la  sentence,  qui  fut  souscrite  par  trente-trois  évêques  et 
par  vingt-trois  abbés,  dont  dix-huit  étaient  prôlres.  Eulychès,  se  voyant 
condamné,  dit  tout  bas  à  ses  gardes  qu'il  en  appelait  aux  évêques  de  Rome, 
de  Jérusalem  et  d'Egypte.  Il  écrivit  en  mSme  temps  une  lettre  captieuse  au 
pape  saint  Léon  pour  le  prévenir  contre  le  concile  de  Constantinople  ;  mais 
cette  lettre  ne  produisit  pas  l'effet  qu'il  en  attendait.  Saint  Léon  ne  donna 
point  dans  le  piège  ;  il  fut  instruit  du  véritable  état  des  choses  par  Flavien, 
qui  lui  envoya  une  relation  exacte  de  tout  ce  qui  s'était  passé.  Il  écrivit  en- 
suite à  notre  Saint  une  fort  belle  lettre,  où  il  expliquait  avec  autant  de  clarté 
que  de  solidité  le  dogme  combattu  par  le  nouvel  hérésiarque.  Cette  lettre 
fut  insérée  depuis  dans  les  actes  du  concile  de  Chalcédoine,  qui  condamna 
solennellement  les  erreurs  d'Eutychès. 

Cependant  l'empereur,  sollicité  par  Ghrysaphius,  ordonna  la  révision  des 
actes  du  concile  assemblé  par  Flavien  à  Constantinople,  et  il  se  tint  pour  cet 
effet  un  synode  au  mois  d'avril  de  l'année  suivante.  Il  fut  composé  de  trente 
évêques,  dont  dix  avaient  assisté  au  concile  de  Constantinople.  Thalassius  de 
Césarée  y  présida,  attendu  que  Flavien  aurait  été  regardé  comme  juge  et 
partie.  L'examen  que  l'on  fit  tourna  à  la  confusion  d'Eutychès,  et  ne  servit 
qu'il  mettre  dans  un  plus  grand  jour  la  justice  des  procédés  de  l'archevêque 
de  Constantinople.  Ce  dernier,  ayant  été  ensuite  accusé  par  ses  ennemis  de 
favoriser  le  nestorianisme ,  se  justifia  pleinement,  en  présentant  à  l'em- 
pereur une  profession  de  foi  où  il  condamnait  la  doctrine  impie  de  Nestorius 
et  d'Eutychès.  Chrysaphius,  dont  les  projets  avaient  été  déconcertés,  ne  se 
rebuta  point  ;  il  fit  jouer  d'autres  ressorts  pour  parvenir  à  ses  fins.  Il  écrivit 
à  Dioscore,  patriarche  d'Alexandrie,  homme  d'un  caractère  impétueux  et 
violent,  pour  lui  promettre  son  amitié  et  sa  protection  s'il  voulait  prendre  la 
défense  d'Eutychès  et  se  liguer  avec  lui  contre  Flavien  et  Eusèbe  de  Dory- 
lée.  Lorsqu'il  se  fut  assuré  du  patriarche,  il  travailla  à  gagner  l'impératrice 
Eudoxie,  et  il  y  réussit  d'autant  plus  aisément  que  cette  princesse  était 
charmée  d'avoir  une  occasion  de  mortifier  Pulchérie,  qu'elle  savait  attachée 
au  saint  archevêque.  L'intrigue  étant  bien  nouée,  on  persuada  à  l'empereur 
de  faire  assembler  un  concile  à  Ephèse,  afin,  disait-on,  de  terminer  toutes 
les  disputes.  Théodose,  séduit,  ne  pensa  plus  qu'à  la  convocation  de  ce  con- 
cile, dont  on  lui  avait  exagéré  la  prétendue  nécessité  ;  il  manda  à  Dioscore 
de  venir  y  présider,  et  d'amener  avec  lui  dix  métropolitains  de  sa  dépen- 
dance, dix  autres  évêques,  et  l'archimandrite  Barsumas,  qui  était  entière- 
ment dévoué  aux  ennemis  de  Flavien.  Les  autres  patriarches  et  le  pape  saint 
Léon  furent  aussi  invités  au  concile,  mais  ce  dernier  ne  reçut  que  fort  tard 
la  lettre  de  l'empereur  :  il  envoya  toutefois  quatre  légats  pour  le  représen- 
ter. Ces  légats  étaient  Jules,  évêque  de  Pouzzoles,  René,  prêtre,  qui  mourut 
en  chemin,  Hilaire,  diacre,  et  Dulcitius,  notaire.  Ils  étaient  porteurs  d'une 
lettre  à  Flavien,  dans  laquelle  saint  Léon  démontrait  l'ignorance  d'Eutychès 
et  établissait  la  doctrine  catholique  de  la  manière  la  plus  solide  et  la  plus 
lumineuse. 

Ce  fut  le  8  août  de  l'année  449  que  se  fit  l'ouverture  du  concile  d'E- 


5AI.NT  FLAVIEX,   PATRIARCHE  DE  CONSTAJJTIXOPLE.  5*73 

phèse,  connu  dans  l'histoire  ecclésiastique  sous  le  nom  de  brigandage,  à  cause 
des  violences  qui  s'y  commirent.  11  s'y  trouva  cent  trente  évêques  d'Egypte 
et  d'Orient.  Eutychès  vint  aussi  à  Ephèse  avec  deux  offlciers  de  l'empereur 
et  une  troupe  de  soldats.  11  fut  aise  de  voir,  dès  le  commencement  du  con- 
cile, que  tout  s'y  ferait  par  cabale  et  qu'Eutychès  y  avait  un  parti  puissant. 
Les  légats  du  Pape  n'eurent  pas  même  la  liberté  de  lire  les  lettres  dont  ils 
étaient  porteurs.  Enfin,  après  de  longues  contestations,  Dioscore  prononça 
une  sentence  de  déposition  contre  Flavien  et  Eusèbe  de  Dorylée.  Les  légats 
de  saint  Léon  protestèrent  contre  cette  sentence,  et  le  diacre  Hilaire  entre 
autres  dit  à  haute  voLx  Contradicitur  (on  fait  opposition).  Ce  mot  latin  fut  in- 
séré dans  les  actes  du  concile.  Lorsque  Dioscore  commença  à  lire  la  sen- 
tence, plusieurs  évêques  se  jetèrent  à  ses  pieds  et  le  conjurèrent  dans  les 
termes  les  plus  pressants  de  ne  point  passer  outre  ;  mais  loin  de  se  laisser  flé- 
chir, il  se  leva  et  appela  les  commissaires  de  l'empereur.  Les  portes  ayant 
été  aussitôt  ouvertes,  Procîus,  proconsul  d'Asie,  entra  avec  une  compagnie 
de  soldats  qui  tenaient  des  chaînes,  des  bâtons  et  des  épées.  La  plupart  des 
évêques,  effrayés  à  la  vue  d'un  tel  spectacle,  souscrivirent  à  tout  ce  que  Dios- 
core et  ceux  de  son  parti  voulurent;  il  n'y  eut  que  les  légats  du  Pape  qui, 
toujours  inébranlables,  protestèrent  jusqu'à  la  fin  contre  ces  violences 
inouïes.  Un  d'entre  eux  fut  mis  en  prison.  Le  diacre  Hilaire,  après  s'être 
sauvé  avec  beaucoup  de  peine,  prit  la  route  de  l'Occident,  et  arriva  enfin  à 
Rome.  Pour  Flavien,  il  en  appela  âû  Saint-Siège  de  la  sentence  prononcée 
contre  lui,  et  remit  l'acte  de  son  appel  aux  légats  du  Pape.  Dioscore  en  fut 
si  irrité',  qu'il  se  jeta  sur  le  Saint  avec  Barsumas  et  plusieurs  autres  per- 
sonnes de  son  parti  *.  Ils  le  renversèrent  par  terre,  et  le  maltraitèrent  si  ru- 
dement à  coups  de  pieds  qu'il  en  mourut  peu  de  temps  après  à  Epipe,  où  il 
avait  été  exilé  '. 

L'impie  Dioscore  ne  s'en  tint  pas  là  :  il  eut  encore  l'insolence,  de  con- 
cert avec  deux  évêques  d'Egypte,  d'excommunier  le  pape  saint  Léon  ;  mais 
Dieu  ne  permit  pas  que  le  triomphe  de  l'injustice  durât  longtemps.  L'empe- 
reur ayant  enfin  ouvert  les  yeux,  Ghrysaphius,  l'auteur  de  tant  de  maux,  fut 
disgracié,  puis  condamné  à  mort.  Eudoxie  fut  elle-même  obligée  de  se  re- 
tirer à  Jérusalem.  Le  rappel  de  Pulcbérie  à  la  cour  produisit  cette  heureuse 
révolution.  L'année  suivante,  cette  princesse  étant  montée  sur  le  trône  après 
la  mort  de  Théodose  *,  ordonna  que  le  corps  de  notre  Saint  fût  solennelle- 
ment transféré  à  Constantinople,  et  inhumé  avec  les  archevêques  ses  prédé- 
cesseurs. Saint  Léon,  informé  de  tout  ce  qui  s'était  passé  à  Ephèse,  avait 
écrit  à  Flavien  pour  le  consoler,  mais  celui-ci  était  mort  quand  la  lettre  ar- 
riva. Il  avait  aussi  écrit  en  sa  faveur  à  Théodose,  à  Pulchérie  et  au  clergé  de 
Constantinople.  Le  concile  général  tenu  à  Chalcédoine  en  431  mit  Flavien  au 
nombre  des  Saints  et  des  martjTs,  et  rendit  de  grands  honneurs  à  sa  mé- 
moire ;  il  rétablit  aussi  Eusèbe  de  Dorylée  sur  son  siège  '.  Le  pape  Hilaire, 
qui  avait  été  légat  de  saint  Léon  à  Ephèse,  avait  une  telle  vénération  pour 
le  saint  archevêque  de  Constantinople ,  qu'il  fit  représenter  son  martyre  dans 
l'église  qu'il  fonda  en  l'honneur  de  la  croix  du  Sauveur. 

Le  martyre  de  saint  Flavien  arriva  au  mois  d'août  de  l'année  449  ;  néan- 
moins l'Eglise  n'en  célèbre  la  fête  qu'en  celui  de  février,  pendant  lequel  se 

1.  Evagr.,  1.  n,  c.  11.  —  2.  Cam.  Calced.  oct.  4. 

t.  Epipe  était  prts  do  Sardes,  en  Lydie,  comme  nous  l'apprenons  de  la  cbronlqne  do  MarcelUn. 

4.  C<5dnînus  dit  que  Théodose  monmt  pénitent. 

5.  Le  même  concile    condamna  Dioscore,   o.ni    monrat   en  454,  à  Gangres,  oïl  il  était  exilé,  mais  >an» 
avoir  rétracte  les  erreurs  d'Eutj'chès  et  sans  avoir  expié  ses  autres  crimes  par  la  pénitence. 


574  18  yÉvRŒB. 

fil  celle  translation  aeson  corps  dont  nous  avons  parlé.  Le  martyrologe  ro- 
main et  le  ménologe  des  Grecs  en  font  mention  au  18  de  ce  môme  mois,  où 
l'on  peut  voir  les  doctes  remarques  du  cardinal  Baronius.  Une  bonne  partie 
de  ses  reliques  ont  été  apportées  en  Italie.  Un  de  ses  bras  se  conserve  reli- 
gieusement dans  l'église  cathédrale  de  Récanati,  dans  la  Marche  d'Ancône, 
et  son  chef  sacré  avec  plusieurs  ossements  considérables  reposent  à  Julia- 
Kova,  dans  le  royaume  de  Naples. 

Tiré  dos  conciles  et  des  Wstolres  de  Ciîdr(<nns,  d'Evajre,  de  Thdophanc,  etc.  Voir  Baronlas,  les  Bollan- 
dlstcs,  t.  m,  fév.,  p.  71:  Flenry,  1.  xxvn  et  xxvm;  Qnesnel,  sar  les  œurres  de  siint  Ldon.  t.  ii,  </i<s.  1; 
le  Pbre  Cacciari,  sur  les  œuvres  du  même  Pfere,  reimprimées  k  Rome  en  1755,  t.  ni,  diss.  4,  de  Eutychiana 
hares..  1.  I,  c.  2,  p.  322;  c.  8,  p.  333;  C.  9,  p.  333. 


U  B.  ORINGA,  DITE  CHRÉTIENiNE  DE  SAINÏE-GROIX 


1310.  —  Pape  :  Clément  V.  —  Empercnr  d'Allemagne  :  Henri  vn. 


Serviteurs,  obéissez  :  ne  servez  pas  vos  maîtres  devant 
eux  seulement  ;  mais  scn'e=-lC8  avec  affection,  re- 
gardant en  eox  le  Scigueur  et  non  les  hommes. 
Aux  Ephés.,  VI,  S,  6  et  7. 

Ce  fut  à  Sainte-Croix,  petite  ville  de  Toscane  près  de  Florence,  que 
naquit  Oringa,  connue  plus  tard  sous  le  nom  de  Chrétienne  de  Sainte-Croix. 
Ses  parents  étaient  pauvres  et,  dès  son  enfance,  elle  gardait  les  troupeaux. 
Mais  tout  en  gardant  les  bœufs  et  les  vaches,  elle  savait  fort  bien  élever  son 
âme,  et  converser  avec  le  roi  des  cieux.  Ses  moyens,  pour  atteindre  ce  noble 
but,  étaient  la  prière  et  la  méditation.  Pendant  que  les  animaux  confiés  à 
sa  garde  broutaient  l'herbe  des  champs,  son  âme  s'entretenait  avec  Dieu,  et 
trouvait  en  lui  une  nourriture  céleste.  Or,  quand  un  enfant,  ou  un  adoles- 
cent, ou  une  jeune  personne  fréquente  des  personnes  d'un  rang  élevé,  ayant 
des  manières  distinguées,  il  devient  bientôt  comme  elles  poli  et  distingué  ;  car 
l'âme,  le  cœur  et  le  caractère  se  façonnent  aisément  sur  l'âme  et  le  carac- 
tère de  ceux  qui  nous  entourent  et  dont  nous  fréquentons  habituellement 
la  société.  Donc,  nécessairement,  quand  une  personne  ingénue,  vivant  loin 
du  monde  et  des  corruptions  du  siècle,  converse  uniquement  avec  Dieu, 
elle  doit  recueilhr  de  cette  divine  conversation  quelque  chose  de  saint  et 
d'angélique.  C'est  ce  qui  eut  lieu  pour  sainte  Chrétienne.  Elle  était  si  chaste 
et  si  pure  que,  quand  elle  entendait  une  parole  indécente,  elle  éprouvait  des 
envies  de  vomir  ;  et  tel  était  l'effet  de  ce  vertueux  dégoiit,  que  quelquefois 
elle  en  devenait  malade.  Elle  prit  donc  l'habitude,  quand  elle  était  obligée 
d'être  quelque  part  où  se  tenaient  des  discours  impurs,  de  se  boucher  les 
oreilles,  quoique  souvent  celle  conduite  diil  lui  attirer  des  railleries.  Elle 
aimait  à  être  seule  ;  mais  quand  elle  était  obligée  de  sortir,  elle  baissait 
constamment  les  yeux,  pour  ne  pas  voir  des  choses  qui  eussent  pu  troubler 
la  pureté  de  son  âme.  Elle  était  très-belle,  et  elle  fit  juste  le  contraire  de  ce 
que  font  la  plupart  des  jeunes  filles  en  pareil  cas  :  au  lieu  de  se  parer,  elle 
employait  des  moyens  artificiels  pour  ternir  la  peau  de  son  visage,  et  pour 
en  masquer  la  beauté.  D'ailleurs  ses  paroles  et  tout  son  être  étaient  si  graves 
et  si  réservés,  que  personne  n'eût  osé,  en  sa  présence,  se  permettre  un  acte 


LA  BIENUECUEUSH   OUIXGA,   DITE   CimÉTIETiîfE  DE   SAINTE-CROIX.  575 

UcBDcieux,  comme  cela  n'arrive  que  trop  souvent  quand  déjeunes  libertins 
se  trouvent  avec  des  jeunes  personnes  belles  et  légères. 

Devenue  orpheline  de  bonne  heure,  elle  tomba  sous  la  tutelle  de  ses 
frères.  Quand  elle  fut  en  âge,  ils  voulurent  la  forcer  à  se  marier  ;  mais  les 
mauvais  traitements  qu'ils  lui  firent  subir  ne  purent  changer  ses  résolutions. 
Oringa  demeura  fidèle  il  l'engagement  qu'elle  avait  pris  de  n'avoir  d'autre 
époux  que  Jésus- Christ.  Pour  accomplir  plus  sûrement  ce  dessein,  elle  s'en- 
fuit. Mais  voilà  que  devant  elle  se  présente  une  l'iviôre  ;  pleine  de  confiance, 
la  jeune  fille  avance  quand  même  et  avec  le  secours  de  Dieu  la  traverse 
à  pied  sec.  Pleine  de  confiance  en  Dieu  qui  venait  de  la  sauver,  la 
pauvre  fille  continua  sa  route  sans  trop  savoir  où  elle  allait.  Egarée  au  mi- 
lieu d'une  vaste  prairie,  les  ténèbres  de  la  nuit  vinrent  l'y  surprendre  ;  elle 
s'endormit  en  méditant  les  vérités  éternelles,  au  milieu  des  parfums  des 
fleurs  dont  la  plaine  était  émaillée  ;  —  fleur  elle-môme  plus  suave  et  plus 
pure  que  toutes  les  autres.  —  Un  lièvre  timide  vint  se  réfugier  près  d'elle, 
comme  pour  lui  dire  :  Pauvre  colombe,  livre-toi  avec  moi  aux  soins  de  la 
Providence.  Le  lendemain  Oringa  suivit  les  traces  de  son  compagnon  noc- 
turne, qui  lui  servit  de  guide  pour  la  mener  dans  sa  voie.  Cette  voie  allait  à 
Lucques.  Arrivée  à  la  ville,  elle  se  mit  au  ser\ice  d'un  homme  vertueux  à 
qui  elle  ne  demanda  qu'une  nourriture  commune  et  un  vêtement  grossier, 
puis  un  peu  de  liberté  ;  cette  liberté,  elle  l'employa  à  commencer  cette  vie 
de  pénitence  qu'elle  mena  jusqu'à  sa  mort.  Elle  marchait  pieds  nus  et  ne 
prenait  de  nourriture  que  la  grosseur  d'une  noix,  juste  assez  pour  ne  pas  se 
laisser  mourir  de  faim.  Quoique  ne  sachant  ni  lire  ni  écrire,  elle  étonnait 
les  plus  savants  par  la  sagesse  de  ses  réponses  sur  les  questions  les  plus  éle- 
vées de  la  religion,  car  l'EspritrSaint  éclairait  son  esprit  des  plus  vives 
lumières. 

Le  démon  alors  se  mit  à  la  tenter  :  rien  ne  lui  ouvre,  comme  l'orgueil, 
l'entrée  d'une  âme.  Oringa  se  réfugia  aux  pieds  de  l'archange  saint  Michel, 
auprès  de  qui  elle  trouva  un  puissant  secours  contre  son  farouche  ennemi. 
Dans  sa  reconnaissance,  la  pieuse  vierge  voulut  accomplir  un  pèlerinage  au 
Mont-Gargan,  consacré  à  ce  chef  des  milices  célestes.  S'étant  mise  en  route 
avec  quelques  compagnes,  elles  furent  détournées  de  leur  chemin  par  des 
misérables  qui  méditaient  de  les  surprendre  et  qui  essayèrent  d'attenter  à 
leur  honneur.  L'.Archange  invoqué  leur  apparut  sous  la  forme  d'un  jeune 
diacre,  les  délivra  de  leurs  agresseurs,  les  ramena  sur  le  chemin  véritable, 
les  fit  reposer  près  d'une  fraîche  source,  leur  servit  des  mets  exquis  pour 
les  fortifier,  puis  disparut,  les  laissant  dans  la  joie  de  leur  cœur  achever 
leur  course. 

Sa  sainteté  avait  attiré  à  Oringa  la  sympathie  des  habitants  de  Lucques  ; 
ce  qui  fit  beaucoup  soufl'rir  son  humilité  ;  elle  résolut  de  se  soustraire  par 
la  fuite  à  l'estime  publique.  Elle  partit  pour  Rome,  et  dans  cette  ville  elle 
fit  connaissance  d'une  veuve  riche  et  pieuse,  nommée  Marguerite,  qui  la 
prit  à  son  service.  Oringa  fut  contrainte  de  laisser  ses  vieux  habits  pour  en 
acheter  de  plus  beaux,  à  cause  du  rang  de  sa  maîtresse  ;  mais  quelques  jours 
après,  ayant  rencontré  une  jeune  femme  presque  nue,  elle  lui  donna  ces 
habits  qu'elle  n'avait  acceptés  que  par  obéissance,  et  reprit  ceux  qu'elle 
avait  laissés.  On  ne  lui  en  fit  aucun  reproche,  car  déjà  elle  avait  su  se  faire 
estimer  et  aimer  de  Marguerite,  qui  en  avait  fait  sa  compagne  et  son  amie. 

A  quelque  temps  de  là,  la  Bienheureuse  conçut  le  désir  d'aller  visiter  le 
tombeau  de  saint  François  d'.\ssise.  Elle  s'y  rendit,  accompagnée  de  sa  maî- 
tresse; comme  elle  priait,  elle  eut  une  extase,  et  Dieu  lui  ordonna  de 


S76  18  FÉVRIER. 

retourner  dans  son  pays  et  d'y  fonder  un  monaslère.  Elle  obéit,  mais  eut  à 
surmonter  bien  des  dirficuUés;  son  courage  croissant  avec  les  obstacles,  le 
monastère  fut  bientôt  construit  et  peuplé  d'une  foule  de  vierges,  à  qui  la 
Bienheureuse  donna  la  règle  de  saint  Augustin. 

Cependant  elle  ne  voulut  jamais  prendre  la  direction  de  la  maison  ;  elle 
aspirait  à  être  regardée  comme  la  dernière  des  religieuses.  Son  amour  pour 
les  pauvres  était  si  grand,  qu'un  jour  elle  donna  la  dernière  pièce  de  mon- 
naie qui  restait  à  la  maison.  On  raconte  que  dans  un  temps  de  disette  où 
les  pauvres  mouraient  de  faim,  elle  disposa  en  leur  faveur  d'un  champ  que 
le  monastère  possédait,  et  qui  était  ensemencé  de  fèves  ;  cet  exemple  tou- 
cha les  cultivateurs  qui  se  montrèrent  plus  charitables. 

Dieu,  pour  récompenser  dès  celte  vie  sa  servante,  lui  accorda  le  don  de 
prophétie  et  le  don  des  miracles.  A  l'âge  de  soixante-dix  ans,  elle  fut  frappée 
d'apoplexie  ;  elle  en  demeura  malade  pendant  trois  ans,  et  son  côté  droit  fut 
complètement  paralysé.  Mais  tel  était  son  amour  pour  le  divin  Sauveur,  et 
telle  était  pour  elle  la  tendresse  de  ses  filles  spirituelles,  que  chaque  jour 
elles  la  portaient  à  l'église  au  moment  de  l'élévation.  L'heure  de  sa  mort 
étant  enfin  venue,  son  visage  s'illumina  tout  à  coup,  et  rayonna  de  gloire, 
et  dans  ses  yeux  brilla  la  douce  joie  qui  anime  les  enfants  lorsque,  après  une 
longue  séparation,  ils  revoient  leur  mère.  Durant  sa  vie,  elle  avait  été  géné- 
ralement regardée  comme  une  Sainte.  Son  véritable  nom  était  Oringa;  mais 
à  cause  de  sa  vie  exemplaire,  le  peuple  l'appela  Christiana,  c'est-à-dire 
Chrétienne  ;  ci  ce  nom  lui  est  resté.  Quand  elle  fut  morte,  son  corps  fut 
exposé  à  la  vénération  publique,  et  il  y  eut  une  affluence  très-considérable. 
Son  visage  conserva  môme  après  la  mort  la  beauté  merveilleuse  qu'on  avait 
remarquée  à  sa  dernière  heure  ;  et  en  outre  on  ne  vit  chez  elle  aucun  com- 
mencement de  putréfaction,  quoiqu'elle  ne  fût  ensevelie  que  le  dixième 
jour.  On  dit  qu'une  personne  de  mauvais  renom,  poussée  par  la  curiosité, 
s'étant  aussi  présentée  dans  la  foule,  la  Sainte  se  couvrit  le  visage  de  sa 
robe.  Par  d'autres  miracles  encore.  Dieu  fit  voir  combien  était  grande  de- 
vant lui  cette  fidèle  servante. 

Son  corps  fut  exempt  de  corruption  jusqu'en  1514,  où  il  fut  consumé 
dans  un  incendie.  Le  culte  que  l'on  rend  à  la  Bienheureuse  Chrétienne  de 
Sainte-Croix  a  été  approuvé  par  le  pape  Pie  VL 

De  tous  les  états,  celui  de  domestique  est  peut-être  le  plus  commun. 
Les  hommes  l'estiment  peu;  et  celui  que  le  sort  a  condamné  à  cette  humble 
condition  s'imagine  souvent  que  Dieu  l'a  placé  au-dessous  des  autres 
hommes.  Mais  Dieu  juge  tout  autrement.  Le  Seigneur  Jésus  lui-même  a 
dit  :  n  Quiconque  veut  être  grand  parmi  vous  doit  être  votre  serviteur,  et 
quiconque  veut  être  parmi  vous  le  premier,  doit  être  votre  serviteur  ;  de 
môme  que  le  Fils  de  l'homme  n'est  pas  venu  pour  être  servi,  mais  pour 
servir  ». 

Beaucoup  s'imaginent  qu'il  est  difficile  de  servir  Dieu  dans  l'état  de  do- 
mesticité ;  mais,  en  y  bien  réfléchissant,  on  voit  qu'il  n'y  a  peut-être  aucun 
état  où  il  soit  plus  facile  de  servir  Dieu  et  de  faire  son  salut,  que  celui-ci. 
Oui,  mon  cher  lecteur,  si  Dieu,  en  vous  donnant  un  enfant,  vous  deman- 
dait :  Voulez-vous  qu'il  soit  un  jour  roi  ou  domestique  1  —  je  vous  le  dis  en 
vérité  :  mille  fois  sur  une,  il  vaudrait  mieux  pour  votre  enfant  d'être  do- 
mestique, que  d'être  roi. 

Dans  cet  état,  la  vie  est  plus  simple  et  les  tentations  moins  nombreuses 
et  moins  fortes  que  dans  les  autres.  Dans  cet  état,  l'on  peut  atteindre  à  un 
haut  degré  de  sainteté,  comme  on  le  voit  en  sainte  Chrétienne  et  en  plu- 


LA  BIENHEUREUSE   ORINGA,   DITE   CHRÉTIENNE  DE  SAINTE- CROIX.  577 

sieurs  autres  Saints.  Peut-être  ne  vous  sera-t-il  pas  donné  de  parvenir  aussi 
loin  qu'elle  en  cette  voie  ;  mais  en  tout  cas,  si  vous  êtes  domestique,  vous 
pourrez  facilement,  si  vous  le  voulez,  mener  une  vie  pieuse  et  méritoire  de- 
vant Dieu.  Par  exemple,  quand  vous  filez,  quand  vous  lavez,  quand  vous 
faites  cuire  les  aliments  de  vos  maîtres,  ou  que  vous  allez  travailler  aux 
champs,  ou  que  vous  gardez  les  bestiaux,  qui  vous  empêche  d'élever  votre  âme 
vers  Dieu?  Toujours  et  partout  le  bon  Dieu  est  près  de  vous  ;  il  vous  aime  et 
il  vous  estime  plus  que  vous  ne  pensez  ;  il  est  toujours  prêt  à  écouter  vos 
prières,  à  prêter  une  oreille  attentive  même  à  vos  soupirs;  toujours  il  est  prêt 
à  y  répondre  avec  une  bonté  paternelle.  —  Cette  société  n'est-elle  pas  de  votre 
goût  ?  et  ne  vous  semble-t-il  pas  qu'elle  est  au  moins  aussi  noble  et  distin- 
guée que  celle  des  personnes  riches  et  somptueuses  que  vous  voyez  parfois 
parader  dans  le  monde?  Oui,  encore  une  fois  :  la  pauvre  servante  qui,  le 
samedi  soir,  est  assise  silencieuse  dans  sa  chambrette,  raccommodant  ses 
habits  et  pensant  à  Dieu,  est  plus  grande  et  plus  précieuse  devant  lui,  que 
le  grand  du  monde  qui,  vêtu  d'or  et  de  soie,  et  suivi  par  de  nombreux 
laquais,  se  rend  avec  pompe  à  ces  réunions  frivoles  où  s'échangent  des  com- 
pliments mensongers,  où  se  goûtent  des  plaisirs  dangereux. 

Sans  doute,  il  n'est  que  trop  vrai  que  vous  êtes  obligé,  par  votre  état,  de 
travailler  beaucoup  pour  peu  d'argent.  Mais  nous  allons  vous  indiquer  le 
moyen  de  vous  faire  donner  des  gages  infiniment  plus  élevés.  Ce  moyen,  c'est 
de  servir  Dieu  dans  la  personne  de  vos  maîtres,  en  vous  soumettant  humble- 
ment et  avec  une  pieuse  résignation  à  sa  sainte  volonté,  et  en  portant  votre 
croix  avec  joie,  jusqu'à  ce  qu'il  lui  plaise  de  la  reprendre.  Si  vous  faites 
cela,  Dieu  vous  récompensera  magnifiquement  ;  il  estimera  vos  humbles 
services  autant  que  l'hôpital  fondé  par  un  millionnaire,  ou  que  les  fonctions 
sacerdotales  remplies  par  votre  curé,  ou  que  les  soins  donnés  gratuitement 
aux  pauvres  par  un  médecin  charitable.  Vous  êtes  très-pauvre?  Nous  le 
croyons  ;  et  cependant  nous  vous  le  disons  :  vous  pouvez,  comme  sainte 
Chrétienne,  malgré  votre  pauvreté,  faire  quelquefois  l'aumône  à  un  plus 
pauvre  que  vous.  Le  peu  que  vous  donnerez  sera  compté  plus  aux  yeux  de  Dieu 
que  les  écus  du  riche  ;  car  votre  obole  de  billon  sera  pour  lui  comme  une 
pièce  d'or  ;  parce  que  Dieu  pèse  les  cœurs  et  les  intentions  plus  que  les 
faits  et  les  œuvres  extérieures. 

Toutefois,  aucun  état  n'est  entièrement  exempt  de  tentations.  Peut-être 
vous  trouvez-vous  dans  une  maison  où  votre  innocence  court  risque  de  faire 
naufrage,  attaquée  qu'elle  est  par  des  promesses  trompeuses,  ou  même  par 
des  présents.  Peut-être  êtes-vous  en  condition  chez  des  maîtres  sans  reli- 
gion, ou  qui  par  cupidité  vous  chargent  tellement  d'ouvrage  qu'il  vous  est 
impossible,  même  les  dimanches  et  les  fêtes,  d'assister  régulièrement  au 
service  divin.  Dans  ce  cas,  songez  que  le  plus  malheureux  des  êtres,  c'est  un 
domestique  qui  a  perdu  Dieu,  le  souverain  bien.  Dans  cette  vie  il  n'a  devant 
lui  que  la  honte,  la  misère  et  le  désespoir  ;  et  dans  l'autre  monde,  que  la 
mort  éternelle,  qui  est  le  dernier  et  le  plus  horrible  de  tous  les  maux.  Si 
vous  restez  dans  une  telle  maison,  vous  courez  risque  de  perdre  votre  inno- 
cence et  votre  religion.  Quand  même  vous  auriez  mille  écus  de  gages,  hàtez- 
vous  de  vous  en  aller  ailleurs,  et  quand  même  vous  devriez  vous  trouver 
sans  place,  quittez  cependant.  Faites  ce  sacrifice  à  Dieu  ;  il  ne  manquera 
certainement  pas  de  prendre  soin  de  vous  et  de  vous  récompenser.  Sainte 
Chrétienne  a  quitté  la  maison  paternelle  pour  échapper  à  un  mariage  hon- 
nête et  avantageux  ;  et  plus  tard  elle  renonça  à  une  position  honorable,  pour 
aller  visiter  les  sanctuaires  de  Rome.  A  plus  forte  raison  devez-vous  renou- 
ViES  DES  Saints.  —  Tome  II.  37 


578  18  FÉVRIER. 

cer  à  votre  emploi,  quand  on  demande  de  vous  la  perle  de  voire  verlu,  ou 
qu'on  veut  vous  empêcher  de  pratiquer  votre  religion.  Saiute  Chrétienne 
n'était  qu'une  pauvre  fille,  ignorée  du  monde  ;  mais  parce  qu'elle  a  été 
fidèle  à  Dieu  jusqu'à  la  lin.  Dieu  aussi  l'a  récompensée  fidèlement,  en  l'ad- 
mettant à  la  félicité  éternelle  :  soyez  fidèles  comme  elle,  et  vous  aurez  un 
jour  la  même  récompense. 

L'attribut  de  sainte  Chrétiemie  est  le  lièvre  :  on  a  vu  plus  haut  le  pour- 
quoi. 

Nous  avons  emprauté  ces  pieuses  réflexions  à  la  vie  de  sainte  Chrétienne  par  M.  l'abbé  A.  Stolc. 


SAIiNT  ANGILBERT,  ABBE  DE  SAINT -RIQUIER 

814.  —  Pape  :  Léon  IlL  —  Empereur  :  Lonis  le  Débonnaire. 


Ouidquid  amat  Dominus,  cum  tolo  corde  relegit, 

Pauperihus  targus^  debUibus  medicus. 
Généreux  envers  les  pauvres,  secourable  aux  faibles 
et  aux  affligés,  il  a  aimé  de  tout  son  cœur  tont  et 
qu'aime  le  Seigneur. 

Epitaphe  de  saint  Angilbert. 


Parmi  les  Saints  qui  ont  illustré  le  siècle  de  Charlemagne,  l'Ordre  de 
Saint-Benoît  en  a  fourni  deix  très-célèbres,  qui  ont  puissamment  aidé  ce 
grand  monarque  de  leurs  conseils.  Le  premier  de  ces  deux  célèbres  person- 
nages est  saint  Benoît,  ab^is  d'Aniane,  dont  nous  avons  donné  la  vie  le  H  de 
ce  mois  ;  et  le  second  est  saint  Angilbert,  abbé  de  Saint-Riquier,  dont  il 
faut  maintenant  découvrir  le  mérite. 

On  ne  sait  rien  de  précis  sur  le  lieu  et  la  date  de  la  naissance  d'Angilbert  : 
ce  qu'il  y  a  de  probable,  c'est  qu'il  vint  au  monde  vers  l'an  740.  11  avait 
cinq  ans  de  moins  que  le  célèbre  diacre  anglo-saxon  Alcuin  et  deux  ans  de 
plus  que  Charlemagne.  Il  appartenait  à  la  haute  noblesse  franque,  et  la 
meilleure  preuve  de  cette  assertion,  c'est  qu'il  fut  élevé  dans  le  palais  de 
Pépin  le  Bref.  On  sait  que  cet  honneur  était  brigué  par  les  plus  puissants 
leudes,  qui  espéraient  ainsi  assurer  l'avenir  de  leurs  enfants  et  lem*  ouvrir 
plus  facilement  la  carrière  des  honneurs. 

Pépin  le  Bref,  ainsi  que  ses  deux  enfants,  Charles  et  Carloman,  chéris- 
saient tendrement  Angilbert  et  le  considéraient  :  le  premier,  comme  son 
propre  fils,  elles  deux  autres,  comme  leur  frère  bien-aimé. 

Le  jeune  Angilbert  se  faisait  distinguer  par  la  finesse  de  son  esprit, 
l'aménité  de  son  caractère,  la  supériorité  de  son  éducation  libérale,  l'éten- 
due de  ses  connaissances  et  un  ensemble  de  qualités  naturelles  qui  éveil- 
laient partout  la  sympathie  autour  de  lui.  On  prenait  plaisir  à  admirer  en  sa 
personne  les  nobles  proportions  du  corps  et  la  beauté  d'une  physionomie 
oii  se  reflétait  l'éclat  de  la  vertu. 

Les  conseils  des  princes,  ceux  de  ses  parents  et  de  ses  amis  détermi- 
nèrent Angilbert  à  prendre  la  tonsure  cléricale  ;  mais  il  ne  quitta  point  le 
palais.  Quand  Charlemagne  succéda  à  Pépin  le  Bref  (768),  il  continua 
à  honorer  de  son  intimité  le  digne  héritier  d'une  famille  qui  avait  été 


SAINT  ANGaBERT,   ABBÉ  BE  SAINT-RIQCIER.  S79 

alliée  avec  la  sienne  et  qui  avait  rendu  à  ses  ancêtres  des  services  consi- 
dérables. 

Angilbert  prit  des  leçons  d'AIcuin,  qui  l'appelle  son  élève,  et  fit  partie, 
sous  le  nom  A' Homère,  de  la  célèbre  académie  palatine. 

Le  roi  Charles  appréciait  si  bien  la  prudence  consommée  de  son  favori 
qu'il  l'emmenait  toujours  avec  lui  dans  ses  fréquents  voyages,  qu'il  l'admet- 
tait à  tous  ses  conseils  et  qu'il  l'investit  des  hautes  fonctions  d'archichape- 
lain  et  de  silentiaire.  Cette  dernière  qualité  équivalait  sans  doute  à  celle 
d'un  secrétaire  d'Etat,  dont  les  délicates  négociations  impliquent  souvent 
l'obligation  du  silence. 

Quant  à  l'apocrisiaire  ou  archichapelain,  qu'on  appelait  encore  primi- 
der  des  chapelains,  il  était  chargé  de  la  direction  des  affaires  ecclésiasti- 
ques; c'était  une  espèce  de  ministre  des  cultes.  Hincmar  nous  apprend  que 
cette  fonction  était  remplie  plutôt  par  des  diacres  et  des  prêtres  que  par  des 
évêques. 

Nous  ne  voyons  pas  de  difficulté  à  reconnaître  Angilbert  pour  un  des 
secrétaires  de  Charlemagne.  Ce  prince,  dans  une  de  ses  lettres,  l'appelle  son 
auriculaire  ',  et  nous  verrons  qu'il  lui  confia  diverses  missions  importantes. 

Angilbert,  inspiré  par  sa  vocation  aussi  bien  que  par  les  conseils  du  roi, 
embrassa  le  sacerdoce,  et  vit  alors  s'ouvrir  devant  ses  mérites  un  avenir 
encore  plus  brillant. 

C'est  en  790  qu'on  fixe  généralement  la  retraite  d'Angilbert  à  Centule  ; 
mais  il  faut  évidemment  reculer  cette  date,  et  voici  pourquoi  :  Charle- 
magne, en  789,  date  incontestée,  fît  un  capitulaire  qui  défend  aux  évêques, 
abbés  et  abbesses,  d'avoir  des  couples  de  chiens,  des  faucons,  des  éperviers 
et  des  jongleurs.  Or,  Alcuin,  dans  une  lettre  à  Adélard  que  tous  les  criti- 
ques datent  de  790,  s'exprime  en  ces  termes  :  «  Je  crains  qu' Angilbert  ne 

soit  fâché  de  la  lettre  qui  défend  les  spectacles Je  vous  ai  écrit  autrefois 

à  ce  sujet  avec  le  plus  vif  désir  du  salut  de  mon  cher  fils,  espérant  gagner 
par  votre  entremise  ce  que  je  ne  pouvais  obtenir  par  moi-même  ».  Et  plus 
tard,  quand  Alcuin  apprend  qu'Angilbert  s'est  corrigé  de  son  travers,  il  écrit 
à  Adélard  :  «  C'était  vraiment  une  chose  étonnante  pour  moi  qu'un  esprit  si 
sage  ne  comprît  pas  qu'il  faisait  une  chose  répréhensible,  opposée  à  sa  dignité, 
et  qu'on  ne  pouvait  excuser  en  aucune  manière  ». 

11  alla  se  prosterner  aux  pieds  de  l'abbé,  au  milieu  du  chapitre,  et  là, 
tout  baigné  de  larmes,  sollicita  humblement  l'habit  monastique.  Malgré  la 
joie  qu'éprouvèrent  les  religieux  d'une  pareille  conversion,  ils  ne  dérogè- 
rent point  aux  sages  prescriptions  de  la  règle,  et  ce  n'est  qu'après  le  temps 
exigé  pour  la  probation  que  le  postulant  fut  admis  dans  les  rangs  des  moines 
dont  il  égala  bientôt,  et  souvent  surpassa  les  vertus.  Les  plus  dures  austé- 
rités n'avaient  rien  d'effrayant  pour  la  faiblesse  de  sa  constitution  ;  ce  n'était 
point  l'éclat  des  parures,  la  douceur  d'un  lit  moelleux,  l'abckûdance  des 
mets,  la  délicatesse  des  vins,  la  prolongation  du  sommeil  qui  faisaient  ses 
délices  ;  c'étaient  les  larmes  qu'il  versait  sur  le  souvenir  du  passé,  les 
prières  qu'il  exhalait  nuit  et  jour,  les  lectures  qui  excitaient  la  componction 
de  son  âme,  les  saintes  rigueurs  qu'il  exerçait  contre  lui-même,  et  le  sacri- 
fice quotidien  qu'offrait  à  Dieu  son  esprit  contrit  et  humilié.  Aussi  la  grâce 
descendit  bientôt  dans  cette  âme  avide  de  souffrances  et  lui  procura  l'ineffa- 
ble consolation  de  la  paix. 

1.  Auiiculario  Uumcro  {Opéra   Caroti  M.,  daas  la  Patrol.  latine,  t.  xcvni,  col.  999).   Ce  terme,  qui 
Indique  qu'on  a  l'oieiUa  dn  prince,  est  fort  usité  dans  le  sens  de  confldoot  ans  viue  et  iso  siècles. 


580  13   FÉVRIER. 

Quand  l'abbé  Symphorien  se  fut  endormi  du  sommeil  des  justes  ',  les 
religieux,  par  un  chois  unanime,  désignèrent  Angilbert  pour  son  succes- 
seur. Selon  l'usage  des  abbayes  royales,  cette  élection  fut  soumise  au  roi, 
qui  s'empressa  de  l'approuver,  en  témoignant  une  grande  joie.  Le  nouvel 
abbé,  suivi  d'un  nombreux  cortège,  lui  fut  présenté  après  son  ordination. 
Cbarlemagne  lui  promit  largesses  et  protection,  et  l'encouragea  à  persévérer 
dans  la  carrière  de  la  perfection  et  du  dévouement. 

Le  roi  sut  utiliser  les  talents  d' Angilbert  au  profit  de  l'Eglise  et  de  l'Etat. 
Son  biographe  ne  nous  dit  rien  à  ce  sujet,  mais  nous  savons  par  d'autres 
sources  que  l'abbé  de  Saint- lliquier  accomplit  trois  missions  importantes 
à  Home. 

Féli-t,  évoque  d'Urgel,  fut  condamné  par  le  concile  de  Ratisbonne,  en 
792,  au  sujet  des  erreurs  qu'il  professait  sur  le  mystère  de  l'Incarnation. 
Angilbert  fut  chargé  de  conduire  auprès  du  pape  Adrien  le  prélat  repentant, 
qui  abjura,  entre  les  mains  du  souverain  Pontife,  l'hérésie  qu'il  devait  plus 
tard  arborer  de  nouveau. 

Charlemagne  et  divers  évêques  des  Gaules,  trompés  par  une  mauvaise 
traduction  des  actes  du  concile  de  Nicée,  rédigèrent  à  l'adresse  du  Pape, 
immédiatement  après  le  concile  de  Francfort  (794),  un  mémoiredestiné  àpré- 
ciser  la  croyance  de  l'Eglise  des  Gaules  relativement  au  cultedes  images.  C'est 
l'écrit  qu'on  désigne  sous  le  nom  de  Livres  Carolins  et  dont  la  paternité  est 
restée  un  peu  contestée.  Angilbert,  recommandé  par  une  lettre  d'Alcuin, 
alla  porter  ce  document,  ainsi  que  les  actes  du  concile  de  Francfort,  au 
pape  Adrien.  Nous  avons  sa  réponse  à  Charlemagne  oîi  il  parle  en  ces 
termes  de  l'abbé  de  Saint-ftiquier  :  «  Nous  avons  reçu  gracieusement  l'abbé 
Angilbert,  ministre  de  votre  chapelle,  ce  cher  confident  qui  a  été  élevé  avec 
vous  dans  le  palais,  presque  dès  son  enfance,  et  qui  a  été  admis  à  tous  vos 
conseils.  En  votre  considération,  nous  lui  avons  témoigné  beaucoup  d'ami- 
tié, l'écoutant  favorablement,  et  lui  découvrant  comme  à  vous-même  les 
projets  que  noue  formons  pour  l'exaltation  de  la  sainte  Eglise  romaine  et 
pour  celle  de  votre  puissance  royale  ». 

Le  troisième  voyage  d'Angilbert  eut  un  autre  motif.  Léon  III,  aussitôt 
après  son  élection,  envoya  des  légats  à  Charlemagne,  pour  lui  porter  les  clés 
de  la  Confession  de  Saint-Pierre  et  l'étendard  de  la  ville  de  Rome,  double 
symbole  qui  confirmait  ses  droits  de  protecteur  de  l'Eglise  et  de  patrice  des 
Romains.  Il  priait  en  même  temps  le  roi  de  lui  envoyer  quelques  seigneurs 
de  sa  cour,  pour  recevoir,  en  son  nom,  le  serment  de  fidélité  et  de  soumission 
du  peuple  romain  *.  Charlemagne,  dans  une  lettre  qu'il  adresse  à  son  auri- 
culaire ',  le  charge,  en  accomplissant  cette  mission,  de  transmettre  ses  con- 
seils au  nouveau  Pontife. 

Angilbert  fut  chargé  en  même  temps  de  remettre  au  Saint-Siège  une 
large  part  des  trésors  que  Herric,  duc  de  Frioul,  avait  rapportés  de  Panno- 
nie,  après  sa  victoire  sur  les  Avares.  Léon  emploj'a  ce  riche  tribut  à  décorer 
les  églises  de  Rome  et  le  palais  de  Latran.  On  voit  encore  aujourd'hui,  dans 
ce  dernier  monument,  une  mosaïque  qu'il  fit  exécuter  à  cette  occasion  '. 

C'est  probablement  en  revenant  de  ce  voyage  qu' Angilbert  porta  une 
lettre  d'Alcuin  à  Paulin,  patriarche  d'Aquilée,  avec  qui  il  était  en  relations 

1.  Ce  ne  fat  pas  plus  tard  qu'en  789  ;  nous  avons  dit  pourquoi  plus  haut. 

î.  Eglnard,  An<ial.,  ad  ann.  796;  Almolnus,  de  Gest.  Frot,e.,  c.  86.  —  3.  Cancil.  gallic,  ii,  207. 

4.  Cette  mosaïque  a  ité  souvent  mal  di'crite  et  mal  inlerprc'te'e.  Saint  Pierre,  assis  dans  sa  cnihedro, 
donne  i  Charlemagne.  agenouilU  à  sa  gauche,  r^tenUard  de  lîome,  et  au  pape  Léon,  agenouilliS  à  s» 
droite,  Vorarium  ou  étolt. 


i 


SAINT  ASGILBERT,    ABBÉ  DE   SADiT-RIQUIER.  581 

affectueuses.  Un  autre  de  ses  amis,  Théodulpbe,  évêque  d'Orléans,  se  rendit 
à  la  cour  pendant  cette  absence  d'Angilbert,  et,  à  cause  de  ce  désappointe- 
ment, condamna  sa  muse  au  silence  *. 

Ni  ses  fonctions  diplomatiques,  ni  ses  fréquentes  résidences  à  la  cour, 
ne  pouvaient  détourner  Angilbert  de  l'intérêt  qu'il  portait  à  son  abbaye.  Il 
sut  profiter  des  favorables  dispositions  de  Charlemagne  pour  reconstruire  le 
monastère  de  Saint- Riquier.  —  «  Si  vous  me  mettez  à  même  »,  disait-il  au 
roi,  «  de  réaliser  mes  projets  et  de  faire  fleurir  la  discipline  et  la  régularité, 
tout  le  bien  que  je  pourrai  faire  vous  sera  réputé,  et  c'est  à  vous  que  la  plu- 
part des  récompenses  devront  échoir».  — C'est  probablement  vers  796  que, 
grâce  à  la  munificence  du  prince,  Angilbert  métamorphosa  les  anciennes 
constructions  de  bois  en  une  merveille  d'art  et  de  splendeur.  Les  plus  ha- 
biles ouvriers  furent  conviés  à  mettre  en  œuvre  le  bois  et  la  pierre,  le  verre 
et  le  marbre.  Charlemagne  envoya  de  nombreux  chariots  à  Rome  pour  en 
rapporter  des  colonnes  de  marbre,  et  en  même  temps  il  expédia  des  légats 
en  diverses  contrées,  et  jusqu'en  Orient,  pour  obtenir  des  reliques. 

Angilbert  nous  a  laissé  un  écrit  où  il  raconte  l'emploi  qu'il  fit  des  géné- 
rosités royales.  C'est  là  un  document  trop  précieux,  au  point  de  vue  de  l'art 
et  de  la  liturgie  monumentale,  pour  que  nous  ne  lui  empruntions  pas  quel- 
ques détails. 

Le  plan  général,  gravé  dans  quelques  ouvrages,  nous  offre  un  grand 
cloître  triangulaire,  avec  un  préau  qu'arrose  la  rivière  du  Scardon  ;  au  nord, 
la  principale  église,  dédiée  au  Sauveur  et  à  saint  Riquier  ;  au  midi,  l'église 
de  la  Vierge  et  des  saints  Apôtres  ;  à  l'orient,  la  petite  église  dédiée  à  saint 
Benoît  et  à  tous  les  saints  abbés.  L'ensemble  dénote  une  imitation  de  l'ar- 
chitecture romaine  et  la  connaissance  des  œuvres  de  Vitruve.  Mais  la  pensée 
chrétienne  se  révèle  dans  cette  forme  triangulaire,  dans  ce  nombre  3  qui 
apparaît  dans  les  églises,  les  oratoires,  les  ciboriums,  les  ambons,  etc.  C'est 
un  hommage  rendu  au  mystère  de  la  sainte  Trinité,  comme  Angilbert  nous 
l'apprend  lui-même. 

Les  deux  autels  du  Sauveur  et  de  saint  Riquier,  décorés  de  bas-reliefs, 
s'abritaient  sous  un  ciborium  soutenu  par  de  riches  colonnes  venues  d'Italie. 
C'est  peut-être  au  moment  de  leur  érection,  ou  bien  quand  on  éleva  les  co- 
lonnes qui  devaient  supporter  le  dôme  de  la  tour  orientale,  qu'arriva  l'évé- 
nement suivant  rapporté  par  Hariulfe.  Une  colonne  qu'on  essayait  de  dresser 
s'échappa  des  mains  des  ouvriers  et  fut  brisée  en  deux  morceaux.  La  tris- 
tesse et  le  découragement  s'étaient  emparés  des  moines  ;  mais  Angilbert, 
recourant  à  ses  expédients  accoutumés,  se  réduisit  à  l'abstinence,  et,  revêtu 
d'un  cilice,  passa  toute  la  nuit  en  prières.  Pendant  ce  temps-là,  un  ange 
tout  brillant  de  lumière  descendit  dans  l'église,  et,  en  passant  la  main  sur 
les  tronçons  brisés  de  la  colonne,  lui  rendit  son  intégrité  et  toute  sa  beauté 
primitive.  Quand  les  ouvriers  arrivèrent  le  lendemain  matin,  ils  furent  tout 
surpris  de  trouver  le  monolithe,  non-seulement  intact,  mais  dressé  sur  sa 
base,  ce  dont  ils  rendirent  grâces  à  la  toute-puissance  de  Dieu. 

Quelques  écrivains  se  sont  trompés  en  mentionnant  une  quatrième 
église,  dédiée  aux  saints  Archanges.  C'étaient  de  simples  oratoires,  munis 
chacun  d'un  seul  autel,  consacrés  à  saint  Michel,  à  saint  Raphaël  et  à  saint 
Gabriel.  Ils  étaient  situés  au  haut  des  trois  tours  qui  donnaient  entrée  dans 
le  monastère,  selon  un  usage  qui  paraît  venir  d'Orient  et  fait  allusion  aux 

1.  Dolco  melos  canerem  tibi,  ni  absens,  dalcis  Homère, 
Ssses.  Sed  qaoniam  es,  Une  mea  mosa  tscet. 


382  18  FÉVRIER. 

missions  que  les  anges  accomplissent  en  traversant  les  airs,  ainsi  qu'à  la 
garde  lulélaire  dont  ils  sont  investis. 

On  doit  remarquer  que  la  chapelle  de  Saint-Michel  se  trouvait  dans  la 
tour  occidentale.  A  des  époques  postérieures,  c'est  toujours  également  de  ce 
côté  que  nous  voyons  établi  le  culte  du  saint  Archange,  parce  qu'il  est  le 
conducteur  des  âmes  et  que  le  parvis  occidental  était  consacré  aux  sépultures. 

C'est  en  798,  mais  à  diverses  époques  de  l'année,  qu'eurent  lieu  la  dédi- 
cace des  trois  églises  et  la  consécration  des  trente  autels.  La  cérémonie  prin- 
cipale réunit  le  1"' janvier,  dans  l'église  du  Sauveur,  douze  évêques  consé- 
crateurs,  sons  la  présidence  de  Maginard,  archevêque  de  Rouen. 

.\ngilbert,  qu'on  a  surnommé  à  bon  droit  le  second  fondateur  de  Saint- 
Bu/iiier.  n'avait  pas  songé  seulement  à  la  splendeur  matérielle  de  l'abbaye, 
qui  n'eut  peut-être  pas  d'égale  au  rx'  siècle.  Les  reliques  des  Saints  étant 
considérées  comme  le  plus  précieux  trésor  des  églises,  il  avait  envoyé  des 
émissaires  en  solliciter  dans  toutes  les  parties  de  la  chrétienté,  et  spéciale- 
ment à  Rome,  à  Constantinople,  à  Jérusalem,  en  Italie,  en  Germanie,  en 
Gaule  et  en  Bourgogne.  Grâce  à  l'intervention  de  Charlemagne,  les  papes 
Adrien  et  Léon  III,  les  archevêques,  les  évêques,  les  abbés  avaient  répondu 
à  cet  appel.  11  serait  trop  long  d'énumérer  ici  toutes  les  reliques  qu'Angil- 
bert  obtint  par  ce  moyen. 

On  évaluait  à  quinze  mille  livres,  c'est-à-dire  à  plus  de  huit  millions  de 
notre  monnaie  actuelle  ',  les  richesses  liturgiques  des  trois  églises. 

Angilbert  enrichit  la  bibliothèque  du  monastère  de  plus  de  deux  cents 
volumes.  Un  des  plus  précieux  manuscrits  était  l'évangéliaire,  écrit  en  lettres 
d'or  sur  vélin  pourpre,  donné  à  Angilbert  par  Charlemagne,  vers  793,  et  qui 
se  trouve  aujourd'hui  à  la  bibliothèque  communale  d'Abbeville '. 

.\ngilbei't  institua  la  prière  perpétuelle,  le  laus  perenuis,  dans  l'église  de 
Centule.  Trois  groupes  de  religieux  y  chantaient  ensemble  l'office  divin,  à 
l'imitation  des  louanges  éternelles  que  font  retentir  dans  les  cieux  les  trois 
hiérarchies  angéliques.  Cent  moines  et  trente- trois  enfants  se  réunissaient 
en  face  de  l'autel  du  Sauveur  ;  même  nombre  au  milieu  de  l'église,  même 
nombre  dans  la  partie  orientale.  Après  les  heures  canoniales,  un  tiers  de 
chaque  chœur  se  retirait  et  revenait  plus  tard  remplacer  un  autre  tiers  sor- 
tant. Un  des  buts  de  cette  psalmodie  perpétuelle  était  le  salut  du  roi  et  la 
prospérité  de  son  règne  et  de  sa  famille.  On  priait  à  la  même  intention  et  à 
celle  du  Pape,  aux  deux  messes  conventuelles  qu'on  célébrait  le  matin  et  à 
midi,  ainsi  qu'aux  trente  messes  basses  quotidiennes. 

Il  ne  nous  reste  plus  qu'un  petit  nombre  de  faits  à  mentionner  dans  la 
vie  d'.\ni;ill)ert.  Il  aurait  contribué  à  obtenir  la  canonisation  de  saint  Salve, 
évèf|ue  d'.\ngoulême,  assassiné  près  de  Valenciennes  le  20  juin  798.  Il  aurait 
uni  ses  vœux  pour  cela  à  ceux  de  Charlemagne,  quand  le  pape  Léon  se 
rendit  en  7!HJ  à  la  cour  de  Paderhorn. 

■.f  qui  est  plus  certain,  c'est  que  Charlemagne,  cette  même  année,  alla 
célébrer  les  fûtes  de  Pâques  à  Sainl-Hiquier.  Alcuin  s'y  trouvait  alors,  et  il 

1.  M.  Guérard  tPoi'ipt,  d'irmtnouj  calcule  qne  la  livre  d'alors  e'quivalait  à  663  francs. 

i.  Ce  manuscrit,  l'un  des  pins  rares  de  l'Europe,  contient  une  préface  exéî:**tiqne,  le  texte  de»  quatre 
SranL'iles.  deux  lettres  de  saint  Jérôme  au  pape  hamtise  et  l'indication  des  Evaru'ilcs  pour  les  ji'urs  ffirl^. 
Les  'lypri  (ues  d'argent,  incrustés  d'or  et  de  pien'eries,  qui  lui  servaient  de  couvei'ture,  ont  disparu  et  ont 
été  reniplucés  par  une  humble  tapisserie.  Cent  quatre-vin;:t-linit  feuillets  de  vc'lln  pourpre.  di\isés  en 
ienx  coionnes.  sont  écrits  en  lettres  d'or;  quatre  grandes  miniatures  flfpirent  les  quitrc  Evantjélistes 
•Tec  les  anim^nx  apocalyiitiques  qui  leur  s-^rvent  d'attribut.  Les  autres  pages  sont  cntoure'cs  d'  -iiCLtdre- 
roents  dont  les  arabfS(|ues  sont  fort  remarquables.  M.  le  comte  L.  de  Belleval  a  publie  l,i  dt-seripilon  de 
ce  précieux  monument  littéraire  dans  les  Mem.  de  ta  Sùc.  d'émul.  d'ÂbbevUie  (auuée  làiti,  p.  27â> 


S.U.\T  AXGILBERT,    ABBÉ  DE    SADiT-RIQUIER.  583 

fut  sollicité  par  son  ancien  élève  iVannoter  et  d'embellir  une  légende  de  saint 
Riquier,  écrite,  disait-on,  en  style  trop  simple.  Le  célèbre  abbé  de  Tours 
ayant  paru  étonné  de  la  brièveté  de  celte  légende,  il  lui  fut  répondu  qu'on 
en  possédait  bien  une  autre  plus  longue,  mais  qu'on  ne  voulait  point  y  tou- 
cher, parce  que  son  style  peu  chAtié  la  rendait  plus  compréhensible  pour  le 
peuple.  Ce  fait,  à  lui  seul,  suffirait  pour  démontrer  l'existence  d'une  langue 
rustique  qui  n'était  autre  chose  qu'un  patois  de  la  langue  latine. 

L'année  suivante  (800),  Angilberl  suivit  Charlemagne  à  Rome  et  assista, 
le  jour  de  NoëU  à  ce  couronnement  qu'il  avait  peut-être  contribué  à  pré- 
parer. Ce  fut  le  iour  même  de  celle  cérémonie  qu'il  obtint  du  Pape,  en  fa- 
veur de  son  abn:iye,  un  privilège,  sollicité  d'ailleurs  par  l'évêque  Jessé  qui 
se  trouvait  à  Rome.  Le  monastère  de  Saint-Riquier  devint  exempt  de  l'ordi- 
naire, ainsi  qi.;-  la  ville  de  Centule  et  les  terres  voisines. 

Angilbert  i.il  l'un  des  quatre  abbés  qui,  en  811, souscrivirent  le  testament 
de  Charlemagne. 

Il  ne  devait  survivre  que  de  vingt-deux  jours  à  ce  monarque  ;  car  il  mou- 
rut le  13  février  814.  Selon  le  vœu  qu'il  avait  exprimé,  on  l'inhuma  devant 
le  portail  de  l'église  de  Saint-Sauveur,  oîi  sa  pierre  tombale  devait  être  foulée 
aux  pieds  des  passants. 

Les  sculptures  de  l'église  de  Saint-Riquier  ont  multiplié  l'image  de  saint 
Angilbert.  On  le  voit,  au  portail,  agenouillé  devant  le  Père  éternel  ;  et  plus 
loin,  tenant  la  crosse  et  un  livre  ;  à  un  contre-fort  de  la  tour,  agenouillé  en 
costume  de  prince  devant  l'abbé  Symphorien,  qui  reçoit  ses  vœux  monas- 
tiques. Sous  les  voussures,  des  groupes  représentent  la  mission  que  Charle- 
magne lui  donne  pour  le  Saint-Siège  ;  la  réception  que  lui  fait  le  Pape,  as- 
sisté d'un  cardinal  ;  la  guérison  qu'un  boiteux  obtient  par  son  intercession. 

Il  reposa  en  ce  lieu  l'espace  de  vingt-huit  ans,  après  lesquels  il  fut  trouvé 
sans  corruption,  et  transporté  dans  un  lieu  plus  honorable.  11  s'est  encore 
fait  d'autres  translations  de  ce  précieux  dépôt,  dans  lesquelles  Dieu  a  toujours 
fait  paraître,  par  quelque  événement  extraordinaire,  combien  la  bienheu- 
reuse âme  qui  avait  animé  ce  corps  lui  était  agréable. 

Il  n'a  jamais  été  canonisé,  et  les  religieux  n'ont  pas  fait  sa  fête  avant  l'abbé 
d'Aligre,  au  xvn'  siècle.  Une  des  chapelles  de  l'église  de  Saint-Riquier  est 
actuellement  consacrée  à  saint  Angilbert. 

CLTiTE  DE  S.'UNT  ANGILBERT, 

Nous  n'osons  pas  entreprendre  de  donner  ici  le  récit  des  miracles  qne  Bien  a  faits  par  les  mé- 
rites de  saint  Angilbert,  tant  peDdaai  sa  vie  qu'après  sa  mort,  parce  que  le  nombre  en  est  trop 
grand  ;  il  nous  safllra  de  dire  que  l'auteur  de  sa  Vie  en  a  composé  trois  livres,  auxquels  nous  ren- 
voyons le  lecteur;  on  sera  éditîé  de  voir  toutes  les  merveilles  qne  Dieu  a  voulu  opérer  par  l'in- 
tercession de  ce  grand  Saint,  et  comment  la  divine  Providence  a  pris  plaisir  k  donner  des  preuves 
de  la  vérité  de  toutes  ces  opérations  miraculeuses. 

Renseignements  donnés  par  31.  Fricourt,  curé  de  Saint-Riquier  : 

I.  Le  monastère.  —  Fondé  par  saint  Riquier  lui-même,  rebâti  avec  la  plus  grande  magnificence 
par  saint  Angilbert.  il  a  subsisté  jusqu'eu  1790.  après  avoir  été  détruit  et  reconstruit  plusieurs  fois. 
En  1190,  vendu  par  la  nation,  une  grande  partie  des  bJliments  fut  détruite.  Acheté  en  1S22  par 
M.  Pudé,  prêtre,  qui  y  fonda  une  institution  ecclésiastique,  il  devint,  à  la  suppression  de  Saint- 
Acheul.  le  petit  séminaire  du  diocèse  d'Amiens,  qui  y  est  toujours  ;  on  a  reconstruit  les  bâtiments 
détruits  sur  les  plans  anciens  :  le  monastère  est  donc  ce  qu'il  était  avant  la  révolution.  Quant  à 
l'église  abbatiale,  réservée  lors  de  la  vente  de  la  maison  conventuelle,  elle  sert  au  culte  de  la  pa- 
roisse. C'est  un  magiiilique  édifice  aux  vastes  proportions,  snpérieor  à  plus  de  cinquante  cattié- 
drales  de  France.  xiii=,  xiv»,  xv"  siècles. 

II.  Les  reliques.  —  Saint  Riquier  fut  d'abord  inhumé  dans  sa  solitude  de  la  forêt  de  Crécy, 
pois  rapporté  sis  mois  après  par  l'abbé  Olciade,  son  snccesseor,  dans  l'église  da  monastère  qn'il 


584  18  FÉVRIER. 

avait  bJti.  Retirés  du  second  sépulcre,  où  ils  avaient  été  déposés  par  Anjilhert  vers  800,  ses  restes 
furent  placés  dans  une  châsse  précieuse  et  conservés  avec  soin.  Nous  possédons  toujours  son 
glorieux  chef  et  tout  le  corps,  à  l'exception  de  quelques  parcelles  données  à  diverses  époques. 

Quant  à  saint  Angilbert,  inhumé  d'abord  à  la  porte  de  l'église  qu'il  avait  f;iil  bâtir,  transporté, 
Tingt-huit-ans  après,  à  l'entrée  du  chœur,  il  y  reposa  jusque  vers  IBIfl.  Alni-s,  l'abbé  d'Aligre 
l'ajant  fait  exhumer,  il  plaça  ses  restes  sacrés  dans  une  châsse.  Nous  les  possédons  encore  ;  il  est 
difficile  de  voir  si  le  corps  est  entier,  car  les  ossements  qui  ont  probablement  passé  par  le  feu  sont 
par  morceaux. 

Ces  reliques  ont  été  conservées,  en  1790,  par  le  curé  de  la  paroisse. 

m.  —  Le  culte.  —  Le  culte  de  saint  Angilbert  ne  parait  pas  avoir  été  très-répandu,  bien  qu'au 
Xii»  siècle  un  grand  nombre  de  miracles  se  soient  opérés  à  son  tombeau. 

Noos  avons  emprunté  cette  vie  à  V Hagiographie  du  diocèse  d'Amiens^  par  M.  l'abbé  Corblet,  en  l'abré- 
geant considérablement.  Il  faut  lire,  dans  ce  savant  critique,  la  réfutation  de  tontcequi-  l'on  a  écrit  Jusqu'ici 
de  mal  fondé  sur  le  mariage  du  moine  Angilbert  avec  une  fille  de  Cliarlemagne.  de  son  gouvernement  en 
Pontliîeo,  de  la  prise  du  voile  par  Berthe,  sa  prétendue  femme,  etc.;  t.  ii,  p.  102  et  siiiv.  —  On  trouvera 
dans  la  Patrologie  latine  de  M.  Migne,  t.  ci,  les  quelques  écrits  de  saint  Angilbert. 


SAINT  HELLADE,  ÉVÊQUE  DE  TOLÈDE  (632). 

Hellade  succéda  à  Avausius  sur  le  siège  épiscopal  de  Tolède.  Il  avait  un  rang  considérable  à  la 
cour  et  un  haut  emploi  dans  le  gouvernement,  ce  qui  ne  l'empêchait  pas  d'accomplir  le  vœu  et 
l'œuvre  d'un  religieux  sous  l'habit  d'un  séculier.  Dès  que  les  affaires  lui  laissaient  quelque  loisir, 
il  s'enfuyait  seul  et  sans  aucun  appareil  au  monastère  d'Aguilar,  et  là  il  se  livrait  à  toutes  les  occu- 
pations des  moines,  jusqu'à  porter  du  bois  au  four  avec  eux  et  confondu  dans  la  foule.  Aussitôt  que 
la  chose  fut  possible,  il  quitta  le  monde  et  vint  s'enfermer  définitivement  dans  ce  même  moudstère, 
OÙ  il  habitait  déjà  depuis  si  longtemps  par  ses  désirs.  Devenu  moine,  il  fut  le  modèle  de  ses  frères 
et  il  dota  largement  le  monastère.  Lorsqu'il  fut  appelé  à  l'épiscopat,  la  vieillesse  avait  déjà  beau- 
coup affaibli  son  corps  ;  néanmoins,  dans  sa  nouvelle  position,  il  donna  de  plus  grands  exemples 
encore  qu'il  n'avait  fait  étant  moine.  11  mit  autant  de  discrétion  à  gouverner  le  monde  qu'il  avait 
employé  de  courage  aie  mépriser.  Il  était  si  miséricordieux  envers  les  pauvres,  ses  aumônes  étaient 
si  abondantes,  que  son  cœur  paraissait  comme  la  source  d'où  la  chaleur  et  la  vie  s'écoulaient 
dans  les  membres  et  les  entrailles  des  pauvres  pour  les  ranimer.  Il  n'écrivit  point  :  il  aima 
mieux  agir. 

C'est  saint  Ildefonse,  son  successeur,  qui  parle  ainsi,  puis  il  ajoute  :  Revenant  dans  le  même 
monastère  aux  derniers  moments  de  sa  vie,  il  m'ordonna  diacre  ;  il  mourut  vieux,  il  tint  di.x-huit 
ans  le  gouvernement  de  son  église,  sous  les  rois  Sisiteut,  Suntillan  et  Sisenand.  Il  a  été  tenu 
pour  bienheureux,  et  il  est  entré  en  possession  de  la  gloire  céleste,  plein  d'années  et  de  mé- 
rites. 632. 

Annaiex  de  Bartmiu». 


SAINT  LÉON  ET  SAINT  PARÉGORE  DE  PATARE,  EN  LYCIE  (m"  s.). 

Saint  Parégore  venait  de  répandre  son  sang  pour  Jésus-Christ  ;  saint  Léon,  qui  avait  été  le 
témoin  de  son  combat,  se  trouvait  partagé  entre  la  joie  que  lui  causait  le  bonheur  de  son  ami  et 
la  douleur  de  n'avoir  pu  encore  le  partager.  Un  jour  qu'il  avait  pris  son  chemin  par  le  temple  de  la 
Fortune,  il  le  vit  illuminé  d'un  grand  nombre  de  flambeaux.  Touché  de  l'aveuglement  des  païens, 
il  éteignit  ces  flambeaux  et  les  foula  aux  pieds.  Amené  devant  le  gouverneur,  celui-ci  le  supplia 
vainement  d'avoir  pitié  de  sou  grand  âge  et  de  dire  seulement  que  les  dieux  sont  grands.  Une  sen- 
tence fut  prononcée  contre  lui,  qui  portait  qu'il  serait  attaché  par  le  pied  et  traîné  sur  les  pierres 
jusqu'au  lieu  du  supplice.  On  jeta  son  corps,  dans  une  fondrière  au  bas  d'un  rocher,  mais  il  ne  fut 
point  endommagé  dans  celte  chute.  Il  y  a  plus  ;  ce  lieu,  qui  était  auparavant  un  affreux  précipice 
dont  la  vue  seule  effrayait  les  voyageurs,  devint  entièrement  praticable  ;  le  terrain  s'allermit  et  l'on 
y  pouvait  marcher  sans  courir  le  moindre  danger.  Les  fidèles  recueillirent  le  corps  du  serviteur  de 
Jésus- .hrist  pour  l'enterrer;  ils  remarquèrent  sur  son  visage  une  couleur  vermeille,  mêlée  d'une 
certaine  majesté  et  d'un  doux  sourire.  Les  Grecs  boaorent  saint  Léon  en  ce  jour. 

Acla  Sanctorum 


MARTYROLOGES.  385 


Xir  JOUR  DE  FEVRIER 


MARTYROLOGE  ROMAIN. 

A  Rome,  la  naissance  au  ciel  de  saint  Gabia  *,  prêtre  et  martyr,  frère  de  saint  Caïus,  pape, 
qui,  après  avoir  été  longtemps  détenu  en  prison  par  l'empereur  Dioclétien,  acheta,  par  une  mort 
précieuse,  les  félicités  célestes.  296.  —  En  Afrique,  les  saints  martyrs  Publius,  Julien,  iMarcel.  — 
En  Palestine,  la  mémoire  de  saints  moines  et  de  plusieurs  autres  martyrs^,  qui  furent  cruellement 
massacrés  pour  la  foi  de  Jésus-Christ,  par  les  Sarrasins,  sous  Alémondare,  leur  chef.  Vers  503.  — 
A  Jérusalem,  saint  Zambdas  ^,  évèque.  304.  —  A  Soles,  saint  Auxibe,  évêque.  102.  —  A  Béné- 
vent,  saint  Barbât  *,  évèque,  très-renommé  pour  sa  sainteté,  qui  convertit  les  Lombards  et  lear 
chef  à  la  foi  de  Jésus-Christ.  6S2.  —  A  Milan,  saint  iMaosuet  5^  évèque  et  confesseur.  Vers  700. 


MARTYROLOGE   DE  FRANCE,   REVU  ET  AUGMENTÉ. 

Saint  Livier,  martyr  en  Lorraine,  dont  on  fait  la  fête  aujourd'hui  dans  le  diocèse  de  Nancy  ». 
—  A  la  Cambre,  monastère  de  religieuses  de  Cîteaus,  près  de  Bruxelles,  saint  Boniface  , 
évêque  de  Lausanne,  qui  avait  professé  la  théologie  à  Paris.  1265.  —  Au  diocèse  d'Autun,  la  fête 
de  saint  Loup,  vulgairement  Leu,  dont  l'eutrce  au  ciel  est  marquée  le  27  janvier.  —  Au  diocèse 
de  Fréjus,  saint  Vallier,  évèque  d'Antibes  et  martyr.  Ce  Saint  souffrit  le  martyre,  à  la  fin  du 
v*  siècle,  sous  un  roi  des  Goths.  Sa  fêle  se  célèbre  dans  tout  le  diocèse  de  Fréjus.  Un  village  de 
Tarrondissement  de  G'asse  porte  le  nom  de  Saint-Vailier.  — Au  diocèse  de  Rhodez,  saint  Georges, 
évèque  de  Lodève.  S84.  —  A  Troyes,  la  canonisation  de  saint  Frobert  ''. 

1.  Saint  Gabin  était  fils  de  Maxime,  p^re  de  Dioctétien;  il  se  maria  et  eat  de  son  mariage  une  fille 
nommée  Suzanne;  sa  femme  mourut  et  lui  se  fit  prêtre.  II  combattit  les  païens  par  ses  écriis.  Suzanne 
fat  demandée  en  mariage  par  Dioclétien  pour  son  fils  d'adoption  Galfere-Maximin.  Le  né,:;ociatear  de  cette 
affaire,  nommé  Claude,  fat  converti  par  Suzanne  avec  toute  sa  famille  :  celle-ci  fat  martyrisée  sur  la  voie 
d'Ostie.  Gabin  et  Suzanne  furent  mis  en  prison,  Suzanne  souffrit  le  martyre  le  11  août  296  ;  son  père 
mourut  de  faim  et  de  soif  après  être  resté  un  an  en  prison.  Son  corps  se  trouve  h  Lyon,  dans  l'église  des 
Jésuites.  Il  a  été  donné  à  M.  d'Alincourt,  notre  ambassadeur,  par  le  pape  Paul  V.  Les  Ursulines  d'Amiens 
possèdent  une  de  ses  reliques. 

2.  Les  saints  moines  dont  il  est  ici  question  furent  toés  dans  les  mêmes  incursions  des  Sarrasins  dont 
il  est  fait  mention  dans  les  Actes  de  saint  Jean  le  Silenciaire  (13  mai),  rapportés  par  Métaphraste;  dans 
la  vie  de  saint  Sabas,  par  !e  même  (5  décembre);  dans  les  Actes  de  saint  Euthyme,  encore  rapportés  par 
le  même  auteur  (20  Janvier).  Cette  persécution  seule  des  Sarrasins  fit  périr  beaucoup  de  saints  moines  en 
divers  lieux  et  à  d  vers  jours;  et  l'on  ne  devra  pas  s*étonner  si  i'on  trouve  encore  plus  loin,  plusieurs  fois, 
des  moines  tués  par  les  Sarrasins.  On  saura  qu'Alémondare,  le  chef  de  ces  barbares,  finit  par  se  convertir 
&la  foi  de  Jésus-Clirist,  comme  l'atteste,  liv.  svii,  ch.  35,  l'historien  Nicéphore. 

3.  Saint  Zambdas  est  compté  le  trente-neuviÈme  évêque  de  Jérusalem;  il  succéda  à  Hyméneas  eb 
siégea  au  temps  de  l'empereur  Dioclétien. 

4.  Saint  Barbât  assista  aa  concile  tenu  a  Rome  sous  le  pape  Agathon,  l'an  de  Notre-Seigneur  6S0  ;  il 
y  souscrivit,  comme  on  le  voit  par  les  actes  de  ce  concile.  On  le  représente  faisant  abattre  un  arbre. 
Bien  des  croyances  païennes  avaient  répandu  et  consacré  le  culte  des  arbres;  en  sorte  que  plus  d'un  mis- 
sionnaire eut  à  lutter  contre  ce  respect  voué  à  divers  doyens  des  forêts.  Les  Lombards,  qui  venaient  da 
nord  de  l'Europe,  avaient  porte*  leurs  superstitions  en  Italie.  Leur  duc.  Reumwald,  pratiquait  au  dehors 
lo  christianisme,  mais  sa  femme,  Theudrade,  était  restée  païenne.  L'évêque  Barbât  ordonna  de  déracinet 
un  grand  arbre  qui  était  l'occasion  de  ces  pratiques  superstitieuses,  et  changea  en  calice  une  vipère  d'or 
qui  était  honorée  dans  le  palais  de  Theudrade. 

5.  Saint  ilansuet  e>t  nommé  dans  les  actes  de  l'Eglise  de  Milan.  Il  fiorissait  aussi  du  temps  de  saint 
Agathon  :  il  assista  au  même  concile  de  Rome  et  y  souscrivit;  les  actes  eu  font  foi.  Nous  avons,  ajoute 
Baronius,  une  lettre  manuscrite  très-savante  et  très-digne  de  l 'évêque  d'un  si  grand  siège,  adressée  par 
saint  Mansnet  à  l'empereur  Constantin  III. 

6.  Voir  »a  notice  au  25  novembre.  —  7.  Voir  sa  vie  au  8  Janvier. 


586  19  FÉVRIER. 


M.UITYROLOGES   DES    ORDRES   RELIGIEUX. 

Mnritjrologe  des  Cnmaldules.  —  Saint  Hilaire,  évêque  et  confesseur,  dont  on  célèbre  la  mé- 
moire le  14  de  janvier. 

Martfirologe  de  Vallombreuse.  —  Saint  Fabien,  pape  et  martyr,  dont  il  est  fait  mention  le 
20  février. 

Martyrologe  Cisiercien.  —  Au  monastère  de  Sainte-Marie-de-la-Cambre,  près  de  Biiixell  s,  saint 
Boniface,  évêque  de  Lausanne,  qui,  ayant  vaillamment  défendu  la  liberté  de  l'Eglise,  contre  l'em- 
pereur Frédéric,  prit,  dans  le  même  monastère,  l'habit  de  l'Ordre  Cistercien,  et,  glorieux  par  ses 
mincies,  s'envola  au  ciel. 

ilnrlijrologe  des  Frères  Prêcheurs.  —  A  Cordoue,  en  Espagne,  le  bienheureux  Alvarez, 
confesseur,  de  l'Ordre  des  Frères  Prêcheurs,  fondateur  du  monastère  de  la  i>cala  Cœli  (l'échelle  du 
ciel).  1420. 

Martyrologe  de  l'Ordre  Romnno-Sérophique.  —  Près  de  Noto,  en  Sicile,  saint  Conrad,  con- 
fesseur, du  Tiers  Ordre,  qui,  brillant  par  la  noblesse  de  sa  race  et  par  l'éclat  de  ses  vertus,  fut 
encore  illustre  par  le  don  de  prophétie  et  par  des  miracles  opérées  avant  et  après  sa  mort. 

Martyrologe  de  FOrdre  Séraphique.  —  A  Noto,  en  Sicile,  saint  Conrad,  confesseur,  du  Tiers 
Ordre  de  Saint-François,  célèbre  par  son  mépris  des  choses  humaines,  par  l'austérilé  de  sa  vie  et 
par  ses  nombreux  miracles. 

Martyrologe  des  Carmes  chaussés.  —  Saint  Raymond  de  Pennafortj  confesseur,  dont  il  est 
fait  meuliou  le  7  de  janvier. 

Martyrologe  de  Saint-Augustin.  —  Saint  Raymond  de  Pennafort,  confesseur,  dont  la  fôte 
arrive  le  7  de  janvier. 

Martyrologe  de  l'Ordre  des  ServUrs.  —  A  Mantoue,  la  bienheureuse  Elisabeth  Picenardi, 
vierge,  du  Tiers  Ordre  des  Servîtes,  illustre  par  l'innocence  de  sa  vie,  par  son  humililé,  par  It 
don  d'oraison,  de  prophétie  et  des  miracles,  qui,  étant  dans  une  délicieuse  conlemplalion,  et  voyant 
Jésus  et  sa  Mère  au  milieu  des  chœurs  de- anges,  s'endormit  ainsi  doucement  dans  le  Seigneur.  1468. 

Martyrologe  des  Capucins.  —  A  Noto,  en  Sicile,  saint  Conrad,  confesseur,  du  Tiers  Ordre  de 
Saint-François,  notre  Père,  qui,  brillant  par  la  noblesse  de  sa  race  et  par  l'éclat  de  ses  vertus,  fut 
encore  illustre  par  le  don  de  prophétie  et  par  des  miracles  fameux,  opérés  avant  et  après  sa  mort 
jusqu'à  noire  temps.  1351. 

Martyrologe  de  Saint-Jérôme.  —  Saint  Polycarpe,  évêque  et  martyr,  dont  la  mémoire  est 
honorée  le  26  janvier. 

ADDITIONS    FAITES    d'APRÈS    LES   BOLL.INDISTES    ET  AUTRES    HAGIOGRAPBES. 

En  Afrique,  les  saints  Marube,  Julien,  Baracée,  Tulllus,  Lampase,  Maïule,  Jules,  Paul  et  Maxi- 
mille, martyrs  avec  les  saints  Publius,  Julien  et  Marcel,  mentionnés  ci-dessus.  —En  Irlande,  saint 
Odran,  martyr,  qui  fut  serviteur  et  cocher  de  saint  Patrice,  v  s.  —  En  Orient,  saint  Rabiile,  soli- 
taire et  abbé,  qui  fonda  des  monastères  en  Phénicie  et  à  Byzance.  Vers  l'an  530.  —  En  Palestine» 
saint  Conon,  prêtre,  abbé  du  monastère  de  Penthucla.  Vers  l'an  oôj.  —  A  Valcabado,  en  Espagne, 
saint  Béat,  prêtre,  qui  combattit  vigoureusement  l'hérésie  d'Hélipand,  archevêque  de  Tolède,  la 
même  que  celle  de  Nestorius.  798. 


SAINT  AUXIBE,  ÉVÊQUE  DE  SOLES,  EN  GHYPllB 


In  du  i«r  siècle. 


De  même  que  l'art  est  la  juste  ordonnance  des  on- 

vrages,  ainsi  la  prudence  est  la  juste  ordonnance 

des  actes  ;  or,  la  prudence  est  la  science  dfs  Saints. 

Saint  Thomas  d'Aquin,  1,  2.   Quxst.  53,  art.  2. 

Prov.,  IX,  10. 

Saint  Auxibe  naquit  à  Rome,  de  parents  fort  riches,  mais  adonnés  au 
culte  des  faux  dieux.  Il  parut  comme  une  rose  au  milieu  des  épines^  car 


SAINT  ABXIBE,   ÉVÊQUE  DE   SOLES,    EX   CfflTRE.  587 

Dieu  l'avait  doué  d'un  naturel  honnête  et  doux,  et  surtout  fort  porté  à  la 
chasteté.  Ses  parents,  voyant  de  si  belles  dispositions  en  lui,  souhaitaient 
qu'il  s'avançàl  dans  les  plus  hautes  charges  et  les  premières  dignités  de 
l'empire.  Aussi,  quand  il  fut  en  âge  de  prendre  un  parti,  ils  lui  présentèrent 
les  plus  avantageux  de  la  ville.  Mais  Auîibe,  qui  avait  souvent  entendu  par^ 
1er  de  Jésus-Christ,  et  n'aspirait  plus  qu'au  christianisme,  ne  voulut  jamais 
entendre  leurs  propositions.  C'est  pourquoi,  pour  s'y  soustraire  absolument, 
il  résolut  de  prendre  la  fuite.  Il  s'embarqua  donc  secrètement,  se  rendit  à 
Rhodes,  et  de  là  en  Chypre,  dans  un  village  appelé  le  Port,  à  quatre  lieues 
de  la  ville  de  Soles.  L'historien  de  sa  vie  dit  qu'il  y  rencontra  saint  Marc, 
parent  de  saint  Barnabe,  qui  lui  donna  le  sacrement  de  baptême  et  celui 
de  la  confirmation  ;  et  qu'après  l'avoir  instruit  des  mystères  de  notre  reli- 
gion et  de  la  manière  d'annoncer  la  parole  de  Dieu,  il  le  sacra  prêtre  et 
évêque,  afin  qu'il  prêchât  plus  librement  l'Evangile.  11  lui  conseilla  néan- 
moins de  ne  point  faire  d'abord  paraître  qu'il  était  chrétien,  afin  de  s'insi- 
nuer plus  aisément  dans  l'esprit  des  habitants  qui  étaient  extrêmement 
zélés  pour  le  culte  de  leurs  dieux,  mais  de  faire  en  sorte,  par  ses  bons  dis- 
cours et  par  la  sainteté  de  sa  vie,  qu'ils  se  disposassent  peu  à  peu  i  recevoir 
la  doctrine  de  Jésus-Christ.  Il  entra  donc,  avec  ces  instructions,  en  la  ville 
de  Soles,  par  la  porte  qui  regardait  le  couchant  :  il  y  avait  un  temple  de  Ju- 
piter, dans  lequel  logeait  un  sacrificateur.  Celui-ci,  voyant  passer  Auxibe, 
et  jugeant  qu'il  était  étranger,  le  fit  entrer  chez  lui,  le  traita  fort  humaine- 
ment et  lui  fit  bonne  chère  ;  et,  comme  il  s'informait  du  sujet  de  son  voyage, 
Auxibe  lui  fit  réponse  qu'il  élail  romain,  et  qu'ayant  résolu  de  voir  du 
paj-s,  sa  curiosité  lavait  porté  à  visiter  la  ville  de  Soles,  qu'il  savait  être  un 
séjour  fort  divertissant  et  très- agréable. 

Le  prêtre  l'invita  à  loger  chez  lui  pendant  son  séjour  ;  le  Saint  accepta, 
voyant  l'obligeance  et  la  franchise  de  cet  idolâtre,  sans  néanmoins  faire  pa- 
raître qu'il  fût  chrétien,  selon  le  conseil  de  saint  Marc.  Mais  il  fit  si  bien, 
par  sa  sainte  vie,  qu'il  persuada  à  son  hôte  de  détester  les  sacrifices  des  faux 
dieux  pour  adorer  le  véritable  qui  a  fait  le  ciel  et  la  terre.  Auxibe,  encou- 
ragé par  la  conversion  de  ce  prêtre,  et  reprenant  un  nouveau  zèle  après  un 
si  heureux  succès,  pour  publier  le  nom  de  Jésus-Christ,  allait  et  venait  dans 
la  ville,  catéchisant  en  secret  et  sans  bruit  ceux  qu'il  voyait  disposés  à  rece- 
voir la  vérité,  et,  après  ses  visites  et  ses  exhortations,  il  se  retirait  dans  le 
temple  avec  le  sacrificateur. 

Cependant  saint  Marc,  ayant  appris  le  martyre  de  saint  Barnabe,  arrivé 
dans  l'île  de  Salamine,  alla  trouver  l'apôtre  saint  Paul,  auquel  il  raconta 
tout  ce  qui  était  arrivé  dans  l'île  de  Chypre,  et  comment,  par  cette  mort, 
elle  allait  être  privée  d'évêque.  Le  saint  Apôtre,  qui  prenait  un  soin 
spécial  de  toutes  les  églises  où  il  avait  prêché  l'Evangile,  soit  par  lui-même 
ou  par  ses  disciples,  écrivit  à  Héraclide,  archevêque  de  l'île,  et  lui  donna 
pouvoir  de  sacrer  évêques  ceux  qu'il  jugerait  les  plus  propres.  Il  lui  com- 
manda d'établir,  entre  autres,  Epiphane,  évêque  de  Paphos  ;  Tichique,  évê- 
que de  Naples,  et  Auxibe,  évêque  de  Soles  ;  il  l'avertissait,  néanmoins,  de 
ne  pas  consacrer  de  nouveau  Auxibe,  parce  qu'il  avait  déjà  été  sacré  par 
saint  Marc  ;  Héraclide,  ayant  reçu  cet  ordre  de  saint  Paul,  chercha  partout 
Auxibe,  qu'il  trouva  enfin  dans  le  temple  de  Jupiter  ;  et,  lui  faisant  connaî- 
tre les  intentions  de  l'Apôtre,  il  lui  dit  qu'il  était  temps  de  paraître  et  de 
monter  sur  le  chandelier,  afin  d'éclairer  ce  peuple  aveu;;le  et  couvert  des 
ténèbres  de  l'idolâtrie.  Le  tirant  donc  de  ce  lieu,  il  le  conduisit  à  la  ville  où 
il  lui  marqua  une  place  pour  j  bàtir  une  église. 


S88  19   FÉVRIER. 

Auxibe,  mettant  aussitôt  courageusement  la  main  à  l'œuvre,  fit,  en  peu 
de  temps,  bâtir  cette  église;  l'ayant  dédiée,  il  se  prosterna  à  terre,  fil  sa 
prière  à  Dieu  avec  abondance  de  larmes,  et  lui  demanda  la  grâce,  la  force 
et  le  courage  de  prêcher  sa  parole  à  ce  peuple  idolâtre  pour  le  convertir, 
lui  faire  connaître  son  erreur,  et  le  conduire  à  la  foi  de  Jésus-Christ,  Sau- 
veur de  tous  les  hommes.  Après  cette  oraison  fervente,  il  s'en  alla  sur  la 
place  publique  :  il  y  trouva  une  grande  multitude  de  peuple,  et  se  mit  à 
prêcher  hautement  l'Evangile  et  à  expliquer  les  principaux  mystères  de  no- 
tre foi,  la  vérité  d'un  Dieu  créateur  du  ciel  et  de  la  terre  et  la  divinité  de 
Jésus-Christ. 

Une  grande  partie  de  ce  peuple  qui  l'écoutait  se  rendit  à  la  force  des  pa- 
roles de  salut  qui  sortaient  de  sa  bouche  ;  les  merveilles  qu'il  opérait  sur  les 
malades  et  sur  les  possédés  qu'il  délivrait  au  nom  et  par  la  vertu  de  Jésus- 
Christ,  par  le  seul  signe  de  la  croix,  ne  servirent  pas  peu  à  convertir  ces  ido- 
lâtres :  ils  reconnurent  ainsi  la  vérité  de  la  doctrine  que  leur  prêchait 
Auxibe.  Sa  réputation  croissait  de  jour  en  jour  et  se  répandait  de  tous  côtés; 
elle  arriva  jusqu'à  Rome,  où  le  Saint  avait  laissé  un  de  ses  frères,  Thémista- 
gore,  qui  avait  épousé  une  honnête  dame  nommée  Timo.  Ce  frère  fut  même 
si  touché  des  merveilles  que  Dieu  opérait  par  le  moyen  d'Auxibe,  qu'il  réso- 
lut de  se  faire  chrétien  comme  lui.  Il  vint  donc  avec  sa  femme  et  les  sœurs 
de  sa  femme  le  trouver  à  Soles,  où  ils  embrassèrent  tous  la  foi  de  Jésus- 
Clirist  et  reçurent  ensuite  le  baptême.  Auxibe  fit  aussi  son  frère  diacre  et  sa 
belle-sœur  diaconesse  ;  suivant  l'usage  de  ce  temps-là,  il  l'établit  pour  ser- 
vir toujours  à  l'église,  selon  sa  condition,  après,  néanmoins,  que  les  deux 
époux  se  furent  séparés  l'un  de  l'autre  de  leur  consentement  mutuel. 

Parmi  ceux  qui  s'adressèrent  au  saint  évèque,  il  y  en  eut  un  nommé 
Auxibe  comme  lui,  du  village  de  Solopolamie,  qui  fut  imitateur  de  ses  ver- 
tus et  de  son  zèle,  comme  il  lui  était  semblable  de  nom  ;  depuis  qu'il  fut 
baptisé,  il  ne  le  quitta  jamais,  mais  vécut  avec  lui  dans  une  si  grande  sainteté, 
qu'il  mérita  d'être  nommé  par  lui-même  son  successeur. 

Enfin,  ce  saint  prélat,  après  avoir  gouverné  cinquante  ans  l'église  de 
Soles  avec  une  admirable  piété,  et  conservé  inviolablement  sa  virginité,  se 
voyant  proche  de  la  mort,  assembla  le  clergé  de  Soles,  et  l'exhorta  à  conser- 
ver la  foi  qu'il  leur  avait  annoncée,  à  servir  fidèlement  l'Eglise,  à  garder  les 
traditions  qu'ils  avaient  reçues  de  lui  et  à  honorer  celui  qu'il  avait  choisi 
pour  évoque  on  sa  place.  Ensuite  il  prit  la  main  de  cet  Auxibe,  qu'il  laissait 
pour  son  successeur,  et  lui  dit  :  «  Mon  frère.  Dieu,  dans  son  infinie  bonté, 
vous  a  élu  prêtre  ;  ayez  soin  du  troupeau  de  Jésus-Christ,  qu'il  a  racheté  de 
son  sang  ».  Puis  il  donna  le  baiser  de  paix  à  toute  la  compagnie,  et,  le  troi- 
sième jour  après,  qui  fut  le  19  février,  ayant  recommandé  son  troupeau  à 
Dieu  et  donné  sa  bénédiction  à  tout  le  peuple  qui  était  accouru  pour  le  voir, 
il  rendit  son  âme  à  Dieu  à  la  fin  du  premier  siècle,  ou  au  commencement 
du  second.  Son  corps  fut  mis  dans  un  tombeau  qu'il  s'était  lui-même  pré- 
paré de  son  vivant  ;  au  dehors,  il  avait  fait  graver  ces  mots  :  «  Je  vous  conjure 
de  ne  pas  ouvrir  ce  coffre,  jusqu'après  la  mort  de  mon  frère  Thémistagore  ». 

.Mais  l'humble  Thémistagore,.  se  jugeant  indigne  d'être  enterré  avec  un 
frère  si  saint,  conjura  le  clergé  de  ne  le  point  ouvrir  pour  lui.  Le  joui'  de  sa 
mort,  plusieurs  infirmes  furent  miraculeusement  guéris  de  leurs  maladies, 
et  il  se  fît  un  grand  concours  de  peuple  en  ce  lieu,  pour  honorer  ses  saintes 
reliques,  à  cause  des  miracles  que  Dieu  opérait  en  faveur  des  personnes  qui 
recouraient  à  lui. 


SAINT  BONIFACE,   ÉVÉQUE  DE  LAUSANNE.  589 

Sa  vie  a  (U  tolte  par  Mët.iphraste.  et  elle  est  rapportée  dans  Lipnman  et  dans  Surins.  Bollandns  en 
donne  une  traJuction  faite  sur  un  manuscrit  grec,  tiré  de  la  Bil.liotheriue  du  roi.  Le  martyrologe  romain 
et  le  ménologo  des  Grecs  font  mention  de  lui  le  19  février,  ainsi  que  le  cardinal  Baronms  en  ses  doctes 
Bemarques. 


SAINT  BONIFACE,  É^^ÈQUE  DE  LAUSANNE 

1265.  —  Pape  :  Urbain  IV. 


Vous  étiez  agréablo   il  Dieu,  et  c'est   pour   cola  que 
TOUS  avM  <ité  mis  à  l'éprenve.  Tob.,  xii,  13. 

Saint  Boniface  naquit  de  parents  chrétiens,  à  Bruxelles,  qui  dépendait 
alors  du  diocèse  de  Cambrai.  Un  jour  que  sa  mère,  le  portant  encore  dans 
son  sein,  se  rendait  à  l'église,  elle  rencontra  un  vénérable  vieillard  à  la  figure 
angélique  qui  lui  dit  :  «  Le  fils  que  vous  allez  mettre  au  monde  sera  illustre 
par  sa  science  et  sa  doctrine,  aimé  de  Dieu  et  des  anges  ».  Après  ces  paroles 
il  disparut.  Quand  l'enfant  vint  au  monde,  on  lui  donna  le  nom  de  Boni- 
face.  A  mesui'e  qu'il  grandit,  il  crût  en  sainteté  et  en  vertus.  Ce  qui  brillait 
surtout  en  lui,  c'était  un  grand  amour  pour  la  pureté  ;  cet  amour  allait  si  loin 
que  quand  ses  parents  l'embrassaient  il  s'essuyait  ou  se  lavait  la  figure.  On 
le  mit  de  bonne  heure  aux  études  et  il  s'y  fît  bien  vite  remarquer  par  de 
brillantes  qualités  naturelles.  A  dix-sept  ans,  il  se  rendit  à  l'Université  de 
Paris,  car  les  Pays-Bas  n'avaient  pas  d'université  à  cette  époque.  11  se  distin- 
gua tellement  qu'il  fut  appelé  à  enseigner  aux  autres  ce  qu'il  avait  si  bien 
appris  lui- môme.  Il  mettait  tous  ses  soins  à  vivre  conformément  aux  maxi- 
mes de  Jésus-Christ.  Il  aimait  l'humilité,  passait  de  longues  heures  à  con- 
verser avec  son  Dieu,  mettait  dans  ses  paroles  une  extrême  réserve,  se  mon- 
trait courageux  dans  les  tribulations,  ardent  à  corriger  ses  défauts,  ennemi 
de  l'oisiveté,  des  hérétiques  et  des  incrédules,  et,  les  jours  de  fête,  il  passait 
son  temps  à  étudier  ou  à  prier. 

Les  vertus  de  saint  Boniface  lui  méritèrent  les  honneurs  du  sacerdoce. 
Elevé  à  cette  dignité,  il  en  remplit  les  devoirs  avec  fidélité  et  une  grande 
piété  ;  il  était  si  vivement  pénétré  du  regret  de  ses  fautes  qu'il  n'offrait  ja- 
mais le  saint  sacrifice  sans  verser  des  larmes  abondantes.  Pour  empêcher 
son  corps  de  se  révolter  contre  lui,  il  le  macérait  par  les  jeiines,  les  veilles, 
les  prières  et  des  mortifications  de  tout  genre.  Il  portait  un  rude  cilice  et 
autour  des  reins  une  ceinture  de  crins  piquants,  remplie  de  nœuds. 

11  y  avait  sept  ans  que  Boniface  enseignait  à  Paris  la  théologie  avec  beau- 
coup de  réputation,  lorsqu'il  s'éleva,  entre  les  professeurs  et  les  écoliers, 
une  dissension  qui  causa  beaucoup  de  scandale  et  dans  laquelle  il  se  trouva 
innocemment  enveloppé.  Voyant  que  les  élèves  négligeaient  de  venir 
prendre  ses  leçons,  il  abandonna  ces  disciples  rebelles,  quitta  la  ville  et  le 
roj'aume,  et  partit  pour  Cologne,  où  il  fut  reçu  avec  les  plus  grands  hon- 
neurs. Le  diocèse  de  Cologne  ne  possédait  pas  encore  d'université  ',  mais  il 
y  avait  des  écoles  de  théologie  dans  les  collégiales  et  dans  les  couvents  de 
religieux.  On  offrit  à  Boniface  une  chaire  de  professeur,  qu'il  accepta  avec 
les  sentiments  d'une  respectueuse  humilité.  Il  l'occupa  pendant  deux  ans, 
c'est-à-dire  jusqu'en  1232. 

1.  Elle  n'7  fut  érigée  qa'en  1338  par  l'archeTêqae  Frédéric  ni,  comte  de  Ssrweidea. 


590  19  FÉVRIER. 

Le  grand  nom  de  Boniface  était  parvenu  jusqu'en  Suisse.  Il  fut  nommé, 
sans  sa  participation,  à  l'évêché  de  Lausanne  '.Là  il  fit  fructifier  les  talents 
que  le  Seigneur  lui  avait  confiés.  Les  préceptes  que  sa  bouche  annonçait,  il 
les  confirmait  par  l'exemple  de  sa  vie,  et  leur  donnait  ainsi  un  nouveau 
degré  d'évidence.  Il  joignait  à  l'instruction  publique  les  exhortations  parti- 
culières, et  ne  laissait  échapper  aucune  occasion  pour  encourager  nnx 
bonnes  œuvres.  La  confession,  la  prière,  l'étude,  la  lecture  des  saintes  Ecri- 
tures, telles  étaient  les  occupations  habituelles  du  prélat. 

Néanmoins  tout  le  temps  de  son  épiscopat  ne  fut  qu'un  temps  de  trouble 
et  de  persécution,  parce  qu'il  s'éleva  fortement  contre  le  vice  et  qu'il  ne 
voulut  aucune  composition  avec  l'iniquité.  La  Suisse  était  alors  soumise  à 
l'empire  d'Allemagne;  et  l'empereur  Frédéric  II,  quoique  chrétien  de  nom, 
agissait  en  ennemi  de  la  religion  chrétienne.  Comblé  de  bienfaits  par  le 
Saint-Siège,  il  n'eut  pour  le  Pape  que  de  l'ingratitude.  Les  déceptions  et 
les  parjures  de  cet  empereur,  son  alliance  avec  les  Sarrasins,  les  persécu- 
tions qu'il  fit  éprouver  aux  évêques,  sa  haine  pour  l'Eglise,  et  une  foule 
d'autres  crimes  forcèrent  Grégoire  IX  et  Innocent  IV  à  l'excommunier. 

Boniface  fat  aussi  victime  d'une  persécution  excitée  par  cet  empereur. 
Les  anciens  biographes,  sans  dire  dans  quelle  année  ou  sous  quel  Pape  la 
chose  se  passa,  en  parlent  en  ces  termes  :  «  Une  grande  querelle  s'étant  éle- 
vée entre  le  Pape  et  l'empereur  Frédéric,  le  Saint-Père  assembla  en  «Oncile 
quelques  évêques,  parmi  lesquels  se  trouva  Boniface,  évoque  de  Lausanne. 
D'après  le  conseil  de  ce  dernier,  ainsi  que  des  autres  évêques,  on  dressa 
contre  l'empereur  une  sentence  d'excommunication  que  le  Pape  confirma 
et  prononça.  Frédéric,  ayant  appris  qu'il  était  exclus  de  la  communion  de 
l'Eglise,  envoya  deux  cents  soldats  à  Lausanne  pour  tuer  Boniface.  Celui- 
ci,  sortant  de  la  ville  avec  deux  cavaliers,  sans  savoir  qu'on  lui  tendait  des 
pièges,  fut  attaqué  à  l'improviste  par  ces  soldats,  attaché  à  un  cheval  et 
emmené.  Cependant  un  des  cavaliers  fit  tête  aux  soldats  de  l'empereur  avec 
une  si  grande  intrépidité  et  une  telle  confiance  en  Dieu  qu'il  parvint  à  déli- 
vrer de  leurs  mains  le  saint  pontife.  Pas  un  d'entre  eux  n'entra  dans  la 
ville  ;  il  semblait  que  Dieu  lui-même  les  eût  terrassés  ». 

Les  chagrins,  les  persécutions  et  les  scandales  sans  cesse  renaissanta 
commencèrent  à  accabler  notre  Saint.  Voyant  qu'au  lieu  de  faire  du  bien 
dans  son  diocèse,  il  ne  recueillait  que  la  haine  des  méchants,  et  découvrant 
d'ailleurs  tous  les  jours  de  nouvelles  entreprises  contre  la  sûreté  de  sa  per- 
sonne, il  se  rendit  à  Rome  pour  demander  au  Saint-Père  qu'il  lui  fût  per- 
mis de  se  démettre  de  son  évêché.  Le  Pape,  qui  connaiseait  les  grandes 
qualités  de  Boniface,  le  remit  à  un  an  pour  lui  accorder  sa  demande.  Mais 
enfin  il  céda  à  ses  instances  réitérées. 

Après  avoir  obtenu  cette  grâce,  il  pria  Dieu  pour  savoir  dans  quel  endroit 
il  lui  serait  donné  de  terminer  ses  jours  en  paix.  Il  passa  de  Rome  dans  le 
Brabant  et  se  rendit  à  Bruxelles.  Il  visita  ensuite,  vers  1242,  l'abbaye  de  la 
Cambre  ',  où  quelques-unes  de  ses  parentes  avaient  pris  le  voile.  L'abbesse 

1.  Lausanne,  sur  le  bord  septentrional  du  lac  de  GenbTe,  était  le  siège  d'un  ancien  érêché  suffrajant 
de  Besançon.  Les  premiers  cvêque^  se  nommèrent  prœlfiti  ecclesiœ  Aoenticœ.  ATCnche  était  une  ancienne 
Tille,  capitale  du  pays  des  Helvétiens  ou  Suisses  :  ce  n'est  plos  aujourd'hui  qu'un  infime  rillage  dont  l'as- 
pect fait  ;cine,  tant  tout  y  parle  de  ruines  et  de  désolation.  On  jr  voit  encore  l'enceinte  do  l'amphithéâtre 
romain,  oii.  sans  doute,  sont  morts  des  chrétiens,  et  les  restes  d'un  aqueduc  où  les  animaux  vont  s'abreu- 
ver. Aveuche  fut  détruite  par  -Ittila.  Calvin  ayant  établi  sa  nouvelle  doctrine  à  Genève  et  dans  tous  les 
pays  des  environs,  les  habitants  de  Lausanne  chassircnt,  ca  1538,  leur  évéque,  Sébastien  de  Mont-Faucon, 
qui  se  retira  ii  Frlbcurg,  où  ses  successeurs  ont  fait  leur  résidence  depuis  ce  temps-'k. 

1.  La  Cambre  {Caméra  B.  il.  Yirg.J  était  use  belle  et  riche  abbaye  de  Beraanliaes,  située  dans  ano 


SAINT  BONIFACE,    ÉVÊQUE  DE   LAUSANNE.  591 

et  ton*"  la  communauté  le  reçurent  avec  une  sainte  joie  et  avec  les  mar- 
ques du  plus  grand  respect  ;  il  y  fixa  son  séjour,  et  Dieu  manifesta  par  plu- 
sieurs miracles  la  sainteté  de  son  serviteur. 

Les  religieuses,  alors  qu'il  offrait  le  saint  sacrifice  de  la  messe,  virent 
souvent  les  anges  l'assister  dans  cet  acte  auguste.  Il  apparut  un  jour  à  un 
cardinal  qui  était  tombé  gravement  malade  à  Paris,  et  le  rendit  à  la  santé 
en  faisant  sur  son  front  le  signe  de  la  croix.  Le  ciel  lui  fit  voir  plusieurs  fois 
des  événements  qui  s'accomplissaient  loin  de  lui. 

Lorsque  saint  Louis  livrait  aux  Sarrasins  un  combat  naval  pour  la  dé- 
fense de  la  sainte  ville  de  Jérusalem  et  du  tombeau  de  Nf-e-Seigneur,  l'é- 
vêque  Boniface  entendit  dans  sa  prière  une  voix  du  ciel  qui  lui  dit  :  «  Sois 
assuré  que  le  roi  de  France  sera  livré  dans  les  mains  des  idolâtres,  que  plu- 
sieurs de  son  peuple  périront  et  que  d'autres  tomberont  en  esclavage  ».  Ce 
qui  lui  avait  été  prédit  arriva.  Saint  Louis  entreprit  en  1248  la  guerre  contre 
les  Sarrasins  et  les  délit  en  plusieurs  batailles  ;  mais  en  1230,  son  armée  se 
trouvant  considérablement  réduite  par  les  fatigues,  les  maladies  et  le  man- 
que de  vivres,  il  perdit  une  bataille  et  fut  fait  prisonnier. 

De  même,  lorsque  le  comte  de  Flandre  faisait  la  guerre  aux  Hollandais, 
saint  Boniface  entendit  dans  sa  prière  une  voix  du  ciel  qui  lui  dit  :  «  Apprends 
que  le  comte  de  Flandre  sera  fait  prisonnier  aujourd'hui  et  que  ses  troupes 
essuieront  une  grande  défaite  ».  La  prédiction  s'accomplit,  dit  son  ancien 
biographe.  Jean  de  Leyde,  dans  sa  chronique  des  Pays-Bas,  en  parle  ainsi  : 
«Avant  que  les  Flamands  livrassent  bataille,  l'évêque  Boniface  pria  pour 
le  succès  de  leurs  armes  ;  il  entendit  une  voix  du  ciel  qui  lui  dit  :  Il  faut 
que  les  orgueilleux  soient  humiliés.  Apprenez  que  le  fils  de  la  comtesse  de 
Flandre  sera  fait  prisonnier  aujourd'hui,  et  que  les  Flamands  essuieront 
une  grande  défaite  ». 

Une  chose  troublait  profondément  le  bienheureux  Boniface,  c'était  la 
pensée  de  ses  fautes  ;  il  se  demandait  sans  cesse  si  Dieu  les  lui  avait  pardon- 
nées.  Le  ciel  eut  pitié  de  ses  tourments,  et  dans  une  vision  lui  fit  voir  que 
tous  ses  péchés  étaient  effacés.  Il  désirait  vivement  depuis  longtemps 
voir  la  sainte  Vierge  :  cette  bonne  mère  accéda  à  ses  désirs  et  se  montra  à 
lui.  Le  bienheureux  Boniface  se  jetant  à  ses  pieds,  la  conjura  de  le  sancti- 
fier. Marie  lui  répondit  en  souriant  :  «  Je  t'ai  sanctifié  et  je  te  sanctifierai  tou- 
jours »,  et  elle  disparut.  Une  autre  fois,  dans  l'octave  de  saint  Jean-Baptiste, 
il  désirait  ardemment  recevoir  quelque  consolation  de  la  sainte  Vierge  ;  elle 
lui  apparut  une  seconde  fois,  magnifiquement  vôtue,  entourée  d'un  cortège 
de  vierges  comme  elle  brillamment  habillées.  Saint  Jean-Baptiste  couvert 
de  vêtements  éclatants  l'accompagnait,  et  saint  Boniface  passa  une  nuit  à 
converser  avec  cette  sainte  compagnie.  Qui  peut  dire  les  joies  que  lui 
procura  un  semblable  entretien  ?  Une  nuit  de  Noël,  qu'il  ne  pouvait,  à 
cause  de  sa  faiblesse,  assister  à  l'office,  il  en  fut  très-affecté  et  s'en  plaignit 
amoureusement  à  Marie,  qui  lui  apparut  tenant  entre  ses  bras  son  enfant 
enveloppé  de  langes  ;  elle  le  posa  sur  le  lit  du  malade  et  il  put  le  contempler 
à  son  aise.  11  eut  encore  d'autres  visions  auxquelles  nous  ne  voulons  pas  nous 
arrêter.  Nous  avons  hâte  de  parler  de  ses  miracles  qui  furent  nombreux  et 
éclatants. 

Tallfc'e,  U  une  demi-lieue  aa  S.-E.  de  la  porte  de  Namur,  à  Bruxelles.  La  fondation  de  ce  monastère  data 
de  Tannée  1201.  L'église  e'tait  fort  ornée  dans  l'intérieur  ;  les  bâtiments  vastes  et  commodes,  n  s'y  trou- 
vait un  grand  nombre  de  religieuses,  ainsi  que  de  demoiselles  élevées  dans  la  piété  et  dans  la  connais- 
sance de  tout  ce  qui  était  convenable  'a  leur  sexe.  Les  bâtiments  Ue  cette  abbaye  servent  aujourd'hui  h  un 
dépôt  de  mendicité.  Presque  partout  les  anciens  couvents  servent  à  cacher  les  plaies  de  la  société  moderne. 


592  19   FÉVRIER. 

Une  jeune  fille  attaquée  d'une  infirmité  subite  était  grièvement  malade 
et  souffrait  d'atroces  tortures.  La  mère,  pleine  de  foi,  prit  des  cheveux  de 
saint  Boniface  et  les  mit  sur  sa  fille  qui  s'endormit  d'un  paisible  et  profond 
sommeil,  et  se  réveilla  complètement  guérie.  Le  Saint  délivra  à  l'aide  du 
signe  de  la  croix  un  homme  possédé  du  démon.  Il  rendit  également  la 
santé  à  un  épileptique,  à  un  énergumène,  à  deux  religieuses  brûlées  par  la 
fièvre,  et  l'usage  de  la  parole  à  un  homme  dont  le  démon  liait  le  larynx  afin 
qu'il  lui  fût  impossible  de  confesser  ses  péchés. 

Cependant  le  moment  était  venu  où  Dieu  voulait  récompenser  son  ser- 
viteur de  ses  travaux  :  il  tomba  en  une  maladie  grave  qui  devait  le  conduire 
au  tombeau,  il  perdit  l'usage  de  ses  mains;  malgré  cela  il  voulut  continuer 
d'offrir  le  saint  sacrifice  de  la  messe  ;  les  anges  l'aidèrent  et  le  servirent  dans 
cette  redoutable  fonction.  Comme  il  approchait  du  terme  de  sa  vie,  il  fit  de- 
mander l'Evangile  de  saint  Jean,  il  l'embrassa  et  posant  ses  mains  sur  ce  livre 
sacré  :  «  Voilà  »,  dit-il,  «  le  livre  selon  les  maximes  duquel  j'ai  vécu, je  crois 
tout  ce  qu'il  renferme  et  désire  mourir  dans  cette  croyance».  Dieu  ne  tarda 
guère  à  exaucer  ses  désirs  ;  il  mourut  plein  de  mérites  et  de  bonnes  œuvres. 
11  avait  gouverné  pendant  dix  ans  l'église  de  Lausanne  et  en  avait  passé  dix- 
huit  dans  le  monastère  de  la  Cambre,  servant  Dieu  jour  et  nuit  dans  la  sain- 
teté et  dans  la  justice.  Il  expira  le  19  des  calendes  de  février  1263,  et  fut 
enterré  à  la  Cambre  où  ses  reliques  restèrent  déposées  jusqu'à  la  grande 
révolution  française. 

Sa  grande  dévotion  à  la  Sainte  Vierge  l'a  quelquefois  fait  représenter 
agenouillé  devant  une  image  de  Notre-Dame  ;  mourant,  il  tient  un  livre 
entre  ses  mains  :  c'est  par  allusion  à  la  profession  de  foi  qu'il  prononça  sur 
l'Evangile  selon  saint  Jean. 

RELIQUES  DE  SAINT  BONIFACE. 

A  l'époqne  de  la  Révolution,  les  reliques  de  saint  Boniface  furent  transportées  à  l'église 
paroissiale  de  Noire-Dame  de  la  Chapelle,  à  Bruxelles,  où  elles  se  trouvent  encore  en  grande 
partie.  Il  y  a  quelques  années,  une  nouvelle  et  magnifique  châsse  reçut  ces  précieux  ossements, 
et  la  translation  en  fut  faite  par  le  cardinal-archevêque  de  Matines  en  personne.  L'accroissement 
considérable  qu'a  pris  le  faubourg  d'Ixelles,  où  se  tiouve  l'église  de  Notre-Dame  de  la  Chapelle, 
y  a  nécessité  la  création  d'une  nouvelle  paroisse  il  y  a  environ  vingt  ans,  et  elle  a  été  placée  sous 
le  patronage  de  saint  Boniface  qui,  par  sa  retraite  à  la  Cambre,  devint  habitant  d'Ixelles  et  demeura 
dix-huit  ans  sur  le  territoire  de  cette  populeuse  et  riche  commune.  On  y  a  construit  une  jolie 
église  en  style  gothique,  où  l'on  admire  notamment  la  chaire  de  vérité  ;  les  panneaux  de  la  cuve 
reproduisent  divers  épisodes  de  la  vie  du  Saint,  traités  avec  un  grand  talent. 

Nous  avons  emprunté  aux  Acta  Sanclorum  ce  que  nous  avons  dit  de  saint  Boniface.  Les  derniers  ié- 
ttils  Doas  ont  (té  envoyés  de  Bruxelles. 


SAINT   COPJRAJ)   DE   PLAISANCE,    CONTESSEUR.  593 

SAINT  CONRAD  DE  PLAISANCE,  CONFESSEUR 

1351.  —  Pape  :  Clément  VI.  —  Empereur  d'Allemagne  :  Charles  IV. 


"Le  Seigneur  conduit  le  juste  par  des  voies  droiteSi  «t 
partout  il  lui  montre  le  royaume  de  Dieu. 
Sap.,  s,  10. 

Dieu  est  admirable  en  ses  Saints  ;  mais  lorsqu'il  les  conduit  par  des  voies 
impénétrables  aux  yeux  du  monde,  on  ne  peut  se  lasser  de  louer  sa  sagesse 
et  sa  miséricorde.  Le  bienheureux  Conrad  ne  songeait  guère  à  embrasser  le 
chemin  de  la  perfection  chrétienne  par  la  pratique  des  conseils  évangéli- 
ques,  quand  il  s'y  vit  comme  forcé  par  une  occasion  que  Dieu  fit  naître. 

C'était  un  seigneur  qui  vivait  paisiblement  en  sa  maison  avec  sa  femme  et 
sa  famille  dans  la  ville  de  Plaisance.  Il  n'avait  point  d'autre  occupation  que 
l'exercice  de  la  chasse  :  un  jour,  le  gibier  s'étant  retiré  dans  des  ronces  au 
milieu  des  champs,  il  commanda  à  ses  valets  d'y  mettre  le  feu  pour  le  faire 
lever  ;  mais  une  bouffée  de  vent  étant  survenue,  poussa  la  flamme  plus  loin 
qu'il  ne  le  voulait,  au  grand  dommage  des  blés  d'alentour  et  même  des 
autres  lieux  de  la  province,  qui  furent  tous  ravagés  par  le  feu. 

Conrad,  surpris  d'un  si  fâcheux  accident,  entra  avec  ses  gens  à  petit 
bruit  dans  la  ville,  sans  faire  paraître  qu'il  fût  cause  de  cet  embrasement  ; 
un  pauvre  homme  de  la  campagne  fut  pris  et  fait  prisonnier,  parce  qu'il  fut 
soupçonné  d'en  être  l'auteur.  On  le  présenta  devant  le  juge  criminel  qui, 
l'ayant  interrogé  et  le  trouvant  toujours  sur  la  négative,  le  fît  mettre  à  la 
question  afin  d'en  tirer  de  plus  fortes  preuves  pour  le  condamner.  Ce  mal- 
heureux, manquant  de  courage  et  de  constance,  et  craignant  plus  les  tour- 
ments que  la  perte  de  la  vie  et  de  l'honneur,  avoua  le  fait  dont  néanmoins  il 
était  innocent,  et  fut  aussitôt  condamné  à  mort.  On  le  conduisit  donc  à  la 
potence,  et  chacun  y  courut  pour  le  voir.  Ce  bruit  s'étant  répandu  par  toute 
la  ville,  Conrad  est  averti  de  l'exécution  qui  va  se  faire  en  la  personne  de 
cet  innocent,  pour  un  crime  dont  lui-même  était  l'auteur.  Alors,  pressé  par 
la  loi  de  la  justice  et  de  la  charité  qui  n'était  pas  tout  à  fait  éteinte  dans  son 
cœur,  il  déclara  publiquement  l'innocence  de  ce  pauvre  homme,  expliqua 
comment  l'accident  était  arrivé,  et  offrit  de  réparer  le  dommage  qui  s'en 
était  suivi  :  ainsi  la  vérité  fut  connue,  l'innocent  délivré,  et  Conrad  obligé 
de  satisfaire. 

Pour  en  venir  à  bout,  il  vendit  tous  ses  biens,  tant  meubles  qu'immeu- 
bles, se  réduisit  à  la  dernière  pauvreté  et  dédommagea  ses  voisins  de  toutes 
les  pertes  qu'il  leur  avait  causées.  Ensuite,  sa  femme  qui  avait  consenti  à  la 
vente  de  sa  dot  pour  cette  réparation,  prit  le  voile  dans  un  monastère  de  la 
ville  de  Plaisance,  et  lui  se  retira  dans  un  pays  éloigné,  où  il  prit  l'habit  de 
Saint-François,  que  l'on  appelle  de  la  pénitence  ;  puis  il  s'en  alla  à  Rome  pour 
visiter  les  Lieux  Saints.  De  là  il  passa  en  Sicile  et  se  fixa  près  de  Koto, 
où  il  demeura  quarante  ans  comme  en  solitude,  partie  dans  l'hôpital  de 
Saint-Martin,  et  partie  sur  une  montagne  voisine,  pour  y  faire  une  véritable 
et  sérieuse  pénitence.  Son  occupation  la  plus  ordinaire  était  la  prière  et  la 
mortification  de  son  corps,  auquel  il  n'épargnait  aucune  espèce  d'austérité  ; 
la  terre  nue  lui  servait  de  lit,  et  une  pierre  de  chevet  ;  le  pain  et  les  herbes 
Vies  des  Saints.  —  Toue  U.  38 


S94  19   FÉVRIEH. 

crues  faisaient  toute  la  diversité  de  ses  mets  ;  on  pouvait  dire  qu'il  se  nour- 
rissait piulôl  de  ses  larmes  que  de  pain  :  celui  dont  il  usait  était  d'ailleurs  si 
giossier,  qu'il  ne  lui  flattait  guère  plus  les  sens  que  s'il  eût  été  de  cendre. 
Tout  cela,  néanmoins,  n'empêcha  pas  le  démon  de  lui  susciter  souvent  de 
furieuses  tentations  de  la  chair  et  de  la  gourmandise  ;  mais  il  les  surmontait 
toutes  en  augmentant  ses  austérités  et  en  prolongeant  le  temps  de  ses  prières. 
Il  triompha  ainsi  de  lui-même,  au  point  que,  lorsque  ses  amis  lui  faisaient 
présent  de  quelques  légumes,  il  n'y  touchait  que  quand  ils  avaient  acquis 
une  saveur  désagréable.  Un  jour  qu'il  se  sentait  pressé  de  manger  plus  qu'à 
l'ordinaire,  il  se  dépouilla  tout  nu  et  se  roula  si  longtemps  parmi  les  épines, 
que  le  sang  coula  de  toutes  les  parties  de  son  corps  :  voilà  comment  il 
réprimait  ses  désirs. 

Dieu  récompensa  cette  grande  vertu  par  le  don  de  prophétie  et  la  grâce 
des  miracles,  qui  le  firent  admirer  et  respecter,  non-seulement  du  peuple, 
mais  aussi  des  prélats  et  des  personnes  les  plus  illustres;  mais  nous  passons  ces 
merveilles  sous  silence  pour  venir  à  son  précieux  décès.  Ayant  eu  révélation 
qu'il  était  proche,  il  regut  les  derniers  sacrements,  et,  après  avoir  déclaré  à 
son  confesseur  qu'il  voulait  être  enterré  dans  l'église  de  Saint-Nicolas,  et  lui 
avoir  prédit  que  les  habitants  de  Noto  et  ceux  d'Avola  auraient  de  grands 
différends  pour  son  corps,  il  se  jeta  aux  pieds  d'un  crucifix.  En  cet  état, 
étant  environné  d'une  admirable  clarté,  il  rendit  son  âme  à  Dieu,  l'an  1351, 
en  présence  de  son  confesseur,  qui  fut  quelque  temps  sans  savoir  s'il  était 
mort,  parce  que  son  corps  demeurait  toujours  à  genoux,  comme  s'il  eût  été 
anmié.  Dès  qu'il  eut  trépassé,  les  cloches  des  deux  villes  dont  nous  avons 
parlé  sonnèrent  d'elles-mêmes  pour  avertir  le  peuple  de  la  mort  du  servi- 
teur de  Dieu  ;  et,  après  plusieurs  contestations  entre  les  habitants  de  l'une 
et  de  l'autre,  son  corps  fut  porté  en  l'église  de  Saint-Nicolas,  à  Noto.  Depuis, 
il  a  été  levé  de  terre  et  placé  dans  une  châsse  d'argent,  où  le  Saint  a  brillé 
Jusqu'aujourd'hui  par  plusieurs  miracles  et  par  de  grandes  faveurs  accor- 
dées aux  fidèles.  C'est  pourquoi  le  souverain  pontife  Léon  X  a  permis  d'ho- 
norer sa  mémoire  en  cette  ville  :  ce  que  Paul  III  a  étendu  à  Plaisance,  à 
toute  la  Sicile  et  à  d'autres  lieux.  Enfin  le  pape  Urbain  YUI  a  permis, 
par  un  bref  du  13  septembre  1625,  à  tous  les  religieux  de  l'Ordre  de  Saint- 
François,  de  l'insérer  dans  leur  calendrier. 

Voici  les  diverses  manières  dont  on  a  représenté  saint  Conrad  de  Plaisance  : 

l""  Dans  la  plupart  de  ses  images,  des  cerfs  et  autres  animaux  de  chasse 
s'échappent  près  de  lui  devant  un  incendie  qui  éclate  ; 

2°  On  donne  à  saint  Conrad,  comme  indice  de  sa  profession  de  chasseur, 
UQ  épieu  ou  demi-pique  ; 

3°  Des  rets  indiquent  aussi  sa  passion  pour  la  chasse  ; 

4°  Des  oiseaux  voltigent  autour  de  lui.  On  raconte  qu'en  se  rendant  chez 
l'évêque  de  Syracuse  pour  vivre  solitaire,  il  y  fut  accueilli  par  une  nuée  de 
ces  charmantes  petites  créatures  qui  semblaient  se  réjouir  de  sa  venue. 

Saint  Conrad  de  Plaisance  est  le  principal  patron  de  Noto,  où  sa  mé- 
moire est  encore  en  grande  vénération.  On  l'y  invoque  particulièrement 
contre  les  hernies,  parce  que,  vivant  et  mort,  il  en  guérit  plusieurs  ;  sa  fête 
est  regardée  comme  amenant  à  coup  sûr  des  guérisons  presque  sans  nombre 
de  cette  infirmité. 

Ud  anteur  de  Sd  vie,  da  conunencement  do  xvn^  siècle,  le  chanoine  Campi.  de  Plaisance,  a  ^crit  beau- 
coup df  choses  édifiantes  et  caricuses  sur  saint  Conrad.  On  nous  saurait  peat-être  gré  de  donner  l'extrait 
d'une  pièce  do  vers  où  différents  patronages  populaires  se  trouvent  associes  à  celui  de  Conrad,  le  grand 
chasseur,  le  charitable  hospitalier  et  le  fervent  ermite:  mais  ceci  nous  entraînerait  trop  loio  :  voir,  k 
àéttat  de  l'ouTrage  original,  le  F%ie  Cahier,  Caraclérisliques,  t.  n,  p.  61L 


I 


SAIMT  GEORGE.  595 


S.  LOUP,  VULGAIREMENT  LEU,  ÉV.  DE  CHALON-SUR-SAONE  (610). 

On  croit  qne  saint  Loup  uaqnit  à  Boyer,  d'une  famille  illustre,  dans  le  cours  du  vi»  siècle.  11 
possédait  dans  ce  village  des  domaines  considérables  qu'il  donaa  à  saint  Vinceat  de  Châlon.  Il  est 
probable  qu'il  succéda  à  snint  Flavius  qui  vivait  encore  en  591.  Elu  évèque  de  Chàloa,  aux  accla- 
mations du  clergé  et  du  peuple,  il  se  distingua  par  l'ardeur  de  sa  charité,  par  son  abstinence,  son 
amour  pour  la  prière,  sa  libéralité,  et  le  soin  qu'il  prit  de  réformer  son  diocèse,  et  d'y  établir  une 
école  pour  l'étude  des  saintes  Ecritures.  Les  miracles  qu'il  opéra  pendant  sa  vie  et  après  sa  mort, 
attestent  sa  haute  sainteté.  Tandis  qu'après  avoir  consacré  de  longues  heures  à  la  prière,  il  donnait 
à  ses  membres  fatigués  un  moment  de  repos,  un  horrible  incendie  éclata  au  couchant  de  la  ville. 
Bientôt  les  flammes  dévorent  la  moitié  de  Chùlon.  Les  secours  humains  ne  peuvent  les  arrêter  :  les 
Châlonnais  implorent  l'intercession  de  leur  saint  évèque.  Il  se  lève  aussitôt,  vient  au-devant  dei 
flammes  et  apaise  leur  fureur  par  la  vertu  du  signe  de  la  croix. 

Le  légendaire  de  saint  Vincent  de  Châlon  rapporte  que,  dans  une  grande  sécheresse,  saint  Loup, 
touché  de  compassion  en  voyant  ses  cultivateurs  de  Boyer  en  proie  à  une  soif  ardente,  se  mit  en 
prières,  enfonça  son  bâton  dans  le  soL,  et  en  fit  jaillir  une  source  abondante.  Cette  fontaine,  conti- 
nue notre  auteur,  est  un  monument  de  la  charité  du  saint  évèque,  et  plusieurs  malades  y  ont  trouvé 
leur  guérison.  On  montrait  aussi  à  Boyer  sa  celle,  ou  modeste  demeure,  située  près  d'un  oratoire. 
L'accès  en  avait  été  interdit  aux  femmes  pendant  la  vie  du  Saint,  et  longtemps  après  sa  mort  elles 
n'osèrent  y  pénétrer. 

Toute  sa  vie  fut  remarquable  par  une  austère  régularité.  Il  passait  la  plus  grande  partie  de  la 
nuit  dans  une  chapelle  dédiée  au  pape  saint  Sylvestre,  dont  un  bras  y  était  conservé.  Cet  oratoire, 
situé  à  gauche  de  l'église  mère,  vis-à-vis  l'antel  de  Saint-Vincent,  était  constamment  éclairé  en  l'hon- 
neur de  la  précieuse  relique. 

Ce  bon  Pasteur  mourut  au  milieu  de  son  peuple  désolé,  donnant  à  tous  les  plus  salutaires  con- 
seils. Après  avoir  reçu  la  divine  Eucharistie,  il  rendit  son  âme  à  Dieu  le  27  janvier.  Il  avait  de- 
mandé qu'on  l'ensevelit  dans  l'église  du  monastère  de  Saint-Pierre,  aux  portes  de  la  ville.  Cette 
abbaye  avait  été  élevée  par  son  prédécesseur.  On  y  porta  le  corps  du  Saint  au  milieu  d'une  foule 
innombrable.  Quand  le  cortège  passa  devant  les  prisons  de  la  \'il!e,  le  cercueil  devint  tout  à  coup 
si  lourd,  qu'on  ne  put  continuer  la  marche  funèbre,  avant  que  les  prisonniers  eussent  été  mis  en 
liberté.  Ce  miracle  est  l'origine  du  privilège  dont  jouiient  longtemps  les  évêques  de  Châlon  de 
délivrer  un  prisonnier  à  leur  choix,  le  jour  de  la  fêle  de  saint  Loup  '.Le  corps  du  Saint  fut  inhumé 
à  droite  de  l'autel  de  Saint-Pierre. 

L'an  878,  1«  pape  Jean  VIII  permit  à  Gerbold,  évèque  de  Châlon,  de  relever  ses  saintes  reliques, 
et  de  les  exposer  à  la  vénération  publique,  justifiée  d'ailleurs  par  de  nombreux  miracles. 

L'an  1552,1e  corps  de  saint  Loup  fut  profané  par  les  Huguenots,  qui  pillèrent  l'abbaye  de  Saint- 
Rerre  et  les  autres  églises  de  la  ville.  Le  chef  seul  fut  conservé,  on  le  voit  encore  dans  l'église  de 
Saint-Vincent,  derrière  le  maitie-autel,  au  fond  de  l'abside. 

Saint  Loup  est  le  patron  de  Boyer. 

Extrait  da  Légendaire  à'Autun. 


SAINT  GEORGES,  ÉVÈQUE  DE  LODÈVE  (884). 

Né  d'une  noble  famille,  dans  le  diocèse  de  Rodez,  saint  Georges  fit,  dès  sa  jeunesse,  de  grands 
progrès  dans  l'étude  des  belles-lettres,  de  la  théologie  et  dans  l'exercice  des  vertus  chrétiennes. 
En  peu  de  temps,  par  ses  connaissances  et  son  mérite,  dit  l'historien  de  sa  vie,  il  surpassa  pres- 
que ses  maîtres  ;  ut  suis  etiam  magisiris  eruditior  haheretur.  Sa  piété  et  l'austé.  ité  de  sa  vie 
ne  le  rendaient  pas  moins  recommandable  que  son  savoir  :  il  était  un  modèle  de  toutes  les  vertus. 
Sa  charité  était  vive,  ses  mœurs  étaient  graves  ;  l'esprit  de  morlification  lui  était  particulièrement 
cher,  et  ses  vertus  étaient  rehaussées  et  embellies  par  lue  modestie  solide. 

1.  Mgrr^vgque  d'Aatun  a  exercé  ce  be-in  privilège  quand  il  s  béni  la  nouvelle  prison  cellnlaire  do 
Cllilon,  en  1844. 


596  19  FÉVRIER. 

Dieu  voulut  régner  dans  l'âme  de  ce  jeune  et  vertueux  chrétien  d'une  manière  Bouveraiae.  Il  lui 
inspira  donc  le  goût  de  la  vie  monastique.  Saint  Georges,  obéissant  à  cette  voii  secrète  de  la 
grûoe,  dit  adieu  au  monde  et  aux  brillantes  espérances  du  siècle,  et  pour  servir  le  Seigneur  avec 
plus  lie  ferveur  encore  et  faire  des  progrès  plus  rapides  dans  la  voie  de  la  perfection,  il  se  retira 
dans  le  monastère  de  Sainte-Foi  de  Conques,  alors  l'un  des  plus  florissants  de  la  chrétienté,  après 
iToir  brisé  généreusement  les  liens  qui  l'unissaient  à  sa  noble  famille. 

A  Conques,  saint  Georges  grandit  tout  à  la  fois  et  en  âge  et  en  vertu.  Aussi,  ayant  pris  l'habit 
et  la  règle  de  Saint-Benoit,  il  fut  successivement  appelé  aux  divers  ordres,  et  enfin  ordonné  prêtre. 

En  ce  temps-là,  vers  l'année  862,  les  Normands  avaient  ravagé  le  monastère  de  Conques,  dis- 
persé les  religieux  et  entassé  ruines  sur  mines,  et  l'abbé  du  monastère,  pour  se  dérober  à  la  fureur 
de  cette  cruelle  invasion,  s'était  réfugié  à  Toulouse,  auprès  de  Raymond,  qui  était  en  même  temps 
comte  de  Rodez.  Or,  la  Providence  disposa  toutes  choses  de  telle  manière,  en  ces  conjonctures,  que 
Raymond  se  sentit  porté  à  fonder  à  Vabres  dans  le  diocèse  de  Rodez,  un  monastère,  et  qu'ayant 
placé  à  la  tète  des  religieux  l'abbé  de  Conques,  qui  s'était  réfugié  près  de  lui,  celui-ci  crut  ne  pas 
pouvoir  mieux  faire  pour  organiser  cette  fondation,  que  de  s'adjoindre  saint  Georges  lui-même,  qu'il 
avait  connu  au  monastère  de  Conques,  et  qui  lui  semblait  l'homme  le  plus  capable  de  l'aider  à  faire 
fleurir  l'esprit  religieux  et  les  vertus  monastiques  dans  cette  nouvelle  famille  de  moines.  C'est  là 
que  saint  Georges  passa  une  quinzaine  d'années,  le  premier  entre  tous  les  frères  par  sa  fidélité  âla 
règle,  par  son  amour  de  la  pcaiteac;,  par  sa  ferveur  dans  l'oraison.  Doux,  humble,  appliqué  au 
travail,  montrant  l'esprit  de  désintéressement  ei  de  pauvreté  partout  et  toujours,  en  un  mot  un 
miroir  vivant  de  toutes  les  vertus,  dil  l'historien  de  sa  vie.  Aliosque  virtutes  optime  edocens. 

Une  vie  si  sainte,  jointe  à  un  renom  de  science  bien  établi,  rendit  le  nom  de  saint  Georges  po- 
pulaire jusque  chez  tous  'es  peuples  voisins.  Aussi  arriva-t-il  que  le  clergé  de  la  ville  de  Lodève 
l'appela  d'une  voix  unanime  au  siège  épiscopal  qui  venait  de  vaquer.  Saint  Georges,  bien  qu'affai- 
bli par  l'âge  et  les  austérités  de  tonte  sa  vie,  se  résigna  à  accepter  le  fardeau  de  l'épiscopat,  qui 
tombait  comme  du  ciel  sur  ses  épaules,  et  il  gouverna  saintement  pendant  quelques  années  le  diocèse 
de  Lodève,  remplissant  en  toutes  circonstances  les  devoirs  d'un  bon  pasteur,  tant  qu'enfin,  plein 
de  jours  et  de  mérites,  il  s'endormit  doucement  dans  le  Seigneur,  vers  l'an  884. 

Le  corps  saint  de  ce  digne  pontife  fut  déposé  dans  l'église  de  Saint-Geniès,  que  saint  Fulcran, 
l'un  de  ses  glorieux  successeurs  sur  le  siège  épiscopal  de  Lodève,  fit  rebâtir,  d'après  un  plan  gran- 
diose, dans  le  courant  du  x«  siècle,  et  qui  porte  aujourd'hui  le  nom  d'église  Sainl-Fulcran.  Là,  ces 
restes  vénérés  ont  reçu  les  témoignages  de  la  confiance  et  de  l'amour  des  fidèles  sans  interruption, 
jusqu'à  nos  malheureuses  guerres  de  religion  oii  les  calvinistes,  guidés  par  un  aveugle  fanatisme, 
les  jetèrent  aux  vents  après  avoir  saccagé  la  ville. 

La  fête  de  saint  Georges  est  fixée  au  19  février,  dans  le  diocèse  de  Rodez. 

Nous  devons  cette  notice  à  l'obligeance  de  M.  le  cbanolne  Booaqaet,  secrétaire  génénl  de  l'évêché 
de  Rodez. 


LE  BIENHEUREUX  ALVAREZ  DE  CORDOUE  (14iO). 

Alvarez  de  Cordoue,  né  vers  le  milieu  du  xiv«  siècle,  prit  l'habit  de  Saint-Dominique  en  1368. 
Son  attrait  pour  les  austérités  lui  faisait  ajouter  à  la  sévérité  de  la  règle  des  paniques  très-rigou- 
reuses. Il  portait  le  ciliée  avec  une  chaîne  de  fer  qui  lui  servait  de  ceinture.  L'humilité,  la  charité, 
l'esprit  d'oraison,  telles  étaient  les  principales  vertus  qu'on  admirait  en  lui,  et  qui  éclatèreut  aui 
yeux  du  peuple  lorsqu'il  se  livra  au  ministère  de  la  prédication.  Après  avoir  donné  des  missions 
dans  les  royaumes  d'Andalousie  et  de  Castille  et  ramené  à  Dieu  une  grande  multitude  de  pécheurs,  il 
passa  en  Italie  et  de  là  en  Palestine,  où  les  efforts  de  son  saint  ministère  ne  furent  pas  moins  conso- 
lants. De  retour  en  Castille,  l'an  1405,  il  y  reprit  l'œuvre  qu'il  avait  si  heureusement  commencée. 
Après  la  mort  de  Eenri  U,  roi  de  Castille,  la  reine  Catherine,  sa  veuve,  le  choisit  pour  son  confes- 
leur,  lui  donna  toute  sa  confiance,  et  le  fit  son  conseiller  intime.  11  profita  de  sa  position  influente 
k  la  cour  pour  f.-iire  honorer  la  piété  et  la  religion.  Les  fonctions  qu'il  exerçait  auprès  de  la  reine 
lai  devenant  tous  les  jours  plus  difficiles,  il  obtint  d'en  être  déchargé,  et  cette  princesse,  en  le  con- 
gédiant, le  mil  en  état  de  bâtir  un  couvent  de  son  Ordre,  se  chargeant  de  contribuer  à  tous  les  frais 
de  cet  établissement.  Alvarez  le  fit  construire  sur  une  montagne  à  deux  lieues  de  Cordoue,  et  lui 


MABTYROLOGES.  S97 

donna  le  nom  de  Scala-Cœli,  c'est-à-dire  Echelle  du  ciel,  mais  il  refusa  la  riche  dotation  que  la 
retae  et  le  jeune  roi  Jean  D,  son  fils,  voulaient  y  attacher.  Lorsqu'il  s'y  fut  retiré,  il  vit  bientôt 
arri\er  un  grand  nombre  de  religieux  et  de  novices  qui  se  présentaient  pour  vivre  sous  sa  conduite. 
Il  contribua  beaucoup  à  l'extinction  du  schisme  d'Occident  par  les  elTorts  qu'il  fit  pour  détacher  de 
Pierre  de  Lune  les  partisans  nombreux  qu'il  conservait  en  Espagne.  Digne  imitateur  de  saint  Vincent 
Ferrier.  il  faisait  dans  l'Andalousie  ce  que  cet  homme  apostolique  faisait  dans  dilTérents  royaumes, 
et  ses  missions  ne  finirent  qu'avec  sa  vie.  Il  mourut  le  19  février  1420,  et  divers  miracles  attestèrent 
sa  sainteté.  Bientôt  on  l'invoqua  comme  Bienheureux,  et  son  tombeau  devint  célèbre  par  le  concours 
des  pèlerins  qui  venaient  réclamer  son  intercession.  Son  culte  a  été  autorisé  par  Benoit  XIV  qui  l'a 
étendu  i  tout  l'Ordre  de  Saint-Dominique. 

Année  dojninieaine. 


LA  BIE.NHEUREUSE  ELISABETH  PICENARDI  (1468;. 

Elisabeth  eut  pour  parents  deux  nobles  habitants  de  Mantoue,  nommés  Léonard  Picenardi  et 
Paule  Nuvoloni.  Cette  dernière  s'occupa  avec  soin  de  l'éducation  d'Elisabeth  et  la  forma  de  bonne 
heure  à  la  pratique  des  vertus  chrétiennes  ;  la  pieuse  enfant  aimait  à  se  retirer  dans  une  petite  cel- 
lule, et  là  elle  méditait  la  parole  de  Dieu  ;  ses  seules  récréations  étaient  d'aller  de  la  maison  de  ses 
parents  à  l'église  de  Saint-Barnabe,  où  elle  se  faisait  remarquer  par  sa  piété.  Ses  qualités  et  ses 
vertus  attirèrent  bientôt  les  regards  et  de  nombreux  partis  se  présentèrent  ;  mais  Elisabeth,  qui  avait 
consacré  à  Dieu  sa  virginité,  les  refusa  tous,  et,  avec  la  permission  de  son  père,  s'étant  retirée  chez 
une  sœur  qu'elle  avait,  elle  entra  dans  le  Tiers  Ordre  des  Servîtes. 

Dès  lors  elle  mena  un  genre  de  vie  bien  plus  parfait  encore.  Sa  prière  était  continuelle,  et  elle 
mortifiait  son  corps  de  toutes  les  manières  ;  chaque  jour  elle  se  confessait  et  recevait  la  sainte  Eu- 
charistie. L'exemple  de  ses  vertus  attira  un  certain  nombre  de  jeunes  filles  qui  voulurent  se  mettre 
sous  sa  conduite  ;  Elisabeth  les  édifia,  et  les  forma  si  bien  à  la  piété,  qu'elles  voulurent  entrer  dans 
le  Tiers  Ordre.  Une  vie  si  parfaite  lui  mérita  les  faveurs  du  ciel.  On  assure  que  jamais  elle  ne  pria 
en  vain  la  Sainte  Vierge  ;  on  la  regardait  comme  une  excellente  avocate  auprès  de  Dieu  et  de  Marie. 
L'estime  dont  on  l'entourait  et  les  grâces  particulières  qu'elle  recevait  de  Dieu,  n'amoindrirent  aucu- 
nement son  humilité  ;  elle  voulait  toujours  se  faire  passer  pour  la  plus  criminelle  et  la  plus  mépri- 
sable des  créatures.  A  l'âge  de  quarante  ans,  elle  fut  atteinte  d'une  maladie  d'entrailles  qui  la  con- 
duisit au  tombeau  ;  elle  mourut  le  19  février  1468.  Son  corps,  selon  son  désir,  fut  porté  à  l'église 
de  Saint-Barnabe,  et  il  s'y  opéra  un  grand  nombre  de  miracles.  Ses  reliques  furent,  après  plusieurs 
translations,  déposées  en  1779  dans  la  chapelle  de  la  famille  Picenardi,  dans  le  diocèse  de  Crémone, 
en  un  lien  nommé  le  Champ  des  Tours  :  elles  y  sont  encore  maintenant  conservées  avec  respect. 


Xr  JOUR  DE  FEVRIER 


MARTYROLOGE   ROMAIN. 

A  Tyr,  en  Phénicie,  la  mémoire  des  bienheureux  martyrs  (Dieu  senl  connaît  leur  nombre),  qui, 
sons  l'empereur  Dioclétien,  furent  mis  à  mort  par  le  gouverneur  militaire,  Veturius,  avec  des  sup- 
plices nombreux,  et  se  succédant  les  uns  aux  autres.  Premièrement,  ils  furent  déchirés  par  tout  le 
corps  à  coups  d'étrivières,  ensuite  livrés  à  toutes  sortes  de  bêtes  féroces  dont  la  vertu  divine  les 
délivra  sans  lésion  ;  enfin  la  rigueur  du  fer  et  du  feu  ayant  été  employée,  ils  consommèrent  leur 
martyre.  Ceux  qui  animaient  cette  troupe  glorieuse  à  poursuivre  la  victoire  étaient  les  évêques 
Tyrannion,  Sylvain,  Pelée  et  Nil,  et  le  prêtre  Zénobe,  qui,  par  un  heureux  combat,  gagna  avec  eux 


596  20  rÉTiUER. 

la  palme  da  martyre.  304  et  310.  —  Dans  l'ile  de  Chypre,  les  sainis  martyrs  Polame  et  iSémèse». 

—  A  Consiantinople,  saint  Elenlhère  ',  éfèqiie  et  martyr.  490.  —  En  Perse.  la  naissance  an  ciel 
de  saint  Saboth,  érêque,  et  de  cent  vinjrt-huit  antres,  qui,  sous  Sapor.  roi  des  Perses,  ayant  re- 
fusé d'adorer  le  soleil,  acquirent  i.e  brillantes  couronnes  par  nne  mort  cruelle.  Î42.  —  A  i.atane, 
en  Sicile,  saint  Léon,  éTêque,  qui  brilla  par  ses  vertus  et  ses  miracles,  viii»  s.  —  Le  même  jour, 
saint  EccHER,  évèque  d'Orléans,  que  Dieu  releva  d'autant  plus  par  l'éclat  des  miraties,  que  ses 
envieux  l'opprimèrent  davant,ige  par  leurs  calomnies.  138.  —  A  Tournai,  en  Belgique,  saint  KleU- 
THÈRE,  evêque  et  confesseur.  531.  —  A  Thérouanne,  le  bienheureux  Didier,  treute-lroisi'ine  evéque 
de  celle  ville.  Après  avoir  gouverné  son  église  pendant  vingt-deux  ans,  il  alla  mouiir  dans  un 
laoaastère  près  de  Mod3.  il94. 

MARTYROLOGE   DE   FRANCE,    REVU   ET   AUGMENTÉ. 

A  Liège,  saint  Encher,  anss!  érêqoe  et  confesseur.  —  An  même  lieu,  saint  Falcon.  frère  et 
successeur  du  précédent  '.  —  A  Autun,  saint  Gai,  prêtre.  —  En  Irlande,  saint  Bolcain,  évèque, 
qui  avait  passé  une  grande  partie  de  sa  vie  en  France.  Vers  600.  —  A  Tarbes,  la  fête  de  saint 
Valère  ou  Vallier,  évèque  de  Conserans,  dont  l'entrée  au  ciel  est  marqute  le  15  |uillet.  504. 

—  A  Alger,  saint  Possido.mcs,  évèque  de  Calame.  —  A  Roubaii.  la  bienheureuse  Thècle.  ix«s. 

HARTVROIOGES   DES  ORDRES   RELIGIEUX. 

Martyrologe  de  Saint-Basile.  —  A  Constantinople,  saint  Antoine,  évèque,  de  l'Ordre  de 
Saint-Basile,  qui  florissait  au  temps  de  l'emperenr  Léon  ^^  ;  sa  naissance  an  ciel  est  le  13  février. 
IX»  s. 

Mnr'yro'oge  de  Val/ombreuse  et  de  Cileause.  —  Saint  Cannt,  roi  et  martyr,  mentionné  le  7  de 
janvier  et  le  16  février. 

Mnriyrologe  des  Frères  Prêcheurs   —  L'octave  de  sainte  Catherine  Ricci. 

Martyrologe  de  l'Ordre  Romanu-Séraphique.  —  Saint  Raymond  de  Pennafort,  confesseur,  dont 
le  jour  natal  est  le  20  février. 

M  iriyrriloge  de  l'Ordre  Séraphique.  —  A  Bourges,  la  bienheureuse  Jeanne  de  Valois,  autre- 
fois reine  de  France,  par  laquelle  a  été  institué,  sous  la  règle  des  dix  vertus  de  la  bienheureuse 
Vierge  .Marie,  l'Ordre  de  la  très-sainte  Annonciation,  qui  est  placé  sous  l'obédience  et  la  direction 
des  Frères  Mineurs.  Elle  s'envola  an  ciel  le  4  février. 

Mnri/rotoge  des  Carmes  chaussés.  —  Saint  Manr,  abbé,  dont  la  mémoire  est  rapportée  le  15 
de  février. 

Martyrologe  de  l'Ordre  des  Servîtes.  —  Saint  Ildefonse,  évèque  de  Tolède  et  confesseor,  dont 
la  naissance  au  ciel  est  célébrée  le  22  février. 

Martyrologe  des  Capucins.  —  Saint  Ignace,  dont  le  jour  natal  tombe  le  1"  de  ce  mois,  mai» 
qd  est  honoré  par  nous  aujourd'hui. 

ADDITIONS  FAITES  d'APRÈS  LES  BOLLANDISTES  ET  AUTRES  HAGIOGRAPHES. 

En  Angleterre,  sainte  Slildrède,  vierge  et  abbesse  de  Minstrey  *.  viio  s.  —  A  Rome,  les  saints 
Victor,  Corona,  et  leurs  vingt  compagnons,  martyrs  =.  —  A  Avila,  en  Espagne,  sainte  Paulc,  sur- 
nommée Barbate,  c'est-à-dire  barbue,  vierge.  On  raconte  que,  fuyant  les  poursuites  d'un  libertin  et 
prête  à  tomber  entre  ses  mains,  elle  fut  sauvée  par  un  changement  miraculeux  qui  s'opéra  dans  sa 

1.  Les  BoUandistes  ajoutent  saint  Didyme.  Les  reliques  de  saint  Némese  sont  à  Bologne,  eu  Italie. 

2.  Saint  Elenth'eie  fnt  le  huitième  évèque  de  B/zance.  Il  fut  élu  en  iS^  par  les  catholiQUes  pour  rem- 
placer Acace,  qui  favorisait  les  Entj'chiens. 

3.  Saint  Encher  et  saint  Falcon  ou  Faucon  furent  évêques  de  Maëstricht.  Le  premier  mourut  en  495,  et 
le  second  en  512.  Les  BoUandistes  se  demandent,  sans  trancher  la  question,  si  ce  n'est  pas  de  ce  dernier 
qne  la  petite  ville  de  Montfancon  (Meuse,  à  34  kilom.  «nd-ast  de  Sloatmédy)  a  pris  son  nom. 

*.  Elle  était  fille  de  Merwald,  prince  des  Merciens  et  d'Ennenburge.  Son  frère  Merrin  et  ses  deux 
KSurs  Mllburge  et  Milgithe  sont  également  nommés  dans  les  calendriers  dos  Saints  d'Angleterre.  Or,  nn 
certain  Egbert,  roi  de  Kent,  avait  fait  assassiner  deux  princes,  ses  neTeux,  dans  l'île  de  Thanet.  Le  comts 
Thonor.  qui  s'était  ehargé  de  cette  exécrable  commission,  enterra  les  dent  corps  so  .s  le  trône  même  du 
roi.  liait  S^fheTt,  croyant  voir  une  lumière  sortir  de  l««r  tombean,  fut  saisi  d'nno  crainte  extraordinaire: 
il  rentra  en  loi-mima  et  »onint  payer  aux  parents  4*  se»  victimes  l'anende  prescrite  par  les  loi-.  II  *t 
donc  venir  de  Mercie  la  sœur  de»  princes  a.tsasnnés  «t  Ini  donna  qnarante-balt  charrue»  de  terre  d«ai 
l'Ile  de  Thanct.  La  princesse  les  employa  à  fonder  le  monaslbve  d«  Minltroy,  dont  sainte  Mildrède  fnt  !» 
detniimf  ab'esM.  —  Londres  compte  deux  églises  du  nom  de  Sainte-Miidrède. 

5.  Le  Brérlllre  de  ToOl  de  153S  taisait  mémoire  de  saint  Victor  et  do  sainte  Corona. 


SAINT  ÊLEUTHÈRE,   ÉVÊQTJE  DE   TOURNAI  ET  MAKTTR.  599 

personne  et  la  rendit  entièrement  méconnaissable  :  son  siiraom  lui  serait  venu  de  la  barbe  qui  cou- 
vrit son  visage  dans  cette  circonstance,  iv»  s.  —  En  Irlande,  saint  Olcan  ou  Bolcan,  évèque,  qui  fut 
baptisf  par  saint  Fabrice.  500.  —  A  Bethléem,  en  Palestine,  sainte  Pauline  ou  Paule  la  Jeune.  Son 
père  était  fils  de  cette  grande  sainte  Paule  suranramée  l'ancienne,  louée  par  saint  Jén'juie,  et  t'rère 
de  sainte  Eustochie,  non  moins  exaltée  par  ce  grand  docteur  ;  sa  mère  Lœta  était  aussi  de  l'une  des 
premières  familles  de  Rome  :  ces  deux  nobles  époux  gémissaient  de  n'avoir  pas  d'enfants  :  par 
leurs  prières,  ils  obtinrent  du  ciel  celle  qui  devait  être  sainte  Pauline.  Quand  elle  fut  grande,  on  l'en- 
voya à  Bethléem  où  vivait  dans  la  plus  haute  samteté,  à  la  tète  d'une  troupe  de  vierges,  sa  tante 
Eustochie.  La  vénérable  Paule  était  morte  quand  la  jeune  Pauline  arriva  :  elle  n'avait  pas  eu  la  con- 
solation de  presser  contre  son  sein  maternel  la  fille  de  son  fils  tant  regretté.  A  l'école  de  sa  ver- 
tueuse tante,  la  petite-fille  des  consuls  devint  une  des  gloires  de  l'Eglise.  Après  la  mort  de  la 
vierge  Eustochie,  Pauline  continua  les  traditions  de  son  illustre  famille,  et  embauma  l'Orient  du 
parfum  suave  de  ses  vertus.  400.  —  En  Angleterre,  le  bienheureux  lllric  ou  Ulfric,  prêtre  et  soli- 
taire. Il  avait  été  d'abord  un  prêtre  mondain.  Violemment  tourmenté  par  les  démons,  dont  une 
Sainte  le  délivra,  il  se  fit  remarquer  ensuite  par  ses  macérations  et  son  austérité.  11  prédit  la  mort 
du  roi  d'.\ngleterre  Henri  I",  et  accomplit  de  son  vivant  un  grand  nombre  de  miracles.  Mathieu 
Paris  a  écrit  sa  Vie.  An  1154.  —  En  Orient,  saint  Bessarion,  solitaire  de  Scété.     Fin  du  iv»  s. 


S.  ELEUTEERE,  E\^QUE  DE  TOURNAI  ET  MARTYR 


Qui  snis-Je  pour  aller  enseigner  les  fils  d'Isracl  ?  I.« 
Seigneur  Ini  répondit  :  Je  serai  avec  toi. 
Exod.,  m,  11. 


Eleiithère,  ou  Lehire,  selon  l'ancienne  appellation,  vit  le  jour  à  Tournai 
en  434  ou  456.  Serenus,  son  père,  et  Blanda,  sa  mère,  étaient  d'une  noble 
origine  et  jouissaient  d'une  grande  aisance.  Serenus  comptait  parmi  ses  an- 
cêtres Hirénée,  qui  fut  un  des  premiers  habitants  de  Tournai  qui  embrassa 
le  christianisme  à  la  voix  de  saint  Piat,  et  qui  donna  le  terrain  sur  lequel 
s'éleva  dans  la  suite  l'église  de  Notre-Dame. 

Eleuthère  avait  reçu  de  Dieu  un  si  heureux  naturel,  qu'il  fît  autant  de 
progrès  dans  les  lettres  que  dans  la  piété.  Il  fut  élevé  avec  saint  Médard, 
depuis  évèque  de  Noyon,  qui  lui  prédit  qu'il  serait  un  jour  évêque  de  Tour- 
nai. La  prédiction  se  vérifia  en  486,  lorsque  Eleuthère,  âgé  de  trente  ans 
environ,  fut  élu  pour  succéder  à  l'évêque  Théodore. 

Déjà  avant  la  mort  de  Théodore,  la  violence  des  païens  avait  obligé  les 
principaux  chrétiens  de  Tournai  de  se  réfugier  à  Blandain,  village  situé  à 
une  lieue  de  Tournai,  oîi  les  parents  d'Eleuthère  avaient  des  propriétés. 

Les  Tournaisiens  avaient  beaucoup  dégénéré  depuis  la  mort  de  leur  apô- 
tre saint  Piat.  Leur  foi  s'éteignait  de  jour  en  jour,  soit  par  le  commerce  et 
la  violence  des  païens,  soit  par  les  désordres  des  rois  francs,  qui  étaient  en- 
core idolâtres  et  qui  faisaient  leur  résidence  à  Tournai.  Tel  était  l'état  de 
l'église  de  cette  \-ille,  lorsque  saint  Eleuthère  en  fut  fait  évêque.  Les  pre- 
mières années  de  son  épiscopat  furent  pour  lui  un  temps  de  troubles  et  de 
rudes  épreuves.  Son  troupeau  se  trouvait  mêlé,  d'une  part  avec  les  Francs 
maîtres  du  pays  et  encore  païens,  et  d'autre  part  avec  divers  hérétiques  qui 
répandaient  parmi  le  peuple  des  doctrines  contraires  au  dogme  de  l'Incar- 
nation de  Jésus-Christ.  Ce  fut  pour  Eleuthère  un  sujet  de  redoubler  sa  vigi- 
lance pastorale  et  ses  travaux.  Il  arracha  un  grand  nombre  de  Francs  aux 


600  20  FÉVRIER. 

superstitions  du  paganisme,  et  défendit  de  vive  voix  et  par  écrit  le  mystère 
de  l'Incarnation  contre  les  hérétiques. 

Son  zèle  pour  gagner  des  âmes  à  Jésus-CSirist  le  porta  plus  d'une  fois  à 
pénétrer  secrèlenienl  d.tus  Tourn.ii.  où  il  prêchait  l'Evangile  à  des  familles 
délaissées  et  à  des  hommes  qui  avaient  reconnu  la  vanité  des  idoles.  Telles 
étaient  ses  occupations  ordinaires,  quand  un  événement  singulier,  mais  que 
Dieu  Qt  servir  au  salut  d'un  e''and  nombre,  vint  lui  rouvrir,  ainsi  qu'aux 
autres  exilés,  les  portes  de  sa  ville  natale.  Voici  en  quels  termes  le  rappor- 
tent les  auteurs  : 

La  fille  du  gouverneur  de  Tournai,  païenne  comme  son  père,  avait 
conçu  une  secrète  affection  pour  le  jeune  et  vertueux  Eleuthère,  avant  qu'il 
eût  été  banni  avec  sa  famille.  Jamais  elle  n'avait  communiqué  ce  sentiment 
à  personne  ;  mais  un  jour  elle  se  transporta  à  Blandain  pour  en  faire  l'aveu  à 
saint  Eleuthère  lui-même.  L'esprit  de  Dieu  avertit  son  serviteur  de  ce  dan- 
ger qu'il  ignorait  et  auquel  il  allait  être  exposé.  Aussitôt  donc  que  cette 
fille  païenne  fut  en  sa  présence  :  «  Malheureuse  »  ,  lui  dit-il,  «  n'avez-vous 
point  entendu  dire  que  Satan  osa  tenter  le  Seigneur,  et  que  celui-ci  lui  ré- 
pondit :  Retire-toi  ;  oses-tu  bien  tenter  ton  Seigneur  et  ton  Dieu  ?  A  l'exem- 
ple de  mon  Sauveur  et  au  nom  de  la  sainte  et  indivisible  Trinité,  je  vous 
commande  de  vous  retirer  et  de  ne  plus  revenir  en  ce  lieu».  En  enten- 
dant ces  mots,  la  jeune  lille  tomba  comme  frappée  de  la  foudre  et  expira 
sur-le-champ.  Le  gouverneur,  désespéré  d'une  mort  si  imprévue,  mais  recon- 
naissant la  puissance  du  Dieu  d'Eleuthére,  promit  de  se  faire  chrétien,  s'il 
rendait  la  vie  à  sa  fille.  L'évêque  consentit  à  prier  pour  elle,  et  demanda 
humblement  à  Jésus-Christ  qu'il  lui  plût  de  faire  ce  miracle  pour  la  conver- 
soin  de  tant  de  malheureux  idolâtres.  Après  plusieurs  jours  passés  dans  le 
jeûne  et  la  prière,  il  se  rendit  au  lieu  où  le  cadavre  avait  été  enterré,  or- 
donna de  soulever  la  pierre  ;  puis  il  appela  trois  fois  la  jeune  fille,  lui  com- 
mandant de  se  lever  au  nom  de  Jésus-Christ  ressuscité  d'entre  les  morts. 
Dans  le  même  instant  elle  sortit  du  tombeau  sous  les  yeux  d'une  multitude 
de  spectateurs  et  demanda  à  recevoir  le  baptême.  Malgré  un  prodige  si  écla- 
tant, le  père  résistait  encore ,  sans  doute  par  la  crainte  qu'il  avait  des 
autres  païens  :  c'était  le  motif  ordinaire  de  ces  sortes  de  résistances  à  la 
grâce.  IJne  contagion  subite  éclata  alors  parmi  eux  et  fit  d'épouvantables  rava- 
ges. Dans  leur  aveuglement,  les  idolâtres  attribuèrent  ce  châtiment  du  ciel 
aux  artifices  de  saint  Eleuthère,  qu'ils  traitaient  de  magicien  ;  et  ayant  tenu 
conseil  entre  eux,  ils  résolurent  de  le  faire  périr.  La  nuit  venue,  une  troupe 
armée  alla  s'emparer  de  l'évêque  et  l'amena  devant  le  gouverneur,  qui  or- 
donna de  le  battre  de  verges,  puis  de  le  jeter  en  prison.  Mais  l'ange  de  Dieu 
vint  l'y  visiter,  fit  tomber  ses  chaînes,  et  ouvrant  la  porte  devant  lui,  le  ra- 
mena à  Blandain.  La  patience  admirable  et  les  prières  du  saint  confesseur  de 
la  foi  apaisèrent  enfin  le  Seigneur  et  attirèrent  ses  miséricordes  sur  ce  peu- 
ple si  longtemps  rebelle.  Changé  subitement  par  un  efTet  de  la  grâce,  le  gou- 
verneur alla  lui-même  trouver  saint  Eleuthère  et  le  pria  de  revenir  à  Tour- 
nai. Le  Saint  accueillit  cette  demande  avec  joie,  et  rentrant  dans  la  ville,  il 
en  prit  possession  au  nom  de  Jésus-Christ,  et  la  régénéra  presque  aussitôt 
par  le  baptême  de  onze  mille  païens.  Ce  beau  jour  fut  consacré  par  une 
fête  solennelle,  qui  se  célèbre  encore  chaque  année  (26  décembre  496). 

La  conversion  de  Clovis  coïncida  avec  cet  événement. 

Peu  de  temps  après,  un  nouveau  miracle  augmenta  encore  l'allégresse 
et  occasionna  de  nouvelles  conversions  :  ce  fut  laguérison  de  l'aveugle  Man- 
tilius,  opérée  le  jour  de  Noël. 


SAINT  ÉLEUTHÈRE,   ÉVÊQUE  DE  TOURNAI   ET  MAKTYB.  GOl 

La  conversion  de  Clovis,  en  496,  ayanl  rendu  le  temps  plus  calme,  Eleu- 
thère  en  proQla  pour  rétablir  à  Tournai  le  siège  épiscopal,  fixé  depuis  quel- 
ques années  au  village  de  Blandain.  Il  lit  trois  fois  le  voyage  de  Rome  pour 
s'éclaircir  sur  les  moyens  propres  à  remédier  aux  maux  de  son  église.  La 
dernière  fois  qu'il  en  revint,  il  rapporta  les  reliques  de  saint  Etienne,  pre- 
mier martyr,  et  de  sainte  Marie  l'Egyptienne. 

Le  retour  du  Saint  au  milieu  de  son  troupeau  excita  partout  la  joie  la 
plus  vive.  Le  clergé  et  le  peuple,  sortis  de  la  ville  par  la  porte  Nervienne, 
étaient  allés  à  sa  rencontre,  et  déjà  le  cortège  descendait  la  colline  du 
mont  Sacré,  aujourd'hui  le  mont  Saint-André,  lorsque,  du  haut  de  cette 
éminence,  le  vénérable  évoque  apparut,  tenant  élevées  dans  ses  mains  les 
précieuses  reliques  qu'il  portait.  Deux  cercles  de  lumière  se  formèrent  au 
même  instant  autour  de  lui  sous  les  yeux  du  peuple,  qui  poussait  des  cris 
d'admiration  ;  puis  tous  se  mirent  en  marche  vers  la  basilique  de  Notre- 
Dame  en  chantant  des  hymnes  et  des  cantiques.  Sur  la  route,  un  grand 
nombre  de  malades  ou  d'estropiés  furent  guéris,  et  un  muet,  bien  connu  des 
habitants,  recouvra  l'usage  de  la  parole. 

Clovis  se  distingua  par  le  succès  de  ses  armes  et  par  la  protection  qu'il 
accorda  à  la  religion  ;  mais  il  souilla  sa  mémoire  par  des  actes  de  perfidie 
et  de  violence.  La  légende  de  saint  Eleuthère  nous  offre  une  protestation 
publique  de  la  part  du  clergé  contre  les  moyens  barbares  par  lesquels  le 
vainqueur  de  Tolbiac  tâcha  d'étendre  et  de  consolider  sa  domination.  Clovis 
vint  un  jour  à  Tournai  ;  à  peine  arrivé,  il  se  rendit  à  l'église  pour  remer- 
cier Dieu  de  ses  victoires.  Eleuthère  l'attendait  sur  le  seuil  :  «  Seigneur 
roi  »,  lui  dit-il,  «  je  sais  pourquoi  vous  venez  à  moi».  Etonné  de  ces  pa- 
roles, Clovis  protesta  qu'il  n'avait  rien  de  particulier  à  dire  à  l'évêque. 
a  Ne  parlez  pas  ainsi,  ô  roi  »,  reprit  saint  Eleuthère,  «  vous  avez  péché  et 
vous  n'osez  l'avouer».  Alors  le  vainqueur  s'émut,  ses  yeux  se  mouillèrent 
de  larmes,  il  avoua  qu'il  se  sentait  coupable  et  pria  le  pieux  évoque  de  célé- 
brer la  messe  pour  lui  et  d'implorer  du  ciel  le  pardon  de  ses  crimes.  Eleu- 
thère se  mit  en  prières  et  y  resta  toute  la  nuit,  arrosant  le  sol  de  ses  pleurs. 
Le  lendemain,  pendant  qu'il  célébrait  la  messe,  et  au  moment  où  il  se  pré- 
parait à  recevoir  l'hostie  sainte,  une  lumière  éclatante  se  répandit  dans  l'é- 
glise, et  un  ange  lui  apparut  :  «  Eleuthère  »,  lui  dit-il,  «  serviteur  de  Dieu, 
tes  prières  sont  exaucées  »  ;  et  en  même  temps  il  lui  remit  un  écrit  où  était 
tracé  le  pardon  accordé  aux  fautes  royales  qu'il  n'est  pas  permis  de  divul- 
guer. Absous  par  la  clémence  divine,  Clovis  rendit  grâces  à  Dieu  et  au  saint 
évêque,  et  ût  des  dons  considérables  à  l'église  de  Tournai.  Les  courageuses 
remontrances  d' Eleuthère,  le  repentir  public  du  prince,  l'ange  apportant  du 
ciel  le  pardon  des  crimes  politiques,  sont  au  moins,  si  l'on  tient  à  contester 
la  certitude  de  ces  faits,  une  admirable  peinture  des  sentiments  populaires 
de  cette  époque. 

Pour  extirper  les  dernières  racines  des  doctrines  hérétiques  qui  désolaient 
son  diocèse,  Eleuihère  réunit  vers  l'an  520  un  synode,  dans  lequel  il  paraît 
avoir  prononcé  un  discours  sur  le  mystère  de  l'Incarnation.  Son  zèle  à  main- 
tenir le  dépôt  de  la  foi  dans  sa  pureté  lui  coûta  la  vie.  Un  jour,  en  sortant 
de  l'église,  il  fut  assailli  par  une  bande  d'hérétiques  qui  se  jetèrent  sur  lui  et 
l'accablèrenl  de  coups.  Le  Saint  survécut  peu  de  jours  à  ses  blessures  ;  sa 
mort  arriva  en  531,  le  20  février,  jour  auquel  l'Eglise  honore  sa  mémoire. 

L'illustre  ami  d'Eleuthère,  saint  Médard,  évêque  de  Noyon,  s'était  em- 
pressé de  venir  à  Tournai  à  la  nouvelle  des  violences  auxquelles  on  s'était 
porté  contre  lui.  Après  avoir  répandu  des  larmes  abondantes  sur  son  corps 


602  20  FÉVRIER. 

inanimé,  il  se  mit  en  devoir  de  lui  rendre  les  honneurs  de  la  sépulture, 
a  Lui-même  célébra  les  sacrés  mystères,  pour  remercier  Dieu  de  ce  qu'il 
avait  daigné  admettre  saint  Eleuthère  dans  le  séjour  de  la  gloire  ».  Les  cé- 
rémonies achevées,  on  transporta  le  corps  dans  l'église  de  Blandain,  où  il 
resta  jusqu'à  la  Qn  du  neuvième  siècle.  A  cette  époque,  une  pieuse  dame, 
qui  habitait  le  lieu  appelé  Koubaix  ',  eut  une  révélation,  dans  laquelle  saint 
Eleuthère  lui  commanda  d'aller  de  sa  part  auprès  d'Heidilon,  évêque  de 
Tournai  et  de  Noyon,  pour  lui  dire  de  lever  de  terre  son  corps  et  de  le  trans- 
porter à  Tournai.  Cette  sainte  femme  remplit  la  mission  qui  lui  était  confiée, 
et  l'évêque,  avec  son  clergé,  se  hâta  d'accomplir  cette  volonté  du  ciel  qui 
lui  était  manifestée. 

En  1247  ces  reliques  furent  mises  dans  une  nouvelle  châsse,  la  même 
que  la  cathédrale  possède  encore  aujourd'hui.  Cette  châsse,  ouvrage  d'orfè- 
vrerie de  la  plus  grande  délicatesse,  a  été  faussement  attribuée  à  saint  Eloi, 
argentier  de  Dagobert. 

Pendant  les  guerres  de  religion  du  xn"  siècle,  le  Chapitre  de  Tournai 
préserva  de  la  profanation  les  reliques  de  saint  Eleuthère  en  les  envoyant  à 
Douai  (1566).  Menacées  de  nouveau  pendant  la  Révolution  française,  elles 
furent  mises  à  l'abri  dans  une  maison  particulière  de  Tournai  ;  elles  y  res- 
tèrent jusqu'en  iSOl,  époque  à  laquelle  Mgr  Hirn  en  fit  la  translation  solen- 
nelle à  la  cathédrale. 

On  représente  saint  Eleuthère  1°  recevant  la  confession  deClovis  ;  2"  avec 
une  église  sur  la  main  pour  rappeler  qu'il  fut,  sinon  le  fondateur,  au  moins 
le  restaurateur  du  siège  épiscopal  de  Tournai.  Il  est  figuré  avec  cet  attribut 
par  une  statuette  qui  se  voit  encore  aujourd'hui  sur  l'élégante  châsse  du 
Saint,  dans  la  belle  église  romane  de  Notre-Dame  de  Tournai  ;  3°  avec  une 
verge  ou  un  fouet,  symbole  des  fléaux  que  la  dureté  de  cœur  des  Tour- 
naisiens,  avant  leur  conversion,  leur  attira. 

ÉCRITS  DE  SAINT  ELEUTHÈRE. 

On  *  attribué  divers  écrits  k  saint  Eleuthère.  Ce  sont  :  1"  Une  profession  de  foi  sur  le  mystire 
de  la  sainte  Trinité  ;  2°  un  sermon  sur  le  même  sujet  ;  3°  trois  autres  sermons  sur  l'Incarnation,  la 
Nativité  du  Sauveur  et  l'Annonciation  ;  i"  une  prière  que  le  Saint  fit  au  lit  de  mort  pour  obtenir 
de  Dieu  le  maintien  de  la  foi  dans  la  %ille  de  Tournai.  Dans  le  sermon  sur  l'Annonciation,  il  y  a  un 
assez  beau  passage  sur  la  nrjinité  et  une  touchante  prière  à  la  Sainte  Vierge  :  le  texte  de  ce  dernier 
sermon  avec  une  traduction  française  a  été  publié  à  Tournai,  en  1839,  sous  le  titre  de  Nouveau 
Bouquet  à  Marie. 

Noos  avons  coioposé  cette  vie  de  saint  Elenthère  d'après  Mgr  de  Ram  et  M.  l'abbé  Destombcs.  Kooa 
ftTona,  ainsi  que  nos  devanciers,  consulté  les  Bollanàistes,  qui  ont  inséré  une  vie  dn  Saint  écrite  au 
ixe  siècle:  D.  Rivet,  la  Fr-mce  littéraire,  t.  m  ;  Cousin,  hist.  de  Tournai;  U.  Butliélemr,  Annale» 
hagiotogiques  de  la  France,  t.  vi. 

l.  Voir  U  vie  de  la  blenheorenae  Thècle  &  ce  Jour,  page  807, 


S;U.NT  EUCHER,   ÉVÊQUE   D'oIILLAN--.  003 


SAINT  EUCHER,  EVEQUE  D'ORLEANS 

687-138.  —  Papes  :  Sefgius  1";  Grégoire  III.  —  Roi  de  France  :  Thierry  IFI;  Interrègne. 


C'est  dauâ  U  retraite  %ue  l'âme  &e  Tetrcmpe  comme 
r«cier  au  contact  de  l'eau  :  c'est  l'a  Que  D'vr.i  ;-:•  le 
k  HM  cœurs.  Oiée,  M,  14. 

Orléans,  l'une  des  pins  belles  et  des  pins  riches  villes  de  France,  et  qui, 
du  temps  de  nos  premiers  rois,  était  capitale  d'un  royaume,  a  servi  de  ber- 
ceau au  bienheureux  Eucher,  illustre  par  la  noblesse  de  ses  parents  ;  elle 
eut,  plus  tard,  l'honneur  de  l'avoir  pour  pasteur  et  évoque.  Sa  mère  en  eut 
révélation  lorsqu'elle  le  portait  dans  son  sein.  Etant  un  jour  revenue  de 
l'église,  oh  elle  passait  des  journées  entières  en  prières,  comme  elle  prenait 
chez  elle  quelque  repos,  elle  aperçut,  auprès  de  son  lit,  un  homme  vénérable. 
Têtu  de  blanc,  et  dont  les  yeux  étaient  tout  éclatants  de  lumière  ;  il  lui  dit  : 
«  Dieu  soit  avec  vous,  ô  bien-aimée  du  Seigneur  !  vous  portez  en  votre  sein 
an  fils  que  Dieu  a  choisi  de  toute  éternité  pour  être  évêque  de  cette  ville  n. 
La  vertueuse  mère,  reconnaissant  à  ces  circonstances  que  celui  qui  lui  par- 
lait était  un  ange,  le  pria  de  bénir  la  petite  créature  qu'elle  enfermait  dans 
son  sein:  ce  qu'il  fit.  Elle  donna  aussitôt  avis  de  cette  vision  à  son  mari,  et 
l'nn  et  l'antre  attendirent  avec  joie  le  moment  de  cet  heureux  enfantement. 
Eucher  naquit  en  687.  Ses  parents,  pour  le  faire  baptiser,  attendirent  qu'il 
pût  répondre  lui-même,  et  pour  faire  honneur  à  sa  vocation  annoncée  par  uu 
ange,  ils  voulurent  que  ce  sacrement  lui  fût  administré  par  quelque  saint 
évêque.  Ils  allèrent  donc  le  présenter  au  bienheureux  Ansbert,  évêque  d'Au- 
tun,  qui  le  baptisa,  fut  en  môme  temps  son  parrain,  et  lui  donna  la  confir- 
mation (692). 

Dès  l'âge  de  sept  ans  (694),  Eucher  étudia  les  lettres.  Il  y  fit  de  grands 
progrès,  et  laissa  même  derrière  lui  ceux  qui  avaient  le  double  de  son  âge. 
Il  se  rendit  habile  dans  l'intelligence  des  Ecritures,  des  canons  sacrés  et  des 
écrits  des  Pères.  On  croit  qu'il  entra  dans  le  clergé,  sous  l'évêque  Léodeber, 
et  qu'il  se  distingua  dans  quelque  emploi  subalterne  de  l'église  d'Orléans. 
Mais,  comme  les  vérités  divines  de  l'Ecriture  faisaient  la  matière  continuelle 
de  ses  méditations,  il  pesa  les  paroles  où  saint  Paul  dit  que  les  biens  du 
monde  ne  sont  qu'une  figure  qui  passe,  et  qu'ils  sont  fous  devant  Dieu  ceux 
qui  les  aiment  ;  il  renonça  au  siècle,  et  résolut  de  vivre  sur  la  terre  comme 
n'enétant  plus:  il  se  retira  en  l'abbaye  de  Jumièges,  au  diocèse  de  Rouen(714). 
11  travailla  avec  tant  de  ferveur  à  sa  perfection,  et  parvint  à  une  si  éminente 
sainteté  qu'un  de  ses  oncles,  nommé  Suavaric,  évêque  d'Orléans,  étant 
décédé,  il  fut  désiré  de  tout  le  clergé  et  de  tout  le  peuple  de  la  ville  pour 
lui  succéder.  Ils  envoyèrent  donc  des  députés  vers  le  prince  Charles-Martel, 
qui  gouvernait  alors  le  royaume  de  France  en  qualité  de  maire  du  palais. 
Ils  demandaient  le  religieux  Eucher  pour  évêque  ;  ils  l'obtinrent  au  grand 
contentement  de  toute  la  ville,  mais  non  pas  du  Saint,  qui  fondit  en  larmes 
à  cette  nouvelle,  prévoyant  très-bien  les  périls  où  cette  suprême  dignité 
l'exposerait,  et  soupçonnant  qu'elle  lui  serait  plutôt  une  charge  qu'un 
véritable  honneur  (717). 


604  20  FÉraiER. 

Ses  premiers  soins,  dès  qu'il  se  vit  élevé  sur  le  trône  épiscopal,  furent  de 
visiter  les  églises  de  son  diocèse,  de  veiller  sur  son  clergé  et  de  disliibuer  le 
pain  de  la  parole  de  Dieu  à  son  peuple;  il  le  faisait  avec  tant  d  onction,  de 
grâce  et  d'amour,  que  chacun  s'eslimait  honoré  de  lui  pouvoir  rendre 
quelque  service,  et  de  lui  marquer  son  obéissance.  Aussi  le  bruit  de  sa  sain- 
teté se  répandit  par  toutes  les  provinces  de  la  France,  de  sorte  que  le  prince 
Charles  avait  pour  lui  la  plus  grande  estime  ;  mais  cela  n'empêcha  pas  l'en- 
vie et  la  médisance  de  troubler  son  repos,  à  roccasion  que  nous  allons  rap- 
porter. 

Les  Sarrasins  d'Afrique  ayant  passé  la  mer  et  s'étant  rendus  maîtres 
d'une  partie  des  Espagnes,  descendirent  en  France  au  nombre  de  quatre 
cent  mille  combattants.  Déjà  la  Guyenne,  la  Touraine  et  le  Poitou  avaient 
été  dévastés,  et  ces  barbares  étaient  à  la  veille  de  forcer  la  ville  de  Tours  et 
d'y  ruiner  la  célèbre  église  de  Saint-Martin,  qui  était,  en  ce  temps-là,  une 
des  plus  fréquentées  et  des  plus  riches  de  toute  la  chrétienté.  Charles,  prince 
des  Francs,  attaqua  cette  nombreuse  troupe  d'inQdèles  dans  la  plaine  deSaint- 
Martin  le  Bel,  entre  Amboise  et  Bléré,  en  Touraine,  d'autres  disent  près  de  la 
ville  de  Poitiers,  à  Youglé.  Ce  grand  héros  fît  perdre  aux  Sarrasins  plus  de 
trois  cent  soixante  mille  hommes,  n'ayant  perdu,  de  son  côté,  que  quinze 
cents  chrétiens  :  ce  qui  lui  acquit  le  surnom  de  Martel,  pour  avoir  battu  et 
comme  martelé  ces  hordes  de  Barbares.  Cette  entreprise  et  plusieurs  autres 
que  ce  prince  eut  sur  les  bras  pour  défendre  les  églises,  lui  firent  croire 
qu'il  pouvait  se  servir  de  quelques  biens  ecclésiastiques  et  des  revenus  du 
clergé  pour  récompenser  la  noblesse  qui  l'avait  suivi  à  la  guerre.  11  s'en  em- 
paia  violemment.  Quelques  évêques  ne  purent  souffrir  ce  procédé,  entre 
autres  saint  Eucher,  évêque  d'Orléans,  qui  se  plaignit,  non  pas  de  l'action 
du  prince,  que  la  nécessité  publique  semblait  autoriser,  mais  bien  des  con- 
cussions que  faisaient  les  commissaires  dans  la  levée  de  ces  impôts.  Ce  fut  là 
un  prétexte  de  plaintes  contre  ce  bienheureux  prélat  :  ses  ennemis  l'accusèrent 
d'être  un  homme  remuant,  séditieux,  ennemi  du  bien  de  l'Etat,  qui  ne  faisait 
que  contrôler  ceux  qui  avaient  le  maniement  des  affaires.  Pour  mieux  piquer 
au  vif  le  prince  Charles,  ils  peignirent  Eucher  comme  un  homme  ennemi  de 
sa  famille  (ils  dirent  sans  doute  de  sa  dynastie),  et  qui  favorisait  le  parti  de 
Rainfroi,  maire  du  palais  de  Childéric.  El  comme  c'est  l'ordinaire  des  princes 
de  se  rendre  trop  crédules  à  de  semblables  rapports,  Charles,  passant  par 
Orléans,  au  retour  de  sa  victoire  (733),  commanda  à  l'évêque  de  le  suivre  à 
Paris,  d'où  il  l'envoya,  avec  tous  ses  parents,  en  exil  en  la  ville  de  Cologne, 
en  Allemagne'.  Par  une  conduite  admirable  de  la  divine  Providence,  il  y 
fut  reçu  avec  un  tel  empressement,  du  clergé  et  du  peuple,  qu'il  semblait 
être  au  milieu  de  son  diocèse  et  de  ses  propres  biens.  Le  prince  en  fut  ins- 
truit, le  fit  aller  au  pays  de  Liège,  et  commanda  au  duc  Robert  de  le  tenir 
auprès  de  sa  personne  et  de  veiller  sur  ses  actions,  de  crainte  qu'il  n'excitât 
quelque  sédition.  Dieu  qui  avait  fait  trouver  grâce  à  Joseph  devant  Pharaon, 
fil  que  le  duc  Robert,  qui  n'ignorait  par  les  mérites  du  saint  Prélat,  le  prit  en 
si  grande  vénération,  qu'il  le  nomma  son  aumônier,  pour  distribuer  ses 
libéralités  aux  pauvres.  Eucher,  néanmoins,  n'usa  guère  de  ce  pouvoir;  mais 
il  demanda  pour  toute  grâce,  à  Robert,  de  se  pouvoir  relirer,  avec  les  reli- 
gieux, en  l'éghse  de  Saint-Trond  :  ce  qui  lui  fut  accordé.  Alors  le  saint 

1.  La  Traie  cause  de  Texil  de  saint  Eacber  fut  la  haine  de  quelques  gens  de  ^erre  qui  étalent  k  la 
fDlte  de  Charles  Martel  lorsqu'il  revint  par  Orléans.  Ce»  gens,  pins  ralliants  qu'équitables,  convoitèrent 
les  grands  .i-ns  qu'Eucher  avait  hérités  de  ses  ancêtres  :  ils  poussèrent  Charles  à  l'exUer  avec  sa  famille 
poar  s'emparer  de  leur  fortune.  O.  Bot'Qi;£T. 


SAINT  SABOTH,   ÉVÊQUE  DE  SÉLEUCIE  ET  CTÉSIPHON.  605 

évoque,  oubliant  toutes  les  choses  de  ce  monde,  ne  s'occupa  plus  qu'à  prier 
et  à  remercier  Dieu  de  l'avoir  délivré  de  la  charge  d'un  diocèse  qu'il  lui  avait 
auparavant  donné,  et  de  lui  faire  l'honneur  de  souffrir  pour  la  justice.  Il 
passa  six  ans  en  ce  lieu  à  édifier  le  monastère,  tellement  que  les  religieux, 
à  son  exemple,  et  animés  par  la  ferveur  qu'ils  voyaient  en  lui,  méprisaient 
les  choses  de  la  terre  et  n'avaient  plus  de  pensées  ni  de  désirs  que  pour 
le  ciel. 

Enfin,  il  plut  au  Tout-Puissant  de  couronner  les  mérites  de  son  fidèle 
serviteur  par  une  heureuse  mort  :  Dieu  lui  en  fit  sentir  les  approches  par 
une  maladie,  qui,  détachant  peu  à  peu  son  âme  de  ce  corps  mortel,  la  con- 
duisit en  la  gloire  qui  ne  finira  jamais.  Ce  fut  le  20  février,  l'an  de  Notre- 
Seigneur  738. 

Son  corps  fut  déposé  en  l'église  de  la  même  abbaye,  où  Dieu  a  honoré  sa 
mémoire  par  de  nombreux  miracles.  On  remarque  entre  autres  merveilles, 
que  des  cierges,  mis  à  son  sépulcre,  brûlèrent  longtemps  sans  se  consumer, 
et  que  l'huile  des  lampes  se  multiplia  sensiblement  et  même  guérit  plusieurs 
malades.  Des  aveugles  y  recouvrèrent  l'usage  de  la  vue,  des  boiteux  le  pou- 
voir d'aller  droit,  et  des  possédés  yreçurent  du  soulagement  en  leurs  misères. 

On  a  représenté  saint  Eucher  1°  partant  pour  l'exil  ;  2°  près  d'une  tombe 
d'où  sort  une  vipère  et  dont  le  couvercle  porte  les  armes  de  France,  ou  bien 
encore  devant  un  bûcher  allumé  au  milieu  duquel  paraît  un  personnage 
couronné.  Ce  sont  deux  manières  de  dire  que  la  damnation  de  Charles- 
Martel,  qui  avait  injustement  disposé  des  biens  de  l'Eglise,  fut  révélée  à 
Eucher.  Mais  il  est  permis  de  ne  pas  accorder  une  grande  valeur  à  cette 
vieille  légende. 

Le  martyrologe  romain  fait  mémoire  de  saint  Eucher  le  20  ftivrier.  On  peut  voir  les  antenrs  qui  traitent 
de  lui  dans  les  Remarques  de  Baronius,  k  ce  même  jour.  Charles  de  la  Saussaye,  dans  les  Annales  parti- 
culières de  i'hfjliàe  d'Orléans,  rapporte  qu'un  notable  ossement  d'un  bras  de  ce  saint  Evêque  y  fut  envoyé 
solennellement  de  l'abbaye  de  Saint-Trond,  l'an  1606. 


SAINT  SADOTH,  ÉVÊQUE  DE  SÉLEUCIE  ET  CTÉSIPHON'  (342). 

Lorsque  la  persécution  éclata  en  341,  Sadoth  se  cacha  avec  une  partie  de  son  clergé,  pour  attendre 
que  Dieu  lui  fil  connaître  sa  volonté.  Ayant  été  favorisé  d'une  vision  dans  sa  retraite,  il  assembla 
ses  prêtres  et  ses  diacres  pour  leur  en  faire  part  :  «  J'ai  vu  en  songe  »,  leur  dit-il,  «  une  échelle 
tout  environnée  de  lumière  dont  le  sommet  touchait  au  ciel  ;  saint  Siméon,  brillant  de  gloire,  y 
était  appuyé.  .M'ayant  aperçu  au  bas  de  l'échelle,  il  m'a  appelé  d'un  air  riant.  .Montez,  Sadoth, 
m'a-t-il  dit,  montez  et  ne  craignez  rien.  Je  montai  hier,  c'est  aujourd'hui  votre  tour  :  ce  qui  me 
parait  signifier  que  mon  saint  prédécesseur  ayant  enduré  la  mort  l'année  dernière,  je  dois  la  souffrir 
cette  aunée».  Sapor  le  fit  en  effet  arrêter  avec  cent  vingt-huit  personnes  de  son  église.  On  les  con- 
duisit en  prison,  on  leur  fit  souffrir  des  maux  incroyables  durant  l'espace  de  cinq  mois  entiers. 
On  les  en  tira  trois  fois  pour  les  étendre  sur  le  chevalet.  On  leur  liait  les  jambes  avec  des  cordes 
qu'on  serrait  si  fortement  qu'on  entendait  craquer  leurs  os.  Lorsqu'ils  eurent  été  condamnés  à 
mort,  on  les  lia  deux  à  deux  pour  les  conduire  hors  de  la  ville.  Cette  sainte  troupe  marcha  an 
supplice  en  chantant  des  hymnes  et  des  cantiques  (342). 

l.  £n  persan  Schia,  roi,  et  Duslès,  ami.  Sctiiadust'es,  ami  du  roi. 


606  20   FÉVOIEB, 


SAINT  BESSARIuN,  SOLITAIRE  DE  SCÉTÉ  (Fin  du  iv"  siècle). 

Ulostre  par  sa  charité,  son  humilité  et  le  don  des  rairades,  tà  vécut  à  la  manière  det  oiseaux  du 
ciel,  sans  demeure  fixe.  Lu  jour  qu'il  avait  dooné  son  ntauteau  à  un  pauvre,  l'iiilendaul  de  la  justice 
vint  à  passer.  «  Qui  vous  a  donc  ainsi  dépouillé,  mou  Père  ?  «  lui  deniauda-t-il.  —  «  C'est  celui- 
ci  »,  répondit  le  Saint,  en  lui  moutraut  le  livre  des  Evangiles.  Le  prèti'e  de  Scété  avait  voulu  sé- 
parer de  la  couuuuiiauté  un  frère  coupable  d'une  cerlaïue  faute  :  comme  on  le  chassait  de  l'église, 
le  Saint  se  leva  et  sortit  en  disant  :  «  .Moi  aussi,  je  suis  un  péi;lieur  !  »  Et  cependant,  son  histo- 
rien assure  qu'il  avait  conservé  l'innocence  baptismale.  Mais  quelle  sincère  humilité!  quelle  déli- 
cate charité  !  Son  disciple  Dulas,  en  faveur  duquel  il  avait  un  jour  changé  l'onde  amère  en  eaa 
douce,  voulut  en  emporter  une  provision  pour  la  roule.  «  Le  Dieu  qui  est  ici  »,  lui  diuil,  «  est 
partout  ;  ne  vous  chargez  donc  pas  inutilement  ».  Il  fallait  user  de  surprise  pour  obtenir  de  lui 
quelque  prodige  qui  éclatât  devant  le  prochain.  On  apportait  les  possédés  eudormis  dans  l'église. 
Ou  le  priait  de  les  réveiller,  et  en  même  temps  il  les  guérissait.  Un  père  apporta  «ou  fils  paraly- 
tique devant  la  cellule  de  Bessaiioa  et  s'oa  alla.  L'èafaiil  abandonné  se  mit  à  pleurer.  Le  Saint 
sortit,  et  ignorant  sou  mal,  lui  dit  de  s'en  aller  chercher  son  père  :  ce  qu'il  fit  aussitôt, 

\1e5  des  Pères  du  désert. 


SAINT  POSSIDIUS  OU  POSSIDONIUS,  ÉVÊQUE  DE  CALAME  {y"  siècle). 

Saint  Possidius,  évéque  de  Calame  en  Numidie,  fut  un  des  plus  célèbres  disciples  de  saint 
Augustin.  Elu  évèque  de  Calame  en  397,  il  eut  beaucoup  à  souffrir  de  la  part  des  Donatistes  qui 
l'expulsèrent  de  sa  maison  épiscopale  en  404,  et  le  traitèrent  avec  tant  de  cruauté  qu'il  faillit  en 
perdre  la  vie  :  mais  il  ne  se  vengea  d'eux  qu'en  demandant  leur  grâce  à  l'empereur. 

L'an  408,  des  païens  qui  célébraient  une  des  fêtes  de  leurs  dieux,  dansèrent  devant  l'église,  k 
laquelle  ils  mirent  ensuite  le  feu  après  avoir  tué  un  ecclésiastique  à  coups  de  pierres,  et  blessé 
plusieurs  autres  qui  n'échappèrent  k  la  mort  que  par  la  fuite. 

Ceux  des  païens  qui  n'avaient  point  trempé  dans  cet  excès,  crsdgnaut  qu'on  ne  les  enveloppai 
dans  la  punition  des  coupables,  écrivirent  à  saint  Augustin  afin  qu'il  s'interposût  en  leur  faveui-, 
Possidius,  de  son  côté,  intercéda  pour  les  coupables  et  l'empereur  se  contenta,  pour  toute  puui- 
tion,  de  faire  briser  les  idoles  des  païens,  avec  défense  d'otfrir  des  sacrifices  ou  de  célébrer  des 
fêtes  superstitieuses.  L'an  411,  Possidius  assista  avec  saint  Augustin,  saint  Alype  et  d'autres  évê- 
ques  d'Afrique  à  la  fameuse  conférence  tenue  k  Carlhage  et  qui  porta  un  coup  mortel  au  parli  des 
Donatistes. 

Lorsqu'on  apporta  dans  la  province,  vers  l'an  416,  les  reliques  de  saint  Etienne,  premier  mar- 
tyr, découvertes  près  de  Jérusalem  l'année  précédente,  l'évèque  de  Calame  en  obtint  une  partie 
pour  son  église.  Il  eut  la  douleur  de  voir  son  église  épiscopale  entièrement  rumée  par  les  Vandales 
de  la  Numidie,  l'an  429,  ce  qui  l'obligea  de  se  retirer  à  Hippone,  que  les  barbares  vinrent  assiéger 
bientôt  après. 

Il  ferma  les  yeux  k  saint  Augustin,  qui  mourut  l'année  suivante  et  dont  il  écrivit  la  Vie. 

Comme  Calame  n'était  plus  qu'un  monceau  de  ruines,  il  ne  put  retourner  vers  son  troupeau, 
qui  était  détruit  ou  dispersé  ;  mais  on  ignore  le  lieu  et  l'année  de  sa  mort.  Les  Italiens  prétendent 
qu'ayant  passé  en  Italie  il  mourut  à  la  Mirandolc,  et  cette  ville  ainsi  que  celle  de  Reggio  l'hono- 
rent connue  leur  patron  ;  comme  il  avait  établi  à  Calame  des  clercs  qui  suivaient  la  règle  instituée 
par  saint  Augustin,  les  chanoines  réguliers  le  comptent  parmi  un  des  plus  illusti-es  Pères  de  leur  Ordre. 

Propre  d'Alger;  —  Souvenirs  de  l'Eglise  d'Afrique,  par  le  Pbrc  Cahier;  —  Voir,  pour  plus  de  diftails, 
au  17  mai. 


LA   BIENHEUREUSE  TIIÈCLE   DE   ROUBAIX.  007 


S.  VALLIER,  ÉVÊQUE  DE  CONSERANS,  AU  COMTÉ  DE  FOIX  (504). 

Saint  Valère,  comme  nous  l'apprend  saint  Grégoire  de  Tours  dan»  le  livre  de  La  gloire  des 
con/esseuts,  fut  le  premier  évêque  de  Conseraas.  Le  même  historien  raconte  qu'un  ancien  oratoire, 
construit  primitivement  sur  son  tombeau,  ayant  été  ruiné  par  l'injure  du  temps,  on  oublia  en  quel 
lieu  reposait  le  corps  du  Saint.  11  ajoute  que  ce  lieu  fut  découvert  miraculeusement  à  l'évèque 
Tliéodore,  qui  érigea  au  même  endroit  une  superbe  basilique. 

Parmi  les  prélats  de  la  Gaule  qui  souscrivirent  à  la  lettre  synodale  envoyée  à  saint  Léon,  pape, 
un  évèque  ligure  sous  le  nom  de  Valère.  Quelques-uns  doutent  s'il  s'agit  là  de  l'évèque  de  Coaserans 
ou  d'un  autre  Valère,  évèque  de  Javoux.  Des  hommes  éradits  opinent  pour  ce  dernier. 

Propre  de  Tardes^ 


LA  BIENHEUREUSE  THÈGLE  DE  ROUBAIX  (ix°  siècle). 

A  l'époque  où  les  Normands  exerçaient  leurs  ravages  et  portaient  en  tous  lieux  le  pillage  et 
l'incendie,  vivait  à  Roubaii  la  pieuse  el  bienheureuse  Thècle.  Ce  sont  les  titres  que  lui  donne 
Cousin  dans  son  Histoire  de  Tournai,  et  que  répète  après  lui  Raissius  dans  son  Âuciuaire  des 
Vies  des  Saints  belges,  par  Molanus.  Celte  dame  était  aussi  distinguée  par  sa  naissance  et  ses 
richesses  que  par  ses  éclatantes  vertus  et  les  œuvres  de  piété  et  de  charité  qu'elle  pratiquait 
sans  cesse.  Sa  conduite  paraissait  d'autant  plus  admirable,  qu'elle  vivait  ainsi  parmi  des  conci- 
toyens retombés  pour  la  plupart  dans  leurs  anciennes  erreurs  et  dans  toutes  les  superstitions  du 
paganisme. 

Dieu,  dans  sa  miséricorde,  voulut  récompenser  la  pieose  Thècle  de  sa  fidélité  à  la  religion,  et 
la  guérir  en  même  temps  d'une  manière  extraordinaire  de  la  cécité,  qu'elle  supportait  avec  une 
inébranlable  patience  depuis  plusieurs  années.  Une  nuit  donc,  pendant  son  sommeil,  elle  vit  pa- 
raître en  sa  présence  un  vénérable  vieillard,  d'un  port  majestueux  et  d'une  douce  gravité.  Ses  che- 
veux étaient  blancs,  et  les  ornements  dont  il  était  revêtu  d'une  couleur  semblable  et  très-éclatante. 
Ce  vieillard  était  l'évèque  saint  Eleuthère.  Ayant  appelé  la  vénérable  Thècle  par  son  nom,  il  lui 
ordonna  de  dire  de  sa  part  à  Heidilon,  évèque  de  Tournai  et  Noyon,  d'aller  à  Blandain  lever  de 
terre  ses  reliques  qu'il  trouverait  près  de  l'autel  de  Saint-Pierre.  La  véaérable  Thècle,  qui  crai- 
gnait quelque  illusion,  hésita  d'abord  et  recourut  à  la  prière  pour  connaître  d'une  manière  certaine 
la  volonté  de  Dieu.  Le  saint  évèque  lui  apparut  de  nouveau  une  seconde  et  une  troisième  fois.  Ne 
doutant  plus  alors  des  desseins  du  ciel,  elle  se  fit  conduire  auprès  de  l'évèque  Heidilon,  à  qui  elle 
raconta  fidèlement  tout  ce  qui  s'était  passé.  Le  prélat  reçut  avec  une  grande  joie  cette  communi- 
cation, la  fit  connaître  aux  principaux  membres  de  son  clergé,  et  se  disposa  avec  eux  à  lever  de 
terre  les  reliques  de  son  saint  el  vénérable  prédécesseur.  Ayant  donc  convoqué  plusieurs  prélats  et 
abbés  et  une  grande  partie  de  son  clergé,  il  se  rendit  avec  eux  au  vilLige  de  Blandain.  L'n  grand 
nombre  d'idolJtres  qui  habitaient  Roubaix  se  rendirent  aussi  à  Blaudain  pour  assister  à  la  cérémo- 
nie. Dieu  permit  que  la  pieuse  Thècle  y  recouvrât  la  vue.  D'autres  guérisons  extraordinaires  furent 
aussi  opérées  en  cette  circonstance,  comme  le  rapportent  plusieurs  graves  auteurs.  Cette  céré- 
monie eut  lien  un  dimanche,  18  septembre,  vers  l'an  881. 

On  ne  sait  rien  de  pins  sur  la  vie  de  la  pieuse  Thècle.  On  voit  seulement  qu'elle  obtint  de 
l'évèque  de  Tournai  quelques  hommes  apostoliques  pour  prêcher  la  foi  à  Ronbaix  et  dans  les  en- 
virons, et  y  détruire  le  culte  des  idoles.  C'était  surtout  sur  une  éminence  au  sud-est  de  la  ville, 
et  aujourd'hui  connue  sons  le  nom  de  Hameau  de  Barbienx,  que  les  idolâtres  se  réunissaient  pour 
adorer  leurs  fausses  divinités. 

Cette  sainte  femme,  après  avoir  rendu  à  toute  la  contrée  les  plus  grands  services  par  sa  piété 
et  ses  vertus,  reçut  la  sainte  communion  des  mains  de  l'évèque  Heidilon  lui-même,  et  remit  peu 
après  son  âme  à  son  Créateur.  Son  corps  fut  inhumé  à  Blandain,  dans  l'église  où  avait  été  précé- 
demment déposé  celui  de  saint  Eleuthère  ;  mais  dans  la  suite  il  fut  transporté  dans  une  chapelle 
de  '.J  même  église. 

Vie  dis  Saints  de  Cambrai  ei  d'Arras,  par  M.  feSié  Destombes. 


608  I   ii.vuii'.K. 


XXr  JOUR  DE  FÉVRIER 


MARTYROLOGE    ROMAIN. 

En  Sicile,  la  naissance  an  ciel  de  soiiante-dix-nenf  saints  martyrs,  qui,  ayant  passé  par  divers  tour- 
ments  sous  Dioclélien,  méritèrent  de  recevoir  la  couronne  destinée  à  ceux  qui  confessent  Jésus-Christ. 
IV  s. —  A  Adrumète,  en  Afrique,  les  saints  martyrs  Vérule,  Secondin,  Sirice,  Félii,  Servule,  Saturnin, 
Forlunat  et  seize  autres,  qui  furent  couronnés  du  martyre  dans  la  persécution  des  Vandales,  pour  la 
confession  de  la  foi  catholique  '.  i\"  s.  —  A  Scythopolis,  en  Palestine ,  saint  Sévérien,  évèque  et 
martyr  *.  Vers  452.  —  A  Damas,  saint  Pierre  Mavimène,  qui,  ayant  dit  à  des  Arabes  qui  l'étaient 
Tenus  voir  malade  :  «  Quiconque  n'embrasse  pas  la  foi  chrétienne  catholique  est  damné  comme 
votre  faui  prophète  Mahomet  »,  fut  par  eux  mis  à  mort.  743.  —  A  Ravenne,  saint  Maximien, 
évèque  et  confesseur.  556.  —  A  Metz,  saint  Félix,  évêque.  128.  —  A  Brescia,  saint  Patère, 
évèque  ».  vu»  s. 

MARTYROLOGE   DE  FRANCE,   REVU  ET  AUGMENTÉ. 

A  Senones,  dans  les  Vosges,  saint  Gundelbert,  qui  s'étant  démis  de  l'évêché  de  Sens  (Senonae), 
se  retira  dans  an  désert  des  Vosges,  près  de  la  rivière  de  Rabode,  et  y  bâtit,  sous  l'invocation  de 
la  Sainte  Vierge  et  de  saint  Pierre,  un  monastère  qu'il  appela  Senones  en  mémoire  de  la  ville 
épiscopale  qu'il  avait  quittée.  La  fondation  est  de  l'année  661.  —  A  Artonne,  en  Auvergne 
(arrondissement  de  Riom),  sainte  Vitaline ,  vierge ,  dont  la  béatitude  céleste  fut  révélée  à 
saint  Martin  de  Tours,  qui  visita  son  tombeau  *.  390.  —  A  Nivelle,  en  Brabant,  saint  Pépin, 
maire  du  palais  des  rois  d'Austrasie,  père  de  sainte  Gertrude,  prince  d'une  piété  extraordinaire, 
qn'il  répandit  heureusement  dans  toute  sa  famille.  640.  —  A  Strasbourg ,  la  fête  de  saint 
GermaijN  et  de  saint  Randadd,  massacrés  à  Granfeld  par  des  impies.  670.  —  A  Biblisheim, 
au  diocèse  de  Strasbourg,  la  vénérable  Gonthilde,  vierge,  abbesse  de  ce  lien.  1131.  —  A  Tours,  la 
fête  de  saint  Project  ou  Prix,  évèque  et  martyr,  mentionné  le  25  janvier  '.  —  A  Cambrai,  la  fêle 
de  saint  Emébebt,  dont  l'entrée  an  ciel  est  marquée  le  15  de  janvier.  668. 

MARTYROLOGE    DES    ORDRES   RELIGIEUX. 

Martyrologe  de  Saint-Basile.  —  A  Palerme,  saint  Convnlde,  de  l'Ordre  de  Saint-Benoît,  avec 
Enstoche,  Infant,  et  d'autres  moines  du  même  Ordre  :  après  avoir  beaucoup  souffert  sous  Genséric, 
roi  arien,  il  s'endormit  dans  le  Seigneur  au  sein  d'une  heureuse  vieillesse.  Les  corps  de  ces  Saints 
furent  ensevelis  avec  honneur  dans  l'ile  d'Egile,  dans  la  mer  Tyrrhénienne. 

Martyrologe  de  Saint-Benoit,  des  Camaldutes,  de  Vallombreuse  et  de  Citeaux.  —  Samt 
Raymond  de  Pennafort,  confesseur,  mentionné  le  23  janvier. 

Martyrologe  des  Frères  Prêcheurs.  —  A  Rome,  sur  la  voie  Flaminienne,  le  bienheureux  Va- 
lentin,  prêtre  et  martyr,  qui,  après  beaucoup  de  miracles  et  de  gnérisons,  fut  meurtri  à  coups  de 
bâton  et  puis  décapité,  sous  l'empereur  Claude.  —  De  même,  à  Savigiano,  en  Piémont,  le  bienheu- 
reux Aimon  Taparelli,  confesseur,  de  notre  Ordre,  qui,  célèbre  par  la  sainteté  de  sa  vie,  par  sa  doc- 

1.  Les  Bollandistes  ajoutent  satnt  Joconde,  saint  Julien  et  saint  Alexandre. 

T.  Sévérien,  évéqne  de  Scytliopolis.  en.  Palestine,  ayant  voulu  prendre  la  défense  de  la  foi  contre 
rtmpie  Théodose,  qui  avait  usurpé  le  siése  de  Jérusalem,  fut  victime  de  son  zèle.  L'intrus  qui,  h  la  tCte 
d'une  troupe  de  soldats,  exerçait  les  plus  cruelles  violences  contre  tous  ceux  qui  restaient  attactiés  aux 
décisions  du  concile  de  Chalcédoine,  fit  saisir  Sévérien  par  ses  sicalres,  qui  le  massacrèrent  sur  la  fin  de 
l'Année  452  ou  an  commencement  de  l'année  suivante. 

8.  Saint  Patère  est  nommé  dans  les  tables  de  l'Eglise  de  Brescia  :  Il  y  figure  eomme  le  vingt-trolslèms 
évfique  de  ce  siège. 

4.  Voir  sa  vie  au  13  tout.  —  S.  'Voir  sa  vie  à  ce  jour. 


SAIHT  PÈPLV,  DUC  DE  BRABANT.  609 

trine  et  par  beaucoup  de  Iravaus  endurés  pour  la  conservation  de  la  foi  catiiolique,  fut  appelé  au 
royaume  céleste  le  jour  de  la  fête  de  l'Assomption  de  la  Mère  de  Dieu,  dont  il  avait  été  le 
serriteur  très-zélé  '.  1495. 

Mnrtyrotoge  de  l'Ordre  Romano-Séraphique. —  A  Brescia,  sainte  Angèle  de  Mérici,  vierge,  du 
Tiers  Ordre  de  notre  père  saint  François,  et  institutrice  de  la  compagnie  de  Sainte- Ursule,  qui, 
célèbre  par  la  sainteté  de  sa  vie,  s'envola  vers  son  Epoux  céleste  le  27  janvier,  et  brilla  par  la 
gloire  de  ses  miracles  ;  connue  elle  éclatait  par  de  nouveaux  prodiges,  Pie  VII  la  mit  au  nombre 
des  Saints  en  1807  2. 

Martyrologe  de  l'Ordre  Séraphique.  —  Saint  Raymond  de  Pennafort,  confesseur,  mentionné 
le  23  janvier. 

Martyrologe  des  Carmes  Chatissés.  —  Saint  Biaise,  évêque  et  martyr,  dont  on  fait  la  fête  le 
3  février. 

Martyrologe  de  l'Ordre  des  Servîtes.  —  Saint  Raymond  de  Pennafort,  confesseur,  dont  l'en- 
trée au  ciel  se  célèbre  le  7  janvier. 

Martyrologe  des  Capucins.  —  Saint  Hilaire,  évêque  et  confesseur,  dont  l'Eglise  universelle 
célèbre  pieusement  la  fête  le  14  de  janvier. 

ADDITIONS   FAITES   d'APRÈS   LES  BOLLANDISTES  ET  AUTRES   HAGIOGRAPHES. 

A  Antioche,  saint  Flavien,  premier  du  nom,  patriarche  de  ce  siège  et  ami  de  saint  Jean  Chry- 
soslome  C'est  lui  qui  obtint  de  l'empereur  Théodose  qu'il  pardonnerait  aux  habitants  d'Antioche, 
coupables  l'avoir  renversé  ses  statues.  —  En  Toscane,  saint  Anthime,  évêque  de  Terni  et  de  Spo- 
lète  :  on  l'invoque  dans  cette  contrée  contre  la  grêle.  Vers  176.  —  A  Apamée,  en  Syrie,  les  saints 
Maurice  et  Photin,  son  Ois,  Théodore,  Philippe  et  soixante-sept  autres  soldats,  martyrs,  dans  la 
persécution  de  Maximien.  —  En  Sicile,  les  sa'"ts  Claude,  Sabin  et  Maxime,  martyrs.  An  303.  — 
Encore  en  Sicile,  soixante-dix-neuf  martyrs,  cruciûés  sous  Dioclétien.  303.  — A  Rome,  sainte  Irène, 
vierge,  sœur  du  pape  saint  Damase  '.  An  379.  —  A  Jérusalem,  saint  Zacharie,  patriarche  de  cette 
ville,  qui  suivit  en  Perse,  comme  captif,  le  bois  de  la  vraie  Croix.  An  631.  —  En  Grèce,  saint 
Timotliée,  anachorète.  Vers  le  viii»  s.  —  A  Amastris,  en  Paphlagonie,  saint  Georges,  évêque  de 
cette  ville  ;  saint  Taraise,  patriarche  ie  Constantinople,  le  tira  de  force  d'un  monastère  pour  l'élever 
i  cette  dignité.  L  mit  en  fuite,  par  ses  prières,  les  Sarrasins  qui  dévastaient  son  diocèse.  Com- 
mencement du  ix»  s.  —  En  Perse,  saint  Daniel,  prêtre,  et  sainle  Verda  ou  Rose,  martyrs  sous 
Sapor  II.  344. 


SAINT  PEPIiN,  DUC  DE  BRABANT 

580-640.  —  Papes  :  Pelage  H;  Séverin.  —  Rois  de  France  :  Clolaire  H;  Sjgebert  H. 


BlenlieaTens  le  riche  qai  a  été  trouvé  sans  tache  et 
ne  s'est  point  attaché  k  l'or.  Eccli.,  xs^,  8. 

Ce  saint  duc  était  fils  du  prince  Carloman  et  de  la  princesse  Emegarde. 
Il  fut  maire  du  palais  sous  Clotaire  II,  Dagobert  I"  et  Sigebert  II,  rois  de 
France,  et  exerça  cette  grande  charge,  qui  était  peu  différente  de  l'autorité 
royale,  avec  une  rare  prudence.  Il  ne  se  pouvait  rien  ajouter  à  sa  fidélité 
pour  son  roi,  ni  à  son  amour  pour  le  peuple.  Il  embrassait,  avec  une  cons- 

1-  Le  bienheureux  Aimon  moamt  à  cent  ans.  Son  père  était  comte  de  Lagnasco.  Prédicateur  des  rois 
et  des  peuples,  sa  vie  ne  fut  qu'une  longue  série  de  dévouements  et  de  sacrifices  ans  intérêts  de  r£gll8e 
et  BU  salut  des  âmes.  Son  culte  a  été  approuvé,  il  y  a  quelques  années,  par  Sa  Sainteté  Pie  IX. 

2.  Voir  sa  vie  an  31  mai. 

3.  C'est  jonr  sa  sœar  que  le  grand  Pape  écrivit  son  livre  de  la  Virginité;  U  composa  également  son 
épitaphe,  oii  l'on  ne  sait  ce  qu'il  fant  admirer  le  plus  de  la  tendresse  du  frère  ou  de  la  sublime  résigna- 
tion du  saint.  «  Elle  n'avait  pas  encore  vn  deux  fois  douze  hivers  ».   dit-il;  ■  chez  elle  la  vertu  avait 

devancé  les  années.  0  ma  sœur quelle  preuve  de  ton  amour  tu  m'avais  donnée  en  fuyant  le  monde 

Je  souffre,  je  l'avoue,  de  perdre  en  toi  le  charme  de  ma  vie.  Souviens-toi  de  nous,  maintenant  que  t« 
voila  auprès  de  Dieu  i.  —  V.  AA.  S5.,  au  21  février. 

Vies  des  Saints.  —  Tome  IL  39 


610  21    FÉVRIER. 

tance  invincible,  les  justes  intérûts  de  Tim  et  de  l'autre,  sans  souffrir  que, 
pour  favoriser  le  peuple,  on  fil  tort  aux  droits  du  roi  ;  ni  que,  sous  prétexte 
des  droits  du  roi,  l'on  opprimât  et  accablât  le  peuple,  parce  qu'il  préférait 
les  volontés  de  Dieu  à  ceUes  des  bomnies,  et  savait  qu'il  défend  de  favoriser 
les  puissants  au  préjudice  des  faibles.  Ainsi,  il  rendait  au  peuple  ce  que  la 
justice  voulait  qu'on  lui  rendit,  et  à  César  ce  qui  appartenait  légitimement 
à  César.  11  n'en  fnul  point  de  meilleure  preuve  que  son  désir  d'avoir  pour 
associé,  dans  sa  conduite,  saint  Arnoul,  évOqne  de  Metz  ;  il  ne  faisait  rien 
sans  son  conseil,  connaissant  son  éminente  vertu  et  sa  grande  capacité  dans 
le  gouvernement  de  l'Etat  ;  et,  après  la  mort  do  saint  Arnoul,  il  prit  pour 
collègue,  dans  l'administration  des  affaires,  un  autre  grand  saint,  Cunibert, 
archevêque  de  Cologne.  On  peut  assez  juger  avec  quelle  ardeur  il  embrassait 
les  choses  justes,  puisqu'il  choisissait  des  hommes  si  excellents  et  si  incor- 
ruptibles pour  être  les  directeurs  de  ses  conseils  et  les  fidèles  témoins  de 
ses  actions. 

Le  roi  Clotaire  II  ne  se  contenta  pas  de  mettre  entre  les  mains  de  cet 
excellent  prince  la  première  charge  de  son  Etat,  en  le  faisant  maire  du 
palais  :  il  l'honora  aussi  de  toute  sa  confiance,  et  lui  donna  tout  le  pouvoir 
qu'un  grand  ministre  peut  espérer.  Aj'aut  résolu  d'associer  son  fils  Dagobert 
à  une  partie  de  sa  puissance,  et  de  partager  avec  lui  ses  Etats,  en  le  met- 
tant, dès  son  vivant,  en  possession  du  royaume  d'Austrasie,  il  choisit,  parmi 
tous  les  grands  de  sa  cour,  cet  homme  admirable  pour  lui  coaOer  entière- 
ment la  conduite  de  ce  jeune  prince,  qui  devait  n'agir  que  d'après  ce  con- 
seiller (622).  Pépin  s'acquitta  si  dignement  de  cette  charge,  qu'il  n'oublia 
rien  de  ce  qui  pouvait  imprimer  dans  l'esprit  de  Dagobert  la  crainte  de 
Dieu  et  l'amour  de  la  justice  :  il  lui  mettait  souvent  devant  les  yeux  cette 
belle  parole  de  l'Evangile  :  «  Le  trône  d'un  roi  qui  rend  justice  aux  pau- 
vres ne  sera  jamais  ébranlé  ».  Ainsi,  ce  fut  par  sa  prudence  que  Dagobert 
gouverna  si  bien  et  si  heureusement,  non-seulement  l'Austrasie,  mais  aussi 
tous  les  Etats  que  son  père  lui  laissa  en  mourant.  Son  frère  Caribert,  et 
plusieurs  grands  les  lui  ayant  disputés,  cette  faction  fut  bientôt  dissipée  par 
la  valeur  de  Pépin,  qui  n'était  pas  moins  généreux  dans  la  guerre  que  juste 
et  sage  dans  la  paix  ;  et  Dagobert,  après  s'être  maintenu  dans  le  droit  qui 
lui  appartenait,  gagna  de  telle  sorte  le  cœur  de  tous  ses  sujets  par  sa  libé- 
ralité, sa  justice,  sa  douceur  et  toutes  les  autres  qualités  dignes  d'un  grand 
roi,  qu'il  égala  et  surpassa  même  la  réputation  des  plus  illustres  de  ses  pré- 
décesseurs ;  son  règne  eût  été  des  pins  beaux,  s'il  eût  toujours  suivi  les  avis 
d'un  si  saint  et  si  habile  maître. 

Mais,  comme  rien  n'est  plus  difficile  que  de  conserver  son  esprit  pur  au 
milieu  de  la  corruption  du  siècle,  et  son  corps  chaste  au  milieu  des  plaisirs 
qui  accompagnent  la  prospérité  et  la  souveraine  puissance,  ce  roi  se  plongea 
dans  la  volupté,  et  il  eut  recours  à  des  moyens  injustes  pour  satisfaire  à  ses 
dépenses  folles  et  désordonnées.  Pépin  en  eut  le  cœur  tout  percé  de  dou- 
leur, l'en  reprit  sévèrement,  et  lui  reprocha  son  ingratitude  envers  Dieu  ; 
ce  prince  reçut  d'abord  si  mal  les  avis  de  Pépin,  qu'il  pensa  même  à  le  faire 
mourir,  étant  poussé  à  cela  par  quelques  grands  de  sa  cour  qui  haïssaient 
le  Saint,  et  portaient  envie  à  sa  vertu.  Mais  Dieu,  qui  est  le  protecteur  des 
justes,  délivra  Pépin  de  ce  péril.  Le  roi  comprit  enfin  la  justesse  de  ses 
remontrances  et  cul  plus  de  vénération  que  jamais  pour  le  mérite  et  la 
vertu  d'un  si  grand  ministre  ;  et,  pour  lui  en  donner  une  preuve  non  équi- 
voque, il  mit  entre  ses  mains  son  fils  Sigebert,  qu'il  envoya  régner  en  Aus- 
trasie  sous  sa  conduite  (633).  Ainsi  Sigebert  étant  roi  de  nom,  et  Pépin  gou- 


I 


s.    GEIUI.U.\   DE   GR.VXFELD   ET   S.    EAADOALD   OU  HANDALT),    JLVRTraS.         611 

vernant  en  effet  le  royaume,  l'Austrasie  se  trouva  délivrée  des  grandes 
incursions  des  Barbares  qu'elle  souffrait  auparavant.  Il  les  réprima,  les  res- 
serra dans  leur  pays  ;  et,  après  la  mort  du  roi  Dagobert,  il  eût  mis  Sigebert 
en  possession  de  tous  ses  Elats,  si  son  père  ne  l'eût  obligé,  dès  son  vivant, 
de  se  contenter  de  l'Austrasie  et  de  laisser  le  royaume  de  France  à  Clovis, 
son  puîné. 

Ce  saint  duc  mourut  le  21  février  de  l'an  640,  dans  son  château  de  Lan- 
den,  en  Brabant  ;  l'affliction  que  toute  l'Austrasie  en  conçut  fut  si  extraor- 
dinaire, qu'elle  ne  le  pleura  pas  moins  que  l'un  de  ses  meilleurs  rois  :  car  sa 
vie  était  toute  sainte,  sa  réputation  sans  taclie,  sa  sagesse  et  sa  conduite 
admirables  ;  et  on  pouvait  le  nommer,  avec  vérité,  le  protecteur  des  lois, 
le  soutien  des  faibles,  l'ennemi  de  la  dirision,  l'ornement  de  la  cour,  l'exem- 
ple des  grands,  le  conducteur  des  rois  et  le  père  de  la  patrie.  Son  corps,  qui 
fut  d'abord  déposé  au  lieu  où  il  mourut,  fut  depuis  transféré  au  monastère 
de  Nivelle.  Au  reste,  il  faut  prendre  garde  de  ne  le  point  confondre  avec  deux 
autres  Pépin,  dont  le  nom  est  célèbre  dans  nos  histoires  :  le  premier  fut 
Pépin  d'Héristal,  aussi  maire  du  palais  et  père  de  Charles-Martel  ;  le  second. 
Pépin  le  Bref,  fils  du  mêuie  Charles-Martel,  et  le  premier  de  nos  rois  de  la 
seconde  race  :  car  saint  Pépin,  dont  nous  parlons,  est  plus  ancien  que  tous 
les  deux,  et  fut  l'aïeul  de  Pépin  d'Héristal,  par  sa  fille,  sainte  Begghe,  qui, 
ayant  épousé  Ansegise,  fils  de  saint  Arnoul,  lui  donna  ce  fils  pour  le  bien  de 
la  France  et  le  soutien  de  cette  grande  et  illustre  monarchie. 

Il  nous  reste  à  remarquer  que  la  maison  de  saint  Pépin  n'était  qu'une 
compagnie  de  Saints  et  de  Saintes  :  car  sa  femme,  nommée  Itte,  ou  Ide- 
burge,  sœur  de  saint  Modoald,  archevêque  de  Trêves,  après  avoir  vécu  sain- 
tement dans  le  mariage,  à  l'exemple  de  son  mari,  ne  s'occupa,  quand  elle 
fut  veuve,  qu'à  pratiquer  toutes  sortes  de  bonnes  œuvres  ;  et  elle  reçut  enfin, 
des  mains  de  saint  Amand,  le  voile  sacré  de  religieuse  dans  le  célèbre  mo- 
nastère de  Nivelle,  qu'elle-même  avait  fait  bâtir  :  elle  y  passa  le  reste  de  ses 
jours  dans  une  si  grande  perfection,  qu'elle  offrait  à  toutes  les  religieuses 
qui  y  demeuraient  un  rare  exemple  de  vertu. 

L'aînée  de  leurs  filles,  la  grande  et  illustre  sainte  Gertrude,  abbesse  de 
ce  même  monastère,  fut  si  éminente  en  sainteté,  qu'on  peut  la  considérer 
comme  une  des  plus  belles  lumières  de  la  religion  ;  et  sa  sœur,  sainte 
Begghe,  a  l'honneur  d'être  l'heureuse  tige  d'où  est  sortie  la  seconde  lignée 
des  rois  de  France. 


S.  GERMAIN  DE  GRANFELD,  ET  S.  RANDOALD 

on  RAKDADD,  MARTYRS 
618-670.  —  Pape  :  Vitalien.  —  Rois  d'Anstrasie  :  Sigebert  n  et  Cliildéric  D. 


Trois  choses  sont  nécessaires  à  des  reîigiens  :  tîtt© 
comme  s'ils  étaient  som-ds,  maers  et  aveugles. 
Cassien.  Lib.  iv  de  Ccsnob.  instit. 

Germain,  fils  d'un  riche  sénateur  de  Trêves,  fut  élevé  sous  les  yeux  de  Mo- 
doald,évêque  de  la  même  ville.Sajeuneâme,comme  si  elle  n'eût  fait  que  suivre 


612  '  21    FÉVRIER. 

sa  pente  naturelle,  tendait  par  instinct  à  se  déUicher  de  la  terre.  A  peine  eut- 
il  atteint  l'âge  de  dix-sept  ans,  qu'il  distribua  aux  pauvres  tous  les  biens  dont 
il  pouvait  disposer,  pour  aller  vivre  sous  la  conduite  de  saint  Arnould,  évo- 
que de  Metz,  qui  s'était  fait  ermite  à  Romberg,  près  de  Remiremont,  en  Lor- 
raine. Le  maître,  charmé  de  l'innocence  et  de  la  ferveur  de  son  disciple, 
s'intéressa  particulièrement  à  sa  perfection.  Germain,  qui  goûtait  de  plus  en 
plus  combien  le  joug  du  Seigneur  est  doux,  engagea  Numérien,  son  frère,  i 
embrasser  le  même  genre  de  vie.  Après  cette  espèce  de  noviciat,  ils  se  reti- 
rèrent tous  les  deux  dans  le  monastère  que  saint  Romaric  '  venait  de  fonder 
à  Remiremont,  par  le  conseil  de  saint  Arnould,  son  ami.  La  règle  qu'on  y 
suivait  était  celle  de  Luxeuil  ou  de  saint  Colomban.  Profondément  humble, 
il  recherchait  partout  la  dernière  place  ;  les  emplois  les  plus  vils  étaient 
ceux  de  son  choix.  On  le  voyait,  lui  le  fils  d'un  seigneur,  élevé  dans  le  luxe, 
aller  à  la  forôt  et  rapporter  du  bois  sur  ses  épaules. 

Cependant  son  désir  de  la  perfection  était  si  grand  qu'il  cherchait  par- 
tout le  moyen  de  le  satisfaire.  Ayant  entendu  dire  que  Luxeuil  brillait  entre 
tous  les  monastères  des  Gaules,  par  le  nombre  et  la  ferveur  de  ses  membres, 
il  espéra  y  trouver  plus  de  facilité  pour  atteindre  son  but,  et  résolut  de  s'y 
rendre.  En  effet,  l'abbaye  de  saint  Colomban  était  alors  à  son  plus  haut 
point  de  splendeur  :  sous  le  bienheureux  Walbert,  six  cents,  d'autres  disent 
neuf  cents  moines,  louaient  et  servaient  Dieu  d'un  seul  cœur  et  d'une  seule 
voix.  Plusieurs  religieux  de  Remiremont,  tendrement  attachés  à  Germain, 
voulurent  le  suivre,  et  tous  ensemble  passèrent  à  Luxeuil.  L'histoire  ne  men- 
tionne que  saint  Chuane  et  Numérien,  frère  du  Saint.  Saint  Walbert  vit  avec 
allégresse  cette  nouvelle  troupe  d'élus  augmenter  la  multitude  de  ses  disci 
pies  ;  aucun  des  nouveaux  venus  ne  démentit  les  espérances  qu'il  avait 
fait  concevoir.  Germain,  en  particulier,  et  son  jeune  frère,  déployèrent  un 
nouveau  zèle  dans  les  exercices  de  la  pénitence.  Leur  obéissance  et  leur  mor- 
tification étaient  exemplaires,  et  telle  était  l'estime  qu'ils  avaient  su  inspi- 
rer, que,  Walbert  ayant  proposé  d'élever  Germain  au  sacerdoce,  d'une  voix 
unanime  toute  la  communauté  applaudit  au  choix.  Mais  cette  dignité  ne  fit 
que  l'affermir  davantage  dans  la  sainte  humilité. 

Cependant  saint  Walbert  pensait  à  répandre  au  dehors  l'abondance  des 
grâces  dont  son  abbaye  était  le  foyer.  Sur  ces  entrefaites,  un  riche  seigneur, 
le  duc  Gondoin,  qui  songeait  précisément  à  fonder  un  monastère,  instruit 
des  intentions  du  Saint,  lui  envoya  dire  de  venir  le  trouver,  qu'il  mettrait  à 
sa  disposition  un  lieu  convenable  pour  l'exécution  de  son  dessein.  Walbert  se 
rendit,  en  effet,  chez  le  duc,  qu'il  confirma  dans  son  projet.  L'endroit  que 
Gondoin  destinait  au  futur  établissement  était  une  vallée  agréable  et  fer- 
tile, que  le  Saint,  à  cause  de  son  étendue,  nomma  Grande- Vallée  *.  Une  ri- 
vière poissonneuse  l'arrosait,  mais  l'entrée  en  était  difficile,  à  cause  des 
rochers  qui  l'obstruaient.  Walbert  agréa  ce  choix. 

Rentré  à  Luxeuil,  il  chercha  parmi  ses  compagnons  un  homme  capable 
de  faire  prospérer  le  nouveau  monastère,  et  n'en  trouva  pas  de  plus  conve- 
nable que  Germain,  qui,  depuis  treize  ans,  embaumait  la  solitude  de  l'odeur 
de  ses  vertus,  et  ne  se  distinguait  pas  moins  par  sa  science  que  par  sa  sain- 
teté. Par  obéissance,  l'humble  moine  accepta  la  charge  qui  lui  était  impo- 
sée. Et  telle  était  l'idée  qu'avait  Walbert  de  la  haute  capacité  de  Germain, 
qu'il  le  chargea  en  môme  temps  de  la  conduite  de  deux  autres  abbayes,  éga- 

l.  Voir  sur  saint  Romaric,  le  8  décembre. 

!.  Grandem  Vattem;m  français,  Grandiiilliers,  Moutier-Grandval ;  en  8llem«nd,  Cranfeld  on  îtunt- 
iertUal,  au  diocbse  de  Bâle. 


I 


s.  GERMAIN  DE  GRANFELD  ET  S.  RANDOALD  OU  RANDAUD,  MARTYRS.    613 

lement  filles  de  Luxeuil,  Saint-Ursanne  *  et  Samt-Paul-en-l'Ile  *.  Il  s'appli- 
qua avec  zMg  à  ses  fonctions,  et  Dt  fleurir  la  discipline  monastique  au  sein 
des  trois  établissements  qui  lui  étaient  confiés,  sans  toutefois  négliger  leurs 
intérêts  temporels.  On  cite,  en  particulier,  les  travaux  qu'il  fît  exécuter  pour 
rendre  plus  facile  l'entrée  de  Granfeld,  et  la  basilique  dédiée  à  saint  Mau- 
rice, qu'il  y  fît  construire.  Il  dota  aussi  d'une  vaste  église  le  monastère  de 
Saint-Ursanne. 

Mais  au  moment  où  tout  prospérait  au  gré  de  ses  vœux,  le  pieux  protec- 
teur de  Granfeld  mourait,  et  laissait  pour  successeur  un  homme  animé  de 
sentiments  bien  différents.  Boniface  '  sembla  prendre  à  tâche  de  détruire 
tout  ce  que  Gondoin  avait  fait.  11  commença  par  exercer  des  vexations  contre 
les  habitants  de  la  vallée,  sujets  du  monastère,  sous  prétexte  qu'ils  avaient 
toujours  été  rebelles  envers  son  prédécesseur.  Ceux-ci  eurent  beau  protester 
de  leur  innocence,  la  persécution  n'en  continua  pas  moins  son  cours.  Ger- 
main prit  en  main  la  défense  de  ses  sujets,  il  ne  réussit  qu'à  s'attirer  la  haine 
de  Boniface.  Un  arrêt  de  proscription  fut  lancé  contre  les  habitants  de  la 
vallée  :  quel  que  fût  leur  âge  ou  leur  ancienneté  de  possession,  on  les  con- 
traignit de  partir  pour  l'exil.  Ils  résistèrent.  Alors  le  cruel  seigneur  fait  venir 
un  corps  d'Allemands,  et  paraît  un  jour  subitement,  à  leur  tête,  à  l'entrée 
de  Granfeld. 

De  toutes  parts,  les  Allemands  se  répandent,  mettent  le  feu  aux  édifices, 
et  en  massacrent  les  habitants.  La  vallée  entière  est  un  théâtre  de  désolation. 
Le  saint  abbé,  ému  jusqu'au  fond  des  entrailles,  verse  un  torrent  de  larmes 
amères,  et  s'écrie,  les  yeux  et  les  mains  élevés  vers  le  ciel  :  «  Voyez,  Sei- 
gneur, voyez  !  et  ne  nous  abandonnez  pas  ;  car  nous  sommes  livrés  à  de 
cruels  ennemis  !  »  Comme  il  s'avançait  pour  rentrer  au  monastère  avec 
Randoald,  un  de  ses  disciples  qu'il  avait  appelé  pour  l'aider  à  soustraire  aux 
profanations  les  reliques  et  les  livres  du  monastère,  il  voit  un  groupe  de  sol- 
dats furieux  s'élancer  vers  lui.  Il  cherche  aies  adoucir.  «  Mes  enfants  »,  leur 
dit-il,  «  ne  souillez  pas  vos  mains  de  si  horribles  forfaits  :  épargnez  les  servi- 
teurs de  Dieu  m.  Mais  les  soldats,  insensibles  à  ses  prières,  commencent  par 
lui  arracher  ses  vêtements.  Voyant  bien  que  son  heure  approchait,  il  dit  à 
Randoald  :  «  Pardonnons,  mon  frère,  et  gardons  notre  paix,  car  nous  re- 
cueillerons aujourd'hui  le  fruit  de  nos  travaux  ».  Lorsqu'il  fut  dépouillé  de 
ses  habits,  il  s'écria  avec  l'accent  de  la  joie  :  «  Je  vous  rends  grâces,  ô  bon 
Pasteur!  de  ce  que  vous  ne  m'avez  pas  jugé  indigne  de  votre  récompense  ; 
daignez  me  recevoir  avec  mon  frère  dans  la  compagnie  de  vos  Saints  ».  Aus- 
sitôt une  voix  du  ciel  répondit  :  «  Venez,  fidèle  ministre,  les  cieux  vous  sont 
ouverts.  Mes  anges  applaudissent  à  votre  triomphe,  et  vont  vous  introduire 
dans  la  Jérusalem  céleste  ».  En  ce  moment  un  soldat,  plus  furieux  que  les 
autres,  le  perce  d'un  coup  de  lance,  et  Randoald  après  lui.  Ils  expirent  tous 
deux  sur-le-champ.  Leurs  corps  ne  furent  retrouvés  que  dans  la  nuit  sui- 
vante ;  un  des  moines  parvint  même  à  sauver  des  mains  des  soldats  le  cingu- 
lon  de  saint  Germain,  qui  fut  conservé  comme  une  précieuse  relique,  et 
opéra  dans  la  suite  plus  d'un  miracle.  Comme  Granfeld  était  au  pouvoir  de 
l'ennemi,  on  fut  obligé  de  transporter  les  deux  corps  à  Saint-Ursanne,  où  la 
nouvelle  de  la  mort  de  Germain  remplit  tous  les  cœurs  de  tristesse.  Il  fut 
enseveli  avec  honneur  dans  l'église  qu'il  y  avait  fait  construire. 

Ce  martyre  eut  lieu  la  veille  de  la  fête  de  la  Chaire  de  saint  Pierre,  le 
17  février  670.  Germain  était  âgé  d'environ  cinquante  ans.  Il  en  avait  passé 

1.  Ou  Ursîcin.  Voyez  la  vie  de  ce  saint.  —  2.  Ea  allemand  Sanct-Paul  su  Werd. 

3.  Appelé  aussi  Cathicas.  Quelques  historiens  ont  voula  distinguer  ces  deux  personnages. 


614  21    FÉVRŒR. 

treize  à  Luxeuil,  et  seize  ou  dix-huit  îi  Granfeld.  Son  corps  fut  ramené  de 
Sainl-Ursanne,  et  inhumé  dans  l'église  de  son  monastère  ;  il  y  resta  jusqu'à 
l'an  1477,  où  il  fut  relevé  avec  celui  de  saint  Randoald,  et  placé  sous  le 
mailre-aulel  de  la  même  église.  Quand  éclata  la  persécution  calviniste,  les 
reliques  des  deux  martyrs  furent  transportées  à  Delemont  ou  Telsberg,  au 
canton  de  Berne,  où  s'étaient  établis  des  chanoines,  successeurs  des  moines 
de  Granfeld  '.  De  nombreux  miracles  perpétuèrent  la  mémoire  de  saint  Ger- 
main. Les  diocèses  de  Bàle  et  Strasbourg  célèbrent  la  fête  des  saints  martyrs 
Germain  et  Randoald  sous  le  rite  double,  le  21  février. 

Saints  de  Franche-Comté;  Saints  d'Alsace,  etc. 


SALNT  GUNDELBERT',  ARGHE^ŒQUE  DE  SENS, 

FONDATEUR  DE  L'ABBAYE  DE  SENONES 


Entre  G40  et  720.  —  Papes  :  Saint  Eugène  I<"  ;  Vilalien.  —  Roi  de  Bourgogne  et  de  Neustrie  ; 
Clotaire  11.  —  Roi  d'Austrasie  :  Childéric  II. 


D'après  le  moine  Richer,  en  sa  chronique  ',  Gundelbert,  do  nation 
franque,  mérita  par  sa  science  et  ses  vertus  l'honneur  de  monter  sur  le  siège 
archiépiscopal  de  Sens,  au  duché  de  Bourgogne.  Il  se  livra  tout  d'abord  avec 
un  zèle  d'apôtre  aux  fonctions  de  son  éminente  dignité,  ne  cherchant,  en 
tous  ses  actes,  autre  chose  que  la  gloire  de  Dieu,  la  propagation  de  l'Evan- 
gile et  la  sanctification  de  ses  ouailles.  Mais  les  troubles  suscités  par  les 
intrigues  de  Frédegonde  et  de  Brunechilde,  selon  les  uns,  et,  selon  d'autres, 
par  les  combats  sanglants  que  se  livraient  les  rois  Théoderic  et  Théodebert, 
paralysant  ses  elforts,  il  remit  en  d'autres  mains  sa  houlette  pastorale,  dis- 
posa de  son  patrimoine  et,  suivi  de  quelques  clercs,  il  s'éloigna  pour  se 
livrer,  dans  le  calme  de  la  solitude,  à  la  prière  et  à  la  méditation  des  vérités 
éternelles. 

Parvenu  jusqu'aux  montagnes  des  Vosges,  il  s'arrêta  et  résolut  de  se  fixer 
dans  un  lieu  hérissé  de  forêts,  absolument  inhabité  et  arrosé  par  une  petite 
rivière  que  la  rapidité  de  son  courant  a  fait  nommer  Rahodo.  Informé  que 
ce  lieu  était  du  domaine  de  Childéric  II,  roi  d'Austrasie,  il  alla  demander  à 
ce  prince  la  permission  d'y  élever  une  demeure,  ce  qu'il  obtint  avec  l'aban- 
don complet  d'une  superficie  de  terrain  à  laquelle  Dom  Calmet'  donne 
quinze  lieues  (60  kilomètres)  de  circonférence.  Le  diplôme  qui  assure  à 
Gundelbert  cette  royale  concession  est  de  l'an  661.  Bientôt  les  nouveaux 
solitaires,  à  la  suite  de  leur  chef,  curent  abattu  des  arbres  séculaires,  mis  en 
culture  un  espace  de  terrain  qu'ils  rendirent  fertile,  et  construit  un  monas- 
tère auquel  le  saint  archevêque  donna  le  nom  de  la  ville  qu'il  avait  habitée  : 
Sess,  en  latin  Senonx,  dont  on  a  fait  en  français  Senones. 

Dans  son  xix°  opuscule,  intitulé  :  De  l'abdication  de  l'épiscopat,  adressé 
au    pape    Nicolas  II  S    saint  Pierre  Damien   s'exprime   ainsi   sur  notre 

1.  L'incendie  de  réglise  de  Granfeld  arrive  le  8  juin  1971  et  l'invasion  de  la  réforme  avalent  obligé  ces 
chanoines  ii  se  transporter  à  Delemont. 

2.  Alias  :  Gondeliert,  Gombert.  —  3.  Llv.  iv.  p.  19.1.  —  4.  Notice  de  ta  Lorraine,  édit.  do  18-iO,  t.  il. 
p.  829.  —  6.  S.   Ptt.   bam.    Opéra,  t.  u,  col.  45C,  édit.   Jll2ue. 


S.UNT   FÉLLX,    ÉVÉQUE  DE   METZ.  613 

Saint  :  Que  dirai-je  de  Gundelbert,  cet  illustre  archevêque  de  Sens  ?  Brûlant 
d'un  céleste  désir,  il  quitta  l'Eglise  qui  lui  avait  été  confiée,  pour  construire, 
dans  un  lieu  nommé  Grandiavium  ',  le  monastère  de  Senones,  qu'il  appela 
ainsi  du  nom  du  diocèse  qu'il  avait  auparavant  administré. 

Le  temps  et  le  lieu  du  trépas  de  saint  Gundelbert  sont  restés  longtemps 
indéterminés;  encore  aujourd'hui  ne  les  connaît-on  que  par  approximaliou. 
ïlicher  se  restreint  à  dire  :  «  Mais  parce  qu'on  ne  treuve  rien  de  certain  de 
sa  sépulture,  j'ay  mieux  aimé  n'en  rien  escrire  que  d'en  susciter  chose  dou- 
teuse à  la  postérité,  obstant  qu'aucuns  tiennent  qu'il  repose  avec  autres  de 
ses  compagnons  saints  au  lieu  de  Moyenvic  ».  Jean  Rayr  répète  la  même 
chose,  à  peu  près  dans  les  mêmes  termes,  au  livre  iv  (ii°  partie)  des  Sainctes 
Antiquités  do  la  Vosge  ;  mais  au  chapitre  vu  de  la  3°  partie  «  selon  que  les 
Autheurs  ou  Manuscrits  n  le  lui  ont  fourni,  il  assigne  environ  l'an  720  pour 
celui  de  la  mort  du  saint  fondateur  de  Senones.  Enfin,  Dom  Calmet-  rap- 
porte, d'après  Richer,  qu'on  tient  que  «  ce  saint  prélat  étant  allé  en  pèleri- 
nage à  Moyenvic,  pour  y  visiter  les  reliques  des  saints  Pient,  Agent  et 
Colombe,  y  décéda  et  y  fut  inhumé.  Mais  n,  continue-t-il,  «  nous  n'avons 
aucun  monument  certain  de  ce  fait  ».  Il  paraît  fort  extraordinaire  qu'un 
personnage  de  ce  mérite,  archevêque  d'un  grand  siège ,  fondateur  d'un 
célèbre  monastère,  père  d'un  grand  nombre  de  religieux,  soit  demeuré  in- 
connu jusqu'au  point  qu'on  ignore  où  il  est  mort  et  le  lieu  de  sa  sépulture. 
Cela  prouve  beaucoup  mieux  la  grande  retraite,  l'extrême  désintéressement, 
le  peu  de  curiosité  et  d'amour-propre  de  ces  saints  solitaires,  que  leur 
indiflérence  pour  leur  père  et  fondateur  '. 

Nous  devons  cette  notice  à  M.  l'abbé  Guillaume,  chan.   hon,,  aura,  de  la  chapelle  ducale,  à  Nancy. 


SAINT  FÉLIX,  EVÊQUE  DE  METZ  (128), 

Félix  fut,  après  saint  Clément,  père  et  apôtre  de  l'église  de  Meti,  dont  il  avait  été  l'actif  coopé- 

raleur,  le  troisième  évêque  de  ce  siège.  Il  posséda  toutes  les  vertus  épiscopales,  et  s'illustra 
par  de  saintes  veilles.  Il  gouverna  son  église  pendant  quarante-deux  ans,  triompha  de  beaucoup  de 
persécutions  et  parvint  enfin  à  la  patrie  céleste.  Il  fut  enseveli  dans  la  crypte  de  l'oratoire  que 
saint  Clément  avait  construit  en  l'honneur  de  saint  Pierre,  prince  des  Apôtres. 

Bientôt,  pour  honorer  la  mémoire  du  bienheureux  prélat,  fut  érigée,  sous  son  nom,  une  basi- 
lique, dans  laquelle  éclatèrent  des  signes  de  la  puissance  divine.  La  vénération  du  peuple  pour 
saint  Félix  ne  fit  qu'augmenter  avec  le  temps,  et,  au  ii»  siècle,  l'empereur  saint  Henri  voulut  en- 
richir de  ses  reliques  la  basilique  de  Wurtzbourg  qu'il  avait  construite,  où  elles  sont  honorées  trèa- 
religieusement.  An  128» 

Propre  de  Meîr. 

1.  Dom   Calmet   pense  que  l'on  doit  écrire  Grtmdem  Ripum  et  traduire  Crand-RupL  —  2.  Notice  de 

la  Lorraine,  édit.  de  1840,  t.  ii.  p.  329. 

3.  Uue  des  gloires  de  l'abbaye  bénédictiae  de  Senones  fut  d'aroir  pour  abbé,  aa  svmfi  siècle,  Dom 
Augnstin  Calmet.  Ce  savant  religienx  fut  le  restaurateur  de  son  abbaye,  dont  il  répara  les  bâtiments  et 
agrandit  considtîrablement  la  bibliothèque.  On  connaît  les  immenses  travaux  de  Dom  Calmet  et  sortont 
ses  commentaires  sur  les  livres  saints.  Peu  d'hommea  ont  écrit  autant  que  lai  et  fait  de  la  plus  vaste  én^ 
dition  un  si  noble  usage. 

L'abbaye  do  Senones,  rebâtie  entièrement  au  x\'ni«  siècle,  par  les  abbés  Pierre  Alliot  et  Aug.  Calmet, 
existe  encore,  a  l'exception  de  l'église.  Elle  est,  presque  dans  son  intégiite,  la  propriété  de  la  compagnie 
industrielle  des  usines  de  S  "in -Maurice  de  Senone.,  représentée  par  il.  Fréd.  Seillières.  Les  bâtiments 
claustraux  sont  devenus  des  ateliers-  L*bôtel  abbatial  est  habité  par  M.  Seillières.  L'église,  qui  formait  on 
côté  du  cloître,  a  été  démolie  au  commencement  de  ce  siècle.  On  a  rebâti  l'église  paroissiale  à  la  place 
d'une  autre  aile,  il  y  a  dix  ans.  Moyenmoutiers,  rebâti  pendant  la  deuxième  partie  du  xviiiê  siècle,  a 
conservé  sa  belle  église,  la  grande  aile  de  façade  et  ses  dépendances;  il  a  perdu  deux  ailes  du  cloître 
s'appuyant  sur  le  âanc  de  l'église  et  sur  une  extrémité  de  l'aile  de  façade.  L'église  est  paroissiale  et  le 
monastère  est  devenu  la  blanchisserie  des  usines  de  Senones.         L'abbé  J.  F.  Déblaye  (S  janvier  1872). 


616  22   FÉVRIER. 


SAINT  ÉMÉBERT,  ÉVÊQUE  DE  CAMBRAI  (668). 

Saint  Eméberl,  nommé  aussi  Ablebert,  naquit  dans  la  ville  de  Ham,  de  parents  anssi  distingués 
par  leur  piélé  que  par  leur  noblesse;  son  pJre  était  le  comte  Witger,  et  sa  niére  sainte  Amelberge. 
Il  eut  aussi  pour  sœurs  quatre  Saintes,  qui  sont  :  sainte  Reinelde,  sainte  Pbarailde,  sainte  Ermea- 
tnide  et  sainte  Gudule.  Après  les  années  de  son  enfance,  qu'il  passa  dans  la  crainte  de  Dieu,  ce  fut 
un  jeune  homme  remarquable  par  la  beauté  de  sa  figure,  par  les  grâces  de  sa  parole,  par  la  dou- 
ceur de  son  âme,  par  son  humilité,  son  obéissance,  sa  dévotion  et  l'intégrité  de  ses  mœurs,  mon- 
tant tous  les  jours  de  vertus  en  vertus  et  progressant  dans  la  soumission  à  Dieu. 

Aimant  la  solitude,  il  évitait  la  compagnie  des  hommes  du  monde,  et  se  rendait  agréable  à  Dieu 
par  la  componction  du  cœur,  par  les  oraisons,  les  veilles,  les  jeûnes  et  les  larmes.  Cependant  Vin- 
dicien,  évéque  de  l'.ambrai,  prélat  agréable  à  Dieu,  rendit  à  son  Créateur  son  âme  ornée  des  fruits  de 
ses  bonnes  œuvres.  Après  son  départ  de  ce  monde,  Emébert,  parla  disposition  de  Dieu,  fut  élevé  sur 
son  siège.  Il  fut,  dans  celle  digoilé,  comme  lellambeau  placé  sur  le  candélabre,  et  répondit  à  la  sain- 
teté de  sa  naissance.  Comme  il  visitait  son  diocèse,  répandant  la  semence  du  Verbe  divin  pour  le  plus 
grand  bien  des  âmes,  et  voulant  se  livrer  plus  librement  i  U  contemplation,  il  se  retira  pour  quelque 
temps  dans  son  pays  natal  ;  ce  fut  là  que  Dieu,  le  voulant  enfin  récompenser,  lui  envoya  une  légère 
fièvre  qui  abattit  les  forces  de  son  corps.  L'heure  de  1  appel  étant  donc  venue,  il  termina  sa  car- 
rière au  bourg  de  Uam,  où  il  fut  enseveli.  Il  fut  plus  tard  transféré  à  Maubeuge  et  déposé  dans 
l'église  de  la  Mère  de  Dieu  et  de  sainte  Aldegonde,  vierge.  On  a  fait  d'inutiles  recherches  en  1631 
pour  retrouver  son  corps. 

Propre  de  Cambrai. 


XXir  JOUR  DE  FEVRIER 


MARTYROLOGE  ROMAIN. 

La  Chaire  de  l'apJtre  saint  Pierre,  à  Antioche,  où  les  disciples  commencèrent  à  être 
appelés  chrétiens.  —  A  Hiérapolis,  en  Phrygie,  le  bienheureux  Papias,  évéque  de  cette  ville,  qui  fut 
disciple  de  saint  Jean  dans  sa  vieillesse,  et  condisciple  de  saint  Polycarpe.  ii's.  — A  Salamine,  dans 
l'ile  de  Chypre,  saint  Aristion,  qui,  comme  l'atteste  le  même  Papias,  fut  l'un  des  soixante-douze 
disciples  du  Christ  '.  —  En  Arabie,  la  mémoire  de  plusieurs  saints  martyrs,  qui  furent  cruellement 
massacrés  sous  l'emporeurGalère-Maximien.  Vers  304.  —  A  Alexandrie,  saint  Abyle,  second  évèque 
de  celte  Mlle  dprès  ?aint  Marc,  qui  remplit  la  dignité  du  sacerdoce  avec  une  grande  réputation  de 
vertu  «.  97.  —  A  Vienne,  saint  Paschase,  évéque,  célèbre  par  sa  science  et  par  la  sainteté  de  sa 
vie.  3)2.  —  A  Cortone,  en  Toscane,  sainte  Marguerite,  du  Tiers  Ordre  de  Saint-François,  dont 
le  corps,  resté  miraculeusement  sans  corruption  pendant  plus  de  quatre  siècles,  et  exhalant  une 
Buave  odeur,  reçoit  en  cette  même  ville  de  très-grands  honneurs.  1297. 

1.  Les  Actes  de  saint  Barnabd  rapportent  que  saint  Aristion,  accompagné  du  diacre  Timon,  travail!» 
dans  nie  de  Clij-pre  !i  la  prédication  de  TEvangile.  {V.  Les  BolL.  22  fe'\Tier  et  11  Juin.)  Le  ménologe  des 
Grecs,  au  3  septembre,  et  plusieurs  manuscrits  .anciens  portent  qu'après  avoir  accompli  de  gi-anJs  tra- 
T8I1X  apostoliques,  il  fut  éprouvé  par  le  feu,  et  martyrisé  à  Alexandrie,  oîi  il  avait  rempli  les  fonctions 
<pi$copales.  D'antres  disent  qne  sa  mort  arriva  le  8  des  Calendes  do  mars,  et  que  son  corps  repose  h 
Silamlne,  dans  nie  de  Chypre.  —  On  fait  la  fête  de  saint  Aristion,  l'un  des  soixante-douze  disciple» 
du  Seigneur,  le  21  de  fijvrier.  Les  auteurs  eccl(<sisstiqaes  ont  coutume  d'assigner  !i  ce  témoin  de  Jésus- 
Christ  un  rang  distingué  parmi  les  disciples  du  Sauveur  :  Ils  le  placent  ordinairement  avant  saint  Jean 
l'Ancien. 

3.  Le  premier  sncceueor  de  saUit  Mare  avait  été  saint  Aniane. 


MARTYROLOGES.  617 

MARTYROLOGE    DE   FRANCE,    REVU   ET  AIGMENTÊ. 

A  Longchamps,  près  de  Paris,  la  bienheureuse  Isabelle,  vierge,  sœur  de  saint  Louis,  fondatrice 
de  cette  abbaye,  sous  l'institut  de  Sainte-Claire.  1270  '. 

MARTYROLOGES   DES  ORDRES  RELIGIEUX. 

martyrologe  de  Saint-Benoit.  —  La  Chaire  de  saint  Pierre,  à  Anlioche,  où  les  disciples  ont 
commencé  à  être  appelés  chrétiens.  —  A  Faênza,  saint  Pierre  Damien,  cardinal  et  évêque  d'Ostie, 
qui,  ayant  accompli  beaucoup  de  travaux  pour  l'Eglise  de  Dieu,  et  s'élant  rendu  célèbre  par  sa 
sainteté,  sa  doctrine  et  ses  miracles,  s'endormit  en  paix  ;  le  pape  Léon  Xll  l'a  déclaré  docteur  de 
l'Eglise. 

Martyrologe  de  l'Ordre  Romano-Séraphigue.  —  A  Cortone,  en  Toscane,  sainte  Marguerite, 
qui,  par  l'impulsion  divine,  ayant  pris  avec  une  extrême  dévotion  l'habit  du  Tiers  Ordre,  lava,  par 
une  admirable  pénitence  et  par  d'abondantes  larmes,  les  souillures  de  sa  vie  passée,  et  qui,  il- 
lustre par  ses  vertus  et  ses  miracles,  fut  mise  au  rang  des  Saints,  par  le  souverain  pontife  Benoit  XIII. 

ADDITIONS   FAITES   d'APRÈS    LES   BOLLANDISTES   ET   AITRES    H.'VGiOGRAPHES. 

En  Orient,  le  patriarche  Mathusalem  -.  —  Chez  les  Grecs,  sainte  Anihuse  et  ses  douze  servi- 
teurs, martyre  ensemble.  Epoque  incertaine.  —  A  Antioche,  saint  Galle,  consul,  martyr.  ii°  ou  iii=s. 
—  En  Afrique,  les  saints  Victorin,  Eucire,  Paul,  Donat,  Fortunat,  et  vingt-huit  autres,  mentionnés 
ensemble  dans  plusieurs  anciens  martyrologes,  saf.s  désignation  d'époque.  —  A  Nicomédie,  en 
Bithynie,  cet  illustre  théâtre  de  martyres  sans  nombre,  les  saints  Eutère,  Palatin,  Victorine,  Paule, 
Emérita,  Antonine,  Dativa,  Rogatienne,  Antiga,  Urbana,  Maxima,  Marine,  .Matrone  et  Pérégrine,  sa 
fille  :  Sécnndula,  Justa,  Castula,  Florent,  Victor,  Marcelline,  Casta,  Donalula,  Libosa,  Flavie,  Dota, 
Fumata,  Lucien,  Arni,  Reine.  Cyriaque,  Galatius,  Valère,  Gorgien,  dont  les  noms  seuls  ont  été 
sauvés  de  l'oubli.  Ces  confesseurs  du  nom  de  Jésus-Christ  ont  probablement  été  mis  à  mort  sous 
Dioclétien  qui  se  plaisait  à  ensanglanter  la  ville  où  il  résidait.  —  A  Cyr,  en  Syrie,  les  saints  Tha- 
lasse  et  Limnée,  anachorètes  ;  le  second  était  le  disciple  du  premier.  v«  s.  —  En  Syrie  également, 
saint  Garadate,  autre  anachorète,  qui  vécut  enfermé  dans  une  cellule  moins  haute  que  sa  taille, 
couvert  tout  entier  d'une  tunique  de  peau  ouverte  seulement  i  l'endroit  du  nez  et  de  la  bouche. 
n  raisonnait  mieux  qu'Aristote  et  ceux  qui  se  perdent  dans  les  labyrinthes  de  sa  philosophie,  dit 
Théodore!,  son  historien.  Hélas  !  ne  sait-on  pas  combien  est  préjudiciable  à  l'àme  l'enflure  de  l'es- 
prit ?  460.  —  A  Ravenne,  en  Italie,  saint  Maximien,  évèque  de  cette  ville,  qui  bâtit  et  consacra 
plusieurs  églises,  notamment  celle  de  Saint-Vital  de  Ravenne.  556.  —  En  Bithynie,  saint  Athanase, 
confesseur.  Il  fut  persécuté,  exilé  et  maltraité  par  l'empereur  d'Orient,  Léon,  en  haine  des  saintes 
images,  qu'il  vénéra  fidèlement  jusqu'à  sa  mort,  ii»  s.  —  A  Bassano,  dans  la  province  de  Vicence, 
la  bienheureuse  Jeanne-Marie  Bonomi, religieuse  de  l'Ordre  de  Saint-Benoit  et  abbesse  du  monastère 
de  Saint-Jérôme,  qui  fut  béatifiée  par  Pie  VI,  le  2  juin  1783.  Dès  l'âge  de  sept  ans,  elle  était  favo- 
risée de  visions  et  du  don  de  prophétie.  Devenue  religieuse  à  quinze  ans,  on  lui  vit  des  stigmates 
qui  tantôt  étaient  sanglants,  tantôt  lumineux.  Pendant  trois  ans,  elle  fut  affligée  d'une  lèpre  si 
horrible  que  ses  compagnes  lui  rendaient  à  peine  les  services  indispensables.  Plus  d'une  fois,  elle 
fut  traitée  de  folle  visionnaire,  mais  elle  ne  voyait  dans  toutes  les  faveurs  qui  lui  étaient  ac- 
cordées,comme  dans  toutes  les  afflictions  qui  lui  arrivaient,  que  la  miséricorde  et  la  volonté  de  Dieu. 
Elle  croyait  de  toute  son  âme  à  la  réalité  des  biens  futurs,  et  cette  croyance  était  son  soutien  : 
aussi  cherchait-elle  à  établir  cette  vertu  fondamentale  dans  les  pensionnaires  de  la  maison  et  dans 
les  novices  dont  elle  fut  longtemps  chargée.  1670. 

1.  Voir  sa  vie  au  31  août. 

2.  Matlinsalem.  le  liuitieme  patriarche  depuis  Adam,  était  fils  d'Enoch,  dont  nous  avons  parlé  au  troi- 
sième jour  de  janvier.  Il  naquit  l'an  du  monde  6S7,  qui  était  le  soisante-cicqaifeme  de  l'âge  de  son  pfero. 
Il  eut  Lamech.  pîjre  de  Noé,  à  l'âge  de  1S7  ans.  et  mourut  â-é  de  969  ans,  peu  de  jours  avant  le  de'luge. 
Les  Grecs  celtibrent  la  mémoire  de  Mathusalem  le  19  de  di5cembre,  ou  plutôt  le  dimanche  avant  Noël, 
avec  celles  des  antres  Justes  de  l'Ancien  Testament.  D'autres  le  mettent  'a  la  semaine  de  la  Septnagésime, 
avec  les  autres  patriarches  du  premier  âge  du  monde,  on  sur  la  Sn  de  janvier,  comme  fait  Pierre  Natal, 
Il  est  marque'  au  4  de  janvier  dans  le  calendrier  Julien,  liais  il  est  mis  an  22  de  février  dans  quelques 
mftrtyrologes  des  Latins,  où  l'on  a  supposé  que  ce  jour  était  celui  de  sa  mort. 


618  22  FEYRIER. 


LA  CHAmE  DE  SAINT  PIERRE  A  ANTIOGHE 

59.  —  Pape  :  Saint  Pierre.  —  Empereur  :  C  Calignla. 


Pierre  est  l'organe  da  collège  des  ApStres,  l'aie  et  \» 
clef  de  voûte  de  la  société. 

Saint  Chrysostome,  hon.  lv  iii  cap  xvi  Matth. 

Cette  fête  a  été  instituée  en  mémoire  de  la  prédication  de  saint  Pierre, 
lorsque  les  Apôtres  eurent  appris  la  volonté  du  Père  céleste  touchant  le  lieu 
où  chacun  d'eux  était  appelé  pour  la  publication  de  l'Evangile.  Le  pays  de 
Syrie  étant  échu  à  saint  Pierre,  il  établit  sa  chaire,  et  porta  la  parole  de 
Dieu  dans  Antioche,  capitale  de  la  pro\-ince  :  cela  arriva  sans  doute  par  une 
conduite  singulière  de  la  Providence  divine,  afin  que  le  premier  vicaire  de 
Jésus-Christ,  comme  pasteur  de  l'Eglise  universelle,  prêchât,  en  quelque 
manière,  par  toute  la  terre,  en  annonçant  la  vérité  aux  trois  nations  qui 
étaient  les  plus  considérables  dans  le  monde  :  aux  Hébreux,  aux  Grecs  et 
anx  Latins.  Il  avait  déjà  exercé  cette  fonction  pastorale  dans  la  Judée  ;  il 
passa  donc  à  Antioche,  où  il  fit  la  même  chose  à  l'égard  dei  Grecs  l'espace 
de  sept  ans  ;  après  quoi,  il  prit  le  chemin  de  l'Italie,  afin  d'annoncer  aux  La- 
tins la  doctrine  de  son  maître,  et  d'exercer,  par  ce  moj^en,  la  charge  de  pas- 
teur universel  des  âmes. 

Les  fruits  de  sa  prédication  furent  si  grands  en  cette  ville  d'Antioche, 
que  (nous  l'apprenons  des  Actes  des  Apôtres)  le  nom  de  chrétiens  y  fut  pour 
la  première  fois  donné  aux  fidèles  ;  avant  on  les  appelait  Nazaréens,  ou  on 
leur  donnait  des  noms  dictés  par  l'amour  ou  la  haine. 

L'institution  de  cette  fête  est  fort  ancienne,  et  plusieurs  saints  personna- 
ges en  ont  fait  mémoire  dans  tous  les  siècles  de  l'Eglise.  Saint  Ignace,  en 
l'épître  qu'il  écrit  aux  Magnésiens  ;  Yves,  évêque  de  Chartres,  dans  un  ser- 
mon ;  le  concile  de  Tours,  qui  fut  célébré  du  temps  du  pape  Pelage  (566)  ; 
et,  avant  tous  ces  auteurs,  saint  Clément,  pape ,  au  dixième  livre  de  ses 
Récognitions,  traite  de  ce  qui  arriva  à  saint  Pierre  en  la  ville  d'Antioche. 


SAINTE  MARGUERITE  DE  GORTONE 


1259-1297. —  Papes  :  Innocent  IV;  Boniface  VIII.  —  Empereurs  d'Allemagne:  Frédéric  II; 

Adolphe  de  Nassau. 


Je  TOUS  dis  qa'il  7  anm  pins  de  Joie  dans  le  ciel  poor 
nn  pécheur  qni  fait  pénitence  qne  pour  quatre- 
vinpt-dis-neuf  Jnstes  qni  n'ont  pas  î)esoin  de  pé- 
nitence. Luc,  XV,  10. 

La  bienheureuse  lu'arguerite  de  Cortone,  ainsi  appelée  du  lieu  de  sa  sé- 
pulture, naquit  au  bourg  de  Liviano,  au  diocèse  de  Chiusi,  en  Toscane,  vers 
le  milieu  du  xin=  siècle.  Mal  partagée  des  biens  de  la  fortune,  elle  perdit  sa 


SAIKTE   MARGtffiWTE   DE   CORTONE.  C19 

mère  de  bonne  heure,  et  son  père  en  se  remariant  lui  fournit  malheureuse- 
ment le  prétexle  de  croire  qu'elle  était  libre  de  se  conduire  comme  elle  l'en- 
tendrait. Les  pièges  de  la  beauté,  de  l'âge  sans  expérience  et  de  l'abandon  lui 
firent  acceptei  les  attentions  du  monde  comme  un  triomphe  enivrant. 

Elle  resta  neuf  ans  unie  à  un  homme  riche  de  Monte  Pulciano,  qui  lui 
fournissait  abondamment  de  quoi  satisfaire  son  penchant  pour  le  luxe  et  les 
plaisirs.  Elle  en  eut  un  fils,  qui  entra  plus  tard  dans  l'Ordre  des  Frères  Mi- 
neurs. Cependant,  au  milieu  de  sa  vie  coupable,  elle  avait  une  compassion 
singulière  pour  les  pau\Tes.  Il  lui  arrivait  des  accès  de  dévotion  où  elle  disait 
à  la  vue  de  certains  lieu.\  :  «  Qu'il  ferait  bon  prier  ici  !  que  cet  endroit  est 
charmant,  pour  mener  une  vie  pénitente  et  solitaire  !  »  Rentrée  dans  sa 
chambre,  plus  d'une  fois  elle  déplorait  son  état  misérable.  Et  quand  les  ha- 
bitants la  saluaient,  elle  les  blâmait,  disant  que,  connaissant  sa  vie  crimi- 
nelle, ils  ne  devaient  pas  même  lui  adresser  la  parole.  Un  jour  que  ses  com- 
pagnes lui  reprochaient  sa  parure,  disant  :  «  Qu'en  sera-t-il  de  toi,  vaniteuse 
Marguerite  ?  «  elle  leur  répondit  :  «  Il  viendra  un  temps  où  vous  m'appellerez 
Sainte,  lorsque  je  le  serai  vraiment,  et  vous  viendrez  me  visiter  avec  un  bâton 
de  pèlerin  «. 

En  l'année  1277,  son  séducteur  fut  tué  dans  une  occasion  que  les  histo- 
riens ne  disent  point  ;  mais  cette  mort  rendit  la  vie  de  l'âme  à  Marguerite. 

Une  petite  chienne  qu'elle  aimait  beaucoup,  ayant  suivi  ce  seigneur,  re- 
vint au  logis  après  quelques  joui-s  d'absence.  En  arrivant,  elle  se  mit  à  faire 
plusieurs  cris  ;  et,  prenant  sa  maîtresse  par  la  robe,  elle  la  lirait  comme 
pour  la  conduire  en  quelque  endroit.  Marguerite,  étonnée  de  cela,  se  laissa 
mener  jusqu'à  une  pile  de  bois  qui  était  près  de  là  ;  elle  fut  épouvantée  lors- 
qu'elle y  trouva  caché  le  corps  de  son  amant  étendu  mort  et  déjà  plein  de 
vers  qui  le  rongeaient.  Ce  triste  spectacle  fit  une  telle  impression  sur  son 
esprit  que,  la  grâce  sollicitant  efficacement  son  cœur,  elle  eut  horreur  de 
s'être  abandonnée  à  une  créature  qui  n'était  que  corruption,  et  résolut  de 
changer  tout  à  fait  de  vie  et  de  faire  pénitence  de  ses  crimes.  Dans  cette 
pensée,  elle  alla  se  jeter  aux  pieds  de  son  père,  comme  un  autre  enfant  pro- 
digue, et  lui  demandant  pardon,  avec  des  torrents  de  larmes,  de  ses  désor- 
dres passés,  elle  le  supplia  de  la  recevoir  chez  lui,  alin  qu'elle  pût  expier,  le 
reste  de  ses  jours,  les  dérèglements  de  sa  mauvaise  vie.  Quelque  indigné  que 
fût  ce  bon  père  de  la  conduite  scandaleuse  de  sa  fille,  il  ne  put  s'empêcher 
de  l'embrasser  avec  tendresse,  et  de  la  recevoir  en  sa  maison,  oîi  elle  com- 
mença sérieusement  à  faire  pénitence. 

Marguerite  était  si  touchée  de  ses  péchés,  et  la  ferveur  de  sa  contrition 
était  si  grande,  qu'elle  ne  cessait  de  pleurer  et  de  pousser  des  soupirs  jus- 
qu'au ciel  pour  attirer  sur  elle  la  miséricorde  de  son  Dieu.  Elle  s'adressait 
quelquefois  aux  Saints  du  paradis,  et  leur  demandait,  avec  d'étranges  agita- 
tions, quel  était  l'état  de  son  âme,  et  si,  après  tant  de  crimes,  Jésus-Christ  la 
recevrait  en  sa  grâce.  D'autres  fois,  se  mettant  une  corde  au  cou,  elle  allait  à 
l'église,  où,  au  milieu  de  la  solennité  des  divins  mystères,  elle  demandait 
pardon  devant  tout  le  peuple  du  scandale  qu'elle  avait  donné.  Cette  conduite 
déplut  fort  à  sa  belle-mère  ;  et  elle  fit  tant  auprès  de  son  mari,  qu'il  chassa 
de  sa  maison,  comme  une  folle  et  une  insensée,  la  sainte  pénitente.  fut 
une  terrible  épreuve  pour  elle  ;  car,  d'une  part,  le  démon  lui  suggéi  '  de 
retourner  à  ses  premières  débauches,  où  elle  aurait  tout  ce  qu'elle  poui  ■  it 
désirer,  au  lieu  qu'en  cet  état  de  pénitence,  tout  le  monde,  et  son  père 
même  l'abandonnaient  ;  d'ailleurs,  elle  se  voyait  belle,  bien  faite,  encore 
jeune,  et  en  état  de  jouir  longtemps  des  plaisirs  de  la  vie.  Comme  elle  était 


G20  22   FÉVRIER. 

agitée  de  cette  tentation,  elle  entendit,  au  milieu  de  son  cœur,  une  voix  qui 
lui  disait  d'aller  en  la  ville  de  Corlone,  au  couvent  des  religieux  de  Saint- 
François,  oîi  elle  apprendrait  ce  qu'elle  devrait  faire  pour  l'expiation  de  ses 
péchés. 

La  lidèle  pénitente,  obéissant  à  celte  voix  du  ciel,  se  rendit  aussitôt  au 
lieu  qui  lui  avait  été  marqué  ;  et  là,  se  jetant  aux  pieds  d'un  confesseur,  elle 
lui  déclara  le  misérable  état  de  sa  vie  et  les  grandes  miséricordes  que  Dieu 
avait  exercées  sur  elle;  ensuite  elle  demanda  instamment  l'habit  du  Tiers 
Ordre,  qu'on  appelle  </e /a /3e'?nVence;  les  religieux  le  lui  refusèrent  d'abord 
par  prudence,  pour  éprouver  sa  vocation,  et  de  crainte  de  profaner  leur 
saint  Ordre  par  la  réception  d'une  personne  qui  avait  mené  une  vie  si  scan- 
daleuse ;  mais,  au  bout  de  trois  ans,  elle  mérita  cette  grâce  par  sa  persévé- 
rance, et  vit  enfin  l'accomplissement  de  ses  pieux  désirs. 

L'amour  divin,  qui  avait  pris  la  place  de  l'amour  profane,  embrasa  le 
cœur  de  la  bienheureuse  Marguerite  ;  elle  eut  toute  sa  vie  autant  d'aversion 
pour  toutes  les  choses  de  la  terre,  qu'elle  avait  eu  d'ardeur  auparavant  pour 
en  goûter  les  délices.  Tout  son  empressement  était  de  se  rendre  agréable  à 
Jésus-Christ  par  la  pratique  des  vertus.  Son  plaisir  était  d'affliger  son  corps 
par  de  nouvelles  mortifications.  Elle  avait  tant  d'horreur  de  sa  beauté,  qui 
avait  servi  à  la  perdre,  qu'elle  se  frappait  le  visage  avec  une  pierre,  ou  se  le 
frottait  avec  du  grès  broyé  afin  de  se  rendre  difiorme.  Elle  couchait  sur  la 
dure  et  n'avait  qu'une  pierre  ou  un  morceau  de  bois  pour  chevet.  Elle  pas- 
sait les  nuits  entières  dans  les  veilles,  dans  les  prières  et  dans  la  contempla- 
tion des  vérités  célestes.  Ses  larmes,  qui  étaient  quelquefois  de  sang,  de- 
vinrent si  fréquentes,  que  ses  yeux  semblaient  sortir  de  leur  orbite  ;  elle 
soupirait,  elle  sanglotait  sans  cesse  ;  on  eût  dit  à  tout  moment  qu'elle  allait 
expirer  de  douleur.  Elle  se  frappait  et  se  donnait  la  discipline  si  souvent  et 
si  longtemps  avec  des  cordes  nouées  et  d'autres  instruments  de  pénitence, 
que  sa  chair,  traitée  auparavant  avec  tant  de  délicatesse,  en  était  devenue 
noire  et  livide  ;  et  elle  était  ravie  de  voir  en  cet  état  un  corps  qui  lui  avait 
servi  à  olfenser  tant  de  fois  son  divin  Sauveur.  Elle  s'accoutuma  peu  à  peu 
à  l'abstinence,  en  sorte  qu'un  morceau  de  pain  et  un  peu  d'eau  suffisaient 
pour  sa  réfection  ;  rarement  elle  y  ajoutait  quelques  noix  ou  des  herbes 
crues.  La  bienheureuse  pénitente  affaiblit  si  fort  son  corps  par  ces  austérités, 
qu'elle  ne  ressentit  plus  aucun  mouvement  déréglé  de  la  sensualité,  ni  même 
le  moindre  désir  mauvais. 

Elle  n'aima  plus  que  les  pauvres  sur  la  terre  ;  le  fruit  de  son  travail  et 
les  aumônes  qu'on  lui  faisait  étaient  pour  eux;  elle  transforma  en  infir- 
merie une  maison  où  elle  soignait  les  malades. 

Cependant,  quoiqu'elle  eût  triomphé  de  la  sorte  de  son  ennemi  domes- 
tique, qui  est  la  concupiscence,  l'ennemi  du  dehors,  qui  est  le  démon,  ne 
laissa  pas  de  l'attaquer  pour  tâcher  d'ébranler  sa  constance  ;  car,  emprun- 
tant une  figure  étrangère,  il  lui  apparut  un  jour,  et,  feignant  de  la  vouloir 
consoler,  il  lui  dit  :  «  Pourquoi,  Marguerite,  te  tiens-tu  ainsi  renfermée  dans 
une  cellule?  Pourquoi  te  fais-tu  mourir  par  des  pénitences  indiscrètes? 
N'est-ce  pas  assez,  pour  te  sauver,  que  tu  pratiques  ce  que  font  les  autres 
pénitents  de  l'Ordre?»  Mais,  bieii  loin  de  se  laisser  aller  au  relâchement 
par  ces  artifices,  la  Sainte  inventait  tous  les  jours  de  nouvelles  austérités; 
et,  comme  Jésus-Christ  lui  avait  fait  connaître  que  les  tentations  lui  devaient 
tenir  lieu  du  martyre  qu'elle  désirait  ardemment,  elle  était  toujours  dispo- 
sée à  les  combattre.  Le  démon  employa  d'autres  stratagèmes  pour  lui  faire 
abandonner  sa  pénitence  :  tantôt  il  se  montrait  à  elle  en  des  figures  horri- 


SAINTE  MARGUERITE  DE   CORTOXE.  62i 

bles,  d'autres  fois  il  se  présentait  sous  des  formes  agréables,  afin  de  la  faire 
tomber  dans  le  pécbé  ;  et,  enfin,  il  lui  disait  toujours  qu'elle  ne  persévére- 
rait pas,  que  la  grâce  lui  manquerait  dans  le  cours  de  ses  mortifications,  et 
que  Dieu  la  délaisserait.  Mais  le  même  Dieu,  dont  les  yeux  sont  sans  cesse 
arrêtés  sur  les  justes,  et  dont  les  oreilles  sont  toujours  attentives  à  leurs 
prières,  consola  et  fortifia  sa  fidèle  servante  par  ces  amoureuses  paroles  : 
n  Ne  crains  pas,  ma  fille,  je  suis  avec  toi  dans  l'affliction  ;  je  t'en  délivrerai 
afin  que  tu  sois  glorifiée.  Suis  fidèlement  les  conseils  de  ton  directeur,  et  par 
le  secours  de  mes  grâces,  tu  triompheras  de  tous  tes  ennemis  ». 

L'humilité  avait  jeté  de  si  profondes  racmes  dans  son  cœur,  qu'elle  ne 
pouvait  souffrir  qu'on  eût  la  moindre  considération  pour  elle  ;  c'est  pour- 
quoi, s'étant  aperçue  qu'on  commençait  à  avoir  quelque  estime  pour  sa 
■vertu,  afin  de  détruire  ces  sentiments  avantageux,  elle  sortait  en  pleine  rue 
et  criait  aux  habitants  de  Cortone  :  «  A  quoi  songez-vous,  mes  amis,  de  re- 
tenir dans  l'enceinte  de  vos  murs  une  détestable  créature  comme  moi  ; 
ignorez-vous  quelle  vie  honteuse  j'ai  menée  ?  »  Une  autre  fois,  elle  se  faisait 
traîner,  la  corde  au  cou,  par  la  ville  de  Monte  Pulciano,  et  une  autre  femme 
criait  après  elle  :  «  Voici  cette  Marguerite  qui  a  perdu  tant  d'âmes  ;  voici 
cette  pécheresse  qui  a  profané  votre  ville  ».  Si  ses  confesseurs  n'eussent  ar- 
rêté son  zèle,  elle  eût  bien  fait  d'autres  extravagances,  s'il  faut  ainsi  nommer 
ces  actes  de  vertu  qui  passent  pour  folie  aux  j'eux  des  hommes,  mais  qui, 
aux  yeux  de  Dieu,  sont  des  effets  d'une  sublime  sagesse,  animée  du  divin 
amour.  Aussi,  Dieu  les  récompensait  par  d'insignes  faveurs  ;  car,  pour  rele- 
ver les  mérites  de  la  bienheureuse  pénitente,  il  la  rendait  si  redoutable  aux 
esprits  de  l'enfer,  qu'ils  étaient  contraints  de  crier,  parla  bouche  des  possédés, 
qu'ils  ne  pouvaient  pas  même  souffrir  l'air  où  respirait  Marguerite.  Nous 
ne  disons  rien  des  visites  de  son  ange  gardien,  des  révélations  admirables  et 
des  visions  extraordinaires  qu'elle  avait  sans  cesse  dans  ses  prières  et  dans  ses 
méditations,  où  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  lui  parlait  avec  une  familiarité 
qui  n'est  pas  concevable.  Il  lui  révéla  bien  des  secrets  là-dessus.  Un  jour,  la 
veille  de  la  fête  de  sainte  Claire,  elle  l'entendit  lui  dire  :  «  Bénies  soient  tou- 
tes les  peines  que  j'ai  souffertes  pour  ton  âme  ;  bénis  soient  l'Incarnation  et 
tous  mes  travaux.  Aujourd'hui  le  nombre  des  bons  est  petit  en  comparaison 
de  celui  des  mauvais  ;  mais  quand  je  n'aurais  dans  tout  l'univers  qu'un  seul 
véritable  enfant,  je  bénirais  encore  à  cause  de  lui  les  peines  que  j'ai  sup- 
portées». Comme  sa  dévotion  était  particulièrement  pour  la  Passion  du 
même  divin  Sauveur,  elle  recevait  beaucoup  de  consolations  à  la  méditer  ; 
mais  ces  consolations  étaient  suivies  d'un  si  grand  désir  de  souffrir  afin  d'a- 
voir part  aux  souffrances  de  son  Dieu,  qu'elle  portait  une  espèce  d'emie 
aux  personnes  qu'elle  voyait  dans  l'affliction.  Elle  s'approchait  tous  les  jours 
des  sacrements  de  pénitence  et  d'Eucharistie,  après  y  avoir  été  invitée  par 
Jésus-Christ  même,  et  elle  y  goûtait  des  douceurs  qu'on  ne  peut  exprimer. 
Ces  douceurs,  néanmoins,  étaient  diminuées  dans  la  mesure  de  ses  conver- 
sations et  de  ses  épanchements  avec  les  créatures.  Nous  passons  sous  silence 
le  don  de  prophétie,  la  grâce  des  miracles,  la  vertu  de  délivrer  les  possédés  et 
de  guérir  de  diverses  maladies,  dont  elle  fut  favorisée  durant  les  vingt-trois 
ans  de  sa  pénitence. 

Cette  fréquente  méditation  de  la  Passion  du  Sauveur  et  de  ses  autres 
mystères,  inspirait  à  Marguerite  une  immense  charité  pour  le  salut  des 
âmes,  soit  en  ce  monde,  soit  en  l'autre.  L'exemple  de  sa  vie  sainte  et  péni- 
tente, joint  à  l'efficacité  de  ses  prières  et  de  ses  austérités  continuelles  ,  con- 
vertit un  grand  nombre  de  personnes,  qui  vinrent  quelquefois  de  pays  éloi- 


622  22  FÉVRoau 

gnCs  lui  témoigner  leur  reconnaissance,  on  se  recommander  à  ses  prières. 
Les  âmes  du  purg:al,oire  elles-mfimes,  par  la  permission  divine,  entraient 
avec  elle  dans  celle  raysitérieuse  correspondance  pour  solliciter  ses  pieux 
suffrages.  Comme  elle  priait  un  jour  pour  deux  artisans  qui  lui  étaient  appa- 
rus, et  lui  apprirent  qu'ils  avaient  été  tués  par  des  voleurs,  sans  pouvoir  se 
confesser,  mais  cependant  ayant  du  regret  de  leurs  fautes,  le  Sauveur  lui  ré- 
pondit :  a  Dites  aux  Frères  Mineurs  qu'ils  se  souviennent  des  âmes  des  dé- 
funts ;  elles  sont  en  si  grande  multitude  que  l'esprit  de  l'homme  peut  à  peine 
l'imaginer,  et  cependant  elles  sont  peu  secourues  par  leurs  amis».  Margue- 
rite apprit  par  révélation  que  sa  mère  avait  été  délivrée  du  purgatoire  après 
dix  ans  ;  que  son  père  en  avait  été  tiré  pareillement,  mais  après  y  avoir  en- 
duré des  peines  bien  plus  grandes.  Un  jour  qu'elle  priait  pour  sa  défunte 
servante,  l'ange  g-ardien  lui  dit  :  «  Elle  demeurera  en  purgatoire  pendant  un 
mois,  mais  y  souffrira  des  peines  légères,  à  cause  des  colères  où  elle  est 
tombée  par  zèle  ;  après  quoi  elle  sera  transportée  parmi  les  chérubins  ».  Le 
Sauveur  lui  dit  encore  un  jour  de  Purification  de  la  Sainte  Vierge  :  «  Les 
trois  défuTîts  pour  lesquels  vous  avez  prié  ce  malin,  d'après  l'opinion  de  leurs 
juges,  ne  sont  nullement  damnés  ;  mais  ils  souffrent  des  tourments  si  extrê- 
mes, que,  s'ils  n'étaient  visités  par  les  bons  anges,  ils  se  croiraient  damnés, 
parce  qu'ils  se  trouvent  tout  proches  de  ceux  qui  le  sont  réellement.  Comme 
parmi  les  religieux  il  y  a  des  cellules  distinctes,  il  en  est  de  même  pour  les 
peines  du  purgatoire  :  les  uns  sont  purifiés  dans  d'épaisses  ténèbres,  les  au- 
tres dans  de  rapides  torrents,  les  autres  dans  la  glace,  les  autres  dans  des 
feux  dévorants,  etc.  » 

Celle  admirable  servante  de  Jésus-Christ,  persévérant  de  la  sorte  dans 
l'exercice  d'une  rude  mortification,  connut,  par  une  lumière  céleste,  que 
l'heure  de  sa  mort  était  proche,  et  qu'elle  serait  assistée,  en  ce  précieux 
moment,  de  toutes  les  âmes  qui  avaient  été  délivrées,  par  ses  prières,  des 
flammes  du  purgatoire.  Ainsi,  la  bienheureuse  Marguerite,  accablée  sous 
l'excès  de  ses  austérités  et  consumée  par  les  ardeurs  du  saint  amour,  après 
avoir  reçu  les  divins  Sacrements,  et  toute  transportée  et  transformée  en 
Dieu,  rendit  son  âme  le  22  février  1297.  Son  corps,  qui  exhalait  une  suave 
odeur,  fut  enterré  dans  l'église  des  Cordeliers  de  Cortone,  où  il  s'est  fait  tant 
de  miracles  à  son  tombeau,  qu'on  ne  compte  pas  moins  de  dix  morts  ressus- 
cites. C'est  pourquoi  le  pape  Léon  X,  sur  des  informations  déjà  faites  par  le 
cardinal  des  Ursins,  légat  en  Italie,  sous  Clément  V,  accorda  aux  habitants 
de  Cortone  de  célébrer  la  fêle  de  celte  bienheureuse  pénitente  le  môme 
jour  qu'elle  était  décédée  ;  et  Urbain  VIII,  l'an  1C24,  fit  le  décret  de  sa  béa- 
tification, et  donna  à  tout  l'Ordre  de  Saint-François  la  permission  d'en  faire 
l'office.  Enfin,  Benoît  XIII  la  canonisa  en  1728.  Son  corps  s'est  conservé  jus- 
qu'à présent  sans  aucune  corruption  ;  il  est  à  Cortone,  dans  l'église  des  reli- 
gieuses de  Saint-François,  laquelle  a  quitté  le  nom  de  Saint-Basile  pour 
prendre  celui  de  Sainte-Marguerite. 

Sainte  Marguerite  de  Cortone  a  été  représentée  1°  suivant  son  chien  qui 
la  guide  vers  le  cadavre  de  son  amant  ;  2°  tenant  une  croix  à  la  main,  pour 
rappeler  soit  sa  pénitence,  soit  les  faveurs  qu'elle  reçut  du  ciel  en  méditant 
la  Passion  ;  3°  contemplant,  effrayée,  une  tête  de  mort  ;  4"  recevant  la  visite 
de  son  ange  gardien  ;  5°  à  genoux,  voyant  Jésus-Christ  dans  le  ciel  '  ;  6°  s'é- 
levant  de  terre  pendant  une  extase  ;  7°  avec  une  épée  contre  sa  poitrine,  pour 
exprimer  les  douleurs  du  Calvaire,  dont,  à  sa  demande,  elle  fut  éprouvée.  A 

1.  T.  V,  fo  4ù,  call.  lia  Cabinet   des  Estampes,  U  VaiM. 


MAKTÏBOLOGES.  623 

gauc.he  de  la  gravure  se  voit  un  chien  assis  qui  tient  dans  sa  gueule  une 
tête  de  mort*. 

La  mémoire  de  1«  bienlMiirense  lilar^erite  de  Cortone  est  célâbrée  en  Italie.  Fenarin  n'a   pas  onblld 

de  l'insérer  dans  lu  Catalogue  des  Saints  ijui  ne  se  troutxmt  pas  dans  le  martyrologe  rornain,  Arras  du 
Hûustier  en  fait  au&sl  mention  dans  le  martjrologe  des  religieox  de  Saint-François.  Sa  vie,  composée  par 
le  R.  P.  Juncta  île  Bévajna,  son  confesseur,  et  approarée  par  l'inquisition  de  Toscane,  est  rapportée  par 
le  docte  Bollandus,  an  troisième  tome  de  février.  Le  R.  P.  Wadding  parle  aussi  de  notre  Sainte  au  second 
tome  des  Annales  dn  Frères  Mineurs. 


SALNT  PASCHASE,  ÉVÊQUE  DE  VIENiXE  (312). 

Il  monta  snr  le  sJéjre  de  Vienne  après  saint  Simplide.  Ce  fut  sons  son  épiscopat  qn'ent  lieu  le 
martyre  de  la  légion  Thébéenne,  fait  glorieuî  ipii  intéresse  particnlièrement  l'église  de  Vienne.  L« 
'voismage  du  Rhône  offrit  «ne  sépulture  toute  prête  pour  la  sainte  Légion.  Paschase  ayant  été  averti 
par  un  ange,  alla,  précédé  de  son  clergé,  recueillir  sur  le  rivage  du  fleuve  la  tète  et  le  tronc  du  corps 
de  saint  Maurice  qui  avaient  été  jetés  à  Agaune  et  que  le  courant  des  eaui  avait  amenés  jusqu'à 
Vienne.  «  Le  corps  était  séparément  «,  dit  la  vieille  chronique,  «  et  la  tète  posée  dessus  sou  bou- 
clier ».  L'^vèque  transporta  ces  précieuses  reliques  en  l'église  métropolitaine  des  saints  ilachabées 
qui  prit  dés  lors  !e  nom  de  Ssinl-.Maurice.  Depuis  ce  temps,  la  \-ilIe  de  Vienne  est  sous  la  protection 
de  cet  illustre  m  rtyrct  le  reconnaît  pour  son  patron.  Celte  tradition  de  l'abordage  des  reliques  de  saint 
Maurice  à  Vienne  se  trouvait  autrefois  peinte  dans  l'antique  chapelle  des  cloîtres  dédiée  sons  son  nom. 

Paschase,  que  Dieu  avait  conservé  à  son  église  pendant  la  persécution  de  .Maximien,  vit  se  lever 
l'aurore  du  beau  jour  qui  devait  bientôt  donner  à  l'Eglise  quelques  jours  de  paix,  sous  le  règne  de 
Constantin.  H  s'appliqua  surtout  à  former  des  disciples  dignes  de  l'Evanjile.  Ou  Use  sa  sainte  mort 
à  l'année  312. 

Charvet,  Histoire  de  la  saints  Eglise  de  Tienne;  Lelifevre,  Histoire  de  l'anliqmîé  et  sainteté  de  la  cité 
de  ViemK,  etc. 


XXIff  JOUR  DE  FÉVRIER 


M.4RTYR0I.0GE  ROMAfS. 

En  l'année  bissextile,  on  n'annonce  point  la  vigile  de  saint  Matthias,  apôtre,  parce  qu'elle  est 
transférée  au  vingt-quatrième  jour.  —  La  vigile  de  saint  .Matthias,  apôL-e.  —  .\  Faënza  ,  saint 
PiERBE  D.iMiEN,  cardinal,  évèqiic  d'Ostie,  célèbre  par  sa  science  et  sa  sainteté.  1072.  —  A  Sir- 
mich,  le  bienheureux  Serexds,  solitaire  et  martyr,  qui,  s'étant  avoué  chrétien,  fut  arrêté  par  l'or- 
dre de  l'empereur  Masimien,  et  eut  la  tète  tranchée.  307.  —  Au  même  lieu,  la  naissance  au  ciel  de 
Eoiiante-douze  martyrs,  qui  consommèrent  leur  triomphe  en  la  susdite  ville,  et  conquirent  ainsi  les 
royaumes  immortels.  —  A  Rome,  saint  Polycarpe,  prètie,  qui,  avec  saiut  Séliastien,  convertit  plu- 
sieurs infidèles  à  la  foi  de  Jésus-Christ,  et  les  conduisit,  par  ses  exhortations,  à  la  gloire  du  mar- 
tyre. IV»  s.  —  A  Astorga,  sainte  ^iakthe,  vierge  et  martyre,  qui  fut  mise  à  mort  sons  l'empe- 
reur Dèce  et  le  proconsul  Paterne.  252.  —  A  Constantiuople,  saint  Lazare,  moine,  qui  pour  avoir 
peiutde  saintes  images,  fut  tourmenté  par  de  cruels  supplices,  d'après  le  commandement  de  Théo- 
phile, empereur  iconoclaste,  et  eut  la  main  brûlée  d'un  fer  chaud;  mais,  guéri  par  la  vertu  de  Dieu, 
il  peignit  de  nouveau  les  images  eEacées  par  ce  prince  impie,  et  enfin  il  reposa  en  paii.  Vers  860. 

1.  Elanber  fecit.  Voir,  ^  la  BibliothèqRe  Mazsrine,  le  no  4773  (G)  de  VJamografkia  saneta. 


624  23  FÉYRIEB. 

A  Brescia,  saint  Félii,  évêque.  Vers  652.  —  A  Séville,  en  Espagne,  saint  Florent,  confesseur.  485. 
—  A  Todi,  sainte  Romaine,  vierge,  qui,  ayant  été  baptisée  par  le  pape  saint  Sylvestre,  mena  une 
vie  toute  céleste  dans  les  antres  et  les  cavernes,  et  brilla  par  la  gloire  de  ses  miracles.  324.  —  En 
Angleterre,  sainte  .Milburge,  vierge,  ûUe  du  roi  des  Merciens'.  vii«  s. —  L'année  bissextile,  on  dit 
deuï  fois  :  Le  smème  jour  d'avant  les  calendes  de  mars,  et  deux  fois  la  même  lune,  savoir  :  le 
24  et  le  25.  Le  premier  de  ces  deux  jours,  c'est-à-dire  le  24,  on  dit  ainsi  :  le  six  des  Calendes  de 
mars,  de  la  lune  le...  ou  simplement  le  24  février,  de  la  lune  le...  Ensuite  :  la  vigile  de  saint 
Matthias,  apôtre.  De  même,  la  mémoire  de  plusieurs  saints  Martyrs  et  Confesseurs,  et  saintes  Vier- 
ges. ^.  Nous  en  remercions  Dieu.  Le  second  de  ces  jours,  c'est-à-dire  le  23,  ainsi  :  le  six  des  Ca- 
lendes de  mars,  de  la  lune  le...  Eu  Judée,  etc.,  comme  en  la  lecture  suivante,  ou  tout  simplement 
le  25"  jour  de  février,  de  la  lune  le...  En  Judée,  etc. 

MARTYROLOGE   DE  FRANCE,  REVU   ET  ADGMENTÉ. 

Ce  même  jour,  sainte  Livrade  ou  Libérate,  honorée  comme  vierge  et  martyre  en  l'église  bâtie 
sous  son  nom  par  Charlemagne,  en  Agenois;  autour  de  cette  église  s'est  formée  la  ville  du  même 
nom  ^  —  Saint  Vélérin,  disciple  de  saint  Martin  et  missionnaire,  confesseur,  patron  de  Gennes, 
sur  la  Loire,  en  Anjou,  dont  les  reliques,  portées  à  Tournus,  furent  dans  la  suite  transférées  à  Cor- 
bigny,  en  Nivernais,  puis  détruites  par  les  huguenots  en  1563.  —  A  Faremoutier,  en  Brie,  sainte 
Artongalhe,  vierge.  EUe  était  DUe  du  pieux  roi  de  Kent  Erconbcrt  et  de  sainte  Serbnrge.  Quand 
elle  mourut,  les  anges  vinrent  chercher  son  âme  en  chantant  des  hymnes,  va"  s.  —  Saint  Méraut, 
abbé,  dont  le  corps  est  à  Saint-Georges  de  Vendôme,  et  un  ossement  au  Val-de-Grâce,  à  Paris. 
IS8  s.  —  A  Bénévent,  saint  Milon,  évéque,  originaire  d'Auvergne  '.  1070.  —  A  Trêves,  la  mémoire  de 
saint  Celse,  évêque  et  confesseur,  dont  le  corps  fut  trouvé  par  saint  Egbert,  un  de  ses  successeur, 
en  978,  et  transféré,  avec  beaucoup  d'honneur,  en  l'église  de  Saint-Eucaire,  où  il  a  brillé  par  beau- 
coup de  miracles.  — A  Mayence,  saint  Willigise,  archevêque  de  cette  ville.  lOli. 

MARTYROLOGES  DES    ORDRES   RELIGIEUX. 

Martyrologe  des  Chanoines  réguliers.  —  La  vigile  de  saint  Matthias,  apôtre.  —  Saint  Abyle, 
confesseur,  qui,  étant  d'abord  clerc  de  l'église  d'Alexandrie,  et  s'éiant  distingué  par  l'observance 
de  la  vie  régulière,  fut  ensuite  élevé  à  la  chaire  épiscopale  de  cette  métropole,  et  s'endormit  le  22 
février  dans  une  sainte  mort. 

Martyrologe  de  Saint-Benoit.  —  La  vigile  de  saint  Matthias,  apôtre  (omis  les  années  bissex- 
tiles). —  Le  même  jour,  saint  Pierre  Damien,  cardinal,  évêque  d'Ostie  et  docteur  de  l'Eglise,  men- 
tionné le  22  février. 

Martyrologe  des  Camaldules.  —  La  vigile  de  saint  Matthias,  apôtre.  —  A  Faënza,  saint  Pierre 
Damien,  qui  ayant  embrassé  l'institut  monastique  au  monastère  d'Avellane,  et  l'ayant  merveilleuse- 
ment propagé,  fut  un  modèle  admirable  de  doctrine  et  de  pénitence;  fut  ensuite  nommé  cardinal 
par  le  pape  Etienne  IX  et  ivêque  d'Ostie,  et  qui,  s'étant  acquitté  de  beaucoup  de  missions  apostoli- 
ques, sortit  saintement  de  iette  vie.  Le  pape  Léon  XII  le  déclara  docteur  de  l'Eglise  universelle. 

Martyrologe  de  l'Ordre  Romano-Séraphique.  —  La  vigile  de  saint  Matthias,  apôtre  (année 
commune).  —  La  Chaire  de  sair.t  Pierre,  à  Antioche,  dont  il  est  question  la  veille  de  ce  jour. 

Martyrologe  de  l'Orérj  'iôraphique.  —  La  vigile  de  saint  Matthias,  apôtre.  —  Sainte  .Margue- 
rite de  Corlone,  qui,  s/ant  été  divinement  rappelée  du  sentier  de  perdition  dans  la  voie  du  salut, 
prit  l'habit  du  Tiers  Ordre  de  Saint-François,  et  par  une  admirable  pénitence,  ainsi  que  par  des 
larmes  abondantes,  ;ava  jusqu'à  la  fin  les  souillures  de  sa  vie  passée  ;  elle  s'envola  au  ciel',  tonte 
brillante  de  vertus,  la  veille  de  ce  jour  ;  le  souverain  pontife  Benoit  XUl  la  mit  au  rang  des  Saints. 

Martyrologe  des  Capucins.  —  La  vigile  de  saint  Matthias,  apôtre.  —  A  Cortone,  en  Toscane, 
sainte  Marguerite,  du  Tiers  Ordre  de  notre  père  saint  François,  dont  le  corps,  resté  merveilleuse- 
ment sans  corruption  pendant  plus  de  quatre  siècles,  exhalant  une  odeur  suave,  et  honoré  par  plu- 

1.  Elle  était  sœnr  de  sainte  MildrMe  et  abbesse  de  Wenloch,  au  comté  de  Shropp.  L'abbaye  de  Wen- 
loch  ayant  été  ruinée  par  les  Danois,  les  religieux  de  Cluny  bâtirent  on  monastère  à  la  même  place  ;  en 
1101  ils  découvrirent  les  reliques  de  sainte  Milburge  sous  les  ruines  de  l'ancieime  église  :  la  translatloa 
qu'ils  en  firent  fut  accompagnée  de  plusieurs  miracles,  vil»  s. 

2.  Voir  le  28  Janvier. 

3.  Saint  Milon,  évêque  de  Bénévent,  était  originaire  d*Aiiver;gne.  Après  £tre  entré  dans  Tétat  ecclésias- 
tique. 11  fut  nommé  chanoine  de  Paris,  et  il  était  doyen  du  chapitre,  lorsque  sa  réputation  de  mérite  et  de 
sainteté,  qui  s'était  répandae  an  loin,  le  fit  élire  évêque  de  Bénévent,  l'an  1074.  Saint  Etienne  de  Grand- 
mont,  qni  était  alors  son  disciple,  le  suivit  dans  son  diocèse,  pour  continuer  son  éducation.  Saint  Milot 
l'ordonna  diacre,  et  il  se  proposait  de  l'élerer  au  sacerdoce  et  de  l'employer  dans  l'admlnistratioa  de  soa 
diocèse  ;  mais  il  mourut  deux  ans  après  son  élévation  il  l'éplscopat,  en  1076. 


SAESTE   MARTHE   d'ASTORGA,    VIERGE   ET  MARTYRE.  625 

«ieurs  miracles,  est  honoré  en  ce  lieu  avec  une  grande  piétiS.  Benoit  XJIl  ordonna  qu'il  serait  ho- 
noré dans  tout  l'univers  catholique,  et,  après  avoir  examiné  les  mérites  de  son  insigne  pénitence  et 
ses  vertus,  la  mit  solennellement  au  rang  des  Saints. 

ADDITIONS   FAITES   d'APRÈS   LBS   BOLLANDISTES   ET   AUTRES  HAGI0GRAPHK8. 

En  Ecosse,  saint  BoisiL,  prieur  de  Mailros.  664.  —  En  Afrique,  les  saints  Crescon,  Zenon,  Mé- 
nandre,  Carinien,  Arion,  Hippolyte,  Diodore,  Méuélante,  Athore,  Pierre,  Lambèse,  Lucien.  Félix,  et 
trente-cinq  autres,  martyrs.  —  A  Smyrne,  les  saints  Erote,  Carpophore,  Géronce,  martyrs,  men- 
tionnés dans  les  martyrologes  après  saint  Polycarpe,  et  probablement  ses  contemporains.  —  En 
Asie,  les  saints  martyrs  Sinon,  Ilérule,  Cuscume,  Ménalippe,  Zenon,  Sinerte,  Siriqne,  et  antres, 
dont  Dieu  seul  connaît  le  nom.  —  Chez  les  Grecs,  sainte  Thée,  martyre.  —  En  l'annonie ,  les 
saints  Sénérote,  Antigone,  Rutile,  Libius,  Rogatien,  martyrs,  mentionnés  dans  le  martyrologe  de 
saint  Jérôme.  — r  A  .Ancine,  saint  Primien,  évêque  grec  dont  le  sié^e  est  inconnu,  et  martyr.  Ses 
reliques  furent  retrouvées  en  1370  par  Jean,  évéque  d'Ancine,  qui  en  fit  faire  la  translation  solen- 
nelle. Vers  le  iv's.  —  En  Syrie,  les  saints  Zébinas,  Polychrone,  Moïse  et  Damien,  Jean  .Moïse,  An- 
tiochus,  Antoine  ou  Antonin,  tous  anachorètes.  Au  v»  s.  —  En  Palestine,  saint  Dosithée,  religieux 
du  monastère  de  Saint-Séridon,  au  territoire  de  Gaza,  et  disciple  de  saint  Dorothée.  11  poussa 
l'obéissance  à  un  degré  fort  rare.  Vers  530. 


SAINTE  MAUTHE  D'ASTORGA,  VIERGE  ET  MARTYRE 

252.  —  Pape  :  Saint  Luce  I".  —  Empereurs  romains  :  Gallus  et  Volusien. 

Cette  pieuse  fille  vivait  à  Astorga,  ville  d'Espagne,  sous  l'empire  deDèce, 
très-cruel  persécuteur  du  nom  de  Jésus-Cbrist,  et  ennemi  juré  de  tous  ses 
serviteurs.  Ses  perfections  naturelles,  admirablement  relevées  par  la  grâce  de 
Dieu,  ravissaient  les  cœurs  de  tous  ceux  qui  avaient  le  bonheur  de  la  voir. 
Aussi  un  gouverneur,  nommé  Paterne,  étant  envoyé  en  ces  pays-là  de  la 
part  de  l'empereur,  pour  y  faire  perquisition  des  chrétiens,  afin  de  les  con- 
traindre d'adorer  les  idoles  et  de  renoncer  au  vrai  Dieu  et  à  Jésus-Christ, 
jeta  les  yeux  sur  cette  jeune  fille  ;  et,  ravi  d'une  si  grande  beauté,  il  em- 
ploya tous  les  moyens  de  persuasion  pour  la  faire  condescendre  à  révérer 
les  statues  de  ses  fausses  divinités,  suivant  les  ordres  de  l'empereur,  lui 
assurant  qu'elle  serait  comblée  de  bonheur  si  elle  le  faisait.  Mais  Marthe  qui, 
dès  ses  plus  tendres  années,  avait  la  foi  du  vrai  Dieu  vivement  imprimée  dans 
l'âme,  répondit  que  «  pour  quoi  que  ce  fût,  elle  ne  ferait  jamais  l'injure  au 
Créateur,  de  rendre  aux  ouvrages  des  hommes,  tels  que  sont  les  idoles, 
l'honneur  qui  n'est  dû  qu'à  lui  seul  ;  ainsi,  il  pouvait  bien  éprouver  sur  son 
corps,  s'il  le  voulait,  tous  les  tourments  que  sa  cruauté  lui  suggérait,  afin 
de  lui  ôter  la  vie  ;  mais  jamais  il  ne  lui  ôterait  du  cœur,  ni  la  foi,  ni  l'amour 
de  Jésus-Christ  » . 

Le  gouverneur,  étonné  d'une  telle  constance,  et  voyant  qu'il  n'avançait 
nullement  par  ses  paroles,  eut  recours  à  la  violence  pour  arracher,  s'il  était 
possible,  un  consentement  et  une  soumission  que  la  douceur  n'avait  pu 
obtenir.  Il  commanda  que  la  Vierge  fût  dépouillée,  et  qu'après  l'avoir  éten- 
due sur  le  chevalet,  on  la  battît  avec  des  bâtons  noueux  :  elle  fut  bientôt 
sur  le  point  de  rendre  l'âme.  Néanmoins,  le  tyran  ne  voulut  point  la  laisser 
expirer  en  ce  supplice  ;  mais,  pour  l'éprouver  encore  une  fois  par  de  belles 
paroles,  il  lui  fit  offre  de  lui  donner  son  propre  fils  on  mariage,  si  elle  voulait 
se  rendre  aux  ordres  du  prince  qui  la  rendrait  heureuse.  La  Sainte  répondit 
k         Vies  des  Saints.  —  Tous  U.  40 


626  23   FÉVRIER. 

à  cette  proposition  artificieuse,  qu'ayant  pris  pour  époux  Jésus  Christ,  fils 
du  Dieu  immortel,  elle  ne  donnerait  jamais  ni  son  corps,  ni  son  cœur  i\  un 
homme  mortel,  et  qu'il  pouvait  bien  décharger  sur  elle  les  restes  de  sa  rage, 
mais  qu'il  ne  tirerait  jamais  rien  d'elle  qu'un  généreux  refus.  A  ces  paroles, 
le  gouverneur,  tout  transporté  de  colère,  et  ilfc  pouvant  plus  la  souffrir  en  sa 
présence,  commanda  qu'elle  fût  décapitée  ;  son  âme,  ornée  des  deux  cou- 
ronnes de  la  virginité  et  du  martyre,  s'envola  au  ciel  pour  s'unir  à  l'Agneau 
sans  tache  qui  est  l'unique  Epoux  des  vierges. 

Cela  fut  exécuté  en  la  ville  d'.4.storga,  le  23  février,  vers  l'an  232.  On  jeta 
son  corps  dans  un  cloaque,  afin  de  le  priver  des  honneurs  de  la  sépulture 
que  les  chrétiens  rendaient  ordinairement  aux  corps  des  martyrs;  mais,  ni 
la  puanteur  de  ce  lieu,  ni  la  crainte  du  gouverneur,  n'empêchèrent  une 
courageuse  femme  de  l'en  retirer  et  de  l'ensevelir  honorablement  en  un  lieu 
décent,  où  il  a  été  conservé  pour  la  consolation  des  fidèles,  qui  y  éprouvent 
l'assistance  de  la  Sainte. 

Le  martyrologe  rocBain  parle  avec  honneur  de  sainte  Marthe,  vierge  et  martyre,  comme  aussi  le  car- 
âînal  Baronius  en  ses  Jîanarqufs,  oh  il  renvoie  le  lecteur  au  deuxit^me  tome  du  Trésor  des  Semions.  C'est 
de  lîl  qne  nous  avons  tire  ce  rdcit. 


SAINT  SERENUS  OU  GERNEUF,  JARDINIER,  MARTYR 

307.  —  Pape  :  Saint  Marcel.  —  Empereur  romain  :  Galère. 


Dioînum,  ûonuSj  in  clientes  evoea  rorem. 
Bon  jardinier,  appelez  sur  nous  la  rosiie  divine. 
Hymne  des  Matines  de  l'office  de  saint  Cemeuf. 

Serenus,  grec  de  naissance,  quitt;i  ses  biens,  ses  amis  et  sa  patrie,  pour 
aller  servir  Dieu  dans  la  solitude,  c'est-à-îlire  pour  vivre  dans  le  célibat  et 
dans  les  exercices  de  la  prière  et  de  la  pénitence  '.  Il  vint  à  Sirmium,  en  Pan- 
nonie,  où  il  acheta  un  jardin  qu'il  cultivait  lui-môme  et  dont  les  fruits  et 
les  légumes  fournissaient  à  sa  subsistance.  La  persécution  s'étant  allumée, 
il  se  cacha,  dans  la  crainte  d'être  arrêté;  mais  au  bout  de  quelque  temps, 
il  revint  à  son  jardin.  Un  jour  qu'il  était  occupé  à  son  travail,  une  femme, 
accompagnée  de  deux  jeunes  filles,  entra  comme  pour  se  promener.  «  Que 
cherchez-vous?  »  lui  dit  Serenus  en  l'apercevant.  —  «  Je  suis  enchantée  de 
votre  jardin  »,  répondit-elle,  «  et  je  suis  venue  dans  le  dessein  de  m'y  pro- 
mener ».  —  «  Une  femme  de  votre  condition  »,  répliqua  Serenus,  «  ne  se 
promène  point  à  pareille  heure  '  ;  vous  devriez  être  actuellement  chez  vous. 
Il  est  certain  qu'un  autre  motif  que  celui  de  la  promenade  vous  amène  ici. 
Je  ne  suis  pas  tel  que  vous  le  pensci:  ;  ainsi  sortez  au  plus  tôt,  et  soyez  dé- 
sormais plus  attentive  à  garder  la  retenue  qu'exige  votre  sexe  ». 

1.  D'après  les  leçons  de  l'Office  propre  de  l'église  Saiut-Ccmeuf  de  BiUom  (piqûre  în-18.  1846),  saint 
Serenus  était  moine  k  Constantinople,  on  mieux  Byzance,  puisque  cette  ville  ne  prît  son  nouveau  nom 
qu'en  3S0,  lorsqu'il  fut  obligé  de  quitter  le  couvent  oh  11  vivait  pour  fuir  la  persécution.  Nous  doutons 
qu'il  y  ait  eu  des  monastères  an  su  et  au  vu  des  païens,  à  Constantinople,  avant  Constantin  :  il  nous 
semble  plus  naturel  de  laisser  dans  l'ombre  les  commencements  du  Saint  que  de  les  ima;;iner. 

2.  On  était  à  la  sixième  heure  du  jour  os  ^  midi.  Pcrsount  ne  sortait  alors  parmi  les  Romains,  commg 
•dft  le  pratique  encore  en  Italie. 


SAINT   SERENUS   OU   CERNEUF,   JARDINIER,    MARTYR.  627 

Cette  femme,  piquée  des  remontrances»  du  Saint,  se  retira  couverte  de 
confusion,  et  bien  résolue  de  se  venger  ;  elle  écrivit  donc  à  son  mari,  qui 
était  dans  les  gardes  de  l'empereur  Masimien,  pour  se  plaindre  ;\  lui  d'une 
prétendue  violence  que  Serenus  lui  avait  faite.  Le  mari,  ayant  reçu  cette 
lettre,  va  trouver  l'empereur  et  lui  demande  justice  pour  son  honneur  ou- 
tragé. «  Seigneur  »,  lui  dit-il,  «  pendant  que  notre  vie  se  consume  à  votre 
service,  nos  femmes  séparées  de  nous  se  trouvent  exposées  à  l'insolence  d'un 
corrupteur  ».  Le  prince  lui  donne  un  rescrit  adressé  au  gouverneir  de  la 
province,  auquel  il  est  enjoint  de  faire  donner  à  ce  mari  insulté  toutos  sor- 
tes de  satisfactions.  Le  mari  part  pour  Sirmium,  présente  le  rescrit  au  gou- 
verneur et  le  prie  de  venger  l'outrage  qu'il  a  reçu  en  la  personne  de  sa 
femme.  «  Eh!  quel  est  l'insolent»,  dit  le  gouverneur,  «  qui  a  osé  attentera 
l'honneur  d'une  femme  dont  le  mari  aborde  de  si  près  la  personne  de  l'em- 
pereur?»—  «C'est»,  répondit  l'officier,  «  un  misérable  jardinier  nommé 
Serenus  ».  Le  gouverneur  l'envoya  chercher  aussitôt  ;  et  lorsqu'il  fut  arrivé, 
il  commença  par  lui  demander  son  nom.  «  Je  m'appelle  Serenus»,  répon- 
dit-il. —  Le  gouverneur.  «  Quelle  est  votre  profession  ?»  —  Serenus.  «  Je 
suis  jardinier  ». — Le  gouverneur.  «  Comment  avez-vous  eu  l'audace  d'in- 
sulter la  femme  d'un  officier  de  celte  distinction  ?»  —  Serenus.  «  Jamais  il 
ne  m'est  arrivé  d'insulter  aucune  femme  ».  — Le  gouverneur.  «  Qu'on  lui 
donne  la  question  pour  lui  faire  avouer  le  crime  qu'il  a  commis  dans  son 
jardin». — Serenus.  «Je  me  souviens  qu'une  dame  vint,  il  y  a  quelque 
temps,  dans  mon  jardin  à  une  heure  indue,  dans  le  dessein,  éisait-elle,  de 
s'y  promener.  Il  est  vrai  que  je  pris  la  liberté  de  lui  remontrer- qu'il  n'était 
pas  décent  à  une  personne  de  son  sexe  et  de  sa  qualité  de  sortir  de  chez  elle 
à  pareille  heure  ».  Ce  discours  ouvrit  les  yeux  au  mari  sur  la  conduite  de  sa 
femme  ;  il  sortit  couvert  de  confusion,  sans  presser  davantage  le  gouverneur 
de  Je  venger  d'un  homme  dont  il  voj'ait  l'innocence. 

Cependant  le  gouverneur,  frappé  de  la  réponse  de  Serenus,  vit  que  c'é- 
tait un  homme  de  bien  ;  et  considérant  d'ailleurs  que  loin  de  se  rendre  cou- 
pable, il  avait  repris  cette  femme  avec  une  généreuse  liberté,  il  le  soupçonna 
d'être  chrétien.  Il  continua  donc  de  l'interroger  pour  s'éclaircir  sur  ce 
point.  «  Quiètes-vous  »,  lui  dit-il,  «  et  quelle  est  votre  religion?  »  —  «  Je 
suis  chrétien  »,  repartit  Serenus  sans  hésiter  un  moment.  —  Le  gouver- 
neur. «  Où  vous  êtes-vous  caché,  et  comment  avez-vous  pu  vous  dispenser 
de  sacriQer  aux  dieux  ?»  —  Serenus.  «  Il  a  plu  au  Seigneur  de  me  réserver 
pour  ce  temps-ci.  Il  semblait  m'avoir  rejeté  comme  une  pierre  peu  propre 
à  entrer  dans  son  édifice  ;  mais  il  a  la  bonté  de  me  reprendre  aujourd'hui 
pour  m'y  placer.  Au  reste,  je  suis  prêt  à  souffrir  tout  pour  son  nom,  afin 
qu'il  me  reçoive  dans  son  royaume  avec  ses  Saints  ».  —  «  Eh  bien  »,  lui  dit 
le  gouverneur  en  colère,  «  puisque  vous  avez  voulu  éluder  par  la  fuite  les 
édits  des  empereurs  et  que  vous  vous  êtes  caché  afin  de  ne  pas  sacrifier  aux 
dieux,  pour  réparation  de  ces  crimes,  vous  aurez  la  tète  tranchée  ».  A  peine 
cette  sentence  eut-elle  été  prononcée  que  le  Saint  fut  enlevé  et  conduit  au 
lieu  du  supplice,  où  il  eut  la  tête  tranchée  le  23  février  307. 

Les  reliques  de  saint  Serenus  furent  quelques  temps  après  apportées  à 
Billom  par  Juvénal,  évèque  d'Auvergne.  Le  lieu  où  elles  furent  d'abord 
déposées  s'appela  Jardin-Saint-Cerneuf.  Plus  tard,  elles  furent  placées  dans 
l'église  Notre-Dame  :  elles  ont  péri  par  le  malheur  des  temps.  Néamoins  la 
mémoire  de  saint  Serenus  ou  Cerneuf,  comme  on  dit  en  Auvergne,  est 
restée  célèbre  à  Billom.  Il  y  avait  autrefois,  dans  celte  ville,  une  église 
collégiale  du  nom  de  Saint-Cerneuf  :  c'est  aujourd'hui  l'égUse  paroissiale. 


628  23  FÉVMER. 

On  invoque  saint  Serenus  pour  le  beau  temps.  Est-ce  un  jeu  de  mots  ou 
est-ce  en  souvenir  de  sa  profession  de  jardinier  pour  laquelle  il  avait 
besoin  d'un  temps  favorable  ?  Nous  préférons  cette  dernière  explication. 

L'ancien  Martyrologe  attribué  à  saint  Jérôme,  et  publié  à  Lucques  par 
Florentinius,  joint  notre  Saint  à  soixante-deux  autres  chrétiens  qui  souflri- 
rent  à  Sirmium  en  différents  temps  ;  mais  les  autres  Martyrologes,  elsurtout 
le  romain,  n'en  comptent  que  cinquante-deux. 

Tiré  d«  ses  Actes  sincères,  pn'oUés  par  D.  Boinart. 


SAINT  LAZARE,  RELIGIEUX  ET  PEINTRE 

860.  —  Pape  :  Nicolas  I".  —  Empereur  d'Orient  :  Michel  III. 


Lazare  quitta  de  bonne  heure  le  Caucase,  où  il  était  né,  pour  embrasser 
la  vie  contemplative  dans  un  monastère  de  Constantinople.  Durant  les  heures 
qu'il  ne  consacrait  point  à  la  dévotion,  il  apprit  la  peinture,  étude  dont  on 
s'occupait  généralement  dans  les  couvents,  depuis  que  les  Iconoclastes 
avaient  déclaré  la  guerre  aux  images.  L'empereur  Théophile,  grand  fauteur 
de  ces  hérétiques  (829),  déclara  particulièrement  la  guerre  à  tous  les  peintres 
chrétiens,  qu'il  résolut  de  faire  mourir,  s'ils  ne  crachaient  eux-mêmes  sur 
les  saintes  images  et  ne  les  foulaient  aux  pieds.  Notre  Saint,  qui  excellait  en 
l'art  de  peindre,  était  donc  l'un  de  ceux  qui  furent  arrêtés  pour  ce  sujet.  Dès 
que  l'empereur  l'eut  vu,  il  s'efforça  de  le  gagner  par  de  belles  paroles,  afin 
qu'il  se  rangeât  de  son  parti  ;  mais,  voyant  qu'il  perdait  son  temps  et  sa 
peine,  il  eut  recours  à  ses  violences  ordinaires,  et  fit  tourmenter  ce  religieux 
avec  tant  de  cruauté,  que,  ne  le  croyant  plus  en  état  de  pouvoir  vivre,  il  le 
fit  jeter  dans  un  cloaque.  Mais,  peu  de  temps  après,  le  confesseur  de  Jésus- 
Christ,  ayant  recouvré  quelque  peu  de  force  et  de  santé,  recommença  à  tra- 
vailler à  ses  ouvrages  ordinaires  et  à  peindre  des  images  ;  Théophile  lui  fit 
appliquer  des  lames  de  fer  ardentes  sur  les  paumes  des  mains,  ce  qui  lui 
consuma  toute  la  chair  et  le  lit  tomber  demi-mort.  Alors  la  divine  Provi- 
dence, qui  voulait  réserver  ce  bon  peintre  pour  servir  encore  son  Eglise, 
permit  que  Théophil3,  gagné  par  les  prières  de  sa  femme,  l'impératrice 
Théodore,  et  de  ses  favoris,  fit  sortir  notre  Saint  de  prison.  Etant  délivré  de 
la  sorte,  il  se  tint  quelque  temps  caché  h.  Constantinople,  dans  une  église  de 
saint  Jean-Baptisle,  que  l'on  appelait  la  Terrible  ;  là,  ce  pieux  peintre,  quoique 
cxtropié  des  mains,  ne  laissa  pas  de  faire  une  image  du  saint  précurseur; 
elle  a  duré  longtemps,  et  Dieu  s'en  est  servi  pour  faire  beaucoup  de  miracles. 

Quelques  années  après,  cet  empereur  mourut  misérablement  de  la  dys- 
senterie  à  la  suite  d'une  bataille  qu'il  avait  perdue  contre  les  Sarrasins  (842)  ; 
et  Michel  111,  son  fils,  lui  succéda  à  l'empire.  Ce  prince  ayant  rétabli,  par  le 
soin  de  sa  mère,  le  culte  des  saintes  images,  le  religieux  Lazare  se  remit  plus 
que  jamais  à  travaillera  de  beaux  ouvrages,  parmi  lesquels  on  remarque 
une  excellente  image  de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ,  qu'il  posa  sur  une 
colonne  d'airain.  Supplié  par  la  sainte  impératrice  Théodore  de  pardonner 
à  son  mari  défunt  et  de  prier  Dieu  pour  son  âme,  pour  qu'il  lui  fit  miséri- 
corde, il  lui  répondit  qu'il  n'était  plus  temps  de  fléchir  la  justice  de  Dieu. 


SAINT  PIERRE   DAMIEN,   CARDINAL-ÉVÊQUE   D'OSTIE.  629 

Néanmoins,  plusieurs  auteurs  rapportent  que  cette  pieuse  princesse  sollicita 
instamment  le  patriarche  Méthodius  et  les  autres  évêques  assemblés  pour 
célébrer  l'anniversaire  d'une  fête  appelée  Orthodoxie,  de  prier  Dieu  pour 
l'empereur  son  mari,  et  que  les  prélats  le  Qrent  avec  une  telle  ferveur, 
qu'ils  obtinrent  de  la  miséricorde  divine  la  rémission  de  tous  ses  crimes.  On 
peut  voir  là-dessus  Bollandus  en  la  vie  de  sainte  Théodore,  au  H  de  ce  mois. 

Michel,  persuadé  du  mérite  de  notre  Saint,  l'an  troisième  de  son  empire, 
l'honora  d'une  célèbre  ambassade  d'obédience  vers  le  pape  Benoît  III,  nou- 
vellement élu,  et  le  chargea  de  lui  présenter  de  sa  part  un  livre  des  Evan- 
giles, couvert  d'or  massif  et  enrichi  de  pierres  précieuses  ;  un  calice  de  sem- 
blable matière  et  plusieurs  autres  ornements  d'église  en  étoffes  fort  rares  : 
ce  qui  montre  combien  Dieu  sait  honorer  ses  serviteurs,  et  quelle  récom- 
pense il  donne,  même  dès  ce  monde,  à  ceux  qui  ont  enduré  quelque  peine 
pour  sa  gloire  el  pour  la  justice. 

On  ne  sait  rien  des  autres  actions  de  saint  Lazare,  sinon  qu'il  passa  le 
reste  de  sa  vie  dans  un  grand  repos.  Les  Grecs,  dans  leur  Ménologe,  disent 
qu'il  mourut  en  chemin,  dans  un  second  voyage  qu'il  fit  à  Rome.  On  n'en 
peut  déterminer  l'année  :  il  est  probable  que  ce  fut  vers  l'an  800.  Il  est  parlé, 
dans  le  Ménologe,  au  17  octobre,  d'une  translation  des  reliques  d'un  saint 
Lazare,  de  la  ville  de  Chietli  à  Constantinople,  sous  l'empereur  Léon  VI.  Il  y 
en  a  qui  croient  que  ce  sont  les  reliques  de  saint  Lazare,  frère  de  sainte 
Madeleine,  et  non  pas  celles  de  notre  Saint. 

Ce  martyr  du  culte  des  images  a  été  représenté  :  1°  en  train  de  peindre 
dans  une  chapelle  ;  2°  dans  sa  prison,  venant  de  peindre  Notre-Dame  :  le 
bourreau  lui  brûle  la  main  droite  avec  un  fer  rougi  au  feu.  Un  soldat  le 
tient  par  l'épaule  ;  mais  on  voit  bien  au  calme  du  Saint  que  cette  précau- 
tion est  inutile.  Il  est,  avec  saint  Luc  et  sainte  Catherine  de  Bologne,  un  des 
patrons  des  peintres. 

Le  martyrologe  romain  parle  avec  honneur  de  saint  La;:are,  le  23  février,  comme  aussi  Zonare  et  C5- 
drène;  et  le  cardinal  Baronios  en  ses  Remarques,  et  aux  quatorzième  et  quinzième  tomes  de  ses  Annale» 
^édition  de  Bar-lo-Duc). 


SAINT  PIERRE  DAMIEN,  GARDINAL-ÉVÈQUE  D'OSTIE 

DOCTEUR  DE  L'ÉGLISE 
988-1072.  —  Pape  :  Alexandre  II.  —  Empereur  d'Allemagne  :  Henri  IV. 


Ce  grand  homme  a  pris  naissance  à  Ravenne,  ville  d'Italie.  Il  ne  fut  pas 
plus  tôt  né,  que  la  divine  Providence  lui  ménagea  des  croix. 

Lorsque  Pierre  était  encore  à  la  mamelle,  son  frère  aîné  témoigna  à  sa 
mère  beaucoup  de  chagrin  de  voir  une  si  nombreuse  famille  pour  partager 
si  peu  de  biens  qu'ils  avaient;  celte  mère,  qui  avait  mille  embarras,  mille 
tourments  dans  ses  affaires  domestiques,  fut  sensiblement  affectée  des  re- 
proches que  son  fils  aîné  lui  faisait;  elle  se  laissa  aller  à  une  espèce  de  dé- 
sespoir, et  perdit  le  courage  et  la  tendresse  qu'elle  devait  avoir  en  qualité 


630  23   FÉVRIER. 

de  mère  pour  élever  le  jeune  enfant  qu'elle  nourrissait.  Sa  rigueur  envers 
lui  fut  telle  qu'elle  lui  refusa  son  lait,  et  qu'elle  l'abandonna  sans  vouloir  da- 
vantage lui  donner  la  nourriture  dont  il  avait  besoin. 

Mais  Dieu  qui  pourvoit,  dit  le  Prophète,  aux  nécessités  des  petits  oiseaux 
qui  invoquent  son  nom  par  leurs  cris,  quand  ils  sont  abandonnés  de  ceux 
qui  leur  ont  donné  la  vie,  écouta  aussi  les  soupirs  et  les  petits  cris  du  jeune 
Pierre  Damien  ;  et  son  corps  était  déjà  tout  livide  et  moribond,  lorsque  la 
Providence  divine  suscita  une  femme  étrangère  qui,  se  revêtant  de  l'amour 
et  de  la  tendresse  d'une  véritable  mère,  prit  autant  de  soin  de  ce  petit  enfant, 
que  s'il  eût  été  le  fruit  de  son  propre  sein. 

Lorsqu'il  fut  dans  un  âge  plus  avancé,  il  perdit  toute  espérance  de  pos- 
séder des  biens  temporels,  en  perdant  son  père  et  sa  mère,  qui  moururent 
et  le  laissèrent  destitué  de  tout  secours  ;  un  de  ses  frères,  néanmoins,  sous 
prétexte  de  charité  et  de  compassion,  voulut  bien  le  prendre  en  sa  famiUe  ; 
mais,  loin  de  lui  être  favorable,  il  n'eut  pour  lui  que  des  duretés,  le  faisant 
travailler  comme  un  mercenaire,  et  lui  refusant  les  choses  les  plus  nécessai- 
res à  la  vie  ;  on  l'obligeait  d'aller  nu-pieds,  on  le  chargeait  de  coups,  il  n'é- 
tait qu'à  demi  vêtu,  et  on  n'eut  point  honte  de  l'envoyer  aux  champs  gar- 
der les  bestiaux  comme  le  dernier  des  valets.  Pierre  Damien  souffrait  tout 
cela  avec  une  patience  admirable,  ne  se  plaignant  de  rien  et  recevant  tout 
de  la  main  de  Dieu,  qu'il  respectait  en  la  conduite  de  ses  parents,  quelque 
dureté  qu'ils  exerçassent  envers  lui. 

A  mesure  qu'il  avançait  en  âge,  il  croissait  aussi  dans  la  vertu  ;  plus  il 
connaissait  le  monde  et  ses  faux  attraits,  plus  il  le  fuyait.  Il  méprisait,  dans 
une  grande  liberté  d'esprit,  les  biens  de  la  terre,  estimant  plus  la  pauvreté 
que  les  richesses.  On  raconte  qu'ayant  un  jour  trouvé  par  hasard  une  pièce 
de  monnaie,  il  en  ressentit  d'abord  une  petite  joie  dans  l'espoir  d'acheter 
quelques  friandises  ;  mais,  faisant  une  seconde  réflexion  dans  le  même  mo- 
ment, et  considérant  que  le  plaisir  qu'il  voulait  se  procurer  passerait  en  un 
instant,  il  alla  aussitôt  donner  sa  pièce  d'argent  à  un  prêtre,  afin  qu'il  dit 
quelques  messes  pour  le  repos  de  l'âme  de  son  père. 

Après  être  demeuré  assez  longtemps  sous  la  rude  conduite  de  celui  de 
ses  frères  dont  nous  avons  parlé,  un  autre  de  ses  frères,  nommé  Damien, 
touché  de  compassion  de  le  voir  dans  un  état  si  déplorable,  le  retira  chez 
lui,  et,  remarquant  en  lui  de  belles  dispositions  pour  les  sciences,  le  fit  étu- 
dier. Ce  frère,  alors  archiprêtre  de  Ravenne,  embrassa  depuis  l'état  monas- 
tique. On  croit  que  ce  fut  par  reconnaissance  pour  tous  ses  soins  que  notre 
Saint  prit  dans  la  suite  le  surnom  de  Damien.  Il  eut  en  effet  pour  lui  toute  la 
tendresse  d'un  père.  Il  l'envoya  d'abord  à  Faenza,  puis  à  Parme.  Ses  maîtres 
furent  surpris  de  la  vivacité  et  de  l'étendue  de  son  esprit  :  il  devint  en  peu  de 
temps  l'objet  de  l'admiration  de  tout  le  monde,  et  sa  réputation  au:.:iiii'nta 
de  telle  sorte,  qu'un  grand  nombre  de  jeunes  gens  le  prirent  pour  leur  mailre 
en  se  déclarant  ses  disciples;  il  eut  un  facile  accès  dans  la  maison  dos  grands, 
et  les  personnes  d'esprit  se  faisaient  un  plaisir  singulier  de  se  trouver  en  sa 
compagnie  ;  il  acquit  du  bien  par  son  travail  et  son  mérite,  et  il  en  avait 
assez  pour  prendre  un  honorable  parti  dans  le  monde,  s'il  eût  voulu  répondre 
aux  avances  qu'on  lui  faisait. 

Les  honneurs  et  les  plaisirs  se  présentaient  continuellement  à  ses  yeux  ; 
mais  Dieu,  qui  avait  pris  de  lui  un  soin  particulier  dès  le  berceau,  ne  per- 
mit pas  qu'il  s'éloignât  du  chemin  de  la  vertu.  11  se  munissait  des  armes  des 
Saints  pour  calmer  ses  passions  et  les  soumettre  aux  lois  de  la  raison  et  de  la 
grâce.  Il  portait  d'ordinaire,  pour  cet  effet,  un  rude  cilice  sous  ses  habits, 


SAI.M   PIERRE   D.UIIEN,    CARDDJAl-ÉTËQUE   D'OSTIE.  631 

d'ailleurs  assez  soignés,  pour  mieux  cacher  ses  austérités;  il  s'exerçait,  étant 
encore  dans  le  siècle,  à  la  pratique  des  jeûnes,  des  veilles  et  de  la  prière. 
Quand  il  se  sentait  attaqué  de  quelque  tentation  contre  la  pureté,  il  se  plon- 
geait le  corps  dans  des  eaux  à  demi  glacées  pendant  la  nuit,  jusqu'à  ce  qu'il 
eût  obtenu  le  calme  qu'il  souhaitait. 

II  se  plaisait  beaucoup  à  visiter  les  lieux  consacrés  au  Seigneur  ;  une  de 
ses  principales  dévotions  était  de  réciter  et  de  méditer  les  psaumes  de  David. 
n  donnait  aux  pauvres  une  grande  partie  de  ses  biens  :  il  les  conviait  sou- 
vent à  sa  table  et  les  servait  lui-même,  comme  étant  les  membres  de  Jésus- 
CQirist.  Quoiqu'il  menât  une  vie  fort  innocente  dans  le  monde,  il  résolut 
d'embrasser  la  vie  monastique,  mais  hors  de  son  pays,  de  peur  d'en  être  dé- 
tourné par  ses  parents  et  ses  amis.  Comme  il  était  dans  cette  pensée,  il  ren- 
contra deux  ermites  Camaldules  du  désert  de  Font-Avellane,  dont  il  avait 
ouï  parler;  s'étant  ouvert  à  eux,  ils  le  fortifièrent  dans  son  dessein,  et  comme 
il  témoigna  vouloir  se  retirer  avec  eux,  ils  lui  promirent  que  leur  abbé  le 
recevrait.  Il  leur  offrit  un  vase  d'argent  pour  porter  à  leur  abbé,  mais  ils 
dirent  qu'il  était  trop  grand  et  qu'il  embarrasserait  dans  le  chemin,  et  il 
demeura  fort  édifié  de  leur  désintéressement.  Pour  s'éprouver,  il  passa  qua- 
rante jours  dans  une  cellule  semblable  à  celles  des  ermites  ;  puis,  ayant  pris 
son  temps,  il  s'arracha  des  bras  des  siens  et  se  rendit  à  Font-.\vellane,  oîi, 
suivant  l'usage,  on  le  mit  entre  les  mains  d'un  des  frères,  pour  l'instruire. 
Celui-ci,  l'ayant  mené  à  sa  cellule,  lui  fît  6ter  son  linge,  le  revêtit  d'un  cilice 
et  le  ramena  à  l'abbé,  qui  le  fît  aussitôt  revêtir  d'un  cuculle.  Pierre  s'éton- 
nait qu'on  lui  donnât  l'habit  tout  d'abord  sans  l'avoir  éprouvé  et  sans  le  lui 
avoir  fait  demander  ;  mais  il  se  soumit  à  la  volonté  du  supérieur,  quoique 
alors  la  prise  d'habit  ne  fût  point  séparée  de  la  profession.  Quand  il  se  vit 
revêtu  de  l'habit  religieux,  il  fit  paraître  une  si  grande  ferveur,  que  tous 
ceux  qui  demeuraient  avec  lui  le  prenaient  pour  exemple  et  réformaient 
leur  conduite  sur  la  sienne,  quoiqu'ils  fussent  déjà  fort  avancés  dans  le  che- 
min de  la  perfection.  Il  n'eut  pas  de  peine  à  s'accommoder  à  toutes  les 
règles  qu'on  pratiquait  dans  la  sainte  maison  qu'il  avait  choisie,  quoique  la 
manière  de  vivre  y  fût  très-austère  :  car  on  y  jeûnait  d'ordinaire  quatre 
jours  de  la  semaine  au  pain  et  à  l'eau,  et  les  autres  jours  on  ajoutait  seule- 
ment un  peu  de  légumes  ;  l'usage  du  vin  y  était  inconnu.  En  tout  temps, 
on  était  obligé  d'aller  nu-pieds  au  milieu  même  des  déserts  remplis  d'épines; 
les  religieux  vivaient  deux  à  deux  dans  des  cellules  séparées  les  unes  des 
autres.  Ils  s'exerçaient  jour  et  nuit  dans  toutes  sortes  de  saintes  pratiques, 
telles  que  les  macérations  corporelles,  les  adorations,  les  génuflexions,  les 
prostrations,  la  psalmodie,  les  oraisons  et  autres  semblables  dont  les  Saints 
se  sont  toujours  servis  pour  entretenir  la  ferveur  de  l'esprit,  et  rendre  aussi, 
de  cette  manière,  le  double  culte  extérieur  et  intérieur  qui  est  dû  à  Dieu. 

La  coutume  des  religieux  de  Font-Avellane  était  de  réciter  le  Psautier 
pendant  la  nuit  ;  mais  Pierre  Damien,  dont  la  piété  n'avait  point  de  bornes, 
prévenait  le  temps  auquel  on  éveillait  ses  frères,  pour  augmenter  ses  orai- 
sons en  augmentant  ses  veilles.  L'excès  de  ses  mortifications  alla  si  loin  qu'il 
en  devint  malade  :  il  fut  attaqué  d'une  insomnie  dont  il  eut  beaucoup  de 
peine  à  guérir.  Cette  maladie  lui  apprit  par  la  suite  qu'il  ne  faut  pas  tou- 
jours suivre  l'ardeur  de  son  zèle  et  qu'on  doit  user  de  discrétion  dans  les 
-exercices  de  piété  ;  mais  enfin  Dieu  lui  rendit  la  santé  qu'il  n'avait  perdue 
qu'en  s'efforçant  de  lui  donner  des  témoignages  d'un  plus  parfait  amour. 

Après  que  cet  illustre  Solitaire  eut  passé  plusieurs  années  dans  une  vie 
cachée  et  inconnue,  pendant  laquelle  il  acquit  de  grandes  grâces  et  un 


632  23   FÉVRIER. 

grand  fonds  de  doctrine  dans  la  connaissance  des  saintes  Ecritures,  il  plut 
à  la  divine  Providence  de  mettre  ce  beau  flambeau  sur  le  chandelier.  Son 
supérieur  lui  ordonna  d'abord  de  faire  des  exhortations  aux  religieux  de  sa 
communauté.  Il  s'acquitta  de  ce  devoir  avec  tant  de  succès  et  d'applaudis- 
sements, que  le  bruit  s'en  répandit  par  tous  les  monastères  voisins  :  les  abbés 
d'alentour  demandaient  comme  une  grâce,  au  supérieur  de  Font-Avellane, 
de  vouloir  bien  permettre  que  ce  fervent  religieux  vînt  demeurer  pendant 
quelque  temps  chez  eux,  afin  qu'il  fit  part  aux  autres  Solitaires  du  pain  de 
la  parole  de  Dieu,  qu'il  annonçait  avec  tant  d'onction  et  d'éloquence.  Il  alla, 
en  effet,  dans  les  monastères  d'alentour  distribuer  les  rares  talents  dont 
Dieu  l'avait  favorisé,  et  il  n'édifiait  pas  moins  par  la  sainteté  de  ses  exem- 
ples, que  par  la  force  de  ses  prédications  et  de  ses  discours  pleins  de  zèle. 
C'est  ainsi  qu'il  demeura  deux  ans  à  Pompose ,  dont  le  vertueux  Guy 
était  abbé. 

Le  sage  supérieur  de  ce  vrai  religieux  remarquant  qu'il  n'avait  pas 
moins  de  prudence  et  de  discrétion  dans  sa  conduite  que  de  doctrine  et  de 
vertu,  l'établit  d'abord  économe  de  l'ermitage  ou  du  monastère  où  il  demeu- 
rait; ensuite  il  le  déclara  son  successeur;  ainsi,  après  la  mort  de  ce  digne 
abbé,  que  Pierre  Damien  appelait,  par  respect  et  par  amitié,  son  maître  et 
son  père,  il  fut  obligé  de  se  charger  de  ce  fardeau,  et  de  porter  le  poids  du 
supériorat,  pour  lequel  il  avait  toujours  eu  un  grand  éloignement.  Il  s'ac- 
quitta de  tous  ses  devoirs,  en  cette  nouvelle  charge,  avec  le  succès  qu'on  en 
pouvait  espérer.  Ses  soins  étaient  universels  :  ils  s'étendaient  également  sur 
le  spirituel  et  sur  le  temporel  ;  et  comme  le  zèle  de  la  gloire  de  Dieu  et  du 
salut  des  âmes  croissait  en  son  cœur  à  mesure  qu'il  avançait  en  vertu  et  en 
âge,  il  trouva  moyen,  sans  quitter  son  premier  troupeau,  d'établir  un  grand 
nombre  d'autres  monastères  dans  des  lieux  solitaires  qu'il  allait  choisir  lui- 
même  dans  les  déserts. 

Il  entreprenait  de  pénibles  voyages  pour  aller  visiter  ceux  qui  habitaient 
ces  nouvelles  solitudes,  afin  de  les  soutenir  dans  la  première  ferveur  qu'il 
leur  avait  inspirée  ;  il  recevait  une  infinité  de  postulants  de  tout  âge  et  de 
toutes  conditions,  qui  se  faisaient  une  gloire  et  un  mérite  de  mener  une  vie 
pénitente  et  cachée  sous  la  direction  d'un  si  saint  personnage.  Parmi  les 
disciples  d'une  vertu  éminente  qu'il  forma  et  qui  devinrent  ensuite  des 
lumières  de  l'Eglise,  on  cite  saint  Rodolfe.évêquedeGubbio  (26  juin)  ;  saint 
Dominique  l'Encuirassé  (14  octobre),  et  saint  Jean  de  Lodi  qui  a  écrit  sa  vie 
(7  septembre). 

Il  avait  l'esprit  si  étendu,  et  en  même  temps  le  cœur  embrasé  d'une 
charité  si  universelle,  qu'il  ne  se  contentait  pas  de  pourvoir  aux  besoins 
spirituels  des  monastères  qu'il  avait  établis  ;  mais  il  aidait  encore,  par  ses 
instructions  et  ses  conseils,  par  écrit  et  de  vive  voix,  les  autres  maisons,  soit 
d'hommes,  soit  de  femmes,  qui  regardaient  ses  avis  comme  des  oracles,  et 
recevaient  ses  décisions  comme  venant  du  Saint-Esprit;  de  sorte  qu'il  devint 
comme  le  père  commun  d'une  grande  partie  de  l'Italie. 

Les  souverains  Pontifes  ne  voulurent  pas  être  privés  des  admirables  con- 
seils d'un  homme  pour  lequel  on  avait  tant  d'eslime.  Tous  ceux  qui  occu- 
pèrent le  siège  de  Rome,  pendant  la  vie  de  Pierre  Damien,  trouvèrent  de 
grands  avantages  à  avoir  des  rapports  avec  lui.  Lorsque  le  schisme  des  papes 
Sylvestre  III  et  Jean  XX  fut  éteint,  vers  l'année  1044,  et  ([ue  Grégoire  VI  fut 
légitimement  élu.lesaint  abbé  lui  écrivit  plusieurs  lettres  :  dansl'une  d'elles 
il  lui  liMiiiiigne  la  joie  qu'il  avait  reçue  en  apprenant  son  exalLation  au  sou- 
veraiu  ponlificat,  et  lui  fait  aussi  connaître  avec  quelle  ardeur  et  quel  zèle  il 


SAINT  PIERRE  DAMIEN,   CARBINAL-ÉVÉQUE    D'OSTIE.  633 

doit  travailler  à  rendre  à  l'Eglise  la  paix  et  sa  première  splendeur.  Baionius 
croit  que  celte  épître  est  d'un  si  grand  poids,  qu'elle  seule  peut  servir  d'un 
puissant  témoignage  pour  prouver  la  validité  de  l'élection  de  Grégoire  VI  ; 
d'autant  plus,  dit-il,  que  le  saint  abbé  n'était  point  d'humeur  à  avoir  de 
fausses  complaisances  qui  l'engageassent  à  donner  de  vaines  louanges  et  à 
flatter  les  grands,  n'épousant  jamais  que  les  intérêts  de  la  vérité,  reprenant 
avec  une  grande  fermeté  ceux  qui  étaient  coupables,  et  se  déclarant  toujours 
l'ennemi  de  ceus  qui  n'étaient  pas  dans  les  intérêts  de  l'Eglise. 

Il  ne  fut  pas  moins  estimé  de  Léon  IX,  qui  lui  adressa  de  grandes  louanges 
dans  une  lettre  de  félicitations  sur  le  zèle  qu'il  faisait  paraître  contre  les 
hérétiques.  Victor  II  et  Etienne  IX  entretinrent  pareillement  une  étroite 
amitié  avec  ce  saint  solitaire  ;  ce  fut  le  pape  Etienne  qui,  ayant  découvert 
une  étendue  d'esprit  et  une  capacité  extraordinaires  dans  ce  vertueux  per- 
sonnage, lui  fît  offrir  l'évêché  d'Ostie  pour  lui  donner  lieu  d'exercer  le  grand 
zèle  dont  il  paraissait  anime.  Le  serviteur  de  Dieu,  qui  avait  une  extrême 
opposition  pour  toutes  les  dignités,  et  qui  préférait  la  douceur  de  la  solitude 
et  l'humble  qualité  de  religieux  à  tous  les  titres  de  grandeurs,  aux  plus  hautes 
prélalures  ecclésiastiques,  refusa  absolument  l'honneur  qu'on  voulait  lui 
faire.  Toute  la  cour  de  Rome  fit  de  grandes  instances  pour  lui  faire  accepter 
ce  qu'on  lui  offrait. 

Enfin,  le  Pape  lui  fit  un  devoir  d'obéir  et  d'accepter  l'évêché  qu'il 
lui  donnait  ;  ce  sage  Pontife  lui  mit  en  même  temps  l'anneau  pastoral 
au  doigt  et  la  crosse  en  la  main  ;  l'humble  abbé  n'osa  pas  résister  da- 
vantage :  il  se  soumit ,  par  pure  obéissance  ,  aux  volontés  de  celui 
qm  tenait  la  place  de  Jésus-Christ,  et  il  a  avoué,  depuis,  que  Dieu  lui 
avait  fait  connaître,  trois  ans  auparavant,  la  dignité  à  laquelle  il  se  voyait 
élevé  (1057). 

Il  reconnut  bientôt  le  poids  de  la  charge  qu'on  venait  de  lui  imposer, 
parce  que  ses  grandes  lumières  et  la  foi  vive  dont  il  était  animé  lui  en  firent 
voir  les  obligations  aussi  grandes  qu'elles  étaient  ;  il  se  défiait  beaucoup  de 
ses  forces,  mais  il  avait  une  parfaite  confiance  en  Dieu,  espérant  recevoir  de 
Jésus-Christ,  souverain  Pasteur  et  Lumière  de  tous  les  prélats,  les  secours 
dont  il  avait  besoin  pour  bien  conduire  son  troupeau.  Il  commença  donc  à 
prendre  un  grand  soin  de  l'Eglise  qu'on  venait  de  lui  confier  ;  il  se  Ut  donner 
une  connaissance  parfaite  des  affaires  de  son  diocèse  ;  il  n'épargna  ni  ses 
biens,  ni  sa  santé,  pour  se  rendre  utile  à  ses  enfants  spirituels.  Quand  il 
prêchait,  il  s'accommodait  auxjourset  aux  heures  de  son  peuple  :  on  l'a  vu 
souvent,  après  avoir  supporté  de  violents  accès  de  fièvre  pendant  la  nuit,  se 
lever  de  grand  matin,  pour  aller  entendre  des  confessions,  ou  pour  prêcher, 
ou  pour  aller  chanter  des  naesses  solennelles,  ou  pour  faire  d'autres  sembla- 
bles fonctions  pastorales,  qu'il  croyait  être  de  son  devoir.  Il  était  toujours 
prêt  à  sacrifier  sa  santé  et  à  donner  sa  vie  même  pour  le  salut  des  âmes  qui 
lui  étaient  confiées.  Ses  prédications  étaient  accompagnées  d'une  grande 
onctions  et  soutenues  d'une  profonde  doctrine,  qu'il  savait  tempérer  selon  la 
portée  de  ses  auditeurss  ;  personne  ne  s'ennuyait  de  l'entendre,  quoique  son 
zèle  lui  fit  quelquefois  passer  plusieurs  heures  en  chaire. 

Ce  vigilant  Pasteur  ne  fuyait  pas  quand  il  voyait  venir  le  loup  :  il  allait 
au  contraire  l'attaquer  dans  sa  retraite  et  lui  donner  la  mort  avant  qu'il  vînt 
fondre  sur  son  bercail,  retranchant,  par  le  glaive  de  l'excommunication, 
ceux  qui  voulaient  introduire  des  erreurs  dans  l'esprit  de  ses  diocésains.  Il 
était  le  fléau  des  hérétiques,  et  il  savait  si  efficacement  réprimer  leur  audace 
et  leur  témérité,  que  les  autres  prélats  l'envoyaient  prier  avec  instance  de 


634  23  FÉvnmn. 

venir  à  leur  secours,  pour  les  aider  à  dissiper  les  pernicieuses  doctrines  qui 
s'étaient  glissées  dans  leurs  églises. 

La  qualité  de  cardinal,  dont  le  souverain  Pontife  l'avait  aussi  honoré, 
l'obligea  d'étendre  son  zèle  au-delà  des  limites  de  son  évôché  :  il  regardait 
les  intérêts  de  tous  les  pasteurs  particuliers  comme  les  siens  propres  :  il 
exhortait  tous  les  évêques  à  entretenir  une  parfaite  union  dans  leurs  dio- 
cèses; mais  s'il  jugeait  que  la  paix  fût  si  nécessaire  dans  les  églises  particu- 
lières, il  était  bien  plus  persuadé  qu'il  fallait  qu'il  y  eût  une  parfaite  intelli- 
gence dans  le  Sacré  Collège,  qui  devait  travailler  avec  le  souverain  Pontife  à 
la  paix  de  l'Eglise  universelle  ;  c'est  pour  cela  qu'il  ne  manqua  pas  de  s'op- 
poser avec  générosité  aux  prétentions  de  l'antipape  Benoît  X,  qui  se  fit  nom- 
mer souverain  Pontife,  après  la  mort  d'Etienne  IX  (1038)  ;  il  soutint,  avec 
un  zèle  incomparable,  l'élection  légitime  de  Nicolas  II. 

Ce  fut  au  temps  de  ce  Pape  que  l'église  de  Milan  se  trouva  infectée  de 
deux  grands  désordres  :  c'était  une  chose  toute  publique  et  d'un  usage 
commun  que  d'acheter  des  bénéfices  à  prix  d'argent  ;  on  n'avait  plus  d'égard 
à  la  capacité  ni  aux  bonnes  mœurs,  qui  sont  pourtant  les  seules  qualités 
dont  il  faille  tenir  compte,  selon  les  saints  Canons,  dans  la  distribution  des 
bénéfices  :  on  achetait  même  l'ordination  ;  l'autre  désordre  était  que  les 
prêtres,  foulant  aux  pieds  la  sainteté  de  leur  état  et  les  lois  ecclésiastiques, 
osaient  contracter  des  mariages  avec  autant  de  pompe  et  d'éclat  que  les 
séculiers. 

Une  grande  division  s'éleva  dans  l'église  de  Milan,  entre  le  clergé  et  le 
peuple,  à  l'occasion  des  scandales  dont  nous  venons  de  parler.  Les  Milanais, 
cherchant  le  remède  à  ces  maux,  eurent  recours  au  pape  Nicolas  II.  Le  sou- 
verain Pontife  jeta  les  yeux  sur  le  prudent  prélat,  Pierre  Damien  :  il  l'en- 
voya sur  les  lieux.  Il  y  fut  reçu  du  peuple  comme  un  ange  envoyé  du  ciel  ; 
mais,  quand  il  eut  déclaré  le  sujet  de  sa  légation,  le  clergé,  dont  les  mem- 
bres malades  ne  voulaient  pas  recevoir  de  guérison,  s'éleva  insolemment 
contre  les  desseins  de  ce  sage  médecin  ;  les  chefs  les  plus  intéressés  du  parti 
blâmèrent  le  remède  dont  il  voulait  se  servir  et  publièrent  partout  que 
l'église  de  Milan  ne  devait  pas  être  soumise  aux  lois  de  l'Eglise  romaine, 
qu'ils  ne  faisaient  que  ce  que  leurs  prédécesseurs  avaient  fait,  et  que  l'église 
que  saint  Ambroise  avait  autrefois  gouvernée  ne  devait  rendre  raison  de  sa 
conduite  à  personne. 

Le  saint  Légat  usa  de  sa  prudence  ordinaire  dans  une  affaire  de  cette 
importance,  où  il  était  question  de  faire  revenir  de  plein  gré  des  esprits  éga- 
rés, pour  les  remettre  dans  la  voie  du  salut  ;  il  leur  fit  connaître,  par  un 
grand  nombre  de  puissantes  raisons,  quelle  était  l'étendue  de  l'autorité  du 
Saint-Siège,  sur  toutes  les  églises;  il  leur  prouva  clairement  le  pouvoir  qu'il 
avait  de  réformer  les  mœurs  et  la  doctrine  de  ses  enfants  quand  il  avait  raison 
de  le  faire,  et  il  les  fit  tomber  d'accord  qu'ils  étaient  dans  l'erreur  et  hors  de  la 
voie  du  salut.  Il  y  eut  d'autres  difficultés  bien  plus  grandes  à  surmonter  pour 
appliquer  le  remède  convenable  à  tant  de  maux  ;  mais  la  Sagesse  divine  lui 
suggéra  des  moyens  pour  y  bien  réussir,  et,  après  avoir  fait  ce  que  les  cir- 
constances du  temps  et  les  saints  Canons  de  l'Eglise  exigeaient  en  pareil  cas 
pour  mettre  ordre  aux  dérèglements  présents,  il  s'attacha  avec  plus  de  soin 
à  pourvoir  à  l'avenir.  Pour  cet  effet,  il  fît  souscrire  l'archevêque  et  tous  ses 
officiers  à  une  déclaration  en  bonne  forme,  par  laquelle  ils  protestaient  de 
bonne  foi  qu'ils  n'exigeraient  plus  jamais  rien  dans  la  collation  des  bénéfices 
en  quelque  manière  que  ce  fût  ;  ils  jurèrent  sur  les  saints  Evangiles  qu'ils 
ne  violeraient  jamais  la  parole  qu'ils  donnaient  :  de  plus,  le  saint  Prélat 


S.UNT  PIERRE   DAJOEX,    CABDINAL-ÉVÊQUE   d'OSTIE.  633 

imposa  une  pénitence  à  tous  ceux  qui  étaient  évidemment  en  faute,  et  en- 
suite il  les  réconcilia  avec  l'Eglise  ;  il  observa,  en  toute  cette  affaire,  de  n'ad- 
mettre et  de  ne  conserver  aucun  de  ceux  qui  étaient  convaincus  de  n'avoir 
ni  la  capacité,  ni  les  bonnes  mœurs  requises  pour  se  bien  acquitter  de  leur 
office  :  c'est  ainsi  que  ce  sage  Prélat  remédia  à  deux  des  plus  grands  maux 
qui  puissent  s'introduire  dans  l'Eglise. 

Les  afliiires  importantes  auxquelles  les  souverains  Pontifes  l'employaient 
ne  l'empûcbaient  pas  de  s'occuper  continuellement  des  pratiques  de  la  cha- 
rité envers  les  pauvres  :  il  pourvoj'ait  avec  une  grande  exactitude  à  tous  leurs 
besoins,  il  faisait  donner  des  vêtements  à  ceux  qui  étaient  nus,  et  distribuer 
du  pain  à  ceux  qui  n'avaient  pas  de  quoi  s'en  procurer  ;  il  allait  visiter  les 
malades  dans  les  hôpitaux  ;  il  lavait  tous  les  jours  les  pieds  à  douze  pauvres 
qu'il  choisissait  dans  la  multitude  de  ceux  qui  venaient  entourer  son  palais 
épiscopal  pour  en  recevoir  la  charité  ;  il  faisait  dresser  des  tables  en  sa  maison 
pour  leur  donner  à  manger  ;  aux  uns  il  donnait  des  sommes  d'argent  ;  aux 
autres  il  fournissait  des  meubles  pour  leur  pauvre  logement,  et  à  d'autres  il 
donnait  ce  qu'il  voyait  leur  être  le  plus  nécessaire  pour  le  moment  présent- 
Sa  charité  ne  se  bornait  pas  à  soulager  seulement  ceux  qui  étaient  dans  la 
ville  :  il  entrait  dans  les  besoins  extrêmes  des  pauvres  de  la  campagne,  que 
l'infirmité  ou  la  nécessité  empêchait  de  venir  lui  représenter  leurs  misères  ; 
il  envoyait,  à  cet  effet,  dans  les  villages,  une  personne  craignant  Dieu,  pru- 
dente et  choisie  de  sa  main,  à  laquelle  il  confiait  et  ses  aumônes  et  ses 
intentions,  qui  étaient  de  distribuer  avec  discrétion,  à  chaque  famille,  ce 
qui  lui  serait  nécessaire  ;  ainsi  les  pauvres  trouvaient,  dans  la  personne  de 
ce'  bon  Pasteur,  les  secours  qu'ils  auraient  pu  attendre  d'un  véritable  père. 

Il  exerçait  les  devoirs  de  charité  dans  les  lieux  où  il  passait,  en  faisant  ses 
voyages,  comme  dans  sa  ville  épiscopale  et  dans  son  propre  diocèse  ;  il 
exhortait  même  les  personnes  riches  qui  l'entouraient  à  se  laisser  toucher 
de  compassion,  voyant  la  misère  des  pauvres,  et  il  se  servait  fort  à  propos 
de  la  force  de  son  éloquence  pour  leur  persuader  qu'ils  étaient  obligés  de 
partager  les  biens  qu'ils  possédaient  en  abondance,  avec  ceux  que  la  divine 
Providence  en  avait  dépourvus,  afin  qu'ils  pussent  exercer  leur  charité  et 
gagner  le  ciel  par  ce  moyen  ;  mais  si  ce  vigilant  Prélat  avait  tant  de  soin  de 
pourvoir  aux  besoins  de  ceux  qui  étaient  pauvres  par  nécessité,  il  n'avait 
pas  moins  de  bienveillance  pour  les  pauvres  volontaires,  c'est-à-dire  pour 
ceux  qui,  ayant  pu  posséder  des  biens  dans  le  monde,  s'en  étaient  privés 
volontairement  pour  suivre  les  conseils  salutaires  de  Jésus-Christ  dans  la 
retraite  ;  il  les  regardait  comme  les  véritables  pauvres  et  leur  faisait  de 
grandes  aumônes,  pour  leur  faciliter  les  moyens  de  servir  Dieu  plus  tran- 
quillement dans  leur  solitude. 

L'Eglise  jouissait  alors  d'une  assez  grande  paix  ;  mais  elle  fut  traversée 
par  les  intrigues  ou  l'ambition  de  Cadaloils,  évêque  de  Parme,  qui,  à  la  mort 
du  pape  Nicolas  II,  se  fit  déclarer  souverain  Pontife,  par  cabale,  disputant 
ainsi  ouvertement  la  première  dignité  de  l'Eglise  avec  Alexandre  II,  élu 
selon  les  saints  Canons.  Pierre  Damien  eut,  en  cette  rencontre,  une  nou- 
velle occasion  de  faire  paraître  l'affection  qu'il  avait  pour  le  Saint-Siège  ;  il 
écrivit  à  l'antipape  deux  lettres  extrêmement  fortes,  dans  lesquelles  il  lui 
fait  voir  l'excès  de  son  ambitiim,  le  scandale  qu'il  causait  dans  toute  l'Eglise 
et  le  crime  dont  il  se  rendait  coupable;  il  le  menace,  avec  une  fermeté 
apostolique,  des  foudres  prochaines  de  la  vengeance  de  Dieu,  le  souverain 
Juge  ;  il  écrivit  aussi  au  roi  de  Germanie,  Henri  IV,  qui  soutenait  cet  anti- 
pape :  il  l'exhorte  à  contribuer,  en  tout  ce  qu'il  pouvait,  à  rendre  la  paix  à 


636  23   FÉVRIER. 

l'Eglise  ;  il  adressa  aussi  des  lettres  à  saint  Annon,  pour  lors  arcbevôque  de 
Ck)Iogne,  auquel  il  donne  de  justes  louanges,  pour  s'ôtre  déclaré  contre 
Cadaloiis  et  l'avoir  frappé  des  anathômes  ecclésiastiques  ;  il  exhorte  enfln  le 
prince  Henri,  dont  nous  venons  de  parler,  à  terminer  entièrement  la  cause 
par  la  convocation  d'un  Concile,  qu'il  devait  procurer  pour  cet  effet. 

Ce  Concile  fut  assemblé  :  on  y  fit,  devant  l'empereur,  une  savante  enquête 
sur  l'affaire  en  question  ;  l'illustre  cardinal  Pierre  Damien  y  prit  une  grande 
part,  et  tout  le  Concile  lui  donna  une  approbation  si  universelle,  que  l'an- 
tipape fut  condamné  et  l'élection  d'Alexandre  II  approuvée. 

.\u  milieu  de  ces  grandes  affaires,  il  faisait  do  fréquentes  réflexions  sur 
la  douceur  de  la  solitude,  et  soupirait  après  cet  heureux  repos  dont  il  jouis- 
sait autrefois  dans  les  déserts  qu'on  lui  avait  fait  quitter;  il  fit  connaître  à 
Alexandre,  qui  tenait  alors  paisiblement  le  siège  de  Rome,  l'inclination  qu'il 
avait  ;\  se  retirer,  alléguant,  pour  obtenir  cette  grâce,  son  âge  avancé,  ses 
infirmités,  toutes  ses  forces  diminuées  et  beaucoup  d'autres  raisons  que  sa 
piété  et  le  désir  de  la  solitude  lui  firent  exposer.  Il  obtint  enfln  de  ce  Pon- 
tife, quoique  avec  grande  peine,  ce  qu'il  n'avait  pu  obtenir  de  Nicolas  II,  son 
prédécesseur.  L'histoire,  néanmoins,  remarque  qu'il  demeura  toujours  évo- 
que d'Ostie  et  cardinal,  et  qu'il  ne  fut  déchargé  que  des  grands  soins  et  des 
charges  de  ces  hautes  dignités.  Il  alla  donc  retrouver  ses  religieux  dans  le 
désert,  au  monastère  de  Font-Avellane  ;  il  y  demanda  la  plus  pauvre  de 
toutes  les  cellules  ;  il  jeûnait  presque  tous  les  jours  au  pain  et  à  l'eau  ;  le 
pain  dont  il  usait  n'était  fait  que  de  son  ou  d'orge  ;  il  ne  voulait  boire  que 
de  l'eau  à  demi  corrompue  et  exposée  longtemps  à  l'air;  le  plat  ordi- 
naire, dans  lequel  cet  humble  cardinal  mangeait,  était  le  mÔme  que  celui 
où  il  lavait  les  pieds  aux  pauvres  ;  il  couchait  sur  des  planches  fort  dures, 
et  quoique  son  corps,  exténué  par  une  infinité  de  travaux,  fût  encore 
chargé  et  entouré  de  cercles  de  fer  construits  à  sa  manière,  il  ne  laissait  pas 
de  prendre  tous  les  jours  la  discipline  et  de  se  meurtrir  le  corps,  avec  des 
instruments  très-austères,  que  l'esprit  de  pénitence  lui  faisait  inventer. 

Quand  il  faisait  des  exhortations  à  ses  religieux  au  Chapitre,  et  qu'il  les 
avait  repris  de  leurs  fautes,  il  descendait  lui-même  de  son  siège,  et,  se  pros- 
ternant humblement  par  terre,  il  s'accusait  de  toutes  ses  imperfections  ; 
ensuite,  ne  croyant  pas  que  l'exercice  de  la  flagellation  fût  une  action 
indigne  des  qualités  qu'il  portait,  puisque  Jésus-Christ  lui-môme,  le  pre- 
mier et  le  plus  grand  modèle  de  toute  perfection,  avait  bien  voulu  la  souf- 
frir sur  son  saint  corps,  il  se  châtiait  très-sévèrement  en  présence  de  ses 
religieux,  par  ce  genre  de  mortiflcation  qui  a  été  d'un  si  fréquent  usage 
parmi  les  Saints. 

.A.prôs  cette  rude  et  humiliante  pratique  de  pénitence,  qui  était  un  puis- 
sant exemple  pour  animer  ses  religieux  à  la  vertu,  on  voyait  ce  vénérable 
prélat  se  relever  de  la  posture  humiliée  qu'il  avait  prise,  et  aller  se  remettre 
en  sa  place  où  il  continuait  à  donner  des  avis  salutaires,  tantôt  en  général 
et  tantôt  en  particulier,  faisant  toucher  du  doigt  les  fautes  journalières  où 
chacun  tombait,  bien  persuadé  que,  sans  ce  détail,  les  exhortations  et  les 
réprimandes  demeurent  sans  effet. 

Il  disait  à  ses  disciples  qu'il  était  à  propos  de  bien  connaître  ses  forces 
pour  savoir  ce  qu'on  pouvait  faire  pour  le  ciel,  et  qu'il  était  malséant,  à  un 
soldat  de  Jésus-Christ,  d'ignorer  jusqu'où  il  pouvait  avancer  dans  le  chemin 
de  la  vertu  et  dans  les  voies  de  la  pénitence  et  de  la  mortiflcation,  d'autant 
que  l'on  peut  souvent  beaucoup  plus  faire  qu'on  ne  se  l'imagine.  11  ne  pou- 
vait souffrir  qu'on  manquât  de  respect  à  Dieu,  surtout  dans  la  prière  pu- 


SAINT  riERRE  DAMIEN,    CARDINAL-ÉVÊQtlE  d'OSTIE,  637 

blique.  S'étant  aperçu,  un  jour  qu'il  passait  par  Besançon,  que  les  chanoines 
de  la  cathédrale  restaient  assis  pendant  roffice  divin,  son  zèle  s'enflamma 
et  lui  mit  la  plume  à  la  main  :  il  adressa  à  l'évèque  de  Besançon  un  traité 
où  il  prouve  qu'on  ne  peut  s'asseoir  que  pendant  les  leçons. 

Plus  ce  fervent  prélat  approchait  de  sa  fin,  plus  il  voulait  augmenter  le 
nombre  de  ses  mortifications.  Il  passait,  sur  la  fin  de  sa  vie,  les  saintes  qua- 
rantaines, sans  user  d'autre  aliment  que  d'un  peu  d'herbes  cuites  et  à  l'eau  ; 
il  ne  prenait  même  aucune  nourriture  pendant  les  trois  jours  qui  précé- 
daient le  Carême.  On  croit  que  ce  fut  lui  qui  inspira  de  prendre  le  vendredi 
de  la  semaine  pour  honorer  d'une  manière  spéciale  le  mystère  de  la  Croix 
et  de  la  Passion  du  Sauveur,  qui  mourut  en  ce  jour  :  il  exhortait  à  observer 
le  jeune  ce  jour-là  et  à  faire  quelque  mortification  corporelle  en  mémoire 
des  douleurs  que  Jésus-Christ  avait  souffertes  pour  nous;  celte  dévotion,  qui 
s'observe  assez  communément  encore  aujourd'hui,  fut  approuvée  d'abord 
du  ciel  par  quelques  événements  que  l'on  croit  miraculeux,  et  ensuite  par 
l'usage  commun  de  tous  les  fidèles. 

Lorsque  le  saint  Cardinal  dont  nous  parlons  jouissait  ainsi  du  bonheur 
de  la  retraite,  et  qu'il  cachait  avec  bonheur  l'éclat  de  la  pourpre  sous  les 
voiles  d'une  profonde  humilité  et  d'une  austère  pénitence,  le  souverain 
Pontife,  qui  avait  tant  de  fois  connu,  aussi  bien  que  ses  prédécesseurs,  la 
grande  expérience  qu'il  avait  pour  le  maniement  des  affaires  les  plus  consi- 
dérables et  les  plus  épineuses,  le  nomma  pour  aller  en  France  en  qualité  de 
légat  apostolique.  11  obéit  aveuglément  à  cet  ordre,  et  se  mil  en  chemin  ;  il 
se  rendit  d'abord  à  l'abbaye  de  Cluny,  où  on  l'attendait  pour  régler  de 
grandes  aflaires;  ensuite,  poursuivant  son  chemin,  il  visita  les  archevêques 
de  Reims,  de  Sens,  de  Tours,  de  Bourges  et  de  Bordeaux,  pour  terminer, 
dans  tous  ces  diocèses,  des  difficultés  et  des  différends  dont  on  avait  prié  le 
souverain  Pontife  d'être  le  juge.  S'étant  parfaitement  acquitté  de  toute  sa  mis- 
sion en  France,  il  prit  le  chemin  de  l'Allemagne  pour  aller  réconcilier  le  roi 
Henri  IV  avec  Berthe,  son  épouse,  que  ce  prince  voulait  répudier  ;  il  s'opposa, 
avec  une  grande  fermeté,  à  cette  séparation  :  il  déclara  au  roi  qu'il  userait 
contre  lui  de  la  sévérité  des  saints  Canons  de  l'Eglise,  si  ce  monarque  pour- 
suivait son  entreprise  :  il  menaça  des  censures  ecclésiastiques  l'évèque  de 
Mayence,  qui  avait  promis  d'acquiescer  à  cette  séparation  ;  enfin,  il  dit  au  roi 
qu'il  ne  le  jugeait  pas  digne  de  la  couronne  de  l'empire,  qu'Henri  espérait 
bientôt  recevoir,  s'il  donnait  un  si  mauvais  exemple  à  ses  sujets,  et  s'il  causait 
un  si  grand  scandale  parmi  tous  les  peuples.  Dieu  donna  une  si  grande  béné- 
diction à  la  juste  sévérité  du  saint  Légat,  que  tous  les  princes  de  l'empire  et 
le  roi  même  se  désistèrent  du  dessein  qu'on  avait  formé  ;  Henri  conserva  son 
épouse,  et  il  en  eut  un  prince  qui  devint  son  successeur. 

L'impératrice  Agnès,  mère  d'Henri,  prit  le  saint  Cardinal  pour  directeur 
de  sa  conscience,  et  elle  lui  fit  une  confession  de  tous  les  péchés  de  sa  vie 
depuis  sa  plus  tendre  jeunesse.  Comme  elle  avait  un  peu  favorisé  le  parti  de 
l'antipape  Cadaloiis,  elle  alla  à  Rome  implorer  le  pardon  de  sa  faute  sur  les 
saints  tombeaux  des  Apôtres  :  elle  retourna  ensuite  en  Allemagne  ;  mais, 
comme  elle  avait  commerce  de  lettres  avec  le  pieux  Cardinal  dont  nous  par- 
lons, il  lui  persuada,  pour  de  bonnes  raisons,  de  venir  à  Rome  :  ce  qu'elle 
exécuta,  et  elle  y  finit  sa  vie  en  odeur  de  sainteté. 

L'histoire  du  célèbre  personnage  dont  nous  décrivons  la  vie  fait  encore 
mention  de  quelques  autres  légations  dont  le  Saint-Siège  l'honora  ;  il  se 
transporta  en  la  ville  de  Florence,  pour  détruire  l'hérésie  des  Simoniaques 
qui  causaient  d'extrêmes  désordres  en  cette  église,  et  pour  éteindre  en 


638  23    FÉVRIER. 

même  temps  un  grand  -  pii  éliiil  arrivé  entre  le  peuple  et  le  cler;z(';  ; 

toutes  ces  affaires  furent  heureusement  terminées  dans  un  concile  de  plus 
de  cent  évêques,  tenu  à  Rome,  contre  les  Simoniaques,  à  la  sollicitation  du 
grand  Prélat  qui  en  avait  fait  connaître  la  nécessité  au  pape  Alexandre  II. 

Eufin,  la  dernière  action  qui  couronna  tous  les  travaux  du  célèbre  Car- 
dinal, fut  la  légation  dont  le  Pape  le  chargea  pour  Ravenne,  afin  d'y  récon- 
cilier le  peuple  qui  avait  voulu  soutenir  injustement  jusqu'alors  l'archevêque 
excommunié  pour  de  grandes  raisons.  Cet  infatigable  pasteur  accepta  cette 
mission,  quoiqu'il  fût  dans  un  âge  fort  avancé,  et  qu'il  ne  lui  fût  plus  aisé 
de  faire  des  voyages;  comme  il  était  de  Ravenne  et  qu'Use  souvenait  qu'il 
avait  reçu  la  vie  et  le  baptême  en  cette  ville,  il  se  faisait  un  plaisir  d'aller 
rendre  un  bon  office  à  cette  église,  en  reconnaissance  de  la  qualité  d'enfant 
de  Dieu  qu'il  y  avait  reçue. 

11  réussit  dans  cette  affaire  comme  dans  toutes  les  autres  ;  il  réconcilia 
le  peuple  après  lui  avoir  fait  voir  son  erreur  ;  il  rendit  la  paix  à  la  ville  et  à 
tout  le  diocèse,  il  reçut  mille  bénédictions  d'un  si  bon  office,  et,  après  s'être 
heureusement  acquitté  de  cette  dernière  mission,  il  reprit  le  chemin  de 
Rome.  Mais  le  temps  auquel  Dieu  avait  résolu  de  récompenser  ses  travaux 
étant  arrivé,  il  fut  attaqué  d'une  fièvre  ardente  dans  le  chemin  proche  de  la 
ville  de  Faënza,  qui  n'est  éloigné  que  d'une  demi-journée  de  Ravenne,  d'où 
il  était  parti  ;  il  fut  reçu  avec  une  extrême  joie  par  les  religieux  d'un  monas- 
tère dédié  à  la  Sainte  Vierge,  lequel  était  situé  aux  portes  de  la  ville.  Il  fît 
paraître  en  sa  maladie  tous  les  actes  de  vertu  qu'on  pouvait  attendre  d'un 
homme  qui  nvait  depuis  si  longtemps  dans  les  exercices  continuels  de  la 
charité,  de  la  pénitence  et  de  l'oraison;  il  ne  fut  malade  que  neuf  jours,  et 
le  neuvième,  qui  était  le  jour  de  la  fête  de  la  Chaire  de  Saint-Pierre,  il  se  fît 
réciter  devant  lui  tout  l'office  de  cette  fête,  par  une  dévotion  spéciale  qu'il 
avait  au  prince  des  Apôtres  ;  et,  après  avoir  ainsi  satisfait  sa  piété  et  avoir 
mis  ordre  à  tout  ce  que  la  sagesse  et  la  charité  exigeaient  de  lui  en  cette 
extrémité,  il  rendit  paisiblement  sa  belle  âme  à  Dieu,  le  23  février  de  l'an- 
née 1072. 

On  a  représenté  saint  Pierre  Damien  :  1°  avec  une  discipline  à  la  main, 
pour  exprimer  l'ardeur  avec  laquelle  il  s'adonnait  à  la  mortification;  2°  sous 
les  costumes  divers  de  cardinal,  d'ermite  et  de  pèlerin  ;  dans  ce  dernier  cas, 
on  lui  met  un  diplôme  ou  une  bulle  à  la  main  pour  rappeler  les  diverses 
légations  dont  il  fut  chargé  par  les  Papes.  Il  est  le  patron  de  Fonte-Avellane 
et  de  Faenza.  On  l'invoque  contre  les  maux  de  tête,  iwobablement  en  sa 
qualité  d'homme  d'étude. 

CDLTE  ET  ÉCRITS. 

Comme  on  savait  partent  quel  était  le  mérite  de  cet  incomparable  Prélat,  et  le  danger  de  mort 
où  il  se  tioiivait,  on  avait  mis  des  gardes  à  l'entour  du  monastère  où  il  était  tombé  malade,  de 
peur  que  ses  religieux  ne  vinssent  enlever  sou  précieux  corps.  Toute  la  vitle  de  Faênza  étant  aver- 
tie, se  rendit  au  lieu  où  était  ce  saint  dépôt;  ou  le  transporta  dans  l'église  consacrée  à  la  Mère 
de  Dieu;  il  y  vint  un  si  grand  concours  de  peuple  de  tous  les  lieux  voisins,  qu'on  ne  pouvait  en- 
trer dans  l'église  ;  tout  le  monde  s'empressail  de  baiser  les  pieds  du  pieux  défunt,  ou  de  faire  lou- 
cher quelque  chose  à  son  corps  par  dévotion.  On  lui  éleva  un  fort  beau  mausolée;  on  plaça  son 
tombeau  au  haut  du  chœur  de  cette  église,  vis-à-vis  le  milieu  de  l'autel,  là  où  il  a  reçu,  pendant 
un  très-long  temps,  les  vœui  de  tous  les  peuples  qui  sont  venus  vénérer  sa  mémoire  et  implorer 
son  secours.  On  pourra  voir  dans  sa  Vie,  qui  est  à  la  tête  de  ses  ouvrages,  le  récit  de  plusieurs 
grands  miracles  que  la  brièveté  ne  nous  permet  pas  de  rapporter  ici. 

Le  pape  Léon  Xll  a  donné  à  saint  Pierre  Damien  le  litre  de  Docteur  de  l'Eglise  et  a  étendu 
i  tonte  la  catholicité  le  culte  qu'eu  lui  rendait  dans  l'Ordre  des  Camaldules,  ainsi  que  dans  les 
diocèses  de  Ravenne  et  de  Faënza.  Il  a  un  offlce  double  dans  le  Bréviaire  romain. 


SAINT  BOISIL,   PRIEtFR   DE  L'ABDAYE  DK  MAttROS   OU  MELROS.  639 

Ses  écrils,  remplis  de  piété  Cl  d'érudition,  ont  été  publiés  à  Rome  en  3  vol.,  en  1606,  160Setl613; 
en  4  vol.,  à  Lyon,  en  1623;  en  un  seul  vol.  in-folio  à  Paris,  en  1663  ;  à  Venise,  en  4  vol.,  1743. 

Le  premier  volume  conlient  les  lettres,  distribuées  en  huit  livres.  Le  tome  il  contient  les 
Seimons,  au  nombre  de  75,  disposés  selon  l'ordre  des  fêtes.  lU  sont  suivis  de  quelques  bio- 
graphies de  saints.  Le  iu°  vol.  comprend  les  opuscules  :  De  la  foi  catholique;  Anti/ogue 
contre  les  Jiiifs;  Traité  de  l'office  divin,  etc.,  il  y  en  a  en  tout  60.  Le  tome  iv"  et  dernier 
contient  des  prières,  des  hymnes,  des  proses  attribuées  à  Pierre  Damien,  puis  des  eitraits  tirés 
des  œuvres  do  ce  Père  par  un  anonyme ,  de  ses  disciples  et  de  la  règle  des  chanoines  de 
Pierre  de  Ho7iesiis,  clerc  de  Raveu[ie,  que  quelques-uns  ont  confundu  avec  Pierre  Damien. 

Le  cardinal  Mai  a  publié  une  excellente  Exposition  de  la  Messe  composée  par  saint  Pierre 
Damien.  Cet  opuscule  et  d'autres  additions  se  trouvent  dans  la  Patrologie  de  M.  l'abbé  Migne. 

Nous  avons  composa  cette  via  d'après  soa  disciple,  Jeau  de  Lodl,  et  Henscheoias. 


SAINT  BOISIL, 

PBIEUR  DE  l'abbaye   DE   ilAILROS    OU  MELHOS  '  (664) 

Boisil  était,  aa  rapport  du  vénérable  Bède,  an  homme  d'une  vertu  éminente  et  doné  de  l'esprit 
prophétique.  On  ne  parlait  de  toutes  parts  que  de  la  sainteté  de  sa  vie  ;  ce  qui  porta  saint  Cnth- 
bert,  loi-sqn'il  quitta  le  siècle,  à  préférer  le  monastère  de  Mailros  à  celui  de  Lindisfarne.  Dès  la 
première  fois  que  BoisU  le  vit,  il  dit  à  ceux  qui  étaient  présents  :  roiVà  un  serviteur  de  Dieu.  Il 
s'appliqua  à  lui  donner  l'intelligence  des  divines  Ecritures  et  à  le  perfectionner  dans  la  pratique  de 
toutes  les  vortus. 

Bûisil  parlait  souvent  des  trois  personnes  de  l'adorable  Trinité,  et  lorsqu'il  prononçait  le  saint 
nom  de  Jésus,  il  le  faisait  avec  une  dévotion  si  tendre  et  quelquefois  avec  une  telle  abondance  de 
larmes  que  les  auditeurs  en  étaient  attendris.  Comme  sa  charge  le  mettait  dans  le  cas  d'instruire  les 
frères,  il  s'en  acquittait  avec  tout  le  zèle  et  toute  l'édification  possibles.  11  ne  se  bornait  pas  à 
l'instruction  des  frères  ;  il  allait  encore  prêcher  dans  les  villages,  imitant  l'exemple  de  Jésus-Christ, 
qui  faisait  ses  délices  de  converser  avec  les  pauvres. 

Le  vénérable  nède  rapporte  plusieurs  prédictions  de  notre  Saint,  une  entre  autres  de  la  peste 
qui  ravagea  l'Angleterre  en  664.  Saint  Cuthbert  fut  aussi  attaqué  de  ce  redoutable  fléau,  mais  il 
n'en  mourut  point.  Boisil  l'ayant  vu  après  son  rétablissement,  lui  dit  :  «  Dieu  vous  a  guéri,  mon 
frère,  et  votre  dernier  moment  n'est  point  encore  arrivé.  Pour  moi,  je  mourrai  dans  sept  jours  ; 
ainsi  nous  n'avons  plus  que  ce  temps  pour  nous  entretenir  ».  —  »  Mais  »,  répondit  saint  Culbbert, 
n  que  pourrai-je  lire  dans  un  si  court  espace  ?»  —  «  L'évangile  de  saint  Jean  »,  répondit  notre 
Saint.  «  Sept  jours  suffiront  pour  le  lire  et  pour  faire  nos  réflexions  ».  Le  plaisir  que  saint  Boisil 
prenait  à  la  lecture  de  l'Evangile  selon  saint  Jean  venait  d'un  ardent  amour  pour  Jésus-Christ  et 
d'un  graud  désir  d'allumer  en  lui  de  plus  en  plus  le  feu  de  la  divine  charité.  Le  disciple  retint  de 
son  maître  cette  solide  dévotion,  et  l'on  a  trouvé  dans  son  tombeau  une  copie  latine  de  l'Evangile 
selon  saint  Jean  '. 

Le  septième  jour  étant  arrivé,  le  Saint  fut  attaqué  de  la  peste,  comme  il  l'avait  prédit.  Plus  il 
voyait  approcher  son  dernier  moment,  et  plus  il  se  réjouissait  de  la  proximité  de  sa  délivrance.  H 
répétait  souvent  et  avec  une  ferveur  extraordinaire,  ces  paroles  de  saint  Etienne  :  Seigneur  Jésus, 
recevez  mon  esprit.  Sa  bienheureuse  mort  arriva  l'an  664. 

Les  reliques  de  saint  Boisil  furent  portées  à  Ourbam  en  1030,  à  côté  de  celles  de  saint  Cath- 
bert,  son  disciple. 

Bède  dit  que  notre  Saint  s'intéressa  du  haut  du  ciel  en  faveur  de  son  pays  et  de  ses  anus  ; 
qu'il  apparut  deux  fois  à  l'un  de  ses  disciples,  et  qu'il  le  chargea  d'avertir  samt  Egbcit  que  la  vo- 
lonté de  Dieu  était  qu'il  passât  dans  les  monastères  de  saint  Colomb  pour  y  enseigner  la  vraie  ma- 
nière de  célébrer  la  Pâque  '. 

1.  Cette  abbaje.  sitac'e  dans  une  grande  foret  sur  le  bord  de  la  Tweod,  tîtaît,  au  vu*>  silïcle,  du 
royaume  des  Anslo-Sasons  du  Nortliumberland,  lequel  s'tîteudait  à  l'orient  de  l'Ecosse  jusqu'à  la  mer. 
On  y  suivait  primitivement  la  règle  de  saint  Colum'o:  mais  on  y  adopta  dans  la  suite  celle  de  Citcaux. 

2.  Cette  copie  était  dans  les  mains  du  comte  de  LIchtfield.  n  eu  tit  pre'sent  à  Thomas  Philips,  chanoine 
de  Tongres. 

3.  Ces  monastères  étalent  celui  de  nie  de  KoIm-ICill,  oîi  fut  la  sépulture  des  rois  d'Ecosse,  jusqu'à 
Ualcolra  m,  et  celui  de  Magis,  dans  les  îles  Orcades.  Ils  .avaient  été  bâtis  par  l'évèquc  Colman. 


640  23  FÊVBrER. 


SAINT  WILLIGISE,  ÉVÊQUE  DE  MAYENCE  (1011). 

Saint  Willigise  naquit  à  Slromingea  de  Scbonenbourg,  village  de  Saxe.  Pendant  qoe  sa  mère  le 
portait  d.ans  son  sein,  il  lui  apparut  sous  la  figure  d'un  soleil  qui  éclairait  la  terre.  Ce  signe 
annonçait  quelles  seraient  un  jour  sa  doctrine  et  sa  vertu.  Eu  effet,  devenu  archi-chapelain  d'O- 
thon  II,  puis  archevêque  de  Mayence,  il  fut  la  lumière  de  l'empire  et  de  l'Eglise.  Il  fut  le  précep- 
teur d'Otlion  m,  gouverna  l'Etat  pendant  la  minorité  de  ce  prince,  et  fut  appelé  par  les  peuples  le 
Père  de  CEmpereur  et  de  VEmpire.  Othon  III  n'ayant  pas  d'enfant,  le  saint  archevêqMe  lui  con- 
seilla, pour  éviter  les  discordes  intestines,  de  remettre  l'élection  de  son  successeur  à  certains  princes 
de  la  Germanie,  en  admettant  aussi  le  suffrage  du  pontife  romain  Grégoire  V.  Le  règne  de  saint 
Henri  II  fut  le  fruit  de  ce  sage  conseil.  Willigise  s'appliqua  avec  un  égal  soin  à  donner  des  pré- 
lats capables  aux  églises  d'Allemagne  :  celle  de  Worms  lui  dut  Burchard,  son  disciple;  celle  d'Hil- 
desheim,  Gothard  ;  celle  de  Prague,  Adelbert.  11  avait  bâti  l'église  métropolitaine  de  .Mayence,  qui 
fut  brûlée  le  jour  même  de  la  consécration  ;  il  se  remit  à  l'œuvre  pour  la  relever,  mais,  prévenu 
par  la  mort,  il  laissa  ce  soin  à  son  successeur,  saint  Bardon.  Il  bâtit  encore  à  Mayence  l'église  de 
Saint-Etienne,  premier  martyr.  Il  agrandit  à  ses  frais  le  monastère  de  Saint-Victor.  11  mourut  dans 
un  âge  avancé,  l'an  1011,  et  fut  enseveli  à  Saint-Etienne. 

Outre  qu'elle  l'a  adopté  pour  un  de  ses  patrons,  la  ville  de  Mayence  à  conservé  la  roue  de  saint 
Willigise  dans  ses  armoiries,  pour  rappeler  que  l'évèque  était  fils  d'un  charron  Par  une  consé- 
quence toute  naturelle,  les  charrons  d'Outie-Rhin  l'ont  choisi  pour  le  prolecteur  spécial  de  leur 
profession.  Les  artistes  qui  ont  représenté  ce  saint  évèque  lui  ont  aussi  mis  une  église  sur  la  main, 
par  allusion  à  la  cathédrale  de  Mayence,  qu'il  recommença  deux  fois. 

L'église  de  Saint-Etienne,  où  il  fut  enseveli,  conserve  encore  aujourd'hui  une  de  ses  chasuble». 

Propre  de  Mayence. 


?I.\  DU  TOME  DE0XIE3JE. 


TABLE    DES  MATIÈRES 


JANVIER 


XXVII»  JODR. 


Pages. 


Martyrologes  Romain,  Français,  des  Ordres 

religieux.  Divers 1 

S.  Jean  Chrysostomc,  patriarche  de  Cons- 

tantinople,  docteur  de  l'Eglise 2 

S.  Julien,  premier  évéque  du  Mans 40 

S.  Vitalien,  pape 44 

S.  Thierry  11,  évoque  d'Orléans 46 

S.  Jean,  trentième  évéque  de  Thérouanne.  49 
S»  Dévote,  patronne  de  Monaco,  vierge  et 

martyre 57 

S.  Maire,  abbé  de  Val-Benois 59 

S.  Gamelbert,  curé  en  Bavière 39 

S.  Gildttin,  chanoine  de  Dol 61 

XXVm»  JOUR. 

Martyrologes  Romain,  Français,  des  Ordres 
religieux.  Divers 63 

S.  Cyrille,  patriarche  d'Alexandrie,  doc- 
teur du  dogme  de  l'incarnation 66 

S.  Jean  de  Réome 75 

S»  Maure  et  S«  Britte,  vierges 78 

Le  6.  Cbarlemague,  roi  de  France  et  em- 
pereur d'Occident 80 

Le  B.   Amédée  de  Hauterive,  évéque  de 

Lausanne 84 

S.  Julien,  évéque  de  Caença  et  confes- 
seur       88 

S.  Thyrse,  patron  de  Sisteron,  S.  Leucius, 
S.  Callinique  et  ses  quinze  compa- 
gnons, martyrs 90 

S.  Valère,  évéque  de  Saragosse 92 

S.  Pelade,  archevêque  d'Embrun 

S*  Libérale  ou  Livrade,  vierge  et  martyre      93 

Histoire  du  Chevalier  saint  Arnoul  de  Cy- 

soing,  martyr  en  Flandre 97 

S.  Mathieu  d'Agrigente 98 

XXIX»  JOUR. 

Martyrologes  Romain,  Français,  des  Ordres 

religieux.  Divers 99 

Vies  des  Saints.  —  Tome  U. 


P«ge». 
S.  Savinien  ou  Sabinien,  martyr  à  Troycs.  101 
S.  Gildas  le  Sage,  abbé  de  Rhuys 105 

S.  Sulpice-Sévère,  disciple  de  S.  Martin..  108 
S.  Sulpice-Sévère,  évéque  de  Bourges...  112 
S»  Sabine  ou  Savine,  de  Troyes,  vierge..    112 


XXX»  JOUR. 

Martyrologes  Romain,  Français,  des  Ordre» 

religieux.  Divers 114 

S»  Martine,  vierge  et  martyre 116 

S.  Félix,  pape 119 

S'  Balhilde,  reine  de  France 121 

S»  Aldegonde,  vierge  et  patronne  de  Mau- 

beuge 129 

S.  Âleaume,  moine  de   la  Chaise-Dieu, 
abbé   de  Saint-Jean  de   Burgos,   en 

Espagne 133 

S.  Armeutaire,  évéque  de  Pavie 135 

S,  Pérégrin,  de  Sicile 135 

S»  Savine,  de  Lodi 136 

XXXI»  JOUR. 

Martyrologes  Romain,  Français,  des  Ordres 

religieux.  Divers 136 

S»  Marcelline,  veuve 138 

S.  Pierre  Nolasque,  fondateur  de  l'Ordre 

de  la  Mers! 141 

S.  Cyr  et  saint  Jean ,   sainte  Athanasie, 
sainte  Théodosie,  sainte  Théoctiste  et 

sainte  Eudoiie,  martyrs 151 

S.  Jules  et  saint  Julien,  apétres  des  lies 

du  Lac-Majeur 152 

S.  Gaud,  évéque  d'Evreux 153 

S.  Pouanges,  solitaire  à  Troyes 153 

S.  Nicet,   vingt-troisième  évéque  de  Be- 
sançon      154 

S»  Viergue,  vierge 153 

La  B°  Louise  d'Albertone ISS 


il 


II 


TAULE   DES   lylATIERES. 


FEVRIER 


PREMIER  JOUR. 


Fsges. 


IVe  JOUR. 


P»gM. 


Martyrologes  Romain,  Français,  des  Ordres 

religieux.  Divers 157 

S.  Ignace,  patriarche  d'Antioche,  martyr.  160 

S.  Paul,  éïèque  de  Trois-Chilteaux 167 

S.  Ephrem,  diacre  d'Edesse  et  confesseur  169 
S'  Brigitte,  surnommée  la   Thaumaturge, 

vierge,  en  Irlande 183 

S.  Sour,  ermite,  premier  abbé  de  Terras- 
son,  au  diocèse  de  Périgueux 181 

S»  Galle,  vierge,  à  Valence 197 

S.  Sigebert  ou  Sigisbert,  roi  d'Austrasie.  201 

S.  Eubert  de  Séclin,  patron  de  Lille 204 

S.  Torquat,  évèque  de  Saint-Paul-Trois- 
Châteaui,  et  saint  Josserand,  moine 

deCrnas 205 

S.  Sévère,  de  Ravenne,  évêque  et  confes- 
seur   205 

S.  Précord,  solitaire  dans  le  Soissonnais..  206 

S.  Agripan  ou  Agrève,  dn  Puy 207 

S.  Sever,  évoque  d'Avrancbes 207 

S.  Jean  de  la  Grille 208 

Le  B.André  de  Ségni 208 

II»  JOUR. 

Martyrologes  Romain,  Français,  des  Ordres 

religieux.  Divers 209 

La  Purification  de  la  Sainte  Vierge 212 

S.  Cornélius  ou  Corneille  le  Centurion. . .  217 

S.  Mare,  solitaire  de  Scété 219 

S.  Floscule  ou  Flou,  évêque  d'Orléans. . .  221 

S.  Laurent,  archevêque  de  Canlorbéry. ..  221 

S.  Adalbade  ou  Adalbaud  d'Oslrevant 222 

Le  B.  Pierre  Cambian  de  Rufâe 223 

ni»  JOUR. 

Martyrologes  Romain,  Français,  des  Ordre» 

religieux.  Divers 224 

S.  Biaise,  évèque  et  martyr 226 

S.  Anschaire,  premier  archevêque  de  Ham- 
bourg, évêque  de  Brème,  apdtre  de 

Suède  et  de  Danemark 230 

S»  Véronique 236 

S.  Tigide  et  saint  Remède,  éTêqaes  de 

Gap  et  martyrs 246 

S*  Secoudine,  vierge  et  martyre 247 

S.  Anatoile,  patron  de  Salins 247 

S.  Théodore,  évèque  de  Marseille -248 

S»  Wereburge,   vierge,    abbesse  et  pa- 
tronne de  Cbester,  en  Angleterre....  249 
S.  Hadelin,  abbé  de  Celles,  au  diocèse  de 

Liège 249 

S*  Berlinde  ou  Bellaude 250 

S.  Eliuand  ou  Hêlinand,  moine  de  Froid- 

moud 251 


Martyrologes  Romain,  Français,  des  Ordres 

religieux.  Divei-s 252 

S.  Théophile,  pénitent 253 

£.  André  Corsini, religieux,  évèque  de  Fié- 
sole 257 

S»  Jeanne  de  Valois,  veuve 262 

Le  B.  Jean  de  Britto,  martyr 269 

S.  Baban  Maur,  archevêque  de  Mayence. .  279 

S.  Isidore,  de  Péluse 284 

S.  Aventin,  de  Chartres 285 

S.  Aventin,  de  Troyes,  ermite 286 

S.  Vincent,  de  Troyes £87 

S.  Rembert,  de  Brème 288 

S.  Gilbert,  fondateur  des  Gilbertins 288 

S.  Josepb  lie  Léonissa,  Mineur  Capucin. .  289 

V»  JOUR. 

Manjrologes  Romain,  Français,  des  Ordres 

religieux.  Divers 290 

S«  Agathe,  vierge  et  martyre 291 

S.  Isidore,  de  Chios,  martyr 298 

S.  Avite,  évêque  de  Vienne  en  Daupbiné.  301 

S.  Wodoel,  ou  Voué 311 

Les  Vingt-Six  Martyrs  du  Japon 313 

S»  Agathe  Biidegarde 320 

S.  Bertulphe,  abbé 320 

VI»  JOUR. 

Martyrologes  Romain,  Français,  des  Ordres 

religieux.  Divers 321 

S»  Dorothée,  de  Césarée  en  Cappadoce, 
vierge,  saint  Théophile,  avocat.  S" 
Chrétienne  et  sainte  Calliste,  Péni- 
tentes, tous  Martyrs 323 

S.  Vaast,  évêque  de  Cambrai  etd'Arras..  329 
S.  Amand,  évêque  de  Maêstricht,  mission- 
naire et  fondateur  d'abbayes 336 

S"  Hyacinthe  Mariscotti,  Clarisse 348 

S.  Antolien,  martyr  en  Auvergne 356 

S.  Barsannphe,  anachorète 350 

S.  Elric  ou  Âldric,  berger 356 

VII»  JOUR. 

Martyrologes  Romain,  Français,  des  Ordres 

religieux.  Divers 357 

S.  Théodore,  d'Héraclée,  martyr 359 

S.  Romuald,  fondateur  de  l'Ordre  des  Ca- 

maldules 361 

S.  Chrysole  ou  Chrysenil,  apôtre  et  patron 

de  Commines  372 

S.  Moïse,  évèque  des  Sarrasins 373 

S.  Livane  on  Levange,  de  Senlis 374 

S.  Richard,  roi  saxon 375 


TABLE   DES  &UTIERES. 


m 


vm»  JOUR. 


Pages. 


.Martyrologes  Romain,  Fraa^,  des  Ordres 

religieux.  Divers 375 

S.  Paul,  évéque  de  Verdan. 376 

S.  Etienne  de  Maret,  fondateur  de  l'Ordre 

de  Grandmont 381 

5.  Jean  de  Matba,  fondateur  de  l'Ordre  de 

la  Très-Sainte  Trinité 387 

6.  Cnthman,  de  Stenioges iOl 

Le  B.  Pierre  Aldobrandini 401 

IX»  JOUR. 

Martyrologes  Romain,  Français,  des  Ordres 

religieux.  Divers i02 

S»  Apolline,  vierge  et  martyre 404 

S.  Nicéphore,  martyr 406 

S.  .\nsbert,  archevêque  de  Rouen,  clian- 

celier  de  France 408 

S.  Brachio  ou  Braque,  honoré  à  Menât,  en 

Auvergne 413 

S.  Eumache  ou  Chamassy,  de  Périgord..  413 
S.  Audebert,  évéque  de  Senlis  et  confes- 
seur   414 

Le  B.  Bernard  de  Scanunaca,  Dominicain.  414 

X»  JOUR. 

Martyrologes  Romaia,  Français,  des  Ordres 

religieux.  Diverf 415 

S*  Scholastique,  vierge 416 

S»  Austreberte,  abbesse  de  PaviUy 421 

S.  Guillaume  d'Aquitaine,  saint  Guillaume 
de  Maleval,  et  autres  Saints  du  même 

nom 426 

L«  6.  Guillaume  de  Brabant 434 

S»  Claire  de  Rimini 436 

S.  Protbade,  évèqne  de  Besançon 440 

S.  Sige  ou  Sigon,  quarante-huitième  évè- 

qne  de  Clermont 441 

Le  B.  Hugues,  de  Cambrai 441 

XI»  JOUR. 

Martyrologes  Romain,  Français,  des  Ordre* 

religieux.  Divers 442 

S.  Saturnin,  saint  Datif,  et  un  grand  nom- 
bre d'autres  en  Afrique 445 

S.  Séverin,    abbé  de    Saint-Maurice-en- 

Valais 454 

S.  Benoit  d'Aniane,  abbé 456 

S.  Castrensis,  évèque  africain. 467 

S.  Didier,  évèque  de  Vienne 467 

S.  Gaudin,  évèque  de  Soissons 468 

S.  Odon,  évèque  de  Beauvais 46S 

S.  Ardaing  ou  Ardan,  abbé  de  Tournus..  469 

S.  Conteste,  évèque  de  Bayeoi 470 

Xn»  JOUR. 

Martyrologes  Romain,  Français,  des  Ordres 

religieux.  Divers 479 

S»  Enlalie,  de  Barcelone,  vierge  et  mï~ 

tyre 472 


Pages. 
S.  Mélèce,  surnommé  le  Grand,  patriarche 

d'Antioche 471 

S,  Julien  l'Hospitalier,  dit  vulgairement  le 

Pauvre 478 

S.  Galactoire,  évèqne  et  martyr 4S0 

S.  Rioc,  ermite  en  Bretagne 480 

S.  Lndan  ou  Loudain,  pèlerin 481 

La  B«  Christine  Licarelli 481 

L«  B.  Nicolas,  de  Longobairdi 482 

xm»  JOUR. 

Martyrologes  Romain,  Français,  des  Ordres 

religieux.  Divers 482 

S.  Polyeucte,  martyr 484 

S.  Volusien  on  Vousiea,  évèque  de  Tours, 

martyr 487 

S.  Grégoire  U,  Pape 489 

S.  Martinien,  ermite 495 

S.  Gilbert,  évèque  de  Meaux 499 

S.  Agabus,  l'un  des  soixante-douze  disci- 
ples de  Jésus-Christ;  prophète  illustre 
de  l'Eglise  primitive  ;  témoin  oculaire 

des  faits  du  Christ 501 

S.  Domnia  ou  Donnis,  évèque  de  Digne..  503 

S.  Castor,  prêtre,  patron  de  Coblentz...  503 

S.  Léon  ou  Lienne,  de  Poitiers 504 

S.  Leubace  ou  Lenbais,  deSennevières..  504 

S.  Fulcran,  évèque  de  Lodève 505 

S»  Catherine  Ricci 506 

XIV»  JOUR. 

Martyrologes  Romain,  Français,  des  Ordres 

religieux.  Divers 307 

S.  Valentin,  prêtre  de  Rome  et  martyr...  510 

S.  Auxence,  abbé 512 

B.  Jean-Baptiste  de  la  Conception 515 

S.  Valentin,  évèque  de  Terni 524 

S.  Abraham,  évèque  de  Carrhes,  en  Méso- 
potamie   524 

S.  Maroo,  abbé  en  Syrie 525 

S.  Louans 526 

S.  Paolien,  évêqne  du  Puy 527 

S.  Ragnobert  on  Racho,  vulgairement  saint 

Roch,  évèque  d'Autnn 527 

Le  B.  Conrad  de  Bavière 528 

Le  B.  Ange  de  Gualdo 528 

XV»  JOUR. 

Martyrologes  Romain,  Français,  des  Ordres 

religieux.  Divers 529 

Les  saints  Frères  Faustin  et  Jovite ,  mar- 
tyrs   531 

S.  Waneng,  fondateur  de  l'abbaye  de  Fé- 

camp  et  patron  de  Ham,  en  Picardie.  533 

Le  B.  Jourdain  de  Saxe,  dominicain 536 

S»  Géorgie  ou  Georgette,  de  Clermont. ..  543 

S.  Quinide  ou  Qniniz,  évèque  de  Vaison.  543 
S.  Sévère,  prêtre,  honoré  au  diocèse  de 

Trêves 544 

S.  Sigefride,  vulgairement  saint  Sifroy, 

évèque  et  apùtre  de  Suède S44 


IV 


XVl»  JOUR. 


TABLE   DES  MATIÈRES. 
Pages. 


XX«  JOUR. 


P*ga(. 


Martyrologes  Romain,  Français,  des  Ordres 

religieux.  Divers 545 

S»  Julienne  de  Nicomédie,  vierge  et  mar- 
tyre   547 

S.  Gcégoira  X,  pape 550 

S.  Caésime,  disciple  de  saint  Paul 555 

S.  Siméon,  évêque  de  Metz 555 

S.  Armentaire,  évèqne  d'Antibes 556 

XVU«  JOUR. 

Martyrologes  Romain,  Français,  des  Ordres 

religieui.  Divers 556 

S.  Polychrone,  martyr 558 

S.  Silvin,  éïèque  régionnaire 566 

Le  B.  Alexis  Falconieri,  un  des  sept  fon- 
dateurs de  l'Ordre  des  Servîtes 564 

S.  Evermode,  évèque  de  Ratzbourg 566 

XVlll»  JOUR. 

Martyrologes  Romain,  Français,  des  Ordres 

religieux.   Divers 567 

S.  Siméoa,  évèque  de  Jérusalem  et  vat- 

tyr 369 

S.  Flavien,  patriarche  de  Constantinople.  571 

La  B»  Oringa,  dite  chrétienne  deSte-Croix  574 

S.  Angilbert,  abbé  de  Saint-ltiquier 578 

S.  Hellade,  évèque  de  Tolède 584 

S.  Léon  et  saint  Parégore  de  Patare,  en 

Lycie 584 

XIX»  JOUR. 

Martyrologes  Romain,  Français,  des  Ordres 

religieux.  Divers 585 

S.  Auxibe,  évèque  de  Soles,  en  Chypre.  586 

S.  Boniface,  évêque  de  Lausanne 589 

S.  Conrad,  de  Plaisance,  confesseur 593 

S.  Loup,   vulgairement   Leu,    évèque    de 

Chàlon-sur-Sadne 595 

S.  Georges,  évèque  de  Lodève 595 

H.  Alvarez,  de  Cordoue 596 

La  B«  Elisabeth  l'iceuardi 097 


Martyrologes  Romain,  Français,  des  Ordres 
religieux.  Divers 597 

S.  Eleuthère,  évêque  de  Tournai  et  mar- 
tyr      599 

S.  Encher,  évèque  d'Orléans 603 

S.  Sadoth,  évêque  de  Séleucie  et  Clési- 

phon 605 

S.  Bessarion,  solitaire  de  Scété 606 

S.  Possidins  ou  Possidonins,  évèqne  de 

Calame 606 

S.  Vallier,  évêque  de  Conserans,  au  comté 

de  Foix 601 

La  B«  Thècle,  de  Roubaii 607 

XXI»  JOUR. 

Martyrologes  Romain,  Français,  des  Ordres 

religieux.  Divers 608 

S.  Pépin,  duc  de  Brabant 609 

8.  Germain  de  Granfeld,  et  saint  Randoald 

ou  Randaud,  martyrs 6H 

S.  Gnndelberl,  archevêque  de  Sens,  fon- 
dateur de  l'abbaye  de  Senones 614 

S.  Féhx,  évèque  de  Metz 615 

S.  Emébert,  évèque  de  Cambrai 616 

XXII»  JOUR. 

Martyrologes  Romain,  Français,  des  Ordres 

religieux.  Divers 616 

La  Chaire  de  saint  Pierre,  à  Antioche...  618 

S»  Marguerite  de  Cortone 618 

S.  Paschaise,  évêque  de  Vienne 623 

XXm»  JOUR. 

Martyrologes  Romain,  Français,  des  Ordres 

religieux.  Divers 623 

S»  Marthe  d'Astorga,  vierge  et  martyre..  625 

S.  Serenus  ou  Cerneuf,  jardinier,  martyr.  626 

S.  Lazare,  religieux  et  peintre 628 

S.  Pierre  Damien,  ;cardinal-évèque  d'Ostie  629 
S.  Boisil,   prieur  de  l'abbaye  de  Mailros 

ou  Melros 639 

S.  Villjgise,  évèque  de  Mayence 64> 


TABLE  ALPHABETIQUE 


A  Pages. 

S.  Abrahsm,   évêqne  de  Carrhes, 

en  Mésopotamie 14  févr.  524 

S.  Adalbade  ou  Adalbaud  d'Ostre- 

vant 2    —    222 

S.  Adalbaad  ou  Adalbade  d'Ostre* 

vant 2    —    222 

S.  Agabas.Vondes  soiiante-doaze 

disciples  de  J.-C.,  prophète 

illnslre  de  l'Eglise  primitive, 

témom  oculaire  des  faits  da 

Christ 13    —    501 

S"  Agathe  Hildegarde 5    —    320 

S»  Agathe,  \i8rge  et  martyre....    4    —    291 

S.  Agrève,  da  Puy 1    —    207 

S.  Agripan,  do  Puy 1    —    207 

S»  Aldegonde,  vierge  et  patronne 

de  Maubeuge 30  jaav.  129 

S.  Aldric ,  berger 6  févr.  356 

S.  Aleaume,  moine  de  la  Chaise- 
Dieu,  abbé  de  Saint-Jean  de 

Burgos,  en  Espagne 30  janv.  133 

Le  B,  Alexis  Falconieri,  un  des 

sept  fondateurs  de  l'Ordre  des 

Servîtes 17  févr.  564 

B.  Alvarez  de  Cordoue 19    —    596 

S.  Amand,  évèque  de  Maëstricht, 

missionnaire     et     fondateur 

d'abbayes 6    —    336 

Le  B.  Amédée  de  Hauterive,  évè- 
que de  Lausanne 28  janv.    84 

S.  Anatoile,  patron  de  Salins....  3  févr.  247 
S.  André  Corsini,  religieui,  évè- 
que  de  Fiésole 4    —    257 

Le  B.  André  de  Ségni 1    —    208 

Le  B.  Ange  de  Gualdo 14    —    528 

S.  Angilbert ,   abbé  de  Sainl-Ri- 

quier 18    —    578 

S.  Ansbert,  archevêque  de  Rouen, 

chancelier  de  France 9    —    408 

S.  Anschaire,  premier  archevêque 

de    Hambourg ,    évèque    de 

Brème,  apiJIre  de  Suède  et 

de  Danemark 3    —    230 

S.  Antolien,  martyr  en  Auvergne.  6  —  356 
S»  Apolline,  vierge  et  martyre...    9    —    404 

S.  Ardan,   abbé  de  Tournus 11    —    469 

S.  Ardaing,  abbé  de  Tournus 11    —    469 

S.  Armentaire,  évèque  d'Antibes.  16    —    536 


P»ges. 

S.  Armentaire,  évèque  de  Pavie..  30  janv.  135 
S.  Amoul  de   Cysoing  ,  martyr , 

(Hisl.  du  chevalier) 28    —  97 

S*  Athanasie,  martyre 31     —  151 

S.  Audebert,  évèque  de  Senlis  et 

confesseur 9  févr.  414 

S»  Austreberte,  abbesse  dePavilly  10    —  421 

S.  Anience,  abbé 14    —  512 

S.  Amibe,   évèque  de  Soles,   en 

Chypre 19    —  586 

S.  Aventin,  de  Chartres 4    —  285 

S.  Aventin,  de  Troyes,  ermite...  4  —  286 
S.  Avite,   évèque   de  Vienne,  en 

Dauphiné 5    —  301 

B 

S.  Barsanuphe,  anachorète 6    —  356 

S«  Balhilde,  reine  de  France.  ...  30  janv.  121 

S»  Bellaude  ou  Berlinde 3  févr.  250 

S.  Benoit  d'Aniane,  abbé 11    —  456 

S»  Berlinde  ou  Bellaude 3    —  250 

Le  B.  Bernard  de  Scammaca,  do- 
minicain     9    —  414 

S.  Bertulphe,   abbé 5    —  320 

S.  Bessarion,  solitaire  de  Scété..  20    —  606 

S.  Biaise,  évèque  et  martyr 3    —  226 

S.  Boisil,  prieur  de  l'abbaye  de 

Mailros  ou  Melros 23    —  639 

S.  Boniface,  évèque  de  Lausanne  18  —  589 
S.  Brachio  ou  Braque,  honoré  à 

Menât,  eu  Auvergne 9    —  413 

S.  Braque  ou  Brachio,   honoré   à 

Menât,  en  Auvergne 9    —  413 

S«  Brigitte,  surnommée  la  Thau- 
maturge, vierge  en  Irlande..     1    —  18S 
S«  Britte  et  S*  Maure,  vierges...  28  janv.  78 


S.  Callinique,  compagnon  de  saint 

Thyrse,  martyr 28  —  90 

S»  Calliste,  pénitente,  martyre...  6  févr.  323 
S.  Castor,  prêtre,  patron  de  Co- 

blentz 13  —  503 

S.  Castrensis,  évèque  africain. ..  11  —  467 

S»  Catherine  Ricci 13  —  506 

S.  Cemeuf  ou  Serenus,  jardinier, 

martyr 23  —  626 


TI  TABLE   ALPHABÉnOCE. 

La  Chaire  de  SainUPierre,  à  An-  Pages, 

tioche 22    —    618 

S.  Chamassy  on  Eomache  de  Pé- 

rigord 9    —    413 

Le  B.  Charlemagne,  roi  de  France 

et  empereur  d'Occident 28  janv.    80 

S»  Chrétienne ,   pénitente,    mar- 
tyre   6  févr.  323 

La  B.  Christine  Licarelli 12    —    481 

S.  Chrysenil  ou  Chrysole,  apilre 

et  patron  de  Commines T    —    372 

S.  Chrysole  on  Chrysenil,  apfitre 

et  patron  de  Commines 7    —    372 

S»  Claire  de  Riœini 10    —    436 

S.  Conrad,  de  Plaisance,  confes- 
seur   19    —    594 

Le  B.  Conrad  de  Bavière 14    —    528 

S.  Conteste,  évèqne  de  Bayeui..  11    —    470 

S.  Corneille  le  Centurion 2    —    217 

S.  Cornélius  le  Centurion 2    —    217 

S.  Cnthman  de  Steninges 8    —    401 

S.  Cyr,  martyr 31  janv.  151 

S.  Cyrille  ,  patriarche    d'Aleian- 
drie,  docteur  du  Dogme   de 

llncamation 28    —      66 


E.  Datif   et   sa    grand    nombre 

d'autres  en  Afrique 11  févr.  445 

S"  Dévote,  patronne  de   Monaco, 

vierge  et  martyre 27  janv.    57 

S.  Didier,  évèque  de  Vienne 11  févr.  467 

S.  Domnin  ou  Donnis,  évéque  de 

Digne 13    —    503 

S.  Donnis  on  Domnin,  évèque  de 

Digne 13    —    6Q3 

S»  Dorothée,  de  Césarée  en  Cap- 

padoce,  vierge S    —    323 


P  P»gej. 

S.  Faastio,  frère  de  saint  Jovite, 

martyr 15  —    531 

S.  Félix,  évèque  de  Metz 21  —    615 

S.  Félii,  pape 30  janv.  119 

S.  Flavien,   patriarche  de  Cons- 

tantinople 18  févr.  571 

S.  Floscule  ou  Flou,  évèque  d'Or- 
léans     2  —    221 

S.  Flou  on  Floscule,  évèque  d'Or- 
léans     2  —    221 

S.  Falcran,  évèque  de  Lodève...  13  —    503 


S.  Galactoire ,  évèque  et  martyr. .  12    —    480 

S"  Galle,  vierge  à  Valence 1    —    197 

S.  Gamelbert,  curé  en  Bavière...  27  janv.    59 

S.  Gaud,  évèque  d'Evreux 31    —    153 

S.  Gandin,  évèque  de  Soissons..  11  févr.  468 
S.  Georges,  évèque  de  Lodève...  19  —  593 
S»  Georgetle  ou  Géorgie,  de  Cler- 

mont 15    —    543 

S"  Géorgie  on  Georgette,  de  Cler- 

mont 15    —    543 

S.  Germain  de  Granfeld,  martyr..  21  —  611 
S.  Gilbert,  évèque  de  Meaux....  13  —  499 
S.  Gilbert,  fondateur  des   Gilber- 

tins 4    —    288 

S.  Gildas  le  Sage,  abbé  de  Rhuys  29  janv.  105 

S-  Gildain,  chanoine  de  Dol 27    —      61 

S.  Grégoire  n,  pape 13  févr.  489 

S.  Grégoire  X,  pape 16    —    550 

S.  Guillaume  d'Aquitaine 10    —    426 

S.  Guillaume  de  .Maleval  et  antres 

Saints  du  nom  de  Guillaume.  10    —    426 

Le  B.  Guillaume  de  Brabant 10    —    434 

S.  Gundebert  ,     archevêque     de 

Sens,  fondateur  de  l'abbaye 

de  Senones SI    —    Sii 


S.  Elenthtre,  évèque  de  Toomai 

et  martyr 20    —    599 

S.  Elinand  ou  Bélinand,  moine  de 

Froidmond 3    —    251 

La  B.  Elisaieth  Picenardi 19    —    397 

S.  Elric,  berger 6    —    356 

S.  Emébert,  évèque  de  Cambrai.  21  —  616 
8.  Ephrem  ,    diacre  d'Edesse  et 

eonfeiseur 1    —    169 

S.  Etienne  de    Muret,   fondateur 

de  l'Ordre  de  drandmont...  8  —  381 
S.  Eubert   de  Séclin,  patron   de 

Lille 1    —    204 

S.  Eueher,  évêqne  d'Orléans 20    —    603 

S' Eudoiie,   martyre 31  janv.  151 

S»  Eulalie,  de  Barcelone,  vierge 

et  martyre 12  févr.  472 

S.  Enmache  ou  Chamassy,  de  Pé- 

rigord 9    —    413 

S.  Evermode ,   évèqne  de   Rat2- 

bourg 17    —    666 


S.  Hadelin,  abbé  de  Celles  ,  aa 

diocèse  de  Liège 3  —  24* 

S.  Hélinand  ou  Elinand,  moine  de 

Froidmont 3  —  231 

S.  Hellade,  évèque  de  Tolède 18  —  584 

Le  B.  Hugues,  de  Cambrai 10  —  441 

S«  Hyacinthe  Mariscotti,  Clarisse.    6  —  348 


S.  Ignace,   patriarche  d'Antiocbe 

et  martyr 1  —  160 

S.  Isidore  de  Péluse 4  —  284 

S.  Isidere  de  Chios,  marlyr 5  —  298 


S.  Jean,  trentième  évèqne  de  Thé- 
rouanne 27  jany.    49 

S.  Jean  Chrysostome,  patriarche 


TABLE  ÀLPHABÉTIOnS. 


de  Honstantinople  et  docteur 

de  l'Eglise 

B.  Jean-Baptiste  de  la  Conceptioa 
S.  Jeaa  de  Matha,   fondateur  de 

l'Ordre  de  la  Sainte-Trinité. 
Le  B.  Jean  de  Britto,  martyr.  . . . 

S.  Jean  de  la  Grille 

S.  Jean  de  Réome 

S.  Jean,  martyr 

S«  Jeanne  de  Valois,  veuTe 

S.  Joseph  de  Léonissa  ,   Mineur 

Capucia 

S.  Josserand,  moine  de  Cruas. . . 
L<«  B.  Jourdain  de  Saxe ,  Domini- 
cain  

S.  Jovite,  (rère  de  saint  Faustin, 

martyr 

S,  Jules  et  Julien,  ap&tres  des  lies 

da  Lac-Majeur 

S.  Julien  et  Jules,  apôtres  des  lies 

du  Lac-Majeur 

S.  Julien,  évèque  de  Cuença  et 

confesseur 

S.  Julien  ,    premier    évèque    dn 

Mans 

S.  Julien  l'Hospitalier 

S*  Julienne  de  Mcomédie,  vierge 

et' martyre 


Page». 

27  janv.     2 

14  févr.  515 

8    —  38'J 

4    —  269 

1    —  208 

28  janv.  75 
31    —  151 

4  févr.  263 

4    —    289 
1    —    205 

15  —  536 
14  —  531 
31  janv.  152 
31  —  152 
28    —      88 

27    —      40 

12  févr.  478 

16  —    647 


m 

Fag«*t 
14    —    525 


S.  Laurent,  archevêque  de  Can- 

torbéry 2    —  221 

8.  Lazare,  religieux  et  peintre...  23    —  628 

S.  Léon  de  Patare,  en  Lycie 18    —  584 

S.  Léon  ou  Lienne,  de  Poitiers..  13    —  504 

S.  Leu  ou  Loup,  évèque  de  Cha- 
lon-sur-Saône   19    —  595 

S.  Leubace  ou  Lenbais,  de  Senne- 

vières 13    —  504 

S.  Leubais  ou  Leubace,  de  Senne- 

vières 13    —  504 

S.  Lencius,  compagnon  de  saint 

Thyrse 28  janv.  90 

S.  Levange  ou  Livane,  de  Senlis    7    —  374 

S»  Libérale  ou  Livrade,  vierge  et 

martyre 28    —  93 

S.  Lienne  ou  Léon,  de  Poitiers..  13    —  504 

S.  Livane  ou  Levange,  de  Senlis.    7    —  374 

S»  Livrade  ou  Libérale,  vierge  et 

martyre 28  janv.    95 

S.  Loudain  on  Ludan,  pèlerin...  12  févr.  481 

S.  Louans 14    —  526 

La  B»  Louise  d'Albertone 31  janv.  155 

S.  Loup,  vulgairement  Leu,  évè- 
que de  Châlon sur-Saône.,..  19  févr.  595 

S.  Ludan  on  Loudain,  pèlerin ...  12    —  481 


M 


S.  Maire,  abbé  de  Val-Benois 27  janv.    59 

S.  Marc,  solitaire  de  Scété 2  févr.  219 

S"  Marcelle,  veuve 31  janv.  138 

S»  Marguerite  de  Cortone 22  févr.  618 


S.  Mavon,  abbé  en  Syrie 

S»  Marthe    d'Astorga,   vierge   et 

martyre 23    —    625 

S»  Martine,  vierge  et  martyre...  30  janv.  116 

S.  Martinien,  ermite... 13  févr.  495 

Les  Vingt-Six  Martyrs  du  Japon.  .5    —    313 

S.Mathieu   d'Agrigente 28  janv.    98 

S»  Maure  et  sainte  Britte,  vierges  28    —      78 
S.  Mélèce,    surnommé  le  Grand, 

patriarche  d'Antioche 12  févr.  474 

S.  Moïse,  évèque  des  Sarrasins.  .7    —    373 


S.  Nicéphore,  martyr 9    —    406 

S.  Nicet,  vingt-troisième  évèque 

de  Besançon 31  janv.  154 

Le  B.  Nicolas  de  Longobardi....  12  févr.  483 


S.  Odon,  évèque  de  Beauvais 11    —    468 

S.  Onésime ,    disciple    de    saint 

Paul 16    —    555 

La  B*  Oringa,  dite  Chrétienne  de 

Sainte-Croix 18    —    B7* 


S.  Parégore  de  Patare,  en  Lycie.  18    —    584 
S.  Paschase,  évèque  de  Vienne..  22    —    623 

S.  Paul,  évèque  de  Verdun 8    —    376 

S.  Paul,  évèque  de  Trois-Châteaui    1    —    167 

S.  Paulien,  évèque  du  Puy 14    —    527 

S.  Pelade,  archevêque  d'Embrun.  28  janv.    94 

S.  Pépin,  duc  de  Brabant 21  févr.  609 

S.  Pérégrin,  de  Sicile 30  jenv.  135 

S.  Pierre  (la  Chaire  de),  à   An- 

tioche 22  févr.  618 

S.  Pierre  Damien,  cardinal-évê- 

que  d'Ostie 23    —    629 

Le  B.  Pierre  Aldobrandini 8    —    401 

Le  B.  Pierre  Cambian  de  RufBe.     2    —    223 
S.  Pierre  Nolasque,  fondateur  de 

l'Ordre  de  la  Merci 31  janv.  141 

S.  Polychrone,  martyr 17  févr.  558 

S,  Polyeucte,  martyr 13    —    484 

S.  Pessidius  ou  Possidonius,  évè- 
que de  Calame 20    —    606 

S.  Possidonius  ou  Possidius,  évè- 
que de  Ctlame.. 20    —    606 

S.  Pouange,  solitaire  à  Troyes..  31  janv.  153 
S.  Précord,  solitaire  dans  le  Sois- 

sonnais 1  févr.  206 

S.  Prothade  ,  évèque   de  Besan- 
çon   10    —    440 

Purification  de  la  Sainte  Vierge..    2    —    212 


S.  Quinide  on  Quiniz,  évèque  de 

Vaison 15    —    343 

S.  Quiniz  ou  Quinide,  évèque  de 

Vaison 15    —    S4S 


vm 


TABLE    ALPHADETIQUX. 


Pages. 


—  279 

—  527 

—  527 

—  611 

—  611 

—  288 

—  246 

—  375 

—  480 

—  527 

—  361 


S.  Rabaa   Manr,    arcbevèqae   de 

Mayence 4 

S.  Racho,  éïèqne  d'Autnn 14 

S.  Ragnobert,  évêque  d'Anton. . .  14 

S.  Randaud,  martyr 21 

S.  Randoald,  martyr 21 

S.  Rembert,  de  Brème 4 

S.  Remède,  évèque  de  Gap  et  mar- 
tyr      3 

S.  Richard,  roi  saxon 7 

S.  Rioc,  ermite  en  Bretagne 12 

S.  Roch,  évèque  d'Antun 14 

S.  Romuald,  fondateur  de  l'Ordre 
des  Camaldules 7 

S 


S»  Sabine,  de  Troyes,  vierge 29  janv.  112 

S.  Sabinien,  martyr  à  Troyes....  29  —  101 
S.  Sadoth,  évêque  de  Séleucie  et 

Ctésiphon 20  févr.  605 

S.  Saturnin  et  un  grand  nombre 

d'autres  en  Afrique U     —    445 

S"  Savine,  de  Lodi 30  janv.  136 

S»  Savine,  de  Troyes,  vierge 29    —    112 

S.  Savinien,  martyr  à  Troyes 29    —     101 

S»  Scholastique,  vierge 10  févr.  416 

S»  Secondine,  vierge  et  martyre.  3  —  247 
S.  Serenus  ou  Cerneuf,  jardinier, 

martyr 23    —    626 

S.  Sever,  évèque  d'Avranches...  1  —  207 
S.  Sévère,  de  Ravenne,  évèque  et 

confesseur 1     —    205 

5.  Sévère,  prêtre,  honoré  an  dio- 

cèse de    Trêves 15    —    544 

6.  Séverin,   abbé  de  Saint-Mau- 

rice, en  Valais U     —    454 

S.  Sifroy  ou  Sigcfride,  évêque  et 

apolre  de  Suède 15    —    544 

S.  Sige  ou  Sigon  ,  quarante-hui- 
tième évèque  de  Clermont..  10  —  441 
S.  Sigebert    ou    Sigisbert  ,     roi 

d'Austrasie 1    —    201 

S.  Sigefride  ,   vulgairement  saint 

Sifroy,  évèque  et  apfitre  de 

Suède 15    —    544 

S.  Sigisbert    on    Sigebert  ,     roi 

d'Austrasie 1    —    201 

5.  Sigon  on  Sige,  quarante-hni- 

tième  évèque  de  Clermont..  10    —    441 

6.  Silvin,  évèque  régionnaire...  17  —  560 
S.  Siméon,   évèque  de  Jérusalem 

et  martyr 18    —    569 

S.  Siméon,  évèqne  de  Metz 16    —    555 


S.  Sour,  ermite,  premier  abbé  de  Piges. 

Terrasson,  au  diocèse  de  Pé- 

rigneux 1    —    187 

S.  Sulpice  Sévère  ,    disciple    de 

saint  Martin 29  janv.  108 

S.  Snlpice    Sévère  ,    évêque    de 

Bourges 29    —    112 


La  B»  Thècle,  de  Roubaix 26  févr.  607 

S*  Théoctiste,  martyre 31  janv.  151 

S.  Théodore  d'Héraclée,  martyr..    7  févr.  659 
S.  Théodore,  évèque  de  Marseille    3    — 

S»  Théodosie,  martyre 31  janv. 

S.  Théophile,  avocat 6  févr. 

S.  Théophile,  pénitent 4    — 

S.  Thierry  II,  évêque  d'Orléans. .  27  janv. 
S.  Thyrse,  patron  de  Sisteron,  et 

ses  compagnons,  martyrs...  28    — 
S.  Tigide,  évèque  de  Gap  et  mar- 
tyr     3  févr.  248 

S.  Torquat  ,    évèque    de    Saint- 

Paul-Trois-Chateaux ^    —    StS 


248 
151 
323 
253 
46 

90 


S.  Vaast,  évêque  de  Cambrai  et 

d'Arras 

S.  Valentin,  évèque  de  Terai.... 
S.  Valentin,   prêtre  de  Rome  et 

martyr 

S.  Vslère,  évêque  de  Saragosse.. 
S.  Vallier,  évèque  de  Conserans, 

au  comté  de  Foix 

S«  Véronique 

Se  Viergue,  vierge 

S.  Vincent,  de  Troyes 

Les  Vingt-Six  Martyrs  du  Japon.. 

S.  Vitalien,  pape 

S.  Volusien  ou  Vousien,  évêque 

de  Tours,  martyr 

S.  Voué  ou  Wodoel 

S.  Vousien   ou  Volusien,  évêque 

de  Tours,  martyr 13    —    487 

■w 


6  - 
14  — 

329 
524 

14  — 

28  janv. 

510 
92 

20  févr. 

3  — 
31  janv. 

4  févr. 

5  — 
27  janv. 

607 

236 
155 
287 
313 

44 

13  févr. 
5  — 

487 
311 

S.  Waneng,  fondateur  de  l'abbaye 
de  Fécamp  et  patron  de  Ham, 
en  Picardie 15 

S»  Wereburge,  vierge,  abbesse  et 
patronne  de  Chester,  en  An- 
gleterre      3 

S.  Willigise,  évêque  de  Mayence.  23 

S.  Wodoel  ou  Voué 5 


—    533 


249 
6iU 
3!1 


FIN  SES  TABLES  DV  TOM£  D£U.\I£M£. 


Bar-le-Uic  —  Typograpliie  —    .-.  hoiJ-Ti?!  «tC*. 


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